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Full text of "Mémoires couronnés et autres mémoires publiés par l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. Collection in-8o"

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MÉMOIRES  COURONNÉS 


ET 


AUTRES  MÉMOIRES 


PtTBLltff    PAR 


l'académie  royale 


DU  SCIER  CES,  DES  LETTRES  ET  DES  BEAUX-ARTS  DE  BKI.GIQCE. 


COLLECTION  l!«-3\—  TON*  XLI. 


BRUXELLES, 

F.  HAYEZ,  IMPRIMEUR  DE  1,'ACADÉMIE  ROYALE  DES  SCIENCES,  ETC., 
ET  DE  L'ACADÉMIE  ROYALE  DE  MÉDECINE  DE   BELGIQUE, 

rue  de  Louvain,  108. 

Octobre  1888. 


] 


HISTOIRE  NATURELLE 


DES 


BALÉNOPTÈRES, 


PAR 


P.-J.  VAN  BENEDEN, 

MEMBRE   DE  L'ACADÉMIE  ROYALE  DE  BELGIQUE. 


(Présenté  à  la  Classe  des  sciences  dans  la  séance  du  40  mai  1887.) 


Tome  XLI. 


HISTOIRE  NATURELLE 


DES 


BALÉNOPTÈRES, 


PAR 


P.-J.  VAN  BENEDEN, 

ME  M  BRI:   DE  L'ACADÉMIE  ROYALE  DE  BELGIQUE. 


(Présenté  à  la  Classe  des  sciences  dans  la  séance  du  10  mai  4887.) 


Tome  XLI. 


WSTOIRE  NATURELLE 


DES 


BALÉNOPTÈRES 


LES  BALÉNOPTÈRES. 


De  tout  temps,  les  baleiniers  ont  fait  la  distinction  entre  les 
Baleines,  les  Mégaptères  et  les  Balénoptères,  c'est-à-dire  entre 
les  Right  wales,  les  Humpback  et  les  Finback,  qu'on  appelle 
aussi  Vinfisch. 

Les  naturalistes  n'ont  connu  ces  distinctions  que  fort  long- 
temps après  les  baleiniers.  Les  récits  de  ceux  qui  avaient 
observé  ces  animaux  étaient  généralement  incomplets,  et  les 
musées,  même  les  plus  importants,  étaient  dépourvus  de  restes 
de  ces  animaux. 

Linné  confondait,  dans  le  genre  Balœna,  tous  les  grands  Céta- 
cés qui  portent  des  fanons.  Lacépède  a  proposé  le  nom  de 
Balénoptère  pour  ceux  qui  ont  une  nageoire  sur  le  dos. 

Cuvier  croyait  à  l'existence  de  deux  espèces  de  Balénoptères  : 
l'une,  de  la  Méditerranée,  représentée  par  le  squelette  de  l'ani- 
mal échoué  en  1798  à  l'île  S^-Marguerite  et  dont  la  tête,  avec 
quelques  os,  est  conservée  au  Muséum  de  Paris  ;  l'autre,  de  la 
mer  du  Nord,  d'après  un  animal  jeté,  en  1819,  sur  la  côte  du 
Holstein,  et  dont  le  squelette  complet  est  conservé  au  Muséum 
de  Berlin.  Le  troisième  squelette,  que  Cuvier  connaissait  éga- 


(4  ) 

lement,  est  celui  qui  est  conservé  à  la  maison  de  ville  de 
Brème;  et  comme  il  provient  d'un  animal  de  petite  taiHe, 
échoué  à  l'embouchure  du  Weser,  Cuvier  le  croyait  un  jeune 
de  l'espèce  précédente. 

Il  y  avait  pour  Cuvier  un  Rorqual  de  la  Méditerranée  et  un 
Rorqual  du  Nord.  Le  grand  naturaliste  avait  préféré  le  moi 
Rorqual,  donné  par  les  Norvégiens  à  des  Baleines  qui  portent 
des  tuyaux  sous  la  gorge;  il  croyait  à  l'existence  d'une  Jubarte, 
espèce  supposée  sans  plis  sous  la  gorge. 

Cuvier  n'avait  pas  assez  de  matériaux  à  sa  disposition  quand 
il  a  écrit  ses  Recherches  sur  les  ossements  fossiles  des  Cétacés, 
et  ce  n'est  que  quelques  années  plus  tard,  que  feu  mon  ami 
Eschricht  a  commencé  ses  intéressantes  publications  sur  les 
Cétacés.  Grâce  surtout  aux  précieux  et  nombreux  squelettes 
et  fœtus  que  son  ami  Hollbôl!  lui  envoyait  du  Groenland, 
le  savant  naturaliste  de  Copenhague  a  fait  connaître  les  princi- 
pales espèces  de  Balénides,  en  même  temps  que  les  caractères 
sur  lesquels  elles  reposent. 

Eschricht  a  fait  faire  un  pas  immense  à  la  Cétologie,  en 
démontrant  que  le  nombre  de  vertèbres  est  le  même  dans  le 
jeune  âge  qu'à  l'âge  adulte,  que  celles-ci  ne  se  soudent  pas  à 
un  âge  avancé,  après  avoir  été  séparées  d'abord,  et  que  tous  les 
caractères  de  l'adulte  se  trouvent  déjà  dans  le  fœtus. 

En  même  temps  le  savant  naturaliste  de  Copenhague  a  fait 
voir,  ce  que  l'on  semblait  également  ignorer,  qu'il  existe  une 
Balénoptère  de  petite  taille,  ne  dépassant  pas  30  pieds  de 
longueur,  qui  n'a  pas  plus  de  quarante-huit  vertèbres,  qui 
a  des  fanons  jaunes  et  des  nageoires  pectorales  à  moitié  blan- 
ches, et  que  c'est  elle  qu'Othon  Fabricius  a  eu  l'occasion  d'ob- 
server en  vie  pendant  son  séjour  au  Groenland. 

Depuis  les  travaux  de  Cuvier,  il  a  été  reconnu  également  que 
la  Balénoptère  de  la  Méditerranée  est  l'espèce  commune  de 
l'Atlantique,  et,  dès  1836,  nous  avions  signalé  sa  présence  sur 
la  côte  d'Islande,  d'après  des  caisses  tympaniques  que  Gaimard 
avait  rapportées  de  son  voyage  au  Nord. 

Nous  voilà  donc  en  présence  de  deux  espèces  bien  distinctes, 


(5) 

la  Baiœnaptera  musculus  et  la  'Balœnoptera  rostrata,  auxquelles 
vient  s'en  joindre  une  troisième  de  taille  moyenne  que  Cuvier 
avait  cru  être  la  seule  espèce  du  Nord  :  c'est  la  Balwwptera 
borealis. 

Les  deux  premières  pénètrent  de  temps  en  temps  dans  la 
Méditerranée,  surtout  la  seconde.  Comme  nous  le  verrons  plus 
loin,  ces  Balénoptères  se  distinguent  parfaitement  les  unes  des 
autres  par  leurs  caractères  extérieurs,  aussi  bien  que  par  leur 
genre  de  vie  et  leur  taille. 

On  connaît  aujourd'hui  une  quatrième  espèce,  la  plus  grande 
de  toutes,  que  Pierre  Camper  avait  déjà  mentionnée  sous  le 
nom  de  Steypireydr,  et  qui  fréquente  les  courants  glaciaires  à 
coté  de  la  Baleine  franche;  c'est  l'espèce  qui  atteint  la  plus 
forte  taille  puisqu'elle  a  jusqu'à  80  pieds  de  longueur;  Gray  a 
proposé  de  la  nommer  Bakpnoptera  Sibbaldii. 

Après  Eschricht,  c'est  à  M.  Flower  que  nous  devons  les  prin- 
cipaux progrès  accomplis  dans  cette  étude.  Le  savant  directeur 
du  British  Muséum  s'est  occupé  particulièrement  des  individus 
échoués  sur  les  côtes  d'Angleterre,  et  il  a  largement  contribué 
à  faire  disparaître  les  nombreuses  erreurs  qui  avaient  été  intro- 
duites dans  la  Cétologie. 

M.  Flower  a  fait  connaître  aussi  divers  faits  anatomiques 
intéressants,  parmi  lesquels  nous  devons  citer  la  composition 
du  bassin  de  ces  animaux  et  les  caractères  propres  aux  os 
nasaux. 

Schlegel  ne  croyait  pas  devoir  admettre  plus  d'une  espèce 
dans  les  mers  septentrionales. 

On  trouvera  plus  loin  le  nom  de  ceux  qui  ont  également 
contribué  à  mieux  faire  connaître  ces  Cétacés. 


Le  genre  Balœiwptera  peut  se  caractériser  par  la  nageoire  que 
l'animal  porte  sur  le  dos,  par  les  membres  pectoraux  qui  sont 
petits,  par  les  fanons  qui  sont  courts  et  par  des  tuyaux  ou  plis 
que  l'animal  porte  sous  la  gorge  et  qui  s'étendent  jusqu'à  l'abdo- 


(6) 

men.  Il  se  distingue  en  même  teiftps  par  la  tête,  qui  a  le  quart 
de  la  longueur  du  corps,  par  le  rostre  qui  est  très  peu  courbé, 
comme  par  les  vertèbres  cervicales  qui  sont  toutes  séparées. 

Comme  caractère  distinctif  des  espèces,  nous  croyons  pou- 
voir accorder  une  grande  valeur  aux  fanons  :  la  Balœiioptera 
Sibbaldii  a  les  fanons  d'un  noir  bleuâtre  uniforme;  la.  Balœ- 
iioptera musculus  a  les  fanons  verdâtres  ou  pâles,  avec  des 
lignes  pâles  dans  toute  la  longueur  ;  la  Balœiioptera  borealis  a 
les  fanons  noirâtres  avec  les  barbes  blanches  et  soyeuses;  la 
Balœnoptera  rosirata  a  les  fanons  d'un  jaune  pâle. 

La  femelle  des  Balénoptères  est  en  général  plus  grande  que 
le  mâle,  comme  dans  les  autres  Cétacés  à  fanons. 

L'accouplement,  comme  la  parturition,  a  lieu  en  hiver;  la 
gestation  paraît  être  de  dix  à  douze  mois.  En  venant  au  monde, 
lq  jeune  a  le  quart  de  la  longueur  de  la  mère  *. 

Le  jeune  accompagne  sa  mère  jusqu'à  ce  qu'il  ait  la  moitié 
de  sa  taille. 

La  Balœnoptera  Sibbaldii  parait  faire  exception  pour  la  durée 
de  la  gestation  aussi  bien  que  pour  l'époque  de  l'accouplement 
et  de  la  parturition. 

D'après  une  observation  faite  au  détroit  de  la  Sonde,  par  le 
professeur  Giglioli,  les  Cétacés  qui  nous  occupent  seraient 
également  sujets  à  l'albinisme. 


Le  système  nerveux,  à  l'âge  embryonnaire,  a  été  l'objet  de 
recherches  importantes  au  laboratoire  de  zoologie  de  l'Univer- 
sité de  Liège,  par  le  Dr  Guldberg  2  de  Christiana,  et  le  cerveau 
de  l'adulte  a  été  étudié  avec  soin  par  M.  Beauregard  3.  Cette 

1  Les  vraies  Baleines,  comme  les  Céiodonles,  oui  le  tiers  de  la  longueur  de 
la  mère  en  naissant. 

*  Guldberg,  Ueber  das  Centralnervensystem  der  Rartenicale.  Christiania, 
1885.  (Christianta  videnskab  Forhandlinger,  1885,  u°  4.)  —  Guldbergï 
Ueber  die  Grossen-  und  G eivichtsverhà Unisse  des  Gehirns  bei  den  liarten- 
walen...  Meddelelser  fra  den  Naturhistoriske  Forening  i  Kristiania,  1885. 

5  Journal  d'anatomie  et  de  physiologie,  t.  XIX,  1883. 


(7) 

étude  a  conduit  l'aide  naturaliste  du  Muséum  de  Paris  au 
même  résultat  auquel  Broca  était  arrivé,  c'est-à-dire,  que  les 
Cétacés,  par  la  conformation  du  cerveau,  se  ramènent  à  un 
type  peu  différent  de  celui  des  Solipèdes  et  des  grands 
Pachydermes. 

Les  Balénoptères,  comme  les  autres  Cétacés  à  fanons,  se 
distinguent  par  le  développement  de  leur  lobe  olfactif  des 
Cétacés  à  dents. 

Le  larynx  des  Balénoptères  présente  également  un  caractère 
qui  ne  se  trouve  pas  chez  les  Cétodontes,  mais  qui  leur  est 
commun  avec  tous  les  Cétacés  à  fanons  :  il  est  pourvu  d'une 
poche,  sac  laryngé,  qui  peut  au  besoin  se  remplir  d'eau  et  dont 
le  calibre  est  assez  grand  pour  avoir  été  confondu  avec  l'intes- 
tin. Ce  sac  laryngé  semble  représenter  les  poches  des  évents 
des  Cétodontes  et  Peau  qu'il  renferme  peut  se  mêler  à  l'air  au 
sortir  des  évents. 

L'intestin  des  Balénoptères  se  distingue  aussi  par  un  cœcum 
qui  n'existe  pas  dans  les  vraies  Baleines,  et,  dans  ces  derniers 
temps,  MM.  Beauregard  et  Boulard  ont  fait  connaître  les  parti- 
cularités de  leur  appareil  génito-urinaire  *. 

Chez  certaines  Balénoptères  il  existe  une  tendance  particu- 
lière à  la  bifidité  de  la  première  côte.  C'est  à  tort  que  des 
zoologistes  avaient  cru  devoir  accorder  une  certaine  importance 
à  cette  disposition  qui  est  purement  individuelle. 


Les  pêcheries  de  la  côte  de  Finmark  ont  fait  connaître  en 
partie  les  mœurs  de  ces  animaux. 

Le  régime  n'est  pas  le  même  dans  les  différentes  espèces  de 
Balénoptères;  les  unes  poursuivent  surtout  les  bancs  de  Mal- 
lotus, de  Harengs  ou  de  Gades  :  la  Balœnoptera  musculus  et  la 
Balœnoptera  rostrata  ;  les  autres  se  repaissent  de  Crustacés  assez 
petits;  leur  estomac  en  est  toujours  plein  sur  la  côte  de 
Finmark  :  dans  la  Balœnoptera  Sibbaldii,  on  trouve  YEuphrasia 

1  Journal  d'anatomie  et  de  physiologie,  1862. 


(8) 

menais  (Thysanopode),  dans  l'autre,  la  Balœmptera  borealis, 
le  Calanus  finmarchicus. 

Les  baleiniers  s'accordent  à  dire  que  la  voracité  des  Balé- 
noptères est  si  grande  que,  quand  elles  se  trouvent  au  milieu 
d'un  banc  de  Mallotus,  elles  ne  s'occupent  pas  plus  d'un  stea- 
mer qui  approche  que  du  vent  qui  ride  la  surface  de  la  mer. 

Il  est  à  remarquer  que  ces  dernières  espèces  de  Balénoptères 
ont  des  fanons  noirs  :  la  Balœmptera  borealis  avec  les  barbes 
toutes  fines  et  blanches,  la  Balœnoptera  Sibbaldii  avec  les 
mêmes  barbes  grosses  et  noires. 

Chaque  espèce  souffle  et  respire  à  aa  manière,  et  les  balei- 
niers distinguent  fort  bien  à  distance  les  espèces  qui  apparais- 
sent sur  l'horizon.  En  général,  on  peut  dire  qu'elles  se  tiennent 
dans  une  position  horizontale  en  venant  à  la  surface,  qu'elles 
respirent  trois  ou  quatre  fois,  puis  plongent  en  levant  la  queue 
hors  de  l'eau.  Les  baleiniers  disent  que  c'est  la  Balœnoptera 
Sibbaldii  qui  relève  le  plus  la  queue,  la  Balœnoptera  musculus, 
le  moins. 

Sur  les  côtes  de  Finmark  on  voit  ordinairement  la  Balœ- 
noptera Sibbaldii  dominer;  mais  en  1885,  c'était  la  Balœnoptera 
borealis.  Cette  dernière  ne  compte  dans  les  années  ordinaires 
que  pour  un  sixième. 

Les  Balénoptères  émigrent  toutes  périodiquement. 

Les  Balénoptères,  comme  les  Harengs,  et  sans  doute  comme 
bien  d'autres  animaux  marins,  émigrent  à  la  même  époque  de 
l'année,  mais  ne  pénètrent  dans  certaines  régions  que  pour 
autant  qu'elles  y  trouvent  certaine  pâture  dont  la  présence 
dépend  de  la  température  de  l'eau.  On  a  fait  depuis  longtemps 
l'observation,  que  les  Baleines  franches  descendent plusbas  sur 
la  côte  de  Labrador  que  sur  la  côte  du  Groenland;  les  glaces 
sont  plus  abondantes  du  côté  de  l'Amérique  que  du  côté  opposé. 

On  a  observé  que  les  Balénoptères  atteignent  une  latitude 
plus  élevée  dans  l'Océan  glacial,  en  automne,  quand  les  eaux 
sont  chauffées  pendant  les  mois  d'été,  qu'au  printemps.  En  mai 
on  ne  les  voit  pas  au  delà  de  75°,4S,  tandis  qu'en  septembre 
elles  remontent  jusqu'à  78°  (Leslie). 


(9) 

M.  Alfred  Cocks  a  rencontré  des  Balénoptères  en  automne 
1882,  au  1er  septembre,  tout  près  des  glaces  (la  température  de 
l'eau  était  de  1.3°  au-dessus  de  zéro).  Elles  n'étaient  que  trois 
ou  quatre;  le  3  septembre  suivant,  il  en  aperçut  encore  deux  à 
la  latitude  de  75°,28',  l'eau  était  à  peine  au-dessus  de  zéro. 
M.  Alfred  Cocks  ne  sait  dire  le  nom  de  l'espèce  qu'il  a  eu  sous 
les  yeux;  cela  peut  être  la  Balœnoptera  Sibbaldii  et  les  moins 
grandes  des  M eg optera,  dit-il. 


Nous  avons  publié  une  Notice  sur  la  distribution  géogra- 
phique des  Balénoptères,  dans  les  Bulletins  de  l'Académie*,  en 
tenant  compte  surtout  des  échouements,  qui  ont  eu  lieu  depuis 
les  côtes  de  Norvège  jusqu'aux  côtes  de  Portugal,  comme 
à  l'intérieur  de  la  Méditerranée  et  de  la  Baltique.  Mais  ces 
échouements  ne  nous  ont  rien  appris  ;  en  général,  comme  Ta 
dit  Eschricht,  ces  animaux  n'échouent  que  sur  les  côtes  qu'ils 
ne  visitent  guère. 

On  voit  apparaître  les  Balénoptères  tous  les  ans  vers  le  mois 
de  mai  dans  l'Atlantique  ;  elles  se  rendent,  les  unes  vers  la 
mer  de  Baflin,  les  autres  vers  l'Islande  et  la  mer  de  Barentz, 
où  elles  restent  pendant  les  mois  d'été;  au  mois  d'août  elles 
abandonnent  ces  parages  pour  se  rendre  dans  des  eaux  plus 
méridionales. 

On  a  remarqué  que  la  Balœnoptera  museulus  arrive  la  première 
sur  les  côtes  de  Finmark  et  la  Balœnoptera  Sibbaldii  la  der- 
nière; la  B.  museulus  se  montre  parfois  déjà  à  la  fin  de  l'hiver. 

Sophus  Hallas  a  indiqué,  dans  une  intéressante  notice,  les 
observations  qu'il  a  eu  l'occasion  de  faire  sur  les  Cétacés  des 
eaux  d'Islande.  Ha  vu  \di  Balœnoptera  Sibbaldii,  que  les  Islandais 
appellent  Steypireydr,  depuis  le  16  juin  jusqu'au  15  septembre, 
et  une  autre  espèce  dont  il  ne  dit  pas  le  nom  et  qui  est  proba- 
blement la  Balœnoptera  museulus. 


1  2«  série,  l  XLV,  mars,  lh78. 


(  10  ) 

On  a  longtemps  péché  les  Baleines  sans  songer  à  faire  la 
chasse  aux  Balénoptères  ;  on  ne  poursuit  guère  les  Balé- 
noptères, observait  Holbôll,  gouverneur  du  Groenland  ;  leurs 
fanons  sont  sans  usage,  l'animal  donne  peu  d'huile  et  leur 
péçhe  est  difficile. 

Les  vraies  Baleines  ayant  considérablement  diminué  par- 
tout, on  a  songé  à  mettre  à  profit  les  steamers  et  la  poudre 
pour  faire  la  chasse  aux  Balénoptères,  et,  en  1865,  une  Compa- 
gnie anglo-américaine  a  commencé  la  pêche  de  ces  Cétacés 
dans  les  eaux  de  l'Islande.  Cette  Compagnie  a  poursuivi  cette 
industrie  pendant  1863,  1866  et  1867. 

Le  capitaine  Bottemanne,  qui  dirigeait  cette  pêche,  m'écrivait, 
à  la  date  du  17  juillet  1868,  qu'il  se  trouvait  quatre  espèces  de 
Balénoptères  dans  les  eaux  d'Islande,  dont  une  lui  était  moins 
bien  connue  que  les  autres,  qu'il  avait  préparé  le  squelette  de 
celle  qui  est  connue  sous  le  nom  de  Steypireydr. 

Vers  cette  époque,  un  pêcheur  norwégien,  M.  Sven  Foyen, 
après  avoir  fait  la  chasse  aux  phoques  dans  les  eaux  de  Jan 
Meyen,  o\x  il  avait  capturé  jusqu'à  22,000  individus  en  une 
saison  de  deux  mois,  a  commencé  la  chasse  aux  Balénoptères 
sur  les  côtes  de  Finmark,  et,  grâce  aux  perfectionnements 
qu'il  a  apportés  successivement  aux  projectiles,  il  existe  aujour- 
d'hui des  établissements  sur  toute  l'étendue  de  la  côte  de 
Finmark. 

Les  steamers  sortent  le  matin,  soit  de  Vadsô,  soit  d'un  autre 
port  des  environs,  et  ils  reviennent  le  même  jour  ;  rarement 
ils  quittent  les  lieux  de  pêche  sans  avoir  capturé  une  Balé- 
noptère. Ils  remorquent  le  corps  jusqu'au  chantier,  oh  l'on 
enlève  ses  fanons,  sépare  la  graisse,  et  transforme  ce  qui  reste 
en  guano  de  Baleine. 

Au  début  de  cette  pêche  on  ne  chassait  que  la  grande  espèce, 
la  Balœnoptera  Sibbaldii;  aujourd'hui  on  ne  néglige  même  pas 
la  Balœnoptera  musadus,  qui  donne  le  moins  de  profit. 

Les  premières  années  qu'on  se  livrait  à  cette  chasse  dans  le 
Varanger-Fiord,  ces  animaux  y  étaient  si  abondants  pendant 
les  mois  d'été,  que  la  surface  de  la  mer  paraissait  par  moments 


(11) 

en  ébullition;  les  navires  osaient  à  peine  se  hasarder  au  milieu 
de  cette  surface  vivante,  qui  s'étendait  à  perte  de  vue.  On  y 
prenait  régulièrement  des  individus  qui  n'avaient  pas  moins  de 
quatre-vingts  pieds  de  longueur.  En  même  temps,  ces  Cétacés 
se  laissaient  tous  approcher  sans  fuir,  comme  partout  ailleurs 
où  les  animaux  se  trouvent  pour  la  première  fois  en  face  de 
l'homme. 

Aujourd'hui  ces  Cétacés  ne  pénètrent  plus  guère  daqs  ce 
Fiord,  et  ceux  que  l'on  chasse  à  l'entrée  n'atteignent  plus  guère 
toute  leur  taille  ;  ils  sont  devenus  très  farouches  ;  on  ne  les 
approche  que  bien  difficilement,  mais  les  engins  sont  plus  per- 
fectionnés et  les  steamers  mieux  appropriés  a  leur  destination. 

Pendant  l'été  de  1871,  le  capitaine  Sven  Foyen  a  capturé 
38  Balénoptères,  en  1875,  48,  en  1879,  ce  nombre  s'élève  à  81, 
en  1881,  il  atteint  104. 

M.  Alfred  Cocks  rapporte  que,  sur  406  Balénoptères  capturées 
en  1883  sur  les  côtes  de  Finmark,  il  y  avait  175  B.  Sibbaldii 
et  le  restant  moitié  B.  musculus  et  B.  borealis. 

Indépendamment  de  ces  trois  espèces,  on  voit  de  temps  à 
autre  dans  ces  mêmes  parages  la  petite  espèce,  la  Balamoptera 
rostrata  et  la  Megaptera  boops. 

On  a  remarqué,  avons-nous  dit  plus  haut,  que  c'est  la  grande 
espèce  qui  remonte  le  plus  haut,  puisqu'on  la  trouve  jusqu'au 
milieu  des  glaces  à  côté  de  la  Baleine  franche. 


Ces  différentes  espèces  sont-elles  confinées  dans  ces  parages, 
comme  le  sont  les  vraies  Baleines,  où  les  voit-on  encore  dans 
d'autres  mers  ? 

Nous  venons  de  voir  que,  dans  notre  hémisphère,  la  grande 
Balénoptère  n'a  guère  été  observée  que  dans  les  parties  les  plus 
septentrionales  de  l'Atlantique.  Mais  est-elle  confinée  dans  ces 
régions  ? 

Contrairement  aux  Baleines  véritables,  les  Balénoptères  sont 
probablement  toutes  cosmopolites,  et  on  trouve  les  quatre 
formes  de  nos  régions  septentrionales,  aussi  bien  dans  l'Atlan- 


(12) 

tique  méridionale,  que  dans  l'océan  Pacifique,  la  mer  des 
Indes  et  l'océan  Austral. 

On  voit  des  Firtbacks  dans  toutes  les  mers,  dit  le  capitaine 
Jouan  i.  Nous  en  avons  rencontré,  dit-il,  dans  l'Atlantique 
nord  et  sud,  dans  la  Méditerranée,  en  grande  quantité  aux 
environs  des  Iles  Malouines,  à  la  côte  du  Chili,  au  Cap  de 
Bonne-Espérance,  dans  les  eaux  de  Madagascar,  dans  la  mer 
d'Oman,  dans  le  golfe  de  Bengale,  au  Japon,  etc.  Le  capitaine 
d'Urville  et,  plus  récemment,  le  professeur  Moseley,  en  signalent 
un  grand  nombre  dans  les  mers  du  pôle  austral. 

Partout  on  parle  de  quatre  espèces  différentes  par  la  taille 
aussi  bien  que  par  les  caractères  extérieurs. 

Depuis  longtemps  nous  avons  été  frappé  de  voir  une  petite 
Balénoptère,  décrite  et  figurée  par  le  capitaine  Scammon, 
hanter  l'océan  Pacifique,  ayant  tous  les  caractères  de  notre 
Balœnoptera  rostrata.  La  taille,  la  couleur  et  tout  le  squelette 
sont  si  semblables,  que  nous  n'avons  pu  nous  empêcher  de 
dire  que  notre  petite  Balénoptère  se  trouve  également  dans 
la  mer  Pacifique.  Nous  avons  été  étonné  ensuite  de  voir 
cette  petite  espèce  dans  l'océan  Austral  avec  tous  les  mêmes 
caractères. 

Et  si  une  espèce  est  répartie  dans  les  deux  hémisphères,  les 
autres,  sans  en  excepter  la  Megaptera,  ne  peuvent-elles  pas  être 
dans  le  même  cas? 

Nous  connaissons  déjà  le  Cachalot  qui  hante  les  deux  hémi- 
sphères, comme  plusieurs  Ziphioïdes  et  certains  Cétodontes; 
parmi  les  Ziphioïdes  nous  pouvons  citer,  outre  le  Cachalot, 
le  Ziphius  cavirostris  comme  le  Micropteron  Sowerbyi  (Oulodon); 
parmi  les  Cétodontes,  le  Globiceps  mêlas  et  YEudelphinus  delphis. 

Partout  où,  jusqu'à  présent,  on  a  réuni  des  observations  sur 
les  espèces  de  Balénoptères,  nous  le  répétons,  on  a  remarqué 
qu'il  y  a  quatre  formes,  différentes  par  la  taille  et  par  les  carac- 
tères extérieurs  et  intérieurs,  et  qui  correspondent  aux  quatre 
formes  de  l'Atlantique  septentrional. 

1  H.  Jouan,  La  chasse  et  ta  pécho  des  animaux  matins,  Paris- 


(13  ) 

Le  capitaine  Scammon  parle  de  quatre  Balénoptères  au  nord 
de  la  Californie,  dont  la  petite,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
a  tous  les  caractères  de  notre  petite  espèce,  et  la  grande,  ceux 
de  notre  Balœnaptera  Sibbaldn.  La  petite  espèce  y  est  désignée 
sous  le  nom  de  Balœnoptera  Davidsoni,  la  grande,  sous  celui  de 
Sulpkurbottom  (Sibbaldnts  Sulfweus,  Cope). 

Cette  dernière  se  trouve  aussi  bien  dans  l'Atlantique  que 
dans  le  Pacifique,  dit  le  capitaine  Scammon. 

La  Balœnoptera  mnsculus  y  porte  le  nom  de  Balœnoptera 
velifera. 

M.  Burmeister  a  recueilli,  pour  son  Musée  de  Buenos- Ayres, 
des  squelettes  qui  se  rapportent  également  à  trois  de  nos 
espèces. 

Mon  fils  avait  remarqué  trois  squelettes  de  différentes  Balé- 
noptères au  Musée  de  Buenos- Ayres,  et  avait  reconnu  l'analogie 
qu'ils  présentent  avec  ceux  des  Balénoptères  de  nos  parages  * .  La 
grande  espèce  correspond  à  notre  Balœnoptera  Sibbaldii; elle  y  est 
désignée  sous  le  nom  de  Balœnoptera  inter  média;  la  Balœnoptera 
musculus  y  est  représentée  par  la  Balœnoptera  pataehonica,  et  la 
troisième,  la  Balœnoptera  rostrata,  par  la  Balœnoptera  bonœremis. 

Les  squelettes  du  cap  Horn  qui  se  trouvent  aujourd'hui  au 
Muséum  de  Paris  se  rapportent  aussi  parfaitement  à  nos  espèces 
européennes. 

Nous  en  dirons  autant  pour  les  squelettes  que  M.  Anderson 
a  réunis  pour  son  Musée  à  Calcutta. 

M.  Anderson  distingue  trois  espèces  de  Balénoptères  dans  la 
baie  de  Bengale  :  outre  la  grande,  de  84  pieds  (Balœnoptera 
indica),  il  en  connaît  une  de  60  pieds  (Balœnoptera  blytkii),  et 
une  de  40  pieds  (Balœnoptera  edenii). 

Il  est  question  aussi  d'une  tête  et  de  vertèbres  d'un  animal  de 
30  pieds,  conservées  au  Musée  de  la  Société  asiatique  *. 

1  Si  le  sternum  de  la  Balœnoptera  rostrata  a  des  caractères  particuliers, 
ces  caractères  ne  sont  que  des  exagérations  de  dispositions  qui  se  trouvent 
déjà  dans  notre  Balœnoptera  rostrata. 

1  Calcutta  asiatic  Society' s  Muséum.  Tête  et  vertèbres  d'une  Balénoptère 
de  50  pieds  de  long  (par  G.  Swibtox,  1836). 


(  14) 

Ainsi  ces  quatre  formes  se  retrouvent  également  dans  la 
mer  des  Indes,  et  parmi  elles  figure  l'espèce  qui  dépasse 
80  pieds  comme  notre  Balœnoptera  Sibbaldii. 

M.  Anderson  accorde  à  la  grande  84  pieds  et  fait  mention 
d'un  individu  capturé  en  1851  à  la  latitude  de  19°  N,  on  Juggu 
or  Amherst  Islet,  qui  porte  au  Musée  de  Calcutta  le  nom  de 
Bal.  indica.  On  a  cité  un  individu  de  la  môme  taille  dans  la 
mer  Rouge. 

Dans  ces  dernières  années,  le  Muséum  de  Paris  a  reçu  des 
squelettes  du  Japon,  que  nous  avons  pu  comparer  avec  les 
nôtres,  et  nous  n'avons  aucun  doute  sur  la  présence  de  la  petite 
et  de  la  grande  espèce  dans  les  eaux  du  Japon,  la  Balœnoptera 
rostrata  et  la  Balœnoptera  Sibbaldii.  Le  Muséum  a  reçu  égale- 
ment du  Japon  une  tête  et  des  fanons  qui  se  rapportent  fort 
bien  à  notre  Balœnoptera  musculus.  Quant  à  la  quatrième  espèce 
de  ces  mêmes  parages,  nous  en  connaissons  depuis  longtemps 
les  squelettes,  dont  on  a  fait  la  Balœnoptei'a  Schlegelii. 

Nous  trouvons  également  quatre  formes  dans  l'océan  Austral, 
qui  correspondent  parfaitement  aux  nôtres  par  la  taille  comme 
par  les  autres  caractères. 

M.  James  Hector  *  et  d'autres  naturalistes  de  la  Nouvelle- 
Zélande  ont  fait  la  même  observation  sur  ces  Balénoptères, 
et,  depuis  longtemps,  nous  avons  fait  remarquer  que  la  petite 
Balénoptère  (Balœnoptera  huttoni)  de  la  Nouvelle-Zélande  a  tous 
les  caractères  de  notre  petite  espèce. 

A  Melbourne,  on  conserve,  dans  les  collections  de  l'Univer- 
sité, les  fanons  et  le  squelette  d'une  Balénoptère  de  90  pieds, 
qui  a  été  jetée  sur  la  côte  de  Vittoria.  Les  fanons  sont  noirs, 
larges  de  18  pouces  et  longs  de  28  (Giglioli).  Ce  sont  bien  les 
caractères  de  notre  grande  espèce. 

Sur  la  côte  sud-est  cFOtago,  une  autre  Balénoptère  de  très 
grande  taille  a  échoué  en  1873.  Le  capitaine  Hutton  en  fait  men- 
tion dans  les  Transactions  de  la  Nouvelle-Zélande  (vol.  VII). 

M.  Knox  fait  mention  de  trois  espèces  de  tailles  différentes, 

1  Trans.  New  Zealand  Institute. 


(45) 

dans  les  eaux  de  la  Nouvelle-Zélande,  qui  correspondent  par- 
faitement aux  nôtres  :  une  de  80  à  100  pieds,  que  Ton  a  désignée 
sous  le  nom  de  Rorqualus  major,  une  de  30  à  35  pieds,  le  Sul- 
fitr-Bottom,  et  une  troisième  de  25  à  30  pieds,  le  Rorqualus 
minor  *• 

J.  von  Haast  a  fait  mention  de  la  petite  Balénoptère,  dont  un 
mâle  a  échoué  le  8  février  1880,  on  the  Summer  Beach,  et  qu'il 
n'hésite  pas  à  rapporter  à  notre  Balœnoptera  rostrata.  Du  reste, 
nous  en  avons  pu  comparer  un  squelette  qui  est  conservé 
au  British  Muséum. 

Les  squelettes  et  les  ossements  séparés  de  la  Nouvelle- 
Zélande,  reçus  dans  ces  derniers  temps  au  British  Muséum, 
confirment  complètement  ces  appréciations. 

Le  capitaine  F.  W.  Hutton,  en  parlant  de  la  flore  et  de  la 
faune  de  la  Nouvelle-Zélande,  dit  que  Tune  et  l'autre  sont  si 
particulières  sous  ces  régions  australes,  qu'elles  forment  une 
province  distincte  du  reste  du  monde  ;  cela  peut  être  vrai  pour 
les  plantes  et  les  animaux  terrestres,  mais  cela  n'est  pas  exact 
pour  les  animaux  marins,  pas  plus  pour  les  Cétacés  que  pour 
les  poissons.  Nous  venons  de  voir  les  mêmes  Balénoptères  éga- 
lement au  nombre  de  quatre,  et  à  celles-là,  nous  pouvons  ajouter 
le  Cachalot,  le  Ziphius  cavirostris,  le  Micropteron  Sowerbyi, 
le  Globiceps  melas>  les  Eudelphinus  delphis,  auxquels,  il  est 
probable,  nous  pourrons  en  ajouter  bientôt  d'autres.  Nous 
sommes  loin  de  l'époque  où  le  capitaine  Hutton  écrivait  : 
sur  treize  Cétacés  de  ces  parages,  se  divisant  en  six  familles, 
les  deux  tiers  appartiennent  exclusivement  à  la  Nouvelle- 
Zélande. 

Le  Challenger  a  rapporté  divers  ossements  recueillis  au  milieu 
du  Pacifique,  dans  une  station  remarquablement  riche  en  restes 
de  Cétacés  *;  parmi  eux  se  trouvent  plusieurs  caisses  tympa- 
niques,  et  le  professeur  SirTurner  n'a  pas  hésité  à  les  rapporter, 


1  Kkox,  Proc.  New  Zealand  Instituts. 

%  Station  286,  laU  33°29'  S.,  long.  133°22'  W.,  16  octobre  (875,  à  2,335 
brasses. 


(  16  ) 

les  unes  à  la  Balœnoptera  rostrala,  les  autres  à  la  Balœnoptera  Sib- 
baldii.  II  y  a  des  os  d'une  troisième  espèce  encore  indéterminée. 

Et  ce  n'est  pas  seulement  à  l'époque  actuelle  que  nous  voyons 
ces  différentes  formes  se  répéter  dans  la  mer  de  nos  antipodes 
comme  ailleurs;  si  nous  remontons  de  l'époque  actuelle  à 
celle  qui  nous  a  précédés,  nous  voyons  le  même  phénomène 
se  reproduire  ;  à  la  fin  de  l'époque  tertiaire,  ces  quatre  formes 
principales  ont  laissé  leurs  ossements  dans  le  Crag  des  environs 
d'Anvers,  et  les  ossements  fossiles  recueillis  dans  les  environs  de 
Buenos-Ayres  offrent  la  plus  complète  ressemblance  avec  eux  *. 
Mon  fils  a  rapporté  des  vertèbres  avec  une  caisse  tympanique 
que  Ton  ne  saurait  distinguer  de  celles  de  notre  Crag. 

Dans  les  Enchaînements  du  monde  animal,  nous  trouvons  une 
observation  semblable  faite  sur  des  Mammifères  terrestres  :  en 
parlant  des  Hyènes,  M.  Albert  Gaudry  fait  remarquer  que 
V Hyène  tachetée  des  temps  actuels  correspond  à  YUyena  perrieri 
du  Pliocène,  Y  Hyène  brune,  à  YHyena  eximia  de  Pikermi,  et 
YHyène  rayée,  à  YHyena  arvernensis  de  Perrier. 


Les  Balénoptères  sont  peu  hantées  par  les  commensaux  et 
les  parasites  ;  elles  n'hébergent  ni  des  Cyames  ni  des  Cirri- 
pèdes;  on  ne  trouve  sur  elles  qu'un  Copépode  du  genre  Penella, 
sertie  par  la  tête  dans  l'épaisseur  de  la  peau,  et  un  autre 
Copépode,  du  genre  Balœnophilus,  sur  les  fanons. 

Comme  parasites,  nous  ne  connaissons  qu'un  Echinorhynque 
assez  commun  dans  l'intestin,  et  nous  possédons  un  Botrio- 
cephale  recueilli  également  dans  l'intestin,  mais  dont  nous  ne 
connaissons  pas  encore  le  Scolex. 

11  est  assez  remarquable  que  la  Baleine  franche  ne  se  couvre 
que  de  Cyames,  la  Mégaptère  de  Diadema,  les  Balénoptères 
de  Penella. 

1  Bullt  tin  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  :2e  série,  t.  XXXV,  1873,p.775. 


BAL/ENOPTERA  ROSTRATA. 


LITTÉRATURE. 

Cbemnlta,  Von  der  Balcena  roslrata.  Berlin,  Beschâftign,  4  Jahr.,  4  779. 

•th.  rabrlclu*.  Fauna  grocnlandica.  Hafnia?  et  Lipsiœ,  1780. 

Mb».  Hanter,  Observations  on  the  structure  and  œconomy  of  Whalea. 
Philos.  Transactions,  vol.  77,  1787. 

lfelll,  Some  account  of  a  fin  Whale  (Bal.  acoto-rostrata),  Mem.  Wrrn. 

If  AT.  BIST.  SOC,   I,  4841. 


:,  JccouîU  of  the  dissection  of  a  young  Rorqual  (Bal.  rostrata), 
Journal  l'Institut,  4854,  p.  536. 

Krdyer,   Bemœrkn.  Otn  Balœna  roslrata,  Kroyer's  nalurh.  Tidsskr., 
4839,  p.  617.  Isis,  4844,  p.  429. 

.    Eoehricht,  Die  Nordische  Wallthiere,  4  849. 

«ratlolet,  Comptes  rendus,  4864,  vol.  52,  pp.  622,  894  et  942. 

W.  H.  Fhrtver,  On  a  Lester  Fin-Whale.  Proc.  Zool.  Soc,  4864. 

■•rker  and  Macalistir,  Proc,  of  the  Dublin  nat.  hist.  Soc.  for.,  4869. 

Al.  Carie  and  Macalister,  Philosophie.  Transactions,  4868. 

Perrln,  Soles  on  the  Anatomy  of  Balamoptera  rostrata.  Proc.  Zool. 
Soc,  décembre,  4870. 


i,  Une  tête  de  Baleine  retirée  du  fond  de  la  mer  du  Nord. 
Journal  dr  zoologie,  t.  IV,  4875. 

CaselIlBl,  Sulla  Balenoptera  Mondini,  in -4*.  Bologne,  4877. 

Tome  XLI.  2 


(18) 

«ara,  Bidrag  til  en  noiera  charact.  af  vore  Bardehoaler.  Christiania 
Videnskabs.  ForhandL,  1878. 

M.  Collet*,   Bemœrlcninger  til  Norges  Pattedyrfauna,  Nyt  Mag.  f. 
Naturvldeskaberne,  1870. 

M.  Collett,  Bidrag  til  Norges  Pattedyrfauna,  ib.  1882. 

CervaU,  Remarquée  sur  Vanalomie  des  Cétacés...  Nouv.  Archives  bu 
Muséum,  t.  VII,  pi.  III. 

Charles  Jalln,  Recherches  sur  l'ossification  du  maxillaire  inférieur 
et  sur  la  constitution  du  système  dentaire  chez  le  fœtus  de  la  Balœnoptera 
rostrata.  Archives  de  Biologie,  vol.  I,  1880. 


Julio*  ▼•■&  HMMt,  Notes  on  Balœnoptera  rostrata,  fabr.  (B.Huttoni, 
Gray),  PhiL  Instituts  of  Canterbury ,  décembre  1880. 

Jalins  von  Haaat,  On  Balœnoptera  Huttoni,   Gray,  Trams.  Proc. 
New.  Zial.  Instit.,  1880,  vol.  13. 


Cmpt.  c.  M.  «eavun**,  On  a  New  Species  of  Balœnoptera,  Bal* 
Davidsonii.  Proc.  Cal.  Acad.  of  Se,  octobre  1872. 

▼an  Henede»,  Une  nouvelle  Balœnoptera  rostrata  dans  la  Méditer- 
ranée. Bulletins  de  l'Académie  royale  des  sciences  de  Belgique,  dé- 
cembre 1884. 


I,    Note  sur  une  jeune  Balœnoptera  capturée  près  de 
Fécamp.  Comptes  rendus,  Soc.  de  Biologie,  tome  f,  37  novembre  1885. 


(19) 


HISTORIQUE. 

La  Balœnoptera  rostrata  de  Fabricius,  qui  n'est  pas  la  Balœna 
rostrata  de  Linné,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  est 
connue  depuis  les  temps  les  plus  reculés  ;  il  en  est  fait  mention 
dans  les  plus  anciens  manuscrits  des  Islandais.  Le  mot  Tika- 
gulik,  sous  lequel  les  Esquimaux  la  désignent,  correspond  assez 
bien  avec  celui  de  Tschikagulik,  que  les  habitants  de  l'Amé- 
rique russe  donnent  à  une  petite  Baleine  du  détroit  de  Behring  ; 
cette  analogie  de  noms  est  intéressante  à  plus  d'un  titre  :  elle 
semble  indiquer  des  relations  anciennes  entre  les  populations 
du  Groenland  et  celles  qui  occupent  aujourd'hui  les  régions 
de  l'Alaska  ;  elle  montre  clairement,  en  outre,  que  les  habitants 
des  côtes  de  l'Amérique  russe  ont  cru  retrouver,  dans  la  petite 
Balénoptère  du  détroit  de  Behring,  le  même  animal  qui  vit  dans 
les  eaux  du  Groenland  et  que  Fabricius  a  fait  connaître  sous  le 
nom  de  Balœnoptera  rostrata. 

Mais  si  les  pêcheurs  distinguaient  bien  cette  espèce  des  autres 
Balénoptères,  il  n'en  était  pas  de  même  des  naturalistes.  La 
confusion  la  plus  complète  a  régné  dans  les  livres,  jusqu'au 
jour  où  l'on  a  commencé  à  conserver  les  squelettes  de  ces 
animaux  en  vue  de  pouvoir  les  comparer. 

Cuvier  et  surtout  Eschricht  ont  été  les  premiers  à  reconnaître 
que  la  connaissance  des  Cétacés  n'était  possible  qu'à  cette  con- 
dition; les  matériaux  qu'il  reçut  du  Groenland  permirent  à 
Eschricht  d'affirmer  que  la  Balœnoptera  rostrata  de  Fabricius 
n'est  pas  la  Balœnoptera  rostrata  des  auteurs;  il  put  définir 
nettement  les  caractères  distinctifs  de  l'espèce  et  empêcher 
ainsi  toute  confusion  ultérieure. 

Linné  n'a  pas  connu  cette  Balénoptère;  mais  0.  Fabricius, 
pendant  son  séjour  au  Groenland  (1768-1775),  ayant  eu  l'occa- 
sion de  l'étudier  et  croyant  reconnaître  en  elle  la  Balœna  ros- 
trata de  Linné,  l'a  désignée  sous  ce  nom.  C'était  une  erreur  de 
la  part  de  Fabricius,  mais  le  nom  qu'il  a  attribué  à  cette  espèce 
de  Baleine  lui  est  resté. 


(20) 

Fréd.  Martens  a  parlé  ensuite  de  cet  animal  sous  le  nom  de 
petite  Baleine  (kleine  Walvisch);  mais  c'est  à  John  Hunter  que 
Ton  doit  les  premières  observations  anatomiques.  Le  savant 
anatomiste  anglais  a  eu  l'occasion  de  disséquer  une  femelle, 
qui  avait  été  capturée  au  Doggersbank  dans  la  mer  du  Nord  ; 
John  Hunter  a  fort  bien  reconnu  que  cette  petite  Baleine  est 
la  même  que  0.  Fabricius  avait  connue  au  Groenland. 

Bonnaterre  a  fort  bien  caractérisé  cet  animal  d'après  les 
écrits  du  savant  missionnaire  danois,  et  Lacépède  en  a  parlé 
également  sous  le  nom  de  Balénoptère  à  museaupointu  ;  Lacépède 
avait  connu  un  jeune  animal  qui  avait  été  pris,  en  1791,  dans 
la  rade  de  Cherbourg.  C'est  la  moins  grande  des  Balénoptères, 
dit  Lacépède,  et  elle  ne  parvient  qu'à  une  longueur  de  8  à 

9  mètres.  La  gravure,  dont  Lacépède  accompagne  le  texte,  est 
faite  d'après  un  dessin  que  sir  Joseph  Banks  lui  avait  envoyé 
de  Londres. 

Cette  figure  de  Lacépède  représente  un  gonflement  extraordi- 
naire de  la  langue  et  de  la  cavité  de  la  bouche,  dû  sans  doute 
à  la  poche  du  larynx  que  l'on  a  comparée  à  une  vessie  natatoire. 

A  l'époque  où  Cuvier  s'occupait  des  Cétacés,  on  ne  possédait 
aucun  ossement  de  cette  espèce  dans  les  collections,  et  la 
Balénoptère  à  museau  pointu  fut  considérée  à  tort  comme  un 
animal  n'ayant  pas  atteint  toute  sa  croissance.  On  voit  clai- 
rement ici  les  services  que  les  collections  doivent  rendre  à  la 
science.  Les  directeurs  des  Musées  sont  les  conservateurs  des 
archives  qui  sont  mises  à  la  disposition  du  public. 

A  la  séance  du  21  avril  1834  de  la  Société  royale  d'Edim- 
bourg, le  Dr  Knox  fit  un  rapport  sur  la  dissection  d'une  jeune 
Balœnoptera  rostrata,  et  ajouta  des  observations  fort  intéres- 
santes sur  l'anatomie  d'un  fœtus  de  Mysticetus  *. 

H.  Knox  eut  l'occasion  d'étudier  un  jeune  animal  de  9  à 

10  pieds  de  longueur,  capturé  près  de  Queensferry  (Baie  du 
Forth)  ;  il  reconnut  facilement,  par  le  nombre  de  ses  vertèbres, 
l'espèce  que  0.  Fabricius  avait  désignée  sous  le  nom  de  rostrata. 

1  Journal  l'Institut,  1834,  p.  336. 


(21  ) 

Depuis  le  siècle  dernier,  on  possède  à  Bologne  une  tête  bien 
conservée,  dont  Hondini  et  d'autres  avaient  fait  mention. 

Le  professeur  Capellini  en  a  fait  l'objet  d'un  travail  spécial 
et  il  a  cru  devoir  en  faire  une  espèce  nouvelle,  qu'il  a  dédiée  à 
Mondini. 

Postérieurement  aux  recherches  du  professeur  Knox,  d'Edim- 
bourg, Eschricht  reçut  de  son  ami  Holbôll,  gouverneur  du 
Groenland,  des  matériaux  immenses  se  rapportant  à  la  plupart 
des  animaux  marins  qui  visitent  la  côte  du  Groenland,  et  parmi 
lesquels  se  trouvaient  plusieurs  squelettes  d'adultes  et  sept 
fœtus,  dans  l'alcool,  dont  deux  mâles  et  cinq  femelles  de  la 
Balamoptera  rostrata;  ces  fœtus  variaient  en  longueur  depuis 
8  jusqu'à  78  pouces. 

Dès  ce  moment  la  cétologie  entre  dans  une  phase  nouvelle  ; 
ce  qu'on  ne  peut  voir  dans  le  ventre  ou  la  poitrine  d'une 
Balénoptère,  sans  le  secours  d'échelles  et  de  marchepieds  pour 
arriver  aux  viscères,  on  peut  le  disséquer  dans  son  cabinet 
quand  on  a  un  fœtus  sous  la  main  ;  aussi  Eschricht  démontre 
d'abord  que,  sous  le  même  nom,  on  a  désigné  des  espèces  bien 
différentes  les  unes  des  autres,  que  la  B.  rostrata  ne  dépasse 
pas  30  pieds  de  longueur,  que  Fabricius  Ta  très  bien  connue, 
qu'elle  n'a  pas  plus  de  48  vertèbres  dans  sa  colonne  vertébrale, 
que  son  sternum  est  en  croix  latine,  que  ses  fanons  sont  de 
couleur  jaune,  et  que  la  nageoire  pectorale  porte  un  chevron 
blanc  sur  un  fond  noir. 

On  peut  dire  que  c'est  depuis  les  travaux  de  l'illustre  céto- 
logue  de  Copenhague  que  cette  Balénoptère  a  été  définitive- 
ment reconnue. 

En  1884,  nous  avons  fait  connaître  qu'une  nouvelle  Balœ- 
noptera  rostrata  venait  d'être  capturée  dans  la  Méditerranée. 

A  la  séance  du  21  novembre  1885  de  la  Société  de  biologie 
de  Paris,  M.  Beauregard  a  communiqué  une  note  sur  une  jeune 
Balénoptère,  capturée  près  de  Fécamp.  C'est  le  même  animal 
dont  j'avais  entretenu  l'Académie  à  la  première  séance  du  mois 
de  septembre.  La  Balénoptère  de  Fécamp  est  une  femelle  de 
3»,75. 


(  22  )' 

Le  Muséum  de  Paris  a  reçu  un  très  bon  moulage  de  eet 
animal,  et  son  squelette  est  conservé  au  Musée  du  Havre. 

M.  Perrin,  démonstrateur  d'anatomie  au  King's  Collège  à 
Londres»  a  décrit  une  jeune  femelle,  capturée  en  avril  1870  à 
Neumouth,  dont  la  longueur  était  de  13  pieds  8  */a  pouces. 

Il  ajoute  deux  dessins  représentant  les  nageoires  pectorales 
avec  leurs  muscles  en  place,  vues  du  côté  dorsal  et  du  côté 
opposé  *. 

M.  Juliri  a  publié  un  travail  fort  intéressant  sur  l'ossification 
du  maxillaire  inférieur  et  la  constitution  du  système  dentaire 
du  fœtus  9. 

Au  mois  de  novembre  1860  a  échoué,  au  sud-est  de  Crower, 
une  Balénoptère  de  25  pieds  de  longueur,  que  le  professeur 
Flower  a  fait  connaître  3.  C'était  un  mâle.  Son  estomac  était 
plein  de  débris  de  poissons,  qu'il  croit  être  des  cod-fish  (Gades). 
Il  était  presque  adulte ,  à  en  juger  par  les  épiphyses.  Tout  le 
squelette  est  décrit  avec  soin  par  le  savant  Directeur  du  Bri- 
tish  Muséum. 

M.  James  Hector  fait  mention  de  deux  têtes  provenant  du 
nord  de  Cook  street  et  qui  ressemblent,  dit-il  avec  raison,  à 
celle  de  la  Balœiioptera  rostrata.  Il  accorde  7  pieds  de  longueur 
à  la  mandibule.  C'est  la  Balœnoptera  Huttonii  de  Gray. 

Dans  le  courant  de  Tannée,  M.  Guldberga  publié  un  mémoire 
intéressant  sur  la  biologie  des  Balénoptères  du  nord  atlantique; 
ce  travail  renferme  plusieurs  observations  intéressantes  sur 
cette  espèce.  Nous  avons  mis  ces  nouveaux  faits  à  profit,  notam- 
ment dans  le  chapitre  où  nous  traitons  du  genre  de  vie  et  des 
phénomènes  de  la  parturition. 

Le  professeur  Burmeister  a  réuni,  dans  son  Musée  de  Buenos- 
Ayres,  les  squelettes  de  différentes  Balénoptères,  parmi  les- 
quelles nous  en  trouvons  une  petite  qui  a  tous  les  caractères 
de  notre  petite  espèce  si  bien  décrite  par  Fabricius. 

1  Perrin,  Notes  on  the  anatomy  of  Balœnoptera  rostrata.  Proc.zool.Soc., 
décembre  1870. 

1  Archives  de  Biologie,  vol.  1, 1880. 

•  On  a  lesser  Fin-Whale  {Balœnoptera  rostrata,  Fabr.),  recently  stranded 
on  the  Norfolk  coast.  Proc.  Zool.  Soc.,  may  1864. 


(23) 

En  1873,  une  Balénoptère  de  16  */a  pieds,  ayant  48  vertè- 
bres, les  fanons  blancs  et  le  sternum  en  croix,  a  été  capturée 
sur  les  côtes  de  la  Nouvelle-Zélande  [Otago  Heads).  Le  profes- 
seur Hutton  en  a  donné  une  figure  et,  plus  tard,  le  professeur 
von  Haast  en  a  publié  une  description  en  joignant  à  la  descrip- 
tion une  figure  du  sternum.  Gray  lui  avait  donné  le  nom  de 
Balœnoptera  Huttonii,  et  J.  von  Haast  a  rapporté  ce  même  ani- 
mal à  notre  Balœnoptera  rostrata.  Il  résulte  de  ces  faits  que  la 
petite  Balénoptère,  à  48  vertèbres,  habite  également  les  deux 
hémisphères. 

Le  capitaine  Scammon  a  décrit  une  petite  Balénoptère  du 
Pacifique,  sous  le  nom  spécifique  de  Davidsonii  qui,  dans  notre 
opinion,  est  synonyme  de  Balœnoptera  rostrata. 

SYNONYMIE. 

Cette  espèce,  la  plus  petite  de  toutes,  est  désignée  sous  les 
noms  les  plus  différents.  Nous  pourrons  les  énumérer  ainsi  : 

Balœna  rostrata,  0.  Fabr. 
Balœnoptera  acuto-rostrata,  Lacépède. 
Borqualus  minor,  Knox. 
Pterobalœna  minor,  Eschricht. 
Balœnoptera  rostrata,  Gray. 

—  Eschrichtiiy  Rash. 

—  Davidsonii,  Scammon. 

—  Mondini,  Capellini. 

—  Bonœrensis,  Burmcister. 

—  de  Huttoni,  Gray. 

Cette  même  espèce  est  encore  désignée  par  des  noms  vul- 
gaires : 

Baleine  d'été.  Côte  de  Norwège. 

Piked  Wahle.  PennanL 

Liitle  Finner  Pike  Whale  des  baleiniers  anglais. 

Tikagulik,  des  Groëolandais. 

Vaagehval,  des  Norwégiens. 

Zwsrgwhal,  des  Allemands. 


(24) 

La  Balœnoptera  Davidsonit  de  Scammon  est  bien,  comme  il 
le  soupçonne,  semblable  à  la  Balœnoptera  rostrata  d'Europe, 
quoiqu'elle  habite  les  côtes  de  Californie.  «  This  species  is  evi- 
»  dently  congeneric  with  the  Balœnoptera  rostrata  »  dit  avec 
raison  le  capitaine  Scammon  *. 

La  troisième  Balœnoptera  musculus  de  Pal  las,  qui  n'a  que 
22  */g  pieds  de  longueur,  est  sans  doute  une  Balœnoptera  ros- 
trata. 

La  Balénoptère  à  museau  pointu  de  Lacépède  (pi.  VIII)  est 
bien  l'espèce  désignée  sous  le  nom  de  Balœnoptera  rostrata. 

La  Balœnoptera  Huttonii  de  Gray  n'est  qu'une  rostrata. 

La  Balœnoptera  rostrata  est  regardée,  sur  les  côtes  de  Massa- 
chusetts, comme  une  jeune  Balœnoptera  musculus. 


CARACTERES. 

Il  n'y  a  pas  d'espèce  plus  facile  à  caractériser  ;  elle  ne  dépasse 
guère  30  pieds  de  longueur,  quoiqu'on  en  ait  vu  de  36  ;  la 
nageoire  pectorale  a  un  chevron  blanc;  les  fanons  sont  toujours 
de  la  même  couleur  jaune  pâle  ;  la  colonne  vertébrale  compte 
48  vertèbres;  le  sternum  est  en  croix  latine;  les  côtes  sont  au 
nombre  de  41. 

On  la  reconnaît  toujours  parfaitement  à  l'extérieur  au  che- 
vron blanc  qu'elle  porte  sur  les  nageoires  pectorales. 

Dans  un  certain  nombre  de  squelettes,  on  voit  des  coales- 
cences  entre  les  corps  ou  lés  apophyses  de  quelques  vertèbres, 
le  plus  souvent  entre  les  cervicales;  mais  ces  dispositions  n'ont 
aucune  valeur  sous  le  rapport  systématique. 

Parmi  les  individus  qui  sont  venus  à  la  côte,  nous  en  trouvons 
un  qui  n'a  que  de  9  à  10  pieds,  cinq  qui  ont  de  15  à  17  pieds, 
quatre  de  24  à  25  pieds  et  un  seul  de  29  pieds.  Le  premier,  de 
9  à  10  pieds,  vient  de  naître,  et  les  autres,  de  14  à  15  pieds, 

1  Cap.  Scammon,  On  a  new  species  of  Balœnoptera.  Proc.  of  the  cal.  A  ca~ 
demy  of  sciences,  octobre  1872. 


(25) 

c'est-à-dire  la  moitié  de  la  taille  de  la  mère,  viennent  sans  doute 
de  la  quitter.  Les  jeunes  se  séparent  de  la  mère  à  l'âge  de  deux 
ans.  Ils  ont  encore  la  moitié  à  gagner  pour  atteindre  la  taille 

adulte. 

Le  squelette  le  plus  fort  que  nous  ayons  vu,  est  celui  du 
Musée  de  Stockholm,  qui  a  été  obtenu  par  échange  du  Musée 
de  Bergen.  Un  autre  squelette  d'un  animal  très  fort  se  trouve 
au  Musée  de  l'Université  de  Liège.  Il  vient  également  de 
Bergen. 

On  accorde  généralement  30  pieds  de  longueur  à  cette  espèce  ; 
mais,  à  en  juger  par  la  longueur  du  jeune  en  venant  au  monde, 
longueur  qui  est  de  9  pieds  d'après  Eschricht,  cet  animal, 
à  l'âge  adulte,  doit  atteindre  jusqu'à  36  pieds.  Nous  avons  vu, 
du  reste,  certains  squelettes  qui  confirment  cette  dimension 
comme  taille  naturelle. 

ORGANISATION. 

M.  Charles  Julin  a  consigné,  dans  les  Archives  de  Biologie, 
des  observations  du  plus  haut  intérêt  sur  la  constitution  du 
système  dentaire  d'un  fœtus  de  cette  espèce.  Les  dents  rap- 
pellent plus  ou  moins  les  dents  adultes  des  Squalodons. 

Nous  avons  compté  dans  un  fœtus  quatre  bulbes  pileux  à 
la  mâchoire  supérieure  et  cinq  à  la  mâchoire  inférieure. 

La  colonne  vertébrale  se  compose  généralement  de  7  cervi- 
cales, 11  dorsales,  13  lombaires  et  17  caudales,  en  tout  48.  Il 
y  a  quelques  squelettes  dans  lesquels  il  y  en  a  plus  et  d'autres, 
en  plus  grand  nombre,  où  il  y  en  a  moins. 

Dans  le  mâle  du  Musée  royal  du  collège  des  chirurgiens  à 
Londres,  on  voit  les  apophyses  transverses,  de  la  troisième  à 
la  sixième  cervicale,  séparées,  ne  pas  former  un  anneau 
complet. 

Le  mâle  de  Buenos-Ayres  (Balœnoptera  boiwërensis)  n'a  que 
32  pieds  et  48  vertèbres  comme  notre  espèce. 

Dans  le  squelette  de  Hunter,  les  apophyses  transverses  supé- 
rieure et  inférieure  de  l'axis  ne  sont  pas  non  plus  réunies. 


(26) 

La  sixième  cervicale  de  l'individu  de  Norfolk  Coast,  conservé 
au  Musée  royal  du  Collège  des  chirurgiens,  a  un  anneau  com- 
plet d'un  côté,  incomplet  de  l'autre. 

Il  y  a  aussi  parfois  coalescence  entre  les  corps  de  deux  ver- 
tèbres qui  se  suivent.  Nous  en  avons  vu  dans  les  régions  cervi- 
cale et  caudale. 

Nous  avons  vu  des  squelettes  qui  ont  le  corps  de  l'axis  soudé 
à  la  troisième  cervicale.  C'est  ce  que  l'on  observe  dans  un  sque- 
lette du  Collège  des  chirurgiens,  et  dans  un  autre,  du  Colonial 
Muséum  de  Wellington  (Nouvelle-Zélande). 

Les  trois  dernières  caudales  sont  également  réunies  dans 
un  squelette  que  nous  avons  eu  sous  les  yeux. 

Nous  avons  déjà  fait  la  remarque  que  la  Balœnoptera  borealis 
montre  habituellement  Ja  première  côte  bifide;  nous  en  avons 
cité  un  cas  remarquable,  en  1 868,  dans  les  Bulletins  de  l'Aca- 
démie *  ;  dans  le  squelette  de  Balœnoptera  rostrata  du  Musée 
de  Cambridge,  nous  voyons  également  des  traces  de  fusion 
des  deux  premières  côtes. 

Cette  bifidité  de  la  première  côte  a  souvent  été  vue  chez 
l'homme;  elle  a  -été  signalée  dans  un  squelette  de  Globiceps 
mêlas  du  Japon,  qui  est  à  Leyde,  et  dans  un  Delphinapterus  leucas 
du  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens  de  Londres.  Le  cas 
le  plus  intéressant  est  celui  que  nous  avons  signalé  dans  un 
marsouin  (Phocama  communis).  La  côte  supplémentaire  est 
développée  des  deux  côtés  *. 

Le  sternum  est  caractéristique  par  sa  forme  en  croix  latine. 
La  Balœnoptera  bonœrensis  3  deBurmeister  présente  cette  même 
forme,  mais  présente  en  outre,  en  avant,  deux  saillies  formant 
une  sorte  de  fourche  que  nous  avons  retrouvée  en  miniature 
dans  des  sternums  très  adultes. 

Le  sternum  de  la  Balœnoptera  borealis,  à  l'âge  fœtal,  présente 
cette  même  fourche,  sans  avoir  le  bout  xiphioïde  allongé. 

•  2«  série,  t.  XXVI,  n°  7. 

*  Bulletins  de  ?  Académie,  2e  série,  t.  XXVI,  n°  7. 

8  Atlas  de  la  description  physique  de  la  république  Argentine,  pi.  V,  fig  5. 


(27  ) 

Les  fanons  de  cette  espèce  sont  toujours  faciles  à  reconnaître 
à  leur  longueur  ainsi  qu'à  leur  couleur  jaune  pâle.  Les  plus 
longs  fanons  ne  dépassent  pas  2  pieds. 

MOEURS. 

Le  capitaine  Holbôll  a  eu  l'occasion  d'observer  cette  petite. 
Balénoptère  sur  la  côte  du  Groenland ,  et  il  fait  remarquer 
qu'on  la  voit  au  milieu  des  grandes  Baleines.  Il  n'en  est  pas 
de  même  de  la  Balœnoptera  musculus,  dont  les  baleiniers  con- 
sidèrent l'apparition  comme  un  indice  certain  de  la  fin  de  la 
saison  de  pêche. 

Quand  on  ne  les  voit  pas  au  milieu  de  grandes  Baleines,  ces 
Balénoptères  sont  isolées  ou  à  deux  et  trois  ensemble. 
.  Comme  les  autres  Balénoptères  vivent  par  couples  et  qu'à 
Bergen  on  voit  souvent  des  mâles  et  des  femelles,  dont  les 
dernières  seules  approchent  des  côtes,  il  y  a  tout  lieu  de 
croire  que  l'espèce  qui  nous  occupe  mène  le  même  genre 
de  vie. 

Cette  petite  espèce  poursuit  les  poissons  comme  la  Balœnop- 
tera musculus  et  borealis. 

Hunter  a  trouvé  dans  l'estomac  des  restes  de  divers  poissons, 
surtout  du  Dog-fish. 

Une  femelle  capturée  à  Weymouth  avait  l'estomac  vide;  il  y 
avait  au  lieu  de  pâture  dix  cailloux  dans  son  premier  estomac 
et  autant  dans  le  second  (Perrin). 

Motzfeld  a  vu  à  Juliane  haab,  côte  du  Groenland,  cette 
Balénoptère  avaler  des  Mallotus  arcticus,  fermer  la  bouche 
au-dessus  de  l'eau  et  rejeter  ensuite  l'eau  de  la  bouche  en  jets 
d'écume  des  deux  côtés;  puis,  après  un  moment  de  repos,  il  a 
vu  l'haleine  sortir  des  narines  comme  chez  tout  autre  animal 
qui  respire. 

On  a  vu  souvent  cette  Balénoptère  entourée  de  Tursiops 
tursio,  au  moins  au  nord  de  l'Atlantique.  Us  poursuivent  sans 
doute  la  même  pâture. 


(28) 

D'après  Eschricht  la  gestation  n'est  que  de  dix  mois;  en 
naissant  l'animal  a  9  pieds  de  long,  c'est-à-dire,  comme 
dans  les  autres  espèces,  à  peu  près  le  quart  de  la  longueur 
de  la  mère. 

Melchior  a  vu  un  fœtus  de  8  pieds  2  pouces  qui  n'était  pas  à 
terme. 

On  a  recueilli  à  Bergen  des  fœtus  de  différentes  tailles,  et  les 
femelles  arrivent  cependant  à  la  même  époque  de  l'année. 

Eschricht  a  vu  plusieurs  exemples  de  jumeaux. 

Sur  les  côtes  de  Finmark  on  recueille  également  des  fœtus 
de  tailles  différentes  à  la  même  époque. 

En  faisant  le  relevé  des  côtes  où  des  individus  sont  venus 
échouer  et  où  on  a  tenu  compte  des  dates  de  leur  capture,  on 
ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  quelque  part  un  passage  régulier, 
si  ce  n'est  sur  la  côte  de  Norwège  et  à  l'entrée  de  la  mer  de 
Baffin.  Nous  connaissons  leur  apparition  périodique  dans  les 
Fiords  de  Bergen  en  été,  comme  dans  le  détroit  de  Davis,  mais 
nous  ignorons  complètement,  comme  pour  les  autres  Balé- 
noptères, le  lieu  de  leurs  quartiers  d'hiver. 

Il  est  à  remarquer  qu'il  n'y  en  a  pas  une  seule,  de  celles  qui 
sont  venues  vagabonder  sur  nos  côtes  tempérées,  qui  ait  dépassé 
ou  même  qui  ait  atteint  30  pieds. 

Grâce  aux  nombreux  fœtus  que  l'on  a  pu  recueillir,  en 
tenant  compte  de  la  date  de  la  capture  de  la  mère  et  de  la 
taille  du  fœtus,  en  faisant  ensuite  la  comparaison  des  jeunes 
animaux  capturés  pendant  les  différents  mois  de  l'année,  on  a 
pu  constater  de  combien  par  mois  les  fœtus  grandissent  dans 
te  corps  de  la  mère  et  de  combien  les  baleineaux  s'accroissent 
par  mois  pendant  la  première  année  de  leur  vie. 

On  a  recueilli  un  grand  nombre  de  fœtus  et  on  a  heureuse- 
ment tenu  compte  de  la  date  de  la  capture  de  la  mère  et  de 
la  taille  des  fœtus.  Eschricht  est  arrivé  à  ce  résultat,  confirmé 
par  Guldberg,  que  le  développement  commence  dans  les  pre- 
miers mois  de  l'année  et  continue  jusqu'en  novembre;  en 
avril  il  a  reçu  un  fœtus  de  0m,090  et  en  septembre  un  autre 
de  lm,624. 


(29) 

Comme  la  taille,  à  la  naissance,  est,  d'après  Eschricht,  de 
2m,8,  il  y  a  lieu  d'en  conclure  que  la  mise-bas  a  lieu  en 
hiver. 

Le  D*  Knox  a  signalé  un  jeune  animal  capturé  au  mois  de 
février  1834  qui  avait  9  pieds  11  pouces.  C'est  un  peu  plus  que 
la  taille  du  baleineau  au  moment  de  la  naissance.  Il  avait  pro- 
bablement un  peu  plus  de  deux  mois. 

Le  18  février  ou  mars  1878,  un  individu  long  de  3m,50  a  été 
capturé  près  de  Villefranche. 

En  février  1861,  un  de  3  mètres  a  échoué  sur  les  côtes  de 
Bretagne. 

En  avril  1791,  on  en  a  pris  dans  des  filets,  près  de  la  rade  de 
Cherbourg,  un  individu  qui  avait  14  à  15  pieds. 

La  jeune  femelle  que  M.  Perrin  a  décrite  a  été  capturée  en 
avril  1870;  elle  était  longue  de  13  pieds  8  Va  pouces. 

Le  15  mai  1885,  un  de  9m,62  a  été  capturé  en  mer  par  le 
Gaulois,  de  Fécamp. 

Le  27  septembre  1863,  un  de  8m,60  à  Saint-Jean-de-Luz. 

Le  15  septembre  1878,  un  Vaagevhal  a  été  pris  dans  le  Fiord 
de  Christiania  ;  il  avait  14  Va  pieds. 

En  novembre  1860,  un  mâle  de  25  pieds  a  échoué  au  sud-est 
de  Crower  (Flower). 

D'après  un  manuscrit  sur  les  pêches,  cité  par  M.  Guldberg, 
le  temps  de  la  mise-bas  du  Vaagevhal  serait  le  commencement 
de  novembre.  Guldberg  croit  que  cette  époque  est  un  peu  trop 
avancée,  et  la  fixe  entre  la  fin  de  novembre  et  le  commence- 
ment de  janvier. 

La  gestation  serait,  comme  Eschricht  l'a  estimée,  de  dix. 
mois. 

L'accouplement  aurait  lieu  pendant  les  premiers  mois  de 
l'année. 

Reste  la  question  de  savoir  où  ils  se  réfugient  pour  mettre 
bas  et  de  connaître  les  lieux  où  ils  s'accouplent. 


(30) 


DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE  ET  PÊCHE. 

Pendant  l'été  on  les  voit  communément  sur  les  côtes  de 
Finmark,  mais  on  ne  les  y  chasse  généralement  pas. 

Guldberg  a  trouvé  tout  près  de  Vadsô,  dans  le  Varanger- 
fiord,  le  squelette  d'un  individu  qui  s'y  était  perdu  pendant 
l'hiver. 

Nous  allons  citer  d'abord  les  parages  où  des  individus 
sont  venus  se  perdre,  en  faisant  remarquer  que  les  Cétacés 
n'échouent  généralement,  comme  l'a  dit  Eschricht,  que  sur 
les  côtes  qu'ils  ne  fréquentent  pas  régulièrement. 

Le  plus  ancien  exemple  connu  date  du  XVII6  siècle.  Le 
8  mai  4699,  une  petite  Baleine  vient  se  perdre  dans  le  Weser  et 
son  squelette  est  conservé  à  Brème.  La  ville  de  Brème  en  a  fait 
exécuter  une  peinture  à  l'huile.  Cuvier  en  parle,  mais  en 
prenant  cet  animal  pour  un  jeune  Rorqual  ;  le  grand  naturaliste 
n'avait  pas  de  matériaux  pour  débrouiller  cette  histoire. 

Nous  en  connaissons  deux  exemples  en  Belgique. 

Le  10  juillet  1838,  une  jeune  femelle  de  5  mètres  a  été 
trouvée  morte  en  mer  près  d'Ostende.  Son  squelette  est  au 
Musée  de  l'Université  de  Gand. 

En  1865,  au  mois  d'octobre,  un  mâle  de  16  pieds  a  remonté 
l'Escaut  et  s'est  fait  prendre  en  amont  d'Anvers.  Son  squelette 
est  conservé  à  Bruxelles,  au  Musée  royal. 

Sur  les  côtes  océaniques  de  France  on  a  vu  se  perdre  plu- 
sieurs individus. 

En  avril  1791,  un  jeune  Rorqual  de  14  à  13  pieds  de  long, 
dont  le  milieu  des  nageoires  pectorales  était  blanc,  est  venu  se 
perdre  dans  des  filets  de  pécheurs,  près  de  la  rade  de  Cher- 
bourg. Un  médecin  de  Valogne  en  a  envoyé  une  description  à 
Lacépède,  et  c'est  d'après  cet  animal  que  ce  naturaliste  a  établi 
la  Balénoptère  à  museau  pointu.  La  bande  blanche  des  nageoires 
pectorales,  dont  parle  le  médecin  de  Valogne,  ne  laisse  pas  de 
doute  sur  l'espèce  à  laquelle  appartient  ce  jeune  animal. 


(31) 

Le  10  mars  1827,  un  individu  de  7  mètres  de  long  a  été  cap- 
turé sur  les  côtes  d'Oleron  ;  nous  en  avons  vu  les  ossements 
au  Musée  de  là  Rochelle. 

Le  Dr  Fischer  croit  que  c'est  par  erreur  qu'on  a  annoncé  la 
capture  d'une  petite  Balénoptère  en  juin  1850  sur  les  côtes  du 
Morbihan;  mais  il  n'est  pas  douteux  qu'en  1852  on  en  a  pris 
une  à  l'embouchure  de  la  Seine,  et  dont  le  dessin  est  conservé 
dans  les  Vélins  du  Muséum  *. 

Le  26  août  1835,  un  mâle  a  échoué  dans  la  Charente;  son 
squelette  est  conservé  au  Musée  de  l'Ecole  de  médecine  de 
Rochefort;  sa  longueur  était  de  7  mètres  48  centimètres. 

Un  autre  individu  a  été  capturé  sur  la  côte  de  la  Gironde, 
dont  le  squelette  n'a  pas  été  conservé  (F  ischer). 

Au  mois  de  février  1861,  un  individu  de  3  mètres  a  échoué 
sur  les  côtes  de  Bretagne. 

Vers  1879,  M.  Quillau  a  envoyé  un  squelette  incomplet  au 
Muséum  de  Paris,  qui  provenait  sans  doute  de  cet  animal. 

Un  autre  encore,  de  6  mètres  60,  a  échoué  à  Saint-Jean-de- 
Luz  le  27  septembre  1863. 

Au  Musée  de  Lille  on  conserve  le  squelette  d'un  individu 
échoué  sur  les  côtes  de  Montreuil-sur-Mer  (Fischer),  et  un  autre 
à  Brest,  provenant  d'un  animal  reconnu  par  Rochon. 

A  Bordeaux  on  conserve  le  squelette  d'un  animal  qui  a 
échoué  à  Boulogne. 

Le  15  mai  1885,  un  bateau  de  Fécamp  (Le  Gaulois,  patron 
Deshayes)  a  capturé  en  mer  une  Balœnoptera  rostrata,  longue 
de  3  mètres  62  pieds.  M.  Leunier,  directeur  du  Musée  du  Havre, 
en  a  donné  le  dessin  d'après  l'animal  étendu  sur  le  pont 2. 

On  a  été  longtemps  dans  le  doute  sur  la  question  de  savoir 
si  la  petite  Balénoptère  pénètre  dans  la  Méditerranée.  Ce  doute 
est  levé  maintenant. 

On  en  connaît  aujourd'hui  des  exemples  bien  constatés,  mais 


1  Ce  dessin,  le  plus  beau  qne  nous  connaissions  de  celte  espèce,  a  été 
reproduit  par  P.  Gémis  dans  les  Annales  du  Muséum,  Mémoires,  t.  VU,  pi.  3* 
*  La  Nature,  7  novembre  1885.  . 


(32) 

en  tout  cas  ce  sont  des  apparitions  bien  rares;  un  squelette 
est  conservé  depuis  le  siècle  dernier  au  Musée  de  Bologne, 
provenant,  paraît-il,  d'un  animal  capturé  en  1771  dans  l'Adria- 
tique; il  a  été  décrit  par  Mondini,  et  le  professeur  Capellini  a 
cru  devoir  lui  donner  le  nom  de  Bakenoptera  Mondini  *. 

L'abbé  Ranzani  avait  envoyé  à  Cuvier  un  dessin  de  la  tête, 
conservée  au  Musée  de  Bologne,  et  Cuvier  avait  cru  qu'elle  était 
semblable  à  celle  du  Rorqual,  de  manière,  dit-il,  qu'il  n'y  a 
pas  lieu  de  douter  que  la  même  espèce  de  Rorqual  ne  vive 
danâ  la  mer  du  Nord  et  dans  la  Méditerranée  ;  mais  en  même 
temps  il  existe  dans  cette  dernière  mer  une  autre  espèce,  celle 
qui  a  échoué  aux  Iles  Sainte-Marguerite,  et  que  le  grand  natu- 
raliste croyait  propre  à  cette  mer  intérieure. 

Le  18  mars  ou  février  1878,  un  autre  individu,  long  de 
3m,o0,  a  été  capturé  par  les  pêcheurs  de  Saint-Hospice,  au 
petit  port  de  Saint-Jean,  près  de  Villefranche  (dép.  des  Alpes 
maritimes)  2.  Le  corps  a  été  acheté  par  les  frères  Gall,  de  Nice. 
Le  squelette  est  conservé  à  Florence. 

Nous  ferons  remarquer  que  la  Méditerranée  ne  possède 
aucun  Cétacé  qui  lui  soit  propre,  pas  plus  que  la  Baltique  et  la 
mer  Noire,  et  qu'il  ne  pénètre  même  aucun  Cétacé  à  fanons 
dans  cette  dernière  mer  intérieure. 

Il  y  a  eu  des  Cétacés  à  fanons  dans  la  mer  Noire  ù  la  fin  de 
l'époque  tertiaire,  en  même  temps  que  des.  Siréniens  et  même 
des  Squalodons;  mais  aujourd'hui  on  n'y  voit  plus  que  trois 
Cétacés,  tous  les  trois  à  dents  :  le  Marsouin,  le  Tursio  et  le 
Dauphin  ordinaire,  qui  viennent  de  l'Atlantique. 

On  connaît  aussi  quelques  individus  qui  sont  venus  à  la 
icôte  en  Hollande. 

Le  20  décembre  1862,  après  un  violent  orage,  une  femelle  de 
5  mètres  de  long  est  allée  échouer  dans  l'Y.  Le  squelette  en  est 
conservé  au  Jardin  zoologique  d'Amsterdam. 


1  Gebvais,  Journal  de  zoologie,  14*77,  p.  167. 

?  P.  J.  Van  Bikeden,  Un  mot  sur  quelques  Cétacés  échoués  sur  les  côtes 
de  la  Méditerranée.  Billet.  Acad.  rot.  de  Belgique,  février  1890. 


(33) 

M.  Max  Weber  annonce,  en  1861,  qu'un  animal  de  30  pieds 
de  long  est  venu  se  perdre  dans  la  Zuiderzée,  sur  les  côtes  de 
Vlieland,  mais  il  ne  dit  pas  l'époque  de  Tannée,  ni  si  le  sque- 
lette est  conservé  * . 

On  connaît  plusieurs  exemples  de  Balœnoptera  rostrata 
échouées  sur  les  côtes  d'Angleterre  et  d'Ecosse. 

En  1763  les  pêcheurs  ont  pris,  dans  la  mer  du  Nord,  au 
Doggershank,  une  jeune  femelle  de  16  à  17  pieds  ;  John  Hunter 
l'a  disséquée,  et  le  squelette  en  est  conservé  dans  son  musée, 
aujourdhui  le  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens. 

Le  14  novembre  1808,  une  femelle  de  17  pieds  a  été  capturée 
aux  Orcades,  dans  Scalpa-Bays. 

En  février  1834,  une  jeune  femelle  de  9  à  10  pieds,  la  plus 
petite  que  l'on  ait  encore  vue  se  perdre,  est  allée  échouer 
dans  le  Firth  of  Forth.  Son  squelette  est  conservé  au  Musée 
d'Edimbourg.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  l'animal  venait 
d'être  mis  au  monde. 

Un  mâle  mort,  mesurant  25  pieds,  est  venu  à  la  côte  en 
novembre  1860,  près  de  Cromer  (Norfolk).  Son  squelette  est 
conservé  au  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens  à  Londres. 
Son  estomac  était  plein  de  cod-fish,  Gadus  œglefinus. 

Le  8  mai  1863,  un  jeune  individu  de  10  pieds  2  pouces  est 
venu  se  perdre  lrish  Coast  off  Cloger-Head.  Il  n'a  que  46  ver- 
tèbres. (Al.  Carte  et  A.  Macalister). 

Le  squelette  d'une  femelle  capturée  à  Yarmouth,  ainsi 
qu'une  tête  et  une  omoplate  d'un  animal  qui  a  péri  à  l'Isle 
d'Islay  en  1866,  sont  conservés  à  Cambridge. 

Une  jeune  femelle  de  Balcenoptera  rostrata  de  13  pieds  et 
quelques  pouces  a  été  capturée  en  avril  1870  à  Weyraouth,  et  a 
été  achetée  par  M.  Gerrard.  M.  Perrin,  demonstrator  of  ana- 
tomy,  King's  Collège,  à  Londres,  l'a  disséquée  et  a  publié  les 
résultats  de  ses  recherches  dans  les  Proc.  Zool.  Soc,  décembre 
1870.  Le  premier  et  le  second  estomac  contenaient  des  petits 

1  Verslagen  der  Nederl.  Dierkund.  Vereeniging,  Tydschrift  der  Nederl. 
Vereeniging,  2*  série,  afl.  5  et  4, 1886. 

Tome  XLI  3 


(34) 

cailloux.  Il  ajoute  deux  dessins  représentant  les  nageoires  pecto- 
rales avec  leurs  muscles  en  place,  vues  du  côté  dorsal  et  du 
côté  opposé. 

Le  16  mai  1887  une  jeune  femelle  s'est  perdue  à  Plymouth  *. 

Un  jeune  animal  de  9  à  10  pieds  a  été  capturé  près  de 
Queensferry  (Firth  of  Forth).  A  la  séance  du  21  avril  1834  de 
la  Société  royale  d'Edimbourg,  le  docteur  Knox  fait  un  rap- 
port fort  intéressant  sur  la  dissection  de  cet  animal  2. 

Une  jeune  femelle  de  14  */a  pieds  est  venue  échouer  vivante 
sur  la  côte  d'Aberdeen,  en  juillet  1870.  Son  squelette  est 
conservé  au  Musée  d'Aberdeen,  dirigé  par  le  professeur 
Struthers. 

Un  autre  encore  a  échoué  en  septembre  1871  à  Dunbar  (Firth 
of  Forth).  Le  professeur  sir  Turner  en  fait  mention. 

M.  Flower  a  signalé,  en  1880,  une  jeune  femelle  de  1S  pieds 
qui  est  allée  échouer  sur  les  côtes  de  Cornouailles. 

On  en  a  vu  périr  également  sur  la  côte  de  Norfolk,  dit 
M.  Southwell. 

En  1837,  sur  la  côte  ouest  de  Jutland,  près  de  Vardo,  est  venu 
échouer  un  individu  de  22  pieds  ;  son  squelette  a  été  envoyé  à 
Eschricht.  Il  n'est  pas  complet. 

A  l'est  du  Jutland,  un  animal  de  18  pieds  est  venu  à  la  côte 
en  juillet  1824.  Le  Musée  de  Halle  en  possède  le  squelette. 

On  a  enregistré  aussi  quelques  exemples  d'individus  égarés 
dans  la  Baltique. 

En  1845,  un  animal,  dont  le  dessin  est  conservé  dans  l'église 
Sainte-Marie  à  Greifswald,  est  venu  échouer  dans  le  voisinage 
de  cette  ville  (an  der  Wiek). 

Un  autre  est  venu  à  la  côte  à  l'île  de  Kugen  ;  son  sque- 
lette est  conservé  à  Breslau  3  ;  il  a  23  pieds  de  longueur  et 
48  vertèbres. 

On  conserve  au  Musée  de  Stockholm  une  mandibule  trouvée 


1  Blakwill,  The  Zootogisi,  july,  1837. 
8  Journal? Institut,  1834,  p  336. 
*  ErnstRolL 


(35  ) 

dans  Ja  marne  de  l'époque  glaciaire  (Halland)*,  que  nous  rap- 
portons à  cette  espèce. 

Nous  avons  attiré  l'attention  des  naturalistes  sur  une  tête  de 
cette  même  espèce,  conservée  au  Musée  de  Brème;  elle  a  été 
pêchée  dans  la  mer  du  Nord,  et  l'on  avait  cru  pouvoir  l'attri- 
buer un  instant  à  un  animal  fossile.  D'après  les  pécheurs  de 
Brème,  les  ossements  de  ces  animaux  ne  sont  pas  rares  dans 
certains  endroits  de  la  mer  du  Nord  2. 

Le  2  juillet  1840,  un  animal  de  16  pieds  est  venu  à  la  côte 
près  de  Christiania. 

Un  autre,  un  mâle  de  14  */$  pieds,  est  venu  échouer  dans 
les  mêmes  parages  en  septembre  1878.  Le  professeur  Sars  en 
a  publié  un  dessin. 

Nous  avons  vu  une  omoplate  de  cette  même  espèce  sus- 
pendue dans  la  cour  d'un  des  principaux  hôtels  de  Christiania. 

11  est  évident  que  toutes  ces  visites  sont  purement  acciden- 
telles ;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  celles  qui  se  font  dans 
les  Fiords  de  la  côte  de  Norvège,  dans  les  environs  de  Bergen. 
Dans  ces  derniers  parages,  on  en  voit  arriver  périodiquement,  le 
plus  souvent  depuis  le  mois  de  mai  jusqu'en  décembre  ;  ce  sont 
généralement  des  femelles  qui  entrent  dans  les  Fiords  pour  y 
mettre  bas;  sur  onze  individus  qu'on  avait  capturés  dans  un 
temps  déterminé,  il  n'y  avait  qu'un  seul  mâle.  On  a  remarqué 
du  reste  partout,  que  les  mâles  de  toutes  ces  espèces  se  tiennent 
au  large,  pendant  que  les  femelles  approchent  des  côtes. 

Depuis  longtemps  on  sait  que  la  Balœnoptera  rostrata  entre 
dans  ces  baies  et  que  les  pêcheurs  des  alentours  les  empri- 
sonnent à  l'aide  de  filets.  L'animal,  enfermé  comme  dans  un 
aquarium,  est  attaqué  à  coups  de  flèches  empoisonnées;  il  perd 
immédiatement,  après  ses  blessures,  de  son  activité  ordinaire 
et  devient  facilement  la  proie  des  pêcheurs.  La  flèche  est  empoi- 
sonnée par  le  pus  de  la  capture  précédente  et,  depuis  des  temps 


1  Aingelin,  Ofvers.  afk.  Vet.  Akad.  Forh  ,  4867,  p.  81.  Erdmass,  Bidr.  t/ll 
ketnned.  om  Sveriges  Quartttra  BUdingar,  p.  158. 
•  Vas  Bexeden,  Journal  de  Zoologie,  t.  IV,  1875. 


(36) 

fort  reculés,  on  prépare  ainsi  des  flèches  qui  ne  doivent  servir 
qu'à  la  campagne  suivante. 

Tous  les  ans,  dit  ledocteurArmauerHansen,aux  mois  d'avril 
et  de  mai,  les  pécheurs  attendent  la  Balwioptera  rostrata  à 
l'entrée  d'un  Fiord  très  étroit,  nommé  Skogsvàg,  à  30  kilomètres 
de  Bergen.  Dès  qu'un  animal  est  entré,  ils  ferment  l'embou- 
chure au  moyen  d'un  filet  et  ils  l'attaquent  à  l'aide  de  flèches. 
Us  empoisonnent  leurs  flèches  en  baignant  la  pointe  dans  la 
chaire  gangrenée  et  ils  la  laissent  sécher.  Il  paraît  que  la  forme 
des  arcs  dont  ils  se  servent  date  de  l'époque  des  anciens 
guerriers,  les  Vikings. 

M.  Àrmauer  Hansen  a  trouvé  des  bacilles  dans  la  chair 
gangrenée,  et  croit  que  la  flèche  empoisonnée  inocule  aux  Ba- 
lénoptères les  germes  qui  produisent  la  septicémie  *. 

La  petite  Balénoptère  a  été  vue  également  dans  le  détroit  de 
Davis,  mais  seulement  pendant  les  mois  d'été  2;  on  la  voit 
paraître  aussi  sur  les  côtes  d'Islande,  aux  îles  Loffoden,  sur 
les  côtes  de  Finmark  et,  comme  nous  venons  de  le  dire,  pério- 
diquement sur  les  côtes  de  Norvège.  On  en  a  vu  également  dans 
la  mer  Blanche  ;  Nordenskjôld  l'a  même  observée  dans  la  mer 
de  Kara,  à  côté  de  Béluga,  et  Scoresby  3,  comme  Malmgren  4 
et  Sluyter  l'ont  reconnue  dans  les  eaux  du  Spitzberg  s. 

1  Armauer  Hamsen,  La  septicémie  inoculée  à  des  Baleines  par  les  flèches 
dont  se  servent  les  pécheurs,  Archives  de  Biologie,  t.  VI,  fasc.  III,  1885, 
p.  585. 

1  Cette  même  petite  Balénoptère,  dont  nous  possédons  un  squelette  envoyé 
par  Flolboll  du  Groenland,  se  trouve  également  plus  au  nord,  mais  en  moins 
grand  nombre  toutefois  que  dans  la  partie  méridionale;  elle  arrive  au  mois 
d'avril  à  Gorihaab,  dit  Holbôll,  et  ne  quitte  qu'au  mois  de  décembre.  La 
Balœnoptera  rostrata  aurait  ainsi,  comme  du  reste  nous  l'avons  fait 
remarquer  déjà  pour  la  Megaptera  boops,  plus  d'une  station  d'été. 

9  Scoresby  fait  mention  d'un  individu  de  17  */»  pieds,  capturé  au  mois  de 
novembre  1808,  dans  la  baie  de  Scalpa;  il  a  élé  figuré  par  Watson.  An  Account 
ofthe  arct.reg.,  1. 1,  p.  485,  pi.  III,  fig.  2. 

*  Malmgren  a  vu,  pendant  son  voyage  au  Spitzberg,  des  individus  de  cette 
espèce  pendant  le  mois  de  mai. 

*  11  n'est  pas  sans  intérêt  de  faire  remarquer  que  Ruyler,  en  gagnant  des 


(37) 

Avant  Nordenskjôld,  des  baleiniers  norvégiens  en  avaient 
déjà  signalé  dans  la  mer  de  Kara. 

On  en  a  vu  en  abondance  dans  les  parages  de  Godthaab 
(Groenland).  Tous  les  baleiniers  s'accordent  à  dire  que  la  petite 
Balénoptère  arrive  en  été  au  détroit  de  Davis  et  à  la  baie 
de  Baffin. 

De  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  on  a  constaté  depuis  longtemps 
la  présence  de  cette  même  Balénoptère  ;  le  Musée  de  Stuttgard 
a  reçu  un  squelette  de  la  côte  du  Labrador  et,  depuis,  on  a  fait 
mention  d'un  animal  de  18  pieds  capturé  dans  la  baie  de  New- 
York  (Dr  Kay). 

M.  Allen  cite  la  Balœnoptera  rostrata  avec  un  signe  de  doute, 
comme  animal  propre  à  ces  parages,  mais  ce  doute  est  évidem- 
ment levé. 

On  trouve  dans  l'Atlantique  méridional,  comme  dans  l'Atlan- 
tique septentrional,  dans  le  Pacifique  et  même  dans  les  eaux 
de  nos  antipodes,  des  Balénoptères  qui  correspondent  à  notre 
Balœnoptera  rostrata  par  leur  taille,  parleurs  fanons  ainsi  que 
par  l'ensemble  de  leur  organisation  11  y  en  a  qui  sont  telle- 
ment semblables  à  l'espèce  de  nos  parages,  que,  si  on  les  trou- 
vait sur  les  côtes  d'Europe,  on  ne  songerait  pas  à  en  faire  des 
espèces  distinctes.  Telle  est  la  Balénoptère  du  nord  du  Paci- 
fique à  laquelle,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  le  capitaine 
Scammon  a  donné  le  nom  de  Balœnoptera  DavidsoniL  Cette 
affinité  n'a,  du  reste,  pas  échappé  aux  naturalistes  américains  : 
Balœnoptera  Davidsonii  is  evidently  congeneric  with  the  Balœ- 
no])tei*a  rostrata,  dit  le  capitaine  Scammon.  Nous  avons  eu 
l'occasion  de  voir  à  Vienne  des  fanons,  rapportés  de  San  Fran- 
cisco par  le  professeur  Steindachner,  en  tout  semblables  aux 
fanons  de  notre  espèce  naine. 

A  l'embouchure  de  la  Plata  du  Mediano,  près  de  Belgrano, 
à  10  miles  de  Buenos-Ayres,  flottait,  le  3  février  1867,   un 

régions  de  plus  en  plus  septentrionales,  a  vu  successivement  disparaître  les 
Marsouins,  puis  les  Tursio,  el  ce  n'est  qu'après  celte  disparition  qu'il  a  vu 
apparaître,  au  60e  degré,  la  Balœnoptera  rostrata» 


(38) 

cadavre  qui  a  été  recueilli  par  les  pêcheurs,  et  dont  le  squelette 
est  conservé  aujourd'hui  au  Musée  de  Buenos-Ayres.  C'était  un 
mâle.  La  taille  ne  dépasse  pas  32  pieds;  les  vertèbres  cervi- 
cales 2,  3  et  4  sont  réunies  par  le  corps  ;  les  apophyses  trans- 
verses supérieures  des  sixième  et  septième  cervicales  sont 
réunies  à  gauche  dans  toute  leur  longueur.  Burmeister  Ta  décrit 
sous  le  nom  de  Balœnoptera  bonaërensis*.  Il  possède  le  squelette 
et  en  a  fait  connaître  les  divers  caractères,  qui  sont  la  repro- 
duction de  notre  Balœnoptera  rostrata.  Il  n'y  a  que  le  sternum 
qui  diffère  par  une  bifurcation  qu'il  présente  sur  son  bord 
antérieur,  mais  le  squelette  montre  jusqu'au  nombre  de  ver- 
tèbres (48)  si  caractéristique  de  cette  espèce. 

Le  British  Muséum  a  reçu  également  de  l'île  Formosa,  par  le 
consul  anglais  Swinhoe,  des  fanons,  avec  les  barbes  jaunes 
de  la  grandeur  des  fanons  de  l'espèce  qui  nous  occupe,  ou 
même  un  peu  plus  petits,  et  qui  proviennent  sans  doute  de  la 
même  Balénoptère,  si  pas  d'une  espèce  similaire.  Ces  fanons 
sont  conservés  dans  un  bocal  ;  il  n'y  en  a  qu'une  rangée.  Nous 
avons  fait  mention  de  cette  Balénoptère  dans  notre  Ostéo- 
graphie,  sous  le  nom  de  Balœtioptera  Swinhoei. 

Pallas  fait  mention  d'une  Balénoptère  de  22  pieds  de  long, 
avec  une  nageoire  pectorale  blanche,  observée  par  Merle  sur 
la  côte  du  Kamschatka,  et  qu'il  rapporte  avec  raison  à  la  Ba- 
lœnoptera rostrata  de  Fabricius. 

Le  Muséum  de  Paris  a  reçu  du  Japon  un  squelette  qui  a  tous 
les  caractères  de  cette  espèce;  il  a  deux  ou  trois  vertèbres  de 
plus  que  le  nombre  normal  de  48,  mais  on  trouve  de  sem- 
blables variations  dans  des  squelettes  d'Europe. 

Près  de  l'île  Kerguelen,  on  a  capturé  une  Balénoptère  de 
30  pieds  de  long  qui  appartient  sans  doute  à  cette  même  espèce. 
On  n'en  a  malheureusement  rien  conservé. 


1  H.  Burmeister,  Prelim.  descript,  ofanew  species  of  Finner  whaU  (Ba- 
laenoplera  bonaërensis).  —  Proceed.  ZooL  Soc,  1867,  p.  707.  —  Annale*  del 
Museo  publico  de  Buenos-Aires,  1868.  —  Van  Bekeden  et  Paul  Gervais, 
Oiteographie  des  Cétacés, 


(39) 

La  mer  de  nos  antipodes  nourrit  également,  à  côté  de  Balé- 
noptères de  grande  taille,  une  petite  espèce  qui  ne  dépasse  pas 
la  nôtre  en  dimension;  elle  atteint  à  peine  30  pieds  de  longueur. 
En  octobre  1873,  écrit-on  de  la  Nouvelle-Zélande,  on  a  cap- 
turé une  petite  Balénoptère  dont  le  squelette  a  été  envoyé  au 
British  Muséum.  En  recevant  la  lettre  d'envoi,  le  docteur  Gray 
croyait  d'abord,  d'après  les  dimensions,  que  c'était  un  squelette 
de  Neobalœna  marginata  *.  Le  squelette  de  cette  Balénoptère  est 
complet  et  ses  fanons  d'un  jaune  pâle  (cream  colour)  sont  con- 
servés. Il  a  48  vertèbres,  un  sternum  en  croix  latine,  et  les 
fanons  semblable  à  ceux  de  notre  espèce.  Nous  ne  doutons  pas 
que,  si  ce  squelette  avait  été  expédié  du  nord  de  l'Atlantique, 
personne  n'aurait  hésité  à  le  désigner  sous  le  nom  de  rostrata. 

Gray  a  publié  le  dessin  que  le  professeur  Hutton,  conserva- 
teur du  Muséum  d'Iotago,  lui  a  fait  parvenir  2. 

M.  James  Hector  fait  mention  de  deux  têtes,  provenant  de 
Cookstrait,  et  qui  ressemblent,  dit-il  avec  raison,  à  celle  de  la 
Balœnoptera  rostrata.  Il  accorde  7  pieds  de  longueur  à  la  man- 
dibule. 

Jul.  von  Haast  fait  également  mention  d'un  jeune  mâle, 
échoué  on  the  Summer  beach,  le  7  février  1873;  il  a  23  pieds 
de  long,  et  le  Directeur  du  Musée  de  Canterbury  n'hésite  pas 
à  le  rapporter  à  la  Balœnoptera  rostrata  d'Europe,  tout  en 
reconnaissant  que  c'est  la  Balœnoptera  Huttoni  de  Gray.  Il 
représente  le  sternum  et  un  fanon  3. 

Nous  trouvons  dans  nos  notes  :  le  squelette  de  la  Balœnop- 
tera Huttoni,  conservé  au  British  Muséum,  a  la  taille,  le  nom- 
bre de  vertèbres  et  le  sternum  de  notre  Balœnojitera  rostrata  ; 
le  sternum  est  en  croix  latine,  mais  un  peu  plus  petit  que 
celui  de  notre  rostrata.  Les  fanons  sont  jaunes,  avec  une  bande 


1  Eo  mai  1874  Gray  m'écrivait  :  c  Le  squelette  de  la  petite  Baleine  de  la 
Nouvelle-Hollande  est  arrivé.  C'est  une  Balœnoptera  voisine  de  la  Balœnop- 
tera rostrata,  mais  bien  distincte,  et  pas  une  Neobalœna.  » 

«  Gray,  Ann.  nat.  hist.,  1870,  vol.  V,  p.  224;  1874,  vol.  XIII,  p.  316,  pi. XVJ. 

'  Philosopliical  Instituts  of  Canterbury,  30  décembre,  1880. 


(40) 

noire  ù  l'extérieur;  les  vertèbres  sont  au  nombre  de  quarante- 
six  ;  sans  doute  les  deux  dernières  manquent. 

Parmi  les  caisses  tympaniques,  rapportées  par  le  Challenger 
et  recueillies  par  la  sonde  au  milieu  du  Pacifique,  à  quelques 
degrés  au  sud  de  l'équateur,  le  professeur  Sir  Turner  en  a 
trouvé  qui  se  rapportent  à  la  Balœnoptera  rostraia  *. 

En  somme,  la  Balœnoptera  rostrata  a  été  observée  en  Europe 
sur  les  côtes  du  Groenland  et  du  Spitzberg,  d'Islande  et  de  Nor- 
vège, de  Suède,  de  Danemark,  d'Allemagne,  des  Pays-Bas,  de 
Belgique,  de  France,  d'Ecosse,  d'Angleterre,  et  enfin  dans  la 
Méditerranée  et  la  Baltique.  On  l'a  vue  aussi  dans  la  mer 
Blanche  et  dans  la  mer  de  Kara. 

En  dehors  de  l'Europe,  elle  a  été  observée  sur  les  côtes  du 
Labrador  et  des  États-Unis  d'Amérique.  Dans  le  Pacifique 
on  l'a  vue  au  détroit  de  Behring,  sur  les  côtes  du  Kamschatka, 
dans  les  parages  des  îles  Aléoutiennes,  et  elle  est  connue 
sous  le  nom  de  Balœnoptera  Davidsonii  sur  les  côtes  de 
Californie. 

Dans  l'hémisphère  antarctique  on  reconnaît  une  petite  Balé- 
noptère à  48  vertèbres,  sur  les  côtes  de  la  Plata,  de  Kerguelen 
et  dans  les  eaux  de  la  Nouvelle-Zélande. 

On  ne  connaît  que  deux  parages  où  la  petite  Balénoptère 
apparaît  périodiquement  :  ce  sont  le  détroit  de  Davis  et  les 
Fiords  de  Bergen.  De  l'un  comme  de  l'autre  côté  elle  n  appa- 
raît qu'en  été.  Où  se  trouve-t-elle  pendant  le  restant  de  l'année? 

Pendant  l'été  de  4878,  les  naturalistes  du  Willem  Barents 
ont  fait  quelques  observations  intéressantes  sur  les  Cétacés. 
M.  Sluyter  rapporte  que,  au  delà  du  60e  degré  de  latitude,  ils 
ne  découvrirent  plus  de  Marsouins,  mais  deux  espèces  de 
Dauphins,  le  D.  (Sténo  ?)  rostralus  et  le  D.  (Tursiops)  tursio. 
Le  premier  n'est  pas  abondant;  l'autre  vit  par  petites  gammes, 
qui  disparurent  à  la  hauteur  de  l'île  Jan  Moyen.  A  Vile  des  Ours 
et  à  la  côte  de  la  Nouvelle-Zemble  ils  parurent  de  nouveau.  Ils 

1  Turner,  Report  ofthe  hones  of  Cttacea,  The  Zoologt  of  tue  Voyage 
of  H.  M.  S.  Challenger,  1880. 


(41) 

ont  vu  une  gamme  d'une  centaine  de  Béluga.  Des  Balœnoptera 
rostrata  ont  fait  leur  apparition  dans  ces  parages  pendant  les 
mois  d'été  * . 

MUSÉES. 

La  Balœnoptera  rostrata  est  représentée  dans  le  plus  grand 
nombre  de  musées,  soit  par  des  squelettes  complets,  soit  par 
des  têtes  ou  des  os  isolés. 

On  connaît  aujourd'hui  des  squelettes  de  cet  animal,  prove- 
nant de  la  mer  Blanche,  des  îles  Loffbden,  des  côtes  d'Islande 
et  du  Groenland,  des  côtes  du  Labrador  et  des  Etats-Unis,  de  la 
côte  de  Norvège,  de  la  Baltique,  de  la  mer  du  Nord,  de  la 
Manche  et  du  canal  S'-Georges,  des  côtes  de  Bretagne,  du  golfe 
de  Gascogne,  de  la  Méditerranée  et  de  l'Adriatique. 

La  ville  de  Brème  en  a  possédé  le  premier  squelette,  qui  a  été 
décrit  par  Albers;  après  lui,  c'est  le  musée  de  Hunter,  aujour- 
d'hui le  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens  à  Londres, 
qui  est  entré  en  possession  du  second  exemplaire. 

On  en  trouve  des  squelettes  dans  les  villes  suivantes  :  A 
Aberdeen  (Ecosse),  d'un  animal  qui  a  péri  en  1870;  à  Amster- 
dam ,  d'un  animal  qui  a  échoué  dans  l'Y  ;  à  Bergen  (Norvège) 
il  y  en  a  plusieurs  et  le  Musée  en  a  fourni  à  divers  autres  éta- 
blissements; à  Berlin,  un  squelette  des  Fiords  de  Bergen;  à 
Bordeaux,  un  crâne  d'un  animal  qui  a  échoué  sur  la  côte  de  la 
Gironde  ;  à  Bologne,  un  crâne  d'un  animal  de  l'Adriatique 
(1771);  à  Boulogne-sur-Mer  ;  à  Brest;  à  Brème,  le  squelette  dont 
nous  venons  de  parler  ;  à  Bruxelles,  le  squelette  d'un  animal 
pris  dans  l'Escaut,  un  autre  de  la  côte  du  Jutland  et  un  troisième 
du  Cap-Nord  ;  à  Breslau,  le  squelette  de  23  pieds  de  l'animal 
échoué  en  1825 à  l'île  de  Hùgen  (Baltique);  à  Buenos- Ayres,  le 
squelette  de  l'animal  capturé  sur  les  côtes  de  la  Plata  ;  à  Cam- 


1  Sluyter,  Verslag  en  Zoologische  onderzoekingen  gedaan  gedurende 
ilen  tocht  van  «  de  Willem  Barents  »  in  den  zomer  4818,  Ttdschrift  van  iiet 

AARDRYKSKU.NDIG  GtKOOTSCHAP,  11°  5,  1879. 


(42) 

bridge  (Musée  de  l'Université),  la  tète  et  une  omoplate  d'un 
animal  qui  a  péri  sur  les  côtes  de  l'île  d'Islay  en  1866,  et  un 
squelette  complet;  à  Christiania,  un  squelette  de  16  pieds,  d'un 
animal  capturé  dans  le  Fiord  de  la  ville;  à  Copenhague;  à 
Edimbourg,  une  tête  de  grande  taille,  d'un  animal  échoué  sur 
les  côtes  d'Ecosse  ;  à  Florence,  le  squelette  de  l'individu  cap- 
turé à  Villefranche  le  18  février  1878;  à  Gand,  squelette 
d'une  femelle  capturée  près  d'Ostende  le  10  juillet  1838; 
à  Giessen  ;  à  Gôthemburg  (  Musée  d'histoire  naturelle)  ;  à 
Gôtingue;  à  Greifswald,  des  os,  surtout  un  occipital,  d'un  ani- 
mal échoué  en  1845,  au  mois  de  mars,  près  de  la  ville  ;  à  Halle, 
squelette  de  18  pieds  d'un  animal  échoué  en  juillet  1824,  à 
l'est  du  Jutland,  provenant  du  Musée  de  Meckel  ;  au  Havre, 
celui  d'une  jeune  femelle  capturée  à  Fecamp;  à  Hull;  à 
Heidelberg;  à  Leide,  un  squelette  des  Fiords  de  Bergen; 
à  Londres,  au  Musée  Britannique  (squelette  du  Groenland,  de 
la  collection  de  Brandt  et  un  autre  de  la  Tamise)  *;  au  Musée  du 
Collège  royal  des  chirurgiens  (squelettes  de  mâle  adulte,  de 
2o  pieds,  des  côtes  de  Norfolk,  1862,  et  d'une  jeune  femelle  du 
Doggersbank,  de  16  pieds,  de  la  collection  de  Hunter)  ;  à  Lou- 
vain,  squelette  du  Groenland  et  une  tête  séparée,  d'origine 
inconnue,  mais  probablement  de  nos  côtes  ;  à  Liège,  un  sque- 
lette de  grande  taille  provenant  des  Fiords  des  environs  de 
Bergen  ;  à  Lund  (Suède)  ;  à  Munich  ;  à  New- York  ;  à  Oxford  ;  à 
Paris,  squelette  des  Fiords  de  Bergen,  rapporté  par  Gaimard,  et 
un  autre  d'un  animal  capturé  à  l'embouchure  de  la  Seine  et 
étudié  par  Gratiolet  ;  on  y  conserve  un  très  bon  moulage  de 
la  jeune  femelle  échouée  à  Fecamp  en  188S  ;  à  Rochefort,  on 
conserve  le  squelette  d'un  mâle,  qui  a  échoué  le  26  août  183S 
dans  la  Charente  ;  à  la  Rochelle  on  trouve  divers  ossements, 
sans  doute  du  mâle  qui  a  échoué  en  août  1838  à  Vergeroux  ;  à 
Rouen  ;  à  Stockholm,  Musée  royal  anatomique  de  Carolinska 
Institut;  à  Stuttgard  (squelette  des  côtes  du  Labrador);  à 
Upsala  ;  à  Wurzbourg,  squelette  envoyé  par  les  missionnaires  ; 

1  From  Brandt's  collection,  dit  Gray,  Catalogue..... 


(43) 

à  Washington,  Musée   national,  la  tête  de  la  Balœnoptera 
Davidsonii,  de  Scammon  *. 

Il  existe  un  grand  nombre  de  fœtus  de  cette  espèce  dans 
divers  musées  d'Europe,  et  qui  viennent  sans  doute  tous  de 
Bergen.  Le  Musée  de  cette  dernière  ville  en  possède  sept. 

DESSINS. 

En  1675  a  paru  le  dessin  de  la  Balœna  mysticetus  et  d'une 
Balœnoptera,  par  Martens  de  Hambourg. 

Sibbald,  dans  sa  Phalainologia  nova,  a  représenté  des  Balénop- 
tères avec  leurs  évents  et  les  plis  sous  la  gorge. 

Hans  Egede  en  a  aussi  publié  un  dessin. 

A  Greifswald,  on  conserve  une  peinture  faite  d'après  un 
individu  échoué  à  l'embouchure  dû  Weser,  en  mai  1699,  et 
dont  le  squelette  est  conservé  à  la  maison  de  ville  de  Brème; 
c'est  cet  animal  que  Cuvier  a  mentionné  sous  le  nom  déjeune 
Rorqual  du  Nord. 

John  Hunter  a  publié  une  bonne  figure  de  cette  Balénoptère 
en  1787,  d'après  une  femelle  de  17  pieds,  capturée  au  Doggers- 
bank.  Lacépède  en  a  publié  un  dessin  qui  lui  a  été  envoyé  par 
Sir  Joseph  Banks. 

Fred.  Cuvier  l'a  reproduit  sous  le  nom  impropre  de  Rorqual 
Jubarte  (pi.  XX,  fig.  I)  2.  Ce  dessin  figure  aussi  dans  le  grand 
atlas  de  Goldfuss,  sous  le  nom  de  Balœnoptera  boops. 

Scoresby  en  publie  également  un  dessin  3. 

Dans  le  New-York  Muséum,  de  Kay,  a  figuré,  pi.  XXX,  fig.  1, 
la  Balénoptère  qui  a  péri  aux  Orcades  en  1808. 

Dans  les  actes  de  la  Société  Linnéenne  de  Bordeaux,  nous  en 
trouvons  également  un,  d'après  un  individu  échoué  dans  le 
golfe  de  Gascogne  en  août  1835. 

1  On  a  new  species  of  Balœnoptera.  Proceed  of  the  Californ,  Academt  of 
sciencies  Dot.  IV,  part.  V,  Jan.  1873;  San  Francisco,  1873,  p.  269. 
*  Fred.  Cuvier,  Hist.naL  de  Cétacés,  pi.  XX,  fig.  1 . 
3  Scoresbt.  An  account  of  the  arctic  reg.t  1. 1,  p. 485,  pl.Xlil,  fig.  2. 


(44) 

Rosenthal  a  également  publié  celui  d'un  mâle,  qui  a  été 
reproduit  par  Brandt  et  Ratzeburg  dans  leur  Zoologie  médicale 
(pi.  XV,  fig.  4). 

Il  existe  encore  un  dessin  à  la  Bibliothèque  royale  à 
Bruxelles,  provenant  de  notre  confrère  le  vicomte  du  Bus, 
d'après  l'animal  qui  a  été  tué  dans  l'Escaut,  au  mois  d'octobre 
1865,  en  amont  d'Anvers. 

On  vient  de  publier  un  dessin  de  l'individu  péché  en  mer  par 
Le  Gaulois  de  Fécamp. 

Le  professeur  Hutton  a  publié,  dans  les  Annals  and  Magazine 
of  natural  history  (ser.  4,  vol.  XHI,  pi.  XVI),  le  dessin  d'un 
animal  de  16  pieds  2  ^  pouces  capturé  en  octobre  1873  à  la 
Nouvelle-Zélande. 

Le  professeur  Julius  von  Haast  a  figuré  le  sternum  et  un 
fanon  dans  les  Tram.  N.  Z.  Institute,  vol.  XIII,  pi.  III,  fig.  1 
et  2. 

Eschricht  a  figuré  un  fœtus  *. 

Fischer  a  publié  un  dessin  assez  grossier  d'après  un  journal 
illustré  qui  représente  l'animal  échoué  à  S'-Jean-de-Luz. 

Sars  a  publié  un  dessin  fait  d'après  un  mâle  de  14  */a  pieds 
capturé  près  de  Christiania  en  septembre  1878. 

Lesson  a  donné  une  bonne  représentation  de  cette  Balénop- 
tère mâle,  échouée  dans  la  Charente,  le  26  août  1835. 

Le  plus  beau  dessin  est  celui  que  P.  Gervais  a  publié  d'après 
une  planche,  faite  d'après  nature,  en  1861,  et  qui  est  conservée 
dans  les  vélins  du  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris. 

Le  capitaine  Scammon  a  reproduit  un  bon  dessin  (pi.  VII, 
fig.  2),  sous  le  nom  de  Balamoptera  Davidsonii. 

C'est  sans  doute  une  Balénoptère  de  la  même  espèce,  que 
Ànderson  a  figurée  dans  Yunnan  expédition,  pi.  XLIV,  et  dans 
Anat.  and  Zoolog.  Researches,  London,  1878,  sous  le  nom  de 
Sittang  Whale? 

On  conserve  à  Paris,  au  Muséum,  un  modèle  en  plâtre  d'après 
l'animal  qui  a  échoué  en  février  1861  sur  la  côte  de  Bretagne. 

1  Eschricht,  Nord    IVallthiere,  pi.  VI  et  VU. 


(48) 


PARASITES. 

On  a  trouvé  divers  parasites,  d'abord  : 

Le  Distoma  goliath.  Van  Ben.  *,  qui  habite  le  foie.  Eschricht 
m'avait  donné  des  exemplaires  de  ce  Trématode,  et  plus  tard 
j'en  ai  trouvé  moi-même  dans  l'animal  qui  a  péri  dans  l'Escaut, 
en  novembre  1865. 

Ensuite  le  Filaria  crassicauda,  Creplin,  qui  vit  dans  le  canal 
de  l'urètre  ou  le  corps  caverneux. 

Enfin  Y  Ascaris  angulivalvis  ;  Creplin  l'a  observé  le  premier; 
Koren  en  a  remis  trois  exemplaires  à  Oscar  Schinidt;  Krabbe 
pense  que  c'est  le  même  (Ascaris  simplex)  qui  habite  le  Béluga, 
YHyperoodon,  le  Narval  et  le  Lagenorhyncus  albirostris  2. 

Il  paraît  que  l'intestin  renferme  également  YEchinorhyncus 
porrigens,  Rud.  Il  a  été  vu  déjà  par  plusieurs  naturalistes. 

On  a  trouvé,  à  diverses  reprises  sur  la  peau,  des  Penella 
Balœnopterœ,  sur  lesquelles  on  a  trouvé  un  Cirripède,  le  Cwi- 
choderma  virgata.  Cette  Penella  se  loge  surtout  autour  des 
organes  sexuels. 

La  Balœnoptera  rostrata,  capturée  à  Villefranche  en  1878  et 
dont  le  squelette  est  conservé  au  Musée  de  Florence,  héber- 
geait une  Penella. 

On  a  trouvé  entre  la  peau  et  les  muscles  de  cette  même 
Balénoptère,  comme  dans  certains  Dauphins,  des  parasites 
enkystés,  dont  la  nature  n'est  pas  bien  déterminée. 


1  Bullet.  de  CAcad.  royale  de  Befg.,  2«  série,  t.  V,  1858. 
*  Bullet.  Acad.  roy.  des  se.  danoise 1878. 


BAUENOPTERA  BOREALIS. 


LITTERATURE. 

Rurfolphl,  Einige  anatomische  Bemerkungen  ùber  Dalœna  rostrata; 
Abhand.  d.  Kônigl.  Akademie  d.  Wissenschaft.  Berlin ,  1820-1821. 

Leason,  histoire  naturelle  générale  et  particulière  des  mammifères 
et  des  oiseaux  (Cétacés).  Paris,  1828. 

J.  K.  Cray,  Zoology  of  thc  Voyage  of  the  Erebus  and  Terror,  p.  20. 

w.  LlHJenorg,  Sveriges  ocfi  Norges  Byygrodsdjur,  Upsala,  1874. 

Van  Bencdcn  et  Servals,  Ostéographie  des  Cétacés,  p.  198,  1870. 

G.  Zarfdacli,  Beschreibung  eines  Finnwales,  Archiv  fur   xaturge- 
schichte,  1875. 

Paul  Servais,  Bemarques  sur  les  Baie  nid  es  des   mers  du   Japon» 

Comptes  rendus novembre  1875.  Journal  de  zoologie,  t.  V,  p.  1, 

1876. 


>,  A  ,  Scelet  d,  Breitkôpfiyen  I-'innwals,  Pterobalœna  laticeps, 
Dautzig,  Natuhf.  Ces.,  1876,  8°. 

P.  Fischer,  Sur  une  Balénoptère  boréale,  échouée  à  Biarritz  en  1 874. 
Comptes  rendus,  1^76. 


(48) 

W.  Tu  mer,  A  spécimen  of Balœnoptera  borealis,  captured  in  the  Firth 
of  Forth.  Journ.  of  an4t.  and  physiol.,  vol.  XVI,  april  1882. 

Flower,  On  a  spécimen  of  Rudolphi's  Rorqual  (  Balenopt.  borealis) 
lalely  taken  on  the  Essex  coast.  Proc.  zool.  Soc,  nov.  20,  1885. 

Uultiberg,  Sur  r existence  de  la  quatrième  espèce  du  genre  Balœnoptera 
dans  les  mers  septentrionales  de  l'Europe.  Bull.  Acad.  boy.  d.  sciences  de 
Belgique,  1884. 

Gnldberg,  La  Nature,  novembre  4885. 

Alffr.  H.  Coclta,  Notes  on  the  Finwhale  fishery  of  the  north  European 
Coast.  The  Zoologist,  vol.  9,  p.  107,  1886. 


;Bal.  borealis  atgoole.  Naturaliste,  Londres,  vol  X;  Zoolo- 
gist, vol.  VIII. 

itobert  Collet c,  On  the  Externat  Characters  of  RudolphCs  Rorqual 
{Balœnoptera  borealis),  Proc.  zool.  Soc,  march  and  april  1886. 


(49) 


HISTORIQUE. 

Cette  espèce  a  été  longtemps  confondue  avec  les  autres  :  sa 
petite  taille,  comparativement  à  celle  du  Musculus  et  du  Sib- 
baldii,  l'a  généralement  fait  prendre  pour  un  animal  incom- 
plètement développé.  Grâce  aux  recherches  de  M.  Guldberg, 
faites  sur  les  côtes  de  Finmark,  cette  espèce  est  établie  aujour- 
d'hui sur  des  caractères  aussi  certains  que  les  autres  Balénop- 
tères. 

Cuvier,  comparant  le  squelette  décrit  et  figuré  par  Rudolphi 
avec  celui  de  la  Balénoptère  de  la  Méditerranée,  crut  que  ce 
squelette  provenait  d'un  animal  qui.  fréquente  seul  la  mer  du 
Nord,  et  proposa  de  lui  donner  le  nom  de  Rorqual  du  Nord, 
par  opposition  au  Rorqual  qui  fréquente  la  Méditerranée. 

Lesson,  dans  son  histoire  naturelle  des  Cétacés  (1828),  admet 
les  trois  espèces  de  Cuvier,  et  donne  le  nom  de  Balœnoptera 
b&realis  au  Rorqual  du  Nord. 

C'est  ce  même  animal  que  Gray  proposa,  dans  le  Voyage 
d'Erebus  and  terror,  de  désigner  sous  le  nom  de  laticeps.  Ce 
nom  n'est  pas  heureux,  puisque  le  rostre  est  moins  large  que 
celui  des  autres  espèces  ;  mais  Gray  avait  en  vue  les  os  nasaux 
qui,  en  effet,  sont  plus  larges  que  dans  la  Balœnoptera  physalus, 
c'est-à-dire  du  Musculus.  On  se  figure  naturellement  que  le 
mot  laliceps  s'applique  à  l'ensemble  de  la  tête,  et  par  consé- 
quent au  rostre. 

Quelques  années  avant  sa  mort,  V.  Baer  m'écrivait  de  Dorpat 
(14-26  juin  18C>9)  :  «  Dans  votre  distribution  géographique  des  Balé- 
noptères, je  n'ai  pas  trouvé  l'espèce  qui  est  si  commune  au  cap 
Nord  et  au  nord  de  la  mer  Glaciale.  J'ai  rapporté  moi-même  à 
Saint-Pétersbourg  une  tête  de  cette  Balénoptère  h  travers  la 
Laponie.  Je  vais  la  faire  dessiner  et  vous  envoyer  le  dessin. 
Peut-être  connaîtrez-vous  l'espèce  d'après  le  dessin  ». 
Cette  tête  appartient  sans  aucun  doute  à  l'espèce  qui  nous 
Tome  XLI.  4 


(30) 

occupe;  malheureusement  je  n'ai  pas  reçu  le  dessin  que  V.  Baer 
me  promettait,  et  je  n'ai  pu  découvrir  la  tête  au  Musée  de  Saint- 
Pétersbourg.  Il  paraît  que  depuis  longtemps  l'espace  faisait 
défaut  dans  le  Musée  de  l'Académie,  et  les  pièces  de  grande 
dimension  recevaient  difficilement  une  place  convenable.  C'est 
ainsi  que  le  superbe  squelette  de  Balœnoptera  Sibbaldii,  connu 
sous  le  nom  de  Baleine  d'Ostende,  dont  un  magnat  avait  fait 
cadeau  à  l'Académie,  a  été  relégué  au  Jardin  zoologique,  où 
tout  est  exclusivement  organisé  pour  l'amusement  du  public. 

En  1876,  M,  Menge  a  fait  un  travail  sur  le  squelette  d'une 
femelle  échouée  le  23  août  1874  dans  la  baie  de  Dantzig;  il  la 
désigne  sous  le  nom  spécifique  de  laticeps.  M.  Menge  donne 
une  description  détaillée  du  squelette  et  accompagne  sa  notice 
de  quatre  photographies  représentant  fort  bien  le  squelette. 

Le  professeur  Zaddach  de  Kônigsberg  en  a  donné  une 
description  dans  les  Archives  de  Wiegmann,  avec  une  figure 
de  l'animal,  vu  de  profil  et  vu  en  dessous;  mais  il  ne  partage 
pas  l'avis  de  Menge,  qui  considère  cet  animal  comme  apparte- 
nant à  l'espèce  Borealis. 

A  propos  d'un  animal  capturé. dans  le  Firth  of  Forth,  le 
professeur  Sir  Turner  a  publié,  dans  les  Proc.  roy.  Soc<  d'Edim- 
bourg (1881-82),  un  mémoire  comprenant  la  partie  historique 
complète. 

Le  professeur  Flower  a  communiqué  a  la  Société  zoologique 
de  Londres  (20  novembre  1883)  des  observations  sur  une  Balœ- 
noptera borealis  capturée  en  novembre  1883  dans  Crouch-River 
(Essex)  *.  Le  savant  directeur  du  British  Muséum  a  publié  un 
dessin  du  sternum  de  cet  animal,  qui  présente  un  haut  intérêt. 
L'animal  est  encore  jeune.  Le  squelette  en  est  destiné  au  British 
Muséum. 

Une  nouvelle  capture  d'un  individu  de  cette  même  espèce  a 
été  faite,  en  septembre  1884,  sur  les  côtes  de  Lincolnshire  et,  en 
décembre  de  la  même  année,  un  mâle  a  été  pris  aux  Orcades. 

J.  Muller  avait  attiré  l'attention  sur  la  bifidité  de  la  première 

« 

1  Proc.  ZooL  Soc,  novembre  1883. 


(M  ) 

côte  du  squelette  de  Berlin,  disposition  à  laquelle  plus  tard  le. 
iy  Gray  avait  attaché  tant  d'importance.  On  peut  dire  que  danfl 
cette  espèce  la  première  côte  a  une  tendance  particulière  à 
devenir  double  ;  mais  on  ne  peut  pas  faire  un  caractère  spéci- 
fique de  cette  disposition  anormale  et  en  tout  cas  accidentelle. 
Nous  avons  montré  que,  dans  plusieurs  Cétacés,  la  côte  de  la 
septième  cervicale  correspond  avec  l'absence  de  l'apophyse 
transverse  inférieure  de  cette  vertèbre.  Le  professeur  Sir  Turner 
a  publié  une  notice  fort  intéressante  sur  ce  sujet  *. 

MM.  Chr.  Aurivillius  et  C.  Forsstrand  sont  allés,  pendant 
Tété  de  1877,  étudier  les  Cétacés  à  l'établissement  de  M.  Sven~ 
Foyn  ;  ils  en  ont  rapporté  beaucoup  de  matériaux. 

Celui  qui  a  le  plus  contribué  à  nous  faire  connaître  cette 
espèce,  c'est  M.  Guldberg,  conservateur  au  Musée  zootomique 
de  l'Université  de  Christiania.  M.  Guldberg  a  communiqué  à 
l'Académie  de  Bruxelles,  pendant  son  séjour  à  Liège  pour  y 
suivre  les  travaux  du  Laboratoire  de  zoologie,  une  notice,  ren- 
fermant plusieurs  observations  précieuses  qu'il  a  recueillies 
sur  les  côtes  de  Finmark,  pendant  les  mois  d'été  de  1883. 

M.  Guldberg  croit  que  c'est  seulement  en  1878  que  l'attention 
a  été  fixée  sur  la  Balœnoptera  borealis,  et  que  les  premiers 
travaux  sur  cette  espèce  n'ont  été  publiés  qu'en  1881.  Nous 
ferons  remarquer  que,  déjà  du  vivant  d'Eschricht,  notre  atten- 
tion a  été  fixée  sur  cette  Balénoptère  ;  Eschricht  m'avait  cédé 
un  squelette  vers  1838,  squelette  que  j'ai  abandonné  à  mon  tour 
à  M.  Du  Bus,  pour  le  Musée  royal  d'histoire  naturelle  de  Bel- 
gique s. 

Tandis  que  la  pèche  au  nord  de  la  Norwège  a  principalement 
en  vue  la  Balçmoptera  Sibbaldii,  elle  s'est  exercée  en  1889 


•  Cervical  ribs,  and  the  so-calUd  bicipital  ribs  in  man,  in  relation  to 
corresponding  structures  in  the  Cetacea.  Journal  of  An  atout  and  Physiç- 
logy,  vol.  XVII. 

9  Nous  avons  fait  mention,  en  1868,  de  ce  squelette,  a  cause  de  la  curieuse 
conformation  de  sa  première  côte,  Bullet.  de  CAcad.  royale  de  Belg.,  2«  série, 
L  XXVI,  1868. 


(  52) 

presque  exclusivement  sur  la  BcUœnoptera  borealis.  La  B.  Sib- 
baldii  n'y  a  paru  qu'en  fort  petit  nombre  cette  année.  On  a  cap- 
turé presque  exclusivement  des  Borealis,  et  un  établissementest 
aujourd'hui  érigea  Drammen,  par  la  Christiania  presaving  C°, 
pour  la  préparation  de  la  chair  de  cette  espèce  comme  aliment*. 
On  tire  également  partie  des  mandibules,  dont  on  fait  des 
aiguilles  à  tricoter. 

H.  Robert  Collett  a  publié,  en  1886,  un  travail  intéressant 
sur  les  caractères  extérieurs  de  la  Balœnoptera  borealis,  et 
a  accompagné  sa  Notice  de  deux  planches  représentant  le  mâle 
et  la  femelle  2. 

Après  l'exposé  des  caractères  extérieurs,  R.  Collett  décrit 
sommairement  les  caractères  distinctifs  des  quatre  espèces  de 
Balénoptères  qui  hantent  le  nord  de  l'Atlantique. 

Ce  travail  renferme  des  détails  fort  intéressants  sur  les  carac- 
tères distinctifs  propres  à  cette  espèce  ;  il  fait  connaître  ses 
parasites  et  ses  commensaux,  sa  capture,  ses  habitudes,  son 
âge  adulte  et  fœtal,  et  même  ses  monstruosités. 

SYNONYMIE. 

Balœiioplcra  borealis,  Lesson. 
Balœim  rosirai  a,  Rudolphi. 
Rorqual  du  Nord,  Cuvicr. 
SibbalUiui  laticcps,  Gray. 

Lanyrôr  ou  Saaiwa/U^cichva^Scje^CadwhaU^ildehvat,  îles  pécheurs 
fiamarkois. 

CARACTÈRES. 

Les  individus  qui  échouent  atteignent  communément  de  30 
a  40  pieds  ;  cette  dernière  longueur  est  même  rarement  atteinte. 


*  Les  Chinois  aiment  la  chair  des  Cétacés  a  fanons,  et  préfèrent  la  chair 
des  Baleines  véritables  a  celle  des  Balénoptères. 

*  On  thê  Exlernal  Char  acier  s  of  Rudolphi' s  Rorqual  (Balaenoptera  borea- 
lis). Paoc.  Zool.  Soc,  1886,  p.  243. 


(83) 

lies  fanons  sont  noirs  avec  les  barbes  blanches  et  soyeuses.  La 
nageoire  dorsale  est  élevée,  courbée  et  pointue.  La  nageoire 
pectorale  est  noire  à  sa  face  externe,  blanche  à  sa  face  interne, 
pointue  à  son  extrémité. 

En  1885,  on  a  fait  l'observation  que  les  nombreux  individus 
capturés  sur  les  côtes  de  Finmark,  ont  les  nageoires  pectorales 
noires  des  deux  côtés. 

Les  flancs  sont  couverts  de  taches  blanches  (spolted  with 
whité)  et  le  dessous  blanc  [with  a  faint  reddish  linge). 

Si  Ton  tient  compte  de  la  taille,  du  nombre  de  vertèbres 
(55  ou  56),  de  la  couleur  des  fanons,  de  la  forme  de  l'atlas  et 
des  autres  cervicales,  on  ne  peut  confondre  cette  espèce  avec 
aucune  autre  Balénoptère.  La  Balœnoptera  rostrata  a  quarante- 
huit  vertèbres,  les  fanons  jaunes,  et  ne  dépasse  guère  30  pieds; 
la  Balœnoptera  musculus  a  plus  de  40  pieds  et  a  toujours  les 
fanons  foncés  avec  des  stries  blanches,  et  près  de  soixante  ver- 
tèbres. La  Balœnoptera  Sibbaldii  a  plus  de  80  pieds,  des  fanons 
noirs  et  fort  larges  à  la  base. 

La  Balœnoptera  Schlegelii  des  îles  de  la  Sonde,  ainsi  que  la 
Balénoptère  qui  a  été  envoyée  du  Japon,  ont  si  bien  les  caractères 
de  notre  Balœnoptera  borealis,  que  MM.  Flower,  Turner  et 
Paul  Gervais  ont  été  frappés  tous  les  trois  de  cette  ressem- 
blance. 

R.  Collett  donne  la  mesure  en  longueur  de  divers  individus  : 
les  six  individus  qu'il  a  mesurés  ont  de  43  à  49  */2  pieds.  Il 
signale  môme  un  individu  de  la  longueur  de  52  pieds. 

Il  donne  de  35  à  37  pieds  aux  plus  petits  individus  qu'il  a 
vus  pendant  l'été  1885  sur  les  côtes  de  Finmark  (14.7  mètres). 

Le  squelette  de  Berlin  n'indique  qu'une  longueur  totale  de 
31  à  32  pieds;  celui  de  Leyde,  de  32,  comme  le  squelette  du 
cap  Nord,  qui  est  à  Bruxelles.  Sars  en  a  même  vu  aux  Iles 
Loffoden  dont  la  taille  varie  entre  20  et  30  pieds;  mais  ce  sont 
déjeunes  individus  *. 

1  G.  O.  Sar?,  Om  individuelle  variationer  hos  Rorhvalerne.  Vidensh.  Selsk. 
Forhandlinger  for  1868. 


H.  Flower  a  étudié  le  squelette  de  Leyde,  et  trouve  une  Ion* 
gueur  de  29.7  pieds,  en  ne  tenant  pas  compte  de  l'espace  inter- 
vertébral. Il  provient  de  Tanimal  capturé  au  Moniken-Dam  dans 
la  Zuyderzée. 

La  longueur  moyenne  des  individus  capturés  pendant  le  mois 
de  juin  sur  les  côtes  de  Finmark  en  1885,  était  de  45  pieds. 

Il  faut  conclure  de  cette  différence  détaille,  ou  qu'il  y  a  deux 
races,  quiprennent  peut-être  chacune  une  direction  différente, 
ou,  ce  qui  paraît  plus  probable,  que  les  individus  qui  viennent 
se  perdre  dans  la  mer  du  Mord,  sont  tous  jeunes. 

ORGANISATION. 

M.  Collett  a  compté  dans  une  femelle  adulte,  de  chaque  côté, 
le  long  de  la  mandibule,  onze  bulbes  pileux  avec  des  poils  de 
10  millimètres,  et  derrière  eux  encore  deux  autres,  ce  qui 
fait  vingt-six  en  tout. 

Dans  un  fœtus  de  4  */2  mètre,  il.  existait  de  nombreux  poils, 
mais  très  courts.  Dans  un  autre  fœtus  de  2.50  mètres,  les 
poils  formaient  trois  rangs  le  long  de  la  mandibule,  la  supé- 
rieure et  l'inférieure  comprenant  trois  poils,  celle  du  milieu, 
onze,  ensemble  dix-sept  poils  de  chaque  côlé. 

A  la  mâchoire  supérieure  d'un  fœtus,  il  n'y  avait  que  sept 
poils  placés  sur  un  rang,  les  deux  premiers  plus  éloignés  l'un 
de  l'autre  que  les  suivants. 

Les  fanons  de  l'animal  dont  le  squelette  est  à  Edimbourg  et 
qui  a  37  pieds  de  long,  were  black,  striped  ivith  grey  and  white, 
andthe  hairs  prqjecting  from  the  lower  free  border  were  greyisk 
white  (Turner). 

M.  Collett  a  publié  des  détails  fort  intéressants  sur  les  fanons 
qu'il  a  observés  sur  les  lieux  de  la  capture  de  ces  animaux. 

Les  deux  rangées  de  fanons  s'unissent  en  avant  sur  la  ligne 
médiane;  Gaimard  avait  déjà  figuré  cette  disposition. 

Les  fanons  sont  noirs  comme  ceux  de  Sibbaldii,  mais,  en 
dedans  et  en  avant,  ils  sont  d'un  jaune  pâle.  Les  barbes  sont 
extraordinairement  fines  et  toutes  blanches.  La  forme  des 


(  So) 

fanons,  surtout  des  derniers,  les  rapproche  de  ceil\  des  vraies 
Baleines  par  leur  longueur  et  leur  étroitesse  à  la  base.  A  ne 
considérer  que  les  fanons,  cette  espèce  se  trouverait  entre 
les  Baleines  et  les  Balénoptères. 

Les  fanons  frais  ont  une  couleur  jaunâtre  (horngelb),  dit 
Zaddach,  mais  desséchés,  ils  sont  en  partie  d'un  gris  bleuâtre 
et  même  noirs. 

Si  nous  passons  en  revue  les  os  du  squelette,  nous  remar- 
quons que  cette  espèce  se  distingue  par  la  largeur  des  os 
nasaux;  par  l'os  frontal,  qui  n'est  pas  plus  large  à  sa  base  qu'au- 
dessus  des  orbites;  par  les  vertèbres,  qui  sont  proportionnel- 
lement petites  et  au  nombre  de  cinquante-cinq  ou  cinquante- 
six;  par  les  os  en  général,  qui  sont  délicats  et  moins  spongieux 
que  dans  les  autres  espèces;  enfin  par  la  première  côte  qui  a, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit,  une  tendance  particulière  à  la 
bifidité.  Cette  observation,  faite  d'abord  par  J.  Muller,  a  con- 
duit plus  tard  le  docteur  Gray  à  établir  des  subdivisions  mul- 
tiples, tant  parmi  les  Baleines  que  parmi  les  Balénoptères. 

La  caisse  tympanique  a  la  plus  grande  ressemblance  avec 
celle  de  la  Balœnoptera  musculus,  en  différant  toutefois  par  sa 
forme  aplatie  et  par  ses  extrémités  pointues. 

L'individu  dont  parle  Zaddach  a  la  troisième  vertèbre  cervi- 
cale unie  à  la  quatrième;  ce  n'est  guère  que  dans  la  Balœnop- 
tera rostrata  que  l'on  a  vu  jusqu'à  présent  ces  coalescences. 

La  réunion  de  certaines  vertèbres  cervicales  a  été  observée 
également  par  Guldberg.  Par  cette  tendance  des  cervicales  à  la 
soudure,  comme  par  les  fanons,  celte  Balénoptère  se  rapproche 
des  vraies  Baleines. 

Dans  un  squelette  du  Musée  de  Leyde,  provenant  d'un  ani- 
mal échoué  près  du  Moniken-Dam  (Zuyderzée),  et  qui  a  été 
décrit  par  Schlegel,  nous  trouvons  la  colonne  vertébrale  divisée 
en  :  sept  cervicales;  treize  dorsales;  seize  lombaires,  et  vingt 
caudales;  en  tout  :  cinquante-six. 

Nous  avons  trouvé,  dans  l'exemplaire  qui  est  à  Bruxelles, 
à  droite,  une  côte  supplémentaire,  attachée  par  des  parties 
molles  à    la  première  côte  dorsale,  et  à  gauche,  une  côte 


1 


(56) 

soudée.  Le  squelette  provient  d'un  jeune  animal i  capturé  sur 
les  côtes  de  Finmark,  et  dont  les  ligaments  étaient  encore  tous 
en  place  au  moment  de  son  arrivée  à  Louvain. 

La  première  côte  est  également  bifide  des  deux  côtés  dans 
le  squelette  de  Leyde,  provenant  du  Moniken-Dam,  et  elle 
s'articule  avec  la  dernière  cervicale  et  la  première  dorsale. 

La  Balcenoptera  borealis,  de  la  côte  d'Essex  (1883),  a  la  pre- 
mière côte  bifide  des  deux  côtés,  une  partie  articulée  à  la  pre- 
mière dorsale,  Fautre  aux  apophyses  de  la  dernière  cervicale. 

La  bifidité  de  la  première  côte  a  été  reconnue  dans  presque 
tous  les  individus,  excepté  dans  celui  qui  a  été  décrit  par  le 
professeur  Sir  Turner  [Journ.  anat.  etphysiol.,  avril  1882). 

Le  squelette  de  Dantzig,  décrit  par  Menge  et  par  Zaddach, 
montre  une  petite  côte  rudimentaire  de  forme  triangulaire. 

M.  Flower  a  observé  sur  un  Tursiops  tursio  deux  côtes, 
chacune  de  52  millimètres  de  long,  articulées  aux  apophyses 
transverses  de  la  septième  cervicale. 

Nous  connaissons  aujourd'hui  le  sternum  de  quelques  sque- 
lettes, ainsi  que  les  dernières  vertèbres,  qui  manquaient  à  celui 
dont  nous  avons  donné  la  description  dans  notre  ostéographie. 

Le  sternum  est  élargi  comme  celui  du  Musctdus,  mais 
l'atlas  et  le  bassin  ont  des  caractères  particuliers  et  res- 
semblent beaucoup  à  l'atlas  et  au  Bassin  de  la  Balénoptère  de 
Scheveningen,  qui  est  au  Musée  royal  de  Bruxelles. 

Dans  le  squelette  de  Leyde,  le  sternum  est  plus  large  que 
long  et  affecte  la  forme  d'un  disque  à  contour  irrégulier. 

M.  Flower  a  publié  une  figure  intéressante  du  sternum  de 
l'animal  qui  a  échoué  en  1883  (Proc.  de  la  Société  zoologique 
de  Londres).  Il  est  petit,  en  partie  cartilagineux,  long  de 
7  pouces  et  un  peu  moins  large  que  long.  La  première  côte  de 
ce  squelette  est  également  biceps. 

Les  deux  os  du  bassin  ne  se  ressemblent  pas,  dit  Guldberg; 
celui  de  droite  à  0m,250  de  largeur  ;  fautre  est  renversé  en  S  et 
un  peu  tordu  ;  la  largeur  est  de  0n,,220. 

1  Bullet.  de  VAcad.  roy.  de  Belg.,  *'  série,  l.  XXVI,  pi.  I. 


(37) 

D'après  le  professeur  Slru  thers  Je  trapezoïde  du  carpe  manque 
dans  la  Balœnoptera  borealis,  tandis  qu'il  existe  dans  la  Balœ- 
nopterammculus  *. 

On  connaît  quelques  fœtus  de  cette  espèce.  En  1885,  le 
.28  juin,  on  a  trouvé  une  femelle  pleine  avec  un  fœtus  de 
3  Va  pieds  anglais  (Cocks). 

Le  marquis  de  Wavrin  a  rapporté  de  Vadsô,  en  1885,  trois 
fœtus,  un  de  lm,96,  un  aulrè  de  lm,87  et  un  troisième  de  lm,27. 

M.  Guldberg  fait  mention  de  quatorze  fœtus,  presque  tous 
recueillis  au  mois  de  juillet  ;  ils  ont  de  lm,550  à  3m,034. 

Si  l'on  en  juge  par  la  taille  des  adultes,  le  Baleineau  doit 
avoir  4  mètres  en  naissant. 

La  taille  moyenne  de  l'adulte  complètement  développé  est, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  de  15  mètres  environ. 

MOEURS. 

En  général  cette  espèce  est  rare  et,  dans  les  eaux  visitées  par 
les  Balénoptères,  on  n'en  trouve  qu'en  très  petit  nombre  au 
milieu  des  autres. 

Dans  les  individus  capturés  sur  les  côtes  de  Finmark,  on  a 
trouvé  l'estomac  plein  de  Crustacés,  comme  celui  de  la  grande 
espèce. 

Nous  supposons  qu  il  y  a  une  erreur  dans  l'observation  de 
l'individu  qui  aurait  renfermé  600  gades  (Dorsche). 

Il  se  nourrit,  comme  nous  l'avons  dit  déjà,  d'un  Thysano- 
pode  (Euphausia  inermis);  en  1885,  M.  Collett  n'a  trouvé  dans 
l'estomac  que  le  Copépode  connu  sous  le  nom  de  Calanus 
finmarchicus,  Mull. 

La  chair  de  cette  espèce  est  si  différente  de  celle  des  autres 
Balénoptères,  dit  M.  Guldberg,  qu'on  la  conserve  pour  la 
table;  il  y  a  une  pêche  particulière  près  du  cap  Nord  d'où  l'on 
expédie  la  chair  sous  forme  de  boudins.  Les  mandibules  sont 
travaillées  sur  les  lieux  en  aiguilles  à  tricoter,  dit  M.  Cocks. 

1  Beport,Brùtsh  Association,  1885,  p.  1056. 


(58) 


DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE. 

La  Seichwal  n'arrive  qu'en  juin  sur  les  côtes  de  Finmark» 
Le  meilleur  moment  de  la  pêche  de  cette  espèce  est  du  milieu 
de  juin  jusqu'à  la  première  moitié  de  juillet  (Guldberg). 

Plusieurs  baleiniers  assurent  qu'habituellement  elle  dispa- 
raît quand  les  autres  espèces  se  montrent. 

Le  dernier  individu  de  la  saison  exceptionnelle  de  1885  a 
été  tué  le  28  août.  Collett  dit  qu'on  en  a  vu  encore  le  8  sep- 
tembre. 

D'après  les  observations  recueillies  sur  les  lieux  de  la  pêche, 
cette  Balénoptère  fait  ordinairement  son  apparition  à  la  fin  du 
mois  de  mai,  à  la  distance  de  10  à  15  lieues  des  côtes  de 
Finmark,  et  n'entre  dans  les  baies  que  pendant  le  mois  de  juin 
et  de  juillet. 

Son  apparition  correspond  avec  celle  du  Gadusviretis,  ce  qui 
lui  a  fait  donner  le  nom  de  Seichval  (Guldberg). 

Elle  arrive  périodiquement  au  cap  Nord  venant  de  l'ouest, 
et,  jusqu'en  1885,  elle  n'avait  guère  dépassé  le  cap  Nord. 
Cette  année,  les  Balœnopkra  Sibbaldii  faisaient  défaut,  et 
les  Balœiioptera  borealis  sont  arrivées  en  grand  nombre, 
continuant  leur  route  jusqu'au  Varanger-Fiord. 

Malmgren  cite  cette  espèce  sur  les  côtes  ouest  du  Spitzberg 
et  à  la  Nouvelle-Zemble;  Brown  ne  croit  pas  à  sa  présence  sur 
la  côte  ouest  du  Groenland. 

Elle  fréquente  aussi  la  mer  Blanche.  L'illustre  V.  Baer  en  a 
envoyé  un  squelette  à  S'-Pétersbourg.  Dervon  Baermitgebrachte 
Schâdel  gehurt  Balaenoptera  Iaticeps  zu>  m'écrivait  Brandt,  le 
2  janvier  1872. 

M.  True  signale  la  présence  de  la  Balœiioptera  borealis,  sous 
le  nom  de  Iaticeps,  sur  les  côtes  des  Etats-Unis  d'Amérique. 

Le  capitaine  Scammon  distingue  trois  Balénoptères  dans  le 
Pacifique,  l'une  sous  le  nom  de  Balœiioptera  sulfureus,  c'est 
notre  grande  espèce,  la  Balœnoptera  Sibbaldii  ;  l'autre  la  Balœ- 


(  89) 

noptera  velifera,  est  bien  notre  Musculus,  et  sous  le  même  nom 
il  réunit  sans  doute  aussi  la  Borealis. 

La  troisième  espèce,  à  laquelle  il  donne  le  nom  de  Balœnop- 
tera Davidsonii  est  notre  Rostrata. 

La  Balœnoptera  borealis  est  également  représentée  dans  la 
mer  du  Japon.  Le  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris  en  a 
reçu  un  squelette  complet,  accompagné  de  ses  fanons. 

Le  Musée  de  Leyde  en  a  reçu  un  squelette  des  îles  de  la  Sonde. 
Il  a  été  rapporté  à  une  espèce  nouvelle  sous  le  nom  de  Balœ-. 
noptera  Schlegelii. 

M.  Flower,  en  étudiant  les  Cétacés  du  Musée  de  Leyde,  a  par- 
faitement reconnu  les  affinités  de  cette  nouvelle  espèce  avec  la 
Balœnoptera  borealis.  Si  ce  n'était  l'origine  de  ce  squelette,  je 
croirais  avoir  affaire  à  une  Balœnoptera  borealis,  dit-il.  Le  pro- 
fesseur sir  Turner  fait  remarquer  t\ue  les  côtes  de  ce  squelette 
des  Iles  de  la  Sonde  correspondent  à  celles  de  la  Balamoptera 
borealis. 

Paul  Gervais  avait  reconnu  également  que  le  squelette  du 
Muséum,  provenant  de  la  mer  du  Japon,  ressemble  beaucoup 
à  celui  de  Leyde,  connu  sous  le  nom  de  Balœnoptera  Schlegelii. 

Nous  ne  serions  pas  surpris  de  voir  un  des  squelettes,  envoyés 
de  l'île  Formose  par  le  consul  anglais,  M.  Swinhoe,  rapporté 
également  à  cette  espèce. 


Nous  venons  de  voir  que  pendant  longtemps  la  Balœnoptera 
borealis  ne  dépassait  pas  le  cap  Nord  ;  c'était  donc  ù  l'ouest 
qu'on  péchait  principalement  cette  espèce.  En  1885  c'est  la 
Balœnoptera  borealis  qui  a  été  le  plus  abondante  sur  toute  la 
côte  de  Finmark.  Les  baleiniers  prétendent  que  le  Crustacé  qui 
forme  la  pâture  ordinaire  des  Sibbaldii  faisait  défaut  cette 
année.  En  1883  il  y  avait  à  l'Ouest  cinq  baleiniers  qui  n'ont 
guère  capturé  que  des  Balœnoptera  borealis  ;  cette  même  année 
dix-neuf  baleiniers  ont  capturé  à  l'est  de  ces  mêmes  parages 
406  Balénoptères  de  différentes  espèces,  dont  60  Megaptera, 


(60) 

90  Borealis,  et  le  restant,  moitié  Balœnoptera  Sibbaldii  et  moitié 
Balœnoptera  musculus.  Le  nombre  le  plus  élevé  par  bateau  était 
de  40. 

Guldberg  pense  que  la  Borealis  est  plus  méridionale  que  les 
autres  espèces;  nous  pensons,  au  contraire,  que  les  Balœnoptera 
musculus  et  rostrata  sont  les  plus  méridionales  et  que  les  deux 
autres  sont  au  contraire  les  plus  boréales.  Les  Balœnoptera 
musculus  et  rostrata  sont  les  seules  espèces  que  l'on  ait  vues 
jusqu'à  présent  dans  la  Méditerranée. 

Ce  n'est  qu'en  4878  que  l'attention  des  baleiniers  fut  attirée 
sur  cette  espèce,  dit  Guldberg,  et  il  pense  que  c'est  en  1881 
que  les  premiers  exemplaires  furent  péchés. 

Depuis  1882,  on  en  a  pris  tous  les  ans  à  la  station  de  Sôrvâr 
(70°  */a  N.-E.),  près  de  Hammerfest. 

L'année  1884,  sur  35  Balénoptères  de  différentes  espèces, 
on  a  compté,  d'après  un  relevé,  3,  d'après  un  autre  relevé, 
5  Borealis. 

En  1885  leur  abondance  a  été  telle  qu'on  en  a  capturé  750, 
pendant  la  campagne  de  l'année  i  ;  pendant  le  mois  de  juin, 
on  en  a  capturé  jusqu'à  4  par  jour. 

M.  Guldberg  nous  apprend  que,  en  1886,  il  y  a  eu  peu  de 
Balœnoptera  borealis,  mais  plus  de  Balœnoptera  Sibbaldii  que 
Tannée  précédente.  On  a  pris  en  tQut  932  Balénoptères  et 
Mégaptères,  la  plupart  des  Balœnoptei'a  musculus. 


On  connaît  plusieurs  individus  qui  sont  venus  échouer  sur 
les  côtes  des  mers  d'Europe  :  un  des  premiers  dont  les  annales 
fassent  mention,  est  celui  qui  est  venu  à  la  côte  en  1811,  dans 
la  Zuyderzée,  près  de  Moniken-Dam,  et  dont  le  squelette  est 
conservé  au  Musée  de  Leyde.  Van  Breda  en  possédait  le  dessin» 


1  0.  H.  Coûts,  The  Finnwhah  fishery  of  18H5  on  the  Novth  europtan 
coart.  The  Zoologist,  april,  1886. 


(61  ) 

En  1816  un  autre  a  pénétré  également  dans  la  Zuyderzée. 

Le  21  février  1819,  une  Balénoptère  a  échoué  sur  la  côte  du 
Holstein  et  son  squelette  est  conservé  au  Musée  de  Berlin. 

Rudolphi  a  décrit  ce  squelette  sous  le  titre  :  Einige  anato- 
mische  Bemerkungen  ûber  Baigna  rostratà  * . 

C'est  cet  animal  que  Cuvier  a  regardé  ensuite  comme  Balé- 
noptère du  Nord  et  auquel  il  a  donné  le  nom  de  Rorqual  du 
Nord,  par  opposition  à  la  Balœnoplera  musculus,  qu'il  croyait 
propre  à  la  Méditerranée.  C'est  le  type  de  la  Balœnoptera 
borealis.  Les  individus  qui  se  sont  perdus  n'ont  guère  plus  de 
28  à  29  pieds  de  longueur,  mais  on  compte  au  moins  54  ver- 
tèbres. 

C'était  sans  doute  une  Balœnoptera  borealis  qui  est  venue 
échouer  près  de  Rugen  en  1825,  et  que  Rosenthal  a  nommée 
Rostratà  species  major. 

Le  5  avril  1826,  les  pêcheurs  de  Wyk-aan-Zee  trouvèrent  en 
mer,  flottant  à  une  lieue  de  la  côte,  le  corps  d'une  Balénoptère 
femelle,  dont  Schlegel  a  donné  une  description,  accompagnée 
de  deux  planches  représentant  ce  Cétacé,  vu  par  ses  trois 
faces  *. 

En  1840,  un  individu  a  été  capturé  à  Charmouth,  Dorsets- 
hire.  Était-ce  un  Borealis  ou  un  Musculus?  Le  squelette  est 
perdu. 

En  juin  1861,  à  l'ouest  de  Finmark,  dans  Altenfiord,  un 
individu  de  30  pieds  a  échoué  ;  son  squelette  est  au  Musée  de 
Bergen. 

Entre  Bidart  et  Biarritz  (Basses-Pyrénées),  un  jeune  mâle  de 
7  à  8  mètres  a  échoué  le  29  juillet  1874.  Son  squelette  est  con- 
servé au  Musée  de  Bayonne  3. 

Près  de  Bergen,  dans  Skogsvaag,  a  échoué  en  juillet  1883  un 


1  Mém.  de  l'Acad.  des  sciences  de  Berlin,  18  ,0/tl. 

•  Schlegel,  Verhandeling  over  eenen,  in  het  jaar  f82€t  aan  de  Noord- 
hollandsche  kust  gestranden  vinvisch. 

1  Fischer,  Comptes  rendus  de  CAcad.  des  se,  décembre  1876.  —  Revue 
scientifique,  janvier  1877,  p.  688. 


.  (62) 

animal,  apparemment  de  cette  espèce,  dont  le  squelette  n'a  pas 
été  préparé  *. 

Le  professeur  Sars  fait  mention  d'une  Balénoptère  de  cette 
espèce,  ayant  30  pieds  de  long,  et  qui  s'est  fait  capturer  le 
15  juin  1863  aux  îles  Loffoden  2. 

Dans  ces  dernières  années,  trois  individus  ont  été  capturés 
sur  les  côtes  d'Angleterre  ;  le  premier  dans  le  Firth  of  Forth 
en  septembre  1872;  son  squelette  est  conservé  au  Musée  anato- 
mique  de  l'Université  d'Edimbourg. 

En  novembre  1883  une  autre  capture  est  faite  sur  les  côtes 
d'Essex;  M.  Flower  en  a  fait  part  à  la  Société  zoologique  de 
Londres.  Le  squelette  a  été  acheté  pour  le  British  Muséum  3. 

On  vient  devoir  échouer  au  mois  de  septembre  dernier  (1884) 
un  autre  individu  sur  les  côtes  de  Lincolnshire,  et  dont  le 
squelette  est  destiné  à  un  jtfusée  d'Australie. 

En  septembre  1884,  on  en  a  vu  périr  un  à  l'embouchure  du 
Humber. 

Un  mule  de  36  pieds  a  été  capturé  en  décembre,  également 
en  1884,  dans  la  baie  de  Widewall  (Orcades).  Le  squelette  a  été 
exhibé  à  l'Association  Britannique  de  1886,  à  Aberdeen  •*. 
-  Le  23  août  1874  a  péri,  dans  la  baie  de  Dantzig,  une  Balé- 
noptère dont  M.  Menge  a  fait  connaître  le  squelette.  Du  17  au 
18  août  on  avait  vu  l'animal  dans  la  baie;  les  trois  derniers 
coups  de  lance,  donnés  dans  les  poumons,  le  foie  et  l'estomac, 
l'ont  achevé.  M.  Menge  a  accompagné  sa  notice  de  quatre 
photographies,  représentant  le  squelette  complet  et  les  divers 
os  séparément.  La  longueur  est  de  34  pieds  10  pouces.  Il  reste 
aux  yeux  de  quelques  naturalistes,  des  doutes  sur  la  nature 
de  cette  Balénoptère. 

•  Nous  trouvons  aussi  quelques  exemples  de  captures  faites  de 
l'autre  côté  de  l'Atlantique.  Dans  la  baie  de  Mob  Jack  (Virginie), 

-'  Lettre  de  Roren  à  Lilljeborg. 

*  Fieskrivelse  ....  ,  p.  25. 

•*  Proc.Zool.Soc.,  novembre  1883. 

*  Report  ofthe  british  Association,  1886,  p.  1053. 


(63) 

en  mai  1866,  on  a  pris  un  Hysticète  qu'on  a  désigné  sous  le  nom 
de  Sibbaldius  tuberosus,  et  qui  paraît  appartenir  à  cette  espèce. 
Je  crois  que  les  os  en  sont  conservés  au  Musée  de  Philadel- 
phie. L'animal  a  été  décrit  par  le  professeur  Taliaferro.  M.  Cope 
croit  que  ce  Cétacé  est  une  Balœnoptera  de  l'espèce  qui  nous 
occupe  *. 

MUSÉES. 

Le  squelette  de  cette  espèce  était  encore  excessivement  rare, 
il  y  a  quelques  années  ;  il  sera  bientôt  aussi  répandu  que  celui 
de  la  petite  espèce,  grâce  à  la  pêche  des  Balénoptères  sur  les 
côtes  de  Finmark  et  de  leur  extrême  abondance  pendant  l'été 
de  1885. 

La  tête  de  Balœnoptera,  rapportée  par  v.  Baer  de  la  mer 
Blanche  pour  le  musée  de  Sl-Pétersbourg,  appartient,  d'après 
le  Dr  Brandt,  à  la  Balœnoptera  borealis. 

Le  Musée  de  l'Université  de  Berlin  possède  depuis  long- 
temps le  seul  squelette  connu,  provenant  de  l'individu  échoué 
en  1819  sur  les  côtes  du  Holstein  et  décrit  par  Rudolphi. 

Le  Musée  de  Leyde  possède  le  squelette  de  l'animal  échoué 
à  Moniken-Dam.  On  fait  aussi  mention  d'un  squelette  au  Musée 
de  Leyde,  provenant  d'un  jeune  individu  échoué  dans  la  Zuyder- 
zée,  vers  1816,  et  qui  a  été  acheté  par  un  marchand  d'huile 
d'Amsterdam.  Les  deux  apophyses  transverses  de  l'axis  ne  sont 
pas  jointes.  La  première  côte  est  biceps.  Les  caractères  de  ce 
squelette  ont  été  donnés  par  le  professeur  W.  Flower  *. 

Le  Musée  de  Bergen  possède  deux  squelettes,  un  des  fies 
Loffoden,  donné  par  le  Dr  Daniellsen,  l'autre  d'un  animal 
échoué  dans  le  voisinage  de  Bergen,  en  juillet  1863. 

Le  Musée  royal  de  Bruxelles  a  fait  l'acquisition  d'un  sque- 
lette préparé  au  cap  Nord  et  que  Eschricht  nous  avait  cédé. 

* 

1  Proceed. .....  Acad.,  1866,  p.  8. 

1  Traduction  du  mémoire  de  Lilljeborg  sur. les  Célacés  des  côtes  Scandi- 
naves. 


(64) 

Nous  avons  vu,  au  Mu6ée  anatomique  d'Edimbourg,  des 
ossements  fort  intéressants  d'un  animal  capturé  dans  le  Firth 
of  Forth. 

Le  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens  à  Londres  ren- 
ferme divers  os  d'un  animal  de  taille  ordinaire,  provenant  des 
côtes  d'Angleterre;  parmi  eux  nous  avons  remarqué  une  pre- 
mière côte  bifurquée,  fort  large,  du  côté  du  sternum  surtout, 
ainsi  qu'un  atlas  et  un  axis  provenant  d'un  animal  bien 
adulte. 

Au  British  Muséum  on  conserve  le  squelette  de  l'animal  qui 
a  été  capturé  dans  la  rivière  Crouch,  en  1883  i. 

Si  je  suis  bien  informé,  le  squelette  de  l'animal  capturé  vers 
la  môme  époque,  également  sur  les  côtes  est  d'Angleterre,  a 
été  acheté  pour  un  musée  d'Australie. 

Le  Musée  de  Leyde  possède  un  squelette  envoyé  de  Java  et 
que  M.  Flower  n'aurait  pas  hésité  à  rattacher  à  l'espèce  qui 
nous  occupe,  s'il  ne  venait  pas  de  ces  parages.  Il  est  connu 
sous  le  nom  de  Balœnoptera  Sehlegelii. 

Le  Muséum  de  Paris  a  reçu  un  squelette  du  Japon  qui  se 
rapproche,  par  tous  les  caractères  tirés  des  os,  de  la  Balœnop- 
tera qu'on  a  nommée  Sehlegelii.  Il  a  de  11  à  12  mètres  de 
longueur,  et  la  tête  a  la  même  dimension  que  celle  de  notre 
Balœnoptera  borealis. 

Au  Musée  de  Christania,  M.  Guldberg  a  déposé  un  fœtus  de 
l*,3oS,  dont  il  a  donné  la  description  dans  les  Bulletins  de 
l'Académie  de  Bruxelles  (janv.  1884). 

Le  même  Musée  renferme  un  crâne,  une  omoplate,  une 
troisième  cervicale,  les  os  du  bassin,  l'os  tympanique. 

M.  Guldberg  est  en  possession  des  trois  premières  cervicales 
d'un  animal  très  vieux,  capturé  près  du  cap  Nord  (Fu fjord).  Ces 
trois  vertèbres  sont  soudées  par  leur  bord  inférieur,  tout  en 
laissant  un  certain  espace  entre  le  corps  des  vertèbres. 

Nous  trouvons  un  squelette  complet  au  Musée  de  Dantzig 

*  List  of  Ihe  spécimens  of  Cetacea  in  the  Zoologicul  de  part  ment  of  the 
British  Muséum.  Londoo,  1885. 


(  68  ) 

dont  le  crâne  est  photographié.  Il  provient  d'un  animal  échoué 
dans  la  Baltique. 

À  Bayonne  on  trouve  le  squelette  de  l'animal  capturé  à 
Biarritz,  en  juillet  1874;  il  a  été  signalé  par  le  Dr  Fischer  *. 

M.  Gerrard,  à  Londres,  est,  au  moment  de  mettre  cette  page 
sous  presse,  en  possession  d'un  squelette  provenant  d'un 
animal  qui  a  échoué  dans  la  Tamise,  près  de  Tilbury,  au  mois 
d'octobre  dernier  (1887). 

Le  Musée  de  Cherbourg  est  en  possession  de  sept  fenons 
d'un  animal  de  cette  espèce,  que  je  croyais  d'abord  devoir  rap- 
porter à  la  Balœnoptera  Sibbaldii  à  cause  de  leur  couleur 
noire  luisante;  je  n'avais  pas  remarqué  d'abord  les  barbes 
blanches.  On  ne  connaît  rien  de  positif  sur  leur  origine. 
Peut-être  ont  ils  été  apportés  par  un  des  navires  de  l'État, 
qu'on  envoie  au  Nord  protéger  la  pêche  d'Islande  :  la  corvette 
La  Recherche  a  été  envoyée  en  1834  à  la  recherche  du  brig 
La  Lilloise. 

Plusieurs  Musées  du  Nord  ont  des  fanons  de  cette  espèce; 
nous  en  avons  à  Louvain  d'un  jeune  animal  et  d'un  animal 
adulte  que  nous  devons  à  M.  Guldberg,  et  nous  en  possédions 
un  depuis  longtemps,  qui  nous  avait  été  envoyé  par  le  capi- 
taine Jouan. 

DESSINS. 

Cette  espèce  a  été  rarement  représentée;  nous  en  trouvons 
un  dessin  dans  Brandt,  Medicinische  Zoologie  (1837-1834), 
planche  XV,  figure  3,  dessin  qui  a  été  exécuté  par  Von  Mathiesen 
en  1819,  à  Hambourg,  d'après  l'animal  échoué  sur  les  côtes 
du  Holstein;  le  squelette  est  au  Musée  de  l'Université  de 
Berlin.  C'est  la  même  Balénoptère  qui  a  été  décrite  par 
Rudolphi  et  que  Cuvier  avait  confondue  avec  les  autres  espèces 
sous  le  nom  de  Balénoptère  du  Nord. 

1  Comptes  rendus,  27  décembre  4876,  et  Journal  de  Zoologie,  vol.  V, 
p.  463. 1876. 

Tome  XLI.  5 


(66) 

Le  professeur  Van  Breda  possédait  le  dessin  de  l'animal  qui 
a  été  capturé  en  1811  dans  la  Zuider-Zee.  Nous  ne  savons  entre 
les  mains  de  qui  il  se  trouve  aujourd'hui. 

Le  Dr  Fischer  a  publié  un  croquis,  fait  par  MM.  de  Folin  et 
E.  Moreau,  d'un  jeune  mâle  qui  est  venu  à  la  côte,  entre  Bidart 
et  Biarritz  (Basses-Pyrénées),  en  1874. 

Sars  en  a  publié  un  dessin  d'après  un  animal  des  îles 
Loffoden. 

Le  Dr  Guldberg  m'a  montré  un  dessin  fait  grossièrement  sur 
place  au  cap  Nord  ;  il  reproduit  la  forme  du  corps,  mais  sans 
la  queue. 

R.  Collett  vient  de  publier  un  beau  dessin  du  mâle  et  de  la 
femelle  encore  en  chair. 

L'individu  échoué  dernièrement  dans  la  Tamise  a  été  pho- 
tographié. 

Le  squelette  et  la  tête  surtout  ont  été  dessinés  plusieurs  fois. 
Nous  trouvons  d'abord  l'un  et  l'autre  dans  le  Mémoire  de 
Rudolphi,  et  Cuvier  n'a  fait  que  reproduire  le  dessin  de  la  tête, 
dans  ses  Recherches  sur  les  ossements  fossiles. 

Brandt  et  Ratzeburgont  ensuite  reproduit  le  dessin  du  sque- 
lette de  cette  espèce,  comme  plus  tard  Pander  et  d'Alton. 

La  même  tête  avec  la  première  côte  ont  été  reproduites 
encore  par  Gray  et  plusieurs  autres  naturalistes. 

Nous  avons  inséré  un  dessin  du  squelette  dans  l'Ostéogra- 
phie  que  nous  avons  publiée  avec  la  collaboration  de  Paul 
Gervais,  planche  X  et  XI,  sous  le  nom  de  Balœnoptera  latweps. 

PARASITES. 

Les  fanons,  surtout  ceux  du  milieu,  se  couvrent  de  Crustacés 
Copépodes  en  prodigieuse  quantité.  On  trouve  d'un  côté  des 
jeunes  en  voie  de  développement,  et  de  l'autre  côté  des  adultes, 
parmi  lesquels  nous  avons  vu  des  femelles  portant  leurs  œufs 
dans  des  ovisacs  de  forme  ovale.  Ce  parasite  ou,  pour  mieux 
dire,  ce  commensal,  puisqu'il  ne  peut  se  nourrir  aux  dépens 


(67  ) 

de  son  hôte,  a  été  décrit  et  figuré  dans  les  Mémoires  de  l'Aca- 
démie de  Stockholm  (1879) sous,  le  nom  de  Balœnophyllus  uni- 
setus,  par  M.  Aurivillius.  Nous  l'avons  trouvé  en  abondance 
sur  des  fanons  que  M.  Guldberg  a  bien  voulu  nous  donner. 

Ce  même  BaUmophyllus  vit  aussi  sur  les  fanons  de  la  Balœ- 
noptera  Sibbaldii. 

M.  R.  Collett  a  trouvé  dans  l'intestin  de  tous  les  individus 
qu'il  a  ouverts,  des  milliers  d'Échinorhynques,  qu'il  rapporte 
à  deux  espèces  différentes  :  l'une  à  YEchinorhyneus  porrigens, 
l'autre  à  une  espèce  voisine  de  YEchinorhyneus  brevicollis, 
décrite  par  Malm  en  1867.  H.  Collett  suppose  que  ce  dernier 
Échinorhyncus  est  nouveau,  qu'il  est  introduit  par  une  pâture 
que  la  Balénoptère  prend  dans  une  autre  saison  et  probable- 
ment dans  d'autres  parages.  M.  R.  Collett  lui  donne  le  nom 
de  Echinorhyncus  ruber;  il  publie  une  bonne  figure  de  l'animal, 
de  grandeur  naturelle,  et  du  rostre  grossi. 

M.  le  marquis  de  Wavrin  a  arraché  de  la  peau  d'une  Balœ- 
noptera  fraîchement  capturée  sur  la  côte  de  Finmark,  que 
nous  supposons  être  la  borealis,  un  parasite  qui  ne  peut  être 
qu'une  Penella,  d'après  la  description  qu'il  nous  en  a  donnée. 


BAUENOPTERA  MUSCULUS. 


LITTÉRATURE. 

▼an  Beneden,  Notice  sur  une  Baleine  prise  près  de  l'ile  Vlieland,  et 
dont  le  squelette  est  monté  au  Jardin  royal  de  zoologie  d'envers.  Bull  et. 

DB  L'A  CAD.   ROYALE  DE  BELGIQUE,  t.  XXIV,  1857. 


C&ervala,  Sur  la  Baleine  de  la  Méditerranée.  Bullet.  de  l'Acad. 

ROYALE  DE  BELGIQUE,  2«  série,  t.  XIV. 

Dr  Mûrie,  On  the  anatomy  of  Physalus  antiquorum.  Procbbd.  Zool. 
Soc,  4865,  p.  306. 

W.  H.  Flower,  Observations  upon  a  Fin-whale( Physalus  antiquorum, 
Gray)  recently  stranded  in  Pevensey  Bay.  Proc.  Zool.  Soc.  of  London, 
novembre  4865, 

G.  a.  Sara,  Beskrivelse  afen  vtd  Lofoten  indbjœrget  Rohrvnl  Balce- 
noplera  musculus.  Sobrskilt  aftrykt  af  Vid-Sblskabets  Forhandlinger 
for  1865. 

Chev.  Prof.  v.  Diorfo,  //  Cetaceo  di  S.  marinella.  Atti  dell'  Accadbmia 

PONTIFICA  DBI  NUOVI  LINCBI,  4866. 

Malin,  Omelt  iZoologiska  Rictomuseum  Skelett  af  Balœnoptera  mus- 
culus frân  Finmarken.  Ofvbrsigt  af  Kongl.  Vetensk.  Akad.  FÔrhandl., 
4868. 

W.  n.  Plower,  notes  on  four  spécimens  of  thecommon  Fin-Whale 
(Physalus  antiquorum,  Gray;  Balœnoptera  musculus,  Auct.),  stranded 
on  the  south  coast  of  England.  Proc.  Zool.  Soc.  of  London,  december 
4869. 


(70) 

Doftmet-Adaaaon,  Note  sur  le  Rorqual*  capluré  aux  environs  de 
Palavas,  le  23  septembre  4870.  Ann.  Soc.  d'horticulture  bt  d'hist.  mat. 
de  l'Hérault,  Montpellier,  4870. 

V«n  Beneden,  Mémoire  sur  une  Balénoptère,  capturée  dans  l'Escaut. 
Mém.  Acao.  royale  de  Belgique,  1871. 

Thoni.  Dwlght,  Description  of  the  Balœnoptera  musculos.  Mem.  on 
tbe  Boston  Society  of  natur.  history,  toI.  II,  part.  II,  n°  1 1,  4871. 

Frled.  Braeadgam,  Einige  Zoologisch-Zoolomische  Beitrâge  zur 
Walthierkunde.  Inaug.  Dissertation,  Berlin,  4874. 


i,  Une  nouvelle  Balœnoptera  rostrala  dans  la  Méditer- 
ranée. Bulletin  di  l'Académie,  t.  VIII,  4884. 

Ytc»  de  I<a*e,  Histoire  de  la  Balœnoptera  musculus,  échouée  sur  la 
plage  de  Langrune.  Archives  de  Zoologie  expérimentale,  4886. 


(71  ) 


HISTORIQUE. 

La  Balœnoptera  musculus  est  la  Balénoptère  la  plus  com- 
mune :  elle  échoue  sur  les  côtes  d'Europe  depuis  la  Laponie 
jusqu'au  fond  de  la  Méditerranée.  Elle  est  aussi  la  plus 
anciennement  connue  :  Aristote  parle  d'elle  sous  le  nom  de 
Mysticetus;  il  lui  met  dans  la  bouche  des  poils  qui  rappellent, 
dit-il,  les  soies  du  porc,  ce  qui  ne  peut  s'appliquer  qu'à  un 
Cétacé  à  fanons. 

Pline  cite  les  paroles  d'Aristote  et  donne  à  l'animal  le  nom 
de  Musculus,  nom  que  cette  espèce  porte  généralement  aujour- 
d'hui. 

Dans  son  Systema  naturœ,  Linnë  a  réuni  les  observations 
faites  sur  ces  animaux  tant  par  les  naturalistes  que  par  les 
baleiniers  et  les  voyageurs.  Mais  comme  on  ne  possédait  point 
de  squelettes  dans  les  Musées  et  que  les  descriptions  laissaient 
beaucoup  à  désirer  sous  le  rapport  de  l'exactitude,  il  n'est  pas 
possible  de  dire  si  le  naturaliste  suédois  a  appliqué  le  nom  de 
Musculus  à  l'espèce  de  Balénoptère  qui  nous  occupe.  D'ailleurs, 
si  Linné  s'était  rendu  au  Groenland,  il  aurait  eu  de  la  peine  à 
reconnaître  lui-même  les  animaux  auxquels  il  avait  donné  des 
noms. 

Un  élève  de  Linné,  Fabricius,  a  eu  l'occasion  d'étudier  les 
Cétacés  qui  vivent  sur  les  côtes  de  Groenland  ;  mais  trop  con- 
fiant dans  la  science  de  son  maître,  il  a  voulu  se  servir  des 
noms  linnéens  pour  désigner  les  animaux  qu'il  connaissait.  Il 
en  est  résulté  une  certaine  confusion,  qui  heureusement  touche 
à  son  terme.  On  connaît  aujourd'hui  positivement  les  espèces 
que  Fabricius  a  dû  voir  sur  place  ;  mais  on  est  loin  d'être 
d'accord  sur  celles  que  Linné  n'a  connues  que  par  des  descrip- 
tions incomplètes  et  souvent  erronées. 

Ce  qui  montre  combien  nos  connaissances  sur  la  structure 
des  Cétacés  étaient  peu  avancées,  c'est  que,  en  1835,  Vrolik 
disait,  dans  sa  Notice  sur  l'anatomie  d'une  Balénoptère,  «  si  on 


(72) 

examine  attentivement  les  ouvrages  antérieurs  de  HunUr,  de 
Camper  et  de  Cuvier,  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  que  tout  notre 
savoir  ne  va  guère  plus  loin  que  le  squelette,  le  larynx,  l'œil  et 
f oreille.  »  Ce  sont  en  effet  les  parties  que  Pierre  Camper  avait 
étudiées. 

Les  naturalistes  sont  d'accord  aujourd'hui  pour  conserver  le 
nom  de  Musculus  à  l'espèce  de  Balénoptère  qui  atteint  une 
longueur  moyenne  de  (îO  pieds,  qui  a  les  fanons  d'un  gris  ver- 
dâtre,  rayés  de  blanc,  soixante-deux  vertèbres,  un  sternum 
court  et  large  en  avant,  et  dont  le  fœtus  à  terme  atteint  le  quart 
de  la  longueur  de  la  mère. 

C'est  le  Cétacé  à  fanons  qui  pénètre  le  plus  souvent  dans  la 
Méditerranée. 

Ce  n'est  que  depuis  peu  que  l'on  connaît  deux  exemplaires 
de  Balœnoptera  rostrata,  un  de  Balœna  biscayensis  et  un  de 
Megaptera  boops,  qui  ont  pénétré  accidentellement  dans  cette 
mer  intérieure,  tandis  que  la  Balœnoptera  musculus  y  est  assez 
fréquente,  au  point  que  Cuvier  la  croyait  propre  à  la  Méditer- 
ranée; aussi,  pour  le  grand  naturaliste  du  Muséum,  c'était 
le  Rorqual  de  la  Méditerranée,  tandis  que  les  autres  espèces 
n'étaient  que  des  Ages  différents  du  Rorqual  de  la  mer  du 
Nord. 

Nous  l'avons  déjà  répété,  toutes  les  Balénoptères  qui  pénè- 
trent dans  les  mers  intérieures  d'Europe  sont  propres  à 
l'Atlantique,  et  nous  pouvons  même  ajouter  à  l'Atlantique 
septentrionale. 

Il  est  vrai,  on  a  capturé  dans  ces  derniers  temps  un  Musculus 
assez  jeune  (5™.  25)  pour  supposer  qu'il  est  né  dans  la  Médi- 
terranée; mais  quand  cela  serait  vrai,  il  n'est  pas  démontré 
que  ce  n'est  pas  une  mère  grosse,  qui,  approchant  des  côtes 
pour  chercher  une  baie  propice  à  la  parturition,  a  pénétré 
accidentellement  par.  le  détroit  de  Gibraltar  et  dont  le  balei- 
neau à  peine  né  a  été  capturé. 

On  a  d'ailleurs  capturé  dans  la  Méditerranée  d'autres  femelles 
accompagnées  de  leur  baleineau  ou  qui  y  ont  mis  bas. 
En  1883,  on  en  a  vu  une  avec  son  jeune,  au  Nord-Ouest  du 


(73) 

eap  de  Creux,  et  le  3  septembre  4870  une  femelle,  presque  à 
terme,  a  été  capturée  sur  les  côtes  du  département  de  l'Hérault. 

On  cite  encore  la  capture  d'une  autre  femelle  accompagnée 
d'un  Baleineau  de  6  mètres. 

Sur  la  plage  de  Monte-Rosso  une  femelle,  en  état  de  gestation, 
a  été  trouvée  morte  en  1878. 

La  taille  des  deux  baleineaux  (5™.  25  et  6m.)  indique  à  peu 
près  leur  âge  :  le  jeune  musculus  a  tout  au  plus  5  mètres  en 
venant  au  monde. 

Schlegel  a  publié  différents  mémoires  sur  les  animaux  qui 
nous  occupent;  pour  le  directeur  du  Musée  de  Leyde,  il  n'y 
avait  qu'une  Balénoptère  pour  tout  l'hémisphère  arctique,  et  la 
Megaptera  du  Japon  passait  pour  la  Balénoptère  antarctique  ; 
il  n'y  avait  également  pour  lui  qu'une  seule  espèce  de  Baleine 
dans  chaque  hémisphère. 

Lorsqu'en  1834,  Paul  Gaimard  rapporta  de  son  voyage  en 
Islande  quelques  caisses  tympaniques  de  Balénoptères,  il  ne 
nous  fut  pas  difficile  de  reconnaître  l'identité  de  ces  os  avec 
ceux  de  la  Balénoptère  qui  fréquente  la  Méditerranée;  confiant 
dans  la  science  de  Cuvier,  le  Rorqual  s'étend,  disions-nous, 
jusqu'en  Islande,  tandis  qu'en  réalité  cette  espèce  est  un 
animal  boréal  qui  va  se  perdre  quelquefois  dans  cette  mer. 

Ce  n'est  pas  moins  Cuvier  qui  a  établi  la  cétologie  sur  sa 
véritable  base,  en  n'admettant  que  ce  que  les  squelettes  ou  les 
crânes  connus  lui  avaient  appris;  et,  de  son  côté,  Holbôll, 
gouverneur  du  Groenland,  faisait  des  observations  sur  les 
Cétacés  qui  fréquentent  ces  côtes;  il  recueillait  en  même  temps 
tout  ce  que  les  pêcheurs  lui  rapportaient,  et  envoyait  à  son 
ami  Eschricht  squelette,  fœtus  et  toutes  les  parties  qui  pou- 
vaient être  conservées.  11  existe,  en  dehors  des  Baleines,  cinq 
espèces  de  Cétacés  à  fanons,  disait  Holbôll  ;  une  est  connue 
aujourd'hui  sous  le  nom  de  Megaptera,  et  les  quatre  autres  sont 
les  Balénoptères  des  naturalistes  actuels.  Celle  qui  nous  occupe 
était  connue  des  pêcheurs  sous  le  nom  de  Kqwrkarnak. 

Eschricht  a  mis  à  profit  tous  ces  matériaux,  et  on  peut  dire 
que  c'est  lui  qui  a  fondé  la  Cétologie  des  naturalistes. 


(  74) 

Le  professeur  0.  G.  Sars,  de  son  côté,  a  beaucoup  contribué 
à  étendre  nos  connaissances  sur  ces  animaux;  ayant  passé 
plusieurs  années  aux  Iles  Loffoden,  il  a  fait  des  observations 
intéressantes  sur  la  Balœnoptera  musculus,  comme  sur  les 
autres  espèces,  et  il  a  comparé  avec  soin  les  divers  os  de 
leurs  squelettes.  Son  travail  spécial  sur  la  Balœnoptera  musculus 
est  accompagné  de  trois  planches  qui  reproduisent  fidèlement 
leurs  caractères  extérieurs. 

Le  professeur  de  Christiania  a  publié  ensuite,  en  1868,  une 
notice  sur  les  variations  des  Balénoptères,  une  autre  en  1874 
sur  la  Balœnoptera  Sibbaldii,  en  1878  une  nouvelle  sur  les 
caractères  des  diverses  espèces  de  ce  genre. 

Le  professeur  Flower  a  beaucoup  contribué  à  faire  connaître 
l'espèce  qui  nous  occupe,  en  publiant  divers  mémoires,  parmi 
lesquels  nous  pouvons  citer  surtout  celui  qui  a  pour  objet 
l'individu  qui  a  péri  dans  la  baie  de  Pevensay  (Sussex)  en  1865. 
C'était  un  mâle  de  67  pieds  de  longueur,  dont  l'état  de 
conservation  laissait  beaucoup  à  désirer.  C'est  dans  ce  cadavre 
que  le  directeur  du  British  Muséum  a  reconnu  la  véritable 
composition  du  bassin  des  Balénoptères.  Le  savant  directeur 
du  British  Muséum  a  eu  l'occasion  d'étudier  également  deux 
autres  individus  capturés,  l'un  à  Margate,  l'autre  à  Falmouth,  et 
le  superbe  squelette  conservé  à  l'Ile  de  Wight  (Blac  Gang  Chine) 
provenant  d'un  animal  échoué  près  de  Ventnor. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  cette  espèce,  comme  nous  venons  de 
le  voir;  on  a  donné  des  détails  sur  son  organisation;  on  s'est 
occupé  de  ses  caractères  extérieurs,  du  nom  qu'elle  doit 
porter,  des  parages  qu'elle  fréquente,  des  lieux  où  des  indi- 
vidus sont  venus  échouer;  mais  ce  n'est  que  depuis  la  pêche 
des  Balénoptères,  organisée  sur  une  grande  échelle  sur  les 
côtes  de  Finmark,  que  Ton  a  commencé  à  la  reconnaître  défi- 
nitivement. 

Parmi  les  auteurs  qui  ont  le  plus  contribué  à  éclaircir 
l'histoire  de  cette  espèce,  nous  devons  citer,  par  ordre  de  date, 
Knox,  Schlegel,  Vrolik,  Eschricht,  Flower,  Sars,  et,  dans  ces 
derniers  temps,  Yves  Delage  et  Guldberg. 


(  75) 

SYNONYMIE. 

Cette  Balénoptère  a  été  désignée  sous  un  grand  nombre 
de  noms,  et  il  y  a  lieu  d'espérer  que  le  nom  de  Balœnoptera 
musculus  lui  restera. 

Nous  croyons  que  la  science  n'a  rien  a  gagner  à  former  une 
liste  complète  de  tous  les  synonymes  ;  il  est  préférable,  pensons- 
nous,  de  faire  un  choix  et  de  ne  donner  des  synonymes  que 
pour  éviter  la  confusion. 

Mysticetus,  Aristolc 

Musculus y  Pline. 

Rorqual  de  la  Méditerranée,  CuviYr. 

Physalus  antiquorum,  Gray. 

Pterobalœna  communis,  Eschricht. 


Le  Tunnolik  ou  Keporkarnak  des  Groënlandais. 

Le  Sildreki  des  Islandais. 

Le  Razorback  des  baleiniers  américains. 

Le  Finnfisch  et  Vinwall  des  baleiniers  en  général. 

Le  Rohrval  des  Norvégiens. 

On  l'appelle  encore  Lodde  et  Capelan  Whale. 

La  Balénoptère  que  James  Hector  fait  connaître  sous  le  nom 
de  Phy sains  australis,  Gray,  correspond  parfaitement,  d'après 
les  fanons,  à  notre  Balœnoplera  musculus  ;  elle  a  aussi  60  pieds 
de  long.  Les  vertèbres  sont  au  nombre  de  62,  divisées  en  7  cer- 
vicales, 15  dorsales,  15  lombaires  et  25  caudales. 

La  Balœnoptera  Patachonica  de  Burmeister  doit  aussi  être 
assimilée  au  Musculus. 

CABACTÈRES. 

La  face  inférieure  du  corps  est  blanche;  les  fanons  sont  d'un 
gris  pâle  verdâtre,  souvent  parcourus  dans  leur  longueur  par  des 
stries  blanches  ;  les  vertèbres  sont  au  nombre  de  62  et  les  côtes 
de  15  paires  ;  le  sternum  est  large  en  avant  et  terminé  en  pointe. 


(76) 

La  nageoire  dorsale  est  placée  au-dessus  de  l'anus,  vers  les 
trois  quarts  de  la  longueur  du  corps  *  ;  elle  est  assez  grande. 

Le  corps  est  mince  et  allongé  comme  s'il  était  appauvri,  très 
comprimé  au-devant  de  la  nageoire  caudale  *, 

Il  y  a  une  sorte  de  pleuronectisme  dans  la  Balœnoptera 
tnusculus,  dit  M.  G.  Pouchet3,  en  ce  que  la  face  du  corps  est 
souvent  plus  pâle  d'un  côté  que  de  l'autre.  Cette  observation  a 
d'abord  été  faite  par  Sars*;  Guldberg  s  croit  que  cette  cou- 
leur blanche  d'un  côté  se  trouve  tantôt  à  droite,  tantôt  à 
gauche. 

Les  fanons  n'ont  jamais  cette  couleur  noire  de  la  grande 
espèce,  ni  la  couleur  jaune  de  paille  de  la  petite  espèce  ;  ils  sont 
généralement  verdâtres  et  portent  des  stries;  ils  ont  moins  de 
valeur  que  ceux  de  la  Balœnoptera  Sibbaldii.  Cependant  ils 
n'ont  pas  toujours  la  même  couleur  :  l'individu  'échoué  à 
Palevas  avait  les  fanons  blancs,  nuancés  de  vert,  teinte  qui 
passait  même  au  noir  sur  le  bord  concave  ou  interne. 

La  longueur  moyenne  de  l'animal  complètement  adulte  est 
d'environ  60  pieds.  M.  Guldberg  leur  donne  de  60  à  70  pieds. 

Le  professeur  Sars  pense  de  même  que  leur  longueur  peut 
atteindre  jusqu'à  70  pieds,  mais  on  peut  se  demander  s'il  n'y  a 
pas  confusion  avec  la  B.  Sibbaldii. 

La  femelle  est  plus  grande  que  le  mâle»  M.  A.  Cocks  a 
mesuré  à  Vardô  un  mâle  qui  avait  64  pieds  6  pouces  (anglais). 

M.  Cocks  a  vu  à  Vardô,  au  mois  d'avril,  un  fœtus  de  1  pied 
41/2 pouces,  et  le  13  juin,  à  Eretiki,  unautre  de 4 pieds 6 pouces. 

Hais  c'est  surtout  à  Guldberg  que  nous  devons  des  rensei- 
gnements intéressants  sur  la  taille  des  femelles,  sur  les  fœtus, 
et  sur  leurs  mesures  aux  divers  mois  de  l'été. 

1  Dans  la  Balœnoptera  Sibbaldii,  la  nageoire  dorsale  esl  placée  sur  les 
quatre  cinquièmes  de  la  longueur  du  corps  et  elle  est  encore  plus  élevée. 

*  Cet  animal  esl  si  minoe,  si  allongé  et  si  tranchant  en  arrière,  que  les 
marins  Anglais  Pont  appelé  Razorback. 

9  G.  Pouchet,  De  Y  asymétrie  de  la  face  chez  les  Cétodontes,  Paris,  1880* 

4  Vidensk.,  FôrhandL,  «880. 

6  Ballet,  de  VAcad.  royale  de  Belgique,  avril  1884. 


(  77  ) 

La  plupart  des  mère»  mesuraient  de  65  à  68  pieds,  et  dépas- 
saient donc  la  moyenne  que  nous  avons  donnée.  Les  mères, 
pendant  la  gestation,  sont  recherchées  par  les  baleiniers,  à 
cause  de  la  graisse  qu'elles  ont  au  cœur,  au  mésentère  et  aux 
reins. 

La  mesure  des  fœtus,  trouvés  dans  le  sein  de  mères  cap- 
turées depuis  le  mois  de  mars  jusqu'en  août,  et  observés 
pendant  quatre  ans,  présente  une  certaine  régularité.  En 
mars,  M.  Guldberg  a  mesuré  un  fœtus  qui  avait  426qMn;  en 
avril,  quatre  avaient  de  300  à  787mni,  et  un  2m,540;  en 
mai  cinq  fœtus  avaient  de  328  à  975nrai;  en  juin,  six  avaient 
de  4,135  à  2,037;  en  juillet,  quatre  mesuraient  de  4,700 
à  3,100;  à  la  fin  de  juillet,  deux  jumeaux  atteignaient  chacun 
S  mètres. 

On  n'a  pas  capturé  de  Balénoptère  à  terme. 

Les  nouveau-nés  sont  estimés  à  6  mètres  ou  48  pieds,  et 
peut-être  faut-il  réduire  cette  taille  à  46  pieds. 

M.  Guldberg  a  vu  également  des  baleineaux  accompagnant 
leur  mère  :  au  mois  d'avril,  un  avait  de  48  à  49  pieds  ;  un 
second,  48  pieds;  un  troisième,  24  pieds,  et,  au  commencement 
de  mai,  il  en  a  vu  un  quatrième  de  40  pieds. 

En  4883.  à  la  fin  de  mai,  les  pêcheurs  ont  observé  pendant 
deux  à  trois  jours,  à  l'Est  de  Finmark,  une  gamme  de  balei- 
neaux, dans  le  Voranger-fiord,  sous  la  conduite  d'individus 
adultes  :  les  plus  jeunes  avaient  20  pieds.  En  juin  on  a  aperçu 
encore  d'autres  petites  gammes  de  baleineaux,  accompagnées 
d'individus  adultes. 

Le  24  juillet  4883,  une  femelle,  accompagnée  de  son  balei- 
neau, y  fut  encore  tuée  ;  ses  mamelles  contenaient  plusieurs 
litres  de  lait.  On  n'a  pas  indiqué  la  taille  du  jeune. 


ORGANISATION. 

Il  existe  une  poche  du  larynx  comme  dans  la  Balénoptère  de 
Sibbald,  et  sans  doute  dans  les  diverses  espèces  du  genre.  Du 


(78) 

Hamel  la  connaissait  :  on  m'a  assuré,  dit-il  *,  que  les  Baleines 
ont  au-dessous  du  gosier  un  grand  réservoir  d'air,  qui  équivaut 
aux  petites  vessies  à  air. 

Cette  poche  a  fait  commettre  bien  des  erreurs.  Ainsi 
F.  CuvierS,  qui  n'avait  sans  doute  jamais  vu  de  cadavre  de 
Balénoptère,  parle  d'une  vessie  qui,  après  la  mort,  remonte 
dans  la  bouche  de  l'animal  et  force  les  mâchoires  à  s'écarter 
l'une  de  l'autre. 

W.  Vrolik  s'est  trouvé  en  présence  d'un  cadavre  de  cette 
espèce  sur  les  côtes  de  la  Hollande  et  a  confondu  cette  poche 
avec  un  intestin,  qui  va,  d'après  lui,  du  menton  jusqu'à 
l'ombilic  3.  Au  lieu  de  se  trouver  dans  la  cavité  abdominale, 
comme  chez  les  autres  mammifères,  les  intestins  sont  placés, 
dit-il,  en  dehors.  On  ne  dira  pas  cependant  que  W.  Vrolik, 
comme  son  père,  nétait  pas  un  véritable  anatomiste. 

Pour  expliquer  la  présence  des  sillons  dans  les  Balénop- 
tères, Vrolik  suppose  qu'il  sont  en  rapport  avec  la  nécessité 
de  dilatation  de  l'œsophage,  quand  l'animal  avale  de  gros 
poissons,  comme  il  a  l'habitude  de  le  faire,  dit-il.  — Jamais  on 
n'a  trouvé,  que  je  sache,  des  restes  de  gros  poissons  dans 
l'estomac  des  Balénoptères;  ce  sont  des  poissons  comme  les 
harengs,  les  capelans  ou  les  petites  espèces  de  gades  dont 
elles  se  nourrissent. 

Nous  avons  fait  dessiner  cette  poche  et  ses  rapports  avec  le 
larynx  dans  les  Bulletins  de  l'Académie,  3°  sér.  t.  II,  1881.  Le 
professeur  Sir  Turner  a  fort  bien  représenté  cette  même  poche 
en  place  dans  un  fœtus  de  Balœnoptera  Sibbaldii. 

Le  Dr  Ravin  a  publié  quelques  observations  anatomiques  sur 
les  fanons  d'un  animal  de  41  pieds  de  long,  échoué  en  1829  sur 
la  côte  du  département  de  la  Somme  *. 

L'étude  du  fœtus  a  fait  connaître  que  l'intestin  grêle  et  le 


1  Traité  des  Pèches,  vol.  IV,  p.  6. 

*  Bist  natur.  Cétacés,  p  xv. 
3  Ann.  Se.  nat.f  1858. 

*  Ann.  Se.  nat.,  1836,  p.  20G,  pi.  1 1. 


(79) 

gros  intestin  sont  séparés  l'un  de  l'autre,  et  qu'il  existe  un 
cœcum  peu  développé. 

Le  professeur  Struthers  a  publié  une  notice  intéressante  sur 
quelques  faits  d'anatomie  de  cette  espèce  :  il  fait  connaître 
avec  soin  la  composition  de  la  nageoire  pectorale  avec  ses 
muscles  fléchisseurs  et  extenseurs.  Il  décrit  et  figure  en  même 
temps  le  bassin,  composé  de  l'os  ischion  et  d'un  rudiment  de 
fémur  avec  des  cartilages  et  des  ligaments,  le  sternum  et  la 
manière  dont  il  s'articule  avec  la  première  côte1  . 

La  découverte  du  fémur  rudimen taire  dans  les  Balénoptères 
à  été  faite  en  premier  lieu  par  le  professeur  Flower  2.  H  paraît 
qu'il  reste  toujours  rudimentaire  dans  cette  espèce. 

Le  squelette  de  l'individu  échoué  à  Pevensey-Bay,  en  1865, 
a  une  apophyse  transverse  inférieure  fort  courte  à  la  sixième 
cervicale  et  une  seizième  côte  supplémentaire. 

Le  professeur  Struthers  a  fait  connaître  également  l'existence 
d'une  petite  côte  supplémentaire  dans  un  mâle  de  cette  espèce. 

Nous  avons  publié  la  description  du  squelette  dans  l'Ostéo- 
graphie  des  Cétacés. 

Malm  donne  la  description  du  squelette  et  la  figure  des  prin- 
cipaux os,  sauf  la  tète,  d'après  un  squelette  de  Finmark. 

MOEURS. 

La  Balénoptère  qui  nous  occupe  est  ichtyophage;  au  Nord 
ce  sont  surtout  les  Loddes,  Mallotus,  c'est-à-dire,  Osmerus 
arcticus  qu'elle  poursuit. 

Ce  poisson  apparaît  surtout  en  abondance  au  printemps 
autour  de  l'Islande  et  au  nord  de  la  Norvvège. 

Des  pêcheurs  assurent  en  avoir  trouvé  jusqu'à  huit  cents  dans 
un  seul  estomac  de  Balénoptère. 


*  John  Struthers,  On  some  points  in  the  anatomy  of  a  great  Fin-uahle 
(Balaenoptera  musculus);  on  the  cervical  verlebrœ  and  their  articulations. 
Journal  of  anatomy  and  physiology,  vol  VI,  novembre  1871  et  vol.  VU,  1872. 

■  Proc.  Zool.  Soc.  ofLondon,  novembre  1865,  p.  704. 


(80) 

» 

Sur  les  côtes  d'Islande,  d'Ecosse  et  de  Norwège,  ce  sont 
surtout  les  bancs  de  harengs  que  cette  Balénoptère  accom- 
pagne. 

On  cite  encore  parmi  les  animaux  dont  elle  fait  sa  pâture  : 
les  Gades  (Small  cod,  disent  les  pêcheurs)  et  au  besoin  des 
Schrimps. 

Les  Balénoptères  que  Ton  capture  sur  les  côtes  de  Finmark 
ont  toujours  leur  estomac  plein,  tandis  que  les  individus 
échoués  ont  ordinairement  l'estomac  vide.  J.  Mûrie  a  trouvé 
dans  un  animal  échoué  des  débris  de  Méduses  et  des  restes 
d'Entomostraces  *.  On  a  trouvé  aussi,  dans  le  premier  estomac, 
des  algues  qui  avaient  sans  doute  été  avalées  à  défaut  de  proie. 

Cette  espèce  souffle  très  haut,  comme  le  Slâtbak  (Balcena 
biscayensis) ,  dit  M.  Halmgren;  elle  n'est  pas  farouche  et 
approche  des  chaloupes  en  les  côtoyant  pendant  des  heures. 
C'est  l'espèce  la  plus  facile  à  observer. 

Elle  est  sans  doute  moins  farouche  parce  qu'on  ne  la  pour- 
suit guère. 

D'après  Guldberg,  la  fécondation  et  la  mise  bas  ont  lieu  en 
hiver;  la  gestation  est  de  dix  à  douze  mois;  le  jeune  accom- 
pagne sa  mère  jusqu'à  ce  qu'il  ait  atteint  la  moitié  de  sa  taille. 

PÈCHE. 

Les  baleiniers  qui  allaient  jadis  à  la  pèche  de  la  Baleine 
franche  dédaignèrent  souvent  de  harponner  la  Musculus. 

Fred.  Martens  aperçut  en  1671,  le  9  mai,  une  Baleine,  à 
laquelle  il  aurait  fait  la  chasse,  dit-il,  s'il  n'avait  pas  aperçu  sa 
nageoire  dorsale. 

R.  Brown  la  considère  encore  comme  sans  importance  à 
cause  du  peu  de  lard  et  de  la  difficulté  de  la  capturer.  Il  se 
rappelle  que  les  baleiniers  trouvant  un  jour  un  cadavre  flot- 
tant, qu'ils  avaient  pris  pour  un  Mysticetus,  l'abandonnèrent 

1  Proc  Zool.  Soc.,  fur.  1865,  p.  211. 


(81  ) 

aussitôt  qu'ils  aperçurent  que  c'était  un  Finfish;  d'autres 
l'avaient  également  abandonné.  Aujourd'hui  on  leur  fait  régu- 
lièrement la  chasse  ;  avant  fa  découverte  des  bateaux  à  vapeur 
on  ne  pouvait  y  songer. 

Une  Société  anglo- américaine  a  organisé  cette  industrie 
dans  les  eaux  d'Islande  en  1868  ;  elle  a  cessé  ses  opérations 
en  1867. 

C'est  au  commencement  de  1870  que  Svend-  Foyn  a  com- 
mencé la  chasse  avec  des  steamers  et  des  canons  chargés  de 
bombes-lances  et  de  harpons. 

Il  existe  aujourd'hui  une  pêche  de  Balénoptères,  régulière- 
ment organisée,  sur  les  côtes  de  Finmark,  et  parmi  les  espèces 
que  Ton  capture,  pendant  Tété,  figure  la  Balœnoptera  musculus. 

La  saison  de  cette  pèche  commence  au  mois  de  mai  et  finit 
au  commencement  d'août. 

Nous  avons  fait  remarquer  plus  haut  que  c'est  la  Balœnop- 
tera musculus  qui  arrive  la  première  dans  ces  parages,  et  la 
Balœnoptera  Sihbaldii,  la  dernière. 

Le  dernier  animal  capturé  à  Vardô  en  1884  était  une  Muscu- 
lus ;  le  22  août  on  en  vit  encore  une  à  Eretiki  ;  le  24  août  on 
captura  la  dernière  à  30°30' 

M.  A.  Cocks  n'a  pas  vu  de  Balénoptère  dans  la  mer  Blanche. 

En  partant  d'Arkhangelsk  le  7  septembre,  il  a  aperçu  des 
Balœnoptera  musculus  à  Gorodetsk  Point. 

Après  la  Balœnoptera  Sibbaldii  c'est  la  Musculus  qui  est 
généralement  la  plus  abondante  sur  la  côte  de  Finmark,  En 
1883  néamoins  c'est  la  Borealis  qui  a  été  la  plus  commune  dans 
ces  parages. 

Les  principales  factoreries  sont  à  Vardô,  à  Vadsô,  à  Bôle,  et 
à  Far-Fyord. 

Dans  ces  dix  dernières  années,  on  en  a  péché  sur  les  côtes 
de  Finmark,  en  1878,  quarante;  en  1879  également,  quarante; 
en  1880  et  en  1881,  cinquante  ;  (capitaine  Sôrensen,  Guldberg.) 
Depuis  1881,  on  en  a  tué  tous  les  ans  plusieurs  centaines. 
En  1886  on  a  capturé  au  moins  cinq  à  six  cents  individus.  Le 
plus  grand  nombre  ont  été  péchés  aux  mois  d'avril  et  de  mai. 
Tome  XLL  6 


(82) 
DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE. 

• 

-  La  Balœnoptera  musculus  habite  à  l'est  et  à  l'ouest  du  Groen- 
land, visite  périodiquement  l'Islande,  les  Loffoden,  double  le 
cap  Nord,  pénètre  môme  dans  la  mer  de  Kara;  elle  arrive 
régulièrement,  avec  d'autres  espèces,  dans  ces  parages  aux  mois 
de  mai  et  de  juin,  et  passe  de  nouveau  le  cap  Nord  au  mois 
d'août  ou  de  septembre,  pour  se  rendre  de  l'autre  côté  de 
l'Atlantique  ou  à  l'ouest  du  Groenland. 

Partout  sur  ce  passage  on  a  vu  échouer,  tantôt  des  mâles, 
tantôt  des  femelles,  sans  qu'on  ait  pu  remarquer  aucune  pério- 
dicité dans  leur  apparition. 

En  partant  d'Arkhangelsk,  M.  A.  Cocks  a  vu  des  Balœnoptera 
musculus  à  Gorodetsk  Point,  le  2  septembre,  la  dernière 
Megaptera  boops  le  16,  la  dernière  Balœnoptera  Sibbaldii  le  18, 
à  Eretiki. 

On  en  voit  parfois  se  rendre  au  sud  vers  la  mer  du  Nord, 
pénétrer  dans  le  Kattegat  ou  bien  entrer  dans  la  Manche, 
longer  les  côtes  ouest  de  France,  les  côtes  d'Angleterre, 
d'Espagne  et  de  Portugal,  pénétrer  même  dans  la  Méditerranée 
et  parcourir  toute  cette  mer  intérieure  jusqu'au  fond  de 
l'Adriatique,  sans  dépasser  toutefois  le  détroit  des  Dardanelles  : 
elle  ne  pénètre  jamais  dans  la  mer  Noire  et  bien  rarement  dans 
la  Baltique. 

Il  est  probable  que  c'est  la  température  de  l'eau  et  la  pâture 
qui  déterminent  ces  animaux  à  se  rendre,  à  l'approche  de  Pété, 
de  l'ouest  à  l'est,  et,  en  automne,  en  sens  opposé. 

Les  individus  qui  visitent  nos  parages  ou  qui  se  rendent  dans 
la  Méditerranée  sont  des  animaux  dévoyés  ou  blessés,  ou 
affolés  par  la  poursuite  des  harponneurs. 

L'animal  qui  est  venu  se  perdre,  il  y  a  quelques  années,  à 
l'entrée  de  l'Escaut,  avait  reçu  dans  la  nageoire  pectorale  une 
balle  explosible  qui  lui  avait  fracturé  complètement  les  os  de 
l'avant-bras. 

En  décembre  1870,  un  officier  de  garde  d'une  corvette  de 
guerre  (Prinz  Frédéric  Karl)  dans  la  mer  du  Nord,  crut  aper- 


(83) 

cevoir  la  nuit  une  torpille;  mais  on  découvrit  ensuite  que  c'était 
un  corps  de  Balénoptère  commune,  flottant  à  la  surface 
de  la  mer.  Le  docteur  Fr.  Braeutigam  a  eu  l'occasion  d'étudier 
ce  cadavre  et  en  a  fait  le  sujet  d'une  dissertation  inaugurale. 

Nous  avons  publié  un  plan  des  côtes  des  mers  d'Europe  et 
marqué  les  lieux  où  des  individus  avaient  échoué.  Tout  ce  que 
l'on  peut  en  tirer,  c'est  que  des  individus  de  cette  espèce 
sont  allés  mourir  à  peu  près  sur  toutes  les  côtes  des  mers 
d'Europe. 

La  Balœnoptera  musculus  forme  à  peu  près  le  quart  des 
Balénoptères  qui  échouent  dans  les  mers  d'Europe. 

Nous  voyons  assez  souvent  des  individus  d'une  quarantaine 
de  pieds;  ce  sont  sans  doute  de  jeunes  Balénoptères  qui  ont 
quitté  leur  mère  depuis  peu  de  temps;  le  plus  grand  nombre 
n'atteignent  pas  60  pieds  ;  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut 
c'est  à  peu  près  la  taille  ordinaire  de  l'adulte. 

Nous  pouvons  faire  remarquer  qu'il  n'y  a  guère,  parmi  les 
Balénoptères  échouées,  des  individus  véritablement  adultes. 
On  avait  même  soupçonné  que  dans  cette  espèce  les  épiphyses 
des  vertèbres  ne  se  soudaient  pas  complètement. 

Nous  allons  faire  rénumération,  par  dates  et  par  lieux,  de 
quelques  individus  dont  l'échouement  a  été  signalé  de  manière 
à  ne  laisser  aucun  doute  sur  la  détermination  de  l'espèce. 

Du  Hamel,  Bonnaterre  et  Lacépède  parlent  d'une  vraie 
Baleine,  qui  fut  jetée  sur  le  littoral  de  la  Corse,  en  1620;  à  en 
juger  par  la  taille  considérable  et  le  nombre  de  barils  d'huile 
qu'elle  a  fournis,  le  Dr  Fischer  pense  que  c'était  la  Balœnoptera 
musculus;  la  Balœnoptera  Sibbaldii  n'a  jamais  été  vue  dans  la 
Méditerranée. 

En  1624,  le  28  janvier,  un  individu  est  venu  à  la  côte  de 
S.  Marinella,  et,  au  mois  de  février  suivant,  un  autre  à  S.  Severa. 

En  1789,  une  Balénoptère  de  60  pieds  s'est  perdue  sur  le 
littoral  de  la  Méditerranée  (sans  indication  de  lieu). 

Le  crâne  du  Muséum  de  Paris,  dont  parle  Lacépède,  pro- 
vient d'une  femelle  capturée  à  l'Ile  Sainte-Marguerite,  arron- 
dissement de  Cannes  (Var),  en  mars  1797  ou  1798. 


(84) 

En  décembre  4827,  un  individu  a  péri  sur  les  côtes  de  Corse. 
(Paul  Gervais). 

Un  autre  individu  a  péri  dans  la  Méditerranée,  le  27  septembre 
1828,  dans  les  environs  de  Saint-Cyprien  ;  il  a  été  décrit  par 
Gompanyo  et  plus  tard  par  Farines  et  Carcassonne.  Il  avait 
15m,60.  Son  squelette  est  conservé  au  Musée  Saint-Pierre,  à 
Lyon.  Il  était  mentionné  d'abord  sous  le  nom  de  Balœnoptera 
aragons.  Le  squelette  n'a  que  53  vertèbres,  7  cervicales,  14  dor- 
sales, 15  lombaires  et  17  caudales.  Il  y  en  a  donc  9  qui  man- 
quent. 

En  août  1829,  il  échoue  à  l'Escale,  tout  près  du  golfe  de 
Aosas,  un  animal  de  15œ,50  en  pleine  putréfaction  ;  la  mâchoire 
inférieure  a  été  conservée,  dit  M.  Campanyo,  qui  la  désigne  sous 
le  nom  de  Balœnoptera  Jubarte  * . 

La  même  année,  dans  le  même  golfe,  une  Balœnoptwa  mu$- 
culus  a  échoué,  dont  le  squelette  est  conservé  au  Musée  de 
Madrid.  Il  n'est  pas  monté,  m'écrit  M.  Mar.  G.  Graells. 

En  1833,  un  individu  a  été  capturé  à  Civita-Vecchia. 

La  même  année,  un  autre  individu  de  la  même  espèce  a  été 
capturé,  dit  P.  Gervais,  près  de  Saint-Tropez  (Var). 

Le  21  mai  1840,  une  Balœnoptera  musculus  a  été  capturée 
dans  une  madrague  à  Thone,  près  de  Saint-Tropez,  à  la  suite 
d'un  coup  de  vent  de  N.-O.  2. 


1  Cohpakto,  Histoire  naturelle  du  Département  des  Pyrénées  orientales, 
tome  111,  |t.  81. 

*  Nous  lisons  dans  les  Annales  maritimes  et  coloniales,  t.  1, 1840  :  «  Par  le 
coup  de  vent  de  N.-O.  du  21  mai,  une  Baleine  s'est  introduite  dans  les  filets 
de  Tune  des  madragues  de  Saint-Tropez  (Var).  Comme  c'est  la  première  fois 
qu'un  Célacé  de  cette  espèce  a  été  pris  dans  notre  golfe,  et  peut-être  même 
dans  la  Méditerranée, du  moins  depuis  plusieurs  siècles,  l'affluence  des  curieux 
de  la-  ville  et  des  environs  a  été  prodigieuse.  Pendant  quelques  heures,  nous 
avons  été  dans  l'incertitude  de  savoir  si  c'était  réellement  une  Baleine,  attendu 
que  quelques  braves  marins,  habitués  à  ne  voir  que  des  Baleines  franches, 
soutenaient  que  ça  n'en  était  pas  une;  mais,  après  un  mûr  examen,  il  a  été 
reconnu  que  c'était  la  Balœnoptera  physalus,  d'après  la  classification  de  Lacé- 
pède.  » 


(83) 

Au  Muséum  à  Paris  se  trouve  un  squelette  d'un  animal  de 
14»,  qui  a  péri  en  1847  sur  les  côtes  de  Saint-Vigor. 

Le  10  novembre  1854,  un  animal  de  19m,40  a  été  pris  à 
Bordigliera.  Son  squelette  est  conservé  à  Turin. 

Une  femelle  de  20  mètres,  accompagnée  de  son  Baleineau, 
a  été  capturée  près  de  Port-Vendres,  en  1889,  après  avoir 
essuyé  plusieurs  coups  de  feu.  La  mère  avait  80  mètres,  le 
petit  6. 

Un  squelette,  conservé  à  l'hôpital  de  Saint -Mandrier,  à 
Toulon,  provient  d'un  animal  capturé  en  décembre  1860 
(Gervais). 

Gervais  cite  également  une  capture  faite  sur  la  côte  de  la 
Catalogne,  en  1862  *.  Nous  pensons  que  c'est  son  squelette 
que  nous  avons  vu  à  l'Université  de  Barcelone  et  au  sujet  duquel 
nous  n'avons  pu  avoir  aucun  renseignement  sur  les  lieux. 

Le  17  juin  1863,  une  femelle  de  19m,80  a  fait  son  apparition 
au  nord-ouest  du  cap  de  Creux  (au  delà  du  département  des 
Pyrénées-Orientales,  côtes  d'Espagne).  Elle  était  accompagnée 
de  son  petit  et,  pendant  plus  d'un  mois,  elle  est  restée  en  vue 
de  la  côte.  Elle  a  été  capturée  dans  la  suite  et  le  corps  a  été 
remorqué  à  Llanza. 

En  1864,  un  animal  a  été  capturé  près  de  Cannes.  Son 
squelette  incomplet  est  conservé  au  Musée  de  Grenoble. 

Le  4  mars  1866,  une  femelle  de  22m  est  venue  à  la  côte  de 
Crvita-Vecchia.  Le  squelette  est  conservé  à  Rome  (chev.  v. 
Diorio).  Il  a,  en  tout,  58  vertèbres,  15  côtes,  et  les  deux 
doigts  externes  ont  cinq  phalanges,  les  deux  internes,  six  *. 

Le  23  septembre  1870,  des  pêcheurs  de  Thons  des  environs 
de  Palavas,  département  de  l'Hérault  (Méditerranée),  relevant 
leurs  filets  par  le  travers  du  Grau  de  Palavas,  ne  furent  pas  peu 
surpris  de  trouver  dans  un  d'eux  un  Rorqual  vivant  du  sexe 
femelle  de  19n,40  de  longueur.  Amarré  par  la  queue,  il  a  été 


1  Gervais,  Mém.  Âcad.  royale  de  Belgique. 

•  Prof  Virciuzo  Dionio,  //  Cetaceo  di  S.  Marinella,  atti  dell'  àcademia 
port,  dei  Nuofi  Lircei.  Marzo,  1S66. 


(86) 

remorqué  vivant  dans  le  port  de  Cette,  où  l'on  a  pu  s'assurer 
pendant  plusieurs  jours  que  les  jets  lancés  par  l'expiration  sont 
formés  d'air  et  d'eau  pulvérisée.  L'appareil  est  disposé  comme 
un  vaporisateur. 

C'était  une  femelle  qui  a  mis  bas  un  fœtus  de  2m,25.  Comme 
les  Cétacés  avortent  facilement  par  la  moindre  commotion» 
cette  fausse  couche  a  été  causée  évidemment  par  la  capture  *• 

L'Illustration  de  Paris  (1870,  n°  1424)  fait  mention  d'une 
Balénoptère  prise  à  Marseille,  aux  environs  du  château  d'If, 
26  mai  1870,  et  en  publie  un  dessin. 

On  fait  mention  d'un  individu  capturé  en  décembre  1872,  à 
Solenzana  (Corse). 

Un  animal  a  échoué  près  d'Ajaccio,  à  la  fin  de  l'année  1877 
ou  1878;  son  squelette  est  conservé. 

En  octobre  1878,  une  Balœnoptera  musculus  a  été  trouvée 
morte  sur  la  plage  de  Monte-Rosso,  à  une  petite  distance  entre 
Spezzia  et  Levanto;  c'était  une  femelle  de  22  mètres  de  lon- 
gueur, en  état  de  gestation.  Le  fœtus  est  conservé  à  Gènes. 

Dans  les  derniers  jours  de  novembre  1884,  une  Balénoptère 
a  été  capturée  dans  le  golfe  de  Cavalaire,  quartier  de  Giova, 
près  de  Sl-Tropez  (département  du  Var)  par  les  douaniers  du 
poste  de  Cavalaire;  ils  l'ont  tuée  en  mer,  à  une  distance  de  600 
à  700  mètres;  une  seule  balle,  qui  a  pénétré  dans  la  tête,  a  suffi 
pour  la  tuer  :  c'est  le  jeune  individu  dont  nous  avons  déjà 
parlé.  Il  n'y  avait  rien  dans  les  intestins,  et  M.  Beauregard 
soupçonne  que  c'est  un  jeune  animal  qui  n'avait  pas  plus  de 
vingt  jours  d'existence.  L'animal  a  été  dépecé  et  tout  a  été 
envoyé  au  Muséum  à  Paris. 

MM.  Pouchet  et  Beauregard  en  ont  fait  connaître  les  parti- 
cularités de  structure  2.  Nous  en  avions  parlé  dans  les  Bulle- 


1  Notice  publiée  à  l'occasion  de  la  réunion  de  l'Associa  lion  pour  l'avance- 
ment des  sciences.  Doumet-Adansox,  Ann.  de  la  Soc.  d horticulture  et  d'hist. 
nat.  de  r Hérault. 

*  Pouchet,  Acad.  des  sciences,  séance  du  2  février  1 885  (Revue  scientifique, 
7  février  1883,  p.188).  Compte  rendu,  Société  de  Biologie,  1. 11,  janvier  1885. 


(87) 

tins  de  l'Académie  d'après  des  renseignements  incomplets.  Ce 
n'est  pas  la  Balœnoptera  rostrata,  comme  nous  l'avions  soup- 
çonné, puisqu'elle  a  soixante-deux  vertèbres,  mais  une  jeune 
Balœnoptera  musculus,  comme  M.  Beauregard  Ta  dit. 

Cornalia  fait  connaître  onze  cas  d'échouements  sur  les  côtes 
d'Italie,  dont  un  dans  l'Adriatique  et  un  sur  les  côtes  de  Sar- 
daigne. 

On  n  a  guère  tenu  note  des  nombreux  échouements  qui  ont 
eu  lieu  sur  la  côte  d'Espagne.  On  cite  seulement  une  Balœnop- 
tera musculus,  de  grande  taille,  échouée  au  cap  de  Ras,  entre 
Galère  et  Lianza,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

En  1811  une  Balénoptère  fut  jetée  à  la  côte  près  de  Bayonne. 

Au  Muséum  à  Paris  on  voit  le  squelette  d'un  jeune  animal 
qui  a  péri,  en  1823,  devant  l'embouchure  de  l'Adour,  près  de 
Bayonne. 

On  a  signalé  plusieurs  exemples  sur  les  côtes  ouest  de  la 
France. 

On  en  cite  deux  d'abord  au  XVIIe  siècle  :  le  premier  est  une 
Balénoptère  de  47  pieds,  capturée  ou  échouée  en  1680  près  de 
la  Rochelle;  le  second  est  un  individu,  dont  on  ne  donne 
pas  la  taille,  qui  est  venu  à  l'île  Sainte-Anne  le  5  octobre  1682. 

A  Boulogne  sont  conservés  des  fragments  de  crâne  d'un 
animal  qui  a  péri,  le  7  février  1812,  à  l'embouchure  de  la 
Somme;  d'un  autre  qui  a  péri,  en  1827,  à  la  même  embou- 
chure*. 

.  L'année  1812  une  femelle  de  56  pieds  est  venue  se  perdre 
également  sur  les  côtes  ouest  (Souty). 
.  Le  16  août  1829,  un  mâle  de  41  pieds  a  échoué  prèsde  Cayeux. 
Ravin  en  a  fait  mention  dans  les  Annales  des  sciences  naturelles, 
mai  1836.  Le  squelette  est  conservé  à  Rouen  2.  Un  dessin 
accompagne  cette  notice. 


1  G.  Poqchkt,  Des  derniers  échouements  de  Cétacés  sur  la  côte  française, 
Comptes  rendus...  2  février  1885. 

*  F.  Ravin,  Observations  anatomiques  sur  tes  fanons,  A  tin.  Se.  natur  , 
mai  1886. 


(88) 

En  janvier  1842,  on  a  tu  à  Berg  (Pas-de-Calais)  un  cadavre 
flottant  en  mer  (Blainville  et  Gervais). 

En  1845,  un  individu  a  échoué  sur  la  côte  de  Saint-Malo,  et 
en  1847,  un  autre  au  Havre,  dont  la  peau  bourrée  est  conser- 
vée au  Muséum  de  Paris. 

A  Saint-Brieux  nous  avons  vu  un  squelette  de  mâle  de 
51  pieds,  monté  sous  la  direction  de  M.  Nimier, 

Un  animal  de  13  mètres  est  capturé  à  Saint- Vigor,  à  l'em- 
bouchure de  la  Seine,  en  1847  ;  la  même  année  un  jeune,  mais 
de  grande  taille,  échoua  à  Barre-des-Monts  (Vendée);  une 
Balœnoptera  musculus  de  13  mètres  de  longueur  a  échoué  près 
du  Havre  le  11  octobre  1852,  sur  la  plage  de  l'Eure.  La  peau  a 
été  préparée  et  exposée  au  public. 

Le  10  février  1857,  les  pécheurs  de  Tréport  ont  trouvé,  à 
l'entrée  de  la  Manche,  une  Balénoptère  de  60  pieds,  en  pleine 
putréfaction. 

Le  Dr  Fischer  parle  d'un  mâle  de  7  à  8  mètres  capturé  en 
1874  sur  les  côtes  de  Bayonne. 

Le  6  janvier  1877,  un  individu  de  15  mètres  sans  la  tête  est 
venu  dans  le  golfe  de  Gascogne.  Nous  en  faisons  mention  sans 
pouvoir  assurer  qu'il  appartient  à  cette  espèce. 

Le  10  février  1878,  les  pêcheurs  de  Dunkerque  ont  remorqué 
un  mâle  de  23  mètres,. dont  le  squelette  est  conservé  à  Lille, 
au  Musée  de  l'Université  catholique. 

Une  femelle  pleine,  de  20m,80  de  longueur,  a  été  trouvée 
morte  en  mer,  au  large  de  l'île  de  Groix  (à  12  miles  sud -ouest), 
le  29  juillet  1879.  Le  fœtus  avait  lm,20.  Le  squelette  de  la  mère 
est  au  Musée  de  Bordeaux,  celui  du  fœtus  au  Muséum  à  Paris. 

Le  21  décembre  1881,  la  mer  a  rejeté  sur  la  côte  de  Porge, 
au  nord  du  bassin  d'Arcachon,  un  Cétacé  de  15m,20  ;  le  bout 
du  rostre  avec  les  fanons  sont  conservés  au  Muséum  à  Paris. 
Les  fanons  ont,  paraît-il,  la  couleur  de  ceux  de  Rostrata. 

Une  femelle,  à  l'état  de  cadavre,  a  été  amenée  â  l'île  de  Sein 
le  19  août  1881.  Elle  avait  14  mètres  de  longueur.  Le  corps 
flottait  dans  le  Ras-de-Sefii. 

Une  autre  femelle,  de  9m,50,  a  échoué  à  Seignasse,  près  du 


(  «9  ) 

cap  Breton  (Landes),  le  25  juin  1884.  Le  squelette  est  conservé 
au  Muséum  à  Paris. 

Dans  la  nuit  du  13  au  14  janvier  1885,  un  mâle  est  venu 
échouer  sur  la  plage  de  Langrune.  H.  Yves  Delage  en  a  publié 
la  description,  dans  les  Archives  de  Lacaze-Duthiers.  Le  pro- 
fesseur de  la  Sorbonne  a  étudié  avec  beaucoup  de  soin  la  struc- 
ture et  la  formation  des  fanons  *. 

Le  corps  de  cette  Balénoptère  a  été  vendu.  D'après  une 
ordonnance  de  Colbert  (1681),  les  poissons  à  lard,  c'est-à-dire  les 
Cétacés,  doivent,  dans  certains  cas,  être  vendus  publiquement. 
On  s'est  conformé  à  cette  ordonnance,  ce  qui  a  empêché  de 
commencer  la  dissection  le  jour  même  de  l'échouement.  L'ani- 
mal a  été  mis  aux  enchères  le  20 janvier;  de  la  miss  à  prix  de 
5  francs,  on  est  monté  à  1,101  francs,  et  il  a  été  adjugé  à  la  ville 
de  Caen  pour  le  Musée.  Dans  l'intérêt  de  la  Caisse  des  gens  de 
mer,  on  avait  poussé  jusqu'à  1,100  francs. 

L'observation  rigoureuse  de  ce  règlement  pourrait  avoir 
comme  conséquence,  dans  le  cas  qu'une  espèce  rare  vint 
échouer  sur  les  côtes  de  France,  qu'un  Musée  étranger  pour- 
rait venir  faire  une  concurrence  aux  naturalistes  français  et 
faire  prendre  à  l'animal  le  chemin  de  l'étranger. 

L'Association  française  a  accordé,  en  1885, 1,900  francs  à 
M.  Yves  Delage,  pour  subvenir  aux  frais  de  la  reproduction 
héliographique  des  parties  intéressantes  de  cette  Balénoptère. 

Le  5  février  1885,  une  barque,  montée  par  des  pêcheurs  de 
Gravelines,  a  rencontré,  en  face  de  Douvres,  à  une  assez  forte 
distance  au  large,  le  cadavre  flottant  d'une  Balénoptère,  qui  a 
a  été  remorquée  jusqu'à  Ostende.  C'est  un  mâle  de  Balœnoptera 
musculus,  dont  le  squelette  est  aujourd'hui  au  pensionnat  de 
Meile.  Les  journaux  de  la  localité  l'avaient  désigné  sous  le  nom 
de  Cachalot.  Le  corps  en  chair  a  été  exposé  quelque  temps  au 
public. 

Nous  pouvons  citer  plusieurs  exemples  d'échouements  sur 
les  côtes  britanniques. 

1  Comptes  rendus,  6  juillet  1883.  Archivés  de  Zoologie  expérimentale. 


(90) 

On  en  cite  deux  d'abord  dans  le  Firth  of  Forth  dans  le 
XVIIe  siècle,  l'un,  le  17  septembre  1690,  l'autre,  en  septembre 
également,  en  1692;  Sibbald  en  parle  dans  sa  Phalainologia. 

Scoresby  en  cite  un  dans  le  Humber,  en  septembre  4750, 
et  un  en  1752,  de  52  pieds,  sur  la  côte  de  Berwickshire. 

Walker  en  cite  un  autre,  le  10  juin  1761,  de  48  pieds, 
dans  le  Firth  of  Forth. 

Sur  les  cotes  de  Cornouailles,  on  en  cite  un,  le  18  juin  1797, 
de  70  pieds. 

Le  28  octobre  1808,  une  femelle,  de  43  pieds,  a  échoué 
dans  le  Firth  of  Forth  (Pat.  Neill). 

En  1830,  un  animal  de  63  pieds  est  venu  à  la  côte  à 
Brighton. 

Un  autre,  de  38  pieds  seulement,  a  été  capturé  dans  le  canaL 
Saint-Georges;  le  corps  a  été  remorqué  à  Liverpool.  Son 
squelette  est  au  British  Muséum,  à  Londres.  C'est  de  lui  que 
Gray  avait  fait  le  genre  Benedenia. 

En  février  1840,  une  femelle  de  41  pieds  a  péri  sur  les  côtes 
de  Yarmouth  *. 

Sweeting  fait  mention  d'un  animal  de  43  pieds,  capturé  sur 
les  côtes  d'Angleterre,  à  Charmouth,  en  1840. 

En  1842,  un  individu  très  adulte  a  été  capturé  à  l'île  de 
Wight;  son  squelette  est  conservé  dans  l'île. 

Le  28  décembre  1850,  une  Balénoptère  a  été  capturée  à 
Margate  ;  son  squelette  est  en  partie  à  Londres  et  en  partie 
à  Cambridge. 

On  mentionne  aussi  une  femelle  de  50  pieds  qui  est  venue  à 
la  côte  aux  Oreades,  en  mars  1856  (Heddle). 

On  possède  à  Londres  un  crâne  d'une  Balénoptère,  capturée 
à  Yarmouth,  en  1857. 

Un  mâle  de  60  pieds  s'est  perdu  dans  la  Tamise,  en  1859; 
le  squelette  est  conservé  à  Rosherville  garden  (Mûrie). 

Une  Balœnoptera  musculus,  échouée  en  novembre  1865  sur 
la  côte  de  Sussex,  a  été  l'objet  d'une  notice  fort  importante 

1  Proc.  Zool.  Soc.  1840. 


(91  ) 

dans  laquelle  H.  Flower  décrit  le  squelette  avec  l'os  du  bassin 
et  le  rudiment  de  fémur  i. 

En  1869,  M.  Flower  communique  des  notes  à  la  Société  de 
Zoologie  sur  quatre  Balénoptères  de  cette  espèce,  échouées  sur 
les  côtes  sud  de  l'Angleterre.  Il  accompagne  cette  notice  d'un 
dessin  représentant  un  mâle  de  Balœnoptera  muscvlus  de 
61  pieds  2. 

Une  Balénoptère  a  échoué  dans  Pevensey-Bay,  en  1865  3. 

Le  20  novembre  1869,  un  mâle  a  été  trouvé  mort  dans  la 
Blanche,  près  de  Portsmouth.  Le  corps  était  en  pleine  putré- 
faction. Il  avait  61  pieds  de  longueur  *. 

Le  1er  mars  1873  et  le  9  août  suivant,  on  a  trouvé  sur  les 
côtes  de  Happisburg  (Norfolk),  un  animal  mort  (in  the  Lynn 
Roads),  dit  H.  Southwell. 

En  avril  1880,  une  femelle  de  forte  taille  a  péri  sur  les  côtes 
d'Ecosse  (Baie  de  Forth). 

Une  autre  a  été  trouvée  morte  en  mer  le  30  août  1884 
(...  floating  in  the  sea  off  Bervic)  s. 

Sur  la  côte  de  Kerry,  une  Balénoptère  de  63  pieds  a  été  cap- 
turée par  les  gardes  des  côtes. 

Un  mâle  de  50  pieds  a  échoué  à  Nairn  (côtes  d'Ecosse)  en 
décembre  1884;  son  squelette  a  été  exhibé  en  1886,  à  l'Asso- 
ciation britannique  à  Aberdeen  6. 

Une  femelle  de  Balœnoptera  museulus  est  venue  morte  à  la 
côte,  le  15  janvier  1885,  à  Littleton  PHI,  sur  la  Severn;  le 
corps  a  été  acheté  par  un  fabricant  et  le  squelette  a  été  préparé 
pour  le  Musée  de  Bristol  7. 

Sous  le  nom  de  Common  Rorqual,  M.  Blakwill  signale  une 

1  Proc.  Zool.  Soc.,  novembre  1865. 

*  Proc.  Zool.  Soc.,  décembre  1869. 

*  Floweb,  Observations  upon  a  Fin-Whale recently strandedin  Pevensey- 
Bay.  Pboc.  Zool.  Soc.,  novembre  1865. 

*  Proc.  Zool.  Soc.,  décembre  1869. 

*  Penny  illustrât,  paper ,  30  aoùl  188-4. 

6  Report  ofthe  British  association,  1886,  p.  1055. 
1  The  Zoologist,  IX,  p.  107. 


(  92  ) 

jeune  Baiœnoptera  musculus,  de  47  pieds,  qui  a  péri  le  3  avril 
1887  à  Skegness  *. 

Les  échouements  sur  les  côtes  de  Belgique  et  des  Pays-Bas 
sont  assez  fréquents. 

On  cite  un  échouement  dans  l'Escaut,  le  2  juillet  1577,  d'une 
Balénoptère  qui  appartient  probablement  à  cette  espèce.  On 
fait  mention  d'une  autre  de  42  pieds,  qui  aurait  péri  également 
dans  l'Escaut,  le  13  décembre  1603. 

Le  14  mai  1869,  on  a  vu  paraître  à  l'entrée  de  l'Escaut,  vers 
le  milieu  de  la  nuit,  un  énorme  Cétacé  qui  a  jeté  l'épouvante 
dans  l'esprit  de  tous  ceux  qui  l'ont  aperçu.  Un  habitant  des 
côtes  lui  a  envoyé  une  balle,  puis  l'animal  a  disparu.  On  l'a 
trouvé,  peu  de  temps  après,  échoué  sur  la  plage  dite  Calloot, 
à  Borselaer,  près  de  Flessingue  *. 

Le  cadavre  a  été  vendu  publiquement  et  un  industriel 
de  Terneuzen  l'a  acheté  par  spéculation.  Il  a  été  exposé  à 
Terneuzen  ;  le  squelette  est  conservé  au  Musée  de  l'Université 
de  Liège. 

Un  individu  non  adulte,  puisqu'il  n'avait  que  52  pieds, 
échoua,  en  1595,  à  Zantvoort;  un  autre  le  2  février  1598,  à 
Bergey,  entre  Katwyk  et  Scheveningen  (Clusius). 

En  1601  il  en  échoua  un  à  Beverwyk  et  un  en  1629  à 
Noortwyk. 

Le  18  novembre  1791,  une  femelle  de  52  pieds  est  venue 
échouer  à  Katwyk-aan-Zee  ;  c'est  la  femelle  que  Blumenbach  a 
décrite  et  figurée. 

Un  squelette  du  Musée  de  Leide  provient  d'un  animal  cap- 
turé, en  1811,  dans  la  Zuyderzee.  Il  a  été  préparé  par  Rein- 
wardt. 

Il  y  a  eu  encore  une  femelle  perdue  sur  ces  mêmes  côtes, 
le  17  septembre  1835,  et  dont  Vrolik  a  fait  l'anatomie  3. 

1  The  Zoologis  t>  mey,  1887. 

1  Van  Beneden,  Mémoire  sur  une  Balénoptère  capturée  dans  f  Escaut 
en  4869.  M*n.  académ.,  1871. 

3  Vrolik,  Note  sur  Vanatomie  d'une  Balénoptère,  1835,  échouée  prés  de 
Wyk-aao-Zee.  Aicn.  Se.  wat.,  1838. 


(93) 

En  septembre  1836  et  en  septembre  1840  échouèrent  deux 
femelles,  la  première  de  51  pieds,  la  seconde  de  65  pieds, 
toutes  les  deux  à  l'embouchure  de  la  Meuse  (Schlegel). 

En  décembre  1841,  un  mâle  de  40  pieds  est  venu  à  la  côte 
à  Katwyk-aan-Zee  ;  il  a  été  acheté  d'abord  par  un  particulier 
de  Scheveningen  ;  son  squelette  est  conservé  aujourd'hui  à 
Leyde.  Il  a  été  étudié  par  Schlegel  et  Flower. 

Un  autre  mâle  de  40  pieds  est  venu  se  perdre  sur  les  mêmes 
côtes  en  1844  (Schlegel). 

Un  mâle,  dont  le  squelette  est  au  Jardin  Zoologique 
d'Anvers,  a  échoué  à  l'île  Ylieland,  le  33  novembre  1851. 

En  1862,  un  individu  de  50  pieds  est  venu  à  la  côte  à 
Wick. 

En  mars  1866,  une  Balénoptère  de  cette  espèce  a  été  cap- 
turée au  Nieuwen-Dam,  et,  en  avril  1866,  une  autre  de  47  pieds 
au  Texel. 

En  novembre  1866,  une  femelle  de  47  pieds  a  été  trouvée 
flottante  en  mer  par  les  pécheurs  de  Scheveningen  ;  le  sque- 
lette est  au  Musée  de  Bruxelles. 

Sur  les  côtes  d'Allemagne,  les  échouements  paraissent  être 
moins  nombreux. 

Une  Balamoptera  musculus  de  60  pieds  a  échoué  en  janvier 
1721,  pas  loin  de  Brème;  on  l'a  désignée  sous  le  nom  de 
Palmfisch. 

En  décembre  1870,  un  cadavre  flottait  dans  la  mer  du  Nord 
et  fut  pris,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  pour  une 
torpille. 

Nous  trouvons  aussi  quelques  exemples  d'échouements  sur 
les  côtes  de  Danemark,  de  Suède  et  Norwège. 
-  Une  femelle  de  32  pieds  est  venue  se  perdre  sur  les  côtes  du 
Holsteîn  en  1819. 

Le  21  septembre  1841 ,  un  mâle  de  61  pieds  a  été  capturé 
sur  les  côtes  de  Nord-Zélande  ;  le  squelette  en  est  conservé 
à  Copenhague.  (Baers  Bazar,  1874.) 

En  1836,  un  individu  de  grande  taille  a  échoué  sur  les  côtps 
clu  Jutland;  tout  le  squelette  était  ensablé  quand  on  l'a  décou- 


(94) 

vert.  Son  crâne  seul  est  retiré.  Il  est  à  Louvain,  grâce  à 
Eschricht. 

Un  autre  individu,  de  68  pieds,  échoua  sur  les  côtes  de  Nor- 
vège, en  1837  ;  son  squelette  est  à  Christiania. 

Le  21  septembre  1841,  un  mâle  pourri  est  venu  échouer 
dans  le  Kattegat. 

Au  printemps  de  1846,  un  mâle  de  62  pieds  est  capturé  à 
Farsund. 

En  novembre  1838,  un  mâle  de  56  pieds  périt  sur  la  côte  de 
Norvège;  son  squelette  est  au  Musée  de  Bergen. 

En  1872  un  autre  a  péri  sur  les  côtes  de  Norvège  ;  le  pro- 
fesseur Struthers  en  possède  l'atlas  et  Taxis. 

En  février  1867,  on  en  a  vu  dans  le  Fiord  de  Christiania. 

On  signale  la  présence  de  Balénoptères  et  de  Mégaptères 
dans  la  Baltique,  mais  s'il  faut  en  croire  le  professeur  Mûnter, 
la  Bafénoptère  qui  nous  occupe  ne  pénètre  pas,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit,  dans  cette  mer  intérieure.  En  tous  cas,  elle  y 
est  rare. 

Nous  sommes  en  droit  de  citer  un  animal  de  ce  genre  qui  y 
a  péri  en  août  1874,  près  de  Dantzig.  Le  professeur  Zaddag 
en  a  publié  une  description  *.  11  suppose  que  cet  animal  a 
pénétré  dans  la  Baltique  à  la  poursuite  des  harengs;  son 
estomac  était  plein  de  poissons. 

Il  y  a  aussi  quelques  observations  faites  en  mer  sur  cette 
espèce  :  le  professeur  Sars  en  a  vu  pendant  tout  Tété  autour 
des  îles  Loffoden. 

M.  A.  H.  Cocks  raconte  que,  le  15  août,  il  a  vu  prendre  à 
Vardô  la  dernière  Balénoptère,  un  mâle  de  Balœnoptera 
musculus,  de  64  pieds. 

Le  22  août,  il  a  vu  plus  â  l'est  un  Musculus  et  un  Sibbaldii; 
après  le  2  septembre  il  a  aperçu  à  Eretiki  le  dernier  Musculus 
de  la  saison,  en  même  temps  que  la  Bakenoptera  Sibbaldii  et 
la  Megaptera  boops. 

1  Zaddach,  Beschrcibung  einer  Finwaler,  Balœnoptera  musculus.  Erich- 
son's  Archiv,  1875. 


(  95) 

En  1883,  sur  406  Balénoptères  capturées  sur  les  côtes  de 
Finmark,  il  y  avait  90  Balœnoplera  musculus. 

M.  Brown  fait  mention  de  cette  espèce  dans  sa  faune  des 
mammifères  du  Groenland  ;  il  cite  les  endroits  où  elle  stationne 
et  indique  les  Gades  (Cod)  comme  leur  nourriture. 

Ce  n'est  pas  seulement  sur  les  côtes  d'Europe  que  l'on  voit 
de  temps  en  temps  échouer  des  Balénoptères  qui  ont  les  carac- 
tères de  l'espèce  qui  nous  occupe;  divers  auteurs  en  ont  signalé 
à  la  Nouvelle-Angleterre;  on  en  voit  aussi  sur  les  côtes  est  et 
ouest,  tant  de  l'Amérique  septentrionale  que  de  l'Amérique 
méridionale.  Le  Musée  de  Stuttgard  en  a  reçu  une  tête  de  la 
Guyane,  et  le  Musée  de  Buénos^Ayres  en  possède  des  ossements 
provenant  de  la  République  Argentine. 

Burmeister  *  désigne  sous  le  nom  de  Balœnopierapatachonica 
une  Balénoptère  des  côtes  du  Brésil,  qui  correspond  à  notre 
Balœnoptera  muscuhts. 

Le  Muséum  de  Paris  a  reçu  des  squelettes  incomplets  de  la 
côte  de  Patagonie  :  le  sternum  d'un  de  ces  squelettes  et  les 
os  naseaux  sont  semblables  aux  mêmes  os  de  notre  Musculus  ; 
mais  l'omoplate  est  beaucoup  plus  allongée  que  celle  de  notre 
espèce  commune.  —  C'est  bien  l'omoplate  la  plus  éloignée 
par  sa  forme  de  celle  des  Mysticètes  ;  les  deux  premières 
côtes  sont  toutes  les  deux  franchement  bifides.  Les  marins 
qui  ont  rapporté  ces  ossements  prétendent  que  les  Italiens  ont 
séjourné  dans  ces  parages  avant  eux  et  qu'ils  ont  emporté 
plusieurs  os  de  ces  squelettes  2. 

*  Dans  les  Proc.  ZooL  Soc,  feb.  1865,  Burmeister  publie  une  notice  «  On  a 
^ew-Wbale  »  sous  le  nom  de  Balœnoplera  patachonica.  H  reproduit  un 
destin  de  l'atlas,  axis,  4«  et  G*  cervicales,  côte  omoplate  et  mandibule. 

*  L'expédition  de  la  Romanche  a  rapporté  deux  squelettes  de  Balénoptères; 
l'un  d'un  animal  trouvé  échoué  au  Neuw  Yeor  Sound,  l'autre  était  abandon- 
né sur  la  plage  ;  le  premier  a  été  préparé  avec  soin  à  bord.  Parmi  les  osse- 
ments nous  avons  vu  au  Muséum  deux  vertèbres  de  la  région  lombaire,  qui  ne 
semblent  pas  appartenir  à  ces  deux  squelettes.  Il  a  été  question  de  la  mission 
scientifique  au  Cap  Horn  dans  la  Revue  Scientifique,  décembre  1853. 


(96) 

Nous  croyons  aussi  reconnaître  cette  espèce  parmi  les  Balé- 
noptères signalées  par  le  capitaine  Scammon,  dans  l'océan 
Pacifique.  Cet  habile  baleinier  y  a  distingué  trois  espèces  de 
ce  genre  et  on  ne  peut  pas  ne  pas  reconnaître  leur  ressem- 
blance avec  les  nôtres. 

Le  British  Muséum  possède  un  squelette  de  l'île  Formose 
qui  a  tous  les  aractères  d'un  Musculus. 

Cette  espèce  vit  aussi  dans  la  mer  des  Indes  ;  elle  y  est 
connue  sous  le  nom  de  Balœnoptera  Blythii  ;  elle  ne  semble  pats 
y  dépasser  60  pieds» 

M.  Heuglin  écrit  du  Caire,  le  30  septembre  1851,  qu'il  a 
découvert  une  mandibule  de  Balœnoptera  dans  la  mer  rouge» 
—  Dans  l'archipel  de  Dahlak,  dit-il,  se  trouve  ce  cétacé,  qui  se 
tient  dans  les  profondeurs  et  qui  se  nourrit  de  poisson.  — 
Quelquefois  un  poisson  scie  pénètre  dans  sa  gueule  et  le  blesse 
mortellement.  Le  cadavre  est  jeté  sur  la  côte  d'Âbyssinie.  Les 
habitants  ne  le  chassent  pas,  mais  quand  il  y  en  a  qui  échouent, 
les  habitants  des  côtes  tirent  parti  de  leur  graisse.  —  La  man- 
dibule a  13  pieds  de  longeur  *. 

Dans  l'océan  Austral  cette  même  espèce  porte  le  nom  de 
Balœnoptera  antarctica. 

Parmi  les  Balénoptères  d'Australie  j'ai  signalé  :  1°,  un 
animal  de  67  pieds,  possédant  62  vertèbres,  un  sternum  de 
musculus,  capturé  le  20  avril  1881  à  5  milles  de  Christ- Church; 
le  squelette  ressemble  si  complètement  dans  toutes  ses  parti- 
cularités ostéologiques  à  celui  de  la  Balœnoptera  musculus,  que 
ce  serait  extraordinaire  si  les  deux  n'appartenaient  pas  à  la 
même  espèe,  dit  Jul.  von  Haast  *.  2°,  un  autre  avec  64  vertè- 
bres, de  New  Brighton;  ce  doit  être  notre  Sibbaldii;  enfin 
3°,  une  autre  forme  dont  le  squelette  est  à  Londres  et  qui  a 
tous  les  caractères  de  la  Balœnoptera  rostrata. 


1  Sitzungsberichte  der  Malh.-Nalurw.  Classe  d.  A*.  AkademU  d.  Wis- 
sensch.  8,cr  1851.  Ce  Poisson-scie.  Schwerd-fish,  est  sa  us  doute  un  Orque. 

1  Prof.  Julius  von  Haast,  Notes  on  a  skeleton  of  Balœnoptera  australe, 
Proc.  Zool.  Soc.  1883,  p.  592. 


(97) 

Une  Balœnoptera  du  sexe  mâle,  de  67  pieds  de  long,  le  côté 
et  le  dos  of  a  thush-back  tint,  dont  la  colonne  vertébrale  est 
formée  de  62  vertèbres,  qui  a  15  côtes,  le  sternum  semblable 
à  l'espèce  commune  d'Europe,  ainsi  que  le  bassin,  capturée 
dans  les  eaux  de  la  Nouvelle-Zélande,  a  tous  les  caractères 
de  l'espèce  qui  nous  occupe  *. 

En  résumé,  au  sud  comme  au  nord  de  l'Atlantique,  dans  le 
Pacifique,  dans  l'océan  Austral  comme  dans  la  mer  des  Indes, 
on  signale  plusieurs  Balénoptères,  différant  entre  elles  de  taille, 
et  parmi  lesquelles  il  n'est  pas  difficile  de  reconnaître  une 
espèce  qui  correspond  parfaitement  à  notre  Balœnoptera 
musculus. 

La  Balœnoptera  borealis  n'a  été  reconnue  définitivement  en 
Europe  que  dans  ces  derniers  temps.  Partout  ailleurs,  comme 
en  Europe,  il  parait  que  c'est  aussi  la  plus  rare  des  quatre, 
et,  par  conséquent,  la  dernière  à  être  reconnue. 

MUSÉES. 

C'est  l'espèce  dont  le  squelette  est  le  plus  commun  dans  les 
Musées.  Un  des  plus  beaux,  par  son  développement  complet, 
est  celui  du  Musée  de  Stockholm,  provenant  d'un  animal 
capturé  sur  les  côtes  de  Finmark;  celui  de  l'Ile  de  Wight 
(Black  Ging  Chine),  échoué  au  nord  de  cette  Ile,  est  fort  inté- 
ressant aussi  par  son  état  adulte. 

Nous  allons  énumérer,  par  ordre  alphabétique,  les  villes  où 
l'on  conserve  des  squelettes  ou  des  os  séparés. 

A  Aalesund  (Norvège),  on  possède  un  atlas,  un  axis ,  une 
omoplate,  un  radius  et  un  maxillaire  inférieur  d'un  animal 
échoué  sur  ces  côtes  en  1872. 

A  Aberdeen,  on  voit  le  squelette  d'un  mâle  de  68  pieds, 
capturé,  en  juin  1869,  près  de  Wick  (Caithnesshire);  il  appar- 

1  Parker,  T.  Seffert,  Notes  on  a  skeleton  and  Daleen  of  aFin-Whale 
(Balseooptera  mascalus),  recently  acquired  by  ihe  Olago  University  Muséum. 
New  Zealand  Journ.  Se,  vol.  II,  n*  7,  p.  351. 

Tome  XLI.  7 


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O         *       «,     *    •  .»     #     - 


(98) 

tient  à  la  collection  du  professeur  Struthers;  puisqu'il  a  plus 
que  la  taille  moyenne  de  l'espèce,  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  pro- 
vient d'un  jeune  animal. 

Le  Jardin  royal  de  Zoologie  d'Anvers  possède  le  squelette 
complet  d'un  animal  échoué  à  l'île  Vlieland  (23  novembre 
4881). 

A  Barcelone,  au  Musée  de  l'Université,  on  conserve  le 
squelette  de  l'animal  échoué  le  11  juin  1863,  à  l'est  de  la  ville* 
Au  cabinet  d'histoire  naturelle  de  l'Académie  des  sciences 
et  arts  de  la  même  ville,  existent  les  restes  d'un  animal  très 
jeune,  qui  a  péri  en  juillet  1835  à  la  plage  de  la  Barcelonet 
(M.  P.  Graells). 

A  Bergen,  on  conserve  plusieurs  squelettes  complets  d'indi- 
vidus échoués  dans  les  fiords  des  environs. 

A  Berlin,  le  Musée  anatomique  de  l'Université  possède  un 
squelette  complet  des  côtes  de  Norvège  ;  un  autre,  provenant 
d'un  mâle  de  43  pieds,  échoué  à  l'embouchure  de  l'Elbe  en 
novembre  1824.  Un  troisième  d'une  femelle  trouvée  morte  en 
mer,  en  décembre  1870,  et  qui  avait  été  prise  d'abord  pour 
une  torpille. 

Au  Musée  de  Bristol  se  trouve  le  squelette  d'une  femelle  qui 
a  échoué  dans  la  Savern,  en  janvier  1885. 

A  Bordeaux,  on  conserve  le  squelette  d'une  autre  femelle 
de  20", 80,  qui  a  été  capturée  au  large  de  l'île  de  Groix, 
le  17  juillet  1879.  Cette  femelle  portait  un  fœtus  de  lm,20,  qui 
est  conservé  au  Muséum,  à  Paris. 

A  Bologne,  on  possède  un  squelette  non  monté. 

A  Boulogne-sur-Mer,  on  voit,  au  Musée,  des  ossements 
séparés  qui  ont  été  trouvés  dans  les  fondations  du  bassin 
du  Chatillon. 

A  Saint-Brieuc  (France)  on  conserve  un  squelette  d'un  ani- 
mal d'une  quarantaine  de  pieds,  qui  a  été  capturé  dans  la  baie 
de  ce  nom. 

Le  Musée  royal  de  Bruxelles  possède  le  squelette  d'une 
jeune  Balénoptère  qui  est  venue  à  la  côte,  à  Scheveningen,  en 
avril  1860. 


-•  •• 


•■  • 


::  • 
•  ••• 


(99) 

A  Buenos-Ayres,  on  conserve  le  squelette  d'un  animal 
recueilli  à  10  milles  de  cette  ville,  le  3  février  1867. 

Le  14  janvier  1885,  un  mâle  de  18m,85  a  péri  sur  les  côtes 
du  Calvados,  à  Luc-sur-Mer,  dont  le  squelette  est  conservé  au 
Musée  de  Caen. 

A  Cadix  on  possède  un  squelette  monté. 

Le  Musée  de  l'Université  de  Cambridge  renferme  le  squelette 
d'un  mâle  de  67  pieds,  qui  est  venu  à  la  côte  dans  la  Manche, 
à  Pevensay-Bay,  en  1865;  la  moitié  d'un  autre  squelette,  dont 
le  restant  est  au  Collège  royal  des  chirurgiens,  à  Londres, 
et  une  tête  avec  ossements  divers  provenant  de  Margate. 

A  Calcutta,  au  Musée  de  la  Société  asiatique,  on  conserve 
également  un  squelette  qui  a  tous  les  caractères  de  cette 
espèce. 

A  Christ-Church,  Canterbury  Muséum  (Nouvelle-Zélande), 
on  possède  un  squelette  complet. 

A  Christiania,  on  voit,  au  Musée  anatomiqua,  des  ossements 
de  trois  ou  quatre  individus  différents.  Un  de  ces  squelettes 
provient  d'un  animal  capturé  dans  Christiania-Fiord ,  en 
février  1867. 

Au  Musée  de  l'Université  de  Copenhague,  il  y  a  un  squelette 
complet  d'un  mâle  de  65  pieds,  qui  a  été  capturé,  le  SI  sep- 
tembre 1841,  à  Nord-Zeland. 

Dantzig  possède  le  squelette  d'une  femelle  prise  en  1874 
près  de  la  ville,  et  ddnt  Zaddach  a  donné  une  description. 

Un  squelette  complet  avec  bassin,  étudié  par  le  Dr  Knox, 
en  1831,  se  trouve  au  Musée  d'Edimbourg.  Il  a  été  longtemps 
exposé  au  Jardin  Zoologique.  Plusieurs  caisses  tympaniques, 
recueillies  dans  l'argile,  à  Stirling,  sont  conservées  dans  le 
même  Musée  par  les  soins  du  professeur  Sir  Turner. 

A  Gènes  se  trouve  le  fœtus  d'une  femelle  qui  a  échoué 
entre  la  Spezzia  et  Levanto. 

A  Gloucester,  on  conserve  le  squelette  d'une  Balénoptère, 
capturée  près  de  la  côte,  le  15  octobre  1870. 

Gotbenbourg  possède  un  squelette  complet  provenant  de  la 
côte  de  Finmark. 


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(  100  ) 

Le  Musée  de  Grenoble  renferme  le  crâne  et  quelques 
vertèbres  d'une  Balénoptère  échouée  près  de  Cannes  le 
14  avril  1864. 

Au  Musée  du  Havre,  on  voit  un  squelette  de  femelle  pro- 
venant d'un  animal  capturé  en  1885  par  les  pécheurs  de 
Fécamp. 

Le  Musée  de  l'Université  de  Kiel  possède  aussi  un  sque- 
lette. 

Le  Musée  royal  de  Leyde  possède  une  tête  et  des  squelettes 
d'individus  échoués  sur  les  côtes  des  Pays-Bas. 

A  Leeuwaerden  (Friesland)  on  voit,  au  cabinet  provincial, 
des  vertèbres  et  divers  os  recueillis  dans  l'alluvium. 

Liège  possède,  au  Musée  de  l'Université,  le  squelette  d'un 
jeune  animal  échoué  à  l'embouchure  de  l'Escaut,  en  mai  1869, 
et  un  autre  fort  adulte  des  côtes  de  Norvège. 

A  Lille  on  conserve,  au  Musée  de  la  Faculté  catholique,  le 
squelette  d'un  mâle  de  23  mètres,  trouvé  en  mer  par  les 
pécheurs  de  Dunkerque  en  février  1878. 

A  Londres,  au  Collège  royal  des  chirurgiens,  on  conserve 
la  tête  d'un  individu  qui  est  venu  à  la  côte  à  Yarmouth  en 
1887  ;  on  y  conserve  en  outre  un  demi-squelette  dont  l'autre 
moitié  est  à  Cambridge. 

Au  British  Muséum  on  voit  le  squelette  d'un  jeune  animal 
qui  a  péri  dans  le  canal  Saint-Georges  en  1846;  un  autre 
squelette,  d'un  animal  remorqué  à  Plymouth  en  1831.  On  y 
conserve  aussi  plusieurs  caisses  tympaniques  et  des  vertèbres 
cervicales  séparées. 

A  Londres  encore,  a  été  exposé  à  Alexandra  Park  le  (sque- 
lette d'un  animal  qui  a  été  capturé  en  1863  près  de  Falmouth  ; 
au  Rosherville  garden,  on  possédait  le  squelette  d'un  mâle,  de 
60  pieds,  qui  a  péri  en  mai  1859  à  Gravesend. 

Nous  possédons  au  Musée  de  l'Université  de  Louvain  la  tête 
d'un  animal,  estimé  à  70  pieds,  qui  a  échoué  en  1863  sur 
les  côtes  du  Jutland  et  dont  le  restant  du  squelette  est  resté 
enseveli. 

On  conserve  à  Lyon,  au  Musée  d'histoire  naturelle,  le  sque- 


*•  •:  •••  •••  • 

•  •  •      l  ••*  \ 


(  101  ) 

lette  très  adulte  de  la  Balénoptère  qui  a  été  capturée  à  Saint- 
Cyprien  le  27  novembre  1828  i,  et  un  autre,  provenant 
d'Ajaccio,  d'un  animal  capturé  à  la  fin  de  1877  ou  au  com- 
mencement de  1878  ;  le  premier  a  été  exposé  à  Barcelone  par 
M.  Companyo,  m'écrit  M.  P.  Graells.  Il  a  60  vertèbres  ;  c'est 
le  premier  squelette  de  Balénide  que  le  sénateur  de  Madrid 
ait  vu. 

Le  Musée  de  Madrid  possède  le  squelette,  non  monté,  d'un 
animal  échoué  le  28  juin  1832  sur  la  plage  du  port  de  l'Escala, 
Golfe  de  Rosas. 

Au  Musée  de  la  ville  de  Marseille,  on  conserve  un  squelette 
dépareillé  qui  a  été  longtemps  exposé  au  Jardin  Zoologique. 
On  y  voit,  en  outre,  des  os  provenant  au  moins  de  quatre 
individus  différents. 

A  Melle,  près  de  Gand,  on  possède  le  squelette  de  l'animal 
rencontré  en  face  de  Douvres,  le  5  février  1885.  Il  a  été  exposé 
à  Ostende  où  les  pêcheurs  avaient  conduit  le  corps. 

A  Milan  on  conserve  au  Musée  un  squelette  qui  n'est  pas 
monté. 

A  Munich,  on  conserve  au  Musée  la  tête  d'un  animal  capturé 
en  1831  dans  l'Adriatique,  près  d'Ancone,  et  divers  ossements 
séparés. 

A  Paris,  il  existe  au  Muséum  la  tête  de  l'animal  échoué 
en  1797  à  l'île  Sainte-Marguerite,  en  face  de  la  ville  de  Cannes  ; 
le  squelette  provenant  d'un  animal  capturé  à  l'embouchure  de 
l'Adour  en  1823;  un  autre,  d'un  exemplaire  échoué  en  1827, 
à  l'embouchure  de  la  Somme  ;  un  troisième,  d'un  individu 
échoué  en  1847  à  l'embouchure  de  la  Seine,  et  un  squelette 
d'origine  inconnue.  Il  s'y  trouve  en  outre  des  os  séparés, 
parmi  lesquels  ceux  d'un  animal  qui  a  échoué  le  21  décem- 
bre 1881  dans  le  voisinage  d'Arcachon.  Le  squelette  de  la 
jeune  femelle  (Sœ,30)  qui  a  été  capturée  dans  la  Méditerranée, 
dans  le  golfe  de  Cavalaire,  le  28  novembre  1884,  y  est  égale- 
ment conservé. 

4  Companyo,  Histoire  naturelle  du  Dép.  des  Pyrénées-Orientales,  t.  III,  p.  81. 


(  102  ) 

Au  Muséum  à  Paris,  on  conserve  également  un  beau  sque- 
lette des  côtes  de  Patagonie,  et  une  tête  de  Balœnoptera  reçue 
du  Japon  ;  cette  dernière  a  tous  les  caractères  de  notre  Balé- 
noptère ordinaire.  Nous  avons  cru  d  abord  devoir  la  rapporter 
à  la  Balœnoptera  borealis,  mais  les  os  nasaux  surtout  indiquent 
une  affinité  plus  grande  avec  la  Balœnoptera  Musculus  *. 

Nous  ignorons  ce  que  le  squelette  de  la  femelle  capturée  aux 
environs  de  Palavas  est  devenu.  M.  Doûmet-Adanson  dit  qu'il 
est  entre  les  mains  de  M.  Demay. 

Pise  conserve  le  squelette  d'un  animal  capturé  sur  la  côte 
de  l'île  d'Elbe. 

A  Pontevedra  (Espagne)  se  trouve  un  squelette  non  monté. 

A  Rome  on  conserve  le  squelette  de  la  Balénoptère  de 
S.  marinella. 

A  Rennes  on  conserve  une  tête  trouvée  dans  la  tourbe  du 
marais  de  Dol.  Elle  a  de  S  à  6  mètres  de  longueur  (Cap.  Jouan). 

A  La  Rochelle  on  voit  la  peau  d'un  jeune  animal  capturé 
dans  le  golfe  de  Gascogne. 

Rouen  possède  le  squelette  complet  d'un  animal  échoué  au 
Tréport. 

Le  Musée  de  l'Académie  de  Saint-Pétersbourg  conserve  des 
os  séparés  de  cette  espèce,  dont  nous  ignorons  l'origine. 

A  Santiago  (Galice)  on  conserve  le  squelette  de  l'animal  que 
l'on  avait  pris  pour  une  Baleine  ;  il  a  un  peu  moins  de  60  pieds 
de  longueur.  On  en  conserve  aussi  à  Séville. 

Le  Musée  de  l'Académie  de  Stockholm  possède  un  superbe 
squelette  d'un  mâle  de  58  pieds,  des  côtes  de  Finmark. 

Le  Carolinska  Institut  de  Stockholm  possède  un  autre  sque- 
lette. 

Le  Musée  de  Stuttgard  a  reçu  la  tête  d'un  animal  qui  a 


1  Le  Muséum  a  reçu,  en  même  temps  que  la  lête,  une  série  de  fanons  qui 
ne  sont  pas  étiquetés  et  que  Pon  croyait  devoir  attribuer  au  borealie.  Ils 
sont  verdâtres  et  striés  de  blanc  Paul  Gervais  a  publié  le  dessin  de  la  tête, 
vue  debout,  la  mandibule  et  la  caisse  lympanique,  dans  sou  Journal  de 
Zoologie  vol.  V,  (1876»  pi.  I  etll. 


(103) 

échoué,  en  1877,  sur  les  côtes  de  la  Guyane  hollandaise,  à  l'em- 
bouchure du  fleuve  Maroni. 

A  Turin,  on  voit  au  Musée  le  squelette  monté,  de  49  à 
20  pieds,  d'un  animal  échoué,  en  novembre  1844,  sur  la  plage 
de  Bordighera  (côtes  de  Ligurie). 

A  Toulon,  on  voit  le  squelette  d'un  animal  qui  a  échoué  près 
de  la  ville  en  décembre  1860. 

A  Toulouse  se  trouve  un  beau  squelette  bien  conservé  d'un 
individu  échoué  près  d'Alger  en  1883. 

L'Université  de  Valence  possède  le  squelette  monté  d'un 
animal  trouvé  le  17  février  à  la  plage  de  Burriana  *. 

A  l'île  de  Whigt  (Black  Ging  Chine)  on  conserve  le  squelette 
monté  d'un  animal  très  adulte  échoué  sur  les  côtes  de  1  île. 


DESSINS. 

Comme  cette  Balénoptère  a  été  souvent  capturée,  elle  a  été 
aussi  très  souvent  figurée. 

Il  existe  un  grand  nombre  de  planches  représentant,  sous 
le  nom  de  Baleines,  des  Balénoptères  et  des  Cachalots.  Une 
des  plus  anciennes  reproduit  un  animal  qui  a  péri  dans 
l'Escaut  le  5  juillet  1577;  une  autre  date  de  1595,  d'après  un 
animal  échoué  à  ZandVoorde;  puis  une  de  1598  représentant 
un  animal  échoué  entre  Scheveningen  et  Katwyk,  et  une 
de  1601,  d'après  un  animal  échoué  sous  Beverwyk  *. 

Il  y  a  encore  deux  Balénoptères  figurées,  une  de  1629,  près 
de  Noortwyk,  et  une  de  1791,  entre  Wyk-aan-Zee  et  Zant- 
voorde.  On  lit  le  nom  de  Vinvis  sur  la  dernière. 

Martens  donne  une  figure  de  cette  Balénoptère,  mais  il  ne 


1  Les  renseignements  sur  les  squelettes  conservés  en  Espagne  m'ont  été 
donnés  par  le  sénateur  Mariano  P.  Graells. 

1  Ces  diverses  planches  ont  fail  partie  d'une  collection  appartenant  a  feu  le 
D»  Buurkamp  van  der  Vinne.  Bibiioth.  IchlyoL  et  piscaloria.  Haerlem.  1875. 


(104) 

reproduit  pas  les  replis  sous  la  gorge,  ce  qui  est  évidemment 
le  résultat  d'une  négligence.  Brandt  et  Ratzeburg  ont  reproduit 
ce  dessin,  pi.  XV,  fig.  1,  sous  le  nom  de  Balœnoptera  physalus. 

On  en  voit  un  dessin  dans  Lacépède  *,  qui  a  proposé  le 
nom  générique  de  Balœnoptera,  pour  les  Baleines  à  aileron. 

On  voit,  dans  les  Vélins  du  Muséum  à  Paris,  le  dessin 
d'un  animal  qui  a  échoué  au  Havre  en  1852. 

Blumenbach  a  fait  graver  le  dessin  d'un  animal  de  52  pieds 
qu'il  avait  vu  en  Hollande  2.  Un  dessin  de  cette  même  Balé- 
noptère a  été  vendu  à  Leeuwaerden  et  acheté  par  Van  Breda. 
C'est  probablement  le  dessin  de  l'animal  qui  a  échoué  le 
18  novembre  1791,  entre  Katwyk-aan-Zee  et  Zandvoorde;  une 
gravure,  portant  Vinvisch,  est  conservée  à  la  Bibliothèque 
royale  de  Belgique. 

Schlegel  a  publié  dans  ses  AbhatuUungen,  pi.  IX,  le  dessin 
d'un  mâle  de  40  pieds,  capturé  en  1841  ;  d'une  femelle  de 
81  pieds  échouée  en  1836  également  sur  les  côtes  des  Pays-Bas, 
et  un  autre  d'une  femelle  de  37  pieds  échouée  le  5  avril  1826 
à  Wyk-aan-Zee  dans  ses  Nieuwe  Verhandlungen  3* 

Nous  en  trouvons  encore  un  dessin  dans  Zaddach  *  et 
dans  Rosenthal  5. 

Un  dessin  médiocre  du  môme  animal  a  été  publié  par  Van 
Breda  «. 

Ravin  a  publié  la  figure  du  mâle  qui  a  échoué  sur  la  côte 
du  département  de  la  Somme,  en  1829  ?. 


1  Lacépède,  Ris  t.  nat.  des  Cétacés,  pi.  1,  flg.  2,  et  pi.  IV,  fig.  2. 

*  Blumenbach,  Abbitdungen  naturnist.  Oegenstaende ,  8**rHeft;  Gôttin- 
gen,  1805. 

*  Schlegel,  Abhandlungen ,  pi.  VI,  fig.  1.  Nieuwe  Verhandlungen 

nedtrl.  Institut,  1818,  III,  pi.  I  et  II,  et  1828,  III,  pi.  I,  II  et  IX. 

*  Zaddach,  Beschreibung  eines  Finwales. 

*  Fr.  Rosenthal,  Ein.  naturh.  Bemerkung.  uber  die  Walle,  Greiftarid, 
1827  {Balœna  rostrata,  Fabr.  var,  major)» 

*  Alg.  Kunsl  en  Letterkunde,  1827.  L'animal  est  placé  sur  le  dos. 
1  Ann.  Se.  natur.,  2«  sér.,  t.  V,  1836. 


(  108  ) 

M.  le  professeur  Flower  a  publié  un  très  bon  dessin  d'un 
mâle  sous  le  nom  de  Physalus  antiquorum*. 

M.  Sars  figure  un  mâle,  de  40  pieds  et  demi  de  long,  capturé 
dans  les  eaux  de  Lofoden  eu  1865  *,  et  un  autre  mâle  adulte  de 
Varanger  Fiord,  pi.  I  3. 

M.  Braeutigam  publie  le  dessin  de  la  femelle  trouvée  morte, 
en  pleine  mer  du  Nord,  en  décembre  1870  *. 

M.  Southwell  a  également  reproduit  un  dessin  de  cet 
animal. 

Le  professeur  Yves  Delage  vient  de  publier  l'histoire  de  la 
Balœnoplera  musculus  échouée  sur  la  plage  de  Langrune,  et  un 
atlas  de  23  planches,  dans  les  Archives  de  zoologie  expérimen- 
tale de  Lacaze-Duthiers. 

Il  existe  une  photographie  du  squelette  de  Santiago,  qui 
avait  été  pris  pour  celui  d'une  Baleine. 

Le  professeur  Giglioli  a  publié  différents  dessins  de  Balé- 
noptères qu'il  a  aperçues  pendant  son  voyage. 

Nous  trouvons  aussi  quelques  bons  dessins  de  Balénoptères 
dans  l'intéressant  livre  du  capitaine  Scammon,  sur  les  animaux 
marins  de  la  côte  Nord-Ouest  de  l'Amérique  du  Nord. 

Jul.  von  Haast  a  reproduit  le  dessin  du  sternum  et  du 
bassin  de  la  Balénoptère  qui  a  été  capturée  à  peu  de  distance 
de  Ghrist-Church  (nouvelle  Zélande.) 

COMMENSAUX  ET  PARASITES. 

Le  professeur  Sars  et  Sophus  Hallas  ont  trouvé  des  Penella 
Bakenopterœ,  enchâssées  par  la  tête,  dans  l'épaisseur  de  la  peau  ; 

1  Flower,  Notes  on  four  spécimens  of  the  common  Fin-Whale  (Physalus 
antiquorom),  Proc.  Zool.  Soc.,  pL  XL VII,  1869t. 

*  Sars,  BeskriveUe  af  en  ved  Lofoten  indb.  Rohrval  Balomoptera  mu#- 

CVjut.  ÀPTRTKT  AF  Vid-SeLSEABBTS  FORHANDL  .,  for   1885. 

*  Fortoa*to(1880),pl.  I. 

*  Fr.  Braeutigah,  Ein.  Zool.-Zoot  Beitrtige  sur  Walthierkunde.  Inau- 
gural-Dissertation, 29  juli,  1874. 


(106) 

ils  les  ont  observées  aux  tles  Lofoden  et  sur  les  côtes  d'Islande. 
Sars  a  vu  des  Penella  d'un  pied,  avec  la  partie  antérieure  du 
corps  plongée  dans  la  couche  graisseuse  ;  sur  la  partie  extérieure 
du  corps  vivait  un  cirripède,  Cineras  vittata. 

Le  Dr  Mûrie  signale  des  Echinorhynchus  en  abondance  dans 
l'intestin.  Il  reste  à  déterminer  s'ils  se  rapportent  à  V Echinor- 
hynchus porrigens  de  Rudolphi,  ou  à  l'espèce  de  la  Balœnoptera 
Sibaldii,  que  Malm  a  désignée  sous  le  nom  spécifique  de 
brevicollis. 


BAUENOPTERA  SIBBALDII. 


LITTÉRATURE. 

SlMaM,  Phalainologia  nova,  Edinburgh,  1692. 

Bteatathal  und  B«nuHDh«eb,  Epis  t.  de  Balœnopteriê  quib.  Gry- 
phiœ,  4825. 

▼mi  Breda,  Eenige  byzonderheden  omirent  den  Walvisch,  die  dm 
8dm  november  1827  by  Oostende  gestrand  is.  Alqim.  Kunst-bn-Littbb- 
bode,  1827,  n«  48. 

a>a  Bar,  Ostéographie  de  la  Baleine  échouée  à  l'est  du  port  dfOstende, 
le  A  novembre  1827.  Bruxelles,  1828. 

P.-L.  Vana'ertlaa'èa,  Notice  sur  un  squelette  de  Balénoptère,  exposé 
à  Bruxelles  en  juin  et  juillet  1828.  Bruxelles,  1828. 

Ca.  Marren,  Over  de  Balœnoptera  rostrata  van  Fabricius  en  beoor- 
decHng  des  werken,  welke  over  een  dier  dezer  soort,  den  4  november,  ter 
oosten  van  de  haven  van  Oostende  gestrandt,  uitgegeven  zpn.  Bydragbn  tôt 

NATUURK.UND1GB  WBTBNSCflAPPBN,  1829,  pp.  52-84. 


P.-L.  ▼aaa'erlladea,  Quelques  observations  en  réponse  à  un  article 
de  M.  Ch.  Morren,  sur  la  Balénoptère  échouée  près  d'Ostende....  Messager 
des  sciences  et  des  arts,  publié  à  Gond. 


t,  Sur  la  Baleine  échouée  près  d'Oetende,  1827.  Paris,  1829, 
8»,  62  pages. 

av.  Baaart  K.box,  Anatomy  of  the  Rorqual,  Paoc.  rot.  Soc.,  Edin., 
march  18,  1833. 


(108) 

Cray,  Paoc.  Zool.  Soc.,  1847. 

Flower,  On  Physahu  Sibbaldii,  Proc.  Zool.  Soc,  W.,  1865,  p.  470. 

A.  w.  Malat,  Nagra  Blad  om  ffvalctfur  i  allmânhet,  och  Balœnop- 
tera Carolinœ  isynnerhet.  Gôteborg,  4866. 

a.  w.  Mal  m,  Monographie  illustrée  de  la  Balénoptère  trouvée  le 
39  octobre  1865  sur  la  côte  occidentale  de  Suède.  Stockholm,  1867. 

S.  Relaaardl,  Nogle  Bemârkninger  om  Fslœndemes  steypirtydr; 
aflryk  af  videnskab.  Mbddrls.  r.  d.  nature.  Foren,  4867,  nM  8-14. 
Kiobenhaven,  4868. 

aiaphaa  Hallaa,  Optegnelser    om  nogle  paa  et  hvalfangst   Too.... 

VlDENSK.  MEDD.  FRA  DEN  NATURHI8T.  ForCD  for,  4867. 

W.  H.  riewer,  On  the probable  idently  ofthe  Fin-Whates,  deeeribed 
as  Balœnoptera  Carolinœ.  Proc.  Zool.  Soc,  mars  4868. 

W.  Taraer,  An  account  of  the  great  Finner-whale  (Balœnoptera 
Sibbaldii)  Stranded  al  Umgniddry.  Transact.  op  the  rot.  Soc.  of  Edin- 
bubqh,  vol.  XXVI,  4870. 

G.  o.  «ara,  Om  Blaahvalen,  Christian.  Vid-Selskabs  Forhandlinger 
for  4874. 

P.-J.  Tan  Beaedto*,  Notice  sur  la  grande  Balénoptère  du  Nord, 
d'après  les  notes  tirées  du  Journal  de  voyage  du  docteur  Otto  Finsch, 
de  Brème.  Bullrt.  Acad.  rotali  de  Belgique,  S*  série,  t.  XXXIX, 
juin  4875. 

Jalla*  Miller,  Ueber  Zwei,im  49  Jahrhunderte  bei  Greifswald  zur 
Section  gelangte  mânnHche  Indwiduen  von  Balœnoptera  Sibbaldii  Van  Ben, 
Greifswald,  4877. 

Sara,  Bidrag  til  en  noiere  characteristik  af  vore  Bardehvaler.  Vid* 
Selsk.,  Forb,  4878. 


P.-J.  Wem  Beaeaea,  Une  page  de  l'histoire  (Tune  Baleine,  .... 
Bulletin  — .,  3*  aér.,  U  II,  4884. 


(  109  ) 

Tycho  Tallberg,  Bau  und  Enturickehtng  der  Barten  M  Balamoptera 
Stbbaldii,  Nov.  act.  rbo.  Soc  Scirntiar.,  Upsaliensis,  Ser.  tort.  vol.  XI, 
183*. 

Bmtmelmêbr,  Atlas  —•  de  la  République  argentine....  in  foL  Buenos- 
Àyres,  4885. 

Wrmt .  M*bl« ,  Ueber  emen  bei  Suit  gestrandetèn  Blauwal  (Balœnop- 
tera  Sibbaldli).  Schrift.  d.  vaturwiss.  Vrrbns  fur  ScsiBswia-flofr» 
8TBIN,  Bd,  VI,  Kiel,  488». 

CL  «net*,  Notes  sur  la  tète  d'un  fœtus  de  Bal  Sibbaldii.  Aurt.  Soc 
Sciintif.  dr  BauzitLts,  9«  année  4885. 

m*  GiitaT  «vld^er*,  Zwr  Biologie  der  NordatlanHsehen  Finwal- 
arien.  Zoologiscbbr  Jabrbûcbbr,  novembre,  4886* 

BUfcerl  Gray,  JVofe*  on  a  Voyage  to  the  Groenland  Seas  m  4886. 
Tbb  Zoologist,  april,  4887. 


(  110) 


HISTORIQUE. 

Le  terme  générique  de  Balénoptère  est  de  Lacépède.  Il  est 
généralement  adopté  aujourd'hui  pour  les  Baleines  qui  ont  une 
nageoire  sur  le  dos.  Les  baleiniers  les  désignent  sous  le  nom 
de  Finnfish. 

Le  mot  spécifique  de  Sibbaldii,  proposé  par  Gray  pour  la 
plus  grande  espèce  animale,  c'est-à-dire  pour  la  Balénoptère, 
qui  dépasse  parfois  80  pieds  en  longueur,  a  été  introduit  par  le 
savant  directeur  du  Britisb  Muséum,  en  1847.  Il  est  à  regretter 
qu'il  n'ait  pas  toujours  été  aussi  heureux  en  proposant  des 
noms  nouveaux. 

Gray  a  proposé  ce  terme  spécifique  de  Sibbaldii  en  voyant  le 
jeune  squelette  de  47  pieds  de  long  qui  est  conservé  au  Musée 
de  la  Société  philosophique  de  Hull  ;  on  doit  lui  rendre  cette 
justice  que,  s'il  n'a  pas  connu  les  caractères  distinctifs  ou  spé- 
cifiques de  l'animal,  il  a  reconnu  au  moins  ses  affinités  avec  les 
autres  Balénoptères,  que  Sibbald  avait  décrites  à  la  fin  du 
XVII»  siècle. 

En  effet,  en  1692,  sir  R.  Sibbald  avait  fait  connaître  deux 

0 

Balénoptères  échouées  sur  les  côtes  d'Ecosse;  l'une,  un  mâle, 
de  18  pieds  de  long,  l'autre,  un  animal  de  46  pieds  de  long; 
tous  les  deux  s'étaient  perdus  dans  la  même  baie  de  Forth.  La 
première  se  rapporte  sans  aucun  doute  à  l'espèce  que  nous 
désignons  sous  le  nom  de  B.  Sibbaldii. 

Sous  le  nom  de  Phy sains,  Pallas  avait  déjà  parlé  de  Balé- 
noptères de  84  pieds,  qu'il  avait  observées  dans  les  mers  du 
Nord  en  1740.  Il  n'est  pas  douteux  que  la  Balœna  phy  sains  de 
Pallas,  qualifiée  de  vulgatissima  species,  in  mare  boreo  et  oceano 
orientali,  ne  soit  l'espèce  qui  nous  occupe,  car  c'est  la  seule 
qui  atteigne  cette  taille  *.  Du  reste,  les  caractères  des  fanons 
indiqués  par  l'illustre  voyageur,  suffiraient  pour  la  reconnaître. 

*  Pallas,  ZooL  Ross.  As.,  p.  290. 


(  114  ) 

Le  même  naturaliste  fait  mention  également  d'un  squelette 
de  Finn/feA,  c'est-à-dire  de  Baleine  à  nageoire  dorsale,  rapporté 
par  Petrus  Kargin  au  Musée  de  S'-Pétersbourg.  L'animal  a 
84  pieds  anglais  de  longueur,  dit-il,  des  fanons  d'un  noir 
bleuâtre;  mais  il  accorde  à  ceux-ci  une  longueur  de  10  à 
12  pieds.  Il  y  a  évidemment  une  erreur  à  ce  sujet,  puisqu'il  n'y 
a  pas  de  Baleine  à  nageoire  dorsale  avec  des  fanons  de  plus 
de  4  ou  5  pieds.  Cette  Balénoptère  de  la  mer  glaciale,  à  en 
juger  par  la  taille  ainsi  que  par  la  couleur  des  fanons,  est, 
sans  aucun  doute,  de  la  même  espèce;  les  Islandais  la  con- 
naissent sous  le  nom  de  Steypireydr. 

Mais  on  a  cru  longtemps,  avec  Cuvier,  que  toutes  ces  diffé- 
rences de  taille  devaient  être  attribuées  à  des  différences  d'âge. 
Le  célèbre  naturaliste  du  Muséum  admettait  un  Rorqual  de  la 
Méditerranée,  dont  l'individu  de  l'Ile  S^-Marguerite  était  le 
type,  et  un  Rorqual  de  la  mer  du  Nord,  dont  le  squelette  de 
Berlin  était  l'autre  type. 

Le  4  novembre  4827,  les  pécheurs  d'Ostende  rencontrèrent 
en  mer  le  corps  flottant  d'une  grande  Balénoptère  dont  les 
fanons  étaient  enlevés.  Ils  remorquèrent  l'animal  jusque  dans 
le  port  d'Ostende.  Un  particulier  en  fit  l'acquisition  ;  l'animal 
fût  dépecé,  le  squelette  monté  et  exhibé  à  Ostende,  à  Bruxelles, 
à  Paris,  à  Londres,  à  8*-Pétersbourg,  ensuite  dans  d'autres 
villes  de  l'Europe.  Il  échoua  à  la  fin  à  Kàzan;  un  magnat 
l'acheta  et  en  fit  don  à  l'Académie  des  sciences  de  S'-Péters- 
bourg.  Le  Musée  de  l'Académie  n'ayant  point  de  place,  Ta  fait 
mettre  au  Jardin  Zoologique  où  il  se  trouve  encore. 

Au  milieu  des  festivités,  célébrant  l'heureux  échouement  de 
la  Balénoptère,  à  Ostende,  au  milieu  de  l'affluence  de  milliers 
de  visiteurs  venant  contempler  le  squelette  du  géant  des  mers, 
la  science  ne  fut  pas  négligée  :  Dubar,  chirurgien  à  Ostende, 
publia  une  description  du  squelette  et  figura  les  principaux 
ossements. 

Divers  naturalistes  cherchèrent  à  déterminer  l'animal  :  Van 
Breda,  Vanderlinden,  Morren,  s'en  occupèrent  et  Vanderlinden 
émit  l'avis  que  cet  animal  n'était  pas  connu;  il  proposa  de 


(H2) 

le  nommer  la  Balénoptère   d'Ostende.   Vanderlinden  avait 
raison. 
Si  l'on  suivait  les  errements  généralement  adoptés  aujour- 

i 

d'bui,  cette  espèce  devrait  porter  le  nom  de  Balénoptère  <FOs~ 
tende,  ce  nom  ayant  la  priorité  sur  celui  de  Gray,  qui  n'a  été 
proposé  qu'en  1847. 

Si  l'écbouement  d'Ostende  a  fait  progresser  l'ostéologie  des 
Balénoptères,  il  a  peu  servi  à  la  connaissance  des  espèces,  faute 
surtout  de  matériaux  de  comparaison  dans  les  Musées. 

Aussi  en  1841  Schlegel  ne  reconnaissait  parmi  les  Finn- 
fische  *  que  la  Balœna  sulcata  arctica  et  la  Balœna  sulcata 
antarctica. 

En  1847  Gray  fit  part,  à  la  Société  Zoologique  de  Londres, 
de  ses  observations  sur  un  squelette  de  Balénoptère  qu'il  avait 
observé  au  Musée  de  la  Société  philosophique  de  Hull  ;  ce  sque- 
lette provenait  d'un  jeune  animal ,  qui  n'avait  pas  moins  de 
80  pieds  de  longueur,  et  qui  ne  se  rapportait  pas  à  une  espèce 
connue.  Il  provenait  d'un  animal  échoué  dans  le  Humber, 
Yorkshire.  Gray  proposa  de  le  désigner  sous  le  nom  spécifique 

9 

de  Sibbaldii,  pour  rappeler  le  nom  du  naturaliste  Ecossais  qui 
avait  écrit  sur  ces  animaux  à  la  fin  du  XVIIe  siècle. 

Plusieurs  cétologistes  remarquaient,  à  cette  époque,  que 
certains  os  de  Balénoptères  dépassaient  considérablement  les 
dimensions  des  mêmes  os  dans  l'espèce  ordinaire  (Balamoptera 
musculus).  Le  Musée  de  Copenhague  possédait  une  nageoire 
pectorale  des  côtes  du  Groenland  à  dimensions  extraordinaires. 
De  mon  côté  j'avais  observé  quelques  os  extraordinaires  par 
leur  dimension,  et  ces  ossements  provenaient-ils  d'une  espèce 
nouvelle  ou  appartenaient- ils  à  une  Balœnoptera  musculus 
géante?  Les  cétologistes  étaient  dans  le  doute.  Pendant  un 
voyage  que  je  fis  à  Copenhague  en  1856,  il  nous  parut,  à 
Eschricht  comme  à  moi,  que  ces  os  ne  pouvaient  provenir  que 
d'une  espèce  distincte,  de  grande  taille,  et  qu'il  fallait  la  nom- 
mer Balœnoptera  gigas. 

1  Abhandlungen  • . . . ,  Leyden,  1841. 


(  us  ) 

Dans  le  courant  de  l'aimée  1825,  une  Balénoptère  pénétra 
dans  la  Baltique  et  fut  capturée  le  5  avril  sur  la  côte  occidentale 
de  l'île  de  Rûgen;  elle  avait  44  pieds  10  pouces  de  longueur. 
Rosenthal  et  Hornschuch  nous  en  ont  laissé  une  description  *. 

En  1862,  une  seconde  Balénoptère,  morte  dans  le  Kattegat, 
fût  entraînée  par  le  courant  dans  la  Baltique  jusqu'à  la  côte 
ouest  de  l'île  de  Rùgen,  où  les  pécheurs  la  découvrirent  à  la 
fin  du  mois  de  juillet. 

Le  professeur  Jul.  Muntër  eut  l'occasion  d'étudier  les  sque- 
lettes de  ces  animaux  à  Greifswald.  Il  était  d'accord  avec 
Sigism.  Schulze  sur  leur  identité  spécifique,  mais,  ne  sachant 
à  quelle  espèce  il  fallait  les  rapporter,  il  fit  une  visite  au  Musée 
de  Leyde;  il  se  persuada  bientôt  que  cette  Balénoptère  était 
nouvelle  pour  la  science  et  proposa,  à  la  réunion  des  natura- 
listes allemands,  en  1863,  ù  Stettin,  de  là  désigner  sous  le  nom 
de  Balœnoptera  gryphus  2.  Plus  tard,  le  professeur  de  Greifs- 
wald visita  les  musées  de  Hull  et  d'Edimbourg  et  il  s'assura 
que  sa  Bakenoptera  gryphus  ne  différait  pas  de  l'espèce  que 
Gray  avait  désignée  sous  le  nom  de  Balœnoptera  Sibbaldii. 

Ces  Balénoptères  ne  furent  décrites,  sous  leur  vrai  nom,  par 
Jul.  Mûnter,  qu'en  1877  3. 

Il  est  à  remarquer  que  la  Balénoptère  de  Hull  avait  à  peu 
près  le  même  âge  que  les  deux  individus  de  la  Baltique,  à  en 
juger  par  leur  taille,  qui  ne  dépassait  pas  cinquante  pieds. 

En  1863,  le  professeur  Flower,  visitant  la  collection  de  Lidt 
de  Jeude,  à  Utrecht,  fût  frappé  de  la  largeur  du  rostre  d'une 
tête  de  Balénoptère ,  provenant  d'un  animal  capturé  sur  les 
côtes  de  Hollande;  il  n'hésita  pas  de  la  rapporter  à  une 
espèce  nouvelle  pour  la  science  et  il  proposa  de  la  désigner 


1  Rosenthal  el  Hornschuch,  Epistola  de  Balœnopteri$  quibusdam, Gry- 

phiae,  1825. 

■  TageblaU  der  58  Versammlung  deulscher  Nalvrforscher  und  Aerizie% 
inStetdn,  1863. 

•*  Jcl  Mûsîer,  Uber  Zwei  im  10  Jahrhunderté  bei  Gïeifsiccfdmfinnliche* 
Individuen  von  Balœnoptera  Sibbaldii,  Greitewald,  1877. 

Tome  XLI.  8 


(114) 

sous  le  nom  de  Balœmptera  latirostris,  nom  qui  aurait  dû  lui 
rester*. 

Peu  de  temps  après,  M.  Flower  reconnut  que  la  tête 
d'Ctrecht  appartenait  à  la  même  espèce  que  le  squelette  de 
Hull,  et  il  abandonna  le  nom  qu'il  avait  proposé  2. 

Le  29  octobre  1865,  une  nouvelle  jeune  Balénoptère,  luttant, 
pour  se  sauver,  sur  les  côtes  de  Suède,  près  de  Gôteborg,  fut 
heureusement  capturée  ;  elle  a  été  l'objet  d'une  monographie 
illustrée,  avec  dix-huit  planches,  contenant  vingt-neuf  photo- 
graphies, deux  planches  lithographiées  et  trois  gravures  en 
bois  dans  le  texte.  L'auteur,  A.-W.  Malm,  a  décrit  cet  animal 
dans  tous  ses  détails  et,  comme  il  lui  paraissait  nouveau  pour 
la  science,  il  a  proposé  de  le  nommer  Balœnoptera  Carolinœ. 
Le  terme  spécifique  était  le  nom  de  madame  Malm. 

L'année  suivante,  M.  Flower  publia  une  note  :  On  the  pro- 
bable identity  ofthe  Fin-W haies  described  as  Balœnoptera  Caro- 
linœ.  M.  Flower  avait  parfaitement  reconnu  l'espèce  3. 

En  1868,  on  commence  à  faire  la  pêche  aux  Balénoptères 
dans  les  eaux  d'Islande. 

Hallas,  médecin  à  bord  d'un  des  baleiniers,  qui  y  a  fait  la 
chasse  à  ces  Cétacés  durant  deux  ou  trois  ans ,  est  un  des  pre- 
miers qui  ait  bien  fait  connaître  l'espèce  que  l'on  chasse;  il  a 
envoyé  une  tête  et  des  ossements  à  Copenhague,  et  Reinhardt 
a  publié  les  documents  et  la  description  des  principaux  os  du 
squelette.  Il  a  figuré  la  tête,  l'atlas,  les  os  nasaux  et  l'os 
hyoïde  *. 

A  la  même  époque,  le  Musée  de  Leyde  reçut  du  capitaine 
Bottemanne  plusieurs  pièces  importantes  du  squelette  d'un 
individu  de  cette  espèce,  capturé  dans  les  mêmes  eaux,  parmi 

4  Notes  on  the  Skclelons  of  Whales  in  the  principal  Muséum  of  Holland 
and  Belgium,  Phoc.  Zool.  Soc,  oovember,  1804  p.  410. 

*  On  Physalus  SibbaMU,  Paoc.  Zool.  Soc,  june,  1865,  p.  470. 

1  Proc.  Zool.  Soc,  of  London  March,  1866. 

4  J.  Reinhardt,  Sogle  Bctnœrkninyer  um  telandernts  Steypireydr.,  Co- 
penhague, 1868.  Videnskab.  Meddels.  fra  den  tiaturhistoriske  Forening 
for  1807. 


(  H8  ) 

lesquelles  se  trouvent  un  sternum,  des  vertèbres  cervicales  et 
d'autres  ossements.  Bottemanne  dit  que  les  Islandais  connais- 
sent cet  animal  sous  le  nom  de  Steypireydr,  et  qu'il  n'atteint  pas 
moins  de  80  pieds  de  longueur  ;  sa  coloration  est  foncée,  dit-il. 

Le  3  novembre  1869,  une  Balénoptère  femelle  pleine,  de 
l'espèce  qui  nous  occupe,  vint  échouer  dans  la  baie  de  Forth; 
elle  fut  l'objet  d'un  travail  fort  intéressant  de  la  part  de  Sir, 
W.  Turner,  professeur  d'anatomie  à  l'Université  d'Edimbourg. 
Le  fœtus  mâle  avait  19  pieds  6  pouces.  Il  s'étendait  dans  le 
corps  de  la  mère  en  avant  jusque  tout  près  des  condyles  du 
maxillaire  inférieur.  Pour  avoir  une  idée  de  l'organisation  de 
la  Balénoptère  qui  nous  occupe,  il  faut  recourir  à  ce  beau 
mémoire. 

Le  professeur  Sars,  fils,  pendant  un  séjour  de  plusieurs 
années  aux  îles  Lofoten,  a  fait  de  son  côté  des  observations 
intéressantes  sur  les  différentes  espèces  de  Balénoptères,  et  il 
distingue  parfaitement  la  grande  espèce.  En  1874,  il  publia 
également  une  notice  sur  cette  même  Balénoptère,  d'après  des 
matériaux  recueillis  sur  les  côtes  de  Finmark.  Celte  notice  est 
accompagnée  d'un  bon  dessin,  représentant  un  fœtus,  d'un  pied 
et  quelques  pouces  de  longueur. 

En  1873,  le  Dr  Otto  Finsch  se  rend  à  Vadsô  pour  assister 
à  la  pêche  des  Balénoptères,  et  il  en  rapporte  une  tète  de 
fœtus,  conservée  dans  la  liqueur.  D'après  les  notes  et  les 
dessins  faits  sur  les  lieux  par  le  savant  naturaliste  de  Brème, 
nous  avons  décrit  les  caractères  extérieurs  de  l'animal  dans  les 
Bulletins  de  l'Académie  *. 

Dans  la  suite  la  tête  du  fœtus  a  été  étudiée  avec  un  soin 
particulier  par  M.  l'abbé  Gérard  Smets;  il  a  fait  connaître 
toutes  les  particularités  des  os,  du  crâne  et  de  la  face  2. 

Le  professeur  Môbîus  a  publié  une  notice  sur  une  Balœ- 
noptera  Sibbaldii,  échouée,  le  26  juin  1881,  entre  les  îles  Sylt 
et  Fôhr  (mer  du  Nord,  côte  occidentale  du  Jutland).  L'animal 
était  encore  en  vie  quand  il  est  venu  à  la  cote. 

1  Notice  sur  la  grande  Balénoptère  du  Nord,  Bulletin*  de  l'Académie,  1H2&. 
*  Ann.  Soc  scientif.  de  Bruxelles,  1885. 


(  116  ) 

Plusieurs  naturalistes  se  sont  rendus  dans  ces  dernières 
années  au  nord  de  la  Norwège,  pour  y  assister  à  la  pêche  des 
Balénoptères  ;  ils  en  ont  rapporté  de  précieux  matériaux  pour 
l'histoire  de  la  grande  espèce  :  en  1877,  MM.  Aurivillius  et 
Forstrand,  et  depuis,  MM.  Tycho-Tollberg,  Éd.  Van  Beneden, 
Pouchet,  Guldberg  et,  en  dernier  lieu,  M.  0.  Cooks*' 

M.  Tycho-Tollberg  a  publié  un  travail  intéressant  sur  la  struc- 
ture et  le  développement  des  fanons  de  la  grande  espèce.  Ils 
sont  larges  à  la  base,  noirs  comme  du  jais  avec  un  teint 
bleuâtre. 

Des  expositions,  comme  celle  qui  vient  d'avoir  lieu  à  Ham- 
bourg (1884),  ont,  dans  une  large  mesure,  contribué  au  progrès 
de  la  cétologie.  Ce  n'est  que  dans  des  occasions  pareilles  qu'on 
peut  comparer  les  squelettes  de  ces  grands  mammifères,  dont 
on  trouve  bien  rarement  plus  d'un  exemplaire  dans  un  musée. 
M.  Guldberg  a  rendu  compte  de  cette  exposition  dans  le  journal 
anglais  Nature  4,  et,  à  cette  même  occasion,  le  Dr  H.  Balan  a 
publié  une  notice  sur  les  Baleines  principales  de  l'océan 
Atlantique  et  leur  distribution  dans  cette  mer  2. 

Ce  qui  a  le  plus  contribué  à  nous  faire  connaître  les  diverses 
espèces  des  Balénoptères,  et  surtout  celle  qui  nous  occupe,  ce 
sont  les  pêcheries  que  l'on  a  établies  d'abord  dans  les  eaux 
d'Islande  et  que  l'on  a  continuées  ensuite  sur  les  côtes  de  Fin- 
mark  ,  où  elles  ont  pris  une  grande  extension  dans  ces  der- 
nières années. 

SYNONYMIE. 

Comme  nous  venons  de  le  voir,  c'est  le  même  animal  qui 
est  désigné  sous  le  nom  de  BcUœna  physalus,  par  Pallas; 
Cuvierius  et  Physalus  Sibbaldii, .  par  Gray;  Pterobalœna  gigas, 
par  Eschricht;  Pterobalœna  gryphus,  par  Jul.  Mùnter;  Balœ- 
noptera  latirostris ,  par  Flower  ;  Balaenoptera  Cuvierius  ou  Caro- 
linœ,  par  Malm. 

1  M  799,  19fév.  1885. 

■  Segelhandbuch  fiir  den  Atlantischen  Océan.  XI V  kapilel. 


(H7) 

Les  Groënlandais  le  connaissent  sous  le  nom  de  Tunnolik; 
les  Islandais  sous  celui  de  Steypireydr  ;  les  Norwégiens  sous 
celui  de  Blaahval. 

Sars  avait  attribué  le  nom  de  Hushval  à  la  Balœnoptera  Sib~ 
baldii.  M.  Guldberg,  conservateur  du  Musée  zootomique  de 
l'Université  de  Christiania,  croit  que  Sars  s'est  trompé  ;  le 
Hushval  ferait  son  apparition  dans  ces  régions  à  une  autre 
époque  que  le  Sibbaldii,  qui  ne  se  montre  qu'en  été.     , 

Dans  notre  mémoire  sur  la  Baleine  des  Basques  4,  nous 
avons  d'ailleurs  dit  que  ce  nom  était  donné  à  la  Balœna  bis- 
cayensis. 

Le  Physaltis  cmtarcticus  de  Malin ,  dont  nous  avons  vu  des  vertè- 
bres au  Musée  de  Stockholm,  provenant  du  détroit  de  Magellan, 
représente  sans  doute  le  Sibbaldii  dans  l'hémisphère  austral. 

Parmi  les  ossements  provenant  de  l'expédition  française  au 
Cap  Horn  et  qui  sont  conservés  au  Muséum  à  Paris,  il  y  en  a 
sans  doute  qui  se  rapportent  à  cette  même  espèce. 

Les  baleiniers  américains  et  anglais  parlent  souvent  d'une 
Balénoptère  sous  le  nom  de  Sulfurbottom;  c'est,  d'après  eux, 
un  animal  de  grande  taille  et  qui  hante  l'océan  Pacifique 
et  la  mer  des  Indes.  Ils  lui  accordent  une  taille  de  80  pieds  et 
des  fanons  fort  larges  et  d'un  noir  luisant.  Nous  avons  ainsi 
plusieurs  raisons  de  croire  que  ce  Sulfwbottom  est  aussi  syno- 
nyme de  B.  Sibbaldii. 

Ce  qui  nous  confirme  dans  ce  rapprochement,  c'est  l'examen, 
que  nous  avons  eu  l'occasion  de  faire  à  Vienne,  des  fanons 
désignés  sous  ce  même  nom  par  le  capitaine  Charles  Scammon 
et  que  le  prof.  Steindachner  avait  lui-même  rapportés  de  San- 
Francisco. 

CARACTÈRES. 

Cette  espèce  se  distingue  des  autres  Balénoptères  par  le 
rostre,  qui  est  fort  large,  surtout  sur  le  milieu  de  sa  longueur  ; 

1  Histoire  naturelle  de  la  Baleine  des  Basques  ;  Mémoires  de  l'Académie, 
18ISG,  p.  34. 


{  118  ) 

par  les  os  nasaux  tronqués  en  avant,  et  par  les  palatins  fort 
larges;  le  maxillaire  supérieur  est  dépassé  par  le  maxillaire 
inférieur,  et  l'apophyse,  coronoïde  est  haute  et  pointue;  les 
vertèbres  sont  au  nombre  de  soixante-trois  ou  soixante-quatre; 
les  côtes  sont  au  nombre  de  quinze  ou  seize  paires;  le  sternum 
est  large  et  court,  les  métacarpiens  et  les  phalanges  sont  com- 
parativement longs. 

Les  fanons  sont  courts  et  fort  larges  à  leur  base,  d'un  noir 
foncé  à  reflets  bleuâtres  *. 

La  nageoire  dorsale  est  petite,  pointue  et  rapprochée  de  la 
nageoire  caudale.  Elle  est  placée  au-dessus  de  l'anus,  vers  les 
quatre  cinquièmes  de  la  longueur  du  corps.  Les  nageoires  pec- 
torales sont  longues  et  pointues.  La  peau  du  dos  est  d'un  brun 
foncé  tirant  sur  le  vert.  La  peau  du  ventre  est  grisâtre,  argentée. 

Des  poils,  au  nombre  d'une  trentaine,  sont  placés  au  menton 
dans  un  espace  circulaire  (Mal m). 

Le  caractère  si  important  de  la  largeur  du  rostre,  qui  lui 
avait  valu  le  nom  de  latiroslrte,  ne  se  trouve  cependant 
bien  prononcé  que  chez  l'adulte.  Nous  avons  été  à  même  de 
comparer  des  photographies  de  têtes  de  fœtus,  de  jeunes  et 
d'adultes,  et  nous  avons  pu  nous  assurer  que  la  largeur  des 
maxillaires,  vers  le  milieu,  se  montre  seulement  après  la  nais- 
sance. 

La  taille  de  l'animal  adulte  dépasse  80  pieds.  Pal  las  lui 
accorde  84  pieds* 

La  femelle  de  1827,  trouvée  morte  en  mer,  avait  85  pieds 
(26*,60). 

Scoresby  en  accorde  82  à  une  Balénoptère  venue  à  la  côte  £ 
Shetland  pendant  l'hiver  4817-1818.  Il  n'indique  pas  le  sexe 
de  l'individu. 


1  Les  fanons  sont  noirs  aussi  dans  la  Balœnoptera  borealis,  mais  leur 
forme  les  faii  ressembler  plutôt  à  des  fanons  de  Baleine  qu'à  des  fanons  de 
Balénoptère;  ils  sont  en  effet  très  étroits  à  leur  base.  Les  barbes  sont  blan- 
ches et  fines  dans  la  Balœnoptera  borealis,  noires  et  épaisses  dans  la  Balœ- 
voptera  Sibbaldiï. 


(  H9  ) 

-  Celui  de  Sibbald,  capturé  en  1692  à  l'entrée  du  Firth  oh 
Fort  h,  était  un  mâle  de  78  pieds. 

Un  autre  individu,  de  sexe  femelle,  capturé  également  dans 
le  Firth  of  Forth,  avait  80  pieds,  et  le  fœtus  qu'elle  portait  en 
avait  près  de  20. 

Knox  accorde  84  pieds  à  un  animal  capturé  le  5  octobre  4831 
près  de  Nort-Berwick  et  dont  le  squelette  est  au  Musée  d'Edim- 
bourg. 

Un  animal  échoué  sur  les  côtes  à  Plymouth  mesurait  79  pieds; 

La  Balénoptère,  dont  la  nageoire  pectorale  avait  été  envoyée 
par  Holbôll  à  Copenhague,  avait  été  prise  dans  la  baie  de 
Baffin  le  12  août  1843.  Elle  avait  34  aunes  danoises.  À  en  juger 
par  sa  taille,  c'était  sans  doute  une  femelle. 

H.  Guldberg  estime  la  taille  au  moins  à  75  pieds  à  l'âge 
adulte.  Les  plus  forts  individus  qu'il  ait  vus  avaient  84  pieds. 
On  en  cite  de  86  et  même  de  plus  grands. 

Le  Dr  Finsch  a  vu  prendre  à  Vadsô  une  femelle  pleine  qui 
avait  84  pieds. 

.  Un  pêcheur  des  côtes  de  Finmark  a  capturé  en  1885  :  le 
12  juillet,  une  femelle  de  85  pieds;  le  24  juillet,  une  de  82;  le 
9  août,  une  de  81;  le  6  juin,  une  de  72  et  le  24  août,  un  mâle 
de  75  pieds.  Ainsi,  le  24  août  il  prend  un  mâle  et  une  femelle, 
et  la  femelle  a  7  pieds  de  plus  que  le  mâle. 

Il  paraît  que  l'on  ne  prend  plus  de  si  grands  individus. 

Dans  ces  derniers  temps,  six  individus  capturés  dans  les  eaux 
d'Islande  ne  mesuraient  que  de  70  à  80  pieds. 

La  Balœnoptera  Sibbaldii  est  l'espèce  la  plus  commune  dans 
ces  parages.  H.  Alfred  Cocks  rapporte  que  sur  406  cétacés  à 
fanons ,  capturés  en  1883  sur  les  côtes  de  Finmark,  il  y  avait 
175  Balœnoptera  Sibbaldii,  et  sur  le  restant  à  peu  près  la  moitié 
Balœnoptera  borealis  et  musculus.  Sur  40  individus  capturés 
par  un  seul  pécheur,  il  y  avait  19  Sibbaldii,  8  Megaptera  et  le 
restant  des  Musculus  *. 

Les  cétacés  en  naissant  ont  à  peu  près  le  tiers  ou  le  quart  de 

*  àlfb.  Cocks,  loc»  cit ,  p.  20. 


(120) 

la  longueur  de  la  mère.  Les  Phoques,  si  l'on  en  croit  le  témoi- 
gnage de  quelques  naturalistes,  sont  dans  le  même  cas,  et  oa 
cite  même  des  exemples  de  jeunes  animaux  de  cet  ordre  qui, 
en  naissant,  auraient  eu  à  peu  près  la  moitié  de  la  taille  de  leur 
mère.  Ce  sont  donc  les  mammifères  dont  la.  taille,  relative- 
ment à  la  mère,  est  la  plus  grande  à  la  naissance. 
,  La  grande  Balénoptère,  Balœnoptera  Sibbaldii,  a  été  étudiée 
par  le  professeur  Sir  Turner  :  le  savant  professeur  d'Edimbourg  a 
vu  une  femelle  de  80  pieds,  échouée  sur  les  côtes  d'Ecosse,  qui 
renfermait  un  fœtus  à  terme  de  près  de  20  pieds;  c'était  donc 
le  quart  de  la  taille  de  la  mère. 

M.  Henri  Berd  a  vu  sur  les  côtes  d'Islande  un  fœtus  qui  avait 
18  pieds. 

Le  Musée  de  Leipzig  a  reçu  de  Vadsô  un  fœtus  de  18  pieds 
également. 

Un  fœtus  recueilli  sur  les  côtes  d'Islande  et  envoyé  par  le 
capitaine  Bottemanne  au  Musée  de  Leyde,  avait  17  pieds. 

Le  Dr  Finsch  a  trouvé  dans  une  femelle,  à  Vadsô  (Finmark); 
entre  le  7  et  le  10  juillet,  un  fœtus  de  7  pieds  et  un  autre  de  41/*. 

Le  7  août,  on  a  trouvé  dans  une  femelle,  capturée  à  l'est  du 
cap  Nord,  un  fœtus  de  9  à  10  pieds.  La  mère  avait  75  pieds 
norwégiens,  ou  78  pieds  2  pouces  anglais. 

M.  Alfred  Cocks  a  observé  sur  les  lieux  (également  Finmark), 
le  21  juillet,  un  fœtus  de  3  pouces,  à  Eretiki  ;  un  second  de  9 
à  10  pouces,  le  7  août,  à  Jarfiord  ;  un  troisième  de  15  pouces,  à 
Vardô,  le  14  août,  et  un  quatrième  de  15  pieds  6  pouces,  du  15 
au  17  août  (1884). 

On  connaît  plusieurs  autres  fœtus.  La  plupart  viennent  de 
Vadsô.  On  voit  des  différences  de  taille  assez  grandes  dans  des 
fœtus  recueillis  à  quelques  jours  d'intervalle.  Il  est  à  remar- 
quer que  l'on  ne  commence  la  chasse  qu'au  mois  de  mai  sur 
les  côtes  de  Finmark  et  que  tous  ces  fœtus  sont  recueillis 
pendant  les  trois  mois  d'été. 

Sars  a  figuré  un  fœtus  de  1  pied  4  pouces. 

Guldberg  a  rassemblé  la  mesure  de  28  fœtus,  mais  on  n'a 
malheureusement  pas  tenu  note  de  la  date  de  leur  capture.  . 


(  1M;> 

.   Tycbo-Tollberg  a  eu  un  embryon  de  1  mètre,  un  de  2  mètre», 
OD  de  3  mètres  et  un  de  4°n5o. 

Le  fœtus  de  Longniddry  avait  au  delà  de  19  pieds, 
.  Guldberg  cite  un  fœtus  de  23  pieds,  qu'il  considère  comme 
étant  à  terme. 

.  Il  croit  devoir  fixer  la  taille  de  la  Balœnoptera  Sibbaldii,  en 
naissant,  entre  23  et  24  pieds,  ou  7  V3  à  8  mètres  *. 

ORGANISATION. 

Plusieurs  travaux  importants  ont  paru  sur  l'organisation  de 
la  Balénoptère  de  Sibbald,  et  parmi  eux  nous  pouvons  citer 
particulièrement  le  beau  mémoire  de  Sir  W,  'fumer,  qui  a  eu 
a  sa  disposition  une  femelle  de  78  pieds  9  pouces  en  chair  et 
un  fœtus  de  19  pieds  6  pouces. 

La  tête  du  fœtus  de  7  pieds,  conservée  dans  la  liqueur  avec  les 


Vue  de  11  partie  antérieure  de  la  le  te  du  ftetus,  conservée  a  l.ouvain. 

1  Pour  donner  une  idée  de  &-ne  différence  de  taille,  nous  ferons  remarquer 
qne  la  petite  Hoslrata  a,  d'après  Eschrinbl,  9  pied»  de  longueur  en  venant 
an  monde,  et  la  grande  qui  nous  occupe  en  a  20. 


(  122  ) 

parties  molles,  nous  a  montré  combien  le  maxillaire  inférieur 
dépasse  le  bout  du  rostre;  une  double  rangée  de  bulbes  à  poil* 
garnit  la  lèvre  supérieure,  et  une  double  rangée  se  montre 
également  sur  le  bord  et  au-dessous  de  la  mandibule  infé- 
rieure. 

En  disséquant  la  tête  du  fœtus,  nous  avons  observé  une  dis* 
position  bien  curieuse  dans  la  cavité  de  la  bouche.  La  langue 
forme  en  avant  une  saillie;  mais  en  arrière,  au  lieu  de  s'élever 
et  de  s'insérer  sur  le  corps  de  l'os  hyoïde,  elle  se  déprime  et  il 
se  forme  une  véritable  excavation. 

La  caisse  tympanique  mesure  13  centimètres  en  hauteur; 
la  grande  apophyse,  24  en  longueur. 

La  colonne  vertébrale  de  B.  Sîbbaldii  compte  un  plus  grand 
nombre  de  vertèbres  que  celles  des  autres  Balénoptères,  mais  il 
est  à  remarquer  que  l'on  conserve  bien  rarement  les  dernières 
caudales.  Il  n'y  a  que  les  naturalistes  qui  attachent  de  l'impor- 
tance à  conserver  tous  les  os,  petits  ou  grands,  ossifiés  ou  car- 
tilagineux. 

Knox  a  compté  soixante-trois  vertèbres,  qu'il  répartit  en 
cervicales,  sept;  dorsales,  quinze;  lombaires,  seize  ;  caudales, 
vingt-cinq. 

C'est  le  même  nombre  que  dans  le  jeune  squelette  de  Gôten- 
borg,  seulement  il  y  a  une  lombaire  de  moins  et  une  caudale 
de  plus.  Cette  différence  peut  dépendre  de  la  dernière  lombaire, 
qui  est  comptée  quelquefois  avec  les  caudales. 

Pallas  n'accorde  que  soixante  et  une  vertèbres  à  la  Balœna 
physalus,  comme  il  appelle  la  Sibbaldii. 

Un  squelette  du  Musée  de  Stockholm,  provenant  de  Vadsô, 
montre  soixante-deux  vertèbres,  d'après  une  lettre  de  M.  Smith. 
Ce  même  nombre  se  trouverait  dans  une  mère  et  dans  un  fœtus. 

Le  squelette  de  Hull,  de  50  pieds  de  long,  a  soixante-quatre 
vertèbres  (7  cervicales,  16  dorsales,  41  lombaires  et  caudales). 

La  femelle  échouée  dans  les  sables  de  l'île  d'01eron,en  1827, 
et  qui  n'aurait  aussi  que  54  pieds,  portait,  d'après  les  suppo- 
sitions, soixante-trois  vertèbres  (46  présentes  et  17  qui  man- 
quaient dans  la  queue). 


(  123) 

Le  squelette  d'Edimbourg  a  soixante-trois  vertèbres  (7  cerv., 
-15  dors.,  16  lomb.  et  25  caud.). 

Celui  de  la  BalœnopUra  Carolinœ  de  Gôtenborg,  en  a  cin- 
.quante-six  (15  dors.,  15  lorab,  et  26  coccygiennes).  Sans  doute, 
elles  ne  sont  pas  toutes  conservées,  puisque  le  nombre  ne 
s'accroît  pas  avec  l'âge,  pas  plus  que  celui  des  fanons. 

Une  femelle  de  13  mètres,  du  Musée  de  Kiel,  a  également 
soixante-quatre  vertèbres  (7  cerv. ,  16  dors. ,  15  lomb.  et  26  caud.). 

L'atlas  de  la  femelle  de  Stockholm  présente  à  sa  face  posté- 
rieure tous  les  caractères  que  MM.  Flower  et  Reinhardt  ont 
attribués  à  cette  espèce. 

Pour  se  faire  une  idée  de  la  taille  des  vertèbres,  nous  ferons 
remarquer  que  l'axis  mesure,  d'un  bout  de  ses  apophyses  à 
l'autre,  lm,2o. 

Nous  avons  vu  au  Musée  de  Stockholm  une  vertèbre  lom- 
baire du  détroit  de  Magellan,  dont  les  apophyses  n'étaient  pas 
soudées  et  dont  le  corps  mesurait  en  largeur  49  centimètres, 
en  hauteur  39  et  en  longueur  27,  avec  une  apophyse  épineuse, 
mesurée  de  sa  base,  de  77  à  78  centimètres. 

Malm  a  écrit  sur  l'étiquette  de  cette  vertèbre  du  Musée  de 
Stockholm  :  Physalus  antarcticus  ;  elle  est  figurée  dans  son  mé- 
moire 4, 

Une  autre  vertèbre,  de  grandeur  colossale  également,  une 
dorsale,  la  onzième,  du  môme  Musée,  mesure  en  travers  48  cen- 
timètres, en  hauteur  39,  en  longueur  16,  avec  une  apophyse 
transverse,  mesurée  depuis  le  canal  vertébral,  de  54  centimètres. 

Les  épiphyses  sont  soudées. 

Nous  avons  tout  Heu  de  croire  que  ces  vertèbres  proviennent 
de  l'espèce  représentative  de  notre  Sibbaldii,  ou  de  la  Sibbaldii 
même. 

Nous  venons  de  recevoir  une  omoplate  d'un  individu,  qui 
avait  près  de  80  pieds  et  qui  mesure  un  mètre  soixante,  de 
l'angle  antérieur  à  l'angle  postérieur  de  l'os. 

*  Hvalrfjur  i  Svehges  Muzeer.  KongL  Svrnska  Vetenskaps-Akademieni 
handlingar.  Stockholm,  \  871 ,  pi.  1 , 7,  c. 


(124) 

Le  sternum  de  jeune  animal  le  plus  intéressant  est  celui  du 
Musée  de  Leyde.  Il  consiste  dans  un  large  disque,  sans  échan- 
-crure  en  avant  et  sans  appendice  en  arrière,  ayant  en  travers 
dé  39  à  40  centimètres,  et  d'avant  en  arrière  25  à  36  centi- 
mètres. 

Le  sternum  du  jeune  mâle  de  Gôtenborg  présente  la  même 
forme. 

.    Le  sternum  adulte  de  Leyde  se  termine  en  arrière  en  pointe 
arrondie,  et  mesure  en  travers  67  à  68  centimètres. 

Celui  d'Ostende  lui  ressemble  aussi  bien  qu'au  sternum 
d'Edimbourg. 


J 

S" 

! 

Sternum  d'une  femelle,  du  Musée  de  Stockholm.  >  i 

« 

Le  sternum  de  la  femelle  de  Stockholm  se  termine  de  la 
même  manière  postérieurement,  mais,  en  avant,  le  bord  n'est 
pas  arrondi  comme  dans  les  autres;  il  y  a  pour  ainsi  dire  un 
second  étage. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire,  cet  os  n'est  point 
échancré  en  avant  dans  l'espèce  qui  nous  occupe,  comme  il 
l'est  dans  d'autres  espèces. 

Le  sternum  représenté  par  sir  Turner,  provenant  d'une 
femelle  adolescente,  ne  ressemble  pas  complètement  aux  autres. 

Le  professeur  de  l'Université  d'Edimbourg  a  publié  aussi  la 
figure  du  sternum  d'un  fœtus  mâle,  fort  intéressant;  il  est 
formé  d'un  cartilage  qui  ressemble  au  sternum  de  l'animal, 
adulte,  et  d'un  second  cartilage  fort  petit,  placé  derrière  l'autre 
sur  la  ligne  médiane,  et  qui  semble  devoir  former  la  pointe 
postérieure  de  cet  os. 


('128) 

Le  squelette  a  seize  paires  de  côtes  quand  elles  sont  toutes 
conservées.  La  dernière  se  perd  souvent.  Nous  en  comptons 
seize  dans  le  squelette  de  Hull  et  dans  quelques  autres  squelettes. 

Un  fœtus  femelle  du  Musée  de  Stockholm  n'en  a  que  quinze. 

Dans  la  Balénoptère  qui  nous  occupe,  on  voit  souvent  cette 
première  côte  formée  de  deux  pièces  plus  ou  moins  complè- 
tement soudées. 

Dans  le  squelette  d'Ostende,  la  première  côte  est  réellement 
bifurquée,  comme  nous  Pavons  déjà  fait  remarquer,  et  celui  qui 
l'a  monté  a  attaché  cet  os  à  la  dernière  cervicale  et  à  la  première 
dorsale;  c'est  ce  qui  avait  fait  dire  à  Dubar,  qui  a  décrit  ce 
squelette,  qu'il  n'y  avait  que  six  vertèbres  à  la  région  cervicale, 

La  première  côte  du  squelette  d'un  jeune  mâle  de  Gôtenborg 
est  simple,  ainsi  que  la  première  du  squelette  de  Stockholm. 

Un  radius  des  Antilles,  au  Musée  de  Bordeaux,  mesure  plus 
d'un  mètre  de  longueur. 

•Dans  le  squelette  de  Hull,  nous  voyons  les  phalanges  des 
doigts  au  nombre  de  4,  6,  5  et  3.  Dans  celui  de  Gôtenborg, 
décrit  par  Malm,  ils  sont  5, 8,  8,  4.  Dans  celui  de  Copenhague, 
qui  vient  de  la  baie  de  Baffin,  nous  avons  compté  6,  6,  7,  4. 

Il  est  à  remarquer  que  les  doigts  des  adultes  sont  rarement 
complets,  ce  qui  paraît  dépendre  des  luttes  que  ces  animaux 
ont  eu  à  soutenir  avec  les  Orques.  Les  bords  des  nageoires  sont 
très  souvent  rongés ,  aussi  bien  des  nageoires  caudales 
que  des  nageoires  pectorales.  Le  dessin  publié  par  Schlegel 
dans  la  Fauna  Japonica  montre  bien  comment  ces  organes  sont 
entamés  sur  leurs  bords. 

D'après  le  fœtus  de  Longniddry,  le  nombre  de  rangs  de 
fanons  serait  de  trois  cent  trente-cinq. 

L'espace  qui  les  sépare  est  d'un  dixième  de  pouce.  Chaque 
rang  de  fanons  compte  vers  le  milieu  jusqu'à  sept,  huit  et  même 
neuf  lames  en  avant,  seulement  cinq  en  arrière;  le  nombre 
s'accroît  jusqu'à  trente ,  mais  dans  ce  cas  les  derniers  sont  à 
peine  distincts. 

Les  fanons  du  fœtus  n'ont  pas  cette  belle  couleur  noire  des 
adultes. 


(  126  ) 

Quand  le  fœtus  a  2  mètres,  les  fanons  sont  en  voie  de  for- 
mation. H.  Tollberg  a  figuré  les  fanons  d'un  fœtus  de  3  mètres, 
et  d'un  autre  qui  avait  atteint  4  4/s  mètres. 

Dans  ces  dernières  années,  un  beau  travail  a  paru  sur  la  for- 
mation des  fanons  de  la  Balemoptera  Sibbaldii,  par  Tycho-Toll- 
berg*. 

Sous  le  rapport  morphologique,  les  fanons  correspondent 
aux  papilles  du  palais  des  Ruminants  ;  leur  origine  est  épi- 
dermique. 

Lorsque  l'embryon  a  2  mètres  de  long,  Tépithélium  du 
milieu  du  bord  du  maxillaire  s'épaissit,  et  cette  épaisseur 
attend  ensuite  en  avant  et  en  arrière.  Comme  Eschricht  l'avait 
déjà  remarqué,  le  nombre  de  fanons  ne  change  pas  dans  le 
cours  du  développement. 

HH.  6.  Pouchet  et  Chabry  ont  exposé  le  résultat  d'observa- 
tions intéressantes  sur  l'évolution  des  dents  de  la  Balœnoptera 
Sibbaldii.ddins  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences  2. 

H.  Planteau  a  fait  connaître  des  observations  sur  la  muqueuse 
de  l'utérus,  d'après  des  pièces  rapportées  de  Vadso  par  le 
professeur  Pouchet  3. 

MOEURS. 

Chaque  espèce  de  Cétacé  se  comporte  d'une  manière  parti- 
culière en  mer,  et  les  pécheurs  les  reconnaissent  à  distance 
sans  se  tromper.  La  Balénoptère  qui  nous  occupe  est  recon- 
naissable  non  seulement  à  sa  nageoire  dorsale,  qui  est  très 
petite  et  placée  fort  en  arrière,  mais  également  à  son  high  spout 
and  conspicuous  size,  comme  disent  les  baleiniers  anglais. 


1  Tollberg-Tycho,  Sur  la  structure  et  le  développement  des  Baleinée 
(Bal.  Sibbaldii),  Archiv.  Zoou  expérim.,  t  III,  n*  3,  noies,  p.  xxxix.  Nov.  act. 
Reg.  Soc.  Scientiar.,  Upsaliensis,  vol.  XI,  1883. 

1  20  février  1882* 

•  Planteau,  Muqueuse  de  l'utérus  de  Balaenoptera  Sibbaldii.  Jouait.  d'Anat. 
et  de  Phys.,  juillet,  1881,  p.  277. 


(  127) 

La  Baleine  franche  parcourt  un  espace  de  9  à  10  milles  à 
l'heure,  et  les  Balénoptères,  surtout  la  grande,  nagent  encore 
plus  vite;  le  capitaine  sir  Turner  accorde  à  la  Balœnoptera  Sib- 
baldii,  qui  atteint  89  pieds,  une  vitesse  de  12  milles  à  l'heure, 
comme  au  Cachalot. 

Le  professeur  Sir  Turner,  dans  une  conférence  donnée  der- 
nièrement à  Edimbourg,  a  parlé  de  la  force  des  grands  Cétacés. 

11  estime  la  force  de  la  Balœnoptera  Sibbaldii,  qui  parcourt 

12  milles  à  l'heure,  dont  le  poids  est  de  70  tonnes  et  l'envergure 
de  la  queue  de  18  à  20  pieds,  il  estime  cette  force,  d'après 
M.  Henderson,  à  145  chevaux. 

Les  Balénoptères  sont  généralement  considérées  comme 
ichtyophages,  ainsi  que  les  Mégaptères,  mais  l'espèce  qui  nous 
occupe  ne  paraît  guère  manger  que  des  Crustacés. 

Le  Crustacé  qui  fait  sa  pâture  principale  est  un  mysidé, 
que  l'on  désigne  sous  le  nom  deRoeger;  c'est  une  Thysmwpoda, 
qui  porte  maintenant  le  nom  de  Euphrasia  inermis.  C'est  le 
Krill  des  pécheurs  *.  La  Balénoptère  poursuit  ces  Crustacés 
schizopodes  jusque  dans  les  Fiords,  dit  Sars.  Ce  petit  crustacé 
paraît  en  si  grande  abondance  à  l'est  du  cap  Nord,  pendant 
les  mois  d'été,  qu'elle  sert  de  pâture  non  seulement  aux  Balœ- 
noptera Sibbaldii  et  borealis,  mais  également  au  Gadus  virens 
et  aux  nombreux  oiseaux  marins  qui  descendent  comme  des 
nuages  sur  cette  proie. 

Collett  a  trouvé  communément  de  3  à  400  litres  de  Thysano- 
poda  dans  leur  estomac.  Mon  fils  en  a  ouvert  à  Vadsô  en  1882, 
qu'on  venait  de  capturer  et  il  a  trouvé  leur  estomac  également 
plein  de  ce  petit  crustacé. 

C'est  par  erreur,  sans  doute,  que  Holbôll  cite  le  Mallotus 
arcticus,  et  Pallas,  les  Loligo  et  les  Méduses,  comme  nour- 
riture principale  de  cette  Balénoptère. 

D'après  le  Dr  Guldberg,  la  Balœnoptera  borealis  poursuit  la 
même  pâture  et  ne  se  rend  cependant  pas  autant  à  l'est  que  la 
Balœnoptera  Sibbaldii.  Il  faudrait  en  conclure  que  ce  n'est  pas 

•  Nuturw.  V train.,  mai  1885. 


(128) 

exclusivement  la  recherche  de  la  pâture  qui  les  guide  dam  leurs 
pérégrinations. 

Le  Cestode,  que  nous  possédons  à  l'état  de  strobile,  provient 
sans  doute  de  ce  crustacé  Schizopode. 


Ces  Cétacés  vivent  par  couple  et  la  femelle  atteint  une  taille 
plus  forte  que  le  mâle. 

Malmgren  a  vu  deux  grandes  Balénoptères,  sans  doute  mâle 
et  femelle,  à  la  latitude  de  79°, 45. 

En  septembre  1881,  on  a  trouvé  une  femelle  morte  sur  les 
côtes  près  de  Plymouth,  et  le  2  novembre  suivant,  on  a  vu 
échouer  un  mâle  à  peu  près  sur  les  mêmes  côtes. 

Gomme  les  autres  espèces,  la  Balœnoptera  Sibbaldii  s'apparie 
sans  doute  à  certaines  époques  de  l'année  et  les  sexes,  comme  les 
individus  qui  composent  les  bandes,  se  prêtent  assistance 
en  cas  de  danger. 

Les  pêcheurs  ont  plus  d'une  fois  remarqué  que  des  Balénop- 
tères vont  au  secours  des  individus  capturés,  et  continuent 
leurs  évolutions  autour  du  cadavre  remorqué,  jusqu'à  ce  que 
le  danger  d'être  prises  elles-mêmes  devient  trop  éminent. 

Y  a-t-il  une  époque  des  amours,  ou  ces  cétacés  s'accouplent- 
ils  à  toutes  les  époques  de  l'année?  Est-ce  dans  l'Atlantique 
pendant  l'hiver,  ou  dans  la  Mer  de  Barentz  pendant  l'été? 
Qu'elle  est  la  durée  de  gestation  ?  Y  a-t-il  un  lieu  de  prédilection 
pour  la  mise  bas?  Ce  sont  autant  de  questions  auxquelles  il  est 
encore  difficile  de  répondre  positivement.  Nous  n'avons  encore 
que  des  observations  isolées. 

L'accouplement  se  fait,  d'après  Guldberg,  en  été  sur  les  côtes  de 
Finmark  et  de  Laponie  et  il  cite  un  exemple  à  la  date  du  lo  juillet 
(1883).  On  a  vu  un  mâle  et  une  femelle  tous  les  deux  sur  les  flancs, 
s'approcher  lentement  l'un  de  l'autre,  puis  se  tourner  ventre 
contre  ventre.  Le  vapeur  tira  sur  le  mâle,  qui  lâcha  la  femelle 
sans  être  blessé.  Le  lendemain  on  captura  une  femelle  de  70 
pieds.  A  l'autopsie,  la  muqueuse  vaginale  était  rouge  et  injectée. 
L'impression  était  que  la  femelle  était  fécondée.  Guldberg  n'a 
pas  trouvé  de  spermatozoïdes  dans  les  mucosités  utérines. 


(  129) 

Hais  à  en  juger  par  la  taille  des  fœtus  que  l'on  recueille 
assez  régulièrement  pendant  l'époque  de  la  pêche,  l'accouple- 
ment doit  avoir  lieu  également  ailleurs  et  en  d'autres  temps; 
ainsi  cette  Balénoptère  n'aurait  pas  d'époque  fixe  pour  l'accou- 
plement, par  conséquent  non  plus  pour  l'époque  de  la  partu- 
rition.  Bailleurs  M.  Çuldberg  est  arrivé  à  la  même  conclusion, 
comme  il  ressort  d'un  de  ses  derniers  travaux  *. 

La  durée  de  la  gestation  dure  au  delà  d'une  année,  et  sans 
aucun  doute  elle  varie  d'une  Balénoptère  à  l'autre. 

La  Balœrwptera  Sibbaldii  se  reproduit  tous  les  trois  ans;  les 
Balœnoplera  musculus  et  rostraia  semblent  se  reproduire  tous 
les  deux  ans  environ. 

La  taille  des  fœtus,  recueillis  à  Vadso  et  dans  les .  ports 
voisins,  est  très  variable,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  plus 
haut. 

Au  commencement  de  juillet  4883,  on  amena  à  Svartnœs, 
près  de  Vardô,  une  grande  femelle,  avec  les  mamelles  pleines 
de  lait  et  une  matrice  énorme;  il  a  semblé  au  conservateur  du 
Musée  Zootomique  de  Christiania,  que  cette  femelle  avait  mis 
bas  depuis  peu  de  temps. 

La  femelle  de  la  baie  de  Forth,  ainsi  qu'une  autre  citée  par 
le  professeur  d'anatomic  de  l'Université  d  Edimbourg,  auraient 
au  contraire  mis  bas  au  mois  d'octobre  ou  de  novembre. 


DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE. 

Cette  Balénoptère  fait  régulièrement  son  apparition  sur  les 
côtes  d'Islande  et  de  Finmark  au  printemps,  et  elle  disparaît  à 
la  fin  de  l'été.  Quelle  direction  prend-elle  alors  pour  passer  les 
mois  d'hiver?  Traverse-t-elle  l'Atlantique  pour  se  rendre  à  la 
côte  de  Labrador?  Nous  fondons  grand  espoir  sur  l'initiative, 


1  G.  A.  Guldberg,  zur  Biologie  des  PfordatlanlUchen  Flnwhàlartw. 
Zoologische  Jaiihbûcher,  Jena,  1866.  vol.  II,  fa$c  I,  pp.  423-474,  . 

Tome  XLI.  9 


(130) 

qui  vient  d'être  prise  par  la  commission  de  pêche  de  Was- 
hington, d'inviter  les  habitants  des  côtes  d'informer  par  télé- 
graphe le  professeur  Sir  A.  Baird,  le  secrétaire  de  l'institut 
Smithsonien  de  Washington,  chaque  fois  qu'un  Cétacé  de 
quelque  importance  apparaîtrait. 

Pour  faciliter  cette  tâche,  M.  Fréd.  True,  curateur  des  mam- 
mifères du  Musée  national,  a  publié  une  notice  intéressante, 
avec  dessin  au  trait,  des  différents  Cétacés  qui  pourraient  faire 
leur  apparition  sur  les  côtes  des  Etats-Unis  d'Amérique  *. 

Quant  à  l'époque  de  l'apparition  de  la  grande  Balénoptère, 
nous  avons  recueilli  quelques  faits  qu'il  s'agira  de  coordonner 
quand  ils  seront  assez  nombreux. 

Sophus  Hallas,  qui  a  pris  part  à  la  pêche  des  Balénoptères 
sur  les  côtes  d'Islande,  dit  que  leur  apparition  dans  les  eaux 
d'Islande  a  lieu  vers  le  21  avril. 

D'après  les  pécheurs,  les  Balœnoptera  Sibbaldii  et  musculus, 
ainsi  que  la  Megaptera  boops,  apparaissent  dans  le  voisinage  du 
cap  Nord  en  même  temps  que  la  Mallotus  villosus,  la  nourri- 
ture favorite  des  Gades.  Des  millions  de  Larus  (Larus  glaucus 
et  eburneus)  suivent  ces  bancs  de  poissons. 

L'Éclipsé,  partie  de  Pelerhead,  le  20  avril  1886,  pour  la  pêche 
à  la  Baleine,  a  rencontré,  quatre  ou  cinq  jours  après  son 
départ  d'Ecosse,  une  Balœnoptera  Sibbaldii;  du  moins,  R.Gray 
suppose,  d'après  la  taille,  que  la  Balénoptère  qu'ils  ont  aperçue 
appartient  à  cette  espèce.  Le  huitième  jour,  V Éclipse  s'est 
approchée  des  glaces,  et  deux  autres  individus  de  la  même 
espèce  se  sont  montrés  à  l'horizon. 

Le  capitaine  de  Y  Éclipse  a  vu  ensuite  des  Balœnoptera  Sib- 
baldii à  côté  d'Hyperoodon ,  et  même  dans  des  eaux  qui 
avaient  une  température  au-dessous  de  deux  degrés  et  demi, 
à  côté  des  Mysticetus.  Nordenskiold  croyait  que  les  Sibbaldii 
n'entraient  pas  dans  des  eaux  au-dessous  de  cette  température. 

1  Fred.True,  Suggestions  to  the  keepers  ofthe  U.  S.  Lifc-Saving  stations 
.....ta  the  best  means  of  collecting  and  preserving  spécimens  of  tonales  and 
porpoises.  Washington,  1884. 


■  (  131  ) 

A  79°,  15°  N.,  le  capitaine  Gray  a  vu  encore  une  Balœnoptera 
Sibbaldii  avec  deux  jeunes. 

Avec  les  baleiniers,  on  peut  dire  qu'elles  sont  Cold  water 
w  hâtes. 

Il  n'est  pas  douteux  que  cette  même  Balénoptère  ne  se  montre 
de  l'autre  côté  de  l'Atlantique.  Le  professeur  Cope  cite  quatre 
espèces,  dont  une  est  connue  des  baleiniers  sous  le  nom  de 
Finbach  whale,  et  mesure  au  moins  74  pieds,  à  en  juger  par 
un  squelette  du  Musée  de  Cambridge.  C'est  le  Sibbaldius  sul- 
fureus  de  Cope. 

Guldberg  cite  le  cas  d'un  individu  capturé  en  Europe,  qui 
portait  un  harpon  semblable  à  ceux  qu'on  emploie  de  l'autre 
côté  de  l'Atlantique,  probablement  des  côtes  du  Labrador. 

Nous  savons  que  cette  Balénoptère  apparaît  régulièrement 
au  printemps  au  détroit  de  Davis,  quand  la  Baleine  franche  l'a 
quitté,  et  elle  se  rend  dans  la  mer  de  Baffin  à  de  hautes  lati- 
tudes. C'est  l'espèce  la  plus  boréale  du  genre,  dit  F.  Gray.  Les 
Esquimaux,  comme  les  baleiniers,  ne  distinguent  pas  la  Balœ- 
noptera Sibbaldii  de  la  Balœnoptera  mnsculus,  dit  R.  Brown  K 

Nous  connaissons  un  exemple  intéressant  de  cette  capture, 
faite  le  12  août  1843  dans  la  baie  de  Batfin  :  c'est  celle  de  la 
femelle  de  3i  aunes  danoises,  dont  la  nageoire  pectorale  avait 
été  envoyée  à  Eschricht.  Le  ventre  de  cette  Balénoptère  était 
noir  et  gris,  disait  Holbôll;  souris-foncé  entre  les  plis  et  la 
nageoire  dorsale  petite  -. 

Celles  qui  doublent  le  cap  Nord  longent  la  côte  de  Finmark 
et  se  dirigent  vers  l'est.  M.  A.  Cockx  a  vu  des  Balœnoptera 
Sibbaldii  jusqu'au  18  septembre  à  l'entrée  de  la  mer  Blanche. 

Déjà  en  1852,  0.  Heuglin  avait  signalé  à  la  Société  royale  de 
géographie  de  Londres  3  que  ces  animaux  sont  extrêmement 
abondants  dans  la  mer  Blanche,  et  il  avait  même  exprimé  l'es- 
poir de  voir  l'industrie  de  la  pêche  s'établir  dans  cette  mer,  si 

*  The  Zoologist,  février  1887. 

*  EscuRiciiT,  5e  Traité,  p.  151. 

*  Joum,  roy.  gtoyr.  Society,  vof.  XXIII,  p.  129. 


(  132  ) 

peu  connue  alors.  Il  prétend  aussi  que  les  côtes  de  cette  mer 
intérieure  sont  couvertes  d'ossements  de  ces  Cétacés. 

Elle  se  rend  dans  les  eaux  de  Spitzbergen,  comme  dans  la 
mer  de  Baffin,  à  de  hautes  latitudes.  Malmgren  rapporte  qu'il 
a  vu,  comme  le  capitaine  Gray,  le  17  septembre  1861,  deux 
Balénoptères  de  grande  taille,  à  79°,45'  latitude  nord,  entre 
l'île  d'Amsterdam  et  le  Spitzberg.  Leur  navire  y  était  à  l'ancre. 

On  sait  que  cette  Balénoptère  est  également  commune  a 
Beeren-Eiland  et  sur  les  cotes  de  la  Nouvelle-Zemble. 

Dans  le  courant  du  mois  d'août,  ces  animaux  abandonnent 
ces  régions,  et  la  première  espèce  qui  quitte  les  côtes  de  la 
Laponie,  c'est  la  Balœnoptera  Sibbaldii;  la  seconde  espèce,  c'est 
la  Balœnoptera  mus  eu  lus.  La  Megaptera  reste  la  dernière., 
paraît-il  (A.  Cockx). 

Le  18  septembre,  on  a  vu  encore  un  individu  de  cette  espèce 
à  Eretiki. 

M.  Guldberg  a  fait  le  relevé  des  Balénoptères  de  cette  espèce 
capturées  depuis  dix  ans  :  en  1876,  il  y  en  a  eu  42;  en  1877, 
22  seulement,  c'est  le  plus  petit  nombre  ;  en  1878,  il  y  en  a  eu 
70;  en  1879,  84;  en  1880,  62;  en  1881,  221.  C'est  le  plus 
haut  chiffre  que  l'on  ait  atteint.  En  1882  et  1883,  on  estime 
le  nombre  à  200;  en  1884,  les  animaux  étaient  grands,  mais 
moins  abondants;  en  1885,  on  n'en  a  pris  que  58.  On  a  capturé 
ù  la  place  une  centaine  de  Balœnoptera  borealis.  En  1886,  on 
en  a  capturé  une  centaine.  La  Balœiwptera  borealis  était  rare 
cette  année,  mais  la  Balœnoptera  musculus,  par  contre,  fort 
abondante. 

M.  Alfred  Cockx  estime  que  sur  406  captures  faites  en  1883 
sur  les  côtes  de  Finmark,  il  y  avait  175  Balœnoptera  Sibbaldii. 

La  Balœnoptera  Sibbaldii  a  été  rare  en  1885  sur  les  côtes  de 
Finmark.  Le  Crustacé  qui  forme  sa  pâture,  la  Thysanopoda 
inermis,  a  fait  défaut,  et  le  Seje  ou  Cod  whale  des  Norwégiens 
a  paru  à  sa  place. 

A  cause  de  son  énorme  taille,  cette  espèce  est  plus  exposée 
à  échouer  que  les  autres,  et  nous  avons  plusieurs  exemples 
d'individus  trouvés  flottants  en  mer. 


(133) 

Ascanius  signale  l'exemple  d'une  femelle  de  6G  pieds  qui  est 
venue  se  perdre  sur  les  côtes  de  Norwège. 

Le  28  juillet,  on  a  vu  sur  les  côtes  est  de  l'Islande  un  Stey- 
pireydr  flottant  en  mer. 

Un  animal  de  80  pieds  a  échoué  sur  les  côtes  de  Hollande 
(Oosten  et  Sluysche  Gai)  le  1er  mai,  nous  ne  savons  de  quelle 
année.  Le  commissaire  De  Witte  fait  mention  des  fanons  noirs, 
d'une  aune  de  longueur,  et  dont  il  estime  le  nombre  à  deux 
cents  *. 

Une  des  captures,  dont  on  s'est  le  plus  occupé,  est  celle  faite 
en  1827  d'une  femelle  trouvée  flottante  en  mer  et  remorquée 
par  les  pécheurs  jusqu'au  port  d'Ostende.  L'animal  mesurait, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  85  pieds,  et  son  squelette, 
après  avoir  été  exhibé  dans  les  principales  capitales  de  l'Eu- 
rope, est  conservé,  dans  un  triste  état,  au  Jardin  botanique  de 
Sl-Pétersbourg  2.  C'est  la  propriété  du  Musée  impérial  de 
l'Académie  des  sciences  de  S^Pétersbourg. 

Cette  même  année,  au  mois  de  mars  (le  10),  une  jeune 
femelle,  qui  n'avait  que  54  pieds,  a  échoué  dans  les  sables  de 
l'île  d'Oleron,  et  on  peut  se  demander  si  ce  n'est  pas  un  Balei- 
neau qui  avait  accompagné  la  Balénoptère  dont  nous  venons 
de  parler.  Le  Dr  Fischer  donne  des  détails  fort  intéressants 
sur  cette  Balénoptère  :  le  sternum  était  petit  et  plat;  les  ver- 
tèbres, au  nombre  de  quarante-six,  sans  celles  de  la  queue, 
qui  sont  au  nombre  de  dix-sept,  ce  qui  fait  en  tout  soixante- 
trois  vertèbres.  Les  os  n'ont  malheureusement  pas  été  conservés. 

Le  D*  Fischer  fait  mention  d'une  autre  Balénoptère  qui  a 
échoué  en  avril  1863  sur  les  côtes  de  Dunkerque,  et  qui  mesu- 
rait 30  mètres. 


1  Le  1er  mai  est  venue  échouer  une  Baleine  :  <  na  myne  gissinge  omirent 
200  git  zwarte  lande,  een  elle  langli  ende  hreed,  groot  van  muyle,  daer  wel 
eene  gemeene  schuyi  iugaen  soude, in  der  waerbeyi  een  monsler  der  hellen.  » 

'  c  Das  grosse  Skelet  der  bei  Ostende  geslrandeien,  welebes  Europa  flureb- 
wanderie,  tst  jelzt  Eigentbum  unseres  Muséums,  •  m'écrivait  le  Dr  Brandi 
dans  une  lettre  datée  de  S'-Pétersbourg  le  1er  janvier  187*. 


(134) 

On  cite  encore  un  animal,  rejeté  par  la  mer  à  l'état  de  cadavre 
sur  la  plage  do  Soulac,  dans  le  golfe  de  Gascogne.  C'était  le 
13  juillet  1879.  On  ne  voyait  flotter  qu'une  masse  informe  de 
chair  en  putréfaction;  la  tête  et  la  queue  étaient  séparées;  il  y 
a  lieu  de  croire,  m'écrit  le  capitaine  Jouan,  que,  sous  l'impul- 
sion des  vagues,  qui  sont  terribles  sur  cette  côte,  le  corps  aura 
été  replié  en  deux.  Le  corps  a  été  mis  en  vente,  et  c'est  la  com- 
mune de  Soulac  qui  l'a  acheté  pour  90  francs.  L'animal  avait 
24  mètres  de  long  *. 

On  en  a  observé  ù  diverses  reprises  sur  les  côtes  d'Ecosse  et 
de  Shetland. 

Sibbald,  qui  a  fait  tant  de  bonnes  observations  sur  les  grands 
Cétacés  des  côtes  d'Ecosse,  parle  d'un  mâle  de  75  pieds  qui  a 
péri  en  1690  dans  la  baie  de  Forth.  C'était  un  individu  de  la 
grande  espèce. 

C'est  encore  sans  doute  un  animal  de  cette  espèce  qui  a 
échoué  à  l'entrée  de  THumber,  au  mois  de  septembre  1750,  et 
dont  Scoresbv  fait  mention. 

Neill  fait  mention  également  d'un  grand  individu,  dont  le 
sexe  n'est  pas  déterminé,  qui  a  péri  dans  la  même  baie 
en  1808. 

Scoresby  parle  d'une  Balénoptère  de  82  pieds  qu'il  a  vue  sur 
lescôtesde  Shetland  pendant  l'hiver  de  1817-1818.  Elle  était 
venue  y  échouer. 

Arthur  Jacob  fait  mention  d'une  femelle  de  70  pieds,  venue 
à  la  côte,  à  l'ouest  de  l'Irlande,  au  mois  d'avril  1825. 

Un  jeune  animal  de  31  pieds,  dont  le  squelette  est  conservé 
au  Musée  de  Liverpool,  a  échoué  dans  la  Dee. 

Une  femelle  trouvée  morte  en  mer,  a  été  remorquée  à  Ply- 
mouth  le  27  septembre  1831  ;  elle  était  longue  de  79  pieds  (Couch) 
et  son  estomac  renfermait  une  grande  quantité  de  Pilchards. 
D'après  sa  taille,  ce  serait  une  Sibbaldii,  mais  cette  espèce  se 
nourrit-elle  de  Pilchards?  N'y  a-t-il  pas  de  l'exagération  dans 
la  longueur?  C'est  ce  que  nous  croyons  plutôt. 

1  Act.  Soc.  Linn.  de  Bordeaux,  séance  du  6  août  1879. 


(  135) 

En  octobre  1831,  un  individu  a  échoué  à  l'embouchure  de 
la  baie  de  Forth  ;  son  squelette  est  au  Musée  des  sciences  et 
des  arts  à  Edimbourg.  Il  avait  76  pieds  (Knox). 

En  1833,  une  bonne  capture  a  été  faite  dans  le  Humber,  près 
de  Hull  ;  le  squelette  de  l'animal  est  conservé  au  Musée  de  cette 
ville. 

Le  professeur  Sir  Turner,  qui  signale  cinq  échouements, 
parle  d'un  individu  échoué  à  l'entrée  du  Firth  of  Forth  en  1858. 

Une  Balœnoptera  Sibbaldii,  prise,  le  9  novembre  1869,  à 
l'entrée  de  ce  fleuve,  et  qui  heureusement  est  tombée  dans 
de  bonnes  mains,  nous  fournira  des  renseignements  bien 
importants.  Elle  s'était  montrée  en  spectacle  aux  habitants  de 
la  côte  pendant  quatorze  jours.  C'était  une  femelle  sur  le 
point  de  mettre  bas,  et  dont  l'acquisition  a  été  faite  de  manière 
à  être  utilisée  complètement  pour  la  science.  Le  professeur 
Sir  Turner  a  d'abord  publié  une  première  notice  dans  les 
Proceedings  de  la  Société  royale  d'Edimbourg,  puis,  dans  une 
notice  particulière,  il  a  fait  connaîtra  le  sternum  *,  le  placenta 
ainsi  quei'os  du  bassin  de  la  mère  et  du  fœtus  mâle  qu'elle 
portait. 

Le  fœtus  n'avait  pas  moins  de  20  pieds  6  pouces  ;  la  mère 
mesurait  78  pjeds  9  pouces. 

Dans  cette  notice,  il  fait  savoir  qu'au  mois  d'octobre  1869 
une  autre  femelle  avec  son  jeune,  appartenant  à  la  même 
espèce,  a  été  capturée  sur  la  côte  de  Shetland,  mais  il  ne  nous 
apprend  pas  si  cet  animal  a  été  conservé  pour  la  science. 

Le  même  savant  parle  encore  d'un  autre  individu  échoué  à 
Wick(Caithness)enl871. 

La  Balœnoptera  Sibbaldii  pénètre  dans  la  Baltique. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  deux  mâles  rencontrés  dans  cette 
mer  intérieure,  le  8  avril  1825  et  en  juillet  1862,  et  que 
Jul.  Mûnter  a  fait  connaître. 

Le  29  octobre  1865,  un  individu  mâle,  non  adulte,  a  été  cap- 


1  Turhbh,  On  the  sternum of  the  longniddry  Whale  (  Balaeaoptera 

Sibbaldii).  Jocrh.  op  anatomy  and  physiology,  vol.  IV.  , 


(436) 

turé  près  de  Gôteborg,  et  a  été  décrit  par  M.  Malm  sous  le 
nom  de  Balœtwptera  Carolinœ*  C'est  le  professeur  Flower  qui 
reconnut  le  premier  que  ce  jeune  mâle  est  une  Balœnoptera 
Sibbaldii.  Son  squelette  est  conservé  au  Musée  de  Gôteborg. 

Le  26  juin  1881,  entre  les  îles  Sylt  et  Fôhr  (Baltique),  les 
douaniers  aperçurent  une  femelle  Balœnoptera  Sibbaldii  de 
50  pieds,  échouée  sur  le  sable;  elle  fut  tuée  à  coups  de  hache. 
Le  Dr  Môbius  acheta  le  squelette  pour  le  Musée  zoologique 
de  Kiel.  Le  bassin  manque  *. 

Nous  ne  croyons  pas  que  la  Balœnoptera  Sibbaldii  soit  con- 
finée dans  l'Atlantique  septentrionale,  comme  les  autres  espèces 
du  genre;  elle  hante  le  Pacifique  comme  l'Atlantique,  et  se 
répand  même  dans  les  eaux  de  nos  antipodes. 

On  parle,  en  effet,  sous  des  noms  divers,  d'une  grande  Balé- 
noptère, répandue  dans  l'Atlantique  comme  dans  le  Pacifique, 
dans  la  mer  des  Indes  comme  dans  la  mer  du  Japon,  et  dans 
les  eaux  de  nos  antipodes,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  dans 
les  généralités  sur  le  genre. 

Les  baleiniers  américains  et  anglais  parlent  souvent  d'une 
Balénoptère  sous  le  nom  de  Sulfurbottum;  c'est  un  animal  de- 
grande  taille  et  qui  hante  l'océan  Pacifique  et  la  mer  des 
Indes.  Nous  avons  plusieurs  raisons  de  croire  qjie  ce  Sulfur- 
bottum appartient  à  l'espèce  qui  nous  occuppe.  Ils  accordent  en 
effet  à  ce  Sulfurbottum  une  taille  de  80  pieds  et  des  fanons  fort 
larges  et  d'un  noir  luisant. 

Au  mois  d'août  1871,  une  jeune  Balénoptère  a  échoué  près 
de  l'embouchure  du  Bio  de  Lozan,  un  des  affluents  du  Bio  de 
la  Plata.  A  en  juger  par  ses  fanons  noirs,  par  la  face  inférieure 
du  corps,  également  noire,  un  peu  plus  claire  que  le  dos,  mais 
pas  blanche,  nous  croyons  que  c'est  une  Balœnoptera  Sibbaldii. 
Son  squelette  est  conservé.  Burmeister  lui  a  donné  le  nom 
de  Balœnoptera  intermedia. 

A.  Smyth  a  vu  des  Balénoptères  de  95  pieds  à  Table  Boy. 

1  Prof.  Môbius,  Ueber  einen  bei  Sylt  geslrandeten  Blauwal  (Bateoopiera 
Sibbaldii).  Naturwiss.  vtiutiRS  fOr  Schleswig*Holstein,  Bd.  VI.  Kiel,  1865» 


(137) 


Le  Muséum  d'histoire  natu- 
relle de  Paris  a  reçu  de  Patago- 
nie  des  squelettes  qui  se  rappor- 
tent à  la  Balœnoptera  Sibbaldn 
et  à  la  Balœnoptera  musculus. 
Nous  reproduisons  ci-contre  la 
première  côte  qui  est  bifide,  les 
os  nasaux  et  le  sternum. 

Un  de  ces  squelettes  a  été 
trouvé  sur  la  plage  dans  le  New- 
Year-Sund,  à  la  Terre  de  feu. 
L'animal  dont  il  provient  avait 
échoué  sur  la  plage,  et  les  Fue- 
giens  s'étaient  empressés  d'en- 
lever la  chair  pour  la  manger. 

MUSÉES. 

Jusque  dans  ces  dernières 
années,  on  ne  connaissait  dans 
les  Musées  aucun  squelette  bien 
authentique  de  cette  espèce,  et 
quelques  os  séparés  de  grande 
taille  pouvaient  être  attribués  à 
des  géants  de  l'espèce  com- 
mune. 

Aujourd'hui  le  doute  n'est 
plus  possible,  surtout  depuis 
que  Ton  possède  des  ossements  et  des  squelettes  des  Balénop- 
tères recueillis  aux  pêcheries  d'Islande  et  de  Finmark. 

Nous  allons  indiquer  par  ordre  alphabétique  les  Musées  qui 
possèdent  des  restes  authentiques  de  cette  Balénoptère. 

Au  Musée  de  l'Université  de  Breslau,  on  conserve  le  squelette 
d'un  jeune  animal  qui  a  péri,  en  1862,  au  Sund. 

Le  Musée  de  Bruxelles  possède  aujourd'hui  un  squelette 
complet,  provenant  des  pêcheries  de  Vadsô.  Il  est  d'une  remar- 


Os  nasaux,  sternum  et  partie  distale 
de  la  première  eôte. 


(138) 

quable  conservation  pour  les  membres  comme  pour  les  os  du 
bassin. 

11  possède  également  une  vertèbre  isolée,  dont  l'origine  n'est 
pas  connue,  et  qui  se  rapporte  sans  doute  à  cette  espèce.  Le 
corps  est  haut  de  32  centimètres,  large  de  39  centimètres, 
mesuré  au  milieu  du  disque;  l'apophyse  épineuse  mesure 
32  centimètres  depuis  le  corps  de  la  vertèbre,  et  elle  est  loin 
d'être  complète.  C'est  une  des  dernières  lombaires. 

Le  Musée  de  Copenhague  possède  une  tête  et  divers  osse- 
ments provenant  de  la  pêche  en  Islande  (1866).  Le  professeur 
Reinhardt  a  publié  une  notice  intéressante  sur  ces  dernières 
pièces,  avec  de  bonnes  figures.  Depuis  1843,  on  y  conserve 
également  le  squelette  d'une  nageoire  pectorale  d'un  animal 
capturé  au  mois  d'août  dans  la  mer  de  Baffin.  Cette  pièce  a 
été  envoyée  à  Eschricht  par  le  gouverneur  Holbôll. 

Au  Musée  de  l'Université  de  Christiania  on  conserve  un 
squelette  d'un  mâle  de  77  pieds,  préparé  par  Guldberg, 
en  1881. 

L'Indian  Muséum  de  Calcutta  renferme  plusieurs  ossements 
importants. 

On  trouve  dans  la  ville  d'Edimbourg  des  ossements  de  quatre 
individus  différents  :  il  y  a  d'abord  un  squelette  complet  d'une 
femelle  qui  a  échoué  en  octobre  1869  sur  les  côtes  de  Shet- 
land. II  est  monté  au  Musée  de  l'Université.  Ce  squelette 
fut  déposé  d'abord  au  Jardin  zoologique  d'Edimbourg.  Il 
s'v  trouve  ensuite  des  vertèbres  cervicales,  dorsales  et  lom- 
baires,  avec  des  côtes  et  une  omoplate  recueillies  sur  les 
côtes  de  Shetland.  Le  squelette  d'un  individu  de  84  pieds 
trouvé  flottant  en  mer  près  de  North-Berwick,  le  8  octobre  1831 , 
étudié  par  Frederick  Knox,  est  conservé  dans  le  Département 
d'histoire  naturelle  du  Musée  des  sciences  et  des  arts. 

Le  Musée  de  Gôteborg  renferme  un  squelette  d'un -jeune 
mâle  qui  a  échoué,  le  29  octobre  1863,  non  loin  de  cette  ville, 
et  dont  Malm  a  donné  une  belle  description,  sous  le  nom  de 
Balœnoptera  Carolinœ. 


(  139  ) 

On  conserve  un  squelette  de  mâle  au  Musée  de  l'Université 
de  Greifswald,  recueilli  à  l'île  de  Rûgen  en  1825., 

Un  squelette  est  conservé  à  la  Société  philosophique  de  Hull, 
provenant  d'un  animal  de  47  pieds  de  long,  qui  a  été  capturé 
en  4833  dans  le  Humber. 

Le  squelette  d'une  femelle  de  13  mètres  de  longueurquiapéri, 
en  juin  1881,  sur  les  côtes  du  Jutland,  est  conservé  au  Musée  de 
l'Université  de  Kiel,  grâce  aux  soins  du  professeur  Môbius. 

A  la  Rochelle,  on  possède  deux  vertèbres,  dont  l'origine  est 
inconnue,  et  qui  proviennent  sans  doute  de  cette  Balénoptère. 

Le  Musée  de  Leyde  renferme  également  deux  premières  côtes 
d'un  mâle  de  78  pieds  anglais,  un  sternum,  un  atlas  et  un  axis, 
puis  quelques  os  provenant  de  la  pêche  d'Islande,  donnés  par 
le  capitaine  Bottemanne. 

A  Leipzig,  on  conserve  un  fœtus  de  18  pieds,  conservé  dans 
le  sel,  que  l'on  a  reçu  du  cap  Nord. 

Le  Musée  de  l'Université  de  Liège  est  en  possession  de  deux 
beaux  squelettes,  l'un  de  mâle,  l'autre  de  femelle,  tous  les  deux 
adultes;  ils  proviennent  d'individus  capturés  dans  l'établisse- 
ment de  pêche  de  Vadsô. 

Le  même  Musée  possède  également  des  fœtus,  dont  un  a  une 
dizaine  de  pieds  de  longueur. 

Le  Musée  de  Liverpool  possède  des  vertèbres,  des  côtes  et 
des  fanons  rapportés  d'Islande  par  M.  Henri  Baird  en  1868. 

Nous  avons  à  Louvain  la  tête,  les  nageoires  pectorale  et  eau* 
dale  d'un  fœtus  de  7  pieds  de  long,  que  le  Dr  Finsch  a  rap- 
porté de  la  pêcherie  de  Vadsô,  ainsi  que  l'omoplate  dont  nous 
avons  déjà  parlé. 

Le  British  Muséum  possède  également  un  squelette;  il  pro- 
vient de  la  collection  de  Lidt  de  Jeude  d'Utrecht.  C'est  la  vue 
de  ce  squelette  qui  avait  frappé  M.  Flower  en  1864  ;  son  coup 
d'œil  exercé  lui  fit  reconnaître  une  forme  nouvelle,  à  laquelle 
il  donna  le  nom  de  Balœnoptera  latirostris. 

On  conserve  aujourd'hui  un  autre  squelette  au  British 
Muséum,  qui  provient  d'une  femelle  de  79  pieds,  capturée  à 


(  140  ) 

Plymouth  ;  des  caisses  tympaniques  et  des  fanons  de  la  Nou- 
velle-Zélande. 

Au  Muséum  de  Paris  se  trouve  aujourd'hui  un  squelette  de 
mâle  et  un  autre  de  femelle,  tous  les  deux  rapportés  des  pêche- 
ries de  Vadsô  par  le  professeur  Pouchet. 

Il  s'y  trouve  également  depuis  longtemps  une  omoplate  et 
un  atlas  de  grande  taille  dont  l'origine  est  inconnue. 

Le  même  Musée  est  en  possession  aujourd'hui  d'un  sque- 
lette provenant  du  cap  Horn  *. 

Le  plus  ancien  squelette  est  celui  de  ranimai  qui  à  été  trouvé, 
en  1827,  mort  en  mer,  par  les  pécheurs,  et  qui  a  été  fcmorqué 
jusqu'à  Ostende.  Comme  nous  Pavons  dit  plus  haut,  ce  squelette, 
après  avoir  été  exhibé  dans  les  principales  capitales  de  l'Europe, 
est  allé  échouer  au  Jardin  zoologique  de  Saint-Pétersbourg. 

Pallas  parle  d'un  squelette  de  84  pieds  de  long  (pieds  anglais), 
provenant  d'un  animal  capturé  dans  la  mer  Glaciale,  sou6  le 
nom  de  Balœna  physalus ;  il  a  été  envoyé  par  Petrus  Kargin,  en 
1740,  au  Musée  de  Sl-Pétersbourg.  La  taille  et  la  couleur  des 
fanons  (laminis  atro-cceruleis)  ne  laissent  guère  de  doute  sur 
l'espèce.  Personne  n'a  pu  nous  donner  des  renseignements  sur 
ce  squelette  pendant  notre  séjour  à  S'-Pétersbourg. 

On  voit  encore  au  Musée  de  SMPétersbourg  un  atlas  et  trois 
vertèbres  lombaires,  provenant  des  côtes  de  la  Nouvelle-Zemble, 
que  nous  attribuons  à  cette  espèce. 

A  la  fin  de  1878,  le  Musée  tie  Stockholm  a  reçu  de  Vadsô  un 
squelette  de  Balamoptera  Sibbaldii  femelle  et  de  son  fœtus  à  peu 
près  à  terme  2. 

Au  Musée  de  l'Académie  des  sciences  de  Stockholm,  nous 
avons  vu  en  outre  une  vertèbre  dorsale  (deuxième),  rapportée 
par  le  Dr  Kinberg  des  côtes  de  Patagonie  (détroit  de  Magellan); 


1  La  Bévue  scientifique ,  dans  son  n°  du  29  mars  1884,  rend  compte  d«* 
Texpédiiion  scientifique  au  cap  Horn  et  fait  mention  de  ces  ossements  qui  ont 
été  rapportés  par  la  Romanche. 

9  Smitt,  Veber  Balœnoptera  Sibbaldii.  Zoologischer  anzeigbr,  16  dé- 
cembre 1878. 


(141  ) 

elle  est  d'une  dimension  extraordinaire.  Nous  n'en  avons  pas 
vu  de  plus  grande.  M.  Malm  rapporte  encore  au  même  animal 
plusieurs  autres  vertèbres,  dont  deux  lombaires.  H.  Malm  a  fait 
le  relevé  des  Cétacés  conservés  dans  les  Musées  de  Suède  ;  il  a 
donné  à  cette  espèce  le  nom  de  Physalus  antarcticus. 

Nous  connaissons  aussi  quelques  squelettes  conservés  dans 
des  Musées  hors  d'Europe;  ils  sont  généralement  désignés  sous 
d'autres  noms.  A  défaut  de  pièces  assez  nombreuses  de  com- 
paraison, nous  ne  pouvons  pas  affirmer  avec  certitude  que  c'est 
la  même  espèce  qui  vit  aux  deux  hémisphères,  mais  nous  pou- 
vons assurer  qu'elle  représente  notre  grande  Balénoptère  par 
tous  les  caractères  essentiels,  la  taille,  la  forme  de  la  face,  la 
couleur  des  fanons,  le  nombre  des  vertèbres  et  des  côtes,  etc. 

Il  existe  un  squelette  de  Balénoptère  de  74  pieds  au  Musée 
de  Cambridge  (Etat-Unis)  et  qui  appartient  sans  doute  à  cette 
Balénoptère.  C'est  l'espèce  la  plus  grande  et  la  plus  commune, 
dit  le  professeur  Cope. 

On  en  cite  une  autre  de  84  pieds,  capturée  en  1851,  à  la  lati- 
tude de  19°  N,  on  Juggu  or  Àmherst  Islet.  Quelques-uns  de  ses 
os  sont  conservés  au  Musée  du  collège  médical  de  Calcutta, 
sous  le  nom  de  Balœnoptera  indica  *. 

En  1873,  une  Balénoptère  de  très  grande  taille  a  échoué  sur 
la  côte  sud-  est  d'Otago  ;  ses  fanons,  d'après  le  Dr  Coughtrey, 
sont  semblables  à  ceux  de  la  Balœnoptera  Sibbaldii  des  mers 
arctiques  *  et  ont  la  largeur  el  la  couleur  de  la  Balœnoptera 
Sibbaldii  d'Europe. 

Le  squelette  décrit  et  figuré  dans  les  Traits,  of  ihe  New-Zear 
land  Institute,  sous  le  nom  de  Physalus  australis,  par  M.  Hector, 
provient  d'un  animal  capturé  an  sud  de  Cook's  Strait  ;  il  a 
soixante-quatre  vertèbres  3  ;  il  est  conservé  au  Musée  de  Wel- 
lington. .     . 


*  Bltth,  Journal  ofthe  Asiaiic  Society  ofBengal,  xxvm,  1860. 

*  Captata  F.  H.  Huttou,  Trans.  n.  ZeL  insL,  vol.  VIT,  p.  26a 

1  Le  toile  porte  57,  mais  M.  Hector  a  mis  64  dans  un  tiré  &  part  qu'il  a 
eu  la  bonté  de  me  faire  parvenir. 


(142) 

Un  squelette  d'un  animal  de  90  pieds,  dont  les  fanons 
avaient  28  pouces  de  longueur,  18  de  largeur,  et  tout  noirs, 
est  conservé  au  Musée  de  l'Université  de  Melbourne.  L'animal 
a  échoué  sur  la  côte  de  Vittoria  *. 

On  conserve  des  fanons  bien  authentiques  de  cette  espèce  à 
Edimbourg  (de  Shetland),  à  Liège  (de  Finmark),  à  Louvain  (de 
Shetland),  à  Vienne  et  à  San  Francisco,  de  Sulfurbottum  (du 
Pacifique). 

DESSINS. 

Il  existe  quelques  anciennes  figures  de  Balénoptères,  mais 
comme  l'espèce  n'a  été  définitivement  reconnue  que  dans  ces 
dernières  années,  on  n'a  pu  donner  des  figures  authentiques 
que  dans  ces  derniers  temps. 

La  plus  ancienne  figure,  pensons-nous,  est  celle  que 
Bob.  Sibbaldus  "2  a  publiée  dans  sa  Phalaïnologia  nova. 

Van  Breda  en  a  publié  une  d'après  le  corps  recueilli  en  mer 
en  1827  par  des  pécheurs  d'Ostende,  et  dont  le  squelette  se 
trouve  à  S^-Pétersbourg  3. 

Différentes  gravures  et  deux  lithographies  de  grand  format 
sont  conservées  à  la  Bibliothèque  royale,  à  Bruxelles. 

Nous  trouvons  cette  espèce  représentée  dans  le  grand  atlas 
de  Goldfuss,  vol-  4,  pi.  332  *. 

Fried.  Bosenthal  a  publié  une  lithographie  de  l'individu 
échoué  en  1825  dans  la  Baltique. 

Le  professeur  Mûnter  publie  deux  planches  représentant 
l'animal  vu  des  divers  côtés  &. 

Eschricht  possédait  un  dessin  de  la  Balœnoptera  Sibbaldii. 


4  Gigloli  Cetacei  osservati,  p.  51 . 

1  Phalaïnologia  nova.  Edinburgi,  1692,  pi.  III. 

5  Van  Breda,  Afbeelding  van  dm  op  5  nov.  48tl  gestranden  Walvisch  le 
Oo$tende.  Lelterbode. 

*  Goldfuss,  Atlas,  vol.  IV,  pi.  CCCXXXII. 

*  Munter,  UebérZweiin  f9Jahrh.bei  Greifswaldmùnnlichslndividuen 
von  Bal.  Sibbaldii.  Greifswald,  1877, 


(143) 

Burmeister  a  figuré  l'animal,  vu  de  profil,  par  sa  face  infé- 
rieure et  par  le  ventre,  faisant  ses  évolutions  dans  l'eau  *, 
sous  le  nom  de  Balœnoptera  intermedia. 

Sars  a  publié  d'abord,  en  1865,  le  dessin  d'un  mâle  et  des 
détails  sur  le  squelette  2,  puis  celui  d'un  animal  adulte  3  et  d'un 
fœtus  mâle  de  1  pied  4  pouces  de  long. 

En  1874,  le  zélé  professeur  de  Christiania  a  publié  le  dessin 
d'une  femelle  adulte  des  côtes  de  Finmark.  Le  dessin  de  la 
planche  III  représente  un  individu  capturé  à  l'établissement  du 
capitaine  Foyn.  La  planche  IV  représente  un  fœtus  de  9  pieds 
et  demi  *. 

Le  Dr  Malm  a  publié  plusieurs  photographies  faites  d'après 
le  jeune  mâle  qui  est  allé  échouer  dans  le  voisinage  de  Gôten- 
borg,  le  20  décembre  1865.  Il  reproduit  vingt-deux  photo- 
graphies sur  dix-huit  planches,  deux  planches  lithographiées 
çt  trois  gravures  sur  bois  3.  Le  savant  Directeur  du  Musée  de 
Gôteborg  figure  également  la  région  cervicale  avec  les  deux 
premières  dorsales,  l'atlas  et  l'axis,  les  quatre  premières  côtes 
avec  l'hyoïde,  et  le  squelette  du  membre  pectoral. 

Le  professeur  Sir  Turner  en  a  donné  aussi  une  très  bonne 
figure  6. 

Nous  avons  publié  un  dessin  de  cet  animal,  d'après  les  extraits 
du  Journal  de  voyage  et  les  croquis  que  le  Dr  Finsch  avait 
rapportés  de  Vadsô,  en  1873  7. 

1  Atlas  de  la  Description  physique  de  la  république  Argentine.  Buenos - 
Àyres,  1883. 

*  Vid-Selskabets  ForhandL,  for  1865. 
'  Vid-Selskabets  ForhandL,  for  1878. 

*  Sars,  Om  Biaahvalen  (femelle  adulte),  Christiania  VidSelskab.  For- 
handl.  for  1874.  Sars,  Forsatte  Bidrag  til  kundskàben  om  vare  Bardehvaler. 
Christiania  vi  dense abelse.  Forhandl.,  1880. 

*  Malm,  Monographie  illustrée  de  la  Balénoptère ....  Stockholm,  1867. 

0  Tobker,  On  account  ofthe  gréai  Finner  Whale  (Balaenoplera  Sibbaldn), 
Tbajis.  rot.  Soc  Édinburgh,  vol.  XXVI,  pi.  V,  1870  et  Itlust.  London  News, 
1869,  n«  1567. 

1  Van  Benedbji,  Notice  sur  la  grande  Balénoptère  du  Nord  (Balaenoplera 
Sihbaldii),  Bull.  Acad.  bot.  de  Belgique,  2«  sér.,  U  XXXIX,  1875. 


(144) 

Le  cap.  Scammon  a  publié  un  dessin  du  Sulfurbottum, 
ou  Sibbaldius  sulfurais  Copey  pi.  XIII.  Comme  Burmeister,  il 
représente  l'animal  faisant  ses  évolutions  dans  l'eau. 

Du  Bar  a  publié  plusieurs  planches  représentant  grossière- 
ment le  crâne,  vu  de  trois  côtés  différents,  les  mandibules,  l'os 
hyoïde  avec  la  caisse  tympanique,  le  sternum,  la  colonne  ver- 
tébrale, l'atlas,  une  première  côte  avec  deux  autres,  l'os  du 
bassin,  l'omoplate  et  les  os  de  la  nageoire  pectorale. 

Le  professeur  Reinhardt  a  reproduit  quelques  bonnes  figures, 
représentant  la  tête  avec  les  os  nasaux,  l'atlas  et  le  corps  de  l'os 
hyoïde,  d'après  les  pièces  conservées  au  Musée  de  Copenhague, 
provenant  d'individus  capturés  dans  les  eaux  dislande. 

Gray  a  figuré  l'atlas  et  cinq  cervicales.  Reinhardt  a  également 
publié  une  figure  de  l'énorme  atlas  rapporté  par  Hailas  des 
côtes  d'Islande. 

Nous  avons  reproduit  dans  l'Ostéographie,  pi.  XII  et  XIII, 
fig.  28  à  34,  la  tête  vue  d'en  haut,  la  région  cervicale,  la  nageoire 
pectorale,  le  sternum  et  l'atlas  avec  l'axis,  vus  de  face.  Ces 
dessins  sont  faits  d'après  des  pièces  du  Musée  de  Copenhague 
et  de  Gôteborg. 

M.  Smitt  a  eu  l'obligeance  de  me  faire  parvenir  des  photo- 
graphies de  la  tête  d'une  femelle  et  du  fœtus,  de  l'atlas,  du 
sternum,  de  l'hyoïde,  des  côtes  et  des  membres  conservés  au 
Musée  de  Stockholm,  pour  faire  la  comparaison  avec  les 
mêmes  os  provenant  de  diverses  localités. 

PARASITES. 

On  connaît  sur  cette  Balénoptère  de  petits  Cirripèdes  et  deux 
Copépodes  à  l'extérieur,  un  Monostome,  un  Filaire,  un  Échi- 
norhynque  et  un  Ccstode  dans  l'intestin. 

On  a  trouvé  des  Penella  sur  une  femelle  de  13  mètres,  cap- 
turée sur  la  côte  du  Jutland,  le  26  juin  1881,  et  sur  quatre 
individus  capturés,  en  avril  1867,  sur  les  côtes  est  dislande. 

Les  Penella  sont  des  Crustacés  parasites  qui  s'implantent  par 
la  tête  dans  l'épaisseur  de  la  peau,  et  qui  se  déforment  si  corn- 


•     (  1*5  ) 

plèlement  qu'à  moins  de  les  avoir  étudiés,  ou  d'avoir  étudié  les 
Copépodes,  qui  minent  sous  tant  de  formes  différentes  la  peau 
des  poissons,  on  ne  saurait  les  prendre  pour  des  animaux. 

Un  autre  commensal  est  celui  que  Ton  a  trouvé  d'abord  sur  • 
les  lanons  de  la  Bakenoptera  borealis,  et  qui  vit  également  sur 
les  fanons  de  la  Balœnoptera  Sibbaldii. 

11  est  à  remarquer  que  les  Crustacés,  dont  ces  deux  Balénop- 
tères se  nourrissent,  sont  les  mêmes,  d'après  quelques  natura- 
listes qui  ont  assisté  à  la  poche. 

Creplin  a  trouvé  des  FUaria  crasskanda  et  des  Monostomum 
plicatum  clans  l'oesophage  et  dans  l'intestin  grêle. 

Ou  trouve  communément  dans  les  intestins  YEchinorhynchus, 
dont  Malm  avait  cru  devoir  faire  une  espèce  nouvelle,  sous  le 
nom  spécifique  de  Brevicollis. 

Le  professeur  Sir  Turner  a  trouvé  également  cet  Echi- 
norhynque  dans  l'individu  qu'il  a  disséqué. 

Cette  Balénoptère  nourrit  en  même  temps  un  Cestode,  sans 
doute  nouveau  pour  la  science,  mais  que  nous  n'avons  pu 
déterminer  à  défaut  de  scolex.  À  en  juger  par  les  proglottis, 
c'est  en  tout  cas  un  animal  voisin  des  Bothriocéphales. 

Ce  Cestode  a  été  recueilli  a  Vadsô,  il  y  a  quelques  années,  et 
nous  ne  savons  si  l'on  n'en  a  pas  trouvé  depuis  d'autres  exem- 
plaires complets. 


Tome  XLL  10 


1 


ZIPHIOÏDES 


DES 


MERS   D'EUROPE, 


PAR 


P.-J.  VAN  BENEDEN, 

MEMBRE    1>E   L'ACADÉMIE  ROYALE  DK  HEI.r.lÛUE. 


(Présenté  à  la  ('lasse  des  sciences  dans  la  séance  du  7  janvier  188$.' 


Tome  XLI.  1 


1 


LES 


ZIPHIOÏDES 


DES 


MERS   D'EUROPE. 


GENERALITES. 

Au  commencement  du  siècle,  en  creusant,  les  bassins 
d'Anvers,  les  ouvriers  terrassiers  mirent  au  jour  des  rostres  de 
Cétacés  véritablement  pétrifiés;  vers  la  même  époque,  sur  les 
bords  de  la  Méditerranée,  on  découvrit  une  tête  légèrement 
mutilée,  plus  ou  moins  fossile,  avec  un  rostre  solide  ;  ne 
pouvant  la  rapporter,  pas  plus  que  les  rostres  d'Anvers,  à  un 
Célacé  vivant  des  collections,  Cuvier  proposa  pour  les  désigner 
le  nom  de  Ziphius. 

Ce  nom  de  Ziphius  avait  été  employé,  par  quelques  auteurs 
du  moyen  âge,  pour  un  Dauphin  qu'ils  n'ont  point  clairement 
déterminé. 

Les  Ziphius,  disait  Cuvier,  ne  sont  ni  tout  à  fait  des  Baleines, 
nj  tout  à  fait  des  Cachalots,  ni  tout  à  fait  des  Hyperoodons; 
ce  sont,  dit-il,  probablement  des  restes  d'une  nature  détruite 
et  dont  nous  chercherions  en  vain  aujourd'hui  les  origines. 
•  La  Cétologie  a  fait  bien  des  progrès  depuis  le  jour  où  le 
grand  naturaliste  a  écrit  ces  lignes,  mais  ses  prévisions  ont  reçu 


(4) 

une  éclatante  confirmation  :  le  genre  Ziphius  est  devenu  le  type 
d'une  famille  dont  quelques  espèces,  encore  en  vie,  errent  à 
l'aventure  clans  les  divers  Océans  comme  s'ils  n'avaient  plus  de 
patrie.  Ils  sont  originaires  des  régions  chaudes,  mais  ils  se 
rendent  indifféremment  vers  le  nord  ou  vers  le  sud,  fréquen- 
tant le  pôle  arctique  comme  le  pôle  antarctique.  On  trouve,  en 
effet,  le  Cachalot  dans  les  eaux  du  Groenland  et  du  Spitzberg 
comme  dans  celles  de  la  Tasmanie  et  de  la  Nouvelle-Zélande. 

Blainville  qui  avait  également  au  plus  haut  degré  le  senti- 
ment  des  affinités,  avait  distingué  de  bonne  heure  les  Cétacés, 
qui  se  groupent  autour  des  Ziphius,  sous  le  nom  de  Ueiero- 
dontes. 

Eschricht  avait  fort  bien  reconnu  les  affinités  dps  Ziphius  avec 
les  Hyperoodons  et  les  Micropterons  ;  il  proposa  de  nommer 
les  premiers  Chœnocetus,  Entenwall,  d'après  un  ancien  nom 
danois.  Ces  travaux  d'Eschricht  ont  donc  à  leur  tour  confirmé 
l'opinion  de  Cuvier  *.  Le  savant  professeur  de  Copenhague 
réunit  différentes  espèces  autour  des  Ziphius,  et  il  propose  de 
les  désigner  sous  le  nom  de  RhynchoMi.  Il  prend  l'IIyperoodon 
pour  type  et  fait  remarquer  que  le  régime  de  tous  ces  animaux 
est  le  même  ;  tous  se  nourrissent  de  Céphalopodes. 

En  1850,  un  Ziphius  vint  échouer  sur  la  plage  des  Aresquiers, 
non  loin  de  Frontignan.  Paul  Gervais  profita  de  cette  occasion 
pour  montrer  que  le  Ziphius  cavirostris  se  trouvait  encore 
parmi  les  espèces  vivantes;  il  proposa  de  réunir  certains  Céta- 
cés, intermédiaires  entre  les  Dauphins  et  les  Cachalots,  sous  le 
nom  de  Ziphioïdes. 

Duvernoy,  qui  avait  à  cette  époque  la  direction  des  collections 
d'anatomie  comparée  du  Muséum,  fût  chargé  par  l'Académie  des 
sciences  de  faire  un  rapport  sur  le  mémoire  de  Gervais;  il  passa 
en  revue  les  nombreux  squelettes  conservés  dans  les  galeries  du 


1  ••  Der  Entenwall  ithperoodon)  uni  der  KleinOosser  (Miciopleron)  sieltrii 
sicb  uns  deuiuncb  als  spàrliclie  Ueberbleibsel  emtx  vorwcli  lie  lien  grosse  u 
Abtbeilung  lier  Wallihiere  dar,  uud  war»c!ieinlicb  slrbt'i)  sie  eben  deswigwt 
jel/J  so  isohrl  da  • ,  dit  Ksciiricht. 


o 


Muséum  et  plaça  le  Cétacé  de  la  plage  des  Aresquiers,  non  dans 
le  genre  Ziphius,  comme  Gênais  l'avait  fait,  mais  parmi  les 
Hyperoodons;  les  Cétacés  étaient  partagés  en  cinq  familles  par 
Duvernoy  et  il  réunissait,  sous  le  nom  de  Hétérodontes,  les  genres 
vivants  et  fossiles  que  nous  regardons  comme  Ziphioïdes.  On 
ne  connaît  bien  dans  cette  famille  des  Hétérodontes,  ajoute 
Duvernoy,  que  les  espèces  du  genre  Hyperoodon  *. 

Le  professeur  Flower  s'exprime,  comme  Guvier  et  Eschricht, 
-au  sujet  de  l'ancienneté  des  Ziphioïdes  :  la  rareté  de  ces  Cétacés 
à  l'époque  actuelle  contraste  singulièrement  avec  leur  abon- 
dance à  l'époque  de  la  formation  du  crag,  et  fait  croire,  ajoute 
le  savant  Directeur  du  British  Muséum,  que  les  Ziphioïdes 
actuels  ne  sont  que  des  survivants  d'anciennes  familles-. 

Dans  la  liste  des  Cétacés  du  British  Muséum,  publiée  en 
1885,  M.  Flower  admet,  à  côté  de  la  famille  des  Balénides,  une 
famille  de  Cachalots  dans  le  sous-ordre  des  Cétodontes  et  réu- 
nit dans  une  sous-famille  les  Ziphiinœ,  les  Hyperoodon,  les 
Ziphius,  les  Mesoplodon  et  les  Berardius. 

Mous  ne  comprenons  pas  les  motifs  de  cette  séparation  des 
Cachalots  ;  ces  Cétacés  partagent,  avec  les  autres  Ziphioïdes, 
les  mêmes  caractères  et  le  même  genre  de  vie.  La  taille  seule 
«litière. 

Nous  avons  depuis  longtemps  exprimé  l'avis  qu'il  n'y  a  pas 
de  raisons  de  séparer  les  Cachalots  des  véritables  Ziphioïdes, 
bien  qu'ils  aient  de  nombreuses  dents  au  maxillaire  inférieur. 
Les  Cétacés  forment  à  notre  avis  trois  familles  distinctes 
parfaitement  caractérisées,  par  toute  leur  organisation,  et 
spécialement  par  leur  squelette,  par  leur  genre  de  vie,  comme 
par  leur  répartition  géographique. 


1  Ann.  mime,  natur.,  ô*  série,  l.  IV,  18;il. 
.  *  *  This  comparative  rarity  al  Ihe  prese.nl  epocli  conlrasts  greaily  wilb 
%vlial  once  obluined  on  llie  earlb,  cspecially  in  ihe  period  of  Ihe  de|>osit:on 
<>f  the  Crag  formations,  and  h-ads  lo  ihe  belief,  lhatthe  exisiing  Ziph.'o'ds are 
ibe  survîYors  o£an  ancienl  family ....  »  W.  H.  Floweb,  O/i  t  he  récent  Ziphioid 
Whales,  Tmxs.  Zool.  Soc.  of  Lojdox,  vol.  VIII,  1871. 


■:  6) 

Chez  les  Ziphioïdes,  les  os  de  la  face  s'allongent  pour  for- 
mer un  véritable  rostre;  les  yeux  sont  placés  fort  en  arrière; 
la  fente  buccale  est  petite;  les  narines  s'ouvrent  à  gauche  et 
forment  un  croissant  dont  la  convexité  est  en  avant  ;  la  tête  est 
peu  symétrique,  surtout  les  os  qui  encadrent  les  fosses  nasales; 
le  crâne  s'élève  parfois  tout  droit  et  surplombe  souvent  au- 
dessus  des  orifices  des  narines. 

En  général,  les  os  lacrymaux  *  et  mastoïdiens  sont  séparés; 
les  mandibules  sont  toujours  symphisées  sur  une  grande 
longueur. 

II  y  a  souvent  quelques  dents  rudimentaires  non  alvéolées 
à  Tune  ou  à  l'autre  mâchoire;  dans  le  Cachalot  elles  sont 
cachées  sous  la  peau  au  palais  et  complètement  déformées. 

A  la  mâchoire  inférieure  elles  sont  alvéolées  et  varient  quant 
à  leur  nombre,  quant  à  la  place  qu'elles  occupent  et  enfin 
quant  à  leur  forme. 

Les  os  de  l'oreille  ont  des  caractères  communs  à  toutes  les 
espèces  de  cette  famille  :  les  Baleines,  les  Balénoptères  et  les 
Mégaptères  ont  l'apophyse  qui  les  attache  au  crâne  insérée  sur 
le  rocher;  les  Ziphioïdes  ont  cette  apophyse  insérée  sur  la  caisse 
tympanique  même  ;  les  Cétodontes  n'ont  pas  cette  apophyse 
développée.  Chez  ces  derniers,  la  caisse  ne  tient  au  crâne  que 
par  les  parties  molles. 

Le  corps  de  l'os  hyoïde  ainsi  que  les  cornes  sont  très  larges. 

Les  vertèbres  sont  allongées  et  peu  nombreuses  (45  à  50); 
les  nageoires  pectorales,  fort  petites,  sont  en  disproportion 
avec  la  taille  de  l'animal  ;  les  doigts  sont  au  nombre  de  cinq  ; 
les  côtes  s'articulent  au  sternum  par  des  cartilages,  comme  le 
professeur  Flower  l'a  fait  observer  en  premier  lieu  chez  les 
Cachalots,  les  Hyperoodons,  les  Ziphius  et  les  Berardius. 

Les  dernières  côtes  sont  seulement  insérées  sur  les  apophyses 
transverses,  comme  dans  tous  les  Cétacés. 

Entre  l'estomac  et  l'intestin,  il  y  a  une  suite  de  six  compar- 
timents. 

1  Ils  n'existent  pas  séparément  dans  les  Cachalots. 


(  7) 

Le  tube  digestif  présente  une  muqueuse,  diversement  alvéo- 
lée selon  les  genres,  et  une  portion  de  l'intestin  suffit  pour 
distinguer  l'espèce  dont  il  provient.  Le  cœcum  manque. 

Plusieurs  Ziphioïdes  présentent  des  différences  sexuelles 
très  grandes  :  les  Cachalots  différent  entre  eux  surtout  par  la 
taille,  les  Hyperoodons  par  la  conformation  de  la  tête,  les 
Micropterons  et  les  Ziphius,  par  la  dimension  des  dents. 

Jusqu'ici  on  ne  connaît  guère  le  spermaceti  que  dans  les 
Cachalots  ;  nous  avons  tout  lieu  de  croire  que  tous  les  Ziphioïdes 
en  produisent  ;  nous  en  avons  reconnu  depuis  longtemps  dans 
les  Hyperoodons,  et  nous  venons  d'apprendre  qu'un  mâle  de 
Berardiusj  capturé  en  1862  dans  le  port  de  Porirua  (Porirua 
harbour\  d'une  longueur  de  27  pieds,  a  produit,  outre 
2i0  gallons  de  fine  spemi  oil9  une  quantité  considérable  de 
spermaceti  logée  dans  la  partie  supérieure  de  la  tête. 

La  famille  des  Ziphioïdes  se  distingue  non  moins  bien  par 
le  régime:  depuis  longtemps  Eschricht  a  fait  la  remarque  que 
ces  Cétacés  poursuivent  surtout  les  Céphalopodes,  et  il  a  pro- 
posé de  les  appeler  Theutophages,  de  Theutis,  Calmar.  On 
trouve,  eu  effet,  toujours  des  becs  et  des  cristallins  de  ces 
Mollusques  dans  leur  estomac. 

Vrolik  a  trouvé  jusqu'à  dix  mille  becs  dans  l'estomac  d'un 
Hyperoodon  *.  Jul.  v.  Haast  a  ouvert  l'estomac  d'un  Berardius 
qui  contenait  un  demi  bushel  de  becs  cornés  d'Octopus,  tous 
de  la  même  grandeur  2. 

Parmi  les  caractères  propres  aux  Ziphioïdes,  on  peut  encore 
citer  les  sillons  qu'ils  montrent  sous  la  gorge  et  qui  corres- 
pondent avec  la  longue  symphyse  de  leur  mandibule. 

Blainville  avait  déjà  observé  chez  le  Micropteron,  et  Haalland 
chez  l'Hyperoodon,  deux  paires  de  sillons  sous  la  gorge  entre 
les  deux  maxillaires. 

Plusieurs  Ziphioïdes  gémissent  ou  beuglent  quand  ils  sont 
échoués  sur  la  plage  :  la  femelle  de  Micropteron  qui  est  venue 


1  Vrolik,  loc.  cil. 

*  V.  Haast,  Ann.  a.  Mag  nal.  hisL  Octobre  J870. 


1 


(  8  ) 

à  la  cote  à  Os  tende,  poussait  de  véritables  gémissements.  L'Hy- 
peroodon  qui  a  péri  sur  la  côte  en  Bretagne,  à  Hillion,  en  1880, 
beuglait  de  manière  à  effrayer  la  nuit  les  habitants  à  une 
grande  distance  i.  Le  Ziphioide  dont  Jul.  Haasta  parlé  dans 
une  notice,  reproduite  par  M.  Flower,  et  qui  se  rapporte  sans 
doute  à  un  Berardius,  beuglait  par  moments  comme  un  tau- 
reau (bellow  like  a  bull). 

Ces  animaux  vivent  généralement  par  schools  composées 
surtout  de  femelles.  Les  Cachalots  capturés  isolément  ou 
échoués  sont  généralement  du  sexe  mâle. 

Les  Ziphioïdes  vivent  surtout  dans  les  mers  profondes  des 
régions  équatoriales,  où  ils  rencontrent  en  abondance  les 
Céphalopodes.  On  compte  que  ces  Mollusques  figurent  dans 
ces  eaux  pour  65  pour  cent;  dans  les  régions  tempérées,  ils  ne 
sont  qu'à  30  pour  cent,  et  dans  les  régions  froides,  on  n'en 
compte  plus  que  6  pour  100.  Ces  Mollusques,  à  l'exception  des 
poulpes,  vivent  toujours  au  large.  La  différence  de  conforma- 
tion du  corps  indique  bien  l'animal  pélagique  et  l'animal 
côtier. 

Les  Ziphioïdes  qui  ont  été  signalés  dans  les  mers  d'Europe 
sont  :  le  Cachalot,  l'Hyperoodon,  le  Ziphius  cavirostris,  le 
Micropteron  de  Sowerby.  On  ne  connaît  qu'un  seul  individu  de 
l'espèce  qu'on  a  nommée  Micropteron  europœus. 

Les  Kogia  que  l'on  a  signalés  d'abord  au  cap  de  Bonne-Esjié- 
rance,  puis  en  Australie,  ont  été  trouvés  dans  ces  derniers 
temps  dans  la  mer  des  Indes,  au  Japon,  et  dans  l'Atlantique 
sur  la  côte  de  New  Jersey  et  à  l'est  des  Florides. 

Les  Berardius  signalés  d'abord  à  la  Nouvelle-Zélande,  puis 
au  nord  du  Pacifique,  ne  sont  représentés  en  Europe  qu'à  l'état 
fossile. 

A  en  juger  par  les  ossements  de  Cétacés  que  Stejneger  a 
rapportés  du  nord  du  Pacifique,  surtout  de  l'Ile  de  Behring,  les 
Cétacés  Ziphioïdes  ne  doivent  pas  être  rares  non  plus  dans  ces 
parages;  le  courageux  voyageur  que  nous  venons  de  citer, 

1  Bulletins,  *  sér.,  l.  XLIX,  1880. 


(  9) 

a  rapporté,  au  Musée  do  Cambridge,  des  restes  de  Henv'flius, 
de  Ziphius  et  de  MUroptevon. 

Nous  ferons  remarquer  aussi  que  parmi  les  descendants  des 
Ziphioïdes,  autrefois  si  abondants  à  la  fin  de  l'époque  tertiaire, 
dans  l'Ancien  comme  dans  le  Nouveau  Monde,  plusieurs 
semblent  s'être  réfugiés  particulièrement  dans  les  eaux  de  nos 
antipodes. 

Il  semble  v  avoir  uu  contraste  entre  les  Cétacés  vivants  des 
régions  chaudes  et  des  régions  froides;  les  premiers,  habitant 
des  régions  équatoriales,  sont  généralement  cosmopolites  :  le 
Cachalot  visite  le  Groenland  comme  la  Nouvelle-Zélande;  le 
Ziphius  que  nous  avons  d'abord  cru  propre  aux  Indes  est  le 
même  que  celui  que  Cuvier  avait  cru  fossile  et  qui  visite  encore 
la  Méditerranée;  le  Micropteron  de  Sowerby,  reconnu  d'abord 
sur  les  côtes  d'Angleterre  et  de  Belgique,  se  retrouve  également 
aux  antipodes,  tandis  que  les  espèces  véritablement  polaires, 
comme  la  Baleine  franche,  le  Narval  et  le  Béluga,  ne  quittent 
jamais  les  glaces.  On  dirait  que  ces  derniers  ont  fait  leur 
apparition  après  les  autres  et  qu'ils  hantent  seuls  les  régions 
glacées  des  pôles. 

Les  Ziphioïdes  sont  généralement  mal  représentés  dans  les 
Musées,  et  il  n'y  a  qu'un  petit  nombre  de  bons  dessins  des  ani- 
maux et  de  leurs  squelettes. 

Les  Ziphioïdes  n'ont  pas  été  assez  souvent  étudiés  en  chair, 
dans  des  conditions  favorables,  pour  connaître  leurs  commen- 
saux et  leurs  parasites. 


LE   CACHALOT 

{PHYSETER  MACROCEPHALVS) 


LITTERATURE. 

•udley.  An  essay  upon  the  nat.  history  of  W haies  ...  (Ambre  gris 
fottnd  in  the  spermaciti  Whalc),  Phr.  Trans.,  XXXIII,  n°  587,  1725, 
p.  256. 

Miabald  (■!•*).  Phalainologia%  Sive  observationes  de  rarioribus  qui- 
busdam  Balœnis  in  Scotia  lit  tus  nuper  ejecti*....  Cum  5  (ab.  Edinb.,  4775, 

Hobcrtfton,  Description  d'un  Cachalot,  Trans.  Philos.,  4770. 

Vaferielas  •thon.  F  aima  grocnlandica,  in -8°,  Lipsiae,  1780. 

Pierre  Camper,   Osléotogie  du  crâne  des    Cachalots,   Ob3ERYatio.\» 

AXAT.  SUR  LES  CÉTACÉS,  p.  88. 

Aider  «on,  J.,  An  ace  ou  ni  of  a  M'hait  of  the  Spertnaceti  Trihe,  cast  on 
shoreottlhe  Yorkshire  coast ,  4825. 

Marcel  de  *erre*,  Annal,  scienc.  nat ,  4855,  V,  p.  41*5. 

Tktmai  Reale,  A  few  observations  on  the  nat  tirai  history  of  thv 
êperm  Whalc,  in  8°,  London,  1 835. 

■eaactt,  F.  D.,  On  the  naturai  history  of  Physcter  macroccphalus, 
Proc.  Zool.  Soc,  IV,  485C». 

Blalavllle,   Sur  les  Cachalots,  Ann.  françaises  et  étrang.  d'anatomie 

ET  DE  P0YSI0L06IB,  t.  Il,  4858. 


i,  J.  B.  m.,  Dissection   of  a   spermareli   M' haie,  Boston, 

Jot'RN.  OF  MAT.  JilST.,  VOl.  V,  4845. 


1 


(  là  ■ 

0*%cn,  A  hislory  of  liritish  fos<il  mammah,  London,  1840. 

William  ».  Wall(ttaeleay}.  Uistory  anJ  description  of  the  skelclan 
ofa  ncw  spcrm  Whalc,  Sydney,  1851. 


rrn,  Skull  of  a  fœtal  Cachalot.  Dcscript.  of  thc  oitcol.  srries  in  the 
Muséum  of  thc  Roy.  Coll.  of  surgeons  of  Englutidy  t.  Il,  1855. 

llacckel,  Dcricht  ûber  die  am  45  attg.  bei  Cilla   uuova  gestrandelcn 
Pot amlle (PhyseltT...),  Snz.  Beh.  cl.  Akad. ttiss^Wien,  XI,  p.  7G5f  1855. 

Flowcr,  On  thc  oslcology  of  thc  Cachalot  or  sjwrnt  Wltatcy  Tiians.Zool. 
Soc,  London,  v.  VI,  part.  VI,  4868. 

lluxlcy.  A  manuel  of  thc  anatomy  of  veifebra/cd  animal*,  h*£.  lOC, 
London  4871.  La  letc  d'un  fœtus. 

Turncr,  On  thc  capture  ofa  sjtcrm  Whatv  on  thc  coaxt  of  Argylcshirc  . 
Proc.  Roy.  Soc.  of  EoiNBiiuiii,  p.  505,  session,  4870-4871. 

Turncr,  Âdd.  notvë  on  thc  occurcnce  of  thc  spenn  Whalc  ..,  Proc.  Roy. 
Soc.  Edjnbukgh,  4871-1872. 

Turncr,  Détails  sur  le  sternum  du  Cachalot  échoué  à  Skye,  en  1871. 
Proc.  Roy.  Soc,  Edknbirgh,  4871-4872. 

Fischer,  Aotc  sur  le*  Cachalots  échoués  sur  les  côtes  océaniques  d? 
France,  Journal  de  Zoologie,  t.  I,  p.  256,  4872. 

Turncr,  Notes  on  some  rare  prints  of  slranded  Whalcs,  Journal  or 

ANATOMY  AKD  PlIYSlOLOGY,  Vol.  XII,  jllly   4878. 

lan  Bcncdcn  et  P.  Cicrtala,  Otléographic  des  Cétacés.  Paris,  1880, 
p.  505. 

Leone  lie  Banctl»,  Monographia Zool.  anatom.  sut  Capidwjlio  armato 
a  Porto  S.  Giorgio,  R.  Academia  dei  Lincei,  atli,  5,  IX,  avec  7  pi.  Ruina, 
4881. 

Poucael,  Sur  la  boite  à  spermacvti,  Comptes  rendis...,  \  août  1884. 

Pour  h  et,  De  la  symétrie  de  la  face  chez  les  Céladonlcs,  in  4°,  -Pari*, 
488G. 


(  13) 


HISTORIQUE. 

Le  Cachalot  a  été  connu  des  anciens,  mais  fort  incomplète- 
ment au  point  de  vue  de  ses  affinités  zoologiques. 

La  place  véritable  de  ce  Cétacé,  à  la  tête  des  Ziphioïdes,  n'a 
été  proposée  que  dans  ces  dernières  années. 

Presque  tous  les  naturalistes  qui  se  sont  occupés  de  Cétacés, 
lui  ont  consacré  un  chapitre  particulier,  tantôt  à  côté  des 
Baleines  à  cause  de  sa  grande  taille,  tantôt  à  côté  des  Cétodontes 
ou  parmi  eux  ù  cause  de  ses  dents. 

Le  Cachalot  est,  parmi  les  Ziphoïdes,  ce  que  les  Baleines  et 
les  Balénoptères  sont  parmi  les  Balénides,  c'est-à-dire,  que  ces 
animaux  ont  continué  à  grandir  jusqu'à  l'époque  actuelle.  Les 
Céothériens,  au  contraire,  ont  atteint  leur  grande  taille  à 
des  époques  antérieures;  partout  ils  sont  visiblement  à  leur 
déclin  sous  le  rapport  dû  nombre  et  de  la  taille. 

Albert  un  des  premiers  parle  de  deux  Cétacés  qui  ont  échoué 
en  Hollande,  et  comme  ils  ont  fourni  du  blanc  de  Baleine,  ce 
sont,  selon  toute  probabilité,  des  Cachalots  dont  il  fait  men- 
tion. 

Belon  et  Rondelet  en  font  également  mention,  mais  trop 
vaguement  pour  être  certain  qu'ils  ne  les  ont  pas  confondus 
avec  d'autres  Cétacés.  11  en  est  de  même  de  Gesner. 

Ambroise  Paré  parle  de  cet  animal  d'après  un  individu  qui 
a  échoué  dans  l'Escaut,  près  d'Anvers,  en  1577.  Il  en  donne 
un  dessin,  mais  qui  est  loin  d'être  exact. 

En  1398,  un  individu,  échoué  non  loin  de  Scheveningue,  a 
été  l'objet  d'une  description  faite  par  Clusius. 

Un  siècle  plus  tard,  Sibbald  a  fait  mention  du  Cachalot, 
d'après  un  animal  du  sexe  mâle,  à  42  dents,  qui  a  péri  en  1689 
dans  la  baie  du  Forth,  et  d'une  femelle  qui  a  péri  deux  ans 
auparavant  dans  les  mêmes  conditions. 

Le  premier  Cachalot  connu  aux  États-Unis  d'Amérique,  est, 


(  14  } 

dit- ou „  uil  animal  qui  aùaiL  été  jeté  sur  la  cote, sud  de 
Nantucket  * . 

Vers  1713,  un  baleinier  poussé  au  large  par  un  verçt  violent 
au  milieu  d'une  gamme  de  Cachalots,  en  captura  un,  et  c'est 
depuis  lors  que  Ton  a  commencé  la  pêche  en  pleine  mer  2. 

Dans  les  Transactions  philosophiques  de  1725,  Dudley  fait  la 
description  d'un  Cachalot  qu  il  a  eu  sous  les  yeux. 

Anderson  croit  devoir  admettre  quatre  espèces  de  Cachalots, 
se  fiant  trop  aux  descriptions  souvent  incomplètes  ou  fautives 
des  auteurs. 

Artedi  en  admet  également  quatre  (1738)  et  Brisson  (1756)  en 
admet  même  sept. 

Linné,  comme  on  le  comprend  bien,  n'a  pas  pu  éclaircir 
l'histoire  des  Cachalots. 

Fabricius  (1780)  a  vu  le  Cachalot  pendant  son  séjour  sur  les 
lûtes  du  Groenland  et  a  laissé  une  bonne  description  de 
Tanimal. 

Déjà  en  1789,  les  baleiniers  américains  du  Cap  Cod  se 
rendent  dans  la  mer  des  Indes,  pour  faire  la  chasse  à  ces  ani- 
maux; on  rapporte  qu'un  gentleman  du  Cap  Cod  en  avait 
aperçu,  à  son  retour  des  Indes,  un  certain  nombre  et  avait 
engagé  ses  compatriotes  à  les  poursuivre  dans  ces  parages. 

En  septembre  1791,  Joseph  Russel  et  fils  et  Corn.  Howland 
doublèrent  le  cap  Horn  à  la  recherche  des  Cachalots,  et 
revinrent  heureusement  du  Pacifique  avec  un  plein  charge- 
ment. C'est,  si  je  ne  me  trompe,  le  commencement  de  la 
grande  pêche  dans  le  Pacifique.  On  prétend  toutefois  que  le 
premier  baleinier  qui  s'est  rendu  dans  cet  Océan  pour  faire  la 
chasse  ù  ces  animaux,  a  été  envoyé,  en  1787,  par  la  Xantitcket 
Colony  of  Whalingmen  from  England. 


1  The  lirst  sperm  whale  knovvn  in  Nanluckel  wns  fourni  decd,  and  ash<  rc 
on  ihe  soulhwrsl  pari  of  the  Mand. 

*  Tin*  lirst  sperm  vvliale  taken  l>y  Nanluckel  whaleman,  was  captured  by 
Chrislopher  Hussey,  aboul  thé  year  1712,  and  the  capture,  desiii.ed  lo  effeci 
xi  radical  change  in  ihe  pursuil  of  Uns  business,  was  the  resuit  of  :  n  aecii  eut. 


Pierre  Camper  a  fort  bien  connu  le  Cétacé  qui  nous  occupe  : 

a  La  forme  du  crâne,  dit-il,  celle  des  os  de  la  face,  la  struc- 
ture des  dents,  leur  emplacement  dans  les  seules  mâchoires  infé- 
rieures, Fouverture  impaire  des  fosses  nasales,  la  structure  diffé- 
rente des  vertèbres  cervicales,  sont  autant  d 'anomalies  qui  ne  per- 
mettent pas  de  les  confondre  avec  d'autres.  » 

Nous  citons  ce  passage  pour  montrer  te  justesse  de  coup 
d'œil  du  savant  anatomiste  hollandais. 

Les  Cachalots  n'ont  de  ressemblance  avec  les  Baleines, 
disait-il,  que  par  les  proportions  de  leur  volume  *.  Il  figure 
toutefois  une  région  cervicale  de  Baleine  pour  une  région  cer- 
vicale de  Cachalot. 

Lacépède  (1804)  figure  le  même  animal  sous  le  nom  de 
Physale  cylindrique,  de  Cachalot  macrocéphale  et  de  Cachalot 
trompo.  Lacépède  n'avait  pas  vu  les  cétacés  qu'il  décrivait,  pas 
même  leurs  os,  et  i!  a  dû  nécessairement  commettre  de  nom- 
breuses erreurs. 

En  parlant  du  Cachalot  microps,  il  confond  le  vrai  Cachalot 
avec  l'Orque,  et  une  partie  de  son  récit  se  rapporte  à  l'ennemi 
de  la  Baleine. 

Cuvier,  après  avoir  passé  en  revue  ce  que  l'on  avait  fait  avant 
lui,  se  demande  si  ce  ne  serait  pas  une  grande  témérité  à  lui  de 
prétendre  qu'il  n'y  a  encore  qu'une  seule  espèce  de  Cachalot. 
Après  ce  préambule,  il  fait  la  deserpition  des  os  du  sque- 
lette qu'il  avait  acheté  à  Londres,  en  1818;  malheureusement, 
ce  squelette  était  défectueux  et,  ce  qui  est  plus  grave,  en  le 
constituant  avec  des  os  de  divers  individus,  le  marchand  lui 
avait  donné  plus  de  vertèbres  que  le  Cachalot  n'en  possède 
réellement.  Cuvier  aurait  dû  s'apercevoir  que  ces  vertèbres 
ne  se  suivaient  pas  régulièrement. 

Les  mandibules  différentes,  dont  parle  Cuvier,  sont,  d'après 
ce  que  nous  savons  aujourd'hui  de  la  taille  des  sexes, 
des  mandibules  de  mule  et  de  femelle.  On  sait  que  la  taille 
des  mâles  a  le  double  de  celle  de  la  femelle. 

1  Camper,  loc.  cit.,  p.  17 


1 


(  1«  ) 

Fred.  Cuvier  parle  du  Dauphin  de  Bayer,  Delphinus  Bayeri, 
et  à  la  fin  de  sa  description  il  ajoute  que,  d'après  lui  et  son 
frère,  le  Dauphin  de  Bayer  de  Risso  est  un  Cachalot.  D'après 
la  figure  qui  se  trouve  dans  les  Actes  des  curieux  de  la  nature, 
on  voit  parfaitement  que  c'est  un  Cachalot  qui  y  est  représenté, 
mais  le  dessinateur  a  déplacé  l'orifice  des  évents,  croyant  sans 
doute  corriger  l'original. 

Brandt  et  Ratzeburg  ont  reproduit  tout  ce  que  l'on  a  dit 
du  Cachalot,  avant  1839. 

Thomas  Bealc  a  fait  paraître  a  few  observations  on  the  natural 
hislory  ofSperm  Whale;  London,  1835. 11  accorde  80  pieds  aux 
plus  grands  individus  et  publie  un  chapitre  sur  leurs  habitudes. 
Thomas  Beale  prétend  que  les  Cachalots  forment  des  gamines 
distinctes,  les  unes  de  femelles,  les  autres  de  jeunes  mâles,  et 
que  ces  derniers  se  subdivisent  d'après  leur  âge.  Ces  gammes 
sont  appelées  Schools  par  les  Anglais,  et  Thomas  Beale  dit  qu'il 
en  a  vu  de  500  à  600  individus.  Dans  chaque  gamme  il  y 
a  toujours  quelques  grands  mâles  fort  jaloux  de  leurs  droits, 
ajoute-tril.  Les  mâles  adultes  sont  souvent  isolés,  à  la  recherche 
de  leur  pâture;  ils  sont  toujours  plus  faciles  à  attaquer. 

Le  même  auteur  mentionne  les  places  favorites  de  leur 
capture,  depuis  la  Nouvelle-Guinée  jusqu'à  la  Nouvelle-Hol- 
lande, le  Chili,  la  Californie  et  la  mer  de  Chine. 

En  1838,  Blainville  publie  une  note  sur  les  Cachalots;  il  ne 
sait  si  on  doit  admettre  plus  d'une  espèce  :  aucun  peut-être, 
sauf  le  Cachalot  macrocêphale,  n'est  suffisamment  caractétisé 
pour  être  décidément  admis  comme  tel.  Dans  cette  note  il  fait 
connaître  le  Physeter  brevicrps,  aujourd'hui  Kogia,  d'après 
une  tète  rapportée  du  Cap  de  Bonne-Espérance  *. 

En  18ol  il  a  paru  à  Sidney  une  notice  sur  l'histoire  et  la 
description  d'un  squelette  de  Cachalot  monté  à  l'Australian 
Muséum  ;  elle  est  accompagné  de  deux  planches.  —  Cette 


■  Anna  tes  françaises  et  étrangères  d'Anatomie  et  de  Physiologie,  Paris 
tome  second,  1838,  p.  355 


(  17  ) 

notice  vient  d'être  réimprimée,  et  M.  William  S.  Wall  a  ajouté 
la  figure  complète  de  la  nageoire  pectorale  avec  les  os  carpiens, 
d'après  une  photographie. 

En  1853,  Maury  a  publié  une  carte  indiquant  à  la  fois  les 
lieux  fréquentés  par  le  Cachalot  et  les  Baleines,  sans  tenir 
compte  naturellement  des  côtes  que  ces  Cétacés  visitent  acci- 
dentellement. Il  y  a  quelques  régions  où  Ton  trouve  en  même 
temps  des  Baleines  et  des  Cachalots.  On  voit,  par  ce  tableau, 
que  ce  Cétacé  ne  dépasse  guère,  au  Nord,  le  50e  degré  de  lati- 
tude, et,  au  Sud,  le  60e,  de  manière  qu'on  doit  le  considérer 
comme  un  animal  des  régions  chaudes. 

Nous  avons  également  des  publications  de  Claas  Mulder  et 
de  Van  Bemmelen  sur  des  individus  qui  sont  venus  se  perdre 
sur  les  côtes  de  Belgique  et  de  la  Néerlande. 

Cornai ia,  dans  sa  Faune  d'Italie,  a  fait  connaître  deux  Cacha- 
lots qui  se  sont  perdus  dans  la  Méditerranée. 

Le  professeur  Sir  W.  Turner  a  publié  une  note  fort 
intéressante,  sur  quelques  gravures  rares,  représentant  des 
Cachalots  échoués.  Dans  les  Proc.  de  la  Société  royale  d'Edim- 
bourg, il  a  publié,  en  1870-1871,  une  notice  sur  la  capture  du 
Cachalot  sur  les  côtes  d'Ecosse  et,  l'année  suivante,  une  note 
additionnelle  dans  le  même  recueil. 

M.  le  Docteur  Fischer  a  communiqué,  en  1872,  dans  le 
Journal  de  Zoologie  de  Gervais,  un  travail  intéressant  sur  les 
Cachalots  qui  ont  échoué  sur  les  côtes  océaniques  de  France. 

M.  Flower  a  fait  connaître,  avec  le  soin  qu'il  met  dans 
toutes  ses  publications,  le  squelettede  ce  curieux  animal  ;  il  en 
a  eu  plusieurs  à  sa  disposition,  les  uns  provenant  d'individus 
échoués  sur  les  côtes  d'Angleterre  ou  du  continent  européen, 
les  autres  provenant  des  mers  de  nos  antipodes;  le  Musée  du 
Collège  royal  des  chirurgiens  de  Londres  en  possède  trois  dos 
côtes  de  Tasmanie. 

Après  un  exposé  historique  de  ce  que  l'on  sait  sur  le 

squelette,  le  Directeur  du  British  Muséum  donne  quelques 

notes  sur  l'histoire  des  caractères  généraux  et  des  conditions 

dans  lesquelles  se  trouvent  :  1°  le  squelette  de  Tasmanie,  qui 

Tomr  XLI.  2 


(18) 

« 

est  au  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens;  3°  le  squelette 
de  Tanimal  qui  a  péri,  en  juillet  1863,  près  de  Thurso,  dans 
le  comté  de  Caithness  et  qui  est  au  British  Muséum;  3°  le 
squelette  de  Yorkshire,  qui  provient  d'un  individu  qui  a  péri 
en  1825  à  Tunstall,  et  qui  est  conservé  dans  le  parc  de  Burton 
Constable. 

M.  Flower  décrit  ensuite  séparément  le  crâne  et  les  divers 
os,  et  il  accompagne  la  description  de  sept  belles  planches. 
Notre  savant  confrère  a  bien  voulu  nous  autoriser  à  reproduire 
la  planche  principale  dans  notre  Ostéographie. 

Mon  collaborateur,  Paul  Gervais,  énumère  les  captures 
opérées,  dans  la  Méditerranée,  dont  on  a  conservé  le  souvenir; 
il  fait  mention  ensuite  de  cinq  échouages  sur  les  côtes  ouest  de 
France,  de  divers  échouages  sur  les  côtes  de  Belgique,  de 
Hollande,  des  Iles  Britanniques,  et  reproduit  le  tableau  des  dix 
captures  publié  par  Sir  W.  Turner,  sur  les  côtes  écossaises; 
en  tin  il  cite  les  Cachalots  dont  la  présence  a  été  constatée  sur 
les  côtes  de  Suède  et  de  Norwège.  D'après  Allen,  il  indique 
aussi  les  côtes  des  Etats-Unis,  les  parages  des  Iles  Aléoutiennes, 
la  mer  du  Japon  et  d'Okhotsk. 

Gervais  expose  ensuite  la  composition  du  crâne  et  le  système 
dentaire.  Il  décrit  également  les  ossements  fossiles  du  Pliocène, 
de  la  Gironde  et  du  département  des  Landes. 

En  1874,  un  Cachalot  a  échoué,  le  10  mars,  sur  les  côtes 
d'Italie  et  a  été  l'objet  d'un  intéressant  mémoire  de  M.  Leone 
de  Sanctis.  Ce  travail  est  accompagné  de  sept  planches. 

MM.  Pouchet  et  Beauregard  ont  publié,  dans  les  Compte* 
rendus  (août  1884),  une  notice  sur  la  boîte  à  spermaceti;  on  serait 
en  présence  d'une  sécrétion  non  glandulaire  d'un  ordre  particulier, 
d'après  ces  savants. 

Pendant  la  campagne  scientifique  de  /' Hirondelle  (1887),  le 
professeur  Pouchet  a  eu  l'occasion,  durant  un  séjour  de  trois 
semaines  aux  Àçores,  d'étudier  un  Cachalot  fraîchement  tué. 
Nous  espérons  qu'il  rendra  bientôt  compte  du  résultat  de  ses 
observations. 

TuIIed  Newton   fait  mention  de  deux  dents  de  Physeter 


(  19) 

macrocéphale  du  Forest  bed,  à  Norfolk,  et  d'une  région  cervi- 
cale de  Balœna.  Ces  déterminations  auraient  besoin  d'être  con- 
firmées, la  première  surtout  *. 


SYNONYMIE. 

Physeter  macrocephalus. 
Catodon  macrocephalus,  (Gray). 
Cachalot,  des  Français. 
Sperm  Whalet  des  Anglais. 
Poil  Fisch,  des  Hollandais. 
Capidoglio,  des  Italiens. 

Le  Cachalot  porte  le  nom  de  Kigutilik  sur  la  côte  de  Groen- 
land, s'il  faut  en  croire  Fabricius  qui  en  a  donné  une  description. 

CARACTÈRES  ET  DESCRIPTION. 

Le  Cachalot  a  la  taille  des  Baleines,  mais  au  lieu  de  fanons 
au  palais,  il  a  le  maxillaire  inférieur  garni  d'une  vingtaine  de 
fortes  dents  coniques,  assez  espacées.  Le  mâle  a  une  taille 
beaucoup  plus  forte  que  la  femelle,  aussi  est-il  plus  redoutable. 
La  femelle  ne  dépasse  guère  30  pieds,  le  mâle  en  atteint  jusqu'à 
f>0  et  même  plus. 

La  taille  paraît  très  variable  ;  les  solitaires  ou  les  vieux  mâles 
deviennent  beaucoup  plus  grands.  La  gamme  qui  a  péri  dans 
l'Adriatique  en  18oi  ne  se  composait  que  de  petits  individus, 
probablement  femelles. 

Les  Cachalots  d'Audierne,  qui  étaient  lous  femelles,  avaient, 
dit-on,  une  longueur  de  12  à  16  mètres. 

Eschricht  connaissait  cette  différence  de  taille  et  croyait 

1  Ann.  a.  Mag.  nat.  lu  si.  vol.  XJX,  IK87,  p.  229.  Proc.  Géol.  Soc.  1887, 
p.  227. 


(  20) 

devoir  attribuer  à  la  femelle  seulement  la  moitié  de  la  longueur 
du  mâle. 

Cette  différence  du  mâle  rappelle  les  ruminants  qui  vivent 
aussi  par  bandes,  et  chez  lesquels  les  mâles  ont  à  défendre  le 
troupeau. 

Le  capitaine  Gray  a  vu,  au  mois  de  mai,  une  femelle  pleine  qui 
n'avait  que  29  pieds  et  qui  contenait  un  fœtus  de  10  pieds. 
C'est  donc  à  peu  près  le  tiers  de  la  mère. 

Les  Cétacés  en  général  se  distinguent  des  autres  mammifères 
par  le  défaut  de  symétrie,  et  ce  défaut  se  fait  plus  particu- 
lièrement sentir  chez  les  Cachalots,  comme  M.  le  professeur 
Pouchet  le  fait  remarquer  dans  un  mémoire  qu'il  m'a  fait 
l'honneur  de  composer,  à  l'occasion  de  mon  cinquantenaire 
de  professorat  *. 

Les  Cachalots  ont  une  tête  énorme  avec  un  museau  carré 
et  tronqué,  à  l'angle  antérieur  et  supérieur  duquel  sont  placés 
les  évents;  elle  est  renflée  par  suite  de  l'accumulation  du 
spermaceti.  La  tête  osseuse  se  distingue  par  sa  forme  excavée 
qui  la  fait  ressembler  h  un  canot. 

La  mandibule  s'éloigne  complètement  de  celle  des  Baleines; 
les  deux  branches  se  réunissent  sur  une  grande  longueur 
comme  dans  les  Cétodontes  à  longue  symphyse. 

On  connaît  plusieurs  mandibules  de  Cachalot  dont  l'extré- 
mité antérieure  est  recourbée;  il  y  en  a  une  au  Muséum  à 
Paris  ;  Beale  en  cite  deux  cas;  M.  J.  Mûrie  en  cite  trois  et 
M.  Flower  en  cite  encore  un  autre.  Le  Dr  Fischer  2  a  cherché 
la  cause  de  cette  déformation  qui  se  produit  assez  souvent,  et 
qui  commencerait  presque  après  la  lactation  ;  il  suppose  que 
la  déformation  est  due  à  une  ostéite,  et  il  termine  son  articles 
disant  qu'il  ne  comprend  pas  clairement  comment  une  ostéite 
seule  a  pu  produire  des  inculpations  aussi  considérables,  à  moins 
que  la  maladie  ne  soit  cojigénitale  ou  presque  congénitale. 

1  Poichet,  M.  G.  De  la  symétrie  de  la  face  chez  les  Célodontes,  iii-4#. 
Paris,  1886. 

*  Note  sur  une  déformation  pathologique  de  la  mdchore  inférieure  du 
Cachalot,  Journal  de  l'axatomie  et  de  la  physiologie,  n°  4,  PI.  XIII. 


(21  ) 

Ne  serait-ce  pas  plutôt  l'effet,  non  d'un  arrêt  de  dévelop- 
pement, mais  d'un  défaut,  d'un  obstacle  à  l'épanouissement 
du  bout  de  la  mâchoire.  Nous  avons  sous  les  yeux  un  maxil- 
laire de  fœtus  de  Baleine  franche  :  cet  os  a  le  bout  antérieur 
parfaitement  replié  sur  lui-même,  ce  bout  est  comme  une 
feuille  de  papier  qu'on  a  pliée  et  qui  doit  s'étaler  ensuite  ;  au 
moindre  obstacle  à  son  redressement,  il  conserverait  la  défor- 
mation, en  apparence  pathologique,  qu'on  remarque  à  ces 
mâchoires  des  Cachalots. 

C'est  un  arrêt  d'épanouissement  et  non  pas  de  développe- 
ment. L'arrêt  est  dû  à  une  cause  externe. 

Nous  avons  publié  dans  notre  ostéographie  la  figure  d'une 
mandibule  recourbée  sur  un  de  ses  côtés  et  dont  nous  citons 
plusieurs  exemples, 

Les  Cachalots  n'ont  point  d'os  lacrymal  séparé,  d'après  les 
observations  de  M.  Flower;  ce  qui  n'est  pas  une  raison  suffi- 
sante pour  les  exclure  de  la  famille  des  Ziphioïdes.  Cet  os  est 
probablement  uni  avec  l'os  malaire. 

Les  dents  de  Ziphioïdes  diffèrent  de  celles  des  Del ph inides 
par  l'absence  d'une  couche  d'émail.  Elles  manquent  dans  tous 
les  Cétacés  de  celte  famille  à  la  mâchoire  supérieure.  Dans  le 
Cachalot,  il  en  existe  toutefois  au  palais,  mais  elles  ne  percent 
pas  les  gencives.  Elles  sont  irrégulièrement  développées  dans 
la  peau  du  palais  et  ne  correspondent  aucunement  à  des 
alvéoles.  M.  Flower  a  figuré  une  de  ces  dents  *. 

Owen  fait  mention  d'une  femelle  dans  laquelle  Bennett  a 
trouvé  huit  dents  semblables  de  chaque  côté  du  maxillaire 
supérieur  *. 

Jâger  de  Stuttgart  a  décrit  et  figuré  une  de  ces  dents  dans  un 
journal  russe,  imprimé  à  Moscou  en  1857  3. 

D'après  Bennett,  les  dents  subissent  certaines  variations; 
il  a  trouvé  les  nombres  suivants  :  21-20  ;  23-21  ;  22-22  ;  24-24; 
22-23;  24-26;  23-24;  22-24;  19-20. 

1  On  the  Osteologie  ofthe  Sperm-whaU,  p.  520. 

1  Oweii,  Odontographie,  Tab.  89,  fig.  3-4. 

*  Bemerkungen ....  (Narval  et  Cachalot)  Moscou,  1857. 


(  22  ) 

Les  Cacfralots,  comme  tous  les  Ziphioïdes,  ont  un  petit 
nombre  de  vertèbres  ;  leur  formule  est  :  cervicales  7,  dorsales  8, 
lombaires  11,  caudales  24,  en  tout  50. 

Les  Cachalots  ont  leur  atlas  séparé  et  les  six  autres  cervicales 
réunies. 

La  dernière  cervicale  a  le  corps  à  peine  plus  épais  que  celui 
des  vertèbres  précédentes;  dans  la  Baleine,  le  corps  de  cette 
même  vertèbre  est  notablement  plus  épais  que  celui  de  la 
sixième  et  de  la  septième.  L'Hyperoodon  présente  sous  ce 
rapport  les  mêmes  dispositions  que  le  Cachalot. 

Les  vertèbres  cervicales,  à  commencer  par  l'atlas,  ont  un 
talon  qui  passe  au-dessous  du  corps  de  la  vertèbre  suivante,  et 
ces  talons  donnent  une  grande  solidité  à  cette  région. 

Ces  talons  existent  également  dans  plusieurs  genres  de 
Cétacés  fossiles,  comme  les  Balœnula  et  les  Balœnotus. 

Les  vertèbres  dorsales,  au  nombre  de  huit,  ont  toutes  la  face 
inférieure  du  corps  carénée  et  leur  épaisseur  n'a  pas  plus  de 
la  moitié  de  l'épaisseur  des  lombaires.  Elles  portent  toutes  sur 
le  corps  la  facette  articulaire  correspondant  à  la  côte.  Les 
apophyses  transverses  diminuent  en  longueur,  régulièrement 
d'avant  en  arrière. 

Les  lombaires  ont,  comme  toujours  dans  les  Cétacés,  le  corps 
plus  développé  que  celles  des  autres  régions. 

Dans  les  caudales,  les  zygapophyses  sont  très  éloignées  du 
corps  de  la  vertèbre. 

Toutes  les  vertèbres  ont  des  caractères  particuliers  qui  les 
distinguent;  les  apophyses  transverses  sont  courtes  dans  toutes 
les  régions  et  particulièrement  élevées  dans  la  région  dorsile. 

Le  sternum  de  l'animal  adulte  ne  forme  qu'un  seul  os, 
allongé  d'avant  en  arrière,  élargi  en  avant,  rétréci  au  milieu,  et 
se  terminant  en  arrière  par  une  languette  régulièrement 
arrondie.  Il  reste  un  trou  en  avant  sur  la  ligne  médiane.  Dans 
le  sternum  plus  jeune,  on  voit  la  réunion  presque  complète 
des  deux  pièces  antérieures,  qui  constituent  presque  tout  le 
sternum  ;  puis  une  pièce  en  arrière  encore  séparée  de  la  précé- 
dente, et  sur  la  ligne  médiane  on  voit  des  traces  de  leur  soudure. 


(23) 

Le  bassin  est  représenlévpar  un  seul  os  de  chaque  côté, 
comme  dans  les  Delphinides. 

M.  J.-C.  White  a  fait  une  communication  sur  deux  débris  de 
Cachalot,  un  maxillaire  inférieur  d'un  grand  individu  et  une 
dent  fort  intéressante  *. 

Le  professeur  Ercolani  de  Bologne  s'est  occupé  de  la  struc- 
ture du  pénis  de  ces  Cétacés  et  croyait  devoir  admettre  plusieurs 
espèces  de  Cachalots. 

MOEURS. 

Les  Cétacés  qui  nous  occupent  sont  essentiellement  péla- 
giques et  descendent  à  de  grandes  profondeurs  dans  la  mer. 

Le  capitaine  Gray  assure  avoir  vu  des  Cachalots  rester  deux 
heures  sans  venir  à  la  surface  et  dérouler  jusqu'à  700  (fathoms) 
brasses  de  corde.  Le  capitaine  Scammon  en  a  vu  plonger  pen- 
dant 80  minutes  et  même  une  heure  et  quart. 

Les  mouvements  de  ces  animaux  sont  très  brusques  et  vio- 
lents et  ils  nagent  avec  une  rapidité  plus  grande  que  toute 
autre  espèce  de  leur  ordre.  Le  même  capitaine  Scammon  estime 
la  rapidité  de  leur  course  à  trois  milles  à  Fheure. 

Le  Cachalot  tient  sous  plusieurs  rapports  de  l'Hyperoodon; 
comme  lui,  en  plongeant  on  le  voit  disparaître  seul  et  en 
revenant  un  instant  après  à  la  surface,  on  le  voit  entouré  de 
plusieurs. 

Les  Cachalots  ont  de  la  voix;  on  assure  avoir  entendu  des 
mugissements  d'individus  blessés  à  plus  de  quatre  kilomètres 
de  distance. 

Les  Cachalots,  qui  sont  venus  échouer  à  Audierne  sur  le 
sable,  ont  vécu  vingt-quatre  heures  avant  d'expirer  et,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  ils  poussaient  de  véritables 
mugissements. 

L'air  expiré  du  Cachalot  a  une  odeur  d'une  fétidité  extraor- 
dinaire; cette  opinion  paraît  très  répandue;  il  n'est  pas  rare 

1  Proceed.  Boston  Soc,  18Ô0,  p.  222. 


(  2i  ) 

de  trouver  des  marins  soutenir  avec  assurance,  que  le  contact 
de  Vair  expiré  suffit  pour  soulever  la  peau  aussi  facilement  et 
plus  rapidement  qu'un  vésicatoire. 

Le  capitaine  Jouan  dit  également  que  leur  souffle  a  une 
odeur  si  fétide  qu'elle  provoque  des  nausées  quand  on  la  sent 
de  près. 

Les  pécheurs  disent  que  les  Cachalots  nagent  par  bandes 
qu'on  appelle  schools  ou  gammes,  dans  les  régions  tropicales 
et  subtropicales,  et  on  cite  comme  une  de  leurs  stations  favorites 
le  côté  sous  le  vent  des  Iles  Galapagos. 

Ils  visitent  aussi  régulièrement  la  baie  de  Bengale,  et  les 
schools  y  sont  formées  généralement  de  femelles,  accompa- 
gnées de  leurs  jeunes  (Calves).  Ces  derniers  ont  de  vingt  à 
trente  pieds,  disent  les  pêcheurs,  en  confondant  les  femelles 
avec  les  jeunes. 

Ces  schools  sont  formées  de  quinze,  vingt  et  jusqu'à  deux 
cents  individus;  ils  vont  au  secours  les  uns  des  autres.  C'est  le 
motif  pour  lequel  on  prend  souvent  plusieurs  individus  dans 
une  troupe. 

On  s'accorde  assez  généralement  sur  le  rapport  des  mâles  et 
des  femelles  dans  les  schools. 

Les  mâles  qui  accompagnent  ces  schools  sont  les  défenseurs 
naturels  de  la  bande;  aussi,  au  lieu  de  fuir  à  la  première 
attaque,  comme  les  Baleines,  les  Cachalots  se  défendent  vigou- 
reusement; on  cite,  dans  les  annales  des  baleiniers,  plus  d'un 
exemple  d'individus  qui  se  sont  vengés  sur  les  pirogues  et  sur 
les  hommes  qui  les  conduisaient.  M.  Nougaret  raconte,  dans  la 
Bévue  des  deux  mondes,  qu'il  a  vu  un  solitaire  sur  la  côte  Est 
du  Groenland  se  retourner  brusquement  après  l'attaque,  se 
jeter  sur  la  pirogue,  la  saisir  par  le  milieu  et  la  broyer  sous 
sa  formidable  mâchoire. 

Les  baleiniers  disent  que  ce  sont  les  femelles  qui  se  réunis- 
sent et  que  les  vieux  mâles  vivent  généralement  isolés.  La 
bande  qui  a  péri  au  siècle  dernier  à  Audierne  était  exclusi- 
vement formée  de  femelles,  disent  les  témoins;  deux  de  ces 
femelles  ont  mis  bas  après  leur  échouement  sur  la  plage.  Une 


"      (25) 

d'elles  donna  même  deux  petits,  l'autre  un  seul.  Ces  jeunes 
Cachalots  avaient  une  longueur  de  trois  mètres  et  demi. 

Comme  les  mâles  vivent  plus  souvent  isolés,  ils  semblent 
aussi  échouer  plus  souvent  que  les  femelles  et  c'est  sans  doute 
la  raison  pour  laquelle,  à  l'inverse  des  Baleines,  les  Cachalots 
mâles  viennent  plus  souvent  à  la  côte  que  les  femelles. 

Le  capitaine  Gray  a  comparé  les  sexes  des  individus  capturés 
.en  plein  Océan,  et  pour  65  femelles  il  a  compté  96  mâles  adultes 
et  51  jeunes. 

Les  gravures  conservées  à  la  Bibliothèque  royale  de  Belgique 
ne  représentent  que  des  mâles.  Il  y  en  a  sept  ou  huit.  Il  n'y  a 
qu'un  dessin  représentant  un  Cachalot  dont  le  sexe  est  douteux. 
Sur  huit  individus  échoués  sur  les  côtes  d'Ecosse ,  il  y  avait 
•cinq  mâles  et  on  n'a  pas  tenu  compte  du  sexe  des  trois  autres. 
(Sir  Turner). 

On  a  fait  depuis  longtemps  l'observation  que  les  Cachalots 
•qui  échouent  dans  l'Atlantique  septentrionale,  sont  le  plus 
souvent  des  solitaires  égarés  dans  le  Gulfstream  à  la  recherche  de 
leur  pâture.  Ces  animaux  ne  trouvent  plus  que  de  rares  Cépha- 
lopodes et  vont  mourir  de  misère  sur  Tune  ou  l'autre  côte. 

Les  baleiniers  rapportent  que  leur  mode  d'accouplement  est 
le  même  que  celui  des  Baleines  :  les  Cachalots  s'unissent 
debout  dans  l'eau,  la  tête  au-dessus  de  la  surface. 

Nous  ne  savons  s'il  y  a  des  époques  fixes  pour  leurs  amours  : 
■on  voit  leurs  breeds  at  any  season  ofthe  yaer,  dit  Jackson,  qui 
a  fait  plusieurs  bonnes  observations  sur  ces  Cétacés. 

Le  capitaine  Colnett  rapporte  que  les  environs  des  Iles  Gala- 
pagos sont,  au  printemps,  le  rendez-vous  de  tous  les  Cachalots 
des  côtes  du  Mexique,  de  celles  du  Pérou  et  du  golfe  de 
•Panama;  qu'ils  s'y  accouplent  et  qu'on  y  voit  de  jeunes  Cacha- 
lots qui  n'ont  pas  2  mètres  de  longueur. 

C'est  bien  petit,  2  mètres,  puisque  nous  avons  vu  des  femelles 
de  la  plage  d'Audicrnc  mettre  bas  des  jeunes  qui  avaient  déjà 
3  mètres  au  moins. 

La  pâture  des  Cachalots  est  celle  de  tous  les  ziphioïdes  : 
Eschricht  les  avait  appelés  avec  raison  Theutophages,  du  genre 
Theuthis,  Calmar. 


(26) 

Toute  leur  pâture  consiste'en  Cuttle  fish,  dit  Atwood  *t  et  on 
sait  que  les  Cuttle  fish  des  marins  sont  des  Calmars. 

Tous  les  baleiniers  s'accordent  du  reste  à  dire  que  l'estomac 
des  Cachalots  renferme  toujours  de  nombreux  restes  de  Cépha- 
lopodes. Hunter,  Baussard,  Eschricht  et  d'autres  ont  fait  les 
mêmes  observations  sur  des  individus  qu'ils  ont  eu  l'occasion 
d'observer. 

Les  Cachalots  de  la  gamme  qui  a  péri  en  1833  dans  l'Adria- 
tique, avaient  encore  tous  des  becs  de  Céphalopodes  dans  leur 
estomac. 

L'ambre  gris,  autrefois  très  estimé  comme  article  de  parfu- 
merie, est  le  résidu  de  la  digestion  des  Cachalots;  son  odeur 
musquée  provient  du  Poulpe  dont  ils  font  leur  pâture. 

On  a  souvent  trouvé  dans  l'ambre  gris  des  becs  de  Céphalo- 
podes et  des  cristallins,  ce  qui  explique  parfaitement  leur 
origine.  Ainsi  un  Cachalot  capturé,  en  1715,  sur  les  côtes  de 
Sardaigne,  renfermait  de  Y  ambre  gris  dans  lequel  se  trouvaient 
des  becs  de  Sepia. 

On  tirait  l'ambre  gris  des  Molluques,  de  Madagascar,  des 
Maldives,  des  Antilles  et  même  de  Chine.  Les  Japonais  le  con- 
naissent sous  le  nom  d'excrément  de  Baleine. 

Albert  le  Grand  et  avant  lui  Marco  Polo  connaissaient  par- 
faitement son  origine,  que  l'on  avait  attribuée  tantôt  à  des 
oiseaux,  tantôt  à  des  Phoques  ou  à  des  Crocodiles,  et  on  avait 
même  été  jusqu'à  supposer  qu'il  provenait  d'une  fontaine  bitu- 
mineuse sous-marine. 

Les  Cachalots  produisent  encore  une  autre  substance  sur 
l'origine  de  laquelle  on  a  été  également  dans  le  doute  ;  nous 
voulons  parler  du  blanc  de  Baleine. 

Le  blanc  de  Baleine  ou  Spermaceli  est  la  Céiine  des  chimistes  l 
c'est  un  palmitate  de  cétyle,  c'est-à-dire  une  combinaison  de 
l'acide  palmitique  avec  l'éthal  (alcool  céthylique). 

Cette  substance  grasse  est  surtout  formée  sous  la  peau  du 
front  et  du  rostre  de  ces  animaux;  nous  avons  déjà  dit,  que  les 

1  Atwood,  Proc.  Boston  Soc,  Vil,  1 8G0,  p.  220. 


(27) 

Hyperoodons  en  produisent  également,  et,  comme  leur  huile 
est  plus  estimée,  les  Hyperoodons  ont  été  l'objet  d'une  chasse 
spéciale  depuis  quelques  années. 

On  sait  qu  après  avoir  ouvert  le  front  du  Cachalot,  on  puise 
à  seaux  le  spermacéti  à  l'état  fluide,  disent  MM.  Pouchet  et 
Beau  regard,  et  ils  supposent,  après  l'examen  de  pièces  envoyées 
des  Açores,  sous  le  nom  de  Racines  de  la  botte,  que  le  sperma- 
céti est  le  produit  d'une  sécrétion  particulière  non  glandulaire, 
qu'on  pourrait  rapprocher  de  la  cire  des  abeilles  *. 

PÈCHE. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  l'époque 
et  les  lieux  où  cette  pêche  a  pris  naissance;  quoiqu'on  désigne 
sous  le  même  nom  les  pécheurs  qui  s'occupent  de  la  Baleine  et 
du  Cachalot,  il  y  a  cependant  de  très  grandes  différences  dans 
ces  deux  industries. 

On  s'est  livré  pendant  longtemps  à  la  pêche  de  la  Baleine 
avant  de  songer  à  la  pêche  du  Cachalot.  On  pratiquait  la 
première  industrie  dans  les  régions  septentrionales,  où  l'on 
ne  voit  que  bien  rarement  un  Cachalot. 

On  raconte  que,  en  1712,  un  baleinier  de  Nantucket,  Chris- 
topher  Hussey,  poussé  au  large  par  un  vent  violent,  se  trouva 
devant  une  school  de  Cachalots,  en  captura  heureusement  un, 
et,  si  l'animal  n'avait  pas  de  fanons,  il  avait  des  couches  de 
graisse  qui  lui  donnaient  une  valeur  commerciale  non  moins 
grande  que  la  Baleine;  aussi  on  apprécia  bien  vite  l'importance 
de  cette  nouvelle  graisse  qui  se  fige  à  la  température  ordinaire 
et  dont  on  était  loin  de  soupçonner  la  nature;  on  crut  d'abord 
que  c'était  le  sperme  de  ces  animaux  et  les  droguistes  lui  don- 
nèrent le  nom  de  spermacéti.  De  \h  les  baleiniers  anglais  ont 
fait  le  nom  de  spermwhale. 

C'est  l'origine,  parait-il,  de  cette  pêche  sur  les  côtes  des  Etats* 

1  Pokhet  el  Beau  n  égard,  Sur  la  boîte  à  sperrmceli.  Comptes  rendus 
des  Séances  de  l'Académie  des  Sciences.  Aoùi,  1884. 


(28) 

Unis  d'Amérique.  On  exploita  d'abord  l'Atlantique  et,  en  1787, 
la  Nantucket  Colony  of  Whalingmen  from  En  gland,  envoya  le 
premier  baleinier  dans  la  mer  Pacifique. 

Peu  de  temps  après,  en  1789,  les  baleiniers  du  cap  Cod  se 
rendirent  pour  la  première  fois  dans  la  mer  des  Indes  pour  y 
faire  cette  chasse.  On  prétend  qu'un  gentleman  du  cap  Cod,  à 
son  retour  des  Indes,  avait  vu  de  nombreux  achalots  dans 
la  mer  des  Indes,  et  son  récit  avait  déterminé  quelques  indus- 
triels à  se  constituer  en  société. 

La  première  campagne  de  1791  fut  fort  heureuse.  On  cite 
Joseph  Russel  et  fils  et  Corn.  Howland,  qui  revinrent  du  Paci- 
fique (1791)  avec  un  chargement  complet. 

On  ne  connaît  pas  de  véritable  station  du  Cachalot  dans  les 
mers  d'Europe  ;  on  ne  connaît  que  des  échouements  ;  les  seules 
stations  connues,  où  les  pécheurs  se  rendent  encore,  ce  sont 
les  régions  équatoriales  du  Pacifique,  de  l'Atlantique  et  de  la 
mer  des  Indes.  On  cite  particulièrement  les  Iles  Galapagos 
dans  l'océan  Pacifique,  les  Açores  dans  l'océan  Atlantique,  le 
golfe  de  Bengale  dans  la  mer  des  Indes. 

Le  commandant  Maury  ne  figure  cependant  pas  ces  régions 
d'une  manière  particulière  sur  sa  carte  et,  dans  ses  lettres 
publiées  en  1850,  il  fait  remarquer  qu'on  harponne  également 
le  Cachalot  sur  les  eûtes  du  Japon. 

On  fait  également  cette  pèche  sur  les  côtes  méridionales  et 
orientales  de  la  Nouvelle-Hollande. 

La  carte  du  savant  commandant  américain  représente  cet 
animal  sur  toute  la  largeur  de  l'océan  Pacifique,  des  deux 
côtés  de  l'équateur.  On  voit  seulement  sur  cette  carte  une 
tache  blanche  à  l'Est  et  une  autre  à  l'Ouest  des  Iles  Sandwich. 

Ces  animaux  sont-ils  régulièrement  cantonnés  ou  visitent-ils 
les  divers  océans,  sans  tenir  compte  des  lieux  ou  des  saisons? 

Nous  avons  plusieurs  preuves  que  ces  animaux  parcourent 
de  grands  espaces  en  mer  :  on  a  cité  des  individus,  harponnés 
dans  l'Atlantique,  qui  portaient  encore  des  harpons  lancés  dans 
le  Pacifique,  et  le  commandant  Maury  fait  mention  d'une  cap- 
ture d'individus  sur  les  côtes  du  Chili  qui  portaient  encore  le 


(29) 

harpon  japonais  dans  leurs  chairs.  Un  autre  Cachalot  qui  s'était 
enfui  avec  un  harpon  lancé  sur  les  côtes  du  Pérou,  a  été  pris 
au  large  sur  la  côte  orientale  des  États-Unis  d'Amérique.  Ces 
Cétacés  parcourent  ainsi  toute  l'étendue  du  Pacifique  et  se 
rendent  même  du  Pacifique  dans  l'Atlantique. 

Maury  indique  leur  présence  jusqu'au  60e  degré  de  latitude 
sud  au  devant  du  cap  Horn. 

Sur  les  côtes  d'Europe  on  n'a  vu  que  des  animaux  égarés, 
tantôt  seuls,  tantôt  réunis  en  schools,  mais  il  n'y  a  pas  une  seule 
côte  à  l'Est  comme  à  l'Ouest  de  l'Atlantique  où  l'on  n'en  ait 
vu  échouer.  Et  ce  n'est  pas  seulement  le  plein  océan  qu'ils 
hantent,  ils  fréquentent  également  les  mers  intérieures,  la 
Méditerranée  comme  la  Baltique.  Jusqu'à  présent  on  n'en  a 
pas  vu  pénétrer  dans  la  mer  Noire  pas  plus  que  les  Baleines 
et  les  Balénoptères. 

M.  Mengaret  raconte,  dans  la  Revue  des  deux  mondes,  que,  au 
mois  de  septembre  1865,  un  Cachalot  apparut  dans  le  cercle 
polaire,  entre  File  Jan-Meyen  et  la  côte  orientale  du  Groenland  * . 
La  vigie  signala  le  souffle  du  Cachalot  et  aussitôt  on  lança 
quatre  pirogues  à  sa  poursuite. 

Cette  pêche  a  Heu  principalement  dans  l'océan  Pacifique, 
mais  il  existe  encore  quelques  baleiniers  qui  viennent  tous  les 
ans  poursuivre  le  Cachalot  dans  l'Atlantique.  Le  Muséum  de 
Paris  a  reçu  récemment  un  squelette  et  il  attend  les  parties 
molles  d'un  animal  qui  ont  été  préparées  pour  ses  collections, 
par  le  professeur  Pouchet;  après  avoir  été  chercher  des 
squelettes  de  Balénoptères  sur  les  côtes  de  Finmark,  le  suc- 
cesseur de  Cuvier  a.  voulu  remplacer  les  ossements  de  la  cour 
des  galeries  d'anatomie  comparée  par  un  squelette  complet. 

Le  rapport  de  la  Commission  américaine,  qui  a  fait  le  relevé 
des  produits  de  la  pêche  introduits  aux  États-Unis  d'Amérique, 
depuis  le  1er  janvier  1804  jusqu'au  31  décembre  1876,  estime, 
d'après  la  quantité  de  spermaceti  apportée  aux  Etats-Unis,  qu'il 
y  a  eu,  pendant  cette  période,  325,521  Cachalots  capturés.  II 

1  Revue  des  deux  mondes,  I.  LXXX1II,  p.  707.  1860 


(30) 

compte,  d'après  Scammon,  que  chaque  Cachalot  fournit 
2S  barils  de  spermaceti. 

Comme  on  le  pense  bien,  partout  le  nombre  des  Cachalots  a 
considérablement  diminué  et  il  n'y  a  plus  que  fort  peu  de  balei- 
niers qui  se  livrent  encore  à  cette  industrie. 

On  citait  comme  places  principales  :  les  environs  des  Açores, 
d'août  à  novembre;  les  îles  Bahama  au  nord,  le  golfe  de  Mexico, 
enire  28°  et  32°  N.  et  48°  et  57°  W.,  de  mars  à  mai:  les  Iles 
du  Cap  Vert,  en  hiver,  près  Fernando  Po,  entre  Sainte-Hélène 
et  la  côte  d'Afrique  et  la  côte  Sud- Amérique  t. 

Il  paraît  que  Ton  capturait  encore  tous  les  ans  vers  1860, 
environ  ISO  Cachalots  dans  les  eaux  des  Açores  2  tandis  qu'au- 
jourd'hui, d'après  ce  que  m'écrit  M.  Franc.  Aff.  Chaves,  de 
Ponta  delgada,  S.  Miguel,  ce  nombre  ne  dépasse  pas  cinq  ou  six. 

Il  n'y  a  plus  guère  que  les  Américains  qui  se  livrent  encore  à 
cette  industrie. 


DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE. 

Il  est  reconnu  que  c'est  un  animal  des  régions  tropicales, 
que  l'on  trouve  surtout  dans  le  Pacifique,  mais  qui  est  répandu 
depuis  l'Equateur,  au  Nord  jusqu'au  Groenland,  au  Sud  jusqu'à 
la  Nouvelle-Zélande.  Les  squelettes  reçus  d'Australie  au  Musée 
du  Collège  royal  des  chirurgiens  de  Londres,  et  si  bien  étudiés 
par  le  professeur  Flower,  ne  laissent  guère  de  doutes  sur 
l'identité  spécifique  de  ces  animaux  :  on  a  capturé  des 
Cachalots  dans  toutes  les  mers  et  on  a  pu  comparer  à  Londres 
des  squelettes  de  l'Australie  avec  des  squelettes  du  nord  de 
l'Atlantique,  sans  qu'on  ait  trouvé  entre  eux  la  moindre  diffé- 
rence. 

Du  reste,  déjà  à  l'époque  où  Cuvier  s'occupait  des  Cétacés, 
le  grand  naturaliste  ne  voyait  pas  de  différences  entre  les 


1  Andfrson,  Nachrichten  von  hlan  /,  1740,  p.  221. 

*  Dkouet,  Éléments  de  la  faune  AçorCenne,  p.  112  (1861). 


(  31  ) 

individus  provenant  des  mers  les  plus  éloignées  les  unes  des 
autres. 

Il  est  généralement  admis,  dit  Lesson,  que  les  grands  Cétacés 
les  plus  connus  sont  répandus  dans  toutes  les  mers  du  globe, 
et  que  la  Baleine  et  le  Cachalot  des  mers  du  Nord  sont  iden- 
tiques dans  le  Grand  Océan,  soit  dans  la  partie  qui  baigne  les 
côtes  Nord-Ouest  de  l'Amérique,  soit  dans  les  mers  du  Cap 
Horn  ou  du  Sud  de  la  Nouvelle-Hollande. 

Les  Baleines,  ajoutait-il,  se  trouvent,  comme  les  Cachalots, 
aussi  bien  sous  le  soleil  de  l'Equateur  qu'entre  les  glaces  du 
cercle  polaire. 

La  science  a  enregistré  beaucoup  de  faits  nouveaux  depuis 
le  jour  où  Lesson  a  écrit  ces  lignes,  et  ce  savant  ne  s'expri- 
merait plus  aujourd'hui  de  la  même  manière.  Ce  que  Lesson 
dit  du  Cachalot  est  exact,  mais  ce  qu'il  dit  de  la  Baleine  ne 
Test  pas. 

Sur  sa  carte  intéressante  de  la  répartition  du  Cachalot  dans 
les  divers  océans  * ,  le  commandant  Maury  figure  aussi  la  dis- 
tribution géographique  de  la  Baleine,  ou  plutôt  des  Baleines. 
Des  deux  côtes  de  l'Equateur,  on  voit,  dans  le  Pacifique  surtout, 
jusqu'au  30e  degré  au  Sud  et  au  Nord,  le  domaine  du  Cachalot  ; 
puis  au  Nord  et  au  Sud  on  voit  le  domaine  de  la  Baleine;  le 
premier  habite  les  régions  chaudes,  la  Baleine  les  régions  tem- 
pérées; Maury  n'a  pas  tenu  compte  de  la  Baleine  franche,  ni 
dans  les  eaux  du  Spitzbcrg,  ni  dans  la  mer  de  Baffin. 

Le  savant  commandant  représente,  sous  une  couleur  spé- 
ciale, pourpre,  les  endroits,  également  au  Nord  et  au  Sud  de 
l'Equateur,  où  l'on  a  trouvé  des  Baleines  et  des  Cachalots, 
nageant  dans  les  mêmes  eaux. 

Le  docteur  R.  M'  Cormick,  à  propos  des  explorations  à  faire 
dans  l'hémisphère  antarctique,  en  parlant  des  richesses  que 
possède  la  région  du  pôle  sud,  parle  d'une  quantité  de  Baleines 
de  la  plus  grande  espèce  et  de  la  plus  grande  valeur,  particu- 
lièrement, dit-il,  de  l'espèce  appelée  Spermaceti.  Il  est  à  désirer 

1  A  cliart  schoiving  Ihe  favorite  resott  of  the  Spcrm  and  Highl  Wlialc. 


(32) 

que  l'exploration  anglaise  au  pôle  sud  ait  lieu,  pour  savoir  s'il 
existe,  au  milieu  des  glaces  de  ces  régions,  à  côté  des  Cachalots 
passagers,  une  espèce  de  Baleine  représentant  la  Baleine 
franche  du  pôle  antarctique. 

Il  est  donc  définitivement  acquis  que  le  Cétacé  theutophage  qui 
nous  occupe,  vit  principalement  au  milieu  de  l'Atlantique  et 
du  grand  océan  Pacifique  et  qu'il  ne  trouve,  au  Nord  comme 
au  Sud,  d'autres  limites  que  les  glaces  polaires. 

On  l'a  reconnu  dans  les  parages  du  Spitzberg,  auprès  du 
cap  Nord  et  des  côtes  de  Finmarck  ;  dans  les  mers  du  Groen- 
land comme  dans  le  détroit  de  Davis,  dans  la  plus  grande 
partie  de  l'Océan  Atlantique  septentrional  jusqu'à  l'île  Jan- 
Meyen  (Nougaret),  sur  les  côtes  des  Iles  Britanniques,  à  l'em- 
bouchure de  l'Elbe  (1720),  auprès  de  Terre-Neuve,  aux  environs 
de  Bayonne;  non  loin  du  cap  de  Bonne-Espérance;  près  du 
canal  de  Mozambique,  de  Madagascar  et  de  l'Ile  de  France  ; 
dans  les  eaux  qui  baignent  les  rivages  occidentaux  de  la  Nou- 
velle-Hollande; sur  les  côtes  de  la  Nouvelle-Zélande;  près  du 
cap  de  Corientes,  du  golfe  de  Californie;  le  cap  San-Lucar 
(Californie);  les  Iles  Kingsmill,  Marshall  (capit.  Jouan);  à  peu 
de  distance  de  Guatemala  ;  autour  des  Iles  Galapagos;  à  la  vue 
de  l'Ile  Mocha  et  du  Chili  ;  dans  la  mer  du  Brésil  ;  et  enfin,  sur 
toutes  les  côtes  du  continent  européen,  même  dans  les  mers 
intérieures,  la  Méditerranée,  la  Baltique  et  l'Adriatique. 

Le  Cachalot  est  donc  un  animal  orbicole  ou  cosmopolite; 
M.  Flower  a  reçu  d'Australie,  pour  le  Musée  du  Collège  des 
chirurgiens,  à  Londres,  des  squelettes  de  Cachalots,  accom- 
pagnés de  Globiceps  et  de  Delphis,  qui  ne  présentent  aucune 
différence  avec  les  nôtres,  de  manière  que  la  faune  aquatique 
d'Australie  ne  correspond  aucunement,  pour  les  Cétacés  au 
moins,  avec  la  faune  terrestres  ;  nous  ajouterons  qu'il  en  est  de 
même  pour  certains  poissons  plagiostomcs.  La  faune  aquatique 
ne  possède,  sous  aucun  rapport,  un  faciès  propre.  Seulement 
certains  types,  qui  ont  disparu  en  Europe  depuis  les  âges 
géologiques,  semblent  s'être  conservées  jusqu'à  présent  chez 
nos  antipodes. 


(33  ) 

En  tenant  compte  de  tous  les  faits,  on  voit  que  le  Cachalot 
est  généralement  répandu  dans  le  Pacifique  comme  dans  l'Atlan- 
tique entre  le  60e  degré  de  latitude  Sud  et  le  60°  degré  de 
latitude  Nord.  Ce  sont  les  limites  indiquées  par  Maury  et 
par  Berghaus. 

Si  le  Cachalot  a  été  observé  au  delà  du  60e  degré  de  latitude 
Nord  et  Sud,  à  ces  latitudes  on  n'a  vu  que  des  individus  isolés, 
des  solitaires. 

Il  n'a  pas  été  vu  au  delà  du  détroit  de  Behring. 


11  n'est  pas  sans  intérêt  de  passer  en  revue  les  individus  qui 
sont  venus  échouer  sur  les  côtes  en  Europe,  et  dont  il  a  été  tenu 
compte  par  quelques  naturalistes. 

Les  anciens  ont  déjà  parlé  de  Cachalots  capturés  ou  échoués 
dans  la  Méditerranée. 

«  La  première  année  du  règne  de  Claude  (an  44),  un  Cacha- 
lot (Orca)  échoua  sur  le  rivage.  Il  serait  mort  par  le  seul  fait 
de  son  naufrage;  mais  l'empereur  qui  se  mit  à  la  tête  des 
cohortes  prétoriennes  combattit  avec  eux  le  monstre  marin. 
Pline,  témoin  de  cette  lutte  absurde,  dit-il,  vit  une  barque 
submergée  par  l'eau  dont  le  souffle  du  Cachalot  l'avait  rem- 
plie. » 

Strabon  parle  comme  Pline  du  Physeler  et,  dans  plusieurs 
villes  du  littoral,  on  conserve  encore  des  mandibules,  des  côtes, 
des  vertèbres  et  d'autres  restes  de  ces  Cétacés. 

Rondelet  en  a  vu,  dans  le  courant  du  XVIe  siècle,  des  osse- 
ments qui  étaient  destinés  au  palais  d'un  duc  de  Florence. 

Paulus  Jovius  parle  de  deux  individus  qui  auraient  péri 
sur  les  côtes  de  PEstrurie. 

Ranzani  parle  d'un  mâle  de  55  pieds,  qui  a  été  exposé  dans 
le  port  de  Pesaro  en  1715. 

La  même  année,  un  Cachalot  a  été  capturé  sur  les  côtes 
de  Sardaigne,  mais  il  n'a  été  fait  mention  que  de  1  ambre 
gris  qu'il  renfermait  et  dans  lequel  se  trouvèrent  des  becs  de 
Sépia. 

Tome  XLI.  3 


-  I 


(34) 

Cornalia  i,  dans  sa  Fauna  d'Italia,  cite  onze  cas  de  Cachalots 
qui  ont  péri  sur  les  cotes  d'Italie  :  en  1713,  1768,  et  1775  en 
deçà  d'Ancône,  en  1805,  un  au-dessus  d'Ancône  près  de  Fermo 
et  un  autre  en  1874  à  Porto-San-Giorgio,  en  1810  un  à  Chioggia, 
en  1715,  un  près  de  Venise;  en  1753  et  1764  sur  la  côte  de 
Dalmatie  à  Rovigno,  en  1767  près  de  Zarà  et  en  1750  près  de 
Sebenico. 

Sur  la  côte  de  Nice  il  signale  sept  échouements  :  en  1798, 
1833,1852,  1854,  1860,  1863  et  en  1864.  De  Gênes  à  Civita- 
Yecchia  On  en  a  vu  échouer  trois,  le  premier  en  1863,  à  la 
Spezzia,  le  second  entre  Livourne  et  Civita-Vecchia,  le  troisième 
à  Civita-Vecchia  même. 

Dans  les  Actes  des  curieux  de  la  nature  il  est  question  d'un 
Cachalot,  échoué  à  Sl-Hospice,  près  de  Villefranche  (Alpes- 
Maritimes),  le  10  novembre  1726  *. 

Un  autre  aurait  péri  près  d'Ascoli  3. 

Mon  collaborateur,  F.  Gervais,  en  cite  huit  échouements 
dans  la  Méditerranée. 

L'Hyperoodon,  échoué  près  de  Piètri  sur  la  côte  de  Toscane, 
dont  parle  Fr.  Cuvier  *,  est  un  Cachalot,  puisqu'il  avait  50  pieds 
de  long  et  qu'il  n'y  a  pas  d'Hyperoodon  de  cette  taille. 

En  1838,  Th.  Kotschy  a  vu,  à  la  côte  près  d'Alexandrie,  un 
Physeter  que  l'on  a  rejeté  à  la  mer  à  cause  de  l'infection  qu'il 
répandait  autour  de  lui. 

L'échouement  le  plus  remarquable  est  celui  de  1853,  le  15 
du  mois  d'août  ;  entre  Pola  et  Trieste,  sur  la  côte  d'Istrie,  uni* 
petite  gamme  est  allée  se  perdre  :  d'abord  un  jeune,  puis 
d'autres  plus  grands,  de  36  pieds. 

Le  16,  le  gouverneur  du  littoral  en  vit  encore  deux  jeunes 
qui  lançaient,  disait-il,  des  jets  d'eau  par  les  narines. 

Le  19,  la  nouvelle  de  la  prise  de  plusieurs  Cachalots  arriva  à 
Vienne,  et  Heckel  partit  le  20  pour  arriver  sur  les  lieux  le  24. 

*  Cornalia,  Fatma  cTItalia.  Milano. 

*  Bayer,  Act  nat.  cur ,  1753,  III*  vol. 

*  Elément,  di  Zool ,  t.  Il, p.  Gf  ft 
'  Hist.  nat.  des  Cétacés,  p.  381. 


(35) 

Les  cadavres  étaient  dépecés,  mais  les  squelettes  étaient 
malheureusement  mêlés;  le  professeur  Roth  parvint  à  en 
reconstituer  un.  Deux  têtes  furent  sauvées  pour  le  Musée 
d'anatoime  à  Vienne  ;  une  tête  est  restée,  comme  souvenir,  à 
Citta  Nuova. 

Dans  le  golfe  de  Saint-Nazaire  (Var),  un  sujet  de  moyenne 
taille  a  été  pris  en  1856.  Une  moitié  de  la  mandibule  en  est 
conservée  dans  le  cabinet  des  Pères  Maristes,  à  la  Seyne,  près 
Toulon  *. 

Un  mâle  est  venu  se  perdre,  dans  la  nuit  du  10  mars  1874,  à 
Porto-San-Giorgio  et  a  été  l'objet  d'une  monographie  zooto- 
mico-zoologique  2  par  le  docteur  Leone  de  Sanctis. 

On  en  a  vu  échouer  un  tout  près  de  Venise.  Le  dernier  a  été 
capturé  en  1874  près  d'Ancône. 

Dans  la  Bibliothèque  de  Ravenne,  on  conserve  deux  parties 
d'un  crâne,  sans  indication  d'origine. 

En  Italie,  M.  Rob.  Lawley  a  signalé  des  portions  de  maxil- 
laires et  des  dents  ayant  des  caractères  de  Physeter  provenant 
de  Volterra  et  de  Orciano  3. 

Sous  le  nom  de  Physeter  antiquus,  Gervais  a  signalé  un 
nouveau  Cachalot  dont  il  a  trouvé  la  mandibule  dans  les  sables 
marins  de  Montpellier.  Cette  mandibule  est  déposée  au  Muséum 
à  Paris.  Elle  rappelle  fort  bien  le  Cachalot  d'aujourd'hui. 

Le  professeur  Turner  a  écrit  une  notice  intéressante  à  pro- 
pos d'une  gravure  fort  rare  qui  représente  un  Cachalot,  capturé 
le  25  février  1601,  dans  le  port  d'Ancône.  C'était  un  mâle.  On 
lui  accorde  56  pieds  de  long. 

Il  faitmention  aussi  d'une  dent,  miseau  jourdansdes  galeries, 
à  l'ile  de  Sh.  Ronaldsay,  dont  l'enfouissement  date  peut-être 
de  l'époque  de  la  première  occupation  par  les  Nôrwégiens  +. 


1  P.  Gcrvais,  Comptes  rendus  hebd.,  1844,  p.  877. 

*  Sut  Capidoglw  arenato  a  porto  S.  Giorgio,  in-4%  Roma,  1881. 

*  Kos.  Lawley,  Pesi  et  Al  tri  vertebrati  fossili  del  Pliocène  Tostano. 
Pisa,  1875,  p.  11. 

*  Proc.  ofthe  Royal  Society  of  Edinburgh,  session,  1871-75,  p.  058. 


(  36) 

En  1715,  un  Cachalot,  long  de  48  pieds,  a  échoué  dans 
l'Adriatique.  On  en  conserve  des  os  h  Sinigaglia. 

Sous  le  règne  de  Louis  XIV,  un  Cachalot  de  60  pieds  de 
long  vint  échouer  à  la  Sel  va  près  Collioure. 

M.  Guyon  a  même  recueilli  en  Algérie  des  ossements  de 
Cachalot,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oued-Ger,  qui  pouvaient 
fort  bien  se  trouver  là  naturellement,  puisque  nous  avons 
reconnu  des  os  de  Balénoptère  dans  les  mêmes  conditions, 
lis  ont  été  élevés  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  à  la  suite  de 
soulèvements. 

Paul  Fischer  a  publié  une  Note  sur  les  Cachalots  échoués 
sur  les  côtes  océaniques  en  France,  dans  le  Journal  de  Zoologie 
de  (Servais  *.  Ces  échouements  ont  eu  lieu  surtout  en  hiver  et 
au  printemps,  de  janvier  à  avril.  Les  principaux  par  ordre  de 
date  sont  : 

Le  1er  avril  1714,  il  y  en  a  un  de  49  pieds  qui  se  perd  près 
de  Bayonne  3.  Un  dessin  en  est  conservé  dans  la  collection  des 
vélins  du  Muséum.  Fr.  Cuvier  l'a  fait  copier  dans  son  histoire 
naturelle  des  Cétacés. 

A  quatre  lieues  de  BouIogne-sur-Mer,  un  individu  a  échoué 
le  5  mars  1761,  dont  un  dessin  est  conservé  à  la  Bibliothèque 
de  cette  ville  3. 

Le  19  janvier  1769,  un  autre  périt  dans  la  baie  de  la  Somme 
près  Saint- Valéry  *.  Rien  n'en  a  été  conservé. 

En  1781,  le  1 1  mars,  une  school  entière,  composéede  trente- 
deux  individus,  vint  se  perdre  sur  la  côte  occidentale  d'Au- 
dierne  s.  Une  tête  provenant  de  cette  bande  a  été  donnée  à  l'Aca- 
démie de  La  Rochelle  par  M.  Donnadieu,  négociant  en  cette  ville, 
qui  l'avait  fait  venir  d'Audi erne  6.  Une  tête  de  sujet  adulte, 

1  Journal  de  Zoologie,  l. 1, 1872,  p.  236. 

*  HisL  de  CAcad.  roy.  des  sciences  pour  1741  (1744). 

*  Fischer,  Journal  de  Zoologie,  1. 1. 

*  Haillon,  Calai,  des  Vertébrés  de  la  Somme»  (Mém.  Soc.  r.  d'émilatiojt 
d'Ardevillc,  1833. 

*  Lettre  de  M.  Le  Cuz,  insérée  dans  le  Mercure  de  France,  détails  ciK' s 
par  Lacépèdc,  p.  303,  et  par  Pierre  Camper,  p.  08. 

*  Extrait  du  Journal  Èyhémérides,  de  M.  Lamberiz,  négociant  à  La  Rochelle. 


(37) 

une  colonne  vertébrale,  une  portion  d'os  hyoïde,  un  sternum, 
une  omoplate  et  quelques  os  des  nageoires  pectorales,  en  sont 
conservés  au  Muséum  d'histoire  naturelle  à  Paris. 

Nous  ne  parlons  pas  des  cinq  Cachalots  qui  se  sont  montrés 
à  l'entrée  de  la  Loire,  au  mois  de  juillet  1863,  et  qui  sont  restés, 
d'après  les  journaux  de  Nantes,  engagés  dans  le  sable  au  reflux.» 
Quoiqu'ils  aient  été  exhibés  à  Sl-Nazaire,  rien  n'en  a  été  con- 
servé et  nous  n'oserions  affirmer  que  ce  sont  des  Cachalots.  Vn 
d'eux  mesurait,  disait-on  dans  les  journaux,  6m,60. 

Vers  le  milieu  de  novembre  1872,  un  mâle,  de  12  mètres,  est 
venu  échouer  près  du  phare  de  Biarritz.  Il  était  en  putréfaction 
avancée  et  le  squelette  ifa  pu  être  conservé,  malgré  les  soins  ' 
de  M.  Souverbie,  directeur  du  Musée  de  Bordeaux  *. 

En  4875,  deux  individus  ont  été  vus  dans  les  parages  de 
Guethary  (Basses-Pyrénées).  Le  mâle  seul  a  été  capturé  ;  son 
squelette  est  conservé  au  Musée  de  Bayonne;  il  a  plus  de 
11  mètres  de  longueur. 

Le  professeur  espagnol  Graëlls  de  la  Paz  m'écrit  qu'il  a  mis 
les  pécheurs  à  contribution,  depuis  le  détroit  de  Gibraltar 
jusqu'à  la  frontière  française,  pour  connaître  les  grands  Cétacés 
qui  fréquentent  ces  parages  ;  ce  sont  la  Balœna  biscayensis, 
la  Balamoptera  musculus  et  le  Cachalot  qui  sont  les  plus 
connus. 

On  a  enregistré  plusieurs  exemples  de  Cachalots  qui  sont 
venus  se  perdre  sur  les  côtes  de  Belgique,  des  Pays-Bas, 
d'Allemagne,  de  Danemark,  de  Suède  et  de  Norwège. 

Claas  Mulder  estime  à  vingt  le  nombre  de  Cachalots  connus 
qui  se  sont  perdus  sur  les  côtes  des  Pays-Bas  ;  il  fait  avec  raison 
la  remarque  que  peu  de  restes  en  ont  été  conservés  dans  les 
Musées. 

Le  plus  anciennement  connu  a  échoué  en  1331  sur  les  côtes 
des  Pays-Bas.  Houttuyn  en  fait  mention.  Il  avait  68  pieds  et 
les  mandibules  mesuraient  13  pieds  *. 

*  Gcr vais,  Journal  de  Zoologie  y  1. 1,  p.  537. 

*  De  Vries,  Grool  hi&l.  schouwtonetl,  I,  p.  385,  Aoislerdam,  169$.  ^    v, 


(38) 

Le  11  mars  1566,  une  femelle  est  venue  à  la  côte  à  Zand- 
voort. 

Le  19  septembre  1876,  il  en  échoue  un  de  14  pieds  de  lon- 
gueur sur  la  même  côte. 

Ambroise  Paré  fait  mention  de  trois  Cachalots  capturés  le 
2  juillet  1577,  dans  l'Escaut  :  un  à  Flessingue,  un  à  Saffinghe, 
et  un  troisième  à  Hastinghe,  au  Doel  *. 

C'étaient  bien  des  Cachalots  d'après  ce  qu'il  dit  des  narines 
et  des  dents.  H  leur  accorde  58  pieds.  La  mandibule  avait  de 
chaque  côté  25  dents  et  on  voyait  autant  de  trous  à  la  mâchoire 
supérieure  dans  lesquels  les  dites  dents  pouvaient  se 
cacher. 

Ambroise  Paré  en  donne  une  figure,  qui  a  été  copiée  par 
Aldrovande  et  par  Johnston. 

De  1598  à  1614,  cinq  Cachalots  ont  été  vus  sur  les  côtes  des 
Pays-Bas.  Quatre  d'entre  eux  ont  été  dessinés  et  gravés. 

Emmanuel  de  Hetteren  fait  mention  d'un  animal  de  53  pieds 
de  long  qui  est  venu  à  la  côte  en  1601. 

En  1606,  on  en  cite  un  qui  a  péri  à  Springerplaat  (île 
Schouwen). 

Le  38  décembre  1614,  un  mâle  a  péri  à  Noordwyk-aan-Zee. 
On  en  conserve  la  gravure  *. 

En  1617,  au  mois  de  janvier,  un  autre  mâle  de  60  pieds  est 
venu  à  la  côte  entre  Scheveningen  et  Katwyk.  C'est  de  lui  que 
provient  la  tête  qui  est  conservée  dans  une  église  à  Scheve- 
ningen. 

Le  14  février  1619,  un  mâle  a  péri  à  l'embouchure  du  Rodan; 
il  en  existe  une  gravure  :  la  nageoire  pectorale  est  représentée 
comme  un  pavillon  d'oreille. 

Le  12  mai  1620  on  en  a  vu  échouer  un  sur  la  côte  de  Pomé- 
ranie  (bei  Carmin);  un  autre  le  15 octobre  1640. 

I^e  4  janvier  1629,  un  mâle  est  venu  à  la  côte  à  Noordwyk- 


1  Œuvres  complètes  d 'Ambroise  Paré,  t.  III,  p.  77P,  Pari»,  1841. 
■  PoT-WALYiftCH,  Gettrandt  by  Noortwyck-op-Zee,  den  28  dec.  tôt 4. 
Doob  Es.  Ya*  di  h  Yelde,  in-folio. 


(39) 

aan-Zee;  en  1635,  un  à  Scheveningen,  et  en  octobre  1641,  a 
péri  le  dernier  de  ce  siècle.  Une  gravure  de  ces  deux  derniers 
est  conservée  à  la  Bibliothèque  royale. 

En  1721,  au  mois  de  janvier,  un  animal  de  60  pieds  est  venu 
à  la  cote  non  loin  de  Brème,  et  en  1723,  un  échouement  de 
plusieurs  a  eu  lieu  dans  le  même  endroit.  Lacépède  fait  men- 
tion de  dix-sept  Cachalots  qu'une  tempête  violente  avait 
poussés  cette  année  dans  l'embouchure  de  l'Elbe.  Les  moins 
grands  avaient  13  ou  14  mètres.  Il  y  avait  huit  femelles  et  neuf 
mâles  *. 

En  1755,  une  autre  school  a  péri  sur  la  côte  de  Mecklem- 
bourg. 

Au  siècle  dernier,  nous  voyons  encore  quelques  animaux  se 
perdre  dans  les  mêmes  parages  :  en  décembre  1761,  il  y  en  a 
deux  ou  trois  qui  viennent  échouer  sur  l'île  ou  le  banc 
7.  Grind,  près  de  Harlingen.  La  caisse  tympanique  de  l'un 
d'eux  a  été  envoyée  à  Pierre  Camper  2.  H  en  existe  un  dessin 
sur  lequel  on  lit  :  ce  poisson  a  75  pieds  de  long  et  18  de  haut; 
c'est  un  Cachalot,  échoué  à  l'île  Grin.  Ce  dessin  se  trouvait 
«ntre  les  mains  de  Mulder  et  a  été  exécuté  par  P.  Idserdts. 

On  fait  mention  d'un  autre  qui  serait  venu  se  perdre  égale- 
ment en  décembre  1761,  à  Eyerland. 

On  cite  encore  un  individu  échoué  en  1762,  à  Terschelling, 
et  un  à  Vlieland  à  la  même  époque  de  l'année. 

Un  Cachalot  échoué  entre  Zandvoort  et  Wyk-op-Zee,  en  1762, 
20  février,  a  été  figuré  par  H.  Spilman.  11  en  existe  une  gra- 
vure à  la  Bibliothèque  royale,  sur  laquelle  on  lit  :  Cagelol, 
Inng  61  voelen,  den  20  februari  1762,  tusschen  Zandvoort  en 
}Vyk-op-Zee  aangedreven. 

Nous  ne  croyons  pas  que  ce  soit  un  de  ceux  qui  sont  indiqués 
ci-dessus. 

D'après  un  dessin  de  C.  van  Noorde,  un  mâle  aurait  péri 
encore  en  1764. 


1  Lacépède,  Rist.  Nal.  Cétacés,  in-4%  p.  334. 

*  Camper  **  */.  Schriflen,  I  B,  2  st.  Blés,  anat....,  p.  107,  pi.  XXIIL 


(40) 

Un  animal  de  84  pieds,  que  Ton  a  dit  femelle,  a- échoué  le 
4  décembre  1783,  sur  les  côtes,  près  de  Middelbourg.  On  en 
possède  des  os  dans  celte  ville  et  on  en  conserve  un  dessin  à 
Dornburg  *.  La  mandibule  porte  quarante-huit  dents. 

Ainsi,  au  XVIe  siècle,  une  vingtaine  de  Cachalots  se  perdent 
dans  ces  parages  :  trois  sont  reconnus  comme  mâles,  un 
comme  femelle,  et  on  est  sans  renseignements  sur  le  sexe  des 
autres. 

Au  XVIIe  siècle,  il  s'en  perd  une  vingtaine,  mais  les  rensei- 
gnements laissés  sur  leur  sexe  sont  bien  incomplets. 

Au  XVIIIe  siècle,  il  vient  en  échouer  encore  sept. 

Nous  ne  connaissons  que  deux  exemples  dans  le  courant  de 
ce  siècle  :  le  premier,  en  1819,  sur  les  côtes  du  Holslein,  et 
un,  en  1825,  sur  les  côtes  de  Rûgen. 

Il  y  a  deux  ans,  à  la  suile  d'une  rupture  de  digue,  on  a  trouvé 
près  de  Heyst  une  tête  presque  entière  de  Cachalot.  Elle  est 
déposée  au  Musée  de  Bruxelles.  On  ne  connaît  pas  la  date  de 
la  perte  de  cet  animal. 

Malm  cite  des  exemples  d'individus  capturés  sur  les  côtes  de 
Suède. 

Linné  en  a  cité  sur  les  côtes  de  la  Norwège. 

Au  nord  de  la  Norwège,  le  professeur  Sars  cite  le  Cachalot 
parmi  les  espèces  vues  aux  îles  Loffoten  (1865). 

On  connaît  aussi  plusieurs  exemples  d'individus  qui  se  sont 
perdus  dans  la  Baltique. 

# 

Le  conseiller  d'Etat  Hensche  a  fait  le  relevé  des  Cachalots 
observés  dans  celte  mer  intérieure  et  de  quelques  Mysticètes 
dont  on  ne  peut  que  deviner  la  nature  spécifique  *. 

Le  plus  ancien  connu,  un  animal  de  58  pieds  de  long,  échoué 
en  1291  sur  la  côte  de  Weichtclmunde,  a  été  conduit  à  DanUig. 

En  1364,  un  autre  de  26  pieds,  a  été  également  conduit  ù 
Dantzig. 

*  Zelandia  iilustrata,  middelburgiscke  courant,  le  6  décembre   1784  et 
Notulen,  4  avril,  1849. 

*  Heksciie,  Schriften  d.  Physik.  Ak.  geseils  zu  Kùnig/sberg,  Jahrg,   I, 
Hefu  (I. 


(4L) 

Le  15  octobre  1432  ou  1453,  un  de  35  pieds  a  été  pris  vivant 
et  conduit  encore  à  Dantzig.  II  avait  été  vu  pendant  3  jours. 
C'est  sans  doute  une  femelle. 

Le  15  avril  1455,  un  autre  de  66  pieds  de  long  fut  jeté  sur  la 
cote,  nàhe  dem  Balgaschen  Tief. 

En  1561,  un  jeune  animal  sous  le  nom  de  Baleine,  long  de 
9  t/a/ler,  fut  jeté  sur  la  côte  am  alten  Tief. 

Le  19  septembre  1576,  un  animal,  décrit  sous  le  nom  de 
Physetcty  de  14  pieds,  se  perdit  encore  dans  cette  mer;  mais 
on  peut  se  demander  si  c'est  bien  un  Cachalot. 

Plusieurs  Cachalots  sont  allés  mourir  sur  les  côtes  des  Iles 
Britanniques. 

Les  plus  anciens  ont  été  signalés  par  Sibbald  :  il  parle 
d'abord  d'une  femelle  qui  a  péri  aux  Orcades,  en  1687;  puis 
d'un  mâle  de  53  pieds,  capturé,  en  février  1689,  à  Leine  Kilns, 
au  nord  de  l'embouchure  du  Forth.  La  mâchoire  portait 
42  dents.  11  fait  mention  également  de  toute  une  school,  de 
102  individus,  qui  a  péri  sur  les  côtes  d'Ecosse,  mais,  à  en 
juger  par  la  taille  qu'il  leur  accorde,  ce  ne  sont  pas  des 
Cachalots. 

Un  mâle  de  52  pieds  a  échoué  ensuite  à  l'embouchure  du 
Forth  vers  la  même  époque;  sa  mandibule  portait  48  dents. 

Au  siècle  suivant,  en  1756,  un  autre  mâle  de  54  pieds  est 
venu  mourir  également  dans  le  Forth  (côtes  ouest  de  Ross- 
Shire)  et  un  en  1769  dont  le  sexe  n'est  pas  indiqué. 

James  Robertson  signale  Féchouement  d'un  mâle,  en  1770, 
également  dans  le  Forth. 

En  1762,  un  individu,  long  de  54  pieds,  avec  dix-huit  dents 
de  chaque  côté,  a  été  pris  à  Blythsand. 

En  1769,  on  cite  encore  un  mâle  de  54  pieds  qui  a  péri  au 
même  endroit. 

La  même  année,  1769,  un  Cachalot  a  été  capturé  sur  la  côte 
de  Kent;  vers  la  même  époque,  un  autre  sur  celle  de 
Norfolk. 

1  H.  Wood,  Mag.  of  nat  hist  ,2»  ser.  t.  III,  1829. 


En  1833,  un  Cachalot  mâle  adulte  est  venu  à  la  côte  à 
Tunstall,  Yorkshire  coast.  Le  squelette  a  50  pieds  de  longueur. 

Le  16  février  1829,  un  mâle  de  62  pieds  s'est  perdu  à  l'en- 
trée de  la  Tamise,  à  Whitstable,  Kent.  En  attendant  que  les 
tribunaux  eussent  décidé  qui  était  le  propriétaire  de  cette 
épave,  la  marée  a  eu  raison  de  ce  cadavre  et  les  os  ont  été 
dispersés. 

Dans  le  courant  du  mois  de  mai  de  la  même  année,  un 
Cachalot  fut  aperçu  en  mer  et  bientôt  capturé  et  remorqué 
dans  la  baie  de  Dunstaffnage  (Ecosse).  Il  avait  60  pieds,  mais 
le  sexe  n'est  pas  indiqué.  La  mâchoire  inférieure  est  conservée 
au  château  de  Dunstaffnage. 

On  cite  également  un  Cachalot  qui  a  péri  sur  la  côte  de  Cor- 
nouailles  en  juillet  1835  *. 

Dans  la  Faune  des  Orcades,  par  le  Rév.  George  Low  (1813), 
il  est  question  de  divers  Cachalots  qui  ont  visité  cette  île. 

Le  dernier  observé  sur  ces  côtes  est  un  animal  de  60  à 
70  pieds,  en  pleine  décomposition,  près  de  Thurso,  au  mois  de 
juillet  ou  août  1863,  dont  le  squelette  est  au  British  Muséum. 
C'est  lui  qui  a  servi  à  M.  Flower  pour  la  description  des  os  *. 

Au  mois  de  juillet  1871,  un  Cachalot  mâle  adulte  a  échoué  à 
l'île  de  Sky.  Son  squelette  est  conservé  à  Edimbourg.  La  man- 
dibule et  le  sternum  sont  très  remarquables  par  l'âge  de 
l'animal. 

Le  professeur  Turner  fait  le  relevé  des  Cachalots  connus  qui 
ont  péri  sur  les  côtes  d'Ecosse.  11  en  cite  dix  :  un  du 
XVIIe  siècle,  quatre  du  XVIIIe  siècle  et  cinq  du  XIXe  siècle. 
Sur  huit  individus,  dont  le  sexe  a  été  reconnu,  il  y  avait  cinq 
mâles. 

Le  Cachalot  étant  un  Cétacé  équatorial,  on  a  douté  quelque- 

1  Alderson,  J.f  An  account  of  a  Whale  of  the  spennaceti  tribe,  casl  on 
shore  oi  the  Yorkshire  coast,  1823.  Tiunsact.  Cumin,  phii-  Soc,  1827. 
Ferussac,  Bull,  scien.  no/.,  1829.  Isis,  1835,  p.  lOOft.  Transict.  of  the  nat. 
histor.  of  Norlhumberland,  vol.  1,1851. 

1  Report  Drit.  Asmoc.  for  the  adoanceme.tt  of  science  held  at  Newcastle, 

p.  106. 


(43) 

fois  de  sa  présence  sur  les  côtes  du  Groenland.  Les  côtes  nord 
de  l'Ecosse  ont  été  souvent  considérées  comme  limite  septen- 
trionale de  cet  animal. 

Nous  avons  le  témoignage  de  plusieurs  marins  que  ces  ani- 
maux visitent  parfois  l'ouest  et  l'est  du  Groenland. 

En  1718  et  1719  quelques  Cachalots  ont  été  pris,  dit  Zorg- 
drager,  auprès  du  Groenland  et  auprès  du  cap  Nord.  Le  plus 
remarquable  avait  70  pieds  environ  et  dans  sa  tête  on  a  recueilli 
vingt-quatre-tonnes  de  spermaceti  *. 

R.  Brown  ne  fait  mention  que  d'un  seul  Cachalot,  capturé 
en  1857  près  de  Groven  (72»  L.  N.) 

Nous  avons  aussi  le  témoignage  du  gouverneur  du  Groen- 
land :  Le  Cachalot  est  extrêmement  rare  sur  la  côte  ouest  du 
Groenland,  dit  Holbôll  2.  11  n'a  vu,  pendant  ses  nombreux 
voyages,  qu'une  seule  fois  cet  animal  remarquable,  et  de  sou- 
venir d'homme,  on  n'en  a  vu  échouer  dans  ces  parages. 

Les  Esquimaux,  qui  ont  visité  Paris  et  Bruxelles  en  1877- 
1878,  avaient  des  dents  de  Cachalots  avec  eux  ;  ces  dents  étaient 
exhibées  avec  celles  deNarval,  de  Morse  et  d'autres  Delphinides. 

A  l'est  du  Groenland,  apparaît  aussi  parfois  cet  animal. 
Nous  l'avons  déjà  dit  plus  haut,  M.  Naugaret  l'a  rencontré  aux 
environs  de  File  Jan  Meyen  3. 

H  est  fort  curieux  de  comparer  le  nombre  de  captures  ou 
plutôt  d'échouements  de  Cachalots  des  siècles  précédents  avec 
ceux  des  temps  actuels. 

Si  l'on  considère  la  rareté  actuelle  des  Cachalots  échoués  et 
le  nombre  d'individus  dont  la  capture  est  indiquée  dans  des 
livres  anciens,  on  doit  se  dire  que  ces  animaux  doivent  être 
bien  près  d'être  exterminés. 


Il  y  a  aussi  quelques  exemples  de  Cachalots  capturés  ou 


•  Zorgdrager,  EU ,  S. (1837),  p.  lit. 
9  EscmticHT,  Nord.  If  a/M ,  p.  195. 

*  Bévue  des  deux  Mondes,  1"  octobre  1K09. 


(44) 

échoués  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  dans  l'océan  Pacifique, 
dans  la  mer  des  Indes  et  dans  les  eaux  de  nos  antipodes. 

Onze  individus,  la  plupart  jeunes,  sont  venus  à  la  côte  à  Test 
de  la  Floride,  près  du  cap  Canaveral,  pendant  l'hiver  de  1882. 

Le  29  mars  1842,  un  jeune  animal  de  16  pieds  a  été  capturé 
près  de  Boston,  New  Bedford,  U.  S. 

Le  5  décembre  1849,  on  a  trouvé  la  carcasse  d'un  mâle 
qu'on  a  remorquée  au  port  Jackson  ;  c'est  le  squelette  de  cet 
animal  que  M.  Macleay  a  décrit. 

Le  corps  d'une  femelle  échouée  a  été  remorqué  à  Botany- 
Bay. 

Sur  les  côtes  de  Tasmanie  on  a  capturé  un  individu  mâle,  en 
1864,  dont  le  squelette  se  trouve  au  Collège  royal  des  chirurgiens 
à  Londres.  On  en  connaît  trois  spécimens  de  Tasmanie  dans 
ce  remarquable  Musée. 

Ce  sont  ces  squelettes  qui  ont  autorisé  M.  Flower  à  se  pro- 
noncer sur  l'identité  du  Cachalot  d'Australie  et  celui  d'Europe. 

MUSÉES. 

On  a  été  longtemps  sans  connaître  d'autre  squelette  de 
Cachalot  que  le  squelette  défectueux,  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut,  et  qui  était  monté  à  la  cour  du  Muséum  à  Paris; 
Cuvier  l'avait  fait  acheter  à  Londres,  en  1818  i.  Ce  squelette, 
que  personne  ne  regrette  d'avoir  vu  disparaître,  sera  bientôt 
remplacé  par  un  autre. 

Paris  possède  également  une  tête  d'un  animal  adulte,  pro- 
venant de  la  bande  échouée  à  Audierne,  en  1784,  avec  une 
colonne  vertébrale,  des  mandibules  et  un  os  hyoïde. 

Il  se  trouve  également  au  Muséum  à  Paris  des  mandibules 
d'un  mâle  capturé  à  Bayonne.  On  y  possède  encore  la  tête 
d'un  jeune  animal  qui  a  péri  à  Bochefort. 

1  D'après  une  noie  du  mémoire  de  M.  Flower,  ce  squelette  est  probable- 
ment le  même  qui  a  figuré  au  Musée  Bocks trow,  Fleet  slreet,  décrit  dans  un 
ancien  catalogue  comme  The  Astonishing  and  complète  Skeleion  of  a  fuit- 
grown  Sperma-ceti  Whale. 


(  45  ) 

Mais,  de  toutes  ces  pièces,  la  plus  remarquable  est  le  squelette 
que  le  Muséum  a  reçu  récemment  par  les  soins  du  professeur 
Pouchet,  et  qui  provient  des  iles  Açores. 

On  conserve  aujourd'hui,  au  Musée  à  Bayonne,  le  squelette 
d'un  mâle  qui  a  été  capturé  en  1875. 

A  Londres,  au  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens,  on 
possède  de  riches  matériaux  pour  l'étude  du  Cachalot.  II  s'y 
trouve  deux  squelettes,  un  jeune  et  un  adulte,  qui  ont  été 
envoyés  d'Australie.  Ce  sont  ces  pièces  qui  ont  été  figurées  dans 
le  beau  mémoire  du  professeur  Flower. 

Le  British  Muséum  possède  un  autre  squelette  complet  d'un 
animal  capturé  sur  les  côtes  des  Iles  Britanniques,  Le  British 
Muséum  possède  en  outre  la  tête  d'un  mâle  très  adulte  et  qui 
s'y  trouve  depuis  fort  longtemps;  on  ne  connaît  pas  son  origine, 
si  je  ne  me  trompe. 

Pendant  longtemps  le  seul  squelette  complet  de  Cachalot 
adulte  se  trouvait  à  Burton-Constable  Castle,  près  de  Hull 
(Yorkshire).  Il  a  été  décrit  par  Beale. 

A  Cantorbéry,  on  conserve  quelques  ossements  d'un  animal 
échoué  à  l'embouchure  de  la  Tamise.  Pendant  qu'on  se  dispu- 
tait la  propriété  du  corps,  la  marée  dispersait  les  os  du  sque- 
lette. 

# 

Le  Musée  d'anatomie  de  l'Université  d'Edimbourgh  possède 
la  mandibule  d'un  jeune  mâle,  capturé  dans  l'Atlantique,  à  la 
latitude  des  Açores. 

On  possède  en  outre  à  Edimbourg  le  sternum  et  la  mandi- 
bule d'un  animal  très  adulte  qui  a  échoué,  en  1871,  à  l'île  de 
Skey.  Le  sternum  est  énorme. 

Edimbourg  possède  aussi  une  mandibule  rapportée  des  îles 
Bauda  (Archipel  des  Moluques),  avril  1843,  par  des  baleiniers, 
et  sur  laquelle  se  trouve  un  dessin  du  Cachalot  que  le  profes- 
seur Turner  a  cru  devoir  reproduire. 

Au  Musée  de  Bologne  on  conserve  un  squelette  qui  a  été 
obtenu  par  échange  du  Musée  de  Naples. 

A  Pise  on  conserve  un  squelette  dans  le  vestibule  du  Jardin 
Botanique. 


(46  ) 

On  voit  également  une  tête  au  Musée  de  Turin,  mais  dont 
nous  ne  connaissons  pas  l'origine. 

On  en  possède  des  ossements  à  Pise,  à  Florence,  à  Bologne, 
et  à  Ravenne,  parmi  lesquels  il  y  a  une  portion  de  crâne. 

Les  ossements  des  divers  individus  qui  sont  venus  échouer 
en  1853  dans  l'Adriatique,  à  Caste!  Nova,  ont  été  pour  la  plu- 
part conservés,  mais  ils  ont  été  malheureusement  mêlés  :  à 
Berlin,  à  Munich,  à  Trieste,  on  en  conserve  une  tête  ;  à  Vienne 
un  squelette,  mais  on  n'a  pas  tenu  compte  ni  du  nombre  de 
côtes  ni  du  nombre  de  vertèbres,  et  il  est  fort  douteux  que  les 
os  de  chaque  squelette  appartiennent  au  même  individu. 

A  Scheveningue  (Hollande)  on  conserve  une  tête  fort  grande 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut  dans  une  église  située  au 
pied  des  dunes. 

Dans  le  cabinet  de  Camper  se  trouvaient  :  deux  mandibules 
de  12  pieds  et  à  vingt  et  une  dents  ;  une  omoplate  de  37  pouces 
de  long  et  26  pouces  de  haut  avec  une  partie  du  membre 
(humérus,  radius,  cubitus)  d'un  animal  de  63  pieds.  — 
Cl.  Mulder  pense  que  ces  os  proviennent  de  Cachalots  captures 
en  1762.  —  Ils  sont  actuellement  conservés  au  Muséum  de 
l'Académie  de  Groningue. 

Le  Musée  de  Bruxelles  possède  un  atlas  dont  l'origine  est 
inconnue.  Il  provient  du  cabinet  du  prince  Charles  de  Lor- 
raine. On  y  possède  également  une  mandibule  et  une  région 
cervicale,  avec  une  côte  mutilée,  ainsi  que  la  tête  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut.  Il  n'est  pas  impossible  que  l'atlas  pro- 
vienne d'un  des  Cachalots  qui  ont  péri  dans  l'Escaut  le 
2  juillet  1577,  et  dont  Ambroise  Paré  a  fait  mention. 

Au  Musée  de  Sydney  on  voit  un  squelette  qui  a  été  décrit  par 
Macleay  en  1851. 

Au  Muséum  de  Washington,  on  possède  le  squelette  d'uue 
femelle  capturée  sur  la  côte  de  New-Jersey  et  qui  portait  un 
fœtus  d'un  mètre  environ  de  grandeur;  on  a  monté  ranimai. 


(47) 


DESSINS. 

Il  y  a  peu  de  Cétacés  aussi  souvent  reproduits  par  le  dessin 
que  le  Cachalot,  mais  pendant  longtemps  on  n'en  a  possédé 
que  de  très  défectueux.  Aujourd'hui  on  en  connaît  plusieurs 
bonnes  figures. 

Tous  les  os  du  squelette  sont  également  bien  représentés. 

Cet  animal  est  même  assez  fidèlement  reproduit  sur  des 
plaquettes  en  os  par  les  pécheurs  des  côtes  d'Alaska.  Paul 
Gervais  a  figuré  dans  la  Nature  une  plaquette  d'os  de  Cachalot, 
sur  laquelle  on  voit  d'un  Côté  un  Cachalot,  de  l'autre  côté  une 
Baleine. 

Le  professeur  sir  Turner  a  reproduit  également  un  dessin 
de  Cachalot,  qui  se  trouve  sur  une  mandibule  de  ce  Cétacé, 
conservée  au  Musée  d'anatomie  d'Edimbourg. 

On  conserve  à  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles  un  cer- 
tain nombre  de  gravures  qui  ont  été  réunies  dans  un  porte- 
feuille par  Du  Bus. 

Ces  gravures  sont  faites  d'après  des  individus  échoués  sur 
les  côtes  de  Belgique  et  de  Hollande. 

Le  plus  ancien  est  un  Cachalot,  capturé  dans  l'Escaut  en 
juillet  1877  ;  nous  lisons  sur  la  planche  qui  le  reproduit  :  Uet 
waerachtig  contwfeytsel  en  afmetinghe  van  desen  walvisch,  gevan- 
gen  den  Sjuly  1577;  ce  dessin  accompagne  un  manuscrit  7864, 
Chronyck  van  Antwerpen,  door  Cankercken.  Un  texte  explicatif, 
imprimé  en  flamand,  latin,  français,  dit  que  la  Baleine  a  été 
trouvée  «  tusschen  Haeftep  gelegen  in  den  Doel  ende  Saeftinghe 
in  de  Schelde,  ontrent  Antwerpen.  » 

La  Bibliothèque  royale  possède  une  autre  gravure,  repré- 
sentant un  Cachalot  échoué,  d'après  l'inscription,  la  même 
année  (1877)  à  Terheyden.  C'est  probablement  le  même  que  le 
précédent. 

Une  autre  gravure  de  la  Bibliothèque  royale  représente  un 
mâle,  qui  a  péri,  entre  Katwyk  et  Scheveningen,  en  1898. 
Il  avait  82  pieds  de  long.  Nous  en  trouvons  également  un  dessin 


(48) 

dans  Bor  *.  Cette  gravure  ne  paraît  être  qu'une  copie  et  porte 
pour  inscription  :  Een  walvisch  lang  70  voeten ,  gestrandt  op 
de  hollandsche  zeekusi ,  tusschen  Scheveningen  en  Kativyk ,  in 
sprokkelmaend,  4598.  Cet  animal  fut  vendu  publiquement  pour 
126  florins.  Le  rostre  (Bek)  fut  donné  au  comte  Jean  de  Nassau 
ot  envoyé  à  Dillenburg.  D'après  Clusius,  les  grands  os  sont 
conservés  à  la  Maison  de  ville  de  La  Haye. 

Ambroise  Paré  reproduit  le  dessin  d'un  individu  qui  a  péri 
dans  l'Escaut  2;  Cl usi us  également  en  reproduit  un  qui  est 
meilleur.  Johnston  en  donne  aussi  une  figure  3. 

Le  professeur  Sir  Turner  est  en  possession  d'une  gravure, 
représentant  un  Cachalot  de  60  pieds  de  longueur,  capturé  en 
1601  dans  le  port  d'Ancone  4. 

Le  savant  professeur  de  l'Université  d'Edimbourg  a  écrit  une 
Notice  intéressante  à  propos  de  cette  gravure,  qui  n'est  pas 
connue  des  naturalistes. 

Sibbald  a  publié  un  dessin  d'un  mâle  de  52  pieds  de  long, 
qui  a  péri  dans  une  baie  du  Forth  en  1689.  Ce  dessin  est  loin 
d'être  un  modèle.  Le  dessinateur  a  représenté  une  tête  de 
Baleine  avec  des  évents  au  front.  Ce  corps  de  52  pieds,  auquel 
il  a  mis  un  pénis,  semblable  à  celui  de  la  Balénoptère  qui 
figure  à  côté,  pourrait  bien  être  le  corps  de  la  femelle,  échoué 
en  1687,  et  non  celui  du  mâle. 

Le  Cachalot,  échoué  en  1614  près  de  Noortwyk-op-Zee,  a  été 
reproduit  par  une  gravure  conservée  à  la  Bibliothèque  royale  ; 
elle  porte  l'inscription  suivante  :  Anno  1614,  den  26  december, 
is  gestrant  dezen  vis,  lanck  syndc,  38  voeten.  E.  Vandeveldc,  fe. 

Une  autre  gravure  représente  également  un  mâle  qui  a  péri, 
d'après  l'inscription,  à  l'embouchure  du  fleuve  Rodan,  le  li 
février  1619. 


1  Dob,  Nederl.  hislor.  Amsterdam,  in-fol.,  1670,  p.  453,  4e  pari. 
1  Ambroise  Paré,  25«  livre  de  ses  Œuvres. 

5  Historia  naturalis  de  Ptscibus  et  Cetis,  AmsUlodami,  1657.  Tab.XLU. 
4  Notes  on  som  rare  prinls  of  stranded  Sperm-Whale*.  Jours,  of 
Anatout  and  Physiology,  vol.  XIÎ,  1878. 


Nous  y  trouvons  aussi  une  gravure  d'un  Cachalot  de  62  pieds 
échoué  en  1639. 

Un  autre,  échoué  en  1762  entre  Zantvoord  et  Wyk-aan- 
Zee,  est  figuré  trois  fois;  des  gravures  en  sont  conservées  à 
la  Bibliothèque  de  Bruxelles.  Nous  lisons  sur  Tune  :  Cachelot 
geslrandt  tusschen  Zandvoort  en  Wyk-op-Zee,  1762.  J.  Augus- 
tini,  door  H.  Spilman,  folio.  Brux.  Sur  l'autre  :  Cagelot,  lang 
61  voeten,  den  20  febr.  1762,  tusschen  Zantvoort  en  Wyk-op- 
Zee  aangedreven.  Door  Vander  Vinne,  4°,  mâle. 

On  trouve  h  la  même  Bibliothèque  deux  gravures  représen- 
tant un  Cachalot  maie  de  60  pieds  échoué  vivant  près  de 
Egmond-op-Zee.  Cagelot,  Potwalvisch,  Egmond-op-Zee,  levend 
gestrandt  den  15  febr.  1764,  van  60  voeten. 

La  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles  possède  également  un*» 
belle  gravure  d'un  Cachalot  mâle  de  60  pieds,  qui  a  échoué  à 
Beverwy. 

On  conserve,  ù  Boulogne-sur-Mcr,  un  dessin  d'un  Cachalot 
qui  a  péri  près  de  la  ville  le  5  mars  1761. 

Un  mâle,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  est  représenté 
dans  les  Ad.  nat.  curios.  Vol.  III.  (1733),  Tab.  1;  il  a  péri  à 
Villefranche,  le  10  novembre  1716. 

Le  Cachalot  mâle  de  48  pieds,  échoué  le  1er  avril  1744  ou 
1741  dans  le  golfe  de  Gascogne,  a  été  dessiné  également; 
Despelette,  chirurgien-major  de  l'hôpital  militaire  de  Bayonne, 
en  a  envoyé  la  figure  à  La  Feyronie;  c'est  sans  doute  ce  dessin 
qui  est  conservé  dans  la  collection  des  vélins  du  Muséum. 
Fr.  Cuvier  l'a  fait  graver  dans  son  Histoire  naturelle  des  Cétacés. 
Nous  en  avons  parlé  plus  haut. 

Il  existe  deux  autres  dessins  d'après  le  même  animal,  l'un 
dans  la  Bibliothèque,  l'autre  dans  les  registres  des  délibéra- 
tions du  conseil  municipal  de  Bayonne. 

Du  Hamel  *  a  publié  aussi  le  dessin  du  mâle  de  48  pieds, 


*  Du  Hamel,  Bist.  nat.  des  Pèches,  part.  2,  sec  t.  X,  pi.  XV. 

Tome  XLI. 


(  50) 

tué  près  de  Bayonne  en  avril  1741.  H  en  a  publié  encore  un 
autre  dit  Paul  Gervais. 

Tous  ces  dessins  sont  faits  avec  peu  de  soin  et  on  peut  dire, 
avec  le  Dr  Fischer,  qu'ils  sont  fautifs. 

Pennant  fait  figurer,  dans  sa  Zoologie  Britannique,  un  mâle 
de  54  pieds  qui  avait  été  pris  à  Bhythsand,  en  le  considérant 
encore  comme  poisson  (1766) f. 

Alderson  représente  l'animal  entier,  sa  tête,  son  œil,  etc.  *. 

On  trouve  une  copie  d'un  dessin  de  Valentin  Cary  à  la 
Bibliothèque  de  Boulogne,  fait  d'après  un  Cachalot  échoué  le 
5  mars  1761,  à  4  lieues  de  la  ville. 

Lacépède  a  figuré  le  Cachalot  sous  le  nom  de  Physale  cylin- 
drique, Cachalot  macrocéphale  et  Cachalot  trompo. 

Bonnaterre  a  figuré  une  femelle  de  la  bande  d'Audierne. 

Le  capitaine  Scammon  a  publié  un  bon  dessin  de  l'animal; 
on  voit  que  le  dos  n'est  pas  pourvu  d'une  nageoire  dorsale, 
mais  de  bosses,  comme  la  Mégaptère.  À  côté  du  dessin  il  repré- 
sente la  coupe  de  l'animal  qui  est  aplati  du  côté  du  dos, 
aminci  du  côté  du  ventre  et  arrondi  sur  les  flancs. 

Il  représente  sur  une  planche  distincte  l'animal  nageant  la 
bouche  ouverte. 

Du  Hamel  représente  une  mâchoire  de  Cachalot,  pi.  IX, 
fig.  7,  et  un  mâle  entier,  pi.  XV,  fig.  3. 

Pierre  Camper  a  reproduit  la  tête  3. 

Cuvier  a  fait  graver  la  tête  et  plusieurs  os  dans  ses  Re- 
cherches *. 

W.  Wall  a  figuré  le  squelette  complet  en  1851. 

En  1868,  le  professeur  Flower  a  publié  un  mémoire  dans 
lequel  se  trouve  une  description  complète  de  tous  les  os  du 
squelette,  accompagnée  de  sept  belles  planches. 


1  PEftXAftT,  vol.  III,  pL  VI. 

*  A  few  observation  of  the  natural  hislory  ofthe  Sperm  Whale. 

*  P.  Camper,  Cétacés,  pi.  XVIII,  XIX  el  XXVII. 

*  Ossem.  foss.,  t.  V,  lMpart.,  pi.  XXIV. 


(81  ) 

Les  principales  parties  du  squelette  sont  figurées  dans  notre 
Ostéographie,  pi.  XVIII  et  pi.  XIX,  d'après  les  figures  publiées 
par  M.  Flower. 

Pander  et  d'Alton  ont  figuré  une  omoplate. 

Le  sternum  du  Cachalot  adulte  de  l'île  de  Skye  est  figuré 
dans  une  notice  de  Turner  *• 

Parmi  les  dessins,  nous  devons  faire  mention  de  celui  de  la 
tête  d'un  fœtus,  publié  par  R.  Owen,  dans  la  Description  du 
catalogue  des  squelettes  du  Musée  royal  du  collège  des  chirur- 
giens *,  et  de  la  caisse  tympanique  3. 

Huxley  a  figuré  le  crâne  d'un  fœtus  de  Cachalot  *. 

Au  Musée  d'Edimbourg  on  voit  sur  une  mandibule  de  Ca- 
chalot un  dessin  du  même  animal,  fort  bien  exécuté. 

On  en  connaît  aussi  des  figurines  en  bois  et  en  os  taillés  par 
les  habitants  des  côtes  d'Alaska  et  des  Iles  Aléoutiennes. 


COMMENSAUX  ET  PARASITES. 

Le  Cachalot  est  encore  bien  incomplètement  connu  sous  le 
rapport  de  ses  commensaux  et  de  ses  parasites;  Debell  Bennet 
est  le  seul  naturaliste  que  nous  sachions,  qui  fasse  mention 
de  VOtion  Cuvierii  trouvée  sur  sa  lèvre  inférieure  et  des  Oniscus 
logés  sur  sa  peau. 

Il  y  est  également  fait  mention  de  Cysticerques,  trouvés  dans 
des  kystes  de  la  peau  8,  et  Foster  a  trouvé  des  parasites  qu'il  a 


1  Additional  Notes*...  Proc*  Roy.  Soc.  of  Edinburgh.  Session  1871-72, 
PI».  636*637. 

*  Tome  11,  n<>  2417. 

*  BrilUh  fossil  Mammals,  p.  526,  fig.  20. 

*  Manuel  of  the  anaiomy  of  vertebrated  animais,  p.  404,   fig.    106, 
Londres,  1871. 

*  Debell  Bennet,  Proc.  Zool.  Soc.,  1837,  p.  30. 


(52) 

envoyés  à  Sibbald,  mais  dont  nous  ne  connaissons  ni  le  nom 
ni  la  nature. 

Sur  les  Cachalots,  capturés  en  1853,  sur  les  cotes  d'Istrie,  on 
a  trouvé  des  Balanes,  mais  on  ne  dit  pas  lesquelles  '. 


*  Turxer,  Addit tonal  Noies  on  the  Occurence  of  ihe  Sperm-Whaïe, 
1871-72,  p.  644. 


HYPEROODON  ROSTRATUM. 


LITTÉRATURE. 


Cillas  Tallor,  Mil  or  y  and  atiliquities  of  Harwich,  and  Baver-court 
with  notes  and  observations  relating  to  natural  history.  London,  4730, 
in-4«. 

E.  Pontappldaa,  The  natural  history  of  Norway.  London,  4755. 

Chemnll»,  Beschâftigungen  der  BerlinischenGcsellschuft  Naturforcher 7 
4775.177i»t  t.  IV,  1779. 


-,  Observations  on  the  structure  and  œconomy  of  W haies. 

PUILOSOPUICAL  TRANSACTION,  Vol.  LXXVII,  1787. 

naiiaaard.  Mémoire  sur  deux  Cétacés  échoués  vers  H  on  fleur,  le  19  sep- 
tembre 1788;  dans  Rozier,  Obs.  sur  la  physique,  sur  l'histoire  naturelle..,, 
t.  XXXIV.  Paris,  1789. 

Lacépèdo,  Histoire  naturelle  des  Cétacés.  Paris,  an  XII  de  la  Répu- 
blique, 1804. 

C  ut  1er,  Recherches  sur  les  ossements  fossiles.  Paris. 

€.  Woamael,   Notice   zoologique   sur   un    llyperoodon.    Nouveaux 

MÉMOIRES    DE    l'ÀCADÉVIE    ROYALE    DBS   SCIENCES    ET    BELLES-LETTRES     DE 

Bruxelles,  t.  XIII,  1841. 

Eodea  do  Longchamp»,  Remarques  zoologiques  et  anatomiques  sur 
VHyperoodon.  AIémoires  de  la  Société  linnébnne  de  Normandie,  vol.  VIL 
Paris,  1842. 


(54) 

Bclllngham,  a>.  m.  Short  description  of  a  Bottle-nose  Whale*  (Hype- 
roodon  Butzkopf),  Ann.  ofnat  hitt. ,  4843. 

Cray,  Zoology  ofthe  voyage  of  Errbus  and  Terror,  1844. 

Vrollk,  Natuur  en  ontleedkundige  Benchouwing  van  den  Hypcroodon. 
Haarlem.  1848. 

Eaehrlcat,  Untersuchungcn  ùbcr  die  nordischcn  Walllhiere.  Leipzig, 
1849. 

•averaay,  Cétacés  vivante  et  fossile».  Ann.  se.  natur.,  3€  scr.,  L  XV, 
p.  44,  1851. 

John  Kt ruinera,  Account  of  rudiment ary  finger  musclée  found  in  a 
toothed  Whàte  (Hypcroodon  bidens).  Journ.  of  anatomy  and  physiology, 
novembre  1873. 

Taeat.  Sautawell,  on  a  Skull  of  Hypcroodon  loti  front.  The  Zoologitt, 
1881,  p.  258. 

Fischer,  Cétacés  du  sud-ouest  de  ta  France,  1881. 

Flower,  On  the  Cranium  of  a  new  species  of  Hypcroodon,.,  Proc. 
Zool.  Soc.t  roay  1882. 

Flower,  On  the  whales  of  the  genus  ffyperoodon.  Proc.  Zool.  Soc., 
dcc.  1882. 

Thom.  Southwcll,  On  the  beaked  or  bottle-nose  whale  (Hypcroodon). 
Trans.  norf.  and  norw.  raturalists'  Soc  ,  vol  III,  1882. 

m>avld  Cray,  Notes  on  the  charactert  and  habits  of  the  Bottlenose 
Whale  (Hypcroodon  rostratus).  Proc.  Zool.  Soc,  dcc.  1872,  n*  726. 

I»r  A.  Cerstitokcr,  Dos  Skeiet  des  Dôglings,  Hypcroodon  rostratus, 
Pont.  Leipzig,  1887. 


uvt 


00   ) 


HISTORIQUE. 

Les  pécheurs  de  Fâroër  et  d'Islande  ont  connu  l'Hyperoodon 
longtemps  avant  les  naturalistes.  Ils  le  désignaient  sous  le  nom 
de  Dôgling. 

Au  commencement  du  siècle  précédent,  deux  Hyperoodons 
échouent  en  Angleterre  sur  les  côtes  d'Essex;  il  en  est  fait 
mention  dans  une  Histoire  des  antiquités  de  Harwich,  avec  des 
notes  sur  l'histoire  naturelle,  par  Dale.  L'un,  de  14  pieds,  se 
perdit  en  1717  près  de  Malden;  l'autre,  de  21  pieds,  près  de 
Bradwel,  à  peu  près  en  même  temps  que  le  précédent. 

En  1755,  E.  Pontoppidan  publie  une  histoire  naturelle  de 
Norwège  et  il  décrit  l'Hyperoodon  sous  le  nom  de  Balœna 
rostrata,  nom  spécifique  qui  a  produit  pendant  longtemps  une 
grande  confusion.  Fabricius  a  donné  le  même  nom  à  la  petite 
espèce  de  Balénoptère. 

Chemnitz  fait  mention,  en  1779,  sous  le  même  nom  de 
Balœna  rostrata,  d'un  mâle,  capturé  dans  les  eaux  de  Spitzberg, 
dont  les  principales  parties  du  corps  ont  été  apportées  à 
Copenhague. 

En  1783,  un  Hyperoodon  est  capturé  dans  la  Tamise,  près 
de  London-Bridge  ;  il  tombe  heureusement  dans  les  mains  de 
Hunter,  qui,  tout  en  ne  connaissant  pas  bien  l'animal,  n'en  a 
pas  moins  parfaitement  exposé  son  organisation. 

Ce  travail  n'était  pas  seulement  classique  pour  l'époque  où 
il  a  paru,  dit  Eschricht,  mais  c'est  la  collection  de  faits  anato- 
miques  la  plus  remarquable  sur  les  Cétacés;  on  y  trouve  tout 
ce  que  l'on  sait  sur  les  Hyperoodons,  dit-il.  Même  le  dessin  de 
Hunter  est  un  des  meilleurs  qui  existent  de  cet  animal,  dit  le 
savant  professeur  danois. 

Deux  années  après  la  publication  de  Hunter,  Baussard,  un 
officier  de  marine,  publia  des  observations  sur  deux  femelles, 
Tune  de  23  */*  pieds,  l'autre  de  12  f/â,  qui -venaient  d'échouer 
à  Honfleur,  à  l'embouchure  de  la  Seine.  La  description  de  la 


(56) 

psau  qui  tapisse  In  palais,  a  fait  croire  à  Lacépède  que  ces 
animaux  portaient  des  dents  au  palais  ;  c'est  l'origine  du  mot 
Hyperoodon,  qui  est  accepté  aujourd'hui  par  tous  les  cétolo- 
gistes. 

L'Hyperoodon  n'était  pas  encore  représenté  par  son  sque- 
lette au  Muséum  de  Paris,  à  l'époque  où  Cuvier  écrivait  ses 
Recherches  sur  les  ossements  fossiles  et  la  description  qu'il  en 
donne  est  faite  d'après  le  squelette  de  Hunter. 

En  1841,  Wesmael  publia  une  notice  zoologique  sur  un 
Hyperoodon,  à  propos  d'un  animal  échoué  le  16  septem- 
bre 1840  sur  un  banc  de  sable  près  de  Zicriczee.  H.  Wesmael 
cherche  à  mettre  d'accord  les  divers  auteurs  qui  se  sont  occupés 
de  cet  animal.  On  a  fait  avant  lui  presque  autant  d'espèces 
qu'il  est  échoué  d'individus,  dit-il  avec  raison,  et  il  exprime 
l'opinion,  qu'il  n'y  a  qu'une  espèce  d'Hyperoodon,  à  laquelle 
il  conserve  le  nom  spécifique  de  rostratum,  proposé  par 
Pontoppidan. 

En  1845,  le  Dr  A.  Jacob  a  publié  à  Dublin  le  résultat  de  ses 
observations  anatomiques  et  zoologiques  sur  ce  même  animal. 

À  l'occasion  d'un  Hyperoodon  échoué  en  1846  à  Zantvoord, 
W.  Vrolik  publie,  en  1848,  un  mémoire  fort  intéressant  sur 
ce  Cétacé  et  ne  néglige  pas  d'étudier  l'animal  sous  le  rapport 
anatomique.  Le  savant  anatomiste  d'Amsterdam  passe  en 
revue  l'appareil  respiratoire,  digestif,  circulatoire,  sexuel 
femelle,  l'œil,  la  peau,  et  décrit  avec  soin  le  squelette  sans 
négliger  les  os  du  bassin.  Quinze  belles  planches  accompagnent 
ce  mémoire. 

Il  parle  avec  raison  du  temps,  de  l'argent  et  des  efforts  extra- 
ordinaires que  l'on  doit  faire  pour  obtenir  un  mince  résultat 
dans  l'étude  d'un  Cétacé. 

En  1849,  Eschricht  fait  paraître  ses  Nordischen  Walllhierc, 
et  consacre  un  chapitre  à  l'histoire  du  Cétacé  qui  nous  occupe. 
Nous  lisons  en  tête  de  ce  chapitre  :  «  Ueber  die  Schnabelwalle 
»  (Rhynchoceti,  die  Zahnlosen  Delphine,  Schlegels,  Hyperoo- 
y>  dontina,  Gray's)  im algemeinen  und  den  Entenwall {Chœtwcetus 
»  rostralus,  Hyperodon  rostratum,  auctorum)  im  besondern.  » 


(57) 

Il  expose  :  1°  ce  qui  est  connu  de  ces  animaux;  2*  leur 
répartition  aux  hautes  latitudes  et  la  connaissance  que  les 
habitants  de  ces  régions  avaient  d'eux;  3°  leurs  caractères 
extérieurs;  4°  leur  dentition;  S°  leur  cavité  de  la  bouche; 
6*  leur  estomac;  7°  leur  muqueuse  intestinale;  8°  leur  ostéo- 
logLe;  9°  leur  place  systématique  dans  l'ordre  des  Cétacés; 
10°  la  comparaison  de  ces  faits  avec  les  observations  des 
auteurs  les  plus  récents. 

Les  Rhynchoceti  ne  comprennent  que  deux  genres  :  Chœno- 
celus  ou  Hyperoodon,  et  Micropteron. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  les  Hyperoodons  depuis  Eschricht, 
mais,  à  l'exception  des  observations  sur  la  différence  des  sexes 
qu'Eschricht  soupçonnait,  nous  ne  trouvons  rien  de  bien 
important  à  ajouter.  On  a  été,  jusque  dans  ces  derniers  temps, 
dans  le  doute  sur  l'existence  d'une  seconde  ou  de  plusieurs 
espèces  de  ce  genre  dans  nos  mers.  On  avait  péché  un  Hyperoo- 
don avec  des  maxillaires  très  élevés  au  milieu  du  rostre  et  se 
joignant  même  sur  la  ligne  médiane;  Gray  lui  avait  donné  le 
nom  à? Hyperoodon  latifrons.  Eschricht  avait  émis  l'opinion  que 
cette  forme  extraordinaire  pouvait  bien  indiquer  le  mâle;  les 
individus  capturés  dont  on  avait  constaté  le  sexe  étaient  à  peu 
près  tous  femelles.  Eschricht  avait  raison,  comme  nous  le  ver- 
rons plus  loin. 

Un  médecin  islandais,  Haalland,  a  envoyé  à  Eschricht {  les 
principales  parties  du  corps  d'un  Hyperoodon  conservé  dans 
le  sel  et  dans  l'alcool,  et  lui  a  fait  part  de  plusieurs  observations 
intéressantes  faites  sur  deux  individus,  dont  un  fut  capturé. 

Eschricht  a  reconnu  que,  dans  la  description  qu'il  avait 
donnée  de  l'estomac,  il  avait  été  induit  en  erreur  par  la  mauvaise 
conservation  de  la  pièce  qu'il  avait  eue  d'abord  sous  les  yeux. 

Dans  le  fœtus,  l'estomac  présente  déjà  tous  les  caractères  de 
l'adulte. 

Le  professeur  Struthers  (1871)  a  publié  le  résultat  de  ses 
observations*  sur  les  muscles  des  doigts  d'un  Hyperoodon 
échoué  sur  les  côtes  d'Ecosse. 

«  Eschricht,  Nord.  Wallt.,  p.  26. 


(38) 

En  1882,  M.  W.  Flower  *  a  fait  connaître  un  crâne  d'Hyperoo- 
don,  trouvé  au  nord-ouest  de  l'Australie,  à  File  Lewis. 
Quoique  mutilé,  il  appartient  évidemment  à  ce  genre,  mais  il 
présente  des  caractères  assez  particuliers  pour  ne  pas  le  con- 
fondre avec  l'espèce  de  notre  hémisphère,  dit  M.  Flower,  qui  le 
désigne  sous  le  nom  &  Hyper  oodon  planifions. 

A  la  séance  du  19  décembre  de  cette  même  année,  M.  W. 
Flower  *  communiqua  une  note  dans  laquelle  il  fît  l'historique 
de  YHyperoodon  latifrons  proposé  par  Gray,  et  fit  connaître 
les  observations  de  David  Gray,  commandant  du  baleinier 
YÉclipse,  d'après  lequel  le  prétendu  Hyperoodon  latifrons  est 
tout  simplement,  comme  Eschricht  l'avait  soupçonné  depuis 
trente  ans,  un  Hyperoodon  ordinaire  du  sexe  mâle. 

Le  capitaine  de  YÉclipse  fait  connaître  en  même,  temps  les 
faits  les  plus  intéressants  sur  le  séjour  de  ce  Cétacé  à  Test  du 
Groenland. 

Au  mois  d'avril  1884,  H.  Southwell,  de  son  côté,  a  publié 
des  faits  d'une  grande  importance  sur  la  pêche  des  Hyperoo- 
dons. 

Le  Docteur-professeur  Gerstâcker  vient  de  publier  une 
monographie  du  squelette  des  Cétacés,  traitant  surtout  de 
YHyperoodon  rostratus.  Au  commencement  du  mois  de  février 
1877,  un  individu  est  venu  se  perdre  la  nuit  sur  un  banc  de 
sable  sur  les  côtes  de  la  Baltique. 

M.  Gerstâcker  étudie  d'abord  la  tête  et  s'étend  longuement 
sur  l'os  lacrymal,  que  P.  Gervais  a  bien  décrit,  dit-il  ;  il  étudie 
ensuite  la  colonne  vertébrale  et  consacre  un  chapitre  à  la 
région  cervicale,  un  autre  aux  vertèbres  dorsales,  aux  côtes  et 
au  sternum.  A  propos  des  os  lacrymaux,  il  fait  remarquer 
que,  contrairement  à  l'avis  de  Stannius  et  de  Flower,  ces  os 
existent  dans  les  genres  Delphinus,  Phocœna,  Lagenorhynchus, 

1  Flowir,  On  the  Cranium  of  a  new  $pecies  of  Hyperoodon...,  Pnoc. 
Zool.  Soc,  London,  1882. 

a  Flower,  On  (lie  W  liai  es  of  the  genus  Hyperoodon,  Paoc.  Zool.  Soc, 
dcc.  1882. 


(89) 

Tursiops  et  Globiceps,  comme  dans  les  Hyperoodons.  Il  s'étend 
ensuite  sur  les  rapports  morphologiques  des  côtes  et  des 
apophyses  transverses  des  vertèbres  dorsales. 

Après  avoir  passé  en  revue  les  autres  parties  du  squelette  et 
fait  remarquer  le  peu  de  développement  des  nageoires  pecto- 
rales, si  bien  exposées  par  Vrolik,  il  compare  la  colonne  ver- 
tébrale des  Cétacés  à  la  colonne  vertébrale  des  autres  ordres 
de  mammifères. 

Les  figures  qui  accompagnent  ce  travail  montrent  fort  bien 
la  différence  fondamentale  qui  existe  dès  l'origine  entre  les 
di apophyses  et  les  parapophyses.  Les  dernières  dorsales  des 
Hyperoodons  sont,  sous  ce  rapport,  très  instructives. 

SYNONYMIE. 

Delphinus  diodon.  Hunter. 
Hyperoodon  diodon.  Lacépède. 

—  rostratum,  Chemnitz. 

—  latifrons,  Gray. 


BuUkopf,  Entenwall,  des  Allemands. 
Dôgling,  des  habitants  de  Fàroër. 
Bottlenose  Whale,  des  Anglais. 
Andvhalar  ou  Andarnefia,  des  Islandais. 
Anarnak,  des  Groenlandais. 

Le  Dauphin  diodon  de  Lacépède  est  l'Hyperoodon  ;  on  lui 
a  donné  successivement  les  noms  de  Delphinus  diodon,  d'Eden- 
tulus,  de  Honodon,  d'Ancylodon,  d'Aodon,  d'Hétérodon  et 
d'Hyperdon;  celui  qui  lui  est  conservé,  Hyperoodon,  repose, 
comme  nous  l'avons  ditplus  haut,  sur  une  erreurd'observation. 

L'Hyperoodon  lalifrons  est  bien,  comme  Eschricht  l'avait 
montré,  basé  sur  un  crâne  de  mâle  :  il  avait  trouvé  déjà  des 
différences  sexuelles  semblables  dans  d'autres  Cétacés,  parmi 
lesquels  il  cite  le  Globiceps. 


(CO) 

VHyperoodon  semijunctus  de  Cope  est  un  Ziphius  caviros- 
tris  *. 

CARACTÈRES  ET  DESCRIPTION. 

Après  le  Cachalot,  c  est  la  plus  grande  espèce  de  Ziphioïde. 
On  la  reconnaît  facilement  à  ses  petites  nageoires  pectorales  et 
à  l'absence  presque  totale  de  dents  aux  deux  mâchoires.  Nous 
disons,  absence,  parce  que  les  deux,  ou  quelquefois  les  quatre 
dents  du  bout  du  maxillaire  inférieur,  ne  percent  que  faible- 
ment les  gencives. 

On  ne  peut  confondre  l'Hyperoodon  avec  aucun  autre 
Cétacé;  il  a  la  tête  tronquée  comme  le  Cachalot,  les  dents 
manquent  complètement  à  la  mâchoire  supérieure,  et,  à  la 
mâchoire  inférieure,  on  en  trouve,  tout  au  bout  antérieur,  une 
ou  deux  paires  assez  petites.  La  tête  osseuse  a  surtout  de  remar- 
quable, que  les  maxillaires  s'élèvent  verticalement  comme 
deux  ailes  qui  convergent  Tune  vers  l'autre  sur  la  ligne  médiane, 
et  qui,  chez  les  mâles,  se  touchent  au  milieu  du  rostre. 

Ils  ont  deux  sillons  sous  la  gorge.  Ces  sillons  sont  bien 
représentés  par  Gray,  planche  III,  d'Erebus  and  Terroi%;  Vrolik 
les  représente  aussi  dans  son  dessin. 

Blainville  les  a  signalé,  sous  le  menton  du  Micropteron. 

Le  capitaine  Scammon  a  reconnu  ces  mêmes  sillons,  même 
plus  prononcés,  dans  le  Rhachianectes  glaucus,  du  Pacitique. 

La  couleur  de  la  peau  varie  du  noir  au  jaune  pâle,  chez 
les  jeunes,  au  jaune  brun,  chez  les  adultes  ;  le  rostre  et  le  front 
deviennent  blanc  avec  l'âge,  et  on  voit  apparaître  une  bande 
blanche  autour  du  cou. 

La  coloration  est,  comme  dans  les  autres  cétacés,  plus 
claire  en  dessous  qu'en  dessus. 

La  graisse  renferme,  comme  celle  du  Cachalot,  une  cer- 
taine quantité  de  spermaceti  ou  blanc  de  Baleine  2. 

1  Fiied.  True,  A  note  upon  the  Hyperoodtm  semijunctus  ofCope.  Paoc. 
Un.  St.  nat.  Muséum,  1885. 
1  Elle  a  plus  de  valeur  commerciale  que  celle  des  autres  Cétacés. 


(61  ) 

La  colonne  vertébrale  n'a  que  quarante-cinq  vertèbres,  sept 
cervicales,  neuf  dorsales,  dix  lombaires  et  dix-neuf  caudal esr 

Les  cervicales  sont  réunies  comme  dans  les  vraies  Baleines. 

L'articulation  de  la  sixième  côte  est  fort  intéressante  ;  elle 
s'articule  encore  supérieurement,  à  l'arc  neural  et  à  l'apophyse 
transverse,  tandis  que  la  septième  ne  s'articule  plus  qu'avec 
l'apophyse  transverse,  comme  les  suivantes. 

On  compte,  dans  la  nageoire  pectorale,  une  phalange  au 
pouce,  cinq  à  l'index,  cinq  au  médian,  quatre  à  l'annulaire  et 
deux  au  petit  doigt. 

L'estomac  est  formé  de  sept  poches  qui  se  suivent;  il  y  en  à 
encore  plus  dans  le  Mésoplodon.  Je  trouve  dans  mes  notes  que 
cetestomac  existe  déjà  avec  les  mêmes  caractères  dans  le  fœtus. 
Eschricht  doutait  encore  s'il  existe  une  communication  directe 
entre  ces  chambres;  je  la  lui  ai  montrée  à  l'aide  d'un  stylet 
sur  un  fœtus  pendant  mon  séjour  à  Copenhague  en  1856. 

Le  professeur  John  Struthers  a  fait  connaître  les  muscles 
des  nageoires  pectorales  à  la  section  de  Zoologie  de  l'Associa- 
tion britannique  à  Aberdeen. 

L'Hyperoodon  a  au  moins  6  pieds  en  venant  au  monde  ;  les 
jeunes  qu'on  a  trouvés  en  compagnie  de  leur  mère  avaient  de  8 
à  16  pieds.  La  femelle  atteint  de  27  ù  28  pieds.  On  ne  sait  si  le 
mâle  devient  plus  grand. 

La  taille  des  individus  capturés  en  Europe  varie  entre  8  et 
28  Vs  pi^ds  :  les  individus  de  8  à  16  pieds  suivaient  encore 
leur  mère. 

David  Gray  accorde  30  pieds  à  l'adulte  et  10  pieds  au  jeune 
en  naissant.  Ce  dernier  chiffre  est  exagéré. 

On  a  donné  la  mesure  de  plusieurs  mâles  qui  ont  été  cap- 
turés :  un  à  Belfast  qui  avait  20  pieds,  un  autre  décrit  par  Dalè 
en  avait  21;  celui  décrit  par  Chemnitz  en  avait  25;  le  plus 
grand  est  celui  de  Dunkerque,  qui  mesurait  entre  27  et  28 
pieds. 

On  a  capturé  à  peu  près  autant  de  femelles;  leur  taille  varie 
de  14  à  28  pieds  et  demi.  La  femelle  décrite  par  Dale  (1717) 


(62) 

n'en  avait  que  14;  celle  de  Pontoppidan,  qui  était  pleine, 
portait  un  fœtus  de  6  pieds;  les  femelles  de  Honfleur  (1788).  de 
Baussard,  de  Portland,  de  Zandvoort,  avaient  de  23  à  24  pieds  ; 
une  seule,  celle  de  Seignasse,  en  avait  28  et  demi. 

Il  n'y  a  pas  d'observation  faisant  voir  que  les  mâles  sont 
plus  grands  que  les  femelles,  dit  Eschricht. 


MŒURS. 

L'Hyperoodon  vit  par  petites  bandes  ;  lorsqu'on  a  commencé 
à  le  poursuivre,  il  était  confiant  d'abord,  mais  il  est  devenu 
craintif  et  méfiant. 

Aujourd'hui  on  a  quelque  peine  à  l'approcher.  Le  moindre 
bruit  le  met  en  fuite.  Les  pécheurs  des  Fâroër  savent  que,  pour 
atteindre  l'animal,  ils  doivent  placer  leurs  ganls  de  laine  entre 
la  rame  et  le  canot  sur  lequel  elle  s'appuie. 

Si  Ton  en  juge  par  les  individus  qui  sont  venus  se  perdre  sur 
les  côtes  et  qui  sont  ordinairement  deux,  il  y  a  lieu  de  croire 
que  les  Hyperoodons  sont  monogames. 

On  voit  parfois  aussi  un  jeune  mâle  avec  une  femelle  et  un 
vieux  mâle. 

On  observe  dans  les  eaux  de  Spitzberg  que  les  Hyperoodons 
fréquentent  la  mer  ouverte  le  long  des  glaces,  en  petites 
gammes  de  4  à  10  individus,  ayant  un  vieux  mâle  comme 
leader. 

La  pâture  des  Hyperoodons  consiste  principalement  en 
Céphalopodes.  On  connaît  le  contenu  de  l'estomac  de  l'animal 
ouvert  par  Hunter,  par  Baussard,  par  Vrolik,  et  ce  dernier 
estime  le  nombre  de  becs  trouvés  dans  un  seul  animal  à  dix 
mille  ;  il  y  en  a  parfois  non  seulement  dans  l'estomac,  mais  aussi 
dans  le  commencement  de  l'intestin.  La  fin  de  l'intestin  n'en 
renferme  pas.  En  1841  Eschricht  a  signalé,  d'après  Haalland, 
dans  leur  estomac,  des  becs  de  Céphalopodes  qu'il  rapporte  à 
YOnichoteuthis  Fabiicii,  à  une  Sépia,  à  un  Loligo,  des  restes  de 
poisson  et  une  Holothurie. 


(  63) 

Ils  trouvent  ces  nombreux  mollusques  surtout  dans  les 
grandes  profondeurs. 

L'estomac  d'une  mère  capturée  en  septembre  1788  à  l'em- 
bouchure de  la  Seine  ne  contenait  que  des  becs  de  Céphalo- 
podes ;  le  jeune  n'avait  dans  son  estomac  que  de  l'eau  blan- 
châtre. 

L'individu  de  24  pieds,  capturé  en  septembre  1880  près  de 
Bangor,  ainsi  que  la  femelle  capturée  en  novembre  1880  sur  la 
côte  de  Kent,  avaient  également  l'estomac  plein  de  becs  de 
Céphalopodes. 

On  n'a  trouvé  dans  l'estomac  d'un  autre  individu  capturé 
que  des  morceaux  de  bois  et  des  cailloux  de  la  grosseur  d'une 
grosse  poire. 

Des  baleiniers  prétendent  que  cet  animal  peut  rester  deux 
heures  sous  l'eau. 

Il  beugle  d'une  manière  effrayante  s'il  échoue. 

On  a  souvent  parlé  de  l'odeur  infecte  du  cadavre  des  Cétacés 
en  général.  Eschricht  m'écrivait  en  mars  1861  :  je  ne  conçois 
pas  comment  tous  les  observateurs  se  plaignent  de  l'odeur 
infecte  d'un  cadavre  de  Cétacé.  Celui-ci  (un  Hyperoodon)  était 
mort  depuis  trois  mois;  mais  exviscéré,  il  ne  puait  pas  beau- 
coup. U  est  vrai  que  c'était  en  plein  hiver. 

On  prétend  que  le  lard  de  ce  Cétacé  est  purgatif  '. 


DISTRIBUTION  HYDROGRAPHIQUE. 

L'Hyperoodon  semble  se  tenir  pendant  l'été  dans  les  mers 
arctiques,  où  il  vit  par  petites  bandes,  et  en  haute  mer.  En 
automne  il  se  rend  au  sud  en  passant,  ou  sur  les  côtes 
dislande,  ou  sur  les  côtes  de  Fâroêr  où  il  arrive  à  peu  près  a 
époque  fixe.  Dans  cette  dernière  île,  il  est  même  l'objet  d'une 
pèche  régulière  ;  on  en  prend  tous  les  ans  vers  la  fin  d'octobre 
cinq  ou  six,  et  chose  curieuse,  ce  sont  toujours  des  femelles. 

1  MALMGitin,  TroschcVs  Archiv.,  1864,  p.  92. 


f  64  ) 

En  1886,  le  commandant  de  V Éclipse  part  pour  la  pèche 
dans  la  Mer  de  Baffin;  il  quitte  Peterhead  (Ecosse)  le  20  avril 
et  à  cent  milles  des  côtes  il  rencontre  plusieurs  Schools  d'Hype- 
roodons;  quatre  jours  après  il  en  rencontre  encore  et  entre 
autres  un  Orque,  très  reconnaissable,  dit-il,  à  sa  nageoire 
dorsale,  du  moins  le  mâle.  Le  26,  le  27,  il  voit  de  nouveau 
l'Hyperoodon,  et  il  apperçoitle  même  Cétacé  jusqu'au  dernier 
jour  en  approchant  des  glaces  *.  Ces  Hypcroodons  se  rendent 
sans  doute  à  cette  époque  de  Tannée  dans  leur  quartier  d'été, 
comme  plusieurs  autres  Cétacés. 

On  peut  considérer  les  profondeurs  de  l'Atlantique  septen- 
trionale, de  janvier  à  mars,  comme  station  d'hiver  des  Hype- 
roodons,  dit  Eschricht.  Cependant  ils  seraient  très  rares  sur 
les  côtes  ouest  d'Islande,  dit  Haalland,  et,  d'après  Holbôll,  ils 
le  seraient  également  sur  la  côte  ouest  de  Groenland.  Ils  sont 
sans  doute  rares  à  la  latitude  à  laquel  le  Holbôll  avait  sa  résidence, 
mais,  à  l'époque  où  Holbôll  gouvernait  ce  pays,  les  baleiniers 
ne  croyaient  pas  les  Hyperoodons  assez  importants  pour  leur 
faire  la  chasse;  ils  étaient  confondus  avec  les  autres  espèces 
qui  ne  donnent  aucun  profit. 

On  voit  les  Hyperoodons  dans  le  détroit  de  Davis,  jusqu'au 
70e  degré  latitude  nord,  dans  le  détroit  de  Hudson,  et  dans  la 
baie  de  Cumberland. 

On  le  voit  aussi  autour  du  cap  Farewcll,  autour  de  l'Islande, 
de  Jan  Meyen,  jusqu'au  77e  degré  autour  de  Beereneiland,  et 
jusqu'à  la  Nouvelle-Zemble. 

Ils  fréquentent  la  mer  ouverte  dans  ces  régions,  le  long  des 
glaces,  en  petites  gammes  de  4  à  40  individus. 

Fréd.  Martens  cite  l'Hyperoodon,  sous  le  nom  de  Butskop, 
parmi  les  Cétacés  observés  au  Spitzberg. 

Chemnitz,  de  même,  a  reconnu  les  Hyperoodons  à  la  hauteur 
de  Spitzberg  à  la  fin  de  l'été  en  1777. 

Malmgren  a  fait  l'observation  que  l'Hyperoodon  ne  se  trouve 
plus  dans  les  eaux  dont  la  température  descend  au-dessous 

*  Rob.  Grat,  The  Zoologtst,  fév.  4887. 


(65) 


de  —  3°;  il  en  a  vu  en  allant  et  en  revenant  du  Spilzberg,  mais 

seulement  dans  les  eaux  d'azur  chauffées  par  le  Gulfstream.  ^ 

A  son  retour  du  Spitzberg,  il  en  a  vu  reparaître  le  14  sep- 
tembre sous  la  latitude  de  78°  nord. 

Nous  connaissons  quelques  exemples  d'Hypéroodons  perdus 
sur  les  côtes  de  Danemark,  de  Norvège  et  de  Suède.  Ponlop- 
pidan  cite  deux  échouements  sur  les  côtes  de  Norvège  ;  nous  en 
avons  parlé  plus  haut. 

Le  14  novembre  1838,  quatre  individus  périssent  sur  les 
mêmes  eûtes,  deux  vieux,  l'un  de  24,  l'autre  de  27  pieds,  et 
deux  jeunes,  chacun  de  8  pieds. 

Dans  le  courant  du  mois  d'août  1846,  dans  l'intervalle  de 
quelques  jours,  il  en  vient  deux  à  la  côte  dans  la  baie  de  Chris- 
tiania, près  de  Frederichsladt. 

Vers  la  fin  du  mois  d'octobre  1860,  une  petite  school  de 
cinq  individus  est  venue  se  perdre  sur  la  côte  de  Jutland  (Dane- 
mark), après  un  très  gros  temps.  Parmi  eux  se  trouvait  un 
nouveau-né  qui  a  été  malheureusement  massacré,  m'écrivait 
Eschricht.  Je  me  suis  rendu  sur  les  lieux,  dit-il  dans  une  lettre 
du  38  novembre  1860,  mais  il  était  trop  tard  pour  étudier  le 
nouveau-né,  les  débris  en  étaient  dispersés  *. 

En  avril  1881,  un  Hypéroodon  mâle  a  échoué  aux  îles 
Loffbden;  son  crâne  est  conservé  au  Musée  de  Christiania. 

En  draguant  dans  la  mer  du  Nord,  sur  le  great  Fischer  Bank, 
on  a  recueilli  la  tête  d'un  mâle  adulte.  Elle  est  déposée  à  Nor- 
wich.  Nous  avons  fait  connaître  une  tête  de  Balœnoptera 
rostrata  recueillie  dans  les  mêmes  conditions,  également  dans 
la  mer  du  Nord. 

'  Voici  comment  Eschricht  s'exprimait  à  ce  sujf  t  en  français  : 
«  L'orage  qui  a  jeté  au  mois  d'octobre  une  masse  de  navires  sur  nos  côtes 
parait  maintenant  élerdre  ses  effets  aux  Hypéroodons.  Il  n'y  en  a  pas  moins 
de  cinq  qui  viennent  d'échouer  sur  nos  cotes.  Ce  qui  m'a  fait  le  plus  de  peine, 
cVst  qu'un  nouveau-né  se  trouvait  parmi  eux  et  qu'il  a  été  complètement 
massacré  par  ces  .-..  Je  vit  ns  de  donner  ordre  qu'on  m'envoie  les  viscères 
qui  sont  enterrés  ».  (Lettre  du  9  mars  1861.) 

Tome  XL!.  5 


, 


(06) 

L'Hypéroodon  pénètre  parfois  dans  la  Baltique.  Le 
3  décembre  1801,  un  individu  de  sexe  femelle  se  fait  capturer 
dans  la  baie  de  Kiel.  Le  squelette  est  conservé  au  Musée  de 
l'École  vétérinaire  de  Copenhague.  L'animal  a  été  figuré  dans 
Voigt  '. 

Un  autre  individu  a  échoué  en  1807  sur  la  côte  de  Holstein. 
Il  a  été  acheté  par  le  professeur  Viborg  de  Kiel. 

En  avril  1823,  un  Hyperoodon  s'est  perdu  près  de  Lands- 
krona  (Oresund)  dit  Nilsson  *. 

Dans  la  nuit  du  11  février  1877,  un  Hyperoodon  est  venu  se 
perdre  sur  un  banc  de  sable  au  fond  de  la  Baltique  (presqu'île 
der  Zingst,  30°  40'  long.  54°  28'  lat.).  Les  os  sont  conservés  à 
Greifswald.  Le  professeur  Môbius  fait  mention  de  cette  capture. 

Un  autre  est  venu  à  la  côte  à  l'ouest  de  Rûgen,  en  188 

Les  côtes  des  lies  Britanniques  nous  en  fournissent  aussi 
plusieurs  exemples  : 

Deux  Hypéroodons  sont  capturés  sur  les  côtes  d'Angleterre, 
au  commencement  du  siècle  dernier;  Dale,  comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut,  en  fait  mention  dans  un  appendice  de  là 
Topographie  de  Harwich  en  1730  et  Dover-court;  l'un  était 
du  sexe  femelle,  dit  Dale;  il  avait  14  pieds;  il  a  été  capturé  le 
23  septembre  1717.  L'autre,  pris  à  quelques  jours  de  distance, 
avait  21  pieds.  Dale  croit  le  dernier  un  mâle. 

Jacob  et  William  Thompson  ont  connu  Péchouement  de  seize 
Hypéroodons,  dont  neuf  sur  les  côtes  d'Irlande,  deux  sur  les 
côtes  d'Angleterre,  un  dans  le  Firth  of  Forth. 

En  1783,  un  animal  de  21  pieds  fut  capturé  dans  la  Tamise. 

On  fait  mention  de  plusieurs  individus  trouvés  isolés  sur 
les  côtes  d'Angleterre,  dont  un  sur  les  côtes  d'Essex  (23  sep- 
tembre 1817). 

On  cite  un  animal  de  16  pieds,  un  jeune  par  conséquent, 
qui  a  été  capturé  au  printemps  de  1829  près  de  Dublin  et  dési- 
gné sous  le  nom  de  Delphinus  diodon  3. 

r  Fréd.  Ce v icr,  Histoire  naturelle  des  Cétacés,  p.  â-44. 

*  Nills  Nilsson,  Skandinavisk  Fauna,  Lund,  1885. 

5  R.-J.  Graves,  Trans.  roy.  irish.  Acad.  Dublin,  1825.  Isis,!828,  p.  51. 


(67) 

Une  vieille  femelle  de  24  pieds  et  une  jeune  de  16  pieds 
8  pouces  ont  échoué  au  commencement  du  mois  d'octobre 
(1845?),  in  Portland  Roads. 

Dans  la  baie  de  Belfast,  un  Hypérôodon  a  été  capturé  en 
septembre  1857  '. 

Une  mère  et  son  jeune  ont  été  capturés  le  18  novembre  1860 
a  l'embouchure  de  la  Tamise,  à  Whitstable  (Kent)  '.  Ils  avaient 
.une  grande  quantité  de  becs  de  Poulpes  dans  l'estomac. 

On  a  vu  un  individu  échouer  vivant,  à  Fraserburg,  Aber- 
deenshire  coast,  le  17  août  1871.  Il  avait  20  pieds  de  longueur 
/Slruthers). 

Le  16  septembre,  dans  la  baie  de  Ballybolm,  près  de  Bangor, 
un  individu  de  24  pieds  est  venu  à  la  côte.  ~ 

A  l'Association  britannique  d'Edimbourg,  le  professeur 
Struthcrs  a  fait  mention  d'un  mâle  de  20  pieds,  venu  à  la  cote, 
et  qu'il  a  eu  l'occasion  de  disséquer. 

Un  jeune  mâle  a  été  capturé  en  novembre  1885  à  Dunbar, 
côtes  d'Ecosse.  11  avait  des  dents  rudimentaires  au  maxillaire 
supérieur  et  inférieur3. 

Plusieurs  échouements  ont  eu  lieu  sur  les  côtes  de  Belgique 
et  des  Pays-Bas  :  en  1783,  un  individu,  décrit  par  Pierre 
Camper,  dont  le  crâne  est  conservé  à  Saardam,  est  venu  se 
perdre  sur  les  côtes  de  Hollande. 

En  septembre  1840,  un  individu  a  échoué  près  de  Ziericzee; 
il  a  été  décrit  et  figuré  par  Wesmael. 

Un  autre,  de  sexe  femelle,  comme  le  précédent,  est  venu  à  la 
côte  à  Zantvoort,  le  24  juillet  1846.  Il  a  été  décrit  par  Vrolik. 

Un  autre  est  venu  se  perdre  dans  PEscaut,  en  1873;  son 
squelette  est  conservé  à  Liège. 

Une  femelle  de  7m,90  est  allé  mourir  à  l'île  Jçxel,  le 
15  novembre  1884. 


*  Procecd.  Dublin  univers.  Zoot.  and  Bot.  Association,  vol.  I,  part.  1,  p.  4. 

*  Proc( éd. Zool .Soc  A 860,  p. 375  —  Iltmtraled neu 8, \ 8 novemîire  1  tfflO. 
5  Prof.  TtRSER.  Royal  physical  Soiiely>  January  20,1886. ,   • 


(68) 

Plusieurs  Hypéroodons  sont  venus  échouer  sur  les  côtes 
océaniques  de  France. 

On  y  a  constaté  huit  fois  des  échouements  d'Hypéroodon, 
dit  le  Dr  Fischer  en  1881. 

On  en  cite  un  exemple  au  siècle  dernier.  Le  19  sep- 
tembre 1788,  une  mère  et  son  petit  furent  pris  à  Honfleur,  à 
l'embouchure  de  la  Seine;  le  petit  avait  12  pieds,  la  mère,  23. 
L'estomac  du  petit  ne  contenait  que  de  l'eau  blanchâtre;  la 
mère  avait  des  becs  de  Céphalopodes  dans  le  sien  '. 

Un  autre  a  péri,  le  12  octobre  1810,  sur  les  cotes  de  la 
Gironde  (Bassin  d'Arcachon)  *;  c'est  le  point  le  plus  méri- 
dional à  l'est  de  l'Atlantique,  visité  par  cette  espèce. 

Sur  te  plage  de  Lagraner,  près  de  Caen,  il  en  est  échoué  un 
autre  encore  en  1840. 

Eudes  Deslongchamps  fait  connaître  la  perte  d'un  animal 
sur  la  côte  de  Normandie,  en  1842.  Son  squelette  est  à  Paris. 

Vers  le  17  ou  le  18  décembre  1879,  une  femelle  est  venue 
échouer  vivante  à  Hillian  (Côtes-du-Nord),  dans  le  voisinage  de 
Saint-Brieuc.  Le  squelette  est  au  Musée  de  l'Université  de 
Liège.  Il  est  fort  incomplet.  L'animal  se  débattait  en  beuglant, 
disaient  les  habitants  de  la  côte  qui  avaient  entendu  un  bruit 
insolite  pendant  la  nuit. 

Le  26  septembre  1880,  une  femelle,  accompagnée  de  son 
jeune,  a  été  capturée  à  Aiguës-Mortes  (Gard)  et  une  partie  du 
squelette  avec  le  crâne  du  jeune  sont  au  Muséum  à  Paris;  ils 
moururent,  peu  de  temps  après  leur  prise;  la  mère,  poussait 
des  mugissements,  disent  les  témoins  de  cette  scène  3. 

Le  28  juin  1884,  une  femelle  de  9m,50  a  échoué  à  Seignasse, 
près  du  cap  Breton.  Le  squelette  est  au  Muséum  à  Paris. 


1  Bais8\rd.  Mémoire  sur  deux  Cétacés  échoués  vers  Honfleur,  Jourxal  de 
physique,  1780,  p.  201. 

'  Bull  polym.tlu  Muséum  d'instruction  publ.  de  Bordeaux%ûécemhre  1810. 
Fbed.  Cuvier,  Hisl  nnl.  Cet ,  p.  217.  Barguet,  Acl.  Soc.  iinn.,  Bordeaux, 
t.  XIIMfte. 

*  CuWhwt*  Bulletin  So*.  d'étude  des  Se.  nat.  de  Srt  hm,  Janvier  1881- 


(  69) 

Depuis  lors,  MM.  Pouchet  «l  Beauregard  ont  fait  connaître 
un  Hypéroodon,  échoué  à  Rosendael,  près  de  Dunkerque, 
le  24  juillet  1885.  Il  portait  des  harpons  dans  les  flancs.  Le 
cadavre  a  été  acheté  pour  l'huile,  et  le  squelette  en  est  perdu. 

Le  19  août  1886,  quatre  Hypéroodons  ont  fait  leur  appari- 
tion à  Saint-Vaast-la-Hougue.  Deux  ont  été  capturés.  Tous 
les  deux  sont  femelles.  Une  d'elles  a  expulsé  un  fœtus  pendant 
qu'elle  était  étendue  sur  la  grève.  II  est  conservé. 

Jusqu'à  présent  on  n'a  vu  qu'un  Hypéroodon  pénétrer  dans 
la  Méditerranée.  Il  existe,  il  est  vrai,  un  squelette  au  Musée 
d'Alexandrie,  mais  il  est  possible  qu'il  provienne  de  l'Atlantique. 

L'Hypéroodon  de  F.  CuvieH,  échoué  sur  les  côtes  de  Toscane, 
en  1835,  s'il  a  50  pieds  de  long,  n'est  évidemment  pas  un 
Hypéroodon,  c'est  plutôt  un  Cachalot.  Le  seul  Hypéroodon 
connu  de  la  Méditerranée  est  celui  d'Aigues-Mortes. 

Cet  animal  est  également  connu  de  l'autre  côté  de  l'Atlan- 
tique : 

On  en  a  vu  venir  à  la  côte  en  hiver  (janvier  1869)  à  l'est  des 
Etats-Unis  d'Amérique  (à  Nort  Dennis)  et  M.  Allen,  fait  remar- 
quer que  les  Hypéroodons  arrivent  parfois  par  bandes,  en 
automne,  dans  les  baies  de  Massachusets  2. 

Reinhardt  fait  observer  qu'un  Hypéroodon  a  échoué  sur  la 
côte  des  États-Unis  d'Amérique,  sous  le  nom  de  Mesoplodon 
Sowerbyi. 

On  a  capturé  un  Hypéroodon  dans  le  port  de  Newport  (États- 
Unis),  qui  mesurait  27  pieds.  Un  second  a  échappé.  Les  os  sont 
conservés. 

Un  autre  a  été  pris  au  cap  Cod,  de  24  pieds  de  longueur. 

M.  Cope  reproduit  le  dessin  d'un  individu  capturé  sur  la 
côte  de  Mode  Island. 

En  faisant  le  relevé  de  la  date  à  laquelle  des  individus  ont 
échoué,  nous  n'en  trouvons  qu'un  en  été  (24  juillet,  Hollande); 
quatre  en  septembre  (Essex,  Belfast,  Escaut  et  embouchure 


*  F.  Cgvier,  CéLt  p.  386. 

*  Somelimes  corne  into  ourbay  in  large  schools.  Allen,  Mamm.  Massachus. 


(  70) 

delà  Seine);  deux  en  octobre  (Danemark  et  Portland  roadi; 
un  en  octobre  (Arcachon);  un  en  novembre  (dans  l'Escaut,  et 
le  môme  mois  1838,  à  l'entrée  du  Petit-Belt);  un  en  décembre 
dans  la  Baltique  (Kieler  Buchl)  ;  un  en  février  (dans  la  Baltique, 
cotes  de  Holstein);  un  en  avril  (côtes  de  Landskrone). 

Dans  le  courant  de  1882,  M.  W.  Flower  a  fait  connaître  une 
espèce  nouvelle  de  ce  genre  sous  le  nom  de  Hyperoodon  plani- 
fions, habitant  les  mers  australiennes,  et  qui  est  parfaitement 
distincte  de  YHyperoodon  rostralam.  Le  savant  directeur  du 
British  Muséum  a  publié  le  dessin  de  la  tête,  qui  est  déposée 
dans  ce  riche  Musée  !.  C'est  bien  le  représentant  de  notre 
Hyperoodon  dans  les  mers  australes. 

C'est  le  seul  genre  de  la  famille  des  Ziphioïdes  dont  une 
espèce  est  confinée  dans  l'hémisphère  boréal. 


PÈCHE. 

Depuis  peu,  on  a  reconnu  que  les  Hypéroodons,  sans  doute 
comme  tous  les  Ziphioïdes,  fournissent  du  blanc  de  baleine,  et 
on  leur  fait  aujourd'hui  une  chasse  très  active  sur  les  côtes  est 
de  Groenland,  comme  sur  les  côtes  d'Islande. 

Un  baleinier  de  Peterhead,  après  avoir  fait  la  pêche  de  la 
Baleine,  s'est  mis  en  1877  à  faire  la  chasse  à  l'Hypéroodon  sur 
la  côte  nord-est  d'Islande,  et  le  succès  semble  avoir  couronné 
complètement  son  entreprise. 

En  quelques  années  cette  nouvelle  pêche  a  pris  d'énormes 
proportions;  elle  a  eu  un  bon  résultat,  non  seulement  au  point 
de  vue  industriel,  mais  également  au  point  de  vue  d?  la  zoologie  ; 
celui  qui  l'a  entreprise  a  été  à  même  de  trancher  une  question 
qui  tenait  les  zoologistes  en  suspens.  L'Hypéroodon  auquel  on 
avait  donné  le  nom  spécifique  de  latifrons,  à  cause  de 
l'énorme  développement  de  ses  crêtes  sus-maxillaires,  forme- 


1  Flower,  Cf  the  cranium  of  a  new  species  of  Hyperoodon  (planifiions  ) 
Prdc.  Zool.  Soc,  may  2, 1882. 


(71  ) 

t  il  une  espèce  distincte,  ou,  comme  Eschricht  l'avait  dit,  est-il 
le  mâle  de  YHyperoodon  rostratum9. 

Les  nombreux  individus  de  tout  âge  et  de  tout  sexe  péchés 
dans  les  mêmes  parages  et  dont  le  capitaine  Chieftain  de 
Kerkealdy  avait  eu  soin  de  distinguer  les  sexes,  ont  permis  de 
trancher  la  question  dans  le  sens  du  savant  cétologue  de 
Copenhague. 

En  1880,  le  capitaine  David  Gray  ',  commandant  de 
Y  Éclipse  (Whaling  steamer),  harponna  trente-deux  individus 
et  fit  connaître  les  lieux  où  se  tiennent  principalement  ces 
Cétacés  :  c'est,  d'après  lui,  à  l'ouest  et  à  l'est  du  Groenland. 
Il  cite  particulièrement  Hudson-Bay  et  le  détroit  de  Davis 
jusqu'au  70°  nord;  autour  et  à  l'est  de  Farewell,  autour 
d'Islande,  les  côtes  est  du  Groenland  jusqu'au  77°  nord,  à 
l'ouest  de  Spitzberg,  à  l'est  de  l'Ile  des  Ours,  à  la  latitude  73° 
et  longitude  19°  est,  Strait-Belle-Isle,  à  l'ouest  et  à  l'est  de  la 
Nouvelle-Zemble. 

En  1881,  les  baleiniers  écossais  seuls  en  prirent  cent  et  onze, 
et  en  1882  on  a  commencé  la  pêche  aux  Frobisher-Strait,  où 
le  capitaine  Chieftain  de  Kerkealdy  en  captura  vingt-huit. 

Pendant  une  seule  campagne  on  en  a  pris  jusqu'à  quatre 
cent  soixante-trois. 

Le  27  avril  on  avait  capturé  le  premier  animal,  et  au  mois  de 
juin  on  fut  obligé  de  jeter  du  charbon  pour  faire  de  la  place  à 
bord. 

Un  seul  baleinier  en  a  capturé,  pendant  les  mois  de  mai  et 
de  juin,  deux  cent  et  trois  individus,  dont  nonante-six  mâles 
adultes,  cinquante-six  femelles  et  cinquante  et  un  jeunes  mâles. 

En  1883,  onze  navires  ont  pris  cinq  cent  trente-cinq  Hypé- 
roodons,  dont  cent  cinquante-sept  par  YÉclipse  seul. 

En  1884,  le  principal  navire  n'en  a  plus  capturé  que  cin- 
quante-six. 

La  même  année  (1884),  deux  schooners  de  Yardô,  Haabet 
Company,  se  livrent  à  la  pêche  de  l'Hypéroodon,  en  se  rendant 

1  David  Gray.  Proc.  Zoo'..  Soc,  1883,  p.  726. 


(72) 

dans  la  direction  de  l'Islande  et  capturent  à  la  fin  de  la  saison 
neuf  individus,  produisant  neuf  ou  dix  tonnes  de  lard. 
Cette  pêche  sera  rapidement  arrivée  à  son  déclin. 

MUSÉES. 

Si,  à  Tépoque  où  Cuvier  a  écrit  ses  Recherches  sur  les  osse- 
ments fossiles,  il  n'existait  pas  un  squelette  d'Hypéroodon  au 
Muséum  de  Paris,  il  n'en  est  plus  de  même  aujourd'hui  :  on 
en  trouve  maintenant  dans  la  plupart  des  musées. 

En  effet,  nous  en  voyons  à  Amsterdam,  à  Belfast;  à  Berlin 
un  squelette  des  Feroë;  à  Bruxelles,  d'un  animal  capturé  dans 
l'Escaut  en  1840;  à  Caen,  des  individus  mâle  et  femelle  qui  ont 
échoué  sur  la  côte  de  Calvados;  à  Cambridge,  au  Musée  de 
l'Université;  à  Christiania,  à  Copenhague  on  en  voit  plusieurs 
squelettes  des  deux  sexes,  provenant  des  Feroë;  à  Edimbourg, 
à  Groningue,  à  Hambourg,  à  Hull,  à  Leide,  à  Lille,  également 
des  Feroë;  à  Liège  des  ossements  des  côtes  de  France  (Hillion) 
et  un  squelette  d'un  animal  de  l'Escaut;  à  Liverpool,  à  Londres, 
au  Collège  royal  des  chirurgiens;  au  British  Muséum,  la  tête 
du  mâle  des  Iles  Orcades;  à  Louvain,  à  Lund,  à  Oxford;  à  Paris, 
le  squelette  de  Solenelles  de  l'embouchure  de  l'Orne,  et  à 
Stuttgardt,  un  squelette  de  Shetland. 

DESSINS. 

Il  y  a  peu  de  Cétacés  qui  ont  été  aussi  souvent  figurés,  et  il 
n'y  en  a  pas  de  plus  facilement  reconnaissables  que  celui  qui 
nous  occupe;  et,  ce  qui  est  plus  extraordinaire,  c'est  qu'un  des 
plus  anciens  dessins,  celui  de  Hunter,  compte  encore  aujour- 
d'hui parmi  les  meilleurs. 

Thom.  Pennant  (1776)  publie  un  dessin  de  l'animal,  tout 
en  le  plaçant  parmi  les  poissons,  avec  le  Cachalot  et  les  Dau- 
phins. 

Lacépède  en  donne  le  dessin,  planche  13,  figure  3. 


(73) 

11  en  existe  une  figure  coloriée  par  Voigt,  d'après  un  indi- 
vidu femelle  pris  dans  la  baie  de  Kiel  en  décembre  1801. 

Fréd.  Cuvier  '  en  a  publié  aussi  une  figure.  PI.  XVII,  fig.  1. 

On  en  trouve  également  une  dans  Krauss  *,  pi.  XLII,  fig.  1. 

Ulllustrated  News,  le  17  novembre  1860,  a  publié  un  dessin, 
d'après  ranimai  échoué  sur  la  côte  de  Kent. 

Comme  nous  venons  de  le  dire,  Hunter  a  publié  un  très  bon 
dessin  de  l'animal.  L'Hypéroodon  a  été  figuré  également  par 
Dael,  Pontoppidan,  Wesmael,  Vrolik,  Otto  Torell,  Gray. 

Wesmael  représente  l'animal  en  chair,  mais  ne  figure  pas  les 
sillons  sous  la  gorge. 

Vrolik  donne  un  fort  bon  dessin  et  reproduit  les  sillons. 

Une  des  bonnes  figures  est  celle  de  Gray  dans  Erebus  and 
Terror,  qui  reproduit  également  fort  bien  les  sillons. 

Une  autre  bonne  figure  se  trouve  dans  l'expédition  suédoise 
au  Spitzberg  en  1831  sous  la  direction  de  Otto  Torell.  Malm- 
gren  faisait  partie  de  cette  expédition. 

M.  Cope  figure  l'Hypéroodon  qui  a  été  capturé  sur  la  côte  de 
Rhode  Island. 

Il  existe,  avons-nous  vu  plus  haut,  de  très  grandes  différences 
dans  la  tête,  surtout  entre  les  mâles  et  les  femelles.  Les  meil- 
leures figures  du  mâle,  pour  ne  pas  dire  les  seules,  sont  celles 
du  capitaine  David  Gray,  qui  a  observé  lui-même  les  individus 
de  différents  sexes  en  chair. 

Les  diverses  parties  du  squelette  ont  été  dessinées  avec  plus 
ou  moins  de  soin  :  en  1783  Pierre  Camper  reçoit  une  tête 
d'un  marchand  de  Saardam,  qui  était  encore  intéressé  dans  la 
pêche  de  la  Baleine  au  Spitzberg,  et  la  fait  figurer  dans  son 
ouvrage  posthume,  publié  par  son  fils  avec  des  notes  de 
Cuvier. 

Pander  et  d'Alton  ont  figuré  également  une  tête  d'Hypé- 
roodon. 


•  Fréd.  Cuvier,  Histoire  natur.  des  Cétacés,  pi.  XVII,  fig.  1. 

•  Fréd.  krauss,  Das  Thierreich  in  Bildern,  1851,  pi.  XLII,  fl«.  1. 


(74) 

Gray  représente  la  tête  du  mâle  dans  Erebus  and  Terror. 

Eschricht  a  fait  reproduire  la  tête  du  mâle,  vue  sous  ses  trois 
faces,  et  celle  de  la  femelle;  il  a  fait  dessiner  aussi  le  fœtus  et 
son  squelette,  de  grandeur  naturelle. 

Vrolik  reproduit,  indépendamment  de  Tan i mal,  le  squelette 
et  les  principaux  viscères  (estomac,  trachée-artère,  cœur,  intes- 
tins et  appareil  sexuel  femelle). 

Les  planches  XVIII  et  XIX  de  notre  Ostéographie  représentent 
le  squelette  et  les  crânes  des  deux  sexes. 


PARASITES. 

L'Hypéroodon  héberge  généralement  des  parasites  et  des 
commensaux. 

Il  nourrit  régulièrement,  parait-il,  YÉchinorhynchiis  tuv- 
binella  dans  les  intestins  *. 

Krabbe  y  a  trouvé  Y  Ascaris  simplex. 

Blainville  fait  mention  du  Monostomum  delphim. 

Haaland  a  trouvé  dans  l'estomac,  des  Nématodes  qui  lui 
paraissent  être  des  Strongles. 

Haalland  a  ouvert  aussi  les  poumons  pour  voir  s'ils  ne  con- 
tenaient pas  des  vers  parasites.  Il  n'a  rien  trouvé. 

Parmi  les  commensaux  se  trouve  le  Cgamus  Thompsoni 
Gosse,  qui  s'établit  sur  la  tête  et  s'y  propage  avec  une  abon- 
dance extraordinaire.  Nous  avons  reçu,  de  notre  ami  M.  Flower, 
la  photographie  d'un  morceau  de  peau  de  la  tête,  sur  laquelle 
les  Cyames  sont  si  serrés  les  uns  contre  les  autres,  que 
l'on  dirait  une  peau  de  chagrin.  Ils  ont  été  recueillis  sur  une 
femelle,  capturée  en  1883,  probablement  dans  la  mer  de 
Baffin. 


1  Dibsikg,  Stj8l.  helm.,  vol.  II,  p  54. 


(  75  ) 

Ce  Crustacé  a  été  décrit  par  Gosse  en  1835  ',  et  le  professeur 
Lùtken  fait  du  Cyamus  Thompsoni  de  Gosse,  le  Platycyamus 
Thompsoni  a. 

Ce  Célacé  héberge  également  la  Penella  crassicornis,  Stp.  et 
Lutk. 

On  a  trouvé  encore  comme  commensal  le  Conchoderma{otion) 
Cuvieriij  qui  semble  hanter  indistinctement  la  coque  des 
navires  ou  le  corps  de  certains  Cétacés. 


1  Gosse,  On  Some  new  or  Utile  known  marine  animais,  Ann.  Mag.  NaL 
hisl ,  XVI,  1855,  p.  30, t.  1II:  fig.  3. 
*  Lùtken,  Hidr.  tilt  kundtskab...  Cyamus.  Copenhague,  1873. 


1 


ZIP  HIV  S  CAVIROSTRIS. 


LITTÉRATURE. 


Coeeo,  Jk.    Su   di  un   Deïfino   rinvenitto    nello   Stretto  di  Messina 
(Dolphinus  philippii).  Maurolico,  Giorn.  del  Gabin.  di  Messina,  1841. 

Aaast.  Coeeo,  Vêler  einen  in  dcr  Mvercnge  von  Messina  gefundenen 
Defpfrin.  Erichson's  Arciiiv,  1846,  p.  104. 

Paul   Ci  cr  val  s,    Mémoire  sur   la  familte    des   Cétacés   ziphinïde*. 
Annales  des  sciences  naturelles,  5r  série,  t.  XIV,  1850. 


r,  Mémoire  sur  les  caractères  ostéologiques  des  genres  nou- 
veaux ou  des  espèces  nouvelles  de  Cétacés  vivants  ou  fossiles.  Annales  des 
sciences  naturelles,  3e  série,  t.  XV,  1851. 

P.  FUeher,  Sur  un  crâne  de  Ziphius  trouvé  à  A  réaction  (Gironde). 
Comptes  rendcs  de  l'Académie  des  sciences  de  Paris,  6  août  1866. 

P.-J.  van  Beneaen,  Mémoire  sur  une  nouvelle  espèce  de  Ziphius  de 
la  mer  des  Indes,  Mémoires  couronnés  et  autres  mémoires  publiés  p.vr 
l'Académie  royale  de  Belgique,  coll.  in -8°,  t.  XVI. 

■nrarelstcr,  Fauna  argentina.*  Annales  del  Museo  publico  de 
Bienos-Ayres,  in-4°.  Buenos-Ayrcs,  1868.  Entrega  quinta. 


(  78) 

Mal  m,  Hvaldjur  i  Sveriges  Muscer  âr  4869,  Komc  Svenska  Veteh- 
skap-Akad.  Handlingar.  Band  9,  n°  2.  Stockholm,  4871. 

W.  Tnrner,  On  thc  occurencc  o/Ziphils  cavirostrjs,  in  thc  Shetland 
Seas.  Edinburgh,  4872.  Traissact.  r.  Soc.  Edjnb.,  t.  XXV,  p.  759. 

j.  B.  Scott  and  Prof.  t.  J.  Parker,  Notice  of  memoir  on  a  Whalc 
of  the  genus  Ziphius,  rccenlly  obtained  near  Dunedin,  Nav-Zcaland. 
Proc.  Zool.  Soc,  4887,  p.  542  (april). 

Prof.  Jalltm  von  Haast,  Furtlier  Notes  on  Ziphius  (Epiodon)  Aovœ 
Zclandiœ.  Proc.  zool.  Soc,  4885,  p.  5U0. 


(  79) 


HISTORIQUE. 

En  1804,  on  Irouva  sur  le  bord  de  la  plage,  entre  le  village 
de  Fos  et  l'embouchure  du  Galegon,  une  tête  plus  ou  moins 
complète,  très  pesante  et  très  dure,  complètement  pétrifiée  en 
apparence.  L'illustre  auteur  des  Recherches  sur  les  ossements 
fossiles  la  désigna  sous  le  nom  de  Ziphius,  terme  employé 
par  quelques  auteurs  du  moyen  âge.  Le  Ziphius  cavirostris 
devint  le  premier  et  Tunique  représentant  de  ce  genre,  etCuvier 
croyait  l'espèce  complètement  éteinte. 

Cette  tête  a  été  longtemps  Tunique  partie  du  squelette  con- 
nue des  naturalistes;  Defemoulins  en  reprit  Tétude  en  1823,  et, 
en  la  rapprochant  des  Hypéroodons,  il  montra  qu'il  avait 
apprécié  les  véritables  affinités  de  ce  nouveau  genre  de  Cétacés. 
Paul  Gervais  trouva  une  seconde  tête  en  1850,  également 
sur  le  bord  de  la  Méditerranée,  à  Aresquiès;  (Hérault).  11  par- 
vint non  sans  peine  a  débrouiller  l'histoire  du  Ziphius  caviros- 
tris :  il  rapporte  les  têtes  de  Fos  et  d' Aresquiès  à  une  seule  et 
même  espèce  encore  vivante,  et  démontre  que  ce  même  animal 
a  été  désigné  déjà  sous  deux  noms  bien  différents,  dans  les 
eaux  de  Nice.  Risso  Ta  connu  et  désigné  sous  le  nom  de  Delphi- 
nus  Desmarestii,  et  dans  son  Histoire  naturelle,  publiée  en  1826, 
il  figure  une  femelle  venue  à  la  côte.  Cet  animal  n'est  pas  com- 
mun dans  la  Méditerranée,  dit-il.  —  Nous  en  avons  vu  des 
restes  dans  son  Musée  à  Nice.  Sous  le  nom  de  Delphinus 
Philippii,  le  professeur  Cocco  a  signalé  le  même  animal  dans  le 
détroit  de  Messine  vers  1840. 

Paul  Gervais  ne  parvint  pas  sans  peine  à  faire  triompher 
son  opinion  et  à  y  rallier  l'adhésion  des  naturalistes.  La  tête 
décrite  par  Cuvier  était  toujours  considérée  comme  fossile. 
Duvernoy,  le  successeur  de  Cuvier  au  Muséum,  refusait 
d'admettre  l'attribution  de  la  tête  de  Fos  et  de  celle  d' Aresquiès 
à  la  même  espèce  animale.  Pourjustifier  son  opinion,  Duvernoy 
passa  en  revue  les  squelettes  des  Cétacés  voisins,  conservés  dans 


(80) 

les  galeries  du  Muséum,  el  il  rangea  le  Ziphius  d'Aresquiès 
parmi  les  Hypéroodons,  sous  le  nom  de  Hyperoodon  Gervaisii. 

A  l'époque  où  des  doutes  existaient  encore  sur  l'identité  des 
têtes  de  Fos  et  d'Aresquiès,  nous  avons  comparé  avec  soin  les 
deux  têtes  réunies  dans  les  galeries  du  Muséum,  et  nous  trou- 
vons dans  nos  notes,  qu'une  partie  du  crâne  d'Aresquiès  a  été 
sciée  en  dessus  ainsi  qu'une  partie  de  la  face  à  gauche.  L'os 
propre  du  nez  à  droite  manque.  Le  rostre  est  complet.  Il  est 
plus  long  que  dans  le  Ziphius  des  Indes  *,  et  au  bout  il  porte 
une  espèce  de  rostrule  qui  existe  exactement  de  même  dans 
l'individu  de  Fos. 

Ce  qui  distingue  particulièrement  ce  dernier,  c'est  que 
l'intermaxillaire,  de  droite  surtout,  est  beaucoup  plus  excavé 
en  dessous  des  fosses  nasales,  de  manière  qu'à  la  base  du 
rostre,  la  partie  supérieure  de  la  face  est  profondément 
creusée;  cette  excavation  ne  serait  pas  moins  grande,  si  les 
parties  qui  manquent  étaient  remises  en  place. 

Du  reste,  les  intermaxillaires  sont  tous  les  deux  complets 
dans  cette  région,  ce  qui  était  resté  inaperçu,  parait-il. 

Une  autre  différence,  c'est  que  le  cartilage  du  vomer  est, 
comme  dans  Y  Indiens,  complètement  ossifié  dans  le  crâne  de 
Fos,  et  peu  dans  l'autre. 

Dans  les  trous  sous-orbitaires  il  existe  également  une  dif- 
férence notable  :  le  sous-orbitaire  de  gauche  s'ouvre  au 
fond  d'un  profond  sillon  dans  celui  de  Fos,  tandis  que  dans 
l'autre  il  s'ouvre  superficiellement,  de  manière  qu'on  en  voit 
même  deux  à  l'extérieur  dans  ce  dernier.  On  ne  distingue  de 
ce  côté  qu'un  seul  trou  dans  celui  de  Cuvier. 

La  face  indique  ainsi  de  notables  différences  entre  ces  deux 
crânes,  mais  sont-elles  sexuelles,  individuelles  ou  spécifiques? 
Les  modifications  du  crâne  des  Hypéroodons  semblent  faire 
croire  qu'il  existe  des  différences  individuelles  assez  grandes 
dans  la  tête  des  divers  Ziphioïdes,  et  nous  ne  croyons  pas  que 
ces  différences  dépassent  les  limites  des  variations  spécifiques. 

1  Nous  croyions  à  cette  époque  que  le  Ziphius  des  Indes  était  une  espèce 
distincte. 


(81  ) 

Outre  les  exemples  cités  par  Risso  et  Cocco,  il  y  a  également 
des  Ziphius  perdus  sur  les  côtes  de  la  Méditerranée  dont  la 
date  et  le  lieu  d'échouement  ne  sont  pas  cornus;  la  preuve 
en  est  que  le  Musée  de  Marseille,  possède  la  tête  d'un  animal 
sur  l'origine  duquel  on  ne  trouve  aucun  renseignement. 

Depuis  lors,  d'autres  individus  sont  venus  se  perdre  sur  les 
bords  de  la  Méditerranée,  puis  dans  le  golfe  de  Gascogne,  et 
même  dans  la  mer  du  Nord;  de  plus,  nous  savons  aujourd'hui 
que  le  Ziphius  caviroslris,  auquel  appartient  la  tête  de  Fos.  est 
une  espèce  qui  vagabonde,  non  seulement  dans  les  mers 
d'Europe,  mais  également  dans  les  eaux  de  nos  antipodes 
et  dans  l'océan  Pacifique. 

On  a  été  longtemps  sans  se  douter  que  des  Cétacés  d'une 
même  espèce  pussent  habiter  à  la  fois  les  deux  hémisphères; 
nous  en  connaissons  cependant  plusieurs  exemples  aujourd'hui, 
et  nous  pouvons  même  dire  qu'aucun  Ziphioïde,  si  ce  n'est 
l'Hypéroodon,  ne  semble  confiné,  ni  dans  une  mer  intérieure, 
ni  même  dans  un  océan. 

Après  1860,  le  premier  Ziphius  qui  échoue  est  un  individu 
quise  perd,  en  1866,  sur  la  côte  de  Villafranca,  dans  un  moment 
où  le  professeur  Haeckel  y  fait  des  observations  sur  les  animaux 
marins.  Le  savant  professeur  de  Iéna  prépare  le  squelette,  et, 
comme  on  le  pense  bien,  cette  belle  pièce  prend  la  route  de 
Iéna,  pour  y  enrichir  les  collections  de  l'Université. 

En  septembre  1878,  les  pêcheurs  de  Villafranca  en  capturent 
un  autre  encore  en  vie,  qui  mesure  om,4S,  et  le  squelette  est 
acquis  pour  le  Musée  de  Florence. 

En  1864,  on  découvrit  une  tête  de  Cétacé  à  Lan  ton,  sur  les 
bords  de  la  baie  d'Arcachon,  provenant  également  d'un  Ziphius 
cavirostris.  C'est  le  premier  exemple  d'un  animal  de  cette 
espèce  trouvé  hors  de  la  Méditerranée.  Le  Dr  Fischer  en  a 
donné  la  description  et  le  savant  aide  naturaliste  du  Muséum 
fait  connaître  en  même  temps  les  échouements  connus  dans 
la  Méditerranée  et  à  l'ouest  de  la  France. 

Le  professeur  Sir  Turncr  publie,  en  1872,  un  intéressant 
Tome  XLI.  6 


(  82  ) 

travail  sur  la  présence  du  Ziphius  cavirostris  sur  les  côtes  de 
Shetland,  et  il  passe  en  revue  les  Ziphius  connus  des  natura- 
listes; il  fait  mention  de  ceux  des  Bouches-du-Rhône  et  des 
autres  qui  ont  été  observés  dans  la  Méditerranée  et  signale  les 
individus  observés  à  la  côte  ouest  de  France,  au  cap  de  Bonne- 
Espérance  et  sur  les  côtes  de  la  République  Argentine  *. 

Le  professeur  d'Edimbourg  réunit  le  Pétrorhynchus,  le 
Ziphius  indicus  et  VÉpiodon  chatamensis  dans  une  seule  et 
même  espèce. 

Sous  le  titre  :  Ziphioïde  fossile  *,  le  professeur  Capellini  a 
publié  un  mémoire  accompagné  de  fort  beaux  dessins  dans 
lequel  il  fait  la  description  d'un  crâne  d'un  Ziphioïde  mis  au 
jour,  qui  rappelle  parfaitement  le  Ziphius  cavirostre  vivant 
encore  dans  les  eaux  de  l'Italie. 

Parmi  les  collections,  que  Castelnau  avait  recueillies  au  cap 
de  Bonne-Espérance  et  aux  Indes,  se  trouvait  une  belle  tête  de 
Cétacé  que  nous  avons  décrite  sous  le  nom  de  Ziphius  indicus. 
Elle  nous  paraissait  d'abord  bien  différente  des  espèces  con- 
nues, mais  nous  sommes  persuadé  aujourd'hui  qu'elle  appar- 
tient à  une  seule  et  même  espèce  qui  est  dispersée  dans  toutes 
les  mers. 

Depuis  lors  Burmeister  dans  sa  Fauna  argeniina  a  fait  men- 
tion de  ce  même  Cétacé,  qu'il  a  figuré  d'après  un  animal  qui  a 
été  capturé  sur  les  côtes  de  la  République  Argentine  au  mois 
d'août  1885.  Le  savant  Directeur  du  Musée  de  Buenos-Ayres 
en  donne  une  excellente  description  anatomique.  Il  croit  à 
l'existence  de  plusieurs  espèces  dans  ce  genre,  dont  il  apprécie 
parfaitement  les  affinités,  et  il  donne  le  nom  (VÉpiodon  australe 
à  l'animal  qu'il  décrit. 

Le  professeur  Cope  a  donné  le  nom  de  Hyperoodon  senti- 
junctus  à  un  Cétacé  dont  le  squelette  a  été  remis  au  Musée 


1  Trans.  roy.  Soc.  Edinburgh,  vol.  XXVI,  1872. 

1  Cipellini,  Del  Zi fioide  fossile,  Reals  Acadehia  dei  Likcei,  anno  1884- 
1880. 


(83) 

national  des  Etats-Unis  d'Amérique;  H.  Fred.  True  vient  d'en 
faire  mention  dans  les  Proc.  de  ce  Musée.  Après  la  description 
du  squelette  provenant  d'un  jeune  animal,  M.  True  dit  que 
nous  avons  eu  raison,  H.  Flower  et  moi,  de  regarder  cet  ani- 
mal comme  un  Ziphius,  plutôt  que  comme  un  Hypéroodon. 
Il  donne  les  mesures  en  millimètres  des  divers  os  de  la  tête. 

Nous  trouvons  ensuite  ce  même  Cétacé  dans  les  eaux  de  nos 
antipodes,  et  il  parait  même  qu'il  y  est  beaucoup  plus  abon- 
dant que  dans  les  mers  d'Europe.  Sous  le  nom  de  Epiodon 
Ncvœ-Zelandiœ,  le  Dr  Jules  von  Haast  a  fait  connaître  un 
Ziphioîde,  qui  n'est  autre  chose  que  le  Ziphius  cavirostris  de 
notre  hémisphère. 

Dans  Ylllustrated  London  News,  de  1867,  figure  un  Ziphius 
du  détroit  de  Bass,  qui  se  rapporte  parfaitement  au  même 
animal. 

Le  professeur  Sir  W.  Turner  a  reconnu,  parmi  lçs  ossements 
rapportés  par  le  Challenger,  des  restes  qui  ont  tous  les  carac- 
tères du  Ziphioîde  qui  nous  occupe  *. 

On  possède  aujourd'hui  à  Londres  une  tête  et  un  squelette  de 
la  Nouvelle-Zélande,  qui  se  rapportent  parfaitement  au  Ziphius 
d'Europe.  M.  le  professeur  Flower,  après  une  étude  des  diverses 
têtes  connues,  n'hésite  pas  à  se  prononcer  sur  l'identité  de  ces 
Cétacés  de  la  Nouvelle-Zélande  et  des  côtes  de  la  République 
Argentine  avec  les  nôtres.  Il  ne  trouve  pas  de  différence,  dit-il, 
ni  avec  le  Ziphius  indiens  ni  avec  Y  Epiodon  australe  de  fiur- 
meister  *. 

On  a  établi  aussi  Y  Epiodon  patachonicum  ou  australe,  qui  n'est 
également  que  le  Ziphius  dont  nous  nous  occupons;  c'est  l'avis 
de  MM.  Flower  et  Paul  Gervais,  qui  est  partagé  aussi  par  le 
professeur  Sir  W.  Turner. 


*  Tohner,  The  Zoology  of  the  Voyage  of  H.  M.  S.  Challenger,  1880,  p.  27. 

*  Remarks  upun  D'  von  IUast's  Communication  on  Ziphius  Novœ- 
Zelandiœ,  Proc.  Zool.  Soc.,  Juiip,  1876. 


(84) 


SYNONYMIE. 

Ziphius  cavirostris. 
Delphinus  Desmarestii,  Risso. 

—  Philippii,  Cocco. 
Hyperoodon  daumetii,  Gray. 

—         Gervaisii,  Duvernoy. 
Epiodon  australe,  Burmeister. 

—  Novœ-Zelandiœ,  v.  Haast. 

—  chatamiensis,  Hector. 

—  patachonicum,  Burm. 
Ziphius  indicus,  Van  Beneden. 
Petrorhynchus  capensis,  Gray. 
Hyperoodon  semi-junclus,  Cope. 
Ziphius  Grebnitzkii,  Stejneger. 


CARACTÈRES. 

La  taille  du  Ziphius  cavirostris  est  un  peu  inférieure  à  celle 
de  l'Hypéroodon.  Cet  animal  est  surtout  reconnaissable  aux 
deux  dents  relativement  assez  grosses  qui  percent  les  gencives 
au  bout  du  maxillaire  inférieur. 

Ces  dents  sont  en  même  nombre  dans  l'Hypéroodon; 
mais,  dans  les  Ziphius,  elles  sont  beaucoup  plus  fortes,  et  en 
forme  de  fuseau,  tandis  que,  dans  les  Hypéroodons,  elles  sont 
à  peine  plus  grosses  qu'une  plume  d'oie  et  sans  renflement  sen- 
sible vers  le  milieu  de  leur  longueur.  Dans  la  mandibule  des 
Ziphius  il  y  a  des  alvéoles,  parfaitement  distinctes,  qu'on  ne 
voit  pas  aussi  distinctement  chez  l'Hypéroodon. 

Ses  caractères  extérieurs  sont  :  la  partie  supérieure  du  corps 
est  d'un  noir  bleuâtre,  la  partie  inférieure  blanche;  cette  partie 


(86)       . 

supérieure  est  marquée  de  nombreuses  taches  de  forme  ovale, 
de  deux  à  trois  doigts  de  longueur,  semblable  à  une  peau  de 
léopard,  dit  J.  von  Haast. 

L'animal  porte  un  sillon  de  chaque  côté  sous  la  gorge.  Nous 
ne  pouvons  pas  bien  juger  d'après  le  dessin  de  Burmeister  si 
les  deux  sillons  forment  un  V  comme  dans  le  Micropteron. 

Ce  sillon  est  indiqué  dans  la  figure  publiée  dans  les  Archives 
d'Erichson,  d'après  l'animal  capturé  dans  le  détroit  de 
Messine. 

La  femelle  échouée  à  New-Rrighton,  en  1878,  avait  égale- 
ment le  sillon  sous-maxillaire. 

Il  existe  des  différences  sexuelles  comme  dans  les  autres 
Ziphioldes.  On  a  remarqué  que  le  Ziphius  mâle  de  la  Nouvelle- 
Zélande  a  les  dents  du  maxillaire  inférieur  plus  fortes  que  la 
femelle. 


DESCRIPTION. 

Nous  ferons  remarquer  que  Gervais  a  constaté  la  présence 
de  petites  dents  à  la  mâchoire  supérieure  du  Ziphius  cavirosttïs 
d'Âresquiès;  il  les  a  représentées  de  grandeur  naturelle  pi.  XXI, 
fig.  3,  de  notre  Ostéographie.  Gervais  en  a  vu  encore  à  la 
mâchoire  inférieure.  Rurmeister  en  a  vu  également  en  dessus 
et  en  dessous;  von  Haast  a  fait  la  même  observation  sur  des 
Mésoplodons  d'âge  et  de  sexe  différents. 

Ces  dents  sans  alvéoles  doivent  être  considérées  comme  des 
dents  ancestrales. 

Les  vertèbres  sont  peu  nombreuses  comme  dans  tous  les 
Ziphioïdes;  nous  en  comptons  ici  en  tout  quarante-neuf  :  sept 
cervicales,  dix  dorsales,  onze  lombaires  et  vingt  et  une 
caudales. 

Les  trois  premières  cervicales  sont  soudées  entre  elles. 

Burmeister  a  décrit  et  figuré  l'animal  en  chair,  le  squelette 
isolé  et  en  place,  la  tête  vue  sous  ses  trois  faces,  le  cœur,  la 


(86) 

surface  interne  de  l'estomac  et  des  intestins,  la  cavité  de  la 
bouche  avec  la  langue,  tout  l'appareil  respiratoire,  y  compris 
le  larynx. 

MOEURS. 

Nous  ne  connaissons  rien  des  mœurs  de  cet  animal.  Il  est 
probable  qu'il  ne  diffère  pas,  sous  ce  rapport,  des  autres 
Ziphioïdes.  Tout  ce  que  nous  en  savons,  c'est  qu'il  est  teuto- 
phage  comme  les  autres  animaux  de  cette  division. 


DISTRIBUTION  GEOGRAPHIQUE. 

Nous  allons  passer  en  revue  les  localités  où  la  présence  du 
Ziphius  cavirosbis  a  été  constatée. 

La  tête  décrite  par  Cuvier,  dans  ses  Recherches  sur  les 
ossements  fossiles,  a  été  découverte  à  Fos,  sur  le  bord  de  la 
Méditerranée,  en  1804. 

Vers  1820  un  individu  a  été  capturé  près  de  Nice. 

En  1842  un  individu  a  été  vu  flottant  dans  le  détroit  de 
Messine;  un  autre  vers  la  même  époque  a  été  reconnu  sur  les 
côtes  de  la  Corse. 

En  1850  on  a  trouvé  sur  la  plage  d'Aresquiès  (Hérault)  une 
tête  provenant  d'un  animal  qui  y  a  échoué  au  mois  de  mai  *. 

Depuis  lors  d'autres  individus  ont  été  reconnus  dans  la 
Méditerranée;  P.  Gervais  en  cite  des  Bouches-du-Rhône,  de 
Nice,  de  la  Corse  et  du  détroit  de  Messine. 

Tout  récemment,  en  septembre  1878,  on  a  fait  encore  une 
capture  à  Beaulieu  (Villefranche). 

On  connaît  aujourd'hui  les  ossements  de  sept  Ziphius  diffé- 
rents, recueillis  sur  les  bords  de  la  Méditerranée. 


1  Gervais»  Institut,  9  octobre  1850. 


(87) 

On  a  constaté  ensuite  la  présence  de  ce  même  Ziphius  sur  les 
côtes  océaniques  de  France;  en  1864,  on  a  recueilli  une  tête  à 
Lan  ton,  sur  les  bords  du  bassin  d'Arcachon.  Cette  tête  a  été 
remise  à  M.  Filiaux.  Le  Dr  Fischer  en  fait  mention  dans  les 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences  de  Paris  *. 

Un  mâle  de  cette  même  espèce  est  allé  se  perdre  ensuite  sur 
les  côtes  d'Irlande,  et  nous  en  connaissons  qui  ont  pénétré  dans  la 
mer  du  Nord  ;  il  en  est  venu  à  la  côte  aux  îles  Shetland  ;  le  Musée 
d'Edimbourg  en  possède  la  tête,  et  le  professeur  Sir  Turner 
l'a  parfaitement  reconnu  ;  après  l'avoir  comparé  avec  les  autres 
Ziphius,  il  fait  remarquer  que  celui  de  Fos,  découvert  en  4804, 
appartient  bien  à  la  même  espèce,  qui  a  été  trouvée  dans  des 
mers  si  différentes. 

La  présence  de  ce  Ziphius  a  été  reconnue  ensuite  dans  le 
Kattegat. 

Sur  la  côte  de  Suède,  non  loin  de  Gôtenborg,  sont  venus 
échouer,  à  quelques  années  d'intervalle,  deux  Ziphius  de  la 
même  espèce,  dont  l'un  est  conservé  au  Musée  de  Gôtenborg 
et  l'autre  au  Musée  de  Stockholm. 

Le  premier  de  ces  squelettes  provient  de  l'animal  échoué  en 
1867  à  Bahuslân  (Suède).  Celui  du  Musée  de  Stockholm,  qui 
est  remarquable  aussi  par  sa  belle  conservation,  provient  d'un 
animal  perdu  dans  le  voisinage  de  Marstrand  (Suède),  en  1872. 
Il  a  la  huitième  et  la  neuvième  dorsale  malades. 

En  dehors  des  mers  d'Europe  on  a  reconnu  ce  Ziphius  à 
plusieurs  reprises. 

D'abord  nous  ne  doutons  pas  que  ce  ne  soit  le  même  animal 
qui  a  été  capturé  par  Castelnau,  et  que  nous  avons  appelé 
Ziphius  indicus  2,  ainsi  que  le  jeune  mâle  de  l'embouchure  de 
la  Plata  qui  a  été  décrit  et  figuré  par  Burmeister. 


'  Août  1860,  p.  271. 

*  Ce  n'est  pas  dans  la  mer  des  Indes,  comme  nous  l'avons  cru,  mais  au 
cap  de  Bonne- Espérance  que  celte  tête  a  été  recueillie  ;  nous  trouvons  dans 
un  album  de  Castelnau  :  VHyperoodon  du  Cap  a  été  jeté  à  la  côte  au  fond 
de  Table- Bay  dans  un  ouragan  en  juillet  1846;  il  avait  27  pieds  de  long, 


(88)    . 

Gray  et  Owen  ont  fait  connaître  un  second  Ziphius  du  cap 
de  Bonne-Espérance,  que  Gray  a  appelé  Pelrorhynchus  pour 
rappeler  la  solidité  du  rostre.  D'après  rage,  le  cartilage  sus- 
vomérien  est  plus  ou  moins  complètement  ossifié,  et  le 
Pelrorhynchus  n'est  qu'un  individu  adulte. 

L'océan  Pacifique  est  également  visité  par  ce  Cétacé.  Nous 
en  avons  vu  deux  têtes  et  trois  mandibules  au  Musée  de  Saint- 
Pétersbourg,  rapportées  du  nord  du  Pacifique  par  Wosnes- 
searki.  Ce  dernier  renseignement  nous  a  été  fourni  par  le 
docteur  Brandt,  directeur  du  Musée  de  Saint-Pétersbourg. 

Von  Nordmann  fait  mention,  dans  sa  Paléontologie  de  la 
Russie  méridionale,  d'une  tête  de  Ziphius  de  l'île  Saint-Paul, 
qui  lui  a  été  communiquée  par  le  docteur  Siemaschko. 

Est-ce  encore  le  même  animal  dont  Moseley  a  rapporté 
une  grande  partie  du  squelette  des  îles  Falkland,  sous  le  nom 
d'Épiodon  ?  (Challenger). 

Le  Challenger  a  aussi  rapporté  plusieurs  caisses  tympaniques 
de  Ziphius,  retirées  du  milieu  du  Pacifique,  au  sud  des  îles 
Tahiti,  à  2,335  brasses  de  profondeur. 

A  propos  d'un  Ziphioïdc  du  détroit  de  Magellan,  Paul 
Gervais  faisait  l'observation  suivante  :  «  Pour  dire  toute  ma 
pensée,  je  ne  serais  pas  élonrié  qu'il  en  fût  encore  de  même 
pour  les  Ziphius  indicus  et  Càpensis,  c'est-à-dire,  que  ces  derniers 
ne  fussent  également  de  la  même  espèce  que  le  Ziphius  de  la 
Méditerranée.  » 

Nous  partageons  complètement  cet  avis  aujourd'hui. 

Ce  même  Ziphius  se  rend  ensuite  jusqu'au  nord  du  Pacifique  : 
l'Institution  Smithsonienne  a  envoyé  un  naturaliste,  Stejneger, 
ù  l'île  de  Behring,  pour  y  chercher  des  restes  de  Slellère,  et  il  a 
rapporté,  avec  plusieurs  ossements  intéressants  de  Cétacés,  une 
tête  de  Ziphius  caviroslris,  parfaitement  conservée.  On  lui  a 
donné  à  tort  un  autre  nom  spécifique  :  Ziphius  Grebnitzkii, 
Stejneger.  Avec  ce  même  animal  se  trouvait  encore  un  autre 

était  gris,  a  donné  COO  bouteilles  d'huile  très  bonne  et  à  laquelle  les  gens  du 
pays  attribuent  beaucoup  de  vertus  médicinales. 


(89) 

Zi'phioïde  que  Ton  ne  connaissait  qu'en  Australie,  le  Berardius 
Bairdii. 

Nous  le  trouvons  également  dans  les  eaux  de  nos  antipodes, 
et  en  plus  grande  abondance,  paraît-il,  que  dans  nos  eaux 
d'Europe. 

En  1863,  le  professeur  V.  Haast  fait  part  à  la  Société  Zoolo- 
gique de  Londres  de  la  présence  d'un  Ziphius  dans  les  eaux  de 
la  Nouvelle-Zélande  * . 

A  la  séance  du  mois  de  juin  1876  2,  M.  le  professeur  Flower 
exprime  l'avis,  confirmé  depuis,  que  le  Ziphius  Novœ-Zelandiœ 
ne  diffère  pas  du  Ziphius  cavirostris  et  qu'il  n'existe  qu'une 
seule  espèce  vivante  dans  ce  genre. 

Deux  individus  ont  échoué,  l'un  le  17  novembre  1878  à 
New-Brighton,  l'autre  le  15  mai  1879  près  de  Kaiapoi  ;  ce  sont 
deux  femelles  :  la  première  avait  19  pieds,  la  seconde  21. 

En  1883,  on  a  capturé  encore  un  Ziphius  cavirostris  sur  les 
côtes  de  New-Jersey. 

La  dernière  communication  sur  les  Ziphius  de  la  Nouvelle- 
Zélande  est  celle  de  MM.  John  H .  Scott  et  T.  Jeffery  Parker,  de 
l'Université  d'Otago  (Nouvelle-Zélande).  Ils  informent  M.  Flower 
qu'une  jeune  femelle  de  Ziphius  a  été  capturée  vivante  à 
Warrington,  au  nord  de  Dunedin  (Nouvelle-Zélande),  en 
novembre  1884  3. 

L'Epiodon  chatamiensis,  décrit  dans  les  Trans.  New-Zealand 
lnstitule,  vol.  V,  est  un  mâle  de  cette  espèce. 

Le  Ziphius  cavirostris  se  rend  également  de  l'autre  côté  de 
l'Atlantique  :  le  professeur  Cope  a  signalé  sur  les  côtes  de  la 
Nouvelle-Angleterre  une  femelle  de  19  pieds  4  pouces,  qui  a 
été  capturée  en  1883,  à  New-Jersey. 

De  manière  que  nous  connaissons  divers  crânes  et  sque- 
lettes de  la  Méditerranée,  un  du  golfe  de  Gascogne  (1864),  deux 


1  Z.  S.  L.  4  décembre  1883. 

*  Professor  Flower,  Remarks  upon  Dr  vos  Haast's  communication  on 
Ziphius  Novœ-Zelandiœ,  Proc.  Zool.  Soc,  June  6,  1876. 
3  Zool.  Soc,  London,  15  mars  1887. 


(90) 

du  Kattegat,  deux  du  Cap,  un  du  Brésil,  un  de  la  Nouvelle- 
Zélande,  un  des  mers  de  Chine  et  au  moins  deux  du  Pacifique, 
et  tous  ces  crânes  se  rapportent  fort  bien  à  une  seule  espèce, 
ce  qui  nous  permet  de  dire  que  le  Ziphius  cavirostris  est  un 
animal  cosmopolite  comme  le  Cachalot. 

Indépendamment  de  ces  divers  Cétacés  connus,  nous  pou- 
vons encore  ajouter  que  le  Challenger  a  rapporté  des  mers  du 
Sud  une  tête  de  ce  même  animal. 

Nous  avons  vu  également  un  rostre,  provenant  des  Phos- 
phate beds  de  la  Caroline  du  Sud,  au  Musée  du  Collège  royal 
des  chirurgiens,  à  Londres,  mêlé  à  des  ossements  d'animaux 
terrestres,  parmi  lesquels  se  trouvait  une  dent  de  Megathe- 
rium  (?)  Ce  rostre  était  perforé  par  des  tarets.  Nous  avons  vu  un 
rostre,  rongé  de  la  même  manière,  qui  était  rapporté  au  Ziphius 
densirostris,  et  qui  avait  été  recueilli  sur  la  côte  d'Afrique.  On 
en  a  trouvé  dans  le  sable  d'Anvers  plusieurs,  rongés  exactement 
de  la  même  manière. 

En  somme,  nous  connaissons  aujourd'hui  des  restes  d'in- 
dividus recueillis  dans  la  Méditerranée,  à  Fos  (Bouches-du- 
Rhône,  G.  Cuvier);  à  Aresquiès  (Hérault,  Gênais);  en  Corse 
(Doumet);  au  détroit  de  Messine,  Villefranche  (Haeckel);  dans 
le  golfe  de  Gascogne,  à  Arcachon  (Fischer);  aux  îles  Shetland 
(Turner);  aux  côtes  de  Suède,  Kattegat  (Malm);  dans  l'hémi- 
sphère austral,  au  cap  de  Bonne-Espérance  (Van  Beneden, 
Gray  et  Owen);  dans  la  République  Argentine  (Burmeister)  ; 

9 

sur  les  côtes  de  Patagonie,  aux  Etats-Unis  d'Amérique  et  à  la 
Nouvelle-Zélande. 

MUSÉES. 

On  conserve  aujourd'hui  des  ossements  de  cette  espèce  dans 
plusieurs  Musées. 

Le  Muséum  de  Paris  en  possède  deux  têtes  :  l'une  décrite 
par  Cuvier,  l'autre  par  Paul  Gervais.  Toutes  les  deux  pro- 
viennent, comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  d'individus  capturés 
dans  la  Méditerranée. 


(91) 

Le  Musée  de  la  ville  de  Marseille  possède  le  squelette  d'un 
animal  qui  a  péri  sans  doute  sur  les  côtes  voisines,  mais  dont 
il  n'est  pas  fait  mention  dans  les  livres  qui  traitent  des 
Cétacés. 

On  conserve  encore  des  têtes  et  des  squelettes  provenant 
de  Ziphius  échoués  sur  les  côtes  de  cette  même  mer  intérieure, 
à  Florence,  à  Pi  se  et  à  Cette. 

Le  squelette  de  Florence  provient  de  ranimai  capturé  à  Ville- 
franche  en  septembre  1878. 

Un  squelette  complet,  préparé  par  le  professeur  Haeckel 
en  1866,  est  conservé  au  Musée  de  l'Institut  Zoologique  de 
Iéna. 

Au  Musée  de  la  Société  scientifique  d'Arcachon,  on  voit  une 
tête  de  cette  même  espèce  qui  a  été  recueillie,  en  1864,  à 
Lanton  dans  la  baie  d'Arcachon. 

A  Dublin  on  possède  le  squelette  complet  d'un  animal 
échoué  sur  les  côtes  d'Irlande. 

On  en  conserve  deux  têtes  à  Edimbourg;  une  d'elles  a  été 
rapportée  de  Shetland  par  Couthey  *. 

Nous  conservons ,  au  Musée  de  Louvain,  la  tête  qui  a  été 
rapportée  par  Castelnau  de  son  voyage  aux  Indes  orientales, 
et  que  nous  avons  décrite  sous  le  nom  de  Ziphius  indiens. 

A  Gôtheborg,  on  conserve  au  Musée  le  squelette  de  ranimai 
qui  a  échoué,  en  1867,  à  Bohuslân. 

Le  Musée  de  Stockholm  renferme  le  squelette  complet  de 
l'animal  qui  est  venu  à  la  côte,  en  1872,  dans  le  voisinage 
de  Marstrand  (Suède). 

Nous  avons  vu  deux  têtes  de  cette  espèce  dans  les  galeries 
du  Musée  de  Saint-Pétersbourg,  toutes  les  deux  de  l'océan 
Pacifique. 

A  Charleston  on  conserve  le  squelette  de  l'animal  qui  a  été 
décrit  sous  le  nom  de  Hyperoodon  semi-junctus,  Cope  2. 

1  Tubker,  On  Ziphius  cavirostris,  Transactions  rot.  Society,  Edimbourg, 
t.  XXVI,  p.  750. 

*  Proc.  Acad.  Se.  Philadelphie,  1865  et  1869. 


(92) 

Au  Musée  de  Washington  on  voit  aujourd'hui  une  tête  de 
cette  espèce  rapportée  de  l'île  de  Behring,  par  Stejneger. 

On  conserve  également  un  squelette  de  cette  espèce  au  Musée 
de  Buenos-Ayres.  Le  savant  directeur  Burmeister  en  a  donné 
une  description. 

A  Christchurch,  Canterbury  Muséum  (Nouvelle-Zélande),  on 
conserve  le  squelette  de  l'animal  décrit  par  Jul.  von  Haast. 

Nous  avons  vu  au  Muséum  de  Paris  un  rostre  de  Ziphioïde 
fossile  des  côtes  de  Patagonie. 

On  voit  enfin  au  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens  à 
Londres  un  squelette  de  Ziphius  de  la  Nouvelle-Zélande. 


DESSINS. 

Risso  a  figuré  ce  Ziphius  dans  son  Ht  st.  nat.  de  l'Europe 
méridionale,  vol.  III,  pi.  H,  fig.  3,  sous  le  nom  de  Dauphin 
de  Desmarest. 

L'animal  entier  est  également  représenté  par  Anast.  Cocco 
dans  les  Archives  de  Troschel,  1846,  pi.  IV,  d'après  une  femelle 
capturée  dans  le  détroit  de  Messine. 

On  voit  également  un  dessin  de  cet  animal  dans  la  Revue  de 
Zoologie,  184-2,  pi.  I. 

Nous  possédons  aussi  de  bons  dessins  des  Ziphius  capturés, 
sur  les  côtes  de  l'Amérique  méridionale  et  de  la  Nouvelle- 
Zélande;  Burmeister  a  représenté  l'animal  complet  et  a  figuré 
les  principaux  viscères;  James  Hector  a  publié  un  bon  dessin 
de  la  tête,  de  la  mandibule  et  des  dents. 

Dans  les  Transact.  de  New-Zealand  Institut,  vol.  V,  Jul.  voa 
Haast  a  publié  la  figure  d'une  femelle  de  19  pieds,  échouée- 
près  de  New-Brighton  (Nouvelle-Zélande). 

Dans  Ylllustrated  London  News,  vol.  I,  1867,  p.  97,  figure  un 
Ziphius  observé  dans  le  détroit  de  Bass. 

Indépendamment  de  l'animal,  les  diverses  parties  du  sque- 
lette ont  été  dessinées  sur  les  lieux  d'après  des  individus  cap- 
turés dans  les  eaux  de  nos  antipodes. 


(93) 

La  planche  XXII,  fig.  4-11  de  noire  Ostéographie,  représente 
la  colonne  vertébrale,  le  sternum  ;  planche  XXI,  les  crânes  des 
Aresquiès,  de  Buenos-Ayres,  de  Lanton  (Gironde),  de  Fos 
(Bouehes-du-Rhône),  de  Corse,  du  cap  de  Bonne-Espérance, 
de  la  mer  des  Indes. 

Nous  avons  figuré  le  crâne  du  Ziphias  capturé  par  Castelnau, 
la  dent,  la  caisse  tympanique  en  place  et  isolée,  dans  les 
Mémoires  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  coll.  in-8°,  t.  XVI. 

Gcrvais  a  figuré  les  dents  du  maxillaire  supérieur  dans  sa 
Zool.  et  paléont.  franc.,  planche  XXXIX,  et  planche  XXI  de 
YOstéographie. 

Jul.  von  Haast  a  figuré  le  squelette  et  le  crâne  d'un  animal 
de  la  Nouvelle-Zélande. 


PARASITES  ET  COMMENSAUX. 

On  ne  connaît  jusqu'à  présent  qu'un  Cestode  et  un  ver  rond 
qui  peut  être  un  Nématode  ou  un  Echinorhynque;  le  premier 
est  un  Phyllôbothrium  agame,  que  le  professeur  Haeckel  a 
trouvé  dans  l'épaisseur  de  la  peau. 

Le  second  est  un  ver  très  long,  logé  dans  l'estomac  d'un 
Ziphius  échoué  sur  les  côtes  de  Suède  en  avril  1867  (Malm).  Le 
professeur  Sir  Turner  suppose  que  c'est  un  Echinorhynque; 
un  nouvel  examen  est  indispensable.  Nous  ne  savons  si  cet 
animal  a  été  conservé. 


MICROPTERON  SO  WERB  YI. 


LITTÉRATURE. 

Sowerby,  BritUh  Miscellany,  t.  I>  1806. 

BaflMesqaOj  Précis  des  découvertes  somiologiqucs.  Palcrme,  4814. 

BlainvHTc,  Nouv.  Bulle  t.  des  sciences.  Septembre,  4825,  p.  159, 
{Bull.  Soc.  Philom.,  IV.) 

BIim,  Hist.  nat.  Eur.  mer.,  t.  III,  pi.  2,  1836. 

Pred.  Carier,  De  l'histoire  naturelle  des  Cétacés.  Paris,  1856. 

ma  Mortier,  Mémoire  sur  le  Delphinorhynque  microptère.  (Nouv. 
Mém.  Acad.  boy.  de  Bruxelles,  t  XII,  1859.) 

nazie?,  Proc.  Geol.  Soc,  1846,  p.  588. 

Eaehrleht,  Unters.  ùber  d.  nordischen  Wallthiere.  Leipzig,  1849. 

J.  E.  drmj.  The  Zoology  of  the  Voy.  of  H.  AI.  S.  Erebus  and  Terror, 
p.  27,  pi.  V,  fig.  2,  5. 

Paul  CervaU,  Zoologie  et  paléontologie  françaises.  Paris,  1859. 

▼an  Benedem,  Sur  un  Dauphin  nouveau  et  un  Ziphioïdc  rare. 
Mémoires  couronnés  et  autres  Mémoires  publics  par  l'Académie  royale 
de  Belgique.  Coll.,  in- 8°,  t.  XVI,  1865. 

IV.  Andrew*,  On  Ziphius  Sowerbiensis,  captured  in  Brandon  Bay, 
coast  of  Kcrry,  on  tbe  9lh  of  March,  1864. 

Ei|.  Deslongehamp»,  Observations  sur  quelques  Dauphins  appar- 
tenant à  la  section  des  Ziphitdés.  Bull.  Soc.  Linn.  de  Normandie,  1866. 

AffasMla,  Boston  Society  of  nat.  hist.,  novembre,  1867. 


(  96  ) 

Jnllim  von  Banal,  On  a  new  Ziphioxd  Whale.  Proc.  Zool.  Soc. 
1876,  p.  7. 

Flowcr,  «  À  furthcr  contribution  to  thc  knowlcdgc  of  thc  cxisting 
Zipliioïd  Whcles  of  (lie  genus  Mesoplodon,  conlaining  a  description  of  a 
Skclclon  and  Se  y  c  roi  Skulls  of  Cctaccous  of  that  genus  from  llic  Scas 
of  Ncw-Zcaland.  »  Proc.  Zool.  Soc,  novembre  0,  1877,  et  Trans.  Zool. 
Society,  vol.  X,  1878. 

J.  nelnaardt,  Mesoplodon  bidens  en  tihœxt  (il  den  danske  ffavfauna. 
Copenhague,  1880. 

Mal  m.  Om  Microplcron  bidons,  6"  Goteboryt  Natnrhisl.  Miu.%  III, 
Arsskr.,  4881,  p.  52. 

Mal  ni,  Gôtcbargs  nalurhistoriska  Muxcum.  Gôtcborg,  188:?,  p.  32. 

Pror.  W.  Tnrncr,  On  a  spécimen  of  Mesoplodon  bidens  caplured  in 
Shetland.  Journ.  of  amat.  and  piiys.,  t.  XVI,  april,  I8S2. 

Prof.  w.  Turuor,  The  index  of  thc  pelvic  brim ..  Thc  anatomy  i»f 
a  second  spvcimenofSowirby**  Whale.  Journal  of  Anatom.  and  Piiysiol., 
octobre,  1885. 

I>r  Cari  Aurlvllllu*,  The  oslcology  and  exterior  conformai  ion  of 
Sowerby's  Whale  (Microplcron  bidens  Sow.),  Stockholm,  Académie  des 
sciences,  octobre  14,  1885. 

Fred  Trac,  Descript.  of  a  new  Species  of  Mesoplodon.  Paoc.  of  Unit. 
St.  Nat.  Muséum,  1885. 

O.  n.  Malm,  On  Sowcrbtfs  Uval.  (Mesoplodon  bidens)  Stockholm. 
Ofr.  Vct.-Ak.,  4885. 

W  Cari  AurlYllIlufl,  Cari  W.  S.  Osteologie  und  âu/sere  Erschcimttirj 
des  Wals  Sowerby's  (Microplcron  bidens).  Stockholm,  1880,  tu  8*. 
Bihang  k,  Svensk  ,  Vet.-Ak.,  Ifandl.,  11  Bond,  n*  10. 

Thoma*  fJouthwell  and  William  Eaflc  Clark  o,  On  Ihe  occurrence 
of  Sowerby's  Whale.  An*,  and  Mac  nat.  iiist.,  p.  55,  Jauuary,  1880. 


(97) 


HISTORIQUE. 

C'est  au  commencement  du  siècle  que  Sowerby,  le  célèbre 
conchyliologiste  anglais,  fit  connaître,  sous  le  nom  de  Physeter 
bidens,  un  curieux  Cétacé  mâle,  échoué  sur  la  côte  d'EIginshire, 
en  Ecosse,  près  de  Brodie-House.  Sowerby  Ta  fait  figurer  dans 
ses  British  miscellany. 

Après  une  visite  faite  en  Angleterre,  Blainville  décrivit  ce 
même  Cétacé  sous  le  nom  de  Dauphin  de  Sowerby,  Delphimis 
Sowerbiensis. 

Lesson  en  a  fait  mention  dans  son  histoire  naturelle  des 
Cétacés  * . 

Un  Cétacé,  échoué  sur  les  côtes  de  Sicile  vers  1790,  attira 
en  1814  l'attention  de  Rafinesque,  qui  le  fit  connaître  sous  le 
nom  d'Epiodon  urganautus  *.  Il  a  plusieurs  dents  à  la  mâchoire 
supérieure,  dit  Rafinesque,  aucune  dent  à  l'inférieure,  et  pas 
de  nageoire  dorsale.  Nous  avons  tout  lieu  de  croire  que  c'est 
une  femelle  de  cette  espèce,  dont  la  nageoire  dorsale  rudi- 
mentaire,  ainsi  que  la  dent  du  maxillaire  inférieur,  n'ont  pas 
été  aperçues.  Les  dents  de  la  mâchoire  supérieure  dont 
Rafinesque  parle,  sont  des  dents  rudimentaires  caduques  sans 
aucune  constance,  ni  dans  leur  nombre  ni  dans  leur  volume. 

Fréd.  Cuvier  fait  mention  de  ce  nouveau  Cétacé  dans  la 
33e  livraison  de  l'Histoire  naturelle  des  Mammifères,  et  en  1829 
son  frère,  G.  Cuvier,  le  cita  dans  le  règne  animal  sous  le  nom 
de  Microptère  proposé  par  A.  Wagner. 

En  1823,  un  Cétacé  extraordinaire  se  perdit  à  l'embouchure 
de  la  Seine;  c'était  une  femelle  également.  Blainville  eut 
l'occasion  de  l'étudier  et  le  fit  connaître  sous  le  nom  de  Delphi- 
norhynchus  Dalei.  La  peau  en  a  été  empaillée  pour  les  galeries 

1  Œuvres  compl.  de  Buflbn.  Paris  182H,  p.  127. 

*  Rafinesque.  Précis  des  découvertes  somiologiques.  Palerme,  1814. 

Tome  XLL  7 


(98) 

de  zoologie  du  Muséum  de  Paris,  et  la  têle  a  été  conservée  dans 
les  galeries  d'anatomie  comparée. 

La  même  année,  un  autre  individu  vint  échouer  à  la  pointe 
de  Sallenclles,  embouchure  de  l'Orne,  côte  du  Calvados  ;  son 
squelette  fut  préparé  pour  le  Musée  de  Caen. 

Le  22  août  1828,  une  femelle  de  11  pieds  se  fit  prendre 
vivante  au  Havre,  et  on  la  tint  en  vie  pendant  deux  jours. 

En  1849,  Eschricht  publia  ses  Untersuchungen  ùber  Nordische 
Walthiere  et  adopta  également  le  nom  de  Micropteron,  proposé 
par  A.  Wagner. 

Le  nom  générique  a  souvent  été  changé  depuis,  mais  c'est 
le  plus  ancien,  celui  proposé  par  A.  Wagner  et  adopté  par 
Cuvier  et  Eschricht,  que  nous  devons  conserver. 

Le  31  août  1835,  une  jeune  femelle  est  venue  à  la  côte  près 
d'Ostende  et  a  fait  le  sujet  d'un  mémoire  de  feu  B.  Dumortier. 
Le  squelette  a  été  heureusement  conservé  par  Paret  et  se  trouve 
aujourd'hui  au  Musée  de  Bruxelles. 

En  1863,  nous  avons  publié  une  notice  sur  ce  squelette, 
dont  nous  avons  figuré  les  principaux  os. 

Duvernoy,  comparant  la  tête  du  Physeter  bideiis  mâle,  de 
Sowerby,  qui  est  au  Musée  d'Oxford,  avec  la  tête  du  Muséum 
de  Paris,  provenant  de  la  femelle  du  Havre  décrite  par 
Blainville,  a  cru  devoir  en  faire  deux  espèces.  (Mesodiodon 
Sowerbyi  et  Micr opter  on).  Il  ne  s'est  pas  douté  que  le  mâle  a 
une  forte  dent  au  milieu  de  la  longueur  de  la  mandibule  et  la 
femelle  une  très  petite. 

Depuis  lors,  un  mâle  a  été  capturé  sur  les  côtes  d'Irlande, 
dans  la  baie  de  Brandon,  comté  de  Kerry,  le  9  mars  1864. 
En  1869,  M.  Andrews  a  publié  un  mémoire  sur  cet  animal  qui 
est  désigné  sous  le  nom  de  Ziphius  Sowwbiensis.  M.  Andrews 
fait  remarquer  qu'un  autre  mâle  a  été  capturé  déjà  sur  les 
mêmes  côtes  d'Elginshire. 

Ce  mémoire  est  accompagné  d'une  planche  fort  intéressante 
reproduisant  une  photographie  de  la  tête  avec  sa  forte  dent  et 
le  sillon  en  V  sous  la  mâchoire  inférieure. 

Eug.  Deslongchamps  a  publié  quelques  observations  sur  un 


(99) 

Hyperoodon  qui  flottait  à  rentrée  de  la  mer  de  la  Manche  et 
dont  la  tête  est  conservée  au  Musée  de  Caen.  Cette  même  notice 
renferme  des  remarques  sur  le  Microptei'on  de  Sowerby,  dont 
le  squelette  presque  complet  est  conservé  au  Musée  de  Caen. 

L'auteur  ajoute  également  une  note  sur  le  Dioplodon  Ger- 
vaisii  *. 

En  1870,  un  autre  individu  de  cette  espèce  a  échoué  à  la 
même  baie  de  Brandon,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et  le 
professeur  Sir  Turner  l'a  fait  connaître  dans  les  Transactions 
de  la  Société  royale  d'Edimbourg.  11  fait  aussi  mention  d'un 
squelette  entier  et  adulte  qui  est  conservé  au  Musée  de  la 
Société  royale  de  Dublin.  Le  savant  professeur  d'Edimbourg 
résume  dans  ce  mémoire  tout  ce  qui  est  connu  de  cette  espèce. 

Dans  une  visite  faite  au  Musée  de  Christiania,  nous  avons 
trouvé  une  mandibule  de  femelle,  sans  aucune  indication  d'ori- 
gine, mais  qui  a  probablement  été  recueillie  sur  les  côtes  de 
Norwège.  Nous  en  avons  fait  mention  dans  les  Bulletins  de 
l'Académie  2. 

Une  capture  faite  en  1869  rend  probable  l'origine  scandina- 
vienne  de  la  mandibule  de  Christiania.  Au  printemps  de  la 
soaffite  aimée,  des  pécheurs  suédois  ont  rencontré  en  mer  un 
animal  de  cette  espèce  à  Nordjân  (Kattegat).  11  flottait  à  la 
surface;  ils  l'ont  remorqué  et  le  squelette  en  a  été  heureuse- 
ment conservé  au  Musée  de  Gôthebourg.  M.  Malm  en  a  fait 
mention  dans  sa  notice  sur  les  squelettes  conservés  dans  les 
Musées  de  Suède. 

Il  est  venu  encore  un  Microptéron  à  la  cote  dans  ces  mêmes 
parages  septentrionaux  à  l'est  de  Jutland,  le  3  février  1880; 
c'était  un  jeune  mâle. 

Reinhardt  a  publié  sur  cet  animal  une  notice,  qu'il  a  accom- 
pagnée d'un  tableau  des  captures  connues  avec  l'indication 
des  lieux  et  des  sexes;  il  reconnaît  cinq  mâles  et  quatre  femelles 

1  Eue  Deslogch  a  bps.  Observations  sur  quelques  Dauphins  zyphidés,  1 886. 
Buli*  Soc.  Li.nn.  dk  Normandie,  tome  X. 
•  *  sér.,  I.  XXII,  186C. 


(  100  ) 

qui  ont  péri  sur  les  côtes  de  France,  des  îles  Britanniques,  de 
la  Scandinavie  et  de  Belgique. 

Un  exemplaire  de  cette  espèce  a  fait  son  apparition  en  4885 
à  Saltô  près  de  Lysekil  (Bohuslan),  et  a  été  l'objet  d'une  étude 
de  la  part  de  M.  Cari  Aurivillius.  II  a  été  capturé  vivant. 

Nous  avons  trouvé,  au  Musée  de  Saint-Pétersbourg,  un  crâne 
fort  incomplet,  dont  l'état  de  conservation  nous  fait  croire  qu'il 
provient  d'une  ancienne  collection;  il  n'y  a  aucune  indication 
sur  son  origine. 

Nous  avons  reconnu  également  le  crâne  d'une  femelle  au 
Musée  d'anatomie  d'Edimbourg. 

Le  Micropteron  Sowerbyi  n'est  évidemment  pas  un  animal 
des  mers  d'Europe  seulement;  il  est  cosmopolite  comme  la 
plupart  des  Ziphioïdes. 

Sur  les  côtes  des  Etats-Unis  d'Amérique,  à  nie  Nantucket,  on 
a  capturé  un  individu  qui  mesurait  16  pieds  de  longueur  et 
dont  le  crâne  est  conservé  au  Muséum  de  Zoologie  comparée 
de  Cambridge. 

En  1867,  Agassiz  a  montré  la  tête  de  cet  animal  au  congrès 
de  Boston.  Il  le  regardait  comme  nouveau  pour  les  côtes  des 
États-Unis  d'Amérique. 

Une  autre  observation  en  faveur  de  son  cosmopolitisme  a 
été  fournie  récemment  par  Léon  Stejneger,  qui  a  été  à  la  mer 
de  Behring;  il  en  a  rapporté  une  tête  qui  a  été  décrite  sous  le 
nom  de  Mésoplodon.  M.  Fréd.  True  en  a  communiqué  une 
description  et  une  figure  dans  les  Proceedings  du  Musée 
national  des  États-Unis.  Les  légères  différences  signalées  par 
M.  True  nous  semblent  des  différences  individuelles  ou  locales 
plutôt  que  spécifiques. 

Capellini  a  décrit  et  figuré  des  ossements  de  Mésoplodon  ou 
Micropteron  qu'il  serait  sans  doute  difficile  de  séparer  de 
l'espèce  vivante  4. 

Le  Micropteron  qui  nous  occupe,  est  également  représenté 


1  Capelmxi.  Resti  fossili  de   Dieplodon  e  Mésoplodon.  Bologna,  1885. 
Ilu.  R  Acad.  di  Bologxa.  1883. 


(  101  ) 

dans  les  eaux  de-nos  antipodes;  nous  en  avons  vu  un  squelette 
complet  au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris  sous  le  nom 
de  Oulodon  Grayi,  qui  est  si  semblable  à  celui  du  Micropteron 
de  nos  mers  que  nous  croyions  avoir  l'espèce  ordinaire  sous 
les  yeux.  Les  affinités  de  TOulodon  avec  le  Mesoplodon  Soiverbyi 
sont  remarquables,  disait  Paul  Gervais,  en  parlant  du  squelette 
provenant  d'un  mâle  assez  jeune  qu'il  venait  de  recevoir  de 
M.  vonHaast,  de  Christchurch,  Nouvelle-Zélande. 

Le  nom  d'Oulodon  a  été  proposé  à  cause  d<?s  dents  fort 
petites  de  la  mâchoire  supérieure,  qui  se  trouvent  également 
dans  les  individus  d'Europe.  Depuis  longtemps,  Paul  Gervais  a 
reconnu  ces  petites  dents  non  alvéolées,  indépendamment  de 
la  grande,  dans  la  femelle  qui  a  échoué  au  Havre-de-Grâce. 

Depuis  cet  envoi  au  Muséum,  un  second  individu  de  la 
même  espèce  est  allé  échouer  à  Litlle  Bay  entre  Botany-Bay 
et  Long-Bay,  à  une  petite  distance  de  Sydney.  Ce  second  indi- 
vidu a  été  signalé  par  M.  Kreft.  Le  professeur  Flower  pense 
que  ce  dernier  est  plutôt  un  Mesoplodon  Layardi. 

Sous  le  titre  de  A  furlher  contribution  to  tlie  knowledge  of  the 
exisling  Ziphioid  Whales,  Genus  Mesoplodon,  qui  est  synonyme 
de  Micropteron,  M.  W.  Flower  passe  en  revue  les  différentes 
espèces  établies  par  les  auteurs,  et  compare  entre  eux  les  nom- 
breux et  intéressants  matériaux  que  les  Musées  de  Londres  ont 
reçus  de  leurs  correspondants  en  Australie. 

M.  Flower  fait  remarquer  que  les  Mésoplodons,  échoués  il 
y  a  quelques  années  sur  nos  côtes,  étaient  considérés  comme 
les  seuls  survivants  des  nombreux  Ziphioïdes  fossiles  de  nos 
sables  d'Anvers;  mais,  si  ces  animaux  sont  devenus  rares 
aujourd'hui  dans  nos  mers  d'Europe,  des  travaux  récents  nous 
ont  appris  qu'ils  se  trouvent  en  abondance  dans  la  mer  de  nos 
antipodes;  ces  Cétacés  sont  représentés  par  différentes  espèces, 
dont  quelques-unes  vivent  par  gammes  assez  nombreuses, 
puisque,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  on  en  a  vu 
échouer  jusqu'à  vingt-cinq  à  la  fois  sur  la  même  côte. 

Dans  YOstéographie  des  Cétacés,  mon  collaborateur  P.  Ger- 
vais, chargé  de  la    rédaction  des  Ziphioïdes,  consacre   un 


(  102  ) 

chapitre  au  Hésoplodon  qui  nous  occupe  et  s'étend  sur  la  partie 
historique,  la  synonymie,  le  squelette  et  le  système  dentaire.  Il 
consacre  les  pi.  XXII  et  XXVI  à  la  représentation  du  squelette 
et  des  dents. 

A.  H.  Mal  m  a  publié  depuis  une  notice  sur  cette  espèce  dans 
le  Bulletin  de  l'Académie  rovale  à  Stockholm.  Il  donne  la 
description  des  divers  os  des  deux  squelettes  qui  sont  conservés 
au  Musée  de  Gôteborg,  et  il  accompagne  sa  notice  d'une 
planche  représentant  le  crâne,  la  mandibule,  l'os  hyoïde  et  les 
os  du  membre  du  Mesoplodon,  à  côté  de  celui  de  YHyperoùdon. 

Le  dernier  travail  sur  ce  Cétacé  est  dû  à  la  plume  si  exercée 
du  professeur  Sir  Turner.  Il  a  reçu,  en  1885,  par  un  de  ses 
élèves,  un  mâle  adulte  en  chair,  capturé  aux  îles  Shetland,  et 
à  l'aide  duquel  il  a  fait  connaître  plus  en  détail  le  squelette  et 
les  parties  molles  encore  fort  incomplètement  étudiées.  Il  a  fait 
part  de  ses  observations  à  l'Association  Britannique,  à  Aber- 
deen,  le  H  septembre  1885  f.  Le  travail  a  été  inséré  dans  le 
Journal  of  anatomy  andphysiology,  October,  1885. 

La  dernière  notice  sur  cet  intéressant  Cétacé  est  celle  de 
Th.  Southwell  et  de  W.  E.  Clarke  sur  l'apparition  d'un  indi- 
vidu du  sexe  mâle,  échoué  vivant  à  marée  basse  sur  les  côtes  du 
Yorkshire,  à  l'entrée  de  la  rivière  Humber.  On  a  reconnu 
trop  tard  l'importance  de  cet  échouement;  on  n'a  recueilli  que 
l'huile  et  on  a  abandonné  le  cadavre  à  la  mer,  croyant  que 
c'était  un  Hyperoodon. 

Cet  échouement  eut  lieu  le  même  jour  que  le  professeur 
Sir  Turner  fit  sa  communication  à  l'Association  Britannique,  à 
Aberdeen,  sur  le  mâle  capturé  aux  îles  Shetland. 

Au  cap  de  Bonne  Espérance,  un  Microptéron  a  reçu  le  nom 
de  M .  Layardi  et  le  Dr  v.  Haast  a  donné  le  nom  de  M.  Fhweri  à 
celui  de  la  Nouvelle-Zélande.  Nous  avons  comparé  à  Londres 
une  belle  photographie  du  Dr  v.  Haast,  avec  la  tête  du  Cap,  et 
il  ne  nous  a  pas  paru,  ni  à  M.  Flower,  ni  à  moi,  que  ces 
Ziphoïdes  appartinssent  à  une  espèce  distincte.  L'habitat  de  ces 

1  Report  of  The  BritUh  Association,  1885,  Aberdeen,  page  1057. 


(  103  ) 

deux  Ziphioïdes  n'est  pas  une  raison  de  croire  à  une  différence 
spécifique,  dit  M.  Flower;  au  contraire  :  il  n'y  a  pas  de 
barrière  pour  les  Cétacés  entre  la  mer  du  Cap  et  celle  de  la 
Nouvelle-Zélande. 


SYNONYMIE. 

Physeter  bidens,  Sowerby,  British  Miscellany,  t.  1, 1806. 

Delphinus  edentulus,  Schreber. 

Delphinus  Sowerbyi,  Dauphin  épiodon,  Desmarets,  mammif., 
p.  521,  1820. 

Delphinorhynchus  Dalei,  Blainville,  Bull.  Soc.  philom.  sep- 
tembre, 1825. 

Delphinorhynchus  micropterus,  Cuv.  Règne  animal,  1829. 

Dauphin  de  Sowerby,  Fr.  Cuvier,  de  YHist.  nat.  des  Cétacés, 
1836,  p.  218. 

Dioplodon  Sowerbiensis,  Gervais.  Zool.  et  Paléontol.  franc. 
tab.  30,  fig.  1, 1859. 

Mesoplodon  Sowerbiensis^  Gervais,  Ostéographie  des  Cétacés, 
p.  392,  tab.  22  et  23, 1880. 

Mesoplodon  Sowerbiensis,  Van  Ben.  Mém.  Acad.  Bruxelles, 
vol.  X,  t.  III. 

Ziphius  Sowerbiensis,  Gray,  Catalog.  of  Seals  and  Whales, 
p.  350. 

Ziphius  Sowerbiensis,  Gray,  Supplément,  p.  101. 

Delphinorhynchus  microjHerus,  Dumortier,  Mém.  Acad., 
Bruxelles,  1839. 

Diodon  de  Sowerby,  Lesson,  Cétacés,  p.  127. 

Aodon  de  Dale,  Lesson,  Cétacés,  p.  155. 

Mesodiodon  Sowerby,  Duvernoy,  Ann.  sciences  natur.  1851, 
vol.  XV,  p.  55. 

Mesodiodon  Micropteron,  Duvernoy,  Ann.  se.  natur.,  p.  57. 

Micropteron,  Eschricht,  Ann.  May,  nat.  hisl.  1852. 

Ziphius  bidens,  Lilljeborg,  Sveriges  och  norges  Byggradsdjur9 
2  vol.,  in-8°,  Upsala,  1874. 


(  104) 

Micropteron  bidens,  Malm.  Goteborgs  naturhiska  Muséum, 
III  Arsskrift,  p.  32,1881. 

Mesoplodon  bidens,  Flower,  A  further  contribution,  1878. 

Oulodon  Grayi,  v.  Haast.  Proc.  ZooL  Soc,  London,  1876, 
p.  7. 

Microptenis  et  Micropteron  sont  les  plus  anciens  noms  géné- 
riques et  c'est  définitivement  le  nom  de  Micropteron  proposé 
d'abord  par  Wagner  que  nous  adoptons. 

Dans  le  complément  des  œuvres  complètes  de  Buffon, 
R.  F.  Lesson  a  fait  mention  de  YÂodon  de  Date  *,  et  considère 
comme  synonymes  le  Delphinus  edentulus  de  Schreber  et  le 
Dauphin  de  Dale,  de  Blainville  et  de  Fr.  Cuvier. 

Le  Dauphin  de  Desmaret,  que  Risso  a  mentionné  le  premier, 
est  désigné  sous  le  nom  de  Diodon  Desmarest,  dans  le  complé- 
ment; c'est  le  même  animal. 

Le  Diodon  de  Sowerby  du  même  auteur  est  également  syno- 
nyme, de  manière  que  la  même  espèce  figure  sous  trois  noms 
différents. 

Desmarëst  cite  également  sous  trois  noms  différents  le  même 
animal. 

Fr.  Cuvier  parle  du  Dauphin  de  Sowei'by,  puis  du  Dauphin 
épiodon  qui  est  la  même  espèce. 

L'animal  de  la  Nouvelle-Zélande  auquel  on  a  donné  le  nom 
de  Oulodon  Hectori,  comme  celui  du  nord  du  Pacifique  et  que 
M.  True  a  dédié  à  Stejneger,  se  rapportent  l'un  comme  l'autre 
à  une  même  espèce,  celle  qui  nous  occupe. 

Le  Mesoplodon  Floweri,  dont  le  Dr  von  Haast  a  envoyé  une 
photographie,  n'est  autre  chose  que  le  M .  Sowerbiensis. 

M.  Flower  a  eu  à  sa  disposition  le  crâne  du  Mesoplodon 
Ilectori,  de  Cook'Strait,  le  squelette  d'un  adulte  capturé  dans 
Lyall  Bayf  le  squelette  du  Mesoplodon  Grayi,  de  la  Nouvelle- 
Zélande,  le  rostre  et  la  mandibule  d'un  vieux  mâle;  et  il 
trouve  encore  ces  matériaux  insuffisants  pour  se  prononcer 
sur  leurs  caractères  spécifiques. 

1  EscHRiCHT,  Unlersuch.  p.  50. 


(  10S  ) 


CARACTÈRES. 

A  Télat  adulte,  la  mandibule  ne  porte  qu'une  seule  dent  de 
chaque  côté;  elle  est  aplatie,  logée  dans  une  profonde  alvéole 
vers  le  milieu  de  la  longueur  de  l'os.  Cette  dent  est  beaucoup 
plus  forte  dans  le  mâle  que  dans  la  femelle. 

La  longueur  du  mâle,  depuis  le  bout  du  museau  jusqu'au 
milieu  de  la  nageoire  caudale,  est  de  15  à  16  pieds  (anglais).  La 
largeur  de  la  queue  a  3  pieds  10  pouces. 

La  nageoire  pectorale  mesure,  depuis  la  tête  de  l'humérus, 
1  pied  10  pouces  et  son  plus  grand  diamètre  est  de  6  1/4  pouces. 

On  a  vu  des  jeunes  de  7  pieds  de  longueur  accompagner  leur 
mère. 

Le  Micropleron  Sowerbyi  mâle  a,  sous  la  gorge,  deux  sillons 
qui  s'unissent  en  avant  et  forment  un  V.  M.  Andrews  repré- 
sente très  bien  cette  disposition  dans  la  figure  2  qui  accom- 
pagne son  mémoire. 

DESCRIPTION. 

Comme  dans  tous  les  Ziphioïdes,  la  nageoire  pectorale  est 
fort  petite  ;  elle  ne  dépasse  pas  la  longueur  de  quatre  vertèbres 
lombaires. 

L'humérus  n'a  pas  la  grosseur  d'une  vertèbre  lombaire  et  ne 
dépasse  pas  sa  longueur. 

L'avant-bras  est  long  comme  le  bras  et  comme  la  main,  y 
compris  la  région  carpienne. 

Le  premier  rang  des  os  carpiens  a  trois  os  dont  le  médian 
est  le  plus  volumineux.  Le  second  rang  en  a  également  trois. 

Le  pouce  ne  compte  qu'un  seul  os,  un  métacarpien;  les 
métacarpiens  des  quatre  autres  doigts  diffèrent  peu  entre  eux. 

L'index  et  le  médian  ont  quatre  phalanges,  l'annulaire  trois 
et  le  petit  doigt,  un. 

Le  premier  squelette  de  cet  animal  a  été  décrit  par  Dumor- 
tier;  il  était  mal  monté  par  Paret.  Plusieurs  pièces  n'étaient 


(  106  ) 

pas  à  leur  place.  C'était  le  squelette  de  la  femelle  venue  à  la  côte 
d'Ostende. 

Dans  la  notice  que  nous  avons  publiée  sur  cette  espèce,  nous 
avons  dessiné  comparativement  l'ouverture  du  canal  des  ver- 
tèbres dans  les  différentes  régions  du  corps  *. 

Nous  trouvons  dans  la  colonne  vertébrale  :  sept  cervicales, 
neuf  ou  dix  dorsales,  dix  ou  onze  lombaires  et  dix-neuf  ou 
vingt  caudales,  en  tout  46. 

Les  deux  premières  cervicales  sont  soudées  dans  l'Oulodon 
du  Muséum  de  Paris;  dans  le  squelette  d'une  vieille  femelle 
du  Musée  de  Christchurch,  les  trois  cervicales  antérieures  sont 
réunies. 

J.  Mûrie  a  représenté  l'estomac;  nous  avons  fait  dessiner  la 
poche  du  larynx  et  ses  rapports  avec  la  trachée-artère.  Le  pro- 
fesseur Sir  Turner  a  publié  depuis  lors  un  bon  dessin  de  cette 
même  poche,  d'après  un  fœtus  de  Balœnoptera  Sibbaldii  que 
l'on  peut  comparer  avec  celle-ci. 

MM.  Ray  Lankester  et  Turner  ont  fait  connaître  la  structure 
de  la  dent  qui  est  implantée  dans  une  alvéole  vers  le  milieu  de 
la  longueur  de  la  mandibule  ;  elle  est  remarquable  chez  le 
mâle  par  sa  forme  et  son  grand  développement. 

M.  C.  Aurivilliers  a  étudié  avec  soin  le  point  de  réunion  des 
deux  lobes  de  la  nageoire  caudale,  caractère  qui  n'avait  guère 
attiré  l'attention;  généralement  il  y  a  une  échancrure  au 
milieu,  tandis  qu'au  contraire  ici  c'est  une  saillie. 

Nous  avons  eu  l'occasion  de  voir  quelques  parties  molles  que 
Paret  avait  desséchées,  et  dont  les  principaux  caractères  étaient 
encore  conservés.  Ainsi  les  intestins  montraient,  à  leur  face 
interne,  les  mêmes  alvéoles  à  peu  près  que  l'on  observe  dans 
l'Hyperoodon,  et  qui  s'étendent  sans  doute  sur  toute  la  sur- 
face interne  de  la  muqueuse  intestinale;  c'est,  croyons-nous, 
une  disposition  commune  à  toute  cette  famille. 

La  trachée-artère  a  le  caractère  général  de  la  trachée-artère 
des  Cétacés,  c'est-à-dire,  elle  se  bifurque,  mais  avant  la  bifur- 

1  Loc.  citât ,  p.  44. 


(  107  ) 

cation  elle  fournit  une  bronche  latérale,  qui  compte  les  mêmes 
cercles  cartilagineux  que  les  deux  troncs  principaux. 

Depuis  le  larynx  jusqu'à  l'origine  de  cette  bronche  supplé- 
mentaire, nous  comptons  dix-sept  cercles.  Plusieurs  d'entre 
eux  se  divisent  à  leur  tour  et  s'élargissent  au  point  de  prendre 
le  double  des  autres. 

Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  dans  la  partie  historique, 
à  la  section  de  biologie  de  l'Association  Britannique  à  Aber- 
deen,  le  professeur  Sir  Turner  a  entretenu  ses  confrères  de 
l'organisation  du  Microptéron  dont  il  a  disséqué  deux  indi- 
vidus. 


MOEURS. 

Nous  ne  croyons  pas  que  la  visite  de  l'estomac  ait  fait  con- 
naître la  pâture  habituelle  de  ce  Cétacé,  mais  nous  avons  tout 
lieu  de  penser  que  ce  sont,  comme  dans  les  autres  Ziphoïdes, 
les  Céphalapodes  qui  forment  leur  nourriture  ordinaire. 

On  possède  un  trop  petit  nombre  d'individus  pour  savoir 
s'ils  vivent  par  couples  ou  par  schools.  On  ne  peut  rien 
conclure  de  la  capture  isolée  de  quelques  animaux.  Tous  ceux 
que  Ton  a  observés  en  Europe  étaient  isolés,  tandis  qu'on  en  a 
vu  échouer  plusieurs  à  la  fois  dans  les  eaux  de  nos  antipodes. 

M.  Malm  fils  reproduit  le  tableau  des  individus  connus 
échoués  ou  capturés  et  sur  treize  d'entre  eux  il  y  a  six  mâles, 
quatre  femelles  et  deux  dont  les  sexes  sont  inconnus;  on  peut 
supposer  que  ces  animaux  vivent  par  couples,  puisqu'il  y  en 
a  à  peu  près  un  nombre  égal  de  l'un  et  de  l'autre  sexe. 

La  femelle  qui  s'est  perdue  sur  les  côtes  d'Ostende  était  seule  ; 
elle  a  été  surprise  par  la  marée  descendante.  Les  pêcheurs  du 
port  la  trouvèrent  échouée  vivante  et,  d'après  le  rapport  de 
Paret,  qui  a  recueilli  l'animal  sur  la  plage,  elle  poussa  des 
mugissements  pendant  les  deux  jours  qu'elle  a  vécu;  il  paraît 
que  sa  voix  sourde  et  caverneuse  avait  des  rapports  avec  le 
beuglement  de  la  vache. 


(  108  j 

La  femelle  qui  a  péri  le  9  septembre  1825,  à  un  quart  de 
lieue  au-dessus  du  Havre,  était  dans  le  même  cas;  elle  est 
venue  à  la  côte  en  plein  jour  et  vivait  encore  quand  on  l'a 
découverte. 

Ces  Cétacés  sont  plus  connus  en  Australie,  et  les  naturalistes 
de  la  Nouvelle-Zélande  nous  rapportent  que  l'on  en  a  vu 
échouer  sur  les  îles  Chatam  vingt-cinq  individus  ensemble; 
une  autre  fois  quatre  ont  échoué  à  la  fois  sur  les  côtes  de  la 
Nouvelle-Zélande.  Ceci  ferait  croire  que  ces  animaux  vivent 
plutôt  par  schools,  au  moins  dans  ces  parages  et  à  une  certaine 
époque  de  Tannée. 

DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE. 

Le  plus  anciennement  csnnu  est  celui  qui  a  échoué  dans  la 
Méditerranée  en  1790,  sur  les  côtes  de  Sicile,  etdontRafinesque 
a  fait  mention  ;  nous  n'en  connaissons  pas  le  sexe. 

Le  second  cas  connu  est  celui  d'un  mâle  qui  a  péri  en  1800 
ou  1804  sur  les  côtes  d'Elginshire,  en  Irlande. 

Nous  connaissons  ensuite  une  femelle  qui  est  venue  à  la 
côte  en  1825,  au  Havre-de-Grâce,  et  dont  Blainville  a  donné  la 
description. 

La  môme  année  un  mâle  a  péri  sur  les  côtes  du  Calvados 
(Salenelles).  Il  n'est  pas  impossible  qu'il  formât  un  couple  avec 
la  femelle  du  Havre. 

Dix  ans  plus  tard,  le  21  août  1835,  nous  avons  vu  périr  une 
femelle  à  l'ouest  du  port  d'Ostende;  Dumortier  en  a  fait  la 
description. 

En  1864,  le  31  mai,  un  second  mâle  a  péri  sur  les  côtes 
d'Irlande  (Brandon  Bay,  Coast  of  Kerry);  c'est  celui  dont 
M.  William  Andrews  a  reproduit  la  tête  d'après  une  photogra- 
phie. 

Plus  au  nord  nous  voyons  ensuite  périr  un  autre  mâle,  le 
15  juin  1869,  à  Nordsjan,  sur  les  côtes  du  Kattegat  ou  du  Ska- 
ger-Rak. 

Cette  même  année  1869,  une  femelle  périt  sur  les  côtes  des 
Etats-Unis  d'Amérique,  la  dernière  à  Rhode  Island. 


(  109  ) 

Les  côtes  d'Irlande  (Brandon  Bay,  Coast  of  Kerry),  voient  de 
nouveau  périr  un  mâle  en  1870,  le  31  mai. 

Une  autre  capture  est  celle  d'une  femelle  qui  a  péri  le 
3  février  1880  sur  les  côtes  de  Danemark,  à  Hevringholmstrand 
(Jutland). 

Un  mâle  a  péri  l'année  suivante,  en  octobre  1881,  sur  les 
côtes  de  Suède,  près  de  Marstrand. 

Le  23  mai  1884,  un  mâle  a  été  vu  sur  les  côtes  nord-est 
de  Shetland  (in  Voxter  Voe).  Un  jeune  de  sept  pieds  l'accom- 
pagnait. Les  marins  l'ont  attaqué  et  il  est  venu  ensuite  échouer 
sur  la  plage.  C'est  à  peu  près  la  même  place  où  un  individu  a 
été  capturé  en  avril  1881.  Le  professeur  Sir  Turner  a  reçu 
l'animal  en  chair  et  a  fait  connaître  le  résultat  de  ses  observa- 
tions anatomiques  à  l'Association  Britannique  à  Aberdeen, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit  dans  la  partie  historique. 

Le  6  août  1885,  un  jeune  mâle  a  été  pris  vivant  sur  les  côtes 
de  Saltô  (Bohuslân). 

Nous  trouvons  ce  Microptère  également  hors  des  mers 
d'Europe. 

11  visite  les  côtes  de  l'Amérique  septentrionale  :  d'après  un 
crâne  trouvé  dans  les  parages  de  Nantuckel,  on  estime  que 
l'animal  mesurait  26  pieds  de  longueur.  Agassiz  a  fait  part  de 
cette  découverte  à  l'Académie  de  Boston  en  1866. 

On  trouve  également  ce  Microptère  au  nord  du  Pacifique  : 
Flnstitution  Smithsonienne  a  reçu  de  l'île  de  Behring  une  tête 
recueillie  dans  ces  parages  par  Stejneger,  qui  avait  été  chargé 
de  collectionner  des  objets  d'histoire  naturelle  dans  ces  con- 
trées. 

Le  professeur  Sir  Turner  reconnaît  treize  captures  ou 
échouements  de  cette  espèce,  sur  le  continent  d'Europe  ou  des 
États-Unis  d'Amérique,  dont  trois  sur  les  côtes  d'Ecosse  et 
deux  sur  les  côtes  d'Irlande. 

Depuis  lors  on  a  vu  encore  un  individu  sur  la  côte  d'Ecosse 
et  un  sur  les  côtes  d'Angleterre;  MM.  Southwell  et  Clarke  ont 
signalé  ces  apparitions. 

Le  dernier  échouement  est  celui  d'un  mâle  adulte,  qui  a 


(  110  ) 

échoué  vivant  à  marée  basse  à  l'embouchure  du  Humber 
(Angleterre),  le  41  septembre  1885. 

Le  Micropleron  Sowcrbyi  visite  également  la  côte  de  Nor- 
wège;  nous  en  avons  trouvé  une  mandibule  dans  les  galeries 
du  Musée  de  Christiania,  que  nous  avons  tout  lieu  de  croire 
recueillie  sur  la  côte  du  pays.  Elle  était  sans  indication  d'ori- 
gine. 

Nous  trouvons  également  ce  Microptère  dans  la  mer  de  nos 
antipodes.  Il  semble  même  beaucoup  plus  commun  dans  ces 
parages  que  dans  notre  hémisphère. 

11  se  trouve  également  sur  les  côtes  est  de  Patagonie  et  aux 
îles  Falkland. 

M.  Moseley  en  a  rapporté  le  squelette  d'un  animal  de  14  pieds, 
et  il  m'informe  qu'il  a  reçu  de  Pandy-Point  (détroit  de  Ma- 
gellan) une  dent  de  Mesoplodon  Laijardi,  en  tout  semblable  à 
celles  qui  sont  connues. 

Comme  l'Hyperoodon  est  représenté  chez  nos  antipodes  par 
une  espèce  distincte  évidemment  du  même  genre,  le  Microp- 
téron  est  représenté  de  même  dans  l'autre  hémisphère  par  une 
espèce  qui  a  les  dents  eztraordtnaimnent  développées,  le 
Micropteron  Layardi. 


MUSEES. 

Jusqu'à  présent  on  ne  connaît  qu'un  petit  nombre  d'indi- 
vidus capturés  et  dont  le  squelette  ou  le  crâne  sont  conservés. 

A  Paris  on  voit  la  peau  empaillée  de  l'animal  échoué  au 
Havre,  en  182o. 

A  Caen  on  possède  le  crâne  et  la  colonne  vertébrale  de  celui 
qui  a  péri  sur  les  côtes  du  Calvados,  à  l'embouchure  de  l'Orne. 

A  Bruxelles  se  trouve  le  squelette  de  l'animal  pris  vivant 
près  d'Ostende  et  préparé  par  Paret. 

A  Dublin  (Royal  Dublin  Society),  le  squelette  d'un  animal  qui 
est  venu  à  la  côte  en  Irlande. 

Au  Musée  anatomique  d'Oxford,  on  conserve  la  tête  de 


(  m  ) 

ranimai  qui  a  échoué  sur  les  côtes  d'Elginshire  (Angleterre), 
et  qui  a  été  décrit  par  Sowerby,  dans  ses  British  Miscellany. 

A  Edimbourg  on  voit,  au  Musée  anatomique,  un  crâne  dont 
l'origine  n'est  pas  connue  et  le  squelette  d'un  mâle  adulte, 
capturé  en  1884  ou  188o  aux  îles  Shetland.  Il  figure  au  Musée 
anatomique. 

A  Gôteborg  se  trouvent  deux  squelettes  de  mâles  du  Kattegat 
(Nordjàn). 

Au  Musée  de  Christiana  se  trouve  la  mandibule  d'une 
femelle. 

A  Saint-Pétersbourg,  au  Musée  de  l'Académie,  il  existe  une 
tête  mal  conservée  provenant  de  quelque  ancienne  collection, 
d'origine  inconnue. 

Au  Musée  du  Collège  royal  des  chirurgiens  à  Londres,  on 
voit  un  squelette  et  des  crânes  de  la  Nouvelle-Zélande.  Un 
squelette  de  jeune  mâle  a  été  offert  par  M.  von  Haast  au  pro- 
fesseur Flower  pour  le  Musée  de  Hunter. 

Au  Musée  de  Stockholm  se  trouve  le  squelette  du  jeune  mâle 
qui  a  été  pris  vivant  en  1885  à  Saltô. 

Au  Musée  de  zoologie  comparée  de  Cambridge,  on  trouve  le 
crâne,  décrit  par  Agassiz,  qui  a  été  recueilli  sur  les  côtes  de 
Nantucket. 

La  tête  de  l'île  de  Behring  est  conservée  au  Musée  de 
Washington. 

A  Christchurch  (Nouvelle-Zélande)  on  conserve  le  squelette 
d'une  vieille  femelle  qui  a  ses  trois  premières  cervicales 
réunies. 

Au  sujet  des  ossements  de  cet  animal,  A.  H.  Malm  cite  les 
Musées  d'Oxford,  de  Paris,  de  Caen,  de  Bruxelles,  de  Dublin, 
de  Christiania,  de  Harvard,  de  Gôteborg,  de  Dublin,  d'Edim- 
bourg et  de  Berlin. 

DESSINS. 

II  existe  plusieurs  dessins  qui  représentent  parfaitement  cet 
animal. 


(  112  ) 

Du  mortier  a  figuré  une  femelle  encore  en  vie,  étendue  sur  la 
plage  d'Ostende.  Le  dessin  avait  été  fait  d'après  nature  par  un 
artiste  qui  habitait  Ostende. 

Andrews  a  reproduit  une  fort  bonne  photographie  de  la  tête 
du  mâle. 

Nous  trouvons  un  autre  dessin  de  ranimai  dans  les  Archives 
d'Erichson  et  dans  l'histoire  naturelle  des  Cétacés  de  Fréd. 
Cuvier. 

C.  Aurivilliers  a  publié  un  dessin  d'un  jeune  mâle  capturé 
vivant  à  Saltô. 

On  voit  un  beau  dessin  de  la  tête  dans  le  British  Miscellany, 
tome  1er,  et  dans  la  Banksian  Collection,  au  British  Muséum.  Ce 
dessin  est  fait  d'après  la  tête  qui  est  conservée  à  Oxford. 

Le  squelette,  le  crâne  et  la  mandibule  avec  les  dents  figurent 
dans  mon  mémoire  qui  a  pour  titre  :  Sur  un  Dauphin  nouveau 
et  un  Ziphioïde  rare  ' . 

Duvernoy  a  publié  un  beau  dessin  de  la  tête  du  Micropteron 
Soiverbyi  mâle  et  femelle. 

Dans  son  mémoire  sur  les  caractères  ostéologiques  des 
genres  nouveaux  2,  nous  voyons  un  dessin  de  la  tête  avec  la 
mandibule,  sous  le  nom  de  Mesodiodon  micropteron,  et  un 
autre  de  la  tête  d'Oxford,  sous  le  nom  de  Mesodiodon 
Sowerbii. 

Paul  Gervais  a  fait  dessiner  la  tête  qui  est  déposée  dans  les 
galeries  du  Muséum  sous  le  nom  de  Dioplodon  Sowerbiensis  3  ; 
il  a  fait  figurer  aussi  une  partie  de  la  mandibule  avec  les  dents 
sous  le  nom  de  Mesoplodon  Sowerbiensis. 

Gray  a  publié  un  dessin  de  la  tète  du  mâle  avec  mandibule 
et  dent  *. 

Le  professeur  Turner  a  publié  le  dessin  de  la  queue  et  l'ana- 
tomie  du  membre  thoracique  de  l'individu  capturé  en  I880. 


1  Van  Beneden,  Mcm.  de  l'Académie,  coll.  in-8°,  tom.  XVI,  pi.  3. 

*  Ann.  des  scierie.  na\t  3«  sér.,  t.  XV,  1851,  pi.  2. 

*  Zoologie  et  paléontologie  françaises. 
  Erebusaud  Terror. 


(H3) 

H.  Malm  fils  a  reproduit  le  dessin  de  la  tête  et  de  la  mandi- 
bule du  mâle. 

Dans  VOstéographie  des  Cétacés  nous  avons  représenté  la  tête, 
les  mandibules,  les  dents,  la  caisse  auditive  du  mule  de  Salle- 
nelles  (Calvados)  pi.  XXVI,  fi  g.  1-4,  le  squelette  delà  femelle  du 
Havre  et  de  celle  d'Ostende  (pi.  XXII,  fig.  1-3.) 


PARASITES  ET  COMMENSAUX. 

Nous  ne  connaissons  jusqu'à  présent  qu'un  seul  parasite,  et 
il  est  encore  bien  incomplètement  étudié. 

L'animal  qui  a  échoué  sur  la  plage  de  Sainte-Adresse  en 
1825  logeait  sous  la  peau,  dans  l'épaisseur  de  la  graisse,  de 
nombreux  kystes,  dans  lesquels  se  trouvaient  des  Trématodes 
ou  plutôt  des  Cestodes,  que  l'on  a  pris  pour  des  Monostomes, 
auxquels  filainville  a  donné  le  nom  de  Monostomum  Delphini. 
Nous  avons  des  raisons  de  croire  que  ce  sont  des  scolex  de 
quelque  Phyllobothrium. 


Tomb  XLI.  8 


D10PL0D0N  EUROP&US. 


LITTÉRATURE. 

P.  CcrvaU,  Zool.  et  Palêont,  franc.,  i"  edit,  4850. 

Gag.  Dcslonvchantpa,  Observât,  sur  quelques  Dauphins.  (Bull.  Soc. 
linn.  de  Normandie,  t.  X,  18GG. 

Fischer,  Nouv.  archives  du  Muséum  d'hist.  nat.,  t.  III,  p.  68. 

P.  Gcrvalfl,  0 si co graphie  des  Cétacés.  Paris,  1880,  p.  405,  pi.  XXIV. 


(  4«  ) 


HISTORIQUE. 

Le  capitaine  Vautier,  au  retour  d'un  voyage  aux  colonies, 
aperçut  flottant  sur  l'eau,  à  l'entrée  de  la  Manche,  le  cadavre 
d'un  grand  Cétacé  ;  il  fit  enlever  la  tête,  l'amarra  avec  soin  à  une 
corde  et  la  fit  porter  ensuite  à  Caen,  où  elle  est  conservée  au 
Husée. 

Mon  collaborateur  P.  Gervais  a  fait  connaître  ce  crâne  en  le 
désignant  sous  le  nom  de  Dioplodon  europœus. 

Les  avis  des  naturalistes  sont  partagés  au  sujet  de  la  déter- 
mination de  ceZiphioïde,  jusqu'à  présent  unique;  aux  yeux 
de  quelques  naturalistes,  ce  Cétacé  représente  un  vieux  mâle  de 
M icroptère  ordinaire,  dont  la  dent,  au  lieu  de  se  développer 
vers  le  milieu  de  la  longueur  de  la  mandibule,  se  serait  déve- 
loppée près  de  l'extrémité  antérieure. 

Tel  est  l'avis  du  Dr  Fischer  et  d'autres,  qui  pensent  que  cette 
pièce  unique  ne  représente  qu'une  modification  individuelle  et 
qu'elle  ne  doit,  par  conséquent,  pas  figurer  dans  le  relevé  des 
espèces.  Nous  ne  partageons  pas  cet  avis  ;  il  n'est  pas  impos- 
sible que  ce  Ziphioïde  soit  propre  a  l'autre  hémisphère  et  il  se 
peut  fort  bien  que  jusqu'à  présent  il  n'y  ait  eu  qu'un  seul 
individu  capturé  en  Europe.  N'avons-nous  pas  vu  apparaître 
une  gamme  de  Pseudorques  en  1861  que  l'on  n'a  plus  revue 
depuis  et  que  l'on  aperçut  alors  pour  la  première  fois  en 
Europe?  Peu  s'en  est  fallu  qu'il  n'y  eût  également  qu'un  seul 
individu  de  capturé  ! 

SYNONYMIE. 

Dioplodon  europœus,  E.  Deslongchamps. 
Ziphius  europœus. 
Mesoplodon  europœus. 
Dioplodon  Gervaisii. 


(118) 


CARACTÈRES. 

Ce  Ziphioîde  a  la  taille  de  l'espèce  précédente  et  diffère 
surtout  du  Microptère  par  la  dent  ou  la  défense  qui  est  placée 
près  de  l'extrémité  antérieure  de  la  mandibule. 

On  peut  dire  en  faveur  de  l'identité  de  l'espèce  avec  le  31icrop- 
teron  Sowerbyi,  que  les  dents  des  Ziphioïdes  semblent  varier 
plus  que  celles  d'autres  Cétacés,  et  que  l'on  voit,  dans  une  tête 
de  Berardius,  de  chaque  côté,  une  dent  de  moins  qu'il  ne 
devrait  y  en  avoir.  Dans  l'Hyperoodon  on  voit  également  tantôt 
une  dent  de  chaque  côté,  tantôt  deux,  quelquefois  trois. 

M.  Flower  admet  six  espèces  dans  le  genre  Micropteron  :  le 
Micropteron  biclens  ou  Sowerbyi  ;  le  M.  europœus;  le  M.  densi- 
rosiris;  le  M.  Layardi,  du  cap  de  Bonne-Espérance;  le 
M.  Hcctori,  de  la  Nouvelle-Zélande;  et  le  M.  Grayi  ou  VOulodon 
Grayi. 

En  parlant  de  cette  tête  en  1871  dans  son  mémoire  sur  les 
Ziphioïdes  vivanls,  M.  Flower  fait  observer  simplement  que, 
jusqu'à  présent,  il  n'y  a  qu'un  exemplaire  connu  de  cet  animal. 


DESCRIPTION. 

Le  rostre  de  la  seule  tète  connue  est  solide  et  d'une  forme 
un  peu  différente  du  rostre  du  M.  Sowerbyi. 

Il  n'y  a  qu'une  seule  paire  de  dents  et  elles  sont  placées  à 
quelque  distance  de  l'extrémité  de  la  mandibule. 

Ces  dents  montrent  une  partie  radiculairc  assez  longue,  dit 
Gervais,  ù  peu  près  rectangulaire  quoique  un  peu  curviligne  en 
arrière  et  faiblement  oblique  en  avant,  amincie  au  contraire 
dans  le  sens  bilatéral.  La  couronne  est  triangulaire,  très  faible- 
ment convexe  en  dehors,  un  peu  échancrée  en  arrière  et  arquée 
en  avant  ;  elle  est  en  partie  couverte  de  cément  et  ce  n'est  que 
dans  sa  portion  supérieure  que  l'ivoire  est  à  nu. 


(119) 


MOEURS  ET  DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE. 

Nous  ne  connaissons  rien  ni  de  leurs  mœurs,  ni  de  leur 
distribution  géographique,  puisqu'on  ne  connaît  que  l'animal 
qui  a  été  recueilli  ù  l'état  de  cadavre  à  l'entrée  de  la  Manche. 


MUSÉES. 
La  pièce  unique  connue  est  déposée  au  Musée  de  Caen. 

DESSINS. 

Gênais  a  figuré  les  seules  parties  que  Ton  en  connaisse  :  la 
tête  et  les  dents. 


PARASITES. 

On  a  trouvé  un  Conchoderma  (Otion)  Cuvicrii,  attaché  à  la 
dent  de  gauche;  nous  l'avons  vu  encore  en  place. 

La  présence  de  ce  commensal  n'est-ce  pas  un  indice  que  ce 
Cétacé  est  étranger  à  l'Europe  ? 


LA  DILATURA 


DANS 


LES  TEXTES  FRANCS; 


PAR 


Léon  YANDERkINDERE, 

CORRESPONDANT    DE    L' ACADÉMIE. 


(Lu  à  la  Classe  des  lettres,  dans  la  séauce  du  G  février  1888.) 


Tome  XLI. 


w 


LA  DILATURA 


DANS    LES    TEXTES    FRANCS. 


J'aborde  Tune  des  questions  les  plus  controversées  que  sou- 
lève l'étude  de  l'ancien  droit  franc.  Un  grand  nombre  d'articles 
de  la  Loi  salique,  après  avoir  indiqué  la  pénalité  principale  qui 
frappe  l'auteur  d'un  délit,  ajoutent:  excepto  capitale  et  dilatura, 
sans  compter  le  capitale  et  la  dilatura. 

Sur  le  capitale,  point  de  doute;  c'est  la  chose  elle-même 
qu'il  s'agit  de  restituer  à  son  propriétaire,  l'animal  volé,  par 
exemple,  ou  tout  au  moins  son  équivalent.  Mais  quel  est  le  sens 
de  dilatura9.  Ici  les  opinions  sont  extrêmement  divergentes. 

Les  fragments  d'une  ancienne  version  haut-allemande,  datant 
du  IXe  siècle,  rendent  le  excepta  capitale  et  dilatura  parforuzzan 
haupilgelt  inti  wirdriun  {Lex  salica,  Ed.  Hessels,  p.  XLIV); 
haupitgelt,  hauptgeld,  c'est  bien  le  capitale  dans  l'acception 
signalée  plus  haut  ;  mais  wirdriun  n'éclaircit  guère  le  pro- 
blème, car  les  philologues  ne  sont  pas  d'accord  sur  l'interpré- 
tation qu'il  y  a  lieu  de  donner  à  ce  mot.   - 

L'opinion  la  plus  ancienne  est  qu'il  faut  voir  dans  la  dilatura 
des  dommages -intérêts,  dus  notamment  pour  le  têtard  que 
le  défendeur,  niant  sa  culpabilité,  a  mis  à  s'exécuter  (Cujas, 
cité  par  Bignon  *  :  id  quod  interest  propler  moram  ;  Heinec- 
cius  *  :  quod  pro  mora  datur  ;  Eccard  3  :  mora  sua  cuilibet 

1  Bignonius,  Marcul/i  formulœ  (1665),  p.  143. 

*  Heineccius,  Elément,  jur.  German.,  II,  21. 

*  Eccard,  Leges  Francarum,  p.  45. 


—  4  — 

nociva).  Cette  interprétation  est  acceptée  par  Grimm,  dans  la 
préface  de  l'édition  de  la  loi  salique  de  Herkel  (p.  lxxxv),  par 
Behrend i  (  «  Verzugsinteresse  »  ),  par  v.  Richthofen  (Lex  Thu- 
ringorum,  p.  130,  note  71),  par  Sohm  ipoena  quœ  a  reo  negante 
postea  convicto,  pro  mora  solvitur  {Lex  Francorum  Chamavorwn, 
p.  274,  note  25*).  H.  Thonissen,  dans  la  seconde  édition  de 
son  important  travail  sur  Y  Organisation  judiciaire  de  la  loi 
salique y  sans  s'y  rallier  complètement,  la  déclare  vraisem- 
blable (p.  273).  La  dilatura  serait  donc  une  peine  moratoire; 
on  a  même  dit  :  les  intérêts  moratoires,  bien  que  cette  expres- 
sion, qui  n'est  applicable  qu'au  produit  d'une  somme  d'argent, 
soit  assurément  déplacée  dans  l'espèce. 

Toutefois,  cette  manière  de  voir  trouve  des  contradicteurs. 
Waitz  se  refuse  à  l'admettre  3.  L'hésitation  provient  surtout  de 
la  difficulté  qu'il  y  a  de  formuler,  d'après  la  loi  salique,  une 
théorie  satisfaisante  des  applications  de  la  dilatura.  Cette  péna- 
lité supplémentaire  est  en  effet  mentionnée  pour  des  délits 
sans  importance  ;  elle  est  omise  quand  il  s'agit  des  attentats 
les  plus  graves.  «  Pourquoi,  disait  M.  Thonissen  dans  sa  pre- 
mière édition  où  il  prenait  parti  pour  les  idées  de  Waitz,  pour- 
quoi aurait-on  astreint  le  voleur  d'un  esclave,  d'un  animal, 
d'une  clochette,  à  l'obligation  de  payer....  des  intérêts  mora- 
toires ou  autres,  tandis  qu'on  en  aurait  dispensé  le  voleur  d'un 
homme  libre  de  naissance?  »  (p.  184.) 

Cependant  les  autres  explications  proposées  ne  sont  guère 
plus  admissibles. 

Pithou  [Glossarjum),  s'appuyant  sur  une  glose:  delatura, 

m 

fredOy  avait  cru  qu'il  fallait  assimiler  la  dilatura  au  fredum, 
c'est-à-dire  à  la  part  de  la  composition  attribuée  au  fisc.  Cette 

1  Lex  Saliva,  Glossar  V°  Dilatura. 

*  Un  passage  de  la  Lex  Visigotfwrum,  II,  1, 18,  peut  aussi  être  invoqué 
ici  :  Et  si,.,  se  dilataverit  aut  adjudicium  venire  contempserit  pro  dilatione 
sola  V  auri  solides  petitori ...  exsolvat.  Seulement  le  défendeur  ne  nie  pas 
dans  ce  cas;  il  refuse  de  comparaître.  Cf.  Gaupp,  Lex  Francorum  Chama- 
vorum,  p.  74. 

3  Dos  alte  Recht  der  Salischen  Frankcn,  pp.  196  et  suiv. 


—  S  — 

opinion  est  contredite  par  les  textes  qui  distinguent  nettement 
les  deux  choses  : 

L.  Angliorlm,  VII,  2  :  ....delaturam  sol  7  et  in  freda  totidetn. 

L.  Sal.  XXXV,  6  :  ....inter  freto  et  faido  sunt  1800  dinar,  qui 
foc.  sol.  45,  excepto  capitale  et  dilatura. 

Grimm  (dans  les  Rechtsalterthûmer  i),  Eichhorn  *,  Wilda  3, 
ont  proposé  de  voir  dans  la  dilatura  la  récompense  accordée  à 
celui  qui  dénonçait  le  délit;  cette  hypothèse  se  fonde  sur  divers 
passages  des  lois  anglo-saxonnes,  burgondes  et  visigothiques  *, 
qui  font  mention  d'une  prime  de  ce  genre,  et  spécialement  sur 
les  termes  d'une  lettre  adressée  à  l'évêque  Purchard  de  Saint- 
Gall  5  et  dans  laquelle  on  lit  :  qui  occulte  sibi  paclum  fieri 
petiit  depretio  duarum  librarumpro  delatura  ut  haecpatefaceret. 
Seulement,  comme  le  fait  remarquer  Waitz  6,  cette  lettre  est  du 
XIe  siècle;  puis  delatura  signifie  ici  la  dénonciation  elle-même, 
bien  plutôt  que  sa  récompense. 

Il  n'est  pas  douteux  cependant  que  l'acception  :  dénonciation 
(accusatio,  calumnia,  proditio)se  rencontre  d'une  façon  authen- 
tique, mais  elle  est  incompatible  avec  les  textes  mérovingiens  7, 
et  elle  correspond  à  la  forme  delatura  qu'il  ne  faut  pas  confon- 
dre, bien  que  les  manuscrits  le  fassent  plus  d'une  fois,  avec 
dilatura.  Delatura,  de  déferre,  est  en  rapport  wecdelatio,  delator, 
mais  doit  être  nettement  distingué  des  dérivés  de  differre  :  dila- 
tura et  dilatio  (dans  la  loi  ripuaire,  XXXIII,  2,  Her.).  On  n'objec- 
tera pas  que  le  mot  dilatura  ne  figure  point  dans  les  lexiques 
latins;  quiconque  a  ouvert  les  leges  Barbarorum  sait  qu'elles 
ne  craignent  pas  les  néologismes. 

*  Deutsche  Rechtsalterthûmer,  p.  655. 

*  Deutsche  Staats-  und  Rechtsgeschichte,  I,  §  71. 

*  Strafrecht  der  Germanen,  pp.  901  et  suivantes  :  «  Ànbringelohn.  » 

4  Meldefeoh,  i.  e.  pecuniam  indication^  vel  delaturam  (ancienne  version 
latine  des  lois  du  roi  Ine,  dans  Schmid,  Gesetze  der  Angelsachsen,  p.  39). 
—  Lex  Visigoth.,  VII,  I,  4  :  Si  quis  furem  prodiderit...  non  plus  pro 
indicio  accipiat...  Et  delator  non  ampliusjam  requirat. 

»  Goldast,  Scriptor.  rer.  Alsatic,  II,  p.  56. 

6  Dos  aile  Recht,  p.  197,  note  4. 

7  Sauf  peut-être  en  un  seul  passage  sur  lequel  je  reviendrai  plus  loin. 


-  6  — 

Le  défaut  de  toutes  ces  interprétations  est  d'ailleurs  qu'elles 
n'expliquent  en  aucune  façon  pourquoi  la  dilatura  figure  dans 
certains  articles  de  la  Loi,  et  pourquoi  elle  est  absente  des 
autres. 

C'est  pour  ce  motif  également  que  l'on  pourrait  rejeter  d'em- 
blée l'hypothèse  de  Wendelinus  *  et  de  Wiarda  2,  qui  font  de 
la  dilatura  l'équivalent  des  frais  judiciaires.  Hais,  de  plus,  est-il 
conforme  à  l'esprit  de  la  législation  franque  de  supposer  l'exis- 
tence de  frais  de  justice  ?  Il  ne  peut  être  question  de  fournir 
des  indemnités  aux  témoins,  ni  de  rétribuer  les  juges  ou  de 
payer  des  employés  quelconques,  et,  en  tout  cas,  ces  frais 
seraient  aussi  réels  lorsqu'il  s'agit  d'un  assassinat  que  pour  un 
simple  vol. 

Mais,  de  réfutation  en  réfutation,  on  est  conduit  à  désespérer 
d'une  solution  rationnelle,  et  c'est  ainsi,  je  pense,  que  Waitz  a 
fini  par  proposer  une  explication  qui  a  le  premier  défaut,  à 
mes  yeux,  de  ne  rien  expliquer  du  tout. 

La  dilatura,  dit-il,  est  «  une  espèce  de  peine  qui  portait  un 
certain  caractère  public,  mais  n'était  encourue  que  dans  des 
cas  déterminés  par  la  loi  3  ».  M.  Thonissen,  dans  sa  première 
édition  (p.  184),  avait  à  peu  près  accepté  cette  formule;  il  la 
modifiait  en  disant  :  «  c'est  une  somme  fixée  par  la  coutume  et 
qui,  dans  certains  cas,  venait  s'adjoindre  à  la  composition  ». 

On  conviendra  que  ces  définitions  sont  singulièrement 
vagues.  Presque  toutes  les  pénalités  franques  consistent  en 
sommes  fixées  par  la  coutume.  Pourquoi  celle-ci,  dans  certains 
cas,  et  dans  quels  cas,  vient-elle  s'adjoindre  à  la  composition? 
Est-ce  à  la  composition  qu'elle  s'ajoute  ou  au  capitale9.  Pour- 
quoi cette  peine  a-t-elle  un  «  certain  caractère  public  »  ?  Waitz 
entend-il  par  là  qu'elle  serait  dévolue  au  fisc?  C'est  ce  que  dit 

1  Leges  Salicœ  illustrâtes  (4649)  :  Sumptus  qui  fiunt  in  causse  proseca- 
tione,  dum  inficiando  lis  crescit. 

*  Wiarda,  Erlâuterung  der  Lex  Salica,  p.  281. 

3  Dos  alte  Recht,  p.  199  :  Es  scheint  nichts  ûbrig  zu  bleiben  als  die 
dilatura  fur  eine  Art  der  Strafe  zu  halten  die  einen  gewissen  ôffentiiehen 
Charakter  an  sich  trug,  aber  nur  in  bestimmten  FaUen  vorkam. 


—  7  — 

Walter  qui  l'approuve  * ,  et  cependant  les  textes  établissent  le 
contraire  *. 

Mais  surtout  pourquoi  cette  peine  ne  frappe-elle  que  certains 
délits,  souvent  les  moins  graves?  L'objection  formulée  par 
M.  Thonissen  conserve  ici  toute  sa  force  :  est-il  vraisemblable 
qu'une  pénalité  supplémentaire,  sans  caractère  déterminé,  soit 
appliquée  au  vol  de  40  deniers  et  qu'elle  ne  le  soit  pas  à  l'in- 
cendie d'une  maison  ? 

Nous  voilà  bien  loin  d'une  conclusion  satisfaisante  et  l'on 
pourrait  être  tenté  de  dire  avec  Scherrer  (Zur  Lex  Salica,  Zeit- 
schrift  fur  deutsche  Rechtsgeschichte,  XIII,  265)  que  le  mieux, 
pour  le  moment,  est  de  s'abstenir  et  de  traduire  dilatura  par 
«  quelque  autre  prétention  du  demandeur  3  ». 

Je  crois  cependant  qu'un  pareil  scepticisme  va  beaucoup 
trop  loin  et  j'essaierai  de  démontrer  que  la  première  opinion, 
celle  qui  fait  de  la  dilatura  une  espèce  d'intérêts,  se  rapproche 
le  plus  de  la  vérité,  qu'il  importe  seulement  de  la  formuler  en 
termes  un  peu  différents  et  qu'alors  on  parvient  même  à 
rendre  compte,  à  très  peu  d'exceptions  près,  de  tous  les  cas 
particuliers  qui  se  présentent  dans  la  loi  salique  et  dans  les 
autres  textes  mérovingiens. 

La  première  chose  à  faire  est  de  noter  les  passages  dans  les- 

1  Walter,  Deutsche  Rechtsgeschichte,  p.  758. 

1  XXII...  Ei  vero  cujus  annona  est,  alios  DC  din.  qui  foc.  sol.  XV  cul  p. 
jud.,  excepto  capitale  et  dilatura.  Il  est  vrai  que  la  mention  de  la  dilatura 
ne  figure  que  dans  les  textes  6,  Herold  et  Entend.;  mais  si  les  rédacteurs 
plus  récents  pouvaient  se  tromper  sur  l'application  de  la  dilatura,  ils 
savaient  certainement  à  qui  elle  était  attribuée.  Dans  cet  ordre  d'idées, 
je  puis  invoquer  ici  le  t.  XII,  2  :  Dominus  vero  servi  qui  furtum  fecit 
capitale  et  dilaturam  requirenti  restituât.  Ce  texte  ne  se  rencontre  sous 
cette  forme  que  dans  le  C.  1,  Herold  et  Entend.,  mais,  encore  une  fois, 
quelque  doute  que  Ton  puisse  avoir  sur  l'étendue  des  obligations  du 
mailre  d'un  esclave  (voir  VII,  pp.  30  et  suiv.),  les  rédacteurs  n'auraient 
pas  écrit  requirenti,  si,  en  fait,  c'était  le  fisc  qui  percevait  la  dilatura. 

5  «  ...  wird  man  am  besten  thun  es  mit  «  sonstigem  klâgerischen 
Anspruch  »  zu  ûbersetzen.  »  —  Déjà Ducange,  V° Delatura  et  Pardessis, 
Loi  salique,  p.  363,  préfèrent  ne  pas  conclure. 


^8  - 

quels  apparaît  la  dilatura  et  de  rechercher  si  de  cette  analyse  H 
se  dégage  une  loi. 

Malheureusement  les  manuscrits  de  la  loi  salique  offrent, 
sur  ce  point  surtout,  d'extrêmes  divergences.  On  sait  qu'ils 
appartiennent  à  quatre  familles  principales  *  :  la  plus  ancienne 
qui,  sous  sa  forme  actuelle,  remonte  sans  doute  à  Glovis,  la 
deuxième  de  la  fin  du  VIe  siècle ,  la  troisième  de  l'époque  de 
Pépin  le  Bref,  la  quatrième,  connue  sous  le  nom  de  lex  emen- 
daiay  des  premières  années  de  Charlemagne.  II  faut  y  ajouter 
le  texte  d'Hérold,  qui  repose  sur  un  manuscrit  aujourd'hui 
perdu  et  dont  la  valeur  est  assez  problématique. 

Hessels,  dans  son  édition  2,  a  publié  onze  textes  appartenant 
a  ces  diverses  familles  avec  leurs  variantes. 

Or,  la  mention  de  la  dilatura  y  est  fort  irrégulière  et,  quand 
elle  fait  défaut,  on  n'a  presque  jamais  la  certitude  absolue  que 
cette  absence  n'est  pas  due  à  Terreur,  à  l'oubli  d'un  rédacteur 
ou  d'un  scribe. 

Voici,  par  exemple,  le  titre  II  qui  traite  du  vol  des  porcs. 
Sur  seize  articles,  le  texte  I  de  Hessels  porte  la  dilatura  aux 
articles  4,  5,  6  (par  analogie  de  8),  7, 10,  11, 12, 15  et  16  :  vol 
d'un  porc  d'un  an,  de  deux  ans,  de  deux  porcs  de  cet  âge,  d'an 
verrat  ou  d'une  truie,  d'un  porc  destiné  au  sacrifice,  de  plus 
de  25  porcs  ou  de  50  porcs  pris  dans  une  harde  plus  nom- 
breuse ;  mais  il  n'en  est  pas  question  aux  articles  1,  2,  3, 8,  9, 
13  et  14,  qui  traitent  du  vol  d'un  cochon  de  lait,  d'un  petit 
cochon  sevré,  d'une  truie  qui  allaite,  d'un  porc  majale  non 
destiné  au  sacrifice,  de  25  porcs  formant  un  troupeau  entier. 

Il  est  visible  que  ces  différences  sont  tout  arbitraires.  Il  n'y 
a  aucune  raison  pour  refuser  à  l'homme  auquel  on  a  dérobé 
25  porcs  la  satisfaction  qu'on  lui  donnerait  si  on  ne  lui  en  avait 
pris  qu'un  seul. 

1  Voir  Behrend,  Die  Textenltmckelung  der  lex  Salica  (Zeitschrift  fïir 
Rechtsgeschichte,  XIII,  1  et  suiv.),  et  Brunner,  Deutsche  Rechtsgeschichte, 
I,  pp.  293  et  suiv. 

*  London,  1880. 


-  9  - 

Les  autres  textes  montrent,  pour  le  même  titre,  des  inéga- 
lités aussi  inexplicables  et  qui  ne  correspondent  pas  à  celles 
du  premier. 

Seuls,  le  texte  d'HeroId  et  la  Lex  Emendata  mentionnent  la 
dilatura  à  tous  les  articles. 

Pareillement  au  titre  III  :  Du  vol  de  bestiaux,  le  texte  1  ne 
parle  de  dilatura  qu'à  l'article  7  :  vol  de  13  à  25  bêtes,  tandis 
que  tous  les  autres  textes  la  citent  sans  exception  à  tous  les 
articles. 

On  peut  croire  que  les  rédacteurs  les  plus  anciçns  ont  par- 
fois omis,  par  inadvertance,  d'inscrire  la  dilatura;  mais,  en 
revanche,  il  est  possible  aussi  que  la  Lex  Emendata,  arrêtée  à 
une  époque  où  l'intelligence  des  institutions  primitives  s'était 
un  peu  oblitérée,  ait  introduit  le  terme  systématiquement  et 
par  amour  de  la  symétrie,  même  là  où  il  ne  devait  pas  être. 

C'est  aussi  le  cas  pour  le  texte  d'Herold.  Merkel  i  avait  pensé 
([u'Herold  avait  dans  son  édition  combiné  arbitrairement  plu- 
sieurs manuscrits.  Behrend  considère  cette  affirmation  comme 
trop  absolue;  il  admet  néanmoins  qu'Herold  a  complété  cer- 
taines dispositions,  en  s'en  référant  surtout  à  la  Lex  Emendata*. 
Et  il  me  paraît  indéniable  que  cela  est  vrai  surtout  pour  les 
mentions  de  la  dilatura. 

De  ces  constatations  il  ne  faudrait  pas  conclure  à  une  incer- 
titude absolue;  j'ai  voulu  mettre  en  garde  seulement  contre  un 
attachement  trop  littéral  à  la  lettre  des  manuscrits  ;  les  exem- 
ples que  j'ai  cités  pour  les  vols  de  bestiaux  et  de  porcs  prou- 
vent que  de  la  sorte  aucune  interprétation  n'est  possible. 

L'examen  des  tableaux  suivants  fera  voir  au  contraire  que  dès 
l'abord  quelques  principes  généraux  apparaissent  nettement. 

4  Merkel,  Lex  Salica,  p.  xcvi. 

1  Behrend,  Zeitschrift  fur  Rechtsgeschichte,  XIII,  31  :  Ich  halte  es  nicht 
blos  fur  mdglich,  sondern  sogar  fûr  wahrscheinlich,  dass  Herold  den  von 
ihm  zu  Grande  gelegten  handschriftlichen  Text  durch  Einfûgung  von 
Zusatzen  vermehrt  hat,  die  er  aus  anderen  Hdss.  oder  auch  aus  gedruck- 
ten  Exemplaren  schôpfte.  Namentlich  scheint  er  die  Emendata  zu  diesem 
Zweck  benutzt  zu  haben. 


—  10  — 

À.  Cas  dans  lesquels  la  dttatura  est  mentionnée  par  la  plupart 
des  manuscrits  : 

Titre    II.  Vol  de  porcs. 

III.  Vol  de  bêtes  à  cornes. 

IV.  Vol  de  brebis. 
V.  Vol  de  chèvres. 

VI.  Vol  de  chiens. 
VU.  Vol  d'oiseaux. 
VIII.  Vol  d'abeilles. 

IX.  Détention  et  mutilation  de  l'animal  d'autrùi  qui  a  commis  des 
dégâts  dans  une  moisson. 

—  -  Dommage  causé  à  un  animal  d'autrùi  par  négligence. 
X.  Vol  d'esclaves. 

XI  et  XXVII.  Vol  d'objets  divers  commis  par  des  hommes  libres. 
XXXVIII.  Vol  de  chevaux. 
XXXIX.  Action  d'embaucher  et  d'enlever  un  esclave  d'autrùi. 
XLVIII.  Fait  d'amener  un  faux  cojurateur. 
LXV.  Action  de  decorticare  un  cheval. 

B.  Cas  où  la  dilatura  n'est  citée  que  par  la  minorité  des 
manuscrits  (d'après  l'édition  de  Hessels)  : 

Titre    IX,  4.  Dommages  causés  dans  un  champ  par  les  bôles  d'autrùi  (C.  7  à  !*, 
Her.  et  Emend.). 
8.  Reprise  violente  de  bestiaux  enfermés  pour  le  dommage  qu'ils  ont 

causé  (Herold  et  Emend.). 
6.  Acte  d'introduire  méchamment  des  bestiaux  dans  un  champ  (Em.). 
XII.  Responsabilité  du  maître  pour  les  Vols  commis  par  des  esclaves 
(4  et  Herold.). 

XIII.  Rapt  d'une  femme  libre  (Herold.). 

XIV.  Meurtre  d'un  homme  libre  endormi  (8,  6,  Emend.). 
XVI.  Incendie  d'une  étable  a  porcs  (4,  Herold  et  Emend.). 

—  —      d'une  maison  (Her.  et  Emend.). 

—  Acte  de  couper  une  haie  (8  et  6). 

XXI.  Vol  de  bateaux  (7,  8,  9,  Her.  et  Emend.). 
XXII.  Vol  commis  dans  un  moulin  (8,  Her.  et  Emend.). 
XXVII.  Vol  d'une  clochette  de  porc  (4,  2). 
Vol  d'une  entrave  de  cheval  (4). 
Vol  dans  un  jardin  (1). 
Vol  de  lin,  dans  une  charrette  (4, 2). 
Vol  de  lin,  sur  le  dos  (8,  6,  Emend.). 
Vol  de  foin,  sur  le  dos  {Emend.). 
Vol  de  vin,  dans  une  charrette  (4,  8,  6,  Emend  ). 
Vol  de  bois  dans  une  forêt  (Her.  et  Emend.). 
Vol  de  filets  (2). 
Vol  de  gibier  (4). 
LV.  Vol  dans  une  église  avec  incendie  (7, 8, 9,  Her.  et  Entend). 


—  u  — 

C.  Cas  où  la  dilolura  n'est  citée  par  aucun  manuscrit  : 

Titre    I.  Relus  de  comparaître  en  justice. 

XIII.  Rapt  (sauf  Beroîd). 

XIV.  Attaque  et  spoliation  d'hommes  libres  (sauf  5,  6,  Emend.  pour  un 

homme  endormi). 
XV.  Homicide  d'hommes  libres  et  enlèvement  d'une  femme  mariée. 
XVL  Incendie  d'une  maison  (sauf  Her.  et  Emend  ). 
XVII.  Blessures. 

XVIII.  Accusations  portées  devant  le  roi  contre  un  absent. 
XIX.  Empoisonnement  et  maléfices. 
XX.  Blessures  ou  attentat  à  une  femme  libre. 

XXIII.  Acte  de  monter  le  cheval  d'autrui. 

XXIV.  Meurtre  d'enfants. 

XXV.  Fait  d'avoir  commerce  avec  une  esclave  d'autrui. 
XXVI.  Affranchissement  de  l'esclave  d'autrui. 
XXVIII.  Fait  de  soudoyer  quelqu'un  pour  un  crime. 
XXIX.  Mutilations. 
XXX.  Injures. 

XXXI.  Fait  de  détourner  violemment  un  homme  de  sa  route. 
XXXII.  Acte  de  lier  sans  cause  un  homme  libre. 
XXXI V.  Destruction  de  haies. 
XXXVI.  Responsabilité  pour  la  mort  d'un  homme  causée  par  un  animal 

domestique. 
XXXIX.  Tentative  d'enlever  l'esclave  d'autrui. 

—      Enlèvement  d'un  Franc  libre  ou  d'un  Romain  libre. 
XL  et  XII,  2.  Vol  commis  par  des  esclaves,  obligations  du  maître  (sauf  1  et 
Her.  XIII,  21. 
XL1.  Meurtre  d'hommes  libres,  antrustions,  convivœ  régis,  etc. 
XLII.  Meurtre  perpétré  en  bande. 
XLIII.  Meurtre  dans  un  festin. 
XL VI H.  Faux  témoignage  et  faux  serment. 
XLIX.  Refus  de  témoigner. 
LU.  Refus  de  restituer  une  chose  prêtée. 
LIV.  Assassinat  d'un  graphio. 
LV.  Dépouillement  d'un  cadavre. 
LVII.  Refus  de  la  part  de  rachimhourgs  de  prononcer  un  jugement. 
LXI.  Acte  d'enlever  un  objet  des  mains  d'autrui. 
LX1II.  Meurtre  d'un  homme  à  l'armée. 
LXIV.  Inculpations  fausses. 

Je  ne  mentionne  pas  ici  les  titres  où  il  est  question  d'actes  de 
procédure  ou  de  juridiction  volontaire  (aflatimus,  reipus,  etc.) 
et  dans  lesquels  aucune  espèce  de  pénalité  ne  peut  figurer. 


—  12  — 

Tirons  de  cette  énumération  les  conclusions  les  plus  appa- 
rentes : 

1°  Dans  la  plupart  des  cas  de  vols,  il  y  a  lieu  à  dUatura; 

2°  La  dilatura  n'est  pas  due  pour  assassinat,  rapt,  viol,  bles- 
sures, mutilations,  incendie,  injures,  maléfices,  empoisonne- 
ments, faux  témoignage,  etc.,  ni  de  la  part  du  maître  quand  il 
s'agit  d'un  vol  commis  par  un  esclave; 

3°  Elle  n'est  pas  indiquée  pour  certains  crimes  ou  délits  qui 
impliquent  cependant  un  vol  ou  qui  tout  au  moins  ont  pour 
effet  de  priver  le  propriétaire  de  sa  chose.  Tels  sont  l'acte  de 
détruire  une  maison  et  ce  qu'elle  contient,  d'affranchir  l'es- 
clave d'autrui,  d'attaquer  et  de  dépouiller  un  homme  libre,  de 
dépouiller  un  cadavre  ; 

4°  Sur  certains  points,  mentionnés  dans  le  tableau  B,  les 
textes  présentent  de  graves  divergences.  Visiblement  les  rédac- 
teurs se  sont  trouvés  embarrassés  et  ils  ont  tranché  la  difficulté 
en  s'inspirant  tantôt  d'une  analogie,  tantôt  de  l'autre. 

Mais  cette  première  constatation  faite,  est-il  possible  d'aller 
plus  loin  et  d'établir  des  règles  qui  donnent  les  grandes  lignes 
de  la  théorie  franque  et  qui  justifient  même  les  exceptions 
apparentes? 

Voici  comment  j'essaierai  de  formuler  ces  règles  : 

La  dilatura  représente  essentiellement  les  fruits  que  le  pro- 
priétaire a  été  empêché  de  percevoir.  Il  ne  suffit  pas  qu'on  lui 
restitue  la  chose  qu'un  tiers  s'est  indûment  appropriée;  il 
faut  de  plus  qu'on  l'indemnise  de  la  jouissance  dont  il  a  été 
privé.  C'est  ce  qui  explique  que  la  dilatura  est  presque  toujours 
jointe  au  capitale,  et  que  là  où  il  ne  peut  être  question  du  rem- 
boursement du  principal,  il  n'y  a  pas  lieu  davantage  à  la  remise 
des  intérêts. 

J'en  conclus  que  les  seuls  délits  entraînant  la  dilatura  seront 
des  vols  ou  des  délits  connexes,  par  exemple  la  destruction 
ou  la  détention  illégale  d'un  objet  qui  équivaut  à  un  vol  pour 
le  propriétaire. 

La  dilatura  n'est  donc  pas  un  accessoire  de  la  composition, 
et  ce  n'est  pas  le  retard  de  consentir  à  la  composition  qui  lui 


-  13  - 

donne  naissance.  S'il  en  était  ainsi,  la  loi  devrait  comminer 
la  dilatura  dans  tous  les  procès,  dès  que  la  litis  contestatio  est 
faite,  et  non  seulement  pour  vol,  mais  pour  un  délit  quel- 
conque, et  il  en  résulterait  aussi  qu'un  coupable  en  aveu  ne 
devrait  jamais  la  réparation  spéciale  du  dommage  causé  par  la 
privation  des  fruits,  quelle  qu'en  fût  la  durée.  Or  les  textes 
excluent  formellement  ces  hypothèses. 

La  définition  d'après  laquelle  la  dilatura  ne  courrait  qu'à 
partir  de  la  dénégation  du  défenseur  est  beaucoup  trop  étroite  ; 
c'est  le  fait  délictueux  lui-même  qui  la  provoque.  Au  lieu  de 
parler  d'intérêts  moratoires,  c'est  intérêts  compensatoires  qu'il 
faut  dire,  en  prenant  ce  terme  dans  le  sens  que  lui  donnent  les 
juristes  modernes i . 

4  Voici,  à  l'appui  de  cette  distinction,  quelques  citations  qu'a  bien 
voulu  rassembler  pour  moi  mon  collègue,  M.  £.  Van  der  Rest  : 

ârntz,  t.  III,  n°  79,  alin,  2  :  «  Les  intérêts  sont  compensatoires  ou 
moratoires.  Les  intérêts  compensatoires  sont  ceux  dus  pour  l'usage  d'un 
capital  ou  l'équivalent  du  prix  d'une  chose  productive  en  fruits.  Les 
intérêts  moratoires  sont  dus  à  raison  du  retard  d'acquitter  une  obligation 
ayant  pour  objet  une  somme  d'argent. 

Demolombe,  t.  XII,  n°  613  :  Le  Code  ne  s'occupe  dans  l'article  1153  que 
des  intérêts  moratoires.  Aux  intérêts  moratoires-  on  oppose  les  intérêts 
compensatoires,  qui  sont  eux-mêmes  de  deux  sortes,  à  savoir  :  conven- 
tionnels, lorsqu'ils  sont  stipulés  par  le  créancier  pour  prix  de  la  jouis- 
sance d'une  somme  d'argent  par  lui  prêtée  au  débiteur  ;  judiciaires, 
lorsqu'ils  sont  alloués  au  créancier  par  le  juge ,  pour  la  réparation  de 
tout  autre  dommage  que  celui  résultant  du  retard  dans  l'exécution  d'une 
obligation  ayant  pour  objet  une  somme  d'argent,  et  comme  complément 
accessoire  de  l'indemnité  pécuniaire  à  laquelle  le  débiteur  est  condamné 
envers  lui.  Il  importe  de  ne  pas  les  confondre. 

Larombière,  Traité  des  obligations,  t.  II,  art.  H53,  n°  2  :  Si  l'on  peut 
stipuler  des  intérêts  dans  un  prêt  de  choses  fongibles  comme  dans  un 
prêt  de  deniers,  il  ne  faut  pas  croire  que  lorsqu'il  s'agit  de  dommages  et 
intérêts  pour  retard  dans  le  payement  de  choses  fongibles,  le  créancier 
n'ait  droit  qu'à  des  intérêts  proprement  dits  et  dus  seulement  en  vertu 
d'une  demande  judiciaire;  il  ne  s'agit  plus  alors  d'intérêts,  mais  de 
dommages  et  intérêts  véritables  dont  la  loi  n'a  point  fait  l'évaluation  à 
priori  et  à  forfait.  En  un  mot,  là  où  il  s'agit  du  payement,  non  de  deniers, 
mais  de  toute  autre  chose,  fût-ce  même  d'une  chose  fongible  et  susceptible 


—  14  - 

Appliquons  ces  principes  généraux  aux  cas  particuliers,  afin 
de  les  préciser  et  d'en  vérifier  l'exactitude. 

I.  Vol  d'animaux  et  d'esclaves.  —  C'est  à  propos  des  vols  d'ani- 
maux et  d'esclaves  que  tous  les  textes  de  la  loi  salique  mention- 
nent le  plus  fréquemment  et  le  moins  irrégulièrement  la  (Mo- 
llira, et  en  effet  la  notion  des  fruits  apparaît  ici  clairement.  Par 
fruits  il  faut  entendre  aussi  bien  le  croît  des  animaux  que  leur 
travail,  comme  celui  des  esclaves. 

Les  exceptions  qui  ne  sont  pas  nombreuses  trouveront  leur 
explication  plus  loin.  Je  ne  citerai  pour  le  moment  que  le  fait 
d'avoir  affranchi  l'esclave  d'autrui  ;  à  première  vue,  c'est  un  vol, 
et  assurément  le  délit  a  pour  conséquence  de  priver  le  proprié- 
taire de  la  jouissance  de  sa  chose;  néanmoins  la  loi  ne  pres- 
crit ni  la  restitution  de  l'esclave  ni  la  dilatura.  Elle  se  borne  à 
enjoindre  au  coupable  de  rembourser,  en  sus  de  la  compo- 
sition, pretium  servi,  le  prix  de  l'esclave  (XXVI,  2).  Il  en 
résulte  que  l'affranchissement  restait  valable  :  l'affranchi  con- 
servait la  liberté  *.  Nous  verrons,  de  plus,  que  l'homme  libre 
n'était  pas  considéré  comme  producteur  de  fruits;  c'est  cette 
conception  qui  domine  dans  le  cas  actuel  et  qui  empêche  qu'on 
ne  réclame  du  défendeur  l'équivalent  d'un  travail  que  l'affran- 
chissement avait  eu  pour  effet  d'anéantir. 

à  ce  titre  de  produire  des  intérêts  conventionnels,  il  n'y  a  pas  lieu  à 
l'indemnité  légale  des  intérêts  moratoires;  il  y  a  lieu  à  des  dommages- 
intérêts  dans  toute  la  force  du  mot,  excepté  dans  le  cas  de  prêt,  s'il  y  a 
retard  dans  le  remboursement,  ou  s'il  y  a  une  stipulation  expresse 
d'intérêts. 

Dans  le  même  sens  :  Dalloz,  Répertoire,  v°  Obligations,  n°  844; 
Laurent,  t.  XVI,  n<»  306  et  326. 

4  Les  Capitula  legi  Salicœ  addita  de  819  (Ed.  Boretius,  I,  p.  292), 
interprétant  la  Lex  Emendata,  XI,  3,  qui  assimile  l'affranchissement  au 
meurtre  de  l'esclave  et  commine  le  capitale  et  la  dilatura,  décident  que 
l'affranchi  ne  gardera  pas  la  liberté;  mais  la  question  était  controversée  : 
dixerunt  aliqui,  quod  idem  servus,  qui  ingenuus  dimissus  fuerat,  denuo 
ad  servitium  redire  non  debeat;  sed  pristino  domino  et  servitio  resHtotfus 
fiât,  judicaverunt,  et  cette  interprétation  est  sans  valeur  au  point  de  vue 
du  droit  ancien* 


—  15  — 

II.  Vol  d'objets.  —  On  peut  se  demander  d'abord  si  les  Francs 
avaient  la  notion  bien  nette  des  fruits  résultant  de  l'usage  d'une 
chose,  telle  qu'un  instrument  aratoire,  un  bateau,  une  clo- 
chette, une  pièce  de  bois,  etc. 

Il  semble  que  les  rédacteurs  de  la  loi  salique  aient  eu  à  cet 
égard  beaucoup  d'hésitations.  Ils  mentionnent  la  dilatura  pour 
vol  commis  en  dehors  d'une  maison,  vol  commis  dans  un 
jardin,  vol  perpétré  avec  de  fausses  clefs,  vol  d'objets  valant 
plus  de  cinq  dinarii,  vol  de  lin,  de  foin,  de  filets  de  pêche,  etc. 
Mais  ils  l'oublient  quand  il  s'agit  du  vol  commis  à  l'intérieur 
d'une  maison,  dans  une  cave  (screona),  du  vol  de  fèves,  de  len- 
tilles, de  navets. 

Ce  serait  pousser  la  subtilité  un  peu  loin  de  vouloir  expli- 
quer ces  divergences.  Parfois  cependant  on  devine  ce  qui  les  a 
déterminées. 

Il  est  des  cas  où  le  délit  consiste  plus  dans  l'intention  que  dans 
la  gravité  du  dommage.  La  restitution  des  fruits  et  même  celle 
du  capitale  ont  alors  si  peu  d'importance  que  la  composition 
elle-même  indemnise  suffisamment  et  largement  le  propriétaire. 

Ainsi  le  vol  de  raisins  dans  un  vignoble  ne  donne  pas  lieu 
à  dilatura  *  ;  mais  il  en  est  autrement  si  le  voleur  a  rapporté 
chez  lui  dans  une  charrette  le  produit  de  son  larcin  : 

Même  distinction  pour  le  vol  de  foin. 

XXVII.  10 et  si  fenutn  exinde  ad  dojnum  suam  duxerit  et 

discargaverit  excepto  capitale  et  dilatura,  4800  dinar.,  qui 
faciunt  sol.  45,  culpab.judicetur. 

H.  Si  veto  tantum  praesumpserit  quantum  in  dorsum  suum 
portaverit,  120  dinar.,  qui  faciunt  sol.  3,  culp.judicetur. 

On  voit  que  si  la  quantité  soustraite  est  insignifiante,  la 
dilatura  est  négligeable. 

4  XXVII ,  12.  Si  quis  vinea  aliéna  in  furtum  vindimiaverit  et  inventus 
fuerit...  sol.  XV  culp.  judicetur  (aucun  texte  n'ajoute  :  excepto  capitale  et 
dilatura). 

13.  Si  vero  vino  ad  domum  suam  exinde  duxerit  (plusieurs  textes  :  in 
carro  duxerit)  autdiscarecaverit, ...  sol.  XLV culp.  judic.,  excepto  capitale 
et  dilatura  (C.  3, 4,  5,  Emend.). 


—  16  — 

De  cette  façon  s'expliquent  les  dispositions  qui  frappent 
d'une  simple  amende  de  3  sous  celui  qui  a  pris  des  navets 
dans  un  champ  (XXVII,  7),  celui  qui  a  passé  avec  une  charrette 
dans  le  blé  à  l'époque  où  le  grain  commençait  à  lever 
(XXXIV,  2),  et  de  15  sous,  s'il  ouvrait  déjà  ses  feuilles 
(XXXIV,  3),  de  15  sous  également  celui  qui  fait  un  trou  dans 
une  haie,  en  enlevant  trois  piquets  ou  en  coupant  les  liens  qui 
les  retiennent  (si  quis  veto  très  virgas  unde  sepes  super  ligaiur 
vel  retorta  unde  sepes  continetur  capulaverit  aut  très  cambortas 
involaverit XXXIV,  1). 

C'est  probablement  pour  la  même  raison  que  YexpoUatw 
d'un  esclave  ou  d'un  lite  par  un  homme  libre  ne  donne  lieu  ni 
à  la  restitution  du  capitale,  ni  à  la  dilaiura  (XXXV,  2,3,4). 
Les  victimes  de  cet  acte  de  violence  ne  portaient  pas  sur  elles 
des  valeurs  considérables  :  la  loi  prévoit  les  cas  où  les  objets 
enlevés  valaient  moins  d'un  sou  ou  plus  d'un  sou,  et  elle 
commine,  en  conséquence,  des  peines  de  15  sous  et  de 
30  sous  (35  pour  le  lite),  qui  sont  censées  fournir  une  indem- 
nité suffisante. 

Pareillement,  s'il  faut  traduire  le  titre  LXI,  1  :  si  quis  aUeri 
de  manum  suam  desuper  atierum  aliquid  rapuerit,  comme  on  le 
fait  généralement,  et  y  voir  le  fait  d'  «  arracher  brusquement  un 
objet  des  mains  de  son  propriétaire »(Thonissen,  p.  326,  2° éd.), 
on  dira  qu'ici  la  restitution  du  capitale  peut  se  justifier  (rem  in 
caput  reddat),  mais  que  la  dilaiura  est  exclue  par  l'insignifiance 
même  du  vol. 

Je  dois  ajouter  cependant  que  cette  interprétation  me  paraît 
bien  douteuse.  Ce  qui  saute  aux  yeux,  c'est  que  de  manu(m) 
sua(m)  du  premier  paragraphe  est  opposé  à  in  manu  tertia  du 
second.  Or,  la  manus  tertia  est  une  expression  figurée;  miltere 
in  manum  tertiam,  c'est  faire  rechercher  le  tiers  qui  a  eu  pos- 
session de  la  chose  volée  et  qui  est  l'auteur  du  possesseur  actuel. 
Dès  lors,  rapere  aliquid  alteri  de  manu  sua,  n'est-ce  point 
enlever  une  chose  à  celui  qui  la  possède,  dans  le  cas  où  il  n'y 
a  pas  eu  dHntertiatio,  et  desuper  alterum  ne  signifie-t-il  pas  que 
cette  chose  est  la  propriété  d'un  autre?  Il  s'agirait,  si  cette 


—  17  — 

interprétation  est  admissible,  du  vol  d'un  objet  commis  au 
détriment  de  celui  qui  n'en  est  pas  propriétaire,  et  l'absence  de 
dilatura  serait  due  précisément  à  cette  dernière  circonstance. 

Waitz  (Basalte  Recht,  p.  198)  pense  que  la  dilatura  n'est  pas 
exigée  parce  que  la  restitution  de  la  chose  arrachée  de  la  main 
est  immédiate.  Il  est  certain  que  nous  sommes  ici  en  présence 
d'un  furtum  manifestum;  mais  pour  en  conclure  que  la  restitu- 
tion se  fera  sur-le-champ,  il  faudrait  admettre  que  le  voleur 
fût,  dans  tous  les  cas,  arrêté  en  flagrant  délit,  ce  que  l'article 
ne  dit  en  aucune  façon. 

En  réalité,  les  textes  sont  extrêmement  défigurés  et  presque 
inintelligibles.  Déjà,  le  rédacteur  du  C.  1  a  lu  au  §  2;  in  terra 
raanum  pour  in  tertia  manum  ;  il  a  supposé  alors  que  in  terra 
se  rapportait  aux  mots  précédents  :  desuper  hominem,  et  pour 
plus  de  clarté,  il  a  ajouté  :  mortuum.  Cette  idée  de  l'homme  mort 
l'a  conduit  à  intercaler  un  paragraphe  relatif  à  la  spoliation  du 
cadavre  qui  n'avait  rien  de  commun  avec  les  autres  articles. 

Les  textes  suivants  sont  encore  moins  satisfaisants  : 

C.  2.  Si  quis  alteri  super  illo  idem  mano  super  illo  alique 
inripuit (?). 

C.  3.  Si  quis  alteri  de  manu  per  virtutem  aliquid  tulerit  desu- 
per illam  rem 

Dans  les  plus  récents,  on  arrive  à  une  formule  très  claire  : 
Si  quis  alteri  de  manu  aliquid  per  vim  tulerit;  mais  elle  a  l'in- 
convénient d'être  absolument  étrangère  à  la  disposition  du  §  2, 
qui  s'occupe  du  vol  d'une  chose  frappée  de  saisie-arrêt. 

Au  titre  XXVII ,  De  furtis  diversis,  rien  ne  paraît  plus  arbi- 
traire que  les  dispositions  des  articles  1  et  2 ,  telles  que  les 
donnent  les  textes  1  et  2. 

1.  Si  quis  tintinno  de  porcina  aliéna  furaverit,  sol.  XV 

culp.jud.,  excepta  capitale  et  dilatura. 

Si  quelqu'un  vole  la  clochette  d'un  troupeau  de  porcs,  il 
doit  15  sous,  plus  le  capitale  et  la  dilatura. 

2.  Si  vero  de  pecoribus  involaverit, sol.  III  culp.  judic. 

S'il  vole  la  clochette  d'autres  bestiaux  :  3  sous,  sans  capitale 

ni  dilatura. 

Tome  XLI.  2 


—  18  — 

Il  est  possible,  en  effet,  que  la  différence  soit  imputable  à  la 
négligence  des  copistes  *.  Je  me  hasarde  cependant  à  suggérer 
l'explication  suivante.  Les  vaches  étaient  des  animaux  que  Ton 
pouvait  reconnaître  facilement;  la  loi  salique  expose  toute  la 
procédure  extrajudiciaire  par  laquelle  on  les  réclamait  après 
les  avoir  suivies  à  la  trace.  Les  porcs,  au  contraire,  encore  à 
demi-sauvages,  pouvaient  être  considérés  comme  perdus  si  leur 
clochette  était  enlevée.  De  là  l'élévation  de  la  composition  qui 
équivaut  pour  le  vol  d'une  clochette  à  celle  du  porc  adulte 
(tit.  Il,  5),  et  la  mention  du  capitale  et  de  la  dilaiura,  probable- 
ment pour  Tanimal  lui-même. 

Ce  qui  tend  à  confirmer  cette  interprétation,  c'est  que  le 
droit  franc  empêchait  là  recherche  des  traces,  le  vestigium 
tninare,  pour  des  vêtements  ou  d'autres  objets  analogues  qui  ne 
portent  pas  de  marque  distinctive  2, 

Et  ceci  nous  permet  de  supposer  que  l'absence  de  la  dilatwra 
pour  vols  commis  dans  une  maison  ou  dans  une  cave,  screona 
(où.  travaillaient  les  servantes),  a  sa  raison  d'être.  On  ne  pouvait 
guère  y  soustraire  que  des  vêtements  ou  d'autres  choses  peu 
reconnaissables,  qu'il  était  interdit  de  suivre  et  de  faire  saisir. 
Dès  lors  la  restitution  in  capite  était  impossible  et  la  dilatwra 
partageait  le  sort  du  capitale. 

Ceci  n'est  cependant  qu'une  hypothèse  à  laquelle  je  n'attache 
pas  d'autre  valeur  et,  sans  chercher  aussi  loin,  on  serait  tenté 
de  supposer  que  c'est  la  seule  mention  des  porcs  qui  a  amené, 
par  une  association  d'idées  fréquemment  répétée,  le  mot  dila- 
tura  sous  la  plume  du  rédacteur. 

Je  constate,  en  effet,  que  dans  la  Lex  Angliorum  et  Wertiw- 
rum,  id  est  Thuringorum,  il  n'est  question  que  deux  fois  de 
dilatura  :  pour  vol  des  bijoux  d'une  femme  (rhedo)  et  pour  vol 
d'un  troupeau  de  porcs  (art.  37  et  38). 

Par  une  exception  analogue,  la  loi  salique,  qui  ne  parle 

1  Les  textes  3  et  suivants  suppriment  la  mention  du  capitale  et  de  la 
dilatura. 

*  L.  Rib.  LXXII,  9.  Vestimenta  autem  seu  his  similia,  absque  probabiU 
signo,  inter tiare  prohibemus. 


—  19  - 

point  de  la  dilatura  à  propos  de  l'incendie  d'une  maison  ou 
d'une  grange,  la  fait  reparaître  (du  moins  dans  trois  textes  : 
C.  1,  Herold  et  Emetulata)  pour  l'incendie  d'une  étable  à  porcs 
ou  à  bestiaux. 

J'examinerai  plus  loin  s'il  est  possible  d'expliquer  pourquoi 
la  destruction  d'un  bâtiment  ne  produit  pas  les  effets  légaux 
d'un  vol. 

III.  Une  condition  nécessaire  pour  que  le  capitale  et  la  dila- 
tura soient  exigibles,  tant  pour  vol  d'animaux  que  d'objets, 
c'est  que  les  choses  volées  aient  été  réellement  la  propriété 
du  demandeur. 

Examinons  à  ce  sujet  le  cas  du  vol  commis  dans  un  moulin. 
Le  meunier  n'est  pas  propriétaire  de  la  farine  qui  lui  a  été 
dérobée.  On  lui  doit  une  amende  de  1S  solidi. 

XXII,  1  :  Cui  molinus  est,  hoc  est  ipso  molinario,  600  dinar, 
qui  faciunt  sol.  45  culp.judicetur. 

Pas  un  seul  manuscrit  ne  lui  attribue  capitale  ou  dilatura. 

Mais  l'homme  qui  avait  porté  son  blé  à  moudre  a  droit,  de 
son  côté,  à  une  réparation;  elle  est  également  de  18  solidi; 
seulement,  plusieurs  textes  (S,  Herold,  Emendata)  y  ajoutent  le 
capitale  et  la  dilatura,  ce  qui  est,  en  effet,  bien  conforme  aux 
principes  : 

Ei  vero  cujus  annona  est,  alios  /o  culpabilis  judicetur,  excepto 
capitale  et  dilatura. 

S'agit-il  maintenant  d'un  délit  de  chasse  ou  de  pêche,  d'un 
vol  de  gibier  ou  de  poisson,  la  loi  prescrit  une  amende,  mais 
elle  ne  parle  ni  de  capitale,  ni  de  dilatura  *.  C'est  qu'en  effet, 
celui  qui  peut  se  plaindre  parce  qu'on  a  braconné  chez  lui, 
n'avait  pas  réellement  la  possession  des  animaux  volés;  il  n'y 
avait  là  pour  lui  qu'une  éventualité  de  capture. 

Le  texte  de  la  loi  ripuaire  vient  à  l'appui  de  ce  commentaire. 
Très  sévère  pour  toute  espèce  de  vols,  qu'elle  frappe  même 
d'une  composition  égale  au  wergeld  du  voleur,  elle  n'exige 

1  Excepté  dans  le  texte  1. 


—  20  — 

que  15  solidi  pour  le  gibier  ou  le  poisson  «  quia  non  hic  re 
possessa,  sed  de  venationibus  agitur  »  (XLII,  1). 

Cette  observation  est  répétée  (Rib.  LXXVl,  1)  pour  le  vol 
d'arbres  dans  une  forêt  :  quia  non  res  possessa,  sed  de  ligno 
agitur.  Et,  avec  la  même  logique,  la  loi  salique  ne  cite  pour 
cette  espèce  de  vols  ni  capitale,  ni  dilatura.  Je  crois,  de  plus, 
que  ce  fait  est  de  nature  h  jeter  une  certaine  lumière  sur  les 
articles  16  à  19  du  titre  XXVII,  où  il  est  question  de  ces  délits 
forestiers.  Quatre  cas  sont  prévus,  que  je  classerai  pour  plus 
de  clarté  dans  Tordre  suivant  : 

Art.  18.  Vol  de  bois  commis  dans  la  forêt  communale  d'un 
autre  village.  Les  mots  silva  aliéna  ne  signifient  pas,  en  effet, 
une  forêt  appartenant  à  un  particulier,  ainsi  que  le  pense 
M.  Thonissen;  on  en  trouve  la  preuve  irrécusable  dans  les 
autres  dispositions  delà  loi  : 

Art.  16,  17,  et  19,  qui  s'occupent  de  vols  commis  dans  la 
forêt  communale  même. 

Art.  16.  Si  quelqu'un  a  détruit  dans  la  forêt  le  bois  d'un 

autre  :  materiam  aliénant Il   s'agit  des  arbres  dont   les 

co-usagers,  les  Markgenossen,  pouvaient  disposer  pour  leur 
usage  personnel.  Chacun  marquait  un  certain  nombre  d'arbres; 
celui  qui,  par  mauvais  gré,  coupait  ou  brûlait  ces  arbres,  était 
frappé  d'une  composition  de  15  solidi. 

Si,  cependant,  les  arbres  avaient  été  marqués  l'année  précé- 
dente et  que  celui  qui  en  avait  ainsi  pris  possession  avait 
négligé  de  les  couper,  ses  droits  étaient  périmés  et  le  fait  de 
prendre  ce  bois  n'était  pas  punissable. 

XXVII,  18  :  Si  quis  arborent  post  annum  quod  fuit  signatmn 
praesumpserit,  nullam  habeat  culpam  t. 

Il  serait  impossible  d'expliquer  cette  disposition  si  l'on  sup- 
pose que  la  loi  veut  parler  d'une  forêt  particulière;  car  per- 
sonne n'admettra  que  le  seul  fait  d'avoir  marqué  chez  soi  un 


1  Les  Novellœ  ajoutent  :  Si  infra  annum  quis  eum  capulaverit,  420  din. 
qui  faciunt  sol.  S  culp.  judicetur  —  addition  tout  à  fait  conforme  à  l'esprit 
des  articles  anciens. 


—  21  — 

arbre  el  de  ne  pas  Ta  voir  enlevé  dans  lo  délai  d'un  an,  donnât 
à  un  autre  quelque  droit  sur  cet  arbre  *. 

C'est  donc  bien  de  la  forêt  communale  qu'il  est  question,  et 
il  en  est  de  même  à  l'article  17,  qui  prévoit  le  cas  où  un 
homme  enlève  du  bois  qui  a  déjà  été  façonné  d'un  côté  (ex  una 
parte  dolalum),  c'est-à-dire  qui,  manifestement,  porte  la  trace 
d'une  prise  de  possession.  Encore  une  fois,  dans  une  forêt 
particulière,  ce  détail  serait  parfaitement  indifférent,  car  le 
premier  venu  ne  peut  pas  plus  y  disposer  d'un  arbre  couvert 
de  son  écorce  que  d'un  arbre  équarri.  Remarquez,  d'ailleurs, 
que  la  peine  n'est  pas  augmentée  pour  cela  :  3  solidi,  comme 
pour  les  vols  ordinaires.  Le  temps  et  le  travail  d'un  homme 
libre  n'entrent  pas  en  ligne  de  compte.  Mais  ce  qu'il  y  a  de 
caractéristique,  c'est  que  la  loi  ne  parle,  à  propos  de  tous  ces 
délits  forestiers,  ni  de  restitution  de  capitale,  ni  de  dilatura. 
La  chose  s'explique  parfaitement.  Le  bois  n'est  pas  une  richesse 
privée;  il  y  en  a  en  abondance.  On  a  pris  l'arbre  que  quelqu'un 
avait  marqué  dans  la  forêt  communale,  il  s'en  marquera  un 
autre.  Comment,  d'ailleurs,  le  délinquant  pourrait-il  fournir 
au  demandeur  un  arbre  en  remplacement  du  sien,  si  ce  n'est 
en  le  coupant  lui-même  dans  la  forêt  qui  appartient  à  tous? 

Dès  lors,  la  dilatura  ne  peut  prendre  naissance,  car  on  n'a 

*  La  loi  des  Burgondes  porte  : 

XXV11I.  Si  quis  Burgwndio  aut  Romanus  silvam  non  habet,  incidendi 
ligna  ad  usus  suos  de  jacentivis  et  sine  fructu  arboribus  in  cujuslÀbet 
silva,  habeat  liberam  potestatem,  neque  ab  Mo,  cujus  silva  est,  repellatur 
(Pertz,  III,  p.  545),  et  cette  disposition  montre  combien,  môme  en  pays 
roman,  les  Germains  s'habituaient  peu  à  l'idée  de  la  propriété  privée  des 
forêts. 

La  loi  ripuaire  (LXXVI),  au  contraire,  frappe  d'amende  aussi  bien  les 
vols  de  bois  commis  dans  la  forêt  commune  que  dans  celle  du  roi  ou 
d'un  particulier.  Si  quis  Ribuarius  in  silva  commune  seu  régis  vel  alicujus 
locadam  materiamen  (un  arbre  sur  pied?)  vel  ligna  finata  (al.  fissa) 
abstulerit...  A  cette  époque,  la  propriété  privée  a  fait  des  progrès  consi- 
dérables. C'est  ce  qui  résulte  aussi  du  changement  de  rédaction  apporté 
à  la  loi  salique  par  la  Novelle  n«  282  (Merkel,  p.  83)  :  Si  quis  in  silva 
Ai.TERius  materiamen  furatus  fuerit. 


*>*  _ 

la  jouissance  des  fruits  d'une  chose  que  si  on  est  possesseur  de 
la  chose  elle-même. 

Ce  qui  achève  d'apporter  la  conviction,  c'est  l'article  intro- 
duit dans  ce  titre  par  les  Novelles  :  Si  quis  pomarium  sive 
quamlibet  arborent  domesticam  extra  clausuram  exciderit  aut 
furatus  fuerit,  420  dinar,  qui  faciunt  solid.  3  culpab.  judketur, 
excepto  capitale  et  dilatura.  Si  quis  vero  pomarium  aut  quamlibet 
arborem  domesticam  infra  clausuram  excidenl  aut  furatus  fuerit, 
600  dinarios  qui  faciunt  solidos  15  culpabilis  judicetur,  excepto 
capitale  et  dilatura.  (Merkel ,  n°  281,  p.  83.) 

Ainsi,  quand  il  s'agit  d'un  arbor  domestica,  d'un  pommier, 
par  exemple,  coupé  ou  volé  à  l'intérieur  ou  même  à  l'exté- 
rieur d'un  enclos,  immédiatement  apparaissent  le  capitale  et  la 
dilatura.  Le  coupable  doit  fournir  un  arbre  de  même  espèce, 
car  le  fait  de  la  propriété  privée  n'est  pas  douteux. 

On  trouvera  encore  une  autre  application  du  même  principe 
dans  les  dispositions  en  vertu  desquelles  le  propriétaire  qui 
se  remet  par  la  force  en  possession  d'un  objet  retrouvé  chez 
autrui  est  frappé  d'amende,  mais  ne  doit  ni  capitale  ni  dilatura. 
Car  si  le  détenteur  peut  se  plaindre  de  la  violence  qui  lui  est 
faite,  il  n'a  aucun  titre,  même  s'il  est  de  bonne  foi,  pour 
réclamer  du  propriétaire  la  jouissance  perdue.  (Titres  XXXVII, 
2etLXI,  2.) 

IV.  La  dilatura  n'est  pas  due  pour  une  simple  tentative. 
XXXIX,  1.  Si  quis  mancipia  aliéna  sollicitare  voluerit  et  et 

fuerit  adprobatum,  ...  sol.  15  culpabilis  judicetur. 

Celui  qui  a  essayé  de  détourner  l'esclave  d'autrui  est  con- 
damné à  une  composition  de  15  sous,  mais  il  ne  doit  ni  capi- 
tale ni  dilatura. 

De  même  XI,  6  :  Tentative  d'effraction.  Si  vero  nihil  tulerit 

ut  fugiens  évadât,  propter  effracturam  tantum sol.  50  culp. 

judicetur. 

V.  La  dilatura  n'est  pas  due  par  les  complices,  mais  seule- 
ment par  l'auteur  du  délit  principal  et  des  délits  connexes 


—  23  - 

au  délit  principal,  par  la  raison  que  lui  seul  a  pu  jouir  de  la 
chose. 

Ceci  explique  le  cas  assez  bizarre  en  apparence  du  faux 
témoignage  et  du  faux  serment.  D'après  le  titre  XLVIII,  les 
faux  témoins  et  les  faux  cojurateurs  ne  sont  pas  tenus  à  la 
dilatura,  mais  celui  qui  a  amené  de  faux  cojurateurs  (la  loi  ne 
parle  pas  de  celui  qui  a  amené  de  faux  témoins)  est  condamné 
à  une  composition  de  48  sous;  de  plus  il  perd  le  procès  dans 
lequel  il  était  engagé  (causa)  et  il  doit  payer  le  capitale  et  la  dila- 
tura.  L'article  visiblement  suppose  qu'il  s'agit  d'un  vol  ;  on  sait 
que  le  titre  LUI  De  manu  ad  hineum  redimendo  permet  à  celui 
qui  est  condamné  à  l'épreuve  judiciaire  de  se  purger  à  l'aide  de 
cojurateurs  et  d'une  composition  supplémentaire;  s'il  s'agit, 
dit  l'article  1 ,  d'un  fait  qui  eût  entraîné  une  composition  de 
15  sous Or,  la  composition  de  15  sous  est  due  générale- 
ment pour  vol.  C'est  donc  le  voleur  qui  doit  ici  la  dilatura,  et 
en  effet,  c'est  lui  qui  a  retiré  les  fruits  de  la  chose  volée,  et  ce 
ne  sont  ni  les  faux  témoins  ni  les  faux  cojurateurs  dont  il  a 
réussi  à  s'entourer  pour  dissimuler  son  délit. 

Pareillement  les  témoins  qui  refusent  de  venir  déposer  et  les 
rachimbourgs  qui  se  soustraient  à  l'obligation  de  rendre  leur 
jugement  ne  sont  jamais  frappés  de  la  dilatura. 

VI.  La  dilatura  n'est  due  que  pour  un  délit  caractérisé  par  le 
do!;  une  simple  faute  l'exclut. 

Nous  trouverons  la  confirmation  de  cette  règle  dans  un  cer- 
tain nombre  d'articles  qui  méritent  un  examen  attentif. 

D'après  le  titre  IX,  1,  si  quelqu'un  surprend  l'animal  d'au- 
trui  dans  son  champ,  il  ne  peut  le  frapper  de  manière  à  l'en- 
dommager. Si  cependant  il  a  cédé  à  un  mouvement  de  colère 
et  que,  le  mal  fait,  il  l'avoue,  on  n'exige  de  lui  que  la  restitu- 
tion du  capitale,  c'est-à-dire  d'un  animal  semblable.  Oa  sait 
que  pour  les  Francs  les  animaux  d'une  même  catégorie  sont 
choses  fongibles.  Quant  à  la  bête  abimée,  debilem,  elle  reste  aux 
mains  de  l'imprudent.  Jusqu'ici,  il  n'est  pas  question  de  dilatura. 
Mais  si  le  défendeur,  au  lieu  de  reconnaître  sa  faute,  la  nie,  il. 


-  24  — 

est  condamné,  outre  le  capitale,  à  une  composition  et  à  la 
dilatura. 

IX,  1.  Si  quis  animal  aut  cabaUum  vel  quolibet  pecus  in  mené 
sua  invenerit,  penitus  eum  vastare  non  débet.  Quod  si  fecerit  et 
hoc  confessus  fuerit,  capitale  in  locum  restituât,  ipse  vero  débUem 
quem  percussit  ad  se  recipiat.  Si  vero  confessus  non  fuerit,  et  ei 
fuerit  adprobatum,  excepto  capitale  et  dilatura,  600  dinar,  qiâ 
fac.  sol.  XV,  culp.  judicetur. 

On  a  voulu  conclure  de  cette  disposition,  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  que  la  dilatura  est  une  peine  moratoire,  qu'elle  est  pro- 
duite par  le  retard  que  le  défendeur  apporte  à  sa  restitution. 

Que  Ton  veuille  bien  songer  cependant  que  ce  n'est  pas  la  dila- 
tura seule  qui  apparaît  comme  la  suite  de  la  dénégation,  mais 
aussi  et  en  première  ligne  la  composition.  Dira-t-on  que  la  com- 
position est  aussi  une  peine  moratoire,  et  qu'un  voleur  n'aura 
jamais  à  la  fournir  s'il  reconnaît  d'emblée  sa  culpabilité?  On 
n'oserait  certes  le  soutenir. 

Nous  avons  vu  d'ailleurs  que  dans  l'immense  majorité  des 
cas  le  payement  d'une  dilatura  ne  dépend  absolument  ni  de 
l'aveu  ni  de  la  dénégation  du  défendeur. 

La  vérité  c'est  qu'avant  cette  dénégation  le  délit  réel  n'exis- 
tait pas.  Le  défendeur  avait  trouvé  dans  son  champ  des  ani- 
maux qui  le  dévastaient;  il  avait  le  droit  de  les  saisir;  il  avait 
le  droit  de  les  battre,  mais  il  ne  pouvait  les  rendre  incapables 
de  travail,  vastare  penitus.  Dès  lors,  si  un  emportement  assez 
naturel  lui  a  fait  dépasser  la  limite  des  violences  permises,  il 
n'en  est  pas  moins  excusable.  Il  supportera  les  conséquences 
de  son  acte  et  restituera  une  bête  intacte  en  remplacement  de 
celle  qu'il  a  blessée.  Mais  la  responsabilité  pénale  n'existe  pas, 
parce  qu'il  n'y  a  pas  eu  dol.  Le  dol  n'apparaît  qu'au  moment 
où,  par  sa  dénégation,  le  défendeur  essaie  de  décliner  sa  res- 
ponsabilité. Alors  une  peine  véritable  le  frappe;  il  est  tenu  à 
une  amende  et  de  plus  à  la  restitution  des  fruits  que  le  proprié- 
taire de  l'animal  n'a  pu  percevoir. 

Les  autres  articles  du  même  titre  justifient  cette  interpréta- 
tion. 


—  28  — 

IX,  2.  Si  quis  in  messe  sua  pecora  aliéna  inveneril  qui  pas- 
tarem  suum  non  habent,  et  eas  inclauserit,  et  nulli  penitus  inno- 
tesceritt  et  aliqua  ex  ipsis  pecoribusperierit,...sol.  35  culp.  jud., 
excepto  capitale  et  dilatura.  (Les  textes  1  et  2  omettent  seuls  la 
dilatura.) 

Si  Tanimal  saisi  est  mort  et  que  le  détenteur  ait  caché  la 
chose,  il  doit  la  composition,  le  capitale  et  la  dilatura.  Sa  dis- 
simulation permet,  en  effet,  de  supposer  qu'il  a  fait  lui-même 
périr  Tanimal. 

IX,  3.  Si  quis  animale  aut  qualibet  pecus  per  sua  negligentia 
nocuerit,  et  ipse  confessus  fuerit ,  capitale  in  locum  restituât,  Me  vero 
debilem  ad  se  recipiat.  Si  vero  negaverit  et  ei  fuerit  adprobatum,... 
sol.  45  culp.  judicetur,  excepto  capitale  et  dilatura. 

Si  Tanimal  est  mort  par  suite  de  la  négligence  du  détenteur 
et  que  celui-ci  le  reconnaisse,  il  est  tenu  au  capitale.  S'il  nie, 
il  devra  la  composition  et  la  dilatura. 

Encore  une  fois,  tant  qu'il  n'y  a  qu'une  simple  faute,  la 
composition  et  la  dilatura  sont  exclues. 

On  objecte  que  si  la  dilatura  est  ici  étroitement  liée  à  la  com- 
position, c'est  précisément  parce  qu'elle  exprime  la  peine  due 
pour  le  retard  de  payement  de  cette  composition.  Il  n'en  est 
rien,  comme  le  prouve  l'article  4  :  Si  quislibet  porci  aut  qua- 
libet pecora  in  messe  aliéna  cwrerint  et  illum  negantem  ei 
fuerit  adprobatumt  DC  din.  qui  faciunt  sol.  XV  culpabilis  judi- 
cetur,  combiné  avec  la  disposition  IX,  7  (Hessels)  :  Si  vero 
pecora  de  damno  in  clausura  fuerint,  Me  cujus  pecora  sunt 
damno  aestimato  reddat  et  insuper  40  din.  culpabilis  judi- 
cetur  * . 

On  se  trouve  ici  en  présence  d'un  défendeur  qui  nie  et  qui 

1  II  est  à  remarquer  que  trois  textes  seulement  (G.  %  3, 4>  contiennent 
cette  disposition.  Le  silence  des  autres  s'explique  en  ce  sens  que  la  loi 
salique  est  essentiellement  une  loi  pénale.  Si  le  coupable  avouait,  il 
reconnaissait  par  là  même  ses  obligations;  la  procédure  était  extra- 
judiciaire. C'était  affaire  aux  parties  de  fixer  le  montant  des  dommages  ; 
l'intervention  du  tribunal  n'avait  alors  de  raison  d'être  que  si  le  défendeur 
manquait  à  son  engagement. 


1 


—  26  -- 

cependant  n'est  condamné  à  aucune  dilatera.  Ses  troupeaux 
qu'il  gardait  lui-même  ont  couru  dans  un  champ;  il  est  cou- 
pable de  négligence.  Le  propriétaire  du  champ  saisit  les  ani- 
maux et  les  enferme.  L'autre,  s'il  avoue,  ne  payera  que  le 
damnum  œstimatum,  plus  une  légère  amende  de  dix  deniers. 

Ce  damnum  œstimatum,  c'est  l'estimation  du  dommage  causé, 
c'est-à-dire  la  valeur  de  la  moisson  calculée  non  en  vert,  mais 
d'après  ce  qu'elle  aurait  rapporté  si  elle  avait  mûri.  Le  capitale 
et  la  dilatura  se  confondent  ici,  et  c'est  pourquoi  la  loi,  sans 
mentionner  ni  l'un  ni  l'autre,  y  substitue  le  terme  :  damnum. 

Mais  le  défendeur  nie  ;  alors  il  encourt  une  amende  de 
15  solidi  et  l'on  ne  voit  pas  qu'une  dilatura  spéciale  vienne  s'y 
joindre  ;  en  effet,  il  n'y  a  pas  de  dilatura  pour  le  retard  de 
payement  de  la  composition  ;  la  dilatura  n'est  que  l'équivalent 
de  la  privation  des  fruits.  Or,  forcément  elle  a  dû  être  comprise 
dans  l'estimation  du  dommage  que  le  défendeur  de  bonne  foi 
est  lui-même  tenu  de  rembourser,  et  il  n'y  a  pas  lieu  de  l'ajou- 
ter maintenant ,  comme  c'était  le  cas  pour  l'animal  à  propos 
duquel  on  pouvait  distinguer  le  capitale  de  la  dilatura,  et  pour 
lequel  la  dilatura  n'était  exigible  qu'au  moment  où  commen- 
çait le  délit. 

Enfin,  les  articles  suivants  ne  sont  que  l'application  des 
mêmes  principes. 

IX,  8  (Hessels).  Celui  qui  par  malveillance  a  introduit  des 
bêtes  dans  un  champ  est  condamné  à  30  solidi,  plus  au  damnum 
œstimatum  (capitale  et  dilatura). 

IX,  S  et  6  (Hessels).  Celui  qui  reprend  de  force  les  bestiaux 
que  le  propriétaire  d'un  champ  dévasté  conduit  vers  sa  demeure 
ou  qu'il  a  déjà  enfermés,  n'est  tenu  pour  cet  acte  de  violence 
qu'à  une  composition,  ce  qui  n'exclut  pas  évidemment  la  répa- 
ration du  dommage.  Mais  pouf  le  nouveau  délit  qu'il  a  commis 
en  enlevant  le  gage  de  son  créancier,  il  ne  doit  ni  capitale  ni 
dilatura.  Ce  qu'il  a  pris  est  en  effet  sa  chose  ;  il  n'a  point  à  la 
restituer  à  celui  qui  n'en  est  pas  propriétaire  et  qui  n'a  pas 
davantage  une  prétention  quelconque  à  élever  sur  les  fruits 
qu'elle  peut  produire. 


—  27  — 

Je  dois  ajouter  cependant  que  pour  ces  trois  derniers  articles 
(8, 6  et  8),  le  texte  de  Herold  et  la  Lex  Emendata  mentionnent  le 
capitale  et  la  dilatura,  mais  ce  qui  prouve  le  peu  de  fondement 
de  cette  addition,  c'est  que  le  damnum  œstimatum  fait  alors 
double  emploi  tout  au  moins,  personne  ne  le  niera,  avec  le 
capitale.  Cet  exemple  montre  une  fois  de  plus  combien  ces 
deux  textes  doivent,  pour  la  question  qui  nous  occupe,  inspirer 
peu  de  confiance. 

Mais  il  est  un  autre  titre  fort  singulier  qui  présente  lui  aussi 
cette  distinction  de  l'aveu  et  de  la  dénégation  et  qui,  de  même, 
en  cas  de  dénégation,  impose  la  dilatura  et  la  composition  ; 
c'est  celui  qui  est  intitulé  De  caballo  mortno  extra  consilium 
domini  sui  decolàto. 

LXV.  Si  quis  caballum  (mortnum)  extra  consilium  domini  sui 
decotaverit  et  interrogatus  confessus  fuerit,  caballum  in  caput 
reddat* 

Si  vero  negare  voluerit  et  et  fuerit  adprobatum,  excepto  capitale 
et  dilatura,  4200  dinar,  qui  faciunt  sol.  50,  culpab.  judicetur. 

Le  cas  est  celui  d'un  homme  qui  écorche  un  cheval  mort 
sans  la  permission  du  propriétaire  ;  il  est  condamné,  s'il  avoue, 
à  lui  rendre  un  autre  cheval  (vivant,  sans  doute).  S'il  nie,  au 
contraire,  il  devra  30  solidi  d'amende,  plus  le  capitale  et  la 
dilatura. 

Ces  dispositions  sont  bizarres.  D'abord,  pourquoi  accorder  à 
ce  délit  une  mention  particulière,  dans  un  titre  spécial  ?  Ensuite 
qu'est-ce  qui  justifie  les  peines  élevées  dont  on  le  frappe  ? 

M.  Thonissen  a  conjecturé  *  que  cette  sévérité  avait  pour 
origine  quelque  idée  superstitieuse  se  rattachant  au  cheval. 
Mais  la  loi  ripuaire,  qui  reproduit  l'article  (LXXXVI),  ajoute  : 
seu  quocumque  libet  animal,  ce  qui  exclut  évidemment  cette 
interprétation. 

D'autres  commentateurs  sont  disposés  à  ne  pas  donner  aux 
mots  :  déco  tare,  excortigare,  decorticare,  excorticare,  decorligare, 
toutes  variantes  qu'offrent  les  manuscrits,  le  sens  de  :  enlever 

.  *  P.  336  (*  édit.). 


—  28  — 

la  peau ,  écorcher,  mais  d'y  voir  des  synonymes  à  excurtare, 
couper  la  queue  *. 

Hais,  outre  que  cela  n'explique  pas  grand'  chose,  il  est  à 
remarquer  que  le  texte  I  qui  contient,  au  titre  LXV,  la  disposi- 
tion rapportée  plus  haut,  avait  déjà  cité  au  titre  XXXVIll,  8,  le 
délit  consistant  à  couper  la  queue  du  cheval  :  si  quis  cabatlo 
alieno  excurtaverit,  et  les  textes  7,  8,  9  ont  l'un  à  côté  de  l'au- 
tre (T.  LXIII,  2  et  3)  les  deux  articles  :  Si  quis  caballum  alienum 
excurtaverit  et  si  quis  caballum  morluum  sine  permisso  domini 
sui  excorticaverit.  L'addition  du  mot  mortuum  plaide  encore 
ici  en  faveur  du  sens  :  écorcher. 

11  est  à  noter  que  pour  chacun  de  ces  délits  distincts  :  couper 
la  queue  et  écorcher,  les  trois  derniers  textes  ne  comminent 
qu'une  amende  modérée  de  3  solidi. 

Enfin,  les  textes  les  plus  récents  (7,  8,  9,  Herold  et  Emetidato) 
contiennent  à  la  fois  l'article  qui  frappe  de  3  solidi  le  fait 
d'écorcher  un  cheval  mort  et  celui  qui,  distinguant  entre  le  cas 
de  l'aveu  du  coupable  et  celui  de  la  dénégation ,  lui  ordonne, 
dans  le  premier  cas,  la  restitution  d'un  cheval,  et  lui  inflige, 
dans  le  second,  une  amende  de  30  solidi,  plus  le  capitale  et  la 
dilatura. 

Que  peut-on  conclure  de  tous  ces  faits  ?  A  mon  sens,  que 
l'article  inséré  au  titre  XXXVIII  (alias  LXIII)  a  seul  en  vue  un 
véritable  vol,  puni  d'une  amende  de  3  solidi  proportionnée  à  la 
valeur  du  cuir  d'un  cheval  2  ;  aussi  les  rédacteurs  Pont-ils 
inséré  sous  la  rubrique  :  de  caballis  furatis  ou  de  partis  caballo- 
rum. 

Quant  au  titre  LXV,  il  est  impossible  d'y  voir  un  cas  de  vol, 
car  il  en  résulterait  que  le  voleur  en  aveu  échapperait  à  la  com- 
position, c'est-à-dire  que  le  h  se  serait  privé  du  fredum,  de  la 
part  de  l'amende  qui  lui  est  destinée,  et  que,  par  une  déviation 
à  toutes  les  règles  du  droit  pénal  franc,  on  imposerait  au  cou- 

1  Behrend,  Lex  Salica,  p.  145.  —  Waitz,  Dos  alte  Recht,  296.  — 
Hessels-Kern,  col.  600. 
*  Dans  la  loi  ri  puai  re ,  LXXII ,  6,  le  cuir  d'un  cheval  est  estimé  un  sou. 


—  29  — 

pable  une  restitution  in  capite  trente  fois  supérieure  à  la  valeur 
de  l'objet  enlevé. 

J'incline  à  croire  que  la  disposition  énigmatique  du  titre  LXV 
se  rapporte  à  un  tout  autre  ordre  d'idées,  et  comme  elle  se 
retrouve  dans  la  loi  ripuaire  (LXXXVI)  avec  une  aggravation 
de  peine  :  100  solidi  au  lieu  de  30  *,  je  chercherai  une  inter- 
prétation dans  un  autre  passage  de  la  même  loi  qui  se  rapporte 
à  la  procédure  dHntertiatio. 

Celui  qui  reconnaît  chez  autrui  son  animal  volé,  doit  le 
mittwe  in  terlia  manu,  c'est-à-dire,  d'après  les  commentaires 
les  plus  récents  2,  l'arrêter,  le  séquestrer  entre  les  mains  du 
détenteur  qui  prétend  l'avoir  acquis  de  bonne  foi.  Si  alors,  en 
attendant  que  l'auteur  de  la  soustraction  soit  retrouvé,  l'ani- 
mal vient  à  mourir,  le  détenteur  doit,  pour  se  justifier,  appor- 
ter au  tribunal  la  peau  et  la  tête  à  l'effet  de  se  disculper  et 
d'établir  qu'il  n'a  pas  méchamment  fait  disparaître  le  corps  du 
délit. 

Or,  d'autres  exemples  prouvent  que  les  lois  franques  sont 
très  sévères  pour  celui  qui  enlève  à  autrui  le  moyen  de  se  justi- 
fier. Ainsi  le  titre  :  Dehomine  de  bar  go  vel  de  furcademisso  (Hes- 
sels,  col.  258  et  suiv.)  défend  d'enlever  du  pieu  sur  lequel  elle 
est  empalée  la  tête  d'un  ennemi  tué  en  légitime  faUla  :  Si  quis 
caput  de  homine  quem  suus  inimicus  in  pala  misisset....  tollere 
praesumpserit.  Pareillement,  il  est  interdit  de  faire  disparaître 
le  cadavre  placé  sur  l'espèce  d'échafaudage  où  on  le  mettait 
précisément  pour  donner  au  meurtre  la  plus  grande  publicité 
et  le  dépouiller  de  toute  apparence  d'assassinat  :  Si  quis  homi- 
nem  de  bargo  vel  de  furca  abattere praesumpserit.... 

Dès  lors,  voici  la  portée  que  j'assigne  au  titre  LXV  :  le  déten- 
teur de  l'animal  intercié  qui  vient  à  mourir,  doit  sur-le-champ 

1  Rib.  LXXXVI.  Si  quis  caballum  alterius  mortuum  seu  quoeumque  libet 
animal  extra  consUium  domini  sui  excorticaverit ,  30  solides  culpab. 
judicetur.  —  Si  autem  negaverit  et  convie  tus  fuerit,  i 00  solides  cum 
capitale  et  dilatura  multetur. 

*  Siegel,  Geschichte  des  deidschen  Gerichtsverfahrens,  I,  252  et  suiv. 
—  Sohm,  La  procédure  de  la  loi  salique  (trad.  Thévenin),  pp.  41  et  suiv. 


-  30  - 

appeler  des  témoins  pour  constater  le  fait  ;  ceci  résulte  de 
l'analogie  du  cas  de  l'esclave  intercié  et  mort  :  cum  teslibus  acà- 
dat  et  cum  ipsis  sex  qui  eum  sepelire  videront,  in  haraho  conju- 
ret  quod  ibidem  ipsi  interciatus  absque  interfectimiem  Iwminum, 
pecodum  vel  alterius  rd,  nisi  communem  mortem  consumptus, 
sepultusjaciat....  (LXXII,  1.) 

Or,  si  un  tiers,  découvrant  quelque  part  le  cadavre  d'un  che- 
val, s'est  permis  de  l'écorcher  sans  demander  la  permission 
du  propriétaire,  il  a  commis,  même  en  dehors  de  toute  inten- 
tion de  vol,  une  grave  imprudence,  car  il  a  enlevé  au  détenteur 
ses  moyens  de  justification.  Il  ne  lui  reste  alors  qu'à  restituer 
un  autre  cheval  afin  de  couvrir  l'homme  entre  les  mains 
duquel  l'animal  avait  été  arrêté. 

Jusqu'ici  il  n'a  donc  pas  commis  de  délit,  car  s'il  avait  voulu 
s'approprier  le  cuir,  il  serait  condamné  à  trois  sous  d'amende. 
Hais  en  vue  d'échapper  à  la  responsabilité  de  sa  faute,  il  nie. 
Sur-le-champ  apparaissent  la  composition  et  la  dilatura. 

Nous  trouvons  donc  ici  une  application  de  la  règle  que  je 
formulais  en  disant  que  le  fait  présentant  un  caractère  délic- 
tueux, donne  seul  ouverture  à  la  dilatura,  tandis  que  le  capi- 
tale peut  être  dû  pour  une  simple  faute. 

La  loi  ripuaire  contient  encore  deux  dispositions  dans 
lesquelles  se  retrouve  la  pénalité  qu'entraîne  le  refus  d'avouer. 
Mais  comme  elles  se  rattachent  par  certains  points  à  des  parti- 
cularités inhérentes  aux  institutions  ripuaires,  j'en  réserverai 
l'examen  pour  la  fin  de  cette  notice. 

VII.  Vols  commis  par  des  esclaves.  —  Les  règles  suivies  quand 
il  s'agit  de  vols  commis  par  des  esclaves  fournissent  une  nou- 
velle illustration  du  principe  que  le  délit  seul  oblige  à  la  dila- 
tura. 

Les  dispositions  spéciales  qui  leur  sont  appliquées  résultent 
de  l'incapacité  où  se  trouvent  les  esclaves  de  satisfaire  eux- 
mêmes  aux  exigences  pénales  et  des  obligations  qui  incombent 
à  leurs  maîtres. 
.    En  thèse  générale,  il  n'y  a  lieu  à  composition  de  la  part  de 


—  34— 

l'esclave  que  dans  une  mesure  restreinte  et  pour  autant  que 
son  pécule  lui  permette  de  payer  une  amende  en  argent  ou  en 
nature.  Dans  ce  cas,  il  doit  aussi  le  capitale  et  la  dilatura. 

A  défaut  de  payement,  une  peine  corporelle  remplace  la 
peine  pécuniaire. 

XII,  1.  Si  quis  servus  foris  casa  quod  valit  2  dinarios  furaverit, 
excepto  capitale  et  dilatura,  420  flagellos  accipiat,  aut  sol.  3  pro 
dorsum  suum  reddat. 

2.  Si  vero  quod  valent  40  dinarios  furaverit,  aut  castretur,  aut 
6  solidos  reddat. 

Mais  comme  la  flagellation  ou  la  mutilation  de  l'esclave  ne 
restitue  point  au  propriétaire  l'objet  qu'il  a  perdu,  c'est  la 
responsabilité  du  maître  qui  est  ici  engagée.  Le  maître  est  donc 
tenu  au  capitale.  Propriétaire  de  tout  ce  que  possède  son 
esclave,  il  ne  peut  indûment  retenir  par  devers  lui  la  chose 
volée. 

XII,  2.  Dominus  vero  servi  qui  furtum  fecit  capitale  in  locum 
restituât. 

XL,  3 Dominus  vero  servi  capitale  restituât  requirenti. 

A  ces  deux  témoignages  il  convient  d'ajouter  le  suivant  : 
XXV,  4.  Si  servus  cum  ancitla  aliéna  mechatus  fuerit  et  ex 
ipso  crimine  ancilla  mortua  fuml,  servus  ipse  aut  240  dinar,  qui 
faciunt  sol.  6  domino  ancillae  reddat  aut  castretur:  Dominus  vero 
servi  capitale  ancillae  in  locum  restituât. 

Un  esclave  a  eu  commerce  avec  une  esclave  qui  est  morte  des 
suites  de  ce  fait.  Le  maître  de  l'esclave  mâle  doit  rendre  au 
maître  de  la  femme  le  capitale. 

Mais  dans  ce  cas,  comme  dans  les  deux  précédents,  les 
manuscrits  sont  muets  sur  la  dilatura  (seuls  les  textes  1  et  Herold 
ajoutent  la  dilatura  au  t.  XII,  2  *).  Pourquoi  le  maître  n'est-il 
pas  tenu  à  la  dilatura?  Parce  que  la  responsabilité  pénale  ne 
s'étend  pas  jusqu'à  lui.  11  n'est  pas  l'auteur  ni  le  complice  du 

1  La  forme  de  l'accusatif  dilaturam  qui  se  trouve  dans  ces  deux  textes, 
tandis  que  tous  les  autres  portent  dilatura,  plaide  par  sa  correction  même 
contre  l'authenticité  de  cet  ajouté. 


—  32  — 

délit.  Sa  situation  est  celle  de  l'homme  qui,  sans  le  vouloir,  a 
endommagé  ranimai  d'autrui. 

Je  n'examine  pas  ici  à  quels  inconvénients  il  s'expose  en 
refusant  de  livrer  l'esclave  coupable  :  la  question  m'entraîne- 
rait trop  loin  du  sujet  que  je  traite. 

VIII.  La  dilatura  n'est  jamais  due  pour  un  délit  qui  intéresse 
directement  la  personne  d'un  homme  libre. 

C'est  ici  l'un  des  points  les  plus  importants  de  la  théorie  que 
j'esquisse,  et  heureusement  il  apparaît  avec  une  grande  clarté. 

Tous  les  commentateurs  ont  reconnu  que  l'homicide,  l'enlè- 
vement d'un  homme  libre,  ne  donnaient  pas  lieu  à  dilatura. 
Mais  aucun,  à  ma  connaissance,  n'a  essayé  d'expliquer  ce  qui 
était  considéré,  au  contraire,  comme  une  étrange  anomalie. 

La  vérité,  c'est  qu'au  point  de  vue  du  droit  franc,  l'homme 
libre  n'est  pas  producteur  de  fruits  comme  l'animal  ou 
l'esclave.  Sa  vie  est  susceptible  d'estimation  ;  mais  ni  son  tra- 
vail, ni  son  temps  n'ont  d'équivalent  monétaire.  Il  n'y  a  point 
de  place  ici  pour  des  intérêts  compensatoires. 

Aussi  le  titre  XVII  qui  traite  des  blessures  peut-il  allouer,  en 
sus  de  la  composition,  une  indemnité  pour  frais  de  traitement 
(medicaturias\  mais  point  de  dommages  pour  les  journées 
passées  au  lit  et  perdues. 

En  conséquence,  la  dilatura  n'est  mentionnée  : 

Ni  pour  meurtre  et  empoisonnement; 

Ni  pour  enlèvement  d'une  fille  ou  d'une  femme  mariée; 

Ni  pour  viol  ; 

Ni  pour  mutilations  et  blessures. 

Je  crois  à  peine  devoir  m'arrêter  à  l'exception  signalée  pour 
le  texte  d'Herold,  qui,  sans  aucune  apparence  de  raison,  cite  la 
dilatura  à  propos  du  rapt  d'une  jeune  fille. 

C'est  pour  la  même  raison  qu'un  affranchissement  indu  n'est 
pas  frappé  de  dilatura,  bien  qu'ici  la  loi  salique  paraisse  avoir 
perdu  de  vue  la  perte  subie  par  le  propriétaire  de  l'esclave,  pour 
ne  s'attacher  qu'au  fait  de  la  liberté  de  l'affranchi.  On  peut  dire 
que,  dans  ce  cas,  la  forme  l'a  emporté  sur  le  fond,  la  lettre  sur 
l'esprit. 


—  33  — 

Mais  un  exemple  très  Concluant  nous  est  encore  fourni  par 
le  titre  XXXIX.  De  plagiatoribus. 

Si  servus  alienus  fuerit  plagiatus Si  quelqu'un  a  débauché 

et  volé  un  esclave,  il  est  condamné  à  une  composition  de 
33  solidi,  plus  le  capitale  et  la  dilatura. 

Hais  si  c'est  un  homme  libre  qui  a  été  entraîné,  puis  vendu, 
le  coupable  ne  doit  que  la  composition.  11  ne  pouvait  s'agir  de 
rendre  à  la  victime,  si  elle  avait  recouvré  la  liberté,  ou  à  ses 
parents,  un  capitale  autre  que  le  wergeld  ou  composition  de 
200  solidi,  et  quant  à  une  indemnité  pour  perte  de  fruits,  elle 
existait  dans  le  cas  de  l'esclave  ;  elle  ne  peut  se  concevoir  pour 
un  homme  libre. 

Le  doute  cependant  eût  été  possible,  puisque  le  vol  entraî- 
nait toujours  la  dilatura.  Hais  les  rédacteurs  ont  parfaitement 
eu  conscience  du  principe  qui  s'opposait  ici  à  ce  que  cette  peine 
fût  encourue. 

Toutes  ces  considérations  prouvent,  ce  me  semble,  à  l'évi- 
dence, que  la  dilatura  ne  signifie  point  des  dommages  quel- 
conques ou  une  peine  moratoire,  puisque  dans  l'hypothèse  du 
meurtre,  des  blessures,  etc.,  il  y  a  eu  certainement  des  dom- 
mages et  que  la  dénégation  de  l'accusé  ne  modifiait  en  aucune 
façon  le  taux  de  la  peine.  Pourquoi  la  loi  salique  aurait-elle 
toujours  supposé,  en  cas  de  vol,  que  l'accusé  niait,  et  ne 
Taurait-elle  jamais  supposé  en  cas  de  violences  faites  à  des 
personnes? 

En  disant  :  celui  qui  vole  un  porc  payera  la  composition  et 
la  dilatura,  elle  ferait  entendre  que  le  défendeur  refuse  d'avouer. 

En  disant  :  celui  qui  tue  un  Franc  payera  la  composition 
seule,  elle  présenterait  le  défendeur  comme  en  aveu. 

Un  pareil  système  d'interprétation  n'est  pas  un  instant 
admissible. 

IX.  La  .  dilatura  fait  défaut  dans  les  actions  auxquelles 
l'ancien  droit  attribuait  le  caractère  d'action  publique. 

Au  point  où  nous  en  sommes  arrivé,  on  peut,  je  crois,  se 
faire  une  idée  suffisamment  précise  de  la  théorie  de  la  dilatura 
Tome  XLI.  3 


—  34  - 

dans  le  droit  salien.  Mais,  si  je  ne  me  trompe,  il  est  possible 
de  remonter  plus  haut,  jusqu'à  la  période  du  droit  commun 
germanique  de  l'époque  primitive,  et  d'atteindre  une  conclu- 
sion qui  permettra  de  découvrir  dans  la  loi  salique  elle-même 
certains  résidus  d'un  âge  antérieur  dont  les  règles  posées  plus 
haut  ne  justifient  pas  entièrement  la  présence. 

On  est  à  peu  près  d'accord  aujourd'hui,  après  les  travaux  de 
v»  Amira*,  v.  Kichthofen  et  Schrœder,  pour  admettre  que  le 
droit  pénal  ancien  d(s  Germains  renfermait  une  distinction 
analogue  à  celle  des  delicta  publica  et  des  delicta  privata 
romains,  quoique  moins  précise. 

Les  grands  crimes  qualifiés  de  Nidingstverk  chez  les  Scandi- 
naves, tels  que  la  violation  des  temples,  la  désobéissance  à 
l'armée  ou  dans  l'assemblée,  l'attaque  à  main  armée  d'une 
maison,  la  trahison,  l'incendie,  l'assassinat,  la  rapine  (vol  à 
main  armée)  avaient  pour  conséquence  d'exclure  le  coupable 
de  la  paix  publique.  Déclaré  wargiis  ou  loup,  il  errait  au  hasard 
et  chacun  pouvait  impunément  le.  mettre  à  mort.  Ces  méfaits, 
à  l'origine,  n'étaient  pas  rachetables  {ûbôtamàl)  ;  mais,  de  bonne 
heure,  chez  les  Germains  occidentaux,  s'introduisit,  au  moins 

m 

pour  les  actes  qui  n'intéressaient  pas  directement  l'Etat  lui- 
môme,  l'usage  de  la  composition.  Tacite  sait  déjà  que  le 
meurtre  se  rachète  :  Luitur  enim  homicidium  certo  armmtorum 
ac  pecorum  numéro  (Germ.,  c.  21). 

Quant  aux  autres  délits,  qui  comprenaient  même  les  vio- 
lences graves  et  le  meurtre  commis  sans  préméditation,  ils  ne 
donnaient  lieu  qu'à  une  action  privée  en  dommages-intérêts  et, 
seul,  le  coupable  qui  refusait  de  s'exécuter  encourait  la  peine 
supplétive  de  la  mise  hors  la  loi. 

Or,  dans  la  loi  salique,  on  retrouve  encore  quelques  traces 
de  cette  antique  conception  de  la  mise  hors  la  loi  considérée 
comme  peine  primaire,  et  Schrœder  a  attiré  l'attention  notam- 

4  v.  ÀMiRAy  Dos  altnorwegische  Vollstreckungsverfahren  ;  v.  Richt- 
hofen,  Zur  Lex  Saxonum;  Schroeder,  Lehrbuch  der  deutschen  Redits- 
geschichte,  pp.  71  et  suiv. 


nient  sur  le  titre  LY,  2,  3  :  Si  quelqu'un  a  déterré  un  cadavre 
et  l'a  dépouillé,  qu'il  soit  wargus  jusqu'au  jour  où  il  se  sera 
réconcilié  avec  les  parents  du  mort  et  que  ceux-ci  aient 
demandé  pour  lui  l'autorisation  de  reparaître  parmi  les 
hommes  *. 

Si  l'on  rapproche  de  cette  disposition  l'article  correspondant 
de  la  loi  ripuaire,  on  verra  que,  chez  les  Ripuaires,  la  concep- 
tion de  la  peine  a  radicalement  changé.  Ils  condamnent,  en 
effet,  le  violateur  de  sépulture  en  première  ligne  au  wergeld  de 
200  sous,  et  seulement  en  ordre  subsidiaire  à  la  mise  hors  la 
Jqî  2.  Le  crime,  de  publicum,  est  devenu  privatum. 

Mais,  en  même  temps,  je  constate  que  la  loi  salique  ne  fait 
nulle  mention  de  capitale  et  de  dilatera,  tandis  que  la.  loi 
ripuaire  les  ajoute  au  wergeld. 

De  là  à  conclure  que  les  delkta  privata  imposaient  seuls,  à 
l'origine,  la  restitution  des  dommages,  il  n'y  a  qu'un  pas.  Et, 
en  effet,  la  mise  hors  la  loi,  c'était  la  mort  civile.  Les  biens 
mobiliers  du  wargus  étaient  confisqués;  il  ne  possédait  plus 
rien  3.  Quant  à  la  terre,  n'étant  pas  encore  objet  de  propriété 
privée,  elle  retournait  sans  doute  à  ses  héritiers  ou  à  la  com- 
munauté. 

Le  capitale  et  la  dilatura  spnt  donc  exclus  de  la  loi  salique 
toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'un  crime  qui  entraîne  la  proscrip- 
tion ou  qui ,  plus  tard ,  n'est  rachetable  que  par  le  wergeld  de 
son  auteur,  bien  qu'accessoirement  un  vol  et  la  privation  de 
jouissance  de  certains  objets  puissent  en  être  la  conséquence. 

Tel  est  le  cas  pour  la  violation  de  tombeau.  Le  sacrilège 
détermine  ici  la  peine  et  rejette  dans  l'ombre  le  vol  d'armes, 
de  bijoux  ou  de  vêtements  qui  l'accompagne.  Mais  dans  la  loi 

1  Si  corpus  jam  sepultum  effuderit  et  expoliaverit  et  ei  fuerit  adproba- 
tum,  wargus  sit  usque  in  die  illa  quam  ille  cum  parentibus  ipsius  defuncli 
cmveniatj  et  ipsi  pro  eum  rogare  debent,  ut  illi  inter  homines  liceat 
accéder e... 

*  Rib.  LXXXV,  2  :  ...  200  solides  cum  capitale  et  dilatura  culp.  jud.t 
vel  wargus  sit  usque  ad  parentibus  satisfeceriu 

3  Brunneq,  Deutsche  Rechfsgeschichte,  I,  p.  169,  note  14.  • 


—  36  — 

ripuaire,  la  notion  des  delieta  publica  a  complètement  dispara; 
tous  les  crimes  sont  rachetables.  Dès  lors,  c'est  le  vol  qui 
forme  la  caractéristique  du  délit  et,  comme  dans  tous  les  cas 
de  vol,  le  législateur  ajoute  :  capitale  et  dilatura.  Au  fond,  on 
ne  voit  pas  cependant  ce  que  peuvent  représenter  les  intérêts 
compensatoires,  la  valeur  d'usage  des  objets  enlevés  à  un 
cadavre.  Mais  c'est  l'analogie  qui  a  amené  cette  fausse  appli- 
cation  de  la  règle  générale. 

J'essaierai  d'expliquer  de  la  même  façon  l'omission,  dans  la 
loi  salique ,  de  la  dilatura  pour  attaqué  à  main  armée  d'une 
maison,  pour  incendie  et  pour  rapine  (dans  le  sens  romain  du 
mot  :  attaque  sur  la  voie  publique). 

T.  XIV.  Si  quis  villam  aliénant  adsallierit  et  ibidem  ostia  fre» 
gerit,  canes  occident  vel  liomines  plagaverit  aut  in  carro  aliquid 

exinde  duxerit sol.  200  culp.  judicetur  (Hessels,  C.  5,  6,  7, 

8,  9,  40,  Emend). 

On  est  ici  en  présence  d'un  véritable  acte  de  brigandage 
devant  lequel  le  furtum,  la  privation  des  choses  volées  est 
secondaire  et  s'efface. 

Le  crime  d'incendie  d'une  maison  habitée  donne  lieu  à  des 
dispositions  assez  difficiles  à  interpréter,  et  sur  lesquelles  je  ne 
puis  hasarder  que  des  conjectures. 

Constatons  d'abord  que  la  loi  ripuaire  la  punit  d'une  com- 
position de  600  sous,  plus  le  capitale  et  la  dilatura,  tandis  que 
les  textes  anciens  de  la  loi  salique  ne  mentionnent  ni  capitale, 
ni  dilatura.  Cette  différence  se  justifierait  parfaitement  si  les 
Francs  saliens  avaient,  comme  dans  les  exemples  précédents, 
frappé  l'incendiaire  d'une  composition  au  moins  égale  à  son 
wergeld  et  rappelant  l'époque  où  ce  crime  entraînait  la  mise 
hors  la  loi.  Mais  il  n'en  est  rien.  Les  textes  anciens  ne  citent 
que  la  composition  de  62  */a  solidi  pour  la  destruction  de  la 
maison  même,  et  la  composition  de  200  solidi  qui  vient  s'y 
joindre  ne  parait  due  qu'au  cas  où  l'une  des  personnes  qui  se 
trouvaient  à  l'intérieur  a  péri. 

Ces  mêmes  chiffres  sont  conservés  dans  les  manuscrits  plus 
récents,  mais  avec  addition  de  capitale  et  de  dilatura. 


-37  - 

Il  y  a  lieu  de  supposer  que  cette  anomalie  provient  d'une 
confusion  que  Wilda  et  Waitz  *  ont  déjà  signalée.  Le  wergeld 
primitif  paraît  avoir  été  de  128  solidi,  et  des  traces  s'en 
$ont  conservées  dans  plusieurs  cas  de  demi-composition  de 
62  */2  s008*  On  pourrait  émettre  l'hypothèse  que,  dans  l'ancien 
système,  les  delicta  publica  donnaient  lieu  soit  à  un  wergeld 
complet  de  125  solidi,  soit  à  la  moitié,  tous  deux  excluant  le 
capitale  et  la  dilatura.  C'est  ainsi  que,  pour  l'attaque  à  main 
armée  d'une  maison,  les  textes  1  à  4  de  Hessels  ne  fixent  la 
composition  qu'à  62  </s  sous,  tandis  que  les  autres,  comme  on 
vient  de  le  voir,  la  portent  à  200  sous.  Au  contraire,  quand  il 
s'agit  de  l'incendie,  les  rédactions  plus  récentes  ont  maintenu 
le  chiffre  ancien,  mais  elles  ont  eu  soin  d'y  ajouter  le  capitale 
et  la  dilatura. 

De  la  même  façon  s'expliquent  enfin  les  dispositions  rela- 
tives à  la  rapine,  T.  XIV.  Si  quelqu'un  dépouille  sur  une  route 
un  homme  libre,  il  sera  condamné  à  62  */2  solidi.  Point  de 
capitale  ni  de  dilatura.  Le  droit  romain  accordait  aussi  pour  la 
rapine  une  action  publique,  concurremment  avec  l'action 
privée,  et  la  demi-composition  de  62  */g  solidi  ne  peut  se  justi- 
fier que  par  les  considérations  invoquées  pour  l'incendie. 

X.  Il  n'est  pas  question  de  dilatura  dans  les  procès  pour 
inexécution  d'une  promesse  et  pour  refus  de  restituer  un  prêt. 

L'analyse  des  articles  dans  lesquels  la  dilatura  est  mention- 
née, nous  a  conduits  à  cette  conclusion  qu'elle  n'a  pas  les 
caractères  d'une  peine  moratoire.  Or,  il  existe,  dans  la  loi 
salique,  deux  titres  qui  stipulent,  à  n'en  pas  douter,  des  peines 
moratoires;  mais  précisément,  dans  aucun  des  deux,  le  terme 
de  dilatura  ne  figure. 

Le  titre  L  :  De  fides  factas  expose  la  procédure  extrajudiciaire 
à  laquelle  doit  avoir  recours  le  créancier  pour  obliger  son 
débiteur  à  exécuter  sa  promesse  de  payer  au  jour  fixé.  Le  refus 

1  Cf.  Wilda,  Strafrecht  der  Germanen,  I,  p.  85.  —  Waitz,  Dos  alte 
Recht,  pp.  16  et  18% 


1 


—  38  — 

tiii  débiteur  entraine  pour  lui  une  amende  de  15  sous;  le 
créancier  est  tenu  encore  de  le  citer  par  trois  fois,  à  sept  jours 
d'intervalle,  et  chaque  citation  a  pour  conséquence  d'aug- 
menter la  dette  de  3  sous,  donc  en  tout  de  9  sous  jusqu'à 
l'exécution. 

Pareillement,  s'il  s'agit  de  la  restitution  d'un  objet  prêté  à 
laquelle  résiste  le  débiteur,  il  devra,  outre  l'amende  procéda 
raie  de  iS  sous,  3  sous  par  citation  non  suivie  d'effet.  (LU.  De 
rem  pristitam). 

Cet  accroissement  de  la  dette  primitive  doit,  je  pense,  être 
appelé  une  peine  moratoire,  et  il  est  très  significatif  que  dans 
aucun  des  textes  on  n'ait  songé  à  lui  appliquer  le  nom  de 
dilatura.  Ce  silence  n'est  qu'une  confirmation  de  la  thèse  que 
j'essaie  de  défendre. 

XL  La  dilatura  dans  le  titre  LXXIXd'Herold. 

J'ai  évité  de  parler  jusqu'à  présent  d'un  texte  que  l'on  peut 
invoquer  comme  incompatible  avec  l'interprétation  proposée, 
et  que  je  ne  dois  évidemment  point  passer  sous  silence;  mais 
qui  seul  ne  prévaudra  pas  contre  l'ensemble  des  autres  témoi- 
gnages. 

C'est  le  titre  LXXIX  de  l'édition  d'Herold  :  De  dilatura. 

i.  Si  quis  hominem  occiderit  et quod lex  habuitpro  eo  dederit, 
solidos  XXX pro  dilatura  componat. 

2.  De  puer o  aut  liberto  solidos  XV. 

3.  De  furtibus  vero  aliis  VU  solidos. 

4.  Caussae  vero  dominicae  in  triplo  componuntur. 

Il  y  a  lieu  d'abord  de  faire  remarquer  combien  ce  passage 
est  incohérent.  Après  avoir  cité  le  meurtre  d'un  homme  libre, 
puis  celui  d'un  puer  et  d'un  libertus,  il  continue  :  de  furtibus 
aliis,  bien  qu'il  n'ait  pas  encore  été  question  de  vols.  Enfin, 
que  viennent  faire  ici  les  causœ  dominicœ  et  leur  composition 
triple,  alors  que  les  trois  paragraphes  précédents  traitaient,  non 
de  la  composition,  mais  de  la  dilatura? 

J'ajoute  que  ce  texte,  ne  figurant  que  dans  l'édition  d'Herold, 
dont  nous  avons  à  plusieurs  reprises  constaté  les  erreurs  en 


—  39  — 

matière  dedilatura  *,  on  peut  conjecturer  à  bon  droit,  comme 
Waitz  Ta  déjà  fait  (p.  199),  qu'à  tout  le  moins  il  est  d'un  âge 
plus  récent,  pour  lequel  la  notion  de  la  dilatura  était  déjà 
pleine  d'obscurités. 

Peut-être  la  dilatura  au  titre  LXXIX  est-elle  la  récompense 
de  l'accusateur,  le  Meldefeoh  des  lois  anglo-saxonnes;  Brunner 
dit  :  le  prœmium  de  celui  qui  avait  fait  le  plus  d'efforts  pour 
rendre  justice  au  mort,  et  il  rappelle  le  passage,  assez  contro- 
versé d'ailleurs,  de  la  Lex  Saxonum,  c.  14  :  Qui  nobilem  occi- 
dent, 1440  solidos  cotnponat;  ruoda  dicilur  apud  Saxones 
120  solidi,  et  in  premium  120  solidi  *. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  dilatura  due  en  cas  de  meurtre  n'a 
rien  de  commun  avec  la  dilatura  ordinaire  de  la  loi  salique. 

XII.  La  dilatura  dans  les  Capitulaires. 

Dans  l'espace  de  plus  de  trois  siècles  qui  sépare  la  première 
rédaction  du  texte  salique  des  Capitulaires  carolingiens,  bien 
des  termes  avaient  vu  leur  sens  se  modifier  avec  les  institutions 
elles-mêmes  auxquelles  ils  se  rapportaient;  quelques-uns 
n'étaient  plus  compris.  Déjà,  dans  la  loi  ripuaire,  il  n'est  plus 
question  du  ràpus,  de  Vachasius,  de  la  chrenecruda,  si  caracté- 
ristiques pour  la  loi  salique. 

Le  Capitulaire  de  819,  c.  10,  croit  nécessaire  d'expliquer  ce 
qu'il  faut  entendre  par  Vaffatimus  et  il  se  trompe  :  De  affatomie 
dixerunt  quod  traditio  fumet. 

Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  que,  pour  la  dilatura 
aussi ,  les  textes  plus  récents  ne  nous  fournissent  que  peu  de 
lumières  et  soient  parfois  en  contradiction  avec  la  loi  salique. 

Les  Capitulaires  la  mentionnent  du  reste  rarement;  même 
pour  les  vols  d'animaux  ou  d'esclaves  elle  est  souvent  oubliée. 

*  v.  Inàmà-Sternegg  (Hildebrand's  Jahrbûcher  filr  Nationalôkonomie, 
xxx,  p.  203  :  Werth  und  Preis  in  der  âltesten  Période  deutscher  Volks- 
wirthschaft)  fait  remarquer  aussi  combien  les  indications  du  texte 
d'Hérold  relatives  à  la  valeur  des  ehoses  et  au  taux  de  la  composition 
«ont  souvent  inexactes. 

2  Brunner,  Deutsche  Rechtsgeschichte,  I,  219,  note  14. 


-  40  — 

Tout  ce  qoe  Ton  peut  constater,  c'est  qu'ils  ne  renferment  rien 
qui  soit  en  désaccord  avec  la  théorie  esquissée  plus  haut. 

Le  passage  le  plus  important  est  celui  du  Pactus  pro  tenon 
pacis  des  rois  Clotaire  et  ChildcberU.  La  fréquence  des  vols  et 
leur  impunité  avaient  déterminé  ces  princes  à  organiser,  dans 
les  centaines  territoriales,  des  trustes  ou  corps  chargés  de  la 
recherche  des  criminels  et  responsables  vis-à-vis  de  leurs  vic- 
times. C'était  la  substitution  d'une  poursuite  publique  à  l'an- 
cien système  du  vestigium  minare  par  le  propriétaire  lui-même. 

Toutefois,  rien  n'empêchait  le  propriétaire  de  se  mettre  lui* 
même  en  campagne,  et  le  décret  spécial  de  Clotaire  distingue 
nettement  les  deux  hypothèses  : 

§  9 Et  si  persequens  latronem  suum  conprehenderit ,  inté- 
grant sibi  conposicionem  accipiat;  et  si  per  trustent  itwenitur, 
mediam  conpositionem  truslis  adquirat  et  capitalem  exegat  ad 
latronem  (lisez  :  a  latrone). 

Si  le  propriétaire  a  pris  lui-même  son  voleur,  toute  la  com- 
position sera  pour  lui.  Si  c'est  la  trustis  qui  l'a  arrêté, clic  aura 
droit  à  une  moitié  de  la  composition  (l'autre  moitié  allant  au 
propriétaire),  et  elle  exigera  du  voleur  la  restitution  du  capitale. 

Cette  dernière  disposition  s'explique  par  l'obligation  imposée 
à  la  trustis  d'indemniser  de  prime  abord  la  victime  du  vol,  sauf 
à  se  rembourser  ensuite  sur  le  voleur  :  in  cujus  centena  aliquid 
deperierit,  capitale  qui  perdiderit  recipiat,  et  plus  loin  :  capitale 
tamen  quiperdiderat,  ad  (a)  centena  itla  accipiat.... 

Ces  diverses  mesures  sont  confirmées  par  la  partie  finale  du 
Capitulaire  qui  parait  résumer,  au  nom  des  deux  rois,  la  dispo- 
sition essentielle  du  décret  de  Clotaire. 

§  16 (trustis)  continua  capitale  ei  qui  perdiderit  reformare 

festinet,  tamen  ut  latronem  perquirat. 

La  trustis  s'empressera  de  reconstituer  le  capitale  à  celui  qui 
l'a  perdu,  tout  en  continuant  à  rechercher  le  voleur. 


«  11  s'agit  de  Clotaire  Ier  et  de  Childebcrt  I"  (514-558).  Cf.  Borbtics 
(Capit.,  I,  p.  4)  et  Schroeder,  Untersuchungen  zu  den  frânkischen  Yolks- 
rechien  (Pick's  Monatsschrifl,  1880),  p.  479. 


—  41  — 

Quem  si  in  truste  pervenerU ,  medietalem  sibi  vindicet,  vel, 
dilatwra  si  fuerit ,  de  facultate  latronis  ex  qui  damnum  pertulit 
sarciatur. 

Si  c'est  la  trustis  qui  l'atteint,  elle  réclamera  pour  elle  la 
moitié  (de  la  composition)  ;  s'il  y  a  eu  dilatura,  on  la  prendra 
sur  les  biens  du  voleur  et  on  la  restituera  à  celui  qui  a  subi  le 
dommage ,  c'est-à-dire  au  volé. 

Nom  si  persequens  latronem  coeperit  (scilicet  :  is  qui  damnum 
pertulit),  intégra  sibi  conposicione,  simul  et  solucione  vel  quicquid 
dispendii  fuerit  revocabit. 

Mais  s'il  a  pris  lui-môme  le  voleur  en  le  poursuivant,  il  récla- 
mera pour  lui  toute  la  composition  et  en  même  temps  le  paye- 
ment de  toutes  les  pertes  qu'il  a  pu  subir. 

La  seule  hésitation  que  puisse  faire  naître  ce  texte  au  sujet 
du  sens  du  mot  dilatura,  provient  de  ce  que  dispendium,  dans  le 
dernier  membre  de  phrase,  paraît  être  synonyme  de  dilatura 
dans  le  précédent.  Cependant,  l'expression  vel  quicquid  dispendii 
fuerit  a  un  sens  beaucoup  plus  large.  Le  propriétaire  qui  s'est 
passé  des  services  de  la  trustis,  a  droit  à  toute  la  composition 
et  au  remboursement  de  dépens  quelconques.  C'est  ce  qui  jus- 
tifie la  disposition  d'après  laquelle,  même  au  cas  où  la  trustis 
garde  pour  elle  la  moitié  de  la  composition,  lui  du  moins  peut 
prétendre  à  la  dilatura. 

En  d'autres  termes,  dilatura  me  semble  être  compris  ici 
dans  :  vel  quicquid  dispendii,  mais  ne  pas  en  épuiser  tout 
le  contenu.  En  même  temps  que  le  droit  nouveau  remettait 
le  soin  de  la  poursuite  à  un  corps  de  police,  il  élargissait  le 
cercle  des  revendications  de  la  partie  lésée,  et  quand  le  par- 
ticulier se  substituait  à  la  trustis  et  entreprenait  à  ses  propres 
frais  des  investigations  dont  il  eût  pu  commodément  s'abstenir, 
on  trouvait  juste  sans  doute  de  l'en  indemniser.  Ajoutons  que 
la  vraie  dilatura,  c'est-à-dire  l'équivalent  de  la  jouissance 
perdue,  ne  peut  prendre,  dans  le  système  du  Capitulaire,  que 
des  proportions  restreintes,  puisque  la  centaine  est  invitée  à 
rembourser  le  plus  tôt  possible  le  capitale;  de  là  probablement 
l'expression  :  dilatura  si  fuerit. 


1 


—  42  - 

i  XIII.  La  dUatura  dam  la  loi  ripuairê.  —  Ce  qui  frappe  tout 
d'abord  dans  la  loi  ripuaire,  c'est  la  rareté  des  mentions  de  la 
dilatura.  Mais  il  convient  de  rappeler  que  cette  loi  frappe  tons 
les  vols  indistinctement  d'une  peine  très  sévère  et  qu'elle  n'a 
donc  pas  besoin  de  s'arrêter  aux  nombreuses  spécifications  de 
la  loi  salique. 
Voici  les  cas  dans  lesquels  la  dilatura  est  citée  : 

4°  XVII.  1.  Incendie  par  un  homme  libre  d'une  maison 
habitée:  600  sous,  plus  le  damnum  (==  capitale)  et  la  dUatura. 
2.  Même  cas  pour  l'esclave. 

2°  XVIII.  4  et  2.  Vol  par  un  ou  plusieurs  hommes  libres  ou 
par  un  esclave  d'un  troupeau  de  juments  avec  un  étalon,  de 
truies  avec  un  verrat,  de  vaches  avec  un  taureau  :  600  sous  et 
insuper  capitale  et  dilatura. 

3°  XXIX.  Vol  commis  par  un  esclave.  Le  maître  paiera 
36  sous,  excepto  capitale  et  dilatura. 

4°  XXXIII.  Recherche  de  l'auteur  du  détenteur  d'une  chose 
volée.  Les  dispositions  seront  analysées  plus  loin. 

5°  LIV.  Spoliation  d'un  cadavre  avant  l'ensevelissement  : 
60  sous.  Si  le  coupable  nie,  400  sous  et  la  dilatura. 

6°  LXXII.  Cas  de  la  perte  d'une  chose  interciée.  Même  obser- 
vation. 

7°  LXXIX.  Obligations  des  héritiers  d'un  voleur  qui  a  été 
pendu  :  ils  doivent  le  capitale  et  la  dilatura. 

8°.  LXXXII.  Dommage  causé  à  la  moisson  d'autrui.  Le  cou- 
pable, s'il  avoue,  doit  la  réparation.  S'il  nie,  il  est  tenu  à  la 
composition,  au  capitale  et  à  la  dilatura. 

9°  LXXXV.  Si  quelqu'un  a  dépouillé  un  cadavre  avant  qu'il 
soit  mis  en  terre,  il  doit  400  sous,  le  capitale  et  la  dilatura.  S'il 
a  déterré  le  mort  :  200  sous,  le  capitale  et  la  dilatura. 

40°  LXXXVI.  Fait  d'écorcher  un  cheval  mort  :  30  sous.  Si 
le  coupable  nie  :  400  sous,  le  capitale  et  la  dilatura. 

De  ces  dix  cas,  le  deuxième  (vol  d'animaux)  n'a  pas  besoin  de 
commentaires. 

Le  septième  :  obligation  des  héritiers,  résulte  d'une  disposi* 


—  43  — 

tton  du  droit  nouveau,  conforme  au  décret  deChildebert  II,  696 
{art.  7  et  8),  d'après  lequel  le  voleur  convaincu  est  condamné 
à  mort  (Capit.,  I,  p.  16).  Dans  ce  cas,  sa  succession  passe  à  ses 
héritiers  qui  nécessairement  n'ont  plus  à  fournir  de  composi- 
tion, mais  qui  sont  tenus  au  capitale  et  à  la  dilatura.  Il  est  juste, 
en  effet,  que  la  dilatura  soit  traitée  comme  une  dette  de  la 
succession. 

Les  n<"  4  et  6,  relatifs  à  la  procédure  dHntertiatio,  présentent 
un  grand  intérêt,  parce  qu'ils  développent  avec  beaucoup  de 
minutie  les  dispositions  analogues  de  la  loi  salique. 

Une  chose  volée  a  été  frappée  de  saisie-arrêt  entre  les  mains 
du  détenteur  qui  offre  de  fournir  son  auteur.  Trois  cas  sont 
prévus  : 

1°  L'auteur  se  présente.  Il  doit  rembourser  au  possesseur  de 
bonne  foi  le  prix  d'achat,  et  de  plus  il  doit  au  propriétaire  de 
la  chose  volée  la  composition  et  la  dilatura.  Il  va  de  soi ,  bien 
que  le  texte  ne  le  dise  pas,  que  le  capitale,  c'est-à-dire  la  chose 
interdéôy  retourne  au  propriétaire  ; 

2°  Le  tiers  refuse  de  reconnaître  qu'il  a  vendu  la  chose  au 
détenteur  actuel.  Dans  ce  cas,  le  détenteur,  considéré  comme 
voleur,  doit  lui-même  la  composition,  le  capitale  et  la  dilatura; 

3°  Le  délenteur  affirme  sous  serment  qu'il  ne  connaît  pas 
son  auteur.  Il  se  borne  alors  à  rendre  la  chose,  et  il  ne  doit 
fournir  ni  composition,  ni  dilatura  —  preuve  nouvelle  que  la 
bonne  foi  exclut  la  dilatura  et  que  celle-ci,  comme  la  compo- 
sition, n'est  exigible  qu'en  cas  de  délit. 

A  ces  règles,  le  titre  LXXII  ajoute  des  dispositions  spéciales 
à  l'effet  de  déterminer  les  obligations  qui  naissent  pour  le 
voleur  vis-à-vis  de  son  acheteur,  et  pour  l'acheteur  vis-à-vis  du 
propriétaire,  de  la  perte  ou  de  la  détérioration  de  la  chose 
volée. 

A.  Obligations  du  voleur  : 

Le  voleur,  au  cas  où  l'animal  par  lui  vendu  à  un  tiers  de 
bonne  foi,  est  resté  sain  et  entier,  doit  à  l'acheteur  la  valeur 
intégrale  de  l'animal  :  omnem  precium  suum  restituât  (LXXII,  7). 


—  44  — 

Mais  si  l'animal  est  mort  de  mort  naturelle,  il  ne  doit  qu'un 
solidus  pour  le  cuir  :  solido  uno  de  cine  werduniapro  corio  resti- 
tuât (LXXII,  6.  J'examinerai  plus  loin  ce  qu'il  faut  entendre  par 
cine  werdunia). 

Enfin,  si  l'animal  est  détérioré,  il  doit  l'équivalent  de  la 
valeur  actuelle  :  quantum  eo  tempore  adprcciatus  fuerit ,  sic  de 
cenu  werdunia  restituât  (LXXII,  7). 

B.  Obligations  du  détenteur  : 

Si  l'animal  intercié  a  été  volé  au  détenteur  qui  avait  l'obliga- 
tion de  le  garder,  il  est  responsable  de  ce  vol  et  doit  en  con- 
séquence :  capitale  et  dilatura  cum  texaga  (LXXII,  8).  {Texaga 
signifie  furtum,  c'est-à-dire  la  composition  pour  vol). 

Si  le  détenteur  a  tué  l'esclave  <  ou  s'il  l'a  laissé  s'enfuir  et 
qu'il  ne  puisse  le  représenter,  ses  obligations  seront  les  mêmes. 
Son  propre  délit  ou  sa  négligence  grave  priment  alors  le  délit 
qu'il  essaie  vainement  de  rejeter  sur  son  auteur  :  capitale  et 
dilatura  seu  texaga  vel  legis  beneficio  culpabilis  judicetur 
(LXXII,  3,  pour  le  cas  de  fuite)  ;  capitale  et  dilatura  cum  texaga 
seu  cenu  werdunia  vel  legis  beneficium  culpabilis  judicetur 
(LXXII,  3,  pour  le  cas  de  meurtre). 

Si  l'esclave  est  mort  de  mort  naturelle,  le  détenteur  est  tenu 
d'en  fournir  la  preuve  par  une  procédure  spéciale  :  in  quadruvio 
cum  retorta  inpede  sepeliatur,  et  le  fait  d'avoir  négligé  les  forma- 
lités prescrites  fait  peser  sur  lui  de  légitimes  soupçons.  II  doit 
alors,  comme  dans  le  cas  précédent  :  capitale  et  dilatura  cum 
legis  beneficio  seu  con  furtu  (LXXII ,  1). 

Enfin  la  loi  contient  une  disposition  à  laquelle  je  dois  m'ar- 
réter  un  instant  : 

LXXII,  5.  Si  homo  comendatus  vel  fugitivus  defunctus  fueril, 
similiter  in  quadruvio  cum  retorta  sepeliatur.  Quod  si  ita  non 
fecerit,  ipsi  (t.  e.  ipse)  qui  eum  post  se  retenuit,  precium  rei  cum 
legis  beneficio  culpabilis  judicetur. 

1  La  loi  parle  tantôt  d'un  esclave,  tantôt  d'un  animal,  mais  il  est  évident 
que  les  mêmes  règles  s'appliquent  aux  deux  cas. 


-  48  — 

Que  faut-il  entendre  par  homo  comendatus  vel  fugitivus? 
Sohm  (note  80)  paraît  croire  que  c'est  un  esclave  fugitif,  indû- 
ment retenu  par  un  tiers;  car  il  rapproche  de  ce  passage  la 
disposition  du  Pactus  Childeberti  régis  (Capitul.,  Ed.  Boretius, 
I,  p.  5)  7  :  Si  quis  aliéna  mancipia  injuste  tenuerit  et  infra  dies 
quadraginta  non  reddederit,  latro  mancipiorum  teniatur  obnoxius* 

Je  ne  puis  accepter  cette  interprétation.  Le  texte  ne  dit  pas, 
en  effet,  qu'il  faille  restituer  le  prix  de  l'esclave,  mais  precium 
rei;  de  plus,  toutes  les  dispositions  précédentes  du  même  titre 
te  rapportent  à  des  choses  volées  par  un  tiers  et  dont  le  déten- 
teur n'est  rendu  responsable  qu'à  la  suite  de  la  missio  in 
manum  tertiam. 

Il  s'agit  donc  ici  d'un  voleur  fugitif  qui,  cherchant  à  se  sous- 
traire aux  poursuites  du  propriétaire,  a  été  arrêté  et  retenu  par 
quelqu'un  qui,  dès  lors,  est  obligé  de  le  garder  avec  soin.  Il  y 
a  lieu,  en  effet,  de  rapprocher  de  ce  passage  les  dispositions 
fort  détaillées  de  la  loi  des  Burgondes,  tit.  VI  :  De  fugitivis. 

1.  Si  quis  fugitivum  intra  pravincias  ad  nos  pertinentes  corrir 
puerit,  pro  fugitivo  solidum  I  accipiat.  Et  si  fugitivus  Me  cabal- 
lum  secum  duxerit,  pro  cabalo  semissem,  pro  equa  tremissem 
accipiat  et  fugitivum  cum  omnibus  reddat.  Si  extra  sortem,  duos 
solides  is  qui  fugitivum  corripuerit,  pro  fugitivo  accipiat,  et  pro 
caballo  solidum,  pro  equa  semissem. 

2.  Qui  fugitivum  secutus  fuerit  et  casu  repugnantem  occideritf 
omni  calumpnia  careat 

3.  Si  fugitivus casu  de  custodia  fugerit 

4.  Quisque  ingénus  aut  servo  fugienti  nesciens  capUlos  fecerit, 
Vsol.  perdat;  si  sciens  capillos  fecerit  fugitivi  pretium  (c'est-à-dire 
le  wergeld)  cogatur  exsolvere. 

5.  Qui  fugitivum  sciens  flumen  transierit etc. 

De  même,  Vhomo  comendatus  est  un  voleur  qui,  étant  arrêté, 
a  été  confié  à  quelqu'un  avec  la  mission  de  le  garder.  Le 

titre  LXXIII,  4,  prévoit  le  cas  où  il  s'enfuit  :  ...  furonem ; 

si  aulem,  cui  commendatus  fuissetf  fugam  evaserit9  60  solidos 
culpabilis  judicetur. 

Si  Vhomo  commendatus  et  Vhomo  fugitivus  viennent  à  mourir 


-  i 


—  46  - 

pendant  qu'ils  sont  séquestrés,  celui  qui  les  a  in  custodia  doit 
prendre  les  précautions  que  la  loi  indique  pour  sauvegarder 
sa  responsabilité;  sinon,  il  est  tenu  à  indemniser  le  volé.  Mais 
de  quoi?  Non  pas  de  la  valeur  de  l'homme  qui  est  mort,  car  ce 
n'était  pas  un  esclave,  mais  simplement  de  la  valeur  de  la  chose 
volée  :  precium  rei,  plus  la  composition. 

Il  reste  à  voir  quelle  est,  dans  les  divers  articles  de  ce  titre, 
la  signification  des  termes  employés  :  pretium,  texaga,  furtum, 
legis  benefieium,  cine  werdunia  ou  eenu  werdunia. 

Texaga,  sur  ce  point  il  n'y  a  pas  de  doute,  est  synonyme  de 
furtum  et  désigne  ici  l'amende  pour  vol. 

Legis  beneficium  a  le  même  sens,  c'est  la  composition  légale. 

On  est  à  peu  près  d'accord  pour  reconnaître  dans  la  deuxième 
partie  de  cine  werdunia  l'équivalent  de  l'allemand  moderne 
Werth,  valeur.  Cine  werdunia  n'est-il  pas  tout  simplement  : 
seinen  Werth?  Mais  que  faut-il  entendre  par  valeur?  Sohm  dit 
que.  c'est  le  prix  d'achat  4.  Je  comprends  difficilement  ce  que 
peut  signifier  :  un  sou  du  prix  d'achat  pour  le  cuir  (solido  uno 
de  cine  werdunia  pro  corio),  et  il  paraît  plus  logique  de  traduire  : 
il  restituera  pour  le  cuir  un  sou  comme  équivalent  de  sa  valeur. 
Et  au  §  7  :  quantum  eo  tempore  adpreciatus  fuerit,  sic  de  cenu 
werdunia  restituât  :  il  restituera  comme  équivalent  de  la  valeur 
(de  l'animal  endommagé)  autant  que  portera  l'estimation. 

Il  en  est  de  même,  je  pense,  du  mot  precium,  qui  corres- 
pond dans  ce  titre  exactement  à  cine  werdunia  ;  la  loi  emploie, 
d'un  côté,  l'expression  :  omnem  precium  suum,  de  l'autre  :  sic 
de  cine  werdunia.  Ce  precium  correspond,  si  l'on  veut,  au  prix 
d'achat,  puisque  l'animal  n'a  rien  perdu  depuis  que  la  transac- 
tion a  eu  lieu.  Mais  il  peut  avoir,  dans  l'intervalle,  augmenté 
de  valeur;  s'il  était  malade  et  affaibli,  il  peut  avoir  repris  ses 
forces  grâce  aux  soins  de  l'acheteur,  et  celui-ci  peut  à  bon  droit, 
ce  semble,  réclamer  l'équivalent  de  sa  valeur  actuelle,  le  pre- 
cium normal  d'un  cheval  intact. 

Quoi  qu'il  en  soit,  precium  ou  cine  werdunia  correspondent. 

» 

1  La  Procédure  de  la  loi  salique  (trad.  Thévenin),  p.  69,  note  4. . 


—  47  — 

au  capitale,  et  les  formules  variées  du  titre  LXXII  se  ramènent 
ainsi  aisément  aux  trois  éléments  que  nous  avons  rencontrés 
si  fréquemment  dans  la  loi  salique  :  1°  composition;  2°  capitale 
et  3°  dilatura.  : 

1  S  I 

LXXII,  8  :  Capitale  et  dilatura  cum  texaga  (composition). 

t  s  t 

LXXII,  2  :  Capitale  et  dilatura  seu  (il  faut  lire  :  cum)  texaga 
t 
vel  legis  beneficio. 

î  5  I  t 

LXXII,  3  :  Capitale  et  dilatura  cum  texaga  seu  cenu  werdunia 
vel  legis  beneficium. 

1  S  1 

LXXII,  1  :  Capitale  et  dilatura  cum  legis  beneficio  seu  eoh 
furlu. 

LXXII,  5  :  Precium  rei  cum  legis  bénéficie 

De  tout  ceci  que  peut-on  conclure  pour  l'étude  .de  la  dila- 
tura? Que  la  théorie  exposée  dans  ces  pages  y  trouve  une 
éclatante  confirmation.  En  effet,  quand  il  s'agit  des  obligations 
du  voleur  vis-à-vis  de  l'acheteur  de  bonne  foi,  la  loi  ripuaire 
impose  la  restitution  in  capite  de  l'animal  que  ce  dernier  est 
obligé  d'abandonner,  mais  elle  est  muette  sur  la  dilatura.  Et 
c'est  justice,  car  l'acheteur  qui  est  en  possession  de  l'animal  en 
a  retiré  tous  les  fruits;  or,  il  serait  illogique  de  l'indemniser 
pour  une  jouissance  dont  il  n'a  pas  été  privé* 

Au  contraire,  quand  il  est  question  du  propriétaire,  le 
voleur  et  le  détenteur  négligents  ou  coupables  sont  tenus  à  la 
dilatura  :  le  propriétaire,  depuis  le  jour  où  sa  chose  lui  a  été 
soustraite,  n'a  pu  en  retirer  aucun  fruit  et  ce  dommage  doit 
être  réparé. 

Il  est  vrai  qu'une  exception  se  présente  dans  le  cas  de  Yhomo 
commendatus  vel  fugitivus  :  la  loi  n'oblige  le  séquestre  impru- 
dent qu'au  precium  rei.  Je  ne  trouve  à  cette  anomalie  qu'une 
seule  explication  vraisemblable  :  l'homme  qui  s'était  constitué 
le  gardien  du  voleur  et  de  la  chose  volée  ne  retirait  évidemment 
aucun  service  de  cette  chose  et,. en  fût-il  autrement,  cette 


—  48  — 

valeur  de  jouissance  pouvait  être  considérée  comme  la  rému- 
nération de  sa  peine.  La  loi  des  Burgondes,  en  pareil  cas,  alloue 
même  un  sou  d'indemnité  pour  la  garde  de  l'esclave,  un  demi- 
sou  pour  le  cheval. 

Jusqu'ici  la  loi  ripuaire  n'a  fait  que  confirmer  les  données 
de  la  loi  salique.  On  tirera  la  même  conclusion  du  silence 
qu'elle  garde,  relativement  à  la  dilatura,  dans  les  cas  de 
meurtre,  mutilation,  coups,  blessures,  vol  d'un  homme  libre, 
rapt,  accusation  injuste,  etc. 

Mais  il  est  quelques  points  où  apparaissent  des  divergences. 

Le  titre  XVII  (  n°  1  de  la  page  43)  oblige  à  la  dilatura  l'homme 
libre  ou  l'esclave  qui  a  incendié  une  maison.  Nous  avons  vu 
que  l'absence  de  cette  pénalité  dans  la  loi  salique  est  due 
probablement  à  une  antique  conception  du  droit  pénal  qui  a 
disparu  de  la  loi  ripuaire;  l'application  de  la  dilatura  au  crime 
d'incendie  est  dès  lors  parfaitement  légitime. 

Le  titre  XXIX  (nr  3  de  la  page  43)  stipule  que  si  l'esclave  a 
commis  un  vol,  son  maître  payera  36  solidi  plus  le  capitale  et 
la  dilatura.  Cette  disposition  s'écarte  de  celle  de  la  loi  salique 
qui  n'obligeait  le  maître  qu'à  la  restitution  de  la  chose  volée. 
Mais  elle  s'explique  en  ce  sens  que  la  loi  ripuaire  a  amélioré 
la  situation  du  maître  ;  s'il  déclare  ignorer  quelle  est  la  culpa- 
bilité de  son  esclave,  il  peut  répondre  sans  tangano,  c'est-à-dire 
qu'à  l'affirmation  du  demandeur  il  n'est  pas  tenu  de  donner 
une  réponse  négative  en  termes  formels,  et  qu'il  échappe  ainsi 
aux  conséquenses  d'une  dénégation  absolue,  qui  pourrait  être 
fautive. 

D'après  redit  de  Chilpéric  (fin  du  VI»  siècle)  §  8,  le  maître 
doit  soumettre  son  esclave  à  l'épreuve  judiciaire.  S'il  s'y  refuse, 
l'esclave  est  censé  coupable;  alors  ou  bien  le  makre  en  fera 
cession  ou  bien  il  payera  douze  sous,  le  capitale  et  la  dilatura  *• 

Il  reste  enfin  à  interpréter  lesn°»  S,  8,  9  et  10.  Trois  fois  ici, 
la  loi  ripuaire  reproduit  la  distinction,  déjà  indiquée  à  propos 
de  la  loi  salique,  entre  le  cas  où  le  défendeur  est  en  aveu  et 

1  Capitul.,  Ed.  Boretius,  I,  p.  9. 


—  49  - 

celui  où  il  nie,  la  rfiYa/ura  n'apparaissant  que  dans  cette  dernière 
hypothèse. 

J'ai  essayé  d'expliquer  le  cas  du  cheval,  écorché  sans  le  con- 
sentement du  maître  (n°  10,  tit.  LXXXVI);  je  n'y  reviens  pas. 

Le  titre  LXXXII  est  ainsi  conçu  :  si  un  Ripuaire  a  causé  du 
dommage  dans  le  champ  d'autrui  ou  dans  un  enclos  quelconque, 
il  sera  tenu  de  payer  le  dommage  estimé.  Mais  s'il  nie  et  qu'il 
soit  convaincu,  il  paiera  le  capitale  avec  la  texaga  et  la  dilaturq. 

On  voit  qu'ici,  comme  dans  la  loi  salique,  la  dénégation  a 
pour  effet  de  faire  naître  la  vraie  responsabilité  pénale  et 
d'obliger  à  la  composition  et  à  la  dilatura.  On  en  conclura  que 
le  dommage  dont  il  est  question  dans  ce  titre  n'est  pas  dû  à  un 
acte  de  mauvais  gré,  mais  à  une  circonstance  indépendante  de 
la  volonté  du  défendeur,  probablement  à  l'invasion  de  bestiaux. 
Ce  qui  le  prouve,  c'est  qu'une  variante  parle  de  l'absence  du 
berger,  absente  pastore,  et  que  l'article  2  prévoit  le  cas  où  le 
berger  s'opposerait  à  ce  que  ses  bêtes  fussent  provisoirement 
enfermées  par  le  propriétaire  du  champ. 

Le  dernier  cas  est  plus  embarrassant  (nos5  et  9).  D'après  le 
titre  LIV,  celui  qui  dépouille  un  cadavre  avant  qu'il  soit  mis 
en  terre,  paiera  60  soiicii  s'il  a  avoué;  s'il  nie,  il  paiera  100  solidi 
et  la  dilatura. 

Cette  disposition  s'écarte  absolument  de  celles  que  nous  avons 
étudiées  jusqu'ici  ;  car  le  fait  de  l'aveu  ne  dispense  pas  le  défen- 
deur de  la  composition  :  60  solidi.  Et  assurément  on  ne  pour- 
rait imaginer  comment  il  aurait  été  de  bonne  foi  et  par  consé- 
quent exempt  de  délit  en  dépouillant  un  cadavre.  Mais  alors 
pourquoi  la  dilatura  dans  l'hypothèse  du  refus  d'avouer  et 
pourquoi  point  de  capitale? 

Ce  qui  achève  de  rendre  cette  disposition  singulière  et  inex- 
plicable, c'est  que  la  loi  ripuaire  contient  un  autre  titre  (LXXXV) 
qui  traite  du  même  objet,  mais  qui  porte  simplement  : 

Si  quelqu'un  a  dépouillé  un  mort  avant  l'ensevelissement, 
qu'il  paie  100  solidi,  le  capitale  et  la  dilatura. 

Cet  article,  considéré  par  tous  les  éditeurs  comme  plus 
récent,  est  assurément  le  plus  conforme  aux  principes  du  droit 
Tome  XL1.  i 


-  5d  — - 

ripuaire  ;  mais  il  est  probable  que  les  changements  qui  se  sont 
produits  dans  l'appréciation  de  la  nature  de  ce  crime  et  dont  la 
loi  salique  nous  a  déjà  fourni  des  exemples,  ont  donné  aux 
rédacteurs  certaines  hésitations  et  les  ont  induits  en  erreur. 

On  peut  même  croire  que  la  dilatura  a  pris  ici  les  vrais 
caractères  d'une  peine  moratoire,  et  que  cette  déviation  est  due 
à  l'interprétation  inexacte  des  articles  dans  lesquels  la  dénéga- 
tion seule  du  défendeur  semblait  lui  donner  naissance»  alors 
qu'en  réalité  elle  ne  surgissait,  tout  comme  la  composition, 
qu'avec  les  éléments  constitutifs  du  délit. 

Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  la  loi  ripuaire  est  beaucoup 
plus  récente  que  la  loi  salique,  qu'elle  ne  remonte  dans  se6 
portions  les  plus  anciennes  qu'aux  dernières  années  du 
VIe  siècle  et  qu'elle  n'a  guère  été  achevée,  sous  la  forme  que 
nous  lui  connaissons,  avant  la  fin  du  VIIe  siècle.  Les  observa- 
tions que  suggérait  l'étude  des  Capitulaires  conservent  donc 
ici  toute  leur  valeur. 

Il  n'est  pas  étonnant  surtout  de  voir  se  multiplier  les  disposi- 
tions qui  semblent  donner  à  la  dilatura  le  caractère  d'une  peine 
moratoire.  Toute  la  procédure  ripuaire  penche  de  ce  côté. 
Sohm  a  déjà  fait  remarquer  que  dans  la  revendication  de  rem 
pristitam  et  de  fides  factas,  l'amende  de  15  solidi  qui  était  pure- 
ment procédurale  chez  les  Saliens  est  devenue  moratoire  dans 
la  loi  ripuaire  1 . 

XIV.  La  dilatura  dans  la  lex  Thuringorum  et  la  lex  Chamavo- 
rum.  —  La  loi  des  Thuringiens  (lex  Angliorum  et  Wermorum  id 
est  Thuringorum)  ne  renferme  que  deux  mentions  de  la  dilatura: 

Art.  XXXVII.  Qui  scrofas  sex  eum  verre,  quod  dicunt  sonesl, 
furatus  est,  in  triplum  conponat  et  delaturam  solidos  7  et  in  freda 
totidem. 

Art.  XXXVIII.  Qui  ornamenta  muliebria,  quod  rhedo  dicunt, 
furto  abstulerit,  in  triplum  conponat,  delaturam  42  solidos  et  in 
freda  similiter. 

*  La  procédure  de  la  lai  salique  (trad.  Thévenin),  p.  426. 


—  54  - 

Ces  dispositions  présentant  ceci  d'intéressant  qu'elles  fixent 
la  dilatura  à  un  taux  invariable  et  égal  au  fredum. 

La  loi  des  Francs  Chamaves  (Lex  Francorum  Chamavorum) 
attribue  également  un  chiffre  fixe,  pour  chaque  délit,  à  la 
dilatura  qu'elle  nomme  wirdira..  Ce  terme  correspond  évidem- 
ment à  celui  de  la  version  haut-allemande  de  la  loi  salique  : 
foruzzan  haupitgelt  nui  wirdriun  (génitif  de  wirdria  1). 

Voici  le  texte  de  la  loi  des  Chamaves. 

T.  XXV.  Quicquid  m  casa  furaverit,  in  wirdira  solidos  7. 

De  wamione  in  wirdira  solidos  7.  De  spadato  caballo  solidos  7. 
De  servo  solidos  7.  De  spala  7.  Dejumenta  solidos  4.  De  bove 
solidos  2.  De  vacca  solidos  2.  De  porcis  et  vervecis  et  animalibus 
juvenibus  et  de  capris  terciam  partent  quantum  valet,  in  wirdira. 

T.  XXVI.  Quicquid  in  Amore  in  alterum  furatum  habent,  in 
duos  geldos  componere  faciat,  in  wirdira  uncias  duos,  in  fredo 
solidos  4. 

Ce  qui  veut  dire  :  Le  vol  commis  dans  l'Hamaland  par  un 
Chamave  au  détriment  d'un  autre  donne  lieu  à  une  composition 
du  double,  à  une  wirdira  de  2  onces  et  à  un  fredum  de  i  solidi. 

T.  XXVII.  Et  quicquid  in  Mashau  furaverit  duos  geldos  com- 
ponere faciat,  in  wirdira  uncias  duas,  in  fredo  dominico  solidos  4. 

Même  pénalité  pour  le  vol  commis  dans  le  Maasgau. 

T.  XXVIII.  Quicquid  in  Amore  Fresiones  injuste  tulerint,  per 
aliud  tantum  coynponere  faciat,  in  fredo  solidos  4. 

Le  vol  commis  dans  l'Hamalant  par  des  Frisons  s  donne  lieu 
à  une  composition  équivalente  à  la  valeur  de  l'objet,  et  à  un 
fredum  de  4  solidi. 

Point  de  dilatura,  cette  peine  étant  inconnue  des  Frisons. 

1  Graff,  AUhochdeutscher  Sprachschatz,  I,  638,  pense  que  wirdira  est 
synonyme  de  werigelt,  wergeld  et  s'oppose  comme  tel  au  fredum  (in 
wirdira...,  in  fredo...).  Cette  opinion  est  démentie  par  ce  seul  fait  que  la 
wirdira,  au  titre  XXV,  n'est  fixée  pour  un  porc  qu'au  tiers  de  la  valeur 
de  l'animal,  ce  qui  est  inadmissible  pour  la  composition. 

*  C'est  l'interprétation  de  Sohm  (Monum.  Leg.,  V,  p.  274,  note  30). 
Schroeder,  Vntersuchvngcn  (Pick's  Monatsschrift,  1880),  p.  500,  traduit  : 
le  vol  commis  au  détriment  de  Frisons  par  des  Chamaves  —  ce  qui  peut 
également  se  défendre. 


-  52  — 

T.  XXIX.  Même  disposition  pour  le  vol  commis  par  les 
Saxons. 

XV.  De  l'estimation  de  la  dilatura.  —  Les  indications  qui 
viennent  d'être  données  sur  le  montant  de  la  dilatura  doivent 
être  rapprochées  d'un  article  de  la  loi  salique  (t.  XXXV,  6)  qui 
fournit  de  son  côté  quelques  chiffres  intéressants  : 

Si  quis  vasso  ad  ministerium  aut  fabrum  ferrarium  vel  aurifice 
aut  porcario  vel  vinitwem  aut  stratorem  furaverit  aut  occident, 
cui  (uerit  adprobatum,  MCC  din.  qui  faciuntsol.  XXX  culp.jud. 

Inter  freio  et  faido  sunt  MDCCC  din.  qui  foc.  sol.  XLV,  excepto 
capitale  et  dilatura.  In  summa  sunt  simul  sol.  LXXV. 

Le  sens  de  cette  disposition  n'est  pas  douteux.  Le  voleur  de 
l'esclave  doit  une  composition  de  30  solidi;  avec  le  fredum, 
cela  fait  45  ;  l'expression  inter  frelo  et  faido  signifiant  le  fredum 
joint  à  la  faida  est  fréquente  dans  les  textes  francs  i. 

Donc  le  fredum  est  de  15  sous,  soit  de  la  moitié  de  la  faida, 
et  la  composition  tout  entière  équivaut  au  triple  de  la  valeur 
de  la  chose  volée  2. 

En  effet,  le  capitale  et  la  dilatura  ajoutent  encore  à  la  dette 
30  sous,  ce  qui  la  fait  monter  à  75,  et  de  ces  30  sous,  le  capitale 
en  représente  15,  la  dilatura  15  également,  si  toutefois  il  faut 
en  juger  d'après  la  lex  Thuringorum  :  dilaturam  solidos  7  et  in 
freda  totidem.  Voici,  par  conséquent,  le  fredum,  le  capitale  et  la 
dilatura  fixés,  dans  le  cas  actuel,  tous  trois  à  la  même  somme, 
ce  qui,  à  la  vérité,  paraît  singulier. 

D'après  la  loi  des  Chamaves,  la  dilatura,  au  moins  pour  les 
brebis,  les  porcs,  les  jeunes  animaux  (bœufs  et  vaches)  et  les 
chèvres,  ne  serait  que  du  tiers  de  la  valeur  de  la  bête. 

Il  est  impossible,  je  crois,  de  conclure  que  les  autres  chiffres 
de  cette  même  loi  :  7  sous  pour  un  esclave,  2  pour  un  bœuf,  etc., 

1  Par  exemple  Pactus  pro  tenore  pacis  (Capit.  I,  p.  6, 12)  :  ipse  dominus 
status  suijuxta  moclum  culpae  inter  freto  et  faido  conpensetur. 

9  C'est  ce  que  prouvent  aussi  les  exemples  du  titre  X,  d'après  lesquels 
le  rapport  entre  la  valeur  d'un  esclave  et  la  composition  (y  compris  le 
fredum)  est  :  12  :  35,  soit  environ  du  tiers  (cf.  v.  Dvama  Sternegg,  Deutsche 
Wirthschaftsgeschichte,  p.  195). 


-   83  — 

correspondent  aussi  au  tiers  de  la  valeur.  Bien  qu'en  effet,  la 
loi  ripuaire  donne  des  indications  précises  sur  le  prix  auquel 
il  faut,  pour  le  payement  de  la  composition,  estimer  les  ani- 
maux 4,  on  ne  peut  affirmer  que  ces  prix  aient  été  les  mêmes 
chez  les  Saliens  et  les  Chamaves. 

Mais  ce  qui  ressort  de  ces  constatations,  c'est  que  la  dilatura 
parait  avoir  été  fixée  à  l'avance,  sans  que  l'on  tînt  compte  du 
délai  qui  s'était  écoulé  depuis  le  vol  et  sans  que  Ton  fit,  pour 
chaque  cas  particulier,  une  estimation  régulière. 

Cette  conclusion  choque  nos  idées  modernes,  mais  elle  n'a 
rien  d'incompatible  avec  l'organisation  pénale  des  Germains. 
Tout  nous  montre  les  difficultés  considérables  contre  lesquelles 
les  sociétés  primitives  ont  à  lutter  pour  établir  une  exacte  gra- 
dation des  peines. 

Quand  la  loi  saliquedétermine  le  montant  de  la  composition, 
elle  cherche  plus  ou  moins  à  le  mettre  en  rapport  avec  la 
nature  du  délit,  mais  elle  considère  aussi  la  condition  de  la 
victime  et  même  celle  de  l'auteur.  11  valait  mieux  pour  un  Franc 
être  lésé  par  un  de  ses  égaux  que  par  un  esclave  ou  par  un 
Romain,  caria  composition  qui  lui  échéait était  plus  élevée. 

Si  l'on  songe,  de  plus,  que  le  rôle  du  tribunal  était  très 
effacé  et  qu'il  ne  faisait  en  quelque  sorte  que  tracer  les  règles 
de  la  procédure  judiciaire  en  laissant  aux  parties  elles-mêmes 
le  soin  de  constater  si  la  preuve  était  fournie  ou  non,  on  accep- 
tera sans  répugnance  cette  conclusion  que  la  dilatura  n'était 
laissée  ù  l'appréciation  de  personne,  mais  que,  pour  chaque 
espèce  de  délit,  elle  était  fixée  par  la  coutume. 

XVI.  Le  mot  dilatura  et  les  gloses.  —  11  me  reste  à  recher- 
cher si  le  mot  wirdira  ou  plutôt  wirdria  de  la  loi  des  Chamaves 
et  du  fragment  de  traduction  de  la  loi  salique  du  IXe  siècle 
peut  jeter  quelque  clarté  sur  le  terme  de  dilatura  lui-même. 

Malheureusement,  les  opinions  sont  ici  très  divergentes. 

1  Equus  videns  et  sanus  :  6  sol.  ;  equa  videns  et  sana  :  S  sol.  ;  bos  cor- 
nutvs  :  2  sol.  ;  vacca  cornuta  :  1  sol.  Comparez  le  tableau  du  prix  des 
animaux  dans  les  différentes  Leges,  dressé  par  v.  Inamà  Sternegg  (loc. 
cit.),  p.  511 


—  54  — 

Pour  Grimm  (préface  à  l'édition  de  Merkel,  p.  LXXXY1I),  mkt- 
dira  vient  de  la  préposition  widar,  widari  et  signifie  récusation 
negatio,  ce  qui  se  rapporte  à  l'idée  que  la  dilatura  est  la  peine 
de  l'accusé  qui  nie.  Kern  (dans  Hessels,  §  49,  col.  456)  rap- 
proche wirdira  du  verbe  anc.  norr.  verda>  varda,  avec  le  sens 
de  garantir  et  aussi  être  punissable. 

La  plupart  des  commentateurs  y  voient  l'analogue  du  mot 
actuel  Werth,  valeur.  Dans  le  Sachsenspiegel ,  werdung  a  encore 
le  sens de  œstimatio  (cf.  Zôpfl,  Deutsche  Rechtsgeschichte,  III, 
380  et  suiv.). 

Il  semble  cependant  que  cette  signification  conviendrait 
mieux  pour  traduire  le  capitale  et  on  n'hésitera  pas  à  l'attribuer 
au  werdunia  (cine  werdunia)  de  la  loi  ripuaire. 

J'ose  à  peine  formuler  à  mon  tour  une  hypothèse  que  mon 
incompétence  philologique  rend  peut-être  plus  que  hasardée. 
Mais  je  me  demande  s'il  n'est  pas  possible  de  rapprocher  wir- 
dria  du  verbe  tverden,  devenir,  croître,  et  d'y  voir  l'augmenta- 
tion, le  croit. 

C'est  ainsi  que  îverder,  wert  signifie  un  atterrissement,  \\n 
ilôt  formé  dans  un  fleuve  et  s'accroissant  par  les  alltivions 
(Lexer.,  Mitlelhochd.  Wœrterbuch,  III,  777;  Ziemann,  Mittelhochd. 
Wcerterb.,  63o). 

Le  mot  dilatura  lui-même  ne  pourrait-il  être  interprété  dans 
ce  sens  et  mis  en  rapport  avec  d'autres  composés  du  supin 
dilatum  :  dilatare,  dilatatio,  dilatio  (dans  le  sens  de  Ausbreitmg, 
Brinckmeier,  Glossar.  diplomate  I,  p.  611)? 

La  dilatura  serait  alors  l'expansion  naturelle  de  la  chose 
volée. 

Une  glose  de  la  loi  ripuaire,  empruntée  au  Codex  Sancli- 
Petri  in  SU  va  nigra,  n°  87,  du  XIe  siècle  (Monument  a  y  Legum, 
t.  V,  p.  277),  interprète  dilatura  par  les  mots  :  quod  longe  est9 
quod  non  persolvitur,  ce  qui  est  en  retard,  ce  qui  n'est  pas 
rncorc  payé. 

L'expression  quod  longe  est  fait  songer  à  un  passage  de  la 
Decretio  Chlotharii  regisf  9  :  Si  vestigius  conprobatur  latronis, 
tamen  presentia  aut  longe  multandus  (sur-le-champ  ou  plus 
tard). 


Le  glossateur  parait  donc  attacher  au  terme  dilatura  ridée 
d'une  peine  moratoire,  due  par  le  fait  du  défendeur  qui  est 
en  retard  de  payer.  Mais  il  va  de  soi  que  cette  interprétation, 
datant  d'une  époque  où  Ton  n'avait  plus  l'intelligence  nette 
des  institutions  primitives,  n'a  par  elle-même  aucune  force 
probante. 

XVII.  Pourquoi  la  dilatura  est-elle  particulière  au  droit 
franc?  —  A  cette  question  je  ne  puis  fournir  aucune  réponse. 
II  est  assez  bizarre  assurément  qu'on  ne  trouve  la  notion  des 
intérêts  compensatoires  que  dans  les  lois  franques  (loi  salique, 
loi  ripuaire,  loi  des  Chamaves)  et  dans  la  loi  des  Thuringiens, 
dont  on  a  signalé  les  analogies  avec  les  lois  franques  t.  La  loi 
des  Burgondes  et  la  loi  des  Visigoths  ne  présentent  rien  de 
semblable;  ce  n'est  donc  pas  à  l'un  de  ces  peuples  que  les 
Saliens  ont  emprunté  la  dilatura.  Et  comme  elle  n'apparaît 
pas  davantage  chez  les  autres  Germains,  demeurés  moins  acces- 
sibles aux  influences  romaines,  il  semble  qu'il  faille  y  voir  une 
création  propre  du  droit  franc.  On  pourrait  supposer  toutefois 
que  les  Saliens,  en  Rétablissant  en  Belgique,  au  milieu  d'une 
population  romane  s'y  sont  assimilé  certaines  notions  juri- 
diques qu'ils  ont  amalgamées  avec  leurs  propres  institutions. 
Le  fait  même  de  la  rédaction  de  la  loi  en  langue  latine  vient  à 
l'appui  de  cette  hypothèse  2. 

Mais  l'étude  des  emprunts  que  le  droit  franc,  dans  les 
périodes  successives  de  son  développement,  a  faits  au  droit 
romain,  est  trop  peu  avancée  pour  qu'il  soit  possible  d'aflirmer 
rien  de  positif  à  cet  égard. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  le  mot  dilatura  a  cessé  d'être  employé, 
il  ne  faut  pas  en  conclure  que  la  notion  à  laquelle  il  corres- 
pondait se  soit  également  perdue  ;  on  l'exprime  désormais  par 
frac  tus.  J'en  trouve  la  preuve  dans  un  placitum  de  693  (Pertz, 

1  Làmprecht  ,  FrânkUche  Wanderungen  (Zeitschrift  des  Aachener  Ge- 
schichtsvereins,  IV,  pp.  223  et  suiv.). 

*  Brunner  a  montré  récemment  que  plusieurs  titres  de  la  loi  salique 
présentent,  non  dans  le  fond,  mais  dans  la  disposition  extérieure,  de 
frappantes  analogies  avec  les  lois  des  Visigoths  et  des  Burgondes. 


-S6  - 

Diplomala,  p.  58).  Le  roi  Clovis  111,  jugeant  à  Valencien nés 
une  revendication  de  propriété,  suivant  des  formes  procédu- 
rales purement  germaniques,  condamne  le  perdant  à  la  resti- 
tution du  bien  contesté,  à  la  composition  et  aux  fructa.  On 
retrouve  ici  tous  les  éléments  avec  lesquels  nous  ont  familia- 
risés la  loi  salique  et  la  loi  ripuaire  : 

1°  La  composition  {sic  et  fuitjudecatum,  ut  in  exfaido  et  fredo 
solidos  quindece  pro  ac  causa  fidem  facere  debirit ,  et  plus  loin  : 
cum  legis  benefkium)\ 

2°  Le  capitale  {ut  ...  ipso  locello  ...  cum  omni  integritate 
sua  . . .  reddire  . . .  non  recusit); 

3°  La  dilatura  {quicquid  de  fructa  aut  paecunia  vel  reliqua 
rem  ...de  ipso  locello  . . .  abstraxit . . .  similiter  reddere  sludiat). 

Ce  passage  est  une  confirmation  nouvelle  de  la  thèse  à 
laquelle  est  consacré  ce  mémoire  :  la  dilatura  représente  les 
fruits,  le  lucrum  cessons,  les  intérêts  compensatoires. 


.%l»l»ITIO:VlfKI,I.K« 

Au  moment  de  livrer  à  l'impression  la  dernière  feuille  de  ce 
travail,  je  reçois,  grâce  à  l'obligeance  de  M.  Petit,  conserva- 
teur à  la  Bibliothèque  royale,  le  livre  de  Woringen,  Beitràge 
sur  Gcschichte  des  deulschen  Strafrechtes ,  1836,  que  j'avais 
vainement  cherché  jusqu'ici  (même  à  la  Bibliothèque  nationale, 
à  Paris.  L'auteur,  qui  consacre  à  la  dilatura  un  chapitre  assez 
étendu  (pp.  74  à  89),  s'attache  surtout  à  réfuter  les  hypothèses 
qui  avaient  déjà  été  émises,  mais  il  ne  formule  pas  lui-même 
une  conclusion  définitive.  Il  indique  cependant  comme  très 
probable  (pp.  84  et  suiv.)  la  solution  que  je  cherche  à  faire 
prévaloir;  seulement  il  n'y  arrive  point  par  une  analyse  rigou- 
reuse, et  son  argumentation  est  si  peu  convaincante  qu'il  finit 
par  déclarer  admissible  également  l'hypothèse  des  intérêts 
moratoires  et  qu'il  laisse  la  question  en  suspens. 


LA 


\ 


\. 


m  de 


ES 


(1800-1823) 


PAR 


ÉD.  MAILLY, 

MBMBRB  DB  l'aCADBMIB  BOYALB  CB  BBLGIQUB. 


(Présenté  à  la  Classe  des  lettres  dans  la  séance  du  \  juin  1888.) 


Tomi  XLI. 


1 


AVANT-PROPOS. 


J'ai  déjà  entretenu  l'Académie  delà  Société  de  littérature  de 
Bruxelles  *.  Si  j'y  reviens  aujourd'hui,  c'est  qu'elle  marque 
une  époque  intéressante  de  notre  histoire,  celle  où  la  langue 
française,  jusque-là  très  négligée,  reçut  une  vive  impulsion,  où 
les  érudits  se  virent  disputer  la  première  place  par  les  rimeurs. 
Comme  je  l'ai  dit,  tout  n'est  pas  à  louer  dans  les  recueils  de  la 
Société  de  littérature  :  il  y  a  bien  des  pièces  médiocres;  mais 
l'effort  que  nécessite  la  composition  en  vers  devait  réagir  sur  la 
forme,  indépendamment  des  idées  plus  ou  moins  élevées,  plus 
ou  moins  neuves.  On  a  ri  souvent  des  vers  latins  que  les  éco- 
liers confectionnaient  à  coups  de  dictionnaire;  ils  avaient 
cependant  leur  bon  côté,  en  habituant  l'oreille  au  rhythmede 
la  langue,  à  l'emploi  des  mots  harmonieux.  Au  siècle  der- 
nier on  faisait,  parmi  nous,  les  vers  latins  beaucoup  mieux 
que  de  notre  temps,  mais  la  poésie  française  était  inconnue,  et 
la  prose  de  nos  auteurs  s'en  ressentait  fortement.  L'art  d'écrire 
n'existait  pas  :  en  poussant  à  l'art  de  rimer,  la  Société  de  litté- 
rature de  Bruxelles  rendit  un  vrai  service.  Je  ne  voudrais 

*  Discours  prononcé  à  la  séance  publique  du  16  décembre  1886.  — 
Étude  pour  servir  à  l'histoire  de  la  culture  intellectuelle  à  Bruxelles  pen- 
dant la  réunion  de  la  Belgique  à  la  France;  insérée  dans  le  tome  XL  dos 
Mémoires  in-8°. 


(4) 

d'autre  preuve  de  son  utilité  pour  les  lettres  françaises  que 
l'aversion  qu'elle  inspira  au  roi  Guillaume,  et  les  moyens 
détournés  qu'il  employa  pour  la  faire  disparaître  au  profit 
d'une  autre  société  dont  le  but  était  la  culture  de  la  langue 
dite  nationale,  c'est-à-dire  du  hollandais. 

J'ai  divisé  ce  travail  en  deux  parties.  Dans  la  première,  je 
fais  l'histoire  de  la  Société  de  littérature  en  m'appuyant  à  la  fois 
sur  des  documents  imprimés  et  sur  des  pièces  manuscrites. 
Dans  la  seconde,  j'examine  les  recueils  de  poésies  que  la  Société 
a  publiés  de  1801  à  1833.  Vient  ensuite  une  table  alphabétique 
des  auteurs,  avec  l'indication  des  volumes  dans  lesquels  on 
trouve  leurs  écrits.  Puis  un  dictionnaire  biographique. 
'  Le  mémoire  est  terminé  par  un  appendice  où  je  parle  de 
trois  volumes  pour  les  années  1834, 1835  et  1836,  qui  parurent 
à  Bruxelles  après  la  suppression  de  la  Société.  Celui  de  1834, 
mêlé  de  vers  et  de  prose,  avait  pour  principal  auteur  Ch.  Fro- 
ment ;  les  pièces  des  deux  autres  avaient  été  rassemblées  par 
Ph.  Lesbroussart.  Je  finis  par  Y  Annuaire  de  la  littfrature  et  des 
beaux-arts,  imprimé  à  Liège  en  1830,  et  qui,  dans  la  pensée  de 
l'éditeur,  M.  L.  Alvin,  devait  ressusciter  la  publication  des 
Almanachs  belges. 

Le  présent  travail  est  avant  tout  un  travail  de  bibliographie  : 
je  laisse  à  des  hommes  plus  compétents  le  soin  d'apprécier  et 
de  juger  les  écrivains  dont  je  rappelle  les  noms. 


LA 


(1800-1883), 


PREMIÈRE  PARTIE. 


VOracle  t  du  1er  pluviôse  an  IX  (21  janvier  1801)  renfermait 
l'annonce  suivante  : 

«  VAlmanach  poétûiue  de  Bruxelles,  pour  l'an  IX,  grand 
in-18  de  18G  pages,  se  trouve  chez  Lecharlier,  libraire,  Mon- 
tagne des  Victoires,  et  à  l'imprimerie  de  Tutot,  fuedeNamur* 
n°  940,  prix  broché  1  franc,  et  relié  en  papier  coloré  26  sous  de 
France  ou  2  escalins.  » 

U  Avertissement  placé  en  télé  du  volume  portait  :  ce  Quelques 
élèves  de  la  classe  de  belles-lettres  de  l'Ecole  centrale  de  Bru- 
xelles ayant  formé,  il  y  a  un  peu  plus  d'un  an,  une  Société 
littéraire,  se  proposèrent  de  faire  imprimer  un  choix  de  leurs 
poésies,  en  y  ajoutant  quelques  autres  pièces  également  compo- 
sées dans  la  même  ville  :  c'est  l'ouvrage  qu'on  présente  aujour- 
d'hui au  public  sous  le  titre  iVAlmanach  poétique  de  Bruxelles. 
On  demande  l'indulgence  des  lecteurs  pour  de  jeunes  gens 
dont  plusieurs  écrivent  dans  une  langue  qui  n'a  pas  toujours 
été  la  leur.  » 

Une  pièce  de  vers  insérée  dans  le  recueil  ne  laisse  pas  de 
doute  sur  le  promoteur  de  la  Société,  l'excellent  professeur 


(  6) 

Rouillé,  dont  les  leçons  avaient  fait  naître  chez  ses  élèves 
l'amour  de  la  poésie,  «  premier  indice  d'un  retour  vers  l'étude 
des  lettres  2  ». 

« 

»  Presque  partout  naguère  aux  Pays-Bas, 

»  Le  pédantisme  ergotant  dans  les  chaires, 

»  Avait  chargé  les  beaux-arts  interdits 

»  Des  lourds  travaux  de  nos  lourds  é  ru  dits  : 

»  On  ignorait  la  langue  des  Voltaires, 

»  Et  pour  le  grec  on  faisait  des  grammaires. 

»  En  plat  latin  on  dissertait  sur  tout, 

»  Et  des  uédans  voulaient  parler  de  goût  ! 

»  Un  voile  épais  offusquait  la  science, 

»  Mais  il  n'est  plus...  et  l'art  de  l'éloquence 

»  Reprend  sa  grâce  et  sa  simplicité, 

»  R  [ouille]  lui  rend  son  lustre  et  sa  beauté. 

» » 

La  Société  de  littérature  de  Bruxelles  avait  été  constituée  le 
30  nivôse  an  VIII  (10  janvier  1800),  sous  la  devise  :  Artibus  et 
patriae.  Ses  principaux  membres  étaient  Ferdinand  Vanden- 
zande,  l'auteur  de  la  pièce  mentionnée  ci-dessus,  Pierre 
Dehul stère  et  Philippe  Lcsbroussart.  Nous  les  citons  en  pre- 
mière ligne  parce  qu'ils  ont  tenu  ce  qu'ils  promettaient  dès 
leur  début  3.  Ph.  Lcsbroussart  occupait  un  modeste  emploi 
dans  l'administration  du  département,  et  complétait  ses  études 
à  l'Ecole  centrale  ;  il  avait  un  an  de  moins  que  ses  camarades 
Dehulstere  et  Vandenzande,  mais  doit  avoir  été  le  plus  grave 
des  trois.  Vandenzande  ne  tarda  pas  ù  montrer  que  la  poésie 
et  les  mathématiques  ne  sont  pas  incompatibles.  Peu  de  temps 
après  la  fondation  de  la  Société  de  littérature,  il  entrait  à 
l'École  polytechnique.  Avant  que  YAlmanach  poétique  eût 
paru,  il  écrivait  de  Paris  à  un  ami  : 

« 

»  Ton  sincère  ami,  l'ex-poète, 
»  Au  fond  de  sa  docte  retraite 
»  S'occupe  analytiquement 
»  De  longs  calculs  et  de  série  ; 


(T) 

»  11  creuse  et  parcourt  lourdement 

»  Le  champ  de  la  géométrie; 

»  Tantôt  divise  ou  multiplie, 

»  Puis  fait  des  x,  puis  les  défait  ; 

»  Et  toujours  sent  quelque  regret 

»  D'avoir  quitté  la  poésie  ! 

»  Au  moins  à  l'instant  qu'il  t'écrit 

»  Cette  longue  et  méchante  épitre, 

»  Tu  penses  que  sur  son  pupitre 

»  Peut-être  il  a  Bernard,  Parny... 

»  Hélas  !  deux  tristes  théorèmes 

»  En  cachent  une  portion  ; 

»  De  deux  côtés,  douze  problèmes 

»  Réclament  son  attention, 

»  Pour  tout  dire  enfin,  ces  vers  mêmes 

»  Se  glissent  par  distraction 

»  A  travers  mainte  équation  ! 

» » 

L'Almanach  pour  Tan  IX  donnait  encore,  outre  les  essais 
de  F.  Vandenzande,  de  P.  Dehulstere  et  de  Ph.  Lesbroussart, 
des  pièces  de  vers  de  J.  Colbert,  P.-J.  Degamond,  A.  Delanrioy, 
J.  Marcha),  Louis  Mercx,  Rozin  et  P.  Vidal.  Colbert  et  Dega- 
mond appartenaient  à  l'École  centrale  ;  Joseph  Marchai  était 
employé  par  le  bibliothécaire  de  cet  établissement,  De  La  Serna, 
au  travail  du  catalogue  des  livres  de  l'Ecole  ;  Rozin,  Suédois 
de  naissance,  y  professait  l'histoire  naturelle. 

Dans  l'Almanach  pour  Fan  X  (1802)  nous  voyons  paraître 
(ioswin  De  Stassart,  V.  Jouy  et  J.  Hubin  :  c'étaient  de  précieuses 
recrues  pour  la  Société  de  littérature.  De  Stassart  allait  publier 
bientôt  son  premier  essai  poétique  sous  le  titre  de  Bagatelles 
sentimentales.  Jouy,  le  futur  auteur  de  la  Vestale  et  de  VHermite 
de  la  chaussée  d'Antin,  était  venu  en  Belgique  à  la  suite  du 
citoyen  Doulcet-Pontécoulant,  nommé  préfet  du  département 
de  la  Dyle  le  11  ventôse  an  VIII  (2  mars  1800)  ;  il  remplissait 
les  fonctions  de  chef  de  division  dans  les  bureaux  de  la  préfec- 
ture. La  date  de  la  nomination  du  préfet,  celle  de  son  installa- 
tion (5  germinal-26  mars),  prouvent  que  Jouy  ne  peut  pas  être 
rangé,  comme  on  Fa  imprimé,  parmi  les  fondateurs  de  la 


(8) 

Société  de  littérature,  ce  qui,  du  reste,  est  en  contradiction 
avec  l'avertissement  du  premier  Almanach  de  la  Société  *. 
Jouy  et  Hubin  avaient  le  même  âge,  étant  nés  tous  deux  en  1764. 
Hubin  dirigeait  à  Bruxelles  un  petit  bureau  d'affaires. 

A  côté  des  noms  de  J.  Colbert,  A.  Delannoy,  Ph.  Lesbrous- 
sart,  L.  Mercx,  Rozin,  Vidal,  F.  Vandenzande,  la  table  de 
l'Almanach  de  Tan  X  présente  celui  de  Bernard  Vandenzande, 
frère  de  Ferdinand.  P.  Vidal  était  un  Français  que  les  événe- 
ments politiques  avaient  amené  parmi  nous.  Il  fut,  en  Pan  XII, 
l'éditeur  des  Vendanges  gaillardes,  auxquelles  il  avait  contribué 
avec  F.  Vandenzande,  Dehulstere,  Hubin  et  Mercx  s. 

Dans  l'Almanach  poétique  pour  Tan  XI  (1803),  nous  rencon- 
trons deux  écrivains  nouveaux,  Blanfart  et  Couret- Villeneuve, 
l'un  professeur  à  Nivelles,  l'autre  à  l'Ecole  centrale  du  dépar- 
tement de  l'Escaut. 

L'Almanach  poétique  pour  l'an  XII  (1804)  parut  chez  Weisscn- 
bruch,  imprimeur  de  la  préfecture  et  de  la  mairie,  place  de  la 
ci-devant  Cour,  n°  1085.  Les  nouveaux  collaborateurs  sont  dans 
l'ordre  alphabétique:  Louis  Biourge,  Charles  Degamond, 
Louis  Gruyer,  Hillemacher,  Masson,  ex-professeur  de  belles- 
lettres  à  l'Ecole  centrale  du  département  de  Saone-et-Letre, 
Masson-Regnier,  professeur  d'humanités  au  lycée  de  Bruxelles, 
Gigot-Pauzelle,  G. -F.  De  Valeriola  et  C.-M.-P.  Van  Bemmel. 
Parmi  les  auteurs  belges,  Gruyer,  Hillemacher  et  Van  Bemmel 
méritent  une  mention  particulière.  Louis  Gruyer  avait  été  le 
condisciple  de  Ferdinand  Vandenzande  à  l'École  centrale. 

9 

Ayant  échoué  dans  ses  examens  pour  l'Ecole  polytechnique,  il 
s'était  engagé  comme  canonnier,  puis  avait  quitté  l'armée  avec 
le  grade  de  sous-lieutenant  ;  en  1809,  il  était  nommé  vérifica- 
teur des  douanes  à  Calais,  presque  en  même  temps  que  Van- 
denzande entrait  comme  surnuméraire  dans  l'administration 
des  tabacs  à  Rouen.  Son  contingent  poétique  se  borne  à  Un 
songe,  toute  sa  vie  ayant  été  consacrée  à  la  métaphysique. 
J.-G.  Hillemacher  devint  directeur  de  la  Compagnie  des  quatre 
canaux,  mais  ne  cessa  point  de  cultiver  la  poésie.  Van  Bemmel 
fut,  avec  De  Stassart  et  Lesbroussart,  l'un  de  ceux  qui  contri- 
buèrent le  plus  k  l'Almanach  poétique. 


(9  ) 

L'Almanach  de  Tan  XIII  (1801)),  le  cinquième  volume  de  la 
collection,  s'imprima  chez  Adolphe  Stapleaux,  rue  de  la  Mag- 
delaine,  n°  407.  En  même  temps  qu'il  changeait  d'éditeur,  il 
changeait  de  devise.  Jusque-là  cette  devise  avait  été  : 

«  11  faut  tout  attendre  du  tems, 
»  Et  surtout  du  désir  de  plaire.  » 

Voltaire. 
Elle  était  maintenant  : 

«  Qui  lit  Horace  aime  les  vers, 
»  Et  qui  les  aime  veut  en  faire.  » 

Àlmanach  poétique  de  Tan  X,  p.  36. 

La  pièce  à  laquelle  on  l'avait  empruntée  portait  le  titre  :  Mes 
muses  favorites,  mais  on  avait,  nous  ne  savons  pourquoi,  sub- 
stitué. Horace  à  Virgile.  L'auteur  était  M.  Hrfbin. 

Oh  trouvait  en  tête  du  nouvel  Almanach  l'Avertissement  que 
voici  :  «  Dans  une  fête  célébrée  par  la  Société  de  littérature  de 
Bruxelles  en  mémoire  de  Voltaire,  plusieurs  pièces  furent  lues, 
chantées  ou  représentées.  Nous  en  avons  inséré  quelques-unes 
dans  ce  recueil.  Elles  sont  distinguées  des  autres  pièces  de 
l'Almanach  par  une  étoile  placée  à  côté  du  litre.  » 

Les  pièces  dont  il  est  question  ici  sont  les  suivantes  : 

Hommage  à  Voltaire,  par  Masson,  ex-professeur  de  belles- 
lettres  à  l'École  centrale  du  département  de  Saône-et-Loire. 

Cantate,  par  J.-H.  Hubin. 

Ronde,  par  D.  L. 

Le  tombeau  et  la  vipère,  par  Lesbroussart,  fils. 

Fragmentd'une  pièce  sur  l'inauguration  du  buste  de  Voltaire, 
par  P.-C.  Vidal. 

Quatrain,  pour  mettre  au  bas  du  buste  de  Voltaire,  par  Dega- 
mond,  l'aîné. 

La  Fête  de  Sot-Froid ,  divertissement  en  un  acte  mêlé  de 
couplets.  —  L'auteur  a  gardé  l'anonyme. 

C'est  dans  l'Almanach  de  l'an  XIII  que  débuta  Liegeard,  de 
nationalité  française,  et  secrétaire  général  de  la  préfecture  de 


(10) 

l'Escaut,  dont  le  chef  était  H.  Faitpoul.  Il  remplit  ensuite  les 
mêmes  fonctions  à  Liège,  sous  l'administration  du  baron 
de  Micoud,  préfet  du  département  de  l'Ourthe. . 

Nous  arrivons  à  l'Almanach  de  Tan  1806.  Il  n'est  plus  ques- 
tion de  l'ère  républicaine  qui,  de  fait,  avait  disparu  de  l'Aima- 
nach  précédent.  M.  Edouard  ***  y  publie,  en  collaboration  avec 
Ph.  Lesbroussart,  un  vaudeville  intitulé  :  L'intrigue  en  Pair  au 
les  aérostats  <>. 

En  1807,  Comhaire,  aîné,  de  Liège,  De  Trappe,  de  la  même 
ville  ;  —  en  1808,  Rodants,  de  Gand  ;  —  en  1809,  Bassenge, 
aîné,  de  Liège,  Boilleau  ;  —  en  1810,  D'Alissac,  P.  Benau,  de 
Gand,  Ferrary, de  la  même  ville,  Hyacinthe  Horel,  d'Avignon, 
Richard,  MUe  Van  de  Reden,  Frédéric  Rouveroy,  de  Liège, 
J.  Wallez,  de  Gand,  tiennent  à  honneur  de  figurer  dans 
l'Àlmanach  poétique. 

L'Àlmanach  pour  1811  clôt  la  série  des  Àlmanachs  publiés 
chez  Ad.  Stapleaux.  Cette  fois,  on  rétablit  le  texte  exact  de  la 
devise  empruntée  à  Hubin,  en  mettant   Virgile  à  la  place 

d'Horace  : 

«  Qui  lit  Virgile  aime  les  vers, 
»  Et  qui  les  aime  veut  en  faire.  » 

On  trouve  encore  plusieurs  noms  nouveaux  :  le  Dr  Guérin, 
J.  Lignian,  C.  Malingreau,  de  Gand,  C.  Tinet,  Clément  Du  Trieu, 
quelques  auteurs  indiqués  par  de  simples  initiales,  et  un  ano- 
nyme, auteur  d'une  Ode  sur  Napoléon  le  Grand,  en  six  strophes 
de  dix  vers  chacune. 

Il  n'y  eut  pas  d'Almanach  poétique  en  1812. 

L'Almanach  pour  l'an  1813  et  celui  pour  l'an  1814  parurent 
chez  M.  E.  Rampelbergh,  rue  au  Lait,  avec  l'ancienne  devise  : 

<c  II  faut  tout  attendre  du  tems, 
»  Et  surtout  du  désir  de  plaire.  » 

Voltaire. 

Ils  forment  les  douzième  et  treizième  volumes  de  la  collec- 
tion. 
Les  nouveaux  collaborateurs  sont  :  en  1813,  Victor  Augier, 


(  11  ) 

César-Auguste  (?),  Charles  Du  Trieu,  J.  Gautier,  Justin  Gensoul, 
R.  Giraudy,  Mlle  Hugo  de  Raveschot,  Félix  Nogaret,  Revoil, 
J.  S...,  Mlle  Schavye,  aînée;  en  1814,  Chaix,  J.-H.  KraaneY 
M"»  Lignan,  F.  Negrel,  J.-B.  Picard,  Piot,  Le  Prévôt  dirai. 

À  la  fin  du  volume  de  1814  se  trouve  l'avis  suivant  :  ce  Mes- 
sieurs les  auteurs  qui,  par  leurs  ouvrages,  ont  coutume  de 
coopérer  au  présent  Al  manach,  sont  priés  de  vouloir  les  adresser 
dorénavant,  franc  de  port,  avant  le  15  de  septembre,  à  M.  Hubin, 
président  actuel  de  la  Société  de  littérature  de  Bruxelles.  Les 
-envoyer  plus  tard  serait  s'exposer  à  ce  qu'on  ne  pût  les  insérer 
■dans  le  recueil  de  l'année.  On  les  prie  de  même  d'écrire  chaque 
pièce  sur  un  feuillet  séparé,  pour  ne  point  gêner  la  rédaction.  » 

Le  quatorzième  volume  de  la  collection  parut  en  1817.  Les 
-événements  politiques  expliquent  suffisamment  pourquoi  il  n'y 
eut  pas  d'Almanach  poétique  en  1813  et  1816. 

L'Almanach  de  1817  porte  pour  devise  : 

Qui  legis  ista,  tuam  reprehendo,  si  mea  laudas 
Omnia,  stultitiam  :  si  nihil,  invidiam. 

Owen,  epig. 

et  au  bas  du  titre  on  lit  :  A  Bruxelles,  chez  Berthod,  libraire, 
Marché  aux  Bois.  —  A  Gand,  chez  P.-F.  De  Goesin-Verhaeghe, 
imprimeur-libraire,  rue  Hautport,  n°  37. 

D'après  Quetelet  7,  il  aurait  été  imprimé  à  Gand  par  les 
soins  de  Van  Bemmel,  qui  était  à  cette  époque  professeur  au 
collège  de  cette  dernière  ville. 

Plusieurs  noms  s'y  rencontrent  pour  la  première  fois  : 
N.  Cornelissen,  le  chevalier  de  Posson,  le  baron  de  Roest 
d'Alkemade,  Ph.  Gigot,  Lefèvre,  Sauveur  Legros,  le  maréchal 
prince  de  Ligne,  Magalon,  A.  Maleck  de  Werlhenfeld,  Offhuys, 
Prenninger.  Il  y  a  trois  anonymes.  La  pièce  signée  par  le 
maréchal  prince  de  Ligne  est  intitulée  :  «  Dernières  étincelles  du 
maréchal  prince  de  Ligne,  quelques  jours  avant  sa  mort,  adressées 
au  journal  de  l'Oracle  de  Bruxelles,  en  réponse  aux  rédacteurs.  » 
D'après  une  note  au  bas  de  la  page,  «  les  rédacteurs  de  l'Oracle 
n'ont  pu  insérer  cette  pièce  dans  leur  journal,  à  cause  de  son 


(  12) 

étendue;  ils  ont  saisi,  avec  empressement,  l'occasion  de  la 
publier  dans  les  Annales  poétiques  d'une  Société  dont  ce  prince 
illustre  était  membre.  » 

A  la  fin  du  volume,  on  retrouve  l'annonce  qui  avait  paru 
dans  l'Almanach  pour  1814;  le  président  de  la  Société  de  litté- 
rature était  encore  M.  Hubin. 

L'Almanach  royal  de  la  Cour,  des  provinces  méridionales  et  de 
la  ville  de  Bruxelles,  pour  l'an  1816  —  lre  année,  Bruxelles, 
Ad.  Stapleaux  —  renferme  une  liste  des  membres  de  la  Société 
de  littérature.  Nous  la  reproduisons  ici,  bien  qu'elle  nous 
paraisse  incomplète  et  inexacte,  surtout  en  ce  qui  concerne  la 
séparation  en  membres  résidans  et  membres  non  résidant  en 
Belgique. 

MEMBRES  EFFECTIFS  RÉSIDANS. 


Delannoy. 

Lesbroussart,  fils. 

Colbert,  commis  greffier  à  la  Cour 
supérieure. 

Dehulstere. 

Lesbroussart,  père,  professeur  à 
l'Académie  de  Bruxelles. 

Rouillé,  idem. 

Degamond,  aîné,  avoué. 

Hubin,  agent  solliciteur. 

Mercx. 

Le  baron  Gosvvin  de  Stassart,  cham- 
bellan de  l'empereur  d'Autriche. 

Botte. 

F.  Vandenzande. 

B.  Vandenzande. 

BlanfarL 

Christian. 

Van  Bemmel,  professeur  au  collège 
de  Gand. 

Le  baron  De  Trappe. 

Roelants. 

Destriveaux. 


Liegeard. 

Dupont. 

Comhaire. 

Morel. 

D'Alissac. 

De  Boilleau. 

Victor  Augier. 

Tinet. 

Ferrary. 

Gensoul. 

Giraudy. 

De  la  Bouisse. 

Félix  Nogaret. 

Revoil. 

Rouveroy. 

Le  Prévôt  d'Irai. 

Dutrieu,  aîné. 

Dutrieu,  cadet. 

Lefôvre. 

J.-B.  Picard,  maître  des  comptes. 

Dewez,  commissaire  spécial  pour 

l'instruction  publique,  division 

wallonne. 


(  13) 


Vidal. 

Rozin. 

Jouy. 

Laisné. 

Oudaert. 


MEMBRES  NON.RÉSIDANT  EN  BELGIQUE. 


Delormel. 
Degamond,  cadet. 
Gigot-Pauzelle. 
Perrenet. 


MEMBRES  DÉCÉDÉS  DEPUIS  INSTITUTION  DE  LA  SOCIÉTÉ.. 


Couret  de  Villeneuve. 

Lacorne. 

Bassenge,  ex-législateur. 


Grétry,  célèbre  compositeur. 
Le  prince  de  Ligne. 


En  1818,  le  recueil  ne  porte  plus  le  titre  d'Almanach  poétique 
de  Bruxelles,  il  devient  le  Recueil  annuel  de  poésies  de  la  Société 
de  littérature  de  Bruxelles  pour  Vannée  1818,  et  paraît  à 
Bruxelles  chez  F.-J.  Hublou,  imprimeur,  rue  des  Eperonniers, 
n°,  480.  La  devise  est  restée  la  même  qu'en  1817. 

Les  nouveaux  auteurs  sont  :  MM.  Coomans,  Gaussoin, 
Lecocq,  Quetelet,  F.  De  Reiffenberg,  Roucher,  N.-J.  Stevens, 
le  baron  Van  Erlborn,  J.-B.  Vautier,  Violet  d'Epagny,  Willmar, 
un  auteur  indiqué  par  les  initiales  A.  V.v  une  dame  N***  et  un 
autre  anonyme.  Une  pièce  de  Legros  nous  apprend  que  la 
Société  se  réunissait  dans  un  salon  du  cabaret  :  A  l'Oranger; 
une  autre  pièce  du  même,  qu'il  avait  été  élu  président  le 
42  octobre  1817. 

L'Almanach  royal  de  la  Cour,  etc.,  pour  l'an  1819  — 
4e  année  —  donne  la  liste  suivante  des  membres  de  la  Société 
de  littérature. 


MEMBRES  EFFECTIFS  RÉSIDANT  DANS  LE  ROYAUME. 


Delannov. 

Lesbroussart,  fils. 

Colbert. 

Dehulstere,  secrétaire. 

Rouillé. 

Degamond,  aine. 


Hubin. 

Le  baron  de  Stassart. 

E.  Vandenzande. 

B.  Vandenzande. 

Christian. 

Van  Bemmel. 


(14) 


Le  baron  De  Trappe. 

Roelants. 

Destri  veaux. 

Gomhaire. 

Rouveroy. 

Tinet. 

Ferrary. 

Dutrieu,  aîné. 

Dutrieu,  cadet. 

Lefèvre. 

Picard. 

Dewez. 

Le  chevalier  de  Posson. 

Legros,  président. 

Prenninger. 

Gigot. 


Barafin. 

De  ReifFenberg. 

Gaussoin. 

Le  baron  de  Beeckman-Libersart. 

Raoul. 

Lecocq,  secrétaire. 

Descheppere,  trésorier. 

Le  baron  de  Roest  d'Alkemade. 

Jullian. 

Stevens. 

Coomans. 

Quetelet. 

Pire. 

Vautier. 

Maleck  de  Werthenfeld. 

Willmar. 


MEMBRES  RÉSIDANT  HORS  DU  ROYAUME. 


Vidal. 

Rozin. 

Jouy. 

Laisné. 

Oudaert. 

Delormel. 

Gigot-Pauzelle. 

Hillemacher. 

Liegeard. 

Dupont. 

Morel. 


D'Alissac. 

De  Boilleau. 

Victor  Augier. 

Gensoul. 

Giraudv. 

De  la  Bouisse. 

F.  Nogaret. 

Revoil. 

Le  Prévôt  dirai. 

Violet  d'Epagny. 


En  comparant  cette  liste  ù  celle  que  renfermait  l'AImanarh 
royal  pour  Tan  1816,  on  remarque  d'abord  la  disparition  des 
noms  suivants  :  Lesbroussart,  père,  mort  le  10  décembre  1818, 
Mcrcx,  Botte,  Blanfert,  Degamond,  cadet,  Perrenet.  D'autres 
noms  ont  été  rangés  parmi  les  membres  non  résidant  en  Bel- 
gique, et  c'est  évidemment  par  erreur  que  ces  noms  figuraient 
dans  l'AImanach  de  1816  parmi  les  membres  effectifs  résidant 
dans  le  royaume.  Enfin,  parmi  les  membres  nouveaux,  il  y  en 


(15) 

a  vingt  qui  résident  dans  le  royaume,  à  savoir  :  Le  chevalier  de 
Posson,  Legros,  Prenninger,  Gigot,  Barafin,  De  Reiffenberg, 
Gaussoin,  le  baron  de  Beeckman-Libersart,  Raoul,  Lecocq, 
Descheppere,  le  baron  de  Roest  d'Àlkemade,  Jullian,  Stevens, 
Coomans,  Quetelet,  Pire,  Vautier,  Maleck  de  Werthenfeld, 
Willmar,  et  un  seul,  Violet  d'Epagny,  non  résidant  en  Bel- 
gique. 

Avant  d'aller  plus  loin,  nous  devons  retourner  un  instant  sur 
nos  pas.  Jusqu'ici  nous  n'avons  parlé  de  la  Société  de  littéra- 
ture de  Bruxelles  qu'en  nous  appuyant  sur  des  documents 
imprimés.  Il  y  a  aussi  des  pièces  manuscrites  :  ces  pièces  se 
trouvent  dans  les  Archives  de  la  ville  de  Bruxelles  et  dans  la 
collection  d'autographes  léguée  par  M.  le  baron  de  Stassart  à 
l'Académie  royale  de  Belgique.  M.  de  Stassart  paraît  avoir  reçu 
de  H.  Dewez,  le  dernier  président  de  la  Société  de  littérature, 
une  grande  partie  des  archives  de  cette  Société  ;  mais  au  lieu  de 
les  conserver  dans  leur  intégrité,  il  les  a  morcelées  au  profit 
de  sa  collection  d'autographes.  La  liasse  de  Vidal  est  particu- 
lièrement curieuse.  Pierre-Claude  Vidal,  Français  établi  en 
Belgique,  avait  été  le  premier  secrétaire  de  la  Société  de  litté- 
rature. La  circulaire  suivante  qu'il  adressait,  le  28  prairial  an  IX 
(17  juin  1801),  aux  membres  de  la  Société,  sera  lue  avec 
intérêt  :  «  Citoyens,  nos  assemblées  n'auraient  qu'un  objet 
infructueux,  si  nous  nous  bornions  à  les  occuper  par  la  lec- 
ture de  nos  productions.  Le  but  principal  de  notre  institution 
est  l'utilité;  l'agrément  résultera  suffisamment  des  moyens  que 
nous  emploirons  pour  y  parvenir.  Parmi  ces  moyens,  le  plus 
important  sans  doute,  est  l'examen  que  la  Société  fait  des 
ouvrages  de  ses  membres.  Cette  heureuse  résolution  doit  être 
le  ciment  indissoluble  de  ce  corps  littéraire,  et  en  même  temps 
le  principe  certain  de  sa  perfection,  puisqu'il  est  vrai  que 
chacun  de  nous  soumettant  ses  ouvrages  à  la  censure  réfléchie 
de  tous,  il  se  forme  une  masse  de  lumière  dont  toute  la  Société 
profite.  Ces  considérations  sont  assez  puissantes  pour  exiger 
de  notre  part  un  zèle  inaltérable  dans  l'exécution  de  cette  réso- 


(16) 

lution.  Cependant,  ilestarrivé  que  depuis  Iccommencement  de 
nos  assemblées  qui  date  d'environ  un  an  et  demi,  il  n'a  été  fait 
que  huit  rapports  pour  une  trentaine  d'ouvrages  qui  ont  été 
soumis  à  l'examen.  Ajoutez  que  depuis  environ  six  mois  aucun 
membre  n'a  cru  devoir  faire  passer  ses  productions  par  une 
formalité  qui  lui  aura  semblé  fastidieuse. 

»  Je  ne  puis  donc,  Citoyens,  faire  un  meilleur  usage  des 
fonctions  dont  vous  m'avez  honoré,  qu'en  vous  rappelant  le 
zèle  que  vous  vous  êtes  promis. 

»  En  conséquence,  je  vous  invite,  conformément  à  ce  qui  a 
été  résolu  dans  la  dernière  séance,  à  vouloir  me  faire  parvenir, 
dans  le  plus  bref  délai,  les  pièces  qui  peuvent  être  restées  entre 
les  mains,  afin  que  je  les  fasse  passer  de  nouveau  à  l'examen. 
Je  vous  envoie,  à  cet  effet,  la  liste  ci-aprùs  qui  vous  indiquera 
celles  dont  il  n'existe  aucune  copie  dans  nos  archives.  Je  vous 
réitère  instamment  de  mettre  dans  l'exécution  de  la  présente 
toute  l'exactitude  et  la  célérité  possibles,  d'autant  plus  que  le 
registre  destiné  ù  la  transcription  des  mémoires  de  la  Société 
ne  peut  être  commencé  que  lorsque  vous  aurez  rempli  mon 
attente.  —  Salut  et  amitié.  P.  Vidal.  —  P.-6\  Les  auteurs 
des  pièces  contenues  dans  la  liste  ci-après  peuvent  m'en- 
voyer  leurs  minutes,  s'ils  n'ont  pas  le  temps  d'en  faire  des 
copies.  » 

LISTE. 

1°  Analyse  raisonnée  de  la  chronologie  des  principaux  Etats 
de  la  terre,  par  Marchai; 

2°  Discours  sur  les  avantages  de  la  Logique,  par  Delannoy; 

3°  Traduction  de  la  Canzone  de  Pétrarque  sur  la  mort  de 
Laure,  par  Marchai  ; 

4°  Scène  de  séparation  entre  l'Amour  et  Psyché,  par  Rozin  ; 

5°  Le  riche  et  le  pauvre,  dialogue  par  Dehulstere; 

6°  Voyage  en  Flandre,  par  le  même  ; 

7°  Essai  historique  sur  Charles  Martel,  par  Marchai; 

8°  Rapport  sur  le  discours  du  C.  Delannoy  sur  les  avantages 
de  la  Logique,  par  Colbert  ; 


(  17  ) 

9°  Essai  sur  If  s  avantages  de  la  Littérature,  par  Lesbrous- 
sart; 

10°  Origine  de  plusieurs  usages,  par  Marchai  ; 

11°  Conseils  de  Charles-Quint  à  Don  Philippe,  traduits  de 
l'espagnol  par  le  même  ; 

lâ°  La  vieillesse  d'Ânacréon  et  réponse  d'un  vieillard,  par 
Dehulstere; 

13°  Observations  historiques  sur  Sesostris  et  ses  successeurs, 
par  Marchai  ; 

14°  Sethos  ou  les  Initiations  égyptiennes,  tragédie  lyrique 
en  trois  actes,  par  Rozin; 

15°  Harangue  de  Thelesinus  aux  Samnites,  par  Lesbroussart  ; 

16°  Traduction  en  prose  de  l'île  déserte  de  Métastase,  par 
Marchai  ; 

17°  Discours  apologétique  sur  les  lois  de  Lycurgue,  par 
Colbert  ; 

18°  Plan  d'histoire  ancienne  a  l'époque  du  triumvirat  de 
César,  Pompée  et  Crassus,  par  Marchai  ; 

19°  Chanson  laponne,  traduite  de  l'anglais  par  Deglimes; 

30°  Combat  de  Don  Quichotte  contre  les  moulins,  poème 
par  Lesbroussart. 

Voici  une  autre  lettre  circulaire  de  Vidal,  datée  du  19  bru- 
maire an  X  (10  novembre  1801)  :  «  Messieurs,  j'ai  l'honneur 
de  vous  prévenir  que  vous  êtes  convoqués  pour  demain  en 
assemblée  générale  aux  termes  de  l'article  5  du  règlement,  à 
reflet  de  procéder  à  l'admission  de  MM.  J.-H.  Hubin  et  V.  Jouy, 
candidats  présentés  à  la  dernière  séance,  ie  premier  par 
M.  Dehulstere  *  et  le  second  par  moi. 

*  Le  21  vendémiaire  an  X  <13  octobre  1801),  Vidal  avait  écrit  à  Hubin  : 
«  La  Société  a  entendu  avec  plaisir  la  lecture  que  M.  Dehulstere,  notre 
collègue,  lui  a  faite  hier  de  quelques  pièces  de  votre  composition.  Elle 
m'a  chargé  de  vous  remercier  de  ce  cadeau...  M.  Dehulstere  a  saisi  cette 
occasion  pour  vous  présenter  comme  candidat  à  la  Société,  persuadé  que 
vous  acquiescerez  à  cette  proposition...  P.  S.  Vous  pouvez  adresser  vos 
lettres  pour  la  Société  à  Monsieur  Rozin,  son  président,  professeur  à 
l'École  centrale,  demeurant  rue  de  Namur.  » 

Tome  XLI.  2 


(  18) 

»  La  liste  d'ordre  pour  la  même  séance  contient  l'annonce  des 
lectures  suivantes  : 

1°  Les  trois  roses,  stances  par  M.  Jouy  ; 
3°  Fragment  d'une  épître  écrite  en  1793,  par  le  même; 
3°  Romance,  par  le  même; 
4°  Aux  mânes  des  poètes  français,  par  M.  Hubin  ; 
5°  La  convalescence,  élégie  par  M.  Rozin  ; 
6°  Chant  de  Paix,  par  M.  Lesbroussart,  fils; 
7«  Couplets  à  Mu«  **\  par  M.  D.  L.; 
8°  Le  bâton  de  vieillesse  à  M™  ***,  par  le  même; 
9°  Envoi  d'un  portrait,  par  le  même; 
10°  Vers  envoyés  de  Paris  à  Mme  ***,  par  le  même; 
11e  Couplets  à  M.  P...,  par  le  même; 
12°  La  prière  universelle  de  Pope,  traduite  par  une  dame  de 
Bruxelles; 
13°  Épître  à  M.  Vidal  sur  ses  épigrammes,  par  M.  Dehulstere; 
14°  Trois  couplets  de  romance,  par  le  même; 
15°  Imirène  et  Ramier,  romance  par  M.  Lesbroussart,  fils. 
»  Les  membres  de  la   Société  sont  invités  à  vouloir  me 
remettre  à  la  séance  de  demain  pour  dernier  délai,  les  pièces 
qu'ils  désirent  faire  insérer  dans  l'Almanach  poétique.  Ils  sont 
priés  surtout  de  .ne  pas  oublier  en  même  temps  [de  payer]  à 
M.  Rozin  leur  part  dans  la  souscription  de  l'Almanach  de  la 
présente  année,  ainsi  que  les  sommes  dont  ils  lui  sont  rede- 
vables pour  l'Almanach  de  l'année  dernière. 

»  Je  compte  assez  sur  leur  zèle  et  leur  délicatesse  pour  être 
persuadé  qu'ils  ne  m'obligeront  pas  à  leur  réitérer  cette  der- 
nier demande.  Salut  et  amitié.  P.  Vidal.  » 

Le  28  ventôse  an  X  (19  mars  1802),  Vidal  écrit  à  Colbcrt, 
membre  de  la  Société  :  «  Le  petit  volume  des  opuscules  de 
M.  Cioswin  De  Stassart  étant  soumis  à  l'examen  de  la  Société, 
je  vous  prie  de  faire  parvenir  vos  observations  à  H.  Hubin, 
rapporteur,  avant  le  10  du  mois  prochain  (31  mars  1802). 
Salut  et  amitié.  P.  Vidal.  » 

Le  19  germinal  an  X  (9  avril  1802),  lettre  du  même  :  «  J'ai 
l'honneur  de  vous  prévenir  que  la  Société  est  convoquée  pour 


E^ 


(19) 

demain  trois  heures  précises  en  assemblée  générale  à  l'effet  de 
procéder  à  l'admission  de  M.  Laisné,  homme  de  lettres  à 
Bruxelles,  présenté  par  M.  Rozin  à  la  dernière  séance.  —  Liste 
d'ordre  : 

1°  Suite  du  tableau  chronologique  de  M.  Marchai; 

3°  Quelques  pièces  de  poésie  de  M.  Spaek; 

3?  Fragment  de  la  Voltairiade  de  M.  Hubin  ; 

¥  Le  fat,  chanson  par  M.  Dehulstere; 

5°  Pragmcns  inédits  d'un  ancien  poème  composé  par  un 
Belge; 

6°  Rapport  de  M.  Hubin  sur  les  opuscules  de  H.  Stassart.  — 
Salut  et  amitié.  »  [La  lettre  n'est  pas  signée,  mais  elle  porte 
pour  en-tête  :  «  Le  secrétaire  de  la  Société  de  littérature  de 
Bruxelles  à  M.  Colbert,  membre.  »] 

Nous  aurons  à  présenter  quelques  observations  suggérées 
par  les  pièces  qu'on  vient  de  lire. 

Le  rôle  du  secrétaire  de  la  Société  de  littérature  est  prépon- 
dérant :  c'est  lui  qui  dirige  de  fait  la  Société.  Les  lettres 
peuvent  être  adressées  à  H.  Rozin,  son  président,  professeur  à 
l'Ecole  centrale,  rue  de  Namur.  Les  membres  ne  doivent  pas 
oublier  de  payer  à  ce  dernier  leur  part  dans  la  souscription  ù 
l'Aimanach  poétique.  L'Almanach  s'imprimait  chez  Tutot, 
l'éditeur  de  Y  Esprit  des  journaux,  dont  Rozin  était  le  rédacteur 
principal,  demeurant  au  siège  de  l'imprimerie. 

La  Société  a  d'autres  occupations  que  la  poésie  :  l'histoire 
depuis  les  temps  les  plus  reculés,  la  philosophie,  l'archéologie, 
les  langues  vivantes,  donnent  lieu  à  des  lectures  variées.  Les 
mémoires  font  ensuite  l'objet  de  discussions  et  de  rapports. 
Les  morceaux  présentés  pour  l'Aimanach  subissent  un  examen  " 
minutieux. 

L'Almanach  pour  Fan  XI  (1803)  sort  encore  de  l'imprimerie 
de  Tutot;  mais  cette  imprimerie  a  été  transportée  rue  aux 
Laines,  n°  894,  et  Rozin  l'y  a  suivie  :  c'est  de  là  que  le  prési- 
dent de  la  Société  littéraire  part  furtivement  au  mois 
d'octobre  1803  pour  ne  plus  reparaître  en  Belgique.  C'est  vers 
cette  époque  qu'il  est  remplacé  par  Hubin.  Vidal  reste  secré- 


(  20) 

taire,  et  Delormei,  directeur  du  domaine,  occupe  les  fonctions 
de  trésorier.  La  cotisation  annuelle  des  membres  est  de 
12  livres  tournois;  ils  payent  en  sus  une  contribution  pour  les 
déjeuners  qui  paraissent  avoir  lieu  tous  les  quinze  jours;  cette 
contribution  est  de  4  livres  10  sols  par  trimestre. 

En  1810  Vidal  devient  procureur  impérial  à  Nivelles  :  le 
18  fructidor  an  XIII  (5  septembre  1805),  il  a  obtenu  le  grade  de 
licencié  en  droit  de  la  Faculté  de  Paris.  Le  secrétaire  de  la 
Société  de  littérature  est  maintenant  Dehulstere,  et  ensuite 
Colbcrt.  Le  là  octobre  1817,  Sauveur  Legros  est  élu  président. 
Lecocq  devient  secrétaire,  et  Descheppere  est  trésorier. 

La  Société  de  littérature  fut  réorganisée  au  commencement 
de  l'année  1819.  Voici  le  règlement  qui  fut  délibéré  et  arrêté 
dans  la  séance  extraordinaire  du  17  janvier  : 

Art.  Ier.  La  Société  a  pour  but  l'étude  et  le  progrès  des 
lettres. 

Art.  IL  Elle  se  compose  de  membres  effectifs  et  de  membres 
associés,  tant  régnicoles  qu'étrangers. 

Art.  III.  Le  nombre  de  membres  effectifs  de  résidence  fixe 
à  Bruxelles  est  limité  à  trente;  ne  sont  point  compris  dans  ce 
nombre  les  membres  obligés  à  des  déplacements  annuels  ou 
périodiques,  par  suite  de  leurs  fonctions,  ni  les  membres 
externes  faisant  actuellement  partie  de  la  Société,  et  qui,  en 
adhérant  au  présent  règlement,  auront  fait  connaître  pair  écrit 
que  leur  intention  est  de  rester  membre  effectif. 

Art.  IV.  Lorsque  lé  nombre  des  membres  effectifs  résidans, 
mentionnés  à  l'article  III,  sera  complet,  la  Société  pourra 
admettre,  jusqu'au  nombre  de  douze,  des  candidats  destinés  à 
remplacer,  par  rang  d'ancienneté  d'admission,  les  membres 
décédés  ou  démissionnaires. 

Art.  V.  Pour  être  nommé  membre  effectif  ou  associé,  il 
faut  être  connu  par  quelque  production  littéraire. 
La  présentation  doit  être  faîte  par  un  membre  effectif,  dans 


(21  ) 

une  réunion  régulière,  et  il  ne  peut  être  procédé  à  l'admission 
qu'à  une  des  réunions  subséquentes. 

Art.  VI.  Il  ne  pourra  être  procédé  à  l'admission  d'aucun 
membre  ou  candidat  que  lorsque  la  réunion  se  compose  de  la 
moitié  plus  un  du  nombre  des  membres  effectifs  résidans;  et 
alors  le  récipiendaire  devra  obtenir  les  trois  quarts  pleins  des 
suffrages  des  membres  présens. 

Toute  délibération  de  la  Société  ayant  pour  objet  l'admis- 
sion, la  nomination  ou  1  élection,  sera  décidée  par  la  voie  du 
scrutin  secret  et  individuel. 

Art.  VII.  Si,  au  jour  de  la  convocation,  la  réunion  ne  se 
compose  pas  du  nombre  des  membres  exigé  par  l'article  pré- 
cédent, le  ballottage  sera  remisa  une  autre  convocation, qu'in- 
diquera le  président  ou  celui  qui  en  fait  les  fonctions. 

Art.  VIII.  A  cette  seconde  convocation,  il  sera  procédé  au 
ballottage  du  récipiendaire,  et  le  résultat  dépendra  de  la  plu- 
ralité des  membres  présens. 

Art.  IX.  Toute  résolution,  autre  que  celle  mentionnée  en 
l'article  précédent,  prise  dans  une  assemblée  qui  ne  serait  pas 
composée  de  la  pleine  majorité  des  membres  effectifs,  sera 
nulle. 

Art.  X.  La  Société  choisit  chaque  année,  parmi  les  membres 
effectifs  résidans,  un  président,  un  secrétaire  et  un  trésorier; 
ils  seront  toujours  rééligibles. 

Art.  XI.  La  nomination  du  président,  du  secrétaire  et  du 
trésorier  se  fait  à  la  pluralité  des  voix,  dans  une  réunion  spé- 
ciale, soumise  aux  dispositions  de  l'article  IX. 

Art.  XII.  Au  président  seul  appartient  le  droit  de  convoquer 
ex traordinai rement  la  Société. 

Il  préside  les  assemblées,  en  a  la  police,  dirige  les  discus- 
sions, recueille  les  opinions,  et  en  proclame  le  résultat. 

Il  est  à  la  tête  de  toutes  les  députations,  et  désigne  les 
membres  qui  doivent  l'accompagner. 


(  22  ) 

Le  bureau  nomme,  parmi  les  membres  effectifs  indistincte- 
ment, des  commissions  pour  l'examen  de  toute  proposition  qui 
intéresse  la  Société. 

Le  président  nomme  annuellement,  dans  le  courant  du  mois 
de  septembre,  une  commission  composée  de  trois  ou  cinq 
membres  effectifs  résidans,  ayant  pour  objet  l'examen  et  par 
suite  l'adoption  ou  le  rejet  de  tous  morceaux  de  littérature 
remis  ou  adressés  à  la  Société,  pour  être  imprimés  dans  le 
Recueil  qu'elle  publie  chaque  année. 

Il  préside  de  droit  toutes  les  commissions  et  y  a  voix  pré- 
pondérante et  décisive  en  cas  de  partage. 

Art.  XIII.  Les  commissions,  à  l'exception  de  celle  d'examen 
des  morceaux  de  littérature  destinés  au  Recueil,  font  leur  rap- 
port à  la  séance  indiquée  à  cet  effet  par  le  président. 

Art.  XIV.  Le  secrétaire  perpétuel  rédige  les  procès-verbaux 
des  séances,  en  tête  desquels  il  a  soin  de  mentionner  nomina- 
tivement les  membres  présens. 

II  veille  à  la  conservation  des  archives  et  de  la  bibliothèque, 
et  tient  la  correspondance  de  la  Société. 

Art.  XV.  Le  secrétaire  annuel  écrit  les  lettres  de  convoca- 
tion, les  signe  et  les  expédie  ;  il  remplace  de  droit  le  secrétaire 
perpétuel  aux  séances. 

Art.  XVI.  Les  lettres  et  paquets  adressés  au  secrétaire  per- 
pétuel doivent  être  affranchis,  sinon  il  est  autorisé  à  ne  pas  les 
recevoir. 

Art.  XVII.  En  cas  d'absence  du  président,  il  est  remplacé 
par  le  membre  présent  le  plus  avancé  en  âge. 

Le  secrétaire  annuel  est  remplacé,  en  cas  d'absence,  par  le 
plus  jeune  des  membres  présens. 

Art.  XVIII.  Les  fonctions  de  trésorier  consistent  dans  la 
perception  de  la  rétribution  individuelle  déterminée  en 
l'article  XXV,  et  dans  la  recette  de  tous  autres  fonds  ordinaires 
ou  extraordinaires.  Il  rend  compte  annuellement  de  sa  ges- 
tion à  l'expiration  de  ses  fonctions. 


(  23) 

Art.  XIX.  Toutes  les  dépenses  seront  mandatées  par  le  pré- 
sident et  contresignées  par  un  des  secrétaires. 

Tout  projet  de  dépenses  extraordinaires  devra  préalablement 
être  soumis  à  la  Société,  et  renvoyé  par  elle  à  une  commission 
spéciale,  si  elle  le  juge  convenable. 

Art.  XX.  En  cas  de  décès  de  l'un  des  dignitaires,  ou  si  l'un 
se  trouve  légalement  empêché  de  continuer  ses  fonctions,  il  est 
procédé  à  son  remplacement  de  la  manière  indiquée  aux 
articles  IX  et  XI.  Le  remplaçant  continue  pour  le  temps  seu- 
lement que  le  remplacé  aurait  encore  à  rester  en  fonctions. 

Art.  XXI.  Tout  membre  effectif  ou  associé  régnicole  qui,  en 
faisant  imprimer  un  ouvrage  de  sa  composition,  y  énoncera  sa 
qualité  de  membre,  sans  l'agrément  de  la  Société,  sera  censé 
avoir  renoncé  à  en  faire  partie. 

Art.  XXII.  Tout  membre  ^effectif  ou  associé  régnicole  qui 
fait  imprimer  un  ouvrage  de  sa  composition,  doit  en  envoyer, 
franc  de  port,  un  exemplaire  à  la  Société. 

Art.  XXI H.  Tous  les  membres  effectifs  résidans  à  Bruxelles 
sont  tenus  d'assister  aux  réunions,  ou  de  faire  connaître  le 
motif  légitime  de  leur  absence. 

Ceux  d'entre  eux  qui,  sans  avoir  fait  connaître  ce  motif,  man- 
queraient à  six  réunions  ordinaires  consécutives,  seront  démis- 
sionnaires de  fait. 

Art.  XXIV.  La  Société  s'assemble  régulièrement  le  premier 
dimanche  de  chaque  mois,  depuis  dix  heures  du  matin  jusqu'à 
une  heure  après  midi. 

Les  candidats  pourront  toujours  assister  à  ces  séances. 

Art.  XXV.  Les  dépenses  de  la  Société  seront  supportées  par 
les  membres  effectifs,  résidans  ou  non.  La  contribution  indivi- 
duelle sera  fixée  chaque  année,  le  jour  de  l'élection  des  digni- 
taires. Elle  sera  toujours  payable  d'avance  et  par  trimestre  entre 
les  mains  du  trésorier. 

Art.  XXVI.  La  contribution  individuelle  pour  1819  est  fixée 
à  douze  francs. 

Art.  XXVII.  Le  deuxième  dimanche  de  janvier  de  chaque 


(24.) 

année,  il  y  aura,  en  commémoration  du  jour  anniversaire  de 
l'institution  de  la  Société,  un  banquet  d  obligation  pour  tous 
les  membres  effectifs,  associés  et  candidats,  résidans  à 
Bruxelles. 

Art.  XXVIII.  La  Société  publie,  chaque  année,  un  choix  de 
productions  de  ses  membres  effectifs,  associés  et  candidats, 
sous  le  titre  de  Recueil  annuel  de  poésies  de  la  Société,  etc. 

Toutes  les  pièces  destinées  à  ce  Recueil  doivent  être  envoyées, 
franches  de  port,  au  secrétaire  perpétuel,  avant  le  96  octobre  : 
ce  terme  est  de  rigueur.  Ces  pièces  seront  lues  à  rassemblée 
avant  d'être  renvoyées  ù  la  commission  d'examen  dont  il  est 
parlé  à  l'article  XII. 

Art.  XXIX.  Chaque  membre  effectif  sera  tenu  de  lire  et  pré- 
senter à  la  Société,  dans  le  courant  de  Tannée,  au  moins  deux 
morceaux  de  poésie  ou  de  prose. 

Art.  XXX.  La  Société  arrête  en  principe  que,  dès  que  ses 
moyens  financiers  le  lui  permettront,  et  pour  contribuer, 
autant  qu'il  est  en  son  pouvoir,  à  répandre  le  goût  des  lettres, 
et  à  favoriser  leur  culture,  elle  ouvrira  chaque  année  un  con- 
cours public  et  décernera  deux  prix,  l'un  pour  la  meilleure 
pièce  de  poésie,  l'autre  pour  le  meilleur  morceau  de  prose,  sur 
un  sujet  donné,  choisi  par  préférence  dans  l'histoire  nationale. 

Art.  XXXI.  Toutes  les  dispositions  contraires  au  présent 
règlement  sont  abrogées. 

Ce  règlement  fut  imprimé  sous  le  titre  :  Règlement  de  la 
Société  de  littérature  de  Bruxelles,  constituée  le  10  jan- 
vier 4800,  et  réorganisée  le  4tT  janvier  1819.  A  Bruxelles,  chez 
Hublou. 

Si  nous  examinons  le  nouveau  règlement,  nous  remarquons 
d'abord  l'institution  d'un  secrétaire  perpétuel  dont  nous 
n'avions  pas  trouvé  de  trace  jusqu'alors.  La  cotisation  des 
membres  continue  à  être  de  douze  francs  par  an.  Les  déjeuners 
ont  été  remplacés  par  un  dîner  obligatoire  qui  se  donne  le 
deuxième  dimanche  de  janvier,  en  commémoration  du  jour 
anniversaire  de  l'établissement  de  la  Société.  Les  productions 
destinées  à  entrer  dans  l'Almanach  poétique  sont  soumises  à 


(  23  ) 

un  examen  préalable  :  il  en  était  ainsi  depuis  l'origine  de  la 
Société;  le  10  frimaire  an  XI,  Hubin  écrivait  à  Vidal  : 
«  J'espère,  mon  cher  confrère,  que  vous  serez  content  des 
corrections  que  j'ai  faites  à  mes  pièces.  Je  vous  remercie,  ainsi 
que  mes  au  1res  collègues,  de  m'avoir  mis  en  état  de  profiter 
de  vos  judicieuses  observations.  J'éprouve  tous  les  jours  com- 
bien il  est  aisé  d'errer  en  poésie,  l'enthousiasme  nous  emporte 
souvent  trop  loin,  et  je  sens  que  la  Société  a  statué  une  règle 
bien  sage  et  bien  utile  en  voulant  que  l'on  soumette  à  l'exumen 
de  chaque  membre  les  ouvrages  destinés  à  voir  le  jour  dans 
son  Annuaire  poétique.  Quant  à  moi,  je  souscrirai  en  tout 
temps  avec  plaisir  à  cette  condition  dont  l'accomplissement  a 
véritablement  pour  objet  le  progrès  de  l'art  et  le  perfectionne- 
ment du  goût.  »  Personne  ne  pouvait  se  soustraire  à  la  règle. 
On  lit  dans  une  lettre  de  Jouy  à  Vidal,  du  6  frimaire  an  XI 
(27  novembre  1802)  :  «  Je  vous  remercie,  Monsieur,  de  m'avoir 
communiqué  les  observations  de  la  Société  sur  des  bagatelles 
qui  sans  doute  auraient  besoin  d'être  plus  sévèrement  encore 
examinées  avant  d'être  livrées  à  l'impression...  »  D'après  le 
nouveau  règlement,  les  pièces  n'étaient  plus  soumises  à  chacun 
des  membres  :  après  avoir  été  lues  en  séance,  elles  étaient 
renvoyées  à  une  commission  de  cinq  membres,  nommée  par 
le  président,  qui  décidait  de  l'adoption  ou  du  rejet.  11  existe 
relativement  à  cette  commission  une  lettre  de  Vautier  qu'on 
ne  lira  pas  sans  intérêt.  Le  10  novembre  1819,  il  écrit  au 
secrétaire  perpétuel  Lecocq  : 

«  J'ai  l'honneur  de  saluer  Monsieur  Lecocq,  et  de  le  prévenir 
que  je  ne  me  rendrai  point  à  l'invitation  qu'il  m'adresse,  parce 
que  j'ai  reconnu  l'inutilité  de  la  besogne  que  la  commission  de 
revision  va  s'imposer;  parce  qu'ensuite  mon  zèle  pour  l'intérêt 
de  la  Société  n'est  plus  ce  qu'il  était  l'an  dernier;  et  que  pour 
prix  du  temps  que  j'emploierai  à  de  soi-disantes  corrections, 
je  n'ai  pas  envie  de  recevoir  des  remercîments  de  la  nature  de 
ceux  de  M.  Comhaire  (?).  Je  ne  vois  pas  ce  qu'on  gagne  ù 
montrer  tant  de  zèle,  ou  pour  mieux  parler,  je  ne  le  vois  que 
trop.  M.  Gaussoin,  mon  collègue,  a  été  renvoyé  dans  la  pous- 


(  «6) 

sière  de  sa  classe  pour  s'être  permis  quelques  innocentes 
observations.  Dieu  sait  si  un  procès  ne  menace  point  chacun 
des  membres  de  la  commission  de  revision.  Je  ne  digérerai 
point  Tépigramme  adressée  à  H.  Gaussoin  (?),  pas  plus  que  je 
n'ai  digéré  les  invitations  de  feu  M.  Gigot  (?).  Encore  un  coup, 
je  me  bornerai  à  payer  mes  trois  francs  par  trimestre,  à  fournir 
mon  contingent  aux  termes  précis  du  règlement;  et  je  rentrerai 
dans  mon  obscurité  de  membre.  » 

Un  article  curieux  du  règlement  est  celui  en  vertu  duquel 
tout  membre  qui,  en  faisant  imprimer  un  ouvrage  de  sa  com- 
position, y  énoncera  sa  qualité  de  membre,  sans  l'agrément  de 
la  Société,  sera  censé  avoir  renoncé  à  en  faire  partie. 

Le  17  janvier  1819,  après  avoir  voté  le  nouveau  règlement, 
la  Société  de  littérature  avait  renouvelé  son  bureau.  M.  Legros 
avait  été  réélu  président,  et  M.  Descheppere,  trésorier. 
M.  Lecocq  avait  été  nommé  secrétaire  perpétuel,  et  M.  Vautier, 
secrétaire  annuel  .- 

Ala  fin  de  1  année,  la  Société  était  composée  comme  suit, 
d'après  l'AImanach  royal  de  la  Cour  pour  1830.  Les  noms  sont 
rangés  par  ordre  alphabétique. 


MEMBRES  EFFECTIFS  RESIDANT  DANS  LE  ROYAUME. 


Barafin. 

Le  baron  de  Beeckman-Libersart. 

Van  Bemmel. 

Christian. 

Colbert. 

Coomans. 

Delemer. 

Destriveaux. 

Dewez. 

Dutrieu,  aine. 

Dutricu,  cadet. 

Ferrary. 

Gaussoin. 

Hubin. 

Jullian. 


Lannoy  (de). 

Lecocq,  secrétaire  perpétuel. 

Lefévre. 

Legros,  président. 

Lesbroussart. 

Lespirt. 

Malcck  de  Werthenfeld. 

O'Sullivan  de  Grass. 

Picard. 

Pire. 

Posson  (Le  chevalier  de). 

Prenninger. 

Quetelet. 

Raoul. 

Reiffenberg  (Le  baron  de). 


(«7  ) 


Roelants. 

Roest  d'Àlkemade  (Le  baron  de). 

Rouillé. 

Rouveroy. 

Schepperc  (de\  trésorier. 

Stassart  «  Le  baron  de). 

Stevens. 


Tinet. 

Trappe  (Le  baron  de). 

Vandenzande  (B.). 

Vandenzande  <F.\ 

Vautier,  secrétaire  annuel. 

Willmar. 


MEMBRES  RÉSIDANT  HORS  DU  ROYAUME. 


Alissac(d\ 

Augier  (Victor*. 

De  Boilleau. 

De  la  Bouisse. 

Delormel. 

Dupont. 

Froment. 

Gensoul. 

Gigot-Pauzelle. 

Giraudv. 

Hillemacher. 


Jouy. 

Laisné. 

Liegeard. 

Morel. 

Nogaret  (F). 

Oudaert. 

Prévôt  dirai  (Le). 

Revo  il. 

Vidal. 

Violet  d'Epagny. 


La  comparaison  de  cette  liste  avec  celle  de  1819  nous  montre 
la  disparition,  parmi  les  membres  effectifs  résidant  dans  le 
royaume,  de  MM.  Dehulstere,  Degamond,  aîné,  et  Gigot 
(décédé);  parmi  les  membres  résidant  hors  du  royaume,  de 
Rozin. 

Les  nouveaux  membres  sont  :  M.  Delemer  pour  la  première 
catégorie  ;  M.  Froment,  pour  la  seconde. 

Voici  la  lettre  par  laquelle  Dehulstere  avait  donné  sa  démis- 
sion; elle  est  adressée  au  secrétaire  (?)  et  datée  du  23  jan- 
vier 1819  : 

«  Monsieur, 

*>  J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  par  laquelle  vous  me  prévenez  que  la  Société  de  litté- 
rature s'assemblera  demain  pour  délibérer  sur  une  demande  à 
faire  à  Son  E.  le  Mtro  de  l'instruction  publique.  Je  vous  avoûrai 
que  je  n'ai  jamais  regardé  cette  Société  que  comme  une  réunion 
libre  d'amis  qui,  ayant  le  goût  de  la  littérature,  ne  se  réunis- 


(28) 


saient  que  pour  avoir  le  plaisir  d'en  parler  ensemble.  Souvent 
on  a  débattu  des  projets  d'illustration  auxquels  je  ne  com- 
prenais rien  et  que  j'ai  hautement  désaprouvés.  Mais  toujours 
retenu  dans  le  sein  de  la  Société  par  les  liens  qui  m'unissaient 
à  des  amis  de  collège  et  à  d'autres  auxquels  je  me  trouvais 
honoré  de  pouvoir  donner  ce  nom,  je  n'ai  jamais  eu  la  force 
de  me  retirer  de  cette  Société.  Maintenant  qu'elle  s'occupe 
sérieusement  de  projets  auxquels  je  ne  veux  pas  être  associé, 
je  me  demande  pourquoi  j'en  ferais  encore  partie.  Je  me  rap- 
pelle avec  peine  qu'ayant  passé  deux  hivers,  malade  et  triste, 
sans  pouvoir  sortir  de  chez  moi,  aucun  de  ces  anciens  amis, 
malgré  mes  fréquentes  invitations,  n'a  daigné  venir  passer 
quelque  temps  à  me  consoler.  Cette  raison  ne  me  donne  ni  le 
pouvoir  ni  même  la  volonté  de  leur  retirer  des  sentiments 
qu'ils  méritent  d'inspirer,  mais  elle  me  fait  prendre  la  résolu- 
tion irrévocable  de  sortir  d'une  Société  dont  la  constitution 
m'a  toujours  déplu  et  dont  je  ne  puis  approuver  les  projets 
actuels.  Je  vous  prie  donc,  Monsieur,  de  vouloir  bien  m'eflacer 
de  la  liste  de  ses  membres.  J'aurai  l'honneur  de  voir  M.  de 
Scheppere  pour  m'acquitter  de  ce  dont  je  puis  être  redevable 
à  la  Société. 

»  J'ai  l'honneur  d'être  avec  la  plus  profonde  considération, 
Monsieur,  voire  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

»  Dehulstere.  » 

De  son  côté,  Degamond,  aîné,  écrivait  au  secrétaire  le 
26  février  :  «  J'ai  l'honneur  de  vous  accuser  réception  du 
règlement  de  la  Société  de  littérature  de  Bruxelles  et  de  la 
lettre  imprimée  qui  l'accompagnait.  Le  tout  a  produit  sur  moi 
l'effet  de  vous  prier  de  me  regarder  dès  ce  moment  comme 
démissionnaire.  Si  quelque  chose  avait  pu  m'em  pêcher  d'adopter 
cette  détermination,  c'eût  été  sans  doute  le  regret  que  j'éprouve 
vivement  de  me  séparer  de  collègues  aussi  estimables  et  à  quel- 
ques-uns desquels  je  suis  attaché  par  les  liens  d'une  ancienne 
amitié.  Il  serait  trop  long  d'entrer  dans  le  détail  circonstancié 
des  motifs  de  ma  détermination,  et  je  crois  que  la  Société  n'y 
trouverait  pas  un  but  d'utilité  assez  marqué  pour  la  dédom- 


(29) 

mager  de  l'ennui  ou  de  la  perte  de  temps  qu'entraînerait  cette 
discussion  ;  mais  cependant,  pour  qu'on  ne  puisse  se  méprendre 
du  tout  au  tout  sur  le  vrai  caractère  de  mes  motifs,  je  crois 
devoir  vous  indiquer  que  je  les  puise  principalement  dans  les 
articles  XII,  XXI,  XXII,  XXIII,  XXVII  et  XXIX  du  règlement 
et  dans  le  dernier  paragraphe  de  votre  lettre  imprimée.  Je  vous 
prie,  Monsieur,  d'agréer  les  sentiments,  etc.  » 

Nous  ne  connaissons  pas  la  pièce  imprimée  dont  il  est  ques- 
tion dans  la  lettre  de  Degamond. 

Le  Recueil  annuel  de  poésies  pour  1819  avait  encore  été 
imprimé  chez  Hublou,  avec  la  devise  : 

«  Lecteur,  va-t'en  porter  ta  censure  hautaine 
»  Sur  Corneille,  Boileau,  Racine  ou  La  Fontaine  : 
»  Voilà  des  écrivains  dignes  de  t'exercer. 
»  Nous,  nous  n'en  valons  pas  la  peine; 
»  Ce  serait  pauvre  gain  que  de  nous  rabaisser.  »    - 

Lamotte. 

Delcroixet  Pire  étaient  les  nouveaux  auteurs.  Uneépigramme 
de  Legros  nous  apprend  que  les  séances  se  tenaient  chez 
M.  Descheppere. 

Au  commencement  de  septembre  1819,  Legros  transféra  sa 
résidence  à  Enghien.  11  prononça  son  discours  d'adieux  à  la 
Société  de  littérature  le  5,  et  fut  remplacé  dans  ses  fonctions 
de  président  par  H.  Dewez. 

Le  choix  de  M.  Dewez  ne  fut  pas  heureux.  Quelques  mois 
après  son  élection,  il  proposait  de  fondre  la  Société,  vouée 
jusque-là  aux  lettres  françaises,  dans  une  autre  Société,  dite 
Concordia,  dont  le  but  était  la  propagation  dans  les  provinces 
méridionales  de  la  langue  et  de  la  littérature  hollandaise. 

Une  circulaire,  signée  par  lui,  porte  ce  qui  suit  :  «...  Je  vous 
prie  instamment  de  vouloir  bien  vous  rendre  sans  faute  à  cette 
séance.  Elle  a  pour  objet  la  réunion  proposée  de  notre  Société 
a  celle  de  la  Concordia.  J'ai  eu  une  conférence  à  ce  sujet  avec  i 

les  membres  de  cette  Société.  J'en  ai  rendu  compte  à  notre  der- 
nière assemblée;  mais  comme  le  nombre  n'était  pas  suffisant,  « 
nous  n'avons  pu  prendre  de  résolution,  et  cependant  je  m'étais  \ 


(30) 

engagé  à  faire  part  à  ces  Messieurs  de  notre  détermination. 
J'espère  donc  que  vous  ne  manquerez  pas  de  répondre  à  mon 
invitation.  » 

La  circulaire  n'est  pas  datée,  mais  elle  est  probablement  do 
commencement  de  mars  1820,  et  la  lettre  de  Vautier,  du  18  de 
ce  mois,  que  nous  donnons  ici  semble  en  être  une  conséquence. 
«  Ayant  à  peu  près  cessé  de  faire  partie  de  la  Société  littéraire 
par  ma  négligence  à  observer  l'article  de  son  règlement  qui 
concerne  les  réunions  mensuelles,  et  ne  retrouvant  plus  d'ail- 
leurs en  moi  ce  goût  qui  me  portait  à  concourir  de  toute  la 
force  de  mes  faibles  talents  à  la  gloire  de  la  Société,  ainsi  qu'il 
est  du  devoir  d'un  zélé  confrère  de  le  faire,  j'ai  l'honneur  de 
vous  adresser  ma  démission  de  membre  de  cette  Société.  Celte 
démarche  est  une  conséquence  de  l'idée  que  je  me  suis  formée, 
qu'on  doit  avoir  le  courage  et  la  volonté  de  remplir  les  obliga- 
tions qu'impose  le  titre  de  membre  d'une  Société,  sinon,  qu'il 
faut  s'en  éloigner.  C'est  avec  regret  que  je  me  sépare  de  collè- 
gues et  d'amis  dont  les  conseils  et  l'exemple  ont  encouragé 
mes  premiers  essais.  Mais  divers  motifs  m'y  contraignent;  et 
je  serai  assez  franc  pour  vous  dire,  Monsieur  le  président,  que 
la  réunion  projetée  est  l'un  de  ces  motifs.  J'ose  me  flatter,  du 
reste,  que  vous  me  conserverez,  vous  et  mes  autres  confrères, 
cette  estime  à  laquelle  j'attache  le  plus  grand  prix,  et  dont  je 
viendrais  même  au  besoin  invoquer  le  témoignage.   Rece- 
vez, etc.  » 

Nous  ignorons  si  d'autres  membres  suivirent  l'exemple  de 
Vautier  et  donnèrent  aussi  leur  démission.  Mais  le  projet  de 
Dewez  ne  paraît  pas  avoir  reçu  un  accueil  très  empressé.  Ce 
qui  peut  lui  être  arrivé  de  plus  favorable,  c'est  qu'il  n'y  aura 
pas  eu  de  vote.  A  en  juger  d'après  une  circulaire,  datée  du 
7  novembre  1820,  la  froideur  que  le  projet  avait  rencontrée 
avait  laissé  une  grande  amertume  dans  le  cœur  de  l'honorable 
président.  Voici  cette  circulaire  : 

«  Messieurs  et  chers  confrères, 
»  Quand  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me  nommer  président 
de  la  Société  de  littérature,  j'ai  senti  tout  le  prix  de  cette  hono- 


(  31  \ 

rable  distinction,  et  j'ai  accepté  cette  place  avec  reconnaissance 
et  dévouement.  J'y  apportais  le  désir  bien  prononcé  d'employer 
tous  mes  soins  pour  rendre  à  cette  intéressante  réunion  une 
nouvelle  vie,  parce  que  je  voyais  avec  peine  qu'elle  était  dans 
un  état  languissant,  qui  la  menaçait  d'une  dissolution  pro- 
chaine. J'espérais  que  mes  confrères  m'auraient  secondé  dans 
cette  intention  par  leur  zèle  et  leur  assiduité.  Mais  je  le  dis  avec 
le  plus  vif  regret  :  mon  espoir  a  été  déçu.  Le  zèle,  au  lieu  de 
s^  réveiller,  n'a  fait  que  se  ralentir.  Nos  séances  ont  été 
désertes  ;  et  quoique  je  me  sois  fait  un  devoir  de  m'y  rendre 
exactement,  j'ai  eu  presque  toujours  la  peine  de  n'y  rencontrer 
que  deux  ou  trois  membres  :  quelquefois  même,  je  ne  m'y  suis 
trouvé  qu'avec  le  secrétaire.  Je  ne  me  décourage  cependant 
pas  :  le  prix  que  j'attache  à  l'avantage  d'être  associé  à  des 
hommes  aussi  estimables  que  vous,  Messieurs,  fortifie  et 
renouvelle  en  moi  le  désir  de  chercher  à  maintenir  la  respec- 
table Société  que  j'ai  l'honneur  de  présider,  et  je  viens  derechef 
réclamer  votre  concours. 

»  C'est  dans  cette  vue,  dont  vous  apprécierez  sans  doute  le 
motif,  que  j'ai  résolu  de  convoquer  pour  dimanche  prochain, 
12  de  ce  mois,  une  assemblée  extraordinaire,  afin  d'aviser  aux 
moyens  de  parvenir  à  mon  but,  qui  sans  doute  est  aussi  le 
vôtre.  Cette  assemblée,  indépendamment  de  l'objet  essentiel 
qui  doit  y  faire  la  matière  de  nos  délibérations,  est  d'autant 
plus  urgente,  qu'il  est  plus  que  temps  de  procéder  à  la  rédac- 
tion de  l'Annuaire  prochain. 

»  J'espère  donc,  Messieurs,  qu'enfin  vous  ne  vous  refuserez 
pas  à  mes  instances,  et  je  vous  attends  dimanche  prochain  au 
lieu  ordinaire  de  nos  séances. 

»  Agréez,  je  vous  prie,  Messieurs,  l'expression  de  mes  senti- 
ments les  plus  affectueux. 

»  Le  président  :  Dewez.  » 

Quel  était  Y  objet  essentiel  dont  il  est  ici  question?  Etait-ce 
encore  la  réunion  de  la  Société  de  littérature  à  la  Concordia? 
Nous  ne  pourrions  le  dire.  Tout  ce  que  nous  savons,  c'est  que 
la  séance  d'inauguration  de  la  Concordia  eut  lieu  le  13  dé- 
cembre. 


(  32) 

En  1820,  le  Recueil  annuel  avait  paru  chez  les  frères  Delemer, 
fondeurs  et  imprimeurs,  entre  les  Sablons,  à  Bruxelles. 

Il  ne  porte  pas  de  devise.  Plusieurs  noms  y  figurent  pour  la 
première  fois  :  T.  Arbeltier,  C.  A.  Delemer,  Froment,  Lespirt, 
0'  Sullivan. 

Les  Recueils  pour  1821  et  1822  parurent  également  chez  les 
frères  Delemer. 

Dans  le  premier,  il  n'y  a  qu'un  nom  nouveau,  celui  de 
H.  Edouard  Smits;  dans  le  second,  apparaissent  MM.  Alvin, 
1.  B.  Bourcier,  J.  L.  Crivelli,  Dumas  (de  Lyon),  Aimé  Dupont, 
Dupuy,  Gretry  aîné,  Le  Glay,  Marie  du  Mesnil,  Pascal  Lacroix. 

Le  20  janvier  1822,  la  Société  se  réunit  en  assemblée  extraor- 
dinaire, et  résolut  de  modifier  son  règlement.  Elle  arrêta  les 
dispositions  suivantes  : 

Règlement  général  (le  la  Société  de  littérature  de  Bruxelles. 

1.  La  Société  a  pour  but  l'étude  et  le  progrès  des  lettres. 

2.  Elle  se  compose  de  membres  effectifs,  dont  le  nombre  ne 
peut  excéder  trente  *,  et  d'un  nombre  illimité  de  membres 
associés  (régnicoles),  et  de  membres  correspondants  (étrangers, 
résidant  hors  du  royaume). 

3.  Le  domicile  à  Bruxelles  est  de  rigueur  pour  être  membre 
effectif;  la  Société  peut  néanmoins  déférer  le  titre  d'effectif  non 
résidant  à  ceux  de  ses  membres  régnicoles  qui,  par  leur  zèle, 
leurs  talents  et  le  nombre  de  leurs  productions,  honorent  la 
Société  et  enrichissent  ses  recueils.  Le  nombre  ne  peut  excéder 
six. 

4.  Pour  être  membre  effectif,  associé  ou  correspondant,  il 
est  indispensable  de  présenter  une  ou  plusieurs  productions 
littéraires,  selon  leur  importance. 

La  présentation  doit  être  faite  par  un  membre  effectif,  qui 
dépose  sur  le  bureau,  en  séance  régulière,  les  titres  littéraires 
du  candidat,  et  un  bulletin  portant  ses  nom,  prénoms,  profes- 
sion, lieu  et  année  de  naissance,  domicile  actuel  et  la  liste 

Dans  ce  nombre  ne  sont  pas  compris  ceux  que  leurs  fonctions 
auprès  du  gouvernement  obligent  à  des  déplacements  annuels.  Ils  n*en 
sont  pas  moins  membres  effectifs. 


w 


(33) 

exacte  de  ses  ouvrages  imprimés.  II  doit  de  plus  attester  que 
le  candidat  a  reçu  connaissance  du  présent  règlement,  et  qu'il 
consent  à  l'observer. 

Il  ne  peut  être  procédé  à  l'admission  que  dans  une  séance 
subséquente,  et  par  la  voie  du  scrutin. 

5.  La  Société  est  dirigée  par  un  président  à  vie,  et  nomme 
un  secrétaire  perpétuel,  chargé  de  tous  les  détails  d'adminis- 
tration. Un  trésorier  choisi  annuellement  perçoit  la  rétribution 
des  membres  effectifs  et  acquitte  les  dépenses. 

6.  La  Société  se  réunit  le  premier  dimanche  de  chaque 
mois,  pendant  les  huit  premiers  mois  de  l'année,  et  le  premier 
et  le  troisième,  pendant  les  quatre  derniers. 

Au  président  seul  appartient  le  droit  de  convoquer  extraor- 
dinaireipent  la  Société. 

7.  Tous  les  membres  effectifs  et  associés  sont  tenus  de  pré- 
senter ou  faire  parvenir  à  la  Société,  dans  le  courant  de  chaque 
année,  au  moins  deux  pièces  de  poésie  ou  de  prose. 

Les  membres  correspondants,  sans  être  astreints  à  l'exécu- 
tion de  cet  article,  sont  invités  à  s'y  conformer,  chacun  selon 
ses  loisirs,  dans  l'intérêt  des  lettres  et  de  l'institution. 

8.  La  Société  publie  tous  les  ans  un  choix  des  productions 
de  ses  membres  sous  le  titre  de  Recueil  annuel  de  poésies  de  la 
Société,  etc. 

9.  Tout  membre  effectif,  associé  ou  correspondant,  qui 
publie  un  ouvrage  de  sa  composition,  ne  peut  y  énoncer  sa 
qualité  de  membre,  sans  l'agrément  de  la  Société. 

10.  La  Société  correspond  deux  fois  par  an  avec  tous  ses 
membres  externes  (par  circulaires  affranchies),  dans  le  cou- 
rant du  mois  d'août,  pour  leur  rappeler  que  le  30  septembre 
est  le  terme  de  rigueur  pour  la  réception  des  pièces  qui  doi- 
vent concourir  à  former  l'Annuaire  poétique;  et  dans  le  mois 
de  février,  pour  les  instruire  sommairement  des  travaux  de 
Tannée  écoulée,  et  leur  faire  connaître  les  changements,  etc., 
survenus  dans  son  sein. 

11.  Le  deuxième  dimanche  de  janvier  de  chaque  année,  la 
Société  célèbre  l'anniversaire  de  son  institution  (10  janvier  1800), 

Tome  XLI.  S 


(34) 

par  un  banquet  d'obligation  pour  tous  les  membres  résidant  à 
Bruxelles. 

Au  commencement  du  mois  de  mai  1822,  la  Société  était 
composée  comme  il  suit,  quant  aux  membres  effectifs  et  aux 
membres  associés  : 


MEMBRES  EFFECTIFS  TITULAIRES. 


NOMS. 


QUALITÉS  OU  PROFESSIONS. 


tésitam  ordinaire 
m  momentanée 
par  la  natire  éa 
fonctions. 


Dewez,  président    .    .    . 

Descheppere,  trésorier   . 

Delemer,  secrétaire  per- 
pétuel.     

Lesbroussart 


Hubin 

Le  baron  de  Stassarl  . 
Van  Bemmel  .... 


Dutrieu  (Clément)  .  .  . 
Dutrieu  (Charles)  .  .  . 
Le  baron  de  Beeckman  . 
Queielct  (Adolphe)  .    .    , 

Le  baron  de  Reiffenberg 
Lecocq  

Le  baron  de  Roest  d'Alke- 
made 

Maleck  de  Werthenfeld    . 


Pire 


Doncker. 
Lespirt  . 
O'Sulivan 
Smits 


Visscher  .  . 
Bourcier  .  . 
Beyens  junior. 
Stevens.    .    . 


Inspecteur  des  athénées  et  collèges. 
Substitut  du  procureur  du  roi    .    . 

Fondeur  en  caractères,  imprimeur . 

Professeur   de    belles -lettres    à 
l'athénée 

Agent  solliciteur 

Membre  des  États  Généraux  .    .    . 

Professeur  de  poésie  au  collège 
royal  de  Gand 

Avocat 

Avocat 


Professeur  de    mathématiques   à 
l'athénée  royal.    ...... 

Professeur  de  poésie  à  l'athénée  royal, 
Rentier 


Idem 

Percepteur  des  contributions  di- 
rectes   

Instituteur  directeur  de  l'établisse- 
ment d'instruction  primaire  aux 
Minimes 

Avocat 

Homme  de  lettres 

Employé  du  gouvernement    .    .    . 

Premier  commis  au  ministère  de 
l'intérieur 

Contrôleur  de  la  Monnaie  .... 

Instituteur 

Avocat 

Employé  a  la  chambre  des  comptes. 


Bruxelles, 
lbid. 

Ibid. 

lbid. 

Ibid. 

La  Haye. 

Gand. 
Bruxelles. 
Malines. 
Bruxelles. 

lbid. 
Ibid. 
lbid. 

lbid. 

près  Louvain. 

Bruxelles. 

lbid. 

Ibid. 
La  Haye. 

Ibid. 
Bruxelles. 
Anvers. 
Bruxelles. 
La  Haye. 


(38) 


MEMBRES  ASSOCIÉS. 


NOMS. 


Rodants  .  .  .  . 
Vandenzande  (B).  . 
Comhaire  (M.  N.)    . 

Rouveroy  .  .  .  . 
Le  baron  de  Trappe. 

Picard 

Legros 


Prenninger    .    .    .   . 

Baratin , 

Le  baron  van  Ertborn. 

Raoul 

Paridaens  .    .    .    .    . 


Willmar. 
Kraane  . 
Arbeltier 
Coomàns 
D'Haeyere 


Alvin 

De  Chenedollé  . 
Barré  .  .  .  . 
Lecocq  (Charles). 
DeBast.    .    .    . 


Latour 


QUALITÉS  OU  PROFESSIONS. 


Secrétaire  de  l'Université      .    .    . 

Docteur  médecin 

Homme  de  lettres,  président  de  la 
section  de  littérature  de  la  Société 
d  émulation. 

Secrétaire  [curateur]  de  l'Université. 


Auditeur  à  la  chambre  des  comptes. 

Homme  de  lettres,  ancien  secré- 
taire du  prince  de  Ligne    .    .    . 

Homme  de  lettres 

Auditeur  militaire 

Membre  de  la  chambre  des  comptes. 

Professeur  ordinaire  à  l'Université. 

Vérificateur  de  l'enregistrement  cl 
des  domaines 

Ingénieur  du  Waterslaat  .... 

Fabricant 

Avocat 

Receveur  de  l'enregistrement   .    . 

Chef  du  pensionnat  de  Thielt  en 
Flandre 


Principal  du  collège  de  Nivelles.    . 

Professeur  au  collège  royal  de  Liègo. 

Professeur  au  collège  d'Audenaerde. 

Membre  des  États  Généraux  .    .    . 

Secrétaire  de  la  Société  des  Beaux- 
Arts,  éditeur  des  Annales  du 
salon  .    .    .    , 

Instituteur 


teidenee  ordinaire 
oo  momentanée 
par  la  natare  d« 
fonctions. 


Louvain. 

Anvers. 

Liège. 

Ibid. 
Namur. 
La  Haye. 

Enghien. 

Ibid. 
Gand. 
La  Haye. 
Gand. 

Mons. 
Liège. 
Levdc. 

m 

Anvers. 
Grammont 

Thielt. 
Nivelles. 
Liège. 

Audenaerde. 
La  Haye. 

Gand. 
Liège. 


Nous  empruntons  cette  liste  à  une  correspondance  très 
curieuse  qui  est  conservée  dans  les  Archives  de  l'administration 
communale  de  Bruxelles  :  nous  croyons  devoir  la  donner  ici. 


(36) 

Le  6  «pars  1822,  le  secrétaire  perpétuel  de  la  Société  de  litté- 
rature écrit  au  bourgmestre  : 

«  Monsieur  le  .bourgmestre, 

»  M.  Dufoy,  propriétaire  du  café  de  l'Amitié,  et  dans  la  mai- 
son duquel  nous  tenons  nos  séances,  le  premier  dimanche  de 
chaque  mois,  m'ayant  informé  que  vous  désiriez  savoir  quels 
étalent  les  membres  qui  composaient  notre  Société,  j'ai  l'hon- 
neur de  vous  indiquer  ici  les  principaux.  Président,  M.  Dewez, 
inspecteur  des  athénées  et  collèges  pour  les  provinces  méridio- 
nales, secrétaire  perpétuel  de  l'Académie.  Trésorier,  M.  Des- 
cheppere,  substitut  du  procureur  du  roi.  Et  parmi  les 
membres,  MM.  Lesbroussart,  De  Reiffenberg,  Quetelet,  profes- 
seurs à  l'athénée;  le  baron  De  Roest  d'Alkemade,  le  baron  De 
Beeckman,  le  baron  De  Stassart;  MM.  Doncker,  Beyens  (junior), 
avocats;  M.  Charles  Lecocq,  membre  des  États  Généraux  ; 
M.  Pire,  directeur  de  l'institution  des  Minimes;  M.  Charles 
Dutrieu,  avocat,  etc.  etc.  etc. 

»  Je  joins  à  la  présente  un  exemplaire  de  notre  règlement 
général. 

»  J'ai  l'honneur  etc. 

(Signé)  :  A.  Dclemer. 

Le  9  mars,  les  Bourgmestre  et  Echevins  accusent  réception 
du  règlement  envoyé  par  le  secrétaire  de  la  Société,  ce  Le  but 
de  celte  Société,  disent-ils,  est  on  ne  peut  plus  louable,  et  les 
membres  qui  la  composent  sont  trop  recommandables,  pour 
qu'elle  ait  à  craindre,  de  la  part  de  l'autorité  locale,  la  moindre 
contrariété.  —  Nous  ne  doutons  pas,  monsieur,  que  votre 
Société  ne  se  soit  formée  qu'avec  l'agrément  du  gouvernement, 
ainsi  que  le  prescrit  l'art.  291  du  code  pénal.  Si  pourtant  vous 
avez  négligé  cette  formalité  de  rigueur,  nous  invitons  la  Société 
à  la  remplir  le  plus  tôt  possible,  et  à  nous  donner  connaissance 
de  l'autorisation  qu'elle  a  obtenue,  afin  que  l'autorité  supé- 
rieure n'ait  à  cet  égard  aucun  reproche  à  nous  faire.  » 

Le  12  avril,  le  secrétaire  Dclemer  écrit  au  bourgmestre  : 
«  ...  J'ai  recherché  dans  les  papiers  de  la  Société  le  titre  obtenu 


(  37  ) 

lors  de  son  institution  (janv.  1800)  ;  cette  pièce  se  trouve  égarée, 
et  l'éloignement  considérable  de  celui  des  membres  de  la 
Société  qui  remplissait  alors  les  fonctions  de  secrétaire,  m'em- 
pêche de  m'en  enquérir  auprès  de  lui.  Mais  il  est  probable 
qu'on  en  retrouverait  la  minute,  ou  tout  au  moins  la  demande 
de  la  part  de  la  Société,  aux  Archives  de  l'hôtel  de  ville.  Une 
pareille  recherche,  au  surplus,  n'aurait  aucun  but  d'utilité, 
l'autorisation  ayant  été  accordée  par  le  gouvernement  français. 
—  En  conséquence,  Monsieur  le  bourgmestre,  pour  me  con- 
former à  votre  juste  invitation,  j'ai  l'honneur  de  vous  sou- 
mettre ici  les  Statuts  généraux  de  la  Société  de  littérature  de 
Bruxelles  (pièce  imprimée),  et  de  vous  informer  en  outre  : 
1°  Que  cette  Société  se  compose  de  30  membres  effectifs  rési- 
dant à  Bruxelles,  et  de  50  membres  associés  ou  correspondants, 
tant  dans  le  royaume  qu'à  l'étranger;  2°  Qu'elle  tient  séance  le 
1er  dimanche  de  chaque  mois,  dans  une  des  salles  de  la  maison 
de  M.  Dufoy,  dite  café  de  F  Amitié,  place  royale;  3°  Qu'elle 
s'occupe  exclusivement  de  littérature.  —  D'après  ces  renseigne- 
ments, j'ai  l'honneur  de  vous  prier,  Monsieur  le  bourgmestre, 
au  nom  de  la  Société  de  littérature  de  Bruxelles,  de  vouloir  bien 
lui  accorder  ou  faire  accorder  l'autorisation  nécessaire  pour 
tenir  ses  séances,  poursuivre  ses  travaux,  et  se  qualifier  ainsi 
qu'elle  l'a  fait  jusqu'à  ce  jour,  avec  l'agrément  des  autorités  et 
sous  la  protection  des  lois.  —  S'il  est  quelque  autre  formalité 
préalable  qui  doive  être  remplie  pour  obtenir  cette  autorisa- 
tion, je  l'exécuterai  avec  empressement,  dès  que  j'en  aurai  con- 
naissance. » 

Le  23  avril,  les  Bourgmestre  et  Echevins  prient  le  gouver- 
neur de  la  province  du  Brabant  méridional  de  faire  obtenir  à 
la  Société  de  littérature  l'autorisation  nécessaire,  afin  qu'elle 
soit  constituée  légalement  sous  la  protection  des  autorités. 

Le  29  avril,  le  gouverneur  réclame  de  la  Régence  la  liste  des 
membres  qui  composent  la  Société. 

Le  1er  mai,  la  Régence  demande  cette  liste  au  secrétaire 
Delemer,  et  l'ayant  reçue  le  9,  elle  la  transmet  le  15  au  gou- 
verneur. 


(  38  ) 

Le  31  mai,  le  gouverneur  fait  parvenir  à  la  Régence  une 
expédition  de  l'autorisation  qu'il  a  accordée  à  la  Société  de  litté- 
rature pour  être  constituée  légalement. 

Voici  cette  pièce  : 

Province  du  Brabant  méridional. 

Le  conseiller  d'Etat,  gouverneur,  commandeur  de  Tordre  du 
Lion  Belgique, 

«  Vu  la  lettre  de  la  Régence  de  Bruxelles,  en  date  du 
33  avril  1822,  qui  lui  transmet  le  règlement  général  de  la 
Société  de  littérature  établie  en  cette  ville  laquelle  demande 
l'autorisation  nécessaire  pour  être  constituée  légalement  sous 
la  protection  des  autorités. 

»  Considérant  que  cette  Société  est  très  utile,  vu  qu'elle  a 
pour  but  l'étude  et  le  progrès  des  lettres. 

»  Vu  l'article  291  du  code  pénal. 

»  Autorise  l'établissement  de  la  Société  susdite  de  littérature 
aux  conditions  de  son  règlement  approuvé  en  sa  séance  du 
20  janvier  1822. 

»  Expédition  du  présent  sera  adressée  à   la   Régence   de 
Bruxelles  pour  son  information  et  exécution. 
»  Bruxelles,  le  31  mai  1822. 

(Signé)  :  Comte  d'Arschot. 

»  Pour  expédition  conforme, 
Le  greffier  des  États 
B°°  Versevden  de  Varick. 

Au  moment  où  cet  arrêté  était  pris  par  le  gouverneur,  il  y 
avait  dix  jours  que  le  secrétaire  perpétuel  de  la  Société  de  litté- 
rature était  mort  victime  de  son  dévouement  8#  Charles- 
Adolphe  Delemer  était  né  à  Marseille  le  12  septembre  1792.  Il 
ne  fut  pas  remplacé,  et  M.  Dewez,  le  président,  cessa  les  con- 
vocations. L'explication  de  sa  conduite  se  trouve  dans  une 
lettre  par  laquelle  le  gouverneur  avait  informé  la  Régence, 
le  9  avril  1822,  que  par  un  arrêté  du  26  mars  précédent,  il  avait 


(39) 

plu  à  Sa  Majesté  de  se  déclarer  protecteur  de  la  Société  litté- 
raire Concordia  établie  à  Bruxelles,  et  de  permettre  que  cette 
Société  portât  le  titre  de  Société  royale. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  Concordia  :  nous  avons  dit 
qu'elle  avait  pour  objet  de  propager  dans  les  provinces  méri- 
dionales la  connaissance  delà  langue  et  de  la  littérature  hollan- 
daise ou  nationale,  comme  on  l'appelait  alors.  Le  roi  l'avait, 
dès  son  origine,  prise  sous  sa  protection,  en  lui  accordant  un 
subside  de  300  florins  et  un  local  à  l'ancien  hôtel  des  finances  : 
on  savait  qu'il  voyait  de  mauvais  œil  la  Société  de  littérature 
française.  Le  président  avait  dû  être  prévenu  qu'on  la  verrait 
tomber  avec  plaisir.  Ses  efforts  pour  la  fondre  dans  la  Concordia 
avaient  échoué,  et  comme  on  n'osait  pas  la  supprimer  officiel- 
lement, quelque  envie  qu'on  en  eût,  il  s'était  décidé  avec  la 
connivence  de  quelques  membres,  à  la  laisser  mourir  d'elle- 
même  9. 

«  Le  vingtième  et  dernier  volume,  dit  Quetelet,  parut  en 
1823,  époque  où  la  Société  s'éteignit  sans  bruit,  par  la  négli- 
gence de  son  président  »  *o. 

Ce  vingtième  volume  porte  le  titre  d'Annuaire  poétique  des 
Pays-Bas,  et  fut  imprimé  chez  P.  M.  De  Vroom,  rue  des 
Fripiers,  n°  1180.  Le  titre  semble  avoir  été  ajouté  après  coup, 
et  lorsque  le  volume  était  déjà  tiré.  En  tête  des  morceaux  et  au 
haut  des  pages,  on  Ut,  comme  dans  les  volumes  précédents  : 
Recueil  annuel  de  poésies. 

Les  nouveaux  écrivains  sont  :  L.  Barré,  Bergeron,  Clavareau, 
Latour,  P.  Lebroquy,  Schlim,  et  quelques  anonymes. 


n* 


NOTES  DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE. 


1  V Oracle,  journal  politique,  parut  à  Bruxelles  de  1800  à  1827  inclus. 

*  Ad.  Quetelet,  notice  sur  le  baron  de  Stàssart. 

*  Ferdinand  Vandenzande  a  publié  les  livres  dont  les  titres  suivent  et 
qui  n'ont  été  tirés  qu'à  un  petit  nombre  d'exemplaires  : 

Fanfreluches  poétiques  par  un  Matagraboliseur.  In-12  de  xii  et  342  pp. 
Paris,  1845.  —  Ce  volume  porte  l'épigraphe  :  Homini  bono  dédit  Deus 
laetitiam.  Il  comprend  les  matières  suivantes  :  Lettre  à  M.  Louis-Auguste 
Gruyer,  signée  Lambert-Ferdinand-Joseph  V***,  pp.  v-xvr,  —  Contes; 
pp.  1-237;  —  Fables,  pp.  241-274;  —  Poésies  diverses,  pp.  277-311;  — 
Chansons,  pp.  315-342. 

Quatre  épitres,  par  un  Matagraboliseur.  In-12  de  21  pp.  Paris,  1845. 
Même  épigraphe.  Épitres  I»  et  II«.  A  M.  Trimolet,  receveur  des  douanes 
à  Beziers.  Marseille,  25  juillet  et  3  août  1845.  —  Épitre  III.  A  mes  fanfre- 
luches. Marseille,  26  août  1845.  —  Épitre  IV.  A  M.  Quetelet,  secrétaire 
perpétuel  de  l'Académie  royale  de  Belgique  et  directeur  de  l'Observatoire 
de  Bruxelles.  Marseille,  7  novembre  1845. 

Recueil  de  huit  épitres,  par  Jean  Rigoleur.  In-12.  -  Épitres  I«  et  II*. 
A  Madame  Techner.  Batignolles,  5  décembre  1850.  —  Épitre  III.  A  Mon- 
sieur  Barbier.  Batignolles,  février  1851.  —  Épitre  IV.  A  Monsieur  Boyer, 
neveu.  Ibid.  mars  1851.  —  Épitre  V.  A  Monsieur  Pons.  Ibid.  avril  1851. 
-  Épitre  VI.  A  Themire.  Ibid.  avril  1851.  —  Épitre  VII.  A  MM.  Chirac  et 
Fabre.  Ibid.  avril  1851.  —  Épitre  VIII.  A  Monsieur  Duchapt  Ibid. 
mai  1851. 

Fables.  In-12  de  111  et  328  pp.  Paris,  1849.  Avec  la  même  épigraphe 
que  ci-dessus  et  une  dédicace  à  Monsieur  le  baron  de  Staesart,  signée  : 
Lambert-Ferdinand- Joseph  V"\ 

*  Jouy  fut  admis  dans  la  Société  le  11  novembre  1801,  le  même  jour 
que  Hubin. 

5  Les  vendanges  gaillardes,  recueil  de  contes  en  vers,  chansons, 
épigrammes,  etc.  1  vol.  in-12  de  183  pp.,  y  compris  la  table.  A  Paris, 
an  XII. 

Les  pièces  Sur  le  Trou  Manto;  L'Anguille  ou  le  gourmand  mystifié;  Le 


(42) 

Mésentendu;  La  religieuse  malade;  L'histoire  mise  en  conte,  sont  de 
Hubin. 

6  Ad.  Quetelet  se  trompe  donc  lorsque,  dans  sa  notice  sur  Ph.  Lesbrous- 
sart,  il  dit  que  cette  pièce  «  dont  il  possède  le  manuscrit,  »  est  restée 
inédite. 

7  Notice  sur  le  baron  de  Stassart.  —  Dans  une  lettre  adressée  le 
10  mars  1822  à  M.  Delemer,  secrétaire  perpétuel  de  la  Société  de  littéra- 
ture, Van  Bemmel  dit  qu'il  a  fait  imprimer  l'Almanach  de  1817  a 
ses  frais. 

8  Le  21  mai  1822,  en  voulant  sauver  des  ouvriers  frappés  d'asphyxie 
dans  une  fosse  d'aisances. 

9  «  [La  Société  de  littérature  de  Bruxelles  a]  éveillé  et  entretenu  le 
goût  des  lettres;  elle  a  servi  à  propager,  même  après  1814,  les  idées  et  la 
civilisation  française.  Aussi  le  roi  de  la  Néerlande  la  voyait-il  de  fort 
mauvais  œil.  Je  lis  dans  une  lettre  d'un  haut  fonctionnaire  du  temps  : 
«  J'ai  quelques  morceaux  en  portefeuille,  mais  je  n'ose  pas  vous  en 
»  donner,  surtout  cette  année,  pour  la  raison  ci-jointe.  Le  baron  De 
»  Stassart  m'a  envoyé  ses  fables  qui  sont  jolies;  je  lui  en  ai  fait  compli- 
»  ment  ;  mais  il  casse  diablement  les  vitres.  »  La  raison  jointe,  que  la 
prudence  glissait  dans  un  coin  de  papier  à  part,  c'est  que  :  «  Je  sais  de 
»  bonne  part  que  le  roi  a  le  travers  de  ne  pas  aimer  que  les  fonctionnaires 
»  s'occupent  de  la  littérature  française.  Le  moment  n'est  pas  opportun. 
»  J'ai  consulté  ad  hoc,  et  l'on  m'a  répondu  :  taisez-vous.  Je  me  tais  donc 
»  surtout  aujourd'hui.  »  Nous  comprenons  le  silence  méticuleux  d'un 
administrateur  effrayé  des  témérités  de  M.  de  Stassart.  »  (Loumeyer, 
notice  placée  en  tête  des  Poésies  choisies  de  Jean-Hubert  Hubin.  1  vol. 
in-12,  Bruxelles,  1852.) 

40  Notice  sur  le  baron  de  Stassart 

En  1831,  le  9  mai,  Dewez  écrivait  à  la  Régence  de  Bruxelles  :  «  ...  D 
existait  à  Bruxelles  une  Société  particulière,  sous  la  dénomination  de 
Société  de  littérature,  établie  sous  le  gouvernement  français,  je  crois 
en  1800.  Elle  ne  s'occupait  que  de  poésie  française,  et  elle  est  insensible- 
ment tombée  en  décadence.  J'en  étais  président.  Cette  Société  de  littéra- 
ture ne  recevait  aucun  subside  du  gouvernement;  elle  se  soutenait  par 
la  souscription  volontaire  de  ses  membres,  qui  était  de  trois  francs  par 
mois  » 

La  Société  de  littérature,  dit  encore  Quetelet  dans  sa  notice  sur 
Ph.  Lesbroussart,  «  ne  tarda  pas  à  céder  la  place  à  sa  sœur  puinée,  la 
Société  Concordia  qui  semblait  avoir  pour  tendance  de  substituer  la 
langue  flamande,  ou  plutôt  le  hollandais  à  la  langue  française.  Ph.  Les- 
broussart en  faisait  partie,  et  quand  arriva  son  tour  de  porter  la  parole, 
il  trancha  la  difficulté  en  prononçant  un  discours  latin  sur  la  lutte  des 


(43) 

classiques  et  des  romantiques.  »  De  Reiffenberg  avait  été  plus  hardi.  Le 
Journal  de  la  Belgique  du  23  décembre  1820  nous  apprend  que  le 
13  décembre  précédent,  il  avait  prononcé  en  français,  le  discours  d'inau- 
guration dont  le  sujet  était  l'Éloge  de  Guillaume  le  Taciturne. 

Voici  deux  pièces  curieuses  tirées  des  Archives  de  la  ville  de  Bruxelles, 
et  qui  concernent  la  Concordia  —  (Maatschappy  ter  bloeying  van  de 
Nederlandsche  taal  en  letterkunde). 

Le  19  février  1826,  le  président  de  la  Société  transmet  la  proposition 
suivante  à  la  Régence  de  Bruxelles  : 

«  La  Société  royale  de  langue  et  de  littérature  nationale,  dite  Concordia, 
établie  dans  le  bâtiment  du  conseil  d'État  à  Bruxelles,  vient  de  procéder 
à  la  nomination  et  à  l'installation  de  son  nouveau  conseil,  et  de  prendre 
des  mesures  intéressantes  pour  faciliter  et  propager  la  connaissance  de  la 
langue  et  de  la  littérature  nationale. 

»  Le  conseil  est  composé  pour  cette  année  comme  suit  :  Président  : 
M.  Schuermans,  procureur  du  roi  ;  Assesseurs  :  le  baron  Goubau,  prési- 
dent à  la  Cour  supérieure  de  justice;  Van  Marie,  inspecteur  du  Waarborg 
dans  les  provinces  méridionales;  Commissaires  :  De  Quertemont,  con- 
seiller à  la  Cour  supérieure  de  justice;  Van  Geel,  vicaire  du  Finistère  ; 
Trésorier  :  De  Bonne,  juge  (Regter,  penning  meester);  Bibliot/iécaire  : 
De  Dryver,  substitut  du  procureur  général  ;  Secrétaire  :  Ryke,  ministre 
du  Saint-Évangile. 

»  La  Société  a  fait  des  dispositions  pour  les  séances  journalières,  les 
discours  des  membres  actifs,  les  questions  à  proposer  annuellement  pour 
prix,  et  ses  relations  avec  les  membres  honoraires  et  les  Sociétés 
affiliées. 

»  La  Société,  pour  tacher  de  répondre  aux  intentions  du  gouvernement 
et  de  se  rendre  digne  des  faveurs  qu'elle  a  obtenues  de  S.  M.  le  roi,  a 
admis  que  pendant  un  certain  temps,  MM»  les  fonctionnaires  de  tous  les 
ordres,  et  toutes  les  personnes  méritantes  pourront  être  reçus  membres 
de  la  Société  par  le  conseil,  sans  droit  d'entrée  ni  ballottage. 

»  Le  conseil  de  la  Société  espère  que  MM.  les  fonctionnaires  voudront 
bien  encourager  ses  efforts,  et  participer  aux  avantages  que  cette  institu- 
tion nationale  présente. 

»  Le  conseil  agréera  comme  membres  de  la  Société  les  fonctionnaires 
que  M.  le  baron  de  Wellens,  bourgmestre,  voudra  bien  présenter  au 
moyen  de  leur  signature  sur  la  présente  liste. 

»  Les  membres  ordinaires  payent  dix  florins  par  an,  et  ne  sont  pas 
assujétis  à  d'autres  obligations.  » 

—  Le  22  février,  le  bourgmestre  annonce  qu'il  a  présenté  la  lettre 
susdite  en  date  du  19  au  collège  et  qu'il  sera  satisfait  au  vœu  de  la 
Société. 


(  44) 

Le  25  mars  1831 ,  M.  Gâcha rd,  pour  la  commission  administrative  de  la 
Société  littéraire  Concordia,  écrit  à  MM.  les  Bourgmestre  et  Éehevins  de 
la  ville  de  Bruxelles  : 

«  Messieurs, 

»  Jusqu'à  l'époque  de  la  révolution,  la  Société  Concordia,  qui  a  pris 
depuis  la  dénomination  de  Société  littéraire,  a  joui,  à  l'ancien  hôtel  des 
finances,  rue  des  Sols,  appartenant  a  la  ville,  d'un  local  où  elle  tenait  ses 
assemblées,  et  où  elle  avait  son  salon  de  lecture.  Au  mois  d'octobre,  la 
nécessité  d'établir  quelque  part  la  commission  des  secours  et  des  récom- 
penses détermina  la  Régence  à  affecter  à  cette  destination  le  local  qui  nous 
avait  été  concédé  :  il  nous  fut  permis,  en  échange,  de  disposer  d'une 
autre  partie  du  même  hôtel,  située  près  du  Conservatoire  de  musique,  et 
ayant  issue  dans  la  rue  Cuiller-à-pot  D'après  ce  qui  nous  fut  dit  alors,  le 
déplacement  de  la  Société  devait  n'être  que  provisoire,  et  ne  pas  se  pro- 
longer au  delà  du  terme  de  l'existence  de  la  commission  pour  laquelle  il 
avait  lieu. 

»  Venant  d'apprendre  que  cette  commission  a  terminé  ses  travaux,  et 
que  le  local  où  notre  Société  était  établie  sera  entièrement  libre  pour  le 
l«r  avril,  nous  avons  cru  ne  devoir  pas  différer  de  nous  adresser  à  vous, 
messieurs,  afin  d'obtenir  votre  agrément  à  ce  qu'elle  y  rentre.  Nous  ne 
pouvons  douter  que  vous  nous  l'accordiez,  puisque  le  but  de  l'institution 
de  la  Société  littéraire  la  rend  digne  de  la  protection  d'une  administra- 
tion éclairée.  Cette  Société,  en  effet,  est  la  seule  dans  cette  capitale  dont 
les  membres  se  réunissent  uniquement  pour  la  lecture  des  feuilles  publi- 
ques et  des  productions  de  la  littérature  ;  grâce  à  l'avantage  d'un  local 
gratuit,  les  personnes  dont  elle  se  compose  peuvent,  moyennant  une 
modique  rétribution,  se  procurer  ces  jouissances  de  l'esprit,  qu'elles  ne 
trouveraient  pas  ailleurs,  même  au  prix  des  plus  grands  sacrifices. 
Serait-il  besoin  de  vous  exposer,  messieurs,  tous  les  motifs  qui  appellent 
sur  des  réunions  semblables  la  bienveillance  de  l'autorité?  Nous  ajoute- 
rions que,  selon  ce  qui  nous  est  revenu,  le  local  que  nous  occupons 
actuellement,  serait  bientôt  nécessaire  au  Conservatoire  de  musique.  » 

En  marge  de  cette  lettre  :  «  Séance  du  26  mars.  Le  collège  regrette  de 
ne  pouvoir  complaire  à  la  Société,  en  la  présente  occurrence,  les  locaux 
dont  il  s'agit  étant  indispensables  à  l'administration.  (Signé)  Rouppe.  » 
Il  est  répondu  dans  ce  sens  le  31  mars. 

La  dénomination  de  Société  littéraire,  que  la  Concordia  avait  prise,  était 
empruntée  à  une  Société  dont  les  Archives  de  l'État  nous  ont  révêlé 
l'existence  et  qui  remontait  à  la  fin  du  siècle  dernier.  Un  parchemin 
timbré  donne  l'Acte  d'une  nouvelle  association  de  trois  années  de  la 
Société  littéraire  de  Bruxelles,  qui  commencera  le  1er  octobre  1809  et 


(45) 

finira  le  90  septembre  1812.  L'Acte  porte  :  «  Les  soussignés  membres 
effectifs  actuels  prennent  l'engagement  d'une  quatrième  association 
triennale  —  ce  qui  reporte  l'établissement  de  la  Société  au  l*r  octobre  1799 

—  ...  se  soumettant,  en  conséquence,  au  règlement  général  et  à  toutes  les 
résolutions  adoptées  par  la  Société,  comme  s'ils  avaient  été  présents  à 
ses  délibérations  et  comme  s'ils  avaient  voté  pour  ses  arrêtés.  Ils  font  la 
même  soumission  pour  toutes  les  résolutions  futures,  quand  même  ils 
n'assisteraient  pas  aux  séances  où  elle  prendrait  ces  résolutions.  Bruxelles 
le  8  décembre  1808.  »  La  liste  porte  209  signatures,  parmi  lesquelles 
figurent  Beyts  —  Van  Antwerpen  —  C  Vanderfosse  —  Joseph  Crum- 
pipen  -  D'Anethan  —  Prealle  —  Cornet  de  Grez  —  Du  Chasteler  — 
Dotrenge  —  J.  B.  Beyens  —  Mettenius  —  H1*  Greindl  -  Devos  — 
Delevielleuze  —  Jean-Joseph  Meeus  —  Henri  de  Crumpipen  —  Rouppe 

—  Basse  —  Plasschaert  —  Huysman  de  Neufcour  —  J.  B.  Van  Volxem 

—  Engler  —  Tarte,  aine  —  De  Brouckere  —  Charles  d'Ursel  -  A.  J.  Orts. 
Sous  le  titre  de  huitième  association  triennale,  on  trouve  l'Acte  d'une 

nouvelle  association  de  trois  années  qui  commencera  le  1er  octobre  1821 
et  finira  le  30  septembre  1824.  Cet  acte  est  daté  de  Bruxelles,  le  31  décem- 
bre 1820.  A  ce  jour,  la  liste  des  membres  compte  217  noms;  4  membres 
ont  été  reçus  le  30  décembre  1821  ;  4  le  29  décembre  1822;  9  le  28  décem- 
bre 1823.  Au  31  décembre  1820,  on  remarque  les  signatures  suivantes  : 
Bortier  —  J.  B.  Van  Volxem  —  Mary  —  le  Cle  Alberic  Duchatel  — 
Desmanet  de  Boutonville  —  le  Cer  de  Cruquenbourg  —  le  colonel  de 
Knyff  —  le  BoB  d'Hoogvorst  —  le  0e  Vandermeere  —  J.  Van  Gameren  — 
A.  Hahn  (décédé  le  31  août  1821)  -  le  O  Ch.  d'Oultremont  -  le  comte  de 
Gavre  —  F.  de  Secus  —  O*  de  Herode  Westerloo  —  C*  de  Lalaing  — 
P-Cuylen  —  C16  Vanderdielft  —  de  Wellens  -  le  prince  de  Gavre  —  Van 
Volxem  fils  —  le  procureur  général  Vanderfosse  —  le  duc  d'Ursel  —  le 
B?n  de  Crumpipen  -  J.  Crumpipen — Fréd.  Basse  -  H.  Van  Gobbelschroy. 


SECONDE  PARTIE. 


Nous  avons  essayé,  dans  ce  qui  précède,  de  faire  l'histoire  de 
la  Société  de  littérature  de  Bruxelles. 

Nous  allons  maintenant  examiner  les  recueils  de  poésies 
qu'elle  a  publiés  de  1801  à  1823. 

Il  y  en  a  vingt,  et  voici  en  regard  le  quantième  volume  de  la 
collection  et  Tannée  où  il  a  paru  :  1, 1801  ;  II,  1802;  III,  1803; 
IV,  1804;  V,  1805;  VI,  1806;  VII,  1807;  VIII,  1808;  IX,  1809; 
X,  1810;  XI,  1811;  XII,  1813;  XIII,  1814;  XIV,  1817;  XV, 
1818;  XVI,  1819;  XVII,  1820;  XVIII,  1821;  XIX,  1822;  XX, 
1823. 

Plusieurs  morceaux  renfermés  dans  ces  volumes  sont  ano- 
nymes :  nous  avons  fait  des  recherches  pour  en  découvrir  les 
auteurs  et  nous  donnons  ici  les  résultats  auxquels  nous  sommes 
arrivé,  en  les  accompagnant  de  quelques  notes  sur  des  pièces 
signées. 

I,  1801. 

P.  85.  L'Insomnie  de  l'amour. 

D'après  Louis  Hercx,  Mélanges  poétiques  et  littéraires, 
Bruxelles,  1802,  cette  pièce  serait  de  Plasschaert. 

Elle  est  accompagnée  de  la  note  Suivante  :  «  Cette  chanson 
a  déjà  paru  dans  quelques  journaux  et  dans  YAlmanach  des 
Muses  et  la  Lyre  d'Anacréon;  mais  elle  appartient  de  droit  à 
l'Almanach  poétique  de  Bruxelles  »  ; 

pp.  139-144-148-149-150.  Fragmens  d'une  épître  à 
Sophie;  —  Le  bain  de  Sophie,  épisode  d'un  poème  sur  la 
fontaine  de  Vaucluse;  —  Début  d'une  pièce  qui  a  pour  titre  : 
Le  tombeau  de  Sophie;  —  Quatrain  à  MeUe ...;  — A  Emilie 
M. . .  le  premier  jour  de  Tan . 


(48) 

L'Almanach  porte  que  ces  cinq  pièces  a  sont  d'un  homme 
»  de  lettres  connu  qui,  depuis  quelque  temps,  habite  un  des 
»  départements  réunis.  »  Nous  ignorons  qui  était  cet  homme 
de  lettres. 

II,  1802. 

P.  40.  Epitre  au  O  Vidal  sur  ses  épigrammes; 

p.  119.  La  Vieillesse  d'Anacréon.  Cantate; 

p.  121.  Réponse  d'un  vieux  pasteur  à  Anacréon. 

Ces  trois  pièces  sont  de  Dehulstere. 

Vidal  répondit  à  la  première  par  une«  Épître  au  Cn  ***  sur  ses 
madrigaux,  en  réponse  à  celle  qu'il  m'a  écrite  sur  mes  épi* 
grammes  ».  Elle  se  trouve  à  la  p.  44. 

p.  126.  Les  couplets  :  Ma  Zétulbé!  Viens  régner  sur  mon 
âme...,  ont  été  mis  en  musique  et  se  chantaient  dans  le  Calife 
de  Bagdad. 

III,  1803. 

P.  81.  L'origine  des  rideaux,  conte  mythologique,  —  a  été 
reproduit  dans  les  Vendanges  gaillardes,  avec  deux  vers  que 
YAlmanach  n'avait  pas  donnés.  L'auteur  est  Vidal. 

p.  112.  In  Promptu; 

p.  116.  Ode  anacréontique  ; 

p.  119.  Couplets  présentés  par  une  fille  à  sa  mère; 

p.  124.  A  Chloé,  qui  faisait  serment  de  fuir  l'amour  et  de 
ne  plus  écouter  que  la  raison  ; 

p.  128.  La  Pénitence. 

Ces  cinq  dernières  pièces  sont  de  Rouillé.  La  pièce  A  Chloé 
a  été  reproduite  dans  les  Poésies  légères  par  L.  P.  Rouillé; 
in-8%  Liège,  1845,  p.  47. 

V,  1805. 

P.  93.  La  Fête  de  Sot-Froid.  Divertissement  en  un  acte,  mêlé 
de  couplets.  —  Violente  satyre  dirigée  contre  Geoffroy,  le  cri- 
tique. —  M.  Faber  attribue  cette  pièce  à  Ph.  Lesbroussart  dans 
son  Histoire  du  théâtre  français  en  Belgique,  t.  IV,  p.  185. 


(49) 

—  Le  14  février  1805,  Vidal  écrivait  à  de  Stassart  qu'il  s'était 
rendu  coupable  d'y  avoir  fait  quelques  couplets. 

VI,  1806. 

P.  49.  L'âne  métaphysicien.  Fable.  —  p.  77.  Le  ressort. 
Fable. 

Les  initiales  S.  U.  T.  cachent  un  villageois  des  Ardennes, 
appelé  Socquet  ou  Souquet. 

L'idée  première  de  l'âne  métaphysicien  a  servi  à  composer 
une  fable  insérée  dans  le  Mercure  belge,  1818,  t.  IV,  p.  374, 
et  signée  H.  Van  Z...,  ex-lieutenant  de  dragons. 

p.  94.  Épître  à  M.  L. 

Cette  épître  est  de  Rouillé.  Elle  a  été  reproduite  dans  les 
Poésies  légères,  p.  73,  avec  le  titre  :  Lettre  à  Monsieur  J.  B.  Les- 
broussart. 

p.  111.  L'Intrigue  en  l'air  ou  les  Aérostats,  vaudeville  signé  : 
Ph.  Lesbroussart  et  Edouard  ***. 

Dans  sa  notice  sur  Ph.  Lesbroussart,  comme  nous  l'avons 
rappelé  précédemment,  Quetelet  dit  qu'il  conserve  le  manuscrit 
de  cette  pièce,  restée  inédite.  Le  Liber  memorialis  de  l'Univer- 
sité de  Liège  reproduit  cette  erreur.  M.  Faber  ne  l'a  pas  com- 
mise, mais  il  a  cru  reconnaître  dans  Edouard  ***  M.  Éd. 
Smits.  Or  la  vie  de  cet  écrivain  placée  en  tête  de  ses  œuvres 
poétiques  ne  fait  aucune  mention  de  Ylntrigue  en  l'air.  Nous 
ne  savons  pas  du  reste  qui  était  cet  Edouard  ***  :  il  a  beaucoup 
écrit,  et  Ph.  Lesbroussart  dont  il  était  l'ami  lui  a  adressé  une 
de  ses  meilleures  épîtres.  [Elle  se  trouve  dans  le  vol.  XV,  1818.] 

D'après  Faber,  Ylntrigue  en  Yair  est  une  «  allusion  à  l'astro- 
nome Lalande  qui,  à  cette  époque,  avide  de  renommée,  faisait 
continuellement  parler  de  lui  dans  les  écrits  périodiques  de 
Paris  :  tantôt  il  découvrait  des  taches  dans  le  ciel;  tantôt  il  fai- 
sait montre  d'athéisme  et  grossissait  son  Dictionnaire  des  Athées 
des  noms  de  personnages  éminents,  soit  de  l'Eglise,  soit  de 
l'État,  ce  qui  quelquefois  lui  attirait  les  plus  vertes  mercuriales, 
rendues  publiques  par  la  presse  de  l'époque.  Le  personnage 
qui  est  censé  le  représenter,  s'appelle  Astrolabe.  » 

Tome  XLI.  4 


(30  ) 

VII,  1807. 
P.  23.  Le  Temple  de  l'erreur. 

Cette  pièce  est  de  Rouillé.  Elle  a  été  reproduite  dans  les 
Poésies  légères,  p.  19. 

VIII,  1808. 
P.  50.  Épître  à  M***. 

Cette  pièce  est  de  Rouillé.  Elle  a  été  reproduite  dans  les 
Poésies  légères,  p.  51,  sous  le  titre  :  Epître  à  Monsieur  L**'. 

XII,  4813. 
P.  20.  Corinne  à  Oswald.  Romance. 
Cette  pièce  est  de  Melle  Schavye,  aînée. 

XIV,  1817. 

P.  27.  A  Circé,  chienne  célèbre,  etc.,  par  J.  H.  Hubin. 

p.  30.  Réponse  de  Circé  à  son  ami  Hubin. 

L'Epître  à  Circé  a  été  reproduite  dans  les  OEuvres  diverses  du 
baron  de  Stassart.  La  réponse  de  Circé  y  est  également,  mais 
avec  une  variante,  et  au  lieu  d'être  datée  du  8  octobre  1814, 
elle  y  est  datée  du  2  février  1815. 

XV,  1818. 
P.  H.  Impromptu  de  Mr  A.  V. 
Cette  pièce  est  de  Legros. 

p.  19.  Ode  à  S.  A.  R.  le  prince  d'Orange,  sur  la  naissance 
de  son  fils,  duc  de  Brabant.  Par  L.  V.  Raoul. 

C'est  «  une  traduction  d'une  ode  écrite  en  latin  par  M.  Dijon, 
professeur  de  poésie  à  l'athénée  de  Tournai.  »  (Mercure  belge, 
t.  II,  1818,  p.  26.) 

Le  duc  de  Brabant,  fils  aîné  du  prince  d'Orange,  né  le 
19  février  1817,  est  le  roi  Guillaume  III  des  Pays-Bas. 

p.  46.  A  M®"6  Hugo  de  Raveschot,  après  avoir  lu  son  Epître 
à  Lucile. 

Cette  pièce  signée  :  Mme  N***  est  de  Legros. 

p.  61.  Le  lièvre  et  ses  amis.  Fable.  Par  Gaussoin. 

«  C'était  bien  la  peine  de  défigurer  une  des  plus  jolies  fables 
de  Florian  (la  7m6  du  livre  III).  »  Note  manuscrite  du  baron  de 
Stassart. 

p.  93.  Les  adieux  du  poète  à  sa  lampe.  Elégie.  Par  Quetelet 

Cette  pièce  se  trouve  dans  les  Annales  belgiques,  2e  livraison 
du  1. 1, 1818. 


(SI  ) 

p.  115.  Adieux  à  mon  ami  Monsieur  H.  Par  Prenninger. 
H.  désigne  Hubin.  L.,  vers  3,  est  Legros. 

XVI,  1819. 

P.  10.  Epître  à  Monsieur  le  vicomte  Le  Prévôt  dirai.  Par 
le  baron  de  Stassart. 

Cette  épître  a  été  reproduite  avec  quelques  changements 
dans  les  OEuvres  diverses,  p.  137.  Elle  y  est  suivie  de  la  réponse 
de  M.  Le  Prévôt. 

XVII,  1820. 

P.  49.  La  veillée  des  Bardes.  Par  Quetelet. 

Cette  pièce  se  trouve  aussi  dans  les  Annales  belgiques, 
in  livraison  du  t.  1,  1818. 

p.  83.  Fragment  d'un  poème  intitulé  :  Le  Parc  de  Bruxelles. 
Par  C.  A.  Delemer. 

Un  autre  fragment  du  même  poème  parut  sous  le  titre  : 
Début  d'un  poème  intitulé  :  Le  Parc  de  Bruxelles,  dans  le 
Mercure  belge,  t.  X,  30  avril  1821. 

XVIII,  1821. 
71.  Épître  à  un  ami.  Par  J.  H.  Hubin. 
A  la  page  73,  au  vers  :  «  car  nous  avons  pour  secrétaire  »,  il 
faut  substituer  les  deux  vers  : 

«  Car  je  suis  d'un  corps  littéraire 
»  Où  nous  avons  pour  secrétaire  » 

XIX,  1822. 

P.  78.  Fragment  d'une  épître  à  M.  X.,  qui  avait  un  peu 
médit  de  la  Belgique.  Par  le  baron  de  ReifFénberg. 

L'épître  entière  est  dans  le  Mercure  belge,  t.  X,  28  février 
1821 ,  avec  le  titre  :  «  Réponse  de  M.  Y  à  M.  X.  Le  10  janvier  de 
l'an  de  grâce  1821.  » 

La  satyre  de  M.  X.  —  Charles  Froment  —  dirigée  principa- 
lement contre  les  membres  de  la  Société  de  littérature,  avait 
paru  en  partie  dans  le  Mercure  belge,  t.  X,  18  janvier  1821,  et 
avait  été  qualifiée  de  libelle  par  M.  Dewez,  quoique,  selon 
Quetelet  (notice  sur  de  ReifFenberg),  ce  fût  «  une  plaisanterie 
plutôt  qu'une  méchanceté.  » 

p.  102.  Le  traducteur  de  l'Ode  à  Orion  est  M.  Quetelet. 

p.  118.  Épître  à  mon  ami  Quetelet.  Par  le  baron  de 
Reiffenberg. 


1 


(82  ). 

Cette  épître  a  été  reproduite  dans  les  Poésies  diverses,  Paris 

1825,  in-12,  t.  11,  p.  77,  avec  les  variantes  suivantes  : 

Au  lieu  de  : 

Et  façonne  en  riant  la  flexible  baleine, 
Tandis  que  je  maudis  mon  infertile  veine  ; 

l'auteur  a  imprimé  : 

Et,  lorsque  je  maudis  mon  infertile  veine, 
Façonne,  en  souriant,  la  flexible  baleine. 

Au  lieu  de  : 

S'il. a  l'air  repoussant,  si  son  âme  est  flétrie, 

N' est-ii  pas  commis? 

Un  vers  plait  moins  encore  au  timbre  de  Battus. 
Mais  il  n'est  qu'arpenteur  et  non  pas  géomètre  ; 

l'auteur  a  imprimé  : 

S'il  a  l'air  repoussant,  si  son  âme  est  flétrie, 
N'est-ce  pas  un  commis  ?  Je  ne  puis  dire  non  ; 
Un  vers  plait  moins  encore  au  timbre  de  Trigon. 
Mais  il  n'est  qu'arpenteur,  et  n'est  pas  géomètre. 

Les  six  vers  supprimés  après  : 

Il  perdit  la  pensée  à  force  de  respect, 

sont  les  suivants  : 

Ennuyeux  par  diplôme  et  guindé  dans  sa  chaire, 
Que  le  plus  sot  aiglon  ne  prit  onc  pour  son  aire. 
Le  bonhomme  depuis  rêve  qu'il  t'a  formé  : 
A  cette  illusion  il  s'est  accoutumé  ; 
Je  prétends  le  forcer  enfin  à  se  connaître  ; 
S'il  fut  ton  professeur,  il  ne  fut  pas  ton  maître. 

Quetelet  n'est  désigné  que  par  l'initiale  Q**\ 

XX,  1823. 

P.  65.  Aux  mânes  d'un  objet  chéri.  Elégie.  Par  J.  B.  Vautier. 

Cette  pièce  avait  paru  dans  le  Mercure  belge,  t.  X, 
15  décembre  1820. 

p.  148.  Fragment  du  Siège  de  Corinthe. 

Imitation  de  Lord  Byron,  faite  en  commun  par  Quetelet  et 
Ch.  Froment. 


TABLE  ALPHABETIQUE  DES  AUTEURS, 


AVEC  L'INDICATION  DES  VOLUMES  DANS  LESQUELS  ON  TROUVE  LEURS  ÉCRITS. 


Alvin  (F.  J.),  XIX. 
Arbeltier(T.),XVII-XVIII. 
Augier  (Victor),  XII-XIII-XIV-XVI. 

B...,  i-vi-vii-viii. 

Barré  (Louis),  XX. 

Bassenge,  aine,  IX-XI. 

Benau  (P.),  X. 

Bergeron  tP.),  XX. 

Biourge  (Louis  ,  IV. 

Blanfart(P.),  III-IV-V-VI-V1II-X-XI- 

XII-XIII. 
Boilleau,  IX-X-XII-XIII-XIX. 
Bourcier  (J.  B.),  XIX-XX. 

Ci.**,  lA. 

César-Auguste,  XII. 
Chaix,  XIII. 
Glayareau,  XX. 
Colbert(Jos.),  MI-III-XI. 
Comhaire,  aine  (M.  N.>,  VII-VIII-IX- 

X-XI-XII-  XIII  -XIV-XV-XVI  -XVII- 

XVIII-XIX. 
Coomans  <J.  J.),  XV-XVI. 
Cornelissen  (N.),  XIV. 
Couret  de  Villeneuve,  III. 
Crivelli  (J.  L.),  XIX. 

D...,  IX-X. 

Df  Alissac,  X-XII-XIV. 

Darcis,  VI. 


Degamond  (Charles»,  IV. 
Degamond  (P.  J.>,  I-V-VII. 
Dehulstere  (P.),  I-ffl-IV-V-VII-VIH- 

IX-X-XI-XII-XIH-XIV-XV. 
De  Labouisse  (Aug.),  XI-XII-XVI. 
DelannoyiA.t,  I-II-III. 
Delcroix  (F  >,  XVI-XVII-XVIII-XIX. 
Delemer,  XVII-XVIII-XIX-XX. 
D.  L.  -  De  Lormel  ■,  II-IIMV-V-VI-VII- 

IX. 
D.  M...  (Madame^,  VII. 
De  Posson  de  chevalier),  XIV. 
De  R.  (J.  R),  XI. 
De  Reiffenberg  (le  baron  F.),  XV- 

XVIII-XIX-XX. 
De   Roest   d'Alkemade   de  baron 

Théodore»,    XIV-XV-XVI-XVTI- 

XVIII-XIX-XX. 
De  Stassart  (le  baron  Goswin\  II- 

IIMV-VI-VII-IX-X-XI-XII-XIII-XIV- 

XV-XVI-XVII-XVIII-XX. 
De  Trappe,  le  baron>,  VII-VIIMXX- 

XI-XIII-XIV-XV-XVI-XVII-XVIII. 
D.  V.,  III. 

De  Valeriola  'G.  F.?,  IV. 
Dumas,  XIX. 
Dupont  Aimé\  XIX. 
Dupuy  (¥\  XIX. 
Dutrieu  (Clément,  XI-XII-XIII-XIV- 

XV-XVI-XVII-XIX. 


(84) 


Dutrieu   de   Terdonck   île  baron 
Charles),  XII,  XIII. 


El.**,  A* 

Edouard 
XX. 


•  •« 


VI-VII-VIII-IX-X-XI- 


Ferrary  (J.),  X-XI-XII-XIV. 
Fothergill  (Thomas),  VIII. 
Froment  (Ch.),  XVII-XVIII-XX. 

Gaussoin  XV-XVI-XVII. 
Gautier  (J.),  XII-XIII-XIV. 
Gensoul  (Justin'.,  XII-XVI. 
Gigot  (Ph.),  XIV-XV-XVI. 
Giraudy  (Romains  XII-XIII-XIX. 
Grétry,  aine,  XIX. 
Gruyer  (Louis),  IV. 
Guérin  de  docteur;,  XI. 
Guérin  (J.),  XI. 

H[illemach]er,  IV-VI-XIV-XV-XVI. 
HubiniJ.  H.),  II - III -IV -V- VI -VII- 

VIII-IX-X-XI-XII-XIH-XIV-XV- 

XVI-XVII-XVIII-XIX-XX. 
Hugo  deRaveschot(Meue),XII-XIII- 

XIV-XV-XVI-XVII-XV1II-XIX-XX. 

<#•••,  Al. 

Jouy  (V.),  II-III-IV-IX-X-XI-XII-XIV- 

XV-XVI-XIX. 
Kraane  (J.  H.»,  XIII-XIX. 

L...  (A.),  XIX. 

Lacroix  (Jean-Pascal*,  XIX. 

Latour,  XX. 

Lebroquy  (P.),  XX. 

Lecocq  (L.  J.),  XV-XVI-XVII-XVIII. 

Lefèvre  (J.  J.),  XIV-XV-XVII. 

Leglay(A.  J.  G.>,  XIX. 

Legros (S),  XIV-XV-XVI-XVII-XIX. 

Le  Prévôt  d'Irai,  XIII-XIX. 


Lesbroussart  (Ph.),  I-II-ffl-lV-V-VI- 

vii-viii-ix-x-xi-xii-xin-xiv-xv- 

XX. 
Lespirt,  XVII-XVIII. 
Liegeard  (G.-B.),  V-VI-VII-VIIMX- 

XI-XII. 

Lignan  (M»e),  XII-XIII. 

Ligne  (le  maréchal  prince  de),  XIV. 

Lignian  (J.),  XI. 

M...,  III-VIIHX. 
Hagalon,  XIV. 

Maleckde  Werthenfeld(A  ),XIV-XVL 
Malingreau  (C),  XÎ-XIV. 
Marchai  (J.),  HV. 
Marie-Dumesnil,  XIX-XX. 
Masson,  IV-V. 
Masson-Regnier,  IV. 
M[erc]x  'Louis),  MI-III. 
M.  M.,  III. 

Morel  «Hyacinthe),    X-XI-XII-XHI- 
XVI-XIX-XX. 

N...,  VIII-X. 
NegrelJF.),  XIII. 
Nogaret  (Félix),  XII-XIII. 

Offhuys,  XIV-XV-XVI. 
O'Sullivan  (Alphonse),  XVU-XVUI- 
XX. 

Pauzelle  <  Gigot),  IV-V-VII-VUI-IX-X- 

XI-XII-XIII. 
Picard  (J.  B.),  XIH-XIV. 
Piot,  XIII. 
Pire  iJ.  F.  A.),  XVI-XVU-XVIH-X1X- 

XX. 
Prenninger,  XIV-XV-XVI-XVH. 
Pro"*,  VIII. 

Quetelet  (Ad.),  XV-XVII-XVI11-XIX- 
XX. 


(  «S  ) 


H*.»,  Ia-X. 

Raoul  iL.  V),  XV-XVI-XIX. 
Renn...,  XI. 
Revoil,  XII. 
Richard,  X. 

Roelants,  VIII-X-X1-XII-XX. 
Roucher,  XV. 

Rouveroy  (Frédéric),  X-XI-XII-XIII- 
XIV-XV-XVI-XVII-XVIII-XIX-XX. 
Rozin,  MI. 

S...(J.',XII. 

S[chavye],  aînée  (M«"e>,  XII. 

Sauwerthera-Raedemaeker,  III. 

Schlim,  XX. 

Smits(Éd.),  XVIII-XX. 

Stevens  (N.  J.),  XV-XVI-XVII-XVIII. 

S.  U.  T.,  VI.  ' 


TinetX.»,  XI-XII. 

V •  ».  (A.  ,  A V • 

V.  d.C.(F),  I. 

Van  Bemmel  (C.  M.  P.).  IV-VI-VU- 

VIII-IX-XI-XII-XIII-XIV. 
Vandenzande  B.),  II. 
Vandenzande  F.),  I- II -III -IV- VII- 

VIII-XIX-XX. 
Vandereden  (M^»,  X.' 
Van  Ertborn  <le  baron),  XV. 
Vautier  (J.  B.  D  -,  XV-XVI-XVII-XX. 
Vidal  P.C.sI-II-III-IV-V-VI-VII-XI. 
Violet  d'Epagny  XV-XVI. 

Wallez(J.»,  X. 
Willmar,  XV-XVI-XIX. 


DICTIONNAIRE  BIOGRAPHIQUE 


ALVIN,  François-Joseph.  —  Direc- 
teur du  collège  de  Nivelles, 
né  en  1763,  avril  95,  Beauvais, 
mort  en  1838,  novembre  6,  Liège. 

ARBELTIER,  T.  —  Professeur  du 
cours  de  belles-lettres  à  l'École  centrale 
du  département  des  Deux-Nèlhes,  avocat 
à  Anvers, 

né  en Langres, 

mort  en 

AUGIER,  Victor.— Avocat  à  Valence, 
a  la  cour  royale  de  Paris,  aux  conseils 
«lu  roi  et  à  la  cour  de  cassation, 
né  en  1799,  juillet  96,  Valence, 
mort  en 

BARAFIN,  Pierre-Paul-Joseph.  — 
Greffier  de  la  justice  de  paix  du  canton 
de  Woluwe-Saint- Etienne  (4817),  audi- 
teur militaire  à  Gand, 

né  en  1774,  juillet  M,  Bruxelles, 

mort  vers  1841,  Bruxelles. 

BARRÉ,  Louis  —  Professeur  au  col- 
lège d'Audenaerde  (1832), 

né  en  1799 Lille, 

mort  en  1857,  février  18 

B  AS  SEN  G  E,  Je  an- Nicolas.— Membre 
du  conseil  des  cinq-cents,  du  corps  lé- 
gislatif bibliothécaire  municipal  à  Liège, 
né  en  1758,  novembre  94,  Liège, 
mort  en  1811,  juillet  16,  Liège. 

BEEKMAN,  le  baron  de  —  Ancien 
auditeur  au  conseil  d'État  de  l'empire 


français,  conseiller  d'État  du   roi  des 
Pays-Bas,  gouverneur  du  Hainaut, 

né  en 

mort  en 

BENAU,  Pierre.  —  Lexicographe  et 
poète, 
né  en  1779,  février  14,  Gand, 
mort  en  1815,  novembre  4,  Gand. 

BERGERON,  Pierre.  —  Professeur 
au  collège  d'Audenaerde,  à  l'athénée  de 
Bruges,  au  collège  de  Charleroi,  etc., 
né  en  1787,  novembre  3,  Paris, 
mort  en  1855,  janvier  16,  Bruxelles. 

BEYENS,  cadet,  Jean- Baptiste.  — 
Avocat  à  Gand,  professeur  de  législation 
à  l'École  centrale  du  département  de 
l'Escaut,  avocat  à  Bruxelles, 

né  vers  1769 Deynze, 

mort  en  1897     ....    Bruxelles. 

BIOURGE,  Louis, 

né  en 

mort  en 

BLANFART,  Pierre.  —  Professeur 
au  collège  de  Nivelles, 

né  en Bruxelles, 

mort  en 

BOILLEAU,  Henri  Gauldrée  de.  — 
Marquis  de  la  Caze.  —  Commissaire 
ordinateur  à  Berlin, membre  de  la  cham- 
bre des  députés, 

né  en 

mort  en 


(88) 


B0URC1ER,  Jeax-Baptiste.  -  Poète 
français  établi  en  Belgique, 

né  en 

mort  en 

BOTTE.  —  Professeur  de  belles- 
lettres  à  l'École  centrale  du  département 
de  l'Escaut, 


ne  en. 
mort  en 


CHAIX, 
né  en. 
mort  en 


CHRISTIAN,  Gérard-Joseph.— Pro- 
fesseur au  lycée  de  Bruxelles, 
né  en  1776,  novembre,  Ver  Tien, 
mort  en  183»,  jain  18,  Argenteail,  près  Paris. 

CLAVAREAU,  Antoink-Joseph-Théo- 
dobe-Auguste.  —  Vérificateur  à  l'admi- 
nistration des  contributions,  à  Mods, 
né  en  1787,  sept.  17,  Luxembourg, 
mort  en  1864,  mars  5,  Maestricht. 

COLBERT,    Hitbert-Joseph-Emma- 
nuel.  —  Commis  greffier  à  la  cour  supé- 
rieure de  justice  de  Bruxelles, 
né  en  1774    .     .     .     .    Anvers, 
mort  en  1833,  juillet  31,  Bruxelles. 

COMHA1RE,  Mathieu-Nicolas.  — 
Ancien  pharmacien,  à  Liège, 
né  en  1771,  octobre  3,  Liège, 
mort  en  1830,  mars  17,  Liège. 

COOMANS,  Josse-Joseph.  —  Inspec- 
teur de  l'enregistrement  et  des  domaines, 
né  en  1787,  avril  H,  Bruxellea, 
mort  en  1868,  janvier  4,  Sehaerbeek. 

CORNELISSEN,  Égide-Norbert.  — 
Secrétaire-inspecteur  de  l'Université  de 
Gand, 
né  en  i7t>9,  juillet  1*,  Anvers, 
mort  en  1849,  juillet  31,  Gand. 

COURËT  DE  VILLENEUVE,  Louis- 
Pierre.  -    Professeur  de  grammaire 


géuérale  à  l'École  centrale  du  départe- 
ment de  l'Escaut. 
né  en  1749,  juin  49,  Orléans, 
mort  en  1806,  janvier  10,  Gand. 

CRIVELLI,J.-L.  -  Avoué  à  Avignon, 
avocat  a  Nismes  et  ensuite  a  Paris, 

né  vers  1765 Aviguoa, 

mort  en 

D'ALISSAC,  Clêmeht-Joseph-Pays. 

—  Rédacteur  en  chef  à  l'administration 
centrale  des  droits  réunis,  à  Paris, 

né  en  17*6,  juin,  Valreas, 
mort  en  1840,  mai  31,  Bavoaue. 

DARCIS, 

né  en 

mort  en 

DE  BAST,  Lievin-Arnakd-Marir.  — 
Orfèvre-ciseleur,  graveur  en  taille  de 
burin  sur  cuivre  et  sur  médailles, 
né  en  1787,  mars  1,  Gand, 
mort  en  1831,  septembre  l0,Ganë. 

DE   CHENEDOLLÉ,  Joseph-Louis- 
Charles-Auguste.  —   Professeur   au 
collège  de  Liège, 
né  en  1797,  novembre  16,  Hambourg, 
mort  en  1862,  février  11,  Bruxelles. 

DEGAMOND,    Charles-Alexahb*ïl 

—  Docteur  en  médecine, 

né  en  1780,  juin  17 

mort  en  1863,  janv.  8,  Ie]enbttk-St4sma. 

DEGAMOND,  Pierre- Joseph.  — 
Avoué  à  Bruxelles,  conseiller  à  la  cour 
supérieure  de  justice, 

né  en  1779,  février  3,  Bruxelles, 
mort  en  1835,  avril  16,  Ixelles. 

DE  GASPAR1N,  le  comte  Adriek- 
Étienne-Pierre.  —  Préfet  de  différents 
départements, 

né  en  1783,  juin  19,  Orange, 
mort  en  1861,  septembre  7,  Orange. 

DEHULSTERE,  Pierre.  —  Homme 
de  lettres  à  Bruxelles, 

né  en  1780 

mort  en  1839,  janvier  10, 


(59) 


DE  LAB0U1SSE,  Jean-Pierre-Jac- 
ques-Auguste. -  Employé  des  finan- 
ces, 

né  en  1778,  juillet  4,  Saverdun, 
mort  en  1859,  fév.  99,  Castelnaudary. 

DELANNOY,  A.  —  Homme  de  lettres 
à  Bruxelles, 

né  en 

mort  en 

DELCROIX,  Fidèle -Marie -Joseph. 
—  Receveur  municipal  à  Cambrai, 
né  en  1700,  oc  t.  19,  Careuci,  près  lrras, 
mort  en  1843,  août  6,  Paris. 

DELEMER,  Charles -Adolphe.  — 
Fondeur  en  caractères,  imprimeur  à 
Bruxelles, 

né  en  1799,  septembre  li,  Marseille, 
mort  en  1899,mai9t,Saint-jQœ-tcn-NoQde. 

DE  LORMEL.  —  Inspecteur  des  con- 
tributions du  département  de  la  Dyle, 
directeur  du  domaine, 

né  en .     .         

mort  en -.,... 

DE  POSSON,  le  chevalier, 

né  en 

mort  en 


DE  REIFFENBERG,  le  baron  Fré- 
déric —  Régent  de  troisième  à  l'athénée 
de  Bruxelles,  professeur  à  l'Université 
de  Louvain, 

né  en  1795,  novembre  14,  Mons, 
mort  en  f  850,avr.i8,  $aint-JwM-t«n-ltoode. 

DE  ROEST  D'ALKEMADE,  le  baron 
Théodore, 

né  en 

mort  en 

DESCHEPPERE,  Louis  -Joseph  -Du- 
pljcb.  —  Substitut  du  procureur  du  roi, 
à  Bruxelles, 

ne  en  1781,  décembre  90,  Bruxelles, 
mort  en  1840,  avril  9,  Bruxelles. 

DE  STASSART,  le  baron   Goswra- 


Joseph  -  Augustin.  —  Sous  -  préfet  d'O- 
range, préfet  de  Vaucluse,  des  Bouches- 
de-Ia  Meuse  (La  Haye),  membre  des  États 
Généraux, 
né  en  1780,  septembre  9,  Matines, 
mort  en  1858,  octobre  10,  Bruxelles. 

DESTRIVEAUX,  Pierre- Joseph  — 
Avocat  à  Liège,  professeur  à  l'Univer- 
sité, 
né  en  1780,  mars  13,  Liège, 
mort  en  1853,  février  13,  Scbaerbeek. 

DE  TRAPPE,  le  baron  Herman, 

né  en  1760, Liège, 

mort  en  1830 

DE  VALER10LA,  G.-F., 

né  en 

mort  en 

DEWEZ,  Louis  -  Dieuoonné  -  Joseph, 

—  Inspecteur  des  atbénées  et  collèges, 
né  en  1760,  janvier  4,  Namur, 

mort  en  1834,  octobre  96,  Bruxelles. 

DHAEYERE.  -  Chef  de  pension  à 
Thielt, 

né  en 

mort  en 

DONCKER,  Philippe-Franç.-Joseph. 

—  Avocat  à  Bruxelles, 

né  en  1773,  septembre  13,  Tournai, 
mort  en  1834,  février  19,  Bruxelles. 

DUMAS,  Jean-Baptiste.  —  Chef  de 
division  à  la  préfecture  du  Rhône, 
né  en  1777,  novembre  19,  Lyon, 
mort  en 

DUPONT,  Aimé.  -  Officier  du  génie, 

attaché  en  4824  à  la  place  de  Cambrai, 

né  en  1791,      ....     Maastricht, 

mort  en 

DUPUY,  François.  -  Avocat-avoué 
à  Avignon,  établi  à  Paris  vers  4833, 
né  vers  1775,       ....    Avignon, 
mort  en  ..." 


(  60  ) 


DUTRIEU,  Clément  -  Joseph  -  Marie- 
Ghislain.  —  Avocat  à  Bruxelles, 
né  en  1786,  novembre  17,  Matines, 
mort  en  1830,  juillet  26 

DUTRIEU  DE  TERDONCK,  le  baron 
Char  les -Augustin -Jean.  —  Avocat  à 
Matines, 
né  en  1790,  septembre  9,  Matinée, 
mort  en  1861,  janvier  15,  Matines. 

FERRARY,  J.  —  Receveur  à  Ever- 
ghem, 

né  en 

mort  en 

FOTHERGILL,  Thomas, 

né  en 

mort  en 

FROMENT,  Charles.  —  Homme  de 
lettres, 
né  en  1797,  janv.  13,  Douriers,  près  Abbeville, 
mort  en  1846,  juin  22,  Taiemmes,  près  Lille. 

GAUSSOIN.  -  Professeur  à  l'athénée 
de  Bruxelles, 

né  en 

mort  en 

GAUTIER,  J., 

né  en 

mort  en 

GENSOl'L,  Marie- Alexis-Justin.  — 
Sous-chef  de  bureau  à  l'administration 
des  postes,  à  Paris, 

né  en  1181,  Connanx,  près  Bagnols,  en  Langaedoe. 

mort  en 

GIGOT,  Mathieu  -  François  -  Abei- 
lard-Pm lippe.  — Professeur  de  belles- 
lettres  à  Bruxelles, 
né  en  1793,  novembre  7,  Bruxelles, 
mort  en  1819,  juillet  14,  Bruxelles. 

G1RAUDY,  J.  Rohain.  —  Juge  sup- 
pléant, avoué  i  Orange, 


ne  en. 
mort  en 


GRÉTRY,  aîné, 
né  en .  .  .  . 
mort  en  .    .    . 


GRUYER,  Louis.  —  Vérificateur  et 
ensuite  inspecteur  des  douanes, 

né  en  1778,  novembre  15,  Bruxelles, 
mort  en  1866,  octobre  15,  Bruxelles. 

GUÉRIN,  le  docteur  Joseph- Xayiek- 
Benezbt.  —  Professeur  de  physique  et 
de  botanique  à  l'École  centrale  de  Vai- 
cluse  (Avignon),  au  collège  royal,  méde- 
cin à  l'hôpital  militaire,  professeur  de 
médecine  pratique, 

né  en  1775,  août  4,  Avignon, 

mort  vers  1850 

GUÉRIN,  J., 

né  en 

mort  en 


HILLEMACBER,  J.-C.—  Directeurde 
la  compagnie  des  quatre  canaux,  à  Paris, 

né  en 

mort  en .    .    .    . 

BUB1N,  Jean-Hubert.  —  Agent  sol- 
liciteur à  Bruxelles, 
né  en  1764,  juillet  t6,  Huy, 
mort  en  1833,  février  I»,  Bruxelles. 

BUGO  DE  RAVESCHOT  [M**),  [M-* 
Hannon], 

née  en 

morte  en 


JOUY,  Victor- Joseph -Ëtiesnb.  — 
Chef  de  division  de  la  préfecture  de  la 
Dyle  (Bruxelles), 

né  en  1764,  septembre  *i,  Versatile», 

mort  en  1846,  septembre  4,  SuGermaiQ-en-Up> 

JULL1AN,  Pierre-Louis.  —  Homme 
de  lettres, 

néve>»1769, .     .    .    .    Montpellier, 
mort  en  I83H 

KRAANE,  J.-H.  —  Fabricant  à  Leyde, 

né  en - 

mort  en 


(  61  ) 


LACORNE.  —  Professeur  de  législa- 
tion à  l'École  centrale  du  département 
de  l'Escaut, 

né  en.     .     .    , •    . 

mort  en 

LACROIX,  Jean-Pascal.  —  Lieute- 
nant-colonel en  retraite, 

né  en  1771,  août  4,  Arles, 

mort  en  1836,  sept.  7,  à  la  ferme  des 
Angles,  commune  de  Crevecœur,  à  trois 
lieues  de  Cambrai. 

LA1SNÉ.  —  Homme  de  lettres  à  Bru- 
xelles, 

né  en 

mort  en 

LATOUR.  —  Professeur  de  belles- 
lettres  à  Liège, 


ne  en. 
mort  en 


LEBROQUY,  P.  —  Homme  de  lettres, 

né  en. 

mort  en  . 

LECOCQ,  Charles.  —  Membre  des 
États  Généraux, 

né  en 

mort  en 

LECOCQ,  Lambert- Joseph.  -   Ad- 
joint au  maire  de  Bruxelles,  en  4802, 

né  en 

mon  en 

LEFÊVRE,  Jean-Joseph.  —  Employé 
an  ministère  de  l'Intérieur, 

né  en 

mort  en  1818  on  1819 

LE  GLAY,  Akdré-Joseph-Ghislain. 

—  Docteur  en  médecine,  bibliothécaire 

de  la  ville  de  Cambrai,  archiviste  du 

département  du  Mord, 

né  en  1785,  octobre  39,  Arleux  (Nord), 

morl  en  1863,  mars  14,  Lille. 

LEGROS,  Sauveur.  —  Comédien, 


graveur,  secrétaire  du  prince  de  Ligne, 
né  en  1754,  avril  27,  Versailles, 
mort  en  1834,  mars  15,  Enghien. 

LE  PRÉVÔT  DIRAI,  le  vicomte 
Chrétien-Sihéon.  —  Professeur  aux 
Écoles  centrales  de  Fontainebleau  et  de 
Paris,  censeur  des  études  au  lycée  im- 
périal, inspecteur  général  de  l'Univer- 
sité. 

né  en  1768,  juin  13,  au  château  d'Irai, 
près  de  Mort  a  g  ne  (Normandie), 

mort  en  1M9,  septembre  15,  au  même  ehiteao. 

LESBROUSSART,  Jean-Baptiste.— 
Professeur  au  lycée  de  Bruxelles, 
né  en  1747,  janvier  M,  Dlly-SMÏeorges, 
mort  en  1818,  décembre  10,  Bruxelles. 

LESBROUSSART,  Jean- Baptiste  - 
Philippe.  —  Professeur  à  l'athénée  de 
Bruxelles, 
né  en  1781,  mars  §4,  Gand, 
mort  en  1855,  mars  4,  Ixelles. 

LESPIRT,  Joseph-  Pierre  -Olivier. 
—  Homme  de  lettres, 

né  en  1781,  août  31,  Bruxelles, 
mort  en    .    .     .    .    Termonde. 

LIEGEARD,  G.-B.  —  Secrétaire  géné- 
ral de  la  préfecture  de  l'Escaut;  ensuite 
de  la  préfecture  de  l'Ourthe, 

né  en 

mort  en . 

LIGNAN,  M™, 

née  en 

morte  en 


LIGNE,  Charlls-Joseph,  prince  de. 
-  Feld- maréchal  autrichien, 
né  en  1 735,  mai  33,  Bruxelles, 
mort  en  1814,  décembre  13,  Vienne. 

LIGMAN,J, 

né  en 

mort  en . 


(62) 


MAGALON,  Jean-Denis.  —  Homme 
de  lettres, 
né  en  1794,  juillet  «3,  Bagnol  (Gard), 
mort  vert  1840 

MALECK  DE  WERTHENFELD,  A.  - 
Percepteur  des  contributions  directes, 

né  en 

mort  en 

MALIÏSGREAU,  C.t 

né  en . 

mort  en 

MARCHAL,  le  chevalier  François- 
Joseph  -  Ferdinand.  —  Employé  par 
La  Sema  à  la  confection  du  catalogue  de 
la  bibliothèque  de  l'École  centrale  du 
département  de  la  Dyle, 

né  en  1780,  décembre  9,  Bruxelles, 
mort  en  1858,  avril  35,  Sehaerbeek. 

MARIE  DU  MESNIL,  Ange-Benjamin. 
—  Employé  supérieur  des  douanes, 
ne  en  1789,  sept.  19,  Periera  (Manche), 
mort  en  1849,  août  1,  Condé. 

MASSON.  —  Ex-professeur  de  belles- 
lettres  à  l'École  centrale  du  département 
de  Saône-el-Loire, 

né  en 

mort  en 

MASSON-REGNIER.—  Professeur  au 
lycée  de  Bruxelles, 
né  en  ... .,  Beaune  (Bourgogne), 
mort  en  1817,  janvier  24,  Bruxelles 

MERCX,  Louis.  —  Homme  de  lettres 
à  Bruxelles, 

né  en 

mort  en 

MOREL,  Melchior  -  Hyacinthe.  — 
Professeur  de  belles-lettres  à  l'École 
centrale  de  Vaucluse, 

né  en  1756,  janvier  5,  Avignon, 
mort  en  1839,  juillet  29,  Avignon. 

NEGREL,  F., 

né  en 

mort  en 


I 


NOGARET,  François-Félix.  —  Cen- 
seur dramatique, 
né  en  1740,  novembre  4,  Versatile*, 
mort  en  1851,  juin  t,  Paris. 

OFFHUYS.  —  Avocat  de  la  maison  de 
Ligne,  atant  la  révolution, 

né  en 

mort  en France. 

0SULL1VAN  DE  GRASS  DE  SÊ0- 
VAUD,  le  comte  Alphonse- Albert - 
Henri.  —  Employé  du  gouvernement  des 
Pays-Bas  avant  4890,  ministre  plénipo- 
tentiaire à  Vienne, 

né  en  1 798,  novembre  8, 

mort  en 

OUDAERT.  —  Conseiller  de  préfec- 
ture du  département  de  l'Escaut,  . 

né  en 

mort  en 

PAR.DAENS,  N  —  Vérificateur  de 
l'enregistrement  et  des  domaines  à  Mon  s, 

né  en 

mort  en 

PAUZELLE  (Gigot).  —  Contrôleur  des 
contributions  à  Bruxelles, 

né  en 

mort  en 

PERRENET, 

né  en 

mort  en . 

PICARD,  Jean-Baptiste,— Auditeur 
à  la  chambre  des  comptes, 

né  en 

mort  en 

P I0T,  N.— Juge  au  tribunal  d'Avignon, 
né  en  ...  .,  Avignon, 
mort  avant  1830,  Avignon. 

PIRE,  J.F.A.  —  Directeur  de  l'éta- 
blissement d'instruction  primaire  aui 
Minimes,  à  Bruxelles, 

né  en 

mort  en  .    .         


(63) 


PRENNÏNGER,  Joseph  —  Homme  de 
lettres, 

né  en 

mort  en 

QUETELET,  Lambert  -  Adolphe  - 
Jacques.  —  Professeur  à  l'athénée  de 
Bruxelles, 

né  en  1796,  février  92,  Gand, 
mort  en  1874,  février  17,  Bruxelles. 

RAOUL, Louis- Vincent.  -  Professeur 
a  l'Université  de  Gand, 

né  en  «870,  février  9,  Poincy,prèsluax, 
mort  en  1848,  mars  95,  Bruxelles. 

REVOIL,  Pierre-Henri.  —  Peintre, 

né  en  1776, Lyon, 

mort  en  1842,  mars  19,  Lyon. 

RICHARD, 

né  en 

mort  en 

ROELANTS,  Jean- benjamin. — Secré- 
taire de  l'Université  de  Louvain, 

né  en  1781,  septembre  5, 

mort  en 

ROUCHER,  J.-F.—  Homme  de  lettres, 
neveu  de  l'auteur  des  Mois, 

né  en 

mort  en 

ROUILLÉ,  Louis-Pierre.  —  Profes- 
seur de  belles-lettres  à  l'École  centrale 
du  département  de  la  Dyle,  professeur  à 
l'Université  de  Liège, 

né  en  I7.S7,  mars  90,  Versailles, 
mort  en  1844,  octobre  17,  Liège. 

ROUVEROY,  Frédéric.  -  Curateur 
de  l'Université  de  Liège, 

né  en  1771,  septembre  19,  Liège, 
mort  en  1850,  novembre  4,  Liège. 

ROZIN,  André.  —  Professeur  d'his- 
toire naturelle  à  l'École  centrale  du 
département  de  la  Dyle, 

né  vers  1765, Suède, 

mort  vers  1895,    .     .     .    .Saarbourg. 


SCHAVYE,  M«"«,  ainée, 

née  en 

morte  en 


SAUWERTHEM-RAEDEMAEKER, 

né  en 

mort  en 


SCHLIM.  —  Professeur  de  seconde  à 
l'athénée  de  Bruxelles, 

né  en 

mort  en  1894,  juillet  95,  Bruxelles.     . 

SMITS,  Mathieu-Edouard.  —  Secré- 
taire du  bureau  de  statistique, 
né  en  1789,  mars  19,  Bruxelles, 
mort  en  1859,  janvier  92,  Ix elles. 

STEVENS,  N.-J.   -   Employé  à   la 
chambre  des  comptes, 


ne  en . 
mort  en 


TINET,  C, 
né  en .     . 
mort  en  . 


VAN  BEMMEL,  le  baron  Charles- 
Maximilien-Philippe.  —  Professeur  au 
collège  de  Gand, 

né  en  t"78.  février  96,  Bruxelles, 
mort  en  1897,  sept.  93,  Bruxelles. 

VANDENZANDE,     Jean- Bernard  - 
Joseph.  —  Docteur  en  médecine,  profes- 
seur à  l'hôpital  civil  d'Anvers, 
né  en  t778,  juin  4,  Bruxelles, 
mort  en  1833,  juin  98,  Anvers. 

VANDENZANDE,  Lambert- Joseph- 
Ferdinand.  —  Fonctionnaire  des 
douanes  eu  France, 

né  en  1780,  mars  13,  Bruxelles, 
mort  en  1853,  avril  1,  Paris  (tatignolltt). 

VANDEREDEN,  M"«, 

née  en 

morte  en 


VAN  ERTBORN,  le   baron  Joseph- 


1 


(64) 


Charles-Emmanuel.  —  Membre  de  Ja 

chambre  des  comptes, 
né  en  1778,  novembre  Î2,  Anvers, 
mort  en  1893,  septembre  I,  La  Haye. 

VAUTIER,  Jean -Baptiste -Domi- 
nique. —  Professeur  à  l'athénée   de 
Bruxelles, 
né  en  4792,  août  14,  Dieuie, 
mort  en  1846,  février  13,  Izelles. 

VIDAL ,  Pierre-Claude.  —  Homme 
de  lettres,  ensuite  procureur  impérial  à 
Nivelles, 

né  en 

mort  en 

VIOLET  DEPAGNY, Jeak-Baptiste- 
Rose-Bonaventure, 
né  en  1787,  août  30,  Gray  (HauU-SadneJ. 
mort  en  1868,  novembre  4 


VISSCHER.  —  Contrôleur  de  la  Mon- 
naie, à  Bruxelles, 

né  en 

mort  en 


WALLEZ,  Jean-Baptiste.  —  Biblio- 
thécaire de  l'École  centrale  du  départe- 
ment de  l'Escaut, 
né  en  17*3,  février  19,  Gand, 
mort  en  1847.  septembre  tO,  Neuilly. 

W1LLHAR,  le  baron  Jeah-Pieus- 
Christine.  —  Ingénieur  du  Waterstut 
avant  1830,  ensuite  ministre  de  la  guerre 
et  ministre  plénipotentiaire  à  Berlin  et 
à  La  Haye, 
né  en  1790,  septembre  *9,  Uicmeeug, 
mort  en  1858,  janvier  S8,  La  Haye. 


APPENDICE. 


»  ...  Peu  de  personnes  possèdent  aujourd'hui  la  collection 
complète  des  Almanachs  belges  d'abord  publiés  par  la  Société 
de  littérature  de  Bruxelles,  et  qui,  après  la  suppression  de 
cette  Société,  lors  de  la  réaction  du  gouvernement  hollandais 
contre  l'usage  de  la  langue  française  en  Belgique,  fournit 
encore  deux  volumes  :  celui  de  Tannée  1825,  sorti  des  presses 
de  M.  Coché-Mommens,  alors  éditeur  du  Courrier  des  Pays-Bas, 
et  celui  de  Tannée  1836,  imprimé  chez  Tarlier.  Les  pièces  de 
ces  deux  volumes  ont  été  rassemblées  et  publiées  par  les  soins 
de  H.  Philippe  Lesbroussart  :  ce  sont  les  derniers  qui  aient 
paru  à  Bruxelles.  Une  tentative  fut  faite,  à  la  fin  de  1839,  pour 
ressusciter  cette  publication,  et  donner  ainsi  aux  littérateurs 
belges  les  moyens  de  se  produire,  moyens  moins  bien  com- 
muns alors  qu'aujourd'hui.  L'auteur  du  présent  recueil  fonda 
à  Liège  V Annuaire  de  la  littérature  et  des  beaux-arts,  destiné, 
non  seulement  à  accueillir  les  productions  de  la  Muse  belge, 
mais  encore  à  faire  connaître  les  diverses  associations  artis- 
tiques et  littéraires,  les  ouvrages  des  peintres,  des  sculpteurs, 
des  musiciens,  à  rendre  compte  des  expositions.  Un  seul  volume 
de  cet  annuaire  a  paru  :  c'est  celui  de  Tannée  1830.  Il  a  été 
imprimé  à  Liège,  chez  J.  de  Sartorius-Delaveux. 

»  Les  événements  qui  ont  séparé  la  Belgique  de  la  Hollande 
ont  interrompu  cette  publication.  » 

Ce  qui  précède  est  extrait  des  Souvenirs  de  ma  vie  littéraire, 
par.  M.  L.  Alvin.;  1  vol.  in-12  de  vu  et  250  pages;  Bruxelles, 
1813. 

m 

SJ.  Alvin  parait  avoir  ignoré  ou  oublié  que  M.  Coché-Mom- 
mens avait  fait  paraître  un  Almanach  belge  pour  Tannée  1824. 
LV^em plaire  de  la  Bibliothèque  de.  Stassart  porte  au  crayon, 
Tome  XLI.  5 


(66) 

de  la  main  du  baron  :  «  N.  B.  Ce  volume  est  complet;  il  a 
paru  sans  table  et  sans  calendrier  le  5  janvier  4824.  » 

L'Almanach  belge  pour  Tannée  1824  est  mêlé  de  vers  et  de 
prose.  Le  principal  auteur,  Ch.  Froment,  a  reproduit  tous  les 
morceaux  de  sa  composition  qui  y  figurent,  dans  ses  Poésie*, 
2  vol.,  Bruxelles,  1826. 

On  trouvera  ci-après  les  tables  de  matières  des  Almanacbs 
belges  pour  les  années  1824,  1825  et  1826,  avec  les  noms  des 
auteurs  rangés  par  ordre  alphabétique,  et  la  table  des  pièces 
de  vers  renfermées  dans  l'Annuaire  de  la  littérature  et  des 
beaux-arts  pour  Tannée  1830. 

Parmi  les  nouveaux  noms,  on  distingue  ceux  de  L.  Alvin, 
Baron,  Deltenre,  Giron,  Jobard,  Mackintosh,  Ch.  Marcellis, 
Ad.  Mathieu,  Hodave,  le  chevalier  Moyard,  Petit,  Pocholie, 
Ch.  Soudain  de  Njederwerth,  Van  de  Weyer  et  Van  Hasselt. 


ALMANACH  BELGE  POUR  L'ANNÉE  1824. 


Pages. 

B...é [Barré]  (L.). 

Les  souvenirs  du  marquis  de 
Carahas 31 

C.  V. 

A  l'occasion  de  la  mort  d'un 
franc-buveur,  connu  de  ses 
amis  sous  le  nom  de  Frère 
Jacques 43 

D...  [Dandelin?],  officier  du 
génie. 
Le  rendez-vous 122 


De  Reiffenberg,  le  baron. 
Le  passage 85 

De  Stassart,  le  baron. 

Le  fermier  et  les  chiens  de 
basse-cour.  Fable 133 

Le  lièvre,  le  lapin  et  le  fusil. 
Fable .    .  135 

E...y  Madame;  de  Gand. 
Les  amis  du  siècle.    .    .    .  120 

Edouard*". 
Chansonnette    .    .    .    •    .  KM 


(67) 


Pages. 

F. 

A  l'auteur  de  M  a  ri  us,  le  jour 
de  la  représentation  de  cette 
pièee  a  Bruxelles 40 

Épigrammes  traduites  d'0- 
wen,  poète  anglais    ....    46 

Froment,  Ch. 
Cadet  buteux  au  congrès.    .      5 
Le  claqueur.  Anecdote    .    .    14 
A  l'auteur  d'un  poème  inti- 
tulé :  L'infanticide    .    .    .    .    30 

La  toilette  de  Psvché.  Ta- 
bleau  de  M.  Paelinck.    ...    43 

Je  m'en  souviens,  je  ne  m'en 
souviens  pas.  Chanson  ...    75 
On  n'entre  plus.  Chanson    .    96 
Le  villageois  et  les  abeilles. 

Fable 98 

Le  salut  des  âmes  ....  111 
Fragment  d'une  comédie  in- 
titulée :  La  journée  d'un  sous- 
préfet  * 124 

G.  (A.).  [Auguste  Giron]. 

L'anniversaire  du  18  juin. 
Ode 36 

Traduction  de  l'ode  V  du  3« 
livre  d'Horace 52 

A  Riego 129 

Hugo  de  Raveschot,  MeU: 
Le  duel 47 


Jobard. 

Le  nouveau  Midas  . 


114 


L.[V\ 

Les  embellissements  de  Bru- 
xelles. Naïveté 45 


Lesbroussart,  Ph. 

Du  mensonge  considéré  com- 
me moyen  politique  (prose)    .    57 

Paridaens. 

Annette 54 

La  séparation 131 

Raoul,  L.  V. 
Le  poète  et  le  copiste .    .    .  116 

R...ls  [Rodants]. 
Pensées  diverses  (prose).    .    41 

Roucher. 
Les  mulets.  Fable  ....    55 
Le  grain  de  blé  et  le  quintal.  115 

Anonymes. 

Les  sots  (prose) 13 

Fragment  d'un  dictionnaire 

inédit  (prose) 15 

A  M.  Bouchardez,  poète  et 

mathématicien 20 

Le  régénérateur.  Journal  po- 
litique et  aristocratique  (prose)    21 

Monsieur   et   Madame.   Ta- 
bleau de  ménage  (prose)    .    .    33 
M.  Pelletier  (prose  et  vers)  .    40 

Variétés  f prose' 50 

L'espérance 77 

Les  carbonaril  prose) .    .    .    81 
Lettres  inédites  du  chevalier 
de  Lisle  et  du  chevalier  de  Bouf- 
flers,  au  feld-maréchal  prince 
de  Ligne  (vers  et  prose  ...    90 
Petit  dialogue  (prose  ...    99 
Lettre  du  baron  de  ***  au 

marquis  de  •** 102 

Chant  de  Tyrtée.  Traduction 

du  grec 109 

Anecdote  iprose)    ....  123 


<  Avait  paru  dans  le  vol.  XVIII. 


(68) 


ALMANACH  BELGE  POUR  L'ANNÉE  183». 


Plfff. 

A. 

L'auteur  et  sa  femme  .    .    .110 

Alvin  (Lotus),  fils. 
Chant  grec 132 

Benau  (P.),  feu. 

La  nécessité  d'aimer  avant 
tout 141 

Comhaire  (M.  N  ). 

La  cascade.  Idvlle  ....  14 

Le  projet 27 

Le  papillon 61 

Dem  ...m  {Joseph). 
L'indifférente.  Chansonnette.    63 
A  M.  le  baron  de  Stassart,  en 
lui  envoyant  mes  couplets  inti- 
tulés :  Bacchus,  Tambmir-ma- 

jor 78 

A  Flore 91 

A  mon  ami  H",  en  lui  en- 
vovant    le    dictionnaire    des 

rimes 140 

A  certain  rimailleur,  l'un  de 
mes  confrères 189 

Zte  Reiffenberg,  le  baron. 
Le  grand  bois.  Ballade    .    .  12 
Louis  de  Nassau     ....  25 
Le  ri  de  la  folle.  Ballade.    .  47 
Les  cruches  de  dame  Jacque- 
line      64 

La  harpe  de  Hoogvliet    .    .  74 

Épitaphe  d'un  suicidé.    .    .  95 


A  mon  ami  Félix  Bodin,  en 
lui  envoyant  le  champ  Frédéric-    98 

La  jalousie 102 

L'étui  restitué 108 

La  bouderie 117 

La  discrétion 123 

La  danse  au  village    ...  136 
Marie  de  Brabant.  Ballade  .  191 

A  Madame*** 198 

A  M.  Buchon,  qui  supposait 
que  je  suis  un  vieillard  ...  201 

Aux  comtesses  de  S**",  en 
leur  adressant  le  champ  Frédé- 

no  •     •■•••••••  <^«fe) 

L'étymologiste  sentimental .  209 

De  Stassart,  le  baron. 

Le  roitelet  amoureux.  Fable.     9 

Pensées  inédites  (prose;.  49-448- 

202 

Le  lion,  l'épagneul  et  le  loup. 
Fable. 45 

Les  bons  amis  et  la  mode. 
Petit  dialogue  (prose)    ...    62 

Vers  écrits   sur  l'album    de 
Mmc  Odcvaere  ......    66 

L'habit  de  Jocrisse.  Fable    .  101 

Les  moutons,  le  loup,  les 
chiens  et  le  berger.  Fable  .     .  127 

Edouard**'. 
A  un  jeune  médecin   ...     5 
A  un  vieux  buveur.    .    .    .    41 
Épitre  à  J...  B...  Dans  les 

Ardennes  * 51 


'  Avait  paru  dans  le  vol.  VI. 


(69  ) 


Conseils  à  la  jeunesse    .    .    85 
Fragment  d'une  épitre  sur  le 

bonheur 122 

Le  fat.  Anecdote  »  ....  138 
Sur  une  jarretière  ....  138 
Épitre  à  un  ami  qui  me  repro- 
chait une  infidélité  *  ....  142 

Le  changement 145 

Épitre  à  mes  soixante  ans  à 

venir  * 184 

Anacréon 191 

Boutade 206 

Le  diable.  Chanson  *  .    .    .217 

Giron  (A.), 
Francesca 233 

Hannon  (M -•),  née  Hugo  deRa- 
veschot. 

Remerciment  à  Eudore  .    .    56 
Au  docteur  C*"  en  remerci- 
ment des  soins  donnés  à  un 
ami 105 

L. 

Conseils  à  un  jeune  littéra- 
teur (prose) 210 

ij  a 

Rule  Britannia.  Traduit  de 
l'anglais  de  Thompson  ...    99 

Latour 
La  conversion.  Conte  ...    28 

Lesbroussart  (PA.). 
Le  manuel  du  vrai  royaliste.    31 
L'Héracléide 151 

M[odave],  de  Liège, 
Les  bêtes  savantes.  Fable   .    70 
Les  vœux  du  monde  pour 

l'affranchissement  des  Grecs. 


P»gf». 

S  tance  à  mettre  en  musique   .    88 

La  revue  de  la  Sauvenière 
au  printemps 221 

Mackintosh  (C.  /.). 

L'écolier  et  le  vieillard.  Apo- 
logue   22 

Les  journaux.  Poème ...    79 

Sur  la  mort  de  H.  Schlim, 
professeur  de  poésie  à  l'athé- 
née roval  de  Bruxelles  .    .    .  103 

A  Mademoiselle  ***  qui  se 
croyait  condamnée  par  les  mé- 
decins      129 

L'écureuil  et  le  chien  qui 
tourne  la  broche.  Fable .    .    .  139 

0. 

Mon  immortalité.  Chanson  .  190 
Dieu.  Imitation  de  l'ode  russe 
de  Derjavine 225 

Quetelet  (A.>. 

La  comtesse  Ide.  A  M.  Van- 
denzande 146 

Ma  nacelle.  A  M.  Falek    .    .  199 

Roacher. 

L'ours  Martin  et  l'enfant. 
Fable 59 

Rottveroy. 

La  violette  et  les  pavots. 
Fable 55 

Le  berger  et  la  jeune  fille. 
Fable 67 

L'hirondelle  et  les  vents. 
Fable 77 

Le  perdreau  domestique,  sa 
mère  et  le  dindon.  Fable    .    .  109 

L'abeille.  Fable 131 

L'homme  et  l'idole.  Fable    .  196 


1  Avait  paru  dans  le. vol.  VII. 


(70) 


Pages. 

Les  deux  enfants  et  le  cha- 
riot. Fable 219 

Soudain  de  Niederwerth  {Charles). 

Bauduin  VI.  Romance  histo- 
rique .         17 

Le  ruisseau  gelé.  Imitation 
du  hollandais  de  Tollens    .    .    93 

La  tempête.  Cantate  pastorale 
imitée  de  Métastase  ....  124 

Un  ex-officier  français. 

L'exilé  français.  Aux  Belges. 
Romance 86 


Page*. 


Van  de  Weyer  (Sylvain). 
Fragment  d'une  satyre  sur  les 


230 


43 

68 


jeunes  gens  du  jour  .    .    . 

Willmar. 
L'écolier.  Chanson .    .    . 
L'espérance.  Romance    . 

Anonymes. 

Adieux  d'un  jeune  expatrié 
français.  Romance 96 

Le  donjon  ou  la  mort  du  trou- 

badour.  Romance 107 

Essai  de  traduction  du  Siège  de 

Corinthe  par  Lord  Byron.    .  232 


ALMANACH  BELGE  POUR  L'ANNÉE  1826. 


A. 

Anniversaire  de  la  naissance 
de  S.  M.  le  roi  des  Pays-Bas, 
célébré  dans  un  village  où  le 
roi  avait  fait  bâtir  une  église  .    34 

Alvin  (Louis),  fils. 

Les  trahisons 46 

Regrets  d'une  jeune  dame 
sur  le  tombeau  d'une  amie  qui 
lui  avait  servi  de  mère  ...    49 

Profanation  des  restes  d'A- 
thènes      195 

Baron  (A.). 
Ode  sur  la  danse    .    .    . 


Bogaerls. 
L'honnête  parvenu. 


234 


208 


C.y  [Edw.]. 
Quatrain  sur  la  chute  d'un 

acteur  nommé  Bataille  ...    30 

Élégie 65 

Imitation  du  portugais    .    .    93 
La  Sera 124 

D.  (C). 

A  mon  ami  *  *  \  Au  sujet  de 
ses  vers  a  M"*  Annette  D . . .    .150 

D.  (J.). 
Aux  mânes  de  Lord  Bvron  .      5 
Le  Belge.  Chant  national.    .  127 
Vers  inscrits  sur  un  portrait 

deBoileau 156 

La  fille  soumise.  Chanson- 
nette   186 


(71  ) 


D...x(E.). 

L'hermite.  Ballade.    ...  67 

L'habile  homme     ....  76 

Contre  un  pamphlétaire  .    .  76 

Sur  la  vapeur 77 

Deltenre. 
Le  guerrier  belge  à  Moscou .    43 
Le  retour  de  l'hiver  ...    89 
Le  portrait.  Romance.    .    .  143 
Mon  éloge  ou  le  temple  de 

Momus 177 

Le  ressuscité.    .....  205 

Del... 

Pensées  de  Circé,  chienne 
célèbre 117 

De  Reiffenberg,  le  baron. 

Êpitre  d'un  parisien  à  la  sta- 
tue d'Érasme,  à  Rotterdam.    .  241 

Pour  le  portrait  du  général 
Fov 254 

De  Stassart,  le  baron. 

Épigramme 16 

Vers  pour  le  portrait  de  M.  le 

comte  de  Lascases    ....    22 
Le  paradis,  le  purgatoire  et 

l'enfer  de  l'amour 27 

Le  chien  et  le  berger.  Fable.    40 
Sur  un  intrigant  placé  sous 

la  remise 45 

Le  porc-épic.  Fable    ...    80 

De  Trappe,  le  baron. 

Première  vue  du  paradis  ter- 
restre  31 


Stances    .    . 
Chansonnette 


Pag*». 

255 
269 


•  •* 


Edouard 
Le  lit  et  la  table 


.    .  122 


F.  Uug"). 

À  mon  ami  N.  L,  de  Lille, 
condamné  correctionnellement 
pour  un  article  de  journal .    .154 

Les  regrets  du  voyageur.  Ro- 
mance à  A.  D.  W 217 

Épigramme  traduite  du  hol- 
landais de  Huygens  ....  222 

Froment  [Ch.). 
Edwin  et  Emma  *  .    .    .    .  180 
Les  ruines  de  Domartin  .    .  209 

Ipsara 259 

La  toilette  de  Psvché  *    .    .  283 

Giron  (A.). 

Sur  un  jugement  de  feuille- 
ton      88 

Hannon  (M—). 

La  violette.  Fleur  offerte  à 
une  mariée  de  dix-sept  ans    .    99 

A  deux  amies  absentes  dont 
l'une  venait  d'abandonner  un 
amant  de  trois  ans    ....  105 

J. 

Le  mouvement 91 

Logogriphe 220 

Jobard. 
Le  tonneau.  Fable  ....  253 

M[odavë\,  de  Liège. 

Pensée  de  M.  le  baron  de 
Stassart 26 

Couplets  chantés  au  banquet 
donné  à  Liège  par  les  membres 
de  la  Société  Grétrv,  à  l'occa- 


*  Avait  paru  dans  le  vol.  XVI II. 

*  A ?ait  para  dans  l'Almanach  belge  pour  l'année  i&4. 


(72) 


sion  du  jour  anniversaire  de 
la  naissance  de  leur  célèbre 

compatriote 52 

Le  tombeau.  Traduction  de 
l'allemand  de  Salis    ....    63 
Mes  regrets  ou  mes  trente 

ans 82 

Le  commérage 84 

Invitation  à  Quinkempois    .  119 
Traduction  de  la  XIIe  élégie 
du  5"c  livre  des  Tristes  d'Ovide.  151 
Sur  le  portrait  de  Delille.    .  216 

M.  A). 

La  grâce 17 

Élégie 148 

M...zes,  portugais. 
Élégie    sur    la   mort  d'un 

frère  « 264 

C'est  étonnant  *.....  268 

Mackintosh  iCh.). 
L'habit.  Fragment  ....    23 

Mathieu  (Ad.) 
Quatrain  pour  un  portrait  de 

M.  Manuel 12 

Les  deux  coqs.  Fable.     .    .  101 
Les  flatteurs,  dithvrambe  dé- 

dié  à  un  jeune  poète  .    .    .    .129 

Meerts(Ch.\ 

A  Mademoiselle  D.  ..,  en  lui 
envoyant  un  très  beau  papillon.  230 

Moyard,  le  chevalier. 

L'aumônier  du  neuvième  ré- 
giment àe  cuirassiers    .    .    .231 

0. 

Le  partage  du  monde.  Imita- 


tion  de  Schiller 125 

P. 

Les  vertus  de  Fénélon.  Ode.  270 

P.  (C). 

Éthelrède.  Romance ....  144 

Paridaens  (F.). 
L'homme  aux  expédients    .    78 

Q...  (Aug.). 
Épitre  à  un  ancien  ami   .    .  188 

Roland  {F.). 
Épitre  à  Monsieur  A.  M**"  .    36 

Rouveroy. 

L'épagneul  et  le  chien  de 
garde.  Fable 13 

L'homme  et  ses  deux  chiens. 
Fable •    9î 

La  lampe  et  le  réflecteur. 
Fable 193 

Le  médecin  et  la  sangsue. 
Fable 251 

Smits  {Éd  ). 

Romance  imitée  du  hollan- 
dais  98 

La  fiancée  d'Axia.  IVe  Hellé- 
nide 223 

Soudain  de  Niederwerlh  (CA.). 
A  madame  la  comt««  de  B...  L., 
en  la  priant  d'agréer  le  catalo- 
gue de  ses  livres  qu'elle  m'avait 
prié  de  mettre  en  ordre.    .    .  204 

Vandenzande  (F.). 
La  faveur  papale.  Conte  *    .  i*» 
La  queue  prussienne.  Con- 
te».   ..    . 267 


1  Avait  paru  dans  le  Mercure  belge,  t.  X,  31  janvier  1821. 
*  Avait  paru  dans  le  Mercure  belge,  U  X,  15  avril  1821. 
5  Avait  paru  dans  le  Mercure  belge,  t.  X,  28  février  1821. 


w 


(73) 


Van  de  Yieyer  (Sylvain). 
Il  faut  savoirdire  non  (prose).  157 

Van  HasselU André: 

Le  Rhin.  Fragment  de  tra- 
duction du  second  chant  de 
la  Nation  hollandaise  de  Hel- 
mers 19 

La  fleur  cueillie.  Imité  de 
Tollens 146 


Paget. 


W.  (A  \ 

Mort  de  Marcos  Bozzaris,  gé- 
néral des  Suliotes     ....  276 

Anonymes. 
La  belle  philanthropie.   .    .    87 
Fragment   extrait   des   Ta- 
blettes belges  (prose).    .    .    .  109 

Chanson  sur  la  condamna- 
tion de^Béranger 202 


ANNUAIRE  DE  LA  LITTÉRATURE  ET  DES  BEAUX-ARTS 

POUR  L'ANNÉE  1830. 


A  loin,  père. 

Fragment  d'une  tragédie  iné- 
dite, intitulée  :  David  Com- 
mune   ,73 

AUrin{L.). 
La  prière  de  la  femme  du 

bandit 81 

Complainte  d'une  jeune  fille.  134 
Canaris,  chant  d'un  vieillard 

grec 137 

Bogacrts. 
Stances 172 

Clavareau  {Aug.). 
Fernand  et  Élodie  ....    85 

Comhaire  (M.  N.). 
La  petite  Marguerite.  Idylle.  192 
Le  chèvre-feuille.  Idylle  .    .  209 
Encore  le  chèvre-feuille  .    .  211 


Deltcnre, 
Le  temps 144 

De  Lannoy  (Napoléon). 

Souvenirs 168 

L'automne 187 

*  *  *  Ecclésiastique  belge. 
Sur  l'exaltation  de  S.  S. .    .115 

Eisa  D.  T. 
Vœu 207 

Gravez. 
Les  épis.  Fable 158 

L.  (A.). 
Rêve  d'amour 105 

Lesbroussart  (Ph.). 

Les  adieux  d'un  ministre. 
Élégie 195 


"1 


(  74) 


Pages. 

Marcellis  (Ch.). 

Fragment  inédit  extrait  du 
7«  chant  du  poème  des  Ger- 
mains  119 

Mathieu  (A.),  de  Mons. 
Fragment  d'un  songe.  Poème.  159 

Moyard  (le  chevalier),  capitaine 
de  cavalerie. 
L'aumônier  du  régiment  *    .  155 

if. ..y  (A.). 

Le  tapis.  Chanson  envoyée 
avec  un  tapis  de  table    ...  148 

Impromptu  à  une  dame  qui 
avait  permis  à  l'auteur  de  lui 
écrire  un  mot 157 

Modave. 

L'épagneul,  le  mouton  et  le 
lapin.  Fable 150 

Le  bonheur  des  amans.  Ro- 
mance      166 

Petit  (L.). 
La  linotte  et  le  pinson.  Fable.    83 
Le  jour  et  la  bougie.  Fable .  106 
Le  jeune  cheval.  Fable    .    .  113 
Le  partage    des    animaux. 

Fable 118 


Poncin  (Ferdinand}. 

La  traque  au  loup  d'Ardenne, 
ou  la  battue.  Fragment  d'un 
poème 108 

Un  orage  en  Ardenne.  Frag- 
ment   132 

Chant  des  Hellènes     .    .    .181 

Pocholle  (A.). 

Les  hirondelles 151 

Envoi  d'une  veilleuse  ...  164 
Traduction  de  l'ode  d'Ho- 
race :  Solvitur,  l»  livre,  ode  IV.  177 

Les  femmes  de  l'exil,  par  un 
exilé 189 


V.  M. 

A  une  étrangère     .... 

Van  Hassell  (André). 

Le  jeune  malade.  Élégie  *  . 

Fragment  d'une  épitre  à  Bé- 
ranger*  

A  mon  ami  G.  V.  A.    .    .    . 

Sonnet  à  Madame  M.  .    .    . 

A  une  jeune  fille    .... 


146 

71 

110 
174 
183 
184 


Anonyme. 
L'âne  métaphysicien.  Fable'.  130 


*  Avait  paru  dans  le  recueil  de  1836  sous  le  titre  :  L'aumônier  du  neuvième  régi- 
ment de  cuirassiers. 

*  Ces  deux  pièces  avaient  été  envoyées  en  1823  a  Ph.  Lesbroussart  pour  l'Almanaeh 
poétique.  C'est  à  l'insu  de  V.  H.  qu'elles  furent  insérées  dans  le  présent  recneiL 

5  Voir  ce  qui  a  été  dit  de  cette  fable  dans  la  seconde  partie  de  ce  mémoire,  à  propos 
de  l'Almanach  pour  l'an  1806  (VI*  vol.). 


SUPPLEMENT. 


Les  deux  pièces  suivantes  ont  été  trouvées  après  que  l'auteur 
eut  présenté  son  mémoire  à  la  Classe  des  lettres. 

L'une  est  le  premier  règlement  de  la  Société  de  littérature 
de  Bruxelles,  imprimé  chez  Tutot,  rue  de  Namur,  n°  940. 
—  An  VIII. 

L'autre,  manuscrite,  donne  les  noms  des  membres  effectifs 
et  des  membres  associés  de  la  Société  :  elle  ne  porte  pas  de 
date,  mais  doit  remonter  à  l'époque  de  la  suppression  des 
Ecoles  centrales. 


I. 


Ârtibus  et  patriae. 


RÈGLEMENT 

DR 

LA  SOCIÉTÉ    DE    LITTÉRATURE 

DE   BRUXELLES. 

Article  premier.  —  Une  Société  de  littérature  est  instituée  à 
Bruxelles,  à  compter  de  ce  jour,  vingt  nivôse  an  huit. 

Art.  II.  —  Le  nombre  de  ses  membres  n'est  pas  déterminé. 

Art.  III.  —  Elle  aura  régulièrement  une  séance  par  mois, 
laquelle  se  tiendra  le  vingt.  Elle  pourra  en  avoir  de  publiques 
lorsqu'elle  le  jugera  convenable. 


(  76) 

Art.  IV.  —  Aucun  citoyen  ne  sera  aggrégé  à  la  Société, 
1°  s'il  n'y  est  connu  par  un  ouvrage  littéraire  de  sa  composi- 
tion ;  2°  s'il  n'a  été  présenté  par  un  membre,  une  séance  avant 
celle  où  l'émission  des  votes  aura  lieu;  et  3°  s'il  ne  réunit 
l'unanimité  des  suffrages. 

Art.  V.  —  Toutes  les  nominations  se  feront  en  assemblée 
générale  dûment  convoquée,  et  par  voie  du  scrutin  secret. 

Art.  VI.  —  La  Société  est  administrée  par  un  Conseil  d'ad- 
ministration, composé  du  Régulateur,  du  Trésorier  et  du 
Secrétaire.  Chacun  d'eux  est  élu  pour  un  an,  et  peut  être  indé- 
finiment réélu. 

Art.  VII.  —  Chaque  sociétaire  contribuera  aux  dépenses  de 
la  Société  pour  la  somme  et  suivant  le  mode  qu'elle  aura 
déterminés. 

Art.  VIII.  —  Chaque  membre  devant  concourir  aux  progrès 
de  l'institution,  il  sera  tenu  de  présenter  au  moins  un  ouvrage 
de  sa  composition  dans  l'espace  de  six  mois,  sinon  il  sera  censé 
n'être  plus  membre  de  la  Société. 

Art.  IX.  —  Tous  les  sociétaires  devront  se  rendre  aux  séances 
à  l'heure  déterminée.  Celui  qui  contreviendra  au  présent 
article  payera  deux  décimes  pour  une  heure  de  retard,  quatre 
décimes  pour  deux  heures,  et  six  décimes  s'il  vient  après  trois 
heures  de  retard  ou  s'il  manque  entièrement  la  séance. 

Art.  X.  —  Aucune  excuse  ne  pourra  faire  exempter  de 
l'amende. 

Art.  XI.  —  Le  produit  en  est  irrévocablement  destiné  au 
soulagement  des  indigens. 

Art.  XII.  —  Expédition  du  présent  règlement  sera  remise 
à  chaque  membre  qui  promet  de  l'observer  scrupuleusement. 

Arrêté  à  Bruxelles,  le  20  nivôse  an  8. 

Signé  :  Rozin,  Vidal,  Delannoy,  P.  Dehulstere,  Jh.  Marchai» 
Ph.  Lesbroussart,  Jos.  Colbert  et  J.-C.  Stiellemans. 

Pour  expédition  conforme, 
Vidal,  Secrétaire. 


(77  ) 


II. 


Membres  effectifs  : 


Christian,  professeur  au  lycée  de  Bruxelles. 

Colbert,  commis  greffier  au  tribunal  criminel  de  Bruxelles. 

Degamond,  l'aîné,  avoué  au  tribunal  de  première  instance 
de  Bruxelles. 

Ch.  Degamond,  son  frère,  futur  employé  des  douanes  à 
Rouen. 

Pierre  Dehulstere,  littérateur  et  rentier  à  Bruxelles. 

Deglimes,  instituteur  particulier. 

Delannoy,  homme  de  lettres  et  rentier  à  Bruxelles. 

Delormel,  inspecteur  des  contributions  du  département  de 
la  Dyle,  à  Bruxelles. 

Hubin,  homme  de  lettres  à  Bruxelles. 

Laisné,  id.  ibid. 

Lesbroussart,  père,  directeur  et  instituteur  du  collège-pen- 
sionnat d'Alost. 

Lesbroussart,  fils,  instituteur  près  du  même  établissement. 

Marchai,  homme  de  lettres  et  instituteur  particulier  à 
Bruxelles. 

Gigot-Pauzelle,  littérateur  et  contrôleur  des  contributious  à 
Bruxelles. 

Louis  Mercx,  littérateur  et  rentier  à  Bruxelles. 

Masson  -  Régnier ,  professeur  d'humanités  au  lycée  de 
Bruxelles. 

Rouillé,  professeur  au  lycée  de  Bruxelles. 

Rozin. 

Goswin  de  Stassart. 

P.-C.  Vidal. 


(  78) 
Membres  associés  : 

Blanfart,  directeur  de  l'école  secondaire  de  Nivelles. 

Botte,  ex-professeur  de  belles-lettres  à  l'Ecole  centrale  de 
Gand. 

Couret  de  Villeneuve,  ex-professeur  de  grammaire,  ibid. 

Lacorne,  jurisconsulte,  ex-professeur  de  législation,  ibid. 

Masson,  ex-professeur  de  belles-lettres  à  l'Ecole  centrale  de 
Saône-et-Loire. 

Oudaert,  conseiller  de  préfecture  du  département  de  l'Escaut 
à  Gand. 

Bernard  Vandenzande,  professeur  à  Anvers. 

F.  Vandenzande,  employé  des  douanes  à  Rouen. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages. 

Avant-propos 3 

Première  partie. 8 

Notes  de  la  première  partie  .    .  - 4i 

Seconde  partie 47 

Table  alphabétique  des  auteurs  avec  l'indication  des  volumes  dans  lesquels  on 

trouve  leurs  écrits 53 

Dictionnaire  biographique 57 

Appendice 65 

Supplément 75 


LES 


CROYANCES  RELIGIEUSES 


DES 


PREMIERS  CHINOIS, 

PAR 

Ch.  de  HARLEZ, 

MEMBRE    DE    L'ACADÉMIE. 


(Présenté  à  la  Classe  des  lettres  dans  sa  séance  du  4  juin  1888.) 


Tome  XLL 


CROYANCES  RELIGIEUSES 


DES  PREMIERS  CHINOIS  '. 


CHAPITRE  PREMIER. 


Après  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  cette  importante  question, 
il  semblerait  superflu  de  s'en  occuper  encore  et  l'on  devrait 
pouvoir  se  contenter  de  renvoyer  aux  auteurs  qui  en  ont  traité 
spécialement.  Il  n'en  est  rien  cependant,  car  le  plus  complet 
désaccord  règne  entre  ces  auteurs,  à  ce  point  que  l'on  soutient, 
avec  une  égale  assurance,  des  opinions  absolument  contradic- 
toires. 

Les  uns  avec  les  anciens  missionnaires,  sans  aller  toutefois 
aussi  loin  qu'eux,  reconnaissent  dans  les  croyances  des  pre- 
miers Chinois  un  monothéisme  bien  déterminé,  tandis  que  les 
autres  veulent  y  voir  l'athéisme,  le  matérialisme  le  plus  com- 
plet, ou  tout  au  plus  un  animisme  grossier,  l'adoration  des 

*  Nous  entendons  par  premiers  Chinois,  le  petit  groupe  des  tribus 
appelées  Bak  kia  ou  «  les  cent  familles  »  qui ,  vers  le  XXVIIIe  siècle  A.  C; 
émigrèrent  du  centre  de  l'Asie,  vinrent  s'établir  sur  le  Hoang-hô  et 
s'étendirent  de  là,  sans  plus  cesser  un  jour,  jusqu'à  ce  qu'elles  eussent 
soumis  toutes  les  populations  indigènes  du  pays  des  Fleurs,  jouant  là, 
pour  ainsi  dire,  le  rôle  des  conquérants  germaniques  en  France,  au  com- 
mencement du  moyen  âge.  La  soumission  des  races  indigènes  se  fit 
lentement,  soit  par  accession  volontaire,  soit  par  conquête,  soit  par 
assimilation. 


—  4  — 

montagnes,  des  fleuves,  des  arbres,  plus  ou  moins  personnifies 
ou  pourvus  d'un  principe  vivant. 

Fait  bien  remarquable  !  les  premiers  sont  les  sinologues  de 
profession;  les  seconds  sont  ceux  qui  étudient  les  questions 
religieuses  sans  connaissance  du  chinois. 

Nous  n'entreprendrons  pas  de  refaire  ici  l'historique  très  long 
de  cette  question;  ce  serait  étaler  une  érudition  inutile,  car 
nous  ne  voulons  nous  arrêter  qu'aux  textes  eux-mêmes. 

Nous  laissons  également  de  côté  ces  thèses  difficilement  sou- 
tenables  qui  ont  fait  de  la  religion  chinoise  un  monothéisme 
parfaitement  pur,  une  sorte  de  christianisme  anticipé,  et  de 
Confuoius,  un  prophète  du  Très-Haut,  prédisant  la  venue  du 
Messie,  sauveur  des  hommes.  C'est  là  l'œuvre  d'un  zèle  très 
louable  mais  non  secundum  scientiam.  Nous  ne  rappellerons  que 
les  faits  les  plus  récents,  et  qui  mettront  immédiatement  sous 
les  yeux  de  nos  lecteurs  l'état  présent  et  réel  de  la  question. 

Nous  avons  vu,  en  effet,  pendant  l'année  qui  vient  de  finir, 
d'un  côté  M.  le  marquis  d'Hervey-Saint-Denis,  professeur  de 
chinois  au  Collège  de  France,  soutenir  devant  l'Académie  des 
Inscriptions  la  thèse  du  monothéisme  primitif  des  Chinois,  et 
de  l'autre,  des  écrivains  de  talent,  voués  à  l'hagiographie, 
enseigner,  sans  hésitation,  que  les  premiers  Chinois  adoraient 
le  ciel  matériel  ou  la  nature  physique,  qu'ils  ont  par  après  per- 
sonnifiés et  divinisés  *. 

Citons,  entre  autres,  M.  J.  Vinson,  professeur  de  tamoul  à 

» 

l'Ecole  des  langues  orientales  de  Paris,  dont  un  tout  récent 
ouvrage  intitulé  :  Les  Religions  actuelles,  contient  textuellement 
le  passage  que  voici  (il  s'agit  du  monothéisme  chinois]  : 

«  S'il  n'y  a  point  de  Dieu  dans  le  bouddhisme,  il  n'y  en  a 
pas  davantage  dans  les  vieilles  religions  de  la  Chine...  C'est  en 
vain  que  des  théophiles  enragés  ont  voulu  prouver  le  caractère 

1  L'état  religieux  des  Chinois  dont  nous  parlons,  remontant  à  trente 
siècles  environ  avant  notre  ère,  est  considéré  comme  un  point  de  débat 
des  plus  importants  dans  les  discussions  relatives  à  l'origine  et  au  déve- 
loppement des  religions.  Aussi  se  dispute-t-on  les  vieux'Chinois  avec  la 
plus  vive  ardeur. 


—  5 


spiritualiste  et  déiste  du  confucianisme,  par  exemple.  Cela 
est  aussi  peu  fondé  que  les  allégations  des  missionnaires  sur 
l'infanticide  en  Chine  ;  une  preuve  que  les  Chinois  ne  peuvent 
qu'aimer  leurs  enfants  est  dans  l'ardeur  de  leur  culte  pour 
leurs  ancêtres,  et  dans  l'usage  touchant  qu'ils  ont  de  mettre 
des  enfants  à  la  place  des  morts  dans  les  cérémonies  domes- 
tiques*. »  (Voir  l'introduction  du  livre  de  M.  J.  Vinson,  p.  xvu  2.) 

Plus  loin,  dans  le  corps  de  l'ouvrage,  M.  Vinson  prétend 
expliquer  la  première  forme  et  l'histoire  de  la  religion  des 
premiers  Chinois. 

«  Il  y  a  eu  chez  eux  d'abord,  dit-il,  des  rêveries  du  genre  ani- 
miste :  l'objet  plaît  ou  fait  peur;  on  le  personnalise,  on 
l'anime;  bientôt  il  n'est  plus  que  la  manifestation  d'une  puis- 
sance invisible  dont  les  proportions  grandissent  avec  les 
siècles...  Plus  tard  encore  viendra  l'idée  d'un  être  suprême 
qui  résume  tout,  d'où  tout  émane...  » 

M.  Vinson  explique  ensuite  comment  la  religion  chinoise 
a  dû  se  développer.  Ce  n'étaient  d'abord  que  des  actes  intéressés, 
individuels;  puis  la  famille  ayant  été  inventée,  ce  le  principe 
d'autorité  commença  à  poindre,  le  culte  devint  d'un  intérêt 
général  :  le  père  de  famille  pria  pour  tous  les  siens  ».  Après 
cela  ce  fut  au  tour  du  prince  de  s'en  mêler. 

Les  particuliers  adoraient  les  arbres,  les  rochers,  les  fon- 
taines de  leur  domaine  patrimonial;  les  chefs  de  clans  ren- 
daient leurs  hommages  aux  montagnes,  aux  rivières,  aux 
forêts,  aux  puissances  secondaires;  l'empereur  seul  adorait  les 


1  M.  J.  Vinson  fait  erreur.  Si  les  Chinois  jadis  prenaient  un  enfant  pour 
représenter  le  mort,  c'est  qu'on  choisissait  un  petit-fils.  Le  père  devant 
se  prosterner  devant  l'image  du  mort  (son  père  à  lui),  il  eût  été  contraire 
au  respect  qu'il  se  fût  abaissé  devant  son  propre  enfant.  M.  Vinson  se 
trompe  en  outre  sur  le  caractère  et  l'étendue  de  cette  détestable  pratique, 
qui  du  reste  n'est  pas  très  ancienne. 

*  Si  le  savant  tamouliste  s'était  donné  la  peine  de  lire  mon  opuscule  : 
L'infanticide  en  Chine  d'après  les  documents  chinois,  il  aurait  sans  doute 
reconnu  avec  fi.  Darmesteter  que  l'infanticide  en  Chine  n'est  pas  une 
légende  et  il  se  serait  épargné  le  tort  et  le  regret  d'accusations  imméritées. 


_  6  — 

neuf  grandes  montagnes,  les  grands  fleuves,  la  terre  et  le  ciel. 
Le  ciel  était  déjà  devenu  le  dieu  suprême,  le  Chang-Ti,  principe 
actif  de  toute  création. 

ce  Tel  était,  dit  Fauteur  comme  conclusion,  envisagé  d'une 
façon  générale  et  sommaire,  l'état  religieux  de  la  Chine  aux 
premières  périodes  de  son  histoire.  » 

Nous  avons  rapporté  ce  passage  presque  en  entier,  afin  de 
faire  connaître  d'une  manière  complète  les  théories  que  l'on  a 
créées  pour  expliquer  l'état  de  la  religion  chinoise  aux  pre- 
miers temps  de  l'histoire.  Ce  n'est  point  ce  que  disaient  les 
Rem  usât,  les  Julien,  les  Hervey-Saint-Denis,  les  Legge  et  autres 
illustres  maîtres  ;  bien  au  contraire. 

Nous  avons  devant  nous,  comme  je  le  disais,  les  sinologues 
d'un  côté  et  les  autres  d'autre  part.  On  se  demande  ce  qui  a  pu 
déterminer  les  plus  récents  hagiographes  à  se  séparer  des  spé- 
cialistes et  à  se  croire  en  droit  de  réformer  leur  jugement.  Les 
uns  nous  le  diront  eux-mêmes  ;  ce  sont  leurs  convictions  phi- 
losophiques, la  loi  du  transformisme,  qui  les  obligent  à 
admettre  partout  des  commencements  informes  et  un  déve- 
loppement successif.  Les  autres  ont  pris  les  textes  antérieurs 
à  notre  ère  comme  un  seul  tout,  sans  distinguer  ni  les  époques 
ni  les  lieux  et,  de  la  sorte,  ont  attribué  aux  premiers  siècles  de 
la  nation  chinoise  ce  qui  n'appartient  qu'à  une  période  beau- 
coup plus  récente.  La  critique  historique  n'est  d'ailleurs  pos- 
sible qu'aux  spécialistes,  et  sans  elle  on  ne  peut  faire  rien 
de  sûr. 

Pour  nous,  nous  abordons  la  question,  parfaitement  indif- 
férent à  la  nature  de  sa  solution.  Peu  nous  importe  ce  qu'ont 
été  les  Chinois  primitifs,  quelles  croyances  ils  ont  apportées 
avec  eux  dans  V Empire  des  Fletirs.  Athées,  animistes  ou  spiri- 
tual istes,  ces  croyances  du  XXVIIIe  siècle  avant  notre  ère  ne 
peuvent  servir  à  démontrer  ou  simplement  augurer  ce  qu'ont 
pu  être  celles  des  premiers  humains.  Conclure  des  unes  aux 
autres,  c'est  réunir  par  la  force  ce  qui  est  séparé  par  un  abîme. 
Du  reste,  nous  ne  ferons  que  recueillir  les  textes,  les  réunir, 
les  exposer  dans  leur  nudité,  sans  les  solliciter  aucunement, 


—  7  — 

au  risque  de  les  fausser,  sans  chercher  à  voir  entre  les  lignes 
ce  qui  n'y  est  point,  mais  favorise  des  conceptions  subjectives 
et  des  préférences  personnelles. 

Si  je  tire  des  conclusions  précises  de  l'exposé  que  Ton  va 
lire,  c'est  qu'elles  s'imposent,  j'ose  l'affirmer,  comme  consé- 
quences directes  des  principes  énoncés  dans  les  livres  que  nous 
allons  passer  en  revue. 

Si  je  ne  renvoie  à  aucune  autorité,  c'est  d'abord  que  le  sens 
des  textes,  que  je  ne  discute  point,  est  clair  et  incontestable. 
C'est,  en  outre,  que  l'on  n'a  point  encore  considéré  la  question 
comme  je  le  fais  ici.  Trop  souvent  on  envisage  au  point  de  vue 
des  idées  reçues  parmi  nous,  ce  qui  demande  qu'on  en  fasse 
abstraction  presque  complète,  et  qu'on  s'identifie  au  sujet 
étudié. 

Nous  allons  donc  tout  simplement  mettre  sous  les  yeux  de 
nos  lecteurs  les  textes  vraiment  anciens  qui  énoncent,  soit 
directement,  soit  indirectement,  les  antiques  croyances  de  la 
race  chinoise  ;  nous  les  puiserons  aux  livres  les  plus  anciens 
et  les  plus  authentiques,  à  savoir  :  le  Shih-King,  ou  recueil  de 
poésies  populaires  du  XIIe  au  XIIIe  siècle  A.  G.,  le  Shuh-King 
ou  mémorial  historique,  le  Yih-King>  les  livres  de  Confucius  et 
de  Mencius,  et  le  Grand  Mémorial  des  Rites,  ou  Li-Ki,  dont  la 
rédaction  remonte  peut-être  seulement  au  IIIe  siècle  A.  C.,  mais 
dont  les  matériaux  appartiennent,  en  majeure  partie,  à  une 
époque  très  reculée.  Nous  rangerons  ces  textes,  autant  que 
possible,  dans  l'ordre  chronologique. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  longtemps  au  Tcheou-li  ou 
«  Rites  de  la  principauté  de  Tcheou  »,  parce  que  ceux-ci  sont 
originaires  d'un  état  particulier  dont  la  population  n'était  pas 
d'origine  chinoise.  Leur  date  est  d'ailleurs  trop  récente  pour 
qu'ils  puissent  nous  renseigner  sur  les  premiers  âges  du 
peuple  chinois.  Trop  souvent  on  a  confondu  sans  critique  les 
textes  des  âges  les  plus  divers  et  créé  des  théories  que  la  vraie 
science  ne  saurait  reconnaître. 

Les  croyances  dont  nous  nous  occuperons  ici  ont  rapport  à 
cinq  objets  différents  :  l'être  suprême  en  tant  que  Shang-Ti  et 


—  8  — 


Tien,  les  esprits;  la  nature  de  l'âme  et  sa  destinée  après  la 
mort;  la  faute  et  l'expiation  nécessaire;  le  culte  des  morts. 

Nous  commencerons  par  le  Shang-Ti  et  le  Tien.  Voyons 
successivement  ce  qu'en  disent  les  plus  anciens  livres  de  la 
Chine. 


CHAPITRE  II. 

Le  Shang-ti  et  le  Tien  dans  les  premiers  livres  chinois. 


§  1".  —  Le  Shih-King  *. 

Nous  examinerons  d'abord  le  Livre  des  Vers  plutôt  que  le 
Shuh-King,  parce  que  les  poésies  antiques  de  la  Chine  nous 
fourniront  des  matériaux  plus  importants  encore  que  le  livre 
des  Histoires.  Elles  ont,  en  outre,  l'avantage  d'avoir  date  cer- 
taine. Les  premiers  livres  du  Shuh-King  n'appartiennent  certai- 
nement pas  à  l'époque  des  faits  qu'ils  relatent.  Leur  rédacteur 
le  proclame  lui-même  dès  ses  premiers  mots.  Les  rois  Yao, 
Shun  et  Yu  sont  pour  lui  des  personnages  des  temps  antiques 
(ku);  c'est  en  scrutant  l'antiquité  2  qu'on  est  parvenu  à  rédiger 
leurs  annales  et  rappeler  leurs  faits  et  gestes.  Ici  nous  avons  des 
chants  composés  par  les  contemporains  des  rois,  des  événe- 
ments auxquels  ils  se  réfèrent.  Les  plus  anciens  sont  les  cinq 
derniers  qui  appartiennent  à  la  dynastie  des  Shang  (1766-H5Ï 
fondée  par  le  roi  Thang. 

Nous  y  voyons  mentionnés  les  sacrifices  d'hiver  et  d'automne 
sans  autre  désignation,  IV,  3.1.  A  l'ode  III  il  est  dit  que  Ti  avait 
depuis  les  temps  antiques  destiné  Thang  à  l'empire,  que  le  ciel 
envoya  une  hirondelle  déposer  l'œuf  qui  donne  naissance  au 
héros  fondateur  de  la  famille. 

1  Recueil  de  poésies  diverses,  hymnes,  odes,  élégies,  satires,  pièces 
légères  ou  erotiques,  composées  du  XVIIIe  au  VIIIe  siècle  (?)  A.  C. 
*  KH  ku. 


—  9  — 

L'ode  IV  ajoute  à  cela  que  Ti  donna  à  cette  race  un  descendant 
illustre  et  fit  paraître  la  famille  de  Shang.  La  faveur  de  Ti,  son 
mandat  ne  quitta  point  Shang,  et  Ti  honoré  par  lui  le  donna 
comme  modèle  à  toutes  les  régions.  Ainsi  il  reçut  les  faveurs 
du  ciel;  il  fut  vraiment  le  fils  du  ciel. 

Dans  la  Ve  ode,  qui  ne  paraît  pas  antérieure  à  Tan  658,  parce 
qu'elle  donne  à  King-ts'u  un  nom  que  l'histoire  ne  connaît 
point  avant  cette  époque,  le  T'ien  seul  est  mentionné;  «  il  a 
donné  le  mandat  aux  princes  féodaux,  sa  volonté,  son  numen 
est  descendu  et  a  inspecté  la  terre.  » 

On  voit  que  précédemment  le  rôle  actif  était  réservé  à  Ti  ou 
Shang-Ti,  car  l'expression  «  le  ciel  a  envoyé  une  hirondelle  » 
est  purement  poétique  et  se  rapporte  à  un  acte  apparent. 

De  même  à  l'ode  III,  2.1,  célébrant  la  naissance  du  fonda- 
teur de  la  dynastie  Shang,  le  poète  dit  que  sa  mère  marcha  sur 
la  trace  laissée  par  Ti  (§1)  ;  que  Shang-Ti  la  fortifia  (§  2),  accepta 
son  sacrifice.  Et  lorsque,  ajoute  l'auteur,  nous  présentons  nos 
offrandes,  Shang-Ti  en  agrée  l'odeur  et  s'y  complaît.  —  Du 
Tien  pas  la  moindre  mention. 

Dans  la  première  des  grandes  odes  des  royaumes  (III,  1.1) 
composée  en  l'honneur  de  Wen  Wang  *  nous  lisons  : 

«  C'est  Shang-Ti  qui  l'a  préparé  et  lui  a  donné  l'empire  au 
moment  propice;  maintenant  Wen  Wang  est  au  ciel  aux  côtés 
de  Shang-Ti  dont  les  dons  se  sont  étendus  à  la  postérité  de  ce 
saint  roi.  » 

La  dynastie  de  Shang  était  souveraine,  mais  quand  vint  le 
décret  de  Shang-Ti,  elle  devint  sujette  de  Tcheou  (4).  Ils  étaient 
les  lieutenants  de  Dieu  avant  de  perdre.l'empire  (S)  ».  Entre  ces 
phrases  hautement  significatives,  qui  établissent  nettement  le 
rôle  de  Shang-Ti  à  cette  époque,  il  est  dit  que  le  décret  céleste 
n'est  pas  constant  et  que  les  actes  du  ciel  n'ont  ni  son,  ni 
odeur  (§  3  et  6;  (sont  imperceptibles  aux  sens). 

La  seconde  ode  est  toute  semblable  quant  au  point  en  ques- 

1  Père  de  Wu-Wang  le  fondateur  de  la  dynastie  Tcheou  qui  régna 
de  1122  à  255  et  finit  comme  les  Mérovingiens  en  France. 


.—  10  — 

lion  :  «  Wu-Wang  servit  Shang-Ti  avec  humilité,  respect  et 
intelligence  (3)  et  s'assura  ainsi  de  nombreuses  bénédictions, 
sa  vertu  fut  sans  déflexion  ;  c'est  pourquoi  il  reçut  l'empire  (3). 
Quand  il  marcha  contre  Shang*,  Sh.-Ti  fut  avec  lui  (7);  »  et 
entre  ces  deux  phrases  nous  lisons  :  «  il  reçut  le  mandat  du 
Tien  ;  le  ciel  regarda  en  bas  (§  6  et  4).  » 

La  VII6  ode  commence  de  cette  manière  :  «  Grand  !  est  Shang- 
Ti,  il  regarde  le  monde  inférieur;  plein  de  majesté,  il  examine 
les  quatre  plages,  cherchant  qui  donnera  la  sécurité  au  peuple; 
il  cherche  parmi  les  différents  Etats  à  qui  il  pourra  donner  la 
puissance  suprême. . .;  il  regarde  à  l'ouest  et  trouve  là  seule- 
ment celui  qui  peut  donner  la  paix  au  peuple  (un  établissement 
sûr);  Ti  fit  changer  de  place  *  à  ce  prince  d'une  ém inente 
vertu  (§  2);  Ti  examina  son  nouvel  Etat;  Ti  éleva  cet  Etat,  éleva 
(pour  le  gouverner)  un  prince  digne  de  cette  charge.  Ainsi  fut 
le  roi  Ki  ;  Ti  lui  donna  un  cœur  bien  réglé  et  fit  grandir  la 
renommée  de  sa  vertu  (3).  —  Lorsque  le  pouvoir  vint  à  Wen- 
Wang  il  reçut  toutes  les  bénédictions  de  Ti,  elles  s'étendirent 
à  ses  descendants  (4).  » 

Ti  dit  ù  Wen-Wang  :  «  Ne  rejette  pas,  ne  t'attache  pas  à  l'une 
ou  l'autre  chose  sans  motif,  ne  sois  pas  dominé  par  les  désirs, 
arbitrairement  (o).  Ainsi  Wen-Wang  grandit  et  devint  puis- 
sant. Ti  dit  a  Wen-Wang  :  Je  suis  charmé  de  votre  intelligente 
vertu,  sans  ostentation,  ni  extravagance,  ni  variation...  con- 
forme aux  règles  de  Ti.  »  Ti  lui  dit  encore  :  «  Préparez-vous 
contre  le  pays  ennemi;  avec  vos  frères  préparez  vos  engins 
guerriers...  pour  attaquer  la  ville  de  Tsong  (7).  » 

Wen-Wang  exécuta  ces  ordres  et  s'apprêta  à  l'assaut.  Il  offrit 
le  grand  sacrifice  à  Ti  ;  il  offrit  le  sacrifice  d'entrée  en  cam- 
pagne..  .  et  détruisit  complètement  l'État  de  Tsong  (8). 

A  côté  de  ces  expressions  si  explicites  et  caractéristiques,  on 


1  Le  tyran  Sheou,  le  dernier  des  Shangs,  monstre  à  face  humaine  que 
Wu  détrôna. 

*  Allusion  à  rétablissement  à  Tcheou  du  prince  Ki,  ancêtre  des  princes 
de  Tcheou  dont  Wen  et  Wu  furent  les  descendants. 


—  H  — 

trouve  deux  fois  dans  les  odes  de  cette  décade  la  mention  vague 
des  bénédictions  célestes. 

La  décade  suivante  a  les  mêmes  caractères. 

La  lre  ode  revient  aux  origines  de  la  dynastie  Tcheou  et  à 
son  premier  ancêtre  ;  après  avoir  rappelé  que  la  mère  de  ce 
prince  conçut  après  avoir  marché  sur  la  trace  laissée  par  Ti 
(III,  2.1.1),  elle  dit  que  Ti  la  fortifia,  accepta  ses  offrandes  et 
qu'ainsi  elle  enfanta  aisément,  etc. 

La  Xe  ode  est  une  élégie  sur  la  calamité  du  temps.  Sa  pre- 
mière strophe  commence  par  ces  mots  :  «  Shang-Ti  a  renversé 
(l'ordre  de  la  providence  jusqu'ici  favorable)  et  le  petit  peuple 
périt  de  misère.  »  Puis  les  autres  strophes  portent  ces  expres- 
sions :  «  Les  régions  du  Tien  (Tien  tchi  fang)  sont  pleines  de 
calamités,  d'oppression,  de  témoignage  de  colère  ;  craignez  ces 
changements  et  sa  colère.  L'éclat  du  Tien  éclaire  vos  pas,  vos 
actes  de  licence  et  de  négligence  ».  Ceci  date  du  IXe  siècle, 
époque  du  roi  Li  (878-827). 

La  troisième  décade  contient  toutes  les  mêmes  idées. 

Ire  ode,  str.  1.  Immense,  immense  est  Shang-Ti,  le  souve- 
rain des  peuples  d'ici-bas.  Majestueux,  terrible  est  Shang-Ti  ! 
Ses  décrets  sont  pleins  d'avertissements,  de  châtiments.  La 
nature  céleste  comprend  tous  les  hommes;  mais  son  maintien 
n'est  pas  sûr.  Tout  a  un  bon  commencement;  mais  peu  savent 
atteindre  la  fin  (1).  Et  Wen-Wang  dit  au  roi  Shang  t  :  «  Sans 
Ti  il  n'y  a  point  de  temps,  d'événement.  Mais  c'est  Shang  (qui 
s'est  attiré  ces  calamités)  en  ne  se  conformant  pas  aux  maximes 
et  exemples  antiques  (7).  » 

A  l'ode  IV  nous  voyons  le  roi  Siuen  (827-781)  se  plaindre  des 
calamités  qui  accablent  ses  Etats  et  ses  peuples  "1.  Cependant, 
dit-il,  il  n'est  pas  d'esprit  que  je  n'aie  invoqué;  Shang-Ti  ne 
s'abaisse  pas  vers  nous  ;  l'auguste  et  céleste  Shang-Ti  ne  nous 
délivre  pas  (3);  donne-nous  la  faculté  d'échapper  à  ces  maux; 
mais  l'auguste  et  céleste  Shang-Ti  ne  nous  regarde  pas.  Cepen- 


Le  tyran  Sheou,  dernier  des  Shangs  (voir  p.  10,  note  1). 
Il  s'agit  de  sécheresses  persistantes. 


—  12  — 

dant  j'ai  révéré  les  esprits  ;  il  conviendrait  de  ne  point  être 
irrité,  indisposé  contre  moi  (6).  Mes  regards  se  portent  vers  le 
ciel;  quand  obtiendrai-je  le  bonheur? 

Les  autres  odes  mentionnent  trois  ou  quatre  fois  la  faveur, 
Téclat  du  Tien  qui  regarde  la  terre  et  les  rois  (6.1)  ou  fait 
descendre  les  calamités  (3.7;  10.1.5  et  6;  11.1.2). 

Le  livre  IV  contient  des  odes  sacrificielles  appartenant  à  dif- 
férents royaumes  feudataires;  la  première  décade  appartient 
aux  Tcheous  qui  possédaient  l'empire.  L'ode  IX  porte  que 
Wuh  W.,  Tching  W.  et  K'eng  W.  ont  été  sacrés  rois  par 
Shang-Ti  (Shang-Ti  shi  hoang). 

La  X°  consacrée  à  Heou-tsih  *  lui  dit  qu'il  a  su  égaler  le  ciel, 
en  donnant  au  peuple  les  grains  qui  le  nourrissent  et  que 
Shang-Ti  a  destinés  et  fait  croître  pour  nourrir  les  hommes. 
Les  autres  rappellent  la  majesté  du  T'ien  (8.2),  le  décret  du 
T'ien  (7.2;  2.1)  et  contiennent  cette  phrase  significative  :  «  J'ai 
apporté  mes  offrandes,  un  bélier  et  un  taureau,  le  T'ien  * 
m'assiste  dans  cette  offrande  (Tien  khi  tso  tchï).  » 

Dans  la  deuxième  décade,  également  des  Tcheous,  nous  trou- 
vons ces  mots  :  «  Le  brillant  Shang-Ti  nous  donne  une  heu- 
reuse année,  1, 1,  et  :  «  Dans  les  arts  et  la  guerre  le  souverain 
donne  le  repos  à  l'auguste  ciel  3.  » 

Enfin,  dans  la  dernière  décade,  appartenant  au  royaume  de 
Lou,  il  est  dit  de  nouveau  que  Shang-Ti  favorisa  Heou-tsih 
(Sh.-T.),  qu'il  était  avec  Wu  Wang  quand  il  attaqua  Sheou, 
le  tyran  exécré,  que  Wu  Wang  offrit  les  sacrifices  du  prin- 
temps à  l'augustissime  souverain  Ti  ainsi  qu'à  Heou-tsih  et 
qu'ils  furent  agréés  par  eux. 

Il  n'est  pas  besoin  d'argumentation  pour  faire  reconnaître 
que  Shang-Ti  est,  dans  le  Shih-King,  un  être  personnel,  le 
souverain  seigneur  qui  gouverne  le  monde,  qui  tient  les  rois, 
au  ciel,  à  sa  droite  et  à  sa  gauche,  qui  a  laissé  des  traces  de 

1  Ministre  de  l'agriculture  au  XXIIIe  siècle  A.  C.  et  vénéré  après  sa 
mort  comme  le  génie  protecteur  de  la  culture  des  champs. 
*  Bien  loin  d'être  l'objet  des  honneurs  du  culte, 
3  Ce  qui  n'indique  guère  une  puissance  suprême. 


—  13  — 

son  passage  sur  la  terre,  qui  parle  aux  souverains  et  leur  donne 
ses  enseignements,  qui  sacre  les  rois;  le  Dieu  dont  on  affirme 
constamment  ces  choses  n'est  point  sans  doute  une  simple  per- 
sonnification ou  animation  de  la  voûte  céleste. 

Mais  pour  rendre  nos  conclusions  plus  certaines,  il  nous  faut 
examiner  la  nature  du  Tien  dans  ces  antiques  poésies. 

Nous  avons  vu  que  les  plus  anciennes  de  toute  la  collection, 
les  odes  de  la  dynastie,  ne  le  mentionnent  qu'accessoirement; 
dans  celles  qui  les  suivent  chronologiquement,  les  premières 
de  la  dynastie  Tcheou,  c'est-à-dire  les  décades  II,  1.2  et  III,  1, 
le  rôle  du  ciel  est  peu  important.  Les  premières  ne  le  men- 
tionnent qu'une  fois,  II,  1.6.1  à  3;  les  autres  le  font  plus 
souvent,  mais  à  peu  près  toujours  au  même  point  de  vue.  Il 
s'agit  là  de  son  décret,  III,  1.1.4  et  5;  III,  1.2.1;  III,  1.9.2 
et  2.9.1;  de  son  action,  III,  1.1.7;  de  l'inspection  du  monde, 

III,  1.2.4;  de  son  assistance,  III,  1.7.2.  Dans  les  chants  d'une 
époque  plus  récente  qui  va  jusqu'au  VIIe  siècle,  P.  C,  nous 
trouvons  cité  le  T'ien  injuste  et  cruel,  II,  4.7.1;  redoutable, 
II,  4.10.3  et  5.8.3;  compatissant,  11,4.10.1  et  8.1.1;  111,1.11.1; 
ses  dons,  II,  6.6.4;  II,  7.1.1  et  10.2.1;  10.41;  III,  2.4.7;  sa 
colère,  III,  3.4.3.  Le  T'ien  envoie  des  calamités,  III,  2.10.2 
et  4;  III,  2.12;  III,  3.3.4  et  7;  III,  3.10.3.5  et  7.41  ;  favorise  les 
grands,  les  rois,  IV,  1.10.1;  IV,  1.7.1  et  1.9.1;  IV,  2.4.8: 

IV,  3.2.1;  IV,  3.4.5  et  3.5.3;  il  est  clairvoyant,  III,  2.10.8 
et  3.2.11;  IV,  3.5.4;  inspecte  le  monde,  III,  1.2.4;  IV,  3.5.4. 

Deux  passages  parlent  de  la  voie  du  ciel  rude  et  difficile, 
H,  8.5.2;  évidente  et  claire,  IV,  1.3.1. 

Vers  l'an  780  A.  C,  nous  voyons  apparaître  la  nouvelle  idée 
du  ciel  engendrant  les  hommes.  Oh  ciel  !  qui  m'a  engendré, 
II,  5.3.3;  ciel  notre  père,  5.4.1. 

Enfin,  IV,  1.7.1,  nous  présente  le  T'ien  comme  assistant 
celui  qui  fait  les  offrandes,  Tien  khi  tso  tchi  «  le  Tien  l'assiste  » 
et  non  «  l'accepte  »  comme  l'on  a  traduit  contre  toute  vrai- 
semblance, et  le  IV,  2.7.3  dit  que  les  dons  du  prince  donnent 
le  repos  au  ciel. 


—  44  — 

Les  données  que  nous  fournissent  ces  textes  réunis  et  com- 
parés peuvent  se  résumer  de  la  manière  suivante  : 

Dans  les  odes  les  plus  anciennes  des  Shang  et  des  Tchcous, 
le  rôle  principal,  le  rôle  vraiment  actif  est  attribué  à  Shang-Ti. 
Le  Tien  y  parait  rarement  et  son  nom  n'occupe  guère  que  la 
place  d'un  qualificatif,  comme,  par  exemple,  dans  l'ode  IV, 
3.4.3  et  8.  Shang-Ti  n'abandonne  pas  Shang...,  c'est  Shang-Ti 
qu'il  révère;  Shang-Ti  le  décrète  le  modèle  de  toutes  les 
régions.  Il  a  reçu  les  faveurs  célestes. 

La  dernière  ode  qui  donne  plus  d'importance  au  Tien  est 
déclarée  par  les  commentateurs  apocryphe  et  de  date  posté- 
rieure. 

Dans  les  odes  plus  récentes  le  rôle  du  Tien  se  développe  et 
ses  attributs  se  multiplient.  Mais  on  n'en  arrive  jamais  à  dire 
que  le  Tien  parla,  dit  telle  ou  telle  chose,  comme  cela  est 
affirmé  de  Shang-Ti  ;  surtout,  et  ceci  est  un  point  qui  ne  doit 
jamais  être  oublié,  le  Tien  n'est  jamais  donné  comme  objet 
d'un  culte  quelconque,  il  n'a  point  de  rapport  avec  la  religion. 

Le  sacrifice  principal  est  offert  à  Shang-Ti  ;  d'autres,  secon- 
daires, sont  faits  pour  les  ancêtres  et  certains  esprits  qui 
semblent  n'être  que  des  morts  vénérés  pour  les  services  rendus 
à  l'humanité,  tels  que  le  premier  agriculteur,  le  premier  domp- 
teur de  chevaux  ou  créateur  de  route  (voir  II,  6.7.2;  III,  1.7.8); 
en  outre,  le  génie  de  la  terre  et  des  quatre  régions,  bu  plutôt 
le  génie  de  la  terre  en  ses  quatre  régions,  Fang  shai,  III,  3.4.5. 

De  l'adoration  des  montagnes,  des  fleuves  ou  des  arbres,  pas 
un  seul  mot. 

Notons  encore  que  le  Tien  y  est  traité  d'injuste  et  de  cruel, 
qu'il  est  dit  avoir  reçu  le  repos  par  le  moyen  de  la  vertu 
humaine,  II,  4.7.1  ;  IV,  1.7;  de  semblables  expressions  ne  sont 
point  appliquées  au  Shang-Ti. 

Devant  revenir  sur  tout  ceci,  nous  ne  nous  y  arrêterons  pas 
davantage.  Passons  au  Shuh-King. 


-  15  — 
S  2.  —  Le  Shuh-King  *. 

a:  Le  «haag-TI  «an»  le  Sbuh-Klng. 

Voici  les  principaux  passages  qui  en  font  mention  : 

4°  IL  I,  3.  Nous  trouvons  ici  tout  à  l'entrée  du  Livre  des 
Histoires  une  sorte  de  résumé  de  tout  le  culte.  Il  y  est  dit  en 
effet  :  «  Yao  (le  premier  souverain  semi-historique  de  la  Chine) 
faisait  le  sacrifice  principal  à  Shang-Ti  2,  rendait  les  honneurs 
aux  six  vénérables;  visitant  3  les  montagnes  et  les  fleuves  il 
s'adressait  *  à  tous  les  esprits  ».  » 

Ce  premier  texte  qui  présente  un  aperçu  sommaire  du  culte 
chinois  a  donné  lieu  à  de  nombreuses  discussions  relative- 
ment au  second  terme  «  honorables,  vénérables  »  {tsông),  dont 
le  sens  est  incertain.  Les  commentateurs,  tant  chinois  qu'euro- 
péens, ont  essayé  des  explications  qui  ne  reposent  sur  aucune 
base;  on  a  rangé  parmi  les  saisons  le  ciel  et  la  terre,  les  étoiles 
et  planètes,  etc.,  etc.  Notons  toutefois  que  le  professeur  de 
Lacouperie  y  retrouve  des  conceptions  accadiennes  en  même 
nombre,  et  que  d'autres  y  ont  vu  la  puissance  unique  agissant 
dans  les  six  directions. 

On  ne  doit  pas  oublier  que  le  mot  tsông  que  nous  trouvons 
ici,  a  pour  sens  principal  «  ancêtres  honorés  d'un  culte»,  «  êtres 
vénérés  à  la  maison  ».  Le  caractère  qui  le  représente  6  a)  dans  sa 
forme  antique  comme  dans  la  plus  récente,  est  composé  du  signe 
désignant  un  hommage  rendu,  ou  un  avis  donné,  une  infor- 

1  Le  premier  livre  historique  de  la  Chine  relatant  les  principaux  événe- 
ments depuis  le  XXIII*  jusqu'au  VIIIe  siècle.  Son  but  est  plus  moral  et 
politique  qu'historique. 

*  Lui  Shang  TL 
3  Wang. 

*  Pièn. 
«  Shen. 

«    3>^       èj  cj 


1 


—  16  — 

ination  b)  (R.  113),  sous  un  autre  indiquant  un  toit  protecteur 
ou  logis  v)  (R.  40).  Pourquoi  ne  serait-ce  pas  les  six  derniers 
ou  les  six  premiers  ancêtres  et  pères?  vu  surtout  qu'il  n'y  a 
aucun  autre  terme  dans  cette  énumération,  qui  se  réfère  à  leur 
culte.  Ce  sens  s'impose  nécessairement.  Le  mot  que  nous 
avons  traduit  «  visiter  »  désigne  proprement  la  visite  d'hom- 
mage faite  au  souverain  ù  la  nouvelle  lune  wang.  (Cf.  Wells 
Williams,  p.  1045.) 

Ce  caractère  est  composé  de  trois  autres  représentant  un  roi, 
un  fonctionnaire  ou  un  exilé,  et  la  lune  *.  Le  meilleur  sens 
serait  :  «  tournant  ses  regards  vers  les  monts  et  les  fleuves 
(wang  yu  shan  tchuen),  il  honorait  tout  les  esprits  (qui  y  pré- 
sident) ».  Proprement  :  «  il  s'adressait  à,  allait  vers  ».  C'est  le 
sens  propre  du  mot  pien. 

On  verra  plus  loin  l'explication  du  Li-Ki  (1.  VII,  1.9)  excluant 
aussi  toute  idée  de  sacrifice  aux  monts  et  fleuves. 

De  tous  ces  caractères,  un  seul  indique  un  sacrifice,  c'est  le 
premier  lui â,  qui  désigne  en  même  temps  ce  qu'il  y  a  de  plus 
important  et  place  ainsi  le  culte  de  Shang-Ti  en  dehors  de 
tous  les  autres  et  au-dessus  de  tout  autre.  L'élément  principal 
en  est  le  mot  hie  «  tête,  principal,  supérieur  à  »  que  Ton 
'  retrouve  même  dans  la  forme  la  plus  ancienne.  C'est  le  culte, 
le  sacrifice  capital.  L'élément  secondaire  varie  dans  ses  formes 
avec  les  époques  de  la  graphique  ;  mais  on  y  reconnaît  géné- 
ralement, au  moins,  le  riz  que  l'on  offrait  en  oblation.  Les 
montagnes  et  les  fleuves,  dont  il  est  ici  question,  sont,  disent 
les  commentateurs,  les  montagnes  célèbres,  renommées  [tning 
shan)  et  les  fleuves  les  plus  considérables  (ta  chuin).  Ces  mon- 
tagnes sont  ou  bien  les  quatre  grandes  montagnes  sur 
lesquelles  se  faisaient  les  grands  sacrifices  annuels,  ou  celles 
qu'une  tradition  superstitieuse  représentait  comme  le  théâtre 


—  17  — 

d'un  fait  surnaturel.  Le  souverain  les  visitait  avec  une  sorte  de 
vénération  superstitieuse. 

2°  Le  même  chapitre  porte  un  peu  plus  loin  :  «  Le  second 
mois  de  Tannée,  il  fit  une  tournée  d'inspection  dans  les  régions 
de  l'Est  et  s'avança  jusqu'à  rai  tsong  ;  fit  un  amas  de  bois  à 
brûler  et  inspecta  successivement  les  monts  et  les  fleuves  *  ». 

Des  commentateurs  venus  quinze,  vingt  et  trente  siècles  plus 
tard,  ont  expliqué  l'usage  de  ces  vastes  bûchers  (tchài)  comme 
destinés  à  honorer  le  ciel  :  t  t2ét'ien.  C'était  appliquer  les  idées 
de  leur  temps  à  une  époque  où  les  croyances  étaient  très  diffé- 
rentes et  faire  dire  au  texte  ce  qu'il  ne  comporte  pas.  Comme 
on  le  verra  plus  loin,  par  les  textes  mêmes,  les  anciens  rois  ne 
sacrifiaient  qu'à  Shang-Ti  ;  c'est  à  lui  que  s'adressait  le  Tchài; 
comme  au  paragraphe  précédent,  Shun  se  tournant  vers  les 
montagnes  en  vénérait  les  esprits,  H,  4.1.  Shun,  le  second 
empereur  historique  (2255),  promet  au  ministre  fidèle,  au 
souverain  bon  et  juste,  qu'il  recevra  de  Shang-Ti  le  renouvel- 
lement à  perpétuité  de  son  mandat  (Shang  li  tien  shin  ming), 
qu'il  lui  enverra  du  ciel. 

3°  IV,  2.2,  nous  lisons  :  «  Le  roi  de  Hia  est  criminel,  il 
usurpe  et  prétend  faussement  au  pouvoir  du  ciel.  Le  Seigneur 
(du  ciel)  Ti  n'a  plus  pour  lui  de  bienveillance  ni  de  don,  il  a 
transféré  le  mandat  au  prince  de  Shang  ». 

4°  Le  prince  de  Tàng,  revenant  d'avoir  vaincu  le  dernier  des 
Hia,  lance  une  proclamation  pour  justifier  sa  conduite  : 
«  Écoutez,  o  multitude!  soyez  attentive  à  ma  proclamation. 
L'auguste  Shang-Ti  a  fait  descendre  dans  le  peuple  l'esprit  de 

1  Ou  «  parcourut  du  regard ,  porta  ses  regards  et  ses  désirs  vers  ».  Ce 
caractère  (le  wang  précédent)  exclut  de  sa  forme  toute  idée  d'offrande, 
de  sacrifice;  or,  tous  ceux  qui  l'expriment  contiennent  quelque  chose  qui 
s*y  rapporte,  tels  que  les  signes  désignant  :  esprit,  honneur,  slien  a); 
millet,  yeu  b);  feu,  hioc)\  riz,  mi  d);  kan,  aliments  doux  et  délicats  i); 
bœuf,  nieu  f)\  chien,  kiuen  g),  etc.;  il  n'y  a  rien  ici  de  cela. 

Tome  XL1.  2 


—  18  — 

rectitude,  en  sorte  qu'il  ait  une  nature  immuable  dans  sa  droi- 
1ure.  Lui  faire  suivre  la  voie  de  la  droiture  est  l'œuvre  du 
souverain  seul...  Ayant  souffert  cruellement  de  la  tyrannie  de 
Hia,  vous  avez  proclamé  votre  innocence  devant  les  esprits 
supérieurs  et  inférieurs  (du  ciel  et  de  la  terre).  La  voie  du 
ciel  est  de  bénir  le  bon  et  de  rendre  malheureux  le  méchant; 
il  a  fait  descendre  des  calamités  sur  Hia,  pour  révéler  ses 
crimes.  C'est  pourquoi  je  n'ai  pas  osé,  chargé  que  j'étais  du 
mandat,  pardonner  au  coupable.  Mais  présentant  une  noire 
victime,  j'ai  osé,  m'adressant  au  Souverain  du  ciel  suprême, 
demander  le  châtiment...  Le  ciel  suprême  a  réellement  accordé 
sa  faveur  au  peuple...  Son  décret  est  sans  erreur.  » 

H  est  très  remarquable  que  ce  passage  est  cité  d'une  manière 
assez  différente  dans  le  Lun-Yu  ou  ce  entretiens  »  de  Confucius. 
Nous  y  lisons,  en  effet,  ces  mois  :  «  m'adressant  au  Très 
Auguste  Souverain  Seigneur  Hoany,  hoang  heou  Ti  »  *,  puis 
immédiatement  après  :  «  les  ministres  de  Ti  ne  sont  point  tenus 
dans  l'obscurité,  leur  appréciation  est  dans  le  cœur  de  Ti  ». 

Ces  derniers  mots  se  trouvent  un  peu  plus  loin  dans  le  Shuh. 

t>°  IV,  4.4  :  «  Shang-Ti  n'agit  pas  toujours  de  même.  Sur 
celui  qui  fait  le  bien  il  fait  descendre  cent  bonheurs;  sur  celui 
qui  fait  le  mal  il  fait  descendre  cent  infortunes.  » 

IV,  S. 3.1  :  «  Les  anciens  rois,  honorant  la  vertu,  savaient 
ressembler  à  Shang-Ti.  » 

IV,  7.3.1.  Pen-Kang,  voulant  faire  changer  de  résidence  les 
habitants  de  sa  capitale,  leur  dit  :  «  Shang-Ti  va  renouveler  les 
vertus  de  mes  ancêtres,  etc.  » 

IV,  8.1.1.  Le  roi  dit  que  s'il  garde  le  silence,  s'il  ne  paraît 
pas  en  public,  c'est  qu'il  a  rêvé  que  Ti  lui  avait  donne  un 
excellent  ministre  pour  parler  à  sa  place. 

V.  1.  Le  nouveau  souverain  Wuh  Wang,  dans  une  procla- 
mation à  son  peuple,  explique  les  crimes  de  la  dynastie  qu'il 
va  renverser,  du  tyran  qu'il  va  détrôner.  Nous  y  lisons  : 
«  Sheou  ne  servait  point  Shang-Ti  ni  les  esprits  *,  délaissait 

1  Le  texte  le  plus  ancien  ne  parlait  donc  pas  du  ciel. 
*  Sfien-tchi,  les  spirituels  vénérables. 


—  19  — 

les  temples  des  esprits  et  n'y  faisait  plus  d'offrandes.  Le  ciel 
a  fait  les  chefs  pour  secourir  le  peuple  et  leur  a  donné  des 
instructeurs  qui  soient  les  lieutenants  et  les  aides  de  Shang-Ti 
et  donnent  tranquillité,  sécurité  au  monde.  » 

«  Et  moi  (pour  l'exécution  de  mon  mandat)  j'ai  offert  le 
grand  sacrifice  à  Shang-Ti,  j'ai  satisfait  au  génie  de  la  terre  '.  » 
Ce  que  le  commentaire  explique  par  ces  paroles  du  Wang-tchi  : 
«  Lorsque  le  fils  du  ciel  se  met  en  campagne,  il  offre  le  grand 
sacrifice  à  Shang-Ti  et  l'oblation  de  satisfaction  à  Sliai,  et 
annonce  son  expédition  dans  le  temple  des  ancêtres  (nî). 

»  Shang-Ti  ne  le  supportera  plus;  mais,  le  maudissant,  il 
fera  tomber  sur  lui  la  ruine;  aidez-moi  à  exécuter  avec  respect 
la  sentence  du  ciel. 

»  Pour  moi,  ayant  obtenu  des  ministres  vertueux,  j'ose 
seconder  avec  respect  les  décrets  de  Shang-Ti  pour  faire  cesser 
ces  troubles.  Respectant  le  ciel,  j'accomplis  le  décret.  » 

V,  4.1  :  «  Le  T'ien  invisible  (yin)  donne  la  sécurité  au  peuple 
et  l'aide  à  s'établir  en  paix. . .  Lorsque  Khven  eut  endigué  les 
fleuves  débordants,  il  troubla  les  éléments.  Shang-Ti  irrité  2 
contre  lui  ne  lui  donna  pas  le  Grand  Enseignement  en  ses  neuf 
divisions.  Il  fut  mis  en  prison  jusqu'à  sa  mort  et  son  fils  Yu 
surgit  après  lui  et  le  ciel  lui  donna  ce  Grand  Enseignement...  » 
Suit  un  exposé  complet  de  doctrines  où  nous  lisons  ces  mots  : 
«  Cet  enseignement  est  l'enseignement  de  Ti.  »  Mais  on  n'y 
trouve  pas  la  moindre  allusion  au  ciel,  principe  suprême. 

V,  6.1.  Tcheou  Kong,  priant  pour  son  frère  l'empereur 

IVuh,  dit  à  ses  ancêtres  :  «  Wuh  a  reçu  k  la  cour  de  Shang-Ti 

le  mandat  de  répandre  ses  bienfaits,  son  secours  dans  les 

quatre  plages...  Pour  moi,  je  ne  suis  pas  aussi  capable  de 

servir  les  esprits.  » 

V,  7.3  :  «  Pour  moi,  je  n'oserais  pas  négliger  le  décret  de 

Shang-Ti  ;  le  ciel  favorable  m'a  donné  la  prospérité.  » 

Ibid.,  o  :  «  Les  sages  ont  connu  et  suivi  les  décrets  de 

Shang-Ti  et  le  vaste  secours  du  ciel.  » 


< 


Shai  qui  préside  à  la  fertilité  de  la  terre. 


*  Tremblant,  agité  de  colère,  tchén. 


H 


—  20  — 

V,  8.2  :  «  Shang-Ti  accepte  toujours  avec  satisfaction  vos 
offrandes.  » 

V,  9.1  :  «  Wen  Wang  devint  illustre  devant  Shang-Ti, 
Shang-Ti  lui  donna  sa  faveur,  le  Tien  lui  donna  le  grand 
mandat.  » 

V,  12.2  :  «  L'auguste  Shang-Ti  du  ciel  a  changé  son  décret 
relativement  à  la  dynastie  de  Yin...  Le  roi  est  venu  intimement 
uni  à  Shang-Ti.  » 

V,  14.1.  Proclamation  au  peuple  de  Shang  :  «  Nous  avons 
exécuté  les  châtiments  du  ciel...  et  achevé  l'œuvre  de  Shang-Ti. 
Le  ciel  n'était  pas  favorable  à  Shang;  ...  Ti  ne  lui  tHait  pas 
favorable.  Le  peuple  tint  ferme  parce  que  le  ciel  manifestai! 
ses  terreurs.  » 

C'est  un  dire  populaire  :  «  Shang-Ti  conduit  (les  hommes) 
au  bien-être.  Le  souverain  de  Hia  ne  les  y  mena  point;  c'est 
pourquoi  Ti  envoya  des  châtiments.  Mais  le  prince  n'accepta 
pas  les  avertissements  de  Ti  et  se  livra  à  de  plus  grands  désor- 
dres... Les  souverains  de  Thang,  jusqu'à  Ti-Y,  cherchèrent  à 
faire  briller  leur  vertu.  Le  ciel  consolida  leur  maison,  et  ses 
souverains  ne  se  permirent  point  de  faire  quoi  que  ce  soit  qui 
pût  leur  faire  perdre  Ti.  Leurs  successeurs,  abandonnés  au 
vice,  ne  pensèrent  plus  aux  lois  du  ciel.  Aussi  Shang-Ti  ne  les 
protégea  plus  et  fit  tomber  ces  maux  auxquels  nous  avons  eu 
part.  » 

V,  16.1  :  «  Je  ne  puis  me  reposer  sur  le  décret  de  Shang-Ti, 
dit  Tcheou  Kong  *,  sans  jeter  un  regard  lointain  sur  les 
menaces  du  ciel.  » 

Le  §  V,  16.2  parle  de  Tchhan  Hi  dont  les  vertus  se  modelaient 
sur  Shang-Ti.  Le  §  3  porte  que  «  précédemment  Shang-Ti 
infligea  des  châtiments  à  la  dynastie  Yin  et  encouragea,  stimula 
la  vertu  de  Wen  Wang;  »  et  plus  loin  :  «  Connaissant  la  inajeslé 
du  ciel,  les  ministres  de  Wen  Wang  s'appliquaient  à  l'éclairer 
pour  qu'il  devînt  illustre  devant  Shang-Ti.  » 
V,  18.4.6  :  «  (Shang)  Ti  envoya  des  calamités  à  Hia;  mais 

1  Frère  et  ministre  de  Wu-Wang. 


—  21  — 

celui-ci  multiplia  ses  crimes...  et  ne  put  se  laisser  mouvoir 
par  la  conduite  de  Shang-Ti.  Il  présuma  du  décret  de  Ti  et  ne 
s'efforça  point  de  secourir  le  peuple.  » 

Les  §§  2,  3,  V,  19  parlent  de  même  du  service  respectueux 
de  Shang-Ti,  de  ses  décrets,  des  châtiments  qu'il  a  infligés  à 
Sheou. 

V,  24,  3  mentionne  également  le  décret  favorable  de  Ti. 

V,  27.2  :  «  Les  peuples  opprimés  montrèrent  leur  innocence 
au  ciel,  Shang-Ti  regarda  le  peuple  ;  mais  aucune  odeur  de  vertu 
ne  s'élevait  d'aucun  côté  ;  tout  était  odeur  de  tourments.  »  — 
S  3  :  Shang-Ti  ne  supporta  plus  les  crimes  des  Miao  *,  mais  fit 
tomber  sur  eux  des  calamités,  et,  comme  ils  n'avaient  aucune 
excuse  à  plaider,  leur  nom  fut  rayé  de  ce  monde.  » 

Enfin  le  §  V,  28.1  répète  encore  :  «  Shang-Ti  a  fait  descendre 
sur  Wen-Wang  le  décret  qui  confère  l'autorité  suprême.  » 

ir.  Lo  l'ion. 

Nous  avons  vu  déjà  plusieurs  des  passages  qui  mentionnent 
le  Tien  ;  pour  achever  cette  partie  de  notre  étude,  nous  allons 
présenter,  résumées  en  un  tableau,  toutes  les  expressions  qui 
le  concernent. 

L'autorité  suprême  conférée  par  un  décret  du  T'ien,  H,  1.5 
11,2;  II,  4.1  et  3;  111,2.2;  IV,  2.2  et  4;  IV,  3.2;  IV,  5.1.1 

IV,  6.2;  IV,  7.1.1  et  2.1;  IV,  9.1;  V,  1.2.1;  V,  3.2;  V,  6.1 

V,  8.5;  V,  9.1.2;  V,  13.1  et  4;  V,  14.3;  15.2;  18.1;  22.1. 
Est  enlevé  par  lui,  III,  2.1;  IV,  11.1  et  2;  V,  10.2;  V,  12.2; 

V,  14.1;  16.1;  18.1  et  2. 

Les  principes  du  droit,  les  relations  entre  les  hommes 
émanent  du  T'ien,  II,  3.3;  V,  9.3;  10.2;  14.2;  18.3. 

La  faveur  du  ciel,  V,  3.2;  V,  7.3.4.5;  V,  8.1;  V,  9.2;  15,3; 
16.1;  V,  16.4;  18,4;  24.2. 

Le  T'ien  approuve  le  bon  et  punit  le  méchant,  II,  3.3; 

1  Populations  indigènes  de  la  Chine  préchinoise  qui  se  révoltaient 
constamment  contre  les  nouveaux  maîtres. 


—  22  — 

III,  4.1;  IV,  3.2;  IV,  4.2;  IV,  5.2.1  et  2;  IV,  6.2;  IV,  9.1; 

IV,  11.2;  V,  1.1.4;  V,  1.3.2;  V,  2.2;  V,  7.1  et  2;  V,  7.5; 

V,  9.4;  V,  10.1  et  2;  16.2;  18.4;  29.1. 

Le  Tien  voit  et  entend  comme  le  peuple  le  fait,  II,  3.3; 
V,  1.2.2;  V,  10.1. 

Le  Tien  avertit  les  rois  par  des  phénomènes,  III,  14.2. 
.  A  donné  le  Grand  Enseignement,  V,  4.1  (comme  Sh.-T.). 

Le  Tien  donne  la  vertu  et  l'intelligence,  IV,  2.2;  V,  12.2;  18.2. 

Le  Tien  engendre  les  hommes,  IV,  2.2  ;  IV,  7.2.1  ;  V,  3.2. 

La  voie  du  Tien,  IV,  3.4;  2.2;  V,  1.3.1  ;  24.3. 

Il  est  sans  partialité,  IV,  5.3.1  ;  IV,  6.2;  IV,  8.2.1. 

Le  méchant  ne  respecte  pas  le  Tien,  V,  1.1.1. 

Le  Tien  a  pitié  du  peuple  et  suit  ses  désirs,  V,  1.1.4  et  2.2: 
V,  12.2;  lui  donne  la  sécurité,  V,  4.1  ;  V,  14.1  et  4. 

L'innocent  crie  vers  le  ciel,  V,  1.2.1  ;  V,  12.2. 

Le  Tien  est  invisible  (Yin)>  V,  4.1. 

Impartial,  V,  17.2. 

On  doit  respecter  sa  volonté,  V,  7.3;  V,  12.2;  V,  13.2. 

La  majesté  redoutable  du  Tien,  V,  16.3;  22.4;  27.1. 

Le  roi  lui  demande  un  long  mandat,  V,  12.2. 

Le  roi  est  le  berger  du  Tien,  V,  27.2. 

Le  bon  prince  égale  le  Tien,  V,  16.3. 

Il  règle  tout  ce  qui  concerne  les  esprits  et  le  ciel. 

Voilà  le  tableau  complet  de  tout  ce  qui  est  attribué  au  Tien 
dans  le  Shuh-King,  de  tous  les  passages  qui  s'y  rapportent. 
Tout  s'y  réfère  à  ce  que  nous  appelons  la  providence  et  au 
fondement  de  l'ordre  moral.  En  jetant  un  coup  d'œil  sur  l'en- 
semble et  le  chiffre  des  chapitres,  on  aperçoit  du  premier 
abord  : 

1°  Que  les  commencements  du  Shuh-King  comme  ceux  des 
Shih  ne  mentionnent  que  peu  le  Tien  ou  ciel  et  le  font 
d'une  manière  vague,  sans  le  personnifier,  mais  que  l'emploi 
de  ce  mot  va  en  se  développant  avec  les  attributs  donnés 
au  Tien  ; 

Que  ce  qui  était  dit   d'abord   du  Shang-Ti   seul,  —  par 


—  23  — 

exemple  de  la  révélation  du  Grand  Enseignement,  fondement 
de  tous  les  principes,  —  est  plus  tard  également  dit  du  Tien 
(V,  4.1);  ceci  très  tardivement  comme  le  montre  le  chiffre  4.1. 
Dans  la  4e  partie  apparaît  cette  idée  que  le  T'ien  engendre  ce 
qui  est  sur  la  terre; 

2°  Le  Tien  ne  fait  point  partie  des  objets  du  culte.  Le  culte 
suprême  s'adresse  à  Shang-Ti  seul  ;  des  hommages  inférieurs 
sont  présentés  aux  ancêtres  et  à  certains  esprits  (voir  plus  loin). 
Le  T'ien  n'y  a  aucune  part.  Certaines  traductions,  se  rapportant 
aux  usages  modernes,  parlent  en  un  endroit  ou  deux  de  sacri- 
fice offert  au  ciel.  Mais  c'est  là  un  anachronisme  évident.  Le 
texte  n'en  dit  pas  un  seul  mot.  C'est  ainsi  qu'au  livre  Ier,  Yao 
fait  un  grand  feu  de  bois  sur  le  mont  Thai  tsong,  mais  ne 
s'adresse  nullement  au  ciel.  Le  Li-Ki  explique  même  en  termes 
précis  (voir  plus  loin)  que  cet  hommage  est  rendu  à  Shang-Ti 
(voir  Li-Ki,  1.  XIV,  2); 

3°  Le  ciel  est  qualifié  d'invisible,  d'intelligent;  ce  qui  exclut 
l'idée  du  ciel  matériel  ; 

4°  Il  ne  s'agit  pas  simplement  ici  du  culte  des  souverains  et 
chefs  féodaux,  puisque  le  texte  nous  a  conservé,  comme  expres- 
sément, un  dicton  populaire  qui  attribue  tout  à  Shang-Ti 
(voir  ci-dessus). 

Le  Shuh-King  nous  fournit  donc  absolument  les  mêmes 
données  que  les  Shih  et  renforce  même  ce  qui  a  été  dit  pré- 
cédemment. Passons  au  Yih-King. 


§3.  —  Yih-King*. 

Le  Yih  passe  pour  le  livre  le  plus  ancien  de  la  Chine.  Mais 
quel  que  soit  son  âge,  il  est  certainement  un  écho  de  l'anti- 
quité. Il  mérite  donc  toute  notre  attention. 

Nous  trouverons  en  lui  très  peu  de  choses  à  glaner,  mais  le 

1  Recueil  de  sentences  diverses ,  d'explications  lexicologiques  rangée? 
sous  soixante-quatre  titres.  Il  contient  un  double  texte  originaire  et  une 
série  de  commentaires  des  derniers  siècles  de  Père  ancienne. 


—  24  — 

peu  que  nous  y  recueillerons  sera  d'une  haute  importance  dans 
la  question.  Le  voici  textuellement  : 

D'abord  dans  le  texte  lui-même  (Koua,  42,  II,  2)  :  ce  Si  le  roi 
est  vertueux  et  met  en  usage  ses  vertus  pour  présenter  ses 
offrandes  à  Shang-Ti,  il  aura  le  bonheur.  » 

Commentaire  I,  Koua,  50.1  :  «  Les  anciens  sages  cuisaient 
leurs  offrandes  pour  les  présenter  à  Dieu.  » 

Commentaire  II,  Koua,  16.1  :  «  Les  anciens  rois  compo- 
saient leur  musique,  consolidant  leurs  vertus,  présentant  leurs 
offrandes  abondantes  à  Shang-Ti  et  lui  associaient  leur  premier 
ancêtre.  » 

Commentaire  II,  Koua,  59.1  :  «  Les  anciens  roiç  adressaient 
les  hommages  du  culte  à  Shang-Ti  et  élevaient  des  temples 
ancestraux.  » 

En  dernier  lieu,  le  commentaire  V,  chapitre  5.8,  met  l'action 
de  Shang-Ti  en  rapport  avec  la  vie  annuelle  de  la  nature.  Ses 
opérations  commencent  en  Tchan  (Koua,  51),  se  développent 
en  Sun  (K.,  41);  se  manifestent  en  Li  (K.,  10);  arrivent  en 
leur  plus  haut  point  en  Khven  (K.,  2),  etc.,  etc.,  et  en  cet 
endroit  il  est  appelé  «  le  Maître  du  ciel.  » 

Par  contre,  le  Tien,  comme  être  suprême,  providence  ou 
autre  chose  semblable,  n'a  point  de  place  dans  le  texte. 

Le  premier  commentaire  parle  de  la  voie,  du  Tao,  du  Tien; 
mais  ce  n'est  que  Tordre  général  de  la  nature.  Tout  y  appar- 
tient à  Shang-Ti. 

Le  second  commentaire  mentionne  la  faveur  du  ciel,  VII,  2; 
le  troisième,  le  secours  du  ciel  donné  par  des  pronostics,  II,  14; 
la  voie  du  ciel,  II,  68.  Le  quatrième  commentaire  dit  que  le 
juste  agit  comme  le  ciel,  tellement  que  s'il  précède  même  le 
Tien  dans  ses  actes,  celui-ci  n'agira  pas  ensuite  d'une  manière 
différente. 

Mais  dans  tout  ceci  il  s'agit  des  opérations  de  la  nature 
comme  le  prouve  cette  phrase  qui  précède  :  ce  L'homme  juste 
et  distingué  sera  en  harmonie  quant  à  l'éclat  avec  le  soleil  et 
la  lune;  quant  à  la  régularité  de  ses  actes,  avec  les  quatre 
saisons,  etc.  »  En  tout  cas  ces  commentaires  n'appartiennent 
plus  à  l'antiquité. 


—  25  — 

§  4.  —  Livres  Conpuciens. 

Ta-hlo,  Tchong-Yong  et  Lun  lu. 

A  l'époque  de  Confucius,  la  notion  de  Shang-Ti  s'était  déjà 
considérablement  affaiblie  et  le  grand  philosophe  contribua 
pour  beaucoup  à  son  affaissement.  Il  l'écarta  de  ses  enseigne- 
ments le  plus  qu'il  put.  Aussi  ne  là  trouve-t-on  guère  men- 
tionnée dans  les  écrits  de  ses  disciples,  dans  les  discours  qu'ils 
rapportent  comme  prononcés  par  le  maître.  Toutefois  cette 
idée  ne  s'était  pas  complètement  anéantie  et  Confucius,  amant 
passionné  de  l'antiquité,  l'avait  certainement  recueillie  comme 
elle  avait  existé  à  ses  beaux  jours.  Ce  qu'il  nous  en  dit  est  donc 
certainement  authentique.  Or,  voici  ce  que  Confucius  en  rap- 
porte : 

Au  Ta-hio,  X,  5,  il  rappelle  les  vers  du  Shuh-King  :  «  Avant 
que  les  souverains  Shang  eussent  perdu  leurs  peuples,  ils  pou- 
vaient se  dire  les  lieutenants  de  Shang-Ti.  » 

Au  Tchong-Yong,  XIX,  6,  il  affirme  que  les  grands  sacrifices 
réputés  faits  au  ciel  et  à  la  terre  s'adressaient  réellement  à 
Shang-Ti  :  «  Kiao  shai  tclii  H  so  1  tze  Shang-Ti.  » 

Et  dans  le  Lun-Yu,  XX,  1.3,  il  reproduit  le  passage  du  Shuh- 
King  (IV,  3.48)  où  T'ang  dit  à  Shang-Ti  :  «  0  puissant  souve- 
rain, Shang-Ti,  je  n'ai  point  pardonné  indûment  au  coupable, 
ni  opprimé  tes  ministres;  c'est  toi  qui  est  leur  inspecteur, 
ô  Shang-Ti  !  » 

Nous  n'avons  donc  ici  qu'une  seule  pensée  nouvelle,  la 
seconde;  mais  elle  est  d'une  importance  capitale  en  ce  qu'elle 
nous  explique  la  nature  réelle  du  culte  des  anciens  Chinois  et 
du  vrai  objet  de  ce  culte.  Nous  y  reviendrons  plus  loin. 

Meng-Tze,  disciple  lointain  de  Confucius  ',  plus  éloigné  que 
lui  encore  de  la  croyance  pratique  au  Dieu  personnel,  en  fait 
cependant  mention,  trois  fois,  en  ces  termes,  I,  2.3.7  :  Les  sou- 
verains et  les  maîtres  de  la  doctrine  sont  les  auxiliaires  de 

«  III«  siècle  A.  C. 


—  26  — 

Shang-Ti,  IV,  1.7.8;  Shang-Ti  ayant  porté  son  décret,  tous  les 
peuples  se  soumirent  à  Tcheou,  IV,  2. 28  :  Bien  qu'un  homme 
soit  méchant,  s'il  rétablit  Tordre  en  soi,  s'il  jeûne  et  se  baigne, 
il  pourra  sacrifier  à  Shang-Ti. 

Par  cette  dernière  nous  voyons  une  fois  de  plus  oii  vont  le 
culte  et  les  sacrifices  et  comment  Shang-Ti  seul  est  Dieu. 

Il  nous  reste  à  parcourir  le  Li-Ki  et  à  y  recueillir,  comme 
dans  les  autres  livres,  les  énonciations  qui  concernent  notre 
sujet. 

§  8.  —  Li-Ki. 

Le  Li-Ki  est  le  Mémorial  des  Rites,  c'est-à-dire  de  tous  les 
préceptes  qui  règlent  les  actions  humaines  d'après  les  lois  et 
les  coutumes  antiques,  révérées  comme  expression  des  prin- 
cipes de  la  nature  et  du  pouvoir  surhumain.  Ils  concernent 
non  seulement  les  actes  du  culte,  les  sacrifices,  funérailles  et 
mariage,  mais  tous  ceux  de  la  vie  civile  que  le  respect,  la  con- 
venance doivent  régler  selon  les  idées  chinoises.  L'étiquette, 
les  lois  de  la  civilité  même  puérile  y  sont  comprises. 

Le  Li-Ki  est  le  plus  récent  des  livres  que  nous  avons  à 
examiner  en  cette  étude;  il  en  est  ainsi  de  sa  dernière  rédac- 
tion qui  se  fit  peu  avant  le  commencement  de  notre  ère;  mais 
parmi  les  matériaux  il  en  est  de  très  anciens  ou  qui  rapportent 
fidèlement  les  coutumes  antiques  *.  Nous  pouvons  donc  y 
puiser  avec  sécurité. 

Voici  les  principaux  passages  qui  ont  trait  à  Shang-Ti  : 

Le  Wang-tchi,  1.  III,  S.  2, 17  et  21,  rappelle  les  divers  sacri- 
fices qui  se  font  au  moment  d'une  expédition  et  le  sacrifice 
essentiel,  principal,  offert  à  Shang-Ti. 

Au  Yueh-ling,  1.  IV,  1.1.13  :  «  Le  premier  jour  du  mois,  le 
Fils  du  ciel  prie  Shang-Ti  pour  obtenir  une  heureuse  année, 
puis  procède  à  la  cérémonie  du  labourage.  »  Au  même  livre, 

1  Comp.  Li  ki  translated  by  J.  Legge  (Ttie  sacred  book  oftheEast, 
vol.  XXVII,  1. 1,  Introduction.) 


—  27  — 

2.2.8  :  «  Au  grand  sacrifice  d'été,  on  prie  Shang-Ti  pour  avoir 
de  la  pluie  et  l'on  emploie  tous  les  instruments  de  musique.  » 
Le  commentaire  explique  Shang-Ti  par  les  mois  Tien  tchi 
tchou  ;  le  maître  du  ciel. 

Au  livre  Wen-Wang  shi  tze  (VI,  1.3)  nous  voyons  Wuh  Wang 
expliquer  un  rêve  à  son  père  :  «  J'ai  rêvé,  dit  il,  que  Shang-Ti 
me  donnait  neuf  lings  »  et  son  père  lui  explique  que  ces 
neuf  lings  désignent  l'âge  que  lui  accordera  le  souverain 
maître.  Le  commentaire  rend  Shang-Ti  par  Tien-Ti  «  le  sou- 
verain du  ciel.  » 

Li-Yun,  VIII,  1.9  :  «  Les  anciens  sages  ayant  appris  à  se 
servir  du  feu,  furent  ainsi  capables  de  nourrir  les  vivants,  de 
faire  des  oblations  aux  morts  et  ainsi  de  servir  les  esprits  et 
Shang-Ti.  » 

On  remarquera  ici  la  progression  qui  va  du  plus  bas  au  plus 
élevé,  et  l'absence  complète  de  mention  du  T'ien. 

«  Les  anciens  servaient  le  ciel  comme  le  ciel,  la  terre  comme 
la  terre,  sur  les  fleuves  et  montagnes,  y  montant  comme  au 
milieu  du  ciel;  là,  en  un  endroit  propice,  ils  faisaient  le  grand 
sacrifice  à  Shang-Ti,  dans  le  faubourg  de  la  capitale,  montés 
sur  une  élévation  comme  au  milieu  du  ciel;  alors  les  prodiges 
favorables  se  manifestaient,  alors  la  pluie  et  le  vent,  les  froids 
et  la  chaleur  avaient  leurs  temps  et  cours  réglés.  »  C'est  donc 
en  sacrifiant  à  Shang-Ti  et  non  au  ciel  qu'on  déterminait  l'action 
des  phénomènes  célestes;  le  T'ien  n'est  qu'une  abstraction. 

Et  un  peu  plus  loin  (S.  II,  §  18)  :  «  Sacrifier  à  Shang-Ti  est 
le  suprême  degré  du  respect;  faire  les  oblations  aux  ancêtres 
est  le  suprême  degré  de  l'humanité.  »  Tze  Ti  yu  kiao,  king 
tchl  tchi. 

Le  Yueh  ling  (IV,  3.2.9)  prescrit  de  choisir  des  victimes 
parfaites  selon  les  règles  ;  puis  ajoute  uniquement  :  «  Si  elles 
sont  irréprochables  en  tous  ces  points,  Shang-Ti  les  acceptera  » 
et  ne  fait  aucune  mention  d'autres  esprits.  Aussi  un  commen- 
tateur lointain,  habitué  à  d'autres  idées,  croit  devoir  ajouter  : 
«  Si  Shang-Ti  les  accepte,  aucun  esprit  ne  les  rejettera.  >>  Encore 
ne  mentionne-t-il  pas  le  ciel. 


—  28  — 

Le  §  11,  sect.  III,  3,  ne  parle  également  dans  ses  règles  que 
du  sacrifice  à  Shang-Ti  et  de  celui  aux  ancêtres. 

Au  $  4,  sect.  IV,  3,  l'auteur  ajoute  les  esprits  du  sol  et  des 
céréales.  Tout  le  culte  s'y  résume  encore  dans  le  service  de 
ces  esprits,  des  ancêtres  et  de  Shang-Ti.  Même  chose  au 
livre  VIII,  2.20,  où  sont  rapportées  les  paroles  de  Confucius  : 
«  On  peut  être  capable  de  réciter  tout  le  Shuh-King  et  ne  pas 
savoir  offrir  le  petit  sacrifice  aux  ancêtres.  On  peut  être  capable 
de  cela  et  ne  pas  savoir  offrir  le  grand  sacrifice  aux  mêmes 
aïeux.  On  peut  en  être  capable  et  ne  pas  savoir  offrir  celui  des 
montagnes.  On  peut  être  en  état  de  le  faire,  mais  on  n'est  pas 
pour  cela  capable  d'offrir  le  grand  sacrifice  au  Shang-Ti.  » 

Comparons  encore  le  Ta  Tchouen,  1.  XIV,  2  :  «  Wuh  Wang, 
quittant  le  champ  de  bataille  et  de  victoire  de  Mù-Yeh,  brûla 
un  vaste  bûcher  en  l'honneur  de  Shang-Ti  et  fit  une  oblation 
au  génie  de  la  terre.  » 

Même  chose  au  livre  XVIII  (Tzâ-Ki),  2.2.24  :  «  On  peut  offrir 
au  solstice  d'hiver  le  sacrifice  à  Shang-Ti  et  au  solstice  d'été 
celui  aux  ancêtres.  » 

Et  au  livre  XXI,  1.6  init.  (Ki-i)  :  «  Le  sage  seul  peut  sacrifier 
à  Shang-Ti,  et  le  fils  pieux  à  ses  parents.  »  Cela  résume  tout 
le  culte. 

Au  livre  Viao-Ki  (XXIX,  52)  nous  trouvons  ces  paroles  de 
Kong-tze  :  «  Les  anciens  rois  servaient  les  esprits  du  ciel  et  de 
la  terre  (Shen-ming)  et  usaient  de  la  divination  par  la  tortue 
et  les  branches,  mais  ils  n'osaient  pas  servir  Shang-Ti  à  leur 
gré  et  sens  privé.  » 

Son  culte  était  donc  tout  à  part  et  au-dessus  de  tout,  sans 
rien  de  commun  avec  Tien. 

Cela  était  si  bien  resté  dans  la  conscience  des  Chinois  que 
le  commentaire  du  livre  IX  du  Li-Ki  porte  ceci  :  «  Les  vases  du 
sacrifice  étaient  ronds  pour  imiter  la  terre,  élevés  des  pieds 
pour  s'élever  vers  le  ciel;  ils  sont  faits  pour  honorer  Shang- 
Ti.  »  On  voit  comment  les  rôles  de  chacun  sont  tracés.  Voy. 
Wuh  King  tchi  tchu,  IX,  Ml,  r.  —  Et  Tchouhi,  le  philosophe 
très  peu  spiritualiste  du  XIe  siècle,  dit  lui-même  :  «  Soyez  en 


—  29  — 

ordre,  graves,  recueillis  comme  en  présence  de  Shang-Ti 
(Tchou-tze-tsieh-Yao,  IV,  f>  3).  »  Des  monothéistes,  théophifcs 
enragés,  ne  parleraient  pas  autrement.  Il  en  est  de  même  du 
commentateur  Ying-Shi,  du  livre  IX,  f>  43,  v.,  qui  dit  :  «  Le 
Fils  du  ciel  épuise  ses  forces,  ses  ressources  et  porte  son  res- 
pect à  l'extrême  pour  servir  Shang-Ti.  Les  princes  font  tous 
les  mêmes  efforts  pour  seconder  le  Fils  du  ciel.  »  Le  Shang-Ti 
occupe  au  ciel  la  position  du  Fils  du  ciel  sur  la  terre. 

On  voit  que  rien  ici  ne  détonne  avec  ce  que  nous  avons  vu 
dans  les  autres  livres  canoniques  de  la  Chine. 

N'y  aurait-il  pas  peut-être  quelque  conception  nouvelle, 
quelque  surprise  en  ce  qui  concerne  le  T'ien?  En  aucune 
façon.  Le  Tien,  puissance  surhumaine,  est  mentionné  une 
quarantaine  de  fois  dans  le  Li-Ki,  mais  ce  n'est  jamais  que 
pour  reproduire  les  notions  vagues  de  décrets,  de  châtiments, 
de  faveur,  de  voies  du  T'ien,  d'origine  céleste,  d'impartialité, 
de  murmure  contre  le  ciel,  que  nous  avons  trouvées  successi- 
vement dans  tous  les  livres  classiques  se  répétant  avec  la  plus 
parfaite  monotonie  *.  (Voir  Li-Ki,  1.  II,  1.2.12;  II,  1.3.44; 
II,  2.3.29;  III,  2.23;  III, 4.12;  III,  5.13  ; IV,  1.2.22;  IV,  2.3.11; 
V,  2.13;  VII,  1.4  et  10;  VII,  4.6;  IX,  2.2  et  8;  XVII,  1.11; 
XXI,  1.18  et  2.24;  XXIV,  16;  XXVI,  6;  XXVII,  12;  XXVIII,  1 
(Tchoug-Youg)  ;  XXVIII,  2.1  et  19.49.86;  XXIX,  25  et  29.46; 
XXX,  16  *.) 

1  Le  ciel  couvre  tout  sans  partialité. 

*  Au  liv.  III  du  Li-Li,  il  est  vrai,  on  trouve  ces  mots  :  «  Le  fils  du  ciel 
sacrifie  au  ciel  et  à  la  terre  » ,  mais  ce  livre  a  été  rédigé  sur  Tordre  de 
l'empereur  Wen-Ti  qui  régna  de  179  à  157  A.  G.  A  cette  époque  tardive, 
il  en  était  bien  ainsi. 


—  30  — 


§  6.  —  Le  Tcheou-li  t. 

Ajoutons  pour  finir  et  pour  être  plus  complet  le  passage  du 
Tcheou-li  énumérant  lés  objets  du  culte  à  son  époque,  bien 
que  celle-ci  soit  déjà  relativement  récente.  11  nous  fera  con- 
naître la  marche  des  idées  religieuses  en  Chine. 

«  Par  les  rites  fortunés  on  rend  hommage  aux  esprits  des 
trois  espèces  2  qui  président  aux  royaumes  et  aux  états  feu- 
dataires. 

»  Par  le  sacrifice  suprême  on  rend  hommage  au  Seigneur 
suprême  du  ciel  3. 

»  Par  le  bûcher  entier  *  on  sacrifie  au  soleil,  à  la  lune  et 
aux  astres...  s. 

»  Par  l'offrande  du  sang  on  sacrifie  aux  génies  de  la  terre 
et  des  céréales,  aux  cinq  génies  des  sacrifices,  aux  cinq  monts 
sacrés. 

»  En  plaçant  l'offrande  sur  la  terre  on  sacrifie  aux  mon- 
tagnes et  aux  forêts,  en  la  déposant  en  l'eau  on  sacrifie  aux 
rivières  et  lacs. 

1  Règlement  des  fonctionnaires  sous  la  dynastie  Tcheou.  Il  appartient 
certainement,  vu  le  compliqué  de  ses  instructions  et  règlements,  à  une 
époque  peu  ancienne. 

2  Comm.  1°  Shang-Ti  et  les  astres;  2°  les  anciens  souverains  et  grands 
ministres;  3°  les  esprits  des  montagnes,  fleuves  et  localités  particulières. 
C'est  l'ancien  culte,  plus  celui  des  astres  introduit  ici. 

3  Le  sens  de  ces  termes  :  hoang  Tien  Stiang-Ti  est  indubitable  même 
aux  veux  des  Chinois  modernes.  Nous  avons  vu  les  commentateurs  du 
Li-Ki  les  expliquer  par  Tien  tchi  Ti  ou  tchou  et  les  lettrés  qui  ont  traduit 
les  livres  canoniques  en  mandchou  les  rendent,  non  par  Abka-i  enduri, 
l'esprit  du  ciel,  mais  par  Abka-i  dergi  Ti,  Cœli  summus  imperator, 
dominus.  S'ils  eussent  suivi  leurs  idées  propres,  ils  eussent  fait  tout  le 
contraire. 

4  Où  l'on  brûle  un  bœuf  entier. 

8  Le  texte  énumère  le  soleil,  la  lune,  les  étoiles,  les  signes  du  zodiaque 
et  quatre  astérismes  particuliers  qu'il  serait  trop  long  de  désigner  spé- 
cialement. Le  sabéisme  s'était  introduit  par  l'occident. 


-    31  — 

»  On  rend  hommage  aux  anciens  souverains  par  la  liba- 
tion..., par  l'offrande  des  grains,  par  les  sacrifices  des  saisons.  » 
(Voir  livre  XVIII,  initio;  Biot,  I,  pp.  419  à  422.) 

Au  livre  V,  18.2  et  3,  nous  trouvons  une  indication  des 
grands  sacrifices  présentés  par  l'Empereur  lui-même  et  pour 
lesquels  on  doit  élever  la  tente  impériale.  Elle  est  ainsi  conçue  : 

«  Lorsque  le  Souverain  offre  le  grand  sacrifice  au  Seigneur 
suprême,  ils  étendent  le  banc  couvert  d'un  feutre;  ils  apprêtent 
sa  boiserie  jaune  en  paravent. 

»  Lorsque  l'Empereur  salue  le  soleil  levant,  à  l'équinoxe  du 
printemps,  quand  il  sacrifie  aux  cinq  Tien-Hoang  i,  ils  dres- 
sent la  tente  et  le  dais.  » 

On  a  vu  par  le  premier  extrait  (livre  XVIII),  comment  le 
culte  s'était  développé,  combien  les  objets  en  avaient  été  mul- 
tipliés depuis  les  temps  antiques. 

Cette  progression  a  suivi  depuis  son  cours  naturel  et  a  donné 
cette  multitude  indéfinie  de  personnages  imaginaires  ou  divi- 
nisés qui  forment  aujourd'hui  le  panthéon  chinois. 

§  7.  —  Résumé  et  conclusions. 

Voilà  donc,  réunis  en  ces  quelques  pages,  tous  les  textes 
des  livres  canoniques  de  la  Chine  qui  ont  rapport  à  la  croyance 
à  un  être  suprême;  s'il  m'en  est  échappé,  ce  que  je  ne  crois 
pas,  il  n'est  certainement  d'aucune  importance  dans  la  ques- 
tion. 

Toutes  les  pièces  du  procès  sont  ainsi  sous  les  yeux  de  nos 
lecteurs  et  il  leur  est  très  aisé  de  s'en  faire  une  idée  par  eux- 
mêmes,  comme  aussi  de  contrôler  les  conclusions  que  nous 
croyons  devoir  en  tirer.  Car  c'est  là  uniquement  ce  qui  nous 
reste  à  faire  et  ce  que  nous  ferons  le  plus  brièvement  possible. 

Si  nous  jetons  un  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  cet  amas  de 
textes,  en  suivant,  autant  que  possible,  l'ordre  chronologique, 

1  Empereurs  légendaires. 


—  32  — 

nous  serons  amenés  forcément  à  constater  certains  faits  dont 
l'évidence  s'impose  à  tous  les  esprits. 
Les  voici  classés  et  résumés  : 

1°  Les  livres  canoniques  de  la  Chine  de  la  seconde  époque 
ont,  pour  désigner  l'Etre  suprême,  les  deux  termes  Sitang-Ti 
et  Tien.  Ces  deux  termes  sont  très  souvent  employés  comme 
équivalents,  et  certaines  qualités,  certaines  actions,  sont  attri- 
buées à  tous  deux.  Providence  générale,  institution  des  gou- 
vernements et  des  dynasties  ainsi  que  leur  chute,  récompense 
des  bons  et  châtiment  des  méchants,  enseignement  donné 
aux  hommes,  et  autres  choses  analogues,  leur  appartiennent  à 
tous  deux.  Souvent  dans  une  même  phrase  les  deux  termes 
sont  employés  relativement  au  même  fait.  Hais  ce  n'est  point 
là  l'usage  primitif,  et  celui-ci  se  développe  peu  à  peu,  comme 
sous  les  yeux  du  lecteur,  ainsi  que  nous  le  dirons  tantôt. 

2°  Malgré  cela,  ces  deux  termes  diffèrent  notablement  entre 
eux  et  quant  à  leur  valeur  et  quant  à  leur  emploi.  Le  mot 
Tien  (ou  ciel)  est  plus  généralement  employé  quand  il  s'agit 
du  mouvement  régulier  de  la  nature  et  des  lois  immuables, 
même  de  l'ordre  moral. 

Par  contre,  dans  les  anciens  textes,  le  T'ien  n'a  aucun 
rapport  avec  le  culte,  on  ne  lui  offre  ni  sacrifice  ni  oblation. 
Tout  est  réservé  au  Shang-Ti  d'abord  et  aux  mânes  des  ancêtres, 
puis  à  quelques  génies  terrestres.  Certains  commentateurs  et 
traducteurs  modernes  ont  voulu  voir  dans  le  grand  feu  allumé 
sur  la  montagne  sacrée  un  holocauste  offert  au  ciel  ;  mais  non 
seulement  les  textes  n'en  disent  absolument  rien,  bien  plus, 
ils  affirment  positivement  le  contraire  :  «  Ce  sacrifice  était  offert 
à  Shang-Ti  »  dit  le  Li-Ki,  tchâi  yu  Shang-Ti  au  passage  que 
nous  avons  vu  plus  haut. 

En  outre,  en  plusieurs  endroits  le  même  livre  porte  expres- 
sément :  «  Les  anciens  rois  offraient  le  sacrifice  au  Shang-Ti 
et  les  oblations  aux  âmes  des  ancêtres  ».  En  cela  se  résumait 
tout  le  culte.  Du  ciel,  du  T'ien,  rien;  pas  le  moindre  mot. 
(Voir  VIII,  2.18,  etc.).  Quand  on  avait  offert  le  sacrifice  à 


—  33  — 

Shang-Ti,  les  plaies,  les  vents,  le  froid  et  le  chaud  étaient 
réguliers  (VIII,  2.12)  *. 

Bien  plus,  comme  nous  Pavons  encore  vu  précédemment, 
au  temps  de  Kong-fou-tzè  on  savait  encore  que  les  grands 
sacrifices  du  printemps  et  de  l'automne,  qui  passaient  pour 
offerts  au  ciel  et  à  la  terre,  Tétaient  en  réalité  au  seul  Shang-Ti  ; 
lui  seul  en  était  le  terme  final.  C'était  lui  qu'on  honorait  en 
honorant  les  deux  grandes  puissances  du  monde,  c'était  à  lui, 
en  définitive,  que  l'on  demandait  les  dons  et  faveurs  qui 
devaient  arriver  aux  hommes  par  l'intermédiaire  du  ciel  et  de 
la  terre.  Le  ciel,  au  contraire,  aidait  le  sacrificateur  et  recevait 
sa  paix  des  hommes. 

3°  Dans  les  livres  provenant  de  l'époque  la  plus  reculée, 
c'est-à-dire  aux  plus  anciens  chants  du  Shih-King,  le  Tieix 
ne  joue  encore  qu'un  rôle  secondaire,  assez  vague  même,  et 
ne  paraît  qu'accessoirement  quand  il  s'agit  du  décret  provi- 
dentiel et  des  lois  générales,  immuables,  de  la  nature. 

Il  en  est  de  même  quant  au  Yih-King  et  aux  parties  du  Shih- 
King  qui  date  certainement  de  l'époque  à  laquelle  ils  se  rap- 
portent; grandes  odes  des  premiers  tcheous. 

Dans  les  autres,  le  rôle  du  T'ien  grandit,  sans  toutefois 
jamais  changer  de  nature;  ses  propriétés  restent  celles  que 
nous  avons  indiquées  ci-dessus.  Pour  les  premières,  le  seul 
rôle  actif  est  réservé  au  Shang-Ti,.  lui  seul  est  mis  en  scène, 
lui  seul  parle  aux  hommes  ;  le  T'ien  n'est  cité  qu'accessoire- 
ment, vaguement  et  d'une  manière  qui  ne  dépasse  pas  la 
métaphore  poétique. 

Du  reste  ce  caractère  ne  se  perd  jamais,  et  partout  dans  les 
livres  canoniques  le  mot  T'ien  est  employé  de  telle  façon  que 
les  théistes  les  plus  déterminés,  les  catholiques  mêmes  pour- 
raient s'en  servir  dès  qu'ils  ont  recours  au  style  poétique  ou 
imagé.  Nous  dirions  encore  comme  les  anciens  Chinois  :  «  Fasse 

1  II  en  est  de  même  du  sacritice  kiao  que  Ton  rapporte  au  ciel.  Le  Li-Ki, 
en  trois  endroits,  dit  expressément  qu'il  était  offert  au  Shang-Ti.  (VIII, 
2.12  et  18  init.  111,4.1) 

TomeXU.  3 


—  Si- 
te ciel  !  plût  au  ciel  !  le  ciel  est  témoin  de  mon  innocence;  cela 
crie  vengeance  au  ciel  ;  ses  décrets  sont  impénétrables,  etc.  » 

C'est  Shang-Ti  et  non  le  Tien  que  le  juste  doit  toujours 
regarder  comme  présent. 

4°  Il  n'est  pas  soutenable  que  les  auteurs  des  Kings,  en 
employant  le  mot  Tien,  entendissent  attribuer  les  œuvres  pro- 
videntielles et  divines  au  ciel  matériel  même.  L'échange  des 
termes  Shang-Ti  et  Tien  le  prouve  déjà  suffisamment. 

En  outre,  des  expressions  telles  que  le  ciel  intelligent,  le  ciel 
invisible  (Fin),  montrent  d'une  manière  évidente  que  le  langage 
des  Kings  est  figuré.  On  ne  dit  pas,  sans  doute,  le  ciel  invisible 
en  parlant  du  ciel  matériel,  apparent. 

5°  Le  mot  Shang-Ti  par  lui-même  indique  clairement  un 
être  personnel.  Les  actes  qui  lui  sont  attribués  dans  les  Kings, 
la  trace  de  ses  pas  sur  laquelle  Kiang-Yuen  marcha  avant 
d'enfanter  si  heureusement  le  héros,  fondateur  de  l'illustre 
race  des  Tcheous,  indiquent  suffisamment  cette  nature. 

Le  nom,  en  lui-même,  en  est  une  autre  preuve.  Ti  a  toujours 
été  la  désignation  du  monarque,  souverain  absolu,  supérieur  à 
toute  autorité  sur  la  terre.  Shang-Ti  est  le  souverain  monarque, 
le  Monarque  des  Monarques,  le  Souverain  au-dessas  de  tout 
Souverain  terrestre;  ce  n'est  pas  là,  sans  doute,  le  titre  d'un  être 
d'imagination,  simple  personnification  de  la  matière  céleste. 

La  forme  du  caractère  que  représente  le  mot  Ti  peut  être 
interprétée  de  différentes  façons,  et  nous  ne  voulons  pas  argu- 
menter d'une  donnée  incertaine;  mais  ce  qui  est  assuré,  c'est 
que  toutes  ers  formes  présentent  l'idée  d'une  position  élevée 
au-dessus  de  tout  ;  le  sommet  au-dessus  de  tout.  D'ailleurs,  les 
commentateurs  chinois  qui  ont  conservé  les  traditions  anti- 
ques expliquent,  comme  nous  l'avons  vu,  les  termes  Shang-Ti 
par  d'autres,  qui  indiquent  nécessairement  un  être  personnel  : 
Tien  tchi  ti  ou  tchou  «  l'empereur,  le  maître  absolu  du  ciel  ». 
Les  lettrés  chinois-tartares  chargés  par  les  premiers  souverains 
de  la  dynastie  actuelle  de  traduire  les  Kings  en  mandchou, 
savaient  encore  bien  ce  qui  en  était  en  réalité,  puisqu'ils  ont 
traduit  le  Tien  Shang-Ti  non  point  par  a  le  Tien  ou  Shang-Ti  » 


—  35  — 

ou  bien  «  l'esprit  du  ciel  »  Abka-i  enduri,  mais  par  les  termes 
qui  expriment  le  mieux  la  notion  d'un  être  personnel  :  Abka-i 
dergi-Ti  a  Cœli  summus  Dominus  »  ou  «  Imperator  ». 

On  ne  pourrait  pas  soutenir  que  ces  commentateurs  et  tra- 
ducteurs ont  introduit  leurs  œuvres  dans  leurs  versions  ou 
dans  leurs  commentaires,  car  s'ils  l'eussent  fait,  le  résultat  eût 
été  précisément  tout  le  contraire.  D'après  leurs  idées  propres, 
le  Summum  numen  n'est  point  l'être  suprême,  vivant  et  per- 
sonnel, mais  ce  Tien  mal  défini,  flottant  entre  l'abstraction, 
la  matérialité  et  la  semi-personnalité.  S'ils  s'en  fussent  référés 
à  leurs  propres  systèmes,  ils  eussent  rendu  Shang  Ti  par  Tien 
seul  ou  Tien-Shen,  esprit  du  ciel,  comme  quelques-uns  l'ont 
fait,  cherchant  l'explication  plutôt  dans  les  idées  régnantes  à 
leur  époque  que  dans  l'histoire  et  la  tradition. 

6°  Ce  que  nous  venons  de  dire  nous  servira  à  résoudre  une 
autre  question,  connexe  à  la  précédente,  et  d'une  importance 
extrême  pour  l'hagiographie  :  Quels  rapports  existent  entre  le 
Shang-Ti  et  le  Tien?  Est-il  vrai ,  comme  on  l'a  prétendu,  que 
les  Chinois  ont  d'abord  adoré  le  ciel  matériel,  puis  l'ont  animé, 
puis  personnifié,  et  que  de  cette  personnification  est  venue 
celle  du  génie  du  ciel  ou  du  Shang-Ti? 

Nos  lecteurs  auront  déjà  répondu  pour  nous.  Ils  ont  vu, 
en  effet,  dans  notre  exposé,  qu'il  n'y  a  pas  un  mot  des  textes, 
pas  une  allusion  lointaine  qui  permette,  non  pas  une  affirma- 
tion, mais  une  hypothèse  de  ce  genre.  Ils  ont  vu,  en  outre  : 

a)  Que  Shang-Ti  n'est  pas  l'esprit  du  ciel,  mais  son  maître 
souverain;  il  est  au  ciel,  mais  il  n'est  pas  le  ciel.  Le  Tien  joue, 
relativement  à  S'hang-Ti,  le  même  rôle  que  la  Cour  par  rap- 
port au  souverain. 

b)  Que  les  anciens  Chinois  ne  rendaient  aucun  culte  au  ciel, 
qu'il  n'y  avait  pas  pour  lui  de  sacrifice  ou  d'offrande;  que 
tout  se  bornait  d'abord  chez  eux  aux  sacrifices  en  l'honneur 
du  Shang-Ti  et  aux  oblations  faites  aux  morts  ;  tout  au  plus  y 
joignaient-Us  quelque  acte  d'hommage  à  certains  esprits  de 
la  terre. 

c)  Que  le  TU*,  ou  ciel  n'a  d'abord  qu'un  rôle  effacé  et 


—  36  — 

presque  entièrement  littéraire  métaphorique,  que  ce  rôle  gran- 
dit peu  à  peu  au  point  d'absorber  celui  du  Shang-Ti. 

C'est  bien  là,  je  pense,  le  contraire  de  ce  que  Ton  prétend; 
car  si  le  Tien  eût  d'abord  occupé  la  scène  exclusivement  et 
eût  peu  à  peu  cédé  devant  le  nouvel  acteur  qui  lui  disputait 
l'importance  de  son  rôle,  c'eût  été  le  phénomène  inverse  qui  se 
fût  produit,  et  Shang-Ti,  au  lieu  de  disparaître,  eût,  tout  au 
contraire,  absorbé  complètement  ou  presque  complètement  le 
Tien;  c'est  là  la  marche  naturelle  et  nécessaire  des  choses. 

Chez  les  Chinois,  depuis  les  premières  origines  et  leurs 
premiers  monuments,  les  conceptions  religieuses,  bien  loin  de 
se  spiritualiser,  ont  toujours  été  se  matérialisant  de  plus  en 
plus,  jusqu'à  confondre  comme  en  une  seule,  les  notions  du 
T'ien  et  du  Shang-Ti. 

Aujourd'hui,  et  il  en  est  ainsi  depuis  des  siècles,  quand  on 
demande  à  un  Chinois  quelle  différence  il  fait  entre  le  Shang-Ti 
et  le  Tien,  il  se  montre  hésitant  et  embarrassé;  les  plus  lettrés 
nous  disent,  avec  leurs  commentateurs,  que  le  T'ien  est  la 
forme  extérieure,  HingSiang,  et  le  Shang-Ti,  l'esprit  qui  l'ha- 
bite, Shen.  Ce  ciel,  forme  apparente,  n'est  ni  Téther,  ni  les 
astres,  ni  la  lumière;  c'est...  c'est...  ils  ne  savent  pas  bien 
quoi.  Et  comme  ils  ne  font  point  une  distinction  nette  entre 
l'esprit  et  la  matière,  et  n'y  voient  pas  deux  natures  absolument 
opposées,  ils  ne  conçoivent  pas  la  nécessité  de  séparer  entiè- 
rement Tune  de  l'autre.  C'est  pourquoi  ils  emploient  indiffé- 
remment les  deux  termes. 

7°  S'il  est  vrai,  —  et  nous  ne  voyons  pas  comment,  en  pré- 
sence de  textes  aussi  formels  et  sûrs,  il  serait  possible  de  le  con- 
tester, —  s'il  est  vrai  que  pour  les  premiers  Chinois,  Shang-Ti 
était  le  seul  objet  du  culte  suprême,  que  le  T'ien  n'y  avait 
aucune  part;  que  la  notion  de  ce  dernier,  d'abord  accessoire 
et  vague,  s'est  développée  lentement,  occupant  de  plus  en  plus 
la  place  du  Shang-Ti  jusqu'à  le  détrôner  pour  ainsi  dire  com- 
plètement, mais  sans  toutefois,  pendant  de  longs  siècles,  rece- 
voir aucun  hommage  propre,  il  est  évident  que  la  divinité 
nationale  des  Chinois,  celle  qu'ils  ont  apportée  avec  eux  sur 


—  37  — 

les  rives  du  fleuve  Jaune,  est  Shang-Ti  et  non  le  Tien,  et  que 
le  Summus  Dominas  des  Chinois  n'est  point  une  personni- 
fication du  ciel  matériel  adoré  primitivement  par  eux. 

§  8.  —  Origine  de  la  conception  du  Tien. 

On  se  demandera  sans  doute  d'où  leur  est  venue  cette 
conception  du  Tien,  qui  a  joué  chez  eux,  à  la  longue,  un  rôle 
si  considérable  et  si  absorbant.  A  cette  question,  une  première 
réponse  se  présente. 

Le  Tieti  était  la  divinité  principale  des  nations  tartares  qui 
avoisinaient  la  Chine,  peut-être  aussi  de  populations  qui  occu- 
paient le  sol  de  l'Empire  des  Fleurs  avant  l'invasion  chinoise, 
et  que  celle-ci  a  dépossédées  ou  subjuguées.  Rien  de  plus 
naturel  et  de  plus  fréquent  qu'une  influence  de  ce  genre. 

Mais  il  est  une  autre  solution  qu'un  des  traits  particuliers 
du  caractère  du  Tien  suggère  à  l'observateur,  et  qui  n'est  peut- 
être  pas  moins  satisfaisante. 

Nous  avons  vu  que  le  mot  T'ien  est  surtout  employé  quand 
il  s'agit  des  lois,  de  l'ordre  immuable  de  la  nature,  physique 
d'abord,  puis  moral.  Cet  ordre  se  manifeste  surtout  dans  le 
ciel  par  l'apparition,  la  succession  des  astres.  Les  Chinois  y 
ont  vu  un  principe  de  régularisation,  de  perpétuité,  auquel  ils 
ont  attribué  comme  une  existence  spéciale  et  personnelle,  et 
qui  est  pour  eux  le  vrai  Tien.  C'est  à  peu  près  le  tao  de  Lao-tze, 
le  Xoyoç  des  êtres. 

Voilà  ce  que  je  m'étais  dit  depuis  longtemps,  quand  la  lec- 
ture d'un  passage  du  Li-Ki  vint  me  prouver  que  ce  n'était 
point  là  une  opinion  individuelle,  mais  la  croyance  et  la  tra- 
dition des  Chinois  eux-mêmes.  Ce  passage  n'est  pas  d'un  com- 
mentateur, mais  fait  partie  du  texte  même. 

Le  voici  textuellement,  en  entier  : 

«  Le  sacrifice  (au  génie  de  la  terre)  Shi  procédait  comme 
s'il  faisait  du  principe  d'action  de  la  terre  un  esprit.  La 
terre  supporte,  contient  toutes  choses,  le  ciel  envoie  tous  les 
signes  lumineux.  Ils  reçoivent  leurs  richesses  de  la  terre  ;  ils 


—  38  — 

reçoivent  les  règles  de  leurs  actes  du  ciel;  c'est  pourquoi  ils 
ont  vénéré  le  ciel  et  affectionné  la  terre  et  ils  ont  appris  aux 
peuples  à  témoigner  convenablement  leur  reconnaissance. 

»  Les  saints,  ajoute  le  commentaire,  connaissaient  la  gran- 
deur du  principe  d'action  (tao)  de  la  terre;  aussi,  quand  ils 
élevaient  l'autel  S  ht,  ils  y  sacrifiaient  comme  s'ils  tenaient  la 
terre  pour  un  esprit  et  l'illustraient  de  la  sorte.  C'était  le  moyen 
de  témoigner  convenablement  sa  reconnaissance.  »  Li-Ki,  Y, 
1 .31 .  C'est  dans  le  même  ordre  d'idées  qu'il  est  dit  un  peu  plus 
loin  :  «  Au  grand  sacrifice,  dans  le  quartier  extérieur,  l'empereur 
allait  comme  en  avant  pour  saluer  l'arrivée  du  plus  long  jour; 
dans  cet  acte  de  reconnaissance  envers  le  ciel,  le  soleil  occupait 
la  première  place,  »  puisque  c'est  à  lui  que  l'on  doit  ces  longs 
jours.  Ces  deux  causes,  du  reste,  peuvent  avoir  exercé,  toutes 
deux,  leur  influence. 

La  croyance  au  Shang-Ti  et  les  honneurs  rendus  au  Tien 
ont  donc  eu  des  origines  et  des  sources  toutes  différentes,  et 
rien  ne  permet  de  croire  que  la  première  soit  née  des  seconds; 
tout  prouve  même  le  contraire. 

Voyant  au  ciel  le  cours  régulier  des  saisons  et  des  astres,  les 
Chinois  y  trouvaient  une  image  des  lois  morales,  et  dans  les 
uns  et  les  autres  ils  aperçurent  un  principe  immuable  qui  fut 
pour  eux  le  T'ien,  principe  qui  s'impose  au  Shang-Ti  lui-même, 
qui  le  garde  et  le  maintient,  mais  ne  l'a  point  créé,  comme 
volontairement,  parce  qu'il  est  nécessaire. 

Le  Shang-Ti  est,  d'après  les  textes  exposés  ci-dessus,  le 
maître  souverain  des  hommes,  il  dispose  des  empires.  11  est 
le  gardien  et  le  vengeur  des  lois  et  de  la  justice;  il  régit  les 
phénomènes  célestes  et  en  envoie  des  calamités  à  la  terre;  mais 
il  ne  parait  nulle  part  comme  le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre. 

Les  anciens  Chinois  n'ont  point  cherché  à  scruter  le  mystère 
de  l'origine  des  êtres.  Lao-tze  le  premier  s'en  occupa  et  résolut 
le  problème  tant  bien  que  mal,  comme  il  a  été  dit  ailleurs. 
Quand  les  lettrés  chinois  y  pensèrent,  le  ciel  avait  pris  chez 
eux  la  première  place  ;  ce  fut  à  lui  que  fut  attribuée  la  produc- 
tion des  choses  d'ici-bas,  ou  plutôt,  leur  science  cosmogonique 


—  39  — 

ne  dépassa  point  cette  considération.  «  Le  ciel  est  supérieur  à 
la  terre,  c'est  lui  qui,  par  les  astres,  les  saisons,  les  pluies,  etc., 
féconde  et  règle  les  productions  terrestres;  donc  c'est  lui  qui 
est  le  procréateur  immédiat  des  êtres  subcélestes  ;  il  en  est  le 
père  et  la  terre  en  est  la  mère.  »  Ils  n'allèrent  pas  au  delà. 

§  9.  —  Xature  du  Shang-Ti. 

Il  nous  reste  encore  à  nous  demander  quelle  conception  les 
premiers  Chinois  avaient  de  la  Divinité,  Shang-Ti  ou  T'ien,  et 
conséquemment  quelle  en  avait  été  chez  eux  la  cause  généra- 
trice. 

La  réponse  à  cette  question  est  des  plus  faciles.  Que  nos 
lecteurs  veuillent  bien  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  textes  et  les 
attributifs  accumulés  aux  pages  précédentes;  ils  n'y  trouveront 
que  ceci  : 

La  Divinité  est  père  et  mère  (fuh-muh)  des  hommes,  elle 
veille,  compatissante,  à  leurs  intérêts,  mais  surtout  au  maintien 
de  l'ordre  universel,  et  à  l'observation  des  lois  morales.  Elle 
institue  les  rois  pour  qu'ils  gouvernent  avec  justice  et  bonté  et 
leur  retire  leur  mandat  dès  qu'ils  en  abusent  pour  opprimer 
le  peuple.  Elle  inspecte  la  terre  pour  examiner  les  actes  des 
hommes  et  scruter  les  cœurs,  elle  comble  les  bons  de  faveurs 
et  de  prospérité  et  punit  les  méchants.  Elle  enseigne  les 
hommes  et  leur  révèle  toute  science. 

Après  leur  mort,  les  bons  princes,  les  hommes  vertueux  et 
utiles  à  l'humanité  sont  placés  par  elle  au  ciel  à  sa  droite  et  à  sa 
gauche,  d'où  eux-mêmes  participent  à  l'action  providentielle. 

Il  n'y  a  donc  pas,  dans  les  premiers  textes  chinois,  la  moindre 
trace  de  cette  crainte  qui  doit  avoir  fait  les  dieux,  aucune  de 
ces  notions  puériles  et  superstitieuses,  de  ces  appréhensions 
illogiques,  que  l'on  prétend  avoir  engendré  le  sentiment  reli- 
gieux. Soutenir  le  contraire  c'est  se  mettre  en  dehors  de  l'his- 
toire et  de  la  science. 


—  40  — 


CHAPITRE  III. 
Les  esprits. 


La  question  qui  se  présente  ici  devant  nous  est  celle-ci  : 

Les  esprits  chez  les  anciens  Chinois  appartenaient-ils  aux 
conceptions  animistes?N'étaient-ce  que  les  éléments  eux-mêmes 
pourvus  d'une  sorte  d'âme  ou  conçus  comme  ayant  une  vie  et 
une  intelligence  à  eux,  ou  bien  étaient-ce  de  véritables  esprits, 
des  êtres  personnels,  entièrement  distincts  des  parties  maté- 
rielles auxquelles  ils  étaient  censés  présider,  des  esprits  en  un 
mot  se  rapprochant  de  la  conception  chrétienne? 

Pour  répondre  à  cette  question,  nous  allons,  comme  précé- 
demment, recueillir  les  textes  et  en  tirer  les  conséquences 
qu'ils  comportent  nécessairement.  Il  serait  toutefois  superflu 
de  les  énumérer  tous  sans  exception  ;  ce  serait  long,  fastidieux 
et  inutile.  Il  suffira  amplement  d'en  présenter  un  certain 
nombre  qui  caractérisent  le  mieux  les  idées  chinoises.  Nous  les 
donnerons  selon  Tordre  des  livres  les  plus  anciens. 

Mais  avant  cela,  examinons  le  mot  qui  désigne  le  plus  ordi- 
nairement les  esprits  en  général.  C'est  le  mot  Shen,  dont  le 
caractère  correspondant  a)  est  formé  de  deux  autres,  l'un  ser- 

vant,  semble-t-il,  à  indiquer  la  prononciation  b)\  l'autre  dési- 
gnant une  apparition,  une  annonce,  un  signe  céleste  c).  Le 
premier  pourrait  aussi  se  référer  à  la  pénétration  du  ciel, 
attribuée  aux  esprits  ou  à  leur  action  étendue  sans  obstacle  ; 
mais  la  plus  ancienne  forme  de  ce  mot  ne  s'explique  pas 
exactement;  elle  semble  bien  cependant  représenter  deux 
soleils  superposés,  traversés  par  une  ligne  d),  ce  qui  revien- 
drait à  la  signification  du  caractère  actuel. 


-  41  — 

Il  faut  bien  convenir  que  ceci  n'annonce  guère  des  croyances 
animistes,  et  il  serait  presque  impossible  de  ne  pas  y  voir  tout 
le  contraire.  Le  caractère  n'a  aucun  rapport  avec  quelque 
élément  que  ce  soit,  mais  désigne  au  contraire  des  esprits 
indépendants  se  manifestant  par  eux-mêmes  et  traversant  les 
cieux. 

En  outre,  les  Chinois  joignent  ensemble  les  deux  mots  Kwei- 
Shen  pour  désigner  les  esprits  en  général.  Or,  Kwei  désigne 
les  âmes  des  morts,  les  dieux  mânes,  qui  n'ont  rien  de 
commun  avec  l'animisme.  Pour  former  une  notion  générale 
avec  ceux-ci,  les  Shen  doivent  être  nécessairement  d'une  nature 
analogue.  Ce  sont  donc  des  esprits  indépendants  et  personnels. 

Voilà  ce  que  nous  disent  les  caractères  figuratifs  chinois; 
voyons  si  les  textes  y  seront  conformes  ou  le  contrediront. 

Commençons  par  le  Shih-King. 

Shih-K.,  IV,  1.7  :  «  Il  n'est  aucun  ennemi  qui  ne  soit  brisé; 
j'ai  gagné  la  faveur  de  tous  les  esprits.  » 

II,  1.5.1  :  «  L'homme  ne  cherchera-t-il  pas  à  avoir  des 
amis?  Les  esprits,  s'il  est  ami  fidèle,  écouteront  sa  voix;  il 
vivra  en  paix  et  harmonie.  » 

III,  2.8.3  :  «  Accomplissez  votre  âge  et  que  tous  les  esprits 
vous  traitent  comme  leur  chef.  » 

III,  3.2.7  :  «  L'arrivée  des  esprits  (auprès  des  hommes)  ne 
peut  être  sue  avec  certitude;  d'autant  plus  ne  doit-on  pas  les 
traiter  avec  peu  de  respect.  » 

III,  3.4.2  (La  sécheresse  ruine  la  terre)  :  «  Et  cependant  il 
n'est  point  d'esprit  auquel  je  n'aie  point  sacrifié.  Heou-tsi  n'a 
rien  pu  obtenir.  Shang-Ti  ne  nous  a  point  secouru,  ne  s'est 
point  incliné  vers  nous.  » 

Ibid.,  6  :  «  Je  n'ai  point  apporté  un  retard  coupable  à  faire 
les  offrandes  aux  quatre  régions  et  à  l'esprit  de  la  terre.  » 

Remarquons  ici  que  le  texte  ne  porte  pas  «  à  la  terre  »,  mais 
au  Shai,  lequel,  comme  l'indique  le  caractère,  est  l'esprit  qui 
gouverne  la  terre  et  préside  aux  opérations  de  la  nature  ter- 
restre. Les  régions  étant  l'espace  s'étendant  dans  les  quatre 
directions,  il  ne  peut  être  question  d'un  espace  animé,  mais 


—  42  — 

des  esprits  qui  régissent  les  quatre  parties  de  la  voûte  céleste. 
C'est  du  reste  ce  que  les  commentateurs  expliquent  tous  sans 
la  moindre  dissidence  ni  hésitation. 

II,  1.6.5  (Louanges  du  roi)  :  «  Les  esprits  viendront  et  te 
combleront  de  félicités.  » 

II,  6.3.4  et  5  :  «  Remplissez  vos  devoirs  et  les  esprits  vous 
seconderont  d'une  vaste  prospérité.  » 

'  III,  1.5.5  :  «  Notre  prince  est  plein  de  piété  fraternelle;  les 
esprits  l'excitent  et  l'encouragent  dans  ses  effQrts.  » 

Shuh-King,  II,  2.4.  Yih  dit  à  l'empereur  Shun  :  «  Votre  vertu 
est  grande  et  vaste,  elle  est  sainte,  elle  est  spirituelle  (digne 
des  esprits),  Shen.  »  —  Un  peu  plus  loin  Shun  répond  à  Yu  : 
«  J'ai  consulté  par  la  divination,  les  esprits  ont  donné  leur 
assentiment  à  mes  projets....  Une  entière  sincérité  touche, 
émeut  les  esprits  [Sheti),  les  porte  à  secourir.  » 

IV,  3.3  :  «  Le  peuple  souffrant  de  cruelles  injures  proteste 
de  son  innocence  aux  esprits  d'en  haut  et  d'en  bas.  » 

IV,  4.2  porte  expressément  :  «  Les  anciens  rois  de  Hia  pra- 
tiquaient ces  vertus,  il  n'y  avait  point  de  calamités  célestes. 
Les  esprits  des  monts  et  des  fleuves  étaient  complètement 
tranquilles.  » 

V,  8.3  :  «  Vante  le  roi  parce  qu'il  traita  toujours  avec  respect 
les  esprits  et  les  hommes,  Shen-jin.  » 

Tchong-Yong,  XXIV  :  «  L'homme  doué  d'une  sincérité, 
d'une  droiture  parfaite,  est  semblable  aux  esprits.  » 

Ibid.,  XVI  :  «  Qu'elle  est  vaste  et  parfaite  la  puissance  des 
esprits  !  Nous  regardons  et  nous  ne  les  apercevons  pas  ;  nous 
écoutons,  cherchant  à  entendre,  et  nous  n'entendons  rien  ;  ils 
pénètrent  les  choses  et  Ton  ne  peut  les  tenir  à  l'écart.  Us  font 
que  tous  les  hommes  jeûnent  et  se  purifient  pour  accomplir 
les  sacrifices  et  libations;  ils  sont  alors  comme  se  répandant 
en  flots  et  viennent  se  placer  au-dessus  d'eux,  à  leurs  côtés.  » 

XXIX  :  «  Le  sage  souverain  se  présente  devant  les  esprits 
sans  douter  le  moins  du  monde  de  leur  présence.  » 

Li-KU  livre  H,  §  II,  2.22  :  «  Lorsque,  après  la  mort,  on  rap- 
pelle l'âme  du  défunt  et  qu'on  regarde  au  loin,  c'est  pour  le 


—  43  — 

faire  revenir,  le  chercher  au  milieu  des  esprits  (où  il  se  trouve 
depuis  sa  mort),  Kvei-Shen.  » 

III,  14.16  (Des  règlements  royaux)  :  «  Ceux  qui  répandaient 
de  faux  bruits  par  rapport  aux  apparitions  d'esprits  étaient 
mis  à  mort.  » 

III,  2.15  :  «  Si  quelque  prince  négligeait  le  culte  des  esprits 
des  montagnes  et  des  fleuves,  il  était  considéré  comme  man- 
quant du  respect  religieux,  et  le  prince  manquant  de  respect 
était  dépouillé  de  ses  états.  »  Ici  le  texte  porte  expressément 
ce  les  esprits  des  monts  et  fleuves  »  Shan  tchouen  Shen  Khi, 
ce  qui  prouve  que  là  où  les  mots  «  monts  et  fleuves  »  sont 
employés  seuls,  il  faut  les  entendre  dans  ce  sens,  qui  est,  du 
reste,  celui  que  donnent  tous  les  commentaires  sans  exception. 

VIII,  2.15  :  «  Les  offrandes  étant  prêtes,  on  les  annonçait 
aux  esprits  et  Ton  attendait  leur  arrivée.  C'est  pourquoi  on  les 
annonçait  trois  fois.  C'est  pourquoi  Ton  répétait  ces  mots  : 
Sont-ils  là?  Sont-ils  là?  » 

IX,  3.17  :  «  Les  offrandes  doivent  être  belles  et  variées... 
Pour  maintenir  les  rapports  de  l'homme  avec  les  esprits  intel- 
ligents, on  ne  doit  en  rien  chercher  ses  aises  et  sa  propre 
satisfaction.  » 

XVII,  1.19  :  «  Dans  la  sphère  visible,  il  y  a  la  musique  et 
les  rites;  dans  la  sphère  invisible,  il  y  a  les  esprits.  »  — 
3.23  :  «  L'homme  toujours  calme  et  en  repos  est,  comme  un 
esprit,  considéré  avec  respect  et  sans  malveillance.  » 

XXI,  1.20  :  «  Les  rites  étaient  destinés  à  promouvoir  l'hon- 
neur des  esprits,  assurant  ainsi  l'honneur  rendu  aux  supé- 
rieurs. » 

XXI,  2.1  :  «  Le  souffle  vital  de  l'homme  est  de  nature  spiri- 
tuelle. Quand  l'homme  meurt  le  Kvei  va  dans  la  terre,  mais  son 
esprit  en  sort  et  s'élève  dans  un  état  de  glorieuse  splendeur.  » 

XXVI,  8  :  «  Quand  la  pureté  et  l'intelligence  sont  en 
l'homme,  son  âme  et  sa  volonté  sont  comme  un  esprit.  » 

Mais  en  voilà,  sans  doute,  plus  qu'il  n'en  faut. 

Des  esprits  auxquels  l'homme  et  son  âme,  spécialement, 
peuvent  être  comparés,  quand  ils  sont  purs  et  éclairés,  parmi 


■*-+ 


■i    *    J  J 


—  4  i  — 

lesquels  les  âmes  des  défunts  vont  se  placer,  avec  lesquels  les 
hommes  peuvent  entrer  en  rapport;  des  esprits  invisibles  qui 
se  rendent  au  sacrifice,  qui  y  sont  présents  sans  qu'on  les 
aperçoive  et  dont  la  présence  invisible  impose  le  respect, 
comme  elle  est  offensée  par  les  fautes  ;  qui  pénètrent  les  objets 
et  ne  peuvent  être  écartés  ;  des  esprits  enfin  que  la  vertu  touche 
et  fait  agir,  auxquels  l'homme  se  rend  semblable  en  devenant 
vertueux,  droit,  intelligent,  ces  esprits  ne  sont  assurément  pas 
des  éléments  matériels  dotés  d'une  anima,  des  montagnes,  des 
fleuves,  des  astres  simplement  animés,  mais  des  êtres  indépen- 
dants de  la  matière,  spirituels,  intelligents  et  personnels,  qui 
n'ont  rien  de  commun  avec  les  théories  animistes. 

Si  l'on  trouve  dans  les  auteurs  chinois  quelque  chose  qui 
s'en  rapproche,  c'est  l'effet  d'une  altération  tardive  des  doc- 
trines antiques.  L'animisme  en  Chine  est  postérieur  au  spiri- 
tualisme, bien  loin  d'en  avoir  été  la  plus  ancienne  croyance. 

Il  en  est  de  ceci  comme  de  la  doctrine  de  l'être  suprême  dans 
laquelle  le  T'ien  semi-matériel  s'est  substitué  au  Shang-Ti  per- 
sonnel et  spirituel. 

Si  l'on  trouve  dans  certains  livres  traitant  de  cette  matière 
des  textes  cités  qui  disent  ou  semblent  dire  le  contraire,  c'est 
encore  une  fois  parce  qu'on  a  procédé  sans  critique  et  confondu 
l'ancien  et  le  nouveau. 

Parfois,  il  est  vrai,  on  rencontre  dans  les  anciens  textes  des 
phrases  où  il  est  dit  que  les  hommages  sont  rendus,  par 
exemple,  aux  montagnes  et  aux  rivières;  mais  prendre  ces 
mots  à  la  lettre,  c'est  faire  preuve  que  l'on  ne  connaît  aucune- 
ment le  caractère  de  l'ancien  chinois  écrit.  Dans  leur  langage 
écrit,  les  anciens  Chinois  semblaient  s'étudier  à  n'employer 
que  le  nombre  de  caractères  nécessaires  pour  permettre  de 
deviner  leur  idée.  Ce  qu'ils  traçaient  avec  leur  pinceau  c'était 
comme  une  suite  de  jalons  au  moyen  desquels  on  pouvait 
reconnaître  leurs  pensées.  Us  écriront,  par  exemple  :  «  Telle 
fête  tambour  harpe  »  pour  dire  à  telle  cérémonie  on  employait 
les  tambours  et  les  harpes  pour  accompagner  les  actes  du 
culte.  Ou  bien  :  «  non  non  docens  »  pour  :  En  tout  cela  il  n'y 
a  rien  qui  ne  soit  un  enseignement. 


-  45  — 

D'ailleurs,  quand  on  se  trouve  en  présence  de  deux  textes 
dont  l'un  est  obscur,  douteux,  et  l'autre  clair,  précis,  explicite, 
c'est  évidemment  le  second  qui  doit  servir  à  expliquer  le  pre- 
mier, et  non  le  contraire.  Ce  que  l'un  dit  ne  peut  être  annulé 
par  ce  que  l'autre  ne  dit  pas  sans  même  le  nier.  C'est  une  règle 
élémentaire  de  l'exégèse  que  tous  les  commentateurs  chinois 
ont  reconnue  et  pratiquée.  Si  l'on  substitue  arbitrairement  ses 
propres  idées  aux  textes,  que  deviennent  la  vérité  et  la  science? 
Lorsque,  par  exemple,'  le  Li-Ki  dit  expressément  :  Ils  sacri- 
fiaient sur  les  montagnes  et  rivières  pour  honorer  les  esprits, 
80  i  pin  Kvei  shen,  prétendrons-nous  savoir  mieux  cela  que  les 
anciens  Chinois  eux-mêmes,  et  substituer  nos  idées  aux 
leurs?  (Voir  Wuh  King-tchi-tchu,  IV,  65,  r.). 


CHAPITRE  IV. 

Nature  et  immortalité  de  l'ame. 


La  croyance  à  l'immortalité  de  l'âme  est  si  clairement,  si 
nettement  énoncée  dans  tous  les  livres  canoniques  chinois,  qu'il 
semblerait  superflu  de  s'en  occuper.  Mais  comme  tout  le 
monde  ne  peut  consulter  ces  livres  et  que  des  idées  erronées 
ont  été  répandues  sur  cet  objet,  nous  croyons  faire  chose  utile 
en  présentant  ici  quelques  textes  qui  l'exposent  de  la  manière 
la  plus  claire  et  la  plus  convaincante  : 

1°  Ce  sont  d'abord  les  termes  employés  pour  désigner  la 
mort  :  ce  monter  »  C/wA,  «  monter  et  descendre  »  ce  que  tous 
les  commentaires  expliquent  en  ces  termes  «  le  corps  descend 
en  terre  et  l'âme  monte  au  ciel  »  Shuh-King,  II,  fin,  V,  16.8, 
Shih-K. 

3°  Ce  sont,  en  outre,  les  passages  où  il  est  dit  que  tel  per- 
sonnage mort  est  au  ciel  ;  par  exemple.  Shih-King  III.  «  Wen 


—  M  — 

Wang  est  au  ciel,  à  la  droite  et  à  la  gauche  de  Dieu  ».  «  Les 
anciens  Souverains  qui  sont  au  ciel.  » 

3°  Les  événements  importants  pour  l'empire  ou  la  famille 
sont  annoncés  dans  le  temple  des  ancêtres  et  Ton  attend  de 
ceux-ci  protection  et  secours.  Shuh-K.  V,  6.0  à  7.  «  Tcheou- 
Kong,  voyant  le  roi,  son  père,  dangereusement  malade,  va  au. 
temple  de  leurs  ancêtres  communs  demander  de  mourir 
pour  lui.  » 

4°  Les  ancêtres,  vivant  au  ciel,  maudissent  leurs  descendants 
coupables  et  bénissent  les  bons  ;  ils  écoutent  la  prière.  (Odes 
des  Tcheous,  II,  5.) 

5°  Aussitôt  après  la  mort  d'une  personne  quelconque, 
homme  ou  femme,  on  cherche  à  rappeler  son  âme. 

Jadis,  lorsque  quelqu'un  venait  à  mourir,  dit  le  Li-Ki,  VII, 
1.7,  on  devait  chercher  à  faire  revenir  son  âme  et  lui  demander 
de  revenir  animer  le  corps.  «  Pour  cela  on  montait  sur  le 
toit  de  la  maison  et  Ton  criait  son  nom  en  prolongeant  le  son 
et  disant  :  Revenez,  revenez  un  tel  X...,  après  quoi  on  rem- 
plissait de  riz  la  bouche  du  mort  et  Ton  mettait  près  de  lui  des 
morceaux  de  viande  crue.  On  regardait  vers  le  ciel  (où  son 
âme  était  allée)  et  enterrait  son  corps  en  terre.  Le  corps  et 
Tâme  animale  vont  en  bas  ;  l'esprit  intelligent  va  en  haut.  » 

Li-Ki,  II,  2.3.13.  «  Les  os  et  la  chair  retournent  à  la  terre 
comme  il  est  décrété,  mais  Tâme  par  sa  puissance  particulière 
peut  aller  partout.  »  Wû  puh  tchï  yeh,  wû  puh  Ichïyeh  erh  sût 
hing,  il  n'est  rien,  non  il  n'est  rien  où  elle  ne  puisse  péné- 
trer, aller. 

6°  Cela  résulte  enfin  de  l'obligation  imposée  aux  enfants 
d'honorer  et  servir  leurs  parents  défunts  autant  et  plus  que  les 
vivants,  de  leur  procurer  de  l'honneur  en  se  rendant  eux- 
mêmes  estimables,  de  renouveler  chaque  année  leurs  sacrifices 
et  offrandes  auxquels  on  doit  les  inviter  et  que  l'on  croit 
honorés  de  leur  présence  invisible.  Cp.  Shih-King,  II,  6.8,  etc. 

Il  est  vrai  que  les  anciens  Chinois  n'ont  point  sur  toutes  ces 
choses  une  théorie  complètement  développée;  du  moins  ils  ne 
l'ont  point  consignée  dans  leurs  livres,  lesquels,  tout  naturel- 


-  47  — 

lement,  n'en  parlent  qu'accidentellement.  Ils  ne  s'expliquent 
point  sur  le  sort  réservé  aux  méchants  après  la  mort,  ni  sur 
celui  même  qui  attend  l'homme  juste,  appartenant  aux  classes 
inférieures.  Mais  ce  silence  n'étant  nullement  intentionnel,  il 
est  permis  de  conjecturer  de  ce  qui  est  dit  à  ce  qui  ne  l'est  pas, 
et  nullement  de  donner  comme  certaines  ou  mêmes  probables 
des  hypothèses  qui  ne  reposent  sur  quoi  que  ce  soit. 

Quant  à  la  nature  de  l'âme,  elle  ressort  clairement  des  textes 
déjà  cités.  Si  elle  ne  meurt  pas  avec  le  corps,  mais,  après  la 
mort,  s'en  va  au  ciel  au  milieu  des  esprits;  si,  tandis  que  le 
corps  tombe  dans  la  terre  et  y  est  renfermé,  l'âme  va  où  elle 
veut  et  s'élève  dans  une  splendeur  lumineuse,  est-il  besoin  de 
démontrer  qu'elle  n'est  pas  de  la  même  nature  que  le  corps, 
qu'elle  n'est  pas  matière?  Ce  serait  évidemment  perdre  son 
temps  et  ses  peines.  L'évidence  de  la  chose  s'impose  invinci- 
blement, d'autant  plus  que  les  âmes  des  morts  que  l'on 
appelle  et  qui  viennent  assister  au  sacrifice  ancestral  sont 

désignées  par  le  mot  Shen  7jt  $  qui  indique  clairement  un 
esprit.  (Cp.  Shih-King,  II,  1.6.5;  II,  6.5.2  à  6;  III,  1.5.5,  etc.) 


CHAPITRE  V. 
Culte  des  ancêtres. 


Nous  ne  dirons  que  quelques  mots  de  ce  sujet,  qui  ne  fournit 
point  matière  à  des  divergences  de  vue  très  importantes.  Il 
nous  suffira  d'en  caractériser  exactement  la  nature. 

Encore  une  fois  nous  ne  parlons  que  des  temps  historiques 
les  plus  anciens  de  la  race  chinoise,  évitant  ainsi  de  mêler  les 
époques  et  les  idées  que  Ton  a  trop  souvent  confondues  d'une 
manière  à  dénaturer  complètement  l'histoire  de  la  religion 
chinoise. 


—  48  — 

Les  honneurs  rendus  aux  ancêtres  ou  à  certains  ancêtres 
apparaissent  dès  les  premières  pages  du  Shuh-King  comme 
dans  les  plus  anciennes  parties  du  Shih-King. 

C'est  dans  la  salle  consacrée  à  l'ancêtre  appelé  Wen-lsou  que 
Shun  reçoit  le  pouvoir  souverain  des  mains  de  Yao,  et  Yu  des 
mains  de  Shun.  (Voir  II,  1.3  et  II,  8.3.) 

Yao,  revenu  d'une  tournée  d'inspection,  alla  devant  le  Y-t&ou 
et  y  offrit  un  bœuf  (II,  1.3);  mais  le  texte  ne  dit  pas  que  ce 
sacrifice  fût  offert  à  l'ancêtre  susdit. 

Shun  resté  seul  sur  le  trône  alla  visiter  le  Wen-tsou,  II,  1.4. 
Plus  tard  il  charge  Pe-Y  de  diriger  le  culte  domestique  tsoiig. 

Longtemps  après,  vers  1753,  nous  voyons  qu'après  la  mort 
du  roi  Thang,  son  premier  ministre,  Y.-Yin,  sacrifie  au  prince 
défunt  et  lui  présente  son  petit-fils  et  héritier,  Thâi-Kiâ. 
C'est  la  première  mention  certaine  d'un  culte  rendu  à  un 

ancêtre  ^)  IV,  4.1,  et  d'un  temple  ancestral.  Au  livre  II, 
I,  3,  il  est  reproché  à  Sheou  de  négliger  le  temple  des  ancêtres 
et  de  n'y  point  sacrifier  7|T6   . 

Le  Shih-King  contient  un  grand  nombre  d'hymnes  com- 
posés pour  les  sacrifices  offerts  à  des  souverains  et  ministres 
considérés  comme  les  grands  bienfaiteurs  de  l'empire  et  de 
l'humanité  :  Thang,  le  fondateur  de  la  dynastie  Shang,  le 
vainqueur  du  tyran  Kie;  Wen-Wang,  Wu-Wang,  les  premiers 
Tcheous  ;  Heou-tsi,  Ministre  de  l'Agriculture  de  Yu  et  Shun,  etc. 
(Voir  Shih-King,  IV,  1.10.1;  IV,  3.1,  etc.) 

Parfois  il  est  parlé  des  ancêtres  en  général  :  «  le  grain  est 
entassé  pour  offrir  à  nos  ancêtres  hommes  et  femmes.  Nous 

tuons  ce  bœuf pour  offrir  à  nos  ancêtres.  »  IV,  1.6.4.1  ; 

IV,  1 .6.5.1;.  ou  du  temple  ancestral  élevé  par  un  roi  en  con- 
struisant sa  capitale  (III,  1.3.5). 

Les  souverains  et  les  grands  officiers  sacrifiaient  aux  souve- 
rains et  grands  officiers  morts  sans  descendants. 

Les  oblations  avaient  pour  but  de  réjouir  les  âmes  des 
défunts.  Mais  comme  on  ne  les  voit  ni  venir  ni  manger,  on 


-4&- 

choisit  un  parent  vivant  qui  représente  l'ancêtre  ou  même  les 
ancêtres  auxquels  on  sacrifie  et  que  l'on  fait  boire  et  manger  à 

leur  place.  Les  morts  sont  devenus  esprits,  Shen  ft$  . 

Les  chants,  II,  6.5,  et  III,  2.4,  décrivent  les  cérémonies  de  ces 
sacrifices;  les  esprits  des  ancêtres  étaient  censés  descendre  du 
ciel  et  y  assister,  puis  s'en  retourner  réconfortés  et  satisfaits. 

Primitivement  il  semble  que  les  honneurs  du  culte  n'étaient 
rendus  qu'aux  défunts  illustres,  aux  rois  ou  princes,  aux 
grands  hommes  qui  avaient  mérité  la  reconnaissance  de  la 
patrie  et  de  l'humanité.  Le  chapitre  Ki-fa  (c.  fin.)  du  Li-Ki 
énumère  les  principaux  d'entre  eux  :  Shen  nong,  le  roi  agri- 
culteur, Heou-tsi  (ministre  de  Yao),  créateur  de  l'agriculture, 
les  rois  Yao,  Shun,  Thang  et  quelques  autres.  Les  souverains, 
chefs  féodaux  et  ministres,  n'honoraient  que  leurs  ancêtres 
célèbres.  La  coutume  s'étendit  peu  à  peu,  et  sous  les  Tcheous 
H  fut  établi  que  le  peuple  lui-même  aurait  des  salles  d'ancêtres 
et  leur  ferait  des  offrandes.  Confucius  attribue  cette  innovation 
à  Tcheou-Kong,  le  frère  et  ministre  du  Wuh-Wang,  le  premier 
Tcheou  (voir  Tchong-Yong,  XVIII,  3).  Mais  c'est  une  habitude 
chez  les  anciens  Chinois  de  rapporter  à  ce  prince  tout  ce  qui 
s'est  fait  de  grand  dans  ce  qu'on  appelle  l'antiquité  moyenne. 
Tout  recevait  de  sa  paternité  une  consécration  spéciale.  Ou 
reste,  les  paroles  de  Kong-tze  n'impliquent  nullement  que  les 
gens  du  peuple  pussent  dès  lors  sacrifier  à  leurs  ancêtres  : 
«  Wuh-Wang,  dit  ce  texte,  sacrifia  aux  princes  antérieurs  selon 
le  rite  impérial,  et  ces  rites  furent  étendus  aux  chefs  féodaux, 
aux  grands  officiers,  aux  magistrats  inférieurs  et  à  tout  le 
monde.  » 

L'usage  général  du  culte  des  ancêtres  n'est  donc  point  origi- 
naire chez  les  Chinois.  Borné  d'abord  aux  morts  illustres  par 
leurs  bienfaits,  il  s'est  étendu  peu  à  peu  jusqu'à  devenir  une 
pratique  universelle.  C'était  la  reconnaissance  plus  que  le 
devoir  filial  qui  lui  avait  donné  naissance. 


Tous  XLI. 


-80  - 

CHAPITRE  VI. 

Des  fautes  et  de  leurs  conséquences. 


On  a  prétendu  que  les  Chinois  n'avaient  jamais  eu  le  senti- 
ment de  la  culpabilité,  de  la  responsabilité  que  les  fautes  et  les 
crimes  font  encourir  devant  Dieu,  et  de  la  nécessité  ou  de 
Futilité  de  l'expiation.  C'est  la  thèse  soutenue  entre  autres  par 
Plath  dans  son  étude  sur  les  croyances  et  le  culte  des  anciens 
Chinois  *. 

Rien  n'est  plus  inexact  que  cette  affirmation  ;  tous  les  anciens 
livres  des  Chinois  témoignent  de  ce  sentiment  que  Ton  dit 
n'avoir  jamais  existé  chez  eux.  Maintenant  encore  il  est  pro- 
fondément gravé  dans  leurs  cœurs. 

D'un  bout  à  l'autre  du  Shuh-King  et  du  Shih-King  règne 
cette  doctrine  que  la  vertu  assure  la  protection  de  l'être 
suprême  et  la  prospérité,  et  que  le  vice  et  le  crime  attirent  sur 
leurs  auteurs  la  malédiction  et  les  calamités.  Lorsque  des  fléaux 
affligent  le  royaume  ou  une  famille,  le  prince,  le  chef  examine 
sa  conscience  pour  voir  s'il  s'est  rendu  coupable  de  quelque 
péché  et,  s'il  se  trouve  innocent,  il  l'annonce  au  ciel  et  s'étonne 
d'être  ainsi  frappé. 

Citer  tout  serait  remplir  inutilement  de  nombreuses  pages; 
bornons-nous  à  quelques  exemples  : 

Shuh-K.,  IV,  6.5.  «  Quand  la  vertu  est  simple  et  complète 
tout  ce  qu'elle  fait  est  heureux.  Quand  la  vertu  est  incomplète 
et  hésitante,  tous  ses  actes  sont  malheureux.  Le  bonheur  et 
le  malheur  ne  surviennent  pas  à  l'homme  sans  motif.  Que  la 
prospérité  ou  l'infortune  descende  du  ciel,  cela  dépend  de  la 
vertu.  » 

On  voit  par  cet  exemple  que  cette  maxime  et  cette  doctrine 
ne  s'appliquent  pas  seulement  aux  gouvernants,  mais  aussi  à 
tous  les  hommes,  car  le  terme  est  général  :  jin  =  homines. 

*  Dis  Religion  und  der  Cultus  der  Allen  Chinesen.  &  Abtheilung  :  Der 
Ctdtus,  p.  16. 


—  SI  — 

V,  17.4  et  8.  «  Le  Ciel  n'a  pas  d'affection  particulière;  ce 
qu'il  secourt  c'est  la  vertu.  Le  cœur  du  peuple  n'est  pas 
constant.  L'homme  bon  et  bienveillant  est  le  seul  qu'il  aime. 
Les  actes  vertueux  (les  bienfaits)  ne  sont  pas  tous  semblables, 
niais  tous  conduisent  au  bon  gouvernement.  Les  actes  mauvais 
ne  sont  pas  tous  semblables,  mais  tous  conduisent  aux  trou- 
bles et  perturbations.  » 

V,  1.1.6.  «  Sheou  n'a  point  le  cœur  repentant,  tsiuen  sin. 
II  ne  sert  point  Shang-Ti  ni  les  esprits  célestes  et  terrestres; 
il  néglige  le  temple  des  ancêtres  et  n'y  fait  point  de  sacrifice; 
les  victimes  et  les  oblations  de  riz  sont  enlevées  par  les  voleurs. . . 
et  pourtant  il  croit  que  le  décret  divin  lui  reste  assuré  et  il  ne 
corrige  pas  sa  superbe.  » 

Ainsi  le  repentir,  la  correction  propre  arrêteraient  le  cour- 
roux divin  et  empêcheraient  le  châtiment  de  fondre  sur  le 
coupable.  La  même  idée  se  retrouve  implicitement  dans  cette 
phrase  : 

V,  1.1.8.  «  L'iniquité  de  Shang  est  arrivée  à  son  comble,  à  sa 
plénitude.  Le  ciel  m'ordonne  de  le  faire  périr.  »  Tant  que  la 
mesure  des  crimes  n'est  pas  comblée,  le  pardon  est  possible. 

Ceci  met  en  relief  une  autre  conception  chinoise,  à  savoir 
que  le  prince  et  ses  ministres  infligeant  les  châtiments  aux 
coupables,  sont  les  agents,  les  instruments  directs  du  Ciel  et 
pas  simplement  les  représentants  de  la  société  humaine;  les 
Chinois  n'ont  jamais  séparé  celle-ci  de  l'ordre  supérieur,  sur- 
humain, et  ne  l'ont  jamais  affranchie  des  liens  qui  l'unissent 
au  Maître  suprême  du  monde.  Chez  eux,  le  dépositaire  de 
l'autorité  frappe  pour  le  châtiment  ou  l'amendement  de  l'homme 
coupable  envers  son  auteur.  C'est  ce  qui  explique  les  recom- 
mandations du  roi  Ching  au  prince  Fong  de  Kang,  que  nous 
lisons  au  livre  V,  10.8.9.16. 

«  0  Fong!  dit  le  roi,  dans  l'exécution  des  châtiments  il  faut 
un  discernement  parfait.  Si  vous  éclairez  le  peuple,  vous  le 
soumettrez  ;  ils  s'avertiront  l'un  l'autre  et  feront  de  grands 
efforts  pour  disposer  leurs  cœurs  à  la  paix  et  à  l'union.  Agissez 
comme  si  c'était  une  maladie  et  le  peuple  se  débarrassera  de 


—  82  — 

ses  vices.  Protégez-le  comme  un  enfant  à  la  mamelle.  Ce  n'est 
point  vous  qui  infligez  le  châtiment  aux  hommes  ou  les  mettez 
à  mort  (c'est  l'Être  suprême  que  vous  remplacez). 

»  II  y  a  des  hommes  qui  ne  se  conforment  pas  à  la  vertu  et  ne 
reconnaissent  pas  leurs  fautes;  le  ciel  leur  a  vraiment  enjoint 
de  rétablir  en  eux  la  vertu  et  ils  disent  :  Qu'est-ce  que  cela 
nous  fait?  Qu'est  la  vertu  pour  nous?  » 

Shih-King,  III,  3.2.6.  Exhortation  du  duc  Yih. 

«  Vous  êtes  entièrement  adonné  à  vos  plaisirs  et  vous  ne 
pensez  pas  aux  conséquences.  Vous  n'étudiez  pas  les  anciens 
rois,  pour  être  capable  de  suivre  leurs  sages  avertissements. 
Ceux  que  le  ciel  n'approuve  point  tomberont  et  périront  comme 
une  eau  coulant  d'une  source...  Soyez  attentif  à  vos  devoirs  de 
prince  pour  vous  prémunir  contre  les  dangers.  Ne  parlez  qu'avec 
circonspection,  veillez  à  garder  un  maintien,  un  décorum  qui 
inspire  le  respect;  ne  parlez  pas  légèrement;  ne  dites  pas  :  ceci 
est  peu  important.  Les  paroles  ne  doivent  pas  être  jetées  au 
vent.  Toute  parole  attire  sa  réponse.  Tout  acte  vertueux  a  sa 
récompense;  si  vous  êtes  bon  pour  vos  amis  et  traitez  le  peuple 
comme  un  enfant  chéri,  votre  postérité  sera  perpétuelle. 

»  Prenez  garde  de  commettre  quelque  faute,  quelque  injus- 
tice; étant  dans  votre  chambre  faites  attention  à  ne  point  laisser 
venir  la  honte  par  la  fenêtre;  ne  dites  pas  :  je  suis  hors  de  vue, 
personne  ne  peut  m'apercevoir.  L'arrivée,  la  présence  des 
esprits  ne  peut  être  prévue,  d'autant  plus  ne  doit-on  pas  la 
traiter  avec  peu  de  considération.  » 

On  doit  donc  éviter  les  moindres  fautes,  même  quand  on 
est  seul  et  sans  témoin  possible,  car  alors  même  les  esprits 
peuvent  être  présents  sans  qu'on  le  sache,  et  toute  faute  com- 
mise devant  eux  serait  un  manque  de  respect  qui  attirerait  leur 
colère  et  le  châtiment. 

Notons  que  ces  paroles  se  trouvent  dans  un  ouvrage  qui 
n'est  point  l'œuvre  d'un  auteur  isolé  n'exprimant  que  ses 
propres  idées,  mais  qui  servait  à  former  l'éducation  de  la 
nation  entière. 

Ces  doctrines,  ces  enseignements  se  sont  perpétués  à  travers 


—  ,),-)  — 

les  âges.  Maintes  fois  l'histoire  nous  montre  les  souverains 
chinois,  en  présence  des  calamités  qui  frappaient  l'empire, 
s'humiliant  devant  le  ciel,  examinant  leur  conduite,  recher- 
chant quelle  faute  avait  pu  attirer  sur  eux  le  courroux  divin  et 
promettant  de  s'amender  pour  apaiser  le  ciel. 

De  ces  faits  multipliés  nous  ne  citerons  qu'un  exemple, 
consigné  dans  un  recueil  authentique  d'ordonnances  impé- 
riales. Nous  voulons  parler  du  Shang  Yu  pa  Ki  ou  Dergi  hese 
jakôn  gôsade  wesimbuhengyc ,  de  l'empereur  Yong-Tcheng 
(1723  à  1736).  Nous  y  trouvons,  en  effet,  parmi  une  multitude 
d'autres  pièces,  deux  édits  qui  intéressent  spécialement  notre 
sujet. 

C'était  en  Tan  1731;  une  sécheresse  persistante  désolait  les 
provinces  septentrionales  de  l'empire.  Une  famine  horrible 
s'en  était  suivie;  hommes  et  troupeaux  mouraient  en  grand 
nombre  de  faim  et  des  maladies  occasionnées  par  la  misère  et  le 
manque  d'eau.  Après  un  certain  temps  la  pluie  tomba  partout, 
excepté  aux  environs  de  la  capitale.  Alors  l'empereur  adressa 
à  ses  peuples  la  proclamation  que  voici  : 

«  De  Yong-Tcheng,  Tan  8,  le  23  du  3«  mois. 

»  Décret  suprême, 

»  Comme  en  ce  temps  il  n'est  pas  tombé  de  pluie,  je  me 
suis  fortement  préoccupé  de  ce  fait.  On  vient  de  me  faire 
savoir  des  provinces  de  Shan  et  de  Shen-si  qu'il  y  a  plu  tout  à 
coup  abondamment.  On  a  dit  aussi  qu'ù  Ting-Fou  et  autres 
endroits  du  Pe-tche-li,  il  a  plu  également.  C'est  donc  seule- 
ment aux  environs  de  la  capitale  que  l'on  n'a  pas  eu  de  pluie. 
Je  crains,  en  conséquence,  qu'il  n'y  ait  en  mon  gouvernement 
quelque  vice,  quelque  erreur  de  conduite.  J'y  ai  pensé,  réfléchi 
de  toutes  manières.  Ma  volonté  est  de  me  lever  tût,  d'être 
constamment  vigilant  et  actif,  de  vénérer  le  ciel  et  de  m'occuper 
constamment  du  peuple;  je  n'ose  jamais  me  livrer  à  la  négli- 
gence. Toujours,  sans  interruption  aucune,  je  m'occupe  soi- 
gneusement  des  affaires  de  l'Etat.  Je  crois  pouvoir  assurer 
qu'il  n'y  a  chez  moi  ni  défaut,  ni  défaillance.  Ce  n'est  donc 
Tome  XLI.  4. 


—  54  — 

pas  moi  qui  ai  attiré  ces  malheurs.  Mais  qu'on  le  remarque 
bien,  depuis  le  jour  où  j'ai  accordé  le  pardon  à  ces  méchantes 
gens  qui  s'appropriaient  injustement  les  revenus  de  l'Etat,  le 
vent  a  commencé  à  souffler  et  empêché  la  pluie. 

»  Ce  genre  de  mauvaises  gens  est  insatiable;  c'était  avec 
raison  que  depuis  la  seconde  année  de  mon  règne  je  ne  leur 
avais  plus  fait  miséricorde.  Après  que  j'eus  porté  le  décret 
d'amnistie,  ils  n'ont  point  su  se  montrer  reconnaissants... 

»  Ces  méchants,  voleurs  des  deniers  publics,  causent  un 
grand  préjudice  au  peuple.  Ils  commettent  un  crime  envers  le 
ciel;  pourrais-je,  ne  me  conformant  pas  à  la  volonté  du  ciel, 
user  encore  d'indulgence  à  leur  égard? 

»  Annoncez  ceci  aux  huit  bannières,  que  ces  gens  pervers  et 
dépourvus  d'intelligence  se  corrigent  et  changent  de  conduite. 
Sinon  alors,  moi,  recourant  à  la  justice,  je  sévirai  sans  pitié. 

»  Ainsi  décrété.  » 

Deux  jours  après  (25  du  3e  mois),  le  même  empereur  publie 
un  décret  dans  lequel  il  répète  tout  le  commencement  de 
celui-ci,  puis  ajoute  : 

«  La  méchanceté  de  ces  gens  a  blessé  la  bienveillance  du 
ciel,  c'est  pourquoi  le  ciel  a  fait  paraître  ce  prodige  aux  envi- 
rons de  la  capitale. 

»  Le  23  de  ce  mois,  ayant  réuni  et  reçu  les  officiers  des  huit 
bannières,  venus  pour  me  présenter  un  placet,  j'ai  exposé 
clairement  ma  pensée  relativement  à  ces  misérables  et  à  la 
manière  de  suivre  les  avertissements  du  ciel.  Je  renouvelai 
mes  leçons  et  je  portai  un  décret,  chargeant  chacun  des  offi- 
ciers de  le  publier  et  faire  connaître  à  tous. 

»  Aussi,  le  25  au  matin,  il  survint  une  pluie  heureuse  qui 
tomba  abondamment  aux  environs  de  la  capitale. 

»  C'est  avec  crainte  et  respect  que  l'on  doit  accueillir  cette 
manifestation  claire  et  éclatante  de  la  volonté  du  ciel.  Les  gens 
de  peu  d'intelligence  doivent  constamment  penser  avec  crainte 
et  respect  à  cette  manifestation  du  ciel. 

»  Ainsi  décrété.  » 


—  85  — 

Dans  un  autre  décret  de  l'année  précédente,  Yong-Tcheng 
dit  expressément  : 

«  Les  magistrats  qui  ne  veulent  faire  et  supporter  que  ce 
qui  leur  plaît,  nourrissent  la  duplicité  dans  leurs  cœurs  et  ne 
servent  pas  le  prince  avec  sincérité  et  droiture,  ne  pourront 
certainement  pas,  s'ils  continuent  à  se  conduire  de  la  sorte, 
obtenir  le  pardon  du  ciel.  »  (6  du  7e  mois  de  Tan  7.) 

Enfin,  dans  un  décret  du  10  du  7e  mois  de  Tan  5,  il  énonce 
en  ces  termes  la  théorie  générale  : 

«  Décret  suprême, 

»  Comme  je  le  disais  dans  mon  décret  du  1er  du  7e  mois,  la 
justice  qui  agit  et  se  manifeste,  provoquée  originairement  par 
le  ciel  et  l'homme,  est  plus  rapide  que  l'écho. 

»  Les  inondations,  sécheresses,  calamités  ou  afflictions  qui 
accablent  toute  terre,  proviennent  des  actes  des  hommes.  Soit 
que  le  gouvernement  de  l'empire  soit  négligé  et  faiblisse,  soit 
que  les  gouverneurs,  préfets  et  magistrats  ne  remplissent  pas 
bien  leurs  fonctions,  soit  que  dans  un  endroit  quelconque  les 
cœurs  des  gens  soient  astucieux  et  trompeurs  et  la  doctrine 
pervertie,  tout  cela  nuit  à  la  faveur  du  ciel  et  attire  les  désastres 
et  les  malheurs. 

»  Aussi,  cherchant  constamment  à  instruire  et  prévenir,  j'ai 
publié  maints  édits  pour  enseigner  cette  vérité. 

»  Me  levant  tôt,  me  couchant  tard,  j'ai  toujours  eu  la  crainte 
convenable  et  me  suis  appliqué  à  être  diligent.  Hais  le  monde 
est  très  vaste  et  les  peuples  sont  très  nombreux.  (Je  ne  puis 
tout  faire  et  dois  bien  me  fier  aux  magistrats.) 

»  Si  les  fonctionnaires  veillent  sincèrement  sur  le  peuple, 
chacun  en  son  endroit,  s'ils  le  soignent  comme  leurs  propres 
enfants,  si  leur  règle  est  de  partager  les  plaisirs  et  les  peines 
de  leurs  subordonnés,  de  leur  tracer  la  voie  et  les  rendre 
meilleurs;  s'ils  savent  considérer  leurs  maux  comme  les  leurs 
propres,  les  peuples  auront  les  dispositions  les  plus  favorables 
et  tout  sentiment  d'opposition,  de  malveillance,  s'effacera. 


—  86  — 

»  Si  alors  une  pluie  trop  abondante  survient  contrairement 
au  temps  et  amène  des  inondations;  si,  en  ce  cas,  on  prie  sin- 
cèrement avec  instance,  pour  obtenir  secours  pour  le  peuple, 
on  pourra,  selon  son  désir,  faire  changer  les  dispositions  du 
ciel  et  assurer  ses  bienfaits. 

»  Ainsi  décrété.  » 

Et,  notons-le,  l'empereur  qui  s'exprimait  ainsi  était  le  plus 
chinois  des  princes  qui  eût  jamais  occupé  le  trône  impérial, 
celui  qui  s'était  donné  la  mission  de  réagir  contre  les  tendances 
de  son  père  Kang-hi,  d'annuler  l'influence  des  Européens  et 
de  rendre  la  Chine  aux  hommes  et  aux  doctrines  de  l'antiquité 
classique  de  la  Terre  des  Fleurs. 

Nos  lecteurs  n'en  demanderont  pas  davantage,  je  le  pense, 
pour  se  convaincre  que  les  Chinois  ont  toujours  cru  que  les 
fautes  des  hommes  offensent  le  pouvoir  supérieur,  divin, 
attirent  sur  eux  des  châtiments  et  les  obligent,  à  réparer  les 
offenses  faites  au  ciel  pour  en  obtenir  le  pardon  et  le  retour 
de  la  faveur  divine. 

Ils  se  demanderont  même  comment  on  a  pu  soutenir  le 
contraire. 

Nous  pouvons  donc  nous  arrêter  ici  et  résumer  en  quelques 
mots  les  points  principaux  des  croyances  de  la  Chine  primitive  : 

Les  premiers  Chinois  n'adoraient  ni  le  ciel  matériel,  ni  des 
objets  de  terreur,  ni  les  monts,  les  rivières  ou  les  arbres.  Ils 
croyaient  à  un  dieu  personnel,  unique,  souverain  du  ciel  et 
des  hommes,  maître  des  empires,  qu'il  donnait  ou  enlevait 
selon  les  mérites  ou  les  fautes  des  princes,  providence  veillant 
sur  les  bons  pour  les  combler  de  biens  et  punissant  les 
méchants  en  cette  terre.  Hais  il  ne  semble  pas  que  ce  dieu 
était,  à  leurs  yeux,  le  créateur  du  monde.  Les  Chinois  primitifs 
ne  s'étaient  point  préoccupés  de  l'origine  des  choses.  A  l'époque 
de  l'antiquité  moyenne,  nous  les  voyons  attribuer  la  production 
de  l'homme  et  des  objets  terrestres  au  ciel  et  à  la  terre,  non 
comme  création,  mais  par  une  opération  naturelle  qu'on  ne 
cherchait  pas  à  expliquer. 


—  57  - 

Ils  croyaient,  en  outre,  à  une  loi  morale  immuable  dont 
l'observation  ou  la  violation  entraînait  le  sort  heureux  ou  mal- 
heureux des  hommes  qui  s'y  montraient  soumis  ou  se  riaient 
de  ses  préceptes.  A  leurs  yeux  les  fautes,  les  crimes  offensaient 
Dieu  et  demandaient  expiation.  Cette  loi  immuable,  gouver- 
nant à  la  fois  la  nature  physique  et  le  monde  moral,  ils  l'ap- 
pelaient Tien,  ciel.  La  même  conception  se  retrouve  dans  le 
Varuna  indou,  dieu  du  ciel,  gardien  des  lois  immuables  du 
monde  physique  et  moral. 

Ils  croyaient  aussi  à  des  esprits  inférieurs  au  Souverain 
suprême  du  monde,  d'une  nature  invisible  et  supra-matériel  le, 
préposés  à  la  garde  des  différents  éléments  ou  parties  du  monde 
et  spécialement  du  sol,  des  montagnes  et  des  rivières  ainsi 
que  des  quatre  régions  célestes.  Ces  esprits  étaient  aussi  censés 
prendre  intérêt  à  l'observation  des  lois  morales,  être  blessés 
par  leur  violation  et  coopérer  à  la  punition  des  coupables. 

Ainsi  les  Chinois  primitifs  avaient  conscience  que  les  fautes 
des  hommes  offensent  le  Souverain-Maître  du  monde,  attirent 
sa  colère  et  ses  châtiments,  et  que  le  coupable  peut,  doit  même 
l'apaiser  par  son  repentir  et  son  amendement.  Ces  deux 
moyens  étaient  à  leurs  yeux  les  seuls  qui  pussent  arrêter  les 
effets  du  courroux  céleste  et  divin. 

Enfin,  ils  croyaient  à  la  spiritualité  et  à  l'immortalité  de 
l'âme,  plaçaient  leurs  morts  dans  le  ciel  et  leur  rendaient  des 
honneurs  dont  le  but  originaire  était,  semble-t-il,  de  les  réjouir, 
de  les  réconforter  dans  l'autre  monde  et  de  les  y  faire  jouir 
d'un  sort  heureux  plutôt  que  de  les  honorer  d'un  vrai  culte. 

A  côté  de  la  notion  du  Dieu  personnel,  Souverain  suprême, 
Shang-Ti,  il  s'en  était  développée  de  bonne  heure  une  autre 
qui  finit  par  empiéter  fortement  sur  la  première. 

Ce  fut  celle  du  ciel  immuable,  fondement  des  lois  tant 
physiques  que  morales.  Conçu  comme  tel,  il  fut  aussi  provi- 
dence et  vengeur  du  crime.  C'était  une  puissance  invisible  et 
intelligente  et  non  le  ciel  matériel;  sous  l'influence  des  idées 
tartares,  très  probablement,  il  grandit  au  point  de  se  substituer 
presque  entièrement  au  Shang-Ti.  Dès  le  VIe  siècle  celui-ci 


—  58  - 

était  presque  entièrement  oublié.  Le  ciel  n'était  d'abord  l'objet 
d'aucun  culte,  il  finit  par  accaparer  celui  que  Ton  rendait  à 
Shang-Ti.  Hais  au  temps  de  Confucius  on  savait  encore  quel 
en  était  le  légitime  titulaire. 

On  s'est  fréquemment  étonné  de  ce  que  les  anciens  livres 
chinois  ne  parlaient  jamais  des  peines  de  l'autre  vie,  ce  qui 
semble  contraster  avec  leurs  autres  doctrines. 

Je  crois  avoir  expliqué  ailleurs  cette  anomalie.  Tout  l'édifice 
social,  moral  et  politique  de  la  Chine  était  fondé  sur  la  piété 
filiale,  sur  le  respect  des  parents.  Vénérer  des  parents  damnés 
pour  leurs  crimes  eût  été  chose  très  difficile.  Pour  couper  la 
difficulté,  on  borna  la  scène  des  châtiments  à  l'horizon  de 
cette  terre;  le  reste  fut  passé  sous  silence. 

Plus  tard  nous  voyons  des  théories  se  former  où  l'enfer 
prend  une  large  place.  Certains  auteurs  chinois  en  font  une 
peinture  des  plus  effrayantes.  Hais  c'est  l'époque  du  boud- 
dhisme, et  l'on  ne  saurait  dire  si  ces  conceptions  sont  unique- 
ment dues  à  l'influence  des  nouvelles  doctrines  ou  si  l'on  doit 
y  voir  en  même  temps  une  réapparition  de  croyances  conser- 
vées parmi  les  masses  populaires.  Venus  du  centre  de  l'Asie, 
les  premiers  Chinois  avaient  dû  certainement  se  trouver  en 
contact  avec  des  peuples  chez  qui  l'enfer  était  l'objet  de  la 
croyance  générale.  Et  comme  l'a  démontré  H.  de  Lacouperie, 
les  Chinois  avaient  emprunté  bien  des  choses  à  leurs  voisins 
de  l'Asie  occidentale  avant  leur  migration  à  l'Est. 

On  voudra  peut-être  faire  une  restriction  à  l'exposé  que  nous 
venons  de  faire  des  croyances,  religion  des  premiers  Chinois, 
et  soutenir,  comme  l'a  fait  l'un  ou  l'autre  hagiographe,  que  la 
religion  telle  que  nous  venons  de  la  décrire  était  bien  celle  de 
la  cour  et  des  grands,  mais  non  celle  du  peuple  ;  que  celui-ci 
était  adonné  à  toutes  sortes  de  superstitions  qui  sentaient  plus 
le  polythéisme  et  l'animisme  même  que  le  spiritualisme  et  la 
croyance  en  un  seul  Dieu  ;  les  superstitions  et  croyances  que 
l'on  trouve  plus  tard  en  Chine  ne  seraient  que  ces  mêmes  doc- 
trines primitives  de  la  nation  chinoise.  Quant  à  la  masse  de  la 
population,  cette  objection  ne  soutient  pas  l'examen. 


-S9- 

D'abord  parce  qu'elle  ne  s'appuie  sur  aucun  fait,  sur  aucun 
texte,  mais  est,  au  contraire,  contredite  par  tous  les  textes  et 
par  tous  les  faits,  et  la  soutenir  ainsi  sans  preuve  et  contre 
toute  preuve,  c'est  faire  œuvre  de  fantaisie,  et  non  de  science. 

Sic  volo,  voilà  la  seule  raison  que  Ton  pourrait  invoquer. 

On  a  vu  d'ailleurs  par  le  proverbe  cité  dans  le  courant  de 
cette  étude  que  la  croyance  au  Shang-ti,  par  exemple,  était 
celle  du  peuple  même.  Si,  plus  tard,  on  trouve  des  croyances 
très  ditférentes  répandues  parmi  les  diverses  populations  qui 
formaient  l'empire,  ce  fait  s'explique  par  l'influence  des  popu- 
lations indigènes  que  l'invasion  chinoise  avait  privées  de  leur 
autonomie  ou  qui  en  étaient  venues  à  prendre  le  nom  des  con- 
quérants sans  appartenir  le  moins  du  monde  à  leur  race.  Nous 
avons  vu  de  nouvelles  croyances  s'introduire  par  l'empire  des 
Tcheous;  d'autres  ont  pu  produire  le  même  effet,  et  les  peu- 
plades voisines  mêmes  de  la  terre  des  Hans  ont  pu  aussi  lui 
communiquer  leurs  idées  et  leurs  pratiques  religieuses. 

Que  le  peuple  chinois  ait  eu  avec  la  religion  officielle  des 
croyances  superstitieuses,  où  le  polythéisme,  l'animisme  ou 
tout  autre  système  ait  pu  avoir  quelque  part,  c'est  ce  que  nous 
ne  contesterons  aucunement.  Nous  voyons  partout  et  toujours 
régner  les  conceptions  les  plus  disparates,  les  plus  opposées. 

Mais  ce  n'est  point  là  la  religion  de  la  nation  et  ne  peut  entrer 
en  ligne  de  compte  quand  on  apprécie  la  religion  d'un  peuple. 

Certes,  nos  populations  chrétiennes  ont  gardé  dans  les 
croyances  populaires  des  restes  des  erreurs  du  passé,  et  en  ont 
souvent  créé  de  nouvelles;  mais  elles  n'ont  rien  de  commun 
avec  leur  religion.  Si  certaines  gens  du  peuple  croient  aux 
Nutons,  aux  Sotais,  aux  hommes  de  feu,  s'ils  consultent  encore 
le  sorcier,  malgré  les  efforts  et  les  protestations  les  plus  éner- 
giques de  leurs  prêtres,  on  ne  mettra  sans  doute  pas  ces  folies 
au  compte  du  christianisme. 

La  vraie  religion  d'un  peuple  est  celle  des  classes  éclairées, 
celle  que  les  organes,  les  ministres  du  culte  enseignent  et 
dirigent,  et  non  ce  que  les  gens  grossiers  et  ignorants  ima- 
ginent et  se  transmettent  de  génération  en  génération. 


-  60  - 

La  Chine  primitive  en  était  encore  à  l'état  patriarcal,  les 
chçfs  de  la  religion  étaient  encore  chez  elle  les  rois  et  les  repré- 
sentants de  l'autorité ,  laquelle  du  reste  émanait  du  ciel  aux 
yeux  du  peuple  même.  Les  chefs  de  la  nation  étaient  donc  pour 
lui  institués  par  Dieu  comme  ses  ministres  sous  tous  rapports. 
Enfin,  les  historiens  chinois  relatent  avec  soin  tous  les  chan- 
gements survenus  dans  la  religion  de  leur  pays,  les  supersti- 
tions qui  s'y  introduisirent,  l'altération  successive  des  croyances 
et  du  culte;  nous  pouvons  en  suivre  jusqu'à  un  certain  point 
la  marche  et  les  progrès.  L'objection  n'est  donc  pas  soutenable 
et  le  résultat  de  nos  études  subsiste  en  son  entier. 

Les  particuliers  ont  pu  honorer  l'esprit  du  foyer  et  d'autres 
encore;  les  fonctionnaires,  ceux  qui  présidaient  aux  produits 
du  sol,  les  esprits  protecteurs  des  localités  et  provinces,  etc., 
mais  cela  ne  changeait  rien  au  caractère  des  doctrines  que 
nous  avons  exposées  dans  les  pages  précédentes. 

Telles  étaient  donc  les  croyances  que  la  race  chinoise  apporta 
avec  elle  sur  les  rives  du  Fleuve  jaune,  bien  supérieures  sans 
doute  à  celles  de  la  plupart  des  peuples  à  cette  époque. 

Certes,  ce  petit  groupe  d'hommes  qui  s'avance  à  la  conquête 
d'un  monde  immense,  avec  ces  principes  que  leur  chef  est  bien 
le  lieutenant  de  Dieu,  mais  en  même  temps  le  père  du  peuple 
et  qu'il  n'a  de  pouvoir  que  pour  rendre  ses  sujets  heureux,  ce 
petit  peuple  est  digne  de  tout  notre  intérêt  et  l'on  doit  se 
plaire  à  lui  rendre  justice.  S'il  eût  vécu  moins  isolé,  si  son 
existence  n'eût  pas  été  si  tourmentée,  il  eût  pu  s'élever  à  des 
destinées  bien  plus  grandes]  encore,  et  Dieu  sait  celles  que 
l'avenir  lui  prépare.         

Pendant  l'impression  de  ces  dernières  pages,  il  m'est  tombé  sous  les 
yeux  un  texte  d'autant  plus  significatif  qu'il  émane  de  Tcheng-tze  le  philo- 
sophe moniste  qui  a  formé  le  semi-matérialiste  Tchou-hi.  «  Au  Tcheou-li, 
dit-il,  il  n'est  prescrit  d'offrir  le  sacrifice  (tze)  qu'au  seul  Auguste-Souve- 
rain Maître  du  ciel,  Shang-ti.  »  Voir  le  Sing4i-tsHng-y,  t.  XII,  f.  20aî,  1.  2. 

Or,  dans  le  Teheou-li,  comme  nous  l'avons  vu,  l'ancienne  religion  avait 
déjà  subi  plus  d'une  altération,  mais  l'essence  en  était  encore  restée. 


LES 


NOCES  D'ALEXANDRE  FARNÈSE 


ET 


DE  MARIE  DE  PORTUGAL 


NARRATION  FAITE  AU  CARDINAL  DE  GRANVELLE 

PAR  BON  COUSIN  GERMAIN  PIERRE  BORDEY, 

PUBLIÉE  AVEC  UNE  INTRODUCTION  ET  DES  NOTES, 

PAR 


Auguste  CAS  TAN, 

AMOCIÉ  DR  L'ACADÉMIE   ROYALE  DR  BELGIQUE  ET  CORRESPONDANT 
DE    L'iNSTITl'l    NATIONAL  DB   FRANCE. 


tPiéseuté  à  la  Classe  des  lettres  dans  la  séance  du  9  janvier  1888} 


Tome  XLI.  1 


1 


LES 


NOCES  D'ALEXANDRE  FARNESE 


ET 


DE  MARIE  DE  PORTUGAL. 


INTRODUCTION. 

Le  mariage  d'Alexandre  Farnèse  et  de  Marie  de  Portugal, 
célébré  ù  Bruxelles  au  mois  de  novembre  1565,  fut  l'une  des 
circonstances  qui  accélérèrent  le  soulèvement  des  Pays-Bas 
contre  la  domination  espagnole.  Les  fêtes  brillantes  auxquelles 
il  donna  lieu  semblent  avoir  été  les  éclairs  précurseurs  d'un 
violent  orage.  Une  narration  précise  de  cet  événement  ne  sau- 
rait donc  manquer  d'intérêt  pour  l'histoire  de  la  plus  nationale 
des  insurrections  politiques  du  seizième  siècle. 


I 


Lorsque  Philippe  II  était  parti  des  Pays-Bas,  en  1559,  il  avait 
remis  le  gouvernement  de  cette  contrée  h  sa  sœur  naturelle, 
Marguerite  d'Autriche,  fille  de  l'empereur  Charles-Quint  et 
d'une  plébéienne  flamande.  Déjà  veuve  d'Alexandre  de  Médicis, 
cette  princesse  était  devenue  duchesse  de  Parme,  par  un 
second  mariage  avec  Octavio  Farnèse.  Le  roi  d'Espagne  lui 
avait  adjoint,  comme  ministre,  Antoine  Perrenot  de  Granvelle, 


(4) 

alors  évéque  cTArras  *,  bientôt  après  archevêque  de  Malincsot 
cardinal.  Le  dogmatique  et  ombrageux  monarque  comptait  sur 
la  gouvernante  et  sur  son  ministre  pour  réprimer,  au  profit  de 
l'orthodoxie  catholique,  l'esprit  d'indépendance  qui  animait 
traditionnellement  les  grands  seigneurs  aussi  bien  que  les  arti- 
sans de  ces  riches  et  laborieuses  provinces.  La  création  de 
nouveaux  évêchés,  la  promulgation  des  décrets  du  Concile  de 
Trente,  les  rigueurs  inquisitoriales  dirigées  contre  les  héré- 
tiques :  toutes  ces  mesures,  les  unes  onéreuses,  les  autres  vexa- 
toires,  furent  considérées  comme  une  suite  d'attentats  à  dos 
libertés  d'autant  plus  précieuses  qu'elles  avaient  été  plus  péni- 
blement conquises.  Vainement  Granvelle  employa  les  ressources 
de  son  intelligente  souplesse  à  moyen ner  des  accommodements 
entre  les  exigences  du  monarque  espagnol  et  l'opposition  de 
l'aristocratie  des  Pays-Bas  :  il  ne  réussit  qu'à  se  faire  passer 
pour  l'inventeur  des  mesures  dont,  au  contraire,  il  s'efforçait 
d'éloigner  ou  tout  au  moins  d'adoucir  la  difficile  application. 
Les  seigneurs  pensèrent  avoir  tout  gagné  en  obtenant  son  éloi- 
gnement;  mais  la  gouvernante,  directement  aux  prises  avec  les 
sommations  de  l'aristocratie  des  Pays-Bas  et  la  sombre  résis- 
tance du  roi  d'Espagne,  fut  dès  lors  impuissante  à  atténuer  le 
choc  d'un  conflit  inévitable.  Le  moins  intraitable  des  seigneurs, 
le  comte  d'Egmont,  était  allé  en  Espagne,  à  l'effet  d'exposer  au 

1  Nicolas  Perrenot  de  Granvelle  avait  beaucoup  fait  pour  l'avancement 
de  Marguerite  dans  les  bonnes  grâces  de  l'empereur  son  père  :  aussi  ceUc 
princesse  témoignai t-ellc  a  Antoine  Perrenot,  devenu  plus  tard  son 
ministre,  les  sentiments  d'une  amitié  fraternelle.  Lui  écrivant  depuis 
Rome,  le  3  février  1548,  elle  terminait  sa  lettre  par  cette  souscription 
autographe  :  «  Vostre  bone  seur  Màrgarita  d'Austria  ».  (Bibliothèque 
nationale  de  Madrid,  Corrcxpondcncia  de  Granvela,  caja  Y.) 


(S) 

roi  les  doléances  de  ses  sujets  des  Pays-Bas  et  leur  vif  désir 
d'avoir  la  visite  de  ce  monarque  :  il  ne  recueillit  guère  d'autre 
satisfaction  que  celle  d'être  agréable  à  la  gouvernante,  en  lui 
ramenant  son  fils  Alexandre  Farnèse,  qui  venait  d'achever  à  la 
cour  d'Espagne  son  éducation  de  gentilhomme,  et  que  sa  mère, 
d'accord  avec  le  roi  Philippe  II,  avait  fiancé  à  la  princesse 
Marie  de  Portugal. 

II 

Alexandre  Famèse,  prince  héritier  du  duché  de  Parme, 
n'avait  pas  encore  vingt  et  un  ans  quand  il  s'installa  près  de  sa 
mère  au  palais  de  Bruxelles,  le  30  avril  1565.  C'était  un  beau 
jeune  homme,  de  noble  et  martiale  tournure,  mais  affectant 
des  manières  hautaines  dont  s'offusquèrent  bien  vite  les  gens 
indisposés  contre  le  régime  que  représentait  la  gouvernante. 
«  Quant  au  prince  de  Parme  »,  écrivait  un  gentilhomme  de 
l'entourage  de  sa  mère,  «  je  ne  puis  aultre  chose  juger  de  luy, 
sinon  qu'il  a  rappourté  une  nourriture  d'Espaignol  par  trop; 
et  à  la  longue  se  fascheroient  les  seigneurs  de  par  deçà  de  si 
grande  arrogance  i  ».  La  gouvernante,  qui  avait  les  illusions 
des  tendres  mères,  ne  faisait  rien  pour  adoucir  l'humeur  de 
son  fils  :  au  contraire,  elle  trouvait  bon  qu'il  exigeât  d'être 
traité  à  l'égal  d'elle-même  2  ;  et  quant  aux  noces  à  organiser  en 

1  Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  26  mai  1565  : 
Papiers  d'État  du  cardinal  de  Granvelle,  édit.  Ch.  Weiss,  t.  IX,  p.  233. 

*  Id.,  ibid.  —  Ce  qui  offusquait  l'aristocratie  des  Pays-Bas  était  ce  que 
la  gouvernante  admirait  le  plus  dans  son  fils,  «  tant  Espagnol  en  tout  et 
par  tout  »,  écrivait-elle,  «  qu'il  parait  non  seulement  avoir  été  élevé,  mais 
être  né  en  Espagne,  tant  pour  la  langue,  la  seule  qu'il  parle  étant  celle 
de  l'Espagne,  que  pour  les  manières  et  les  habitudes  ».  (Gachard,  Cor- 
respondance de  Philippe  II,  1. 1,  p.  354.) 


(C) 

vue  de  son  mariage,  elle  voulut  leur  donner  un  éclat  absolu- 
ment royal.  Par  une  coïncidence  maladroitement  amenée,  ces 
noces  allaient  avoir  l'inconvénient  d'éclipser  celles  que  la  haute 
aristocratie  des  Pays-Bas  préparait  pour  célébrer  l'alliance  de 
Floris  de  Montmorency,  baron  de  Montigny,  avec  la  fille  du 

■ 

défunt  prince  d'Epinoy  *. 

Les  noces  du  prince  de  Parme  ne  devaient  pas  consister 
seulement  en  réceptions  brillantes  et  en  joutes  pittoresques  :  il 
leur  fallait  un  prélude  beaucoup  plus  dispendieux  que  les  fêtes 
les  plus  somptueuses.  En  effet,  la  fiancée  résidait  en. Portugal, 
et  l'étiquette  voulait  qu'une  ambassade  de  la  cour  des  Pays-Bas 
allât  l'y  chercher  en  grande  pompe.  L'ambassadeur  demandé 
pour  cette  mission  fut  le  comte  Pierre-Ernest  de  Mansfeld,  qui 
se  fit  accompagner  de  sa  femme,  de  son  fils  et  d'une  suite 
d'environ  cent  vingt  personnes.  Une  délégation  non  moins 
nombreuse  fut  envoyée  par  la  gouvernante  2.  A  ces  deux 
groupes  s'ajoutèrent  des  domestiques,  des  gens  de  guerre  et  des 
matelots  :  de  sorte  qu'il  y  eut  un  millier  d'individus  embar- 
qués, avec  leurs  bagages,  dans  les  quatre  grands  vaisseaux  et 
les  trois  yachts  qui  partirent  pour  Lisbonne,  depuis  le  port 
de  Flessingue,  le  13  août  1365. 

«  Papiers  d'État,  t.  IX,  p.  579. 

*  Le  train  pour  aller  en  Portugal  est  parti  dois  vendredi  dernier, 
assavoir  les  conte  et  contesse  de  Mansfelt  avec  son  train  particulier  fort 
bien  en  ordre,  en  nombre  d'environ  six-vingt  bouches,  et  autrelant  de 
celluy  de  Son  Altèze.  Hz  sortirent  de  court  accompagnez  du  prince  de 
Parme  et  de  tous  les  seigneurs.  Son  Altèze  a  voit  envoyé  trois  mille  cseuz 
audit  conte  pour  accoustrer  ses  gens  ;  mais  il  ne  les  voulut  recevoir,  et 
y  va,  comme  Ton  dit,  a  ses  despens,  espérant  plus  grande  récompense  à 
son  retour  ».  {Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  9  juillet  1565  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mém.  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  25  mw.) 


(  7  ) 

Cette  mise  en  scène  était  des  plus  inopportunes,  car  les  fêtes 
qui  devaient  la  suivre  allaient  fournir  aux  seigneurs  mécontents 
l'occasion  de  se  réunir,  c'est-à-dire  de  comploter,  en  mémo 
temps  que  le  chiffre  de  la  dépense  des  noces  donnerait  au 
peuple  des  Pays-Bas,  aigri  déjà  par  une  disette,  un  prétexte 
nouveau  de  récrimination  contre  un  régime  qui  devenait  rui- 
neux, tout  en  demeurant  vexatoire.  «  Ce  sera  une  chière 
espouse  *  »,  disaient  les  uns,  «  une  chière  dame  de  nopecs 
avant  que  arriver  icy  2  »,  disaient  les  autres,  tandis  que  quel- 
ques-uns faisaient  malignement  ce  calcul  :  «  Cecy  ne  se  fera 
sans  grandz  frais,  lesquelz  Ton  estime  reviendront  bien  à  cent 
mille  florins  ;  c'est  quasi  le  présent  de  mariage  de  la  dame  3  ». 
Chacun  savait  que  soixante  brodeurs  travaillaient  au  palais  en 
vue  des  fêtes  du  mariage.  La  gouvernante  n'eut  conscience  de 
son  imprudente  prodigalité  que  quand  il  fut  trop  tard  pour 
enrayer  les  dépenses  •*,  et  elle  n'éprouva  même  pas  la  consola- 
tion d'être  excusée  par  celui  qui  avait  la  plénitude  de  son 
aveugle  tendresse.  Dans  un  accès  de  mauvaise  humeur,  le 
jeune  homme  aurait  dit,  à  propos  de  son  mariage,  «  qu'il  voul- 
droit  que  tout  ce  que  vad  et  reviendra  demeurast  au  fond  de  la 
mer  »  ».  Le  duc  de  Parme,  venu  exprès  pour  assister  aux  noces 

1  Yiglius  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  14  juin  1565  :  Papiers 
(TÉtat,  t.  IX,  p.  280. 

f  Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  13  août  1565  :  Bibliothèque 
de  Besançon,  Mém.  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  172. 

5  Bave  au  cardinal,  Bruxelles,  25  mai  1565  :  Bibliothèque  de  Besançon, 
Mém.  de  Granvelle,  t.  XVIII,  fol.  lO3t*rx0. 

4  Morillon  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  21  mai  1565  :  Papiers 
d'État,  t.  IX,  p.  218. 

3  Morillon  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  9  juillet  1565  :  Papiers 
d'État,  t.  IX,  p.  386.  — Le  même  propos  est  rapporté  en  ces  termes  par  le 


1 


(8  ) 

de  son  fils  *,  aurait  été  loin,  disait-on,  d'en  approuver  le 
fastueux  programme.  Blessée  de  ces  critiques  amères,  et  pou- 
vant déjà  prévoir  la  rupture  des  négociations  entamées  parles 
seigneurs  des  Pays-Bas  avec  la  cour  d'Espagne,  la  gouvernante 
eut  un  accès  de  profond  découragement.  Cette  crise  est  ainsi 
dépeinte  dans  une  lettre  écrite  à  Bruxelles  le  15  octobre  1565  : 
«  Il  y  a  deux  jours  que  madame  de  Parme  ne  faict  que  plorer 
par  deux  ou  trois  heures  au  coup.  Je  ne  sçay  si  c  est  que  le  Roy 
luy  a  escript  choses  que  ne  luy  plaisent,  ou  s'il  y  a  du  malcon- 
tentement du  Duc  pour  la  folle  et  oultrageuse  despense  des 
nopces,  dont  non  seullementluy,  mais  les  seigneurs  et  le  peuple 
se  mocquent,  ou  si  c'est  pour  les  deux  ensamble  ;  mais  tant  y  at 
que  Ton  sçait  à  parler  par  toutte  la  ville  de  ceste  plorerie  2  ». 

secrétaire  Bave  :  «  Ledit  prince  de  Parme  démonstre  peu  s'en  soucier,  et, 
à  ce  que  dient  les  bailles  (c'est-à-dire  à  ce  qui  se  raconte  dans  les  bailles 
ou  clôtures  qui  précédaient  le  palais  de  Bruxelles),  il  at  dit  souvent  qu'il 
voudroit  que  sa  future  femme  demeurât  an  milieu  de  la  mer  ».  [Lettre 
au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  9  juillet  1563  :  Bibliothèque  de 
Besançon,  Mèm.  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  25  verso.) —  Le  propos  fit  son 
chemin,  car  on  le  trouve  ainsi  commenté  dans  une  lettre  de  Thomas 
de  Chantonay,  ambassadeur  d'Espagne  à  Vienne,  écrite  a  son  frère  le 
cardinal  de  Granvelle  :  «  Je  ne  m'esbahis  des  propoz  du  prince  de  Parma 
touchant  l'arrivée  de  son  espousée,  car  c'est  tout  légèreté,  et  est  aussi 

bien  homme  pour,  avant  partir  de  Flandres,  prendre  la  v et  la 

donner  à  sa  femme  comment  ung  aultre  ».  (Lettre  du  24  novembre  1565  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XXI,  fol.  130  verso.) 

1  «  Le  duc  de  Parme  doibt  arriver  ce  soir,  et,  à  ce  qu'on  dit,  assez 
accompaigné;  mais  en  fin  ce  seront  maigres  contes,  selon  la  mode  de  là  ». 
(Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  7  octobre  1565  :  Bibliothèque 
de  Besançon,  Mém.  de  Granvelle,  t.  XX,  fol.  135  verso.) 

f  Morillon  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  15  octobre  1565  : 
Papiers  d'État,  t.  IX,  p.  601. 


(9) 

Cependant  la  flotille  envoyée  à  Lisbonne  était  en  route  pour 
revenir  au  port  d'embarquement  :  elle  ramenait  la  jeune 
épouse,  entourée  de  tout  un  personnel  portugais  qui  allait 
composer  sa  maison  i.  Depuis  Londres  arrivait  aussi  l'ambas- 
sadeur d'Espagne  près  la  cour  d'Angleterre,  avec  mission  de 
représenter  Philippe  II  aux  noces  et  d'offrir,  au  nom  de  ce 
monarque,  une  bague  ù  la  mariée  *.  Tous  les  grands  seigneurs 
des  Pays-Bas,  iiabituellement  dispersés  dans  les  provinces  où 
ils  exerçaient  des  commandements,  avaient  été  conviés  aux 
fêtes  du  mariage  3,  et  s'étaient  rendus  à  cette  invitation.  Réunis 

1  u  Rostre  flotte  de  Portugal  arriva  le  3  de  ce  mois  en  Zélande,  et  atten- 
dons à  jourd'huy  la  dame  de  nopces  icy  cumPortugallica  turban.  (Visitas 
de  Zuichem  au  cardinal  de  Granvellc,  Bruxelles,  11  novembre  1565  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XXI,  fol.  50.) 

*  Sur  ce  mince  cadeau  de  Philippe  II,  nous  sommes  renseignés  par 
les  passages  qui  vont  suivre  de  deux  dépêches  des  Papiers  Granvelle.  — 
Thomas  de  Chantonay  à  son  frère  le  cardinal  de  Granvelle  (Vienne, 
â4  novembre  1565)  :  «  Seulement  le  cinquiesme  de  ce  mois,  Ton  atten- 
doit  la  princesse  de  Parma  à  Gant,  selon  ce  que  m'escrit  nostre  ambas- 
sadeur d'Angleterre  qui  estoit  à  Anvers,  député  pour  assister  aux  nopces 
et  porter  une  baghe  à  la  dame  ».  (Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires 
de  Granvelle,  t.  XXI,  fol.  130  verso.)  —  Le  cardinal  de  Granvelle  à  Viglius 
(Besançon,  7  décembre  1565)  :  «  Je  sçavoye  jà  pièça,  par  la  voye  d'An- 
vers, l'arrivée  de  la  flotte  de  Portugal,  et  mesmes  par  lettres  que  nostre 
ambassadeur  m'escript  doiz  là.  Je  ne  faiz  doubte  qu'il  y  aura  bien  sçeu 
représenter  son  personnage;  mais  je  suis  marry  que  le  présent  ne  sera 
esté  de  même,  et  crains  que  Madame  ne  s'en  donne  de  la  peine  ;  et  à  la 
vérité,  en  choses  de  ceste  qualité,  je  vouldroye  que  l'on  luy  compleust, 
mais  que  à  la  reste  Ton  fist  cheminer  le  cheriot  droit».  (ld.,ibid.,  fol.  198.) 

3  «  En  attendant ,  se  font  icy  les  plus  grandz  appretz  du  monde; 

et  rompe-l'on  les  chambres  qu'avoient  cy  devant  esté  faiz  en  la  grand  sale, 
pour  y  jouster  et  faire  le  banequet,  pour  lequel  l'on  mandera  tous  les 


1 


(10) 

déjà,  une  vingtaine  de  jours  auparavant,  pour  les  noces  du 
baron  de  Montigny,  ils  avaient  échangé  leurs  impressions  sur 
le  fail  du  mutisme  dans  lequel  se  renfermait  Philippe  II  à 
Tégard  de  leurs  doléances  i. 

Ils  purent  espérer  toutefois  qu'à  l'occasion  des  noces  d'un 
jeune  prince  que  Philippe  II  regardait  comme  son  fils  *,  ce 
monarque  romprait  un  silence  dont  la  prolongation  rendait 
anxieux  les  invités  de  la  gouvernante  3.  Le  silence  fut,  en  effet, 
rompu  par  la  célèbre  dépêche  datée  du  Bois  de  Ségovîe,  qui 
parvint  à  Bruxelles  le  5  novembre  1565  4,  en  même  temps  que 

chevaliers  de  l'Ordre,  et  par  dessus  iceulx  l'évesque  de  Cambrav,  le  vis- 
conte  de  Gand,  le  seigneur  de  Noircarmes,  et  encores  ung  que  j'ay  oblié,  ce 
me  semble,  et  que  c'est  le  conte  de  Culenbourg,  et  seigneur  de  Brederode  j 
et  y  sont  comprins  toutes  leurs  femmes  et  servyteurs  :  je  me  double,  si 
elles  viennent,  qu'il  y  aura  question  sur  la  précédance  ».  {Bave  au  cardi- 
nal de  Granvelle,  Bruxelles,  7  octobre  1365  :  Bibliothèque  de  Besançon, 
Mém.  de  Granvelle,  t.  XX,  fol.  134.) 

1  «  Ayant  esté  tous  assemblez  aux  nopees  de  M.  de  Montigny,  où  s'est 
fait  ung  fort  riche  tornoy,  et  qu'ilz  sont  encores  icy  tous  ensemble,  il  est 
bien  à  penser  que  ce  n'est  pas  sans  faire  entre  eulx  plusieurs  divers  dis- 
cours ».  {Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  4  décembre  4565  : 
Correspondance  de  Granvelle,  édit.  Poullet,  1. 1,  p.  24.) 

*  Ce  sont  les  expressions  de  Philippe  H,  dans  une  dépêche  adressée  à 
la  gouvernante  et  dont  Straoa  donne  le  texte  :  Histoire  de  la  guerre  de 
Flandre,  trad.  franc.  (1644,  in-fol.),  p.  180. 

*  «  Il  y  a  trois  mois  passez  qu'il  n'y  a  lettres  du  Roy  ny  de  sa  court,  et 
ne  sçavent  ces  seigneurs  que  dire  que  Sa  Majesté  tarde  tant  à  eulx  res- 
pondre,  demeurans  toujours  d'opinion  qu'Elle  ne  pourra  faire  aultrement 
que  passer  par  leur  advis....  ».  {Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles, 
7  octobre  1565:  Biblioth.  de  Besançon,  Mém.  de  Granvelle,  t.  XX,  fol.  133.) 

4  Gachard,  Correspondance  de  Philippe  II,  t.  I,  p.  cxxxix-cxl;  — 
Edm.  Poullet,  Correspondance  de  Granvelle,  1. 1,  p.  lxxvi. 


(11  ) 

la  flotille  nuptiale  opérait  son  débarquement.  Mais  le  contenu 
de  celte  dépêche  fut  loin  d'atténuer  le  fâcheux  effet  qu'avait 
.produit  le  mutisme  royal,  car  Philippe  11,  attaché  plus  étroite- 
ment que  jamais  k  l'idée  fixe  d'être  avant  tout  le  défenseur  de 
l'orthodoxie  catholique,  rejetait  les  avis  des  théologiens  et  le» 
remontrances  de  l'aristocratie  des  Pays-Bas,  en  ordonnant  de 
donner  suite  à  la  persécution  religieuse  qui  affligeait  ces  pro- 
vinces et  portait  une  grave  atteinte  à  leur  prospérité.  En  retour 
de  cette  décision,  aussi  monstrueuse  qu'elle  était  inattendue, 
les  seigneurs  répliquèrent  par  une  ligue  d'opposition  dont 
l'acte,  connu  sous  le  nom  de  Compromis  des  nobles,  fut  rédigé 
clandestinement  pendant  la  durée  des  fêtes  l.  Celles-ci  n'en 
furent  pas  moins  animées  et  brillantes;  les  chefs  de  l'opposi- 
tion affectèrent  même  d'en  diriger  les  principaux  divertisse- 
ments :  le  comte  d'Egmont,  déguisé  en  chef  de  sauvages,  fit 
combattre  son  escadrille  velue  contre  des  amazones  qui  comp- 
taient parmi  elles  le  jeune  marié,  Alexandre  Farnèse,  et  mar- 
chaient sous  la  conduite  du  prince  d'Orange.  Qui  aurait  pu 
deviner  le  sort  tragique  que  l'aberration  mentale  de  Philippe  II 
allaitfaireaux  principaux  acteurs  de  cette  inoffensive  momerie? 
Moins  de  trois  ans  après,  le  comte  d'Egmont  devait  porter  sa 
tête  sur  un  échafaud  dressé,  par  les  ordre  du  duc  d'Albe,  au 
nom  des  intérêts  catholiques  de  l'Espagne;  un  peu  plus  tard, 

4  Groen  van  Prinstereb,  Archiv.  ou  correspondance  inédite  de  la  Maison 
d'Orange  Nassau,  t.  II,  pp.  2-15.  —  La  constitution  de  la  ligue  des  sei- 
gneurs, pendant  les  noces  d'Alexandre  Farnèse,  est  attestée  en  ces  termes 
par  le  cardinal  de  Granvelle,  écrivant  à  Philippe  II  (Rome,  10  mars 
1566)  :  «  Mal  negocio  es  haverse  renovado  la  liga  en  las  bodas  dcl  prin- 
cipe de  Parma,  sabiendo  que  V.  Mag*  no  huelga  con  elle-  ».  [Correspond 
dance  du  cardinal  de  Granvelle,  1. 1,  p.  149.) 


1 


(  12  ) 

Alexandre  Farnèse,  devenu  l'un  des  grands  capitaines  de  son 
temps,  mettait  ù  prix  la  tête  du  prince  d'Orange  et  le  désignait 
ainsi  au  coup  de  pistolet  de  l'halluciné  franc-comtois  Ballhasar 
Gérard  ! 

III 

Parmi  les  hommes  politiques  qui  pouvaient  prévoir  ces 
sinistres  conséquences,  un  seul  aurait  été  capable  de  les  con- 
jurer dans  une  large  mesure  :  c'était  le  cardinal  de  Granvelle  *. 
Mais  l'aristocratie  des  Pays-Bas,  froissée  de  subir  en  sa  per- 
sonne l'ascendant  d'un  homme  supérieur  dont  elle  dédaignait 
la  modeste  origine,  avait  réussi  à  le  faire  secrètement  congé- 
dier *  ;  de  plus,  elle  encourageait  les  intrigues  que  le  franc- 

1  «  Je  prévoye  beaucoup  de  choses  que  je  n'ose  dire,  pour  non  être 

tenu  pour  pronosticateur  ou  pour  Cassandra ;  et  me  doubte  que 

Madame  s'appercevra  dans  trois  moys  que  je  luy  ay  prognostiqué  beau- 
coup de  véritez  ».  (Le  cardinal  de  Granvelle  à  Yiglius  :  Baudoncourt, 
10  juillet,  et  Besançon,  31  octobre  1565:  Papiers  d'État,  t.  IX,  pp.  390 
et  638.)  —  «  Les  historiens,  partisans  de  la  révolution  et  de  la  réforme  », 
écrivait  Gachard,  en  1846,  «  ont  fort  maltraité  le  cardinal  de  Granvelle. 
.  —  La  réaction  qui  s'est  opérée  dans  les  esprits,  depuis  que  les  sources 
historiques  ont  été  plus  connues  et  mieux  établies,  a  été  favorable  au 
ministre  de  Philippe  II  »  (Correspondance  de  Philippe  II,  1. 1,  p.  clxix). 
—  Et,  plus  récemment,  Térudit  M.  Charles  Piot  développait  en  ces 
termes  la  pensée  de  son  éminent  prédécesseur  :  «  Granvelle  n'était  pas  le 
tyran  tel  que  les  pamphlets  du  seizième  siècle  nous  le  représentent. 
Dévoué  à  son  souverain,  mais  patriote  avant  tout,  le  cardinal  voulait  rem- 
ploi de  la  douceur  et  de  la  clémence;  il  abhorrait  les  rigueurs  du  duc 
d'Albe  et  les  excès  des  Espagnols  »  (Bulletins  de  l'Académie  royale  de 
Belgique,  3*  série,  t.  IX,  1885,  p.  456). 

1  Gachard  :  Le  cardinal  de  Granvelle  quitta-t-il  spontanément  Us  Pays- 
Bas  en  1564?  ou  sa  retraite  fut-elle  l'effet  des  ordres  de  Philippe  //?  — 


f  13  ) 

comtois  Simon  Renard  tramait  à  Madrid  contre  son  bienfai- 
teur 1.  Malgré  les  invitations  que  lui  faisait  Philippe  II  d'aller 
s'établir  à  Rome  où  il  aurait  participé  à  la  gestion  des  affaires 
de  la  catholique  Espagne  2,  Granvelle  préférait  demeurer  en 
Franche-Comté,  afin  de  donner  à  sa  retraite  les  apparences 
d'un  congé  temporaire  qu'il  aurait  sollicité  pour  revoir  son 
pays  et  adoucir  la  vieillesse  de  sa  mère  3.  De  Besançon  et  de 

Sur  la  chute  du  cardinal  de  Granvelle  en  1564.  Ces  deux  opuscules,  qui 
résolvent  pleinement  les  questions  mentionnées  dans  leurs  titres,  font 
partie  des  Bulletins  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  1™  série,  t  XII  et 
t  XVI. 

1  La  vie  et  les  agissements  de  Simon  Renard  ont  été  l'objet  d'une 
savante  et  judicieuse  étude  publiée  par  M.  Thidon,  dans  les  Mémoires  de 
la  Société  cTÊmulation  du  Doubs,  fr  série,  t.  VI,  1881,  pp  107-376. 

f  Gachard,  Correspondance  de  Philippe  II,  1. 1,  p.  376. 

*  «  L'arrivée  de  M.  de  Chantonay,  mon  frère,  à  Bruxelles,  avec  l'inten- 
tion de  se  rendre  en  Bourgogne  »,  écrivait  Granvelle,  «  me  parut  un  pré- 
texte plausible  pour  venir  moi-même  en  ce  pays,  où  je  n'avais  pas  été 
depuis  dix-neuf  ans,  et  pour  revoir  ma  mère,  que  je  n'avais  pas  vue 

depuis  quatorze ».  {Lettre  à  Goncalo  Perez,  Besançon,  20  avril  1564, 

traduite  de  l'Espagnol,  par  Gachard  :  Correspondance  de  Philippe  II,  1. 1, 
p.  298.) —  Granvelle  possédait  la  faculté  de  résignation,  qui  n'appartient 
qu'aux  hommes  supérieurement  équilibrés.  Il  en  donnait  la  preuve  dans 
le  passage  suivant  de  l'une  de  ses  nombreuses  lettres  au  président  Viglius  : 
«  Quant  à  moy,  si  j'estoye  là,  je  n'en  sorliroye  et  procurcroye  de  faire 
mon  debvoir,  ores  qu'il  me  deust  couster  la  vye;  mais  puisque  Dieu  m'a 

faict  la  grâce  de,  avec  sy  bonne  occasion,  en  sortir ,  je  me  tiens 

heureulx  d'en  estre  dehors,  et  apperçeoyc  bien  la  folye  que  j'auroye  faict 
d'y  demeurer  ;  et  je  confesse  que  je  ne  sçauroye  assez  rendre  grâces  à 
Dieu  de  ce  que  j'apperçoys  que,  par  ceste  absence,  je  n'ay  rien  perdu  ny 
vers  mon  maistre,  ny  en  l'opinion  des  gens  de  bien  ;  et  suis  encores  en 
opinion  d'attendre  la  venue  du  maistre,  ou  l'aller  trouver,  et  de  faire  tout 


(14) 

plusieurs  des  résidences  qu'il  avait  en  Franche-Comté,  il 
entretînt,  pendant  vingt  mois  *,  une  correspondance  active  dont 
les  Pays-Bas  étaient  le  principal  objectif:  à  la  gouvernante  il 
faisait  passer  de  prévoyants  avis  sur  la  manière  d'éviter  une 
coalition  des  seigneurs;  au  roi  d'Espagne  il  cherchait  à  per- 
suader que  la  venue  de  ce  monarque,  désirée  par  toutes  les 
classes  de  la  population  des  Pays-Bas,  serait  le  plus  sûr  moyen 
de  résoudre  à  l'amiable  les  questions  pendantes  entre  l'aristo- 
cratie de  ces  provinces  et  le  gouvernement  espagnol  â.  Jusqu'à 
l'arrivée  de  la  funeste  dépêche  qui  s'intercala  dans  les  fêles  du 
mariage  d'Alexandre  Farnèse,  Granvelle  crut  à  l'efficacité  des 
raisonnements  qu'il  tenait  au  roi  Philippe  II,  et  s'attendait  posi- 
tivement à  rentrerauxPays-Basen  compagnie  de  ce  monarque^. 

ce  qu'il  vouldra,  horsmys  d'aller  par  delà  sans  sa  présence  pendant  que 
tout  y  ira  comme  il  vad.  Et  cependant  je  faiz  icy  bonne  et  joyeuse  chière; 
et  s'esbéhissent  ceulx  quy  vouldroient  que  je  remuasse  le  mesnage, 
pour  leur  donner  matière,  que  je  ne  me  mesle  de  rien,  non  plus  que  sy 
j'estoye  ung  estrangier  passant,  entendant  seullement  à  mes  affaires,  ne 
bougeant  de  ma  chambre  synon  pour  proumencr,  à  faire  exercice  à 
l'église  et  vers  madame  (la  mère  du  cardinal),  et  faisant  mes  dépesches. 
où  je  doibz  correspondre,  sans  bruyt  ».  (Granvelle  à  Viglius,  Besançon, 
31  octobre  1365  :  Papiers  d'État,  t.  IX,  pp.  638-639.) 

1  Le  cardinal,  parti  de  Bruxelles  pour  la  Franche-Comté  au  miUeu 
du  mois  de  mars  1364,  ne  quitta  cette  province  que  le  31  décembre 
1365  :  il  qvait  alors  perdu  tout  espoir  de  rentrer  aux  Pays-Bas  en  com- 
pagnie du  roi  d'Espagne,  et  il  saisissait  le  prétexte  plausible  de  la  réunion 
d'un  conclave  pour  se  rendre  à  Rome. 

*  Ces  dépêches  sont  en  grande  partie  publiées  ou  analysées  dans  le 
tome  I  de  la  Correspondance  de  Philippe  II  sur  les  affaires  des  Pays-Bas, 
et  dans  les  tomes  VIII  et  IX  des  Papiers  d'État  du  cardinal  de  Granvelle. 

3  Au  point  de  vue  de  cette  éventualité,  l'ambassadeur  Chantonay,  son 
frère,  lui  indiquait  en  ces  termes  une  règle  future  de  conduite  :  «  Si  tant 


(  15) 

La  mission  qu'il  ambitionnait  d'y  remplir  est  ainsi  définie  dans 
une  de  ses  lettres  :  «  11  y  a  longtemps  que  Ton  est  après  pour 

donner  à  entendre  aux  villes et  à  plusieurs  de  la  noblesse 

aussy  que  je  ta  sel?  e  de  les  soubmettre  aux  Espaignolz,  qu'est 
faulx  et  n'y  pensay  oneques  ......  comme  souvent  je  leur  ay 

dict  en  plein  Conseil,  et  qu'il  n'y  a  quy  que  ce  soit  d'eulx  quy 
plus  hardiement  et  résoluement  que  moy  voulust  employer  sa 
personne  et  sa  vie  pour  le  soustenement  de  la  liberté  et  des 

privilèges  du  pays,  mais  non au  préjudice  de  l'auctorité 

du  maislre,  pour  corrompre  et  perdre  la  justice sans 

laquelle  les  moindres  seront  proye  des  grands  *  ». 

La  rentrée  de  Granvelle  au  gouvernement  des  Pays-Bas  était 
désirée  par  tous  ceux  qui,  n'ayant  pas  plus  de  goût  pour  les 
persécutions  religieuses  que  pour  les  révolutions  politiques, 
auraient  voulu  épargner  à  cette  contrée  les  tiraillements  résul- 
tant de  la  rivalité  des  seigneurs,  la  brutalité  des  insurrections 
du  peuple,  la  répression  sanguinaire  dans  laquelle  périrent, 
par  la  main  des  bourreaux,  dix-huit  mille  six  cents  personnes 
inculpées  d'hérésie  ou  de  rébellion.  Ces  modérés,  que  l'on 

estoit  que,  venant  le  Roy,  Vostre  Seigneurie  retorna  en  Flandre,  pour 
l'amour  de  Dieu,  puisque  il  y  a  ung  président  du  Conseil  d'Estat  qui  peult 
travailler,  qu'il  face  les  dépesches  luy-mesmc,  affin  qu'il  ne  semble  que 
Vostre  Seigneurie  veulle  retenir  auctorité;  car  encoires  y  aura-il  assez 
affaire  de  esteindre  la  jalousie  de  la  précédence  à  cause  du  cardinalat, 
que  doibt  extrêmement  tormenter  le  cueur  de  ceulx  qui  l'ont  hault, 
mesme  en  ce  temps  tant  contraire  à  gens  de  la  profession  de  Vostre  Sei- 
gneurie Illustrissime  ».  (Thomas  Perrcnot  de  Chantonay  à  son  frère  le 
cardinal  de  Granvelle,  Vienne,  24  novembre  4565  :  Bibliothèque  de 
Besançon,  Mém.  de  Granvelle,  t.  XXI,  fol.  136  verso). 

«  Le  cardinal  de  Granvelle  au  secrétaire  Bave,  Besançon,  18  avril  1564  : 
Papiers  a"Ètat%  t.  VII,  p.  506. 


(10) 

appelait  les  cardinalistes,  avaient  à  leur  tête  le  duc  Philippe 
d'Arschot,  chevalier  de  la  Toison  d'or,  Viglius  de  Zuichemr 
président  des  Conseils  de  la  gouvernante,  et  Josse  Bave,  l'un 
de  ses  secrétaires  d'Etat.  Ces  personnages  entretenaient  une 
correspondance  suivie  avec  Granvelle,  se  concertant  pour 
qu'aucun  mouvement  de  ses  adversaires  politiques  ne  lui  fût 
inconnu.  Hais  le  cardinal  avait  en  outre  u  Bruxelles  des  affidës 
qu'il  pensionnait  et  dont  il  recevait  périodiquement  de 
copieuses  lettres,  qui  constituent  un  véritable  journal  des  inci- 
dents de  la  lutte  que  soutenait  le  libéralisme  flamand  contre 
l'intolérance  espagnole  *.  Le  plus  actif  de  ces  correspondants 
intimes  était  Maximilien  Morillon,  ancien  camarade  d'études 
du  cardinal  et  devenu  son  vicaire  général  pour  l'archevêché  de 
Matines.  Venait  ensuite  le  maître  des  comptes  Odet  Viron, 
préposé  à  la  gestion  des  domaines  que  Granvelle  possédait  dans 
les  Pays-Bas.  Le  cardinal  était  également  renseigné  par  Pierre 
Bordey,  son  cousin  germain,  qu'il  avait  fait  attacher,  en  qualité 
de  gentilhomme  de  la  bouche,  à  la  maison  de  la  gouvernante  *• 
Les  imprudentes  folies  faites  par  cette  princesse,  à  l'occasion 
du  mariage  de  son  fils,  ne  purent  manquer  de  saisir  vivement 

4  Sur  les  correspondants  du  cardinal  pendant  la  période  de  son  exil 
en  Franche-Comté,  on  peut  consulter  la  remarquable  Préface  d'Edmond 
Poullet,  placée  en  tête  du  premier  volume  de  la  Correspondance  du 
cardinal  de  Granvelle,  pp.  xxxix-xlv. 

*  <c  Je  tiendra  y  main  d' ad  ver  tir  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  tous- 
jours  de  ce  que  je  sçauray  et  se  passera  pardeçà  ;  et  tâcheray  d'entendre 
nouvelles,  toutefois  si  dextrement  que  ce  sera  sans  faire  congnoistre  que 
je  soys  curieux  de  telles  choses,  afin  que  Ton  ne  pense  que  je  soys  icy 
demeuré  par  cest  effect,  comme  jà  aulcuns  ont  heu  opinion  ».  (Pierre 
Bordey  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  6  avril  1564  :  Bibliothèque 
de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XI,  fol-  24.) 


(17  ) 

l'attention  de  Granvelle  :  aussi,  voulant  être  fidèlement  rensei- 
gné à  cet  égard,  octroya-t-il  un  subside  qui  permit  à  son  cousin 
Pierre  Bordey  de  s'embarquer  sur  la  flotille  envoyée  en  Por- 
tugal pour  ramener  la  fiancée  d'Alexandre  Farnèse  i.  Une 
relation  de  ce  voyage  et  des  fêtes  qui  le  suivirent  avait  été  natu- 
rellement adressée  au  cardinal  :  «  je  m'en  remets  au  distours 
de  M.  Bordey  »,  lui  écrivait  Morillon,  «  car  je  n'ay  rien  veu  ny 
voulu  veoir  2  ».  Cependant  la  relation  écrite  par  Pierre  Bordey 
ne  figure  dans  aucune  des  séries  imprimées  de  la  correspon- 
dance de  Granvelle.  L'éditeur  des  Papiers  d'État  du  cardinal  3, 
n'ayant  pas  rencontré  cette  pièce  dans  le  recueil  des  dépêches 
formé  par  l'abbé  Boisot,  avait  même  omis  de  faire  transcrire 

*  «  J'entendz  que  monsieur  Bordey  est  sur  le  billet  pour  faire  ce  voiage. 
Il  est  mauvais  maronier,  avec  ce  qu'il  yrat  à  la  pire  saison  de  l'an.  Si 
quelque  maladie  le  pregnoit,  je  crains  qu'il  trouveroit  peu  d'amys  en 
ladite  compaignie.  —  Depuis,  le  maistre  d'hostel  luy  a  dit  se  tenir  prest. 
Hz  iront  xvi  gentilzhommes,  et  auront  officiers,  médecin  et  apoticairc. 
Ledit  sieur  Bordey  m'a  prié  de  l'adsister  d'argent,  s'il  fault  qu'il  parte 
devant  avoir  response  de  Vostre  Seigneurie,  ce  que  je  feray  ».  (Morillon 
aucard.  de  Granvelle,  Bruxelles,  21  mai  1565  :  Biblioth.  de  Besancon, 
Lettres  de  Morillon,  t.  Il,  fol.  27  verso.) 

*  Morillon  au  cardinal,  Bruxelles,  9  décembre  1565  :  Correspondance 
du  cardinal  de  Granvelle,  1. 1,  p.  43. 

3  Le  nom  de  Charles  Weiss  figurant  seul  sur  les  titres  des  neuf  volumes, 
imprimés  aux  frais  de  l'État  français,  des  Papiers  d'Élat  du  cardinal  de 
Granvelle,  cet  écrivain  passe  naturellement  pour  l'éditeur  de  la  publica- 
tion; mais,  en  réalité,  il  est  simplement  l'auteur  de  la  Notice  préliminaire 
placée  en  tête  du  premier  volume.  Le  choix  des  textes  et  leur  annotation 
sont  l'ouvrage  de  Charles  Duvernoy,  de  Montbéliard,  érudit  qui  doit  être 
regardé  comme  le  véritable  éditeur  du  recueil.  La  traduction  française 
des  dépêches  écrites  en  langue  espagnole  avait  été  fournie  par  Théodore 
Belahy,  de  Besançon. 

Toke  XL!.  2 


(  18) 

les  lettres  de  Pierre  Bordey  qui  sont,  en  quelque  sorte,  la  pré- 
face et  les  annexes  du  grand  récit  de  l'expéditon  nuptiale. 
Il  en  résulte  que,  dans  les  deux  séries  publiées  de  la  corres- 
pondance du  cardinal  de  Granvelle,  on  ne  trouve,  sur  «l'arrivée 
de  la  princesse  de  Parme  »,  qu'un  tableau  sommaire  du  secré- 
taire  d'Etat  Jossc  Bave,  lequel  s'excuse  d'en  «dire  succinctement 
deux  motz,  sachant  que  par  aultres  Son  IllustrissimeSeigneurie 
en  est  amplement  advertie  *  ».  V ample  avertissement  de  Pierre 
Bordey  a  fini  par  se  retrouver  :  Jules  Chiflct,  qui  avait  opéré, 
concurremment  avec  l'abbé  Boisot,  le  sauvetage  des  papiers  du 
du  cardinal  de  Granvelle  restés  à  Besançon,  s'était  emparé  de  cette 
pièce  capitale  et  l'avait  consignée  dans  un  de  ses  portefeuilles*. 
En  tète  de  cette  relation,  qui  n'a  pas  moins  de  treize  grandes 
pages  et  demie,  le  cardinal  a  écrit  de  sa  main  :  «  Discours  du 
voyaigede  la  princesse  de  Portugal  et  de  ceulx  qui  l'allèrent 
querre  ».  On  lira  ci-après  ce  texte,  précédé  et  suivi  des  indica- 
tions préalables  ainsi  que  des  renseignements  complémentaires 
que  Pierre  Bordey  avait  donnés  à  son  Mécène  au  sujet  de  la 
même  aventure. 

IV 

Sur  l'accomplissement  de  ce  mariage  princier,  qui  fut  en 
même  tempsl'occasion  d'un  divorce  entre  l'aristocratie  des  Pays- 
Bas  et  la  couronne  d'Espagne,  on  s'en  rapportait  principale- 
ment au  récit  du  jésuite  Famiano  Strada,  écrit  une  soixantaine 
d'années  après  l'événement  et  par  le  panégyriste  attitré  de  la 
maison  Farnèse.  Entre  les  incidents  de  la  navigation  périlleuse 
opérée  par  la  flotille  qui  revenait  de  Lisbonne,  Strada  n'a 

1  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  1. 1,  pp.  32  et  33. 

*  Bibliothèque  de  Besançon  :  manuscrits  Chiflet,  n°  72,  fol.  146-152. 


(19) 

retenu  que  ceux  dans  lesquels  Marie  de  Portugal  montra  du 
courage  ou  s'arma  de  piété  farouche  *  :  c'est  ainsi  qu'il  loue 
cette  princesse  d'avoir,  étant  à  Douvres,  protesté  contre  la 
proposition  qui  lui  fut  faite  d'envoyer  un  gentilhomme  saluer 
de  sa  part  la  reine  hérétique  de  la  Grande-Bretagne;  qu'il 
admire  ensuite  la  demande  adressée  par  cette  même  princesse 
à  une  dame  anglaise  de  lui  céder  ses  deux  jeunes  enfants, 
attristée  qu'elle  était  que  ces  charmants  petits  êtres  fussent 
déjà,  comme  issus  d'hérétiques,  les  esclaves  de  l'enfer. 

Tout  en  rendant  justice  aux  qualités  de  la  princesse  Marie  de 
Portugal,  Pierre  Bordey  n'est  le  panégyriste  d'aucune  des  per- 
sonnalités ayant  figuré  dans  les  épisodes  dont  il  présente  une 
narration  circonstanciée  et  fidèle.  Il  n'interrompt  même  pas 
son  récit  pour  rapporter  les  propos  qu'il  tint,  en  devisant  sur 
l'un  des  navires,pour  réfuter  les  calomnies  dont  Granvelle  était 
l'objet  de  la  part  de  ses  ennemis  :  cet  incident  n'est  relaté  que 
dans  une  de  ses  lettres  complémentaires.  Quant  à  son  Discours 
du  voyaige  de  la  princesse  de  Portugal,  c'est  un  morceau  inté- 
ressant dans  tous  ses  détails  et  qui  méritait  incontestablement 
detre  tiré  de  l'oubli. 

L'auteur  y  fait  un  tableau  vivant  de  la  cour  de  Portugal,  où 
trônait  un  enfant  de  onze  ans.  Il  décrit  le  cérémonial  des 
audiences  et  le  luxe  des  festins  qui  eurent  lieu  en  l'honneur  de 
l'ambassade  des  Pays-Bas,  n'oubliant  même  pas  «  le  flux  de 
ventre  estrange  avec  vomissement  »  dont  plus  de  huit  gentils- 
hommes furent  atteints  à  la  suite  d'un  de  ces  banquets.  Il 
trace  un  portrait  de  la  future  épouse  d'Alexandre  Farnèse  : 
a  quant  à  la  princesse  »,  dit-il,  «  elle  n'est  ny  belle,  ny  laide; 

*  Histoire  de  la  guerre  de  Flandre,  trad.  franc.  (1644,  in-fol.),  pp.  181- 
i85. 


(  20) 

néantmoings  clic  est  forl  petite;  mais  ce  que  deftault  à  la 
beau  lié...,  sa  bonne  grâce,  sa  grande  humanité,  vertu,  pru- 
dence et  doctrine  certainement  récompensent  entièrement  ce 
deftault  *  ».  Il  a  des  ternies  moins  galants  pour  qualifier  les 
gens  qui  composaient- la  maison  de  cette  princesse  et  dont  le 
nombre  dépassait  cent  trente  personnes  :  «  desquelx  »,  dit-ih 
«  ostez  diy  ou  douze  et  trente-trois  femmes  qu'elle  mesne  avre 
elle,  toute  la  reste  est  canaille,  néantmoings  en  leurs  parolles 
Idalgos  comnVel  Rey  ».  A  propos  des  vols  nombreux  dont 
l'ambassade  fut  victime,  sa  plume  trouve  une  expression  pitto- 
resquement  vengeresse  :  «  nulles  joustes,  ny  tournoys,  ny 
aultres  esbaltements  ne  se  firent  en  tout  le  temps  que  nous 
fumes  là,  mais  bien  des  tournois  des  mains  crochues  assez  », 
Il  dépeint  avec  non  moins  d'esprit  les  manœuvres  de  la  cour 
de  Portugal  pour  récupérer  en  droits  de  douane  la  valeur  de 
ce  qu'emportait  la  jeune  mariée,  comme  aussi  les  stratagèmes 
employés  pour  hâter  le  départ  d'une  ambassade  qui  aurait  pu 
se  nommer  légion,  et  dont  on  ne  désirait  pas  le  séjour  trop  pro- 
longé à  Lisbonne.  Une  fois  lancée  dans  l'Océan,  la  flotille  fît 
d  abord  quatre-vingts  lieues  de  navigation  en  sens  inverse  du  but 
à  atteindre,  au  risque  de  donner  dans  les  repaires  des  pirates 
de  la  Barbarie.  Les  pilotes  ayant  retrouvé  le  nord,  la  flotille 
gouverna  dans  la  direction  des  côtes  de  l'Angleterre;  mais  elle 
eut  à  subir  une  horrible  tempête  :  toutefois  si  les  avaries  furent 
considérables,  le  naufrage  put  être  évité.  Quand  la  lïotille  arriva 
à  Douvres,  le  vaisseau  amiral  n'avait  plus  ni  chair,  ni  vin.  Là  se 
trouvèrent  des  pilotes  pour  diriger  la  flotille  sur  Middelbourg, 

1  Ce  portrait  remplacera  avantageusement  la  peinture  outrée  de 
Strada,  qui  a  été  reproduite  par  les  historiens  modernes.  Voyez  Motijïy. 
Révolution  des  Pays-Bas,  trad.  franc.  (1861),  t.  I,  p.  589. 


(  21  ) 

on  lui  faisant  éviter  les  bancs  de  sable.  Une  nouvelle  bour- 
rasque rendit  le  débarquement  difficile  :  il  s'effectua  pourtant, 
lit  Pierre  Bordey  redevient  amusant  au  sujet  des  premières 
coquetteries  réciproques  d'Alexandre  Farnèse  et  de  son  austère 
épouse.  La  bénédiction  nuptiale  fut  donnée  le  soir  même  de 
l'arrivée  à  Bruxelles;  mais  la  princesse  ne  voulut  appartenir  à 
son  mari  qu'après  une  messe  ouïe  le  lendemain  matin  :  en  re- 
vanche, le  prince  n'attendit  pas  la  nuit  pour  user  de  son  droit 
légitime.  Huit  jours  après  fut  donné  le  grand  festin,  suivi  d'un 
bal  déguisé  qui  se  termina  par  le  service  du  «  bancquet  des 
sucrades  »,  dont  la  ville  d'Anvers  avait  fait  les  frais  évalués  à 
plus  de  3,001)  florins  :  la  pièce  principale  représentait,  en 
sucrerie  décorative,  tous  les  épisodes  saillants  du  voyage  qui 
venait  d'être  accompli  par  l'ambassade  de  la  gouvernante. 
A  son  tour,  mais  seulement  le  mardi  4  décembre,  le  peuple 
eut  la  représentation  de  joutes  données  sur  le  grand  marché  de 
Bruxelles  :  ce  spectacle  magnifique  fut  contrarié  par  la  pluie. 
«  Ceulxde  la  ville  »,  dit  un  contemporain,  «  l'eussent  volon- 
tiers excusé,  pour  la  crierie  du  peuple,  a  cause  de  la  chierté 
du  bled  t  ». 


Pierre  Bordey,  le  narrateur  des  incidents  qui  viennent  d'être 
rappelés,  appartenait  ù  une  ancienne  famille  du  bourg  de 
Vuillafans,  localité  qui  produisit  également  Balthasar  Gérard, 
l'assassin  du  prince  d'Orange.  Vuillafans  est  situé  dans  la  vallée 
pittoresque  de  la  Loue,  à  8  kilomètres  en  amont  de  la  petite 

1  Bave  au  cardinal  de  Granvclle,  Bruxelles,  \  décembre  1565  :  Corres- 
pondance, 1. 1,  p.  34. 


(  22  ) 

ville  d'Ornans,  berceau  de  la  famille  Perrenot  de  Granvelle, 
L'une  des  sœurs  du  garde  des  sceaux  de  Charles-Quint,  Guille- 
mette  Perrenot,  fut  la  première  femme  de  Jean  Bordey  Faîne, 
que  son  beau-frère  fit  anoblir  i.  Trois  garçons,  issus  de  ce 
mariage,  François,  Charles  et  Pierre  Bordey,  éprouvèrent  les 
bienfaits  du  cardinal  de  Granvelle,  dont  ils  étaient  les  cousins 
germains.  Jeanne,  leur  sœur,  avait  été  épousée  en  secondes 
noces  par  Paneras  Bonvalot,  autre  parent  du  cardinal,  comme 
fils  d'un  oncle  de  sa  mère  Nicole  Bonvalot.  Les  frères  Bordev, 
donnés  pour  compagnons  d'études  ù  leurs  cousins  germains 
Perrenot  de  Granvelle,  firent  ainsi  gratuitement  leurs  classes  » 
Louvain  2,  sous  la  gouverne  d'Adrien  Àmerot,  ancien  condis- 


1  «  Bordey,  de  Vuillafans,  annobli  par  l'empereur  Charles-Quint,  à  la 
prière  de  Nicolas  de  Granvelle...,  en  15:23  ».  (LHnand,  Nobiliaire  du 
comté  de  Bourgogne,  ms.  de  la  Bibliothèque  de  Besançon,  t.  I,  fol.  297.) 
—  Les  armoiries  de  cette  famille  étaient  :  «  de  gueulle  a  deux  bourdons 
de  pèlerins  d'or  posés  en  pal,  et  trois  estoiles  de  mesine  à  la  pointe  de 
Tescu,  posées  deux  et  une,  celle  du  milieu  entre  les  deux  bourdon?: 
timbre,  un  buste  d'homme  barbu  au  naturel,  vestu  d'or  ».  (Lampixet. 
Armoriai  de  Franclie-Comlc,  ms.  de  la  Bibliothèque  de  Besançon,  fol.  38 
verso.) 

*  Dans  le  registre  autographe  des  épitres  latines  écrites  par  Antoine 
Perrenot  de  Granvelle.  le  futur  cardinal,  durant  son  cours  d'études  juri- 
diques à  Padouc,  il  en  est  une  portant  cette  adresse  :  «  Hieronymo 
Perrenoto  et  Francisco  Bordero,  fratri  et  cognato  charissimis,  Patavii, 
v  mardi  1537  »  (Ms.  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  a  Madrid).  François 
Bordey  était  donc  approximativement  le  contemporain  de  Jérôme  Perrenot 
de  Granvelle,  né  le  14  mai  1524.  —  Une  belle  épitre  d'étudiant,  écrite  en 
langue  latine  depuis  Louvain,  le  6  décembre  1547,  à  Antoine  Perrenot 
de  Granvelle,  alors  évèque  d'Arras,  par  Pierre  Bordey,  mentionne  en  ce? 
termes  la  communauté  d'existence  de  celui-ci  et  de  ses  cousins  Charles 


(  23  ) 

ciple  d'Erasme.  François  et  Charles  entrèrent  dans  le  clergé 
et  comptèrent  tous  deux  pa?mi  les  chanoines-dignitaires  du 
chapitre  métropolitain  de  Besançon,  l'un  en  qualité  d'arehi- 


«t  Frédéric  Perrenot  de  Granvelle  :  «  Itaque,  dubius  jam  et  anxius,  non 
modo  doctissimi  mei  pneceptoris  dominoruinque  îneorum  Caroli  et 
Frederici  exemplo  sum  motus,  verum  etiam  tuorum  meritorum  erga  me. 
amplitudine  adductus  sum  ».  Toutefois  une  lettre  du  précepteur  de  ces 
jeunes  gens ,  Adrien  Amerot,  écrite  à  Pévêque  d'Arras ,  le  21  janvier  1548. 
s'exprimait  ainsi  :  «  Pierre  Bordey  estudie  assez  bien;  mais  il  a  eu  grant 
regret  au  commencement  de  ce  qu'il  ne  tenoit  compaignie  au  protono- 
taire pour  estudier  aux  Institutes  »  (Bibliothèque  nationale  de  Madrid  : 
Correspondencia  de  Granvela,  caja  V).  Le  protonotaire,  dont  Pierre  Bordey 
ne  pouvait  pas  équilibrer  l'avancement,  était  Charles  Perrenot  de  Gran- 
velle, né  le  9  janvier  4531.  Pierre  Bordey  était  pourtant  son  aine  de  deux 
ans  et  quelques  mois,  et  il  avait  entre  sept  et  huit  ans  de  plus  que  Fré- 
déric Perrenot  de  Granvelle,  né  le  2  avril  1536.  —  A  propos  d'un  don  de 
400  francs  que  le  cardinal  de  Granvelle  avait  fait  à  Pierre  Bordey,  en  1566, 
pour  l'aider  à  reconstruire  sa  grange  de  Vuillafans,  le  chanoine-archidiacre 
Charles  Bordey  rappelait  en  ces  termes  les  bienfaits  que  lui  et  son  frère 
avaient  reçus  du  même  prélat  dès  leur  plus  tendre  enfance  :  «  Après 
avoir  nourry  mondict  frère  et  moy  quasi  tout  le  temps  de  noz  vies,  apivs 
nous  avoir  entretenu  aux  escholes  et  en  aultres  lieux  honnorableraent, 
après  en  somme  nous  avoir  faict  des  biens  infinitz,  Vostredicte  Illustris- 
sime Seigneurie,  ne  se  contentant  de  tout  cela,  a  voulu,  comme  ung  bon 
père  très  charitable,  mectre  la  main  a  la  réparation  et  réfection  de  nostre 
povre  et  désolée  maison....  »  (Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de 
Granvelle,  t.  XXIIi,  fol.  155).  —  Un  oncle  de  Pierre  Bordey,  Jean  Bordey 
le  jeune,  avait  été  placé,  en  qualité  de  majordome,  dans  la  maison  du 
comte  d'Egmont  :  il  était  âgé  d'enviion  quarante  ans  en  4540,  époque  k 
laquelle  il  déposa  comme  témoin  dans  l'enquête  relative  aux  preuves  de 
noblesse  du  cardinal  de  Granvelle.  (Prosper  Lêvéque,  Mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  du  cardinal  de  Granvelle,  t.  II,  p.  212.) 


(24) 

diacre  de  Salins  i,  le  second  comme  archidiacre  de  Gray  -. 

Quant  à  Pierre,  il  s'était  engagé  fort  jeune  dans  les  troupes 

bourguignonnes,  c'était-à-dire  franc-comtoises,  qui  faisaient 

partie  de  l'élite  des  armées  de  Charles-Quint.  Né  en  1528  3,  il 

1  François  Bordey,  étant  encore  -  écolier,  fut  élu  chanoine  de  l'église 
métropolitaine  de  Besançon,  par  le  fait  d'une  résignation  en  sa  faveur 
de  son  compatriote  Guy  Monnier,  de  Vuillafans,  le  30  décembre  1535.  La 
dignité  capitulaire  d'archidiacre  de  Salins  se  trouvant  vacante  par  la  mort 
(le  l'offieial  Léonard  de  Gruyères,  qui  avait  rempli  des  missions  diploma- 
tiques sous  le  régne  de  Charles-Quint,  la  cour  de  Rome  obtint  ce  bénéfice 
pour  Giovanni  Poggio,  nonce  du  Pape  en  Espagne;  mais  il  fut  aisé  à 
Antoine  Perrenot  de  Granvelle  de  faire  rétrocéder  cette  charge  à  François 
Bordey,  qui  y  fut  élu  le  19  mars  1540.  Cumulant  avec  son  canonieat 
et  son  archidiaconat  la  fonction  de  maitre  d'hôtel  de  son  illustre 
cousin,  François  Bordey  dut  à  cette  situation  l'honneur  d'un  médaillon 
;i  son  effigie.  Je  vais  décrire  cette  pièce  d'après  le  cliché  en  plomb  qu'en 
possède  la  Bibliothèque  de  Besançon.  Diamètre,  0,n,045.  —  Au  droit,  un 
buste  regardant  a  droite,  tète  nue,  visage  barbu,  col  de  chemise  rabattu 
sur  une  soutane  que  recouvre  en  partie  une  houppelande;  légende  circu- 
laire :  FRANCISCVS  BORDEY  ARCHIDIANYS  (sic)  SAUNENSIS  ;  à  la  SCCtlOn  (le 

l'épaule  :  x.i.  34.  —  Au  revers,  un  pèlerin  traverse  à  gué  le  lit  d'une 
rivière,  en  montrant  le  ciel  avec  la  main  droite  et  s'appuyant  de  la  main 
gauche  sur  son  bourdon;  au  fond,  les  monuments  d'une  ville  avec  un 
palmier;  en  haut,  sous  forme  de  devise  cintrée,  le  mot  consylto.  — 
François  Bordey  mourut  le  13  septembre  1560  :  l'ûge  qu'il  avait,  lors  de 
la  gravure  de  la  médaille  qui  le  représente,  semblerait  assigner  a  celle-ci 
l'année  1559  comme  date  approximative. 

8  Charles  Bordey,  n'étant  encore  que  clerc,  avait  été  élu  chanoine  au 
grand  chapitre  de  Besançon,  le  2  août  1547;  il  y  devint  archidiacre  de 
Gray,  le  12  mai  1504,  par  suite  de  la  démission  de  François  Richardot, 
qui  avait  remplacé  Granvelle  sur  le  siège  épiscopal  d'Arras.  Il  mourut 
le  10  octobre  1570. 

s  «  11  a  xl  ans  sur  la  teste  »,  écrivait  de  lui  Morillon  au  cardinal  de 
Granvelle,  le  10  octobre  1568. 


(25) 

uvait  19  ans  lorsque  la  bataille  de  Mûhlberg,  où  il  se  rencontra, 
mît  en  déroute  la  ligue  des  protestants  de  l'Allemagne.  Il  conti- 
nua de  servir  sous  les  drapeaux  de  Philippe  II,  fut  à  la  mémo- 
rable journée  de  Saint-Quentin,  et  ne  quitta  la  vie  militaire 
qu'en  1559,  au  moment  où  le  monarque  espagnol  sortit  lui- 
même  des  Pays-Bas  et  en  confia  le  gouvernement  à  sa  sœur  natu- 
relle, Marguerite  d'Autriche,  assisléede  l'évêque  d'Arras,  Antoine 
Perrenot  de  Granvelle,  comme  principal  ministre.  Cousin  ger- 
main de  ce  prélat,  qui  allait  être  fait  cardinal,  Pierre  Bordey 
fut  placé  par  lui,  en  qualité  de  gentilhomme  de  la  bouche, 
dans  la  maison  de  la  gouvernante  *.  Lorsque  le  cardinal  de 
(iranvelle  cessa  d'être  ministre,  en  1564,  ce  fut  ù  son  cousin 
Técuyer  Bordey  qu'il  s'en  rapporta  pour  être  renseigné  sur  ce 
qui  se  passait  au  palais  de  Bruxelles 2,  comme  aussi  pour  faire 
parvenir  discrètement  à  la  princesse  les  dépêches  confiden- 
tielles dont  elle  sut  si  peu  profiter  3. 

i  Lettres  cîe  chevalerie  octroyées  à  Pierre  Bordey  et  relatant  ses  services  : 
Madrid,  20  mars  1284.  {Archives  des  hospices  de  Besançon  :  hôpital  Saint- 
Jacques,  BB.  135.) 

2  «  M'ayant  Sa  Seigneurie  Illustrissime,  à  son  parlement,  commandé 
de  luy  escripre,  rendant  ceste  obéissance  voluntairement,  si  esse  qu'en- 
coires  je  ne  l'entreprend  point  sans  grande  craincte,  craignant  de  luy  estre 
trop  importun.  Mais,  recherchant  plus  en  cecy  l'obéissance  que  je  luy  dois, 
j'ayme  mieulx  tomber  en  cesle  hazard,  jusques  à  ce  que  j'ay  aultre  com- 
mandement, que  de  faillir  à  faire  mon  debvoir  ».  (Pierre  Bordey  au  car- 
dinal de  Granvelle,  Bruxelles,  2  avril  1564  :  Bibliothèque  de  Besançon, 
Mémoires  de  Granvelle,  t.  XI,  fol.  3.) 

3  Ce  fut  par  Pierre  Bordey  que  le  cardinal  de  Granvelle  fit  remettre  à 
la  gouvernante  l'exemplaire  des  décrets  du  concile  de  Trente  qu'il  avait 
reçu,  à  l'intention  de  cette  princesse,  de  la  part  du  cardinal  Borromée 
(saint  Charles),  dont  il  était  l'ami.  «  J'ay  icy  reçeu  »,  écrivait-il  à  la  gou- 


(26, 

Pierre  Bordey  s'était  pris  de  belle  passion  pour  la  veuve  de 
Jacques  de  Marnix,  ancien  commissaire  général  des  guerres 
sous  Charles-Quint,  gentilhomme  qui  avait  eu  d'un  premier 
mariage  Jean  et  Philippe  de  Marnix,  célèbres  par  le  rôle  consi- 
dérable qu'ils  jouèrent  dans  l'insurrection  des  Pays-Bas.  Leur 
belle-mère,  Marie  de  Bonnières,  aimait  la  société  de  Pierre 
Bordey  et  entretenait  chez  lui  l'espoir,  qu'il  garda  longtemps, 
de  conclure  avec  elle  une  union  qui  ne  parvint  pas  à  s'accom- 
plir t.  La  rude  franchise  de  Pierre  Bordey  aurait  d'ailleurs  fait 
mauvais  ménage  avec  l'humeur  coquettement  capricieuse  de 
celle  dont  il  recherchait  l'alliance  :  c'eût  été  Alcestc  épousant 
Célimène. 

Lors  du  licenciement  de  la  maison  de  la  gouvernante,  au 
mois  de  novembre  1567,  Bordey  demeura  sans  emploi  :  il  quitta 
Bruxelles  en  septembre  1568,  et  passa  par  la  Franche-Comté 
pour  aller  à  Rome  retrouver  le  cardinal  de  Granvelle,  qui- 
volontiers  l'aurait  retenu  comme  maître  d'hôtel,  si  lui-même 

vernante,  «  une  lettre  du  cardinal  Boromeo,  qu'est  vielle,  et  toutesfois 
Tenvoye-je  à  Vostre  Altèze,  pource  que,  par  icelle,  il  accuse  ung  exem- 
plaire qu'il  me  commande  délivrer  à  Vostre  Altèze  des  décretz  du  Concile 
de  Trente,  lequel  exemplaire,  comme  Ton  m'escript,  est  demeuré  à 
Bruxelles;  et,  par  mes  lettres,  j'encharge  à  mon  cousin  l'escuyer  Bordey. 
très  humble  serviteur  de  Vostre  Altôze,  de,  avec  la  présente,  le  délivrer 
à  Icelle  ».  (Baudoncourt,  30  mai  1364  :  Bibliothèque  de  Besançon, 
Mémoires  de  Granvelle,  t.  XII.  fol.  94  verso.) 

1  Dans  les  lettres  de  Pierre  Bordcv  au  cardinal  il  se  trouve  de  longues 
élégies  sur  les  tergiversations  de  «  madame  de  Thoulouzc  »  :  ainsi 
appelait-on  cette  veuve,  dont  le  mari,  Jacques  de  Marnix,  avait  possédé 
la  seigneurie  du  village  de  Toulouze,  dans  le  Jura  franc-comtois.  Le 
cardinal  recevait  aussi  les  doléances  de  la  dame,  au  sujet  des  impatiences 
de  son  adorateur. 


(27  ) 

ne  se  fût  reconnu  impropre  à  cet  emploi.  Granvelle  prit  alors 
le  parti  de  le  renvoyer  à  Besançon,  où  il  arriva  au  mois  de 
septembre  1370,  et  eut  pour  logis  la  belle  maison  que  Fran- 
çois Bonvalot  avait  fait  bâtir  dans  le  quartier  capitulaire  et  dont 
le  cardinal  jouissait  en  qualité  de  dignitaire  du  chapitre  métro- 
politain de  sa  ville  natale  *.  Ayant  à  se  concerter,  pour  la  ges- 
tion des  intérêts  de  la  famille  de  Granvelle,  avec  les  autres 
hommes  de  confiance  du  cardinal  2,  ses  honnêtes  emportements 

i  Et  certes,  monseigneur,  estant  aux  vendanges,  il  arriva  à  Besançon 
s'i  loger  sans  mon  sçeu,  et  estant  arrivé  à  Besançon,  je  ne  luy  en  osa 
parler  aultrement . . .  Ledict  sieur  Bordey  n'a  que  sa  demeure  luy 
deuxiesme,  sans  bruyt,  n'y  tient  mesnaige,et  est  autant  retiré  que  homme 
que  j'ay  venu ...  ».  (Claude  de  Chavirey  au  cardinal  de  Granvelle, 
Besançon,  30  décembre  1570  :  Bibliothèque  de  Besançon,  Ment.  de. 
Granvelle,  t.  XXVII,  fol.  309).  —  Sur  la  maison  habitée  à  Besançon  par 
Pierre  Bordev,  vovez  l'article  Hôlel  Bonvalot  dans  les  deux  éditions  de 
mon  ouvrage  sur  Besançon  et  ses  environs 

-  Voici  les  noms  de  ces  hommes  de  confiance:  Bonnet  Jacqucmel, 
ancien  secrétaire  du  garde  des  sceaux  Granvelle,  devenu  trésorier  des 
salines  de  Salins  (voyez  une  note  le  concernant  dans  le  §  vw  de  mon 
étude  sur  le  Bronzino  du  Musée  de  Besançon);  Claude  de  Chavirey,  cousin 
issu  de  germain,  par  sa  mère  Barbe  Bonvalot,  avec  la  mère  du  cardinal 
de  Granvelle  (voyez  une  autre  note  dans  la  même  page  du  mémoire  pré- 
cité;; Jean  Amyot,  de  Salins,  ancien  secrétaire  de  Nicole  Bonvalot, 
mère  du  cardinal  de  Granvelle,  mort  le  4  janvier  1575;  Jacques  de  Vers, 
de  Poligny,  ancien  maitre  d'hôtel  de  Thomas  Perrenot,  frère  du  cardinal; 
François  Dalonal,  chanoine  de  Saint-Anatoile  de  Salins,  dont  le  cardinal 
écrivait  :  «  Il  a  de  fort  beaux  livres  et  plus  d'esprit  que  de  théologie  », 
mort  au  château  de  Scey-en-Varais,  le  28  avril  1575;  Jacques  de  Saint- 
Mauris,  prieur  de  Bellefontainc,  fils  d'une  sœur  de  la  mère  du  cardinal 
et  conséquemment  cousin  germain  de  ce  prélat,  qui  le  fit  son  vicaire 
général  lorsqu'il  devint  archevêque  de  Besançon  (voyez  quelques  lignes 


1 


(  28) 

donnèrent  fréquemment  lieu  à  des  reproches  ainsi  formulés  : 
«  Il  est  bonne  personne,  mais  certes  quelquefois  incompatible; 
Ton  a  peynne  de  drapper  avec  luy,  et  souvent,  pensant  bien 
faire,  il  gaste  tout  *  ». 

La  mort  de  Thomas  Perrenot  de  Chantonay,  survenue  à  Spire 
le  13  février  1571,  laissa  vacant,  parmi  de  très  nombreux 
emplois,  l'office  de  prévôt  et  capitaine  de  la  place  de  Fauco- 
gney,  en  Franche-Comté,  «  estât  médiocre  »,  avait  écrit 
Morillon  2,  «  que  touttefois  peult  pourvoir  un  gentilhomme  ». 
Le  cardinal  obtint  du  roi  d'Espagne  que  ce  débris  de  la  succes- 
sion de  son  frère  appartiendrait  à  son  cousin  Pierre  Bordey  3. 
Pour  celui-ci  ce  fut  l'occasion  d'un  mariage  qu  il  contracta,  le 
16  février  1576,  à  l'âge  de  48  ans,  avec  Jeanne  de  Courbessain, 
issue  d'une  ancienne  famille  qui  possédait  un  château  voisin 
de  Faucogney  :  il  devint,  en  conséquence  de  cette  union, 
seigneur  du  Saulcy,  et  fut  souvent  désigné  dès  lors  par  le  nom 
de  ce  domaine.  A  titre  de  couronnement  de  carrière,  le  gou- 
vernement de  Philippe  II  lui  octroya  des  lettres  de  chevalerie, 
qui  relatent  ses  services  et  portent  la  date  du  40  mars  1584  *. 

Il  mourut  à  Besançon,  dans  les  derniers  jours  de  mai  1586, 


sur  lui  dans  la  Notice  préliminaire  des  Papiers  Granvelle,  par  Ch.  Weiss, 
pp.  xxxvi-xxxvm). 

\  Bonnet  Jacquemel  au  cardinal  de  Granvelle,  Salins,  11  mai  1575: 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XXX,  fol.  li  verso. 

8  Morillon  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  9  mai  1568  :  Biblio- 
thèque de  Besançon,  Lettres  de  Morillon,  t.  V.  fol.  51. 

3  El  card.  de  Granvcla  al  Rey,  Roma,  4  de  março  1571  :  Bibliothèque 
de  Besançon,  Mém.  de  Granvelle,  t.  XXVIII,  fol.  11. 

*  Son  contrat  de  mariage  el  ses  lettres  de  chevalerie  font  partie  des 
archives  des  hospices  civils  de  Besançon  :  hôpital  Saint-Jacques,  BB.  135. 


(  29  ) 

quatre  mois  avant  l'illustre  homme  d'Etat  qu'il  tenait  «  pour 
seigneur  et  père  ».  Au  sujet  de  sa  mort,  le  cardinal  écrivit, 
dans  l'une  de  ses  dernières  lettres  intimes  au  prieur  de  Belle- 
fontaine  *  :  «  J'ay  entendu  à  mon  très  grand  regret  le  trespas 
de  M.  de  Saulcy,  mon  cousin,  auquel  j'ay  tousjours  conneu 
singulière  affection  en  mon  endroit  ;  il  avoit  bonnes  entrailles  ». 

Il  ne  laissait,  comme  descendance  directe,  qu'une  fille  natu- 
relle reconnue,  Esthcr  Bordey,  à  laquelle  son  testament  2  légua 
2,500  francs  et  200  francs  pour  habits  nuptiaux.  A  sa  femme 
Jeanne  de  Courbessain,  il  donna  sa  part  de  tous  les  immeubles 
acquis  pendant  leur  mariage  et  la  plupart  des  tapisseries  qu'il 
avait  rapportées  de  Bruxelles.  Son  héritière  fut  Clauda  Bonva- 
lot,  sa  nièce,  femme  de  Pierre  de  Constable,  dont  il  attendait 
des  fils,  en  désirant  que  l'un  d'eux  recueillît  un  jour  sa  suc- 
cession et  relevât  son  nom  ainsi  que  ses  armes. 

Pierre  Bordey  avait  la  réputation  d'un  «  homme  d'honneur 

1  Bibliothèque  de  Besançon,  Lettres  du  cardinal  de  Granvclle  au  prieur 
de  Belle  fontaine,  t.  H,  fol.  327  :  Madrid,  25  juin  158C. 

*  Son  testament  reçu  à  Besançon  parle  notaire  Jean  Alviset,  le  16  mai 
4J>86,  fut  publié  le  29  du  même  mois,  naturellement  après  la  mort  du  tes- 
tateur. Pierre  Bordey  y  est  qualifié  de  «  chevalier,  seigneur  du  Saulcy, 
Verchamps,  etc.,  prévost  et  capitaine  de  Faucougncy  pour  Sa  Majesté 
Catholicque  ».  La  famille  Bordey  fut  continuée  par  la  descendance  de  Jean 
Bordey,  issu  du  second  mariage  de  Jean  Bordey  l'ainé  avec  Guillemettc 
Vurry,  de  Dole.  Cette  descendance  eut  pour  derniers  représentants  deux 
bienfaiteurs  de  l'hôpital  Saint-Jacques  de  Besançon  :  Pierre  Bordey, 
major  de  la  place  d'Huningue,  mort  dans  ce  poste  en  1728,  et  sa  sœur 
Jeanne-Anne  Bordey,  veuve  de  Jean-François  Chandiot,  morte  à  Besan- 
çon en  1737,  femme  lettrée  qui  avait  entretenu  des  relations  épistolaires 
avec  Madeleine  de  Scudéri.  (Archives  des  hospices  civils  de  Besançon  : 
Hôpital  Saint-Jacques,  BB.  43o.) 


1 


(30) 

et  de  vertu  »,  d'un  «  homme  franc  »,  sûr  et  fidèle  *.  «  Et  certes 
je  l'ayme  »,  écrivait  de  lui  Morillon  2,  «  l'aiant  en  tout  temps 
trouvé  fort  amy  et  constant  ».  Le  même  Morillon,  qui  avait  été 
longtemps  «  couchant  et  levant  »  dans  la  maison  qu'habitait 
également  Bordey,  rendait  encore  de  lui  ce  bon  témoignage3: 
«  11  ne  fault  avoir  doubte  qu'il  ne  face  ponctuellement  ce  qu'il 
escript,  que  n'est  pour  fard  ou  rhétoricque,  comme  d'aultres 
qui  en  font  profession,  car  luy  c'est  tout  cœur  et  fort  sincère  ». 
Ces  attestations  d'un  clairvoyant  contemporain  ne  peuvent 
qu'inspirer  toute  confiance  dans  la  véracité  des  récits  que  nous 
allons  mettre  au  jour. 

1  Lorsque  Frédéric  Perrenot  de  Champagney,  le  plus  jeune  des 
frères  du  cardinal  de  Granvelle,  noua  des  intelligences  avec  les  ennemis 
de  ce  prélat,  pour  avoir  un  rôle  dans  les  affaires  publiques  des  Pays- 
Bas,  il  n'hésita  pas  à  solliciter  le  concours  de  son  cousin  et  ancien  cama- 
rade d'études  Pierre  Bordey.  La  réponse  de  celui-ci  fut  énergiquemcni 
digne  :  «  Oultreplus,  monsieur,  vous  n'ignorés  que  mon  bien,  ma  fortune 
et  mon  advancement(et  cela  je  le  confesse  et  ne  le  nieray  jamais) despend 
de  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime,  comme  celle  qui  m'a  nourry  plusieurs 
années  et  nourrit  encoircs  journellement  :  ce  qu'estant  véritable,  je  me 
mescongnoistrois  grandement  et  serois  des  ingrats  le  pire  quand  j'atten- 
terois  chose  pour  quil  que  ce  fût  contre  son  vouloir  ».  {Bordey  à  Cham- 
pagney, Bruxelles,  15  février  [1566]  :  Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires 
(le  Granvelle,  t,  XVI,  fol.  260.)  —  Champagney  revint  à  la  charge,  mais 
sans  plus  de  succès,  comme  en  témoigne  une  lettre  écrite  au  cardinal 
par  Morillon,  le  0  mai  1568. 

*  Morillon  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  14  décembre  1567  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Leltres  de  Morillon,  t.  VU,  fol.  268  verso. 

3  Ibid.,  16  mai  1568,  t.  V,  fol.  53  verso. 


NARRATION 


*  i 
i 


FAITE  AU  CARDINAL  DE  GRANVELLE 


PAR  SON  COUSIN  GERMAIN  PIERRE  BORDEY. 


1.  —  Programme  d'un  tournoi  projeté  à  Bruxelles,  pour  V époque- 
des  noces  d'Alexandre  Farnèse  et  de  Marie  de  Portugal. 

PlEItRK  BORDEY   AU   CARDINAL   DE   GlUNVELLE. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t  XVII,  fol.  41».) 

Bruxelles,  26  mars  456o. 

Le  premier  dimenche  de  caresme,  en  la  salle  de  nostre  court, 
fut  publié  ung  amortissement,  par  ung  hérault  d'armes,  d'une 
jouste  quil  se  doit  faire  aux  lices  de. ladite  court,  à  la  venue  du 
prince  de  Parme  *,  lorsque  se  célébreront  ses  nopees.  Et  est  le 
mainteneur  le  conte  de  Mansfelts,  qui  se  faict  surnommer  le 


1  Alexandre,  issu  du  duc  Octavio  Farnèse  et  de  Marguerite  d'Autriche, 
fille  naturelle  de  Charles-Quint,  gouvernante  des  Pays-Bas  au  nom  du 
roi  d'Espagne  Philippe  II. 

8  Pierre-Ernest  comte  de  Mansfeld,  chevalier  de  la  Toison  d'or, 
capitaine  d'une  bande  d'ordonnance,  capitaine  général  du  duché  de 
Luxembourg  :  bien  que  partisan  dévoué  de  l'Espagne,  il  n'hésita  pas 
a  affronter  la  colère  du  duc  d'Albe  en  défendant  les  comtes  de  Homes  et 
d'Egmont.  Après  la  mort  d'Alexandre  Farnèse,  en  4592,  il  fut  chargé  du 
gouvernement  général  des  Pays-Bas. 


{ M  ) 

Chevalier  de  l'Aigle.  Les  conditions  ne  se  proposent  encoiresT 
Tayant  remis  à  la  publication  du  cartel.  Bien  est-il  vray  qu'il 
fit  prier,  par  le  prince  d'Orenge  *  à  qui  l'hérault  d'armes  avoit 
donné  une  lettre  de  la  part  dudict  Chevalier  de  l'Aigle,  toutes  les 
dames  de  porter  chascune  une  plume,  pour  n'avoir  plus  de 
préférence  Tune  que  Faultre,  mcctant  chascune  en  mémoire 
ceulx  quilz  toucheront,  pour  sçavoir  le  compte  des  survenans. 
Lorsque  ceste  publication  se  fit,  il  estoit  passé  cinq  heures.  Et 
estoient  là  Son  Altèze  2,  Me  prince  d'Orengc,  les  contes  de 
Mansfelt,  Orne  3,  Megue  •*,  Austrate  5  et  Nanssou  6,  Achicourt" 
et  le  beaul-frèrc  dudict  conte  d'Austrate,  le  dernier  marié,  et 
plusieurs  aultres  gcntilhommes  :  lesquels  se  partirent  le  jour 
après,  ormis  les  ordinaires  8. 


1  Guillaume  de  Nassau,  prince  d'Orange,  dit  le  Taciturne,  chambellan 
du  roi  d'Espagne,  membre  du  Conseil  d'État,  chevalier  de  la  Toison  d'or, 
capitaine  d'une  bande  d'ordonnance ,  capitaine  général  de  Hollande, 
Zélande,  etc.,  le  futur  émancipateur  de  la  Hollande. 

*  Marguerite  d'Autriche,  duchesse  de  Parme,  gouvernante  des  Pays-Bas. 

3  Philippe  de  Montmorency,  comte  de  Hornes,  chevalier  de  la  Toison 
d'or,  amiral  de  la  mer,  capitaine  d'une  bande  d'ordonnance,  destiné  à 
périr  sur  l'échafaud  en  même  temps  que  le  comte  d'Egmoiit. 

1  Charles  de  Brimen,  comte  de  Meghem,  chevalier  de  la  Toison  d'or, 
rapitaine  d'une  bande  d'ordonnance,  capitaine  général  et  grand  veneur 
du  duché  de  Gueldre  et  du  comté  de  Zutphen. 

:i  Antoine  de  Lalaing,  comte  de  Hooghstractcn,  chevalier  de  la  Toison 
d'or,  capitaine  d'une  bande  d'ordonnance,  marié  à  Éléonore  de  Mont- 
morency, sœur  du  comte  de  Hornes,  du  baron  de  Montigny  et  de  la 
deuxième  femme  du  comte  Pierre-Ernest  de  Mansfeld. 

,;  Le  comte  Louis  de  Nassau,  frère  germain  du  prince  d'Orange,  pro- 
testant zélé,  l'un  des  promoteurs  de  la  révolution  des  Pays-Bas. 

7  Philippe  de  Montmorency,  seigneur  de  Hachicourt,  chevalier  de  la 
Toison  d'or,  chef  des  finances,  oncle  du  comte  de  Hornes  et  du  baron  de 
Montigny. 

8  C'est-à-dire  ceux  qui  résidaient  à  la  cour  de  Bruxelles. 


(33) 


II.  —  Avis  de  Farrivée prochaine  à  Bruxelles  du  comte  d'Egmont, 
ramenant  d'Espagne  le  jeune  Alexandre  Farnèse. 


Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XVII,  fo   233.) 


Bruxelles,  26  avril  1565. 

Deux  ou  trois  jours  avant  la  semaine  saincte,  Son  Altèze 
reçeut  lettres  d'Espaigne,  comme  son  fils,  le  prince  de  Parme, 
venoit  avec  le  conte  d'Aiguemont*;  et,  au  mesme  instant  qu'elle 
en  reçeut  les  nouvelles,  elle  en  advertit  incontinent  le  prince 
d'Orenge  et  la  contcsse  d'Aiguemont  *.  Petro  de  Parc  3  me  dit 
hier  qu'ilz  pourraient  estreicy  de  lundy  quil  vint  en  huict  jours. 
C'est  chose  certaine  que  le  conte  d'Aiguemont  avoit  jà  son 
congé  du  Roy,  et  devoit  attendre  ledict  prince  de  Parme  à 
Vailladoli  *,  que  deans  deux  jours  après  le  devoit  suyvre. 
Sadicte  Altèze  les  attend  avec  grand  dévotion. 


*  Lamoral  comte  d'Egmont,  prince  de  Gavre,  chevalier  de  la  Toison 
d'or,  chambellan  du  roi  d'Espagne,  membre  du  Conseil  d'État,  capitaine 
d'une  bande  d'ordonnance,  capitaine  général  de  la  Flandre  et  de  l'Artois, 
capitaine  du  château  de  Gand,  destiné  à  périr  sur  l'échafaud  en  même 
temps  que  le  comte  de  Homes. 

*  Sabine  de  Bavière,  palatine  du  Rhin,  sœur  du  comte- palatin 
Frédéric  III. 

3  C'est  celui  dont  Morillon  disait,  l'année  suivante  :  «  mon  compère 
du  Par  ».  (Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  1. 1,  p.  433.) 

*  Valladolid,  qui  fut  avant  Madrid  la  capitale  des  Espagnes. 


Tome  XLL 


(34) 


III.  —  Arrivée  d'Alexandre  Farnèse  à  Bruxelles,  en  compagnie 

du  catnte  d'Egmont. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granyelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  GranveUe,  t.  XVIII,  foL  iî>.) 

Bruxelles,  4  mai  1565. 

Monseigneur,  la  sepmaine  passée,  que  fut  le  xxve  de  Paultre 
moys,  j'ay  escript  assez  amplement  les  occurrances  qui  pour 
lors  se  passoient  à  Sa  Seigneurie  Illustrissime  :  entre  lesquelles 
je  l'adverlissois  comme  Ton  attendoit,  selon  les  nouvelles  que 
Son  Altèze  avoit  heu,  aux  premiers  jours  de  ce  présent  moys, 
son  filz  le  prince  de  Parme  et  le  conte  d'Aiguemont;  lesquelx, 
prévenant  encoires  lesdicts  jours,  arrivarent  tous  deux  en  bonne 
santé  lundy  passé,  dernier  jour  d'apvril.  Et  n'en  fut  advertie 
Sadite  Altèze  sinon  le  mesme  jour,  environ  les  deux  heures 
après  midy,  par  ung  courrier  que  ledict  conte  d'Aiguemont 
avoit  dépesché  dois  Valen tiennes  *,  et  la  prioit  de  faire  pro- 
vision de  chevaulx  à  Tibise  2,  parce  qu'ilz  espéroient  estre  en 
ceste  ville  sur  les  quatre  heures.  Mais  il  en  fut  sept  quant  ilz 
arrivarent.  Tous  les  gentilhommes  de  la  court  accompagnarent 
le  maistre  d'hostel  3  et  le  marquis  *  pour  aller  au  devant  d'eulx 
et  les  recepvoir;  et  les  altendismes  au  village  tout  près  de 

*  Valenciennes,  alors  chef-lieu  de  prévôté  dans  la  province  du  Hainautt 
aujourd'hui  chef-lieu  d'arrondissement  du  département  français  du  Nord. 
8  Tubize,  à  33  kilomètres  au  sud-ouest  de  Bruxelles. 

3  François-Philippe  de  Bernimicourt,  chevalier,  seigneur  de  La  Tieu- 
loye,  capitaine  et  gouverneur  de  Béthune,  maître  d'hôtel  de  la  gouver- 
nante, en  vertu  d'une  commission  du  16  juin  1562. 

4  Jean  de  Glymes,  marquis  de  Berghes,  chevalier  de  la  Toison  d'or, 
capitaine  d'une  bande  d'ordonnance,  grand  bailli  et  capitaine  général  du 
Hainaut,  gouverneur  de  Valenciennes  et  de  Cambrai. 


(85) 

Risbourgi,  où  que  nous  fusmes  attendant  plus  de  deux  heures. 
lAr  avec  les  atritres,  je  salua  le  conte  d'Aiguemont,  le  premier, 
comme  celluy  qui  marchoit  devant  le  Prince  :  il  me  monstra 
de  sa  grâce  fort  bon  visaige,  dont  je  fuz  fort  content.  Et,  en 
chemin,  ung  de  ses  gentilhommes  qu'est  son  escuyer,  j'en- 
tendis qui  dit  à  Boysot  2  :  «  11  y  a  bien  des  nouvelles  et 
d'aultres  que  nous  ne  pensions  à  nostre  parlement  ».  Et  ledict 
gentilhomme,  de  soy-mesme,  tantost  après,  me  salua  fort 
allègrement... 

Quant  au  prince  de  Parme,  je  n'en  saurois  encoires  que 
juger,  car  il  ne  se  voit  qu'à  table,  et  à  l'entrée  et  issue  de  la 
messe.  Il  a  esté  une  fois  au  lougis  du  conte  d'Aiguemont.  Je 
diray  seulement  que  je  me  doubte  qui  ne  tienne  dclanorriture 
d'Espagne,  et  qu'à  estre  courtois  et  béning,  qu'il  ne  ressem- 
blera au  Duc  son  père. 

J'avois  oublié  de  dire  que  monsieur  d'Avrey  3,  Barlemont  * 
et  ses  filz  5  vinrent  au  devant  desdicts  seigneurs  en  housse  seu- 
lement, jusques  hors  de  la  porte  d'Aoust  <>,  jongnant  la  maison 
du  maistre  des  postes,  et  illec  les  trouvasmes  attendant. 


1  Ruysbroeck,  à  6  kilomètres  au  sud-ouest  de  Bruxelles. 

*  Charles  Boisot,  l'ainé  des  fils  de  l'ancien  trésorier  général  des 
finances  Pierre  Boisot,  était  gentilhomme  de  la  maison  de  la  gouver- 
nante; il  fut  néanmoins  des  premiers  et  des  plus  ardents  fauteurs  du 
soulèvement  des  Pavs-Bas. 

*  Charles-Philippe  de  Croy,  marquis  d'Havre,  chevalier  de  la  Toison 
d'or,  fils  posthume  du  premier  duc  d'Arschot  et  d'Anne  de  Lorraine, 
seconde  femme  de  ce  seigneur. 

*  Charles  baron  de  Berlaymont,  chevalier  de  la  Toison  d'or,  capitaine 
d'une  bande  d'ordonnance,  chambellan  du  roi  d'Espagne,  gouverneur 
du  comté  de  Namur. 

5  Berlaymont  avait  eu  sept  fils  de  sa  femme  Adrienne  de  Ligne- 
Barbançon. 

6  II  s'agit  de  la  Porte  de  Hal,  celle  qui  était  dans  la  direction  de  cette 
ville,  dont  le  nom  se  prononçait  H  aulx.  (Voir  une  lettre  de  Morillon, 
dans  la  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  t.  I,  p.  128.)  C'est  la 
seule  des  anciennes  portes  de  Bruxelles  qui  soit  debout  :  on  en  a  amé- 
nagé les  constructions  pour  abriter  le  Musée  des  antiquités  de  Bruxelles. 


(30) 

Le  lendemain  de  leur  arrivée,  arriva  le  conte  de  Orne,  et  ce 
jour  mesme  Ton  dépescha  ung  courrier  vers  le  prince  d'Orenge 
qui  estoit  allé  en  Hollande,  dois  vendredy  passé,  pour  quelque 
différant  mectre  par  accord  et  quelque  chose  dadvantaige... 


IV.  —  Préparatifs  (F une  expédition  maritime  pour  conduire  en 
Portugal  l'ambassade  chargée  de  ramener  la  princesse  fiancée 
à  Alexandre  Farnèse. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

{Bibliothèque  de  Besançon  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XVIII,  fol.  i  13  verso  et  il  i.) 

Bruxelles,  26  mai  1565. 

Il  fault  que  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  entende  que 
Sadicte  Altèze,  contre  l'espoir  qu'elle  avoit,  est  forcée  d'envoyer 
querre  en  Portugal  l'espousée  du  Prince  son  filz.  De  sorte  que, 
pour  parfournir  ceste  emprinse,  elle  a  commandé  à  quinze 
gentilhommes  de  sa  maison  de  se  tenir  prestz  pour  s'aller 
embarquer  en  Zélande,  pour  dois  là  faire  voisle  à  Lisbonne, 
du  nombre  desquelx  elle  m'a  choisi,  chascun  avec  deux  servi- 
teurs; et  en  prent  encoires  aultretant  d'estrangiers,  dont  l'on 
m'a  dit  que  Estambourges  *  et  Forzin  2  et  le  baron  d'Aubigny3 
(car  ledict  baron  dois  la  mort  de  son  père  il  avoit  quicté  le  ser- 
vice) estoient  de  ceulx-là;  et  y  va  le  maistre  d'hoslel  Lattiloy. 

4  Georges  de  Ligne,  seigneur  d'Estambruges,  cousin  du  comte 
d'Kgmont. 

*  Charles  de  Gavre,  seigneur  de  Fresin,  gentilhomme  de  la  bouche  du 
roi  d'Espagne. 

*  Gille  de  Lens,  baron  d'Aubigny,  qui  fut  mêlé  aux  agissements  du  due 
d'Anjou,  de  la  maison  de  France,  pour  devenir  souverain  des  Pays-Bas. 


(  37  ) 

Et  sera  complie  ceste  compagnie  de  tous  officiers,  comme  la 
maison  d'un  g  prince. 

11  y  vont  aussi  jusques  à  xu  dames  :  lesquelles  ce  seront  je  ne 
sçay  encoires.  Et  tient-t-on  pour  certain  que  pour  chief  de 
tous  il  y  aura  ung  chevalier  de  l'Ordre,  lequel  Ton  présume 
estre  le  conte  d'Austrate  :  pour  le  moings,  il  s'est  offert*. 

Le  nombre  de  ceste  noblesse,  officiers  et  leur  suytte,  se 
monte  jusques  à  cent  et  cinquante.  Et  dedans  quatre  batteaulx 
de  guerre,  que  sont  soubz  la  conduicte  de  monsieur  de  Vaque"2, 
il  y  aura,  tant  en  gens  de  guerre  que  matelotz,  le  nombre  de 
six  cens  personnes.  Et  nous  a-t-on  ordonné  de  nous  tenir 
prestz  pour  le  xxve  du  moys  prouchain. 

Je  n'ay  sçeu  à  ce  commandement  aultre  chose  respondre, 
sinon  que  je  ferois  comme  les  aultres.  Et  de  tous  Ton  a  choisy 
ceulx  que  l'on  espéroit  qui  mieulx  se  montreroient  pour  faire 
honneur  à  Sadicte  Altèze  en  ce  voyage.  Et  ne  demeure  que  dix 
gentilhommes  icy,  dont  Magny  est  l'ung  :  de  quoy  chascun  est 
bien  ayse  de  ce  qui  n'est  point  de  la  troupe  3;  il  n'est  pas 
encoires  de  retour. 


1  «  Son  Altèze  est  présentement  empeschée  à  faire  apprester  les 
bateaux  pour  envoyer  en  Portugal  quérir  la  Princesse.  11  y  en  aura  quatre 
de  guerre  et  deux  ulques  pour  le  bagaige.  Mons.  de  Wakene  y  va  comme 
visadmiral.  Et  y  envoyé  Son  Altesse  vingt  de  ses  gentilzhommes  et  aucunes 
de  ses  dames.  Entre  les  gentilzhommes  sont  La  Thieuloye,  comme 
maistre  d'hostel,  son  filz,  Zvevghen,  Bordey,  Marnol,  Lenze,  Boisot  et 
aultres.  Et  desdictes  dames,  Orante,  la  fille  dudict  La  Thueloye,  et  encores 
une  ou  deux.  Et  pour  principal,  un  chevalier  de  l'Ordre,  qui  n'est  encoires 
nommé  :  aucuns  dient  que  ce  sera  mons.  de  Hucstrate,  et  sa  femme  pour 
dame  d'honneur  ;  aultres  dient  qu'il  est  trop  jeusne,  et  que  ce  sera  le  conte 
de  Mansfelt  ».  (Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  25  mai  1565  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XVIII,  fol.  103  verso.) 

*  Adolphe  de  Bourgogne,  chevalier,  seigneur  de  Wacken,  grand  bailli 
de  Gand,  vice-amiral,  fils  d'un  bâtard  du  grand  bâtard  de  Bourgogne. 

3  Ce  Magny  était  attaché  à  la  maison  de  la  gouvernante  au  même  titre 
que  Bordey,  et  ils  avaient  eu  ensemble  une  discussion  très  vive,  le 
11  février  4565.  Us  étaient  à  la  cuisine  du  palais,  attendant  les  plats  qu'ils 
devaient  porter  sur  la  table  de  Son  Altesse,  quand  Magny  se  permit  de 


(  38) 

Or  est-il  que,  quelque  responce  que  j'ay  faicte  concernant 
le  vouloir  de  Sadicte  Altèze,  je  ne  feray  jamais  ce  voyage  avec 
contentement,  si  n'est  par  Tadviset  ad  veux  de  Sadicte  Seigneurie 
Illustrissime,  parce  que  sans  son  commandement  je  ne  Fexé- 
cuterois  jamais  de  bon  gré  :  et  davantaige  que  si  elle  est  de  ces! 
advis  que  je  demeure,  pour  rien  du  monde,  je  ne  la  désobéiray. 
Mais  si  elle  est  de  ce  vouloir,  j'auray  ceste  charge  fort  agréable, 
et  d'allègre  cueur  j'entreprendray  le  voyage... 

Je  sçay  bien  que  je  ne  seray  pas  bon  marinier;  mais  cela  ne 
m'effroye,  ny  moins  le  péril  que  la  mer  continuellement 
apporte  :  de  sorte  que,  pour  ne  manquer  à  mon  honneur  et 
devoir,  je  ne  craindray  à  expérimenter  la  fortune  de  la  mer. 
Seulement  désirerois-je,  pour  mon  plus  grand  contentement, 
que  leffect  de  ceste  navigation  ressemblasse  à  celluy  pour 
quil  j'entens  que  mon  cousin  d'Achey  se  soit  embarqué  à 
Gennes*.  Mais,  puisqu'il  ne  peult  estre  pour  maintenant,  ce 
me  sera  assez  pour  entière  satisfaction  que  je  Fenlrepreigne, 
oultre  le  commandement  de  Son  Altèze,  par  le  bon  vouloir  et 
celluy  de  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  :  ce  que  je  requiers 
bien  humblement. 


dire  tout  haut  que  le  cardinal  de  Granvelle  était  coutumier  de  corrompre 
la  justice.  Bordey  releva  vertement  le  propos,  et  Magny  fit  mine  de  vouloir 
lui  demander  raison  de  cette  réplique.  Rendez-vous  avait  été  pris  pour 
une  rencontre  ;  mais  Magny  ne  s'y  trouva  pas  :  bien  plus,  il  fit  dire  à 
Bordey,  par  le  gentilhomme  espagnol  Camargo,  qu'il  ne  voulait  pas 
cesser  d'être  son  ami.  «  J'ay  faict  mon  devoir  »,  écrivait  à  ce  sujet 
Pierre  Bordey,  «  et  le  lairay  ainsi,  et  ne  le  rechercheray  jamais;  mais  sy 
me  cherche,  il  me  trouvera  en  tout  et  partout  tousjours  homme  de  bien  ». 
(Bordey  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  13  et  15  février  1565  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XVI,  fol.  24445 
et  259  verso.) 

1  Jean  d'Achey,  baron  de  Thoraise  et  bailli  d'Amont  en  Franche- 
Comté,  second  mari  de  Marguerite  Perrenot  de  Granvelle,  sœur  ai  née  du 
-cardinal  et  cousine  germaine  de  Pierre  Bordey.  Ce  beau-frère  du 
cardinal  aurait,  parait-il,  fait  partie  de  l'un  des  contingents  que  Philippe  II 
envoya  au  secours  de  Malte,  assiégée  par  les  Turcs.  Les  galères  d'André 
Doria,  qui  transportèrent  ces  troupes,  durent,  en  effet,  partir  de  Gènes. 


(39) 

J'estime  aussi  que  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  pensera 
bien  que  je  ne  puis  faire  ce  voyage  sans  assistance  d'aulcuns 
deniers  :  de  quoy  j'en  ay  parlé  à  monsieur  le  provost 
Morillon  *  qui,  de  sa  grâce,  m'a  promis  de  ne  me  faillir  de 
m  assister.  Je  prendray  seulement  de  luy,  de  craincte  d'oser 
trop,  le  reste  que  Ton  me  peult  devoir  jusques  au  moys 
prouchain  du  traictement  qu'il  a  pieu  à  Sadicte  Seigneurie 
Illustrissime  me  faire  en  son  absence,  pour  la  nourriture  de 
moy  et  des  miens  :1a  suppliant  très  humblement  d'en  faire 
rembourser  ledict  provost,  afin  qu'il  soit  content  d'ung  si  grand 
plaisir  qu'il  m'aura  faict... 

Je  la  supplieray  aussi  bien  humblement  que  si  luy  semble 
ban  d'cscrîpre  une  lettre  h  monsieur  de  Lattiloy  2  et  à 
monsieur  de  Vacque  en  ma  faveur,  de  le  vouloir  faire,  car 
peult-estre  cela  servira  à  me  mieulx  louger  aux  basteaulx. 


1  Maximilien  Morillon,  le  plus  intime  des  amis  du  cardinal  de  Gran- 
velle,  possédait,  entre  autres  bénéfices  ecclésiastiques,  la  prévôté  de 
Saint-Pierre  a  Aire  en  Artois  :  la  qualité  de  prévôt  était  celle  qu'on  lui 
donnait  habituellement;  son  portrait  gravé  se  trouve  en  tête  du  tome  II 
de  la  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle. 

*  Nous  avons  la  réponse  gracieuse  que  fit  le  maître  d'hôtel  François 
de  La  Thieuloye  à  la  lettre  par  laquelle  le  cardinal  lui  avait  recommandé 
son  cousin  Pierre  Bordey  :  Bruxelles,  5  juillet  1565;  Bibliothèque  de 
Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  19.  —  Cette  réponse  est 
signée  :  Fralnchois  de  Lathieiloye. 


(  40  1 


V.  —  Proposition  faite  au  comte  de  Mansfeld  et  à  sa  femme  <Vêlrc 
à  la  tête  de  l'ambassade  qui  devait  allei*  en  Portugal  chercher 
la  fiancée  d'Alexandre  Farnèse. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XVHI,  fol.  il?.) 

Bruxelles,  lfr  juin  4563. 

Monseigneur,  pour  avoir  escript  à  £a  Seigneurie  Illustris- 
sime par  monsieur  de  Bellefonteine  *  il  y  aura  demain  huict 
jours  seulement,  ces  deux  motz  serviront  pour  l'advertyr 
comme  ce  mesme  jour,  sur  lé  soir,  arriva  le  prince  d'Orenge* 
Et,  après  le  dîner,  se  partit  Montegny  *  pour  retourner  à 
Brughes. 

Depuis  est  retourné  le  conte  de  Orne  devers  monsieur  de 
Mansfelt,  lequel,  à  ce  que  Ton  présume,  auroit  esté  envoyé  vers 
luy  pour  sçavoir  si  luy  et  la  contesse  sa  femme  vouldroit  aller 
en  Portugal  :  atendu  qu'au  retour  dudict  conte,  il  s^st  publié 
par  nostre  court  que  ledict  Mansfelt  et  Iadicte  dame,  pour  cer- 
tain, avoient  promis  à  Son  Altôze  de  faire  ce  voyage,  combien 
qu'aulcuns  jours  paravant  Ton  tenoit  que  ce  seroit  monsieur 
d'Austrate;  que  peult  estre  fût  esté  ainsi  si  madame  sa  com- 
pagne 3  Peult  voulu  suyvre,  mais  elle  s'est  excusée,  à  ce  que 
l'on  dict,  sur  son  indisposition. 

1  Jacques  de  Saint-Mauris,  prieur  de  Bellefontaine  en  Franche-Comté, 
était  le  fils  de  Jean  de  Saint-Mauris,  ambassadeur  impérial  en  France 
de  1544  à  1348,  et  d'Eticnnette  Bonvalot,  sœur  cadette  de  la  mère  du 
cardinal  de  Granvelle. 

*  Floris  de  Montmorency,  seigneur  de  Montigny,  baron  de  Leuzc, 
chevalier  de  la  Toison  d'or,  capitaine  d'une  bande  d'ordonnance,  capi- 
taine et  grand  bailli  de  Tournai  et  du  Tournaisis,  frère  puiné  du  comte 
de  Homes  et  comme  lui  victime  de  la  politique  ténébreuse  de  Philippe  II. 

3  La  comtesse  de  Hooghstractcn,  mariée  depuis  1561,  était  Éléonore 


{«  ) 

L'on  s'aperçoit  clairement  que  Sadicte  Altèze  se  trouve  gran- 
dement empeschée  pour  complir,  comm'  il  convient,  ù  l'apareil 
de  ces  nopees;  et  je  crains  seulement  qu'elle  n'en  fasse  trop. 
Dois  la  my-caresme,  il  passe  le  nombre  de  soixante  brodeurs 
quilz  continuellement  en  court  besongnent  pour  cest  effect. 


VI. —  Arrivée  à  Bruxelles  du  comte  de  Mansfeld  et  de  sa  femme  : 
préparatifs  de  leur  embarquement  avec  une  nombreuse  suite; 
avis  du  mariage  par  procureur  contracté  à  Lisbonne  au  nom 
d'Alexandre  Farnèse. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

:  Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  L  XVIII,  fol.  327  verso 

et  328.) 

Bruxelles,  24  juin  1565. 

Par  mes  dernières,  j'avois  escript  comme  le  conte  de  Horne 
estoit  allé,  de  la  part  de  Son  Altèze,  vers  celluy  de  Mansfelt 
pour  sçavoir  s'il  vouldroit  entreprendre  le  voyage  de  Portugal 
avec  madame  la  contesse  sa  compagne  i  :  ce  qu'il  a  accourdé. 
Et  le  ramena  ledict  conte  de  Horne  avec  luy.  Et  mardy  passé 
arriva  en  ceste  ville  la  contesse  sa  femme,  et  tira-t-on  à  son 
entrée  plusieurs  pièces  d'artillerie  :  dont  meincles  personnes, 
sont  estes  esbahys  ;  Lattilloy,  maistre  d'ostel,  avec  dix  ou  douze 
gentilhommes,  fut  au  devant  d'elle  plus  d'une  lieue.  Son  Altèze 
Ta  reçeue  avec  grandissimes  caresses. 

do  Montmorency,  sœur  du  comte  de  Hornes,  du  baron  de  Montigny  et 
de  la  deuxième  femme  du  comte  Pierre-Ernest  de  Mansfeld. 

1  En  1562,  Pierre-Ernest  de  Mansfeld  s'était  remarié  avec  la  veuve  du 
comte  Charles  de  Lalaing,  Marie  de  Montmorency,  sœur  du  comte 
de  Homes,  du  baron  de  Montigny  et  de  la  comtesse  de  Hooghstraeten. 


(«) 

Nostrc  parlement  pour  Zélande  estoit  ordonné  au  jour  de 
demain,  el  pour  ce  jour  l'on  nous  avoit  commandé  de  nous 
tenir  prestz.  Hais  ladicte  contesse  sera  cause  qu'il  soit  esté 
dilayé  jusques  à  la  fin  de  la  sepmaine  ou  bien  aux  premiers 
jours  de  la  prouchaine,  parce  qu'elle  s'est  partie  ceste  après- 
diné  pour  Vart f,  pour  illec  aller  prendre  congé  de  madame  la 
contesse  de  Horne  sa  mère.  Il  est  vray  qu'elle  est  partie  pour 
cest  effect.  Mais  cela  ne  fut  pas  survenu  sans  ung  aultre  empes- 
chement  qu'elle  a  causé,  dont  j'entens  que  Sadicte  Altèze  a  esté 
fort  fâchée,  qu'est  que,  pour  mener  avec  elle  plus  de  dames 
que  Sadicte  Altèze  n'espéroit,  Ton  dit  que  Ton  sera  contraîn  de 
rechanger  tout  le  compartiment  des  basteaulx,  que  jà  estoit 
faict,  ou  bien  qu'il  en  fauldra  prendre  ung  dadvantaige.  L'on 
présumoit  qu'elle  se  contenterait  de  cinq  ou  six  femmes  au 
plus;  mais  elle  va  elle  xne  de  femmes  :  entre  lesquelles  Tune 
est  sa  belle-fille.  Et  oultre  cecy,  il  va  aussi  madame  de  Vaque  -, 
accompagnée  d'aultre  cinq  ou  six  dames  :  ce  que  Sadicte  Altèze 
n'espéroit  point;  mais  s'estant  offerte  d'y  aller,  elle  ne  l'a  osé 
refuser.  Aussi  le  conte  de  Mansfelt  va  grandement  accompa- 
gné, menant  de  son  coustel  pour  le  moings  xxmi  gentilhommes  : 
de  sorte  que  sa  suytte  surpasse  le  nombre  de  iiiixx  personnes. 
Mais  j'entends  que  Sadicte  Altèze  ne  plaint  point  le  grand 
nombre  des  hommes,  mais  bien  celluy  des  femmes,  afin  que 
la  Princesse,  et  celles  qui  viendront  avec  elle  de  Portugal,  ayt 
plus  grand  large  et  meilleur  place  pour  eulx  accommoder;  car 
l'on  avoit  déterminé  que  toutes  les  femmes  iroient  dedans  ung 
basteaul. 


1  Weert,  petite  ville  située  à  24  kilomètres  à  l'ouest  de  Roermond  :  il 
s'y  trouvait  alors  un  magnifique  château  qui  était  la  résidence  d'Anne 
d'Egmont,  successivement  veuve  de  Joseph  de  Montmorency  et  de  Jean 
comte  de  Hornes.  Ce  second  mari  avait  fait  héritier  l'ainé  des  fils  issus 
de  la  première  union  de  sa  femme  ;  c'était  ainsi  que  Philippe  de  Mont- 
morency portait  les  titres  de  comte  de  Hornes  et  de  seigneur  de  Weert. 

*  La  femme  du  vice -amiral  Adolphe  de  Bourgogne -Wacken  était 
Jacqueline  de  Bonnières,  vraisemblablement  sœur  de  la  seconde  femme 
de  Jacques  de  Marnix,  cette  veuve  «  dame  de  Thoulouze  »,  Marie  de  Bon- 
nières, dont  Pierre  Bordey  convoitait  la  main. 


(  43  ) 

Celles  que  Son  Altèze  envoie  sont  ceulx  icy  :  la  seignora 
Éléonor,  la  seignora  Anthoine,  Orante,  Genèvre  et  Lattiloy.  Le 
nombre  de  ses  gentil  hommes  n'est  ny  accru  ny  diminué,  de 
ceulx  que  j'ay  jà  advcrty  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  qui 
alloient.  Vray  est  que  Zevfghven  *,  voulant  et  tâchant  plus  estre 
que  nul  de  ses  compagnons  à  ce  voyage,  j'entens  qu'il  a  faict 
remonstrer  par  Armentere  *  à  Sadicte  Altèze,  qu'il  espéroit  bien 
que  Sadicte  Altèze  le  feroit  maistre  d'hostel  de  la  Princesse,  ou 
bien  le  mectroit  en  plus  hault  degré  que  de  gentilhomme  :  ce 
qu'elle  a  prins  de  maulvaise  part  et  quasi  pour  luy  donner  son 
congé  ;  car  inesine  il  tachoit  de  s'excuser  pour  ne  point  faire 
ce  voyage,  remonstrant  qu'il  en  avoit  jà  faict  plusieurs  aultres 
et  que  ses  affaires  ne  requeroient  cestuy  icy.  J'entens  que  l'on 
luy  auroit  faict  responce  que  si  vouloit  demeurer,  qui  deult  du 
tout  demeurer  en  sa  maison  :  ce  que  a  retiré  aulcuns  de  noz 
compagnons  de  s'excuser,  encoires  qu'ilz  en  avoient  légitimes 
causes  3. 


■  François  de  Halewyn,  seigneur  de  Zweveghem,  gentilhomme  de  la 
chambre  de  la  gouvernante. 

*  Tomas  Armenteros,  donné  par  le  Conseil  d'Espagne  pour  secrétaire 
intime  à  la  gouvernante,  avait  acquis,  depuis  le  départ  de  Granvelle,  un 
empire  absolu  sur  cette  princesse.  «  On  l'appelait  ou  le  barbier  de  Madame, 
par  allusion  à  un  barbier  du  duc  de  Savoie,  fort  influent,  ou  Argentcros, 
par  allusion  à  sa  cupidité  ».  (Poullet,  Correspondance  du  cardinal  de 
Granvelle,  t. 1,  p.  26,  note  2.) 

3  Le  secrétaire  d'État  Bave,  dont  Zweveghem  était  le  cousin,  put  encore 
mieux  expliquer  au  cardinal  de  Granvelle  les  motifs  du  dépit  de  ce 
gentilhomme.  Voici  quelques  passages  des  lettres  de  Bave  qui  concernent 
cet  incident  :  «  L'on  est  tousjours  entendant  à  l'équipaige  des  bateaux 
pour  le  voaige  de  Portugal,  et  est  dois  devant  hier  arrivé  le  conte  de 
Mansfelt.  Les  fraiz  sont  grandz,  et  le  voaige  en  saison  assez  mal  propice. 
Et,  ce  considérant,  mon  cousin  de  Zvevghen  a  trouvé  moyen  de  honnes- 
tement  s'en  excuser,  puisqu'il  estoit  seulement  nommé  avec  les  aultres 
gentilzhommes,  sans  avoir  particulièrement  charge  »  (15  juin  1565).  — 
«  Mon  cousin  de  Zvevghen,  voyant  que  l'on  ne  luy  donnoit  nulle  parti- 
culière charge  et  que  Ton  le  vouloit  seulement  envoyer  avec  la  troppe 
des  aultres  gentilzhommes  pour  faire  nombre,  s'en  est  excusé,  luy  sem- 
blant ne  convenir  aux  autres  charges  que  Son  Altèze  luy  avoit  autresfoys 


(44  ) 

Quant  à  ce  que  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  escript  que 
d'Angleterre  l'on  auroit  adverty  que  l'armée  estoit  preste  pour 
admener  la  dame  icy  (je  dis  l'armée  de  Portugal),  jamais  je 
n'en  ay  ouy  parler  ung  mot  par  deçà,  ains  au  contraire  que 
leur  intention  n'estoit  point  de  despendre  ung  sol  *.  Bien 
est-il  vray  que,  par  ung  corrier,  l'on  a  esté  adverty  en  quelle 
grande  magnificence  a  esté  espousée  ladicte  dame  par  pro- 
cureur, et  que  Aldinguel  â,  qui  est  là,  mandoit  comme  elle  estoit 
preste,  attendant  seulement  les  basteaulx  de  par  deçà.  L'on  dit 
qu'il  coustera  à  Son  Altèze  plus  de  cent  mil  florins.  Et  parlc- 
t-on  estrangement  de  ce  qu'elle  faict  pour  faire  avoir  argent  au 
conte  de  Mansfelt,  contraignant  quasi  les  finances  à  luy  poyer 
toutes  vielles  debtes,  voire,  selon  qu'aulcuns  dient,  celles  que 
luy  pourroient  estre  dehues  de  l'Ordre...  3, 

J'ay  reçeu  tout  le  reste  du  traictement  qu'il  me  pouvoit  estre 
dehu  jusqu'au  premier  jour  de  ce  moys,  qu'il  plaist  à  Sadicte 
Seigneurie  Illustrissime  me  donner  durant  son  absence.  Et 


donné;  et,  bien  qu'elle  luy  avoit  consonne  en  sa  chambre,  et  estant 
retiré  en  sa  maison,  a  fait  maistre  d'hostel  le  sieur  de  Semmcri,  frère  de 
monsieur  de  Trasigny,  dont  ledict  Zvevghen  ne  seyt  encores  riens  :  Dieu 
sçeit  comm'  il  le  prendra  !  Je  tiens  qu'elle  ne  Ta  voulu  avancer  pour 
avoir  esté  promeu  par  Vostre  Illustrissime  Seigneurie  à  son  service  • 
(9  juillet  1565).  —  «  Zvevcghen  n'est  encores  retorné,  et  tiens  qu'il  se 
sociera  doresnavant  peu  de  servir,  puisque  Madame  a  en  sa  barbe  fait 
maistre  d'hostel  le  sieur  de  Semeri  »  (13  août  1565).  Bave  au  cardinal  de 
Granvelle  :  Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XVI1J, 
fol.  196;  t.  XIX,  fol.  25  verso  et  172. 

1  Bordey  veut  dire  ici  que  la  cour  de  Lisbonne  n'avait  pas  l'intention 
de  dépenser  un  sou  pour  envoyer  a  Bruxelles  Marie  de  Portugal. 

*  Strada  appelle  Ardinghellus  cet  envoyé  de  Philippe  II  à  Lisbonne 
pour  la  conclusion  diplomatique  du  mariage  d'Alexandre  Farnèse  et  de 
Marie  de  Portugal. 

3  «  Madame  de  Parme  est  fort  empeschée  aux  nopees,  et  faict  grandi 
apprestez.  Son  mari  faict  lever  deniers  en  Anvers  pour  ce  :  où  Ton  n'est 
content  si  elle  ne  se  oblige  quant  et  quant,  ad  ce  qu'elle  ne  vcult  en- 
tendre ».  (Morillon  au  card.  de  Granvelle,  9  juillet  1565  :  Papiers  d'État, 
t.  IX,  p.  386.) 


(48) 

davantaige  m'a  délivré  monsieur  le  provost  Morillon  les  cent 
escuz  qu'il  a  pieu  à  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  me  sura- 
croistre  pour  m'assister  en  ce  voyage  de  Portugal. 


VII.  —  Festin  donné  par  la  gouvernante  à  l'occasion  du  départ 
de  l'ambassade  qu'elle  envoyait  en  Portugal. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granyelle. 

v Bibliothèque  de  Besançon.—  Mémoires  de  Granvelle,  i,  XIX,  fol.  21.) 

Bruxelles,  6  juillet  1565. 

Monseigneur,  j'ay,  par  l'homme  de  Grandjehan  i,  du  xxiiii6 
du  moys  passé,  escript  mes  dernières  lettres,  par  lesquelles, 
sur  la  fin,  je  prenois  congé  de  Sa  Seigneurie  Illustrissime  et 
Reverendissime  :  ce  que  je  faictz  encoires  par  les  présentes  très 
humblement  ce  jourd'huy,  jour  de  nostre  département  de  ceste 
ville  de  Bruxelles  pour  Flezingue  en  Zélande?;  et  se  faict  le 
chemin  par  Terremonde  3,  où  que  l'on  va  aujourd'huy  cou- 
cher, et  demain  à  Gand,  pour  dois  là  s'embarquer.  Monsieur 
de  Mansfelt,  chief,  va  accompagné  de  grand  nombre  de  gen- 
tilhommes,  du  nombre  desquelx  est  Bassompierre,  lourrain  *  : 


1  Charles  Grandjean,  seigneur  de  Romain,  en  Franche-Comté,  membre 
du  Conseil  privé  des  Pays-Bas  depuis  1561. 

2  Flessingue  ou  Vlissingen,  port  de  mer  situé  en  Zélande,  au  sud  de  la 
grande  île  de  Walcheren,  à  l'embouchure  de  l'Escaut. 

8  Termonde  ou  Dendermonde,  petite  ville  forte,  à  mi-chemin  entre 
Mali  nés  et  Gand. 

*  Christophe  de  Bassompierre  était  le  plus  jeune  des  trois  fils  de  Fran- 
çois de  Bassompierre,  qui  avait  été  page  d'honneur  de  Charles-Quint 
enfant,  puis  capitaine  de  la  garde  allemande  de  ce  monarque.  Après  la 


(46} 

c  est  celluy  qui  a  tué  son  beaul-frère,  et  présume  estre  le  mesme 
quil  fut  à  Besançon.  Son  Altèze,  entre  les  gentilhommes  de 
sa  maison,  en  ha  choysi  trois  pour  estre  au  basteaul  de  la 
Princesse  :  que  sont  le  baron  d'Aubigny,  Lenze  *  et  Marno  *... 


subordination  de  la  Lorraine  à  la  France,  François  avait  été  contraint 
d'envoyer  ce  fils  en  otage  à  la  cour  de  Henri  II,  afin  de  conserver  la  jouis- 
sance des  biens  qu'il  possédait  en  Lorraine.  Du  même  âge  que  le  duc 
d'Orléans,  qui  fut  depuis  le  roi  Charles  IX,  Christophe  avait  été  donné  pour 
compagnon  à  ce  prince,  qui  le  prit  en  amitié  et  près  duquel  il  demeura 
jusqu'en  1565. 11  vint  alors  retrouver  aux  Pays-Bas  le  comte  Charles  de 
Mansfeld,  élevé  avec  lui  et  qu'il  aimait  fort  Étant  ensemble  à  la  cour  de 
France,  où  un  emploi  de  colonel  avait  été  donné  à  chacun  d'eux,  le  frère 
aîné  de  Bassom pierre ,  Claude-François,  vint  les  y  visiter  :  son  frère 
Christophe,  en  jouant  avec  une  épée,  lui  fit  au  bas-ventre  une  légère  bles- 
sure qui,  pour  avoir  été  négligée,  fut  mortelle.  Le  maréchal  de  Bassom- 
pierre,  fils  de  Christophe,  place  cet  événement  après  la  campagne  de 
Hongrie,  où  son  père  combattit  aux  côtés  de  Henri  de  Guise  et  devint  son 
ami  de  cœur  :  cette  campagne  eut  lieu  en  1566.  Pierre  Bordey,  faisant 
allusion  à  cet  événement  dans  un  écrit  daté  du  6  juillet  1565,  il  y  a  lieu 
de  croire  qu'une  interversion  de  faits  s'était  produite  dans  les  souvenirs 
du  maréchal  de  Bassompierre.  D'après  ce  même  écrivain,  Charles  de 
Mansfeld  et  Christophe  de  Bassompierre  auraient  été  cousins  germains  : 
aucune  des  généalogies  de  ces  deux  familles  ne  confirme  cette  allégation, 
laquelle  dès  lors  semble  étrange  de  la  part  du  fils  de  l'un  des  deux  per- 
sonnages ainsi  qualifiés. 

1  II  s'agit  vraisemblablement  d'un  membre  de  la  famille  de  Lens,  celle 
à  laquelle  appartenait  le  baron  d'Aubigny. 

*  Jean  de  Gilley,  seigneur  de  Marnoz  en  Franche-Comté,  était  fils  de 
Nicolas  de  Gilley,  qui  avait  été  chargé  par  Charles-Quint  de  plusieurs 
négociations,  et  de  Jeanne  de  Marnix  :  il  se  trouvait  ainsi  le  cousin  ger- 
main des  deux  frères  Jean  et  Philippe  de  Marnix,  ces  ardents*  auxiliaires 
du  prince  d'Orange  dans  le  soulèvement  des  Pays-Bas  ;  il  était  en  outre 
le  neveu  par  alliance  de  la  veuve  de  Jacques  de  Marnix,  cette  «  dame  de 
Thoulouze  »,  dont  Pierre  de  Bordey  recherchait  la  main.  «  Luy  »,  écri- 
vait Bordey,  «  est  seul  cause  quy  empesche  une  fin  d'entre  ladicte  dame 
et  moy  (26  avril  1565)  ».  Jean  de  Gilley  n'épousa  cependant  pas  la  «  dame 
de  Thoulouze  »;  il  eut  pour  femme  Anne  de  Saint-Mauris.  Lettré  et 
savant,  il  fut  l'auteur  d'une  carte  de  la  province  de  Franche-Comté  et 
décrivit  en  vers  latins  quelques  sites  des  environs  de  Salins,  sa  ville 


(47) 

Le  retour  du  conte  de  Mansfelt  avec  sa  femme,  de  Vart,  fut 
dimenche  passé,  et  avanlhier  au  soir  leur  fit  ung  festin  Son 
Altèze  à  la  grande  gallerie  basse,  où  qu'estoient  les  vielles 
contesses  d'Orne  et  Austrate  i,  avec  madame  de  Mansfelt  2  et 
la  jeune  Australe  3t  la  contesse  de  Ligne  *  et  deux  siennes 
sœurs  non  encoires  mariées,  le  Prince,  le  prince  d'Orenges, 
les  contes  d'Aiguemont,  Mansfelt,  Austrate  et  Ligne  8.  Et  n'y 
estoit  ny  monsieur  de  Barlemond,  ny  monsieur  d'Arem- 
berghue  <>,  lequel  estoit  arrivé  en  cestc  ville  mardy  au  soir, 
combien  que  j'avois  escript  par  mes  dernières  que  l'on  ne 
présumoit  point  qu'il  viendroit 

Tous  les  gentilhommes  de  la  maison  allant  en  Portugal 
sont  appelles  à  ix  heures  en  court,  ausquelx  Son  Altèze  veult 
parler.  J'advertiray  ce  que  ce  sera,  dois  Zélande,  Sadicte  Sei- 
ncurie,  et  de  ce  qu'adviendra  de  plus,  par  une  lettre  que  je 
lairay  le  jour  de  mon  ambarquement 

natale.  L'historien  Gollut,  son  contemporain,  le  disait  «  non  seulement 
très  valereux  et  vaillant,  mais  encor  très  docte  et  bien  versé  en  toutes 
disciplines  libérales,  et  en  la  cognoissance  de  plusieurs  langues  »  {Mé- 
moires historiques  de  la  République  séquanoise,  édit.  Ch.  Duvernoy,  col. 
104).  Voyez  un  article  sur  Jean  de  Gilley,  par  Ch.  Weiss,  dans  la  Biogra- 
phie universelle. 

i  Anne  d'Egmont,  successivement  veuve  de  Joseph  de  Montmorency  et 
de  Jean  comte  de  Homes;  Anne  de  Rennebourg.  veuve  de  Philippe  de 
Lalaing,  comte  d'Hooghstraeten. 

*  Marie  de  Montmorency,  veuve  du  comte  de  Lalaing,  remariée  au 
comte  Pierre-Ernest  de  Mansfeld. 

3  Éléonore  de  Montmorency,  sœur  du  comte  de  Homes,  du  baron  de 
Montigny  et  de  la  comtesse  de  Mansfeld. 

4  Marguerite  de  Lalaing,  sœur  du  comte  d'Hooghstraeten. 

8  Philippe  comte  de  Ligne,  chevalier  de  la  Toison  d'or,  avait  épousé 
Marguerite  de  Lalaing. 

*  Jean  de  Ligne,  comte  d'Aremberg,  chevalier  de  la  Toison  dTor,  capi- 
taine général  des  provinces  de  Frise  orientale,  Groningue,0\veryssel,etc.  : 
son  portrait  gravé  se  trouve  en  tête  du  tome  III  de  la  Correspondance  du 
cardinal  de  Granvelle. 


(48) 


VIII.  —  Départ  de  T  ambassade  allant  en  Portugal  :  son  voyage 

entre  Bruxelles  et  Middelbourg . 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  55.] 

Middelbourg,  15  juillet  1565. 

Monseigneur,  le  jour  de  nostre  partcmenl  de  Bruxelles  pour 
commencer  nostre  voyage  de  Portugal,  que  fut  le  vie  de  ce 
moys,  je  laissay  à  monsieur  le  provost  lettres  pour  Sa  Seigneu- 
rie Illustrissime  de  la  mesme  datte.  Depuis  n'est  rien  survenu 
dois  nostre  parlement,  sinon  qu'avant  icelluy,  Son  Altèze  nous 
fit  tous  appeller  en  sa  chambre,  où  que  en  général  clic  nous 
fit  une  harangue  non  moings  vertueuse  que  courtoise,  par 
laquelle  elle  nous  remercioit  bien  fort  de  ce  que  nous  faisions 
pour  elle,  et  nous  prioit  de  vouloir  obéyr  au  maistre  d'hostel 
Lattiloy  et  faire  ce  qui  nous  commenderoit,  et  de  faire  et 
rendre  tout  service  au  conte  de  Mansfelt  et  à  sa  femme,  tout  et 
en  la  mesme  sorte  que  nous  ferions  pour  elle,  et  telz  et  sem- 
blables aultres  complimens,assheurant  qu'elle  recepvroit  estrc 
faict  à  elle  tout  ce  que  ferions  en  ce  voyage,  et  qu'elle  en  auroit 
souvenance  et  recongnoistroit  par  ci-après  le  service  que  luy 
faisions  en  cecy. 

L'on  se  partit  après  les  trois  heures  pour  Terremonde  avec 
belle  et  grande  troupe  de  chevaulx,  et  accompagna  le  Prince 
ceste  compagnie,  avec  tous  les  seigneurs,  plus  d'une  demye 
lieue  :  desquelx  nul  ne  passa  avec  le  conte  de  Mansfelt  jusques 
audict  Terremonde,  sinon  les  contes  d'Austrate  et  Nanssou.  Le 
lendemain,  ainsi  qu'aprouchions  Gand,  vint  au  devant  mon- 
sieur de  Montigny  et  d'Assonville  i,  quilz  ce  jour  mesme 

1  Christophe  d'Àssonleville ,  chevalier,  docteur  es  droits,  seigneur 


(49) 

venoient  de  Brughes,  et  audict  Gand  trouvâmes  la  vielle  con- 
tesse  de  Orne  et  la  jeune  d'Australe  qu'il  semble  ne  se  porte 
point  trop  bien.  Et  ce  soir  y  arriva  par  la  poste  le  conte  de 
Orne.  Nous  séjournâmes  audict  Gand  et  le  dimenche  et  le  lundy 
avec  toute  ceste  compagnie.  Là  parloit-on  fort  du  retour  de 
Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  en  Flandre  :  et  y  eult  aucuns 
gentilhommes  quilz  me  demandarent  si  j'en  avois  nulles  nou- 
velles ;  à  quoy  je  fis  response  que  non.  La  ville  fit  le  dimenche 
au  soir  un  soupper  à  toute  ceste  compagnie,  fort  sumptueux, 
où  il  y  avoit  plus  de  ctinxx  personnes. 

Le  mardy,  sur  les  m  heures,  Ton  s'embarqua  audict  Gand  et 
dina-l'on  à  Saxe  *,  estant  demeuré  audict  Gand  le  conte  de 
Mansfelt.  Et  prindrent  illec  congé  Orne,  Montegny,  Australe, 
Nanssou  et  aultres  gentilhommes,  qui  s'en  retournarent  audict 
Gand  par  la  poste  après  l'ambarquement.  Nous  arrivâmes  à 
Medelebourg-  environ  les  cinq  heures.  Et  le  jour  après,  sur  le 
matin,  arriva  le  conte  Charles  de  Mansfelt  3,qui  estoit  demeuré 
à  Bruxelles,  et  avec  luy  Bassompierre,  Estanbourghe  et  Frezin. 
Et,  sur  le  soir,  arriva  le  conte  son  père,  et  avec  luy  Orne  et 
Austrate,  qu'on  pensoit  qu'ilz  avoient  prins  congé  de  tout. 

Nous  sûmes  tousjours  attendant  icy  le  vent  pour  nous 

de  Hauteville,  conseiller  et  maitre  des  requêtes  au  Conseil  privé  des 
Pavs-Bas. 

et 

1  Sas  van  Cent  (écluse  de  Gand),  ville  hollandaise,  où  se  trouvent  les 
grandes  écluses  du  canal  qui  relie  Gand  à  l'embouchure  de  l'Escaut. 

*  Middelbourg,  capitale  de  la  province  de  Zélande,  située  au  milieu 
de  Tile  de  Walcheren,  à  la  pointe  méridionale  de  laquelle  est  le  port  de 
Flcssingue. 

3  Le  comte  Charles  de  Mansfeld,  issu  du  premier  mariage  du  comte 
Pierre-Ernest  avec  Marguerite  de  Brederode,  était  à  la  fois  le  neveu  du 
comte  Henri  de  Brederode,  le  plus  violent  des  adversaires  du  cardinal  de 
Granvclle.  et  le  neveu  par  alliance  de  Thomas  de  Chantonay,  frère  de  ce 
prélat.  Dans  la  fougue  de  la  jeunesse,  Charles  de  Mansfeld  compta  parmi' 
les  premiers  seigneurs  confédérés  ;  mais  les  excès  de  l'insurrection  popu- 
laire le  rendirent  bientôt  l'ennemi  du  mouvement  qu'il  avait  contribué  à 
provoquer.  11  devint  dès  lors,  sous  les  auspices  de  son  père,  l'un  des  chefs 
distingués  des  armées  catholiques. 

Tome  XLI.  4 


(50) 

ambarquer.  Il  y  aura  grande  Hotte,  car  plusieurs  marchans 
suyvront  nostre  armée.  Nous  avons  quatre  navires,  les  plus 
belles  que  Ton  a  jamais  veu,  mesmes  YAdmirale  et  la  Vice- 
Admirale.  En  YAdmirale  va  le  conte  de  Mansfelt  et  sa  femme, 
et  les  dames,  monsieur  de  Vaque  et  Latiloy,  et  quelques  aultres 
gentilhommes,  y  estant  réservé  le  quartier  de  la  Princesse;  en 
la  Vke-Admiraley  nous  aultres  gentilhommes  de  la  maison, 
avec  quelques  x  ou  xu  aultres  gentilhommes.  La  111e  est  pour  le 
conle  Charles  de  Mansfelt  avec  toute  la  suytte  des  aultres  gen- 
tilhommes. Toutes  trois  sont  munies  de  souldartz,  comme  est 
aussi  la  1111e,  où  que  sont  les  vivres  et  partie  du  bagaige. 

Monsieur  d'Austrate  et  monsieur  de  Orne  se  partent  aujour- 
d'huy.  L'évesque  *  festoyé  toute  la  compagnie  dans  le  palais 
auquel  est  logé  la  court.  Il  me  faict  grandes  caresses  pour 
aulcunes  lettres  que  je  luy  pourta  de  la  part  de  monsieur  le 
provost  Morillon,  et  m'a  prié  de  présenter  ses  humbles  recom- 

mendations  à  Sa  Seigneurie  Illustrissime L'on  ne  parle  icy 

sinon  du  retour  de  Sa  Seigneurie  Illustrissime  :  les  ungs 
disent  qu'elle  est  arrivée,  les  aultres  qu'elle  est  en  chemin. 
Monsieur  de  Saimery  *  est  faict,  dois  nostre  partement,  maislre 
d'hostel  de  Son  Altèze,  celluy  quil  n'est  pas  marié  et  a  jà  servy 
la  sepmaine  passée.  La  fille  de  monsieur  de  Lattiloy  a  la  fiebvre: 
que  si  elle  continue,  le  père  n'a  nulle  volunté  de  la  mener.  A 
luy  et  à  monsieur  de  Vacque  j'ay  donné  les  lettres  de  Sa  Sei- 
neurie  Illustrissime  :  ilz  m'ont  donné  tous  deux  bonnes 
parolles  et  peu  d'effect  ;  et  plus  tost  j'en  espère  de  monsieur 
de  Vacque  que  de  l'aultre,  encoires  que  je  n'ay  guaires  de 
congnoissance  de  luy. 

1  Lors  de  la  création  des  nouveaux  évôchés  des  Pays-Bas,  Middelbourg 
avait  été  dotée  d'un  siège  épiscopal,  dont  le  premier  titulaire  se  nommait 
Nicolas  Vander  Borch,  en  latin  Sicolaus  de  Castro. 

*  Robert  de  Trazegnies,  chevalier,  seigneur  de  Sepmeries  :  fils  de  Jean, 
chevalier  de  la  Toison  d'or,  et  d'Isabelle  de  Werchin,  il  était  gouverneur 
des  villes  et  châtellenie  d'Ath. 


(M  ) 


IX.  —  Séjour  de  ^ambassade  à  Middelbourg,  en  attendant  le  vent 
propice  pour  rembarquement  à  Flessingue. 

Pierre  Bordey  au   cardinal   de  Granvelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  79  ) 

Middelbourg,  90  juillet  1565. 

Monseigneur,  j'ayreçeu  les  lettres  qu'il  a  pieu  à  Sa  Seigneurie 
Illustrissime  m'escrire  du  IIe  de  ce  moys,  mecredy  passé,  que 
fut  avant-hier,  qu'estoit  le  jour  que,  avec  grande  diligence,  l'on 
ambarquoit  le  bagaigede  toute  la  compagnie,  aiant  déterminé 
le  conte  de  Mansfelt,  lors,  de  s'ambarquer  le  jour  après  et  dedans 
le  basteaul  attendre  le  vent  propre  pour  faire  voisle.  Mais  nous 
sûmes  encoires  icy  :  je  ne  sçay  si  ce  sera  pour  ce  soir  ou 
demain.  Ledict  mecredy  arriva  la  vielle  contesse  de  Orne  en 
ceste  ville  ;  et  le  conte  Charles,  le  jour  devant,  estoit  party  pour 
aller  à  Vienne  vers  monsieur  de  Brederode  i,  et  n'est  encoires 
de  retour.  Hier  le  matin  arriva  monsieur  de  Montegny,  et 
courut  le  bruyt  tout  le  jour  que  le  prince  d'Orenge  devoit 
venir,  mais  il  r.e  vint  point.  Le  long  séjour  en  ceste  ville  est  de 
grand  fraizà  Son  Altèze  2  ;  et  comme  c'est  ung  faire  le  fault  de 
faire  ce  voyage,  chascun  désire  le  vent  pour  faire  voisle.  Dieu 


*  Le  comte  Henri  de  Brederode,  oncle  de  Charles  de  Mansfeld,  était 
alors  dans  son  château  de  Vianen,  en  Hollande,  occupé  sans  doute  à 
fomenter  l'insurrection  dont  il  devait,  six  mois  plus  tard,  arborer  si 
audacieusement  les  insignes,  c'est-à-dire  la  besace  et  l'écuelle  des 
Gueux. 

*  «  Le  conte  de  Mansfeldt  et  son  trahain  est  encoires  en  Zéelande, 
attendant  le  vent  pour  Portugal,  et  despendent  journellement  huit  cens 
frans  ».  (Viron  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  8  août  1565  :  Biblio- 
thèque de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  151  verso.) 


1 


(52) 

doint  qu'il  nous  soit  propiee  et  luy  plaise  nous  conduire  et 
radmener  à  bon  port 

(P.-S.)  L'on  nous  a  commandé 
cest  après-dîner  de  nous  tenir  prestz, 
pour  demain  s'ambarquer  *. 


X.  —  Navigation  de  l'ambassade  pour  arriver  à  Lisbonne;  sa 
l'écqrtion  à  la  cour  de  Portugal;  son  réembarquement  avec  la 
fiancée  $  Alexandre  Farnèse;  aventures  de  sa  seconde  naviga- 
tion; entrées  successives  de  la  jeune  princesse  à  Middelbourg,  à 
Gand  et  à  Bruxelles;  célébration  immédiate  du  mariage;  grand 
festin  des  noces,  suivi  d'un  bal  costumé  et  du  «  banquet  des 
suerades  »,  dont  la  ville  d'Anvers  avait  fait  les  frais. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Manuxcrit  Cfci/tef  n°  72,  fol.  146-152) 

Bruxelles,  19  novembre  1565. 

Discours  du  voyaige  de  la  princesse  de  Portugal  et  de  ceulx 

qui  Fallèrent  querre  :  156o. 

A  Monseigneur  l'Illustrissime  et  Révérendissime  cardinal  de 
Granvelle,  etc. 

Monseigneur,  nous  ayant  fait  Dieu  ceste  grâce  de  nous  rad- 
mener à  bon  port,  il  m'a  semblé  convenable  à  mon  debvoirde 

1  Comme  on  le  verra  par  le  début  du  principal  récit  de  Pierre  Bordey, 
rembarquement  n'eut  lieu  que  le  12  du  mois  d'août.  Le  vent  propice 
s'était  fait  attendre  jusqu'à  la  veille  de  ce  jour,  ainsi  qu'en  témoigne  le 
passage  suivant  d'une  lettre  écrite  par  le  secrétaire  Bave  au  cardinal  de 
Granvelle  :  «  Je  tiens  que  la  flotte  pour  Portugal  sera  partie,  pour  estre 
desjà  le  tier  jour  que  le  vent  est  propice  ».  (Bruxelles,  13  août  1565: 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XIX,  fol.  172.) 


(83) 

faire  ung  petit  discours  de  nostre  voyage,  afin  que  Sa  Seigneurie 
Illustrissime  puisse  congnoistre  comme  la  chose  s'est  passée, 
tant  en  allant,  que  à  Lisbonne,  qu'au  retour  ;  et  le  tout  je  le 
taillera  y  au  plus  court  que  je  pourray,  mais  par  tout  j'ensuivray 
la  vérité. 

Et  pour  ce  que  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  a  desjà 
entendu,  par  une  lettre  que  je  luy  escripvis  dois  Medelebourg, 
avant  nostre  ambarquement,  tout  ce  qu'estoit  passé  jusques 
alors,  me  remectant  à  ce,  je  commenceray  au  jour  de  nostre- 
dict  ambarquement,  que  fut  à  Flessingue  le  xn°  jour  d'aôust. 
Et  diray  que  nostre  armée,  qu'estoit  de  quatre  grosses  naves  et 
trois  yaques,  armées  de  plus  de  soixante  grosses  pièces  de  fonte, 
ayant  les  capitaines  d'icelles  soubz  leur  charge  environ  six  cens 
hommes  de  toutes  sortes,  sans  les  gentilhommes  que  Son 
Altèze  envoyoit  de  sa  maison,  avec  trois  ou  quatre  aultres  qui 
faisoient  le  nombre  de  vingt,  et  ceulx  quilz  accompagnoient 
monsieur  le  conte  de  Mansfelt,  chief  de  toute  l'armée,  qu'es- 
toient  bien  en  nombre  de  quarante,  tous  lougés  en  l'une  des 
quatre  naves,  appellée  la  Béguine,  où  qu'estoit  monsieur  le 
conte  Charte  son  filz,  sans  les  dames  aussi  et  ung  grand 
nombre  d'officiers  et  varletz,  lesquelx  tous  par  ensemble,  tant 
les  dessus  nommés  que  ceulx  icy,  faisoient  bien  le  nombre  de 
mil.  De  toute  ceste  armée  estoit  commissaire  général  Fabio 
Lambo  1,  trésorier  de  Son  Altèze,  conteroleur  Michel  Jaques, 
et  pagador  Jehan  de  Ponde  2.  Laquelle  armée,  au  jour  que 

1  Strada  appelle  ce  personnage  Fabius  Lembus  :  il  le  dit  Napolitain  et 
vieux  serviteur  dévoué  à  la  gouvernante. 

*  «  Mais  quiconque  qui  demeure  derrière,  Michiel  de  Jaca  a  treuvé 
expédient  d'estre  de  la  compagnye,  quoyque  sa  femme  soit  tousjours  en 
mesme  estât  ».  (Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  25  mai  4565  : 
Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvcllc,  t.  XVIII,  fol.  103 
wrso.)  —  «  Michiel  de  Jaca,  qui,  à  mon  advis,  tire  sa  vaiche  en  ung 
panier,  a  charge  des  victuailles  et  provisions,  avec  ung  autre  nommé 
Jehan  de  Pugdere,  y  mis  par  Schetz,  dont  il  me  semble  que  monsieur  de 
Vakene  ne  se  contente  trop  ».  (Bave,  15  juin  1565:  ibid.,  fol.  196.)  — 
«  Miguel  de  Jacca,  ou  Yacca  y  Barca,  est  peu  connu.  C'était  un  Espagnol 
assez  obscur,  appartenant  dès  1558  à  l'administration  militaire  des  Pays- 


(54) 

dessus,  se  partit,  accompagnée  d'aultres  trente  naves,  car  toutes 
celles  qu'est  oient  aux  portz  de  Zélande  estoient  arrestées  et  ne 
pouvoient  faire  voille  sans  nostre  armée,  ny  ne  la  pouvoient 
abandonner  que  nous  ne  fussions  hors  d'Angleterre:  de 
laquelle  nous  en  sortismes  le  xxme  dudict  moys,  sans  péril  ny 
sans  aulcun  rencontre,  sinon  sur  l'issue  d'icelle,  que  nous 
aperçeumes  environ  douze  grosses  naves  que  Ton  disoit  estre 
angloises  et  monstroient  semblant  de  nous  environner,  parce 
qu'elles  faisoient  ung  demy-ccrcle,  ce  que  causa  que  les  nostres 
se  vindrent  à  joindre  plus  près.  Mais  il  ne  succéda  aultre  chose, 
sinon  que  ce  fut  une  monstre,  combien  que  toutesfoîs  les 
pilottes  assheuroient  que  c'estoient  navires  de  guerre,  et  n'en 
laissâmes  nullement  de  poursuyvre  nostre  chemin,  lequel  nous 
continuâmes  avec  toute  prospérité,  si  bien  que  sans  inconvé- 
nient l'armée  vint  surgir,  le  pénultième  dudict  moys,  à 
Cascay  f,  qu'est  le  commencement  de  l'embouchure  du  canal 
de  Lisbonne,  et  a  prins  ce  nom  d'une  forteresse  située  sur  le 
bort  de  la  mer,  pour  estre  semblable  celluy  dont  elle  s'appelle*, 
laquelle  n'est  distante  dudict  Lisbonne  que  de  six  à  sept  lieues. 
Néantmoings,  le  lendemain,  que  fut  le  vendredy  dernier 
jour,  l'on  ne  passa  point  plus  avant  que  Bellain,  cinq  lieues 
de  là  et  une  lieue  de  Lisbonne.  Bellain  3  est  une  tour  ou  for- 


Bas  ».  Il  apparaît  plus  tard  comme  époux  de  Marguerite  Contault,  nièce 
ou  cousine  du  chanoine  de  ce  nom,  qui  était  originaire  de  Franche- 
Comte  et  devait  son  canonicat  de  Malines  à  l'amitié  que  lui  portait  le 
cardinal  de  Granvelle.  (Poullet,  Correspondance  de  Granvelle,  t.  I, 
p.  205,  note  2,  et  p.  122,  note  3.) 

1  Cascaes,  ville  située  a  l'embouchure  duTage,  a  cinq  lieues  en  aval  de 
Lisbonne,  près  d'une  forteresse  bâtie  sur  la  pointe  de  quelques  rochers. 

*  Bordey  veut  dire  sans  doute  que  le  nom  de  Cascay  a  été  donné  à  la 
forteresse  parce  qu'elle  ressemble  de  loin  à  un  casque. 

3  Belem  est  un  faubourg  de  Lisbonne,  qui  tire  son  nom  d'une  mer- 
veilleuse tour,  de  style  gothique,  assise  sur  un  terre-plein  fortifié  et 
casemate,  dans  le  lit  du  Tage.  En  regard  de  cette  tour  se  trouve  un  vieux 
monastère  de  Hiéronymites,  avec  une  église  splendide,  bâtie  en  consé- 
quence d'un  vœu  de  Vasco  de  Gama,  lorsqu'il  partit  pour  conquérir  la 
route  des  Indes.  «  A  côté  du  grand  autel  »,  écrivait  en  1670  un  voyageur 


(  W) 

tcresse  bastic  dedans  le  canal,  dans  laquelle  il  y  a  souldars  et 
capitaine,  et  grand  nombre  d'artillerie.  Pour  le  moings  ù 
l'abordée,  elle  nous  salua  de  plusieurs  coups  en  signe  d'allé- 
gresse, et  noz  naves,  après  avoir  jecté  l'ancre,  leur  rendirent  le 
semblable  par  une  salve  fort  brave.  De  ceste  tour  de  Bellain  a 
pris  son  nom  ung  monastère  de  religieux  de  Sainct-Hiérome, 
qu'est  situé  ù  l'endroict  de  ladicte  tour,  sur  le  rivage  de  la  mer, 
au  bas  d'une  coline.  Cestuy  est  bien  l'ung  des  beaulx  monas- 
tères de  structure  que  l'on  pourroit  veoir.  Tout  le  contour,  qui 
est  fort  grand,  est  serré  et  encloz  de  haultes  murailles,  où  que 
sont  plusieurs  jardins  peuplés  d'une  infinité  d'orangiers  et 
aultres  telz  gendres  d'arbres,  pourtant  fruictz  en  grand  abon- 
dance. En  ce  monastère  sont  les  sépulchres  et  monumentz  des 
roys  de  Portugal  et  de  ceulx  de  leur  sang.  L'on  y  bastit,  et  y 
faict  la  Royne  une  fort  riche  chappelle  pour,  estant  parachevée, 
y  faire  transporter  tous  les  oz  des  feuz  roys,  et  où  que  seront 
inhumés  ceulx  quilz  succéderont  cy  après.  En  ceste  église  fut 
le  sambedy  matin  monsieur  le  conte,  avec  madame  sa  femme 
et  toute  la  compagnie,  oïr  messe  pour  remercier  et  louer  Dieu 
nostre  Créateur  de  nous  avoir  mené  et  conduit  à  bon  port.  Ce 
qu'ayant  faict  et  ayant  visité  les  particularités  du  convent,  il 
retourna  cliner  aux  naves. 

Icy  il  fault  que  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime  entende  que 
le  jeudy  que  nous  encrasmes,  le  conte  dépescha  Fabio  Lambo, 
commissaire  général,  et  ung  gentilhomme  de  sa  maison,  espa- 
gnol, appelé  Verdugo  *,  à  Lisbonne  pour  advertir  le  Roy  2, 

digne  de  foi,  «  on  voit  quatre  tombeaux  de  jaspe  et  de  marbre,  enclavez 
dans  l'épaisseur  du  mur,  soutenus  chacun  par  deux  éléphants,  où  sont  des 
Rois  et  Reines  de  Portugal  ;  vis-à-vis  sont  d'autres  tombeaux  de  leurs 
Infants,  qui  sont  construits  de  la  même  manière  ».  (Voyage  de  Madrid  à 
Lisbonne,  dans  le  volume  intitulé  :  Voyages  faits  en  divers  temps  en  Espa- 
gne, en  Portugal,  etc.;  Amsterdam,  4699,  in-12,  p.  194). 

1  Francisco  Verdugo  épousa  Dorothée  de  Mansfeld,  fille  naturelle  du 
comte  Pierre-Ernest  :  il  fut,  avec  la  qualité  de  gouverneur  de  Frise,  l'un 
des  lieutenants  d'Alexandre  Farnèse  dans  ses  campagnes  contre  le  prince 
d'Orange. 

*  Sébastien,  enfant  posthume  du  prince  Jean,  héritier  de  Portugal,  et 


(36) 

Royne  !  et  rillustrissime  Senor  cl  Cardinal  *  de  nostre  arrivée 
à  Bel  lai  n,  qu'estoit  le  vendredy.  Hz  envoyaient  une  gallère  {car 
le  Roy  en  tient  d'ordinaire  dix  en  son  port  de  Lisbonne, 
lesquelles  j'ay  veu),  avec  aulcuns  gentilhommes,  pour  congra- 
tuler au  conte  nostre  venue  :  lesquelx,  ayant  parlementé  avec 
luy  et  après  avoir  tournoyé  tout  alentour  de  noz  naves  et  tiré 
aulcuns  coupz  d'artillerie  de  la  proue,  s'en  relournarent  ;  mais 
ce  ne  fut  sans  que  noz  naves  les  saluarent  par  une  fort  magni- 
ficque  salve  de  canonades.  La  nuit  aprouchoit  quant  ilz  se 
retirarent.  Et  alors  fut  prinse  la  détermination  que  l'on  ne 
bougeroit  point  dudict  Bellain  jusques  au  dimenchc  après 
dîner.  Que  fut  cause  que  l'ambassadeur  de  nostre  Roy  vint  le 
sambedy  en  VAdmiralc,  et  tantost  après  le  seigneur  Don 
Constantin  et  Don  Fulgence,  son  frère,  homme  dVglise,  tous 
deux  tilz  au  feu  duc  de  Bergance  et  frères  de  l'Infante  Dèna 
Elisabet,  mère  de  nostre  Princesse,  mais  enfans  d'une  aullre 
mère,  laquelle  le  duc  leur  père  espousa  en  secondes  nopecs; 
et  estoit  ceste  dame  de  la  maison  de  Mendoce.  Et  le  ncpveur 
de  ces  deux  icy,  c'est  le  duc  de  Bergance  pour  aujourd'huy, 
quil,  ayant  été  reffusé  de  nostre  Princesse,  espousa  sa  sœur  s. 

de  la  princesse  Jeanne  d'Autriche,  fille  de  Charles-Quint,  né  le  20  janvier 
15,54,  avait  succédé  à  son  grand-père  Jean  III,  le  2  août  1557  :  à  l'époque 
de  l'arrivée  de  l'ambassade,  il  était  dans  sa  douzième  année. 

!  Catherine  d'Autriche,  sœur  puînée  de  Charles-Quint,  veuve  du  roi 
Jean  III  de  Portugal  et  aïeule  du  roi  Sébastien. 

2  Henri  de  Portugal,  cardinal,  grand-oncle  du  roi  Sébastien,  régent  du 
royaume,  destiné,  par  le  fait  de  la  mort  tragique  de  son  petit-neveu,  à 
occuper  lui-même  le  trône  de  Portugal. 

3  La  princesse  Marie,  qui  allait  devenir  la  femme  d'Alexandre  Farnèse. 
était  la  fille  ainée  de  feu  Edouard  de  Portugal,  duc  de  Guimaraès,  et 
d'Elisabeth  de  Bragance.  Par  son  père,  elle  était  cousine  germaine  du 
roi  d'Espagne  Philippe  II,  et  elle  avait  eu  le  même  degré  de  parenté  avec 
le  défunt  père  de  Sébastien,  roi  de  Portugal.  Son  grand-père  maternel,  le 
duc  Jacques  de  Bragance,  avait  épousé  deux  femmes  :  l*ÉIéonore  de  Guz- 
man,  2"  Jeanne  deMendoza.  De  la  première  étaient  issues  Elisabeth,  mère 
de  la  princesse  Marie,  et  Catherine,  mariée  au  duc  Jean  de  Bragance,  son 
cousin  germain.  De  la  seconde  femme  sortaient  les  princes  Constantin  et 
Fulgence;  ce  dernier  était  titulaire  du  riche  prieuré  de  Guimaraès. 


(  «7  ) 

Avec  eulx  aussi  vindrent  plusieurs  aultres  gentilhommes.  Et 
se  paracheva  ce  jour  seulement  en  visites.  Et  alors  tous  les 
gentilhommes  de  l'armée  estoient  en  YAdmirale. 

Cependant  que  ces  choses  se  faisoient,  l'Illustrissime  Cardi- 
nal, estant  bien  adverty  quel  seigneur  estoit  le  conte  et  quelle 
estoit  sa  suytte  et  compagnie,  comme  gouverneur  du  jeune  Roy 
son  nepveur,  et  par  ainsi  du  royaulme,  voulant,  que  la  chose 
succédasse  et  prînt  fin  avec  tout  honneur,  convoqua  et  fit 
assembler  les  plus  principaulx  et  riches  marchans  de  la  ville, 
et  leur  commenda  et  pria  qu'ilz  eussent  à  recepvoir  en  leur 
maison  ceulx  quilz  leur  seroient  donnés  par  billetz,  et  de  leur 
faire  le  meilleur  traictement  qu'ilz  pourroient,  fusse  en  leur 
lougis,  fusse  en  leur  fournissans  chevaulx  pour  aller  par  la 
ville;  commenda  davantaige  et  fit  faire  édict  public  que  per- 
sonne, à  peine  de  la  hard,  n'eult  à  commencer  ny  faire  aulcune 
querelle  à  ceulx  de  l'armée,  ains  de  les  recepvoir  et  traicter 
avec  eulx  en  tout  respect  et  amytié,  comme  certes  ils  ont  faict 
tout  le  temps  qu'avons  esté  là.  Et,  par  ce  moyen,  fut  exemptée 
Son  Altèzc  de  grandz  frais,  par  l'intention  que  l'on  avoit  d'y 
tenir  table  fort  magnificque. 

Le  dimenche  suyvant,  qu'estoit  le  second  jour  de  septembre, 
incontinent  après  dîner,  retournarent  en  VAdmirale,  en  trois 
gallères,  lesdietz  seigneurs  nommés  et  encoires  plusieurs  aultres 
gentilhommes,  le  principal  desquelx  estoit  Don  Edouard, 
frère  de  la  Princesse  *,  ung  beaul  jeune  prince  et  de  belle 
taille,  lesquelx  ne  furent  si  tost  entrés,  que  l'on  leva  l'ancre 
pour  sortir  dudict  Bellain  et  tirer  à  Lisbonne.  C'estoit  lors 
ung  grand  plaisir  d'ouyr  l'artillerie  quil  se  deschargeoit  par 
toutes  les  naves  qu'estoient  encrées  au  port;  mais  ce  n'estoit 
rien  au  respect  de  celle  que  tirarent  les  nostres  lorsqu'elles 
jectarent  l'ancre  tout  devant  le  palais  du  Roy. 

A  la  descente,  plusieurs  barquerolles,  richement  tapissées 


1  Edouard  de  Portugal,  l'aîné  des  enfants  et  le  fils  unique  du  duc  de 
Guimaraôs  défunt,  qui  avait  eu  aussi  le  prénom  d'Edouard,  était  le  frère 
de  la  future  duchesse  de  Parme  et  de  la  duchesse  de  Bragance. 


(38) 

de  drapz  de  soye  de  diverses  couleurs,  estaient  aprestées  pour 
recepvoir  la  compagnie.  Là  se  véoit  ung  si  grand  nombre  de 
peuple,  que  je  pense  que  Ton  n'en  a  guaire  veu  davantaige 
assemblé  pour  un  coup  aultrepart,  lesquelx  s'esmerveilloient 
grandement  de  veoir  une  tant  belle  et  tant  grande  compagnie 
et  si  bien  en  ordre.  Pour  dire  la  vérité,  il  la  faisoit  beau  veoir, 
estans  tous  les  gentilhommes  habillés  de  maroniers  *,  les  ungs 
en  soye,  les  aultres  en  escarlatte,  et  tous  en  général  ayant  leur 
habillementz  enrichis  de  passement  d'or  ou  d'argent.  Mais  les 
dames  s'estoient  parées  de  leur  plus  riches  atours  et  habille- 
mentz, qu'estaient  extrêmement  riches,  car  Son  Allèze  a  voit 
donné  aux  siennes  les  accoustrementz  qu'estaient  estes  faietz 
pour  Francfort  2,  et  d'aultres  encoires  plus  riches.  Toute  ceste 
compagnie,  descendue  en  terre,  marcharent  contre  le  palais  en 
bon  ordre,  quil  n'est  pas  plus  eslongné  du  port  que  d'ung  ject 
de  pierre,  mais  bien  le  plus  mal  basti  que  j'ay  oneques  veu  et 
indigne  de  son  assiete,  qu'est  bien  la  plus  belle  et  la  plus 
grande,  et  a  la  plus  belle  veue  que  l'on  sauroit  veoir. 

Nous  trouvasmes  le  Roy  en  une  grande  gallerie,  du  coustel 
de  la  marine  toute  ouverte,  assez  bien  accompagné  de  noblesse. 
Il  estait  au  bout  d'icelle,  sur  ung  siège  eslevé  de  trois  ou  quatre 
pas,  assis  sur  ung  coussin  de  drap  d'or,  entre  la  Royne  3  et  le 
Cardinal  *,  quilz  estaient  en  la  mesme  sorte  assis,  la  Royne  ù  la 
droietc  et  le  Cardinal  à  la  gauche;  et  au  coustel  droict  de  la 
Royne  estait  l'Infante  Dona  Marie  s,  et  auprès  d'elle  l'Infante 


1  C'est-à-dire  «  vôtus  en  marins  ». 

*  Probablement  pour  les  grandes  fêtes  qui  avaient  eu  lieu  à  Francfort, 
le  30  novembre  1562,  à  l'occasion  du  couronnement  de  Maximihen  d'Au- 
triche en  qualité  de  roi  des  Romains,  c'est-à-dire  d'héritier  présomptif 
de  la  couronne  impériale. 

3  Catherine  d'Autriche,  aïeule  du  roi. 

*  Le  cardinal  Henri,  régent  du  royaume. 

5  Fille  d'Emmanuel  le  Grand,  roi  de  Portugal,  et  de  sa  troisième 
femme  Éléonore  d'Autriche,  celle-ci  remariée  au  roi  de  France  François  1OT» 
J'infante  Marie  était  la  grand'tante  du  jeune  roi  Sébastien. 


(59) 

t 

Dona  Elizabel *  et  la  Princesse  sa  fille  *.  Je  ne  doubte  point 
que  toute  l'assemblée  ne  s'esmerveilla  grandement  quant  iiz 
Tirent  entrer  ceste  grande  compagnie  quil  marchoît  devant  le 
conte,  lequel  arrivé  qu'il  fut  devant  le  siège,  le  Roy  se  leva,  et, 
ayant  démarché  ung  pas  ou  deux,  il  reçeut  ledict  conte  entre 
fies  bras,  quil  tâchoit  à  luy  baiser  les  mains.  Et  ayant  ledict 
conte  rendu  les  compliments  envers  le  Roy,  il  s'adressa  à  la 
Boyne,  puis  au  Cardinal,  puis  aux  Infantes;  mais  aux  deux 
dernières,  qu'cstoient  l'Infante  Elizabel  et  la  Princesse  sa  fille, 
sa  harangue  fut  plus  longue.  Ledict  conte  ayant  parachevé  ses 
harangues,  la  contesse  sa  femme  fit  le  mesme,  puis  toutes  les 
dames  et  conséquemment  tous  les  gentilhommes  ;  et  durarent 
-ces  cpmpliments  presque  une  heure  :  lesquelx  estant  parache- 
vez, chascun  se  retira,  demeurant  lougé  ledict  seigneur  conte 
au  palais  et  toutes  les  dames  au  quartier  de  l'Infante  Elisabel  ; 
jet  les  aultres  gentilhommes  se  retirarent  chascun  chez  leur 
hoste,  lesquelx  ils  (rouvarent  à  la  descente  du  palais,  avec 
chevaulx  d'Espagne  pour  les  conduire  en  leurlougis. 

Quant  à  moy,  j'eus  pour  mon  hoste  le  seigneur  Vanture  de 
Foias,  à  qui  le  sieur  Curiel  3  m'avoit  donné  lettres  de  recom- 
mendation  fort  favorables  et  une  lettre  de  change  de  cent  escuz. 
Je  ne  me  puis  louer  sinon  grandement  de  luy,  car  il  m'a  faict 
tout  le  bon  recueil  et  faveur  du  monde,  et  traicté  comme  roy  : 
suppliant  Sa  Seigneurie  Illustrissime  que  si  elle  escript  audict 
Curiel,  de  luy  en  toucher  ung  mot,  puisque  je  n'ignore  que 
ledict  Curiel  ne  m'a  procuré  cela  sinon  en  faveur  de  Sadicte 


*  Elisabeth  de  Bragance,  veuve  d'Edouard  de  Portugal,  duc  de  Gui- 
maraès. 

*  Marie  de  Portugal,  «  la  dame  de  nopces  »,  comme  l'appelaient  les 
correspondants  du  cardinal  de  Granvelle. 

3  Hieronimo  de  Curiel,  Espagnol  établi  à  Anvers,  où  il  avait  la  qualité 
de  facteur  du  Roi.  «  Tant  que  Curiel  résida  à  Anvers,  ce  fut  d'habitude 
par  ses  soins,  ou  par  son  intermédiaire,  que  s'envoyèrent  en  Espagne  les 
peintures,  tapisseries,  armures,  destinées  soit  au  Roi,  soit  aux  seigneurs 
de  la  cour  de  Madrid  ».  (Poullet,  Correspondance  de  Granvelle,  1. 1,  p.  68, 
note  1.) 


(60) 

Seigneurie  Illustrissime,  ne  le  méritant  aultrement  en  son 
endroict,  tant  il  a  désir  de  luy  faire  humble  service  et  plaisir 
aux  siens. 

Tout  le  temps  que  nous  demeurasmes  à  Lisbonne,  le  conte 
fut  festoyé  par  bancquets  hors  du  palais  quatre  fois  :  asçavoir 
au  lougis  de  Don  Edouard  *,  au  lougis  de  Don  Constantin  *  (et 
icy  ilz  furent  appelles  tous  les  gentilhommes  de  Son  Àltèze), 
au  lougis  de  l'Ambassadeur  (et  y  furent  toutes  les  dames),  et  au 
lougis  de  Damianus  a  Goes ,  auquel  lieu  j'estois  invité  avec 
plusieurs  aultres  gentilhommes. 

Icy  je  feray  une  petite  disgression,  et  diray  que  le  jour  que 
se  fit  le  bancquet  de  Don  Constantin,  que  fut  magnificque  et 
opulent,  ce  fut  le  vendredy  veille  de  Nostre-Dame  en  septem- 
bre; mais,  quoy  que  ce  fût  que  nous  y  mengeâmes,  nous 
fûmes  plus  de  huict  quilz  en  rapportarent  un  fluz  de  ventre 
estrange  avec  vomissement,  et  estoit  de  ce  nombre  le  conte 
Charles  de  Mansfelt  et  Camargo  3.  Mais  moy  j'en  heu  une  si 
estrange  atteincle,  que  je  ne  pensois  jamais  mieulx  mourir, 
me  durant  incessamment  le  fluz  et  le  vomissement,  dois  les 
vin  heures  du  soir  jusques  aux  six  du  matin,  et  la  plus  part 
avec  sang  tout  peur  d'ung  coustel  et  d'aultre  :  tellement  que  me 
trouvant  fort  débile  le  lendemain,  qu'estoit  le  jour  de  la  Nostre- 
Dame  et  le  jour  que  Damianus  a  Goes  faisoit  son  banquet,  je 
n'y  pus  estre;  il  m'envoya  visiter  deux  ou  trois  fois  par  son 
filz  le  docteur.  Et  ay  parler  à  lui  deux  ou  trois  fois  en  court  : 
il  se  monstre  grandement  serviteur  de  Sadicte  Seigneurie 
Illustrissime,  et  me  pria  de  luy  présenter  ses  humbles  recom- 
mandations. Il  se  faict  fort  vieulx.  Et  son  aultre  filz,  qu'a 
demeuré  en  ceste  ville,  il  est  pour  le  présent  aux  Indes. 

Pour  retourner  à  mon  propos,  toute  la  reste  des  aultres  jours 
le  conte  ne  s'empescha  sinon  à  faire  visites,  et  ce  pendant  tenir 

*  Edouard  de  Portugal,  duc  de  Guimaraès,  frère  de  la  mariée. 

*  Constantin  de  Bragance,  oncle  maternel  de  la  princesse. 

3  Antonio  Camargo,  gentilhomme  espagnol,  attaché  à  la  maison  de  la 
gouvernante. 


(  61  ) 

tousjours  la  main  vers  la  Princesse  de  se  faire  preste  le  plus 
tost  qu'elle  pourrait  pour  s'ambarquer,  puisque  le  temps 
couroit  contre  nous.  Et  comm'  il  la  sollicitoit  de  luy  faire 
entendre,  par  un  billet,  le  nombre  des  gens  qu'elle  vouloit 
mener  avec  elle,  et  la  qualité  d'iceulx,  et  combien  de  coffres,  il 
se  trouva  bien  esbahy  quant  il  vit  le  nombre,  qu'estoit  les  deux 
tiers  plus  grand  que  luy  n'espéroit  ne  que  Son  Altèze  n'enten- 
doit.  De  manière  que  cela  causa  ung  grand  changement  aux 
naves  de  l'armée,  parce  qu'ilz  passoient  le  nombre  de  cent  et 
trente  personnes  :  desquelx,  ostez  dix  ou  douze  et  trente  trois 
femmes  qu'elle  mesne  avec  elle,  toute  la  reste  est  canaille, 
néantmoings  en  leur  parolles  Idalgos  comm'el  Rey  *.  Le  prin- 
cipal de  tous  est  Don  Manuel  Dalmade,  évesque  d'Àngre  2, 
envoyé  de  la  part  du  Roy  avec  elle,  quil  vint  avec  xxim  ser- 
viteurs. L'aultre  après  est  Dieguo  de  Mendoce,  maior  d'homme 
maior  de  la  Princesse  :  ainsi  l'appellent  les  Portugais;  et  avec 
luy  vint  sa  femme,  camerera  maior,  ayant  quatres  filles,  toutes 
quatres  damoyselles  à  la  Princesse,  et  ung  filz.  Cestuy  Dieguo 
de  Mendoce  3  est  de  la  vraye  maison  des  Mendoce  et  parent 
proche  à  la  seconde  femme  que  jadis  le  duc  de  Bergance 
eult  espousée,  qu'estoit  de  la  maison  des  Mendoce.  Oultre  ces 
deux  icy  et  deux  ou  trois  gentilhommes  servans,  je  n'y  con- 
gnois  personne  d'estime. 

Quant  à  la  Princesse,  elle  n'est  ny  belle  ny  laide;  néant- 
moings elle  est  fort  petite.  Mais  ce  que  deffault  à  la  beaulté,  si 
le  Prince  en  désiroit  davantaige,  comme  certes  je  pense  bien 
qu'il  faict,  sa  bonne  grâce,  sa  grande  humanité,  vertu,  pru- 
dence et  doctrine  certainement  récompense  entièrement  ce 
deffault;  car  mieulx  nourrie  ny  plus  sage  princesse  l'on  ne 


4  C'est-à-dire  nobles  comme  le  Roy, 

*  Angra,  principale  ville  de  File  Terceira  et  des  autres  Açores,  est  le 
siège  d'un  évoque  suffragant  du  patriarche  de  Lisbonne. 

3  Serait-ce  Diego  Hurtado  de  Mendoza,  comte  de  Saldagna,  mort  le 
29  mars  1566,  qui  avait  épousé  Maria  de  Mendoza,  fille  et  héritière  de 
Rodrigo,  marquis  de  Zenete? 


(04) 

à  son  de  trompe  tant  à  Mcdelebourg  qu'à  Lisbonne,  de  droict 
luy  adjugeoient  la  mesme  confiscation  que  le  Roy  prétendoit, 
veu  qu'il  estoit  deffendu,  à  peine  de  tout  perdre,  de  ne  charger 
rien  sur  les  naves  sinon  ce  qu'estoit  nécessaire  pour  le  voyage, 
confiscant  toutes  aultres  marchandises  que  dedans  se  trou- 
veroient  pour  traficquer.  Cecy  estant  meurement  considéré, 
Ton  fit  entendre  aux  Portugais  que  Ton  s'estoil  aulcunement 
encherchié  des  patrons  pour  en  entendre  la  vérité,  et  que  n'en 
ayant  rien  sçeu  congnoistre,  il  ne  leur  sembloit  convenable 
d'en  faire  poursuitte  davantaige,  mesmes  de  faire  ouverture 
des  coffres  comme  eulx  requéroient,  puis  qu'en  cela  ilz  n'eus- 
sent deuement  gardé  le  respect  qu'ilz  doibvent  et  vouloient 
garder  ù  la  Princesse.  Ainsi  la  chose  demeura  assopiepour  les 
Pourtugais.  Mais  pour  nous  aultres,  Ton  y  bcsongna,  comme  je 
diray  cy  après. 

Entretant  que  cecy  se  passoit  audict  Bellain,  furent  faictes 
plusieurs  visites  dois  la  ville  en  noz  naves  de  tous  les  seigneurs 
principaulx,  jusques  au  Cardinal  et  l'Infante  Dona  Elizabel,  et 
y  estoit  quasi  tousjours  Don  Edouart.  Mais  voyant  lesdicts 
Portugais  que  le  vent  ne  nous  vouloit  scrvyr  pour  partir  du 
port,  craignant  à  la  longue  que  la  saison  ne  se  passasse  et 
pourtant  que  serions  contrains  d'hyverner  audict  Lisbonne,  ce 
qu'ilz  ne  désiroient  nullement,  firent  venir  quatre  gallères, 
lesquelles,  attachées  à  noz  naves,  nous  tirarent  du  port  dudict 
Bellain  et  nous  conduisirent  à  celluy  de  Cascay.  Et  à  ce  désan- 
crement  choqua  la  Viçadtnirale,  où  qu'estaient  tous  les  gen- 
tilhommes  de  Son  Altèze,  contre  la  Béguine,  où  qu'estoit  le 
conte  Charles  et  sa  suytte.  Il  prit  bien  que  ce  n'est  oit  à  la 
hault'  mer  et  que  nous  n'avions  nul  vent  :  tousjours  la  poincte 
de  la  proue  de  la  Viçadmirale  enfonça  la  chambre  de  monsieur 
d'Estambrughes  en  hault. 

Tout  ainsi  que  nous  n'avions  vent  à  Bellain,  le  mesme 
advint-y  à  Cascay,  et  pour  le  séjour  qu'y  faisions,  la  mesme 
crainetc  que  dessus  augmentait  aux  Pourtugais.  Et,  ne  voyant 
aultre  moyen  de  nous  faire  partir,  firent  venir  en  YAdmirale 
leurs  pilottes,  quilzseurentsi  bien  persuader  lesnostres  en  leur 


(  65) 

disant  que,  entrés  que  serions  ung  trente  ou  quarante  lieues  à 
la  haulte  mer,  nous  ne  fauldrions  à  trouver  le  vent  que  dési- 
rions pour  suyvre  nostre  chemin,  que  en  fin  Ton  print  résolu- 
tion de  lever  l'ancre,  contre  l'opinion  et  vouloir  de  plusieurs  : 
ce  que  s'effectua  par  ung  lundi  matin  xxini0  de  septembre.  Et 
avions  en  nostre  compagnie  huict  naves  portugoises  mar- 
chandes et  trois  levantesques,  aultrement  vénétiennes  ;  et  ces 
trois  estoient  encoires  plus  grandes  que  les  nostres,  et  aultant 
belles  que  Ton  pourroit  veoir,  et  tiroient  en  Angleterre. 

Nous  continuâmes  à  faire  voille  à  la  hault'  mer  jusques  au 
jeudy  matin,  avec  undes  braves  et  ung  vent  puissant,  mais  du 
tout  contraire  pour  nous  mectre  en  nostre  chemin ,  duquel 
nous  estions  jà  eslongné  de  plus  de  mixx  lieues.  Ce  que  voyant 
les  pilottes,  ayant  YAdmirale  donné  signe,  Ton  retourna  voille 
pour  penser  regaigner  Lisbonne  :  aultrement  nous  estions  en 
danger  de  prendre  terre  en  Barbarie;  mais  il  ne  fut  jamais 
possible  d'en  reprendre  la  route.  Ains,  ne  sachant  où  que 
nous  allions,  fusmes  en  ceste  peine  jusques  au  dimenche  après 
le  dîner,  qu'estoit  le  dernier  jour  du  moys,  que  Ton  descouvrit 
terre,  et  recongneut-on  que  c'estoit  le  Cap-Sainct- Vincent  *, 
quarante  lieues  par  delà  Lisbonne,  auquel  on  jecta  l'ancre.  Le 
jour  de  la  Sainct-Michel,  il  y  eult  une  alarme  de  feu  en  nostre 
nave;  mais,  par  le  bon  remide  que  Ton  y  mit  incontinent,  il 
n'y  eult  aultre  inconvénient  que  la  peur,  quil  ne  fut  petite. 

Cap-Sainct-Vincentest  le  lieu  où  que  ce  grand  pyrale  Austre- 
lin  édifia  le  chasteaul  que  pour  le  présent  y  est,  qui  depuis 
fut  prins  et  taillée  sa  teste,  et  son  chasteaul  démoly,  comme 
s'en  voyent  encoires  les  vestiges.  Néantmoings-,  il  est  mainte- 
nant aulcunement  réparé  et  muni  d'artillerie  assez,  ayant  ung 
capitaine  avec xx soûl dars  pour  sa  garde,  pour  la  craincte  qu'ilz 


1  Situé  à  Tune  des  extrémités  du  monde  européen,  les  anciens  rappe- 
laient le  Promontoire  .sacré,  vocable  qui  -se  perpétue  dans  le  nom  de  la 
place  maritime  de  Sagres,  assise  sur  Tune  des  pointes  du  cap.  Sur  l'autre 
pointe,  un  monastère,  dédié  à  saint  Vincent  et  protégé  par  une  tour,  a 
fourni  le  nom  moderne  de  l'ensemble  du  cap. 

Tome  XLI.  5 


(66) 

ont  des  Mores,  lesquelx,  il  n'y  a  pas  long  temps,  robarent  le 
monastère  de  Sainct- Laurent  \  auquel  la  Princesse  fut  le 
jeudy  1111e  d'octobre  dîner,  n'estant  qu'à  une  petite  lieue  du 
chasteaul,  où  que  le  mesme  avait  faict  le  lundi  premier  jour. 
En  ce  lieu,  se  trouvant  mal  dispos  le  sieur  Camargo,  le  capi- 
taine Veillar  etaultres  gentilhommes  du  conte,  déterminaient 
d'aller  par  terre,  comm'ilz  firent.  Aussi  fit  Boisot,  que  le  conte 
dépescha  par  la  poste.  La  nuict  du  mesme  jeudy  1111e,  se  fit 
ung  tremblement  de  terre,  que  nous  sentismes  aussi  dedans 
la  mer,  par  le  grand  branlement  de  noz  naves. 

Ce  pendant  que  noz  naves  demeuroient  encores  en  ce  cap, 
passarent  aulcunes  naves  angloises  marchandes,  ausquelles 
l'on  fit  caller  voille,  comme  Ton  a  pour  coustume  de  faire  à 
toutes  celles  qu'il  passe  par  devant  une  armée  de  mer,  mesme 
où  que  V  Admira  le  est,  et  print-on  langue  des  patrons.  Mais, 
sur  les  derniers  jours,  se  vindrent  à  descouvrir  quatre  grosses 
naves  à  la  volée  d'ung  canon,  au  moings  la  première  :  aus- 
quelles ayant  faict  signe  VAdmiraîe  de  caller  voille,  par  ung 
coup  d'artillerie,  monstrant  ne  s'en  socier,  eslongnant  le  cap, 
singlarent  en  la  haulte  mer.  Pour  moy,  j'ay  opinion  que 
c'estoient  pyrates  bretons,  et  que  ce  furent  ceulx  qui,  après 
nostre  parlement,  cuydarent  surprendre  aulcuns  des  nostres  : 
que  fut  en  ceste  manière. 

A  quatre  lieues  du  Cap-Sainct- Vincent,  il  y  a  une  petite 
villette  appelle  Achas,  en  laquelle,  dois  le  mardy  11e,  estoient 
allés  pour  se  refreschir  monsieur  d'Estambrughes,  Auchy  *,  le 
conte  Annibal  3,  A  Ion  ce  Gayo,  Paulo  Walzin  et  Bouvier,  les- 
quelx s'obliant  par  trop  à  la  faire  trop  longue,  advint  que 
le  vnc,  que  fut  le  dimenche  matin,  le  vent  se  fit  bon,  qu'avions 

1  Lisez  «  Sainct-Vincent  ».  —  Saint  Laurent  et  saint  Vincent,  tous  deux 
diacres  et  martyrs,  pouvaient  aisément  être  substitués  l'un  à  l'autre  dans 
les  souvenirs  d'un  voyageur. 

*  Jacques  de  Henni n-Liétard,  baron  d'Auxy,  frère  du  comte  de  Boussu. 

3  Annibal  d'Altaemps,  élevé  à  la  dignité  de  comte  par  l'empereur 
Ferdinand  Ier,  avait  épousé,  au  printemps  de  1565,  Hortense  Borroméc, 
sœur  consanguine  du  saint  cardinal  de  ce  nom. 


(•67) 

tant  désiré  et  si  longuement  attendu.  De  manière  que,  sans 
respecter  personne,  le  conte  commenda  de  lever  l'ancre  et  faire 
voille  ;  et  n'eult  pas  attendu  son  propre  filz  s'il  fût  esté  avec  les 
aultres,  comme  plusieurs  fois  je  luy  ay  ouy  dire,  et  ce  que 
n'ignoroient  nullement  ceulx  dessus  nommés  qu'estoient  en 
terre.  Lesquelx,  craignant  grandement  qu'il  n'advinsse  ce 
qu'estoit  jà  advenu  sans  qu'ilz  en  sçeussent  rien,  louarent  une 
barquerole  avec  rames,  pour  avec  plus  de  diligence  se  faire 
transporter  à  l'armée,  et  s'ilz  la  trouvoient  partie,  pour  plus 
tost  la  consuyvre.  Or,  ne  sçeurent-ilz  tant  diligenter  que 
l'armée  ne  fusse  jà  partie  quant  ilz  arrivarent  au  cap.  Nom- 
pourtant,  sans  nulle  craincte,  ilz  se  mirent  à  poursuyvre, 
forçant  à  cela  le  maistre  de  la  barquerolle  quil  n'y  voulloit 
entendre,  bien  qu'il  leur  remonstroit  le  péril  où  qu'ilz  se 
mestoient.  Hz  furent  navigeant  tout  le  jour  et  jusques  à  la 
minuict  sans  rien  rencontrer.  La  nuict  estoit  claire,  et  alors  se 
monstrarent  quatres  grosses  naves  devant  eulx.  Ce  que  voyant, 
et  présumant  que  ce  fussent  aulcunes  de  nostre  armée,  tirent 
tant  qu'ilz  en  approucharent  l'une  de  sy  près  qu'ilz  se  par- 
loient  l'ung  et  l'aultre.  Mais  ilz  se  trouvarent  bien  esbahys 
quant  ilz  congneurent  estres  pyrates,  et  que  l'on  les  semon- 
gnoit  d'eulx  rendre  et  approcher  :  ce  que  certes,  comme 
aulcungs  d'eulx  m'ont  dit,  ilz  eussent  faict,  et  se  fussent  soub- 
mis  à  rançon;  mais,  estant  assheurés  de  leur  patron  et  pilotte 
que  telles  gens  ne  prenoient  personne  à  mercy,  et  que  la 
rançon  qu'ilz  prenoient  estoit  la  vie,  mectant  tous  la  main  aux 
rames,  prindrent  la  fuitte,  et  les  autres  à  tirer  force  canonades 
après  pour  les  mectre  au  fond.  Mais  Dieu  les  préserva  si  bien 
qu'ilz  eschapparent  et  gaignarent  la  terre,  tous  sains  et  saulfz, 
et  dois  là  se  transportarent  à  Lisbonne,  où  qu'ilz  ont  prins  la 
poste,  et  ont  faict  telle  diligence  qu'ilz  sont  jà  tous  arrivés  en 
ceste  ville.  Et  arrivarent  les  premiers  le  conte  Annibal,  Alonce 
Gaio  et  Paul  Walzin,  quilz  vindrent  trouver  la  Princesse  à 
Terremonde,  avant  que  d'arriver  à  Bruxelles. 

Ceste  disgression  ne  m'a  semblé  hors  de  propos,  puis  qu'elle 
despend  de  l'armée,  laquelle  continua  à  faire  voille  avec  bon 


(68) 

vent  l'espace  dé  quatre  jours,  et  tantost  après  se  rendit  calme. 
Depuis,  se  levant  un  vent  contraire,  nous  temporisions  ;  mais 
s'eslevant  brave  le  mecredy  xvne,  et  s'augmentant  d'heure  en 
heure,  le  jeudy  suyvant  husmes  si  terrible  tempeste,  que,  se 
renforçant  encoires  sur  la  nuict,  Ton  fut  contrain  caller  toutes 
les  voilles,  sans  en  réserver  nulles,  nompas  seulement  le  trin- 
quet ',  et  par  ainsi  fûmes  abandonnés  à  la  miséricorde  de 
Dieu  et  des  vagues.  Et  estoit  la  chose  si  désespérée  que  Ton 
n'espéroit  jamais  veoir  le  jour  ;  mais  Dieu  nous  préserva  et, 
par  sa  miséricorde*  appaisa  la  tormente  le  vendredy  lende- 
main, sur  le  midy,  nonobstant  que  la  mer  demeura  encoires 
tout  ce  jour  brave  avec  ung  vent  du  tout  contraire,  que  fut 
cause  que  nous  prismes  la  route  de  la  Coulongne  en  Gai  lice  3, 
en  intention  que  si  on  la  pouvait  gaigner  d'y  passer  nostre 
hyver,  parce  que  jà  les  vivres  nous  deffailloient.  Et  ont  con- 
fessé les  patrons  et  pilottes  que  la  plus  grand'  peur  qu'ilz 
avoient  heu  en  ceste  navigation  estoit  d'estre  affamés  et  mourir 
de  faim,  parce  que  sur  ceste  mer,  et  en  la  saison  que  nous 
estions,  l'on  est  bien  deux  et  trois  moys  sans  pouvoir  prendre 
terre.  Durant  ceste  tempeste,  nostre  Viçadmirale  fut  en  grand 
danger  d'estre  périe,  parce  que,  deux  jours  devant  qu'elle 
commençasse,  elle  chargeoit  jà  grandement  l'eaul  :  de  manière 
que  les  pompes  n'estoient  suffisantes  à  espuiser  le  quart,  com- 
bien que  l'on  pompasse  jour  et  nuict.  Et  par  Ta  tempeste  se 
firent  aultres  plusieurs  trouz,  que  mirent  la  chose  du  tout  en 
désespoir.  Et,  pour  certain,  elle  estoit  du  tout  pardue,  si  la 
tempeste  eult  encoires  duré  ung  jour;  mais  le  vendredy,  don- 
nant signe  par  ung  coup  de  canon  et  par  enseignes  desployées 
aux  aultres  naves  du  péril  qu'elle  estoit,  fut  secourue.   La 


1  «  Trinquette  :  c'est  une  voile  triangulaire  faite  en  voile  d'étai,  de 
toile  à  quatre  fils  ...  ;  elle  se  borde  sur  le  côté  de  l'embarcation  et  sert 
souvent  à  mettre  à  la  cape,  quand  il  vente  trop  ».  (Encyclopédie  métho- 
dique, Marine,  t.  III,  p.  791.) 

*  La  Corogne  (Corufia),  port  de  mer  et  place  forte,  est  le  chef-lieu  mili- 
taire de  la  province  espagnole  de  Galice. 


(69) 

Béguine  perdit  son  botte  ',  duquel  Ton  couppa  la  corde  envi* 
ron  la  minuict;  et,  sans  cela,  la  nave  estoit  en  danger:  car 
corn  m' il  estoit  plain  d'eau,  les  undes  le  faisoient  choquer 
contre  le  timon.  Des  trois  yaches,  Tune  fut  fracassée  et  rompue 
contre  YAdmirale:  de  laquelle  tous  les  gens  se  sàulvarent,  moins 
deux  quilz  furent  noyés.  Et  la  petite,  qui  pour  lors  se  pardit 
et  que  l'on  tenoit  du  tout  pour  pardue,  arriva  six  jours  devant 
nous  à  Medelebourg,  avec  les  six  naves  portugoises,  des  huict 
quilz  accompagnoient  l'armée  :  dont  les  deux  quilz  restaient  se 
retournarent  joindre  aux  nostres,  deux  jours  après,  bien 
désolées,  comme  celles  qu'avoyent  jecté  en  mer  toute  leur 
artillerie  et  la  plus  grand'  part  de  leur  marchandise.  Quant  aux 
levantesques,  nous  ne  sûmes  qu'elles  devindrent,  ny  depuis 
en  avons  heu  nouvelles. 

Nous  suyvions  doncques,  comme  j'ay  dit,  la  route  de  la 
Coulongne;  mais  Dieu  permit  que  le  vent  se  retourna  bon  le 
sambedy  xxe  :  que  fut  cause  que  nous  reprîmes  celle  d'Angle- 
terre. En  laquelle,  continuant  tousjours  le  vent  bon  et  pros- 
père, nous  entrasmes  au  canal  d'icelle  le  mecredy  xxiv*.  Et  le 
lendemain  Ton  descouvrit  terre.  Et  l'aullre  jour  suyvant, 
qu'estoit  le  vendredy,  Ton  vint  surgir  et  encrer  à  Turbay, 
aultrement  appelle  le  Bery  *  :  ce  qu'estoit  plus  que  de  besoing, 
car  YAdmirale  n'avoit  plus  ny  chair,  ny  vin. 

Icy  Ton  se  refreschit  d'eaul  et  de  vivres,  et  commença-t-on  à 
besongner  sur  cet  advertissement  que  les  Portugais  avoient 
donné  lorsque  nous  estions  à  Bellain ,  et  de  quoy  j'ay  faict 
mention  icy  dessus.  Et  en  heult  la  principal  le  commission,  de 
la  part  du  conte,  le  seigneur  Bassompierre,  quil  se  trans- 
porta en  toutes  les  naves,  où  qu'il  proposa  ordonnences  et 


1  «  Bot  :  c'est  une  embarcation  hollandaise  ou  flamande,  fort  pleine, 
quarrée  de  l'avant,  et  pontée.  Les  chaloupes  et  autres  bâtimens  à  rame 
de  ces  nations,  qui  sont  de  cette  forme,  s'appellent  aussi  bot  ».  (Enqjclo- 
pédie  méthodique,  Marine,  1. 1,  p.  173.) 

*  Tor-Bay,  plage  en  hémicycle,  au  sud  de  la  Grande-Bretagne  :  l'un 
des  caps  qui  délimitent  cette  baie  s'appelle  Berry-Head. 


(70) 

commendemens ,  de  la  part  dudict  conte ,  qne  tous  gen- 
tilhommes,  capitaines,  patrons,  pilottes,  maronniers  et  aultres 
gens  qu'cstoient  en  toute  l'armée,  quelz  qu'ilz  fussent,  eussent 
à  inventoriser  et  donner  par  inventaire  tous  et  quantz  meubles 
qu'ilz  avoyent  en  leur  coffres,  bahuz  et  basles,  et  deans 
xxuii  heures;  que  si  se  retrouvoit  par  après  aultrement  lorsque 
l'on  en  feroit  ouverture  et  recherche,  que  tout  seroit  confisqué 
au  proffit  de  Son  Altèze;commendant  au  surplus  à  tous  capi- 
taines qu'ilz  ne  permissent  de  tirer  aulcuns  coffres  ny  désam- 
barquer  personne  sans  licence. 

Et  de  tout  comme  la  chose  passoit,  en  fut  advertie  Son  Altèze 
par  Boysot,  dois  le  Cap-Sainct- Vincent.  Et  pour  ce  que  le  tré- 
zorier  Fabio  Lambo  et  Jehan  de  Ponde,  pagador,  n'entendoîent 
ny  ne  vouloient  consentir  que  l'on  ovrisse  les  coffres  de  la  tré- 
zorerie,  le  conte  en  escripvit  à  Son  Altèze  par  Marno,  quil  fut 
dépesché  dudict  Turbay  en  terre,  pour  dois  là  prendre  la  poste 
et  appourter  les  nouvelles  à  Sadicte  Altèze  de  nostre  arrivée  en 
Angleterre.  Et  y  arriva  sy  à  propos,  que  l'on  espéroit  plus  la 
perte  de  nous  aultres  que  nostre  arrivée,  par  les  tempestes  et 
grandz  ventz  qu'avoyent  estes  en  Flandre  lors  que  nous 
voguions  :  dont  Son  Altèze  fut  bien  joyeuse  d'entendre  si 
bonnes  nouvelles. 

Toutes  ces  choses  parachevées,  l'on  fit  voille  le  dimenche 
xxviir,  et  le  dernier  jour  l'on  jecta  l'ancre  devant  Douvre.  Icy 
s'estoit  résolu  le  conte  à  Lisbonne  de  se  désambarquer  et  se 
mectre  dedans  les  yaches  pour  passer  à  Donquerque,  pour  éviter 
les  bancz,  et  de  ceste  résolution  en  avoit  adverty  Son  Altèze  par 
Verdugo  :  de  sorte  que  les  lougis  estoient  jà  faictz  de  ce  coustel 
là  et  du  coustel  de  Brughes.  Mais  cecy  fut  changé  pour  la  recher- 
che que  l'on  debvoit  faire  des  coffres,  qu'estoit  réservée  pour 
Medelebourg.  En  ce  port  de  Douvre,  nous  husmes  nouvelles 
comme  l'Ambassadeur  d'Angleterre  *  avoit  passé  pour  se  trouver 

1  «  Cet  ambassadeur  était  don  Diego  de  Guzman  de  Silva,  chanoine  de 
Tolède,  nommé  par  le  Roi  au  commencement  de  1564,  et  parti  de  Bruxelles 
pour  son  poste  vers  le  milieu  de  juin  de  la  même  année.  Il  avait  été 


(71  ) 

aux  nopces  au  nom  de  nostre  Roy.  Nous  y  séjournasmes  le  jour 
de  Tous-les-Sainctz,  et,  s'estans  toutes  les  naves  fournies  de 
pilottes  pour  éviter  les  bancz,  approuchant  la  nuict,  Ton  fit 
voille.  Et,  par  la  permission  divine,  sans  aultre  péril  aulcun, 
sur  la  nuict  du  jour  des  Ames  *,  nous  arrivasmes  au  port  tant 
désiré,  qu'estoit  Ramure  *,  près  de  Medelebourg,  et  si  à  propos 
qu'à  peine  avions-nous  jçcté  l'ancre,  qu'il  se  leva  ung  furieux 
vent  tout  entièrement  contraire,  et  de  telle  sorte  qu'il  nous 
repoulsa  à  l'isle  Vie;  mais  encoires  les  pilottes  assheuroient 
qu'il  n'y  eult  eschappé  nulle  nave,  parce  que  la  nuict  et  l'impé- 
tuosité du  vent  les  eult  fraquassées  sur  les  bancz.  Dont  nous 
devons  louer  grandement  Dieu  et  confesser  et  recongnoistre 
que,  par  sa  saincte  seule  grâce,  avons  eschappé  tant  de  perilz, 
mesme  que  YAdmirale  donna  trois  fois  sur  ung  banc  sans 
recepvoir  aulcun  inconvénient. 

Ce  soir  mesme  entra  la  Princesse  à  Medelebourg,  qu'il  estoit 
plus  de  dix  heures  de  nuict.  Mais  des  aultres  naves  ne  sortit 
personne,  parce  que  le  lendemain  se  devoit  faire  la  visite  des 
coffres.  Et  commença-t-on  à  nous  aultres  gentilhommes,  nom- 
pas  pour  opinion  que  l'on  eult  de  trouver  en  nos  coffres  ce  que 
l'on  cherchoit,  ains  pour  servir  d'exemple,  afin  que  personne 
ne  fusse  exempte.  Aussi  é  toit-ce  le  vouloir  de  Son  Altèze,  selon 
les  lettres  qu'elle  escripvoit  au  conte  par  Boysot,  qu'estoit 
arrivé  trois  jours  seulement  devant  Marno,  ne  voulant  que  per- 
sonne en  fût  exclus,  nompas  les  coffres  de  sa  trézorerie;  mais 
bien  commendoit-elle  expressément  qu'aulx  coffres  de  la  Prin- 
cesse sa  fille  Ton  n'y  vult  atoucher,  encoires  que  ce  fusse  pour 


chargé  par  Philippe  II  d'assister  en  son  nom  aux  noces  du  prince  de 
Parme  à  Bruxelles.  Les  notes  prises  par  l'ambassadeur  lui  servirent  à 
composer  une  Relation  de  l'état  des  affaires  de  Flandre,  envoyée  par  lui, 
avec  une  lettre  du  24  novembre  1565,  à  Ruy  Gomez,  prince  d'Eboli  :  Cor- 
respondance de  Philippe  //,  1. 1,  pp.  336,  337  ».  (Poullet,  Correspondance 
de  Granvelle,  1. 1,  pp.  48  et  45.) 

1  Le  2  novembre,  jour  consacré  à  la  commémoration  des  trépassés. 

*  C'est-à-dire  Armuyden,  petit  port  maritime,  situé  sur  le  flanc  oriental 
de  l'Ile  de  Walcheren  et  relié  à  Middelbourg  par  un  canal. 


(72) 

trouver  ung  million  d'or,  ny  en  coffres  d'au  1  très  personnes  de 
ses  domesticques  pour  qui  elle  poieroit:  qu'a  esté  le  chemin,  à 
ce  que  disent  ceulx  quilz  faisoyent  la  recherche,  pour  estouper 
la  source  du  meilleur  butin,  parce  qu'y  se  sont  trouvez  des 
coffres  de  ce  coustel  là  que  vingt  personnes  ne  pouvoyent  lever. 
En  lin,  j'entends  quoi  natus  est  ridiculus  mus.  Au  moins  l'on 
n'a  pas  trouvé  xx  mil  escus,  quilz  estoient  encoires  la  plus  part 
ambarqués  avec  congé. 

L'on  séjourna  à  Medelebourg  jusques  au  jeudy  vme,  où  que 
vint,  de  la  part  de  Son  Àltèze,  le  conte  de  Saint-Cegon  *. 
Depuis  vindrent  monsieur  de  Montegny  et  le  conte  de  Orne. 
Et,  ayant  le  mccredy  faict  ses  Pasques  2  la  Princesse,  le  jeudy» 
au  bon  matin,  l'on  s'ambarqua,  et  arriva-t-on  à  Saxe  sur  les 
unze  heures.  Et  là  trouvâmes  le  conte  d'Aiguemont,  qui  l'aten- 
doit  sur  les  digues  avec  plusieurs  gentilhommes  :  les  princi- 
paulx  desquelx  estoient  monsieur  de  Norcarme  3,  le  viceconte 
de  Gand  *  et  La  Troullière  5.  D'aultre  coustel  estoit  le  prince 
de  Parme,  ayant  avec  lui  le  prince  d'Orenge  et  le  marquis  de 
Berghues,  tous  trois  habillés  d'une  mesme  parure  de  ses  cou- 
leurs, fort  richement,  et  estoient  incarnatte,  blanche  et  grihe. 
Et  estoit  luy  xx*  de  gentilhommes,  habillés  des  mesmes  cou- 
leurs, quilz  estoient  venus  par  la  poste.  Hz  se  mussoient  pour 
n'estre  aperçeus,  car  il  désiroit  veoir  désambarqucr  la  Prin- 
cesse sans  qu'elle  le  visse.  Mais  il  ne  sçeut,  car  la  mer  n'estant 
encoires  assez  haulte,  la  nave  ne  pouvoit  arriver  au  bort,  et  fut 
quasi  une  heure  avant  qu'elle  descendisse  en  terre.  Néant- 
moings  depuis  il  se  cacha  dans  une  maison  et  la  vit  passer. 
Elle  estoit  richement  habillée  d'une  robe  à  l'Espagnolle  de  drap 

1  Gentilhomme  italien  de  l'entourage  du  duc  de  Parme. 

*  C'est-à-dire  ayant  communié. 

3  Philippe  de  Sainte-Àldegonde,  chevalier,  seigneur  de  Noircarmes, 
bailli  et  capitaine  de  Saint-Omer,  devenu  plus  tard  l'un  des  auxiliaires 
de  la  répression  accomplie  par  le  duc  d'Àlbe. 

1  Maximilien  de  Melun,  chevalier,  vicomte  de  Gand,  capitaine  de  la 
ville  et  citadelle  d'Arras. 

5  Louis  de  La  Trouillière,  gentilhomme  de  la  bouche  du  roi  d'Espagne. 


(73) 

d'or  incarnat.  Et  comme  elle  fut  entrée  en  sa  chambre  avec  le 
conte  <f  Àiguemont  et  toute  sa  suitte,  le  Prince  y  arriva  avec  la 
sienne,  qu'il  faisoit  certainement  beau  veoir.  Il  entra  le  dernier 
de  tous.  Et  comme  la  Princesse  l'aperçeut,  qu'estoit  au  coing 
de  la  cheminée,  elle  s'advança  d'ung  pas  ou  deux,  et  avec  une 
humble  révérence  le  reçeut,  lors  que  le  Prince  tâchoit  à  luy 
baiser  les  mains.  Le  Prince  fit  sa  harangue  assez  courte;  et  ce 
pendant  la  Princesse  n'esguaroit  aultrepart  la  veue  que  sur  luy, 
comme  princesse  la  moins  estonnée  et  la  plus  assheurée  que 
Ton  sauroit  veoir.  Il  salua  après  la  contesse  de  Mansfeltz  ;  et 
luy  ayant  baisé  les  mains  toutes  les  dames  et  les  Portugais,  au 
moings  les  principaulx  (car  nous  aultres  avions  jà  faict  nostre 
debvoir  et  fûmes  fort  bien  reçeu),  parla  derechief  pour  la 
seconde  foys  k  la  Princesse  :  de  laquelle  prenant  congé,  s'alla 
mectre  à  table  en  une  aultre  maison  avec  tous  ces  seigneurs. 
Et  puis  se  partit  avec  les  siens,  sans  plus  veoir  la  Princesse  *, 
par  la  poste,  laissant  le  conte  d'Aiguemont  pour  la  conduire  à 
Gand,  lequel  l'avoit  opulamment  traicté  et  reçeu  audict  Saxe 
aux  despens  de  la  ville  de  Gand.  Le  dîner  parachevé,  Ton 
s'ambarqua  sur  les  basteaulx  que  les  Gantois  avoient  admenés  et 
fort  bien  tapissés;  mais  il  fut  bien  dix  heures  de  nuict  quant 
l'on  arriva.  Le  vendredy  l'on  séjourna  audict  Gand,  et  le  sam- 


4  M.  de  Home  l'alla  recevoir  à  Middelbourg  comme  admirai,  et 
M.  d'Egmont,  accompaigné  du  marquis  de  Berghes  et  aucuns  aultres 
seigneurs,  et  Gand,  comme  gouverneur  de  Flandres.  Et  deux  ou  trois 
jours  après  se  partit  d'icy  ledict  prince  de  Parme,  accompaigné  du  prince 
d'Oranges  et  environ  xxv  autres  gentilzhommes,  entre  lesquelz  estoit 
Zveveghem,  tous  habillez  d'une  sorte,  à  scavoir  :  les  chaulées  et  savon 
de  veleoir  cramoisi,  et  le  manteau  d'escarlate  passementé  tout  d'argent; 
et  alla  au  devant  de  la  dicte  Princesse  jusques  sur  le  nouveau  port  près 
de  Gand,  où  que,  le  même  jour  qu'il  y  arriva,  vint  aussi  la  dicte  Prin- 
cesse, et  après  l'avoir  saluée  et  déclaré  le  désir  que  le  Duc  et  la  Duchesse 
avoient  de  la  veoir  et  plesir  qu'ilz  avoient  de  son  arrivée,  s'en  alla  dis- 
ner,  délaissant  la  dicte  dame  en  son  quartier;  et  après  disné  se  partit  et 
retourna  icy  ».  (Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  4  décembre 
4565  :  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  1. 1,  pp.  32  et  33.) 


(  74) 

bedy  Ton  vînt  coucher  à  Terremonde.  Icy  perdit  la  Princesse 
ung  diament  estimé  à  cinq  mil  ducas. 

Le  dimenche,  Ton  arriva  sur  la  nuict  à  Bruxelles,  et  ren- 
contra-t-on,  à  demye  lieue  hors  de  la  porte,  le  Duc,  le  Prince 
son  fi  Iz  et  tous  les  aultres  seigneurs,  lesquelx  la  receurent  et  la 
firent  démonter  de  la  lictière  où  qu'elle  estoit  pour  la  mectre 
dedans  le  beau  couche  quil  pour  cest  effect  avoit  esté  faict  t. 
Et  fut  avec  elle  la  contesse  et  sa  fille,  et  dedans  ung  aultre  coche 
les  aultres  damoiselles  principalles.  Aux  portes,  Ton  trouva 
l'Amant  *  avec  les  seigneurs  de  la  ville,  quilz  firent  le  compli- 
ment qu'ilz  ont  à  telles  gens  pour  coustume  de  faire,  avec 
grand  nombre  de  torches,  que  pourtoient  leur  bourgeois,  et 
tonneaulx  ardants  par  les  rues  qu'elle  passoit.  Et  n'y  eult 
aultre  chose  jusques  au  palais ,  où  que  l'entrée  se  fit  par  la 
grand'  salle,  parce  que  dedans  la  chappelle  estoit  l'évesque  de 
Cambray  3,  en  pontificqual  revestu,  quil  les  attendoit  pour 


1  Et  elle  vint le  jour  de  Sl-Martin  en  ceste  ville  (Bruxelles).  La 

réception  fut  :  premièrement,  Ton  luy  envoya  jusques  en  la  maison  de 
l'Amman,  hors  de  la  porte  de  Flandres,  ung  fort  beau  et  riche  coche  tout 
entièrement  doré  et  couvert  par  dehors  de  toi  lie  d'or  et  dedans  d'argent, 
trayné  par  quatre  jumens  pies  caparassonéez  de  mesmes.  Environ  les 
trois  heures,  le  duc  de  Parme,  accompagné  de  tous  ces  seigneurs,  alla  la 
recevoir  en  la  dicte  maison  ».  (Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles, 
4  décembre  1565  :  Ibid.) 

1  L'Amman,  chef  de  la  municipalité  de  Bruxelles,  était  sire  Jean  de 
Locquenghien,  chevalier,  seigneur  de  Coekelberghe,  qui  occupait  ce 
poste  depuis  1554.  (Poullet,  Correspondance  de  Granvelle,  t.  1,  p.  42, 
note  2.) 

3  Maximilien  de  Berghes,  deuxième  fils  d'un  bâtard  de  la  maison  de 
Glyme-Berghes,  «  fut  appelé  à  l'évêché  de  Cambrai,  le  10  septembre 
1556,  par  le  chapitre  cathédral  de  cette  ville,  grâce  à  l'influence  toute 
puissante  du  cardinal  de  Granvelle  ».  (Alph.  Le  Roy,  article  Maximilien 
de  Berghes,  dans  la  Biographie  nationale  de  Belgique,  t.  II,  col.  218-221.) 
Lors  de  la  réorganisation  ecclésiastique  des  Pays-Bas.  en  vertu  d'une 
bulle  du  12  mai  1559,  sollicitée  par  le  roi  Philippe  II,  Cambrai  devint  un 
archevêché,  et  Maximilien  de  Berghes  prit  la  qualité  d'archevêque,  bien 
qu'elle  lui  fût  contestée  par  l'archevêque  de  Reims,  ancien  métropolitain 
de  Cambrai.  Cette  contestation  expliquerait  peut-être  la  qualité  d'évêque 
donnée  à  Maximilien  de  Berghes  dans  la  relation  de  Pierre  Bordey. 


(75) 

espouser,  et  Son  Altèze  à  rentrée  de  la  porte  pour  les  recep- 
voir  1  :  ce  que  se  paracheva  incontinent  qu'îlz  furent  entrés.  Et 
depuis  Son  Altèze  Ta  conduit  elle-mesme  en  sa  chambre,  qu'est 
celle  où  Paulo  Vitellio  2  lougeoit.  Le  soupper  se  fit  en  la  grande 
gallerie,  et  estoient  environ  xxvn  à  table  :  le  Prince  et  la  Prin- 
cesse soubz  le  poisle,  et  Son  Altèze  et  l'Ambassadeur  3  à 
Topposite. 

Ce  soir  ilz  ne  consommarent  point  le  mariage,  ains  fut  remis 
au  lendemain.  Et  n'atendit  le  Prince  le  soir,  la  faisant  de  fille 
femme  l'après  dîner  4.  Toute  ceste  sepmaine,  jusques  à  l'aultre 
dimenche  que  fat  hier,  Ton  tint  tousjours  salle;  mais  c'estoit 
en  la  chambre  du  Prince.  Et  cependant  s'accreust  la  court  de 
toute  la  noblesse  de  ce  pays,  n'estant  des  seigneurs  aulcuns 
demeurés  derrière,  sinon  le  conte  d'Obrande  5  ;  néantmoings 
son  fils  y  est. 


1  «  Et  ainsi  arriva  en  nuict,  environ  les  sept  heures  du  soir,  où  que 
Son  Altèze  l'actendoit  en  la  grande  sale,  accompaignée  du  Prince  son  filz 
et  des  sieurs  d'Aremberghe,  Berlaymont,  Achicourt,  Hierges  et  aultres. 
Et  incontinent  après  s'être  entresaluez,  la  dicte  Princesse  fut  menée  en 
la  chappelle,  où  elle  fut  espousée  au  dict  Prince  par  l'archevesque  de  Cam- 
bray.  Et  ce  fait,  alla  toute  la  compaignie  souper  en  la  grande  galerie  ». 
(Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  4  décembre  1565  :  Ibid.) 

*  Paolo  Vitelli,  gentilhomme  italien  qui  avait  la  confiance  du  duc  de 
Parme  et  que  ce  prince  faisait  résider  souvent  auprès  de  la  gouvernante, 
sa  femme,  à  Bruxelles. 

*  J'oblioye  presque  que  l'Ambassadeur  d'Angleterre  a  esté  partout  le 
premier  après  Son  Altèze,  comme  tenant  le  lieu  du  Roy;  et,  à  ce  qu'on 
m'a  dit,  il  a  treuvé  estrange  toutes  ces  sumptuositez  et  braveries  ». 
{Bave  au  cardinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  4  décembre  1565  :  Ibid.) 

4  «  Et  ayans  soupe,  après  quelque  peu  de  dances,  chascun  se  retira, 
sans  que  la  dicte  Princesse  voulut  pour  ce  soir  coucher  avec  le  dict 
Prince,  s'excusant  non  le  pouvoir  faire  avant  avoir  ouy  messe,  qu'elle 
oyt  le  lendemain.  Et  l'après  disné,  ainsi  que  les  dances  estoient  com- 
mencées, l'on  treuva  moyen  de  joindre  les  deux  parties  en  une  chambre 
où  ilz  furent  encloz  deux  ou  trois  heures;  et,  au  sortir,  le  Prince  dit  avoir 
couru  bravement  trois  bonnes  carrières  ».  {Bave  au  cardinal  de  Gran- 
velle, Bruxelles,  4  décembre  1565  :  Ibid.) 

*  Serait-ce  une  altération  du  nom  italien  Aldobrandino?  Un  gentil- 


(  76  ) 

Hier  se  fit  le  grand  festin  en  la  grande  salle  du  palais,  que 
l'on  avoil  faict  racoustrer.  Et  estoit  la  table  des  princes,  prin- 
cesses et  seigneurs  de  cinquante-cinq  personnes  ;  et  la  seconde 
table,  en  la  mesme  salle,  de  plus  de  cent  et  trente,  et  en  ceste 
icy  estoient  nonante  et  quatre,  que  dames  que  damoiselles  *. 
Soubz  le  poisle  estoient  assis  Son  Altèze,  la  Princesse  sa  fille, 
le  Prince  et  l'Ambassadeur.  Trois  sumptueux  buffetz  estoient 
dressez  en  la  salle.  Et  servovent  les  trois  maislres  d'hostelz 
quilz  précédoient  la  viande,  accompagnés  de  six  trompettes 
habillés  en  satin  cramoysy  et  ung  altabarre  *,  quilz  les  aocom- 
pagnoyent  à  chascun  meetz. 

Fini  le  soupper,  quil  fut  superabondant  en  toutes  choses,  le 
bal  commença.  Et  cependant  le  prince  d'Orange  s'alla  habiller, 
quil  entra  avec  ung  escadrille  de  seize  amazones,  desquelles  le 
prince  de  Parme  en  estoit  Tune,  et  parachevoient  le  nombre 
aultres  seigneurs  et  gentilhommes.  Aussi  fit  le  semblable  le 
conte  d'Aiguemont,  qui  entra  avec  seize  saulvages,  entre 
lesquelx  estoit  le  duc  d'Arschot  3  :  jfo  estoient  tous  armés,  et 
n'eurent  si  tost  faict  leur  entrée,  qu'ilz  commençarent  leur 


homme  de  la  cour  de  Parme,  Pictro  Aldobrandino,  écrivit  de  Bruxelles, 
le  14  septembre  1567,  une  lettre  qui  contient  des  détails  circonstancié? 
sur  l'arrestation  des  comtes  d'Egmont  et  de  Hornes. 

1  «  Le  dimence  ensuivant  fut  fait  le  festin  honnourable  desdictes 
noepees  en  la  grand1  salle  de  la  court,  laquelle  estoit  ricement  tapissée 
de  la  tapisserie  servant  au  mistere  de  la  célébration  du  chapitre  général 
de  la  Thoison  d'or,  laquelle  tapisserie  contient  l'histoire  de  Gédéon....: 
et  est  la  plus  belle  salle  que  je  verés  jamais,  car  elle  contient  180  pieds 
de  long  et  60  pieds  de  large  ».  (Pasquier  de  le  Barre,  1. 1,  p.  17.) 

*  Le  tabar  était  une  sorte  de  dalmatique  armoriée,  que  portaient  les 
hérauts  d'armes  dans  les  cérémonies. 

*  Philippe  de  Croy,  duc  d'Arschot,  prince  de  Chimay,  chevalier  de  la 
Toison  d'or,  capitaine  d'une  bande  d'ordonnance.  Par  lettres  patentes 
données  au  Bois  de  Ségovie  le  17  octobre  1565,  il  venait  d'être  nommé 
membre  du  Conseil  d'État  de  la  gouvernante,  promotion  qui  accompa- 
gnait les  nouveaux  ordres  de  rigueur  édictés  par  Philippe  II.  Le  doc 
d'Arschot,  en  relations  intimes  avec  le  cardinal  Granvelle,  était  pourtant 
un  modéré. 


i 


(77) 

combat  qui  passa  fort  bien,  combattant  les  amazones  contre 
les saulvages ;  lequel  fini,  ilz se  retirarent incontinent*.  Et  peu 
après  rentra  le  Prince,  qui,  après  avoir  dancé  une  dance  ou 
deux,  se  retira  Son  Altèze,  et  conduit  la  compagnie  au  bancquet 
des  succrades  que  la  ville  d'Anvers  avoit  faict  présent,  estimé  à 
plus  de  trois  mil  florins.  Et  y  en  avoit  deux  :  l'ung  dressé  en  la 
salle  devant  l'oratoire,  et  cestuy  estoit  succre  pour  manger  la 
plus  part  ;  l'aultre  estoit  en  hault,  en  la  salle  devant  la  chambre 
du  Prince,  et  cestuy  estoit  bien  l'ung  des  plus  magnificques  que 
l'on  sauroit  imaginer.  Là  se  véoit  une  ville  qui  représentoit 
Lisbonne,  puis  l'adieu  et  l'embarquement,  les  naves,  la 
descente  à  Medelebourg,  le  recueil  faict  en  Saxe,  derechief 
l'ambarquement  pour  venir  à  Gand,  la  réception  faicte  par  les 
Gantois,  le  parlement  de  Gand  en  lictière,  l'entrée  de  Bruxelles 

4  «  Après  soupe  y  eut  dances,  et  après  ung  tornoy  fort  bien  combattu, 
et  ung  masque  que  feit  la  femme  du  conseiller  Assonleville  avec  sa  sœur 
et  la  fille  de  l'avocat  fiscal.  Dieu  sçait  comme  Ton  en  a  parlé  !  Ce  sont  des 
sages  invencions  du  chancellier.  Elles  présentèrent  ung  coniz  (lapin) 
à  la  Princesse  et  ung  oiselet  à  la  Duchesse  ».  (Bave  au  cardinal  de 
Granvelle,  Bruxelles,  4  décembre  1565  :  Ibid.)  — «  Le  dict  festin  achevé, 
Ton  alla  en  hault  où  que  fut  dressé  le  bancquet  de  sucre,  dont  ceulx  d'An- 
vers avoient  fait  présent,  qu'estoit  fort  riche.  Et  lors  M.  d'Egmond  dit 
qu'il  avoit  fait  au  dict  tornoy  ses  dernières  armes,  et  porté  la  dernière  fois 
dorures,  et  que  doresenavant  il  se  veult  tenir  comme  qui  va  sur  eaige  et 
a  beaucop  d'enffans;  et  aussi  ne  sera-y  de  la  jouste  qui  se  doit  faire  le 
second  de  décembre,  laquelle  sera  sur  le  grand  marché  ».  {Bave  au  car- 
dinal  de  Granvelle,  Bruxelles,  4  décembre  1565  :  Ibid.)  —  Cette  contribu- 
tion de  la  ville  d'Anvers  au  grand  festin  de  Bruxelles  a  occasionné  une 
méprise  historique  :  Motley  raconte  en  effet,  d'après  Meteren,  que  «  la 
grande  métropole  commerciale  avait  célébré  l'événement  par  un  banquet 
magnifique  »,  dont  le  principal  ornement  était  «  une  magnifique  pièce 
de  pâtisserie,  image  fidèle  de  l'expédition  du  comte  de  Mansfeld  à  son 
arrivée  en  Portugal,  avec  la  flotte  destinée  à  ramener  la  fiancée;  des 
figures  en  sucre  d'un  travail  exquis  —  des  portraits,  faut-il  croire,  — 
représentaient  les  personnages  principaux,  dans  le  costume  qu'ils  por- 
taient aux  scènes  les  plus  frappantes  de  cet  épisode  ».  (Motley,  Révolu- 
tion des  Pays-Bas,  traduit  de  l'anglais  par  Gustave  Jottrand  et  Albert 
Lacroix,  1861,  t.  II,  p.  6.) 


(  78) 

avec  le  coche,  le  palais  et  les  cérimonies  des  espousailles,  le 
tout  si  bien  faict  qu'il  donnoit  grand  estonnement  aux  regar- 
dans. 

J'avois  oblié  de  dire  que,  fini  le  combat  des  amazones  contre 
les  sttitaagp&,  L'on  publia  les  joustes  quilz  se  feront  deans  xuu 
josnr  sur  le  mnefer  de  faivitte. 

Voilà,  Monseigneur,  tout  le  suceès  qu'il  n'a  mmkià  k  Sa 
Seigneurie  Illustrissime  escripre,  afin  qu'estant  de  loystr,  lèse 
faisant  lire,  elle  congnoisse  et  entende  comme  les  choses  sont 
passées,  la  suppliant  bien  humblement  de  prendre  le  tout  de 
bonne  part.  Et  ce  pendant,  luy  ayant  baisé  avec  toute  humi- 
lité les  mains,  je  prieray  le  Créateur  qu'il  luy  doint  en  santé 
très  bonne  et  longue  vie,  en  toute  prospérité. 

De  Bruxelles,  ce  xixe  de  novembre  1565. 

De  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

PlERRE   BORDEY. 


XI.  —  Propos  tenus  par  Pierre  Bordey,  durant  la  seconde 
navigation  de  l'ambassade,  à  l'effet  de  réfuter  les  calomnies 
semées  contre  le  cardinal  de  Granvelle  par  les  ennemis  de 
cet  homme  d'État. 

Pierre  Bordey  au  cardinal  de  Granvelle. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XXI,  fo).  90-î>i.) 

Bruxelles,  19  novembre  1565. 

Monseigneur,  par  le  discours  que  j'envoye  à  Sa  Seigneurie 
Illustrissime  tant  de  l'allée  que  du  retour  de  nostre  voyage  de 
Portugal,  elle  pourra  congnoistre,  sur  la  fin  d'icelluy,  le  temps 
et  le  jour  qu'avons  faict  nostre  entrée  en  ceste  ville  de  Bruxelles, 


(79) 

tous,  Dieu  grâce,  en  bonne  santé,  ormis  la  perte  de  cinq  per- 
sonnes, trois  mortz  par  maladie  et  lesdeux  au  1  très  par  naufrage. 
Quant  à  moy,  Dieu  mercy,  je  me  suis  tousjours  bien  porté  sur 
la  mer,  et  mieulx  que  sur  terre,  sans  que  jamais  aulcunement 
j'ay  resentu  ce  qu'à  tous  nouveaulx  maronniers  eschappe  peu. 
Et,  bien  que  la  fortune  en  ce  poinct  s'est  montré  à  moy  pi  us  qu'à 
aultre  favorable,  néantmoings  ne  m'a-t-elle  rendu  ce  voyage 
par  tout  heureux  ;  car,  oultre  la  perte  de  ma  bourse  à  Lisbonne, 
au  désambarquemenl  à  Medelebourg,  je  trouva  deux  douzennes 
de  vases  de  pourcelannes  tous  fracassés  et  rompus,  sans  que 
desdictes  pièces  il  en  demeura  une  seule  entière  :  ce  que  je 
resenty  griefvement  et  plus  que  nulle  autre  chose,  parce  que 
mon  intention  estoit  d'en  faire  présent,  au  moings  de  la  plus 
part,  comme  dexvm  qu'estoient  des  plus  belles  et  fort  fines,  à 
Sadicte  Seigneurie  Illustrissime,  et  pour  cest  effect  les  avois-je 
appourté,  suppliant  très  humblement  que  ce  mien  désastre 
n'empesche  que  ma  bonne  volunté  ne  tienne  lieu ,  puisque  je 
n'y  ay  coulpe  et  que  je  l'ay  resentu  et  resent  encoires  bien  fort. 
Plus  que  je  n'espérois  à  mon  partement,  j'ay  passé  avec  con- 
tentement ce  voyage  avec  monsieur  de  Mansfelt  et  les  siens, 
car  le  conte  ne  m'a  jamais  veu  de  fois,  ny  en  terre  ny  en  mer, 
qui  ne  m'a  demandé  particulièrement  comme  je  me  pourtois  : 
aussi  a  faict  tousjours  madame  la  contesse  sa  femme.  Quant  au 
conte  Charles  son  filz,  il  m'a  faict  de  l'honneur  tant,  que  je  ne 
me  saurais  mescontenter  de  luy,  jusques  à  m'escripre  lettres 
dois  sa  nave  à  la  nostre,  par  un  gentilhomme,  au  temps  qu'il 
faisoit  calme,  et  me  prioit  de  l'aller  voir  :  ce  que  je  fis,  où  que 
je  fuz  reçeu,  et  me  traicta  comme  sa  personne  propre.  Et 
comme  je  y  eus  demeuré  deux  jours  par  grande  instance  et  que 
je  m'en  pensoys  retourner,  le  vent  se  leva  de  telle  sorte  que  je 
fus  contraint  d'y  demeurer  quinze  jours,  et  n'en  sortis  jusques 
à  ce  que  l'on  encra  en  Angleterre,  et  y  estois  du  temps  de  la 
grand'  tempeste.  Durant  ce  temps,  ce  ne  fut  sans  quelquesfois 
parler  et  de  Sa  Seigneurie  Illustrissime  et  de  Renard  *,  non 

1  Simon  Renard,  ancien  protégé  de  Granvelle,  devenu,  sous  les  aus 


(80) 

pas  que  j'en  encommensasse  le  propos;  mais  il  venoit  de  soy 
mesmes  à  m'en  toucher  :  dont  j'eusse  bien  voulu  qu'il  s'en 
fusse  déporté,  congnoissant  l'humeur  de  l'homme  f,  et  que 
moy  je  ne  soffrirois  chose  quil  toucheroit  à  l'honneur  de 
Sadicte  Seigneurie  Illustrissime.  Toutesfois,  il  s'y  comporta 
assez  modestement,  n'assheurant  rien  de  soy  mesmes,  sinon 
que  l'on  disoit  telles  et  telles  choses. 

A  ce  qui  me  parloit  du  gouvernement  domesticque  que  Ton 
disoit  estre  scandaleux,  je  luy  respondis  que  ceulx  quilz 
semoient  telles  choses  estoient  meschans  et  malheureux  mesdi- 
sans,  et  que  je  m'esbahyssois  comme  l'on  adjoustoit  foy  à  telles 
choses  qu'estoient  mensongières,  car  il  y  avoit  douze  ans  que 
j'estoye  domesticque  de  la  maison  de  Sadicte  Seigneurie,  et 
qu'en  tout  ce  temps  je  ne  m'estois  oncques  aperçeu  d'aulcune 
chose  pour  y  prendre  seulement  opinion  tant  petite  qu'elle 
fût  :  et  que  estre  vray  je  le  maintiendrais.  Et  sur  l'ambition  qu'il 
mectoit  en  avant,  je  fis  responce  que  la  poursuitte  que  Sadicte 
Seigneurie  avoit  faict,  après  le  parlement  de  l'Empereur,  pour 
estre  désenveloppé  des  négoces  et  obtenir  son  congé  de  se 
retirer,  démentoit  ces  rapourteurs  :  oultre  qu'il  estoit  notoire 
assez  que  n'ayant  sçou  obtenir  son  congé,  Sadicte  Seigneurie  fit 
envers  le  Roy  que  le  prince  *  et  le  conte  d'Aiguemont  fussent 

pices  de  cet  homme  d'État,  ambassadeur  de  Charles -Quint  et  de 
Philippe  II,  puis  allié  aux  seigneurs  des  Pays-Bas  contre  le  cardinal. 

*  Charles  de  Mansfeld  était  alors  engagé  dans  la  ligue  qui  devait  avoir 
pour  conséquences  la  Jacquerie  des  Gueux  et  la  Terreur  répressive 
exercée  par  le  duc  d'Albe.  A  son  retour  de  Portugal,  il  fut  l'un  des  pre- 
miers signataires  du  Compromis  des  nobles,  mais  il  ne  tarda  pas  à  aban 
donner  ce  parti.  «  Le  19  juin  1566,  il  écrivit  à  Thomas  Armenteros, 
secrétaire  particulier  de  la  duchesse  de  Parme,  qu'il  était  entré  dans  la 
confédération  a  l'instigation  du  seigneur  de  Brederode,  son  oncle,  et  sans 
prévoir  les  événements  qui  devaient  survenir;  désirant  vivre  et  mourir 
en  remplissant  ses  devoirs  envers  le  Roi,  il  s'était  séparé  des  confédérés 
dont  les  actes  ne  correspondaient  plus  avec  ce  qui  avait  été  dit  lorsque 
la  confédération  avait  été  formée  ».  (J.-B.  Blaes,  Mémoires  anonymes  sttr 
les  Troubles  des  Pays-Bas,  1. 1,  p.  18,  note  1.  —Cf.  Gachaed,  Correspon 
dance  de  Philippe  //,  1. 1,  p.  421 .) 

1  Le  prince  d'Orange. 


(  81  ) 

du  Conseil  d'Estat,  ce  que  du  temps  de  l'Empereur  n'avoit 
jamais  esté;  que  si  son  but  fût  esté  l'ambition,  il  n'eult  pour- 
chassé telz  seigneurs  pour  consors.  Et  quant  à  la  malveullance 
que  les  seigneurs  assheuroient,  au  moins  aulcuns,  que  Sadicte 
Seigneurie  leur  pourteroit,  tant  s'en  fault-il  qu'il  fut  vray  :  que 
f  assheura  que  j'avois  lettres  que  Sadicte  Seigneurie  m'avoit 
escript  dois  Bourgoingne,  par  lesquelles  elle  m'admonestoitet 
commendoit  de  me  conduire  et  gouverner  à  lendroict  d'eulx 
avec  tout  respect  et  service,  et  que  si  elle  entendoit  que  autre- 
ment je  m'y  conduisisse,  qu'elle  me  désavouerait  et  ne  me 
tiendrait  jamais  pour  estre  de  sa  maison,  adjongnant  en  ces 
.  lettres  ces  propres  mots,  disois-je  :  «  car  je  leur  suis  serviteur, 
et  leur  feray  plaisir  et  service  où  que  je  pourray,  encoires  qu'ilz 
ne  veullent,  et  rendray  le  bien  pour  le  mal  ».  J'ay,  disois-je 
audict  conte  en  la  présence  de  Bassompierre,  ces  lettres  escriptes 
de  sa  propre  main,  que  n'est  pas  tesmonnage  pour  adjouster 
foy  à  ung  tas  de  rapourteurs,  ny  à  Renard  :  que  quil  considérera 
l'obligation  qu'il  a  à  l'endroit  de  la  maison  de  Grandvelle  et  la 
pèsera  au  contrepoix  de  ce  qu'il  faict,  l'on  s'esbahyra  plus  tost 
de  sa  meschansteté  que  de  croire  à  ces  faulx  rapors,  lesquelx  à 
la  fin  l'on  trouvera  telz  à  sa  grand'honte.  Geste  mienne  res- 
ponse  rendit  et  l'ung  et  l'aultre  sy  muetz  qu'ilz  ne  sçavoient 
que  me  respondre,  et  en  tout  je  m'y  conduis  de  telle  sorte  que 
le  prindrent  de  bonne  part. 

Et  à  Bassompierre,  venant  en  nostre  basteau  depuis,  pour  le 
respect  du  bon  recueil  qu'il  m'avoit  faict  en  celluy  du  conte 
Charles,  je  me  travailla  à  luy  faire  le  semblable,  jusqucs  à  me 
découcher  de  mon  lict  pour  l'y  faire  coucher. 

En  fin,  Dieu  mercy,  j'en  suis  sorty  mieulx  que  je  n'espérais 
au  commencement  de  nostre  voyage  :  j'espère  que  ce  que  j'en 
ay  faict  Sa  Seigneurie  Illustrissime'  le  prendra  de  bonne  part. 

Le  conte  d'Àiguemont,  lorsqu'il  reçeut  la  princesse  en  Sasse, 
me  fit  aussi  bon  visaige  et  bon  recueil  ;  aussi  a  faict  aucune- 
ment Son  Altèze. 

Il  semble  qu'il  y  ayt  quelque  picque  entre  la  princesse 
d'Orange  et  la  contesse  d'Aiguemont.  Et,  à  mon  jugement, 
TombXLI.  tf 


(82) 

Son  Altèze  faict  plus  de  faveurs  à  la  contesse  qu'à  l'aultre  : 
mesmes  que  le  jour  des  espousailles,  icelle  alloit  seule  après 
Son  Altèze  et  l'aultre  la  suyvoit,  et  aux  deux  bancquetz  fut 
assise  la  première.  Et  entre  les  filles  et  seurs  du  prince  se  don- 
naient quelque  attacque  du  bec,  hier  au  soir,  pour  la  précé- 
dence,  à  ce  que  Ton  m'a  dict;  et  m'assheure  bien  que  telles 
choses  suffiroient  pour  mectre  picque  entre  les  marys,  si  le 
prince  avoit  bonne  intelligence  avec  sa  femme  '.  Néantmoings 
il  semble  jà  que  aulcuns  en  parlent  * 

1  Anne  de  Saxe,  seconde  femme  du  prince  d'Orange,  avait  des  mœurs 
légères  qui  fréquemment  troublèrent  la  placidité  de  son  taciturne  époux. 

9  Les  susceptiblités  qui  se  produisirent  alors  à  la  cour  de  Bruxelles,  au 
sujet  des  rivalités  de  préséance,  sont  ainsi  dépeintes  dans  une  dépêche 
de  Pero  Lopez  au  cardinal  de  Granvelle  (Bruxelles,  4  décembre  4565}  : 
c<  Luego  que  llego  la  princesa  de  Parma,  Madama  hizo  aposentar  en 
palacio  no  se  quantos  dias  â  la  de  Mansfelt,  y  hazia  le  tanta  honra  corao 
si  fuera  su  ygual  ni  mas  ni  menos,  tanto  que  salio  dos  vezes  â  corner  y 
çenar  fuera,  y  siempre  la  acompafiaron  el  duque  de  Parma  y  suo  hijo 
hasta  donde  yva  â  çenar,  que  fue  una  vez  en  casa  d'Egmont  y  la  otra  en 
su  casa  propia,  de  mas  desto  todos  los  gentiles  ombres  de  Madama  era 
menester  la  acompanasen,  y  yva  siempre  en  el  coche  de  Madama,  cosa 
que  le  yva  bien  al  gusto  segun  es  ambiçiosa  ;  succedio  luego  el  banqueté 
que  Madama  hizo  en  la  gran'  sala,  en  donde  se  hallaron  la  de  Oranje  y  de 
Egmont,  y  al  assentar  se  â  la  mesa,  como  se  assentasen  primera  estas  dos 
senoras,  se  agravio  de  tal  manera  la  de  Mansfelt  y  su  marido  de  que  â  ellos 
dos  no  los  assentasen  los  primeras  que  estuvieron  para  partir,  se  luego 
otro  dia  para  su  casa,  y  dixeron  muchas  palabras  luego  despues  de  çena  A 
los  unos  y  otros  sobrello,  de  manera  que  Madama  lo  vino  â  sentir  ;  y  por 
regalarla  y  darles  contento,  se  fue,  dos  dias  despues,  acompanada  del 
Duque  su  marido  y  de  su  hijo  â  visitarla  â  su  casa,  con  que  los  assossego 
un  poco  ».  (Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XXI, 
fol.  184  ver.w  et  185.) 


(83) 


XII.  —  Préliminaires  de  la  division  des  seigneurs;  tournoi  donne 
sur  le  grand  marché  de  Bruxelles,  à  T  occasion  du  mariage 
£  Alexandre  Farnèse  et  de  Marie  de  Portugal. 

PlKRRE  BORDEY  AU   CARDINAL   DE  GrANVELLE. 

(Bibliothèque  de  Besançon.  —  Mémoires  de  Granvelle,  t.  XXI,  fol.  307-808.) 

Bruxelles,  8  décembre  1505. 

Les  lettres  du  Roy  où  qu'il  commendoit  le  duc  d'Àrschot 
rstre  reçeu  au  Conseil  d'Estat  n'ont  donné  moings  d'esbahys- 
sement  aux  gens  que  du  mal  contentement  aux  seigneurs,  quilz 
ayant  requéru  d'y  estre  admis  Berghues  et  Norcarme,  au  lieu 
d'iceulx  voyent  estre  surroguer  ung  aultre  quil  n'a  jamais 
voulu  estre  de  leur  lignée.  Et  fit  ledict  duc  son  entrée  au  Con- 
seil mardy  passé,  ayant  quelques  jours  devant  festoyé  tous  les 
seigneurs,  lesquels  extérieurement  se  forcent  de  monstrer  en 
estre  content. 

Monsieur  de  Orne  a  demandé  son  congé,  et  monstre  de  se 
vouloir  retirer  seulement  pour  non  estre  récompensé  du  Roy 
comme  il  luy  semble  qu'il  devroit  estre  :  au  moings  ainsi  l'on 
le  publie.  Mais  aulcuns  doubtent  qu'il  n'ayt  son  congé  du  Roy 
propre.  Je  m'en  ra porte  à  ce  qui  en  est. 

Le  prince  d'Orange  requiert  aussi  d'avoir  permission  de 
s'aller  tenir  à  son  gouvernement  d'OUande,  et  la  veille  de  la 
Sainct-Andrey,  il  pria  les  Estatz  d'OUande  d'en  faire  instance 
à  son  Altèze  pour  le  bien  du  pays  qu'ainsi  il  le  fit.  Je  ne  sçay 
quelle  est  son  intention,  si  ce  n'est  que  ne  voyant  les  choses 
succéder  comme  ilz  vouldroient  bien  et  comme  ilz  aspiraient, 
de  soy  petit  à  petit  retirer  et  délaisser  au  besoing  son  Altèze 
enveloppée  de  mil  broilleries. 

Le  comte  d'Austrate,  qu'à  nostre  arrivée  de  Portugal  se  don- 
noit  tant  de  presse  pour  partyr  pour  Allemagne,  et  qu'il  sem- 


(84  ) 

bloit  qu'il  ne  pouvoit  demeurer,  sans  trop  arrester,  au  grand 
bancquet  que  se  fit  il  y  a  xv  jours,  est  encoires  pour  aujour- 
d'hui en  ceste  ville. 

Si  le  conte  d'Aramberghue,  qui  est  fort  malade  à  Mali  nés 
de  sa  fiebvre  quarte,  et  le  conte  d'Ovrande  *  fussent  esté 
en  ceste  ville  le  jour  de  la  Sainct-Andrey  *,  tous  les  chevaliers 
de  l'Ordre  du  pays  ilz  fussent  estez;  car  ilz  se  trouvaient  audict 
jour  treize  en  nombre  3.  Et  donna  le  duc  de  Parme  en  la 
gallerie  le  dîner,  comme  le  plus  ancien  de  tous  ceulx  quilz 
estoient  là 

Ces  jours  passez,  le  conte  de  Mansfelt  ha  heu  estranges  pro- 
pos avec  Marcello,  Pungde  noz  compagnons  italiens,  et  le  conte 
de  Orne;  et  pource  que  le  sieur  Pero  Lopez,  de  qui  je  l'ay  sçeu, 
en   escript  particulièrement  à  Sa  Seigneurie  Illustrissime  *, 

1  Bordey  avait  déjà  fait  remarquer  l'absence  aux  fêtes  de  Bruxelles 
du  comte  Jean  de  Oost-Frise  et  Over-Emdcn ,  qu'il  appelle  le  «  comte 
d'Ovrande  »,  ainsi  que  la  présence  aux  mêmes  fêtes  de  Maximilien  d'Oost- 
Frise,  fils  de  ce  seigneur.  —  Voyez  ci-dessus,  p.  75,  et  ci-après,  p.  97, 
erratum  3. 

*  Saint  André,  dont  la  fêle  se  célèbre  le  30  novembre,  était  le  patron  de 
l'Ordre  de  la  Toison  d'or. 

5  La  liste  des  quinze  chevaliers  de  l'Ordre  qui  se  trouvaient  aux  Pays- 
Bas,  à  la  fin  de  l'année  1565  et  au  début  de  1566,  est  donnée  dans  les 
Mémoires  anonymes,  édités  par  J.-B.  Blaes,  1. 1,  pp.  9  et  10. 

*  Le  narré  de  Pero  Lopez  sur  cet  incident  est  ainsi  conçu  :  «  Despues  a  avido 
otra  frialdat  con  un  gentilombre  de  Madama  que  se  ilama  Marcello  Lam- 
pignan,  el  quai  trata  muchocon  todos  estos  senores,  y  comiendo  Mansfelt 
en  casa  de  Hoochstrata,  lenbio,  despues  de  corner,  â  rogar  se  Uegasse  alli 
para  tratar  con  el  algo  de  las  cosas  de  la  justa  ;  y  comènçando  â  hablarcon 
cl,  le  dixo  el  conde  de  Mansfelt  :  «  Senor  Marcello,  yo  os  quiero  hablar 
en  Françes,  porque  me  entenderei  mejor  ».  Y  comme nço  le  â  dezir  lo  qur 
queria,  y  el  Marcello  al  responder  hizo  lo  en  Françes,  y  hablava  le 
siempre  de  vous  como  se  suele  usar  en  Françes  ;  de  lo  quai  se  enojo  en 
ta  ri  ta  manera  Mansfelt,  que  començo  â  dezir  muy  rezio  y  muchas  vezes  : 
«  Vous,  vous,  vous  estes  vous  et  moi  poinet  ».  Y  esto  con  tan  ta  colera  que 
fue  cosa  est  rail  a,  y  desale  assi  sin  qucrcr  le  mas  oyr,  y  mete  se  en  una 
camara,  diziendo  maravillas,  y  quesando  se  que  los  criados  de  Madama  le 
tenian  en  poco,  y  que  por  aver  le  hecho  un  tan  granservicio  le  perd i an  el 


(85) 

comme  celluy  qui  Ta  entendu  du  prince  de  Parme  :  sans  en 
faire  icy  aultre  révélation,  je  me  remectray  à  ce  qu'il  en  dira. 
Mais  je  me  double  que  cecy  sera  commencement  d'aulcune 
chose  quil  n'aura  jà  bonne  fin. 

Je  ne  sçay  si  les  joustes  pour  cest  effect  sont  esté  remises  au 
jour  d'aujourd'huy,  car  elles  se  debvoient  faire  avant-hier;  et 
l'excuse  du  maulvais  temps  ne  peult  pas  estre  reçeue,  car  il  fit 
très  beau  jour  :  bien  est  vray  que  le  sambedy  fut  pluvieux. 
Aulcuns  disent  que  le  prince  d'Orenge  n'estoit  point  prest. 
Quoy  que  ce  soit,  il  y  a  du  malcontentement  grand.  Néant- 
moings  Son  Altèze,  le  Duc  et  le  Prince,  chascun  particulière- 
ment, sont  esté  visiter  lesdits  conte  et  contesse  en  leur  lougis, 
deux  ou  trois  jours  après  nostre  arrivée,  et  tousjours  se  sont 
montrés  fort  humains  et  courtois  en  son  endroict. 

Ce  jourd'huy,  qu'est  mardy  1111e,  nonobstant  que  la  pluye 
fut  grande,  se  sont  faictes  les  joustes  sur  le  grand  marché,  et 
rommençarent  à  douze  heures.  Et  y  eult  trente-trois  surve- 

respelo.  El  Marcello  quedo  atonito  y  llego  se  al  de  Hoochstrata,  y  dixo 
le  :  «  Senor,  ya  aveis  oydo  lo  que  lie  passado  con  el  de  Mansfelt  y  la  sin 
razon  que  tiene;  yo  os  suplico  que  le  desengafteis  de  mi  voluntad  y  que 
pierda  el  enojo  que  ha  tomado  tan  sin  culpa  mia  ».  Respondio  le  el  :  «  Esso 
me  aveis  de  perdonar  que  yo  no  me  melare  en  ello  como  si  fuera  algun 
gran  negocio  ».  Y  allego  se  à*  ellosel  conde  de  Horne,  y  començo  a  vaziar 
«•osas  bien  escusadas,  diziendo  quanta  différencia  avia  de  la  casa  de 
Mansfelt  a  la  de  Fernesi,  y  que  tenian  sin  razon  de  tratar  assi  con  el, 
porque  era  una  persona  de  otra  calidat,  y  que  la  casa  de  los  de  Mansfeld 
ténia  mas  de  dozientos  mill  escudos  de  renta,  y  tan  principales  que  algun 
dia  podrian  muy  bien  mover  guerra  â  Parma,  y  dixo  otras  mill  neçedades 
de  la  casa  de  Mansfelt,  abaxando  la  de  Fernesi ....  Y  no  falto  quien  lo 
dixese  la  misma  noche  al  Duque,  el  quai  respondio  al  que  se  lo  dixo, 
que  se  raaravillava  mucho  del  de  Horne,  ni  nadie  -dezir  ni  tratar  de  tal 
cosa,  pues  les  mostrava  a  todos  por  obras  por  quan  principales  los  ténia, 
porque  aun  no  tratava  con  ellos  con  ygualdat,  sino  que  los  ponia  â  todos 
sobre  su  cabeça,  pero  con  todo  que  lo  dissimula  lo  a  sentido,  aunque 
tambien  es  menestcr  dezir  la  verdat  que  todo  fue  despues  de  aver  comido 

o,  por  mejor  dezir,  bevido »  (Pero  Lopez  au  cardinal  de  Granvelle, 

Bruxelles,  4  décembre  1565  :  Bibliothèque  de  Besançon,  Mémoires  de 
Granvelle,  t.  XXI,  fol.  185  et  186.) 


(86) 

nans.  El  de  ceulx  icy,  de  la  belle  entrée  le  pris  a  esté  donné  k 
l'escadrille  de  messieurs  de  Beauvort  '  et  Estambrughes  ',  que 
l'on  appelloit  les  Chevaliers  (TOr  ou  bien  les  Chevalins  du  Soleil  : 
car,  sur  un  chariot,  se  véoit  Phaéton  qui,  avec  ses  quatres 
chevaulx,  conduisoit  ung  grand  soleil,  fait  par  tel  artifice 
qu'il  tournoit  tousjours,  et  les  chevaliers,  qu'estoient  quatres, 
avoient  entièrement  leur  arnat  doré,  et  rien  ne  se  véoit  sur 
eulx  et  sur  leurs  chevaulx  que  or,  jusques  aux  lances. 

Néantmoings  le  prince  d'Orenge  entra  fort  magnifiquement, 
avec  ung  chariot  triumphal  où  qu'estoit  Vénus  et  Cupidon,  et 
estoient  douze  chevaliers  en  son  escadrille,  fort  richement 
parée  des  couleurs  orange,  blanc  et  gris.  Et  telles  les  print  le 
prince  en  la  faveur  du  conte  Ludovic  son  frère,  quil  les  pourtoit 
pour  le  respect  de  la  signora  Genèvre  :  ledit  conte  Ludovic  eult 
le  pris  de  la  foulle  3. 

Le  conte  de  Boussu  *,  le  visconte  de  Gand  $,  Lumey  6  et 
Turlon  7  entrarent  aussi  fort  richement,  et  eult  ledit  conte  de 
Boussu  le  pris  des  quatre  coups  de  lances.  Le  conte  Charles  de 
Mansfelt  etVillersB  furent  les  premiers  assaillans;  et  contre 


1  Philippe  de  Lannoy,  chevalier,  seigneur  de  Beauvoir,  gentilhomme 
de  la  bouche  du  roi  d'Espagne. 

•  Georges  de  Ligne,  seigneur  d'Estambruges,  cousin  du  comte 
d'Egmont. 

5  C'est-à-dire  du  combat  à  la  foule,  dans  lequel  les  jouteurs,  divisés  eu 
deux  bandes,  simulaient  la  mêlée  d'un  champ  de  bataille. 

4  Maximilien  de  Hennin-Liétard,  comte  de  Boussu,  capitaine  d'une 
bande  d'ordonnance. 

5  Maximilien  de  Melun,  chevalier,  vicomte  de  Gand,  gouverneur 
d'Arras. 

•  Guillaume  de  La  Marck,  seigneur  de  Lumey  ou  Lummen,  le  futur 
vice-amiral  des  Gueux  de  mer. 

7  Louis  de  Blois,  seigneur  de  Trélon,  beau-père  du  seigneur  de 
Beauvoir. 

•  Jean  de  Montigny,  seigneur  de  Villers,  fut  plus  tard  l'un  des  com- 
mandants des  troupes  organisées  par  le  prince  d'Orange,  pour  l'envahis- 
sement des  Pays-Bas  :  il  eut  la  tête  tranchée  à  Bruxelles,  le  2  juin  4S68. 


(87) 

tes  deux  courut  le  mainteneur  *  fort  bien,  et  encoires  quatre 
lances  contre  le  prince  d'Orenge,  et  non  plus  :  délaissant  audit 
conte  Charles,  son  fils,  et  à  Villers  et  au  conte  Ludovic  à  faire 
le  surplus,  lesquelx  il  print  pour  aydans.  Mais  ce  fut  chose  mer- 
veille de  ce  que  rompit  le  conte  Charles  :  aussi  a-t-il  heu  le 
pris  des  dames. 

Hz  furent  en  tout  trente-trois  survenans.  Et  ne  fut  esté  la 
pluye  quil  dura  quasi  tout  le  jour,  la  feste  fusse  esté  merveil- 
leusement belle  ;  mais  elle  ne  peult  estre  retardée,  par  l'instance 
qu'en  firent  ceulx  de  la  ville,  parce  que  leurs  victuailles  se 
gastoient.  Le  soupper  se  fit  en  la  Maison  de  la  ville,  en  la  pre- 
mière grande  salle,  où  qu'il  y  avoit  deux  tables,  celle  des 
princes  et  l'aultre  des  dames.  A  l'asseoir,  l'on  garda  aultres 
cérimonies  qu'au  dernier  bancquet;  car  soubz  le  docet  estoit 
l'Ambassadeur,  Son  Altèze,  la  Princesse  et  la  contesse  de  Mans- 
felt  :  et  vis  à  vis  estoit  la  première  la  princesse  d'Orenge,  et 
après  la  contesse  d'Aiguemont.  Telz  sont  les  changemens. 

Les  juges  des  joustes  estoient  le  duc  de  Parme,  duc  d'Arschot 
et  le  conte  d'Aiguemont. 

Son  Altèze  se  retira  entre  unze  et  douze. 

Le  duc  de  Parme  et  Son  Altèze  portent  le  deul  pour  la  mort 
du  Cardinal,  frère  audict  Duc  *,  laquelle  ilz  ressentent  grande- 
ment, et  l'ont  tousjours  pourté  dois  nostre  retour,  ormis  aux 
jours  des  festins  où  que  Son  Altèze  apparut  richement  parée 
de  carquans  et  pierreries. 

Le  jour  Sainct-Nicolas,  que  fut  avant-hier,  se  partit  monsieur 

1  «  Le  sousteneur  et  deffendeur  estoit  le  conte  de  Mansfeld,  chevalier 
de  l'Ordre,  lequel  avoit  pour  assistend  le  conte  Charles,  son  filz,  jousteur 
fort  adextre  et  estimé  entre  les  princes  ».  (Pàsquier  de  le  Barre, 
Mémoires,  1. 1,  p.  17.) 

f  Ranuce  Farnèse,  frère  du  duc  de  Parme,  successivement  archevêque 
de  Naples,  de  Ravenne  et  de  Bologne,  passa  par  les  trois  grades  du  col- 
lège des  cardinaux  :  lorsqu'il  mourut  à  Parme  le  28  octobre  1565,  il  pos- 
sédait la  qualité  de  cardinal-évéque  de  Sabine;  néanmoins  on  continuait 
2i  l'appeler  cardinal  de  Saint-Ange,  titre  qu'il  avait  eu  comme  cardinal  de 
l'ordre  des  prêtres. 


(88) 

d'Austrate  pour  Allemagne Le  prince  d'Orange  Ton  lient 

pour  certain  qu'il  yra  à  la  diette  en  Allemagne. 

Demain,  aux  lices  du  palais,  se  joustera,  et  esse  ung  deffis 
d'ung  escadrille  du  conte  Charles  contre  ung  aultre  du  conte 
Ludovic  de  Nansou.  Je  désirerois  bien  que  toutes  ces  festes 
fussent  passées,  pour  veoir  quelles  issues  auront  les  change- 
mens  qui  jà  ont  commencement  bien  grand 

De  Bruxelles,  ce  vin*  jour  de  Nostre-Dame  en  décembre  4S6S. 

De  Sadicte  Seigneurie  Illustrissime 

très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

Pierre  Bordkt. 


TABLE  DES  NOMS  DE  PERSONNES. 


Achky  Jean,  baron  de  Thoraise), 
beau-frère  du  cardinal  de  Gran- 
velle, 38. 

Achey  (Marguerite  Perrenot,  dame 
d'),  sœur  ainée  du  cardinal  de 
Granvelle,  38. 

Achigourt.  —  Voy.  Hachicourt. 

Aiguemont.  .— •  Voy.  Egmont. 

Aldinguel.  —  Voy.  Ardinghel. 

Altaemps  (Annibal,  comte  d'),  66, 
67. 

Altaemps  (Hortense  Borromee, 
comtesse  d'),  66. 

Altrze  (Son) désigne  la  gouvernante 
des  Pays-Bas.  —  Voy.  Parme. 

Amkrot  (Adrien),  ancien  condisci- 
ple d'Érasme,  précepteur  -  des 
enfants  de  Granvelle  et  Bordey, 
«,23. 

Amyot  (Jean),  ancien  secrétaire  de 
la  mère  du  cardinal  de  Granvelle, 
27. 

Anthoink  (la  sefiora)  dame  de  la 
cour  de  Bruxelles,  43. 

Ardinghel,  envoyé  de  Philippe  II  a 
Lisbonne,  44. 

Arknberg  (Jean  de  Ligne,  comte  d'), 
47,84. 

Armenteros  (Tomas),  secrétaire 
intime  de  la  gouvernante  des 
Pays-Bas,  43. 


Arschot  (Anne  de  Lorraine,  du- 
chesse d'),  35. 
Arschot  (Philippe  de  Groy,  duc  d1), 

16, 76, 83. 
Assonleville  (Christophe  d'),  48, 

49,  77. 
Assonleville  (Marguerite  Scheyvs, 

dame  d'),  77. 
AuBiGNY(GilleDELENS,  baron  d'),  36. 
Auchy.  —  Voy.  Auxy. 
Austrate.  —  Voy.  Hooghstraeten. 
Austrelin  (le  pirate),  65. 
Autriche  (Marguerite  d').  —  Voy. 

Parme. 
Autriche  (Maximilien  II  d*),  roi  des 

Romains,  58. 
Auxy  (Jacques  de  Hennin-Liétard, 

baron  d*),  66. 


Barlemond.  —  Voy.  Berlaymont. 

Bassompierre  (Christophe  de),  45, 
46,  69,  81. 

BA8SOMPIERRE  (Claude-François  de) 
46. 

Bassompierre  (François  de),  45. 

BAVE(Josse),  secrétaire  d'État  du 
gouvernement  des  Pays-Bas,  16. 

Bavière  (Sabine  de).  —  Voy.  Eg- 
mont. 

Beauvoir  (Philippe  de  Lannoy,  sei- 
gneur de),  86. 


(  90) 


Bellefontaine  (Jacques  de  Saint- 
Mauris,  prieur  de),  cousin  ger- 
main du  cardinal  de  Granvelle, 
«7,40. 

Bergance.  —  Yoy.  Bragance. 

Berghes  (Jean  de  Glymes,  marquis 
de),  34, 72,  83. 

Berghes  (Maximilien  de),  arche- 
vêque de  Cambrai,  74. 

Berlaymont  (Ad  rien  ne  de  Ligne- 
Barrançon,  baronne  de),  35. 

BERLAYMONT(Charles,  baron  de),  35. 

Berlaymont  (Gilles  de),  baron  de 
Hierges,  fils  du  baron  Charles, 
75. 

Bernimicourt  (François  -  Philippe 
de).  —  Yoy.  Thieuloye. 

Blois  (Louis  de)  —  Yoy.  Trélon. 

Boisot  (Charles),  gentilhomme  de 
la  cour  de  Bruxelles,  35,  37,  66, 
70,  71. 

Boisot  (Pierre),  ancien  trésorier 
général  aux  Pays-Bas,  35. 

Bonniéres  (Jacqueline  de).  —  Yoy. 
Wacken. 

Bonniéres  (Marie  de).  —  Yoy.  Tou- 
louze. 

Bonvalot  (Clauda).  —  Yoy.  Con- 
stable. 

Bonvalot  (Étiennette).  —  Yoy. 
Saint-Mauris. 

Bonvalot  (François),  administra- 
teur de  l'archevêché  de  Besan- 
çon, oncle  du  cardinal  de  Gran- 
velle, 27. 

Bonvalot  (Nicole).  —  Yoy.  Gran- 
velle. 

Bonvalot  (Paneras),  beau-frère  de 

Pierre  Bordey,  22. 
Bordey  (Charles),  chanoine-archi- 
diacre de  Besançon,  cousin  ger- 


main du  cardinal  de  Granvelle, 
23,24. 

Bordey  (Esther),  fille  naturelle  do 
Pierre  Bordey,  29. 

Bordey  (François),  chanoine-archi- 
diacre de  Besançon,  cousin  ger- 
main et  maître  d'hôtel  du  cardi- 
nal de  Granvelle,  22, 24. 

Bordey  (Guillemette  Perrenot  , 
dame),  première  femme  de  Jean 
Bordey,  l'alné,  22. 

Bordey  (Guillemette  Vurry,  dame), 
seconde  femme  de  Jean  Bordey, 
l'alné,  29. 

Bordey  (Jean,  l'ainé),  père  de  Pierre 
Bordey,  22,  29. 

Bordey  (Jean,  le  jeune),  frère  de 
Jean  Bordey,  l'alné,  majordome 
du  comte  d'Egmont,  23. 

Bordey  (Jean),  frère  consanguin  de 
Pierre  Bordey,  29. 

Bordey  (Jeanne  de  Courbessain), 
femme  de  Pierre  Bordey,  28, 29. 

Bordey  (Jeanne-Anne),  veuve  de 
Jean-François  Chandiot,  29. 

Bordey  (Pierre),  seigneur  du  Saul- 
cy,  cousin  germain  du  cardinal 
de  Granvelle,  21-30  et  passïm. 

Bordey  (Pierre),  major  de  la  place 
d'Huningue,  29. 

Borromee  (Saint  Charles),  lié  d'ami- 
tié avec  le  cardinal  de  Granvelle, 
25,66. 

Borromee  (Hortense).  —  Voyez 
Altaemps. 

Bourgogne.  —  Yoy.  Wacken. 

Boussu  (Maximilien  de  Hennin-Liê- 
tard,  comte  de),  86. 

Bouvier,  gentilhomme  de  la  cour 
de  Bruxelles,  66. 

Boysot.  —  Yoy.  Boisot. 


(91  ) 


Bragange.  —   Voy.  Portugal-Bra- 

gance. 
Brederodb  (Marguerite  de).  —  Voy. 

Mansfeld. 
Brederode  (Le  comte  Henri  de), 

créateur  du  parti  des  Gueux,  49, 

80. 
Brimeu  (Charles  de).  —  Voy.  Me- 

ghem. 


Camargo  (Antonio),   gentilhomme 
'espagnol  de  la  cour  de  Bruxelles, 
38,  60,  66. 

Castro  (Nicolaus  de).  —  Voy.  Van- 
der  Borch. 

Champagney  (Frédéric  Perrenot, 
seigneur  de),  frère  cadet  du  cardi- 
nal de  Granvelle,  23, 30. 

Chandiot  (Jean-François).  —  Voy. 
Bordey. 

Chantonay  (Thomas  Perrenot,  sei- 
gneur de),  frère  du  cardinal  de 
Granvelle,  8, 13,  14,  45,  28. 

Chavirey  (Claude de », intendant  des 
affaires  du  cardinal  de  Granvelle, 
27. 

Constable  (Clauda  Bonvalot,  dame 
de),  nièce  et  héritière  de  Pierre 
Bordey,  29. 

Constable  (Pierre  de),  mari  de 
Clauda  Bonvalot,  29. 

Contault  de  chanoine  ,  54. 

Contault  (Marguerite),  femme  de 
Miguel  de  Jacca,  53  et  54. 

Courbessain  (Jeanne  de).  —  Voy. 
Bordey. 

Croy  (Charles-Philippe  de).  —  Voy. 
Havre. 


Croy  (Philippe  de).—  Voy.Arschot. 
Curœl  (Hieronimo  de),  facteur  du 
roi  d'Espagne,  à  Anvers,  59. 


Dalmado  (Manuel),  évéque  d'Agra. 

61. 
Dalonal  (François*,  chanoine  de 

Saint-Anatoile  de  Salins,  27. 
Doria  (L'amiral  Jean-André),  p.  38 

et  aux  errata. 


Egmont  (Anne  d').  —  Voy.  Homes. 
Egmont  (Lamoral,  comte  d*  ,  33  et 

passïm. 
Egmont  (Sabine  de  Bavière,  com- 
tesse d*),  33. 
Éléonor  (La  sefiora),  dame  de  la 

cour  de  Bruxelles,  43. 
Épinoy  (Hélène  d1).  —  Voy.  Monti- 

gny. 
Épinoy  (Hugues  de  Melun,  prince 

d'),  6. 
EstambourgeS.  —  Voy.  Estambru- 

ges. 
Estambruges  (Georges  de  Ligne, 

seigneur  d*),  36, 64,  66,  86. 


Farnèse  (Alexandre).   —    Voyez 

Parme. 
Farnèse  (Octavio).  -  Voy.  Parme. 
Farnèse  (Ranuce),  cardinal,  86 
Forzin.  —  Voy.  Fresin. 


(M) 


Foiàs  (Ventura  de',  gentilhomme 

portugais,  59. 
Fresin  (Charles  de  Gavre,  seigneur 

de),  36. 


Gànd  (Le  vicomte  de).  —  Voy.Melun 

Gàvre   -  Voy.  Fresin 

Gayo  (Alonso),  gentilhomme  de  la 
cour  de  Bruxelles,  66, 67. 

Genêvrb  (La  signoral,  dame  de  la 
cour  de  Bruxelles,  43,  65. 

Gérard  (Balthasar),  l'assassin  du 
prince  d'Orange,  12,  21. 

Gilley  (Jean  de).  —  Voy.  Marnoz. 

Gilley  (Nicolas  de),  négociateur 
politique,  46. 

Gilus  (N.),  fille  de  Joachim  Gillis, 
avocat  fiscal  du  Brabant,  77. 

Goes  (Damian  a),  gentilhomme  por- 
tugais, 60. 

Grandjean  (Charles),  membre  du 
Conseil  privé  des  Pays-Bas,  45. 

Granvelle  'Antoine  Perrenot  de), 
cardinal,  ancien  principal  mi- 
nistre des  Pays-Bas,  passim. 

Granvelle  (Nicolas  Perrenot  de), 
garde  des  sceaux  de  l'empereur 
Charles-Quint,  père  du  cardinal 
de  ce  nom,  4. 

Granvelle  (Nicole  Bonvalot,  dame 
de1,  femme  du  garde  des  sceaux 
de  Charles-Quint,  et  mère  du 
cardinal,  13, 14.  22. 

Gruyères  (Léonard  db>,  chanoine 
et  officiai  de  Besançon,  l'un  des 
diplomates  employés  par  Charles- 
Quint,  24. 

Guimaraés.  —  Voy.  Portugal. 

Guise  (Henri,  duc  de),  46. 


Guzman  (Éléonore  de). 
tugal-Bragance. 


—  Voy  Por- 


Hachicourt  (Philippe  de  Montmo- 
rency, seigneur  d'),  32. 

Halewyn  (François  de).  —  Voy. 
Zweveghem. 

Havre  (Charles-Philippe  de  Crot, 
marquis  d*),  35. 

Hennin-Liétard  (Jacques  de).  — 
Voy.  Auxy. 

Hennin-Liétard  (Maximilien  de)  .— 
Voy.  Boussu. 

Hsrges.  —  Voy.  Berlaymont. 

Hooghstraeten  (Anne  de  Renne- 
bourg,  comtesse  douairière  de), 
veuve  du  comte  Philippe,  47. 

Hooghstraeten  (Antoine  de  La- 
laing,  comte  de),  32,  83. 

Hooghstraeten  (Éléonore  de  Mont- 
morency, comtesse  de),  femme 
du  comte  Antoine,  32,  40,  41. 

Hooghstraeten  (Philippe  de  La- 
laing,  comte  de),  père  du  comte 
Antoine,  47. 

Hornes  (Jean,  comte  de),  second 
mari  de  Anne  d'Egmont,  42. 

Bornes  (Anne  d'Egmont,  comtesse 
douairière  de),  mère  du  comte 
Philippe  de  Hornes,  du  baron  de 
Montigny  et  de  la  comtesse  de 
Mansfeld,  42,  47. 

Hornes  (Philippe  de  Montmorency, 
comte  de),  32,  42, 83. 


Jacca  (Miguel  de),  économe  de  la 
flottille  envovée  des  Pavs-Bas  à 
Lisbonne,  53. 


(93) 


Jacquemet  (Bonnet),  trésorier  des 
.  salines  de  Salins,  27. 
Jaques  (Michel).  —  Voy.  Jacca. 


Lalaing  (Le  comte  Charles  de),  pre- 
mier mari  de  la  comtesse  de 
Mansfeld,  41. 

Lalaing  (Antoine  de).  —  Voyez 
Hooghstraeten. 

Lalaing  (Philippe  de).  —  Voyez 
Hooghstraeten. 

Lalaing  {Marguerite  de).  —  Voy. 
Ligne. 

La  Maroc  (Guillaume  de*.  —  Voy. 
Lumey. 

LAMBO(Fabio),  commissaire  général 
de  la  flottille  envoyée  des  Pays- 
Bas  à  Lisbonne,  53,  70. 

Lampignan  (Marcello),  gentilhomme 
de  la  cour  de  Bruxelles,  84. 

Lannoy<  Philippe  de).  —  Voy.  Beau- 
voir. 

La  Thieuloye.  —  Voy.  Thieuloye. 

La  Thueloye.  —  Voy.  La  Thieu- 
loye. 

La  Trouilliêre  (Louis),  gentil- 
homme du  roi  d'Espagne,  72. 

Lattiloy.  —  Voy.  Thieuloye. 

Lens  iGille  de).  —  Voy.  Aubigny. 

Lens  (N.  de),  gentilhomme  de  la 
même  famille  que  le  baron  df  Au- 
bigny, 46. 

Lenze.  —  Voy.  Lens. 

Ligne  i  Georges  de).  -  Voy.  Estam- 
bruges. 

Ligne  (Jean  de).  —  Voy.  Arem- 
berg. 

Ligne  (Philippe,  comte  db\  47. 


Ligne  (Marguerite  de  Lalaing,  com- 
tesse de),  47. 
Ligne-Barbançon  (Adrienne  de).  — 

Voy.  Berlaymont. 
Locquenghien  (Jean  de),  amman  de 

Bruxelles,  74. 
LoPEz(Pero),  l'un  des  secrétaires  du 

gouvernement  des  Pays-Bas,  82 

et  84. 
Lorraine  (Anne  de).  —  Voy.  Ars- 

chot. 
Lumey  ou  Lummen  (Guillaume  de  la 

Marck,  seigneur  de),  86. 


Magny,  gentilhomme  de  la  cour  de 
Bruxelles,  37,  38. 

Mansfeld  (le  comte  Charles  de),  46, 
49,  79, 80, 87, 88. 

Mansfeld  (Dorothée  deï,  fille  natu- 
relle du  comte  Pierre-Ernest, 
devenue  la  femme  de  Francisco 
Verdugo,  55. 

Mansfeld  (Marguerite  de  Brede- 
rode,  comtesse  de),  première 
femme  du  comte  Pierre-Ernest, 
et  mère  du  comte  Charles, 
49. 

Mansfeld  (Marie  de  Montmorency, 
comtesse  de),  seconde  femme  du 
comte  Pierre-Ernest,  41,  47. 

Mansfeld  (Le  comte  Pierre-Ernest 
de),  31,  41  etpasslm. 

Mansfelt.  —  Voy.  Mansfeld. 

Marnix  (Jacques  de),  seigneur  de 
Toulouze,  commissaire  général 
des  guerres  sous  Charles-Quint. 
26,46. 

Marnix  (Jean  et  Philippe),  associés 


(94) 


au  soulèvement  des  Pays-Bas 
contre  l'Espagne,  96, 46. 

Narnol.  —  Voy.  Marnoz. 

Marnoz  (Jean  de  Gilley,  seigneur 
de),  gentilhomme  de  la  cour  de 
Bruxelles,  46,  70,  71. 

Marnoz  (Anne  de  Saint-Mauris, 
dame  de),  femme  de  Jean  de 
Gilley,  46. 

Meghbm  (Charles  de  Brimeu,  comte 
de),  32. 

Mbgue.  —  Voy.  Meghem. 

Melun  (Hélène  de).  —  Voy.  Monti- 
gny- 

Melun  (Hugues  de).  —  Voy.  Épi- 

noy. 
Melun  (Maximilien  de),  vicomte  de 

Gand,  72,  86. 
Mendoza  (Diego  de),  majordome  de 

la  princesse  de  Parme,  61. 
Mendoce.  —  Voy.  Mendoza. 
Mendoza  (Jeanne  de).  —  Voy.Por- 

tugal-Bragance.  . 
Montegny.  —  Voy.  Montigny. 
Montigny  (Floris  de  Montmorency, 

seigneur  de),  61,  40  et  passïm. 
Montigny  (Hélène  de  Melun  d'Épi- 

noy,  dame  de),  6. 
Montigny  (Jean  de).  —  Voy.  Villers. 
Montmorency  (Éléonore  de).—  Voy. 

Hooghstraeten. 
Montmorency  (Joseph  de),  père  du 

comte  Philippe  de  Hornes,  du 

haron  de  Montigny  et  de  la  com- 
tesse de  Mansfeld,  42. 
Montmorency  (Marie  de).  —  Voy. 

Mansfeld. 
Montmorency  (Philippe  de),  oncle. 

—  Voy.  Hachicourt. 
Montmorency  (Philippe  de),  neveu. 

—  Voy.  Hornes. 


Morillon  (Maximilien),  vicaire  gé- 
néral du  cardinal  de  GranveUeà 
Malines,  46,  30,  39. 


N 


Nansou  ou  Nanssou.  —  Voy.  Nas- 
sau. 

Nassau  Je  prince  Guillaume  de). — 
Voy.  Orange. 

Nassau  de  comte  Louis  de),  frère 
du  prince  d'Orange,  32, 85, 86, 88. 

Noircarmes  (Philippe  de  Sainte-Al- 
degonde,  seigneur  t>e\  72,  83. 


Ooost-Fhise  et  Over-Emden  (Jean, 

comte  de),  75,  84,  et  aux  errata. 
Oost-Frise  (Maximilien  de),  fils  du 

comte  Jean,  75, 84,  et  aux  errata. 
Orange    (Guillaume    de   Nassau, 

prince  d*),  32  et  passïm. 
Orange  (Anne  de  Saxe,  princesse 

d'),  82. 
Orante,  (la  sefiora),  dame  de  la  cour 

de  Bruxelles,  37,  62. 
Orengb.  —  Voy.  Orange. 
Orléans  (le  duc  d'i,  depuis  le  roi 

de  France  Charles  IX,  46. 
Orne  —  Voy.  Hornes. 
Over-Emden.  —  Voy.  Oost-Frise, 
0  yuan  de.  —  Voy.  Over-Emden. 


Parc  (Pietro  de),  33. 
Parme  (Alexandre  Farnèse,  prince 
de),  31  et  passïm. 


(«) 


Parme  (Marguerite  d'Autriche  du- 
chesse de),  gouvernante  des  Pays- 
Bas,  32  et  passïrru 

Parme  (Marie  de  Portugal,  prin- 
cesse de),  femme  d'Alexandre 
Farnèse,  49,  20,  56  etpassïm. 

Parme  (Octavio  Farnèse,  due  de\ 
époux  de  Marguerite  d'Autriche, 
3  et  passïm. 

Perrenot  (Antoine,  cardinal  de 
Granvelle).  —  Foy.  Gran- 
velle. 

Perrenot  (Charles),  l'un  des  frères 
du  cardinal  de  Granvelle,  23. 

Perrenot  (Frédéric).  —  Voy. 
Champagney. 

Perrenot  (Guillemette).  —  Voy. 
Bordey. 

Perrenot  (Marguerite).  —  Voy. 
Achev. 

Perrenot  (Nicolas).  —  Voy.  Gran- 
velle. 

Perrenot  (Thomas).  —  Voy.  Chan- 
tonay. 

Philippe  II,  roi  d'Espagne,  passim. 

Poggio  (Giovanni),  nonce  du  pape 
en  Espagne,  24. 

Ponde  (Jean  de),  payeur  de  la  flot- 
tille envoyée  des  Pays-Bas  à  Lis- 
bonne, 53,  70. 

Portugal  (Catherine  d'Autriche, 
veuve  de  Jean  III,  roi  de),  aïeule 
du  roi  Sébastien,  56. 

Portugal  (Edouard  de),  duc  de 
Guimaraès,  père  de  la  princesse 
de  Parme,  56. 

Portugal  (Edouard  de),  frère  de  la 
princesse  de  Parme,  57. 

Portugal  (Emmanuel  le  Grand,  roi 
de),  58. 

Portugal  (Henri  de),  cardinal, 


grand-oncle  et  tuteur  du  roi  Sé- 
bastien, 56. 

Portugal  (Jean  III,  roi  de),  aïeul 
du  roi  Sébastien,  56. 

Portugal  tJean,  prince  héritier  de\ 
père  du  roi  Sébastien,  55, 56. 

Portugal  (Jeanne  d'Autriche,  prin- 
cesse de),  mère  du  roi  Sébastien, 
56. 

Portugal  (l'infante  Marie  de), 
grand-tante  du  roi  Sébastien,  58. 

Portugal  (Marie  des  princesse  de 
Parme.  —  Voy.  Parme. 

Portugal  (Sébastien,  roi  de',  55. 

Portugal-Bragance  (Catherine  de), 
femme  du  duc  Jean  de  Portugal- 
Bragance,  56. 

Portugal  -  Brag ance  (  Constantin 
prince  de*,  56. 

Portugal-Bragance  (Êléonore  de 
Guzman,  duchesse  de),  première 
femme  du  duc  Jacques,  56. 

Portugal-Bragance  ^Elisabeth  de), 
duchesse  de  Guimaraès,  mère  de 
la  princesse  de  Parme,  56,  59. 

Portugal-Bragance  (Fulgence  de), 
prieur  de  Guimaraès,  56. 

Portugal-Bragance  (Jacques,  duc 
de  ^  grand-père  maternel  de  la 
princesse  de  Parme,  56. 

Portugal-Bragance  (Jeanne  de 
Hendoza,  duchesse  de  ,  seconde 
femme  du  duc  Jacques,  56,  61. 

Pugdere  (Jehan  de).  —  Voy.  Ponde. 


Renard  (Simon),  protégé,  puis  en- 
nemi du  cardinal  de  Granvelle, 
13,  79,  80,  81. 


(96  ) 


Rbnnebourg   (Anne   de).  —  Voy. 
Hooghstraeten. 

Richardot  (François),  évèque  d*Ar- 
ras,  24. 


S 


Sàimery.  —  Voy.  Sepmeries. 

Saint-Cegon,  gentilhomme  italien 
de  l'entourage  du  duc  de  Parme, 
72. 

Saint-Mauris  (Anne  de),  dame  de 
Gilley-Marnoz.  —  Voy.  Marnoz. 

Saint-Mauris  Êtiennette  Bon valot, 
dame  de),  belle-sœur  du  garde 
des  sceaux  Granvelle,  40. 

Saint-Mauris  (Jacques  de).  —  Voy. 
Bellefontaine. 

Saint-Mauris  (Jean  de),  ambassa- 
deur impérial  en  France,  beau- 
frère  du  garde  des  sceaux  Gran- 
velle, 40. 

Sainte-Aldegonde  (Philippe  de).— 
Voy.  Noircarmes. 

Saulcy  (Pierre  Bordey,  seigneur 
DU).  —  Voy.  Bordey. 

Saxe  (Anne  de).  —  Voy.  Orange. 

Schetz  (Gaspard),  trésorier  général 
des  Pays-Bas,  53 

Scheyve  (Jean),  chancelier  de  Bra- 
bant,  77. 

Scheyve  (Marguerite).  —  Voy  As- 
sonleville 

Scheyve  (N.),  fille  du  chancelier  de 
Brabant,  belle-sœur  de  Chris- 
tophe d'Assonleville,  77. 

Semheri.  —  Voy.  Sepmeries. 

Sepmeries  «Robert  de  Trazegnies, 
seigneur  de \  maître  d'hôtel  de  la 
gouvernante  des  Pays-Bas,  44, 50 


Thieuloye  (François-Philippe  de 
Bermmicourt,  seigneur  de  La). 
maître  d'hôtel  de  la  gouvernante 
des  Pays-Bas,  34,  39. 

Thieuloye  (mademoiselle  de  La). 
37,43. 

Toulouze  Mane  de  Bonniêrks. 
dame  de),  seconde  femme  de 
Jacques  de  Marnix,  26, 42, 46. 

Toulouzb  (Jacques  de  Marnix,  sei- 
gneur de).  —  Voy.  Marnix. 

Trasigny.  —  Voy.  Trazegnies. 

Trazegnies  (Isabelle  de  Werchin, 
baronne  de),  50. 

Trazegnies  (Jean,  baron  de),  44 
et  50. 

Trazegnies  (Robert  de).  —  Voy. 
Sepmeries. 

Trélon  (Louis  de  Blois,  seigneur 
de),  86. 

Turlon.  —  Voy.  Trélon. 


Vander  Borch  (Nicolas),  évèque  de 
Middelbourg,  50. 

Vander  Ee,  gentilhomme  de  la  cour 
de  Bruxelles,  62. 

Vaque.  —  Voy.  VVacken. 

VEiLLAR(le  capitaine , gentilhomme 
attaché  au  comte  Pierre-Ernest 
de  Mansfeld,  66. 

Verdugo  (Francisco',  gentilhomme 
espagnol,  attaché  au  comte  Pierre- 
Ernest  de  Mansfeld,  55,  70. 

Vers  (Jacques  de),  ancien  maitre 
d'hôtel  de  Thomas  Perrenot  de 
Chantonay,  27. 


(97) 


Viglius  de  Zuichem,  président  des 
conseils  politiques  des  Pays-Bas, 
16. 

Villers  (Jean  de  Montigny,  sei- 
gneur de\  86. 

Vitelli  (Paolo),  gentilhomme  ita- 
lien, attaché  au  duc  de  Parme,  75. 

VmoN  (Odet\  gérant  des  domaines 
du  cardinal  de  Granvelle  aux 
Pays-Bas,  16. 

VuRBY(Guillemette).—  Koy.Bordey. 

W 

Wacken  (Adolphe  de  Bourgogne, 
seigneur  de),  vice-amiral,  37. 


Wacken  (Jacqueline  de  Bonnières, 

dame  de),  42. 
Walzin  (Paolo),  gentilhomme  de  la 

cour  de  Bruxelles,  66,  67. 
Werchin  (Isabelle  de).  —   Voy. 

Trazegnies. 


Yacca  y  Barga.  -  Voy.  Jacca. 


Zweyeghem  (François  de  Halewyn, 
seigneur  de),  37, 43, 44,  73. 


ERRATA. 

P.  32,  lig.  22.  Au  lieu  de  :  Brimen,  lisez  :  Brimeu. 

P.  38,  lig.  36  et  37  (fin  de  la  note  1).  Au  lieu  de  :  «  Les  galères  d'André  Doria,  qui 
transportèrent  ces  troupes  »,  lisez:  c  Les  galères  de  Jean-André  Doria,  qui  transpor- 
tèrent une  partie  de  ces  troupes  ». 

P.  75,  lig.  13.  Au  lieu  de  :  Obrande,  lisez  :  Ovrande.  —  Lig.  38,  note  5.  Cette  note 
est  à  supprimer;  elle  doit  être  remplacée  par  un  texte  ainsi  conçu:  c  Le  person- 
nage que  Bordey  appelle  «  le  conte  d'Ovrande  »,  et  que  l'auteur  des  Mémoires  ano- 
nymes sur  les  troubles  des  Pays-Bas  nomme  c  le  comte  d'Overende  »,  était  Jean, 
comte  d'Oosl-Frise  et  d'Over  Emden,  chevalier  de  la  Toison  d'or,  gouverneur  du 
Limbourg,  qui  fut  au  nombre  des  seigneurs  ligués  contre  l'Espagne;  son  fils  était 
Maximilien  d'Oost-Frise  ». 


Tome  XLI. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


P«fM> 

Introduction 3 

I.  —  Programme  d'un  tournoi  projeté  à  Bruxelles  pour  l'époque  des 
noces  d'Alexandre  Farnèse  et  de  Marie  de  Portugal 31 

II.  —  Avis  de  l'arrivée  prochaine  à  Bruxelles  du  comte  d'Egmont, 
ramenant  d'Espagne  le  jeune  Alexandre  Farnèse 33 

III.  —  Arrivée  d'Alexandre  Farnèse  à  Bruxelles,  en  compagnie  du 
comte  d'Egmont 34 

IV.  —  Préparatifs  d'une  expédition  maritime  pour  conduire  en  Por- 
tugal l'ambassade  chargée  de  ramener  la  princesse  fiancée  à 
Alexandre  Farnèse ,    .    36 

V.  —  Proposition  faite  au  comte  de  Mansfeld  et  à  sa  femme  d'être  à 
la  tète  de  l'ambassade  qui  devait  aller  en  Portugal  chercher  la 
fiancée  d'Alexandre  Farnèse 40 

VI.  —  Arrivée  à  Bruxelles  du  comte  de  Mansfeld  et  de  sa  femme  : 
préparatifs  de  leur  embarquement  avec  une  nombreuse  suite;  avis 
du  mariage  par  procureur  contracté  à  Lisbonne  au  nom  d'Alexandre 
Farnèse 41 

VII.  —  Festin  donné  par  la  gouvernante  à  l'occasion  du  départ  de 
l'ambassade  qu'elle  envoyait  en  Portugal 45 

MIL  —  Départ  de  l'ambassade  allant  en  Portugal  :  son  voyage  entre 
Bruxelles  et  Middelbourg 48 

IX.  —  Séjour  de  l'ambassade  à  Middelbourg,  en  attendant  le  vent 
propice  pour  l'embarquement  à  Flessingue .    51 


(  100  j 

Pag». 

X.  —  Navigation  de  l'ambassade  pour  arriver  à  Lisbonne;  sa  récep- 
tion à  la  cour  de  Portugal;  son  embarquement  avec  la  fiancée 
d'Alexandre  Farnèse  ;  aventures  de  sa  seconde  navigation  ;  entrées 
successives  de  la  jeune  princesse  à  Middelbourg,  à  Gand  et  à 
Bruxelles;  célébration  immédiate  du  mariage;  grand  festin  des 
noces,  suivi  d'un  bal  costumé  et  du  «  banequet  des  sucrades  », 
dont  la  ville  d'Anvers  avait  fait  les  frais 52 

XI  —  Propos  tenus  par  Pierre  Bordey,  durant  la  seconde  navigation 
de  l'ambassade,  à  l'effet  de  réfuter  les  calomnies  semées  contre  le 
cardinal  de  Granvelle  par  les  ennemis  de  cet  homme  d'État ...    78 

Xll.  —  Préliminaires  de  la  division  des  seigneurs;  tournoi  donné 
sur  le  grand  marché  de  Bruxelles,  à  l'occasion  du  mariage 
d'Alexandre  Farnèse  et  de  Marie  de  Portugal 83 

Table  des  noms  de  personnes 89 

Errata 97 

Table  des  matières 99 


DE  L'ATTITUDE 


DES 


SOUVERAINS  DES  PAYS-BAS 


A  L'EGARD 


DU  PAYS  DE  LIÈGE  AU  XVIe  SIÈCLE, 


PAR 


HENRI  LONCHAY, 

Professeur  à  l'Athénée  royal  de  Bruxelles, 
Ancien  élève  de  l'École  normale  des  humanités. 


«  Plus  oultre.  » 


(Mémoire  couronné  par  l'Académie  royale  de  Belgique,  le  9  mai  4887.) 


Tome  XLI.  1 


1 


INTRODUCTION. 


La  question  mise  au  concours  par  la  Classe  des  lettres  de 
l'Académie  royale  de  Belgique  :  «  exposer  l'attitude  des  souve- 
rains des  Pays-Bas  à  l'égard  du  pays  de  Liège  au  XVIe  siècle  » 
était  à  la  fois  curieuse  et  opportune  ;  curieuse,  parce  que  le 
XVIe  siècle  est  l'époque  la  plus  dramatique  de  nos  annales,  et 
que  dès  lors  tout  événement  qui  s'y  rattache  devient  intéres- 
sant; opportune,  parce  que,  jusqu'à  présent,  les  historiens  lié- 
geois n'ont  guère  traité  que  l'histoire  locale  de  la  principauté 
ou  le  développement  de  ses  institutions.  Cette  fois,  il  s'agissait 
de  caractériser  la  diplomatie  de  Charles-Quint  et  de  Philippe  II 
vis-à-vis  du  petit  État,  et  de  marquer  les  différentes  situations 
où  celui-ci  s'est  trouvé  en  rapport  avec  son  puissant  voisin. 

La  réponse  à  cette  question  exigeait  une  étude  attentive  de 
la  politique  du  Gouvernement  des  Pays-Bas  et  un  examen 
approfondi  des  sources  historiques  de  cette  politique.  Les 
archives  de  la  chancellerie  des  Pays-Bas  et  du  Conseil  privé  des 
princes- évêques  sont  restées  longtemps  secrètes,  et  c'est  pour- 
quoi des  chroniqueurs  de  mérite,  tels  que  Chapeaville  et  Fisen, 


1 


(i) 

ont  ignoré  des  faits  du  plus  vif  intérêt.  C'est  seulement  dans 
ces  dernières  années  que  des  écrivains  ingénieux  ont  pu  lever 
un  coin  du  voile  qui  a  recouvert  si  longtemps  l'histoire  de 
notre  passé. 

Les  savants  travaux  de  MM.  Gachard,  Poullet,  Henné  et  Piot 
sur  l'histoire  des  anciens  Pays-Bas,  et  de  MM.  Hénaux,  Polain, 
Daris  et  St.  Bormans  sur  l'histoire  de  l'ancienne  principauté 
de  Liège,  ont  singulièrement  facilité  les  recherches  des  tra- 
vailleurs en  fournissant  les  éléments  d'une  étude  diplomatique 
du  XVIe  siècle. 

Malheureusement,  leurs  investigations  se  sont  portées  sur- 
tout sur  la  seconde  moitié  de  ce  siècle  ;  et,  sauf  quelques  pièces 
éditées  par  Gachard,  Le  Glay  et  Van  den  Bergh,  ainsi  que  la 
publication  d'une  partie  de  la  correspondance  de  Charles-Quint 
par  Lanz,  la  plupart  des  documents  relatifs  au  règne  de  ce 
monarque  aux  Pays-Bas  sont  inédits.  Un  grand  nombre  se 
trouvent  aux  archives  de  Vienne  et  de  Lille,  et  ceux  que  la 
Belgique  a  conservés  n'ont  pas  encore  été  l'objet  d'un  classe- 
ment définitif. 

Nous  avons  donc  été  obligé  de  dépouiller  toutes  les  collec- 
tions des  Archives  du  royaume,  où  nous  espérions  recueillir 
de  nouveaux  renseignements  sur  les  princes-évêques  de  Liège 
contemporains  de  Charles-Quint. 

Nos  recherches  n'ont  pas  été  infructueuses.  Au  contraire, 
après  avoir  compulsé  les  nombreuses  liasses  des  Papiers  (TÉtat 
et  de  F  Audience,  les  recueils  manuscrits  de  la  correspondance 
de  Marguerite  d'Autriche  et  de  Marie  de  Hongrie,  les  copies 
faites  à  Vienne  de  lettres  officielles  du  XVIe  siècle  et  les  origi- 
naux revenus  de  cette  ville,  les  chartes  de  Brabant,  les  registres 
de  la  chambre  des  comptes,  nous  nous  sommes  trouvé  en 


(S) 

présence  d'un  véritable  monceau  de  documents  dont  la  plupart 
nous  fournissaient  des  renseignements  aussi  importants 
qu'inattendus. 

Nous  avions  cette  fois  les  éléments  d'une  histoire  des  rap- 
ports diplomatiques  des  Pays-Bas  avec  la  principauté  de  Liège, 
et  nous  pouvions  compléter  ou  reviser  le  récit  des  anciens 
chroniqueurs  liégeois. 

Cette  abondance  inespérée  de  matériaux  rendait  leur  mise 
en  œuvre  plus  difficile  et  nous  embarrassait  quelque  peu. 
Devions-nous  exposer  toutes  nos  trouvailles?  Fallait-il  mettre 
en  lumière  les  mille  questions  politiques  qui  ont  été  agitées  au 
XVIe  siècle  entre  les  Pays-Bas  et  la  principauté  de  Liège?  Notre 
travail  eût  alors  reçu  un  développement  exagéré  et,  à  force  de 
vouloir  être  complet,  nous  risquions  d'être  obscur.  «  Quand  on 
voit  trop  d'arbres,  dit  le  proverbe,  on  perd  de  vue  la  forêt.  » 

C'est  pourquoi  nous  avons  préféré  laisser  de  côté  les  débats 
secondaires  et  concentrer  notre  attention  sur  les  faits  qui  nous 
paraissaient  le  mieux  caractériser  l'attitude  des  souverains  des 
Pays-Bas  à  l'égard  du  peuple  liégeois. 

Nous  avons  passé  sous  silence  les  menus  différends  qui 
surgirent  au  XVIe  siècle  entre  la  cour  de  Bruxelles  et  celle  de 
Liège,  sans  compromettre  la  solidité  des  liens  qui  les  unis- 
saient. Nous  avons  relégué  au  bas  des  pages  la  plupart  de  nos 
citations,  afin  de  ne  pas  tomber  dans  cette  prolixité  désespé- 
rante qui  dépare  trop  souvent  le  style  des  secrétaires  de 
Charles-Quint  ou  de  Philippe  II.  Dans  les  notes  explicatives, 
nous  avons  donné  le  texte  original  ou  des  extraits  des  dépêches 
officielles,  quand  nous  Pavons  jugé  utile  pour  l'intelligence 
du  récit,  et  nous  avons  publié  sous  forme  de  pièces  justifi- 
catives les  documents  qui   nous  semblaient  répandre  une 


(61 

lumière  nouvelle  sur  l'histoire  des  rapports  des  Pays-Bas  avec 
la  principauté  de  Liège. 

De  cette  façon,  chacun  de  nos  chapitres  présente  un  groupe 
de  faits  d'une  nature  spéciale.  Nous  marquons  l'attitude  des 
souverains  des  Pays-Bas  dans  les  différentes  questions  qui  inté- 
ressèrent l'indépendance  liégeoise  depuis  le  début  du  siècle 
jusqu'à  la  mort  de  Philippe  II;  nous  la  montrons  dans  les 
affaires  politiques,  judiciaires  et  militaires,  comme  dans  les 
affaires  religieuses  ;  à  l'égard  des  princes-évêques  énergiques 
comme  envers  les  prélats  timorés.  En  un  mot,  nous  tâchons 
de  caractériser  d'une  manière  complète  l'influence  exercée  dans 
le  pays  de  Liège  par  les  souverains  belges  au  XVIe  siècle. 


TABLE  DES  SOURCES  CITÉES. 


A.  —  Documents  manuscrits  : 


Documents  concernant  le  pays  de  Liège  (recueil 
de  pièces  restituées  par  l'Autriche  en  1856), 
cartons  I  et  II. 

Chartes  de  Brabant  restituées  par  l'Autriche 
en  4863. 

Chartes  de  la  trésorerie  de  la  chambre  des 
comptes,  carton  8. 

Correspondance  de  Marguerite  d'Autriche  :  re- 
gistres 35,  36,  37,  38,  39,  40,  41. 

Correspondance  de  Marie  de  Hongrie  :  registres 
49.  50,  51,  67,  69,  70,  128, 1-29,  130,  131. 

Papiers  d'État  et  de  l'Audience  :  liasses  15,  16, 
\1A%  170,  18,  19,  42,  43,  163, 164. 

Correspondance  des  évéques  de  Liège  :  deux 
registres. 

Audience  :  registre  aux  traites  n°  1082. 

liegistre  sur  le  faict  de  l'hérésie  et  inquisition. 


Archives  du  royaume 
à  Bruxelles. 


I 


Le  Fort  :  manuscrits  généalogiques. 

Archives  de  l'État 
Registres  aux  conclusions  capitulaircs  du  cha-  (  j  Liège. 

pitre  de  Saint-Lambert. 


(8) 
B.  —  Livres  et  imprimés  : 

Gâcha  rd,  Précis  de  la  correspondance  de  Philippe  II,  8  vol. 

—  Correspondance  de  Marguerite  de  Parme,  3  vol. 

—  Correspondance  de  Guillaume  le  Taciturne,  t.  II  et  III. 

—  Actes  des  États  généraux  des  Pays-Bas,  t.  I. 

—  Ânalectes  Belgique» ,  t.  I. 

Poullet,    Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  t.  I,  II,  III. 

Piot,  —  —  —  L  IV,  V,  VI. 

Piot,  Cartulaire  de  Saint-Trond,  t.  I. 

Stanislas  Bormans  :  Inventaire  analytique  et  chronologique  des  conclusions 
capitulaires  du  chapitre  de  Saint- Lambert. 

Stanislas  Bormans,  Inventaire  des  paweilhars  dans  les  Procès-verbaux 
des  séances  de  la  Société  pour  la  publication  des  anciennes  lois  et  ordon- 
nances, année  4883. 

Stanislas  Bormans,  Documents  concernant  l'abdication  de  Robert  de 
Berghes  (Bulletins  de  l'Institut  archéologique  liégeois,  t.  VII). 

Chronique  d'Adrien  du  Vieux-Bois  [Amplissima  colleclio  de  Martene  et 
Durand,  t.  IV). 

Chronique  de  Jean  de  Los  (De  Ram,  Documents  concernant  les  troubles 
de  Liège), 

Chronique  de  Brusthem,  en  partie  éditée  par  le  chanoine  Reuscns  dans 
le  t.  VIII  des  Bulletins  de  l'Institut  archéologique  liégeois. 

Chapeaville,  G  esta  Pontificum  leodiensium,  t.  III.  Leodii,  4646. 

Fisen,  Historia  ccclesiae  leodiensis.  Leodii,  4696. 

Foullon,  Historia  leodiensis,  3  vol.  Leodii,  4735,  4736,  1737. 

Schoonbroodt,  Inventaire  analytique  et  chronologique  des  chartes  de 
Saint- Lambert. 

Polain,  Recueil  des  ordonnances  de  la  principauté  de  Liège,  2e  série,  t.  I. 


Ï9-) 

De  Louvrex,  Recueil  des  êdits  et  règlements  du  pays  de  Liège.  Liège,  1 750, 
475 I,  4752. 

Galesloot,  Êdits  et  ordonnances  de  Charles- Quint.  Bruxelles,  4885. 

Dumont,  Corps  diplomatique  du  droit  des  gens.  Amsterdam,  4726-4721, 
8  tomes  en  4  4  volumes  in -fol. 

Oc  Thcux,  Histoire  du  chapitre  de  Saint- Lambert.  Bruxelles,  4874-4872, 
4  vol.  in-8°. 

B.  Gains,  Série*  episcoporum  ecclesiae  ca/Iiolicae.  Ratisbonne,  4875,  in-4°. 

Loyens,  Recueil  héraldique  des  bourgmestres  de  Liège.  Liège,  4720,  in-fol. 

Hcnaux,  Histoire  du  pays  de  Liège,  troisième  édition.  Liège,  4874,  2  vol. 

Daris,  Histoire  du  diocèse  et  de  la  principauté  de  Liège  au  XVI*  siècle. 
Liège,  4884. 

Rahlenbeek,  L'église  de  Liège  et  la  révolution  (avec  pièces  justificatives). 
Bruxelles,  4864. 

Poullet,  Histoire  du  droit  criminel  dans  l'ancienne  principauté  de  Liège, 
t.  XXXVIII  des  Mémoires  in -4°  de  l'Académie  royale  de  Belgique. 

Pontus  Heiiterus,  Rerum  belgicarum  libri  XV.  Antwerpiae,  4598. 

Strada,  De  bcllo  belgico  opéra.  Romae,  4647  (4re  et  2e  déc,  2  vol.). 

Le.Glay,   Correspondance  de  Maximilien  avec  Marguerite  d'Autriche. 
Paris,  4839,  2  vol.  in-8°. 

Van  den  Bcrgh,  Gedenkslukken  tôt  opheldering  der  ncderlandsche  yeschie- 
denis.  Utrccht,  4849,  5  tomes  en  2  vol.  in- 8°. 

Backhuizcn  van  den  Brink,  Studien  en  schc'fcn  over  vaderlands  geschie- 
denis,  1  deel,  2  stuck. 

De   Hoop    Scheffcr,    Geschiedenis    der  kerkhervorming    in    Nederland. 
Amsterdam,  4875,  2  vol. 

Max  Losscn,  Der  Kôlnische  Krieg.  Gotha,  1882. 

Alexandre    Henné,  Histoire  du  règne  de  Charles  -  Quint  en  Belgique  > 
40  vol.  Bruxelles,  4859-4860. 


(10) 

Mignct,  Histoire  de  la  rivalité  de  François  /«*  et  de  Charles-Quint,  2  vol. 

Petitot  :  Collection  de  mémoires  pour  servir  à  T  histoire  de  France,  f  ™  série, 
t.  XVI,  XVII,  XVIII. 

Goclhals,  Dictionnaire  généaloqique  et  héraldique  des  familles  nobles  du 
royaume  de  Belgique.  Bruxelles,  \  849- 1 882,  4  vol.  in-4*. 

Comptes  rendus  des  séances  de  la  Commission  royale  d'histoire  de  Belgique* 

Hénaux,  La  Belgique  et  le  pays  de  Liège  en  4576.  (Dans  le  t.  III  des 
Bulletins  de  l'Institut  archéologique  liégecis.) 

Dicgcrick,  Quelques  lettres  de  Gérard  de  Groesbeck.  (Dans  le  t.  III  des 
Bulletins  de  l'Institut  archéologique  liégeois.) 

H.  Baumgarten,  Gcschichlc  Karts   W  Stuttgart,   Verlag  der  J.-C.  Cot~ 
ta'schen  Buchhandlung ,  I  Band  1885,  Il  Band  188G. 


DE  L'ATTITUDE 


DES 


SOUVERAINS   DES   PAYS-BAS 


A  L'ÉGARD 


DU  PAYS  DE  LIÈGE  AU  XVI1  SIÈCLE 


CHAPITRE  PREMIER. 


La  neutralité  liégeoise  à  la  fin  du  XVe  siècle. 


I 

Le  XVe  siècle  avait  été  pour  la  maison  de  Bourgogne  une 
période  de  prospérité  continue  et  de  conquêtes  durables.  Par 
d'heureuses  alliances,  d'habiles  négociations  ou  des  victoires 
brillantes,  les  princes  de  cette  famille  avaient  réuni  à  leur 
domaine  primitif  de  la  Bourgogne  les  comtés  de  Flandre  et 
d'Artois;  les  comtés  de  Hainaut,  de  Hollande,  de  Zélande  et  la 
seigneurie  de  Frise;  le  marquisat  de  Namur;  les  duchés  de 
Brabantetde  Limbourg;  le  duché  de  Luxembourg  et  le  duché 
de  Gueldre. 

L'acquisition  des  territoires  de  la  basse  Lotharingie  eût  été 
complète,  si  les  ducs  avaient  possédé  la  ville  de  Tournai  ;  les 
terres  ecclésiastiques  de  Cambrai,  d'Utrecht  et  de  Liège;  les 
provinces  septentrionales  de  Groningue,  de  Zutphen  et  d'Over- 
Yssel. 


(12) 

L'annexion  de  la  principauté  de  Liège  se  recommandait 
avant  toute  autre,  à  cause  de  la  situation  géographique  et  de 

9 

l'importance  économique  de  cet  Etat,  et  des  rares  facilités  que 
sa  conquête  offrait  aux  belliqueux  souverains  des  Pays-Bas. 
Enclavée  entre  le  marquisat  de  Namur,  le  duché  de  Luxem- 
bourg, le  duché  de  Limbourg,  le  duché  de  Gueldre,  le  duché 
de  Brabant  et  le  comté  de  Hainaut,  la  principauté  de  Liège 
commandait  la  vallée  de  la  Meuse  et  disposait  des  principales 
voies  de  communication  qui  reliaient  ces  importants  domaines 
de  la  Maison  de  Bourgogne.  Heureusement  situé  sur  les  rives 
d'un  beau  fleuve,  fécond  en  produits  agricoles  et  en  gisements 
houillers,  habité  par  une  population  industrieuse  et  virile,  ce 
petit  pays  rivalisait  d'activité  et  de  richesse  avec  ses  voisins,  et 
sa  conquête  eût  ajouté  un  insigne  fleuron  à  la  couronne  des 
ducs. 

Il  n'était  guère  de  conquête  plus  aisée.  La  bizarre  configu- 
ration géographique  de  la  principauté*,  de  cet  étrange  territoire 
qui  s'étendait  démesurément  en  longueur  et  qui  n'était  pourvu 
que  d'un  petit  nombre  de  forteresses  naturelles,  leur  organi- 
sation militaire  défectueuse,  empêchaient  les  Liégeois  de  résis- 
ter à  un  ennemi  aguerri.  Les  progrès  de  l'artillerie  et  l'insti- 
tution de  troupes  régulières  avaient  singulièrement  réduit 
l'importance  des  milices  communales;  et  si  les  Liégeois  du 
XVIe  siècle  avaient  hérité  la  vaillance  de  leurs  ancêtres,  ils 
étaient,  à  cause  de  l'infériorité  de  leur  armement  et  de  l'inex- 
périence de  leurs  chefs,  à  la  merci  des  bandes  disciplinées  des 
Bourguignons. 

Ce  qui  facilitait  encore  la  conquête  de  la  petite  principauté, 
c'étaient  l'instabilité  de  son  Gouvernement  et  l'affaiblissement 
général  qui  en  résultait.  La  succession  sur  le  trône  épiscopal 
de  souverains  d'origine  et  de  caractère  différents,  empêchait  les 


1  La  principauté  de  Liège  comprenait,  outre  la  eilé  de  Liège,  vingt-qualre 
bonnes  villes  dont  douze  wallones  el  douze  flamandes,  réparties  daus  cinq 
grandes  divisions  territoriales  :  le  comté  de  Looz  la  Hesbaye,  le  Condroz,  le 
marquisat  de  Franchimont  et  l'Enlre-Sambre-el-Meuse. 


(13) 

Liégeois  de  poursuivre  à  l'égard  de  l'étranger  une  politique 
uniforme  et  précise.  Les  luttes  fréquentes  des  bourgeois  avec 
la  noblesse  ou  le  clergé,  les  actes  despotiques  de  quelques 
princes-évêques,  avaient  longtemps  entretenu  la  discorde  au 
sein  de  la  nation  et  poussé  parfois  les  vaincus  à  des  résolu- 
tions insensées.  Les  provocations  continuelles  adressées  par 
les  démagogues  liégeois  aux  ducs  de  Bourgogne,  leur  folle 
obstination  à  seconder  les  projets  perfides  de  la  France, 
prouvent  combien  un  parti  désespéré  peut  à  certain  moment 
s'abuser  sur  ses  propres  forces  et  méconnaître  les  exigences 
d'une  sage  politique. 

Aussi,  les  révoltes  fréquentes  des  Liégeois  offrirent  souvent 
aux  princes  bourguignons  l'occasion  d'intervenir  dans  les 
affaires  de  la  principauté.  Jean  sans  Peur,  Philippe  le  Bon, 
Charles  le  Hardi,  remportèrent  des  victoires  signalées  sur  Pin- 
fanterie  liégeoise  et  disposèrent  souverainement  du  petit  Etat. 
Rien  ne  leur  était  plus  facile  que  d'obtenir  la  résignation  de 
Pévêque  régnant  et  d'annexer  les  terres  épiscopales  à  leurs  pays 
de  «  par  deçà  ».  Ce  n'est  pas  le  faible  empereur  Frédéric  III 
qui  eût  empêché  ce  changement  de  régime  ;  et  les  Liégeois  se 
seraient  probablement  attachés  assez  vite  à  leurs  nouveaux 
maîtres,  pour  peu  que  ceux-ci  se  fussent  montrés  habiles.  Ils 
n'auraient  d'ailleurs  rien  perdu  en  passant  du  gouvernement 
tracassier  et  despotique  de  Jean  de  Bavière  ou  de  Louis  de 
Bourbon  sous  la  domination  du  grand-duc  d'Occident. 

Malheureusement,  les  ducs  de  Bourgogne  se  méprirent  sin- 
gulièrement sur  le  rôle  qu'une  sage  diplomatie  leur  conseillait 
de  jouer  dans  la  vallée  de  la  Meuse.  Chacune  de  leurs  inter- 
ventions fut  marquée  par  d'horribles  ravages  et  des  cruautés 
inouïes.  On  eût  dit  que  les  ducs  se  glorifiaient  de  détruire  les 
cités  liégeoises  et  de  convertir  en  désert  leur  riche  territoire. 
Loin  de  flatter  Pamour-proprc  des  Liégeois,  de  leur  accorder, 
à  l'instar  de  la  France,  des  avantages  commerciaux  *  et  de  se 

1  Voir  dans  le  Cartulaire  de  Sainl-Trond,  édité  par  M.  Piot,  la  lettre  de 
Louis  XI  aux  Liégeois  du  23  septembre  1461. 


(  14) 

créer  ainsi  des  titres  à  leur  reconnaissance,  les  Bourguignons 
imposèrent  à  leurs  voisins  des  évéques  indignes,  confisquèrent 
les  antiques  privilèges  et  ruinèrent  le  commerce  d'industrieuses 
communes.  Que  le  sort  de  la  petite  principauté  eût  été  diffé- 
rent, si  le  rusé  Louis  XI  eût  régné  à  Malines  à  la  place  du 
brutal  Charles  le  Hardi  ! 

La  politique  poursuivie  par  les  ducs  de  Bourgogne  à  l'égard 
du  pays  de  Liège  fut  donc  des  plus  maladroites.  Le  dédain 
incompréhensible  que  ces  souverains  témoignèrent  à  la  princi- 
pauté leur  fit  manquer  l'acquisition  d'un  État  dont  la  posses- 
sion leur  eût  été  plus  précieuse  que  celle  de  la  Lorraine  ;  en 
même  temps,  leurs  cruautés  insensées  exaspérèrent  le  peuple 
liégeois  et  rendirent  le  nom  bourguignon  odieux  aux  popula- 
tions de  la  vallée  de  la  Meuse.  11  s'écoula  de  longues  années 
avant  que  le  souvenir  de  la  terrible  catastrophe  du  3  novembre 
1468  disparût,  et  longtemps  les  Liégeois  regardèrent  les  souve- 
rains des  Pays-Bas  comme  des  adversaires  irréconciliables. 

Les  Bourguignons  léguaient  ainsi  à  leurs  héritiers,  les  Habs- 
bourg, une  mission  difficile.  C'était  aux  Habsbourg  de  compléter 
les  acquisitions  réalisées  sous  les  règnes  antérieurs;  c'était  à 
eux  aussi  de  réparer  les  fautes  diplomatiques  de  leurs  prédéces- 
seurs et  de  rehausser  le  prestige  des  Pays-Bas,  si  compromis  à 
l'étranger  par  les  folies  du  dernier  duc  de  Bourgogne. 

II 

Les  débuts  du  règne  de  Maximilien  aux  Pays-Bas  ne  furent 
pas  heureux.  Ce  prince  frivole  et  capricieux  se  vit  disputer  par 
les  communes  de  Flandre  la  tutelle  de  ses  enfants,  et  cette  con- 
testation juridique  entraîna  une  guerre  désastreuse,  dont  les 
conséquences  se  firent  sentir  jusque  dans  le  pays  de  Liège. 
Gomme  le  feu  duc,  Maximilien  intervint  dans  les  affaires  lié- 
geoises. En  1483,  ses  troupes  battirent,  à  Hollogne-sur-Geer, 
Guillaume  de  la  Marck,  le  terrible  Sanglier  des  Ardennes *,  qui 

1  Sur  le  Sanglier  des  Ardennes,  voir  la  Chronique  cC Adrien  du  Vieux-Bois, 


(18) 

voulait  chasser  l'évêque  Jean  de  Homes  et  s'emparer  de  l'auto- 
rité suprême.  Guillaume  se  réconcilia  avec  son  ennemi;  mais 
en  1485,  il  fut  traîtreusement  arrêté  par  ordre  de  Haximilien 
et  décapité  à  Maestricht.  Jean  de  Hornes  avait  été  le  complice 
du  prince  autrichien;  sa  perfidie  provoqua  une  guerre  civile  de 
sept  années  qui  rappela  aux  Liégeois  les  plus  mauvais  jours 
de  la  tyrannie  bourguignonne. 

Les  dernières  années  du  XVe  siècle  apportèrent  quelque 
soulagement  aux  misères  des  Liégeois.  La  paix  de  Saint- 
Jacques  de  1487  leur  avait  rendu  les  privilèges  confisqués  par 
les  Bourguignons;  la  paix  de  Haccourt  réconcilia,  en  1492,  les 
deux  familles  rivales  des  la  Marck  et  des  de  Hornes. 

Il  semblait  que  la  vallée  de  la  Meuse  allait  enfin  jouir  de  la 
paix  qui  lui  était  si  nécessaire,  quand  un  nouveau  danger 
menaça  la  principauté  :  la  rivalité  de  la  France  et  des  Pays- 
Bas. 

L'inconstant  Maximilien  s'était  de  nouveau  brouillé  avec  le 
roi  Très-Chrétien.  Le  renvoi  de  sa  fille  Marguerite  *,  la  perte 
de  l'Artois,  les  projets  ambitieux  de  Charles  VIII  sur  le 
royaume  de  Naples  ;  tels  étaient  les  motifs  de  sa  haine  contre 
la  France,  motifs  qui  entraînèrent  à  former  contre  ce  pays 
une  coalition  des  Pays-Bas,  de  l'Angleterre  et  de  l'Espagne  *. 


moine  de  S'-Laurent,  publiée  dans  le  t.  IV  ôeYAmplissima  collectio  de  Mai- 
lene  et  Durand,  et  la  Chronique  de  Jean  de  Los,  également  moine  de  S'-Laurent, 
publiée  par  de  Ram  dans  les  Documents  relatifs  aux  troubles  du  pays  de 
Liège  (Pcblicatioks  de  la  Commission  royale  d'histoire).  M.  J.  Demarleau, 
directeur  de  la  Gazette  de  Liège,  a  écrit  une  excellente  notice  sur  le  célèbre 
aventurier,  intitulée  «  Guillaume  de  la  Marck,  le  Sanglier  des  Ardennes  ». 
Liège,  Demarleau,  1884. 

1  Marguerite,  fille  de  Maximilien,  avait  été  fiancée  par  le  traité  d'An  as 
de  1482  au  Dauphin,  le  futur  Charles  VIII.  Mais  pour  rattacher  la  Bretagne  à 
la  couronne, ce  prince  épousa  l'héritière  de  ce  duché,  déjà  fiancée  à  Maximilien, 
et  renvoya  Marguerite.  Il  offensait  ainsi  Maximilien  comme  père  et  comme 
fiancé. 

*  Henri  VII  Tudor  et  Ferdinand  le  Catholique,  roi  d'Aragon,  entrèrent 
dans  celte  ligue. 


(16) 

Heureusement,  la  guerre  qui  s'ensuivit  se  borna  à  quelques 
escarmouches  sur  les  frontières  de  l'Artois,  parce  que  le  roi  de 
France,  pressé  d'entreprendre  la  conquête  du  royaume  de 
Naples,  se  hâta  de  se  réconcilier  avec  ses  adversaires,  au  prix 
d'humiliantes  concessions  *. 

Enclavée  dans  les  Pays-Bas,  voisine  de  la  France  et  de  la 
Gueldre,  la  principauté  de  Liège  se  trouvait  dans  une  situation 
critique.  Elle  pouvait,  en  raison  de  sa  position  géographique, 
être  entraînée  dans  le  parti  d'un  des  belligérants  et  devenir  le 
champ  clos  où  se  combattraient  les  ambitions  rivales  des  Etats 
limitrophes.  Douloureuse  perspective  pour  une  nation  déjà  si 
éprouvée  ! 

Si  les  Liégeois  avaient  cédé  à  leurs  secrètes  inclinations,  ils 
auraient  suivi  la  bannière  française;  mais  le  souvenir  des 
perfidies  de  Louis  XI  mettait  les  patriotes  les  plus  prudents  en 
garde  contre  les  avances  d'un  voisin  déloyal.  Une  union  avec 
les  Pays-Bas  semblait  plus  naturelle  :  c'était  avec  ces  contrées 
que  les  Liégeois  entretenaient  les  rapports  commerciaux  les 
plus  importants;  leur  territoire  était  partout  circonscrit  par  les 
États  néerlandais  ;  et  les  esprits  éclairés  devaient  prévoir  qu'un 
jour  les  villes  de  la  Meuse  seraient  englobées  dans  les  Pays- 
Bas.  Ne  valait-il  pas  mieux  dès  lors  prévenir  ce  danger  en 
s'attachant  aux  destinées  de  la  Flandre  et  du  Brabant  ? 

Malheureusement,  le  souvenir  des  horribles  catastrophes  de 
Dinant  et  de  Liège  n'avait  pas  encore  disparu,  et  les  Liégeois 
éprouvaient  une  insurmontable  répugnance  pour  une  fédé- 
ration avec  le  fils  de  Marie  de  Bourgogne,  le  jeune  Philippe 
le  Beau. 

Puisque  l'alliance  des  Pays-Bas  ou  de  la  France  soulevait  de 
sérieuses  objections,  il  ne  restait  aux  Liégeois  qu'une  issue  : 
déclarer  qu'ils  n'embrasseraient  le  parti  de  personne  et  demeu- 


1  Par  le  traité  d'Étaples,  Charles  VIN  paya  à  Henri  VII  une  somme  de 
745,000  écus  d'or;  par  le  traité  de  Sentis,  rendit  à  Maximilien  l'A  ri  ois,  la 
Franche-Comté  et  le  Cbarolais;  par  le  traité  de  Barcelone,  restitua  à  Ferdi- 
nand le  Catholique  le  Roussillon  et  la  Cerdague. 


(  17  ) 

reraient  neutres  dans  les  guerres  de  leurs  voisins.  En  prenant 
cette  sage  résolution,  ils  revenaient  à  un  projet  qu'ils  avaient 
conçu  à  la  mort  du  Téméraire  ',  et  que  les  malheurs  des  der- 
nières années  imposaient  avec  une  nouvelle  force.  Aussi,  en 
même  temps  qu'ils  proclamaient  la  réconciliation  des  la  Marck 
et  des  de  Homes,  les  trois  Etats,  c'est-à-dire  le  clergé  primaire, 
la  noblesse  et  les  députés  des  bonnes  villes,  délibérèrent  sur 
leur  future  attitude  à  l'égard  des  puissances  voisines.  Ils  adop- 
tèrent la  neutralité  «  durant  les  guerres  et  divisions  pré- 
sentes 2  »  et  sollicitèrent  du  roi  de  France  la  faculté  de 
commercer  dans  son  pays  malgré  les  hostilités.  Charles  VIII  3 
et,  un  mois  plus  tard,  l'archiduc  Maximilien,  ratifièrent  la 
décision  des  états  liégeois. 


1  Dans  le  t.  H  de  la  troisième  édition  de  son  Histoire  du  pays  de  Liège 
(pp,  237  suiv.),  l'historien  Hénaux  examine  les  différentes  hypothèses  émises 
au  sujet  de  la  proclamation  de  la  neutralité  liégeoise  à  la  fin  du  XVe  siècle  et 
de  la  date  de  cette  proclamation  11  publie  différents  extraits  d'un  paweilhar 
relatifs  à  celte  neutralité,  paweilhar  qui  appartenait  à  sa  collection  privée. 
L'inventaire  de  M.  Stanislas  Bormans  mentionne  d'autres  paweilhars  oh  l'on 
trouve  des  copies  de  la  résolution  des  états  liégeois  en  1492. 

1  c  Premier  que  ledit  pays  (de  Liège)  puisse  demeurer  eu  bonne  et  vraie 
neutralité  durant  les  guerres  et  divisions  présentes,  et  que  les  subgects 
d'iceulx,  nonobstant  lesdiles  divisions,  puissent  fréquenter,  venir  et  commu- 
niquer en  royaume  de  France  et  avoir  avec  les  marchands  dicelluy  et  autre 
seure  communication  de  marchandise,  y  mener  toutes  denrées  que  bon  leur 
semblera  et  en  ramener  d'autres.  »  Délibération  des  états,  extraite  du 
paweilhar  liégeois  cité  par  Hénaux. 

3  Le  8  juillet  1492  :  «  Charles  par  la  grâce  de  Dieu,...  promettant  doré- 
navant lesdits  de  la  cité  et  pays  de  Liège  tenir  et  faire  tenir  paisibles  par  nos 
capitaines  et  gens  de  guerre,  sans  leur  permettre  pendant  ladite  neutralité 
fourager,  piler,  rober  ou  travailler  par  exploits  de  guerre  lesdits  pays  de  Liège. 
Pourveu  que  de  leur  parte  leurdil  évéque  et  eux  se  tiennent  neutres  sans 
fraude  et  qu'ils  ne  s'entremettent  de  faire  ou  dommaige  à  nous,  nos  royaumes, 
pays  et  seigneuries,  etc.  •   Hénaux,  loc,  cit. 

Le  chroniqueur  contemporain  Jean  de  Los  ne  dit  rien  de  la  neutralité  pro- 
clamée en  149-2.  Fisen  (Historia  ecclesiaô  leodiensis,  édition  de  1696,  p.  310) 
y  faitallusion.  Foulon  {Historia  leodiensis,  t.  II,  p.  180)  seul  en  parle  d'une  ma- 
nière précise. 

Tome  XLI.  2 


(18) 

La  mort  de  l'empereur  Frédéric  III,  en  1493,  rappela  Maxi- 
milien  en  Allemagne.  Le  roi  des  Romains  succéda  à  son  père 
dans  les  domaines  autrichiens  et  exerça  les  fonctions  d'em- 
pereur sans  en  porter  le  titre  *.  En  1494,  son  fils,  Philippe 
le  Beau,  fut  émancipé  et  prit  les  rênes  du  gouvernement  dans 
les  Pays-Bas.  Le  nouveau  souverain  eut  à  soutenir  contre 
Charles  d'Egmont,  le  prétendant  au  duché  de  Gueldre,  une 
guerre  opiniâtre  qui  dura  plusieurs  années;  la  descente  de 
Charles  VIII  en  Italie  l'entraîna  dans  une  ligue  contre  la 
France.  En  1495,  il  épousa  dona  Juana,  fille  des  rois  catho- 
liques, pendant  que  sa  sœur  Marguerite  s'unissait  à  don  Juan, 
héritier  des  mêmes  souverains.  Ce  double  mariage,  qui  avait 
été  imaginé  dans  une  pensée  hostile  à  la  France,  fut  le  germe 
de  la  puissance  formidable  des  Habsbourg. 

Conformément  aux  résolutions  prises  en  1493,  le  pays  de 
Liège  garda  une  stricte  neutralité  pendant  les  campagnes  de 
Philippe  le  Beau  contre  les  Gueldrois,  et  se  montra  assez  indif- 
férent aux  intrigues  diplomatiques,  qui  tantôt  brouillèrent, 
tantôt  rapprochèrent  les  Pays-Bas  et  la  France.  Les  Liégeois 
n'avaient  qu'un  souci  :  réparer  les  brèches  que  les  guerres 
précédentes  avaient  faites  à  leur  prospérité.  Le  chapitre  cathé- 
dral  de  S1- Lambert  partageait  les  dispositions  pacifiques  de  la 
nation,  puisqu'à  la  mort  de  Jean  de  Homes  il  écarta  le  candi- 
dat de  Philippe  le  Beau,  Jacques  de  Croy,  évêque  de  Cambrai, 
et  élut  à  l'unanimité  un  prince  populaire,  Erard  de  la  Marck, 
neveu  du  Sanglier  des  Àrdennes  2  et  frère  de  Robert  II  de  la 
Marck,  souverain  de  Sedan. 

Telle  était  la  situation  politique  des  Pays-Bas  et  de  la  princi- 
pauté de  Liège  au  commencement  du  XVIe  siècle  :  les  Pays- 
Bas,  comme  l'empire,  venaient  de  se  réconcilier  avec  la  France; 


1  N'ayant  pas  été  couronné  par  le  pape,  Maximilien  continua  de  porter  le 
H  ire  de  «  roi  dts  Romains.  » 

*  Chapea ville  :  Gesta  pontificum  leodiensium,  t.  III,  p.  235.  Êrard  de 
la  Marck  élaii  fils  de  Robert  Ier  de  la  Marck,  frère  du  Sanglier  des  Ardennes 
el  prince  de  Sedan. 


(  19) 

mais  cette  réconciliation,  œuvre  de  Philippe  le  Beau  *,  repo- 
sait plutôt  sur  des  convenances  diplomatiques  que  sur  des 
motifs  sérieux.  Louis  XII  ne  songeait  pas  à  faire  célébrer  le 
mariage  projeté  aux  conférences  de  Blois  entre  sa  fille  Claude 
et  le  jeune  Charles,  duc  de  Luxembourg^;  au  contraire,  il  sou- 
tenait secrètement  Charles  d'Egmont  contre  Philippe  le  Beau  3. 
C'est  pourquoi  l'alliance  de  la  France  et  des  Pays-Bas  sera 
bientôt  rompue  pour  des  raisons  aussi  futiles  que  celles  qui 
avaient  présidé  à  sa  conclusion. 

D'autre  part,  la  cité  de  Liège  recevait  dans  ses  murs  un  prince- 
évéque  qui  comptait  de  nombreux  partisans  et  ne  s'était  pas 
compromis  dans  les  troubles  précédents.  Pour  la  première  fois 
depuis  l'avènement  de  Jean  de  Bavière,  elle  obéissait  à  un  sou- 
verain qui  n'était  pas  une  créature  de  la  cour  des  Pays-Bas.  La 
mission  du  nouveau  prélat  était  toute  tracée  :  il  devait  résister 
aux  sollicitations  indiscrètes  des  monarques  voisins,  et  observer 
la  neutralité  proclamée  par  les  états  liégeois  en  1493,  et  solen- 
nellement reconnue  par  le  roi  de  France  et  par  Maximilien. 

III 

La  mort  inattendue  de  Philippe  le  Beau  et  la  minorité  de 
Charles  rendirent  de  nouveau  Maximilien  maître  des  destinées 
des  Pays-Bas.  Ce  monarque  insouciant  révéla  dans  ses  rapports 
avec  le  prince  de  Liège  le  même  esprit  de  légèreté  que  dans 
ses  autres  entreprises.  Soit  qu'il  fût  mécontent  de  l'échec 
de  son  candidat,  Jacques  de  Croy,  soit  qu'il  voulût  se  ven- 


1  Mécontent  de  la  perfidie  de  son  beau-père  Ferdinand  dans  la  guerre  de 
Naples,  Philippe  le  Beau  se  rapprocha  de  Louis  XII  et  conclut  avec  ce  monarque 
les  traités  de  Blois,  par  lesquels  Maximilien  accordait  à  Louis  XII  l'investiture 
du  Milanais,  Charles  d'Autriche  était  fiancé  à  Claude  de  France,  Louis  XII 
et  Maximilien  s'alliaient  contre  Venise. 

*  A  sa  naissance,  Charles-Quint  fut  nommé  duc  de  Luxembourg  par  Phi- 
lippe le  Beau. 

8  Voir  le  premier  yolume  du  Règne  de  Charles-Quint  en  Belgique,  de 
M.  A.  Henné. 


(20) 

ger  de  l'aide  fournie  au  duc  de  Gueldre  par  le  frère  du  pré- 
lat, Robert  II  de  la  Marck,  seigneur  de  Sedan,  il  témoigna  à 
son  vassal  un  mauvais  vouloir  mal  déguisé,  refusa  de  lui 
conférer  les  droits  régaliens  et  tenta  même  de  s'emparer  de  sa 
personne  *.  Sous  prétexte  de  combattre  les  Gueldrois,  il  laissait 
ses  troupes  hiverner  dans  le  pays  de  Liège,  et  recommandait  à 
sa  fille  Marguerite,  gouvernante  des  Pays-Bas,  de  faire  appré- 
hender Tévéque  s'il  se  rendait  à  Bruxelles  sans  être  porteur 
d'un  sauf-conduit  2. 

Des  procédés  aussi  mesquins  se  justifiaient  d'autant  moins 
qu'Erard  de  la  Marck  ne  négligeait  aucune  occasion  de  se 
concilier  les  bonnes  grâces  de  son  suzerain.  Déjà  en  1506, 
Josse  de  Courteville,  bailli  de  Lille  et  ambassadeur  de  Philippe 
le  Beau  à  la  cour  de  Louis  XII,  écrivait  3  à  son  souverain  qu'il 
ne  devait  rien  craindre  du  nouveau  prince-évêque  de  Liège. 

» 

Quoique  l'ami  du  roi  de  France,  Erard  s'attachât  à  faire  res- 
pecter par  ses  sujets  la  neutralité  proclamée  à  la  fin  du  siècle 
précédent.  Il  ne  refusa  jamais  à  son  ancien  protecteur  ses  con- 
seils et  sa  médiation,  mais  empêcha  les  Liégeois,  sous  des 
peines  sévères,  de  prendre  part  aux  querelles3  des  Brabançons 
et  des  Gueldrois,  des  Néerlandais  et  des  Français  *. 


1  Chronique  de  Brusthem  (pp.  22  et  suiv  ),  publiée  en  partie  par  le  cha- 
noine Reusens  dans  le  t.  VIII  des  Bulletins  de  l'Institut  archéologique  liégeois. 
Jean  de  Brusthem,  moine  récollet  contemporain  d'Êrard  de  la  Marck,  a  com- 
posé une  chronique  latine  qui  est  le  document  historique  le  plus  important 
du  règne  de  ce  prélat.  Chapeaville  lui  a  emprunté  un  grand  nombre  de  faits. 
La  chronique  de  Jean  de  Los  ne  rapporte  que  l'histoire  des  premières  années 
d'Érard  de  la  Marck. 

*  Lettre  datée  d'Augsbourg,  25  mars  1507,  dans  Le  Guy,  Correspondance 
de  Maximilien  avec  Marguerite  d'Autriche,  1. 1,  P-  45. 

*  Lettre  datée  de  Tours,  17  juin  1506,  dans  Van  den  Bergu,  Gedenkstuk- 
ken  tôt  ophetdering  der  Nederlandsche  geschiedenis,  t.  I,  p.  8. 

*  Voir  Chapeaville,  t.  III,  p.  243.  «  Praesul  edixit  ne  quis  vivat  aut  Caesar 
aut  Gallus,  aut  Burgundus,  aut  Gelder,  vel  publice  vel  privalim  proclamarel, 
ne  quis  ullam  sive  verbo  sive  facto  injuriam  ulli  extero  inferret,  neve  crucrm 
in  vestibus  sive  reclam,  sive  obliquam  gestaret,  sub  abscissionis  linguae  et  \ 
gravissimae  sua?  indignationis  pœna.  » 


(21  ) 

Ce  rôle  pacifique  servait  trop  bien  les  intérêts  des  Pays-Bas 
pour  que  Maximilien  ne  se  radoucît  pas  insensiblement  à 
l'égard  du  prince-évêque.  Marguerite  avait  invité  plusieurs 
villes  lossaines  à  ne  point  livrer  passage  aux  Français  et  à 
observer  ce  bonne  amitié  et  voisinage  avec  les  Pays-Bas  i.  » 
Maximilien  manda  2  aux  Brabançons  d'user  de  réciprocité  à 
l'égard  des  Liégeois.  L'année  suivante,  en  1509,  il  conféra  à 
Erard  les  droits  régaliens  3,  après  avoir  confirmé  les  privilèges 
accordés  aux  Liégois  par  ses  prédécesseurs  *. 

Ces  démonstrations  tardives  ne  paraissent  pourtant  pas  avoir 
été  très  sincères,  puisque  Érard  craignait  encore  que  son 
évêché  n'eût  le  sort  de  la  Gueldre,  c'est-à-dire  ne  fût  incorporé 
dans  les  Pays-Bas,  ou  qu'il  ne  fût  lui-même  remplacé  par  un 
prélat  animé  de  sentiments  moins  français  $.  Heureusement 
pour  Erard,  la  révolte  des  Gueldrois  suscitait  de  grandes  diffi- 
cultés à  la  jpolitique  impériale  et  rendait  la  neutralité  de  la 
petite  principauté  indispensable  à  Maximilien.  C'est  pour  en 
obtenir  le  maintien  que  ce  prince,  en  1513,  prodigua  de  nou- 
velles marques  d'amitié  aux  Liégeois  6. 

Maximilien  avait  donc  trop  longtemps  hésité  avant  de  se 
réconcilier  définitivement  avec  un  prince  dont  l'amitié  ou  du 
moins  la  neutralité  lui  était  si  précieuse.  Il  était  heureux  pour 
les  Pays-Bas  que  l'évêque  de  Liège  comprît  les  exigences  de  sa 
situation.  Érard,  en  effet,  avait  tout  fait  pour  ménager  la  sus- 
ceptibilité de  son  suzerain  et  plaire  en  même  temps  à  Louis  XII, 


1  Lettre  du  20  août  1507.  Compte  de  Jean  Micaull  (note  de  M.  Henné, 
loco  citolo,  1. 1,  p.  157). 

*  Ordonnance  du  51  janvier  1507  (n  st.  1508)  dans  Galesloot,  Édits  el 
ordonnances  de  Charles-Quint. 

3  Acte  du  22  avril  1509.  Voir  Schoonbroodt,   Inventaire  analytique  el 
chronologique  des  chartes  de  Saint- Lambert,  n»  1 110. 

*  Voir  Polain,  Recueil  des  ordonnances  de  la  principauté  de  Lfèget  t  1 
(2e  série). 

*  Lettre  d'André  de  Burgo  à  Marguerite,  datée  du  18  juin  1511,  dans 
Le  Glat,  Correspondance  de  Maximilien  et  de  Marguerite,  t.  I,  p  407. 

6  Chronique  de  Brusthem^  p.  46. 


(  22  ) 

son  ami  et  son  protecteur.  Quoique  honoré  de  la  confiance  du 
roi  de  France  et  pourvu  par  lui  du  riche  diocèse  de  Chartres  *, 
l'habile  prélat  ne  méconnut  jamais  l'attitude  qu'un  État  neutre 
doit  observer  à  l'égard  de  puissants  voisins  2.  Il  réprima  avec 
énergie  les  tentatives  d'insurrection  qui  éclatèrent  dans  la  prin- 
cipauté en  faveur  des  Français  ou  desGueldrois,  et  cette  fermeté 
toujours  en  éveil  lui  valut  la  réputation  d'un  prince  vigilant. 
Au  plus  fort  de  la  guerre  qui  désolait  les  contrées  voisines,  il 
contint  les  dispositions  belliqueuses  d'une  partie  de  ses  sujets; 
et  quand  sonna  l'heure  des  négociations,  il  s'interposa  le  pre- 
mier en  faveur  de  la  paix.  C'est  par  cette  attitude  prudente  et 
réservée,  conforme  en  tout  point  à  la  neutralité  adoptée  par  les 
Etats  en  1492,  que  fut  marqué  le  début  de  la  politique  du 
nouveau  prince-évêque  de  Liège. 


1  En  1507,  d'après  Jean  de  Los  (ebron.  citée  p  124).  Brustbtm  assigne  à  la 
promotion  d'ftrard  à  l'évêcbé  de  Chartres  la  date  fautive  de  15U.  On  lit,  en 
effet,  dans  les  Conclusions  capitulaires  du  chapitre  de  Saint- Lambert  (cons. 
le  répertoire  chronologique  de  M  Stanislas  Bormans),  qu'en  1510,  Érard  de 
la  Marck  procéda  en  sa  qualité  d'évéque  de  Chartres  à  la  cession  d'un  fief 
français  relevant  de  cette  église. 

'  C'est  à  titre  personnel  qu'Érard  de  la  Marck  figure  avec  son  frère  Robert 
parmi  les  alliés  du  roi  de  France  dans  le  traité  de  Cambrai  de  1508  (voir 
Dumont,  Corps  diplomatique  du  droit  des  gens,  t.  IV,  I»  partie,  pp.  109-1 15). 


(  23  ) 


CHAPITRE  II. 


Le  traité  de  Saint-Trond  de  1518, 


I 

Si  l'évéque  de  Liège  s'était  borné  à  donner  à  Louis  XII,  son 
protecteur,  d'utiles  conseils,  son  frère,  messire  Robert  de  la 
Marck*,  prince  souverain  de  Sedan,  avait  combattu  vaillamment 
avec  les  siens  dans  les  rangs  de  l'armée  française.  Il  se  condui- 
sit en  héros  à  la  sanglante  journée  de  Novare,  où  il  sauva  la 
vie  à  ses  deux  fils,  Fleuranges  et  Jamets;  et  deux  ans  plus  tard, 
ce  Fleuranges,  que  sa  folle  intrépidité'fit  surnommer  V Aventu- 
reux, prit  une  part  glorieuse  à  la  victoire  de  Marignan. 

François  Ier  devait  récompenser  de  si  vaillants  capitaines.  La 
politique,  à  défaut  de  la  reconnaissance,  le  lui  conseillait. 
Robert  II  de  la  Marck  était  un  vassal  important.  Seigneur  de 
Bouillon,  de  Sedan,  de  Jamets  et  de  Fleuranges,  c'est-à-dire 
de  tout  un  cordon  de  places  fortes  s'étendant  le  long  de  la  fron- 
tière luxembourgeoise ,  il  protégeait  la  Champagne  en  cas  d'une 
invasion  des  Pays-Bas.  Frère  d'un  prélat  illustre,  pensionnaire 
de  la  ville  impériale  de  Metz,  ami  de  Franz  de  Sickingen,  un 
des  chevaliers  les  plus  intrépides  et  les  plus  populaires  de 
l'Allemagne,  qui  disposait  de  vingt-trois  forteresses,  d'une 
armée  de  dix  mille  lansquenets  et  d'une  nombreuse  artillerie, 
le  seigneur  de  Sedan  pouvait,  par  ses  ressources  et  celles  de  ses 
alliés,  faire  pencher  la  victoire  en  faveur  du  monarque  qui 
obtiendrait  son  appui.  A  une  époque  où  les  plus  illustres 


1  Sur  Robert  II  de  la  Marck  lire  les  intéressants  mémoires  de  son  Ois  aine, 
le  seigneur  de  Fleuranges,  et  l'article  que  lui  a  consacré  Brantôme  dans  sa 
Vie  des  capitaines  français. 


(24) 

guerriers  ne  connaissaient  d'autre  drapeau  que  l'or  du  prince 
qui  les  payait  le  mieux,  François  Ier  eût  dû  ménager  ce  vassal 
dont  la  susceptibilité  égalait  la  bravoure.  Comme  tous  les 
la  Marck,  Robert  était  dévoré  d'une  insatiable  ambition.  Nature 
brusque  et  sauvage  qui  rappelait  celle  de  son  oncle  le  Grand 
sanglier  des  Ardennes,  il  se  laissait  parfois  entraîner  aux  réso- 
lutions les  plus  violentes.  Courageux  jusqu'à  la  témérité,  sévère 
au  point  de  devenir  cruel,  il  offrait  un  mélange  de  bonnes  et 
de  mauvaises  dispositions.  Les  populations  voisines  de  ses 
châteaux  le  redoutaient  parce  qu'elles  le  savaient  capable  de 
toutes  les  hardiesses.  Brantôme  a  dit  de  lui  qu'il  brûlait  deux 
chandelles,  Tune  à  Sainte-Marguerite,  sa  patronne,  et  l'autre 
au  dragon.  On  connaît  sa  devise:  «  si  Dieu  ne  me  veut  aider,  le 
diable  ne  me  saurait  manquer  »,  devise  bizarre,  qui  prouve 
qu'aucun  scrupule  ne  retenait  l'orgueilleux  seigneur,  et  qu'il 
pouvait  devenir  l'ennemi. de  la  France  après  avoir  été  un  de  ses 
plus  vaillants  soldats. 

Tout  autre  était  son  frère,  l'évêque  de  Liège.  Prélat  austère, 
administrateur  vigilant,  diplomate  de  premier  ordre,  Erard  se 
distinguait  par  les  qualités  qui  manquaient  au  sire  de  Sedan. 
Ses  premiers  actes  dans  la  principauté  annoncèrent  un  règne 
réparateur.  11  rétablit  la  concorde  dans  ce  pays  si  longtemps 
livré  à  l'anarchie,  effaça  les  dernières  traces  de  la  guerre  des  la 
Marck  et  des  de  Hornes,  releva  les  forteresses  en  ruine,  défen- 
dit la  neutralité.  Tous  ces  mérites,  que  relevaient  une  vertu 
sincère  et  une  grande  science  théologique,  eussent  fait  de  cet 
évéque  un  prélat  incomparable,  s'il  ne  les  avait  quelque  peu 
déparés  par  son  amour  du  faste  et  son  ambition.  Cette  ambi- 
tion était  un  défaut  de  famille  qui  devait  passer  à  tous  les 
la  Marck,  même  aux  plus  illustres.  Non  content  d'occuper 
un  des  sièges  apostoliques  les  plus  célèbres  de  l'Allemagne,  de 
posséder  un  riche  évêché  français,  Erard  convoitait  quelques 
opulentes  abbayes  et  surtout  le  chapeau  de  cardinal.  Il  aspi- 
rait ardemment  à  ce  suprême  honneur,  honneur  qu'il  méritait 
du  reste,  et  pour  l'obtenir  il  sollicitait  l'intervention  de  Fran- 
çois Ier  auprès  de  la  curie  romaine. 

Malheureusement,   François  1er  ne    comprit   pas   comme 


(25) 

Louis  XII  l'importance  de  l'alliance  ou  de  l'amitié  des  la  Marck. 
Avec  cette  légèreté  et  cette  ingratitude  qui  lui  aliénèrent  sou- 
vent de  fidèles  serviteurs,  il  blessa  les  deux  frères  dans  leur 
orgueil  et  leur  amour-propre.  Soupçonnant  Robert  d'avoir 
autrefois  soutenu  le  parti  d'Anne  de  Bretagne,  il  lui  retira  sa 
compagnie  et  lui  paya  irrégulièrement  sa  pension.  Erard  aussi 
eut  à  se  plaindre  du  monarque;  ce  il  n'avait  point  l'audience  ni 
l'entrée,  ni  la  bonne  chère  du  feu  roi  Louis  »,  dit  Fleuranges, 
et  bientôt  il  éprouva  la  plus  amère  déception:  il  ne  fut  pas 
nommé  cardinal  ! 

Léon  X  avait  laissé  la  première  place  vacante  dans  le  sacré 
collège  à  la  nomination  du  roi  de  France,  et  celui-ci  la  réser- 
vait  à  l'évêque  de  Liège.  Le  triomphe  d'Erard  paraissait  assuré; 
Fleuranges  lui  remit  même  la  promesse  écrite  du  roi  et  de 
Louise  de  Savoie.  Tout  à  coup,  on  apprit  la  promotion  de 
l'archevêque  de  Bourges  au  cardinalat.  Gagnée  par  son  tréso- 
rier de  l'épargne,  parent  de  l'archevêque,  la  cupide  Louise  de 
Savoie  manœuvra  si  bien  que  l'insouciant  monarque  aban- 
donna l'évêque  de  Liège.  Plus  tard,  il  jura  qu'il  était  innocent 
de  cette  intrigue  ;  mais  Erard  obtint  par  Aléandre,  son  chan- 
celier qui  défendait  ses  intérêts  à  Rome,  une  copie  des  dépêches 
du  roi  au  pape,  et  put  se  convaincre  que  son  prétendu  protec- 
teur l'avait  trompé.  Ce  fut  là,  dit  Fleuranges  *,  la  principale 
cause  de  la  rupture  d'Érard  avec  François  Ier. 

II 

La  rupture  ne  tarda  guère.  Robert  renvoya  au  roi  le  collier 
de  l'ordre  de  Saint-Michel,  et  au  commencement  de  l'année 
1518,  les  deux  frères  traitèrent  avec  Marguerite  d'Autriche,  la 
fille  de  Maximilien,  et  avec  les  députés  de  Charles,  le  jeune 
souverain  des  Pays-Bas  qui  faisait  alors  son  entrée  à  Valla- 
dolid,  capitale  de  son  nouveau  royaume  de  Castille. 

1  Mémoires  de  Fleuranges  dans  Pktitot,  Collection  de  mémoires,  t.  XVI, 
et  Boute iLLER ,  Robert  II  de  la  Marck^  pensionnaire  de  la  cité  de  Metz,  dans 
les  Mémoires  de  la  Société  d'archéologie  de  la  Moselle,  1865. 


(  26) 

Érard  sollicitait  4  un  évéché  espagnol  de  6,000  à  7,000  ducats 
de  revenu  en  échange  du  diocèse  de  Chartres,  qu'il  se  propo- 
sait de  résigner;  la  première  abbaye  qui  deviendrait  vacante  en 
Brabant  et  10,000  livres  du  poids  de  xl  gros  en  attendant  qu'il 
reçût  son  évéché;  quand  il  en  serait  investi,  il  se  contenterait 
d'une  pension  de  6,000  livres  pour  ses  frais  de  représentation  à 
la  cour  des  Pays-Bas. 

Le  seigneur  de  Sedan  réclamait  un  traitement  de  6,000  livres; 
une  indemnité  annuelle  de  2,000  livres  pour  l'entretien  de  ses 
hommes  d'armes  ;  vingt-cinq  gendarmes  et  cinquante  archers 
pour  sa  garde  personnelle  ;  1,500  livres  de  pension  pour  un  de 
ses  fils,  Jean  de  la  Marck,  seigneur  de  Saulcy,  qui  s'engagerait 
au  service  des  Pays-Bas  ;  300  livres  de  pension  pour  son 
épouse,  Catherine  de  Croy,  dame  de  Sedan  ;  et  le  transfert  sur 
le  comté  de  Chiny  2  d'une  hypothèque  qu'il  avait  jadis  reçue 
de  Charles  d'Autriche  sur  la  prévôté  de  Bastogne,  pour  un  prêt 
de  3,000  florins  d'or  d  Allemagne. 

En  retour  de  ces  avantages  et  d'autres  moins  importants,  les 
deux  frères  offraient  de  laisser  leurs  châteaux  forts  au  dernier 
survivant,  afin  qu'ils  fussent  sérieusement  gardés  ;  de  servir  le 
roi  d'Espagne  à  leurs  dépens  sous  le  bénéfice  de  la  réciprocité; 
de  faire  conclure  entre  le  pays  de  Liège  et  les  Etats  de  Charles 
une  alliance  défensive. 

Les  la  Marck  n'avaient  pas  manqué  de  représenter  au  jeune 
roi  combien  leur  alliance  lui  serait  avantageuse.  Uni  aux  Lié- 
geois, le  souverain  des  Pays-Bas  n'avait  plus  rien  à  craindre 
pour  la  frontière  orientale  de  ses  Etats  de  ce  par  deçà  ».  En  temps 
de  guerre,  la  possession  de  la  vallée  de  la  Meuse  lui  ménagerait 
une  route  facile  vers  la  France,  et  lui  permettrait  de  couper 


1  Toutes  ces  propositions  des  la  Marck  à  Charles-Quint  sont  contenues  dans 
un  long  mémoire  que  nous  avons  trouvé  aux  Archives  du  royaume  :  carton  I 
des  Documents  concernant  le  pays  de  Liège. 

*  Chiny,  et  non  Cbimai,  comme  on  lit  dans  Fisen  et  dans  P Histoire  du  dio- 
cèse et  de  la  principauté  de  Liège  pendant  le  XVI*  siècle  de  M.  le  chanoine 
Daris. 


(27) 

toute  communication  entre  ce  pays,  la  basse  Allemagne  et  la 
Gueldre.  L'alliance  du  seigneur  de  Sedan  lui  assurait  celle  du 
brave  chevalier  allemand,  Franz  de  Sickingen,  dont  la  popula- 
rité serait  des  plus  utiles  quand  il  briguerait  la  couronne 
impériale. 

Ces  avantages  étaient  évidents,  et  les  la  Marck  eurent  soin  de 
les  exposer  dans  le  mémoire  qu'ils  expédièrent  à  Valladolid,  où 
Charles-Quint  résidait  alors.  Le  grand  chambellan,  Guillaume 
de  Croy,  sire  de  Chièvres,  le  ministre  le  plus  influent  du  jeune 
roi,  dut  en  comprendre  l'importance,  et  la  faire  apprécier  par 
tous  les  conseillers  de  son  maître. 

Ce  subit  revirement  dans  la  politique  traditionnelle  des 
la  Marck  a  frappé  tous  les  écrivains  liégeois.  Le  jésuite  Fisen, 
qui  de  tous  les  chroniqueurs  a  le  mieux  rapporté  ces  événe- 
ments, l'attribue  à  trois  causes  :  l'évêque  de  Liège  n'avait  pas 
reçu  la  pourpre  cardinalice  et  imputait  son  échec  aux  intrigues 
de  la  cour  de  France  ;  il  était  mal  vu  du  nouveau  roi  Très 
Chrétien,  parce  qu'il  aurait  conseillé  à  son  prédécesseur, 
Louis  XII,  de  se  remarier  ;  il  comprenait  enfin  qu'il  compro- 

9 

mettait  l'avenir  de  ses  Etats  en  s'éloignant  de  Charles  *. 

A  coup  sûr,  des  raisons  personnelles  et  des  motifs  politiques 
ont  tout  à  la  fois  provoqué  cette  grave  résolution  des  la  Marck. 
En  examinant  les  propositions  relatives  aux  pensions  et  aux 
bénéfices  de  ces  princes,  il  est  impossible  de  ne  pas  y  recon- 
naître cette  ambition  insatiable  qui  sembait  l'apanage  de  leur 
famille.  Le  soin  avec  lequel  ils  se  firent  promettre  de  riches 
revenus  en  échange  de  ceux  qu'ils  avaient  perdus,  prouve  qu'ils 
obéissaient  à  leur  ressentiment  contre  François  Ier  et  confirme 
le  témoignage  de  Fleuranges.  Cet  historien,  en  effet,  si  bien 
placé  pour  connaître  les  secrètes  pensées  des  la  Marck,  attribue 
la  défection  de  son  père  et  de  son  oncle  à  l'ingratitude  du  roi 
de  France,  principalement  à  son  manque  de  parole  envers 
Érard. 

9 

Mais  nous  croyons  aussi,  comme  l'historien  liégeois,  qu'Erard, 

1  Fisen,  Historia  ecclesiae  leodiensis,  page  323. 


(28) 

pour  sa  part,  était  mû  aussi  par  des  considérations  plus  élevées 
que  celles  de  l'intérêt.  Ce  prince  clairvoyant  assistait  à  la  fortune 
grandissante  des  Habsbourg,  et  pressentait  le  moment  où  il 
resterait  isolé  entre  les  États  de  son  puissant  voisin,  le  souverain 
des  Pays-Bas.  Il  était  plus  menacé  que  son  frère,  et  savait  que 
le  roi  de  France  ne  pourrait  empêcher  l'annexion  de  son  diocèse 
aux  autres  provinces  de  Charles,  si  celui-ci  déclarait  la  guerre 
aux  Liégeois.  Nous  attribuerons  donc  la  politique  nouvelle 
d'Ërard  au  double  désir  d'accroître  son  influence  personnelle 
et  de  se  concilier  la  protection  de  Charles-Quint. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  souverain  liégeois  ne  s'abusait  pas  sur 
l'accueil  qu'une  partie  de  ses  sujets  réservaient  à  ses  proposi- 
tions. Il  savait  que  s'il  présentait  aux  états  son  projet  de  traité 
avec  les  articles  concernant  les  avantages  financiers  réservés  a 
sa  famille  et  l'abandon  des  forteresses,  il  soulèverait  une  oppo- 
sition formidable.  Ses  ennemis  lui  reprocheraient  de  dénoncer 
la  neutralité  proclamée  en  1499,  et  les  partisans  de  la  France, 
assez  nombreux  dans  le  pays,  censureraient  son  ambition,  et 
crieraient  peut-être  à  la  trahison  en  le  voyant  recevoir  les  lar- 
gesses du  souverain  des  Pays-Bas. 

C'est  pourquoi,  ne  voulant  pas  justifier  les  griefs  de  leurs 
adversaires,  les  deux  frères  écartèrent  du  libellé  primitif  toutes 
les  clauses  relatives  à  leurs  bénéfices,  aux  pensions  et  aux 
forteresses,  et  négocièrent  d'abord  un  simple  traité  d'alliance, 
traité  inoffensif  en  apparence  et  qui  devait  dissiper  les  préven- 
tions des  esprits  les  plus  hostiles. 

III 

Signé  le  27  avril  1518,  par  les  la  Marck  et  les  députés  du 
souverain  des  Pays-Bas,   le  premier  traité  de  Saint-Trond  ' 


1  »  Le  texte  du  traité  du  27  avril  1N18  publié  par  Louvrex,  dit  M.  le  cha- 
noine Dans  (p. 21),  ne  renferme  pas  les  dispositions  qui  concernent  1rs  forte- 
resses, la  résignation  du  siège  épiscopal,  les  pensions,...  A-I-od  retratichédu 
texte  les  parties  qui  n'ont  pas  été  approuvées  par  les  étais?  Y  a-t-il  eu  deux 


(29) 

stipulait  que  le  roi  catholique  et  les  seigneurs  de  Liège  et  de 
Sedan,  pour  mettre  un  terme  aux  entreprises  des  gens  de 
guerre  et  sauvegarder  l'indépendance  de  leurs  États,  se  défen- 
draient mutuellement  «  envers  et  contre  tous  sans  nulz  exceptes  » 
sauf  contre  la  ville  de  Metz  et  Franz  de  Sickingen,  et  ferme- 
raient leurs  villes,  châteaux  ou  forteresses  à  leurs  ennemis 
réciproques.  Les  marchands  et  sujets  des  Etats  contractants 
commerceraient  librement  les  uns  avec  les  autres,  en  payant 
les  droits  de  douane  et  en  répondant  de  leurs  dettes  person- 
nelles. Chacun  des  trois  princes  s'engageait  à  chasser  les 
pillards  et  les  voleurs  de  grand  chemin,  et  à  permettre  aux 
officiers  de  justice  de  ses  alités  de  poursuivre  les  délinquants 
sur  son  propre  territoire,  et  de  les  remettre  aux  magistrats 
locaux,  qui  les  condamneraient  et  les  châtieraient.  Chaque 
signataire  avertirait  son  allié  des  entreprises  de  ses  ennemis, 
fournirait  le  passage  à  ses  troupes,  l'assisterait  de  ses  forces 
pour  réduire  les  adversaires  communs,  prêterait  son  contin- 
gent pour  composer  une  armée  ou  faire  un  siège.  Enfin,  les 
seigneurs  de  Sedan  et  de  Liège  soumettraient  la  ratification 
dudit  traité  aux  états  liégeois  *. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  le  pays  de  Liège  nouait 
des  relations  diplomatiques  avec  une  province  des  Pays-Bas. 


traités  du  27  avril  1518  dont  les  dispositions  auraient  été  réunies  par  Fisen 
dans  un  seul  texte?  » 

Nous  avons  partagé  les  doutes  du  savant  écrivain  jusqu'au  jour  où  nous 
avons  retrouvé  aux  Archives  du  royaume  des  copies  authentiques  du  traité  du 
27  avril,  conformes  au  texte  de  Louvrex,et  une  copie  du  traité  secret  dont  nous 
parlerons  au  chapitre  suivant.  Plus  de  doute  par  conséquent.  11  y  a  eu  deux 
traités  du  27  avril  1518  :  un  patent  et  un  secret.  Le  traité  patent  est  celui  que 
donne  Louvrex.  Le  traité  secret  n'a  pas  encore  été  publié,  et  nous  le  repro- 
duisons dans  nos  pièces  justificatives  (n°  1)  d'après  une  copie  qui  se  trouve 
dans  le  registre  1082  deY  Audience,  pp.  243 et  suivantes. 

1  Voir  Louvrex,  Recueil  contenant  les  édits  et  règlements  du  pays  de  Liège, 
1"  partie,  pp.  189  et  190.  «  Mesdicts  seigneurs  de  Liège  et  de  Sedan  sollici- 
teront et  procureront  par  effet  que  les  États  desdicts  pays  de  Liège  se 
déclairent  et  consentent  estre  compris  en  ce  présent  traictié.  » 


(30) 

Un  des  prédécesseurs  de  Charles-Quint,  Jeanne  de  Brabant, 
avait  conclu,  le  3  février  1398,  un  remarquable  traité  d'alliance 
avec  les  villes  liégeoises  '.  Aux  termes  de  ce  pacte,  les  Liégeois 
et  les  Brabançons  promettaient  de  s'entr'aider  pour  repousser 
les  envahisseurs  de  leurs  États  respectifs,  s'engageaient  récipro- 
quement à  refuser  les  vivres  à  leurs  ennemis,  et  assuraient  à 
leurs  marchands  le  droit  de  trafiquer  sur  leur  territoire.  Enfin, 
les  difficultés  éventuelles  devaient  être  réglées  à  Maestricht  * 
par  les  députés  des  deux  pays. 

Les  bénéfices  de  ce  traité  étaient  évidents.  Voisins  sur  une 
grande  étendue,  le  Brabant  et  le  pays  de  Liège  dépendaient 
l'un  de  l'autre  pour  des  raisons  économiques  multiples;  il 
était  naturel  qu'un  acte  solennel  réglât  définitivement  leurs 
rapports  commerciaux,  et  les  mît  en  mesure  de  défendre  leurs 
intérêts  menacés  :  leur  promesse  de  s'entr  aider  pour  repous- 
ser l'envahisseur  n'était  que  le  corollaire  de  leur  alliance  com- 
merciale. 

Ce  traité  n'eut  pas  une  longue  fortune.  Les  ducs  de  Bour- 
gogne dépouillèrent  les  Liégeois  de  leurs  privilèges,  et  quand 
la  petite  principauté  recouvra  son  indépendance  politique  et 
ses  libertés  locales,  elle  ne  fut  guère  tentée  de  renouer  des 
négociations  diplomatiques  avec  les  descendants  de  ses  plus 
implacables  ennemis. 

Erard  de  la  Marck  pouvait  donc  justifier  par  d'heureux  pré- 
cédents les  clauses  du  pacte  qu'il  avait  signé  avec  le  souverain 
des  Pays-Bas.  Remarquons  en  effet  que  les  deux  premiers 
articles  du  traité  de  S'-Trond  rappellent  par  leur  esprit  les 
dispositions  du  pacte  de  1398.  Dans  l'un  comme  dans  l'autre 


1  Locvrex,  loc.  citai.,  1N  partie,  pp.  184 et  185.  Ce  traité  fut  signé  parles 
souverains  des  États  contractants  et  les  députés  des  bonnes  Tilles  de  Louvain, 
Bruxelles,  Bois-le-Duc,  Tirlemont,  Léau,  Nivelles,  Lierre,  Herenthals,  Diest, 
Breda,  Berg-op-Zoom,  pour  le  Brabant,  et  de  Liège,  Duj,  Tongres,  Saint-Trood, 
Looz,  Hasselt,  Herck,  Bilsen  et  Maeseyck,  pour  la  principauté  de  Liège. 

■  Maestricht  relevait  à  la  fois  du  duc  de  Brabant  et  du  prince-évéque  de 
Liège. 


(31  ) 

cas,  les  États  contractants  s'engagent  à  se  défendre  mutuelle- 
ment contre  leurs  ennemis,  et  à  garantir  à  leurs  commerçants 
la  liberté  du  négoce  sur  le  territoire  commun  '.  Le  troisième 
article,  qui  astreignait  les  signataires  à  chasser  les  maraudeurs 
ou  les  pillards,  et  à  renvoyer  les  criminels  devant  leurs  juges 
respectifs,  était  un  excellent  moyen  de  prévenir  les  attentats  à 
main  armée,  si  nombreux  à  cette  époque  de  troubles.  Il  présente 
à  cet  égard  une  grande  analogie  avec  nos  traités  d'extradition. 

Le  quatrième  article  précisait  le  premier  en  déterminant  les 
charges  et  les  devoirs  réciproques  qu'entraînait  pour  les  con- 
tractants la  conclusion  de  leur  alliance.  Enfin,  le  dernier  se 
rapportait  à  une  disposition  de  la  paix  de  Fexhe,  qui  enjoignait 
au  prince  de  soumettre  tous  les  actes  législatifs  à  la  ratification 
des  trois  états. 

Le  nouveau  projet  de  confédération  offrait  donc  de  frap- 
pantes  ressemblances  avec  le  traité  de  1398;  et  Erard  pouvait 
espérer  qu'à  l'exemple  de  leurs  ancêtres  les  Liégeois  accepte- 
raient ses  propositions  d'alliance  avec  les  Pays-Bas. 

1  Dans  le  traité  de  1308  (v.  Louvrex,  loc.  cit.)  nous  lisons  :  c  El  à  sçavoir 
que  deres-devant  contre  tous  ceaus  qui  veneroient  à  bannière  au  fenon  des- 
ploié  et  aultre  que  on  sçauroit  en  bonne  foy  suscourir,  grever  ou  adampmagir 
le  pays  de  Brabant,  les  bonnes  villes  ou  commun  pays  de  Pevescbé  de  Liège 
et  de  la  comté  de  Looz  plus  prochain  du  lieu  où  on  vouldroit  faire  ou  porter 
tel  domproaige  devront  tanlost  traire  vers  les  inimis  pour  iceulx  résister  et  le 
pays  de  Brabant  conforter  et  rescoire,  et  pareillement  les  bonnes  villes  et 
commun  pays  de  Brabant  conlre  tous  cheauli  que  par  la  manière  dessusdite 
cou  roi  en  t  sus,  ou  adommager  et  grever  vouroienl  les  pays  del  evesché  de 
Liège  et  de  la  comléde  Looz. ...  debvronl  traire  vers  les  ennemis  et  conforter 
et  rescoire  les  pays  del  evesché  de  Liège  et  de  la  comté  de  Looz,  et  si  Je  cas 
le  requiroit  plus  avant,  lonsiours,  etc.  » 

Voir,  par  comparaison,  dans  le  traité  de  1518,  l'article  premier  :  c  Pour  le 
bien  et  seurelé  des  Elatz  desdictes  parties  ... .  soit  convenu,  accordé  et  con- 
clud  que  entre  ledict  Sr.  Roy  calholicque  et  mesdicts  seigu  de  Liège  et  de 
Sedan  sera  doresnavant  bonne,  vraye  et  ferme  amitié,  intelligence,  ligue  et 
obligation  mutuelle,  au  moyen  de  laquelle  lesdicls  scigu.  de  Liège  et  de  Sedan 
seront  tenus  servir  le  Roy  envers  et  contre  tous  sans  nulz  excepter,  sauf  que 
ledict  seigneur  de  Sedan  at  réservé  la  cité  de  Metz  en  Lorraine  et  le  seign. 
Francisque  de  Secking .....  • 


(32) 

Seulement,  si  les  textes  des  deux  traités  s'inspiraient  des 
mêmes  principes,  les  époques  de  leur  rédaction  différaient 
singulièrement. 

En  1398,  le  prince-évéqu  e  de  Liège  était  l'égal  du  duc  de 
Brabant  ;  les  deux  souverains  pouvaient  donc  négocier  sans 
craindre  de  part  et  d'autre  la  moindre  arrière- pensée.  Que  les 
temps  étaient  changés  !  Le  pays  de  Liège  se  relevait  à  peine  des 
ruines  accumulées  pendant  un  demi-siècle  de  destruction,  et  il 
se  préparait  à  souscrire  un  traité  d'alliance  avec  un  puissant 
monarque,  non  seulement  souverain  du  modeste  duché  de 
Brabant,  mais  de  presque  tous  les  Pays-Bas  et  roi  d'Espagne, 
en  attendant  qu'il  reçût  la  couronne  impériale! 

Ce  redoutable  voisin  serait-il  un  sincère  allié?  Respecterait- 
il  l'autonomie  du  petit  territoire  qui  voulait  partager  sa  bonne 
comme  sa  mauvaise  fortune  ?  La  nouvelle  alliance  n'entraîne- 
rait-elle pas  tôt  ou  tard  l'absorption  de  la  vieille  terre  épisco- 
pale  dans  les  vastes  domaines  de  Charles  d'Autriche?  Pourquoi 
enfin  Érard  s'écartait-il  de  la  neutralité,  de  cette  prudente 
attitude  que  la  nation  liégeoise  avait  autrefois  adoptée  avec  tant 
d'enthousiasme,  parce  qu'elle  la  regardait  comme  le  gage  de 
son  indépendance? 

Plus  d'un  Liégois  dut  agiter  ces  questions  troublantes  et  se 
demander  avec  angoisse  si  la  brusque  détermination  d'Erard 
de  la  Marck  ne  pousserait  pas  le  pays  à  une  nouvelle  politique 
d'aventure,  qui  ramènerait  les  mauvais  jours  de  l'époque  bour- 
guignonne. Les  patriotes  qui  connaissaient  les  projets  d'Érard 
durent  un  moment  se  révolter  à  l'idée  d'une  fédération  des 
bonnes  villes  avec  le  descendant  de  ces  implacables  despotes 
qui  avaient  promené  le  fer  et  le  feu  dans  la  principauté,  et 
maudire  la  conduite  hardie  de  leur  souverain. 

Mais  l'art  de  gouverner  n'est  pas  une  affaire  de  sentiment, 
et,  heureusement  pour  les  Liégeois,  Érard  était  plus  accessible 
aux  arguments  de  la  raison  d'Etat  qu'à  de  vains  regrets  patrio- 
tiques. Il  dut  reconnaître  que  son  petit  pays  ne  pouvait  rester 
isolé  entre  des  voisins  aussi  redoutables  que  le  roi  de  France 
et  le  souverain  des  Pays-Bas,  et  qu'il  élait  obligé  de  se  ranger 


(33) 

sous  la  bannière  de  l'un  de  ces  deux  puissants  monarques. 
Observer  la  neutralité,  la  faire  reconnaître  par  les  puissances 
limitrophes,  quand  Charles  d'Autriche  et  François  Ier  se  prépa- 
raient pour  un  duel  gigantesque,  était  une  utopie  dangereuse 
dont  il  comprenait  l'inanité.  L'isolement  de  la  principauté  eût 
causé  sa  ruine.  Travaillée  par  les  émissaires  de  la  France,  elle 
se  serait  compromise  d'une  façon  ou  de  l'autre  aux  yeux  du 
souverain  des  Pays-Bas,  et  se  serait  attiré  l'inimitié  d'un  prince 
plus  fort  et  plus  opiniâtre  que  Charles  le  Hardi.  Incapable  de 
se  défendre  par  les  armes,  le  petit  pays  de  Liège  ne  pouvait 
poursuivre  une  politique  indécise.  Il  devait  s'allier  à  l'un  des 
deux  rivaux,  et  sa  situation  géographique  de  même  que  ses 
intérêts  économiques  lui  commandaient  de  partager  les  desti- 
nées des  Pays-Bas. 

La  nouvelle  attitude  d'Erard  était  donc  non  seulement  habile, 
elle  s'imposait.  En  s'alliant  avec  le  puissant  monarque  flamand, 
il  sauvegardait  l'indépendance  de  ses  sujets.  Il  est  vrai  que 
l'ambitieux  prélat  se  fît  payer  très  cher  le  service  qu'il  rendit  à 
Charles  ;  et  à  voir  le  soin  avec  lequel  il  ménagea  ses  intérêts 
personnels,  on  serait  presque  tenté  de  croire  qu'en  se  jetant 
dans  les  bras  de  son  redoutable  voisin,  il  se  préoccupait  autant 
de  la  prospérité  des  siens  que  de  l'avenir  des  Liégeois. 

IV 

Pour  être  exécutoire  dans  la  principauté,  le  traité  de  Saint- 
Trond  devait  recevoir  la  sanction  des  représentants  de  la 
nation  et  l'approbation  impériale.  Aux  termes  de  la  paix  de 
Fexhe  de  1316,  l'évêque  de  Liège  ne  pouvait  modifier  la  légis- 
lation sans  avoir  consulté  le  sens  du  pays  ;  et  ce  n'est  qu'à  par- 
tir  du  traité  de  Westphalie  qu'il  fut  permis  aux  Etats  du  saint 
Empire  de  contracter  de  leur  plein  gré  des  alliances  avec  les 
pays  voisins. 

L'adhésion  de  Maximilien  n'était  pas  douteuse.  Le  roi  des 
Romains  appréciait  maintenant  l'importance  de  l'amitié  des 
Liégeois  et  devait  approuver  un  traité  qui  favorisait  si  gran- 
Tome  XLI.  3 


(34) 

dément  les  Etats  de  son  petit-fils;  il  témoigna  son  conten- 
tement en  octroyant,  le  24  juin  1518,  de  précieux  privilèges  à 
la  principauté  '. 

Par  le  premier,  il  défendait  d'appeler  immédiatement  d'une 
sentence  quelconque  rendue  par  un  jugeépiscopal  à  l'empereur 
ou  à  la  Chambre  impériale,  sans  avoir  passé  par  l'intermédiaire 
de  l'évéque  ou  de  son  conseil,  et  n'autorisait  l'appel  que  pour 
les  affaires  mobilières  d'une  valeur  de  plus  de  300  florins  ou 
les  affaires  immobilières  de  plus  de  600  florins. 

Par  le  second,  il  défendait  de  soustraire  un  Liégeois  à  ses 
juges  naturels  pour  le  citer  devant  un  tribunal  étranger. 

Par  le  troisième,  il  confirmait  les  concessions  faites  aux 
Liégeois  par  ses  prédécesseurs- 
Ces  trois  privilèges  abrégeaient  notablement  la  durée  des 
procès,  et  furent  bien  accueillis  des  Liégeois. 

Comme  si  ces  concessions  ne  lui  paraissaient  pas  suffisantes, 
le  roi  des  Romains  intervint  auprès  des  Liégeois  pour  leur 
recommander  l'adoption  du  traité  du  27  avril.  La  lettre  qu'il 
leur  écrivit  à  cette  occasion  est  à  la  fois  affectueuse  et  mena- 
çante, et  trahit  bien  le  caractère  indécis  et  flottant  de  son 
auteur.  Le  prince  autrichien  rappelle  à  ses  vassaux,  les  Lié- 
geois, qu'il  leur  avait  octroyé  les  privilèges  précédents  pour 
les  remercier  de  leur  envoi  d'une  ambassade  à  Cologne, 
ambassade  qui  l'avait  convaincu,  disait-il,  de  l'amitié  qui  unis- 
sait la  principauté  à  l'empire,  et  pour  prouver  qu'il  était  satis- 
fait de  l'alliance  contractée  par  le  roi  Catholique,  son  petit-fils, 
et  les  princes  de  la  Marck.  Il  les  avertissait  en  outre  qu'il  avait 
invité  les  ministres  du  jeune  Charles  à  envoyer  des  ambas- 
sadeurs à  Liège  pour  obtenir  la  ratification  du  traité  de  Saint- 
Trond,  qu'il  saurait  bon  gré  aux  Liégeois  s'ils  approuvaient  la 


1  Le  lexte  de  ces  trois  privilèges  a  été  publié  par  Louvbex,  toc.  ciL, 
lrepartie,  pp.  283  et  suivantes.  Chapeaville  eu  donne  assez  inexactement  la 
substance,  et  M  le  chanoine  Daris  (p.  22)  voit  dans  le  premier  de  ces  diplômes 
l'origine  du  conseil  ordinaire.  —  Ce  tribunal  date  de  1521 ,  par  conséquent  du 
règne  de  l'empereur  Charles-Quint. 


(  38) 

politique  de  leur  évêque,  et  que  dans  le  cas  contraire,  il  leur 
tiendrait  rigueur  d.  En  même  temps,  il  écrivait  à  sa  fille 
Marguerite,  gouvernante  des  Pays-Bas,  pour  qu'elle  s'appliquât 
à  obtenir  des  Liégeois  la  confirmation  du  susdit  traité  2. 

Les  concessions  de  Maximilien  et  ses  démarches  auprès  des 
Liégeois  devaient,  semble-t-il,  décider  les  états  à  sanctionner 
d'emblée  la  politique  de  leur  prince-évêque.  Cependant  l'adhé- 
sion des  trois  ordres  ne  fut  pas  immédiate  3.  Lors  de  la  pre- 
mière conférence,  tenue  le  7  novembre  1818,  quand  les  ambas- 
sadeurs flamands,  Charles  de  Croy  et  Antoine  de  Lalaing, 
proposèrent  aux  Liégeois  de  ratifier  l'alliance  conclue  le  27  avril 
entre  Erard,  son  frère  Robert  et  le  roi  d'Espagne,  le  clergé 
et  la  noblesse  approuvèrent  aussitôt  le  traité  ;  mais  le  tiers  état, 
qu'un  vieux  levain  de  rancune  stimulait  contre  les  Pays-Bas, 
opposa  une  résistance  inattendue.  Erard  dut  convoquer  en 
assemblée  extraordinaire  les  bourgmestres,  les  jurés  et  le  con- 
seil de  la  cité  pour  leur  exposer  les  avantages  d'une  fédération 
avec  les  Pays-Bas.  Son  éloquence  triompha  à  la  fin  des  scru- 
pules de  la  bourgeoisie,  et  le  12  novembre,  il  proposa  derechef 
aux  états  le  traité  d'alliance.  Celui-ci  fut  approuvé,  avec  la 
clause  que  les  droits  et  les  privilèges  des  pays  contractants, 
auxquels  il  n'était  pas  dérogé  dans  le  nouveau  pacte,  seraient 
maintenus  *. 


1  Nous  publions  le  texie  de  celle  lettre  dans  nos  pièces  jusliGcalives,  n°  II. 
1  Le  Glay,  Correspondance  de  Maximilien  avec  Marguerite  d'Autriche, 
t.  II,  p.  369. 
8  Fiskih,  Historia  ecclesiœ  leocUensis,  p.  326. 
*  Article  6  du  traité,  voir  Louvrex,  loc.  cit.,  p.  193. 


(36) 


CHAPITRE  III. 


Projets  de  Charles-Quint  sur  la  principauté  de  Liège. 


I 

L'opposition  du  tiers  état  eût  été  bien  plus  redoutable,  s'il 
avait  connu  le  pacte  secret  que  le  prince  de  Liège  et  son  frère 
Robert  avaient  signé  dans  cette  ville  de  Saint-Trond  avec  les 
ambassadeurs  de  Charles  d'Autriche,  le  jour  même  de  la  conclu- 
sion du  traité  précédent.  Rappelons-nous  qu'en  offrant  leur 
amitié  au  jeune  et  ambitieux  souverain,  les  la  Marck  s'étaient 
réservé  un  grand  nombre  de  faveurs  :  octroi  de  dignités  ecclé- 
siastiques, payement  de  fortes  pensions,  don  d'une  garde  de 
gendarmes  et  d'archers,  ils  n'avaient  rien  oublié  de  ce  qui  pou- 
vait rehausser  leur  puissance  ou  accroître  leur  fortune. 

Charles  accorda  tout,  mais  imposa  à  ses  nouveaux  alliés  des 
conditions  qui  rachetaient  amplement  ses  concessions.  Si  Erard 
obtint  l'expectative  d'un  évêché  espagnol  de  6,000  ducats  de 
revenu,  d'une  ou  de  deux  abbayes  en  Brabant  d'un  rapport  de 
4,000  à  5,000  livres,  s'il  toucha  jusqu'à  la  réalisation  de  cette 
double  promesse  une  pension  de  6,000  livres;  si  Robert  reçut 
également  des  émoluments  considérables,  le  commandement 
d'un  corps  de  gendarmes,  des  rentes  et  des  honneurs  pour  son 
épouse  et  ses  enfants,  les  deux  frères  durent  en  retour  souscrire 
de  nouvelles  obligations  envers  les  Pays-Bas.  Ils  s'engagèrent 
réciproquement  à  laisser  au  survivant  les  places  fortes  de  leurs 
Etats,  afin  d'empêcher  qu'elles  ne  devinssent  la  proie  d'un 
étranger  ou  d'un  ennemi  des  Pays-Bas;  Erard  promit  de  ne 
disposer  de  son  évêché,  soit  par  une  résignation,  soit  en  dési- 
gnant un  coadjuteur,  qu'en  faveur  de  son  neveu  Philippe  de  la 


(37) 

Marck  ou  d'un  autre  prince  agréable  au  roi  d'Espagne  ou  à  son 
successeur  ;  il  exigerait  en  outre  des  commandants  des  cita- 
delles liégeoises  le  serment  qu'à  sa  mort  ils  ne  livreraient  leur 
forteresse  qu'au  seigneur  de  Sedan  ou,  en  cas  de  prédécès  de 
celui-ci,  à  un  prince  désigné  par  le  roi  Catholique  et  les  états 
liégeois.  En  outre,  lesdeux  frères  ratifiaient  de  nouveau  l'alliance 
qu'ils  avaient  contractée  avec  les  Pays-Bas  et  juraient  de  la 
respecter,  non  seulement  si  le  roi  Catholique  était  attaqué,  mais 
dans  toute  guerre  qu'il  entreprendrait. 

L'alliance  de  deux  Etats  n'était  donc  plus  simplement  défen- 
sive, elle  devenait  offensive,  et  c'est  pourquoi  ce  mot  défensive, 
que  nous  voyons  mentionné  dans  le  mémoire  explicatif  envoyé 
par  les  la  Marck  à  Valladolid,  ne  paraît  plus  dans  le  traité 
public  du  27  avril.  Si  nous  le  retrouvons  dans  le  libellé  du 
traité  du  12  novembre,  c'est  qu'Erard  voulut  amadouer  le  tiers 
état  et  présenter  sous  un  jour  favorable  ses  projets  d'alliance 
avec  le  monarque  flamand. 

Telles  sont  les  principales  stipulations  de  ce  traité  secret  du 
27  avril  1518,  que  les  la  Marck  ratifièrent  le  6  mai  de  la  même 
année.  Pendant  longtemps  cet  acte  fameux  fut  ignoré  des 
historiens  liégeois  ;  le  jésuite  Fisen  l'a  deviné,  mais  il  a  eu  le 
tort  de  le  confondre  avec  le  traité  patent,  et  de  rapporter  dans 
un  même  texte  les  dispositions  distinctes  de  ces  deux  contrats. 

Le  second  traité  de  Saint-Trond  *  ne  devait  pas  être  pré- 
senté aux  états,  car  il  n'engageait  les  la  Marck  qu'à  titre 
personnel.  Nous  remarquerons  simplement  qu'il  contenait 
un  article  dont  l'interprétation  pouvait  être  dangereuse  pour 
les  Liégeois  :  celui  qui  stipulait  l'abandon  des  forteresses,  en 
cas  de  mort  du  prince-évêque  et  de  son  frère,  au  souverain 
des  Pays-Bas.  L'évéque  avait-il  le  droit  de  disposer,  même 
avec  l'assentiment  des  états,  des  places  fortes  en  faveur  d'un 
souverain  étranger  auquel  il  n'était  encore  attaché  par  aucun 

*  Nous  avons  trouvé  une  copie  du  traité  secret  du  27  avril  dans  le 
registre  4082  de  V Audience,  pp.  245  et  suivantes.  Nous  la  reproduisons  dans 
nos  pièces  justificatives,  n*  1. 


—   i 


(38) 

lien  féodal?  N'oublions  pas  qu'à  ce  moment  Charles  n'était 
que  souverain  des  Pays-Bas  et  roi  d'Espagne. 

Peut-être  Erard  avait-il  deviné  le  brillant  avenir  réservé  à 
Charles  d'Autriche.  C'est  peu  de  temps  après  la  conclusion  de 
ces  traités  mémorables  que  le  jeune  souverain,  qui  avait  choisi 
pour  devise  les  fières  paroles  «  plus  oultre  »,  brigua  la  cou- 
ronne du  saint-empire.  L'évéque  de  Liège  usa  de  son  crédit 
auprès  des  électeurs  allemands  pour  faire  conférer  à  son  royal 
allié  cet  insigne  honneur,  le  plus  grand  que  pût  ambitionner 
un  mortel.  Charles  fut  nommé  empereur  et  acquit  ainsi  une 
plus  grande  influence  sur  le  pays  de  Liège  ;  d'allié  du  prince- 
évéque  il  devenait  son  suzerain,  puisque  le  territoire  épiscopal 
était  un  fief  du  vaste  empire  germanique  '. 

On  connaît  les  projets  grandioses  du  nouvel  empereur. 
Charles-Quint  se  proposait  d'employer  les  immenses  ressources 
de  ses  nombreux  Etats  à  rehausser  le  prestige  de  sa  maison  et 
à  transformer  peu  à  peu  l'Allemagne  en  un  royaume  homogène 
comme  la  Castille.  La  grandeur  de  l'empire  l'intéressait  moins 
que  la  fortune  de  sa  famille;  et  l'on  pouvait  craindre  que, 
devenu  suzerain  de  la  petite  principauté,  il  n'usât  plutôt  de 
son  pouvoir  pour  agrandir  les  Pays-Bas  du  côté  de  la  Meuse 
que  pour  défendre  les  vieux  privilèges  de  l'Eglise  de  Liège. 

Les  Liégeois  ne  devaient  donc  pas  applaudir  trop  tôt  au  cou- 
ronnement de  Charles-Quint.  En  obtenant  l'alliance  du  nouveau 
Charlemagne,  ils  se  ménageaient  une  protection  efficace  contre 
les  entreprises  de  la  France,  mais  devenaient  en  même  temps 
les  clients  d'un  prince  dont  l'ambition  ne  connaissait  pas  de 
bornes  et  dont  les  exigences  étaient  rarement  satisfaites. 

1  Voir  Mignet,  Rivalité  de  François  /"  et  de  Charles-Quint,  1. 1.  p.  16$», 
et  pour  les  sources,  Pontcs  H  e  utérus,  Rerwn  belgicarum  liber  Vi "//,  cha- 
pitre II,  et  les  Mémoires  de  Martin  du  Bellay,  publiés  par  Petitot  dans  la 
collection  de  mémoires  relatifs  à  l'histoire  de  France,  1"  série,  t.  XVII,  p.  280. 
Pour  l'histoire  générale  de  Charles-Quint,  nous  renvoyons  le  lecteur  a  la  bio- 
graphie de  M.  H.  Baumgartek,  Geschichte  Karls  V,  dont  seulement  deux 
volumes  ont  paru,  et  à  V Histoire  du  règne  de  Charles-Quint  en  Belgique  de 
M.  Alexaudre  Henné* 


(39) 

II 

Soit  par  intérêt,  soit  par  politique,  Érard  resta  fidèle  au 
souverain  dont  il  avait  épousé  la  fortune.  Robert,  au  contraire, 
qui  avait  eu  à  se  plaindre  des  officiers  de  Charles-Quint  et  qui 
était  gagné  par  le  roi  de  France,  se  détacha  bientôt  du  parti 
impérial.  Ce  neveu  du  Sanglier  des  Ardennes,  souverain  d'une 
principauté  minuscule,  osa  braver  le  plus  puissant  monarque 
de  l'Europe.  Il  envoya  un  héraut  d'armes  à  Worms  porter 
son  cartel  à  l'empereur,  qui  présidait  la  diète  germanique,  et 
envahit  le  Luxembourg  '. 

Aussitôt  une  émeute  éclata  à  Liège.  Les  adversaires  d'Erard, 
les  ennemis  de  la  maison  d'Autriche,  projetèrent  de  livrer  la 
cité  aux  Français  ;  Antoine  de  la  Marck,  fils  de  Robert  et  cha- 
noine de  la  cathédrale,  les  soutenait. 

Mais  les  mesures  énergiques  d'Erard  détournèrent  tous  les 
dangers  ;  douze  des  conspirateurs  furent  arrêtés,  écartelés  ou 
noyés;  et  Antoine  de  la  Marck  obligé  de  quitter  la  princi- 
pauté 2.  H  se  retira  en  France  et  devint  abbé  de  Beaulieu  en 
Argonne. 

Robert,  de  son  côté,  fut  complètement  battu  par  le  comte 
Henri  de  Nassau,  général  de  Charles-Quint;  et  ses  soldats 
chassés  des  châteaux  forts  de  Logne,  de  Messincourt,  de  Saul- 
cy  et  de  Fleuranges  3.  Seule  la  forteresse  de  Bouillon  n'avait 
pas  suivi  le  parti  de  Robert;  Charles-Quint  ménagea  la  popu- 
lation et  restitua  la  ville  à  l'évêque  de  Liège,  comme  récom- 
pense de  sa  fidélité. 

La  trahison  de  Robert  causa  une  amère  déception  à  l'empe- 
reur. Ce  n'était  qu'à  la  vigilance  du  prince-évêque  qu'il*  devait 
le  maintien  de  l'alliance  de  1518.  Qu'arriverait-il  si,  dans  la 
suite,  l'activité  d'Erard  était  déjouée,  ou  si  la  principauté  était 

1  Chapraville,  toc.  cit.,  pp.  276  et  277. 

*  De  Theox  de  MoNTJAitniit,  Histoire  du   chapitre  de  Saint- Lambert, 
article  :  Antoine  de  la  Marck. 
8  V.  Henke,  loc.  cit  ,111,  pp.  S36  et  suivantes. 


(  40  ) 

gouvernée  par  un  souverain  moins  fidèle  ou  moins  pénétrant? 
Charles-Quint  était  trop  diplomate  pour  ignorer  combien  un 
traité  est  fragile,  quand  il  n'est  garanti  que  par  la  parole  d'un 
prince  ou  les  vagues  promesses  d'une  nation.  C'est  pourquoi 
il  médita  de  resserrer  les  liens  qui  rattachaient  le  pays  de 
Liège  aux  Pays-Bas,  et  il  associa  Erard  à  ses  projets. 

Avant  tout,  il  ne  voulut  pas  se  prévaloir  du  titre  de  mam- 
bour  perpétuel  et  héréditaire  de  la  principauté,  qui  avait  été 
porté  par  les  princes  bourguignons,  et  qui  rappelait  de  si 
odieux  souvenirs.  Il  ne  songea  pas  davantage  à  se  parer  du 
titre  de  voué,  cédé  jadis  au  duc  de  Brabant,  Jean  III,  par  les 
comtes  de  Looz  '.  S' inspirant  de  la  tactique  qui  lui  avait  déjà 
si  bien  réussi,  il  visa  à  se  faire  donner  indirectement  et  sous 
une  forme  modeste  le  pouvoir  exercé  trop  brutalement  par  ses 
ancêtres  dans  le  pays  de  Liège.  Il  combla  de  faveur  les  fonc- 
tionnaires de  la  principauté  dont  il  craignait  l'opposition,  et 
par  un  traité  secret  signé  à  Bruges,  le  30  août  1521 ,  obtint 
d'Erard  la  promesse  de  faire  conclure  entre  les  Pays-Bas  et  les 
Etats  liégeois  une  alliance  perpétuelle,  aux  termes  de  laquelle 
toutes  les  forteresses  seraient  ouvertes  à  «  sadite  Majesté  quant 
besoing  sera  pour  la  luition  et  défense  de  ses  pays  cTembas  *  ». 

Si  les  états  n'agréaient  pas  ces  propositions,  Erard  rendrait 
le  château  de  Bouillon  à  Charles-Quint. 

L'empereur  augmentait  ainsi  les  prétentions  si  exorbitantes 
qu'il  avait  émises  en  1518  quand  il  n'était  que  roi  d'Espagne  et 

I  Voir  aux  Archives  générales  du  royaume  à  Bruxelles  dans  les  Chartres 
de  la  iréiorerie  de  la  chambre  des  comptes  (carton  n°  8)  un  vidiinus  du  cha- 
pitre de  Ste-Gudule  et  du  magistrat  de  Bruxelles  (du  14  niai  1438)  d'une  lettre 
de  Thierry,  comte  de  Looz  et  de  Chiny,  par  laquelle  celui-ci  fait  savoir  «  d'avoir 
donné  et  porté  sur  Jehan  duc  de  Lothier  et  Brabant,  sa  vouer ie  de  Liège  que 
lui  et  ses  devantrains  comtes  de  Looz  y  avaient  tenue  et  eue  comme  leur 
propre  alleud  a  tenir,  avoir  et  posséder  à  toujours  par  ledit  duc  par  ses  hoirs 
et  ses  successeurs  comme  son  propre  alleu  »,  etc. 

II  est  encore  fait  allusion  à  cette  vouerie  dans  le  mémoire  des  la  Marck  au 
roi  de  Castille;  mais  il  n'en  est  plus  parlé  dans  les  traités  subséquents. 

9  Nous  donnons  le  texte,  de  ce  traité  dans  nos  pièces  justificatives,  n*  111  : 
Sur  les  faveurs  prodiguées  aux  fonctionnaires  liégeois,  voir  plus  loin,  p.  45» 


(«  ) 

souverain  des  Pays-Bas.  Il  se  contentait  alors  de  la  remise  des 
forteresses  liégeoises  au  seigneur  de  Sedan  ou  à  un  de  ses  par- 
tisans, à  la  mort  de  l'évéque.  Cette  fois,  il  réclamait  le  droit  de 
disposer  du  pays  de  Liège,  quand  il  le  jugerait  convenable  pour 
la  protection  de  ses  États  néerlandais.  Autant  valait  demander 
l'annexion  pure  et  simple  du  territoire  épiscopal  aux  Pays-Bas. 

Si  un  tel  traité  était  ratifié  par  les  états,  le  pays  de  Liège 
devenait  une  province  des  Pays-Bas.  Charles-Quint  aurait  vite 
trouvé  un  prétexte  plausible  pour  loger  ses  soldats  dans  les 
forteresses  liégeoises  et  pour  les  y  laisser. 

Erard  de  la  Marck  ne  devait  pas  s'abuser  sur  la  portée  d'un 
pareil  contrat;  aussi  nous  avouons  que  son  attitude  nous 
étonne.  Comment  ce  fier  prélat,  si  jaloux  de  son  autorité, 
descendait-il  à  de  telles  concessions?  Comment  de  protecteur 
et  d'allié  de  Charles -Quint  devenait-il  en  quelque  sorte  son 
complice?  Nous  ne  comprenons  guère  une  aussi  étrange 
conduite.  Peut-être  Érard  était-il  ébloui  par  ce  titre  de  cardi- 
nal, réalisation  suprême  de  ses  désirs1;  peut-être  ne  sut-il  pas 
résister  à  l'ascendant  que  l'empereur,  alors  à  l'époque  de  sa 
gloire,  exerçait  sur  tous  ceux  qui  l'approchaient. 

Nous  ignorons  ce  qu'il  advint  du  traité  de  Bruges.  Les  chroni- 
queurs liégeois  ne  le  mentionnent  pas;  et  nous  arguons  de  leur 
silence  qu'il  ne  fut  pas  présenté  aux  états.  Si  ceux-ci,  en  1521, 
avaient  ratifié  les  engagements  de  leur  prince,  nous  ne  com- 
prendrions pas  pourquoi  les  ambassadeurs  de  Charles-Quint 
proposèrent  dix-sept  ans  plus  tard  de  rendre  l'alliance  de  1518 
perpétuelle,  et  d'ouvrir  les  forteresses  aux  troupes  néerlandaises 
pendant  la  vacance  du  siège  épiscopal. 

Il  est  donc  probable  qu'Erard  n'osa  pas  affronter  la  résis- 
tance des  Liégeois,  résistance  qui  eût  été  énergique,  aussi  éner- 
gique que  le  refus  opposé  aux  propositions  semblables  des 
ambassadeurs  de  Lannoy  et  Nigri  en  1538  2. 

1  C'est  l'année  suivante  qu'Erard  reçut  les  Insignes  de  cardinal,  Chafea- 
ville,  loc.  cit.,  p.  278. 

*  Voir  le  chapitre  intitulé  :  Marie  de  Hongrie  et  le  prince-évéque  Corneille 
de  Berghes. 


(42  ) 


III 


Jusqu'à  sa  mort,  Érard  de  la  Marck  resta  fidèle  au  traité 
d'alliance  de  1518.  Investi  du  siège  archiépiscopal  de  Valence  *, 
promu  à  la  dignité  de  cardinal,  le  fier  prélat  demeura  le  loyal 
allié  du  prince  qui  l'avait  comblé  de  si  grands  honneurs.  Sauf 
à  quelques  rares  moments  où,  contrarié  dans  des  questions 
d'amour- propre,  il  bouda  le  gouvernement  des  Pays-Bas  *, 
Erard  se  conforma  toujours  aux  désirs  de  Charles-Quint.  Il  sut, 
comme  nous  le  montrerons,  défendre  énergiquement  les 
intérêts  spirituels  de  son  diocèse,  créer  même  de  sérieuses 
difficultés  à  son  puissant  voisin  quand  il  vit  son  autorité  reli- 
gieuse menacée;  il  n'en  fut  pas  moins  un  des  fidèles  vassaux 
de  Charles-Quint;  et  chaque  fois  que  Marguerite  d'Autriche,  la 
gouvernante  des  Pays-Bas ,  fit  appel  à  son  dévouement  f  elle 
trouva  un  ami  sûr  et  un  guide  perspicace. 

Ce  fut  surtout  pendant  les  terribles  guerres  des  Pays-Bas 
contre  la  France  que  Marguerite  retira  un  profit  réel  de  l'alliance 
liégeoise.  L'amitié  du  petit  pays  lui  permit  de  résister  victo- 
rieusement aux  armées  de  François  Ier.  La  vallée  de  la  Meuse, 
ce  magnifique  chemin  créé  par  la  nature  pour  aller  de  France 
en  Hollande  et  dont  l'importance  stratégique  fut  aussi  grande 
au  XVIe  siècle  que  de  nos  jours,  était  fermée  à  nos  voisins  ;  et 
François  Ier  ne  pouvait  joindre  ses  troupes  à  celles  des  Guel- 
drois,  ses  alliés. 

Comme  une  sentinelle  avancée,  le  petit  pays  de  Liège  gardait 
la  frontière  orientale  du  Brabant,  la  partie  la  plus  vulnérable 
des  Etats  de  Charles-Quint.  S'il  se  fût  relâché  de  sa  vigilance, 
la  guerre  eût  probablement  ménagé  de  pénibles  surprises  aux 
Pays-Bas.  La  réunion  des  corps  ennemis,  français  et  gueldrois, 
sur  notre  territoire  eût  séparé  les  forces  militaires  de  Charles- 
Quint  et  les  eût  livrées  comme  une  proie  facile  au  vainqueur. 

s  Voir  Chape aville,  loc.  cit.,  p.  258. 

4  Voir  le  chapitre  intitulé  :  Histoire  des  contestations  politiques,  judiciaires 
et  religieuses  de  Charles-Quint  avec  la  principauté  de  Liège. 


(43) 

L'étroite  amitié  qui  liait  les  Pays-Bas  à  la  principauté  de 
Liège  explique  donc  pourquoi  les  Français  obtinrent  si  peu  de 
succès  quand  ils  tentèrent  d'envahir  notre  pays;  et  comme  le 
roi-chevalier  préférait  garder  le  Milanais  plutôt  que  de  con- 
quérir les  Pays-Bas,  il  en  résulta  que  l'Italie  fut  chaque  fois  le 
principal  théâtre  des  hostilités. 

Pendant  ces  années  désastreuses,  le  prince-évêque  de  Liège 
s'occupa  presque  autant  des  Pays-Bas  que  de  son  diocèse.  Il 
était  le  conseiller  habituel  de  Marguerite  d'Autriche,  et  un  con- 
seiller dont  elle  prisait  hautement  la  clairvoyance  et  la  pénétra- 
tion * .  Très  souvent  cette  princesse  l'appelait  à  sa  cour,  et  le 
cardinal  assistait  à  ces  séances  mémorables  où  les  grands 
seigneurs  flamands,  les  de  Buren,  les  de  Berghes,  les  d'Hoog- 
straten,  les  d'Aerschot  2,  donnaient  leur  avis  sur  les  questions 
politiques  ou  militaires  qui  intéressaient  les  Pays-Bas.  Quel- 
quefois Marguerite,  arrêtée  par  des  difficultés  diplomatiques 
qu'elle  n'osait  résoudre  d'elle-même,  envoyait  des  ambassadeurs 
à  Liège  afin  de  prendre  les  conseils  d'Erard.  C'est  ainsi  qu'en 
1539,  la  minute  de  la  célèbre  paix  de  Cambrai,  paix  qui  était 
en  partie  l'œuvre  de  la  gouvernante,  fut  présentée  au  prince- 
évêque  de  Liège  avant  sa  rédaction  définitive  3. 

Erard  ne  bornait  pas  son  assistance  à  des  avis  utiles  ou  à  de 
sages  consultations  :  il  mettait  quelquefois  ses  ressources  mili- 
taires à  la  disposition  de  Charles-Quint.  Bien  que  les  forces  du 

1  Chapeaville,  pp.  277  el  207.  Archives  du  royaume  :  Lettres  manuscrites 
de  Marguerite  d'Autriche  à  Charles-Quint,  passim.  Ces  lettres  soit  les  copies, 
soit  les  originaux,  sont  éparpillées  dans  les  registres  35  à  41  des  Papiers 
dC Étal  et  de  l'Audience.  Comme  elles  présentent  un  vif  intérêt  pour  l'histoire 
de  nos  provinces  et  que  Charles  Lanz  ne  les  a  guère  connues,  nous  souhaitons 
que  la  Commission  royale  d'histoire  en  entreprenne  la  publication  le  plus  tôt 
possible. 

*  Archives  du  royaume  :  lettres  manuscrites  de  Marguerite  d'Autriche, 
passim. 

8  Archives  du  royaume  :  lettres  de  Marguerite  d'Autriche,  reg.37:  lettre  du 
31  décembre  1528.  Érard  de  la  Marck  et  le  pays  de  Liège  furent  compris  dans 
le  traité  de  Cambrai  comme  alliés  de  Charles-Quint  (voir  l'art.  XL1II  de  ce 
traité  dans  Dumo.it,  Corps  diplomatique  du  droit  des  gens,  t.  IV,  1"  partie)* 


(41) 

pays  de  Liège  ne  fussent  en  rien  comparables  aux  bandes  d'or- 
donnance ou  à  la  vigoureuse  infanterie  des  Pays-Bas,  leur 
concours  n'était  pas  à  dédaigner.  En  1523,  en  1524,  en  1525, 
au  plus  fort  de  la  guerre  entre  François  Ier  et  le  roi  d'Espagne, 
nous  voyons  le  prince  de  Liège  prêt  à  fournir  son  contingenta 
l'armée  de  Marguerite  '. 

Mais  la  gouvernante  eut  moins  besoin  des  troupes  du  cardinal 
que  de  son  crédit.  Quoique  le  plus  riche  souverain  de  son 
temps,  Charles-Quint  était  incapable  de  suffire  aux  vastes 
dépenses  que  ses  projets  multiples  entraînaient.  La  source  de 
ses  revenus  se  tarissait  sans  cesse,  les  états  généraux  des  Pays- 
Bas  résistaient  souvent  à  ses  demandes  de  subsides,  et  Charles, 

9  

obligé  d'intervenir  dans  presque  tous  les  Etats  de  l'Europe, 
devait  fréquemment  emprunter  aux  princes  et  aux  banquiers 
allemands.  Erard  de  la  Marck  lui  avança  quelquefois  des  fonds 
considérables.  Ce  prélat  possédait  de  grandes  ressources.  La 
mense  épiscopale  de  Liège  était  d'un  excellent  rapport,  que  le 
voyageur  Guichardin  évaluait  plus  tard  à  30,000  ducats  ;  et  le 
cardinal  y  ajoutait  les  bénéfices  de  l'archevêché  de  Valence,  et 
les  pensions  que  lui  payaient  les  évéques  de  Tournai  et  de 
Cambrai  et  les  abbés  de  S^Michel  et  d'Afflighem.  Jointes  à  sa 
fortune  particulière,  ces  rentes  diverses  lui  constituaient  de 
magnifiques  revenus  ;  et  nous  ne  devons  pas  nous  étonner  que 
ce  riche  dignitaire  consentît  à  l'empereur  des  prêts  qui  s'éle- 
vèrent jusqu'à  100,000  florins  2.  Quelques  mois  avant  sa  mort, 

1  Archives  du  royaume  :  Correspondance  de  Marguerite  d'Autriche, 
registre  35  :  le  lire  du  33  avril  1533;  registre  39  :  lettres  du  13  avril  1534  et 
du  13  avril  1535. 

Le  registre  35  renferme  des  copies  de  lettres  de  1533  à  1535  et  le  registre  39 
des  copies  du  30  avril  1533  au  38  décembre  1536. 

Dans  ces  registres  les  lettres  sont  classées  par  ordre  chronologique  ;  néan- 
moins l'origine  différente  de  ces  volumes,  la  présence  d'extraits  de  copies  à 
côté  de  copies  complètes,  en  rendent  le  maniement  très  malaisé,  et  font 
souhaiter  qu'une  édition  vraiment  scientifique  de  la  correspondance  de  Mar- 
guerite d'Autriche  avec  Charles- Quint  paraisse  le  plus  tôt  possible, 

*  Voir  dans  le  registre  u*  37  les  lettres  du  38  mars  1538,  du  7  juillet  1338 
et  dans  le  registre  n°  38,  la  lettre  du  13  juin  1539. 


(48) 

il  discutait  encore  avec  la  gouvernante,  Marie  de  Hongrie,  les 
conditions  d'un  emprunt  dont  Charles-Quint  lui  proposait  la 
souscription  *. 

Les  Pays-Bas  retirèrent  donc  un  profit  réel  de  l'alliance  lié- 
geoise. En  lui  octroyant  les  plus  grands  honneurs  ecclésias- 
tiques, en  satisfaisant  largement  son  ambition,  Charles-Quint 
fit  d'Erard  de  la  Marck  un  vassal  dévoué.  Le  mérite  de  l'empe- 
reur ou  de  ses  conseillers  fut  de  comprendre  l'importance 
réservée  à  cette  alliance  des  Pays-Bas  avec  la  petite  principauté. 
Pour  la  première  fois,  un  prince  néerlandais  désavouait  cette 
brutalité  insensée  qui  avait  marqué  jusqu'alors  l'attitude  des 
souverains  des  Pays-Bas  à  l'égard  du  pays  de  Liège. 

Ce  n'est  donc  pas  sans  raison  qu'on  a  surnommé  le  XVIe  siècle 
le  siècle  de  la  diplomatie.  Charles-Quint  avait  révélé  une  rare 
habileté  en  acceptant  l'alliance  d'Érard  de  la  Marck.  Il  com- 
pléta son  œuvre  en  Rattachant  les  fonctionnaires  de  la  princi- 
pauté par  les  flatteries  ou  par  la  corruption  2.  Ces  moyens  lui 
réussirent.  Insensiblement,  les  Liégeois  se  tournèrent  du  côté 
des  Pays-Bas  et  vécurent  de  la  même  vie  que  tous  les  petits 
peuples  dont  ils  étaient  entourés.  On  verra  bien  encore  plus 
tard  quelques  germes  de  mécontentement,  même  une  tentative 
d'insurrection  contre  la  politique  de  Charles-Quint;  mais  ces 
séditions  ne  seront  que  des  crises  passagères  provoquées  par 

1  Voir  le  chapitre  intitulé  :  Charles-Quint  et  les  coadju leurs  de  Liège. 

*  f  Aux  bourgmestres,  jurés  et  conseil  de  la  cité  de  Liège,  à  cause  d'une 
pension  de  mil  livres  dicte  monnaie  (de  40  gros  de  Flandre)  que  lempereur 
leur  accorda  le  XII II  daoût  XVe  XXI  tant  et  si  longuement  que  lalliance  et  con- 
fédération estant  entre  l'empereur,  ses  pays  et  subgects  d'une  part  et  les  étals 
et  pays  de  Liège  d'autre  seront  par  eulx  gardée,  observée  et  entretenue 
comme  il  appartient,  ou  jusques  a  ce  que,  après  avoir  ouy  et  entendu  l'oppi- 
niou  et  adviz  de  ses  eslaz  et  officiers  quil  appartiendrait,  sur  1  exemption  des 
thonlieux  de  Brabanl,  Hollande  elZélande  par  eulx  requise,  y  auroit  aullremenl 
pourveu  et  ordonné.  »  Extrait  par  M.  Henné  du  registre  des  Revenus  et 
dépenses  de  Chartes-Quint  (1520-1550)  et  publié  dans  le  t.  III,  p.  23  de  son 
histoire  du  Règne  de  Charles-Quint  en  Belgique.  On  trouvera  d'autres  preuves 
des  largesses  de  Charles- Quint  à  l'égard  des  fonctionnaires  liégeois  dans  les 
notes  du  même  écrivain,  t.  III,  p.  283. 


(46) 

des  ambitieux  déçus,  et  ie  bon  sens  de  la  nation  en  triomphera 
aisément. 

L'empereur  obtint  donc  par  sa  diplomatie  ce  que  de  grandes 
victoires  n'avaient  pas  donné  à  ses  ancêtres,  les  princes  bour- 
guignons :  la  sécurité  des  provinces  méridionales  des  Pays- 
Bas.  Que  fût-il  advenu  de  notre  pays  si  les  Liégeois  eussent 
tendu  la  main  à  ces  indomptables  Gueldrois?  Les  Pays-Bas 
auraient  été  déchirés  par  la  guerre  civile,  envahis  par  la  France; 
et  l'union  définitive  des  dix-sept  Etats,  qui  s'acheva  quelques 
années  plus  tard,  eût  été  peut-être  compromise. 

D'autre  part,  l'alliance  de  1518  procura  des  avantages  réels 
aux  compatriotes  d'Érard.  Les  Liégeois  ne  furent  plus  ballottés 
entre  les  influences  étrangères,  ce  qui  dans  les  siècles  précé- 
dents avait  causé  leurs  plus  grands  malheurs;  ils  poursui- 
virent désormais  une  politique  extérieure  nettement  définie 
par  le  traité  de  Saint-Trond.  De  plus,  la  protection  de  Charles- 
Quint  leur  assura  une  protection  efficace  contre  les  entreprises 
de  la  France;  elle  leur  valut  même  l'octroi  d'importantes 
faveurs,  telles  que  l'institution  du  Conseil  ordinaire,  dont  les 
arrêts  exercèrent  une  heureuse  influence  sur  l'administration 
de  la  justice  civile. 

En  somme,  le  traité  de  Saint-Trond,  bien  que  Charles-Quint 
l'interprétât  quelquefois  dans  un  sens  trop  favorable  à  son 
ambition,  sauva  l'indépendance  de  la  principauté  de  Liège 
pendant  le  XVIe  siècle. 


(47) 


CHAPITRE  IV. 


Charles-Quint  et  les  coadjuteurs  de  Liège. 


I 

La  fidélité  que  l'évêquc  de  Liège  témoigna  à  la  maison 
d'Autriche  pendant  les  troubles  de  1521,  ne  put  faire  oublier 
à  Charles-Quint  la  conduite  inqualifiable  de  Robert  de  la  Marck. 
La  rupture  par  ce  seigneur  d'un  traité  solennellement  reconnu 
trois  ans  auparavant,  nourrissait  dans  l'esprit  de  l'empereur  de 
grandes  préventions  contre  les  la  Marck.  Il  avait  octroyé  à  cette 
famille  d'insignes  faveurs  et  réservé  le  trône  épiscopal  de  Liège 
à  un  des  fils  de  Robert.  Quoi  d'étonnant  qu'il  vît  dans  la  défec- 
tion du  sire  de  Sedan  la  plus  noire  ingratitude? 

C'est  probablement  à  cause  de  cette  trahison  imprévue  et 
des  démonstrations  hostiles  qui  éclatèrent  à  Liège  contre  sa 
politique,  que  Charles  conçut  le  projet  de  donner  à  Erard  un 
coadjuteur  avec  droit  de  succession.  Il  comptait  prévenir  ainsi 
les  intrigues  que  la  nomination  du  futur  évêque  provoquerait 
au  sein  du  chapitre  cathédral  et  les  troubles  qui  en  résulte- 
raient ;  et  ce  dessein  fut  exécuté  avec  la  promptitude  et  la  téna- 
cité que  l'empereur  montrait  dans  toutes  ses  entreprises. 

Naturellement,  la  dignité  de  coadjuteur  ne  pourrait  être  con- 
férée à  Philippe  de  la  Marck,  ce  fils  de  Robert  auquel  le  traité 
secret  du  27  avril  1S18  *  donnait  en  quelque  sorte  l'expectative 
du  diocèse  de  Liège.  Ce  seigneur  expia  les  fautes  de  son  père 
et  de  son  frère,  et  fut  privé  de  la  succession  du  cardinal.  Ce  fut 

1  Voir  le  chapitre  précédent. 


(48) 

pour  lui  une  déception  cruelle,  et  il  en  conçut  un  ressentiment 
qui  le  poussera  plus  tard  à  favoriser  les  projets  de  la  France 
sur  notre  pays.  Charles-Quint  pensa  qu'un  prince  né  dans  les 
Pays-Bas  serait  plus  fidèle  qu'un  étranger,  et  il  fixa  son  choix 
sur  Corneille  de  Berghes,  sire  de  Sevenberghe. 

Par  son  père,  Corneille  de  Berghes  descendait  de  ce  Jean  V 
de  Glymes,  dit  aux  grosses  lèvres,  contemporain  de  Philippe  le 
Bon,  qui  avait  ajouté  à  son  domaine  patrimonial  de  Glymes 
les  seigneuries  de  Berg-op-Zoom,  de  Walhain  et  de  Brecht  ;  de 
sa  mère,  Madeleine  de  Stryen,  il  tenait  la  terre  de  Seven- 
berghe !. 

La  famille  des  de  Berghes  donna  maintes  fois  aux  souverains 
des  Pays-Bas  des  preuves  de  dévouement  et  fut  gratifiée  par 
eux  des  titres  les  plus  flatteurs.  Corneille,  le  père  du  coadjuteur, 
avait  été  l'échanson  de  Maximilien  et  décoré  par  ce  prince 
de  l'ordre  de  la  Toison  d'or.  De  brillantes  alliances  matrimo- 
niales rehaussèrent  le  lustre  de  la  maison.  Une  de  ses  filles, 
Marie  de  Berghes,  épousa  Louis  de  Ligne,  baron  de  Barbançon  ; 
la  seconde,  Marguerite,  devint  la  femme  de  Florent  d'Egmont, 
comte  de  Buren  2.  Son  deuxième  fils,  le  futur  évêque  de  Liège, 
entra  dans  le  clergé,  et  fut  bientôt  pourvu  d'un  canonicat  dans 
l'église  de  S^Lambert  3.  Il  obtint  plus  tard  la  prévôté  de  l'église 
S'-Pierre  à  Lille  et  d'autres  dignités  ecclésiastiques.  Longtemps, 
il  fréquenta  la  cour  de  Marguerite  d'Autriche,  mais  il  séjournait 
de  préférence  à  l'abbaye  de  la  Cambre,  près  de  Bruxelles  *. 
Une  vie  irréprochable  et  une  grande  modération  de  caractère, 


*  Nous  écrirons  de  Berghes  comme  tous  les  généalogistes.  Voir  sur  celle 
famille  les  ouvrages  généalogiques  de  Goethals  el  de  De  Vegiano,  ainsi  que  les 
articles  de  M.  Alphonse  Le  Roy  sur  Corneille  el  Robert  de  Berghes,  publiés 
dans  le  deuxième  volume  de  la  Biographie  nationale. 

*  Voir  le  Dictionnaire  généalogique  de  De  Vegiano,  art.  de  Glymes. 

5  Voir  de  Theux,  Histoire  du  chapitre  de  Saint- Lambert,  t.  III,  p.  58. 

*  Voir  Foulon,  Bistoria  leodiensis,  t.  II,  p.  245.  Cel  historien  invoque  le 
témoignage  d'une  chronique  eu  langue  vulgaire.  Voir  aussi,  dans  les  lettres 
missives  de  Marie  de  Hongrie,  la  dépêche  de  Marie  au  comte  de  Buren  du 
11  février  1537  (n.  si.  1538). 


(49) 

recommandaient  particulièrement  ce  prélat,  que  Charles-Quint 
songeait  à  placer  sur  le  trône  épiscopal  de  Liège  *. 

Les  canons  de  l'Église  réservaient  aux  chapitres  des  cathé- 
drales allemandes  le  droit  d'élire  leur  évêque.  Depuis  1122  2, 
l'empereur  et  le  pape  n'intervenaient  que  pour  conférer,  le 
premier,  l'investiture  laïque  parle  sceptre  et  l'épée,  le  second, 
l'investiture  ecclésiastique  par  l'anneau  et  la  crosse.  Le  concor- 
dat de  1448  accordait  au  souverain  pontife  la  faculté  de  disposer 
d'un  siège  épiscopal,  lorsque  le  titulaire  était  cardinal,  mourait 
en  cour  de  Rome,  était  promu  à  une  autre  dignité,  ou  rési- 
gnait son  diocèse.  En  outre,  d'après  les  règles  de  la  chancellerie 
romaine,  le  pouvoir  de  désigner  un  coadjuteur  avec  droit  de 
succession  à  un  évéché  n'appartenait  qu'au  pape. 

La  nomination  du  futur  évêque  de  Liège  revenait  donc  au 

9 

souverain  pontife,  puisque  Erard  de  la  Marck  était  cardinal. 
Cette  circonstance  facilitait  singulièrement  les  projets  de 
Charles-Quint.  Tout  puissant  auprès  de  la  curie,  surtout  depuis 
que  Adrien  VI,  son  ancien  précepteur,  avait  ceint  la  tiare, 
l'empereur  était  sûr  que  le  candidat  qu'il  recommanderait 
serait  aussitôt  agréé.  Si  même  le  pape  avait  refusé  de  satisfaire 
à  ses  désirs  ou  renoncé  aux  bénéfices  du  concordat  de  1448  en 
faveur  du  chapitre,  il  possédait  encore  un  moyen  de  briser  la 
résistance  du  clergé,  c'était  de  refuser  à  l'élu  les  droits  régaliens, 
et  de  l'empêcher  ainsi  d'exercer  le  pouvoir  temporel  dans  la 
principauté. 

Loin  de  se  prévaloir  de  ces  avantages,  Charles-Quint  suivit 
la  voie  traditionnelle.  Il  se  concerta  à  Bruges  avec  Erard  de  la 
Marck  et  le  chargea  de  présenter  au  chapitre  de  Sl-Lambert 
Corneille  de  Berghes,  comme  son  futur  coadjuteur  3.  En  même 


1  Chapeaville,  loc.  et'*.,  p.  378.  •  Erat  in  auta  Margaretae  Brabantiae  Guber- 
oatricis  Cornélius  a  Bergis,  vir  non  minori  prudeniià  quam  vil*  iuiegrUate 
clams. 

:  *  En  vertu  du  concordai  de  Worms,  qui  régla  jusqu'à  la  fia  de  l'ancien 
régime  ia  nomination  des  évêques  allemands. 

*  Voir  Chapeaville,  toc.  cit.,  p.  278. 

Tome  XLI.  4 


(  80) 

temps,  il  députa  à  Liège  Laurent  de  Casleto,  le  père  de  Cor- 
neille, Antoine  de  Berghes,  abbé  de  SMSertin,  et  d'autres 
parents  de  notre  prélat,  afin  de  disposer  les  chanoines  en  sa 
faveur  *. 

L'empereur  se  conduisait  en  habile  diplomate.  Il  flattait 
l'amour-propre  d'une  illustre  assemblée  en  la  consultant  sur 
une  question  qu'il  eût  pu  faire  résoudre  à  son  insu  par  le 
S'-Siège.  Cette  condescendance  était  le  résultat  d'un  calcul. 
Charles-Quint  préférait  amener  le  chapitre  à  accepter  un  coad- 
juteur  plutôt  que  de  recourir  à  des  mesures  violentes.  N'igno- 
rant pas  que  rien  n'égale  la  susceptibilité  des  corps  privilégiés, 
il  proposa  la  nomination  de  Corneille  de  Berghes,  comme  s'il 
se  fût  agi  d'une  élection  ordinaire.  Il  se  faisait  ainsi  un  mérite 
de  sa  complaisance,  quoiqu'il  ne  laissât  aux  tréfonciers  que 
l'alternative  ou  d'élire  un  candidat  qui  serait  aussitôt  agréé,  ou 
de  se  brouiller  avec  le  plus  puissant  monarque  de  l'époque. 

L'attitude  du  chapitre  ne  pouvait  être  douteuse  :  beaucoup 
de  tréfonciers  dépendaient  de  la  maison  d'Autriche;  tous  ils 
savaient  qu'on  ne  résistait  pas  impunément  aux  désirs  du 
puissant  souverain.  Ne  fût-ce  que  par  patriotisme,  dans  la 
crainte  d'éviter  au  pays  une  intervention  dangereuse,  les  cha- 
noines, quoi  qu'il  en  coûtât  à  leur  amour-propre,  devaient 
s'incliner  devant  la  volonté  impériale.  Par  faveur  pour  Charles- 
Quint  2  et  pour  ne  pas  être  privés  de  leur  droit  d'élection, 
depuis  qu'Erard  était  cardinal,  ils  accueillirent,  dit  Chapea- 
ville,  la  présentation  de  Corneille  de  Berghes. 

La  ratification  pontificale  se  fit  plus  longtemps  attendre. 
Adrien  VI  était  mort  après  quelque  mois  de  règne,  et  son  suc- 
cesseur, Clément  VII,  soit  qu'il  hésitât  à  satisfaire  à  la  demande 
de  Charles-Quint,  soit  qu'il  fût  circonvenu  par  les  rivaux  de 


1  Voir  ScHooxbHoooT  :  Inventaire  analytique  et  chronologique  des  chartes 
de  Saint-Lambert,  n°  1128.  Acte  du  22  juin  1522. 

*  Voir  Chapea ville,  p.  278.  «  Annuit  capilulum  Caesaris  favore  et  maxime 
De  per  afiectiones  el  reservaiiones  libéra  electione,  Erardo  jam  cardinaliln 
digoila'.e  iusignieudo,  fraudarelur. 


(  si  ) 

Corneille  de  Berghes,  ajourna  pendant  plusieurs  années  toute 
décision. 

L'obstination  du  pontife  indisposa  l'empereur.  A  différentes 
reprises,  il  enjoignit  à  Marguerite  et  aux  parents  de  Corneille 
d'insister  auprès  du  pape  pour  qu'il  confirmât  l'élection  du 
coadjuteur  1.  En  1527,  il  commanda  même  à  Louis  de  Praet* 
d'exiger  des  capitaines  des  forteresses  liégeoises  la  promesse 
formelle  qu'ils  ne  recevraient  aucune  personne  suspecte,  soit 
du  vivant  d'Érard,  soit  à  l'avènement  de  son  successeur. 
L'empereur  réclamait  ainsi  l'exécution  des  clauses  fameuses 
contenues  dans  le  traité  secret  de  1518. 

Enfin,  en  1529,  Clément  VII  se  rendit  aux  exhortations  pres- 
santes de  Charles-Quint  3  et  sanctionna  l'élection  du  chapitre 
de  Liège.  L'empereur  témoigna  aussitôt  son  contentement  en 
renouvelant  le  décret  qui  annulait  les  créances  que  les  la  Marck, 
les  de  Homes  et  d'autres  partisans  de  la  France  possédaient 
sur  la  principauté  de  Liège,  créances  qu'il  s'était  adjugées  à  la 
suite  de  ses  victoires  sur  Robert  de  la  Marck  et  sur  François  Ier  4. 

II 

Charles-Quint  devait,  semble-t-il,  être  satisfait  de  ses  négo- 
ciations et  attendre  sans  inquiétude  l'avènement  du  coadjuteur 
d'Érard  de  la  Marck.  Il  comptait  sur  le  tact  de  la  gouver- 
nante des  Pays-Bas  pour  initier  le  futur  évêque  de  Liège  aux 
secrets  de  la  politique  impériale,  et  pour  le  préparer  au  rôle  de 


1  Voir  la  leitre  du  6  juillet  1528  (registre  n°  37,  p.  153  v°j  écrite  «Je  Sara- 
gosse  par  Charles-Quint  à  Marguerite,  et  la  lettre  du  30  novembre  1528 
(même  registre,  p.  193)  écrite  de  Tolède  au  seigneur  de  Moqueron,  conseiller 
et  maître  d'hôtel  de  l'empereur,  et  au  seigneur  de  Monlfort,  gentilhomme  de 
sa  chambre. 

*  Voir  l'instruction  donnée  de  Valence  au  seigneur  de  Praet, bailli  de  Bruges, 
dans  la  Correspondance  inédite  de  Marguerite  d'Autriche,  registre  n°  40,  pp.  1) 
et  il. 

3  Voir  ChapEayille,  loc.  cit.,  p.  297. 

4  Voir  Chape  a  ville,  lue.  cit.,  p.  277  et  Fisen,  loc.  cit.,  p.  32S». 


(32) 

vassal  obéissant  qu'il  lui  destinait.  Mais  Corneille  de  Berghes 
ne  tenait  que  médiocrement  au  trône  épiscopal  ;  il  montrait 
même  à  cet  égard  une  répugnance  qui  causa  plus  tard  de 
sérieux  embarras  à  Marie  de  Hongrie  *. 

Il  est  probable  que  ce  dégoût  pour  le  pouvoir  lui  vint  assez 
tôt;  autrement  nous  ne  nous  expliquerions  pas  comment  ce 
prélat,  qui  devait  diriger  un  diocèse  aussi  important  que  le 
diocèse  de  Liège,  ne  s'empressât  pas  de  prendre  la  prêtrise.  Il 
savait  cependant  que  cotte  négligence  à  recevoir  le  sacerdoce 
lui  serait  imputée  à  crime  par  ses  ennemis  personnels  et  par 
les  réformés.  Et  ces  reproches  eussent  été  fondés.  À  une 
époque  où  l'hérésie  provignait  d'une  façon  inquiétante  dans  le 
pays  de  Liège,  il  importait  que  le  souverain  donnât  le  premier 
l'exemple  du  respect  pour  les  canons  de  l'Église. 

Instruit  par  sa  sœur,  Marie  de  Hongrie,  qui  en  1330  succéda 
à  Marguerite  d'Autriche,  dans  les  fonctions  de  gouvernante 
générale  des  Pays-Bas,  des  hésitations  de  Corneille  de  Berghes 
et  désireux  de  prévenir  toute  surprise  fâcheuse  de  la  part  de 
ses  bons  voisins,  les  Liégeois,  Charles-Quint  songea  donc  à 
désigner  un  nouveau  coadjuteur  à  Érard  de  la  Marck.  Vers 
l'année  1535,  il  fit  part  de  ses  desseins  à  sa  sœur  et,  de  l'Espagne 
où  il  résidait  à  cette  époque,  lui  adressa  de  nombreuses  mis- 
sives au  sujet  de  l'évêché  de  Liège. 

La  situation  troublée  de  la  principauté  et  les  dispositions 
hostiles  d'une  notable  partie  des  habitants,  commandaient  à 
Marie  de  Hongrie  d'user  de  grands  ménagements  dans  l'accom- 
plissement de  sa  tâche  2.  L'habile  gouvernante  craignait  que  le 


1  Dans  son  recueil  héraldique,  Loyens  prétend  (p.  263)  que  Corneille  de 
Berghes  aurait  résolu  de  se  marier,  parce  que  son  frère  aîné,  Maximi  lien,  n'avait 
pas  d'enfant.  Nous  n'avons  trouvé  nulle  part  une  preuve  de  cette  assertion. 

*  Voir  la  Correspondance  inédite  de  Marie  de  Hongrie  aux  Archives  du 
royaume,  registre  n°  67,  p.  42.  Lettre  a  Charles-Quint  du  16  avril  1535  se 
terminant  par  ces  mots  :  t  et  jusque  lors  sera  besoin  g  de  différer  le  fait  de  la 
coadjutorye  •  ;  dans  celte  lettre,  la  gouvernante  fait  allusion  à  ses  différends 
avec  l'évéque  de  Liège  au  sujet  de  leur  juridiction  en  Brabant. 

Sur  l'insistance  de  Charles-Quint,  dans  celle  question  de  la  coadjutorerie 


(  83  ) 

chapitre  de  S^Lambert  ne  s'insurgeât  contre  cette  nouvelle 
prétention  de  l'empereur  d'adjoindre  un  second  coadjuteur  à 
Erard  de  la  Marck,  et  ses  craintes  étaient  d'autant  plus  vives 
qu'elle  pressentait  que  le  chapitre  serait  cette  fois  encouragé 
dans  sa  résistance  par  l'évéque  lui-même.  Erard  paraissait  favo- 
riser en  ce  moment  un  de  ses  cousins,  Guillaume  de  la 
Marck  ^.  Ce  petit-fils  du  Sanglier  des  Ardennes  était  chanoine 
de  la  cathédrale  et  archidiacre  de  Brabant.  La  terre  de  Seraing- 
le-Château,  qu'il  tenait  de  son  père,  lui  avait  valu  la  titre  assez: 
bizarre  d'archidiacre  de  Seraing  2.  Ambitieux  comme  tous  les 
membres  de  sa  famille,  Guillaume  de  la  Marck  aspirait  à  la 
dignité  épiscopale,  et  montrait  à  cet  égard  une  ténacité  qui  con- 
trastait singulièrement  avec  l'étrange  indifférence  de  Corneille 
de  Berghes. 

Ce  qui  inquiétait  surtout  Marie  de  Hongrie,  c'était  l'attitude 
indécise  du  prince-évêque.  Depuis  quelques  années,  les  deux 
souverains  alliés  n'entretenaient  plus  des  relations  aussi  ami- 
cales. Des  prétentions  rivales  avaient  tout  à  coup  refroidi  leur 
intimité.  Légat  du  Saint-Siège  depuis  1533,  Érard  voulait 
étendre  la  juridiction  spirituelle  qu'il  exerçait  déjà  sur  une 
partie  des  Pays-Bas  et,  par  ses  empiétements  continuels  sur 
l'autorité  des  magistrats  brabançons,  indisposait  Charles-Quint. 
Il  ne  pouvait  s'entendre  avec  ce  dernier  quant  à  l'exercice  de 


de  Liège,  voir  (registre  n»  69,  p.  82)  sa  leilre  du  22  octobre  1535  à  Marie  de 
Hongrie  où  Ton  lit  ces  mois  :  «  bien  m'a  dit  le  sire  de  Granvelle  le  soin  que 
eu  tenez  (de  la  coadjutorerie)  selon  que  luy  ont  escript  le  sire  de  Molembais 
et  grand  archidiacre  d'Arras,  mais  comme  la  chose  est  de  l'importance  et 
conséquence  que  bien  savez,  je  ne  puis  délaisser  vous  encoire  prier  très 
affectueusement  de  tenir  la  main  que  l'on  puist  achever  ladite  coadjutorye 
selon  et  comme  je  lay  escript  »  etc. 

1  Voir  la  leilre  du  25  janvier  153*  de  Marie  de  Hongrie  au  duc  d'Aerschot  à 
Barcelone  (registre  n°  69,  p.  166;  :  «  la  nouvelle  coadjutorerie  qui  avait  été 
mise  en  train  par  iceluy  cardinal  pour  son  cousin  de  Serreyn  nest  encore 
faite  ni  passée  capitulairement.  » 

*  Voirie  chapitre  :  la  Conspiration  des  la  Marck  et  la  mission  du  conseiller 
Boisoi. 


(54) 

leur  souveraineté  indivise  sur  Haestricht  *,  il  se  plaignait  que 
le  roi  d'Espagne  restreignît  sa  juridiction  dans  le  diocèse  de 
Valence,  et  réclamait  de  fortes  sommes  d'argent  qui  lui  étaient 
dues,  disait-il,  par  l'ancien  archevêque. 

Mécontent  de  la  lenteur  avec  laquelle  l'empereur  faisait  droit 
à  ses  réclamations,  Érard  de  la  Marck  provoquait  le  gouver- 
nement des  Pays-Bas  par  des  actes  arbitraires.  C'est  ainsi  qu'au 
mépris  de  la  souveraineté  de  Charles-Quint  et  des  droits  des 
seigneurs  justiciers,  Ulrich  et  Guillaume  Scheuffaerts,  il  avait 
fait  arrêter  à  Haeren,  sur  le  territoire  étranger  de  Fauqueraont, 
un  nommé  Jean  Bourlet  et  ordonné  son  exécution  à  Liège 
sous  prétexte  d'hérésie  2.  Servaes  Betten  avait  été  appréhendé 
à  Maestricht  et  mis  à  mort  pour  le  même  motif,  malgré  Tinter- 

_  * 

vention  de  Marie  de  Hongrie,  qui  avait  demandé  à  Erard  de 
surseoir  à  la  condamnation. 

Nous  comprenons  que  Marie  de  Hongrie  hésitât  à  demander 
au  prince-évêque  d'admettre  un  second  coadjuteur.  Elle 
différa  quelque  temps  de  lui  communiquer  les  instructions 
qu'elle  recevait  de  l'empereur  3,  espérant  que  les  négociations 
qu'elle  avait  entamées  au  sujet  de  la  juridiction  spirituelle  de 
l'église  de  Liège,  aboutiraient  à  une  heureuse  solution.  Ces 
négociations  échouèrent,  et  c'est  pour  ne  pas  mécontenter  son 
frère  que  Marie  expédia  quand  même  au  cardinal  les  dépêches 
reçues  d'Espagne. 


1  Voir  la  lettre  du  24  octobre  1535  écrite  de  Gand  par  Marie  de  Hongrie  à 
Charles-Quini,  registre  n°  69,  p.  90. 

*  Voir  la  lettre  du  28  août  1555  écrite  de  Bruxelles  par  Marie  de  Hongrie 
à  Charles-Quint,  registre  n°  69,  p.  75. 

*  Voir  la  lettre  du  24  octobre  1535  de  Marie  de  Hoogrie  :  *  Javoye  différé 
l'envoy  des  lettres  que  naguures  avez  escriptes  à  Mr  le  cardinal  de  Liège  tou- 
chant la  coadjutorerie  de  son  évéché  de  Liège  sur  espoir  quil  se  trouveroit 
quelque  bon  expédient  pour  vuyder  le  différend  de  la  juridiction  dont  cer- 
taines ouvertures  toutes  raisonnables  ont  esté  (Violes  aux  députés  dudii 
S'  cardinal.  Mais  voyant  quil  ny  a  apparance  selon  1rs  termes  quil*  ont 
tenuz  es  dernières  communications  je  lui  ai  envoyé  vendîtes  lettres ....  » 
Registre  u«  69.  p.  90. 


(  W) 

Charles-Quint,  en  effet,  attendait  impatiemment  la  nomina- 
tion de  ce  nouveau  coadjuteur.  Dans  une  lettre  *  qui  dut 
croiser  la  missive  précédente,  il  annonçait  à  sa  sœur  qu'il 
accorderait  à  l'évéque  de  Liège  une  pension  de  2,000  ducats, 
assignée  sur  des  bénéfices  espagnols,  et  la  priait  instamment 
de  pourvoir  à  la  succession  de  Corneille  de  Berghes,  afin, 
disait-il,  de  prévenir  les  troubles  qui  éclateraient  dans  la  prin- 
cipauté à  la  mort  du  cardinal. 

Ce  qui  encourageait  Érard  dans  sa  résistance,  c'est  qu'il 
connaissait  la  détresse  financière  de  Charles-Quint.  Marie  de 
Hongrie  avait  sollicité  de  l'opulent  prélat  un  prêt  d'argent  et 
essuyé  cette  fois  un  refus  catégorique  2.  Humiliée  de  cet  échec, 
elle  n'osait  trop  insister  sur  l'élection  d'un  coadjuteur,  parce 
qu'elle  savait  qu'une  telle  proposition,  émanant  de  l'empereur, 
déplairait  au  clergé  liégeois  :  «  demander  argent  en  prest  et  dire 
se  qu'il  ne  plet  aux  gens  se  sont  points  qui  ne  conviengnent 
ensemble  »  écrivait-elle  à  Charles-Quint  3. 

De  son  côté,  Erard  se  rabattait  rien  de  ses  prétentions.  Il 
attendait  la  pension  de  2,000  ducats  que  le  roi  d'Espagne  lui 
avait  promise,  réclamait  le  paiement  d'une  dette  de  1,300  ducats 
et  le  redressement  de  torts  qu'il  prétendait  avoir  éprouvés  dans 
son  diocèse  de  Valence.  Enfin,  il  exigeait  la  reconnaissance  de 
sa  juridiction  sur  tous  les  clercs  des  Pays-Bas,  même  sur  les 
simples  tonsurés  *. 

1  Voir  la  lettre  de  Charles-Quint  à  Marie,  du  22  octobre  1535  :  « et  si 

ledit  cardinal  nest  content  de  l'assignation  que  jay  consenti  de  2000  ducal  s 
sur  son  archevêché  de  Valence  je  regardera  y  si  je  les  lui  pourra  y  assigner  sur 
tes  bénéfices  vacans  présentement  ou  lire  ceulx  que  jay  resignés  sur  l'evesché 
de  Tortose.  » 

*  Voir  la  lettre  du  21  août  1536  de  Marie  de  Hongrie  a  Charles-Quint 
(registre  n*  49,  p.  88  ▼•)  :<  Je  ne  puis  rien  tirer  de  ce  cardinal  de  Liège  quelque 
bonne  asseurance  que  lui  sache  donner  ». 

5  Voir  dans  le  registre  n*  49  (p.  128  v*  et  129)  une  copie  de  la  minute  d'une 
instruction  écrite  de  la  main  de  Marie  de  Hongrie  pour  le  seigneur  de  la 
Thieuloye  envoyé  vers  l'empereur  (novembre  1536). 

4  Voir  l'instruction  pour  le  seigneur  de  la  Thieuloye  :  c  Toutefois  pour  le 
mettre  entièrement  à  son  tort  (le  cardinal  de  Liège)  s'il  plaisait  à  Sa  Majesté 


(86) 

Satisfaire  à  de  telles  exigences,  c'était  ruiner  l'autorité  judi- 
ciaire du  souverain  des  Pays-Bas  et  les  privilèges  des  seigneurs 
haut-justiciers.  Marie  conseilla  donc  à  son  frère  de  ne  pas  flaire 
de  concession  humiliante  pour  sa  couronne.  Quant  au  reste, 
elle  se  montra  assez  accommodante.  Connaissant  la  cupidité  de 
ce  prélat  avaricieux  et  dangereux  épicier,  comme  elle  l'appelait, 
elle  demanda  à  Charles  d'envoyer  à  Érard  la  pension  promise 
et  de  lui  donner  également  les  1,500  ducats;  c'était,  écrivait- 
elle,  une  trop  petite  somme  pour  qu'on  la  refusât,  d'autant  que 
par  là,  on  enlevait  au  cardinal  tout  motif  sérieux  de  méconten- 
tement '. 

9 

Mais  Charles-Quint  était  irrité  de  l'arrogance  d'Erard  de 
la  Marck.  11  répondit  de  Gênes  *  qu'il  ne  paierait  plus  de 
pension  à  Erard,  avant  que  ce  prélat  se  fût  résolu  à  accepter  un 
nouveau  coadjuteur,  et  promit  d'examiner  plus  tard  jusqu'à 
quel  point  cette  réclamation  de  1,500  ducats  était  fondée. 

La  lenteur  calculée  du  prince-évêque  triompha  toutefois  de 
l'impatience  de  l'empereur;  car  l'année  suivante,  celui-ci  se 
départit  quelque  peu  de  sa  rigueur  première.  Tout  en  recom- 


raenvoier  la  dépêche  de  1000  ducas  pour  son  Deveu  je  luy  depecheroy  sur  les 
abeyes  les  au  lires  mille  et  que  pour  xv"n9  ducas  Sa  Majesté  la  me  lise  tenir 
voiant  que  c'est  pour  si  peu,  ou  donise  la  serge  a  l'evesque  dTlrechl,  voiaot 
quil  doit  venir  à  son  profil,  les  nantit  au  nom  de  Sa  Majesté,  sans  ce  qu'il 
susse  qu'ils  vinssent  de  luy,  du  demeurant  luy  offrir  la  raison  sy  après  il  ne 
le  veult  faire.  Sa  Majesté  connoistra  évidemment  son  voloir  »  etc. 

1  Voir  l'instruction  précitée. 

1  Voir  (registre  n°  6S>,  p.  lia)  la  lettre  de  Charles-Quint  du  14  novembre 
1556  :  «  touchant  monseigneur  de  Liège  sadite  Majesté  a  expressément  réservé 
la  pension  de  1000  ducaz  et  ny  faull  aultre  sinon  que  ledit  seigneur  de  Liège 
accorde  ladite  coadjulorerie  comme  Ion  luy  a  expressément  escripl  et  ne  se 
doit  dépêcher  ladite  pension  ny  celle  qui  se  doit  fournir  par  delà,  synon  en 
faisant  de  son  cousté.  Et  venant  en  Espagne  uieclra  icelle  sadite  Majesté 
une  fin  quant  au  1500  ducatz  qu'il  prétend,  esqueiz  à  la  vérité  il  na  raison 
quelconque.  Aussi  entendra  finalement  ce  que  se  pourra  faire  avec  ses  officiers 
de  Valence  touchant  la  juridiction  delà.  El  quant  à  celle  de  Liège  il  faultque 
la  fin  sen  face  par  delà.  Car  comme  quil  en  soit  il  emporte  dasseurer  ladite 
coadjulorerie  et  y  a  trop  grand  dangier  en  la  dilasion  ». 


(87) 

mandant  à  sa  sœur  de  conférer  la  coadjutorerie  de  Liège  à 
Georges  d'Egmont,  évêque  d'Utrecht,  il  conseilla  de  payer  à 
Érard  les  sommes  qu'il  réclamait,  même  celles  dont  la  légi- 
timité était  contestable.  Avant  tout,  écrivait-il,  il  fallait  pourvoir 
à  la  situation  troublée  de  la  principauté  *. 

Il  est  vrai  que,  dans  l'intervalle,  le  sévère  cardinal  s'était 
radouci  à  l'égard  de  Charles-Quint.  Appelé  à  la  cour  de  Marie 
de  Hongrie  et  consulté  sur  les  affaires  politiques  les  plus 
graves,  il  donna  de  nouvelles  preuves  de  fidélité  à  l'empereur. 
La  gouvernante,  qui  n'avait  osé  préjuger  l'issue  de  sa  démarche, 
tant  elle  craignait,  disait-elle,  ce  les  complexions  du  person- 
nage »  2,  obtint  les  avances  qu'elle  sollicitait  et  trouva  même 
le  prince-évêque  disposé  à  recevoir  un  second  coadjuteur.  Elle 
fit  part  à  son  frère  des  nouvelles  marques  de  sympathie  qu'elle 
avait  reçues  du  puissant  cardinal  3  et  lui  conseilla,  pour  se 
l'attacher  définitivement,  de  conférer  la  coadjutorerie  de  Valence 
à  son  neveu  qui  allait  partir  pour  l'Espagne  *. 

Charles-Quint  n'eut  pas  le  temps  de  donner  cette  dernière 
récompense  à  son  vieil  allié.  Érard  mourut  trois  mois  plus 
tard,  victime  d'une  indigestion  s,  et  Corneille  de  Berghes  dut 
se  revêtir  de  ces  insignes  fonctions  de  prince-évêque  de  Liège 
pour  lesquelles  il  se  sentait  une  si  faible  vocation.  Toutefois, 
comme  nous  l'exposerons  dans  un  autre  chapitre,  son  accep- 
tation fut  conditionnelle  :  ce  fut  avec  la  perspective  d'être 

1  Voir  l'instruction  donnée  le  17  mars  1557  à  Valladolid  au  sire  de  Horton, 
dao9  la  correspondance  inédite  de  Marie  de  Hongrie  aux  Archives  du  royaume, 
registre  n«  69. 

1  Voir  (au  registre  49,  p.  164  v*)  la  lettre  de  Marie  à  Charles-Quint,  du  8  jan- 
vier 1537  :  «  J'ay  mandé  Monseigneur  le  cardinal  de  Liège  pour  massister 
de  conseil  et  donner  bonne  somme  de  deniers  s'il  est  possible  à  cestuy  grand 
besoin  g,  je  verray  ce  quil  en  fera,  mais  je  crains  la  faulle  pour  autant  que 
cognoisses  assez  les  complexions  du  personnage  • . 

*  Voir  (registre  49,  p.  175)  la  lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  Charles-Quint, 
du  26  avril  1537. 

*  Voir  (registre  n°  50)  la  lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  Chnrles-Quint,  du 
13  novembre  1 537. 

*  Le  16  février  1538  (voir  Cbapea ville,  p.  333). 


(88) 

bientôt  remplacé  qu'il  se  décida  à  échanger  la  vie  paisible  qu'il 
menait  à  la  cour  des  Pays-Bas  contre  les  soucis  et  les  fatigues 
que  lui  réservait  la  succession  d'Erard  de  la  Marck. 

III 

Le  choix  d'un  nouveau  coadjuteur,  futur  successeur  de 
Corneille  de  Berghes,  préoccupa  plus  que  jamais  le  Gouverne- 
ment des  Pays-Bas,  préoccupation  naturelle,  puisque  plusieurs 
candidats  briguaient  le  trône  épiscopal  de  Liège. 

Charles -Quint,  nous  l'avons  vu,  penchait  pour  Georges 
d'Egmont,  l'évêque  d'Utrecht  *  ;  Marie  de  Hongrie  inclinait  vers 
son  oncle  naturel,  Georges  d'Autriche,  archevêque  de  Valence, 
naguère  évêque  de  Brixen  en  Tyrol,  et  vers  Eustache  de  Croy, 
évêque  d'Àrras  2  ;  de  son  côté,  le  comte  de  Nassau  recomman- 
dait son  neveu,  Adolphe  de  Schaumbourg,  coadjuteur  de 
Cologne.  Quant  à  Guillaume  de  la  Marck,  il  paraissait  s'être 
désisté  et  avait  accepté  du  comte  de  Buren  3,  ambassadeur  de 
Charles-Quint,  une  pension  de  6,000  florins,  en  dédommage- 
ment de  sa  renonciation  au  trône  de  Liège;  mais  l'avenir 
devait  montrer  combien  ses  promesses  étaient  mensongères. 

La  rivalité  de  ces  concurrents  engendrait  mille  intrigues  qui 
eussent  dérouté  un  esprit  moins  pénétrant  que  celui  de  Marie 
de  Hongrie.  Cette  princesse  intelligente  se  fit  informer  des 
moindres  événements  qui  intéressaient  le  pays  de  Liège,  et 
éclaira  son  frère  en  lui  marquant  les  avantages  ou  les  incon- 
vénients que  présenterait  la  nomination  de  chacun  des  préten- 
dants. 

Le  coadjuteur  de  Cologne,  Adolphe  de  Schaumbourg,  plaisait 
au  chapitre  cathédral;  malheureusement,  son  origine  étran- 

1  Voir  l'instruction  précitée  de  Charles -Quint  pour  le  seigneur  de  Horion, 
du  17  mars  1537. 

*  Voir  le  registre  u°  69,  p.  178:  lettre  de  Charles-Quint  à  Marie  de  Hongrie, 
du  22  avril!  558. 

5  Voir  le  chapitre  suivant. 


(89) 

gère  inquiétait  la  gouvernante  sur  l'attitude  qu'il  observerait  à 
l'égard  des  Pays-Bas.  Aussi  Charles-Quint,  à  qui  les  intrigues 
des  la  Marck  avaient  déjà  causé  tant  de  soucis  et  qui  préférait 
placer  sur  le  trône  épiscopal  un  seigneur  indigène,  repoussa 
la  requête  de  ce  prélat.  Pour  ménager  le  comte  de  Nassau, 
un  de  ses  plus  fidèles  serviteurs,  il  lui  insinua  qu'il  avait 
depuis  longtemps  disposé  de  la  coadjutorerie  de  Liège  *. 

Georges  d'Egmont,  évéque  d'Utrecht,  était  le  candidat  de 
prédilection  de  l'empereur,  et  Marie  de  Hongrie  l'appuya  de 
tout  son  crédit.  Mais  Georges  était  brouillé  avec  le  chapitre  de 
Liège,  ce  qui  déroulait  les  projets  de  Charles-Quint  2.  On  ne 
pouvait  plus  songer  à  faire  violence  à  ce  corps  si  jaloux  de  ses 
privilèges  :  «  il  n'y  a  noble  gentilhomme  ni  ville  qui  ayt 
autorité  de  choisir  evesque  et  prince,  mais  appartient  au 
chapitre  seul  de  la  grande  église  »,  avait-on  dit  au  chancelier 
de  la  Toison  d'or,  Philippe  Nigri  3,  et  l'empereur,  dont 
l'influence  à  Liège,  depuis  la  mort  du  cardinal,  était  quelque 
peu  chancelante,  se  serait  bien  gardé  de  se  brouiller  avec  le 
chapitre  de  Saint-Lambert.  S'inspirant  de  cette  politique 
prudente  qui  lui  avait  jusqu'alors  si  bien  réussi,  et  ne  voulant 
pas  encourir  le  reproche  d'abuser  de  son  influence  auprès 
d'une  assemblée  vénérable,  il  renonça  à  son  évéque  préféré. 

L'évéque  d'Arras,  Eustache  de  Croy,  était  un  prélat  distingué, 
d'autant  plus  recommandable  qu'il  appartenait  à  une  famille 
illustre,  à  laquelle  l'empereur  était  sincèrement  attaché.  Il  était 
naturel  qu'on  le  proposât  *  pour  le  siège  de  Liège,  puisque 

1  Voir  le  registre  n°  69,  p.  186  :  lettre  de  Charles-Quint  à  Marie  de 
Hongrie,  du  15  juin  1538. 

*  Voir  le  registre  n°  50,  p.  144  :  lettre  du  20  mat  1539  de  Marie  de 
Hongrie  au  comte  de  Boussu. 

*  Voir  les  lettres  missives  de  Marie  de  Hongrie  (1536-1540);  lettre  de  Nigri, 
du  10  février  1538. 

4  Dans  une  lettre  au  comte  de  Boussu,  envoyé  vers  Charles-Quint,  Marie 
de  Hongrie  dit  de  ce  prélat  :  «  je  ne  ireuve  par  deçà  prélat  qui  soit  suffisam- 
ment qualifié  de  tenir  ledict  évèclie  laquelle  sans  contredit  eût  obtenu  le  feu 
evesque  d'Arras»  s'il  eût  demeuré  en  vie  ».  Lettre  du  20  mai  1339,  registre 
n°  6P,  p.  240. 


(60) 

l'hostilité  du  chapitre  empêchait  la  nomination  de  Georges 
d'Egmont.  Mais  Eustache  de  Croy  mourut  pendant  les  négo- 
ciations, et  c'est  alors  que  la  présentation  de  Georges  d'Autriche 
s'imposa  au  Gouvernement  des  Pays-Bas. 

Georges  d'Autriche  était  un  fils  naturel  de  l'empereur  Maxi- 
milien  et  d'une  demoiselle  de  Meghen.  En  1525,  il  avait  obtenu 
l'évéché  tyrolien  de  Brixen  ',  qu'il  résigna  en  4538  pour 
succéder  à  Erard  de  la  Marck  dans  l'archevêché  de  Valence. 
Sa  parenté  avec  les  Habsbourg  lui  fournissait  ses  plus  beaux 
titres  à  la  protection  de  Marie  de  Hongrie.  Aussi  cette  prin- 
cesse, qui  semblait  uniquement  préoccupée  d'assurer  la  gran- 
deur de  sa  famille  et  de  consolider  la  puissance  de  Charles- 
Quint  aux  Pays-Bas,  recommanda  chaudement  la  candidature 
de  son  oncle.  Elle  ne  prévoyait,  disait-elle,  que  deux  obstacles 
au  succès  de  Georges  :  sa  naissance  illégitime  et  sa  faiblesse 
physique.  Mais  une  politique  adroite  et  persévérante  pouvait 
aplanir  ces  difficultés  et  faire  obtenir  du  Saint-Siège  les 
dispenses  nécessaires  *. 

Charles-Quint  partageait  l'inclination  de  sa  sœur  pour  l'an- 
cien évêque  de  Brixen,  à  qui  il  avait  déjà  témoigné  sa  sympa- 
thie en  lui  conférant  un  des  plus  beaux  sièges  apostoliques  de 
l'Espagne.  Mais  ses  affections  personnelles  s'effaçaient  pour 
le  moment  devant  de  puissantes  considérations  politiques. 
Depuis  longtemps,  il  se  plaignait  de  l'ambition  du  haut  clergé 
néerlandais  et  travaillait  à  restreindre  ses  prérogatives.  Aussi 
avait-il  nettement  déclaré  à  sa  sœur  qu'il  ne  souffrirait  pas  que 
l'évêque  dTtrecht  ou  l'évêque  d'Arras  réunissent  sous  leur 


1  Dans  toutes  ces  lettres  de  Marie  de  Ilougrie,  les  évêques  soûl  désignés  par 
le  nom  de  leur  diocèse  el  jamais  par  leur  nom  de  famille;  ainsi  Marie  de  Hongrie 
appellera  toujours  Georges  d'Autriche,  l'évêque  de  Brixen,  Kuslache  de  Croy, 
l'évêque  d'Arras,  etc.  Pour  retrouver  le  nom  de  famil'e  des  prélats  auxquels  la 
gouvernante  fait  allusion,  nous  nous  sommes  servis  du  catalogue  de  Boni  face 
Gams:  Séries  episcoporum  ecclesiœ  catholicœ. 

*  Sans  autorisation  du  souverain  pontife,  un  bâtard  ne  pouvait  entrer  dans 
le  chapitre  de  Suint-Lambert. 


(  61  ) 

autorité  deux  diocèses  *,  et  qu'il  voulait  qu'avant  d'accepter  le 
trône  de  Liège,  l'élu  résignât  ses  autres  bénéfices  2. 

La  résolution  de  l'empereur  se  justifiait  aussi  par  des  motifs 
religieux.  Les  progrès  inquiétants  du  protestantisme  aux  Pays- 
Bas  réclamaient  la  présence  des  diocésains  au  milieu  de  leurs 
ouailles,  et  empêchaient  que  le  même  prélat  ne  s'occupât  sérieu- 
sement des  intérêts  spirituels  de  deux  diocèses  éloignés,  tels 
que  Liège  et  Valence.  Erard  de  la  Marck  n'avait  jamais  résidé 
dans  son  archevêché  espagnol  ;  il  s'était  contenté  d'en  percevoir 
les  revenus.  11  avait  ainsi  joui  d'une  faveur  qui  provoquait  les 
murmures  de  ses  adversaires,  et  que  Charles-Quint  ne  pouvait 
conserver  à  un  de  ses  successeurs  sans  justifier  les  plaintes 
des  ennemis  de  l'Eglise. 

Charles-Quint  n'accueillit  donc  la  candidature  de  Georges 
d'Autriche  que  lorsqu'il  reconnut  toute  autre  présentation 
impossible,  et  à  la  condition  formelle  que  le  nouveau  coadju- 
teur  renonçât  à  l'archevêché  de  Valence  3. 

En  1539,  Marie  de  Hongrie  manda  à  son  frère  par  le  comte 
de  Boussu  4  que  le  chapitre  de  Saint-Lambert  accepterait  l'ar- 
chevêque de  Valence,  mais  qu'il  était  désirable  que  ce  prélat 
étranger  reçût  au  préalable  un  canonicat  dans  la  cathédrale, 
ou  la  pourpre  cardinalice.  L'empereur  approuva  cette  combi- 

I  Voir  la  lettre  de  l'empereur  écrite  de  Barcelone  le  22  avril  1538  à  Marie 
de  Hongrie  (registre  69,  p.  178). 

II  résulte  de  ces  lettres  qu'Antoine  de  Granvelle  parvint  à  l'évêché  d'Arras 
en  1538,  après  la  mort  d'Euslache  de  Croy;  il  avait  alors  21  ans,  puisqu'il 
était  né  le  20  août  1517.  Beaucoup  d'historiens  assignent  à  tort  la  date  de 
1540  à  la  promotion  de  Granvelle  à  l'évêché  d'Arras  (voir  Gams,  loc.  ci'/.,  art. 
Arras.) 

1  Voir  la  lettre  de  l'empereur  écrite  à  Barcelone,  le  22  avril  1538  (registre 
n°  69,  p.  178)  :  «  Car  je  ne  veux,  disait  Charles-Quint,  me  mester  comme  quil 
soit  de  pluralité  cTéveschés  en  ung  personnalge.  » 

*  Voir  la  lettre  de  l'empereur  à  Marie  écrite  de  Villefranche  le  15  juin  1538, 
la  lettre  écrite  de  Ratisbonne  le  20  avril  1541  (registre  n#5i,  p.  43)  et  la  lettre 
(même  registre,  p.  74)  du  6  août  1541. 

4  Voir  la  lettre  du  20  mai  1539  adressée  au  comte  de  Boussu  et  citée  plus 
haut,  page  59. 


(68) 

naison  ',  et  Georges  d'Autriche,  après  que  le  pape  lui  eut 
conféré  les  dispenses  nécessaires,  fut  reçu  dans  le  chapitre  de 
Liège. 

L'année  suivante,  Charles-Quint,  qui  avait  été  rappelé  de 
l'Espagne  par  les  troubles  de  Gand  2,  proposa  à  Corneille  de 
Berghes  de  s'adjoindre  l'archevêque  de  Valence  comme  coad- 
juteur.  C'était  combler  le  vœu  le  plus  cher  du  malheureux 
prince.  Corneille  présenta  incontinent  Georges  d'Autriche  à 
son  chapitre;  après  une  délibération  de  plusieurs  jours,  la 
coadjutorerie  de  l'oncle  de  Charles-Quint  fut  acceptée  par  les 
chanoines  de  Saint-Lambert  et  approuvée  par  le  pape. 

Le  chapitre  cathédral  montra  cette  fois  moins  d'empresse- 
ment qu'en  1532;  il  comprenait,  dit  Fisen,  combien  les  procé- 
dés de  l'empereur  restreignaient  ses  privilèges;  s'il  cédait, 
c'est  qu'il  savait  que  les  prières  de  Charles-Quint  étaient  des 
ordres  3. 

On  eût  dit  que  Charles-Quint  éprouverait  de  continuels 
déboires  dans  ses  négociations  pour  la  collation  du  trône  épis- 
copal  de  Liège.  Après  avoir  résigné  l'archevêché  de  Valence, 
Georges  d'Autriche  quitta  la  péninsule  pour  se  rendre  dans  son 
futur  diocèse.  A  Lyon,  il  fut  arrêté  par  ordre  du  roi  de  France. 
François  Ier  voulait  venger  la  mort  de  ses  députés,  César  Fré- 
gouze  et  Antoine  Rinçon  *,  que  le  gouverneur  de  Milan,  obéis- 
sant aux  instructions  de  Charles,  avait  fait  tuer,  dans  l'espoir 


1  Voir  la  lettre  de  l'empereur  du  12  juillet  1339  (registre  n°  69,  p.  278): 
t  Et  trouve,  dit  Charles,  bon  ce  que  m'escripvez  de  faire  chanoine  dudit  Liège 
Parcbevesque  de  Valence  et  après  la  venue  dudit  mess  ire  Corneille  auquel 
vous  remeciez,  je  vous  ferai  sur  le  tout  plus  résolue  responce  ». 

*  Voir  Chapeaville,  loc.  ct'f.,  pp.  337,538  et  F i ses, /oc.  cil,,  p.  339. 

5  Clerus  maie  illud  habuit  quo  suffragiis  liberlatem  imminui  sentiebat, 
principatusque  maje&lati  olim  timendum.  Verum  Caesaris  preces  cum  intel- 
ligent armatas  quales  polentiorum  principum  soient  esse,  consentit  nost 
paucorum  dierum  délibéra tionem. 

4  Voir  la  lettre  du  28  novembre  1541  dans  laquelle  Marie  instruit  son  frère 
de  Par  resta  lion  de  Georges  d'Autriche  et  des  projets  des  Français  sur  le  pays 
de  Liège  (registre  n°51,  p.  95). 


(63) 

de  trouver  des  documents  diplomatiques  compromettants  pour 
la  cour  de  France. 

L'emprisonnement  d'un  archevêque  innocent  portait  grave* 
ment  atteinte  aux  droits  de  l'Eglise;  dans  les  conjonctures 
présentes,  cet  emprisonnement  renversait  les  espérances  de 
Charles-Quint.  Ce  prince  croyait  avoir  assuré  la  tranquillité  du 
pays  de  Liège,  et  voilà  que  la  guerre  avec  son  redoutable  rival 
recommençait,  plus  implacable  que  jamais,  menaçant  particu- 
lièrement les  Pays-Bas.  Quel  danger  pour  ces  provinces,  si  un 
prince-évéque,  plus  énergique  que  Corneille  de  Berghes,  ne 
repoussait  les  attaques  de  la  France  et  ne  contenait  les  dispo- 
sitions hostiles  d'une  notable  partie  du  peuple  liégeois! 

Charles-Quint  comprit  qu'il  devait  aviser  au  plus  tôt  à  un  si 
fâcheux  contretemps.  Instruit  par  Marie  de  Hongrie  de  la  situa- 
tion véritable  du  pays  de  Liège,  il  demanda  au  souverain  pon- 
tife d'intervenir  auprès  de  la  cour  de  France  en  faveur  de 
Georges  d'Autriche  i.  Il  songea  également  à  présenter  au  cha- 
pitre de  Saint-Lambert  un  nouveau  coadjuteur,  afin  de  donner 
un  successeur  capable  à  Corneille  de  Berghes,  dans  le  cas  où 
François  Ier  refuserait  d'élargir  son  prisonnier. 

Renonçant,  quoique  avec  regret,  à  l'ordinaire  d'Utrecht  2,  il 
conseilla  à  sa  sœur  de  proposer  l'élection  du  nouvel  évéque 
d'Arras,  Antoine  Perrenot,  seigneur  de  Granvelle.  Les  bril- 
lantes qualités  de  ce  jeune  prélat  et  la  reconnaissance  que 
Charles  éprouvait  pour  les  éminents  services  qu'il  recevait  de 
son  père,  Nicolas  Perrenot  3,  chancelier  des  royaumes  de  Naples 
et  de  Sicile,  militaient  en  faveur  du  nouveau  candidat,  le  meil- 


1  Voir  les  lettres  de  l'empereur  du  6  août  et  du  36  septembre  1541  (même 
registre,  pp.  74  et  78). 

*  Voir  (dans  le  registre  n°51,  p.  117)  la  lettre  écrite  de  Valladolid  par 
Charles-Quiot  à  Marie  de  Hongrie  le  13  mai  1542. 

*  Voir  la  lettre  du  13  mai  1542  citée  plus  baut  :  c  Vous  pouvez  bien  pemser 
que  quant  il  ny  aurait  aultres  causes  que  les  services  du  père  que  serois 
très-aise  que  Vevesque  d'Arras  le  fût,  etc.  » 

Voir  aussi  la  lettre  de  l'empereur  du  3  novembre  1542,  registre  69,  p.  465» 


(64) 

leur  que  l'empereur  pût  présenter  pour  un  siège  épiscopal 
aussi  important  que  celui  de  Liège. 

Marie  de  Hongrie  se  préparait  donc  à  satisfaire  aux  désirs  de 
son  frère,  quand  la  nouvelle  de  la  délivrance  de  Georges  d'Au- 
triche la  dispensa  de  poursuivre  ses  négociations.  Après  une 
captivité  de  vingt-deux  mois,  le  coadjuteur  obtint  sa  liberté,  an 
prix  d'une  rançon  de  25,000  écus  !  ;  il  s'empressa  de  se  rendre 
aux  Pays-Bas  et  de  prêter  serment  en  présence  des  députés 
du  chapitre  *. 

L'année  suivante,  Corneille  de  Berghes  résignait  une  dignité 
qu'il  avait  acceptée  sur  les  instances  de  Marie  de  Hongrie  et 
pour  laquelle  il  ne  se  sentait  pas  la  moindre  vocation.  Si  la 
courte  administration  de  ce  prince  ternit  quelque  peu  l'éclat 
que  le  règne  brillant  d'Erard  de  la  Marck  avait  projeté  sur  le 
trône  épiscopal  de  Saint-Lambert,  nous  reconnaîtrons  que  Cor- 
neille renonçait  à  ses  aspirations  les  plus  chères  en  acceptant 
la  souveraineté  du  pays  de  Liège  et  qu'il  manifesta  souvent  sa 
répugnance  pour  le  pouvoir.  En  lui  déniant  de  grands  talents 
politiques,  l'historien  doit  lui  savoir  gré  de  sa  bonne  foi  et  de 
son  désintéressement. 

IV 

La  coadjutorerie  de  Robert  de  Berghes,  le  dernier  prince- 
évéque  dont  la  nomination  anticipée  fût  imposée  par  Charles- 
Quint,  ne  suscita  pas  de  difficultés  comparables  à  celles  que 
nous  avons  signalées. 

Ce  fut  en  1S49,  lors  de  l'inauguration  de  Philippe  II  dans 
nos  provinces,  que  l'empereur  songea  à  donner  un  coadjuteur 
à  Georges  d'Autriche.  Il  se  concerta  à  cet  effet  avec  le  prince- 
évêque,  et  deux  ambassadeurs  3,  le  comte  d'Aremberg,  gouver- 


■  Voir  la  lettre  de  Marie  de  Hongrie  a  Charles-Quint,  du  7  mai  1543(reg» 
no  69,  p.  305). 

*  Voir  Chapea ville,  toc.  cit.,  p.  349. 
*    •  Voir  Chapea  ville,  loc,  cit.,  p.  362,  et  dans  les  Papiers  d'État  et  de  FAtt- 


(  65  ) 

neur  de  la  Frise,  et  le  conseiller,  Gérard  Velwyck,  exposèrent 
au  chapitre  de  Saint-Lambert  que  leur  souverain  désirait  pré- 
parer la  nomination  du  successeur  futur  de  Georges  d'Autriche, 
afin  d'assurer  la  tranquillité  de  ses  Etats  héréditaires. 

Le  chapitre  ne  montra  plus  la  même  condescendance  que 
les  années  précédentes.  Il  exigea  *  la  faculté  de  présenter  une 
série  de  candidats  en  dehors  desquels  Charles- Quint  et  l'évéque 
ne  pourraient  choisir  un  coadjuteur.  C'est  ainsi  qu'Antoine 
Perrenot,  seigneur  de  Granvelle  et  évêque  d'Arras,  Gérard  de 
Groesbeck,  doyen  du  chapitre,  Hermann  de  Rennenbourg, 
prévôt  de  Sainte-Croix  à  Liège,  Antoine  de  Schaumbourg, 
prévôt  de  Saint-Servais  à  Maestricht,  et  Robert  de  Berghes, 
protonotaire  apostolique,  tous  chanoines  de  Saint- Lambert, 
furent  recommandés  par  leurs  collègues  à  la  faveur  impé- 
riale. 

Bien  que  des  qualités  sérieuses  distinguassent  chacun  de  ces 
candidats,  le  choix  de  Charles-Quint  ne  pouvait  être  douteux. 
Antoine  Perrenot  aurait  dû,  en  cas  de  succès,  renoncer  à  son 
évéché  d'Arras,  car  jamais  l'empereur,  qui  avait  sollicité  du 
souverain  pontife  la  création  de  nouveaux  diocèses  2,  et  avait 
naguère  obligé  son  oncle,  Georges  d'Autriche,  à  résigner  le  siège 
de  Valence,  n'eût  voulu  qu'un  prélat,  si  attaché  qu'il  lui  fût, 
gouvernât  deux  églises  confinant  à  ses  provinces  belgiques.  En 
outre,  Charles-Quint  réservait  à  l'activité  de  Perrenot  une  autre 
destination.  Il  avait  remarqué  les  talents  supérieurs  du  jeune 
évêque  et  se  promettait  d'en  faire  le  conseiller  intime  de  son 
fils  Philippe.  C'est  pourquoi  Perrenot  écrivait  plus  tard  à 
Philippe  II  :  ce  deux  fois  j'ai  été  nommé  à  l'évêché  de  Liège  et 


dience  (Archives  générales  du  royaume),  liasse  42,  la  minute  de  la  dépêche 
adressée  à  cette  occasion,  le  3  juillet  1549,  au  chapitre  de  Saint-Lambert  par 
Charles-Quint,  et,  dans  la  liasse  43,  une  lettre  du  mois  de  décembre  de  la  même 
année  de  Marie  de  Hongrie  au  chapitre  de  Liège. 

1  Voir  Cuapeaville,  toc,  cit.,  p.  362. 

9  Voir  le  chapitre  intitulé  :  Histoire  des  contestations  politiques,  judiciaires 
et  religieuses  de  Charles-Quint  avec  le  pays  de  Liège. 

Tome  XLI.  5 


{66) 

deux  fois,  j'ai  dû  renoncer  à  cette  église,  uniquement  à  cause  du 
besoin  qu'on  avait  de  moi  ■  ». 

Ainsi  Granvelle  dut  laisser  à  un  rival  plus  heureux  ce  trône 
épiscopal  de  Liège,  dont  la  splendeur  produisait  sur  son  esprit 
une  sorte  d'enchantement.  Ambitieux  comme  beaucoup  de 
prêtres  de  son  temps,  toujours  avide  de  revenus  ou  de  dignités, 
le  brillant  prélat  eût  été  fier  de  régner  dans  le  palais  somptueux 
fondé  par  Érard  de  la  Marck,  comme  il  le  prouva  par  les 
démarches  2  qu'il  tenta  plus  tard  pour  recueillir  la  succession 
de  Gérard  de  Groesbeck. 

Le  plus  sérieux  des  candidats  après  Granvelle  était,  sans  con- 
tredit, Gérard  de  Groesbeck.  Doyen  du  chapitre  cathédral,il  dis- 
posait d'une  grande  influence  auprès  des  chanoines,  et  se  distin- 
guait par  de  rares  qualités  administratives,  qualités  qu'il  révéla 
plus  tard,  quand  il  fut  investi  de  l'autorité  suprême.  Prince- 
évêque,  il  eût  rendu  de  précieux  services  à  Marie  de  Hongrie.  Le 
Gouvernement  des  Pays-Bas  ne  pouvait  faire  de  meilleur  chou, 
d'autant  plus  qu'il  se  fût  par  là  réconcilié  avec  les  chanoines 
de  Saint-Lambert,  assez  froissés  de  la  hauteur  avec  laquelle 
Charles-Quint,  au  mépris  de  leurs  privilèges,  intervenait  dans 
la  politique  intérieure  de  la  principauté.  Hermann  de  Rennen- 
bourg  et  Antoine  de  Schaumbourg  avaient  moins  de  chances 
de  succès.  Leurs  familles  n'étaient  pas  assez  illustres,  ni  leurs 
qualités  personnelles  assez  brillantes  pour  les  recommander  au 
monarque  flamand. 

Restait  Robert  de  Berghes.  Ce  prince  n'avait  guère  été  favorisé 
de  la  nature.  Il  était  d'une  complexion  maladive  et,  après 
quatre  années  d'administration,  souffrit  d'une  maladie  céré- 
brale qui  l'obligea  plus  tard  à  résigner  ses  fonctions  3.  Cette 
faiblesse  intellectuelle  ne  ravalait  pas  ses  titres  auprès  de 


*  Voir  Papiers  du  cardinal  Granvelle,  t.  V,  pp.  657,  664. 

1  Voir  le  chapitre  IX  :  Alliance  des  gouverneurs  généraux  des  Pays-But 
avec  la  principauté  de  Liège  pendant  la  révolution  du  XVI*  siècle. 

'  Voir  le  chapitre  :  Avènement  de  Gérard  de  Groesbeck  au  trône  épiscopal 
de  Liège. 


(67) 

Charles-Quint.  Ce  prince  préférait  placer  sur  le  trône  épi- 
scopal  de  Liège  un  évêque  médiocre,  mais  soumis,  plutôt 
que  de  nommer  un  diplomate  de  génie,  tel  qu'Érard  de  la 
Marck,  dont  il  aurait  peut-être  à  redouter  les  intrigues.  En 
outre,  Robert  était  Belge.  Il  était  cousin  de  Corneille  de  Bergfaes 
et  fils  de  cet  Antoine  de  Bergfaes !  en  faveur  de  qui  la  seigneu- 
rie de  Berg-op-Zoom  avait  été  érigée  en  marquisat.  Charles- 
Quint  se  disait  que  le  nouveau  prélat  lui  saurait  gré  des  hon- 
neurs qu'il  avait  prodigués  à  sa  famille,  et  c'est  dans  ce  calcul 
de  l'empereur  que  nous  devons  chercher  la  raison  pour  laquelle 
Robert  de  Berghes,le  moins  capable  des  candidats  capitulaires, 
devint  le  coadjuteur  de  Georges  d'Autriche. 

Charles-Quint  avait  donc  tiré  un  merveilleux  parti  de  l'in- 
fluence que  son  titre  de  chef  du  saint-empire  et  son  amitié  avec 
la  curie  romaine  lui  ménageaient  auprès  du  chapitre  cathédral 
de  Liège.  En  imposant  un  coadjuteur  à  l'évêque  régnant,  il 
réservait  la  succession  de  la  principauté  à  un  partisan  de  sa 
famille  et  prévenait  les  intrigues  de  l'étranger.  Chaque  fois,  il 
était  sûr  que  le  nouveau  prince-évêque  observerait  le  traité 
de  1518,  ce  qui  lui  garantissait  la  tranquillité  des  Pays-Bas  et 
lui  permettait  de  poursuivre  ses  desseins  dans  ses  autres 
domaines.  Allié  du  souverain  liégeois,  il  pouvait  résister  vic- 
torieusement aux  Français  et  aux  Gueldrois,  et  déjouer  les 
conspirations  que  ses  ennemis  ourdiraient  dans  la  vallée  de  la 
Meuse  ou  dans  les  Pays-Bas.  Tels  sont  les  avantages  que  Charles- 
Quint  retira  de  sa  politique  adroite  et  persévérante  à  l'égard  du 
chapitre  cathédral  de  Liège,  politique  qui  fut  heureusement 
comprise  par  les  gouvernantes  générales,  Marguerite  d'Autriche 
et  Marie  de  Hongrie. 

1  Voir  De  Vegianu,  Nobiliaire  des  Pays-Bas  et  du  comté  de  Bourgogne. 


(68) 


CHAPITRE  V. 


Marie  de  Hongrie  et  le  prince-évéque  Corneille  de  Berghe*. 


I 

Érard  de  la  Marck  tomba  malade  le  15  janvier  1538.  Un  repas 
trop  copieux  lui  causa  une  indigestion  qui  dégénéra  en  une 
fièvre  dangereuse.  On  apprit  bientôt  qu'il  était  à  toute  extré- 
mité. 

On  aurait  cru  qu'à  cette  nouvelle  Corneille  de  Berghes, 
seigneur  de  Sevenberghe,  allait  partir  pour  Liège,  se  prévaloir 
de  son  titre  de  coadjuteur  et  s'aplanir  ainsi  le  chemin  du 
trône.  Il  n'en  fut  rien.  Corneille  se  trouvait  bien  à  l'abbaye  de 
la  Cambre  et  ne  se  souciait  guère  de  se  rendre  dans  une  ville 
qu'il  savait  livrée  aux  dissensions. 

La  discorde  en  effet  régnait  à  Liège,  même  au  sein  du  cha- 
pitre. Le  neveu  et  le  cousin  d'Érard,  Philippe  et  Guillaume  de 
la  Marck  *,  chanoines  delà  cathédrale  et  archidiacres,  mettaient 
tout  en  œuvre  pour  écarter  le  coadjuteur  de  Charles-Quint  et 
recueillir  une  part  delà  succession  politique  d'Erard.  Guillaume 
ou,  comme  on  l'appelait  le  plus  souvent,  le  seigneur  de  Seraing, 
était  le  plus  ambitieux  et  aussi  le  plus  dangereux.  11  ne  briguait 
rien  moins  que  l'épiscopat  2  et  comptait  sur  les  partisans  de  sa 
famille,  sur  les  ennemis  de  la  maison  d'Autriche,  et  surtout 
sur  les  secours  de  la  France. 


1  Voir  au  chapitre  suivant  notre  tableau  généalogique  des  la  Marck. 
1  Voir  le  chapitre  suivant  :  La  conspiration  des  la  Marck  et  ta  mission  du 
conseiller  BoisoU 


(69) 

Ces  symptômes  fâcheux  n'échappèrent  pas  à  Marie  de  Hon- 
grie. Comme  elle  craignait  qu'une  révolution  ne  lui  fît  perdre 
Palliance  liégeoise,  si  précieuse  aux  Pays-Bas,  elle  députa  à 
Liège  deux  de  ses  diplomates  les  plus  habiles  :  Florent  d'Fg- 
mont,  comte  de  Buren,  beau-frère  de  Corneille  de  Berghes,  et 
le  chancelier  de  Tordre  de  la  Toison  d'or,  Philippe  Nigri.  Ce 
choix  était  des  plus  heureux.  Le  comte  de  Buren  était  intéressé 
à  assurer  à  son  parent  le  trône  de  Liège,  et  Philippe  Nigri, 
chanoine  de  la  cathédrale,  pouvait  par  son  crédit  au  chapitre 
balancer  la  puissance  des  la  Marck. 

Les  deux  ambassadeurs  reçurent  de  minutieuses  instruc- 
tions *.  Ils  devaient  s'entendre  avec  les  chanoines  et  les  éche- 
vins  les  plus  influents;  les  amener  à  reconnaître  Corneille  de 
Berghes  ;  désintéresser,  si  c'était  nécessaire,  les  rivaux  de  ce 
prince  ;  promettre  même  une  pension  de  4,000  à  6,000  florins  à 
Guillaume  de  la  Marck,  seigneur  de  Seraing;  s'attacher  surtout 
les  chanoines  natifs  des  Pays-Bas;  surveiller  les  intrigues  des 
Français,  «  voir  si  quelque  practique  du  costé  des  Franchois  ne 
se  maisne  pour  avoir  ungevesque  à  leur  appétit  et  lempescher 
par  tous  les  moyens  qui  seront  possibles  »  ;  si  les  Liégeois 
exigeaient  la  nomination  de  Guillaume  de  la  Marck  et  qu'on  la 
reconnût  indispensable,  «  adviser  de  gagner  ledit  Seraing  lui 
donnant  espoir  de  lui  faire  avoir  encoires  quelque  autre  bonne 
provision  de  lempereur  et  linduire  à  l'observation  de  la  capi- 
tulation faite  par  lempereur  et  la  royne  avec  ledit  seigneur 
cardinal  ». 

Nettes  et  précises,  ces  instructions  donnaient  toute  latitude 
aux  députés  flamands.  Ceux-ci  prirent  aussitôt  le  chemin  de  la 
principauté,  s'arrêtant  à  ïirlemont,  à  Saint-Trond,  et  mandant 
journellement  à  la  gouvernante  les  nouvelles  qu'ils  recevaient 
de  Liège. 

Leur  tâche  était  difficile.  Us  avaient  à  lutter  contre  un  parti 
puissant,  le  parti  des  la  Marck,  qui  se  recrutait  parmi  tous  les 

1  Archives  du  royaume  :  Correspondance  de  Marie  de  Hongrie,  régis  tre- 
n°  09,  pp.  174  el  suiv. 


(70) 

mécontents,  et  ils  rencontraient  partout  la  plus  grande  défiance. 
Les  bourgeois  faisaient  le  guet  jour  et  nuit,  à  telles  enseignes 
que  Nigri  écrivait  de  Saint-Trond  *  :  «  il  y  a  gros  guet  de  jour 
et  de  nuit  en  ceste  ville  aux  portes  et  murailles  et  ai  oui  dung 
bon  gentilhomme  que  si  eussions  été  plus  de  XV  chevaus  Ton 
ne  nous  eut  laissé  entrer  ».  Un  seul  membre  de  la  famille  des 
la  Marck  s'intéressait  au  succès  des  négociateurs  bruxellois, 
c'était  le  grand  maïeur  de  la  Cité,  Robert  de  la  Marck  d'Arem- 
berg.  Sa  haute  position  le  mettait  à  même  de  démêler  les 
intrigues  de  ses  parents  ;  il  en  profita  pour  offrir  immédiate- 
ment ses  bons  offices  au  comte  de  Buren  et  à  Nigri.  Mais  il 
rencontra  des  difficultés  imprévues.  Il  fut  entouré  de  ses  pro- 
ches qui  tentaient  de  l'entraîner  dans  leur  parti.  Il  lui  arriva 
même  quelquefois  de  ne  pouvoir  écrire  au  comte  de  Buren, 
tant  il  craignait  que  ses  lettres  ne  fussent  interceptées  2  ! 

Le  12  février,  de  Buren  et  Nigri  causèrent  avec  le  cardinal  et 
apprirent  des  secrets  qu'ils  se  réservèrent  de  révéler  eux-mêmes 
à  la  gouvernante.  Le  malade,  pensaient-ils,  pouvait  encore 
vivre  sept  ou  huit  jours.  Les  nouvelles  du  grand  maïeur  étaient 
plus  rassurantes  :  ce  la  commune  est  bonne  pour  ledit  Seven- 
berghe,  combien  que  pour  aucunes  bourdes  parcidevant  elle 
ait  été  d'autre  opinion  3  ». 

Les  deux  députés  ne  se  trompèrent  guère  dans  leurs  conjec- 
tures; le  cardinal  mourut  le  16  février.  Buren  en  avisa  aussitôt 
la  gouvernante  4,  et  lui  apprit  qu'il  avait  promis  au  seigneur  de 
Seraing  une  pension  de  6,000  florins.  Il  consacra  les  jours  sui- 
vants avec  son  collègue  à  préparer  les  esprits  à  la  réception  de 
Corneille  de  Berghes,  et  à  force  d'adresse  et  d'énergie,  ils  y 
réussirent.  Guillaume  de  la  Marck  souleva  encore  des  diffi- 


1  Correspondance  de  Marie  de  Hongrie,  registre  128,  lettre  de  Nigri,  du 
10  février  1538. 
1  Même  lettre. 

*  Registre  128  :  lettre  collective  de  Bureo  et  de  Nigri  à  la  reine,  du 
12  février. 

*  Même  registre,  lettre  de  Buren,  du  16  février. 


(71) 

cultes  ;  il  exigeait  que  sa  pension  fût  assignée  sur  les  revenus 
de  l'évéché  et  tâcha  même  de  nouer  de  nouvelles  intrigues; 
mais,  en  fin  de  compte,  les  choses  prirent  une  heureuse  tour- 
nure, grâce  à  l'entente  du  clergé  et  de  la  noblesse  et  aux  pré- 
cautions prises  dans  la  cité.  «  Les  affaires,  écrivait  Nigri,  jusques 
ores  se  sont  conduit  icy  assez  gracieusement,  non  que  les  adver- 
saires naient  fait  leur  extrême  debvoir  de  les  troubler  et  à  ce 
se  sont  employé  jour  et  nuict  de  toute  leur  puissance,  mais  par 
l'union  qui  sest  trouvée  au  chapitre  avec  les  nobles  et  le  bon 
guet  qui  s'est  fait  continuellement  en  ceste  cité  *.  » 


II 


Pendant  que  les  ambassadeurs  flamands  et  le  grand  maïeur 
de  la  cité  préparaient  les  habitants  à  recevoir  leur  nouveau 
prince,  la  gouvernante  des  Pays-Bas  ne  restait  pas  inactive. 
Elle  força  ]e  coadjuteur  d'accepter  le  trône  de  Liège  par  un 
acte  authentique,  et  cet  acte  fut  aussitôt  expédié  au  chapitre  et 
aux  échevins  2.  On  apprit  ainsi  que  le  siège  épiscopal  ne  serait 
pas  vacant,  et  cette  nouvelle  rassura  les  bons  patriotes. 

Mais  Corneille  de  Berghes  ne  voulait  pas  devenir  évéque.  La 
preuve,  c'est  qu'il  n'avait  pas  encore  reçu  le  sacerdoce,  bien  qu'il 
fût  depuis  longtemps  le  successeur  désigné  d'Érard  de  la  Marck. 
Il  ne  quitta  Bruxelles  que  sur  les  instances  de  Marie  de  Hongrie 
et  se  rendit  à  Liège  par  le  plus  long.  Il  s'arrêta  longtemps  au 
château  de  Curange,  près  de  Hasselt,  et  là  ses  incertitudes 
recommencèrent.  Il  s'écriait  qu'on  le  nommait  évéque  contre 
son  gré;  il  parlait  d'abdiquer;  il  voulait  s'en  aller  à  tout  prix. 
Le  comte  de  Buren  se  rendit  aussitôt  à  Curange  pour  lui  faire 
entendre  raison  3. 


1  Registre  128,  lettre  de  Nigri  à  Marie  de  Hongrie,  du  28  février. 

*  Même  registre,  lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  Buren,  du  15  février. 

*  Registre  69,  pp.  123  et  stiiv.  Relation  de  Buren  à  Marie  de  Hongrie 
sur  son  voyage  à  Curange. 


(72) 

La  scène  qui  se  passa  à  Curange  entre  le  coad juteux  et  \e& 
députés  de  Marie  de  Hongrie  est  mêlée  d'incidents  tellement 
comiques  qu'ils  paraissent  invraisemblables.  Le  comte  de  Buren 
avait  amené  avec  lui  sa  femme,  son  fils,  le  seigneur  d'Issel- 
stein,  sa  belle-fille,  le  comte  et  la  comtesse  de  Hornes.  Ce 
conseil  de  famille  devait  relever  le  moral  du  pauvre  prélat 
et  lui  faire  accepter  le  trône  épiscopal.  Mais  Corneille  de 
Berghes  paraissait  inflexible.  Il  prolestait  contre  la  violence 
dont  il  était  l'objet,  voulait  résigner  sa  dignité,  et  à  n'im- 
porte qui;  tantôt  au  fils  du  marquis  de  Berghes,  au  jeune 
Robert,  ou  au  fils  du  seigneur  de  Nevele,  son  neveu,  deux 
princes  à  peine  âgés  de  dix  ans  ;  tantôt  au  seigneur  de  Bar- 
bançon  *,  un  autre  de  ses  neveux.  Les  deux  premiers  étaient 
trop  jeunes  ;  le  troisième  ne  convenait  guère  pour  une  chaire 
apostolique.  Il  ne  pourrait  vivre  chastement,  disait  son  parent, 
Philippe  de  Lannoy,  comte  de  Molembais,  ni  recevoir  le  sacer- 
doce dans  le  délai  d'un  an  !  Jamais,  d'ailleurs,  le  chapitre  n'eût 
accepté  un  de  ces  prétendants.  Il  paraissait  plutôt  incliner 
en  ce  moment  vers  le  comte  de  Schaumbourg,  coadjuteur  de 
Cologne  et  prévôt  de  l'église  de  Liège. 

Les  hésitations  de  Corneille  de  Berghes  eussent  découragé 
une  princesse  moins  persévérante  que  Marie  de  Hongrie. 
Comme  elle  négociait  alors  la  nomination  d'un  nouveau  coad- 
juteur, futur  successeur  de  Corneille,  et  que  cette  nomination 
dépendait  de  l'installation  immédiate  du  titulaire;  comme, 
d'autre  part,  elle  ignorait  les  intentions  de  l'empereur,  la 
gouvernante  des  Pays-Bas  tenta  d'énergiques  efforts  pour  déter- 
miner l'évêque  de  Liège  à  se  rendre  dans  sa  capitale. 

Sur  son  ordre,  Philippe  de  Lannoy  et  Nigri  partirent  pour 
Curange  afin  de  seconder  le  comte  de  Buren.  Ils  représentèrent 
au  prélat  qu'il  avait  promis  à  la  gouvernante  de  rester  en  fonc- 
tion, au  moins  pendant  un  an  ;  que  son  départ  plongerait  la 


1  Sur  la  parenté  de  Corneille  de  Berghes  avec  les  Montmorency,  les 
de  Lannoy,  les  Rarbançon,  voir  les  travaux  généalogiques  de  De  Vegiano  et 
de  Goetbals. 


(73  ) 

principauté  dans  des  embarras  inextricables;  qu'il  devait  garder 
son  poste  pendant  trois  ou  quatre  mois,  jusqu'à  ce  que  Marie 
de  Hongrie  eût  reçu  une  réponse  de  l'empereur. 

Les  deux  ambassadeurs  ne  purent  rien  obtenir.  Corneille 
de  Berghes  monlrait  une  obstination  qui  tournait  à  la  démence. 
Il  s'enfermait  dans  sa  chambre  pendant  des  jours  entiers, 
refusait  le  boire  et  le  manger,  préférant,  disait  le  comte  de 
Buren,  recevoir  un  coup  de  couteau  plutôt  que  de  rester 
évêque ! 

.  De  Buren  était  à  bout  d'expédients.  La  ruse  ayant  échoué, 
il  préconisait  les  moyens  rigoureux  pour  forcer  la  main  au 
prélat  récalcitrant  et  éviter  une  vacance  du  trône,  la  pire  des 
situations,  tant  le  chapitre  était  alors  peu  disposé  à  élire  un 
évéque  du  parti  de  l'empereur!  La  reine  devait  donc  con- 
traindre le  prince  «  par  lettres  ou  aultrement,  selon  l'Évangile: 
cotnpelle  intrare  »,  écrivait  notre  diplomate  avec  une  pointe 
de  malice. 

Tout  à  coup,  Corneille  de  Berghes,  qui  se  sentait  mieux,  fit 
mine  d'accepter  ses  fonctions  et  de  se  rendre  à  Liège. 

Marie  de  Hongrie  voulut  en  avoir  le  cœur  net.  Elle  renvoya 
à  Curange  le  chancelier  de  l'ordre  accompagné  du  bailli  de 
Brabant  pour  marquer  au  prince  la  satisfaction  qu'elle  éprou- 
vait de  ses  bonnes  dispositions  et  lui  mander  qu'elle  se  con- 
tenterait d'un  an  de  gouvernement. 

Les  députés  flamands  furent  reçus  par  le  comte  de  Buren. 
Celui-ci,  qui  craignait  toujours  les  lubies  de  Corneille  de 
Berghes,  leur  recommanda  de  ne  rien  dire  de  leurs  instruc- 
tions, de  simplement  féliciter  le  prélat  de  la  part  de  la  reine; 
autrement,  ce  bizarre  personnage  serait  peut-être  assez  fou  pour 
refuser  d'accepter  le  pouvoir! 

Précautions  inutiles  :  les  deux  diplomates  retournèrent  à 
Bruxelles  sans  avoir  obtenu  une  heure  d'audience  *. 

Enfin,  après  des  tergiversations  qui  inquiétèrent  singulière- 

1  Sur  tous  ces  événements,  voir  la  relation  précitée  du  comte  de  Buren  à 
Marie  de  Hongrie. 


(74) 

ment  Marie  de  Hongrie,  Corneille  de  Berghes  se  décida  à  se 
rendre  à  Liège,  et  promit  de  convoquer  aussitôt  les  états  pour 
prendre  les  mesures  que  réclamait  la  défense  du  pays.  Toute- 
fois, le  comte  de  Buren  n'était  pas  rassuré  ;  il  craignait  que  le 
prince  ne  retombât  dans  son  irrésolution  première  et  appre- 
nait que  le  coadjuteur  de  Cologne  recrutait  des  partisans,  comp- 
tant sans  doute  sur  la  prochaine  abdication  de  Corneille.  Il 
parlait  même  de  surveiller  le  nouvel  évéque  de  près  et  de  le  faire 
garder  dans  un  château,  si  c'était  nécessaire. 

De  Buren  rendit  compte  de  sa  mission  à  Marie  de  Hongrie  *• 
Le  16  juin,  il  assista  à  l'inauguration  du  prince  avec  Philippe 
Nigri,  les  seigneurs  de  Molembais  et  de  Berghes,  les  comtes 
de  Homes,  de  Rochefort  et  d'Aremberg. 

Dans  l'entretemps,  Charles-Quint  avait  été  informé  des  inci- 
dents qui  avaient  marqué  l'avènement  de  Corneille  de  Berghes. 
Il  répondit  à  la  gouvernante  que  si  ce  prince  était  aussi  dange- 
reux qu'on  le  représentait,  il  devait  résigner  ses  fonctions  à 
l'évêque  d'Utrecht  ou  à  l'évêque  d'Arras  *. 

L'inauguration  du  nouveau  souverain  liégeois  donna  donc 
lieu  à  des  difficultés  sérieuses,  difficultés  qui  provenaient  autant 
du  caractère  fantasque  de  Corneille  de  Berghes  que  des  intri- 
gues des  la  Marck3.  Charles-Quint  avait  cru  s'assurer  la  fidélité 
des  Liégeois  en  leur  imposant  un  souverain  né  aux  Pays-Bas 
et  façonné  de  longue  main  à  sa  politique.  Mais  il  s'était  mépris 
sur  le  caractère  de  Corneille  de  Berghes,  et  cette  méprise  faillit 
lui  coûter  cher. 

Heureusement,  Marie  de  Hongrie,  par  une  adresse  diploma- 
tique que  nous  ne  saurions  trop  admirer,  triompha  des  scru- 
pules ou  des  répugnances  du  prélat.  Elle  le  maintint  même  à 
son  poste  pendant  six  années,  années  qui  durent  paraître  bien 
longues  au  malheureux  prince,  et,  quand  celui-ci  abdiqua,  le 


1  Voir  la  relation  précitée. 

•  Correspondance  de  Marie  de  Hongrie,  registre  69,  p.  178. 

*  M.  le  chanoine  Daris  (toc.  cit.,  p.  133)  a  donc  lorl  d'écrire  :  «  La  mort 
d'Érard  ne  donna  lieu  à  aucun  désordre,  ni  à  aucune  discorde.  • 


f  78  )' 

trône  de  Liège  était  acquis  à  un  souverain  plus  énergique  et 
tout  aussi  sûr,  à  Georges  d'Autriche,  l'oncle  de  l'empereur.  Ces 
négociations  furent  conduites  avec  tant  d'adresse  et  de  mystère 
qu'elles  ont  échappé  à  tous  les  chroniqueurs  du  XVI*  siècle, 
et  si  les  archives  de  Y  Audience  ne  nous  avaient  pas  révélé 
leurs  secrets,  nous  serions  encore  à  cent  lieues  de  les  soup- 
çonner *. 

III 

Les  révélations  du  comte  de  Buren  avaient  convaincu  la 
gouvernante  que  l'habileté  d'Érard  de  la  Marck  n'avait  pas 
dissipé  toutes  les  préventions  des  Liégeois  contre  les  Pays-Bas. 
D'un  autre  côté,  les  partisans  du  seigneur  de  Seraing  ne  par- 
donnaient pas  à  Corneille  de  Berghes  son  élévation  à  l'épicopat, 
et  de  graves  difficultés  commerciales  aigrissaient  une  partie  de 
la  population  liégeoise  contre  Charles-Quint. 

C'est  pourquoi  Marie  de  Hongrie  songea  à  faire  reviser  à  son 
profit  le  texte  du  pacte  de  1518.  Les  états  liégeois  s'étant  réunis 
le  18  juin,  deux  jours  après  l'inauguration  de  leur  prince, 
Philippe  de  Lannoy  et  Philippe  Nigri  proposèrent  de  convertir 
l'alliance  de  1518  en  une  alliance  perpétuelle.  Les  mêmes  états 
devaient  promettre  de  ne  traiter  avec  aucun  monarque  étranger 
sans  le  consentement  de  leur  allié,  le  souverain  des  Pays-Bas, 
et  de  ne  délivrer  les  forteresses  à  un  nouvel  évoque  que  lorsque 
celui-ci  aurait  juré  d'observer  le  traité  de  Saint-Trond. 

Les  états  et  le  prince  répondirent  qu'ils  étaient  prêts  à  con- 
firmer l'ancienne  alliance,  mais  refusèrent  d'en  modifier  les 
clauses  et  représentèrent  qu'ils  avaient  toujours  respecté  ladite 
alliance,   tandis    qu'ils  ne   pouvaient  accorder   les   mêmes 


1  Les  documents  que  nous  avons  utilisés  pour  ce  chapitre  sont  contenus 
daus  les  registres  69  et  128  de  la  Correspondance  inédite  de  Mnrie  de 
Hongrie  aux  Archives  du  royaume.  Le  premier  de  ces  registres  ne  renferme 
que  des  copies  d'originaux  qui  se  trouvent  aux  Archives  de  Vienne.  Ces  copies 
ont  été  faites  en  1882  a  la  demande  du  Gouvernement  belge. 


(76) 

louanges  à  leurs  alliés.  Ils  se  plaignaient  particulièrement  des 
arrestations  arbitraires  dont  leurs  nationaux  étaient  souvent 
les  victimes,  de  rétablissement  de  nouveaux  tonlieux  à  Xamur, 
à  Beaumont  et  à  Bouvignes,  et  réclamaient,  dans  le  plus  bref 
délai,  le  redressement  de  pareils  abus.  Tel  fut  le  résultat  de 
cette  journée  des  états  de  1538  dont  Louvrex  nous  a  conservé  le 
procès-verbal.  Ce  procès-verbal  *  répand  une  lumière  nouvelle 
sur  la  politique  de  Charles-Quint  à  l'égard  du  pays  de  Liège. 
Avec  la  ténacité  qui  le  caractérise,  l'empereur  ou  sa  mandataire, 
Marie  de  Hongrie,  veut  exposer  au  grand  jour  de  la  publicité 
ce  qu'il  a  dû  garder  jusque-là  dans  ses  cartons.  Les  nouvelles 
propositions  du  Gouvernement  des  Pays-Bas  rappellent,  en 
effet,  la  convention  de  Bruges  du  20  août  1521.  Pour  des 
raisons  exposées  plus  haut,  cette  convention  n'avait  pas  reçu 
d'exécution.  Dix-sept  ans  plus  tard,  Charles-Quint  revenait 
à  la  charge,  se  disant  qu'une  nation  impressionnable  accorde 
aujourd'hui  ce  qu'elle  refusait  hier,  et  que  la  première  condi- 
tion de  réussir  en  diplomatie  c'est  de  persévérer. 

Si  les  états  liégeois  subordonnaient  en  quelque  sorte  la  rati- 
fication de  l'alliance  de  1518  au  redressement  de  leurs  griefs, 
c'est  qu'ils  se  défiaient  encore  de  Charles-Quint.  Ce  ne  fut 
qu'en  1548  2,  sous  le  règne  de  Georges  d'Autriche,  que  furent 
aplanies  les  difficultés  relatives  aux  territoires  contestés  et  aux 
tarifs  douaniers.  Mais  ce  moment,  si  impatiemment  attendu, 
fut  précédé  de  plusieurs  événements  dramatiques  qui  faillirent 
perdre  la  principauté  de  Liège  et  la  brouiller  avec  le  souverain 
des  Pays-Bas. 


1  Voir  Louvrex,  Recueil  des  édils,  1"  partie,  p.  195.  Louvrex  a  publié  la 
proposition  faite  aux  Liégeois  par  les  députés  de  Marie  de  Hongrie  avec  la 
réponse  des  états. 

1  Voir  notre  chapitre  :  Histoire  des  contestatioixs  politiques,  judiciaires  et 
religieuses  de  Charles-Quint  avec  le  pays  de  Liège. 


(TM 


IV 

Corneille  de  Berghes  était  à  peine  monté  sur  le  trône  épiscopal 
de  Liège  qu'une  nouvelle  révolte  éclata  dans  le  duché  de  Gueldre. 
Guillaume,  duc  de  Juliers  et  de  Clèves,  avait  été,  à  la  mort  de 
Charles  d'Egmont,  reconnu  souverain  de  la  Gueldre  par  les 
états.  Il  prit  aussitôt  possession  de  son  nouveau  domaine  et 
rompit  ainsi  avec  Charles-Quint,  qui,  en  sa  qualité  de  suzerain, 
prétendait  incorporer  le  duché  dans  les  Pays-Bas.  Voulant  se 
ménager  une  protection  efficace,  Guillaume  de  Clèves  offrit  son 
alliance  à  François  Ier  et  demanda  la  main  d'une  princesse  de 
sa  famille.  Il  fut  fiancé  à  la  nièce  du  roi,  à  Jeanne  de  Navarre, 
fille  de  la  célèbre  Marguerite  et  l'une  des  plus  riches  héritières 
de  France. 

Déjà  Corneille  de  Berghes  avait  dû  ordonner  l'exécution  de 
plusieurs  Liégeois,  partisans  de  la  Gueldre  et  traîtres  à  leur 
patrie.  A'  la  nouvelle  de  la  défection  du  duc  de  Clèves,  il  s'en- 
toura de  précautions  extraordinaires  pour  protéger  la  capitale. 
Il  établit  des  corps  de  garde  dans  les  différents  quartiers, 
défendit  sous  peine  d'un  exil  perpétuel  de  prendre  du  service 
chez  les  ennemis  de  Charles -Quint,  menaça  de  mort  tout 
soldat  rebelle,  fit  surveiller  rigoureusement  les  étrangers  et 
les  individus  suspects  *.  Il  se  rendit  même  à  Bruges  afin 
d'avertir  la  gouvernante  et  réclama  des  secours  pour  le  cas 
oh  des  troubles  éclateraient  dans  ses  Etats  2. 

Ces  dispositions  étaient  nécessaires,  car  dès  le  commence- 
ment de  l'année  1542,  François  Ier  préludait  à  une  nouvelle 
guerre  contre  Charles-Quint  par  des  actes  de  brigandage  sur 
la  frontière  des  Pays-Bas.  Devenu  l'allié  du  roi  de  France,  Guil- 
laume de  Clèves  circonvint  habilement  les  Liégeois.  Il  sollicita 
pour  son  épouse  l'autorisation  de  traverser  la  principauté  et 
leur  demanda  de  rester  neutres,  ne  fût-ce  que  pendant  trois 


1  Chapeayille,  p.  341, 
1  Fisen,  p.  339. 


(78) 

mois.  Ses  députés  essayèrent  de  rassurer  le  chapitre  sur  les 
intentions  des  Clévois  et  des  Français  :  le  seigneur  de  Lon- 
gue val,  l'ambassadeur  de  France,  avait  lui-même  déclaré  au 
duc  que  son  souverain  respecterait  le  territoire  des  Liégeois, 
si  ceux-ci,  de  leur  côté,  gardaient  la  neutralité.  Ils  invitaient 
donc  les  chanoines  à  s'entendre  avec  Longueval {. 

Indécis  et  inquiets,  le  chapitre  et  le  prince-évêque  consultè- 
rent Marie  de  Hongrie.  La  gouvernante  répondit  2  qu'en 
embrassant  la  neutralité,  les  Liégeois  violeraient  le  traité  de 
1518,  mais  elle  permit  de  donner  à  la  duchesse  de  Clèves  un 
sauf-conduit  pour  traverser  la  principauté.  L'empereur,  ajou- 
tait-elle, s'était  imposé  de  grands  sacrifices  pour  défendre  ses 
alliés  et  principalement  les  Liégeois;  l'équité  commandait  que 
ceux-ci  participassent  aux  frais  de  la  guerre  commune.  Ils 
devaient  se  défier  des  belles  paroles  du  roi  de  France  et  lui 
répliquer  qu'ils  ne  pouvaient  dénoncer  le  traité  deSaind-Trond. 
La  conduite  de  François  Ier  justifia  les  soupçons  de  la  gouver- 
nante, car,  quelque  temps  après  cet  échange  de  notes  diplo- 
matiques, les  Français  attaquèrent  brusquement  le  Luxem- 
bourg 3.  Les  Liégeois  étaient  plus  que  jamais  autorisés  à 
décliner  toute  proposition  de  neutralité;  en  gens  avisés,  ils 
démêlèrent  les  intentions  de  leurs  prétendus  amis  et  se  rappro- 


1  Dans  le  carton  n°  I  des  Documents  relatifs  au  pays  de  Liège  se  trouve 
une  pièce  intitulée  :  «  Ce  que  les  Réputés  de  Clèves  ont  exposé  pour  leur 
crédence  au  chapitre  de  Liège.  »  Celte  pièce  n'est  pas  datée,  mais  elle  doit 
avoir  été  expédiée  dans  le  courant  du  mois  de  juin  de  1542,  car  elle  porte  en 
marge  «  le  double  en  a  esté  envoyé  à  l'empereur  le  dernier  de  juio  1342  >; 
et  elle  doit  être  antérieure  au  24  du  même  mois,  puisque  c'est  ce  jour-là  que 
le  chapitre  députa  Guillaume  de  Poitiers  vers  la  gouvernante  pour  connaître 
sa  décision. 

*  La  réponse  de  Marie  de  Hongrie,  datée  du  27  juin,  se  trouve  dans  le 
carton  n°  1. 

*  Carton  n°  I,  passini,  et  Lettres  de  Marie  de  Hongrie  à  divers  (vol,  1, 
p.  144),  dépêche  de  Corneille  de  Berghes  à  Marie  de  Hongrie,  du  22  juin  1542. 
Tous  les  documents  relatifs  à  la  neutralité  liégeoise,  en  1542  et  en  1543, 
se  trouvent  dans  le  carton  n*  I. 


(79) 

chèrent  de  Marie  de  Hongrie.  Les  ambassadeurs  belges,  Lannoy 
et  Nigri,  trouvèrent  même  le  prince-évêque  disposé  à  recevoir 
les  soldats  impériaux.  Aussi  demandèrent-ils  qu'on  envoyât 
des  hommes  d'armes  pour  fermer  la  principauté  aux  Gueldrois 
et  secourir  les  Liégeois  *. 

Deux  jours  plus  tard,  les  trois  états  répondirent  à  de  Lannoy 
et  à  Nigri  qu'ils  s'en  tenaient  au  traité  de  1518  2,  mais  ne 
jugeaient  pas  opportun  d'attaquer  les  Gueldrois  ou  les  Clévois, 
dont  ils  n'avaient  appris  aucun  acte  hostile,  à  moins  que  la 
reine  de  Hongrie  ne  les  déclarât  ennemis  publics.  Ils  remer- 
ciaient cette  princesse  de  ses  offres  de  secours,  secours  qu'ils 
réclameraient  en  cas  de  besoin,  et  demandaient  seulement 
qu'on  envoyât  à  Haestricht  300  ou  400  chevaux,  et  quatre  ou 
cinq  enseignes  de  piétons  à  Limbourg  et  dans  les  Etats  voisins, 
afin  de  les  mettre  en  mesure  de  repousser  les  envahisseurs. 

Les  Liégeois,  remarquons-le,  n'avaient  pas  rejeté  formelle- 
ment les  offres  de  neutralité  du  duc  de  Clèves.  Ils  s'excusèrent 
de  leur  timidité  auprès  de  Marie  de  Hongrie.  L'archidiacre  de 
Hainaut,  Gilles  de  la  Blocquerie,  le  sire  de  Chockier,  Guillaume 
de  Champion,  échevin  de  Liège,  représentèrent  que  leur  circon- 
spection avait  été  dictée  par  la  crainte  de  voir  leur  pays  envahi, 
et  que  la  gouvernante  ferait  bien  de  consulter  Charles-Quint  sur 
la  neutralité  offerte  par  le  roi  de  France  3.  Quant  au  reste,  ils 


1  Rapport  de  Philippe  de  Lannoy  et  de  Philippe  Nigri,  du  15  juillet  1543 
(voir  canon  I,  cité  plus  haut).  L'évêque  leur  avait  répondu  c  qu'il  tenait  que 
le  pays  dudit  Liège  ne  se  voulloit  départir  de  l'alliance  estant  entre  lempe- 
reur  et  ledit  pays.  » 

*  Voir  dans  le  carton  n°  I  la  pièce  intitulée  :  Sommaire  de  la  réponse  que 
les  états  de  Liège  ont  donnée  à  M.  de  Molembais  (Philippe  de  Lannoy),  et 
chancelier  de  l'ordre  sur  leur  intention,  17  juillet  1542. 

*  La  reine  devra  avertir  l'empereur  c  de  la  neutralité  que  de  par  le  roy  de 
France  a  esté  présentée  audit  pays  avec  asseurance  entretenir  bonne  paix, 
amitié  et  voisinance  avec  icelluy  pays,  comme  avec  les  autres  subjects  au 
Saint  Empire  en  cas  d'acceptation  dicelle  neutralité  et  des  meuaces  de  guerre 
et  hostilité  faire  au  contraire  ».  Voir,  dans  le  carton  n°  I,  l'instruction  de 
par  les  états  de  Liège  pour  l'archidiacre  de  Hainaut,  etc.,  ce  xv  août  154t. 


(80) 

respecteraient  l'alliance  de  1518  et  attendraient  que  l'empe- 
reur répondît  s'il  désirait  loger  ses  soldats  dans  les  forteresses 
liégeoises. 

Marie  de  Hongrie  répliqua  que,  dès  les  premiers  troubles, 
elle  avait  offert  aux  Liégeois  de  les  secourir  et  leur  avait  con- 
seillé de  ne  pas  embrasser  la  neutralité,  vu  que  cette  neutralité 
serait  contraire  à  l'alliance  de  1518,  qu'ils  ne  devaient  pas 
encore  licencier  leurs  troupes,  mais  lui  déclarer  s'ils  ouvri- 
raient leurs  forteresses  aux  troupes  de  l'empereur  *. 

La  reine  de  Hongrie  s'intéressait  tout  particulièrement  à  ces 
fameuses  forteresses,  car  elle  connaissait  les  intentions  de  son 
frère,  et  elle  y  tait  encore  allusion  dans  une  missive  ultérieure*. 
Il  est  vrai  que  les  attaques  réitérées  du  duc  de  Clèves  et  de6 
Français  menaçaient  alors  sérieusement  le  territoire  liégeois. 
Peu  de  temps  auparavant,  la  princesse  belge  avait  averti  le 
prince-évéque  qu'à  Sittard  et  dans  d'autres  localités  du  duché 
de  Juliers,  il  se  formait  une  armée  destinée  à  surprendre 
Maestricht,  et  elle  offrait  de  doubler  la  garnison  de  cette  ville, 
si  les  Liégeois  lui  prêtaient  leur  concours  3. 

En  prémunissant  ses  alliés  contre  les  avances  de  Guillaume 
de  Clèves,  Marie  de  Hongrie  se  conformait  aux  instructions  de 
son  frère,  car,  dans  une  lettre  datée  du  3  novembre  1542  *, 
Charles-Quint  recommandait  énergiquement  à  la  gouvernante 
d'empêcher  les  Liégeois  de  conclure  avec  le  duc  de  Clèves  un 
traité  qui  consacrerait  leur  neutralité. 

Au  commencement  de  l'année  suivante,  le  chapitre  cathedra! 


1  Voir,  dans  le  carton  n°  f ,  la  réponse  de  la  reine  aux  états,  du  19  août  1541 

*  Voir,  dans  le  carton  n°  I,  la  lettre  de  Marie  à  Corneille  de  Berghes,  do 
0  septembre  1542. 

8  Chapka  ville,  loc.  cit.,  p.  346. 

4  Voir  la  lettre  de  Charles-Quint  a  Marie  de  Hongrie  (Registre  n«  69, 
p.  465).  «  Fauldra  faire  en  iendroil  desdils  de  Liège  le  mieulx  qu'on  pourra 
et  les  entretenir  par  tous  les  meilleurs  moyens  qu'on  pourra  ad  viser  et  empê- 
cher quils  nentrent  plus  avant  en  neutralité  ny  avec  le  duc  de  Clèves  ny 
avec  aultres  en  les  asseurant  de  la  bonne  volonté  et  affection  que  je  leur 
porte.  • 


(84  ) 

apprit  de  Marie  de  Hongrie  les  machinations  du  duc  *.  Ce 
prince  eût  désiré  franchir  la  Meuse  et  réunir  ses  troupes  à 
celle  des  Français.  Il  songeait  à  s'emparer,  soit  de  Visé,  soit  de 
Maestricht  ou  de  Maeseyck,  et  comptait  sur  les  intelligences 
qu'il  avait  dans  ces  villes,  particulièrement  à  Maeseyck. 

Corneille  de  Berghes  prit  les  mesures  de  défense  nécessaires 
et,  d'accord  avec  les  trente-deux  métiers,  défendit  d'incriminer 
les  traités  conclus  avec  Charles-Quint  2.  Amoureux  du  repos, 
ce  prince  eût  désiré  à  la  fois  conserver  l'amitié  de  la  gou- 
vernante et  se  ménager  la  bienveillance  du  duc  de  Clèves  3. 
Ce  dernier  lui  avait  demandé  une  entrevue.  Elle  fut  fixée  à 
Maeseyck.  Les  Gueldrois,  qui  ne  se  sentaient  pas  en  sûreté  dans 
cette  ville,  invitèrent  les  Liégeois  à  fixer  un  autre  rendez-vous. 
Mais  Marie  de  Hongrie  avait  été  avertie  de  ces  pourparlers 
inquiétants.  Elle  demanda  des  explications  au  prince-évêque. 
Corneille  se  justifia  en  répondant  qu'il  devait  veiller  à  la 
conservation  de  son  territoire,  et  que,  pour  ce  motif,  il  avait 
trouvé  utile,  ainsi  que  son  chapitre,  de  s'entendre  avec 
son  voisin,  le  prince  gueldrois.  Quant  au  reste,  il  se  conforme- 
rait au  traité  d'alliance  qui  l'unissait  aux  Pays-Bas  4. 

Cette  missive,  dont  la  fermeté  nous  étonne  quelque  peu  de  la 
part  de  Corneille  de  Berghes,  ne  plut  guère  à  Marie  de  Hongrie. 
Le  5  mai  1843  $,  cette  princesse  blâma  sévèrement  les  Liégeois 
d'avoir  entamé  des  négociations  avec  le  duc  de  Clèves  et  les 
engagea  à  respecter  mieux  dorénavant  le  traité  de  1518  :  elle 


1  Voir  Cuapeaville,  p.  347. 

*  Voir  Chapsavillb,  p.  347.  Praesul  velal  ne  quis  contra  fœdera  intcr 
Cosaream  majeslalem,  Praesulem  et  slalus  patriae  inita  loquatur... 

8  Voir  Fisen,  loc.  cit.,  p.  342.  L'expression  de  cet  historien  dépeint  très  bicir 
Corneille  ;  «  Nec  enim  a  Csesaris  voluntate  Cornelio  discedere  placebat  et 
tamen  sui  copiant  Juliae  duci  promiserat.  » 

4  Voir  Ja  lettre  du  prince-évêque,  lettre  datée  du  23  avril  1343,  dans  les 
Papiers  dÉlal  et  de  l'Audience,  liasse  13.  Nous  la  reproduisons  dans  nos 
pièces  justificatives,  d*  IV. 

5  Voir  Papiers  d'État  et  de  V Audience,  liasse  13,  Ie.  Voir  nos  pièces 
justificatives,  n°  V. 

Tome  XLI.  6 


(82) 

ne  voulait  pas,  disait-elle,  s'expliquer  sur  les  preuves  qu'elle 
avait  recueillies  des  intelligences  que  les  Clévois  entretenaient 
avec  les  Liégeois;  il  lui  suffisait  d'en  avertir  ses  alliés. 

Quelque  temps  plus  tard,  Marie  de  Hongrie  envoyait  à  Liège 
son  conseiller  et  maître  d'hôtel,  Jean  de  Noirthout,  pour  rap- 
peler au  prince,  au  chapitre  et  aux  états,  le  traité  de  1518.  Les 
Liégeois,  marquait  la  gouvernante,  devaient  empêcher  la  jonc- 
tion des  Français  et  des  Clévois,  jonction  qui  était  imminente; 
repousser  toute  proposition  de  neutralité  faite  par  les  adver- 
saires de  l'empereur,  neutralité  qui  serait  une  violation  de 
l'alliance  de  1518;  pourvoir  les  forteresses  de  soldats  et  de 
munitions;  requérir  les  hommes  valides  de  s'armer  et  de 
répondre  au  premier  appel;  transporter  enfin  les  vivres  dans 
les  villes  murées  afin  d'éloigner  les  envahisseurs. 

La  gouvernante  terminait  cette  importante  instruction  en 
assurant  les  Liégeois  de  son  dévouement,  et  en  les  avertissant 
de  l'arrivée  prochaine  de  Charles-Quint  1. 

Jean  de  Noirthout  communiqua  les  ordres  de  sa  souveraine 
au  chapitre  et  au  magistrat  de  Liège  2.  Craignant  de  se  com- 
promettre par  une  résolution  précipitée,  les  chanoines  répon- 
dirent, par  l'organe  de  Guillaume  de  Poitiers,  qu'ils  ne  pou- 
vaient se  prononcer  avant  la  convocation  des  états,  et  l'un  des 
bourgmestres  opina  dans  le  même  sens.  Ces  deux  orateurs 
insistèrent  ensuite  sur  une  réclamation  qu'ils  avaient  déjà 
adressée  au  maître  des  comptes,  P.  Boisot,  au  sujet  de  dom- 
mages causés  à  des  négociants  liégeois  dans  leur  trafic  en 
Brabant  3. 


1  Voir  c  Instruction  pour  Jeban  de  Noirlhoudt  conseiller  et  maître  d'hosie! 
de  la  royne  de  ce  quil  aura  à  faire  vers  levesque  de  Liège  où  Sa  Majesté 
Tenvoye  présentement.  »  Papiers  d'État  et  de  CAudience%  liasse  15.  Acte  da 
0  juin  1545.  Voir  nos  pièces  justificatives,  n°  VI. 

9  Voir,  dans  la  même  liasse,  le  rapport  de  Jean  de  Noîrhoudt,  du  10  juhi 
1543. 

*  Voir  rapport  de  Jean  de  Noirhoudt,  du  10  juin  1545.  L'ambassadeur 
adressa  un  rapport  de  sa  mission  a  la  reine  de  Hongrie  et  un  autre  au 
président  du  conseil  privé. 


(83) 

Les  trois  états  se  réunirent  le  25  juin  1543.  Le  traité  de  1518, 
nous  apprend  Chapeaville,  provoqua  de  longues  discussions, 
et  les  Liégeois  décidèrent  de  répondre  simplement  à  Charles- 
Quint  et  à  Marie  de  Hongrie  qu'ils  s'opposeraient  de  tout  leur 
pouvoir  au  passage  de  leurs  ennemis  parla  principauté  *. 

Il  ressort  de  ces  preuves  multiples  que  beaucoup  de  Liégeois 
ne  tenaient  que  médiocrement  à  l'alliance  de  1518.  Ils  la  subis- 
saient plutôt  qu'ils  ne  la  respectaient.  Ils  pensaient  qu'en  dé- 
fendant la  politique  de  Charles-Quint,  ils  perdaient  le  meilleur 
de  leurs  forces  et  ne  gagnaient  que  le  stérile  honneur  d'être 
les  alliés  du  plus  puissant  monarque  de  la  chrétienté.  Que  leur 
importait,  après  tout,  ces  querelles  incessantes  entre  la  France 
et  les  Pays-Bas,  entre  les  Pays-Bas  et  la  Gueldre?  Leur  petit 
territoire  était  ravagé  par  les  mercenaires  de  l'empereur,  leurs 
finances  épuisées  par  des  demandes  continuelles  de  subsides, 
leurs  villes  nuit  et  jour  sur  le  qui-vive!  N'eût-il  pas  mieux 
valu  pour  eux  vivre  tranquilles,  à  l'ombre  de  leurs  murailles, 
et  jouir  d'une  bienfaisante  neutralité  au  milieu  de  la  confla- 
gration générale? 

C'est  ainsi  que  bon  nombre  de  Liégeois  regrettaient  main- 
tenant cette  neutralité  proclamée  par  leurs  pères  à  la  fin  du 
siècle  précédent.  Les  plus  audacieux  prêtaient  même  l'oreille 
aux  propositions  insidieuses  du  duc  de  Clèves  et  du  roi  de 
France  et  tâchaient  d'éluder  les  obligations  du  traité  de  1518. 

Heureusement,  la  vigilance  de  Marie  de  Hongrie  détourna  les 
Liégeois  de  cette  politique  dangereuse.  Guillaume  de  Juliers  et 
François  Ier,  comme  beaucoup  de  princes  de  cette  époque,  ne 
songeaient  guère  à  tenir  leur  parole.  Ils  voyaient  dans  le  pays 
de  Liège  une  excellente  base  d'opérations,  dont  la  possession 
leur  permettrait  d'entreprendre  facilement  la  conquête  des 
Pays-Bas.  Le  bonheur  des  Liégeois  les  intéressait  peu,  et  ils 


1  Chapeaville,  p.  548.  «  Fit  deinde  mentio  (dans  rassemblée  des  élats) 
fœderis  initi  am.o  1518  quo  de  longa  cootroversia  habita,  et  visu  ni  fuit  res- 
poudenduiu  Caesari  Marixque  Gubernalrici  Le  odieuses  transilum  hostium 
pro  virili  imptd  Luros.  > 


(84) 

n'auraient  pas  hésité,  au  premier  revers  de  leurs  armes,  à 
désavouer  les  alliés  imprudents  qui  se  seraient  fiés  à  leurs  pro- 
messes. 

Par  son  attachement  opiniâtre  au  traité  de  1518,  Marie  de 
Hongrie  sauvegardait  donc  l'indépendance  du  pays  de  Liège* 

9 

S'ils  espéraient  que  les  Etats  voisins  reconnaîtraient  la  neutra- 
lité de  leur  territoire,  les  Liégeois  caressaient  un  projet,  non 
seulement  chimérique,  mais  même  dangereux.  Ils  devaient 
être,  nous  l'avons  montré,  les  amis  ou  les  ennemis  de  Charles- 
Quint,  et  l'intérêt  de  leur  nationalité,  comme  l'avait  pressenti 
le  génie  d'Erard  de  la  Marck,  leur  commandait  de  rester  fidèles 
au  souverain  des  Pays-Bas. 

Les  exigences  de  Marie  de  Hongrie  eussent,  il  est  vrai,  paru 
moins  dures  aux  Liégeois,  si  cette  princesse  leur  avait  toujours 
su  gré  des  sacrifices  qu'ils  s'imposaient.  Mais  la  sœur  de  Charles- 
Quint  était  portée  à  voir  dans  les  Liégeois  plutôt  des  sujets  que 
des  alliés,  et,  avec  cet  esprit  autoritaire  qui  caractérisait  sa 
famille,  elle  faisait  trop  sentir  aux  princes-évéques  leur  dépen- 
dance. Néanmoins  les  Liégeois  devaient  s'estimer  heureux  de 
conserver  leurs  libertés  locales  et  d'avoir  échappé  au  sort 
misérable  qui  frappa  l'évéché  d'Utrecht  en  1538  *.  Cet  État 
succomba  à  la  suite  d'une  longue  guerre  civile  qui  se  termina 
par  l'incorporation  du  petit  pays  dans  les  domaines  de  Charles- 
Quint.  Peu  s'en  fallut  que,  sous  le  règne  du  faible  Corneille 
de  Berghes,  la  même  catastrophe  ne  surprit  les  Liégeois,  à  la 
suite  de  la  conspiration  ourdie  par  Philippe  et  Guillaume  de 
la  Marck  en  faveur  de  la  France. 


1  Voir  le  récit  de  ces  événements  dans  V Histoire  du  règne  de  Charles* 
Quint  en  Belgique,  de  M.  Alexandre  Henné. 


I-. 


FRAGMENT  GÉNÉALOGIQUE  DES  LA  MARCR 


d'après  les  manuscrits  du  héraut  d'armes  Le  Port 


(Archives  de  iÈlat  à  Liège). 


(86) 


Fragment  généalogique  des  la  Marck  S  après  les  mm 


-\ 


Jean  de 


la  Marck  <TAiwà] 


Everard  de  la  Mark  d'Arenberg 
épouse 
Marguerite  de  Bouchout 


Robert  de  la  Marck  d'Arenberg 

grand  maleur  de  Liège 

-ft-1544 


Robert  I  4e  la  Marck,  prâq| 


Robert  II  de  la  Marck  de  Hesdin 

épouse  en  1401 

Catherine  de  Croy 


Robert  (III) 


seigneur  de  Fleuranges 


1536. 


Guillaume  Jean 

seigneur  de  Jamets.    seigneur  de  Saulcy. 


Antoine 
chanoine  de  SMJBtj 
abbé  de  Beofai 
en  Argoeae 

+  1536. 


Robert  IV  de  la  Marck. 


(«7) 


héraut  iïarmes  Le  Fort  (Archives  de  VÈtat  à  Liège). 


Anne  de  Virnenbourg 


Lan,  épouse  Jeanne  de  Saulcy 


Érard  de  la  Marck 
prince-évêque  de  Liège 


Philippe 
moine  de  S*-Lambert 
hidiacre  de  Hesbaye 

+  1545. 


Guillaume  de  la  Marck  de  Lutnmen 

ou  le  grand  Sanglier  des  Ardennes 

épouse  Jeanne  de  Schoonhoven 


Jean  de  la  Marck  de  Lummen  et  Seraing 

épouse 
Marguerite  de  Ronckel  de  Wied 


Jean  de  la  Marck 


épouse 


Guillaume  Guillaume 

chanoine  de  S1- Lambert   (entant  naturel.) 
archidiacre  de  Brabant 
plus  connu  sous  le  nom 


Marguerite  de  Wassenaer    d'archidiacre  de  Seraing 
I  -+- 1557. 


Guillaume  Philippe 

chef  des  gueux  de  mer.    chanoine  de  St-Lambert 

épouse 
Catherine  de  Manderscheid. 


(88) 


CHAPITRE  VI. 


La  conspiration  des  la  Marck  et  la  mission  du  conseiller  Boisot. 


I 

Le  règne  d'Erard  de  la  Marck  fut  une  époque  de  prospérité 
pour  cette  famille.  Le  puissant  cardinal  profita  de  son  influence 
pour  enrichir  ses  parents  ou  les  revêtir  des  plus  hautes  dignités 
ecclésiastiques.  Deux  de  ses  neveux,  Antoine  et  Philippe  de  la 
Marck,  fils  du  seigneur  de  Sedan  ;  son  cousin,  Guillaume  de  la 
Marck,  seigneur  de  Lummen  et  de  Seraing,  entrèrent  dans  le 
chapitre  cathédral  et  devinrent  archidiacres. 

Si  le  cardinal  avait  disposé  de  son  évêché,  il  l'eût  laissé  à 
Philippe  ou  à  Guillaume.  Il  en  avait  donné  en  quelque  sorte 
l'expectative  à  Philippe,  quand  il  conclut  le  traité  secret  de 
Saint-Trond,  et  il  y  a  toute  apparence  que  celui-ci  eût  succédé 
à  son  oncle,  sans  la  défection  de  son  père,  le  seigneur  de  Sedan. 
Nous  savons  comment  Charles-Quint  fit  conférer  la  coadjuto- 
rerie  de  Liège  à  Corneille  de  Berghes.  Erard  songea  un  moment 
à  lui  imposer  son  cousin,  Guillaume,  mais  l'énergie  de  Marie 
de  Hongrie  empêcha  cette  combinaison  *. 

Philippe  et  Guillaume  de  la  Marck  ne  pardonnèrent  jamais 
à  Charles-Quint  la  nomination  du  sire  de  Sevenberghe.  Ambi- 
tieux comme  tous  leurs  ancêtres,  avides  d'honneurs  et  de 
dignités,  prêts  à  exciter  des  troubles  pour  satisfaire  leur  orgueil, 
ils  minèrent  l'autorité  de  cet  étranger  qui  était  venu  à  Liège 
comme  pour  les  frustrer  de  la  succession  du  cardinal.  Ils  mon- 

1  Voir  nos  chapitres  III  el  V. 


(89) 

trèrentdans  cette  œuvre  déloyale  une  ardeur  croissante,  parce 
qu'ils  savaient  que  Corneille  de  Berghes  s'impatientait  sur  le 
trône  de  Saint-Lambert  et  qu'ils  espéraient  tôt  ou  tard  le  rem- 
placer. A  cette  fin,  ils  recrutaient  des  partisans  parmi  tous  les 
ennemis  de  la  maison  d'Autriche  et  comptaient  sur  la  France, 
qui  épiait  Foccasion  de  surprendre  les  Pays-Bas.  Mais  Charles- 
Quint  ne  voulait  pas  qu'un  la  Marck  régnât  à  Liège  ;  il  enten- 
dait que  la  principauté  dépendît  entièrement  des  Pays-Bas.  C'est 
pourquoi,  après  l'inauguration  de  Corneille  de  Berghes,  il 
pourvut  à  la  nomination  de  son  successeur  en  présentant  son 
oncle,  Georges  d'Autriche,  comme  coadjuteur. 

Tant  que  la  paix  subsista  entre  la  France  et  les  Pays-Bas,  les 
deux  archidiacres,  que  les  contemporains  appellent,  l'un,  Phi- 
lippe de  la  Marck-Sedan,  archidiacre  de  la  Marck,  chanoine 
Marck  ou  Marck  tout  court,  l'autre,  Guillaume  de  la  Marck- 
Seraing,  archidiacre  de  Seraing  *,  ou  même  quelquefois, 
Seraing,  évitèrent  une  révolte  ouverte.  Ils  se  bornèrent  à  favo- 
riser les  intrigues  du  seigneur  de  Sedan,  qui  convoitait  la  for- 
teresse de  Bouillon,  forteresse  qu'il  ne  pouvait  reprendre  aux 
Liégeois  qu'à  la  faveur  d'une  révolution. 

La  cour  de  Bruxelles  surveillait  de  loin  ces  machinations 
ténébreuses.  Quand  l'archidiacre  Guillaume,  vers  le  commen- 
cement de  l'année  1544  2,  se  rendit  en  France,  Philippe  Nigri, 
qui  savait  tout  par  ses  correspondants  liégeois,  en  avisa  aussitôt 
Louis  de  Schorre,  président  du  Conseil  privé  des  Pays-Bas. 

Le  chancelier  n'augurait  rien  de  bon  de  ce  voyage,  d'autant 
moins  que  Corneille  de  Berghes  était  très  souvent  absent  et  que 
ses  absences  favorisaient  les  pratiques  des  ennemis.  Le  pays  de 
Liège,  écrivait-il,  dans  son  style  pittoresque,  est  entre  l'enclume 
et  le  marteau,  inter  sacrum  et  saxum  «  et  les  malvaix  garnements 
mal  contents  presteroyent  bientôt  l'oreille  à  quelque  indeue  pra- 
tique ».  Si  l'on  ne  pourvoyait  au  désordre,  la  présentation  du 


1  Voir  notre  tableau  généalogique  des  la  Marck. 

*  Archives  du  royaume,  carton  1  des  Documents  concernant  le  pays  de 
Liège,  lettre  de  Nigri  au  président  de  Schore,  du  9  mars  1540  (vieux  style). 


(90) 

coadjuteur  (Georges  d'Autriche)  souffrirait  des  difficultés.  Il 
serait  bon  que  la  reine  envoyât  un  espion  à  Sedan  pour 
apprendre  ce  qui  s'y  préparait.  L'archidiacre  Guillaume  était 
arrivé  dans  cette  ville  et  y  avait  mandé  un  grand  nombre  de  ses 
partisans.  A  quelle  fin?  Le  correspondant  de  Nigri  l'ignorait; 
mais  le  chancelier  se  méfiait  du  personnage  et  recommandait 
d'avertir  le  bailli  de  Wamur  d'être  sur  ses  gardes. 

L'avenir  justifia  les  prévisions  du  chancelier.  La  guerre 
n'avait  pas  encore  été  déclarée  par  la  France  aux  Pays-Ras, 
qu'une  conspiration  se  tramait  Liège.  Quelques  notables,  dit 
Chapeaville,  des  prêtres  et  des  laïques,  projetèrent  de  livrer  la 
Cité  aux  Français  et  aux  Gueldrois.  Ils  parvinrent  à  s'enfuir; 
mais  leurs  serviteurs  furent  pris  et  écartelés*. 

Le  chroniqueur  n'en  dit  pas  davantage.  Apparemment,  il 
n'osait,  par  respect  pour  le  chapitre  de  Saint-Lambert  dont  il 
était  membre,  citer  les  noms  de  ces  ecclésiastiques  qui  s'étaient 
souillés  d'un  crime  de  haute  trahison.  Une  missive  de  Marie  de 
Hongrie,  du  28  novembre  1541,  et  les  déclarations  ultérieures 
de  Van  Rossum  nous  apprennent  le  reste.  François  Ier,  écrivait 
la  princesse,  avait  fait  arrêter  le  coadjuteur,  Georges  d'Au- 
triche, non  seulement  pour  venger  la  mort  de  ses  agents, 
Frégouze  et  Rinçon,  mais  parce  qu'il  comptait  ainsi  surprendre 
plus  facilement  la  ville  de  Liège  avec  le  concours  du  duc  de 
Glèves  et  de  Guillaume  de  Seraing.  Marie  de  Hongrie  savait  par 
le  comte  de  Buren  que  cinq  cents  bourgeois  étaient  du  com- 
plot et  avaient  promis  d'ouvrir  aux  envahisseurs  une  porte  de 
la  ville,  quand  ils  en  seraient  requis.  Ces  envahisseurs  devaient 
être  conduits  par  le  fameux  capitaine  gueldrois,  Meynaert  van 
Ham,  l'émule  de  Van  Rossum,  qui  se  chargeait  volontiers  de 
pareilles  entreprises  *•  Une  fois  la  ville  prise,  Corneille  de 
Berghes  était  renversé  et  remplacé  par  Guillaume  de  la  Marck, 
le  seigneur  de  Seraing,  qui  aurait  livré  les  forteresses  liégeoises 


1  Chapeaville,  loc.  cit.,  p.  543. 

*  Archives  du  royaume:  Correspondance  de  Marie  de  Hongrie,  registre  Si, 
pp  95  et  suiv.;  lettre  de  Marie  à  Charles-Quint,  du  28  novembre  1541. 


(91) 

aux  Français  et  facilité  l'invasion  du  Brabant,  attaqué  en  ce 
moment  par  Van  Rossum*,  le  maréehal  gueldroîs  allié  de 
François  Ier. 

Les  rapports  du  chancelier  Nigri  et  du  comte  de  Buren,  les 
avertissements  des  nombreux  espions  qui  parcouraient  le  pays 
de  Liège,  éclairèrent  la  gouvernante  sur  les  projets  des  la  Marck 
et  les  dangers  qui  menaçaient  la  principauté.  Marie  de  Hongrie 
redoubla  d'activité  et  d'énergie,  et  pendant  les  années  1542  et 
1B43,  au  plus  fort  de  la  guerre  entre  la  France  et  les  Pays-Bas, 
elle  contrôla  tous  les  actes  du  gouvernement  épiscopal.  Nous 
avons  expliqué,  dans  le  chapitre  précédent,  comment  elle  em- 
pêcha les  Liégeois  d'accepter  les  propositions  insidieuses  des 
Français  et  des  Clévois,  et  comment  elle  leur  fit  respecter  le 
traité  de  1518. 

II 

Pendant  le  mois  de  mai  de  1543,  le  Gouvernement  belge 
-réussit  à  saisir  trois  conspirateurs  :  Thomas  Faudeur,  Josselet, 
Godefroid  d'Ardenne  *.  Conduits  au  château  de  Vilvorde,  ces 
prisonniers  dénoncèrent  leurs  complices  liégeois,  accusèrent 
les  la  Marck  et  révélèrent  tout  le  complot. 

Marie  de  Hongrie  députa  aussitôt  à  Liège  Philippe  Nigri,  le 
diplomate  qui  connaissait  le  mieux  la  principauté,  et  Charles 
de  Bernenicourt,  seigneur  de  la  Thieuloye,  son  maître 
d'hôtel.  Le  36  juillet  3,  les  autorités  liégeoises  furent  prévenues 

*  Van  Rossum  révéla  plus  tard  ce  projet  à  Marie  de  Hongrie,  quand  il  fut 
passé  au  service  de  Charles-Quint.  Voir  à  ce  sujet  :  le  Mémoire  du  sire  de 
Clayon,  dans  le  tome  III  (p.  312)  des  Lettrée  des  seigneurs.  (Archives  du 
Royaume).  M.  Benne  (loc.  cit.,  tome  VII,  p.  364)  reproduit  des  extraits  de 
■ce  mémoire,  mais  remplace  par  un  trait  pointillé  le  nom  du  sire  de  Seraing, 
•chaque  fois  que  ce  nom  est  mentionné  dans  l'original. 

*  Chapeaville,  loc.  cit.,  p.  347,  et  lettres  de  Boisol,  publiées  dans  nos 
pièces  justificatives,  passim. 

*  Voir  notre  huitième  pièce  justificative  :  lettre  de  Marie  de  Hongrie  au 
-vice-doyen  et  chancelier  de  l'église  de  Lièg<\  du  26  juillet  1545. 


;(  92  i 

de  l'arrivée  de  ces  ambassadeurs  qui  devaient  leur  exposer 
«  aulcunes  choses  très-importantes  à  sa  majesté  impériale  et  au 
»  saint  empire  et  signamment  au  pays  de  Liège  »,  et  invitées  à 
s'acquitter  de  leurs  obligations  envers  Charles-Quint.  Le  27,  les 
deux  commissaires  déclarèrent  devant  le  conseil  communal  que 
la  reine  avait  fait  avancer  ses  troupes  du  côté  de  la  principauté 
pour  empêcher  les  machinations  du  roi  de  France  et  du  duc  de 
Clèves,  et  demandèrent  que  les  villes  et  forteresses  liégeoises 
fussent  occupées  par  des  soldats  des  Pays-Bas,  et  que  deux 
échevins  s'entendissent  avec  eux  pour  prendre  les  mesures  les 
plus  utiles  au  pays  *. 

De  son  côté,  Charles-Quint  envoya  de  Spire  son  fidèle  agent, 
le  conseiller  et  maître  des  requêtes,  Charles  Boisot,  pour  pré- 
venir les  Liégeois  de  son  arrivée,  pourvoir  aux  troubles  qui 
désolaient  la  principauté  et  poursuivre  l'archidiacre  Philippe 
de  la  Marck. 

Aux  termes  de  ses  instructions  2,  Charles  Boisot  devait 
avertir  confidentiellement  le  prince-évêque  de  sa  mission  ;  sol- 
liciter une  audience  du  chapitre,  des  bourgmestres  et  des  éche- 
vins; leur  recommander  d'user  de  la  plus  grande  discrétion 
dans  la  poursuite  des  coupables;  insister  sur  l'affection  que 
l'empereur  avait  toujours  témoignée  à  la  principauté  comme 
suzerain  et  comme 'souverain  des  Pays-Bas;  expliquer  les  cir- 
constances qui  le  mouvaient  à  révéler  la  conjuration  ourdie 
pour  ruiner  le  pays  de  Liège  et  le  détacher  du  saint-empire; 
déclarer  les  menées  criminelles  du  chanoine  Philippe  de  la 
Marck,  qui  avait  projeté  de  s'emparer  de  la  principauté  et  des 
Pays-Bas  avec  l'assistance  de  la  France  ;  produire  les  preuves  de 
cette  conspiration  ;  prier  les  états  liégeois  d'agir  avec  la  plus 
grande  célérité  pour  se  saisir  des  coupables;  faire  arrêter  le 
chanoine  de  la  Marck  et  ses  complices,  en  veillant  ù  ce  qu'ils  ne 


1  Conclusions  capitulaires  du  chapitre  de  Saint- Lambert,  registre  cxiv. 
Archives  de  l'Étal  à  Liège.) 

*  Voir  noire  dixième  pièce  jusiilicative  :  lettre  de  Charles-Quiol  à  Boisot, 
du  27  juillet  1545. 


(93) 

pussent  être  prévenus  et  les  mettre  au  secret  le  plus  absolu  ; 
empêcher  les  Français  et  leurs  partisans  d'exécuter  leurs  des- 
seins; informer  la  gouvernante  des  Pays-Bas  de  la  marche 
des  affaires;  conjurer  enfin  les  états  liégeois  de  s'acquitter  de 
leurs  obligations  envers  le  saint-empire  et  les  assurer  des 
bonnes  dispositions  de  l'empereur. 

Dès  son  arrivée  à  Liège,  Charles  Boisot  se  mit  en  rapport  avec 
les  commissaires  de  Marie  de  Hongrie.  Il  apprit  '  que  ceux-ci 
avaient  déjà  instruit  de  leur  mission  quelques  notables  du 
pays,  produit  les  dépositions  des  prisonniers  de  Vilvorde, 
déclaré  les  raisons  qui  obligeaient  la  gouvernante  à  poursuivre 
les  traîtres.  Un  bourgmestre  et  un  échevin,  personnes  de  con- 
fiance, qu'ils  avaient  mandées  auprès  d'eux,  leur  représentèrent 
qu'il  serait  imprudent  de  dévoiler  le  complot  ;  que  la  moindre 
indiscrétion  effraierait  la  populace  et  provoquerait  des  troubles 
graves;  que  plusieurs  des  prévenus  étaient  absents  et  qu'il 
serait  sage  d'attendre  leur  retour  pour  les  arrêter;  que  les  pri- 
vilèges des  bourgeois  empêchaient  d'appréhender  au  corps 
un  délinquant,  même  accusé  de  lèse-majesté,  sans  qu'une 
enquête  préparatoire  eût  été  ordonnée  par  les  juges  compé- 
tents; que,  faute  de  ces  précautions,  les  gens  malintentionnés 
se  révolteraient  et  entraîneraient  ce  peuple  mutin  qui  a  sesdits 
privilèges  en  merveilleuse  recommandation. 

Les  ambassadeurs  flamands  décidèrent  donc  de  ne  pas  souf- 
fler mot  de  la  trahison  ;  de  mander  simplement  aux  bourgeois 
de  la  part  de  Marie  de  Hongrie  que  l'empereur  se  dirigeait  vers 
la  principauté  pour  rendre  visite  à  ses  alliés,  les  Liégeois;  que 
les  Français  s'approchaient  de  Mézières  et  projetaient  de  s'unir 
aux  Clévois;  que  la  gouvernante  des  Pays-Bas  leur  offrait  des 
renforts,  s'ils  en  manquaient;  qu'ils  devaient  envoyer  à 
Bruxelles  deux  échevins  et  deux  jurés  pour  entendre  les  pri- 
sonniers de  Vilvorde;  que  ceux-ci  révéleraient  des  détails 
importants  sur  une  affaire  qui  intéressait  au  plus  haut  point 
le  pays  de  Liège. 

.*  Voir  notre  onzième  pièce  justificative:  lettre  de  Boisot  a  Cnarles-Qnint, 
du  4  août  1543. 


(94) 

Philippe  Nigri  et  Charles  de  Bernenicourt,  écrivait  Boisot, 
avaient  fait  ces  dernières  déclarations  en  présence  do  chapitre, 
des  bourgmestres,  des  échevins  et  des  jurés.  Deux  échevins  et 
deux  jurés  avaient  aussitôt  été  députés  vers  la  gouvernante 
des  Pays-Bas  pour  entendre  les  prisonniers  de  Vilvorde.  Il 
convenait  d'attendre  leur  retour  avant  de  continuer  l'informa- 
tion judiciaire  commencée,  parce  que  les  Liégeois  accor- 
deraient plus  de  confiance  à  leurs  magistrats  qu'aux  com- 
missaires de  la  gouvernante. 

Nigri  et  Charles  de  Bernenicourt  estimaient  avec  les  magis- 
trats précités  que  Boisot  ne  devait  pas  exposer  sa  vraie  mis- 
sion; qu'une  dénonciation  intempestive  occasionnerait  des 
troubles;  que  ni  le  chapitre  ni  les  échevins  n'oseraient  décréter 
les  coupables  sans  observer  la  coutume,  d'autant  moins  que  les 
conspirateurs  comptaient  beaucoup  de  partisans  dans  la  Cité.  Il 
convenait  donc  que  le  conseiller  impérial  instruisît  seulement 
les  Liégeois  de  la  venue  prochaine  de  Charles-Quint,  rassurât 
les  timides  qui  redoutaient  la  présence  de  leur  suzerain 
et  croyaient  que  celui-ci  voudrait  les  assujetir  en  qualité  de 
seigneur  des  pays  (Tembas  et  les  soumettre  à  la  loi  de  Brabant. 
Ces  propos  perfides  avaient,  paraît-il,  été  répandus  dans  la 
foule,  dès  qu'on  apprit  à  Liège  que  Marie  de  Hongrie  offrait 
des  troupes  pour  défendre  le  pays. 

Boisot  réunit  donc  le  chapitre  cathédral,  les  bourgmestres, 
les  échevins  et  les  jurés,  et,  sans  rien  préciser,  sans  désigner 
personne,  fit  une  petite  remontrance  aux  Liégeois,  remon- 
trance qui  produisit  un  heureux  effet.  Le  peuple  se  radoucit, 
les  bourgeois  qui  prêtaient  des  visées  ambitieuses  à  Marie  de 
Hongrie  consentirent  à  recevoir  des  troupes,  et  les  bons  citoyens 
attendirent  avec  impatience  la  venue  de  l'empereur. 

Une  lettre  de  la  gouvernante  apprit  à  Boisot  que  les  prison- 
niers de  Vilvorde  avaient  confirmé  leurs  dépositions  devant  les 
délégués  liégeois,  et  qu'on  espérait  bientôt  arrêter  et  châtier 
les  coupables.  A  la  demande  du  chapitre,  Marie  de  Hongrie 
envoyait  deux  enseignes  de  fantassins  pour  prêter  main-forte 
aux  autorités.  Boisot  racontait  ensuite  à  son  souverain  l'arres» 


(95) 

tation  de  Jean  de  la  Marck,  seigneur  de  Lummen,  frère  de  l'ar- 
chidiacre de  Seraing.  Ce  prince  était  accusé  d'avoir  participé  à 
la  trahison  du  chanoine  Philippe  de  la  Marck,  et  Marie  de 
Hongrie  l'avait  mandé  à  Bruxelles,  sans  doute  pour  en  obtenir 
des  éclaircissements.  Comme  le  gentilhomme  faisait  quelques 
difficultés,  les  envoyés  de  la  gouvernante  le  saisirent,  paraît-il, 
sur  le  sol  liégeois  et  le  conduisirent  de  force  à  Bruxelles. 

Cette  arrestation  arbitraire  provoqua  des  troubles  à  Liège. 
Le  territoire  avait  été  violé  par  le  Gouvernement  des  Pays-Bas, 
infraction  grave  aux  privilèges  ries  bourgeois  et  aux  clauses 
du  traité  d'alliance.  La  mère  du  prisonnier,  M"16  de  Seraing, 
née  Marguerite  de  Ronckel,  noble  et  fière  dame,  qui  par  son 
mariage  avec  Jean  de  la  Marck,  seigneur  de  Seraing-le-Château 
et  de  Lummen,  avait  acquis  l'audace  des  la  Marck,*  parcourait 
les  places  publiques  accompagnée  de  ses  filles  et  demandait 
vengeance. 

La  foule  s'irrita.  Les  femmes,  non  moins  ardentes  que  les 
hommes,  se  mêlèrent  au  tumulte;  telle  fut  la  fureur  de  la 
populace  que  Nigri  et  Bernenicourt  n'osèrent  pendant  deux 
jours  se  montrer  dehors;  ils  eussent  été  assommés;  on  voulut' 
même  les  tenir  captifs  jusqu'à  ce  que  le  prince  de  la  Marck  fût 
remis  en  liberté.  A  la  fin,  le  chapitre  et  le  conseil  communal, 
pour  faire  cesser  les  clameurs  populaires,  envoyèrent  des 
députés  à  Bruxelles  réclamer  le  prisonnier.  Boisot  attendait 
leur  retour  et,  dans  l'entretemps,  épiait  avec  ses  collègues  les 
habitants.  Quelques  prêtres  et  quelques  laïques  favorisaient 
leur  surveillance;  se  promenant  dans  les  rues,  allant  partout 
aux  écoutes,  ces  citoyens  dévoués  rapportaient  tout  au  con- 
seiller impérial  ;  chaque  nuit,  des  gardes  nombreuses  veillaient 
dans  les  lieux  les  plus  exposés. 

D'après  Boisot,  tout  le  mal  provenait  de  l'incroyable  incurie 
du  prince-évêque.  Corneille  de  Berghes  résidait  rarement  à 
Liège;  quelquefois  il  y  venait  le  soir  pour  en  repartir  le  matin  ; 

1  Tous  ces  événements  sont  racontés  dans  la  lettre  précitée  de  Boisol  à 
Charles-Quint,  du  4  aoùl  1543. 


(96) 

les  affaires  allaient  à  vau-l'eau,  ce  II  n'y  avait  personne  pour 
porter  et  soutenir  la  justice  et  montrer  visage  aux  maulvais.  » 
Toutefois,  le  conseiller  flamand  espérait  que  les  Français  et 
les  Clévois  échoueraient  dans  leurs  entreprises.  Quant  à  Phi- 
lippe de  la  Marck,  il  ne  se  doutait  de  rien. 

Telles  sont  les  nouvelles  importantes  que  Boisot  commu- 
niquait à  Charles-Quint  dans  sa  dépêche  du  4  août  1543, 
dépêche  qui  témoigne  suffisamment  de  l'énergie  avec  laquelle 
le  Gouvernement  des  Pays-Bas  intervenait  dans  les  troubles  de 
la  principauté.  Trois  jours  plus  tard*,  Boisot  écrivait  à 
Nicolas  de  Granvelle,  garde  des  sceaux  de  l'empereur.  Il  lui 
apprit  que  les  délégués  liégeois  étaient  revenus  de  Bruxelles 
avec  les  pièces  du  procès,  que  les  prisonniers  de  Vilvorde 
avaient  persisté  dans  leurs  déclarations,  déclarations  que  le 
chapitre  et  le  conseil  communal  avaient  soumises  à  l'examen 
d'une  commission,  que  le  plus  grand  secret  avait  été  jus- 
qu'alors observé,  de  sorte  que  Philippe  de  la  Marck  allait 
être  interrogé  par  le  chapitre  et  peut-être  arrêté,  sans  qu'il  s'en 
doutât. 

Boisot  faisait  à  Granvelle  un  triste  portrait  de  ce  malheureux 
chanoine,  que  ses  collègues  du  chapitre  regardaient  ce  comme 
un  pauvre  sot  »,  que  feu  le  cardinal  de  Liège  n'estimait  guère, 
qui  manquait  d'esprit  de  suite  et  n'avait  dû  être  qu'un  instru- 
ment dans  les  mains  des  conspirateurs,  parce  qu'il  était  d'ori- 
gine française  et  appartenait  à  une  puissante  famille. 

Les  députés  liégeois,  qui  avaient  réclamé  l'extradition  du  sei- 
gneur de  Lummen,  étaient  rentrés  dans  la  Cité  et  avaient  fiait 
leur  rapport  selon  les  instructions  de  la  reine,  instructions 
dont  les  Liégeois  étaient  satisfaits.  Boisot  envoyait  au  chance- 
lier de  Charles-Quint  un  double  de  ces  pièces. 

La  gouvernante  avait  rappelé  ses  deux  ambassadeurs,  dont  la 
présence  devenait  inutile  à  Liège,  puisque  l'empereur  y  avait 
député  un  commissaire  spécial  qui  jouissait  de  plus  de  crédit 

.'  Voir  noire  douzième  pièce  justificative  :  lettre  de  Boisot  k  Nicolas  de 
Granvelle,  du  7  août  1543. 


(97) 

queNigri  et  Bemenicourt;  caries  Liégeois, disait  Boisot,  accep- 
taient plus  facilement  les  ordres  de  l'empereur  que  ceux  de 
Marie  de  Hongrie. 

La  conduite  de  Corneille  de  Berghes  irritait  le  Gouvernement 
des  Pays-Bas.  Le  prince  répondait  à  Marie  de  Hongrie  que  sa 
présence  n'était  pas  nécessaire  à  Liège.  Les  dépêches  de  la 
reine,  les  invitations  du  chapitre,  les  nouvelles  alarmantes  qui 
venaient  delà  Cité,  tout  laissait  ce  prélat  indifférent.  11  semblait 
fuir  plus  que  jamais  le  pouvoir,  et  cette  apathie  ne  doit  pas 
trop  nous  étonner.  Corneille  de  Berghes  tenait  rigueur  à 
Charles-Quint  de  ce  qu'il  avait  dû  accepter  l'épiscopat  et  il 
espérait,  peut-être,  qu'il  obtiendrait  d'autant  plus  vite  son 
congé  qu'il  se  rendrait  moins  nécessaire. 

Enfin,  Boisot  prévenait  Granvelle  que  le  chapitre  de  Saint- 
Lambert  s'était  réuni  pour  entendre  Philippe  de  la  Marck,  et 
que  trois  domestiques  de  ce  chanoine  allaient  être  soumis  à 
la  torture. 

III 

Ce  chanoine  de  la  Marck  ou  ce  Marck,  dont  Boisot  parlait 
dans  ses  dépêches  à  Charles-Quint  et  à  Granvelle,  était  Philippe 
de  la  Marck,  fils  de  Robert  de  la  Marck,  seigneur  de  Sedan, 
et  de  Catherine  de  Croy.  Comme  son  frère  Antoine,  il  avait 
choisi  la  carrière  religieuse  qui  semblait  lui  réserver  un  brillant 
avenir.  Par  le  traité  secret  de  Saint-Trond,  son  oncle,  l'évéque 
de  Liège,  avait  promis  de  ne  pas  résigner  sa  charge  à  un 
autre  qu'à  ce  jeune  prélat  ou  à  un  candidat  agréable  au  roi 
d'Espagne.  Philippe  paraissait  donc  destiné  à  succéder  au  car- 
dinal, quand  la  trahison  de  Robert  de  Sedan  vint  ruiner  toutes 
ses  espérances.  Ce  fut  Corneille  de  Berghes  qui,  peu  de  temps 
après,  fut  présenté  au  chapitre  comme  coadjuteur  d'Érard  de 
la  Marck. 

Philippe  ne  renonça  pas  à  la  vie  religieuse;  il  entra  dans  le 
chapitre  cathédral  en  1527,  et,  en  1530,  devint  archidiacre  de 
Hesbaye.  Il  était  ainsi  le  collègue  de  son  parent,  Guillaume 
Tome  XLI.  7 


(  98) 

de  la  Marck,  seigneur  de  Lummen  et  de  Seraing,  archidiacre 
de  Brabant,  que  Ton  appelait  plus  souvent  archidiacre  de 
Seraing  *,  et  qui  brigua  l'épiscopat  à  la  mort  du  cardinal. 

D'après  Boisot  2,  et  nous  pouvons  croire  un  témoin  toujours 
si  bien  renseigné,  Philippe  de  la  Marck  ne  brillait  point  par  les 
dons  de  l'intelligence.  11  n'aurait  été  qu'un  instrument  entre 
les  mains  des  ennemis  de  Charles-Quint.  Une  preuve  de  sa 
présomption,  c'est  qu'il  s'ouvrit  de  ses  projets  à  son  oncle 
maternel,  Antoine  de  Croy,  seigneur  de  Sempy.  Nous  avons 
conservé  la  copie  du  billet  qu'il  lui  adressa  vers  le  23  juillet 
1543  3. 

«  Monseigneur  mon  oncle, 

»  Ceulx  du  chapitre  de  Saint-Lambert  me  font  tout  le  pire 
»  que  peuvent.  Je  vous  prye  dire  la  Royne  quelle  me  donne 
»  une  manutention  pour  saisir  tous  les  biens  quils  ont  en 
»  Brabant  et  si  elle  ne  le  fait  je  quitte  mon  serment  et  trou- 
»  veray  ung  aultre  maître  dont  vous  ay  bien  voulu  advertir 
»  afin  que  mescriviez  ce  que  jauroy  a  faire  car  je  veulx  user 
»  de  votre  conseil.  » 

Nous  ne  connaissons  pas  la  réponse  du  seigneur  de  Sempy. 
Elle  ne  devait  pas  être  encourageante  pour  notre  chanoine. 
Antoine  de  Croy  était  fort  aimé  de  Marie  de  Hongrie  qui,  en 
1534,  avait  fait  peindre  son  portrait  par  Bernard  Van  Orley; 
il  ne  pouvait  favoriser  les  desseins  bizarres  de  son  neveu. 
Peut-être  transcrivit-il  lui-même  ce  curieux  billet  à  Boisot. 

Outre  cette  étrange  missive,  Charles-Quint  avait  recueilli  des 
preuves  de  la  culpabilité  de  Philippe  de  la  Marck  dans  les 
dépositions  des  prisonniers  de  Vilvorde.  C'est  pourquoi  il  avait 
recommandé  son  arrestation  à  Boisot;  mais  notre  archidiacre 
était  couvert  par  les  privilèges  du  chapitre;  il  ne  pouvait  être 
interrogé  et  jugé  que  par  ses  confrères.  Une  réunion  des 

1  Voir  notre  tableau  généalogique  des  la  Marck. 

s  Voir  la  lettre  de  Boisot  a  Nicolas  de  Granvelle,  du  7  août  1543 

•  Voir  la  lettre  précitée. 


i 


(99) 

chanoines  de  Saint-Lambert  s'imposait  donc;  elle  eut  lieu  le 
7  août  1543. 

Le  chapitre  se  réunit  pendant  l'heure  de  grand'messe  sous 
la  présidence  de  l'archidiacre  de  Hainaut,  Gilles  de  la  Blo- 
quer ie  4.  Tous  les  archidiacres  étaient  présents,  sauf  l'archi- 
diacre de  Brabant,  Guillaume  de  la  Marck,  qui,  paraît-il, 
s'était  rendu  avec  son  oncle,  Herman  de  Wied,  archevêque  de 
Cologne,  au-devant  de  l'empereur.  Gilles  de  la  Bloquerie  s'était 
concerté  au  préalable  avec  les  échevins  pour  informer  plus 
rapidement.  Renonçant  aux  immunités  du  chapitre,  il  se  mit 
à  la  disposition  des  juges  civils,  leur  donna  accès  dans  sa 
maison,  leur  permit  d'interroger  ses  serviteurs.  Ses  collègues 
suivirent  son  exemple,  même  Philippe  de  la  Marck.  Un  bailli 
se  rendit  aussitôt  auprès  des  échevins  pour  rapporter  l'acte 
d'accusation  et  la  liste  des  prévenus  ;  les  bourgmestres,  de  leur 
côté,  furent  invités  à  en  user  de  la  même  sorte  envers  les 
bourgeois,  nonobstant  leurs  privilèges. 

Philippe  de  la  Marck  fut  ensuite  interpellé  sur  les  lettres 
qu'il  avait  écrites  à  son  oncle,  le  seigneur  de  Sempy,  sur  les 
rapports  qu'il  avait  entretenus  avec  les  Français,  sur  les  chefs 
d'accusation  contenus  dans  les  déclarations  des  prisonniers  de 
Vilvorde.  Quand  il  fut  rentré  dans  son  logis,  on  lui  enjoignit 
d'y  rester  jusqu'à  nouvel  ordre,  sous  peine  d'être  convaincu 
du  crime  qu'on  lui  imputait,  d'ouvrir  ses  coffrets,  de  remettre 
tous  ses  papiers.  A  l'étonnement  de  ses  confrères,  le  malheu- 
reux se  soumit  à  tout.  L'interrogatoire  qu'on  lui  avait  fait 
subir  Pavait  atterré;  il  se  prit  à  pleurer,  à  invoquer  sa  mère. 
La  noble  dame  lui  avait  défendu,  paraît-il,  de  s'aboucher  avec 
le  seigneur  de  Longueval,  général  de  François  Ier.  Cet  aveu 
augmenta  les  soupçons  des  chanoines,  et  Philippe  fut  examiné 
à  nouveau.  En  même  temps,  trois  de  ses  serviteurs,  Jacquemin, 
Janus,  Louis  Chabot,  dénoncés  par  leurs  complices,  incarcérés 
à  Vilvorde,  furent  arrêtés  dans  les  cloîtres  de  Saint-Lambert, 


1  Voir  notre  treizième  pièce  justificative  :  lettre  de  l'archidiacre  de  Haioaut, 
Gilles  de  la  Blocquerie,  au  président  de  Schore,  du  7  août  15i3. 


(100) 

enfermés  dans  la  tour  de  l'official,  mis  à  la  torture,  plus  tard 
exécutés.  D'autres  conspirateurs,  Jean  de  Fumai,  Piron  d'Heure 
et  Guillaume  de  Sart,  le  chirurgien  Gabriel,  Raes  de  Laminne, 
Jean  Noël,  furent  également  décrétés  d'arrestation  et  poursuivis 
par  les  magistrats  liégeois  et  par  les  fonctionnaires  de  la  gou- 
vernante des  Pays-Bas.  Ils  furent  bientôt  appréhendés  au  corps, 
sauf  Jean  de  Fumai  et  Raes  de  Laminne,  que  l'on  saisit  seule- 
ment quelques  jours  plus  tard  dans  l'électoral  de  Trêves  *. 

Gilles  de  la  Bloquerie  expédia,  le  jour  même,  un  compte 
rendu  de  cette  séance  extraordinaire  du  chapitre  au  président 
du  Conseil  privé  à  Bruxelles,  et  conseilla  de  rappeler  les 
enseignes  que  Marie  de  Hongrie  voulait  envoyer  au  secours  des 
autorités  liégeoises. 

IV 

Nous  venons  de  citer  les  conspirateurs  liégeois  qui  avaient 
été  signalés  par  leurs  complices  détenus  dans  la  prison  de  Vil- 
vorde  :  Janus  de  Saterelle  de  Châteaudun,  Gabriel  de  Toulouse, 
le  Savoyard  Louis  Chabot,  Raes  de  Laminne,  Jean  de  Fumai, 
Pierre  d'Heure,  Jacquemin  Alardi  et  Jean  Noël. 

Plusieurs  de  ces  meneurs  étaient  d'origine  française;  les 
autres,  bourgeois  de  Liège.  Ils  reconnaissaient  pour  chef  ce 
Raes  de  Laminne  qui  avait  failli  échapper  à  la  justice.  Ramené 
à  Huy  avec  Jean  de  Fumai,  Raes  fut  torturé  en  présence  du 
maïeur,  des  deux  bourgmestres  et  de  deux  échevins  de  Liège; 
mais  les  tourments  ne  lui  arrachèrent  aucun  aveu.  Son  com- 
pagnon fit  preuve  du  même  héroïsme.  Leur  silence  embarras* 
sait  les  juges  ;  Raes  et  Jean  étaient  bourgeois  et,  comme  tels, 
bénéficiaient  des  privilèges  réservés  aux  citoyens.  Ils  ne  pou* 
vaient  être  condamnés  sans  que  des  preuves  suffisantes  eussent 

*  Voir  la  lettre  précitée  de  l'archidiacre  de  Hainaut,  la  lettre  de  Boisol  à 
Charles-Quint,  du  15  août  1543  (15mc  pièce  justificative)  et  les  comptes  6t 
Th.  de  Braodenbourg  et  de  P.  de  Werchin,  comptes  dont  des  extraits  rat  été 
reproduits  par  M.  Henné  dans  le  VIIe  volume  (p.  530)  de  son  histoire  éi 
Charles-Quint. 


(  101  } 

établi  leur  culpabilité.  Raes  surtout  inquiétait  les  magistrats  4  ; 
beau  parleur,  avocat  de  sa  profession,  il  avait  toujours  défendu 
les  franchises  des  Liégeois  et  n'avait  pas  craint,  sous  le  règne 
précédent,  de  résister  au  terrible  cardinal,  en  pleine  réunion 
des  états.  Une  exécution  précipitée  de  ce  tribun  pouvait  exciter 
des  troubles.  C'est  pourquoi  les  échevins  résolurent  de  députer 
vers  le  prince-évêque,  alors  à  Bruxelles,  un  d'entre  eux  pour 
communiquer  les  révélations  des  prisonniers  déjà  suppliciés, 
et  obtenir  de  la  gouvernante  qu'elle  interrogeât  de  nouveau  les 
détenus  de  Vilvorde.  Peut-être  recueillerait-on  ainsi  des 
preuves  suffisantes  pour  continuer  l'information  commencée 
contre  Raes  de  Laminne  et  son  compagnon. 

Janus  de  Châteaudun  avait  dénoncé  un  certain  Pierre  d'Heure, 
bourgeois  de  Liège.  C'était  par  ses  ordres,  prétendait-il,  qu'il 
avait  mandé  au  sire  de  Longueval  d'envahir  la  principauté. 
Mis  à  la  torture,  Pierre  d'Heure  garda  le  silence.  Il  fut  ensuite 
confronté  avec  Janus  qui  confirma  son  premier  dire,  et  con- 
duit à  l'échafaud.  On  craignait  qu'il  ne  se  récriât  contre  sa  sen- 
tence; mais  il  se  résigna  à  son  sort  et  exhorta  même  les  assis- 
tants à  éviter  la  société  des  gens  pervers. 

D'après  Chapeaville,  Raes  de  Laminne  et  Jean  de  Fumai  ne 
furent  exécutés  que  l'année  suivante  2.  Sur  l'échafaud,  le  pre- 
mier protesta  de  son  innocence,  mais  pardonna  aux  échevins 
qui,  en  le  condamnant  sur  la  déposition  de  deux  témoins, 
appliquaient  la  coutume.  Comme  on  voit,  il  se  montra  beau 
parleur  jusqu'au  bout. 

Un  des  prisonniers  de  Vilvorde,  Godefroid  d'Ardenne,  dit 
Hatrival  3,  avait  accusé  Jean  de  la  Marck,  seigneur  de  Luinmen 
et  de  Seraing,  d'avoir  participé  à  la  conjuration.  Marie  de 
Hongrie  fit  confronter  ce  Hatrival  â  Bruxelles  avec  le  seigneur 


*  Voir  la  lettre  de  Boisot  à  Nicolas  de  Granvelle,  du  26  août  1543  (16°"  pièce 
justificative). 

*  Chapeaville,  p.  547.  Le  chroniqueur  liégeois  appelé  le  second  prisonnier 
Qltelel  de  Fumai. 

*  Lettre  de  Boisot  à  Granvelle,  du  '26  août  1543. 


(  102  ) 

liégeois  devant  l'évêque,  un  bourgmestre  et  le  sire  de  Chokier. 
Après  cette  formalité,  Jean  de  la  Marck  fut  remis  entre  les 
mains  des  Liégeois.  Marie  exigeait  d'abord  que  Corneille  de 
Berghes  engageât  tous  ses  biens  pour  répondre  de  l'inculpé; 
mais  Corneille  rejeta  cette  proposition  hautaine  qui  marquait 
trop  la  défiance  de  la  gouvernante;  il  offrit  simplement  de 
consigner  le  prince  dans  un  de  ses  châteaux.  Boisot  intervint 
en  faveur  du  prélat.  Il  représenta  à  Charles-Quint  qu'il  était 
urgent  de  rendre  Jean  de  la  Marck  à  ses  juges  naturels.  La 
mère  du  prince  réclamait  son  fils  à  cor  et  à  cri,  menaçait  de 
protester  auprès  des  bons  métiers  et  d'exciter  des  troubles  dans 
le  pays  *,  si  Ton  ne  satisfaisait  pas  à  sa  requête. 

Jean  de  la  Marck  fut  donc  remis  à  ses  concitoyens  et  laissé 
libre  sur  parole.  11  promit  de  ne  pas  sortir  du  château  de 
Curange,  résidence  d'été  du  prince-évêque.  Son  procès  com- 
mença aussitôt  devant  la  haute  cour  de  Liège. 

C'étaient  les  prisonniers  de  Vilvorde  qui  l'avaient  dénoncé. 
L'un  d'eux,  Josselet,  prétendait  avoir  vu  le  prince  dans  h 
maison  du  Val-Saint-Lambert,  quand  il  reçut  du  chanoine 
Philippe  de  la  Marck  des  lettres  pour  le  seigneur  de  Longueval 
à  Sedan.  Confronté  avec  ce  Josselet,  Jean  de  la  Marck  protesta 
de  son  innocence,  offrant  d'abandonner  sa  personne  et  son 
bien  2,  si  l'on  pouvait  prouver  qu'il  avait  séjourné  à  Liège 
pendant  l'année  écoulée.  La  déposition  de  ce  Josselet  détermina 
Boisot  à  questionner  Philippe  de  la  Marck  devant  le  prince- 
évêque;  mais  il  ne  put  lui  arracher  aucun  aveu,  même  en  le 
menaçant  de  la  prison  et  de  la  torture. 

Ce  furent  là  les  dernières  nouvelles  que  le  conseiller  manda 
de  Liège  à  Charles-Quint.  L'empereur  l'envoya  alors  à  Metz  pour 
régler  certaines  difficultés  survenues  dans  cette  ville.  Boisot 
obéit  aussitôt.  Sa  mission  était  d'ailleurs  terminée  dans  la  Cité. 
Le  coadjuteur  Georges  d'Autriche  venait  d'arriver,  et  le  calme 


1  Lettre  de  Boisot  à  Charles-Quint,  du  30  août  1543:  dix-septième  pièce 
justificative. 

4  Lettre  précitée. 


(103  ) 

se  rétablissait  peu  à  peu  dans  le  pays.  Boisot  se  rendit  d'abord 
à  Louvain  pour  communiquer  à  Marie  de  Hongrie  ce  qu'il  savait 
du  chanoine  Philippe  de  la  Marck  et  recevoir  de  nouvelles 
instructions;  de  Louvain  il  tira  vers  Malines  pour  mettre  ordre 
à  ses  affaires  privées,  et  de  là  se  rendit  directement  en  Lorraine. 
Dans  son  curieux  livre  :  Metz  et  Thionville,  M.  Ralilenbeck  a 
raconté  le  rôle  joué  par  Boisot  dans  la  vieille  cité  impériale. 
Nous  y  renvoyons  le  lecteur  qui  voudrait  connaître  à  fond  la 
carrière  de  cet  habile  diplomate  *• 


Le  procès  de  Jean  de  la  Marck  attira  ensuite  l'attention  du 
public.  Le  24  octobre  1543,  ce  prince  protesta  solennellement 
contre  les  accusations  dont  il  était  l'objet,  et  sa  protestation 
fut  enregistrée  devant  la  haute  Cour  de  Liège.  Il  s'adressa 
ensuite  à  l'évêque,  lui  renouvela  ses  déclarations  antérieures, 
le  pria  de  sommer  les  juges  de  produire  les  charges  alléguées 
contre  sa  personne,  afin  qu'il  pût  confondre  ses  calomniateurs. 

Charles-Quint  s'étonna  de  la  lenteur  du  procès  et,  remar- 
quant que  l'official  fiscal  n'avait  pas  combattu  avec  assez 
d'énergie  les  allégations  du  prévenu,  il  fit  part  de  ses  impres- 
sions aux  Liégeois.  L'empereur  croyait  à  la  culpabilité  de  Jean 
de  la  Marck  :  ce  seigneur  avait  dû  prêter  son  concours  à  son 
frère  l'archidiacre  de  Seraing  qui  avait  brigué  le  trône  épiscopaL 
Ses  longs  séjours  à  Liège,  son  refus  d'accepter  une  pension 
pour  entrer  au  service  de  l'empereur,  la  part  prise  par  l'archi- 
diacre dans  la  conspiration  récemment  découverte,  étaient  pour 
Charles-Quint  autant  d'indices  de  la  trahison  du  seigneur  de 
Lummen.  Ces  indices  ne  supposaient  pas  des  preuves  décisives  ; 
c'étaient  plutôt  des  présomptions,  mais  des  présomptions  qui 
paraissaient  très  graves  à  Charles-Quint.  Si  ce  prince  n'enleva 
pas  une  affaire  aussi  importante  aux  échevins  de  Liège  pour  la 

1  Sur  la  vie  de  Charles  Boisot,  voir  les  articles  de  la  Riogtaphie  national* 
et  du  Biographisch  Woordtnboek  de  Van  (1er  A  a. 


(  104  ) 

déférer  à  un  autre  tribunal,  c'est  qu'en  souverain  prudent,  il 
ne  voulait  pas  irriter  des  alliés  trop  susceptibles  *. 

Quel  fut  le  dénouement  de  ce  procès  politique?  Nous  l'igno- 
rons, attendu  que  le  dossier  en  est  perdu.  S'il  nous  était  permis 
d'émettre  une  conjecture,  nous  dirions  que  le  défaut  de  preuves 
suffisantes  fit  cesser  toute  poursuite  contre  le  seigneur  de 
Lummen. 

Le  plus  coupable  des  la  Marck  était  sans  contredit  l'archi- 
diacre de  Brabant,  Guillaume  de  la  Marck-Seraing,  le  frère  de 
Jean  de  la  Marck.  Cet  ambitieux  prélat  avait  été  jadis  en  laveur 
auprès  de  son  cousin,  le  cardinal;  peu  s'en  fallut  qu'il  ne 
devînt  son  coadjuteur.  Supplanté  par  Corneille  de  Berghes, 
plus  tard  par  Georges  d'Autriche,  et  désespérant  de  parvenir 
jamais  au  trône  épiscopal,  tant  que  la  principauté  serait  l'alliée 
de  Charles-Quint,  il  favorisa  les  projets  de  François  Ier,  espé- 
rant obtenir  de  ce  monarque  la  dignité  qu'il  ambitionnait. 
Tantôt  il  se  rendait  à  Sedan,  chez  Robert  de  la  Marck,  tantôt 
à  Cologne,  chez  son  oncle  maternel,  l'archevêque  Herraan  de 
Wied,  nouant  partout  des  intrigues  criminelles  contre  son  pays. 

Ces  allées  et  venues  mystérieuses,  ces  rapports  de  l'archi- 
diacre avec  des  agents  français,  attirèrent  l'attention  du  Gouver- 
nement de  Bruxelles.  En  1541,  le  chancelier  Nigri  signalait  le 
départ  de  Guillaume  pour  Sedan,  et  Marie  de  Hongrie  instrui- 
sait l'empereur  du  complot  tramé  par  François  Ier  et  l'archi- 
diacre de  Seraing  contre  la  ville  de  Liège  2. 

Si  Ton  se  le  rappelle,  la  gouvernante  avait  jadis  essayé  de 
s'attacher  le  prélat  liégeois  par  des  faveurs  pécuniaires;  elle  lui 
avait  fait  promettre  par  le  comte  de  Buren  une  pension  de 
■0,000  florins  pour  l'indemniser  de  la  perte  de  la  coadjutorerie 
de  Liège  3.  Mais  il  paraît  que  cette  pension  ne  fut  pas  payée4, 

1  Papiers  d'État  et  de  V Audience,  liasse  19. 

*  Voir  le  commencement  de  ce  chapitre. 

8  Voir,  dans  le  chapitre  précédent,  l'instruction  dounée  le  8  février  1538 
au  comte  de  Buren. 

4  Correspondance  de  Marie  de  Hongrie,  registre  69,  p.  280,  Hnv  de  Marie 
à  Charlrs-Quint,  du  2  avril  1542. 


(  îos  y 

ce  qui  n'étonnera  pas  le  lecteur  qui  sait  dans  quelle  pénurie 
d'argent  Charles-Quint  se  trouvait  parfois.  Nouvelle  déception 
pour  l'archidiacre,  qui  devint  plus  que  jamais  l'ennemi  des 
Pays-Bas. 

Quand  le  chapitre  cathédral  informa  contre  son  parent, 
Philippe  de  la  Marck,  Guillaume  était  à  Cologne.  Quatre  jours 
auparavant,  il  avait  passé  par  Liège  en  prenant  toutes  les  pré- 
cautions imaginables  pour  dissimuler  sa  présence.  11  était  arrivé 
le  soir,  avait  laissé  ses  chevaux  aux  portes  de  la  ville  et  était 
entré  à  pied  «  Dieu  sayt  à  quelle  fin,  »  écrivaient  Nigri  et 
Bernenicourt,  à  qui  rien  n'échappait  *. 

Ce  furent  les  prisonniers  liégeois,  principalement  Jean  Noël, 
qui  chargèrent  surtout  l'archidiacre  de  Seraing.  Jean  Noël, 
ou  Jean  Pirlot,  fils  d'Arnould  le  Tourneur,  donna  même  de 
curieux  détails  sur  les  pratiques  de  ce  prélat  dont  il  avait  été 
un  moment  le  messager.  À  Luxembourg,  il  avait  reçu  d'un 
officier  français  la  mission  de  se  rendre  à  Cologne  pour 
remettre  des  lettres  à  Guillaume  de  la  Marck  :  ce  tiens  ces  lettres, 
lui  dit  le  seigneur  français,  faictes  bien  ton  debvoir  de  les  porter 
à  damoiseaul  Guillaume  de  Seraing  à  Coulongne  et  sil  nest  à 
Coulongne  cherchez  le  la  ouil  sera  et  lui  ditz  que  nous  descen- 
drons aile  vallée  le  plus  brief  que  pourrons  a  grosse  compai- 
gnie  et  bruslerons  tout  le  pays  là  ou  nous  passerons  »  2. 

Arrivé  à  Cologne,  Jean  Noël  se  rendit  au  logis  de  l'archi- 
diacre, lui  remit  les  dépêches  et  reçut  une  réponse  pour  l'officier 
français.  Il  repassa  par  le  pays  de  Liège,  tâcha  d'embaucher 
quelques  citoyens,  mais  fut  surpris  dans  la  forêt  des  Ardennes 
et  n'eut  que  le  temps  de  se  débarrasser  de  ses  papiers.  Soumis 
à  la  question,  il  révéla  les  faits  que  nous  venons  d'exposer. 

Un  autre  prisonnier  confirma  la  déposition  de  Jean  Noël;  ce 
fut  un  certain  Piron,  fils  de  Thonon,  tisserand  de  Chokier  3. 


*  Voir  les  pièces  justificatives  publiées  par  M.  Rahlenbeck,  à  la  suite  de  son 
livre  :  L'Église  de  Liège  et  la  révolution,  n*  III. 

*  Voir  noire  dix-huitième  pièce  justificative. 

8  Voir  notre  dix-neuvième  pièce  ju si ificativr. 


(  406 

Ce  pauvre  diable,  ancien  conducteur  de  troupeaux,  avait  élé 
chargé  par  l'archidiacre  Guillaume,  dans  son  propre  château 
de  Seraing,  de  porter  des  lettres  à  Sedan.  Il  s'y  était  d'abord 
refusé,  par  crainte  de  mauvaises  rencontres  ;  mais,  séduit  par 
les  promesses  qu'on  lui  fit,  il  accepta.  D  reçut  un  passe-port 
de  l'archidiacre  et  se  mit  en  route.  Près  de  Ciney,  il  fut  arrêté 
par  deux  individus  qui  le  prirent  pour  un  espion  et  loi 
arrachèrent  ses  dépêches.  Arrêté  de  nouveau  quelques  jours 
plus  tard,  le  malheureux  fut  conduit  au  château  de  Mirwart, 
puis  torturé  devant  la  Cour  de  Grupont,  enfin  mené  à  Liège 
pour  y  être  confronté  avec  d'autres  prisonniers,  le  frère  bâtard 
de  l'archidiacre  et  la  dame  de  Seraing.  Toutes  ces  dépositions 
prouvaient  assez  le  crime  de  l'archidiacre;  mais,  par  un  départ 
opportun,  l'adroit  prélat  esquiva  les  poursuites,  et  ce  fut  son 
parent  Philippe,  moins  coupable  et  surtout  moins  compromis, 
qui  essuya  toute  la  colère  du  chapitre  et  du  Gouvernement  des 
Pays-Bas. 

Qu'advint-il  dans  la  suite  des  deux  archidiacres?  Nous  l'igno- 
rons. Philippe  mourut  en  1545  '  et  légua  une  partie  de  sa 
fortune  pour  l'achèvement  du  palais  épiscopal.  Il  ne  survécut 
donc  pas  longtemps  à  son  procès.  Fut-il  condamné  à  une  peine 
quelconque?  Nous  n'oserions  l'affirmer.  Peut-être  suspendit-on 
les  poursuites  pour  ménager  le  chapitre,  dont  l'honneur  eût 
été  quelque  peu  terni,  si  l'on  eût  révélé  le  crime  d'un  de  ses 
membres.  Peut-être  sut-on  gré  au  chanoine  de  sa  prompte 
soumission  et  trouva-t-on  qu'il  était  moins  coupable  qu'on 
le  supposait,  qu'il  eût  été  injuste  de  le  punir,  alors  que  l'archi- 
diacre Guillaume,  le  plus  chargé  des  la  Marck,  échappait  par 
la  fuite  à  toute  répression.  Peut-être  enfin  son  caractère  sacer- 
dotal lui  évita-t-il  tout  châtiment.  On  connaît  l'indulgence  des 
tribunaux  ecclésiastiques  pour  une  faute  comme  celle  qu'avait 
commise  Philippe  de  la  Marck. 

Nous  ignorons  également  ce  que  devinrent  Jean  de  la 
Marck  et  son  frère,  l'archidiacre  de  Seraing.  Ils  moururent  en 

1  Conclusions  capital  aires  du  chapitre  de  Saint-Lambert,  registre  cuv. 


(107) 

France,  dit  Chapeaville,  en  1557.  Voilà  tout  ce  que  le  chroni- 
queur liégeois  nous  apprend  sur  les  deux  petits-fils  du  Sanglier 
des  Ardennes  *. 

Pour  terminer  l'histoire  de  cette  famille,  à  coup  sûr  une  des 
plus  curieuses  de  l'ancien  pays  de  Liège,  nous  ajouterons  que 
les  deux  fils  de  Jean  de  la  Marck  eurent  une  destinée  tragique. 
L'aîné,  Guillaume,  devint  le  chef  des  gueux  de  mer  et  se 
signala  dans  la  guerre  de  nos  provinces  contre  Philippe  II  par 
sa  bravoure  et  son  fanatisme.  Le  second,  Philippe  de  la  Marck, 
fut  chanoine  de  la  cathédrale  ;  mais  à  la  mort  de  son  frère, 
en  1578,  il  résigna  son  canonicat  et  épousa  Catherine  de  Man- 
der scheid.  Quelques  années  auparavant,  il  avait  été  impliqué 
dans  un  complot  ourdi  par  quelques  Liégeois  pour  livrer  la 
Cité  à  Guillaume  le  Taciturne. 

On  voit  que  tous  ces  la  Marck  avaient  hérité  les  instincts 
sauvages  et  les  passions  brutales  de  leur  terrible  ancêtre,  le 
grand  Sanglier  des  Ardennes. 

VI 

Les  lettres  de  Boisot^  que  nous  venons  d'analyser,  occupent 
une  place  à  part  parmi  les  documents  du  XVIe  siècle.  L'histoire 
de  la  vieille  Cité,  si  obscure  parfois  dans  le  récit  terre  à  terre  de 
Chapeaville,  brille  d'un  éclat  particulier  dans  la  narration  pitto- 
resque et  colorée  du  conseiller  flamand.  Au  lieu  d'une  sèche 
énumération  de  noms  et  de  dates,  comme  on  en  rencontre  trop 
dans  nos  vieux  chroniqueurs,  nous  trouvons  une  peinture 
frappante  de  personnages  historiques  qui  semblent  revivre 
avec  leurs  passions  et  leurs  coutumes.  Ces  ambassadeurs 
brabançons  qui  surveillent  les  autorités  locales;  cette  foule 
susceptible  et  inquiète,  prête  à  se  révolter  à  la  moindre  violation 
de  ses  privilèges;  ce  Raes  de  Laminne,  superbe  raisonneur  qui 

1  Chapeaville,  loc.  ciU,  |>.  382. 

*  Ces  lettres  se  trouvent  aux  Archives  du  royaume,  dans  les  liasses  i% 
17  A%  17  B  des  Papiers  d'État  et  de  l'Audience. 


(408) 

jusque  sur  l'échafaud  proteste  de  son  innocence;  ce  chanoine 
Philippe  de  la  Marck  qui  pleure  comme  un  enfant,  quand  son 
crime  est  découvert;  cette  dame  de  Seraing  qui  menace  de 
convoquer  les  métiers  et  d'exciter  des  troubles,  si  on  ne  lui 
rend  son  fils;  ces  pauvres  diables  même  qui  expient  dans  les 
tortures  ou  sur  l'échafaud  les  fautes  de  quelques  ambitieux  : 
tous  ces  événements  prennent  dans  les  dépêches  de  Boisot 
un  relief  saisissant.  A  leur  lecture,  il  semble  que  nous  nous 
sentions  transportés  dans  la  vieille  Cité  cpiscopale,  en  plein 
XVIe  siècle  ;  nous  nous  retrouvons  tantôt  dans  les  cloîtres  de 
Saint-Lambert,  tantôt  sur  le  Marché,  quelquefois  dans  les 
cachots  de  Potficial.  Nos  archives  renferment  peu  de  pages  d'un 
style  aussi  coloré  et  d'une  lecture  aussi  fructueuse. 

Mais  ces  missives  diplomatiques  ne  charment  pas  seulement 
le  curieux  qui  veut  retrouver  les  mœurs  du  vieux  temps;  elles 
instruisent  encore  l'historien  qui  désire  connaître  la  vie  poli- 
tique de  la  petite  principauté;  elles  marquent  en  traits  frap- 
pants la  situation  exacte  du  pays  de  Liège  vis-à-vis  de  Charles- 
Quint. 

De  grands  changements  avaient  suivi  la  mort  du  cardinal 

9 

Erard  de  la  Marck.  Cet  habile  et  énergique  prélat  avail  été  rem- 
placé par  un  prince  maladif  et  pusillanime,  pour  qui  les  fonc- 
tions épiscopales  étaient  un  trop  lourd  fardeau  ;  par  un  prince 
qui  sortait  de  sa  capitale  quand  les  plus  graves  dangers  mena- 
çaient le  pays;  par  un  prince,  enfin,  qui  aurait  été  le  plus 
coupable  des  souverains,  s'il  n'avait  été  le  plus  faible  des 
hommes.  Charles-Quint  avait  redouté  jadis  la  trop  grande 
ambition  d'Érard  ;  il  redouta  bien  plus  l'excessive  timidité  de 
Corneille  de  Berghes. 

Heureusement  pour  les  Pays-Bas  et  la  principauté  de  Liège, 
la  gouvernante  Marie  de  Hongrie  fut  aussi  énergique  que  clair- 
voyante. Elle  ne  prit  jamais  le  change  sur  les  intentions  des 
Clévois  et  des  Français,  et  avertit  chaque  fois  ses  alliés  des 
dangers  qu'ils  couraient,  dangers  qu'ils  ne  soupçonnaient  pis 
le  plus  souvent  et  qu'ils  n'auraient  pu*par  eux-mêmes  détourner. 
Ce  fut  Marie  de  Hongrie  qui,  pendant  ces  années  critiques, 


(  109  ) 

'gouverna  la  principauté;  elle  sauvegarda  l'indépendance 
liégeoise,  quelquefois  malgré  les  Liégeois,  comme  le  prouve 
la  mission  du  conseiller  Boisot,  l'exemple  le  plus  frappant  de 
cette  tutelle  intelligente  et  autoritaire  que  le  Gouvernement 
des  Pays-Bas  exerça  sur  le  pays  de  Liège  au  XVIe  siècle. 

L'attitude  de  Charles-Quint  dans  ces  années  mémorables 
montre  que  ce  souverain  était  passé  maître  en  fait  de  diploma- 
tie. Jamais  l'alliance  de  ses  voisins,  les  Liégeois,  ne  lui  fut 
aussi  nécessaire.  Les  progrès  du  duc  de  Clèves  dans  la  vallée  de 
la  Meuse,  la  campagne  de  Van  Rossum  dans  le  Brabant,  le 
mécontentement  général  des  populations  flamandes,  tous  ces 
fâcheux  événements  mirent  plus  d'une  fois  le  grand  empereur 
dans  un  cruel  embarras.  Si  les  Français  avaient  pu  gagner  le 
pays  de  Liège  à  leur  cause,  installer  un  la  ftfarck  à  la  place  de 
Corneille  de  Berghes,  il  est  probable  qu'une  partie  des  Pays-Bas 
eût  été  perdue  pour  Charles-Quint.  Une  sourde  irritation 
couvait  dans  les  villes  de  la  Flandre  et  du  Brabant  contre  leur 
souverain,  qui  les  épuisait  par  ses  demandes  continuelles  de 
subsides,  et  il  ne  fallait  qu'une  étincelle  pour  que  cette  irri- 
tation engendrât  une  insurrection  formidable  des  dix-sept 
provinces. 

Aussi  Charles-Quint  usa-t-il  de  la  plus  grande  prudence  dans 
ses  relations  avec  les  Liégeois.  Quelques  motifs  qu'il  eût  de  se 
plaindre  de  leur  turbulence,  l'adroit  monarque  évita  de  toucher 
aux  privilèges  de  ses  alliés,  à  ces  privilèges  qu'ils  avaient  en 
merveilleuse  recommandation,  comme  l'écrivait  Boisot.  S'il 
chargea  un  ambassadeur  extraordinaire  de  surveiller  les  auto- 
rités locales  et  de  poursuivre  les  vrais  coupables,  il  le  fit  avec 
tant  d'habileté  que  le  peuple  ne  s'en  douta  pas,  et  que  jusqu'à 
ce  jour,  nous  ne  connaissons  qu'un  seul  historien  *  qui  ait 
soupçonné  cette  intervention  directe  de  l'empereur  dans  les 
affaires  de  la  principauté. 

Par  contre,  tous  les  écrivains  ont  raconté  l'entrée  solennelle 
de  Charles-Quint  à  Liège,  le  8  janvier  1844.  L'empereur  qui  se 

1  M.  Rahlonbeck  dans  sou  curieux  livre  :  L'ÉylUe  de  Liège  et  (a  révolution. 


(  no  ) 

rendait  à  Spire  pour  présider  la  diète  germanique  passa  quel* 
ques  heures  à  Liège  afin  de  faire  ses  dernières  recomman- 
dations à  Corneille  de  Berghes.  Il  fut  reçu  avec  tous  les  hon- 
neurs qui  étaient  dus  au  premier  souverain  de  l'Europe  et  au 
suzerain  de  la  principauté.  En  signe  d'hommage,  les  bourg- 
mestres, Guillaume  de  Meefet  Jean  de  Miche,  lui  remirent  les 
clefs  de  la  ville.  L'empereur  les  suspendit  à  l'arçon  de  sa  selle; 
mais,  arrivé  dans  la  cour  du  palais  épiscopal,  il  les  rendit  aux 
deux  magistrats  en  leur  disant  :  a  Gardez-les  toujours  avec  la 
même  fidélité  que  vous  les  avez  conservées  jusqu'à  présent.  » 
Comme  plus  tard  Louis  XIV  et  Napoléon,  Charles-Quint 
trouvait  quelquefois  des  mots  heureux  qui  lui  gagnaient  les 
cœurs.  Il  ne  pouvait  se  montrer  plus  aimable  envers  les 
premiers  fonctionnaires  de  la  Cité  qu'en  les  félicitant  de  leur 
fidélité.  Mais  il  y  avait  dans  ces  flatteuses  paroles  comme  un 
avertissement  discret  qui  échappa  à  la  foule  et  qui  dut  être 
compris  de  tous  ceux  qui  avaient  pénétré  les  secrets  de  la 
politique  impériale. 


(  444  ) 


CHAPITRE  VII. 

Histoire  des  contestations  politiques,  judiciaires  et  religieuses 
de  Charles-Quint  avec  le  pays  de  Liège. 


I 

L'habileté  diplomatique  d'Érard  de  la  Marck  et  de  ses  suc- 
cesseurs n'aplanit  pas  toujours  du  premier  coup  les  difficultés 
qui  surgirent  entre  la  principauté  et  Charles-Quint. 

Les  terres  de  la  principauté  étaient  si  bizarrement  enclavées 
dans  les  Pays-Bas,  que,  par-ci,  par-là,  les  frontières  des  deux 

* 

Etats  étaient  indécises.  Certains  territoires  étaient  revendiqués 
par  les  deux  souverains,  entre  autres  Maestricht,  où  ils  exer- 
çaient une  autorité  mal  définie.  Depuis  le  XIIIe  siècle,  les 
évêques  de  Liège  et  les  ducs  de  Brabant  se  disputaient  la 
juridiction  de  cette  ville.  Ceux-ci  invoquaient  la  cession  faite 
par  l'empire  au  Brabant;  ceux-là  se  prévalaieut  de  ce  que 
Maestricht  avait  été  jadis  le  siège  de  Pévêché,  et  que  plusieurs 
églises  de  la  ville  relevaient  du  patrimoine  de  Saint-Lambert. 
Or,  les  Brabançons  ne  voulaient  réserver  à  l'évéque  que  la  sou- 
veraineté sur  les  familles  de  Notre-Dame  et  de  Saint-Lambert. 
Les  Liégeois  interprétaient  ce  mot  «  famille  »  dans  le  sens 
reconnu  par  le  concordat  de  4284,  et  les  officiers  d'Érard  pré- 
tendaient que  tout  étranger  Rétablissant  à  Maestricht  avait  le 
droit  d'opter  entre  les  deux  ressorts  <« 

1  Sur  les  contestations  enlre  Érard  de  la  Marck  et  Charles-Quint  au  sujet 
de  Maestricht,  ou  trouve  de  riches  renseignements  dans  le  tome  VIII,  pp.  216 
et  suivantes,  de  YHietoire  de  Charles-Quint  en  Belgique,  de  M.  Alexandre 


(  112  ) 

Obligé  de  ménager  la  principauté,  Charles-Quint  ne  protesta 
d'abord  pas  contre  cette  prétention  ;  mais  en  1530,  quand  il 
détacha  les  Pays-Bas  de  la  suzeraineté  de  l'empire ,  il  décida 
que  Maestricht  avec  ses  dépendances  serait  annexée  au  Bra- 
bant. 

Cette  décision  mécontenta  la  population  de  Maestricht. 
Voisine  du  pays  de  Liège,  presque  liégeoise  elle-même  par  ses 
relations  suivies  avec  la  capitale,  cette  petite  localité  éprouvait 
peu  de  sympathie  pour  le  Brabant.  Elle  craignait  d'être  acca- 
blée de  taxes  par  un  nouveau  souverain  et  préférait  vivre  sous 

* 

la  tutelle  du  saint-empire.  Erard  profita  de  ces  dispositions 
et,  tout  en  ménageant  son  auguste  allié,  travailla  à  obtenir  le 
retrait  de  la  sentence  de  1530. 

Les  Maestrichtois,  de  leur  côté,  défendirent  leurs  privilèges 
avec  cette  sombre  obstination  qui  est  le  trait  distinctif  de  nos 
anciennes  communes;  ils  chassèrent  les  juges  brabançons,  en 
appelèrent  aux  tribunaux  impériaux  et  ne  s'émurent  nulle- 
ment, quand  ils  apprirent  les  mesures  hostiles  de  la  gouver- 
nante. 

L'empereur  eut  plusieurs  entrevues  à  Maestricht  avec  le 
prince-évêque,  et,  comme  tpujours,  celui-ci  n'osa  résister  aux 
injonctions  de  son  suzerain.  Voyant  qu'il  n'obtiendrait  aucune 

w 

concession,  Erard  de  la  Marck  s'employa,  quoique  à  regret,  à 
réconcilier  Charles-Quint  avec  les  bourgeois  irrités.  Il  eut  beau 
prodiguer  les  plus  vives  démonstrations  d'amitié;  pendant 
.plusieurs  années,  les  Maestrichtois  répondirent  par  d'auda- 
cieuses représailles  aux  actes  arbitraires  de  Marie  de  Hongrie. 
Retenu  par  d'autres  préoccupations  et  empêché  de  punir  la 
ville  rebelle,  Charles-Quint  dut  rabattre  de  ses  exigences. 
En  1537,  il  déclara  qu'il  maintiendrait  les  privilèges  et  les  cou- 
tumes de  la  villes,  et  quelques  années  plus  tard,  en  1545, 


Henné.  Pour  cette  question  comme  pour  tant  d'autres,  le  savant  historien  a 
utilisé  les  différentes  collections  des  Archives  du  royaume,  principalement  le 
registre  intitulé  :  Recueil  en  brief  des  droits  et  juridiction  que  Pempereur, 
comme  duc  de  Brabant,  a  en  la  ville  de  Maestricht.  Archives  du  royaume. 


(  113) 

« 

accorda  à  Georges  d? Autriche  ce  qu'il  avait  refusé  aux  instances 
d'JSrard  de  la  Marck.  Le  concordat  de  1546  modifia  complète- 
ment la  charte  de  1284.  La  juridiction  des  évéques  s'étendit 
sur  les  habitants  de  Maestricht  nés  dans  les  paroisses  du  pays 
de  Liège,  du  duché  de  Bouillon,  du  comté  de  Looz,  du  mar- 
quisat de  Franchimont  et  de  leurs  dépendances.  Tous  les 
bourgeois,  excepté  les  sujets  de  l'empire,  des  États  héréditaires 
de  l'empereur  et  de  Liège,  eurent  la  faculté  d'opter  entre  les 
deux  juridictions  *. 

Le  11  juillet  1548,  Charles-Quint  confirma  cet  acte,  en  décla- 
rant que  l'union  de  Maestricht  aux  Pays-Bas  ne  portait  nul 
préjudice  aux  droits  de  l'évêque  de  Liège  dans  cette  ville  2, 

Le  concordat  de  1546  avait  paru  aux  états  et  au  conseil  de 
Brabant  un  affaiblissement  de  l'autorité  ducale,  et  ils  insistè- 
rent auprès  de  Charles-Quint  pour  en  obtenir  le  retrait.  Aussi, 
au  moment  d'abdiquer,  le  33  octobre  1555,  l'empereur  révoqqa 
le  traité  ;  mais  cette  révocation  fut  sans  effet  à  Liège,  et  pen- 
dant bien  des  années  encore,  les  deux  États  voisins,  le  Brabant 
et  la  principauté  de  Liège,  maintinrent  leurs  prétentions  à  la 
souveraineté  de  Maestricht  3. 

Dans  les  conférences  tenues  à  Saint-Trond  et  à  Léau,  les 
députés  de  Charles-Quint  et  de  l'évêque  de  Liège  avaient  tâché 
de  régler  d'autres  difficultés  relatives  aux  frontières  des  deux 
États,  à  des  conflits  de  juridiction,  à  des  réclamations  doua- 
nières. Ces  questions  étaient  nombreuses  et  d'origines  diverses*. 


1  Voir  A.  Henné,  loc.  cit.,  tome  VIII,  p.  248,  et  pour  le  texte  du  concordat: 
Louvrcx,  1"  partie,  p.  314. 

*  Voir  Louvrbx,  loc.  cit^  3*  partie,  p.  419. 

*  Voir  A.  Henné,  loc.  cil.,  tome  VIII,  p.  255. 

4  Voir  Henné,  loc.  cit.,  tome  VIII,  pp.  250  et  251 ,  et  Louvrex,  1™  partie, 
pp.  214  et  suiv.  Ce  jurisconsulte  reproduit  le  texte  du  concordai  de  1546  (en 
latin),  qui  règle  les  affaires  de  Maestricht,  de  Rochefort,  d'Eysden  et  de 
Château -Thierry,  du  lonlieu  de  Namur,  de  Bouvigne,  d'Argent  eau  et  de 
Herraalle,  de  Franchimont  et  de  la  Vesdre.  —  A  la  page  218  et  aux  pages 
suivantes,  il  reproduit  le  texte  (en  français)  du  concordat  du  4  août  1548,  qui 
règle  les  autres  différends.  Les  liasses  de  l'Audience,  les  collections  des  lettres 

Tome  XLI.  8 


(U4) 

L'indépendance  et  la  neutralité  de  Saint-Hubert  n'étaient 
pas  reconnues. 

Les  Dinantais,  sujets  liégeois,  se  plaignaient  de  ce  que  les 
autorités  namuroises  prélevaient  un  tonlieu  sur  leurs  marchan- 
dises, et  prétendaient  que  rétablissement  de  cette  taxe  était 
contraire  aux  dispositions  du  traité  de  1518.  Conformément 
aux  mœurs  violentes  du  temps,  ils  n'attendaient  pas  que  la 
juridiction  compétente  eût  statué  sur  leurs  réclamations  et,  en 
guise  de  représailles,  confisquaient  les  marchandises  namu- 
roises, chaque  fois  qu'ils  en  trouvaient  l'occasion.  Réciproque- 
ment, les  Néerlandais  réclamaient  contre  le  tonlieu  que  les 
Hutois  prélevaient  sur  les  trains  de  bois  descendant  la  Meuse. 

Le  procureur  général  de  Namur  et  le  mambour  de  Tévéque 
se  disputaient  «  le  terroir,  haulteur  et  juridiction  es  rues  et 
chemins  de  Flamingnol  »  *. 

Bergeyck,  village  brabançon,  Overpelt  et  Neerpelt  2,  villages 
liégeois,  revendiquaient  la  jouissance  du  droit  de  pâture  sur 
des  bruyères  et  des  terres  communes. 

L'official  de  Liège  avait  assigné  devant  son  tribunal  des  sujets 
de  la  seigneurie  de  Vlytingen  3,  appartenant  au  chapitre  de 
Saint-Servais,  à  Maestricht,  sous  prétexte  que  ladite  seigneurie 
relevait  du  pays  et  diocèse  de  Liège.  Par  contre,  les  habitants 
de  Vlytingen  avaient  saisi  Henri  Raoul,  clerc  et  appariteur  de 
la  cour  spirituelle,  ce  qui  leur  avait  valu  de  la  part  de  l'official 
provision  pénale  sous  censure,  et  ils  avaient  obtenu  l'annula- 
tion de  leur  sentence  du  chancelier  et  des  membres  du  Conseil 
de  Brabant. 

de  Marie  de  Hongrie,  le  carton  I  des  documents  relatifs  au  pays  de  Liège,  les 
archives  de  la  chambre  des  comptes,  reuferment  une  inOnité  de  pièces  retra- 
çant les  contestations  des  Liégeois  avec  les  Néerlandais.  Le  texte  du  traité  du 
4  août  1548  (voir  Louvrex,  toc,  cit.,  p.  218)  résume  très  brièvement  l'histoire 
de  chacun  de  ces  différends. 

1  Flamingnol  ou  Flamignoles,  aujourd'hui  Fatmignoul,  village  de  la  province 
de  Namur,  au  sud  de  Diuant. 

*  Overpelt  et  Neerpelt,  au  nord  de  la  province  de  Li  m  bourg. 

*  Vlyiingr n,  entre  Tongres  et  Maesiricht,  province  de  Ltmbourg,  s'écrivak 
alors  Vlietinghe  ou  Vlelinghe. 


(  115  ) 

Les  habitants  d'Ëysden  *  se  plaignaient  du  tonlieu  exigé  au 
pont  des  arches  à  Liège,  au  mépris,  disaient-ils,  de  l'alliance 
de  1518. 

Le  procureur  général  deNamur  et  les  Dinantais  prétendaient 
à  la  juridiction  sur  la  maison  de  Servais  de  Louvières,  située 
à  Popposite  deBouvigne. 

Les  Liégeois  réclamaient  la  juridiction  des  seigneuries 
d'Àrgenteau  et  de  Hermalle,  dont  le  propriétaire,  le  seigneur 
d'Àrgenleau,  soutenait  ressortir  au  duché  de  Brabant. 

Le  seigneur  de  Denée,  Guillaume,  dit  Charpentier,  assisté  du 
mambour  de  l'évêque,  s'était  emparé  des  vaches  de  Thierry, 
baron  de  Brandebourg,  seigneur  de  Bioul,  à  cause  que  ledit 
seigneur  de  Bioul  avait  mis  sur  une  roue  le  cadavre  de  Stassin 
de  Ville,  décapité  par  ses  ordres;  qu'il  avait,  outre  ce,  érigé 
un  signe  patibulaire  sur  une  pièce  de  terre  appartenant  à 
l'abbé  de  Broigne,  et  qu'il  avait  fait  exécuter,  en  mars  1545, 
un  jeune  gars  sur  une  terre  qui  lui  appartenait,  à  lui  seigneur 
de  Denée.  Par  représailles,  le  baron  de  Brandebourg  avait 
saisi  les  bœufs  et  les  brebis  qui  paissaient  sur  les  biens  du  sire 
de  Denée  2. 

Le  marquisat  de  Namur  et  le  pays  de  Liège  ne  s'entendaient 
pas  sur  la  direction  de  leurs  frontières  respectives. 

Les  échevins  de  Saint-Trond,  ville  liégeoise,  avaient  arrêté, 
à  la  requête  d'un  de  leurs  bourgeois,  un  habitant  du  village 
brabançon  de  Hellen. 

L'écoutète  liégeois  de  Maestricht  faisait  incarcérer  le  curé  de 
Lut,  chapelain  de  Saint-Servais. 

Le  châtelain  de  Franchimont  avait  saisi  le  charretier,  le  cha- 
riot et  les  chevaux  du  capitaine  de  Limbourg  pour  l'empêcher 
de  jouir  des  bois  morts  des  forêts  de  Franchimont. 


1  Eysden,  village  limbourgeois,  au  nord  de  Visé,  aujourd'hui  dans  le 
Limbourg  hollandais. 

*  Voir  le  texte  du  traité  du  4  août  1548  (Louvrix,  !'•  partie,  pp.  318  et 
suiv.,  n°  13).  Denée  et  Bioul  sont  deux  villages  namurois  situés  entre  Fosses 
et  Dinant. 


(  116) 

Les  Liégeois  prélevaient  un  tonlieu  sur  la  Vesdre  au  pont 
d'Amercœur  à  Liège. 

Un  bourgeois  de  Tongres  interjetait  appel  devant  les  éche- 
vins  d'Aix-la-Chapelle  d'une  sentence  ce  donnée  par  une  loi  que 
Ton  dict  subalterne  de  Vroenhove  »  *. 

Le  seigneur  de  Lavoir  et  l'officier  de  Moha  *  se  contestaient 
les  limites  de  leur  juridiction  respective. 

Le  bailli  de  Fallais  3  avait  fait  arrêter  et  exécuter  un  meur- 
trier à  Opite,  pays  de  Liège. 

Les  communes  de  Visé  (territoire  liégeois)  et  de  Daelhem 
(pays  d'outre-Meuse)  étaient  en  désaccord,  ainsi  que  les  locali- 
tés d'Argenteau,  de  Hermalle  et  de  Haccourt  *;  les  communes 
d'Overpelt  et  de  Bergeyck. 

L'écoutète  de  l'évéque  à  Maestricht  s'arrogeait  le  titre  de  haut 
écoutète. 

L'évéque  revendiquait  la  souveraineté  des  seigneuries  de 
Cheratte,  de  Fléron  et  de  Feneur  *. 

La  garnison  d'Yvoy  6  (Luxembourg)  avait  pris  des  chevaux 
appartenant  à  des  bourgeois  de  Tongres. 

Les  princes  d'Orchimont  et  de  Gedinnes  *  se  disputaient  le 
bois  Notre-Dame. 


*  Voir  Louvrex,  loc.  cil,  n°  19.  Le  village  de  Vroenboveo,  situé  sur  la  route 
de  Tongres  a  Maestricht,  appartient  aujourd'hui  à  ta  province  de  Limbourg. 
C'était  alors  une  enclave  brabançonne, et  plus  d'une  fois  les  magistrats  de  cette 
petite  localité  furent  en  contestation  avec  les  communes  liégeoises  voisines. 
(Voir  à  ce  sujet  l'article  50  du  concordat  de  1615,  Louvrex,  1"  partie,  p.  233.) 

1  Lavoir  et  Moba  sont  deux  villages  limitrophes  situés  sur  un  affluent  de 
la  Méhaigne  (province  de  Liège). 

*  Fallais,  aujourd'hui  dans  la  province  de  Liège,  alors  dans  le  duché  de 
Brabant. 

*  Haccourt  et  Hermalle  sont  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  Argenfeau  sur 
la  rive  droite  (province  de  Liège). 

*  Cheratte,  Fléron,  Feneur,  aujourd'hui  dans  la  province  de  Liège,  alors 
dans  le  duché  de  Limbourg. 

6  Yvoy,  sur  un  affluent  de  la  Meuse,  aujourd'hui  Carîgnan  (France),  était 
situé  dans  le  duché  de  Luxembourg. 

7  Villages  situés  au  sud-est  de  la  province  de  Namur. 


i 


(  HT  ) 

Le  village  d'Àmbly  J,  sous  Rochefort,  était  en  contestation 
avec  celui  de  Hogne. 

Enfin,  il  fallait  régler  les  différends  relatifs  au  chapitre  de 
Nivelles,  à  la  seigneurie  de  Chaumont  appartenant  à  l'abbé  de 
Bonne-Espérance,  et  au  village  de  Lits  près  de  Bois-le-Duc. 

Nous  avons  tenu  à  rappeler  les  nombreuses  contestations  qui 
faillirent  plus  d'une  fois  brouiller  les  deux  États  alliés,  quelque 
insignifiantes  que  quelques-unes  nous  paraissent,  afin  de  com- 
pléter le  tableau  des  rapports  diplomatiques  de  la  principauté  de 
Liège  avec  les  Pays-Bas.  La  plupart  de  ces  difficultés  avaient  leur 
source  dans  l'organisation  de  nos  provinces.  L'enchevêtrement 
des  frontières,  la  multiplicité  des  enclaves,  les  privilèges  sécu- 
laires des  seigneurs  haut-justiciers,  le  voisinage  de  communes 
rivales  et  ressortissant  à  des  pays  distincts,  le  grand  nombre 
des  tonlieux,  engendraient  sous  l'ancien  régime  mille  diffé- 
rends que  nous  comprenons  à  peine  dans  notre  siècle,  où 
l'uniformité  de  la  législation,  la  précision  des  limites  territo- 
riales  et  la  savante  organisation  des  Etats,  ont  rendu  de  pareils 
conflits  presque  impossibles.  Le  XVIe  siècle  portait  encore  les 
marques  du  moyen  âge,  d'une  époque  où  la  noblesse,  les 
communes  et  le  clergé  invoquaient  à  tout  moment  leurs  privi- 
lèges et  leurs  coutumes,  au  mépris,  très  souvent,  de  l'intérêt 
national. 

Ces  contestations  étaient  plus  fréquentes  dans  le  pays  de 
Liège,  qui  n'avait  pas  été  soumis,  comme  les  Pays-Bas,  à  une 
centralisation  puissante.  Le  prince- évêque  jouissait  d'une 
double  autorité,  religieuse  et  laïque;  le  chapitre  cathédral  et 
le  clergé  secondaire  possédaient  des  privilèges  notables;  les 
seigneurs  avaient  conservé  une  autorité  considérable  et  les  com- 
munes,principalcmentla  Cité,  invoquaient  à  tout  moment  leurs 
vieilles  franchises,  fruits  des  glorieuses  luttes  du  XIVe  siècle. 
Rien  d'étonnant  que,  voisins  du  Brabant,  du  Limbourg,  du 
marquisat  de  Namur,  du  Luxembourg,  mis  fréquemment  en 
rapport  pour  des  questions  religieuses  ou  des  affaires  judi- 

1  AmbJy  et  Hogne,  situés  à  Test  de  la  province  de  Namur. 


(118) 

ciaires  avec  les  Néerlandais,  les  magistrats  laïques  ou  les 
dignitaires  ecclésiastiques  liégeois,  vissent  naître  de  fréquentes 
contestations  avec  les  officiers  de  Charles-Quint. 

La  plupart  des  griefs  que  nous  venons  d'énumérer  concer- 
naient des  individus  et,  partant,  n'intéressaient  que  faiblement 
les  Gouvernements  liégeois  et  néerlandais.  Il  en  était  autre- 
ment des  contestations  financières.  Les  Liégeois  se  plaignaient 
amèrement  des  tonlieux  prélevés  sur  leurs  marchandises  à 
Namur,  à  Bouvigne,  à  Beaumont;  ils  y  voyaient  une  infraction 
à  l'alliance  de  Saint-Trond,  et,  si  nous  nous  le  rappelons,  c'est 
en  se  fondant  sur  ces  taxes  qu'ils  refusèrent,  en  1538,  d'accepter 
les  nouvelles  propositions  d'alliance  de  Marie  de  Hongrie. 

Ces  réclamations  étaient  d'autant  plus  inquiétantes  que  les 
Liégeois  intéressés  usaient  de  représailles  à  l'égard  de  leurs 
voisins.  Les  Dinantais,  nous  l'avons  vu,  confisquaient  les  biens 
des  Namurois  pour  répondre  à  leurs  prétentions  douanières, 
et  cette  sourde  hostilité  de  deux  villes  rivales  pouvait  engen- 
drer une  guerre  désastreuse  entre  les  États  alliés. 

Heureusement ,  la  sagesse  de  Marie  de  Hongrie  et  la  pru- 
dence du  prince  -évêque,  Georges  d'Autriche,  conjurèrent 
l'orage.  «  J'aime  mieux  avoir  les  Liégeois  bons  voisins  et 
amis  que  mes  propres  sujets,  disait  Charles-Quint  t.  »  Cette 
profonde  pensée  caractérise  la  diplomatie  du  Gouvernement 
des  Pays-Bas.  Impliquée  dans  des  affaires  multiples,  la  gou- 
vernante préférait  régler  par  des  négociations  ce  que,  à  la 
rigueur,  elle  aurait  pu  décider  par  voie  d'autorité.  Elle  trou- 
vait plus  sage  d'accorder  quelques  concessions,  concessions 
qu'elle  comptait  retirer  à  la  longue,  que  de  froisser  de  suscep- 
tibles voisins.  C'est  ainsi  qu'elle  termina  à  l'amiable  ces  nom- 


1  Voir  {Audience,  liasse  18)  la  lettre  du  2ii  janvier  1544  de  Gilles  de  te 
ltlocquerie,  archidiacre  du  Hainaut,  à  Marie  de  Hongrie  ;  l'archidiacre  rappelle 
les  paroles  de  l'empereur  «  servant  pour  donner  entendre  le  bon  vouloir  ei 
désir  que  badite  Majesté  avoil  toujours  eu  pour ....  lentretenance  de  bon 
voisinage,  amitié  et  considération  avec  ceste  cité  et  pays,  déclarant  que  trop 
mieulx  les  aymait  avoir  ses  bons  voisins et  amys  que  ses  propres  $u/t/«,elc.» 


(  119  ) 

breuses  contestations  qui  depuis  longtemps  excitaient  les  sujets 
des  deux  États. 

Le  concordat  du  4  août  1546  *,  qui  réglait  la  juridiction  du 
duc  de  Brabant  et  du  prince-évêque  à  Maestricht,  trancha  aussi 
une  partie  des  autres  questions  litigieuses. 

Les  députés  des  Pays-Bas  et  du  pays  de  Liège  décidèrent 
que  le  comté  de  Rochefort  relèverait  du  territoire  liégeois  et 
du  duché  de  Luxembourg,  désignèrent  les  villes  qui  dépen- 
daient de  ce  comté,  approuvèrent  l'échange  de  Herstal  (enclave 
brabançonne),  contre  le  village  de  Pont-à-Freine,  que  le  Gou- 
vernement néerlandais  baptisa  du  nom  de  Mariembourg, 
exemptèrent  les  Franchimontois  des  tonlieux  du  Limbourg, 
permirent  en  retour  au  châtelain  de  ce  duché,  ou  à  son  lieute- 
nant, de  prendre  les  bois  nécessaires  à  son  chauffage  dans  les 
forêts  du  prince  de  Liège,  remirent  à  des  arbitres  l'examen 
des  contestations  relatives  aux  tonlieux  de  Namur,  du  pont  des 
arches  et  du  pont  d'Amercœur  à  Liège,  à  la  nationalité  des 
habitants  de  Hermalle. 

A  cette  fin,  de  nouvelles  conférences  avaient  été  ouvertes  à 
Léau  en  février  et  en  mars  1546,  mais  elles  restèrent  sans 
résultat,  et  ce  ne  fut  que  deux  ans  plus  tard,  le  4  août  1548, 
que  tous  les  différends  furent  aplanis,  sauf  celui  de  Saint- 
Hubert  qui  resta  ouvert  jusqu'en  1769. 

Ce  concordat  de  1548  2,  négocié  à  Bruxelles  entre  le  prince- 
évêque  et  Marie  de  Hongrie,  témoigne  de  la  sagesse  diploma- 
tique  des  Etats  contractants,  qui  considérèrent  «  être  requis  et 
plus  que  décent  entre  princes  voisins  et  amis  vuyder  de  tous 
différens  amiablement,  pour  plus  parfaite  observance  de  bonne 

9 

voisinance  ».  Aussi  les  prétentions  des  deux  Etats  reçurent  une 
juste  solution,  leurs  droits  réciproques  furent  reconnus,  et  les 
litiges  dont  le  règlement  réclamait  une  enquête,  remis  à  des 
arbitres  ou  aux  tribunaux  compétents.  C'est  ainsi  qu'à  l'occa- 
sion du  tonlieu  de  Namur,  il  fut  décidé  qu'on  ne  prélèverait 

1  Voir  le  tpxte  latin  de  ce  concordat  dans  Loovrbx,  foc.  cil ,  pp.  214  et  suiv. 
J  Voir  le  texte  français  de  ce  concordat  dans  Lootrex,  toc.  cit.,  pp.  31  Set  soi  v . 


(  120  ) 

plus  dans  cette  ville  que  les  taxes  exigées  avant  1518,  et  que  la 
légitimité  de  ces  taxes,  dans  le  cas  ou  elle  serait  contestée, 
serait  appréciée  par  le  Conseil  privé  des  Pays-Bas  ou  par  le 
grand  Parlement.  La  justice  se  substituait  ainsi  à  l'autorité  *. 

Dans  la  question  de  Maestricbt  et  les  contestations  judiciaires 
et  financières  précitées,  le  Gouvernement  de  Charles-Quint  mon- 
tra donc  une  grande  condescendance  à  l'égard  du  pays  de  Liège. 
Il  tâcha  de  satisfaire  aux  vœux  des  Liégeois  et  plus  d'une  fois 
laissa  fléchir  sa  volonté  impérieuse.  C'est  que  Charles-Quint 
préférait  céder  quelques  lieues  de  territoire,  renoncer  à  on 
tonlieu  ou  à  une  juridiction  douteuse,  plutôt  que  de  perdre 
l'alliance  des  Liégeois.  Chacune  de  ses  concessions  résultait 
d'un  calcul,  et  lorsque  l'empereur  n'était  pas  mû  par  des  con- 
sidérations politiques,  ou  qu'il  était  sûr  de  triompher  de  la 
résistance  de  ses  alliés,  il  se  gardait  bien  d'abandonner  une 
part  de  ses  droits.  11  faisait  preuve  au  contraire  d'une  obstina- 
tion particulière,  comme  on  le  vit  dans  ses  tentatives  de 
restreindre  l'autorité  spirituelle  de  l'évêque  aux  Pays-Bas. 

II 

A  l'avènement  de  Charles-Quint,  le  diocèse  de  Liège  avait 
conservé  les  limites  qui  lui  avaient  été  assignées  lors  de  sa 
fondation.  Outre  la  principauté,  il  comprenait  le  marquisat 
de  Namur,  une  partie  du  duché  de  Luxembourg  et  du  duché 
de  Limbourg,  la  presque  totalité  du  duché  de  Gueldre  et  une 
bonne  partie  du  Brabant.  Celte  grande  étendue  de  frontières 
rehaussait  le  prestige  du  prélat  qui  les  administrait.  Son  auto- 
rité s'étendait  sur  tous  les  clercs,  sauf  les  exempts,  et  sur  les 
laïques  pour  toutes  les  affaires  civiles  que  la  législation  de 
l'époque  réservait  encore  aux  évêques.  L'official^,  juge  suprême 

1  Nous  trouvons  superflu  de  rappeler  les  stipulations  du  concordai  de  1548, 
car  nous  ne  signalons  ces  contestations  multiples  que  pour  y  montrer  l'in- 
fluence du  Gouvernement  des  Pays- lias  sur  les  affaires  liégeoises. 

*  Voir  Poullet,  Histoire  du  droit  criminel  dans  ie  pays  de  Liège,  passim. 


(  121  ) 

du  diocèse,  connaissait  ainsi  des  crimes  d'hérésie,  des  contrats 
de  mariage,  de  la  légitimité  des  enfants;  en  un  mot,  il  était  le 
juge  compétent  pour  un  grand  nombre  de  contestations  civiles 
qui  depuis  des  siècles  ressortissaient  au  for  ecclésiastique.  A 
Pévêque  appartenait  le  droit  de  fulminer  l'excommunication, 
de  prononcer  l'interdit,  peines  terribles  qui  entraînaient  une 
flétrissure  morale  et  des  châtiments  matériels  redoutables. 

L'évoque  et  ses  représentants,  l'oflicial,  les  vicaires  généraux, 
les  archidiacres,  les  prévôts  des  chapitres,  étaient  donc  des 
juges  puissants,  dont  le  pouvoir  contrebalançait  souvent  l'au- 
torité des  cours  laïques.  Rien  d'étonnant  que  les  échevins,  juges 
ordinaires  de  leurs,  concitoyens  et  les  cours  de  justice  suprêmes 
des  Pays-Bas,  comprises  dans  le  diocèse  de  Liège,  fussent 
souvent  en  lutte  ouverte  avec  les  dignitaires  ecclésiastiques. 

C'est  particulièrement  le  duché  de  Brabant  qui  souffrit  de 
ces  conflits.  Aussi,  dès  le  XIVe  siècle,  les  souverains  brabançons 
tâchèrent  de  régler  par  arbitrage  ou  par  compromis  leurs  diffé- 
rends avec  Tévêque  de  Liège. 

En  1323,  le  duc  Jean  III  '  révoqua  l'édit  par  lequel  il  avait 
défendu  à  ses  sujets  de  comparaître  devant  Tévêque  de  Liège  ou 
devant  son  archidiacre  en  matière  spirituelle.  La  même  année  2, 
les  commissaires  du  roi  de  France,  Philippe  V  le  Long,  pris 
comme  arbitre,  décidèrent  à  Cambrai  que  Tévêque  de  Liège,  son 
officiai  et  ses  archidiacres  exerceraient  leur  juridiction  en  Bra- 
bant; ils  confirmèrent  ainsi  le  premier  article  du  concordat  pré- 
cédent et  réglèrent  d'autres  contestations  soulevées  par  les  deux 
États.  Par  une  sentence  arbitrale  rendue  à  Amiens,  Philippe  VI 
de  Valois  annula  les  alliances  contractées  tant  par  Tévêque  de 
Liège  contre  le  duc  de  Brabant  que  par  le  duc  de  Brabant 
contre  Tévêque,  ordonna  de  restituer  les  prisonniers  et  les  biens 
confisqués  de  part  et  d'autre,  décida  que  les  Brabançons,  sujets 
du  diocèse  de  Liège,  pourraient  être  déférés  au  Tribunal  de  la 
paix,  qu'il  serait  loisible  à  Tévêque  d'accorder  des  quarantaines 

1  Voir  Louvrex,  loc.  cit.,  1"  partie,  pp.  168  et  suiv. 
*  Idem,  loc.  cit.,  lr«  partie,  p.  171. 


(  122  ) 

aux  Brabançons  de  son  diocèse,  que  le  duc  de  Brabant  n'im- 
poserait plus  de  tailles  sur  les  biens  des  ecclésiastiques  liégeois 
situés  en  Brabant,  que  l'évêque,  son  officiai»  ses  archidiacres 
jouiraient  de  leur  juridiction  dans  les  terres  ducales.  Il  régla 
enfin  d'autres  litiges  de  moindre  importance. 

Quelques  années  plus  tard,  en  1356,  l'évêque  de  Liège  et  le 
duc  de  Brabant  conclurent  un  nouveau  concordat  *  au  sujet  du 
Tribunal  de  la  paix,  Cour  liégeoise  dont  la  compétence  s'éten- 
dait aux  infractions  des  trêves  de  Dieu.  Suspendue  pendant 
les  terribles  années  de  la  domination  bourguignonne,  la  juri- 
diction diocésaine  reparut  avec  tout  son  éclat  après  que  la  prin- 
cipauté eut  recouvré  ses  privilèges.  Le  jour  de  son  intronisa- 
tion,  Erard  de  la  Marck  jura  qu'il  écarterait  tous  les  obstacles 
opposés  à  l'autorité  du  Tribunal  de  la  paix  et  à  sa  juridiction 
ecclésiastique,  non  seulement  dans  le  Brabant,  mais  dans  les 
autres  parties  de  son  diocèse. 

Une  telle  prétention  devait  porter  ombrage  au  nouveau  sou- 
verain des  Pays-Bas.  Charles-Quint  était  trop  jaloux  de  son 
pouvoir,  pour  ne  pas  combattre  l'immixtion  d'un  prélat 
étranger  dans  ses  Etats  héréditaires.  Tout  secondait  d'ailleurs 
ses  projets  :  la  grande  puissance  de  sa  maison,  l'amitié  du 
souverain  pontife  et,  par-dessus  tout,  l'empire  que  prenait  en 
Europe  le  droit  romain,  si  favorable  à  l'absolutisme  royal. 

Dès  son  avènement,  Charles-Quint  tâcha  de  restreindre  dans 
le  Brabant  l'autorité  des  diocésains.  Un  article  additionnel  à  la 
Joyeuse  Entrée  limita  les  cas  qui  seraient  dorénavant  de  la 
compétence  de  l'évêque.  Les  Limbourgeois  et  les  Brabançons, 
dépendant  des  diocèses  de  Liège  et  de  Cambrai,  ne  seraient  plus 
actionnés  que  devant  les  cours  spirituelles  établies  dans  le  Bra- 
bant. Cette  clause  fut  étendue  à  tous  les  Pays-Bas  par  la  bulle 
de  Léon  X  du  15  juillet  1515,  qui  défendit  de  citer  les  Belges 
hors  de  leur  patrie,  pour  les  causes  à  juger  en  première  instance 
par  les  tribunaux  ecclésiastiques,  et  restreignit  la  compétence 
de  ceux-ci  à  trois  cas  :  la  validité  des  testaments,  les  contrats 

• 

1  Voir  Louvhex,  pp.  180  ei  suiv. 


(  123  ) 

de  mariage  et  les  difficultés  relatives  à  l'amortissement  des 
biens  du  clergé  '. 

Les  juges  ecclésiastiques  ne  respectèrent  guère  ces  prescrip- 
tions, et  les  lettres  de  Marguerite  d'Autriche  nous  montrent  les 
empiétements  continuels  du  clergé  sur  l'autorité  judiciaire  de 
Charles-Quint.  Aussi  bon  prélat  que  fin  politique,  Erard  mit  en 
œuvre  toutes  les  ressources  de  sa  diplomatie  pour  conserver 
ses  privilèges.  Il  menaça  la  gouvernante  de  se  retirer  dans  ses 
Etats  et  de  ne  plus  paraître  à  la  cour  des  Pays-Bas,  menace  qui 
rendit  la  gouvernante  assez  perplexe.  Les  prétentions  de  ses 
agents  allèrent  si  loin,  que  Marguerite,  pour  faire  lever  les  sen- 
tences d'excommunication  2  prononcées  contre  les  villes  et 
villages  brabançons,  dut  quelquefois  ordonner  la  saisie  des 
biens  des  officiers  liégeois  situés  en  Brabant. 

III 

Peu  s'en  fallut  que  vers  cette  époque  Erard  ne  devînt 
inquisiteur  général  des  Pays-Bas.  Depuis  1520,  la  Réforme 
faisait  de  tels  progrès  dans  nos  contrées,  que  le  Gouvernement, 
pour  les  arrêter,  recourut  à  des  mesures  d'une  impitoyable 
rigueur.  Comme  les  évêques  des  Pays-Bas  ne  suffisaient  plus 
pour  châtier  les  hérétiques,  Charles-Quint  réorganisa  l'Inquisi- 


1  Voir  A.  Henné,  toc.  cit..  t.  VII,  p|>  239  ei  suiv. 

*  Voir  (Correspondance  de  Marguerite  d'Autriche,  reg.  n°  35,  p.  307)  uu 
extrait  «  du  mémoire  original  au  sieur  de  Praet,  chambellan,  el  à  Jehan 
Hannart,  premier  secrétaire  el  audiencier  de  l'empereur  ».  On  y  lit  celle  phrase 
importante  :  «  Madame  a  cy  devant  assez  adverly  l'Empereur  des  différends 
esquelz  elle  os'.oit  avec  les  evesques  et  gens  d'Eglise  pour  raison  de  leur  juri- 
diction, mais  que  elle  ireuve  plus  de  difficulté  et  de  desroi  au  diocèse  de  Liège 
que  es  autres.  El  que  puis  ung  an  ença  ils  ont  usé  largement  d'excommuni- 
cation et  de  cetz  es  villes  comme  es  villages,  que  Madame  pour  remède  a  esté 
contrai uc te  user  de  main  mise  aux  biens  temporels  des  officiers  dudit  diocèse 
et  que  a  ce  moyen  ils  ont  levé  leur  cetz  et  que  elle  soit  délibérée  de  ne  plus 
dissimuler  de  la  conservation  de  la  baulteur  de  lempereur  audit  diocèse  ny 
eu  aultres.  »  Mémoire  du  31  octobre  1525. 


(  124  ) 

tion  en  1522;  mais  au  lieu  d'en  conférer  la  direction  à  un 
dominicain,  il  la  donna  à  un  laïque,  à  François  Van  der  Hulst, 
conseiller  au  Conseil  de  Brabant.  L'autorité  quasi  illimitée  qui 
fut  déléguée  à  ce  magistrat,  prouve  que  si  Charles-Quint  défen- 
dait la  religion  catholique,  il  n'entendait  pas  se  priver  d'une 
part  de  son  autorité  au  profit  du  clergé.  Il  introduisait  dans  la 
législation  une  innovation  que  le  pape  Adrien  VI  consacra. 

Hais  Van  der  Hulst  n'usa  pas  longtemps  de  son  autorité.  Il  fut 
destitué  par  la  gouvernante,  Marguerite  d'Autriche,  pour  crime 
de  faux  en  écriture  publique,  et  remplacé  par  trois  inquisiteurs 
spéciaux  :  Olivier  Buedens,  prévôt  de  Saint-Martin,  à  Ypres, 
Nicolas  Houseau,  prévôt  des  écoliers,  à  Mons,  et  Jean  Coppin, 
doyen  de  l'église  de  Saint-Pierre,  à  Louvain.  Les  fonctions  ter- 
ribles d'inquisiteur  étaient  rendues  au  clergé,  mais  affaiblies, 
puisqu'elles  étaient  conférées  à  trois  personnes. 

La  nomination  de  ces  trois  inquisiteurs  fut  une  déception 
pour  le  cardinal  de  Liège.  Il  est  probable  qu'Erard  avait 
espéré  devenir  inquisiteur  général.  Il  se  fût  merveilleusement 
acquitté  de  cette  mission.  La  sévérité  avec  laquelle  il  châtia 
l'hérésie  dans  la  vallée  de  la  Meuse,  sévérité  qui  lui  valut  les 
félicitations  du  pape  Clément  VU,  indique  assez  comment  il 
eût  agi  contre  les  sectaires  des  Pays-Bas.  Mais  Charles-Quint 
redoutait  trop  l'ambition  d'Érard  pour  lui  donner  la  succession 
de  Van  der  Hulst. 

Le  rêve  d'Érard  faillit  se  réaliser  d'une  autre  façon.  Soit  qu'il 
reconnût  dans  l'évêque  de  Liège  une  aptitude  spéciale  pour  ce 
genre  d'affaires,  soit  qu'il  cédât  à  de  secrètes  démarches,  Clé- 
ment VII  lui  conféra  en  lo25  le  titre  d'inquisiteur  général  aux 
Pays-Bas  *. 


1  Sur  tous  ces  événements,  consulter  le  précieux  registre  sur  te  faict  de 
l'hérésie  et  inquisition,  aux  Archives  du  royaume.  La  table  en  a  été  faite  par 
M.  Eug.  Hubert  el  imprimée  dans  le  deuxième  fascicule  des  Travaux  du 
cours  pratique  d'histoire  nationale,  de  M.  P.  Fredericq.  Nous  recommandons 
également  pour  cette  époque  le  beau  livre  de  M.d'Hoop-Scheffer:  Ge.schiedenis 
der  Kerkhervorminy  in  Nederland.  Amsterdam,  1 875. 


•(  128  ) 

Ce  bref  provoqua  à  Bruxelles  une  grande  émotion.  Marguerite 
d'Autriche  le  communiqua  aussitôt  à  ses  conseillers.  Ceux-ci 
donnèrent  des  réponses  diverses.  Les  uns  opinèrent  qu'il  n'y 
avait  pas  lieu  de  démettre  les  inquisiteurs  officiels,  attendu  que 
jusqu'alors  ils  s'étaient  bien  acquittés  de  leur  mission.  Le  comte 
de  Buren  et  le  seigneur  de  Berghes  estimèrent  que  le  bref  du 
pape  pouvait  être  accepté;  d'autres  orateurs  enfin  déclarèrent 
que  le  cardinal  ne  devrait  pas  instrumenter  sans  l'avis  du  conseil 
privé  ni  de  la  gouvernante,  ni  hors  de  la  résidence  des  accusés, 
et  que  les  confiscations  seraient  prononcées  au  profit  de 
Charles-Quint;  ils  pensaient  bien  que  de  telles  réserves  ne 
seraient  pas  agréées  de  l'évêque  de  Liège. 

Erard  de  la  Marck  répondit  à  Carondelet,  archevêque  de 
Palerme,  conseiller  de  Marguerite,  qu'il  n'accepterait  cette 
charge  nouvelle  d'inquisiteur  que  pour  obéir  au  souverain 
pontife  et  consulterait  la  curie  romaine  au  sujet  des  futures 
confiscations. 

Dans  une  seconde  réunionnes  mêmes  conseillers  estimèrent 
que  le  cardinal  de  Liège  ne  pourrait  s'acquitter  par  lui-même 
de  sa  nouvelle  mission,  et  que  ses  délégués  abuseraient  peut- 
être  de  leur  autorité.  Marguerite  écrivit  donc  à  l'empereur  de 
refuser  son  placet  au  bref  papal *.  Cest  ainsi  qu'Érard  de  la 
Marck  dut  renoncer  à  ces  fonctions  suprêmes  d'inquisiteur 
général,  qui  l'eussent  rendu  le  prélat  le  plus  puissant  des 
Pays-Bas. 

Charles-Quint  travailla  à  diminuer  l'autorité  spirituelle  des 


1  II  a  semblé  à  tous  ceulx  dudit  conseil  et  à  moy  aussi  que  ladite  commis- 
sion ne  doibt  es  ire  admise,  et  que  nullement  du  monde  n'y  debvez  consentir, 
ne  accorder  votre  placet,  dont  Monseigneur  en  toute  humilité  je  vous  adveflyz, 
a  (aventure  si  le  seigneur  cardinal  ou  autres  en  sa  faveur  vous  en  escripvissent, 
et  vous  supplye  si  cbier  que  aymez  retenir  votre  jorisdiction  et  baulteur,  que 
né  consentez  à  ladmission  dudit  brief,  le  surplus  que  touche  la  jurisdiction 
espirituelle  dudit  seigneur  cardinal,  etc....  (Lettre  de  Marguerite  d'Autriche 
à  Charles-Quint,  du  12 avril  1525,  publiée  par  M.  Rablenbeck,  dans  les  pièces 
justificatives  de  son  livre  :  V Église  de  Liège  et  la  révolution^  d'après  une 
copie  qui  se  trouve  dans  le  registre  précité,  f°  400.) 


(  126  ) 

prélats  dont  il  avait  rainé  la  puissance  temporelle.  Reprenant 
un  dessein  conçu  jadis  par  le  duc  Jean  III,  et  plus  tard  par  les 
Etats  brabançons,  il  entama  des  négociations  avec  la  curie  pour 
obtenir  la  création  de  nouveaux  évôcbés  aux  Pays-Bas  4.  Cette 
réforme  était  réclamée  par  de  puissants  motifs  religieux  :  la 
population  néerlandaise  était  trop  nombreuse  pour  trois  évê- 
chés,  et  les  progrès  du  protestantisme  devenaient  alarmants. 
Aux  yeux  de  Charles-Quint  et  de  ses  mandataires,  les  évéques 
ne  surveillaient  pas  assez  minutieusement  les  doctrines  des 
sectaires.  L'empereur  était  mû  encore  par  d'autres  considéra- 
tions; il  eût  voulu,  en  créant  de  nouveaux  diocèses,  écarter  de 
la  politique  intérieure  les  prélats  étrangers  et  dominer  plus 
sûrement  le  clergé  indigène  2. 

Entamées  avec  Adrien  VI,  ces  négociations  furent  suspendues 
sous  Clément  VII  et  reprises  sous  les  successeurs  de  ce  pontife. 
Mais  il  ne  paraît  pas  que  le  diocèse  de  Liège  fût  sérieusement 
menacé.  Peut-être,  comme  le  conjecture  le  jésuite  Strada, 
Charles-Quint  ne  voulait-il  pas  amoindrir  l'autorité  de  son 
oncle,  Georges  d'Autriche,  qui  avait  dû  résigner  un  archevêché 
espagnol  avant  de  monter  sur  le  trône  de  Notger  3. 

Dans  les  dernières  années  de  son  règne,  Èrard  de  la  Marck 
eut  encore  des  démêlés  avec  le  Gouvernement  des  Pays-Bas. 
Nommé,  en  1533,  légat  apostolique*  dans  son  diocèse,  il  pré- 
tendit exercer  son  autorité  sur  tous  les  clercs,  même  sur  les 
simples  tonsurés,  et  nous  avons  exposé  dans  un  chapitre  pré- 
cédent les  difficultés  que  ses  exigences  nouvelles  créèrent  à 
Marie  de  Hongrie. 

Heureusement  pour  le  pays  de  Liège,  Erard  était  un  vrai 

k  Sur  la  création  des  nouveaux  évéchés,  voir  les  documents  ad  hoc  des 
Archives  du  royaume  et  la  préface  de  Gacbard,  au  tome  1er  delà  Correspon- 
dance de  Phi'ippe  II,  pp.  zcvn  et  suivantes. 

*  Marguerite  d'Autriche  l'entraînait  dans  cette  voie,  comme  on  peut  le  voir 
par  ses  lettres  du  22  avril  1526  (reg.  n*39),  du  11  novembre  1529,  du 
14  décembre  1529,  (reg.  n°58j,  du  9,  du  10  et  du  22  jauvier  1530  (reg.  o*  41). 

8  Strada,  De  bello  belyico,  édition  de  Rome  de  1Q47,  lr*  décade,  livre  I.  ; 

*  Brustuem,  loc.  cit.,  p.  94. 


(  \tl  ) 

diplomate.  Quoique  intéressé  à  défendre  son  autorité  reli- 
gieuse et  à  maintenir  les  privilèges  de  son  église,  il  ne  poussa 
jamais  ses  revendications  au  point  de  provoquer  une  rupture 
avec  son  puissant  voisin. 

La  plupart  des  contestations  judiciaires  soulevées  du  vivant 

* 

d'Erard  de  la  Marck  furent  aplanies  sous  le  règne  de  Corneille 
de  Berghes.  Le  concordat  de  1541  régla  l'exercice  de  la  juri- 
diction épiscopale  dans  le  Brabant.  A  partir  de  ce  moment,  la 
répression  des  héritiques  appartint  à  l'évêque,  sauf  les  droits 
du  duc  quant  à  la  nomination  d'un  inquisiteur,  à  l'arrestation 
des  prévenus  et  à  la  confiscation  des  biens;  et  Ton  spécifia  les 
cas  où  l'évêque  interviendrait  seul,  ceux  qui  compétaient  au 
duc,  ceux  qui  ressortissaient  aux  deux  juridictions.  Beaucoup 
de  délits  étaient  de  for  mixte,  et  Charles-Quint  eut  soin  de  déli- 
miter nettement  son  autorité  judiciaire  dans  le  Brabant  *. 

Cet  accord  toutefois  n'empêcha  pas  la  naissance  de  nouvelles 
contestations  entre  les  souverains  des  Pays-Bas  et  le  prince- 
évêque  de  Liège,  et,  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Charles-Quint, 
nous  découvrons  dans  les  archives  des  preuves  de  l'amertume 
qui  marquait  quelquefois  les  doléances  de  la  cour  de  Bruxelles 
au  sujet  du  clergé  liégeois.  Tantôt  la  gouvernante  Marie  de 
Hongrie  incrimine  2  l'indulgence  de  l'évêque  à  l'égard  de 
ses  subordonnés  et  relève  l'insolence  de  certains  prêtres, 
comme  «  ce  moine  de  Parc,  qui  depuis  huit  ans  menait  une 
vie  scandaleuse  et  prêchait  contre  Sa  Majesté,  sans  qu'il  fût 
puni  par  les  officiers  de'  l'évêque  »  et  qu'elle  fit  arrêter  par 
le  procureur  du  roi  de  Brabant,  avertissant  Georges  d'Autriche 
qu'elle  n'endurerait  «telle  injure  de  nul  prélat  d'église  quelque 
grand  qu'il  fût,  et  moins  d'ung  moine  qui  dût  estre  plus 
humble  et  plus  obédient  que  aultres  selon  sa  profession  »; 


1  Voir  le  texte  de  ce  concordat  dans  Louvrex,  loc.  cit.,  tre  partie, pp.  198 
et  suivantes. 

*  Lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  l'évêque  de  Liège,  du  22  septembre  1546 
(Documents  concernant  le  pays  de  Liège,  carton  I). 


(128) 

tantôt  elle  se  plaint  que  le  chapitre  de  Liège  '  ne  veut  pas  contri- 
buer aux  aides  du  Brabant  pour  ses  biens  situés  dans  ce  duché, 
et  à  cette  occasion  reproche  aux  Liégeois  d'avoir  requis  l'assis- 
tance de  l'empereur  sans  participer  aux  frais  de  la  guerre  pour 
les  terres  qu'ils  possédaient  en  Brabant,  et  sans  fournir  de  sol- 
dats conformément  à  l'alliance  de  1518;  tantôt  elle  attribue  les 
progrès  de  l'hérésie  *  dans  les  Pays-Bas,  à  la  négligence  de 
certains  curés  et  décide  que,  avant  de  conférer  des  cures  de 
son  patronage,  elle  soumettra  les  candidats  à  une  enquête 
sévère  et  les  astreindra  à  la  résidence. 

Charles-Quint  réussit  donc  en  partie  à  affaiblir  l'autorité  spi- 
rituelle des  évêquès  de  Liège  dans  ses  Étals  néerlandais,  parti- 
culièrement l'autorité  d'Érard  de  la  Marck.  Les  développements 
que  nous  avons  donnés  à  l'histoire  de  cette  résistance  conti- 
nuelle de  l'empereur  aux  prétentions  du  clergé  liégeois  paraî- 
tront peut-être  un  hors-d'œuvre  au  milieu  d'événements  qui 
concernent  exclusivement  le  pays  de  Liège  ;  mais  nous  avons 
cru  que  la  personnalité  de  Charles-Quint  gagnerait  en  relief, 
si,  à  l'exposé  de  ses  relations  amicales  avec  le  souverain  de  la 
principauté,  nous  ajoutions  le  récit  de  ses  démêlés  avec  le 
chef  du  diocèse. 


1  Lettre  de  Marie  de  Hongrie  a  Pévêque  de  Liège,  du  6  mars  1549  (voir  le 
carton  précité). 

*  Lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  l'évéque  de  Liège,  du  10  décembre  1549 
{Papiers  a?  État  et  de  ?  Audience,  liasse  43).  Voir  notre  vingt-deuxième  pièce 
jasliOcative. 


(  129  ) 


CHAPITRE  VIII. 


Avènement  de  Gérard  de  Groesbeck. 


La  dernière  guerre  soutenue  par  Charles-Quint  contre  la 
France  fut  marquée  par  une  invasion  désastreuse  pour  les 
Pays-Bas  et  la  principauté  de  Liège.  Le  duché  de  Bouillon  et 
le  territoire  de  PEntre-Sambre-et-Meuse,  particulièrement 
Couvin  et  les  villages  environnants,  souffrirent  cruellement 
des  ravages  de  l'ennemi;  la  petite  forteresse  liégeoise  de  Dinant 
subit  même  toutes  les  horreurs  d'un  bombardement.  Le  pays 
de  Liège  participait  ainsi  dans  une  large  mesure  aux  malheurs 
des  Pays-Bas. 

Charles-Quint  exprima  ses  regrets  au  sujet  de  l'incendie  de 
Dinant  et  résolut  de  compléter  la  défense  de  la  frontière  méri- 
dionale de  ses  provinces  belgiques.  Comme  la  citadelle  de 
Mariembourg,  élevée  quelque  temps  auparavant,  ne  suffisait 
plus  pour  couvrir  le  pays  de  Namur  et  l'évêché  de  Liège, 
le  monarque  flamand  acheta  la  seigneurie  d'Agi  mont  au  comte 
deStolberg  et  deConinxstein,  sous  réserve  des  droits  de  l'Eglise 
de  Liège  et  moyennant  une  compensation  territoriale,  et  fit 
bâtir  les  forts  de  Philippeville  et  de  Charlemont  '. 

Suspendue  par  la  trêve  de  Vaucelles,  la  guerre  reprit  de  plus 
belle  à  l'avènement  de  Philippe  II  ;  ce  ne  fut  que  le  3  avril  1559, 
par  la  paix  du  Cateau-Cambrésis,  que  les  belligérants  furent 
définitivement  réconciliés.  Bouillon,  Couvin  et  d'autres  vil- 


1  Sur  Agimonl,  voir  les  nombreux  documents  qui  se  trouvent  dans  le  car- 
ton I  déjà  cité  (Archives  du  royaume)  et  les  pièces  publiées  par  Louvrex 
{loc.  cit.,  iw  partie,  pp.  227,  228,  220). 

TOKB  XLI.  9 


(  130  ) 

lages  furent  rendus  au  pays  de  Liège  !  par  les  Français,  et  les 
droits  des  la  Marck  sur  la  place  de  Bouillon  discutés  dans 
une  conférence  tenue  à  Cambrai,  le  1er  septembre  de  la  même 
année. 

I 

En  recevant  de  son  père  les  riches  provinces  des  Pays-Bas, 
le  nouveau  prince,  Philippe  II,  devenait  le  souverain  d'une 
monarchie  savamment  constituée.  Les  réformes  centralisatrices 
de  Charles-Quint  avaient  achevé  ce  lent  travail  d'unification 
entrepris  par  les  ducs  de  Bourgogne,  et  son  attitude  habile 
à  Tégard  de  la  principauté  de  Liège  avait  transformé  ce  petit 
État  en  une  véritable  enclave  des  Pays-Bas;  en  s'inspirant 
de  la  diplomatie  paternelle,  Philippe  II  était  sûr  de  ménager 
la  tranquillité  extérieure  des  dix-sept  provinces.  Charles- 
Quint  lui  avait  révélé  le  secret  d'enchaîner  le  pays  de  Liège 
à  sa  fortune  et  d'assurer  le  trône  épiscopal  à  un  prélat  dévoué 
à  sa  famille;  il  lui  avait  fait  entrevoir  également  le  moyen 
d'affaiblir  l'autorité  spirituelle  du  clergé  liégeois  dans  les 
Pays-Bas  et  de  diminuer  le  prestige  séculaire  de  l'église  de 
Saint-Lambert.  Protéger  les  intérêts  commerciaux  des  Liégeois, 
satisfaire  l'ambition  des  prélats  et  des  fonctionnaires  laïques, 
envoyer  à  l'occasion  des  ambassadeurs  perspicaces,  surveiller 
les  machinations  des  étrangers  et  principalement  les  intrigues 
de  la  France,  allier  au  besoin  les  menaces  et  la  séduction:  telle 
était  la  politique  qui  avait  assuré  à  Charles-Quint  l'alliance  de 
la  principauté,  et,  en  s'y  conformant,  Philippe  II  pouvait 
espérer  le  même  succès. 


1  Chape  *  tille,  foc.  cit.,  p.  400. 

Sur  les  dispositions  des  Liégeois  à  cette  époque  envers  le  Gouvernement 
des  Pays- Ha*,  voir  la  lettre  désolée  de  Marie  de  Hongrie  à  Charles-Quint,  du 
50  août  l.Tii  (registre  n°  70,  p.  208).  —  Si  le  seigneur  de  Sedan  était  veou, 
dit  la  gnuvi  niante,  les  Liégeois  se  se  rai  eut  ralliés  à  la  France; ....  et  «  si  les 
Liégeois  ivCuseul  de  recevoir  notre  secours  lL  bonne  volonté,  je  vois  grandes 
difficultés  de  les  -povolr  jecter  dedans  ». 


(  131  ) 

Le  nouveau  souverain  des  Pays-Bas  et  sa  sœur,  Marguerite 
de  Panne,  investie  depuis  la  conclusion  de  la  paix  du  Cateau- 
Cambrésis  du  gouvernement  général  de  nos  provinces,  sui- 
virent l'exemple  de  leur  illustre  père.  Lorsque  Robert  de 
Berghes  succéda  à  Georges  d'Autriche,  en  1557,  il  s'empressa 
de  soumettre  aux  états  liégeois  la  confirmation  de  l'alliance 
de  1518  et  d'annoncer  à  Philippe  II  les  marques  de  sympathie 
qu'il  avait  reçues  du  chapitre  cathédral.  Philippe  H,  qu'un 
rapport  du  comte  de  Hornes  avait  déjà  instruit  de  la  réception 
cordiale  faite  au  nouvel  évêque,  lui  adressa  de  Londres  les 
compliments  les  plus  flatteurs.  Il  rappelait  à  Robert  de  Berghes 
l'attachement  qu'il  avait  toujours  montré  à  sa  famille,  l'assurait 
de  son  dévouement  et  espérait  qu'il  pourrait,  en  retour,  compter 
sur  l'amitié  des  Liégeois. 

Ce  fut  Simon  Renard,  conseiller  du  roi,  qui  porta  à  Liège 
cette  affectueuse  missive  *. 

Philippe  II  pourtant  n'était  pas  sincère.  Tandis  que  ce 
monarque  promettait  à  notre  évêque  a  que  son  église  et  ses 
sujets  ne  seraient  pas  moins  favorisés  et  respectés  en  toutes 
choses  raisonnables  que  les  siens  propres  »,  il  ouvrait  avec  le 

1  •  Mon  cousin ce  ma  este  grand  contentement  d'entendre  tnnt  par  vos 

lettres  de  ce  mois  que  par  le  rapport  du  comte  de  llorues  la  bonne  affection  et 
volonté  que  vous  avez  trouve  en  ceulx  du  chapitre  de  Liège  en  vous  mettant 
en  possession  et  administration  de  levesebe  si  losl  et  de  si  bonne  sorte  après 
le  trespns  de  mon  cousin  le  feu  evesque  dont  Dieu  ail  lame  et  de  tant  plus 
que  ja  passe  longtemps  jay  désire  votre  bien  honneur  et  avancement  tant 
pour  le  respect  de  vous  que  de  vos  parens.que  jay  toujours  trouve  affec- 
tionnez en  mon  service.  El  ne  doublant  que  de  votre  coslel  vous  tiendrez  la 
correspondance  que  convient  à  lancienne  voisinance  et  amitié  des  deux  pays. 
Je  vous  puis  asseurer  que  le  mesmes  se  fera  du  m  y  en  et  ne  seront  voue  église 
et  suhgectz  moins  favorisez  <t  respectez  de  mou  coslel  en  toutes  choses 
raisonnabit  s  que  les  miens  propres  selon  que  vous  entendrez  plus  amplement 
de  messireSymon  Renard  mou  conseiller  deslat  présent  porteur  auquel  vous 
pouvez  croire  comme  ma  personne  propre.  A  tant  mon  cousin  notre  seigneur 
Dieu  vous  maimiegne  en  sa  sainte  garde.  De  Londres,  le  XIX  de  mai  1557. 

»  Philippe.  » 

Archives  du  royaume,  carton  II  des  documents  concernant  le  pays  de  Liège. 


(  132  ) 

Saint-Siège  des  négociations  qui  devaient  singulièrement  affai- 
blir l'autorité  spirituelle  de  Robert  de  Berghes  dansles  Pays-Bas. 

Obéissant  aux  recommandations  de  son  père,  le.roi  d'Espagne 
réclamait  en  effet  du  souverain  pontife  la  création  de  nouveaux 
évêchés  aux  Pays-Bas. 

Une  Commission,  composée  de  Viglius,  de  Philippe  Nigri  et 
de  Michel  Driutius,  étudia  cette  importante  question,  et  François 
Vandevclde,  dit  Sonnius,  fut  envoyé  par  Philippe  II  à  Rome 
pour  en  présenter  le  rapport.  Le  pape  accueillit  favorablement 
les  propositions  du  roi,  les  soumit  à  un  comité  de  sept  cardi- 
naux, et,  après  la  paix  du  Cateau-Cambrésis,  signa  la  bulle 
d'érection  des  nouveaux  évêchés. 

Cette  grave  décision  fut  une  surprise  pour  Robert  de  Berghes 
et  le  chapitre  de  Liège.  L'affaire  avait  été  conduite  avec  une 
telle  discrétion  que  les  évêques  intéressés  n'en  soupçonnaient 
rien.  La  nouvelle  n'en  fut  que  plus  douloureuse.  Robert  de 
Berghes  perdait  d'un  coup  sa  juridiction  religieuse  sur  le  mar- 
quisat de  Namur,  le  duché  de  Brabant  et  le  duché  de  Gueldre. 
L'érection  des  nouveaux  diocèses  de  Ruremonde,  de  Bois-le-buc, 
de  Namur  et  d'Anvers  ne  lui  laissait  au  spirituel  que  la  princi- 
pauté de  Liège,  les  duchés  de  Limbourg  et  de  Luxembourg. 
Ces  deux  derniers  Etats  seuls  n'avaient  pas  été  compris  dans  la 
nouvelle  répartition  *. 

Robert  de  Berghes  et  le  chapitre  députèrent  à  Rome  Livinus 
Torrentius  2  pour  obtenir  le  retrait  de  la  bulle;  mais  la  sen- 
tence était  irrévocable,  et  l'église  de  Liège  n'obtint,  en  com- 
pensation de  la  perte  territoriale  qu'elle  éprouvait,  que  des 
satisfactions  honorifiques. 

Le  démembrement  des  anciens  diocèses  se  justifiait  par  des 
motifs  religieux  d'une  valeur  incontestable.  Paul  IV  l'avait 


1  Les  Archives  du  royaume  possèdent  une  collection  complète  de  docu- 
ments relaiiTs  aux  négociations  échangées  entre  le  Gouvernement  des  Pays-Bas 
et  la  curie  romaine  au  sujet  des  nouveaux  évêchés. 

•  Sur  le  rôle  de  Livinus  Torrenlius,  voir  la  notice  de  M.  de  Ram  dans  les 
Bulletins  de  ta  Commission  royale  d'histoire,  !*•  série,  L  XVI,  p.  100. 


(  133  ) 

reconnu,  quand  il  était  nonce  aux  Pays-Bas,  et  c'est  pourquoi, 
devenu  pape,  il  surmonta  son  aversion  pour  les  Habsbourg  et 
satisfit  immédiatement  à  la  demande  de  Philippe  IL 

Les  avantages  politiques  que  la  décision  pontificale  procu- 
rait au  souverain  des  Pays-Bas,  étaient  d'autre  part  considérables. 
Désormais  le  Gouvernement  de  Bruxelles  n'aurait  plus  à 
redouter  l'ingérence  des  évoques  de  Liège  dans  son  adminis- 
tration, sauf  pour  le  Luxembourg  et  le  Limbourg;  mais  ces 
deux  duchés  formaient  la  partie  la  moins  importante  des  Pays- 
Bas.  Moins  riches  que  les  autres  provinces,  ils  s'intéressaient 
très  peu  aux  affaires  générales  et  n'avaient  guère  souffert,  du 
moins  le  Luxembourg,  de  l'hérésie  luthérienne. 

Ce  qui  prouve  que  le  roi  d'Espagne  avait  été  entraîné  autant 
par  des  considérations  politiques  que  par  des  motifs  religieux, 
c'est  qu'il  négocia  toute  cette  intrigue  à  l'insu  de  Robert  de 
Berghes,  son  allié,  ne  lui  réservant  même  pas,  en  guise  de 
consolation,  le  titre  de  métropolitain,  ni  pour  les  archidiacres 
et  les  chanoines  de  Saint-Lambert  les  nouvelles  prévôtés  et  les 
droits  de  préséance.  Les  nouveaux  évêques  furent  nommés 
par  leur  souverain,  et  désormais  celui-ci  put  persécuter  les 
réformés  et  faire  appliquer  par  les  tribunaux  néerlandais  les 
lois  civiles,  sans  avoir  à  craindre  les  revendications  de  l'ordi- 
naire de  Liège. 


Il 


Le  triomphe  diplomatique  obtenu  par  Philippe  II  dans  la 
question  des  évéchés  fut  suivi  de  graves  événements  qui  l'obli- 
gèrent d'intervenir  de  nouveau  dans  les  affaires  de  la  princi- 
pauté. Robert  de  Berghes  était  d'une  complexion  délicate,  et  la 
gouvernante,  Marguerite  de  Parme,  prévoyait  une  prochaine 
vacance  du  trône  épiscopal.  Comme  il  lui  importait  que  le 
futur  évêque  fût  un  sincère  partisan  des  Pays-Bas,  elle  informa 
régulièrement  son  frère  des  moindres  incidents  qui  méritaient 
d'attirer  son  attention  sur  le  pays  de  Liège. 

A  la  suite  d'une  grave  maladie  qui  priva  momentanément 


(  134) 

Robert  de  ses  facultés,  Philippe  II  écrivit  de  Madrid  *  qu'il 
serait  dangereux  que  ce  prélat  mourût  sans  qu'on  lui  eût 
désigné  un  successeur.  Il  invitait  donc  sa  sœur  à  s'entendre 
avec  le  marquis  de  Berghes,  frère  de  l'évoque  et  gouverneur 
du  Hainaut,  et  à  consulter  le  Conseil  d'État.  Marguerite  exécuta 
l'ordre  du  roi  et,  deux  mois  plus  tard,  lui  rendit  compte  de  ses 
démarches  4.  Les  conseillers,  écrivait-elle,  jugeaient  nécessaire 
que  le  successeur  de  Robert  fût  un  ami  des  Pays-Bas,  mais 
pensaient  que  le  chapitre  se  résoudrait  difficilement  à  choisir 
un  coadjuteur,  que  cette  dignité  exigeait  le  consentement  du 
pape,  de  l'ordinaire  et  des  chanoines,  que  le  souverain  pontife 
accorderait  au  roi  la  faveur  qu'il  demanderait,  que  Robert 
résignerait  ses  fonctions,  si  on  lui  assurait  une  pension  suffi- 
sante. Quant  aux  chanoines,  le  roi  pouvait  s'attendre  à  une 
sérieuse  résistance,  surtout  que  la  maladie  de  Robert  avait 
réveillé  l'ambition  de  quelques  prélats,  entre  autres  du  prévôt 
Bouchault,  du  doyen  Gérard  de  Groesbeck,  de  l'archidiacre  de 
Poitiers  et  du  comte  de  Wittgenstein.  Le  marquis  de  Berghes 
assurait  de  son  côté  que  Granvelle  avait  un  moment  songé  à 
se  mettre  sur  les  rangs,  mais  qu'il  s'était  désisté. 

Le  Conseil  d'Etat,  continuait  Marguerite,  estimait  que  le 
marquis  de  Berghes  ferait  bien  de  se  rendre  à  Liège  pour 
inviter  son  frère  à  s'adjoindre  un  coadjuteur  et  pressentir  le 
résultat  d'une  semblable  proposition.  En  cas  de  succès,  le  roi 
devait  désigner  un  candidat.  Elle  lui  signalait,  comme  les  plus 
recommandables,  le  fils  du  comte  de  Berlaymont,  l'archidiacre 
Guillaume  de  Poitiers,  Gérard  de  Groesbeck,  le  chanoine  Dou- 
verin  et  le  seigneur  de  Rennebourg, 

La  dépêche  de  la  gouvernante  exposait  les  titres  de  chacun 
de  ces  compétiteurs.  Le  fils  du  comte  de  Berlaymont  avait 
25  ans  à  peine;  de  mœurs  irréprochables,  s'il  était  agréé,  il 
pourrait,  grâce  aux  conseils  de  Robert,  se  préparer  dignement 


1  Gachard,   Correspondance  de  Marguerite  de  Parme,  t.  Ier,  p.  521  : 
Jetlrc  de  Philippe  II,  du  0  octobre  1581. 
*  Gachard,  loc.  cit.,  t.  I,r,  p. 40  :  lettre  de  Marguerite, du  19  décembre  1361. 


(  135  ) 

à  se»  fiitures  fonctions.  L'archidiacre  de  Poitiers  ne  s'étah  pas 
opposé  à  la  création  des  nouveaux  évêchés;  il  avait  donné  une 
preuve  de  désintéressement  en  refusant  le  diocèse  de  Saint- 
Orner;  c'était  un  diplomate  et  un  prêtre  vertueux.  Le  doyen 
Gérard  de  Groesbeck  était  sujet  de  Sa  Majesté,  «  homme  traie- 
table,  de  bon  sçavoir  et  de  vie  honorable.  »  Le  chanoine 
Douverin  paraissait  un  personnage  maniable;  quant  au  sei- 
gneur de  Rennebourg,  frère  de  madame  de  Hoogslraeten,  il 
était  moins  connu,  mais  embrasserait  très  probablement  le 
parti  du  roi,  s'il  était  élu.  En  tout  cas,  disait  Marguerite,  le 
candidat  du  roi  serait  accepté  des  Liégeois  «  ayant  ceulx  du 
costel  de  Liège  autant  affaire  de  votre  majesté  et  beaucoup  plus 
que  non  votre  majesté  d'eulx.  » 

La  gouvernante  supposait  que  le  chapitre,  comme  autre- 
fois, choisirait  un  des  candidats  du  roi,  ù  condition  toutefois 
que  la  liste  de  présentation  contînt  au  moins  trois  ou  quatre 
noms. 

Le  roi,  terminait  la  dépêche,  devait  éviter  la  nomination 
d'un  étranger,  surtout  d'un  Allemand,  «  qui  sous  l'autorité  de 
l'empire  mettrait  les  pays  de  par  deçà  en  travail.  » 

Le  roi  répondit  le  8  février  de  l'année  suivante  *.  Agréant  les 
candidats  de  Marguerite,  sauf  le  fils  du  comte  de  Berlaymont 
qui  lui  paraissait  trop  jeune,  il  enjoignait  à  sa  sœur  de  propo- 
ser au  chapitre  de  choisir  entre  Guillaume  de  Poitiers,  le  comte 
de  Rennebourg,  Gérard  de  Groesbeck  et  Douverin.  Si  aucun 
de  ces  prétendants  n'était  désigné,  la  gouvernante  aviserait  à  la 
nomination  d'un  prêtre,  sujet  néerlandais.  11  conseillait  enfin 
d'aplanir  les  différends  soulevés  à  l'occasion  de  l'érection  des 
forteresses  de  Mariembourg,  de  Charlemont  et  de  Philippeville, 
afin  de  conserver  l'amitié  des  Liégeois  et  de  satisfaire  aux  récla- 
mations du  chapitre. 

Cette  dépêche  était  suivie  d'une  apostille,  écrite  de  la  main 
du  roi,  dans  laquelle  Philippe  II  demandait  à  sa  sœur  s'il  ne 

1  Voir  correspondance  précitée,  t.  Il,  p.  81,  la  lettre  du  roi  à  Marguerite, 
<lu  8  février  1561  <n.  sL,  1562). 


(136) 

serait  pas  utile  avant  tout  de  s'entretenir  des  nouveaux  évêchés 
avec  le  futur  titulaire. 

Après  un  voyage  du  marquis  de  Berghes  à  Liège*,  Margue- 
rite put  donner  de  nouveaux  renseignements  à  son  frère. 
L'évéque,  paraît-il,  s'était  rétabli,  et  le  chapitre  avait  choisi 
quatre  chanoines  pour  régir  la  principauté  avec  les  officiers  du 
prince  ;  quant  à  l'élection  d'un  coadjuteur,  elle  ne  savait  rien, 
sinon  que  Guillaume  de  Poitiers,  Bouchault  et  Gérard  de  Groes- 
beck  faisaient  leurs  diligences  pour  gagner  les  sympathies  de 
leurs  collègues. 

III 

Contrairement  à  l'opinion  du  Conseil  d'Etat,  le  chapitre  dési- 
rait un  coadjuteur,  mais  il  entendait  le  désigner  lui-même.  Le 
20  mars  1562,  les  chanoines  se  concertèrent  avec  le  marquis 
de  Berghes,  et,  le  17  avril,  l'évéque  reçut  le  conseil  de  s'ad- 
joindre un  assistant.  Le  1er  mai,  Gérard  de  Groesbeck  était 
investi  de  ces  importantes  fonctions. 

Quelque  temps  plus  tard,  le  chapitre  tâcha  d'amener  Robert 
à  résigner  Tépiscopat  et  rédigea  un  projet  de  commission  qui 
confiait  à  Gérard  de  Groesbeck  l'autorité  spirituelle  et  tempo- 
relle de  la  principauté. 

Cette  fois  le  marquis  de  Berghes,  qui  défendait  les  intérêts 
de  son  frère,  demanda  à  réfléchir. 

Si  Philippe  II  et  Marguerite  de  Parme  avaient  montré  un 
grand  empressement  à  réclamer  la  nomination  d'un  coadju- 
teur, le  chapitre  cathédral  déploya  une  incroyable  activité 
pour  arracher  à  l'évéque  son  abdication.  On  a  vivement  corn- 
mente  cette  attitude  du  chapitre  à  l'égard  d  un  prince  qu'il 
avait  jadis  recommandé  à  la  faveur  impériale.  Il  est  probable 
que  le  chapitre  voyait  avec  déplaisir  le  trône  épiscopal  occupé 
par  un  prélat  étranger  et  maladif,  dont  les  infirmités  auraient 

1  Dans  sa  lelire  du  17  janvier,  Marguerite  annonce  au  roi  que  le  marquis 
de  Berghes  est  parti  pour  Liège  (correspondance  précitée). 


(  137  ) 

peut-être  fourni  un  prétexte  au  gouvernement  des  Pays-Bas 
pour  intervenir  dans  les  affaires  de  la  principauté.  La  maladie 
de  Fève  que  pouvait  en  effet  provoquer  des  troubles.  Jean  de 
Berghes  séjournait  très  souvent  à  Liège,  et  ce  séjour  du  frère 
du  prélat  dans  la  cité  faisait  naître  les  propos  les  plus  étranges. 
Enfin,  pas  plus  que  son  parent  Corneille,  Robert  de  Berghes 
n'était  populaire.  On  le  soupçonnait  même  d'avoir  été  le  com- 
plice de  Philippe  II  dans  l'érection  des  nouveaux  évêchés. 

Mais  Hubert  tenait  plus  aux  fonctions  sacerdotales  que  Cor- 
neille. Quand  on  lui  demanda  d'abandonner  au  chapitre  le 
choix  de  son  successeur,  il  voulut  tout  au  moins  connaître  le 
nom  de  ce  successeur  ou  le  choisir  parmi  trois  candidats  de  la 
cathédrale.  Cette  proposition  parut  inacceptable  :  les  chanoines, 
qui  redoutaient  l'influence  de  Philippe  II,  n'osaient  confier  à 
Robert  le  soin  de  désigner  son  héritier. 

A  la  fin  les  chanoines  triomphèrent.  Le  6  mars  1S63,  ils  élu- 
rent évêque  te  coadjuteur  Gérard  de  Groesbeck.  Ce  prélat  était 
né  à  Curange,  en  pleine  terre  lossaine;  prêtre  vertueux,  admi- 
nistrateur intègre,  il  était  très  estimé  de  ses  confrères  de  la 
cathédrale  et  plus  à  même  que  personne  de  diriger  une  église 
aussi  importante  que  l'église  de  Liège.  Robert  de  Berghes 
l'agréa,  et  te  pape  ratifia  aussitôt  l'élection  capitulaire  *. 

Robert  fut  prié  de  fixer  un  jour  pour  sa  résignation.  Soutenu 
par  son  frère,  il  opposa  mille  obstacles  à  une  cérémonie  aussi 
humiliante;  mais  le  pape  enjoignit  au  chapitre  de  se  passer  du 
consentement  de  lévêque,  s'il  ajournait  encore  sa  démission. 
Enfin,  après  s'être  entendu  avec  les  chanoines  au  sujet  de  sa 
pension,  Robert  consentit  à  abdiquer,  et,  le  9  avril  1561,  le 
prévôt  de  Saint-Lambert  résigna  en  son  nom  *. 


1  Tous  les  documents  relatifs  a  ta  résignation  de  Robert  de  Itergbes  et  à 
la  nomiiiiiiion  de  Gérard  do  Groesbeck  se  trouvent  aux  Archives  de  l'État  à 
Liège,  dans  les  Bryistres  des  conclusions  capilulaires  de  Saint- Lambert. 
M.  S.  Bormans  en  a  donné  la  substance  dans  le  t.  VII  des  Bulletins  de 
F  Institut  archéologique  liégeois» 

*  Voir  les  documents  précités. 


(138) 

Gérard  de  Groesbeck  avait  donc  été  élu  du  consentement 
unanime  des  chanoines,  et  le  gouvernement  de  Bruxelles  n'avait 
pu  que  constater  le  fait  accompli.  Les  députés,  Jean  d'Aremberg 
et  le  conseiller  d'Indevelde,  envoyés  par  Marguerite  pour  pré- 
parer une  élection  favorable  à  la  politique  espagnole,  avaient 
» 

bientôt  reconnu  la  résolution  immuable  des  chanoines  et 
l'inutilité  de  leur  présence  ;  ils  partirent  de  Liège  avant  le  vote 
final  * . 

Gérard,  nous  l'avons  vu,  ne  figurait  que  le  troisième  sur  la 
liste  des  candidats  de  Philippe  II.  Ce  monarque  avait  inscrit 
en  première  ligne  l'archidiacre  Guillaume  de  Poitiers,  prélat 
d'un  grand  savoir  et  jadis  ambassadeur  de  Charles-Quint  au 
concile  de  Trente.  Gérard  de  Groesbeck  n'était  donc  pas  le 
candidat  de  prédilection  du  gouvernement  du  roi  ce  homme 
traictable,  de  bon  sçavoir  et  de  vie  honoroble  »,  disait  de  lui 
Marguerite  de  Parme,  sans  insister  davantage  sur  les  qualités 
de  ce  prélat  qui  rendit  plus  tard  d'éminents  services  à 
Philippe  11  a. 


1  Voir  Gachird,  Correspondance  de  Marguerite  de  Parme,  l.  II,  p.  490, 
lettre  de  Marguerite  au  roi,  du  14  mars  1565. 

1  Quand  Marguerite  de  Parme  apprit  la  nomination  de  Gérard  de  Groesbeck, 
elle  députa  à  Liège  un  gentilhomme  de  sa  maison  pour  le  féliciter  et  conseilla 
au  roi  d'en  faire  autant.  (Voir  Gacuaiid,  Correspondance  de  Marguerite  de 
Parme,  t.  III,  p.  318,  lettre  du  4  mai  1564.) 

Dans  une  lettre  du  20  juin  de  la  même  année,  Philippe  II  ré|K>ndil  a  sa 
aœur  qu'il  approuvait  son  projet  et  qu'il  féliciterait  le  nouvel  évêque.  Le 
\±  septembre,  Gérard  remercia  le  roi  ci  l'assura  de  son  amitié  (v.  la  note  de 
Gachard). 


(139) 


CHAPITRE  IX. 

Alliance  des  gouverneurs  généraux  des  Pays-Bas  et  de  la 
principauté  de  Liège,  pendant  la  révolution  religieuse  du 
XVIe  siècle. 


I 

Fort  de  l'appui  du  chapitre,  le  nouvel  évêque  prit  les  rênes 
du  gouvernement  avant  d'avoir  reçu  de  l'empereur  l'investiture 
temporelle.  Les  graves  dangers  qui  menaçaient  la  principauté 
autorisaient  cet  acte  irrégulier.  Une  sourde  fermentation  tra- 
vaillait depuis  longtemps  les  Pays-Bas  et  le  pays  de  Liège.  En 
dépit  des  placards  de  Philippe  II  et  de  la  surveillance  minu- 
tieuse des  évêques  et  des  inquisiteurs,  les  réformés  se  multi- 
pliaient et  devenaient  plus  audacieux.  Partout  le  protestantisme 
gagnait  du  terrain  :  Maestricht  *,  le  comté  de  Looz,  principa- 
lement les  bonnes  villes  de  Maeseyck,  de  Hasselt  et  de  Tongres, 
étaient  infectés  des  mêmes  doctrines  que  la  Hollande  et  la 
Zélande;  beaucoup  de  seigneurs  liégeois  partageaient  même 
l'irritation  de  la  noblesse  flamande.  L'avenir  devenait  inquié- 
tant. Une  révolution  se  préparait  dans  les  Pays-Bas,  révolution 
dont  la  principauté  allait  ressentir  le  contre-coup,  comme,  au 
temps  de  Charles-Quint,  elle  avait  souffert  des  invasions  des 
Français  et  des  Gueldrois. 

C'est  du  pays  de  Liège  que  partit  le  premier  coup  contre  la 
tyrannie  de  Philippe  II.  Réunis  à  la  fontaine  de  Spa,  quelques 
seigneurs  belges  y  nouèrent,  en  1566,  cette  confédération, 

1  Sur  les  troubles  de  Maeslrichl,  voir  le  travail  de  M.  Hnbels,  dans  le 
t.  XI,  pp.  347-578,  des  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Limbourg. 


(  140  ) 

appelée  le  Compromis  des  nobles,  qui  groupait  en  un  faisceau  les 
résistances  que  l'intolérance  et  le  despotisme  du  roi  avaient 
suscitées  dans  les  Pays-Bas.  Cette  protestation  contre  les 
placards  et  l'Inquisition  mit  l'évéque  de  Liège  dans  un  cruel 
embarras,  embarras  qui  redoubla  lorsque  quelques  centaines 
de  gentilshommes  néerlandais  se  furent  réunis,  malgré  lui, 
dans  la  ville  lossaine  de  Saint-Trond. 

Le  pillage  des  Iconoclastes  causa  à  Gérard  de  Groesbeek  bien 
d'autres  soucis.  A  une  simple  sédition  de  privilégiés  mécontents 
qui  murmuraient  contre  les  édits  draconiens  du  roi  d'Espagne, 
succédait  une  révolution  populaire  qui  menaçait  d'extirper  le 
catholicisme  et  de  ruiner  la  souveraineté  de  Philippe  II  aux 
Pays-Bas.  L'explosion  calviniste  avait  retenti  de  la  Flandre 
française  jusque  dans  la  Frise,  provoquant  sur  son  passage  la 
dévastation  des  églises  et  la  destruction  de  chefs-d'œuvre 
artistiques  d'une  valeur  inappréciable.  Excités  par  de  fougueux 
sectaires,  les  révoltés  avaient  satisfait  leur  rancune  contre 
l'Église,  prouvé  au  monde  l'ardeur  de  leur  fanatisme  et  suscité 
des  émules  à  l'étranger.  Quelques  mois  après  ces  tristes  événe- 
ments, la  population  de  la  ville  lossaine  de  Hasselt  *,  remuée  par 
les  prédications  d'Herman  Sluyker,  pillera  les  églises,  s'insur- 
gera contre  l'autorité  épiscopale,  et  de  graves  désordres  éclate- 
ront dans  tout  le  comté  deLooz,  une  des  parties  les  plus  riches 
de  la  principauté  de  Liège  2. 

Le  pillage  des  Iconoclastes  fut  une  faute  et  un  malheur. 
Effrayés  des  excès  des  briseurs  d'images,  beaucoup  de  seigneurs 
timorés  rentrèrent  dans  le  parti  du  roi,  et  le  Compromis  des 
nobles  fut  oublié.  Si  Philippe  II  eût  mieux  connu  l'état  de  nos 
provinces,  s'il  eût  écouté  les  avis  d'une  sage  diplomatie  au  lieu 
de  se  laisser  emporter  par  son  zèle  religieux,  il  eût  confirmé 
l'autorité  de  sa  sœur,  accordé  quelques  concessions  aux  mécon- 
tents et  attendu  la  fin  de  l'orage  révolutionnaire.  Divisé  par  les 

*  Sur  les  troubles  de  Hasselt,  voir  Chapeaville,  p.  423,  et  l'élude  de 
M.  Van  Neuss,  archiviste  de  la  ville  de  Hasselt,  insérée  dans  les  Huldins 
de  la  Société  des  Mé  ophiles  de  Hasselt  (section  littéraire,  2e  volume,  1865). 

*  Chapeaville,  p.  426. 


(141) 

partis,  notre  pays  serait  probablement  rentré  dans  Tordre. 
Malheureusement,  le  solitaire  de  l'Escurial  vit  dans  la  révolte 
calviniste  une  manœuvre  scélérate  et  impie,  qu'il  se  crut  tenu 
de  réprimer  avec  une  impitoyable  sévérité.  Le  duc  d'Albe 
fut  investi  du  commandement  militaire  de  nos  provinces,  et 
bientôt  après,  Marguerite  de  Parme,  qui  ne  jouissait  plus  que 
d'une  autorité  illusoire,  sollicita  son  congé.  Les  mesures  san- 
guinaires du  nouveau  gouverneur  exaspérèrent  les  plus  fidèles 
partisans  du  roi  et  provoquèrent  une  terrible  guerre  civile,  qui 
enleva  au  souverain  espagnol  la  partie  septentrionale  de  ses 
États  néerlandais. 

If 

L'audace  des  révoltés,  les  intelligences  qu'ils  s'étaient  ména- 
gées dans  les  villes  liégeoises,  les  promesses  de  secours  qu'ils 
recevaient  de  l'Allemagne,  amenèrent  le  Gouvernement  des 
Pays-Bas  à  s'unir  étroitement  avec  la  principauté  de  Liège. 
Marguerite  de  Parme  et  Gérard  de  Groesbeck  se  renseignèrent 
réciproquement  sur  les  menées  des  hérétiques  et  les  dangers 
qui  menaçaient  leurs  Etats.  Cette  entente  était  d'autant  plus 
nécessaire  que  les  protestants  des  deux  pays  avaient  entre  eux 
de  fréquents  rapports,  et  que  leur  contact  favorisait  le  progrès 
des  doctrines  dissidentes. 

Marguerite  était  impitoyable  pour  les  réformés,  même  pour 
les  réformés  étrangers.  Un  Liégeois,  Jehan  Helias,  avait  été 
arrêté  à  Namur  du  chef  d'hérésie.  Les  bourgmestres,  jurés  et  le 
conseil  de  la  Cité  écrivirent  deux  fois  au  magistrat  de  Namur 
pour  obtenir  la  délivrance  de  leur  compatriote.  Marguerite 
répondit  àl'évéque*  qu'elle  mitigeait  la  sévérité  des  placards  en 
faveur  du  condamné  à  cause  du  bon  voisinage  des  deux  États, 
mais  déclara  nettement  que,  à  l'avenir,  elle  ne  souffrirait  plus 
une  telle  intervention  de  la  part  des  fonctionnaires  liégeois. 

&  Cette  lettre  a  été  publiée  par  M.  Rahlenbeck  dans  le*  pièces  justificatives 
de  son  travail  sur  Y  Église  de  Liège  et  la  révolution,  n*  IX;  elle  se  trouve 
aux  Archives  du  royaume  dans  la  Correspondance  des  éoéques  de  Liège. 


(  143  ) 

C'est  surtout  à  l'époque  des  troubles  suscités  par  les  Icono- 
clastes que  la  correspondance  des  deux  alliés  devint  active. 
Presque  tous  les  jours,  Marguerite  de  Parme  et  l'évêque  de 
Liège  s'écrivaient  au  sujet  de  cette  effervescence  religieuse  qui 
travaillait  leurs  États  respectifs  i . 

Sur  la  demande  de  Gérard  de  Groesbeck,  la  gouvernante 
envoya  à  différentes  reprises  des  députés  à  Maestricht  pour 
seconder  les  commissaires  épiscopaux.  Elle  ordonna  également 
de  mettre  fin  aux  prêches  qui  se  tenaient  dans  plusieurs  localités 
du  petit  duché  de  Limbourg  et  qui  attiraient  à  la  cause  protes- 
tante de  nombreux  prosélytes.  Apprenant  qu'un  habitant  de 
cette  province,  Antoine  Mulckau,  avait  soutenu  des  doctrines 
peu  orthodoxes  dans  une  lettre  à  un  de  ses  coreligionnaires 
liégeois,  elle  ordonna  à  Jean  d'Oostfrise,  gouverneur  de  Fau- 
quemont,  d'arrêter  l'audacieux  sectaire.  Elle  avertit  en  même 
temps  l'évêque  qu'elle  envoyait  le  prisonnier  à  Liège  c<  afin  que 
justice  soit  faite,  ne  s'y  entendant  l'accord  feit  avec  les  gentil* 
hommes  confédérée  afin  que  ceste  affaire  s'achemine  plus 
seurement  et  à  moindre  scrupule  ou  difficulté  2  ». 

On  sait  que  la  gouvernante  avait  du,  le  25 août  1566,  accorder 
d'importantes  concessions  aux  nobles  néerlandais,  entre  autres 
la  suspension  des  poursuites  inquisitoriales.  Elle  s'excusa  de 
cette  indulgence  auprès  du  roi  et  de  l'évêque  de  Liège  3,  allé- 
guant quelle  avait  cédé  à  la  force;  mais  on  voit  que  l'habile 
princesse  avait  trouvé  un  moyen  fort  ingénieux  de  tourner  la 
difficulté  en  confiant  à  un  allié  le  soin  de  punir  les  hérétiques, 
contre  lesquels  elle  n'osait  elle-même  entamer  des  poursuites. 

Cependant  Maeslricht  s'obstinait  dans  sa  rébellion.  Les  prédi- 
cateurs y  devenaient  plus  audacieux,  et  les  bourgeois  refusaient 
de  recevoir  les  troupes  épiseopales.  Marguerite  conseilla  à 


1  Voir  aux  A  relises  du  royaume  la  Correspondance  des  évéques  de  Liège. 

1  Aun'ei  les  bchjiiuvs  :  lettre  de  Marguerite  de  Parme  à  Gérard  de  Groes- 
beck, du  i)  sfptinttie  1506  et  Rahlekbeck  ,  loc.  cit.,  pp.  139  as. 

'  Anahti>8  be  >j  (jucs  :  lettre  de  Marguerite  de  Parme  à  Gérard  de  Groes- 
beck, du  2G  aoùUSÔtf.  ...... 


(  143  ) 

Gérard  de  se  rendre  en  personne  dans  la  commune  révoltée,  et, 
de  son  côté,  elle  y  envoya  deux  commissaires,  Jacques  Boonen 
et  le  baron  de  Liedekerke.  Ce  dernier  fut  moins  heureux  que 
son  compagnon.  Invité  par  les  bourgeois  à  communiquer  ses 
instructions  et  s'y  étant  refusé,  il  ne  put  entrer  dans  la  ville  *. 

Le  4  janvier  de  l'année  suivante,  Marguerite  avertit  Gérard 
que  les  Gueux  projetaient  de  se  réunir  à  Saint-Trond.  Gérard 
répondit  que  les  habitants  de  cette  localité  étaient  animés  de 
bons  sentiments,  et  que  lesdits  Gueux  avaient  tort  de  «  compter 
sur  la  plus  saine  partie  de  la  ville  de  Liège  »  comme  ils  le 
criaient  partout  2. 

La  contagion  révolutionnaire  avait  gagné  la  petite  commune 
de  Maeseyck.  L'évêque  l'ayant  priée  d'interdire  toute  commu-  »■ 
nication  entre  ses  États  et  la  ville  rebelle,  Marguerite  transcrivit 
sa  demande  au  comte  de  Meghem,  gouverneur  de  la  Gueldre,  et 
à  Jean  d'Oostfrise,  comte  d'Emden,  gouverneur  de  Fauquemont. 

Le  19  janvier,  ce  fut  le  tour  de  Hasselt.  Travaillée  depuis 
longtemps  par  des  prédicateurs  audacieux,  tels  que  Jean  Van 
Vleminck  et  Herman  Stuycker,  cette  ville,  la  plus  importante 
commune  du  comté  de  Looz,  vit  se  renouveler  dans  ses  murs 
les  scènes  de  vandalisme  qui  avaient  marqué  le  triomphe  des 
calvinistes  dans  les  communes  des  Pays-Bas.  Les  églises  furent 
dévastées,  les  catholiques  proscrits,  l'autorité  du  princc-évôque 
et  des  magistrats  méconnue.  Ni  les  exhortations  de  Gérard  de 
Groesbeck,  ni  la  condamnation  prononcée  contre  eux  par  la 
haute  Cour  de  Liège,  ne  firent  rentrer  les  rebelles  dans  le 
devoir.  L'évêque  dut  bloquer  la  ville  pour  la  soumettre.  Il  lui 
imposa  une  capitulation  peu  sévère.  Dans  de  pareilles  circon- 
stances, Erard  de  la  Marck  eût  fait  pendre  tous  les  fauteurs  de 
troubles;  Gérard  se  borna  à  établir  une  garnison  et  à  chasser 
les  predicants. 

La  soumission   de   Hasselt  entraîna  celle  de  Maestricht. 


1  Analccles  belgiques  :  lettre  de  Marguerite  à  Gérard  de  Gwsb<xk,  du 
S  décembre  1566  et  rapport  de  Liedekerke  à  la  gouvernante,  du  28  décembre. 
1  Lettre  de  Gérard  à  Marguerite  de  Parme,  du  7  janvier  1567. 


(  144  ) 

Marguerite  de  Parme  avait  député  à  Liège  le  conseiller,  Jacques 
de  la  Torre,  pour  avertir  l'évêque  que  les  troupes  de  No i réarmes, 
renforcées  des  contingents  limbourgeois,  marchaient  contre 
Maestricht.  En  conséquence,  elle  le  priait  de  confier  le  com- 
mandement de  ses  soldats  au  général  des  Pays-Bas;  de  donner 
passage  par  ses  villes,  même  par  la  Cité,  si  c'était  nécessaire  ; 
de  souffrir  que,  le  siège  terminé,  une  garnison  séjournât  dans 
la  commune  rebelle. 

Gérard  répondit  k  Marguerite  que  Maestricht  venait  de  se 
soumettre  et  qu'il  était  inutile  d'y  envoyer  des  troupes  *.  Les 
soldats  de  Philippe  II  n'entrèrent  pas  moins  dans  la  ville,  en 
dépit  des  assurances  de  l'évêque;  celui-ci  ne  put  que  protester 
contre  un  ordre  qui  portait  atteinte  à  ses  droits  de  souverain. 
Il  est  vrai  qu'un  accord  intervint  bientôt  après  entre  les  deux 
États  et  que  le  nouveau  commandant  de  la  place,  le  comte 
d'Eberstein,  dut  prêter  serment  de  fidélité  au  prince  de  Liège  *. 


III 

Quelques  mois  après  la  soumission  des  villes  flamandes  de 
la  principauté,  Marguerite  et  le  duc  d'Àlbe,  qui  partageait  avec 
la  sœur  du  roi  le  gouvernement  des  Pays-Bas,  envoyèrent  à 
Liège  le  conseiller,  Jean-Baptiste  Berty3,  pour  attirer  l'attention 
du  prince  sur  les  dangers  qui  menaçaient  ses  États  et  ceux  de 
Sa  Majesté,  le  roi  Catholique.  Des  mouvements  hostiles  se  pré- 
paraient en  France  et  en  Allemagne,  et-  des  troubles  étaient 
imminents  dans  la  vallée  de  la  Meuse.  Beaucoup  de  gentils- 
hommes liégeois  avaient  signé  le  Compromis.  Très  peu,  au  con- 


1  Sur  tous  ces  événements,  voir,  dans  les  Analectes  belgiques,  les  lettres  de 
Gérard  de  Groesbeck  et  de  Marguerite  de  Parme,  du  14  janvier  au  8  avril  1567. 

1  Louvrex,  1™  partie,  p.  229.  Rahlknbeck,  V Église  de  Liège  et  la  révo- 
/utton,  dix-neuvième  pièce  justificative. 

*  Instruction  et  rapport  du  secrétaire  d'Étal  Berty,  envoyé  à  Liège  le 
24  septembre  1567,  publiée  par  Gachard  dans  les  Bulletins  de  la  Commisse 
royale  d'histoire,  o™  série,  l.  III,  pp.  395  et  suiv. 


(  145  ) 

traire,  avaient  accompagné  l'évêque  dans  son  expédition  contre 
Hasselt.  Comme  Maeseyck,  cette  ville  n'était  pas  encore  pacifiée. 

Les  populations  de  Liège,  de  Huy,  de  Saint-Trond,  penchaient 
depuis  longtemps  vers  les  nouvelles  doctrines  et  n'attendaient 
peut-être  qu'une  occasion  pour  marquer,  comme  les  sujets  de 
Sa  Majesté,  leurs  véritables  sentiments.  Si  jusqu'alors  elles 
s'étaient  tenues  tranquilles,  c'était  à  cause  de  la  surveillance 
active  du  clergé  et  des  autorités  locales.  La  présence  à  Liège  du 
seigneur  de  Lummen  *  pouvait  exciter  des  troubles,  car  ce  per- 
sonnage avait  enrôlé  des  soldats  et  tachait  de  soulever  la  foule. 

Marguerite  et  le  duc  recommandaient  ensuite  à  Gérard  de 
Groesbeck  de  surveiller  la  conduite  de  ses  officiers.  Le  sei- 
gneur de  Lavaux  2  Sainte-Anne,  capitaine  de  Bouillon,  avait 
signé  le  Compromis  et  entraîné  par  son  exemple  d'autres  nobles 
dans  le  parti  de  l'opposition.  Le  capitaine  de  Huy,  Claude  de 
Rougrave,  seigneur  de  Monfrin,  réunissait  souvent  ses  parents 
et  ses  amis,  personnages  assez  suspects,  car  l'épouse  du  sire  de 
Béto,  l'un  d'eux,  Marie  Ghœr,  dame  d'Onstein,  avait  autrefois 
introduit  un  prédicateur  à  Maestricht;  elle  habitait  alors  à 
Liège  avec  son  mari,  ledit  sire  de  Béto.  Catherine  de  Bathen- 
borgh,  dame  de  Vogelsanck,  avait  hébergé  un  prédicateur  à 
Hasselt  et  favorisé  la  rébellion  dans  cette  cité;  elle  continuait 
d'assister  les  réformés  et  de  recueillir  les  fugitifs. 

Marguerite  et  le  duc  assuraient  que  le  sire  de  Béto  et  quelques 
autres  de  ses  amis  étaient  calvinistes  ;  ils  ne  pouvaient  donc  se 
dire  luthériens  et  réclamer  les  bénéfices  de  la  paix  de  religion 
de  1553,  qui  permettait  aux  sujets  des  princes  catholiques, 
appartenant  à  la  confession  d'Augsbourg,  de  réaliser  leurs 
biens  et  d'émigrer.  Enfin  les  gouverneurs  généraux  des  Pays- 
Bas  prévenaient  notre  évéque  du  danger  dont  il  serait  menacé, 


1  Guillaume  de  la  Marck,  seigneur  de  Lummen,  fils  de  ce  Jean  de  la  Marck 
dont  nous  avons  parlé  au  chapitre  VI. 

*  D'après  Backhuizbn  va*  den  Briisck  {Sludien  en  schetsen  over  vadrr- 
lands  geschiedenis ,  liW  deel,  2d«  stuck),  ce  seigneur  Del  Vaux,  comme  écrit 
Berly,  serait  Érard  de  Mérode,  fils  cadet  de  Henri  de  Mérode. 

Tome  XLL  10 


(  146  ) 

si  les  ennemis  du  roi  réfugiés  en  France  et  en  Allemagne  se 
concertaient  dans  le  pays  de  Liège  avec  les  exilés  des  Pays-Bas, 
ils  le  requéraient  donc  d'interdire  tout  conventicule  et  de 
veiller  particulièrement  aux  forteresses,  «  avoir  singulier  esgard 
sur  ces  fortz,  comme  chose  si  importante  et  dont  si  grand 
danger  pourrait  succéder  par  mesgarde.  » 

Ce  précieux  document  prouve  que  le  Gouvernement  des 
Pays-Bas  était  admirablement  informé  des  moindres  événe- 
ments du  pays  de  Liège,  à  telles  enseignes  qu'il  connaissait 
les  pratiques  secrètes  de  petits  seigneurs,  même  la  secte  reli- 
gieuse à  laquelle  ils  appartenaient! 

Le  27  septembre,  Jean-Baptiste  Berty  arrivait  à  Liège  et,  le 
lendemain,  il  obtint  une  audience  du  prince-évêque.  Gérard  de 
Groesbeck  le  remercia  *  avec  la  plus  grande  courtoisie  pour  les 
preuves  d'amitié  qu'il  recevait  du  Gouvernement  des  Pays-Bas. 
Il  lui  déclara  qu'il  regrettait  que  quelques-uns  de  ses  vassaux 
eussent  adhéré  au  Compromis,  qu'il  avait  marqué  à  plusieurs 
d'entre  eux  son  mécontentement  à  cet  égard,  qu'il  n'avait  hésité 
à  prendre  des  mesures  rigoureuses  que  par  crainte  d'enve- 
nimer la  situation  déjà  si  troublée  de  son  pays,  que  plusieurs 
des  seigneurs  incriminés  étaient  justiciables  des  tribunaux 
néerlandais,  que,  lorsqu'il  aurait  recueilli  des  preuves  suffi- 
santes, il  informerait  contre  les  délinquants  et  s'adjoindrait 
volontiers  un  avocat  du  roi  pour  les  poursuivre. 

Il  reconnaissait  que  peu  de  nobles  l'avaient  suivi  au  siège  de 
Hasselt,  que  le  calme  n'était  pas  encore  tout  à  fait  rétabli  ni 
dans  cette  ville,  ni  à  Maeseyck  ;  mais  il  ajoutait  qu'il  avait  donné 
depuis  lors  des  mandements  très  sévères  exigeant  des  étrangers 
la  production  d'un  certificat  d'origine,  ordonné  à  ses  officiers 
de  ne  tolérer  dans  leurs  circonscriptions  ni  hérétiques  ni  feu- 

_  » 

teurs  de  troubles,  qu'il  se  proposait  de  soumettre  ses  Etats  à 
une  revue  minutieuse  et  d'expulser  les  réformés,  en  se  confor- 
mant au  texte  de  la  paix  de  religion  de  1555. 
La  capitulation  de  Hasselt  et  de  Maeseyck,  continuait-il,  avait 

*  Voir  l'instruction  donnée  au  conseiller  Berty. 


(  147  ) 

rétabli  la  tranquilité  à  Saint-Trond  et  dans  d'autres  villes,  et 
l'arrestation  d'un  certain  personnage  «  d'esprit  très  malain  qui 
troublait  toute  la  cité  »  ramené  le  peuple  liégeois  à  la  religion 
de  ses  pères.  Il  convenait  des  violences  du  seigneur  de  Lummen  ; 
s'il  ne  l'avait  pas  décrété  d'arrestation,  c'est  qu'il  devait,  aux 
termes  des  coutumes  liégeoises,  se  livrer  à  une  information 
préparatoire  et  recueillir  des  preuves  confirmées  par  trois 
témoins.  Il  avait  déjà  commencé  l'instruction,  et,  bien  que  le 
coupable  se  fût  réfugié  à  Metz,  il  promettait  de  le  poursuivre. 

S'il  avait  blâmé  le  seigneur  de  Lavaux-Sainte-Anne,  capitaine 
de  Bouillon,  pour  sa  participation  à  la  ligue  des  nobles,  il 
n'osait  informer  contre  lui  sans  l'assentiment  du  chapitre  et 
des  états,  auprès  (lesquels  cet  officier  jouissait  d'un  certain 
crédit.  11  n'avait  rien  appris  de  grave  sur  le  compte  du  gou- 
verneur de  Huy,  mais  se  proposait  de  renoncer  à  ses  services. 
Il  avait  même  réduit  ses  gages  de  1500  à  800  florins  par  an. 
Le  seigneur  de  Béto  et  son  épouse,  Marie  Ghœr,damed'Onstein, 
avaient  reçu  l'ordre  de  quitter  le  pays,  dans  un  délai  déterminé. 
En  vain  avaient-ils  réclamé  une  prolongation  de  terme  afin  de 
réaliser  leurs  biens  plus  facilement;  en  vain  avaient-ils  sollicité 
un  rescrit  impérial  en  leur  faveur,  la  loi  serait  respectée. 

Quant  à  la  dame  Vogelsanck,  il  est  vrai  qu'elle  avait  commis 
des  folies;  et,  quoiqu'on  ne  pût  encore  articuler  contre  elle 
aucun  fait  précis,  sinon  qu'elle  voulut  introduire  une  charrette 
de  farine  dans  la  ville  de  Hasselt  assiégée,  son  procès  ne  serait 
pas  abandonné. 

A  ces  déclarations  Berty  répondit  que  les  investigations  de 
Marguerite  témoignaient  à  la  fois  de  l'inquiétude  et  de  l'affection 
que  ressentait  le  roi  catholique  pour  la  principauté.  L'évêque 
pouvait  toujours  compter  sur  le  dévouement  de  Philippe  IL 
Au  plus  fort  des  troubles,  ce  prince  ne  lui  avait-il  pas  prêté  son 
concours  pour  réduire  la  ville  de  Hasselt,  et  cette  assistance  eût 
encore  été  plus  efficace,  si  la  révolte  de  Valenciennes  et  l'attaque 
d'Austruweel  *  n'avaient  réclamé  une  partie  des  forces  royales? 

1  C'est  dans  celte  prise  d'armes  que,  le  6  mars  1567,  Jean  de  Maruix, 


(148) 

Quant  à  lui,  il  n'était  pas  venu  à  Liège  pour  exiger  du  prince 
une  enquête  contre  ses  propres  sujets  ni  même  contre  les 
sujets  du  roi  réfugiés  dans  la  principauté,  mais  pour  signaler 
les  dangers  qui  menaçaient  Sa  Grâce,  si  les  ennemis  de  France 
et  d'Allemagne  se  concertaient  avec  les  exilés  liégeois,  et  la 
requérir  de  veiller  au  salut  de  son  propre  pays. 

Quelques  jours  plus  tard,  l'évêque  eut  un  nouvel  entretien 
avec  Berty.  Il  lui  apprit  que  le  capitaine  de  Bouillon  s'était 
plaint  amèrement  des  soupçons  dont  il  était  l'objet,  prétendant 
qu'il  n'avait  signé  que  la  première  requête  des  nobles  et  que, 
dans  la  suite,  il  n'avait  plus  participé  à  leurs  réunions,  ni  à 
Saint-Trond  ni  ailleurs  ;  cette  déclaration  faite,  l'officier  froissé 
lui  avait  remis  sa  démission.  Gérard  ne  savait  quel  parti  prendre 
et  demandait  conseil  à  Berty.  En  diplomate  prudent,  celui-ci 
s'en  rapporta  à  la  sagesse  du  prélat. 

Peu  de  temps  après,  le  même  Berty  apprit  encore  que  Gérard, 
sur  l'avis  de  son  conseil  privé,  allait  confier  la  garde  du  château 
de  Bouillon  à  son  maître  d'hôtel.  Satisfait  de  ces  nouvelles, 
l'ambassadeur  belge  retourna  à  Bruxelles. 


IV 

L'année  suivante,  le  duc  d'Albe  se  prépara  à  combattre  le 
Taciturne.  Plus  avisé  que  d'Ëgmont,  celui-ci  s'était  retiré  en 
Allemagne  â  l'arrivée  du  gouverneur  espagnol  et  y  avait  recruté 
une  armée  pour  délivrer  les  Pays-Bas  de  la  tyrannie  étrangère. 
D'Albe  projeta  de  prévenir  l'invasion  de  son  ennemi.  Il  expédia 
sur  le  territoire  liégeois  ses  cavaliers  espagnols  et  italiens  avec 
l'infanterie  milanaise  et  tâcha  d'y  enrôler  des  soldats4.  Le 
comte  de  Berlaymont  pria  le  prince-évéque  et  la  Cité  de  fournir 
des  bateaux  au  général,  pour  lui  permettre  de  franchir  la 

seigneur  de  Tholouse,  fut  Lue  avec  la  plupart  de  ses  compagnons.  (Voir  l'in- 
troduction de  Gachard  au  tome  II  de  la  Correspondance  de  Guillaume  U 
Taciturne,) 

1  Voir  Chape  a  ville,  loc.  cit.y  p.  431. 


(  149  ) 

Meuse  dans  les  environs  d' Ancienne  ;  cette  demande  fut  aussi- 
tôt agréée  *.  En  acquiesçant  aux  désirs  du  comte,  le  prince- 
évéque  respectait  le  pacte  de  1518.  Les  Pays-Bas  étaient 
menacés  par  les  Gueux,  et,  aux  termes  du  traité  d'alliance  qui 
unissait  les  deux  États,  le  souverain  liégeois  devait  prêter  son 
concours  au  lieutenant  du  roi  d'Espagne. 

L'armée  royale  changea  de  direction,  et,  au  lieu  de  passer  la 
Meuse,  marcha  vers  le  nord  pour  protéger  la  Frise.  Le  comte 
Louis  de  Nassau  avait  envahi  ce  pays  et  infligé  aux  troupes 
royales,  commandées  par  le  gouverneur  Jean  d'Aremberg,  un 
désastre  retentissant.  Cet  échec  fut  réparé  par  le  duc  d'Albe,  et 
le  frère  du  Taciturne,  battu  à  son  tour  à  Jemmingen,  dut  se 
réfugier  en  Allemagne.  Le  duc  d'Albe  échelonna  ses  troupes  le 
long  de  la  Meuse  pour  barrer  le  passage  au  prince  d'Orange 
dont  l'armée  voulait  à  son  tour  envahir  nos  provinces.  Il  avertit 
en  même  temps  l'évèque  des  préparatifs  du  Taciturne  et  de 
l'invasion  imminente  de  la  principautés;  l'engagea  à  prendre 
de  promptes  mesures  de  défense,  à  procurer  des  vivres  ù  ses 
troupes,  à  refuser  toute  subsistance  aux  ennemis,  à  veiller  à  la 
garde  des  forteresses.  Le  22  août  3,  il  écrivit  à  Gérard  qu'il 
allait  employer  son  infanterie  wallone  et  proposa  de  la  loger 
à  Tongres,  s'engageant  à  rembourser  les  frais  et  à  imposer 
une  sévère  discipline  à  ses  troupes. 

L'évêque,  nous  le  savons,  devait  fournir  son  concours  au 
général  espagnol.  L'article  4  du  traité  de  1518  *  enjoignait  aux 
deux  États  alliés  de  se  prêter  aide  mutuelle,  soit  pour  repousser 
leurs  ennemis  communs,  soit  pour  assiéger  une  ville.  Mais  il 
répugnait  au  prince  de  remettre  une  forteresse  aux  troupes  du 


*  Voir  Chapeavillk,  loc.  cit.,  p.  431. 

s  Leltre  du  duc  d'Albe  à  Gérard  de  Groesbeck,  du  10  août  1568,  publiée 
par  Gâcha  ni  dans  le  tome  III  de  la  Correspondance  de  Guillaume  le  Tani- 
turne.  Toutes  ces  lettres  sont  extraites  des  deux  volumes  de  la  Correspon- 
dance des  évéques  de  Liège  (Archives  du  royaume). 

5  Voir  Gachard,  correspondance  précitée. 

*  Voir  plus  haut,  chapitre  H,  p.  29. 


(  480  } 

duc  dont  il  connaissait  la  férocité.  Il  déclina  ses  propositions 
en  prétextant  la  misère  du  pays  de  Tongres,  qui  avait  déjà  tant 
souffert  de  la  présence  de  la  gendarmerie  flamande,  et  en  pré- 
tendant qu'il  ne  pouvait  livrer  une  forteresse  sans  l'assentiment 
des  états  i. 

Cette  réponse  évasive  caractérise  Gérard  de  Groesbeck. 
Timide,  trop  timide  même  pour  des  temps  aussi  troublés,  ce 
prélat  était  quelquefois  pris  de  scrupules,  quand  il  aurait  dû 
agir  énergiquement.  Il  voulait  contenter  tout  le  monde  et,  le 
plus  souvent,  il  ne  contentait  personne.  Morillon  n'avait  pas 
tout  à  fait  tort,  quand  il  écrivait  à  Granvelle,  quoique  sur  un 
ton  assez  méchant  :  «  il  n'est  à  croire  comme  ledict  seigneur  de 
Liège  est  peu  estimé  de  son  peuple  et  moingz  de  la  noblesse, 
quia  dum  omnibus  vult  placere,  displicet  et  parum  bene  audit 
de  religione  ».  Disons,  à  l'honneur  du  prélat,  que  rien  ne  justi- 
fiait cette  dernière  opinion  2. 

Peu  satisfait  des  hésitations  de  notre  évêque,  le  duc  députa 
vers  lui  François  de  Halewin,  seigneur  de  Zweveghem,  pour 
lui  marquer  que  les  troupes  royales  seules  pouvaient  défendre 
la  principauté  et  pour  demander  l'autorisation  d'introduire  ses 
soldats  dans  les  forteresses  liégeoises,  à  condition  que  ceux-ci 
prêtassent  serment  de  fidélité  au  souverain  du  pays  3. 

La  marche  rapide  du  prince  d'Orange,  la  prise  de  Tongres  et 
de  Saint-Trond,  firent  taire  les  répugnances  de  Gérard.  Il 
promit  de  punir  les  traîtres,  permit  même  au  duc  d'installer 
ses  troupes  dans  les  villes  liégeoises,  sous  la  réserve  du  ser- 
ment 4.  Le  chapitre  approuva  cette  mesure  extrême  et  autorisa 
les  capitaines  de  Dinant,  de  Huy,  de  Stockheim  et  de  Franchi- 
mont  à  ouvrir  leur  citadelle  aux  alliés  3. 

1  Lellie  de  Gérard  au  duc  d'Albe,  du  24 août  1568 (correspondance  précitée). 

*  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  t.  111,  lettre  de  Morillon,  du 
H  septembre  1569. 

:  Gachard,  Correspondance  de  Guillaume  le  Taciturne,  t.  III,  lettre  dn 
duc  d'Albe,  du  4  septembre  1568. 

1  Recueil  précité:  lettre  de  Gérard  au  duc  d'Albe,  du  17  octobre  1568. 

5  Recueil  précité  :  lettre  de  Gérard  au  duc  d'Albe,  du  35  octobre  1568. 


(  131  ) 

On  se  croyait  en  sûreté  quand  le  mouvement  rétrograde  du 
Taciturne  jeta  l'alarme  dans  la  Cité.  Gérard  supplia  le  gouver- 
neur espagnol  de  protéger  la  petite  ville  de  Huy  et  lui  demanda 
un  renfort  de  six  enseignes  pour  défendre  la  capitale  *.  Le 
même  jour,  à  minuit,  il  réitéra  son  appel  en  termes  plus  pres- 
sants. Heureusement,  le  Taciturne  battit  en  retraite,  et,  le 
5  novembre,  Gérard  put  annoncer  la  délivrance  de  la  Cité,  que 
l'ennemi,  ajoutait-il  triomphalement,  avait  fait  semblant 
d'assiéger  2. 


De  son  côté,  le  prince  d'Orange,  dont  l'influence  était  grande 
auprès  des  réformés  liégeois,  avait  sollicité  le  concours  de  la 
principauté.  De  son  camp  de  Wittem,  il  demanda  aux  Liégeois 
l'autorisation  de  passer  la  Meuse.  D'après  Chapeaville  «*,  le 
messager  du  prince,  arrivé  à  la  porte  d'Amercœur  et  entouré 
d'une  foule  curieuse,  aurait  répondu  insolemment  au  maïeur 
qu'il  n'avait  rien  à  démêler  avec  lui  ni  avec  le  prince-évêque, 
mais  qu'il  voulait  remettre  ses  dépêches  au  conseil  communal. 
Il  espérait  ainsi  semer  la  discorde  entre  l'évêque  et  ses  sujets. 

Le  Taciturne  avait  en  effet  compté  sur  les  sympathies  que 
les  réformés  liégeois  et  les  ennemis  du  duc  d'Albe  éprouvaient 
pour  sa  cause.  Le  général  espagnol  était  exécré  dans  nos  pro- 
vinces, où  ses  soldats  commettaient,  surtout  en  Hesbaye  et  en 
Condroz,  des  rapines  inouïes;  on  lui  prêtait  même  le  dessein 
de  s'emparer  de  Liège  et  de  séculariser  la  principauté  *. 

La  réponse  du  Conseil  de  la  Cité  ne  pouvait  être  douteuse  : 
les  conseillers  devaient  respecter  le  pacte  de  1518  et  refuser  le 
passage  de  la  Meuse  au  Taciturne.  Ils  répondirent  donc  au 
prince  par  une  fin  de  non  recevoir  très  diplomatique,  en  allé- 

1  Recueil  précité  :  lettres  de  Gérard  au  duc  d'Albe,  du  31  octobre  et  du 
3  uovembre  1568. 

*  Recueil  précité  :  lettre  de  Gérard  au  duc  d'Albe,  du  5  novembre  1568. 

5    ClIAPEAVII.LK,  lOC.  Cit.,  p.  457. 

1  Voir  Chapfaville,  p.  456. 


(  152  ) 

guant  qu'ils  ne  pouvaient  résoudre  une  question  si  grave  sans 
consulter  les  états. 

Le  Taciturne  essuya  le  même  refus  de  la  part  des  autorités 
de  Maestricht.  Le  magistrat  déclina  ses  propositions  d'alliance, 
et  le  courrier  du  prince  fut  même  pendu  par  ordre  du  duc 
d'Àlbe  sous  les  murs  de  la  ville. 

Contrairement  aux  prévisions  du  général  espagnol,  Guillaume 
de  Nassau  franchit  la  Meuse,  au  gué  de  Stockheim.  Il  envahit  le 
comté  de  Looz,  et,  comme  nous  l'avons  dit,  s'empara  de  Tongres 
et  de  Saint-Trond.  Quelques  pertes  que  lui  infligea  le  général 
espagnol  et  l'indifférence  des  villes  brabançonnes  le  détermi- 
nèrent à  battre  en  retraite.  C'est  alors  qu'il  tenta  de  repasser 
la  Meuse  à  Liège  pour  se  retirer  en  Allemagne.  Le  magistrat 
lui  opposa  le  même  refus  que  la  première  fois,  et  l'armée  des 
Gueux  entreprit  inutilement  le  siège  de  la  Cité  *.  Le  Taciturne 
dévasta  les  environs  et  prit  la  route  de  la  France  par  le  mar- 
quisat de  Namur,  le  Hainaut  et  le  Cambrésis^. 

L  agitation  provoquée  dans  le  pays  de  Liège  par  les  héré- 
tiques et  la  guerre  civile  qui  désolait  les  Pays-Bas,  n'altérèrent 
pas  les  relations  diplomatiques  des  deux  Etats.  Le  duc  d'Albe 
promit  à  l'évêque  l'appui  du  roi  pour  le  cas  où  il  ambitionne- 
rait le  chapeau  de  cardinal,  et  un  traité,  conclu  le  24  août  1569  3, 
confirma  l'alliance  de  1518,  en  réglant  quelques  difficultés  qui 
n'avaient  pu  encore  être  aplanies.  Il  stipulait  que  les  futures 
contestations  seraient  résolues  par  quatre  arbitres  choisis  par 
les  deux  parties,  et,  en  cas  de  désaccord  de  ceux-ci,  par  un 
surarbitre  ou  par  le  duc  de  Lorraine. 

Quand  Philippe  II  voulut  ériger  un  évêché  dans  le  duché  de 


1  Voir  la  page  précédente. 

1  Sur  l'invasion  du  Taciturne  dans  la  principauté,  consulter  les  Mémoires 
de  Bernardin  de  Mendoça,  édiles  dans  les  Mémoires  de  h  Société  de 
l'histoire  de  Belgique,  par  le  général  baron  Guillaume,  el  la  relation  du 
secrétaire  d'étui  (lourieville  publiée  par  Gachahd  dans  lr  tome  Ili  de  la 
Correspondante  de  Guillaume  h  Taciturne. 

3  LoivRtx,  lre  partie,  p.  2.30. 


(153) 

Luxembourg,  il  chargea  Fonck,  prévôt  d'Utrecht,  de  s'entendre 
au  préalable  avec  les  prélats  intéressés  :  les  archevêques  de 
Cologne  et  de  Trêves  et  l'évéque  de  Liège. 

Le  roi  d'Espagne  dépouillait  ainsi  cette  duplicité  qui  avait 
tant  froissé  le  chapitre  sous  le  règne  de  Robert  de  Berghes  ; 
mais  il  ne  retrouva  plus  le  succès  qui  avait  couronné  ses  pre- 
mières négociations.  L'évéque  de  Liège  se  plaignit  auprès  du 
souverain  pontife  des  visées  ambitieuses  du  roi  d'Espagne 
et  des  torts  que  son  église  éprouverait,  si  on  donnait  encore 
satisfaction  à  ce  monarque;  grâce  à  ses  démarches  oppor- 
tunes Gérard  de  Groesbeek  conserva  sa  juridiction  dans  le 
Luxembourg  1. 

VI 

L'histoire  des  relations  de  don  Louis  de  Requesens  avec  la 
principauté  de  Liège  offre  peu  de  faits  remarquables.  En  1574, 
le  nouveau  gouverneur  défendit  aux  Liégeois  d'accorder  le 
passage  par  leur  territoire  au  comte  Louis  de  Nassau  2.  Ce  jeune 
prince,  le  Bayard  de  la  Réforme,  n'obtint  pas  plus  de  succès 
que  le  Taciturne,  quand  il  voulut  entrer  en  rapport  avec  le 
magistrat  de  Liège  3.  Peu  de  temps  après,  il  trouva  une  mort 
héroïque  dans  la  bruyère  de  Mook. 

Don  Louis  de  Requesens  avait  une  double  mission  :  sou- 
mettre les  provinces  insurgées,  la  Hollande  et  la  Zélande,  et 
tâcher  de  réconcilier  les  réformés  avec  Philippe  IL 

L'évéque  de  Liège  travailla  sincèrement  au  triomphe  du 
gouverneur  espagnol.  Aussi,  quand  ce  dernier  voulut  entamer 
des  négociations  avec  le  prince  d'Orange,  il  reconnut  qu'il  ne 
pouvait  mieux  faire  que  de  confier  à  Gérard  de  Groesbeek  une 


1  Dabis,  Histoire  du  diocèse  et  do  la  principauté  de  Liège,  pp.  381  el  suiv. 

*  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  L  V,  lettre  de  Morillon  du 
25  février  1574. 

3  Correspondance  de  Philippe  //,  t.  III,  n°  1308  :  lettre  de  Requesens  au 
roi,  du  5  mars  1574 


(  154) 

affaire  aussi  délicate.  Il  députa  à  Liège  le  professeur  de  Louvain, 
le  célèbre  Elbertus  Leoninus,  pour  prier  notre  prélat  de  le 
mettre  en  rapport  avec  le  Taciturne  *. 

Gérard  de  Groesbeek  était  vivement  intéressé  à  voir  la  fin  de 
cette  longue  guerre  civile.  Son  pays  souffrait  affreusement  des 
maux  engendrés  par  ces  hostilités  incessantes,  ses  sujets  lui 
reprochaient  en  outre  de  ne  pas  avoir  exigé  la  compensation 
territoriale  due  à  la  principauté  par  le  gouvernement  de 
Bruxelles,  à  la  suite  de  l'érection  des  forteresses  de  Mariem- 
bourg,  de  Philippeville  et  de  Charlemont,  et  d'avoir  consenti  à 
l'occupation  de  Maestricht  par  les  troupes  royales.  Ces  disposi- 
tions peu  bienveillantes  étaient  alimentées  par  les  seigneurs 
protestants  de  l'Allemagne,  dont  quelques-uns  avaient  même 
proposé  à  l'évêque  d'embrasser  la  réforme  et  de  séculariser  son 
diocèse  2.  En  outre,  Gérard  avait  dû  s'imposer  de  grands  sacri- 
fices pécuniaires,  et  son  ambassadeur  à  Bruxelles,  Lœvinus 
Torrentius,  insistait  pour  obtenir  en  faveur  du  prélat  ruiné 
une  pension  de  plusieurs  milliers  d'écus  assignée  sur  les  églises 
d'Espagne  qui  deviendraient  vacantes  3.  Cette  récompense,  au 
dire  de  Requesens  et  de  Roda,  lui  serait  plus  agréable  que  le 
chapeau  de  cardinal,  attendu  qu'il  n'était  pas  assez  riche  pour 
mener  le  train  de  maison  ni  pour  s'entourer  du  faste  d'un 
membre  du  sacré  collège  *. 

Non  seulement  le  grand  commandeur  et  le  licencié  Hiero- 
nimo  Roda  recommandaient  l'évêque  de  Liège  à  la  munificence 
de  Philippe  II,  mais  le  cardinal  de  Granvelle,  alors  à  Rome, 
profitait  de  chaque  occasion  pour  lui  témoigner  sa  sympathie. 
Déjà  en  1564,  il  informait  Philippe  II  que  si  d'autres  ne  le 

1  Correspondance  de  Philippe  II,  t.  III,  n°  1357  :  leiire  de  Reques**ns  an 
roi.  du  12  juin  1374. 

1  Voir  la  leltre  du  25  septembre  1574  de  Requesens  au  roi  (correspondance 
précitée,  n°  1401)  ei  la  leltre  du  1er  juillet  1576  de  Hieronimo  Roda  au  roi 
(correspondance  précitée,  U  IV,  p.  1G47). 

*  Voir  la  lettre  de  Roda  précitée  et  la  lettre  du  17  août  1575,  de  Reque*eos 
au  roi  (correspondance  précitée,  n°  1500). 

*  Voir  la  lettre  de  Roda  précitée. 


(  185  ) 

gâtaient,  Gérard  serait  un  bon  serviteur  du  roi  *.  L'année  sui- 
vante, il  écrivait  à  Gonçalo  Perez,  ministre  espagnol,  que 
l'évêque  de  Liège  convenait  pour  le  cardinalat  2.  En  1569,  il 
assurait  Gérard  de  son  dévouement,  en  exprimant  la  peine 
que  le  pape  et  lui  avaient  éprouvée  à  la  nouvelle  de  l'inva- 
sion de  la  principauté  par  le  Taciturne  3.  Le  2  août  1576, 
il  transmettait  au  roi  une  lettre  de  Gérard ,  en  émettant 
l'espoir  que  l'évêque  serait  nommé  cardinal  à  la  première 
promotion  4. 

Il  est  vrai  que  ces  prévenances  de  Granvelle  cachaient  une 
arrière-pensée.  L'ambitieux  prélat  n'avait  pas  renoncé  à  l'idée 
de  devenir  évêque  de  Liège  et  se  faisait  informer  par  son  con- 
fident, Morillon,  des  moindres  événements  qui  pussent  auto- 
riser ses  espérances.  C'est  surtout  lorsque  Gérard  se  fut  blessé 
au  pied,  au  retour  du  siège  de  Hasselt,  et  que  ses  jours  furent 
en  danger,  que  Morillon  multiplia  ses  démarches  en  vue  de 
favoriser  la  candidature  éventuelle  de  son  protecteur  ». 

Tous  ces  témoignages  prouvent  néanmoins  que  l'évêque  de 
Liège  était  justement  apprécié  des  conseillers  de  Philippe  IL 
Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  le  prince,  dont  l'intervention 
fut  le  plus  vivement  sollicitée  par  don  Juan  d'Autriche,  à  son 
entrée  dans  les  Pays-Bas,  ait  été  Gérard  de  Groesbeek. 


4  Voir  la  lettre  du  8  octobre  1561,  de  Granvelle  au  roi  (correspondance 
précitée,  n°  259). 

*  Voir  la  lettre  du  23  janvier  1 563,  de  Granvelle  à  Gonçalo  Perez  (corres- 
pondance précitée,  n°  236). 

3  Lettre  du  17  février  1569,  de  Granvelle  à  Gérard  de  Groesbeek  (corres- 
pondance précitée,  t.  Il,  nu  826). 

4  Lettre  du  2  août  1576,  de  Granvelle  au  roi  (correspondance  précitée, 
t.  IV,  p.  1675). 

5  Voir  dans  la  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle  les  lettres  de 
Morillon  du  24  mai  1567,  du  11  janvier  1568,  du  14  septembre  1569;  Morillon 
émet  très  souvent,  à  l'égard  de  Gérard  de  Groesbeek,  des  appréciations  trop 
partiales. 


(  156  ) 
VII 

La  rupture  de  don  Juan  avec  les  états  généraux  des  Pays* 
Bas  l  amena  de  nouveaux  orages  sur  notre  pays.  Les  troupes 
espagnoles  furent  rappelées  par  l'irascible  gouverneur,  et  les 
états  généraux  se  préparèrent  à  la  guerre.  Après  une  campagne 
mêlée  de  succès  et  de  revers,  don  Juan  mourut  de  la  fièvre,  au 
camp  de  Bouges,  près  de  Namur,  et  ce  fut  Alexandre  Farnèse, 
duc  de  Parme,  le  meilleur  général  de  Philippe  II,  qui  hérita  de 
ses  pouvoirs. 

Le  premier  fait  d'armes  du  jeune  capitaine  fut  la  reprise  de 
Haestricht,  qui  s'était  insurgée  après  le  départ  de  la  garnison 
espagnole.  Le  duc  de  Parme  fut  secondé  dans  cette  expédition 
par  l'évëque  de  Liège,  qui  lui  permit  de  traverser  ses  Etats  et 
lui  envoya  des  troupes  et  des  canons  ;  après  un  siège  de  quatre 
mois,  la  malheureuse  cité  fut  prise  et  livrée  à  la  plus  horrible 
dévastation. 

Farnèse  contesta  quelque  temps  les  droits  de  souveraineté  de 
l'évéque  sur  la  ville  conquise.  Finalement,  Maestricht  perdit  la 
plupart  de  ses  privilèges,  et  l'autorité  épiscopale  y  fut  réglée 
par  un  accord  moins  avantageux  que  celui  de  1846  *. 

Bien  que  Gérard  eût  reçu  le  chapeau  de  cardinal,  le  chapitre 
de  Liège  conserva  son  droit  d'élection.  A  la  mort  de  Févêque, 
en  1580,  il  dut  choisir  entre  plusieurs  candidats  :  le  duc 
d'Alençon,  recommandé  par  le  roi  de  France,  Henri  III; 

1  Le  £•  volume  de  la  Correspondance  de  Philippe  II  contient  les  lettres 
adressées  par  don  Juan  d'Autriche  à  Gérard  de  Groesbeck.  M.  Henri  Pirenue 
en  a  tiré  un  heureux  parti  dans  son  étude  sur  La  politique  de  Gérard  de 
Groesbeck,  prince- évéque  de  Liège,  pendant  le  Gouvernement  de  don  Juan 
a* Autriche  dans  les  Pays-Bas  (voir  Travaux  du  cours  pratique  d'histoire 
nationale,  de  M.  P.  Fredericq,  2e  fascicule). 

*  Voir  Chapeaville,  pp.  500  et  suiv.  Dans  sa  lettre  au  duc  de  Parme,  du 
31  août  1579  (voir  Documents  relatifs  au  Pays  de  Liège,  canon  I),  Gérard 
de  Groesbeck  demande  que  le  gouverneur  de  Maestricht,  Francisco  Moutedoça, 
renouvelle  le  serment  qu'il  lui  avait  prêté  avant  le  siège.  Tous  ces  événements 
ont  été  très  bien  exposés  par  M.  le  chanoine  Daris  dans  son  livre  :  Histoire 
du  diocèse  et  de  la  principauté  de  Liège  au  XVI*  siècle,  pp.  365  et  suiv. 


(  1«  ) 

l'archiduc  Mathias,  soutenu  par  les  états  généraux  des  Pays-Bas; 
enfin  Granvelle,  le  comte  Louis  de  Berlaymont,  archevêque  de 
Cambrai,  et  Ernest  de  Bavière,  évéque  de  Freisingen  et  de  Hil- 
desheim,  présentés  tous  trois  par  Philippe  II.  Le  duc  de  Parme 
députa  à  Liège  le  conseiller  Jean  van  den  Burg,  afin  de  préparer 
l'élection  d'un  prélat  partisan  de  la  politique  espagnole  '. 

Personne  ne  songeait  à  Granvelle  ni  à  Louis  de  Berlaymont. 
Le  premier  était  trop  loin  de  notre  pays  pour  s'assurer  la  majo- 
rité du  chapitre,  et  Louis  de  Berlaymont,  ce  prélat  que 
Morillon,  dans  son  style  mordant,  appelait  une  pécore*,  ne 
plaisait  guère  aux  Liégeois.  On  ne  voulait  pas  d'un  prince, 
écrivait  Andréas  Fabricius,  l'ancien  précepteur  d'Ernest  de 
Bavière,  qui  eût  écorché  le  peuple  par  sa  rapacité,  mais  un 
souverain  qui  relevât  le  prestige  du  pays  3. 

Ernest  de  Bavière  était  en  mesure  de  donner  un  lustre  nou- 
veau  au  trône  d'Erard  de  la  Marck.  Il  appartenait  à  la  plus 
puissante  famille  catholique  de  l'Allemagne  et  était  apparenté 
à  la  maison  d'Autriche  et  à  celle  de  Juliers.  En  outre,  il  plaisait 
tout  particulièrement  à  l'Espagne.  Déjà  en  1577,  Philippe  II 
recommandait  à  don  Juan  de  travailler  à  lui  faire  obtenir  la 
coadjutorerie  de  Liège.  A  la  demande  du  duc  Albert  de  Bavière, 
prince  à  qui  il  devait  beaucoup,  comme  il  le  reconnaissait  lui- 
même,  le  monarque  s'adressa  à  l'évéque  et  aux  chanoines  de 
Liège 4-.  Mais  ceux-ci,  fidèles  à  leur  réserve,  retardèrent  la  nomi- 
nation d'un  coadjuteur,et  la  mort  surprit  Gérard  de  Groesbeek, 
sans  que  son  successeur  fût  désigné. 

Le  duc  de  Clèves  et  de  Juliers,  sollicita  aussitôt  la  protection 
d'Alexandre  Farnèse  pous  son  neveu,  Ernest  de  Bavière.  Le  gou- 
verneur des  Pays-Bas  penchait  vers  ce  jeune  prélat,  celui  qu'il 
désirait  le  plus  avoir  comme  voisin,  écrivait-il.  Néanmoins  son 

1  Voir  Strada,  De  bello  Belgico,  Rome,  1647, 2«  décade,  livre  IV,  p.  136. 

9  Correspondance  du  cardinal  de  Granvelle,  t.  VI  :  lettre  de  Morillon 
à  Granvelle,  du  22  avril  1577. 

5  Citation  de  Max  Losskk,  Dtr  kolnische  Krieg,  p.  736. 

4  Correspondance  de  Philippe  //,  t  V  :  lettre  du  roi  à  don  Juan,  du 
9  juin  1577. 


(  158  ) 

député,  Van  den  Burg,  ne  désigna  personne  spécialement  et  se 
borna  à  présenter  les  trois  candidats  du  roi  d'Espagne,  en  recom- 
mandant d'une  manière  générale  celui  que  l'on  reconnaîtrait 
comme  le  plus  capable  de  défendre  la  religion  catholique  *. 

Les  tréfbnciers  n'étaient  pas  plus  disposés  pour  Granvelle 
que  pour  Berlaymont.  ils  ne  se  laissèrent  pas  séduire  non  plus 
par  les  insinuations  des  états  généraux,  qui  proposaient  l'archi- 
duc Mathias  pour  le  consoler  de  son  échec  aux  Pays-Bas,  ni 
par  les  députés  du  duc  d'Àlençon.  L'arrivée  d'Ernest  à  Liège  et 
l'agréable  impression  qu'il  produisit  sur  la  population,  déter- 
minèrent le  choix  du  chapitre  :  Ernest  fut  élu  à  l'unanimité, 
après  qu'il  eut  produit  un  bref  du  pape  qui  l'autorisait  à  diriger 
plusieurs  évêchés*. 

A  l'avènement  d'Ernest  de  Bavière,  la  révolution  des  Pavs-Bas 
avait  atteint  son  point  culminant.  Par  ses  habiles  manœuvres 
et  la  désunion  qu'il  sema  adroitement  entre  les  rebelles, 
Alexandre  Farnèse  reprit  rapidement  les  villes  insurgées.  De 
1580  à  1590,  il  remporta  d'éclatants  succès,  et,  quand  il  entre- 
prit sa  dernière  expédition  en  France,  en  faveur  de  la  Ligue, 
l'autorité  du  roi  catholique  était  restaurée  dans  les  Pays-Bas 
méridionaux. 

Bien  que  le  duc  de  Parme,  sauf  lors  du  siège  de  Maestricht, 
ne  fût  pas  obligé  de  traverser  le  territoire  liégeois,  ses  troupes 
dévastèrent  souvent  la  petite  principauté.  Longtemps  elles 
hivernèrent  dans  les  villes  épiscopales;  longtemps  leur  général 
resta  insensible  aux  protestations  des  habitants  et  aux  réclama- 
tions de  Tévêque. 

Le  même  fléau  reparut  sous  les  successeurs  de  Farnèse.  En 
1595,  la  petite  ville  de  Huy,  importante  à  cause  de  sa  forte- 

1  Max  Lossen,  Der  kôlnische  krieg,  pp.  756  et  suiv. 

*  Max  Lossen,  loc.  ctt.,  pp.  756  et  suiv.  Nous  recommandons  tout  parti- 
culièrement Tétude  de  ce  savant  travail,  intéressant  non  seulement  pour 
l'histoire  de  l'archevêché  de  Cologne  et  des  diocèses  de  la  basse  Allemagne, 
mais  aussi  pour  celle  de  l'évêché  de  Liège.  L'auteur  a  tiré  un  très  riche  parti 
des  différents  dépôts  d'archives  de  l'Allemagne,  particulièrement  de  celui  de 
Munich. 


(  159  ) 

resse,  fut  surprise  par  un  hardi  soldat,  Héraugier,  gouverneur 
de  Bréda.  Ce  coup  de  main  jeta  l'alarme  dans  le  camp  royal, 
parce  que  la  possession  du  château  de  Huy  livrait  une  partie 
de  la  vallée  de  la  Meuse  aux  insurgés. 

L'évéque  reprit  la  citadelle  avec  le  secours  des  Espagnols,  et 
les  vainqueurs  souillèrent  leur  victoire  par  un  pillage  qui 
dépassa  en  cruauté  celui  de  Maestricht.  «  Les  pillards,  écrit  le 
chroniqueur  Laurent  Mélart  *,  vendirent  les  meubles,  jusqu'aux 
fers  et  plombs  des  verrières  qu'ils  desclouèrent,  tellement  que 
la  ville  fut  entièrement  démeublée,  ne  restant  plus  que  les 
parois  des  maisons,  où  ils  brûlaient  les  formes  de  lit,  les 
armoires,  les  buffets,  tables  et  semblables  choses  qu'ils  ne 
pouvaient  vendre  ou  qu'à  raison  de  leur  vileté  on  ne  voulait 
acheter  pour  en  faire  du  feu  ». 

Le  comte  de  Fuentes,  général  de  Philippe  II,  restitua  la 
forteresse  aux  Liégeois,  mais  à  condition  que  le  commandant 
serait  désigné  par  le  roi  d'Espagne.  Les  protestations  éner- 
giques d'Ernest  de  Bavière  firent  échouer  cette  prétention  2. 

Depuis  1568,  le  roi  d'Espagne  soutenait  contre  les  insurgés 
des  Pays-Bas  une  guerre  qui  devint  désastreuse  après  la  mort 
d'Alexandre  Farnèse.  Déçu  dans  ses  espérances  et  miné  par  une 
maladie  incurable,  Philippe  II  fut  heureux  de  signer  le  traité 
de  Vervins  qui  le  réconcilia  avec  la  France.  Peu  de  temps 
après,  il  cédait  les  Pays-Bas  à  sa  fille  Isabelle,  future  épouse  de 
l'archiduc  Albert;  mais  cette  cession  ne  fut  pas  reconnue  par 
les  Hollandais,  et  les  nouveaux  souverains  durent  entreprendre 
contre  ces  indomptables  révoltés  une  guerre  opiniâtre  qui  pré- 
cipita la  ruine  de  nos  provinces  et  dont  la  petite  principauté 
de  Liège  ressentit  plus  d'une  fois  le  contre-coup. 

1  Mélart,  Histoire  de  Huy,  pp.  498  et  suiv. 

*  Chapeayillk,  u  III,  pp.  511  el  suiv.  Pour  l'époque  d'Ernest  de  Bavière  la 
chronique  de  Cbapeaville  est  une  source  originale.  Voir  aussi  Foulon  : 
Historia  ieodiensis,  t.  II,  p.  563. 


(  160  ) 


CHAPITRE  X. 


La  nouvelle  neutralité  liégeoise. 


I 

Nous  avons  vu,  dans  le  chapitre  précédent,  comment  Gérard 
de  Groesbeck  s'entendit  avec  le  Gouvernement  de  Bruxelles 
pour  combattre  le  protestantisme  et  repousser  les  armées  de 
Guillaume  et  de  Louis  de  Nassau.  Cette  entente  était  naturelle; 
elle  découlait  du  traité  d'alliance  de  1518  qui  avait  été  confirmé 
par  les  successeurs  d'Erard  de  la  Marck  et  particulièrement 
par  Gérard  de  Groesbeck. 

Ce  traité,  si  nous  nous  en  rappelons  la  teneur,  obligeait  les 
deux  alliés,  le  souverain  des  Pays-Bas  et  le  prince  de  Liège,  à 
s'avertir  des  menées  de  leurs  ennemis,  à  s'entr'aider  pour 
repousser  l'envahisseur  de  leur  territoire,  à  fournir  leur  con- 
tingent, soit  qu'il  fallût  lever  une  armée  ou  entreprendre  un 
siège.  Elle  créait,  en  un  mot,  entre  les  deux  voisins  une  alliance 
défensive,  alliance  qui  détermina,  pendant  plus  d'un  demi- 
siècle,  la  politique  extérieure  de  la  principauté.  Charles-Quint 
en  réclama  les  bénéfices,  lorsque  les  Pays-Bas  furent  envahis 
par  François  Ier,  en  1542,  en  1543,  et  par  Henri  II,  en  1552. 
Quand  Guillaume  le  Taciturne,  malgré  la  défense  des  autorités 
locales,  viola  le  territoire  liégeois,  l'évéque  invoqua  le  secours 
du  duc  d'Albe  et,  d'accord  avec  son  chapitre,  lui  permit  d'oc- 
cuper provisoirement  les  forteresses  du  pays.  Cette  attitude 
était  logique.  Quelles  que  fussent  les  sympathies  de  beaucoup 
de  Liégeois  pour  le  prince  d'Orange,  Gérard  de  Groesbeck  était 
en  droit  de  refuser  l'entrée  de  ses  États  à  un  rebelle  du  roi 


(161  ) 

d'Espagne,  son  allié,  et  de  le  combattre  avec  vigueur  quand  ce 
rebelle  persistait  à  traverser  son  territoire. 

Le  Taciturne  et  les  calvinistes  hollandais  et  zélandais  ne 
furent  pas  les  seuls  qui  s  insurgèrent  contre  la  tyrannie  espa- 
gnole. A  la  mort  de  Requesens,  toutes  les  provinces  des  Pays- 
Bas,  sauf  le  Luxembourg  et  le  Limbourg,  se  révoltèrent  contre 
Philippe  II,  et,  sur  la  simple  proposition  des  états  du  Brabant, 
les  états  généraux  se  réunirent  à  Bruxelles.  Cette  fois,  la  révo- 
lution entraînait  les  catholiques  et  tous  ceux  qui  souffraient 
du  despotisme  étranger. 

Les  provinces  dont  les  députés  siégeaient  à  Bruxelles  négo- 
cièrent avec  les  calvinistes  hollandais  dirigés  par  le  prince 
d'Orange,  et  la  mémorable  Pacification  de  Garni  réunit  comme 
en  un  faisceau  toutes  les  forces  de  l'opposition  nationale. 
Tout  en  reconnaissant  la  souveraineté  du  monarque  espagnol, 
les  députés  réunis  à  Gand  exigèrent  le  renvoi  des  troupes 
étrangères,  proclamèrent  une  amnistie  pour  les  délits  poli- 
tiques et  religieux,  suspendirent  provisoirement  les  poursuites 
dirigées  contre  les  réformés,  et  réservèrent  à  une  prochaine 
réunion  des  états  généraux  le  soin  de  régler  les  questions  relir 
gieuses.  L'union  des  provinces  belgiques  ne  détruisait  donc  ni 
l'autorité  du  roi,  ni  la  religion  catholique;  elle  ménageait  un 
accord  opportun  entre  les  deux  grands  partis  qui  divisaient 
les  Pays-Bas. 

Quand  don  Juan  d'Autriche,  le  nouveau  gouverneur  des 
Pays-Bas,  entra  dans  le  Luxembourg,  les  états  exigèrent  qu'il 
ratifiât  la  Pacification.  A  la  suite  de  pénibles  négociations,  au 
succès  desquelles  Gérard  de  Groesbeck  contribua  pour  une 
grande  part  *,  don  Juan  accepta  le  traité  qu'on  lui  proposait. 
La  paix,  il  est  vrai,  ne  dura  pas  longtemps  :  l'irascible  gouver- 


1  Voir  à  ce  sujel  les  oombreuses  lettres  publiées  par  Gachard  dans  le 
5*  volume  de  la  Correspondance  de  Philippe  //,  et  Pelade  de  M.  Henri 
Pirenne:  La  po'itque  de  Gérard  de  Groesbeck,  princc-évéque  de  Liège,  pen- 
dant te  Gouvernement  de  don  Juan  d'Autriche,  dans  le  2*  fascicule  des 
Travaux  du  cours  pratique  £  histoire  nationale,  de  M.  P.  Fredericq. 

TomeXLI.  11 


(  162  ) 

neur  se  brouilla  avec  les  états,  et  la  guerre  civile  recommença. 
Le  récit  de  cette  guerre  appartient  à  l'histoire  générale  des 
Pays-Bas;  c'est  pourquoi  nous  n'en  rappellerons  que  les  inci- 
dents qui  se  rapportent  particulièrement  à  notre  étude. 

L'évéque  de  Liège  était  l'allié  de  Philippe  II.  Quelle  allait 
donc  être  son  attitude  dans  cette  lutte  des  états  généraux  contre 
don  Juan?  Soutiendrait-il  le  gouverneur  espagnol  ;  seconde- 
rait-il les  révoltés? 

Dans  le  premier  cas,  il  observait  fidèlement  l'alliance  de 
1518,  mais  risquait  de  provoquer  une  révolution  à  Liège,  où  la 
haine  contre  le  nom  espagnol  avait  atteint  son  paroxysme. 
Bien  que  Groesbeck,  prince  modéré  de  sa  nature,  eût  tout  fiait 
pour  adoucir  les  misères  de  ses  sujets,  il  n'en  passait  pas  moins 
pour  une  créature  de  Philippe  II,  et  cette  opinion  s'accrédita 
surtout  quand  il  eut  obtenu  le  chapeau  de  cardinal.  La  pru- 
dence lui  défendait  donc  de  fournir  des  troupes  à  don  Juan 
pour  combattre  les  états  généraux,  quelque  raison  qu'il  eût  de 
souhaiter  le  triomphe  du  roi  catholique. 

Prendrait-il,  au  contraire,  le  parti  des  états  généraux?  Il  eût 
alors  obtenu  le  concours  d'une  grande  partie  de  ses  sujets, 
principalement  des  communes  du  comté  de  Looz,  où  la  Réforme 
avait  jeté  de  profondes  racines.  Mais  on  ne  pouvait  attendre 
une  résolution  aussi  hardie  de  Gérard  de  Groesbeck,  souverain 
catholique  et  prélat  allemand.  Soutenir  les  états  généraux, 
c'était  intervenir  dans  les  guerres  civiles  d'un  cercle  du  saint- 
empire,  du  cercle  de  Bourgogne,  et  se  mêler  à  des  discordes 
que  les  diètes  germaniques  et  l'empereur  Maximilien  II  { 
avaient,  à  différentes  reprises,  tâché  d'étouffer.  L'évéque  de 
Liège  ne  pouvait  aider  les  Belges  révoltés  contre  leur  souverain 
légitime,  quelque  sympathie  qu'il  éprouvât  pour  leur  cause, 


1  Voir  les  lettres  de  ce  prince  à  Guillaume  le  Taciturne  (Gachard,  Corres- 
pondance de  Guillaume  le  Taciturne,  t.  III),  et  les  preuves  fournies  par 
M.  Ém.  de  Borchgrave  dans  son  savant  travail  couronné  par  l'Académie: 
Histoire  des  rapports  de  droit  public  qui  existèrent  entre  les  province* 
belges  et  Vempire  d'Allemagne  (Mémoire  in-4°,  t.  XXXVI),  pp.  211  et  suiv. 


C  *63  ) 

sans  violer  les  constitutions  impériales  et  sans  enfreindre  l'al- 
liance de  1518. 

Une  seule  politique  se  recommandait  donc  à  Gérard  de  Groes- 
beck  et  aux  Liégeois  :  la  neutralité.  En  restant  neutre,  le  sou- 
verain liégeois  n'observait  plus  le  traité  de  Saint-Trond,  mais  il 
respectait  les  nombreux  recès  des  diètes  germaniques,  recès  * 
qui  interdisaient  aux  princes  allemands  de  prendre  part  aux 
troubles  qui  désoleraient  un  État  du  saint-empire  et  fournis- 
saient, par  conséquent,  un  excellent  prétexte  à  notre  prélat 
pour  décliner  toute  proposition  d'alliance  d'un  des  belligérants. 

Non  seulement  la  neutralité  liégeoise  se  justifiait  par  des 
dispositions  juridiques,  elle  était  imposée  par  la  situation  cri- 
tique où  se  trouvait  la  principauté.  En  soustrayant  ses  États 
aux  malheurs  qui  les  menaçaient  de  toutes  parts,  Gérard 
n'agissait  pas  en  souverain  égoïste  qui  abandonnerait  son  allié 
au  moment  du  danger,  mais  en  prélat  prévoyant  qui  assurait 
ses  sujets  contre  les  risques  d'une  guerre  désastreuse.  Tout  le 
monde  savait  avec  quel  zèle  ce  loyal  évoque  s'était  appliqué  à 
amener  une  entente  entre  don  Juan  et  les  états  généraux  des 
Pays-Bas,  et  personne  n'était  en  droit  de  lui  reprocher  sa 
nouvelle  attitude  à  l'égard  de  Philippe  II. 

II 

Déterminés  à  rester  neutres,  Gérard  de  Groesbeck  et  les  états 
liégeois  repoussèrent  habilement  les  propositions  d'alliance  des 
états  généraux  et  de  don  Juan.  Ce  furent  les  états  généraux  qui 

1  Le  recès  de  Worms  de  1564  interdisait  la  réunion  de  soldats,  même 
enrôlés  pour  une  guerre  étrangère,  sans  l'autorisation  expresse  du  prince  du 
territoire;  redit  de  Spire,  de  4570,  défendait  toute  levée  de  soldais  de  la  part 
d'un  prince  étranger  sans  l'autorisation  de  l'empereur  et  menaçai i  du  ban  de 
l'empire  celui  qui  contreviendrait  à  celte  défense;  ce  recès  fut  conQrmé  à 
Ratisbonne  en  1576;  redit  d'Augsbourg,  de  1582,  défendit  encore  aux  États 
de  l'empire  de  souffrir  le  passage  de  soldats  non  autorisés  par  l'empereur. 

Le  lexie  de  tous  ces  édits  ainsi  que  les  nombreuses  ordonnances  publiées 
sur  la  paix  publique  se  trouvent  dans  Koch  :  Neue  und  voll&taendigere 
Sammlung  der  Beichstagsabschiede,  Francfort,  1747. 


(  164  ) 

implorèrent  les  premiers  le  secours  des  Liégeois  en  invoquant 
le  texte  des  anciens  traités  qui  unissaient  la  principauté  aux 
Pays-Bas.  Le  7  octobre  1576,  Philippe  vander  Meeren,  seigneur 
de  Saventhem,  arriva  à  Liège  pour  demander  au  prince-évêque 
aide  et  assistance  contre  les  Espagnols.  Gérard,  le  chapitre 
cathédral  et  les  bourgmestres,  déclinèrent  la  proposition  du  sire 
de  Saventhem;  le  16,  Gérard  répondit  aux  états  généraux 
«  qu'il  a  senti  et  sent  ung  singulier  regret  et  condollence  allen- 
droit  des  affaires  qui  se  sont  dernièrement  addonnez  es  Pays- 
Bas  et  que  l'empereur  et  les  états  de  l'empire  à  qu'ils  en  ont 
écrit,  voudront  bien  s'employer  à  addresser  lesdites  affaires  à 
appaisement  et  repos  ».  Le  chapitre  conclut  qu'il  s'en  remettait 
au  jugement  de  l'évêque,  et,  non  moins  prudents,  les  bourg- 
mestres s'en  rapportèrent  également  à  la  décision  de  leur 
prince  et  à  celle  de  l'empereur. 

Le  pillage  de  Maestricht  par  les  Espagnols  et  l'irritation  qui 
s'ensuivit  à  Liège  déterminèrent  Gérard  de  Groesbeck  à  convo- 
quer les  états.  Les  états  généraux  de  Bruxelles  crurent  qu'ils 
réussiraient  auprès  de  l'assemblée  liégeoise,  et,  le  5  novembre, 
Jean  de  Bourgogne,  seigneur  de  Froidmont,  et  Nicolas  Oudart, 
seigneur  de  Ranst,  parlèrent  en  leur  nom  devant  les  états.  A 
une  séance  du  tiers,  Oudart  rappela  les  anciens  traités  qui 
liaient  le  pays  de  Liège  aux  provinces  belgiques,  les  consti- 
tutions impériales,  telle  que  la  Landfriedt  de  1548,  qui  enjoi- 
gnait aux  États  allemands  de  se  secourir  les  uns  les  autres 
en  cas  de  péril  commun  ;  représenta  que  les  états  généraux 
avaient  levé  une  armée  pour  résister  aux  Espagnols;  que 
les  mêmes  périls  menaçaient  la  principauté  de  Liège  et  les 
Pays-Bas;  qu'on  avait  délibéré  à  Bruxelles  d'envoyer  une 
ambassade  à  Liège  «  pour  savoir  l'intention  de  ladicte  cité  : 
si  i  ce  lie  soy  vorait  conjoindre  avec  lesdits  Pays-Bas  pour  soy 
aidier,  assister  et  deffendre  l'ung  l'autre;  aultrement  ledit 
pays  de  Liège  soy  poroit  perdre  et  tumber  en  une  totale  ruine 
et  désastre.  » 

Deux  jours  plus  tard,  dans  une  réunion  plénière  des  états, 
les  deux  députés  renouvelèrent  leurs  propositions  et  aultres 


(  165  ) 

plus  grandes,  et  la  discussion  commença.  Un  membre  *,  dont  le 
nom  est  resté  inconnu,  prononça  un  discours  véhément  en 
faveur  d'une  union  intime  avec  les  états  généraux;  mais  sa 
proposition  fut  habilement  combattue  par  Florent  de  Berlay- 
mont,  seigneur  de  Floyon,  et  l'assemblée  se  sépara  sans  avoir 
rien  conclu. 

L'état  tiers  se  réunit  l'après-midi  à  l'hôtel  de  ville  et  déclara 
qu'il  ne  pouvait  rien  décider  sans  avoir  consulté  ses  commet- 
tants; il  approuva  même  une  réponse  préparée  par  le  chapitre 
pour  être  lue  le  lendemain  aux  ambassadeurs  des  états  géné- 
raux. Il  y  était  dit  en  substance  que  les  Liégeois  regrettaient 
les  désordres  survenus  à  Maestricht,  désordres  dont  l'empereur 
et  le  duc  de  Juliers  avaient  été  avertis,  mais  qu'ils  ne  pouvaient 
se  prononcer,  parce  que  leur  principauté  relevait  de  l'empire  et 
qu  ils  devaient  au  préalable  consulter  l'empereur  et  la  diète  du 
cercle  de  Westphalie.  Le  seigneur  de  Froidmont  tenta  vaine- 
ment d'obtenir  une  réponse  plus  catégorique;  on  lui  répliqua 
«  qu'on  ne  leur  sauroit  présentement  donner  autre  response 
que  la  susdite  laquelle  on  leur  baillerait  par  escript  *.  » 

L'échec  qu'ils  avaient  subi  à  Liège  en  1576  ne  découragea 
pas  les  états  généraux  ;  l'année  suivante,  quand  ils  furent  en 
guerre  ouverte  avec  don  Juan,  ils  tentèrent  de  nouveau  d'obtenir 
l'appui  de  la  principauté.  Le  2  novembre  1577,  ils  députèrent  à 
Liège  le  même  Jean  de  Froidmont  accompagné  de  Nicolas  Sal- 
mier,  seigneur  de  Melroy.  Ils  mandaient  aux  états  liégeois  que 
les  ennemis  des  états  généraux  voulaient  s'emparer  de  Dinant; 
que  les  Liégeois  fournissaient  des  vivres  et  des  munitions 
de  guerre  aux  ennemis;  ils  rappelaient  l'insatiable  ambition 
des  Espagnols  et  représentaient  qu'il  convenait  pour  la  sûreté 


1  Voir  Fisen,  Historia  ecclesiae  leodiensis,  pp.  376,  377. 

*  Sur  la  mission  du  seigneur  de  Savenlhem,  voir  Gachard,  Actes  des  états 
généraux,  1. 1,  pp.  23  et  25. 

Sur  la  mission  de  Froidmont  et  d'Oudarf,  voir  les  pièces  justificatives 
publiées  par  Uénaux  à  la  suite  de  son  étude  :  La  Belgique  et  le  pays  de  Liège 
en  4576. 


(  166  ) 

des  deux  pays  non  seulement  entretenir  estroitement  les  anchiàk 
accordais  et  traictez  mais  aussi  de  faire  nouvelles  confédération* 
et  aliances  tant  offensives  que  deffensives  de  façon  qu'il  ne  fût 
permis  ni  à  l'un  ni  à  l'autre  État  de  fournir  des  soldats,  des 
munitions  ou  de  l'argent  aux  ennemis  de  son  allié.  Ils  invo- 
quaient le  texte  des  anciens  traités  *,  qui  stipulaient  que  les 
Liégeois  ne  devaient  pas  souffrir  que  les  ennemis  du  Brabant 
s'approvisionnassent  de  vivres  ou  de  munitions  sur  leur  terri- 
toire, mais  étaient  tenus  de  soutenir  les  Brabançons  contre  leurs 
adversaires  ;  que  ces  deux  peuples  alliés  ne  pouvaient  pas  sou- 
tenir ou  favoriser  leurs  ennemis  respectifs,  ni  leur  fournir  un 
passage  par  leurs  villes,  leurs  châteaux  ou  leurs  forteresses, 
mais  s'assister  réciproquement  toutes  et  quantes  fois  ils  en 
seraient  requis.  Les  états  terminaient  leur  requête  par  un 
violent  réquisitoire  contre  les  Espagnols  et  par  la  justification 
de  leur  rupture  avec  don  Juan. 

Gérard  de  Groesbeck  ne  pouvait,  sans  violer  la  neutralité, 
agréer  la  demande  des  états  généraux;  il  leur  répondit  qu'il  ne 
pouvait  prendre  de  décision  sans  une  autorisation  de  Sa  Majesté 
l'Empereur;  que  les  constitutions  impériales  l'obligeaient  à 
laisser  libre  le  trafic  des  munitions  par  son  territoire;  que  ces 
munitions  étaient  livrées  le  plus  souvent  par  des  marchands 
étrangers  ;  que  ses  sujets  en  avaient  besoin  pour  eux-mêmes, et 
que,  en  tout  cas,  ils  n'en  vendaient  guère  autant  qu'on  leur  en 
volait  2. 

III 

La  seconde  ambassade  des  états  généraux  à  Liège  est  très 
connue;  mais  ce  que  tous  les  historiens  semblent  ignorer, 
c'est  que  peu  de  temps  après  le  départ  de  Froidmont  et  de 

1  Voir  dans  Louvrex,  foc.  cit.,  le  texte  des  traités  de  1398  et  de  1518. 

*  Tous  les  documents  relatifs  à  l'ambassade  du  sire  de  Froidmont  et  du 
sire  de  Melroy,  en  1577,  ainsi  que  la  réponse  de  Gérard  de  Groesbeck,  se 
trouvent  dans  le  carton  II  des  Documents  concernant  le  pays  de  Liège,  aux 
Archives  du  royaume. 


(167) 

Melroy,  le  19  de  ce  même  mois  de  novembre  1577,  don  Juan 
députa  vers  les  états  et  les  trente-deux  métiers  de  la  Cité  le 
baron  de  Wiltz  et  Jean-Guillaume  Lefèvre,  membres  tous  deux 
du  conseil  provincial  de  Luxembourg,  pour  exposer  ses  griefs 
aux  Liégeois  et  requérir  leur  alliance.  Nous  n'avons  pas  con- 
servé le  texte  de  l'instruction  qui  fut  donnée  à  ces  deux  députés, 
mais  nous  pouvons  en  deviner  le  contenu  par  la  réponse  du 
prélat  et  par  le  rapport  des  deux  ambassadeurs. 

De  Wiltz  et  Lefèvre  arrivèrent  à  Liège  le  26,  alors  que  les  états 
venaient  de  se  dissoudre,  et,  le  lendemain,  présentèrent  leurs 
lettres  de  créance  au  prince,  au  chapitre  et  au  conseil  de  la 
Cité.  Le  prince  répondit  *  qu'il  regrettait  la  guerre,  mais  que, 
sans  les  états,  il  ne  pouvait  rien  résoudre.  Les  bourgmestres 
et  le  conseil  de  la  Cité  ajoutèrent  qu'ils  avaient  toujours  auto- 
risé Don  Juan  à  se  fournir  de  vivres  et  à  les  faire  venir  par 
la  Meuse  et  l'Ourthe,  à  telles  enseignes  que  l'armée  des  états 
généraux  s'était  emparée  de  Neuchâteau  sur  Amblève  pour  pro- 
hiber ce  trafic.  S'ils  s'abstenaient  de  plus  amples  déclarations, 
c'est  qu'ils  ne  jouissaient  que  d'un  pouvoir  limité,  mais  ils 
promettaient  de  seconder  le  chapitre  et  leur  prince  dans  d'aussi 
tristes  conjonctures.  Ils  priaient  enfin  don  Juan  de  mettre  fin 
aux  déprédations  de  ses  soldats,  déprédations  qui  ruinaient  les 
campagnes  liégeoises. 

Les  députés  de  don  Juan  objectèrent  que  de  tels  méfaits 
étaient  l'œuvre  de  particuliers,  et  que  les  bourgmestres  agi- 
raient sagement  en  empêchant  les  ennemis  de  Sa  Majesté  de 
s'approvisionner  dans  la  principauté.  A  quoi  les  magistrats 
répondirent  que  ces  méfaits  parvenaient  de  troupes  régulières, 
non  d'individus  isolés,  qu'ils  n'avaient  pas  le  droit  d'interdire 
le  trafic  des  denrées,  que  ce  droit  appartenait  à  l'évêque  et 
«  que  mesmes  nestoit  la  coustume  ni  permis  par  les  traictez 
et  ordonnances  de  l'Empire  d'empêcher  personne  de  trafiquer 


1  Voir  le  rapport  du  baron  de  Wiltz  et  de  Guillaume  Lefèvre  dans  le  car- 
ton Il  des  Documents  relatifs  au  pays  de  Liège,  aux  Archives  du  royaume. 


(168) 

en  leur  ville  et  passer  à  sa  meilleure  commodité  pour  quelle 
part  que  fust  ». 

Le  30  novembre,  Gérard  écrivit  à  don  Juan  en  son  nom  et  au 
nom  du  chapitre.  Il  s'excusait  de  ne  pouvoir  négocier  une  nou- 
velle alliance  sans  le  concours  des  états;  ceux-ci  venaient  de 
se  dissoudre  et  ne  pourraient,  si  même  ils  étaient  présents, 
délibérer  sur  un  sujet  aussi  grave  sans  y  être  autorisés  par 
l'empereur,  leur  souverain  seigneur.  Quant  à  lui,  il  n'avait 
jamais  autorisé  de  levée  *  de  soldats  sur  son  territoire,  mais 
il  n'avait  pu  empêcher  quelques-uns  de  ses  sujets  malheu- 
reux de  s'engager  dans  les  armées  voisines,  seul  moyen  d'exis- 
tence qui  leur  restât  dans  ces  temps  de  misère;  s'il  voulait  s'y 
opposer,  il  craignait  fort  de  ne  pouvoir  être  obéi  ;  et  d'ailleurs, 
la  chose  se  pratiquait  de  la  même  manière  dans  toute  l'Alle- 
magne. Puisque  les  ordonnances  relatives  à  la  paix  publique 
autorisaient  le  trafic  des  marchandises  sur  le  territoire  impé- 
rial, il  ne  pouvait  défendre  qu'on  s'approvisionnât  dans  ses 
Etats,  d'autant  que  c'étaient  les  étrangers  qui  se  livraient  de 
préférence  à  ce  commerce;  car  ses  propres  sujets  n'étaient 
guère  disposés  à  vendre  des  vivres,  tandis  qu'ils  en  avaient 
eux-mêmes  grand  besoin;  s'ils  le  faisaient  quelquefois,  c'est 
qu'ils  aimaient  mieux  vendre  leurs  denrées,  au  risque  de  ne 
jamais  être  payés,  que  d'en  être  dépouillés  par  les  maraudeurs. 

D'ailleurs,  les  soldats  de  don  Juan  s'étaient  souvent  appro- 
visionnés chez  lui  ;  il  priait  donc  le  général  espagnol  de  ne  pas 
empêcher  les  Liégeois  de  recevoir  leurs  denrées  des  provinces 
voisines,  ce  qui  l'obligerait  d'user  de  représailles  à  l'égard  des 
sujets  de  Philippe  II.  Si  des  Espagnols  avaient  été  outragés,  il 
le  regrettait;  le  cas  échéant,  il  ferait  bonne  justice  des  coupa- 
bles. Il  requérait  enfin  Son  Altesse  de  punir  les  soldats  qui 
pillaient  la  campagne,    lui  promettait  de  défendre   Dinant, 


1  Déjà,  en  1567,  Gérard  de  Groesheck,  en  conformité  des  mandement» 
impériaux,  défendait ,  sous  peine  de  la  vie,  de  prendre  du  service  ebrz  les 
rebelles  des  Pays-Bas.  V.  Bouille  ,  Histoire  de  la  ville  et  du  pays  de  Liège, 
t.  II,  p.  437. 


(  469  ) 

comme  les  autres  forteresses,  l'assurait  de  tout  son  dévouement, 
et  s'engageait  à  prier  Dieu  pour  qu'il  mît  fin  aux  troubles  qui 
désolaient  ses  États  et  ceux  de  son  voisin,  le  roi  catholique  *. 
Cette  réponse  *,  dont  nous  avons  retrouvé  l'original  aux 
Archives  du  royaume,  montre  que  les  autorités  liégeoises 
approuvaient  la  conduite  de  leur  évêque,  et  que  celui-ci  prati- 
quait loyalement  cette  politique  de  neutralité,  la  seule  qui  pût 
empêcher  la  ruine  totale  de  son  pays.  Gérard  de  Groesbeck 
tenait  la  balance  égale  entre  les  deux  belligérants.  Conformé- 
ment aux  constitutions  impériales,  il  leur  permettait  de  s'appro- 
visionner sur  son  territoire,  mais  déclinait  leurs  propositions 
d'alliance.  Il  leur  accordait  donc  les  mêmes  avantages  et  leur 
opposait  les  mêmes  refus,  seule  attitude  qui  convînt  à  un  sou- 
verain qui  voulait  préserver  ses  sujets  des  atteintes  de  l'horrible 
guerre  qui  déchirait  les  Pays-Bas. 


IV 


Il  ne  suffit  pas  de  proclamer  la  neutralité  de  son  pays;  en 
temps  de  guerre,  il  faut  la  faire  respecter.  Or,  Gérard  avait  à 
contenir  les  dispositions  belliqueuses  d'une  partie  de  ses  sujets 
et  à  réprimer  les  insolences  des  soldats  espagnols,  insolences 
qui  alimentaient  l'hostilité  des  Liégeois  à  l'égard  des  gouver- 
neurs des  Pays-Bas. 

C'étaient  surtout  les  villes  frontières  de  la  principauté,  prin- 
cipalementHuy  et  Dînant,  ainsi  que  quelques  localités  du  comté 
de  Looz,  qui  haïssaient  les  Espagnols.  Don  Juan  ne  mentait  pas, 
quand  il  écrivait  à  Philippe  II  «  que  les  Liégeois,  quoiqu'ils 
dussent  être  neutres,  tenaient  le  parti  des  états  »  2.  Ces  Liégeois 
étaient  avant  tout  les  habitants  des  communes  voisines  du  mar- 


1  Nous  publions  cette  réponse  de  Groesbeck  dans  nos  pièces  justificatives, 
n«  XXII. 

*  Gâcha rd,  Corresfondance  de  Philippe  II,  t.  V,  lettre  de  don  Juan  au 
roi,  du  21  janvier  1577. 


.*   i 


(170) 

quisat  de  Namur.  A  l'époque  où  Marguerite  de  Valois  traversa 
nos  contrées  pour  se  rendre  à  Spa,  la  petite  localité  de  Huy 
était  en  pleine  agitation  «  tumultueuse  et  mutine  (comme  tous 
ces  peuples-là  se  sentaient  de  la  révolte  générale  des  Pays-Bas) 
ne  rëcognoissoit  plus  son  évesque,  à  cause  qu'il  vivait  neutre, 
et  elle  tenoit  le  party  des  états.  » 

Arrivée  à  Dinant,  la  belle  voyageuse  eut  fort  à  faire  pour 
empêcher  la  population  de  dévaster  la  maison  où  elle  logeait. 
On  voulait  massacrer  le  maître  d'hôtel  de  l'évêque  qui  raccom- 
pagnait, et  la  princesse  effarée  dut  se  réclamer  du  comte  de 
Lalaing,  grand  bailli  du  Hainaut,  l'ennemi  de  don  Juan.  Ce 
nom,  paraît-il,  produisit  une  sorte  de  charme  sur  la  foule 
irritée,  qui  s'employa  dès  lors  à  faciliter  le  retour  de  Marguerite 
en  France  et  à  lui  éviter  toute  rencontre  fâcheuse.  Les  Dinan- 
tais  avaient  fermé  leurs  portes  à  la  troupe  du  comte  de  Berlay- 
mont,  que  don  Juan  envoyait  au-devant  de  la  princesse  pour  la 
conduire  à  Namur;  ils  craignaient  que  le  rusé  général  ne 
s'emparât  de  leur  ville,  comme  il  avait  surpris  la  citadelle  de 
Namur  quelques  semaines  auparavant.  Tous  ces  incidents,  si 
agréablement  racontés  par  le  spirituel  écrivain,  prouvent  assez 
dans  quelle  effervescence  vivaient  les  habitants  du  pays  de 
Liège,  voisins  du  marquisat  de  Namur  *. 

Ce  qui  irritait  particulièrement  les  Liégeois  contre  les  Espa- 
gnols, c'étaient  les  excès  de  ces  soudards  qui  avaient  été  intro- 
duits dans  notre  pays  par  les  généraux  de  Philippe  II.  On  ne 
peut  se  rendre  compte  des  malheurs  qui  affligèrent  nos  provinces 
pendant  ces  années  désastreuses,  malheurs  dont  on  trouve,  à 
chaque  instant,  la  description  dans  le  récit  des  chroniqueurs 
liégeois  2  et  dans  les  nombreuses  lettres  adressées  aux  gouver- 
neurs généraux  des  Pays-Bas  par  Gérard  de  Groesbeck  et  par 


1  Voir  les  Mémoires  de  Marguerite  de  Valois  (édition  de  là  Société  d'his- 
toire de  France),  pp.  119  ss. 

1  Voir,  dans  Cuapeaville,  l'histoire  des  dernières  années  de  Gérard  de 
Groesbeck  ei  du  règne  d'Ernest  de  Bavière.  La  chronique  de  cei  écrivain 
devient  très  intéressante  pour  l'époque  dont  nous  nous  occupons. 


(171  ) 

Ernest  de  Bavière.  On  est  navré  quand  on  lit  ce  lamentable  récit 
des  misères  de  nos  pères.  Les  horreurs  qui  avaient  marqué  le 
triomphe  des  Espagnols  à  Anvers  furent  renouvelées  à  Maas- 
tricht en  4576  et  en  1579,  à  Huy,en  1595.  Les  riches  campagnes 
de  la  Hesbaye  et  du  Condroz  étaient  mises  en  coupe  réglée  par 
les  bandits.  Les  garnisons  de  Diest,  de  Léau,  de  Hérenthals, 
étendaient  leurs  ravages  jusque  sous  les  murs  de  Hasselt,  ran- 
çonnaient les  habitants,  enlevaient  les  récoltes,  rendaient  les 
transactions  commerciales  presque  impossibles,  et  les  généraux 
étaient  impuissants  à  réprimer  le  brigandage  de  leurs  soldats, 
qui,  rarement  payés,  vivaient  aux  dépens  des  paysans. 

Les  plus  terribles  de  ces  pillards  étaient  les  déserteurs,  les 
vagabonds,  les  vrybuters,  comme  on  les  désigne  d'ordinaire,  qui 
s'abattaient  sur  les  campagnes  et  les  dévastaient,  comme  ne 
leussent  pas  fait  des  nuées  de  sauterelles.  Ceux  qui  tombaient 
dans  les  mains  des  bourgeois  étaient  exécutés  sans  miséricorde, 
mais  leur  mort  irritait  davantage  les  survivants  et  provoquait 
de  leur  part  de  terribles  représailles.  Si  le  pays  de  Liège  eût 
été  protégé  par  de  nombreuses  forteresses  ou  défendu  par 
une  vigoureuse  milice,  il  eût  peut-être  été  assuré  contre  ces 
envahisseurs,  mais,  épuisé  par  les  troubles  des  années  précé- 
dentes, il  manquait  des  ressources  nécessaires  pour  entretenir 
des  troupes  suffisantes.  Les  eût-il  trouvées,  il  n'eût  pas  encore 
été  guéri  des  maux  dont  il  souffrait  :  telle  était  l'organisation 
des  armées  à  cette  époque,  que  la  présence  du  soldat,  national 
ou  étranger,  était  toujours  un  malheur  pour  le  peuple  qui 
devait  la  supporter. 

Ces  excès  des  soudards  provoquaient  des  représailles  de  la 
part  des  habitants,  et  ces  représailles  suscitaient  les  plaintes  des 
gouverneurs  espagnols. 

Don  Juan,  Alexandre  Farnèse,  Ernest  de  Mansfeld,  préten- 
dirent souvent  que  les  Liégeois  donnaient  asile  aux  déserteurs  *, 


1  Des  peines  très  sévères  avaient  été  édictées  contre  les  soldats  vagabonds 
dans  les  diètes  allemandes.  L'édil  d'Augsbourg  de  4548  défendait,  par  son 
litre  XXIV,  de  rien  leur  accorder,  mais  de  les  arrêter  et  de  les  justicier; 


(  172  ) 

persécutaient  leurs  soldats,  les  empêchaient  de  se  ravitailler. 
Les  liasses  de  V Audience  et  les  Registres  aux  dépêches  du  Conseil 
privé  des  évêques  de  Liège,  contiennent  un  grand  nombre  de 
lettres  des  lieutenants  de  Philippe  II  aux  princes-évêques.  Elles 
dénotent  une  sourde  irritation  de  tous  ces  généraux  qui  ne 
pardonnent  pas  aux  Liégeois  d'observer  la  neutralité.  Quant 
aux  autorités  liégeoises,  elles  suivent  la  même  tactique  :  elles 
réfutent  les  faits  qu'on  leur  reproche,  invoquent  les  constitu- 
tions impériales,  demandent  qu'on  respecte  leur  neutralité.  Le 
plus  souvent,  il  n'était  tenu  aucun  compte  de  leurs  réclamations, 
môme  des  plus  légitimes;  aussi  la  petite  principauté  souffrit 
presque  autant  que  les  Pays-Bas  de  la  terrible  guerre  civile  que 
la  tyrannie  de  Philippe  II  avait  allumée  dans  nos  provinces.  Ce 
serait  trop  nous  écarter  de  notre  sujet  que  de  faire  le  tableau 
à  la  fois  si  triste  et  si  intéressant  des  misères  de  nos  pères  au 
XVI6  siècle.  Nous  conseillons  aux  Liégeois  qui  désireraient 
connaître  le  sort  de  leurs  ancêtres,  pendant  cette  époque  néfaste, 
de  parcourir  les  nombreux  documents  insérés  par  M.  le  cha- 
noine Daris  dans  son  instructive  histoire  de  la  principauté  au 
XVIe  siècle.  Ils  verront  toutes  les  calamités  qui  affligèrent  le 
petit  pays  pendant  la  période  de  nos  guerres  civiles,  et  mau- 
diront les  auteurs  de  tant  d'infortunes. 


On  se  demandera  ce  que  les  gouverneurs  des  Pays-Bas  pen- 
saient de  cette  nouvelle  politique  des  états  liégeois,  qui  leur 
enlevait  un  allié,  au  moment  du  danger,  et  anéantissait  ce  traité 
de  1518  auquel  Charles-Quint  attachait  tant  de  prix. 


il  menaçait  l'Élat  de  l'empire  qui  manquerait  à  ce  devoir  d'une  amende  de 
40  marcs  d'or.  Voir  Koch,  loc.  cit.,  L II,  p  S84.  Celle  prescription  $ e  retrouve 
dans  les  nombreux  édils  de  Landfrieden  contenus  dans  le  5*  volume  de  la 
même  collection  ;  elle  est  répétée  dans  les  articles  38  à  42  de  ledit  d'Àugs- 
bourgde  1555. 


(  "3) 

Les  Espagnols  subirent,  plutôt  qu'ils  ne  l'acceptèrent,  la  neu- 
tralité du  territoire  épiscopal.  Les  difficultés  qu'ils  éprouvaient 
aux  Pays-Bas  les  empêchaient  d'exiger  des  Liégeois  la  fidèle 
exécution  du  pacte  de  1518  ;  ils  étaient  assez  heureux  que  les 
évéques  continssent  les  dispositions  belliqueuses  de  leurs 
sujets,  si  hostiles  aux  Espagnols. 

Aussi  l'attitude  des  lieutenants  de  Philippe  II  à  l'égard  des 
Liégeois  fut-elle  indécise  et  quelquefois  contradictoire.  Tantôt 
le  fougueux  don  Juan  rappelle  à  Gérard  de  Groesbeck  les 
anciens  traités  d'alliance  et  en  réclame  l'exécution,  se  plaignant 
amèrement  des  habitants  de  Saint-Trond  et  déclarant  nettement 
qu'il  ne  souffrira  pas  qu'ils  observent  la  neutralité  :  «  seulement 
vous  diray  (à  l'évéque)  que  comme  estant  leur  seigneur  ne  vous 
ay  voulu  celer  ce  fait  à  ce  que  selon  la  puissance  quavez  sur 
eulx  commendezqu'ilz  se  déportent  de  telles  actes  y  pourvoyant 
par  les  remèdes  plus  convenables  sans  que  lesdits  de  Saint-Trond 
s'arrestent  au  Mire  de  leur  prétendue  neutralité  laquelle  je  nentends 
aucuneme)it  avoir  lieu  *.  Tantôt  Farnèse  semble  reconnaître  la 
neutralité  des  Liégeois,  mais  pour  se  plaindre  que  cette  neu- 
tralité n'est  pas  loyalement  observée,  parce  qu'on  lui  refuse  de 
faire  descendre  la  Meuse  à  quatre  de  ses  bateaux;  ce  refus  était 
injustifiable,  écrivait  le  gouverneur,  puisqu'il  n'attaquait  pas  un 
prince  voisin,  mais  soumettait  des  rebelles  et  éteignait  un  mal 
dont  la  contagion  pouvait  frapper  les  pays  voisins  2. 

L'habile  gouverneur  aimait,  d'autre  part,  à  prodiguer  ses 
assurances  de  dévouement  à  Ernest  de  Bavière  et  multipliait 
ses  promesses  de  soulager  le  territoire  liégeois  3  ;  mais  ces  pro- 
messes ne  s'accomplirent  que  bien  tard,  car,  jusqu'en  1588,  les 
troupes  du  duc  de  Parme  hivernèrent  dans  la  principauté 
qu'elles  ruinèrent  pour  longtemps. 


1  Lettre  de  don  Juan  à  Gérard  de  Groesbeck,  da  11  aoùll578.  (Audience, 
pièce  non  classée). 

*  Lettre  d'Alexandre  Parnèse  a  Gérard  de  Groesbeck,  du  6  décembre  1578, 
(Audience,  pièce  non  classée). 

8  Voir  Dams,  loc.  cil ,  pp.  477  ss. 


(174) 

En  1591,  le  conseiller  Brosia  vint  à  Liège i  réclamer  l'exécu- 
tion des  traités  de  1398  et  de  1518,  et  se  plaindre  que  le  pays 
de  Liège  était  rempli  de  francs  pillards,  qu'un  officier  royal 
avait  été  tué  par  un  habitant  de  Saint-Trond,  que  les  soldats 
qui  avaient  dévasté  le  Limbourg  trouvaient  un  refuge  sur  le 
territoire  épiscopal.  Le  chapitre  cathédral  répondit  qu'il  avait 
reçu  plus  d'injures  de  ses  voisins  qu'il  ne  leur  en  avait  fait; 
qu'il  était  impossible  que  les  pillards  ne  passassent  point  par  la 
principauté,  entourée  de  provinces  belges;  que  le  gouverneur 
espagnol  devait  prendre  ses  mesures  pour  les  arrêter. 

Les  Espagnols  n'entendaient  donc  pas  renoncer  aux  béné- 
fices de  ce  traité  de  1518  qui  leur  était  si  avantageux;  ils  espé- 
raient obtenir  d'Ernest  de  Bavière  ce  qui  leur  avait  été  refusé 
par  Gérard  de  Graesbeck. 

Le  22  juin  1592,  Etienne  de  Graesbeck,  membre  du  conseil 
de  Brabant,  se  rendit  à  Liège  de  la  part  du  comte  de  Hansfeld, 
gouverneur  intérimaire  des  Pays-Bas.  Graesbeck  devait  se 
plaindre  de  l'édit  de  neutralité  promulgué  en  1590  par  le  prince 
de  Liège  à  l'égard  des  rebelles  des  Pays-Bas,  édit  qu'Ernest  de 
Bavière  avait  en  vain  promis  de  reviser;  représenter  que  les 
vrybuters  se  réfugiaient  dans  les  villes  de  Saint-Trond,  de 
Tongres,  de  Huy,  de  Maeseyck,  de  Hasselt  et  de  Dinant,  ce  qui 
était  contraire  aux  anciens  traités  d'alliance  et  particulièrement 
à  la  Landfriedt  de  l'Empire.  Il  demandait  donc  que  les  pillards 
ne  fussent  plus  reçus  dans  le  pays  de  Liège,  que  le  prince 
déclarât  catégoriquement  s'il  maintenait  l'alliance  de  1518.  Le 
conseiller  Brosia  avait  présenté  une  pareille  requête  Tannée 
précédente,  et  le  prince  avait  promis  de  s'en  remettre  aux  états; 
mais,  malgré  la  réunion  de  ceux-ci,  on  n'avait  pas  encore  répondu 
à  Son  Altesse,  le  gouverneur  des  Pays-Bas. 

Ernest  de  Bavière  objecta  que  l'assentiment  des  états  ne 
suffisait  pas  pour  renouveler  le  pacte  de  Saint-Trond,  parce  que 


1  Voir  les  Registres  aux  conclusions  capilulaires  du  chapitre  de  Saint- 
Lambert,  année  1591,  aux  Archives  de  l'État,  à  Liège. 


(478) 

les  circonstances  étaient  autres  qu'en  4S18  ;  que  l'observation 
dudit  pacte  entraînerait  les  Liégeois  à  prendre  les  armes,  ce 
que  ni  lui  ni  les  états  «  ne  peuvent  entreprendre  suivant  les 
ordonnances  et  constitutions  impériales  tant  de  la  paix  publique 
dite  Landfriedt  qu'aultres,  sans  l'exprès  consentement  de  Sa 
Majesté  impériale  et  des  états  de  l'empire  de  sorte  que  toutes 
telles  alliances  et  confederacions  et  entreprises  de  guerre  sont 
mises  à  néant  et  défendues  respectivement  ».  Il  rappelait  ce  qui 
était  advenu  à  Georges  d'Autriche,  en  1S54  :  ce  prince-évêque 

9 

avait  secouru  Charles-Quint,  dont  les  Etats  étaient  envahis  par 
la  France;  il  se  mit  en  frais  et,  plus  tard,  dut  s'excuser  de  ne 
pouvoir  payer  sa  quote-part  des  contributions  impériales;  il  fut 
blâmé  par  la  diète  pour  avoir  fait  la  guerre  sans  le  consente- 
ment de  l'empire. 

Ensuite  Ernest  de  Bavière  représentait  que  la  conduite  des 
troupes  royales  avait  été  une  violation  continuelle  de  l'alliance 
de  1518;  qu'au  lieu  d'aider  les  Liégeois  à  expulser  les  vaga- 
bonds qui  ravageaient  leur  territoire,  les  soldats  espagnols 
avaient  pillé  et  ruiné  le  pays.  Il  rappelait  les  nombreux  torts 
dont  les  souverains  des  Pays-Bas  s'étaient  rendus  coupables  à 
l'égard  de  la  principauté  :  érection  des  forteresses  de  Marien- 
bourg  et  de  Philippeville  sans  compensation,  usurpation 
sur  les  droits  épiscopaux  dans  une  foule  de  localités,  dimi- 
nution sans  indemnité  du  diocèse,  «  ce  qui  ne  semble  être 
convenable  entre  alliez  et  confederez  d'aultant  que  ladite 
alliance  devoit  servir  pour  le  maintien  des  droits  de  l'un  et 
de  l'autre  ». 

En  conséquence,  Philippe  II  ne  devait  pas  compter  sur  une 
coopération  militaire,  mais  se  contenter  de  la  bonne  amitié  des 
Liégeois  et  permettre  à  ceux-ci  d'observer  la  plus  stricto  neu- 
tralité, d.'autant  qu'ils  observaient  plus  loyalement  que  les 
Espagnols  les  ordonnances  impériales. 

Ernest  de  Bavière  rappelait  ensuite  les  mauvais  offices  des 
Belges  à  l'égard  de  ses  sujets.  N'avait-on  pas  répandu  le  bruit 
que  les  Liégeois  avaient  arrêté  leur  prince  à  Huy,  bruit  qui 
avait  pris  une  telle  consistance  qu'il  fallut  la  présence  du  prélat 


(176) 

à  Bruxelles  pour  le  dissiper?  N'avait-on  pas  dit  que  les  Lié- 
geois voulaient  s'allier  aux  Hollandais,  parce  qu'ils  avaient 
envoyé  vers  ces  derniers  des  députés,  députés  qui  devaient 
leur  demander  satisfaction  pour  les  ravages  de  leurs  soldats? 
Les  Espagnols  infestaient  les  routes  et  empêchaient  les  mar- 
chands liégeois  de  se  rendre  à  la  foire  de  Francfort.  Ces 
mauvais  procédés  se  justifiaient  d'autant  moins  que  le  prince- 
évéque  remplissait  ses  devoirs  de  souverain  neutre.  Il  avait 
fait  arrêter  tous  les  francs  pillards,  ce  qui  le  dispensait  de 
réformer  redit  qui  les  concernait;  d'ailleurs,  il  ne  se  croyait 
pas  responsable  de  leurs  déprédations,  qui  s'exerçaient  aussi 
bien  dans  les  Pays-Bas  que  dans  la  principauté.  S'ils  envahis- 
saient plus  souvent  le  territoire  liégeois,  c'est  que  la  Campine 
n'avait  pas  été  pourvue  de  forteresses,  négligence  imputable 
aux  Espagnols.  Les  Liégeois  avaient  ordonné  une  levée  de  fan- 
tassins, mais  n'avaient  pas  été  soutenus  par  leurs  voisins.  Quant 
à  lui,  prince-évêque,  il  défendrait  la  foi  catholique  jusqu'à  son 
dernier  soldat  et  tenterait  tout  pour  reprendre  une  place  qui 
tomberait  aux  mains  de  ses  ennemis. 

Cette  énergique  réponse  ne  plut  guère  à  Hansfeld.  Ce  général 
la  trouva  remplie  de  considérations  contradictoires  qu'il  était 
facile  de  «  rétorquer  ».  Il  voulut  savoir  d'une  façon  formelle 
si  l'évêque  respecterait  les  anciens  traités,  principalement  celui 
de  1518  ;  le  roi,  disait-il,  ne  demandait  pas  le  renouvellement 
de  l'alliance  de  Saint-Trond,  mais  son  exécution  ;  il  n'enten- 
dait pas  non  plus  obliger  son  allié  à  s'armer  pour  lui  ni  à  lui 
avancer  de  l'argent,  mais  désirait  que  les  Liégeois  ne  signassent 
plus  avec  les  rebelles  un  traité  qui  consacrât  la  neutralité  de 
leur  pays.  Lui-même  se  verrait  contraint  de  poursuivre  ces 
rebelles  sur  le  sol  liégeois,  s'ils  continuaient  à  s'y  réfugier, 
«  par  où  se  veoit  si  cette  neutralité  serait  souffrable  et  si  elle 
est  conforme  aux  traictés  veullans  que  l'on  soit  amis  d'amis 
et  ennemis  d'ennemis  contenans  aussi  obligation  mutuelle 
de  sayder  réciproquement  à  repousser  les  ennemis  de  l'un 
et  de  l'autre  ». 

A  défaut  de  traités  spéciaux,  les  Liégeois  devaient  chasser 


(177  ) 

les  ennemis  du  roi;  ils  le  devaient,  parce  que  leur  territoire 
était  enclavé  dans  les  Pays-Bas  et  que  la  religion  catholique 
était  en  péril.  Lui,  Hansfeld,  ne  pouvait  donc  se  contenter  de 
la  réponse  «  maligne  »  de  Pévêque,  et  il  espérait  que  celui-ci 
châtierait  les  révoltés  et  ferait  une  démonstration  contre 
«  aucunes  siennes  petites  villes  qui  admettent  telz  ennemis  du 
bien  et  repos  publicque  ». 

Mais  ni  les  réclamations  de  Hansfeld,  ni  les  démarches  de 
Philippe  II  *  n'amenèrent  une  confirmation  dû  traité  de  Saint- 
Trond.  Les  Liégeois  étaient  résolus  à  rester  neutres,  et,  sans 
dénoncer  officiellement  l'alliance  de  1518,  ils  s'abstenaient 
d'en  remplir  les  principales  prescriptions.  Le  Gouvernement 
espagnol  fit  de  vains  efforts  pour  obtenir  le  renouvellement  de 
ce  pacte,  dont  l'exécution  lui  eût  été  si  avantageuse.  Ainsi, 
en  1598,  quand  l'archidiacre  Jacques  de  Carondelet  et  le  cha- 
noine Georges  de  Méan  se  rendirent  à  Pruxelles  pour  régler 
certaines  questions  litigieuses  2,  les  députés  de  l'archiduc 
Albert  voulurent  que  les  Liégeois  confirmassent  avant  tout 
l'ancienne  alliance.  Ils  eussent  désiré  qu'on  imitât  ce  qui  avait 
été  pratiqué  en  1569,  quand  le  duc  d'Albe  et  Gérard  de  Groes- 
beck  signèrent  leur  concordat,  c'est-à-dire  qu'on  insérât  dans 
le  texte  du  traité  un  article  préliminaire  qui  consacrât  à  nou- 
veau le  pacte  de  1518.  Cette  tactique  était  habile,  mais  les 
députés  liégeois  la  prévinrent  en  répondant  qu'ils  étaient  sim- 
plement ch  irgés  d'arranger  les  points  de  juridiction  débattus 
entre  les  deux  États. 

Elle  mourait  donc  de  sa  belle  mort,  cette  fameuse  alliance 


1  Voir,  dans  nos  pièces  justificatives  (n°  XXIII),  la  lettre  de  Philippe  II  à 
Ernest  de  Bavière  du  6  février  1593.  La  copie  de  cette  lettre,  ainsi  que  tous 
les  documents  de  la  correspondance  échangée  entre  Ernest  de  Bavière  et 
Ernest  de  Mansfeld,  lors  des  tentatives  faites  pour  renouveler  l'alliance  de 
1518,  forment  un  dossier  spécial  qui  se  trouve  dans  le  carton  H  dos  Documents 
relatifs  au  pays  de  Liège  (Archives  du  royaume). 

*  Le  dossirr  de  celte  affaire  se  trouve  dans  le  carton  11  précité. 

Tome  XLI.  12 


(  178  ) 

de  1518  *,  création  d'Erard  de  la  Marck,  qui  avait  si  heureu- 
sement servi  la  politique  de  Charles-Quint.  Les  Liégeois 
l'abandonnaient,  parce  qu'ils  la  trouvaient  trop  onéreuse,  et  le 
Gouvernement  des  Pays-Bas  était  impuissant  à  en  réclamer  le 
rétablissement.  Jusqu'à  l'époque  de  Louis  XIV,  la  petite  prin- 
cipauté observa  cette  attitude  prudente  qu'elle  avait  adoptée 
à  l'arrivée  de  don  Juan  dans  les  Pays-Bas.  Si  la  neutralité  de 
leur  territoire  fut  souvent  violée,  les  Liégeois  retirèrent  du 
moins  l'avantage  de  ne  pas  être  forcés  de  combattre  en  dehors 
de  leurs  frontières  et,  en  déclinant  les  propositions  d'alliance 
de  leurs  voisins,  ils  se  mirent  en  garde  contre  les  surprises  de 
la  politique  et  les  retours  de  la  fortune. 


1  C'est  à  torl  que  Louvrex,  loc  cit.,  1"  partie,  p.  194,  dit  que  ce  traité  fut 
renouvelé  par  celui  de  1615.  Les  articles  45  et  46  du  traité  de  1615  (y.  Lou- 
vrex, loc.  cit.,  pp.  234  ss.)  confirment  les  clauses  du  traité  de  1518  qui  per- 
mettaient aux  magistrats  des  deux  États  d'arrêter  sur  le  territoire  allié  le 
délinquant  qui  aurait  commis  un  crime  dans  leur  propre  pays,  à  condition  de 
renvoyer  ce  délinquant  devant  ses  juges  naturels;  mais  le  même  traité  ne 
cou  lient  aucun  article  qui  rappelle  l'ancienne  alliance  de  1518. 


CONCLUSION. 


Au  début  de  ce  mémoire,  nous  avons  exposé  le  rôle  que  la 
politique  assignait  dans  nos  provinces  aux  Habsbourg  :  réunir 
sous  leur  sceptre  tous  les  Pays-Bas  et  compléter  le  travail  de 
centralisation  commencé  par  les  ducs  de  Bourgogne.  Charles- 

9 

Quint  exécuta  fidèlement  ce  programme.  A  ses  Etats  hérédi- 
taires il  ajouta  Tournai,  Groningue,  la  Gueldre  et  Zutphen, 
s'empara  du  temporel  de  l'évêché  d'Utrecht  et  del'Overyssel, 
se  fit  nommer  avoué  de  Cambrai.  La  transaction  d'Augsbourg 
de  4848  érigea  les  Pays-Bas  en  un  cercle  de  l'empire,  le  cercle 
de  Bourgogne,  et  la  pragmatique  sanction  de  1549  assura  l'in- 
divisibilité des  dix-sept  provinces. 

Philippe  II  ne  sut  pas  conserver  tous  les  joyaux  du  riche 
écrin  que  lui  légua  son  père  quand  il  abdiqua  la  souveraineté 
des  Pays-Bas.  Son  despotisme  administratif  et  son  intolérance 
religieuse  lui  aliénèrent  les  sympathies  des  Néerlandais;  pres- 
que tous  les  Pays-Bas  imitèrent  l'héroïsme  de  la  Hollande  et 
de  la  Zélande  et  s'insurgèrent  contre  la  domination  espagnole. 
Les  victoires  d'Alexandre  Farnèse  ne  ramenèrent  sous  l'auto- 
rité royale  que  les  provinces  méridionales,  et  Philippe  II 
mourut  sans  voir  la  fin  de  cette  révolution,  que  sa  tyrannie 
avait  provoquée. 

Pourquoi  le  grand  empereur  respecta-t-il  l'intégrité  territo- 
riale de  la  petite  principauté  de  Liège,  qui  séparait  si  malen- 
contreusement plusieurs  de  ses  provinces  belges?  Comment  ce 
pays  résista-t-il  aux  commotions  violentes  qui  ébranlèrent  le 
nord  de  l'Europe  au  XVIe  siècle,  l'époque  la  plus  agitée  et  la 
plus  orageuse  des  temps  modernes?  Comment  cette  étroite 


(180) 

bande  de  terre,  convoitée  par  de  puissants  voisins,  conserva-t- 
elle  son  indépendance  politique  et  ses  libertés  locales,  pendant 
que  d'autres  contrées  étaient  successivement  annexées  au 
domaine  des  Habsbourg  et  que  de  grandes  communes  fla- 
mandes perdaient  leurs  glorieux  privilèges? 

La  solution  de  ces  questions,  questions,  à  coup  sûr,  des  plus 
intéressantes  pour  notre  histoire,  se  trouve  dans  l'étude  des 
relations  diplomatiques  des  Pays-Bas  et  de  la  principauté  de 
Liège  au  XVIe  siècle.  Les  propositions  d'alliance  des  la  Marck 
prévinrent  les  projets  d'agrandissement  des  Pays-Bas  du  côté 
de  la  vallée  de  la  Meuse,  et  le  jeune  Charles-Quint  fut  heu- 
reux  de  trouver  une  occasion  de  se  concilier  l'amitié  d'un  Etat 
qui  avait  témoigné  une  hostilité  implacable  à  ses  ancêtres  et 
qui,  en  s'al liant  aux  Gueldrois  et  aux  Français,  aurait  'mis  en 
péril  sa  domination  dans  nos  provinces. 

Plus  clairvoyant  ou  mieux  inspiré  que  ses  prédécesseurs, 
Charles-Quint  comprit  donc  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  l'al- 
liance des  Liégeois.  En  signant  le  traité  de  1518,  il  mit  fin  à 
cette  haine  séculaire  qui  excitait  les  Liégeois  contre  leurs  voi- 
sins, les  Néerlandais,  et  qui  nuisait  aux  intérêts  matériels  des 
deux  peuples.  Il  put  dompter  la  révolte  des  Gueldrois  et  ruiner 
les  projets  d'agrandissement  des  Français  du  côté  des  Pays- 
Bas.  L'alliance  des  Liégeois  lui  permit  enfin  d'exécuter  ses 
projets  de  centralisation  et  d'annexion,  tandis  que  leur  inimitié 
eût  probablement  provoqué  dans  la  vallée  de  la  Meuse  une 
insurrection  dangereuse  pour  nos  provinces. 

En  disant  donc,  à  propos  des  Liégeois,  «  que  mieulx  les 
aymait  avoir  ses  bons  voisins  et  amys  que  ses  propres  sub- 
jects  »,  Charles-Quint  montrait  un  tact  diplomatique  qui 
avait  malheureusement  manqué  à  ses  ancêtres,  les  ducs  de 
Bourgogne. 

Toutefois  on  se  tromperait  singulièrement  si  l'on  voyait, 
dans  cette  nouvelle  attitude  de  la  cour  des  Pays-Bas  à  l'égard  de 
la  principauté  de  Liège,  le  désir  de  respecter  fidèlement  les 
clauses  du  contrat  d'alliance  ou  de  défendre  les  intérêts  de 
l'Etat  ami. 


(181  ) 

En  acceptant  le  traité  de  1518,  Charles-Quint  se  promettait 
de  l'interpréter  dans  un  sens  favorable  à  sa  politique.  Le  sou- 
verain qui  avait  choisi  pour  devise  les  fières  paroles  «  Plus 
oultre  »  n'entendait  pas  traiter  le  prince  de  Liège  en  égal  ;  il  se 
réservait  d'en  faire  l'exécuteur  de  ses  volontés  ou  l'instrument 
de  son  ambition. 

De  là  ces  différentes  tentatives  du  puissant  empereur  de 
reviser  le  traité  de  Saint-Trond  et  d'introduire  des  soldats 
néerlandais  dans  les  forteresses  liégeoises,  tentatives  qui 
échouèrent  devant  la  résistance  des  états  de  la  principauté. 

Déçu  de  ce  côté  et  n'osant  violenter  un  peuple  dont  il  con- 
naissait l'indomptable  énergie,  Charles-Quint  fit  jouer  tous  les 
ressorts  de  la  politique  pour  étendre  son  influence  dans  la 
principauté.  Il  mina  l'autorité  spirituelle  des  princes-éveques, 
intrigua  auprès  du  chapitre  cathédral  pour  préparer  l'élection 
de  prélats  dévoués  à  sa  famille,  signala  à  ses  agents  les  pra- 
tiques des  bourgeois  récalcitrants  ou  tenta  de  corrompre  les 
magistrats  locaux. 

Les  gouvernantes  générales,  Marguerite  d'Autriche  et  Marie 
de  Hongrie,  comprirent  les  intentions  de  leur  royal  parent  et 
ne  négligèrent  rien  pour  enchaîner  plus  étroitement  la  princi- 
pauté aux  Pays-Bas.  Rappelons-nous  les  ambassades  envoyées 
à  Liège  à  l'avènement  de  Corneille  de  Berghes,  les  instructions 
données  aux  Liégeois  pendant  la  dernière  guerre  des  Pays-Bas 
contre  François  Ier,  et  la  curieuse  mission  dont  le  conseiller 
Boisot  fut  chargé  après  la  découverte  de  la  conspiration  des  la 
Marck.  Ces  divers  épisodes,  qui  ont  été  ignorés  de  presque  tous 
les  écrivains  liégeois,  caractérisent  admirablement  la  façon  dont 
le  Gouvernement  néerlandais  interprétait  quelquefois  le  pacte 
de  1518. 

Il  n'a  donc  pas  tenu  à  Charles-Quint  ni  à  ses  conseillers  que 
la  principauté  de  Liège  ne  devînt  une  province  des  Pays-Bas.  Si 
le  grand  empereur  restreignit  ses  velléités  d'annexion  dans  la 
vallée  de  la  Meuse,  c'est  qu'il  eut  à  surmonter  de  nombreuses 
difficultés  suscitées  parla  révolte  de  la  Gueldre  et  par  les  guerres 
de  la  France,  et  qu'il  eut  besoin  de  l'alliance  ou  de  l'amitié  des 
Liégeois. 


(  182  ) 

Les  nations,  a-t-on  dit,  ont  le  sort  qu'elles  méritent.  S'il  est 
un  peuple  qui  comprit  sa  situation  au  XVIe  siècle  et  se  montra 
digne  de  la  liberté,  c'est  bien  le  peuple  liégeois.  Instruit  par  ses 
malheurs  et  dégoûté  de  cette  politique  d'aventures  pratiquée 
par  les  démagogues  du  siècle  précédent,  il  sut  parer  aux  dan- 
gers qui  l'assaillirent  de  toutes  parts.  Le  tiers  état  et  surtout 
le  conseil  de  la  Cité  donnèrent  quelquefois  des  exemples  de 
sagesse  politique  fort  rares  à  cette  époque  de  troubles. 

Ajoutons  que  la  chapitre  de  Saint-Lambert  et  les  prinoes- 
évêques  du  XVIe  siècle  comprirent  sérieusement  leur  mission. 
Bien  différents  de  leurs  honteux  prédécesseurs  du  XVe  siècle, 
qui  furent  pour  la  plupart  de  lâches  courtisans  des  Bourgui- 
gnons, et  des  prélats  du  XVIIe  siècle,  les  despotes  bavarois,  les 
évêques  du  XVIe  siècle  jouèrent  tous  un  rôle  honorable;  quel- 
ques-uns même  révélèrent  des  talents  politiques  de  premier 
ordre. 

A  part  quelques  moments  de  défaillance,  Érard  de  la  Marck 
se  fit  respecter  et  même  craindre  de  Marguerite  d'Autriche. 
On  admirera  toujours  l'énergie  avec  laquelle  ce  prélat  rétablit 
l'ordre  dans  la  principauté  épuisée  par  trente  années  de  guerre 
civile.  L'habileté  qu'il  déploya  dans  ses  diverses  négociations 
avec  Charles-Quint,  le  zèle  avec  lequel  il  seconda  la  politique 
étrangère  des  gouvernantes  des  Pays-Bas,  la  manière  heureuse 
dont  il  restaura  les  finances  et  répara  les  ruines  du  siècle 
précédent,  les  encouragements  qu'il  donna  aux  artistes,  tout 
chez  ce  prélat  dénote  un  esprit  supérieur.  Si  la  principauté 
de  Liège,  plus  heureuse  que  l'évêché  d'Utrecht,  échappa  à 
l'anarchie  dont  la  menaçaient  les  intrigues  de  la  France  et  les 
attaques  des  Gueldrois,  c'est,  en  grande  partie,  à  la  clairvoyance 
de  cet  habile  politique  qu'elle  le  dut.  Érard  de  la  Marck  fut, 
sans  contredit,  le  plus  grand  prince-évêque  de  Liège  des  temps 
modernes,  et  c'est  avec  raison  qu'on  l'a  surnommé  le  Notger  de 
la  Renaissance. 

Les  successeurs  d'Erard  observèrent  la  même  attitude  :  ils 
furent  les  alliés  ou  les  partisans  sincères  de  Charles-Quint, 
mais  jamais  des  courtisans  serviles.  Même  le  fantasque  Cor- 


(  183  } 

neille  de  Berghes  osa  quelquefois  résister  aux  injonctions  de 
Marie  de  Hongrie. 

Aussi,  sous  des  princes  aussi  sages,  la  petite  principauté  fut 
respectée;  elle  vit  même  augmenter  ses  franchises  par  des  sou- 
verains qui  se  distinguèrent  ailleurs  par  leur  ardeur  à  détruire 
les  libertés  communales.  Pour  gagner  leur  amitié,  les  empe- 
reurs Maxim  i  lien  et  Charles-Quint  octroyèrent  aux  Liégeois 
des  privilèges  importants,  en  matière  de  justice  surtout,  et  ces 
privilèges  furent  respectés  et  étendus  par  les  princes-évêques 
contemporains. 

Si  donc  le  pays  de  Liège  conserva  son  indépendance  poli- 
tique, il  le  dut  à  la  nécessité  où  se  trouva  Charles-Quint  de 
ménager  un  État  voisin,  et  à  la  sagesse  des  princes-évêques  et 
des  autorités  locales,  qui  veillèrent  toujours  à  prévenir  la  guerre 
civile  et  à  empêcher  l'intervention  d'une  puissance  étrangère 
dans  leurs  affaires. 

Les  gouverneurs  de  Philippe  II  s'inspirèrent  à  l'égard  du 
pays  de  Liège  des  traditions  diplomatiques  établies  sous  le  règne 
de  Charles-Quint.  L'alliance  de  1318  fut  confirmée,  le  chapitre 
de  Saint- Lambert  élut  des  prélats  agréables  à  la  cour  de  Madrid, 
et  les  deux  pays  agirent  de  concert  pour  lutter  contre  la  Réforme 
et  contre  leurs  ennemis. 

* 

La  révolution  religieuse,  qui  éclata  dans  les  derniers  mois  de 
l'administration  de  Marguerite  de  Parme,  eut  son  écho  dans  la 
petite  principauté,  et  amena,  pour  ainsi  dire,  une  liaison  plus 
intime  entre  les  deux  Gouvernements.  Le  duc  d'Albe  bénéficia 
de  l'alliance  de  1518,  quand  il  repoussa  l'invasion  du  Taciturne; 
ses  successeurs,  Requesens,  don  Juan,  Alexandre  Farnèse, 
trouvèrent  dans  les  évêques  de  Liège,  Gérard  de  Groesbeck  et 
Ernest  de  Bavière,  des  amis  dévoués. 

Gérard  de  Groesbeck  fut  à  la  hauteur  du  rôle  qui  lui  incom- 
bait.  Moins  pénétrant  sans  doute  qu'Erard  de  la  Marck,  mais 
aussi  moins  ambitieux,  ce  sympathique  prélat  triompha  de 
toutes  les  difficultés  par  sa  prudence  et  par  son  esprit  concilia- 
teur. Il  sut  rétablir  l'ordre  dans  ses  bonnes  villes  lossaines  et 
défendit  énergiquement  son  territoire  contre  les  envahisseurs. 


(484) 

Dans  son  zèle  à  préserver  ses  Etats  de  l'entrée  des  soldats  étran- 
gers, il  repoussa  les  avances  de  Guillaume  de  Nassau  et  éluda, 
autant  que  possible,  les  propositions  belliqueuses  du  duc 
d'Albe.  Si,  en  1568,  il  ouvrit  les  forteresses  liégeoises  aux 
Espagnols,  c'est  qu'il  se  vit  menacé  par  les  Gueux,  et,  d'ailleurs, 
en  cédant  à  une  nécessité  aussi  impérieuse,  il  se  conformait  au 
pacte  de  1518.  Plus  tard,  en  s'interposant  entre  les  états  gêné* 
raux  des  Pays-Bas  et  don  Juan,  il  rendit  à  Philippe  II  et  à  son 
lieutenant  d'éminents  services.  Enfin,  en  gardant  une  stricte 
neutralité  dans  la  guerre  des  gouverneurs  espagnols  contre  ces 
mêmes  états  généraux,  il  sauva  la  principauté  de  l'anarchie  et 
inaugura  une  politique  que  son  successeur,  Ernest  de  Bavière, 
respecta  scrupuleusement. 

L'amitié  des  souverains  liégeois  permit  donc  à  Charles- 
Quint  de  triompher  des  Gueldrois  et  des  Français,  comme  aux 
généraux  de  Philippe  II  de  repousser  l'armée  du  Taciturne  et 
d'arrêter  les  progrès  de  la  Réforme. 

Si  le  pays  de  Liège,  comme  au  temps  des  Bourguignons, 
avait  été  l'implacable  ennemi  des  Néerlandais,  Charles-Quint 
aurait  difficilement  empêché  la  jonction  des  Gueldrois  et  des 
Français  ;  si  un  prince-évêque  avait  adopté  les  doctrines  nou- 
velles ou,  à  l'imitation  de  quelques  prélats  allemands,  sécularisé 
son  diocèse,  le  protestantisme  eût  peut-être  triomphé  dans  nos 
provinces.  Charles-Quint  ne  perdit  donc  rien  à  se  montrer 
habile  diplomate. 

En  résumé,  l'attitude  que  les  souverains  des  Pays-Bas  obser- 
vèrent au  XVIe  siècle  à  l'égard  du  pays  de  Liège  entraîna 
l'abandon  de  cette  politique  impitoyable,  trop  longtemps  pra- 
tiquée par  les  ducs  de  Bourgogne.  L'ambition  de  Charles-Quint 
et  de  Philippe  II  de  consolider  et  d'agrandir  leur  autorité  aux 
Pays-Bas  fut  contenue  par  la  nécessité  où  ils  se  trouvèrent  de 
ménager  les  Liégeois  devenus  leurs  alliés.  Cette  nécessité  fut 
admirablement  comprise  par  les  conseillers  de  Charles-Quint 
et  de  Philippe  II,  et  leur  clairvoyance  créa  une  situation  nou- 
velle, aussi  avantageuse  aux  Liégeois  qu'aux  Pays-Bas.  Sans 
doute,  les  Liégeois  furent  quelquefois  blessés  dans  leur  amour- 


(  188) 

propre  parleurs  puissants  alliés;  sans  doute,  leur  pays  fut  sou- 
vent pillé  sans  merci  par  la  soldatesque  espagnole,  et,  dans 
leurs  transactions  avec  la  chancellerie  des  Pays-Bas,  notam- 
ment dans  l'affaire  d'Agimont  *,  ils  n'obtinrent  pas  toujours  les 
dédommagements  auxquels  ils  avaient  droit;  mais  ces  mal- 
heurs, inévitables  à  une  époque  de  troubles,  ne  compromirent 
pas  l'indépendance  de  la  petite  principauté.  Habilement  dirigée 
par  ses  évêques,  et  forte  des  circonstances  qui  rendaient  son 
alliance  nécessaire  à  son  puissant  voisin,  elle  échappa  aux 
crises  aiguës  qui  déchirèrent  les  Pays-Bas.  Les  communes  con- 
servèrent leurs  libertés  séculaires,  les  privilèges  des  bourgeois 
en  matière  judiciaire  furent  même  augmentés;  en  un  mot,  le 
pays  de  Liège  fut  moins  éprouvé  que  le  Brabant  ou  la  Flandre. 
C'est  ce  qui  nous  explique  pourquoi  ce  petit  territoire  témoigna 
pendant  les  siècles  suivants  d'une  vitalité  intellectuelle  et  d'une 
énergie  populaire  qui  contrastent  singulièrement  avec  cette 
décadence  morale  dont  souffraient  déjà  les  Pays-Bas  à  la  fin 
du  XVIe  siècle. 

1  Voir  la  noie  de  Louvrex,  1"  partie,  p.  229. 


PIECES  JUSTIFICATIVES. 


Traité  secret  de  Saint-Trond  du  %7  avril  4348. 
(Registres  aux  traités  de  Y  Audience,  n<>  i082,  pp.  243  ss.,  copie  *.) 

Erard  par  la  permission  divine  Evesque  de  Liège  duc  de  Buillon  et 
conte  de  Loz.  Et  Robert  de  La  marque  et  Daremberch  seigneur  de  Sedan 
de  Floranges  etc.  A  tous  ceulx  qui  ces  présentes  lettres  verront  salut. 
Comme  en  faisant  nagaires  certain  traicte  damitié  intelligence  et  bon 
voisinage.  Entre  très  hault  très  excellent  et  très  puissant  prince.  Charles 
par  la  grâce  de  dieu  Roy  catholicque  des  Espaignes  pour  lui  ses  pays 
terres  seigneuries  et  subgetz  d'une  part.  Nous  et  les  nôtres  dautre  Ayent 
aussi  este  convenuz  accordez  et  concluz  certains  autres  articles  entre  ledit 
seigneur  Roy  et  nous  contenans  les  condicions  obligacions  et  convenances 
avisées  et  passées  dune  part  et  dautre  pour  le  bien  seurte  et  entre tene- 
ment  dudit  traicte  damitié,  desquelz  articles  la  teneur  sensuit,  Comme 
certain  traicte  damitié  intelligence  et  alliance  deffensive.  ait  présentement 
este  faicte  et  conclute.  Entre  monseigneur  Charles  de  Croy  prince  de  Chi- 
may  messire  Anthoine  de  Lalaing  seigneur  de  Montigny  second  cham- 
bellan, maistres  Jehan  Jonglet  conseiller  et  maistre  des  Requestes.  et 
Philippe  Haneton  premier  secrétaire  et  audiencer  du  Roy  catholicque 
despaigne.  en  vertu  du  povoir  a  eulx  sur  ce  donne  par  icelluy  seigneur 
Roy  dune  part.  Et  très  révérend  père  en  Dieu  monseigneur  Erard  de  La 
marque  et  Daremberch.  evesque  de  Liège  duc  de  Buillon  et  conte  de  Loz 


*  Le  manuscrit  d2Mo-22  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles  et  le  Paweilhar  UC 
de  la  Bibliothèque  de  I" Université  de  Liège  renferment  également  une  copie  de  ce 
traité  se.ret  du  27  avril  1518.  Dans  les  chartes  de  Brabant  restituées  par  l'Autriche 
en  i863  'Archives  du  royaume,  nous  avons  trouvé  les  originaux  de  plusieurs  engage- 
ments pris  par  les  la  Marck  en  exécution  du  même  traité. 


(188) 

et  messire  Robert  de  La  marque  et  Daremberch  seigneur  de  Sedan  frères 
d'autre.  Et  il  soit  que  pour  le  bien  seurté  et  entretenement  dudit  traicte. 
Ayent  aussi  este  avisez  accordez  et  concluz  entre  lesdites  parties  les  poins 
et  articles  qui  sensuivent.  Premièrement  que  mesdits  seigneurs  de  Liège 
et  de  Sedan  respectivement  feront  serement  solempnel  aux  sainctes 
evangilles  de  Dieu.  Destre  doresenavant  bons  et  loyaulx  serviteurs  amis 
et  voisins  dudit  seigneur  roy  catholicque  et  de  ses  successeurs  leurs  vies 
durant  et  du  survivant  deulx,  et  les  servir  envers  et  contre  tous,  sans  nulz 
exceptez.  Sauf  que  ledit  seigneur  de  Sedan  a  nommément  reserve  de  sa 
part  la  cité  seigneurie  et  estât  de  Mets  en  Lorraine  et  le  seigneur  Fran- 
cisque de  Secquinghen  tant  seulement  pourveu  quil  ne  pourra  faire  on 
donner  aucun  ayde  secours  ou  assistence  audit  seigneur  Francisque 
directement  ou  indirectement  contre  le  roy  ou  ses  alliez  en  quelque 
manière  que  ce  soit.  Item  que  lesdits  seigneurs  de  Liège  et  de  Sedan 
feront  aussi  serement  lun  a  lautre.  que  le  premier  décédant  deulx  deux 
mectra  et  délaissera  avant  son  trespas  toutes  les  villes  et  fortes  places 
quil  tient  présentement,  et  tiendra  audit  jour  de  sondit  trespas,  es  mains 
et  puissance  du  survivant,  Assavoir  ledit  seigneur  de  Sedan  les  siennes 
es  mains  de  madame  sa  femme  si  elle  le  survit,  ou  dudit  seigneur  de 
Liège  et  iceluy  seigneur  de  Liège  les  siennes  es  mains  dudit  seigneur  de 
Sedan,  pour  estre  gardées  et  conservées  a  la  seurté  du  Roy  et  de  ses  suc- 
cesseurs tellement  que  aucun  dangier  dommage  ou  inconvénient  nen 
adviengne  a  eulx  leurs  successeurs  pays  et  subgectz,  Item  que  mondit 
seigneur  de  Sedan  procurera  par  effect  que  la  ville  et  place  de  Longne 
soit  reduicte  et  retirée  en  ses  mains  par  practique  ou  autrement,  et  sil 
ny  scet  parvenir  et  que  de  ladite  place  soient  faictes  aucunes  courses 
prinses  pilleries  ou  autres  entreprinses  es  pays  du  Roy  de  mondit  sei- 
gneur de  Liège  ou  autres  voisins,  par  ceulx  qui  tiennent  présentement 
ou  pourroient  tenir  cy  après  ladite  place,  En  ce  cas  lesdits  seigneurs  de 
Liège  et  de  Sedan  avec  leurs  subgectz  et  serviteurs  et  ceulx  de  Luxem- 
bourg Lembourg  Faulkemont  Dolhain  Namur  Stavelo  Derbu  et  autres 
voisins,  mectront  sus  promptement  une  bonne  grosse  armée  equippee 
dartillerie  et  autres  municions  pour  prendre  ladite  place  par  force. 
A  quoy  le  Roy  ou  son  conseil  les  assistera  de  ses  gendarmes  et  autres 
choses  nécessaires  selon  que  le  cas  le  requerra.  Et  si  ladite  place  estoit 
prinse  et  reduicte  par  la  force,  elle  sera  rasée  et  démolie  de  sorte  que 
rien  ny  demoura.  et  ne  se  pourra  après  reparer  ne  fortiffier,  Item  que 
mondit  seigneur  de  Liège  promectra  et  baillera  son  scelle,  que  de  son 


(  189  ) 

vivant  il  ne  disposera  ne  permettra  disposer  de  son  cvesché  de  Liège 
par  forme  de  resignacion  coadjutorie  ne  autrement,  a  nul  autre,  que  a 
Philippe  de  La  marque  filz  maisné  4  dudit  seigneur  de  Sedan  son  neveu 
ou  autre  personnaige  son  allye  ou  amy  serviteur  ou  agréable  au  roy  ou 
ses  successeurs.  Et  affin  que  après  son  trespas  ledit  evesché  ne  tumbe  es 
mains  dun  estrangier  ou  autre  qui  ne  soit  serviteur  ou  agréable  au  Roy, 
mondit  seigneur  de  Liège  prendra  desmaintenant  serment  et  promesse 
des  cappitaines  des  places  de  sondit  evesché  que  après  son  trespas  ilz  ne 
feront  ouverture  ne  délivrance  desdites  places  a  autre  que  audit  seigneur 
de  Sedan  sil  es  toit  lors  vivant,  sinon  es  mains  de  cely  ou  ceulx  qui  par 
le  Roy  catholicque  ou  ses  successeurs  et  les  estats  dudit  pays  de  Liège 
par  ensemble  sera  advise  et  conclu.  Item  que  moyennant  les  choses 
dessusdites  et  en  accomplissant  icelles  de  la  part  desdits  seigneurs  de 
Liège  et  de  Sedan  Ledit  seigneur  Roy  catholicque  ordonnera  octroyera  et 
accordera  pour  eulx  et  autres  cy  dessoubz  nommez  Les  provisions  et 
traictement  cy  après  declairez.  C'est  assavoir  a  mondit  seigneur  de  Liège 
une  pension  de  six  mil  livres  du  pris  de  quarante  gros  monnaie  de  Flan- 
dres la  livre  par  an.  Dont  il  sera  paye  et  contente,  par  les  mains  du  rece- 
veur gênerai  des  finances  du  Roy.  présent  et  avenir  et  des  deniers  de  sa 
recepte  de  demy  an  en  demy  par  égales  porcions,  A  commencer  au 
premier  jour  de  may  prochain  venant,  Et  deslorsenavant.  Tant  et  jusques 
a  ce  quil  sera  pourveu  dun  evesché  en  Espaigne  le  plustot  que  faire  se 
pourra  en  valeur  de  six  mil  ducaz  par  an  ou  au  dessus  et  une  ou  deux 
abbayes  en  Brabant  en  valeur  de  quatre  a  cincq  mil  livres  dudit  pris  de 
xl  gros  toutes  charges  déduites,  Et  si  la  première  desdites  abbayes  qui 
vacquera,  ne  revenoit  aladite  somme,  le  Roy  pourra  faire  charger  lautre 
qui  vacquera  premiers  après  de  pension  au  prouffit  dudit  seigneur  de 
Liège  jusques  a  ladite  somme  de  quatre  a  cincq  mil  livres,  pourveu  tou- 
teffoiz  que  desincontinent  qu'il  sera  pourveu  de  lune  desdites  dignitez.  Il 
ne  prendra  delà  en  avant  que  la  moictie  de  ladite  pension,  Assavoir  trois 
mil  livres  par  an,  Et  quand  il  aura  ledit  evesché  avec  ladite  abbaye  ou 
abbayes  ou  pension  au  pris  et  valJeur  que  dessus.  Ladite  pension  de  six 
mil  livres  par  an  cessera  entièrement  Saulf  que  le  Roy  pour  demonstrer 
que  le  service  de  mondit  seigneur  de  Liège  lui  aura  esté  et  sera  agréable, 
et  affin  que  tousiours  il  soit  et  demeure  réputé  serviteur  de  la  maison  lui 


Maisné,  de  minor  natu,  puîné,  cadet. 


(  190  ) 

ordonnera  et  constituera  une  autre  pension  de  douze  cens  livres  dudit 
pris  par  an,  pour  en  joyr  après  la  provision  desdites  deux  dignités  ou 
pension,  et  que  par  ce  moyen  il  sera  prive  desdites  six  mil  livres  par  an 
comme  dit  est,  pourveu  aussi  que  mondit  seigneur  de  Liège  sa  vie  durant 
ne  resignera  cedra  ou  transportra  et  ne  passera  procuracion  pour  rési- 
gner céder  ou  transporter  lesdites  abbaye  ou  abbayes  et  si  nen  disposera 
ou  fera  disposer  a  nul  qui  que  ce  soit  en  court  de  Romme  ne  ailleurs. 
Au  moyen  de  quoy  les  Religieulx  dicelles  abbayes  soient  ou  puissent 
estre  privez  reculez  ou  empeschez  en  leur  élection,  Ains  se  obtiendra  de 
notre  sainct  père  le  pape  et  du  saint  siège  apostolicque  provision  en 
vertu  de  laquelle  lesdits  Religieulx  retourneront  après  son  trespas  en  leur 
liberté  et  faculté  de  povoir  eslire  comme  ils  ont  accoutumé  de  faire,  sans 
que  icelle  abbaye  soit  réservée  ne  impetrable  en  ladite  court  de  Romme 
ne  ailleurs  par  sondit  trespas,  Item  que  ledit  seigneur  de  Sedan  aura  et 
prendra  du  Roy  pour  son  entretenement  et  pour  toutes  choses  pour  ung 
an  commenchant  comme  dessus  la  somme  de  sept  mil  livres  dudit  pris  a 
en  estre  paye  et  contente  aux  termes  a  commancer  et  par  la  manière  que 
dessus.  Et  lan  révolu,  aura  et  prendra  delà  en  avant  huyt  mil  desdits  livres 
par  an  a  en  estre  aussi  payé  comme  dit  est,  Item  que  pour  la  garde  de 
ses  maisons  et  la  seurté  de  sa  personne  il  aura  vingt  hommes  darmes  et 
quarante  archiers  montez  et  traictez  de  leur  payement  et  autrement  a  la 
mode  de  France,  a  la  charge  du  Roy  et  pourra  ledit  seigneur  de  Sedan 
user  desdits  xx  hommes  darmes  et  xl  archers  a  sa  voulenté.  sans  quils 
soient  tenus  de  faire  service  au  Roy  sinon  soulz  et  en  la  compagnie  ou 
quant  bon  semblera  audit  seigneur  de  Sedan,  pourveu  quilz  seront  tenus 
eulx  monstrer  une  fois  lan  par  devant  les  commis  du  Roy  a  ce  seront 
ordonnez.  Et  seront  iceulx  vingt  hommes  darmes  et  quarante  archiers 
payez  de  quartier  en  quartier  par  les  mains  du  trésorier  des  guerres 
comme  les  autres  gens  de  guerre  des  ordonnances  dudit  seigneur  Roy.  Et 
quant  le  Roy  augmentera  le  nombre  de  sesdites  ordonnances  il  baillera 
audit  seigneur  de  Sedan  charge  de  quarante  ou  cinequante  hommes 
darmes  et  quatre-vingts  ou  cent  archiers,  ouquel  nombre  lesdits  premiers 
vingt  hommes  darmes  et  quarante  archiers  seront  comprins,  et  seront 
lesdits  xl  ou  l  hommes  darmes  et  un"  ou  cent  archiers  tenuz  servir  le 
Roy  soubz  ledit  seigneur  de  Sedan  ou  son  lieutenant  toutes  et  quanteffoiz 
et  en  telz  lieux  ou  lieu  quil  plaira  a  icelui  seigneur  Roy  et  seront  aussi 
payez  traictez  et  subgetz  a  monstrer  et  autre  service  comme  les  autres 
gendarmes  desdites  ordonnances,  Saulf  que  desdits  quarante  ou  cinc- 


(  194  ) 

quante  hommes  d'armes  et  im"  ou  cent  archiers.  Il  pourra  tousiours 
retenir  vers  lui  ou  en  ses  maisons  les  dix  hommes  darmes  et  vingt 
archiers  pour  sen  servir  à  son  plaisir,  Item  pour  ce  que  ledit  seigneur 
de  Sedan  a  offert  et  offre  au  Roy  de  retirer  de  France  ung  de  ses  filz 
nomme  Jehan  de  La  marque  seigneur  de  Saucy  pour  le  mectre  au  service 
dudit  seigneur  Roy,  Icelui  seigneur  considérant  par  ce  le  bon  zèle  que 
ledit  seigneur  de  Sedan  lui  demonstre.  A  octroyé  et  accorde,  octroyé  et 
-  accorde  retenir  ledit  seigneur  de  Saucy  en  son  service  en  estât  de  cham- 
bellan devers  le  seigneur  Infant  don  Fernande  son  frère,  a  la  pension  de 
mil  livres  de  xl  gros  dont  il  sera  aussi  paye  et  contente  par  les  mains  du 
receveur  général  des  finances  présent  et  avenir  et  des  deniers  de  sa 
recepte,  Aux  termes  a  commancer  et  selon  que  dessus  est  declaire.  Ledit 
seigneur  Roy  a  aussi  octroyé  et  accorde,  octroyé  et  accorde  a  madame  de 
Sedan  la  somme  de  mil  livres  de  XL  gros.  Et  au  capitaine  Damien  autres 

4 

trois  cens  livres  dudit  pris  de  pension  par  an.  A  en  estre  payez  aux  termes 
et  à  commencer  comme  dessus,  Item  que  toutes  les  pensions  appointements 
et  traictements  dessusdits  auront  lieu  et  seront  furniz  et  entretehuz  par 
le  Roy  et  ses  successeurs  aux  personnaiges  dessusnommez  et  chacun 
deulx  tout  le  cours  de  leurs  vies  durant,  si  avant  quilz  demeurent  servi- 
teurs du  Roy  ou  de  sesdits  successeurs  et  quilz  sacquictent  envers  eulx 
chacun  en  son  endroit  selon  que  dessus  est  declaire.  Item  pour  ce  quil 
est  apparu  a  souffissance  que  passé  a  longtemps  la  prevosté  de  Bastongne 
ou  pays  de  Luxembourg  a  este  engagée  aux  prédécesseurs  dudit  seigneur 
de  Sedan  pour  la  somme  de  trois  mil  florins  dor  dalemaignc.  Lesquelz 
ne  sont  encoires  remboursez,  et  que  le  Roy  désire  retirer  icelle  prevosté 
en  ses  mains  pour  faire  reunir  et  rejoindre  a  son  demaine  de  la  duché 
de  Luxembourg  (A  esté  advise  accorde  et  conclu  que  ladite  prevosté  sera 
rachatee  la  gaigiere  deschargée  et  les  originales  lettres  dicelle  rendues 
et  restituées  comme  casses  et  acquictees)  que  icelle  gaigie  sera  transfferee 
et  lesdits  trois  mil  florins  dor  renchargez  sur  la  conté  de  Chiny.  Laquelle 
comté  sera  transportée  affectée  et  ypothequee  audit  seigneur  de  Sedan 
par  forme  de  nouvelle  gagiere  pour  lesdits  trois  mil  florins  dor,  pourveu 
que  icelui  seigneur  de  Sedan  sera  tenu  de  la  reprendre  et  en  faire  foyauté 
et  hommage  au  Roi  comme  duc  de  Luxembourg  avec  les  autres  devoirs 
y  appartenant,  que  icelui  seigneur  de  Sedan  ne  autre  de  par  lui  ne  pourra 
faire  aucune  fortifficacion  en  ladite  conté  de  Chiny  ne  es  appartenances 
appendances  dicelle,  et  que  le  Roi  ou  ses  successeurs  la  pourront  retirer 
et  reprendre  en  leurs  mains,  pour  les  reunir  et  applicquer  a  leur  demaine 


(  192  ) 

dudit  Luxembourg,  toutes  et  quantteffoiz  que  bon  leur  samblera,  en 
payant  et  remboursant  ledit  seigneur  de  Sedan  ou  son  ayant  cause  de 
ladite  somme  de  trois  mil  florins  dor,  que  lors  ledit  seigneur  de  Sedan 
sera  aussi  tenu  sen  départir  libéralement  et  de  bonne  veulle,  et  la  rendre 
et  remectre  entre  les  mains  du  Roy  ou  de  ses  commis  et  députez  pour  lui, 
en  tel  estât  quelle  lui  sera  présentement  declairee.  Et  moyennant  ceste 
nouvelle  gaigiere  ledit  seigneur  de  Sedan  pour  lui  ses  hoirs  et  ayans 
cause  a  quicté  et  renonce  quicte  et  renonce  a  tout  ce  quil  pourrait  pré- 
tendre quereller  et  demander  au  Roy  au  seigneur  de  Rollers  ou  autres 
tant  a  cause  de  levées  de  ladite  prevosté  de  Bastongne  comme  a  toutes 
autres  actions  et  querelles  quil  pourroit  aussi  demander  au  Roy  pour 
quelque  cause  que  ce  soit  ou  pourroit  estre  de  tout  le  tamps  passé  jusques 
a  présent.  Saulf  que  si  cy  après  il  se  trouvoit  estre  fonde  en  quelque 
autre  droit  ou  action  contre  le  Roy  ou  ses  subgectz  En  ce  cas  il  en  pourra 
poursuyr  sa  raison  par  voye  de  justice  pardevant  le  Roy  ou  son  conseil  et 
non  autrement,  Laquelle  voye  lui  sera  ouverte,  et  sommiere  justice 
administrée  en  manière  quil  aura  cause  sen  contenter.  Item  pour  ce  que 
le  Roy  et  ses  officiers  de  Luxembourg  ont  tousiours  maintenu  et  main- 
tiennent que  la  seigneurie  de  Florenges  est  fief  tenu  et  mouvant  du 
duché  de  Luxembourg.  Est  advisé  et  conclu  que  Ion  communiquera  audit 
seigneur  de  Sedan  les  tiltres  et  enseignemenz  que  Ion  pourra  recouvrer 
pour  la  justification  du  Roy  quant  audit  fief,  et  s'il  en  appert  notoirement 
et  souffisamment  En  ce  cas  ledit  seigneur  de  Sedan  sera  tenu  reprendre 
et  relever  ledit  fief  du  Roy  et  en  faire  les  autres  devoirs  y  appartenant. 
Item  si  après  la  conclusion  et  ratifficacion  de  ce  présent  traicté.  il  avenoit 
que  Dieu  ne  veulle  que  mesdits  seigneurs  de  Liège  et  de  Sedan  pour 
raison  dicellui  traicte  ou  autrement  feusscnt  envahis  et  assailliz  par  qui 
que  ce  feust,  En  ce  cas  le  Roy  catholicque  sera  tenu  de  leur  bailler  ayde 
et  assistence  Allencontre  de  tous  ceulx  que  leur  vouldroient  grever  et 
nuyre,  pour  la  garde  tuicion  et  deffense  de  leurs  estatz  pays  seigneurie  et 
subgectz.  Et  par  le  contraire  si  le  Roy  estoit  assailli  ou  quil  entrepreinsse 
quelque  guerre  ou  querelle  contre  qui  que  ce  feust.  Lesdits  seigneurs  de 
Liège  et  de  Sedan  seront  aussi  tenuz  de  le  servir  assister  et  secourir  a 
ses  despens.  De  toutes  lesquelles  choses  les  parties  dessusdites  et  cha- 
cune dicelles  respectivement  seront  tenues  bailler  leurs  lettres  et  scellez 
en  bonne  et  ample  forme  et  les  délivrer  lun  a  lautre  endedens  le  7e  jour 
de  may  prochain  venant.  Ainsi  fait  advise  accorde  et  conclu  en  la  ville 
de  Saintron  par  les  députez  et  seigneurs  dessusnommez.  Le  27e  jour  davril 


1 


(  193) 

lan  mil  cinq  cens  et  dix-huit.  Ainsi  signé  Marguerite,  Charles,  A.  de 
Lalaing,  Jonglet,  Haneton,  Erard  Robert  de  la  Marck 

(Suit  le  texte  des  pleins  pouvoirs  conférés  par  Charles  d'Espagne  et  par 
les  frères  de  la  Marck  à  leurs  ambassadeurs  respectifs.) 


il 

Lettre  de  Maximilien  aux  Liégeois,  sans  date  (minute). 
(Àrch.  du  roy  :  Document*  concernant  le  pays  de  Liège,  carton  I.) 

Très  chers  et  feaulx.  Vous  estes  assez  adverti  de  grants  et  beaulx 
privilèges  que  vous  avons  envoyé  par  lofficial  de  notre  très  cher  et  bien 
aimé  levesque  de  Liège  votre  prince  qui  sont  grandement  au  prouffit  et 
utilité  de  votre  bien  public  et  y  at  plusieurs  princes  du  Saint  empire  qui 
souventeffois  nous  ont  prie  et  requis  non  seullement  den  avoir  semblable 
mais  beaucoup  moindres  lesquelles  avons  refuse  et  y  at  deux  raisons 
principales  pourquoy  vous  les  avons  octroyés  dont  la  première  est 
quavons  en  bonne  mémoire  quanvoystes  vers  nous  en  notre  cite  de  Cou- 
logne  le  comte  Daremberghe  un  bourgmestre  de  la  cite  de  Liège  avec 
plusieurs  autres  bons  personnages  nous  donner  à  connaître  la  bonne 
dévotion  et  obéissance  quaviez  envers  nous  et  le  Saint  empire  pareille- 
ment la  bonne  amitié  et  bienveillance  quaviez  envers  nos  enffans  et  leurs 
pays  et  beaucoup  dautres  belles  offres  dont  pour  lors  et  toujours  depuis 
vous  avons  eus  en  singulière  recommandation.  La  deux,  raison  si  est  que 
puis  nasgueres  votredit  prince  avec  son  frère  le  seigneur  de  Sedan  ont 
pris  alliance  avec  le  roy  catholique  notre  fils  et  ses  pays  qui  nous  est 
chose  très  agréable  k  cause  que  cest  ung  bien  inestimable  pour  entre- 
tenir tant  le  pais  de  Liège  que  les  pays  voisins  dudit  roy  notre  fils  en 
bonne  paix  amitié  et  seurete  dont  cy  après  en  pourra  venir  un  grand 
bien  parquoy  avons  ordonne  aux  gens  du  prive  conseil  dudit  roy  notre 
fils  estant  en  ses  Pays-Bas  denvoyer  aucuns  bons  personnages  vers  vous 
aflfin  que  veuillez  entrer  en  ladite  alliance  faicte  par  votredit  prince  et 
ledit  seigneur  de  Sedan  son  frère  et  si  ainsi  le  faictes  vous  nous  ferez 
chose  très  agréable  et  dont  cy  après  aurons  toujours  mémoire  quant 
aurez  affaire  de  nous  et  de  notre  autorité  impériale  et  ausi  quant  vous 
feriez  le  contraire  vous  nous  donneriez  facilement  à  cognaistre  que  quant 

TomeXLI  13 


(194) 

envoyastes  vers  nous  en  notre  cite  de  Colongne  lesdits  dénommes  que  ce 
cestoit  plus  par  vantisse  que  autrement  pareillement  vous  nous  feriez 
penser  aucunes  querelles  quavons  contre  vous  lesquelles  jusque  a  pré- 
sent navons  voulu  mectre  a  exécution  à  cause  des  belles  offres  et 
remonstrances  que  nous  fectes  par  lesdits  nommes  en  notre  cite  de 
Colongne  comme  plus  à  plain  de  toutes  ces  choses  cy  dessus  escriptes 
avons  declairé  audit  officiai  quant  il  se  partist  dernièrement  de  nous  de 
notre  cité  daugsbourg  et  donne  charge  vous  dire  de  par  nous  en  la  pre- 
mière journée  des  estats  qui  se  tiendraient  au  pays  de  Liège. 


ni 

Traité  secret  de  Bruges,  du  20  août  4521. 

(Bulle  originale,  sur  parchemin,  sceau  détaché.) 
Chartes  de  Brabant  restituées  par  l'Autriche,  en  1863,  n°  285. 

Nous  Erard  de  la  Marck  par  la  permission  divine  et  du  saint  siège 
cardinal  archevesque  de  Valence  evesque  de  Liège  duc  de  Bouillon  et 
comte  de  Loz  cognoissons  par  ces  présentes  que  considère  le  grand  bien 
et  utilité  de  nous  notre  englise  et  pays  de  Liège.  A  cause  de  la  prinse 
réduction  et  rendange  de  la  duché  de  Bullion  faicte  par  la  Majesté  impé- 
riale au  prouflit  de  notredite  église.  Avons  promis  et  promectons  par 
cestes  que  nous  nous  employerons  de  tout  notre  povoir  pour  faire  une 
alliance  perpétuelle  entre  sadite  Majesté  et  les  estats  de  notredit  pays 
par  laquelle  entre  autres  articles  sera  déclaré  que  toutes  les  places  dudit 
pays  seront  ouvertes  a  sadite  Majesté  quant  besoing  sera  pour  la  tuition 
et  défense  de  ses  pays  dembas.  Et  en  cas  que  nosdits  estats  ne  soy  veul- 
sissent  consentir  ou  accepter  ladite  alliance  perpétuelle  avec  cest  article 
dessus  narre  promectons  en  parolle  de  prélat  et  de  prince  de  rendre  la 
place  dudit  Bullion  entre  les  mains  de  sadite  Majesté  ou  son  commis  a  tel 
droit  que  présentement  sadite  Majesté  nous  la  baille  et  délivre  et  à 
notredite  église.  En  témoignage  de  quoy  avons  cesdites  présentes  de 
notre  main  subsignez.  Et  y  fait  imprimer  notre  seau  secret,  donné  a 
Bruges  le  xx«  jour  du  mois  daoust  an  quinze  cens  vingt  et  ung. 

Erard... 


(  198  ) 


■v 


Lettre  de  Corneille  de  Bergkes  à  Marie  de  Hongrie,  du  2$  avril  154$. 

(Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  15.) 

Madame, 

Jay  receu  vos  lettres  du  21  de  ce  mois  et  veu  ce  que  votre  Majesté  a  en 
mesme  effect  escript  a  ceulx  de  mon  chapitre  par  ladvis  desquels  vous 
plaira  entendre  que  ne  eulx  ne  moy  avons  jusques  au  présent  eu 
aucunes  nouvelles  du  passaige  demande  par  le  duc  de  Gleves  a  ceulx  de 
ma  ville  de  Vise  et  quant  ledit  duc  le  demanderoit  jespere  avec  mondit 
chapitre  me  conduyre  et  régler  en  suyvant  le  contenu  de  notre  alliance 
de  sorte  que  votre  Majesté  naura  cause  de  mécontentement. 

Quant  au  2e  point  de  vosdites  lettres  touchant  la  journée  de  communi- 
cation avecq  ledit  duc  de  Cleves  depuys  quelle  est  conclue  pour  estre 
tenue  à  la  ville  de  Maeseyck  le  1er  jour  de  may  ma  semblé  et  pareille- 
ment audits  de  mon  chapitre  que  lhoneste  et  raison  veult  de  la  tenir 
principalement  pour  lintdemnite  guarde  et  protection  des  seigneuries 
censés  biens  et  subgects  des  seigneurs  et  surseans  des  pays  de  lempereur 
notre  sire  gisans  a  mon  pays  de  Liège  affin  quils  ne  soient  pilles  brans- 
chattez  prinz  prisonniers  et  traictez  hostilement  comme  Ion  a  com- 
menche  et  pourra  votre  Majesté  estre  de  tout  asseuree  que  après  avoir 
faict  bonne  enqueste  ne  pouvons  apparchevoir  quelque  intelligence  que 
ledit  duc  ou  les  siens  ayent  en  ladite  ville  de  Maeseyck  et  que  a  ladite 
journée  rien  ne  se  traictera  ou  fera  que  pourroit  aucunement  estre  au 
préjudice  de  ladite  alliance  ce  que  par  raison  debra  deplare  a  sa  Majesté 
ou  la  votre  dont  pour  lapaisement  dicelle  votre  Majesté  lavons  bien 
voulu  advertir  avec  ce  que  par  ladvis  de  mondit  chapitre  fumes  délibérez 
de  mectre  certain  nombre  de  gens  de  bien  en  notre  ville  de  Maeseyck 
pour  la  garde  et  tuition  dicelle  aydant  le  créateur  a  qui  je  prie  Madame 
vous  avoir  en  sa  saincte  garde.  —  Escript  en  notre  cité  de  Liège  au 
23  avril  lan  1543. 


{  196  ) 


Lettre  de  Marie  de  Hongrie  aux  Liégeois,  du  5  mai  4543  (minute). 
[Papiers  d'Étal  et  de  V Audience,  liasse  45*.) 

La  royne  régente  ayant  oui  messire  Guillaume  de  Poitiers  eseolatre  de 
leglise  de  Liège  et  veu  Instruction  que  M.  levesque  de  Liège  et  ceuli  de 
son  chapitre  luy  ont  donné  a  déclare  ce  qui  scnsuit. 

Premiers  quant  au  passage  que  les  gens  du  duc  de  Clèves  auroyent 
demande  par  la  ville  de  Vise  puisque  les  affaires  sont  depuis  changées  il 
nest  besoing  y  répliquer. 

Sur  le  2e  article  touchant  la  conduite  des  gens  de  guerre  de  lempereur 
ausquels  Ion  a  fait  ouverture  audit  Vise  la  royne  a  ordonné  de  les 
faire  retirer  et  envoyer  argent  pour  satisfaire  et  contenter  leurs  hostes 
et  est  lintention  de  sa  Majesté  que  chacun  doibt  payer  raisonnablement. 

Sur  le  troisième  touchant  la  communication  eonclute  a  tenir  avec  le 
duc  de  Clèves  en  la  ville  de  Maeseyck  sa  Majesté  eust  bien  désiré  que 
lesdits  de  Lyège  neussent  tenu  ladite  communication  mesmes  audit  Mae- 
seyck pour  plusieurs  considérations  et  requiert  que  pour  ladvenir  ils 
veullent  prendre  meilleur  regard  a  lalliance  auparavant  daccorder 
journée  de  communication  et  ne  seroit  raisonnable  de  donner  spécifi- 
cation des  advertences  que  sa  Majesté  a  des  intelligences  des  Clevois 
en  ladite  ville  mais  suffit  de  les  en  advertir  pour  y  faire  prendre  bon 
regard. 


▼i 


Instructions  pour  Jehan,  seigneur  de  Noirthoudt,  conseiller  et  maître 
dkostel  de  la  royne  de  ce  quil  aura  afaire  vers  levesque  de  Liège  ou  sa 
Majesté  lenvoye  présentement. 

(Papiers  d'État  et  de  V Auditrice,  liasse  15*.) 

Premiers  requerra  audit  seigneur  de  Lyege  en  vertu  des  lettres  de  cre- 
dence  que  luy  seront  délivrées  après  lui  avoir  declaîrc  les  continuelles 
advertences  que  la  royne  a  de  lamas  que  les  François  font  pour  envahir 
les  pays  de  pardeça  vouloir  faire  assembler  les  estats  de  son  pays  incon- 
tinent et  a  extrême  diligence  pour  leur  remonstrer  ledit  amas  et  que  sa 


(  197  ) 

Majesté  craint  quils  ne  veullent  tirer  pour  eulx  joindre  avec  les  Clevois 
en  quoy  faisant  ils  vouldroient  passer  par  le  pays  de  Lyege  et  le  sur- 
prendre sils  pourroient.  Que  a  ceste  cause  il  veulle  avec  ceulx  de  son 
pays  ad  viser  ce  quil  debra  faire  pour  garder  et  deffendre  son  pays. 

Quil  ne  veulle  entrer  en  aulcune  neutralité  avec  les  ennemis  de  sa 
Majesté  laquelle  estant  présentement  en  chemin  pour  venir  par  deçà  ne 
le  scaueroit  comporter  en  manière  quelconque  veu  que  ce  seroit  contre 
1  alliance  défensive  quil  a  avec  les  pays  de  par  deçà. 

Quil  veulle  pourveoir  ses  forts  de  gens  et  de  vivres  de  sorte  que  incon- 
vénient nadviengne. 

Quil  veulle  commander  a  tous  gens  qualifiez  porter  armes  quils  ayent 
armes  et  bastons  prêts  pour  deffendre  le  pays  quant  besoing  sera  et  que 
la  royne  faict  faire  le  semblable  par  deçà. 

Quil  veulle  faire  retirer  tous  vivres  du  plat  pays  et  apporter  es  villes  et 
forts  afin  que  les  ennemys  ne  sen  puissent  servir  ne  par  ce  le  pays  de  sa 
Majesté  recevoir  dommaige. 

En  ce  faisant  la  royne  les  assistera  de  toutes  les  forces  quelle  a  avec  ce 
que  lempereur  a  sa  venue  leur  en  scaura  bon  gre  ou  sils  faisoient  autre- 
ment nauroit  cause  de  se  contenter. 

Et  le  mesmes  pourra  ledit  seigneur  de  Noirthoudt  dire  ausdits  estats 

de  Lyege  en  vertu  des  lettres  de  credence  que  lui  sont  baillées  et  ce  plus 

quil  semblera  audit  seigneur  de  Lyege  estre  convenable  a  la  cônduicte 

de  lintencion  de  la  royne  a  laquelle  il  fera  rapport  de  son  besongnye, 

faict  a  Bruxelles  le  ixe  jour  de  juin  1543. 

MARIE. 
Par  ordonnance  de  sa  Majesté, 

Verreycken. 


▼ii 

Extraits  de  l'instruction  donnée  par  Marie  de  Hongrie  à  Philippe  Nign 
et  au  comte  de  Buren,  le  8  février  4558.  (Copie.) 

(Archives  du  royaume,  Papiers  d'État  et  de  l'Audience  :  Correspondance  de  Marie 

de  Hongrie,  registre  n°  69.) 

«  Lesdits  commissaires  adviseront  de  discrètement  communiquer  en 
particulier  avecque  ceulx  tant  dudit  chapitre  que  de  la  loy  quils  cognoi- 
tront  avec  le  plus  de  crédit  et  de  povoir  à  conduire  cette  affaire,  et 


(198) 

sil  veoyent  que  besoing  ou  nécessité  fust  de  promettre  a  aucuns  per- 
sonnaiges  deglise  mesmement  a  Serai n  nepveu  *  dudit  feu  chanoine  * 
dudit  lieu  et  à  son  frère  seigneur  de  Serain  jusque  4  ou  6™  florins 
de  pension  par  an  et  aucuns  gens  lays,  de  présenter  argent  comptant 
pour  leurs  labeurs  et  sollicitudes  jusques  a  vi,  vil  ou  viiim  florins  pour 
une  fois,  ils  le  porront  offrir  et  promectre 

Sera  bon  que  a  leur  arrivée  audit  Liège  lesdits  commissaires  sen- 

quierent  secrètement  si  quelque  practique  du  costé  des  Franchois  ne  se 
maine  pour  avoir  ung  evesque  a  leur  appétit  et  Tempeschier  par  tous  les 
moyens  qui  seront  possibles. 

Si  Ion  obvioit  quelque  chose  de  la  coadjutorie  de  Serain  laquelle  a 
esté  depuis  quelque  temps  mise  en  termes,  il  se  repondra  quelle  na  este 
consentie  ni  expédiée 

Si  Ion  trouvoit  que  ledit  Serain  fut  fort  damis  et  eust  grosse  brigue 

pour  luy  tellement  que  la  chose  fut  en  hasard,  lesdits  commissaires  tien- 
dront propos  quil  est  besoing  dasseurer  laffaire  de  Zevenberghe 

Si  daventure  (ils)  sapercevoient  que  par  force  ceulx  de  la  cité  de 

liège  voulsisent  faire  élire  ledit  Serain  et  quil  ny  eut  remède  au  con- 
traire, en  ce  cas  fauldra  adviser  de  gaigner  ledit  Serain  luy  donnant 
espoir  de  luy  faire  avoir  encoires  quelque  autre  bonne  provision  de 
lempereur  et  linduire  a  lobservation  de  la  capitulation  faite  par  lempereur 
et  la  royne  avec  ledit  seigneur  cardinal..  .  . 


▼m 

Lettre  de  Marie  de  Hongrie  au  vice-doyen  et  chancelier  de  leglise  de  Liège* 

du  26  juillet  4543. 

{Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  16,  minute.) 

Vénérables  et  très  chers  et  bons  amys.  Nous  avons  donne  charge  à 
Messire  Philippe  Nigri  conseiller  detat  de  lempereur  monseigneur  et  frère 

1  Jean  et  Guillaume  de  la  Marck  étaient  les  cousins  et  non  les  neveux  d'Érard, 
puisque  leur  père  était  le  cousin  germain  du  cardinal.  Mais  au  XVI*  et  au  XVU<  siècle 
on  appelle  souvent  oncle  ou  tante,  le  cousin  ou  la  cousine  germaine  du  père  et  de  la 
mère,  et  réciproquement,  neveu  ou  nièce,  le  fils,  la  fille  du  cousin  germain  ou  de  la 
cousine  germaine.  Ou  dirait  de  nos  jours,  dans  ce  cas,  oncle  ou  tante,  neveu  ou  nièce 

la  mode  de  Bretagne. 

*  Le  copiste  aura  lu  chanoine,  au  lieu  de  cardinal. 


(  199  ) 

et  chancelier  de  son  ordre  de  la  toison  dor  et  messire  Charles  Berneni* 
court  chevalier  seigneur  de  la  Thieuloye  notre  maistre  dhostel  présents 
porteurs  de  vous  dire  et  exposer  de  notre  part  aulcunes  choses  très 
importantes  a  sa  Majesté  impériale  et  au  saint  empire  et  signamment  au 
pays  de  Liège  vous  et  autres  ainsi  que  deulx  entenderez  plus  amplement, 
si  vous  requérons  affectueusemeut  les  vouloir  croyr  cette  fois  comme 
nous  mesmes  et  ce  quils  vous  en  diront  et  au  demeurant  vous  conduire  et 
faire  en  tout  selon  que  cognoisterez  être  requis  et  nécessaire  pour  le  bien 
tranquilité  et  pacification  dudit  pays  de  Liège  vous  et  autres  et  aussi  que 
en  vouldrez  répondre  à  sadite  Majesté  impériale  lui  est  sue  sa  venue  par 
deçà  et  audit  S.  Empire. 


Lettre  de  Cimrles-Quint  à  Vévêque  de  Liège,  de  juillet  454$. 
(Même  collection,  liasse  17  B,  minute.) 

Mon  cousin  je  despeche  expressément  messire  Charles  Boisot  *  mon 
conseiller  destat  pour  vous  advertir  et  les  bourgmestres  et  eschevins  de 
choses  très  importantes  et  en  quoy  il  faut  mectre  la  main  pour  obvier  à 
linconvenient  que  autrement  en  pourroit  advenir  et  faire  le  chastoy  si 
exemplaire  que  lenormité  et  grandeur  du  cas  le  requiert,  et  lentendrez 
plus  au  long  par  ledit  conseiller  vous  prient  le  croyre  comme  moy  mes- 
mes et  en  tout  vous  acquiter  selon  votre  debvoir  envers  dieu  votre  église 
moy  et  le  S.  Empire  le  requiert  et  encores  vous  recommande  bien 
expressément  et  affectueusement  cestui  affaire. 

A  tant de  Spire  le  ...  de  juillet  1543. 

*  Fils  de  Pierre  Boisot,  trésorier  général  de  Charles-Quint,  et  de  Louise  deTisnacq, 
Charles  Boisot  joua  un  rôle  important  dans  les  affaires  civiles  et  militaires  des  Pays- 
Bas.  Il  fut  chargé  par  Charles-Quint  de  négociations  diplomatiques  très  importantes; 
en  1566,  il  signa  le  Compromis  des  nobles  et  fut,  pour  ce  motif,  proscrit  par  le  duc 
d'Àlbe.  C'était  un  des  plus  fidèles  partisans  du  prince  d'Orange  qui,  en  1573,  le  nomma 
gouverneur  de  Walcheren.  Boisot  trouva  la  mort,  deux  ans  plus  tard,  près  de  Philips 
land,  en  combattant  les  Espagnols.  Son  frère  Louis  suivit  son  exemple;  il  se  rangea 
sous  le  drapeau  du  Taciturne.  Nommé  amiral  de  Zélande,  il  contribua  beaucoup  à  la 
délivrance  de  Leyde.  (Voir  la  biographie  de  ces  deux  frères  par  M.  Juste,  dans  la 
Biographie  nationale.) 


(  200  ) 


Instruction  a  vos  mess.  Charles  Boisot,  conseiller  destat  et  maitre  des 
requestes  ordinaire  du  conseil  de  lempereur  de  ce  que  arez  a  dire  déclarer 
et  requérir  de  la  part  de  Sa  Majesté  devers  levesque  de  Liège  le  chapitre 
et  les  bourgmestres  et  echevins  dudit  Liège. 

{Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  17  B,  minute.) 

Vous  déclarerez  premièrement  en  toute  confidence  et  secret  votre 
charge  à  mondit  cousin  et  avec  son  ad  vis  procurerez  davoir  audience  de 
luy  de  leglise  et  desdits  bourgmestres  et  esche  vin  s  joinctement  et  qu'ils 
tienne  regard  que  les  personnes  culpables  ne  soient  preadvertys  et  se 
puissent  saulver.  Et  en  premier  lieu  les  conjurerez  tous  de  garder  le 
secret  requis  en  cestuy  affaire  pour  mieulx  pouvoir  actaindre  la  vente  de 
cas  pourveoir  au  saisissement  des  personnes  et  parvenir  au  chastoy 
requis  et  exemplaire  convenable  a  la  grandeur  et  importance  du  cas. 

En  après  vous  remonstrerez  et  mecterez  en  avant  asdits  evesque  cha- 
pitre et  de  la  cité  lamytié  et  affection  que  lempereur  a  toujours  porte 
ausdits  trois  estats  villes  et  pays  dudit  Liège,  mesmes  dois  quil  entra  en 
la  possession  de  ses  estats  et  pays  dembas  et  comment  il  y  a  toujours 
continué  des  quil  parvint  à  la  dignité  impériale  ayant  tenu  continuel 
soing  tant  en  tiltre  et  qualité  dempereur  que  comme  seigneur  desdits 
pays  dembas  a  tout  ce  que  a  concerné  lasseurance  preservacion  et  tran- 
quillité dudit  pays  et  austant  ou  plus  que  des  siens  propres. 

Que  lacquit  de  sadite  Majesté  tant  de  sa  dignité  impériale  que  devers  le 
Saint  Empire  et  ossi  pour  faire  office  de  vraye  amitié  et  bonne  voisinance 
avec  ceulx  du  pays  et  le  bien  propre  et  nécessité  diceulx  oblige  et  mect 
sadite  Majesté  a  advertyr  de  la  grande  conspiracion  et  trayson  estant  es 
termes  pour  ruyner  et  destruire  ladite  cité  et  pays  de  Liège  tant  au  spiri- 
tuel que  temporel  et  pour  soustraire  perpétuellement  ledit  estât  de  Liège 
dudit  Saint  Empire  et  mectre  en  hasard  lesdits  pays  de  sadite  Mté  confe- 
derez  perpétuellement  avec  ledit  Liège. 

Et  signament  déclarera  ledit  conseiller  lemprise  descouverte  du  cha- 
noine de  Marca  *  lequel  suivant  la  malherté  daucuns  ses  prédécesseurs 

*  Ce  chanoine  de  la  Mnrck  est  Philippe  de  la  Marck,  fils  de  Robert  II  de  Sedan. 
(Voir  notre  tableau  généalogique.) 


(  201  ) 

ennemis  perpétuels  de  tranquilite  et  ayants  esmeu  et  commence  les 
guerres  dont  sont  procédez  et  se  font  continuellement  les  maulx  innu- 
merables  que  Ion  voit  en  la  chrétienté  et  sans  regarder  ledit  de 
Marca  a  son  estât  et  qualité  et  lobligation  quil  a  tant  redoubler  devers 
lesdits  estats  cite  et  pays  de  Liège,  a  conspire  empnns  et  procure  de 
vouloir  occuper  ledit  Liège  et  lesdits  pays  patrimoniaux  de  sadite Majesté 
avec  port  faveur  et  assistence  du  roy  de  France  et  soustraire  ledit 
Liège  du  Saint  Empire  et  le  mectre  en  servage  perpétuel  dudit  roy  de 
France,  comme  il  apparait  par  les  dépositions  mesmes  des  tesmoings  que 
ledit  conseiller  montrera.  Baillant  raison  desdites  dépositions  preuves 
indices  et  circonstances  qui  en  résultent  et  si  ce  par  devant  il  a  aulcunes 
plus  enseignées  de  la  Royne  les  adjoindra  a  ce  propoz. 

Ce  fait  et  ayant  aigry  ce  cas  et  demonstré  limportance  diceluy  requerra 
et  conjurera  tous  lesdits  estats  de  prendre  laffaire  a  eueur  comment  il 
importe  et  suivant  ce  que  sadite  M  té  lui  escript,  et  comme  actend  lexi- 
gence  et  qualité  dicelle,  requérant  très  soigneuse  et  grave  inquisition  et 
en  user  de  toute  dextérité  possible  que  avant  de  partir  dudit  conseil  ils 
pourvoient  dois  incontinent  de  soy  saisir  et  asseurer  des  personnes 
acculpées  et  ossy  des  papiers  quils  peuvent  avoir  en  leurs  maisons  et 
que  ledit  Marca  sil  se  treuve  présent  soit  incontinent  détenu,  et  que  Ion 
envoie  ossi  prendre  et  saisir  au  corps  les  capitaines  despechans  présen- 
tement et  expressément  par  cest  effect.  Et  quant  a  persuader  ladite  prinse 
de  corps  et  saisissement  y  a  très  grand  fondement  sur  les  messagiers 
envoyés  par  personnes  de  soy  et  originellement  suspectes,  avec  leurs 
manières  de  vivre  audit  Liège,  en  termes  quils  ont  tenuz  jusque  à  oyres 
et  de  leur  conversacion  en  privée  amictié  et  comme  aucunes  aultres  par- 
ticularités qui  se  pourroient  considérer  servies  au  cas,  lesdits  messagiers 
prins  oyres  quils  fussent  informés  et  ne  sadjoingnissent  avec  eulx  les  cir- 
constances, fort  probables  indices  pour  au  moings  détenir  les  personnes 
et  s'en  assurer.  Sera  aussi  tenu  soing  que  lesdits  culpables  ne  pussent 
estre  preadvertiz  et  quant  ils  seront  détenus  soient  soigneusement 
gardez  et  de  manière  quils  ne  puissent  adviser  les  ungs  les  aultres,  et 
soient  en  lieux  assurez. 

Davantage  que  Ion  procède  allencontre  deulx  diligement  et  continuel- 
lement et  que  Ion  vienne  le  plustôt  quil  sera  possible  a  la  diffinicion 
et  examen  pour  especher  les  menées  et  practiques  qui  se  peuvent 
faire  par  lesdits  François  et  aultres,  et  esmues  par  les  complices  et 
suspects  non  seulement  pour  especher  la  justice  mais  pour  mectre  en 


(  202  ) 

confusion  ladite  cité  et  pays  de  Liège,  Et  cecy  comme  il  trouvera  a 
propoz  pourra  ouvertement  remonstrer  ledit  conseiller.  Selon  que 
lalfaire  sacheminera  et  quil  verra  lexigence  dicelle  ledit  conseiller 
sarrestera  là  pour  y  tenir  la  main  comme  il  verra  convenir  et  advertira 
sadite  Majesté  et  ossy  la  Royne  en  flandres  de  lestât  dicelle  avec  ce 
quil  en  trouvera  et  lui  ensemblera  pour  selon  ce  ly  ordonner  au  surplus 
ce  qu'il  ora  à  faire.  Et  humblement  requerra  sommera  interpellera 
et  conjurera  lesdits  trois  estats  de  Liège  selon  qu'il  verra  estre  à  propos 
<\e  lesclaircissement  du  cas  sadite  justice  et  examen  dicelle  et  en  tout 
fera  ce  quil  verra  estre  pour  le  bien  de  ladite  affaire  et  donnant  a 
entendre  asdits  estats  que  sils  ne  sacquittent  en  cecy  que  sadite 
Majesté  ne  peult  croire  ils  offencent  grandement  devers  Dieu  sa  Majesté  et 
Saint  Empire  oultre  le  dommage  et  inconvénient  irréparable  que  luy  en 
pourrait  advenir  et  que  ce  que  sadite  Majesté  en  fait  et  les  en  requiert  et 
enhorte  est  pour  cette  considération,  les  certifiant  que  en  soy  meetent  en 
devoir  comme  ils  sont  obligés  et  signamment  pour  eulx  mesmes  que  sa 
Majesté  les  portera  et  assistera  entièrement  et  comme  bon  et  bening 
empereur  et  ensuivant  ladite  ligue  perpétuelle  et  en  tout  et  partout  le 
trouveront  très-affectionne  en  tout  ce  qui  concernera  leur  seurete  defen- 
sion  et  protection. 
Fait  à  Spire  le  xxvii  de  juillet  1543. 


XI 

Lettre  de  Charles  Boisol  à  Charles-Quint,  du  4  août  454$. 
[Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  47  B.) 

Sire,  si  très-humblement  que  faire  puis  me  recommande  en  la  bonne 
grâce  de  votre  impériale  majesté. 

Sire,  estant  arrivé  en  ce  lieu  mercreydi  dernier  et  adverty  que  Mess,  le 
chancelier  de  Tordre  et  de  la  Thieuloye  y  estoient  de  la  part  de  la  Royne 
votre  seur,  me  trouvay  incontinent  vers  eulx,  pour  entendre  lestât  et 
disposition  des  affaires,  et  selon  ce  et  par  commun  advis  me  conduire 
en  la  charge  que  votre  Majesté  ma  donné,  mesmes  que  mons.  de  Liège 
estoit  comme  il  est  encores  absent,  et  comme  Ion  tenoit  à  Sevenberghe  * 

1  Corneille  de  Berghes  tenait  de  sa  mère  la  terre  de  Sevenberghe. 


(  203  ) 

ou  aultre  lieu  d'Hollande,  ouquel  je  me  debroie  selon  mon  instruction 
adresser,  et  lui  déclarer  madite  charge,  et  après  avoir  communique  nos 
instructions  lung  à  laultre,  lesquelles  nous  avons  trouve  assez  conformes 
en  substance,  et  tendre  a  une  mesme  fin  d'advcrtir  de  la  conspiration  et 
trahison  et  faire  appréhender  et  punir  les  coulpables,  lesdits  seigneurs 
commis  me  dirent  quils  avoient  icy  este  le  vendredi  précédent  xxvn  de 
moi  passe,  et  à  l'instant  quils  arrivèrent  avoient  fait  assembler  aulcuns 
des  meilleurs  et  plus  confidens  serviteurs  de  votre  Majesté  ausquels  ils 
avoient  montré  leur  instruction,  ensemble  1  examen  et  déposition  des 
prisonniers  et  déclare  les  raisons  qui  mouvoient  ladite  dame  Royne  de 
faire  manifester  ladite  conspiration  et  trahison  et  quils  estoient  délibères 
dainsi  le  faire,  ne  fut  quils  oissent  raison  pregnante  pourquoi  ils  deus- 
sent  changer. 

Sur  quoy  et  après  que  a  ceste  communication  par  bon  advis  furent 
appelés  un  bourgmestre  et  un  eschevin  aussi  gens  de  bien  et  affectionné 
au  service  de  votre  Majesté  et  à  là  préservation  de  ceste  republique,  fut 
advise  unanimement  que  nestoit  encore  expédient  de  descouvrir  tout 
ouvertement  ladite  trahison,  et  ne  seroit  que  donner  occasion  desmouvoir 
ce  peuple,  et  provoquer  a  trouble  et  sédition  avec  la  perdition  de  la  cite 
et  du  pays,  sans  que  Ion  puist  parvenir  à  lapprehension  et  châtiment 
des  maulvais,  pour  ce  que  audit  examen  y  avoit  aulcunes  choses  non 
vraisemblables,  et  y  estoient  défères  aulcuns  absens  qui  navoient  de 
longtemps  este  en  la  cité,  aussi  quil  estoit  requis  selon  les  privilèges  que 
ceulx  cy  ont,  voire  en  crime  de  lèse  Majesté,  avant  pouvoir  procéder  à  la 
capture  dun  délinquant,  faire  information  préparatoire,  et  quelle  fut  veue 
par  les  eschevins  et  aultres  de  la  loy  et  puis  par  eulx  mesmes  inter- 
pose le  décret  de  lapprehension,  lesquelles  solemnités  navoient  été 
observes,  et  y  procédant  daultre  manière,  prendraient  les  maulvais 
matière  de  se  rebeller,  et  crier  quon  leur  volsist  rompre  leurs  privi- 
lèges et  ainsi  les  persuader  et  imprimer  a  ce  peuple  qui  a  sesdits 
privilèges  en  merveilleuse  recommandation,  et  pour  ces  considérations 
fut  communément  résolu  que  lesdits  commis  debvoient  faire  leur  pro- 
position sans  toucher  de  ladite  trahison  ny  en  gênerai  ni  en  particulier 
et  quils  se  pouvoient  fonder  sur  ce  que  la  Royne  cognoissant  la  bonne 
affection  que  ceulx  de  leglise  et  la  cité  de  Liège  portent  à  votre  Majesté 
les  advertist  de  sa  venue  de  son  aprochement  et  équipage  de  guerre, 
aussi  que  les  françois  aians  levé  leur  camp  de  Maroles  envoient  gens 
vers  Mezières,  et  que  cestoit  pour  eulx  venir  joindre  en  ce  pays  de  Liège 


(  204  ) 

avec  les  Clevois  pour  empescher  le  passage  de  votre  Majesté,  et  à  ceste 
cause  ceulx  de  Liège  debvoient  estre  sur  leur  garde,  et  que  s'ils  navoient 
gens  pour  eulx  deffendre  que  ladite  dame  Royne  leur  en  envoieroit,  an 
surplus  quils  avoient  charge  de  leur  dire  quils  envoyassent  devers  ladite 
dame  Royne  deux  de  leurs  eschevins  et  deux  jurez  pour  oyr  auleuns 
prisonniers  sur  ung  affaire  grandement  importante  a  ceste  cité  et  pays  de 
Liège.  Laquelle  proposition  lesdits  seigneurs  commis  mont  dit  lavoir  fait, 
en  présence  du  chapitre  et  les  bourgmestres  eschevins  et  jurez  de  la 
cité,  et  qui  depuis  sont  esté  envoyés  lesdits  deux  echevins  et  jurez  vers 
ladite  dame  Royne  pour  ouyr  les  confessions  des  trois  prisonniers,  et  a 
semble  pour  le  mieulx  de  différer  la  publication  de  ladite  trahison  jus- 
ques  au  retour  desdits  echevins  et  jurez,  ausquels  Ion  donnerait  plus  de 
foy  que  non  ausdits  commis,  de  la  Royne  Et  pour  ces  mesmes  considé- 
ration sembloit  ausdits  seigneurs  commis  et  aussi  ausdits  bons  person- 
nages tant  du  chapitre  que  la  cité,  que  je  ne  povoie  ny  debvoie  en  la 
remonstrance  que  mestoit  ordonné  de  faire,  ensuivre  a  la  lettre  madite 
instruction,  et  que  dénommant  particulièrement  les  acculpez  serait  on 
leur  donner  occasion  dexciter  quelque  trouble,  ou  leur  ouvrir  la  porte 
pour  se  retirer.  Car  ny  les  officiers  de  leglise  ni  ceulx  de  la  loy  se  ose- 
raient avancer  de  mettre  la  main  a  iceulx  acculpés,  pour  non  avoir  été 
observe  ladite  solennité  et  quils  craignent  estre  repris  davoir  laissé 
enfraindre  lesdits  privilèges,  que  pour  non  estre  les  plus  fors  et  que  pour 
iceulx  acculpés  ont  beaucoup  de  complices  et  adherens  qui  sont  favorises 
par  les  mauvais  de  France  *.  Et  néammoins  avons  paren semble  advise 
que  pour  estre  ce  peuple  adverty  de  ma  venue  et  que  je  suis  envoyé  par 
votre  Majesté,  pour  oster  le  scrupule  a  ceulx  qui  ne  povoient  achever 
de  croire  la  prochaine  dicelle,  aussi  pour  les  remettre  au  droit  chemin 
de  ce  que  plusieurs  deulx  estoient  persuadés  que  votre  Majesté  les  vouloit 
assujetir  en  qualité  de  seigneur  des  pays  dembas  et  submettre  a  la  loy 
de  Brabant,  dont  furent  les  paroles  semées  entre  le  commung  quant  on 
leur  offrist  gens  pour  eulx  deffendre,  que  je  ne  povoie  délaisser  de  faire 
assembler  lesdits  du  chapitre  et  les  bourgmestres  eschevins  et  jurez  et 
leur  faire  une  remonstrance  générale  sans  aussi  riens  particulariser 
des  personnes  acculpés  de  ladite  trahison,  ce  que  feiz  hier  matin  comme 
votre  Majesté  pourra  veoir  par  ce  quen  est  rédigé  par  escript  et  va 
avec  cestes. 

1  Les  mots  écrits  eu  italique  sont  chiffrés  dans  l'original. 


203  ) 

Laquelle  proposition,  Sire,  j entends  avoir  esté  bien  prise,  et  que  depuis 
le  peuple  sest  fort  radoulci,  et  ou  auparavant  ceulx  de  la  cité  navoient 
voulu  admettre  les  gens  de  guerre  que  la  Royne  leur  offroit  pour  leur 
sûreté  et  défense  pour  la  doubte  et  craincte  quon  les  vouloit  assujetir 
comme  dessus,  se  sont  tantost  après  joint  avec  ledit  chapitre,  et  par 
ensemble  requy  quon  leur  volsist  envoyer  lesdits  gens  de  guerre,  et  ont 
les  bons  eu. singulièrement  grant  plaisir  de  veoir  la  subscription  de  la 
main  de  votre  Majesté  a  mes  lettres  de  credence,  ce  qui  les  a  tant  plus 
confirmé  et  asseuré  de  la  venue  de  votre  Majesté,  quils  attendent  avec 
grande  dévotion. 

Sire,  la  Royne  nous  a  escript  que  lesdits  trois  prisonniers  ont  en  pré- 
sence desdits  eschevins  et  jures  persiste  en  leurs  confessions  voire 
amplié  icelles  davantage  a  leur  retour  se  esclairciront  les  particularitez  et 
les  acculpes  se  cognoitront  avec  leur  confession  par  le  raport  et  affection 
des  mesmes  eschevins,  et  par  ce  moyen  jespère  que  lesdits  acculpes  se 
pourront  appréhender  et  que  justice  se  fera,  et  pour  plus  sûrement  con- 
duire ladite  justice  la  royne  a  la  requeste  desdits  du  chapitre  et  de  la 
cité  envoyé  icy  deux  enseignes  de  piétons  et  de  chevaux. 

Ladite  dame  Royne  avoit  avant  ma  venue  en  ce  lieu  fait  appelé  vers 
elle  ung  gentilhomme  nomme  Jehan  Daremberghe  seigneur  de  Lumpnes 
frère  de  l'archidiacre  de  Serain  fort  bien  volu  de  ce  commung  peuple  et 
accuse  destre  adhèrent  a  la  trahison  du  chanoine  Marca  et  pour  ce  que 
feit  quelque  refus  dy  aller  les  gentilshommes  qui  lestoient  venu  appeler 
lamenerent  un  peu  oultre  son  gre,  soubs  les  paroles  qui  lui  deirent  si  ne 
aloit  ils  avoient  charge  de  le  mener,  et  le  détient  ladite  dame  Royne 
arresté  à  Bruxelles,  a  cause  de  quoy  ceste  cite  a  este  en  grand  trouble,  et 
ne  defailloit  matière  aux  maulvais  pour  faire  trouver  ceste  prinse  plus 
odieuse,  allegans  quil  es  toit  pris  sur  le  paiz  de  Liège  et  que  cestoit  contre 
leurs  privilèges  et  directement  contre  la  ligue  et  confédération  quilz  ont 
avec  les  pays  dembas,  lesquelles  crieries  vindrent  si  avant  que  aulcuns 
populaires  hommes  et  femmes  disoient  ouvertement  quon  debvoit  aler 
assommer  les  commissaires  de  ladite  dame  Royne,  aultres  quon  les 
debvoit  tenir  prisonniers,  jusques  ledit  seigneur  de  Lumpnes  leur  seroit 
rendu,  et  a  ceste  occasion  lesdits  commis  furent  deux  jours  sans  eulx 
oser  montrer  en  publicque,  et  pour  appaiser  cedit  peuple  fut  advisé  qu$ 
ceulx  dudit  chapitre  et  de  la  cite  envoieroient  leurs  députés  vers  ladite 
dame  Royne  pour  repeter  ledit  de  Lumpnes,  lesquels  députes  estoient  partis 
avant  ma  venue,  et  attend  on  leur  retour  de  brief,  et  ce  pendant  lesdits 


(  206  ) 

commis  de  la  Royne  et  moy  fumes  icy  temporisans,  et  regardans  a  ce  qui 
convient  pour  la  seureté  et  garde  de  ce  lieu,  avec  les  gens  de  bien  du 
chapitre  et  de  la  cité  et  aulcuns  gentilshommes  de  ce  paiz  qui  faisans 
semblant  de  promener  pour  passe  temps  sont  partout  aux  escoutes,  pour 
empescher  les  assemblées  et  sont  par  tous  les  lieux  principaulx  chaque 
nuyct  ordonnes  gens  pour  veiller  tant  de  ceulx  de  1  église  que  aultres. 

Tout  ce  mal  procède,  Sire,  que  ceulx  cy  nont  point  de  «nef  et  que 
monseigneur  de  Liège  se  treuve  bien  peu  ici,  et  ny  vient  sinon  comme  a 
la  dérobée  y  entrant  le  soir  a  dix  heures,  et  partant  le  matin  devant  le 
jour,  et  ny  a  personne  pour  porter  et  soutenir  la  justice  et  montrer  visage 
aux  maulvais,  et  neammoings  les  affaires  sont  maintenant  en  assez  bon 
train  et  espère  que  les  François  et  Clevois  auront  failly  a  leur  emprinse 
pour  cette  fois.  Ledit  de  Marca  ne  se  double  encores  deviens  et  vient  en 
chapitre  et  en  église  comme  a  laçons tume. 

Sire  je  prie  le  benoist  créateur  qui  doinst  à  votre  Majesté  très  bonne 
et  longue  vie  et  victoire  de  ses  ennemis,  de  Liège  ce  4*  de  août  1513, 
de  votre  très  sacrée  impériale  Majesté,  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur,  Charles  Boisot. 


XII 

Lettre  de  Boisot  à  Granvelle,  premier  conseiller  d'État  et  garde  des  sceaux 

de  l'empereur,  7  août  454$. 

{Papiers  d'État  et  de  l 'A  udteiice,  liasse  47  B.) 

Monseigneur,  depuis  mes  lettres  escriptes  a  lempercur  que  jay  diffère 
denvoyer  attendant  le  succès  des  affaires  afin  de  pouvoir  advertir  de  ce 
que  Ion  avoit  icy  fait  touchant  lapprehension  et  punition  des  acculpez  qui 
est  le  principal  de  ma  charge,  les  eschevins  et  jurez  qui  avoien  teste  envoyés 
vers  la  Royne  pour  oyr  les  confessions  des  trois  prisonniers  sont  retournés 
avec  toutes  les  mesmes  pièces  que  ladite  dame  Royne  avoit  envoyé  à  sa 
majesté  impériale  avant  mon  partement  de  Spire,  contenant  lesdites  con- 
fessions, et  sur  lesquelles  lesdits  prisonniers  sont  este  recolés,  et  ont  per- 
sisté en  icelles  ou  en  la  plus  grande  part,  et  se  sont  assemblez  aulcuns 
personnages  députes  tant  par  le  chapitre  que  ceulx  de  la  cite  pour  veoir 
lesdites  confessions  et  décerner  sur  ladite  appréhension.  Et  ont  lesdites 


(  207  ) 

■ 

confessions  esté  tenues  secrètes  jusques  maintenant  de  manière  que  le 
chanoyne  Marca  ne  sest  doubté  de  riens,  et  crois  que  ce  matin  il  sera 
mandé  en  chapittle  et  que  Ion  se  asseurera  de  sa  personne  et  ne  say  ce 
quils  en  feront.  Au  surplus,  car  ils  le  tiennent  icy  pour  un  pouvre  sot  et 
inocent  et  dient  que  le  feu  cardinal  son  oncle  ne  leust  onques  en  aultre 
estime  et  que  na  lesprit  de  conduite  ce  dont  lesdits  prisoniers  le  char- 
gent et  se  présume  que  aultres  aient  moventé  et  conduit  ladite  conspira- 
tion sur  son  nom,  et  aient  usé  de  lui  comme  un  temps  fut  les  François 
usoient  de  leur  Roy,  qui  ne  servoit  que  de  statue  ou  représentation  et  de 
porter  lhabit  royal  et  ne  se  mesler  de  riens  et  toutefois  tout  ce  falsoit  en 
son  nom,  et  que  lesdits  conspirateurs  auraient  cecy  fait  pour  donner  plus 
dauctorité  a  leurs  menées  estant  ledit  de  Marca  de  Metz  este  en  France. 
Comme  quil  en  soit  je  feray  mon  mieulx  que  soûls  couleur  de  ceste  inno- 
cence, tel  et  si  grand  delict  ne  demeure  impuni  et  useray  a  cest  effect  de 
toutes  persuadons  possibles  tant  verbalement  que  par  escript  et  le  mesmes 
feray  quant  aux  autres  complices  et  adherens. 

Avec  lesdits  esche  vins  et  jures  sont  aussi  retournez  les  députes  du  cha- 
pittle et  cite  qui  estoient  allé  demander  la  restitution  du  seigneur,  de 
Lumpnes  lesquels  ont  ja  fait  leur  raport  selon  la  response  que  ladite  dame 
Royne  leur  a  fait  par  escript  par  forme  dordonnance  ou  apointement  et 
dont  monseigneur  je  vous  en  donne  le  double  duquel  rapport  iceulx  de 
ladite  cite  se  sont  contentes. 

Ladite  dame  Royne  a  rapelle  le  chancelier  de  lordre  et  le  seigneur  de 
Tieuloye  et  ma  escript  que  puis  jestoie  icy  par  commission  spéciale  de 
sa  majesté  impériale  auquel  en  qualité  dempereur  principalement  touche 
cest  affaire,  et  que  ceulx  de  Liège  entendent  plus  volontiers  a  ce  que  sa 
Majesté  commande  que  non  a  ce  que  icelle  dame  Royne  en  escript,  lesdits 
chancelier  et  Thieuloye  ny  avoient  plus  que  faire.  Aussi  mescrit  ladite 
dame  Royne  le  mal  contentement  quelle  a  de  monseigneur  de  Liège 
lequel  sur  plusieurs  lettres  quelle  lui  a  escript  de  se  trouver  icy  lui  a 
finablement  respondu  que  ne  savoit  quil  eust  rien  a  faire  audit  Liège.  Et 
si  tost  que  saura  quil  y  a  faire  quelque  chose  il  se  trouvera  en  diligence, 
ceulx  du  chapitre  lui  ont  aussi  escript  et  mandé  letat  de  la  cité  et  prié 
de  venyr  le  plus  tost  qui  pouroit  mais  ne  pour  cela  sest  il  encores  hâté 
dung  pas. 

Monseigneur,  depuis  ce  que  dessus  escript  jay  entendu  ce  que  ceulx 
du  chapittle  ont  besoingne  ce  matin  et  comme  les  députes  en  présence 
des  archidiacres  ont  examine  larchidiacre  Marck,  et  au  surplus  ce  que 


(  208  ) 

Ion  a  fait  pour  tout  ce  jour  touchant  lapprehension  daulcuns  accuses 
et  pour  que  le  tout  sest  passé  en  mon  absence  assavoir  en  chapitre  et 
pardevant  lesdits  députés  ou  je  ne  suis  admis,  vous  envoie  le  double 
de  la  lettre  que  larchidiacre  Blocquerie  escript  sur  ce  à  H.  le  président 
Schore. 

Ledit  Marca  puis  xv  jours  en  ca  a  escript  une  lettre  à  monseigneur  de 
Saintpy  *  son  oncle  de  ceste  substance  : 

Mons.  mon  oncle  ceulx  du  chapittle  de  Saint-Lambert  me  font  tout  le 
piz  que  peuvent.  Je  vous  prie  dire  à  la  Royne  quelle  me  donne  une 
manutention  pour  saisir  tous  les  biens  quilz  ont  en  Brabant  et  si  elle  ne 
le  fait  je  quicte  mon  serment  et  trouveray  ung  aultre  maistre  dont  vous  ay 
bien  voulu  advertir  afin  que  mescriviez  ce  que  jauroy  a  faire  car  je  veulx 
user  de  votre  conseil. 

Ceste  lettre  montre  bien  que  nest  gaires  saige  et  toutefois  ceste  qualité 
ne  le  doibt  excuser  car  il  est  fol  malicieux,  lesdits  du  chapittle  nont 
volu  plus  rigoureusement  procéder  contre  lui  jusques  ils  entendront  la 
déposition  de  ses  trois  serviteurs  qui  seront  cette  nuyct  examinés  par  la 
torture. 

A  tant  Monseigneur  après  mestre  très  humblement  recommandé  a 
votre  bonne  grâce  je  prie  le  créateur  que  vous  doinst  sainte  et  longue  vie, 
de  Liège  ce  vu  août  1543. 

L'entièrement  votre  très-humble  et  obéissant  sénateur, 

Charles  Boisot. 


xiii 


Copie  de  la  lettre  de  Varchidiacre  de.  Hainaut  du  vu  août  escripte 

au  président  Schorre  de  Liage. 

[Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  17  B.) 

Monseigneur  le  président.  Ce  matin  jay  fait  appeler  les  députés  du 
chapitre  en  ma  maison  et  eulx  déclare  que  pour  seurcment  procéder  a 
lapprehension  des  principaux  accusés  seroit  besoing  dindire  chapitre  sttb 

1  Ce  seigneur  de  Sempy  est  Antoine  de  Croy.  seigneur  de  Sempy,  de  Tours- sur - 
Marne  et  de  Saint- Piat  C'était  le  second  fils  de  Philippe  de  Croy,  prince  de  Chimay. 
Sa  sœur  Catherine  de  Croy  avait  épousé,  en  4491,  Robert  delà  Marck,  prince  de  Sedan, 
le  père  du  chanoine  Philippe. 


(  209  ) 

pena  juramenti  (affin  que  personne  ne  puist  excuser  de  soy  trouver)  et 
illec  declairet  comment  les  eschevins  sestoient  excusés  de  faire  justice  et 
procéder  sur  laffaire  de  trayson  nestoit  que  après  leur  dire  et  déclaration, 
lapprehension  se  poinst  librement  faire  aussy  bien  sur  les  gens  d église  et 
leurs  familiers  et  es  lieux  claustrales  que  aultres  et  aultre  part,  ensuivant 
lequel  advis  tout  le  chapitre  a  este  ce  matin  a  lheure  de  grande  messe 
assemble  et  illec  lintention  desdits  echevins  propose  sur  laquelle  estant 
interroge  de  mon  opinion  je  abandonnoy  et  rendoy  subgect  à  lordonnance 
desdits  echevins  ma  personne  mes  familiers  et  serviteurs  et  louverture 
de  ma  maison.  Marcka  interroge  de  son  opinion  respondoit  ad  idem  et 
sic  deinceps  nemine  discrepante  dont  en  fust  par  moi  prononce  et  par  le 
notaire  du  chapitre  rédige  par  escript  lacté  cy  encloz  et  iceluy  inthime 
premièrement  ausdits  eschevins  (desquels  aulcuns  estoient  presinstruytz 
de  ce  que  faire  ce  debvoit)  et  oultre  ce  aussy  fait  inthimation  aux  bourg- 
mestre et  conseil  affin  que  a  lexemple  du  chapitre  Ion  en  usast  aussy  en 
la  bourgeoisie  nonobstant  tous  privilèges  et  franchises,  et  sur  ce  mande 
audit  chapitre  le  baillif  du  prevost  lui  commande  soy  retirer  incontinent 
vers  les  eschevins  pour  avoir  les  noms  et  surnoms  des  accuses  et  le  décret 
dapprehension  lesquels  par  ledit  baillif  obtenus  il  a  attendu  le  retour 
dudit  Marcka  hors  du  chapitre  en  enprest  lui  sur  le  cloistre  de  Saint- 
Lambert  appréhende  ses  trois  serviteurs  assavoir  Jacquemin,  Janus  et 
messire  Loys  *  et  les  mys  séparément  en  divers  prison  ou  ce  jourdhui 
ils  seront  examinez  comme  il  appartient. 

Avant  le  partement  dudit  Marcka  hors  du  chapitre  avons  tant  fait 
denvers  tous  les  seigneurs  quilz  sont  tous  sortis  hors  dudit  chapitre  y 
laissant  seulement  avec  les  députez  du  chapitre  les  archidiacres  pourquoy 
il  convenoit  que  ledit  Marca  comme  archidiacre  il  demeurast,  ou  il  a  este 
deubuement  examine  sur  linterpretation  des  lettres  quil  avoit  escriptes  a 
son  oncle  M.  de  Saintpy  sur  les  lettres  quil  avoyt  envoyé  en  France  et 
plusieurs  aultres  points  contenus  en  la  confession  des  prisonniers,  davan- 
tage a  ton  envoyé  en  la  maison  dudit  Marcka  deux  seigneurs  du  chapitre 
avec  le  notaire  diceluy  chapitre  affin  de  lui  faire  commandement  de  non 
sortir  hors  de  sa  maison  ne  admettre  accès  a  personne  quelconque  jus- 
ques  a  ce  que  aultrement  par  ledit  chapitre  en  sera  ordonne  sur  paine 
destre  attaint  du  cas,  etc.  et  aussi  de  donner  ouverture  de  tous  coffres  et 


1  Voir  le  récit  de  Chape  a  ville,  foc.  cit.,  p.  347  Ces  prisonniers  étaient  Jacquemin 
Alard,  Janus  de  Saterellc  et  Louis  Chabot. 

Tome  XLI.  14 


(  210  ) 

secrets  tant  de  luy  que  de  sesdits  serviteurs  prisonniers  pour  avoir 
inspection  et  faire  inventorisation  de  tous  lettrages  etc.  Auquel  comman- 
dement ledit  Marcka  a  obey  et  respondu  si  saigement  que  plusieurs 
cognoissant  le  personnage  ont  este  esbahy,  il  pleure  et  est  fort  attonne  et 
reclame  la  désolation  de  sa  mère  et  a  dict  que  sadite  mère  dernièrement 
que  fust  a  Sedan  luy  defendoit  de  parler  à  Monseigneur  de  Longueval 
que  nous  a  donne  quelque  suspicion  et  occasion  de  Interroger  plus 
avant.  Oultre  ce  ont  este  appréhendez  Ottelet  de  Foumale,  Piron  Dheur 
el  damoiseau  Guillaume  de  Sart,  et  tout  ce  a  este  faict  de  ce  bonne  sorte 
quil  ny  a  eu  espechement  aulcun,  et  avant  que  la  bende  de  M.  de  Frens 
et  les  2  enseignes  des  piétons  ayent  este  arrivez,  et  jespere  que  naurons 
affaire  de  leur  ayde  et  assistance  ains  que  lempereur  le  poulra  retirer  et 
sen  servir  ailleurs  a  son  plaisir,  dont  en  brief  la  Royne  en  sera  advertye 
et  principallement  le  capitaine  desdits  enseignes  nomme  Gaspard  de 
Weed  fils  bastard  du  frère  de  Monseigneur  de  Colongne  a  mon  advys 
ne  duyct  icy  pour  servir  de  capitaine  lesdits  enseignes  veu  quil  est  du 
parentaige  de  la  dame  de  Serray  et  que  hier  au  soir  après  avoir  eu  son 
partement  des  députés  il  fust  (comme  Ion  ma  dict)  plus  de  trois  heures 
avec  ladite  dame  de  Serray  dont  ossy  jay  adverty  le  docteur  Boisot  afin 
de  rescripre  à  M.  le  Prince.  Au  surplus  Monseigneur,  de  ce  que  survien- 
dra serez  adverty  sous  confidence  que  cestes  et  les  aultres  que  voy 
escriray  ne  seront  montré  que  a  la  personne  de  sa  Majesté  laquelle 
poulrez  advertir  que  mon  raport  (que  fust  faict  hier  du  matin  au  chapitre 
en  présence  des  nobles  et  de  tout  le  conseil  de  la  cite)  leur  a  este  très- 
agréable  ou  je  nay  point  oublye  ce  que  pourroit  servir  pour  la  bienvenue 
de  M.  R.  de  Valence. 

Larchidiacre  Serray  l  na  point  este  et  nest  en  ceste  ville  ains  comme 
sa  mère  ladite  dame  Serray  *  a  dict  est  aile  avec  M.  de  Colongne  aude- 
vant  de  lempereur,  icelle  dame  depuys  mon  retour  na  cesse  de  me 
presser  pour  venir  devers  elle  ou  permettre  que  elle  viengne  devers  moy 
de  sorte  que  par  ladvisdes  aultres  députez  suys  délibéré  me  trouver 
demain  au  matin  vers  elle  pour  entendre  les  bonnes  remonstrances 
que  elle  me  vouldra  faire. 

1  Cet  archidiacre  Serray  est  Guillaume  de  la  Marck-Seraing,  archidiacre  de  Bra- 
baut,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  sou  parent,  Philippe  de  la  Marck-Sedan, 
archidiacre  de  Hesbaye,  dont  il  est  parlé  dans  la  même  lettre.  Sur  la  généalogie  des 
la  Marck,  on  peut  consulter  utilement  les  papiers  du  héraut  d'armes,  Le  Fort,  qui  se 
trouvent  aux  archives  de  l'État,  à  Liège. 


(  211  ) 

Lettre  de  Charles-Quint  à  Boisot,  du  44  août  4S4S. 

(Liasse  17  A,  minute.) 

Cher  et  féal  nous  avons  receu  vos  lettres  du  4  du  presens  ensemble  la 
proposition  par  vous  faite  aux  trois  estats  de  Liège  et  veu  ce  quavez 
escript  au  seigneur  de  Granvelle  du  vn  de  juins  et  la  copie  de  la  lettre  de 
larchidiacre  Blocquerie  au  président  Scborre  et  nous  savons  très  bon 
gre  de  la  diligence  quavez  faite  et  le  debvoir  en  ceste  votre  charge  et 
treuvons  très  à  propos  ladite  proposition  et  accommodée  selon  lestât 
auquel  avez  tenu  laffaire  suivant  la  communication  faite  en  ce  avec  le 
cbancellier  de  Tordre  et  seigneur  de  la  Thieuloye  et  ne  vous  saurions 
pour  maintenant  donner  plus  exprès  advis  synon  que  serviez  en  cestedite 
charge  selon  que  vous  verrez  lexigence  et  ce  qui  sera  survenu  par  larrest 
du  chanoyne  de  la  Marche  et  prinse  de  ses  serviteurs  et  comme  le  cas  se 
descouvrira,  et  ladvertissement  que  aurez  du  costel  de  la  Royne  douai- 
rière de  Hongrie  madame  notre  bonne  sœur  laquelle  ne  faisons  doubte 
vous  advertira  de  ce  quon  pourra  tyrer  des  autres  prisonniers  et  per- 
sonnes arrestees  devers  elle  et  vous  renvoyons  ce  tenir  afin  que  nous 
puissiez  adverty  de  ce  qui  sera  survenu  dois  son  parlement  et  ce  quil  vous 
semblera  convenir  a  votredite  charge  en  laquelle  continuerez  suivant  ce 
que  notredite  sœur  vous  a  escript  jusques  ayez  autres  nouvelles  délie 
part  de  nous  et  vous  envoyons  en  trois  adveus  lettres  a  ceulx  des  trois 
estats  dudit  Liège  pour  vous  en  ayder  si  veez  quil  soit  requis.  Et 
ferez  la  credence  au  pays  de  lestât  de  laffaire  et  direz  audit  archidiacre 
que  nous  lui  savons  très  bon  gré  de  loffice  quil  fait  en  ce  et  de  l'affection 
quil  continue  du  bien  commun  du  pays  de  Liège  et  notre  service. 

A  tant de  Mayence  ce  11  août  1543. 


Lettre  de  Boisot  à  Charles-Quint,  du  45  août  4545. 

(Même  liasse.) 

Sire.  Hier  sur  le  midy  jay  receu  les  lettres  dicelle  votre  Majesté  escriptes 
à  Maience  le  xi  du  présent  et  aultres  a  messires  du  chapittle  et  de  la  cite 
portans  credence  sur  moy  et  combien  jay  devant  hier  escript  a  M.  de 


(  212  ) 

Granvelle  et  adverty  de  tout  ce  questoit  icy  passe  depuis  le  partement  de 
Jehan  Colard  courier  jusque  lors  et  envoyé  la  lettre  au  maitre  des  postes 
à  Bruxelles  pour  ladresser  par  le  premier  qui  se  despescheroit  vers  vôtre- 
dite  Mte  si  ne  veulx  je  laisser  de  reprendre  icy  le  plus  substantiel  de 
ladite  lettre  et  ce  adjouter  ce  quest  succédé  depuis,  quest  sire  que  deux 
serviteurs  de  J archidiacre  de  la  Marche  *  assavoir  ung  Janus  et  messire 
Loys  prestre  après  avoir  confessé  la  trahison  assavoir  quils  en  estoient 
charges  par  les  prisonniers  en  Brabant,  sont  este  publiquement  exécutes 
par  lespée  et  ledit  Janus  esquartele,  peu  après  a  aussi  este  exécuté  pour 
la  même  cause  ung  nomme  Gabriel  cirurgien  et  estoient  tous  trois  fran- 
çois  lesquelz  par  leurs  dépositions  ont  chargé  un  Raes  de  la  Mine 
comme  chief  et  qui  auroit  commence  et  conduit  le  pratique  aussi  ung 
Jehan  de  Fomale,  Pierron  d'Heure  et  Jacquemin  Alart  tous  borgeois  ces 
deux  derniers  ont  dimanche  et  lundv  este  mis  sur  la  torture  mais  nont 
rien  voulu  confesser  quelque  tourment  quon  leur  eut  fait,  ledit  Raes  de 
la  Mine  et  Foumale  sestoient  saulves  de  la  prinse  dudit  Janus  et  sont  si 
bien  este  poursuivis  quils  ont  este  rataintz  et  pris  sur  le  paiz  de  Tresves 
et  furent  hier  par  ordonnance  de  Monseigneur  de  Liège  menés  à  Huy  ou 
les  maire  et  eschevins  dudit  Liège  se  trouveront  cejourdhui  pour  les 
examiner  et  se  confessant  les  ramener  en  ce  lieu  pour  renouveler  leurs 
confessions  et  après  en  faire  la  justice  comme  le  cas  le  mérite. 

Lon  publia  hier  que  tous  ceulx  qui  se  sont  retirez  depuis  ces  trahisons 
descouvertes  retournent  en  dedans  xv  jours  a  peine  destre  tenuz  pour 
attaints  et  coulpables  dicelles  et  de  confiscations  de  tous  leurs  biens  a 
applicquer  pour  la  fortification  de  la  cite. 

Mons.  le  prince  d'Orenges  mescripvit  hier  que  si  lon  navoit  plus  icy 
afaire  de  gens  de  pied  et  de  cheval  que  la  Royne  y  avoit  envoyé  qui  voul- 
droit  bien  les  ravoir,  jen  parlay  incontinent  à  Ms.  de  Liège  lequel  fait 
assembler  le  chapitre  les  bourgmestres  et  aulcuns  des  nobles  et  me  fut 
raporte  que  leur  resolution  avoit  este  de  prier  Mr.  le  prince  de  laisser 
encore  icy  lesdites  gens  de  pied  jusques  vendredy  et  que  lors  ils  lui  sau- 
raient a  dire  quand  ils  sen  pourraient  défaire,  quant  aux  gens  de  cheval 
quilz  sen  passeraient  et  les  povoit  Mr  le  prince  mander  quant  il  vouldroit 
dont  jay  adverty  ledit  seigneur  prince  et  ay  eu  responce  ce  matin  quil  est 
content  et  mande  au  seigneur  de  Frens  capitaine  de  ceulx  de  cheval  que 
vient  cejourdhui  le  trouver. 

1  11  s'agit  ici  de  l'archidiacre  Philippe  de  la  Marck-Sedan. 


(213) 

Sire  je  useray  desdites  lettres  de  credence  selon  que  je  verray  il  sera 
de  besoing  avec  ladvis  de  ceulx  qui  sont  affectionnez  a  votre  service  et 
bien  de  cette  république. 

Mr.  de  Liège  depuis  quil  est  arrive  quest  de  vendredi  dernier  a  fait 
très  bon  debvoir  et  sest  employé  le  plus  quil  a  peu  pour  encheminer  ce 
que  nous  avions  convenu  et  mesmes  a  obtenu*  de  ceulx  de  la  cite  et  des 
mestiers  que  Ion  peust  procéder  a  la  torture  des  bourgeois  sans  la  pré- 
sence desdits  mestiers  et  se  a  este  cause  par  ladresse  quil  y  a  donne  que 
lesdits  Raes  de  la  Mine  et  Jehan  de  Foumale  sont  este  prins. 

Sire  je  prie  le  benoist  créateur...  etc.... 

De  Liège  ce  xv  août  1543. 

Boisot. 


ITI 

Lettre  de  Boisot  à  Granvelle,  du  26  août  4545. 
{Audience,  liasse  17  B,  original.) 

Monseigneur,  par  mes  dernières  lettres  je  vous  ai  escript  de  la  prinse 
de  Raes  de  la  Mine  de  Jehan  de  Foumale  que  Ion  disoit  avoir  este  chief  de 
la  conspiration  et  que  Mr  de  Liège  les  avoit  fait  mener  à  Huy. 

Depuis  lesdits  Raes  de  la  Mine  et  Foumale  sont  ete  examines  tant  par 
torture  que  aultrement  par  le  maire  deux  bourgmestres  et  deux  eschevins 
de  ce  lieu  qui  sont  este  envoyé  audit  Huy  tout  propre  pour  ce  faire,  mais 
quelque  mal  quon  leur  ait  fait  nont  riens  volu  confesser,  de  manière  que 
les  députez  sur  linquisition  de  ladite  conspiration  sen  sont  trouvez  per- 
plexes considérant  que  sans  confession  ils  navoient  estouffe  suffisante 
pour  les  faire  morir  et  sils  échappent  Ion  crainct  quils  ne  suscitent  nou- 
velle sédition  soubs  couleur  quon  leur  avoit  fait  tort,  mesmes  ledit  Raes 
qui  est  de  sa  profession  advocat  et  beau  parleur  et  celui  qui  a  toujours  le 
plus  combattu  pour  les  privilèges  et  souvent  résisté  luy  seul  au  feu  car- 
dinal quant  il  demandoit  aucune  chose  aux  estats  et  pour  ce  a  este  advise 
quon  devoit  envoyer  a  Mr.  de  Liège  qui  lors  estoit  devers  la  Royne  un 
eschevin  avec  les  réponses  desdits  Raes  et  Foumale  et  les  confessions  des 
ja  exécutes  et  aultres  encore  prisonniers  affin  que  par  ce  moien  ladite 


(  214  > 

dame  Royne  les  puist  veoir  et  en  tirer  matière  pour  plus  avant  interroger 
les  deux  quelle  tient  encore  prisonniers  à  Vilvorde  lesquels  peust  être 
pourront  dire  davantage  a  la  charge  desdits  Raes  et  Foumale  f  et  donner 
cause  pour  les  remettre  à  la  torture. 

Mons.  un  nommé  Pierron  Dheure  *  bourgeois  et  fort  apparente  en  ceste 
cite  estant  charge  par  Janus  prisonnier  exécute  de  lui  avoir  fait  écrire 
la  lettre  au  seigneur  de  Longueval  affin  de  haster  sa  venue  et  par  les 
aultres ,  qui  debvoit  estre  porteur  denseigne  des  gens  de  guerre  qui  se 
levoient  dedans  ce  pays  pour  assister  ledit  de  Longueval,  na  riens  volu 
confesser  quelque  torment  quon  lui  ait  fait  et  toutefois  pour  estre 
homme  charge  par  quatre  qui  ont  persiste  jusque  s  à  la  mort  et  aussi 
confronte  avec  ledit  Janus  qui  luy  a  dit  en  son  visage,  a  este  mardy  der- 
nier exécute,  et  combien  que  Ion  eut  peur  que  ne  fit  quelque  exclamation 
de  son  innocence,  venant  sur  le  hourd  ne  dit  aultre  chose  sinon  que 
prioit  tous  les  assistents  quilz  se  gardassent  de  hanter  maulvoise  com- 
pagnie destrangers. 

La  Royne  avant  que  remettre  le  seigneur  de  Lumpnes  frère  de  larchi- 
diacre  de  Seray  es  mains  dudit  evesque,  la  volu  faire  confronter  avec 
ung  Godefroy  Dardenne  dit  Hatrival  prisonnier  à  Vilvorde  qui  le  charge 
davoir  entrevenu  a  ceste  conspiration  et  pour  auctoriser  ladite  confron- 
tation a  fait  mander  par  ledit  seigneur  eveque  un  bourgmestre  dicy  et  un 
gentilhomme  nomme  le  seigneur  de  Ghoquier  lesquels  sont  aies  en  Bra- 
bant  et  ne  sont  encores  de  retour.  Aussy  nest  retourne  ledit  seigneur 
evesque  pour  resoldre  sur  le  fait  des  aultres  prisonniers  mesme  dudit 
Raes  de  la  Mine  et  ce  pendant  suis  icy  sans  riens  faire  et  fust  avec  bon 
loisir  aie  a  Malines  et  retourne  mais  ne  lay  ose  faire  sans  lordonnance 
de  lempereur  ou  de  la  Royne. 

Jay  escript  à  Mr.  le  prince  dOrenges  que  les  députez  mont  fait  dire 
que  Ion  pouroit  bien  révoquer  les  deux  enseignes  de  piétons  et  quil 
ny  a  ici  aulcun  danger  de  tumulte  ou  sédition  et  que  de  ce  qui  reste 
des  traistres  et  conspirateurs  ils  sont  fors  assez  pour  en  faire  la  justice3. 

De  Liège,  26  août  1543. 
Monseigneur  a  cest  instant  et  comme  je  voulais  serrer  cette  lettre  jay 


1  Ces  deux  conspirateurs  ne  furent  exécutés  que  l'année  suivante  (voir  Chapeaville). 
*  Cette  lettre,  comme  on  voit,  explique  le  récit  de  Chapeaviile  (voir  t.  III,  p.  348). 
1  Cette  lettre  se  termine  par  des  renseignements  étrangers  à  notre  sujet. 


(  218  ) 

reçu  celle  de  sa  Majesté  de  xix  de  ce  mois  escripte  a  Bonn  par  laquelle 
sadite  Majesté  me  mande  de  continuer  en  ma  charge  et  tenyr  main  a  ce 
que  justice  se  fasse  de  manière  que  avant  mon  parlement  la  cite  puisse 
demeurer  en  bonne  asseurance  union  et  tranquillité  et  pour  ce  Monsei- 
gneur que  sadite  Majesté  entendra  par  ce  que  dessus  lestât  des  affaires 
jusques  a  cest  heure  ny  sauroyt  que  adjouter  sinon  que  j attends  le  retour 
des  commissaires  envoyés  en  Brabant  et  response  de  la  Royne  de  ce  qui' 
lui  semblera  se  debvoir  faire  touchant  les  aultres  prisonniers.  Mr.  de 
Liège  qui  retourna  hier  soir  me  dit  que  ce  jourdhuy  nous  aurons  ladite 

response  dudit  Liège.  Ce  xxvn  daoust. 

Charles  Boisot. 


xvii 

,  Lettre  de  Boisot  à  Charles-Quint,  du  50  août  4545. 

(Original,  même  liasse.) 

Sire,  hier  matin  Mr.  levesque  de  Liège  et  les  députes  des  estats  me  firent 
remontrer  que  la  Royne  nauroit  volu  rendre  Jehan  dAremberghe  seigneur 
de  Lumpnes  es  mains  dudit  seigneur  evesque  selon  que  ladite  dame 
lavoit  consenti  par  ung  acte  du  mi  de  ce  mois  dont  la  copie  va  avec 
cestes,  nestoit  que  sobligeast  a  la  garde  diceluy  soubx  le  péril  de  ses 
biens  patrimoniaux,  ce  que  ledit  seigneur  evesque  dit  navoir  volu  faire, 
nestoit  quil  y  eust  matière  pour  lenserrer  en  prison  et  que  ne  se  pouroit 
asseurer  de  luy  retenant  la  liberté  quil  a  présentement,  ce  qui  aussi  aus- 
dits  députez  ne  sembloit  raisonnable,  mais  que  ladite  dame  Royne  se 
debvoit  contenter  que  ledit  seigneur  evesque  assignast  pour  prison  audit 
de  Lumpnes  lune  de  ses  maisons  ou  forteresse  du  pays  de  Liège  et  que 
iceluy  de  Lumpnes  promest  et  se  obligeast  et  pareillement  la  dame  de 
Serain  sa  mère  comme  il  est  contenu  au  mémoire  icy  joinct.  Et  pour  ce 
que  Sire  que  ladite  dame  Royne  les  auroit  remis  à  votre  Majesté  comme 
dient  lesdits  députez  iceulx  seign.  evesque  et  députez  mont  requis  den 
escripre  à  V.  M.  affin  qu'il  plaise  a  icelle  les  sur  ce  pourveoir,  et  con- 
sentir ladite  restitution  estre  faicte  soubx  lesdites  conditions,  ce  que  jay 
volontiers  fait  pour  faire  cesser  les  aigres  poursuites  que  ladite  dame  de 
Serain  fait  pour  sondit  filz  et  procure  le  plus  quelle  peust  de  faire 
assembler  les  xxxn  mestiers  pour  leur  en  faire  les  doléances  et  les  sti- 


(416) 

muler  de  faire  la  poursuite  de  ladite  restitution  pour  elle,  mais  attendu 
sur  ce  que  cest  affaire  dépend  de  l'ordonnance  faicte  par  ladite  dame 
Royne,  me  semble  soubx  la  correction  de  votre  Majesté  quelle  ny  doit 
pourveoir  sans  son  advis  lequel  je  pense  elle  envoiera  de  brief  a  votre 
Majesté  comme  je  luy  ay  ja  escript. 

Sire  ledit  de  Lumpnes  est  charge  par  un  Josselet  prisonnier  de  Vil- 
vorde  davoir  este  en  la  maison  du  Val-Saint-Lambert  située  en  ceste  cite 
lorsque  larchidiacre  Marca  délivra  audit  Josselet  la  lettre  pour  porter 
à  Sedan  questoit  pour  faire  haster  le  seigneur  de  Longueval  et  estant 
ledit  Josselet  confronte  avec  lui  y.  apersiste  mais  ledit  de  Lumpnes  sou- 
tient le  contraire  et  a  habandonné  corps  et  biens  si  Ion  treuve  que  depuis 
un  ang  ença  il  soit  este  en  ladite  cite,  sur  quoy  par  charge  et  ordonnance 
de  la  Royne  jay  requis  lesdits  seign.  evesque  et  députez  de  faire  interroger 
ledit  Marca  et  aultres  que  ledit  Josselet  afferme  aussi  avoir  este  presens 
audit  Val-Saint-Lambert,  ce  quils  ont  accorde  et  sont  este  contens  que 
mois-mesme  je  l'interroge  ce  que  jay  fait  ce  matin  en  présence  desdits 
seigneurs  eveque  et  députés  avec  commination  de  prison  fermée  et  tor- 
ture si  ne  cognoissoit  la  vérité,  mais  en  fin  je  nen  ai  riens  peu  tirer. 

Sire  jay  reçeu  ce  soir  les  lettres  de  votre  Majesté  du  xxix  du  présent 
par  lesquelles  votre  Majesté  me  commande  daler  à  Metz  en  Loraine  pour 
les  causes  contenues  en  icelles  lettres,  a  quoy  sire  je  obéiray  et  veant  que 
les  affaires  dicy  sont  en  bon  estât  aussi  que  Mr  de  Valence  y  est  venu  ce 
mesme  soir  lequel  sera  beaucoup  respecte  par  ce  peuple  et  le  contiendra 
sa  présence  en  la  pacification  et  tranquillité  qu'il  est  maintenant.  Je  me 
délibère  de  partir  samedy  soir  vers  Louvain  pour  faire  rapport  a  ladite 
dame  Royne  de  ce  que  jay  fait  touchant  lexamen  dudit  Marca  et  aultres 
et  des  la  avec  le  congé  de  votre  Mte  et  de  madite  dame  Royne  men  irey 
vers  Malines  pour  donner  ordre  a  mes  petitz  affaires,  et  ce  fait  je  ne  par- 
tiray  vers  ledit  Metz  avec  les  instructions  que  sa  Mte  reginale  me  don- 
nera et  que  je  pouray  retourner  passant  par  Luxembourg.  A  quoy  je 
memployerai  le  plus  que  me  sera  possible  pour  le  service  de  votre  Mte 
este  et  feray  tout  mon  extrême  debvoir  pour  remectre  la  cite  en  concorde 
et  unyon  et  la  faire  persévérer  en  lobeissance  de  notre  ancienne  religion 
moiennant  laide  de  benoist  créateur  qui  doinst  à  votre  Mte  continuer  en 
ses  très  nobles  victoires  et  conquestes,  et  le  surplus  de  ses  très  hauts  et 
vertueux  désirs  à  laquelle  je  très  humblement  que  faire  puis  me  recom- 
mande de  Liège  le  xxx  août  1543. 

Charles  Boisot. 


(  217  ) 


XVIII 

Extrait  hors  de  la  congnoissance  Jehan  Noël  aultrement  appelé  Jehan  Pirht 
fils  Arnult  le  tourneur  exécute  en  la  cite  de  Liège. 

[Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  25,  sans  date.) 

Dist  que  environ  trois  mois  avant  sadite  congnoissance  faicte  il  a 
•esté  à  Luxembourg  ou  que  ung  seigneur  de  France  estoit  qui  lenvoya 
a  Coloigne  pour  pourté  lectres  à  Damoiseau  Guillaume  de  la  Marck  et 
luy  donna  lesdites  lettres  cousues  en  cuyr  disant  quil  se  faisait  recom- 
mander à  luy  et  quilz  descendroyent  aile  valler  le  plustot  que  faire 
pourroyent. 

Item  dict  que  pour  pourté  lesdites  lectres  ledit  seigneur  lui  baillât 
vingt  escuz.  Dict  que  suyvant  la  charge  quil  avoit  il  a  présenté  lesdictes 
lectres  à  ung  gentilhomme  de  la  maison  dudit  damoyseaul  Guillaume 
audict  Coulongne  pour  les  donner  audit  damoyseaul  Guillaume  ce  quil  fit 
car  il  lui  rendit  arrier  lettres  pour  pourter  audict  seigneur. 

Dict  que  ledict  seigneur  luy  avait  recharge  et  escolle  que  sil  luy  venoit 
quelque  hazar  sur  le  chemin  ou  quil  fuisse  en  doubte  destre  prisonnier 
quil  jectatz  lesdites  lettres  arrier  luy  ce  quil  fist  luy  venu  en  retournant 
auprès  dune  abbaye  qui  est  dedans  les  boys  appelée  labbaye  de  Covet 
pays  de  Liège  la  avant  quil  fust  prisonnier  jectat  les  lettres  que  damoi- 
seaul  Guillaume  luy  avoit  donne  en  ung  fosse  auprès  de  ladite  abbaye  ou 
qui  fut  pris  et  emmené  a  han  sur  heure. 

Dict  que  ledict  damoiseaul  Guillaume  quant  il  luy  bailla  lesdictes 
lettres  luy  fit  donner  ung  escu  et  ung  chevaulcheur  de  Gueldre. 

Confesse  quil  a  demande  à  Godeffrin  le  Boulengier  dit  Boldert  en  allant 
à  Corunmoese  sil  vouloit  venir  avec  luy  en  France  au  service  du  Roy  il 
lui  feroit  avoir  argent  tout  plain  et  luy  diroit  des  secrets  si  ne  les  vouloit 
reveller  et  que  les  secrets  qui  lui  voulloit  dire  estoyent  des  lettres  quil 
avoit  pourté  à  Coulongne  adressantes  à  damoiseaul  Guillaume  de  Seraing. 

Après  lui  a  esté  demande  comment  en  quel  lieu  et  quant  lesdites  lettres 
luy  ont  este  données  par  ledit  seigneur  de  France  pour  pourter  à  Coul- 
logne  quelle  charge  il  avoit  de  dire  audit  damoyseaul  Guillaume  et  quelle 
eonduyte  il  a  tenu  en  portant  icelles  et  ce  que  ledict  damoyseaul  Guil- 
laume luy  a  dict. 

Sur  ce  a  dict  et  respondu  que  quant  le  camp  du  Roy  estoit  devant 


(  218  ) 

Arlon  le  seigneur  de  France  dessuz  meneionne  le  tist  appeler  en  sa  tante 
luy  demandant  sil  vouldroit  pourter  des  lettres  à  damoiseaul  Guillaume 
de  Seraing  a  Coullongne  lors  ledit  déposant  respondit  que  il  en  estoît 
content  a  donc  pour  ce  faire  ledit  seigneur  luy  donna  promptement  vingt 
escuz  pour  avancer  son  payement  en  promectant  en  oultre  de  son  retour 
le  parpayer  très-bien  luy  donnant  lors  les  lectres  quil  debvoit  pourter 
cousues  en  cuyr  disant  tels  paroles  «  tiens  ces  lectres  faictes  bien  ton 
debvoir  de  les  porter  à  damoiseaul  Guillaume  de  Seraing  a  Goulongne 
et  sil  nest  a  Coulogne  cherchez  le  la  ou  il  sera  et  luy  ditz  que  nous  des- 
cendrons aile  vallée  le  plus  brief  que  pourrons  a  grosse  compagnye  et 
bruslerons  tout  le  pays  là  où  nous  passerons. 

Dict  que  ledit  seigneur  de  France  luy  rechargeât  que  sil  avoit  rencontre 
des  gens  plus  forts  que  luy  duquoy  il  se  doubtatz  quil  gechastz  les  lettres 
arrier  luy. 

Dict  que  luy  venu  a  Coullongne  pour  adresser  ses  lettres  il  se  fist  mener 
à  la  maison  ou  se  tenoit  damoyseaul  Guillaume  présentant  lesdites  lectres 
à  ung  gentilhomme  de  la  maison  quy  ne  congnoissoit  luy  disant  que  ces- 
toient  lectres  de  France  que  ung  tel  seigneur  envoyoit  audit  damoyseaul 
Guillaume  et  ledict  gentilhomme  les  prist  et  les  allast  donner  audict 
damoiseau  Guillaume  faisant  par  ledit  gentilhomme  entrer  ledit  depposant 
en  la  cuysine  de  ladite  maison  ou  il  trouvât  ung  quidam  qui  luy  baillât  a 
boyre  et  manger  auquel  il  déclarât  quil  avoit  lectres  de  France  dont  ledict 
quidam  luy  demanda  si  ces  toit  pour  avoir  damoyseaul  Guillaume  en 
France  et  il  dict  que  oy. 

Interroge  comment  il  scavoit  que  cestoit  pour  lavoir  en  France  dict 
que  ung  quidam  luy  avoit  dict  lequel  quidam  estoit  ceiluy  qui  lavoit  venu 
quérir  pour  venir  parler  audict  seigneur  de  France  en  sa  tante  affin  de 
porter  les  lectres. 

Luy  a  esté  demande  sil  navoit  point  parle  audict  damoiseaul  Guillaume 
dict  que  le  lendemain  il  parla  a  luy  et  que  luy  mesme  luy  donnast  les 
lettres  responssives  quil  avoit  apporte  luy  faisant  donner  ung  escu  et  ung 
chevaulcheur  de  Gueldre  par  ceiluy  a  cuy  il  avoit  présente  les  lettres  quil 
avoit  appourte  et  que  lors  ledict  damoyseaul  Guillaume  avoit  vestu  une 
longue  robe  ung  pourpoin  de  satin  ung  sayon  de  drapt  de  damas  ung  fin 
bonet  a  corne  et  en  luy  baillant  les  lettres  ledict  domoyseaul  Guillaume 
lui  dist  quil  feisse  bien  son  debvoir  de  porter  lesdictes  lectres  audit  sei- 
gneur de  France. 

Interrogie  sil  fist  le  messaige  audict  damoiseaul  Guillaume  tel  que  ledict 


(  219  ) 

seigneur  lui  avoit  charge  comme  dessuz  est  declaire,  dict  que  oy  et  que 
ledict  damoyseaul  Guillaume  luy  respondit  telles  parolles  pourquoy 
ne  sont-ils  venuz  plustost  présentement  la  paix  est  faicte  lempereur  ra 
les  pays. 


XIX 

Extrait  de  la  déposition  de  Piron,  fils  de  feu  Thonon  le  Texheur  de  Chockier, 

acte  du  48  février  1544. 

[Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  48.) 

1°  «  At  dit  et  declaireit  ledit  Piron  que  droitement  a  la  discarge  des 
boix  de  la  paxhon  il  (qui  avoit  este  garde  des  bestes)  fut  trouveit  la 
nuycte  de  S.  André  dernier  passeit,  du  matin  en  la  cuisine  de  Seraing  le 
cbestea  *  ou  que  après  avoir  mengié  le  soppe  estoient  eulx  chauffans  a 
feu  ung  homme  qui  partout  le  maison  estoit  appelleit  damoiseaul  le  b  ou 
Mons.  le  b  et  un  aultre  nomme  le  grand  Libert  le  Ghaiet  lequel  b  vient  a 
demander  audit  Piron,  compaignon  que  feras-tu  dorsenavant  ton  service 
est  icy  finneit  et  où  yras-tu?  A  quoi  ledit  Piron  dist  quil  chercheroit  ser- 
vice ou  ens  Ardenne  (?)  ou  ailleurs  la  autrefois  avoy  servy,  surqoy  ledit  b 
luy  demandât  sil  scaroit  voldroit  ou  oseroit  bien  aller  en  France  et  à 
Sedan  et  y  faire  quelque  messaige  et  a  retour  quil  en  feroit  il  ledit  b  lui 
promettoit  bailler  une  robe,  ossy  bonne  quil  mesme  le  portoit  dont  sur 
quelque  petite  difficulté  que  ledit  Piron  faisoit  à  cause  des  rencontres  sur 
le  chemin  ou  autrement  ledit  Libert  le  Ghaiet  approchât  disant  «  gaingne 
compaignon,  gaingne  il  fait  bon  gaingner  et  ledit  b  disoit  quil  ledit 
Piron  neuyst  doubte  ne  source  car  il  lui  donneroit  un  passe  port  et 
saulf-conduit  de  damoiseau  Guillaume  archidiacre  de  Liège,  au  moien 
duquel  il  seroit  gardeit  et  sy  bien  asseureit  quil  naroit  empêche- 
ment, etc.,  etc 

1  Seraing-le-Château,  en  Hesbaye. 


(  220  ) 


xx 

Mandement  impérial  du  44  mars  4544  relatif  au  procès 

de  Jean  de  la  Marck, 

{Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  19,  minute.) 

Lempereur  ayant  fait  revoir  et  visiter  les  pièces  du  procès  demene  et 
instruit  pardevant  les  echevins  de  la  ville  et  cite  de  Liège  dentre  les 
mambour  et  fiscal  du  reverendissime  eveque  de  Liège  demandeur  et 
calengeur  dune  part  et  Jehan  de  La  raarck  seigneur  de  Lumey  défendeur 
daultre,  envoyé  par  aulcuns  députes  desdits  echevins  et  oy  le  rapport  a 
fait  dire  ausdits  députes  quil  sembloit  à  sa  Majesté  que  ledit  procès  n'a 
este  si  bien  instruit  et  poursuivi  que  la  qualité  du  délit  et  cas  à  lui  impose 
le  requérait  en  tant  mesmement  que  ledit  demandeur  na  aucunement 
reproche  ni  contredit  les  témoignages  que  ledit  seigneur  de  Lumey  a 
produit  en  ses  décharges  ne  aussi  allègue  aulcuns  faits  contraires  pour 
éluder  et  effacer  les  qualités  et  présomptions  par  lui  alléguées  et  propo- 
sées pour  éluder  et  diminuer  la  mauvaise  présomption  contre  lui  mili- 
tante, jaçoit  qu'il  y  avoit  a  ce  bonne  matière  et  mesmement  les  practiques 
et  indus  moyens  dont  larchidiacre  de  Serain  son  frère  a  use  pour  parvenir 
à  levesche  dudit  Liège  tant  auparavant  que  après  le  deces  de  feu  le 
cardinal  de  Liège,  lassistance  que  ledit  seigneur  de  Lumey  a  vraisembla- 
blement fait  à  sondit  frère  tant  en  séjournant  par  bonne  espace  de  temps 
en  ladite  cite  allant  le  plus  grande  part  du  temps  secrètement  arme  et 
muni  contre  tous  insults  que  autrement  ensemble,  que  autrefois  il  a 
refuse  daccepter  une  pension  à  lui  offerte  et  présentée  pour  lattirer  au 
service  et  dévotion  de  sa  Majesté  que  aussi  ledit  archidiacre  a  este  le 
principal  promoteur  de  la  conspiration  et  faction  dernièrement  y  décou- 
verte pour  distraire  ladite  cite  et  pays  de  Liège  du  Saint  Empire  comme 
il  est  suffisamment  apparu  par  les  commissions  et  dépositions  de  plu- 
sieurs qui  pour  ce  ont  este  exécutes  tant  es  pays  de  sadite  Majesté  que 
audit  Liège  dont  vraisemblablement  ledit  seigneur  de  Lumey  ne  pouvait 
estre  de  tout  ignorant,  lesquelles  choses  et  autres  que  selon  le  bruict  qui 
court  tant  es  pays  de  pardecha  que  audit  Liège  eussent  fait  peu  changier 
les  mérites  de  la  cause  et  plus  apertement  instruire  et  informer  ceux  qui 
seront  en  la  termination  dudit  procès.  Neantmoins  sa  Majesté  remet  le 
tout  en  la  discrétion  et  prudence  de  ceux  à  qui  la  judicature  en  appartient 


(  221  ) 

espérant  quils  auront  regard  à  ce  que  leurs  loix  et  privilèges  soient 
gardes  et  que  cy  après  nul  danger  ou  inconvénient  en  advienne  et  quil 
sera  pourvu  au  repos  et  tranquillité  de  ladite  cite  et  pays  de  Liège  et  si 
autrement  que  Dieu  ne  veuille  en  advenir  suffira  a  sadite  Majesté  avoir  fait 
ladvertissement 
Fait  à  Bruxelles  le  u«  jour  de  mars  XVe  44. 


Lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  Vévêque  de  Liège,  du  40  décembre  4549. 
(Papiers  d'État  et  de  l'Audience,  liasse  43,  minute) 

Mon  cousin.  Ayant  cydevant  trouve  par  expérience  que  en  partie  les 
sectes  réprouvées  par  notre  mère  saincte  église  sont  este  espandues  en 
mes  pays  de  par  deçà  par  la  négligence  ou  insuffisance  de  plusieurs  cures 
qui  ne  sont  este  tels  quils  debvoyent  avec  ce  quils  ne  tenoient  résidence 
personnelle  au  lieu  de  leurs  cures.  Désirant  y  pourveoir  daultant  que  en 
moy  fut  au  regard  des  cures  estant  a  ma  présentation  je  les  ay  fait  oster 
hors  du  rolle  des  bénéfices  estant  de  mon  patronage  et  ordonne  que 
quand  aucunes  cures  escherront  vacantes  que  nul  y  fut  dénomme  sans 
informacion  précédente  de  sa  vie  qualité  et  ydoneyte  et  en  avoir  ladvis 
daulcuns  bons  personnages  et  a  charge  de  faire  résidence  personnelle. 
Et  comme  pour  la  mesme  raison  ma  semble  convenir  que  aultres  patrons 
et  collateurs  observent  ceste  voye  chose  requise  et  nécessaire  pour 
obvyer  aux  inconvénients  passes  et  ayant  entendu  que  par  les  décrets  de 
votre  dernier  synode  il  a  este  aussi  consenti  et  ordonne  que  ceulx  qui 
seroyent  par  les  collateurs  ordinaires  présentes  et  nommes  aux  cures 
estants  riere  les  pays  de  mon  obeyssance  debvont  estre  examines  par 
tels  que  députerez  a  ce  je  nay  voulu  laisser  vous  escripre  la  présente  et 
par  icelle  vous  requérir  que  conforme  a  la  conclusion  de  votredit  synode 
voulliez  faire  ladite  deputation,  enchargeant  vos  vicaires  et  archidiacres 
de  tenir  soigneulx  regard  que  ceulx  qui  seront  pourveus  ausdites  cures 
tiengnent  personnelle  résidence  sans  les  faire  desservir  par  aultres.  Et 
au  surplus  que  en  regard  au  temps  qui  court  ils  ne  soyent  si  facilles  a 
dispenser  de  non  résider.  Aultrement  si  en  ce  trouvisse  faulte  pour  non 


(  222  ) 

donner  occasion  aux  subgects  de  sen  plaindre  me  conviendrait  y  pour 
veoir  riere  les  pays  de  mon  obéissance  comme  de  raison  et  selon  lexi- 
gence.  A  tant.... 


*YII 

Réponse  de  Gérard  de  Grœsbeck  et  du  chapitre  de  Saint-Lambert  aux 
ambassadeurs  de  don  Juany  du  30  novembre  4577. 

(Archives  du  royaume  :  Documenta  relatifs  au  pays  de  Lièye,  carton  n°  II.) 

Reverendissime  et  illustrissime  seigneur  Monseigneur  Gérard  de  Groes 
beeck  evesque  de  Liège  duc  de  Bouillon  marquis  de  Franchimont  conte 
de  Loz,  etc.  et  Messieurs  les  doyen  et  chapitre  de  lEglise  cathedralle  de 
Liège  ayans  receu  de  Monsieur  le  Baron  de  Wyltz  et  Monsieur  Phebvre 
conseillers  du  Roy  catholique  en  son  conseil  provincial  de  Luxembourg 
envoyez  par  Monseigneur  don  Jehan  d'Austriche  etc.  lieutenant  gouver- 
neur et  capitaine  gênerai  des  palz  bas  du  Roy  catholique  vers  sa  Grâce 
reverendissime  et  Messieurs  les  Estats  de  son  pais  deux  lettres  closes  de 
son  Alteze  a  sadite  Grâce  et  sondit  chapitre  addressantes,  et  entendu  ce 
quen  vertu  dicelles  lettres  leur  a  este  par  lesdits  seigneurs  envoyez 
declaire  et  requis,  ont  resoulu  dy  respondre  et  respondent  ce,  et  comme 
sensuit.  Que  quant  a  ce  que  lesdits  seigneurs  députez  ont  remonstre  a 
lendroict  dalliance  dentre  sa  Majesté  catholicque  et  ses  païz  bas  d'une, 
et  sa  Grâce  et  son  pays  et  subjectz  d'autre  part,  Gomme  cestuy  poinct 
est  de  si  grande  et  principalle  importance,  quil  serait  nécessaire,  quil 
fust  propose  aux  Estats  du  pais  de  sa  Grâce,  et  que  iceulx  Estats  y  déli- 
bérassent dessus  et  donnassent  leur  resolution  lesquels  Estais  ne  sont 
présentement  ensemble,  sestans  puis  nagueres  retirez  vers  leur  logiz 
pour  la  garde  et  asseurance  en  ceste  turbulente  saison  de  ce  que  leur 
touche,  sa  Grâce  et  ledit  chapitre  ne  pourraient  pour  le  présent  plus 
avant  respondre  sur  ledit  poinct,  ny  aussy  ny  pourraient  icelle  sa  Grâce 
et  sesdits  Estats,  quand  mesmes  ils  fussent  icy  presens,  riens  resouldre 
sans  préalablement  y  dessus  avoir  eu  la  resolution  et  consentement  de 
la  Majesté  impérialle  leur  souverain  seigneur  et  du  S*-Empire.  Que, 
quant  a  ce  que  lesdits  seigneurs  envoyez  ont  remonstre  a  lendroict  de 
levées  et  amaz  ou  assemblées  de  gens  de  guerre  sur  le  pais  de  sadite 


(  223  ) 

grâce;  na  este  ny  ne  sera  de  la  part  de  sa  Grâce  permise  aucune  telle 
levée  ou  assemblée  et  se  feroient  icelles  au  regret  de  sa  Grâce,  comme 
elle  ne  vouldra  faillir  de  le  monstrer  par  le  divertissement  dicelles  tant 
quen  elle  sera,  mais  au  regard  de  ce,  quaucuns  surseans  du  pais  de  sa 
Grâce  en  pourraient  aller  servir  dehors  en  tant  pour  lune  que  l'autre 
partie,  comme  les  gens  par  tant  de  calamitez  de  guerres  appauvris 
cerchent  moyen  de  vivre  et  service  de  touttes  parts,  quand  Ion  essayerait 
d'y  mettre  aucun  ordre  alencontre  serait  vrayment  a  doubter  que  ny 
aurait  lobeissance  selon  les  edicts  et  défenses  qui  sen  feroient  ainsy  que 
son  Alteze  au  regard  de  la  disposition  des  choses  daujourdhuy  et  de  ce 
quen  cest  endroict  tant  par  le  reste  de  lEmpire  que  ailleurs  aussy  se 
faict,  peult  considérer. 

Que,  quant  a  ce  que  lesdits  seigneurs  envoyez  ont  declaire  sur  la 
matière  de  vivres  armes  et  autres  munitions  de  guerre  ;  on  ne  doubte 
que  son  Alteze  ne  scache  que  les  constitutions  et  ordonnances  dudit 
Empire  sur  le  paix  publique  dicellui  Empire  faictes  et  publiées  ordonnent 
libre  traficq  et  commerce  en  forme  et  manière  comme  se  peult  veoir  f>ar 
icelles  constitutions  et  ordonnances,  selon  lesquelles  sa  Grâce  et  son  pais 
se  doibvent  régler  et  conduire,  aussy,  quant  aux  vivres  armes  et  muni- 
tions de  guerre,  semblables  denrées  viennent  communément  a  estre 
amenées  et  furnies  par  des  marchants  estrangers  trafiquant  et  passans 
par  le  pais  de  sa  Grâce,  davantage  quant  a  vivres  les  subjects  de  sa  Grâce 
en  auraient  bien  grandement  affaire  pour  eulx  mesmes,  attendu  signam- 
ment  que  les  gens  de  guerre  se  mettans  sur  ledit  pais  en  prennent  de 
faict  bon  ou  maulgre  que  iceulx  subjects  en  puissent  avoir,  et  toutteffois 
comme  iceulx  subjects  ayment  mieulx  les  furnir  sur  leur  hazard  et  péril 
parmy  payement  quen  estre  par  voye  de  faict  defurnis  et  spoliez,  il  ny  a 
de  la  part  de  sa  Grâce  ou  de  son  pais  aucun  empeschement  audit  furnis- 
sement  ce  que  la  journelle  expérience  peult  monstrer  par  la  bonne  et 
grande  quantité  de  vivres  dont  lesdits  subjeetz  assistent  et  furnissent  tant 
par  eaue  que  par  terre  les  gens  de  son  Alteze,  au  reciprocque  de  quoy 
prient  et  requièrent  sa  Grâce  et  ledit  chapitre  que  de  la  part  de  son 
Alteze  on  ne  mette  plus  outre  empeschement  que  les  subjects  de  sa  Grâce 
ne  puissent  estre  assistez  et  furniz  de  vivres  par  leur  circonvoisins 
subjects  de  sadite  Majesté,  affin  qua  iceulx  subjects  de  sa  Grâce  ne 
vienne  a  estre  amoindriz  et  oste  le  moyen  de  povoir  continuer  le  furnis- 
sement  susdit  lequel  sans  ceste  mutuelle  correspondance  traficq  et 
entrecours  de  vivres  leur  deviendrait  impossible. 


(  tu  ) 

Que  quant  aux  cmpeschements  destourbiers  desplaisirs  ou  oultrages 
que  au  pais  de  sa  Grâce  seroient  inferez  par  qui  que  ce  fust  subject  de  sa 
Grâce  ou  autre  a  quiconque  ce  fust  du  service  de  sadite  Majesté  et 
soubs  la  conduite  de  son  Alteze  en  préjudice  dudit  libre  traficq  et 
commerce  il  deplaisoit  a  sa  Grâce  et  audit  chapitre  que  cela  y  advinst, 
et  le  cas  advenant  ne  vouldroit  sa  Grâce  faillir  de  monstrer  a  tout 
son  povoir  par  deue  et  exemplaire  correction  et  chastoy  le  regret  quelle 
en  auroit. 

Et  au  reciprocque  prient  et  requièrent  sa  Grâce  et  ledit  chapitre  que, 
comme  les  subjects  de  sa  Grâce  ont  este  depuis  ces  nouvelles  émotions 
et  troubles  si  mal  et  inhumainement  traictiez  par  les  gens  de  guerre  du 
service  de  sadite  Majesté  dessoubs  la  conduicte  de  son  Alteze  par  plu- 
sieurs sortes  de  concussions  foulles  et  pilleries;  son  Alteze  veuille  mettre 
par  effect  si  bon  estroict  et  preeis  ordre  a  la  conduicte  de  sesdits  gens  de 
guerre,  quils  se  déportent  dicy  en  avant  des  foulles  et  desordres  susdits, 
aussy  que  de  la  part  de  son  Alteze  ne  soit  plus  oultre  mis  aucun  empê- 
chement a  ce  que  ceulx  des  villes  de  sa  Grâce  faeent  venir  en  icelles  villes 
grains  ou  autres  vivres  du  plat  pais  de  sa  Grâce. 

Que  quant  a  ce  que  lesdits  seigneurs  envoyez  ont  requiz  par  sa  Grâce 
et  son  pais  cstre  pourveu  a  ce  que  la  ville  de  Dynant  ne  vinst  a  estre 
saisie  par  les  gens  de  guerre  du  service  des  Estais  generaulx  desdits  paiz 
baz,  l'on  espère,  Dieu  en  aide,  tellement  pourveoir  et  de  faict  a  on  desia 
commence  pouveoir  a  la  garde  et  asseurance  de  ladite  ville,  comme 
aussy  des  autres  villes  et  places  fortes  du  pais  de  Liège,  que  de  la  part 
de  sa  Grâce  et  de  son  pais  en  sera  respondu  vers  sadite  Majesté  impe- 
rialle  et  ledit  Empire  ou  il  conviendra  en  respondre. 

Que,  au  reste  sa  Grâce  et  ledit  chapitre  ne  vouldront  faillir  de  continuer 
tous  offices  de  bonne  voisinance  et  amitié  et  suyvant  leur  affection  chris- 
tienne  et  fraternelle  et  especiallement  conforme  au  debvoir  de  la  bonne 
voisinance  et  amitié  susdites  souhaient  et  prient,  comme  ne  cesseront 
signamment  en  regard  de  leur  vocation  prier  continuellement  notre 
seigneur  Dieu  que  les  presens  mesentendemens  émotions  et  troubles 
puissent  cesser  et  estre  par  bonne  et  amiable  manière  assoupis. 

Faict  a  Liège  le  xxxe  et  dernier  jour  de  novembre  lan  XVe  septante- 
sept. 

Par  especial  et  exprès  mandement  et  ordonnance  de  sa  Grâce 

reverendissime  et  Illustrissime  et  de  sondit  chapitre, 

Lampson. 


(  225  ) 


XXIII 

Lettre  de  Philippe  II  à  Ernest  de  Bavière.  (Copie.) 
(Archives  du  royaume:  Documents  relatifs  au  pays  de  Liège,  carton  II). 

Mon  bon  cousin.  Pour  ce  que  jusques  a  ores  nay  entendu  quelque  bonne 
resolution  votre  et  de  ceulx  de  votre  pays  de  Liège  sur  lentretenement 
des  traictez  de  paix  et  alliance  entre  mes  prédécesseurs  et  vous  avecq  les 
estatz  de  votredit  pays  de  Liège,  suivant  ce  que  vous  en  ay  escript  hui- 
tième d'octobre  de  lan  passe  *,  mais  quau  contraire  Ion  y  procède  bien 
diversement  de  ce  que  attendoy,  la  présente  sera  pour  vous  requérir  que 
donnez  ordre  a  lobservacion  des  traictez  ou  bien  que  en  déclarez  votre 
intention  afin  que  je  puisse  pourveoir  a  ce  qui  conviendra  à  la  garde  et 
seurte  de  mes  pays  voisins  aux  vôtres  et  que  soient  évitées  les  occasions 
qui  pourroient  troubler  les  affaires  ayant  donne  charge  a  mon  cousin  le 
comte  de  Mansfeld,  chevalier  de  mon  ordre,  lieutenant  gouverneur  et 
capitaine  gênerai  de  mes  pays  dembas  et  de  Bourgoingne  de  faire  vers 
vous  les  devoirs  quil  convient. 

A  tant,  mon  bon  cousin  notre  seigneur  vous  ayt  en  sa  sainte  garde. 

De  Madrid  le  6  février  1593. 

Philippe. 

*  Nous  n'avons  pas  retrouvé  cette  lettre,  non  plus  que  la  réponse  d'Ernest  de 
Bavière  à  la  dépêche  ci-jointe. 


Tomb  XLI.  18 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages. 

Introduction 


Table  des  sources  citées 


Chapitre  premier.  —  La  neutralité  liégeoise  à  la  fin  du  XV  siècle ...     41 

Puissance  territoriale  de  la  maison  de  Bourgogne  au  XVe  siècle.  —  Situation 
politique  et  militaire  de  la  principauté  de  Liège.  —  Maladresse  des  Bourgui- 
gnons à  l'égard  des  Liégeois*.  —  Rôle  réservé  eux  Habsbourg  dans  les  Pays- 
Bas.  —  Débuts  de  l'adminiMration  de  Maximilien.  —  Rivalité  de  la  France 
et  des  Pays-Bas.  —  La  neutralité  proclamée  par  les  états  liégeois  en  4402.— 
Guerre  des  Pays-Bas  et  de  la  Gueldre.  -  Élection  d'Érard  de  la  Marck.  — 
Attitude  équivoque  de  Maximilien  à  T égard  d  Érard  de  la  Marck.  —  Habi- 
leté politique  d'Érard. 

Chapitre  II.  —  Le  traité  de  Saint-Trond  de  15 i8 23 

Robert  II  de  Sedan  et  Érard  de  la  Marck.  —  Hostilité  de  François  I*r 
contre  les  la  Marck.  —  Érard  et  Robert  II  de  la  Marck  proposent  une  alliance 
de  leurs  États  à  Charles  d'Autriche.  —  Avantages  de  cette  alliance  pour 

l'archiduc  Charles.  —  Substance  du  traité  de  Saint-Trond.  —  Ce  traité  se 
rapprochedu  traité  de  1398.—  Conséquences  du  traité  de  Saint-Trond  pour 
les  Liégeois.  —  La  principauté  de  Liège  partage  désormais  les  destinées  des 
Pays-Bas.  —  Érard  se  laisse  guider  par  des  considérations  financières  autant 
que  par  des  raisons  politiques.  —  Maximilien  octroie  des  privilèges  aux 
Liégeois.  —  Il  leur  conseille  de  ratifier  le  traité  de  Saint-Trond.  —  Le  tiers 
étal  oppose  une  résistance  inattendue. —  Intervention  du  prince -évéque. 

Chapitre  III.  -  Projets  de  Charles-Quint  sur  la  principauté  de  Liège .    .     36 

Traité  secret  de  Saint-Trond  du  27  avril  4548.  —  Caractère  de  ce  traité.  —  Il 
n'est  pas  soumis  au  vole  des  états.  —  Érard  favorise  l'avènement  de  Charles 
à  l'empire.  —  Robert  de  la  Marck  rompt  avec  le  parti  impérial.  —  Révolte 
à  Liège.  —  Érard  reste  fidèle  à  Charles- Quint.  —  Traité  secret  de  Bruges 


(  228  ) 

Paffft. 

de  4524.  —  Projets  ambitieux  de  Charles-Quint.  —  Rôle  étrange  du  prince 
de  Liège.  —  Avantages  pour  les  Pays-Bas  du  traité  de  Saint-Trond.  —  Érard 
de  la  Marck  figure  parmi  les  conseillers  de  Marguerite  d'Autriche.  —  Assis- 
tance fournie  par  le  prince -évèque  de  Liège  aux  Pays-Bas.  —  Charles-Quint 
a  compris  l'importance  de  l'alliance  liégeoise.  —  Conséquences  politiques 
du  traité  de  4848. 

CHAPITRE  IV.  —  Charles-Quint  et  les  ccadjuleurs  de  Liège 47 

Charles-Quint  propose  an  chapitre  caihédral  la  coadjutorerie  de  Corneille  de 
Berghes.  —  Concordats  de  4422  et  de  4448.  -  Influence  de  Charles-Quint 
auprès  de  la  curie.  —  Habileté  de  Charles- Quint  à  l'égard  du  chapitre.  — 
Répugnance  de  Corneille  de  Berghes  pour  la  dignité  épiscopale.  —  Embarras 
de  Marie  de  Hongrie.  —  Prétentions  d'Ërard  de  la  Marck.  -  Proposition 
d'un  second  coadjuteur.  —  Mort  d'Érard.  —  Avènement  de  Corneille  de 
Berghes.  —  Titres  des  candidats  à  la  coadjutorerie.  —  Présentation  de 
Georges  d'Autriche.  —  Sa  nomination  par  le  chapitre.  —  Son  emprisonne- 
ment en  France.  —  Nouvelles  démarches  de  la  cour  des  Pays-Bas.  —  Déli- 
vrance du  coadjuteur.  —  Coadjutorerie  de  Robert  de  Berghes.  —  Avan- 
tages pour  Charlc s-Quint  de  la  nomination  de  coadjuteurs.  - 


Chapitre  V.  —  Marie  de  Hongrie  et  le  prince- évéque  Corneille  de  Berghes. 

Ambassade  à  Liège  de  Philippe  Nigri  et  de  Florent  d  Egrnont,  comte  de  Buren. 
—  Situation  troublée  de  la  principauté.  —  Intrigues  du  chanoine  Guillaume 
de  la  Marck.  —  Corneille  de  Berghes  accepte  la  dignité  épiscopale.  —  Son 
séjour  à  Curange.  —  Sa  mélancolie.  —  Activité  du  comte  de  Buren.  —  Cor- 
neille fixe  le  jour  de  son  entrée  solennelle.  —  Proposition  d'une  revision  du 
traité  de  Saint-Trond.  —  Refus  des  états.  —  Nouvelle  lévolte  en  Gueldre.  — 
Guillaume  de  Clèves  propose  aux  Liégeois  de  rester  neutres.  —  Réponse  de 
la  gouvernante  des  Pays-Bas.  —  L'acceptation  de  la  n<  utralité  serait  de  la 
part  des[  Liégeois  une  violation  du  traité  de  Saint-Trond.  -  Correspon- 
dance active  de  Marie  de  Hongrie  avec  les  autorités  liégeoises.  —  Beaucoup 
de  Liégeois  souhaitent  le  rétablissement  de  l'ancienne  neutralité.—  Politique 
astucieuse  du  roi  de  France.  —  Le  salut  de  la  principauté  dépend  du  main- 
tien de  son  alliance  avec  les  Pays-Bas. 

Chapitre  VI.  —  La  conspiration  des  la  Marck  et  la  mission  du  conseiller 
Boisot 

Ambition  des  la  Marck.  -  Une  nouvelle  conspiration  éclate  à  Liège  en  faveur 
de  la  France.  —  Découverte  du  complot.  -  Ambassade  à  Liège  de  Philippe 
Nigri  et  de  Charlesde  Bernenicourt.  —  Mission  du  conseiller  Boisot.  —  Ses 
lettres  à  Charles-Quint  et  à  Nicolas  de  Granvclle.  —  Interrogation  du 
chanoine  Philippe  de  .la  Marck.  —  Exécution  des  conspirateurs.  —  Procès 
de  Jean  de  la  Marck,  seigneur  de  Lummen.  —  Intrigue  de  l'archidiacre  de 
Seraing.  —  Mort  des  deux  frères  Guillaume  et  Jean  de  la  Marck.  —  Carac- 
tère de  l'intervention  de  Marie  de  Hongrie  dans  les  affaires  liégeoises,  — 


68 


{  229  ) 

Paies. 

Diplomatie  de  Charles- Quint.  —  Son  passage  par  Liège  le  5  janvier  1544. 
CHAPITRE  Vif.  —  Histoire  des  contestations  politiques,  judiciaires  et  reli- 
gieuses de  Charles-Quint  avec  le  pays  de  Liège 111 

Souveraineté  indivise  des  ducs  de  Brabant  et  des  évoques  de  Liège  à  Maes- 
tricht.  —  Rivalité  de  Charles- Quint  et  d'Érard  de  la  Marck.  —  Concordat  de 
1546.  —  Difficultés  territoriales,  fiscales  et  judiciaires  soulevées  entre  le 
pays  de  Liège  et  les  provinces  belgiques.  —  Concordat  de  4548.  —  Étendue 
du  diocèse  de  Liège.  —  Intervention  fréquente  des  diocésains  dans  les 
affaires  (brabançonnes.  -  Altitude  de  Charles- Quint.  —  Bulle  du  15  juillet 
1515.  —  François  vander  Hulst  est  nommé  inquisiteur  général  des  Pays-Bas. 

—  Il  est  destitué  et  Érard  de  la  Marck  est  investi  de  ses  fonctions.  — 
Marguerite  d'Autriche  s'oppose  à  l'exécution  du  bref  papal.— -Charles-Quint 
réussit  a  restreindre  le  puissance  du  clergé  dans  ses  États  néerlandais. 

Chapitre  VIII.  —  A  vènementde  Gérard  deGroesbeck 199 

Invasion  des  Pays-Bas  et  de  la  principauté  de  Liège  par  les  Français.  —  Création 
de  nouveaux  évéchés  —  Proposition  de  Marguerite  de  Parme  d'adjoindre  un 
coadjuteur  à  Robert  de  Berghes.  —  Le  chapitre  élit  Gérard  de  Croesbeck. 
Maladie  de  l'évéque. —  Le  chapitre  réclame  de  l'évéque  la  résignation  de  ses 
fonctions  —  Résistance  de  Robert.  -  Nomination  définitive  de  Gérard  de 
Groesbeck.  —  Ambassade  du  comte  d'Aremberg.  —  Caractère  du  nouvel 
évoque. 

Chapitre  IX.  —  Alliance  des  gouverneurs  généraux  des  Pays-Bas  et  de  la 
principauté  de  Liège  pendant  la  révolution  religieuse  du  X  VI*  siècle   .    .    .    139 

Compromis  des  nobles  et  pillage  des  iconoclastes.-  Nomination  du  duc  d'Albe. 

—  Révolte  de  Maestrichr.  —  Correspondance  de  Marguerite  de  Panne  et  de 
Gérard  de  Groesbeck.  —  Mission  du  conseiller  Berty.  —  Expédition  du  duc 
d'Albe  contre  le  Taciturne.—  Entrée  des  soldats  néerlandais  dans  les  forte- 
resses liégeoises.  —  Le  conseil  communal  de  Liège  rejette  les  propositions 
du  Taciturne.  —  Rapports  de  Requesens  et  de  l'évéque  de  Liège.  —  Avène- 
ment de  don  Juan.  —  Rapports  d'Alexandre  Farnèse  avec  Gérard  de 
Groesbeck.  —  Nomination  d'Ernest  de  Bavière.  —  Paix  de  Vervins. 

Chapitre  X.  —  La  nouvelle  neutralité  liégeoise 160 

Pacification  de  Gand.  —  Entrée  de  don  Juan  dans  les  Pays-Bas.  —  Médiation 
de  Gérard  de  Groesbeck.  —  Rupture  de  don  Juan  avec  les  états  généraux.  — 
Gérard  de  Groesbeck  et  les  états  liégeois  sont  résolus  à  garder  la  neutralité. 

—  Ambassades  successives  à  Liège  du  seigneur  de  Saventhem;  du  seigneur  de 
Froidmont  et'de  Nicolas  Oudart;  du  seigneur  de  Froidmont  et  du  seigneur 
de  Melroy.  —  Refus  du  prince  de  Liège  d'accepter  l'alliance  des  états  géné- 
raux. —  Ambassade  de  Jean  de  Wiliz  et  de  Jean  Lefèvre,  envoyés  par  don 

Juan.—  Gérard  de  Groesbeck  oppose  au  gouverneur  etpagnol  le  même  refus 


(  230  ) 

qu'aux  députés  des  états  généraux.  —  Hostilité  des  Liégeois  contre  les 
Espagnols.  —  Excès  des  soldats  étrangers.  —  Misère  du  pays.  —  Plaintes 
de  don  Juan  et  d'Alexandre  Farnèse.  —  Le  comte  de  Mansfeld  ?eut  renou- 
veler l'alliance  de  4548.—  Correspondance  de  ce  gouverneur  avec  Ernest  de 
Bavière.  —  Abandon  de  l'alliance  de  4548. 


Conclusion 179 

Ambition  des  Habsbourg.  —  Pourquoi  le  pays  de  Liège  a-t-il  gardé  son  indé- 
pendance ?  —  Importance  pour  les  souverains  des  Pays-Bas  de  l'alliance  lié- 
geoise. —  Sagesse  politique  des  Liégeois.  —  Appréciation  de  la  politique 
d'Érard  de  la  Marck,  de  Gérard  de  Groesbeck  et  d'Ernest  de  Bavière.  —  Le 
pays  de  Liège  fut  plus  heureux  au  XVI*  siècle  que  les  Pays-Bas. 

Pièces  justificatives 187 

I.  Traité  secret  de  Saint-Trond  du  37  avril  4548.  (Copie) 488 

II.  Lettre  de  Maximilien  aux  Liégeois,  sans  date  (minute) 493 

111.  Traité  secret  de  Bruges,  du  30  août  4534 491 

IV.  Lettre  de  Corneille  de  Berghes  à  Marie  de  Hongrie,  du  $3  avril  4543.    .    495 

V.  Lettre  de  Marie  de  Hongrie  aux  Liégeois,  du  5  mai  4543  (minute) .    .    .    196 

VI.  Instructions  pour  Jehan,  seigneur  de  Noirthoudt,  conseiller  et  maître 

dhostel  de  la  royne  de  ce  quil  aura  afaire  vers  levesque  de  Liège  ou 

sa  Majesté  lenvoye  présentement 496 

VII.  Extraits  de  l'instruction  donnée  par  Marie  de  Hongrie  à  Philippe  Nigri 

et  au  comte  de  Buren,  le  8  février  4538.  (Copie) 497 

VIII.  Lettre  de  Marie  de  Hongrie  au  vice-doyen  et  chancelier  de  l'Église  de 

Liège,  du  36  juillet  4543 496 

IX.  Lettre  de  Charles-Quint  à  l'évoque  de  Liège,  de  juillet  4543.    ....    499 

X.  Instruction  à  vos  mess.  Charles  Boisot,  conseiller  destat  et  maître  des 
requestes  ordinaire  du  conseil  de  lempereur  de  ce  que  arez  à  dire 
déclarer  et  requérir  de  la  part  de  Sa  Majesté  devers  levesque  de 
Liège  le  chapitre  et  les  bourgmestres  et  echevins  dudit  Liège  .    .    .    â00 

XI.  Lettre  de  Charles  Boisot  à  Charles-Quint  du  4  août  4513 30* 

XII.  Lettre  de  Boisot  à  Granvelle,  premier  conseiller  d  État  et  garde  des 

sceaux  de  l'empereur,  du  7  août  4543. 306 


(  231  ) 

Pages. 

1111.  Copie  de  la  lettre  de  l'archidiacre  de  Hainaut  du  7  août  1543  au 

président  Schorre 908 

XIV.  Lettre  de  Charles-Quint  à  Boisot  du  4i  août  4543 211 

XV.  Lettre  de  Boiaot  à  Charles-Quint  du  15  août  1543 911 

XVI.  LettredeBoisotàGranvelledu26aoùtl543. 913 

XVII.  Lettre  de  Boisot  à  Charles-Quint  du  30  août  1543 915 

XVIII.  Extrait  hors  de  la  congnoissance  Jehan  Noël  aultrement  appelé  Jehan 

Pirlot  fils  Arnult  le  tourneur  exécute  en  la  cite  de  Liège 917 

XIX.  Extrait  de  la  déposition  de  Piron  fils  de  feu  Thonon  le  Texheur  de 

Chockier,  acte  du  18  février  1544 919 

XX.  Mandement  impérial  du  11  mars  1544  relatif  au  procès  de  Jean  de  la 

Marck 990 

XXI.  Lettre  de  Marie  de  Hongrie  à  l'évoque  de  Liège  du  10  décembre  1549.    .  991 

XXII.  Réponse  de  Gérard  de  Groesbeck  et  du  chapitre  de  Saint-Lambert  aux 

ambassadeurs  de  don  Juan  du  30  novembre  1577 992 

XXIII.  Lettre  de  Philippe  II  à  Ernest  de  Bavière  du  6  février  1593    ....  995 


SERMONS  DE  CARÊME 


EN 


DIALECTE    WALLON, 


TEXTE   INEDIT   DU  XIIIe   SIÈCLE 


PUBLIÉ   PAR 


EMMANUEL  PASQUET. 


(Présenté  à  la  Classe  des  lettres  dans  sa  séance  du  S  décembre  1837.  j 


Tome  XLI. 


SERIONS  Dl  G4RÊ1E 


EN    DIALECTE    WALLON. 


INTRODUCTION. 


Le  texte  que  nous  publions  plus  loin  a  été  copié  dans  un 
manuscrit  sur  parchemin  appartenant  à  l'Université  de  Gand 
(fonds  Serrure,  n°  1).  Ce  volume,  petit  in-4°,  composé  de 
242  feuillets,  a  appartenu  à  l'abbaye  de  Saint-Jacques  ù  Liège, 
comme  le  prouve  l'inscription  suivante,  d'écriture  ancienne, 
qui  se  trouve  à  l'intérieur  de  la  couverture  :  Liber  monasterii 
Sancti-Jacobi  leodiensis  in  quo  continenlur  summa  magistri  pétri 
Cantons  de  penitentia.  Ce  manuscrit  est  composé  des  pièces 
suivantes,  dont  je  crois  devoir  donner  la  liste  complète  à  cause 
de  l'intérêt  que  présentent  quelques-unes  d'entre  elles  : 

Fol.       1  -  39.  Summa  magistri  pétri  Cantons  de  penitentia. 
40  -  62.  Cantiea  canticomm. 

Avec  glosas  marginales. 

64-91.  Alique  epistole  extracte  de  epistolis  sancti  Jheronimi. 

92-107.  B»  (Bernardus)  de  precepto  et  dispensatione. 

108-112  r.  Epistola  sancti  Bernardi  ad  Hugonem  superiorem  inagis- 
trum  militie  templi. 

412v.-  123.  Apologeticus  beati  Bernardi. 

424-127.  Incipit  qusedam  epistola  Bernardi. 

128-130.  B.  Bernardus.  De  dignitate  anime. 


—  4  — 

Toi.   131-132  v.  Gregorius. 

132  v.  -634  r.  Incipiunl  autoritates  AgUstini. 

134  r.  - 134  v.  Jeronimus. 

134  v.  Ysydorus.  Incipit  de  beato  Ambrosio. 

135-139  r.  Parabole. 

139  r.  -  140  v.  Transite  ad  me  omîtes  qui  conçu  pisci  lis  me  et  gene- 
rationibus  meis  implebimini.  Geste  parole  si  dist  nostrv 
dame  en  l'epistole  del  jor  d'ui. 

Ce  sermon  me  semble  dater  de  la  fin  du  XIJ1*  siècle  ;  il  est  écrit  dans  U 
langue  française  centrale,  sauf  quelques  traces  d'influence  des  dîaJsctes 
de  l'Est  (bial,  promeratns,  assegurance  ). 

14M45.  Tabernaculum  in  monte  :  idest  tabernnculum  dci  «*om 
hominibus  sic  composition  est. 

146-153.  Notre  texte. 

154-189.  Incipit  liber  de  duobus  monachis. 

Glaustralis  uite  quondam  sanctissimus  ordo 

Imbue  rat  monachos  religione  duos. 

Poème  en  vers  hexamètres  et  pentamètres  alternés. 

190-192.  Ces  feuillets  ont  été  coupés. 
193-198.  Incipiunt  sompnia  Danielis. 

Arare  qui  viderit  ingenium  significut. 

Aslra  celi  videre  magnam  letitiam. 

Asinum  supersedere  laborem  vel  infer  mi  talent. 

La  clef  des  songes  en  latin,  liste  alphabétique  donnant  la  signification  de* 
choses  qu'on  voit  en  rêve. 

199-302.  Extractum  de  libro  qui  incipit  :  Préparâtes  eiira  correp- 
tionem  proximi  maxima  cantela  adhibenda  est. 

203-212.  Summa  dictaminis  Guidonis. 

213.  Epistolarum  magistri  Pontii. 

Manuel  épistolaire  contenant  lettres  et  réponses,  coté  I  à  XXII. 

Summa  iouis  de  arte  dîctandi. 

Huit  feuillets  sans  pagination. 

Les  pièces  qui  composent  ce  manuscrit  ont  été  écrites  à 
différentes  époques  du  XIIe  au  XIVe  siècle.  Quant  à  notre  texte, 
qui  a  dû  former  primitivement  un  cahier  séparé,  un  excellent 
juge  dans  les  questions  paléographiques,  M.  Stanislas  Bormans, 


-  5  — 


penche  à  croire  que  récriture  ne  peut  pas  en  être  postérieure  à 
la  première  moitié  du  XIIIe  siècle.  Nous  chercherons  a  en  fixer 
la  date  après  l'examen  sommaire  que  nous  allons  en  faire  au 
point  de  vue  philologique.  L'écriture  est  généralement  lisible, 
mais  il  y  a  quelques  abréviations  arbitraires  :  souvent  la  lettre 
initiale  seule  représente  un  mot  déjà  exprimé.  Ce  système  de 
sténographie  est  employé  plusieurs  fois  pour  des  citations  de 
r Ecriture.  Le  scribe  est  d  ailleurs  négligent  et  il  y  a  des  répé- 
titions et  des  lacunes. 

Notre  texte  forme  une  suite  de  neuf  sermons  prononcés  à 
l'occasion  du  carême  ;  il  est  incomplet  à  la  tin,  nous  n'avons 
que  le  commencement  du  sermon  pour  le  jour  de  Pâques.  Il 
est  évident  qu'il  manque  un  feuillet.  Ce  feuillet  devait  déjà 
avoir  disparu  quand  le  cahier  a  été  .relié  dans  le  volume, 
attendu  que  la  pagination  générale  n'a  ici  aucune  lacune. 

Nous  croyons  que  ces  sermons  ont  été  prononcés  en  français 
et  ne  sont  pas  traduits  du  latin,  car  il  faut  remarquer  pour  les 
sermons  traduits,  pour  ceux  de  saint  Bernard,  par  exemple, 
que  les  citations  de  l'Écriture  ne  s'y  rencontrent  pas  en  latin  : 
elles  ont  été  traduites  avec  le  reste,  tandis  que,  dans  notre 
texte,  elles  se  trouvent  en  latin  d'abord,  puisénoncéesen  roman 
pour  les  auditeurs. 

Ces  sermons,  qui  ne  présentent  guère  d'intérêt  au  point  de 
vue  littéraire,  ont  leur  importance  pour  la  philologie  :  placés 
chronologiquement  entre  les  œuvres  littéraires  récemment 
publiées  et  les  chartes  du  XIIIe  siècle,  ils  peuvent  aider  à  élu- 
cider certaines  questions  controversées  et  à  mieux  préciser  les 
traits  caractéristiques  du  dialecte  wallon  à  cette  époque.  Pre- 
nons un  exemple  :  nous  trouvons  réunies  dans  notre  texte  les 
formes  puisons  et  puissiens  (subj.  prés.);  nous  avons  ainsi  la 


—  G  — 

preuve  que  le  puissiens  des  chartes  et  de  Job,  forme  postérieure, 
a  coexisté  avec  le  puisons  des  Dialoge  et  du  Poème  moral;  il  n'y 
aurait  donc  pas,  comme  le  croit  M.  Suchier  *  à  propos  de  ces 
deux  mots,  différence  de  dialecte,  mais  plutôt  succession  de 
formes  dans  un  même  dialecte. 

Dans  les  quelques  notes  qui  suivent  je  m'occuperai  surtout 
des  points  sur  lesquels  il  y  a  doute  ou  obscurité  ;  le  double 
astérisque  (**)  indique  ce  qui  me  semble  appartenir  exclusive- 
ment au  wallon. 

Quand  je  parle  des  textes  littéraires  wallons,  j'entends  /i 
Dialoge  Gregore,  Job  et  le  Sermo  de  Sapientia,  édités  par 
M.  \V.  Foerster  (Niemeyer,  Halle)  ;  le  Poème  moral,  dont  M.  Paul 
Meyer  avait  donné  des  extraits  importants  et  qui  vient  d'être 
publié  en  entier  par  M*  Cloetta  (Deichert,  Erlangen);  le  Ver  (M 
juïse  et  la  Vie  sainte  Juliane,  édités  par  M.  von  Feilitzen  (Ber- 
ling,  Upsala);  les  Poésies  religieuses,  en  dialecte  liégeois,  d'après 
le  texte  donné  par  M.  Meyer  dans  la  Revue  des  sociétés 
savantes,  série  S,  t.  VI,  p.  241.  Le  dialecte  de  ces  différentes 
œuvres  est  remarquablement  pur;  je  laisse  de  côté  le  fragment 
des  Machabées,  le  Mùnchener  Brut  et  d'autres  ouvrages  où  Ton 
rencontre  des  formes  wallonnes,  mais  où  le  mélange  des 
dialectes  offre  une  base  trop  incertaine  à  l'observation. 

1  Dans  son  article  sur  le  dialecte  du  Saint- Léger3  dans  la  Zeitschrift 

Fl  R  ROMANISCHE  PHILOLOGIE  .  Il .  235  Sq. 


7  — 


ORTHOGRAPHE. 

**L  mouillé  est  généralement  rendu  par  Ih  :  pailhe,  130  v., 
vuelhe,  151  v.,  etc.;  il  y  en  a  des  exemples  presque  à  chaque 
page.  Une  ou  deux  exceptions  :  orguel,  148  v.,  orelle,  149  v. 
On  remarquera  le  Ih  à  la  tin  des  mots  ou  /  n'est  plus  mouillé 
maintenant  :  filh  (filii),  149  r.,perilh,  152  v.  et  même  ilh  et  cilh  ; 
toutefois  ces  derniers  sont  souvent  écrits  il  et  cil. 

JV  mouillé  est  rendu  par  : 

1.  ng,  esloinge  (éloigné),  151  r. 

2.  ngn,  vengne,  146  v. 

3.  gn,  aveigne,  149  r. 

I  «a  le.  A  côté  de  volentiers,  151  r.  et  151  v.,  nous  lisons 
volentirs,  147  v.  et  151  v.,  de  même  devint  (3e  pers.  sing.  prés, 
ind.),  147  r.  et  avient,  147  r.,  mestirs,  151  r.,  mestiers,  149  v., 
irt  (iertj,  147  r. 

Le  chuintement  est  fréquent  devant  e,  i  :  amincier  et  anun- 
chier,  151  v.,  comencierent  et  comenchierent,  152  v.,  mercit, 
148  v.  et  merchit,  148  r.  Ce  chuintement  peut  servir  d'indica- 
tion pour  la  date  de  nos  sermons  :  s'il  est  fréquent  dans  les 
chartes  du  XIIIe  siècle,  il  n'existe  pas  dans  les  textes  plus 
anciens  et  il  n'a  pas  laissé  de  traces  dans  le  patois  moderne. 

Le  %  représente  souvent  ti  latin  suivi  d'une  voyelle 
(moderne  c,  ss)  :  graze,  147  r.,  etc.,  lezon,  148  r.,  150  v., 
avarize,  147  v.;  nous  trouvons  à  côté  lechon,  149  r.,  grasces, 
150  v.;  le  %  qui  est  employé  le  plus  souvent  dans  ce  cas  par 
les  textes  littéraires  a  disparu  des  chartes  du  XIIIe  siècle  (sauf 
pour  le  mot  ecclésiastique  graze);  il  y  a  là,  comme  pour  le 
chuintement,  une  indication  chronologique  à  laquelle  nous 
reviendrons. 


—  8  — 
PHONÉTIQUE. 

a  latin. 

ails  «s  ex,  enguez,  152  r.,  mortez,  152  v. 

aient,  1.  cil,  queil,  152  v. 

2.  el,  mortel,  152  r.t  avec  supp.  de  /,  morte,  448  v: 

3.  al,  celestial,  150  r. 

aies,    1.  cl»,  queis,  150  r. 

2.  eli,  avec  supp.  de  /,  charnes,  149  v. 

3.  al»,  loials  (reg.  f.  plur.),  148  v. 

atum,  aient,  1.  elt,  deliurcit,  152  v.,  etc. 
2.  et,  e,  porlet9  146  v.,  etc.,  poeste,  147  r.,  citet,  152  r. 
Ce  mélange  des  formes  ext,  et  (e)  s'observe  dans  les  chartes 
<lu  XIIIe  siècle;  voyez  également  le  Poème  moral,  147. 

atant  =  ee,  chantée,  151  v. 

Le  part,  passé  fém.  des  verbes  en  ter  est  le  :  enpirie,  14#  v. 

a  libre  =*  ai,  représente  par  e  i  levé  (lavât),  150  v. 

De  même  a  -♦- 1  =  e  :  gleve,  453  r. 

e  latin. 

c  libre  =  le  (f),  siere,  aconsiere  *(sëquere),  mides  (mëd'cus). 
Jean  d'Outremeuse  a  également  miede. 

ellus  =»  las,  biaz,  153  v.,  vermissiaz,  246  v.,  muiuz 
(*mutellus,  Jean  d'Outremeuse,  muweals),  vermissiaz  dans  le 
Sermo,  293, 1. 

On  regarde  généralement  clins,  ellum  =  iaz,  ial  comme 
une  forme  particulièrement  picarde,  mais  cette  forme  s'éten- 
dait très  loin  dans  le  pays  wallon,  comme  l'indique  le  patois 
de  Namur  et  d'une  partie  de  la  province  de  Liège,  ainsi  qu'un 
grand  nombre  de  noms  de  lieux  terminés  en  latin  par  le 
diminutif  clin*. 


—  9  — 

Je  ne  cite  que  les  noms  dont  l'étymologie  ne  peut  être  mise 
en  doute  : 

Province  de  Liège.  Champia  campellum  (Wanze,  Antheil), 
Chenia  *quesnellum  (Huccorgne),  Poncia  ponticellum  (Geer). 

Province  de  Namur.  Champsiat  campicellum  (Andenne), 
Monda  monticellum  (Thynes  lez-Dinant),  Coria  corylum  (?) 
(Warisoulx). 

Province  de  Hainaut.  /itamcml  (Lcssincs),  Monda  (Farciennes). 

Province  de  Brabant.  Chenia  (Baisy-Thy). 

Si  Ton  tire  en  partant  du  pays  flamand  dans  les  environs  de 
Landen-Waremme  une  ligne  allant  du  nord  au  sud,  qui  tra- 
verse la  Meuse  à  10  kilomètres  environ  en  aval  de  Huy,  à 
23  kilomètres  en  amont  de  Liège  et  qui  suive  en  remontant  le 
cours  du  fleuve  à  une  distance  de  20  à  30  kilomètres  à  Test 
jusque  vers  Givet  où  cette  ligne  se  dirige  à  l'ouest,  on  a  la 
démarcation  de  cette  particularité  de  l'idiome  :  à  l'ouest  de 
cette  ligne  ellum  est  rendu  par  ia  (ta/),  à  Test  par  ay  {eat).  Voici 
des  exemples  de  ay  tirés  de  la  province  de  Liège  :  Fawetay  fagi- 
tellum  (Cerexhe-Henseux),  Viernay  *vernellum(Xhendremael), 
Sarlay  *sartellum  (Cheratte).  Ce  dernier  se  trouve  également  à 
Awenne  (Luxembourg).  Dans  le  Hainaut,  en  se  rapprochant  de 
la  Picardie,  on  rencontre,  à  côté  de  ia>  la  vraie  forme  picarde 
où  le  /,  au  lieu  d'être  muet,  se  transforme  en  u  :  Mouligniau 
(Forchies-la-Marche),  Sartiau  (OEudeghien,  Ostiches,  Thiri- 
mont),  Quesniau  (Montignies  lez-Lens). 

Notre  conclusion  est  que  la  terminaison  iaz,  ial9  dans  un  docu- 
ment ancien,  n'est  pas  un  indice  certain  d'une  origine  picarde. 

ellum,  elll  =  1.  cl  i  bel,  150  r.  El  est  assez  fréquent  dans 
les  Dial.  :  chas  tel,  104,  8,  rastel,  125,  18;  mais  la  forme  wal- 
lonne régulière  est  eal. 

2.  Ici  :  vei%missiel,  146  v.,  sans  doute  sous  l'influence  de  la 
sifflante. 

c  devant  r  géminé  =  c  :  terre,  146  v.,  etc.  Une  seule  excep- 
tion :  lierre,  151  v. 


-  10  — 

La  diphthoogaison  de  IV  en  ie  devant  r  -+-  cons.  et  s  -+•  cons. 
ne  semble  pas  être,  en  wallon,  antérieure  à  la  fin  du  XIIe  siècle 
ou  au  commencement  du  XIIIe;  si  elle  est  absente  des  textes 
littéraires,  elle  se  rencontre  assez  souvent  dans  les  chartes  et 
est  la  règle  dans  le  patois  d'aujourd'hui. 

Certains  noms  de  lieux  nous  donnent,  sous  ce  rapport,  des 
indications  précieuses.  Le  village  qui  s'appelle  actuellement 
Vierset  (près  de  Huy)  est  nommé  Versoiz  dans  un  diplôme  de 
1160  et  Versez  dans  une  charte  de  1178;  une  autre  charte 
donne  la  forme  Versailh  :  la  racine  doit  être  un  dérivé  de 
*bersa.  Les  documents  appellent  Ernau  en  1016,  Ernaus  en 
1101  le  village  actuel  de  Yernawe.  De  même  Hierge  s'appelle 
Herge  en  1112  *. 

lllos  =  cas,  146  v.,  etc. 

c  -4- 1  primitif  ou  secondaire  : 

1.  el  i  mexmesy  146  r.,  meismes,  loi  r.,  etc. 

2.  I  :  parmi,  146  r.,  etc;  Hz  (lectos),  148  v. 

Les  Poésies  religieuses  ont  meimes,  II,  23  et  piz,  v.  6;  le 
Poème  moral  et  H  Ver  dejuïse  ont  e  -♦-  i  =  i  ;  cependant  plu- 
sieurs mots  du  patois  moderne  semblent  prouver  que,  dans 
un  certain  nombre  de  cas  au  moins,  e  -*-  i  formait  eif  ce  qui 
est  la  règle  dans  les  Dialoge.  Exemple  :  lé  (lectum),  mexc  nulle 
(média  nocte).  En  tout  cas  nous  ne  croyons  pas  que  l'on  puisse 
faire,  comme  le  voudraient  plusieurs  philologues  -,  de  la 
manière  de  rendre  e  •+■  t  le  critérium  du  dialecte  ;  les  Dialoge 
même  ne  suivent  pas  toujours  la  règle  de  IV»,  on  y  rencon- 
tre assez  souvent  i  :  lit,  187.6,  269.21,  270.15,  dis  (decem), 
281.16,  etc. 


1  Voir  le  Vocabulaire  des  noms  de  lieux  de  la  Belgique  orientale,  par 
Ch.  Grandgagnage  ;  on  trouvera  dans  cet  ouvrage  d'autres  exemples 
analogues. 

*  Voir  Cloetta,  Poème  moral,  41  ;  l'article  de  Suchier  sur  le  dialecte 
du  Sl-Léger,  Zcitschrift  fur  romaniscfie  Philologie  II ,  et  Jenrich,  Mundart 
des  Miïnchener  Brut. 


—  il  — 


ë,  ï  latins. 


*+i 


In  rendu  par  a  devant  deux  consonnes  :  astalet,  151  v., 
astaleie.  DiaL,  240.7,  aclin,  Poème  moral,  219*. 

» 

i  de  in  suivi  d'une  voyelle  rendu  par  a  :  anoier,  148  v., 
miemis,  149  v.  (aussi  ennemis,  149  v.). 

Anemis  se  rencontre  dans  plusieurs  dialectes;  anoiouse, 
Job,  306.18. 

c  (7)  -*- 1  «  ol  :  voilent  (vïgïlant),  152  r.  Abrégé  en  o  :  sololh 
(soliculum),  153  v.  Le  nominatif  est  solos,  11)3  v. 

Le  patois  actuel  dit  également  solo.  DiaL  a  soloilh,  129.21  à 
côté  de  soleilh,  103.23,  Job,  soloilh,  301.10. 

ô,  fi  latins. 

0  -4- 1  =  1 .  al  t  tuit,  147  v.,  hui  (hodie),  147  r.,  anui,  150  r., 
ttùioses  (otiosas),  151  r. 

2.  ol  :  oile (olea,  pi.),  soi  (sui),  149  r.,  153  r.,  proimes,  149v.; 
fréquemment  dans  la  syllabe  atone  :  noisous  fnoxiosos),  148  r., 
mwier  finodiare),  148  v. 

01  abrégé  en  o  :  ol  (audit),  151  v.;  c'est  encore  la  forme  du 
patois,  lequel  dit  également  aie  par  abréviation  de  oile. 

Plusieurs  mots  du  patois  semblent  appuyer  o  -*-  i  =  oi  ; 
Outre  ôle  nous  pouvons  citer  troie,  français  truie,  mais  Uoium 
(nom  de  lieu)  donne  Ilu,  français  Huy,. comme  noctein  donne 
nulle,  français  nuit;  la  règle  comporte  donc  un  certain  nombre 
<  l'exceptions. 

J  latin. 

■  =  o  dans  **promier,  146  r.,  etc. 

0  latin. 

0  =  0  dans  on  (unum),  152  v.  et  son  composé  alcon,  148  v. 


—  12  — 


CONSONNES. 

e,  qu.  Entre  deux  voyelles  rendus  par  : 

1.  *  t  enguez,  152  r.,  aiguë,  153  r.,  assegures,  148  r.  On  sait 
que  dans  les  autres  dialectes  la  transcription  habituelle  de 
securus  est  seùrs,  securitas,  seùrteit;  les  Dialoge  ont  segurteit, 
265.2,  le  Poème  moral,  segurs,  365*,  etc. 

2.  w  i  lowier,  146  v.  (Mocarium;  je  laisse  de  côté  la  questiou 
de  savoir  si  w  sert  simplement  à  combler  l'hiatus  ou  s'il  repré- 
sente la  progression  régulière  e  =  g  *=  w)\  aiwe,  150  v.  Le 
Poème  moral  a  également  les  deux  formes  aiguë,  32*,  aiwe,  63'. 

g  initial  rendu  par  c  dans  covenier,  153  v.  Le  patois  moderne, 
par  une  tendance  assez  analogue,  dit  cras,  conservant  le  c  éty- 
mologique qui  est  en  français  rendu  par  un  g  ;  toutefois  je  ne 
connais  pas  d'autre  exemple  de  cette  transformation  du  g  initial. 
Il  me  semble  qu'il  y  a  quelque  chose  de  ce  genre  dans  VEzéchiel, 
mais  je  ne  puis  pas  vérifier  pour  le  moment.  Coverner  n'est 
pas  cité  par  Godefroy. 

g  entre  deux  voyelles  rendu  par  w  dans  bienewiret,  146  r.; 
comparez  le  mot  du  patois  wallon  aweure  =  heur,  fortune.  II 
n  est  guère  douteux  que  bienewiret  vient  de  bene  augurali, 
comme  le  bienaureit  (bienaûreit)  des  Sermons  de  Saint  Bernard, 
édit.  Foerster,  p.  44.5. 

I  supprimé  dans  l'article  al,  del  :  poeste  a  dyable,  147  rM 
a  deu  del  chiel,  150  v.,  al  ior  de  jugement,  151  r. 

Cette  suppression,  qui  se  retrouve  dans  le  patois  moderne, 
est  notée  également  par  M.  Foerster  (Lyoner  Yzopet)  dans  le 
dialecte  de  la  Franche-Comté;  je  ne  crois  pas  qu'on  Tait 
observée  ailleurs  que  dans  ces  deux  idiomes  de  Test. 

1  se  supprime  également  dans  les  adjectifs  en  el  (voir  plus 
haut  alis),  auxquels  nous  pouvons  joindre  le  cas  analogue, 
subliment,  146  v. 


—  13  — 

Il  abrégé  en  I  dans  qu't,  147  v.,  151  r.  (écrit  qui);  peut-être 
est-ce  une  simple  négligence  du  scribe. 

Après  a,  1  suivi  d'une  consonne  disparaît  ou  persiste,  mais 
ne  se  change  pas  en  u  :  aques  (aliquid),  146  v.,  hatece  (altitia), 
147  v.,  communameiit,  148  r.  Exceptions  :  autre,  147  r.  (géné- 
ralement écrit  altre,  146  v.,  etc.)  et  fauz,  146  v. 

u  intercalaire  dans  ensaievet,  150  r.,  enguez,  ioi  r.,  renpen- 
tir,  151  r.;  toutefois,  à  côté  de  ce  dernier  nous  avons  dans  la 
même  page  repent,  repentant. 

GRAMMAIRE. 

ARTICLE. 

U,  le  sont  employés  pour  l'article  féminin;  toutefois  'y. 
n'observe  U  féminin  que  devant  des  voyelles,  ce  qui  est  d'usage 
général  :  U  escriture,  152  v.,  H  aiguë,  153  r.  Pour  le  cas  oblique  : 
sor  le  hatece,  147  v.,  por  le  mort,  153  v.  La  forme  la  est  de 
beaucoup  la  plus  fréquente. 

PRONOM   PERSONNEL. 

Le  est  employé  comme  régime  féminin  singulier  :  le  jeunat 
(la  quarantaine),  147  v.,  le  tormente  (ma  filhe),  148  v. 

**  Les  est  employé  comme  régime  indirect  pluriel  au  lieu  de 
lor  :  qui,  si  les  fait  aimer  les  choses  que  li  siècles  aime,  148  v. 
On  pourrait  toutefois,  à  la  rigueur,  considérer  ici  les  comme 
un  accusatif:  facit  eos  amare;  mais  dans  la  phrase  suivante 
tes  est  bien  régime  indirect  :  ne  par  prière,  ne  par  manance,  ne 
par  prechement  de  (que?)  Sainte  Eglise,  qui  lor  mère  est,  les 
puist  faire,  148  v. 

Cet  emploi  de  les  semble,  dans  la  région  du  nord  et  de  Test, 
ne  se  rencontrer  que  dans  le  wallon.  J'en  ai  donné  ailleurs  *  un 

1  Romania,  XV,  130,  sq. 


—  u  — 

grand  nombre  d  exemples  tirés  des  chartes  du  XIIIe  siècle,  du 
Job,  du  Poème  moral  et  du  Ver  de  juïse;  en  voici  encore  un 
exemple  tiré  des  Poésies  religieuses  publiées  par  M.  P.  Meyer  : 

Tos  lor  piez  les  lavas.  (V.  14.) 

C'est  le  texte  du  manuscrit  de  Grosbois;  le  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  nationale,  fonds  latin  1077,  qui  contient  la  même 
pièce,  a  lor  au  lieu  de  les. 

VKRBE. 

I.  **  Astolt.  —  L'auteur  emploie  comme  imparfait  de  Punli- 
catif  du  verbe  estre  :  asloit,  asloient,  17  fois,  estoit,  estaient  t 10, 
ert  (ère,  eret),  S;  on  voit  que  la  forme  wallonne  l'emporte. 

U.  Imparfait  eu  net.  —  Temptevet,  147  v.,  prievel, 

148  v.,  etc.  ;  nous  comptons,  dans  notre  texte,  au  moins  seize 
exemples  de  cet  imparfait.  On  rencontre  une  fois  ive  :  priice, 

149  r.,  pour  priieve.  L'imparfait  en  ivet,  venant  d'un  verbe  en 
ir  est  lorrain  :  convmivet,  Saint  Bernard,  édit.  Foerster,  63.27; 
tenivet.  M.  de  Wailly,  Actes  de  Lorraine,  dans  le  tome  XXVIII 
des  Extraits  et  notices  des  manuscrits,  etc.,  63  B3,  warantiret, 
ibid.,  180H3. 

L'imparfait  de  l'indicatif  en  evet,  ivel  fournit  un  moyen  assez 
sûr  pour  distinguer  à  quel  dialecte  de  l'est  appartient  un  texte 
antérieur  au  XIVe  siècle  :  le  lorrain  a  evet  et  ivet,  le  wallon  evet 
seulement,  le  picard  n'a  ni  l'un  ni  l'autre. 

III.  **Dlct,  reclet.  —  Les  formes  diet  (debuit),  153  v., 
rechiel  (recepit),  153  r.,  reciet  (receptum*,  147  v.,  semblent 
particulières  au  dialecte  wallon  et  assez  rares  même  dans  ee 
dialecte. 

J'en  note  un  exemple  dans  U  Ver  de  juïse,  391  : 

Grant  angoisse  oui  mes  cors,  kant  m'anmc  en  diet  issir. 

Je  crois  qu'il  faut  voir  dans  diet  deb'tum,  par  analogie  avec 
reciet  =»  receptum  :  l'emploi  de  cette  forme  se  sera  étendu  du 
participe  passé  au  parfait. 


—  18  — 

IV.  "Figent,  dînent,  prisent.  —  Les  formes  du  parfait 
fisent,  149  v.,  disent,  152  r.,  asisent,  150  v.,  prisent,  182  v.,  sont 
à  peu  près  les  seules  employées,  aussi  bien  dans  les  textes 
littéraires  que  dans  les  chartes.  M.  Suchier  les  considère  avec 
raison  comme  particulières  au  wallon.  Ajoutons  qu'il  y  a  ici 
une  tendance  générale  du  dialecte  où  la  consonne  sibilante 
posttonique  persiste  en  rejetant  la  consonne  qui  suit,  tandis 
que,  en  français,  la  sibilante  est  éliminée  et  la  consonne  qui 
suit  persiste  seule.  Exemple  :  latin  fecerunt,  wallon  fisent, 
français  firent. 

De  même  dans  le  patois  actuel  s  postton.  ■+- 1  =  ss,  s  positon. 
-♦-  cons.  4-/our«  ss.  Exemples  :  latin  bestia,  wallon  biesse, 
français  bête,  latin  nostrum,  wallon  nosse,  français  notre,  latin 
*muscnlam,  wallon  mosse,  français  moule  'fém.). 

Dans  les  anciens  documents  ce  phénomène  nous  est  habi- 
tuellement masqué  par  l'orthographe  étymologique  et  presque 
toujours  les  mots  qui  riment  ensemble  sont  des  mots  soumis 
à  la  même  règle,  mais  les  vers  suivants  de  la  Vie  sainte  Ju liane 
ne  laissent  aucun  doute  sur  l'existence  de  cette  prononciation 
dès  le  XIIe  siècle  : 

1 190.  Teil  paQr  at  la  maie  bisse 
Ke  ele  encor  nel  resaïsset. 

Je  pourrais  encore  citer  les  vers  suivants  d'une  pièce  en 
dialecte  wallon  intitulée  :  Les .  / .  avez  de  Nostre  Saignor  qui 
se  trouve  dans  le  manuscrit  n°  10  de  la  bibliothèque  de  l'Uni- 
versité de  Liège,  P>  222  : 

63.  Ki  raemplit  les  places 
De  paradis  ki  erent  gastes  l. 

Hais  on  peut,  sans  aucun  doute,  ne  voir  là  qu'une  rime 
imparfaite,  sans  indication  de  prononciation. 

1  Cette  pièce  a  été  imprimée  dans  le  Catalogue  des  manuscrits  de  la 
bibliothèque  de  l'Université  de  Liège,  p.  26,  mais  la  division  en  vers  de 
huit  syllabes  n'est  pas  indiquée. 


—  iG  — 

V.  Prendre.  —  d  étymologique  est  conservé  aux  présent 
indicatif,  présent  subjonctif  et  impératif  de  prendre  et  de  ses 
composés  :  prende  (subj.  prés.),  147  r.,  aprendes  (impér.),  449  r. 

d  s'intercale  dans  les  mêmes  temps  des  verbes  dérivés  de 
verbes  latins  en  ngere  et  dans  les  substantifs  formés  de  ces 
verbes  :  oindes,  146  v. 

Ces  formes  qui  sont,  d'après  M.  Foerster  (Aïolj,  propres  au 
picard,  sont  constantes  dans  le  wallon;  on  les  trouve  également 
dans  les  textes  littéraires  et  dans  les  chartes,  et  elles  persistent 
dans  le  patois.  Dial. ,  ioindes,  83.4,  tindeors  (tinctores),  271.4,  etc. 

VI.  Puisons,  pulslcns.  —  La  forme  habituelle  de 
la  lro  pers.  plur.  du  subj.  prés.  :  àepooir  est  jmisons,  147  r., 
147  v?.  (puissons,  147  r.),  etc.,  mais  nous  trouvons  aussi 
puissieiis.  Je  vais  citer  les  deux  passages  où  cette  dernière  forme 
se  rencontre  pour  qu'on  voie  que  c'est  bien  ici  le  prés,  du 
subj.  et  non  l'imparfait  mis  par  erreur  pour  poïsietis  :  Proies 
li  huj  qu'il  cest  seruise  uos  laist  faire  en  ceste  s[ainte]  qua- 
rantaine] ke,  si  qu'il  le  jeunat  par  nos  pechies  (que),  nos  le 
puisons  jeûner  a  nostre  petit  pooir,  si  qu'il  nos  tort  a  remission 
de  nos  pechies  et,  par  l'apstinence  de  ceste  jeune,  puisons 
uencre  les  temptfations]  de  glot[enie|,  si  com  ilh  uenki  le 
dy[able]  et  ses  t[emptations],  jhesus  criz  nostre  sfire],  que  nos 
li  puissieiis  rendre  grases  et  loenges  in  eterna  seculorum  secula. 
Amen.  147  v.  Aionsades  ioie  en  Deu  et  nient  joie  nule  terriene, 
si  que  nos  puissieiis  biens  et  malx  tos  sostenir  por  I'amor  de 
Deu.  148  r. 

Les  deux  formes,  dont  puisiens  est  évidemment  la  plus 
moderne,  ont  existé  en  wallon  à  côté  l'une  de  l'autre  et  nous 
en  donnerons  une  autre  preuve  par  deux  extraits  de  chartes 
de  Liège  de  la  fin  du  XIIIe  siècle  : 

Nos  Lowis  sieres  de  Harsees  devant  nomeis  por  chu  ke  nos  ne  nostre 

hoir  nul  jor  ki  a  venir  soit  ne  pussons  aleir  encontre  ces  choises  desor 

escrites...  avons  pendu  nostre  propre  saeaul  a  ceste  presens  letre. 

5  octobre,  4298. 

[Charte*  de  l'abiatje  du  Val-Saint- Lambert,  d°  408) 


—  17  — 

Si  volons  ausi  et  obligons  nos  et  nos  successours  kc  nos  ni  li  autre  après 
nos  ne  pumiens  mettre  avant  ne  alligier  ost,  chevachie,  esconsien  <lo 
bleis,  etc. 

Août,  1290. 

[Charte  du  courent  de*  Dominicains  à  Liège.  —  l)(f>ot 
des  archives  de  la  province  de  Liège). 


Le  dialecte  des  Sentions  est,  comme  nous  l'avons  vu,  relati- 
vement pur  :  il  a  les  traits  caractéristiques  du  wallon  avec  un 
petit  nombre  de  formes  picardes,  par  exemple  :  biaz,  vermis- 
siel,  lierre,  li,  le  art.  fém.  se,  adj.  pos.  féin.,  446  r.,  ou  fran- 
çaises comme  cens  (wal.  ceaz)  bel,  et  un  subj.  prés,  lorrain 
manjuoisent,  150  r.  (voir  Apfelstedt.  LothringischerPsaMer,  LVH  ; 
Job  a  d'ailleurs  la  même  forme  manioise,  324.27).  Je  ne  cher- 
cherai pas  si  ce  mélange  provient  du  copiste  ou  de  l'auteur, 
cette  recherche  n'est  guère  possible  pour  les  ouvrages  en  prose  : 

Quant  à  l'époque  où  notre  texte  a  été  écrit,  l'emploi  du  rh 
picard  pour  c  devant  e,  i,  et  de  li,  le  pour  l'article  féminin 
sont  deux  traits  qui  se  rencontrent  souvent  dans  les  chartes, 
mais  qui  sont  presque  absents  des  textes  littéraires.  Les  Sermons 
seraient  donc  postérieurs  à  ces  textes. 

D'autre  part  :  1°  les  règles  de  la  déclinaison  sont,  à  une  ou 
deux  exceptions  près,  correctement  observées.  Nomin.  :  enfes, 
150  r.,  leres,  146  v.,  salueres,  149  r.  Cas  oblique  :  enfant, 

150  r.,  larron,  152  r.,  salueor,  150  r.  ; 

2°  Les  adjectifs  venant  d'une  forme  latine  en  is  sont  parfois 
variables  pour  le  féminin  :  teles  uevres,  148  r.,  grande  parole, 

151  r.  ;  mais  le  plus  souvent  invariables  :  grant  torbe,  grant 
miséricorde,  grant  dochor,  150  r.,  tel  nature,  150  v.,  mortel 
forme,  152  r.,  grant  dampnation,  152  v.,  etc.  ; 

3°  Les  pronoms  possessifs  moi  fmea),  153  r.,  sue,  150  v. 
et  sowe,  149  v.,  150  r.,  sont  les  mêmes  que  ceux  qui  sont 
employés  dans  les  textes  littéraires  :  moie,  Dial.,  231.4,  sue, 
Dial.,  91.22,  Poème  moral,  13*,  etc.  Ces  formes  ont  disparu 
entièrement  des  chartes  du  XHl°  siècle  qui  n'emploient  que 
ma,  mienne,  sa,  sienne. 

Tome  XLI.  b 


-  18  — 

Ce  dernier  point  surtout  me  porte  à  croire  que  les  Sermon* 
ont  dû  être  écrits  dans  les  2o  ou  30  premières  années  du 
XIIIe  siècle. 

En  dehors  des  considérations  paléographiques  et  philolo- 
giques, le  seul  indice  que  nous  trouvions  dans  le  texte  sur 
l'époque  où  furent  prononcés  ces  sermons  est  le  passage  sui- 
vant qui  prouve  que  la  Chanson  de  Râlant  devait  encore  jouir 
alors  de  toute  sa  popularité  : 

Il  sunt  mainte  gent  qui  ia  ne  uorroient  oïr  de  l)eu  parler  et 
tart  lor  est  que  la  messe  soit  chantée  et  k'il  fuist  repairies  u  a 
son  labor  u  a  la  uanite  del  siècle,  et  plus  volentirs  oroit  los 
tens  parler  des  bâta  il  lies  Rolant  et  d'Oliuier  qu'il  ne  feroitde 
nostre  seignor  Jhesu  Crist  comment  il  soi  uint  combatre  en 
tierre  encontre  nostre  mortel  ennemis  le  dyable,  loi  v. 

Mais  cette  allusion  à  la  grande  épopée  du  moyen  âge  ne  peut 
nous  servir  à  fixer,  même  approximativement,  la  date  de  notiv 
texte,  car  elle  aurait  été  sans  doute  aussi  bien  comprise  au 
XIIIe  siècle  qu'au  XIIe. 

l'oftt-Kcrlptum.  —  L'éditeur  des  Sewnons,  après  avoir  lu 
le  rapport  de  M.  Scheler  *,  rapport  dont  il  apprécie  toute  la 
bienveillance,  désire  ajouter  quelques  explications  aux  notes 
ri-dessus;  s'il  n'a  rien  changé  à  ces  notes  ni  au  texte,  c'est  pour 
qu'on  puisse  mieux  saisir  les  observations  du  savant  rappor- 
teur. 11  a  cru  qu'il  valait  mieux  présenter  à  part  les  quelques 
remarques  et  corrections  que  la  lecture  du  rapport  lui  a  sug- 
gérées; les  voici. 

Xofes.  —  Puisons,  puissiens.  M.  Suchicr  (Zeitschrift  fur 
romunische  Philoloyie,  II ,  p.  27o)  pour  établir  que  Job  n'ap- 
partient pas  au  même  dialecte  que  les  Dialoge,  dit  :  «  Dans 
les  Dialoye  la  terminaison  iens  ne  se  trouve  qu'à  la  première 

1  Bulletins  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  3e  série,  tome  XIV, 
n«  12,  1887. 


i 


—  19  - 

personne  plurielle  de  l'imparfait  et  du  conditionnel ,  donc  : 
soions,  154.23,  135.1  (de  même  dans  le  manuscrit  Canon  ici, 
dans  le  Brut  de  Munich  et  dans  Huon  de  Bardeaux).  Dans  les 
Moralités  sur  Job  à  la  première  personne  plurielle  du  sub- 
jonctif :  soiens,  305.2,  313.27,  oûssiens,  355.40). 

■  • 

Milles.  L'auteur  n'a  pas  proposé  médius  (!)  mais  mêd'cus. 

Astoit.  Pour  astoit  et  esteue  les  Sermons  suivent  exactement 
le  même  système  que  les  Dialoge  :  astoit  est  l'équivalent  de 
eret,  esteve  est  toujours  pris  dans  le  sens  de  stabat  ou  adstabat  : 
IHaloge,  85.15,  222.12,  etc.  : 

Texte.  —  Delissent,  146  v.  Je  crois  que  delissent  se  rapporte 
surtout  à  ruinins  (le  pluriel  étant  dû  à  la  construction  de  la 
phrase  et  à  la  position  des  sujets),  et  je  suis  tenté  d'y  voir  le 
verbe  délisser,  formé  de  lisse  et  employé  ici  dans  le  sens  de 
corroder.  Ce  verbe  a  sans  doute  une  physionomie  moderne 
et  l'exemple  le  plus  ancien  dans  Littré  date  du  XVIIe  siècle, 
mais  si  l'on  admet  l'étymologie  de  Diez  :  ancien  haut  allemand 
lise,  le  mot  lisse  doit  appartenir  au  fonds  ancien  de  la  langue. 
Quant  à  une  transcription  de  delectare,  le  sens  de  la  phrase  me 
semble  l'exclure  complètement. 

Provechiet,  146  v.,  n'est-il  pas  la  transcription  de  *provedare, 
tiré  de  provehere  :  qui  ne  sont  avantageux,  qui  ne  servent  à 
rien,  etc.? 

Plusemes,  148  r.  Le  mot  est  fréquent  dans  les  Dialoge  sous 
la  forme  pluisemes,  63.2,  229.24,  etc. 

Piwochet,  148  r.  est  le  mot  du  manuscrit  et  de  la  copie, 
non  provuehel. 

A  tenir,  148  v.  Le  mot  se  trouve  répété  trois  fois  :  atenir, 
alênes,  atient,  contre  un  amenons,  150  v.  Peut-être  y  a-t-il  sim- 
plement dans  cette  orthographe  une  indication  de  prononcia- 
tion usuelle.  Lacurne  de  Sainte  Palaye  a  atenance  et  altenanche 
dans  le  sens  de  abstinence  ou  plutôt  abstention. 


—  20  — 

Creït,  148  v.,  est-il  un  lapsus  calami  pour  créât  ou  reprë- 
sente-t-il  une  forme  dialectale  peu  fréquente?  Diez  (Gram.  des 
langues  romanes,  trad.  franc.,  II,  214-315)  mentionne  les 
formes  de  l'imparfait  du  subjonctif  partissions,  amissiez  et 
d'autres  semblables.  Ces  formes  n'indiqueraient-elles  pas  une 
tendance  à  un  parfait  en  i  pour  les  verbes  de  la  lra  conjugaison, 
tendance  qui  s'expliquerait  facilement  pour  les  verbes  en  !>r, 
en  picard  et  en  wallon  où  ie  représente  le  plus  souvent  î? 
L'éditeur  admet  d'ailleurs  que  cette  supposition  demanderait  à 
être  appuyée  par  des  exemples  et  que  le  lapsus  calami  de  creit 
pour  créât  est  plus  vraisemblable. 

Manance,  148  v.  pour  manasce  serait  une  forme  nasalisée 
analogue  à  larenchin. 

Est,  atrait,  149  v.  M.  Scheler  propose  ert,  a  trait,  mais  le 
présent,  qui  ne  demande  pas  de  changement  au  texte,  ne  se 
comprend-il  pas  facilement? 

Mar\t]ret  149  v.  L'éditeur  supplée  le  /  et  non  le  r. 

Ne  nés  vuelent,  149  v.  ne  signitie-t-il  pas  ni  ne  les  veulent? 
Voici  la  phrase  :  qui  ne  veulent  les  commandements  Damredeu 
accomplir  ni  ne  les  veulent  écouter  des  oreilles  de  leur  cœur. 

Spiritel,  150  r.  Le  spirituez,  150  v.  fait  bien  supposer  qu'il 
faut  lire  spirit[u\el;  toutefois  Saint  Bernard*  également spiritel 
(édit.  Foerster,  136.41),  espiritel  (ibid.,  137.36),  etc. 

Cyu,  gye,  guiz,  juies,  152  r.,  152  v.  L'éditeur  ne  se  charge  pas 
d'expliquer  la  concurrence  de  ces  diverses  formes,  qui  d'ail- 
leurs se  rencontrent  fréquemment  réunies  dans  d'autres  textes. 
Quant  ùjuyer,  qui  est  plus  rare,  ce  doit  être  la  transcription 
de  *judarius,  tiré  de  *judaria  que  l'on  trouve  dans  Ducange 
dans  le  sens  de  juerie,  juiverie  :  le  juyer  serait  l'habitant  de  la 
juerie. 

Savietet,  132  v.  Le  rapporteur  propose  sa  viutet  ou  sa  viltet  : 
$a  viutet  serait  contraire  à  notre  dialecte;  d'autre  part,  por  sa 


—  21  — 

villet  dans  le  sens  de  :  pour  l'avilir,  me  semble  une  tournure 
difficile  à  admettre.  Savietet  ne  serait-il  pas  une  forme  demi- 
savante  de  saevitas?  Le  sens  :  par  cruauté,  s'adapte  très  bien 
au  passage;  quant  à  la  forme,  ae\e)  =  a  dans  la  syllabe  atone 
est  commun  en  wallon,  cf.  samaine,  453  v.,  sanior  (seniorem), 
Dialoge,  9.6,  33.9,  etc.  Le  ie  pourrait  équivaloir  à  i. 

Aisit,  153  r.  Je  vois  dans  aisit  pour  aisil  une  simple  faute 
d'orthographe,  la  substitution  d'une  consonne  finale  muette  à 
une  autre  consonne  muette. 

Giet,  153  v.  pourrait  être  un  participe  formé  par  analogie 
avec  reciet,  die  t. 

Si  je  ne  mentionne  pas  ici  les  corrections  grammaticales  que 
M.  Scheler  a  proposées  pour  le  texte,  c'est  qu'elles  s'imposent 
presque  toutes  :  l'auteur  des  Sermons  emploie  souvent  un  verbe 
au  singulier  avec  un  sujet  pluriel,  la  règle  des  cas  pour  le 
substantif  n'est  pas  toujours  observée,  etc.  L'éditeur  n'avait 
pas  cherché  a  redresser  ces  petites  incorrections  parce  qu'elles 
peuvent  contenir  parfois  une  indication  d'époque  ou  de  dia- 
lecte. Ainsi  il  croit  que  l'auteur  des  Sermons  considère  anemis  ou 
ennemis  comme  invariable,  mais  les  corrections  de  M.  Scheler 
sont  fort  utiles  et  facilitent  sans  aucun  doute  la  lecture  du 
texte. 


L 


SECONDE  PARTIE. 


TEXTE. 


llh  *  est  hui  li  promiers  iors  de  la  ieune  Nostre  Seignor,  ie  f0i.  ittïr 
ne  di  mie  de  la  quarentaine,  car  bien  sauez  que  cist  •  III f  •  ior 
qui  sunt  de  ci  ka  diemenche  restorent  les  •  IIII  •  diemences  de 
la  quarentaine.  Ilh  sunt  or  li  ior  que  Damrideus  nos  huche  et 
si  nos  somont  parmi  la  boche  de  son  prophète  qui  dist  : 
Conuerlimini  ad  me  in  toto  corde  uestro,  in  ieiunio  et  fletu  et 
planciu.  Conuertisies  uos,  dist  Damredeus  par  se  prophète,  a 
moi  en  tôt  uostre  cuer  en  ieune  et  en  plor  et  en  plaindement  *. 
Repentez,  dist  ilh,  par  confession  et  se  faites  penance  de  uos 
pechies  et  de  uos  iniquitez,  que  ie  n'enuoie  en  uos  les  mais 
que  i'ai  aparilhies  a  ceuz  qui  m'ont  corechiet.  Faites,  dist  ilh, 
pennance  par  ieunes  et  par  ploremens,  par  ce  que  uos  qui  ci 
iuneis  en  ceste  présente  uie  que  uos  en  l'autre  soies  rasaziet 
des  parmanables  mangiers,  par  que  uos  qui  or  plores  puissies 
rire  es  parmanables  ioies.  De  ce  dist  nostre  sire  en  l'evvangile  : 
Beati  qui  nunc  fletis  quia  ri[debï]fis.  Bienewiret  estes  qui  or 
plores,  kar  uos  rires.  Ilh  dist  après  :  Scindite  corda  uestra  et 
non  u[estimenta]  u[estra],  Trenchies,  dist  Damredeus,  uoscuers 
et  nient  uos  uestemens,  ne  uos  cors  mais  uos  cuers,  qui  plain 
sunt  de  pechiet,  trenchies  par  uraie  pennance  et  par  pure  con- 
fession. Cilh  qui  tranche  son  cuer  par  uraie  penance  et  par  pure 

4  Les  mots  .ou  lettres  à  supprimer  sont  mis  entre  parenthèses  (  );  Jps 
mots  ou  lettres  à  suppléer  sont  placés  entre  crochets  [  ]. 

8  Voici,  comme  comparaison,  la  même  Citation  en  dialecte  lorrain  dans 
le  Saint  Bernard,  éd.  Foerster,  p.  435,  34  :  Conuertiz  uos  a  mi  en  lot 
uostre  cuer,  en  ieune  et  en  plor  et  en  plaing. 


—  24  — 

confession  ilh  se  conuertist  a  Deu  et  cilh  qui  a  De  soi  conuer- 
tist en  teil  lumière  *  par  uraie  penance  et  par  pure  concession] 
if  at  mie  trop  grant  paor  de  ses  pechies,  kar  plus  grans  est  la 
merciz  Nostre  Seignor  que  ne  soient  nos  félonies.  Grans  est,  di 
ie,  la  mercis  Nostre  Seignor  a  celui  qui  a  lui  se  conuertist  et 
par  pure  confession  et  par  uraie  penance  tranche  les  pechies 
fors  de  son  cuer.  Car  ilh  aime  miez  la  penance  de!  pecheor  que 
sa  mort.  Kar  ilh  meimes  dist  :  Xolo  mortem  p{eccatotis]  sed  ut 
conuer[tat]  et  u\niat].  Je  ne  welh  mie,  dist  ilh,  la  mort  del 
pecheor,  ains  wuelh  qu'ilh  soi  conuertiset  et  si  uiuet.  Conuer- 
tisies  uos  dont  ensi  com  dist  la  prophète,  en  ieune  et  en  plor 
et  en  plaindement  et  en  almones.  Ilh  ne  dist  mie  :  conuer- 
tisies  uos  solement  par  iuner.  Bone  est  la  ieune  de  ieuner,  mais 
autres  ueures  li  couient  ilh  encor  faire  qui  a  Deu  se  conuertist. 
Car  se  nos  iunons  sens  almones  doner,  ilh  semble  que  ce  soit 
auarisces,  ia  ne  puissiens  nos  ieuner.  Oiez  que  dirat  Deus  az 
chaitiz  auarisioz  al  ior  del  jujsse  :  Ite,  maled[ictf]  etc.  Alezeut, 
maloit,  dirat  ilh,  el  feu  parmanable  qui  est  aparilhies  al  diable 
et  a  ses  angles.  Kant  ie  ou  tain,  uos  ne  moi  donastes  mie(z)  a 
mangier.  Kant  ie  fuj  nuz,  uos  ne  moi  couristes  mie.  Jeûnez 
Foi.  i«iv.  dont  que  Deu  soit  ac[146  v.]ceptable  ;  donez  si  uostre  al  moue 
kele  li  uengne  en  greit.  Ne  jeûnez  mie  par  auarise  ne  ne  iuncs 
mie  por  esparnier,  si  com  uol  comande  Damredeus  meimes  en 
Tewangile  kant  ilh  dist  a  ses  desciples  :  Cum  jeiunatis  nolite 
(ieri  sicut  ypocrite,  tristes.  Ceu  est  :  Quant  uos  junes,  ne  uos 
faites  mie  dolant,  si  com  font  li  ypofcri]te.  Ypoc[ri]tes  ce  est 
fauz  crestiens.  Li  falz  crestiens  il  cangent  lor  faces  et  les  font 
pales  par  que  (om)  *  puist  sauoir  li  pueles  qu'il  jeûnent,  por  ce 
qu'il  uuelent  c'om  les  en  prise.  Je  uos  di  en  uerite,  dist  Damre- 
deus, cil  qui  ensi  jeûnent  il  n'en  aront  mais  altre  lowîer,  et  il 
ne  perdront  mie  solement  lor  lowier  mais  encore  en  soferont 
les  doleroses  paînes  d'enfer.  Mais  il  nos  dist  li  mien  amis: 
Kant  uos  jeunes,  oindes  nostre  chief  d'oile  et  si  l'aues  nostre 

1  Manière? 

*  Biffé  dans  le  manuscrit. 


i 


I 


face,  que  H  home  ne  sachent  que  uos  ieunez;  et  uostre  pères 
qui  uoit  totes  les  réponses  choses  le  uos  rendrat.  N'asembles 
mie,  dist  ilh,  les  auoirs  en  terre  que  li  ruinins  et  li  uermissiel 
dclissent  et  manjuent,  et  li  larron  pueent  enbler  et  foïr.  Mais 
assenbles  les  trésors  en  chiel  la  u  ruinins  nel  porat  courir  ne 
uermisiaz  de  De  rore  '  ;  la  u  leres  ne  le  porat  tolir  ne  enbler. 
Cestui  trésor  fist  bien  li  buens  martres  s.  Lorens,  quant  ilh  dist 
a  Decium  le  tyrant  :  Facilitâtes  ecclesie  quas  requiris  in  célestes 
tes[aur]os  manus pauperum  deportauerunt.  Kant  om  li  demandât 
les  trésors  de  s.  église  qui  li  astoient  commandet  :  ce  que  tu 
demandes,  dist  s.  L[orens],  les  mains  des  poures  l'en  ont 
portet  es  trésors  del  chiel.  Voi[e]s  dont  s'ilh  ne  sot  mult  bien 
qu'il  fist,  qu'il  ot  plus  chier  qu'il  departist  le  tfresor]  d[e] 
s.  glise  que  li  poure  eussent 2  besongne.  Et  uos  que  deues  dont 
faire  de  uos  t[resors]  qui  le  saues  qui  3  ne  sunt  prouechiet  a 
nulle  chose  se  ce  n'est  qu'il  gisent  en  uos  escrins.  Enuoies  les 
el  t|resor]  del  chiel  la  u  ruinins  ne  uers  ne  l'enpiront  ne  leres 
nel  pora  foïr  ne  enbler.  Li  leres  qui  se  painet  d'enbler  nostre 
trésor  ce  est  li  dyable  qui  se  painet  de  destruire  tos  les  biens 
que  nos  faisons  por  l'amor  de  Deu.  Leres  est  il  uoirement 
quant  il  nos  enble  si  subtiment  nostre  trésor,  ce  est  le  bien 
que  nos  uolons  faire  por  l'amor  de  Deu.  Ki  ki  unques  dont 
uuet  estre  en  chiel  auuek  Jhesu  Crist  *  face  ensenble  lui  son 
trésor  et  si  doist  8  por  lui  ce  qu'il  puet  doner  soit  aques  soit 
pou.  Car  tant  corn  li  hom  puet  doner,  tant  ualt  li  règnes  del 
chiel.  Ne  dones  mie  uos  almones  par  que  uos  aies  plus  grant 
congiet  de  pechier.  Mais  dones  uos  alm[ones]  par  que  Deus 
oiet  uos  orisons;  que  par  uos  almones  et  par  uos  ôrisons  et  par 

1  Rore,  ronger  de  roderc. 

*  Chacun  des  deux  jambages  de  l'u  est  surmonté  d'un  trait  oblique  pour 
indiquer  que  le  mot  doit  se  prononcer  eussent. 

5  Qui  =  qu'il  ?  On  peut  lire  :  qui  les  aues  qui. 

1  Toujours  écrit  en  abrégé  dans  le  manuscrit.  J'emploie  la  forme  con- 
temporaine la  plus  probable. 

3  Plus  bas  doinst  :  le  copiste  a  peut-être  oublié  le  trait  indiquant  l'n. 
Toutefois  on  trouve  doist  dans  les  textes  lorrains  et  picards, 


—  26  — 

uos  jeunes  puisies  auoir  remission  de  uos  pechies,  et  nient 
seulement  en  aies  la  rémission  mais  encor  uos  en  doinst  sa 
compaignie  en  la  uie  parmanable.  Jhesus  Christus  dominus 
noster  qui  uit  et  règne  per  omnia  secula  seculorum.  Amen. 


DOMIMCA   PRIMA  XL. 

Fratres,  hortamur  uos  ne  in  uanum  gratiam  dei  recipialùs,  etc. 
Foi.  447  r.  Ilh  nos  somont  huj  [147  r.]  et  enhorte  a  l'entrée  de  ceste  qua- 
rantaine et  ens  es  iors  que  nos  deuons  netier  nos  cuers  et  nos 
cors,  que  nos  deuons  cesser  de  totes  maies  ueures  t.  Et  de  coi 
nos  somont  il,  mes  sires  S.  Polz?  Il  dist  :  Frère,  ie  uos  enhorte 
que  uos  nereceuez  en  uain  la  graze  Damredeu.  Mais  il  rechoit 
la  graze  Damredeu  en  uain  qui,  après  son  bateme,  ne  fait  bones 
ueures,  car,  parmi  la  grase  del  s.  espir,  prent  ilh  el  baptême 
la  remission  del  pechiet  nostre  promier  père  Adam  ;  et  quant 
il,  après  ce  qu'il  est  quites  et  mondes  de  pechiet,  se  renbat  en 
maies  ueures  et  il  deuint  par  son  greit  pechieres,  dont  at  il  en 
uain  reciet  la  graze  del  s.  espir.  Kar  il  dist  :  El  tens  acceptable 
t'oï  ie  et  el  ior  de  salut  t'aidai  ie.  Or  est  li  tens  acceptables  que 
nos  deuons  bien  ourer  et  que  nos  deuons  parmi  bones  ueures 
deseruir  que  Deus  nos  uuelhe  oïr,  si  que  en  ces  s.  iors  puissons 
deseruir  la  parmanable  lumière,  si  com  ilh  est  escrit.  Âmbulate 
»  in  dilectione  et  uoluntate  dei  dum  ticet  in  hoc  uita,  ne  uos  mortis 
ténèbre  repente  subripientes  inueniant  imparatos  el  tune  incipiatix 
uelle  bene  agere  cum  non  licel  operari.  Ceu  est  :  Aies  en  l'amor 
de  Deu  et  en  sa  uolente  tant  que  il  uos  list  en  ceste  uie,  que 
les  ténèbres  de  mort  ne  uos  soprendent  et  qu'eles  ne  uos 
truisent  mie  aparilhies,  et  dont  primes  que  la  mort  iert  uenue, 
uilhies  bien  faire  quant  il  ne  uos  loirat.  Car  il  auient  cant  li 
pechieres  est  tos  iors  assegures  en  son  pechiet  et  il  sent  le  mal 
de  la  mort,  dont  primas  penset  il  :  Deus!  com  uolentîrs  tu 
feroiesbien  si  tu  pooies  uiure.  Et  il  ne  uolt  mie  bien  ourer  es 

1  Uevres  =  œuvres. 


—  37  — 

iors  que  Deus  li  ot  a  cel  ues  prestez.  Dont  H  aposteles  dist  : 
Ecce  nunc  tempus  accep[tabi]le,  ecce,  etc.  Or  est  H  tens  accep- 
table], or  sunt  li  ior  de  salut.  Or  est  li  tens  de  bien  ourer, 
mais  al  ior  del  juise  que  li  pecheor  se  uorront  repentir  dont 
irt  iors  de  rendre  a  chascuns  solonc  ses  ueures.  La  n'arat  ia 
autre  merci,  mais  cescuns  arat  ce  qu'il  arat  deseruit.  Porpense 
se  dont  cescuns  de  uos  en  lui  meismes,  porpense  soi  dont  et  de 
ses  biens  et  de  ses  mais;  si  les  asemble  tos  deuant  les  ves  *  de 
sa  pensée  et  se  uoi  qu'il  arat  deseruit.  Prende  garde  qu'il  arat 
fait  al  ior  de  juise  por  le  nom  de  Jhesu  Crist  qui  tant  sofrit  por 
nos,  qui  tant  nos  ainat  que  nostre  fraile  nature  prist  en  la 
uirg[ene]  M[arie]  por  qu'il  nos  deliurast  de  la  poeste  a  dyable. 
Uh  jeunat  la  s.  quarentaine,  nient  por  que  lui  en  fuist  mestiers 
se  nos  non,  car  ce  fu  por  nos  pechies  qu'il  jeunat  et  por  qu'il 
uolt  qu'ensi  que  li  dyabfles]  auoit  uencut  Adam  nostre  promier 
père  par  glotenie,  qu'il  reuenkist  le  diable  par  abstinenche, 
par  jeûner;  et  ce  tist  il  par  exemple,  par  que  nos  jeûnons  par 
grant  deuotion  quant  nos  auons  pechiet  en  nostre  creator,  que. 
nos  par  jeunes  et  par  almones  et  par  orisons  et  par  pure  con- 
fession puisons  auoir  remission  de  nos  pech[ies].  Iceste 
quarentaine  dont  uos  disons  jeunat  Damrideus  ens  es  desers, 
si  corn  dist  me  sire  s.  Matheus,  et  quant  ilh  ot  jeunet  XL.  iors. 
et  XL.  nuis  s'ot  il  fain.  Quel  fain  ot  Damredeus?  II  ot  fa  in  de 
[147  v.]  nostre  saluement.  De  ce  dist  il  la  v  il  estoit  en  la  Foi.  in  v. 
s.  crois  :  Scicio  et  cupio  salut[eni]  peccatorum.  Ne  nos  deuons.  • 
nient  merueilhier  se  diab[les]  nos  tempte,  kant  il  uint  a  nostre 
Seignor  la  u  il  ère  es  desers  s'el  commenchat  a  tempter  ensi 
com  il  tist  nostre  promier  père  Adam.  Ilh  le  temptat  en  trois 
manières,  par  glotenie,  par  uaine  gl[ore]  et  par  auarize.  Par 
gl[otenie]  temptat  li  dy[ables]  Jhesu  Crist  quant  il  dist  :  57  (Mm 
dei  es,  etc.  Se  tu  es,  etc.  Mais  Jhesus  ne  fist  mie  ce  que  li 
dy[ables]  li  rouat,  ains  li  res[pondit]  mult  humlement,  por 
qu'il  par  humilitet  uoluit  uencre  celui  qui  par  orguelh  auoit 
uenkut  le  promier  hom,  et  si  dist  :  Non  in  solo  pane,  etc.  Li . 

•  Ves  =  ues,  yeux. 


—  28- 

hom,  etc.  Car  tuit  cil  qui  ensemble  Deu  uulent  uiure  tôt  ausi 
fatement  qu'il  paissent  lor  cors  de  pfain]  doi[e]nt  ilh  paistre  lor 
armes  de  la  parole  Deu.  La  parole  Deu  ce  est  p[ains]  dont  il 
dist  :  Ego  sum  panis  uiuus.  Je  suis,  etc.  Qui  de  cest  pain  arat 
mangiet  il  uiurat.  Mais  cant  ce  uit  li  dy[ab]les  qu'il  nel  uencoit 
mie  par  glot[enie],  si  le  prist  et  le  portât  sor  le  hatece  d'un 
mostier,  se  le  temptat  par  uaine  gl[ore]  et  li  dist  :  Se  tu  es  fiz  de 
Deu,  lai  te  ius  chaoir,  car  il  est  escrit  de  toi  :  Angelis  suis 
m\andauil]  de  [te],  etc.  Ilh  at  mandet  a  ses  a[n]gel[esj  k'il  te 
gardent  en  totes  tes  uoies.  Ilh  te  porteront  entre  lor  mains  que 
tu  ne  hurtes  ton  piet  a  la  piere.  En  tôt  ce  que  li  dy[ables]  temp- 
teuet  Nostre  S[eignor],  si  disoit  il  ades  :  Se  tu  es  t[\z]  d[e]  D[eu|, 
par  ce  qu'il  uoloit  sauoir  se  ce  estoit  ilh;  mais  Jhesus  li 
lies  pond  itj  si  atempreement  que  li  dy[ables|  en  remanoit  ades 
en  dotance  se  ce  estoit  il  u  non.  Encor  uuet  ce  faire  li  fel  de  la 
bone  *  qu'i  uolt  faire  de  nostre  sjeignor],  car  cant  ilh  uoît  un 
prodome  et  de  bone  uie,  com  plus  est  hait  montés  par  b[ones] 
veures  tant  se  paine  ilh  plus  uolentirs  de  lui  abatre.  Et  ke  doit 
dont  faire  li  prodom  quant  il  sent  que  li  dyjablcs]  le  uuet 
abatre?  Que  li  r[espondit  Jhesus Criz  quant  il  li  rouat  se  il  estoit 
f|iz]  d[e]  D[eu]  qu'il  s[oi]  l[aist]  ch[aoir]?  H  le  chosat  et  se  U  dist  : 
Ilh  est  escrit,  dist  Damredeus,  tu  ne  temptras  mie  ton  sjeignor]. 
Ausi  doit  li  prodom  le  dy[able]  choser  quant  ilh  l'ausaut.  Fel 
ennemis,  doit  ilh  dire,  se  De  plaist,  tu  2  ne  me  temptras  mie. 
La  tierce  fois  le  t[emptat]  li  dyfables]  par  auarfize]  quant  ilh  le 
portât  sur  un  hait  mont  et  se  li  mostrat  tos  les  règnes  del 
siècle,  totes  les  diuises  et  les  honors  et  se  li  dist  :  Totes  ces 
choses  te  donrai-ge  se  tu  m'ahores.  Et  nostre  s[ire]  li  r[espon- 
dit]  :  Vade,  Sathanas,  ilh  est  escrit  tu  ahorras  Deu  ton  sjeignor] 
et  a  lui  sol  seruiras.  Kant  li  dyjables]  uit  qu'il  estoit  uencus  en 
totes  ce[s]  trois  manières]  de  tempter,  il  fu  molt  hontos,  si  s'en 

1  11  y  a  après  bone  un  signe  que  je  ne  puis  déchiffrer.  Comparez  Job 
352.12  les  penses  des  bones.  M.  Foerster  corrige  boites  en  bons,  mais  il  y  a 
'peut-être  ici  une  abréviation  usuelle  :  des  bones  armes?  Comparez  bones 
pris  substantivement  (bonne  disposition;  dans  Godefroid. 

*  Manuscrit  te. 


—  29  — 


alat  et  li  a[n]gel|el  uinrent  a  Nostre  S|eignor]  sel  commenchie- 
rent  a  seruir.  Proies  li  huj  qu'il  cest  seruise  uos  laist  faire  en 
reste  s.  quarent[aine],  ke  si  qu'il  le  jeunat  por  *  nos  pechies 
que  nos  le  puisons  jeûner  a  nostre  petit  pooir,  si  qu'il  nos  tort 
a  remission  de  nos  pechies  et  par  Tapstinence  de  ceste  jeune 
puisons  uencre  les  t[emptations]  de  glotfenie]  si  com  ilh  uenki 
le  dy[able]et  ses  t[emptations]  Jhesu  Criz  Nostre  S[ire],  que  nos 
li  puissiens  rendre  grases  et  loenges  in  eterna  seculorum 
secula.  Amen. 


Sabbato  ante  se[clnd]an  uomimcam  epistola. 

Fratres,  rogamus  uos  corripite  inquietos,  consolamirii  pusilla- 
nimes, suscipite  infirmos,  etc.  Vne  gloriose  amonicion  nos  fait 
mes  sires  s.  Polz  en  une  de  ses  epistles.  Hh  [148  r.]  le  fait  a  nos  FoL  148  r. 
toz  2  comrnunament,  mais  plusemes  le  fait  ilh  a  nos  a  cui  est 
la  poestes  d'anunchier  la  parole  Damredeu.  Ilh  nos  dist  nostre 
huens  maistres  :  Frère,  chaslies  les  noisous,  confortes  ceus  de 
tloible  corage,  reciuez  les  malades,  soies  patient  a  toz.  Solonc 
diuerses  enfertes  nos  enseigne  nos  b[uens]  maistres  et  nos 
b[uens]  m  ides  mes  s[ire]  s.  Polz  diuersefs]  medicines.  Les 
noisous  nos  rueue  il  chastier,  qu'il  ne  périssent.  Ceus  de  floibe 
corage  nos  r[ueue]  il  conforter,  qu'il  ne  desperent  de  la  merchit 
de  Deu.  Les  malades  nos  r[ueue]  il  reciuoir,  cui  armes  sunt 
malades  par  pechies.  Soies,  dist  il,  patient  a  toz,  nez,  dist  il,  a 
noisous  et  as  malitios  sojes  p[atient],  ce  est  sofrant,  car  qui 
Tomme  chastie  trop  asprement  il  ne  l'enmiedre  mie  souentes 
fois,  ains  le  prouochet  a  mal  faire.  Voies  que  nus  de  uos  ne  :* 
rende  atruj  mal  por  mal.  Semper  gaudete.  Tôt  ades,  fait  il,  uos 
enioissies,  ce  est  :  aions  ades  ioie  en  Deu  et  nient  ioie  nule 
terriene,  si  que  nos  puissiens  biens  et  mal  *  tos  sostenir  por 

1  Manuscrit  par. 
f  Manuscrit  tôt. 
5  Manuscrit  tfe. 
4  Ou  malz. 


^ 


—  30  — 

l'amor  de  Deu.  Coin  de  ce  deuons  nos  ioie  auoir,  se  sûmes 
digne  de  sofrir  alcun  tort  por  l'aïuor  de  Deu!  Ores,  dist  li 
apostle,  sens  entrecessement.  Se  la  lengue  ne  puet  tant  orer, 
si  (h)ore  li  eu  ers  v  nos  ueures  soient  teles  qu'eles  orent  por 
nos  a  Deu,  et  ensi  porons  orer  sens  entrecessement  v  par 
lengue  u  par  cuer  v  par  bones  ueures.  En  totes  les  choses 
rendes  grases  a  Deu,  kar  cil  qui  les  tribulations  uos  enuoic  iih 
uos  enuoirat  les  consolations  et  les  prosperitez,  quant  il  uerrat 
que  mes  tirs  uos  en  iert,  et  Deus,  li  piuz,  li  merchiables,  ne 
uos  lairat  tempter  se  tant  non  que  uos  porres  sofrir.  Car  quant 
Damrcdeus  nos  enuoie  les  tribulations],  dont  nos  deuons  nos 
plus  fermement  a  lui  tenir,  car  nos  sauons  bien  que  par 
tribulations]  nos  conuient  paruenir  al  règne  del  chiel.  Car  ce 
qu'Adans  perdit  par  délit  et  par  orguelh  nos  couient  deseruir 
par  traualh  et  par  humilité,  al  aive  de  Jhesu  Crist  oui  est 
honors  et  gl[ore]  in  secula  s[eculorum].  Amen. 


DOMIMGA    II-  EPISTOLA. 

Uogamus  nos  et  obsecramus  in  domino  Jhesu  ut  quemadmodum 
accejnstis  a  nobis  quomodo  uos  oporteat  ambulare  et  placere  deo 
aient  et  habundetis  mag[is].  Li  apostle  nos  aprent  hui  en  la  lezon 
que  nos  deuons  fortement  estre  en  la  foit  et  en  la  uolente 
Damredeu  et  crestre  en  totes  les  bjones]  uertus.  Car  il  dist  : 
Frère,  nos  uos  prions  et  si  uos  rouons  de  part  Nostre  S[eignor] 
Jhesu  Crist  que  uos  aies  ensi  que  uos  Paues  apris  et  oït  de  nos 
comment  uos  deues  a  Deu  plaire.  A  ceus  dist  s.  Polz  :  Qui  la 
uolente  de  Deu  et  les  b[ones]  veures  font  qu'il  uoisent  si  qu'il 
plaisent  a  Deu,  car  cil  qui  en  la  uolente  de  Deu  mainent  cil 
uont  en  la  uoie  Damredeu.  A  ceus  est  Jhesu  Criz  uoie  dont  il 
m[eismes]  dist  :  Ego  sum  uia,  ueritas  et  uita.  Scitis  etiim  quae 
precepta  d[edi]  u[obis]  p[ro]  d[omino]  n[ostro].  Vos  saues  bien, 
dist  li  ap[ostle],  queis  commans  ie  uos  ai  doncs  por  Nostre 
S|  eignor]  Jhesu  Crist.  La  uolentes  de  Deu  que  ic  uos  commande 


—  31  — 

a  tenir  ce  est  nostre  *  senifications  et  senifte  :  il  retrait  Tomme 
de  toz  pechies.  Il  uos  commande  que  nus  de  uos  ne  boise 
l'autre  en  nule  manière;  kar  ki  uuet  estre  urais  amis  Damredeu 
il  ne  doit  mie  solement  de  maies  vcures  atenir  2  a  faire  mais 
encore  doit  molt  por  l'amor  Damredeu  son  corage  garder  de 
maies  pensées.  Car  Deus  H  drois  jugieres  ne  pardonrat  3  mie 
en  uain  les  maies  pensées,  si  com  il  est  escrit  en  l'evangil  :  Qui 
uidit  mulierem  ad  cont{upiscendum]  e[am]j[am)  m[aechatus]  est 
eam  in  c{ordé]  s[uo],  Ki  uoit  une  feme  si  la  conuoite  malement 
[148  v.]  at  il  en  li  pechiet  en  sa  pensée.  Teles  pensées  ne  teles  Foi.4S8v. 
cogitations  ne  remanient  mie  a  comparer.  Et  vos  qui  Deu 
aniez,  qui  sa  uolente  uoleis  maintenir,  qui  net  uoles  estre  en 
ceste  quarent[aine],  atenes  uos  et  si  uos  sostrahes  nez  de  uos 
loials  espouses,  par  que  uos  soies  de  toi  en  tôt  monde.  Ne  uos 
doit  mie  anoier  se  uos  en  ce  petit  de  tens  départes  uos  liz,  cor 
ciz  trauas  est  por  le  salut  de  l'arme  et  que  uos  puissies  si  entiè- 
rement jeûner  la  s.  xlne  quele  soit  a  Deu  plais[ant].  Entière- 
ment, di  ie,  kar  s'on  s'atient  en  ceste  s.  xloc  de  char,  De!  ne  se 
doit  om  miez  encor  atenir  de  luxure  !  Om  ne  doit  mie  juner  a 
moitié,  car  com  nos  le  ferons   plus  entièrement  com   nos 
porons,  si  serat  molt  petit  de  chose  enuers  la  xlne  Nostre 
Sfeignor]   Jhesu  Crist,   de    cui   nos  raconte   hui    mes  sire 
s.  Matheus  un  molt  glorious  miracle  et  si  dist  que  Nostre  S[ire] 
Jhesu  Criz  essit  fors,  si  s'en  alat  es  parties  de  Tyr  et  de  Sjdone 
t't  une  feme  de  celé  contrée  eissit  fors,  si  commenchiat  a 
huchier  après  lui  :  Miserere  mei  domine  fili  D[avî]d,  etc.  Aiez 
mercit  de  moi,  sire,  tiz  de  D[avi]d,  ma  filhe  at  el  cors  le 
dy[a]ble  qui  griement  le  tormente.  En  la  prière  de  ceste  feme 
poes  connoistre  la  grande  créance  qu'ele  ot  quant  ele  dist  : 
Aiez  merci  de  moi,  sire,  fiz  de  Dauid,  m[a]  f[ilhe]  at  el  c[ors]  ![e] 
dy[able]  qui  gri[ement]  le  t[ormente].  Ele  priive  la  santé,  a 

1  Manuscrit  :  après  nostre  :  satisfactions  biffé. 

-  Atenir,  abstenir;  ce  sens  ne  se  trouve  pas  à  l'article  afcm'r  dans 
(iodefroid. 

3  Ou  perdonrat;  l'abréviation  employée  pour  la  première  syllabe  peut 
signifier  par  ou  per. 


—  32  — 

vez  *  sa  filhe  et  si  ne  l'auoit  *  mie  auuec  H  amenée,  car  ele 
ereoit  bien  que  cil  cui  ele  priiue  pooit  bien  par  sa  soûle  parole 
et  par  son  soûl  commant  rendre  santé  a  sa  filhe,  car  ele  ereoit 
fermement  qu'il  estoit  cil  Deus  qui  de  soûle  parole  creît  3  tôt 
le  monde.  Et  uos  deues  ausi  croire  que  la  poestes  de  Deu  ele 
est  partot  :  v  que  nos  alons  Deus  nos  uoit,  que  que  nos  dissons 
Deus  nos  ot,  nez  ce  que  nos  pensons  ne  li  est  mie  celet.  Ceste 
feme  dont  ie  uos  di  ele  signefie  s.  église,  et  la  filhe  por  cui  ele 
prieuet  a  Deu  mercit  signefie  les  armes  de  pech[eors]  homes 
cui  li  dy[ables]  tormente  par  les  temptat[ions]  de  charnes 
désirs,  par  les  tempt[ations]  de  cest  siècle  qui  si  les  fait  amer 
les  choses  que  li  siècles  aime  qu'il  ne  s'en  puet  partir  ne  par 
prière  ne  par  manance  ne  par  prechement  que  *  s.  église,  qui 
lor  mère  est,  les  puist  faire.  Et  que  fait  dont'  nostre  piive  •* 
mère  s.  glise  de  ceus  cui  li  dy[ables]  tormente,  si  com  nés  puet 
atraire  a  lor  saluement.  Ele  prie  et  huce  a  Deu  Nostre  Sjeignor] 
que  ce  qu'ele  ne  nos  puet  faire  par  sa  doctrine  ne  par  son 
chastiement  (que)  li  pius  Deus  par  la  grase  del  s.  es  périr  Ir 
puist  deliurer  et  mètre  a  droite  uoie.  Car  se  il  i  at  nul  de  nos 
qui  sa  consienche  ait  enpirie  et  adamee  v  par  auarize  v  par 
orguel  v  par  haime  v  par  larenrenchin  v  par  aulcun  morte 
pechiet  <>,  par  uerite  sachies  qu'il  at  la  filhe  cui  li  dyfables] 
tormente.  Et  que  doit  dont  faire  cil  ki  celé  filhe  at  ki  le  dy[able] 
at  el  cors?  llh  li  conuient  querre  comment  sa  filhe  rarat  santé. 
V  trouera  il  cel  mide  ne  celé  médecine  qui  celé  filhe  puist  gatrir 
de  la  poestc  dy[ab]le?  Bon  mide  li  at  Deus  enuoiet  ce  est  le 
s[eignor]  de  poeste  1  qui  la  médecine  seit  trouer  dont  il  gèlera 

»  A  vcz  —  a  liez  (ad  opus)  en  faveur  de. 
*  Manuscrit  tien  auuct. 

3  Crrtl,  créa,  de  creier  prononcé  ereïr;  les  verbes  de  Tanc.  français  eu 
ia'  ont  dans  le  patois  wallon  actuel  l'intin.  :  en  i  (ir)  ex.  wal.  chergi  de 
chergier  Dial.  134.21. 

4  Manuscrite. 

5  Piiue,  fém.  de  pim. 
ft  Manuscrit  Parechiet. 

7  Le  texte  porte:  le  s.  depst';  peut-être  faut-il  lire  :  le  seignor  D?[u] 
prestre,  le  prêtre  du  seigneur  Dieu,  mais  cette  inversion  me  parait  invrai- 
semblable pour  notre  texte. 


—  33  — 

sa  tilhe  le  dy[ab]le  del  cors.  La  médecine  ce  est  confessions,  car 
maintenant  com  li  pech[ieres]  est  uenus  à  sainte  confess[ion] 
et  il  at  le  dy[ab]Je.  et  ses  ueures  gerpies  et  il  at  regehit  son 
creator  et  reconut,  maintenant  est  la  filhe,  ce  est  l'arme, 
deliuree  de  la  poeste  al  dy[ab]Ie.  Voies  dont,  seignor,  et 
s'a[449  r.Jprendes  par  ces  paroles  que  cil  qui  ce  fait  que  Deus  Fol.  149  r. 
hert,  qui  plus  aime  le  mal  que  le  bien,  qui  aime  et  maintient 
auarisce  et  orgucl,  enuie,  luxure  et  glotenie  et  les  altres  mortes 
pechies,  qu'il  at  le  dy[ab]le  el  cors.  Or  nos  dist  après  li  ew[an-] 
gelistes  que  Nostre  S[ire]  ne  r[espon]di  mie  la  bone  feme  al 
promier  huchement.  La  bone  feme,  quant  ele  uit  qu'il  ne  la 
r[espon]di  mie,  si  commencha  a  huchier  miez  a  miez  :  Aiez 
merci  de  moi,  s[ire],  fiz  de  Dauid.  Ces  paroles  sont  totes  plaines 
de  nostre  doctrine.  Nostre  S[ire]  ne  r[espon]di  mie  al  promier 
hucement  a  la  bone  f[eme],  nient  por  ce  qu'il  ne  fuist  piuz  et 
merchiables,  mais  por  ce  qu'il  nos  uolt  aprendre  que  quant 
nos  prions  a  Deu  et  il  ne  nos  acomplist  maintenant  nostre 
priire,  nos  ne  deuons  mie  maintenant  de  nostre  priire  cesser, 
car  ensi  uuet  Deus  esprouer  de  com  urai  cuer  nos  li  prions  ;  et  * 
ensi  fist  la  bone  feme  qui  priiue  la  santé  de  sa  tilhe.  Et  quant 
Deus  uit  sa  bone  foit  et  sa  bone  créance,  se  li  dist  :  Oi,  feme, 
molt  est  grande  ta  fois,  ensi  t'aueigne  com  tu  as  priet.  Et  main- 
tenant que  Deus  ot  dite  ceste  parole  si  fu  la  tilhe  sanee  et 
deliure  de  la  poeste  al  dy[ab]le.  Ensi  doit  faire  cescuns  de  uos  : 
il  doit  en  grant  humilité  Deu  prier,  huchier  et  nuit  et  ior  et  de 
buen  cuer  de  ci  a  tant  que  Deus  uuisl  *  saner  sa  filhe,  ce  est 
l'arme  puist  deliurer  des  maies  temptations  del  siècle.  Et  quant 
Deus  u errât  nostre  grant  desier  et  nostre  bone  foit  et  il  uerrat 
que  nos  orisons  et  nostre  b[one]  fois  ne  cesset  mie,  ne  nos 
hucheittenz,  si  arat  merci  de  nos  et  si  nos  ferat  en  cest  sicle 
rémission  de  nos  pech[ies]  et  en  l'autre  nos  donrat  la  ioie  de 
la  uie  parmanable,  li  piuz  salueres  Jhesu  Criz  ki  uit  et  regnet 
auuec  le  père  et  le  s.  espir  per  omnia  secula  seculorum.  Amen*. 

«  Vuist  a»  veuille,  formé  par  analogie  avec  puist;  là' forme  habituelle 
est  vuelhe\§[  v.  "    '  "         ....-,' 

Ton*  XLI.  c 


—  a4  — 


DOMIMCA  IIP  EPISTOLA. 

Fraters,  eslote  immitaloresdei  sicut  filii  karissimi  :eiambul[aie] 
in  dilectione  sicut  Christus  dU[exit]  uos  et  trad[idit]  semet  Upsum] 
pro  nobis  obl[alï)onem  et  hos^iam)  deo  in  odoribus  suauUaiis. 
Mes  s[ire]  s.  Polz  li  buens  prechieres  il  nos  somont  et  com- 
mande en  ceste  lechon  que  ie  uos  ai  dite  que  nos  ensîwons 
Jhesu  Crist  et  si  dist  :  Frère,  siuez  Damredeu  si  com  soi  chier 
filh.  Icil  est  Hz  Damredeu  qui  siere  le  puet,  mais  nos  semble 
grief  chose  ce  que  li  apostles  nos  rueue  que  nos  siwons 
Damredeu,  car  Deus  fist  tant  de  bones  veures  que  nos  ne 
porriens  faire,  ilh  ot  totes  les  bones  uertus  en  lui  que  nos  ne 
porriens  auoir.  11  jeunat  la  s.  xln*  a  un  mangier,  que  nos  ne 
porriens  ia  faire.  Il  sofrit  mort  et  passion  por  nos  qui  molt 
nos  seroit  grief  a  sofrir  por  lui.  Et  qu'est  ce  !  dont  que  li 
apostlfes]  dist?  Frère,  siwes  Damredeu  si  com  soi  chier  filh. 
Il  ne  dist  raie  que  nos  en  totes  les  choses  et  en  totes  les  uertus 
puissons  Damredeu  siere,  mais  de  ce  le  deuons  nos  siere 
qu'ensi  faitement  que  Deus  est  piuz  et  merchable  a  tos  ceus 
qui  de  buen  cuer  l'apelent  ausi  faitement  deuo[n}s  nos  estre 
merchiable  a  toz  ceus  qui  nostre  mercit  nos  requièrent.  De 
ce  aueis  une  molt  ouerte  auctorite  que  uos  dites  chescon  îor 
en  noster  pater  noster.  Et  d[imUte]  n[obis]  dfebita]  n[oslra\ 
s[icut]  et  nos  d[imiltimus]  d[ebitoribus]  n[ostris].  Ce  dites 
Foi.  U9  v.  [149  v.]  uos  a  Damredeu  :  Sire ,  lai  nos  nos  detes  si  com  nos 
les  laissons  a  nos  detors.  Ce  est  :  pardone  *  nos  nos  pechies 
si  com  nos  les  pardonons  a  ceus  qui  en  nos  ont  pechiet.  Veez 
que  uos  meismes  uos  jugies.  K'ensi  ait  merci  de  uos  que  uos 
aues  merci  d'atruj.  Et  quant  nos  arons  d'atrui  mercit  ke  nos 
uolons  que  Deus  ait  mercit  de  nos,  dont  siwons  nos  nostre 
père  Jhesu  Crist  si  com  soi  buen  filh,  qui  tant  nos  amat,  ce 
dist  li  apost[les],  qu  il  donat  son  cor  meismes  por  nos  offrande 

1  Manuscrit  quecê. 

9  Ou  perdone  comme  plus  haut. 


—  35  — 

et  sacrefice  Se  Deus  Hurat  son  cors  a  mort  por  nos,  et  nos  com- 
ment deuons  nos  les  nos  a  mort  lîurer  por  lui  qui  en  paine  et 
en  traualh  est  por  le  saluement  d'altrui  et  de  tos  ses  trauas 
atrait  ses  proimes  a  bone  uoie.  Ki  fortement  soi  combat  contre 
le  pechiet  et  les  désirs  charnes  et  ki  fer  stat  en  droiture  et  el  non 
de  Jhesu  Crist,  nez,  se  mestiers  est,  de  ci  k'a  la  mort,  icil  Hure 
son  cors  a  mort  por  Jhesu  Crist  si  com  il  liurat  le  sien  por  lui. 
Tant  nos  amat  ilh  nos  pius  Deus  Jhesu  Criz  qu'il  liurat  por 
nos  a  mort  le  sien  precious  cors.  Et  nos,  en  ceste  manière  que 
ie  uos  di,  deuons  le  nostre  cors  por  la  sowe  amor  liurer  a 
martyre,  ko  se  nus  nos  uoloit  oster  de  la  foit  Jhesu  Crist  que 
nos  anchois  deuriens  la  mort  reciuoir  que  son  nom  relinquir 
ne  puissiens,  si  com  fisent  li  s.  apostleet  li  s.  mai{t]re  qui  por 
l'amor  de  Deu  sofrirent  les  grans  martyres  el  commencement  de 
nostre  crcstienteit.  Mais  en  nos  contrées  n'est  or  nus  ki  so  * 
ociet,  bien  nos  list  amer  Nostre  Seignor  Jhesu  Crist  ki  tant  nos 
amat,  de  cui  nos  raconte  s.  Lues  li  ewangelistes  un  grant  miracle 
qu'il  fist  a  un  ior  quant  il  aloit  par  terre.  Cis  miracles  fu  mer* 
uilhosement  grans,  quar,  ce  dist  li  ewangel,  ce  fut  d'un  home 
cui  Jhesu  Criz  getat  le  dy[ab]le  del  cors.  Il  li  rendi  la  parole  car 
il  ère  muiaz,  il  li  rendi  la  lumière  car  il  ère  auogles.  Ces(t)  trois 
miracles  fist  Damredeus  en  un  soûl  home.  Et  por  coi  fist  il  ce? 
[1  le  fist  por  nos  enseignier  et  doctriner  car  si  com  dist  s.  Polz  : 
Quœcunque  scripta  sunt  ad  u[estram]  d[octiïnam]s{criplà\  a[unt],  etc. 
Tôt  ce  qui  est  escrit,  ce  dist  li  aposl[Ies],  est  escrit  por  uostiv 
doctrine.  Àprendes  dont  en  cest  miracle  ce  que  Deus  i  entend i. 
Cil  hom  qui  ert  muz  et  auogles  et  le  dyable  auoit  el  cors 
signefie  les  mesceans  2  et  les  maluais  homes  qui  ne  uuelent 
les  commandeme[n]s  Damredeu  par  eas  acomplir  ne  ries 
uuelent  escolter  des  orelles  de  lor  cuer,  car  il  nés  uuelent  mie 
entendre,  et  qui  molt  sunt  mut  et  taisant  de  la  parole  Deu  a 


1  So  est  placé  au-dessus  de  la  ligne.  Il  manque  évidemment  plusieurs 
mots. 

*  Ou  mescreans;  le  c  est  surmonté  d'un  signe  qui  peut  se  traduire 
par  e  ou  re. 


-  36  - 

anunchier.  Ilh  at  lo  dy[ab]le  uoirement  cl  cors  qui  les  com- 
mandemens  Damredeu  oblie  a  acomplir.  C'est  cil  qui  son 
corace  at  atornet  es  terrienes  ioies  et  es  charnes  desiers  que 
Deus  n'aime  mie,  de  cui  nos  parlons  en  une  altre  ewangel  de 
la  tilhe  a  la  bone  feme  qui  auoit  l'ennemis  el  cors.  Li  arme 
qui  en  maies  ueures  demore  ce  est  la  filhe  qui  Fanemis  at  el 
cors.  Ausi  signefie  cist  hom  qui  Fanemis  auoit  el  cors  la 
maluaise  arme  qui  Deu  n'aimet  ne  ne  croit,  mais  tos  iors  est 
en  mal  faire  et  en  mal  penser.  Mais  molt  i  at  de  ceus  qui  dient 
qu'il  croient  en  Deu  et  molt  Faiment  sor  totes  choses,  et  s'astoit 
drois,  et  si  ne  font  unques  chose  qui  Deu  soit  a  plaisir.  Mais 
Koi.  150  r.  cil  qui  mal  font  ilh  mentent;  [150  r.]  car  ces  dous  choses  ne 
forât  ia  nus  buens  crestiens,  Deu  amer  et  mal  ourer.  Car  s'il 
fait  mal,  il  fait  ce  que  Deus  heit;  s'il  fait  ce  que  Deus  heit, 
dont  n'aimet  il  mie  Damredeu.  Car  s'il  Fameue  parfitement,  il 
feroit  molt  enuis  chose  dont  il  se  coreceroit.  Car  es  terrienes 
amors  meismes  les  poes  molt  bien  conoistre  que  s'acuns  hom 
uos  mostreuet  bel  senblant  et  uos  desist  qu'il  uos  ameuet  et 
dont  uos  fesist  anuj  et  contraire,  uos  diries  tost  qu'il  ne  uos 
ameuet  mie,  ains  uos  traïssoit.  Tôt  ausi  est  il  cil  qui  mal  fait 
et  si  dist  qu'il  aime  Deu,  mais  ne  Fen  puet  traïr,  kar  Deus  seit 
totes  les  pensées  des  homes.  Ce  soit  en  sus  de  nos  que  ia  Deu 
n'amons  par  traïson,  mais  amons  le  uraiement  si  corn  nostre 
lige  saignor;  amon[s]  le  par  parole  et  par  veures,  amons  celuj 
qui  tos  nos  at  formes  a  sowe  ymagine,  par  cui  tos  li  mons  est 
crées,  qui  connoist  totes  nos  pensées  et  nos  cuers.  Amons 
celuj  par  grant  desier  qui  en  terre  paist  les  cors  de  nos  des 
fruis  qu'il  nos  tremet  par  sa  grant  bonté,  et  les  armes  de  nos 
at  asazies  del  pain  celestial,  ce  est  des  paroles  de  la  s.  ewangel 
et  de  la  doctrine  de  s.  glise.  Enforce  soi  dont  cescuns  de  uos 
en  cest  s.  tens  de  bien  faire  et  de  faire  veures  qui  a  Deu  soient 
acceptable],  et  se  uos  pennes  de  s'amor  uraiement  aconquerre 
que  uos  légèrement  et  netement  le  puissies  atendre  a  cest 
s.  tens  de  pakes  ki  uos  en  puist  rendre  bon  mérite  Jhesu  Cris 
Nostre  Sire  hic  et  in  eterna  secula  seculorum.  Amen. 


•  -  37  - 

DOHIXIOA    llll".    S.    JOHANNES. 

I 

Abiit  Jésus  tram  mare  Galilœœ  et  serfutbatur  illum  maxima 
turba  quia  v[iilebant]  s[igna]  q[uœ]  f[acicbat]  s[uper]  h[is]  q[ui} 
inf[irmabantur].  Es  paroles  de  la  s.  ewangel  deues  prendre  le 
confort  et  la  doctrine  de  uostre  saluement.  Si  com  dist  s.  Polz  : 
Quœcunque  siripta  sunt  ad  u[estram]  d[octrinam]  8[cripta] 
s[unt\,  etc.  Tôt  ce  qu'est  escrit  est  escrit  a  ves  uoslre  doctrine. 
A  ves  uostre  doctrine  uos  raconte  hui  H  ewanglistes  un  molt 
glorious  miracle  que  Nostre  S  [ire]  fist  a  un  ior  et  si  dist  : 
Jhesu  s'en  alat  ultre  la  mer  de  Gai  et  sel  siwoiet  grant  multi- 
tudine  de  gent,  car  ilh  ueoient  les  signes  et  les  miracles  qu'il 
faisoit  de  ceus  qui  malade  estoient.  Et  quant  Nostre  S[ire]  ot 
sus  son  chief  leuet  et  il  ot  ueve  *  la  grant  torbe  de  gent  qui  a 
lui  uenoient,  si  dist  a  s.  Philip[um]  :  Dont  achatrons  nos  des 
pains  que  cist  maniuoisent?  Se  li  demanda  por  ce  qu'il  l'en- 
saieuet,  car  il  sauoit  bien  li  piux  Deus  qu'il  auoit  a  faire. 
Oiez  la  grant  miséricorde  de  la  grant  dochor  de  nostre  salueor 
qui  songnieuet  de  ce  dont  il  paisteroit  ceus  qui  le  sivoient. 
Ceus  cui  il  paissoit  de  pain  spiritel  uoloit  il  ausi  paistre  de 
pain  terrien  et  corporel.  Dont  li  respondi  s.  Philipes  :  Sire, 
dist  il,  por  ce  d[enier]  n'aroies  tu  mie  tant  de  pain  que  ches- 
cuns  en  eust  un  petit.  Et  uns  de  ses  desciples  li  dist;  ce  fu 
S.  Andres  li  frères  S.  Piere  :  Ci  at,  dist  il,  un  enfant  qui  at 
v.  pains  d'orge  et  ii.  poissons,  mais  c'est  molt  pou  entre  tant 
de  gent.  Li  enfes  qui  les  v.  p[ains]  porteuet  signefie  le  puele 
des  juies;  li  v.  p[ain]  sign[efient]  les  v.  liures  Moyse  u  la  lois 
eret  escrile  que  li  pueles  des  juies  porteuet  et  si  ne  s'en  sole- 
uent  mie,  car  il  n'entendoient  les  misteres  ne  les  commans 
qui  estoient  enclous  en  la  uiez  loi,  qui  [150  v.]  nos  sunt  aouert  Fol.  iflo  t. 
et  reueleit  par  la  doctrine  de  Jhesu  Crist.  Ce  que  li  pain 
furent  d'orge  n'est  mie  sens  raison  car  uos  saueis  bien  que  li 
orges  est  de  tel  nature  et  si  fer  et  enclos  li  grains  en  la  pailhe 
qu'a  paine  sens  grant  trauailh  l'en  puet  om  fors  traire.  Si 
faite  estoit  la  uiez  lois  qui  si  astoit  et  li  spirituez  et  couers  sens 

1  Ueve  =.  veue. 


—  38  — 

ens  en  la  letre  que  nus  nel  pooit  entendre  se  par  la  graze 
non  et  par  la  doctrine  de  Jhesu  Crist.  Li  dui  poisson  signe- 
fjient]  les  psalmes  et  les  liures  des  prophètes,  car  li  poisson 
sunt  legier  por  user  et  si  font  aiwe  al  fort  pain  c'on  ne  le  pnet 
mangier.  Ensi  faitement  le  psalmes  et  li  liure  des  prophètes 
sunt  plus  legier  et  si  font  a  entendre  les  sacramens  de  s.  glise. 
Nostre  S[ire]  qui  bien  sauoit  que  il  f  uoloit  ourer  il  dist  a  ses 
desciples  :  Faites,  dist  il,  les  homes  aseoir.  Ensi,  ce  dist  li 
ewangelistes,  la  u  il  s'asisent  ot  molt  de  foink;  si  s'en  asisent 
bien  par  conte  .v.  mile.  Li  f[oînk]  u  sus  li  pueles  s'asist 
signefie  la  conuoitise  de  nostre  char  que  nos  deuons  escor- 
chier  et  restreindre,  et  ce  doit  faire  qui  qui  unques  se  uuet 
soler  des  spirituez  nourrissemens  :  il  doit  la  flor  del  f[oink] 
descolchier,  ce  est  il  doit  despitier  la  uolente  de  ses  charnes 
desiers,  il  doit  son  cors  destraindre  et  mètre  el  seruise  Dam- 
redeu.  Accepit  ergo  Jhesus  Christus  panes  et  cum  gratias  egisset, 
distribua  discumbentibus.  Jhesu  Criz  prinst  le  pain  com  il  oit 
grazes  rendues  a  Deu  del  chiel,  si  le  donat  a  ceus  qui  seoient. 
Il  rendi  a  son  père  grases  por  qu'il  nos  uolt  aprcndre,  par  que 
nos  tos  iors  rendisiens  a  Damredeu  grasces  des  biens  qu'il 
nos  tremet  par  sa  miséricorde  en  terre.  Et  quant  il  furent 
tuit  asaziet,  Jhesu  Criz  dist  a  ses  desciples  :  Recoilhies  cest 
relief  qui  ci  croist  *,  qu'il  ne  perisset.  Et  s'en  enplirent 
xu.  corbel.  Li  xu  corbel  signefient  les  xn  apostles  qui,  après 
ce  que  Nostre  S[ire]  ot  esposee  la  uies  loi,  prechierent  la 
s.  ewangele  a  tôt  le  monde.  Cest  bel  miracle  nos  fist  Damredeus 
cant  il  uint  anunchier  en  terre  nostre  saluement.  Mais  coni- 
sons  la  sue  uenue,  reconissons  nos  maluaistiez,  nos  félonies 
et  nos  pechies.  Enmialdrons  nos  maluaises  uies  par  s[ain]tes 
orisons,  par  uigiles  et  par  larges  almones.  Astenons  nos  cors 
et  amaigrissons  les  par  jeunes,  que  nos  puissons  estre  resolet 
de  la  gloire  que  deus  donrat  ases  a  ses  amis  par  Jhesum 
Christum  Nostre  Seignor  qui  règne  etc. 

1  Manuscrit  qu'il  iil;  iil  empiète  sur  la  marge  et  semble  une  addition. 
*  Pour  giest?  La  troisième  et  la  quatrième  lettre  ne  sont  pas  bien 
distinctes. 


—  39  — 

Ff.BIA  IIIl*  POST  IIII"*  DOH1N1CAM  EPISTOLA. 

Hoc  dicit  dominus  :  Lauamini  et  mundi  estote,  auferte  malum 
cogitalionum  uestrarum  ab  oculis  meis.  En  totes  les  escrilures 
qui  sunt  de  Deu  et  en  toz  les  sermons  c'on  fait  de  Deu  en 
s.  glise  uos  somont  [om]  hui  molt  dochement  que  uos  par 
confession  uos  espurgies  de  uos  pechies  que  uos  aues  fais  et 
que  uos  uos  en  laues  par  lermes  et  par  almones,  et  en  ceste 
lezon  com  ie  uos  di  ores,  nos  en  somont  H  prophète  molt 
apertement  qui  dist  :  Lauamini,  mundi  estole  etc.  Li  prophète 
ne  dist  mie  qu'il  nos  diet,  ains  dist  que  Deus  le  nos  commande 
par  lui.  Et  que  nos  commande  Deus  par  le  prophète?  Lauez, 
dist  Damredeus,  soies  net,  laues  uos,  dist  ilh.  Comment?  Par 
lermes  et  par  plors.  Soies  net  par  confession.  Cil  soi  leue  et 
s'est  nez  qui  deument  se  repent  des  mais  qu'il  at  fais  et  de 
mal  faire  se  gardet  après  la  confession.  Car  de  [151  r.]  celui  Fol.  iih  r 
qui  après  la  confession  reuat  a  son  pechiet  dist  S.  Pieres 
li  apostl[es]  :  Canis  reuersus  ad  suum  nomitum.  Ce  dist  qu'il  est 
li  chiens  qui  reuient  a  ce  qu  il  at  uomit.  Mais  se  nos  uolons 
que  Deus  obliet  nos  pechies,  dont  nos  conuient  il  que  souent 
nos  en  soueignet.  Souent  jeûnons,  souent  donons  almones  por 
nos  pechies;  por  que  Deus  les  puist  oblier;  maintenons  la 
doctrine  Jhesu  Crist.  Car  la  prophète  dist  :  Ostes  la  maluaistiet 
de  nos  pensées  en  sus  de  mes  ves  *.  Il  ne  nos  rueue  mie 
solement  oster  en  sus  de  nos  les  pechies  que  nos  auons  oureis 
mais  encor  les  maies  pensées  cant  il  dist  :  Ostes,  ostes  la 
maluaistiet  de  uos  pensées.  Et  les  maies  paroles  que  nos  auons 
parleis  nos  rue[ue]t  il  oster  deuant  les  ves  Damredeu,  ce  est 
que  nos  li  faisons  oblier  par  penance  et  par  confession  et  par 
almones.  Cant  il  meismes  Jhesu  Criz  dist  en  la  s.  ewangel  : 
De  omni  uerbo  ocioso  reddent  homines  rationem  in  die  jndicii. 
Ce  est  :  De  totes  les  visoses  paroles  rendderont  li  home  raison 
al  ior  de  jugement.  Et  se  Deus  nos  uoit  uraiement  renpentir 
de  nos  pechies,  il  les  oblierat  molt  uolentiers,  et  por  ce  uos 

1  Ves  =  ues,  veux. 

9       ma  ... 


—  40  - 

est  grans  mestirs  que  par  penance  et  par  s.  confession  li  faites 
oblier  les  pechîes.  Cil  ne  fait  mie  uraie  penance  ne  uraie 
confession,  encor  soit, ce  qu'il  en  soit  molt  dolans  et  molt  se 
duelhet  de  ses  malz  et  molt  en  plore ,  et  puis  après  la  con- 
fession et  la  penance  reuat  al  pechiet.  Si  corn  nos  uos  auons 
dit,  il  at  la  constume  del  chien  qui  reuat  a  son  vomissement. 
Mais  cil  fait  uraie  penance  ki  bien  et  uraiement  soi  repent  des 
pechies  qu'il  at  fais  et  iamais  ne  uuet  râler  al  pech[iet]. 
A  celui  dist  s.  lohans  :  Facile  ergo  dignos  fnictus  penit[entiœ]. 
Ce  n'est  altre  chose  :  Faites  dignes  frais  de  pénitence.  Corn 
se  gart  c'om  ne  rechaie  mie  après  la  confession  en  cel  mal 
raeismes  dont  om  est  en  penance,  mais  c'om  se  gart  bien  de 
cel  mal  et  de  tos  altres  et  face  om  ce  que  dist  Dauid  li  pro- 
phètes :  DiveHe  a  malo  et  fac  bonum.  Ja  ne  li  estuet  plus  grande 
parole  querre  qui  urais  confes  est  que  Dauid  dist  :  Esloinge  toi, 
dist  il,  del  mal  et  foi  le  bien.  Soiez  dont  tuit  en  cest  s[aint] 
tens  urai  confes,  uraiefment]  repentant  de  uos  pechies,  si 
quant  ce  uenrat  al  ior  del  juïse  que  Deus  les  ait  oblies  par  sa 
mise[ricor]de  et  uos  huchet  a  sa  destre  partie  auuec  ses  amis, 
Jhesu  Criz  Nostre  Sire  qui  uit  per  o[mnia]  s[ecula]  s[eculorum]. 
Amen. 

DOMINICA   IN   PASSIONS   EP1STOLA. 

Fratres,  Christus  assistais  pontifex  futurarum  bonorum,  etc. 
Ceste  lechon  que  ie  uos  di  s.  Polz  le  nos  dist  hui  en  ses 
ep[ist]les,  se  nos  dist  de  Jhesu  Crist  Nostre  S[eignor]  qu'i[l]  fu 
pontifex  des* biens  qui  erent  a  uenir.  Pontifex  ce  est  ansi  que 
princes,  et  se  l'apelons  pontifex  en  latin  por  ce  qu'il  fu  ansi 
que  pons  de  tos  les  biens  qu'il  anonchat,  cant  il  les  fist  deuant 
et  puis  ses  anunchat;  et  ensi  fist  il  de  lui  ausi  coin  un  pont 
quant  il  fist  promiers  les  biens  et  puis  si  les  nos  anunchat  par 
que  mies  le  creïssiens.  Il  est  uraiement  nos  pons  par  cui  nos 
deuons  passer  al  règne  del  chiel.  Cant  nos  fist  il  ce  pont  Jhesu 
Criz?  Quant  il  fu  miz  en  la  s.  crois  et  il  dist  par  angoisse  de 
mort  :  scicio  je  ai  soif;  dont  nos  fist  il  le  pont  dont  nos  deuotos 


—  41  — 

aler  al  règne  del  chiel  et  nient  soulement  aler  al  règne  del 

ciel  [151  v.]  mais  encor  deseruir  la  ioie  de  paradys,  se  nos  Foi.  m  v. 

uolons  les  commans  acomplir.  Molt  plus  amplement,  ce  dist 

H  apostl[es],  nos  at  il  la  uoie  mostree  al  règne  del  ciel  qu'il  ne 

fist  as  fiz  Isrel  par  la  doctrine  de  Hoysen.  Car  tote  la  uiez  lois 

ne  fu  s'ensi  non  Nombres  de  uerite.  Mais  Jhesu  Criz  li  buens 

pontifex  nos  aouurit  la  droite  uoie  de  nostre  saluement  par  la 

doctrine  des  s.  ewangiles  que,  se  nos  le  uolons  faire  tôt  ausi 

que  nos  le  trouons  lizant  (que)  nos  ne  poons  fallir  a  la  ioie  que 

Deus  at  promise  a  ses  amis.  Tant  par  est  gloriose  chose  des 

s.  ewangiles  :  qui  acomplist  les  commans  de  la  s.  ewangil 

(qu)'il  ne  puet  mie  fallir  a  la  ioie  de  paradys,  car  tos  nos  salue- 

mens  i  gîst  ens.  Mais  qui  la  s.  ewangil  ne  seit,  comment  en 

acomplirat  les  commans*?  Ne  die  nus  :  ie  ne  sai  que  ces  ewangil 

dient,  car  iel  feroie  uolentirs;  car  uraiement  tuit  les  doient 

demander  et  enquerre.  Car  astalet  sunt  (car  astalet  sunt)  qui 

anuncier  les  uos  doient  :  ce  sont  uostre  prestre  qui  par  dete 

les  uos  doient  anuncier,  et  uos  le  deuez  par  dete  escoter.  Car 

Deus  dist  a  ses  apostles  cant  il  se  deparlist  d'eaz  :  Euntes  (sic)  in 

mundum  uniuersum  predicare  evangelium  omni  créature.  Aies, 

dist  Damredeus,  par  uniuerse  munde  et  si  prechies  l'ewa[n]gile 

a  tote  créature,  ce  est  a  totes  les  manières  de  gens.  Et  ce  qu'il 

commandât  dont  az  apostles,  ce  nos  commandet  il  encor  a  faire, 

car  nos  uos  deuons  anunchier  les  paroles  -de  la  s.  ewangil, 

mais  pourement  en  esploitons  :  car  s'ilh  est  qui  l'anonce[nt],  om 

trueue  pou  qui  le  uuelhe[nt]  escoter;  s'il  est  qui  l'escolte[nt] 

petit  est  de  ceus  que  1  acomplisent.  H  est  petit  des  escoltors, 

si  corn  je  dis  ores,  car  cil  qui  la  parole  Deu  ne  uuelent  escolter 

il  ne  sunt  mie  de  Deu,  si  que  dist  meismes  Jhesu  Criz  en 

l'ewangile  que  nos  raconte  hui  mes  s[ire]  s.  Iohans  :  Qui  ex 

deo  est  uerba  dci  audit,  propterea  uos  non  auditis  quia  ex  deo 

non  estis.  Ce  dist  nostre  salueres  Jhesu  Criz  :  Qui  est  de  Deu 

il  ot  uolentiers  les  paroles  de  Deu,  mais  por  ce,  dist  il  az  jujers, 

que  uos  n'estes  mie  de  Deu,  por  ce  n'en  uoles  oïr  parler.  Ci  at 

une  paweroze  parole.  Solonc  ceste  parole  pense  chascuns  en 

son  corage  meismes  s'il  ot  de  Deu  parler  et  s'il  est  de  Deu.  Et 


—  42  — 

ne  doit  mie  solement  qui  de  Deu  est  oïr  Deu  parler,  mais 
penner  se  doit  par  tote  sentence  des  commans  Damredeu  acom- 
plir.  Il  nos  commande  Jhcsu  Criz  que  nos  deseruons  le  règne 
del  chiel.  11  nos  commande  que  nos  despitons  les  chaînes 
désirs  et  la  uaine  glore  de  cest  siècle  (a  despitier).  Il  nos  com- 
mande que  nos  ne  conuoitons  mie  altrui  chose  et  de  la  nostre 
propre  chose  donons  por  l'amor  de  lui.  Qui  ces  paroles  ot 
uolentirs  et  desierement  les  acomplist  cil  est  de  Deu  tôt  uraie- 
ment  et  Deus  at  en  lui  part.  Il  sunt  mainte  gent  qui  *  ia  ne 
uorroient  oïr  de  Deu  parler  et  tart  lor  est  que  la  messe  soit 
chantée  et  k'il  fuist  repairies  u  a  son  labor  u  a  la  uanite  del 
siècle,  et  plus  uolentirs  oroit  tos  tens  parler  des  batailhes 
Rolant  et  d'Oliuier  qu'il  ne  feroit  de  Nostre  Seignor  Jhesu  Crist, 
comment  il  soi  uint  combatre  en  tierre  encontre  nostre  mortel 
ennemis  le  dy[ab]le,  comment  il  nos  saluât  des  ténèbres 
d'enfer.  Et  se  sunt  li  plusor  qui  uolentirs  oient  les  paroles 
Damredeu  mais  il  unt  nul  desier  de  l'acomplir.  Et  si  sunt  li 
roi.  45a  r.  plusor  qui  uolentiers  oient  la  parole  [152  r.]  Damredeu  et 
grant  desier  ont  de  l'acomplir,  mais  il  reuont  puis  al  pechiet. 
Cil  qui  en  ceste  manière  oient  la  parole  Damredeu  ce  n'est  mie 
oïrs.  En  ceste  manière  les  oient  li  juier  de  cui  Nostre  S[ire]  dist 
en  l'ewangil  c'on  list  hui  :  Por  ce,  dist  il,  ne  uoles  oïr  de  Deu 
parler  que  uos  n'estes  mie  de  Deu.  Dont  li  respondirent  li 
juier  et  se  li  disent  :  De!  ne  disons  nos  bien  que  tu  es  sama- 
ritans  et  si  as  le  dy[ab]le  el  cors.  Deus,  aidies  !  Et  que  respondît 
Damredeus  a  ceus  qui  laidement  l'auoient  apelet?  Dont  dist  il 
a  ceus  :  le  n'ai  mie  le  dy[able]  el  cors,  mais  uos  l'i  aues?  Non 
il.  Ains  respondit  par  grant  sapience  et  si  dist  :  le  n'ai  mie  le 
dy[ab]Ie  el  cors,  mais  ie  honore  mon  père  et  uos  m'aueis 
desonoreit.  11  ne  desnoiat  mie  qu'il  ne  fuist  samaritans,  car 
samaifitans]  ce  est  garde  et  salueres  del  mont;  por  ce  ne  uolt 
mie  desdire,  mais  de  ce  soi  défendit  il  qu'il  n'astoit  mie,  kar 
il  li  auoient  dit  qu'il  auoit  le  dy[ab]le  el  cors.  Il  astoit  celé 
garde  de  cui  Dauid  dist  li  prophète  :  Nui  dominus  é[usiodehf] 

4  Après  qui  les  mots  mainte  gcnt  sont  répétés  et  biffés. 


—  43  — 

<{ivitatem]  f[rustra]  u[igilan(\  qui  ({mtodiunt]  t{am],  se  Deus 
ne  garde  la  citet,  en  uain  uoilent  qui  la  gardent.  Commandes 
H  dont  uos  cors  et  uos  armes  et  totes  uos  choses  que  (uos)  par 
son  greit  a  la  soi  honor  uos  laist  en  cest  mortel  siècle  auoir, 
qu'il  en  celé  garde  uos  mete,  qu'il  uos  défende  des  agaiz  nostre 
mortel  anemis  le  dy[ab]le  et  uos  conduise  a  celé  ioie  et  a  celé 
pais  que  Deus  donrat  a  ceus  qui  en  sa  garde  aront  esteit,  que 
cuers  ne  peut  penser  ne  boche  parler  ne  ueoir  velh  ne  oreilhe 
escoter.  Et  si  uos  laist  Deus  uiure  en  ceste  quarantaine  en 
jeunes,  en  uigiles  et  en  larges  alm[ones],  que  uos  si  uos  puis- 
sies  aparilhier  encontre  la  gloriose  pasion,  qu'ele  uos  tort  al 
saluement  des  armes  et  des  cors  si  que  uos  dignement  puissies 
es  maissons  de  uos  cuers  rechoiure  Nostre  S[eignor]  Jhesu 
Crist  a  cui  est  honor  et  glore. 

DOMINICA  IN    PALMIS   EPISTOLA. 

Fratres,  hoc  sentite  in  uobis  quod  et  in  Christo  Jhesu.  En 
ceste  epistle  que  ie  uos  di  nos  parole  mes  s[ire]  s.  Polz  del 
sacrament  de  la  passion  Jhesu  Crist  qu'il  soffrit  por  rachater 
le  puele  des  doleroses  paines  d'enfer,  car  il  dist  :  Frère,  ce 
sentes  en  uos  que  uos  sentes  en  Jhesu  Crist.  Ausi  com  il  desist  : 
Frère,  celé  humilité  que  uos  saues  que  Jhesu  Criz  ot  en  lui 
celé  aiez  en  uos.  Et  quele  humilité  ot  Jhesu  Criz  en  lui?  Il  uos 
dirat  après  :  Quod  cum  in  forma  dei  esset  etc.  Il  ot,  ce  dist, 
humilité  si  grant  en  lui  ke  ia  fuist  ce  en  la  forme  enguez  a  son 
père  et  il  astoit  li  sires  de  totes  créatures,  endont  *  s'umiliat 
il  tant  qu'il  uolt  prendre  et  uestir  la  forme  son  serf,  ce  est  del 
home  et  deignat  cstre  parchoniers  de  nostre  humaine  nature, 
por  ce  qu'il  nos  poïst  deliurer  de  la  parmanable  mort  d'enfer. 
Grande  uoirement  fu  ceste  humilités  qu'il,  por  ce  qu'il  poïst 
morir,  prist  mortel  forme;  car  ensi  qu'il  astoit  deuant  en  la 
nature  de  sa  diuinitet,  ne  nos  poïst  il  ia  par  sa  mort  rachater 
des  paines  d'enfer,  car  il  n'astoit  mie  corporel  chose  c'om  poïst 

4  Sans  doute  erreur  de  copiste  pour  encordant,  néanmoins. 


—  44  - 

tenir  et  ueoir.  Et  por  ce  s'umiliat  il  tant  qu'il  nostre  humaine 
forme  prinst  que  la  dampnation  v  Adanz  nos  auoît  mis  por 
Foi.  189  ▼.  l'obédience  qu'il  enbrisat  coue-[lo2  v.]-noit  destruire  et  com- 
parer par  angoisse  de  mort.  Mais  quant  li  piuz  pères  del  ciel  uit 
que  si  grant  dampnation  ne  poroit  destruire  nus  hom  mortez, 
il  enuoiat  son  chier  fil  en  terre  enz  en  la  uirgine  Marie  prendre 
nostre  char  por  celé  mortel  dampnation  destruire.  Il  destruisit 
la  glotenie  Àdan,  car  il  ieunat  xl  iors  es  desers  por  cel  sol 
mors  qu'Adans  fist  en  Ja  pume.  Il  uenkit  l'orguelh  Adan  par 
l'umilite.  11  soffrit  a  d errai n s  quant  il  ot  jeune  la  saine  xl"*  et 
il  fu  recinez  ensemble  ses  desciples,  que  Judas,  qui  astoit  des 
xii  apostles,  le  uendi  az  félons  juyers  por  xxx  pièces  d'argent. 
Et  quant  il  Tôt  uendu  et  il  l'ot  trahi,  si  soi  repenti,  mais  ne 
proiat  mie  merci,  ietat  ius  ses  d[eniers]  et  si  dist  :  Je  ai  pechiet, 
car  i'ai  trahit  le  iuste  sanc.  Et  il  soi  desperat,  car  il  ne  fu  mie 
dignes  de  urai  repentement.  Car  il  auoit  toz  iors  esteit  leres  et 
amasseres  des  biensfais  c'om  doneuet  as  poures.  Car  ce  sachies  : 
qui  tote  sa  uîe  n'at  fait  se  mal  non,  cant  ce'  uient  a  la  mort, 
il  n'cs[t]  dignes  de  urai  repentement.  Ausi  ne  fu  li  traîtres 
Judas  qui  par  desperation  soi  pendit,  car  il  ot  deliureit  Nostre 
S[eignor]  Jhesu  Crist  as  félons  qui  l'emmenèrent  deuant  Pilate 
et  sel  commenchierent  a  encuser  et  dire  qu'il  soi  clameue i  roi. 
Pylate  l'arainat'en  maintes  manières  et  com  il  ne  poist  en 
lui  nul  mal  trouer  sel  uolt  laisier  aler.  Et  cil  commenchierent 
a  crier  :  Se  tu  lai  cestui  aller,  César  ne  t'en  sarat  nul  greit. 
Cil  il  astoit  rois  et  quant  Pylates  oï  del  roi  parler,  s'ot  grant 
paor  :  Que  ferai  dont  de  cest  home  que  uos  auez  ci  amenet? 
Il  commencierent  a  crier  a  grande  uois  :  Crucefiez  le,  cruce- 
fiez  le.  Queil  mal  a  ilh  fait,  dist  Py[latjes,  c'om  le  crucetieroît? 
Et  cil  commencèrent]  miez  et  niiez  a  crier  c'om  le  crucefiast. 
Cant  Py[lates]  uit  qu'il  nel  poroit  deliurer,  il  le  deliural  as 
jujers  et  si  dist  :  Prendes  le,  dist  il,  et  sel  crucefiez  solonc  uostre 
loi.  Il  le  prisent  et  sel  commencierent  à  gaber,  se  li  courirent 
les  ves  et  se  li  doneuent  grans  colees  ens  en  la  face  et  el  roi 

1  Après  clameue,  le  texte  porte  deii  biffé. 


—  43  — 

et  si  disoient  :  Adeuine,  Jhesu  Criz,  qui  est  ce  qui  te  ferit? 
Pense  chascuns  de  uos  en  son  corage  se  nus  hom  terriens 
sofrist  ia  si  grant  honte  qui  si  bien  le  poïst  amender  com  fesist 
Dainredeus?  Car  il  meismes  dist  a  Pylate  :  Quides  tu,  dist  il, 
se  ie  uoloie,  ie  ne  poisse  rouer  mon  père  qu'il  m'enuoiast 
plus  de  xn  légions  d'angles  qui  moi  deljueroient  de  tes  mains? 
Mais  ensi  conuient  les  escritures  acomplir.  Cant  {  ce  orent 
fait  li  félon  jujer,  si  l'emmenèrent  el  mont  d'Oliuet  la  u  il  le 
crucefierent.  La  siwit  il  une  si  dure  procession  por  nos 
pecheors  qu'il  suât,  ce  dist  li  escriture,  la  suor  si  angoissouse 
por  paour  de  mort  k'ele  li  coroit  de  ci  en  terre  ausi  com  ce 
fuissent  gotes  de  sanc.  Et  se  crucefierent  ensemble  lui  por 
sauietet  .u.  larrons,  l'on  a  la  destre  et  l'autre  a  la  senestre.  Li 
uns  des  l[arrons]  disoit  a  Nostre  Sfergnor]  :  Se  tu  es  fiz  de  Deu, 
por  coi  ne  salues  tu  et  toi  et  nos?  Et  cest  contraire  et  plusors 
altrcs  disait  li  lerres  a  Nostre  S[eignor].  Et  li  altres  qui  a  sa 
destre  pendoit  respondoit  a  son  compaignon  :  Chaitis,  tu  ne 
dotes  mie  Deu  et  sa  uirtut,  qui  es  ens  el  perilh  de  mort.  Oiez 
del  buen  larron  com  buen  larenchin  il  fist  qu'il  ens  en  la  crois 
pendant  emblat  le  règne  [153  r.]  del  ciel.  Il  abaisat  la  uoiz  et  Fol.  453  r. 
si  dist  a  Nostre  S[eignor]  :  Sire,  ramembre  toi  de  moi  cant  tu 
uenras  en  ton  règne.  Nostre  S[ire]  li  respondit  par  grant 
dochor  :  En  uerite  le  toi  ie  [proftiets]  k'ui  en  cest  ior  seras 
ensemble  moi  en  paradys.  A  cest  larron  doient  prendre  confort 
luit  li  pecheor,  ki  si  tart  se  repentit;  confort  (il)  doient  il  pren* 
dre  de  la  merci  de  Deu  aconsiere,  mais  ne  doient  mie  prendre 
confort  de  si  tart  repentir,  ne  ne  doit  nus  pechier  en  sperance 
de  tart  repentir.  Car  Deus  maldit  l'orne  qui  pechct  en  espé- 
rance. Li  félon  juier  qui  entor  Damredeu  astoient  il  fléchie-1 
uent  lor  genos  a  terre  et  si  disoient  par  con[t]raire  :  Deus  toi 
sait,  rois  des  guiz!  se  tu  es  fiz  de  Deu,  descen  de  la  crois; 
si  toi  croirons.  Se  Damredeus  uolsist,  il  en  fust  bien  descen- 
dus, mais  il  uoloit  acomplir  l'ucure  que  ses  pères  H  auoit 
commandée  et  sel  uolt  mostrer  que  cil  qui  n'aroit  perseue- 


1  Manuscrit  car. 


—  46  - 

rance  ius  qu'en  la  fin,  ce  est  ius  qu'en  la  mort,  (qu)'il  ne  seroit 
mie  dignes  del  règne  del  chiel.  Et  por  ce  uolt  il  en  la  crois 
perseuerer  de  ci  en  la  mort.  La  sofri  il  si  grant  angoise 
qu'il  meismes  dist  a  ceus  qui  trespasseuent  par  la  uoie  :  O  uos 
omnes  qui  t[ransitis]  per  u[iam],  etc.  0  uos,  dist  il,  qui  tres- 
passes  par  celé  uoie,  entendes  et  si  uoies  s'onkes  nu  le  dolors 
fu  semblans  a  la  moi  dolor.  Si  angoisose  fu  sa  dolors  qu'il 
meismes  dist  a  son  père  del  ciel  ausi  qu'il  en  eust  paor  :  Deux 
métis  ut  quid  dereliquisti  me?  Mes  Deus,  mes  Deus,  dist  il,  as 
me  dont  relenqui?  La  v  il  estoit  en  celé  angoissose  dolor,  il  se 
tornat  a  ceus  qui  deuant  lui  esteuent  et  si  dist  :  Sicio.  Je  ai  soif, 
dist  il.  Il  auoit  soef  des  pecheors  qu'il  uoloit  traire  al  règne 
del  chiel.  Mais  ce  n'entendoient  mie  li  félon  gye,  ains  li  corut 
li  uns  de  ceus  aporter  un  molt  moluais  bojure,  fiel  et  aisit 
ensemble  melet,  et  quant  il  ot  sauret  n'en  uolt  goster.  Vns 
cheualirs  qui  unques  n'auoit  ueut  le  ferit  el  costet  d'une  glaiue 
si  que  li  sanz  et  li  aiguë  eiissit  et  uint  corant  tôt  aual  la  gleue 
de  ci  a  ses  mains,  et  quant  il  sentit  le  sanc,  il  inist  ses  mains 
a  ses  ves,  si  rechiet  la  lumière  et  la  lumière  del  ciel.  Ilh  ne  fu 
mie  solement  ralumes  des  vez  del  chief.  Celui  cui  il  auoit 
naureit  et  des  ves  del  cuer  conut  qu'il  astoit  cil  qui  astoit  uenuz 
rachater  le  munde  des  paines  d'enfer,  il  li  priât  merci  de  son 
pechiet  et  Damredeus  li  pardonat.  Voies  et  s'entendes  la  grande 
merci  Damredeu  qui  *  le  larron  qui  si  tart  soi  repentoit  recoil- 
hit  a  merci,  Longin(s)  pardonat  la  plaie  qu'il  li  fist  el  coste  de 
sa  lance  et  nient  solement  li  pardonat  mais  encor  li  rendi  la 
lumière  des  ves  quant  il  li  priât  merci,  saint 2  Pyere(s)  qui 
astoit  garde  de  tos  les  altres  pardonat  ce  qu'il  l'auoit  desnoiet, 
quant  il  plorat  amèrement.  Ces  trois  grans  confors  donat  Dam- 
redeus en  sa  passion  as  pecheors.  Et  quant  il  astoit  en  la  sainte 
crois  et  il  en  astoient  tuit  fuoit  soi  desciple,  mais  que  sa 
gloriose  mère  ma  dame  s.  Mjarie]  et  mes  s[ire]  s.  lohans  ewan- 
glistes,  il  regarda  sa  mère  docement  en  morant  et  ele  regarda 

4  Manuscrit  que. 
*  Manuscrit  sains. 


i 

s 


-  47  — 

[153  v.]  *  lui  tote  dotante  si  coin  mère  et  en  plorant.  Bias  Hz,  Foi.  153  y. 

dist  la  gloriose  dame,  por  coi  pens  tu  si  faitement?  De  !  n'es 

tu  Deus?  Et  Damredeus  li  respondi  :  Bêle  mère,  ce  est  por 

le  mortel  puele  qu  il  ne  uoist  en  perdicion.  Il  li  enseignât 

s.  Ioban  et  se  li  dist  :  Dame,  dist  il,  uois  ci  ton  fil,  ciz  serat 

tes  fiz  des  or  en  auant.  Puis  at  dit  a  s.  Johan  :  Johans,  uois  ci 

ta  mère,  ie  la  te  commant  a  garder  et  a  couerner.  Et  cant  il  ot 

ce  dit,  il  enclinat  son  chief  et  si  dist  :  Comummatum  est.  Con- 

summet  est  dist  il qu'il  rendoit  son  espir,  car  quant  il  ot 

rendu t  a  son  père  son  espir,  dont  diet  il  bien  dire  :  Consummet 
est,  car  dont  fut  consummet  et  complit  tôt  ce  que  les  prophètes 
auoient  de  lui  anunciet  des  al  commencement  del  siècle.  Com 
Nostre  S[ire]  ot  dit  qu'il  astoit  consummet  et  il  ot  rendut  son 
espir  a  son  père,  la .... .  lat  par  font,  li  iors  deuint  ténèbres 
car  li  soles  2  retrast  a  lui  sa  clarté  por  le  mort  Jhesu  Crist  et 
si  conut  son  creator,  et  plusor  mort  qui  auoient  giet  en  terre 
lonc  tens  soi  releuerent  et  aparurent  a  ceu(s)  de  la  cite.  Cant  ce 
oirent  auenir  cil  qui  la  astoient,  si  orent  grant  paor  et  si  com- 
mencierent  a  hucier  :  Uoirement  cil  hom  astoit  fiz  de  Deu.  Ce 
que  li  soles  obscurat  ce  signefie  que  li  gyu  erent  auogle  et  li 
defailhemens  del  sololh  signefie  lor  dampnation  qu'il  aront 
por  lor  auoglement.  Et  nos  qui  en  Damredeu  créons,  qui 
sûmes  apelet  crestien  Jhesu  Crist,  ki  conissons  et  bien  sauons 
que  la  gloriose  pasfsijons  nos  at  toz  deliureit  des  paines  d'enfer, 
ramemSrons  la  si  dignement  que  se  nos  tort  a  remission  de 
nos  pechies.  Nos  ne  deuons  mie  mener  ioie  et  desduis  en  ces 
iors  que  cil  qui  nos  créât  toz  et  fist  il  a  soi  ymagene,  sofrit  si 

grant  dolor  et  si  grant  passion  por  nos cuers,  cant  uos 

orez  ramembrer  la  passion  Jhesu  Crist  Nostre  S[eignor].  Plorent 

1  Le  verso  du  f.  153,  le  dernier  de  notre  texte,  est  fort  endommage  par 
l'humidité  ou  le  frottement  et  récriture  en  est,  par  endroits,  très  difficile 
à  lire  ou  complètement  effacée  :  les  lacunes  sont  indiquées  par  des  points. 
Le  sermon  qui  commence  au  bas  du  feuillet  étant  le  dernier  de  la  série, 
on  peut  supposer,  d'après  sa  longueur  probable,  qu'il  ne  manque  qu'un 
feuillet  à  notre  manuscrit. 

*  Ou  solos. 


—  48  — 

H  velh  de!  chief del  cuer,  aies  compassion  de  si  grant 

dolor  que  nostre  salueres  sofrit  por  nos  en  ceste  penose 
samaine,  qui  droit  at  nom  penose,  car  en  li  fu  pennes  Dam- 

redeus Cest  s[aint]  tens,  que  nos  dignement  puissons 

atendre  sa  sfainte]  resurexion puissons  estre que 

parmi  foit  et  karite  et  parmi  pacience  et  humilité,  nos  uuelh 

releuer  (releuer)  de  la  mort  dei  pechiet  a  la  uie humilité 

dont  il  nos  at et  sa  grant  pacience sens dont 

humle  et  soffrant  si  que  fu  Jhesu  Crist qui  tant  nos  amat 

qu'il  ne  nos  racbatat  mie  ne  d'or  ne  d'argent  del d'enfer, 

mais  de  son  precious  sanc.  Se  li  prions  qu'il  nos ioie  qui 

est  promise  az  amis  Deu  in 

lN   CENA    D0N1NI   EP1ST0I.A. 

Conuenientibus  uobis  in  unum,  etc.  Mes  s[ire]  s.  Polz de 

la  gloriose  cène  v  Deus  soi  recinat  ensemble ses  apostles 

cant  il  ot  ieunet es  desers.  Celé  cène  tient  hui  tote  la 

crestientes  en  grant  mémoire  et  en  grant  ueneration,  car  Nostre 
S[ire]  meismes  le  commandât  a  ses  apostles,  car  il  dist  :  Ego 

exemplwn 

Cœtera  deswtt. 


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