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MÉMOIRES COURONNÉS
ET
AUTRES MÉMOIRES
PtTBLltff PAR
l'académie royale
DU SCIER CES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BKI.GIQCE.
COLLECTION l!«-3\— TON* XLI.
BRUXELLES,
F. HAYEZ, IMPRIMEUR DE 1,'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, ETC.,
ET DE L'ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE DE BELGIQUE,
rue de Louvain, 108.
Octobre 1888.
]
HISTOIRE NATURELLE
DES
BALÉNOPTÈRES,
PAR
P.-J. VAN BENEDEN,
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE.
(Présenté à la Classe des sciences dans la séance du 40 mai 1887.)
Tome XLI.
HISTOIRE NATURELLE
DES
BALÉNOPTÈRES,
PAR
P.-J. VAN BENEDEN,
ME M BRI: DE L'ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE.
(Présenté à la Classe des sciences dans la séance du 10 mai 4887.)
Tome XLI.
WSTOIRE NATURELLE
DES
BALÉNOPTÈRES
LES BALÉNOPTÈRES.
De tout temps, les baleiniers ont fait la distinction entre les
Baleines, les Mégaptères et les Balénoptères, c'est-à-dire entre
les Right wales, les Humpback et les Finback, qu'on appelle
aussi Vinfisch.
Les naturalistes n'ont connu ces distinctions que fort long-
temps après les baleiniers. Les récits de ceux qui avaient
observé ces animaux étaient généralement incomplets, et les
musées, même les plus importants, étaient dépourvus de restes
de ces animaux.
Linné confondait, dans le genre Balœna, tous les grands Céta-
cés qui portent des fanons. Lacépède a proposé le nom de
Balénoptère pour ceux qui ont une nageoire sur le dos.
Cuvier croyait à l'existence de deux espèces de Balénoptères :
l'une, de la Méditerranée, représentée par le squelette de l'ani-
mal échoué en 1798 à l'île S^-Marguerite et dont la tête, avec
quelques os, est conservée au Muséum de Paris ; l'autre, de la
mer du Nord, d'après un animal jeté, en 1819, sur la côte du
Holstein, et dont le squelette complet est conservé au Muséum
de Berlin. Le troisième squelette, que Cuvier connaissait éga-
(4 )
lement, est celui qui est conservé à la maison de ville de
Brème; et comme il provient d'un animal de petite taiHe,
échoué à l'embouchure du Weser, Cuvier le croyait un jeune
de l'espèce précédente.
Il y avait pour Cuvier un Rorqual de la Méditerranée et un
Rorqual du Nord. Le grand naturaliste avait préféré le moi
Rorqual, donné par les Norvégiens à des Baleines qui portent
des tuyaux sous la gorge; il croyait à l'existence d'une Jubarte,
espèce supposée sans plis sous la gorge.
Cuvier n'avait pas assez de matériaux à sa disposition quand
il a écrit ses Recherches sur les ossements fossiles des Cétacés,
et ce n'est que quelques années plus tard, que feu mon ami
Eschricht a commencé ses intéressantes publications sur les
Cétacés. Grâce surtout aux précieux et nombreux squelettes
et fœtus que son ami Hollbôl! lui envoyait du Groenland,
le savant naturaliste de Copenhague a fait connaître les princi-
pales espèces de Balénides, en même temps que les caractères
sur lesquels elles reposent.
Eschricht a fait faire un pas immense à la Cétologie, en
démontrant que le nombre de vertèbres est le même dans le
jeune âge qu'à l'âge adulte, que celles-ci ne se soudent pas à
un âge avancé, après avoir été séparées d'abord, et que tous les
caractères de l'adulte se trouvent déjà dans le fœtus.
En même temps le savant naturaliste de Copenhague a fait
voir, ce que l'on semblait également ignorer, qu'il existe une
Balénoptère de petite taille, ne dépassant pas 30 pieds de
longueur, qui n'a pas plus de quarante-huit vertèbres, qui
a des fanons jaunes et des nageoires pectorales à moitié blan-
ches, et que c'est elle qu'Othon Fabricius a eu l'occasion d'ob-
server en vie pendant son séjour au Groenland.
Depuis les travaux de Cuvier, il a été reconnu également que
la Balénoptère de la Méditerranée est l'espèce commune de
l'Atlantique, et, dès 1836, nous avions signalé sa présence sur
la côte d'Islande, d'après des caisses tympaniques que Gaimard
avait rapportées de son voyage au Nord.
Nous voilà donc en présence de deux espèces bien distinctes,
(5)
la Baiœnaptera musculus et la 'Balœnoptera rostrata, auxquelles
vient s'en joindre une troisième de taille moyenne que Cuvier
avait cru être la seule espèce du Nord : c'est la Balwwptera
borealis.
Les deux premières pénètrent de temps en temps dans la
Méditerranée, surtout la seconde. Comme nous le verrons plus
loin, ces Balénoptères se distinguent parfaitement les unes des
autres par leurs caractères extérieurs, aussi bien que par leur
genre de vie et leur taille.
On connaît aujourd'hui une quatrième espèce, la plus grande
de toutes, que Pierre Camper avait déjà mentionnée sous le
nom de Steypireydr, et qui fréquente les courants glaciaires à
coté de la Baleine franche; c'est l'espèce qui atteint la plus
forte taille puisqu'elle a jusqu'à 80 pieds de longueur; Gray a
proposé de la nommer Bakpnoptera Sibbaldii.
Après Eschricht, c'est à M. Flower que nous devons les prin-
cipaux progrès accomplis dans cette étude. Le savant directeur
du British Muséum s'est occupé particulièrement des individus
échoués sur les côtes d'Angleterre, et il a largement contribué
à faire disparaître les nombreuses erreurs qui avaient été intro-
duites dans la Cétologie.
M. Flower a fait connaître aussi divers faits anatomiques
intéressants, parmi lesquels nous devons citer la composition
du bassin de ces animaux et les caractères propres aux os
nasaux.
Schlegel ne croyait pas devoir admettre plus d'une espèce
dans les mers septentrionales.
On trouvera plus loin le nom de ceux qui ont également
contribué à mieux faire connaître ces Cétacés.
Le genre Balœiwptera peut se caractériser par la nageoire que
l'animal porte sur le dos, par les membres pectoraux qui sont
petits, par les fanons qui sont courts et par des tuyaux ou plis
que l'animal porte sous la gorge et qui s'étendent jusqu'à l'abdo-
(6)
men. Il se distingue en même teiftps par la tête, qui a le quart
de la longueur du corps, par le rostre qui est très peu courbé,
comme par les vertèbres cervicales qui sont toutes séparées.
Comme caractère distinctif des espèces, nous croyons pou-
voir accorder une grande valeur aux fanons : la Balœiioptera
Sibbaldii a les fanons d'un noir bleuâtre uniforme; la. Balœ-
iioptera musculus a les fanons verdâtres ou pâles, avec des
lignes pâles dans toute la longueur ; la Balœiioptera borealis a
les fanons noirâtres avec les barbes blanches et soyeuses; la
Balœnoptera rosirata a les fanons d'un jaune pâle.
La femelle des Balénoptères est en général plus grande que
le mâle, comme dans les autres Cétacés à fanons.
L'accouplement, comme la parturition, a lieu en hiver; la
gestation paraît être de dix à douze mois. En venant au monde,
lq jeune a le quart de la longueur de la mère *.
Le jeune accompagne sa mère jusqu'à ce qu'il ait la moitié
de sa taille.
La Balœnoptera Sibbaldii parait faire exception pour la durée
de la gestation aussi bien que pour l'époque de l'accouplement
et de la parturition.
D'après une observation faite au détroit de la Sonde, par le
professeur Giglioli, les Cétacés qui nous occupent seraient
également sujets à l'albinisme.
Le système nerveux, à l'âge embryonnaire, a été l'objet de
recherches importantes au laboratoire de zoologie de l'Univer-
sité de Liège, par le Dr Guldberg 2 de Christiana, et le cerveau
de l'adulte a été étudié avec soin par M. Beauregard 3. Cette
1 Les vraies Baleines, comme les Céiodonles, oui le tiers de la longueur de
la mère en naissant.
* Guldberg, Ueber das Centralnervensystem der Rartenicale. Christiania,
1885. (Christianta videnskab Forhandlinger, 1885, u° 4.) — Guldbergï
Ueber die Grossen- und G eivichtsverhà Unisse des Gehirns bei den liarten-
walen... Meddelelser fra den Naturhistoriske Forening i Kristiania, 1885.
5 Journal d'anatomie et de physiologie, t. XIX, 1883.
(7)
étude a conduit l'aide naturaliste du Muséum de Paris au
même résultat auquel Broca était arrivé, c'est-à-dire, que les
Cétacés, par la conformation du cerveau, se ramènent à un
type peu différent de celui des Solipèdes et des grands
Pachydermes.
Les Balénoptères, comme les autres Cétacés à fanons, se
distinguent par le développement de leur lobe olfactif des
Cétacés à dents.
Le larynx des Balénoptères présente également un caractère
qui ne se trouve pas chez les Cétodontes, mais qui leur est
commun avec tous les Cétacés à fanons : il est pourvu d'une
poche, sac laryngé, qui peut au besoin se remplir d'eau et dont
le calibre est assez grand pour avoir été confondu avec l'intes-
tin. Ce sac laryngé semble représenter les poches des évents
des Cétodontes et Peau qu'il renferme peut se mêler à l'air au
sortir des évents.
L'intestin des Balénoptères se distingue aussi par un cœcum
qui n'existe pas dans les vraies Baleines, et, dans ces derniers
temps, MM. Beauregard et Boulard ont fait connaître les parti-
cularités de leur appareil génito-urinaire *.
Chez certaines Balénoptères il existe une tendance particu-
lière à la bifidité de la première côte. C'est à tort que des
zoologistes avaient cru devoir accorder une certaine importance
à cette disposition qui est purement individuelle.
Les pêcheries de la côte de Finmark ont fait connaître en
partie les mœurs de ces animaux.
Le régime n'est pas le même dans les différentes espèces de
Balénoptères; les unes poursuivent surtout les bancs de Mal-
lotus, de Harengs ou de Gades : la Balœnoptera musculus et la
Balœnoptera rostrata ; les autres se repaissent de Crustacés assez
petits; leur estomac en est toujours plein sur la côte de
Finmark : dans la Balœnoptera Sibbaldii, on trouve YEuphrasia
1 Journal d'anatomie et de physiologie, 1862.
(8)
menais (Thysanopode), dans l'autre, la Balœmptera borealis,
le Calanus finmarchicus.
Les baleiniers s'accordent à dire que la voracité des Balé-
noptères est si grande que, quand elles se trouvent au milieu
d'un banc de Mallotus, elles ne s'occupent pas plus d'un stea-
mer qui approche que du vent qui ride la surface de la mer.
Il est à remarquer que ces dernières espèces de Balénoptères
ont des fanons noirs : la Balœmptera borealis avec les barbes
toutes fines et blanches, la Balœnoptera Sibbaldii avec les
mêmes barbes grosses et noires.
Chaque espèce souffle et respire à aa manière, et les balei-
niers distinguent fort bien à distance les espèces qui apparais-
sent sur l'horizon. En général, on peut dire qu'elles se tiennent
dans une position horizontale en venant à la surface, qu'elles
respirent trois ou quatre fois, puis plongent en levant la queue
hors de l'eau. Les baleiniers disent que c'est la Balœnoptera
Sibbaldii qui relève le plus la queue, la Balœnoptera musculus,
le moins.
Sur les côtes de Finmark on voit ordinairement la Balœ-
noptera Sibbaldii dominer; mais en 1885, c'était la Balœnoptera
borealis. Cette dernière ne compte dans les années ordinaires
que pour un sixième.
Les Balénoptères émigrent toutes périodiquement.
Les Balénoptères, comme les Harengs, et sans doute comme
bien d'autres animaux marins, émigrent à la même époque de
l'année, mais ne pénètrent dans certaines régions que pour
autant qu'elles y trouvent certaine pâture dont la présence
dépend de la température de l'eau. On a fait depuis longtemps
l'observation, que les Baleines franches descendent plusbas sur
la côte de Labrador que sur la côte du Groenland; les glaces
sont plus abondantes du côté de l'Amérique que du côté opposé.
On a observé que les Balénoptères atteignent une latitude
plus élevée dans l'Océan glacial, en automne, quand les eaux
sont chauffées pendant les mois d'été, qu'au printemps. En mai
on ne les voit pas au delà de 75°,4S, tandis qu'en septembre
elles remontent jusqu'à 78° (Leslie).
(9)
M. Alfred Cocks a rencontré des Balénoptères en automne
1882, au 1er septembre, tout près des glaces (la température de
l'eau était de 1.3° au-dessus de zéro). Elles n'étaient que trois
ou quatre; le 3 septembre suivant, il en aperçut encore deux à
la latitude de 75°,28', l'eau était à peine au-dessus de zéro.
M. Alfred Cocks ne sait dire le nom de l'espèce qu'il a eu sous
les yeux; cela peut être la Balœnoptera Sibbaldii et les moins
grandes des M eg optera, dit-il.
Nous avons publié une Notice sur la distribution géogra-
phique des Balénoptères, dans les Bulletins de l'Académie*, en
tenant compte surtout des échouements, qui ont eu lieu depuis
les côtes de Norvège jusqu'aux côtes de Portugal, comme
à l'intérieur de la Méditerranée et de la Baltique. Mais ces
échouements ne nous ont rien appris ; en général, comme Ta
dit Eschricht, ces animaux n'échouent que sur les côtes qu'ils
ne visitent guère.
On voit apparaître les Balénoptères tous les ans vers le mois
de mai dans l'Atlantique ; elles se rendent, les unes vers la
mer de Baflin, les autres vers l'Islande et la mer de Barentz,
où elles restent pendant les mois d'été; au mois d'août elles
abandonnent ces parages pour se rendre dans des eaux plus
méridionales.
On a remarqué que la Balœnoptera museulus arrive la première
sur les côtes de Finmark et la Balœnoptera Sibbaldii la der-
nière; la B. museulus se montre parfois déjà à la fin de l'hiver.
Sophus Hallas a indiqué, dans une intéressante notice, les
observations qu'il a eu l'occasion de faire sur les Cétacés des
eaux d'Islande. Ha vu \di Balœnoptera Sibbaldii, que les Islandais
appellent Steypireydr, depuis le 16 juin jusqu'au 15 septembre,
et une autre espèce dont il ne dit pas le nom et qui est proba-
blement la Balœnoptera museulus.
1 2« série, l XLV, mars, lh78.
( 10 )
On a longtemps péché les Baleines sans songer à faire la
chasse aux Balénoptères ; on ne poursuit guère les Balé-
noptères, observait Holbôll, gouverneur du Groenland ; leurs
fanons sont sans usage, l'animal donne peu d'huile et leur
péçhe est difficile.
Les vraies Baleines ayant considérablement diminué par-
tout, on a songé à mettre à profit les steamers et la poudre
pour faire la chasse aux Balénoptères, et, en 1865, une Compa-
gnie anglo-américaine a commencé la pêche de ces Cétacés
dans les eaux de l'Islande. Cette Compagnie a poursuivi cette
industrie pendant 1863, 1866 et 1867.
Le capitaine Bottemanne, qui dirigeait cette pêche, m'écrivait,
à la date du 17 juillet 1868, qu'il se trouvait quatre espèces de
Balénoptères dans les eaux d'Islande, dont une lui était moins
bien connue que les autres, qu'il avait préparé le squelette de
celle qui est connue sous le nom de Steypireydr.
Vers cette époque, un pêcheur norwégien, M. Sven Foyen,
après avoir fait la chasse aux phoques dans les eaux de Jan
Meyen, o\x il avait capturé jusqu'à 22,000 individus en une
saison de deux mois, a commencé la chasse aux Balénoptères
sur les côtes de Finmark, et, grâce aux perfectionnements
qu'il a apportés successivement aux projectiles, il existe aujour-
d'hui des établissements sur toute l'étendue de la côte de
Finmark.
Les steamers sortent le matin, soit de Vadsô, soit d'un autre
port des environs, et ils reviennent le même jour ; rarement
ils quittent les lieux de pêche sans avoir capturé une Balé-
noptère. Ils remorquent le corps jusqu'au chantier, oh l'on
enlève ses fanons, sépare la graisse, et transforme ce qui reste
en guano de Baleine.
Au début de cette pêche on ne chassait que la grande espèce,
la Balœnoptera Sibbaldii; aujourd'hui on ne néglige même pas
la Balœnoptera musadus, qui donne le moins de profit.
Les premières années qu'on se livrait à cette chasse dans le
Varanger-Fiord, ces animaux y étaient si abondants pendant
les mois d'été, que la surface de la mer paraissait par moments
(11)
en ébullition; les navires osaient à peine se hasarder au milieu
de cette surface vivante, qui s'étendait à perte de vue. On y
prenait régulièrement des individus qui n'avaient pas moins de
quatre-vingts pieds de longueur. En même temps, ces Cétacés
se laissaient tous approcher sans fuir, comme partout ailleurs
où les animaux se trouvent pour la première fois en face de
l'homme.
Aujourd'hui ces Cétacés ne pénètrent plus guère daqs ce
Fiord, et ceux que l'on chasse à l'entrée n'atteignent plus guère
toute leur taille ; ils sont devenus très farouches ; on ne les
approche que bien difficilement, mais les engins sont plus per-
fectionnés et les steamers mieux appropriés a leur destination.
Pendant l'été de 1871, le capitaine Sven Foyen a capturé
38 Balénoptères, en 1875, 48, en 1879, ce nombre s'élève à 81,
en 1881, il atteint 104.
M. Alfred Cocks rapporte que, sur 406 Balénoptères capturées
en 1883 sur les côtes de Finmark, il y avait 175 B. Sibbaldii
et le restant moitié B. musculus et B. borealis.
Indépendamment de ces trois espèces, on voit de temps à
autre dans ces mêmes parages la petite espèce, la Balamoptera
rostrata et la Megaptera boops.
On a remarqué, avons-nous dit plus haut, que c'est la grande
espèce qui remonte le plus haut, puisqu'on la trouve jusqu'au
milieu des glaces à côté de la Baleine franche.
Ces différentes espèces sont-elles confinées dans ces parages,
comme le sont les vraies Baleines, où les voit-on encore dans
d'autres mers ?
Nous venons de voir que, dans notre hémisphère, la grande
Balénoptère n'a guère été observée que dans les parties les plus
septentrionales de l'Atlantique. Mais est-elle confinée dans ces
régions ?
Contrairement aux Baleines véritables, les Balénoptères sont
probablement toutes cosmopolites, et on trouve les quatre
formes de nos régions septentrionales, aussi bien dans l'Atlan-
(12)
tique méridionale, que dans l'océan Pacifique, la mer des
Indes et l'océan Austral.
On voit des Firtbacks dans toutes les mers, dit le capitaine
Jouan i. Nous en avons rencontré, dit-il, dans l'Atlantique
nord et sud, dans la Méditerranée, en grande quantité aux
environs des Iles Malouines, à la côte du Chili, au Cap de
Bonne-Espérance, dans les eaux de Madagascar, dans la mer
d'Oman, dans le golfe de Bengale, au Japon, etc. Le capitaine
d'Urville et, plus récemment, le professeur Moseley, en signalent
un grand nombre dans les mers du pôle austral.
Partout on parle de quatre espèces différentes par la taille
aussi bien que par les caractères extérieurs.
Depuis longtemps nous avons été frappé de voir une petite
Balénoptère, décrite et figurée par le capitaine Scammon,
hanter l'océan Pacifique, ayant tous les caractères de notre
Balœnoptera rostrata. La taille, la couleur et tout le squelette
sont si semblables, que nous n'avons pu nous empêcher de
dire que notre petite Balénoptère se trouve également dans
la mer Pacifique. Nous avons été étonné ensuite de voir
cette petite espèce dans l'océan Austral avec tous les mêmes
caractères.
Et si une espèce est répartie dans les deux hémisphères, les
autres, sans en excepter la Megaptera, ne peuvent-elles pas être
dans le même cas?
Nous connaissons déjà le Cachalot qui hante les deux hémi-
sphères, comme plusieurs Ziphioïdes et certains Cétodontes;
parmi les Ziphioïdes nous pouvons citer, outre le Cachalot,
le Ziphius cavirostris comme le Micropteron Sowerbyi (Oulodon);
parmi les Cétodontes, le Globiceps mêlas et YEudelphinus delphis.
Partout où, jusqu'à présent, on a réuni des observations sur
les espèces de Balénoptères, nous le répétons, on a remarqué
qu'il y a quatre formes, différentes par la taille et par les carac-
tères extérieurs et intérieurs, et qui correspondent aux quatre
formes de l'Atlantique septentrional.
1 H. Jouan, La chasse et ta pécho des animaux matins, Paris-
(13 )
Le capitaine Scammon parle de quatre Balénoptères au nord
de la Californie, dont la petite, comme nous venons de le dire,
a tous les caractères de notre petite espèce, et la grande, ceux
de notre Balœnaptera Sibbaldn. La petite espèce y est désignée
sous le nom de Balœnoptera Davidsoni, la grande, sous celui de
Sulpkurbottom (Sibbaldnts Sulfweus, Cope).
Cette dernière se trouve aussi bien dans l'Atlantique que
dans le Pacifique, dit le capitaine Scammon.
La Balœnoptera mnsculus y porte le nom de Balœnoptera
velifera.
M. Burmeister a recueilli, pour son Musée de Buenos- Ayres,
des squelettes qui se rapportent également à trois de nos
espèces.
Mon fils avait remarqué trois squelettes de différentes Balé-
noptères au Musée de Buenos- Ayres, et avait reconnu l'analogie
qu'ils présentent avec ceux des Balénoptères de nos parages * . La
grande espèce correspond à notre Balœnoptera Sibbaldii; elle y est
désignée sous le nom de Balœnoptera inter média; la Balœnoptera
musculus y est représentée par la Balœnoptera pataehonica, et la
troisième, la Balœnoptera rostrata, par la Balœnoptera bonœremis.
Les squelettes du cap Horn qui se trouvent aujourd'hui au
Muséum de Paris se rapportent aussi parfaitement à nos espèces
européennes.
Nous en dirons autant pour les squelettes que M. Anderson
a réunis pour son Musée à Calcutta.
M. Anderson distingue trois espèces de Balénoptères dans la
baie de Bengale : outre la grande, de 84 pieds (Balœnoptera
indica), il en connaît une de 60 pieds (Balœnoptera blytkii), et
une de 40 pieds (Balœnoptera edenii).
Il est question aussi d'une tête et de vertèbres d'un animal de
30 pieds, conservées au Musée de la Société asiatique *.
1 Si le sternum de la Balœnoptera rostrata a des caractères particuliers,
ces caractères ne sont que des exagérations de dispositions qui se trouvent
déjà dans notre Balœnoptera rostrata.
1 Calcutta asiatic Society' s Muséum. Tête et vertèbres d'une Balénoptère
de 50 pieds de long (par G. Swibtox, 1836).
( 14)
Ainsi ces quatre formes se retrouvent également dans la
mer des Indes, et parmi elles figure l'espèce qui dépasse
80 pieds comme notre Balœnoptera Sibbaldii.
M. Anderson accorde à la grande 84 pieds et fait mention
d'un individu capturé en 1851 à la latitude de 19° N, on Juggu
or Amherst Islet, qui porte au Musée de Calcutta le nom de
Bal. indica. On a cité un individu de la môme taille dans la
mer Rouge.
Dans ces dernières années, le Muséum de Paris a reçu des
squelettes du Japon, que nous avons pu comparer avec les
nôtres, et nous n'avons aucun doute sur la présence de la petite
et de la grande espèce dans les eaux du Japon, la Balœnoptera
rostrata et la Balœnoptera Sibbaldii. Le Muséum a reçu égale-
ment du Japon une tête et des fanons qui se rapportent fort
bien à notre Balœnoptera musculus. Quant à la quatrième espèce
de ces mêmes parages, nous en connaissons depuis longtemps
les squelettes, dont on a fait la Balœnoptei'a Schlegelii.
Nous trouvons également quatre formes dans l'océan Austral,
qui correspondent parfaitement aux nôtres par la taille comme
par les autres caractères.
M. James Hector * et d'autres naturalistes de la Nouvelle-
Zélande ont fait la même observation sur ces Balénoptères,
et, depuis longtemps, nous avons fait remarquer que la petite
Balénoptère (Balœnoptera huttoni) de la Nouvelle-Zélande a tous
les caractères de notre petite espèce.
A Melbourne, on conserve, dans les collections de l'Univer-
sité, les fanons et le squelette d'une Balénoptère de 90 pieds,
qui a été jetée sur la côte de Vittoria. Les fanons sont noirs,
larges de 18 pouces et longs de 28 (Giglioli). Ce sont bien les
caractères de notre grande espèce.
Sur la côte sud-est cFOtago, une autre Balénoptère de très
grande taille a échoué en 1873. Le capitaine Hutton en fait men-
tion dans les Transactions de la Nouvelle-Zélande (vol. VII).
M. Knox fait mention de trois espèces de tailles différentes,
1 Trans. New Zealand Institute.
(45)
dans les eaux de la Nouvelle-Zélande, qui correspondent par-
faitement aux nôtres : une de 80 à 100 pieds, que Ton a désignée
sous le nom de Rorqualus major, une de 30 à 35 pieds, le Sul-
fitr-Bottom, et une troisième de 25 à 30 pieds, le Rorqualus
minor *•
J. von Haast a fait mention de la petite Balénoptère, dont un
mâle a échoué le 8 février 1880, on the Summer Beach, et qu'il
n'hésite pas à rapporter à notre Balœnoptera rostrata. Du reste,
nous en avons pu comparer un squelette qui est conservé
au British Muséum.
Les squelettes et les ossements séparés de la Nouvelle-
Zélande, reçus dans ces derniers temps au British Muséum,
confirment complètement ces appréciations.
Le capitaine F. W. Hutton, en parlant de la flore et de la
faune de la Nouvelle-Zélande, dit que Tune et l'autre sont si
particulières sous ces régions australes, qu'elles forment une
province distincte du reste du monde ; cela peut être vrai pour
les plantes et les animaux terrestres, mais cela n'est pas exact
pour les animaux marins, pas plus pour les Cétacés que pour
les poissons. Nous venons de voir les mêmes Balénoptères éga-
lement au nombre de quatre, et à celles-là, nous pouvons ajouter
le Cachalot, le Ziphius cavirostris, le Micropteron Sowerbyi,
le Globiceps melas> les Eudelphinus delphis, auxquels, il est
probable, nous pourrons en ajouter bientôt d'autres. Nous
sommes loin de l'époque où le capitaine Hutton écrivait :
sur treize Cétacés de ces parages, se divisant en six familles,
les deux tiers appartiennent exclusivement à la Nouvelle-
Zélande.
Le Challenger a rapporté divers ossements recueillis au milieu
du Pacifique, dans une station remarquablement riche en restes
de Cétacés *; parmi eux se trouvent plusieurs caisses tympa-
niques, et le professeur SirTurner n'a pas hésité à les rapporter,
1 Kkox, Proc. New Zealand Instituts.
% Station 286, laU 33°29' S., long. 133°22' W., 16 octobre (875, à 2,335
brasses.
( 16 )
les unes à la Balœnoptera rostrala, les autres à la Balœnoptera Sib-
baldii. II y a des os d'une troisième espèce encore indéterminée.
Et ce n'est pas seulement à l'époque actuelle que nous voyons
ces différentes formes se répéter dans la mer de nos antipodes
comme ailleurs; si nous remontons de l'époque actuelle à
celle qui nous a précédés, nous voyons le même phénomène
se reproduire ; à la fin de l'époque tertiaire, ces quatre formes
principales ont laissé leurs ossements dans le Crag des environs
d'Anvers, et les ossements fossiles recueillis dans les environs de
Buenos-Ayres offrent la plus complète ressemblance avec eux *.
Mon fils a rapporté des vertèbres avec une caisse tympanique
que Ton ne saurait distinguer de celles de notre Crag.
Dans les Enchaînements du monde animal, nous trouvons une
observation semblable faite sur des Mammifères terrestres : en
parlant des Hyènes, M. Albert Gaudry fait remarquer que
V Hyène tachetée des temps actuels correspond à YUyena perrieri
du Pliocène, Y Hyène brune, à YHyena eximia de Pikermi, et
YHyène rayée, à YHyena arvernensis de Perrier.
Les Balénoptères sont peu hantées par les commensaux et
les parasites ; elles n'hébergent ni des Cyames ni des Cirri-
pèdes; on ne trouve sur elles qu'un Copépode du genre Penella,
sertie par la tête dans l'épaisseur de la peau, et un autre
Copépode, du genre Balœnophilus, sur les fanons.
Comme parasites, nous ne connaissons qu'un Echinorhynque
assez commun dans l'intestin, et nous possédons un Botrio-
cephale recueilli également dans l'intestin, mais dont nous ne
connaissons pas encore le Scolex.
11 est assez remarquable que la Baleine franche ne se couvre
que de Cyames, la Mégaptère de Diadema, les Balénoptères
de Penella.
1 Bullt tin de l'Académie royale de Belgique, :2e série, t. XXXV, 1873,p.775.
BAL/ENOPTERA ROSTRATA.
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(18)
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cembre 1884.
I, Note sur une jeune Balœnoptera capturée près de
Fécamp. Comptes rendus, Soc. de Biologie, tome f, 37 novembre 1885.
(19)
HISTORIQUE.
La Balœnoptera rostrata de Fabricius, qui n'est pas la Balœna
rostrata de Linné, comme nous le verrons plus loin, est
connue depuis les temps les plus reculés ; il en est fait mention
dans les plus anciens manuscrits des Islandais. Le mot Tika-
gulik, sous lequel les Esquimaux la désignent, correspond assez
bien avec celui de Tschikagulik, que les habitants de l'Amé-
rique russe donnent à une petite Baleine du détroit de Behring ;
cette analogie de noms est intéressante à plus d'un titre : elle
semble indiquer des relations anciennes entre les populations
du Groenland et celles qui occupent aujourd'hui les régions
de l'Alaska ; elle montre clairement, en outre, que les habitants
des côtes de l'Amérique russe ont cru retrouver, dans la petite
Balénoptère du détroit de Behring, le même animal qui vit dans
les eaux du Groenland et que Fabricius a fait connaître sous le
nom de Balœnoptera rostrata.
Mais si les pêcheurs distinguaient bien cette espèce des autres
Balénoptères, il n'en était pas de même des naturalistes. La
confusion la plus complète a régné dans les livres, jusqu'au
jour où l'on a commencé à conserver les squelettes de ces
animaux en vue de pouvoir les comparer.
Cuvier et surtout Eschricht ont été les premiers à reconnaître
que la connaissance des Cétacés n'était possible qu'à cette con-
dition; les matériaux qu'il reçut du Groenland permirent à
Eschricht d'affirmer que la Balœnoptera rostrata de Fabricius
n'est pas la Balœnoptera rostrata des auteurs; il put définir
nettement les caractères distinctifs de l'espèce et empêcher
ainsi toute confusion ultérieure.
Linné n'a pas connu cette Balénoptère; mais 0. Fabricius,
pendant son séjour au Groenland (1768-1775), ayant eu l'occa-
sion de l'étudier et croyant reconnaître en elle la Balœna ros-
trata de Linné, l'a désignée sous ce nom. C'était une erreur de
la part de Fabricius, mais le nom qu'il a attribué à cette espèce
de Baleine lui est resté.
(20)
Fréd. Martens a parlé ensuite de cet animal sous le nom de
petite Baleine (kleine Walvisch); mais c'est à John Hunter que
Ton doit les premières observations anatomiques. Le savant
anatomiste anglais a eu l'occasion de disséquer une femelle,
qui avait été capturée au Doggersbank dans la mer du Nord ;
John Hunter a fort bien reconnu que cette petite Baleine est
la même que 0. Fabricius avait connue au Groenland.
Bonnaterre a fort bien caractérisé cet animal d'après les
écrits du savant missionnaire danois, et Lacépède en a parlé
également sous le nom de Balénoptère à museaupointu ; Lacépède
avait connu un jeune animal qui avait été pris, en 1791, dans
la rade de Cherbourg. C'est la moins grande des Balénoptères,
dit Lacépède, et elle ne parvient qu'à une longueur de 8 à
9 mètres. La gravure, dont Lacépède accompagne le texte, est
faite d'après un dessin que sir Joseph Banks lui avait envoyé
de Londres.
Cette figure de Lacépède représente un gonflement extraordi-
naire de la langue et de la cavité de la bouche, dû sans doute
à la poche du larynx que l'on a comparée à une vessie natatoire.
A l'époque où Cuvier s'occupait des Cétacés, on ne possédait
aucun ossement de cette espèce dans les collections, et la
Balénoptère à museau pointu fut considérée à tort comme un
animal n'ayant pas atteint toute sa croissance. On voit clai-
rement ici les services que les collections doivent rendre à la
science. Les directeurs des Musées sont les conservateurs des
archives qui sont mises à la disposition du public.
A la séance du 21 avril 1834 de la Société royale d'Edim-
bourg, le Dr Knox fit un rapport sur la dissection d'une jeune
Balœnoptera rostrata, et ajouta des observations fort intéres-
santes sur l'anatomie d'un fœtus de Mysticetus *.
H. Knox eut l'occasion d'étudier un jeune animal de 9 à
10 pieds de longueur, capturé près de Queensferry (Baie du
Forth) ; il reconnut facilement, par le nombre de ses vertèbres,
l'espèce que 0. Fabricius avait désignée sous le nom de rostrata.
1 Journal l'Institut, 1834, p. 336.
(21 )
Depuis le siècle dernier, on possède à Bologne une tête bien
conservée, dont Hondini et d'autres avaient fait mention.
Le professeur Capellini en a fait l'objet d'un travail spécial
et il a cru devoir en faire une espèce nouvelle, qu'il a dédiée à
Mondini.
Postérieurement aux recherches du professeur Knox, d'Edim-
bourg, Eschricht reçut de son ami Holbôll, gouverneur du
Groenland, des matériaux immenses se rapportant à la plupart
des animaux marins qui visitent la côte du Groenland, et parmi
lesquels se trouvaient plusieurs squelettes d'adultes et sept
fœtus, dans l'alcool, dont deux mâles et cinq femelles de la
Balamoptera rostrata; ces fœtus variaient en longueur depuis
8 jusqu'à 78 pouces.
Dès ce moment la cétologie entre dans une phase nouvelle ;
ce qu'on ne peut voir dans le ventre ou la poitrine d'une
Balénoptère, sans le secours d'échelles et de marchepieds pour
arriver aux viscères, on peut le disséquer dans son cabinet
quand on a un fœtus sous la main ; aussi Eschricht démontre
d'abord que, sous le même nom, on a désigné des espèces bien
différentes les unes des autres, que la B. rostrata ne dépasse
pas 30 pieds de longueur, que Fabricius Ta très bien connue,
qu'elle n'a pas plus de 48 vertèbres dans sa colonne vertébrale,
que son sternum est en croix latine, que ses fanons sont de
couleur jaune, et que la nageoire pectorale porte un chevron
blanc sur un fond noir.
On peut dire que c'est depuis les travaux de l'illustre céto-
logue de Copenhague que cette Balénoptère a été définitive-
ment reconnue.
En 1884, nous avons fait connaître qu'une nouvelle Balœ-
noptera rostrata venait d'être capturée dans la Méditerranée.
A la séance du 21 novembre 1885 de la Société de biologie
de Paris, M. Beauregard a communiqué une note sur une jeune
Balénoptère, capturée près de Fécamp. C'est le même animal
dont j'avais entretenu l'Académie à la première séance du mois
de septembre. La Balénoptère de Fécamp est une femelle de
3»,75.
( 22 )'
Le Muséum de Paris a reçu un très bon moulage de eet
animal, et son squelette est conservé au Musée du Havre.
M. Perrin, démonstrateur d'anatomie au King's Collège à
Londres» a décrit une jeune femelle, capturée en avril 1870 à
Neumouth, dont la longueur était de 13 pieds 8 */a pouces.
Il ajoute deux dessins représentant les nageoires pectorales
avec leurs muscles en place, vues du côté dorsal et du côté
opposé *.
M. Juliri a publié un travail fort intéressant sur l'ossification
du maxillaire inférieur et la constitution du système dentaire
du fœtus 9.
Au mois de novembre 1860 a échoué, au sud-est de Crower,
une Balénoptère de 25 pieds de longueur, que le professeur
Flower a fait connaître 3. C'était un mâle. Son estomac était
plein de débris de poissons, qu'il croit être des cod-fish (Gades).
Il était presque adulte , à en juger par les épiphyses. Tout le
squelette est décrit avec soin par le savant Directeur du Bri-
tish Muséum.
M. James Hector fait mention de deux têtes provenant du
nord de Cook street et qui ressemblent, dit-il avec raison, à
celle de la Balœiioptera rostrata. Il accorde 7 pieds de longueur
à la mandibule. C'est la Balœnoptera Huttonii de Gray.
Dans le courant de Tannée, M. Guldberga publié un mémoire
intéressant sur la biologie des Balénoptères du nord atlantique;
ce travail renferme plusieurs observations intéressantes sur
cette espèce. Nous avons mis ces nouveaux faits à profit, notam-
ment dans le chapitre où nous traitons du genre de vie et des
phénomènes de la parturition.
Le professeur Burmeister a réuni, dans son Musée de Buenos-
Ayres, les squelettes de différentes Balénoptères, parmi les-
quelles nous en trouvons une petite qui a tous les caractères
de notre petite espèce si bien décrite par Fabricius.
1 Perrin, Notes on the anatomy of Balœnoptera rostrata. Proc.zool.Soc.,
décembre 1870.
1 Archives de Biologie, vol. 1, 1880.
• On a lesser Fin-Whale {Balœnoptera rostrata, Fabr.), recently stranded
on the Norfolk coast. Proc. Zool. Soc., may 1864.
(23)
En 1873, une Balénoptère de 16 */a pieds, ayant 48 vertè-
bres, les fanons blancs et le sternum en croix, a été capturée
sur les côtes de la Nouvelle-Zélande [Otago Heads). Le profes-
seur Hutton en a donné une figure et, plus tard, le professeur
von Haast en a publié une description en joignant à la descrip-
tion une figure du sternum. Gray lui avait donné le nom de
Balœnoptera Huttonii, et J. von Haast a rapporté ce même ani-
mal à notre Balœnoptera rostrata. Il résulte de ces faits que la
petite Balénoptère, à 48 vertèbres, habite également les deux
hémisphères.
Le capitaine Scammon a décrit une petite Balénoptère du
Pacifique, sous le nom spécifique de Davidsonii qui, dans notre
opinion, est synonyme de Balœnoptera rostrata.
SYNONYMIE.
Cette espèce, la plus petite de toutes, est désignée sous les
noms les plus différents. Nous pourrons les énumérer ainsi :
Balœna rostrata, 0. Fabr.
Balœnoptera acuto-rostrata, Lacépède.
Borqualus minor, Knox.
Pterobalœna minor, Eschricht.
Balœnoptera rostrata, Gray.
— Eschrichtiiy Rash.
— Davidsonii, Scammon.
— Mondini, Capellini.
— Bonœrensis, Burmcister.
— de Huttoni, Gray.
Cette même espèce est encore désignée par des noms vul-
gaires :
Baleine d'été. Côte de Norwège.
Piked Wahle. PennanL
Liitle Finner Pike Whale des baleiniers anglais.
Tikagulik, des Groëolandais.
Vaagehval, des Norwégiens.
Zwsrgwhal, des Allemands.
(24)
La Balœnoptera Davidsonit de Scammon est bien, comme il
le soupçonne, semblable à la Balœnoptera rostrata d'Europe,
quoiqu'elle habite les côtes de Californie. « This species is evi-
» dently congeneric with the Balœnoptera rostrata » dit avec
raison le capitaine Scammon *.
La troisième Balœnoptera musculus de Pal las, qui n'a que
22 */g pieds de longueur, est sans doute une Balœnoptera ros-
trata.
La Balénoptère à museau pointu de Lacépède (pi. VIII) est
bien l'espèce désignée sous le nom de Balœnoptera rostrata.
La Balœnoptera Huttonii de Gray n'est qu'une rostrata.
La Balœnoptera rostrata est regardée, sur les côtes de Massa-
chusetts, comme une jeune Balœnoptera musculus.
CARACTERES.
Il n'y a pas d'espèce plus facile à caractériser ; elle ne dépasse
guère 30 pieds de longueur, quoiqu'on en ait vu de 36 ; la
nageoire pectorale a un chevron blanc; les fanons sont toujours
de la même couleur jaune pâle ; la colonne vertébrale compte
48 vertèbres; le sternum est en croix latine; les côtes sont au
nombre de 41.
On la reconnaît toujours parfaitement à l'extérieur au che-
vron blanc qu'elle porte sur les nageoires pectorales.
Dans un certain nombre de squelettes, on voit des coales-
cences entre les corps ou lés apophyses de quelques vertèbres,
le plus souvent entre les cervicales; mais ces dispositions n'ont
aucune valeur sous le rapport systématique.
Parmi les individus qui sont venus à la côte, nous en trouvons
un qui n'a que de 9 à 10 pieds, cinq qui ont de 15 à 17 pieds,
quatre de 24 à 25 pieds et un seul de 29 pieds. Le premier, de
9 à 10 pieds, vient de naître, et les autres, de 14 à 15 pieds,
1 Cap. Scammon, On a new species of Balœnoptera. Proc. of the cal. A ca~
demy of sciences, octobre 1872.
(25)
c'est-à-dire la moitié de la taille de la mère, viennent sans doute
de la quitter. Les jeunes se séparent de la mère à l'âge de deux
ans. Ils ont encore la moitié à gagner pour atteindre la taille
adulte.
Le squelette le plus fort que nous ayons vu, est celui du
Musée de Stockholm, qui a été obtenu par échange du Musée
de Bergen. Un autre squelette d'un animal très fort se trouve
au Musée de l'Université de Liège. Il vient également de
Bergen.
On accorde généralement 30 pieds de longueur à cette espèce ;
mais, à en juger par la longueur du jeune en venant au monde,
longueur qui est de 9 pieds d'après Eschricht, cet animal,
à l'âge adulte, doit atteindre jusqu'à 36 pieds. Nous avons vu,
du reste, certains squelettes qui confirment cette dimension
comme taille naturelle.
ORGANISATION.
M. Charles Julin a consigné, dans les Archives de Biologie,
des observations du plus haut intérêt sur la constitution du
système dentaire d'un fœtus de cette espèce. Les dents rap-
pellent plus ou moins les dents adultes des Squalodons.
Nous avons compté dans un fœtus quatre bulbes pileux à
la mâchoire supérieure et cinq à la mâchoire inférieure.
La colonne vertébrale se compose généralement de 7 cervi-
cales, 11 dorsales, 13 lombaires et 17 caudales, en tout 48. Il
y a quelques squelettes dans lesquels il y en a plus et d'autres,
en plus grand nombre, où il y en a moins.
Dans le mâle du Musée royal du collège des chirurgiens à
Londres, on voit les apophyses transverses, de la troisième à
la sixième cervicale, séparées, ne pas former un anneau
complet.
Le mâle de Buenos-Ayres (Balœnoptera boiwërensis) n'a que
32 pieds et 48 vertèbres comme notre espèce.
Dans le squelette de Hunter, les apophyses transverses supé-
rieure et inférieure de l'axis ne sont pas non plus réunies.
(26)
La sixième cervicale de l'individu de Norfolk Coast, conservé
au Musée royal du Collège des chirurgiens, a un anneau com-
plet d'un côté, incomplet de l'autre.
Il y a aussi parfois coalescence entre les corps de deux ver-
tèbres qui se suivent. Nous en avons vu dans les régions cervi-
cale et caudale.
Nous avons vu des squelettes qui ont le corps de l'axis soudé
à la troisième cervicale. C'est ce que l'on observe dans un sque-
lette du Collège des chirurgiens, et dans un autre, du Colonial
Muséum de Wellington (Nouvelle-Zélande).
Les trois dernières caudales sont également réunies dans
un squelette que nous avons eu sous les yeux.
Nous avons déjà fait la remarque que la Balœnoptera borealis
montre habituellement Ja première côte bifide; nous en avons
cité un cas remarquable, en 1 868, dans les Bulletins de l'Aca-
démie * ; dans le squelette de Balœnoptera rostrata du Musée
de Cambridge, nous voyons également des traces de fusion
des deux premières côtes.
Cette bifidité de la première côte a souvent été vue chez
l'homme; elle a -été signalée dans un squelette de Globiceps
mêlas du Japon, qui est à Leyde, et dans un Delphinapterus leucas
du Musée du Collège royal des chirurgiens de Londres. Le cas
le plus intéressant est celui que nous avons signalé dans un
marsouin (Phocama communis). La côte supplémentaire est
développée des deux côtés *.
Le sternum est caractéristique par sa forme en croix latine.
La Balœnoptera bonœrensis 3 deBurmeister présente cette même
forme, mais présente en outre, en avant, deux saillies formant
une sorte de fourche que nous avons retrouvée en miniature
dans des sternums très adultes.
Le sternum de la Balœnoptera borealis, à l'âge fœtal, présente
cette même fourche, sans avoir le bout xiphioïde allongé.
• 2« série, t. XXVI, n° 7.
* Bulletins de ? Académie, 2e série, t. XXVI, n° 7.
8 Atlas de la description physique de la république Argentine, pi. V, fig 5.
(27 )
Les fanons de cette espèce sont toujours faciles à reconnaître
à leur longueur ainsi qu'à leur couleur jaune pâle. Les plus
longs fanons ne dépassent pas 2 pieds.
MOEURS.
Le capitaine Holbôll a eu l'occasion d'observer cette petite.
Balénoptère sur la côte du Groenland , et il fait remarquer
qu'on la voit au milieu des grandes Baleines. Il n'en est pas
de même de la Balœnoptera musculus, dont les baleiniers con-
sidèrent l'apparition comme un indice certain de la fin de la
saison de pêche.
Quand on ne les voit pas au milieu de grandes Baleines, ces
Balénoptères sont isolées ou à deux et trois ensemble.
. Comme les autres Balénoptères vivent par couples et qu'à
Bergen on voit souvent des mâles et des femelles, dont les
dernières seules approchent des côtes, il y a tout lieu de
croire que l'espèce qui nous occupe mène le même genre
de vie.
Cette petite espèce poursuit les poissons comme la Balœnop-
tera musculus et borealis.
Hunter a trouvé dans l'estomac des restes de divers poissons,
surtout du Dog-fish.
Une femelle capturée à Weymouth avait l'estomac vide; il y
avait au lieu de pâture dix cailloux dans son premier estomac
et autant dans le second (Perrin).
Motzfeld a vu à Juliane haab, côte du Groenland, cette
Balénoptère avaler des Mallotus arcticus, fermer la bouche
au-dessus de l'eau et rejeter ensuite l'eau de la bouche en jets
d'écume des deux côtés; puis, après un moment de repos, il a
vu l'haleine sortir des narines comme chez tout autre animal
qui respire.
On a vu souvent cette Balénoptère entourée de Tursiops
tursio, au moins au nord de l'Atlantique. Us poursuivent sans
doute la même pâture.
(28)
D'après Eschricht la gestation n'est que de dix mois; en
naissant l'animal a 9 pieds de long, c'est-à-dire, comme
dans les autres espèces, à peu près le quart de la longueur
de la mère.
Melchior a vu un fœtus de 8 pieds 2 pouces qui n'était pas à
terme.
On a recueilli à Bergen des fœtus de différentes tailles, et les
femelles arrivent cependant à la même époque de l'année.
Eschricht a vu plusieurs exemples de jumeaux.
Sur les côtes de Finmark on recueille également des fœtus
de tailles différentes à la même époque.
En faisant le relevé des côtes où des individus sont venus
échouer et où on a tenu compte des dates de leur capture, on
ne peut pas dire qu'il y ait quelque part un passage régulier,
si ce n'est sur la côte de Norwège et à l'entrée de la mer de
Baffin. Nous connaissons leur apparition périodique dans les
Fiords de Bergen en été, comme dans le détroit de Davis, mais
nous ignorons complètement, comme pour les autres Balé-
noptères, le lieu de leurs quartiers d'hiver.
Il est à remarquer qu'il n'y en a pas une seule, de celles qui
sont venues vagabonder sur nos côtes tempérées, qui ait dépassé
ou même qui ait atteint 30 pieds.
Grâce aux nombreux fœtus que l'on a pu recueillir, en
tenant compte de la date de la capture de la mère et de la
taille du fœtus, en faisant ensuite la comparaison des jeunes
animaux capturés pendant les différents mois de l'année, on a
pu constater de combien par mois les fœtus grandissent dans
te corps de la mère et de combien les baleineaux s'accroissent
par mois pendant la première année de leur vie.
On a recueilli un grand nombre de fœtus et on a heureuse-
ment tenu compte de la date de la capture de la mère et de
la taille des fœtus. Eschricht est arrivé à ce résultat, confirmé
par Guldberg, que le développement commence dans les pre-
miers mois de l'année et continue jusqu'en novembre; en
avril il a reçu un fœtus de 0m,090 et en septembre un autre
de lm,624.
(29)
Comme la taille, à la naissance, est, d'après Eschricht, de
2m,8, il y a lieu d'en conclure que la mise-bas a lieu en
hiver.
Le D* Knox a signalé un jeune animal capturé au mois de
février 1834 qui avait 9 pieds 11 pouces. C'est un peu plus que
la taille du baleineau au moment de la naissance. Il avait pro-
bablement un peu plus de deux mois.
Le 18 février ou mars 1878, un individu long de 3m,50 a été
capturé près de Villefranche.
En février 1861, un de 3 mètres a échoué sur les côtes de
Bretagne.
En avril 1791, on en a pris dans des filets, près de la rade de
Cherbourg, un individu qui avait 14 à 15 pieds.
La jeune femelle que M. Perrin a décrite a été capturée en
avril 1870; elle était longue de 13 pieds 8 Va pouces.
Le 15 mai 1885, un de 9m,62 a été capturé en mer par le
Gaulois, de Fécamp.
Le 27 septembre 1863, un de 8m,60 à Saint-Jean-de-Luz.
Le 15 septembre 1878, un Vaagevhal a été pris dans le Fiord
de Christiania ; il avait 14 Va pieds.
En novembre 1860, un mâle de 25 pieds a échoué au sud-est
de Crower (Flower).
D'après un manuscrit sur les pêches, cité par M. Guldberg,
le temps de la mise-bas du Vaagevhal serait le commencement
de novembre. Guldberg croit que cette époque est un peu trop
avancée, et la fixe entre la fin de novembre et le commence-
ment de janvier.
La gestation serait, comme Eschricht l'a estimée, de dix.
mois.
L'accouplement aurait lieu pendant les premiers mois de
l'année.
Reste la question de savoir où ils se réfugient pour mettre
bas et de connaître les lieux où ils s'accouplent.
(30)
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE ET PÊCHE.
Pendant l'été on les voit communément sur les côtes de
Finmark, mais on ne les y chasse généralement pas.
Guldberg a trouvé tout près de Vadsô, dans le Varanger-
fiord, le squelette d'un individu qui s'y était perdu pendant
l'hiver.
Nous allons citer d'abord les parages où des individus
sont venus se perdre, en faisant remarquer que les Cétacés
n'échouent généralement, comme l'a dit Eschricht, que sur
les côtes qu'ils ne fréquentent pas régulièrement.
Le plus ancien exemple connu date du XVII6 siècle. Le
8 mai 4699, une petite Baleine vient se perdre dans le Weser et
son squelette est conservé à Brème. La ville de Brème en a fait
exécuter une peinture à l'huile. Cuvier en parle, mais en
prenant cet animal pour un jeune Rorqual ; le grand naturaliste
n'avait pas de matériaux pour débrouiller cette histoire.
Nous en connaissons deux exemples en Belgique.
Le 10 juillet 1838, une jeune femelle de 5 mètres a été
trouvée morte en mer près d'Ostende. Son squelette est au
Musée de l'Université de Gand.
En 1865, au mois d'octobre, un mâle de 16 pieds a remonté
l'Escaut et s'est fait prendre en amont d'Anvers. Son squelette
est conservé à Bruxelles, au Musée royal.
Sur les côtes océaniques de France on a vu se perdre plu-
sieurs individus.
En avril 1791, un jeune Rorqual de 14 à 13 pieds de long,
dont le milieu des nageoires pectorales était blanc, est venu se
perdre dans des filets de pécheurs, près de la rade de Cher-
bourg. Un médecin de Valogne en a envoyé une description à
Lacépède, et c'est d'après cet animal que ce naturaliste a établi
la Balénoptère à museau pointu. La bande blanche des nageoires
pectorales, dont parle le médecin de Valogne, ne laisse pas de
doute sur l'espèce à laquelle appartient ce jeune animal.
(31)
Le 10 mars 1827, un individu de 7 mètres de long a été cap-
turé sur les côtes d'Oleron ; nous en avons vu les ossements
au Musée de là Rochelle.
Le Dr Fischer croit que c'est par erreur qu'on a annoncé la
capture d'une petite Balénoptère en juin 1850 sur les côtes du
Morbihan; mais il n'est pas douteux qu'en 1852 on en a pris
une à l'embouchure de la Seine, et dont le dessin est conservé
dans les Vélins du Muséum *.
Le 26 août 1835, un mâle a échoué dans la Charente; son
squelette est conservé au Musée de l'Ecole de médecine de
Rochefort; sa longueur était de 7 mètres 48 centimètres.
Un autre individu a été capturé sur la côte de la Gironde,
dont le squelette n'a pas été conservé (F ischer).
Au mois de février 1861, un individu de 3 mètres a échoué
sur les côtes de Bretagne.
Vers 1879, M. Quillau a envoyé un squelette incomplet au
Muséum de Paris, qui provenait sans doute de cet animal.
Un autre encore, de 6 mètres 60, a échoué à Saint-Jean-de-
Luz le 27 septembre 1863.
Au Musée de Lille on conserve le squelette d'un individu
échoué sur les côtes de Montreuil-sur-Mer (Fischer), et un autre
à Brest, provenant d'un animal reconnu par Rochon.
A Bordeaux on conserve le squelette d'un animal qui a
échoué à Boulogne.
Le 15 mai 1885, un bateau de Fécamp (Le Gaulois, patron
Deshayes) a capturé en mer une Balœnoptera rostrata, longue
de 3 mètres 62 pieds. M. Leunier, directeur du Musée du Havre,
en a donné le dessin d'après l'animal étendu sur le pont 2.
On a été longtemps dans le doute sur la question de savoir
si la petite Balénoptère pénètre dans la Méditerranée. Ce doute
est levé maintenant.
On en connaît aujourd'hui des exemples bien constatés, mais
1 Ce dessin, le plus beau qne nous connaissions de celte espèce, a été
reproduit par P. Gémis dans les Annales du Muséum, Mémoires, t. VU, pi. 3*
* La Nature, 7 novembre 1885. .
(32)
en tout cas ce sont des apparitions bien rares; un squelette
est conservé depuis le siècle dernier au Musée de Bologne,
provenant, paraît-il, d'un animal capturé en 1771 dans l'Adria-
tique; il a été décrit par Mondini, et le professeur Capellini a
cru devoir lui donner le nom de Bakenoptera Mondini *.
L'abbé Ranzani avait envoyé à Cuvier un dessin de la tête,
conservée au Musée de Bologne, et Cuvier avait cru qu'elle était
semblable à celle du Rorqual, de manière, dit-il, qu'il n'y a
pas lieu de douter que la même espèce de Rorqual ne vive
danâ la mer du Nord et dans la Méditerranée ; mais en même
temps il existe dans cette dernière mer une autre espèce, celle
qui a échoué aux Iles Sainte-Marguerite, et que le grand natu-
raliste croyait propre à cette mer intérieure.
Le 18 mars ou février 1878, un autre individu, long de
3m,o0, a été capturé par les pêcheurs de Saint-Hospice, au
petit port de Saint-Jean, près de Villefranche (dép. des Alpes
maritimes) 2. Le corps a été acheté par les frères Gall, de Nice.
Le squelette est conservé à Florence.
Nous ferons remarquer que la Méditerranée ne possède
aucun Cétacé qui lui soit propre, pas plus que la Baltique et la
mer Noire, et qu'il ne pénètre même aucun Cétacé à fanons
dans cette dernière mer intérieure.
Il y a eu des Cétacés à fanons dans la mer Noire ù la fin de
l'époque tertiaire, en même temps que des. Siréniens et même
des Squalodons; mais aujourd'hui on n'y voit plus que trois
Cétacés, tous les trois à dents : le Marsouin, le Tursio et le
Dauphin ordinaire, qui viennent de l'Atlantique.
On connaît aussi quelques individus qui sont venus à la
icôte en Hollande.
Le 20 décembre 1862, après un violent orage, une femelle de
5 mètres de long est allée échouer dans l'Y. Le squelette en est
conservé au Jardin zoologique d'Amsterdam.
1 Gebvais, Journal de zoologie, 14*77, p. 167.
? P. J. Van Bikeden, Un mot sur quelques Cétacés échoués sur les côtes
de la Méditerranée. Billet. Acad. rot. de Belgique, février 1890.
(33)
M. Max Weber annonce, en 1861, qu'un animal de 30 pieds
de long est venu se perdre dans la Zuiderzée, sur les côtes de
Vlieland, mais il ne dit pas l'époque de Tannée, ni si le sque-
lette est conservé * .
On connaît plusieurs exemples de Balœnoptera rostrata
échouées sur les côtes d'Angleterre et d'Ecosse.
En 1763 les pêcheurs ont pris, dans la mer du Nord, au
Doggershank, une jeune femelle de 16 à 17 pieds ; John Hunter
l'a disséquée, et le squelette en est conservé dans son musée,
aujourdhui le Musée du Collège royal des chirurgiens.
Le 14 novembre 1808, une femelle de 17 pieds a été capturée
aux Orcades, dans Scalpa-Bays.
En février 1834, une jeune femelle de 9 à 10 pieds, la plus
petite que l'on ait encore vue se perdre, est allée échouer
dans le Firth of Forth. Son squelette est conservé au Musée
d'Edimbourg. Il y a tout lieu de croire que l'animal venait
d'être mis au monde.
Un mâle mort, mesurant 25 pieds, est venu à la côte en
novembre 1860, près de Cromer (Norfolk). Son squelette est
conservé au Musée du Collège royal des chirurgiens à Londres.
Son estomac était plein de cod-fish, Gadus œglefinus.
Le 8 mai 1863, un jeune individu de 10 pieds 2 pouces est
venu se perdre lrish Coast off Cloger-Head. Il n'a que 46 ver-
tèbres. (Al. Carte et A. Macalister).
Le squelette d'une femelle capturée à Yarmouth, ainsi
qu'une tête et une omoplate d'un animal qui a péri à l'Isle
d'Islay en 1866, sont conservés à Cambridge.
Une jeune femelle de Balcenoptera rostrata de 13 pieds et
quelques pouces a été capturée en avril 1870 à Weyraouth, et a
été achetée par M. Gerrard. M. Perrin, demonstrator of ana-
tomy, King's Collège, à Londres, l'a disséquée et a publié les
résultats de ses recherches dans les Proc. Zool. Soc, décembre
1870. Le premier et le second estomac contenaient des petits
1 Verslagen der Nederl. Dierkund. Vereeniging, Tydschrift der Nederl.
Vereeniging, 2* série, afl. 5 et 4, 1886.
Tome XLI 3
(34)
cailloux. Il ajoute deux dessins représentant les nageoires pecto-
rales avec leurs muscles en place, vues du côté dorsal et du
côté opposé.
Le 16 mai 1887 une jeune femelle s'est perdue à Plymouth *.
Un jeune animal de 9 à 10 pieds a été capturé près de
Queensferry (Firth of Forth). A la séance du 21 avril 1834 de
la Société royale d'Edimbourg, le docteur Knox fait un rap-
port fort intéressant sur la dissection de cet animal 2.
Une jeune femelle de 14 */a pieds est venue échouer vivante
sur la côte d'Aberdeen, en juillet 1870. Son squelette est
conservé au Musée d'Aberdeen, dirigé par le professeur
Struthers.
Un autre encore a échoué en septembre 1871 à Dunbar (Firth
of Forth). Le professeur sir Turner en fait mention.
M. Flower a signalé, en 1880, une jeune femelle de 1S pieds
qui est allée échouer sur les côtes de Cornouailles.
On en a vu périr également sur la côte de Norfolk, dit
M. Southwell.
En 1837, sur la côte ouest de Jutland, près de Vardo, est venu
échouer un individu de 22 pieds ; son squelette a été envoyé à
Eschricht. Il n'est pas complet.
A l'est du Jutland, un animal de 18 pieds est venu à la côte
en juillet 1824. Le Musée de Halle en possède le squelette.
On a enregistré aussi quelques exemples d'individus égarés
dans la Baltique.
En 1845, un animal, dont le dessin est conservé dans l'église
Sainte-Marie à Greifswald, est venu échouer dans le voisinage
de cette ville (an der Wiek).
Un autre est venu à la côte à l'île de Kugen ; son sque-
lette est conservé à Breslau 3 ; il a 23 pieds de longueur et
48 vertèbres.
On conserve au Musée de Stockholm une mandibule trouvée
1 Blakwill, The Zootogisi, july, 1837.
8 Journal? Institut, 1834, p 336.
* ErnstRolL
(35 )
dans Ja marne de l'époque glaciaire (Halland)*, que nous rap-
portons à cette espèce.
Nous avons attiré l'attention des naturalistes sur une tête de
cette même espèce, conservée au Musée de Brème; elle a été
pêchée dans la mer du Nord, et l'on avait cru pouvoir l'attri-
buer un instant à un animal fossile. D'après les pécheurs de
Brème, les ossements de ces animaux ne sont pas rares dans
certains endroits de la mer du Nord 2.
Le 2 juillet 1840, un animal de 16 pieds est venu à la côte
près de Christiania.
Un autre, un mâle de 14 */$ pieds, est venu échouer dans
les mêmes parages en septembre 1878. Le professeur Sars en
a publié un dessin.
Nous avons vu une omoplate de cette même espèce sus-
pendue dans la cour d'un des principaux hôtels de Christiania.
11 est évident que toutes ces visites sont purement acciden-
telles ; mais il n'en est pas de même de celles qui se font dans
les Fiords de la côte de Norvège, dans les environs de Bergen.
Dans ces derniers parages, on en voit arriver périodiquement, le
plus souvent depuis le mois de mai jusqu'en décembre ; ce sont
généralement des femelles qui entrent dans les Fiords pour y
mettre bas; sur onze individus qu'on avait capturés dans un
temps déterminé, il n'y avait qu'un seul mâle. On a remarqué
du reste partout, que les mâles de toutes ces espèces se tiennent
au large, pendant que les femelles approchent des côtes.
Depuis longtemps on sait que la Balœnoptera rostrata entre
dans ces baies et que les pêcheurs des alentours les empri-
sonnent à l'aide de filets. L'animal, enfermé comme dans un
aquarium, est attaqué à coups de flèches empoisonnées; il perd
immédiatement, après ses blessures, de son activité ordinaire
et devient facilement la proie des pêcheurs. La flèche est empoi-
sonnée par le pus de la capture précédente et, depuis des temps
1 Aingelin, Ofvers. afk. Vet. Akad. Forh , 4867, p. 81. Erdmass, Bidr. t/ll
ketnned. om Sveriges Quartttra BUdingar, p. 158.
• Vas Bexeden, Journal de Zoologie, t. IV, 1875.
(36)
fort reculés, on prépare ainsi des flèches qui ne doivent servir
qu'à la campagne suivante.
Tous les ans, dit ledocteurArmauerHansen,aux mois d'avril
et de mai, les pécheurs attendent la Balwioptera rostrata à
l'entrée d'un Fiord très étroit, nommé Skogsvàg, à 30 kilomètres
de Bergen. Dès qu'un animal est entré, ils ferment l'embou-
chure au moyen d'un filet et ils l'attaquent à l'aide de flèches.
Us empoisonnent leurs flèches en baignant la pointe dans la
chaire gangrenée et ils la laissent sécher. Il paraît que la forme
des arcs dont ils se servent date de l'époque des anciens
guerriers, les Vikings.
M. Àrmauer Hansen a trouvé des bacilles dans la chair
gangrenée, et croit que la flèche empoisonnée inocule aux Ba-
lénoptères les germes qui produisent la septicémie *.
La petite Balénoptère a été vue également dans le détroit de
Davis, mais seulement pendant les mois d'été 2; on la voit
paraître aussi sur les côtes d'Islande, aux îles Loffoden, sur
les côtes de Finmark et, comme nous venons de le dire, pério-
diquement sur les côtes de Norvège. On en a vu également dans
la mer Blanche ; Nordenskjôld l'a même observée dans la mer
de Kara, à côté de Béluga, et Scoresby 3, comme Malmgren 4
et Sluyter l'ont reconnue dans les eaux du Spitzberg s.
1 Armauer Hamsen, La septicémie inoculée à des Baleines par les flèches
dont se servent les pécheurs, Archives de Biologie, t. VI, fasc. III, 1885,
p. 585.
1 Cette même petite Balénoptère, dont nous possédons un squelette envoyé
par Flolboll du Groenland, se trouve également plus au nord, mais en moins
grand nombre toutefois que dans la partie méridionale; elle arrive au mois
d'avril à Gorihaab, dit Holbôll, et ne quitte qu'au mois de décembre. La
Balœnoptera rostrata aurait ainsi, comme du reste nous l'avons fait
remarquer déjà pour la Megaptera boops, plus d'une station d'été.
9 Scoresby fait mention d'un individu de 17 */» pieds, capturé au mois de
novembre 1808, dans la baie de Scalpa; il a élé figuré par Watson. An Account
ofthe arct.reg., 1. 1, p. 485, pi. III, fig. 2.
* Malmgren a vu, pendant son voyage au Spitzberg, des individus de cette
espèce pendant le mois de mai.
* 11 n'est pas sans intérêt de faire remarquer que Ruyler, en gagnant des
(37)
Avant Nordenskjôld, des baleiniers norvégiens en avaient
déjà signalé dans la mer de Kara.
On en a vu en abondance dans les parages de Godthaab
(Groenland). Tous les baleiniers s'accordent à dire que la petite
Balénoptère arrive en été au détroit de Davis et à la baie
de Baffin.
De l'autre côté de l'Atlantique, on a constaté depuis longtemps
la présence de cette même Balénoptère ; le Musée de Stuttgard
a reçu un squelette de la côte du Labrador et, depuis, on a fait
mention d'un animal de 18 pieds capturé dans la baie de New-
York (Dr Kay).
M. Allen cite la Balœnoptera rostrata avec un signe de doute,
comme animal propre à ces parages, mais ce doute est évidem-
ment levé.
On trouve dans l'Atlantique méridional, comme dans l'Atlan-
tique septentrional, dans le Pacifique et même dans les eaux
de nos antipodes, des Balénoptères qui correspondent à notre
Balœnoptera rostrata par leur taille, parleurs fanons ainsi que
par l'ensemble de leur organisation 11 y en a qui sont telle-
ment semblables à l'espèce de nos parages, que, si on les trou-
vait sur les côtes d'Europe, on ne songerait pas à en faire des
espèces distinctes. Telle est la Balénoptère du nord du Paci-
fique à laquelle, comme nous l'avons déjà dit, le capitaine
Scammon a donné le nom de Balœnoptera DavidsoniL Cette
affinité n'a, du reste, pas échappé aux naturalistes américains :
Balœnoptera Davidsonii is evidently congeneric with the Balœ-
no])tei*a rostrata, dit le capitaine Scammon. Nous avons eu
l'occasion de voir à Vienne des fanons, rapportés de San Fran-
cisco par le professeur Steindachner, en tout semblables aux
fanons de notre espèce naine.
A l'embouchure de la Plata du Mediano, près de Belgrano,
à 10 miles de Buenos-Ayres, flottait, le 3 février 1867, un
régions de plus en plus septentrionales, a vu successivement disparaître les
Marsouins, puis les Tursio, el ce n'est qu'après celte disparition qu'il a vu
apparaître, au 60e degré, la Balœnoptera rostrata»
(38)
cadavre qui a été recueilli par les pêcheurs, et dont le squelette
est conservé aujourd'hui au Musée de Buenos-Ayres. C'était un
mâle. La taille ne dépasse pas 32 pieds; les vertèbres cervi-
cales 2, 3 et 4 sont réunies par le corps ; les apophyses trans-
verses supérieures des sixième et septième cervicales sont
réunies à gauche dans toute leur longueur. Burmeister Ta décrit
sous le nom de Balœnoptera bonaërensis*. Il possède le squelette
et en a fait connaître les divers caractères, qui sont la repro-
duction de notre Balœnoptera rostrata. Il n'y a que le sternum
qui diffère par une bifurcation qu'il présente sur son bord
antérieur, mais le squelette montre jusqu'au nombre de ver-
tèbres (48) si caractéristique de cette espèce.
Le British Muséum a reçu également de l'île Formosa, par le
consul anglais Swinhoe, des fanons, avec les barbes jaunes
de la grandeur des fanons de l'espèce qui nous occupe, ou
même un peu plus petits, et qui proviennent sans doute de la
même Balénoptère, si pas d'une espèce similaire. Ces fanons
sont conservés dans un bocal ; il n'y en a qu'une rangée. Nous
avons fait mention de cette Balénoptère dans notre Ostéo-
graphie, sous le nom de Balœtioptera Swinhoei.
Pallas fait mention d'une Balénoptère de 22 pieds de long,
avec une nageoire pectorale blanche, observée par Merle sur
la côte du Kamschatka, et qu'il rapporte avec raison à la Ba-
lœnoptera rostrata de Fabricius.
Le Muséum de Paris a reçu du Japon un squelette qui a tous
les caractères de cette espèce; il a deux ou trois vertèbres de
plus que le nombre normal de 48, mais on trouve de sem-
blables variations dans des squelettes d'Europe.
Près de l'île Kerguelen, on a capturé une Balénoptère de
30 pieds de long qui appartient sans doute à cette même espèce.
On n'en a malheureusement rien conservé.
1 H. Burmeister, Prelim. descript, ofanew species of Finner whaU (Ba-
laenoplera bonaërensis). — Proceed. ZooL Soc, 1867, p. 707. — Annale* del
Museo publico de Buenos-Aires, 1868. — Van Bekeden et Paul Gervais,
Oiteographie des Cétacés,
(39)
La mer de nos antipodes nourrit également, à côté de Balé-
noptères de grande taille, une petite espèce qui ne dépasse pas
la nôtre en dimension; elle atteint à peine 30 pieds de longueur.
En octobre 1873, écrit-on de la Nouvelle-Zélande, on a cap-
turé une petite Balénoptère dont le squelette a été envoyé au
British Muséum. En recevant la lettre d'envoi, le docteur Gray
croyait d'abord, d'après les dimensions, que c'était un squelette
de Neobalœna marginata *. Le squelette de cette Balénoptère est
complet et ses fanons d'un jaune pâle (cream colour) sont con-
servés. Il a 48 vertèbres, un sternum en croix latine, et les
fanons semblable à ceux de notre espèce. Nous ne doutons pas
que, si ce squelette avait été expédié du nord de l'Atlantique,
personne n'aurait hésité à le désigner sous le nom de rostrata.
Gray a publié le dessin que le professeur Hutton, conserva-
teur du Muséum d'Iotago, lui a fait parvenir 2.
M. James Hector fait mention de deux têtes, provenant de
Cookstrait, et qui ressemblent, dit-il avec raison, à celle de la
Balœnoptera rostrata. Il accorde 7 pieds de longueur à la man-
dibule.
Jul. von Haast fait également mention d'un jeune mâle,
échoué on the Summer beach, le 7 février 1873; il a 23 pieds
de long, et le Directeur du Musée de Canterbury n'hésite pas
à le rapporter à la Balœnoptera rostrata d'Europe, tout en
reconnaissant que c'est la Balœnoptera Huttoni de Gray. Il
représente le sternum et un fanon 3.
Nous trouvons dans nos notes : le squelette de la Balœnop-
tera Huttoni, conservé au British Muséum, a la taille, le nom-
bre de vertèbres et le sternum de notre Balœnojitera rostrata ;
le sternum est en croix latine, mais un peu plus petit que
celui de notre rostrata. Les fanons sont jaunes, avec une bande
1 Eo mai 1874 Gray m'écrivait : c Le squelette de la petite Baleine de la
Nouvelle-Hollande est arrivé. C'est une Balœnoptera voisine de la Balœnop-
tera rostrata, mais bien distincte, et pas une Neobalœna. »
« Gray, Ann. nat. hist., 1870, vol. V, p. 224; 1874, vol. XIII, p. 316, pi. XVJ.
' Philosopliical Instituts of Canterbury, 30 décembre, 1880.
(40)
noire ù l'extérieur; les vertèbres sont au nombre de quarante-
six ; sans doute les deux dernières manquent.
Parmi les caisses tympaniques, rapportées par le Challenger
et recueillies par la sonde au milieu du Pacifique, à quelques
degrés au sud de l'équateur, le professeur Sir Turner en a
trouvé qui se rapportent à la Balœnoptera rostraia *.
En somme, la Balœnoptera rostrata a été observée en Europe
sur les côtes du Groenland et du Spitzberg, d'Islande et de Nor-
vège, de Suède, de Danemark, d'Allemagne, des Pays-Bas, de
Belgique, de France, d'Ecosse, d'Angleterre, et enfin dans la
Méditerranée et la Baltique. On l'a vue aussi dans la mer
Blanche et dans la mer de Kara.
En dehors de l'Europe, elle a été observée sur les côtes du
Labrador et des États-Unis d'Amérique. Dans le Pacifique
on l'a vue au détroit de Behring, sur les côtes du Kamschatka,
dans les parages des îles Aléoutiennes, et elle est connue
sous le nom de Balœnoptera Davidsonii sur les côtes de
Californie.
Dans l'hémisphère antarctique on reconnaît une petite Balé-
noptère à 48 vertèbres, sur les côtes de la Plata, de Kerguelen
et dans les eaux de la Nouvelle-Zélande.
On ne connaît que deux parages où la petite Balénoptère
apparaît périodiquement : ce sont le détroit de Davis et les
Fiords de Bergen. De l'un comme de l'autre côté elle n appa-
raît qu'en été. Où se trouve-t-elle pendant le restant de l'année?
Pendant l'été de 4878, les naturalistes du Willem Barents
ont fait quelques observations intéressantes sur les Cétacés.
M. Sluyter rapporte que, au delà du 60e degré de latitude, ils
ne découvrirent plus de Marsouins, mais deux espèces de
Dauphins, le D. (Sténo ?) rostralus et le D. (Tursiops) tursio.
Le premier n'est pas abondant; l'autre vit par petites gammes,
qui disparurent à la hauteur de l'île Jan Moyen. A Vile des Ours
et à la côte de la Nouvelle-Zemble ils parurent de nouveau. Ils
1 Turner, Report ofthe hones of Cttacea, The Zoologt of tue Voyage
of H. M. S. Challenger, 1880.
(41)
ont vu une gamme d'une centaine de Béluga. Des Balœnoptera
rostrata ont fait leur apparition dans ces parages pendant les
mois d'été * .
MUSÉES.
La Balœnoptera rostrata est représentée dans le plus grand
nombre de musées, soit par des squelettes complets, soit par
des têtes ou des os isolés.
On connaît aujourd'hui des squelettes de cet animal, prove-
nant de la mer Blanche, des îles Loffbden, des côtes d'Islande
et du Groenland, des côtes du Labrador et des Etats-Unis, de la
côte de Norvège, de la Baltique, de la mer du Nord, de la
Manche et du canal S'-Georges, des côtes de Bretagne, du golfe
de Gascogne, de la Méditerranée et de l'Adriatique.
La ville de Brème en a possédé le premier squelette, qui a été
décrit par Albers; après lui, c'est le musée de Hunter, aujour-
d'hui le Musée du Collège royal des chirurgiens à Londres,
qui est entré en possession du second exemplaire.
On en trouve des squelettes dans les villes suivantes : A
Aberdeen (Ecosse), d'un animal qui a péri en 1870; à Amster-
dam , d'un animal qui a échoué dans l'Y ; à Bergen (Norvège)
il y en a plusieurs et le Musée en a fourni à divers autres éta-
blissements; à Berlin, un squelette des Fiords de Bergen; à
Bordeaux, un crâne d'un animal qui a échoué sur la côte de la
Gironde ; à Bologne, un crâne d'un animal de l'Adriatique
(1771); à Boulogne-sur-Mer ; à Brest; à Brème, le squelette dont
nous venons de parler ; à Bruxelles, le squelette d'un animal
pris dans l'Escaut, un autre de la côte du Jutland et un troisième
du Cap-Nord ; à Breslau, le squelette de 23 pieds de l'animal
échoué en 1825 à l'île de Hùgen (Baltique); à Buenos- Ayres, le
squelette de l'animal capturé sur les côtes de la Plata ; à Cam-
1 Sluyter, Verslag en Zoologische onderzoekingen gedaan gedurende
ilen tocht van « de Willem Barents » in den zomer 4818, Ttdschrift van iiet
AARDRYKSKU.NDIG GtKOOTSCHAP, 11° 5, 1879.
(42)
bridge (Musée de l'Université), la tète et une omoplate d'un
animal qui a péri sur les côtes de l'île d'Islay en 1866, et un
squelette complet; à Christiania, un squelette de 16 pieds, d'un
animal capturé dans le Fiord de la ville; à Copenhague; à
Edimbourg, une tête de grande taille, d'un animal échoué sur
les côtes d'Ecosse ; à Florence, le squelette de l'individu cap-
turé à Villefranche le 18 février 1878; à Gand, squelette
d'une femelle capturée près d'Ostende le 10 juillet 1838;
à Giessen ; à Gôthemburg ( Musée d'histoire naturelle) ; à
Gôtingue; à Greifswald, des os, surtout un occipital, d'un ani-
mal échoué en 1845, au mois de mars, près de la ville ; à Halle,
squelette de 18 pieds d'un animal échoué en juillet 1824, à
l'est du Jutland, provenant du Musée de Meckel ; au Havre,
celui d'une jeune femelle capturée à Fecamp; à Hull; à
Heidelberg; à Leide, un squelette des Fiords de Bergen;
à Londres, au Musée Britannique (squelette du Groenland, de
la collection de Brandt et un autre de la Tamise) *; au Musée du
Collège royal des chirurgiens (squelettes de mâle adulte, de
2o pieds, des côtes de Norfolk, 1862, et d'une jeune femelle du
Doggersbank, de 16 pieds, de la collection de Hunter) ; à Lou-
vain, squelette du Groenland et une tête séparée, d'origine
inconnue, mais probablement de nos côtes ; à Liège, un sque-
lette de grande taille provenant des Fiords des environs de
Bergen ; à Lund (Suède) ; à Munich ; à New- York ; à Oxford ; à
Paris, squelette des Fiords de Bergen, rapporté par Gaimard, et
un autre d'un animal capturé à l'embouchure de la Seine et
étudié par Gratiolet ; on y conserve un très bon moulage de
la jeune femelle échouée à Fecamp en 188S ; à Rochefort, on
conserve le squelette d'un mâle, qui a échoué le 26 août 183S
dans la Charente ; à la Rochelle on trouve divers ossements,
sans doute du mâle qui a échoué en août 1838 à Vergeroux ; à
Rouen ; à Stockholm, Musée royal anatomique de Carolinska
Institut; à Stuttgard (squelette des côtes du Labrador); à
Upsala ; à Wurzbourg, squelette envoyé par les missionnaires ;
1 From Brandt's collection, dit Gray, Catalogue.....
(43)
à Washington, Musée national, la tête de la Balœnoptera
Davidsonii, de Scammon *.
Il existe un grand nombre de fœtus de cette espèce dans
divers musées d'Europe, et qui viennent sans doute tous de
Bergen. Le Musée de cette dernière ville en possède sept.
DESSINS.
En 1675 a paru le dessin de la Balœna mysticetus et d'une
Balœnoptera, par Martens de Hambourg.
Sibbald, dans sa Phalainologia nova, a représenté des Balénop-
tères avec leurs évents et les plis sous la gorge.
Hans Egede en a aussi publié un dessin.
A Greifswald, on conserve une peinture faite d'après un
individu échoué à l'embouchure dû Weser, en mai 1699, et
dont le squelette est conservé à la maison de ville de Brème;
c'est cet animal que Cuvier a mentionné sous le nom déjeune
Rorqual du Nord.
John Hunter a publié une bonne figure de cette Balénoptère
en 1787, d'après une femelle de 17 pieds, capturée au Doggers-
bank. Lacépède en a publié un dessin qui lui a été envoyé par
Sir Joseph Banks.
Fred. Cuvier l'a reproduit sous le nom impropre de Rorqual
Jubarte (pi. XX, fig. I) 2. Ce dessin figure aussi dans le grand
atlas de Goldfuss, sous le nom de Balœnoptera boops.
Scoresby en publie également un dessin 3.
Dans le New-York Muséum, de Kay, a figuré, pi. XXX, fig. 1,
la Balénoptère qui a péri aux Orcades en 1808.
Dans les actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, nous en
trouvons également un, d'après un individu échoué dans le
golfe de Gascogne en août 1835.
1 On a new species of Balœnoptera. Proceed of the Californ, Academt of
sciencies Dot. IV, part. V, Jan. 1873; San Francisco, 1873, p. 269.
* Fred. Cuvier, Hist.naL de Cétacés, pi. XX, fig. 1 .
3 Scoresbt. An account of the arctic reg.t 1. 1, p. 485, pl.Xlil, fig. 2.
(44)
Rosenthal a également publié celui d'un mâle, qui a été
reproduit par Brandt et Ratzeburg dans leur Zoologie médicale
(pi. XV, fig. 4).
Il existe encore un dessin à la Bibliothèque royale à
Bruxelles, provenant de notre confrère le vicomte du Bus,
d'après l'animal qui a été tué dans l'Escaut, au mois d'octobre
1865, en amont d'Anvers.
On vient de publier un dessin de l'individu péché en mer par
Le Gaulois de Fécamp.
Le professeur Hutton a publié, dans les Annals and Magazine
of natural history (ser. 4, vol. XHI, pi. XVI), le dessin d'un
animal de 16 pieds 2 ^ pouces capturé en octobre 1873 à la
Nouvelle-Zélande.
Le professeur Julius von Haast a figuré le sternum et un
fanon dans les Tram. N. Z. Institute, vol. XIII, pi. III, fig. 1
et 2.
Eschricht a figuré un fœtus *.
Fischer a publié un dessin assez grossier d'après un journal
illustré qui représente l'animal échoué à S'-Jean-de-Luz.
Sars a publié un dessin fait d'après un mâle de 14 */a pieds
capturé près de Christiania en septembre 1878.
Lesson a donné une bonne représentation de cette Balénop-
tère mâle, échouée dans la Charente, le 26 août 1835.
Le plus beau dessin est celui que P. Gervais a publié d'après
une planche, faite d'après nature, en 1861, et qui est conservée
dans les vélins du Muséum d'histoire naturelle de Paris.
Le capitaine Scammon a reproduit un bon dessin (pi. VII,
fig. 2), sous le nom de Balamoptera Davidsonii.
C'est sans doute une Balénoptère de la même espèce, que
Ànderson a figurée dans Yunnan expédition, pi. XLIV, et dans
Anat. and Zoolog. Researches, London, 1878, sous le nom de
Sittang Whale?
On conserve à Paris, au Muséum, un modèle en plâtre d'après
l'animal qui a échoué en février 1861 sur la côte de Bretagne.
1 Eschricht, Nord IVallthiere, pi. VI et VU.
(48)
PARASITES.
On a trouvé divers parasites, d'abord :
Le Distoma goliath. Van Ben. *, qui habite le foie. Eschricht
m'avait donné des exemplaires de ce Trématode, et plus tard
j'en ai trouvé moi-même dans l'animal qui a péri dans l'Escaut,
en novembre 1865.
Ensuite le Filaria crassicauda, Creplin, qui vit dans le canal
de l'urètre ou le corps caverneux.
Enfin Y Ascaris angulivalvis ; Creplin l'a observé le premier;
Koren en a remis trois exemplaires à Oscar Schinidt; Krabbe
pense que c'est le même (Ascaris simplex) qui habite le Béluga,
YHyperoodon, le Narval et le Lagenorhyncus albirostris 2.
Il paraît que l'intestin renferme également YEchinorhyncus
porrigens, Rud. Il a été vu déjà par plusieurs naturalistes.
On a trouvé, à diverses reprises sur la peau, des Penella
Balœnopterœ, sur lesquelles on a trouvé un Cirripède, le Cwi-
choderma virgata. Cette Penella se loge surtout autour des
organes sexuels.
La Balœnoptera rostrata, capturée à Villefranche en 1878 et
dont le squelette est conservé au Musée de Florence, héber-
geait une Penella.
On a trouvé entre la peau et les muscles de cette même
Balénoptère, comme dans certains Dauphins, des parasites
enkystés, dont la nature n'est pas bien déterminée.
1 Bullet. de CAcad. royale de Befg., 2« série, t. V, 1858.
* Bullet. Acad. roy. des se. danoise 1878.
BAUENOPTERA BOREALIS.
LITTERATURE.
Rurfolphl, Einige anatomische Bemerkungen ùber Dalœna rostrata;
Abhand. d. Kônigl. Akademie d. Wissenschaft. Berlin , 1820-1821.
Leason, histoire naturelle générale et particulière des mammifères
et des oiseaux (Cétacés). Paris, 1828.
J. K. Cray, Zoology of thc Voyage of the Erebus and Terror, p. 20.
w. LlHJenorg, Sveriges ocfi Norges Byygrodsdjur, Upsala, 1874.
Van Bencdcn et Servals, Ostéographie des Cétacés, p. 198, 1870.
G. Zarfdacli, Beschreibung eines Finnwales, Archiv fur xaturge-
schichte, 1875.
Paul Servais, Bemarques sur les Baie nid es des mers du Japon»
Comptes rendus novembre 1875. Journal de zoologie, t. V, p. 1,
1876.
>, A , Scelet d, Breitkôpfiyen I-'innwals, Pterobalœna laticeps,
Dautzig, Natuhf. Ces., 1876, 8°.
P. Fischer, Sur une Balénoptère boréale, échouée à Biarritz en 1 874.
Comptes rendus, 1^76.
(48)
W. Tu mer, A spécimen of Balœnoptera borealis, captured in the Firth
of Forth. Journ. of an4t. and physiol., vol. XVI, april 1882.
Flower, On a spécimen of Rudolphi's Rorqual ( Balenopt. borealis)
lalely taken on the Essex coast. Proc. zool. Soc, nov. 20, 1885.
Uultiberg, Sur r existence de la quatrième espèce du genre Balœnoptera
dans les mers septentrionales de l'Europe. Bull. Acad. boy. d. sciences de
Belgique, 1884.
Gnldberg, La Nature, novembre 4885.
Alffr. H. Coclta, Notes on the Finwhale fishery of the north European
Coast. The Zoologist, vol. 9, p. 107, 1886.
;Bal. borealis atgoole. Naturaliste, Londres, vol X; Zoolo-
gist, vol. VIII.
itobert Collet c, On the Externat Characters of RudolphCs Rorqual
{Balœnoptera borealis), Proc. zool. Soc, march and april 1886.
(49)
HISTORIQUE.
Cette espèce a été longtemps confondue avec les autres : sa
petite taille, comparativement à celle du Musculus et du Sib-
baldii, l'a généralement fait prendre pour un animal incom-
plètement développé. Grâce aux recherches de M. Guldberg,
faites sur les côtes de Finmark, cette espèce est établie aujour-
d'hui sur des caractères aussi certains que les autres Balénop-
tères.
Cuvier, comparant le squelette décrit et figuré par Rudolphi
avec celui de la Balénoptère de la Méditerranée, crut que ce
squelette provenait d'un animal qui. fréquente seul la mer du
Nord, et proposa de lui donner le nom de Rorqual du Nord,
par opposition au Rorqual qui fréquente la Méditerranée.
Lesson, dans son histoire naturelle des Cétacés (1828), admet
les trois espèces de Cuvier, et donne le nom de Balœnoptera
b&realis au Rorqual du Nord.
C'est ce même animal que Gray proposa, dans le Voyage
d'Erebus and terror, de désigner sous le nom de laticeps. Ce
nom n'est pas heureux, puisque le rostre est moins large que
celui des autres espèces ; mais Gray avait en vue les os nasaux
qui, en effet, sont plus larges que dans la Balœnoptera physalus,
c'est-à-dire du Musculus. On se figure naturellement que le
mot laliceps s'applique à l'ensemble de la tête, et par consé-
quent au rostre.
Quelques années avant sa mort, V. Baer m'écrivait de Dorpat
(14-26 juin 18C>9) : « Dans votre distribution géographique des Balé-
noptères, je n'ai pas trouvé l'espèce qui est si commune au cap
Nord et au nord de la mer Glaciale. J'ai rapporté moi-même à
Saint-Pétersbourg une tête de cette Balénoptère h travers la
Laponie. Je vais la faire dessiner et vous envoyer le dessin.
Peut-être connaîtrez-vous l'espèce d'après le dessin ».
Cette tête appartient sans aucun doute à l'espèce qui nous
Tome XLI. 4
(30)
occupe; malheureusement je n'ai pas reçu le dessin que V. Baer
me promettait, et je n'ai pu découvrir la tête au Musée de Saint-
Pétersbourg. Il paraît que depuis longtemps l'espace faisait
défaut dans le Musée de l'Académie, et les pièces de grande
dimension recevaient difficilement une place convenable. C'est
ainsi que le superbe squelette de Balœnoptera Sibbaldii, connu
sous le nom de Baleine d'Ostende, dont un magnat avait fait
cadeau à l'Académie, a été relégué au Jardin zoologique, où
tout est exclusivement organisé pour l'amusement du public.
En 1876, M, Menge a fait un travail sur le squelette d'une
femelle échouée le 23 août 1874 dans la baie de Dantzig; il la
désigne sous le nom spécifique de laticeps. M. Menge donne
une description détaillée du squelette et accompagne sa notice
de quatre photographies représentant fort bien le squelette.
Le professeur Zaddach de Kônigsberg en a donné une
description dans les Archives de Wiegmann, avec une figure
de l'animal, vu de profil et vu en dessous; mais il ne partage
pas l'avis de Menge, qui considère cet animal comme apparte-
nant à l'espèce Borealis.
A propos d'un animal capturé. dans le Firth of Forth, le
professeur Sir Turner a publié, dans les Proc. roy. Soc< d'Edim-
bourg (1881-82), un mémoire comprenant la partie historique
complète.
Le professeur Flower a communiqué a la Société zoologique
de Londres (20 novembre 1883) des observations sur une Balœ-
noptera borealis capturée en novembre 1883 dans Crouch-River
(Essex) *. Le savant directeur du British Muséum a publié un
dessin du sternum de cet animal, qui présente un haut intérêt.
L'animal est encore jeune. Le squelette en est destiné au British
Muséum.
Une nouvelle capture d'un individu de cette même espèce a
été faite, en septembre 1884, sur les côtes de Lincolnshire et, en
décembre de la même année, un mâle a été pris aux Orcades.
J. Muller avait attiré l'attention sur la bifidité de la première
«
1 Proc. ZooL Soc, novembre 1883.
(M )
côte du squelette de Berlin, disposition à laquelle plus tard le.
iy Gray avait attaché tant d'importance. On peut dire que danfl
cette espèce la première côte a une tendance particulière à
devenir double ; mais on ne peut pas faire un caractère spéci-
fique de cette disposition anormale et en tout cas accidentelle.
Nous avons montré que, dans plusieurs Cétacés, la côte de la
septième cervicale correspond avec l'absence de l'apophyse
transverse inférieure de cette vertèbre. Le professeur Sir Turner
a publié une notice fort intéressante sur ce sujet *.
MM. Chr. Aurivillius et C. Forsstrand sont allés, pendant
Tété de 1877, étudier les Cétacés à l'établissement de M. Sven~
Foyn ; ils en ont rapporté beaucoup de matériaux.
Celui qui a le plus contribué à nous faire connaître cette
espèce, c'est M. Guldberg, conservateur au Musée zootomique
de l'Université de Christiania. M. Guldberg a communiqué à
l'Académie de Bruxelles, pendant son séjour à Liège pour y
suivre les travaux du Laboratoire de zoologie, une notice, ren-
fermant plusieurs observations précieuses qu'il a recueillies
sur les côtes de Finmark, pendant les mois d'été de 1883.
M. Guldberg croit que c'est seulement en 1878 que l'attention
a été fixée sur la Balœnoptera borealis, et que les premiers
travaux sur cette espèce n'ont été publiés qu'en 1881. Nous
ferons remarquer que, déjà du vivant d'Eschricht, notre atten-
tion a été fixée sur cette Balénoptère ; Eschricht m'avait cédé
un squelette vers 1838, squelette que j'ai abandonné à mon tour
à M. Du Bus, pour le Musée royal d'histoire naturelle de Bel-
gique s.
Tandis que la pèche au nord de la Norwège a principalement
en vue la Balçmoptera Sibbaldii, elle s'est exercée en 1889
• Cervical ribs, and the so-calUd bicipital ribs in man, in relation to
corresponding structures in the Cetacea. Journal of An atout and Physiç-
logy, vol. XVII.
9 Nous avons fait mention, en 1868, de ce squelette, a cause de la curieuse
conformation de sa première côte, Bullet. de CAcad. royale de Belg., 2« série,
L XXVI, 1868.
( 52)
presque exclusivement sur la BcUœnoptera borealis. La B. Sib-
baldii n'y a paru qu'en fort petit nombre cette année. On a cap-
turé presque exclusivement des Borealis, et un établissementest
aujourd'hui érigea Drammen, par la Christiania presaving C°,
pour la préparation de la chair de cette espèce comme aliment*.
On tire également partie des mandibules, dont on fait des
aiguilles à tricoter.
H. Robert Collett a publié, en 1886, un travail intéressant
sur les caractères extérieurs de la Balœnoptera borealis, et
a accompagné sa Notice de deux planches représentant le mâle
et la femelle 2.
Après l'exposé des caractères extérieurs, R. Collett décrit
sommairement les caractères distinctifs des quatre espèces de
Balénoptères qui hantent le nord de l'Atlantique.
Ce travail renferme des détails fort intéressants sur les carac-
tères distinctifs propres à cette espèce ; il fait connaître ses
parasites et ses commensaux, sa capture, ses habitudes, son
âge adulte et fœtal, et même ses monstruosités.
SYNONYMIE.
Balœiioplcra borealis, Lesson.
Balœim rosirai a, Rudolphi.
Rorqual du Nord, Cuvicr.
SibbalUiui laticcps, Gray.
Lanyrôr ou Saaiwa/U^cichva^Scje^CadwhaU^ildehvat, îles pécheurs
fiamarkois.
CARACTÈRES.
Les individus qui échouent atteignent communément de 30
a 40 pieds ; cette dernière longueur est même rarement atteinte.
* Les Chinois aiment la chair des Cétacés a fanons, et préfèrent la chair
des Baleines véritables a celle des Balénoptères.
* On thê Exlernal Char acier s of Rudolphi' s Rorqual (Balaenoptera borea-
lis). Paoc. Zool. Soc, 1886, p. 243.
(83)
lies fanons sont noirs avec les barbes blanches et soyeuses. La
nageoire dorsale est élevée, courbée et pointue. La nageoire
pectorale est noire à sa face externe, blanche à sa face interne,
pointue à son extrémité.
En 1885, on a fait l'observation que les nombreux individus
capturés sur les côtes de Finmark, ont les nageoires pectorales
noires des deux côtés.
Les flancs sont couverts de taches blanches (spolted with
whité) et le dessous blanc [with a faint reddish linge).
Si Ton tient compte de la taille, du nombre de vertèbres
(55 ou 56), de la couleur des fanons, de la forme de l'atlas et
des autres cervicales, on ne peut confondre cette espèce avec
aucune autre Balénoptère. La Balœnoptera rostrata a quarante-
huit vertèbres, les fanons jaunes, et ne dépasse guère 30 pieds;
la Balœnoptera musculus a plus de 40 pieds et a toujours les
fanons foncés avec des stries blanches, et près de soixante ver-
tèbres. La Balœnoptera Sibbaldii a plus de 80 pieds, des fanons
noirs et fort larges à la base.
La Balœnoptera Schlegelii des îles de la Sonde, ainsi que la
Balénoptère qui a été envoyée du Japon, ont si bien les caractères
de notre Balœnoptera borealis, que MM. Flower, Turner et
Paul Gervais ont été frappés tous les trois de cette ressem-
blance.
R. Collett donne la mesure en longueur de divers individus :
les six individus qu'il a mesurés ont de 43 à 49 */2 pieds. Il
signale môme un individu de la longueur de 52 pieds.
Il donne de 35 à 37 pieds aux plus petits individus qu'il a
vus pendant l'été 1885 sur les côtes de Finmark (14.7 mètres).
Le squelette de Berlin n'indique qu'une longueur totale de
31 à 32 pieds; celui de Leyde, de 32, comme le squelette du
cap Nord, qui est à Bruxelles. Sars en a même vu aux Iles
Loffoden dont la taille varie entre 20 et 30 pieds; mais ce sont
déjeunes individus *.
1 G. O. Sar?, Om individuelle variationer hos Rorhvalerne. Vidensh. Selsk.
Forhandlinger for 1868.
H. Flower a étudié le squelette de Leyde, et trouve une Ion*
gueur de 29.7 pieds, en ne tenant pas compte de l'espace inter-
vertébral. Il provient de Tanimal capturé au Moniken-Dam dans
la Zuyderzée.
La longueur moyenne des individus capturés pendant le mois
de juin sur les côtes de Finmark en 1885, était de 45 pieds.
Il faut conclure de cette différence détaille, ou qu'il y a deux
races, quiprennent peut-être chacune une direction différente,
ou, ce qui paraît plus probable, que les individus qui viennent
se perdre dans la mer du Mord, sont tous jeunes.
ORGANISATION.
M. Collett a compté dans une femelle adulte, de chaque côté,
le long de la mandibule, onze bulbes pileux avec des poils de
10 millimètres, et derrière eux encore deux autres, ce qui
fait vingt-six en tout.
Dans un fœtus de 4 */2 mètre, il. existait de nombreux poils,
mais très courts. Dans un autre fœtus de 2.50 mètres, les
poils formaient trois rangs le long de la mandibule, la supé-
rieure et l'inférieure comprenant trois poils, celle du milieu,
onze, ensemble dix-sept poils de chaque côlé.
A la mâchoire supérieure d'un fœtus, il n'y avait que sept
poils placés sur un rang, les deux premiers plus éloignés l'un
de l'autre que les suivants.
Les fanons de l'animal dont le squelette est à Edimbourg et
qui a 37 pieds de long, were black, striped ivith grey and white,
andthe hairs prqjecting from the lower free border were greyisk
white (Turner).
M. Collett a publié des détails fort intéressants sur les fanons
qu'il a observés sur les lieux de la capture de ces animaux.
Les deux rangées de fanons s'unissent en avant sur la ligne
médiane; Gaimard avait déjà figuré cette disposition.
Les fanons sont noirs comme ceux de Sibbaldii, mais, en
dedans et en avant, ils sont d'un jaune pâle. Les barbes sont
extraordinairement fines et toutes blanches. La forme des
( So)
fanons, surtout des derniers, les rapproche de ceil\ des vraies
Baleines par leur longueur et leur étroitesse à la base. A ne
considérer que les fanons, cette espèce se trouverait entre
les Baleines et les Balénoptères.
Les fanons frais ont une couleur jaunâtre (horngelb), dit
Zaddach, mais desséchés, ils sont en partie d'un gris bleuâtre
et même noirs.
Si nous passons en revue les os du squelette, nous remar-
quons que cette espèce se distingue par la largeur des os
nasaux; par l'os frontal, qui n'est pas plus large à sa base qu'au-
dessus des orbites; par les vertèbres, qui sont proportionnel-
lement petites et au nombre de cinquante-cinq ou cinquante-
six; par les os en général, qui sont délicats et moins spongieux
que dans les autres espèces; enfin par la première côte qui a,
comme nous l'avons déjà dit, une tendance particulière à la
bifidité. Cette observation, faite d'abord par J. Muller, a con-
duit plus tard le docteur Gray à établir des subdivisions mul-
tiples, tant parmi les Baleines que parmi les Balénoptères.
La caisse tympanique a la plus grande ressemblance avec
celle de la Balœnoptera musculus, en différant toutefois par sa
forme aplatie et par ses extrémités pointues.
L'individu dont parle Zaddach a la troisième vertèbre cervi-
cale unie à la quatrième; ce n'est guère que dans la Balœnop-
tera rostrata que l'on a vu jusqu'à présent ces coalescences.
La réunion de certaines vertèbres cervicales a été observée
également par Guldberg. Par cette tendance des cervicales à la
soudure, comme par les fanons, celte Balénoptère se rapproche
des vraies Baleines.
Dans un squelette du Musée de Leyde, provenant d'un ani-
mal échoué près du Moniken-Dam (Zuyderzée), et qui a été
décrit par Schlegel, nous trouvons la colonne vertébrale divisée
en : sept cervicales; treize dorsales; seize lombaires, et vingt
caudales; en tout : cinquante-six.
Nous avons trouvé, dans l'exemplaire qui est à Bruxelles,
à droite, une côte supplémentaire, attachée par des parties
molles à la première côte dorsale, et à gauche, une côte
1
(56)
soudée. Le squelette provient d'un jeune animal i capturé sur
les côtes de Finmark, et dont les ligaments étaient encore tous
en place au moment de son arrivée à Louvain.
La première côte est également bifide des deux côtés dans
le squelette de Leyde, provenant du Moniken-Dam, et elle
s'articule avec la dernière cervicale et la première dorsale.
La Balcenoptera borealis, de la côte d'Essex (1883), a la pre-
mière côte bifide des deux côtés, une partie articulée à la pre-
mière dorsale, Fautre aux apophyses de la dernière cervicale.
La bifidité de la première côte a été reconnue dans presque
tous les individus, excepté dans celui qui a été décrit par le
professeur Sir Turner [Journ. anat. etphysiol., avril 1882).
Le squelette de Dantzig, décrit par Menge et par Zaddach,
montre une petite côte rudimentaire de forme triangulaire.
M. Flower a observé sur un Tursiops tursio deux côtes,
chacune de 52 millimètres de long, articulées aux apophyses
transverses de la septième cervicale.
Nous connaissons aujourd'hui le sternum de quelques sque-
lettes, ainsi que les dernières vertèbres, qui manquaient à celui
dont nous avons donné la description dans notre ostéographie.
Le sternum est élargi comme celui du Musctdus, mais
l'atlas et le bassin ont des caractères particuliers et res-
semblent beaucoup à l'atlas et au Bassin de la Balénoptère de
Scheveningen, qui est au Musée royal de Bruxelles.
Dans le squelette de Leyde, le sternum est plus large que
long et affecte la forme d'un disque à contour irrégulier.
M. Flower a publié une figure intéressante du sternum de
l'animal qui a échoué en 1883 (Proc. de la Société zoologique
de Londres). Il est petit, en partie cartilagineux, long de
7 pouces et un peu moins large que long. La première côte de
ce squelette est également biceps.
Les deux os du bassin ne se ressemblent pas, dit Guldberg;
celui de droite à 0m,250 de largeur ; fautre est renversé en S et
un peu tordu ; la largeur est de 0n,,220.
1 Bullet. de VAcad. roy. de Belg., *' série, l. XXVI, pi. I.
(37)
D'après le professeur Slru thers Je trapezoïde du carpe manque
dans la Balœnoptera borealis, tandis qu'il existe dans la Balœ-
nopterammculus *.
On connaît quelques fœtus de cette espèce. En 1885, le
.28 juin, on a trouvé une femelle pleine avec un fœtus de
3 Va pieds anglais (Cocks).
Le marquis de Wavrin a rapporté de Vadsô, en 1885, trois
fœtus, un de lm,96, un aulrè de lm,87 et un troisième de lm,27.
M. Guldberg fait mention de quatorze fœtus, presque tous
recueillis au mois de juillet ; ils ont de lm,550 à 3m,034.
Si l'on en juge par la taille des adultes, le Baleineau doit
avoir 4 mètres en naissant.
La taille moyenne de l'adulte complètement développé est,
comme nous l'avons dit plus haut, de 15 mètres environ.
MOEURS.
En général cette espèce est rare et, dans les eaux visitées par
les Balénoptères, on n'en trouve qu'en très petit nombre au
milieu des autres.
Dans les individus capturés sur les côtes de Finmark, on a
trouvé l'estomac plein de Crustacés, comme celui de la grande
espèce.
Nous supposons qu il y a une erreur dans l'observation de
l'individu qui aurait renfermé 600 gades (Dorsche).
Il se nourrit, comme nous l'avons dit déjà, d'un Thysano-
pode (Euphausia inermis); en 1885, M. Collett n'a trouvé dans
l'estomac que le Copépode connu sous le nom de Calanus
finmarchicus, Mull.
La chair de cette espèce est si différente de celle des autres
Balénoptères, dit M. Guldberg, qu'on la conserve pour la
table; il y a une pêche particulière près du cap Nord d'où l'on
expédie la chair sous forme de boudins. Les mandibules sont
travaillées sur les lieux en aiguilles à tricoter, dit M. Cocks.
1 Beport,Brùtsh Association, 1885, p. 1056.
(58)
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
La Seichwal n'arrive qu'en juin sur les côtes de Finmark»
Le meilleur moment de la pêche de cette espèce est du milieu
de juin jusqu'à la première moitié de juillet (Guldberg).
Plusieurs baleiniers assurent qu'habituellement elle dispa-
raît quand les autres espèces se montrent.
Le dernier individu de la saison exceptionnelle de 1885 a
été tué le 28 août. Collett dit qu'on en a vu encore le 8 sep-
tembre.
D'après les observations recueillies sur les lieux de la pêche,
cette Balénoptère fait ordinairement son apparition à la fin du
mois de mai, à la distance de 10 à 15 lieues des côtes de
Finmark, et n'entre dans les baies que pendant le mois de juin
et de juillet.
Son apparition correspond avec celle du Gadusviretis, ce qui
lui a fait donner le nom de Seichval (Guldberg).
Elle arrive périodiquement au cap Nord venant de l'ouest,
et, jusqu'en 1885, elle n'avait guère dépassé le cap Nord.
Cette année, les Balœnopkra Sibbaldii faisaient défaut, et
les Balœiioptera borealis sont arrivées en grand nombre,
continuant leur route jusqu'au Varanger-Fiord.
Malmgren cite cette espèce sur les côtes ouest du Spitzberg
et à la Nouvelle-Zemble; Brown ne croit pas à sa présence sur
la côte ouest du Groenland.
Elle fréquente aussi la mer Blanche. L'illustre V. Baer en a
envoyé un squelette à S'-Pétersbourg. Dervon Baermitgebrachte
Schâdel gehurt Balaenoptera Iaticeps zu> m'écrivait Brandt, le
2 janvier 1872.
M. True signale la présence de la Balœiioptera borealis, sous
le nom de Iaticeps, sur les côtes des Etats-Unis d'Amérique.
Le capitaine Scammon distingue trois Balénoptères dans le
Pacifique, l'une sous le nom de Balœiioptera sulfureus, c'est
notre grande espèce, la Balœnoptera Sibbaldii ; l'autre la Balœ-
( 89)
noptera velifera, est bien notre Musculus, et sous le même nom
il réunit sans doute aussi la Borealis.
La troisième espèce, à laquelle il donne le nom de Balœnop-
tera Davidsonii est notre Rostrata.
La Balœnoptera borealis est également représentée dans la
mer du Japon. Le Muséum d'histoire naturelle de Paris en a
reçu un squelette complet, accompagné de ses fanons.
Le Musée de Leyde en a reçu un squelette des îles de la Sonde.
Il a été rapporté à une espèce nouvelle sous le nom de Balœ-.
noptera Schlegelii.
M. Flower, en étudiant les Cétacés du Musée de Leyde, a par-
faitement reconnu les affinités de cette nouvelle espèce avec la
Balœnoptera borealis. Si ce n'était l'origine de ce squelette, je
croirais avoir affaire à une Balœnoptera borealis, dit-il. Le pro-
fesseur sir Turner fait remarquer t\ue les côtes de ce squelette
des Iles de la Sonde correspondent à celles de la Balamoptera
borealis.
Paul Gervais avait reconnu également que le squelette du
Muséum, provenant de la mer du Japon, ressemble beaucoup
à celui de Leyde, connu sous le nom de Balœnoptera Schlegelii.
Nous ne serions pas surpris de voir un des squelettes, envoyés
de l'île Formose par le consul anglais, M. Swinhoe, rapporté
également à cette espèce.
Nous venons de voir que pendant longtemps la Balœnoptera
borealis ne dépassait pas le cap Nord ; c'était donc ù l'ouest
qu'on péchait principalement cette espèce. En 1885 c'est la
Balœnoptera borealis qui a été le plus abondante sur toute la
côte de Finmark. Les baleiniers prétendent que le Crustacé qui
forme la pâture ordinaire des Sibbaldii faisait défaut cette
année. En 1883 il y avait à l'Ouest cinq baleiniers qui n'ont
guère capturé que des Balœnoptera borealis ; cette même année
dix-neuf baleiniers ont capturé à l'est de ces mêmes parages
406 Balénoptères de différentes espèces, dont 60 Megaptera,
(60)
90 Borealis, et le restant, moitié Balœnoptera Sibbaldii et moitié
Balœnoptera musculus. Le nombre le plus élevé par bateau était
de 40.
Guldberg pense que la Borealis est plus méridionale que les
autres espèces; nous pensons, au contraire, que les Balœnoptera
musculus et rostrata sont les plus méridionales et que les deux
autres sont au contraire les plus boréales. Les Balœnoptera
musculus et rostrata sont les seules espèces que l'on ait vues
jusqu'à présent dans la Méditerranée.
Ce n'est qu'en 4878 que l'attention des baleiniers fut attirée
sur cette espèce, dit Guldberg, et il pense que c'est en 1881
que les premiers exemplaires furent péchés.
Depuis 1882, on en a pris tous les ans à la station de Sôrvâr
(70° */a N.-E.), près de Hammerfest.
L'année 1884, sur 35 Balénoptères de différentes espèces,
on a compté, d'après un relevé, 3, d'après un autre relevé,
5 Borealis.
En 1885 leur abondance a été telle qu'on en a capturé 750,
pendant la campagne de l'année i ; pendant le mois de juin,
on en a capturé jusqu'à 4 par jour.
M. Guldberg nous apprend que, en 1886, il y a eu peu de
Balœnoptera borealis, mais plus de Balœnoptera Sibbaldii que
Tannée précédente. On a pris en tQut 932 Balénoptères et
Mégaptères, la plupart des Balœnoptei'a musculus.
On connaît plusieurs individus qui sont venus échouer sur
les côtes des mers d'Europe : un des premiers dont les annales
fassent mention, est celui qui est venu à la côte en 1811, dans
la Zuyderzée, près de Moniken-Dam, et dont le squelette est
conservé au Musée de Leyde. Van Breda en possédait le dessin»
1 0. H. Coûts, The Finnwhah fishery of 18H5 on the Novth europtan
coart. The Zoologist, april, 1886.
(61 )
En 1816 un autre a pénétré également dans la Zuyderzée.
Le 21 février 1819, une Balénoptère a échoué sur la côte du
Holstein et son squelette est conservé au Musée de Berlin.
Rudolphi a décrit ce squelette sous le titre : Einige anato-
mische Bemerkungen ûber Baigna rostratà * .
C'est cet animal que Cuvier a regardé ensuite comme Balé-
noptère du Nord et auquel il a donné le nom de Rorqual du
Nord, par opposition à la Balœnoplera musculus, qu'il croyait
propre à la Méditerranée. C'est le type de la Balœnoptera
borealis. Les individus qui se sont perdus n'ont guère plus de
28 à 29 pieds de longueur, mais on compte au moins 54 ver-
tèbres.
C'était sans doute une Balœnoptera borealis qui est venue
échouer près de Rugen en 1825, et que Rosenthal a nommée
Rostratà species major.
Le 5 avril 1826, les pêcheurs de Wyk-aan-Zee trouvèrent en
mer, flottant à une lieue de la côte, le corps d'une Balénoptère
femelle, dont Schlegel a donné une description, accompagnée
de deux planches représentant ce Cétacé, vu par ses trois
faces *.
En 1840, un individu a été capturé à Charmouth, Dorsets-
hire. Était-ce un Borealis ou un Musculus? Le squelette est
perdu.
En juin 1861, à l'ouest de Finmark, dans Altenfiord, un
individu de 30 pieds a échoué ; son squelette est au Musée de
Bergen.
Entre Bidart et Biarritz (Basses-Pyrénées), un jeune mâle de
7 à 8 mètres a échoué le 29 juillet 1874. Son squelette est con-
servé au Musée de Bayonne 3.
Près de Bergen, dans Skogsvaag, a échoué en juillet 1883 un
1 Mém. de l'Acad. des sciences de Berlin, 18 ,0/tl.
• Schlegel, Verhandeling over eenen, in het jaar f82€t aan de Noord-
hollandsche kust gestranden vinvisch.
1 Fischer, Comptes rendus de CAcad. des se, décembre 1876. — Revue
scientifique, janvier 1877, p. 688.
. (62)
animal, apparemment de cette espèce, dont le squelette n'a pas
été préparé *.
Le professeur Sars fait mention d'une Balénoptère de cette
espèce, ayant 30 pieds de long, et qui s'est fait capturer le
15 juin 1863 aux îles Loffoden 2.
Dans ces dernières années, trois individus ont été capturés
sur les côtes d'Angleterre ; le premier dans le Firth of Forth
en septembre 1872; son squelette est conservé au Musée anato-
mique de l'Université d'Edimbourg.
En novembre 1883 une autre capture est faite sur les côtes
d'Essex; M. Flower en a fait part à la Société zoologique de
Londres. Le squelette a été acheté pour le British Muséum 3.
On vient devoir échouer au mois de septembre dernier (1884)
un autre individu sur les côtes de Lincolnshire, et dont le
squelette est destiné à un jtfusée d'Australie.
En septembre 1884, on en a vu périr un à l'embouchure du
Humber.
Un mule de 36 pieds a été capturé en décembre, également
en 1884, dans la baie de Widewall (Orcades). Le squelette a été
exhibé à l'Association Britannique de 1886, à Aberdeen •*.
- Le 23 août 1874 a péri, dans la baie de Dantzig, une Balé-
noptère dont M. Menge a fait connaître le squelette. Du 17 au
18 août on avait vu l'animal dans la baie; les trois derniers
coups de lance, donnés dans les poumons, le foie et l'estomac,
l'ont achevé. M. Menge a accompagné sa notice de quatre
photographies, représentant le squelette complet et les divers
os séparément. La longueur est de 34 pieds 10 pouces. Il reste
aux yeux de quelques naturalistes, des doutes sur la nature
de cette Balénoptère.
• Nous trouvons aussi quelques exemples de captures faites de
l'autre côté de l'Atlantique. Dans la baie de Mob Jack (Virginie),
-' Lettre de Roren à Lilljeborg.
* Fieskrivelse .... , p. 25.
•* Proc.Zool.Soc., novembre 1883.
* Report ofthe british Association, 1886, p. 1053.
(63)
en mai 1866, on a pris un Hysticète qu'on a désigné sous le nom
de Sibbaldius tuberosus, et qui paraît appartenir à cette espèce.
Je crois que les os en sont conservés au Musée de Philadel-
phie. L'animal a été décrit par le professeur Taliaferro. M. Cope
croit que ce Cétacé est une Balœnoptera de l'espèce qui nous
occupe *.
MUSÉES.
Le squelette de cette espèce était encore excessivement rare,
il y a quelques années ; il sera bientôt aussi répandu que celui
de la petite espèce, grâce à la pêche des Balénoptères sur les
côtes de Finmark et de leur extrême abondance pendant l'été
de 1885.
La tête de Balœnoptera, rapportée par v. Baer de la mer
Blanche pour le musée de Sl-Pétersbourg, appartient, d'après
le Dr Brandt, à la Balœnoptera borealis.
Le Musée de l'Université de Berlin possède depuis long-
temps le seul squelette connu, provenant de l'individu échoué
en 1819 sur les côtes du Holstein et décrit par Rudolphi.
Le Musée de Leyde possède le squelette de l'animal échoué
à Moniken-Dam. On fait aussi mention d'un squelette au Musée
de Leyde, provenant d'un jeune individu échoué dans la Zuyder-
zée, vers 1816, et qui a été acheté par un marchand d'huile
d'Amsterdam. Les deux apophyses transverses de l'axis ne sont
pas jointes. La première côte est biceps. Les caractères de ce
squelette ont été donnés par le professeur W. Flower *.
Le Musée de Bergen possède deux squelettes, un des fies
Loffoden, donné par le Dr Daniellsen, l'autre d'un animal
échoué dans le voisinage de Bergen, en juillet 1863.
Le Musée royal de Bruxelles a fait l'acquisition d'un sque-
lette préparé au cap Nord et que Eschricht nous avait cédé.
*
1 Proceed. ..... Acad., 1866, p. 8.
1 Traduction du mémoire de Lilljeborg sur. les Célacés des côtes Scandi-
naves.
(64)
Nous avons vu, au Mu6ée anatomique d'Edimbourg, des
ossements fort intéressants d'un animal capturé dans le Firth
of Forth.
Le Musée du Collège royal des chirurgiens à Londres ren-
ferme divers os d'un animal de taille ordinaire, provenant des
côtes d'Angleterre; parmi eux nous avons remarqué une pre-
mière côte bifurquée, fort large, du côté du sternum surtout,
ainsi qu'un atlas et un axis provenant d'un animal bien
adulte.
Au British Muséum on conserve le squelette de l'animal qui
a été capturé dans la rivière Crouch, en 1883 i.
Si je suis bien informé, le squelette de l'animal capturé vers
la môme époque, également sur les côtes est d'Angleterre, a
été acheté pour un musée d'Australie.
Le Musée de Leyde possède un squelette envoyé de Java et
que M. Flower n'aurait pas hésité à rattacher à l'espèce qui
nous occupe, s'il ne venait pas de ces parages. Il est connu
sous le nom de Balœnoptera Sehlegelii.
Le Muséum de Paris a reçu un squelette du Japon qui se
rapproche, par tous les caractères tirés des os, de la Balœnop-
tera qu'on a nommée Sehlegelii. Il a de 11 à 12 mètres de
longueur, et la tête a la même dimension que celle de notre
Balœnoptera borealis.
Au Musée de Christania, M. Guldberg a déposé un fœtus de
l*,3oS, dont il a donné la description dans les Bulletins de
l'Académie de Bruxelles (janv. 1884).
Le même Musée renferme un crâne, une omoplate, une
troisième cervicale, les os du bassin, l'os tympanique.
M. Guldberg est en possession des trois premières cervicales
d'un animal très vieux, capturé près du cap Nord (Fu fjord). Ces
trois vertèbres sont soudées par leur bord inférieur, tout en
laissant un certain espace entre le corps des vertèbres.
Nous trouvons un squelette complet au Musée de Dantzig
* List of Ihe spécimens of Cetacea in the Zoologicul de part ment of the
British Muséum. Londoo, 1885.
( 68 )
dont le crâne est photographié. Il provient d'un animal échoué
dans la Baltique.
À Bayonne on trouve le squelette de l'animal capturé à
Biarritz, en juillet 1874; il a été signalé par le Dr Fischer *.
M. Gerrard, à Londres, est, au moment de mettre cette page
sous presse, en possession d'un squelette provenant d'un
animal qui a échoué dans la Tamise, près de Tilbury, au mois
d'octobre dernier (1887).
Le Musée de Cherbourg est en possession de sept fenons
d'un animal de cette espèce, que je croyais d'abord devoir rap-
porter à la Balœnoptera Sibbaldii à cause de leur couleur
noire luisante; je n'avais pas remarqué d'abord les barbes
blanches. On ne connaît rien de positif sur leur origine.
Peut-être ont ils été apportés par un des navires de l'État,
qu'on envoie au Nord protéger la pêche d'Islande : la corvette
La Recherche a été envoyée en 1834 à la recherche du brig
La Lilloise.
Plusieurs Musées du Nord ont des fanons de cette espèce;
nous en avons à Louvain d'un jeune animal et d'un animal
adulte que nous devons à M. Guldberg, et nous en possédions
un depuis longtemps, qui nous avait été envoyé par le capi-
taine Jouan.
DESSINS.
Cette espèce a été rarement représentée; nous en trouvons
un dessin dans Brandt, Medicinische Zoologie (1837-1834),
planche XV, figure 3, dessin qui a été exécuté par Von Mathiesen
en 1819, à Hambourg, d'après l'animal échoué sur les côtes
du Holstein; le squelette est au Musée de l'Université de
Berlin. C'est la même Balénoptère qui a été décrite par
Rudolphi et que Cuvier avait confondue avec les autres espèces
sous le nom de Balénoptère du Nord.
1 Comptes rendus, 27 décembre 4876, et Journal de Zoologie, vol. V,
p. 463. 1876.
Tome XLI. 5
(66)
Le professeur Van Breda possédait le dessin de l'animal qui
a été capturé en 1811 dans la Zuider-Zee. Nous ne savons entre
les mains de qui il se trouve aujourd'hui.
Le Dr Fischer a publié un croquis, fait par MM. de Folin et
E. Moreau, d'un jeune mâle qui est venu à la côte, entre Bidart
et Biarritz (Basses-Pyrénées), en 1874.
Sars en a publié un dessin d'après un animal des îles
Loffoden.
Le Dr Guldberg m'a montré un dessin fait grossièrement sur
place au cap Nord ; il reproduit la forme du corps, mais sans
la queue.
R. Collett vient de publier un beau dessin du mâle et de la
femelle encore en chair.
L'individu échoué dernièrement dans la Tamise a été pho-
tographié.
Le squelette et la tête surtout ont été dessinés plusieurs fois.
Nous trouvons d'abord l'un et l'autre dans le Mémoire de
Rudolphi, et Cuvier n'a fait que reproduire le dessin de la tête,
dans ses Recherches sur les ossements fossiles.
Brandt et Ratzeburgont ensuite reproduit le dessin du sque-
lette de cette espèce, comme plus tard Pander et d'Alton.
La même tête avec la première côte ont été reproduites
encore par Gray et plusieurs autres naturalistes.
Nous avons inséré un dessin du squelette dans l'Ostéogra-
phie que nous avons publiée avec la collaboration de Paul
Gervais, planche X et XI, sous le nom de Balœnoptera latweps.
PARASITES.
Les fanons, surtout ceux du milieu, se couvrent de Crustacés
Copépodes en prodigieuse quantité. On trouve d'un côté des
jeunes en voie de développement, et de l'autre côté des adultes,
parmi lesquels nous avons vu des femelles portant leurs œufs
dans des ovisacs de forme ovale. Ce parasite ou, pour mieux
dire, ce commensal, puisqu'il ne peut se nourrir aux dépens
(67 )
de son hôte, a été décrit et figuré dans les Mémoires de l'Aca-
démie de Stockholm (1879) sous, le nom de Balœnophyllus uni-
setus, par M. Aurivillius. Nous l'avons trouvé en abondance
sur des fanons que M. Guldberg a bien voulu nous donner.
Ce même BaUmophyllus vit aussi sur les fanons de la Balœ-
noptera Sibbaldii.
M. R. Collett a trouvé dans l'intestin de tous les individus
qu'il a ouverts, des milliers d'Échinorhynques, qu'il rapporte
à deux espèces différentes : l'une à YEchinorhyneus porrigens,
l'autre à une espèce voisine de YEchinorhyneus brevicollis,
décrite par Malm en 1867. H. Collett suppose que ce dernier
Échinorhyncus est nouveau, qu'il est introduit par une pâture
que la Balénoptère prend dans une autre saison et probable-
ment dans d'autres parages. M. R. Collett lui donne le nom
de Echinorhyncus ruber; il publie une bonne figure de l'animal,
de grandeur naturelle, et du rostre grossi.
M. le marquis de Wavrin a arraché de la peau d'une Balœ-
noptera fraîchement capturée sur la côte de Finmark, que
nous supposons être la borealis, un parasite qui ne peut être
qu'une Penella, d'après la description qu'il nous en a donnée.
BAUENOPTERA MUSCULUS.
LITTÉRATURE.
▼an Beneden, Notice sur une Baleine prise près de l'ile Vlieland, et
dont le squelette est monté au Jardin royal de zoologie d'envers. Bull et.
DB L'A CAD. ROYALE DE BELGIQUE, t. XXIV, 1857.
C&ervala, Sur la Baleine de la Méditerranée. Bullet. de l'Acad.
ROYALE DE BELGIQUE, 2« série, t. XIV.
Dr Mûrie, On the anatomy of Physalus antiquorum. Procbbd. Zool.
Soc, 4865, p. 306.
W. H. Flower, Observations upon a Fin-whale( Physalus antiquorum,
Gray) recently stranded in Pevensey Bay. Proc. Zool. Soc. of London,
novembre 4865,
G. a. Sara, Beskrivelse afen vtd Lofoten indbjœrget Rohrvnl Balce-
noplera musculus. Sobrskilt aftrykt af Vid-Sblskabets Forhandlinger
for 1865.
Chev. Prof. v. Diorfo, // Cetaceo di S. marinella. Atti dell' Accadbmia
PONTIFICA DBI NUOVI LINCBI, 4866.
Malin, Omelt iZoologiska Rictomuseum Skelett af Balœnoptera mus-
culus frân Finmarken. Ofvbrsigt af Kongl. Vetensk. Akad. FÔrhandl.,
4868.
W. n. Plower, notes on four spécimens of thecommon Fin-Whale
(Physalus antiquorum, Gray; Balœnoptera musculus, Auct.), stranded
on the south coast of England. Proc. Zool. Soc. of London, december
4869.
(70)
Doftmet-Adaaaon, Note sur le Rorqual* capluré aux environs de
Palavas, le 23 septembre 4870. Ann. Soc. d'horticulture bt d'hist. mat.
de l'Hérault, Montpellier, 4870.
V«n Beneden, Mémoire sur une Balénoptère, capturée dans l'Escaut.
Mém. Acao. royale de Belgique, 1871.
Thoni. Dwlght, Description of the Balœnoptera musculos. Mem. on
tbe Boston Society of natur. history, toI. II, part. II, n° 1 1, 4871.
Frled. Braeadgam, Einige Zoologisch-Zoolomische Beitrâge zur
Walthierkunde. Inaug. Dissertation, Berlin, 4874.
i, Une nouvelle Balœnoptera rostrala dans la Méditer-
ranée. Bulletin di l'Académie, t. VIII, 4884.
Ytc» de I<a*e, Histoire de la Balœnoptera musculus, échouée sur la
plage de Langrune. Archives de Zoologie expérimentale, 4886.
(71 )
HISTORIQUE.
La Balœnoptera musculus est la Balénoptère la plus com-
mune : elle échoue sur les côtes d'Europe depuis la Laponie
jusqu'au fond de la Méditerranée. Elle est aussi la plus
anciennement connue : Aristote parle d'elle sous le nom de
Mysticetus; il lui met dans la bouche des poils qui rappellent,
dit-il, les soies du porc, ce qui ne peut s'appliquer qu'à un
Cétacé à fanons.
Pline cite les paroles d'Aristote et donne à l'animal le nom
de Musculus, nom que cette espèce porte généralement aujour-
d'hui.
Dans son Systema naturœ, Linnë a réuni les observations
faites sur ces animaux tant par les naturalistes que par les
baleiniers et les voyageurs. Mais comme on ne possédait point
de squelettes dans les Musées et que les descriptions laissaient
beaucoup à désirer sous le rapport de l'exactitude, il n'est pas
possible de dire si le naturaliste suédois a appliqué le nom de
Musculus à l'espèce de Balénoptère qui nous occupe. D'ailleurs,
si Linné s'était rendu au Groenland, il aurait eu de la peine à
reconnaître lui-même les animaux auxquels il avait donné des
noms.
Un élève de Linné, Fabricius, a eu l'occasion d'étudier les
Cétacés qui vivent sur les côtes de Groenland ; mais trop con-
fiant dans la science de son maître, il a voulu se servir des
noms linnéens pour désigner les animaux qu'il connaissait. Il
en est résulté une certaine confusion, qui heureusement touche
à son terme. On connaît aujourd'hui positivement les espèces
que Fabricius a dû voir sur place ; mais on est loin d'être
d'accord sur celles que Linné n'a connues que par des descrip-
tions incomplètes et souvent erronées.
Ce qui montre combien nos connaissances sur la structure
des Cétacés étaient peu avancées, c'est que, en 1835, Vrolik
disait, dans sa Notice sur l'anatomie d'une Balénoptère, « si on
(72)
examine attentivement les ouvrages antérieurs de HunUr, de
Camper et de Cuvier, il ne peut y avoir de doute que tout notre
savoir ne va guère plus loin que le squelette, le larynx, l'œil et
f oreille. » Ce sont en effet les parties que Pierre Camper avait
étudiées.
Les naturalistes sont d'accord aujourd'hui pour conserver le
nom de Musculus à l'espèce de Balénoptère qui atteint une
longueur moyenne de (îO pieds, qui a les fanons d'un gris ver-
dâtre, rayés de blanc, soixante-deux vertèbres, un sternum
court et large en avant, et dont le fœtus à terme atteint le quart
de la longueur de la mère.
C'est le Cétacé à fanons qui pénètre le plus souvent dans la
Méditerranée.
Ce n'est que depuis peu que l'on connaît deux exemplaires
de Balœnoptera rostrata, un de Balœna biscayensis et un de
Megaptera boops, qui ont pénétré accidentellement dans cette
mer intérieure, tandis que la Balœnoptera musculus y est assez
fréquente, au point que Cuvier la croyait propre à la Méditer-
ranée; aussi, pour le grand naturaliste du Muséum, c'était
le Rorqual de la Méditerranée, tandis que les autres espèces
n'étaient que des Ages différents du Rorqual de la mer du
Nord.
Nous l'avons déjà répété, toutes les Balénoptères qui pénè-
trent dans les mers intérieures d'Europe sont propres à
l'Atlantique, et nous pouvons même ajouter à l'Atlantique
septentrionale.
Il est vrai, on a capturé dans ces derniers temps un Musculus
assez jeune (5™. 25) pour supposer qu'il est né dans la Médi-
terranée; mais quand cela serait vrai, il n'est pas démontré
que ce n'est pas une mère grosse, qui, approchant des côtes
pour chercher une baie propice à la parturition, a pénétré
accidentellement par. le détroit de Gibraltar et dont le balei-
neau à peine né a été capturé.
On a d'ailleurs capturé dans la Méditerranée d'autres femelles
accompagnées de leur baleineau ou qui y ont mis bas.
En 1883, on en a vu une avec son jeune, au Nord-Ouest du
(73)
eap de Creux, et le 3 septembre 4870 une femelle, presque à
terme, a été capturée sur les côtes du département de l'Hérault.
On cite encore la capture d'une autre femelle accompagnée
d'un Baleineau de 6 mètres.
Sur la plage de Monte-Rosso une femelle, en état de gestation,
a été trouvée morte en 1878.
La taille des deux baleineaux (5™. 25 et 6m.) indique à peu
près leur âge : le jeune musculus a tout au plus 5 mètres en
venant au monde.
Schlegel a publié différents mémoires sur les animaux qui
nous occupent; pour le directeur du Musée de Leyde, il n'y
avait qu'une Balénoptère pour tout l'hémisphère arctique, et la
Megaptera du Japon passait pour la Balénoptère antarctique ;
il n'y avait également pour lui qu'une seule espèce de Baleine
dans chaque hémisphère.
Lorsqu'en 1834, Paul Gaimard rapporta de son voyage en
Islande quelques caisses tympaniques de Balénoptères, il ne
nous fut pas difficile de reconnaître l'identité de ces os avec
ceux de la Balénoptère qui fréquente la Méditerranée; confiant
dans la science de Cuvier, le Rorqual s'étend, disions-nous,
jusqu'en Islande, tandis qu'en réalité cette espèce est un
animal boréal qui va se perdre quelquefois dans cette mer.
Ce n'est pas moins Cuvier qui a établi la cétologie sur sa
véritable base, en n'admettant que ce que les squelettes ou les
crânes connus lui avaient appris; et, de son côté, Holbôll,
gouverneur du Groenland, faisait des observations sur les
Cétacés qui fréquentent ces côtes; il recueillait en même temps
tout ce que les pêcheurs lui rapportaient, et envoyait à son
ami Eschricht squelette, fœtus et toutes les parties qui pou-
vaient être conservées. 11 existe, en dehors des Baleines, cinq
espèces de Cétacés à fanons, disait Holbôll ; une est connue
aujourd'hui sous le nom de Megaptera, et les quatre autres sont
les Balénoptères des naturalistes actuels. Celle qui nous occupe
était connue des pêcheurs sous le nom de Kqwrkarnak.
Eschricht a mis à profit tous ces matériaux, et on peut dire
que c'est lui qui a fondé la Cétologie des naturalistes.
( 74)
Le professeur 0. G. Sars, de son côté, a beaucoup contribué
à étendre nos connaissances sur ces animaux; ayant passé
plusieurs années aux Iles Loffoden, il a fait des observations
intéressantes sur la Balœnoptera musculus, comme sur les
autres espèces, et il a comparé avec soin les divers os de
leurs squelettes. Son travail spécial sur la Balœnoptera musculus
est accompagné de trois planches qui reproduisent fidèlement
leurs caractères extérieurs.
Le professeur de Christiania a publié ensuite, en 1868, une
notice sur les variations des Balénoptères, une autre en 1874
sur la Balœnoptera Sibbaldii, en 1878 une nouvelle sur les
caractères des diverses espèces de ce genre.
Le professeur Flower a beaucoup contribué à faire connaître
l'espèce qui nous occupe, en publiant divers mémoires, parmi
lesquels nous pouvons citer surtout celui qui a pour objet
l'individu qui a péri dans la baie de Pevensay (Sussex) en 1865.
C'était un mâle de 67 pieds de longueur, dont l'état de
conservation laissait beaucoup à désirer. C'est dans ce cadavre
que le directeur du British Muséum a reconnu la véritable
composition du bassin des Balénoptères. Le savant directeur
du British Muséum a eu l'occasion d'étudier également deux
autres individus capturés, l'un à Margate, l'autre à Falmouth, et
le superbe squelette conservé à l'Ile de Wight (Blac Gang Chine)
provenant d'un animal échoué près de Ventnor.
On a beaucoup écrit sur cette espèce, comme nous venons de
le voir; on a donné des détails sur son organisation; on s'est
occupé de ses caractères extérieurs, du nom qu'elle doit
porter, des parages qu'elle fréquente, des lieux où des indi-
vidus sont venus échouer; mais ce n'est que depuis la pêche
des Balénoptères, organisée sur une grande échelle sur les
côtes de Finmark, que Ton a commencé à la reconnaître défi-
nitivement.
Parmi les auteurs qui ont le plus contribué à éclaircir
l'histoire de cette espèce, nous devons citer, par ordre de date,
Knox, Schlegel, Vrolik, Eschricht, Flower, Sars, et, dans ces
derniers temps, Yves Delage et Guldberg.
( 75)
SYNONYMIE.
Cette Balénoptère a été désignée sous un grand nombre
de noms, et il y a lieu d'espérer que le nom de Balœnoptera
musculus lui restera.
Nous croyons que la science n'a rien a gagner à former une
liste complète de tous les synonymes ; il est préférable, pensons-
nous, de faire un choix et de ne donner des synonymes que
pour éviter la confusion.
Mysticetus, Aristolc
Musculus y Pline.
Rorqual de la Méditerranée, CuviYr.
Physalus antiquorum, Gray.
Pterobalœna communis, Eschricht.
Le Tunnolik ou Keporkarnak des Groënlandais.
Le Sildreki des Islandais.
Le Razorback des baleiniers américains.
Le Finnfisch et Vinwall des baleiniers en général.
Le Rohrval des Norvégiens.
On l'appelle encore Lodde et Capelan Whale.
La Balénoptère que James Hector fait connaître sous le nom
de Phy sains australis, Gray, correspond parfaitement, d'après
les fanons, à notre Balœnoplera musculus ; elle a aussi 60 pieds
de long. Les vertèbres sont au nombre de 62, divisées en 7 cer-
vicales, 15 dorsales, 15 lombaires et 25 caudales.
La Balœnoptera Patachonica de Burmeister doit aussi être
assimilée au Musculus.
CABACTÈRES.
La face inférieure du corps est blanche; les fanons sont d'un
gris pâle verdâtre, souvent parcourus dans leur longueur par des
stries blanches ; les vertèbres sont au nombre de 62 et les côtes
de 15 paires ; le sternum est large en avant et terminé en pointe.
(76)
La nageoire dorsale est placée au-dessus de l'anus, vers les
trois quarts de la longueur du corps * ; elle est assez grande.
Le corps est mince et allongé comme s'il était appauvri, très
comprimé au-devant de la nageoire caudale *,
Il y a une sorte de pleuronectisme dans la Balœnoptera
tnusculus, dit M. G. Pouchet3, en ce que la face du corps est
souvent plus pâle d'un côté que de l'autre. Cette observation a
d'abord été faite par Sars*; Guldberg s croit que cette cou-
leur blanche d'un côté se trouve tantôt à droite, tantôt à
gauche.
Les fanons n'ont jamais cette couleur noire de la grande
espèce, ni la couleur jaune de paille de la petite espèce ; ils sont
généralement verdâtres et portent des stries; ils ont moins de
valeur que ceux de la Balœnoptera Sibbaldii. Cependant ils
n'ont pas toujours la même couleur : l'individu 'échoué à
Palevas avait les fanons blancs, nuancés de vert, teinte qui
passait même au noir sur le bord concave ou interne.
La longueur moyenne de l'animal complètement adulte est
d'environ 60 pieds. M. Guldberg leur donne de 60 à 70 pieds.
Le professeur Sars pense de même que leur longueur peut
atteindre jusqu'à 70 pieds, mais on peut se demander s'il n'y a
pas confusion avec la B. Sibbaldii.
La femelle est plus grande que le mâle» M. A. Cocks a
mesuré à Vardô un mâle qui avait 64 pieds 6 pouces (anglais).
M. Cocks a vu à Vardô, au mois d'avril, un fœtus de 1 pied
41/2 pouces, et le 13 juin, à Eretiki, unautre de 4 pieds 6 pouces.
Hais c'est surtout à Guldberg que nous devons des rensei-
gnements intéressants sur la taille des femelles, sur les fœtus,
et sur leurs mesures aux divers mois de l'été.
1 Dans la Balœnoptera Sibbaldii, la nageoire dorsale esl placée sur les
quatre cinquièmes de la longueur du corps et elle est encore plus élevée.
* Cet animal esl si minoe, si allongé et si tranchant en arrière, que les
marins Anglais Pont appelé Razorback.
9 G. Pouchet, De Y asymétrie de la face chez les Cétodontes, Paris, 1880*
4 Vidensk., FôrhandL, «880.
6 Ballet, de VAcad. royale de Belgique, avril 1884.
( 77 )
La plupart des mère» mesuraient de 65 à 68 pieds, et dépas-
saient donc la moyenne que nous avons donnée. Les mères,
pendant la gestation, sont recherchées par les baleiniers, à
cause de la graisse qu'elles ont au cœur, au mésentère et aux
reins.
La mesure des fœtus, trouvés dans le sein de mères cap-
turées depuis le mois de mars jusqu'en août, et observés
pendant quatre ans, présente une certaine régularité. En
mars, M. Guldberg a mesuré un fœtus qui avait 426qMn; en
avril, quatre avaient de 300 à 787mni, et un 2m,540; en
mai cinq fœtus avaient de 328 à 975nrai; en juin, six avaient
de 4,135 à 2,037; en juillet, quatre mesuraient de 4,700
à 3,100; à la fin de juillet, deux jumeaux atteignaient chacun
S mètres.
On n'a pas capturé de Balénoptère à terme.
Les nouveau-nés sont estimés à 6 mètres ou 48 pieds, et
peut-être faut-il réduire cette taille à 46 pieds.
M. Guldberg a vu également des baleineaux accompagnant
leur mère : au mois d'avril, un avait de 48 à 49 pieds ; un
second, 48 pieds; un troisième, 24 pieds, et, au commencement
de mai, il en a vu un quatrième de 40 pieds.
En 4883. à la fin de mai, les pêcheurs ont observé pendant
deux à trois jours, à l'Est de Finmark, une gamme de balei-
neaux, dans le Voranger-fiord, sous la conduite d'individus
adultes : les plus jeunes avaient 20 pieds. En juin on a aperçu
encore d'autres petites gammes de baleineaux, accompagnées
d'individus adultes.
Le 24 juillet 4883, une femelle, accompagnée de son balei-
neau, y fut encore tuée ; ses mamelles contenaient plusieurs
litres de lait. On n'a pas indiqué la taille du jeune.
ORGANISATION.
Il existe une poche du larynx comme dans la Balénoptère de
Sibbald, et sans doute dans les diverses espèces du genre. Du
(78)
Hamel la connaissait : on m'a assuré, dit-il *, que les Baleines
ont au-dessous du gosier un grand réservoir d'air, qui équivaut
aux petites vessies à air.
Cette poche a fait commettre bien des erreurs. Ainsi
F. CuvierS, qui n'avait sans doute jamais vu de cadavre de
Balénoptère, parle d'une vessie qui, après la mort, remonte
dans la bouche de l'animal et force les mâchoires à s'écarter
l'une de l'autre.
W. Vrolik s'est trouvé en présence d'un cadavre de cette
espèce sur les côtes de la Hollande et a confondu cette poche
avec un intestin, qui va, d'après lui, du menton jusqu'à
l'ombilic 3. Au lieu de se trouver dans la cavité abdominale,
comme chez les autres mammifères, les intestins sont placés,
dit-il, en dehors. On ne dira pas cependant que W. Vrolik,
comme son père, nétait pas un véritable anatomiste.
Pour expliquer la présence des sillons dans les Balénop-
tères, Vrolik suppose qu'il sont en rapport avec la nécessité
de dilatation de l'œsophage, quand l'animal avale de gros
poissons, comme il a l'habitude de le faire, dit-il. — Jamais on
n'a trouvé, que je sache, des restes de gros poissons dans
l'estomac des Balénoptères; ce sont des poissons comme les
harengs, les capelans ou les petites espèces de gades dont
elles se nourrissent.
Nous avons fait dessiner cette poche et ses rapports avec le
larynx dans les Bulletins de l'Académie, 3° sér. t. II, 1881. Le
professeur Sir Turner a fort bien représenté cette même poche
en place dans un fœtus de Balœnoptera Sibbaldii.
Le Dr Ravin a publié quelques observations anatomiques sur
les fanons d'un animal de 41 pieds de long, échoué en 1829 sur
la côte du département de la Somme *.
L'étude du fœtus a fait connaître que l'intestin grêle et le
1 Traité des Pèches, vol. IV, p. 6.
* Bist natur. Cétacés, p xv.
3 Ann. Se. nat.f 1858.
* Ann. Se. nat., 1836, p. 20G, pi. 1 1.
(79)
gros intestin sont séparés l'un de l'autre, et qu'il existe un
cœcum peu développé.
Le professeur Struthers a publié une notice intéressante sur
quelques faits d'anatomie de cette espèce : il fait connaître
avec soin la composition de la nageoire pectorale avec ses
muscles fléchisseurs et extenseurs. Il décrit et figure en même
temps le bassin, composé de l'os ischion et d'un rudiment de
fémur avec des cartilages et des ligaments, le sternum et la
manière dont il s'articule avec la première côte1 .
La découverte du fémur rudimen taire dans les Balénoptères
à été faite en premier lieu par le professeur Flower 2. H paraît
qu'il reste toujours rudimentaire dans cette espèce.
Le squelette de l'individu échoué à Pevensey-Bay, en 1865,
a une apophyse transverse inférieure fort courte à la sixième
cervicale et une seizième côte supplémentaire.
Le professeur Struthers a fait connaître également l'existence
d'une petite côte supplémentaire dans un mâle de cette espèce.
Nous avons publié la description du squelette dans l'Ostéo-
graphie des Cétacés.
Malm donne la description du squelette et la figure des prin-
cipaux os, sauf la tète, d'après un squelette de Finmark.
MOEURS.
La Balénoptère qui nous occupe est ichtyophage; au Nord
ce sont surtout les Loddes, Mallotus, c'est-à-dire, Osmerus
arcticus qu'elle poursuit.
Ce poisson apparaît surtout en abondance au printemps
autour de l'Islande et au nord de la Norvvège.
Des pêcheurs assurent en avoir trouvé jusqu'à huit cents dans
un seul estomac de Balénoptère.
* John Struthers, On some points in the anatomy of a great Fin-uahle
(Balaenoptera musculus); on the cervical verlebrœ and their articulations.
Journal of anatomy and physiology, vol VI, novembre 1871 et vol. VU, 1872.
■ Proc. Zool. Soc. ofLondon, novembre 1865, p. 704.
(80)
»
Sur les côtes d'Islande, d'Ecosse et de Norwège, ce sont
surtout les bancs de harengs que cette Balénoptère accom-
pagne.
On cite encore parmi les animaux dont elle fait sa pâture :
les Gades (Small cod, disent les pêcheurs) et au besoin des
Schrimps.
Les Balénoptères que Ton capture sur les côtes de Finmark
ont toujours leur estomac plein, tandis que les individus
échoués ont ordinairement l'estomac vide. J. Mûrie a trouvé
dans un animal échoué des débris de Méduses et des restes
d'Entomostraces *. On a trouvé aussi, dans le premier estomac,
des algues qui avaient sans doute été avalées à défaut de proie.
Cette espèce souffle très haut, comme le Slâtbak (Balcena
biscayensis) , dit M. Halmgren; elle n'est pas farouche et
approche des chaloupes en les côtoyant pendant des heures.
C'est l'espèce la plus facile à observer.
Elle est sans doute moins farouche parce qu'on ne la pour-
suit guère.
D'après Guldberg, la fécondation et la mise bas ont lieu en
hiver; la gestation est de dix à douze mois; le jeune accom-
pagne sa mère jusqu'à ce qu'il ait atteint la moitié de sa taille.
PÈCHE.
Les baleiniers qui allaient jadis à la pèche de la Baleine
franche dédaignèrent souvent de harponner la Musculus.
Fred. Martens aperçut en 1671, le 9 mai, une Baleine, à
laquelle il aurait fait la chasse, dit-il, s'il n'avait pas aperçu sa
nageoire dorsale.
R. Brown la considère encore comme sans importance à
cause du peu de lard et de la difficulté de la capturer. Il se
rappelle que les baleiniers trouvant un jour un cadavre flot-
tant, qu'ils avaient pris pour un Mysticetus, l'abandonnèrent
1 Proc Zool. Soc., fur. 1865, p. 211.
(81 )
aussitôt qu'ils aperçurent que c'était un Finfish; d'autres
l'avaient également abandonné. Aujourd'hui on leur fait régu-
lièrement la chasse ; avant fa découverte des bateaux à vapeur
on ne pouvait y songer.
Une Société anglo- américaine a organisé cette industrie
dans les eaux d'Islande en 1868 ; elle a cessé ses opérations
en 1867.
C'est au commencement de 1870 que Svend- Foyn a com-
mencé la chasse avec des steamers et des canons chargés de
bombes-lances et de harpons.
Il existe aujourd'hui une pêche de Balénoptères, régulière-
ment organisée, sur les côtes de Finmark, et parmi les espèces
que Ton capture, pendant Tété, figure la Balœnoptera musculus.
La saison de cette pèche commence au mois de mai et finit
au commencement d'août.
Nous avons fait remarquer plus haut que c'est la Balœnop-
tera musculus qui arrive la première dans ces parages, et la
Balœnoptera Sihbaldii, la dernière.
Le dernier animal capturé à Vardô en 1884 était une Muscu-
lus ; le 22 août on en vit encore une à Eretiki ; le 24 août on
captura la dernière à 30°30'
M. A. Cocks n'a pas vu de Balénoptère dans la mer Blanche.
En partant d'Arkhangelsk le 7 septembre, il a aperçu des
Balœnoptera musculus à Gorodetsk Point.
Après la Balœnoptera Sibbaldii c'est la Musculus qui est
généralement la plus abondante sur la côte de Finmark, En
1883 néamoins c'est la Borealis qui a été la plus commune dans
ces parages.
Les principales factoreries sont à Vardô, à Vadsô, à Bôle, et
à Far-Fyord.
Dans ces dix dernières années, on en a péché sur les côtes
de Finmark, en 1878, quarante; en 1879 également, quarante;
en 1880 et en 1881, cinquante ; (capitaine Sôrensen, Guldberg.)
Depuis 1881, on en a tué tous les ans plusieurs centaines.
En 1886 on a capturé au moins cinq à six cents individus. Le
plus grand nombre ont été péchés aux mois d'avril et de mai.
Tome XLL 6
(82)
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
•
- La Balœnoptera musculus habite à l'est et à l'ouest du Groen-
land, visite périodiquement l'Islande, les Loffoden, double le
cap Nord, pénètre môme dans la mer de Kara; elle arrive
régulièrement, avec d'autres espèces, dans ces parages aux mois
de mai et de juin, et passe de nouveau le cap Nord au mois
d'août ou de septembre, pour se rendre de l'autre côté de
l'Atlantique ou à l'ouest du Groenland.
Partout sur ce passage on a vu échouer, tantôt des mâles,
tantôt des femelles, sans qu'on ait pu remarquer aucune pério-
dicité dans leur apparition.
En partant d'Arkhangelsk, M. A. Cocks a vu des Balœnoptera
musculus à Gorodetsk Point, le 2 septembre, la dernière
Megaptera boops le 16, la dernière Balœnoptera Sibbaldii le 18,
à Eretiki.
On en voit parfois se rendre au sud vers la mer du Nord,
pénétrer dans le Kattegat ou bien entrer dans la Manche,
longer les côtes ouest de France, les côtes d'Angleterre,
d'Espagne et de Portugal, pénétrer même dans la Méditerranée
et parcourir toute cette mer intérieure jusqu'au fond de
l'Adriatique, sans dépasser toutefois le détroit des Dardanelles :
elle ne pénètre jamais dans la mer Noire et bien rarement dans
la Baltique.
Il est probable que c'est la température de l'eau et la pâture
qui déterminent ces animaux à se rendre, à l'approche de Pété,
de l'ouest à l'est, et, en automne, en sens opposé.
Les individus qui visitent nos parages ou qui se rendent dans
la Méditerranée sont des animaux dévoyés ou blessés, ou
affolés par la poursuite des harponneurs.
L'animal qui est venu se perdre, il y a quelques années, à
l'entrée de l'Escaut, avait reçu dans la nageoire pectorale une
balle explosible qui lui avait fracturé complètement les os de
l'avant-bras.
En décembre 1870, un officier de garde d'une corvette de
guerre (Prinz Frédéric Karl) dans la mer du Nord, crut aper-
(83)
cevoir la nuit une torpille; mais on découvrit ensuite que c'était
un corps de Balénoptère commune, flottant à la surface
de la mer. Le docteur Fr. Braeutigam a eu l'occasion d'étudier
ce cadavre et en a fait le sujet d'une dissertation inaugurale.
Nous avons publié un plan des côtes des mers d'Europe et
marqué les lieux où des individus avaient échoué. Tout ce que
l'on peut en tirer, c'est que des individus de cette espèce
sont allés mourir à peu près sur toutes les côtes des mers
d'Europe.
La Balœnoptera musculus forme à peu près le quart des
Balénoptères qui échouent dans les mers d'Europe.
Nous voyons assez souvent des individus d'une quarantaine
de pieds; ce sont sans doute de jeunes Balénoptères qui ont
quitté leur mère depuis peu de temps; le plus grand nombre
n'atteignent pas 60 pieds ; comme nous l'avons vu plus haut
c'est à peu près la taille ordinaire de l'adulte.
Nous pouvons faire remarquer qu'il n'y a guère, parmi les
Balénoptères échouées, des individus véritablement adultes.
On avait même soupçonné que dans cette espèce les épiphyses
des vertèbres ne se soudaient pas complètement.
Nous allons faire rénumération, par dates et par lieux, de
quelques individus dont l'échouement a été signalé de manière
à ne laisser aucun doute sur la détermination de l'espèce.
Du Hamel, Bonnaterre et Lacépède parlent d'une vraie
Baleine, qui fut jetée sur le littoral de la Corse, en 1620; à en
juger par la taille considérable et le nombre de barils d'huile
qu'elle a fournis, le Dr Fischer pense que c'était la Balœnoptera
musculus; la Balœnoptera Sibbaldii n'a jamais été vue dans la
Méditerranée.
En 1624, le 28 janvier, un individu est venu à la côte de
S. Marinella, et, au mois de février suivant, un autre à S. Severa.
En 1789, une Balénoptère de 60 pieds s'est perdue sur le
littoral de la Méditerranée (sans indication de lieu).
Le crâne du Muséum de Paris, dont parle Lacépède, pro-
vient d'une femelle capturée à l'Ile Sainte-Marguerite, arron-
dissement de Cannes (Var), en mars 1797 ou 1798.
(84)
En décembre 4827, un individu a péri sur les côtes de Corse.
(Paul Gervais).
Un autre individu a péri dans la Méditerranée, le 27 septembre
1828, dans les environs de Saint-Cyprien ; il a été décrit par
Gompanyo et plus tard par Farines et Carcassonne. Il avait
15m,60. Son squelette est conservé au Musée Saint-Pierre, à
Lyon. Il était mentionné d'abord sous le nom de Balœnoptera
aragons. Le squelette n'a que 53 vertèbres, 7 cervicales, 14 dor-
sales, 15 lombaires et 17 caudales. Il y en a donc 9 qui man-
quent.
En août 1829, il échoue à l'Escale, tout près du golfe de
Aosas, un animal de 15œ,50 en pleine putréfaction ; la mâchoire
inférieure a été conservée, dit M. Campanyo, qui la désigne sous
le nom de Balœnoptera Jubarte * .
La même année, dans le même golfe, une Balœnoptwa mu$-
culus a échoué, dont le squelette est conservé au Musée de
Madrid. Il n'est pas monté, m'écrit M. Mar. G. Graells.
En 1833, un individu a été capturé à Civita-Vecchia.
La même année, un autre individu de la même espèce a été
capturé, dit P. Gervais, près de Saint-Tropez (Var).
Le 21 mai 1840, une Balœnoptera musculus a été capturée
dans une madrague à Thone, près de Saint-Tropez, à la suite
d'un coup de vent de N.-O. 2.
1 Cohpakto, Histoire naturelle du Département des Pyrénées orientales,
tome 111, |t. 81.
* Nous lisons dans les Annales maritimes et coloniales, t. 1, 1840 : « Par le
coup de vent de N.-O. du 21 mai, une Baleine s'est introduite dans les filets
de Tune des madragues de Saint-Tropez (Var). Comme c'est la première fois
qu'un Célacé de cette espèce a été pris dans notre golfe, et peut-être même
dans la Méditerranée, du moins depuis plusieurs siècles, l'affluence des curieux
de la- ville et des environs a été prodigieuse. Pendant quelques heures, nous
avons été dans l'incertitude de savoir si c'était réellement une Baleine, attendu
que quelques braves marins, habitués à ne voir que des Baleines franches,
soutenaient que ça n'en était pas une; mais, après un mûr examen, il a été
reconnu que c'était la Balœnoptera physalus, d'après la classification de Lacé-
pède. »
(83)
Au Muséum à Paris se trouve un squelette d'un animal de
14», qui a péri en 1847 sur les côtes de Saint-Vigor.
Le 10 novembre 1854, un animal de 19m,40 a été pris à
Bordigliera. Son squelette est conservé à Turin.
Une femelle de 20 mètres, accompagnée de son Baleineau,
a été capturée près de Port-Vendres, en 1889, après avoir
essuyé plusieurs coups de feu. La mère avait 80 mètres, le
petit 6.
Un squelette, conservé à l'hôpital de Saint -Mandrier, à
Toulon, provient d'un animal capturé en décembre 1860
(Gervais).
Gervais cite également une capture faite sur la côte de la
Catalogne, en 1862 *. Nous pensons que c'est son squelette
que nous avons vu à l'Université de Barcelone et au sujet duquel
nous n'avons pu avoir aucun renseignement sur les lieux.
Le 17 juin 1863, une femelle de 19m,80 a fait son apparition
au nord-ouest du cap de Creux (au delà du département des
Pyrénées-Orientales, côtes d'Espagne). Elle était accompagnée
de son petit et, pendant plus d'un mois, elle est restée en vue
de la côte. Elle a été capturée dans la suite et le corps a été
remorqué à Llanza.
En 1864, un animal a été capturé près de Cannes. Son
squelette incomplet est conservé au Musée de Grenoble.
Le 4 mars 1866, une femelle de 22m est venue à la côte de
Crvita-Vecchia. Le squelette est conservé à Rome (chev. v.
Diorio). Il a, en tout, 58 vertèbres, 15 côtes, et les deux
doigts externes ont cinq phalanges, les deux internes, six *.
Le 23 septembre 1870, des pêcheurs de Thons des environs
de Palavas, département de l'Hérault (Méditerranée), relevant
leurs filets par le travers du Grau de Palavas, ne furent pas peu
surpris de trouver dans un d'eux un Rorqual vivant du sexe
femelle de 19n,40 de longueur. Amarré par la queue, il a été
1 Gervais, Mém. Âcad. royale de Belgique.
• Prof Virciuzo Dionio, // Cetaceo di S. Marinella, atti dell' àcademia
port, dei Nuofi Lircei. Marzo, 1S66.
(86)
remorqué vivant dans le port de Cette, où l'on a pu s'assurer
pendant plusieurs jours que les jets lancés par l'expiration sont
formés d'air et d'eau pulvérisée. L'appareil est disposé comme
un vaporisateur.
C'était une femelle qui a mis bas un fœtus de 2m,25. Comme
les Cétacés avortent facilement par la moindre commotion»
cette fausse couche a été causée évidemment par la capture *•
L'Illustration de Paris (1870, n° 1424) fait mention d'une
Balénoptère prise à Marseille, aux environs du château d'If,
26 mai 1870, et en publie un dessin.
On fait mention d'un individu capturé en décembre 1872, à
Solenzana (Corse).
Un animal a échoué près d'Ajaccio, à la fin de l'année 1877
ou 1878; son squelette est conservé.
En octobre 1878, une Balœnoptera musculus a été trouvée
morte sur la plage de Monte-Rosso, à une petite distance entre
Spezzia et Levanto; c'était une femelle de 22 mètres de lon-
gueur, en état de gestation. Le fœtus est conservé à Gènes.
Dans les derniers jours de novembre 1884, une Balénoptère
a été capturée dans le golfe de Cavalaire, quartier de Giova,
près de Sl-Tropez (département du Var) par les douaniers du
poste de Cavalaire; ils l'ont tuée en mer, à une distance de 600
à 700 mètres; une seule balle, qui a pénétré dans la tête, a suffi
pour la tuer : c'est le jeune individu dont nous avons déjà
parlé. Il n'y avait rien dans les intestins, et M. Beauregard
soupçonne que c'est un jeune animal qui n'avait pas plus de
vingt jours d'existence. L'animal a été dépecé et tout a été
envoyé au Muséum à Paris.
MM. Pouchet et Beauregard en ont fait connaître les parti-
cularités de structure 2. Nous en avions parlé dans les Bulle-
1 Notice publiée à l'occasion de la réunion de l'Associa lion pour l'avance-
ment des sciences. Doumet-Adansox, Ann. de la Soc. d horticulture et d'hist.
nat. de r Hérault.
* Pouchet, Acad. des sciences, séance du 2 février 1 885 (Revue scientifique,
7 février 1883, p.188). Compte rendu, Société de Biologie, 1. 11, janvier 1885.
(87)
tins de l'Académie d'après des renseignements incomplets. Ce
n'est pas la Balœnoptera rostrata, comme nous l'avions soup-
çonné, puisqu'elle a soixante-deux vertèbres, mais une jeune
Balœnoptera musculus, comme M. Beauregard Ta dit.
Cornalia fait connaître onze cas d'échouements sur les côtes
d'Italie, dont un dans l'Adriatique et un sur les côtes de Sar-
daigne.
On n a guère tenu note des nombreux échouements qui ont
eu lieu sur la côte d'Espagne. On cite seulement une Balœnop-
tera musculus, de grande taille, échouée au cap de Ras, entre
Galère et Lianza, dont nous avons parlé plus haut.
En 1811 une Balénoptère fut jetée à la côte près de Bayonne.
Au Muséum à Paris on voit le squelette d'un jeune animal
qui a péri, en 1823, devant l'embouchure de l'Adour, près de
Bayonne.
On a signalé plusieurs exemples sur les côtes ouest de la
France.
On en cite deux d'abord au XVIIe siècle : le premier est une
Balénoptère de 47 pieds, capturée ou échouée en 1680 près de
la Rochelle; le second est un individu, dont on ne donne
pas la taille, qui est venu à l'île Sainte-Anne le 5 octobre 1682.
A Boulogne sont conservés des fragments de crâne d'un
animal qui a péri, le 7 février 1812, à l'embouchure de la
Somme; d'un autre qui a péri, en 1827, à la même embou-
chure*.
. L'année 1812 une femelle de 56 pieds est venue se perdre
également sur les côtes ouest (Souty).
. Le 16 août 1829, un mâle de 41 pieds a échoué prèsde Cayeux.
Ravin en a fait mention dans les Annales des sciences naturelles,
mai 1836. Le squelette est conservé à Rouen 2. Un dessin
accompagne cette notice.
1 G. Poqchkt, Des derniers échouements de Cétacés sur la côte française,
Comptes rendus... 2 février 1885.
* F. Ravin, Observations anatomiques sur tes fanons, A tin. Se. natur ,
mai 1886.
(88)
En janvier 1842, on a tu à Berg (Pas-de-Calais) un cadavre
flottant en mer (Blainville et Gervais).
En 1845, un individu a échoué sur la côte de Saint-Malo, et
en 1847, un autre au Havre, dont la peau bourrée est conser-
vée au Muséum de Paris.
A Saint-Brieux nous avons vu un squelette de mâle de
51 pieds, monté sous la direction de M. Nimier,
Un animal de 13 mètres est capturé à Saint- Vigor, à l'em-
bouchure de la Seine, en 1847 ; la même année un jeune, mais
de grande taille, échoua à Barre-des-Monts (Vendée); une
Balœnoptera musculus de 13 mètres de longueur a échoué près
du Havre le 11 octobre 1852, sur la plage de l'Eure. La peau a
été préparée et exposée au public.
Le 10 février 1857, les pécheurs de Tréport ont trouvé, à
l'entrée de la Manche, une Balénoptère de 60 pieds, en pleine
putréfaction.
Le Dr Fischer parle d'un mâle de 7 à 8 mètres capturé en
1874 sur les côtes de Bayonne.
Le 6 janvier 1877, un individu de 15 mètres sans la tête est
venu dans le golfe de Gascogne. Nous en faisons mention sans
pouvoir assurer qu'il appartient à cette espèce.
Le 10 février 1878, les pêcheurs de Dunkerque ont remorqué
un mâle de 23 mètres,. dont le squelette est conservé à Lille,
au Musée de l'Université catholique.
Une femelle pleine, de 20m,80 de longueur, a été trouvée
morte en mer, au large de l'île de Groix (à 12 miles sud -ouest),
le 29 juillet 1879. Le fœtus avait lm,20. Le squelette de la mère
est au Musée de Bordeaux, celui du fœtus au Muséum à Paris.
Le 21 décembre 1881, la mer a rejeté sur la côte de Porge,
au nord du bassin d'Arcachon, un Cétacé de 15m,20 ; le bout
du rostre avec les fanons sont conservés au Muséum à Paris.
Les fanons ont, paraît-il, la couleur de ceux de Rostrata.
Une femelle, à l'état de cadavre, a été amenée â l'île de Sein
le 19 août 1881. Elle avait 14 mètres de longueur. Le corps
flottait dans le Ras-de-Sefii.
Une autre femelle, de 9m,50, a échoué à Seignasse, près du
( «9 )
cap Breton (Landes), le 25 juin 1884. Le squelette est conservé
au Muséum à Paris.
Dans la nuit du 13 au 14 janvier 1885, un mâle est venu
échouer sur la plage de Langrune. H. Yves Delage en a publié
la description, dans les Archives de Lacaze-Duthiers. Le pro-
fesseur de la Sorbonne a étudié avec beaucoup de soin la struc-
ture et la formation des fanons *.
Le corps de cette Balénoptère a été vendu. D'après une
ordonnance de Colbert (1681), les poissons à lard, c'est-à-dire les
Cétacés, doivent, dans certains cas, être vendus publiquement.
On s'est conformé à cette ordonnance, ce qui a empêché de
commencer la dissection le jour même de l'échouement. L'ani-
mal a été mis aux enchères le 20 janvier; de la miss à prix de
5 francs, on est monté à 1,101 francs, et il a été adjugé à la ville
de Caen pour le Musée. Dans l'intérêt de la Caisse des gens de
mer, on avait poussé jusqu'à 1,100 francs.
L'observation rigoureuse de ce règlement pourrait avoir
comme conséquence, dans le cas qu'une espèce rare vint
échouer sur les côtes de France, qu'un Musée étranger pour-
rait venir faire une concurrence aux naturalistes français et
faire prendre à l'animal le chemin de l'étranger.
L'Association française a accordé, en 1885, 1,900 francs à
M. Yves Delage, pour subvenir aux frais de la reproduction
héliographique des parties intéressantes de cette Balénoptère.
Le 5 février 1885, une barque, montée par des pêcheurs de
Gravelines, a rencontré, en face de Douvres, à une assez forte
distance au large, le cadavre flottant d'une Balénoptère, qui a
a été remorquée jusqu'à Ostende. C'est un mâle de Balœnoptera
musculus, dont le squelette est aujourd'hui au pensionnat de
Meile. Les journaux de la localité l'avaient désigné sous le nom
de Cachalot. Le corps en chair a été exposé quelque temps au
public.
Nous pouvons citer plusieurs exemples d'échouements sur
les côtes britanniques.
1 Comptes rendus, 6 juillet 1883. Archivés de Zoologie expérimentale.
(90)
On en cite deux d'abord dans le Firth of Forth dans le
XVIIe siècle, l'un, le 17 septembre 1690, l'autre, en septembre
également, en 1692; Sibbald en parle dans sa Phalainologia.
Scoresby en cite un dans le Humber, en septembre 4750,
et un en 1752, de 52 pieds, sur la côte de Berwickshire.
Walker en cite un autre, le 10 juin 1761, de 48 pieds,
dans le Firth of Forth.
Sur les cotes de Cornouailles, on en cite un, le 18 juin 1797,
de 70 pieds.
Le 28 octobre 1808, une femelle, de 43 pieds, a échoué
dans le Firth of Forth (Pat. Neill).
En 1830, un animal de 63 pieds est venu à la côte à
Brighton.
Un autre, de 38 pieds seulement, a été capturé dans le canaL
Saint-Georges; le corps a été remorqué à Liverpool. Son
squelette est au British Muséum, à Londres. C'est de lui que
Gray avait fait le genre Benedenia.
En février 1840, une femelle de 41 pieds a péri sur les côtes
de Yarmouth *.
Sweeting fait mention d'un animal de 43 pieds, capturé sur
les côtes d'Angleterre, à Charmouth, en 1840.
En 1842, un individu très adulte a été capturé à l'île de
Wight; son squelette est conservé dans l'île.
Le 28 décembre 1850, une Balénoptère a été capturée à
Margate ; son squelette est en partie à Londres et en partie
à Cambridge.
On mentionne aussi une femelle de 50 pieds qui est venue à
la côte aux Oreades, en mars 1856 (Heddle).
On possède à Londres un crâne d'une Balénoptère, capturée
à Yarmouth, en 1857.
Un mâle de 60 pieds s'est perdu dans la Tamise, en 1859;
le squelette est conservé à Rosherville garden (Mûrie).
Une Balœnoptera musculus, échouée en novembre 1865 sur
la côte de Sussex, a été l'objet d'une notice fort importante
1 Proc. Zool. Soc. 1840.
(91 )
dans laquelle H. Flower décrit le squelette avec l'os du bassin
et le rudiment de fémur i.
En 1869, M. Flower communique des notes à la Société de
Zoologie sur quatre Balénoptères de cette espèce, échouées sur
les côtes sud de l'Angleterre. Il accompagne cette notice d'un
dessin représentant un mâle de Balœnoptera muscvlus de
61 pieds 2.
Une Balénoptère a échoué dans Pevensey-Bay, en 1865 3.
Le 20 novembre 1869, un mâle a été trouvé mort dans la
Blanche, près de Portsmouth. Le corps était en pleine putré-
faction. Il avait 61 pieds de longueur *.
Le 1er mars 1873 et le 9 août suivant, on a trouvé sur les
côtes de Happisburg (Norfolk), un animal mort (in the Lynn
Roads), dit H. Southwell.
En avril 1880, une femelle de forte taille a péri sur les côtes
d'Ecosse (Baie de Forth).
Une autre a été trouvée morte en mer le 30 août 1884
(... floating in the sea off Bervic) s.
Sur la côte de Kerry, une Balénoptère de 63 pieds a été cap-
turée par les gardes des côtes.
Un mâle de 50 pieds a échoué à Nairn (côtes d'Ecosse) en
décembre 1884; son squelette a été exhibé en 1886, à l'Asso-
ciation britannique à Aberdeen 6.
Une femelle de Balœnoptera museulus est venue morte à la
côte, le 15 janvier 1885, à Littleton PHI, sur la Severn; le
corps a été acheté par un fabricant et le squelette a été préparé
pour le Musée de Bristol 7.
Sous le nom de Common Rorqual, M. Blakwill signale une
1 Proc. Zool. Soc., novembre 1865.
* Proc. Zool. Soc., décembre 1869.
* Floweb, Observations upon a Fin-Whale recently strandedin Pevensey-
Bay. Pboc. Zool. Soc., novembre 1865.
* Proc. Zool. Soc., décembre 1869.
* Penny illustrât, paper , 30 aoùl 188-4.
6 Report ofthe British association, 1886, p. 1055.
1 The Zoologist, IX, p. 107.
( 92 )
jeune Baiœnoptera musculus, de 47 pieds, qui a péri le 3 avril
1887 à Skegness *.
Les échouements sur les côtes de Belgique et des Pays-Bas
sont assez fréquents.
On cite un échouement dans l'Escaut, le 2 juillet 1577, d'une
Balénoptère qui appartient probablement à cette espèce. On
fait mention d'une autre de 42 pieds, qui aurait péri également
dans l'Escaut, le 13 décembre 1603.
Le 14 mai 1869, on a vu paraître à l'entrée de l'Escaut, vers
le milieu de la nuit, un énorme Cétacé qui a jeté l'épouvante
dans l'esprit de tous ceux qui l'ont aperçu. Un habitant des
côtes lui a envoyé une balle, puis l'animal a disparu. On l'a
trouvé, peu de temps après, échoué sur la plage dite Calloot,
à Borselaer, près de Flessingue *.
Le cadavre a été vendu publiquement et un industriel
de Terneuzen l'a acheté par spéculation. Il a été exposé à
Terneuzen ; le squelette est conservé au Musée de l'Université
de Liège.
Un individu non adulte, puisqu'il n'avait que 52 pieds,
échoua, en 1595, à Zantvoort; un autre le 2 février 1598, à
Bergey, entre Katwyk et Scheveningen (Clusius).
En 1601 il en échoua un à Beverwyk et un en 1629 à
Noortwyk.
Le 18 novembre 1791, une femelle de 52 pieds est venue
échouer à Katwyk-aan-Zee ; c'est la femelle que Blumenbach a
décrite et figurée.
Un squelette du Musée de Leide provient d'un animal cap-
turé, en 1811, dans la Zuyderzee. Il a été préparé par Rein-
wardt.
Il y a eu encore une femelle perdue sur ces mêmes côtes,
le 17 septembre 1835, et dont Vrolik a fait l'anatomie 3.
1 The Zoologis t> mey, 1887.
1 Van Beneden, Mémoire sur une Balénoptère capturée dans f Escaut
en 4869. M*n. académ., 1871.
3 Vrolik, Note sur Vanatomie d'une Balénoptère, 1835, échouée prés de
Wyk-aao-Zee. Aicn. Se. wat., 1838.
(93)
En septembre 1836 et en septembre 1840 échouèrent deux
femelles, la première de 51 pieds, la seconde de 65 pieds,
toutes les deux à l'embouchure de la Meuse (Schlegel).
En décembre 1841, un mâle de 40 pieds est venu à la côte
à Katwyk-aan-Zee ; il a été acheté d'abord par un particulier
de Scheveningen ; son squelette est conservé aujourd'hui à
Leyde. Il a été étudié par Schlegel et Flower.
Un autre mâle de 40 pieds est venu se perdre sur les mêmes
côtes en 1844 (Schlegel).
Un mâle, dont le squelette est au Jardin Zoologique
d'Anvers, a échoué à l'île Ylieland, le 33 novembre 1851.
En 1862, un individu de 50 pieds est venu à la côte à
Wick.
En mars 1866, une Balénoptère de cette espèce a été cap-
turée au Nieuwen-Dam, et, en avril 1866, une autre de 47 pieds
au Texel.
En novembre 1866, une femelle de 47 pieds a été trouvée
flottante en mer par les pécheurs de Scheveningen ; le sque-
lette est au Musée de Bruxelles.
Sur les côtes d'Allemagne, les échouements paraissent être
moins nombreux.
Une Balamoptera musculus de 60 pieds a échoué en janvier
1721, pas loin de Brème; on l'a désignée sous le nom de
Palmfisch.
En décembre 1870, un cadavre flottait dans la mer du Nord
et fut pris, comme nous l'avons dit plus haut, pour une
torpille.
Nous trouvons aussi quelques exemples d'échouements sur
les côtes de Danemark, de Suède et Norwège.
- Une femelle de 32 pieds est venue se perdre sur les côtes du
Holsteîn en 1819.
Le 21 septembre 1841 , un mâle de 61 pieds a été capturé
sur les côtes de Nord-Zélande ; le squelette en est conservé
à Copenhague. (Baers Bazar, 1874.)
En 1836, un individu de grande taille a échoué sur les côtps
clu Jutland; tout le squelette était ensablé quand on l'a décou-
(94)
vert. Son crâne seul est retiré. Il est à Louvain, grâce à
Eschricht.
Un autre individu, de 68 pieds, échoua sur les côtes de Nor-
vège, en 1837 ; son squelette est à Christiania.
Le 21 septembre 1841, un mâle pourri est venu échouer
dans le Kattegat.
Au printemps de 1846, un mâle de 62 pieds est capturé à
Farsund.
En novembre 1838, un mâle de 56 pieds périt sur la côte de
Norvège; son squelette est au Musée de Bergen.
En 1872 un autre a péri sur les côtes de Norvège ; le pro-
fesseur Struthers en possède l'atlas et Taxis.
En février 1867, on en a vu dans le Fiord de Christiania.
On signale la présence de Balénoptères et de Mégaptères
dans la Baltique, mais s'il faut en croire le professeur Mûnter,
la Bafénoptère qui nous occupe ne pénètre pas, comme nous
l'avons déjà dit, dans cette mer intérieure. En tous cas, elle y
est rare.
Nous sommes en droit de citer un animal de ce genre qui y
a péri en août 1874, près de Dantzig. Le professeur Zaddag
en a publié une description *. 11 suppose que cet animal a
pénétré dans la Baltique à la poursuite des harengs; son
estomac était plein de poissons.
Il y a aussi quelques observations faites en mer sur cette
espèce : le professeur Sars en a vu pendant tout Tété autour
des îles Loffoden.
M. A. H. Cocks raconte que, le 15 août, il a vu prendre à
Vardô la dernière Balénoptère, un mâle de Balœnoptera
musculus, de 64 pieds.
Le 22 août, il a vu plus â l'est un Musculus et un Sibbaldii;
après le 2 septembre il a aperçu à Eretiki le dernier Musculus
de la saison, en même temps que la Bakenoptera Sibbaldii et
la Megaptera boops.
1 Zaddach, Beschrcibung einer Finwaler, Balœnoptera musculus. Erich-
son's Archiv, 1875.
( 95)
En 1883, sur 406 Balénoptères capturées sur les côtes de
Finmark, il y avait 90 Balœnoplera musculus.
M. Brown fait mention de cette espèce dans sa faune des
mammifères du Groenland ; il cite les endroits où elle stationne
et indique les Gades (Cod) comme leur nourriture.
Ce n'est pas seulement sur les côtes d'Europe que l'on voit
de temps en temps échouer des Balénoptères qui ont les carac-
tères de l'espèce qui nous occupe; divers auteurs en ont signalé
à la Nouvelle-Angleterre; on en voit aussi sur les côtes est et
ouest, tant de l'Amérique septentrionale que de l'Amérique
méridionale. Le Musée de Stuttgard en a reçu une tête de la
Guyane, et le Musée de Buénos^Ayres en possède des ossements
provenant de la République Argentine.
Burmeister * désigne sous le nom de Balœnopierapatachonica
une Balénoptère des côtes du Brésil, qui correspond à notre
Balœnoptera muscuhts.
Le Muséum de Paris a reçu des squelettes incomplets de la
côte de Patagonie : le sternum d'un de ces squelettes et les
os naseaux sont semblables aux mêmes os de notre Musculus ;
mais l'omoplate est beaucoup plus allongée que celle de notre
espèce commune. — C'est bien l'omoplate la plus éloignée
par sa forme de celle des Mysticètes ; les deux premières
côtes sont toutes les deux franchement bifides. Les marins
qui ont rapporté ces ossements prétendent que les Italiens ont
séjourné dans ces parages avant eux et qu'ils ont emporté
plusieurs os de ces squelettes 2.
* Dans les Proc. ZooL Soc, feb. 1865, Burmeister publie une notice « On a
^ew-Wbale » sous le nom de Balœnoplera patachonica. H reproduit un
destin de l'atlas, axis, 4« et G* cervicales, côte omoplate et mandibule.
* L'expédition de la Romanche a rapporté deux squelettes de Balénoptères;
l'un d'un animal trouvé échoué au Neuw Yeor Sound, l'autre était abandon-
né sur la plage ; le premier a été préparé avec soin à bord. Parmi les osse-
ments nous avons vu au Muséum deux vertèbres de la région lombaire, qui ne
semblent pas appartenir à ces deux squelettes. Il a été question de la mission
scientifique au Cap Horn dans la Revue Scientifique, décembre 1853.
(96)
Nous croyons aussi reconnaître cette espèce parmi les Balé-
noptères signalées par le capitaine Scammon, dans l'océan
Pacifique. Cet habile baleinier y a distingué trois espèces de
ce genre et on ne peut pas ne pas reconnaître leur ressem-
blance avec les nôtres.
Le British Muséum possède un squelette de l'île Formose
qui a tous les aractères d'un Musculus.
Cette espèce vit aussi dans la mer des Indes ; elle y est
connue sous le nom de Balœnoptera Blythii ; elle ne semble pats
y dépasser 60 pieds»
M. Heuglin écrit du Caire, le 30 septembre 1851, qu'il a
découvert une mandibule de Balœnoptera dans la mer rouge»
— Dans l'archipel de Dahlak, dit-il, se trouve ce cétacé, qui se
tient dans les profondeurs et qui se nourrit de poisson. —
Quelquefois un poisson scie pénètre dans sa gueule et le blesse
mortellement. Le cadavre est jeté sur la côte d'Âbyssinie. Les
habitants ne le chassent pas, mais quand il y en a qui échouent,
les habitants des côtes tirent parti de leur graisse. — La man-
dibule a 13 pieds de longeur *.
Dans l'océan Austral cette même espèce porte le nom de
Balœnoptera antarctica.
Parmi les Balénoptères d'Australie j'ai signalé : 1°, un
animal de 67 pieds, possédant 62 vertèbres, un sternum de
musculus, capturé le 20 avril 1881 à 5 milles de Christ- Church;
le squelette ressemble si complètement dans toutes ses parti-
cularités ostéologiques à celui de la Balœnoptera musculus, que
ce serait extraordinaire si les deux n'appartenaient pas à la
même espèe, dit Jul. von Haast *. 2°, un autre avec 64 vertè-
bres, de New Brighton; ce doit être notre Sibbaldii; enfin
3°, une autre forme dont le squelette est à Londres et qui a
tous les caractères de la Balœnoptera rostrata.
1 Sitzungsberichte der Malh.-Nalurw. Classe d. A*. AkademU d. Wis-
sensch. 8,cr 1851. Ce Poisson-scie. Schwerd-fish, est sa us doute un Orque.
1 Prof. Julius von Haast, Notes on a skeleton of Balœnoptera australe,
Proc. Zool. Soc. 1883, p. 592.
(97)
Une Balœnoptera du sexe mâle, de 67 pieds de long, le côté
et le dos of a thush-back tint, dont la colonne vertébrale est
formée de 62 vertèbres, qui a 15 côtes, le sternum semblable
à l'espèce commune d'Europe, ainsi que le bassin, capturée
dans les eaux de la Nouvelle-Zélande, a tous les caractères
de l'espèce qui nous occupe *.
En résumé, au sud comme au nord de l'Atlantique, dans le
Pacifique, dans l'océan Austral comme dans la mer des Indes,
on signale plusieurs Balénoptères, différant entre elles de taille,
et parmi lesquelles il n'est pas difficile de reconnaître une
espèce qui correspond parfaitement à notre Balœnoptera
musculus.
La Balœnoptera borealis n'a été reconnue définitivement en
Europe que dans ces derniers temps. Partout ailleurs, comme
en Europe, il parait que c'est aussi la plus rare des quatre,
et, par conséquent, la dernière à être reconnue.
MUSÉES.
C'est l'espèce dont le squelette est le plus commun dans les
Musées. Un des plus beaux, par son développement complet,
est celui du Musée de Stockholm, provenant d'un animal
capturé sur les côtes de Finmark; celui de l'Ile de Wight
(Black Ging Chine), échoué au nord de cette Ile, est fort inté-
ressant aussi par son état adulte.
Nous allons énumérer, par ordre alphabétique, les villes où
l'on conserve des squelettes ou des os séparés.
A Aalesund (Norvège), on possède un atlas, un axis , une
omoplate, un radius et un maxillaire inférieur d'un animal
échoué sur ces côtes en 1872.
A Aberdeen, on voit le squelette d'un mâle de 68 pieds,
capturé, en juin 1869, près de Wick (Caithnesshire); il appar-
1 Parker, T. Seffert, Notes on a skeleton and Daleen of aFin-Whale
(Balseooptera mascalus), recently acquired by ihe Olago University Muséum.
New Zealand Journ. Se, vol. II, n* 7, p. 351.
Tome XLI. 7
- • *<.*• * *. * *
O * «, * • .» # -
(98)
tient à la collection du professeur Struthers; puisqu'il a plus
que la taille moyenne de l'espèce, on ne peut pas dire qu'il pro-
vient d'un jeune animal.
Le Jardin royal de Zoologie d'Anvers possède le squelette
complet d'un animal échoué à l'île Vlieland (23 novembre
4881).
A Barcelone, au Musée de l'Université, on conserve le
squelette de l'animal échoué le 11 juin 1863, à l'est de la ville*
Au cabinet d'histoire naturelle de l'Académie des sciences
et arts de la même ville, existent les restes d'un animal très
jeune, qui a péri en juillet 1835 à la plage de la Barcelonet
(M. P. Graells).
A Bergen, on conserve plusieurs squelettes complets d'indi-
vidus échoués dans les fiords des environs.
A Berlin, le Musée anatomique de l'Université possède un
squelette complet des côtes de Norvège ; un autre, provenant
d'un mâle de 43 pieds, échoué à l'embouchure de l'Elbe en
novembre 1824. Un troisième d'une femelle trouvée morte en
mer, en décembre 1870, et qui avait été prise d'abord pour
une torpille.
Au Musée de Bristol se trouve le squelette d'une femelle qui
a échoué dans la Savern, en janvier 1885.
A Bordeaux, on conserve le squelette d'une autre femelle
de 20", 80, qui a été capturée au large de l'île de Groix,
le 17 juillet 1879. Cette femelle portait un fœtus de lm,20, qui
est conservé au Muséum, à Paris.
A Bologne, on possède un squelette non monté.
A Boulogne-sur-Mer, on voit, au Musée, des ossements
séparés qui ont été trouvés dans les fondations du bassin
du Chatillon.
A Saint-Brieuc (France) on conserve un squelette d'un ani-
mal d'une quarantaine de pieds, qui a été capturé dans la baie
de ce nom.
Le Musée royal de Bruxelles possède le squelette d'une
jeune Balénoptère qui est venue à la côte, à Scheveningen, en
avril 1860.
-• ••
•■ •
:: •
• •••
(99)
A Buenos-Ayres, on conserve le squelette d'un animal
recueilli à 10 milles de cette ville, le 3 février 1867.
Le 14 janvier 1885, un mâle de 18m,85 a péri sur les côtes
du Calvados, à Luc-sur-Mer, dont le squelette est conservé au
Musée de Caen.
A Cadix on possède un squelette monté.
Le Musée de l'Université de Cambridge renferme le squelette
d'un mâle de 67 pieds, qui est venu à la côte dans la Manche,
à Pevensay-Bay, en 1865; la moitié d'un autre squelette, dont
le restant est au Collège royal des chirurgiens, à Londres,
et une tête avec ossements divers provenant de Margate.
A Calcutta, au Musée de la Société asiatique, on conserve
également un squelette qui a tous les caractères de cette
espèce.
A Christ-Church, Canterbury Muséum (Nouvelle-Zélande),
on possède un squelette complet.
A Christiania, on voit, au Musée anatomiqua, des ossements
de trois ou quatre individus différents. Un de ces squelettes
provient d'un animal capturé dans Christiania-Fiord , en
février 1867.
Au Musée de l'Université de Copenhague, il y a un squelette
complet d'un mâle de 65 pieds, qui a été capturé, le SI sep-
tembre 1841, à Nord-Zeland.
Dantzig possède le squelette d'une femelle prise en 1874
près de la ville, et ddnt Zaddach a donné une description.
Un squelette complet avec bassin, étudié par le Dr Knox,
en 1831, se trouve au Musée d'Edimbourg. Il a été longtemps
exposé au Jardin Zoologique. Plusieurs caisses tympaniques,
recueillies dans l'argile, à Stirling, sont conservées dans le
même Musée par les soins du professeur Sir Turner.
A Gènes se trouve le fœtus d'une femelle qui a échoué
entre la Spezzia et Levanto.
A Gloucester, on conserve le squelette d'une Balénoptère,
capturée près de la côte, le 15 octobre 1870.
Gotbenbourg possède un squelette complet provenant de la
côte de Finmark.
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( 100 )
Le Musée de Grenoble renferme le crâne et quelques
vertèbres d'une Balénoptère échouée près de Cannes le
14 avril 1864.
Au Musée du Havre, on voit un squelette de femelle pro-
venant d'un animal capturé en 1885 par les pécheurs de
Fécamp.
Le Musée de l'Université de Kiel possède aussi un sque-
lette.
Le Musée royal de Leyde possède une tête et des squelettes
d'individus échoués sur les côtes des Pays-Bas.
A Leeuwaerden (Friesland) on voit, au cabinet provincial,
des vertèbres et divers os recueillis dans l'alluvium.
Liège possède, au Musée de l'Université, le squelette d'un
jeune animal échoué à l'embouchure de l'Escaut, en mai 1869,
et un autre fort adulte des côtes de Norvège.
A Lille on conserve, au Musée de la Faculté catholique, le
squelette d'un mâle de 23 mètres, trouvé en mer par les
pécheurs de Dunkerque en février 1878.
A Londres, au Collège royal des chirurgiens, on conserve
la tête d'un individu qui est venu à la côte à Yarmouth en
1887 ; on y conserve en outre un demi-squelette dont l'autre
moitié est à Cambridge.
Au British Muséum on voit le squelette d'un jeune animal
qui a péri dans le canal Saint-Georges en 1846; un autre
squelette, d'un animal remorqué à Plymouth en 1831. On y
conserve aussi plusieurs caisses tympaniques et des vertèbres
cervicales séparées.
A Londres encore, a été exposé à Alexandra Park le (sque-
lette d'un animal qui a été capturé en 1863 près de Falmouth ;
au Rosherville garden, on possédait le squelette d'un mâle, de
60 pieds, qui a péri en mai 1859 à Gravesend.
Nous possédons au Musée de l'Université de Louvain la tête
d'un animal, estimé à 70 pieds, qui a échoué en 1863 sur
les côtes du Jutland et dont le restant du squelette est resté
enseveli.
On conserve à Lyon, au Musée d'histoire naturelle, le sque-
*• •: ••• ••• •
• • • l ••* \
( 101 )
lette très adulte de la Balénoptère qui a été capturée à Saint-
Cyprien le 27 novembre 1828 i, et un autre, provenant
d'Ajaccio, d'un animal capturé à la fin de 1877 ou au com-
mencement de 1878 ; le premier a été exposé à Barcelone par
M. Companyo, m'écrit M. P. Graells. Il a 60 vertèbres ; c'est
le premier squelette de Balénide que le sénateur de Madrid
ait vu.
Le Musée de Madrid possède le squelette, non monté, d'un
animal échoué le 28 juin 1832 sur la plage du port de l'Escala,
Golfe de Rosas.
Au Musée de la ville de Marseille, on conserve un squelette
dépareillé qui a été longtemps exposé au Jardin Zoologique.
On y voit, en outre, des os provenant au moins de quatre
individus différents.
A Melle, près de Gand, on possède le squelette de l'animal
rencontré en face de Douvres, le 5 février 1885. Il a été exposé
à Ostende où les pêcheurs avaient conduit le corps.
A Milan on conserve au Musée un squelette qui n'est pas
monté.
A Munich, on conserve au Musée la tête d'un animal capturé
en 1831 dans l'Adriatique, près d'Ancone, et divers ossements
séparés.
A Paris, il existe au Muséum la tête de l'animal échoué
en 1797 à l'île Sainte-Marguerite, en face de la ville de Cannes ;
le squelette provenant d'un animal capturé à l'embouchure de
l'Adour en 1823; un autre, d'un exemplaire échoué en 1827,
à l'embouchure de la Somme ; un troisième, d'un individu
échoué en 1847 à l'embouchure de la Seine, et un squelette
d'origine inconnue. Il s'y trouve en outre des os séparés,
parmi lesquels ceux d'un animal qui a échoué le 21 décem-
bre 1881 dans le voisinage d'Arcachon. Le squelette de la
jeune femelle (Sœ,30) qui a été capturée dans la Méditerranée,
dans le golfe de Cavalaire, le 28 novembre 1884, y est égale-
ment conservé.
4 Companyo, Histoire naturelle du Dép. des Pyrénées-Orientales, t. III, p. 81.
( 102 )
Au Muséum à Paris, on conserve également un beau sque-
lette des côtes de Patagonie, et une tête de Balœnoptera reçue
du Japon ; cette dernière a tous les caractères de notre Balé-
noptère ordinaire. Nous avons cru d abord devoir la rapporter
à la Balœnoptera borealis, mais les os nasaux surtout indiquent
une affinité plus grande avec la Balœnoptera Musculus *.
Nous ignorons ce que le squelette de la femelle capturée aux
environs de Palavas est devenu. M. Doûmet-Adanson dit qu'il
est entre les mains de M. Demay.
Pise conserve le squelette d'un animal capturé sur la côte
de l'île d'Elbe.
A Pontevedra (Espagne) se trouve un squelette non monté.
A Rome on conserve le squelette de la Balénoptère de
S. marinella.
A Rennes on conserve une tête trouvée dans la tourbe du
marais de Dol. Elle a de S à 6 mètres de longueur (Cap. Jouan).
A La Rochelle on voit la peau d'un jeune animal capturé
dans le golfe de Gascogne.
Rouen possède le squelette complet d'un animal échoué au
Tréport.
Le Musée de l'Académie de Saint-Pétersbourg conserve des
os séparés de cette espèce, dont nous ignorons l'origine.
A Santiago (Galice) on conserve le squelette de l'animal que
l'on avait pris pour une Baleine ; il a un peu moins de 60 pieds
de longueur. On en conserve aussi à Séville.
Le Musée de l'Académie de Stockholm possède un superbe
squelette d'un mâle de 58 pieds, des côtes de Finmark.
Le Carolinska Institut de Stockholm possède un autre sque-
lette.
Le Musée de Stuttgard a reçu la tête d'un animal qui a
1 Le Muséum a reçu, en même temps que la lête, une série de fanons qui
ne sont pas étiquetés et que Pon croyait devoir attribuer au borealie. Ils
sont verdâtres et striés de blanc Paul Gervais a publié le dessin de la tête,
vue debout, la mandibule et la caisse lympanique, dans sou Journal de
Zoologie vol. V, (1876» pi. I etll.
(103)
échoué, en 1877, sur les côtes de la Guyane hollandaise, à l'em-
bouchure du fleuve Maroni.
A Turin, on voit au Musée le squelette monté, de 49 à
20 pieds, d'un animal échoué, en novembre 1844, sur la plage
de Bordighera (côtes de Ligurie).
A Toulon, on voit le squelette d'un animal qui a échoué près
de la ville en décembre 1860.
A Toulouse se trouve un beau squelette bien conservé d'un
individu échoué près d'Alger en 1883.
L'Université de Valence possède le squelette monté d'un
animal trouvé le 17 février à la plage de Burriana *.
A l'île de Whigt (Black Ging Chine) on conserve le squelette
monté d'un animal très adulte échoué sur les côtes de 1 île.
DESSINS.
Comme cette Balénoptère a été souvent capturée, elle a été
aussi très souvent figurée.
Il existe un grand nombre de planches représentant, sous
le nom de Baleines, des Balénoptères et des Cachalots. Une
des plus anciennes reproduit un animal qui a péri dans
l'Escaut le 5 juillet 1577; une autre date de 1595, d'après un
animal échoué à ZandVoorde; puis une de 1598 représentant
un animal échoué entre Scheveningen et Katwyk, et une
de 1601, d'après un animal échoué sous Beverwyk *.
Il y a encore deux Balénoptères figurées, une de 1629, près
de Noortwyk, et une de 1791, entre Wyk-aan-Zee et Zant-
voorde. On lit le nom de Vinvis sur la dernière.
Martens donne une figure de cette Balénoptère, mais il ne
1 Les renseignements sur les squelettes conservés en Espagne m'ont été
donnés par le sénateur Mariano P. Graells.
1 Ces diverses planches ont fail partie d'une collection appartenant a feu le
D» Buurkamp van der Vinne. Bibiioth. IchlyoL et piscaloria. Haerlem. 1875.
(104)
reproduit pas les replis sous la gorge, ce qui est évidemment
le résultat d'une négligence. Brandt et Ratzeburg ont reproduit
ce dessin, pi. XV, fig. 1, sous le nom de Balœnoptera physalus.
On en voit un dessin dans Lacépède *, qui a proposé le
nom générique de Balœnoptera, pour les Baleines à aileron.
On voit, dans les Vélins du Muséum à Paris, le dessin
d'un animal qui a échoué au Havre en 1852.
Blumenbach a fait graver le dessin d'un animal de 52 pieds
qu'il avait vu en Hollande 2. Un dessin de cette même Balé-
noptère a été vendu à Leeuwaerden et acheté par Van Breda.
C'est probablement le dessin de l'animal qui a échoué le
18 novembre 1791, entre Katwyk-aan-Zee et Zandvoorde; une
gravure, portant Vinvisch, est conservée à la Bibliothèque
royale de Belgique.
Schlegel a publié dans ses AbhatuUungen, pi. IX, le dessin
d'un mâle de 40 pieds, capturé en 1841 ; d'une femelle de
81 pieds échouée en 1836 également sur les côtes des Pays-Bas,
et un autre d'une femelle de 37 pieds échouée le 5 avril 1826
à Wyk-aan-Zee dans ses Nieuwe Verhandlungen 3*
Nous en trouvons encore un dessin dans Zaddach * et
dans Rosenthal 5.
Un dessin médiocre du môme animal a été publié par Van
Breda «.
Ravin a publié la figure du mâle qui a échoué sur la côte
du département de la Somme, en 1829 ?.
1 Lacépède, Ris t. nat. des Cétacés, pi. 1, flg. 2, et pi. IV, fig. 2.
* Blumenbach, Abbitdungen naturnist. Oegenstaende , 8**rHeft; Gôttin-
gen, 1805.
* Schlegel, Abhandlungen , pi. VI, fig. 1. Nieuwe Verhandlungen
nedtrl. Institut, 1818, III, pi. I et II, et 1828, III, pi. I, II et IX.
* Zaddach, Beschreibung eines Finwales.
* Fr. Rosenthal, Ein. naturh. Bemerkung. uber die Walle, Greiftarid,
1827 {Balœna rostrata, Fabr. var, major)»
* Alg. Kunsl en Letterkunde, 1827. L'animal est placé sur le dos.
1 Ann. Se. natur., 2« sér., t. V, 1836.
( 108 )
M. le professeur Flower a publié un très bon dessin d'un
mâle sous le nom de Physalus antiquorum*.
M. Sars figure un mâle, de 40 pieds et demi de long, capturé
dans les eaux de Lofoden eu 1865 *, et un autre mâle adulte de
Varanger Fiord, pi. I 3.
M. Braeutigam publie le dessin de la femelle trouvée morte,
en pleine mer du Nord, en décembre 1870 *.
M. Southwell a également reproduit un dessin de cet
animal.
Le professeur Yves Delage vient de publier l'histoire de la
Balœnoplera musculus échouée sur la plage de Langrune, et un
atlas de 23 planches, dans les Archives de zoologie expérimen-
tale de Lacaze-Duthiers.
Il existe une photographie du squelette de Santiago, qui
avait été pris pour celui d'une Baleine.
Le professeur Giglioli a publié différents dessins de Balé-
noptères qu'il a aperçues pendant son voyage.
Nous trouvons aussi quelques bons dessins de Balénoptères
dans l'intéressant livre du capitaine Scammon, sur les animaux
marins de la côte Nord-Ouest de l'Amérique du Nord.
Jul. von Haast a reproduit le dessin du sternum et du
bassin de la Balénoptère qui a été capturée à peu de distance
de Ghrist-Church (nouvelle Zélande.)
COMMENSAUX ET PARASITES.
Le professeur Sars et Sophus Hallas ont trouvé des Penella
Bakenopterœ, enchâssées par la tête, dans l'épaisseur de la peau ;
1 Flower, Notes on four spécimens of the common Fin-Whale (Physalus
antiquorom), Proc. Zool. Soc., pL XL VII, 1869t.
* Sars, BeskriveUe af en ved Lofoten indb. Rohrval Balomoptera mu#-
CVjut. ÀPTRTKT AF Vid-SeLSEABBTS FORHANDL ., for 1885.
* Fortoa*to(1880),pl. I.
* Fr. Braeutigah, Ein. Zool.-Zoot Beitrtige sur Walthierkunde. Inau-
gural-Dissertation, 29 juli, 1874.
(106)
ils les ont observées aux tles Lofoden et sur les côtes d'Islande.
Sars a vu des Penella d'un pied, avec la partie antérieure du
corps plongée dans la couche graisseuse ; sur la partie extérieure
du corps vivait un cirripède, Cineras vittata.
Le Dr Mûrie signale des Echinorhynchus en abondance dans
l'intestin. Il reste à déterminer s'ils se rapportent à V Echinor-
hynchus porrigens de Rudolphi, ou à l'espèce de la Balœnoptera
Sibaldii, que Malm a désignée sous le nom spécifique de
brevicollis.
BAUENOPTERA SIBBALDII.
LITTÉRATURE.
SlMaM, Phalainologia nova, Edinburgh, 1692.
Bteatathal und B«nuHDh«eb, Epis t. de Balœnopteriê quib. Gry-
phiœ, 4825.
▼mi Breda, Eenige byzonderheden omirent den Walvisch, die dm
8dm november 1827 by Oostende gestrand is. Alqim. Kunst-bn-Littbb-
bode, 1827, n« 48.
a>a Bar, Ostéographie de la Baleine échouée à l'est du port dfOstende,
le A novembre 1827. Bruxelles, 1828.
P.-L. Vana'ertlaa'èa, Notice sur un squelette de Balénoptère, exposé
à Bruxelles en juin et juillet 1828. Bruxelles, 1828.
Ca. Marren, Over de Balœnoptera rostrata van Fabricius en beoor-
decHng des werken, welke over een dier dezer soort, den 4 november, ter
oosten van de haven van Oostende gestrandt, uitgegeven zpn. Bydragbn tôt
NATUURK.UND1GB WBTBNSCflAPPBN, 1829, pp. 52-84.
P.-L. ▼aaa'erlladea, Quelques observations en réponse à un article
de M. Ch. Morren, sur la Balénoptère échouée près d'Ostende.... Messager
des sciences et des arts, publié à Gond.
t, Sur la Baleine échouée près d'Oetende, 1827. Paris, 1829,
8», 62 pages.
av. Baaart K.box, Anatomy of the Rorqual, Paoc. rot. Soc., Edin.,
march 18, 1833.
(108)
Cray, Paoc. Zool. Soc., 1847.
Flower, On Physahu Sibbaldii, Proc. Zool. Soc, W., 1865, p. 470.
A. w. Malat, Nagra Blad om ffvalctfur i allmânhet, och Balœnop-
tera Carolinœ isynnerhet. Gôteborg, 4866.
a. w. Mal m, Monographie illustrée de la Balénoptère trouvée le
39 octobre 1865 sur la côte occidentale de Suède. Stockholm, 1867.
S. Relaaardl, Nogle Bemârkninger om Fslœndemes steypirtydr;
aflryk af videnskab. Mbddrls. r. d. nature. Foren, 4867, nM 8-14.
Kiobenhaven, 4868.
aiaphaa Hallaa, Optegnelser om nogle paa et hvalfangst Too....
VlDENSK. MEDD. FRA DEN NATURHI8T. ForCD for, 4867.
W. H. riewer, On the probable idently ofthe Fin-Whates, deeeribed
as Balœnoptera Carolinœ. Proc. Zool. Soc, mars 4868.
W. Taraer, An account of the great Finner-whale (Balœnoptera
Sibbaldii) Stranded al Umgniddry. Transact. op the rot. Soc. of Edin-
bubqh, vol. XXVI, 4870.
G. o. «ara, Om Blaahvalen, Christian. Vid-Selskabs Forhandlinger
for 4874.
P.-J. Tan Beaedto*, Notice sur la grande Balénoptère du Nord,
d'après les notes tirées du Journal de voyage du docteur Otto Finsch,
de Brème. Bullrt. Acad. rotali de Belgique, S* série, t. XXXIX,
juin 4875.
Jalla* Miller, Ueber Zwei,im 49 Jahrhunderte bei Greifswald zur
Section gelangte mânnHche Indwiduen von Balœnoptera Sibbaldii Van Ben,
Greifswald, 4877.
Sara, Bidrag til en noiere characteristik af vore Bardehvaler. Vid*
Selsk., Forb, 4878.
P.-J. Wem Beaeaea, Une page de l'histoire (Tune Baleine, ....
Bulletin — ., 3* aér., U II, 4884.
( 109 )
Tycho Tallberg, Bau und Enturickehtng der Barten M Balamoptera
Stbbaldii, Nov. act. rbo. Soc Scirntiar., Upsaliensis, Ser. tort. vol. XI,
183*.
Bmtmelmêbr, Atlas —• de la République argentine.... in foL Buenos-
Àyres, 4885.
Wrmt . M*bl« , Ueber emen bei Suit gestrandetèn Blauwal (Balœnop-
tera Sibbaldli). Schrift. d. vaturwiss. Vrrbns fur ScsiBswia-flofr»
8TBIN, Bd, VI, Kiel, 488».
CL «net*, Notes sur la tète d'un fœtus de Bal Sibbaldii. Aurt. Soc
Sciintif. dr BauzitLts, 9« année 4885.
m* GiitaT «vld^er*, Zwr Biologie der NordatlanHsehen Finwal-
arien. Zoologiscbbr Jabrbûcbbr, novembre, 4886*
BUfcerl Gray, JVofe* on a Voyage to the Groenland Seas m 4886.
Tbb Zoologist, april, 4887.
( 110)
HISTORIQUE.
Le terme générique de Balénoptère est de Lacépède. Il est
généralement adopté aujourd'hui pour les Baleines qui ont une
nageoire sur le dos. Les baleiniers les désignent sous le nom
de Finnfish.
Le mot spécifique de Sibbaldii, proposé par Gray pour la
plus grande espèce animale, c'est-à-dire pour la Balénoptère,
qui dépasse parfois 80 pieds en longueur, a été introduit par le
savant directeur du Britisb Muséum, en 1847. Il est à regretter
qu'il n'ait pas toujours été aussi heureux en proposant des
noms nouveaux.
Gray a proposé ce terme spécifique de Sibbaldii en voyant le
jeune squelette de 47 pieds de long qui est conservé au Musée
de la Société philosophique de Hull ; on doit lui rendre cette
justice que, s'il n'a pas connu les caractères distinctifs ou spé-
cifiques de l'animal, il a reconnu au moins ses affinités avec les
autres Balénoptères, que Sibbald avait décrites à la fin du
XVII» siècle.
En effet, en 1692, sir R. Sibbald avait fait connaître deux
0
Balénoptères échouées sur les côtes d'Ecosse; l'une, un mâle,
de 18 pieds de long, l'autre, un animal de 46 pieds de long;
tous les deux s'étaient perdus dans la même baie de Forth. La
première se rapporte sans aucun doute à l'espèce que nous
désignons sous le nom de B. Sibbaldii.
Sous le nom de Phy sains, Pallas avait déjà parlé de Balé-
noptères de 84 pieds, qu'il avait observées dans les mers du
Nord en 1740. Il n'est pas douteux que la Balœna phy sains de
Pallas, qualifiée de vulgatissima species, in mare boreo et oceano
orientali, ne soit l'espèce qui nous occupe, car c'est la seule
qui atteigne cette taille *. Du reste, les caractères des fanons
indiqués par l'illustre voyageur, suffiraient pour la reconnaître.
* Pallas, ZooL Ross. As., p. 290.
( 114 )
Le même naturaliste fait mention également d'un squelette
de Finn/feA, c'est-à-dire de Baleine à nageoire dorsale, rapporté
par Petrus Kargin au Musée de S'-Pétersbourg. L'animal a
84 pieds anglais de longueur, dit-il, des fanons d'un noir
bleuâtre; mais il accorde à ceux-ci une longueur de 10 à
12 pieds. Il y a évidemment une erreur à ce sujet, puisqu'il n'y
a pas de Baleine à nageoire dorsale avec des fanons de plus
de 4 ou 5 pieds. Cette Balénoptère de la mer glaciale, à en
juger par la taille ainsi que par la couleur des fanons, est,
sans aucun doute, de la même espèce; les Islandais la con-
naissent sous le nom de Steypireydr.
Mais on a cru longtemps, avec Cuvier, que toutes ces diffé-
rences de taille devaient être attribuées à des différences d'âge.
Le célèbre naturaliste du Muséum admettait un Rorqual de la
Méditerranée, dont l'individu de l'Ile S^-Marguerite était le
type, et un Rorqual de la mer du Nord, dont le squelette de
Berlin était l'autre type.
Le 4 novembre 4827, les pécheurs d'Ostende rencontrèrent
en mer le corps flottant d'une grande Balénoptère dont les
fanons étaient enlevés. Ils remorquèrent l'animal jusque dans
le port d'Ostende. Un particulier en fit l'acquisition ; l'animal
fût dépecé, le squelette monté et exhibé à Ostende, à Bruxelles,
à Paris, à Londres, à 8*-Pétersbourg, ensuite dans d'autres
villes de l'Europe. Il échoua à la fin à Kàzan; un magnat
l'acheta et en fit don à l'Académie des sciences de S'-Péters-
bourg. Le Musée de l'Académie n'ayant point de place, Ta fait
mettre au Jardin Zoologique où il se trouve encore.
Au milieu des festivités, célébrant l'heureux échouement de
la Balénoptère, à Ostende, au milieu de l'affluence de milliers
de visiteurs venant contempler le squelette du géant des mers,
la science ne fut pas négligée : Dubar, chirurgien à Ostende,
publia une description du squelette et figura les principaux
ossements.
Divers naturalistes cherchèrent à déterminer l'animal : Van
Breda, Vanderlinden, Morren, s'en occupèrent et Vanderlinden
émit l'avis que cet animal n'était pas connu; il proposa de
(H2)
le nommer la Balénoptère d'Ostende. Vanderlinden avait
raison.
Si l'on suivait les errements généralement adoptés aujour-
i
d'bui, cette espèce devrait porter le nom de Balénoptère <FOs~
tende, ce nom ayant la priorité sur celui de Gray, qui n'a été
proposé qu'en 1847.
Si l'écbouement d'Ostende a fait progresser l'ostéologie des
Balénoptères, il a peu servi à la connaissance des espèces, faute
surtout de matériaux de comparaison dans les Musées.
Aussi en 1841 Schlegel ne reconnaissait parmi les Finn-
fische * que la Balœna sulcata arctica et la Balœna sulcata
antarctica.
En 1847 Gray fit part, à la Société Zoologique de Londres,
de ses observations sur un squelette de Balénoptère qu'il avait
observé au Musée de la Société philosophique de Hull ; ce sque-
lette provenait d'un jeune animal , qui n'avait pas moins de
80 pieds de longueur, et qui ne se rapportait pas à une espèce
connue. Il provenait d'un animal échoué dans le Humber,
Yorkshire. Gray proposa de le désigner sous le nom spécifique
9
de Sibbaldii, pour rappeler le nom du naturaliste Ecossais qui
avait écrit sur ces animaux à la fin du XVIIe siècle.
Plusieurs cétologistes remarquaient, à cette époque, que
certains os de Balénoptères dépassaient considérablement les
dimensions des mêmes os dans l'espèce ordinaire (Balamoptera
musculus). Le Musée de Copenhague possédait une nageoire
pectorale des côtes du Groenland à dimensions extraordinaires.
De mon côté j'avais observé quelques os extraordinaires par
leur dimension, et ces ossements provenaient-ils d'une espèce
nouvelle ou appartenaient- ils à une Balœnoptera musculus
géante? Les cétologistes étaient dans le doute. Pendant un
voyage que je fis à Copenhague en 1856, il nous parut, à
Eschricht comme à moi, que ces os ne pouvaient provenir que
d'une espèce distincte, de grande taille, et qu'il fallait la nom-
mer Balœnoptera gigas.
1 Abhandlungen • . . . , Leyden, 1841.
( us )
Dans le courant de l'aimée 1825, une Balénoptère pénétra
dans la Baltique et fut capturée le 5 avril sur la côte occidentale
de l'île de Rûgen; elle avait 44 pieds 10 pouces de longueur.
Rosenthal et Hornschuch nous en ont laissé une description *.
En 1862, une seconde Balénoptère, morte dans le Kattegat,
fût entraînée par le courant dans la Baltique jusqu'à la côte
ouest de l'île de Rùgen, où les pécheurs la découvrirent à la
fin du mois de juillet.
Le professeur Jul. Muntër eut l'occasion d'étudier les sque-
lettes de ces animaux à Greifswald. Il était d'accord avec
Sigism. Schulze sur leur identité spécifique, mais, ne sachant
à quelle espèce il fallait les rapporter, il fit une visite au Musée
de Leyde; il se persuada bientôt que cette Balénoptère était
nouvelle pour la science et proposa, à la réunion des natura-
listes allemands, en 1863, ù Stettin, de là désigner sous le nom
de Balœnoptera gryphus 2. Plus tard, le professeur de Greifs-
wald visita les musées de Hull et d'Edimbourg et il s'assura
que sa Bakenoptera gryphus ne différait pas de l'espèce que
Gray avait désignée sous le nom de Balœnoptera Sibbaldii.
Ces Balénoptères ne furent décrites, sous leur vrai nom, par
Jul. Mûnter, qu'en 1877 3.
Il est à remarquer que la Balénoptère de Hull avait à peu
près le même âge que les deux individus de la Baltique, à en
juger par leur taille, qui ne dépassait pas cinquante pieds.
En 1863, le professeur Flower, visitant la collection de Lidt
de Jeude, à Utrecht, fût frappé de la largeur du rostre d'une
tête de Balénoptère , provenant d'un animal capturé sur les
côtes de Hollande; il n'hésita pas de la rapporter à une
espèce nouvelle pour la science et il proposa de la désigner
1 Rosenthal el Hornschuch, Epistola de Balœnopteri$ quibusdam, Gry-
phiae, 1825.
■ TageblaU der 58 Versammlung deulscher Nalvrforscher und Aerizie%
inStetdn, 1863.
•* Jcl Mûsîer, Uber Zwei im 10 Jahrhunderté bei Gïeifsiccfdmfinnliche*
Individuen von Balœnoptera Sibbaldii, Greitewald, 1877.
Tome XLI. 8
(114)
sous le nom de Balœmptera latirostris, nom qui aurait dû lui
rester*.
Peu de temps après, M. Flower reconnut que la tête
d'Ctrecht appartenait à la même espèce que le squelette de
Hull, et il abandonna le nom qu'il avait proposé 2.
Le 29 octobre 1865, une nouvelle jeune Balénoptère, luttant,
pour se sauver, sur les côtes de Suède, près de Gôteborg, fut
heureusement capturée ; elle a été l'objet d'une monographie
illustrée, avec dix-huit planches, contenant vingt-neuf photo-
graphies, deux planches lithographiées et trois gravures en
bois dans le texte. L'auteur, A.-W. Malm, a décrit cet animal
dans tous ses détails et, comme il lui paraissait nouveau pour
la science, il a proposé de le nommer Balœnoptera Carolinœ.
Le terme spécifique était le nom de madame Malm.
L'année suivante, M. Flower publia une note : On the pro-
bable identity ofthe Fin-W haies described as Balœnoptera Caro-
linœ. M. Flower avait parfaitement reconnu l'espèce 3.
En 1868, on commence à faire la pêche aux Balénoptères
dans les eaux d'Islande.
Hallas, médecin à bord d'un des baleiniers, qui y a fait la
chasse à ces Cétacés durant deux ou trois ans , est un des pre-
miers qui ait bien fait connaître l'espèce que l'on chasse; il a
envoyé une tête et des ossements à Copenhague, et Reinhardt
a publié les documents et la description des principaux os du
squelette. Il a figuré la tête, l'atlas, les os nasaux et l'os
hyoïde *.
A la même époque, le Musée de Leyde reçut du capitaine
Bottemanne plusieurs pièces importantes du squelette d'un
individu de cette espèce, capturé dans les mêmes eaux, parmi
4 Notes on the Skclelons of Whales in the principal Muséum of Holland
and Belgium, Phoc. Zool. Soc, oovember, 1804 p. 410.
* On Physalus SibbaMU, Paoc. Zool. Soc, june, 1865, p. 470.
1 Proc. Zool. Soc, of London March, 1866.
4 J. Reinhardt, Sogle Bctnœrkninyer um telandernts Steypireydr., Co-
penhague, 1868. Videnskab. Meddels. fra den tiaturhistoriske Forening
for 1807.
( H8 )
lesquelles se trouvent un sternum, des vertèbres cervicales et
d'autres ossements. Bottemanne dit que les Islandais connais-
sent cet animal sous le nom de Steypireydr, et qu'il n'atteint pas
moins de 80 pieds de longueur ; sa coloration est foncée, dit-il.
Le 3 novembre 1869, une Balénoptère femelle pleine, de
l'espèce qui nous occupe, vint échouer dans la baie de Forth;
elle fut l'objet d'un travail fort intéressant de la part de Sir,
W. Turner, professeur d'anatomie à l'Université d'Edimbourg.
Le fœtus mâle avait 19 pieds 6 pouces. Il s'étendait dans le
corps de la mère en avant jusque tout près des condyles du
maxillaire inférieur. Pour avoir une idée de l'organisation de
la Balénoptère qui nous occupe, il faut recourir à ce beau
mémoire.
Le professeur Sars, fils, pendant un séjour de plusieurs
années aux îles Lofoten, a fait de son côté des observations
intéressantes sur les différentes espèces de Balénoptères, et il
distingue parfaitement la grande espèce. En 1874, il publia
également une notice sur cette même Balénoptère, d'après des
matériaux recueillis sur les côtes de Finmark. Celte notice est
accompagnée d'un bon dessin, représentant un fœtus, d'un pied
et quelques pouces de longueur.
En 1873, le Dr Otto Finsch se rend à Vadsô pour assister
à la pêche des Balénoptères, et il en rapporte une tète de
fœtus, conservée dans la liqueur. D'après les notes et les
dessins faits sur les lieux par le savant naturaliste de Brème,
nous avons décrit les caractères extérieurs de l'animal dans les
Bulletins de l'Académie *.
Dans la suite la tête du fœtus a été étudiée avec un soin
particulier par M. l'abbé Gérard Smets; il a fait connaître
toutes les particularités des os, du crâne et de la face 2.
Le professeur Môbîus a publié une notice sur une Balœ-
noptera Sibbaldii, échouée, le 26 juin 1881, entre les îles Sylt
et Fôhr (mer du Nord, côte occidentale du Jutland). L'animal
était encore en vie quand il est venu à la cote.
1 Notice sur la grande Balénoptère du Nord, Bulletin* de l'Académie, 1H2&.
* Ann. Soc scientif. de Bruxelles, 1885.
( 116 )
Plusieurs naturalistes se sont rendus dans ces dernières
années au nord de la Norwège, pour y assister à la pêche des
Balénoptères ; ils en ont rapporté de précieux matériaux pour
l'histoire de la grande espèce : en 1877, MM. Aurivillius et
Forstrand, et depuis, MM. Tycho-Tollberg, Éd. Van Beneden,
Pouchet, Guldberg et, en dernier lieu, M. 0. Cooks*'
M. Tycho-Tollberg a publié un travail intéressant sur la struc-
ture et le développement des fanons de la grande espèce. Ils
sont larges à la base, noirs comme du jais avec un teint
bleuâtre.
Des expositions, comme celle qui vient d'avoir lieu à Ham-
bourg (1884), ont, dans une large mesure, contribué au progrès
de la cétologie. Ce n'est que dans des occasions pareilles qu'on
peut comparer les squelettes de ces grands mammifères, dont
on trouve bien rarement plus d'un exemplaire dans un musée.
M. Guldberg a rendu compte de cette exposition dans le journal
anglais Nature 4, et, à cette même occasion, le Dr H. Balan a
publié une notice sur les Baleines principales de l'océan
Atlantique et leur distribution dans cette mer 2.
Ce qui a le plus contribué à nous faire connaître les diverses
espèces des Balénoptères, et surtout celle qui nous occupe, ce
sont les pêcheries que l'on a établies d'abord dans les eaux
d'Islande et que l'on a continuées ensuite sur les côtes de Fin-
mark , où elles ont pris une grande extension dans ces der-
nières années.
SYNONYMIE.
Comme nous venons de le voir, c'est le même animal qui
est désigné sous le nom de BcUœna physalus, par Pallas;
Cuvierius et Physalus Sibbaldii, . par Gray; Pterobalœna gigas,
par Eschricht; Pterobalœna gryphus, par Jul. Mùnter; Balœ-
noptera latirostris , par Flower ; Balaenoptera Cuvierius ou Caro-
linœ, par Malm.
1 M 799, 19fév. 1885.
■ Segelhandbuch fiir den Atlantischen Océan. XI V kapilel.
(H7)
Les Groënlandais le connaissent sous le nom de Tunnolik;
les Islandais sous celui de Steypireydr ; les Norwégiens sous
celui de Blaahval.
Sars avait attribué le nom de Hushval à la Balœnoptera Sib~
baldii. M. Guldberg, conservateur du Musée zootomique de
l'Université de Christiania, croit que Sars s'est trompé ; le
Hushval ferait son apparition dans ces régions à une autre
époque que le Sibbaldii, qui ne se montre qu'en été. ,
Dans notre mémoire sur la Baleine des Basques 4, nous
avons d'ailleurs dit que ce nom était donné à la Balœna bis-
cayensis.
Le Physaltis cmtarcticus de Malin , dont nous avons vu des vertè-
bres au Musée de Stockholm, provenant du détroit de Magellan,
représente sans doute le Sibbaldii dans l'hémisphère austral.
Parmi les ossements provenant de l'expédition française au
Cap Horn et qui sont conservés au Muséum à Paris, il y en a
sans doute qui se rapportent à cette même espèce.
Les baleiniers américains et anglais parlent souvent d'une
Balénoptère sous le nom de Sulfurbottom; c'est, d'après eux,
un animal de grande taille et qui hante l'océan Pacifique
et la mer des Indes. Ils lui accordent une taille de 80 pieds et
des fanons fort larges et d'un noir luisant. Nous avons ainsi
plusieurs raisons de croire que ce Sulfwbottom est aussi syno-
nyme de B. Sibbaldii.
Ce qui nous confirme dans ce rapprochement, c'est l'examen,
que nous avons eu l'occasion de faire à Vienne, des fanons
désignés sous ce même nom par le capitaine Charles Scammon
et que le prof. Steindachner avait lui-même rapportés de San-
Francisco.
CARACTÈRES.
Cette espèce se distingue des autres Balénoptères par le
rostre, qui est fort large, surtout sur le milieu de sa longueur ;
1 Histoire naturelle de la Baleine des Basques ; Mémoires de l'Académie,
18ISG, p. 34.
{ 118 )
par les os nasaux tronqués en avant, et par les palatins fort
larges; le maxillaire supérieur est dépassé par le maxillaire
inférieur, et l'apophyse, coronoïde est haute et pointue; les
vertèbres sont au nombre de soixante-trois ou soixante-quatre;
les côtes sont au nombre de quinze ou seize paires; le sternum
est large et court, les métacarpiens et les phalanges sont com-
parativement longs.
Les fanons sont courts et fort larges à leur base, d'un noir
foncé à reflets bleuâtres *.
La nageoire dorsale est petite, pointue et rapprochée de la
nageoire caudale. Elle est placée au-dessus de l'anus, vers les
quatre cinquièmes de la longueur du corps. Les nageoires pec-
torales sont longues et pointues. La peau du dos est d'un brun
foncé tirant sur le vert. La peau du ventre est grisâtre, argentée.
Des poils, au nombre d'une trentaine, sont placés au menton
dans un espace circulaire (Mal m).
Le caractère si important de la largeur du rostre, qui lui
avait valu le nom de latiroslrte, ne se trouve cependant
bien prononcé que chez l'adulte. Nous avons été à même de
comparer des photographies de têtes de fœtus, de jeunes et
d'adultes, et nous avons pu nous assurer que la largeur des
maxillaires, vers le milieu, se montre seulement après la nais-
sance.
La taille de l'animal adulte dépasse 80 pieds. Pal las lui
accorde 84 pieds*
La femelle de 1827, trouvée morte en mer, avait 85 pieds
(26*,60).
Scoresby en accorde 82 à une Balénoptère venue à la côte £
Shetland pendant l'hiver 4817-1818. Il n'indique pas le sexe
de l'individu.
1 Les fanons sont noirs aussi dans la Balœnoptera borealis, mais leur
forme les faii ressembler plutôt à des fanons de Baleine qu'à des fanons de
Balénoptère; ils sont en effet très étroits à leur base. Les barbes sont blan-
ches et fines dans la Balœnoptera borealis, noires et épaisses dans la Balœ-
voptera Sibbaldiï.
( H9 )
- Celui de Sibbald, capturé en 1692 à l'entrée du Firth oh
Fort h, était un mâle de 78 pieds.
Un autre individu, de sexe femelle, capturé également dans
le Firth of Forth, avait 80 pieds, et le fœtus qu'elle portait en
avait près de 20.
Knox accorde 84 pieds à un animal capturé le 5 octobre 4831
près de Nort-Berwick et dont le squelette est au Musée d'Edim-
bourg.
Un animal échoué sur les côtes à Plymouth mesurait 79 pieds;
La Balénoptère, dont la nageoire pectorale avait été envoyée
par Holbôll à Copenhague, avait été prise dans la baie de
Baffin le 12 août 1843. Elle avait 34 aunes danoises. À en juger
par sa taille, c'était sans doute une femelle.
H. Guldberg estime la taille au moins à 75 pieds à l'âge
adulte. Les plus forts individus qu'il ait vus avaient 84 pieds.
On en cite de 86 et même de plus grands.
Le Dr Finsch a vu prendre à Vadsô une femelle pleine qui
avait 84 pieds.
. Un pêcheur des côtes de Finmark a capturé en 1885 : le
12 juillet, une femelle de 85 pieds; le 24 juillet, une de 82; le
9 août, une de 81; le 6 juin, une de 72 et le 24 août, un mâle
de 75 pieds. Ainsi, le 24 août il prend un mâle et une femelle,
et la femelle a 7 pieds de plus que le mâle.
Il paraît que l'on ne prend plus de si grands individus.
Dans ces derniers temps, six individus capturés dans les eaux
d'Islande ne mesuraient que de 70 à 80 pieds.
La Balœnoptera Sibbaldii est l'espèce la plus commune dans
ces parages. H. Alfred Cocks rapporte que sur 406 cétacés à
fanons , capturés en 1883 sur les côtes de Finmark, il y avait
175 Balœnoptera Sibbaldii, et sur le restant à peu près la moitié
Balœnoptera borealis et musculus. Sur 40 individus capturés
par un seul pécheur, il y avait 19 Sibbaldii, 8 Megaptera et le
restant des Musculus *.
Les cétacés en naissant ont à peu près le tiers ou le quart de
* àlfb. Cocks, loc» cit , p. 20.
(120)
la longueur de la mère. Les Phoques, si l'on en croit le témoi-
gnage de quelques naturalistes, sont dans le même cas, et oa
cite même des exemples de jeunes animaux de cet ordre qui,
en naissant, auraient eu à peu près la moitié de la taille de leur
mère. Ce sont donc les mammifères dont la. taille, relative-
ment à la mère, est la plus grande à la naissance.
, La grande Balénoptère, Balœnoptera Sibbaldii, a été étudiée
par le professeur Sir Turner : le savant professeur d'Edimbourg a
vu une femelle de 80 pieds, échouée sur les côtes d'Ecosse, qui
renfermait un fœtus à terme de près de 20 pieds; c'était donc
le quart de la taille de la mère.
M. Henri Berd a vu sur les côtes d'Islande un fœtus qui avait
18 pieds.
Le Musée de Leipzig a reçu de Vadsô un fœtus de 18 pieds
également.
Un fœtus recueilli sur les côtes d'Islande et envoyé par le
capitaine Bottemanne au Musée de Leyde, avait 17 pieds.
Le Dr Finsch a trouvé dans une femelle, à Vadsô (Finmark);
entre le 7 et le 10 juillet, un fœtus de 7 pieds et un autre de 41/*.
Le 7 août, on a trouvé dans une femelle, capturée à l'est du
cap Nord, un fœtus de 9 à 10 pieds. La mère avait 75 pieds
norwégiens, ou 78 pieds 2 pouces anglais.
M. Alfred Cocks a observé sur les lieux (également Finmark),
le 21 juillet, un fœtus de 3 pouces, à Eretiki ; un second de 9
à 10 pouces, le 7 août, à Jarfiord ; un troisième de 15 pouces, à
Vardô, le 14 août, et un quatrième de 15 pieds 6 pouces, du 15
au 17 août (1884).
On connaît plusieurs autres fœtus. La plupart viennent de
Vadsô. On voit des différences de taille assez grandes dans des
fœtus recueillis à quelques jours d'intervalle. Il est à remar-
quer que l'on ne commence la chasse qu'au mois de mai sur
les côtes de Finmark et que tous ces fœtus sont recueillis
pendant les trois mois d'été.
Sars a figuré un fœtus de 1 pied 4 pouces.
Guldberg a rassemblé la mesure de 28 fœtus, mais on n'a
malheureusement pas tenu note de la date de leur capture. .
( 1M;>
. Tycbo-Tollberg a eu un embryon de 1 mètre, un de 2 mètre»,
OD de 3 mètres et un de 4°n5o.
Le fœtus de Longniddry avait au delà de 19 pieds,
. Guldberg cite un fœtus de 23 pieds, qu'il considère comme
étant à terme.
. Il croit devoir fixer la taille de la Balœnoptera Sibbaldii, en
naissant, entre 23 et 24 pieds, ou 7 V3 à 8 mètres *.
ORGANISATION.
Plusieurs travaux importants ont paru sur l'organisation de
la Balénoptère de Sibbald, et parmi eux nous pouvons citer
particulièrement le beau mémoire de Sir W, 'fumer, qui a eu
a sa disposition une femelle de 78 pieds 9 pouces en chair et
un fœtus de 19 pieds 6 pouces.
La tête du fœtus de 7 pieds, conservée dans la liqueur avec les
Vue de 11 partie antérieure de la le te du ftetus, conservée a l.ouvain.
1 Pour donner une idée de &-ne différence de taille, nous ferons remarquer
qne la petite Hoslrata a, d'après Eschrinbl, 9 pied» de longueur en venant
an monde, et la grande qui nous occupe en a 20.
( 122 )
parties molles, nous a montré combien le maxillaire inférieur
dépasse le bout du rostre; une double rangée de bulbes à poil*
garnit la lèvre supérieure, et une double rangée se montre
également sur le bord et au-dessous de la mandibule infé-
rieure.
En disséquant la tête du fœtus, nous avons observé une dis*
position bien curieuse dans la cavité de la bouche. La langue
forme en avant une saillie; mais en arrière, au lieu de s'élever
et de s'insérer sur le corps de l'os hyoïde, elle se déprime et il
se forme une véritable excavation.
La caisse tympanique mesure 13 centimètres en hauteur;
la grande apophyse, 24 en longueur.
La colonne vertébrale de B. Sîbbaldii compte un plus grand
nombre de vertèbres que celles des autres Balénoptères, mais il
est à remarquer que l'on conserve bien rarement les dernières
caudales. Il n'y a que les naturalistes qui attachent de l'impor-
tance à conserver tous les os, petits ou grands, ossifiés ou car-
tilagineux.
Knox a compté soixante-trois vertèbres, qu'il répartit en
cervicales, sept; dorsales, quinze; lombaires, seize ; caudales,
vingt-cinq.
C'est le même nombre que dans le jeune squelette de Gôten-
borg, seulement il y a une lombaire de moins et une caudale
de plus. Cette différence peut dépendre de la dernière lombaire,
qui est comptée quelquefois avec les caudales.
Pallas n'accorde que soixante et une vertèbres à la Balœna
physalus, comme il appelle la Sibbaldii.
Un squelette du Musée de Stockholm, provenant de Vadsô,
montre soixante-deux vertèbres, d'après une lettre de M. Smith.
Ce même nombre se trouverait dans une mère et dans un fœtus.
Le squelette de Hull, de 50 pieds de long, a soixante-quatre
vertèbres (7 cervicales, 16 dorsales, 41 lombaires et caudales).
La femelle échouée dans les sables de l'île d'01eron,en 1827,
et qui n'aurait aussi que 54 pieds, portait, d'après les suppo-
sitions, soixante-trois vertèbres (46 présentes et 17 qui man-
quaient dans la queue).
( 123)
Le squelette d'Edimbourg a soixante-trois vertèbres (7 cerv.,
-15 dors., 16 lomb. et 25 caud.).
Celui de la BalœnopUra Carolinœ de Gôtenborg, en a cin-
.quante-six (15 dors., 15 lorab, et 26 coccygiennes). Sans doute,
elles ne sont pas toutes conservées, puisque le nombre ne
s'accroît pas avec l'âge, pas plus que celui des fanons.
Une femelle de 13 mètres, du Musée de Kiel, a également
soixante-quatre vertèbres (7 cerv. , 16 dors. , 15 lomb. et 26 caud.).
L'atlas de la femelle de Stockholm présente à sa face posté-
rieure tous les caractères que MM. Flower et Reinhardt ont
attribués à cette espèce.
Pour se faire une idée de la taille des vertèbres, nous ferons
remarquer que l'axis mesure, d'un bout de ses apophyses à
l'autre, lm,2o.
Nous avons vu au Musée de Stockholm une vertèbre lom-
baire du détroit de Magellan, dont les apophyses n'étaient pas
soudées et dont le corps mesurait en largeur 49 centimètres,
en hauteur 39 et en longueur 27, avec une apophyse épineuse,
mesurée de sa base, de 77 à 78 centimètres.
Malm a écrit sur l'étiquette de cette vertèbre du Musée de
Stockholm : Physalus antarcticus ; elle est figurée dans son mé-
moire 4,
Une autre vertèbre, de grandeur colossale également, une
dorsale, la onzième, du môme Musée, mesure en travers 48 cen-
timètres, en hauteur 39, en longueur 16, avec une apophyse
transverse, mesurée depuis le canal vertébral, de 54 centimètres.
Les épiphyses sont soudées.
Nous avons tout Heu de croire que ces vertèbres proviennent
de l'espèce représentative de notre Sibbaldii, ou de la Sibbaldii
même.
Nous venons de recevoir une omoplate d'un individu, qui
avait près de 80 pieds et qui mesure un mètre soixante, de
l'angle antérieur à l'angle postérieur de l'os.
* Hvalrfjur i Svehges Muzeer. KongL Svrnska Vetenskaps-Akademieni
handlingar. Stockholm, \ 871 , pi. 1 , 7, c.
(124)
Le sternum de jeune animal le plus intéressant est celui du
Musée de Leyde. Il consiste dans un large disque, sans échan-
-crure en avant et sans appendice en arrière, ayant en travers
dé 39 à 40 centimètres, et d'avant en arrière 25 à 36 centi-
mètres.
Le sternum du jeune mâle de Gôtenborg présente la même
forme.
. Le sternum adulte de Leyde se termine en arrière en pointe
arrondie, et mesure en travers 67 à 68 centimètres.
Celui d'Ostende lui ressemble aussi bien qu'au sternum
d'Edimbourg.
J
S"
!
Sternum d'une femelle, du Musée de Stockholm. > i
«
Le sternum de la femelle de Stockholm se termine de la
même manière postérieurement, mais, en avant, le bord n'est
pas arrondi comme dans les autres; il y a pour ainsi dire un
second étage.
D'après ce que nous venons de dire, cet os n'est point
échancré en avant dans l'espèce qui nous occupe, comme il
l'est dans d'autres espèces.
Le sternum représenté par sir Turner, provenant d'une
femelle adolescente, ne ressemble pas complètement aux autres.
Le professeur de l'Université d'Edimbourg a publié aussi la
figure du sternum d'un fœtus mâle, fort intéressant; il est
formé d'un cartilage qui ressemble au sternum de l'animal,
adulte, et d'un second cartilage fort petit, placé derrière l'autre
sur la ligne médiane, et qui semble devoir former la pointe
postérieure de cet os.
('128)
Le squelette a seize paires de côtes quand elles sont toutes
conservées. La dernière se perd souvent. Nous en comptons
seize dans le squelette de Hull et dans quelques autres squelettes.
Un fœtus femelle du Musée de Stockholm n'en a que quinze.
Dans la Balénoptère qui nous occupe, on voit souvent cette
première côte formée de deux pièces plus ou moins complè-
tement soudées.
Dans le squelette d'Ostende, la première côte est réellement
bifurquée, comme nous Pavons déjà fait remarquer, et celui qui
l'a monté a attaché cet os à la dernière cervicale et à la première
dorsale; c'est ce qui avait fait dire à Dubar, qui a décrit ce
squelette, qu'il n'y avait que six vertèbres à la région cervicale,
La première côte du squelette d'un jeune mâle de Gôtenborg
est simple, ainsi que la première du squelette de Stockholm.
Un radius des Antilles, au Musée de Bordeaux, mesure plus
d'un mètre de longueur.
•Dans le squelette de Hull, nous voyons les phalanges des
doigts au nombre de 4, 6, 5 et 3. Dans celui de Gôtenborg,
décrit par Malm, ils sont 5, 8, 8, 4. Dans celui de Copenhague,
qui vient de la baie de Baffin, nous avons compté 6, 6, 7, 4.
Il est à remarquer que les doigts des adultes sont rarement
complets, ce qui paraît dépendre des luttes que ces animaux
ont eu à soutenir avec les Orques. Les bords des nageoires sont
très souvent rongés , aussi bien des nageoires caudales
que des nageoires pectorales. Le dessin publié par Schlegel
dans la Fauna Japonica montre bien comment ces organes sont
entamés sur leurs bords.
D'après le fœtus de Longniddry, le nombre de rangs de
fanons serait de trois cent trente-cinq.
L'espace qui les sépare est d'un dixième de pouce. Chaque
rang de fanons compte vers le milieu jusqu'à sept, huit et même
neuf lames en avant, seulement cinq en arrière; le nombre
s'accroît jusqu'à trente , mais dans ce cas les derniers sont à
peine distincts.
Les fanons du fœtus n'ont pas cette belle couleur noire des
adultes.
( 126 )
Quand le fœtus a 2 mètres, les fanons sont en voie de for-
mation. H. Tollberg a figuré les fanons d'un fœtus de 3 mètres,
et d'un autre qui avait atteint 4 4/s mètres.
Dans ces dernières années, un beau travail a paru sur la for-
mation des fanons de la Balemoptera Sibbaldii, par Tycho-Toll-
berg*.
Sous le rapport morphologique, les fanons correspondent
aux papilles du palais des Ruminants ; leur origine est épi-
dermique.
Lorsque l'embryon a 2 mètres de long, Tépithélium du
milieu du bord du maxillaire s'épaissit, et cette épaisseur
attend ensuite en avant et en arrière. Comme Eschricht l'avait
déjà remarqué, le nombre de fanons ne change pas dans le
cours du développement.
HH. 6. Pouchet et Chabry ont exposé le résultat d'observa-
tions intéressantes sur l'évolution des dents de la Balœnoptera
Sibbaldii.ddins les Comptes rendus de l'Académie des sciences 2.
H. Planteau a fait connaître des observations sur la muqueuse
de l'utérus, d'après des pièces rapportées de Vadso par le
professeur Pouchet 3.
MOEURS.
Chaque espèce de Cétacé se comporte d'une manière parti-
culière en mer, et les pécheurs les reconnaissent à distance
sans se tromper. La Balénoptère qui nous occupe est recon-
naissable non seulement à sa nageoire dorsale, qui est très
petite et placée fort en arrière, mais également à son high spout
and conspicuous size, comme disent les baleiniers anglais.
1 Tollberg-Tycho, Sur la structure et le développement des Baleinée
(Bal. Sibbaldii), Archiv. Zoou expérim., t III, n* 3, noies, p. xxxix. Nov. act.
Reg. Soc. Scientiar., Upsaliensis, vol. XI, 1883.
1 20 février 1882*
• Planteau, Muqueuse de l'utérus de Balaenoptera Sibbaldii. Jouait. d'Anat.
et de Phys., juillet, 1881, p. 277.
( 127)
La Baleine franche parcourt un espace de 9 à 10 milles à
l'heure, et les Balénoptères, surtout la grande, nagent encore
plus vite; le capitaine sir Turner accorde à la Balœnoptera Sib-
baldii, qui atteint 89 pieds, une vitesse de 12 milles à l'heure,
comme au Cachalot.
Le professeur Sir Turner, dans une conférence donnée der-
nièrement à Edimbourg, a parlé de la force des grands Cétacés.
11 estime la force de la Balœnoptera Sibbaldii, qui parcourt
12 milles à l'heure, dont le poids est de 70 tonnes et l'envergure
de la queue de 18 à 20 pieds, il estime cette force, d'après
M. Henderson, à 145 chevaux.
Les Balénoptères sont généralement considérées comme
ichtyophages, ainsi que les Mégaptères, mais l'espèce qui nous
occupe ne paraît guère manger que des Crustacés.
Le Crustacé qui fait sa pâture principale est un mysidé,
que l'on désigne sous le nom deRoeger; c'est une Thysmwpoda,
qui porte maintenant le nom de Euphrasia inermis. C'est le
Krill des pécheurs *. La Balénoptère poursuit ces Crustacés
schizopodes jusque dans les Fiords, dit Sars. Ce petit crustacé
paraît en si grande abondance à l'est du cap Nord, pendant
les mois d'été, qu'elle sert de pâture non seulement aux Balœ-
noptera Sibbaldii et borealis, mais également au Gadus virens
et aux nombreux oiseaux marins qui descendent comme des
nuages sur cette proie.
Collett a trouvé communément de 3 à 400 litres de Thysano-
poda dans leur estomac. Mon fils en a ouvert à Vadsô en 1882,
qu'on venait de capturer et il a trouvé leur estomac également
plein de ce petit crustacé.
C'est par erreur, sans doute, que Holbôll cite le Mallotus
arcticus, et Pallas, les Loligo et les Méduses, comme nour-
riture principale de cette Balénoptère.
D'après le Dr Guldberg, la Balœnoptera borealis poursuit la
même pâture et ne se rend cependant pas autant à l'est que la
Balœnoptera Sibbaldii. Il faudrait en conclure que ce n'est pas
• Nuturw. V train., mai 1885.
(128)
exclusivement la recherche de la pâture qui les guide dam leurs
pérégrinations.
Le Cestode, que nous possédons à l'état de strobile, provient
sans doute de ce crustacé Schizopode.
Ces Cétacés vivent par couple et la femelle atteint une taille
plus forte que le mâle.
Malmgren a vu deux grandes Balénoptères, sans doute mâle
et femelle, à la latitude de 79°, 45.
En septembre 1881, on a trouvé une femelle morte sur les
côtes près de Plymouth, et le 2 novembre suivant, on a vu
échouer un mâle à peu près sur les mêmes côtes.
Gomme les autres espèces, la Balœnoptera Sibbaldii s'apparie
sans doute à certaines époques de l'année et les sexes, comme les
individus qui composent les bandes, se prêtent assistance
en cas de danger.
Les pêcheurs ont plus d'une fois remarqué que des Balénop-
tères vont au secours des individus capturés, et continuent
leurs évolutions autour du cadavre remorqué, jusqu'à ce que
le danger d'être prises elles-mêmes devient trop éminent.
Y a-t-il une époque des amours, ou ces cétacés s'accouplent-
ils à toutes les époques de l'année? Est-ce dans l'Atlantique
pendant l'hiver, ou dans la Mer de Barentz pendant l'été?
Qu'elle est la durée de gestation ? Y a-t-il un lieu de prédilection
pour la mise bas? Ce sont autant de questions auxquelles il est
encore difficile de répondre positivement. Nous n'avons encore
que des observations isolées.
L'accouplement se fait, d'après Guldberg, en été sur les côtes de
Finmark et de Laponie et il cite un exemple à la date du lo juillet
(1883). On a vu un mâle et une femelle tous les deux sur les flancs,
s'approcher lentement l'un de l'autre, puis se tourner ventre
contre ventre. Le vapeur tira sur le mâle, qui lâcha la femelle
sans être blessé. Le lendemain on captura une femelle de 70
pieds. A l'autopsie, la muqueuse vaginale était rouge et injectée.
L'impression était que la femelle était fécondée. Guldberg n'a
pas trouvé de spermatozoïdes dans les mucosités utérines.
( 129)
Hais à en juger par la taille des fœtus que l'on recueille
assez régulièrement pendant l'époque de la pêche, l'accouple-
ment doit avoir lieu également ailleurs et en d'autres temps;
ainsi cette Balénoptère n'aurait pas d'époque fixe pour l'accou-
plement, par conséquent non plus pour l'époque de la partu-
rition. Bailleurs M. Çuldberg est arrivé à la même conclusion,
comme il ressort d'un de ses derniers travaux *.
La durée de la gestation dure au delà d'une année, et sans
aucun doute elle varie d'une Balénoptère à l'autre.
La Balœrwptera Sibbaldii se reproduit tous les trois ans; les
Balœnoplera musculus et rostraia semblent se reproduire tous
les deux ans environ.
La taille des fœtus, recueillis à Vadso et dans les . ports
voisins, est très variable, comme nous l'avons déjà dit plus
haut.
Au commencement de juillet 4883, on amena à Svartnœs,
près de Vardô, une grande femelle, avec les mamelles pleines
de lait et une matrice énorme; il a semblé au conservateur du
Musée Zootomique de Christiania, que cette femelle avait mis
bas depuis peu de temps.
La femelle de la baie de Forth, ainsi qu'une autre citée par
le professeur d'anatomic de l'Université d Edimbourg, auraient
au contraire mis bas au mois d'octobre ou de novembre.
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
Cette Balénoptère fait régulièrement son apparition sur les
côtes d'Islande et de Finmark au printemps, et elle disparaît à
la fin de l'été. Quelle direction prend-elle alors pour passer les
mois d'hiver? Traverse-t-elle l'Atlantique pour se rendre à la
côte de Labrador? Nous fondons grand espoir sur l'initiative,
1 G. A. Guldberg, zur Biologie des PfordatlanlUchen Flnwhàlartw.
Zoologische Jaiihbûcher, Jena, 1866. vol. II, fa$c I, pp. 423-474, .
Tome XLI. 9
(130)
qui vient d'être prise par la commission de pêche de Was-
hington, d'inviter les habitants des côtes d'informer par télé-
graphe le professeur Sir A. Baird, le secrétaire de l'institut
Smithsonien de Washington, chaque fois qu'un Cétacé de
quelque importance apparaîtrait.
Pour faciliter cette tâche, M. Fréd. True, curateur des mam-
mifères du Musée national, a publié une notice intéressante,
avec dessin au trait, des différents Cétacés qui pourraient faire
leur apparition sur les côtes des Etats-Unis d'Amérique *.
Quant à l'époque de l'apparition de la grande Balénoptère,
nous avons recueilli quelques faits qu'il s'agira de coordonner
quand ils seront assez nombreux.
Sophus Hallas, qui a pris part à la pêche des Balénoptères
sur les côtes d'Islande, dit que leur apparition dans les eaux
d'Islande a lieu vers le 21 avril.
D'après les pécheurs, les Balœnoptera Sibbaldii et musculus,
ainsi que la Megaptera boops, apparaissent dans le voisinage du
cap Nord en même temps que la Mallotus villosus, la nourri-
ture favorite des Gades. Des millions de Larus (Larus glaucus
et eburneus) suivent ces bancs de poissons.
L'Éclipsé, partie de Pelerhead, le 20 avril 1886, pour la pêche
à la Baleine, a rencontré, quatre ou cinq jours après son
départ d'Ecosse, une Balœnoptera Sibbaldii; du moins, R.Gray
suppose, d'après la taille, que la Balénoptère qu'ils ont aperçue
appartient à cette espèce. Le huitième jour, V Éclipse s'est
approchée des glaces, et deux autres individus de la même
espèce se sont montrés à l'horizon.
Le capitaine de Y Éclipse a vu ensuite des Balœnoptera Sib-
baldii à côté d'Hyperoodon , et même dans des eaux qui
avaient une température au-dessous de deux degrés et demi,
à côté des Mysticetus. Nordenskiold croyait que les Sibbaldii
n'entraient pas dans des eaux au-dessous de cette température.
1 Fred.True, Suggestions to the keepers ofthe U. S. Lifc-Saving stations
.....ta the best means of collecting and preserving spécimens of tonales and
porpoises. Washington, 1884.
■ ( 131 )
A 79°, 15° N., le capitaine Gray a vu encore une Balœnoptera
Sibbaldii avec deux jeunes.
Avec les baleiniers, on peut dire qu'elles sont Cold water
w hâtes.
Il n'est pas douteux que cette même Balénoptère ne se montre
de l'autre côté de l'Atlantique. Le professeur Cope cite quatre
espèces, dont une est connue des baleiniers sous le nom de
Finbach whale, et mesure au moins 74 pieds, à en juger par
un squelette du Musée de Cambridge. C'est le Sibbaldius sul-
fureus de Cope.
Guldberg cite le cas d'un individu capturé en Europe, qui
portait un harpon semblable à ceux qu'on emploie de l'autre
côté de l'Atlantique, probablement des côtes du Labrador.
Nous savons que cette Balénoptère apparaît régulièrement
au printemps au détroit de Davis, quand la Baleine franche l'a
quitté, et elle se rend dans la mer de Baffin à de hautes lati-
tudes. C'est l'espèce la plus boréale du genre, dit F. Gray. Les
Esquimaux, comme les baleiniers, ne distinguent pas la Balœ-
noptera Sibbaldii de la Balœnoptera mnsculus, dit R. Brown K
Nous connaissons un exemple intéressant de cette capture,
faite le 12 août 1843 dans la baie de Batfin : c'est celle de la
femelle de 3i aunes danoises, dont la nageoire pectorale avait
été envoyée à Eschricht. Le ventre de cette Balénoptère était
noir et gris, disait Holbôll; souris-foncé entre les plis et la
nageoire dorsale petite -.
Celles qui doublent le cap Nord longent la côte de Finmark
et se dirigent vers l'est. M. A. Cockx a vu des Balœnoptera
Sibbaldii jusqu'au 18 septembre à l'entrée de la mer Blanche.
Déjà en 1852, 0. Heuglin avait signalé à la Société royale de
géographie de Londres 3 que ces animaux sont extrêmement
abondants dans la mer Blanche, et il avait même exprimé l'es-
poir de voir l'industrie de la pêche s'établir dans cette mer, si
* The Zoologist, février 1887.
* EscuRiciiT, 5e Traité, p. 151.
* Joum, roy. gtoyr. Society, vof. XXIII, p. 129.
( 132 )
peu connue alors. Il prétend aussi que les côtes de cette mer
intérieure sont couvertes d'ossements de ces Cétacés.
Elle se rend dans les eaux de Spitzbergen, comme dans la
mer de Baffin, à de hautes latitudes. Malmgren rapporte qu'il
a vu, comme le capitaine Gray, le 17 septembre 1861, deux
Balénoptères de grande taille, à 79°,45' latitude nord, entre
l'île d'Amsterdam et le Spitzberg. Leur navire y était à l'ancre.
On sait que cette Balénoptère est également commune a
Beeren-Eiland et sur les cotes de la Nouvelle-Zemble.
Dans le courant du mois d'août, ces animaux abandonnent
ces régions, et la première espèce qui quitte les côtes de la
Laponie, c'est la Balœnoptera Sibbaldii; la seconde espèce, c'est
la Balœnoptera mus eu lus. La Megaptera reste la dernière.,
paraît-il (A. Cockx).
Le 18 septembre, on a vu encore un individu de cette espèce
à Eretiki.
M. Guldberg a fait le relevé des Balénoptères de cette espèce
capturées depuis dix ans : en 1876, il y en a eu 42; en 1877,
22 seulement, c'est le plus petit nombre ; en 1878, il y en a eu
70; en 1879, 84; en 1880, 62; en 1881, 221. C'est le plus
haut chiffre que l'on ait atteint. En 1882 et 1883, on estime
le nombre à 200; en 1884, les animaux étaient grands, mais
moins abondants; en 1885, on n'en a pris que 58. On a capturé
ù la place une centaine de Balœnoptera borealis. En 1886, on
en a capturé une centaine. La Balœiwptera borealis était rare
cette année, mais la Balœnoptera musculus, par contre, fort
abondante.
M. Alfred Cockx estime que sur 406 captures faites en 1883
sur les côtes de Finmark, il y avait 175 Balœnoptera Sibbaldii.
La Balœnoptera Sibbaldii a été rare en 1885 sur les côtes de
Finmark. Le Crustacé qui forme sa pâture, la Thysanopoda
inermis, a fait défaut, et le Seje ou Cod whale des Norwégiens
a paru à sa place.
A cause de son énorme taille, cette espèce est plus exposée
à échouer que les autres, et nous avons plusieurs exemples
d'individus trouvés flottants en mer.
(133)
Ascanius signale l'exemple d'une femelle de 6G pieds qui est
venue se perdre sur les côtes de Norwège.
Le 28 juillet, on a vu sur les côtes est de l'Islande un Stey-
pireydr flottant en mer.
Un animal de 80 pieds a échoué sur les côtes de Hollande
(Oosten et Sluysche Gai) le 1er mai, nous ne savons de quelle
année. Le commissaire De Witte fait mention des fanons noirs,
d'une aune de longueur, et dont il estime le nombre à deux
cents *.
Une des captures, dont on s'est le plus occupé, est celle faite
en 1827 d'une femelle trouvée flottante en mer et remorquée
par les pécheurs jusqu'au port d'Ostende. L'animal mesurait,
comme nous l'avons dit plus haut, 85 pieds, et son squelette,
après avoir été exhibé dans les principales capitales de l'Eu-
rope, est conservé, dans un triste état, au Jardin botanique de
Sl-Pétersbourg 2. C'est la propriété du Musée impérial de
l'Académie des sciences de S^Pétersbourg.
Cette même année, au mois de mars (le 10), une jeune
femelle, qui n'avait que 54 pieds, a échoué dans les sables de
l'île d'Oleron, et on peut se demander si ce n'est pas un Balei-
neau qui avait accompagné la Balénoptère dont nous venons
de parler. Le Dr Fischer donne des détails fort intéressants
sur cette Balénoptère : le sternum était petit et plat; les ver-
tèbres, au nombre de quarante-six, sans celles de la queue,
qui sont au nombre de dix-sept, ce qui fait en tout soixante-
trois vertèbres. Les os n'ont malheureusement pas été conservés.
Le D* Fischer fait mention d'une autre Balénoptère qui a
échoué en avril 1863 sur les côtes de Dunkerque, et qui mesu-
rait 30 mètres.
1 Le 1er mai est venue échouer une Baleine : < na myne gissinge omirent
200 git zwarte lande, een elle langli ende hreed, groot van muyle, daer wel
eene gemeene schuyi iugaen soude, in der waerbeyi een monsler der hellen. »
' c Das grosse Skelet der bei Ostende geslrandeien, welebes Europa flureb-
wanderie, tst jelzt Eigentbum unseres Muséums, • m'écrivait le Dr Brandi
dans une lettre datée de S'-Pétersbourg le 1er janvier 187*.
(134)
On cite encore un animal, rejeté par la mer à l'état de cadavre
sur la plage do Soulac, dans le golfe de Gascogne. C'était le
13 juillet 1879. On ne voyait flotter qu'une masse informe de
chair en putréfaction; la tête et la queue étaient séparées; il y
a lieu de croire, m'écrit le capitaine Jouan, que, sous l'impul-
sion des vagues, qui sont terribles sur cette côte, le corps aura
été replié en deux. Le corps a été mis en vente, et c'est la com-
mune de Soulac qui l'a acheté pour 90 francs. L'animal avait
24 mètres de long *.
On en a observé ù diverses reprises sur les côtes d'Ecosse et
de Shetland.
Sibbald, qui a fait tant de bonnes observations sur les grands
Cétacés des côtes d'Ecosse, parle d'un mâle de 75 pieds qui a
péri en 1690 dans la baie de Forth. C'était un individu de la
grande espèce.
C'est encore sans doute un animal de cette espèce qui a
échoué à l'entrée de THumber, au mois de septembre 1750, et
dont Scoresbv fait mention.
Neill fait mention également d'un grand individu, dont le
sexe n'est pas déterminé, qui a péri dans la même baie
en 1808.
Scoresby parle d'une Balénoptère de 82 pieds qu'il a vue sur
lescôtesde Shetland pendant l'hiver de 1817-1818. Elle était
venue y échouer.
Arthur Jacob fait mention d'une femelle de 70 pieds, venue
à la côte, à l'ouest de l'Irlande, au mois d'avril 1825.
Un jeune animal de 31 pieds, dont le squelette est conservé
au Musée de Liverpool, a échoué dans la Dee.
Une femelle trouvée morte en mer, a été remorquée à Ply-
mouth le 27 septembre 1831 ; elle était longue de 79 pieds (Couch)
et son estomac renfermait une grande quantité de Pilchards.
D'après sa taille, ce serait une Sibbaldii, mais cette espèce se
nourrit-elle de Pilchards? N'y a-t-il pas de l'exagération dans
la longueur? C'est ce que nous croyons plutôt.
1 Act. Soc. Linn. de Bordeaux, séance du 6 août 1879.
( 135)
En octobre 1831, un individu a échoué à l'embouchure de
la baie de Forth ; son squelette est au Musée des sciences et
des arts à Edimbourg. Il avait 76 pieds (Knox).
En 1833, une bonne capture a été faite dans le Humber, près
de Hull ; le squelette de l'animal est conservé au Musée de cette
ville.
Le professeur Sir Turner, qui signale cinq échouements,
parle d'un individu échoué à l'entrée du Firth of Forth en 1858.
Une Balœnoptera Sibbaldii, prise, le 9 novembre 1869, à
l'entrée de ce fleuve, et qui heureusement est tombée dans
de bonnes mains, nous fournira des renseignements bien
importants. Elle s'était montrée en spectacle aux habitants de
la côte pendant quatorze jours. C'était une femelle sur le
point de mettre bas, et dont l'acquisition a été faite de manière
à être utilisée complètement pour la science. Le professeur
Sir Turner a d'abord publié une première notice dans les
Proceedings de la Société royale d'Edimbourg, puis, dans une
notice particulière, il a fait connaîtra le sternum *, le placenta
ainsi quei'os du bassin de la mère et du fœtus mâle qu'elle
portait.
Le fœtus n'avait pas moins de 20 pieds 6 pouces ; la mère
mesurait 78 pjeds 9 pouces.
Dans cette notice, il fait savoir qu'au mois d'octobre 1869
une autre femelle avec son jeune, appartenant à la même
espèce, a été capturée sur la côte de Shetland, mais il ne nous
apprend pas si cet animal a été conservé pour la science.
Le même savant parle encore d'un autre individu échoué à
Wick(Caithness)enl871.
La Balœnoptera Sibbaldii pénètre dans la Baltique.
Nous avons déjà parlé de deux mâles rencontrés dans cette
mer intérieure, le 8 avril 1825 et en juillet 1862, et que
Jul. Mûnter a fait connaître.
Le 29 octobre 1865, un individu mâle, non adulte, a été cap-
1 Turhbh, On the sternum of the longniddry Whale ( Balaeaoptera
Sibbaldii). Jocrh. op anatomy and physiology, vol. IV. ,
(436)
turé près de Gôteborg, et a été décrit par M. Malm sous le
nom de Balœtwptera Carolinœ* C'est le professeur Flower qui
reconnut le premier que ce jeune mâle est une Balœnoptera
Sibbaldii. Son squelette est conservé au Musée de Gôteborg.
Le 26 juin 1881, entre les îles Sylt et Fôhr (Baltique), les
douaniers aperçurent une femelle Balœnoptera Sibbaldii de
50 pieds, échouée sur le sable; elle fut tuée à coups de hache.
Le Dr Môbius acheta le squelette pour le Musée zoologique
de Kiel. Le bassin manque *.
Nous ne croyons pas que la Balœnoptera Sibbaldii soit con-
finée dans l'Atlantique septentrionale, comme les autres espèces
du genre; elle hante le Pacifique comme l'Atlantique, et se
répand même dans les eaux de nos antipodes.
On parle, en effet, sous des noms divers, d'une grande Balé-
noptère, répandue dans l'Atlantique comme dans le Pacifique,
dans la mer des Indes comme dans la mer du Japon, et dans
les eaux de nos antipodes, comme nous l'avons déjà dit dans
les généralités sur le genre.
Les baleiniers américains et anglais parlent souvent d'une
Balénoptère sous le nom de Sulfurbottum; c'est un animal de-
grande taille et qui hante l'océan Pacifique et la mer des
Indes. Nous avons plusieurs raisons de croire qjie ce Sulfur-
bottum appartient à l'espèce qui nous occuppe. Ils accordent en
effet à ce Sulfurbottum une taille de 80 pieds et des fanons fort
larges et d'un noir luisant.
Au mois d'août 1871, une jeune Balénoptère a échoué près
de l'embouchure du Bio de Lozan, un des affluents du Bio de
la Plata. A en juger par ses fanons noirs, par la face inférieure
du corps, également noire, un peu plus claire que le dos, mais
pas blanche, nous croyons que c'est une Balœnoptera Sibbaldii.
Son squelette est conservé. Burmeister lui a donné le nom
de Balœnoptera intermedia.
A. Smyth a vu des Balénoptères de 95 pieds à Table Boy.
1 Prof. Môbius, Ueber einen bei Sylt geslrandeten Blauwal (Bateoopiera
Sibbaldii). Naturwiss. vtiutiRS fOr Schleswig*Holstein, Bd. VI. Kiel, 1865»
(137)
Le Muséum d'histoire natu-
relle de Paris a reçu de Patago-
nie des squelettes qui se rappor-
tent à la Balœnoptera Sibbaldn
et à la Balœnoptera musculus.
Nous reproduisons ci-contre la
première côte qui est bifide, les
os nasaux et le sternum.
Un de ces squelettes a été
trouvé sur la plage dans le New-
Year-Sund, à la Terre de feu.
L'animal dont il provient avait
échoué sur la plage, et les Fue-
giens s'étaient empressés d'en-
lever la chair pour la manger.
MUSÉES.
Jusque dans ces dernières
années, on ne connaissait dans
les Musées aucun squelette bien
authentique de cette espèce, et
quelques os séparés de grande
taille pouvaient être attribués à
des géants de l'espèce com-
mune.
Aujourd'hui le doute n'est
plus possible, surtout depuis
que Ton possède des ossements et des squelettes des Balénop-
tères recueillis aux pêcheries d'Islande et de Finmark.
Nous allons indiquer par ordre alphabétique les Musées qui
possèdent des restes authentiques de cette Balénoptère.
Au Musée de l'Université de Breslau, on conserve le squelette
d'un jeune animal qui a péri, en 1862, au Sund.
Le Musée de Bruxelles possède aujourd'hui un squelette
complet, provenant des pêcheries de Vadsô. Il est d'une remar-
Os nasaux, sternum et partie distale
de la première eôte.
(138)
quable conservation pour les membres comme pour les os du
bassin.
11 possède également une vertèbre isolée, dont l'origine n'est
pas connue, et qui se rapporte sans doute à cette espèce. Le
corps est haut de 32 centimètres, large de 39 centimètres,
mesuré au milieu du disque; l'apophyse épineuse mesure
32 centimètres depuis le corps de la vertèbre, et elle est loin
d'être complète. C'est une des dernières lombaires.
Le Musée de Copenhague possède une tête et divers osse-
ments provenant de la pêche en Islande (1866). Le professeur
Reinhardt a publié une notice intéressante sur ces dernières
pièces, avec de bonnes figures. Depuis 1843, on y conserve
également le squelette d'une nageoire pectorale d'un animal
capturé au mois d'août dans la mer de Baffin. Cette pièce a
été envoyée à Eschricht par le gouverneur Holbôll.
Au Musée de l'Université de Christiania on conserve un
squelette d'un mâle de 77 pieds, préparé par Guldberg,
en 1881.
L'Indian Muséum de Calcutta renferme plusieurs ossements
importants.
On trouve dans la ville d'Edimbourg des ossements de quatre
individus différents : il y a d'abord un squelette complet d'une
femelle qui a échoué en octobre 1869 sur les côtes de Shet-
land. II est monté au Musée de l'Université. Ce squelette
fut déposé d'abord au Jardin zoologique d'Edimbourg. Il
s'v trouve ensuite des vertèbres cervicales, dorsales et lom-
baires, avec des côtes et une omoplate recueillies sur les
côtes de Shetland. Le squelette d'un individu de 84 pieds
trouvé flottant en mer près de North-Berwick, le 8 octobre 1831 ,
étudié par Frederick Knox, est conservé dans le Département
d'histoire naturelle du Musée des sciences et des arts.
Le Musée de Gôteborg renferme un squelette d'un -jeune
mâle qui a échoué, le 29 octobre 1863, non loin de cette ville,
et dont Malm a donné une belle description, sous le nom de
Balœnoptera Carolinœ.
( 139 )
On conserve un squelette de mâle au Musée de l'Université
de Greifswald, recueilli à l'île de Rûgen en 1825.,
Un squelette est conservé à la Société philosophique de Hull,
provenant d'un animal de 47 pieds de long, qui a été capturé
en 4833 dans le Humber.
Le squelette d'une femelle de 13 mètres de longueurquiapéri,
en juin 1881, sur les côtes du Jutland, est conservé au Musée de
l'Université de Kiel, grâce aux soins du professeur Môbius.
A la Rochelle, on possède deux vertèbres, dont l'origine est
inconnue, et qui proviennent sans doute de cette Balénoptère.
Le Musée de Leyde renferme également deux premières côtes
d'un mâle de 78 pieds anglais, un sternum, un atlas et un axis,
puis quelques os provenant de la pêche d'Islande, donnés par
le capitaine Bottemanne.
A Leipzig, on conserve un fœtus de 18 pieds, conservé dans
le sel, que l'on a reçu du cap Nord.
Le Musée de l'Université de Liège est en possession de deux
beaux squelettes, l'un de mâle, l'autre de femelle, tous les deux
adultes; ils proviennent d'individus capturés dans l'établisse-
ment de pêche de Vadsô.
Le même Musée possède également des fœtus, dont un a une
dizaine de pieds de longueur.
Le Musée de Liverpool possède des vertèbres, des côtes et
des fanons rapportés d'Islande par M. Henri Baird en 1868.
Nous avons à Louvain la tête, les nageoires pectorale et eau*
dale d'un fœtus de 7 pieds de long, que le Dr Finsch a rap-
porté de la pêcherie de Vadsô, ainsi que l'omoplate dont nous
avons déjà parlé.
Le British Muséum possède également un squelette; il pro-
vient de la collection de Lidt de Jeude d'Utrecht. C'est la vue
de ce squelette qui avait frappé M. Flower en 1864 ; son coup
d'œil exercé lui fit reconnaître une forme nouvelle, à laquelle
il donna le nom de Balœnoptera latirostris.
On conserve aujourd'hui un autre squelette au British
Muséum, qui provient d'une femelle de 79 pieds, capturée à
( 140 )
Plymouth ; des caisses tympaniques et des fanons de la Nou-
velle-Zélande.
Au Muséum de Paris se trouve aujourd'hui un squelette de
mâle et un autre de femelle, tous les deux rapportés des pêche-
ries de Vadsô par le professeur Pouchet.
Il s'y trouve également depuis longtemps une omoplate et
un atlas de grande taille dont l'origine est inconnue.
Le même Musée est en possession aujourd'hui d'un sque-
lette provenant du cap Horn *.
Le plus ancien squelette est celui de ranimai qui à été trouvé,
en 1827, mort en mer, par les pécheurs, et qui a été fcmorqué
jusqu'à Ostende. Comme nous Pavons dit plus haut, ce squelette,
après avoir été exhibé dans les principales capitales de l'Europe,
est allé échouer au Jardin zoologique de Saint-Pétersbourg.
Pallas parle d'un squelette de 84 pieds de long (pieds anglais),
provenant d'un animal capturé dans la mer Glaciale, sou6 le
nom de Balœna physalus ; il a été envoyé par Petrus Kargin, en
1740, au Musée de Sl-Pétersbourg. La taille et la couleur des
fanons (laminis atro-cceruleis) ne laissent guère de doute sur
l'espèce. Personne n'a pu nous donner des renseignements sur
ce squelette pendant notre séjour à S'-Pétersbourg.
On voit encore au Musée de SMPétersbourg un atlas et trois
vertèbres lombaires, provenant des côtes de la Nouvelle-Zemble,
que nous attribuons à cette espèce.
A la fin de 1878, le Musée tie Stockholm a reçu de Vadsô un
squelette de Balamoptera Sibbaldii femelle et de son fœtus à peu
près à terme 2.
Au Musée de l'Académie des sciences de Stockholm, nous
avons vu en outre une vertèbre dorsale (deuxième), rapportée
par le Dr Kinberg des côtes de Patagonie (détroit de Magellan);
1 La Bévue scientifique , dans son n° du 29 mars 1884, rend compte d«*
Texpédiiion scientifique au cap Horn et fait mention de ces ossements qui ont
été rapportés par la Romanche.
9 Smitt, Veber Balœnoptera Sibbaldii. Zoologischer anzeigbr, 16 dé-
cembre 1878.
(141 )
elle est d'une dimension extraordinaire. Nous n'en avons pas
vu de plus grande. M. Malm rapporte encore au même animal
plusieurs autres vertèbres, dont deux lombaires. H. Malm a fait
le relevé des Cétacés conservés dans les Musées de Suède ; il a
donné à cette espèce le nom de Physalus antarcticus.
Nous connaissons aussi quelques squelettes conservés dans
des Musées hors d'Europe; ils sont généralement désignés sous
d'autres noms. A défaut de pièces assez nombreuses de com-
paraison, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que c'est
la même espèce qui vit aux deux hémisphères, mais nous pou-
vons assurer qu'elle représente notre grande Balénoptère par
tous les caractères essentiels, la taille, la forme de la face, la
couleur des fanons, le nombre des vertèbres et des côtes, etc.
Il existe un squelette de Balénoptère de 74 pieds au Musée
de Cambridge (Etat-Unis) et qui appartient sans doute à cette
Balénoptère. C'est l'espèce la plus grande et la plus commune,
dit le professeur Cope.
On en cite une autre de 84 pieds, capturée en 1851, à la lati-
tude de 19° N, on Juggu or Àmherst Islet. Quelques-uns de ses
os sont conservés au Musée du collège médical de Calcutta,
sous le nom de Balœnoptera indica *.
En 1873, une Balénoptère de très grande taille a échoué sur
la côte sud- est d'Otago ; ses fanons, d'après le Dr Coughtrey,
sont semblables à ceux de la Balœnoptera Sibbaldii des mers
arctiques * et ont la largeur el la couleur de la Balœnoptera
Sibbaldii d'Europe.
Le squelette décrit et figuré dans les Traits, of ihe New-Zear
land Institute, sous le nom de Physalus australis, par M. Hector,
provient d'un animal capturé an sud de Cook's Strait ; il a
soixante-quatre vertèbres 3 ; il est conservé au Musée de Wel-
lington. . .
* Bltth, Journal ofthe Asiaiic Society ofBengal, xxvm, 1860.
* Captata F. H. Huttou, Trans. n. ZeL insL, vol. VIT, p. 26a
1 Le toile porte 57, mais M. Hector a mis 64 dans un tiré & part qu'il a
eu la bonté de me faire parvenir.
(142)
Un squelette d'un animal de 90 pieds, dont les fanons
avaient 28 pouces de longueur, 18 de largeur, et tout noirs,
est conservé au Musée de l'Université de Melbourne. L'animal
a échoué sur la côte de Vittoria *.
On conserve des fanons bien authentiques de cette espèce à
Edimbourg (de Shetland), à Liège (de Finmark), à Louvain (de
Shetland), à Vienne et à San Francisco, de Sulfurbottum (du
Pacifique).
DESSINS.
Il existe quelques anciennes figures de Balénoptères, mais
comme l'espèce n'a été définitivement reconnue que dans ces
dernières années, on n'a pu donner des figures authentiques
que dans ces derniers temps.
La plus ancienne figure, pensons-nous, est celle que
Bob. Sibbaldus "2 a publiée dans sa Phalaïnologia nova.
Van Breda en a publié une d'après le corps recueilli en mer
en 1827 par des pécheurs d'Ostende, et dont le squelette se
trouve à S^-Pétersbourg 3.
Différentes gravures et deux lithographies de grand format
sont conservées à la Bibliothèque royale, à Bruxelles.
Nous trouvons cette espèce représentée dans le grand atlas
de Goldfuss, vol- 4, pi. 332 *.
Fried. Bosenthal a publié une lithographie de l'individu
échoué en 1825 dans la Baltique.
Le professeur Mûnter publie deux planches représentant
l'animal vu des divers côtés &.
Eschricht possédait un dessin de la Balœnoptera Sibbaldii.
4 Gigloli Cetacei osservati, p. 51 .
1 Phalaïnologia nova. Edinburgi, 1692, pi. III.
5 Van Breda, Afbeelding van dm op 5 nov. 48tl gestranden Walvisch le
Oo$tende. Lelterbode.
* Goldfuss, Atlas, vol. IV, pi. CCCXXXII.
* Munter, UebérZweiin f9Jahrh.bei Greifswaldmùnnlichslndividuen
von Bal. Sibbaldii. Greifswald, 1877,
(143)
Burmeister a figuré l'animal, vu de profil, par sa face infé-
rieure et par le ventre, faisant ses évolutions dans l'eau *,
sous le nom de Balœnoptera intermedia.
Sars a publié d'abord, en 1865, le dessin d'un mâle et des
détails sur le squelette 2, puis celui d'un animal adulte 3 et d'un
fœtus mâle de 1 pied 4 pouces de long.
En 1874, le zélé professeur de Christiania a publié le dessin
d'une femelle adulte des côtes de Finmark. Le dessin de la
planche III représente un individu capturé à l'établissement du
capitaine Foyn. La planche IV représente un fœtus de 9 pieds
et demi *.
Le Dr Malm a publié plusieurs photographies faites d'après
le jeune mâle qui est allé échouer dans le voisinage de Gôten-
borg, le 20 décembre 1865. Il reproduit vingt-deux photo-
graphies sur dix-huit planches, deux planches lithographiées
çt trois gravures sur bois 3. Le savant Directeur du Musée de
Gôteborg figure également la région cervicale avec les deux
premières dorsales, l'atlas et l'axis, les quatre premières côtes
avec l'hyoïde, et le squelette du membre pectoral.
Le professeur Sir Turner en a donné aussi une très bonne
figure 6.
Nous avons publié un dessin de cet animal, d'après les extraits
du Journal de voyage et les croquis que le Dr Finsch avait
rapportés de Vadsô, en 1873 7.
1 Atlas de la Description physique de la république Argentine. Buenos -
Àyres, 1883.
* Vid-Selskabets ForhandL, for 1865.
' Vid-Selskabets ForhandL, for 1878.
* Sars, Om Biaahvalen (femelle adulte), Christiania VidSelskab. For-
handl. for 1874. Sars, Forsatte Bidrag til kundskàben om vare Bardehvaler.
Christiania vi dense abelse. Forhandl., 1880.
* Malm, Monographie illustrée de la Balénoptère .... Stockholm, 1867.
0 Tobker, On account ofthe gréai Finner Whale (Balaenoplera Sibbaldn),
Tbajis. rot. Soc Édinburgh, vol. XXVI, pi. V, 1870 et Itlust. London News,
1869, n« 1567.
1 Van Benedbji, Notice sur la grande Balénoptère du Nord (Balaenoplera
Sihbaldii), Bull. Acad. bot. de Belgique, 2« sér., U XXXIX, 1875.
(144)
Le cap. Scammon a publié un dessin du Sulfurbottum,
ou Sibbaldius sulfurais Copey pi. XIII. Comme Burmeister, il
représente l'animal faisant ses évolutions dans l'eau.
Du Bar a publié plusieurs planches représentant grossière-
ment le crâne, vu de trois côtés différents, les mandibules, l'os
hyoïde avec la caisse tympanique, le sternum, la colonne ver-
tébrale, l'atlas, une première côte avec deux autres, l'os du
bassin, l'omoplate et les os de la nageoire pectorale.
Le professeur Reinhardt a reproduit quelques bonnes figures,
représentant la tête avec les os nasaux, l'atlas et le corps de l'os
hyoïde, d'après les pièces conservées au Musée de Copenhague,
provenant d'individus capturés dans les eaux dislande.
Gray a figuré l'atlas et cinq cervicales. Reinhardt a également
publié une figure de l'énorme atlas rapporté par Hailas des
côtes d'Islande.
Nous avons reproduit dans l'Ostéographie, pi. XII et XIII,
fig. 28 à 34, la tête vue d'en haut, la région cervicale, la nageoire
pectorale, le sternum et l'atlas avec l'axis, vus de face. Ces
dessins sont faits d'après des pièces du Musée de Copenhague
et de Gôteborg.
M. Smitt a eu l'obligeance de me faire parvenir des photo-
graphies de la tête d'une femelle et du fœtus, de l'atlas, du
sternum, de l'hyoïde, des côtes et des membres conservés au
Musée de Stockholm, pour faire la comparaison avec les
mêmes os provenant de diverses localités.
PARASITES.
On connaît sur cette Balénoptère de petits Cirripèdes et deux
Copépodes à l'extérieur, un Monostome, un Filaire, un Échi-
norhynque et un Ccstode dans l'intestin.
On a trouvé des Penella sur une femelle de 13 mètres, cap-
turée sur la côte du Jutland, le 26 juin 1881, et sur quatre
individus capturés, en avril 1867, sur les côtes est dislande.
Les Penella sont des Crustacés parasites qui s'implantent par
la tête dans l'épaisseur de la peau, et qui se déforment si corn-
• ( 1*5 )
plèlement qu'à moins de les avoir étudiés, ou d'avoir étudié les
Copépodes, qui minent sous tant de formes différentes la peau
des poissons, on ne saurait les prendre pour des animaux.
Un autre commensal est celui que Ton a trouvé d'abord sur •
les lanons de la Bakenoptera borealis, et qui vit également sur
les fanons de la Balœnoptera Sibbaldii.
11 est à remarquer que les Crustacés, dont ces deux Balénop-
tères se nourrissent, sont les mêmes, d'après quelques natura-
listes qui ont assisté à la poche.
Creplin a trouvé des FUaria crasskanda et des Monostomum
plicatum clans l'oesophage et dans l'intestin grêle.
Ou trouve communément dans les intestins YEchinorhynchus,
dont Malm avait cru devoir faire une espèce nouvelle, sous le
nom spécifique de Brevicollis.
Le professeur Sir Turner a trouvé également cet Echi-
norhynque dans l'individu qu'il a disséqué.
Cette Balénoptère nourrit en même temps un Cestode, sans
doute nouveau pour la science, mais que nous n'avons pu
déterminer à défaut de scolex. À en juger par les proglottis,
c'est en tout cas un animal voisin des Bothriocéphales.
Ce Cestode a été recueilli a Vadsô, il y a quelques années, et
nous ne savons si l'on n'en a pas trouvé depuis d'autres exem-
plaires complets.
Tome XLL 10
1
ZIPHIOÏDES
DES
MERS D'EUROPE,
PAR
P.-J. VAN BENEDEN,
MEMBRE 1>E L'ACADÉMIE ROYALE DK HEI.r.lÛUE.
(Présenté à la ('lasse des sciences dans la séance du 7 janvier 188$.'
Tome XLI. 1
1
LES
ZIPHIOÏDES
DES
MERS D'EUROPE.
GENERALITES.
Au commencement du siècle, en creusant, les bassins
d'Anvers, les ouvriers terrassiers mirent au jour des rostres de
Cétacés véritablement pétrifiés; vers la même époque, sur les
bords de la Méditerranée, on découvrit une tête légèrement
mutilée, plus ou moins fossile, avec un rostre solide ; ne
pouvant la rapporter, pas plus que les rostres d'Anvers, à un
Célacé vivant des collections, Cuvier proposa pour les désigner
le nom de Ziphius.
Ce nom de Ziphius avait été employé, par quelques auteurs
du moyen âge, pour un Dauphin qu'ils n'ont point clairement
déterminé.
Les Ziphius, disait Cuvier, ne sont ni tout à fait des Baleines,
nj tout à fait des Cachalots, ni tout à fait des Hyperoodons;
ce sont, dit-il, probablement des restes d'une nature détruite
et dont nous chercherions en vain aujourd'hui les origines.
• La Cétologie a fait bien des progrès depuis le jour où le
grand naturaliste a écrit ces lignes, mais ses prévisions ont reçu
(4)
une éclatante confirmation : le genre Ziphius est devenu le type
d'une famille dont quelques espèces, encore en vie, errent à
l'aventure clans les divers Océans comme s'ils n'avaient plus de
patrie. Ils sont originaires des régions chaudes, mais ils se
rendent indifféremment vers le nord ou vers le sud, fréquen-
tant le pôle arctique comme le pôle antarctique. On trouve, en
effet, le Cachalot dans les eaux du Groenland et du Spitzberg
comme dans celles de la Tasmanie et de la Nouvelle-Zélande.
Blainville qui avait également au plus haut degré le senti-
ment des affinités, avait distingué de bonne heure les Cétacés,
qui se groupent autour des Ziphius, sous le nom de Ueiero-
dontes.
Eschricht avait fort bien reconnu les affinités dps Ziphius avec
les Hyperoodons et les Micropterons ; il proposa de nommer
les premiers Chœnocetus, Entenwall, d'après un ancien nom
danois. Ces travaux d'Eschricht ont donc à leur tour confirmé
l'opinion de Cuvier *. Le savant professeur de Copenhague
réunit différentes espèces autour des Ziphius, et il propose de
les désigner sous le nom de RhynchoMi. Il prend l'IIyperoodon
pour type et fait remarquer que le régime de tous ces animaux
est le même ; tous se nourrissent de Céphalopodes.
En 1850, un Ziphius vint échouer sur la plage des Aresquiers,
non loin de Frontignan. Paul Gervais profita de cette occasion
pour montrer que le Ziphius cavirostris se trouvait encore
parmi les espèces vivantes; il proposa de réunir certains Céta-
cés, intermédiaires entre les Dauphins et les Cachalots, sous le
nom de Ziphioïdes.
Duvernoy, qui avait à cette époque la direction des collections
d'anatomie comparée du Muséum, fût chargé par l'Académie des
sciences de faire un rapport sur le mémoire de Gervais; il passa
en revue les nombreux squelettes conservés dans les galeries du
1 •• Der Entenwall ithperoodon) uni der KleinOosser (Miciopleron) sieltrii
sicb uns deuiuncb als spàrliclie Ueberbleibsel emtx vorwcli lie lien grosse u
Abtbeilung lier Wallihiere dar, uud war»c!ieinlicb slrbt'i) sie eben deswigwt
jel/J so isohrl da • , dit Ksciiricht.
o
Muséum et plaça le Cétacé de la plage des Aresquiers, non dans
le genre Ziphius, comme Gênais l'avait fait, mais parmi les
Hyperoodons; les Cétacés étaient partagés en cinq familles par
Duvernoy et il réunissait, sous le nom de Hétérodontes, les genres
vivants et fossiles que nous regardons comme Ziphioïdes. On
ne connaît bien dans cette famille des Hétérodontes, ajoute
Duvernoy, que les espèces du genre Hyperoodon *.
Le professeur Flower s'exprime, comme Guvier et Eschricht,
-au sujet de l'ancienneté des Ziphioïdes : la rareté de ces Cétacés
à l'époque actuelle contraste singulièrement avec leur abon-
dance à l'époque de la formation du crag, et fait croire, ajoute
le savant Directeur du British Muséum, que les Ziphioïdes
actuels ne sont que des survivants d'anciennes familles-.
Dans la liste des Cétacés du British Muséum, publiée en
1885, M. Flower admet, à côté de la famille des Balénides, une
famille de Cachalots dans le sous-ordre des Cétodontes et réu-
nit dans une sous-famille les Ziphiinœ, les Hyperoodon, les
Ziphius, les Mesoplodon et les Berardius.
Mous ne comprenons pas les motifs de cette séparation des
Cachalots ; ces Cétacés partagent, avec les autres Ziphioïdes,
les mêmes caractères et le même genre de vie. La taille seule
«litière.
Nous avons depuis longtemps exprimé l'avis qu'il n'y a pas
de raisons de séparer les Cachalots des véritables Ziphioïdes,
bien qu'ils aient de nombreuses dents au maxillaire inférieur.
Les Cétacés forment à notre avis trois familles distinctes
parfaitement caractérisées, par toute leur organisation, et
spécialement par leur squelette, par leur genre de vie, comme
par leur répartition géographique.
1 Ann. mime, natur., ô* série, l. IV, 18;il.
. * * This comparative rarity al Ihe prese.nl epocli conlrasts greaily wilb
%vlial once obluined on llie earlb, cspecially in ihe period of Ihe de|>osit:on
<>f the Crag formations, and h-ads lo ihe belief, lhatthe exisiing Ziph.'o'ds are
ibe survîYors o£an ancienl family .... » W. H. Floweb, O/i t he récent Ziphioid
Whales, Tmxs. Zool. Soc. of Lojdox, vol. VIII, 1871.
■: 6)
Chez les Ziphioïdes, les os de la face s'allongent pour for-
mer un véritable rostre; les yeux sont placés fort en arrière;
la fente buccale est petite; les narines s'ouvrent à gauche et
forment un croissant dont la convexité est en avant ; la tête est
peu symétrique, surtout les os qui encadrent les fosses nasales;
le crâne s'élève parfois tout droit et surplombe souvent au-
dessus des orifices des narines.
En général, les os lacrymaux * et mastoïdiens sont séparés;
les mandibules sont toujours symphisées sur une grande
longueur.
II y a souvent quelques dents rudimentaires non alvéolées
à Tune ou à l'autre mâchoire; dans le Cachalot elles sont
cachées sous la peau au palais et complètement déformées.
A la mâchoire inférieure elles sont alvéolées et varient quant
à leur nombre, quant à la place qu'elles occupent et enfin
quant à leur forme.
Les os de l'oreille ont des caractères communs à toutes les
espèces de cette famille : les Baleines, les Balénoptères et les
Mégaptères ont l'apophyse qui les attache au crâne insérée sur
le rocher; les Ziphioïdes ont cette apophyse insérée sur la caisse
tympanique même ; les Cétodontes n'ont pas cette apophyse
développée. Chez ces derniers, la caisse ne tient au crâne que
par les parties molles.
Le corps de l'os hyoïde ainsi que les cornes sont très larges.
Les vertèbres sont allongées et peu nombreuses (45 à 50);
les nageoires pectorales, fort petites, sont en disproportion
avec la taille de l'animal ; les doigts sont au nombre de cinq ;
les côtes s'articulent au sternum par des cartilages, comme le
professeur Flower l'a fait observer en premier lieu chez les
Cachalots, les Hyperoodons, les Ziphius et les Berardius.
Les dernières côtes sont seulement insérées sur les apophyses
transverses, comme dans tous les Cétacés.
Entre l'estomac et l'intestin, il y a une suite de six compar-
timents.
1 Ils n'existent pas séparément dans les Cachalots.
( 7)
Le tube digestif présente une muqueuse, diversement alvéo-
lée selon les genres, et une portion de l'intestin suffit pour
distinguer l'espèce dont il provient. Le cœcum manque.
Plusieurs Ziphioïdes présentent des différences sexuelles
très grandes : les Cachalots différent entre eux surtout par la
taille, les Hyperoodons par la conformation de la tête, les
Micropterons et les Ziphius, par la dimension des dents.
Jusqu'ici on ne connaît guère le spermaceti que dans les
Cachalots ; nous avons tout lieu de croire que tous les Ziphioïdes
en produisent ; nous en avons reconnu depuis longtemps dans
les Hyperoodons, et nous venons d'apprendre qu'un mâle de
Berardiusj capturé en 1862 dans le port de Porirua (Porirua
harbour\ d'une longueur de 27 pieds, a produit, outre
2i0 gallons de fine spemi oil9 une quantité considérable de
spermaceti logée dans la partie supérieure de la tête.
La famille des Ziphioïdes se distingue non moins bien par
le régime: depuis longtemps Eschricht a fait la remarque que
ces Cétacés poursuivent surtout les Céphalopodes, et il a pro-
posé de les appeler Theutophages, de Theutis, Calmar. On
trouve, eu effet, toujours des becs et des cristallins de ces
Mollusques dans leur estomac.
Vrolik a trouvé jusqu'à dix mille becs dans l'estomac d'un
Hyperoodon *. Jul. v. Haast a ouvert l'estomac d'un Berardius
qui contenait un demi bushel de becs cornés d'Octopus, tous
de la même grandeur 2.
Parmi les caractères propres aux Ziphioïdes, on peut encore
citer les sillons qu'ils montrent sous la gorge et qui corres-
pondent avec la longue symphyse de leur mandibule.
Blainville avait déjà observé chez le Micropteron, et Haalland
chez l'Hyperoodon, deux paires de sillons sous la gorge entre
les deux maxillaires.
Plusieurs Ziphioïdes gémissent ou beuglent quand ils sont
échoués sur la plage : la femelle de Micropteron qui est venue
1 Vrolik, loc. cil.
* V. Haast, Ann. a. Mag nal. hisL Octobre J870.
1
( 8 )
à la cote à Os tende, poussait de véritables gémissements. L'Hy-
peroodon qui a péri sur la côte en Bretagne, à Hillion, en 1880,
beuglait de manière à effrayer la nuit les habitants à une
grande distance i. Le Ziphioide dont Jul. Haasta parlé dans
une notice, reproduite par M. Flower, et qui se rapporte sans
doute à un Berardius, beuglait par moments comme un tau-
reau (bellow like a bull).
Ces animaux vivent généralement par schools composées
surtout de femelles. Les Cachalots capturés isolément ou
échoués sont généralement du sexe mâle.
Les Ziphioïdes vivent surtout dans les mers profondes des
régions équatoriales, où ils rencontrent en abondance les
Céphalopodes. On compte que ces Mollusques figurent dans
ces eaux pour 65 pour cent; dans les régions tempérées, ils ne
sont qu'à 30 pour cent, et dans les régions froides, on n'en
compte plus que 6 pour 100. Ces Mollusques, à l'exception des
poulpes, vivent toujours au large. La différence de conforma-
tion du corps indique bien l'animal pélagique et l'animal
côtier.
Les Ziphioïdes qui ont été signalés dans les mers d'Europe
sont : le Cachalot, l'Hyperoodon, le Ziphius cavirostris, le
Micropteron de Sowerby. On ne connaît qu'un seul individu de
l'espèce qu'on a nommée Micropteron europœus.
Les Kogia que l'on a signalés d'abord au cap de Bonne-Esjié-
rance, puis en Australie, ont été trouvés dans ces derniers
temps dans la mer des Indes, au Japon, et dans l'Atlantique
sur la côte de New Jersey et à l'est des Florides.
Les Berardius signalés d'abord à la Nouvelle-Zélande, puis
au nord du Pacifique, ne sont représentés en Europe qu'à l'état
fossile.
A en juger par les ossements de Cétacés que Stejneger a
rapportés du nord du Pacifique, surtout de l'Ile de Behring, les
Cétacés Ziphioïdes ne doivent pas être rares non plus dans ces
parages; le courageux voyageur que nous venons de citer,
1 Bulletins, * sér., l. XLIX, 1880.
( 9)
a rapporté, au Musée do Cambridge, des restes de Henv'flius,
de Ziphius et de MUroptevon.
Nous ferons remarquer aussi que parmi les descendants des
Ziphioïdes, autrefois si abondants à la fin de l'époque tertiaire,
dans l'Ancien comme dans le Nouveau Monde, plusieurs
semblent s'être réfugiés particulièrement dans les eaux de nos
antipodes.
Il semble v avoir uu contraste entre les Cétacés vivants des
régions chaudes et des régions froides; les premiers, habitant
des régions équatoriales, sont généralement cosmopolites : le
Cachalot visite le Groenland comme la Nouvelle-Zélande; le
Ziphius que nous avons d'abord cru propre aux Indes est le
même que celui que Cuvier avait cru fossile et qui visite encore
la Méditerranée; le Micropteron de Sowerby, reconnu d'abord
sur les côtes d'Angleterre et de Belgique, se retrouve également
aux antipodes, tandis que les espèces véritablement polaires,
comme la Baleine franche, le Narval et le Béluga, ne quittent
jamais les glaces. On dirait que ces derniers ont fait leur
apparition après les autres et qu'ils hantent seuls les régions
glacées des pôles.
Les Ziphioïdes sont généralement mal représentés dans les
Musées, et il n'y a qu'un petit nombre de bons dessins des ani-
maux et de leurs squelettes.
Les Ziphioïdes n'ont pas été assez souvent étudiés en chair,
dans des conditions favorables, pour connaître leurs commen-
saux et leurs parasites.
LE CACHALOT
{PHYSETER MACROCEPHALVS)
LITTERATURE.
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488G.
( 13)
HISTORIQUE.
Le Cachalot a été connu des anciens, mais fort incomplète-
ment au point de vue de ses affinités zoologiques.
La place véritable de ce Cétacé, à la tête des Ziphioïdes, n'a
été proposée que dans ces dernières années.
Presque tous les naturalistes qui se sont occupés de Cétacés,
lui ont consacré un chapitre particulier, tantôt à côté des
Baleines à cause de sa grande taille, tantôt à côté des Cétodontes
ou parmi eux ù cause de ses dents.
Le Cachalot est, parmi les Ziphoïdes, ce que les Baleines et
les Balénoptères sont parmi les Balénides, c'est-à-dire, que ces
animaux ont continué à grandir jusqu'à l'époque actuelle. Les
Céothériens, au contraire, ont atteint leur grande taille à
des époques antérieures; partout ils sont visiblement à leur
déclin sous le rapport dû nombre et de la taille.
Albert un des premiers parle de deux Cétacés qui ont échoué
en Hollande, et comme ils ont fourni du blanc de Baleine, ce
sont, selon toute probabilité, des Cachalots dont il fait men-
tion.
Belon et Rondelet en font également mention, mais trop
vaguement pour être certain qu'ils ne les ont pas confondus
avec d'autres Cétacés. 11 en est de même de Gesner.
Ambroise Paré parle de cet animal d'après un individu qui
a échoué dans l'Escaut, près d'Anvers, en 1577. Il en donne
un dessin, mais qui est loin d'être exact.
En 1398, un individu, échoué non loin de Scheveningue, a
été l'objet d'une description faite par Clusius.
Un siècle plus tard, Sibbald a fait mention du Cachalot,
d'après un animal du sexe mâle, à 42 dents, qui a péri en 1689
dans la baie du Forth, et d'une femelle qui a péri deux ans
auparavant dans les mêmes conditions.
Le premier Cachalot connu aux États-Unis d'Amérique, est,
( 14 }
dit- ou „ uil animal qui aùaiL été jeté sur la cote, sud de
Nantucket * .
Vers 1713, un baleinier poussé au large par un verçt violent
au milieu d'une gamme de Cachalots, en captura un, et c'est
depuis lors que Ton a commencé la pêche en pleine mer 2.
Dans les Transactions philosophiques de 1725, Dudley fait la
description d'un Cachalot qu il a eu sous les yeux.
Anderson croit devoir admettre quatre espèces de Cachalots,
se fiant trop aux descriptions souvent incomplètes ou fautives
des auteurs.
Artedi en admet également quatre (1738) et Brisson (1756) en
admet même sept.
Linné, comme on le comprend bien, n'a pas pu éclaircir
l'histoire des Cachalots.
Fabricius (1780) a vu le Cachalot pendant son séjour sur les
lûtes du Groenland et a laissé une bonne description de
Tanimal.
Déjà en 1789, les baleiniers américains du Cap Cod se
rendent dans la mer des Indes, pour faire la chasse à ces ani-
maux; on rapporte qu'un gentleman du Cap Cod en avait
aperçu, à son retour des Indes, un certain nombre et avait
engagé ses compatriotes à les poursuivre dans ces parages.
En septembre 1791, Joseph Russel et fils et Corn. Howland
doublèrent le cap Horn à la recherche des Cachalots, et
revinrent heureusement du Pacifique avec un plein charge-
ment. C'est, si je ne me trompe, le commencement de la
grande pêche dans le Pacifique. On prétend toutefois que le
premier baleinier qui s'est rendu dans cet Océan pour faire la
chasse ù ces animaux, a été envoyé, en 1787, par la Xantitcket
Colony of Whalingmen from England.
1 The lirst sperm whale knovvn in Nanluckel wns fourni decd, and ash< rc
on ihe soulhwrsl pari of the Mand.
* Tin* lirst sperm vvliale taken l>y Nanluckel whaleman, was captured by
Chrislopher Hussey, aboul thé year 1712, and the capture, desiii.ed lo effeci
xi radical change in ihe pursuil of Uns business, was the resuit of : n aecii eut.
Pierre Camper a fort bien connu le Cétacé qui nous occupe :
a La forme du crâne, dit-il, celle des os de la face, la struc-
ture des dents, leur emplacement dans les seules mâchoires infé-
rieures, Fouverture impaire des fosses nasales, la structure diffé-
rente des vertèbres cervicales, sont autant d 'anomalies qui ne per-
mettent pas de les confondre avec d'autres. »
Nous citons ce passage pour montrer te justesse de coup
d'œil du savant anatomiste hollandais.
Les Cachalots n'ont de ressemblance avec les Baleines,
disait-il, que par les proportions de leur volume *. Il figure
toutefois une région cervicale de Baleine pour une région cer-
vicale de Cachalot.
Lacépède (1804) figure le même animal sous le nom de
Physale cylindrique, de Cachalot macrocéphale et de Cachalot
trompo. Lacépède n'avait pas vu les cétacés qu'il décrivait, pas
même leurs os, et i! a dû nécessairement commettre de nom-
breuses erreurs.
En parlant du Cachalot microps, il confond le vrai Cachalot
avec l'Orque, et une partie de son récit se rapporte à l'ennemi
de la Baleine.
Cuvier, après avoir passé en revue ce que l'on avait fait avant
lui, se demande si ce ne serait pas une grande témérité à lui de
prétendre qu'il n'y a encore qu'une seule espèce de Cachalot.
Après ce préambule, il fait la deserpition des os du sque-
lette qu'il avait acheté à Londres, en 1818; malheureusement,
ce squelette était défectueux et, ce qui est plus grave, en le
constituant avec des os de divers individus, le marchand lui
avait donné plus de vertèbres que le Cachalot n'en possède
réellement. Cuvier aurait dû s'apercevoir que ces vertèbres
ne se suivaient pas régulièrement.
Les mandibules différentes, dont parle Cuvier, sont, d'après
ce que nous savons aujourd'hui de la taille des sexes,
des mandibules de mule et de femelle. On sait que la taille
des mâles a le double de celle de la femelle.
1 Camper, loc. cit., p. 17
1
( 1« )
Fred. Cuvier parle du Dauphin de Bayer, Delphinus Bayeri,
et à la fin de sa description il ajoute que, d'après lui et son
frère, le Dauphin de Bayer de Risso est un Cachalot. D'après
la figure qui se trouve dans les Actes des curieux de la nature,
on voit parfaitement que c'est un Cachalot qui y est représenté,
mais le dessinateur a déplacé l'orifice des évents, croyant sans
doute corriger l'original.
Brandt et Ratzeburg ont reproduit tout ce que l'on a dit
du Cachalot, avant 1839.
Thomas Bealc a fait paraître a few observations on the natural
hislory ofSperm Whale; London, 1835. 11 accorde 80 pieds aux
plus grands individus et publie un chapitre sur leurs habitudes.
Thomas Beale prétend que les Cachalots forment des gamines
distinctes, les unes de femelles, les autres de jeunes mâles, et
que ces derniers se subdivisent d'après leur âge. Ces gammes
sont appelées Schools par les Anglais, et Thomas Beale dit qu'il
en a vu de 500 à 600 individus. Dans chaque gamme il y
a toujours quelques grands mâles fort jaloux de leurs droits,
ajoute-tril. Les mâles adultes sont souvent isolés, à la recherche
de leur pâture; ils sont toujours plus faciles à attaquer.
Le même auteur mentionne les places favorites de leur
capture, depuis la Nouvelle-Guinée jusqu'à la Nouvelle-Hol-
lande, le Chili, la Californie et la mer de Chine.
En 1838, Blainville publie une note sur les Cachalots; il ne
sait si on doit admettre plus d'une espèce : aucun peut-être,
sauf le Cachalot macrocêphale, n'est suffisamment caractétisé
pour être décidément admis comme tel. Dans cette note il fait
connaître le Physeter brevicrps, aujourd'hui Kogia, d'après
une tète rapportée du Cap de Bonne-Espérance *.
En 18ol il a paru à Sidney une notice sur l'histoire et la
description d'un squelette de Cachalot monté à l'Australian
Muséum ; elle est accompagné de deux planches. — Cette
■ Anna tes françaises et étrangères d'Anatomie et de Physiologie, Paris
tome second, 1838, p. 355
( 17 )
notice vient d'être réimprimée, et M. William S. Wall a ajouté
la figure complète de la nageoire pectorale avec les os carpiens,
d'après une photographie.
En 1853, Maury a publié une carte indiquant à la fois les
lieux fréquentés par le Cachalot et les Baleines, sans tenir
compte naturellement des côtes que ces Cétacés visitent acci-
dentellement. Il y a quelques régions où Ton trouve en même
temps des Baleines et des Cachalots. On voit, par ce tableau,
que ce Cétacé ne dépasse guère, au Nord, le 50e degré de lati-
tude, et, au Sud, le 60e, de manière qu'on doit le considérer
comme un animal des régions chaudes.
Nous avons également des publications de Claas Mulder et
de Van Bemmelen sur des individus qui sont venus se perdre
sur les côtes de Belgique et de la Néerlande.
Cornai ia, dans sa Faune d'Italie, a fait connaître deux Cacha-
lots qui se sont perdus dans la Méditerranée.
Le professeur Sir W. Turner a publié une note fort
intéressante, sur quelques gravures rares, représentant des
Cachalots échoués. Dans les Proc. de la Société royale d'Edim-
bourg, il a publié, en 1870-1871, une notice sur la capture du
Cachalot sur les côtes d'Ecosse et, l'année suivante, une note
additionnelle dans le même recueil.
M. le Docteur Fischer a communiqué, en 1872, dans le
Journal de Zoologie de Gervais, un travail intéressant sur les
Cachalots qui ont échoué sur les côtes océaniques de France.
M. Flower a fait connaître, avec le soin qu'il met dans
toutes ses publications, le squelettede ce curieux animal ; il en
a eu plusieurs à sa disposition, les uns provenant d'individus
échoués sur les côtes d'Angleterre ou du continent européen,
les autres provenant des mers de nos antipodes; le Musée du
Collège royal des chirurgiens de Londres en possède trois dos
côtes de Tasmanie.
Après un exposé historique de ce que l'on sait sur le
squelette, le Directeur du British Muséum donne quelques
notes sur l'histoire des caractères généraux et des conditions
dans lesquelles se trouvent : 1° le squelette de Tasmanie, qui
Tomr XLI. 2
(18)
«
est au Musée du Collège royal des chirurgiens; 3° le squelette
de Tanimal qui a péri, en juillet 1863, près de Thurso, dans
le comté de Caithness et qui est au British Muséum; 3° le
squelette de Yorkshire, qui provient d'un individu qui a péri
en 1825 à Tunstall, et qui est conservé dans le parc de Burton
Constable.
M. Flower décrit ensuite séparément le crâne et les divers
os, et il accompagne la description de sept belles planches.
Notre savant confrère a bien voulu nous autoriser à reproduire
la planche principale dans notre Ostéographie.
Mon collaborateur, Paul Gervais, énumère les captures
opérées, dans la Méditerranée, dont on a conservé le souvenir;
il fait mention ensuite de cinq échouages sur les côtes ouest de
France, de divers échouages sur les côtes de Belgique, de
Hollande, des Iles Britanniques, et reproduit le tableau des dix
captures publié par Sir W. Turner, sur les côtes écossaises;
en tin il cite les Cachalots dont la présence a été constatée sur
les côtes de Suède et de Norwège. D'après Allen, il indique
aussi les côtes des Etats-Unis, les parages des Iles Aléoutiennes,
la mer du Japon et d'Okhotsk.
Gervais expose ensuite la composition du crâne et le système
dentaire. Il décrit également les ossements fossiles du Pliocène,
de la Gironde et du département des Landes.
En 1874, un Cachalot a échoué, le 10 mars, sur les côtes
d'Italie et a été l'objet d'un intéressant mémoire de M. Leone
de Sanctis. Ce travail est accompagné de sept planches.
MM. Pouchet et Beauregard ont publié, dans les Compte*
rendus (août 1884), une notice sur la boîte à spermaceti; on serait
en présence d'une sécrétion non glandulaire d'un ordre particulier,
d'après ces savants.
Pendant la campagne scientifique de /' Hirondelle (1887), le
professeur Pouchet a eu l'occasion, durant un séjour de trois
semaines aux Àçores, d'étudier un Cachalot fraîchement tué.
Nous espérons qu'il rendra bientôt compte du résultat de ses
observations.
TuIIed Newton fait mention de deux dents de Physeter
( 19)
macrocéphale du Forest bed, à Norfolk, et d'une région cervi-
cale de Balœna. Ces déterminations auraient besoin d'être con-
firmées, la première surtout *.
SYNONYMIE.
Physeter macrocephalus.
Catodon macrocephalus, (Gray).
Cachalot, des Français.
Sperm Whalet des Anglais.
Poil Fisch, des Hollandais.
Capidoglio, des Italiens.
Le Cachalot porte le nom de Kigutilik sur la côte de Groen-
land, s'il faut en croire Fabricius qui en a donné une description.
CARACTÈRES ET DESCRIPTION.
Le Cachalot a la taille des Baleines, mais au lieu de fanons
au palais, il a le maxillaire inférieur garni d'une vingtaine de
fortes dents coniques, assez espacées. Le mâle a une taille
beaucoup plus forte que la femelle, aussi est-il plus redoutable.
La femelle ne dépasse guère 30 pieds, le mâle en atteint jusqu'à
f>0 et même plus.
La taille paraît très variable ; les solitaires ou les vieux mâles
deviennent beaucoup plus grands. La gamme qui a péri dans
l'Adriatique en 18oi ne se composait que de petits individus,
probablement femelles.
Les Cachalots d'Audierne, qui étaient lous femelles, avaient,
dit-on, une longueur de 12 à 16 mètres.
Eschricht connaissait cette différence de taille et croyait
1 Ann. a. Mag. nat. lu si. vol. XJX, IK87, p. 229. Proc. Géol. Soc. 1887,
p. 227.
( 20)
devoir attribuer à la femelle seulement la moitié de la longueur
du mâle.
Cette différence du mâle rappelle les ruminants qui vivent
aussi par bandes, et chez lesquels les mâles ont à défendre le
troupeau.
Le capitaine Gray a vu, au mois de mai, une femelle pleine qui
n'avait que 29 pieds et qui contenait un fœtus de 10 pieds.
C'est donc à peu près le tiers de la mère.
Les Cétacés en général se distinguent des autres mammifères
par le défaut de symétrie, et ce défaut se fait plus particu-
lièrement sentir chez les Cachalots, comme M. le professeur
Pouchet le fait remarquer dans un mémoire qu'il m'a fait
l'honneur de composer, à l'occasion de mon cinquantenaire
de professorat *.
Les Cachalots ont une tête énorme avec un museau carré
et tronqué, à l'angle antérieur et supérieur duquel sont placés
les évents; elle est renflée par suite de l'accumulation du
spermaceti. La tête osseuse se distingue par sa forme excavée
qui la fait ressembler h un canot.
La mandibule s'éloigne complètement de celle des Baleines;
les deux branches se réunissent sur une grande longueur
comme dans les Cétodontes à longue symphyse.
On connaît plusieurs mandibules de Cachalot dont l'extré-
mité antérieure est recourbée; il y en a une au Muséum à
Paris ; Beale en cite deux cas; M. J. Mûrie en cite trois et
M. Flower en cite encore un autre. Le Dr Fischer 2 a cherché
la cause de cette déformation qui se produit assez souvent, et
qui commencerait presque après la lactation ; il suppose que
la déformation est due à une ostéite, et il termine son articles
disant qu'il ne comprend pas clairement comment une ostéite
seule a pu produire des inculpations aussi considérables, à moins
que la maladie ne soit cojigénitale ou presque congénitale.
1 Poichet, M. G. De la symétrie de la face chez les Célodontes, iii-4#.
Paris, 1886.
* Note sur une déformation pathologique de la mdchore inférieure du
Cachalot, Journal de l'axatomie et de la physiologie, n° 4, PI. XIII.
(21 )
Ne serait-ce pas plutôt l'effet, non d'un arrêt de dévelop-
pement, mais d'un défaut, d'un obstacle à l'épanouissement
du bout de la mâchoire. Nous avons sous les yeux un maxil-
laire de fœtus de Baleine franche : cet os a le bout antérieur
parfaitement replié sur lui-même, ce bout est comme une
feuille de papier qu'on a pliée et qui doit s'étaler ensuite ; au
moindre obstacle à son redressement, il conserverait la défor-
mation, en apparence pathologique, qu'on remarque à ces
mâchoires des Cachalots.
C'est un arrêt d'épanouissement et non pas de développe-
ment. L'arrêt est dû à une cause externe.
Nous avons publié dans notre ostéographie la figure d'une
mandibule recourbée sur un de ses côtés et dont nous citons
plusieurs exemples,
Les Cachalots n'ont point d'os lacrymal séparé, d'après les
observations de M. Flower; ce qui n'est pas une raison suffi-
sante pour les exclure de la famille des Ziphioïdes. Cet os est
probablement uni avec l'os malaire.
Les dents de Ziphioïdes diffèrent de celles des Del ph inides
par l'absence d'une couche d'émail. Elles manquent dans tous
les Cétacés de celte famille à la mâchoire supérieure. Dans le
Cachalot, il en existe toutefois au palais, mais elles ne percent
pas les gencives. Elles sont irrégulièrement développées dans
la peau du palais et ne correspondent aucunement à des
alvéoles. M. Flower a figuré une de ces dents *.
Owen fait mention d'une femelle dans laquelle Bennett a
trouvé huit dents semblables de chaque côté du maxillaire
supérieur *.
Jâger de Stuttgart a décrit et figuré une de ces dents dans un
journal russe, imprimé à Moscou en 1857 3.
D'après Bennett, les dents subissent certaines variations;
il a trouvé les nombres suivants : 21-20 ; 23-21 ; 22-22 ; 24-24;
22-23; 24-26; 23-24; 22-24; 19-20.
1 On the Osteologie ofthe Sperm-whaU, p. 520.
1 Oweii, Odontographie, Tab. 89, fig. 3-4.
* Bemerkungen .... (Narval et Cachalot) Moscou, 1857.
( 22 )
Les Cacfralots, comme tous les Ziphioïdes, ont un petit
nombre de vertèbres ; leur formule est : cervicales 7, dorsales 8,
lombaires 11, caudales 24, en tout 50.
Les Cachalots ont leur atlas séparé et les six autres cervicales
réunies.
La dernière cervicale a le corps à peine plus épais que celui
des vertèbres précédentes; dans la Baleine, le corps de cette
même vertèbre est notablement plus épais que celui de la
sixième et de la septième. L'Hyperoodon présente sous ce
rapport les mêmes dispositions que le Cachalot.
Les vertèbres cervicales, à commencer par l'atlas, ont un
talon qui passe au-dessous du corps de la vertèbre suivante, et
ces talons donnent une grande solidité à cette région.
Ces talons existent également dans plusieurs genres de
Cétacés fossiles, comme les Balœnula et les Balœnotus.
Les vertèbres dorsales, au nombre de huit, ont toutes la face
inférieure du corps carénée et leur épaisseur n'a pas plus de
la moitié de l'épaisseur des lombaires. Elles portent toutes sur
le corps la facette articulaire correspondant à la côte. Les
apophyses transverses diminuent en longueur, régulièrement
d'avant en arrière.
Les lombaires ont, comme toujours dans les Cétacés, le corps
plus développé que celles des autres régions.
Dans les caudales, les zygapophyses sont très éloignées du
corps de la vertèbre.
Toutes les vertèbres ont des caractères particuliers qui les
distinguent; les apophyses transverses sont courtes dans toutes
les régions et particulièrement élevées dans la région dorsile.
Le sternum de l'animal adulte ne forme qu'un seul os,
allongé d'avant en arrière, élargi en avant, rétréci au milieu, et
se terminant en arrière par une languette régulièrement
arrondie. Il reste un trou en avant sur la ligne médiane. Dans
le sternum plus jeune, on voit la réunion presque complète
des deux pièces antérieures, qui constituent presque tout le
sternum ; puis une pièce en arrière encore séparée de la précé-
dente, et sur la ligne médiane on voit des traces de leur soudure.
(23)
Le bassin est représenlévpar un seul os de chaque côté,
comme dans les Delphinides.
M. J.-C. White a fait une communication sur deux débris de
Cachalot, un maxillaire inférieur d'un grand individu et une
dent fort intéressante *.
Le professeur Ercolani de Bologne s'est occupé de la struc-
ture du pénis de ces Cétacés et croyait devoir admettre plusieurs
espèces de Cachalots.
MOEURS.
Les Cétacés qui nous occupent sont essentiellement péla-
giques et descendent à de grandes profondeurs dans la mer.
Le capitaine Gray assure avoir vu des Cachalots rester deux
heures sans venir à la surface et dérouler jusqu'à 700 (fathoms)
brasses de corde. Le capitaine Scammon en a vu plonger pen-
dant 80 minutes et même une heure et quart.
Les mouvements de ces animaux sont très brusques et vio-
lents et ils nagent avec une rapidité plus grande que toute
autre espèce de leur ordre. Le même capitaine Scammon estime
la rapidité de leur course à trois milles à Fheure.
Le Cachalot tient sous plusieurs rapports de l'Hyperoodon;
comme lui, en plongeant on le voit disparaître seul et en
revenant un instant après à la surface, on le voit entouré de
plusieurs.
Les Cachalots ont de la voix; on assure avoir entendu des
mugissements d'individus blessés à plus de quatre kilomètres
de distance.
Les Cachalots, qui sont venus échouer à Audierne sur le
sable, ont vécu vingt-quatre heures avant d'expirer et, comme
nous l'avons dit plus haut, ils poussaient de véritables
mugissements.
L'air expiré du Cachalot a une odeur d'une fétidité extraor-
dinaire; cette opinion paraît très répandue; il n'est pas rare
1 Proceed. Boston Soc, 18Ô0, p. 222.
( 2i )
de trouver des marins soutenir avec assurance, que le contact
de Vair expiré suffit pour soulever la peau aussi facilement et
plus rapidement qu'un vésicatoire.
Le capitaine Jouan dit également que leur souffle a une
odeur si fétide qu'elle provoque des nausées quand on la sent
de près.
Les pécheurs disent que les Cachalots nagent par bandes
qu'on appelle schools ou gammes, dans les régions tropicales
et subtropicales, et on cite comme une de leurs stations favorites
le côté sous le vent des Iles Galapagos.
Ils visitent aussi régulièrement la baie de Bengale, et les
schools y sont formées généralement de femelles, accompa-
gnées de leurs jeunes (Calves). Ces derniers ont de vingt à
trente pieds, disent les pêcheurs, en confondant les femelles
avec les jeunes.
Ces schools sont formées de quinze, vingt et jusqu'à deux
cents individus; ils vont au secours les uns des autres. C'est le
motif pour lequel on prend souvent plusieurs individus dans
une troupe.
On s'accorde assez généralement sur le rapport des mâles et
des femelles dans les schools.
Les mâles qui accompagnent ces schools sont les défenseurs
naturels de la bande; aussi, au lieu de fuir à la première
attaque, comme les Baleines, les Cachalots se défendent vigou-
reusement; on cite, dans les annales des baleiniers, plus d'un
exemple d'individus qui se sont vengés sur les pirogues et sur
les hommes qui les conduisaient. M. Nougaret raconte, dans la
Bévue des deux mondes, qu'il a vu un solitaire sur la côte Est
du Groenland se retourner brusquement après l'attaque, se
jeter sur la pirogue, la saisir par le milieu et la broyer sous
sa formidable mâchoire.
Les baleiniers disent que ce sont les femelles qui se réunis-
sent et que les vieux mâles vivent généralement isolés. La
bande qui a péri au siècle dernier à Audierne était exclusi-
vement formée de femelles, disent les témoins; deux de ces
femelles ont mis bas après leur échouement sur la plage. Une
" (25)
d'elles donna même deux petits, l'autre un seul. Ces jeunes
Cachalots avaient une longueur de trois mètres et demi.
Comme les mâles vivent plus souvent isolés, ils semblent
aussi échouer plus souvent que les femelles et c'est sans doute
la raison pour laquelle, à l'inverse des Baleines, les Cachalots
mâles viennent plus souvent à la côte que les femelles.
Le capitaine Gray a comparé les sexes des individus capturés
.en plein Océan, et pour 65 femelles il a compté 96 mâles adultes
et 51 jeunes.
Les gravures conservées à la Bibliothèque royale de Belgique
ne représentent que des mâles. Il y en a sept ou huit. Il n'y a
qu'un dessin représentant un Cachalot dont le sexe est douteux.
Sur huit individus échoués sur les côtes d'Ecosse , il y avait
•cinq mâles et on n'a pas tenu compte du sexe des trois autres.
(Sir Turner).
On a fait depuis longtemps l'observation que les Cachalots
•qui échouent dans l'Atlantique septentrionale, sont le plus
souvent des solitaires égarés dans le Gulfstream à la recherche de
leur pâture. Ces animaux ne trouvent plus que de rares Cépha-
lopodes et vont mourir de misère sur Tune ou l'autre côte.
Les baleiniers rapportent que leur mode d'accouplement est
le même que celui des Baleines : les Cachalots s'unissent
debout dans l'eau, la tête au-dessus de la surface.
Nous ne savons s'il y a des époques fixes pour leurs amours :
■on voit leurs breeds at any season ofthe yaer, dit Jackson, qui
a fait plusieurs bonnes observations sur ces Cétacés.
Le capitaine Colnett rapporte que les environs des Iles Gala-
pagos sont, au printemps, le rendez-vous de tous les Cachalots
des côtes du Mexique, de celles du Pérou et du golfe de
•Panama; qu'ils s'y accouplent et qu'on y voit de jeunes Cacha-
lots qui n'ont pas 2 mètres de longueur.
C'est bien petit, 2 mètres, puisque nous avons vu des femelles
de la plage d'Audicrnc mettre bas des jeunes qui avaient déjà
3 mètres au moins.
La pâture des Cachalots est celle de tous les ziphioïdes :
Eschricht les avait appelés avec raison Theutophages, du genre
Theuthis, Calmar.
(26)
Toute leur pâture consiste'en Cuttle fish, dit Atwood *t et on
sait que les Cuttle fish des marins sont des Calmars.
Tous les baleiniers s'accordent du reste à dire que l'estomac
des Cachalots renferme toujours de nombreux restes de Cépha-
lopodes. Hunter, Baussard, Eschricht et d'autres ont fait les
mêmes observations sur des individus qu'ils ont eu l'occasion
d'observer.
Les Cachalots de la gamme qui a péri en 1833 dans l'Adria-
tique, avaient encore tous des becs de Céphalopodes dans leur
estomac.
L'ambre gris, autrefois très estimé comme article de parfu-
merie, est le résidu de la digestion des Cachalots; son odeur
musquée provient du Poulpe dont ils font leur pâture.
On a souvent trouvé dans l'ambre gris des becs de Céphalo-
podes et des cristallins, ce qui explique parfaitement leur
origine. Ainsi un Cachalot capturé, en 1715, sur les côtes de
Sardaigne, renfermait de Y ambre gris dans lequel se trouvaient
des becs de Sepia.
On tirait l'ambre gris des Molluques, de Madagascar, des
Maldives, des Antilles et même de Chine. Les Japonais le con-
naissent sous le nom d'excrément de Baleine.
Albert le Grand et avant lui Marco Polo connaissaient par-
faitement son origine, que l'on avait attribuée tantôt à des
oiseaux, tantôt à des Phoques ou à des Crocodiles, et on avait
même été jusqu'à supposer qu'il provenait d'une fontaine bitu-
mineuse sous-marine.
Les Cachalots produisent encore une autre substance sur
l'origine de laquelle on a été également dans le doute ; nous
voulons parler du blanc de Baleine.
Le blanc de Baleine ou Spermaceli est la Céiine des chimistes l
c'est un palmitate de cétyle, c'est-à-dire une combinaison de
l'acide palmitique avec l'éthal (alcool céthylique).
Cette substance grasse est surtout formée sous la peau du
front et du rostre de ces animaux; nous avons déjà dit, que les
1 Atwood, Proc. Boston Soc, Vil, 1 8G0, p. 220.
(27)
Hyperoodons en produisent également, et, comme leur huile
est plus estimée, les Hyperoodons ont été l'objet d'une chasse
spéciale depuis quelques années.
On sait qu après avoir ouvert le front du Cachalot, on puise
à seaux le spermacéti à l'état fluide, disent MM. Pouchet et
Beau regard, et ils supposent, après l'examen de pièces envoyées
des Açores, sous le nom de Racines de la botte, que le sperma-
céti est le produit d'une sécrétion particulière non glandulaire,
qu'on pourrait rapprocher de la cire des abeilles *.
PÈCHE.
Il n'est pas sans intérêt de jeter un coup d'œil sur l'époque
et les lieux où cette pêche a pris naissance; quoiqu'on désigne
sous le même nom les pécheurs qui s'occupent de la Baleine et
du Cachalot, il y a cependant de très grandes différences dans
ces deux industries.
On s'est livré pendant longtemps à la pêche de la Baleine
avant de songer à la pêche du Cachalot. On pratiquait la
première industrie dans les régions septentrionales, où l'on
ne voit que bien rarement un Cachalot.
On raconte que, en 1712, un baleinier de Nantucket, Chris-
topher Hussey, poussé au large par un vent violent, se trouva
devant une school de Cachalots, en captura heureusement un,
et, si l'animal n'avait pas de fanons, il avait des couches de
graisse qui lui donnaient une valeur commerciale non moins
grande que la Baleine; aussi on apprécia bien vite l'importance
de cette nouvelle graisse qui se fige à la température ordinaire
et dont on était loin de soupçonner la nature; on crut d'abord
que c'était le sperme de ces animaux et les droguistes lui don-
nèrent le nom de spermacéti. De \h les baleiniers anglais ont
fait le nom de spermwhale.
C'est l'origine, parait-il, de cette pêche sur les côtes des Etats*
1 Pokhet el Beau n égard, Sur la boîte à sperrmceli. Comptes rendus
des Séances de l'Académie des Sciences. Aoùi, 1884.
(28)
Unis d'Amérique. On exploita d'abord l'Atlantique et, en 1787,
la Nantucket Colony of Whalingmen from En gland, envoya le
premier baleinier dans la mer Pacifique.
Peu de temps après, en 1789, les baleiniers du cap Cod se
rendirent pour la première fois dans la mer des Indes pour y
faire cette chasse. On prétend qu'un gentleman du cap Cod, à
son retour des Indes, avait vu de nombreux achalots dans
la mer des Indes, et son récit avait déterminé quelques indus-
triels à se constituer en société.
La première campagne de 1791 fut fort heureuse. On cite
Joseph Russel et fils et Corn. Howland, qui revinrent du Paci-
fique (1791) avec un chargement complet.
On ne connaît pas de véritable station du Cachalot dans les
mers d'Europe ; on ne connaît que des échouements ; les seules
stations connues, où les pécheurs se rendent encore, ce sont
les régions équatoriales du Pacifique, de l'Atlantique et de la
mer des Indes. On cite particulièrement les Iles Galapagos
dans l'océan Pacifique, les Açores dans l'océan Atlantique, le
golfe de Bengale dans la mer des Indes.
Le commandant Maury ne figure cependant pas ces régions
d'une manière particulière sur sa carte et, dans ses lettres
publiées en 1850, il fait remarquer qu'on harponne également
le Cachalot sur les eûtes du Japon.
On fait également cette pèche sur les côtes méridionales et
orientales de la Nouvelle-Hollande.
La carte du savant commandant américain représente cet
animal sur toute la largeur de l'océan Pacifique, des deux
côtés de l'équateur. On voit seulement sur cette carte une
tache blanche à l'Est et une autre à l'Ouest des Iles Sandwich.
Ces animaux sont-ils régulièrement cantonnés ou visitent-ils
les divers océans, sans tenir compte des lieux ou des saisons?
Nous avons plusieurs preuves que ces animaux parcourent
de grands espaces en mer : on a cité des individus, harponnés
dans l'Atlantique, qui portaient encore des harpons lancés dans
le Pacifique, et le commandant Maury fait mention d'une cap-
ture d'individus sur les côtes du Chili qui portaient encore le
(29)
harpon japonais dans leurs chairs. Un autre Cachalot qui s'était
enfui avec un harpon lancé sur les côtes du Pérou, a été pris
au large sur la côte orientale des États-Unis d'Amérique. Ces
Cétacés parcourent ainsi toute l'étendue du Pacifique et se
rendent même du Pacifique dans l'Atlantique.
Maury indique leur présence jusqu'au 60e degré de latitude
sud au devant du cap Horn.
Sur les côtes d'Europe on n'a vu que des animaux égarés,
tantôt seuls, tantôt réunis en schools, mais il n'y a pas une seule
côte à l'Est comme à l'Ouest de l'Atlantique où l'on n'en ait
vu échouer. Et ce n'est pas seulement le plein océan qu'ils
hantent, ils fréquentent également les mers intérieures, la
Méditerranée comme la Baltique. Jusqu'à présent on n'en a
pas vu pénétrer dans la mer Noire pas plus que les Baleines
et les Balénoptères.
M. Mengaret raconte, dans la Revue des deux mondes, que, au
mois de septembre 1865, un Cachalot apparut dans le cercle
polaire, entre File Jan-Meyen et la côte orientale du Groenland * .
La vigie signala le souffle du Cachalot et aussitôt on lança
quatre pirogues à sa poursuite.
Cette pêche a Heu principalement dans l'océan Pacifique,
mais il existe encore quelques baleiniers qui viennent tous les
ans poursuivre le Cachalot dans l'Atlantique. Le Muséum de
Paris a reçu récemment un squelette et il attend les parties
molles d'un animal qui ont été préparées pour ses collections,
par le professeur Pouchet; après avoir été chercher des
squelettes de Balénoptères sur les côtes de Finmark, le suc-
cesseur de Cuvier a. voulu remplacer les ossements de la cour
des galeries d'anatomie comparée par un squelette complet.
Le rapport de la Commission américaine, qui a fait le relevé
des produits de la pêche introduits aux États-Unis d'Amérique,
depuis le 1er janvier 1804 jusqu'au 31 décembre 1876, estime,
d'après la quantité de spermaceti apportée aux Etats-Unis, qu'il
y a eu, pendant cette période, 325,521 Cachalots capturés. II
1 Revue des deux mondes, I. LXXX1II, p. 707. 1860
(30)
compte, d'après Scammon, que chaque Cachalot fournit
2S barils de spermaceti.
Comme on le pense bien, partout le nombre des Cachalots a
considérablement diminué et il n'y a plus que fort peu de balei-
niers qui se livrent encore à cette industrie.
On citait comme places principales : les environs des Açores,
d'août à novembre; les îles Bahama au nord, le golfe de Mexico,
enire 28° et 32° N. et 48° et 57° W., de mars à mai: les Iles
du Cap Vert, en hiver, près Fernando Po, entre Sainte-Hélène
et la côte d'Afrique et la côte Sud- Amérique t.
Il paraît que Ton capturait encore tous les ans vers 1860,
environ ISO Cachalots dans les eaux des Açores 2 tandis qu'au-
jourd'hui, d'après ce que m'écrit M. Franc. Aff. Chaves, de
Ponta delgada, S. Miguel, ce nombre ne dépasse pas cinq ou six.
Il n'y a plus guère que les Américains qui se livrent encore à
cette industrie.
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
Il est reconnu que c'est un animal des régions tropicales,
que l'on trouve surtout dans le Pacifique, mais qui est répandu
depuis l'Equateur, au Nord jusqu'au Groenland, au Sud jusqu'à
la Nouvelle-Zélande. Les squelettes reçus d'Australie au Musée
du Collège royal des chirurgiens de Londres, et si bien étudiés
par le professeur Flower, ne laissent guère de doutes sur
l'identité spécifique de ces animaux : on a capturé des
Cachalots dans toutes les mers et on a pu comparer à Londres
des squelettes de l'Australie avec des squelettes du nord de
l'Atlantique, sans qu'on ait trouvé entre eux la moindre diffé-
rence.
Du reste, déjà à l'époque où Cuvier s'occupait des Cétacés,
le grand naturaliste ne voyait pas de différences entre les
1 Andfrson, Nachrichten von hlan /, 1740, p. 221.
* Dkouet, Éléments de la faune AçorCenne, p. 112 (1861).
( 31 )
individus provenant des mers les plus éloignées les unes des
autres.
Il est généralement admis, dit Lesson, que les grands Cétacés
les plus connus sont répandus dans toutes les mers du globe,
et que la Baleine et le Cachalot des mers du Nord sont iden-
tiques dans le Grand Océan, soit dans la partie qui baigne les
côtes Nord-Ouest de l'Amérique, soit dans les mers du Cap
Horn ou du Sud de la Nouvelle-Hollande.
Les Baleines, ajoutait-il, se trouvent, comme les Cachalots,
aussi bien sous le soleil de l'Equateur qu'entre les glaces du
cercle polaire.
La science a enregistré beaucoup de faits nouveaux depuis
le jour où Lesson a écrit ces lignes, et ce savant ne s'expri-
merait plus aujourd'hui de la même manière. Ce que Lesson
dit du Cachalot est exact, mais ce qu'il dit de la Baleine ne
Test pas.
Sur sa carte intéressante de la répartition du Cachalot dans
les divers océans * , le commandant Maury figure aussi la dis-
tribution géographique de la Baleine, ou plutôt des Baleines.
Des deux côtes de l'Equateur, on voit, dans le Pacifique surtout,
jusqu'au 30e degré au Sud et au Nord, le domaine du Cachalot ;
puis au Nord et au Sud on voit le domaine de la Baleine; le
premier habite les régions chaudes, la Baleine les régions tem-
pérées; Maury n'a pas tenu compte de la Baleine franche, ni
dans les eaux du Spitzbcrg, ni dans la mer de Baffin.
Le savant commandant représente, sous une couleur spé-
ciale, pourpre, les endroits, également au Nord et au Sud de
l'Equateur, où l'on a trouvé des Baleines et des Cachalots,
nageant dans les mêmes eaux.
Le docteur R. M' Cormick, à propos des explorations à faire
dans l'hémisphère antarctique, en parlant des richesses que
possède la région du pôle sud, parle d'une quantité de Baleines
de la plus grande espèce et de la plus grande valeur, particu-
lièrement, dit-il, de l'espèce appelée Spermaceti. Il est à désirer
1 A cliart schoiving Ihe favorite resott of the Spcrm and Highl Wlialc.
(32)
que l'exploration anglaise au pôle sud ait lieu, pour savoir s'il
existe, au milieu des glaces de ces régions, à côté des Cachalots
passagers, une espèce de Baleine représentant la Baleine
franche du pôle antarctique.
Il est donc définitivement acquis que le Cétacé theutophage qui
nous occupe, vit principalement au milieu de l'Atlantique et
du grand océan Pacifique et qu'il ne trouve, au Nord comme
au Sud, d'autres limites que les glaces polaires.
On l'a reconnu dans les parages du Spitzberg, auprès du
cap Nord et des côtes de Finmarck ; dans les mers du Groen-
land comme dans le détroit de Davis, dans la plus grande
partie de l'Océan Atlantique septentrional jusqu'à l'île Jan-
Meyen (Nougaret), sur les côtes des Iles Britanniques, à l'em-
bouchure de l'Elbe (1720), auprès de Terre-Neuve, aux environs
de Bayonne; non loin du cap de Bonne-Espérance; près du
canal de Mozambique, de Madagascar et de l'Ile de France ;
dans les eaux qui baignent les rivages occidentaux de la Nou-
velle-Hollande; sur les côtes de la Nouvelle-Zélande; près du
cap de Corientes, du golfe de Californie; le cap San-Lucar
(Californie); les Iles Kingsmill, Marshall (capit. Jouan); à peu
de distance de Guatemala ; autour des Iles Galapagos; à la vue
de l'Ile Mocha et du Chili ; dans la mer du Brésil ; et enfin, sur
toutes les côtes du continent européen, même dans les mers
intérieures, la Méditerranée, la Baltique et l'Adriatique.
Le Cachalot est donc un animal orbicole ou cosmopolite;
M. Flower a reçu d'Australie, pour le Musée du Collège des
chirurgiens, à Londres, des squelettes de Cachalots, accom-
pagnés de Globiceps et de Delphis, qui ne présentent aucune
différence avec les nôtres, de manière que la faune aquatique
d'Australie ne correspond aucunement, pour les Cétacés au
moins, avec la faune terrestres ; nous ajouterons qu'il en est de
même pour certains poissons plagiostomcs. La faune aquatique
ne possède, sous aucun rapport, un faciès propre. Seulement
certains types, qui ont disparu en Europe depuis les âges
géologiques, semblent s'être conservées jusqu'à présent chez
nos antipodes.
(33 )
En tenant compte de tous les faits, on voit que le Cachalot
est généralement répandu dans le Pacifique comme dans l'Atlan-
tique entre le 60e degré de latitude Sud et le 60° degré de
latitude Nord. Ce sont les limites indiquées par Maury et
par Berghaus.
Si le Cachalot a été observé au delà du 60e degré de latitude
Nord et Sud, à ces latitudes on n'a vu que des individus isolés,
des solitaires.
Il n'a pas été vu au delà du détroit de Behring.
11 n'est pas sans intérêt de passer en revue les individus qui
sont venus échouer sur les côtes en Europe, et dont il a été tenu
compte par quelques naturalistes.
Les anciens ont déjà parlé de Cachalots capturés ou échoués
dans la Méditerranée.
« La première année du règne de Claude (an 44), un Cacha-
lot (Orca) échoua sur le rivage. Il serait mort par le seul fait
de son naufrage; mais l'empereur qui se mit à la tête des
cohortes prétoriennes combattit avec eux le monstre marin.
Pline, témoin de cette lutte absurde, dit-il, vit une barque
submergée par l'eau dont le souffle du Cachalot l'avait rem-
plie. »
Strabon parle comme Pline du Physeler et, dans plusieurs
villes du littoral, on conserve encore des mandibules, des côtes,
des vertèbres et d'autres restes de ces Cétacés.
Rondelet en a vu, dans le courant du XVIe siècle, des osse-
ments qui étaient destinés au palais d'un duc de Florence.
Paulus Jovius parle de deux individus qui auraient péri
sur les côtes de PEstrurie.
Ranzani parle d'un mâle de 55 pieds, qui a été exposé dans
le port de Pesaro en 1715.
La même année, un Cachalot a été capturé sur les côtes
de Sardaigne, mais il n'a été fait mention que de 1 ambre
gris qu'il renfermait et dans lequel se trouvèrent des becs de
Sépia.
Tome XLI. 3
- I
(34)
Cornalia i, dans sa Fauna d'Italia, cite onze cas de Cachalots
qui ont péri sur les cotes d'Italie : en 1713, 1768, et 1775 en
deçà d'Ancône, en 1805, un au-dessus d'Ancône près de Fermo
et un autre en 1874 à Porto-San-Giorgio, en 1810 un à Chioggia,
en 1715, un près de Venise; en 1753 et 1764 sur la côte de
Dalmatie à Rovigno, en 1767 près de Zarà et en 1750 près de
Sebenico.
Sur la côte de Nice il signale sept échouements : en 1798,
1833,1852, 1854, 1860, 1863 et en 1864. De Gênes à Civita-
Yecchia On en a vu échouer trois, le premier en 1863, à la
Spezzia, le second entre Livourne et Civita-Vecchia, le troisième
à Civita-Vecchia même.
Dans les Actes des curieux de la nature il est question d'un
Cachalot, échoué à Sl-Hospice, près de Villefranche (Alpes-
Maritimes), le 10 novembre 1726 *.
Un autre aurait péri près d'Ascoli 3.
Mon collaborateur, F. Gervais, en cite huit échouements
dans la Méditerranée.
L'Hyperoodon, échoué près de Piètri sur la côte de Toscane,
dont parle Fr. Cuvier *, est un Cachalot, puisqu'il avait 50 pieds
de long et qu'il n'y a pas d'Hyperoodon de cette taille.
En 1838, Th. Kotschy a vu, à la côte près d'Alexandrie, un
Physeter que l'on a rejeté à la mer à cause de l'infection qu'il
répandait autour de lui.
L'échouement le plus remarquable est celui de 1853, le 15
du mois d'août ; entre Pola et Trieste, sur la côte d'Istrie, uni*
petite gamme est allée se perdre : d'abord un jeune, puis
d'autres plus grands, de 36 pieds.
Le 16, le gouverneur du littoral en vit encore deux jeunes
qui lançaient, disait-il, des jets d'eau par les narines.
Le 19, la nouvelle de la prise de plusieurs Cachalots arriva à
Vienne, et Heckel partit le 20 pour arriver sur les lieux le 24.
* Cornalia, Fatma cTItalia. Milano.
* Bayer, Act nat. cur , 1753, III* vol.
* Elément, di Zool , t. Il, p. Gf ft
' Hist. nat. des Cétacés, p. 381.
(35)
Les cadavres étaient dépecés, mais les squelettes étaient
malheureusement mêlés; le professeur Roth parvint à en
reconstituer un. Deux têtes furent sauvées pour le Musée
d'anatoime à Vienne ; une tête est restée, comme souvenir, à
Citta Nuova.
Dans le golfe de Saint-Nazaire (Var), un sujet de moyenne
taille a été pris en 1856. Une moitié de la mandibule en est
conservée dans le cabinet des Pères Maristes, à la Seyne, près
Toulon *.
Un mâle est venu se perdre, dans la nuit du 10 mars 1874, à
Porto-San-Giorgio et a été l'objet d'une monographie zooto-
mico-zoologique 2 par le docteur Leone de Sanctis.
On en a vu échouer un tout près de Venise. Le dernier a été
capturé en 1874 près d'Ancône.
Dans la Bibliothèque de Ravenne, on conserve deux parties
d'un crâne, sans indication d'origine.
En Italie, M. Rob. Lawley a signalé des portions de maxil-
laires et des dents ayant des caractères de Physeter provenant
de Volterra et de Orciano 3.
Sous le nom de Physeter antiquus, Gervais a signalé un
nouveau Cachalot dont il a trouvé la mandibule dans les sables
marins de Montpellier. Cette mandibule est déposée au Muséum
à Paris. Elle rappelle fort bien le Cachalot d'aujourd'hui.
Le professeur Turner a écrit une notice intéressante à pro-
pos d'une gravure fort rare qui représente un Cachalot, capturé
le 25 février 1601, dans le port d'Ancône. C'était un mâle. On
lui accorde 56 pieds de long.
Il faitmention aussi d'une dent, miseau jourdansdes galeries,
à l'ile de Sh. Ronaldsay, dont l'enfouissement date peut-être
de l'époque de la première occupation par les Nôrwégiens +.
1 P. Gcrvais, Comptes rendus hebd., 1844, p. 877.
* Sut Capidoglw arenato a porto S. Giorgio, in-4% Roma, 1881.
* Kos. Lawley, Pesi et Al tri vertebrati fossili del Pliocène Tostano.
Pisa, 1875, p. 11.
* Proc. ofthe Royal Society of Edinburgh, session, 1871-75, p. 058.
( 36)
En 1715, un Cachalot, long de 48 pieds, a échoué dans
l'Adriatique. On en conserve des os h Sinigaglia.
Sous le règne de Louis XIV, un Cachalot de 60 pieds de
long vint échouer à la Sel va près Collioure.
M. Guyon a même recueilli en Algérie des ossements de
Cachalot, sur la rive gauche de l'Oued-Ger, qui pouvaient
fort bien se trouver là naturellement, puisque nous avons
reconnu des os de Balénoptère dans les mêmes conditions,
lis ont été élevés au-dessus du niveau de la mer à la suite de
soulèvements.
Paul Fischer a publié une Note sur les Cachalots échoués
sur les côtes océaniques en France, dans le Journal de Zoologie
de (Servais *. Ces échouements ont eu lieu surtout en hiver et
au printemps, de janvier à avril. Les principaux par ordre de
date sont :
Le 1er avril 1714, il y en a un de 49 pieds qui se perd près
de Bayonne 3. Un dessin en est conservé dans la collection des
vélins du Muséum. Fr. Cuvier l'a fait copier dans son histoire
naturelle des Cétacés.
A quatre lieues de BouIogne-sur-Mer, un individu a échoué
le 5 mars 1761, dont un dessin est conservé à la Bibliothèque
de cette ville 3.
Le 19 janvier 1769, un autre périt dans la baie de la Somme
près Saint- Valéry *. Rien n'en a été conservé.
En 1781, le 1 1 mars, une school entière, composéede trente-
deux individus, vint se perdre sur la côte occidentale d'Au-
dierne s. Une tête provenant de cette bande a été donnée à l'Aca-
démie de La Rochelle par M. Donnadieu, négociant en cette ville,
qui l'avait fait venir d'Audi erne 6. Une tête de sujet adulte,
1 Journal de Zoologie, l. 1, 1872, p. 236.
* HisL de CAcad. roy. des sciences pour 1741 (1744).
* Fischer, Journal de Zoologie, 1. 1.
* Haillon, Calai, des Vertébrés de la Somme» (Mém. Soc. r. d'émilatiojt
d'Ardevillc, 1833.
* Lettre de M. Le Cuz, insérée dans le Mercure de France, détails ciK' s
par Lacépèdc, p. 303, et par Pierre Camper, p. 08.
* Extrait du Journal Èyhémérides, de M. Lamberiz, négociant à La Rochelle.
(37)
une colonne vertébrale, une portion d'os hyoïde, un sternum,
une omoplate et quelques os des nageoires pectorales, en sont
conservés au Muséum d'histoire naturelle à Paris.
Nous ne parlons pas des cinq Cachalots qui se sont montrés
à l'entrée de la Loire, au mois de juillet 1863, et qui sont restés,
d'après les journaux de Nantes, engagés dans le sable au reflux.»
Quoiqu'ils aient été exhibés à Sl-Nazaire, rien n'en a été con-
servé et nous n'oserions affirmer que ce sont des Cachalots. Vn
d'eux mesurait, disait-on dans les journaux, 6m,60.
Vers le milieu de novembre 1872, un mâle, de 12 mètres, est
venu échouer près du phare de Biarritz. Il était en putréfaction
avancée et le squelette ifa pu être conservé, malgré les soins '
de M. Souverbie, directeur du Musée de Bordeaux *.
En 4875, deux individus ont été vus dans les parages de
Guethary (Basses-Pyrénées). Le mâle seul a été capturé ; son
squelette est conservé au Musée de Bayonne; il a plus de
11 mètres de longueur.
Le professeur espagnol Graëlls de la Paz m'écrit qu'il a mis
les pécheurs à contribution, depuis le détroit de Gibraltar
jusqu'à la frontière française, pour connaître les grands Cétacés
qui fréquentent ces parages ; ce sont la Balœna biscayensis,
la Balamoptera musculus et le Cachalot qui sont les plus
connus.
On a enregistré plusieurs exemples de Cachalots qui sont
venus se perdre sur les côtes de Belgique, des Pays-Bas,
d'Allemagne, de Danemark, de Suède et de Norwège.
Claas Mulder estime à vingt le nombre de Cachalots connus
qui se sont perdus sur les côtes des Pays-Bas ; il fait avec raison
la remarque que peu de restes en ont été conservés dans les
Musées.
Le plus anciennement connu a échoué en 1331 sur les côtes
des Pays-Bas. Houttuyn en fait mention. Il avait 68 pieds et
les mandibules mesuraient 13 pieds *.
* Gcr vais, Journal de Zoologie y 1. 1, p. 537.
* De Vries, Grool hi&l. schouwtonetl, I, p. 385, Aoislerdam, 169$. ^ v,
(38)
Le 11 mars 1566, une femelle est venue à la côte à Zand-
voort.
Le 19 septembre 1876, il en échoue un de 14 pieds de lon-
gueur sur la même côte.
Ambroise Paré fait mention de trois Cachalots capturés le
2 juillet 1577, dans l'Escaut : un à Flessingue, un à Saffinghe,
et un troisième à Hastinghe, au Doel *.
C'étaient bien des Cachalots d'après ce qu'il dit des narines
et des dents. H leur accorde 58 pieds. La mandibule avait de
chaque côté 25 dents et on voyait autant de trous à la mâchoire
supérieure dans lesquels les dites dents pouvaient se
cacher.
Ambroise Paré en donne une figure, qui a été copiée par
Aldrovande et par Johnston.
De 1598 à 1614, cinq Cachalots ont été vus sur les côtes des
Pays-Bas. Quatre d'entre eux ont été dessinés et gravés.
Emmanuel de Hetteren fait mention d'un animal de 53 pieds
de long qui est venu à la côte en 1601.
En 1606, on en cite un qui a péri à Springerplaat (île
Schouwen).
Le 38 décembre 1614, un mâle a péri à Noordwyk-aan-Zee.
On en conserve la gravure *.
En 1617, au mois de janvier, un autre mâle de 60 pieds est
venu à la côte entre Scheveningen et Katwyk. C'est de lui que
provient la tête qui est conservée dans une église à Scheve-
ningen.
Le 14 février 1619, un mâle a péri à l'embouchure du Rodan;
il en existe une gravure : la nageoire pectorale est représentée
comme un pavillon d'oreille.
Le 12 mai 1620 on en a vu échouer un sur la côte de Pomé-
ranie (bei Carmin); un autre le 15 octobre 1640.
I^e 4 janvier 1629, un mâle est venu à la côte à Noordwyk-
1 Œuvres complètes d 'Ambroise Paré, t. III, p. 77P, Pari», 1841.
■ PoT-WALYiftCH, Gettrandt by Noortwyck-op-Zee, den 28 dec. tôt 4.
Doob Es. Ya* di h Yelde, in-folio.
(39)
aan-Zee; en 1635, un à Scheveningen, et en octobre 1641, a
péri le dernier de ce siècle. Une gravure de ces deux derniers
est conservée à la Bibliothèque royale.
En 1721, au mois de janvier, un animal de 60 pieds est venu
à la cote non loin de Brème, et en 1723, un échouement de
plusieurs a eu lieu dans le même endroit. Lacépède fait men-
tion de dix-sept Cachalots qu'une tempête violente avait
poussés cette année dans l'embouchure de l'Elbe. Les moins
grands avaient 13 ou 14 mètres. Il y avait huit femelles et neuf
mâles *.
En 1755, une autre school a péri sur la côte de Mecklem-
bourg.
Au siècle dernier, nous voyons encore quelques animaux se
perdre dans les mêmes parages : en décembre 1761, il y en a
deux ou trois qui viennent échouer sur l'île ou le banc
7. Grind, près de Harlingen. La caisse tympanique de l'un
d'eux a été envoyée à Pierre Camper 2. H en existe un dessin
sur lequel on lit : ce poisson a 75 pieds de long et 18 de haut;
c'est un Cachalot, échoué à l'île Grin. Ce dessin se trouvait
«ntre les mains de Mulder et a été exécuté par P. Idserdts.
On fait mention d'un autre qui serait venu se perdre égale-
ment en décembre 1761, à Eyerland.
On cite encore un individu échoué en 1762, à Terschelling,
et un à Vlieland à la même époque de l'année.
Un Cachalot échoué entre Zandvoort et Wyk-op-Zee, en 1762,
20 février, a été figuré par H. Spilman. 11 en existe une gra-
vure à la Bibliothèque royale, sur laquelle on lit : Cagelol,
Inng 61 voelen, den 20 februari 1762, tusschen Zandvoort en
}Vyk-op-Zee aangedreven.
Nous ne croyons pas que ce soit un de ceux qui sont indiqués
ci-dessus.
D'après un dessin de C. van Noorde, un mâle aurait péri
encore en 1764.
1 Lacépède, Rist. Nal. Cétacés, in-4% p. 334.
* Camper ** */. Schriflen, I B, 2 st. Blés, anat...., p. 107, pi. XXIIL
(40)
Un animal de 84 pieds, que Ton a dit femelle, a- échoué le
4 décembre 1783, sur les côtes, près de Middelbourg. On en
possède des os dans celte ville et on en conserve un dessin à
Dornburg *. La mandibule porte quarante-huit dents.
Ainsi, au XVIe siècle, une vingtaine de Cachalots se perdent
dans ces parages : trois sont reconnus comme mâles, un
comme femelle, et on est sans renseignements sur le sexe des
autres.
Au XVIIe siècle, il s'en perd une vingtaine, mais les rensei-
gnements laissés sur leur sexe sont bien incomplets.
Au XVIIIe siècle, il vient en échouer encore sept.
Nous ne connaissons que deux exemples dans le courant de
ce siècle : le premier, en 1819, sur les côtes du Holslein, et
un, en 1825, sur les côtes de Rûgen.
Il y a deux ans, à la suile d'une rupture de digue, on a trouvé
près de Heyst une tête presque entière de Cachalot. Elle est
déposée au Musée de Bruxelles. On ne connaît pas la date de
la perte de cet animal.
Malm cite des exemples d'individus capturés sur les côtes de
Suède.
Linné en a cité sur les côtes de la Norwège.
Au nord de la Norwège, le professeur Sars cite le Cachalot
parmi les espèces vues aux îles Loffoten (1865).
On connaît aussi plusieurs exemples d'individus qui se sont
perdus dans la Baltique.
#
Le conseiller d'Etat Hensche a fait le relevé des Cachalots
observés dans celte mer intérieure et de quelques Mysticètes
dont on ne peut que deviner la nature spécifique *.
Le plus ancien connu, un animal de 58 pieds de long, échoué
en 1291 sur la côte de Weichtclmunde, a été conduit à DanUig.
En 1364, un autre de 26 pieds, a été également conduit ù
Dantzig.
* Zelandia iilustrata, middelburgiscke courant, le 6 décembre 1784 et
Notulen, 4 avril, 1849.
* Heksciie, Schriften d. Physik. Ak. geseils zu Kùnig/sberg, Jahrg, I,
Hefu (I.
(4L)
Le 15 octobre 1432 ou 1453, un de 35 pieds a été pris vivant
et conduit encore à Dantzig. II avait été vu pendant 3 jours.
C'est sans doute une femelle.
Le 15 avril 1455, un autre de 66 pieds de long fut jeté sur la
cote, nàhe dem Balgaschen Tief.
En 1561, un jeune animal sous le nom de Baleine, long de
9 t/a/ler, fut jeté sur la côte am alten Tief.
Le 19 septembre 1576, un animal, décrit sous le nom de
Physetcty de 14 pieds, se perdit encore dans cette mer; mais
on peut se demander si c'est bien un Cachalot.
Plusieurs Cachalots sont allés mourir sur les côtes des Iles
Britanniques.
Les plus anciens ont été signalés par Sibbald : il parle
d'abord d'une femelle qui a péri aux Orcades, en 1687; puis
d'un mâle de 53 pieds, capturé, en février 1689, à Leine Kilns,
au nord de l'embouchure du Forth. La mâchoire portait
42 dents. 11 fait mention également de toute une school, de
102 individus, qui a péri sur les côtes d'Ecosse, mais, à en
juger par la taille qu'il leur accorde, ce ne sont pas des
Cachalots.
Un mâle de 52 pieds a échoué ensuite à l'embouchure du
Forth vers la même époque; sa mandibule portait 48 dents.
Au siècle suivant, en 1756, un autre mâle de 54 pieds est
venu mourir également dans le Forth (côtes ouest de Ross-
Shire) et un en 1769 dont le sexe n'est pas indiqué.
James Robertson signale Féchouement d'un mâle, en 1770,
également dans le Forth.
En 1762, un individu, long de 54 pieds, avec dix-huit dents
de chaque côté, a été pris à Blythsand.
En 1769, on cite encore un mâle de 54 pieds qui a péri au
même endroit.
La même année, 1769, un Cachalot a été capturé sur la côte
de Kent; vers la même époque, un autre sur celle de
Norfolk.
1 H. Wood, Mag. of nat hist ,2» ser. t. III, 1829.
En 1833, un Cachalot mâle adulte est venu à la côte à
Tunstall, Yorkshire coast. Le squelette a 50 pieds de longueur.
Le 16 février 1829, un mâle de 62 pieds s'est perdu à l'en-
trée de la Tamise, à Whitstable, Kent. En attendant que les
tribunaux eussent décidé qui était le propriétaire de cette
épave, la marée a eu raison de ce cadavre et les os ont été
dispersés.
Dans le courant du mois de mai de la même année, un
Cachalot fut aperçu en mer et bientôt capturé et remorqué
dans la baie de Dunstaffnage (Ecosse). Il avait 60 pieds, mais
le sexe n'est pas indiqué. La mâchoire inférieure est conservée
au château de Dunstaffnage.
On cite également un Cachalot qui a péri sur la côte de Cor-
nouailles en juillet 1835 *.
Dans la Faune des Orcades, par le Rév. George Low (1813),
il est question de divers Cachalots qui ont visité cette île.
Le dernier observé sur ces côtes est un animal de 60 à
70 pieds, en pleine décomposition, près de Thurso, au mois de
juillet ou août 1863, dont le squelette est au British Muséum.
C'est lui qui a servi à M. Flower pour la description des os *.
Au mois de juillet 1871, un Cachalot mâle adulte a échoué à
l'île de Sky. Son squelette est conservé à Edimbourg. La man-
dibule et le sternum sont très remarquables par l'âge de
l'animal.
Le professeur Turner fait le relevé des Cachalots connus qui
ont péri sur les côtes d'Ecosse. 11 en cite dix : un du
XVIIe siècle, quatre du XVIIIe siècle et cinq du XIXe siècle.
Sur huit individus, dont le sexe a été reconnu, il y avait cinq
mâles.
Le Cachalot étant un Cétacé équatorial, on a douté quelque-
1 Alderson, J.f An account of a Whale of the spennaceti tribe, casl on
shore oi the Yorkshire coast, 1823. Tiunsact. Cumin, phii- Soc, 1827.
Ferussac, Bull, scien. no/., 1829. Isis, 1835, p. lOOft. Transict. of the nat.
histor. of Norlhumberland, vol. 1,1851.
1 Report Drit. Asmoc. for the adoanceme.tt of science held at Newcastle,
p. 106.
(43)
fois de sa présence sur les côtes du Groenland. Les côtes nord
de l'Ecosse ont été souvent considérées comme limite septen-
trionale de cet animal.
Nous avons le témoignage de plusieurs marins que ces ani-
maux visitent parfois l'ouest et l'est du Groenland.
En 1718 et 1719 quelques Cachalots ont été pris, dit Zorg-
drager, auprès du Groenland et auprès du cap Nord. Le plus
remarquable avait 70 pieds environ et dans sa tête on a recueilli
vingt-quatre-tonnes de spermaceti *.
R. Brown ne fait mention que d'un seul Cachalot, capturé
en 1857 près de Groven (72» L. N.)
Nous avons aussi le témoignage du gouverneur du Groen-
land : Le Cachalot est extrêmement rare sur la côte ouest du
Groenland, dit Holbôll 2. 11 n'a vu, pendant ses nombreux
voyages, qu'une seule fois cet animal remarquable, et de sou-
venir d'homme, on n'en a vu échouer dans ces parages.
Les Esquimaux, qui ont visité Paris et Bruxelles en 1877-
1878, avaient des dents de Cachalots avec eux ; ces dents étaient
exhibées avec celles deNarval, de Morse et d'autres Delphinides.
A l'est du Groenland, apparaît aussi parfois cet animal.
Nous l'avons déjà dit plus haut, M. Naugaret l'a rencontré aux
environs de File Jan Meyen 3.
H est fort curieux de comparer le nombre de captures ou
plutôt d'échouements de Cachalots des siècles précédents avec
ceux des temps actuels.
Si l'on considère la rareté actuelle des Cachalots échoués et
le nombre d'individus dont la capture est indiquée dans des
livres anciens, on doit se dire que ces animaux doivent être
bien près d'être exterminés.
Il y a aussi quelques exemples de Cachalots capturés ou
• Zorgdrager, EU , S. (1837), p. lit.
9 EscmticHT, Nord. If a/M , p. 195.
* Bévue des deux Mondes, 1" octobre 1K09.
(44)
échoués de l'autre côté de l'Atlantique, dans l'océan Pacifique,
dans la mer des Indes et dans les eaux de nos antipodes.
Onze individus, la plupart jeunes, sont venus à la côte à Test
de la Floride, près du cap Canaveral, pendant l'hiver de 1882.
Le 29 mars 1842, un jeune animal de 16 pieds a été capturé
près de Boston, New Bedford, U. S.
Le 5 décembre 1849, on a trouvé la carcasse d'un mâle
qu'on a remorquée au port Jackson ; c'est le squelette de cet
animal que M. Macleay a décrit.
Le corps d'une femelle échouée a été remorqué à Botany-
Bay.
Sur les côtes de Tasmanie on a capturé un individu mâle, en
1864, dont le squelette se trouve au Collège royal des chirurgiens
à Londres. On en connaît trois spécimens de Tasmanie dans
ce remarquable Musée.
Ce sont ces squelettes qui ont autorisé M. Flower à se pro-
noncer sur l'identité du Cachalot d'Australie et celui d'Europe.
MUSÉES.
On a été longtemps sans connaître d'autre squelette de
Cachalot que le squelette défectueux, dont nous avons parlé
plus haut, et qui était monté à la cour du Muséum à Paris;
Cuvier l'avait fait acheter à Londres, en 1818 i. Ce squelette,
que personne ne regrette d'avoir vu disparaître, sera bientôt
remplacé par un autre.
Paris possède également une tête d'un animal adulte, pro-
venant de la bande échouée à Audierne, en 1784, avec une
colonne vertébrale, des mandibules et un os hyoïde.
Il se trouve également au Muséum à Paris des mandibules
d'un mâle capturé à Bayonne. On y possède encore la tête
d'un jeune animal qui a péri à Bochefort.
1 D'après une noie du mémoire de M. Flower, ce squelette est probable-
ment le même qui a figuré au Musée Bocks trow, Fleet slreet, décrit dans un
ancien catalogue comme The Astonishing and complète Skeleion of a fuit-
grown Sperma-ceti Whale.
( 45 )
Mais, de toutes ces pièces, la plus remarquable est le squelette
que le Muséum a reçu récemment par les soins du professeur
Pouchet, et qui provient des iles Açores.
On conserve aujourd'hui, au Musée à Bayonne, le squelette
d'un mâle qui a été capturé en 1875.
A Londres, au Musée du Collège royal des chirurgiens, on
possède de riches matériaux pour l'étude du Cachalot. II s'y
trouve deux squelettes, un jeune et un adulte, qui ont été
envoyés d'Australie. Ce sont ces pièces qui ont été figurées dans
le beau mémoire du professeur Flower.
Le British Muséum possède un autre squelette complet d'un
animal capturé sur les côtes des Iles Britanniques, Le British
Muséum possède en outre la tête d'un mâle très adulte et qui
s'y trouve depuis fort longtemps; on ne connaît pas son origine,
si je ne me trompe.
Pendant longtemps le seul squelette complet de Cachalot
adulte se trouvait à Burton-Constable Castle, près de Hull
(Yorkshire). Il a été décrit par Beale.
A Cantorbéry, on conserve quelques ossements d'un animal
échoué à l'embouchure de la Tamise. Pendant qu'on se dispu-
tait la propriété du corps, la marée dispersait les os du sque-
lette.
#
Le Musée d'anatomie de l'Université d'Edimbourgh possède
la mandibule d'un jeune mâle, capturé dans l'Atlantique, à la
latitude des Açores.
On possède en outre à Edimbourg le sternum et la mandi-
bule d'un animal très adulte qui a échoué, en 1871, à l'île de
Skey. Le sternum est énorme.
Edimbourg possède aussi une mandibule rapportée des îles
Bauda (Archipel des Moluques), avril 1843, par des baleiniers,
et sur laquelle se trouve un dessin du Cachalot que le profes-
seur Turner a cru devoir reproduire.
Au Musée de Bologne on conserve un squelette qui a été
obtenu par échange du Musée de Naples.
A Pise on conserve un squelette dans le vestibule du Jardin
Botanique.
(46 )
On voit également une tête au Musée de Turin, mais dont
nous ne connaissons pas l'origine.
On en possède des ossements à Pise, à Florence, à Bologne,
et à Ravenne, parmi lesquels il y a une portion de crâne.
Les ossements des divers individus qui sont venus échouer
en 1853 dans l'Adriatique, à Caste! Nova, ont été pour la plu-
part conservés, mais ils ont été malheureusement mêlés : à
Berlin, à Munich, à Trieste, on en conserve une tête ; à Vienne
un squelette, mais on n'a pas tenu compte ni du nombre de
côtes ni du nombre de vertèbres, et il est fort douteux que les
os de chaque squelette appartiennent au même individu.
A Scheveningue (Hollande) on conserve une tête fort grande
dont nous avons parlé plus haut dans une église située au
pied des dunes.
Dans le cabinet de Camper se trouvaient : deux mandibules
de 12 pieds et à vingt et une dents ; une omoplate de 37 pouces
de long et 26 pouces de haut avec une partie du membre
(humérus, radius, cubitus) d'un animal de 63 pieds. —
Cl. Mulder pense que ces os proviennent de Cachalots captures
en 1762. — Ils sont actuellement conservés au Muséum de
l'Académie de Groningue.
Le Musée de Bruxelles possède un atlas dont l'origine est
inconnue. Il provient du cabinet du prince Charles de Lor-
raine. On y possède également une mandibule et une région
cervicale, avec une côte mutilée, ainsi que la tête dont nous
avons parlé plus haut. Il n'est pas impossible que l'atlas pro-
vienne d'un des Cachalots qui ont péri dans l'Escaut le
2 juillet 1577, et dont Ambroise Paré a fait mention.
Au Musée de Sydney on voit un squelette qui a été décrit par
Macleay en 1851.
Au Muséum de Washington, on possède le squelette d'uue
femelle capturée sur la côte de New-Jersey et qui portait un
fœtus d'un mètre environ de grandeur; on a monté ranimai.
(47)
DESSINS.
Il y a peu de Cétacés aussi souvent reproduits par le dessin
que le Cachalot, mais pendant longtemps on n'en a possédé
que de très défectueux. Aujourd'hui on en connaît plusieurs
bonnes figures.
Tous les os du squelette sont également bien représentés.
Cet animal est même assez fidèlement reproduit sur des
plaquettes en os par les pécheurs des côtes d'Alaska. Paul
Gervais a figuré dans la Nature une plaquette d'os de Cachalot,
sur laquelle on voit d'un Côté un Cachalot, de l'autre côté une
Baleine.
Le professeur sir Turner a reproduit également un dessin
de Cachalot, qui se trouve sur une mandibule de ce Cétacé,
conservée au Musée d'anatomie d'Edimbourg.
On conserve à la Bibliothèque royale de Bruxelles un cer-
tain nombre de gravures qui ont été réunies dans un porte-
feuille par Du Bus.
Ces gravures sont faites d'après des individus échoués sur
les côtes de Belgique et de Hollande.
Le plus ancien est un Cachalot, capturé dans l'Escaut en
juillet 1877 ; nous lisons sur la planche qui le reproduit : Uet
waerachtig contwfeytsel en afmetinghe van desen walvisch, gevan-
gen den Sjuly 1577; ce dessin accompagne un manuscrit 7864,
Chronyck van Antwerpen, door Cankercken. Un texte explicatif,
imprimé en flamand, latin, français, dit que la Baleine a été
trouvée « tusschen Haeftep gelegen in den Doel ende Saeftinghe
in de Schelde, ontrent Antwerpen. »
La Bibliothèque royale possède une autre gravure, repré-
sentant un Cachalot échoué, d'après l'inscription, la même
année (1877) à Terheyden. C'est probablement le même que le
précédent.
Une autre gravure de la Bibliothèque royale représente un
mâle, qui a péri, entre Katwyk et Scheveningen, en 1898.
Il avait 82 pieds de long. Nous en trouvons également un dessin
(48)
dans Bor *. Cette gravure ne paraît être qu'une copie et porte
pour inscription : Een walvisch lang 70 voeten , gestrandt op
de hollandsche zeekusi , tusschen Scheveningen en Kativyk , in
sprokkelmaend, 4598. Cet animal fut vendu publiquement pour
126 florins. Le rostre (Bek) fut donné au comte Jean de Nassau
ot envoyé à Dillenburg. D'après Clusius, les grands os sont
conservés à la Maison de ville de La Haye.
Ambroise Paré reproduit le dessin d'un individu qui a péri
dans l'Escaut 2; Cl usi us également en reproduit un qui est
meilleur. Johnston en donne aussi une figure 3.
Le professeur Sir Turner est en possession d'une gravure,
représentant un Cachalot de 60 pieds de longueur, capturé en
1601 dans le port d'Ancone 4.
Le savant professeur de l'Université d'Edimbourg a écrit une
Notice intéressante à propos de cette gravure, qui n'est pas
connue des naturalistes.
Sibbald a publié un dessin d'un mâle de 52 pieds de long,
qui a péri dans une baie du Forth en 1689. Ce dessin est loin
d'être un modèle. Le dessinateur a représenté une tête de
Baleine avec des évents au front. Ce corps de 52 pieds, auquel
il a mis un pénis, semblable à celui de la Balénoptère qui
figure à côté, pourrait bien être le corps de la femelle, échoué
en 1687, et non celui du mâle.
Le Cachalot, échoué en 1614 près de Noortwyk-op-Zee, a été
reproduit par une gravure conservée à la Bibliothèque royale ;
elle porte l'inscription suivante : Anno 1614, den 26 december,
is gestrant dezen vis, lanck syndc, 38 voeten. E. Vandeveldc, fe.
Une autre gravure représente également un mâle qui a péri,
d'après l'inscription, à l'embouchure du fleuve Rodan, le li
février 1619.
1 Dob, Nederl. hislor. Amsterdam, in-fol., 1670, p. 453, 4e pari.
1 Ambroise Paré, 25« livre de ses Œuvres.
5 Historia naturalis de Ptscibus et Cetis, AmsUlodami, 1657. Tab.XLU.
4 Notes on som rare prinls of stranded Sperm-Whale*. Jours, of
Anatout and Physiology, vol. XIÎ, 1878.
Nous y trouvons aussi une gravure d'un Cachalot de 62 pieds
échoué en 1639.
Un autre, échoué en 1762 entre Zantvoord et Wyk-aan-
Zee, est figuré trois fois; des gravures en sont conservées à
la Bibliothèque de Bruxelles. Nous lisons sur Tune : Cachelot
geslrandt tusschen Zandvoort en Wyk-op-Zee, 1762. J. Augus-
tini, door H. Spilman, folio. Brux. Sur l'autre : Cagelot, lang
61 voeten, den 20 febr. 1762, tusschen Zantvoort en Wyk-op-
Zee aangedreven. Door Vander Vinne, 4°, mâle.
On trouve h la même Bibliothèque deux gravures représen-
tant un Cachalot maie de 60 pieds échoué vivant près de
Egmond-op-Zee. Cagelot, Potwalvisch, Egmond-op-Zee, levend
gestrandt den 15 febr. 1764, van 60 voeten.
La Bibliothèque royale de Bruxelles possède également un*»
belle gravure d'un Cachalot mâle de 60 pieds, qui a échoué à
Beverwy.
On conserve, ù Boulogne-sur-Mcr, un dessin d'un Cachalot
qui a péri près de la ville le 5 mars 1761.
Un mâle, dont nous avons parlé plus haut, est représenté
dans les Ad. nat. curios. Vol. III. (1733), Tab. 1; il a péri à
Villefranche, le 10 novembre 1716.
Le Cachalot mâle de 48 pieds, échoué le 1er avril 1744 ou
1741 dans le golfe de Gascogne, a été dessiné également;
Despelette, chirurgien-major de l'hôpital militaire de Bayonne,
en a envoyé la figure à La Feyronie; c'est sans doute ce dessin
qui est conservé dans la collection des vélins du Muséum.
Fr. Cuvier l'a fait graver dans son Histoire naturelle des Cétacés.
Nous en avons parlé plus haut.
Il existe deux autres dessins d'après le même animal, l'un
dans la Bibliothèque, l'autre dans les registres des délibéra-
tions du conseil municipal de Bayonne.
Du Hamel * a publié aussi le dessin du mâle de 48 pieds,
* Du Hamel, Bist. nat. des Pèches, part. 2, sec t. X, pi. XV.
Tome XLI.
( 50)
tué près de Bayonne en avril 1741. H en a publié encore un
autre dit Paul Gervais.
Tous ces dessins sont faits avec peu de soin et on peut dire,
avec le Dr Fischer, qu'ils sont fautifs.
Pennant fait figurer, dans sa Zoologie Britannique, un mâle
de 54 pieds qui avait été pris à Bhythsand, en le considérant
encore comme poisson (1766) f.
Alderson représente l'animal entier, sa tête, son œil, etc. *.
On trouve une copie d'un dessin de Valentin Cary à la
Bibliothèque de Boulogne, fait d'après un Cachalot échoué le
5 mars 1761, à 4 lieues de la ville.
Lacépède a figuré le Cachalot sous le nom de Physale cylin-
drique, Cachalot macrocéphale et Cachalot trompo.
Bonnaterre a figuré une femelle de la bande d'Audierne.
Le capitaine Scammon a publié un bon dessin de l'animal;
on voit que le dos n'est pas pourvu d'une nageoire dorsale,
mais de bosses, comme la Mégaptère. À côté du dessin il repré-
sente la coupe de l'animal qui est aplati du côté du dos,
aminci du côté du ventre et arrondi sur les flancs.
Il représente sur une planche distincte l'animal nageant la
bouche ouverte.
Du Hamel représente une mâchoire de Cachalot, pi. IX,
fig. 7, et un mâle entier, pi. XV, fig. 3.
Pierre Camper a reproduit la tête 3.
Cuvier a fait graver la tête et plusieurs os dans ses Re-
cherches *.
W. Wall a figuré le squelette complet en 1851.
En 1868, le professeur Flower a publié un mémoire dans
lequel se trouve une description complète de tous les os du
squelette, accompagnée de sept belles planches.
1 PEftXAftT, vol. III, pL VI.
* A few observation of the natural hislory ofthe Sperm Whale.
* P. Camper, Cétacés, pi. XVIII, XIX el XXVII.
* Ossem. foss., t. V, lMpart., pi. XXIV.
(81 )
Les principales parties du squelette sont figurées dans notre
Ostéographie, pi. XVIII et pi. XIX, d'après les figures publiées
par M. Flower.
Pander et d'Alton ont figuré une omoplate.
Le sternum du Cachalot adulte de l'île de Skye est figuré
dans une notice de Turner *•
Parmi les dessins, nous devons faire mention de celui de la
tête d'un fœtus, publié par R. Owen, dans la Description du
catalogue des squelettes du Musée royal du collège des chirur-
giens *, et de la caisse tympanique 3.
Huxley a figuré le crâne d'un fœtus de Cachalot *.
Au Musée d'Edimbourg on voit sur une mandibule de Ca-
chalot un dessin du même animal, fort bien exécuté.
On en connaît aussi des figurines en bois et en os taillés par
les habitants des côtes d'Alaska et des Iles Aléoutiennes.
COMMENSAUX ET PARASITES.
Le Cachalot est encore bien incomplètement connu sous le
rapport de ses commensaux et de ses parasites; Debell Bennet
est le seul naturaliste que nous sachions, qui fasse mention
de VOtion Cuvierii trouvée sur sa lèvre inférieure et des Oniscus
logés sur sa peau.
Il y est également fait mention de Cysticerques, trouvés dans
des kystes de la peau 8, et Foster a trouvé des parasites qu'il a
1 Additional Notes*... Proc* Roy. Soc. of Edinburgh. Session 1871-72,
PI». 636*637.
* Tome 11, n<> 2417.
* BrilUh fossil Mammals, p. 526, fig. 20.
* Manuel of the anaiomy of vertebrated animais, p. 404, fig. 106,
Londres, 1871.
* Debell Bennet, Proc. Zool. Soc., 1837, p. 30.
(52)
envoyés à Sibbald, mais dont nous ne connaissons ni le nom
ni la nature.
Sur les Cachalots, capturés en 1853, sur les cotes d'Istrie, on
a trouvé des Balanes, mais on ne dit pas lesquelles '.
* Turxer, Addit tonal Noies on the Occurence of ihe Sperm-Whaïe,
1871-72, p. 644.
HYPEROODON ROSTRATUM.
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C ut 1er, Recherches sur les ossements fossiles. Paris.
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uvt
00 )
HISTORIQUE.
Les pécheurs de Fâroër et d'Islande ont connu l'Hyperoodon
longtemps avant les naturalistes. Ils le désignaient sous le nom
de Dôgling.
Au commencement du siècle précédent, deux Hyperoodons
échouent en Angleterre sur les côtes d'Essex; il en est fait
mention dans une Histoire des antiquités de Harwich, avec des
notes sur l'histoire naturelle, par Dale. L'un, de 14 pieds, se
perdit en 1717 près de Malden; l'autre, de 21 pieds, près de
Bradwel, à peu près en même temps que le précédent.
En 1755, E. Pontoppidan publie une histoire naturelle de
Norwège et il décrit l'Hyperoodon sous le nom de Balœna
rostrata, nom spécifique qui a produit pendant longtemps une
grande confusion. Fabricius a donné le même nom à la petite
espèce de Balénoptère.
Chemnitz fait mention, en 1779, sous le même nom de
Balœna rostrata, d'un mâle, capturé dans les eaux de Spitzberg,
dont les principales parties du corps ont été apportées à
Copenhague.
En 1783, un Hyperoodon est capturé dans la Tamise, près
de London-Bridge ; il tombe heureusement dans les mains de
Hunter, qui, tout en ne connaissant pas bien l'animal, n'en a
pas moins parfaitement exposé son organisation.
Ce travail n'était pas seulement classique pour l'époque où
il a paru, dit Eschricht, mais c'est la collection de faits anato-
miques la plus remarquable sur les Cétacés; on y trouve tout
ce que l'on sait sur les Hyperoodons, dit-il. Même le dessin de
Hunter est un des meilleurs qui existent de cet animal, dit le
savant professeur danois.
Deux années après la publication de Hunter, Baussard, un
officier de marine, publia des observations sur deux femelles,
Tune de 23 */* pieds, l'autre de 12 f/â, qui -venaient d'échouer
à Honfleur, à l'embouchure de la Seine. La description de la
(56)
psau qui tapisse In palais, a fait croire à Lacépède que ces
animaux portaient des dents au palais ; c'est l'origine du mot
Hyperoodon, qui est accepté aujourd'hui par tous les cétolo-
gistes.
L'Hyperoodon n'était pas encore représenté par son sque-
lette au Muséum de Paris, à l'époque où Cuvier écrivait ses
Recherches sur les ossements fossiles et la description qu'il en
donne est faite d'après le squelette de Hunter.
En 1841, Wesmael publia une notice zoologique sur un
Hyperoodon, à propos d'un animal échoué le 16 septem-
bre 1840 sur un banc de sable près de Zicriczee. H. Wesmael
cherche à mettre d'accord les divers auteurs qui se sont occupés
de cet animal. On a fait avant lui presque autant d'espèces
qu'il est échoué d'individus, dit-il avec raison, et il exprime
l'opinion, qu'il n'y a qu'une espèce d'Hyperoodon, à laquelle
il conserve le nom spécifique de rostratum, proposé par
Pontoppidan.
En 1845, le Dr A. Jacob a publié à Dublin le résultat de ses
observations anatomiques et zoologiques sur ce même animal.
À l'occasion d'un Hyperoodon échoué en 1846 à Zantvoord,
W. Vrolik publie, en 1848, un mémoire fort intéressant sur
ce Cétacé et ne néglige pas d'étudier l'animal sous le rapport
anatomique. Le savant anatomiste d'Amsterdam passe en
revue l'appareil respiratoire, digestif, circulatoire, sexuel
femelle, l'œil, la peau, et décrit avec soin le squelette sans
négliger les os du bassin. Quinze belles planches accompagnent
ce mémoire.
Il parle avec raison du temps, de l'argent et des efforts extra-
ordinaires que l'on doit faire pour obtenir un mince résultat
dans l'étude d'un Cétacé.
En 1849, Eschricht fait paraître ses Nordischen Walllhierc,
et consacre un chapitre à l'histoire du Cétacé qui nous occupe.
Nous lisons en tête de ce chapitre : « Ueber die Schnabelwalle
» (Rhynchoceti, die Zahnlosen Delphine, Schlegels, Hyperoo-
y> dontina, Gray's) im algemeinen und den Entenwall {Chœtwcetus
» rostralus, Hyperodon rostratum, auctorum) im besondern. »
(57)
Il expose : 1° ce qui est connu de ces animaux; 2* leur
répartition aux hautes latitudes et la connaissance que les
habitants de ces régions avaient d'eux; 3° leurs caractères
extérieurs; 4° leur dentition; S° leur cavité de la bouche;
6* leur estomac; 7° leur muqueuse intestinale; 8° leur ostéo-
logLe; 9° leur place systématique dans l'ordre des Cétacés;
10° la comparaison de ces faits avec les observations des
auteurs les plus récents.
Les Rhynchoceti ne comprennent que deux genres : Chœno-
celus ou Hyperoodon, et Micropteron.
On a beaucoup écrit sur les Hyperoodons depuis Eschricht,
mais, à l'exception des observations sur la différence des sexes
qu'Eschricht soupçonnait, nous ne trouvons rien de bien
important à ajouter. On a été, jusque dans ces derniers temps,
dans le doute sur l'existence d'une seconde ou de plusieurs
espèces de ce genre dans nos mers. On avait péché un Hyperoo-
don avec des maxillaires très élevés au milieu du rostre et se
joignant même sur la ligne médiane; Gray lui avait donné le
nom à? Hyperoodon latifrons. Eschricht avait émis l'opinion que
cette forme extraordinaire pouvait bien indiquer le mâle; les
individus capturés dont on avait constaté le sexe étaient à peu
près tous femelles. Eschricht avait raison, comme nous le ver-
rons plus loin.
Un médecin islandais, Haalland, a envoyé à Eschricht { les
principales parties du corps d'un Hyperoodon conservé dans
le sel et dans l'alcool, et lui a fait part de plusieurs observations
intéressantes faites sur deux individus, dont un fut capturé.
Eschricht a reconnu que, dans la description qu'il avait
donnée de l'estomac, il avait été induit en erreur par la mauvaise
conservation de la pièce qu'il avait eue d'abord sous les yeux.
Dans le fœtus, l'estomac présente déjà tous les caractères de
l'adulte.
Le professeur Struthers (1871) a publié le résultat de ses
observations* sur les muscles des doigts d'un Hyperoodon
échoué sur les côtes d'Ecosse.
« Eschricht, Nord. Wallt., p. 26.
(38)
En 1882, M. W. Flower * a fait connaître un crâne d'Hyperoo-
don, trouvé au nord-ouest de l'Australie, à File Lewis.
Quoique mutilé, il appartient évidemment à ce genre, mais il
présente des caractères assez particuliers pour ne pas le con-
fondre avec l'espèce de notre hémisphère, dit M. Flower, qui le
désigne sous le nom & Hyper oodon planifions.
A la séance du 19 décembre de cette même année, M. W.
Flower * communiqua une note dans laquelle il fît l'historique
de YHyperoodon latifrons proposé par Gray, et fit connaître
les observations de David Gray, commandant du baleinier
YÉclipse, d'après lequel le prétendu Hyperoodon latifrons est
tout simplement, comme Eschricht l'avait soupçonné depuis
trente ans, un Hyperoodon ordinaire du sexe mâle.
Le capitaine de YÉclipse fait connaître en même, temps les
faits les plus intéressants sur le séjour de ce Cétacé à Test du
Groenland.
Au mois d'avril 1884, H. Southwell, de son côté, a publié
des faits d'une grande importance sur la pêche des Hyperoo-
dons.
Le Docteur-professeur Gerstâcker vient de publier une
monographie du squelette des Cétacés, traitant surtout de
YHyperoodon rostratus. Au commencement du mois de février
1877, un individu est venu se perdre la nuit sur un banc de
sable sur les côtes de la Baltique.
M. Gerstâcker étudie d'abord la tête et s'étend longuement
sur l'os lacrymal, que P. Gervais a bien décrit, dit-il ; il étudie
ensuite la colonne vertébrale et consacre un chapitre à la
région cervicale, un autre aux vertèbres dorsales, aux côtes et
au sternum. A propos des os lacrymaux, il fait remarquer
que, contrairement à l'avis de Stannius et de Flower, ces os
existent dans les genres Delphinus, Phocœna, Lagenorhynchus,
1 Flowir, On the Cranium of a new $pecies of Hyperoodon..., Pnoc.
Zool. Soc, London, 1882.
a Flower, On (lie W liai es of the genus Hyperoodon, Paoc. Zool. Soc,
dcc. 1882.
(89)
Tursiops et Globiceps, comme dans les Hyperoodons. Il s'étend
ensuite sur les rapports morphologiques des côtes et des
apophyses transverses des vertèbres dorsales.
Après avoir passé en revue les autres parties du squelette et
fait remarquer le peu de développement des nageoires pecto-
rales, si bien exposées par Vrolik, il compare la colonne ver-
tébrale des Cétacés à la colonne vertébrale des autres ordres
de mammifères.
Les figures qui accompagnent ce travail montrent fort bien
la différence fondamentale qui existe dès l'origine entre les
di apophyses et les parapophyses. Les dernières dorsales des
Hyperoodons sont, sous ce rapport, très instructives.
SYNONYMIE.
Delphinus diodon. Hunter.
Hyperoodon diodon. Lacépède.
— rostratum, Chemnitz.
— latifrons, Gray.
BuUkopf, Entenwall, des Allemands.
Dôgling, des habitants de Fàroër.
Bottlenose Whale, des Anglais.
Andvhalar ou Andarnefia, des Islandais.
Anarnak, des Groenlandais.
Le Dauphin diodon de Lacépède est l'Hyperoodon ; on lui
a donné successivement les noms de Delphinus diodon, d'Eden-
tulus, de Honodon, d'Ancylodon, d'Aodon, d'Hétérodon et
d'Hyperdon; celui qui lui est conservé, Hyperoodon, repose,
comme nous l'avons ditplus haut, sur une erreurd'observation.
L'Hyperoodon lalifrons est bien, comme Eschricht l'avait
montré, basé sur un crâne de mâle : il avait trouvé déjà des
différences sexuelles semblables dans d'autres Cétacés, parmi
lesquels il cite le Globiceps.
(CO)
VHyperoodon semijunctus de Cope est un Ziphius caviros-
tris *.
CARACTÈRES ET DESCRIPTION.
Après le Cachalot, c est la plus grande espèce de Ziphioïde.
On la reconnaît facilement à ses petites nageoires pectorales et
à l'absence presque totale de dents aux deux mâchoires. Nous
disons, absence, parce que les deux, ou quelquefois les quatre
dents du bout du maxillaire inférieur, ne percent que faible-
ment les gencives.
On ne peut confondre l'Hyperoodon avec aucun autre
Cétacé; il a la tête tronquée comme le Cachalot, les dents
manquent complètement à la mâchoire supérieure, et, à la
mâchoire inférieure, on en trouve, tout au bout antérieur, une
ou deux paires assez petites. La tête osseuse a surtout de remar-
quable, que les maxillaires s'élèvent verticalement comme
deux ailes qui convergent Tune vers l'autre sur la ligne médiane,
et qui, chez les mâles, se touchent au milieu du rostre.
Ils ont deux sillons sous la gorge. Ces sillons sont bien
représentés par Gray, planche III, d'Erebus and Terroi%; Vrolik
les représente aussi dans son dessin.
Blainville les a signalé, sous le menton du Micropteron.
Le capitaine Scammon a reconnu ces mêmes sillons, même
plus prononcés, dans le Rhachianectes glaucus, du Pacitique.
La couleur de la peau varie du noir au jaune pâle, chez
les jeunes, au jaune brun, chez les adultes ; le rostre et le front
deviennent blanc avec l'âge, et on voit apparaître une bande
blanche autour du cou.
La coloration est, comme dans les autres cétacés, plus
claire en dessous qu'en dessus.
La graisse renferme, comme celle du Cachalot, une cer-
taine quantité de spermaceti ou blanc de Baleine 2.
1 Fiied. True, A note upon the Hyperoodtm semijunctus ofCope. Paoc.
Un. St. nat. Muséum, 1885.
1 Elle a plus de valeur commerciale que celle des autres Cétacés.
(61 )
La colonne vertébrale n'a que quarante-cinq vertèbres, sept
cervicales, neuf dorsales, dix lombaires et dix-neuf caudal esr
Les cervicales sont réunies comme dans les vraies Baleines.
L'articulation de la sixième côte est fort intéressante ; elle
s'articule encore supérieurement, à l'arc neural et à l'apophyse
transverse, tandis que la septième ne s'articule plus qu'avec
l'apophyse transverse, comme les suivantes.
On compte, dans la nageoire pectorale, une phalange au
pouce, cinq à l'index, cinq au médian, quatre à l'annulaire et
deux au petit doigt.
L'estomac est formé de sept poches qui se suivent; il y en à
encore plus dans le Mésoplodon. Je trouve dans mes notes que
cetestomac existe déjà avec les mêmes caractères dans le fœtus.
Eschricht doutait encore s'il existe une communication directe
entre ces chambres; je la lui ai montrée à l'aide d'un stylet
sur un fœtus pendant mon séjour à Copenhague en 1856.
Le professeur John Struthers a fait connaître les muscles
des nageoires pectorales à la section de Zoologie de l'Associa-
tion britannique à Aberdeen.
L'Hyperoodon a au moins 6 pieds en venant au monde ; les
jeunes qu'on a trouvés en compagnie de leur mère avaient de 8
à 16 pieds. La femelle atteint de 27 ù 28 pieds. On ne sait si le
mâle devient plus grand.
La taille des individus capturés en Europe varie entre 8 et
28 Vs pi^ds : les individus de 8 à 16 pieds suivaient encore
leur mère.
David Gray accorde 30 pieds à l'adulte et 10 pieds au jeune
en naissant. Ce dernier chiffre est exagéré.
On a donné la mesure de plusieurs mâles qui ont été cap-
turés : un à Belfast qui avait 20 pieds, un autre décrit par Dalè
en avait 21; celui décrit par Chemnitz en avait 25; le plus
grand est celui de Dunkerque, qui mesurait entre 27 et 28
pieds.
On a capturé à peu près autant de femelles; leur taille varie
de 14 à 28 pieds et demi. La femelle décrite par Dale (1717)
(62)
n'en avait que 14; celle de Pontoppidan, qui était pleine,
portait un fœtus de 6 pieds; les femelles de Honfleur (1788). de
Baussard, de Portland, de Zandvoort, avaient de 23 à 24 pieds ;
une seule, celle de Seignasse, en avait 28 et demi.
Il n'y a pas d'observation faisant voir que les mâles sont
plus grands que les femelles, dit Eschricht.
MŒURS.
L'Hyperoodon vit par petites bandes ; lorsqu'on a commencé
à le poursuivre, il était confiant d'abord, mais il est devenu
craintif et méfiant.
Aujourd'hui on a quelque peine à l'approcher. Le moindre
bruit le met en fuite. Les pécheurs des Fâroër savent que, pour
atteindre l'animal, ils doivent placer leurs ganls de laine entre
la rame et le canot sur lequel elle s'appuie.
Si Ton en juge par les individus qui sont venus se perdre sur
les côtes et qui sont ordinairement deux, il y a lieu de croire
que les Hyperoodons sont monogames.
On voit parfois aussi un jeune mâle avec une femelle et un
vieux mâle.
On observe dans les eaux de Spitzberg que les Hyperoodons
fréquentent la mer ouverte le long des glaces, en petites
gammes de 4 à 10 individus, ayant un vieux mâle comme
leader.
La pâture des Hyperoodons consiste principalement en
Céphalopodes. On connaît le contenu de l'estomac de l'animal
ouvert par Hunter, par Baussard, par Vrolik, et ce dernier
estime le nombre de becs trouvés dans un seul animal à dix
mille ; il y en a parfois non seulement dans l'estomac, mais aussi
dans le commencement de l'intestin. La fin de l'intestin n'en
renferme pas. En 1841 Eschricht a signalé, d'après Haalland,
dans leur estomac, des becs de Céphalopodes qu'il rapporte à
YOnichoteuthis Fabiicii, à une Sépia, à un Loligo, des restes de
poisson et une Holothurie.
( 63)
Ils trouvent ces nombreux mollusques surtout dans les
grandes profondeurs.
L'estomac d'une mère capturée en septembre 1788 à l'em-
bouchure de la Seine ne contenait que des becs de Céphalo-
podes ; le jeune n'avait dans son estomac que de l'eau blan-
châtre.
L'individu de 24 pieds, capturé en septembre 1880 près de
Bangor, ainsi que la femelle capturée en novembre 1880 sur la
côte de Kent, avaient également l'estomac plein de becs de
Céphalopodes.
On n'a trouvé dans l'estomac d'un autre individu capturé
que des morceaux de bois et des cailloux de la grosseur d'une
grosse poire.
Des baleiniers prétendent que cet animal peut rester deux
heures sous l'eau.
Il beugle d'une manière effrayante s'il échoue.
On a souvent parlé de l'odeur infecte du cadavre des Cétacés
en général. Eschricht m'écrivait en mars 1861 : je ne conçois
pas comment tous les observateurs se plaignent de l'odeur
infecte d'un cadavre de Cétacé. Celui-ci (un Hyperoodon) était
mort depuis trois mois; mais exviscéré, il ne puait pas beau-
coup. U est vrai que c'était en plein hiver.
On prétend que le lard de ce Cétacé est purgatif '.
DISTRIBUTION HYDROGRAPHIQUE.
L'Hyperoodon semble se tenir pendant l'été dans les mers
arctiques, où il vit par petites bandes, et en haute mer. En
automne il se rend au sud en passant, ou sur les côtes
dislande, ou sur les côtes de Fâroêr où il arrive à peu près a
époque fixe. Dans cette dernière île, il est même l'objet d'une
pèche régulière ; on en prend tous les ans vers la fin d'octobre
cinq ou six, et chose curieuse, ce sont toujours des femelles.
1 MALMGitin, TroschcVs Archiv., 1864, p. 92.
f 64 )
En 1886, le commandant de V Éclipse part pour la pèche
dans la Mer de Baffin; il quitte Peterhead (Ecosse) le 20 avril
et à cent milles des côtes il rencontre plusieurs Schools d'Hype-
roodons; quatre jours après il en rencontre encore et entre
autres un Orque, très reconnaissable, dit-il, à sa nageoire
dorsale, du moins le mâle. Le 26, le 27, il voit de nouveau
l'Hyperoodon, et il apperçoitle même Cétacé jusqu'au dernier
jour en approchant des glaces *. Ces Hypcroodons se rendent
sans doute à cette époque de Tannée dans leur quartier d'été,
comme plusieurs autres Cétacés.
On peut considérer les profondeurs de l'Atlantique septen-
trionale, de janvier à mars, comme station d'hiver des Hype-
roodons, dit Eschricht. Cependant ils seraient très rares sur
les côtes ouest d'Islande, dit Haalland, et, d'après Holbôll, ils
le seraient également sur la côte ouest de Groenland. Ils sont
sans doute rares à la latitude à laquel le Holbôll avait sa résidence,
mais, à l'époque où Holbôll gouvernait ce pays, les baleiniers
ne croyaient pas les Hyperoodons assez importants pour leur
faire la chasse; ils étaient confondus avec les autres espèces
qui ne donnent aucun profit.
On voit les Hyperoodons dans le détroit de Davis, jusqu'au
70e degré latitude nord, dans le détroit de Hudson, et dans la
baie de Cumberland.
On le voit aussi autour du cap Farewcll, autour de l'Islande,
de Jan Meyen, jusqu'au 77e degré autour de Beereneiland, et
jusqu'à la Nouvelle-Zemble.
Ils fréquentent la mer ouverte dans ces régions, le long des
glaces, en petites gammes de 4 à 40 individus.
Fréd. Martens cite l'Hyperoodon, sous le nom de Butskop,
parmi les Cétacés observés au Spitzberg.
Chemnitz, de même, a reconnu les Hyperoodons à la hauteur
de Spitzberg à la fin de l'été en 1777.
Malmgren a fait l'observation que l'Hyperoodon ne se trouve
plus dans les eaux dont la température descend au-dessous
* Rob. Grat, The Zoologtst, fév. 4887.
(65)
de — 3°; il en a vu en allant et en revenant du Spilzberg, mais
seulement dans les eaux d'azur chauffées par le Gulfstream. ^
A son retour du Spitzberg, il en a vu reparaître le 14 sep-
tembre sous la latitude de 78° nord.
Nous connaissons quelques exemples d'Hypéroodons perdus
sur les côtes de Danemark, de Norvège et de Suède. Ponlop-
pidan cite deux échouements sur les côtes de Norvège ; nous en
avons parlé plus haut.
Le 14 novembre 1838, quatre individus périssent sur les
mêmes eûtes, deux vieux, l'un de 24, l'autre de 27 pieds, et
deux jeunes, chacun de 8 pieds.
Dans le courant du mois d'août 1846, dans l'intervalle de
quelques jours, il en vient deux à la côte dans la baie de Chris-
tiania, près de Frederichsladt.
Vers la fin du mois d'octobre 1860, une petite school de
cinq individus est venue se perdre sur la côte de Jutland (Dane-
mark), après un très gros temps. Parmi eux se trouvait un
nouveau-né qui a été malheureusement massacré, m'écrivait
Eschricht. Je me suis rendu sur les lieux, dit-il dans une lettre
du 38 novembre 1860, mais il était trop tard pour étudier le
nouveau-né, les débris en étaient dispersés *.
En avril 1881, un Hypéroodon mâle a échoué aux îles
Loffbden; son crâne est conservé au Musée de Christiania.
En draguant dans la mer du Nord, sur le great Fischer Bank,
on a recueilli la tête d'un mâle adulte. Elle est déposée à Nor-
wich. Nous avons fait connaître une tête de Balœnoptera
rostrata recueillie dans les mêmes conditions, également dans
la mer du Nord.
' Voici comment Eschricht s'exprimait à ce sujf t en français :
« L'orage qui a jeté au mois d'octobre une masse de navires sur nos côtes
parait maintenant élerdre ses effets aux Hypéroodons. Il n'y en a pas moins
de cinq qui viennent d'échouer sur nos cotes. Ce qui m'a fait le plus de peine,
cVst qu'un nouveau-né se trouvait parmi eux et qu'il a été complètement
massacré par ces .-.. Je vit ns de donner ordre qu'on m'envoie les viscères
qui sont enterrés ». (Lettre du 9 mars 1861.)
Tome XL!. 5
,
(06)
L'Hypéroodon pénètre parfois dans la Baltique. Le
3 décembre 1801, un individu de sexe femelle se fait capturer
dans la baie de Kiel. Le squelette est conservé au Musée de
l'École vétérinaire de Copenhague. L'animal a été figuré dans
Voigt '.
Un autre individu a échoué en 1807 sur la côte de Holstein.
Il a été acheté par le professeur Viborg de Kiel.
En avril 1823, un Hyperoodon s'est perdu près de Lands-
krona (Oresund) dit Nilsson *.
Dans la nuit du 11 février 1877, un Hyperoodon est venu se
perdre sur un banc de sable au fond de la Baltique (presqu'île
der Zingst, 30° 40' long. 54° 28' lat.). Les os sont conservés à
Greifswald. Le professeur Môbius fait mention de cette capture.
Un autre est venu à la côte à l'ouest de Rûgen, en 188
Les côtes des lies Britanniques nous en fournissent aussi
plusieurs exemples :
Deux Hypéroodons sont capturés sur les côtes d'Angleterre,
au commencement du siècle dernier; Dale, comme nous
l'avons dit plus haut, en fait mention dans un appendice de là
Topographie de Harwich en 1730 et Dover-court; l'un était
du sexe femelle, dit Dale; il avait 14 pieds; il a été capturé le
23 septembre 1717. L'autre, pris à quelques jours de distance,
avait 21 pieds. Dale croit le dernier un mâle.
Jacob et William Thompson ont connu Péchouement de seize
Hypéroodons, dont neuf sur les côtes d'Irlande, deux sur les
côtes d'Angleterre, un dans le Firth of Forth.
En 1783, un animal de 21 pieds fut capturé dans la Tamise.
On fait mention de plusieurs individus trouvés isolés sur
les côtes d'Angleterre, dont un sur les côtes d'Essex (23 sep-
tembre 1817).
On cite un animal de 16 pieds, un jeune par conséquent,
qui a été capturé au printemps de 1829 près de Dublin et dési-
gné sous le nom de Delphinus diodon 3.
r Fréd. Ce v icr, Histoire naturelle des Cétacés, p. â-44.
* Nills Nilsson, Skandinavisk Fauna, Lund, 1885.
5 R.-J. Graves, Trans. roy. irish. Acad. Dublin, 1825. Isis,!828, p. 51.
(67)
Une vieille femelle de 24 pieds et une jeune de 16 pieds
8 pouces ont échoué au commencement du mois d'octobre
(1845?), in Portland Roads.
Dans la baie de Belfast, un Hypérôodon a été capturé en
septembre 1857 '.
Une mère et son jeune ont été capturés le 18 novembre 1860
a l'embouchure de la Tamise, à Whitstable (Kent) '. Ils avaient
.une grande quantité de becs de Poulpes dans l'estomac.
On a vu un individu échouer vivant, à Fraserburg, Aber-
deenshire coast, le 17 août 1871. Il avait 20 pieds de longueur
/Slruthers).
Le 16 septembre, dans la baie de Ballybolm, près de Bangor,
un individu de 24 pieds est venu à la côte. ~
A l'Association britannique d'Edimbourg, le professeur
Struthcrs a fait mention d'un mâle de 20 pieds, venu à la cote,
et qu'il a eu l'occasion de disséquer.
Un jeune mâle a été capturé en novembre 1885 à Dunbar,
côtes d'Ecosse. 11 avait des dents rudimentaires au maxillaire
supérieur et inférieur3.
Plusieurs échouements ont eu lieu sur les côtes de Belgique
et des Pays-Bas : en 1783, un individu, décrit par Pierre
Camper, dont le crâne est conservé à Saardam, est venu se
perdre sur les côtes de Hollande.
En septembre 1840, un individu a échoué près de Ziericzee;
il a été décrit et figuré par Wesmael.
Un autre, de sexe femelle, comme le précédent, est venu à la
côte à Zantvoort, le 24 juillet 1846. Il a été décrit par Vrolik.
Un autre est venu se perdre dans PEscaut, en 1873; son
squelette est conservé à Liège.
Une femelle de 7m,90 est allé mourir à l'île Jçxel, le
15 novembre 1884.
* Procecd. Dublin univers. Zoot. and Bot. Association, vol. I, part. 1, p. 4.
* Proc( éd. Zool .Soc A 860, p. 375 — Iltmtraled neu 8, \ 8 novemîire 1 tfflO.
5 Prof. TtRSER. Royal physical Soiiely> January 20,1886. , •
(68)
Plusieurs Hypéroodons sont venus échouer sur les côtes
océaniques de France.
On y a constaté huit fois des échouements d'Hypéroodon,
dit le Dr Fischer en 1881.
On en cite un exemple au siècle dernier. Le 19 sep-
tembre 1788, une mère et son petit furent pris à Honfleur, à
l'embouchure de la Seine; le petit avait 12 pieds, la mère, 23.
L'estomac du petit ne contenait que de l'eau blanchâtre; la
mère avait des becs de Céphalopodes dans le sien '.
Un autre a péri, le 12 octobre 1810, sur les cotes de la
Gironde (Bassin d'Arcachon) *; c'est le point le plus méri-
dional à l'est de l'Atlantique, visité par cette espèce.
Sur te plage de Lagraner, près de Caen, il en est échoué un
autre encore en 1840.
Eudes Deslongchamps fait connaître la perte d'un animal
sur la côte de Normandie, en 1842. Son squelette est à Paris.
Vers le 17 ou le 18 décembre 1879, une femelle est venue
échouer vivante à Hillian (Côtes-du-Nord), dans le voisinage de
Saint-Brieuc. Le squelette est au Musée de l'Université de
Liège. Il est fort incomplet. L'animal se débattait en beuglant,
disaient les habitants de la côte qui avaient entendu un bruit
insolite pendant la nuit.
Le 26 septembre 1880, une femelle, accompagnée de son
jeune, a été capturée à Aiguës-Mortes (Gard) et une partie du
squelette avec le crâne du jeune sont au Muséum à Paris; ils
moururent, peu de temps après leur prise; la mère, poussait
des mugissements, disent les témoins de cette scène 3.
Le 28 juin 1884, une femelle de 9m,50 a échoué à Seignasse,
près du cap Breton. Le squelette est au Muséum à Paris.
1 Bais8\rd. Mémoire sur deux Cétacés échoués vers Honfleur, Jourxal de
physique, 1780, p. 201.
' Bull polym.tlu Muséum d'instruction publ. de Bordeaux%ûécemhre 1810.
Fbed. Cuvier, Hisl nnl. Cet , p. 217. Barguet, Acl. Soc. iinn., Bordeaux,
t. XIIMfte.
* CuWhwt* Bulletin So*. d'étude des Se. nat. de Srt hm, Janvier 1881-
( 69)
Depuis lors, MM. Pouchet «l Beauregard ont fait connaître
un Hypéroodon, échoué à Rosendael, près de Dunkerque,
le 24 juillet 1885. Il portait des harpons dans les flancs. Le
cadavre a été acheté pour l'huile, et le squelette en est perdu.
Le 19 août 1886, quatre Hypéroodons ont fait leur appari-
tion à Saint-Vaast-la-Hougue. Deux ont été capturés. Tous
les deux sont femelles. Une d'elles a expulsé un fœtus pendant
qu'elle était étendue sur la grève. II est conservé.
Jusqu'à présent on n'a vu qu'un Hypéroodon pénétrer dans
la Méditerranée. Il existe, il est vrai, un squelette au Musée
d'Alexandrie, mais il est possible qu'il provienne de l'Atlantique.
L'Hypéroodon de F. CuvieH, échoué sur les côtes de Toscane,
en 1835, s'il a 50 pieds de long, n'est évidemment pas un
Hypéroodon, c'est plutôt un Cachalot. Le seul Hypéroodon
connu de la Méditerranée est celui d'Aigues-Mortes.
Cet animal est également connu de l'autre côté de l'Atlan-
tique :
On en a vu venir à la côte en hiver (janvier 1869) à l'est des
Etats-Unis d'Amérique (à Nort Dennis) et M. Allen, fait remar-
quer que les Hypéroodons arrivent parfois par bandes, en
automne, dans les baies de Massachusets 2.
Reinhardt fait observer qu'un Hypéroodon a échoué sur la
côte des États-Unis d'Amérique, sous le nom de Mesoplodon
Sowerbyi.
On a capturé un Hypéroodon dans le port de Newport (États-
Unis), qui mesurait 27 pieds. Un second a échappé. Les os sont
conservés.
Un autre a été pris au cap Cod, de 24 pieds de longueur.
M. Cope reproduit le dessin d'un individu capturé sur la
côte de Mode Island.
En faisant le relevé de la date à laquelle des individus ont
échoué, nous n'en trouvons qu'un en été (24 juillet, Hollande);
quatre en septembre (Essex, Belfast, Escaut et embouchure
* F. Cgvier, CéLt p. 386.
* Somelimes corne into ourbay in large schools. Allen, Mamm. Massachus.
( 70)
delà Seine); deux en octobre (Danemark et Portland roadi;
un en octobre (Arcachon); un en novembre (dans l'Escaut, et
le môme mois 1838, à l'entrée du Petit-Belt); un en décembre
dans la Baltique (Kieler Buchl) ; un en février (dans la Baltique,
cotes de Holstein); un en avril (côtes de Landskrone).
Dans le courant de 1882, M. W. Flower a fait connaître une
espèce nouvelle de ce genre sous le nom de Hyperoodon plani-
fions, habitant les mers australiennes, et qui est parfaitement
distincte de YHyperoodon rostralam. Le savant directeur du
British Muséum a publié le dessin de la tête, qui est déposée
dans ce riche Musée !. C'est bien le représentant de notre
Hyperoodon dans les mers australes.
C'est le seul genre de la famille des Ziphioïdes dont une
espèce est confinée dans l'hémisphère boréal.
PÈCHE.
Depuis peu, on a reconnu que les Hypéroodons, sans doute
comme tous les Ziphioïdes, fournissent du blanc de baleine, et
on leur fait aujourd'hui une chasse très active sur les côtes est
de Groenland, comme sur les côtes d'Islande.
Un baleinier de Peterhead, après avoir fait la pêche de la
Baleine, s'est mis en 1877 à faire la chasse à l'Hypéroodon sur
la côte nord-est d'Islande, et le succès semble avoir couronné
complètement son entreprise.
En quelques années cette nouvelle pêche a pris d'énormes
proportions; elle a eu un bon résultat, non seulement au point
de vue industriel, mais également au point de vue d? la zoologie ;
celui qui l'a entreprise a été à même de trancher une question
qui tenait les zoologistes en suspens. L'Hypéroodon auquel on
avait donné le nom spécifique de latifrons, à cause de
l'énorme développement de ses crêtes sus-maxillaires, forme-
1 Flower, Cf the cranium of a new species of Hyperoodon (planifiions )
Prdc. Zool. Soc, may 2, 1882.
(71 )
t il une espèce distincte, ou, comme Eschricht l'avait dit, est-il
le mâle de YHyperoodon rostratum9.
Les nombreux individus de tout âge et de tout sexe péchés
dans les mêmes parages et dont le capitaine Chieftain de
Kerkealdy avait eu soin de distinguer les sexes, ont permis de
trancher la question dans le sens du savant cétologue de
Copenhague.
En 1880, le capitaine David Gray ', commandant de
Y Éclipse (Whaling steamer), harponna trente-deux individus
et fit connaître les lieux où se tiennent principalement ces
Cétacés : c'est, d'après lui, à l'ouest et à l'est du Groenland.
Il cite particulièrement Hudson-Bay et le détroit de Davis
jusqu'au 70° nord; autour et à l'est de Farewell, autour
d'Islande, les côtes est du Groenland jusqu'au 77° nord, à
l'ouest de Spitzberg, à l'est de l'Ile des Ours, à la latitude 73°
et longitude 19° est, Strait-Belle-Isle, à l'ouest et à l'est de la
Nouvelle-Zemble.
En 1881, les baleiniers écossais seuls en prirent cent et onze,
et en 1882 on a commencé la pêche aux Frobisher-Strait, où
le capitaine Chieftain de Kerkealdy en captura vingt-huit.
Pendant une seule campagne on en a pris jusqu'à quatre
cent soixante-trois.
Le 27 avril on avait capturé le premier animal, et au mois de
juin on fut obligé de jeter du charbon pour faire de la place à
bord.
Un seul baleinier en a capturé, pendant les mois de mai et
de juin, deux cent et trois individus, dont nonante-six mâles
adultes, cinquante-six femelles et cinquante et un jeunes mâles.
En 1883, onze navires ont pris cinq cent trente-cinq Hypé-
roodons, dont cent cinquante-sept par YÉclipse seul.
En 1884, le principal navire n'en a plus capturé que cin-
quante-six.
La même année (1884), deux schooners de Yardô, Haabet
Company, se livrent à la pêche de l'Hypéroodon, en se rendant
1 David Gray. Proc. Zoo'.. Soc, 1883, p. 726.
(72)
dans la direction de l'Islande et capturent à la fin de la saison
neuf individus, produisant neuf ou dix tonnes de lard.
Cette pêche sera rapidement arrivée à son déclin.
MUSÉES.
Si, à Tépoque où Cuvier a écrit ses Recherches sur les osse-
ments fossiles, il n'existait pas un squelette d'Hypéroodon au
Muséum de Paris, il n'en est plus de même aujourd'hui : on
en trouve maintenant dans la plupart des musées.
En effet, nous en voyons à Amsterdam, à Belfast; à Berlin
un squelette des Feroë; à Bruxelles, d'un animal capturé dans
l'Escaut en 1840; à Caen, des individus mâle et femelle qui ont
échoué sur la côte de Calvados; à Cambridge, au Musée de
l'Université; à Christiania, à Copenhague on en voit plusieurs
squelettes des deux sexes, provenant des Feroë; à Edimbourg,
à Groningue, à Hambourg, à Hull, à Leide, à Lille, également
des Feroë; à Liège des ossements des côtes de France (Hillion)
et un squelette d'un animal de l'Escaut; à Liverpool, à Londres,
au Collège royal des chirurgiens; au British Muséum, la tête
du mâle des Iles Orcades; à Louvain, à Lund, à Oxford; à Paris,
le squelette de Solenelles de l'embouchure de l'Orne, et à
Stuttgardt, un squelette de Shetland.
DESSINS.
Il y a peu de Cétacés qui ont été aussi souvent figurés, et il
n'y en a pas de plus facilement reconnaissables que celui qui
nous occupe; et, ce qui est plus extraordinaire, c'est qu'un des
plus anciens dessins, celui de Hunter, compte encore aujour-
d'hui parmi les meilleurs.
Thom. Pennant (1776) publie un dessin de l'animal, tout
en le plaçant parmi les poissons, avec le Cachalot et les Dau-
phins.
Lacépède en donne le dessin, planche 13, figure 3.
(73)
11 en existe une figure coloriée par Voigt, d'après un indi-
vidu femelle pris dans la baie de Kiel en décembre 1801.
Fréd. Cuvier ' en a publié aussi une figure. PI. XVII, fig. 1.
On en trouve également une dans Krauss *, pi. XLII, fig. 1.
Ulllustrated News, le 17 novembre 1860, a publié un dessin,
d'après ranimai échoué sur la côte de Kent.
Comme nous venons de le dire, Hunter a publié un très bon
dessin de l'animal. L'Hypéroodon a été figuré également par
Dael, Pontoppidan, Wesmael, Vrolik, Otto Torell, Gray.
Wesmael représente l'animal en chair, mais ne figure pas les
sillons sous la gorge.
Vrolik donne un fort bon dessin et reproduit les sillons.
Une des bonnes figures est celle de Gray dans Erebus and
Terror, qui reproduit également fort bien les sillons.
Une autre bonne figure se trouve dans l'expédition suédoise
au Spitzberg en 1831 sous la direction de Otto Torell. Malm-
gren faisait partie de cette expédition.
M. Cope figure l'Hypéroodon qui a été capturé sur la côte de
Rhode Island.
Il existe, avons-nous vu plus haut, de très grandes différences
dans la tête, surtout entre les mâles et les femelles. Les meil-
leures figures du mâle, pour ne pas dire les seules, sont celles
du capitaine David Gray, qui a observé lui-même les individus
de différents sexes en chair.
Les diverses parties du squelette ont été dessinées avec plus
ou moins de soin : en 1783 Pierre Camper reçoit une tête
d'un marchand de Saardam, qui était encore intéressé dans la
pêche de la Baleine au Spitzberg, et la fait figurer dans son
ouvrage posthume, publié par son fils avec des notes de
Cuvier.
Pander et d'Alton ont figuré également une tête d'Hypé-
roodon.
• Fréd. Cuvier, Histoire natur. des Cétacés, pi. XVII, fig. 1.
• Fréd. krauss, Das Thierreich in Bildern, 1851, pi. XLII, fl«. 1.
(74)
Gray représente la tête du mâle dans Erebus and Terror.
Eschricht a fait reproduire la tête du mâle, vue sous ses trois
faces, et celle de la femelle; il a fait dessiner aussi le fœtus et
son squelette, de grandeur naturelle.
Vrolik reproduit, indépendamment de Tan i mal, le squelette
et les principaux viscères (estomac, trachée-artère, cœur, intes-
tins et appareil sexuel femelle).
Les planches XVIII et XIX de notre Ostéographie représentent
le squelette et les crânes des deux sexes.
PARASITES.
L'Hypéroodon héberge généralement des parasites et des
commensaux.
Il nourrit régulièrement, parait-il, YÉchinorhynchiis tuv-
binella dans les intestins *.
Krabbe y a trouvé Y Ascaris simplex.
Blainville fait mention du Monostomum delphim.
Haaland a trouvé dans l'estomac, des Nématodes qui lui
paraissent être des Strongles.
Haalland a ouvert aussi les poumons pour voir s'ils ne con-
tenaient pas des vers parasites. Il n'a rien trouvé.
Parmi les commensaux se trouve le Cgamus Thompsoni
Gosse, qui s'établit sur la tête et s'y propage avec une abon-
dance extraordinaire. Nous avons reçu, de notre ami M. Flower,
la photographie d'un morceau de peau de la tête, sur laquelle
les Cyames sont si serrés les uns contre les autres, que
l'on dirait une peau de chagrin. Ils ont été recueillis sur une
femelle, capturée en 1883, probablement dans la mer de
Baffin.
1 Dibsikg, Stj8l. helm., vol. II, p 54.
( 75 )
Ce Crustacé a été décrit par Gosse en 1835 ', et le professeur
Lùtken fait du Cyamus Thompsoni de Gosse, le Platycyamus
Thompsoni a.
Ce Célacé héberge également la Penella crassicornis, Stp. et
Lutk.
On a trouvé encore comme commensal le Conchoderma{otion)
Cuvieriij qui semble hanter indistinctement la coque des
navires ou le corps de certains Cétacés.
1 Gosse, On Some new or Utile known marine animais, Ann. Mag. NaL
hisl , XVI, 1855, p. 30, t. 1II: fig. 3.
* Lùtken, Hidr. tilt kundtskab... Cyamus. Copenhague, 1873.
1
ZIP HIV S CAVIROSTRIS.
LITTÉRATURE.
Coeeo, Jk. Su di un Deïfino rinvenitto nello Stretto di Messina
(Dolphinus philippii). Maurolico, Giorn. del Gabin. di Messina, 1841.
Aaast. Coeeo, Vêler einen in dcr Mvercnge von Messina gefundenen
Defpfrin. Erichson's Arciiiv, 1846, p. 104.
Paul Ci cr val s, Mémoire sur la familte des Cétacés ziphinïde*.
Annales des sciences naturelles, 5r série, t. XIV, 1850.
r, Mémoire sur les caractères ostéologiques des genres nou-
veaux ou des espèces nouvelles de Cétacés vivants ou fossiles. Annales des
sciences naturelles, 3e série, t. XV, 1851.
P. FUeher, Sur un crâne de Ziphius trouvé à A réaction (Gironde).
Comptes rendcs de l'Académie des sciences de Paris, 6 août 1866.
P.-J. van Beneaen, Mémoire sur une nouvelle espèce de Ziphius de
la mer des Indes, Mémoires couronnés et autres mémoires publiés p.vr
l'Académie royale de Belgique, coll. in -8°, t. XVI.
■nrarelstcr, Fauna argentina.* Annales del Museo publico de
Bienos-Ayres, in-4°. Buenos-Ayrcs, 1868. Entrega quinta.
( 78)
Mal m, Hvaldjur i Sveriges Muscer âr 4869, Komc Svenska Veteh-
skap-Akad. Handlingar. Band 9, n° 2. Stockholm, 4871.
W. Tnrner, On thc occurencc o/Ziphils cavirostrjs, in thc Shetland
Seas. Edinburgh, 4872. Traissact. r. Soc. Edjnb., t. XXV, p. 759.
j. B. Scott and Prof. t. J. Parker, Notice of memoir on a Whalc
of the genus Ziphius, rccenlly obtained near Dunedin, Nav-Zcaland.
Proc. Zool. Soc, 4887, p. 542 (april).
Prof. Jalltm von Haast, Furtlier Notes on Ziphius (Epiodon) Aovœ
Zclandiœ. Proc. zool. Soc, 4885, p. 5U0.
( 79)
HISTORIQUE.
En 1804, on Irouva sur le bord de la plage, entre le village
de Fos et l'embouchure du Galegon, une tête plus ou moins
complète, très pesante et très dure, complètement pétrifiée en
apparence. L'illustre auteur des Recherches sur les ossements
fossiles la désigna sous le nom de Ziphius, terme employé
par quelques auteurs du moyen âge. Le Ziphius cavirostris
devint le premier et Tunique représentant de ce genre, etCuvier
croyait l'espèce complètement éteinte.
Cette tête a été longtemps Tunique partie du squelette con-
nue des naturalistes; Defemoulins en reprit Tétude en 1823, et,
en la rapprochant des Hypéroodons, il montra qu'il avait
apprécié les véritables affinités de ce nouveau genre de Cétacés.
Paul Gervais trouva une seconde tête en 1850, également
sur le bord de la Méditerranée, à Aresquiès; (Hérault). 11 par-
vint non sans peine a débrouiller l'histoire du Ziphius caviros-
tris : il rapporte les têtes de Fos et d' Aresquiès à une seule et
même espèce encore vivante, et démontre que ce même animal
a été désigné déjà sous deux noms bien différents, dans les
eaux de Nice. Risso Ta connu et désigné sous le nom de Delphi-
nus Desmarestii, et dans son Histoire naturelle, publiée en 1826,
il figure une femelle venue à la côte. Cet animal n'est pas com-
mun dans la Méditerranée, dit-il. — Nous en avons vu des
restes dans son Musée à Nice. Sous le nom de Delphinus
Philippii, le professeur Cocco a signalé le même animal dans le
détroit de Messine vers 1840.
Paul Gervais ne parvint pas sans peine à faire triompher
son opinion et à y rallier l'adhésion des naturalistes. La tête
décrite par Cuvier était toujours considérée comme fossile.
Duvernoy, le successeur de Cuvier au Muséum, refusait
d'admettre l'attribution de la tête de Fos et de celle d' Aresquiès
à la même espèce animale. Pourjustifier son opinion, Duvernoy
passa en revue les squelettes des Cétacés voisins, conservés dans
(80)
les galeries du Muséum, el il rangea le Ziphius d'Aresquiès
parmi les Hypéroodons, sous le nom de Hyperoodon Gervaisii.
A l'époque où des doutes existaient encore sur l'identité des
têtes de Fos et d'Aresquiès, nous avons comparé avec soin les
deux têtes réunies dans les galeries du Muséum, et nous trou-
vons dans nos notes, qu'une partie du crâne d'Aresquiès a été
sciée en dessus ainsi qu'une partie de la face à gauche. L'os
propre du nez à droite manque. Le rostre est complet. Il est
plus long que dans le Ziphius des Indes *, et au bout il porte
une espèce de rostrule qui existe exactement de même dans
l'individu de Fos.
Ce qui distingue particulièrement ce dernier, c'est que
l'intermaxillaire, de droite surtout, est beaucoup plus excavé
en dessous des fosses nasales, de manière qu'à la base du
rostre, la partie supérieure de la face est profondément
creusée; cette excavation ne serait pas moins grande, si les
parties qui manquent étaient remises en place.
Du reste, les intermaxillaires sont tous les deux complets
dans cette région, ce qui était resté inaperçu, parait-il.
Une autre différence, c'est que le cartilage du vomer est,
comme dans Y Indiens, complètement ossifié dans le crâne de
Fos, et peu dans l'autre.
Dans les trous sous-orbitaires il existe également une dif-
férence notable : le sous-orbitaire de gauche s'ouvre au
fond d'un profond sillon dans celui de Fos, tandis que dans
l'autre il s'ouvre superficiellement, de manière qu'on en voit
même deux à l'extérieur dans ce dernier. On ne distingue de
ce côté qu'un seul trou dans celui de Cuvier.
La face indique ainsi de notables différences entre ces deux
crânes, mais sont-elles sexuelles, individuelles ou spécifiques?
Les modifications du crâne des Hypéroodons semblent faire
croire qu'il existe des différences individuelles assez grandes
dans la tête des divers Ziphioïdes, et nous ne croyons pas que
ces différences dépassent les limites des variations spécifiques.
1 Nous croyions à cette époque que le Ziphius des Indes était une espèce
distincte.
(81 )
Outre les exemples cités par Risso et Cocco, il y a également
des Ziphius perdus sur les côtes de la Méditerranée dont la
date et le lieu d'échouement ne sont pas cornus; la preuve
en est que le Musée de Marseille, possède la tête d'un animal
sur l'origine duquel on ne trouve aucun renseignement.
Depuis lors, d'autres individus sont venus se perdre sur les
bords de la Méditerranée, puis dans le golfe de Gascogne, et
même dans la mer du Nord; de plus, nous savons aujourd'hui
que le Ziphius caviroslris, auquel appartient la tête de Fos. est
une espèce qui vagabonde, non seulement dans les mers
d'Europe, mais également dans les eaux de nos antipodes
et dans l'océan Pacifique.
On a été longtemps sans se douter que des Cétacés d'une
même espèce pussent habiter à la fois les deux hémisphères;
nous en connaissons cependant plusieurs exemples aujourd'hui,
et nous pouvons même dire qu'aucun Ziphioïde, si ce n'est
l'Hypéroodon, ne semble confiné, ni dans une mer intérieure,
ni même dans un océan.
Après 1860, le premier Ziphius qui échoue est un individu
quise perd, en 1866, sur la côte de Villafranca, dans un moment
où le professeur Haeckel y fait des observations sur les animaux
marins. Le savant professeur de Iéna prépare le squelette, et,
comme on le pense bien, cette belle pièce prend la route de
Iéna, pour y enrichir les collections de l'Université.
En septembre 1878, les pêcheurs de Villafranca en capturent
un autre encore en vie, qui mesure om,4S, et le squelette est
acquis pour le Musée de Florence.
En 1864, on découvrit une tête de Cétacé à Lan ton, sur les
bords de la baie d'Arcachon, provenant également d'un Ziphius
cavirostris. C'est le premier exemple d'un animal de cette
espèce trouvé hors de la Méditerranée. Le Dr Fischer en a
donné la description et le savant aide naturaliste du Muséum
fait connaître en même temps les échouements connus dans
la Méditerranée et à l'ouest de la France.
Le professeur Sir Turncr publie, en 1872, un intéressant
Tome XLI. 6
( 82 )
travail sur la présence du Ziphius cavirostris sur les côtes de
Shetland, et il passe en revue les Ziphius connus des natura-
listes; il fait mention de ceux des Bouches-du-Rhône et des
autres qui ont été observés dans la Méditerranée et signale les
individus observés à la côte ouest de France, au cap de Bonne-
Espérance et sur les côtes de la République Argentine *.
Le professeur d'Edimbourg réunit le Pétrorhynchus, le
Ziphius indicus et VÉpiodon chatamensis dans une seule et
même espèce.
Sous le titre : Ziphioïde fossile *, le professeur Capellini a
publié un mémoire accompagné de fort beaux dessins dans
lequel il fait la description d'un crâne d'un Ziphioïde mis au
jour, qui rappelle parfaitement le Ziphius cavirostre vivant
encore dans les eaux de l'Italie.
Parmi les collections, que Castelnau avait recueillies au cap
de Bonne-Espérance et aux Indes, se trouvait une belle tête de
Cétacé que nous avons décrite sous le nom de Ziphius indicus.
Elle nous paraissait d'abord bien différente des espèces con-
nues, mais nous sommes persuadé aujourd'hui qu'elle appar-
tient à une seule et même espèce qui est dispersée dans toutes
les mers.
Depuis lors Burmeister dans sa Fauna argeniina a fait men-
tion de ce même Cétacé, qu'il a figuré d'après un animal qui a
été capturé sur les côtes de la République Argentine au mois
d'août 1885. Le savant Directeur du Musée de Buenos-Ayres
en donne une excellente description anatomique. Il croit à
l'existence de plusieurs espèces dans ce genre, dont il apprécie
parfaitement les affinités, et il donne le nom (VÉpiodon australe
à l'animal qu'il décrit.
Le professeur Cope a donné le nom de Hyperoodon senti-
junctus à un Cétacé dont le squelette a été remis au Musée
1 Trans. roy. Soc. Edinburgh, vol. XXVI, 1872.
1 Cipellini, Del Zi fioide fossile, Reals Acadehia dei Likcei, anno 1884-
1880.
(83)
national des Etats-Unis d'Amérique; H. Fred. True vient d'en
faire mention dans les Proc. de ce Musée. Après la description
du squelette provenant d'un jeune animal, M. True dit que
nous avons eu raison, H. Flower et moi, de regarder cet ani-
mal comme un Ziphius, plutôt que comme un Hypéroodon.
Il donne les mesures en millimètres des divers os de la tête.
Nous trouvons ensuite ce même Cétacé dans les eaux de nos
antipodes, et il parait même qu'il y est beaucoup plus abon-
dant que dans les mers d'Europe. Sous le nom de Epiodon
Ncvœ-Zelandiœ, le Dr Jules von Haast a fait connaître un
Ziphioîde, qui n'est autre chose que le Ziphius cavirostris de
notre hémisphère.
Dans Ylllustrated London News, de 1867, figure un Ziphius
du détroit de Bass, qui se rapporte parfaitement au même
animal.
Le professeur Sir W. Turner a reconnu, parmi lçs ossements
rapportés par le Challenger, des restes qui ont tous les carac-
tères du Ziphioîde qui nous occupe *.
On possède aujourd'hui à Londres une tête et un squelette de
la Nouvelle-Zélande, qui se rapportent parfaitement au Ziphius
d'Europe. M. le professeur Flower, après une étude des diverses
têtes connues, n'hésite pas à se prononcer sur l'identité de ces
Cétacés de la Nouvelle-Zélande et des côtes de la République
Argentine avec les nôtres. Il ne trouve pas de différence, dit-il,
ni avec le Ziphius indiens ni avec Y Epiodon australe de fiur-
meister *.
On a établi aussi Y Epiodon patachonicum ou australe, qui n'est
également que le Ziphius dont nous nous occupons; c'est l'avis
de MM. Flower et Paul Gervais, qui est partagé aussi par le
professeur Sir W. Turner.
* Tohner, The Zoology of the Voyage of H. M. S. Challenger, 1880, p. 27.
* Remarks upun D' von IUast's Communication on Ziphius Novœ-
Zelandiœ, Proc. Zool. Soc., Juiip, 1876.
(84)
SYNONYMIE.
Ziphius cavirostris.
Delphinus Desmarestii, Risso.
— Philippii, Cocco.
Hyperoodon daumetii, Gray.
— Gervaisii, Duvernoy.
Epiodon australe, Burmeister.
— Novœ-Zelandiœ, v. Haast.
— chatamiensis, Hector.
— patachonicum, Burm.
Ziphius indicus, Van Beneden.
Petrorhynchus capensis, Gray.
Hyperoodon semi-junclus, Cope.
Ziphius Grebnitzkii, Stejneger.
CARACTÈRES.
La taille du Ziphius cavirostris est un peu inférieure à celle
de l'Hypéroodon. Cet animal est surtout reconnaissable aux
deux dents relativement assez grosses qui percent les gencives
au bout du maxillaire inférieur.
Ces dents sont en même nombre dans l'Hypéroodon;
mais, dans les Ziphius, elles sont beaucoup plus fortes, et en
forme de fuseau, tandis que, dans les Hypéroodons, elles sont
à peine plus grosses qu'une plume d'oie et sans renflement sen-
sible vers le milieu de leur longueur. Dans la mandibule des
Ziphius il y a des alvéoles, parfaitement distinctes, qu'on ne
voit pas aussi distinctement chez l'Hypéroodon.
Ses caractères extérieurs sont : la partie supérieure du corps
est d'un noir bleuâtre, la partie inférieure blanche; cette partie
(86) .
supérieure est marquée de nombreuses taches de forme ovale,
de deux à trois doigts de longueur, semblable à une peau de
léopard, dit J. von Haast.
L'animal porte un sillon de chaque côté sous la gorge. Nous
ne pouvons pas bien juger d'après le dessin de Burmeister si
les deux sillons forment un V comme dans le Micropteron.
Ce sillon est indiqué dans la figure publiée dans les Archives
d'Erichson, d'après l'animal capturé dans le détroit de
Messine.
La femelle échouée à New-Rrighton, en 1878, avait égale-
ment le sillon sous-maxillaire.
Il existe des différences sexuelles comme dans les autres
Ziphioldes. On a remarqué que le Ziphius mâle de la Nouvelle-
Zélande a les dents du maxillaire inférieur plus fortes que la
femelle.
DESCRIPTION.
Nous ferons remarquer que Gervais a constaté la présence
de petites dents à la mâchoire supérieure du Ziphius cavirosttïs
d'Âresquiès; il les a représentées de grandeur naturelle pi. XXI,
fig. 3, de notre Ostéographie. Gervais en a vu encore à la
mâchoire inférieure. Rurmeister en a vu également en dessus
et en dessous; von Haast a fait la même observation sur des
Mésoplodons d'âge et de sexe différents.
Ces dents sans alvéoles doivent être considérées comme des
dents ancestrales.
Les vertèbres sont peu nombreuses comme dans tous les
Ziphioïdes; nous en comptons ici en tout quarante-neuf : sept
cervicales, dix dorsales, onze lombaires et vingt et une
caudales.
Les trois premières cervicales sont soudées entre elles.
Burmeister a décrit et figuré l'animal en chair, le squelette
isolé et en place, la tête vue sous ses trois faces, le cœur, la
(86)
surface interne de l'estomac et des intestins, la cavité de la
bouche avec la langue, tout l'appareil respiratoire, y compris
le larynx.
MOEURS.
Nous ne connaissons rien des mœurs de cet animal. Il est
probable qu'il ne diffère pas, sous ce rapport, des autres
Ziphioïdes. Tout ce que nous en savons, c'est qu'il est teuto-
phage comme les autres animaux de cette division.
DISTRIBUTION GEOGRAPHIQUE.
Nous allons passer en revue les localités où la présence du
Ziphius cavirosbis a été constatée.
La tête décrite par Cuvier, dans ses Recherches sur les
ossements fossiles, a été découverte à Fos, sur le bord de la
Méditerranée, en 1804.
Vers 1820 un individu a été capturé près de Nice.
En 1842 un individu a été vu flottant dans le détroit de
Messine; un autre vers la même époque a été reconnu sur les
côtes de la Corse.
En 1850 on a trouvé sur la plage d'Aresquiès (Hérault) une
tête provenant d'un animal qui y a échoué au mois de mai *.
Depuis lors d'autres individus ont été reconnus dans la
Méditerranée; P. Gervais en cite des Bouches-du-Rhône, de
Nice, de la Corse et du détroit de Messine.
Tout récemment, en septembre 1878, on a fait encore une
capture à Beaulieu (Villefranche).
On connaît aujourd'hui les ossements de sept Ziphius diffé-
rents, recueillis sur les bords de la Méditerranée.
1 Gervais» Institut, 9 octobre 1850.
(87)
On a constaté ensuite la présence de ce même Ziphius sur les
côtes océaniques de France; en 1864, on a recueilli une tête à
Lan ton, sur les bords du bassin d'Arcachon. Cette tête a été
remise à M. Filiaux. Le Dr Fischer en fait mention dans les
Comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris *.
Un mâle de cette même espèce est allé se perdre ensuite sur
les côtes d'Irlande, et nous en connaissons qui ont pénétré dans la
mer du Nord ; il en est venu à la côte aux îles Shetland ; le Musée
d'Edimbourg en possède la tête, et le professeur Sir Turner
l'a parfaitement reconnu ; après l'avoir comparé avec les autres
Ziphius, il fait remarquer que celui de Fos, découvert en 4804,
appartient bien à la même espèce, qui a été trouvée dans des
mers si différentes.
La présence de ce Ziphius a été reconnue ensuite dans le
Kattegat.
Sur la côte de Suède, non loin de Gôtenborg, sont venus
échouer, à quelques années d'intervalle, deux Ziphius de la
même espèce, dont l'un est conservé au Musée de Gôtenborg
et l'autre au Musée de Stockholm.
Le premier de ces squelettes provient de l'animal échoué en
1867 à Bahuslân (Suède). Celui du Musée de Stockholm, qui
est remarquable aussi par sa belle conservation, provient d'un
animal perdu dans le voisinage de Marstrand (Suède), en 1872.
Il a la huitième et la neuvième dorsale malades.
En dehors des mers d'Europe on a reconnu ce Ziphius à
plusieurs reprises.
D'abord nous ne doutons pas que ce ne soit le même animal
qui a été capturé par Castelnau, et que nous avons appelé
Ziphius indicus 2, ainsi que le jeune mâle de l'embouchure de
la Plata qui a été décrit et figuré par Burmeister.
' Août 1860, p. 271.
* Ce n'est pas dans la mer des Indes, comme nous l'avons cru, mais au
cap de Bonne- Espérance que celte tête a été recueillie ; nous trouvons dans
un album de Castelnau : VHyperoodon du Cap a été jeté à la côte au fond
de Table- Bay dans un ouragan en juillet 1846; il avait 27 pieds de long,
(88) .
Gray et Owen ont fait connaître un second Ziphius du cap
de Bonne-Espérance, que Gray a appelé Pelrorhynchus pour
rappeler la solidité du rostre. D'après rage, le cartilage sus-
vomérien est plus ou moins complètement ossifié, et le
Pelrorhynchus n'est qu'un individu adulte.
L'océan Pacifique est également visité par ce Cétacé. Nous
en avons vu deux têtes et trois mandibules au Musée de Saint-
Pétersbourg, rapportées du nord du Pacifique par Wosnes-
searki. Ce dernier renseignement nous a été fourni par le
docteur Brandt, directeur du Musée de Saint-Pétersbourg.
Von Nordmann fait mention, dans sa Paléontologie de la
Russie méridionale, d'une tête de Ziphius de l'île Saint-Paul,
qui lui a été communiquée par le docteur Siemaschko.
Est-ce encore le même animal dont Moseley a rapporté
une grande partie du squelette des îles Falkland, sous le nom
d'Épiodon ? (Challenger).
Le Challenger a aussi rapporté plusieurs caisses tympaniques
de Ziphius, retirées du milieu du Pacifique, au sud des îles
Tahiti, à 2,335 brasses de profondeur.
A propos d'un Ziphioïdc du détroit de Magellan, Paul
Gervais faisait l'observation suivante : « Pour dire toute ma
pensée, je ne serais pas élonrié qu'il en fût encore de même
pour les Ziphius indicus et Càpensis, c'est-à-dire, que ces derniers
ne fussent également de la même espèce que le Ziphius de la
Méditerranée. »
Nous partageons complètement cet avis aujourd'hui.
Ce même Ziphius se rend ensuite jusqu'au nord du Pacifique :
l'Institution Smithsonienne a envoyé un naturaliste, Stejneger,
ù l'île de Behring, pour y chercher des restes de Slellère, et il a
rapporté, avec plusieurs ossements intéressants de Cétacés, une
tête de Ziphius caviroslris, parfaitement conservée. On lui a
donné à tort un autre nom spécifique : Ziphius Grebnitzkii,
Stejneger. Avec ce même animal se trouvait encore un autre
était gris, a donné COO bouteilles d'huile très bonne et à laquelle les gens du
pays attribuent beaucoup de vertus médicinales.
(89)
Zi'phioïde que Ton ne connaissait qu'en Australie, le Berardius
Bairdii.
Nous le trouvons également dans les eaux de nos antipodes,
et en plus grande abondance, paraît-il, que dans nos eaux
d'Europe.
En 1863, le professeur V. Haast fait part à la Société Zoolo-
gique de Londres de la présence d'un Ziphius dans les eaux de
la Nouvelle-Zélande * .
A la séance du mois de juin 1876 2, M. le professeur Flower
exprime l'avis, confirmé depuis, que le Ziphius Novœ-Zelandiœ
ne diffère pas du Ziphius cavirostris et qu'il n'existe qu'une
seule espèce vivante dans ce genre.
Deux individus ont échoué, l'un le 17 novembre 1878 à
New-Brighton, l'autre le 15 mai 1879 près de Kaiapoi ; ce sont
deux femelles : la première avait 19 pieds, la seconde 21.
En 1883, on a capturé encore un Ziphius cavirostris sur les
côtes de New-Jersey.
La dernière communication sur les Ziphius de la Nouvelle-
Zélande est celle de MM. John H . Scott et T. Jeffery Parker, de
l'Université d'Otago (Nouvelle-Zélande). Ils informent M. Flower
qu'une jeune femelle de Ziphius a été capturée vivante à
Warrington, au nord de Dunedin (Nouvelle-Zélande), en
novembre 1884 3.
L'Epiodon chatamiensis, décrit dans les Trans. New-Zealand
lnstitule, vol. V, est un mâle de cette espèce.
Le Ziphius cavirostris se rend également de l'autre côté de
l'Atlantique : le professeur Cope a signalé sur les côtes de la
Nouvelle-Angleterre une femelle de 19 pieds 4 pouces, qui a
été capturée en 1883, à New-Jersey.
De manière que nous connaissons divers crânes et sque-
lettes de la Méditerranée, un du golfe de Gascogne (1864), deux
1 Z. S. L. 4 décembre 1883.
* Professor Flower, Remarks upon Dr vos Haast's communication on
Ziphius Novœ-Zelandiœ, Proc. Zool. Soc, June 6, 1876.
3 Zool. Soc, London, 15 mars 1887.
(90)
du Kattegat, deux du Cap, un du Brésil, un de la Nouvelle-
Zélande, un des mers de Chine et au moins deux du Pacifique,
et tous ces crânes se rapportent fort bien à une seule espèce,
ce qui nous permet de dire que le Ziphius cavirostris est un
animal cosmopolite comme le Cachalot.
Indépendamment de ces divers Cétacés connus, nous pou-
vons encore ajouter que le Challenger a rapporté des mers du
Sud une tête de ce même animal.
Nous avons vu également un rostre, provenant des Phos-
phate beds de la Caroline du Sud, au Musée du Collège royal
des chirurgiens, à Londres, mêlé à des ossements d'animaux
terrestres, parmi lesquels se trouvait une dent de Megathe-
rium (?) Ce rostre était perforé par des tarets. Nous avons vu un
rostre, rongé de la même manière, qui était rapporté au Ziphius
densirostris, et qui avait été recueilli sur la côte d'Afrique. On
en a trouvé dans le sable d'Anvers plusieurs, rongés exactement
de la même manière.
En somme, nous connaissons aujourd'hui des restes d'in-
dividus recueillis dans la Méditerranée, à Fos (Bouches-du-
Rhône, G. Cuvier); à Aresquiès (Hérault, Gênais); en Corse
(Doumet); au détroit de Messine, Villefranche (Haeckel); dans
le golfe de Gascogne, à Arcachon (Fischer); aux îles Shetland
(Turner); aux côtes de Suède, Kattegat (Malm); dans l'hémi-
sphère austral, au cap de Bonne-Espérance (Van Beneden,
Gray et Owen); dans la République Argentine (Burmeister) ;
9
sur les côtes de Patagonie, aux Etats-Unis d'Amérique et à la
Nouvelle-Zélande.
MUSÉES.
On conserve aujourd'hui des ossements de cette espèce dans
plusieurs Musées.
Le Muséum de Paris en possède deux têtes : l'une décrite
par Cuvier, l'autre par Paul Gervais. Toutes les deux pro-
viennent, comme nous l'avons vu plus haut, d'individus capturés
dans la Méditerranée.
(91)
Le Musée de la ville de Marseille possède le squelette d'un
animal qui a péri sans doute sur les côtes voisines, mais dont
il n'est pas fait mention dans les livres qui traitent des
Cétacés.
On conserve encore des têtes et des squelettes provenant
de Ziphius échoués sur les côtes de cette même mer intérieure,
à Florence, à Pi se et à Cette.
Le squelette de Florence provient de ranimai capturé à Ville-
franche en septembre 1878.
Un squelette complet, préparé par le professeur Haeckel
en 1866, est conservé au Musée de l'Institut Zoologique de
Iéna.
Au Musée de la Société scientifique d'Arcachon, on voit une
tête de cette même espèce qui a été recueillie, en 1864, à
Lanton dans la baie d'Arcachon.
A Dublin on possède le squelette complet d'un animal
échoué sur les côtes d'Irlande.
On en conserve deux têtes à Edimbourg; une d'elles a été
rapportée de Shetland par Couthey *.
Nous conservons , au Musée de Louvain, la tête qui a été
rapportée par Castelnau de son voyage aux Indes orientales,
et que nous avons décrite sous le nom de Ziphius indiens.
A Gôtheborg, on conserve au Musée le squelette de ranimai
qui a échoué, en 1867, à Bohuslân.
Le Musée de Stockholm renferme le squelette complet de
l'animal qui est venu à la côte, en 1872, dans le voisinage
de Marstrand (Suède).
Nous avons vu deux têtes de cette espèce dans les galeries
du Musée de Saint-Pétersbourg, toutes les deux de l'océan
Pacifique.
A Charleston on conserve le squelette de l'animal qui a été
décrit sous le nom de Hyperoodon semi-junctus, Cope 2.
1 Tubker, On Ziphius cavirostris, Transactions rot. Society, Edimbourg,
t. XXVI, p. 750.
* Proc. Acad. Se. Philadelphie, 1865 et 1869.
(92)
Au Musée de Washington on voit aujourd'hui une tête de
cette espèce rapportée de l'île de Behring, par Stejneger.
On conserve également un squelette de cette espèce au Musée
de Buenos-Ayres. Le savant directeur Burmeister en a donné
une description.
A Christchurch, Canterbury Muséum (Nouvelle-Zélande), on
conserve le squelette de l'animal décrit par Jul. von Haast.
Nous avons vu au Muséum de Paris un rostre de Ziphioïde
fossile des côtes de Patagonie.
On voit enfin au Musée du Collège royal des chirurgiens à
Londres un squelette de Ziphius de la Nouvelle-Zélande.
DESSINS.
Risso a figuré ce Ziphius dans son Ht st. nat. de l'Europe
méridionale, vol. III, pi. H, fig. 3, sous le nom de Dauphin
de Desmarest.
L'animal entier est également représenté par Anast. Cocco
dans les Archives de Troschel, 1846, pi. IV, d'après une femelle
capturée dans le détroit de Messine.
On voit également un dessin de cet animal dans la Revue de
Zoologie, 184-2, pi. I.
Nous possédons aussi de bons dessins des Ziphius capturés,
sur les côtes de l'Amérique méridionale et de la Nouvelle-
Zélande; Burmeister a représenté l'animal complet et a figuré
les principaux viscères; James Hector a publié un bon dessin
de la tête, de la mandibule et des dents.
Dans les Transact. de New-Zealand Institut, vol. V, Jul. voa
Haast a publié la figure d'une femelle de 19 pieds, échouée-
près de New-Brighton (Nouvelle-Zélande).
Dans Ylllustrated London News, vol. I, 1867, p. 97, figure un
Ziphius observé dans le détroit de Bass.
Indépendamment de l'animal, les diverses parties du sque-
lette ont été dessinées sur les lieux d'après des individus cap-
turés dans les eaux de nos antipodes.
(93)
La planche XXII, fig. 4-11 de noire Ostéographie, représente
la colonne vertébrale, le sternum ; planche XXI, les crânes des
Aresquiès, de Buenos-Ayres, de Lanton (Gironde), de Fos
(Bouehes-du-Rhône), de Corse, du cap de Bonne-Espérance,
de la mer des Indes.
Nous avons figuré le crâne du Ziphias capturé par Castelnau,
la dent, la caisse tympanique en place et isolée, dans les
Mémoires de l'Académie royale de Belgique, coll. in-8°, t. XVI.
Gcrvais a figuré les dents du maxillaire supérieur dans sa
Zool. et paléont. franc., planche XXXIX, et planche XXI de
YOstéographie.
Jul. von Haast a figuré le squelette et le crâne d'un animal
de la Nouvelle-Zélande.
PARASITES ET COMMENSAUX.
On ne connaît jusqu'à présent qu'un Cestode et un ver rond
qui peut être un Nématode ou un Echinorhynque; le premier
est un Phyllôbothrium agame, que le professeur Haeckel a
trouvé dans l'épaisseur de la peau.
Le second est un ver très long, logé dans l'estomac d'un
Ziphius échoué sur les côtes de Suède en avril 1867 (Malm). Le
professeur Sir Turner suppose que c'est un Echinorhynque;
un nouvel examen est indispensable. Nous ne savons si cet
animal a été conservé.
MICROPTERON SO WERB YI.
LITTÉRATURE.
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( 96 )
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(97)
HISTORIQUE.
C'est au commencement du siècle que Sowerby, le célèbre
conchyliologiste anglais, fit connaître, sous le nom de Physeter
bidens, un curieux Cétacé mâle, échoué sur la côte d'EIginshire,
en Ecosse, près de Brodie-House. Sowerby Ta fait figurer dans
ses British miscellany.
Après une visite faite en Angleterre, Blainville décrivit ce
même Cétacé sous le nom de Dauphin de Sowerby, Delphimis
Sowerbiensis.
Lesson en a fait mention dans son histoire naturelle des
Cétacés * .
Un Cétacé, échoué sur les côtes de Sicile vers 1790, attira
en 1814 l'attention de Rafinesque, qui le fit connaître sous le
nom d'Epiodon urganautus *. Il a plusieurs dents à la mâchoire
supérieure, dit Rafinesque, aucune dent à l'inférieure, et pas
de nageoire dorsale. Nous avons tout lieu de croire que c'est
une femelle de cette espèce, dont la nageoire dorsale rudi-
mentaire, ainsi que la dent du maxillaire inférieur, n'ont pas
été aperçues. Les dents de la mâchoire supérieure dont
Rafinesque parle, sont des dents rudimentaires caduques sans
aucune constance, ni dans leur nombre ni dans leur volume.
Fréd. Cuvier fait mention de ce nouveau Cétacé dans la
33e livraison de l'Histoire naturelle des Mammifères, et en 1829
son frère, G. Cuvier, le cita dans le règne animal sous le nom
de Microptère proposé par A. Wagner.
En 1823, un Cétacé extraordinaire se perdit à l'embouchure
de la Seine; c'était une femelle également. Blainville eut
l'occasion de l'étudier et le fit connaître sous le nom de Delphi-
norhynchus Dalei. La peau en a été empaillée pour les galeries
1 Œuvres compl. de Buflbn. Paris 182H, p. 127.
* Rafinesque. Précis des découvertes somiologiques. Palerme, 1814.
Tome XLL 7
(98)
de zoologie du Muséum de Paris, et la têle a été conservée dans
les galeries d'anatomie comparée.
La même année, un autre individu vint échouer à la pointe
de Sallenclles, embouchure de l'Orne, côte du Calvados ; son
squelette fut préparé pour le Musée de Caen.
Le 22 août 1828, une femelle de 11 pieds se fit prendre
vivante au Havre, et on la tint en vie pendant deux jours.
En 1849, Eschricht publia ses Untersuchungen ùber Nordische
Walthiere et adopta également le nom de Micropteron, proposé
par A. Wagner.
Le nom générique a souvent été changé depuis, mais c'est
le plus ancien, celui proposé par A. Wagner et adopté par
Cuvier et Eschricht, que nous devons conserver.
Le 31 août 1835, une jeune femelle est venue à la côte près
d'Ostende et a fait le sujet d'un mémoire de feu B. Dumortier.
Le squelette a été heureusement conservé par Paret et se trouve
aujourd'hui au Musée de Bruxelles.
En 1863, nous avons publié une notice sur ce squelette,
dont nous avons figuré les principaux os.
Duvernoy, comparant la tête du Physeter bideiis mâle, de
Sowerby, qui est au Musée d'Oxford, avec la tête du Muséum
de Paris, provenant de la femelle du Havre décrite par
Blainville, a cru devoir en faire deux espèces. (Mesodiodon
Sowerbyi et Micr opter on). Il ne s'est pas douté que le mâle a
une forte dent au milieu de la longueur de la mandibule et la
femelle une très petite.
Depuis lors, un mâle a été capturé sur les côtes d'Irlande,
dans la baie de Brandon, comté de Kerry, le 9 mars 1864.
En 1869, M. Andrews a publié un mémoire sur cet animal qui
est désigné sous le nom de Ziphius Sowwbiensis. M. Andrews
fait remarquer qu'un autre mâle a été capturé déjà sur les
mêmes côtes d'Elginshire.
Ce mémoire est accompagné d'une planche fort intéressante
reproduisant une photographie de la tête avec sa forte dent et
le sillon en V sous la mâchoire inférieure.
Eug. Deslongchamps a publié quelques observations sur un
(99)
Hyperoodon qui flottait à rentrée de la mer de la Manche et
dont la tête est conservée au Musée de Caen. Cette même notice
renferme des remarques sur le Microptei'on de Sowerby, dont
le squelette presque complet est conservé au Musée de Caen.
L'auteur ajoute également une note sur le Dioplodon Ger-
vaisii *.
En 1870, un autre individu de cette espèce a échoué à la
même baie de Brandon, dont nous avons parlé plus haut, et le
professeur Sir Turner l'a fait connaître dans les Transactions
de la Société royale d'Edimbourg. 11 fait aussi mention d'un
squelette entier et adulte qui est conservé au Musée de la
Société royale de Dublin. Le savant professeur d'Edimbourg
résume dans ce mémoire tout ce qui est connu de cette espèce.
Dans une visite faite au Musée de Christiania, nous avons
trouvé une mandibule de femelle, sans aucune indication d'ori-
gine, mais qui a probablement été recueillie sur les côtes de
Norwège. Nous en avons fait mention dans les Bulletins de
l'Académie 2.
Une capture faite en 1869 rend probable l'origine scandina-
vienne de la mandibule de Christiania. Au printemps de la
soaffite aimée, des pécheurs suédois ont rencontré en mer un
animal de cette espèce à Nordjân (Kattegat). 11 flottait à la
surface; ils l'ont remorqué et le squelette en a été heureuse-
ment conservé au Musée de Gôthebourg. M. Malm en a fait
mention dans sa notice sur les squelettes conservés dans les
Musées de Suède.
Il est venu encore un Microptéron à la cote dans ces mêmes
parages septentrionaux à l'est de Jutland, le 3 février 1880;
c'était un jeune mâle.
Reinhardt a publié sur cet animal une notice, qu'il a accom-
pagnée d'un tableau des captures connues avec l'indication
des lieux et des sexes; il reconnaît cinq mâles et quatre femelles
1 Eue Deslogch a bps. Observations sur quelques Dauphins zyphidés, 1 886.
Buli* Soc. Li.nn. dk Normandie, tome X.
• * sér., I. XXII, 186C.
( 100 )
qui ont péri sur les côtes de France, des îles Britanniques, de
la Scandinavie et de Belgique.
Un exemplaire de cette espèce a fait son apparition en 4885
à Saltô près de Lysekil (Bohuslan), et a été l'objet d'une étude
de la part de M. Cari Aurivillius. II a été capturé vivant.
Nous avons trouvé, au Musée de Saint-Pétersbourg, un crâne
fort incomplet, dont l'état de conservation nous fait croire qu'il
provient d'une ancienne collection; il n'y a aucune indication
sur son origine.
Nous avons reconnu également le crâne d'une femelle au
Musée d'anatomie d'Edimbourg.
Le Micropteron Sowerbyi n'est évidemment pas un animal
des mers d'Europe seulement; il est cosmopolite comme la
plupart des Ziphioïdes.
Sur les côtes des Etats-Unis d'Amérique, à nie Nantucket, on
a capturé un individu qui mesurait 16 pieds de longueur et
dont le crâne est conservé au Muséum de Zoologie comparée
de Cambridge.
En 1867, Agassiz a montré la tête de cet animal au congrès
de Boston. Il le regardait comme nouveau pour les côtes des
États-Unis d'Amérique.
Une autre observation en faveur de son cosmopolitisme a
été fournie récemment par Léon Stejneger, qui a été à la mer
de Behring; il en a rapporté une tête qui a été décrite sous le
nom de Mésoplodon. M. Fréd. True en a communiqué une
description et une figure dans les Proceedings du Musée
national des États-Unis. Les légères différences signalées par
M. True nous semblent des différences individuelles ou locales
plutôt que spécifiques.
Capellini a décrit et figuré des ossements de Mésoplodon ou
Micropteron qu'il serait sans doute difficile de séparer de
l'espèce vivante 4.
Le Micropteron qui nous occupe, est également représenté
1 Capelmxi. Resti fossili de Dieplodon e Mésoplodon. Bologna, 1885.
Ilu. R Acad. di Bologxa. 1883.
( 101 )
dans les eaux de-nos antipodes; nous en avons vu un squelette
complet au Muséum d'histoire naturelle de Paris sous le nom
de Oulodon Grayi, qui est si semblable à celui du Micropteron
de nos mers que nous croyions avoir l'espèce ordinaire sous
les yeux. Les affinités de TOulodon avec le Mesoplodon Soiverbyi
sont remarquables, disait Paul Gervais, en parlant du squelette
provenant d'un mâle assez jeune qu'il venait de recevoir de
M. vonHaast, de Christchurch, Nouvelle-Zélande.
Le nom d'Oulodon a été proposé à cause d<?s dents fort
petites de la mâchoire supérieure, qui se trouvent également
dans les individus d'Europe. Depuis longtemps, Paul Gervais a
reconnu ces petites dents non alvéolées, indépendamment de
la grande, dans la femelle qui a échoué au Havre-de-Grâce.
Depuis cet envoi au Muséum, un second individu de la
même espèce est allé échouer à Litlle Bay entre Botany-Bay
et Long-Bay, à une petite distance de Sydney. Ce second indi-
vidu a été signalé par M. Kreft. Le professeur Flower pense
que ce dernier est plutôt un Mesoplodon Layardi.
Sous le titre de A furlher contribution to tlie knowledge of the
exisling Ziphioid Whales, Genus Mesoplodon, qui est synonyme
de Micropteron, M. W. Flower passe en revue les différentes
espèces établies par les auteurs, et compare entre eux les nom-
breux et intéressants matériaux que les Musées de Londres ont
reçus de leurs correspondants en Australie.
M. Flower fait remarquer que les Mésoplodons, échoués il
y a quelques années sur nos côtes, étaient considérés comme
les seuls survivants des nombreux Ziphioïdes fossiles de nos
sables d'Anvers; mais, si ces animaux sont devenus rares
aujourd'hui dans nos mers d'Europe, des travaux récents nous
ont appris qu'ils se trouvent en abondance dans la mer de nos
antipodes; ces Cétacés sont représentés par différentes espèces,
dont quelques-unes vivent par gammes assez nombreuses,
puisque, comme nous le verrons plus loin, on en a vu
échouer jusqu'à vingt-cinq à la fois sur la même côte.
Dans YOstéographie des Cétacés, mon collaborateur P. Ger-
vais, chargé de la rédaction des Ziphioïdes, consacre un
( 102 )
chapitre au Hésoplodon qui nous occupe et s'étend sur la partie
historique, la synonymie, le squelette et le système dentaire. Il
consacre les pi. XXII et XXVI à la représentation du squelette
et des dents.
A. H. Mal m a publié depuis une notice sur cette espèce dans
le Bulletin de l'Académie rovale à Stockholm. Il donne la
description des divers os des deux squelettes qui sont conservés
au Musée de Gôteborg, et il accompagne sa notice d'une
planche représentant le crâne, la mandibule, l'os hyoïde et les
os du membre du Mesoplodon, à côté de celui de YHyperoùdon.
Le dernier travail sur ce Cétacé est dû à la plume si exercée
du professeur Sir Turner. Il a reçu, en 1885, par un de ses
élèves, un mâle adulte en chair, capturé aux îles Shetland, et
à l'aide duquel il a fait connaître plus en détail le squelette et
les parties molles encore fort incomplètement étudiées. Il a fait
part de ses observations à l'Association Britannique, à Aber-
deen, le H septembre 1885 f. Le travail a été inséré dans le
Journal of anatomy andphysiology, October, 1885.
La dernière notice sur cet intéressant Cétacé est celle de
Th. Southwell et de W. E. Clarke sur l'apparition d'un indi-
vidu du sexe mâle, échoué vivant à marée basse sur les côtes du
Yorkshire, à l'entrée de la rivière Humber. On a reconnu
trop tard l'importance de cet échouement; on n'a recueilli que
l'huile et on a abandonné le cadavre à la mer, croyant que
c'était un Hyperoodon.
Cet échouement eut lieu le même jour que le professeur
Sir Turner fit sa communication à l'Association Britannique, à
Aberdeen, sur le mâle capturé aux îles Shetland.
Au cap de Bonne Espérance, un Microptéron a reçu le nom
de M . Layardi et le Dr v. Haast a donné le nom de M. Fhweri à
celui de la Nouvelle-Zélande. Nous avons comparé à Londres
une belle photographie du Dr v. Haast, avec la tête du Cap, et
il ne nous a pas paru, ni à M. Flower, ni à moi, que ces
Ziphoïdes appartinssent à une espèce distincte. L'habitat de ces
1 Report of The BritUh Association, 1885, Aberdeen, page 1057.
( 103 )
deux Ziphioïdes n'est pas une raison de croire à une différence
spécifique, dit M. Flower; au contraire : il n'y a pas de
barrière pour les Cétacés entre la mer du Cap et celle de la
Nouvelle-Zélande.
SYNONYMIE.
Physeter bidens, Sowerby, British Miscellany, t. 1, 1806.
Delphinus edentulus, Schreber.
Delphinus Sowerbyi, Dauphin épiodon, Desmarets, mammif.,
p. 521, 1820.
Delphinorhynchus Dalei, Blainville, Bull. Soc. philom. sep-
tembre, 1825.
Delphinorhynchus micropterus, Cuv. Règne animal, 1829.
Dauphin de Sowerby, Fr. Cuvier, de YHist. nat. des Cétacés,
1836, p. 218.
Dioplodon Sowerbiensis, Gervais. Zool. et Paléontol. franc.
tab. 30, fig. 1, 1859.
Mesoplodon Sowerbiensis^ Gervais, Ostéographie des Cétacés,
p. 392, tab. 22 et 23, 1880.
Mesoplodon Sowerbiensis, Van Ben. Mém. Acad. Bruxelles,
vol. X, t. III.
Ziphius Sowerbiensis, Gray, Catalog. of Seals and Whales,
p. 350.
Ziphius Sowerbiensis, Gray, Supplément, p. 101.
Delphinorhynchus microjHerus, Dumortier, Mém. Acad.,
Bruxelles, 1839.
Diodon de Sowerby, Lesson, Cétacés, p. 127.
Aodon de Dale, Lesson, Cétacés, p. 155.
Mesodiodon Sowerby, Duvernoy, Ann. sciences natur. 1851,
vol. XV, p. 55.
Mesodiodon Micropteron, Duvernoy, Ann. se. natur., p. 57.
Micropteron, Eschricht, Ann. May, nat. hisl. 1852.
Ziphius bidens, Lilljeborg, Sveriges och norges Byggradsdjur9
2 vol., in-8°, Upsala, 1874.
( 104)
Micropteron bidens, Malm. Goteborgs naturhiska Muséum,
III Arsskrift, p. 32,1881.
Mesoplodon bidens, Flower, A further contribution, 1878.
Oulodon Grayi, v. Haast. Proc. ZooL Soc, London, 1876,
p. 7.
Microptenis et Micropteron sont les plus anciens noms géné-
riques et c'est définitivement le nom de Micropteron proposé
d'abord par Wagner que nous adoptons.
Dans le complément des œuvres complètes de Buffon,
R. F. Lesson a fait mention de YÂodon de Date *, et considère
comme synonymes le Delphinus edentulus de Schreber et le
Dauphin de Dale, de Blainville et de Fr. Cuvier.
Le Dauphin de Desmaret, que Risso a mentionné le premier,
est désigné sous le nom de Diodon Desmarest, dans le complé-
ment; c'est le même animal.
Le Diodon de Sowerby du même auteur est également syno-
nyme, de manière que la même espèce figure sous trois noms
différents.
Desmarëst cite également sous trois noms différents le même
animal.
Fr. Cuvier parle du Dauphin de Sowei'by, puis du Dauphin
épiodon qui est la même espèce.
L'animal de la Nouvelle-Zélande auquel on a donné le nom
de Oulodon Hectori, comme celui du nord du Pacifique et que
M. True a dédié à Stejneger, se rapportent l'un comme l'autre
à une même espèce, celle qui nous occupe.
Le Mesoplodon Floweri, dont le Dr von Haast a envoyé une
photographie, n'est autre chose que le M . Sowerbiensis.
M. Flower a eu à sa disposition le crâne du Mesoplodon
Ilectori, de Cook'Strait, le squelette d'un adulte capturé dans
Lyall Bayf le squelette du Mesoplodon Grayi, de la Nouvelle-
Zélande, le rostre et la mandibule d'un vieux mâle; et il
trouve encore ces matériaux insuffisants pour se prononcer
sur leurs caractères spécifiques.
1 EscHRiCHT, Unlersuch. p. 50.
( 10S )
CARACTÈRES.
A Télat adulte, la mandibule ne porte qu'une seule dent de
chaque côté; elle est aplatie, logée dans une profonde alvéole
vers le milieu de la longueur de l'os. Cette dent est beaucoup
plus forte dans le mâle que dans la femelle.
La longueur du mâle, depuis le bout du museau jusqu'au
milieu de la nageoire caudale, est de 15 à 16 pieds (anglais). La
largeur de la queue a 3 pieds 10 pouces.
La nageoire pectorale mesure, depuis la tête de l'humérus,
1 pied 10 pouces et son plus grand diamètre est de 6 1/4 pouces.
On a vu des jeunes de 7 pieds de longueur accompagner leur
mère.
Le Micropleron Sowerbyi mâle a, sous la gorge, deux sillons
qui s'unissent en avant et forment un V. M. Andrews repré-
sente très bien cette disposition dans la figure 2 qui accom-
pagne son mémoire.
DESCRIPTION.
Comme dans tous les Ziphioïdes, la nageoire pectorale est
fort petite ; elle ne dépasse pas la longueur de quatre vertèbres
lombaires.
L'humérus n'a pas la grosseur d'une vertèbre lombaire et ne
dépasse pas sa longueur.
L'avant-bras est long comme le bras et comme la main, y
compris la région carpienne.
Le premier rang des os carpiens a trois os dont le médian
est le plus volumineux. Le second rang en a également trois.
Le pouce ne compte qu'un seul os, un métacarpien; les
métacarpiens des quatre autres doigts diffèrent peu entre eux.
L'index et le médian ont quatre phalanges, l'annulaire trois
et le petit doigt, un.
Le premier squelette de cet animal a été décrit par Dumor-
tier; il était mal monté par Paret. Plusieurs pièces n'étaient
( 106 )
pas à leur place. C'était le squelette de la femelle venue à la côte
d'Ostende.
Dans la notice que nous avons publiée sur cette espèce, nous
avons dessiné comparativement l'ouverture du canal des ver-
tèbres dans les différentes régions du corps *.
Nous trouvons dans la colonne vertébrale : sept cervicales,
neuf ou dix dorsales, dix ou onze lombaires et dix-neuf ou
vingt caudales, en tout 46.
Les deux premières cervicales sont soudées dans l'Oulodon
du Muséum de Paris; dans le squelette d'une vieille femelle
du Musée de Christchurch, les trois cervicales antérieures sont
réunies.
J. Mûrie a représenté l'estomac; nous avons fait dessiner la
poche du larynx et ses rapports avec la trachée-artère. Le pro-
fesseur Sir Turner a publié depuis lors un bon dessin de cette
même poche, d'après un fœtus de Balœnoptera Sibbaldii que
l'on peut comparer avec celle-ci.
MM. Ray Lankester et Turner ont fait connaître la structure
de la dent qui est implantée dans une alvéole vers le milieu de
la longueur de la mandibule ; elle est remarquable chez le
mâle par sa forme et son grand développement.
M. C. Aurivilliers a étudié avec soin le point de réunion des
deux lobes de la nageoire caudale, caractère qui n'avait guère
attiré l'attention; généralement il y a une échancrure au
milieu, tandis qu'au contraire ici c'est une saillie.
Nous avons eu l'occasion de voir quelques parties molles que
Paret avait desséchées, et dont les principaux caractères étaient
encore conservés. Ainsi les intestins montraient, à leur face
interne, les mêmes alvéoles à peu près que l'on observe dans
l'Hyperoodon, et qui s'étendent sans doute sur toute la sur-
face interne de la muqueuse intestinale; c'est, croyons-nous,
une disposition commune à toute cette famille.
La trachée-artère a le caractère général de la trachée-artère
des Cétacés, c'est-à-dire, elle se bifurque, mais avant la bifur-
1 Loc. citât , p. 44.
( 107 )
cation elle fournit une bronche latérale, qui compte les mêmes
cercles cartilagineux que les deux troncs principaux.
Depuis le larynx jusqu'à l'origine de cette bronche supplé-
mentaire, nous comptons dix-sept cercles. Plusieurs d'entre
eux se divisent à leur tour et s'élargissent au point de prendre
le double des autres.
Comme nous l'avons dit plus haut dans la partie historique,
à la section de biologie de l'Association Britannique à Aber-
deen, le professeur Sir Turner a entretenu ses confrères de
l'organisation du Microptéron dont il a disséqué deux indi-
vidus.
MOEURS.
Nous ne croyons pas que la visite de l'estomac ait fait con-
naître la pâture habituelle de ce Cétacé, mais nous avons tout
lieu de penser que ce sont, comme dans les autres Ziphoïdes,
les Céphalapodes qui forment leur nourriture ordinaire.
On possède un trop petit nombre d'individus pour savoir
s'ils vivent par couples ou par schools. On ne peut rien
conclure de la capture isolée de quelques animaux. Tous ceux
que Ton a observés en Europe étaient isolés, tandis qu'on en a
vu échouer plusieurs à la fois dans les eaux de nos antipodes.
M. Malm fils reproduit le tableau des individus connus
échoués ou capturés et sur treize d'entre eux il y a six mâles,
quatre femelles et deux dont les sexes sont inconnus; on peut
supposer que ces animaux vivent par couples, puisqu'il y en
a à peu près un nombre égal de l'un et de l'autre sexe.
La femelle qui s'est perdue sur les côtes d'Ostende était seule ;
elle a été surprise par la marée descendante. Les pêcheurs du
port la trouvèrent échouée vivante et, d'après le rapport de
Paret, qui a recueilli l'animal sur la plage, elle poussa des
mugissements pendant les deux jours qu'elle a vécu; il paraît
que sa voix sourde et caverneuse avait des rapports avec le
beuglement de la vache.
( 108 j
La femelle qui a péri le 9 septembre 1825, à un quart de
lieue au-dessus du Havre, était dans le même cas; elle est
venue à la côte en plein jour et vivait encore quand on l'a
découverte.
Ces Cétacés sont plus connus en Australie, et les naturalistes
de la Nouvelle-Zélande nous rapportent que l'on en a vu
échouer sur les îles Chatam vingt-cinq individus ensemble;
une autre fois quatre ont échoué à la fois sur les côtes de la
Nouvelle-Zélande. Ceci ferait croire que ces animaux vivent
plutôt par schools, au moins dans ces parages et à une certaine
époque de Tannée.
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
Le plus anciennement csnnu est celui qui a échoué dans la
Méditerranée en 1790, sur les côtes de Sicile, etdontRafinesque
a fait mention ; nous n'en connaissons pas le sexe.
Le second cas connu est celui d'un mâle qui a péri en 1800
ou 1804 sur les côtes d'Elginshire, en Irlande.
Nous connaissons ensuite une femelle qui est venue à la
côte en 1825, au Havre-de-Grâce, et dont Blainville a donné la
description.
La môme année un mâle a péri sur les côtes du Calvados
(Salenelles). Il n'est pas impossible qu'il formât un couple avec
la femelle du Havre.
Dix ans plus tard, le 21 août 1835, nous avons vu périr une
femelle à l'ouest du port d'Ostende; Dumortier en a fait la
description.
En 1864, le 31 mai, un second mâle a péri sur les côtes
d'Irlande (Brandon Bay, Coast of Kerry); c'est celui dont
M. William Andrews a reproduit la tête d'après une photogra-
phie.
Plus au nord nous voyons ensuite périr un autre mâle, le
15 juin 1869, à Nordsjan, sur les côtes du Kattegat ou du Ska-
ger-Rak.
Cette même année 1869, une femelle périt sur les côtes des
Etats-Unis d'Amérique, la dernière à Rhode Island.
( 109 )
Les côtes d'Irlande (Brandon Bay, Coast of Kerry), voient de
nouveau périr un mâle en 1870, le 31 mai.
Une autre capture est celle d'une femelle qui a péri le
3 février 1880 sur les côtes de Danemark, à Hevringholmstrand
(Jutland).
Un mâle a péri l'année suivante, en octobre 1881, sur les
côtes de Suède, près de Marstrand.
Le 23 mai 1884, un mâle a été vu sur les côtes nord-est
de Shetland (in Voxter Voe). Un jeune de sept pieds l'accom-
pagnait. Les marins l'ont attaqué et il est venu ensuite échouer
sur la plage. C'est à peu près la même place où un individu a
été capturé en avril 1881. Le professeur Sir Turner a reçu
l'animal en chair et a fait connaître le résultat de ses observa-
tions anatomiques à l'Association Britannique à Aberdeen,
comme nous l'avons déjà dit dans la partie historique.
Le 6 août 1885, un jeune mâle a été pris vivant sur les côtes
de Saltô (Bohuslân).
Nous trouvons ce Microptère également hors des mers
d'Europe.
11 visite les côtes de l'Amérique septentrionale : d'après un
crâne trouvé dans les parages de Nantuckel, on estime que
l'animal mesurait 26 pieds de longueur. Agassiz a fait part de
cette découverte à l'Académie de Boston en 1866.
On trouve également ce Microptère au nord du Pacifique :
Flnstitution Smithsonienne a reçu de l'île de Behring une tête
recueillie dans ces parages par Stejneger, qui avait été chargé
de collectionner des objets d'histoire naturelle dans ces con-
trées.
Le professeur Sir Turner reconnaît treize captures ou
échouements de cette espèce, sur le continent d'Europe ou des
États-Unis d'Amérique, dont trois sur les côtes d'Ecosse et
deux sur les côtes d'Irlande.
Depuis lors on a vu encore un individu sur la côte d'Ecosse
et un sur les côtes d'Angleterre; MM. Southwell et Clarke ont
signalé ces apparitions.
Le dernier échouement est celui d'un mâle adulte, qui a
( 110 )
échoué vivant à marée basse à l'embouchure du Humber
(Angleterre), le 41 septembre 1885.
Le Micropleron Sowcrbyi visite également la côte de Nor-
wège; nous en avons trouvé une mandibule dans les galeries
du Musée de Christiania, que nous avons tout lieu de croire
recueillie sur la côte du pays. Elle était sans indication d'ori-
gine.
Nous trouvons également ce Microptère dans la mer de nos
antipodes. Il semble même beaucoup plus commun dans ces
parages que dans notre hémisphère.
11 se trouve également sur les côtes est de Patagonie et aux
îles Falkland.
M. Moseley en a rapporté le squelette d'un animal de 14 pieds,
et il m'informe qu'il a reçu de Pandy-Point (détroit de Ma-
gellan) une dent de Mesoplodon Laijardi, en tout semblable à
celles qui sont connues.
Comme l'Hyperoodon est représenté chez nos antipodes par
une espèce distincte évidemment du même genre, le Microp-
téron est représenté de même dans l'autre hémisphère par une
espèce qui a les dents eztraordtnaimnent développées, le
Micropteron Layardi.
MUSEES.
Jusqu'à présent on ne connaît qu'un petit nombre d'indi-
vidus capturés et dont le squelette ou le crâne sont conservés.
A Paris on voit la peau empaillée de l'animal échoué au
Havre, en 182o.
A Caen on possède le crâne et la colonne vertébrale de celui
qui a péri sur les côtes du Calvados, à l'embouchure de l'Orne.
A Bruxelles se trouve le squelette de l'animal pris vivant
près d'Ostende et préparé par Paret.
A Dublin (Royal Dublin Society), le squelette d'un animal qui
est venu à la côte en Irlande.
Au Musée anatomique d'Oxford, on conserve la tête de
( m )
ranimai qui a échoué sur les côtes d'Elginshire (Angleterre),
et qui a été décrit par Sowerby, dans ses British Miscellany.
A Edimbourg on voit, au Musée anatomique, un crâne dont
l'origine n'est pas connue et le squelette d'un mâle adulte,
capturé en 1884 ou 188o aux îles Shetland. Il figure au Musée
anatomique.
A Gôteborg se trouvent deux squelettes de mâles du Kattegat
(Nordjàn).
Au Musée de Christiana se trouve la mandibule d'une
femelle.
A Saint-Pétersbourg, au Musée de l'Académie, il existe une
tête mal conservée provenant de quelque ancienne collection,
d'origine inconnue.
Au Musée du Collège royal des chirurgiens à Londres, on
voit un squelette et des crânes de la Nouvelle-Zélande. Un
squelette de jeune mâle a été offert par M. von Haast au pro-
fesseur Flower pour le Musée de Hunter.
Au Musée de Stockholm se trouve le squelette du jeune mâle
qui a été pris vivant en 1885 à Saltô.
Au Musée de zoologie comparée de Cambridge, on trouve le
crâne, décrit par Agassiz, qui a été recueilli sur les côtes de
Nantucket.
La tête de l'île de Behring est conservée au Musée de
Washington.
A Christchurch (Nouvelle-Zélande) on conserve le squelette
d'une vieille femelle qui a ses trois premières cervicales
réunies.
Au sujet des ossements de cet animal, A. H. Malm cite les
Musées d'Oxford, de Paris, de Caen, de Bruxelles, de Dublin,
de Christiania, de Harvard, de Gôteborg, de Dublin, d'Edim-
bourg et de Berlin.
DESSINS.
II existe plusieurs dessins qui représentent parfaitement cet
animal.
( 112 )
Du mortier a figuré une femelle encore en vie, étendue sur la
plage d'Ostende. Le dessin avait été fait d'après nature par un
artiste qui habitait Ostende.
Andrews a reproduit une fort bonne photographie de la tête
du mâle.
Nous trouvons un autre dessin de ranimai dans les Archives
d'Erichson et dans l'histoire naturelle des Cétacés de Fréd.
Cuvier.
C. Aurivilliers a publié un dessin d'un jeune mâle capturé
vivant à Saltô.
On voit un beau dessin de la tête dans le British Miscellany,
tome 1er, et dans la Banksian Collection, au British Muséum. Ce
dessin est fait d'après la tête qui est conservée à Oxford.
Le squelette, le crâne et la mandibule avec les dents figurent
dans mon mémoire qui a pour titre : Sur un Dauphin nouveau
et un Ziphioïde rare ' .
Duvernoy a publié un beau dessin de la tête du Micropteron
Soiverbyi mâle et femelle.
Dans son mémoire sur les caractères ostéologiques des
genres nouveaux 2, nous voyons un dessin de la tête avec la
mandibule, sous le nom de Mesodiodon micropteron, et un
autre de la tête d'Oxford, sous le nom de Mesodiodon
Sowerbii.
Paul Gervais a fait dessiner la tête qui est déposée dans les
galeries du Muséum sous le nom de Dioplodon Sowerbiensis 3 ;
il a fait figurer aussi une partie de la mandibule avec les dents
sous le nom de Mesoplodon Sowerbiensis.
Gray a publié un dessin de la tète du mâle avec mandibule
et dent *.
Le professeur Turner a publié le dessin de la queue et l'ana-
tomie du membre thoracique de l'individu capturé en I880.
1 Van Beneden, Mcm. de l'Académie, coll. in-8°, tom. XVI, pi. 3.
* Ann. des scierie. na\t 3« sér., t. XV, 1851, pi. 2.
* Zoologie et paléontologie françaises.
 Erebusaud Terror.
(H3)
H. Malm fils a reproduit le dessin de la tête et de la mandi-
bule du mâle.
Dans VOstéographie des Cétacés nous avons représenté la tête,
les mandibules, les dents, la caisse auditive du mule de Salle-
nelles (Calvados) pi. XXVI, fi g. 1-4, le squelette delà femelle du
Havre et de celle d'Ostende (pi. XXII, fig. 1-3.)
PARASITES ET COMMENSAUX.
Nous ne connaissons jusqu'à présent qu'un seul parasite, et
il est encore bien incomplètement étudié.
L'animal qui a échoué sur la plage de Sainte-Adresse en
1825 logeait sous la peau, dans l'épaisseur de la graisse, de
nombreux kystes, dans lesquels se trouvaient des Trématodes
ou plutôt des Cestodes, que l'on a pris pour des Monostomes,
auxquels filainville a donné le nom de Monostomum Delphini.
Nous avons des raisons de croire que ce sont des scolex de
quelque Phyllobothrium.
Tomb XLI. 8
D10PL0D0N EUROP&US.
LITTÉRATURE.
P. CcrvaU, Zool. et Palêont, franc., i" edit, 4850.
Gag. Dcslonvchantpa, Observât, sur quelques Dauphins. (Bull. Soc.
linn. de Normandie, t. X, 18GG.
Fischer, Nouv. archives du Muséum d'hist. nat., t. III, p. 68.
P. Gcrvalfl, 0 si co graphie des Cétacés. Paris, 1880, p. 405, pi. XXIV.
( 4« )
HISTORIQUE.
Le capitaine Vautier, au retour d'un voyage aux colonies,
aperçut flottant sur l'eau, à l'entrée de la Manche, le cadavre
d'un grand Cétacé ; il fit enlever la tête, l'amarra avec soin à une
corde et la fit porter ensuite à Caen, où elle est conservée au
Husée.
Mon collaborateur P. Gervais a fait connaître ce crâne en le
désignant sous le nom de Dioplodon europœus.
Les avis des naturalistes sont partagés au sujet de la déter-
mination de ceZiphioïde, jusqu'à présent unique; aux yeux
de quelques naturalistes, ce Cétacé représente un vieux mâle de
M icroptère ordinaire, dont la dent, au lieu de se développer
vers le milieu de la longueur de la mandibule, se serait déve-
loppée près de l'extrémité antérieure.
Tel est l'avis du Dr Fischer et d'autres, qui pensent que cette
pièce unique ne représente qu'une modification individuelle et
qu'elle ne doit, par conséquent, pas figurer dans le relevé des
espèces. Nous ne partageons pas cet avis ; il n'est pas impos-
sible que ce Ziphioïde soit propre a l'autre hémisphère et il se
peut fort bien que jusqu'à présent il n'y ait eu qu'un seul
individu capturé en Europe. N'avons-nous pas vu apparaître
une gamme de Pseudorques en 1861 que l'on n'a plus revue
depuis et que l'on aperçut alors pour la première fois en
Europe? Peu s'en est fallu qu'il n'y eût également qu'un seul
individu de capturé !
SYNONYMIE.
Dioplodon europœus, E. Deslongchamps.
Ziphius europœus.
Mesoplodon europœus.
Dioplodon Gervaisii.
(118)
CARACTÈRES.
Ce Ziphioîde a la taille de l'espèce précédente et diffère
surtout du Microptère par la dent ou la défense qui est placée
près de l'extrémité antérieure de la mandibule.
On peut dire en faveur de l'identité de l'espèce avec le 31icrop-
teron Sowerbyi, que les dents des Ziphioïdes semblent varier
plus que celles d'autres Cétacés, et que l'on voit, dans une tête
de Berardius, de chaque côté, une dent de moins qu'il ne
devrait y en avoir. Dans l'Hyperoodon on voit également tantôt
une dent de chaque côté, tantôt deux, quelquefois trois.
M. Flower admet six espèces dans le genre Micropteron : le
Micropteron biclens ou Sowerbyi ; le M. europœus; le M. densi-
rosiris; le M. Layardi, du cap de Bonne-Espérance; le
M. Hcctori, de la Nouvelle-Zélande; et le M. Grayi ou VOulodon
Grayi.
En parlant de cette tête en 1871 dans son mémoire sur les
Ziphioïdes vivanls, M. Flower fait observer simplement que,
jusqu'à présent, il n'y a qu'un exemplaire connu de cet animal.
DESCRIPTION.
Le rostre de la seule tète connue est solide et d'une forme
un peu différente du rostre du M. Sowerbyi.
Il n'y a qu'une seule paire de dents et elles sont placées à
quelque distance de l'extrémité de la mandibule.
Ces dents montrent une partie radiculairc assez longue, dit
Gervais, ù peu près rectangulaire quoique un peu curviligne en
arrière et faiblement oblique en avant, amincie au contraire
dans le sens bilatéral. La couronne est triangulaire, très faible-
ment convexe en dehors, un peu échancrée en arrière et arquée
en avant ; elle est en partie couverte de cément et ce n'est que
dans sa portion supérieure que l'ivoire est à nu.
(119)
MOEURS ET DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
Nous ne connaissons rien ni de leurs mœurs, ni de leur
distribution géographique, puisqu'on ne connaît que l'animal
qui a été recueilli ù l'état de cadavre à l'entrée de la Manche.
MUSÉES.
La pièce unique connue est déposée au Musée de Caen.
DESSINS.
Gênais a figuré les seules parties que Ton en connaisse : la
tête et les dents.
PARASITES.
On a trouvé un Conchoderma (Otion) Cuvicrii, attaché à la
dent de gauche; nous l'avons vu encore en place.
La présence de ce commensal n'est-ce pas un indice que ce
Cétacé est étranger à l'Europe ?
LA DILATURA
DANS
LES TEXTES FRANCS;
PAR
Léon YANDERkINDERE,
CORRESPONDANT DE L' ACADÉMIE.
(Lu à la Classe des lettres, dans la séauce du G février 1888.)
Tome XLI.
w
LA DILATURA
DANS LES TEXTES FRANCS.
J'aborde Tune des questions les plus controversées que sou-
lève l'étude de l'ancien droit franc. Un grand nombre d'articles
de la Loi salique, après avoir indiqué la pénalité principale qui
frappe l'auteur d'un délit, ajoutent: excepto capitale et dilatura,
sans compter le capitale et la dilatura.
Sur le capitale, point de doute; c'est la chose elle-même
qu'il s'agit de restituer à son propriétaire, l'animal volé, par
exemple, ou tout au moins son équivalent. Mais quel est le sens
de dilatura9. Ici les opinions sont extrêmement divergentes.
Les fragments d'une ancienne version haut-allemande, datant
du IXe siècle, rendent le excepta capitale et dilatura parforuzzan
haupilgelt inti wirdriun {Lex salica, Ed. Hessels, p. XLIV);
haupitgelt, hauptgeld, c'est bien le capitale dans l'acception
signalée plus haut ; mais wirdriun n'éclaircit guère le pro-
blème, car les philologues ne sont pas d'accord sur l'interpré-
tation qu'il y a lieu de donner à ce mot. -
L'opinion la plus ancienne est qu'il faut voir dans la dilatura
des dommages -intérêts, dus notamment pour le têtard que
le défendeur, niant sa culpabilité, a mis à s'exécuter (Cujas,
cité par Bignon * : id quod interest propler moram ; Heinec-
cius * : quod pro mora datur ; Eccard 3 : mora sua cuilibet
1 Bignonius, Marcul/i formulœ (1665), p. 143.
* Heineccius, Elément, jur. German., II, 21.
* Eccard, Leges Francarum, p. 45.
— 4 —
nociva). Cette interprétation est acceptée par Grimm, dans la
préface de l'édition de la loi salique de Herkel (p. lxxxv), par
Behrend i ( « Verzugsinteresse » ), par v. Richthofen (Lex Thu-
ringorum, p. 130, note 71), par Sohm ipoena quœ a reo negante
postea convicto, pro mora solvitur {Lex Francorum Chamavorwn,
p. 274, note 25*). H. Thonissen, dans la seconde édition de
son important travail sur Y Organisation judiciaire de la loi
salique y sans s'y rallier complètement, la déclare vraisem-
blable (p. 273). La dilatura serait donc une peine moratoire;
on a même dit : les intérêts moratoires, bien que cette expres-
sion, qui n'est applicable qu'au produit d'une somme d'argent,
soit assurément déplacée dans l'espèce.
Toutefois, cette manière de voir trouve des contradicteurs.
Waitz se refuse à l'admettre 3. L'hésitation provient surtout de
la difficulté qu'il y a de formuler, d'après la loi salique, une
théorie satisfaisante des applications de la dilatura. Cette péna-
lité supplémentaire est en effet mentionnée pour des délits
sans importance ; elle est omise quand il s'agit des attentats
les plus graves. « Pourquoi, disait M. Thonissen dans sa pre-
mière édition où il prenait parti pour les idées de Waitz, pour-
quoi aurait-on astreint le voleur d'un esclave, d'un animal,
d'une clochette, à l'obligation de payer.... des intérêts mora-
toires ou autres, tandis qu'on en aurait dispensé le voleur d'un
homme libre de naissance? » (p. 184.)
Cependant les autres explications proposées ne sont guère
plus admissibles.
Pithou [Glossarjum), s'appuyant sur une glose: delatura,
m
fredOy avait cru qu'il fallait assimiler la dilatura au fredum,
c'est-à-dire à la part de la composition attribuée au fisc. Cette
1 Lex Saliva, Glossar V° Dilatura.
* Un passage de la Lex Visigotfwrum, II, 1, 18, peut aussi être invoqué
ici : Et si,., se dilataverit aut adjudicium venire contempserit pro dilatione
sola V auri solides petitori ... exsolvat. Seulement le défendeur ne nie pas
dans ce cas; il refuse de comparaître. Cf. Gaupp, Lex Francorum Chama-
vorum, p. 74.
3 Dos alte Recht der Salischen Frankcn, pp. 196 et suiv.
— S —
opinion est contredite par les textes qui distinguent nettement
les deux choses :
L. Angliorlm, VII, 2 : ....delaturam sol 7 et in freda totidetn.
L. Sal. XXXV, 6 : ....inter freto et faido sunt 1800 dinar, qui
foc. sol. 45, excepto capitale et dilatura.
Grimm (dans les Rechtsalterthûmer i), Eichhorn *, Wilda 3,
ont proposé de voir dans la dilatura la récompense accordée à
celui qui dénonçait le délit; cette hypothèse se fonde sur divers
passages des lois anglo-saxonnes, burgondes et visigothiques *,
qui font mention d'une prime de ce genre, et spécialement sur
les termes d'une lettre adressée à l'évêque Purchard de Saint-
Gall 5 et dans laquelle on lit : qui occulte sibi paclum fieri
petiit depretio duarum librarumpro delatura ut haecpatefaceret.
Seulement, comme le fait remarquer Waitz 6, cette lettre est du
XIe siècle; puis delatura signifie ici la dénonciation elle-même,
bien plutôt que sa récompense.
Il n'est pas douteux cependant que l'acception : dénonciation
(accusatio, calumnia, proditio)se rencontre d'une façon authen-
tique, mais elle est incompatible avec les textes mérovingiens 7,
et elle correspond à la forme delatura qu'il ne faut pas confon-
dre, bien que les manuscrits le fassent plus d'une fois, avec
dilatura. Delatura, de déferre, est en rapport wecdelatio, delator,
mais doit être nettement distingué des dérivés de differre : dila-
tura et dilatio (dans la loi ripuaire, XXXIII, 2, Her.). On n'objec-
tera pas que le mot dilatura ne figure point dans les lexiques
latins; quiconque a ouvert les leges Barbarorum sait qu'elles
ne craignent pas les néologismes.
* Deutsche Rechtsalterthûmer, p. 655.
* Deutsche Staats- und Rechtsgeschichte, I, § 71.
* Strafrecht der Germanen, pp. 901 et suivantes : « Ànbringelohn. »
4 Meldefeoh, i. e. pecuniam indication^ vel delaturam (ancienne version
latine des lois du roi Ine, dans Schmid, Gesetze der Angelsachsen, p. 39).
— Lex Visigoth., VII, I, 4 : Si quis furem prodiderit... non plus pro
indicio accipiat... Et delator non ampliusjam requirat.
» Goldast, Scriptor. rer. Alsatic, II, p. 56.
6 Dos aile Recht, p. 197, note 4.
7 Sauf peut-être en un seul passage sur lequel je reviendrai plus loin.
- 6 —
Le défaut de toutes ces interprétations est d'ailleurs qu'elles
n'expliquent en aucune façon pourquoi la dilatura figure dans
certains articles de la Loi, et pourquoi elle est absente des
autres.
C'est pour ce motif également que l'on pourrait rejeter d'em-
blée l'hypothèse de Wendelinus * et de Wiarda 2, qui font de
la dilatura l'équivalent des frais judiciaires. Hais, de plus, est-il
conforme à l'esprit de la législation franque de supposer l'exis-
tence de frais de justice ? Il ne peut être question de fournir
des indemnités aux témoins, ni de rétribuer les juges ou de
payer des employés quelconques, et, en tout cas, ces frais
seraient aussi réels lorsqu'il s'agit d'un assassinat que pour un
simple vol.
Mais, de réfutation en réfutation, on est conduit à désespérer
d'une solution rationnelle, et c'est ainsi, je pense, que Waitz a
fini par proposer une explication qui a le premier défaut, à
mes yeux, de ne rien expliquer du tout.
La dilatura, dit-il, est « une espèce de peine qui portait un
certain caractère public, mais n'était encourue que dans des
cas déterminés par la loi 3 ». M. Thonissen, dans sa première
édition (p. 184), avait à peu près accepté cette formule; il la
modifiait en disant : « c'est une somme fixée par la coutume et
qui, dans certains cas, venait s'adjoindre à la composition ».
On conviendra que ces définitions sont singulièrement
vagues. Presque toutes les pénalités franques consistent en
sommes fixées par la coutume. Pourquoi celle-ci, dans certains
cas, et dans quels cas, vient-elle s'adjoindre à la composition?
Est-ce à la composition qu'elle s'ajoute ou au capitale9. Pour-
quoi cette peine a-t-elle un « certain caractère public » ? Waitz
entend-il par là qu'elle serait dévolue au fisc? C'est ce que dit
1 Leges Salicœ illustrâtes (4649) : Sumptus qui fiunt in causse proseca-
tione, dum inficiando lis crescit.
* Wiarda, Erlâuterung der Lex Salica, p. 281.
3 Dos alte Recht, p. 199 : Es scheint nichts ûbrig zu bleiben als die
dilatura fur eine Art der Strafe zu halten die einen gewissen ôffentiiehen
Charakter an sich trug, aber nur in bestimmten FaUen vorkam.
— 7 —
Walter qui l'approuve * , et cependant les textes établissent le
contraire *.
Mais surtout pourquoi cette peine ne frappe-elle que certains
délits, souvent les moins graves? L'objection formulée par
M. Thonissen conserve ici toute sa force : est-il vraisemblable
qu'une pénalité supplémentaire, sans caractère déterminé, soit
appliquée au vol de 40 deniers et qu'elle ne le soit pas à l'in-
cendie d'une maison ?
Nous voilà bien loin d'une conclusion satisfaisante et l'on
pourrait être tenté de dire avec Scherrer (Zur Lex Salica, Zeit-
schrift fur deutsche Rechtsgeschichte, XIII, 265) que le mieux,
pour le moment, est de s'abstenir et de traduire dilatura par
« quelque autre prétention du demandeur 3 ».
Je crois cependant qu'un pareil scepticisme va beaucoup
trop loin et j'essaierai de démontrer que la première opinion,
celle qui fait de la dilatura une espèce d'intérêts, se rapproche
le plus de la vérité, qu'il importe seulement de la formuler en
termes un peu différents et qu'alors on parvient même à
rendre compte, à très peu d'exceptions près, de tous les cas
particuliers qui se présentent dans la loi salique et dans les
autres textes mérovingiens.
La première chose à faire est de noter les passages dans les-
1 Walter, Deutsche Rechtsgeschichte, p. 758.
1 XXII... Ei vero cujus annona est, alios DC din. qui foc. sol. XV cul p.
jud., excepto capitale et dilatura. Il est vrai que la mention de la dilatura
ne figure que dans les textes 6, Herold et Entend.; mais si les rédacteurs
plus récents pouvaient se tromper sur l'application de la dilatura, ils
savaient certainement à qui elle était attribuée. Dans cet ordre d'idées,
je puis invoquer ici le t. XII, 2 : Dominus vero servi qui furtum fecit
capitale et dilaturam requirenti restituât. Ce texte ne se rencontre sous
cette forme que dans le C. 1, Herold et Entend., mais, encore une fois,
quelque doute que Ton puisse avoir sur l'étendue des obligations du
mailre d'un esclave (voir VII, pp. 30 et suiv.), les rédacteurs n'auraient
pas écrit requirenti, si, en fait, c'était le fisc qui percevait la dilatura.
5 « ... wird man am besten thun es mit « sonstigem klâgerischen
Anspruch » zu ûbersetzen. » — Déjà Ducange, V° Delatura et Pardessis,
Loi salique, p. 363, préfèrent ne pas conclure.
^8 -
quels apparaît la dilatura et de rechercher si de cette analyse H
se dégage une loi.
Malheureusement les manuscrits de la loi salique offrent,
sur ce point surtout, d'extrêmes divergences. On sait qu'ils
appartiennent à quatre familles principales * : la plus ancienne
qui, sous sa forme actuelle, remonte sans doute à Glovis, la
deuxième de la fin du VIe siècle , la troisième de l'époque de
Pépin le Bref, la quatrième, connue sous le nom de lex emen-
daiay des premières années de Charlemagne. II faut y ajouter
le texte d'Hérold, qui repose sur un manuscrit aujourd'hui
perdu et dont la valeur est assez problématique.
Hessels, dans son édition 2, a publié onze textes appartenant
a ces diverses familles avec leurs variantes.
Or, la mention de la dilatura y est fort irrégulière et, quand
elle fait défaut, on n'a presque jamais la certitude absolue que
cette absence n'est pas due à Terreur, à l'oubli d'un rédacteur
ou d'un scribe.
Voici, par exemple, le titre II qui traite du vol des porcs.
Sur seize articles, le texte I de Hessels porte la dilatura aux
articles 4, 5, 6 (par analogie de 8), 7, 10, 11, 12, 15 et 16 : vol
d'un porc d'un an, de deux ans, de deux porcs de cet âge, d'an
verrat ou d'une truie, d'un porc destiné au sacrifice, de plus
de 25 porcs ou de 50 porcs pris dans une harde plus nom-
breuse ; mais il n'en est pas question aux articles 1, 2, 3, 8, 9,
13 et 14, qui traitent du vol d'un cochon de lait, d'un petit
cochon sevré, d'une truie qui allaite, d'un porc majale non
destiné au sacrifice, de 25 porcs formant un troupeau entier.
Il est visible que ces différences sont tout arbitraires. Il n'y
a aucune raison pour refuser à l'homme auquel on a dérobé
25 porcs la satisfaction qu'on lui donnerait si on ne lui en avait
pris qu'un seul.
1 Voir Behrend, Die Textenltmckelung der lex Salica (Zeitschrift fïir
Rechtsgeschichte, XIII, 1 et suiv.), et Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte,
I, pp. 293 et suiv.
* London, 1880.
- 9 -
Les autres textes montrent, pour le même titre, des inéga-
lités aussi inexplicables et qui ne correspondent pas à celles
du premier.
Seuls, le texte d'HeroId et la Lex Emendata mentionnent la
dilatura à tous les articles.
Pareillement au titre III : Du vol de bestiaux, le texte 1 ne
parle de dilatura qu'à l'article 7 : vol de 13 à 25 bêtes, tandis
que tous les autres textes la citent sans exception à tous les
articles.
On peut croire que les rédacteurs les plus anciçns ont par-
fois omis, par inadvertance, d'inscrire la dilatura; mais, en
revanche, il est possible aussi que la Lex Emendata, arrêtée à
une époque où l'intelligence des institutions primitives s'était
un peu oblitérée, ait introduit le terme systématiquement et
par amour de la symétrie, même là où il ne devait pas être.
C'est aussi le cas pour le texte d'Herold. Merkel i avait pensé
([u'Herold avait dans son édition combiné arbitrairement plu-
sieurs manuscrits. Behrend considère cette affirmation comme
trop absolue; il admet néanmoins qu'Herold a complété cer-
taines dispositions, en s'en référant surtout à la Lex Emendata*.
Et il me paraît indéniable que cela est vrai surtout pour les
mentions de la dilatura.
De ces constatations il ne faudrait pas conclure à une incer-
titude absolue; j'ai voulu mettre en garde seulement contre un
attachement trop littéral à la lettre des manuscrits ; les exem-
ples que j'ai cités pour les vols de bestiaux et de porcs prou-
vent que de la sorte aucune interprétation n'est possible.
L'examen des tableaux suivants fera voir au contraire que dès
l'abord quelques principes généraux apparaissent nettement.
4 Merkel, Lex Salica, p. xcvi.
1 Behrend, Zeitschrift fur Rechtsgeschichte, XIII, 31 : Ich halte es nicht
blos fur mdglich, sondern sogar fûr wahrscheinlich, dass Herold den von
ihm zu Grande gelegten handschriftlichen Text durch Einfûgung von
Zusatzen vermehrt hat, die er aus anderen Hdss. oder auch aus gedruck-
ten Exemplaren schôpfte. Namentlich scheint er die Emendata zu diesem
Zweck benutzt zu haben.
— 10 —
À. Cas dans lesquels la dttatura est mentionnée par la plupart
des manuscrits :
Titre II. Vol de porcs.
III. Vol de bêtes à cornes.
IV. Vol de brebis.
V. Vol de chèvres.
VI. Vol de chiens.
VU. Vol d'oiseaux.
VIII. Vol d'abeilles.
IX. Détention et mutilation de l'animal d'autrùi qui a commis des
dégâts dans une moisson.
— - Dommage causé à un animal d'autrùi par négligence.
X. Vol d'esclaves.
XI et XXVII. Vol d'objets divers commis par des hommes libres.
XXXVIII. Vol de chevaux.
XXXIX. Action d'embaucher et d'enlever un esclave d'autrùi.
XLVIII. Fait d'amener un faux cojurateur.
LXV. Action de decorticare un cheval.
B. Cas où la dilatura n'est citée que par la minorité des
manuscrits (d'après l'édition de Hessels) :
Titre IX, 4. Dommages causés dans un champ par les bôles d'autrùi (C. 7 à !*,
Her. et Emend.).
8. Reprise violente de bestiaux enfermés pour le dommage qu'ils ont
causé (Herold et Emend.).
6. Acte d'introduire méchamment des bestiaux dans un champ (Em.).
XII. Responsabilité du maître pour les Vols commis par des esclaves
(4 et Herold.).
XIII. Rapt d'une femme libre (Herold.).
XIV. Meurtre d'un homme libre endormi (8, 6, Emend.).
XVI. Incendie d'une étable a porcs (4, Herold et Emend.).
— — d'une maison (Her. et Emend.).
— Acte de couper une haie (8 et 6).
XXI. Vol de bateaux (7, 8, 9, Her. et Emend.).
XXII. Vol commis dans un moulin (8, Her. et Emend.).
XXVII. Vol d'une clochette de porc (4, 2).
Vol d'une entrave de cheval (4).
Vol dans un jardin (1).
Vol de lin, dans une charrette (4, 2).
Vol de lin, sur le dos (8, 6, Emend.).
Vol de foin, sur le dos {Emend.).
Vol de vin, dans une charrette (4, 8, 6, Emend ).
Vol de bois dans une forêt (Her. et Emend.).
Vol de filets (2).
Vol de gibier (4).
LV. Vol dans une église avec incendie (7, 8, 9, Her. et Entend).
— u —
C. Cas où la dilolura n'est citée par aucun manuscrit :
Titre I. Relus de comparaître en justice.
XIII. Rapt (sauf Beroîd).
XIV. Attaque et spoliation d'hommes libres (sauf 5, 6, Emend. pour un
homme endormi).
XV. Homicide d'hommes libres et enlèvement d'une femme mariée.
XVL Incendie d'une maison (sauf Her. et Emend ).
XVII. Blessures.
XVIII. Accusations portées devant le roi contre un absent.
XIX. Empoisonnement et maléfices.
XX. Blessures ou attentat à une femme libre.
XXIII. Acte de monter le cheval d'autrui.
XXIV. Meurtre d'enfants.
XXV. Fait d'avoir commerce avec une esclave d'autrui.
XXVI. Affranchissement de l'esclave d'autrui.
XXVIII. Fait de soudoyer quelqu'un pour un crime.
XXIX. Mutilations.
XXX. Injures.
XXXI. Fait de détourner violemment un homme de sa route.
XXXII. Acte de lier sans cause un homme libre.
XXXI V. Destruction de haies.
XXXVI. Responsabilité pour la mort d'un homme causée par un animal
domestique.
XXXIX. Tentative d'enlever l'esclave d'autrui.
— Enlèvement d'un Franc libre ou d'un Romain libre.
XL et XII, 2. Vol commis par des esclaves, obligations du maître (sauf 1 et
Her. XIII, 21.
XL1. Meurtre d'hommes libres, antrustions, convivœ régis, etc.
XLII. Meurtre perpétré en bande.
XLIII. Meurtre dans un festin.
XL VI H. Faux témoignage et faux serment.
XLIX. Refus de témoigner.
LU. Refus de restituer une chose prêtée.
LIV. Assassinat d'un graphio.
LV. Dépouillement d'un cadavre.
LVII. Refus de la part de rachimhourgs de prononcer un jugement.
LXI. Acte d'enlever un objet des mains d'autrui.
LX1II. Meurtre d'un homme à l'armée.
LXIV. Inculpations fausses.
Je ne mentionne pas ici les titres où il est question d'actes de
procédure ou de juridiction volontaire (aflatimus, reipus, etc.)
et dans lesquels aucune espèce de pénalité ne peut figurer.
— 12 —
Tirons de cette énumération les conclusions les plus appa-
rentes :
1° Dans la plupart des cas de vols, il y a lieu à dUatura;
2° La dilatura n'est pas due pour assassinat, rapt, viol, bles-
sures, mutilations, incendie, injures, maléfices, empoisonne-
ments, faux témoignage, etc., ni de la part du maître quand il
s'agit d'un vol commis par un esclave;
3° Elle n'est pas indiquée pour certains crimes ou délits qui
impliquent cependant un vol ou qui tout au moins ont pour
effet de priver le propriétaire de sa chose. Tels sont l'acte de
détruire une maison et ce qu'elle contient, d'affranchir l'es-
clave d'autrui, d'attaquer et de dépouiller un homme libre, de
dépouiller un cadavre ;
4° Sur certains points, mentionnés dans le tableau B, les
textes présentent de graves divergences. Visiblement les rédac-
teurs se sont trouvés embarrassés et ils ont tranché la difficulté
en s'inspirant tantôt d'une analogie, tantôt de l'autre.
Mais cette première constatation faite, est-il possible d'aller
plus loin et d'établir des règles qui donnent les grandes lignes
de la théorie franque et qui justifient même les exceptions
apparentes?
Voici comment j'essaierai de formuler ces règles :
La dilatura représente essentiellement les fruits que le pro-
priétaire a été empêché de percevoir. Il ne suffit pas qu'on lui
restitue la chose qu'un tiers s'est indûment appropriée; il
faut de plus qu'on l'indemnise de la jouissance dont il a été
privé. C'est ce qui explique que la dilatura est presque toujours
jointe au capitale, et que là où il ne peut être question du rem-
boursement du principal, il n'y a pas lieu davantage à la remise
des intérêts.
J'en conclus que les seuls délits entraînant la dilatura seront
des vols ou des délits connexes, par exemple la destruction
ou la détention illégale d'un objet qui équivaut à un vol pour
le propriétaire.
La dilatura n'est donc pas un accessoire de la composition,
et ce n'est pas le retard de consentir à la composition qui lui
- 13 -
donne naissance. S'il en était ainsi, la loi devrait comminer
la dilatura dans tous les procès, dès que la litis contestatio est
faite, et non seulement pour vol, mais pour un délit quel-
conque, et il en résulterait aussi qu'un coupable en aveu ne
devrait jamais la réparation spéciale du dommage causé par la
privation des fruits, quelle qu'en fût la durée. Or les textes
excluent formellement ces hypothèses.
La définition d'après laquelle la dilatura ne courrait qu'à
partir de la dénégation du défenseur est beaucoup trop étroite ;
c'est le fait délictueux lui-même qui la provoque. Au lieu de
parler d'intérêts moratoires, c'est intérêts compensatoires qu'il
faut dire, en prenant ce terme dans le sens que lui donnent les
juristes modernes i .
4 Voici, à l'appui de cette distinction, quelques citations qu'a bien
voulu rassembler pour moi mon collègue, M. £. Van der Rest :
ârntz, t. III, n° 79, alin, 2 : « Les intérêts sont compensatoires ou
moratoires. Les intérêts compensatoires sont ceux dus pour l'usage d'un
capital ou l'équivalent du prix d'une chose productive en fruits. Les
intérêts moratoires sont dus à raison du retard d'acquitter une obligation
ayant pour objet une somme d'argent.
Demolombe, t. XII, n° 613 : Le Code ne s'occupe dans l'article 1153 que
des intérêts moratoires. Aux intérêts moratoires- on oppose les intérêts
compensatoires, qui sont eux-mêmes de deux sortes, à savoir : conven-
tionnels, lorsqu'ils sont stipulés par le créancier pour prix de la jouis-
sance d'une somme d'argent par lui prêtée au débiteur ; judiciaires,
lorsqu'ils sont alloués au créancier par le juge , pour la réparation de
tout autre dommage que celui résultant du retard dans l'exécution d'une
obligation ayant pour objet une somme d'argent, et comme complément
accessoire de l'indemnité pécuniaire à laquelle le débiteur est condamné
envers lui. Il importe de ne pas les confondre.
Larombière, Traité des obligations, t. II, art. H53, n° 2 : Si l'on peut
stipuler des intérêts dans un prêt de choses fongibles comme dans un
prêt de deniers, il ne faut pas croire que lorsqu'il s'agit de dommages et
intérêts pour retard dans le payement de choses fongibles, le créancier
n'ait droit qu'à des intérêts proprement dits et dus seulement en vertu
d'une demande judiciaire; il ne s'agit plus alors d'intérêts, mais de
dommages et intérêts véritables dont la loi n'a point fait l'évaluation à
priori et à forfait. En un mot, là où il s'agit du payement, non de deniers,
mais de toute autre chose, fût-ce même d'une chose fongible et susceptible
— 14 -
Appliquons ces principes généraux aux cas particuliers, afin
de les préciser et d'en vérifier l'exactitude.
I. Vol d'animaux et d'esclaves. — C'est à propos des vols d'ani-
maux et d'esclaves que tous les textes de la loi salique mention-
nent le plus fréquemment et le moins irrégulièrement la (Mo-
llira, et en effet la notion des fruits apparaît ici clairement. Par
fruits il faut entendre aussi bien le croît des animaux que leur
travail, comme celui des esclaves.
Les exceptions qui ne sont pas nombreuses trouveront leur
explication plus loin. Je ne citerai pour le moment que le fait
d'avoir affranchi l'esclave d'autrui ; à première vue, c'est un vol,
et assurément le délit a pour conséquence de priver le proprié-
taire de la jouissance de sa chose; néanmoins la loi ne pres-
crit ni la restitution de l'esclave ni la dilatura. Elle se borne à
enjoindre au coupable de rembourser, en sus de la compo-
sition, pretium servi, le prix de l'esclave (XXVI, 2). Il en
résulte que l'affranchissement restait valable : l'affranchi con-
servait la liberté *. Nous verrons, de plus, que l'homme libre
n'était pas considéré comme producteur de fruits; c'est cette
conception qui domine dans le cas actuel et qui empêche qu'on
ne réclame du défendeur l'équivalent d'un travail que l'affran-
chissement avait eu pour effet d'anéantir.
à ce titre de produire des intérêts conventionnels, il n'y a pas lieu à
l'indemnité légale des intérêts moratoires; il y a lieu à des dommages-
intérêts dans toute la force du mot, excepté dans le cas de prêt, s'il y a
retard dans le remboursement, ou s'il y a une stipulation expresse
d'intérêts.
Dans le même sens : Dalloz, Répertoire, v° Obligations, n° 844;
Laurent, t. XVI, n<» 306 et 326.
4 Les Capitula legi Salicœ addita de 819 (Ed. Boretius, I, p. 292),
interprétant la Lex Emendata, XI, 3, qui assimile l'affranchissement au
meurtre de l'esclave et commine le capitale et la dilatura, décident que
l'affranchi ne gardera pas la liberté; mais la question était controversée :
dixerunt aliqui, quod idem servus, qui ingenuus dimissus fuerat, denuo
ad servitium redire non debeat; sed pristino domino et servitio resHtotfus
fiât, judicaverunt, et cette interprétation est sans valeur au point de vue
du droit ancien*
— 15 —
II. Vol d'objets. — On peut se demander d'abord si les Francs
avaient la notion bien nette des fruits résultant de l'usage d'une
chose, telle qu'un instrument aratoire, un bateau, une clo-
chette, une pièce de bois, etc.
Il semble que les rédacteurs de la loi salique aient eu à cet
égard beaucoup d'hésitations. Ils mentionnent la dilatura pour
vol commis en dehors d'une maison, vol commis dans un
jardin, vol perpétré avec de fausses clefs, vol d'objets valant
plus de cinq dinarii, vol de lin, de foin, de filets de pêche, etc.
Mais ils l'oublient quand il s'agit du vol commis à l'intérieur
d'une maison, dans une cave (screona), du vol de fèves, de len-
tilles, de navets.
Ce serait pousser la subtilité un peu loin de vouloir expli-
quer ces divergences. Parfois cependant on devine ce qui les a
déterminées.
Il est des cas où le délit consiste plus dans l'intention que dans
la gravité du dommage. La restitution des fruits et même celle
du capitale ont alors si peu d'importance que la composition
elle-même indemnise suffisamment et largement le propriétaire.
Ainsi le vol de raisins dans un vignoble ne donne pas lieu
à dilatura * ; mais il en est autrement si le voleur a rapporté
chez lui dans une charrette le produit de son larcin :
Même distinction pour le vol de foin.
XXVII. 10 et si fenutn exinde ad dojnum suam duxerit et
discargaverit excepto capitale et dilatura, 4800 dinar., qui
faciunt sol. 45, culpab.judicetur.
H. Si veto tantum praesumpserit quantum in dorsum suum
portaverit, 120 dinar., qui faciunt sol. 3, culp.judicetur.
On voit que si la quantité soustraite est insignifiante, la
dilatura est négligeable.
4 XXVII , 12. Si quis vinea aliéna in furtum vindimiaverit et inventus
fuerit... sol. XV culp. judicetur (aucun texte n'ajoute : excepto capitale et
dilatura).
13. Si vero vino ad domum suam exinde duxerit (plusieurs textes : in
carro duxerit) autdiscarecaverit, ... sol. XLV culp. judic., excepto capitale
et dilatura (C. 3, 4, 5, Emend.).
— 16 —
De cette façon s'expliquent les dispositions qui frappent
d'une simple amende de 3 sous celui qui a pris des navets
dans un champ (XXVII, 7), celui qui a passé avec une charrette
dans le blé à l'époque où le grain commençait à lever
(XXXIV, 2), et de 15 sous, s'il ouvrait déjà ses feuilles
(XXXIV, 3), de 15 sous également celui qui fait un trou dans
une haie, en enlevant trois piquets ou en coupant les liens qui
les retiennent (si quis veto très virgas unde sepes super ligaiur
vel retorta unde sepes continetur capulaverit aut très cambortas
involaverit XXXIV, 1).
C'est probablement pour la même raison que YexpoUatw
d'un esclave ou d'un lite par un homme libre ne donne lieu ni
à la restitution du capitale, ni à la dilaiura (XXXV, 2,3,4).
Les victimes de cet acte de violence ne portaient pas sur elles
des valeurs considérables : la loi prévoit les cas où les objets
enlevés valaient moins d'un sou ou plus d'un sou, et elle
commine, en conséquence, des peines de 15 sous et de
30 sous (35 pour le lite), qui sont censées fournir une indem-
nité suffisante.
Pareillement, s'il faut traduire le titre LXI, 1 : si quis aUeri
de manum suam desuper atierum aliquid rapuerit, comme on le
fait généralement, et y voir le fait d' « arracher brusquement un
objet des mains de son propriétaire »(Thonissen, p. 326, 2° éd.),
on dira qu'ici la restitution du capitale peut se justifier (rem in
caput reddat), mais que la dilaiura est exclue par l'insignifiance
même du vol.
Je dois ajouter cependant que cette interprétation me paraît
bien douteuse. Ce qui saute aux yeux, c'est que de manu(m)
sua(m) du premier paragraphe est opposé à in manu tertia du
second. Or, la manus tertia est une expression figurée; miltere
in manum tertiam, c'est faire rechercher le tiers qui a eu pos-
session de la chose volée et qui est l'auteur du possesseur actuel.
Dès lors, rapere aliquid alteri de manu sua, n'est-ce point
enlever une chose à celui qui la possède, dans le cas où il n'y
a pas eu dHntertiatio, et desuper alterum ne signifie-t-il pas que
cette chose est la propriété d'un autre? Il s'agirait, si cette
— 17 —
interprétation est admissible, du vol d'un objet commis au
détriment de celui qui n'en est pas propriétaire, et l'absence de
dilatura serait due précisément à cette dernière circonstance.
Waitz (Basalte Recht, p. 198) pense que la dilatura n'est pas
exigée parce que la restitution de la chose arrachée de la main
est immédiate. Il est certain que nous sommes ici en présence
d'un furtum manifestum; mais pour en conclure que la restitu-
tion se fera sur-le-champ, il faudrait admettre que le voleur
fût, dans tous les cas, arrêté en flagrant délit, ce que l'article
ne dit en aucune façon.
En réalité, les textes sont extrêmement défigurés et presque
inintelligibles. Déjà, le rédacteur du C. 1 a lu au § 2; in terra
raanum pour in tertia manum ; il a supposé alors que in terra
se rapportait aux mots précédents : desuper hominem, et pour
plus de clarté, il a ajouté : mortuum. Cette idée de l'homme mort
l'a conduit à intercaler un paragraphe relatif à la spoliation du
cadavre qui n'avait rien de commun avec les autres articles.
Les textes suivants sont encore moins satisfaisants :
C. 2. Si quis alteri super illo idem mano super illo alique
inripuit (?).
C. 3. Si quis alteri de manu per virtutem aliquid tulerit desu-
per illam rem
Dans les plus récents, on arrive à une formule très claire :
Si quis alteri de manu aliquid per vim tulerit; mais elle a l'in-
convénient d'être absolument étrangère à la disposition du § 2,
qui s'occupe du vol d'une chose frappée de saisie-arrêt.
Au titre XXVII , De furtis diversis, rien ne paraît plus arbi-
traire que les dispositions des articles 1 et 2 , telles que les
donnent les textes 1 et 2.
1. Si quis tintinno de porcina aliéna furaverit, sol. XV
culp.jud., excepta capitale et dilatura.
Si quelqu'un vole la clochette d'un troupeau de porcs, il
doit 15 sous, plus le capitale et la dilatura.
2. Si vero de pecoribus involaverit, sol. III culp. judic.
S'il vole la clochette d'autres bestiaux : 3 sous, sans capitale
ni dilatura.
Tome XLI. 2
— 18 —
Il est possible, en effet, que la différence soit imputable à la
négligence des copistes *. Je me hasarde cependant à suggérer
l'explication suivante. Les vaches étaient des animaux que Ton
pouvait reconnaître facilement; la loi salique expose toute la
procédure extrajudiciaire par laquelle on les réclamait après
les avoir suivies à la trace. Les porcs, au contraire, encore à
demi-sauvages, pouvaient être considérés comme perdus si leur
clochette était enlevée. De là l'élévation de la composition qui
équivaut pour le vol d'une clochette à celle du porc adulte
(tit. Il, 5), et la mention du capitale et de la dilaiura, probable-
ment pour Tanimal lui-même.
Ce qui tend à confirmer cette interprétation, c'est que le
droit franc empêchait là recherche des traces, le vestigium
tninare, pour des vêtements ou d'autres objets analogues qui ne
portent pas de marque distinctive 2,
Et ceci nous permet de supposer que l'absence de la dilatwra
pour vols commis dans une maison ou dans une cave, screona
(où. travaillaient les servantes), a sa raison d'être. On ne pouvait
guère y soustraire que des vêtements ou d'autres choses peu
reconnaissables, qu'il était interdit de suivre et de faire saisir.
Dès lors la restitution in capite était impossible et la dilatwra
partageait le sort du capitale.
Ceci n'est cependant qu'une hypothèse à laquelle je n'attache
pas d'autre valeur et, sans chercher aussi loin, on serait tenté
de supposer que c'est la seule mention des porcs qui a amené,
par une association d'idées fréquemment répétée, le mot dila-
tura sous la plume du rédacteur.
Je constate, en effet, que dans la Lex Angliorum et Wertiw-
rum, id est Thuringorum, il n'est question que deux fois de
dilatura : pour vol des bijoux d'une femme (rhedo) et pour vol
d'un troupeau de porcs (art. 37 et 38).
Par une exception analogue, la loi salique, qui ne parle
1 Les textes 3 et suivants suppriment la mention du capitale et de la
dilatura.
* L. Rib. LXXII, 9. Vestimenta autem seu his similia, absque probabiU
signo, inter tiare prohibemus.
— 19 -
point de la dilatura à propos de l'incendie d'une maison ou
d'une grange, la fait reparaître (du moins dans trois textes :
C. 1, Herold et Emetulata) pour l'incendie d'une étable à porcs
ou à bestiaux.
J'examinerai plus loin s'il est possible d'expliquer pourquoi
la destruction d'un bâtiment ne produit pas les effets légaux
d'un vol.
III. Une condition nécessaire pour que le capitale et la dila-
tura soient exigibles, tant pour vol d'animaux que d'objets,
c'est que les choses volées aient été réellement la propriété
du demandeur.
Examinons à ce sujet le cas du vol commis dans un moulin.
Le meunier n'est pas propriétaire de la farine qui lui a été
dérobée. On lui doit une amende de 1S solidi.
XXII, 1 : Cui molinus est, hoc est ipso molinario, 600 dinar,
qui faciunt sol. 45 culp.judicetur.
Pas un seul manuscrit ne lui attribue capitale ou dilatura.
Mais l'homme qui avait porté son blé à moudre a droit, de
son côté, à une réparation; elle est également de 18 solidi;
seulement, plusieurs textes (S, Herold, Emendata) y ajoutent le
capitale et la dilatura, ce qui est, en effet, bien conforme aux
principes :
Ei vero cujus annona est, alios /o culpabilis judicetur, excepto
capitale et dilatura.
S'agit-il maintenant d'un délit de chasse ou de pêche, d'un
vol de gibier ou de poisson, la loi prescrit une amende, mais
elle ne parle ni de capitale, ni de dilatura *. C'est qu'en effet,
celui qui peut se plaindre parce qu'on a braconné chez lui,
n'avait pas réellement la possession des animaux volés; il n'y
avait là pour lui qu'une éventualité de capture.
Le texte de la loi ripuaire vient à l'appui de ce commentaire.
Très sévère pour toute espèce de vols, qu'elle frappe même
d'une composition égale au wergeld du voleur, elle n'exige
1 Excepté dans le texte 1.
— 20 —
que 15 solidi pour le gibier ou le poisson « quia non hic re
possessa, sed de venationibus agitur » (XLII, 1).
Cette observation est répétée (Rib. LXXVl, 1) pour le vol
d'arbres dans une forêt : quia non res possessa, sed de ligno
agitur. Et, avec la même logique, la loi salique ne cite pour
cette espèce de vols ni capitale, ni dilatura. Je crois, de plus,
que ce fait est de nature h jeter une certaine lumière sur les
articles 16 à 19 du titre XXVII, où il est question de ces délits
forestiers. Quatre cas sont prévus, que je classerai pour plus
de clarté dans Tordre suivant :
Art. 18. Vol de bois commis dans la forêt communale d'un
autre village. Les mots silva aliéna ne signifient pas, en effet,
une forêt appartenant à un particulier, ainsi que le pense
M. Thonissen; on en trouve la preuve irrécusable dans les
autres dispositions delà loi :
Art. 16, 17, et 19, qui s'occupent de vols commis dans la
forêt communale même.
Art. 16. Si quelqu'un a détruit dans la forêt le bois d'un
autre : materiam aliénant Il s'agit des arbres dont les
co-usagers, les Markgenossen, pouvaient disposer pour leur
usage personnel. Chacun marquait un certain nombre d'arbres;
celui qui, par mauvais gré, coupait ou brûlait ces arbres, était
frappé d'une composition de 15 solidi.
Si, cependant, les arbres avaient été marqués l'année précé-
dente et que celui qui en avait ainsi pris possession avait
négligé de les couper, ses droits étaient périmés et le fait de
prendre ce bois n'était pas punissable.
XXVII, 18 : Si quis arborent post annum quod fuit signatmn
praesumpserit, nullam habeat culpam t.
Il serait impossible d'expliquer cette disposition si l'on sup-
pose que la loi veut parler d'une forêt particulière; car per-
sonne n'admettra que le seul fait d'avoir marqué chez soi un
1 Les Novellœ ajoutent : Si infra annum quis eum capulaverit, 420 din.
qui faciunt sol. S culp. judicetur — addition tout à fait conforme à l'esprit
des articles anciens.
— 21 —
arbre el de ne pas Ta voir enlevé dans lo délai d'un an, donnât
à un autre quelque droit sur cet arbre *.
C'est donc bien de la forêt communale qu'il est question, et
il en est de même à l'article 17, qui prévoit le cas où un
homme enlève du bois qui a déjà été façonné d'un côté (ex una
parte dolalum), c'est-à-dire qui, manifestement, porte la trace
d'une prise de possession. Encore une fois, dans une forêt
particulière, ce détail serait parfaitement indifférent, car le
premier venu ne peut pas plus y disposer d'un arbre couvert
de son écorce que d'un arbre équarri. Remarquez, d'ailleurs,
que la peine n'est pas augmentée pour cela : 3 solidi, comme
pour les vols ordinaires. Le temps et le travail d'un homme
libre n'entrent pas en ligne de compte. Mais ce qu'il y a de
caractéristique, c'est que la loi ne parle, à propos de tous ces
délits forestiers, ni de restitution de capitale, ni de dilatura.
La chose s'explique parfaitement. Le bois n'est pas une richesse
privée; il y en a en abondance. On a pris l'arbre que quelqu'un
avait marqué dans la forêt communale, il s'en marquera un
autre. Comment, d'ailleurs, le délinquant pourrait-il fournir
au demandeur un arbre en remplacement du sien, si ce n'est
en le coupant lui-même dans la forêt qui appartient à tous?
Dès lors, la dilatura ne peut prendre naissance, car on n'a
* La loi des Burgondes porte :
XXV11I. Si quis Burgwndio aut Romanus silvam non habet, incidendi
ligna ad usus suos de jacentivis et sine fructu arboribus in cujuslÀbet
silva, habeat liberam potestatem, neque ab Mo, cujus silva est, repellatur
(Pertz, III, p. 545), et cette disposition montre combien, môme en pays
roman, les Germains s'habituaient peu à l'idée de la propriété privée des
forêts.
La loi ripuaire (LXXVI), au contraire, frappe d'amende aussi bien les
vols de bois commis dans la forêt commune que dans celle du roi ou
d'un particulier. Si quis Ribuarius in silva commune seu régis vel alicujus
locadam materiamen (un arbre sur pied?) vel ligna finata (al. fissa)
abstulerit... A cette époque, la propriété privée a fait des progrès consi-
dérables. C'est ce qui résulte aussi du changement de rédaction apporté
à la loi salique par la Novelle n« 282 (Merkel, p. 83) : Si quis in silva
Ai.TERius materiamen furatus fuerit.
*>* _
la jouissance des fruits d'une chose que si on est possesseur de
la chose elle-même.
Ce qui achève d'apporter la conviction, c'est l'article intro-
duit dans ce titre par les Novelles : Si quis pomarium sive
quamlibet arborent domesticam extra clausuram exciderit aut
furatus fuerit, 420 dinar, qui faciunt solid. 3 culpab. judketur,
excepto capitale et dilatura. Si quis vero pomarium aut quamlibet
arborem domesticam infra clausuram excidenl aut furatus fuerit,
600 dinarios qui faciunt solidos 15 culpabilis judicetur, excepto
capitale et dilatura. (Merkel , n° 281, p. 83.)
Ainsi, quand il s'agit d'un arbor domestica, d'un pommier,
par exemple, coupé ou volé à l'intérieur ou même à l'exté-
rieur d'un enclos, immédiatement apparaissent le capitale et la
dilatura. Le coupable doit fournir un arbre de même espèce,
car le fait de la propriété privée n'est pas douteux.
On trouvera encore une autre application du même principe
dans les dispositions en vertu desquelles le propriétaire qui
se remet par la force en possession d'un objet retrouvé chez
autrui est frappé d'amende, mais ne doit ni capitale ni dilatura.
Car si le détenteur peut se plaindre de la violence qui lui est
faite, il n'a aucun titre, même s'il est de bonne foi, pour
réclamer du propriétaire la jouissance perdue. (Titres XXXVII,
2etLXI, 2.)
IV. La dilatura n'est pas due pour une simple tentative.
XXXIX, 1. Si quis mancipia aliéna sollicitare voluerit et et
fuerit adprobatum, ... sol. 15 culpabilis judicetur.
Celui qui a essayé de détourner l'esclave d'autrui est con-
damné à une composition de 15 sous, mais il ne doit ni capi-
tale ni dilatura.
De même XI, 6 : Tentative d'effraction. Si vero nihil tulerit
ut fugiens évadât, propter effracturam tantum sol. 50 culp.
judicetur.
V. La dilatura n'est pas due par les complices, mais seule-
ment par l'auteur du délit principal et des délits connexes
— 23 -
au délit principal, par la raison que lui seul a pu jouir de la
chose.
Ceci explique le cas assez bizarre en apparence du faux
témoignage et du faux serment. D'après le titre XLVIII, les
faux témoins et les faux cojurateurs ne sont pas tenus à la
dilatura, mais celui qui a amené de faux cojurateurs (la loi ne
parle pas de celui qui a amené de faux témoins) est condamné
à une composition de 48 sous; de plus il perd le procès dans
lequel il était engagé (causa) et il doit payer le capitale et la dila-
tura. L'article visiblement suppose qu'il s'agit d'un vol ; on sait
que le titre LUI De manu ad hineum redimendo permet à celui
qui est condamné à l'épreuve judiciaire de se purger à l'aide de
cojurateurs et d'une composition supplémentaire; s'il s'agit,
dit l'article 1 , d'un fait qui eût entraîné une composition de
15 sous Or, la composition de 15 sous est due générale-
ment pour vol. C'est donc le voleur qui doit ici la dilatura, et
en effet, c'est lui qui a retiré les fruits de la chose volée, et ce
ne sont ni les faux témoins ni les faux cojurateurs dont il a
réussi à s'entourer pour dissimuler son délit.
Pareillement les témoins qui refusent de venir déposer et les
rachimbourgs qui se soustraient à l'obligation de rendre leur
jugement ne sont jamais frappés de la dilatura.
VI. La dilatura n'est due que pour un délit caractérisé par le
do!; une simple faute l'exclut.
Nous trouverons la confirmation de cette règle dans un cer-
tain nombre d'articles qui méritent un examen attentif.
D'après le titre IX, 1, si quelqu'un surprend l'animal d'au-
trui dans son champ, il ne peut le frapper de manière à l'en-
dommager. Si cependant il a cédé à un mouvement de colère
et que, le mal fait, il l'avoue, on n'exige de lui que la restitu-
tion du capitale, c'est-à-dire d'un animal semblable. Oa sait
que pour les Francs les animaux d'une même catégorie sont
choses fongibles. Quant à la bête abimée, debilem, elle reste aux
mains de l'imprudent. Jusqu'ici, il n'est pas question de dilatura.
Mais si le défendeur, au lieu de reconnaître sa faute, la nie, il.
- 24 —
est condamné, outre le capitale, à une composition et à la
dilatura.
IX, 1. Si quis animal aut cabaUum vel quolibet pecus in mené
sua invenerit, penitus eum vastare non débet. Quod si fecerit et
hoc confessus fuerit, capitale in locum restituât, ipse vero débUem
quem percussit ad se recipiat. Si vero confessus non fuerit, et ei
fuerit adprobatum, excepto capitale et dilatura, 600 dinar, qiâ
fac. sol. XV, culp. judicetur.
On a voulu conclure de cette disposition, comme je l'ai déjà
dit, que la dilatura est une peine moratoire, qu'elle est pro-
duite par le retard que le défendeur apporte à sa restitution.
Que Ton veuille bien songer cependant que ce n'est pas la dila-
tura seule qui apparaît comme la suite de la dénégation, mais
aussi et en première ligne la composition. Dira-t-on que la com-
position est aussi une peine moratoire, et qu'un voleur n'aura
jamais à la fournir s'il reconnaît d'emblée sa culpabilité? On
n'oserait certes le soutenir.
Nous avons vu d'ailleurs que dans l'immense majorité des
cas le payement d'une dilatura ne dépend absolument ni de
l'aveu ni de la dénégation du défendeur.
La vérité c'est qu'avant cette dénégation le délit réel n'exis-
tait pas. Le défendeur avait trouvé dans son champ des ani-
maux qui le dévastaient; il avait le droit de les saisir; il avait
le droit de les battre, mais il ne pouvait les rendre incapables
de travail, vastare penitus. Dès lors, si un emportement assez
naturel lui a fait dépasser la limite des violences permises, il
n'en est pas moins excusable. Il supportera les conséquences
de son acte et restituera une bête intacte en remplacement de
celle qu'il a blessée. Mais la responsabilité pénale n'existe pas,
parce qu'il n'y a pas eu dol. Le dol n'apparaît qu'au moment
où, par sa dénégation, le défendeur essaie de décliner sa res-
ponsabilité. Alors une peine véritable le frappe; il est tenu à
une amende et de plus à la restitution des fruits que le proprié-
taire de l'animal n'a pu percevoir.
Les autres articles du même titre justifient cette interpréta-
tion.
— 28 —
IX, 2. Si quis in messe sua pecora aliéna inveneril qui pas-
tarem suum non habent, et eas inclauserit, et nulli penitus inno-
tesceritt et aliqua ex ipsis pecoribusperierit,...sol. 35 culp. jud.,
excepto capitale et dilatura. (Les textes 1 et 2 omettent seuls la
dilatura.)
Si Tanimal saisi est mort et que le détenteur ait caché la
chose, il doit la composition, le capitale et la dilatura. Sa dis-
simulation permet, en effet, de supposer qu'il a fait lui-même
périr Tanimal.
IX, 3. Si quis animale aut qualibet pecus per sua negligentia
nocuerit, et ipse confessus fuerit , capitale in locum restituât, Me vero
debilem ad se recipiat. Si vero negaverit et ei fuerit adprobatum,...
sol. 45 culp. judicetur, excepto capitale et dilatura.
Si Tanimal est mort par suite de la négligence du détenteur
et que celui-ci le reconnaisse, il est tenu au capitale. S'il nie,
il devra la composition et la dilatura.
Encore une fois, tant qu'il n'y a qu'une simple faute, la
composition et la dilatura sont exclues.
On objecte que si la dilatura est ici étroitement liée à la com-
position, c'est précisément parce qu'elle exprime la peine due
pour le retard de payement de cette composition. Il n'en est
rien, comme le prouve l'article 4 : Si quislibet porci aut qua-
libet pecora in messe aliéna cwrerint et illum negantem ei
fuerit adprobatumt DC din. qui faciunt sol. XV culpabilis judi-
cetur, combiné avec la disposition IX, 7 (Hessels) : Si vero
pecora de damno in clausura fuerint, Me cujus pecora sunt
damno aestimato reddat et insuper 40 din. culpabilis judi-
cetur * .
On se trouve ici en présence d'un défendeur qui nie et qui
1 II est à remarquer que trois textes seulement (G. % 3, 4> contiennent
cette disposition. Le silence des autres s'explique en ce sens que la loi
salique est essentiellement une loi pénale. Si le coupable avouait, il
reconnaissait par là même ses obligations; la procédure était extra-
judiciaire. C'était affaire aux parties de fixer le montant des dommages ;
l'intervention du tribunal n'avait alors de raison d'être que si le défendeur
manquait à son engagement.
1
— 26 --
cependant n'est condamné à aucune dilatera. Ses troupeaux
qu'il gardait lui-même ont couru dans un champ; il est cou-
pable de négligence. Le propriétaire du champ saisit les ani-
maux et les enferme. L'autre, s'il avoue, ne payera que le
damnum œstimatum, plus une légère amende de dix deniers.
Ce damnum œstimatum, c'est l'estimation du dommage causé,
c'est-à-dire la valeur de la moisson calculée non en vert, mais
d'après ce qu'elle aurait rapporté si elle avait mûri. Le capitale
et la dilatura se confondent ici, et c'est pourquoi la loi, sans
mentionner ni l'un ni l'autre, y substitue le terme : damnum.
Mais le défendeur nie ; alors il encourt une amende de
15 solidi et l'on ne voit pas qu'une dilatura spéciale vienne s'y
joindre ; en effet, il n'y a pas de dilatura pour le retard de
payement de la composition ; la dilatura n'est que l'équivalent
de la privation des fruits. Or, forcément elle a dû être comprise
dans l'estimation du dommage que le défendeur de bonne foi
est lui-même tenu de rembourser, et il n'y a pas lieu de l'ajou-
ter maintenant , comme c'était le cas pour l'animal à propos
duquel on pouvait distinguer le capitale de la dilatura, et pour
lequel la dilatura n'était exigible qu'au moment où commen-
çait le délit.
Enfin, les articles suivants ne sont que l'application des
mêmes principes.
IX, 8 (Hessels). Celui qui par malveillance a introduit des
bêtes dans un champ est condamné à 30 solidi, plus au damnum
œstimatum (capitale et dilatura).
IX, S et 6 (Hessels). Celui qui reprend de force les bestiaux
que le propriétaire d'un champ dévasté conduit vers sa demeure
ou qu'il a déjà enfermés, n'est tenu pour cet acte de violence
qu'à une composition, ce qui n'exclut pas évidemment la répa-
ration du dommage. Mais pouf le nouveau délit qu'il a commis
en enlevant le gage de son créancier, il ne doit ni capitale ni
dilatura. Ce qu'il a pris est en effet sa chose ; il n'a point à la
restituer à celui qui n'en est pas propriétaire et qui n'a pas
davantage une prétention quelconque à élever sur les fruits
qu'elle peut produire.
— 27 —
Je dois ajouter cependant que pour ces trois derniers articles
(8, 6 et 8), le texte de Herold et la Lex Emendata mentionnent le
capitale et la dilatura, mais ce qui prouve le peu de fondement
de cette addition, c'est que le damnum œstimatum fait alors
double emploi tout au moins, personne ne le niera, avec le
capitale. Cet exemple montre une fois de plus combien ces
deux textes doivent, pour la question qui nous occupe, inspirer
peu de confiance.
Mais il est un autre titre fort singulier qui présente lui aussi
cette distinction de l'aveu et de la dénégation et qui, de même,
en cas de dénégation, impose la dilatura et la composition ;
c'est celui qui est intitulé De caballo mortno extra consilium
domini sui decolàto.
LXV. Si quis caballum (mortnum) extra consilium domini sui
decotaverit et interrogatus confessus fuerit, caballum in caput
reddat*
Si vero negare voluerit et et fuerit adprobatum, excepto capitale
et dilatura, 4200 dinar, qui faciunt sol. 50, culpab. judicetur.
Le cas est celui d'un homme qui écorche un cheval mort
sans la permission du propriétaire ; il est condamné, s'il avoue,
à lui rendre un autre cheval (vivant, sans doute). S'il nie, au
contraire, il devra 30 solidi d'amende, plus le capitale et la
dilatura.
Ces dispositions sont bizarres. D'abord, pourquoi accorder à
ce délit une mention particulière, dans un titre spécial ? Ensuite
qu'est-ce qui justifie les peines élevées dont on le frappe ?
M. Thonissen a conjecturé * que cette sévérité avait pour
origine quelque idée superstitieuse se rattachant au cheval.
Mais la loi ripuaire, qui reproduit l'article (LXXXVI), ajoute :
seu quocumque libet animal, ce qui exclut évidemment cette
interprétation.
D'autres commentateurs sont disposés à ne pas donner aux
mots : déco tare, excortigare, decorticare, excorticare, decorligare,
toutes variantes qu'offrent les manuscrits, le sens de : enlever
. * P. 336 (* édit.).
— 28 —
la peau , écorcher, mais d'y voir des synonymes à excurtare,
couper la queue *.
Hais, outre que cela n'explique pas grand' chose, il est à
remarquer que le texte I qui contient, au titre LXV, la disposi-
tion rapportée plus haut, avait déjà cité au titre XXXVIll, 8, le
délit consistant à couper la queue du cheval : si quis cabatlo
alieno excurtaverit, et les textes 7, 8, 9 ont l'un à côté de l'au-
tre (T. LXIII, 2 et 3) les deux articles : Si quis caballum alienum
excurtaverit et si quis caballum morluum sine permisso domini
sui excorticaverit. L'addition du mot mortuum plaide encore
ici en faveur du sens : écorcher.
11 est à noter que pour chacun de ces délits distincts : couper
la queue et écorcher, les trois derniers textes ne comminent
qu'une amende modérée de 3 solidi.
Enfin, les textes les plus récents (7, 8, 9, Herold et Emetidato)
contiennent à la fois l'article qui frappe de 3 solidi le fait
d'écorcher un cheval mort et celui qui, distinguant entre le cas
de l'aveu du coupable et celui de la dénégation , lui ordonne,
dans le premier cas, la restitution d'un cheval, et lui inflige,
dans le second, une amende de 30 solidi, plus le capitale et la
dilatura.
Que peut-on conclure de tous ces faits ? A mon sens, que
l'article inséré au titre XXXVIII (alias LXIII) a seul en vue un
véritable vol, puni d'une amende de 3 solidi proportionnée à la
valeur du cuir d'un cheval 2 ; aussi les rédacteurs Pont-ils
inséré sous la rubrique : de caballis furatis ou de partis caballo-
rum.
Quant au titre LXV, il est impossible d'y voir un cas de vol,
car il en résulterait que le voleur en aveu échapperait à la com-
position, c'est-à-dire que le h se serait privé du fredum, de la
part de l'amende qui lui est destinée, et que, par une déviation
à toutes les règles du droit pénal franc, on imposerait au cou-
1 Behrend, Lex Salica, p. 145. — Waitz, Dos alte Recht, 296. —
Hessels-Kern, col. 600.
* Dans la loi ri puai re , LXXII , 6, le cuir d'un cheval est estimé un sou.
— 29 —
pable une restitution in capite trente fois supérieure à la valeur
de l'objet enlevé.
J'incline à croire que la disposition énigmatique du titre LXV
se rapporte à un tout autre ordre d'idées, et comme elle se
retrouve dans la loi ripuaire (LXXXVI) avec une aggravation
de peine : 100 solidi au lieu de 30 *, je chercherai une inter-
prétation dans un autre passage de la même loi qui se rapporte
à la procédure dHntertiatio.
Celui qui reconnaît chez autrui son animal volé, doit le
mittwe in terlia manu, c'est-à-dire, d'après les commentaires
les plus récents 2, l'arrêter, le séquestrer entre les mains du
détenteur qui prétend l'avoir acquis de bonne foi. Si alors, en
attendant que l'auteur de la soustraction soit retrouvé, l'ani-
mal vient à mourir, le détenteur doit, pour se justifier, appor-
ter au tribunal la peau et la tête à l'effet de se disculper et
d'établir qu'il n'a pas méchamment fait disparaître le corps du
délit.
Or, d'autres exemples prouvent que les lois franques sont
très sévères pour celui qui enlève à autrui le moyen de se justi-
fier. Ainsi le titre : Dehomine de bar go vel de furcademisso (Hes-
sels, col. 258 et suiv.) défend d'enlever du pieu sur lequel elle
est empalée la tête d'un ennemi tué en légitime faUla : Si quis
caput de homine quem suus inimicus in pala misisset.... tollere
praesumpserit. Pareillement, il est interdit de faire disparaître
le cadavre placé sur l'espèce d'échafaudage où on le mettait
précisément pour donner au meurtre la plus grande publicité
et le dépouiller de toute apparence d'assassinat : Si quis homi-
nem de bargo vel de furca abattere praesumpserit....
Dès lors, voici la portée que j'assigne au titre LXV : le déten-
teur de l'animal intercié qui vient à mourir, doit sur-le-champ
1 Rib. LXXXVI. Si quis caballum alterius mortuum seu quoeumque libet
animal extra consUium domini sui excorticaverit , 30 solides culpab.
judicetur. — Si autem negaverit et convie tus fuerit, i 00 solides cum
capitale et dilatura multetur.
* Siegel, Geschichte des deidschen Gerichtsverfahrens, I, 252 et suiv.
— Sohm, La procédure de la loi salique (trad. Thévenin), pp. 41 et suiv.
- 30 -
appeler des témoins pour constater le fait ; ceci résulte de
l'analogie du cas de l'esclave intercié et mort : cum teslibus acà-
dat et cum ipsis sex qui eum sepelire videront, in haraho conju-
ret quod ibidem ipsi interciatus absque interfectimiem Iwminum,
pecodum vel alterius rd, nisi communem mortem consumptus,
sepultusjaciat.... (LXXII, 1.)
Or, si un tiers, découvrant quelque part le cadavre d'un che-
val, s'est permis de l'écorcher sans demander la permission
du propriétaire, il a commis, même en dehors de toute inten-
tion de vol, une grave imprudence, car il a enlevé au détenteur
ses moyens de justification. Il ne lui reste alors qu'à restituer
un autre cheval afin de couvrir l'homme entre les mains
duquel l'animal avait été arrêté.
Jusqu'ici il n'a donc pas commis de délit, car s'il avait voulu
s'approprier le cuir, il serait condamné à trois sous d'amende.
Hais en vue d'échapper à la responsabilité de sa faute, il nie.
Sur-le-champ apparaissent la composition et la dilatura.
Nous trouvons donc ici une application de la règle que je
formulais en disant que le fait présentant un caractère délic-
tueux, donne seul ouverture à la dilatura, tandis que le capi-
tale peut être dû pour une simple faute.
La loi ripuaire contient encore deux dispositions dans
lesquelles se retrouve la pénalité qu'entraîne le refus d'avouer.
Mais comme elles se rattachent par certains points à des parti-
cularités inhérentes aux institutions ripuaires, j'en réserverai
l'examen pour la fin de cette notice.
VII. Vols commis par des esclaves. — Les règles suivies quand
il s'agit de vols commis par des esclaves fournissent une nou-
velle illustration du principe que le délit seul oblige à la dila-
tura.
Les dispositions spéciales qui leur sont appliquées résultent
de l'incapacité où se trouvent les esclaves de satisfaire eux-
mêmes aux exigences pénales et des obligations qui incombent
à leurs maîtres.
. En thèse générale, il n'y a lieu à composition de la part de
— 34—
l'esclave que dans une mesure restreinte et pour autant que
son pécule lui permette de payer une amende en argent ou en
nature. Dans ce cas, il doit aussi le capitale et la dilatura.
A défaut de payement, une peine corporelle remplace la
peine pécuniaire.
XII, 1. Si quis servus foris casa quod valit 2 dinarios furaverit,
excepto capitale et dilatura, 420 flagellos accipiat, aut sol. 3 pro
dorsum suum reddat.
2. Si vero quod valent 40 dinarios furaverit, aut castretur, aut
6 solidos reddat.
Mais comme la flagellation ou la mutilation de l'esclave ne
restitue point au propriétaire l'objet qu'il a perdu, c'est la
responsabilité du maître qui est ici engagée. Le maître est donc
tenu au capitale. Propriétaire de tout ce que possède son
esclave, il ne peut indûment retenir par devers lui la chose
volée.
XII, 2. Dominus vero servi qui furtum fecit capitale in locum
restituât.
XL, 3 Dominus vero servi capitale restituât requirenti.
A ces deux témoignages il convient d'ajouter le suivant :
XXV, 4. Si servus cum ancitla aliéna mechatus fuerit et ex
ipso crimine ancilla mortua fuml, servus ipse aut 240 dinar, qui
faciunt sol. 6 domino ancillae reddat aut castretur: Dominus vero
servi capitale ancillae in locum restituât.
Un esclave a eu commerce avec une esclave qui est morte des
suites de ce fait. Le maître de l'esclave mâle doit rendre au
maître de la femme le capitale.
Mais dans ce cas, comme dans les deux précédents, les
manuscrits sont muets sur la dilatura (seuls les textes 1 et Herold
ajoutent la dilatura au t. XII, 2 *). Pourquoi le maître n'est-il
pas tenu à la dilatura? Parce que la responsabilité pénale ne
s'étend pas jusqu'à lui. 11 n'est pas l'auteur ni le complice du
1 La forme de l'accusatif dilaturam qui se trouve dans ces deux textes,
tandis que tous les autres portent dilatura, plaide par sa correction même
contre l'authenticité de cet ajouté.
— 32 —
délit. Sa situation est celle de l'homme qui, sans le vouloir, a
endommagé ranimai d'autrui.
Je n'examine pas ici à quels inconvénients il s'expose en
refusant de livrer l'esclave coupable : la question m'entraîne-
rait trop loin du sujet que je traite.
VIII. La dilatura n'est jamais due pour un délit qui intéresse
directement la personne d'un homme libre.
C'est ici l'un des points les plus importants de la théorie que
j'esquisse, et heureusement il apparaît avec une grande clarté.
Tous les commentateurs ont reconnu que l'homicide, l'enlè-
vement d'un homme libre, ne donnaient pas lieu à dilatura.
Mais aucun, à ma connaissance, n'a essayé d'expliquer ce qui
était considéré, au contraire, comme une étrange anomalie.
La vérité, c'est qu'au point de vue du droit franc, l'homme
libre n'est pas producteur de fruits comme l'animal ou
l'esclave. Sa vie est susceptible d'estimation ; mais ni son tra-
vail, ni son temps n'ont d'équivalent monétaire. Il n'y a point
de place ici pour des intérêts compensatoires.
Aussi le titre XVII qui traite des blessures peut-il allouer, en
sus de la composition, une indemnité pour frais de traitement
(medicaturias\ mais point de dommages pour les journées
passées au lit et perdues.
En conséquence, la dilatura n'est mentionnée :
Ni pour meurtre et empoisonnement;
Ni pour enlèvement d'une fille ou d'une femme mariée;
Ni pour viol ;
Ni pour mutilations et blessures.
Je crois à peine devoir m'arrêter à l'exception signalée pour
le texte d'Herold, qui, sans aucune apparence de raison, cite la
dilatura à propos du rapt d'une jeune fille.
C'est pour la même raison qu'un affranchissement indu n'est
pas frappé de dilatura, bien qu'ici la loi salique paraisse avoir
perdu de vue la perte subie par le propriétaire de l'esclave, pour
ne s'attacher qu'au fait de la liberté de l'affranchi. On peut dire
que, dans ce cas, la forme l'a emporté sur le fond, la lettre sur
l'esprit.
— 33 —
Mais un exemple très Concluant nous est encore fourni par
le titre XXXIX. De plagiatoribus.
Si servus alienus fuerit plagiatus Si quelqu'un a débauché
et volé un esclave, il est condamné à une composition de
33 solidi, plus le capitale et la dilatura.
Hais si c'est un homme libre qui a été entraîné, puis vendu,
le coupable ne doit que la composition. 11 ne pouvait s'agir de
rendre à la victime, si elle avait recouvré la liberté, ou à ses
parents, un capitale autre que le wergeld ou composition de
200 solidi, et quant à une indemnité pour perte de fruits, elle
existait dans le cas de l'esclave ; elle ne peut se concevoir pour
un homme libre.
Le doute cependant eût été possible, puisque le vol entraî-
nait toujours la dilatura. Hais les rédacteurs ont parfaitement
eu conscience du principe qui s'opposait ici à ce que cette peine
fût encourue.
Toutes ces considérations prouvent, ce me semble, à l'évi-
dence, que la dilatura ne signifie point des dommages quel-
conques ou une peine moratoire, puisque dans l'hypothèse du
meurtre, des blessures, etc., il y a eu certainement des dom-
mages et que la dénégation de l'accusé ne modifiait en aucune
façon le taux de la peine. Pourquoi la loi salique aurait-elle
toujours supposé, en cas de vol, que l'accusé niait, et ne
Taurait-elle jamais supposé en cas de violences faites à des
personnes?
En disant : celui qui vole un porc payera la composition et
la dilatura, elle ferait entendre que le défendeur refuse d'avouer.
En disant : celui qui tue un Franc payera la composition
seule, elle présenterait le défendeur comme en aveu.
Un pareil système d'interprétation n'est pas un instant
admissible.
IX. La . dilatura fait défaut dans les actions auxquelles
l'ancien droit attribuait le caractère d'action publique.
Au point où nous en sommes arrivé, on peut, je crois, se
faire une idée suffisamment précise de la théorie de la dilatura
Tome XLI. 3
— 34 -
dans le droit salien. Mais, si je ne me trompe, il est possible
de remonter plus haut, jusqu'à la période du droit commun
germanique de l'époque primitive, et d'atteindre une conclu-
sion qui permettra de découvrir dans la loi salique elle-même
certains résidus d'un âge antérieur dont les règles posées plus
haut ne justifient pas entièrement la présence.
On est à peu près d'accord aujourd'hui, après les travaux de
v» Amira*, v. Kichthofen et Schrœder, pour admettre que le
droit pénal ancien d(s Germains renfermait une distinction
analogue à celle des delicta publica et des delicta privata
romains, quoique moins précise.
Les grands crimes qualifiés de Nidingstverk chez les Scandi-
naves, tels que la violation des temples, la désobéissance à
l'armée ou dans l'assemblée, l'attaque à main armée d'une
maison, la trahison, l'incendie, l'assassinat, la rapine (vol à
main armée) avaient pour conséquence d'exclure le coupable
de la paix publique. Déclaré wargiis ou loup, il errait au hasard
et chacun pouvait impunément le. mettre à mort. Ces méfaits,
à l'origine, n'étaient pas rachetables {ûbôtamàl) ; mais, de bonne
heure, chez les Germains occidentaux, s'introduisit, au moins
m
pour les actes qui n'intéressaient pas directement l'Etat lui-
môme, l'usage de la composition. Tacite sait déjà que le
meurtre se rachète : Luitur enim homicidium certo armmtorum
ac pecorum numéro (Germ., c. 21).
Quant aux autres délits, qui comprenaient même les vio-
lences graves et le meurtre commis sans préméditation, ils ne
donnaient lieu qu'à une action privée en dommages-intérêts et,
seul, le coupable qui refusait de s'exécuter encourait la peine
supplétive de la mise hors la loi.
Or, dans la loi salique, on retrouve encore quelques traces
de cette antique conception de la mise hors la loi considérée
comme peine primaire, et Schrœder a attiré l'attention notam-
4 v. ÀMiRAy Dos altnorwegische Vollstreckungsverfahren ; v. Richt-
hofen, Zur Lex Saxonum; Schroeder, Lehrbuch der deutschen Redits-
geschichte, pp. 71 et suiv.
nient sur le titre LY, 2, 3 : Si quelqu'un a déterré un cadavre
et l'a dépouillé, qu'il soit wargus jusqu'au jour où il se sera
réconcilié avec les parents du mort et que ceux-ci aient
demandé pour lui l'autorisation de reparaître parmi les
hommes *.
Si l'on rapproche de cette disposition l'article correspondant
de la loi ripuaire, on verra que, chez les Ripuaires, la concep-
tion de la peine a radicalement changé. Ils condamnent, en
effet, le violateur de sépulture en première ligne au wergeld de
200 sous, et seulement en ordre subsidiaire à la mise hors la
Jqî 2. Le crime, de publicum, est devenu privatum.
Mais, en même temps, je constate que la loi salique ne fait
nulle mention de capitale et de dilatera, tandis que la. loi
ripuaire les ajoute au wergeld.
De là à conclure que les delkta privata imposaient seuls, à
l'origine, la restitution des dommages, il n'y a qu'un pas. Et,
en effet, la mise hors la loi, c'était la mort civile. Les biens
mobiliers du wargus étaient confisqués; il ne possédait plus
rien 3. Quant à la terre, n'étant pas encore objet de propriété
privée, elle retournait sans doute à ses héritiers ou à la com-
munauté.
Le capitale et la dilatura spnt donc exclus de la loi salique
toutes les fois qu'il s'agit d'un crime qui entraîne la proscrip-
tion ou qui , plus tard , n'est rachetable que par le wergeld de
son auteur, bien qu'accessoirement un vol et la privation de
jouissance de certains objets puissent en être la conséquence.
Tel est le cas pour la violation de tombeau. Le sacrilège
détermine ici la peine et rejette dans l'ombre le vol d'armes,
de bijoux ou de vêtements qui l'accompagne. Mais dans la loi
1 Si corpus jam sepultum effuderit et expoliaverit et ei fuerit adproba-
tum, wargus sit usque in die illa quam ille cum parentibus ipsius defuncli
cmveniatj et ipsi pro eum rogare debent, ut illi inter homines liceat
accéder e...
* Rib. LXXXV, 2 : ... 200 solides cum capitale et dilatura culp. jud.t
vel wargus sit usque ad parentibus satisfeceriu
3 Brunneq, Deutsche Rechfsgeschichte, I, p. 169, note 14. •
— 36 —
ripuaire, la notion des delieta publica a complètement dispara;
tous les crimes sont rachetables. Dès lors, c'est le vol qui
forme la caractéristique du délit et, comme dans tous les cas
de vol, le législateur ajoute : capitale et dilatura. Au fond, on
ne voit pas cependant ce que peuvent représenter les intérêts
compensatoires, la valeur d'usage des objets enlevés à un
cadavre. Mais c'est l'analogie qui a amené cette fausse appli-
cation de la règle générale.
J'essaierai d'expliquer de la même façon l'omission, dans la
loi salique , de la dilatura pour attaqué à main armée d'une
maison, pour incendie et pour rapine (dans le sens romain du
mot : attaque sur la voie publique).
T. XIV. Si quis villam aliénant adsallierit et ibidem ostia fre»
gerit, canes occident vel liomines plagaverit aut in carro aliquid
exinde duxerit sol. 200 culp. judicetur (Hessels, C. 5, 6, 7,
8, 9, 40, Emend).
On est ici en présence d'un véritable acte de brigandage
devant lequel le furtum, la privation des choses volées est
secondaire et s'efface.
Le crime d'incendie d'une maison habitée donne lieu à des
dispositions assez difficiles à interpréter, et sur lesquelles je ne
puis hasarder que des conjectures.
Constatons d'abord que la loi ripuaire la punit d'une com-
position de 600 sous, plus le capitale et la dilatura, tandis que
les textes anciens de la loi salique ne mentionnent ni capitale,
ni dilatura. Cette différence se justifierait parfaitement si les
Francs saliens avaient, comme dans les exemples précédents,
frappé l'incendiaire d'une composition au moins égale à son
wergeld et rappelant l'époque où ce crime entraînait la mise
hors la loi. Mais il n'en est rien. Les textes anciens ne citent
que la composition de 62 */a solidi pour la destruction de la
maison même, et la composition de 200 solidi qui vient s'y
joindre ne parait due qu'au cas où l'une des personnes qui se
trouvaient à l'intérieur a péri.
Ces mêmes chiffres sont conservés dans les manuscrits plus
récents, mais avec addition de capitale et de dilatura.
-37 -
Il y a lieu de supposer que cette anomalie provient d'une
confusion que Wilda et Waitz * ont déjà signalée. Le wergeld
primitif paraît avoir été de 128 solidi, et des traces s'en
$ont conservées dans plusieurs cas de demi-composition de
62 */2 s008* On pourrait émettre l'hypothèse que, dans l'ancien
système, les delicta publica donnaient lieu soit à un wergeld
complet de 125 solidi, soit à la moitié, tous deux excluant le
capitale et la dilatura. C'est ainsi que, pour l'attaque à main
armée d'une maison, les textes 1 à 4 de Hessels ne fixent la
composition qu'à 62 </s sous, tandis que les autres, comme on
vient de le voir, la portent à 200 sous. Au contraire, quand il
s'agit de l'incendie, les rédactions plus récentes ont maintenu
le chiffre ancien, mais elles ont eu soin d'y ajouter le capitale
et la dilatura.
De la même façon s'expliquent enfin les dispositions rela-
tives à la rapine, T. XIV. Si quelqu'un dépouille sur une route
un homme libre, il sera condamné à 62 */2 solidi. Point de
capitale ni de dilatura. Le droit romain accordait aussi pour la
rapine une action publique, concurremment avec l'action
privée, et la demi-composition de 62 */g solidi ne peut se justi-
fier que par les considérations invoquées pour l'incendie.
X. Il n'est pas question de dilatura dans les procès pour
inexécution d'une promesse et pour refus de restituer un prêt.
L'analyse des articles dans lesquels la dilatura est mention-
née, nous a conduits à cette conclusion qu'elle n'a pas les
caractères d'une peine moratoire. Or, il existe, dans la loi
salique, deux titres qui stipulent, à n'en pas douter, des peines
moratoires; mais précisément, dans aucun des deux, le terme
de dilatura ne figure.
Le titre L : De fides factas expose la procédure extrajudiciaire
à laquelle doit avoir recours le créancier pour obliger son
débiteur à exécuter sa promesse de payer au jour fixé. Le refus
1 Cf. Wilda, Strafrecht der Germanen, I, p. 85. — Waitz, Dos alte
Recht, pp. 16 et 18%
1
— 38 —
tiii débiteur entraine pour lui une amende de 15 sous; le
créancier est tenu encore de le citer par trois fois, à sept jours
d'intervalle, et chaque citation a pour conséquence d'aug-
menter la dette de 3 sous, donc en tout de 9 sous jusqu'à
l'exécution.
Pareillement, s'il s'agit de la restitution d'un objet prêté à
laquelle résiste le débiteur, il devra, outre l'amende procéda
raie de iS sous, 3 sous par citation non suivie d'effet. (LU. De
rem pristitam).
Cet accroissement de la dette primitive doit, je pense, être
appelé une peine moratoire, et il est très significatif que dans
aucun des textes on n'ait songé à lui appliquer le nom de
dilatura. Ce silence n'est qu'une confirmation de la thèse que
j'essaie de défendre.
XL La dilatura dans le titre LXXIXd'Herold.
J'ai évité de parler jusqu'à présent d'un texte que l'on peut
invoquer comme incompatible avec l'interprétation proposée,
et que je ne dois évidemment point passer sous silence; mais
qui seul ne prévaudra pas contre l'ensemble des autres témoi-
gnages.
C'est le titre LXXIX de l'édition d'Herold : De dilatura.
i. Si quis hominem occiderit et quod lex habuitpro eo dederit,
solidos XXX pro dilatura componat.
2. De puer o aut liberto solidos XV.
3. De furtibus vero aliis VU solidos.
4. Caussae vero dominicae in triplo componuntur.
Il y a lieu d'abord de faire remarquer combien ce passage
est incohérent. Après avoir cité le meurtre d'un homme libre,
puis celui d'un puer et d'un libertus, il continue : de furtibus
aliis, bien qu'il n'ait pas encore été question de vols. Enfin,
que viennent faire ici les causœ dominicœ et leur composition
triple, alors que les trois paragraphes précédents traitaient, non
de la composition, mais de la dilatura?
J'ajoute que ce texte, ne figurant que dans l'édition d'Herold,
dont nous avons à plusieurs reprises constaté les erreurs en
— 39 —
matière dedilatura *, on peut conjecturer à bon droit, comme
Waitz Ta déjà fait (p. 199), qu'à tout le moins il est d'un âge
plus récent, pour lequel la notion de la dilatura était déjà
pleine d'obscurités.
Peut-être la dilatura au titre LXXIX est-elle la récompense
de l'accusateur, le Meldefeoh des lois anglo-saxonnes; Brunner
dit : le prœmium de celui qui avait fait le plus d'efforts pour
rendre justice au mort, et il rappelle le passage, assez contro-
versé d'ailleurs, de la Lex Saxonum, c. 14 : Qui nobilem occi-
dent, 1440 solidos cotnponat; ruoda dicilur apud Saxones
120 solidi, et in premium 120 solidi *.
Quoi qu'il en soit, cette dilatura due en cas de meurtre n'a
rien de commun avec la dilatura ordinaire de la loi salique.
XII. La dilatura dans les Capitulaires.
Dans l'espace de plus de trois siècles qui sépare la première
rédaction du texte salique des Capitulaires carolingiens, bien
des termes avaient vu leur sens se modifier avec les institutions
elles-mêmes auxquelles ils se rapportaient; quelques-uns
n'étaient plus compris. Déjà, dans la loi ripuaire, il n'est plus
question du ràpus, de Vachasius, de la chrenecruda, si caracté-
ristiques pour la loi salique.
Le Capitulaire de 819, c. 10, croit nécessaire d'expliquer ce
qu'il faut entendre par Vaffatimus et il se trompe : De affatomie
dixerunt quod traditio fumet.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que, pour la dilatura
aussi , les textes plus récents ne nous fournissent que peu de
lumières et soient parfois en contradiction avec la loi salique.
Les Capitulaires la mentionnent du reste rarement; même
pour les vols d'animaux ou d'esclaves elle est souvent oubliée.
* v. Inàmà-Sternegg (Hildebrand's Jahrbûcher filr Nationalôkonomie,
xxx, p. 203 : Werth und Preis in der âltesten Période deutscher Volks-
wirthschaft) fait remarquer aussi combien les indications du texte
d'Hérold relatives à la valeur des ehoses et au taux de la composition
«ont souvent inexactes.
2 Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, I, 219, note 14.
- 40 —
Tout ce qoe Ton peut constater, c'est qu'ils ne renferment rien
qui soit en désaccord avec la théorie esquissée plus haut.
Le passage le plus important est celui du Pactus pro tenon
pacis des rois Clotaire et ChildcberU. La fréquence des vols et
leur impunité avaient déterminé ces princes à organiser, dans
les centaines territoriales, des trustes ou corps chargés de la
recherche des criminels et responsables vis-à-vis de leurs vic-
times. C'était la substitution d'une poursuite publique à l'an-
cien système du vestigium minare par le propriétaire lui-même.
Toutefois, rien n'empêchait le propriétaire de se mettre lui*
même en campagne, et le décret spécial de Clotaire distingue
nettement les deux hypothèses :
§ 9 Et si persequens latronem suum conprehenderit , inté-
grant sibi conposicionem accipiat; et si per trustent itwenitur,
mediam conpositionem truslis adquirat et capitalem exegat ad
latronem (lisez : a latrone).
Si le propriétaire a pris lui-même son voleur, toute la com-
position sera pour lui. Si c'est la trustis qui l'a arrêté, clic aura
droit à une moitié de la composition (l'autre moitié allant au
propriétaire), et elle exigera du voleur la restitution du capitale.
Cette dernière disposition s'explique par l'obligation imposée
à la trustis d'indemniser de prime abord la victime du vol, sauf
à se rembourser ensuite sur le voleur : in cujus centena aliquid
deperierit, capitale qui perdiderit recipiat, et plus loin : capitale
tamen quiperdiderat, ad (a) centena itla accipiat....
Ces diverses mesures sont confirmées par la partie finale du
Capitulaire qui parait résumer, au nom des deux rois, la dispo-
sition essentielle du décret de Clotaire.
§ 16 (trustis) continua capitale ei qui perdiderit reformare
festinet, tamen ut latronem perquirat.
La trustis s'empressera de reconstituer le capitale à celui qui
l'a perdu, tout en continuant à rechercher le voleur.
« 11 s'agit de Clotaire Ier et de Childebcrt I" (514-558). Cf. Borbtics
(Capit., I, p. 4) et Schroeder, Untersuchungen zu den frânkischen Yolks-
rechien (Pick's Monatsschrifl, 1880), p. 479.
— 41 —
Quem si in truste pervenerU , medietalem sibi vindicet, vel,
dilatwra si fuerit , de facultate latronis ex qui damnum pertulit
sarciatur.
Si c'est la trustis qui l'atteint, elle réclamera pour elle la
moitié (de la composition) ; s'il y a eu dilatura, on la prendra
sur les biens du voleur et on la restituera à celui qui a subi le
dommage , c'est-à-dire au volé.
Nom si persequens latronem coeperit (scilicet : is qui damnum
pertulit), intégra sibi conposicione, simul et solucione vel quicquid
dispendii fuerit revocabit.
Mais s'il a pris lui-môme le voleur en le poursuivant, il récla-
mera pour lui toute la composition et en même temps le paye-
ment de toutes les pertes qu'il a pu subir.
La seule hésitation que puisse faire naître ce texte au sujet
du sens du mot dilatura, provient de ce que dispendium, dans le
dernier membre de phrase, paraît être synonyme de dilatura
dans le précédent. Cependant, l'expression vel quicquid dispendii
fuerit a un sens beaucoup plus large. Le propriétaire qui s'est
passé des services de la trustis, a droit à toute la composition
et au remboursement de dépens quelconques. C'est ce qui jus-
tifie la disposition d'après laquelle, même au cas où la trustis
garde pour elle la moitié de la composition, lui du moins peut
prétendre à la dilatura.
En d'autres termes, dilatura me semble être compris ici
dans : vel quicquid dispendii, mais ne pas en épuiser tout
le contenu. En même temps que le droit nouveau remettait
le soin de la poursuite à un corps de police, il élargissait le
cercle des revendications de la partie lésée, et quand le par-
ticulier se substituait à la trustis et entreprenait à ses propres
frais des investigations dont il eût pu commodément s'abstenir,
on trouvait juste sans doute de l'en indemniser. Ajoutons que
la vraie dilatura, c'est-à-dire l'équivalent de la jouissance
perdue, ne peut prendre, dans le système du Capitulaire, que
des proportions restreintes, puisque la centaine est invitée à
rembourser le plus tôt possible le capitale; de là probablement
l'expression : dilatura si fuerit.
1
— 42 -
i XIII. La dUatura dam la loi ripuairê. — Ce qui frappe tout
d'abord dans la loi ripuaire, c'est la rareté des mentions de la
dilatura. Mais il convient de rappeler que cette loi frappe tons
les vols indistinctement d'une peine très sévère et qu'elle n'a
donc pas besoin de s'arrêter aux nombreuses spécifications de
la loi salique.
Voici les cas dans lesquels la dilatura est citée :
4° XVII. 1. Incendie par un homme libre d'une maison
habitée: 600 sous, plus le damnum (== capitale) et la dUatura.
2. Même cas pour l'esclave.
2° XVIII. 4 et 2. Vol par un ou plusieurs hommes libres ou
par un esclave d'un troupeau de juments avec un étalon, de
truies avec un verrat, de vaches avec un taureau : 600 sous et
insuper capitale et dilatura.
3° XXIX. Vol commis par un esclave. Le maître paiera
36 sous, excepto capitale et dilatura.
4° XXXIII. Recherche de l'auteur du détenteur d'une chose
volée. Les dispositions seront analysées plus loin.
5° LIV. Spoliation d'un cadavre avant l'ensevelissement :
60 sous. Si le coupable nie, 400 sous et la dilatura.
6° LXXII. Cas de la perte d'une chose interciée. Même obser-
vation.
7° LXXIX. Obligations des héritiers d'un voleur qui a été
pendu : ils doivent le capitale et la dilatura.
8°. LXXXII. Dommage causé à la moisson d'autrui. Le cou-
pable, s'il avoue, doit la réparation. S'il nie, il est tenu à la
composition, au capitale et à la dilatura.
9° LXXXV. Si quelqu'un a dépouillé un cadavre avant qu'il
soit mis en terre, il doit 400 sous, le capitale et la dilatura. S'il
a déterré le mort : 200 sous, le capitale et la dilatura.
40° LXXXVI. Fait d'écorcher un cheval mort : 30 sous. Si
le coupable nie : 400 sous, le capitale et la dilatura.
De ces dix cas, le deuxième (vol d'animaux) n'a pas besoin de
commentaires.
Le septième : obligation des héritiers, résulte d'une disposi*
— 43 —
tton du droit nouveau, conforme au décret deChildebert II, 696
{art. 7 et 8), d'après lequel le voleur convaincu est condamné
à mort (Capit., I, p. 16). Dans ce cas, sa succession passe à ses
héritiers qui nécessairement n'ont plus à fournir de composi-
tion, mais qui sont tenus au capitale et à la dilatura. Il est juste,
en effet, que la dilatura soit traitée comme une dette de la
succession.
Les n<" 4 et 6, relatifs à la procédure dHntertiatio, présentent
un grand intérêt, parce qu'ils développent avec beaucoup de
minutie les dispositions analogues de la loi salique.
Une chose volée a été frappée de saisie-arrêt entre les mains
du détenteur qui offre de fournir son auteur. Trois cas sont
prévus :
1° L'auteur se présente. Il doit rembourser au possesseur de
bonne foi le prix d'achat, et de plus il doit au propriétaire de
la chose volée la composition et la dilatura. Il va de soi , bien
que le texte ne le dise pas, que le capitale, c'est-à-dire la chose
interdéôy retourne au propriétaire ;
2° Le tiers refuse de reconnaître qu'il a vendu la chose au
détenteur actuel. Dans ce cas, le détenteur, considéré comme
voleur, doit lui-même la composition, le capitale et la dilatura;
3° Le délenteur affirme sous serment qu'il ne connaît pas
son auteur. Il se borne alors à rendre la chose, et il ne doit
fournir ni composition, ni dilatura — preuve nouvelle que la
bonne foi exclut la dilatura et que celle-ci, comme la compo-
sition, n'est exigible qu'en cas de délit.
A ces règles, le titre LXXII ajoute des dispositions spéciales
à l'effet de déterminer les obligations qui naissent pour le
voleur vis-à-vis de son acheteur, et pour l'acheteur vis-à-vis du
propriétaire, de la perte ou de la détérioration de la chose
volée.
A. Obligations du voleur :
Le voleur, au cas où l'animal par lui vendu à un tiers de
bonne foi, est resté sain et entier, doit à l'acheteur la valeur
intégrale de l'animal : omnem precium suum restituât (LXXII, 7).
— 44 —
Mais si l'animal est mort de mort naturelle, il ne doit qu'un
solidus pour le cuir : solido uno de cine werduniapro corio resti-
tuât (LXXII, 6. J'examinerai plus loin ce qu'il faut entendre par
cine werdunia).
Enfin, si l'animal est détérioré, il doit l'équivalent de la
valeur actuelle : quantum eo tempore adprcciatus fuerit , sic de
cenu werdunia restituât (LXXII, 7).
B. Obligations du détenteur :
Si l'animal intercié a été volé au détenteur qui avait l'obliga-
tion de le garder, il est responsable de ce vol et doit en con-
séquence : capitale et dilatura cum texaga (LXXII, 8). {Texaga
signifie furtum, c'est-à-dire la composition pour vol).
Si le détenteur a tué l'esclave < ou s'il l'a laissé s'enfuir et
qu'il ne puisse le représenter, ses obligations seront les mêmes.
Son propre délit ou sa négligence grave priment alors le délit
qu'il essaie vainement de rejeter sur son auteur : capitale et
dilatura seu texaga vel legis beneficio culpabilis judicetur
(LXXII, 3, pour le cas de fuite) ; capitale et dilatura cum texaga
seu cenu werdunia vel legis beneficium culpabilis judicetur
(LXXII, 3, pour le cas de meurtre).
Si l'esclave est mort de mort naturelle, le détenteur est tenu
d'en fournir la preuve par une procédure spéciale : in quadruvio
cum retorta inpede sepeliatur, et le fait d'avoir négligé les forma-
lités prescrites fait peser sur lui de légitimes soupçons. II doit
alors, comme dans le cas précédent : capitale et dilatura cum
legis beneficio seu con furtu (LXXII , 1).
Enfin la loi contient une disposition à laquelle je dois m'ar-
réter un instant :
LXXII, 5. Si homo comendatus vel fugitivus defunctus fueril,
similiter in quadruvio cum retorta sepeliatur. Quod si ita non
fecerit, ipsi (t. e. ipse) qui eum post se retenuit, precium rei cum
legis beneficio culpabilis judicetur.
1 La loi parle tantôt d'un esclave, tantôt d'un animal, mais il est évident
que les mêmes règles s'appliquent aux deux cas.
- 48 —
Que faut-il entendre par homo comendatus vel fugitivus?
Sohm (note 80) paraît croire que c'est un esclave fugitif, indû-
ment retenu par un tiers; car il rapproche de ce passage la
disposition du Pactus Childeberti régis (Capitul., Ed. Boretius,
I, p. 5) 7 : Si quis aliéna mancipia injuste tenuerit et infra dies
quadraginta non reddederit, latro mancipiorum teniatur obnoxius*
Je ne puis accepter cette interprétation. Le texte ne dit pas,
en effet, qu'il faille restituer le prix de l'esclave, mais precium
rei; de plus, toutes les dispositions précédentes du même titre
te rapportent à des choses volées par un tiers et dont le déten-
teur n'est rendu responsable qu'à la suite de la missio in
manum tertiam.
Il s'agit donc ici d'un voleur fugitif qui, cherchant à se sous-
traire aux poursuites du propriétaire, a été arrêté et retenu par
quelqu'un qui, dès lors, est obligé de le garder avec soin. Il y
a lieu, en effet, de rapprocher de ce passage les dispositions
fort détaillées de la loi des Burgondes, tit. VI : De fugitivis.
1. Si quis fugitivum intra pravincias ad nos pertinentes corrir
puerit, pro fugitivo solidum I accipiat. Et si fugitivus Me cabal-
lum secum duxerit, pro cabalo semissem, pro equa tremissem
accipiat et fugitivum cum omnibus reddat. Si extra sortem, duos
solides is qui fugitivum corripuerit, pro fugitivo accipiat, et pro
caballo solidum, pro equa semissem.
2. Qui fugitivum secutus fuerit et casu repugnantem occideritf
omni calumpnia careat
3. Si fugitivus casu de custodia fugerit
4. Quisque ingénus aut servo fugienti nesciens capUlos fecerit,
Vsol. perdat; si sciens capillos fecerit fugitivi pretium (c'est-à-dire
le wergeld) cogatur exsolvere.
5. Qui fugitivum sciens flumen transierit etc.
De même, Vhomo comendatus est un voleur qui, étant arrêté,
a été confié à quelqu'un avec la mission de le garder. Le
titre LXXIII, 4, prévoit le cas où il s'enfuit : ... furonem ;
si aulem, cui commendatus fuissetf fugam evaserit9 60 solidos
culpabilis judicetur.
Si Vhomo commendatus et Vhomo fugitivus viennent à mourir
- i
— 46 -
pendant qu'ils sont séquestrés, celui qui les a in custodia doit
prendre les précautions que la loi indique pour sauvegarder
sa responsabilité; sinon, il est tenu à indemniser le volé. Mais
de quoi? Non pas de la valeur de l'homme qui est mort, car ce
n'était pas un esclave, mais simplement de la valeur de la chose
volée : precium rei, plus la composition.
Il reste à voir quelle est, dans les divers articles de ce titre,
la signification des termes employés : pretium, texaga, furtum,
legis benefieium, cine werdunia ou eenu werdunia.
Texaga, sur ce point il n'y a pas de doute, est synonyme de
furtum et désigne ici l'amende pour vol.
Legis beneficium a le même sens, c'est la composition légale.
On est à peu près d'accord pour reconnaître dans la deuxième
partie de cine werdunia l'équivalent de l'allemand moderne
Werth, valeur. Cine werdunia n'est-il pas tout simplement :
seinen Werth? Mais que faut-il entendre par valeur? Sohm dit
que. c'est le prix d'achat 4. Je comprends difficilement ce que
peut signifier : un sou du prix d'achat pour le cuir (solido uno
de cine werdunia pro corio), et il paraît plus logique de traduire :
il restituera pour le cuir un sou comme équivalent de sa valeur.
Et au § 7 : quantum eo tempore adpreciatus fuerit, sic de cenu
werdunia restituât : il restituera comme équivalent de la valeur
(de l'animal endommagé) autant que portera l'estimation.
Il en est de même, je pense, du mot precium, qui corres-
pond dans ce titre exactement à cine werdunia ; la loi emploie,
d'un côté, l'expression : omnem precium suum, de l'autre : sic
de cine werdunia. Ce precium correspond, si l'on veut, au prix
d'achat, puisque l'animal n'a rien perdu depuis que la transac-
tion a eu lieu. Mais il peut avoir, dans l'intervalle, augmenté
de valeur; s'il était malade et affaibli, il peut avoir repris ses
forces grâce aux soins de l'acheteur, et celui-ci peut à bon droit,
ce semble, réclamer l'équivalent de sa valeur actuelle, le pre-
cium normal d'un cheval intact.
Quoi qu'il en soit, precium ou cine werdunia correspondent.
»
1 La Procédure de la loi salique (trad. Thévenin), p. 69, note 4. .
— 47 —
au capitale, et les formules variées du titre LXXII se ramènent
ainsi aisément aux trois éléments que nous avons rencontrés
si fréquemment dans la loi salique : 1° composition; 2° capitale
et 3° dilatura. :
1 S I
LXXII, 8 : Capitale et dilatura cum texaga (composition).
t s t
LXXII, 2 : Capitale et dilatura seu (il faut lire : cum) texaga
t
vel legis beneficio.
î 5 I t
LXXII, 3 : Capitale et dilatura cum texaga seu cenu werdunia
vel legis beneficium.
1 S 1
LXXII, 1 : Capitale et dilatura cum legis beneficio seu eoh
furlu.
LXXII, 5 : Precium rei cum legis bénéficie
De tout ceci que peut-on conclure pour l'étude .de la dila-
tura? Que la théorie exposée dans ces pages y trouve une
éclatante confirmation. En effet, quand il s'agit des obligations
du voleur vis-à-vis de l'acheteur de bonne foi, la loi ripuaire
impose la restitution in capite de l'animal que ce dernier est
obligé d'abandonner, mais elle est muette sur la dilatura. Et
c'est justice, car l'acheteur qui est en possession de l'animal en
a retiré tous les fruits; or, il serait illogique de l'indemniser
pour une jouissance dont il n'a pas été privé*
Au contraire, quand il est question du propriétaire, le
voleur et le détenteur négligents ou coupables sont tenus à la
dilatura : le propriétaire, depuis le jour où sa chose lui a été
soustraite, n'a pu en retirer aucun fruit et ce dommage doit
être réparé.
Il est vrai qu'une exception se présente dans le cas de Yhomo
commendatus vel fugitivus : la loi n'oblige le séquestre impru-
dent qu'au precium rei. Je ne trouve à cette anomalie qu'une
seule explication vraisemblable : l'homme qui s'était constitué
le gardien du voleur et de la chose volée ne retirait évidemment
aucun service de cette chose et,. en fût-il autrement, cette
— 48 —
valeur de jouissance pouvait être considérée comme la rému-
nération de sa peine. La loi des Burgondes, en pareil cas, alloue
même un sou d'indemnité pour la garde de l'esclave, un demi-
sou pour le cheval.
Jusqu'ici la loi ripuaire n'a fait que confirmer les données
de la loi salique. On tirera la même conclusion du silence
qu'elle garde, relativement à la dilatura, dans les cas de
meurtre, mutilation, coups, blessures, vol d'un homme libre,
rapt, accusation injuste, etc.
Mais il est quelques points où apparaissent des divergences.
Le titre XVII ( n° 1 de la page 43) oblige à la dilatura l'homme
libre ou l'esclave qui a incendié une maison. Nous avons vu
que l'absence de cette pénalité dans la loi salique est due
probablement à une antique conception du droit pénal qui a
disparu de la loi ripuaire; l'application de la dilatura au crime
d'incendie est dès lors parfaitement légitime.
Le titre XXIX (nr 3 de la page 43) stipule que si l'esclave a
commis un vol, son maître payera 36 solidi plus le capitale et
la dilatura. Cette disposition s'écarte de celle de la loi salique
qui n'obligeait le maître qu'à la restitution de la chose volée.
Mais elle s'explique en ce sens que la loi ripuaire a amélioré
la situation du maître ; s'il déclare ignorer quelle est la culpa-
bilité de son esclave, il peut répondre sans tangano, c'est-à-dire
qu'à l'affirmation du demandeur il n'est pas tenu de donner
une réponse négative en termes formels, et qu'il échappe ainsi
aux conséquenses d'une dénégation absolue, qui pourrait être
fautive.
D'après redit de Chilpéric (fin du VI» siècle) § 8, le maître
doit soumettre son esclave à l'épreuve judiciaire. S'il s'y refuse,
l'esclave est censé coupable; alors ou bien le makre en fera
cession ou bien il payera douze sous, le capitale et la dilatura *•
Il reste enfin à interpréter lesn°» S, 8, 9 et 10. Trois fois ici,
la loi ripuaire reproduit la distinction, déjà indiquée à propos
de la loi salique, entre le cas où le défendeur est en aveu et
1 Capitul., Ed. Boretius, I, p. 9.
— 49 -
celui où il nie, la rfiYa/ura n'apparaissant que dans cette dernière
hypothèse.
J'ai essayé d'expliquer le cas du cheval, écorché sans le con-
sentement du maître (n° 10, tit. LXXXVI); je n'y reviens pas.
Le titre LXXXII est ainsi conçu : si un Ripuaire a causé du
dommage dans le champ d'autrui ou dans un enclos quelconque,
il sera tenu de payer le dommage estimé. Mais s'il nie et qu'il
soit convaincu, il paiera le capitale avec la texaga et la dilaturq.
On voit qu'ici, comme dans la loi salique, la dénégation a
pour effet de faire naître la vraie responsabilité pénale et
d'obliger à la composition et à la dilatura. On en conclura que
le dommage dont il est question dans ce titre n'est pas dû à un
acte de mauvais gré, mais à une circonstance indépendante de
la volonté du défendeur, probablement à l'invasion de bestiaux.
Ce qui le prouve, c'est qu'une variante parle de l'absence du
berger, absente pastore, et que l'article 2 prévoit le cas où le
berger s'opposerait à ce que ses bêtes fussent provisoirement
enfermées par le propriétaire du champ.
Le dernier cas est plus embarrassant (nos5 et 9). D'après le
titre LIV, celui qui dépouille un cadavre avant qu'il soit mis
en terre, paiera 60 soiicii s'il a avoué; s'il nie, il paiera 100 solidi
et la dilatura.
Cette disposition s'écarte absolument de celles que nous avons
étudiées jusqu'ici ; car le fait de l'aveu ne dispense pas le défen-
deur de la composition : 60 solidi. Et assurément on ne pour-
rait imaginer comment il aurait été de bonne foi et par consé-
quent exempt de délit en dépouillant un cadavre. Mais alors
pourquoi la dilatura dans l'hypothèse du refus d'avouer et
pourquoi point de capitale?
Ce qui achève de rendre cette disposition singulière et inex-
plicable, c'est que la loi ripuaire contient un autre titre (LXXXV)
qui traite du même objet, mais qui porte simplement :
Si quelqu'un a dépouillé un mort avant l'ensevelissement,
qu'il paie 100 solidi, le capitale et la dilatura.
Cet article, considéré par tous les éditeurs comme plus
récent, est assurément le plus conforme aux principes du droit
Tome XL1. i
- 5d — -
ripuaire ; mais il est probable que les changements qui se sont
produits dans l'appréciation de la nature de ce crime et dont la
loi salique nous a déjà fourni des exemples, ont donné aux
rédacteurs certaines hésitations et les ont induits en erreur.
On peut même croire que la dilatura a pris ici les vrais
caractères d'une peine moratoire, et que cette déviation est due
à l'interprétation inexacte des articles dans lesquels la dénéga-
tion seule du défendeur semblait lui donner naissance» alors
qu'en réalité elle ne surgissait, tout comme la composition,
qu'avec les éléments constitutifs du délit.
Il ne faut pas perdre de vue que la loi ripuaire est beaucoup
plus récente que la loi salique, qu'elle ne remonte dans se6
portions les plus anciennes qu'aux dernières années du
VIe siècle et qu'elle n'a guère été achevée, sous la forme que
nous lui connaissons, avant la fin du VIIe siècle. Les observa-
tions que suggérait l'étude des Capitulaires conservent donc
ici toute leur valeur.
Il n'est pas étonnant surtout de voir se multiplier les disposi-
tions qui semblent donner à la dilatura le caractère d'une peine
moratoire. Toute la procédure ripuaire penche de ce côté.
Sohm a déjà fait remarquer que dans la revendication de rem
pristitam et de fides factas, l'amende de 15 solidi qui était pure-
ment procédurale chez les Saliens est devenue moratoire dans
la loi ripuaire 1 .
XIV. La dilatura dans la lex Thuringorum et la lex Chamavo-
rum. — La loi des Thuringiens (lex Angliorum et Wermorum id
est Thuringorum) ne renferme que deux mentions de la dilatura:
Art. XXXVII. Qui scrofas sex eum verre, quod dicunt sonesl,
furatus est, in triplum conponat et delaturam solidos 7 et in freda
totidem.
Art. XXXVIII. Qui ornamenta muliebria, quod rhedo dicunt,
furto abstulerit, in triplum conponat, delaturam 42 solidos et in
freda similiter.
* La procédure de la lai salique (trad. Thévenin), p. 426.
— 54 -
Ces dispositions présentant ceci d'intéressant qu'elles fixent
la dilatura à un taux invariable et égal au fredum.
La loi des Francs Chamaves (Lex Francorum Chamavorum)
attribue également un chiffre fixe, pour chaque délit, à la
dilatura qu'elle nomme wirdira.. Ce terme correspond évidem-
ment à celui de la version haut-allemande de la loi salique :
foruzzan haupitgelt nui wirdriun (génitif de wirdria 1).
Voici le texte de la loi des Chamaves.
T. XXV. Quicquid m casa furaverit, in wirdira solidos 7.
De wamione in wirdira solidos 7. De spadato caballo solidos 7.
De servo solidos 7. De spala 7. Dejumenta solidos 4. De bove
solidos 2. De vacca solidos 2. De porcis et vervecis et animalibus
juvenibus et de capris terciam partent quantum valet, in wirdira.
T. XXVI. Quicquid in Amore in alterum furatum habent, in
duos geldos componere faciat, in wirdira uncias duos, in fredo
solidos 4.
Ce qui veut dire : Le vol commis dans l'Hamaland par un
Chamave au détriment d'un autre donne lieu à une composition
du double, à une wirdira de 2 onces et à un fredum de i solidi.
T. XXVII. Et quicquid in Mashau furaverit duos geldos com-
ponere faciat, in wirdira uncias duas, in fredo dominico solidos 4.
Même pénalité pour le vol commis dans le Maasgau.
T. XXVIII. Quicquid in Amore Fresiones injuste tulerint, per
aliud tantum coynponere faciat, in fredo solidos 4.
Le vol commis dans l'Hamalant par des Frisons s donne lieu
à une composition équivalente à la valeur de l'objet, et à un
fredum de 4 solidi.
Point de dilatura, cette peine étant inconnue des Frisons.
1 Graff, AUhochdeutscher Sprachschatz, I, 638, pense que wirdira est
synonyme de werigelt, wergeld et s'oppose comme tel au fredum (in
wirdira..., in fredo...). Cette opinion est démentie par ce seul fait que la
wirdira, au titre XXV, n'est fixée pour un porc qu'au tiers de la valeur
de l'animal, ce qui est inadmissible pour la composition.
* C'est l'interprétation de Sohm (Monum. Leg., V, p. 274, note 30).
Schroeder, Vntersuchvngcn (Pick's Monatsschrift, 1880), p. 500, traduit :
le vol commis au détriment de Frisons par des Chamaves — ce qui peut
également se défendre.
- 52 —
T. XXIX. Même disposition pour le vol commis par les
Saxons.
XV. De l'estimation de la dilatura. — Les indications qui
viennent d'être données sur le montant de la dilatura doivent
être rapprochées d'un article de la loi salique (t. XXXV, 6) qui
fournit de son côté quelques chiffres intéressants :
Si quis vasso ad ministerium aut fabrum ferrarium vel aurifice
aut porcario vel vinitwem aut stratorem furaverit aut occident,
cui (uerit adprobatum, MCC din. qui faciuntsol. XXX culp.jud.
Inter freio et faido sunt MDCCC din. qui foc. sol. XLV, excepto
capitale et dilatura. In summa sunt simul sol. LXXV.
Le sens de cette disposition n'est pas douteux. Le voleur de
l'esclave doit une composition de 30 solidi; avec le fredum,
cela fait 45 ; l'expression inter frelo et faido signifiant le fredum
joint à la faida est fréquente dans les textes francs i.
Donc le fredum est de 15 sous, soit de la moitié de la faida,
et la composition tout entière équivaut au triple de la valeur
de la chose volée 2.
En effet, le capitale et la dilatura ajoutent encore à la dette
30 sous, ce qui la fait monter à 75, et de ces 30 sous, le capitale
en représente 15, la dilatura 15 également, si toutefois il faut
en juger d'après la lex Thuringorum : dilaturam solidos 7 et in
freda totidem. Voici, par conséquent, le fredum, le capitale et la
dilatura fixés, dans le cas actuel, tous trois à la même somme,
ce qui, à la vérité, paraît singulier.
D'après la loi des Chamaves, la dilatura, au moins pour les
brebis, les porcs, les jeunes animaux (bœufs et vaches) et les
chèvres, ne serait que du tiers de la valeur de la bête.
Il est impossible, je crois, de conclure que les autres chiffres
de cette même loi : 7 sous pour un esclave, 2 pour un bœuf, etc.,
1 Par exemple Pactus pro tenore pacis (Capit. I, p. 6, 12) : ipse dominus
status suijuxta moclum culpae inter freto et faido conpensetur.
9 C'est ce que prouvent aussi les exemples du titre X, d'après lesquels
le rapport entre la valeur d'un esclave et la composition (y compris le
fredum) est : 12 : 35, soit environ du tiers (cf. v. Dvama Sternegg, Deutsche
Wirthschaftsgeschichte, p. 195).
- 83 —
correspondent aussi au tiers de la valeur. Bien qu'en effet, la
loi ripuaire donne des indications précises sur le prix auquel
il faut, pour le payement de la composition, estimer les ani-
maux 4, on ne peut affirmer que ces prix aient été les mêmes
chez les Saliens et les Chamaves.
Mais ce qui ressort de ces constatations, c'est que la dilatura
parait avoir été fixée à l'avance, sans que l'on tînt compte du
délai qui s'était écoulé depuis le vol et sans que Ton fit, pour
chaque cas particulier, une estimation régulière.
Cette conclusion choque nos idées modernes, mais elle n'a
rien d'incompatible avec l'organisation pénale des Germains.
Tout nous montre les difficultés considérables contre lesquelles
les sociétés primitives ont à lutter pour établir une exacte gra-
dation des peines.
Quand la loi saliquedétermine le montant de la composition,
elle cherche plus ou moins à le mettre en rapport avec la
nature du délit, mais elle considère aussi la condition de la
victime et même celle de l'auteur. 11 valait mieux pour un Franc
être lésé par un de ses égaux que par un esclave ou par un
Romain, caria composition qui lui échéait était plus élevée.
Si l'on songe, de plus, que le rôle du tribunal était très
effacé et qu'il ne faisait en quelque sorte que tracer les règles
de la procédure judiciaire en laissant aux parties elles-mêmes
le soin de constater si la preuve était fournie ou non, on accep-
tera sans répugnance cette conclusion que la dilatura n'était
laissée ù l'appréciation de personne, mais que, pour chaque
espèce de délit, elle était fixée par la coutume.
XVI. Le mot dilatura et les gloses. — 11 me reste à recher-
cher si le mot wirdira ou plutôt wirdria de la loi des Chamaves
et du fragment de traduction de la loi salique du IXe siècle
peut jeter quelque clarté sur le terme de dilatura lui-même.
Malheureusement, les opinions sont ici très divergentes.
1 Equus videns et sanus : 6 sol. ; equa videns et sana : S sol. ; bos cor-
nutvs : 2 sol. ; vacca cornuta : 1 sol. Comparez le tableau du prix des
animaux dans les différentes Leges, dressé par v. Inamà Sternegg (loc.
cit.), p. 511
— 54 —
Pour Grimm (préface à l'édition de Merkel, p. LXXXY1I), mkt-
dira vient de la préposition widar, widari et signifie récusation
negatio, ce qui se rapporte à l'idée que la dilatura est la peine
de l'accusé qui nie. Kern (dans Hessels, § 49, col. 456) rap-
proche wirdira du verbe anc. norr. verda> varda, avec le sens
de garantir et aussi être punissable.
La plupart des commentateurs y voient l'analogue du mot
actuel Werth, valeur. Dans le Sachsenspiegel , werdung a encore
le sens de œstimatio (cf. Zôpfl, Deutsche Rechtsgeschichte, III,
380 et suiv.).
Il semble cependant que cette signification conviendrait
mieux pour traduire le capitale et on n'hésitera pas à l'attribuer
au werdunia (cine werdunia) de la loi ripuaire.
J'ose à peine formuler à mon tour une hypothèse que mon
incompétence philologique rend peut-être plus que hasardée.
Mais je me demande s'il n'est pas possible de rapprocher wir-
dria du verbe tverden, devenir, croître, et d'y voir l'augmenta-
tion, le croit.
C'est ainsi que îverder, wert signifie un atterrissement, \\n
ilôt formé dans un fleuve et s'accroissant par les alltivions
(Lexer., Mitlelhochd. Wœrterbuch, III, 777; Ziemann, Mittelhochd.
Wcerterb., 63o).
Le mot dilatura lui-même ne pourrait-il être interprété dans
ce sens et mis en rapport avec d'autres composés du supin
dilatum : dilatare, dilatatio, dilatio (dans le sens de Ausbreitmg,
Brinckmeier, Glossar. diplomate I, p. 611)?
La dilatura serait alors l'expansion naturelle de la chose
volée.
Une glose de la loi ripuaire, empruntée au Codex Sancli-
Petri in SU va nigra, n° 87, du XIe siècle (Monument a y Legum,
t. V, p. 277), interprète dilatura par les mots : quod longe est9
quod non persolvitur, ce qui est en retard, ce qui n'est pas
rncorc payé.
L'expression quod longe est fait songer à un passage de la
Decretio Chlotharii regisf 9 : Si vestigius conprobatur latronis,
tamen presentia aut longe multandus (sur-le-champ ou plus
tard).
Le glossateur parait donc attacher au terme dilatura ridée
d'une peine moratoire, due par le fait du défendeur qui est
en retard de payer. Mais il va de soi que cette interprétation,
datant d'une époque où Ton n'avait plus l'intelligence nette
des institutions primitives, n'a par elle-même aucune force
probante.
XVII. Pourquoi la dilatura est-elle particulière au droit
franc? — A cette question je ne puis fournir aucune réponse.
II est assez bizarre assurément qu'on ne trouve la notion des
intérêts compensatoires que dans les lois franques (loi salique,
loi ripuaire, loi des Chamaves) et dans la loi des Thuringiens,
dont on a signalé les analogies avec les lois franques t. La loi
des Burgondes et la loi des Visigoths ne présentent rien de
semblable; ce n'est donc pas à l'un de ces peuples que les
Saliens ont emprunté la dilatura. Et comme elle n'apparaît
pas davantage chez les autres Germains, demeurés moins acces-
sibles aux influences romaines, il semble qu'il faille y voir une
création propre du droit franc. On pourrait supposer toutefois
que les Saliens, en Rétablissant en Belgique, au milieu d'une
population romane s'y sont assimilé certaines notions juri-
diques qu'ils ont amalgamées avec leurs propres institutions.
Le fait même de la rédaction de la loi en langue latine vient à
l'appui de cette hypothèse 2.
Mais l'étude des emprunts que le droit franc, dans les
périodes successives de son développement, a faits au droit
romain, est trop peu avancée pour qu'il soit possible d'aflirmer
rien de positif à cet égard.
Quoi qu'il en soit, si le mot dilatura a cessé d'être employé,
il ne faut pas en conclure que la notion à laquelle il corres-
pondait se soit également perdue ; on l'exprime désormais par
frac tus. J'en trouve la preuve dans un placitum de 693 (Pertz,
1 Làmprecht , FrânkUche Wanderungen (Zeitschrift des Aachener Ge-
schichtsvereins, IV, pp. 223 et suiv.).
* Brunner a montré récemment que plusieurs titres de la loi salique
présentent, non dans le fond, mais dans la disposition extérieure, de
frappantes analogies avec les lois des Visigoths et des Burgondes.
-S6 -
Diplomala, p. 58). Le roi Clovis 111, jugeant à Valencien nés
une revendication de propriété, suivant des formes procédu-
rales purement germaniques, condamne le perdant à la resti-
tution du bien contesté, à la composition et aux fructa. On
retrouve ici tous les éléments avec lesquels nous ont familia-
risés la loi salique et la loi ripuaire :
1° La composition {sic et fuitjudecatum, ut in exfaido et fredo
solidos quindece pro ac causa fidem facere debirit , et plus loin :
cum legis benefkium)\
2° Le capitale {ut ... ipso locello ... cum omni integritate
sua . . . reddire . . . non recusit);
3° La dilatura {quicquid de fructa aut paecunia vel reliqua
rem ...de ipso locello . . . abstraxit . . . similiter reddere sludiat).
Ce passage est une confirmation nouvelle de la thèse à
laquelle est consacré ce mémoire : la dilatura représente les
fruits, le lucrum cessons, les intérêts compensatoires.
.%l»l»ITIO:VlfKI,I.K«
Au moment de livrer à l'impression la dernière feuille de ce
travail, je reçois, grâce à l'obligeance de M. Petit, conserva-
teur à la Bibliothèque royale, le livre de Woringen, Beitràge
sur Gcschichte des deulschen Strafrechtes , 1836, que j'avais
vainement cherché jusqu'ici (même à la Bibliothèque nationale,
à Paris. L'auteur, qui consacre à la dilatura un chapitre assez
étendu (pp. 74 à 89), s'attache surtout à réfuter les hypothèses
qui avaient déjà été émises, mais il ne formule pas lui-même
une conclusion définitive. Il indique cependant comme très
probable (pp. 84 et suiv.) la solution que je cherche à faire
prévaloir; seulement il n'y arrive point par une analyse rigou-
reuse, et son argumentation est si peu convaincante qu'il finit
par déclarer admissible également l'hypothèse des intérêts
moratoires et qu'il laisse la question en suspens.
LA
\
\.
m de
ES
(1800-1823)
PAR
ÉD. MAILLY,
MBMBRB DB l'aCADBMIB BOYALB CB BBLGIQUB.
(Présenté à la Classe des lettres dans la séance du \ juin 1888.)
Tomi XLI.
1
AVANT-PROPOS.
J'ai déjà entretenu l'Académie delà Société de littérature de
Bruxelles *. Si j'y reviens aujourd'hui, c'est qu'elle marque
une époque intéressante de notre histoire, celle où la langue
française, jusque-là très négligée, reçut une vive impulsion, où
les érudits se virent disputer la première place par les rimeurs.
Comme je l'ai dit, tout n'est pas à louer dans les recueils de la
Société de littérature : il y a bien des pièces médiocres; mais
l'effort que nécessite la composition en vers devait réagir sur la
forme, indépendamment des idées plus ou moins élevées, plus
ou moins neuves. On a ri souvent des vers latins que les éco-
liers confectionnaient à coups de dictionnaire; ils avaient
cependant leur bon côté, en habituant l'oreille au rhythmede
la langue, à l'emploi des mots harmonieux. Au siècle der-
nier on faisait, parmi nous, les vers latins beaucoup mieux
que de notre temps, mais la poésie française était inconnue, et
la prose de nos auteurs s'en ressentait fortement. L'art d'écrire
n'existait pas : en poussant à l'art de rimer, la Société de litté-
rature de Bruxelles rendit un vrai service. Je ne voudrais
* Discours prononcé à la séance publique du 16 décembre 1886. —
Étude pour servir à l'histoire de la culture intellectuelle à Bruxelles pen-
dant la réunion de la Belgique à la France; insérée dans le tome XL dos
Mémoires in-8°.
(4)
d'autre preuve de son utilité pour les lettres françaises que
l'aversion qu'elle inspira au roi Guillaume, et les moyens
détournés qu'il employa pour la faire disparaître au profit
d'une autre société dont le but était la culture de la langue
dite nationale, c'est-à-dire du hollandais.
J'ai divisé ce travail en deux parties. Dans la première, je
fais l'histoire de la Société de littérature en m'appuyant à la fois
sur des documents imprimés et sur des pièces manuscrites.
Dans la seconde, j'examine les recueils de poésies que la Société
a publiés de 1801 à 1833. Vient ensuite une table alphabétique
des auteurs, avec l'indication des volumes dans lesquels on
trouve leurs écrits. Puis un dictionnaire biographique.
' Le mémoire est terminé par un appendice où je parle de
trois volumes pour les années 1834, 1835 et 1836, qui parurent
à Bruxelles après la suppression de la Société. Celui de 1834,
mêlé de vers et de prose, avait pour principal auteur Ch. Fro-
ment ; les pièces des deux autres avaient été rassemblées par
Ph. Lesbroussart. Je finis par Y Annuaire de la littfrature et des
beaux-arts, imprimé à Liège en 1830, et qui, dans la pensée de
l'éditeur, M. L. Alvin, devait ressusciter la publication des
Almanachs belges.
Le présent travail est avant tout un travail de bibliographie :
je laisse à des hommes plus compétents le soin d'apprécier et
de juger les écrivains dont je rappelle les noms.
LA
(1800-1883),
PREMIÈRE PARTIE.
VOracle t du 1er pluviôse an IX (21 janvier 1801) renfermait
l'annonce suivante :
« VAlmanach poétûiue de Bruxelles, pour l'an IX, grand
in-18 de 18G pages, se trouve chez Lecharlier, libraire, Mon-
tagne des Victoires, et à l'imprimerie de Tutot, fuedeNamur*
n° 940, prix broché 1 franc, et relié en papier coloré 26 sous de
France ou 2 escalins. »
U Avertissement placé en télé du volume portait : ce Quelques
élèves de la classe de belles-lettres de l'Ecole centrale de Bru-
xelles ayant formé, il y a un peu plus d'un an, une Société
littéraire, se proposèrent de faire imprimer un choix de leurs
poésies, en y ajoutant quelques autres pièces également compo-
sées dans la même ville : c'est l'ouvrage qu'on présente aujour-
d'hui au public sous le titre iVAlmanach poétique de Bruxelles.
On demande l'indulgence des lecteurs pour de jeunes gens
dont plusieurs écrivent dans une langue qui n'a pas toujours
été la leur. »
Une pièce de vers insérée dans le recueil ne laisse pas de
doute sur le promoteur de la Société, l'excellent professeur
( 6)
Rouillé, dont les leçons avaient fait naître chez ses élèves
l'amour de la poésie, « premier indice d'un retour vers l'étude
des lettres 2 ».
«
» Presque partout naguère aux Pays-Bas,
» Le pédantisme ergotant dans les chaires,
» Avait chargé les beaux-arts interdits
» Des lourds travaux de nos lourds é ru dits :
» On ignorait la langue des Voltaires,
» Et pour le grec on faisait des grammaires.
» En plat latin on dissertait sur tout,
» Et des uédans voulaient parler de goût !
» Un voile épais offusquait la science,
» Mais il n'est plus... et l'art de l'éloquence
» Reprend sa grâce et sa simplicité,
» R [ouille] lui rend son lustre et sa beauté.
» »
La Société de littérature de Bruxelles avait été constituée le
30 nivôse an VIII (10 janvier 1800), sous la devise : Artibus et
patriae. Ses principaux membres étaient Ferdinand Vanden-
zande, l'auteur de la pièce mentionnée ci-dessus, Pierre
Dehul stère et Philippe Lcsbroussart. Nous les citons en pre-
mière ligne parce qu'ils ont tenu ce qu'ils promettaient dès
leur début 3. Ph. Lcsbroussart occupait un modeste emploi
dans l'administration du département, et complétait ses études
à l'Ecole centrale ; il avait un an de moins que ses camarades
Dehulstere et Vandenzande, mais doit avoir été le plus grave
des trois. Vandenzande ne tarda pas ù montrer que la poésie
et les mathématiques ne sont pas incompatibles. Peu de temps
après la fondation de la Société de littérature, il entrait à
l'École polytechnique. Avant que YAlmanach poétique eût
paru, il écrivait de Paris à un ami :
«
» Ton sincère ami, l'ex-poète,
» Au fond de sa docte retraite
» S'occupe analytiquement
» De longs calculs et de série ;
(T)
» 11 creuse et parcourt lourdement
» Le champ de la géométrie;
» Tantôt divise ou multiplie,
» Puis fait des x, puis les défait ;
» Et toujours sent quelque regret
» D'avoir quitté la poésie !
» Au moins à l'instant qu'il t'écrit
» Cette longue et méchante épitre,
» Tu penses que sur son pupitre
» Peut-être il a Bernard, Parny...
» Hélas ! deux tristes théorèmes
» En cachent une portion ;
» De deux côtés, douze problèmes
» Réclament son attention,
» Pour tout dire enfin, ces vers mêmes
» Se glissent par distraction
» A travers mainte équation !
» »
L'Almanach pour Tan IX donnait encore, outre les essais
de F. Vandenzande, de P. Dehulstere et de Ph. Lesbroussart,
des pièces de vers de J. Colbert, P.-J. Degamond, A. Delanrioy,
J. Marcha), Louis Mercx, Rozin et P. Vidal. Colbert et Dega-
mond appartenaient à l'École centrale ; Joseph Marchai était
employé par le bibliothécaire de cet établissement, De La Serna,
au travail du catalogue des livres de l'Ecole ; Rozin, Suédois
de naissance, y professait l'histoire naturelle.
Dans l'Almanach pour Fan X (1802) nous voyons paraître
(ioswin De Stassart, V. Jouy et J. Hubin : c'étaient de précieuses
recrues pour la Société de littérature. De Stassart allait publier
bientôt son premier essai poétique sous le titre de Bagatelles
sentimentales. Jouy, le futur auteur de la Vestale et de VHermite
de la chaussée d'Antin, était venu en Belgique à la suite du
citoyen Doulcet-Pontécoulant, nommé préfet du département
de la Dyle le 11 ventôse an VIII (2 mars 1800) ; il remplissait
les fonctions de chef de division dans les bureaux de la préfec-
ture. La date de la nomination du préfet, celle de son installa-
tion (5 germinal-26 mars), prouvent que Jouy ne peut pas être
rangé, comme on Fa imprimé, parmi les fondateurs de la
(8)
Société de littérature, ce qui, du reste, est en contradiction
avec l'avertissement du premier Almanach de la Société *.
Jouy et Hubin avaient le même âge, étant nés tous deux en 1764.
Hubin dirigeait à Bruxelles un petit bureau d'affaires.
A côté des noms de J. Colbert, A. Delannoy, Ph. Lesbrous-
sart, L. Mercx, Rozin, Vidal, F. Vandenzande, la table de
l'Almanach de Tan X présente celui de Bernard Vandenzande,
frère de Ferdinand. P. Vidal était un Français que les événe-
ments politiques avaient amené parmi nous. Il fut, en Pan XII,
l'éditeur des Vendanges gaillardes, auxquelles il avait contribué
avec F. Vandenzande, Dehulstere, Hubin et Mercx s.
Dans l'Almanach poétique pour Tan XI (1803), nous rencon-
trons deux écrivains nouveaux, Blanfart et Couret- Villeneuve,
l'un professeur à Nivelles, l'autre à l'Ecole centrale du dépar-
tement de l'Escaut.
L'Almanach poétique pour l'an XII (1804) parut chez Weisscn-
bruch, imprimeur de la préfecture et de la mairie, place de la
ci-devant Cour, n° 1085. Les nouveaux collaborateurs sont dans
l'ordre alphabétique: Louis Biourge, Charles Degamond,
Louis Gruyer, Hillemacher, Masson, ex-professeur de belles-
lettres à l'Ecole centrale du département de Saone-et-Letre,
Masson-Regnier, professeur d'humanités au lycée de Bruxelles,
Gigot-Pauzelle, G. -F. De Valeriola et C.-M.-P. Van Bemmel.
Parmi les auteurs belges, Gruyer, Hillemacher et Van Bemmel
méritent une mention particulière. Louis Gruyer avait été le
condisciple de Ferdinand Vandenzande à l'École centrale.
9
Ayant échoué dans ses examens pour l'Ecole polytechnique, il
s'était engagé comme canonnier, puis avait quitté l'armée avec
le grade de sous-lieutenant ; en 1809, il était nommé vérifica-
teur des douanes à Calais, presque en même temps que Van-
denzande entrait comme surnuméraire dans l'administration
des tabacs à Rouen. Son contingent poétique se borne à Un
songe, toute sa vie ayant été consacrée à la métaphysique.
J.-G. Hillemacher devint directeur de la Compagnie des quatre
canaux, mais ne cessa point de cultiver la poésie. Van Bemmel
fut, avec De Stassart et Lesbroussart, l'un de ceux qui contri-
buèrent le plus k l'Almanach poétique.
(9 )
L'Almanach de Tan XIII (1801)), le cinquième volume de la
collection, s'imprima chez Adolphe Stapleaux, rue de la Mag-
delaine, n° 407. En même temps qu'il changeait d'éditeur, il
changeait de devise. Jusque-là cette devise avait été :
« 11 faut tout attendre du tems,
» Et surtout du désir de plaire. »
Voltaire.
Elle était maintenant :
« Qui lit Horace aime les vers,
» Et qui les aime veut en faire. »
Àlmanach poétique de Tan X, p. 36.
La pièce à laquelle on l'avait empruntée portait le titre : Mes
muses favorites, mais on avait, nous ne savons pourquoi, sub-
stitué. Horace à Virgile. L'auteur était M. Hrfbin.
Oh trouvait en tête du nouvel Almanach l'Avertissement que
voici : « Dans une fête célébrée par la Société de littérature de
Bruxelles en mémoire de Voltaire, plusieurs pièces furent lues,
chantées ou représentées. Nous en avons inséré quelques-unes
dans ce recueil. Elles sont distinguées des autres pièces de
l'Almanach par une étoile placée à côté du litre. »
Les pièces dont il est question ici sont les suivantes :
Hommage à Voltaire, par Masson, ex-professeur de belles-
lettres à l'École centrale du département de Saône-et-Loire.
Cantate, par J.-H. Hubin.
Ronde, par D. L.
Le tombeau et la vipère, par Lesbroussart, fils.
Fragmentd'une pièce sur l'inauguration du buste de Voltaire,
par P.-C. Vidal.
Quatrain, pour mettre au bas du buste de Voltaire, par Dega-
mond, l'aîné.
La Fête de Sot-Froid , divertissement en un acte mêlé de
couplets. — L'auteur a gardé l'anonyme.
C'est dans l'Almanach de l'an XIII que débuta Liegeard, de
nationalité française, et secrétaire général de la préfecture de
(10)
l'Escaut, dont le chef était H. Faitpoul. Il remplit ensuite les
mêmes fonctions à Liège, sous l'administration du baron
de Micoud, préfet du département de l'Ourthe. .
Nous arrivons à l'Almanach de Tan 1806. Il n'est plus ques-
tion de l'ère républicaine qui, de fait, avait disparu de l'Aima-
nach précédent. M. Edouard *** y publie, en collaboration avec
Ph. Lesbroussart, un vaudeville intitulé : L'intrigue en Pair au
les aérostats <>.
En 1807, Comhaire, aîné, de Liège, De Trappe, de la même
ville ; — en 1808, Rodants, de Gand ; — en 1809, Bassenge,
aîné, de Liège, Boilleau ; — en 1810, D'Alissac, P. Benau, de
Gand, Ferrary, de la même ville, Hyacinthe Horel, d'Avignon,
Richard, MUe Van de Reden, Frédéric Rouveroy, de Liège,
J. Wallez, de Gand, tiennent à honneur de figurer dans
l'Àlmanach poétique.
L'Àlmanach pour 1811 clôt la série des Àlmanachs publiés
chez Ad. Stapleaux. Cette fois, on rétablit le texte exact de la
devise empruntée à Hubin, en mettant Virgile à la place
d'Horace :
« Qui lit Virgile aime les vers,
» Et qui les aime veut en faire. »
On trouve encore plusieurs noms nouveaux : le Dr Guérin,
J. Lignian, C. Malingreau, de Gand, C. Tinet, Clément Du Trieu,
quelques auteurs indiqués par de simples initiales, et un ano-
nyme, auteur d'une Ode sur Napoléon le Grand, en six strophes
de dix vers chacune.
Il n'y eut pas d'Almanach poétique en 1812.
L'Almanach pour l'an 1813 et celui pour l'an 1814 parurent
chez M. E. Rampelbergh, rue au Lait, avec l'ancienne devise :
<c II faut tout attendre du tems,
» Et surtout du désir de plaire. »
Voltaire.
Ils forment les douzième et treizième volumes de la collec-
tion.
Les nouveaux collaborateurs sont : en 1813, Victor Augier,
( 11 )
César-Auguste (?), Charles Du Trieu, J. Gautier, Justin Gensoul,
R. Giraudy, Mlle Hugo de Raveschot, Félix Nogaret, Revoil,
J. S..., Mlle Schavye, aînée; en 1814, Chaix, J.-H. KraaneY
M"» Lignan, F. Negrel, J.-B. Picard, Piot, Le Prévôt dirai.
À la fin du volume de 1814 se trouve l'avis suivant : ce Mes-
sieurs les auteurs qui, par leurs ouvrages, ont coutume de
coopérer au présent Al manach, sont priés de vouloir les adresser
dorénavant, franc de port, avant le 15 de septembre, à M. Hubin,
président actuel de la Société de littérature de Bruxelles. Les
-envoyer plus tard serait s'exposer à ce qu'on ne pût les insérer
■dans le recueil de l'année. On les prie de même d'écrire chaque
pièce sur un feuillet séparé, pour ne point gêner la rédaction. »
Le quatorzième volume de la collection parut en 1817. Les
-événements politiques expliquent suffisamment pourquoi il n'y
eut pas d'Almanach poétique en 1813 et 1816.
L'Almanach de 1817 porte pour devise :
Qui legis ista, tuam reprehendo, si mea laudas
Omnia, stultitiam : si nihil, invidiam.
Owen, epig.
et au bas du titre on lit : A Bruxelles, chez Berthod, libraire,
Marché aux Bois. — A Gand, chez P.-F. De Goesin-Verhaeghe,
imprimeur-libraire, rue Hautport, n° 37.
D'après Quetelet 7, il aurait été imprimé à Gand par les
soins de Van Bemmel, qui était à cette époque professeur au
collège de cette dernière ville.
Plusieurs noms s'y rencontrent pour la première fois :
N. Cornelissen, le chevalier de Posson, le baron de Roest
d'Alkemade, Ph. Gigot, Lefèvre, Sauveur Legros, le maréchal
prince de Ligne, Magalon, A. Maleck de Werlhenfeld, Offhuys,
Prenninger. Il y a trois anonymes. La pièce signée par le
maréchal prince de Ligne est intitulée : « Dernières étincelles du
maréchal prince de Ligne, quelques jours avant sa mort, adressées
au journal de l'Oracle de Bruxelles, en réponse aux rédacteurs. »
D'après une note au bas de la page, « les rédacteurs de l'Oracle
n'ont pu insérer cette pièce dans leur journal, à cause de son
( 12)
étendue; ils ont saisi, avec empressement, l'occasion de la
publier dans les Annales poétiques d'une Société dont ce prince
illustre était membre. »
A la fin du volume, on retrouve l'annonce qui avait paru
dans l'Almanach pour 1814; le président de la Société de litté-
rature était encore M. Hubin.
L'Almanach royal de la Cour, des provinces méridionales et de
la ville de Bruxelles, pour l'an 1816 — lre année, Bruxelles,
Ad. Stapleaux — renferme une liste des membres de la Société
de littérature. Nous la reproduisons ici, bien qu'elle nous
paraisse incomplète et inexacte, surtout en ce qui concerne la
séparation en membres résidans et membres non résidant en
Belgique.
MEMBRES EFFECTIFS RÉSIDANS.
Delannoy.
Lesbroussart, fils.
Colbert, commis greffier à la Cour
supérieure.
Dehulstere.
Lesbroussart, père, professeur à
l'Académie de Bruxelles.
Rouillé, idem.
Degamond, aîné, avoué.
Hubin, agent solliciteur.
Mercx.
Le baron Gosvvin de Stassart, cham-
bellan de l'empereur d'Autriche.
Botte.
F. Vandenzande.
B. Vandenzande.
BlanfarL
Christian.
Van Bemmel, professeur au collège
de Gand.
Le baron De Trappe.
Roelants.
Destriveaux.
Liegeard.
Dupont.
Comhaire.
Morel.
D'Alissac.
De Boilleau.
Victor Augier.
Tinet.
Ferrary.
Gensoul.
Giraudy.
De la Bouisse.
Félix Nogaret.
Revoil.
Rouveroy.
Le Prévôt d'Irai.
Dutrieu, aîné.
Dutrieu, cadet.
Lefôvre.
J.-B. Picard, maître des comptes.
Dewez, commissaire spécial pour
l'instruction publique, division
wallonne.
( 13)
Vidal.
Rozin.
Jouy.
Laisné.
Oudaert.
MEMBRES NON.RÉSIDANT EN BELGIQUE.
Delormel.
Degamond, cadet.
Gigot-Pauzelle.
Perrenet.
MEMBRES DÉCÉDÉS DEPUIS INSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ..
Couret de Villeneuve.
Lacorne.
Bassenge, ex-législateur.
Grétry, célèbre compositeur.
Le prince de Ligne.
En 1818, le recueil ne porte plus le titre d'Almanach poétique
de Bruxelles, il devient le Recueil annuel de poésies de la Société
de littérature de Bruxelles pour Vannée 1818, et paraît à
Bruxelles chez F.-J. Hublou, imprimeur, rue des Eperonniers,
n°, 480. La devise est restée la même qu'en 1817.
Les nouveaux auteurs sont : MM. Coomans, Gaussoin,
Lecocq, Quetelet, F. De Reiffenberg, Roucher, N.-J. Stevens,
le baron Van Erlborn, J.-B. Vautier, Violet d'Epagny, Willmar,
un auteur indiqué par les initiales A. V.v une dame N*** et un
autre anonyme. Une pièce de Legros nous apprend que la
Société se réunissait dans un salon du cabaret : A l'Oranger;
une autre pièce du même, qu'il avait été élu président le
42 octobre 1817.
L'Almanach royal de la Cour, etc., pour l'an 1819 —
4e année — donne la liste suivante des membres de la Société
de littérature.
MEMBRES EFFECTIFS RÉSIDANT DANS LE ROYAUME.
Delannov.
Lesbroussart, fils.
Colbert.
Dehulstere, secrétaire.
Rouillé.
Degamond, aine.
Hubin.
Le baron de Stassart.
E. Vandenzande.
B. Vandenzande.
Christian.
Van Bemmel.
(14)
Le baron De Trappe.
Roelants.
Destri veaux.
Gomhaire.
Rouveroy.
Tinet.
Ferrary.
Dutrieu, aîné.
Dutrieu, cadet.
Lefèvre.
Picard.
Dewez.
Le chevalier de Posson.
Legros, président.
Prenninger.
Gigot.
Barafin.
De ReifFenberg.
Gaussoin.
Le baron de Beeckman-Libersart.
Raoul.
Lecocq, secrétaire.
Descheppere, trésorier.
Le baron de Roest d'Alkemade.
Jullian.
Stevens.
Coomans.
Quetelet.
Pire.
Vautier.
Maleck de Werthenfeld.
Willmar.
MEMBRES RÉSIDANT HORS DU ROYAUME.
Vidal.
Rozin.
Jouy.
Laisné.
Oudaert.
Delormel.
Gigot-Pauzelle.
Hillemacher.
Liegeard.
Dupont.
Morel.
D'Alissac.
De Boilleau.
Victor Augier.
Gensoul.
Giraudv.
De la Bouisse.
F. Nogaret.
Revoil.
Le Prévôt dirai.
Violet d'Epagny.
En comparant cette liste ù celle que renfermait l'AImanarh
royal pour Tan 1816, on remarque d'abord la disparition des
noms suivants : Lesbroussart, père, mort le 10 décembre 1818,
Mcrcx, Botte, Blanfert, Degamond, cadet, Perrenet. D'autres
noms ont été rangés parmi les membres non résidant en Bel-
gique, et c'est évidemment par erreur que ces noms figuraient
dans l'AImanach de 1816 parmi les membres effectifs résidant
dans le royaume. Enfin, parmi les membres nouveaux, il y en
(15)
a vingt qui résident dans le royaume, à savoir : Le chevalier de
Posson, Legros, Prenninger, Gigot, Barafin, De Reiffenberg,
Gaussoin, le baron de Beeckman-Libersart, Raoul, Lecocq,
Descheppere, le baron de Roest d'Àlkemade, Jullian, Stevens,
Coomans, Quetelet, Pire, Vautier, Maleck de Werthenfeld,
Willmar, et un seul, Violet d'Epagny, non résidant en Bel-
gique.
Avant d'aller plus loin, nous devons retourner un instant sur
nos pas. Jusqu'ici nous n'avons parlé de la Société de littéra-
ture de Bruxelles qu'en nous appuyant sur des documents
imprimés. Il y a aussi des pièces manuscrites : ces pièces se
trouvent dans les Archives de la ville de Bruxelles et dans la
collection d'autographes léguée par M. le baron de Stassart à
l'Académie royale de Belgique. M. de Stassart paraît avoir reçu
de H. Dewez, le dernier président de la Société de littérature,
une grande partie des archives de cette Société ; mais au lieu de
les conserver dans leur intégrité, il les a morcelées au profit
de sa collection d'autographes. La liasse de Vidal est particu-
lièrement curieuse. Pierre-Claude Vidal, Français établi en
Belgique, avait été le premier secrétaire de la Société de litté-
rature. La circulaire suivante qu'il adressait, le 28 prairial an IX
(17 juin 1801), aux membres de la Société, sera lue avec
intérêt : « Citoyens, nos assemblées n'auraient qu'un objet
infructueux, si nous nous bornions à les occuper par la lec-
ture de nos productions. Le but principal de notre institution
est l'utilité; l'agrément résultera suffisamment des moyens que
nous emploirons pour y parvenir. Parmi ces moyens, le plus
important sans doute, est l'examen que la Société fait des
ouvrages de ses membres. Cette heureuse résolution doit être
le ciment indissoluble de ce corps littéraire, et en même temps
le principe certain de sa perfection, puisqu'il est vrai que
chacun de nous soumettant ses ouvrages à la censure réfléchie
de tous, il se forme une masse de lumière dont toute la Société
profite. Ces considérations sont assez puissantes pour exiger
de notre part un zèle inaltérable dans l'exécution de cette réso-
(16)
lution. Cependant, ilestarrivé que depuis Iccommencement de
nos assemblées qui date d'environ un an et demi, il n'a été fait
que huit rapports pour une trentaine d'ouvrages qui ont été
soumis à l'examen. Ajoutez que depuis environ six mois aucun
membre n'a cru devoir faire passer ses productions par une
formalité qui lui aura semblé fastidieuse.
» Je ne puis donc, Citoyens, faire un meilleur usage des
fonctions dont vous m'avez honoré, qu'en vous rappelant le
zèle que vous vous êtes promis.
» En conséquence, je vous invite, conformément à ce qui a
été résolu dans la dernière séance, à vouloir me faire parvenir,
dans le plus bref délai, les pièces qui peuvent être restées entre
les mains, afin que je les fasse passer de nouveau à l'examen.
Je vous envoie, à cet effet, la liste ci-aprùs qui vous indiquera
celles dont il n'existe aucune copie dans nos archives. Je vous
réitère instamment de mettre dans l'exécution de la présente
toute l'exactitude et la célérité possibles, d'autant plus que le
registre destiné ù la transcription des mémoires de la Société
ne peut être commencé que lorsque vous aurez rempli mon
attente. — Salut et amitié. P. Vidal. — P.-6\ Les auteurs
des pièces contenues dans la liste ci-après peuvent m'en-
voyer leurs minutes, s'ils n'ont pas le temps d'en faire des
copies. »
LISTE.
1° Analyse raisonnée de la chronologie des principaux Etats
de la terre, par Marchai;
2° Discours sur les avantages de la Logique, par Delannoy;
3° Traduction de la Canzone de Pétrarque sur la mort de
Laure, par Marchai ;
4° Scène de séparation entre l'Amour et Psyché, par Rozin ;
5° Le riche et le pauvre, dialogue par Dehulstere;
6° Voyage en Flandre, par le même ;
7° Essai historique sur Charles Martel, par Marchai;
8° Rapport sur le discours du C. Delannoy sur les avantages
de la Logique, par Colbert ;
( 17 )
9° Essai sur If s avantages de la Littérature, par Lesbrous-
sart;
10° Origine de plusieurs usages, par Marchai ;
11° Conseils de Charles-Quint à Don Philippe, traduits de
l'espagnol par le même ;
lâ° La vieillesse d'Ânacréon et réponse d'un vieillard, par
Dehulstere;
13° Observations historiques sur Sesostris et ses successeurs,
par Marchai ;
14° Sethos ou les Initiations égyptiennes, tragédie lyrique
en trois actes, par Rozin;
15° Harangue de Thelesinus aux Samnites, par Lesbroussart ;
16° Traduction en prose de l'île déserte de Métastase, par
Marchai ;
17° Discours apologétique sur les lois de Lycurgue, par
Colbert ;
18° Plan d'histoire ancienne a l'époque du triumvirat de
César, Pompée et Crassus, par Marchai ;
19° Chanson laponne, traduite de l'anglais par Deglimes;
30° Combat de Don Quichotte contre les moulins, poème
par Lesbroussart.
Voici une autre lettre circulaire de Vidal, datée du 19 bru-
maire an X (10 novembre 1801) : « Messieurs, j'ai l'honneur
de vous prévenir que vous êtes convoqués pour demain en
assemblée générale aux termes de l'article 5 du règlement, à
reflet de procéder à l'admission de MM. J.-H. Hubin et V. Jouy,
candidats présentés à la dernière séance, ie premier par
M. Dehulstere * et le second par moi.
* Le 21 vendémiaire an X <13 octobre 1801), Vidal avait écrit à Hubin :
« La Société a entendu avec plaisir la lecture que M. Dehulstere, notre
collègue, lui a faite hier de quelques pièces de votre composition. Elle
m'a chargé de vous remercier de ce cadeau... M. Dehulstere a saisi cette
occasion pour vous présenter comme candidat à la Société, persuadé que
vous acquiescerez à cette proposition... P. S. Vous pouvez adresser vos
lettres pour la Société à Monsieur Rozin, son président, professeur à
l'École centrale, demeurant rue de Namur. »
Tome XLI. 2
( 18)
» La liste d'ordre pour la même séance contient l'annonce des
lectures suivantes :
1° Les trois roses, stances par M. Jouy ;
3° Fragment d'une épître écrite en 1793, par le même;
3° Romance, par le même;
4° Aux mânes des poètes français, par M. Hubin ;
5° La convalescence, élégie par M. Rozin ;
6° Chant de Paix, par M. Lesbroussart, fils;
7« Couplets à Mu« **\ par M. D. L.;
8° Le bâton de vieillesse à M™ ***, par le même;
9° Envoi d'un portrait, par le même;
10° Vers envoyés de Paris à Mme ***, par le même;
11e Couplets à M. P..., par le même;
12° La prière universelle de Pope, traduite par une dame de
Bruxelles;
13° Épître à M. Vidal sur ses épigrammes, par M. Dehulstere;
14° Trois couplets de romance, par le même;
15° Imirène et Ramier, romance par M. Lesbroussart, fils.
» Les membres de la Société sont invités à vouloir me
remettre à la séance de demain pour dernier délai, les pièces
qu'ils désirent faire insérer dans l'Almanach poétique. Ils sont
priés surtout de .ne pas oublier en même temps [de payer] à
M. Rozin leur part dans la souscription de l'Almanach de la
présente année, ainsi que les sommes dont ils lui sont rede-
vables pour l'Almanach de l'année dernière.
» Je compte assez sur leur zèle et leur délicatesse pour être
persuadé qu'ils ne m'obligeront pas à leur réitérer cette der-
nier demande. Salut et amitié. P. Vidal. »
Le 28 ventôse an X (19 mars 1802), Vidal écrit à Colbcrt,
membre de la Société : « Le petit volume des opuscules de
M. Cioswin De Stassart étant soumis à l'examen de la Société,
je vous prie de faire parvenir vos observations à H. Hubin,
rapporteur, avant le 10 du mois prochain (31 mars 1802).
Salut et amitié. P. Vidal. »
Le 19 germinal an X (9 avril 1802), lettre du même : « J'ai
l'honneur de vous prévenir que la Société est convoquée pour
E^
(19)
demain trois heures précises en assemblée générale à l'effet de
procéder à l'admission de M. Laisné, homme de lettres à
Bruxelles, présenté par M. Rozin à la dernière séance. — Liste
d'ordre :
1° Suite du tableau chronologique de M. Marchai;
3° Quelques pièces de poésie de M. Spaek;
3? Fragment de la Voltairiade de M. Hubin ;
¥ Le fat, chanson par M. Dehulstere;
5° Pragmcns inédits d'un ancien poème composé par un
Belge;
6° Rapport de M. Hubin sur les opuscules de H. Stassart. —
Salut et amitié. » [La lettre n'est pas signée, mais elle porte
pour en-tête : « Le secrétaire de la Société de littérature de
Bruxelles à M. Colbert, membre. »]
Nous aurons à présenter quelques observations suggérées
par les pièces qu'on vient de lire.
Le rôle du secrétaire de la Société de littérature est prépon-
dérant : c'est lui qui dirige de fait la Société. Les lettres
peuvent être adressées à H. Rozin, son président, professeur à
l'Ecole centrale, rue de Namur. Les membres ne doivent pas
oublier de payer à ce dernier leur part dans la souscription ù
l'Aimanach poétique. L'Almanach s'imprimait chez Tutot,
l'éditeur de Y Esprit des journaux, dont Rozin était le rédacteur
principal, demeurant au siège de l'imprimerie.
La Société a d'autres occupations que la poésie : l'histoire
depuis les temps les plus reculés, la philosophie, l'archéologie,
les langues vivantes, donnent lieu à des lectures variées. Les
mémoires font ensuite l'objet de discussions et de rapports.
Les morceaux présentés pour l'Aimanach subissent un examen "
minutieux.
L'Almanach pour Fan XI (1803) sort encore de l'imprimerie
de Tutot; mais cette imprimerie a été transportée rue aux
Laines, n° 894, et Rozin l'y a suivie : c'est de là que le prési-
dent de la Société littéraire part furtivement au mois
d'octobre 1803 pour ne plus reparaître en Belgique. C'est vers
cette époque qu'il est remplacé par Hubin. Vidal reste secré-
( 20)
taire, et Delormei, directeur du domaine, occupe les fonctions
de trésorier. La cotisation annuelle des membres est de
12 livres tournois; ils payent en sus une contribution pour les
déjeuners qui paraissent avoir lieu tous les quinze jours; cette
contribution est de 4 livres 10 sols par trimestre.
En 1810 Vidal devient procureur impérial à Nivelles : le
18 fructidor an XIII (5 septembre 1805), il a obtenu le grade de
licencié en droit de la Faculté de Paris. Le secrétaire de la
Société de littérature est maintenant Dehulstere, et ensuite
Colbcrt. Le là octobre 1817, Sauveur Legros est élu président.
Lecocq devient secrétaire, et Descheppere est trésorier.
La Société de littérature fut réorganisée au commencement
de l'année 1819. Voici le règlement qui fut délibéré et arrêté
dans la séance extraordinaire du 17 janvier :
Art. Ier. La Société a pour but l'étude et le progrès des
lettres.
Art. IL Elle se compose de membres effectifs et de membres
associés, tant régnicoles qu'étrangers.
Art. III. Le nombre de membres effectifs de résidence fixe
à Bruxelles est limité à trente; ne sont point compris dans ce
nombre les membres obligés à des déplacements annuels ou
périodiques, par suite de leurs fonctions, ni les membres
externes faisant actuellement partie de la Société, et qui, en
adhérant au présent règlement, auront fait connaître pair écrit
que leur intention est de rester membre effectif.
Art. IV. Lorsque lé nombre des membres effectifs résidans,
mentionnés à l'article III, sera complet, la Société pourra
admettre, jusqu'au nombre de douze, des candidats destinés à
remplacer, par rang d'ancienneté d'admission, les membres
décédés ou démissionnaires.
Art. V. Pour être nommé membre effectif ou associé, il
faut être connu par quelque production littéraire.
La présentation doit être faîte par un membre effectif, dans
(21 )
une réunion régulière, et il ne peut être procédé à l'admission
qu'à une des réunions subséquentes.
Art. VI. Il ne pourra être procédé à l'admission d'aucun
membre ou candidat que lorsque la réunion se compose de la
moitié plus un du nombre des membres effectifs résidans; et
alors le récipiendaire devra obtenir les trois quarts pleins des
suffrages des membres présens.
Toute délibération de la Société ayant pour objet l'admis-
sion, la nomination ou 1 élection, sera décidée par la voie du
scrutin secret et individuel.
Art. VII. Si, au jour de la convocation, la réunion ne se
compose pas du nombre des membres exigé par l'article pré-
cédent, le ballottage sera remisa une autre convocation, qu'in-
diquera le président ou celui qui en fait les fonctions.
Art. VIII. A cette seconde convocation, il sera procédé au
ballottage du récipiendaire, et le résultat dépendra de la plu-
ralité des membres présens.
Art. IX. Toute résolution, autre que celle mentionnée en
l'article précédent, prise dans une assemblée qui ne serait pas
composée de la pleine majorité des membres effectifs, sera
nulle.
Art. X. La Société choisit chaque année, parmi les membres
effectifs résidans, un président, un secrétaire et un trésorier;
ils seront toujours rééligibles.
Art. XI. La nomination du président, du secrétaire et du
trésorier se fait à la pluralité des voix, dans une réunion spé-
ciale, soumise aux dispositions de l'article IX.
Art. XII. Au président seul appartient le droit de convoquer
ex traordinai rement la Société.
Il préside les assemblées, en a la police, dirige les discus-
sions, recueille les opinions, et en proclame le résultat.
Il est à la tête de toutes les députations, et désigne les
membres qui doivent l'accompagner.
( 22 )
Le bureau nomme, parmi les membres effectifs indistincte-
ment, des commissions pour l'examen de toute proposition qui
intéresse la Société.
Le président nomme annuellement, dans le courant du mois
de septembre, une commission composée de trois ou cinq
membres effectifs résidans, ayant pour objet l'examen et par
suite l'adoption ou le rejet de tous morceaux de littérature
remis ou adressés à la Société, pour être imprimés dans le
Recueil qu'elle publie chaque année.
Il préside de droit toutes les commissions et y a voix pré-
pondérante et décisive en cas de partage.
Art. XIII. Les commissions, à l'exception de celle d'examen
des morceaux de littérature destinés au Recueil, font leur rap-
port à la séance indiquée à cet effet par le président.
Art. XIV. Le secrétaire perpétuel rédige les procès-verbaux
des séances, en tête desquels il a soin de mentionner nomina-
tivement les membres présens.
II veille à la conservation des archives et de la bibliothèque,
et tient la correspondance de la Société.
Art. XV. Le secrétaire annuel écrit les lettres de convoca-
tion, les signe et les expédie ; il remplace de droit le secrétaire
perpétuel aux séances.
Art. XVI. Les lettres et paquets adressés au secrétaire per-
pétuel doivent être affranchis, sinon il est autorisé à ne pas les
recevoir.
Art. XVII. En cas d'absence du président, il est remplacé
par le membre présent le plus avancé en âge.
Le secrétaire annuel est remplacé, en cas d'absence, par le
plus jeune des membres présens.
Art. XVIII. Les fonctions de trésorier consistent dans la
perception de la rétribution individuelle déterminée en
l'article XXV, et dans la recette de tous autres fonds ordinaires
ou extraordinaires. Il rend compte annuellement de sa ges-
tion à l'expiration de ses fonctions.
( 23)
Art. XIX. Toutes les dépenses seront mandatées par le pré-
sident et contresignées par un des secrétaires.
Tout projet de dépenses extraordinaires devra préalablement
être soumis à la Société, et renvoyé par elle à une commission
spéciale, si elle le juge convenable.
Art. XX. En cas de décès de l'un des dignitaires, ou si l'un
se trouve légalement empêché de continuer ses fonctions, il est
procédé à son remplacement de la manière indiquée aux
articles IX et XI. Le remplaçant continue pour le temps seu-
lement que le remplacé aurait encore à rester en fonctions.
Art. XXI. Tout membre effectif ou associé régnicole qui, en
faisant imprimer un ouvrage de sa composition, y énoncera sa
qualité de membre, sans l'agrément de la Société, sera censé
avoir renoncé à en faire partie.
Art. XXII. Tout membre ^effectif ou associé régnicole qui
fait imprimer un ouvrage de sa composition, doit en envoyer,
franc de port, un exemplaire à la Société.
Art. XXI H. Tous les membres effectifs résidans à Bruxelles
sont tenus d'assister aux réunions, ou de faire connaître le
motif légitime de leur absence.
Ceux d'entre eux qui, sans avoir fait connaître ce motif, man-
queraient à six réunions ordinaires consécutives, seront démis-
sionnaires de fait.
Art. XXIV. La Société s'assemble régulièrement le premier
dimanche de chaque mois, depuis dix heures du matin jusqu'à
une heure après midi.
Les candidats pourront toujours assister à ces séances.
Art. XXV. Les dépenses de la Société seront supportées par
les membres effectifs, résidans ou non. La contribution indivi-
duelle sera fixée chaque année, le jour de l'élection des digni-
taires. Elle sera toujours payable d'avance et par trimestre entre
les mains du trésorier.
Art. XXVI. La contribution individuelle pour 1819 est fixée
à douze francs.
Art. XXVII. Le deuxième dimanche de janvier de chaque
(24.)
année, il y aura, en commémoration du jour anniversaire de
l'institution de la Société, un banquet d obligation pour tous
les membres effectifs, associés et candidats, résidans à
Bruxelles.
Art. XXVIII. La Société publie, chaque année, un choix de
productions de ses membres effectifs, associés et candidats,
sous le titre de Recueil annuel de poésies de la Société, etc.
Toutes les pièces destinées à ce Recueil doivent être envoyées,
franches de port, au secrétaire perpétuel, avant le 96 octobre :
ce terme est de rigueur. Ces pièces seront lues à rassemblée
avant d'être renvoyées ù la commission d'examen dont il est
parlé à l'article XII.
Art. XXIX. Chaque membre effectif sera tenu de lire et pré-
senter à la Société, dans le courant de Tannée, au moins deux
morceaux de poésie ou de prose.
Art. XXX. La Société arrête en principe que, dès que ses
moyens financiers le lui permettront, et pour contribuer,
autant qu'il est en son pouvoir, à répandre le goût des lettres,
et à favoriser leur culture, elle ouvrira chaque année un con-
cours public et décernera deux prix, l'un pour la meilleure
pièce de poésie, l'autre pour le meilleur morceau de prose, sur
un sujet donné, choisi par préférence dans l'histoire nationale.
Art. XXXI. Toutes les dispositions contraires au présent
règlement sont abrogées.
Ce règlement fut imprimé sous le titre : Règlement de la
Société de littérature de Bruxelles, constituée le 10 jan-
vier 4800, et réorganisée le 4tT janvier 1819. A Bruxelles, chez
Hublou.
Si nous examinons le nouveau règlement, nous remarquons
d'abord l'institution d'un secrétaire perpétuel dont nous
n'avions pas trouvé de trace jusqu'alors. La cotisation des
membres continue à être de douze francs par an. Les déjeuners
ont été remplacés par un dîner obligatoire qui se donne le
deuxième dimanche de janvier, en commémoration du jour
anniversaire de l'établissement de la Société. Les productions
destinées à entrer dans l'Almanach poétique sont soumises à
( 23 )
un examen préalable : il en était ainsi depuis l'origine de la
Société; le 10 frimaire an XI, Hubin écrivait à Vidal :
« J'espère, mon cher confrère, que vous serez content des
corrections que j'ai faites à mes pièces. Je vous remercie, ainsi
que mes au 1res collègues, de m'avoir mis en état de profiter
de vos judicieuses observations. J'éprouve tous les jours com-
bien il est aisé d'errer en poésie, l'enthousiasme nous emporte
souvent trop loin, et je sens que la Société a statué une règle
bien sage et bien utile en voulant que l'on soumette à l'exumen
de chaque membre les ouvrages destinés à voir le jour dans
son Annuaire poétique. Quant à moi, je souscrirai en tout
temps avec plaisir à cette condition dont l'accomplissement a
véritablement pour objet le progrès de l'art et le perfectionne-
ment du goût. » Personne ne pouvait se soustraire à la règle.
On lit dans une lettre de Jouy à Vidal, du 6 frimaire an XI
(27 novembre 1802) : « Je vous remercie, Monsieur, de m'avoir
communiqué les observations de la Société sur des bagatelles
qui sans doute auraient besoin d'être plus sévèrement encore
examinées avant d'être livrées à l'impression... » D'après le
nouveau règlement, les pièces n'étaient plus soumises à chacun
des membres : après avoir été lues en séance, elles étaient
renvoyées à une commission de cinq membres, nommée par
le président, qui décidait de l'adoption ou du rejet. 11 existe
relativement à cette commission une lettre de Vautier qu'on
ne lira pas sans intérêt. Le 10 novembre 1819, il écrit au
secrétaire perpétuel Lecocq :
« J'ai l'honneur de saluer Monsieur Lecocq, et de le prévenir
que je ne me rendrai point à l'invitation qu'il m'adresse, parce
que j'ai reconnu l'inutilité de la besogne que la commission de
revision va s'imposer; parce qu'ensuite mon zèle pour l'intérêt
de la Société n'est plus ce qu'il était l'an dernier; et que pour
prix du temps que j'emploierai à de soi-disantes corrections,
je n'ai pas envie de recevoir des remercîments de la nature de
ceux de M. Comhaire (?). Je ne vois pas ce qu'on gagne ù
montrer tant de zèle, ou pour mieux parler, je ne le vois que
trop. M. Gaussoin, mon collègue, a été renvoyé dans la pous-
( «6)
sière de sa classe pour s'être permis quelques innocentes
observations. Dieu sait si un procès ne menace point chacun
des membres de la commission de revision. Je ne digérerai
point Tépigramme adressée à H. Gaussoin (?), pas plus que je
n'ai digéré les invitations de feu M. Gigot (?). Encore un coup,
je me bornerai à payer mes trois francs par trimestre, à fournir
mon contingent aux termes précis du règlement; et je rentrerai
dans mon obscurité de membre. »
Un article curieux du règlement est celui en vertu duquel
tout membre qui, en faisant imprimer un ouvrage de sa com-
position, y énoncera sa qualité de membre, sans l'agrément de
la Société, sera censé avoir renoncé à en faire partie.
Le 17 janvier 1819, après avoir voté le nouveau règlement,
la Société de littérature avait renouvelé son bureau. M. Legros
avait été réélu président, et M. Descheppere, trésorier.
M. Lecocq avait été nommé secrétaire perpétuel, et M. Vautier,
secrétaire annuel .-
Ala fin de 1 année, la Société était composée comme suit,
d'après l'AImanach royal de la Cour pour 1830. Les noms sont
rangés par ordre alphabétique.
MEMBRES EFFECTIFS RESIDANT DANS LE ROYAUME.
Barafin.
Le baron de Beeckman-Libersart.
Van Bemmel.
Christian.
Colbert.
Coomans.
Delemer.
Destriveaux.
Dewez.
Dutrieu, aine.
Dutricu, cadet.
Ferrary.
Gaussoin.
Hubin.
Jullian.
Lannoy (de).
Lecocq, secrétaire perpétuel.
Lefévre.
Legros, président.
Lesbroussart.
Lespirt.
Malcck de Werthenfeld.
O'Sullivan de Grass.
Picard.
Pire.
Posson (Le chevalier de).
Prenninger.
Quetelet.
Raoul.
Reiffenberg (Le baron de).
(«7 )
Roelants.
Roest d'Àlkemade (Le baron de).
Rouillé.
Rouveroy.
Schepperc (de\ trésorier.
Stassart « Le baron de).
Stevens.
Tinet.
Trappe (Le baron de).
Vandenzande (B.).
Vandenzande <F.\
Vautier, secrétaire annuel.
Willmar.
MEMBRES RÉSIDANT HORS DU ROYAUME.
Alissac(d\
Augier (Victor*.
De Boilleau.
De la Bouisse.
Delormel.
Dupont.
Froment.
Gensoul.
Gigot-Pauzelle.
Giraudv.
Hillemacher.
Jouy.
Laisné.
Liegeard.
Morel.
Nogaret (F).
Oudaert.
Prévôt dirai (Le).
Revo il.
Vidal.
Violet d'Epagny.
La comparaison de cette liste avec celle de 1819 nous montre
la disparition, parmi les membres effectifs résidant dans le
royaume, de MM. Dehulstere, Degamond, aîné, et Gigot
(décédé); parmi les membres résidant hors du royaume, de
Rozin.
Les nouveaux membres sont : M. Delemer pour la première
catégorie ; M. Froment, pour la seconde.
Voici la lettre par laquelle Dehulstere avait donné sa démis-
sion; elle est adressée au secrétaire (?) et datée du 23 jan-
vier 1819 :
« Monsieur,
*> J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire par laquelle vous me prévenez que la Société de litté-
rature s'assemblera demain pour délibérer sur une demande à
faire à Son E. le Mtro de l'instruction publique. Je vous avoûrai
que je n'ai jamais regardé cette Société que comme une réunion
libre d'amis qui, ayant le goût de la littérature, ne se réunis-
(28)
saient que pour avoir le plaisir d'en parler ensemble. Souvent
on a débattu des projets d'illustration auxquels je ne com-
prenais rien et que j'ai hautement désaprouvés. Mais toujours
retenu dans le sein de la Société par les liens qui m'unissaient
à des amis de collège et à d'autres auxquels je me trouvais
honoré de pouvoir donner ce nom, je n'ai jamais eu la force
de me retirer de cette Société. Maintenant qu'elle s'occupe
sérieusement de projets auxquels je ne veux pas être associé,
je me demande pourquoi j'en ferais encore partie. Je me rap-
pelle avec peine qu'ayant passé deux hivers, malade et triste,
sans pouvoir sortir de chez moi, aucun de ces anciens amis,
malgré mes fréquentes invitations, n'a daigné venir passer
quelque temps à me consoler. Cette raison ne me donne ni le
pouvoir ni même la volonté de leur retirer des sentiments
qu'ils méritent d'inspirer, mais elle me fait prendre la résolu-
tion irrévocable de sortir d'une Société dont la constitution
m'a toujours déplu et dont je ne puis approuver les projets
actuels. Je vous prie donc, Monsieur, de vouloir bien m'eflacer
de la liste de ses membres. J'aurai l'honneur de voir M. de
Scheppere pour m'acquitter de ce dont je puis être redevable
à la Société.
» J'ai l'honneur d'être avec la plus profonde considération,
Monsieur, voire très humble et très obéissant serviteur.
» Dehulstere. »
De son côté, Degamond, aîné, écrivait au secrétaire le
26 février : « J'ai l'honneur de vous accuser réception du
règlement de la Société de littérature de Bruxelles et de la
lettre imprimée qui l'accompagnait. Le tout a produit sur moi
l'effet de vous prier de me regarder dès ce moment comme
démissionnaire. Si quelque chose avait pu m'em pêcher d'adopter
cette détermination, c'eût été sans doute le regret que j'éprouve
vivement de me séparer de collègues aussi estimables et à quel-
ques-uns desquels je suis attaché par les liens d'une ancienne
amitié. Il serait trop long d'entrer dans le détail circonstancié
des motifs de ma détermination, et je crois que la Société n'y
trouverait pas un but d'utilité assez marqué pour la dédom-
(29)
mager de l'ennui ou de la perte de temps qu'entraînerait cette
discussion ; mais cependant, pour qu'on ne puisse se méprendre
du tout au tout sur le vrai caractère de mes motifs, je crois
devoir vous indiquer que je les puise principalement dans les
articles XII, XXI, XXII, XXIII, XXVII et XXIX du règlement
et dans le dernier paragraphe de votre lettre imprimée. Je vous
prie, Monsieur, d'agréer les sentiments, etc. »
Nous ne connaissons pas la pièce imprimée dont il est ques-
tion dans la lettre de Degamond.
Le Recueil annuel de poésies pour 1819 avait encore été
imprimé chez Hublou, avec la devise :
« Lecteur, va-t'en porter ta censure hautaine
» Sur Corneille, Boileau, Racine ou La Fontaine :
» Voilà des écrivains dignes de t'exercer.
» Nous, nous n'en valons pas la peine;
» Ce serait pauvre gain que de nous rabaisser. » -
Lamotte.
Delcroixet Pire étaient les nouveaux auteurs. Uneépigramme
de Legros nous apprend que les séances se tenaient chez
M. Descheppere.
Au commencement de septembre 1819, Legros transféra sa
résidence à Enghien. 11 prononça son discours d'adieux à la
Société de littérature le 5, et fut remplacé dans ses fonctions
de président par H. Dewez.
Le choix de M. Dewez ne fut pas heureux. Quelques mois
après son élection, il proposait de fondre la Société, vouée
jusque-là aux lettres françaises, dans une autre Société, dite
Concordia, dont le but était la propagation dans les provinces
méridionales de la langue et de la littérature hollandaise.
Une circulaire, signée par lui, porte ce qui suit : «... Je vous
prie instamment de vouloir bien vous rendre sans faute à cette
séance. Elle a pour objet la réunion proposée de notre Société
a celle de la Concordia. J'ai eu une conférence à ce sujet avec i
les membres de cette Société. J'en ai rendu compte à notre der-
nière assemblée; mais comme le nombre n'était pas suffisant, «
nous n'avons pu prendre de résolution, et cependant je m'étais \
(30)
engagé à faire part à ces Messieurs de notre détermination.
J'espère donc que vous ne manquerez pas de répondre à mon
invitation. »
La circulaire n'est pas datée, mais elle est probablement do
commencement de mars 1820, et la lettre de Vautier, du 18 de
ce mois, que nous donnons ici semble en être une conséquence.
« Ayant à peu près cessé de faire partie de la Société littéraire
par ma négligence à observer l'article de son règlement qui
concerne les réunions mensuelles, et ne retrouvant plus d'ail-
leurs en moi ce goût qui me portait à concourir de toute la
force de mes faibles talents à la gloire de la Société, ainsi qu'il
est du devoir d'un zélé confrère de le faire, j'ai l'honneur de
vous adresser ma démission de membre de cette Société. Celte
démarche est une conséquence de l'idée que je me suis formée,
qu'on doit avoir le courage et la volonté de remplir les obliga-
tions qu'impose le titre de membre d'une Société, sinon, qu'il
faut s'en éloigner. C'est avec regret que je me sépare de collè-
gues et d'amis dont les conseils et l'exemple ont encouragé
mes premiers essais. Mais divers motifs m'y contraignent; et
je serai assez franc pour vous dire, Monsieur le président, que
la réunion projetée est l'un de ces motifs. J'ose me flatter, du
reste, que vous me conserverez, vous et mes autres confrères,
cette estime à laquelle j'attache le plus grand prix, et dont je
viendrais même au besoin invoquer le témoignage. Rece-
vez, etc. »
Nous ignorons si d'autres membres suivirent l'exemple de
Vautier et donnèrent aussi leur démission. Mais le projet de
Dewez ne paraît pas avoir reçu un accueil très empressé. Ce
qui peut lui être arrivé de plus favorable, c'est qu'il n'y aura
pas eu de vote. A en juger d'après une circulaire, datée du
7 novembre 1820, la froideur que le projet avait rencontrée
avait laissé une grande amertume dans le cœur de l'honorable
président. Voici cette circulaire :
« Messieurs et chers confrères,
» Quand vous m'avez fait l'honneur de me nommer président
de la Société de littérature, j'ai senti tout le prix de cette hono-
( 31 \
rable distinction, et j'ai accepté cette place avec reconnaissance
et dévouement. J'y apportais le désir bien prononcé d'employer
tous mes soins pour rendre à cette intéressante réunion une
nouvelle vie, parce que je voyais avec peine qu'elle était dans
un état languissant, qui la menaçait d'une dissolution pro-
chaine. J'espérais que mes confrères m'auraient secondé dans
cette intention par leur zèle et leur assiduité. Mais je le dis avec
le plus vif regret : mon espoir a été déçu. Le zèle, au lieu de
s^ réveiller, n'a fait que se ralentir. Nos séances ont été
désertes ; et quoique je me sois fait un devoir de m'y rendre
exactement, j'ai eu presque toujours la peine de n'y rencontrer
que deux ou trois membres : quelquefois même, je ne m'y suis
trouvé qu'avec le secrétaire. Je ne me décourage cependant
pas : le prix que j'attache à l'avantage d'être associé à des
hommes aussi estimables que vous, Messieurs, fortifie et
renouvelle en moi le désir de chercher à maintenir la respec-
table Société que j'ai l'honneur de présider, et je viens derechef
réclamer votre concours.
» C'est dans cette vue, dont vous apprécierez sans doute le
motif, que j'ai résolu de convoquer pour dimanche prochain,
12 de ce mois, une assemblée extraordinaire, afin d'aviser aux
moyens de parvenir à mon but, qui sans doute est aussi le
vôtre. Cette assemblée, indépendamment de l'objet essentiel
qui doit y faire la matière de nos délibérations, est d'autant
plus urgente, qu'il est plus que temps de procéder à la rédac-
tion de l'Annuaire prochain.
» J'espère donc, Messieurs, qu'enfin vous ne vous refuserez
pas à mes instances, et je vous attends dimanche prochain au
lieu ordinaire de nos séances.
» Agréez, je vous prie, Messieurs, l'expression de mes senti-
ments les plus affectueux.
» Le président : Dewez. »
Quel était Y objet essentiel dont il est ici question? Etait-ce
encore la réunion de la Société de littérature à la Concordia?
Nous ne pourrions le dire. Tout ce que nous savons, c'est que
la séance d'inauguration de la Concordia eut lieu le 13 dé-
cembre.
( 32)
En 1820, le Recueil annuel avait paru chez les frères Delemer,
fondeurs et imprimeurs, entre les Sablons, à Bruxelles.
Il ne porte pas de devise. Plusieurs noms y figurent pour la
première fois : T. Arbeltier, C. A. Delemer, Froment, Lespirt,
0' Sullivan.
Les Recueils pour 1821 et 1822 parurent également chez les
frères Delemer.
Dans le premier, il n'y a qu'un nom nouveau, celui de
H. Edouard Smits; dans le second, apparaissent MM. Alvin,
1. B. Bourcier, J. L. Crivelli, Dumas (de Lyon), Aimé Dupont,
Dupuy, Gretry aîné, Le Glay, Marie du Mesnil, Pascal Lacroix.
Le 20 janvier 1822, la Société se réunit en assemblée extraor-
dinaire, et résolut de modifier son règlement. Elle arrêta les
dispositions suivantes :
Règlement général (le la Société de littérature de Bruxelles.
1. La Société a pour but l'étude et le progrès des lettres.
2. Elle se compose de membres effectifs, dont le nombre ne
peut excéder trente *, et d'un nombre illimité de membres
associés (régnicoles), et de membres correspondants (étrangers,
résidant hors du royaume).
3. Le domicile à Bruxelles est de rigueur pour être membre
effectif; la Société peut néanmoins déférer le titre d'effectif non
résidant à ceux de ses membres régnicoles qui, par leur zèle,
leurs talents et le nombre de leurs productions, honorent la
Société et enrichissent ses recueils. Le nombre ne peut excéder
six.
4. Pour être membre effectif, associé ou correspondant, il
est indispensable de présenter une ou plusieurs productions
littéraires, selon leur importance.
La présentation doit être faite par un membre effectif, qui
dépose sur le bureau, en séance régulière, les titres littéraires
du candidat, et un bulletin portant ses nom, prénoms, profes-
sion, lieu et année de naissance, domicile actuel et la liste
Dans ce nombre ne sont pas compris ceux que leurs fonctions
auprès du gouvernement obligent à des déplacements annuels. Ils n*en
sont pas moins membres effectifs.
w
(33)
exacte de ses ouvrages imprimés. II doit de plus attester que
le candidat a reçu connaissance du présent règlement, et qu'il
consent à l'observer.
Il ne peut être procédé à l'admission que dans une séance
subséquente, et par la voie du scrutin.
5. La Société est dirigée par un président à vie, et nomme
un secrétaire perpétuel, chargé de tous les détails d'adminis-
tration. Un trésorier choisi annuellement perçoit la rétribution
des membres effectifs et acquitte les dépenses.
6. La Société se réunit le premier dimanche de chaque
mois, pendant les huit premiers mois de l'année, et le premier
et le troisième, pendant les quatre derniers.
Au président seul appartient le droit de convoquer extraor-
dinaireipent la Société.
7. Tous les membres effectifs et associés sont tenus de pré-
senter ou faire parvenir à la Société, dans le courant de chaque
année, au moins deux pièces de poésie ou de prose.
Les membres correspondants, sans être astreints à l'exécu-
tion de cet article, sont invités à s'y conformer, chacun selon
ses loisirs, dans l'intérêt des lettres et de l'institution.
8. La Société publie tous les ans un choix des productions
de ses membres sous le titre de Recueil annuel de poésies de la
Société, etc.
9. Tout membre effectif, associé ou correspondant, qui
publie un ouvrage de sa composition, ne peut y énoncer sa
qualité de membre, sans l'agrément de la Société.
10. La Société correspond deux fois par an avec tous ses
membres externes (par circulaires affranchies), dans le cou-
rant du mois d'août, pour leur rappeler que le 30 septembre
est le terme de rigueur pour la réception des pièces qui doi-
vent concourir à former l'Annuaire poétique; et dans le mois
de février, pour les instruire sommairement des travaux de
Tannée écoulée, et leur faire connaître les changements, etc.,
survenus dans son sein.
11. Le deuxième dimanche de janvier de chaque année, la
Société célèbre l'anniversaire de son institution (10 janvier 1800),
Tome XLI. S
(34)
par un banquet d'obligation pour tous les membres résidant à
Bruxelles.
Au commencement du mois de mai 1822, la Société était
composée comme il suit, quant aux membres effectifs et aux
membres associés :
MEMBRES EFFECTIFS TITULAIRES.
NOMS.
QUALITÉS OU PROFESSIONS.
tésitam ordinaire
m momentanée
par la natire éa
fonctions.
Dewez, président . . .
Descheppere, trésorier .
Delemer, secrétaire per-
pétuel.
Lesbroussart
Hubin
Le baron de Stassarl .
Van Bemmel ....
Dutrieu (Clément) . . .
Dutrieu (Charles) . . .
Le baron de Beeckman .
Queielct (Adolphe) . . ,
Le baron de Reiffenberg
Lecocq
Le baron de Roest d'Alke-
made
Maleck de Werthenfeld .
Pire
Doncker.
Lespirt .
O'Sulivan
Smits
Visscher . .
Bourcier . .
Beyens junior.
Stevens. . .
Inspecteur des athénées et collèges.
Substitut du procureur du roi . .
Fondeur en caractères, imprimeur .
Professeur de belles -lettres à
l'athénée
Agent solliciteur
Membre des États Généraux . . .
Professeur de poésie au collège
royal de Gand
Avocat
Avocat
Professeur de mathématiques à
l'athénée royal. ......
Professeur de poésie à l'athénée royal,
Rentier
Idem
Percepteur des contributions di-
rectes
Instituteur directeur de l'établisse-
ment d'instruction primaire aux
Minimes
Avocat
Homme de lettres
Employé du gouvernement . . .
Premier commis au ministère de
l'intérieur
Contrôleur de la Monnaie ....
Instituteur
Avocat
Employé a la chambre des comptes.
Bruxelles,
lbid.
Ibid.
lbid.
Ibid.
La Haye.
Gand.
Bruxelles.
Malines.
Bruxelles.
lbid.
Ibid.
lbid.
lbid.
près Louvain.
Bruxelles.
lbid.
Ibid.
La Haye.
Ibid.
Bruxelles.
Anvers.
Bruxelles.
La Haye.
(38)
MEMBRES ASSOCIÉS.
NOMS.
Rodants . . . .
Vandenzande (B). .
Comhaire (M. N.) .
Rouveroy . . . .
Le baron de Trappe.
Picard
Legros
Prenninger . . . .
Baratin ,
Le baron van Ertborn.
Raoul
Paridaens . . . . .
Willmar.
Kraane .
Arbeltier
Coomàns
D'Haeyere
Alvin
De Chenedollé .
Barré . . . .
Lecocq (Charles).
DeBast. . . .
Latour
QUALITÉS OU PROFESSIONS.
Secrétaire de l'Université . . .
Docteur médecin
Homme de lettres, président de la
section de littérature de la Société
d émulation.
Secrétaire [curateur] de l'Université.
Auditeur à la chambre des comptes.
Homme de lettres, ancien secré-
taire du prince de Ligne . . .
Homme de lettres
Auditeur militaire
Membre de la chambre des comptes.
Professeur ordinaire à l'Université.
Vérificateur de l'enregistrement cl
des domaines
Ingénieur du Waterslaat ....
Fabricant
Avocat
Receveur de l'enregistrement . .
Chef du pensionnat de Thielt en
Flandre
Principal du collège de Nivelles. .
Professeur au collège royal de Liègo.
Professeur au collège d'Audenaerde.
Membre des États Généraux . . .
Secrétaire de la Société des Beaux-
Arts, éditeur des Annales du
salon . . . ,
Instituteur
teidenee ordinaire
oo momentanée
par la natare d«
fonctions.
Louvain.
Anvers.
Liège.
Ibid.
Namur.
La Haye.
Enghien.
Ibid.
Gand.
La Haye.
Gand.
Mons.
Liège.
Levdc.
m
Anvers.
Grammont
Thielt.
Nivelles.
Liège.
Audenaerde.
La Haye.
Gand.
Liège.
Nous empruntons cette liste à une correspondance très
curieuse qui est conservée dans les Archives de l'administration
communale de Bruxelles : nous croyons devoir la donner ici.
(36)
Le 6 «pars 1822, le secrétaire perpétuel de la Société de litté-
rature écrit au bourgmestre :
« Monsieur le .bourgmestre,
» M. Dufoy, propriétaire du café de l'Amitié, et dans la mai-
son duquel nous tenons nos séances, le premier dimanche de
chaque mois, m'ayant informé que vous désiriez savoir quels
étalent les membres qui composaient notre Société, j'ai l'hon-
neur de vous indiquer ici les principaux. Président, M. Dewez,
inspecteur des athénées et collèges pour les provinces méridio-
nales, secrétaire perpétuel de l'Académie. Trésorier, M. Des-
cheppere, substitut du procureur du roi. Et parmi les
membres, MM. Lesbroussart, De Reiffenberg, Quetelet, profes-
seurs à l'athénée; le baron De Roest d'Alkemade, le baron De
Beeckman, le baron De Stassart; MM. Doncker, Beyens (junior),
avocats; M. Charles Lecocq, membre des États Généraux ;
M. Pire, directeur de l'institution des Minimes; M. Charles
Dutrieu, avocat, etc. etc. etc.
» Je joins à la présente un exemplaire de notre règlement
général.
» J'ai l'honneur etc.
(Signé) : A. Dclemer.
Le 9 mars, les Bourgmestre et Echevins accusent réception
du règlement envoyé par le secrétaire de la Société, ce Le but
de celte Société, disent-ils, est on ne peut plus louable, et les
membres qui la composent sont trop recommandables, pour
qu'elle ait à craindre, de la part de l'autorité locale, la moindre
contrariété. — Nous ne doutons pas, monsieur, que votre
Société ne se soit formée qu'avec l'agrément du gouvernement,
ainsi que le prescrit l'art. 291 du code pénal. Si pourtant vous
avez négligé cette formalité de rigueur, nous invitons la Société
à la remplir le plus tôt possible, et à nous donner connaissance
de l'autorisation qu'elle a obtenue, afin que l'autorité supé-
rieure n'ait à cet égard aucun reproche à nous faire. »
Le 12 avril, le secrétaire Dclemer écrit au bourgmestre :
« ... J'ai recherché dans les papiers de la Société le titre obtenu
( 37 )
lors de son institution (janv. 1800) ; cette pièce se trouve égarée,
et l'éloignement considérable de celui des membres de la
Société qui remplissait alors les fonctions de secrétaire, m'em-
pêche de m'en enquérir auprès de lui. Mais il est probable
qu'on en retrouverait la minute, ou tout au moins la demande
de la part de la Société, aux Archives de l'hôtel de ville. Une
pareille recherche, au surplus, n'aurait aucun but d'utilité,
l'autorisation ayant été accordée par le gouvernement français.
— En conséquence, Monsieur le bourgmestre, pour me con-
former à votre juste invitation, j'ai l'honneur de vous sou-
mettre ici les Statuts généraux de la Société de littérature de
Bruxelles (pièce imprimée), et de vous informer en outre :
1° Que cette Société se compose de 30 membres effectifs rési-
dant à Bruxelles, et de 50 membres associés ou correspondants,
tant dans le royaume qu'à l'étranger; 2° Qu'elle tient séance le
1er dimanche de chaque mois, dans une des salles de la maison
de M. Dufoy, dite café de F Amitié, place royale; 3° Qu'elle
s'occupe exclusivement de littérature. — D'après ces renseigne-
ments, j'ai l'honneur de vous prier, Monsieur le bourgmestre,
au nom de la Société de littérature de Bruxelles, de vouloir bien
lui accorder ou faire accorder l'autorisation nécessaire pour
tenir ses séances, poursuivre ses travaux, et se qualifier ainsi
qu'elle l'a fait jusqu'à ce jour, avec l'agrément des autorités et
sous la protection des lois. — S'il est quelque autre formalité
préalable qui doive être remplie pour obtenir cette autorisa-
tion, je l'exécuterai avec empressement, dès que j'en aurai con-
naissance. »
Le 23 avril, les Bourgmestre et Echevins prient le gouver-
neur de la province du Brabant méridional de faire obtenir à
la Société de littérature l'autorisation nécessaire, afin qu'elle
soit constituée légalement sous la protection des autorités.
Le 29 avril, le gouverneur réclame de la Régence la liste des
membres qui composent la Société.
Le 1er mai, la Régence demande cette liste au secrétaire
Delemer, et l'ayant reçue le 9, elle la transmet le 15 au gou-
verneur.
( 38 )
Le 31 mai, le gouverneur fait parvenir à la Régence une
expédition de l'autorisation qu'il a accordée à la Société de litté-
rature pour être constituée légalement.
Voici cette pièce :
Province du Brabant méridional.
Le conseiller d'Etat, gouverneur, commandeur de Tordre du
Lion Belgique,
« Vu la lettre de la Régence de Bruxelles, en date du
33 avril 1822, qui lui transmet le règlement général de la
Société de littérature établie en cette ville laquelle demande
l'autorisation nécessaire pour être constituée légalement sous
la protection des autorités.
» Considérant que cette Société est très utile, vu qu'elle a
pour but l'étude et le progrès des lettres.
» Vu l'article 291 du code pénal.
» Autorise l'établissement de la Société susdite de littérature
aux conditions de son règlement approuvé en sa séance du
20 janvier 1822.
» Expédition du présent sera adressée à la Régence de
Bruxelles pour son information et exécution.
» Bruxelles, le 31 mai 1822.
(Signé) : Comte d'Arschot.
» Pour expédition conforme,
Le greffier des États
B°° Versevden de Varick.
Au moment où cet arrêté était pris par le gouverneur, il y
avait dix jours que le secrétaire perpétuel de la Société de litté-
rature était mort victime de son dévouement 8# Charles-
Adolphe Delemer était né à Marseille le 12 septembre 1792. Il
ne fut pas remplacé, et M. Dewez, le président, cessa les con-
vocations. L'explication de sa conduite se trouve dans une
lettre par laquelle le gouverneur avait informé la Régence,
le 9 avril 1822, que par un arrêté du 26 mars précédent, il avait
(39)
plu à Sa Majesté de se déclarer protecteur de la Société litté-
raire Concordia établie à Bruxelles, et de permettre que cette
Société portât le titre de Société royale.
Nous avons déjà parlé de la Concordia : nous avons dit
qu'elle avait pour objet de propager dans les provinces méri-
dionales la connaissance delà langue et de la littérature hollan-
daise ou nationale, comme on l'appelait alors. Le roi l'avait,
dès son origine, prise sous sa protection, en lui accordant un
subside de 300 florins et un local à l'ancien hôtel des finances :
on savait qu'il voyait de mauvais œil la Société de littérature
française. Le président avait dû être prévenu qu'on la verrait
tomber avec plaisir. Ses efforts pour la fondre dans la Concordia
avaient échoué, et comme on n'osait pas la supprimer officiel-
lement, quelque envie qu'on en eût, il s'était décidé avec la
connivence de quelques membres, à la laisser mourir d'elle-
même 9.
« Le vingtième et dernier volume, dit Quetelet, parut en
1823, époque où la Société s'éteignit sans bruit, par la négli-
gence de son président » *o.
Ce vingtième volume porte le titre d'Annuaire poétique des
Pays-Bas, et fut imprimé chez P. M. De Vroom, rue des
Fripiers, n° 1180. Le titre semble avoir été ajouté après coup,
et lorsque le volume était déjà tiré. En tête des morceaux et au
haut des pages, on Ut, comme dans les volumes précédents :
Recueil annuel de poésies.
Les nouveaux écrivains sont : L. Barré, Bergeron, Clavareau,
Latour, P. Lebroquy, Schlim, et quelques anonymes.
n*
NOTES DE LA PREMIÈRE PARTIE.
1 V Oracle, journal politique, parut à Bruxelles de 1800 à 1827 inclus.
* Ad. Quetelet, notice sur le baron de Stàssart.
* Ferdinand Vandenzande a publié les livres dont les titres suivent et
qui n'ont été tirés qu'à un petit nombre d'exemplaires :
Fanfreluches poétiques par un Matagraboliseur. In-12 de xii et 342 pp.
Paris, 1845. — Ce volume porte l'épigraphe : Homini bono dédit Deus
laetitiam. Il comprend les matières suivantes : Lettre à M. Louis-Auguste
Gruyer, signée Lambert-Ferdinand-Joseph V***, pp. v-xvr, — Contes;
pp. 1-237; — Fables, pp. 241-274; — Poésies diverses, pp. 277-311; —
Chansons, pp. 315-342.
Quatre épitres, par un Matagraboliseur. In-12 de 21 pp. Paris, 1845.
Même épigraphe. Épitres I» et II«. A M. Trimolet, receveur des douanes
à Beziers. Marseille, 25 juillet et 3 août 1845. — Épitre III. A mes fanfre-
luches. Marseille, 26 août 1845. — Épitre IV. A M. Quetelet, secrétaire
perpétuel de l'Académie royale de Belgique et directeur de l'Observatoire
de Bruxelles. Marseille, 7 novembre 1845.
Recueil de huit épitres, par Jean Rigoleur. In-12. - Épitres I« et II*.
A Madame Techner. Batignolles, 5 décembre 1850. — Épitre III. A Mon-
sieur Barbier. Batignolles, février 1851. — Épitre IV. A Monsieur Boyer,
neveu. Ibid. mars 1851. — Épitre V. A Monsieur Pons. Ibid. avril 1851.
- Épitre VI. A Themire. Ibid. avril 1851. — Épitre VII. A MM. Chirac et
Fabre. Ibid. avril 1851. — Épitre VIII. A Monsieur Duchapt Ibid.
mai 1851.
Fables. In-12 de 111 et 328 pp. Paris, 1849. Avec la même épigraphe
que ci-dessus et une dédicace à Monsieur le baron de Staesart, signée :
Lambert-Ferdinand- Joseph V"\
* Jouy fut admis dans la Société le 11 novembre 1801, le même jour
que Hubin.
5 Les vendanges gaillardes, recueil de contes en vers, chansons,
épigrammes, etc. 1 vol. in-12 de 183 pp., y compris la table. A Paris,
an XII.
Les pièces Sur le Trou Manto; L'Anguille ou le gourmand mystifié; Le
(42)
Mésentendu; La religieuse malade; L'histoire mise en conte, sont de
Hubin.
6 Ad. Quetelet se trompe donc lorsque, dans sa notice sur Ph. Lesbrous-
sart, il dit que cette pièce « dont il possède le manuscrit, » est restée
inédite.
7 Notice sur le baron de Stassart. — Dans une lettre adressée le
10 mars 1822 à M. Delemer, secrétaire perpétuel de la Société de littéra-
ture, Van Bemmel dit qu'il a fait imprimer l'Almanach de 1817 a
ses frais.
8 Le 21 mai 1822, en voulant sauver des ouvriers frappés d'asphyxie
dans une fosse d'aisances.
9 « [La Société de littérature de Bruxelles a] éveillé et entretenu le
goût des lettres; elle a servi à propager, même après 1814, les idées et la
civilisation française. Aussi le roi de la Néerlande la voyait-il de fort
mauvais œil. Je lis dans une lettre d'un haut fonctionnaire du temps :
« J'ai quelques morceaux en portefeuille, mais je n'ose pas vous en
» donner, surtout cette année, pour la raison ci-jointe. Le baron De
» Stassart m'a envoyé ses fables qui sont jolies; je lui en ai fait compli-
» ment ; mais il casse diablement les vitres. » La raison jointe, que la
prudence glissait dans un coin de papier à part, c'est que : « Je sais de
» bonne part que le roi a le travers de ne pas aimer que les fonctionnaires
» s'occupent de la littérature française. Le moment n'est pas opportun.
» J'ai consulté ad hoc, et l'on m'a répondu : taisez-vous. Je me tais donc
» surtout aujourd'hui. » Nous comprenons le silence méticuleux d'un
administrateur effrayé des témérités de M. de Stassart. » (Loumeyer,
notice placée en tête des Poésies choisies de Jean-Hubert Hubin. 1 vol.
in-12, Bruxelles, 1852.)
40 Notice sur le baron de Stassart
En 1831, le 9 mai, Dewez écrivait à la Régence de Bruxelles : « ... D
existait à Bruxelles une Société particulière, sous la dénomination de
Société de littérature, établie sous le gouvernement français, je crois
en 1800. Elle ne s'occupait que de poésie française, et elle est insensible-
ment tombée en décadence. J'en étais président. Cette Société de littéra-
ture ne recevait aucun subside du gouvernement; elle se soutenait par
la souscription volontaire de ses membres, qui était de trois francs par
mois »
La Société de littérature, dit encore Quetelet dans sa notice sur
Ph. Lesbroussart, « ne tarda pas à céder la place à sa sœur puinée, la
Société Concordia qui semblait avoir pour tendance de substituer la
langue flamande, ou plutôt le hollandais à la langue française. Ph. Les-
broussart en faisait partie, et quand arriva son tour de porter la parole,
il trancha la difficulté en prononçant un discours latin sur la lutte des
(43)
classiques et des romantiques. » De Reiffenberg avait été plus hardi. Le
Journal de la Belgique du 23 décembre 1820 nous apprend que le
13 décembre précédent, il avait prononcé en français, le discours d'inau-
guration dont le sujet était l'Éloge de Guillaume le Taciturne.
Voici deux pièces curieuses tirées des Archives de la ville de Bruxelles,
et qui concernent la Concordia — (Maatschappy ter bloeying van de
Nederlandsche taal en letterkunde).
Le 19 février 1826, le président de la Société transmet la proposition
suivante à la Régence de Bruxelles :
« La Société royale de langue et de littérature nationale, dite Concordia,
établie dans le bâtiment du conseil d'État à Bruxelles, vient de procéder
à la nomination et à l'installation de son nouveau conseil, et de prendre
des mesures intéressantes pour faciliter et propager la connaissance de la
langue et de la littérature nationale.
» Le conseil est composé pour cette année comme suit : Président :
M. Schuermans, procureur du roi ; Assesseurs : le baron Goubau, prési-
dent à la Cour supérieure de justice; Van Marie, inspecteur du Waarborg
dans les provinces méridionales; Commissaires : De Quertemont, con-
seiller à la Cour supérieure de justice; Van Geel, vicaire du Finistère ;
Trésorier : De Bonne, juge (Regter, penning meester); Bibliot/iécaire :
De Dryver, substitut du procureur général ; Secrétaire : Ryke, ministre
du Saint-Évangile.
» La Société a fait des dispositions pour les séances journalières, les
discours des membres actifs, les questions à proposer annuellement pour
prix, et ses relations avec les membres honoraires et les Sociétés
affiliées.
» La Société, pour tacher de répondre aux intentions du gouvernement
et de se rendre digne des faveurs qu'elle a obtenues de S. M. le roi, a
admis que pendant un certain temps, MM» les fonctionnaires de tous les
ordres, et toutes les personnes méritantes pourront être reçus membres
de la Société par le conseil, sans droit d'entrée ni ballottage.
» Le conseil de la Société espère que MM. les fonctionnaires voudront
bien encourager ses efforts, et participer aux avantages que cette institu-
tion nationale présente.
» Le conseil agréera comme membres de la Société les fonctionnaires
que M. le baron de Wellens, bourgmestre, voudra bien présenter au
moyen de leur signature sur la présente liste.
» Les membres ordinaires payent dix florins par an, et ne sont pas
assujétis à d'autres obligations. »
— Le 22 février, le bourgmestre annonce qu'il a présenté la lettre
susdite en date du 19 au collège et qu'il sera satisfait au vœu de la
Société.
( 44)
Le 25 mars 1831 , M. Gâcha rd, pour la commission administrative de la
Société littéraire Concordia, écrit à MM. les Bourgmestre et Éehevins de
la ville de Bruxelles :
« Messieurs,
» Jusqu'à l'époque de la révolution, la Société Concordia, qui a pris
depuis la dénomination de Société littéraire, a joui, à l'ancien hôtel des
finances, rue des Sols, appartenant a la ville, d'un local où elle tenait ses
assemblées, et où elle avait son salon de lecture. Au mois d'octobre, la
nécessité d'établir quelque part la commission des secours et des récom-
penses détermina la Régence à affecter à cette destination le local qui nous
avait été concédé : il nous fut permis, en échange, de disposer d'une
autre partie du même hôtel, située près du Conservatoire de musique, et
ayant issue dans la rue Cuiller-à-pot D'après ce qui nous fut dit alors, le
déplacement de la Société devait n'être que provisoire, et ne pas se pro-
longer au delà du terme de l'existence de la commission pour laquelle il
avait lieu.
» Venant d'apprendre que cette commission a terminé ses travaux, et
que le local où notre Société était établie sera entièrement libre pour le
l«r avril, nous avons cru ne devoir pas différer de nous adresser à vous,
messieurs, afin d'obtenir votre agrément à ce qu'elle y rentre. Nous ne
pouvons douter que vous nous l'accordiez, puisque le but de l'institution
de la Société littéraire la rend digne de la protection d'une administra-
tion éclairée. Cette Société, en effet, est la seule dans cette capitale dont
les membres se réunissent uniquement pour la lecture des feuilles publi-
ques et des productions de la littérature ; grâce à l'avantage d'un local
gratuit, les personnes dont elle se compose peuvent, moyennant une
modique rétribution, se procurer ces jouissances de l'esprit, qu'elles ne
trouveraient pas ailleurs, même au prix des plus grands sacrifices.
Serait-il besoin de vous exposer, messieurs, tous les motifs qui appellent
sur des réunions semblables la bienveillance de l'autorité? Nous ajoute-
rions que, selon ce qui nous est revenu, le local que nous occupons
actuellement, serait bientôt nécessaire au Conservatoire de musique. »
En marge de cette lettre : « Séance du 26 mars. Le collège regrette de
ne pouvoir complaire à la Société, en la présente occurrence, les locaux
dont il s'agit étant indispensables à l'administration. (Signé) Rouppe. »
Il est répondu dans ce sens le 31 mars.
La dénomination de Société littéraire, que la Concordia avait prise, était
empruntée à une Société dont les Archives de l'État nous ont révêlé
l'existence et qui remontait à la fin du siècle dernier. Un parchemin
timbré donne l'Acte d'une nouvelle association de trois années de la
Société littéraire de Bruxelles, qui commencera le 1er octobre 1809 et
(45)
finira le 90 septembre 1812. L'Acte porte : « Les soussignés membres
effectifs actuels prennent l'engagement d'une quatrième association
triennale — ce qui reporte l'établissement de la Société au l*r octobre 1799
— ... se soumettant, en conséquence, au règlement général et à toutes les
résolutions adoptées par la Société, comme s'ils avaient été présents à
ses délibérations et comme s'ils avaient voté pour ses arrêtés. Ils font la
même soumission pour toutes les résolutions futures, quand même ils
n'assisteraient pas aux séances où elle prendrait ces résolutions. Bruxelles
le 8 décembre 1808. » La liste porte 209 signatures, parmi lesquelles
figurent Beyts — Van Antwerpen — C Vanderfosse — Joseph Crum-
pipen - D'Anethan — Prealle — Cornet de Grez — Du Chasteler —
Dotrenge — J. B. Beyens — Mettenius — H1* Greindl - Devos —
Delevielleuze — Jean-Joseph Meeus — Henri de Crumpipen — Rouppe
— Basse — Plasschaert — Huysman de Neufcour — J. B. Van Volxem
— Engler — Tarte, aine — De Brouckere — Charles d'Ursel - A. J. Orts.
Sous le titre de huitième association triennale, on trouve l'Acte d'une
nouvelle association de trois années qui commencera le 1er octobre 1821
et finira le 30 septembre 1824. Cet acte est daté de Bruxelles, le 31 décem-
bre 1820. A ce jour, la liste des membres compte 217 noms; 4 membres
ont été reçus le 30 décembre 1821 ; 4 le 29 décembre 1822; 9 le 28 décem-
bre 1823. Au 31 décembre 1820, on remarque les signatures suivantes :
Bortier — J. B. Van Volxem — Mary — le Cle Alberic Duchatel —
Desmanet de Boutonville — le Cer de Cruquenbourg — le colonel de
Knyff — le BoB d'Hoogvorst — le 0e Vandermeere — J. Van Gameren —
A. Hahn (décédé le 31 août 1821) - le O Ch. d'Oultremont - le comte de
Gavre — F. de Secus — O* de Herode Westerloo — C* de Lalaing —
P-Cuylen — C16 Vanderdielft — de Wellens - le prince de Gavre — Van
Volxem fils — le procureur général Vanderfosse — le duc d'Ursel — le
B?n de Crumpipen - J. Crumpipen — Fréd. Basse - H. Van Gobbelschroy.
SECONDE PARTIE.
Nous avons essayé, dans ce qui précède, de faire l'histoire de
la Société de littérature de Bruxelles.
Nous allons maintenant examiner les recueils de poésies
qu'elle a publiés de 1801 à 1823.
Il y en a vingt, et voici en regard le quantième volume de la
collection et Tannée où il a paru : 1, 1801 ; II, 1802; III, 1803;
IV, 1804; V, 1805; VI, 1806; VII, 1807; VIII, 1808; IX, 1809;
X, 1810; XI, 1811; XII, 1813; XIII, 1814; XIV, 1817; XV,
1818; XVI, 1819; XVII, 1820; XVIII, 1821; XIX, 1822; XX,
1823.
Plusieurs morceaux renfermés dans ces volumes sont ano-
nymes : nous avons fait des recherches pour en découvrir les
auteurs et nous donnons ici les résultats auxquels nous sommes
arrivé, en les accompagnant de quelques notes sur des pièces
signées.
I, 1801.
P. 85. L'Insomnie de l'amour.
D'après Louis Hercx, Mélanges poétiques et littéraires,
Bruxelles, 1802, cette pièce serait de Plasschaert.
Elle est accompagnée de la note Suivante : « Cette chanson
a déjà paru dans quelques journaux et dans YAlmanach des
Muses et la Lyre d'Anacréon; mais elle appartient de droit à
l'Almanach poétique de Bruxelles » ;
pp. 139-144-148-149-150. Fragmens d'une épître à
Sophie; — Le bain de Sophie, épisode d'un poème sur la
fontaine de Vaucluse; — Début d'une pièce qui a pour titre :
Le tombeau de Sophie; — Quatrain à MeUe ...; — A Emilie
M. . . le premier jour de Tan .
(48)
L'Almanach porte que ces cinq pièces a sont d'un homme
» de lettres connu qui, depuis quelque temps, habite un des
» départements réunis. » Nous ignorons qui était cet homme
de lettres.
II, 1802.
P. 40. Epitre au O Vidal sur ses épigrammes;
p. 119. La Vieillesse d'Anacréon. Cantate;
p. 121. Réponse d'un vieux pasteur à Anacréon.
Ces trois pièces sont de Dehulstere.
Vidal répondit à la première par une« Épître au Cn *** sur ses
madrigaux, en réponse à celle qu'il m'a écrite sur mes épi*
grammes ». Elle se trouve à la p. 44.
p. 126. Les couplets : Ma Zétulbé! Viens régner sur mon
âme..., ont été mis en musique et se chantaient dans le Calife
de Bagdad.
III, 1803.
P. 81. L'origine des rideaux, conte mythologique, — a été
reproduit dans les Vendanges gaillardes, avec deux vers que
YAlmanach n'avait pas donnés. L'auteur est Vidal.
p. 112. In Promptu;
p. 116. Ode anacréontique ;
p. 119. Couplets présentés par une fille à sa mère;
p. 124. A Chloé, qui faisait serment de fuir l'amour et de
ne plus écouter que la raison ;
p. 128. La Pénitence.
Ces cinq dernières pièces sont de Rouillé. La pièce A Chloé
a été reproduite dans les Poésies légères par L. P. Rouillé;
in-8% Liège, 1845, p. 47.
V, 1805.
P. 93. La Fête de Sot-Froid. Divertissement en un acte, mêlé
de couplets. — Violente satyre dirigée contre Geoffroy, le cri-
tique. — M. Faber attribue cette pièce à Ph. Lesbroussart dans
son Histoire du théâtre français en Belgique, t. IV, p. 185.
(49)
— Le 14 février 1805, Vidal écrivait à de Stassart qu'il s'était
rendu coupable d'y avoir fait quelques couplets.
VI, 1806.
P. 49. L'âne métaphysicien. Fable. — p. 77. Le ressort.
Fable.
Les initiales S. U. T. cachent un villageois des Ardennes,
appelé Socquet ou Souquet.
L'idée première de l'âne métaphysicien a servi à composer
une fable insérée dans le Mercure belge, 1818, t. IV, p. 374,
et signée H. Van Z..., ex-lieutenant de dragons.
p. 94. Épître à M. L.
Cette épître est de Rouillé. Elle a été reproduite dans les
Poésies légères, p. 73, avec le titre : Lettre à Monsieur J. B. Les-
broussart.
p. 111. L'Intrigue en l'air ou les Aérostats, vaudeville signé :
Ph. Lesbroussart et Edouard ***.
Dans sa notice sur Ph. Lesbroussart, comme nous l'avons
rappelé précédemment, Quetelet dit qu'il conserve le manuscrit
de cette pièce, restée inédite. Le Liber memorialis de l'Univer-
sité de Liège reproduit cette erreur. M. Faber ne l'a pas com-
mise, mais il a cru reconnaître dans Edouard *** M. Éd.
Smits. Or la vie de cet écrivain placée en tête de ses œuvres
poétiques ne fait aucune mention de Ylntrigue en l'air. Nous
ne savons pas du reste qui était cet Edouard *** : il a beaucoup
écrit, et Ph. Lesbroussart dont il était l'ami lui a adressé une
de ses meilleures épîtres. [Elle se trouve dans le vol. XV, 1818.]
D'après Faber, Ylntrigue en Yair est une « allusion à l'astro-
nome Lalande qui, à cette époque, avide de renommée, faisait
continuellement parler de lui dans les écrits périodiques de
Paris : tantôt il découvrait des taches dans le ciel; tantôt il fai-
sait montre d'athéisme et grossissait son Dictionnaire des Athées
des noms de personnages éminents, soit de l'Eglise, soit de
l'État, ce qui quelquefois lui attirait les plus vertes mercuriales,
rendues publiques par la presse de l'époque. Le personnage
qui est censé le représenter, s'appelle Astrolabe. »
Tome XLI. 4
(30 )
VII, 1807.
P. 23. Le Temple de l'erreur.
Cette pièce est de Rouillé. Elle a été reproduite dans les
Poésies légères, p. 19.
VIII, 1808.
P. 50. Épître à M***.
Cette pièce est de Rouillé. Elle a été reproduite dans les
Poésies légères, p. 51, sous le titre : Epître à Monsieur L**'.
XII, 4813.
P. 20. Corinne à Oswald. Romance.
Cette pièce est de Melle Schavye, aînée.
XIV, 1817.
P. 27. A Circé, chienne célèbre, etc., par J. H. Hubin.
p. 30. Réponse de Circé à son ami Hubin.
L'Epître à Circé a été reproduite dans les OEuvres diverses du
baron de Stassart. La réponse de Circé y est également, mais
avec une variante, et au lieu d'être datée du 8 octobre 1814,
elle y est datée du 2 février 1815.
XV, 1818.
P. H. Impromptu de Mr A. V.
Cette pièce est de Legros.
p. 19. Ode à S. A. R. le prince d'Orange, sur la naissance
de son fils, duc de Brabant. Par L. V. Raoul.
C'est « une traduction d'une ode écrite en latin par M. Dijon,
professeur de poésie à l'athénée de Tournai. » (Mercure belge,
t. II, 1818, p. 26.)
Le duc de Brabant, fils aîné du prince d'Orange, né le
19 février 1817, est le roi Guillaume III des Pays-Bas.
p. 46. A M®"6 Hugo de Raveschot, après avoir lu son Epître
à Lucile.
Cette pièce signée : Mme N*** est de Legros.
p. 61. Le lièvre et ses amis. Fable. Par Gaussoin.
« C'était bien la peine de défigurer une des plus jolies fables
de Florian (la 7m6 du livre III). » Note manuscrite du baron de
Stassart.
p. 93. Les adieux du poète à sa lampe. Elégie. Par Quetelet
Cette pièce se trouve dans les Annales belgiques, 2e livraison
du 1. 1, 1818.
(SI )
p. 115. Adieux à mon ami Monsieur H. Par Prenninger.
H. désigne Hubin. L., vers 3, est Legros.
XVI, 1819.
P. 10. Epître à Monsieur le vicomte Le Prévôt dirai. Par
le baron de Stassart.
Cette épître a été reproduite avec quelques changements
dans les OEuvres diverses, p. 137. Elle y est suivie de la réponse
de M. Le Prévôt.
XVII, 1820.
P. 49. La veillée des Bardes. Par Quetelet.
Cette pièce se trouve aussi dans les Annales belgiques,
in livraison du t. 1, 1818.
p. 83. Fragment d'un poème intitulé : Le Parc de Bruxelles.
Par C. A. Delemer.
Un autre fragment du même poème parut sous le titre :
Début d'un poème intitulé : Le Parc de Bruxelles, dans le
Mercure belge, t. X, 30 avril 1821.
XVIII, 1821.
71. Épître à un ami. Par J. H. Hubin.
A la page 73, au vers : « car nous avons pour secrétaire », il
faut substituer les deux vers :
« Car je suis d'un corps littéraire
» Où nous avons pour secrétaire »
XIX, 1822.
P. 78. Fragment d'une épître à M. X., qui avait un peu
médit de la Belgique. Par le baron de ReifFénberg.
L'épître entière est dans le Mercure belge, t. X, 28 février
1821 , avec le titre : « Réponse de M. Y à M. X. Le 10 janvier de
l'an de grâce 1821. »
La satyre de M. X. — Charles Froment — dirigée principa-
lement contre les membres de la Société de littérature, avait
paru en partie dans le Mercure belge, t. X, 18 janvier 1821, et
avait été qualifiée de libelle par M. Dewez, quoique, selon
Quetelet (notice sur de ReifFenberg), ce fût « une plaisanterie
plutôt qu'une méchanceté. »
p. 102. Le traducteur de l'Ode à Orion est M. Quetelet.
p. 118. Épître à mon ami Quetelet. Par le baron de
Reiffenberg.
1
(82 ).
Cette épître a été reproduite dans les Poésies diverses, Paris
1825, in-12, t. 11, p. 77, avec les variantes suivantes :
Au lieu de :
Et façonne en riant la flexible baleine,
Tandis que je maudis mon infertile veine ;
l'auteur a imprimé :
Et, lorsque je maudis mon infertile veine,
Façonne, en souriant, la flexible baleine.
Au lieu de :
S'il. a l'air repoussant, si son âme est flétrie,
N' est-ii pas commis?
Un vers plait moins encore au timbre de Battus.
Mais il n'est qu'arpenteur et non pas géomètre ;
l'auteur a imprimé :
S'il a l'air repoussant, si son âme est flétrie,
N'est-ce pas un commis ? Je ne puis dire non ;
Un vers plait moins encore au timbre de Trigon.
Mais il n'est qu'arpenteur, et n'est pas géomètre.
Les six vers supprimés après :
Il perdit la pensée à force de respect,
sont les suivants :
Ennuyeux par diplôme et guindé dans sa chaire,
Que le plus sot aiglon ne prit onc pour son aire.
Le bonhomme depuis rêve qu'il t'a formé :
A cette illusion il s'est accoutumé ;
Je prétends le forcer enfin à se connaître ;
S'il fut ton professeur, il ne fut pas ton maître.
Quetelet n'est désigné que par l'initiale Q**\
XX, 1823.
P. 65. Aux mânes d'un objet chéri. Elégie. Par J. B. Vautier.
Cette pièce avait paru dans le Mercure belge, t. X,
15 décembre 1820.
p. 148. Fragment du Siège de Corinthe.
Imitation de Lord Byron, faite en commun par Quetelet et
Ch. Froment.
TABLE ALPHABETIQUE DES AUTEURS,
AVEC L'INDICATION DES VOLUMES DANS LESQUELS ON TROUVE LEURS ÉCRITS.
Alvin (F. J.), XIX.
Arbeltier(T.),XVII-XVIII.
Augier (Victor), XII-XIII-XIV-XVI.
B..., i-vi-vii-viii.
Barré (Louis), XX.
Bassenge, aine, IX-XI.
Benau (P.), X.
Bergeron tP.), XX.
Biourge (Louis , IV.
Blanfart(P.), III-IV-V-VI-V1II-X-XI-
XII-XIII.
Boilleau, IX-X-XII-XIII-XIX.
Bourcier (J. B.), XIX-XX.
Ci.**, lA.
César-Auguste, XII.
Chaix, XIII.
Glayareau, XX.
Colbert(Jos.), MI-III-XI.
Comhaire, aine (M. N.>, VII-VIII-IX-
X-XI-XII- XIII -XIV-XV-XVI -XVII-
XVIII-XIX.
Coomans <J. J.), XV-XVI.
Cornelissen (N.), XIV.
Couret de Villeneuve, III.
Crivelli (J. L.), XIX.
D..., IX-X.
Df Alissac, X-XII-XIV.
Darcis, VI.
Degamond (Charles», IV.
Degamond (P. J.>, I-V-VII.
Dehulstere (P.), I-ffl-IV-V-VII-VIH-
IX-X-XI-XII-XIH-XIV-XV.
De Labouisse (Aug.), XI-XII-XVI.
DelannoyiA.t, I-II-III.
Delcroix (F >, XVI-XVII-XVIII-XIX.
Delemer, XVII-XVIII-XIX-XX.
D. L. - De Lormel ■, II-IIMV-V-VI-VII-
IX.
D. M... (Madame^, VII.
De Posson de chevalier), XIV.
De R. (J. R), XI.
De Reiffenberg (le baron F.), XV-
XVIII-XIX-XX.
De Roest d'Alkemade de baron
Théodore», XIV-XV-XVI-XVTI-
XVIII-XIX-XX.
De Stassart (le baron Goswin\ II-
IIMV-VI-VII-IX-X-XI-XII-XIII-XIV-
XV-XVI-XVII-XVIII-XX.
De Trappe, le baron>, VII-VIIMXX-
XI-XIII-XIV-XV-XVI-XVII-XVIII.
D. V., III.
De Valeriola 'G. F.?, IV.
Dumas, XIX.
Dupont Aimé\ XIX.
Dupuy (¥\ XIX.
Dutrieu (Clément, XI-XII-XIII-XIV-
XV-XVI-XVII-XIX.
(84)
Dutrieu de Terdonck île baron
Charles), XII, XIII.
El.**, A*
Edouard
XX.
• •«
VI-VII-VIII-IX-X-XI-
Ferrary (J.), X-XI-XII-XIV.
Fothergill (Thomas), VIII.
Froment (Ch.), XVII-XVIII-XX.
Gaussoin XV-XVI-XVII.
Gautier (J.), XII-XIII-XIV.
Gensoul (Justin'., XII-XVI.
Gigot (Ph.), XIV-XV-XVI.
Giraudy (Romains XII-XIII-XIX.
Grétry, aine, XIX.
Gruyer (Louis), IV.
Guérin de docteur;, XI.
Guérin (J.), XI.
H[illemach]er, IV-VI-XIV-XV-XVI.
HubiniJ. H.), II - III -IV -V- VI -VII-
VIII-IX-X-XI-XII-XIH-XIV-XV-
XVI-XVII-XVIII-XIX-XX.
Hugo deRaveschot(Meue),XII-XIII-
XIV-XV-XVI-XVII-XV1II-XIX-XX.
<#•••, Al.
Jouy (V.), II-III-IV-IX-X-XI-XII-XIV-
XV-XVI-XIX.
Kraane (J. H.», XIII-XIX.
L... (A.), XIX.
Lacroix (Jean-Pascal*, XIX.
Latour, XX.
Lebroquy (P.), XX.
Lecocq (L. J.), XV-XVI-XVII-XVIII.
Lefèvre (J. J.), XIV-XV-XVII.
Leglay(A. J. G.>, XIX.
Legros (S), XIV-XV-XVI-XVII-XIX.
Le Prévôt d'Irai, XIII-XIX.
Lesbroussart (Ph.), I-II-ffl-lV-V-VI-
vii-viii-ix-x-xi-xii-xin-xiv-xv-
XX.
Lespirt, XVII-XVIII.
Liegeard (G.-B.), V-VI-VII-VIIMX-
XI-XII.
Lignan (M»e), XII-XIII.
Ligne (le maréchal prince de), XIV.
Lignian (J.), XI.
M..., III-VIIHX.
Hagalon, XIV.
Maleckde Werthenfeld(A ),XIV-XVL
Malingreau (C), XÎ-XIV.
Marchai (J.), HV.
Marie-Dumesnil, XIX-XX.
Masson, IV-V.
Masson-Regnier, IV.
M[erc]x 'Louis), MI-III.
M. M., III.
Morel «Hyacinthe), X-XI-XII-XHI-
XVI-XIX-XX.
N..., VIII-X.
NegrelJF.), XIII.
Nogaret (Félix), XII-XIII.
Offhuys, XIV-XV-XVI.
O'Sullivan (Alphonse), XVU-XVUI-
XX.
Pauzelle < Gigot), IV-V-VII-VUI-IX-X-
XI-XII-XIII.
Picard (J. B.), XIH-XIV.
Piot, XIII.
Pire iJ. F. A.), XVI-XVU-XVIH-X1X-
XX.
Prenninger, XIV-XV-XVI-XVH.
Pro"*, VIII.
Quetelet (Ad.), XV-XVII-XVI11-XIX-
XX.
( «S )
H*.», Ia-X.
Raoul iL. V), XV-XVI-XIX.
Renn..., XI.
Revoil, XII.
Richard, X.
Roelants, VIII-X-X1-XII-XX.
Roucher, XV.
Rouveroy (Frédéric), X-XI-XII-XIII-
XIV-XV-XVI-XVII-XVIII-XIX-XX.
Rozin, MI.
S...(J.',XII.
S[chavye], aînée (M«"e>, XII.
Sauwerthera-Raedemaeker, III.
Schlim, XX.
Smits(Éd.), XVIII-XX.
Stevens (N. J.), XV-XVI-XVII-XVIII.
S. U. T., VI. '
TinetX.», XI-XII.
V • ». (A. , A V •
V. d.C.(F), I.
Van Bemmel (C. M. P.). IV-VI-VU-
VIII-IX-XI-XII-XIII-XIV.
Vandenzande B.), II.
Vandenzande F.), I- II -III -IV- VII-
VIII-XIX-XX.
Vandereden (M^», X.'
Van Ertborn <le baron), XV.
Vautier (J. B. D -, XV-XVI-XVII-XX.
Vidal P.C.sI-II-III-IV-V-VI-VII-XI.
Violet d'Epagny XV-XVI.
Wallez(J.», X.
Willmar, XV-XVI-XIX.
DICTIONNAIRE BIOGRAPHIQUE
ALVIN, François-Joseph. — Direc-
teur du collège de Nivelles,
né en 1763, avril 95, Beauvais,
mort en 1838, novembre 6, Liège.
ARBELTIER, T. — Professeur du
cours de belles-lettres à l'École centrale
du département des Deux-Nèlhes, avocat
à Anvers,
né en Langres,
mort en
AUGIER, Victor.— Avocat à Valence,
a la cour royale de Paris, aux conseils
«lu roi et à la cour de cassation,
né en 1799, juillet 96, Valence,
mort en
BARAFIN, Pierre-Paul-Joseph. —
Greffier de la justice de paix du canton
de Woluwe-Saint- Etienne (4817), audi-
teur militaire à Gand,
né en 1774, juillet M, Bruxelles,
mort vers 1841, Bruxelles.
BARRÉ, Louis — Professeur au col-
lège d'Audenaerde (1832),
né en 1799 Lille,
mort en 1857, février 18
B AS SEN G E, Je an- Nicolas.— Membre
du conseil des cinq-cents, du corps lé-
gislatif bibliothécaire municipal à Liège,
né en 1758, novembre 94, Liège,
mort en 1811, juillet 16, Liège.
BEEKMAN, le baron de — Ancien
auditeur au conseil d'État de l'empire
français, conseiller d'État du roi des
Pays-Bas, gouverneur du Hainaut,
né en
mort en
BENAU, Pierre. — Lexicographe et
poète,
né en 1779, février 14, Gand,
mort en 1815, novembre 4, Gand.
BERGERON, Pierre. — Professeur
au collège d'Audenaerde, à l'athénée de
Bruges, au collège de Charleroi, etc.,
né en 1787, novembre 3, Paris,
mort en 1855, janvier 16, Bruxelles.
BEYENS, cadet, Jean- Baptiste. —
Avocat à Gand, professeur de législation
à l'École centrale du département de
l'Escaut, avocat à Bruxelles,
né vers 1769 Deynze,
mort en 1897 .... Bruxelles.
BIOURGE, Louis,
né en
mort en
BLANFART, Pierre. — Professeur
au collège de Nivelles,
né en Bruxelles,
mort en
BOILLEAU, Henri Gauldrée de. —
Marquis de la Caze. — Commissaire
ordinateur à Berlin, membre de la cham-
bre des députés,
né en
mort en
(88)
B0URC1ER, Jeax-Baptiste. - Poète
français établi en Belgique,
né en
mort en
BOTTE. — Professeur de belles-
lettres à l'École centrale du département
de l'Escaut,
ne en.
mort en
CHAIX,
né en.
mort en
CHRISTIAN, Gérard-Joseph.— Pro-
fesseur au lycée de Bruxelles,
né en 1776, novembre, Ver Tien,
mort en 183», jain 18, Argenteail, près Paris.
CLAVAREAU, Antoink-Joseph-Théo-
dobe-Auguste. — Vérificateur à l'admi-
nistration des contributions, à Mods,
né en 1787, sept. 17, Luxembourg,
mort en 1864, mars 5, Maestricht.
COLBERT, Hitbert-Joseph-Emma-
nuel. — Commis greffier à la cour supé-
rieure de justice de Bruxelles,
né en 1774 . . . . Anvers,
mort en 1833, juillet 31, Bruxelles.
COMHA1RE, Mathieu-Nicolas. —
Ancien pharmacien, à Liège,
né en 1771, octobre 3, Liège,
mort en 1830, mars 17, Liège.
COOMANS, Josse-Joseph. — Inspec-
teur de l'enregistrement et des domaines,
né en 1787, avril H, Bruxellea,
mort en 1868, janvier 4, Sehaerbeek.
CORNELISSEN, Égide-Norbert. —
Secrétaire-inspecteur de l'Université de
Gand,
né en i7t>9, juillet 1*, Anvers,
mort en 1849, juillet 31, Gand.
COURËT DE VILLENEUVE, Louis-
Pierre. - Professeur de grammaire
géuérale à l'École centrale du départe-
ment de l'Escaut.
né en 1749, juin 49, Orléans,
mort en 1806, janvier 10, Gand.
CRIVELLI,J.-L. - Avoué à Avignon,
avocat a Nismes et ensuite a Paris,
né vers 1765 Aviguoa,
mort en
D'ALISSAC, Clêmeht-Joseph-Pays.
— Rédacteur en chef à l'administration
centrale des droits réunis, à Paris,
né en 17*6, juin, Valreas,
mort en 1840, mai 31, Bavoaue.
DARCIS,
né en
mort en
DE BAST, Lievin-Arnakd-Marir. —
Orfèvre-ciseleur, graveur en taille de
burin sur cuivre et sur médailles,
né en 1787, mars 1, Gand,
mort en 1831, septembre l0,Ganë.
DE CHENEDOLLÉ, Joseph-Louis-
Charles-Auguste. — Professeur au
collège de Liège,
né en 1797, novembre 16, Hambourg,
mort en 1862, février 11, Bruxelles.
DEGAMOND, Charles-Alexahb*ïl
— Docteur en médecine,
né en 1780, juin 17
mort en 1863, janv. 8, Ie]enbttk-St4sma.
DEGAMOND, Pierre- Joseph. —
Avoué à Bruxelles, conseiller à la cour
supérieure de justice,
né en 1779, février 3, Bruxelles,
mort en 1835, avril 16, Ixelles.
DE GASPAR1N, le comte Adriek-
Étienne-Pierre. — Préfet de différents
départements,
né en 1783, juin 19, Orange,
mort en 1861, septembre 7, Orange.
DEHULSTERE, Pierre. — Homme
de lettres à Bruxelles,
né en 1780
mort en 1839, janvier 10,
(59)
DE LAB0U1SSE, Jean-Pierre-Jac-
ques-Auguste. - Employé des finan-
ces,
né en 1778, juillet 4, Saverdun,
mort en 1859, fév. 99, Castelnaudary.
DELANNOY, A. — Homme de lettres
à Bruxelles,
né en
mort en
DELCROIX, Fidèle -Marie -Joseph.
— Receveur municipal à Cambrai,
né en 1700, oc t. 19, Careuci, près lrras,
mort en 1843, août 6, Paris.
DELEMER, Charles -Adolphe. —
Fondeur en caractères, imprimeur à
Bruxelles,
né en 1799, septembre li, Marseille,
mort en 1899,mai9t,Saint-jQœ-tcn-NoQde.
DE LORMEL. — Inspecteur des con-
tributions du département de la Dyle,
directeur du domaine,
né en . .
mort en -.,...
DE POSSON, le chevalier,
né en
mort en
DE REIFFENBERG, le baron Fré-
déric — Régent de troisième à l'athénée
de Bruxelles, professeur à l'Université
de Louvain,
né en 1795, novembre 14, Mons,
mort en f 850,avr.i8, $aint-JwM-t«n-ltoode.
DE ROEST D'ALKEMADE, le baron
Théodore,
né en
mort en
DESCHEPPERE, Louis -Joseph -Du-
pljcb. — Substitut du procureur du roi,
à Bruxelles,
ne en 1781, décembre 90, Bruxelles,
mort en 1840, avril 9, Bruxelles.
DE STASSART, le baron Goswra-
Joseph - Augustin. — Sous - préfet d'O-
range, préfet de Vaucluse, des Bouches-
de-Ia Meuse (La Haye), membre des États
Généraux,
né en 1780, septembre 9, Matines,
mort en 1858, octobre 10, Bruxelles.
DESTRIVEAUX, Pierre- Joseph —
Avocat à Liège, professeur à l'Univer-
sité,
né en 1780, mars 13, Liège,
mort en 1853, février 13, Scbaerbeek.
DE TRAPPE, le baron Herman,
né en 1760, Liège,
mort en 1830
DE VALER10LA, G.-F.,
né en
mort en
DEWEZ, Louis - Dieuoonné - Joseph,
— Inspecteur des atbénées et collèges,
né en 1760, janvier 4, Namur,
mort en 1834, octobre 96, Bruxelles.
DHAEYERE. - Chef de pension à
Thielt,
né en
mort en
DONCKER, Philippe-Franç.-Joseph.
— Avocat à Bruxelles,
né en 1773, septembre 13, Tournai,
mort en 1834, février 19, Bruxelles.
DUMAS, Jean-Baptiste. — Chef de
division à la préfecture du Rhône,
né en 1777, novembre 19, Lyon,
mort en
DUPONT, Aimé. - Officier du génie,
attaché en 4824 à la place de Cambrai,
né en 1791, .... Maastricht,
mort en
DUPUY, François. - Avocat-avoué
à Avignon, établi à Paris vers 4833,
né vers 1775, .... Avignon,
mort en ..."
( 60 )
DUTRIEU, Clément - Joseph - Marie-
Ghislain. — Avocat à Bruxelles,
né en 1786, novembre 17, Matines,
mort en 1830, juillet 26
DUTRIEU DE TERDONCK, le baron
Char les -Augustin -Jean. — Avocat à
Matines,
né en 1790, septembre 9, Matinée,
mort en 1861, janvier 15, Matines.
FERRARY, J. — Receveur à Ever-
ghem,
né en
mort en
FOTHERGILL, Thomas,
né en
mort en
FROMENT, Charles. — Homme de
lettres,
né en 1797, janv. 13, Douriers, près Abbeville,
mort en 1846, juin 22, Taiemmes, près Lille.
GAUSSOIN. - Professeur à l'athénée
de Bruxelles,
né en
mort en
GAUTIER, J.,
né en
mort en
GENSOl'L, Marie- Alexis-Justin. —
Sous-chef de bureau à l'administration
des postes, à Paris,
né en 1181, Connanx, près Bagnols, en Langaedoe.
mort en
GIGOT, Mathieu - François - Abei-
lard-Pm lippe. — Professeur de belles-
lettres à Bruxelles,
né en 1793, novembre 7, Bruxelles,
mort en 1819, juillet 14, Bruxelles.
G1RAUDY, J. Rohain. — Juge sup-
pléant, avoué i Orange,
ne en.
mort en
GRÉTRY, aîné,
né en . . . .
mort en . . .
GRUYER, Louis. — Vérificateur et
ensuite inspecteur des douanes,
né en 1778, novembre 15, Bruxelles,
mort en 1866, octobre 15, Bruxelles.
GUÉRIN, le docteur Joseph- Xayiek-
Benezbt. — Professeur de physique et
de botanique à l'École centrale de Vai-
cluse (Avignon), au collège royal, méde-
cin à l'hôpital militaire, professeur de
médecine pratique,
né en 1775, août 4, Avignon,
mort vers 1850
GUÉRIN, J.,
né en
mort en
HILLEMACBER, J.-C.— Directeurde
la compagnie des quatre canaux, à Paris,
né en
mort en . . . .
BUB1N, Jean-Hubert. — Agent sol-
liciteur à Bruxelles,
né en 1764, juillet t6, Huy,
mort en 1833, février I», Bruxelles.
BUGO DE RAVESCHOT [M**), [M-*
Hannon],
née en
morte en
JOUY, Victor- Joseph -Ëtiesnb. —
Chef de division de la préfecture de la
Dyle (Bruxelles),
né en 1764, septembre *i, Versatile»,
mort en 1846, septembre 4, SuGermaiQ-en-Up>
JULL1AN, Pierre-Louis. — Homme
de lettres,
néve>»1769, . . . . Montpellier,
mort en I83H
KRAANE, J.-H. — Fabricant à Leyde,
né en -
mort en
( 61 )
LACORNE. — Professeur de législa-
tion à l'École centrale du département
de l'Escaut,
né en. . . , • .
mort en
LACROIX, Jean-Pascal. — Lieute-
nant-colonel en retraite,
né en 1771, août 4, Arles,
mort en 1836, sept. 7, à la ferme des
Angles, commune de Crevecœur, à trois
lieues de Cambrai.
LA1SNÉ. — Homme de lettres à Bru-
xelles,
né en
mort en
LATOUR. — Professeur de belles-
lettres à Liège,
ne en.
mort en
LEBROQUY, P. — Homme de lettres,
né en.
mort en .
LECOCQ, Charles. — Membre des
États Généraux,
né en
mort en
LECOCQ, Lambert- Joseph. - Ad-
joint au maire de Bruxelles, en 4802,
né en
mon en
LEFÊVRE, Jean-Joseph. — Employé
an ministère de l'Intérieur,
né en
mort en 1818 on 1819
LE GLAY, Akdré-Joseph-Ghislain.
— Docteur en médecine, bibliothécaire
de la ville de Cambrai, archiviste du
département du Mord,
né en 1785, octobre 39, Arleux (Nord),
morl en 1863, mars 14, Lille.
LEGROS, Sauveur. — Comédien,
graveur, secrétaire du prince de Ligne,
né en 1754, avril 27, Versailles,
mort en 1834, mars 15, Enghien.
LE PRÉVÔT DIRAI, le vicomte
Chrétien-Sihéon. — Professeur aux
Écoles centrales de Fontainebleau et de
Paris, censeur des études au lycée im-
périal, inspecteur général de l'Univer-
sité.
né en 1768, juin 13, au château d'Irai,
près de Mort a g ne (Normandie),
mort en 1M9, septembre 15, au même ehiteao.
LESBROUSSART, Jean-Baptiste.—
Professeur au lycée de Bruxelles,
né en 1747, janvier M, Dlly-SMÏeorges,
mort en 1818, décembre 10, Bruxelles.
LESBROUSSART, Jean- Baptiste -
Philippe. — Professeur à l'athénée de
Bruxelles,
né en 1781, mars §4, Gand,
mort en 1855, mars 4, Ixelles.
LESPIRT, Joseph- Pierre -Olivier.
— Homme de lettres,
né en 1781, août 31, Bruxelles,
mort en . . . . Termonde.
LIEGEARD, G.-B. — Secrétaire géné-
ral de la préfecture de l'Escaut; ensuite
de la préfecture de l'Ourthe,
né en
mort en .
LIGNAN, M™,
née en
morte en
LIGNE, Charlls-Joseph, prince de.
- Feld- maréchal autrichien,
né en 1 735, mai 33, Bruxelles,
mort en 1814, décembre 13, Vienne.
LIGMAN,J,
né en
mort en .
(62)
MAGALON, Jean-Denis. — Homme
de lettres,
né en 1794, juillet «3, Bagnol (Gard),
mort vert 1840
MALECK DE WERTHENFELD, A. -
Percepteur des contributions directes,
né en
mort en
MALIÏSGREAU, C.t
né en .
mort en
MARCHAL, le chevalier François-
Joseph - Ferdinand. — Employé par
La Sema à la confection du catalogue de
la bibliothèque de l'École centrale du
département de la Dyle,
né en 1780, décembre 9, Bruxelles,
mort en 1858, avril 35, Sehaerbeek.
MARIE DU MESNIL, Ange-Benjamin.
— Employé supérieur des douanes,
ne en 1789, sept. 19, Periera (Manche),
mort en 1849, août 1, Condé.
MASSON. — Ex-professeur de belles-
lettres à l'École centrale du département
de Saône-el-Loire,
né en
mort en
MASSON-REGNIER.— Professeur au
lycée de Bruxelles,
né en ... ., Beaune (Bourgogne),
mort en 1817, janvier 24, Bruxelles
MERCX, Louis. — Homme de lettres
à Bruxelles,
né en
mort en
MOREL, Melchior - Hyacinthe. —
Professeur de belles-lettres à l'École
centrale de Vaucluse,
né en 1756, janvier 5, Avignon,
mort en 1839, juillet 29, Avignon.
NEGREL, F.,
né en
mort en
I
NOGARET, François-Félix. — Cen-
seur dramatique,
né en 1740, novembre 4, Versatile*,
mort en 1851, juin t, Paris.
OFFHUYS. — Avocat de la maison de
Ligne, atant la révolution,
né en
mort en France.
0SULL1VAN DE GRASS DE SÊ0-
VAUD, le comte Alphonse- Albert -
Henri. — Employé du gouvernement des
Pays-Bas avant 4890, ministre plénipo-
tentiaire à Vienne,
né en 1 798, novembre 8,
mort en
OUDAERT. — Conseiller de préfec-
ture du département de l'Escaut, .
né en
mort en
PAR.DAENS, N — Vérificateur de
l'enregistrement et des domaines à Mon s,
né en
mort en
PAUZELLE (Gigot). — Contrôleur des
contributions à Bruxelles,
né en
mort en
PERRENET,
né en
mort en .
PICARD, Jean-Baptiste,— Auditeur
à la chambre des comptes,
né en
mort en
P I0T, N.— Juge au tribunal d'Avignon,
né en ... ., Avignon,
mort avant 1830, Avignon.
PIRE, J.F.A. — Directeur de l'éta-
blissement d'instruction primaire aui
Minimes, à Bruxelles,
né en
mort en . .
(63)
PRENNÏNGER, Joseph — Homme de
lettres,
né en
mort en
QUETELET, Lambert - Adolphe -
Jacques. — Professeur à l'athénée de
Bruxelles,
né en 1796, février 92, Gand,
mort en 1874, février 17, Bruxelles.
RAOUL, Louis- Vincent. - Professeur
a l'Université de Gand,
né en «870, février 9, Poincy,prèsluax,
mort en 1848, mars 95, Bruxelles.
REVOIL, Pierre-Henri. — Peintre,
né en 1776, Lyon,
mort en 1842, mars 19, Lyon.
RICHARD,
né en
mort en
ROELANTS, Jean- benjamin. — Secré-
taire de l'Université de Louvain,
né en 1781, septembre 5,
mort en
ROUCHER, J.-F.— Homme de lettres,
neveu de l'auteur des Mois,
né en
mort en
ROUILLÉ, Louis-Pierre. — Profes-
seur de belles-lettres à l'École centrale
du département de la Dyle, professeur à
l'Université de Liège,
né en I7.S7, mars 90, Versailles,
mort en 1844, octobre 17, Liège.
ROUVEROY, Frédéric. - Curateur
de l'Université de Liège,
né en 1771, septembre 19, Liège,
mort en 1850, novembre 4, Liège.
ROZIN, André. — Professeur d'his-
toire naturelle à l'École centrale du
département de la Dyle,
né vers 1765, Suède,
mort vers 1895, . . . .Saarbourg.
SCHAVYE, M«"«, ainée,
née en
morte en
SAUWERTHEM-RAEDEMAEKER,
né en
mort en
SCHLIM. — Professeur de seconde à
l'athénée de Bruxelles,
né en
mort en 1894, juillet 95, Bruxelles. .
SMITS, Mathieu-Edouard. — Secré-
taire du bureau de statistique,
né en 1789, mars 19, Bruxelles,
mort en 1859, janvier 92, Ix elles.
STEVENS, N.-J. - Employé à la
chambre des comptes,
ne en .
mort en
TINET, C,
né en . .
mort en .
VAN BEMMEL, le baron Charles-
Maximilien-Philippe. — Professeur au
collège de Gand,
né en t"78. février 96, Bruxelles,
mort en 1897, sept. 93, Bruxelles.
VANDENZANDE, Jean- Bernard -
Joseph. — Docteur en médecine, profes-
seur à l'hôpital civil d'Anvers,
né en t778, juin 4, Bruxelles,
mort en 1833, juin 98, Anvers.
VANDENZANDE, Lambert- Joseph-
Ferdinand. — Fonctionnaire des
douanes eu France,
né en 1780, mars 13, Bruxelles,
mort en 1853, avril 1, Paris (tatignolltt).
VANDEREDEN, M"«,
née en
morte en
VAN ERTBORN, le baron Joseph-
1
(64)
Charles-Emmanuel. — Membre de Ja
chambre des comptes,
né en 1778, novembre Î2, Anvers,
mort en 1893, septembre I, La Haye.
VAUTIER, Jean -Baptiste -Domi-
nique. — Professeur à l'athénée de
Bruxelles,
né en 4792, août 14, Dieuie,
mort en 1846, février 13, Izelles.
VIDAL , Pierre-Claude. — Homme
de lettres, ensuite procureur impérial à
Nivelles,
né en
mort en
VIOLET DEPAGNY, Jeak-Baptiste-
Rose-Bonaventure,
né en 1787, août 30, Gray (HauU-SadneJ.
mort en 1868, novembre 4
VISSCHER. — Contrôleur de la Mon-
naie, à Bruxelles,
né en
mort en
WALLEZ, Jean-Baptiste. — Biblio-
thécaire de l'École centrale du départe-
ment de l'Escaut,
né en 17*3, février 19, Gand,
mort en 1847. septembre tO, Neuilly.
W1LLHAR, le baron Jeah-Pieus-
Christine. — Ingénieur du Waterstut
avant 1830, ensuite ministre de la guerre
et ministre plénipotentiaire à Berlin et
à La Haye,
né en 1790, septembre *9, Uicmeeug,
mort en 1858, janvier S8, La Haye.
APPENDICE.
» ... Peu de personnes possèdent aujourd'hui la collection
complète des Almanachs belges d'abord publiés par la Société
de littérature de Bruxelles, et qui, après la suppression de
cette Société, lors de la réaction du gouvernement hollandais
contre l'usage de la langue française en Belgique, fournit
encore deux volumes : celui de Tannée 1825, sorti des presses
de M. Coché-Mommens, alors éditeur du Courrier des Pays-Bas,
et celui de Tannée 1836, imprimé chez Tarlier. Les pièces de
ces deux volumes ont été rassemblées et publiées par les soins
de H. Philippe Lesbroussart : ce sont les derniers qui aient
paru à Bruxelles. Une tentative fut faite, à la fin de 1839, pour
ressusciter cette publication, et donner ainsi aux littérateurs
belges les moyens de se produire, moyens moins bien com-
muns alors qu'aujourd'hui. L'auteur du présent recueil fonda
à Liège V Annuaire de la littérature et des beaux-arts, destiné,
non seulement à accueillir les productions de la Muse belge,
mais encore à faire connaître les diverses associations artis-
tiques et littéraires, les ouvrages des peintres, des sculpteurs,
des musiciens, à rendre compte des expositions. Un seul volume
de cet annuaire a paru : c'est celui de Tannée 1830. Il a été
imprimé à Liège, chez J. de Sartorius-Delaveux.
» Les événements qui ont séparé la Belgique de la Hollande
ont interrompu cette publication. »
Ce qui précède est extrait des Souvenirs de ma vie littéraire,
par. M. L. Alvin.; 1 vol. in-12 de vu et 250 pages; Bruxelles,
1813.
m
SJ. Alvin parait avoir ignoré ou oublié que M. Coché-Mom-
mens avait fait paraître un Almanach belge pour Tannée 1824.
LV^em plaire de la Bibliothèque de. Stassart porte au crayon,
Tome XLI. 5
(66)
de la main du baron : « N. B. Ce volume est complet; il a
paru sans table et sans calendrier le 5 janvier 4824. »
L'Almanach belge pour Tannée 1824 est mêlé de vers et de
prose. Le principal auteur, Ch. Froment, a reproduit tous les
morceaux de sa composition qui y figurent, dans ses Poésie*,
2 vol., Bruxelles, 1826.
On trouvera ci-après les tables de matières des Almanacbs
belges pour les années 1824, 1825 et 1826, avec les noms des
auteurs rangés par ordre alphabétique, et la table des pièces
de vers renfermées dans l'Annuaire de la littérature et des
beaux-arts pour Tannée 1830.
Parmi les nouveaux noms, on distingue ceux de L. Alvin,
Baron, Deltenre, Giron, Jobard, Mackintosh, Ch. Marcellis,
Ad. Mathieu, Hodave, le chevalier Moyard, Petit, Pocholie,
Ch. Soudain de Njederwerth, Van de Weyer et Van Hasselt.
ALMANACH BELGE POUR L'ANNÉE 1824.
Pages.
B...é [Barré] (L.).
Les souvenirs du marquis de
Carahas 31
C. V.
A l'occasion de la mort d'un
franc-buveur, connu de ses
amis sous le nom de Frère
Jacques 43
D... [Dandelin?], officier du
génie.
Le rendez-vous 122
De Reiffenberg, le baron.
Le passage 85
De Stassart, le baron.
Le fermier et les chiens de
basse-cour. Fable 133
Le lièvre, le lapin et le fusil.
Fable . . 135
E...y Madame; de Gand.
Les amis du siècle. . . . 120
Edouard*".
Chansonnette . . . • . KM
(67)
Pages.
F.
A l'auteur de M a ri us, le jour
de la représentation de cette
pièee a Bruxelles 40
Épigrammes traduites d'0-
wen, poète anglais .... 46
Froment, Ch.
Cadet buteux au congrès. . 5
Le claqueur. Anecdote . . 14
A l'auteur d'un poème inti-
tulé : L'infanticide . . . . 30
La toilette de Psvché. Ta-
bleau de M. Paelinck. ... 43
Je m'en souviens, je ne m'en
souviens pas. Chanson ... 75
On n'entre plus. Chanson . 96
Le villageois et les abeilles.
Fable 98
Le salut des âmes .... 111
Fragment d'une comédie in-
titulée : La journée d'un sous-
préfet * 124
G. (A.). [Auguste Giron].
L'anniversaire du 18 juin.
Ode 36
Traduction de l'ode V du 3«
livre d'Horace 52
A Riego 129
Hugo de Raveschot, MeU:
Le duel 47
Jobard.
Le nouveau Midas .
114
L.[V\
Les embellissements de Bru-
xelles. Naïveté 45
Lesbroussart, Ph.
Du mensonge considéré com-
me moyen politique (prose) . 57
Paridaens.
Annette 54
La séparation 131
Raoul, L. V.
Le poète et le copiste . . . 116
R...ls [Rodants].
Pensées diverses (prose). . 41
Roucher.
Les mulets. Fable .... 55
Le grain de blé et le quintal. 115
Anonymes.
Les sots (prose) 13
Fragment d'un dictionnaire
inédit (prose) 15
A M. Bouchardez, poète et
mathématicien 20
Le régénérateur. Journal po-
litique et aristocratique (prose) 21
Monsieur et Madame. Ta-
bleau de ménage (prose) . . 33
M. Pelletier (prose et vers) . 40
Variétés f prose' 50
L'espérance 77
Les carbonaril prose) . . . 81
Lettres inédites du chevalier
de Lisle et du chevalier de Bouf-
flers, au feld-maréchal prince
de Ligne (vers et prose ... 90
Petit dialogue (prose ... 99
Lettre du baron de *** au
marquis de •** 102
Chant de Tyrtée. Traduction
du grec 109
Anecdote iprose) .... 123
< Avait paru dans le vol. XVIII.
(68)
ALMANACH BELGE POUR L'ANNÉE 183».
Plfff.
A.
L'auteur et sa femme . . .110
Alvin (Lotus), fils.
Chant grec 132
Benau (P.), feu.
La nécessité d'aimer avant
tout 141
Comhaire (M. N ).
La cascade. Idvlle .... 14
Le projet 27
Le papillon 61
Dem ...m {Joseph).
L'indifférente. Chansonnette. 63
A M. le baron de Stassart, en
lui envoyant mes couplets inti-
tulés : Bacchus, Tambmir-ma-
jor 78
A Flore 91
A mon ami H", en lui en-
vovant le dictionnaire des
rimes 140
A certain rimailleur, l'un de
mes confrères 189
Zte Reiffenberg, le baron.
Le grand bois. Ballade . . 12
Louis de Nassau .... 25
Le ri de la folle. Ballade. . 47
Les cruches de dame Jacque-
line 64
La harpe de Hoogvliet . . 74
Épitaphe d'un suicidé. . . 95
A mon ami Félix Bodin, en
lui envoyant le champ Frédéric- 98
La jalousie 102
L'étui restitué 108
La bouderie 117
La discrétion 123
La danse au village ... 136
Marie de Brabant. Ballade . 191
A Madame*** 198
A M. Buchon, qui supposait
que je suis un vieillard ... 201
Aux comtesses de S**", en
leur adressant le champ Frédé-
no • •■••••••• <^«fe)
L'étymologiste sentimental . 209
De Stassart, le baron.
Le roitelet amoureux. Fable. 9
Pensées inédites (prose;. 49-448-
202
Le lion, l'épagneul et le loup.
Fable. 45
Les bons amis et la mode.
Petit dialogue (prose) ... 62
Vers écrits sur l'album de
Mmc Odcvaere ...... 66
L'habit de Jocrisse. Fable . 101
Les moutons, le loup, les
chiens et le berger. Fable . . 127
Edouard**'.
A un jeune médecin ... 5
A un vieux buveur. . . . 41
Épitre à J... B... Dans les
Ardennes * 51
' Avait paru dans le vol. VI.
(69 )
Conseils à la jeunesse . . 85
Fragment d'une épitre sur le
bonheur 122
Le fat. Anecdote » .... 138
Sur une jarretière .... 138
Épitre à un ami qui me repro-
chait une infidélité * .... 142
Le changement 145
Épitre à mes soixante ans à
venir * 184
Anacréon 191
Boutade 206
Le diable. Chanson * . . .217
Giron (A.),
Francesca 233
Hannon (M -•), née Hugo deRa-
veschot.
Remerciment à Eudore . . 56
Au docteur C*" en remerci-
ment des soins donnés à un
ami 105
L.
Conseils à un jeune littéra-
teur (prose) 210
ij a
Rule Britannia. Traduit de
l'anglais de Thompson ... 99
Latour
La conversion. Conte ... 28
Lesbroussart (PA.).
Le manuel du vrai royaliste. 31
L'Héracléide 151
M[odave], de Liège,
Les bêtes savantes. Fable . 70
Les vœux du monde pour
l'affranchissement des Grecs.
P»gf».
S tance à mettre en musique . 88
La revue de la Sauvenière
au printemps 221
Mackintosh (C. /.).
L'écolier et le vieillard. Apo-
logue 22
Les journaux. Poème ... 79
Sur la mort de H. Schlim,
professeur de poésie à l'athé-
née roval de Bruxelles . . . 103
A Mademoiselle *** qui se
croyait condamnée par les mé-
decins 129
L'écureuil et le chien qui
tourne la broche. Fable . . . 139
0.
Mon immortalité. Chanson . 190
Dieu. Imitation de l'ode russe
de Derjavine 225
Quetelet (A.>.
La comtesse Ide. A M. Van-
denzande 146
Ma nacelle. A M. Falek . . 199
Roacher.
L'ours Martin et l'enfant.
Fable 59
Rottveroy.
La violette et les pavots.
Fable 55
Le berger et la jeune fille.
Fable 67
L'hirondelle et les vents.
Fable 77
Le perdreau domestique, sa
mère et le dindon. Fable . . 109
L'abeille. Fable 131
L'homme et l'idole. Fable . 196
1 Avait paru dans le. vol. VII.
(70)
Pages.
Les deux enfants et le cha-
riot. Fable 219
Soudain de Niederwerth {Charles).
Bauduin VI. Romance histo-
rique . 17
Le ruisseau gelé. Imitation
du hollandais de Tollens . . 93
La tempête. Cantate pastorale
imitée de Métastase .... 124
Un ex-officier français.
L'exilé français. Aux Belges.
Romance 86
Page*.
Van de Weyer (Sylvain).
Fragment d'une satyre sur les
230
43
68
jeunes gens du jour . . .
Willmar.
L'écolier. Chanson . . .
L'espérance. Romance .
Anonymes.
Adieux d'un jeune expatrié
français. Romance 96
Le donjon ou la mort du trou-
badour. Romance 107
Essai de traduction du Siège de
Corinthe par Lord Byron. . 232
ALMANACH BELGE POUR L'ANNÉE 1826.
A.
Anniversaire de la naissance
de S. M. le roi des Pays-Bas,
célébré dans un village où le
roi avait fait bâtir une église . 34
Alvin (Louis), fils.
Les trahisons 46
Regrets d'une jeune dame
sur le tombeau d'une amie qui
lui avait servi de mère ... 49
Profanation des restes d'A-
thènes 195
Baron (A.).
Ode sur la danse . . .
Bogaerls.
L'honnête parvenu.
234
208
C.y [Edw.].
Quatrain sur la chute d'un
acteur nommé Bataille ... 30
Élégie 65
Imitation du portugais . . 93
La Sera 124
D. (C).
A mon ami * * \ Au sujet de
ses vers a M"* Annette D . . . .150
D. (J.).
Aux mânes de Lord Bvron . 5
Le Belge. Chant national. . 127
Vers inscrits sur un portrait
deBoileau 156
La fille soumise. Chanson-
nette 186
(71 )
D...x(E.).
L'hermite. Ballade. ... 67
L'habile homme .... 76
Contre un pamphlétaire . . 76
Sur la vapeur 77
Deltenre.
Le guerrier belge à Moscou . 43
Le retour de l'hiver ... 89
Le portrait. Romance. . . 143
Mon éloge ou le temple de
Momus 177
Le ressuscité. ..... 205
Del...
Pensées de Circé, chienne
célèbre 117
De Reiffenberg, le baron.
Êpitre d'un parisien à la sta-
tue d'Érasme, à Rotterdam. . 241
Pour le portrait du général
Fov 254
De Stassart, le baron.
Épigramme 16
Vers pour le portrait de M. le
comte de Lascases .... 22
Le paradis, le purgatoire et
l'enfer de l'amour 27
Le chien et le berger. Fable. 40
Sur un intrigant placé sous
la remise 45
Le porc-épic. Fable ... 80
De Trappe, le baron.
Première vue du paradis ter-
restre 31
Stances . .
Chansonnette
Pag*».
255
269
• •*
Edouard
Le lit et la table
. . 122
F. Uug").
À mon ami N. L, de Lille,
condamné correctionnellement
pour un article de journal . .154
Les regrets du voyageur. Ro-
mance à A. D. W 217
Épigramme traduite du hol-
landais de Huygens .... 222
Froment [Ch.).
Edwin et Emma * . . . . 180
Les ruines de Domartin . . 209
Ipsara 259
La toilette de Psvché * . . 283
Giron (A.).
Sur un jugement de feuille-
ton 88
Hannon (M—).
La violette. Fleur offerte à
une mariée de dix-sept ans . 99
A deux amies absentes dont
l'une venait d'abandonner un
amant de trois ans .... 105
J.
Le mouvement 91
Logogriphe 220
Jobard.
Le tonneau. Fable .... 253
M[odavë\, de Liège.
Pensée de M. le baron de
Stassart 26
Couplets chantés au banquet
donné à Liège par les membres
de la Société Grétrv, à l'occa-
* Avait paru dans le vol. XVI II.
* A ?ait para dans l'Almanach belge pour l'année i&4.
(72)
sion du jour anniversaire de
la naissance de leur célèbre
compatriote 52
Le tombeau. Traduction de
l'allemand de Salis .... 63
Mes regrets ou mes trente
ans 82
Le commérage 84
Invitation à Quinkempois . 119
Traduction de la XIIe élégie
du 5"c livre des Tristes d'Ovide. 151
Sur le portrait de Delille. . 216
M. A).
La grâce 17
Élégie 148
M...zes, portugais.
Élégie sur la mort d'un
frère « 264
C'est étonnant *..... 268
Mackintosh iCh.).
L'habit. Fragment .... 23
Mathieu (Ad.)
Quatrain pour un portrait de
M. Manuel 12
Les deux coqs. Fable. . . 101
Les flatteurs, dithvrambe dé-
dié à un jeune poète . . . .129
Meerts(Ch.\
A Mademoiselle D. .., en lui
envoyant un très beau papillon. 230
Moyard, le chevalier.
L'aumônier du neuvième ré-
giment àe cuirassiers . . .231
0.
Le partage du monde. Imita-
tion de Schiller 125
P.
Les vertus de Fénélon. Ode. 270
P. (C).
Éthelrède. Romance .... 144
Paridaens (F.).
L'homme aux expédients . 78
Q... (Aug.).
Épitre à un ancien ami . . 188
Roland {F.).
Épitre à Monsieur A. M**" . 36
Rouveroy.
L'épagneul et le chien de
garde. Fable 13
L'homme et ses deux chiens.
Fable • 9î
La lampe et le réflecteur.
Fable 193
Le médecin et la sangsue.
Fable 251
Smits {Éd ).
Romance imitée du hollan-
dais 98
La fiancée d'Axia. IVe Hellé-
nide 223
Soudain de Niederwerlh (CA.).
A madame la comt«« de B... L.,
en la priant d'agréer le catalo-
gue de ses livres qu'elle m'avait
prié de mettre en ordre. . . 204
Vandenzande (F.).
La faveur papale. Conte * . i*»
La queue prussienne. Con-
te». .. . 267
1 Avait paru dans le Mercure belge, t. X, 31 janvier 1821.
* Avait paru dans le Mercure belge, U X, 15 avril 1821.
5 Avait paru dans le Mercure belge, t. X, 28 février 1821.
w
(73)
Van de Yieyer (Sylvain).
Il faut savoirdire non (prose). 157
Van HasselU André:
Le Rhin. Fragment de tra-
duction du second chant de
la Nation hollandaise de Hel-
mers 19
La fleur cueillie. Imité de
Tollens 146
Paget.
W. (A \
Mort de Marcos Bozzaris, gé-
néral des Suliotes .... 276
Anonymes.
La belle philanthropie. . . 87
Fragment extrait des Ta-
blettes belges (prose). . . . 109
Chanson sur la condamna-
tion de^Béranger 202
ANNUAIRE DE LA LITTÉRATURE ET DES BEAUX-ARTS
POUR L'ANNÉE 1830.
A loin, père.
Fragment d'une tragédie iné-
dite, intitulée : David Com-
mune ,73
AUrin{L.).
La prière de la femme du
bandit 81
Complainte d'une jeune fille. 134
Canaris, chant d'un vieillard
grec 137
Bogacrts.
Stances 172
Clavareau {Aug.).
Fernand et Élodie .... 85
Comhaire (M. N.).
La petite Marguerite. Idylle. 192
Le chèvre-feuille. Idylle . . 209
Encore le chèvre-feuille . . 211
Deltcnre,
Le temps 144
De Lannoy (Napoléon).
Souvenirs 168
L'automne 187
* * * Ecclésiastique belge.
Sur l'exaltation de S. S. . .115
Eisa D. T.
Vœu 207
Gravez.
Les épis. Fable 158
L. (A.).
Rêve d'amour 105
Lesbroussart (Ph.).
Les adieux d'un ministre.
Élégie 195
"1
( 74)
Pages.
Marcellis (Ch.).
Fragment inédit extrait du
7« chant du poème des Ger-
mains 119
Mathieu (A.), de Mons.
Fragment d'un songe. Poème. 159
Moyard (le chevalier), capitaine
de cavalerie.
L'aumônier du régiment * . 155
if. ..y (A.).
Le tapis. Chanson envoyée
avec un tapis de table ... 148
Impromptu à une dame qui
avait permis à l'auteur de lui
écrire un mot 157
Modave.
L'épagneul, le mouton et le
lapin. Fable 150
Le bonheur des amans. Ro-
mance 166
Petit (L.).
La linotte et le pinson. Fable. 83
Le jour et la bougie. Fable . 106
Le jeune cheval. Fable . . 113
Le partage des animaux.
Fable 118
Poncin (Ferdinand}.
La traque au loup d'Ardenne,
ou la battue. Fragment d'un
poème 108
Un orage en Ardenne. Frag-
ment 132
Chant des Hellènes . . .181
Pocholle (A.).
Les hirondelles 151
Envoi d'une veilleuse ... 164
Traduction de l'ode d'Ho-
race : Solvitur, l» livre, ode IV. 177
Les femmes de l'exil, par un
exilé 189
V. M.
A une étrangère ....
Van Hassell (André).
Le jeune malade. Élégie * .
Fragment d'une épitre à Bé-
ranger*
A mon ami G. V. A. . . .
Sonnet à Madame M. . . .
A une jeune fille ....
146
71
110
174
183
184
Anonyme.
L'âne métaphysicien. Fable'. 130
* Avait paru dans le recueil de 1836 sous le titre : L'aumônier du neuvième régi-
ment de cuirassiers.
* Ces deux pièces avaient été envoyées en 1823 a Ph. Lesbroussart pour l'Almanaeh
poétique. C'est à l'insu de V. H. qu'elles furent insérées dans le présent recneiL
5 Voir ce qui a été dit de cette fable dans la seconde partie de ce mémoire, à propos
de l'Almanach pour l'an 1806 (VI* vol.).
SUPPLEMENT.
Les deux pièces suivantes ont été trouvées après que l'auteur
eut présenté son mémoire à la Classe des lettres.
L'une est le premier règlement de la Société de littérature
de Bruxelles, imprimé chez Tutot, rue de Namur, n° 940.
— An VIII.
L'autre, manuscrite, donne les noms des membres effectifs
et des membres associés de la Société : elle ne porte pas de
date, mais doit remonter à l'époque de la suppression des
Ecoles centrales.
I.
Ârtibus et patriae.
RÈGLEMENT
DR
LA SOCIÉTÉ DE LITTÉRATURE
DE BRUXELLES.
Article premier. — Une Société de littérature est instituée à
Bruxelles, à compter de ce jour, vingt nivôse an huit.
Art. II. — Le nombre de ses membres n'est pas déterminé.
Art. III. — Elle aura régulièrement une séance par mois,
laquelle se tiendra le vingt. Elle pourra en avoir de publiques
lorsqu'elle le jugera convenable.
( 76)
Art. IV. — Aucun citoyen ne sera aggrégé à la Société,
1° s'il n'y est connu par un ouvrage littéraire de sa composi-
tion ; 2° s'il n'a été présenté par un membre, une séance avant
celle où l'émission des votes aura lieu; et 3° s'il ne réunit
l'unanimité des suffrages.
Art. V. — Toutes les nominations se feront en assemblée
générale dûment convoquée, et par voie du scrutin secret.
Art. VI. — La Société est administrée par un Conseil d'ad-
ministration, composé du Régulateur, du Trésorier et du
Secrétaire. Chacun d'eux est élu pour un an, et peut être indé-
finiment réélu.
Art. VII. — Chaque sociétaire contribuera aux dépenses de
la Société pour la somme et suivant le mode qu'elle aura
déterminés.
Art. VIII. — Chaque membre devant concourir aux progrès
de l'institution, il sera tenu de présenter au moins un ouvrage
de sa composition dans l'espace de six mois, sinon il sera censé
n'être plus membre de la Société.
Art. IX. — Tous les sociétaires devront se rendre aux séances
à l'heure déterminée. Celui qui contreviendra au présent
article payera deux décimes pour une heure de retard, quatre
décimes pour deux heures, et six décimes s'il vient après trois
heures de retard ou s'il manque entièrement la séance.
Art. X. — Aucune excuse ne pourra faire exempter de
l'amende.
Art. XI. — Le produit en est irrévocablement destiné au
soulagement des indigens.
Art. XII. — Expédition du présent règlement sera remise
à chaque membre qui promet de l'observer scrupuleusement.
Arrêté à Bruxelles, le 20 nivôse an 8.
Signé : Rozin, Vidal, Delannoy, P. Dehulstere, Jh. Marchai»
Ph. Lesbroussart, Jos. Colbert et J.-C. Stiellemans.
Pour expédition conforme,
Vidal, Secrétaire.
(77 )
II.
Membres effectifs :
Christian, professeur au lycée de Bruxelles.
Colbert, commis greffier au tribunal criminel de Bruxelles.
Degamond, l'aîné, avoué au tribunal de première instance
de Bruxelles.
Ch. Degamond, son frère, futur employé des douanes à
Rouen.
Pierre Dehulstere, littérateur et rentier à Bruxelles.
Deglimes, instituteur particulier.
Delannoy, homme de lettres et rentier à Bruxelles.
Delormel, inspecteur des contributions du département de
la Dyle, à Bruxelles.
Hubin, homme de lettres à Bruxelles.
Laisné, id. ibid.
Lesbroussart, père, directeur et instituteur du collège-pen-
sionnat d'Alost.
Lesbroussart, fils, instituteur près du même établissement.
Marchai, homme de lettres et instituteur particulier à
Bruxelles.
Gigot-Pauzelle, littérateur et contrôleur des contributious à
Bruxelles.
Louis Mercx, littérateur et rentier à Bruxelles.
Masson - Régnier , professeur d'humanités au lycée de
Bruxelles.
Rouillé, professeur au lycée de Bruxelles.
Rozin.
Goswin de Stassart.
P.-C. Vidal.
( 78)
Membres associés :
Blanfart, directeur de l'école secondaire de Nivelles.
Botte, ex-professeur de belles-lettres à l'Ecole centrale de
Gand.
Couret de Villeneuve, ex-professeur de grammaire, ibid.
Lacorne, jurisconsulte, ex-professeur de législation, ibid.
Masson, ex-professeur de belles-lettres à l'Ecole centrale de
Saône-et-Loire.
Oudaert, conseiller de préfecture du département de l'Escaut
à Gand.
Bernard Vandenzande, professeur à Anvers.
F. Vandenzande, employé des douanes à Rouen.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Avant-propos 3
Première partie. 8
Notes de la première partie . . - 4i
Seconde partie 47
Table alphabétique des auteurs avec l'indication des volumes dans lesquels on
trouve leurs écrits 53
Dictionnaire biographique 57
Appendice 65
Supplément 75
LES
CROYANCES RELIGIEUSES
DES
PREMIERS CHINOIS,
PAR
Ch. de HARLEZ,
MEMBRE DE L'ACADÉMIE.
(Présenté à la Classe des lettres dans sa séance du 4 juin 1888.)
Tome XLL
CROYANCES RELIGIEUSES
DES PREMIERS CHINOIS '.
CHAPITRE PREMIER.
Après tout ce qui a été dit sur cette importante question,
il semblerait superflu de s'en occuper encore et l'on devrait
pouvoir se contenter de renvoyer aux auteurs qui en ont traité
spécialement. Il n'en est rien cependant, car le plus complet
désaccord règne entre ces auteurs, à ce point que l'on soutient,
avec une égale assurance, des opinions absolument contradic-
toires.
Les uns avec les anciens missionnaires, sans aller toutefois
aussi loin qu'eux, reconnaissent dans les croyances des pre-
miers Chinois un monothéisme bien déterminé, tandis que les
autres veulent y voir l'athéisme, le matérialisme le plus com-
plet, ou tout au plus un animisme grossier, l'adoration des
* Nous entendons par premiers Chinois, le petit groupe des tribus
appelées Bak kia ou « les cent familles » qui , vers le XXVIIIe siècle A. C;
émigrèrent du centre de l'Asie, vinrent s'établir sur le Hoang-hô et
s'étendirent de là, sans plus cesser un jour, jusqu'à ce qu'elles eussent
soumis toutes les populations indigènes du pays des Fleurs, jouant là,
pour ainsi dire, le rôle des conquérants germaniques en France, au com-
mencement du moyen âge. La soumission des races indigènes se fit
lentement, soit par accession volontaire, soit par conquête, soit par
assimilation.
— 4 —
montagnes, des fleuves, des arbres, plus ou moins personnifies
ou pourvus d'un principe vivant.
Fait bien remarquable ! les premiers sont les sinologues de
profession; les seconds sont ceux qui étudient les questions
religieuses sans connaissance du chinois.
Nous n'entreprendrons pas de refaire ici l'historique très long
de cette question; ce serait étaler une érudition inutile, car
nous ne voulons nous arrêter qu'aux textes eux-mêmes.
Nous laissons également de côté ces thèses difficilement sou-
tenables qui ont fait de la religion chinoise un monothéisme
parfaitement pur, une sorte de christianisme anticipé, et de
Confuoius, un prophète du Très-Haut, prédisant la venue du
Messie, sauveur des hommes. C'est là l'œuvre d'un zèle très
louable mais non secundum scientiam. Nous ne rappellerons que
les faits les plus récents, et qui mettront immédiatement sous
les yeux de nos lecteurs l'état présent et réel de la question.
Nous avons vu, en effet, pendant l'année qui vient de finir,
d'un côté M. le marquis d'Hervey-Saint-Denis, professeur de
chinois au Collège de France, soutenir devant l'Académie des
Inscriptions la thèse du monothéisme primitif des Chinois, et
de l'autre, des écrivains de talent, voués à l'hagiographie,
enseigner, sans hésitation, que les premiers Chinois adoraient
le ciel matériel ou la nature physique, qu'ils ont par après per-
sonnifiés et divinisés *.
Citons, entre autres, M. J. Vinson, professeur de tamoul à
»
l'Ecole des langues orientales de Paris, dont un tout récent
ouvrage intitulé : Les Religions actuelles, contient textuellement
le passage que voici (il s'agit du monothéisme chinois] :
« S'il n'y a point de Dieu dans le bouddhisme, il n'y en a
pas davantage dans les vieilles religions de la Chine... C'est en
vain que des théophiles enragés ont voulu prouver le caractère
1 L'état religieux des Chinois dont nous parlons, remontant à trente
siècles environ avant notre ère, est considéré comme un point de débat
des plus importants dans les discussions relatives à l'origine et au déve-
loppement des religions. Aussi se dispute-t-on les vieux'Chinois avec la
plus vive ardeur.
— 5
spiritualiste et déiste du confucianisme, par exemple. Cela
est aussi peu fondé que les allégations des missionnaires sur
l'infanticide en Chine ; une preuve que les Chinois ne peuvent
qu'aimer leurs enfants est dans l'ardeur de leur culte pour
leurs ancêtres, et dans l'usage touchant qu'ils ont de mettre
des enfants à la place des morts dans les cérémonies domes-
tiques*. » (Voir l'introduction du livre de M. J. Vinson, p. xvu 2.)
Plus loin, dans le corps de l'ouvrage, M. Vinson prétend
expliquer la première forme et l'histoire de la religion des
premiers Chinois.
« Il y a eu chez eux d'abord, dit-il, des rêveries du genre ani-
miste : l'objet plaît ou fait peur; on le personnalise, on
l'anime; bientôt il n'est plus que la manifestation d'une puis-
sance invisible dont les proportions grandissent avec les
siècles... Plus tard encore viendra l'idée d'un être suprême
qui résume tout, d'où tout émane... »
M. Vinson explique ensuite comment la religion chinoise
a dû se développer. Ce n'étaient d'abord que des actes intéressés,
individuels; puis la famille ayant été inventée, ce le principe
d'autorité commença à poindre, le culte devint d'un intérêt
général : le père de famille pria pour tous les siens ». Après
cela ce fut au tour du prince de s'en mêler.
Les particuliers adoraient les arbres, les rochers, les fon-
taines de leur domaine patrimonial; les chefs de clans ren-
daient leurs hommages aux montagnes, aux rivières, aux
forêts, aux puissances secondaires; l'empereur seul adorait les
1 M. J. Vinson fait erreur. Si les Chinois jadis prenaient un enfant pour
représenter le mort, c'est qu'on choisissait un petit-fils. Le père devant
se prosterner devant l'image du mort (son père à lui), il eût été contraire
au respect qu'il se fût abaissé devant son propre enfant. M. Vinson se
trompe en outre sur le caractère et l'étendue de cette détestable pratique,
qui du reste n'est pas très ancienne.
* Si le savant tamouliste s'était donné la peine de lire mon opuscule :
L'infanticide en Chine d'après les documents chinois, il aurait sans doute
reconnu avec fi. Darmesteter que l'infanticide en Chine n'est pas une
légende et il se serait épargné le tort et le regret d'accusations imméritées.
_ 6 —
neuf grandes montagnes, les grands fleuves, la terre et le ciel.
Le ciel était déjà devenu le dieu suprême, le Chang-Ti, principe
actif de toute création.
ce Tel était, dit Fauteur comme conclusion, envisagé d'une
façon générale et sommaire, l'état religieux de la Chine aux
premières périodes de son histoire. »
Nous avons rapporté ce passage presque en entier, afin de
faire connaître d'une manière complète les théories que l'on a
créées pour expliquer l'état de la religion chinoise aux pre-
miers temps de l'histoire. Ce n'est point ce que disaient les
Rem usât, les Julien, les Hervey-Saint-Denis, les Legge et autres
illustres maîtres ; bien au contraire.
Nous avons devant nous, comme je le disais, les sinologues
d'un côté et les autres d'autre part. On se demande ce qui a pu
déterminer les plus récents hagiographes à se séparer des spé-
cialistes et à se croire en droit de réformer leur jugement. Les
uns nous le diront eux-mêmes ; ce sont leurs convictions phi-
losophiques, la loi du transformisme, qui les obligent à
admettre partout des commencements informes et un déve-
loppement successif. Les autres ont pris les textes antérieurs
à notre ère comme un seul tout, sans distinguer ni les époques
ni les lieux et, de la sorte, ont attribué aux premiers siècles de
la nation chinoise ce qui n'appartient qu'à une période beau-
coup plus récente. La critique historique n'est d'ailleurs pos-
sible qu'aux spécialistes, et sans elle on ne peut faire rien
de sûr.
Pour nous, nous abordons la question, parfaitement indif-
férent à la nature de sa solution. Peu nous importe ce qu'ont
été les Chinois primitifs, quelles croyances ils ont apportées
avec eux dans V Empire des Fletirs. Athées, animistes ou spiri-
tual istes, ces croyances du XXVIIIe siècle avant notre ère ne
peuvent servir à démontrer ou simplement augurer ce qu'ont
pu être celles des premiers humains. Conclure des unes aux
autres, c'est réunir par la force ce qui est séparé par un abîme.
Du reste, nous ne ferons que recueillir les textes, les réunir,
les exposer dans leur nudité, sans les solliciter aucunement,
— 7 —
au risque de les fausser, sans chercher à voir entre les lignes
ce qui n'y est point, mais favorise des conceptions subjectives
et des préférences personnelles.
Si je tire des conclusions précises de l'exposé que Ton va
lire, c'est qu'elles s'imposent, j'ose l'affirmer, comme consé-
quences directes des principes énoncés dans les livres que nous
allons passer en revue.
Si je ne renvoie à aucune autorité, c'est d'abord que le sens
des textes, que je ne discute point, est clair et incontestable.
C'est, en outre, que l'on n'a point encore considéré la question
comme je le fais ici. Trop souvent on envisage au point de vue
des idées reçues parmi nous, ce qui demande qu'on en fasse
abstraction presque complète, et qu'on s'identifie au sujet
étudié.
Nous allons donc tout simplement mettre sous les yeux de
nos lecteurs les textes vraiment anciens qui énoncent, soit
directement, soit indirectement, les antiques croyances de la
race chinoise ; nous les puiserons aux livres les plus anciens
et les plus authentiques, à savoir : le Shih-King, ou recueil de
poésies populaires du XIIe au XIIIe siècle A. G., le Shuh-King
ou mémorial historique, le Yih-King> les livres de Confucius et
de Mencius, et le Grand Mémorial des Rites, ou Li-Ki, dont la
rédaction remonte peut-être seulement au IIIe siècle A. C., mais
dont les matériaux appartiennent, en majeure partie, à une
époque très reculée. Nous rangerons ces textes, autant que
possible, dans l'ordre chronologique.
Nous ne nous arrêterons pas longtemps au Tcheou-li ou
« Rites de la principauté de Tcheou », parce que ceux-ci sont
originaires d'un état particulier dont la population n'était pas
d'origine chinoise. Leur date est d'ailleurs trop récente pour
qu'ils puissent nous renseigner sur les premiers âges du
peuple chinois. Trop souvent on a confondu sans critique les
textes des âges les plus divers et créé des théories que la vraie
science ne saurait reconnaître.
Les croyances dont nous nous occuperons ici ont rapport à
cinq objets différents : l'être suprême en tant que Shang-Ti et
— 8 —
Tien, les esprits; la nature de l'âme et sa destinée après la
mort; la faute et l'expiation nécessaire; le culte des morts.
Nous commencerons par le Shang-Ti et le Tien. Voyons
successivement ce qu'en disent les plus anciens livres de la
Chine.
CHAPITRE II.
Le Shang-ti et le Tien dans les premiers livres chinois.
§ 1". — Le Shih-King *.
Nous examinerons d'abord le Livre des Vers plutôt que le
Shuh-King, parce que les poésies antiques de la Chine nous
fourniront des matériaux plus importants encore que le livre
des Histoires. Elles ont, en outre, l'avantage d'avoir date cer-
taine. Les premiers livres du Shuh-King n'appartiennent certai-
nement pas à l'époque des faits qu'ils relatent. Leur rédacteur
le proclame lui-même dès ses premiers mots. Les rois Yao,
Shun et Yu sont pour lui des personnages des temps antiques
(ku); c'est en scrutant l'antiquité 2 qu'on est parvenu à rédiger
leurs annales et rappeler leurs faits et gestes. Ici nous avons des
chants composés par les contemporains des rois, des événe-
ments auxquels ils se réfèrent. Les plus anciens sont les cinq
derniers qui appartiennent à la dynastie des Shang (1766-H5Ï
fondée par le roi Thang.
Nous y voyons mentionnés les sacrifices d'hiver et d'automne
sans autre désignation, IV, 3.1. A l'ode III il est dit que Ti avait
depuis les temps antiques destiné Thang à l'empire, que le ciel
envoya une hirondelle déposer l'œuf qui donne naissance au
héros fondateur de la famille.
1 Recueil de poésies diverses, hymnes, odes, élégies, satires, pièces
légères ou erotiques, composées du XVIIIe au VIIIe siècle (?) A. C.
* KH ku.
— 9 —
L'ode IV ajoute à cela que Ti donna à cette race un descendant
illustre et fit paraître la famille de Shang. La faveur de Ti, son
mandat ne quitta point Shang, et Ti honoré par lui le donna
comme modèle à toutes les régions. Ainsi il reçut les faveurs
du ciel; il fut vraiment le fils du ciel.
Dans la Ve ode, qui ne paraît pas antérieure à Tan 658, parce
qu'elle donne à King-ts'u un nom que l'histoire ne connaît
point avant cette époque, le T'ien seul est mentionné; « il a
donné le mandat aux princes féodaux, sa volonté, son numen
est descendu et a inspecté la terre. »
On voit que précédemment le rôle actif était réservé à Ti ou
Shang-Ti, car l'expression « le ciel a envoyé une hirondelle »
est purement poétique et se rapporte à un acte apparent.
De même à l'ode III, 2.1, célébrant la naissance du fonda-
teur de la dynastie Shang, le poète dit que sa mère marcha sur
la trace laissée par Ti (§1) ; que Shang-Ti la fortifia (§ 2), accepta
son sacrifice. Et lorsque, ajoute l'auteur, nous présentons nos
offrandes, Shang-Ti en agrée l'odeur et s'y complaît. — Du
Tien pas la moindre mention.
Dans la première des grandes odes des royaumes (III, 1.1)
composée en l'honneur de Wen Wang * nous lisons :
« C'est Shang-Ti qui l'a préparé et lui a donné l'empire au
moment propice; maintenant Wen Wang est au ciel aux côtés
de Shang-Ti dont les dons se sont étendus à la postérité de ce
saint roi. »
La dynastie de Shang était souveraine, mais quand vint le
décret de Shang-Ti, elle devint sujette de Tcheou (4). Ils étaient
les lieutenants de Dieu avant de perdre.l'empire (S) ». Entre ces
phrases hautement significatives, qui établissent nettement le
rôle de Shang-Ti à cette époque, il est dit que le décret céleste
n'est pas constant et que les actes du ciel n'ont ni son, ni
odeur (§ 3 et 6; (sont imperceptibles aux sens).
La seconde ode est toute semblable quant au point en ques-
1 Père de Wu-Wang le fondateur de la dynastie Tcheou qui régna
de 1122 à 255 et finit comme les Mérovingiens en France.
.— 10 —
lion : « Wu-Wang servit Shang-Ti avec humilité, respect et
intelligence (3) et s'assura ainsi de nombreuses bénédictions,
sa vertu fut sans déflexion ; c'est pourquoi il reçut l'empire (3).
Quand il marcha contre Shang*, Sh.-Ti fut avec lui (7); » et
entre ces deux phrases nous lisons : « il reçut le mandat du
Tien ; le ciel regarda en bas (§ 6 et 4). »
La VII6 ode commence de cette manière : « Grand ! est Shang-
Ti, il regarde le monde inférieur; plein de majesté, il examine
les quatre plages, cherchant qui donnera la sécurité au peuple;
il cherche parmi les différents Etats à qui il pourra donner la
puissance suprême. . .; il regarde à l'ouest et trouve là seule-
ment celui qui peut donner la paix au peuple (un établissement
sûr); Ti fit changer de place * à ce prince d'une ém inente
vertu (§ 2); Ti examina son nouvel Etat; Ti éleva cet Etat, éleva
(pour le gouverner) un prince digne de cette charge. Ainsi fut
le roi Ki ; Ti lui donna un cœur bien réglé et fit grandir la
renommée de sa vertu (3). — Lorsque le pouvoir vint à Wen-
Wang il reçut toutes les bénédictions de Ti, elles s'étendirent
à ses descendants (4). »
Ti dit ù Wen-Wang : « Ne rejette pas, ne t'attache pas à l'une
ou l'autre chose sans motif, ne sois pas dominé par les désirs,
arbitrairement (o). Ainsi Wen-Wang grandit et devint puis-
sant. Ti dit a Wen-Wang : Je suis charmé de votre intelligente
vertu, sans ostentation, ni extravagance, ni variation... con-
forme aux règles de Ti. » Ti lui dit encore : « Préparez-vous
contre le pays ennemi; avec vos frères préparez vos engins
guerriers... pour attaquer la ville de Tsong (7). »
Wen-Wang exécuta ces ordres et s'apprêta à l'assaut. Il offrit
le grand sacrifice à Ti ; il offrit le sacrifice d'entrée en cam-
pagne.. . et détruisit complètement l'État de Tsong (8).
A côté de ces expressions si explicites et caractéristiques, on
1 Le tyran Sheou, le dernier des Shangs, monstre à face humaine que
Wu détrôna.
* Allusion à rétablissement à Tcheou du prince Ki, ancêtre des princes
de Tcheou dont Wen et Wu furent les descendants.
— H —
trouve deux fois dans les odes de cette décade la mention vague
des bénédictions célestes.
La décade suivante a les mêmes caractères.
La lre ode revient aux origines de la dynastie Tcheou et à
son premier ancêtre ; après avoir rappelé que la mère de ce
prince conçut après avoir marché sur la trace laissée par Ti
(III, 2.1.1), elle dit que Ti la fortifia, accepta ses offrandes et
qu'ainsi elle enfanta aisément, etc.
La Xe ode est une élégie sur la calamité du temps. Sa pre-
mière strophe commence par ces mots : « Shang-Ti a renversé
(l'ordre de la providence jusqu'ici favorable) et le petit peuple
périt de misère. » Puis les autres strophes portent ces expres-
sions : « Les régions du Tien (Tien tchi fang) sont pleines de
calamités, d'oppression, de témoignage de colère ; craignez ces
changements et sa colère. L'éclat du Tien éclaire vos pas, vos
actes de licence et de négligence ». Ceci date du IXe siècle,
époque du roi Li (878-827).
La troisième décade contient toutes les mêmes idées.
Ire ode, str. 1. Immense, immense est Shang-Ti, le souve-
rain des peuples d'ici-bas. Majestueux, terrible est Shang-Ti !
Ses décrets sont pleins d'avertissements, de châtiments. La
nature céleste comprend tous les hommes; mais son maintien
n'est pas sûr. Tout a un bon commencement; mais peu savent
atteindre la fin (1). Et Wen-Wang dit au roi Shang t : « Sans
Ti il n'y a point de temps, d'événement. Mais c'est Shang (qui
s'est attiré ces calamités) en ne se conformant pas aux maximes
et exemples antiques (7). »
A l'ode IV nous voyons le roi Siuen (827-781) se plaindre des
calamités qui accablent ses Etats et ses peuples "1. Cependant,
dit-il, il n'est pas d'esprit que je n'aie invoqué; Shang-Ti ne
s'abaisse pas vers nous ; l'auguste et céleste Shang-Ti ne nous
délivre pas (3); donne-nous la faculté d'échapper à ces maux;
mais l'auguste et céleste Shang-Ti ne nous regarde pas. Cepen-
Le tyran Sheou, dernier des Shangs (voir p. 10, note 1).
Il s'agit de sécheresses persistantes.
— 12 —
dant j'ai révéré les esprits ; il conviendrait de ne point être
irrité, indisposé contre moi (6). Mes regards se portent vers le
ciel; quand obtiendrai-je le bonheur?
Les autres odes mentionnent trois ou quatre fois la faveur,
Téclat du Tien qui regarde la terre et les rois (6.1) ou fait
descendre les calamités (3.7; 10.1.5 et 6; 11.1.2).
Le livre IV contient des odes sacrificielles appartenant à dif-
férents royaumes feudataires; la première décade appartient
aux Tcheous qui possédaient l'empire. L'ode IX porte que
Wuh W., Tching W. et K'eng W. ont été sacrés rois par
Shang-Ti (Shang-Ti shi hoang).
La X° consacrée à Heou-tsih * lui dit qu'il a su égaler le ciel,
en donnant au peuple les grains qui le nourrissent et que
Shang-Ti a destinés et fait croître pour nourrir les hommes.
Les autres rappellent la majesté du T'ien (8.2), le décret du
T'ien (7.2; 2.1) et contiennent cette phrase significative : « J'ai
apporté mes offrandes, un bélier et un taureau, le T'ien *
m'assiste dans cette offrande (Tien khi tso tchï). »
Dans la deuxième décade, également des Tcheous, nous trou-
vons ces mots : « Le brillant Shang-Ti nous donne une heu-
reuse année, 1, 1, et : « Dans les arts et la guerre le souverain
donne le repos à l'auguste ciel 3. »
Enfin, dans la dernière décade, appartenant au royaume de
Lou, il est dit de nouveau que Shang-Ti favorisa Heou-tsih
(Sh.-T.), qu'il était avec Wu Wang quand il attaqua Sheou,
le tyran exécré, que Wu Wang offrit les sacrifices du prin-
temps à l'augustissime souverain Ti ainsi qu'à Heou-tsih et
qu'ils furent agréés par eux.
Il n'est pas besoin d'argumentation pour faire reconnaître
que Shang-Ti est, dans le Shih-King, un être personnel, le
souverain seigneur qui gouverne le monde, qui tient les rois,
au ciel, à sa droite et à sa gauche, qui a laissé des traces de
1 Ministre de l'agriculture au XXIIIe siècle A. C. et vénéré après sa
mort comme le génie protecteur de la culture des champs.
* Bien loin d'être l'objet des honneurs du culte,
3 Ce qui n'indique guère une puissance suprême.
— 13 —
son passage sur la terre, qui parle aux souverains et leur donne
ses enseignements, qui sacre les rois; le Dieu dont on affirme
constamment ces choses n'est point sans doute une simple per-
sonnification ou animation de la voûte céleste.
Mais pour rendre nos conclusions plus certaines, il nous faut
examiner la nature du Tien dans ces antiques poésies.
Nous avons vu que les plus anciennes de toute la collection,
les odes de la dynastie, ne le mentionnent qu'accessoirement;
dans celles qui les suivent chronologiquement, les premières
de la dynastie Tcheou, c'est-à-dire les décades II, 1.2 et III, 1,
le rôle du ciel est peu important. Les premières ne le men-
tionnent qu'une fois, II, 1.6.1 à 3; les autres le font plus
souvent, mais à peu près toujours au même point de vue. Il
s'agit là de son décret, III, 1.1.4 et 5; III, 1.2.1; III, 1.9.2
et 2.9.1; de son action, III, 1.1.7; de l'inspection du monde,
III, 1.2.4; de son assistance, III, 1.7.2. Dans les chants d'une
époque plus récente qui va jusqu'au VIIe siècle, P. C, nous
trouvons cité le T'ien injuste et cruel, II, 4.7.1; redoutable,
II, 4.10.3 et 5.8.3; compatissant, 11,4.10.1 et 8.1.1; 111,1.11.1;
ses dons, II, 6.6.4; II, 7.1.1 et 10.2.1; 10.41; III, 2.4.7; sa
colère, III, 3.4.3. Le T'ien envoie des calamités, III, 2.10.2
et 4; III, 2.12; III, 3.3.4 et 7; III, 3.10.3.5 et 7.41 ; favorise les
grands, les rois, IV, 1.10.1; IV, 1.7.1 et 1.9.1; IV, 2.4.8:
IV, 3.2.1; IV, 3.4.5 et 3.5.3; il est clairvoyant, III, 2.10.8
et 3.2.11; IV, 3.5.4; inspecte le monde, III, 1.2.4; IV, 3.5.4.
Deux passages parlent de la voie du ciel rude et difficile,
H, 8.5.2; évidente et claire, IV, 1.3.1.
Vers l'an 780 A. C, nous voyons apparaître la nouvelle idée
du ciel engendrant les hommes. Oh ciel ! qui m'a engendré,
II, 5.3.3; ciel notre père, 5.4.1.
Enfin, IV, 1.7.1, nous présente le T'ien comme assistant
celui qui fait les offrandes, Tien khi tso tchi « le Tien l'assiste »
et non « l'accepte » comme l'on a traduit contre toute vrai-
semblance, et le IV, 2.7.3 dit que les dons du prince donnent
le repos au ciel.
— 44 —
Les données que nous fournissent ces textes réunis et com-
parés peuvent se résumer de la manière suivante :
Dans les odes les plus anciennes des Shang et des Tchcous,
le rôle principal, le rôle vraiment actif est attribué à Shang-Ti.
Le Tien y parait rarement et son nom n'occupe guère que la
place d'un qualificatif, comme, par exemple, dans l'ode IV,
3.4.3 et 8. Shang-Ti n'abandonne pas Shang..., c'est Shang-Ti
qu'il révère; Shang-Ti le décrète le modèle de toutes les
régions. Il a reçu les faveurs célestes.
La dernière ode qui donne plus d'importance au Tien est
déclarée par les commentateurs apocryphe et de date posté-
rieure.
Dans les odes plus récentes le rôle du Tien se développe et
ses attributs se multiplient. Mais on n'en arrive jamais à dire
que le Tien parla, dit telle ou telle chose, comme cela est
affirmé de Shang-Ti ; surtout, et ceci est un point qui ne doit
jamais être oublié, le Tien n'est jamais donné comme objet
d'un culte quelconque, il n'a point de rapport avec la religion.
Le sacrifice principal est offert à Shang-Ti ; d'autres, secon-
daires, sont faits pour les ancêtres et certains esprits qui
semblent n'être que des morts vénérés pour les services rendus
à l'humanité, tels que le premier agriculteur, le premier domp-
teur de chevaux ou créateur de route (voir II, 6.7.2; III, 1.7.8);
en outre, le génie de la terre et des quatre régions, bu plutôt
le génie de la terre en ses quatre régions, Fang shai, III, 3.4.5.
De l'adoration des montagnes, des fleuves ou des arbres, pas
un seul mot.
Notons encore que le Tien y est traité d'injuste et de cruel,
qu'il est dit avoir reçu le repos par le moyen de la vertu
humaine, II, 4.7.1 ; IV, 1.7; de semblables expressions ne sont
point appliquées au Shang-Ti.
Devant revenir sur tout ceci, nous ne nous y arrêterons pas
davantage. Passons au Shuh-King.
- 15 —
S 2. — Le Shuh-King *.
a: Le «haag-TI «an» le Sbuh-Klng.
Voici les principaux passages qui en font mention :
4° IL I, 3. Nous trouvons ici tout à l'entrée du Livre des
Histoires une sorte de résumé de tout le culte. Il y est dit en
effet : « Yao (le premier souverain semi-historique de la Chine)
faisait le sacrifice principal à Shang-Ti 2, rendait les honneurs
aux six vénérables; visitant 3 les montagnes et les fleuves il
s'adressait * à tous les esprits ». »
Ce premier texte qui présente un aperçu sommaire du culte
chinois a donné lieu à de nombreuses discussions relative-
ment au second terme « honorables, vénérables » {tsông), dont
le sens est incertain. Les commentateurs, tant chinois qu'euro-
péens, ont essayé des explications qui ne reposent sur aucune
base; on a rangé parmi les saisons le ciel et la terre, les étoiles
et planètes, etc., etc. Notons toutefois que le professeur de
Lacouperie y retrouve des conceptions accadiennes en même
nombre, et que d'autres y ont vu la puissance unique agissant
dans les six directions.
On ne doit pas oublier que le mot tsông que nous trouvons
ici, a pour sens principal « ancêtres honorés d'un culte», « êtres
vénérés à la maison ». Le caractère qui le représente 6 a) dans sa
forme antique comme dans la plus récente, est composé du signe
désignant un hommage rendu, ou un avis donné, une infor-
1 Le premier livre historique de la Chine relatant les principaux événe-
ments depuis le XXIII* jusqu'au VIIIe siècle. Son but est plus moral et
politique qu'historique.
* Lui Shang TL
3 Wang.
* Pièn.
« Shen.
« 3>^ èj cj
1
— 16 —
ination b) (R. 113), sous un autre indiquant un toit protecteur
ou logis v) (R. 40). Pourquoi ne serait-ce pas les six derniers
ou les six premiers ancêtres et pères? vu surtout qu'il n'y a
aucun autre terme dans cette énumération, qui se réfère à leur
culte. Ce sens s'impose nécessairement. Le mot que nous
avons traduit « visiter » désigne proprement la visite d'hom-
mage faite au souverain ù la nouvelle lune wang. (Cf. Wells
Williams, p. 1045.)
Ce caractère est composé de trois autres représentant un roi,
un fonctionnaire ou un exilé, et la lune *. Le meilleur sens
serait : « tournant ses regards vers les monts et les fleuves
(wang yu shan tchuen), il honorait tout les esprits (qui y pré-
sident) ». Proprement : « il s'adressait à, allait vers ». C'est le
sens propre du mot pien.
On verra plus loin l'explication du Li-Ki (1. VII, 1.9) excluant
aussi toute idée de sacrifice aux monts et fleuves.
De tous ces caractères, un seul indique un sacrifice, c'est le
premier lui â, qui désigne en même temps ce qu'il y a de plus
important et place ainsi le culte de Shang-Ti en dehors de
tous les autres et au-dessus de tout autre. L'élément principal
en est le mot hie « tête, principal, supérieur à » que Ton
' retrouve même dans la forme la plus ancienne. C'est le culte,
le sacrifice capital. L'élément secondaire varie dans ses formes
avec les époques de la graphique ; mais on y reconnaît géné-
ralement, au moins, le riz que l'on offrait en oblation. Les
montagnes et les fleuves, dont il est ici question, sont, disent
les commentateurs, les montagnes célèbres, renommées [tning
shan) et les fleuves les plus considérables (ta chuin). Ces mon-
tagnes sont ou bien les quatre grandes montagnes sur
lesquelles se faisaient les grands sacrifices annuels, ou celles
qu'une tradition superstitieuse représentait comme le théâtre
— 17 —
d'un fait surnaturel. Le souverain les visitait avec une sorte de
vénération superstitieuse.
2° Le même chapitre porte un peu plus loin : « Le second
mois de Tannée, il fit une tournée d'inspection dans les régions
de l'Est et s'avança jusqu'à rai tsong ; fit un amas de bois à
brûler et inspecta successivement les monts et les fleuves * ».
Des commentateurs venus quinze, vingt et trente siècles plus
tard, ont expliqué l'usage de ces vastes bûchers (tchài) comme
destinés à honorer le ciel : t t2ét'ien. C'était appliquer les idées
de leur temps à une époque où les croyances étaient très diffé-
rentes et faire dire au texte ce qu'il ne comporte pas. Comme
on le verra plus loin, par les textes mêmes, les anciens rois ne
sacrifiaient qu'à Shang-Ti ; c'est à lui que s'adressait le Tchài;
comme au paragraphe précédent, Shun se tournant vers les
montagnes en vénérait les esprits, H, 4.1. Shun, le second
empereur historique (2255), promet au ministre fidèle, au
souverain bon et juste, qu'il recevra de Shang-Ti le renouvel-
lement à perpétuité de son mandat (Shang li tien shin ming),
qu'il lui enverra du ciel.
3° IV, 2.2, nous lisons : « Le roi de Hia est criminel, il
usurpe et prétend faussement au pouvoir du ciel. Le Seigneur
(du ciel) Ti n'a plus pour lui de bienveillance ni de don, il a
transféré le mandat au prince de Shang ».
4° Le prince de Tàng, revenant d'avoir vaincu le dernier des
Hia, lance une proclamation pour justifier sa conduite :
« Écoutez, o multitude! soyez attentive à ma proclamation.
L'auguste Shang-Ti a fait descendre dans le peuple l'esprit de
1 Ou « parcourut du regard , porta ses regards et ses désirs vers ». Ce
caractère (le wang précédent) exclut de sa forme toute idée d'offrande,
de sacrifice; or, tous ceux qui l'expriment contiennent quelque chose qui
s*y rapporte, tels que les signes désignant : esprit, honneur, slien a);
millet, yeu b); feu, hioc)\ riz, mi d); kan, aliments doux et délicats i);
bœuf, nieu f)\ chien, kiuen g), etc.; il n'y a rien ici de cela.
Tome XL1. 2
— 18 —
rectitude, en sorte qu'il ait une nature immuable dans sa droi-
1ure. Lui faire suivre la voie de la droiture est l'œuvre du
souverain seul... Ayant souffert cruellement de la tyrannie de
Hia, vous avez proclamé votre innocence devant les esprits
supérieurs et inférieurs (du ciel et de la terre). La voie du
ciel est de bénir le bon et de rendre malheureux le méchant;
il a fait descendre des calamités sur Hia, pour révéler ses
crimes. C'est pourquoi je n'ai pas osé, chargé que j'étais du
mandat, pardonner au coupable. Mais présentant une noire
victime, j'ai osé, m'adressant au Souverain du ciel suprême,
demander le châtiment... Le ciel suprême a réellement accordé
sa faveur au peuple... Son décret est sans erreur. »
H est très remarquable que ce passage est cité d'une manière
assez différente dans le Lun-Yu ou ce entretiens » de Confucius.
Nous y lisons, en effet, ces mois : « m'adressant au Très
Auguste Souverain Seigneur Hoany, hoang heou Ti » *, puis
immédiatement après : « les ministres de Ti ne sont point tenus
dans l'obscurité, leur appréciation est dans le cœur de Ti ».
Ces derniers mots se trouvent un peu plus loin dans le Shuh.
t>° IV, 4.4 : « Shang-Ti n'agit pas toujours de même. Sur
celui qui fait le bien il fait descendre cent bonheurs; sur celui
qui fait le mal il fait descendre cent infortunes. »
IV, S. 3.1 : « Les anciens rois, honorant la vertu, savaient
ressembler à Shang-Ti. »
IV, 7.3.1. Pen-Kang, voulant faire changer de résidence les
habitants de sa capitale, leur dit : « Shang-Ti va renouveler les
vertus de mes ancêtres, etc. »
IV, 8.1.1. Le roi dit que s'il garde le silence, s'il ne paraît
pas en public, c'est qu'il a rêvé que Ti lui avait donne un
excellent ministre pour parler à sa place.
V. 1. Le nouveau souverain Wuh Wang, dans une procla-
mation à son peuple, explique les crimes de la dynastie qu'il
va renverser, du tyran qu'il va détrôner. Nous y lisons :
« Sheou ne servait point Shang-Ti ni les esprits *, délaissait
1 Le texte le plus ancien ne parlait donc pas du ciel.
* Sfien-tchi, les spirituels vénérables.
— 19 —
les temples des esprits et n'y faisait plus d'offrandes. Le ciel
a fait les chefs pour secourir le peuple et leur a donné des
instructeurs qui soient les lieutenants et les aides de Shang-Ti
et donnent tranquillité, sécurité au monde. »
« Et moi (pour l'exécution de mon mandat) j'ai offert le
grand sacrifice à Shang-Ti, j'ai satisfait au génie de la terre '. »
Ce que le commentaire explique par ces paroles du Wang-tchi :
« Lorsque le fils du ciel se met en campagne, il offre le grand
sacrifice à Shang-Ti et l'oblation de satisfaction à Sliai, et
annonce son expédition dans le temple des ancêtres (nî).
» Shang-Ti ne le supportera plus; mais, le maudissant, il
fera tomber sur lui la ruine; aidez-moi à exécuter avec respect
la sentence du ciel.
» Pour moi, ayant obtenu des ministres vertueux, j'ose
seconder avec respect les décrets de Shang-Ti pour faire cesser
ces troubles. Respectant le ciel, j'accomplis le décret. »
V, 4.1 : « Le T'ien invisible (yin) donne la sécurité au peuple
et l'aide à s'établir en paix. . . Lorsque Khven eut endigué les
fleuves débordants, il troubla les éléments. Shang-Ti irrité 2
contre lui ne lui donna pas le Grand Enseignement en ses neuf
divisions. Il fut mis en prison jusqu'à sa mort et son fils Yu
surgit après lui et le ciel lui donna ce Grand Enseignement... »
Suit un exposé complet de doctrines où nous lisons ces mots :
« Cet enseignement est l'enseignement de Ti. » Mais on n'y
trouve pas la moindre allusion au ciel, principe suprême.
V, 6.1. Tcheou Kong, priant pour son frère l'empereur
IVuh, dit à ses ancêtres : « Wuh a reçu k la cour de Shang-Ti
le mandat de répandre ses bienfaits, son secours dans les
quatre plages... Pour moi, je ne suis pas aussi capable de
servir les esprits. »
V, 7.3 : « Pour moi, je n'oserais pas négliger le décret de
Shang-Ti ; le ciel favorable m'a donné la prospérité. »
Ibid., o : « Les sages ont connu et suivi les décrets de
Shang-Ti et le vaste secours du ciel. »
<
Shai qui préside à la fertilité de la terre.
* Tremblant, agité de colère, tchén.
H
— 20 —
V, 8.2 : « Shang-Ti accepte toujours avec satisfaction vos
offrandes. »
V, 9.1 : « Wen Wang devint illustre devant Shang-Ti,
Shang-Ti lui donna sa faveur, le Tien lui donna le grand
mandat. »
V, 12.2 : « L'auguste Shang-Ti du ciel a changé son décret
relativement à la dynastie de Yin... Le roi est venu intimement
uni à Shang-Ti. »
V, 14.1. Proclamation au peuple de Shang : « Nous avons
exécuté les châtiments du ciel... et achevé l'œuvre de Shang-Ti.
Le ciel n'était pas favorable à Shang; ... Ti ne lui tHait pas
favorable. Le peuple tint ferme parce que le ciel manifestai!
ses terreurs. »
C'est un dire populaire : « Shang-Ti conduit (les hommes)
au bien-être. Le souverain de Hia ne les y mena point; c'est
pourquoi Ti envoya des châtiments. Mais le prince n'accepta
pas les avertissements de Ti et se livra à de plus grands désor-
dres... Les souverains de Thang, jusqu'à Ti-Y, cherchèrent à
faire briller leur vertu. Le ciel consolida leur maison, et ses
souverains ne se permirent point de faire quoi que ce soit qui
pût leur faire perdre Ti. Leurs successeurs, abandonnés au
vice, ne pensèrent plus aux lois du ciel. Aussi Shang-Ti ne les
protégea plus et fit tomber ces maux auxquels nous avons eu
part. »
V, 16.1 : « Je ne puis me reposer sur le décret de Shang-Ti,
dit Tcheou Kong *, sans jeter un regard lointain sur les
menaces du ciel. »
Le § V, 16.2 parle de Tchhan Hi dont les vertus se modelaient
sur Shang-Ti. Le § 3 porte que « précédemment Shang-Ti
infligea des châtiments à la dynastie Yin et encouragea, stimula
la vertu de Wen Wang; » et plus loin : « Connaissant la inajeslé
du ciel, les ministres de Wen Wang s'appliquaient à l'éclairer
pour qu'il devînt illustre devant Shang-Ti. »
V, 18.4.6 : « (Shang) Ti envoya des calamités à Hia; mais
1 Frère et ministre de Wu-Wang.
— 21 —
celui-ci multiplia ses crimes... et ne put se laisser mouvoir
par la conduite de Shang-Ti. Il présuma du décret de Ti et ne
s'efforça point de secourir le peuple. »
Les §§ 2, 3, V, 19 parlent de même du service respectueux
de Shang-Ti, de ses décrets, des châtiments qu'il a infligés à
Sheou.
V, 24, 3 mentionne également le décret favorable de Ti.
V, 27.2 : « Les peuples opprimés montrèrent leur innocence
au ciel, Shang-Ti regarda le peuple ; mais aucune odeur de vertu
ne s'élevait d'aucun côté ; tout était odeur de tourments. » —
S 3 : Shang-Ti ne supporta plus les crimes des Miao *, mais fit
tomber sur eux des calamités, et, comme ils n'avaient aucune
excuse à plaider, leur nom fut rayé de ce monde. »
Enfin le § V, 28.1 répète encore : « Shang-Ti a fait descendre
sur Wen-Wang le décret qui confère l'autorité suprême. »
ir. Lo l'ion.
Nous avons vu déjà plusieurs des passages qui mentionnent
le Tien ; pour achever cette partie de notre étude, nous allons
présenter, résumées en un tableau, toutes les expressions qui
le concernent.
L'autorité suprême conférée par un décret du T'ien, H, 1.5
11,2; II, 4.1 et 3; 111,2.2; IV, 2.2 et 4; IV, 3.2; IV, 5.1.1
IV, 6.2; IV, 7.1.1 et 2.1; IV, 9.1; V, 1.2.1; V, 3.2; V, 6.1
V, 8.5; V, 9.1.2; V, 13.1 et 4; V, 14.3; 15.2; 18.1; 22.1.
Est enlevé par lui, III, 2.1; IV, 11.1 et 2; V, 10.2; V, 12.2;
V, 14.1; 16.1; 18.1 et 2.
Les principes du droit, les relations entre les hommes
émanent du T'ien, II, 3.3; V, 9.3; 10.2; 14.2; 18.3.
La faveur du ciel, V, 3.2; V, 7.3.4.5; V, 8.1; V, 9.2; 15,3;
16.1; V, 16.4; 18,4; 24.2.
Le T'ien approuve le bon et punit le méchant, II, 3.3;
1 Populations indigènes de la Chine préchinoise qui se révoltaient
constamment contre les nouveaux maîtres.
— 22 —
III, 4.1; IV, 3.2; IV, 4.2; IV, 5.2.1 et 2; IV, 6.2; IV, 9.1;
IV, 11.2; V, 1.1.4; V, 1.3.2; V, 2.2; V, 7.1 et 2; V, 7.5;
V, 9.4; V, 10.1 et 2; 16.2; 18.4; 29.1.
Le Tien voit et entend comme le peuple le fait, II, 3.3;
V, 1.2.2; V, 10.1.
Le Tien avertit les rois par des phénomènes, III, 14.2.
. A donné le Grand Enseignement, V, 4.1 (comme Sh.-T.).
Le Tien donne la vertu et l'intelligence, IV, 2.2; V, 12.2; 18.2.
Le Tien engendre les hommes, IV, 2.2 ; IV, 7.2.1 ; V, 3.2.
La voie du Tien, IV, 3.4; 2.2; V, 1.3.1 ; 24.3.
Il est sans partialité, IV, 5.3.1 ; IV, 6.2; IV, 8.2.1.
Le méchant ne respecte pas le Tien, V, 1.1.1.
Le Tien a pitié du peuple et suit ses désirs, V, 1.1.4 et 2.2:
V, 12.2; lui donne la sécurité, V, 4.1 ; V, 14.1 et 4.
L'innocent crie vers le ciel, V, 1.2.1 ; V, 12.2.
Le Tien est invisible (Yin)> V, 4.1.
Impartial, V, 17.2.
On doit respecter sa volonté, V, 7.3; V, 12.2; V, 13.2.
La majesté redoutable du Tien, V, 16.3; 22.4; 27.1.
Le roi lui demande un long mandat, V, 12.2.
Le roi est le berger du Tien, V, 27.2.
Le bon prince égale le Tien, V, 16.3.
Il règle tout ce qui concerne les esprits et le ciel.
Voilà le tableau complet de tout ce qui est attribué au Tien
dans le Shuh-King, de tous les passages qui s'y rapportent.
Tout s'y réfère à ce que nous appelons la providence et au
fondement de l'ordre moral. En jetant un coup d'œil sur l'en-
semble et le chiffre des chapitres, on aperçoit du premier
abord :
1° Que les commencements du Shuh-King comme ceux des
Shih ne mentionnent que peu le Tien ou ciel et le font
d'une manière vague, sans le personnifier, mais que l'emploi
de ce mot va en se développant avec les attributs donnés
au Tien ;
Que ce qui était dit d'abord du Shang-Ti seul, — par
— 23 —
exemple de la révélation du Grand Enseignement, fondement
de tous les principes, — est plus tard également dit du Tien
(V, 4.1); ceci très tardivement comme le montre le chiffre 4.1.
Dans la 4e partie apparaît cette idée que le T'ien engendre ce
qui est sur la terre;
2° Le Tien ne fait point partie des objets du culte. Le culte
suprême s'adresse à Shang-Ti seul ; des hommages inférieurs
sont présentés aux ancêtres et à certains esprits (voir plus loin).
Le T'ien n'y a aucune part. Certaines traductions, se rapportant
aux usages modernes, parlent en un endroit ou deux de sacri-
fice offert au ciel. Mais c'est là un anachronisme évident. Le
texte n'en dit pas un seul mot. C'est ainsi qu'au livre Ier, Yao
fait un grand feu de bois sur le mont Thai tsong, mais ne
s'adresse nullement au ciel. Le Li-Ki explique même en termes
précis (voir plus loin) que cet hommage est rendu à Shang-Ti
(voir Li-Ki, 1. XIV, 2);
3° Le ciel est qualifié d'invisible, d'intelligent; ce qui exclut
l'idée du ciel matériel ;
4° Il ne s'agit pas simplement ici du culte des souverains et
chefs féodaux, puisque le texte nous a conservé, comme expres-
sément, un dicton populaire qui attribue tout à Shang-Ti
(voir ci-dessus).
Le Shuh-King nous fournit donc absolument les mêmes
données que les Shih et renforce même ce qui a été dit pré-
cédemment. Passons au Yih-King.
§3. — Yih-King*.
Le Yih passe pour le livre le plus ancien de la Chine. Mais
quel que soit son âge, il est certainement un écho de l'anti-
quité. Il mérite donc toute notre attention.
Nous trouverons en lui très peu de choses à glaner, mais le
1 Recueil de sentences diverses , d'explications lexicologiques rangée?
sous soixante-quatre titres. Il contient un double texte originaire et une
série de commentaires des derniers siècles de Père ancienne.
— 24 —
peu que nous y recueillerons sera d'une haute importance dans
la question. Le voici textuellement :
D'abord dans le texte lui-même (Koua, 42, II, 2) : ce Si le roi
est vertueux et met en usage ses vertus pour présenter ses
offrandes à Shang-Ti, il aura le bonheur. »
Commentaire I, Koua, 50.1 : « Les anciens sages cuisaient
leurs offrandes pour les présenter à Dieu. »
Commentaire II, Koua, 16.1 : « Les anciens rois compo-
saient leur musique, consolidant leurs vertus, présentant leurs
offrandes abondantes à Shang-Ti et lui associaient leur premier
ancêtre. »
Commentaire II, Koua, 59.1 : « Les anciens roiç adressaient
les hommages du culte à Shang-Ti et élevaient des temples
ancestraux. »
En dernier lieu, le commentaire V, chapitre 5.8, met l'action
de Shang-Ti en rapport avec la vie annuelle de la nature. Ses
opérations commencent en Tchan (Koua, 51), se développent
en Sun (K., 41); se manifestent en Li (K., 10); arrivent en
leur plus haut point en Khven (K., 2), etc., etc., et en cet
endroit il est appelé « le Maître du ciel. »
Par contre, le Tien, comme être suprême, providence ou
autre chose semblable, n'a point de place dans le texte.
Le premier commentaire parle de la voie, du Tao, du Tien;
mais ce n'est que Tordre général de la nature. Tout y appar-
tient à Shang-Ti.
Le second commentaire mentionne la faveur du ciel, VII, 2;
le troisième, le secours du ciel donné par des pronostics, II, 14;
la voie du ciel, II, 68. Le quatrième commentaire dit que le
juste agit comme le ciel, tellement que s'il précède même le
Tien dans ses actes, celui-ci n'agira pas ensuite d'une manière
différente.
Mais dans tout ceci il s'agit des opérations de la nature
comme le prouve cette phrase qui précède : ce L'homme juste
et distingué sera en harmonie quant à l'éclat avec le soleil et
la lune; quant à la régularité de ses actes, avec les quatre
saisons, etc. » En tout cas ces commentaires n'appartiennent
plus à l'antiquité.
— 25 —
§ 4. — Livres Conpuciens.
Ta-hlo, Tchong-Yong et Lun lu.
A l'époque de Confucius, la notion de Shang-Ti s'était déjà
considérablement affaiblie et le grand philosophe contribua
pour beaucoup à son affaissement. Il l'écarta de ses enseigne-
ments le plus qu'il put. Aussi ne là trouve-t-on guère men-
tionnée dans les écrits de ses disciples, dans les discours qu'ils
rapportent comme prononcés par le maître. Toutefois cette
idée ne s'était pas complètement anéantie et Confucius, amant
passionné de l'antiquité, l'avait certainement recueillie comme
elle avait existé à ses beaux jours. Ce qu'il nous en dit est donc
certainement authentique. Or, voici ce que Confucius en rap-
porte :
Au Ta-hio, X, 5, il rappelle les vers du Shuh-King : « Avant
que les souverains Shang eussent perdu leurs peuples, ils pou-
vaient se dire les lieutenants de Shang-Ti. »
Au Tchong-Yong, XIX, 6, il affirme que les grands sacrifices
réputés faits au ciel et à la terre s'adressaient réellement à
Shang-Ti : « Kiao shai tclii H so 1 tze Shang-Ti. »
Et dans le Lun-Yu, XX, 1.3, il reproduit le passage du Shuh-
King (IV, 3.48) où T'ang dit à Shang-Ti : « 0 puissant souve-
rain, Shang-Ti, je n'ai point pardonné indûment au coupable,
ni opprimé tes ministres; c'est toi qui est leur inspecteur,
ô Shang-Ti ! »
Nous n'avons donc ici qu'une seule pensée nouvelle, la
seconde; mais elle est d'une importance capitale en ce qu'elle
nous explique la nature réelle du culte des anciens Chinois et
du vrai objet de ce culte. Nous y reviendrons plus loin.
Meng-Tze, disciple lointain de Confucius ', plus éloigné que
lui encore de la croyance pratique au Dieu personnel, en fait
cependant mention, trois fois, en ces termes, I, 2.3.7 : Les sou-
verains et les maîtres de la doctrine sont les auxiliaires de
« III« siècle A. C.
— 26 —
Shang-Ti, IV, 1.7.8; Shang-Ti ayant porté son décret, tous les
peuples se soumirent à Tcheou, IV, 2. 28 : Bien qu'un homme
soit méchant, s'il rétablit Tordre en soi, s'il jeûne et se baigne,
il pourra sacrifier à Shang-Ti.
Par cette dernière nous voyons une fois de plus oii vont le
culte et les sacrifices et comment Shang-Ti seul est Dieu.
Il nous reste à parcourir le Li-Ki et à y recueillir, comme
dans les autres livres, les énonciations qui concernent notre
sujet.
§ 8. — Li-Ki.
Le Li-Ki est le Mémorial des Rites, c'est-à-dire de tous les
préceptes qui règlent les actions humaines d'après les lois et
les coutumes antiques, révérées comme expression des prin-
cipes de la nature et du pouvoir surhumain. Ils concernent
non seulement les actes du culte, les sacrifices, funérailles et
mariage, mais tous ceux de la vie civile que le respect, la con-
venance doivent régler selon les idées chinoises. L'étiquette,
les lois de la civilité même puérile y sont comprises.
Le Li-Ki est le plus récent des livres que nous avons à
examiner en cette étude; il en est ainsi de sa dernière rédac-
tion qui se fit peu avant le commencement de notre ère; mais
parmi les matériaux il en est de très anciens ou qui rapportent
fidèlement les coutumes antiques *. Nous pouvons donc y
puiser avec sécurité.
Voici les principaux passages qui ont trait à Shang-Ti :
Le Wang-tchi, 1. III, S. 2, 17 et 21, rappelle les divers sacri-
fices qui se font au moment d'une expédition et le sacrifice
essentiel, principal, offert à Shang-Ti.
Au Yueh-ling, 1. IV, 1.1.13 : « Le premier jour du mois, le
Fils du ciel prie Shang-Ti pour obtenir une heureuse année,
puis procède à la cérémonie du labourage. » Au même livre,
1 Comp. Li ki translated by J. Legge (Ttie sacred book oftheEast,
vol. XXVII, 1. 1, Introduction.)
— 27 —
2.2.8 : « Au grand sacrifice d'été, on prie Shang-Ti pour avoir
de la pluie et l'on emploie tous les instruments de musique. »
Le commentaire explique Shang-Ti par les mois Tien tchi
tchou ; le maître du ciel.
Au livre Wen-Wang shi tze (VI, 1.3) nous voyons Wuh Wang
expliquer un rêve à son père : « J'ai rêvé, dit il, que Shang-Ti
me donnait neuf lings » et son père lui explique que ces
neuf lings désignent l'âge que lui accordera le souverain
maître. Le commentaire rend Shang-Ti par Tien-Ti « le sou-
verain du ciel. »
Li-Yun, VIII, 1.9 : « Les anciens sages ayant appris à se
servir du feu, furent ainsi capables de nourrir les vivants, de
faire des oblations aux morts et ainsi de servir les esprits et
Shang-Ti. »
On remarquera ici la progression qui va du plus bas au plus
élevé, et l'absence complète de mention du T'ien.
« Les anciens servaient le ciel comme le ciel, la terre comme
la terre, sur les fleuves et montagnes, y montant comme au
milieu du ciel; là, en un endroit propice, ils faisaient le grand
sacrifice à Shang-Ti, dans le faubourg de la capitale, montés
sur une élévation comme au milieu du ciel; alors les prodiges
favorables se manifestaient, alors la pluie et le vent, les froids
et la chaleur avaient leurs temps et cours réglés. » C'est donc
en sacrifiant à Shang-Ti et non au ciel qu'on déterminait l'action
des phénomènes célestes; le T'ien n'est qu'une abstraction.
Et un peu plus loin (S. II, § 18) : « Sacrifier à Shang-Ti est
le suprême degré du respect; faire les oblations aux ancêtres
est le suprême degré de l'humanité. » Tze Ti yu kiao, king
tchl tchi.
Le Yueh ling (IV, 3.2.9) prescrit de choisir des victimes
parfaites selon les règles ; puis ajoute uniquement : « Si elles
sont irréprochables en tous ces points, Shang-Ti les acceptera »
et ne fait aucune mention d'autres esprits. Aussi un commen-
tateur lointain, habitué à d'autres idées, croit devoir ajouter :
« Si Shang-Ti les accepte, aucun esprit ne les rejettera. >> Encore
ne mentionne-t-il pas le ciel.
— 28 —
Le § 11, sect. III, 3, ne parle également dans ses règles que
du sacrifice à Shang-Ti et de celui aux ancêtres.
Au $ 4, sect. IV, 3, l'auteur ajoute les esprits du sol et des
céréales. Tout le culte s'y résume encore dans le service de
ces esprits, des ancêtres et de Shang-Ti. Même chose au
livre VIII, 2.20, où sont rapportées les paroles de Confucius :
« On peut être capable de réciter tout le Shuh-King et ne pas
savoir offrir le petit sacrifice aux ancêtres. On peut être capable
de cela et ne pas savoir offrir le grand sacrifice aux mêmes
aïeux. On peut en être capable et ne pas savoir offrir celui des
montagnes. On peut être en état de le faire, mais on n'est pas
pour cela capable d'offrir le grand sacrifice au Shang-Ti. »
Comparons encore le Ta Tchouen, 1. XIV, 2 : « Wuh Wang,
quittant le champ de bataille et de victoire de Mù-Yeh, brûla
un vaste bûcher en l'honneur de Shang-Ti et fit une oblation
au génie de la terre. »
Même chose au livre XVIII (Tzâ-Ki), 2.2.24 : « On peut offrir
au solstice d'hiver le sacrifice à Shang-Ti et au solstice d'été
celui aux ancêtres. »
Et au livre XXI, 1.6 init. (Ki-i) : « Le sage seul peut sacrifier
à Shang-Ti, et le fils pieux à ses parents. » Cela résume tout
le culte.
Au livre Viao-Ki (XXIX, 52) nous trouvons ces paroles de
Kong-tze : « Les anciens rois servaient les esprits du ciel et de
la terre (Shen-ming) et usaient de la divination par la tortue
et les branches, mais ils n'osaient pas servir Shang-Ti à leur
gré et sens privé. »
Son culte était donc tout à part et au-dessus de tout, sans
rien de commun avec Tien.
Cela était si bien resté dans la conscience des Chinois que
le commentaire du livre IX du Li-Ki porte ceci : « Les vases du
sacrifice étaient ronds pour imiter la terre, élevés des pieds
pour s'élever vers le ciel; ils sont faits pour honorer Shang-
Ti. » On voit comment les rôles de chacun sont tracés. Voy.
Wuh King tchi tchu, IX, Ml, r. — Et Tchouhi, le philosophe
très peu spiritualiste du XIe siècle, dit lui-même : « Soyez en
— 29 —
ordre, graves, recueillis comme en présence de Shang-Ti
(Tchou-tze-tsieh-Yao, IV, f> 3). » Des monothéistes, théophifcs
enragés, ne parleraient pas autrement. Il en est de même du
commentateur Ying-Shi, du livre IX, f> 43, v., qui dit : « Le
Fils du ciel épuise ses forces, ses ressources et porte son res-
pect à l'extrême pour servir Shang-Ti. Les princes font tous
les mêmes efforts pour seconder le Fils du ciel. » Le Shang-Ti
occupe au ciel la position du Fils du ciel sur la terre.
On voit que rien ici ne détonne avec ce que nous avons vu
dans les autres livres canoniques de la Chine.
N'y aurait-il pas peut-être quelque conception nouvelle,
quelque surprise en ce qui concerne le T'ien? En aucune
façon. Le Tien, puissance surhumaine, est mentionné une
quarantaine de fois dans le Li-Ki, mais ce n'est jamais que
pour reproduire les notions vagues de décrets, de châtiments,
de faveur, de voies du T'ien, d'origine céleste, d'impartialité,
de murmure contre le ciel, que nous avons trouvées successi-
vement dans tous les livres classiques se répétant avec la plus
parfaite monotonie *. (Voir Li-Ki, 1. II, 1.2.12; II, 1.3.44;
II, 2.3.29; III, 2.23; III, 4.12; III, 5.13 ; IV, 1.2.22; IV, 2.3.11;
V, 2.13; VII, 1.4 et 10; VII, 4.6; IX, 2.2 et 8; XVII, 1.11;
XXI, 1.18 et 2.24; XXIV, 16; XXVI, 6; XXVII, 12; XXVIII, 1
(Tchoug-Youg) ; XXVIII, 2.1 et 19.49.86; XXIX, 25 et 29.46;
XXX, 16 *.)
1 Le ciel couvre tout sans partialité.
* Au liv. III du Li-Li, il est vrai, on trouve ces mots : « Le fils du ciel
sacrifie au ciel et à la terre » , mais ce livre a été rédigé sur Tordre de
l'empereur Wen-Ti qui régna de 179 à 157 A. G. A cette époque tardive,
il en était bien ainsi.
— 30 —
§ 6. — Le Tcheou-li t.
Ajoutons pour finir et pour être plus complet le passage du
Tcheou-li énumérant lés objets du culte à son époque, bien
que celle-ci soit déjà relativement récente. 11 nous fera con-
naître la marche des idées religieuses en Chine.
« Par les rites fortunés on rend hommage aux esprits des
trois espèces 2 qui président aux royaumes et aux états feu-
dataires.
» Par le sacrifice suprême on rend hommage au Seigneur
suprême du ciel 3.
» Par le bûcher entier * on sacrifie au soleil, à la lune et
aux astres... s.
» Par l'offrande du sang on sacrifie aux génies de la terre
et des céréales, aux cinq génies des sacrifices, aux cinq monts
sacrés.
» En plaçant l'offrande sur la terre on sacrifie aux mon-
tagnes et aux forêts, en la déposant en l'eau on sacrifie aux
rivières et lacs.
1 Règlement des fonctionnaires sous la dynastie Tcheou. Il appartient
certainement, vu le compliqué de ses instructions et règlements, à une
époque peu ancienne.
2 Comm. 1° Shang-Ti et les astres; 2° les anciens souverains et grands
ministres; 3° les esprits des montagnes, fleuves et localités particulières.
C'est l'ancien culte, plus celui des astres introduit ici.
3 Le sens de ces termes : hoang Tien Stiang-Ti est indubitable même
aux veux des Chinois modernes. Nous avons vu les commentateurs du
Li-Ki les expliquer par Tien tchi Ti ou tchou et les lettrés qui ont traduit
les livres canoniques en mandchou les rendent, non par Abka-i enduri,
l'esprit du ciel, mais par Abka-i dergi Ti, Cœli summus imperator,
dominus. S'ils eussent suivi leurs idées propres, ils eussent fait tout le
contraire.
4 Où l'on brûle un bœuf entier.
8 Le texte énumère le soleil, la lune, les étoiles, les signes du zodiaque
et quatre astérismes particuliers qu'il serait trop long de désigner spé-
cialement. Le sabéisme s'était introduit par l'occident.
- 31 —
» On rend hommage aux anciens souverains par la liba-
tion..., par l'offrande des grains, par les sacrifices des saisons. »
(Voir livre XVIII, initio; Biot, I, pp. 419 à 422.)
Au livre V, 18.2 et 3, nous trouvons une indication des
grands sacrifices présentés par l'Empereur lui-même et pour
lesquels on doit élever la tente impériale. Elle est ainsi conçue :
« Lorsque le Souverain offre le grand sacrifice au Seigneur
suprême, ils étendent le banc couvert d'un feutre; ils apprêtent
sa boiserie jaune en paravent.
» Lorsque l'Empereur salue le soleil levant, à l'équinoxe du
printemps, quand il sacrifie aux cinq Tien-Hoang i, ils dres-
sent la tente et le dais. »
On a vu par le premier extrait (livre XVIII), comment le
culte s'était développé, combien les objets en avaient été mul-
tipliés depuis les temps antiques.
Cette progression a suivi depuis son cours naturel et a donné
cette multitude indéfinie de personnages imaginaires ou divi-
nisés qui forment aujourd'hui le panthéon chinois.
§ 7. — Résumé et conclusions.
Voilà donc, réunis en ces quelques pages, tous les textes
des livres canoniques de la Chine qui ont rapport à la croyance
à un être suprême; s'il m'en est échappé, ce que je ne crois
pas, il n'est certainement d'aucune importance dans la ques-
tion.
Toutes les pièces du procès sont ainsi sous les yeux de nos
lecteurs et il leur est très aisé de s'en faire une idée par eux-
mêmes, comme aussi de contrôler les conclusions que nous
croyons devoir en tirer. Car c'est là uniquement ce qui nous
reste à faire et ce que nous ferons le plus brièvement possible.
Si nous jetons un coup d'œil sur l'ensemble de cet amas de
textes, en suivant, autant que possible, l'ordre chronologique,
1 Empereurs légendaires.
— 32 —
nous serons amenés forcément à constater certains faits dont
l'évidence s'impose à tous les esprits.
Les voici classés et résumés :
1° Les livres canoniques de la Chine de la seconde époque
ont, pour désigner l'Etre suprême, les deux termes Sitang-Ti
et Tien. Ces deux termes sont très souvent employés comme
équivalents, et certaines qualités, certaines actions, sont attri-
buées à tous deux. Providence générale, institution des gou-
vernements et des dynasties ainsi que leur chute, récompense
des bons et châtiment des méchants, enseignement donné
aux hommes, et autres choses analogues, leur appartiennent à
tous deux. Souvent dans une même phrase les deux termes
sont employés relativement au même fait. Hais ce n'est point
là l'usage primitif, et celui-ci se développe peu à peu, comme
sous les yeux du lecteur, ainsi que nous le dirons tantôt.
2° Malgré cela, ces deux termes diffèrent notablement entre
eux et quant à leur valeur et quant à leur emploi. Le mot
Tien (ou ciel) est plus généralement employé quand il s'agit
du mouvement régulier de la nature et des lois immuables,
même de l'ordre moral.
Par contre, dans les anciens textes, le T'ien n'a aucun
rapport avec le culte, on ne lui offre ni sacrifice ni oblation.
Tout est réservé au Shang-Ti d'abord et aux mânes des ancêtres,
puis à quelques génies terrestres. Certains commentateurs et
traducteurs modernes ont voulu voir dans le grand feu allumé
sur la montagne sacrée un holocauste offert au ciel ; mais non
seulement les textes n'en disent absolument rien, bien plus,
ils affirment positivement le contraire : « Ce sacrifice était offert
à Shang-Ti » dit le Li-Ki, tchâi yu Shang-Ti au passage que
nous avons vu plus haut.
En outre, en plusieurs endroits le même livre porte expres-
sément : « Les anciens rois offraient le sacrifice au Shang-Ti
et les oblations aux âmes des ancêtres ». En cela se résumait
tout le culte. Du ciel, du T'ien, rien; pas le moindre mot.
(Voir VIII, 2.18, etc.). Quand on avait offert le sacrifice à
— 33 —
Shang-Ti, les plaies, les vents, le froid et le chaud étaient
réguliers (VIII, 2.12) *.
Bien plus, comme nous Pavons encore vu précédemment,
au temps de Kong-fou-tzè on savait encore que les grands
sacrifices du printemps et de l'automne, qui passaient pour
offerts au ciel et à la terre, Tétaient en réalité au seul Shang-Ti ;
lui seul en était le terme final. C'était lui qu'on honorait en
honorant les deux grandes puissances du monde, c'était à lui,
en définitive, que l'on demandait les dons et faveurs qui
devaient arriver aux hommes par l'intermédiaire du ciel et de
la terre. Le ciel, au contraire, aidait le sacrificateur et recevait
sa paix des hommes.
3° Dans les livres provenant de l'époque la plus reculée,
c'est-à-dire aux plus anciens chants du Shih-King, le Tieix
ne joue encore qu'un rôle secondaire, assez vague même, et
ne paraît qu'accessoirement quand il s'agit du décret provi-
dentiel et des lois générales, immuables, de la nature.
Il en est de même quant au Yih-King et aux parties du Shih-
King qui date certainement de l'époque à laquelle ils se rap-
portent; grandes odes des premiers tcheous.
Dans les autres, le rôle du T'ien grandit, sans toutefois
jamais changer de nature; ses propriétés restent celles que
nous avons indiquées ci-dessus. Pour les premières, le seul
rôle actif est réservé au Shang-Ti,. lui seul est mis en scène,
lui seul parle aux hommes ; le T'ien n'est cité qu'accessoire-
ment, vaguement et d'une manière qui ne dépasse pas la
métaphore poétique.
Du reste ce caractère ne se perd jamais, et partout dans les
livres canoniques le mot T'ien est employé de telle façon que
les théistes les plus déterminés, les catholiques mêmes pour-
raient s'en servir dès qu'ils ont recours au style poétique ou
imagé. Nous dirions encore comme les anciens Chinois : « Fasse
1 II en est de même du sacritice kiao que Ton rapporte au ciel. Le Li-Ki,
en trois endroits, dit expressément qu'il était offert au Shang-Ti. (VIII,
2.12 et 18 init. 111,4.1)
TomeXU. 3
— Si-
te ciel ! plût au ciel ! le ciel est témoin de mon innocence; cela
crie vengeance au ciel ; ses décrets sont impénétrables, etc. »
C'est Shang-Ti et non le Tien que le juste doit toujours
regarder comme présent.
4° Il n'est pas soutenable que les auteurs des Kings, en
employant le mot Tien, entendissent attribuer les œuvres pro-
videntielles et divines au ciel matériel même. L'échange des
termes Shang-Ti et Tien le prouve déjà suffisamment.
En outre, des expressions telles que le ciel intelligent, le ciel
invisible (Fin), montrent d'une manière évidente que le langage
des Kings est figuré. On ne dit pas, sans doute, le ciel invisible
en parlant du ciel matériel, apparent.
5° Le mot Shang-Ti par lui-même indique clairement un
être personnel. Les actes qui lui sont attribués dans les Kings,
la trace de ses pas sur laquelle Kiang-Yuen marcha avant
d'enfanter si heureusement le héros, fondateur de l'illustre
race des Tcheous, indiquent suffisamment cette nature.
Le nom, en lui-même, en est une autre preuve. Ti a toujours
été la désignation du monarque, souverain absolu, supérieur à
toute autorité sur la terre. Shang-Ti est le souverain monarque,
le Monarque des Monarques, le Souverain au-dessas de tout
Souverain terrestre; ce n'est pas là, sans doute, le titre d'un être
d'imagination, simple personnification de la matière céleste.
La forme du caractère que représente le mot Ti peut être
interprétée de différentes façons, et nous ne voulons pas argu-
menter d'une donnée incertaine; mais ce qui est assuré, c'est
que toutes ers formes présentent l'idée d'une position élevée
au-dessus de tout ; le sommet au-dessus de tout. D'ailleurs, les
commentateurs chinois qui ont conservé les traditions anti-
ques expliquent, comme nous l'avons vu, les termes Shang-Ti
par d'autres, qui indiquent nécessairement un être personnel :
Tien tchi ti ou tchou « l'empereur, le maître absolu du ciel ».
Les lettrés chinois-tartares chargés par les premiers souverains
de la dynastie actuelle de traduire les Kings en mandchou,
savaient encore bien ce qui en était en réalité, puisqu'ils ont
traduit le Tien Shang-Ti non point par a le Tien ou Shang-Ti »
— 35 —
ou bien « l'esprit du ciel » Abka-i enduri, mais par les termes
qui expriment le mieux la notion d'un être personnel : Abka-i
dergi-Ti a Cœli summus Dominus » ou « Imperator ».
On ne pourrait pas soutenir que ces commentateurs et tra-
ducteurs ont introduit leurs œuvres dans leurs versions ou
dans leurs commentaires, car s'ils l'eussent fait, le résultat eût
été précisément tout le contraire. D'après leurs idées propres,
le Summum numen n'est point l'être suprême, vivant et per-
sonnel, mais ce Tien mal défini, flottant entre l'abstraction,
la matérialité et la semi-personnalité. S'ils s'en fussent référés
à leurs propres systèmes, ils eussent rendu Shang Ti par Tien
seul ou Tien-Shen, esprit du ciel, comme quelques-uns l'ont
fait, cherchant l'explication plutôt dans les idées régnantes à
leur époque que dans l'histoire et la tradition.
6° Ce que nous venons de dire nous servira à résoudre une
autre question, connexe à la précédente, et d'une importance
extrême pour l'hagiographie : Quels rapports existent entre le
Shang-Ti et le Tien? Est-il vrai , comme on l'a prétendu, que
les Chinois ont d'abord adoré le ciel matériel, puis l'ont animé,
puis personnifié, et que de cette personnification est venue
celle du génie du ciel ou du Shang-Ti?
Nos lecteurs auront déjà répondu pour nous. Ils ont vu,
en effet, dans notre exposé, qu'il n'y a pas un mot des textes,
pas une allusion lointaine qui permette, non pas une affirma-
tion, mais une hypothèse de ce genre. Ils ont vu, en outre :
a) Que Shang-Ti n'est pas l'esprit du ciel, mais son maître
souverain; il est au ciel, mais il n'est pas le ciel. Le Tien joue,
relativement à S'hang-Ti, le même rôle que la Cour par rap-
port au souverain.
b) Que les anciens Chinois ne rendaient aucun culte au ciel,
qu'il n'y avait pas pour lui de sacrifice ou d'offrande; que
tout se bornait d'abord chez eux aux sacrifices en l'honneur
du Shang-Ti et aux oblations faites aux morts ; tout au plus y
joignaient-Us quelque acte d'hommage à certains esprits de
la terre.
c) Que le TU*, ou ciel n'a d'abord qu'un rôle effacé et
— 36 —
presque entièrement littéraire métaphorique, que ce rôle gran-
dit peu à peu au point d'absorber celui du Shang-Ti.
C'est bien là, je pense, le contraire de ce que Ton prétend;
car si le Tien eût d'abord occupé la scène exclusivement et
eût peu à peu cédé devant le nouvel acteur qui lui disputait
l'importance de son rôle, c'eût été le phénomène inverse qui se
fût produit, et Shang-Ti, au lieu de disparaître, eût, tout au
contraire, absorbé complètement ou presque complètement le
Tien; c'est là la marche naturelle et nécessaire des choses.
Chez les Chinois, depuis les premières origines et leurs
premiers monuments, les conceptions religieuses, bien loin de
se spiritualiser, ont toujours été se matérialisant de plus en
plus, jusqu'à confondre comme en une seule, les notions du
T'ien et du Shang-Ti.
Aujourd'hui, et il en est ainsi depuis des siècles, quand on
demande à un Chinois quelle différence il fait entre le Shang-Ti
et le Tien, il se montre hésitant et embarrassé; les plus lettrés
nous disent, avec leurs commentateurs, que le T'ien est la
forme extérieure, HingSiang, et le Shang-Ti, l'esprit qui l'ha-
bite, Shen. Ce ciel, forme apparente, n'est ni Téther, ni les
astres, ni la lumière; c'est... c'est... ils ne savent pas bien
quoi. Et comme ils ne font point une distinction nette entre
l'esprit et la matière, et n'y voient pas deux natures absolument
opposées, ils ne conçoivent pas la nécessité de séparer entiè-
rement Tune de l'autre. C'est pourquoi ils emploient indiffé-
remment les deux termes.
7° S'il est vrai, — et nous ne voyons pas comment, en pré-
sence de textes aussi formels et sûrs, il serait possible de le con-
tester, — s'il est vrai que pour les premiers Chinois, Shang-Ti
était le seul objet du culte suprême, que le T'ien n'y avait
aucune part; que la notion de ce dernier, d'abord accessoire
et vague, s'est développée lentement, occupant de plus en plus
la place du Shang-Ti jusqu'à le détrôner pour ainsi dire com-
plètement, mais sans toutefois, pendant de longs siècles, rece-
voir aucun hommage propre, il est évident que la divinité
nationale des Chinois, celle qu'ils ont apportée avec eux sur
— 37 —
les rives du fleuve Jaune, est Shang-Ti et non le Tien, et que
le Summus Dominas des Chinois n'est point une personni-
fication du ciel matériel adoré primitivement par eux.
§ 8. — Origine de la conception du Tien.
On se demandera sans doute d'où leur est venue cette
conception du Tien, qui a joué chez eux, à la longue, un rôle
si considérable et si absorbant. A cette question, une première
réponse se présente.
Le Tieti était la divinité principale des nations tartares qui
avoisinaient la Chine, peut-être aussi de populations qui occu-
paient le sol de l'Empire des Fleurs avant l'invasion chinoise,
et que celle-ci a dépossédées ou subjuguées. Rien de plus
naturel et de plus fréquent qu'une influence de ce genre.
Mais il est une autre solution qu'un des traits particuliers
du caractère du Tien suggère à l'observateur, et qui n'est peut-
être pas moins satisfaisante.
Nous avons vu que le mot T'ien est surtout employé quand
il s'agit des lois, de l'ordre immuable de la nature, physique
d'abord, puis moral. Cet ordre se manifeste surtout dans le
ciel par l'apparition, la succession des astres. Les Chinois y
ont vu un principe de régularisation, de perpétuité, auquel ils
ont attribué comme une existence spéciale et personnelle, et
qui est pour eux le vrai Tien. C'est à peu près le tao de Lao-tze,
le Xoyoç des êtres.
Voilà ce que je m'étais dit depuis longtemps, quand la lec-
ture d'un passage du Li-Ki vint me prouver que ce n'était
point là une opinion individuelle, mais la croyance et la tra-
dition des Chinois eux-mêmes. Ce passage n'est pas d'un com-
mentateur, mais fait partie du texte même.
Le voici textuellement, en entier :
« Le sacrifice (au génie de la terre) Shi procédait comme
s'il faisait du principe d'action de la terre un esprit. La
terre supporte, contient toutes choses, le ciel envoie tous les
signes lumineux. Ils reçoivent leurs richesses de la terre ; ils
— 38 —
reçoivent les règles de leurs actes du ciel; c'est pourquoi ils
ont vénéré le ciel et affectionné la terre et ils ont appris aux
peuples à témoigner convenablement leur reconnaissance.
» Les saints, ajoute le commentaire, connaissaient la gran-
deur du principe d'action (tao) de la terre; aussi, quand ils
élevaient l'autel S ht, ils y sacrifiaient comme s'ils tenaient la
terre pour un esprit et l'illustraient de la sorte. C'était le moyen
de témoigner convenablement sa reconnaissance. » Li-Ki, Y,
1 .31 . C'est dans le même ordre d'idées qu'il est dit un peu plus
loin : « Au grand sacrifice, dans le quartier extérieur, l'empereur
allait comme en avant pour saluer l'arrivée du plus long jour;
dans cet acte de reconnaissance envers le ciel, le soleil occupait
la première place, » puisque c'est à lui que l'on doit ces longs
jours. Ces deux causes, du reste, peuvent avoir exercé, toutes
deux, leur influence.
La croyance au Shang-Ti et les honneurs rendus au Tien
ont donc eu des origines et des sources toutes différentes, et
rien ne permet de croire que la première soit née des seconds;
tout prouve même le contraire.
Voyant au ciel le cours régulier des saisons et des astres, les
Chinois y trouvaient une image des lois morales, et dans les
uns et les autres ils aperçurent un principe immuable qui fut
pour eux le T'ien, principe qui s'impose au Shang-Ti lui-même,
qui le garde et le maintient, mais ne l'a point créé, comme
volontairement, parce qu'il est nécessaire.
Le Shang-Ti est, d'après les textes exposés ci-dessus, le
maître souverain des hommes, il dispose des empires. 11 est
le gardien et le vengeur des lois et de la justice; il régit les
phénomènes célestes et en envoie des calamités à la terre; mais
il ne parait nulle part comme le créateur du ciel et de la terre.
Les anciens Chinois n'ont point cherché à scruter le mystère
de l'origine des êtres. Lao-tze le premier s'en occupa et résolut
le problème tant bien que mal, comme il a été dit ailleurs.
Quand les lettrés chinois y pensèrent, le ciel avait pris chez
eux la première place ; ce fut à lui que fut attribuée la produc-
tion des choses d'ici-bas, ou plutôt, leur science cosmogonique
— 39 —
ne dépassa point cette considération. « Le ciel est supérieur à
la terre, c'est lui qui, par les astres, les saisons, les pluies, etc.,
féconde et règle les productions terrestres; donc c'est lui qui
est le procréateur immédiat des êtres subcélestes ; il en est le
père et la terre en est la mère. » Ils n'allèrent pas au delà.
§ 9. — Xature du Shang-Ti.
Il nous reste encore à nous demander quelle conception les
premiers Chinois avaient de la Divinité, Shang-Ti ou T'ien, et
conséquemment quelle en avait été chez eux la cause généra-
trice.
La réponse à cette question est des plus faciles. Que nos
lecteurs veuillent bien jeter un coup d'œil sur les textes et les
attributifs accumulés aux pages précédentes; ils n'y trouveront
que ceci :
La Divinité est père et mère (fuh-muh) des hommes, elle
veille, compatissante, à leurs intérêts, mais surtout au maintien
de l'ordre universel, et à l'observation des lois morales. Elle
institue les rois pour qu'ils gouvernent avec justice et bonté et
leur retire leur mandat dès qu'ils en abusent pour opprimer
le peuple. Elle inspecte la terre pour examiner les actes des
hommes et scruter les cœurs, elle comble les bons de faveurs
et de prospérité et punit les méchants. Elle enseigne les
hommes et leur révèle toute science.
Après leur mort, les bons princes, les hommes vertueux et
utiles à l'humanité sont placés par elle au ciel à sa droite et à sa
gauche, d'où eux-mêmes participent à l'action providentielle.
Il n'y a donc pas, dans les premiers textes chinois, la moindre
trace de cette crainte qui doit avoir fait les dieux, aucune de
ces notions puériles et superstitieuses, de ces appréhensions
illogiques, que l'on prétend avoir engendré le sentiment reli-
gieux. Soutenir le contraire c'est se mettre en dehors de l'his-
toire et de la science.
— 40 —
CHAPITRE III.
Les esprits.
La question qui se présente ici devant nous est celle-ci :
Les esprits chez les anciens Chinois appartenaient-ils aux
conceptions animistes?N'étaient-ce que les éléments eux-mêmes
pourvus d'une sorte d'âme ou conçus comme ayant une vie et
une intelligence à eux, ou bien étaient-ce de véritables esprits,
des êtres personnels, entièrement distincts des parties maté-
rielles auxquelles ils étaient censés présider, des esprits en un
mot se rapprochant de la conception chrétienne?
Pour répondre à cette question, nous allons, comme précé-
demment, recueillir les textes et en tirer les conséquences
qu'ils comportent nécessairement. Il serait toutefois superflu
de les énumérer tous sans exception ; ce serait long, fastidieux
et inutile. Il suffira amplement d'en présenter un certain
nombre qui caractérisent le mieux les idées chinoises. Nous les
donnerons selon Tordre des livres les plus anciens.
Mais avant cela, examinons le mot qui désigne le plus ordi-
nairement les esprits en général. C'est le mot Shen, dont le
caractère correspondant a) est formé de deux autres, l'un ser-
vant, semble-t-il, à indiquer la prononciation b)\ l'autre dési-
gnant une apparition, une annonce, un signe céleste c). Le
premier pourrait aussi se référer à la pénétration du ciel,
attribuée aux esprits ou à leur action étendue sans obstacle ;
mais la plus ancienne forme de ce mot ne s'explique pas
exactement; elle semble bien cependant représenter deux
soleils superposés, traversés par une ligne d), ce qui revien-
drait à la signification du caractère actuel.
- 41 —
Il faut bien convenir que ceci n'annonce guère des croyances
animistes, et il serait presque impossible de ne pas y voir tout
le contraire. Le caractère n'a aucun rapport avec quelque
élément que ce soit, mais désigne au contraire des esprits
indépendants se manifestant par eux-mêmes et traversant les
cieux.
En outre, les Chinois joignent ensemble les deux mots Kwei-
Shen pour désigner les esprits en général. Or, Kwei désigne
les âmes des morts, les dieux mânes, qui n'ont rien de
commun avec l'animisme. Pour former une notion générale
avec ceux-ci, les Shen doivent être nécessairement d'une nature
analogue. Ce sont donc des esprits indépendants et personnels.
Voilà ce que nous disent les caractères figuratifs chinois;
voyons si les textes y seront conformes ou le contrediront.
Commençons par le Shih-King.
Shih-K., IV, 1.7 : « Il n'est aucun ennemi qui ne soit brisé;
j'ai gagné la faveur de tous les esprits. »
II, 1.5.1 : « L'homme ne cherchera-t-il pas à avoir des
amis? Les esprits, s'il est ami fidèle, écouteront sa voix; il
vivra en paix et harmonie. »
III, 2.8.3 : « Accomplissez votre âge et que tous les esprits
vous traitent comme leur chef. »
III, 3.2.7 : « L'arrivée des esprits (auprès des hommes) ne
peut être sue avec certitude; d'autant plus ne doit-on pas les
traiter avec peu de respect. »
III, 3.4.2 (La sécheresse ruine la terre) : « Et cependant il
n'est point d'esprit auquel je n'aie point sacrifié. Heou-tsi n'a
rien pu obtenir. Shang-Ti ne nous a point secouru, ne s'est
point incliné vers nous. »
Ibid., 6 : « Je n'ai point apporté un retard coupable à faire
les offrandes aux quatre régions et à l'esprit de la terre. »
Remarquons ici que le texte ne porte pas « à la terre », mais
au Shai, lequel, comme l'indique le caractère, est l'esprit qui
gouverne la terre et préside aux opérations de la nature ter-
restre. Les régions étant l'espace s'étendant dans les quatre
directions, il ne peut être question d'un espace animé, mais
— 42 —
des esprits qui régissent les quatre parties de la voûte céleste.
C'est du reste ce que les commentateurs expliquent tous sans
la moindre dissidence ni hésitation.
II, 1.6.5 (Louanges du roi) : « Les esprits viendront et te
combleront de félicités. »
II, 6.3.4 et 5 : « Remplissez vos devoirs et les esprits vous
seconderont d'une vaste prospérité. »
' III, 1.5.5 : « Notre prince est plein de piété fraternelle; les
esprits l'excitent et l'encouragent dans ses effQrts. »
Shuh-King, II, 2.4. Yih dit à l'empereur Shun : « Votre vertu
est grande et vaste, elle est sainte, elle est spirituelle (digne
des esprits), Shen. » — Un peu plus loin Shun répond à Yu :
« J'ai consulté par la divination, les esprits ont donné leur
assentiment à mes projets.... Une entière sincérité touche,
émeut les esprits [Sheti), les porte à secourir. »
IV, 3.3 : « Le peuple souffrant de cruelles injures proteste
de son innocence aux esprits d'en haut et d'en bas. »
IV, 4.2 porte expressément : « Les anciens rois de Hia pra-
tiquaient ces vertus, il n'y avait point de calamités célestes.
Les esprits des monts et des fleuves étaient complètement
tranquilles. »
V, 8.3 : « Vante le roi parce qu'il traita toujours avec respect
les esprits et les hommes, Shen-jin. »
Tchong-Yong, XXIV : « L'homme doué d'une sincérité,
d'une droiture parfaite, est semblable aux esprits. »
Ibid., XVI : « Qu'elle est vaste et parfaite la puissance des
esprits ! Nous regardons et nous ne les apercevons pas ; nous
écoutons, cherchant à entendre, et nous n'entendons rien ; ils
pénètrent les choses et Ton ne peut les tenir à l'écart. Us font
que tous les hommes jeûnent et se purifient pour accomplir
les sacrifices et libations; ils sont alors comme se répandant
en flots et viennent se placer au-dessus d'eux, à leurs côtés. »
XXIX : « Le sage souverain se présente devant les esprits
sans douter le moins du monde de leur présence. »
Li-KU livre H, § II, 2.22 : « Lorsque, après la mort, on rap-
pelle l'âme du défunt et qu'on regarde au loin, c'est pour le
— 43 —
faire revenir, le chercher au milieu des esprits (où il se trouve
depuis sa mort), Kvei-Shen. »
III, 14.16 (Des règlements royaux) : « Ceux qui répandaient
de faux bruits par rapport aux apparitions d'esprits étaient
mis à mort. »
III, 2.15 : « Si quelque prince négligeait le culte des esprits
des montagnes et des fleuves, il était considéré comme man-
quant du respect religieux, et le prince manquant de respect
était dépouillé de ses états. » Ici le texte porte expressément
ce les esprits des monts et fleuves » Shan tchouen Shen Khi,
ce qui prouve que là où les mots « monts et fleuves » sont
employés seuls, il faut les entendre dans ce sens, qui est, du
reste, celui que donnent tous les commentaires sans exception.
VIII, 2.15 : « Les offrandes étant prêtes, on les annonçait
aux esprits et Ton attendait leur arrivée. C'est pourquoi on les
annonçait trois fois. C'est pourquoi Ton répétait ces mots :
Sont-ils là? Sont-ils là? »
IX, 3.17 : « Les offrandes doivent être belles et variées...
Pour maintenir les rapports de l'homme avec les esprits intel-
ligents, on ne doit en rien chercher ses aises et sa propre
satisfaction. »
XVII, 1.19 : « Dans la sphère visible, il y a la musique et
les rites; dans la sphère invisible, il y a les esprits. » —
3.23 : « L'homme toujours calme et en repos est, comme un
esprit, considéré avec respect et sans malveillance. »
XXI, 1.20 : « Les rites étaient destinés à promouvoir l'hon-
neur des esprits, assurant ainsi l'honneur rendu aux supé-
rieurs. »
XXI, 2.1 : « Le souffle vital de l'homme est de nature spiri-
tuelle. Quand l'homme meurt le Kvei va dans la terre, mais son
esprit en sort et s'élève dans un état de glorieuse splendeur. »
XXVI, 8 : « Quand la pureté et l'intelligence sont en
l'homme, son âme et sa volonté sont comme un esprit. »
Mais en voilà, sans doute, plus qu'il n'en faut.
Des esprits auxquels l'homme et son âme, spécialement,
peuvent être comparés, quand ils sont purs et éclairés, parmi
■*-+
■i * J J
— 4 i —
lesquels les âmes des défunts vont se placer, avec lesquels les
hommes peuvent entrer en rapport; des esprits invisibles qui
se rendent au sacrifice, qui y sont présents sans qu'on les
aperçoive et dont la présence invisible impose le respect,
comme elle est offensée par les fautes ; qui pénètrent les objets
et ne peuvent être écartés ; des esprits enfin que la vertu touche
et fait agir, auxquels l'homme se rend semblable en devenant
vertueux, droit, intelligent, ces esprits ne sont assurément pas
des éléments matériels dotés d'une anima, des montagnes, des
fleuves, des astres simplement animés, mais des êtres indépen-
dants de la matière, spirituels, intelligents et personnels, qui
n'ont rien de commun avec les théories animistes.
Si l'on trouve dans les auteurs chinois quelque chose qui
s'en rapproche, c'est l'effet d'une altération tardive des doc-
trines antiques. L'animisme en Chine est postérieur au spiri-
tualisme, bien loin d'en avoir été la plus ancienne croyance.
Il en est de ceci comme de la doctrine de l'être suprême dans
laquelle le T'ien semi-matériel s'est substitué au Shang-Ti per-
sonnel et spirituel.
Si l'on trouve dans certains livres traitant de cette matière
des textes cités qui disent ou semblent dire le contraire, c'est
encore une fois parce qu'on a procédé sans critique et confondu
l'ancien et le nouveau.
Parfois, il est vrai, on rencontre dans les anciens textes des
phrases où il est dit que les hommages sont rendus, par
exemple, aux montagnes et aux rivières; mais prendre ces
mots à la lettre, c'est faire preuve que l'on ne connaît aucune-
ment le caractère de l'ancien chinois écrit. Dans leur langage
écrit, les anciens Chinois semblaient s'étudier à n'employer
que le nombre de caractères nécessaires pour permettre de
deviner leur idée. Ce qu'ils traçaient avec leur pinceau c'était
comme une suite de jalons au moyen desquels on pouvait
reconnaître leurs pensées. Us écriront, par exemple : « Telle
fête tambour harpe » pour dire à telle cérémonie on employait
les tambours et les harpes pour accompagner les actes du
culte. Ou bien : « non non docens » pour : En tout cela il n'y
a rien qui ne soit un enseignement.
- 45 —
D'ailleurs, quand on se trouve en présence de deux textes
dont l'un est obscur, douteux, et l'autre clair, précis, explicite,
c'est évidemment le second qui doit servir à expliquer le pre-
mier, et non le contraire. Ce que l'un dit ne peut être annulé
par ce que l'autre ne dit pas sans même le nier. C'est une règle
élémentaire de l'exégèse que tous les commentateurs chinois
ont reconnue et pratiquée. Si l'on substitue arbitrairement ses
propres idées aux textes, que deviennent la vérité et la science?
Lorsque, par exemple,' le Li-Ki dit expressément : Ils sacri-
fiaient sur les montagnes et rivières pour honorer les esprits,
80 i pin Kvei shen, prétendrons-nous savoir mieux cela que les
anciens Chinois eux-mêmes, et substituer nos idées aux
leurs? (Voir Wuh King-tchi-tchu, IV, 65, r.).
CHAPITRE IV.
Nature et immortalité de l'ame.
La croyance à l'immortalité de l'âme est si clairement, si
nettement énoncée dans tous les livres canoniques chinois, qu'il
semblerait superflu de s'en occuper. Mais comme tout le
monde ne peut consulter ces livres et que des idées erronées
ont été répandues sur cet objet, nous croyons faire chose utile
en présentant ici quelques textes qui l'exposent de la manière
la plus claire et la plus convaincante :
1° Ce sont d'abord les termes employés pour désigner la
mort : ce monter » C/wA, « monter et descendre » ce que tous
les commentaires expliquent en ces termes « le corps descend
en terre et l'âme monte au ciel » Shuh-King, II, fin, V, 16.8,
Shih-K.
3° Ce sont, en outre, les passages où il est dit que tel per-
sonnage mort est au ciel ; par exemple. Shih-King III. « Wen
— M —
Wang est au ciel, à la droite et à la gauche de Dieu ». « Les
anciens Souverains qui sont au ciel. »
3° Les événements importants pour l'empire ou la famille
sont annoncés dans le temple des ancêtres et Ton attend de
ceux-ci protection et secours. Shuh-K. V, 6.0 à 7. « Tcheou-
Kong, voyant le roi, son père, dangereusement malade, va au.
temple de leurs ancêtres communs demander de mourir
pour lui. »
4° Les ancêtres, vivant au ciel, maudissent leurs descendants
coupables et bénissent les bons ; ils écoutent la prière. (Odes
des Tcheous, II, 5.)
5° Aussitôt après la mort d'une personne quelconque,
homme ou femme, on cherche à rappeler son âme.
Jadis, lorsque quelqu'un venait à mourir, dit le Li-Ki, VII,
1.7, on devait chercher à faire revenir son âme et lui demander
de revenir animer le corps. « Pour cela on montait sur le
toit de la maison et Ton criait son nom en prolongeant le son
et disant : Revenez, revenez un tel X..., après quoi on rem-
plissait de riz la bouche du mort et Ton mettait près de lui des
morceaux de viande crue. On regardait vers le ciel (où son
âme était allée) et enterrait son corps en terre. Le corps et
Tâme animale vont en bas ; l'esprit intelligent va en haut. »
Li-Ki, II, 2.3.13. « Les os et la chair retournent à la terre
comme il est décrété, mais Tâme par sa puissance particulière
peut aller partout. » Wû puh tchï yeh, wû puh Ichïyeh erh sût
hing, il n'est rien, non il n'est rien où elle ne puisse péné-
trer, aller.
6° Cela résulte enfin de l'obligation imposée aux enfants
d'honorer et servir leurs parents défunts autant et plus que les
vivants, de leur procurer de l'honneur en se rendant eux-
mêmes estimables, de renouveler chaque année leurs sacrifices
et offrandes auxquels on doit les inviter et que l'on croit
honorés de leur présence invisible. Cp. Shih-King, II, 6.8, etc.
Il est vrai que les anciens Chinois n'ont point sur toutes ces
choses une théorie complètement développée; du moins ils ne
l'ont point consignée dans leurs livres, lesquels, tout naturel-
- 47 —
lement, n'en parlent qu'accidentellement. Ils ne s'expliquent
point sur le sort réservé aux méchants après la mort, ni sur
celui même qui attend l'homme juste, appartenant aux classes
inférieures. Mais ce silence n'étant nullement intentionnel, il
est permis de conjecturer de ce qui est dit à ce qui ne l'est pas,
et nullement de donner comme certaines ou mêmes probables
des hypothèses qui ne reposent sur quoi que ce soit.
Quant à la nature de l'âme, elle ressort clairement des textes
déjà cités. Si elle ne meurt pas avec le corps, mais, après la
mort, s'en va au ciel au milieu des esprits; si, tandis que le
corps tombe dans la terre et y est renfermé, l'âme va où elle
veut et s'élève dans une splendeur lumineuse, est-il besoin de
démontrer qu'elle n'est pas de la même nature que le corps,
qu'elle n'est pas matière? Ce serait évidemment perdre son
temps et ses peines. L'évidence de la chose s'impose invinci-
blement, d'autant plus que les âmes des morts que l'on
appelle et qui viennent assister au sacrifice ancestral sont
désignées par le mot Shen 7jt $ qui indique clairement un
esprit. (Cp. Shih-King, II, 1.6.5; II, 6.5.2 à 6; III, 1.5.5, etc.)
CHAPITRE V.
Culte des ancêtres.
Nous ne dirons que quelques mots de ce sujet, qui ne fournit
point matière à des divergences de vue très importantes. Il
nous suffira d'en caractériser exactement la nature.
Encore une fois nous ne parlons que des temps historiques
les plus anciens de la race chinoise, évitant ainsi de mêler les
époques et les idées que Ton a trop souvent confondues d'une
manière à dénaturer complètement l'histoire de la religion
chinoise.
— 48 —
Les honneurs rendus aux ancêtres ou à certains ancêtres
apparaissent dès les premières pages du Shuh-King comme
dans les plus anciennes parties du Shih-King.
C'est dans la salle consacrée à l'ancêtre appelé Wen-lsou que
Shun reçoit le pouvoir souverain des mains de Yao, et Yu des
mains de Shun. (Voir II, 1.3 et II, 8.3.)
Yao, revenu d'une tournée d'inspection, alla devant le Y-t&ou
et y offrit un bœuf (II, 1.3); mais le texte ne dit pas que ce
sacrifice fût offert à l'ancêtre susdit.
Shun resté seul sur le trône alla visiter le Wen-tsou, II, 1.4.
Plus tard il charge Pe-Y de diriger le culte domestique tsoiig.
Longtemps après, vers 1753, nous voyons qu'après la mort
du roi Thang, son premier ministre, Y.-Yin, sacrifie au prince
défunt et lui présente son petit-fils et héritier, Thâi-Kiâ.
C'est la première mention certaine d'un culte rendu à un
ancêtre ^) IV, 4.1, et d'un temple ancestral. Au livre II,
I, 3, il est reproché à Sheou de négliger le temple des ancêtres
et de n'y point sacrifier 7|T6 .
Le Shih-King contient un grand nombre d'hymnes com-
posés pour les sacrifices offerts à des souverains et ministres
considérés comme les grands bienfaiteurs de l'empire et de
l'humanité : Thang, le fondateur de la dynastie Shang, le
vainqueur du tyran Kie; Wen-Wang, Wu-Wang, les premiers
Tcheous ; Heou-tsi, Ministre de l'Agriculture de Yu et Shun, etc.
(Voir Shih-King, IV, 1.10.1; IV, 3.1, etc.)
Parfois il est parlé des ancêtres en général : « le grain est
entassé pour offrir à nos ancêtres hommes et femmes. Nous
tuons ce bœuf pour offrir à nos ancêtres. » IV, 1.6.4.1 ;
IV, 1 .6.5.1;. ou du temple ancestral élevé par un roi en con-
struisant sa capitale (III, 1.3.5).
Les souverains et les grands officiers sacrifiaient aux souve-
rains et grands officiers morts sans descendants.
Les oblations avaient pour but de réjouir les âmes des
défunts. Mais comme on ne les voit ni venir ni manger, on
-4&-
choisit un parent vivant qui représente l'ancêtre ou même les
ancêtres auxquels on sacrifie et que l'on fait boire et manger à
leur place. Les morts sont devenus esprits, Shen ft$ .
Les chants, II, 6.5, et III, 2.4, décrivent les cérémonies de ces
sacrifices; les esprits des ancêtres étaient censés descendre du
ciel et y assister, puis s'en retourner réconfortés et satisfaits.
Primitivement il semble que les honneurs du culte n'étaient
rendus qu'aux défunts illustres, aux rois ou princes, aux
grands hommes qui avaient mérité la reconnaissance de la
patrie et de l'humanité. Le chapitre Ki-fa (c. fin.) du Li-Ki
énumère les principaux d'entre eux : Shen nong, le roi agri-
culteur, Heou-tsi (ministre de Yao), créateur de l'agriculture,
les rois Yao, Shun, Thang et quelques autres. Les souverains,
chefs féodaux et ministres, n'honoraient que leurs ancêtres
célèbres. La coutume s'étendit peu à peu, et sous les Tcheous
H fut établi que le peuple lui-même aurait des salles d'ancêtres
et leur ferait des offrandes. Confucius attribue cette innovation
à Tcheou-Kong, le frère et ministre du Wuh-Wang, le premier
Tcheou (voir Tchong-Yong, XVIII, 3). Mais c'est une habitude
chez les anciens Chinois de rapporter à ce prince tout ce qui
s'est fait de grand dans ce qu'on appelle l'antiquité moyenne.
Tout recevait de sa paternité une consécration spéciale. Ou
reste, les paroles de Kong-tze n'impliquent nullement que les
gens du peuple pussent dès lors sacrifier à leurs ancêtres :
« Wuh-Wang, dit ce texte, sacrifia aux princes antérieurs selon
le rite impérial, et ces rites furent étendus aux chefs féodaux,
aux grands officiers, aux magistrats inférieurs et à tout le
monde. »
L'usage général du culte des ancêtres n'est donc point origi-
naire chez les Chinois. Borné d'abord aux morts illustres par
leurs bienfaits, il s'est étendu peu à peu jusqu'à devenir une
pratique universelle. C'était la reconnaissance plus que le
devoir filial qui lui avait donné naissance.
Tous XLI.
-80 -
CHAPITRE VI.
Des fautes et de leurs conséquences.
On a prétendu que les Chinois n'avaient jamais eu le senti-
ment de la culpabilité, de la responsabilité que les fautes et les
crimes font encourir devant Dieu, et de la nécessité ou de
Futilité de l'expiation. C'est la thèse soutenue entre autres par
Plath dans son étude sur les croyances et le culte des anciens
Chinois *.
Rien n'est plus inexact que cette affirmation ; tous les anciens
livres des Chinois témoignent de ce sentiment que Ton dit
n'avoir jamais existé chez eux. Maintenant encore il est pro-
fondément gravé dans leurs cœurs.
D'un bout à l'autre du Shuh-King et du Shih-King règne
cette doctrine que la vertu assure la protection de l'être
suprême et la prospérité, et que le vice et le crime attirent sur
leurs auteurs la malédiction et les calamités. Lorsque des fléaux
affligent le royaume ou une famille, le prince, le chef examine
sa conscience pour voir s'il s'est rendu coupable de quelque
péché et, s'il se trouve innocent, il l'annonce au ciel et s'étonne
d'être ainsi frappé.
Citer tout serait remplir inutilement de nombreuses pages;
bornons-nous à quelques exemples :
Shuh-K., IV, 6.5. « Quand la vertu est simple et complète
tout ce qu'elle fait est heureux. Quand la vertu est incomplète
et hésitante, tous ses actes sont malheureux. Le bonheur et
le malheur ne surviennent pas à l'homme sans motif. Que la
prospérité ou l'infortune descende du ciel, cela dépend de la
vertu. »
On voit par cet exemple que cette maxime et cette doctrine
ne s'appliquent pas seulement aux gouvernants, mais aussi à
tous les hommes, car le terme est général : jin = homines.
* Dis Religion und der Cultus der Allen Chinesen. & Abtheilung : Der
Ctdtus, p. 16.
— SI —
V, 17.4 et 8. « Le Ciel n'a pas d'affection particulière; ce
qu'il secourt c'est la vertu. Le cœur du peuple n'est pas
constant. L'homme bon et bienveillant est le seul qu'il aime.
Les actes vertueux (les bienfaits) ne sont pas tous semblables,
niais tous conduisent au bon gouvernement. Les actes mauvais
ne sont pas tous semblables, mais tous conduisent aux trou-
bles et perturbations. »
V, 1.1.6. « Sheou n'a point le cœur repentant, tsiuen sin.
II ne sert point Shang-Ti ni les esprits célestes et terrestres;
il néglige le temple des ancêtres et n'y fait point de sacrifice;
les victimes et les oblations de riz sont enlevées par les voleurs. . .
et pourtant il croit que le décret divin lui reste assuré et il ne
corrige pas sa superbe. »
Ainsi le repentir, la correction propre arrêteraient le cour-
roux divin et empêcheraient le châtiment de fondre sur le
coupable. La même idée se retrouve implicitement dans cette
phrase :
V, 1.1.8. « L'iniquité de Shang est arrivée à son comble, à sa
plénitude. Le ciel m'ordonne de le faire périr. » Tant que la
mesure des crimes n'est pas comblée, le pardon est possible.
Ceci met en relief une autre conception chinoise, à savoir
que le prince et ses ministres infligeant les châtiments aux
coupables, sont les agents, les instruments directs du Ciel et
pas simplement les représentants de la société humaine; les
Chinois n'ont jamais séparé celle-ci de l'ordre supérieur, sur-
humain, et ne l'ont jamais affranchie des liens qui l'unissent
au Maître suprême du monde. Chez eux, le dépositaire de
l'autorité frappe pour le châtiment ou l'amendement de l'homme
coupable envers son auteur. C'est ce qui explique les recom-
mandations du roi Ching au prince Fong de Kang, que nous
lisons au livre V, 10.8.9.16.
« 0 Fong! dit le roi, dans l'exécution des châtiments il faut
un discernement parfait. Si vous éclairez le peuple, vous le
soumettrez ; ils s'avertiront l'un l'autre et feront de grands
efforts pour disposer leurs cœurs à la paix et à l'union. Agissez
comme si c'était une maladie et le peuple se débarrassera de
— 82 —
ses vices. Protégez-le comme un enfant à la mamelle. Ce n'est
point vous qui infligez le châtiment aux hommes ou les mettez
à mort (c'est l'Être suprême que vous remplacez).
» II y a des hommes qui ne se conforment pas à la vertu et ne
reconnaissent pas leurs fautes; le ciel leur a vraiment enjoint
de rétablir en eux la vertu et ils disent : Qu'est-ce que cela
nous fait? Qu'est la vertu pour nous? »
Shih-King, III, 3.2.6. Exhortation du duc Yih.
« Vous êtes entièrement adonné à vos plaisirs et vous ne
pensez pas aux conséquences. Vous n'étudiez pas les anciens
rois, pour être capable de suivre leurs sages avertissements.
Ceux que le ciel n'approuve point tomberont et périront comme
une eau coulant d'une source... Soyez attentif à vos devoirs de
prince pour vous prémunir contre les dangers. Ne parlez qu'avec
circonspection, veillez à garder un maintien, un décorum qui
inspire le respect; ne parlez pas légèrement; ne dites pas : ceci
est peu important. Les paroles ne doivent pas être jetées au
vent. Toute parole attire sa réponse. Tout acte vertueux a sa
récompense; si vous êtes bon pour vos amis et traitez le peuple
comme un enfant chéri, votre postérité sera perpétuelle.
» Prenez garde de commettre quelque faute, quelque injus-
tice; étant dans votre chambre faites attention à ne point laisser
venir la honte par la fenêtre; ne dites pas : je suis hors de vue,
personne ne peut m'apercevoir. L'arrivée, la présence des
esprits ne peut être prévue, d'autant plus ne doit-on pas la
traiter avec peu de considération. »
On doit donc éviter les moindres fautes, même quand on
est seul et sans témoin possible, car alors même les esprits
peuvent être présents sans qu'on le sache, et toute faute com-
mise devant eux serait un manque de respect qui attirerait leur
colère et le châtiment.
Notons que ces paroles se trouvent dans un ouvrage qui
n'est point l'œuvre d'un auteur isolé n'exprimant que ses
propres idées, mais qui servait à former l'éducation de la
nation entière.
Ces doctrines, ces enseignements se sont perpétués à travers
— ,),-) —
les âges. Maintes fois l'histoire nous montre les souverains
chinois, en présence des calamités qui frappaient l'empire,
s'humiliant devant le ciel, examinant leur conduite, recher-
chant quelle faute avait pu attirer sur eux le courroux divin et
promettant de s'amender pour apaiser le ciel.
De ces faits multipliés nous ne citerons qu'un exemple,
consigné dans un recueil authentique d'ordonnances impé-
riales. Nous voulons parler du Shang Yu pa Ki ou Dergi hese
jakôn gôsade wesimbuhengyc , de l'empereur Yong-Tcheng
(1723 à 1736). Nous y trouvons, en effet, parmi une multitude
d'autres pièces, deux édits qui intéressent spécialement notre
sujet.
C'était en Tan 1731; une sécheresse persistante désolait les
provinces septentrionales de l'empire. Une famine horrible
s'en était suivie; hommes et troupeaux mouraient en grand
nombre de faim et des maladies occasionnées par la misère et le
manque d'eau. Après un certain temps la pluie tomba partout,
excepté aux environs de la capitale. Alors l'empereur adressa
à ses peuples la proclamation que voici :
« De Yong-Tcheng, Tan 8, le 23 du 3« mois.
» Décret suprême,
» Comme en ce temps il n'est pas tombé de pluie, je me
suis fortement préoccupé de ce fait. On vient de me faire
savoir des provinces de Shan et de Shen-si qu'il y a plu tout à
coup abondamment. On a dit aussi qu'ù Ting-Fou et autres
endroits du Pe-tche-li, il a plu également. C'est donc seule-
ment aux environs de la capitale que l'on n'a pas eu de pluie.
Je crains, en conséquence, qu'il n'y ait en mon gouvernement
quelque vice, quelque erreur de conduite. J'y ai pensé, réfléchi
de toutes manières. Ma volonté est de me lever tût, d'être
constamment vigilant et actif, de vénérer le ciel et de m'occuper
constamment du peuple; je n'ose jamais me livrer à la négli-
gence. Toujours, sans interruption aucune, je m'occupe soi-
gneusement des affaires de l'Etat. Je crois pouvoir assurer
qu'il n'y a chez moi ni défaut, ni défaillance. Ce n'est donc
Tome XLI. 4.
— 54 —
pas moi qui ai attiré ces malheurs. Mais qu'on le remarque
bien, depuis le jour où j'ai accordé le pardon à ces méchantes
gens qui s'appropriaient injustement les revenus de l'Etat, le
vent a commencé à souffler et empêché la pluie.
» Ce genre de mauvaises gens est insatiable; c'était avec
raison que depuis la seconde année de mon règne je ne leur
avais plus fait miséricorde. Après que j'eus porté le décret
d'amnistie, ils n'ont point su se montrer reconnaissants...
» Ces méchants, voleurs des deniers publics, causent un
grand préjudice au peuple. Ils commettent un crime envers le
ciel; pourrais-je, ne me conformant pas à la volonté du ciel,
user encore d'indulgence à leur égard?
» Annoncez ceci aux huit bannières, que ces gens pervers et
dépourvus d'intelligence se corrigent et changent de conduite.
Sinon alors, moi, recourant à la justice, je sévirai sans pitié.
» Ainsi décrété. »
Deux jours après (25 du 3e mois), le même empereur publie
un décret dans lequel il répète tout le commencement de
celui-ci, puis ajoute :
« La méchanceté de ces gens a blessé la bienveillance du
ciel, c'est pourquoi le ciel a fait paraître ce prodige aux envi-
rons de la capitale.
» Le 23 de ce mois, ayant réuni et reçu les officiers des huit
bannières, venus pour me présenter un placet, j'ai exposé
clairement ma pensée relativement à ces misérables et à la
manière de suivre les avertissements du ciel. Je renouvelai
mes leçons et je portai un décret, chargeant chacun des offi-
ciers de le publier et faire connaître à tous.
» Aussi, le 25 au matin, il survint une pluie heureuse qui
tomba abondamment aux environs de la capitale.
» C'est avec crainte et respect que l'on doit accueillir cette
manifestation claire et éclatante de la volonté du ciel. Les gens
de peu d'intelligence doivent constamment penser avec crainte
et respect à cette manifestation du ciel.
» Ainsi décrété. »
— 85 —
Dans un autre décret de l'année précédente, Yong-Tcheng
dit expressément :
« Les magistrats qui ne veulent faire et supporter que ce
qui leur plaît, nourrissent la duplicité dans leurs cœurs et ne
servent pas le prince avec sincérité et droiture, ne pourront
certainement pas, s'ils continuent à se conduire de la sorte,
obtenir le pardon du ciel. » (6 du 7e mois de Tan 7.)
Enfin, dans un décret du 10 du 7e mois de Tan 5, il énonce
en ces termes la théorie générale :
« Décret suprême,
» Comme je le disais dans mon décret du 1er du 7e mois, la
justice qui agit et se manifeste, provoquée originairement par
le ciel et l'homme, est plus rapide que l'écho.
» Les inondations, sécheresses, calamités ou afflictions qui
accablent toute terre, proviennent des actes des hommes. Soit
que le gouvernement de l'empire soit négligé et faiblisse, soit
que les gouverneurs, préfets et magistrats ne remplissent pas
bien leurs fonctions, soit que dans un endroit quelconque les
cœurs des gens soient astucieux et trompeurs et la doctrine
pervertie, tout cela nuit à la faveur du ciel et attire les désastres
et les malheurs.
» Aussi, cherchant constamment à instruire et prévenir, j'ai
publié maints édits pour enseigner cette vérité.
» Me levant tôt, me couchant tard, j'ai toujours eu la crainte
convenable et me suis appliqué à être diligent. Hais le monde
est très vaste et les peuples sont très nombreux. (Je ne puis
tout faire et dois bien me fier aux magistrats.)
» Si les fonctionnaires veillent sincèrement sur le peuple,
chacun en son endroit, s'ils le soignent comme leurs propres
enfants, si leur règle est de partager les plaisirs et les peines
de leurs subordonnés, de leur tracer la voie et les rendre
meilleurs; s'ils savent considérer leurs maux comme les leurs
propres, les peuples auront les dispositions les plus favorables
et tout sentiment d'opposition, de malveillance, s'effacera.
— 86 —
» Si alors une pluie trop abondante survient contrairement
au temps et amène des inondations; si, en ce cas, on prie sin-
cèrement avec instance, pour obtenir secours pour le peuple,
on pourra, selon son désir, faire changer les dispositions du
ciel et assurer ses bienfaits.
» Ainsi décrété. »
Et, notons-le, l'empereur qui s'exprimait ainsi était le plus
chinois des princes qui eût jamais occupé le trône impérial,
celui qui s'était donné la mission de réagir contre les tendances
de son père Kang-hi, d'annuler l'influence des Européens et
de rendre la Chine aux hommes et aux doctrines de l'antiquité
classique de la Terre des Fleurs.
Nos lecteurs n'en demanderont pas davantage, je le pense,
pour se convaincre que les Chinois ont toujours cru que les
fautes des hommes offensent le pouvoir supérieur, divin,
attirent sur eux des châtiments et les obligent, à réparer les
offenses faites au ciel pour en obtenir le pardon et le retour
de la faveur divine.
Ils se demanderont même comment on a pu soutenir le
contraire.
Nous pouvons donc nous arrêter ici et résumer en quelques
mots les points principaux des croyances de la Chine primitive :
Les premiers Chinois n'adoraient ni le ciel matériel, ni des
objets de terreur, ni les monts, les rivières ou les arbres. Ils
croyaient à un dieu personnel, unique, souverain du ciel et
des hommes, maître des empires, qu'il donnait ou enlevait
selon les mérites ou les fautes des princes, providence veillant
sur les bons pour les combler de biens et punissant les
méchants en cette terre. Hais il ne semble pas que ce dieu
était, à leurs yeux, le créateur du monde. Les Chinois primitifs
ne s'étaient point préoccupés de l'origine des choses. A l'époque
de l'antiquité moyenne, nous les voyons attribuer la production
de l'homme et des objets terrestres au ciel et à la terre, non
comme création, mais par une opération naturelle qu'on ne
cherchait pas à expliquer.
— 57 -
Ils croyaient, en outre, à une loi morale immuable dont
l'observation ou la violation entraînait le sort heureux ou mal-
heureux des hommes qui s'y montraient soumis ou se riaient
de ses préceptes. A leurs yeux les fautes, les crimes offensaient
Dieu et demandaient expiation. Cette loi immuable, gouver-
nant à la fois la nature physique et le monde moral, ils l'ap-
pelaient Tien, ciel. La même conception se retrouve dans le
Varuna indou, dieu du ciel, gardien des lois immuables du
monde physique et moral.
Ils croyaient aussi à des esprits inférieurs au Souverain
suprême du monde, d'une nature invisible et supra-matériel le,
préposés à la garde des différents éléments ou parties du monde
et spécialement du sol, des montagnes et des rivières ainsi
que des quatre régions célestes. Ces esprits étaient aussi censés
prendre intérêt à l'observation des lois morales, être blessés
par leur violation et coopérer à la punition des coupables.
Ainsi les Chinois primitifs avaient conscience que les fautes
des hommes offensent le Souverain-Maître du monde, attirent
sa colère et ses châtiments, et que le coupable peut, doit même
l'apaiser par son repentir et son amendement. Ces deux
moyens étaient à leurs yeux les seuls qui pussent arrêter les
effets du courroux céleste et divin.
Enfin, ils croyaient à la spiritualité et à l'immortalité de
l'âme, plaçaient leurs morts dans le ciel et leur rendaient des
honneurs dont le but originaire était, semble-t-il, de les réjouir,
de les réconforter dans l'autre monde et de les y faire jouir
d'un sort heureux plutôt que de les honorer d'un vrai culte.
A côté de la notion du Dieu personnel, Souverain suprême,
Shang-Ti, il s'en était développée de bonne heure une autre
qui finit par empiéter fortement sur la première.
Ce fut celle du ciel immuable, fondement des lois tant
physiques que morales. Conçu comme tel, il fut aussi provi-
dence et vengeur du crime. C'était une puissance invisible et
intelligente et non le ciel matériel; sous l'influence des idées
tartares, très probablement, il grandit au point de se substituer
presque entièrement au Shang-Ti. Dès le VIe siècle celui-ci
— 58 -
était presque entièrement oublié. Le ciel n'était d'abord l'objet
d'aucun culte, il finit par accaparer celui que Ton rendait à
Shang-Ti. Hais au temps de Confucius on savait encore quel
en était le légitime titulaire.
On s'est fréquemment étonné de ce que les anciens livres
chinois ne parlaient jamais des peines de l'autre vie, ce qui
semble contraster avec leurs autres doctrines.
Je crois avoir expliqué ailleurs cette anomalie. Tout l'édifice
social, moral et politique de la Chine était fondé sur la piété
filiale, sur le respect des parents. Vénérer des parents damnés
pour leurs crimes eût été chose très difficile. Pour couper la
difficulté, on borna la scène des châtiments à l'horizon de
cette terre; le reste fut passé sous silence.
Plus tard nous voyons des théories se former où l'enfer
prend une large place. Certains auteurs chinois en font une
peinture des plus effrayantes. Hais c'est l'époque du boud-
dhisme, et l'on ne saurait dire si ces conceptions sont unique-
ment dues à l'influence des nouvelles doctrines ou si l'on doit
y voir en même temps une réapparition de croyances conser-
vées parmi les masses populaires. Venus du centre de l'Asie,
les premiers Chinois avaient dû certainement se trouver en
contact avec des peuples chez qui l'enfer était l'objet de la
croyance générale. Et comme l'a démontré H. de Lacouperie,
les Chinois avaient emprunté bien des choses à leurs voisins
de l'Asie occidentale avant leur migration à l'Est.
On voudra peut-être faire une restriction à l'exposé que nous
venons de faire des croyances, religion des premiers Chinois,
et soutenir, comme l'a fait l'un ou l'autre hagiographe, que la
religion telle que nous venons de la décrire était bien celle de
la cour et des grands, mais non celle du peuple ; que celui-ci
était adonné à toutes sortes de superstitions qui sentaient plus
le polythéisme et l'animisme même que le spiritualisme et la
croyance en un seul Dieu ; les superstitions et croyances que
l'on trouve plus tard en Chine ne seraient que ces mêmes doc-
trines primitives de la nation chinoise. Quant à la masse de la
population, cette objection ne soutient pas l'examen.
-S9-
D'abord parce qu'elle ne s'appuie sur aucun fait, sur aucun
texte, mais est, au contraire, contredite par tous les textes et
par tous les faits, et la soutenir ainsi sans preuve et contre
toute preuve, c'est faire œuvre de fantaisie, et non de science.
Sic volo, voilà la seule raison que Ton pourrait invoquer.
On a vu d'ailleurs par le proverbe cité dans le courant de
cette étude que la croyance au Shang-ti, par exemple, était
celle du peuple même. Si, plus tard, on trouve des croyances
très ditférentes répandues parmi les diverses populations qui
formaient l'empire, ce fait s'explique par l'influence des popu-
lations indigènes que l'invasion chinoise avait privées de leur
autonomie ou qui en étaient venues à prendre le nom des con-
quérants sans appartenir le moins du monde à leur race. Nous
avons vu de nouvelles croyances s'introduire par l'empire des
Tcheous; d'autres ont pu produire le même effet, et les peu-
plades voisines mêmes de la terre des Hans ont pu aussi lui
communiquer leurs idées et leurs pratiques religieuses.
Que le peuple chinois ait eu avec la religion officielle des
croyances superstitieuses, où le polythéisme, l'animisme ou
tout autre système ait pu avoir quelque part, c'est ce que nous
ne contesterons aucunement. Nous voyons partout et toujours
régner les conceptions les plus disparates, les plus opposées.
Mais ce n'est point là la religion de la nation et ne peut entrer
en ligne de compte quand on apprécie la religion d'un peuple.
Certes, nos populations chrétiennes ont gardé dans les
croyances populaires des restes des erreurs du passé, et en ont
souvent créé de nouvelles; mais elles n'ont rien de commun
avec leur religion. Si certaines gens du peuple croient aux
Nutons, aux Sotais, aux hommes de feu, s'ils consultent encore
le sorcier, malgré les efforts et les protestations les plus éner-
giques de leurs prêtres, on ne mettra sans doute pas ces folies
au compte du christianisme.
La vraie religion d'un peuple est celle des classes éclairées,
celle que les organes, les ministres du culte enseignent et
dirigent, et non ce que les gens grossiers et ignorants ima-
ginent et se transmettent de génération en génération.
- 60 -
La Chine primitive en était encore à l'état patriarcal, les
chçfs de la religion étaient encore chez elle les rois et les repré-
sentants de l'autorité , laquelle du reste émanait du ciel aux
yeux du peuple même. Les chefs de la nation étaient donc pour
lui institués par Dieu comme ses ministres sous tous rapports.
Enfin, les historiens chinois relatent avec soin tous les chan-
gements survenus dans la religion de leur pays, les supersti-
tions qui s'y introduisirent, l'altération successive des croyances
et du culte; nous pouvons en suivre jusqu'à un certain point
la marche et les progrès. L'objection n'est donc pas soutenable
et le résultat de nos études subsiste en son entier.
Les particuliers ont pu honorer l'esprit du foyer et d'autres
encore; les fonctionnaires, ceux qui présidaient aux produits
du sol, les esprits protecteurs des localités et provinces, etc.,
mais cela ne changeait rien au caractère des doctrines que
nous avons exposées dans les pages précédentes.
Telles étaient donc les croyances que la race chinoise apporta
avec elle sur les rives du Fleuve jaune, bien supérieures sans
doute à celles de la plupart des peuples à cette époque.
Certes, ce petit groupe d'hommes qui s'avance à la conquête
d'un monde immense, avec ces principes que leur chef est bien
le lieutenant de Dieu, mais en même temps le père du peuple
et qu'il n'a de pouvoir que pour rendre ses sujets heureux, ce
petit peuple est digne de tout notre intérêt et l'on doit se
plaire à lui rendre justice. S'il eût vécu moins isolé, si son
existence n'eût pas été si tourmentée, il eût pu s'élever à des
destinées bien plus grandes] encore, et Dieu sait celles que
l'avenir lui prépare.
Pendant l'impression de ces dernières pages, il m'est tombé sous les
yeux un texte d'autant plus significatif qu'il émane de Tcheng-tze le philo-
sophe moniste qui a formé le semi-matérialiste Tchou-hi. « Au Tcheou-li,
dit-il, il n'est prescrit d'offrir le sacrifice (tze) qu'au seul Auguste-Souve-
rain Maître du ciel, Shang-ti. » Voir le Sing4i-tsHng-y, t. XII, f. 20aî, 1. 2.
Or, dans le Teheou-li, comme nous l'avons vu, l'ancienne religion avait
déjà subi plus d'une altération, mais l'essence en était encore restée.
LES
NOCES D'ALEXANDRE FARNÈSE
ET
DE MARIE DE PORTUGAL
NARRATION FAITE AU CARDINAL DE GRANVELLE
PAR BON COUSIN GERMAIN PIERRE BORDEY,
PUBLIÉE AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES,
PAR
Auguste CAS TAN,
AMOCIÉ DR L'ACADÉMIE ROYALE DR BELGIQUE ET CORRESPONDANT
DE L'iNSTITl'l NATIONAL DB FRANCE.
tPiéseuté à la Classe des lettres dans la séance du 9 janvier 1888}
Tome XLI. 1
1
LES
NOCES D'ALEXANDRE FARNESE
ET
DE MARIE DE PORTUGAL.
INTRODUCTION.
Le mariage d'Alexandre Farnèse et de Marie de Portugal,
célébré ù Bruxelles au mois de novembre 1565, fut l'une des
circonstances qui accélérèrent le soulèvement des Pays-Bas
contre la domination espagnole. Les fêtes brillantes auxquelles
il donna lieu semblent avoir été les éclairs précurseurs d'un
violent orage. Une narration précise de cet événement ne sau-
rait donc manquer d'intérêt pour l'histoire de la plus nationale
des insurrections politiques du seizième siècle.
I
Lorsque Philippe II était parti des Pays-Bas, en 1559, il avait
remis le gouvernement de cette contrée h sa sœur naturelle,
Marguerite d'Autriche, fille de l'empereur Charles-Quint et
d'une plébéienne flamande. Déjà veuve d'Alexandre de Médicis,
cette princesse était devenue duchesse de Parme, par un
second mariage avec Octavio Farnèse. Le roi d'Espagne lui
avait adjoint, comme ministre, Antoine Perrenot de Granvelle,
(4)
alors évéque cTArras *, bientôt après archevêque de Malincsot
cardinal. Le dogmatique et ombrageux monarque comptait sur
la gouvernante et sur son ministre pour réprimer, au profit de
l'orthodoxie catholique, l'esprit d'indépendance qui animait
traditionnellement les grands seigneurs aussi bien que les arti-
sans de ces riches et laborieuses provinces. La création de
nouveaux évêchés, la promulgation des décrets du Concile de
Trente, les rigueurs inquisitoriales dirigées contre les héré-
tiques : toutes ces mesures, les unes onéreuses, les autres vexa-
toires, furent considérées comme une suite d'attentats à dos
libertés d'autant plus précieuses qu'elles avaient été plus péni-
blement conquises. Vainement Granvelle employa les ressources
de son intelligente souplesse à moyen ner des accommodements
entre les exigences du monarque espagnol et l'opposition de
l'aristocratie des Pays-Bas : il ne réussit qu'à se faire passer
pour l'inventeur des mesures dont, au contraire, il s'efforçait
d'éloigner ou tout au moins d'adoucir la difficile application.
Les seigneurs pensèrent avoir tout gagné en obtenant son éloi-
gnement; mais la gouvernante, directement aux prises avec les
sommations de l'aristocratie des Pays-Bas et la sombre résis-
tance du roi d'Espagne, fut dès lors impuissante à atténuer le
choc d'un conflit inévitable. Le moins intraitable des seigneurs,
le comte d'Egmont, était allé en Espagne, à l'effet d'exposer au
1 Nicolas Perrenot de Granvelle avait beaucoup fait pour l'avancement
de Marguerite dans les bonnes grâces de l'empereur son père : aussi ceUc
princesse témoignai t-ellc a Antoine Perrenot, devenu plus tard son
ministre, les sentiments d'une amitié fraternelle. Lui écrivant depuis
Rome, le 3 février 1548, elle terminait sa lettre par cette souscription
autographe : « Vostre bone seur Màrgarita d'Austria ». (Bibliothèque
nationale de Madrid, Corrcxpondcncia de Granvela, caja Y.)
(S)
roi les doléances de ses sujets des Pays-Bas et leur vif désir
d'avoir la visite de ce monarque : il ne recueillit guère d'autre
satisfaction que celle d'être agréable à la gouvernante, en lui
ramenant son fils Alexandre Farnèse, qui venait d'achever à la
cour d'Espagne son éducation de gentilhomme, et que sa mère,
d'accord avec le roi Philippe II, avait fiancé à la princesse
Marie de Portugal.
II
Alexandre Famèse, prince héritier du duché de Parme,
n'avait pas encore vingt et un ans quand il s'installa près de sa
mère au palais de Bruxelles, le 30 avril 1565. C'était un beau
jeune homme, de noble et martiale tournure, mais affectant
des manières hautaines dont s'offusquèrent bien vite les gens
indisposés contre le régime que représentait la gouvernante.
« Quant au prince de Parme », écrivait un gentilhomme de
l'entourage de sa mère, « je ne puis aultre chose juger de luy,
sinon qu'il a rappourté une nourriture d'Espaignol par trop;
et à la longue se fascheroient les seigneurs de par deçà de si
grande arrogance i ». La gouvernante, qui avait les illusions
des tendres mères, ne faisait rien pour adoucir l'humeur de
son fils : au contraire, elle trouvait bon qu'il exigeât d'être
traité à l'égal d'elle-même 2 ; et quant aux noces à organiser en
1 Pierre Bordey au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 26 mai 1565 :
Papiers d'État du cardinal de Granvelle, édit. Ch. Weiss, t. IX, p. 233.
* Id., ibid. — Ce qui offusquait l'aristocratie des Pays-Bas était ce que
la gouvernante admirait le plus dans son fils, « tant Espagnol en tout et
par tout », écrivait-elle, « qu'il parait non seulement avoir été élevé, mais
être né en Espagne, tant pour la langue, la seule qu'il parle étant celle
de l'Espagne, que pour les manières et les habitudes ». (Gachard, Cor-
respondance de Philippe II, 1. 1, p. 354.)
(C)
vue de son mariage, elle voulut leur donner un éclat absolu-
ment royal. Par une coïncidence maladroitement amenée, ces
noces allaient avoir l'inconvénient d'éclipser celles que la haute
aristocratie des Pays-Bas préparait pour célébrer l'alliance de
Floris de Montmorency, baron de Montigny, avec la fille du
■
défunt prince d'Epinoy *.
Les noces du prince de Parme ne devaient pas consister
seulement en réceptions brillantes et en joutes pittoresques : il
leur fallait un prélude beaucoup plus dispendieux que les fêtes
les plus somptueuses. En effet, la fiancée résidait en. Portugal,
et l'étiquette voulait qu'une ambassade de la cour des Pays-Bas
allât l'y chercher en grande pompe. L'ambassadeur demandé
pour cette mission fut le comte Pierre-Ernest de Mansfeld, qui
se fit accompagner de sa femme, de son fils et d'une suite
d'environ cent vingt personnes. Une délégation non moins
nombreuse fut envoyée par la gouvernante 2. A ces deux
groupes s'ajoutèrent des domestiques, des gens de guerre et des
matelots : de sorte qu'il y eut un millier d'individus embar-
qués, avec leurs bagages, dans les quatre grands vaisseaux et
les trois yachts qui partirent pour Lisbonne, depuis le port
de Flessingue, le 13 août 1365.
« Papiers d'État, t. IX, p. 579.
* Le train pour aller en Portugal est parti dois vendredi dernier,
assavoir les conte et contesse de Mansfelt avec son train particulier fort
bien en ordre, en nombre d'environ six-vingt bouches, et autrelant de
celluy de Son Altèze. Hz sortirent de court accompagnez du prince de
Parme et de tous les seigneurs. Son Altèze a voit envoyé trois mille cseuz
audit conte pour accoustrer ses gens ; mais il ne les voulut recevoir, et
y va, comme Ton dit, a ses despens, espérant plus grande récompense à
son retour ». {Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 9 juillet 1565 :
Bibliothèque de Besançon, Mém. de Granvelle, t. XIX, fol. 25 mw.)
( 7 )
Cette mise en scène était des plus inopportunes, car les fêtes
qui devaient la suivre allaient fournir aux seigneurs mécontents
l'occasion de se réunir, c'est-à-dire de comploter, en mémo
temps que le chiffre de la dépense des noces donnerait au
peuple des Pays-Bas, aigri déjà par une disette, un prétexte
nouveau de récrimination contre un régime qui devenait rui-
neux, tout en demeurant vexatoire. « Ce sera une chière
espouse * », disaient les uns, « une chière dame de nopecs
avant que arriver icy 2 », disaient les autres, tandis que quel-
ques-uns faisaient malignement ce calcul : « Cecy ne se fera
sans grandz frais, lesquelz Ton estime reviendront bien à cent
mille florins ; c'est quasi le présent de mariage de la dame 3 ».
Chacun savait que soixante brodeurs travaillaient au palais en
vue des fêtes du mariage. La gouvernante n'eut conscience de
son imprudente prodigalité que quand il fut trop tard pour
enrayer les dépenses •*, et elle n'éprouva même pas la consola-
tion d'être excusée par celui qui avait la plénitude de son
aveugle tendresse. Dans un accès de mauvaise humeur, le
jeune homme aurait dit, à propos de son mariage, « qu'il voul-
droit que tout ce que vad et reviendra demeurast au fond de la
mer » ». Le duc de Parme, venu exprès pour assister aux noces
1 Yiglius au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 14 juin 1565 : Papiers
(TÉtat, t. IX, p. 280.
f Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 13 août 1565 : Bibliothèque
de Besançon, Mém. de Granvelle, t. XIX, fol. 172.
5 Bave au cardinal, Bruxelles, 25 mai 1565 : Bibliothèque de Besançon,
Mém. de Granvelle, t. XVIII, fol. lO3t*rx0.
4 Morillon au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 21 mai 1565 : Papiers
d'État, t. IX, p. 218.
3 Morillon au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 9 juillet 1565 : Papiers
d'État, t. IX, p. 386. — Le même propos est rapporté en ces termes par le
1
(8 )
de son fils *, aurait été loin, disait-on, d'en approuver le
fastueux programme. Blessée de ces critiques amères, et pou-
vant déjà prévoir la rupture des négociations entamées parles
seigneurs des Pays-Bas avec la cour d'Espagne, la gouvernante
eut un accès de profond découragement. Cette crise est ainsi
dépeinte dans une lettre écrite à Bruxelles le 15 octobre 1565 :
« Il y a deux jours que madame de Parme ne faict que plorer
par deux ou trois heures au coup. Je ne sçay si c est que le Roy
luy a escript choses que ne luy plaisent, ou s'il y a du malcon-
tentement du Duc pour la folle et oultrageuse despense des
nopces, dont non seullementluy, mais les seigneurs et le peuple
se mocquent, ou si c'est pour les deux ensamble ; mais tant y at
que Ton sçait à parler par toutte la ville de ceste plorerie 2 ».
secrétaire Bave : « Ledit prince de Parme démonstre peu s'en soucier, et,
à ce que dient les bailles (c'est-à-dire à ce qui se raconte dans les bailles
ou clôtures qui précédaient le palais de Bruxelles), il at dit souvent qu'il
voudroit que sa future femme demeurât an milieu de la mer ». [Lettre
au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 9 juillet 1563 : Bibliothèque de
Besançon, Mèm. de Granvelle, t. XIX, fol. 25 verso.) — Le propos fit son
chemin, car on le trouve ainsi commenté dans une lettre de Thomas
de Chantonay, ambassadeur d'Espagne à Vienne, écrite a son frère le
cardinal de Granvelle : « Je ne m'esbahis des propoz du prince de Parma
touchant l'arrivée de son espousée, car c'est tout légèreté, et est aussi
bien homme pour, avant partir de Flandres, prendre la v et la
donner à sa femme comment ung aultre ». (Lettre du 24 novembre 1565 :
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XXI, fol. 130 verso.)
1 « Le duc de Parme doibt arriver ce soir, et, à ce qu'on dit, assez
accompaigné; mais en fin ce seront maigres contes, selon la mode de là ».
(Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 7 octobre 1565 : Bibliothèque
de Besançon, Mém. de Granvelle, t. XX, fol. 135 verso.)
f Morillon au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 15 octobre 1565 :
Papiers d'État, t. IX, p. 601.
(9)
Cependant la flotille envoyée à Lisbonne était en route pour
revenir au port d'embarquement : elle ramenait la jeune
épouse, entourée de tout un personnel portugais qui allait
composer sa maison i. Depuis Londres arrivait aussi l'ambas-
sadeur d'Espagne près la cour d'Angleterre, avec mission de
représenter Philippe II aux noces et d'offrir, au nom de ce
monarque, une bague ù la mariée *. Tous les grands seigneurs
des Pays-Bas, iiabituellement dispersés dans les provinces où
ils exerçaient des commandements, avaient été conviés aux
fêtes du mariage 3, et s'étaient rendus à cette invitation. Réunis
1 u Rostre flotte de Portugal arriva le 3 de ce mois en Zélande, et atten-
dons à jourd'huy la dame de nopces icy cumPortugallica turban. (Visitas
de Zuichem au cardinal de Granvellc, Bruxelles, 11 novembre 1565 :
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XXI, fol. 50.)
* Sur ce mince cadeau de Philippe II, nous sommes renseignés par
les passages qui vont suivre de deux dépêches des Papiers Granvelle. —
Thomas de Chantonay à son frère le cardinal de Granvelle (Vienne,
â4 novembre 1565) : « Seulement le cinquiesme de ce mois, Ton atten-
doit la princesse de Parma à Gant, selon ce que m'escrit nostre ambas-
sadeur d'Angleterre qui estoit à Anvers, député pour assister aux nopces
et porter une baghe à la dame ». (Bibliothèque de Besançon, Mémoires
de Granvelle, t. XXI, fol. 130 verso.) — Le cardinal de Granvelle à Viglius
(Besançon, 7 décembre 1565) : « Je sçavoye jà pièça, par la voye d'An-
vers, l'arrivée de la flotte de Portugal, et mesmes par lettres que nostre
ambassadeur m'escript doiz là. Je ne faiz doubte qu'il y aura bien sçeu
représenter son personnage; mais je suis marry que le présent ne sera
esté de même, et crains que Madame ne s'en donne de la peine ; et à la
vérité, en choses de ceste qualité, je vouldroye que l'on luy compleust,
mais que à la reste Ton fist cheminer le cheriot droit». (ld.,ibid., fol. 198.)
3 « En attendant , se font icy les plus grandz appretz du monde;
et rompe-l'on les chambres qu'avoient cy devant esté faiz en la grand sale,
pour y jouster et faire le banequet, pour lequel l'on mandera tous les
1
(10)
déjà, une vingtaine de jours auparavant, pour les noces du
baron de Montigny, ils avaient échangé leurs impressions sur
le fail du mutisme dans lequel se renfermait Philippe II à
Tégard de leurs doléances i.
Ils purent espérer toutefois qu'à l'occasion des noces d'un
jeune prince que Philippe II regardait comme son fils *, ce
monarque romprait un silence dont la prolongation rendait
anxieux les invités de la gouvernante 3. Le silence fut, en effet,
rompu par la célèbre dépêche datée du Bois de Ségovîe, qui
parvint à Bruxelles le 5 novembre 1565 4, en même temps que
chevaliers de l'Ordre, et par dessus iceulx l'évesque de Cambrav, le vis-
conte de Gand, le seigneur de Noircarmes, et encores ung que j'ay oblié, ce
me semble, et que c'est le conte de Culenbourg, et seigneur de Brederode j
et y sont comprins toutes leurs femmes et servyteurs : je me double, si
elles viennent, qu'il y aura question sur la précédance ». {Bave au cardi-
nal de Granvelle, Bruxelles, 7 octobre 1365 : Bibliothèque de Besançon,
Mém. de Granvelle, t. XX, fol. 134.)
1 « Ayant esté tous assemblez aux nopees de M. de Montigny, où s'est
fait ung fort riche tornoy, et qu'ilz sont encores icy tous ensemble, il est
bien à penser que ce n'est pas sans faire entre eulx plusieurs divers dis-
cours ». {Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 4 décembre 4565 :
Correspondance de Granvelle, édit. Poullet, 1. 1, p. 24.)
* Ce sont les expressions de Philippe H, dans une dépêche adressée à
la gouvernante et dont Straoa donne le texte : Histoire de la guerre de
Flandre, trad. franc. (1644, in-fol.), p. 180.
* « Il y a trois mois passez qu'il n'y a lettres du Roy ny de sa court, et
ne sçavent ces seigneurs que dire que Sa Majesté tarde tant à eulx res-
pondre, demeurans toujours d'opinion qu'Elle ne pourra faire aultrement
que passer par leur advis.... ». {Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles,
7 octobre 1565: Biblioth. de Besançon, Mém. de Granvelle, t. XX, fol. 133.)
4 Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. cxxxix-cxl; —
Edm. Poullet, Correspondance de Granvelle, 1. 1, p. lxxvi.
(11 )
la flotille nuptiale opérait son débarquement. Mais le contenu
de celte dépêche fut loin d'atténuer le fâcheux effet qu'avait
.produit le mutisme royal, car Philippe 11, attaché plus étroite-
ment que jamais k l'idée fixe d'être avant tout le défenseur de
l'orthodoxie catholique, rejetait les avis des théologiens et le»
remontrances de l'aristocratie des Pays-Bas, en ordonnant de
donner suite à la persécution religieuse qui affligeait ces pro-
vinces et portait une grave atteinte à leur prospérité. En retour
de cette décision, aussi monstrueuse qu'elle était inattendue,
les seigneurs répliquèrent par une ligue d'opposition dont
l'acte, connu sous le nom de Compromis des nobles, fut rédigé
clandestinement pendant la durée des fêtes l. Celles-ci n'en
furent pas moins animées et brillantes; les chefs de l'opposi-
tion affectèrent même d'en diriger les principaux divertisse-
ments : le comte d'Egmont, déguisé en chef de sauvages, fit
combattre son escadrille velue contre des amazones qui comp-
taient parmi elles le jeune marié, Alexandre Farnèse, et mar-
chaient sous la conduite du prince d'Orange. Qui aurait pu
deviner le sort tragique que l'aberration mentale de Philippe II
allaitfaireaux principaux acteurs de cette inoffensive momerie?
Moins de trois ans après, le comte d'Egmont devait porter sa
tête sur un échafaud dressé, par les ordre du duc d'Albe, au
nom des intérêts catholiques de l'Espagne; un peu plus tard,
4 Groen van Prinstereb, Archiv. ou correspondance inédite de la Maison
d'Orange Nassau, t. II, pp. 2-15. — La constitution de la ligue des sei-
gneurs, pendant les noces d'Alexandre Farnèse, est attestée en ces termes
par le cardinal de Granvelle, écrivant à Philippe II (Rome, 10 mars
1566) : « Mal negocio es haverse renovado la liga en las bodas dcl prin-
cipe de Parma, sabiendo que V. Mag* no huelga con elle- ». [Correspond
dance du cardinal de Granvelle, 1. 1, p. 149.)
1
( 12 )
Alexandre Farnèse, devenu l'un des grands capitaines de son
temps, mettait ù prix la tête du prince d'Orange et le désignait
ainsi au coup de pistolet de l'halluciné franc-comtois Ballhasar
Gérard !
III
Parmi les hommes politiques qui pouvaient prévoir ces
sinistres conséquences, un seul aurait été capable de les con-
jurer dans une large mesure : c'était le cardinal de Granvelle *.
Mais l'aristocratie des Pays-Bas, froissée de subir en sa per-
sonne l'ascendant d'un homme supérieur dont elle dédaignait
la modeste origine, avait réussi à le faire secrètement congé-
dier * ; de plus, elle encourageait les intrigues que le franc-
1 « Je prévoye beaucoup de choses que je n'ose dire, pour non être
tenu pour pronosticateur ou pour Cassandra ; et me doubte que
Madame s'appercevra dans trois moys que je luy ay prognostiqué beau-
coup de véritez ». (Le cardinal de Granvelle à Yiglius : Baudoncourt,
10 juillet, et Besançon, 31 octobre 1565: Papiers d'État, t. IX, pp. 390
et 638.) — « Les historiens, partisans de la révolution et de la réforme »,
écrivait Gachard, en 1846, « ont fort maltraité le cardinal de Granvelle.
. — La réaction qui s'est opérée dans les esprits, depuis que les sources
historiques ont été plus connues et mieux établies, a été favorable au
ministre de Philippe II » (Correspondance de Philippe II, 1. 1, p. clxix).
— Et, plus récemment, Térudit M. Charles Piot développait en ces
termes la pensée de son éminent prédécesseur : « Granvelle n'était pas le
tyran tel que les pamphlets du seizième siècle nous le représentent.
Dévoué à son souverain, mais patriote avant tout, le cardinal voulait rem-
ploi de la douceur et de la clémence; il abhorrait les rigueurs du duc
d'Albe et les excès des Espagnols » (Bulletins de l'Académie royale de
Belgique, 3* série, t. IX, 1885, p. 456).
1 Gachard : Le cardinal de Granvelle quitta-t-il spontanément Us Pays-
Bas en 1564? ou sa retraite fut-elle l'effet des ordres de Philippe //? —
f 13 )
comtois Simon Renard tramait à Madrid contre son bienfai-
teur 1. Malgré les invitations que lui faisait Philippe II d'aller
s'établir à Rome où il aurait participé à la gestion des affaires
de la catholique Espagne 2, Granvelle préférait demeurer en
Franche-Comté, afin de donner à sa retraite les apparences
d'un congé temporaire qu'il aurait sollicité pour revoir son
pays et adoucir la vieillesse de sa mère 3. De Besançon et de
Sur la chute du cardinal de Granvelle en 1564. Ces deux opuscules, qui
résolvent pleinement les questions mentionnées dans leurs titres, font
partie des Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 1™ série, t XII et
t XVI.
1 La vie et les agissements de Simon Renard ont été l'objet d'une
savante et judicieuse étude publiée par M. Thidon, dans les Mémoires de
la Société cTÊmulation du Doubs, fr série, t. VI, 1881, pp 107-376.
f Gachard, Correspondance de Philippe II, 1. 1, p. 376.
* « L'arrivée de M. de Chantonay, mon frère, à Bruxelles, avec l'inten-
tion de se rendre en Bourgogne », écrivait Granvelle, « me parut un pré-
texte plausible pour venir moi-même en ce pays, où je n'avais pas été
depuis dix-neuf ans, et pour revoir ma mère, que je n'avais pas vue
depuis quatorze ». {Lettre à Goncalo Perez, Besançon, 20 avril 1564,
traduite de l'Espagnol, par Gachard : Correspondance de Philippe II, 1. 1,
p. 298.) — Granvelle possédait la faculté de résignation, qui n'appartient
qu'aux hommes supérieurement équilibrés. Il en donnait la preuve dans
le passage suivant de l'une de ses nombreuses lettres au président Viglius :
« Quant à moy, si j'estoye là, je n'en sorliroye et procurcroye de faire
mon debvoir, ores qu'il me deust couster la vye; mais puisque Dieu m'a
faict la grâce de, avec sy bonne occasion, en sortir , je me tiens
heureulx d'en estre dehors, et apperçeoyc bien la folye que j'auroye faict
d'y demeurer ; et je confesse que je ne sçauroye assez rendre grâces à
Dieu de ce que j'apperçoys que, par ceste absence, je n'ay rien perdu ny
vers mon maistre, ny en l'opinion des gens de bien ; et suis encores en
opinion d'attendre la venue du maistre, ou l'aller trouver, et de faire tout
(14)
plusieurs des résidences qu'il avait en Franche-Comté, il
entretînt, pendant vingt mois *, une correspondance active dont
les Pays-Bas étaient le principal objectif: à la gouvernante il
faisait passer de prévoyants avis sur la manière d'éviter une
coalition des seigneurs; au roi d'Espagne il cherchait à per-
suader que la venue de ce monarque, désirée par toutes les
classes de la population des Pays-Bas, serait le plus sûr moyen
de résoudre à l'amiable les questions pendantes entre l'aristo-
cratie de ces provinces et le gouvernement espagnol â. Jusqu'à
l'arrivée de la funeste dépêche qui s'intercala dans les fêles du
mariage d'Alexandre Farnèse, Granvelle crut à l'efficacité des
raisonnements qu'il tenait au roi Philippe II, et s'attendait posi-
tivement à rentrerauxPays-Basen compagnie de ce monarque^.
ce qu'il vouldra, horsmys d'aller par delà sans sa présence pendant que
tout y ira comme il vad. Et cependant je faiz icy bonne et joyeuse chière;
et s'esbéhissent ceulx quy vouldroient que je remuasse le mesnage,
pour leur donner matière, que je ne me mesle de rien, non plus que sy
j'estoye ung estrangier passant, entendant seullement à mes affaires, ne
bougeant de ma chambre synon pour proumencr, à faire exercice à
l'église et vers madame (la mère du cardinal), et faisant mes dépesches.
où je doibz correspondre, sans bruyt ». (Granvelle à Viglius, Besançon,
31 octobre 1365 : Papiers d'État, t. IX, pp. 638-639.)
1 Le cardinal, parti de Bruxelles pour la Franche-Comté au miUeu
du mois de mars 1364, ne quitta cette province que le 31 décembre
1365 : il qvait alors perdu tout espoir de rentrer aux Pays-Bas en com-
pagnie du roi d'Espagne, et il saisissait le prétexte plausible de la réunion
d'un conclave pour se rendre à Rome.
* Ces dépêches sont en grande partie publiées ou analysées dans le
tome I de la Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas,
et dans les tomes VIII et IX des Papiers d'État du cardinal de Granvelle.
3 Au point de vue de cette éventualité, l'ambassadeur Chantonay, son
frère, lui indiquait en ces termes une règle future de conduite : « Si tant
( 15)
La mission qu'il ambitionnait d'y remplir est ainsi définie dans
une de ses lettres : « 11 y a longtemps que Ton est après pour
donner à entendre aux villes et à plusieurs de la noblesse
aussy que je ta sel? e de les soubmettre aux Espaignolz, qu'est
faulx et n'y pensay oneques ...... comme souvent je leur ay
dict en plein Conseil, et qu'il n'y a quy que ce soit d'eulx quy
plus hardiement et résoluement que moy voulust employer sa
personne et sa vie pour le soustenement de la liberté et des
privilèges du pays, mais non au préjudice de l'auctorité
du maislre, pour corrompre et perdre la justice sans
laquelle les moindres seront proye des grands * ».
La rentrée de Granvelle au gouvernement des Pays-Bas était
désirée par tous ceux qui, n'ayant pas plus de goût pour les
persécutions religieuses que pour les révolutions politiques,
auraient voulu épargner à cette contrée les tiraillements résul-
tant de la rivalité des seigneurs, la brutalité des insurrections
du peuple, la répression sanguinaire dans laquelle périrent,
par la main des bourreaux, dix-huit mille six cents personnes
inculpées d'hérésie ou de rébellion. Ces modérés, que l'on
estoit que, venant le Roy, Vostre Seigneurie retorna en Flandre, pour
l'amour de Dieu, puisque il y a ung président du Conseil d'Estat qui peult
travailler, qu'il face les dépesches luy-mesmc, affin qu'il ne semble que
Vostre Seigneurie veulle retenir auctorité; car encoires y aura-il assez
affaire de esteindre la jalousie de la précédence à cause du cardinalat,
que doibt extrêmement tormenter le cueur de ceulx qui l'ont hault,
mesme en ce temps tant contraire à gens de la profession de Vostre Sei-
gneurie Illustrissime ». (Thomas Perrcnot de Chantonay à son frère le
cardinal de Granvelle, Vienne, 24 novembre 4565 : Bibliothèque de
Besançon, Mém. de Granvelle, t. XXI, fol. 136 verso).
« Le cardinal de Granvelle au secrétaire Bave, Besançon, 18 avril 1564 :
Papiers a"Ètat% t. VII, p. 506.
(10)
appelait les cardinalistes, avaient à leur tête le duc Philippe
d'Arschot, chevalier de la Toison d'or, Viglius de Zuichemr
président des Conseils de la gouvernante, et Josse Bave, l'un
de ses secrétaires d'Etat. Ces personnages entretenaient une
correspondance suivie avec Granvelle, se concertant pour
qu'aucun mouvement de ses adversaires politiques ne lui fût
inconnu. Hais le cardinal avait en outre u Bruxelles des affidës
qu'il pensionnait et dont il recevait périodiquement de
copieuses lettres, qui constituent un véritable journal des inci-
dents de la lutte que soutenait le libéralisme flamand contre
l'intolérance espagnole *. Le plus actif de ces correspondants
intimes était Maximilien Morillon, ancien camarade d'études
du cardinal et devenu son vicaire général pour l'archevêché de
Matines. Venait ensuite le maître des comptes Odet Viron,
préposé à la gestion des domaines que Granvelle possédait dans
les Pays-Bas. Le cardinal était également renseigné par Pierre
Bordey, son cousin germain, qu'il avait fait attacher, en qualité
de gentilhomme de la bouche, à la maison de la gouvernante *•
Les imprudentes folies faites par cette princesse, à l'occasion
du mariage de son fils, ne purent manquer de saisir vivement
4 Sur les correspondants du cardinal pendant la période de son exil
en Franche-Comté, on peut consulter la remarquable Préface d'Edmond
Poullet, placée en tête du premier volume de la Correspondance du
cardinal de Granvelle, pp. xxxix-xlv.
* <c Je tiendra y main d' ad ver tir Sadicte Seigneurie Illustrissime tous-
jours de ce que je sçauray et se passera pardeçà ; et tâcheray d'entendre
nouvelles, toutefois si dextrement que ce sera sans faire congnoistre que
je soys curieux de telles choses, afin que Ton ne pense que je soys icy
demeuré par cest effect, comme jà aulcuns ont heu opinion ». (Pierre
Bordey au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 6 avril 1564 : Bibliothèque
de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XI, fol- 24.)
(17 )
l'attention de Granvelle : aussi, voulant être fidèlement rensei-
gné à cet égard, octroya-t-il un subside qui permit à son cousin
Pierre Bordey de s'embarquer sur la flotille envoyée en Por-
tugal pour ramener la fiancée d'Alexandre Farnèse i. Une
relation de ce voyage et des fêtes qui le suivirent avait été natu-
rellement adressée au cardinal : « je m'en remets au distours
de M. Bordey », lui écrivait Morillon, « car je n'ay rien veu ny
voulu veoir 2 ». Cependant la relation écrite par Pierre Bordey
ne figure dans aucune des séries imprimées de la correspon-
dance de Granvelle. L'éditeur des Papiers d'État du cardinal 3,
n'ayant pas rencontré cette pièce dans le recueil des dépêches
formé par l'abbé Boisot, avait même omis de faire transcrire
* « J'entendz que monsieur Bordey est sur le billet pour faire ce voiage.
Il est mauvais maronier, avec ce qu'il yrat à la pire saison de l'an. Si
quelque maladie le pregnoit, je crains qu'il trouveroit peu d'amys en
ladite compaignie. — Depuis, le maistre d'hostel luy a dit se tenir prest.
Hz iront xvi gentilzhommes, et auront officiers, médecin et apoticairc.
Ledit sieur Bordey m'a prié de l'adsister d'argent, s'il fault qu'il parte
devant avoir response de Vostre Seigneurie, ce que je feray ». (Morillon
aucard. de Granvelle, Bruxelles, 21 mai 1565 : Biblioth. de Besancon,
Lettres de Morillon, t. Il, fol. 27 verso.)
* Morillon au cardinal, Bruxelles, 9 décembre 1565 : Correspondance
du cardinal de Granvelle, 1. 1, p. 43.
3 Le nom de Charles Weiss figurant seul sur les titres des neuf volumes,
imprimés aux frais de l'État français, des Papiers d'Élat du cardinal de
Granvelle, cet écrivain passe naturellement pour l'éditeur de la publica-
tion; mais, en réalité, il est simplement l'auteur de la Notice préliminaire
placée en tête du premier volume. Le choix des textes et leur annotation
sont l'ouvrage de Charles Duvernoy, de Montbéliard, érudit qui doit être
regardé comme le véritable éditeur du recueil. La traduction française
des dépêches écrites en langue espagnole avait été fournie par Théodore
Belahy, de Besançon.
Toke XL!. 2
( 18)
les lettres de Pierre Bordey qui sont, en quelque sorte, la pré-
face et les annexes du grand récit de l'expéditon nuptiale.
Il en résulte que, dans les deux séries publiées de la corres-
pondance du cardinal de Granvelle, on ne trouve, sur «l'arrivée
de la princesse de Parme », qu'un tableau sommaire du secré-
taire d'Etat Jossc Bave, lequel s'excuse d'en «dire succinctement
deux motz, sachant que par aultres Son IllustrissimeSeigneurie
en est amplement advertie * ». V ample avertissement de Pierre
Bordey a fini par se retrouver : Jules Chiflct, qui avait opéré,
concurremment avec l'abbé Boisot, le sauvetage des papiers du
du cardinal de Granvelle restés à Besançon, s'était emparé de cette
pièce capitale et l'avait consignée dans un de ses portefeuilles*.
En tète de cette relation, qui n'a pas moins de treize grandes
pages et demie, le cardinal a écrit de sa main : « Discours du
voyaigede la princesse de Portugal et de ceulx qui l'allèrent
querre ». On lira ci-après ce texte, précédé et suivi des indica-
tions préalables ainsi que des renseignements complémentaires
que Pierre Bordey avait donnés à son Mécène au sujet de la
même aventure.
IV
Sur l'accomplissement de ce mariage princier, qui fut en
même tempsl'occasion d'un divorce entre l'aristocratie des Pays-
Bas et la couronne d'Espagne, on s'en rapportait principale-
ment au récit du jésuite Famiano Strada, écrit une soixantaine
d'années après l'événement et par le panégyriste attitré de la
maison Farnèse. Entre les incidents de la navigation périlleuse
opérée par la flotille qui revenait de Lisbonne, Strada n'a
1 Correspondance du cardinal de Granvelle, 1. 1, pp. 32 et 33.
* Bibliothèque de Besançon : manuscrits Chiflet, n° 72, fol. 146-152.
(19)
retenu que ceux dans lesquels Marie de Portugal montra du
courage ou s'arma de piété farouche * : c'est ainsi qu'il loue
cette princesse d'avoir, étant à Douvres, protesté contre la
proposition qui lui fut faite d'envoyer un gentilhomme saluer
de sa part la reine hérétique de la Grande-Bretagne; qu'il
admire ensuite la demande adressée par cette même princesse
à une dame anglaise de lui céder ses deux jeunes enfants,
attristée qu'elle était que ces charmants petits êtres fussent
déjà, comme issus d'hérétiques, les esclaves de l'enfer.
Tout en rendant justice aux qualités de la princesse Marie de
Portugal, Pierre Bordey n'est le panégyriste d'aucune des per-
sonnalités ayant figuré dans les épisodes dont il présente une
narration circonstanciée et fidèle. Il n'interrompt même pas
son récit pour rapporter les propos qu'il tint, en devisant sur
l'un des navires,pour réfuter les calomnies dont Granvelle était
l'objet de la part de ses ennemis : cet incident n'est relaté que
dans une de ses lettres complémentaires. Quant à son Discours
du voyaige de la princesse de Portugal, c'est un morceau inté-
ressant dans tous ses détails et qui méritait incontestablement
detre tiré de l'oubli.
L'auteur y fait un tableau vivant de la cour de Portugal, où
trônait un enfant de onze ans. Il décrit le cérémonial des
audiences et le luxe des festins qui eurent lieu en l'honneur de
l'ambassade des Pays-Bas, n'oubliant même pas « le flux de
ventre estrange avec vomissement » dont plus de huit gentils-
hommes furent atteints à la suite d'un de ces banquets. Il
trace un portrait de la future épouse d'Alexandre Farnèse :
a quant à la princesse », dit-il, « elle n'est ny belle, ny laide;
* Histoire de la guerre de Flandre, trad. franc. (1644, in-fol.), pp. 181-
i85.
( 20)
néantmoings clic est forl petite; mais ce que deftault à la
beau lié..., sa bonne grâce, sa grande humanité, vertu, pru-
dence et doctrine certainement récompensent entièrement ce
deftault * ». Il a des ternies moins galants pour qualifier les
gens qui composaient- la maison de cette princesse et dont le
nombre dépassait cent trente personnes : « desquelx », dit-ih
« ostez diy ou douze et trente-trois femmes qu'elle mesne avre
elle, toute la reste est canaille, néantmoings en leurs parolles
Idalgos comnVel Rey ». A propos des vols nombreux dont
l'ambassade fut victime, sa plume trouve une expression pitto-
resquement vengeresse : « nulles joustes, ny tournoys, ny
aultres esbaltements ne se firent en tout le temps que nous
fumes là, mais bien des tournois des mains crochues assez »,
Il dépeint avec non moins d'esprit les manœuvres de la cour
de Portugal pour récupérer en droits de douane la valeur de
ce qu'emportait la jeune mariée, comme aussi les stratagèmes
employés pour hâter le départ d'une ambassade qui aurait pu
se nommer légion, et dont on ne désirait pas le séjour trop pro-
longé à Lisbonne. Une fois lancée dans l'Océan, la flotille fît
d abord quatre-vingts lieues de navigation en sens inverse du but
à atteindre, au risque de donner dans les repaires des pirates
de la Barbarie. Les pilotes ayant retrouvé le nord, la flotille
gouverna dans la direction des côtes de l'Angleterre; mais elle
eut à subir une horrible tempête : toutefois si les avaries furent
considérables, le naufrage put être évité. Quand la lïotille arriva
à Douvres, le vaisseau amiral n'avait plus ni chair, ni vin. Là se
trouvèrent des pilotes pour diriger la flotille sur Middelbourg,
1 Ce portrait remplacera avantageusement la peinture outrée de
Strada, qui a été reproduite par les historiens modernes. Voyez Motijïy.
Révolution des Pays-Bas, trad. franc. (1861), t. I, p. 589.
( 21 )
on lui faisant éviter les bancs de sable. Une nouvelle bour-
rasque rendit le débarquement difficile : il s'effectua pourtant,
lit Pierre Bordey redevient amusant au sujet des premières
coquetteries réciproques d'Alexandre Farnèse et de son austère
épouse. La bénédiction nuptiale fut donnée le soir même de
l'arrivée à Bruxelles; mais la princesse ne voulut appartenir à
son mari qu'après une messe ouïe le lendemain matin : en re-
vanche, le prince n'attendit pas la nuit pour user de son droit
légitime. Huit jours après fut donné le grand festin, suivi d'un
bal déguisé qui se termina par le service du « bancquet des
sucrades », dont la ville d'Anvers avait fait les frais évalués à
plus de 3,001) florins : la pièce principale représentait, en
sucrerie décorative, tous les épisodes saillants du voyage qui
venait d'être accompli par l'ambassade de la gouvernante.
A son tour, mais seulement le mardi 4 décembre, le peuple
eut la représentation de joutes données sur le grand marché de
Bruxelles : ce spectacle magnifique fut contrarié par la pluie.
« Ceulxde la ville », dit un contemporain, « l'eussent volon-
tiers excusé, pour la crierie du peuple, a cause de la chierté
du bled t ».
Pierre Bordey, le narrateur des incidents qui viennent d'être
rappelés, appartenait ù une ancienne famille du bourg de
Vuillafans, localité qui produisit également Balthasar Gérard,
l'assassin du prince d'Orange. Vuillafans est situé dans la vallée
pittoresque de la Loue, à 8 kilomètres en amont de la petite
1 Bave au cardinal de Granvclle, Bruxelles, \ décembre 1565 : Corres-
pondance, 1. 1, p. 34.
( 22 )
ville d'Ornans, berceau de la famille Perrenot de Granvelle,
L'une des sœurs du garde des sceaux de Charles-Quint, Guille-
mette Perrenot, fut la première femme de Jean Bordey Faîne,
que son beau-frère fit anoblir i. Trois garçons, issus de ce
mariage, François, Charles et Pierre Bordey, éprouvèrent les
bienfaits du cardinal de Granvelle, dont ils étaient les cousins
germains. Jeanne, leur sœur, avait été épousée en secondes
noces par Paneras Bonvalot, autre parent du cardinal, comme
fils d'un oncle de sa mère Nicole Bonvalot. Les frères Bordev,
donnés pour compagnons d'études ù leurs cousins germains
Perrenot de Granvelle, firent ainsi gratuitement leurs classes »
Louvain 2, sous la gouverne d'Adrien Àmerot, ancien condis-
1 « Bordey, de Vuillafans, annobli par l'empereur Charles-Quint, à la
prière de Nicolas de Granvelle..., en 15:23 ». (LHnand, Nobiliaire du
comté de Bourgogne, ms. de la Bibliothèque de Besançon, t. I, fol. 297.)
— Les armoiries de cette famille étaient : « de gueulle a deux bourdons
de pèlerins d'or posés en pal, et trois estoiles de mesine à la pointe de
Tescu, posées deux et une, celle du milieu entre les deux bourdon?:
timbre, un buste d'homme barbu au naturel, vestu d'or ». (Lampixet.
Armoriai de Franclie-Comlc, ms. de la Bibliothèque de Besançon, fol. 38
verso.)
* Dans le registre autographe des épitres latines écrites par Antoine
Perrenot de Granvelle. le futur cardinal, durant son cours d'études juri-
diques à Padouc, il en est une portant cette adresse : « Hieronymo
Perrenoto et Francisco Bordero, fratri et cognato charissimis, Patavii,
v mardi 1537 » (Ms. de la Bibliothèque du Roi, a Madrid). François
Bordey était donc approximativement le contemporain de Jérôme Perrenot
de Granvelle, né le 14 mai 1524. — Une belle épitre d'étudiant, écrite en
langue latine depuis Louvain, le 6 décembre 1547, à Antoine Perrenot
de Granvelle, alors évèque d'Arras, par Pierre Bordey, mentionne en ce?
termes la communauté d'existence de celui-ci et de ses cousins Charles
( 23 )
ciple d'Erasme. François et Charles entrèrent dans le clergé
et comptèrent tous deux pa?mi les chanoines-dignitaires du
chapitre métropolitain de Besançon, l'un en qualité d'arehi-
«t Frédéric Perrenot de Granvelle : « Itaque, dubius jam et anxius, non
modo doctissimi mei pneceptoris dominoruinque îneorum Caroli et
Frederici exemplo sum motus, verum etiam tuorum meritorum erga me.
amplitudine adductus sum ». Toutefois une lettre du précepteur de ces
jeunes gens , Adrien Amerot, écrite à Pévêque d'Arras , le 21 janvier 1548.
s'exprimait ainsi : « Pierre Bordey estudie assez bien; mais il a eu grant
regret au commencement de ce qu'il ne tenoit compaignie au protono-
taire pour estudier aux Institutes » (Bibliothèque nationale de Madrid :
Correspondencia de Granvela, caja V). Le protonotaire, dont Pierre Bordey
ne pouvait pas équilibrer l'avancement, était Charles Perrenot de Gran-
velle, né le 9 janvier 4531. Pierre Bordey était pourtant son aine de deux
ans et quelques mois, et il avait entre sept et huit ans de plus que Fré-
déric Perrenot de Granvelle, né le 2 avril 1536. — A propos d'un don de
400 francs que le cardinal de Granvelle avait fait à Pierre Bordey, en 1566,
pour l'aider à reconstruire sa grange de Vuillafans, le chanoine-archidiacre
Charles Bordey rappelait en ces termes les bienfaits que lui et son frère
avaient reçus du même prélat dès leur plus tendre enfance : « Après
avoir nourry mondict frère et moy quasi tout le temps de noz vies, apivs
nous avoir entretenu aux escholes et en aultres lieux honnorableraent,
après en somme nous avoir faict des biens infinitz, Vostredicte Illustris-
sime Seigneurie, ne se contentant de tout cela, a voulu, comme ung bon
père très charitable, mectre la main a la réparation et réfection de nostre
povre et désolée maison.... » (Bibliothèque de Besançon, Mémoires de
Granvelle, t. XXIIi, fol. 155). — Un oncle de Pierre Bordey, Jean Bordey
le jeune, avait été placé, en qualité de majordome, dans la maison du
comte d'Egmont : il était âgé d'enviion quarante ans en 4540, époque k
laquelle il déposa comme témoin dans l'enquête relative aux preuves de
noblesse du cardinal de Granvelle. (Prosper Lêvéque, Mémoires pour
servir à l'histoire du cardinal de Granvelle, t. II, p. 212.)
(24)
diacre de Salins i, le second comme archidiacre de Gray -.
Quant à Pierre, il s'était engagé fort jeune dans les troupes
bourguignonnes, c'était-à-dire franc-comtoises, qui faisaient
partie de l'élite des armées de Charles-Quint. Né en 1528 3, il
1 François Bordey, étant encore - écolier, fut élu chanoine de l'église
métropolitaine de Besançon, par le fait d'une résignation en sa faveur
de son compatriote Guy Monnier, de Vuillafans, le 30 décembre 1535. La
dignité capitulaire d'archidiacre de Salins se trouvant vacante par la mort
(le l'offieial Léonard de Gruyères, qui avait rempli des missions diploma-
tiques sous le régne de Charles-Quint, la cour de Rome obtint ce bénéfice
pour Giovanni Poggio, nonce du Pape en Espagne; mais il fut aisé à
Antoine Perrenot de Granvelle de faire rétrocéder cette charge à François
Bordey, qui y fut élu le 19 mars 1540. Cumulant avec son canonieat
et son archidiaconat la fonction de maitre d'hôtel de son illustre
cousin, François Bordey dut à cette situation l'honneur d'un médaillon
;i son effigie. Je vais décrire cette pièce d'après le cliché en plomb qu'en
possède la Bibliothèque de Besançon. Diamètre, 0,n,045. — Au droit, un
buste regardant a droite, tète nue, visage barbu, col de chemise rabattu
sur une soutane que recouvre en partie une houppelande; légende circu-
laire : FRANCISCVS BORDEY ARCHIDIANYS (sic) SAUNENSIS ; à la SCCtlOn (le
l'épaule : x.i. 34. — Au revers, un pèlerin traverse à gué le lit d'une
rivière, en montrant le ciel avec la main droite et s'appuyant de la main
gauche sur son bourdon; au fond, les monuments d'une ville avec un
palmier; en haut, sous forme de devise cintrée, le mot consylto. —
François Bordey mourut le 13 septembre 1560 : l'ûge qu'il avait, lors de
la gravure de la médaille qui le représente, semblerait assigner a celle-ci
l'année 1559 comme date approximative.
8 Charles Bordey, n'étant encore que clerc, avait été élu chanoine au
grand chapitre de Besançon, le 2 août 1547; il y devint archidiacre de
Gray, le 12 mai 1504, par suite de la démission de François Richardot,
qui avait remplacé Granvelle sur le siège épiscopal d'Arras. Il mourut
le 10 octobre 1570.
s « 11 a xl ans sur la teste », écrivait de lui Morillon au cardinal de
Granvelle, le 10 octobre 1568.
(25)
uvait 19 ans lorsque la bataille de Mûhlberg, où il se rencontra,
mît en déroute la ligue des protestants de l'Allemagne. Il conti-
nua de servir sous les drapeaux de Philippe II, fut à la mémo-
rable journée de Saint-Quentin, et ne quitta la vie militaire
qu'en 1559, au moment où le monarque espagnol sortit lui-
même des Pays-Bas et en confia le gouvernement à sa sœur natu-
relle, Marguerite d'Autriche, assisléede l'évêque d'Arras, Antoine
Perrenot de Granvelle, comme principal ministre. Cousin ger-
main de ce prélat, qui allait être fait cardinal, Pierre Bordey
fut placé par lui, en qualité de gentilhomme de la bouche,
dans la maison de la gouvernante *. Lorsque le cardinal de
(iranvelle cessa d'être ministre, en 1564, ce fut ù son cousin
Técuyer Bordey qu'il s'en rapporta pour être renseigné sur ce
qui se passait au palais de Bruxelles 2, comme aussi pour faire
parvenir discrètement à la princesse les dépêches confiden-
tielles dont elle sut si peu profiter 3.
i Lettres cîe chevalerie octroyées à Pierre Bordey et relatant ses services :
Madrid, 20 mars 1284. {Archives des hospices de Besançon : hôpital Saint-
Jacques, BB. 135.)
2 « M'ayant Sa Seigneurie Illustrissime, à son parlement, commandé
de luy escripre, rendant ceste obéissance voluntairement, si esse qu'en-
coires je ne l'entreprend point sans grande craincte, craignant de luy estre
trop importun. Mais, recherchant plus en cecy l'obéissance que je luy dois,
j'ayme mieulx tomber en cesle hazard, jusques à ce que j'ay aultre com-
mandement, que de faillir à faire mon debvoir ». (Pierre Bordey au car-
dinal de Granvelle, Bruxelles, 2 avril 1564 : Bibliothèque de Besançon,
Mémoires de Granvelle, t. XI, fol. 3.)
3 Ce fut par Pierre Bordey que le cardinal de Granvelle fit remettre à
la gouvernante l'exemplaire des décrets du concile de Trente qu'il avait
reçu, à l'intention de cette princesse, de la part du cardinal Borromée
(saint Charles), dont il était l'ami. « J'ay icy reçeu », écrivait-il à la gou-
(26,
Pierre Bordey s'était pris de belle passion pour la veuve de
Jacques de Marnix, ancien commissaire général des guerres
sous Charles-Quint, gentilhomme qui avait eu d'un premier
mariage Jean et Philippe de Marnix, célèbres par le rôle consi-
dérable qu'ils jouèrent dans l'insurrection des Pays-Bas. Leur
belle-mère, Marie de Bonnières, aimait la société de Pierre
Bordey et entretenait chez lui l'espoir, qu'il garda longtemps,
de conclure avec elle une union qui ne parvint pas à s'accom-
plir t. La rude franchise de Pierre Bordey aurait d'ailleurs fait
mauvais ménage avec l'humeur coquettement capricieuse de
celle dont il recherchait l'alliance : c'eût été Alcestc épousant
Célimène.
Lors du licenciement de la maison de la gouvernante, au
mois de novembre 1567, Bordey demeura sans emploi : il quitta
Bruxelles en septembre 1568, et passa par la Franche-Comté
pour aller à Rome retrouver le cardinal de Granvelle, qui-
volontiers l'aurait retenu comme maître d'hôtel, si lui-même
vernante, « une lettre du cardinal Boromeo, qu'est vielle, et toutesfois
Tenvoye-je à Vostre Altèze, pource que, par icelle, il accuse ung exem-
plaire qu'il me commande délivrer à Vostre Altèze des décretz du Concile
de Trente, lequel exemplaire, comme Ton m'escript, est demeuré à
Bruxelles; et, par mes lettres, j'encharge à mon cousin l'escuyer Bordey.
très humble serviteur de Vostre Altôze, de, avec la présente, le délivrer
à Icelle ». (Baudoncourt, 30 mai 1364 : Bibliothèque de Besançon,
Mémoires de Granvelle, t. XII. fol. 94 verso.)
1 Dans les lettres de Pierre Bordcv au cardinal il se trouve de longues
élégies sur les tergiversations de « madame de Thoulouzc » : ainsi
appelait-on cette veuve, dont le mari, Jacques de Marnix, avait possédé
la seigneurie du village de Toulouze, dans le Jura franc-comtois. Le
cardinal recevait aussi les doléances de la dame, au sujet des impatiences
de son adorateur.
(27 )
ne se fût reconnu impropre à cet emploi. Granvelle prit alors
le parti de le renvoyer à Besançon, où il arriva au mois de
septembre 1370, et eut pour logis la belle maison que Fran-
çois Bonvalot avait fait bâtir dans le quartier capitulaire et dont
le cardinal jouissait en qualité de dignitaire du chapitre métro-
politain de sa ville natale *. Ayant à se concerter, pour la ges-
tion des intérêts de la famille de Granvelle, avec les autres
hommes de confiance du cardinal 2, ses honnêtes emportements
i Et certes, monseigneur, estant aux vendanges, il arriva à Besançon
s'i loger sans mon sçeu, et estant arrivé à Besançon, je ne luy en osa
parler aultrement . . . Ledict sieur Bordey n'a que sa demeure luy
deuxiesme, sans bruyt, n'y tient mesnaige,et est autant retiré que homme
que j'ay venu ... ». (Claude de Chavirey au cardinal de Granvelle,
Besançon, 30 décembre 1570 : Bibliothèque de Besançon, Ment. de.
Granvelle, t. XXVII, fol. 309). — Sur la maison habitée à Besançon par
Pierre Bordev, vovez l'article Hôlel Bonvalot dans les deux éditions de
mon ouvrage sur Besançon et ses environs
- Voici les noms de ces hommes de confiance: Bonnet Jacqucmel,
ancien secrétaire du garde des sceaux Granvelle, devenu trésorier des
salines de Salins (voyez une note le concernant dans le § vw de mon
étude sur le Bronzino du Musée de Besançon); Claude de Chavirey, cousin
issu de germain, par sa mère Barbe Bonvalot, avec la mère du cardinal
de Granvelle (voyez une autre note dans la même page du mémoire pré-
cité;; Jean Amyot, de Salins, ancien secrétaire de Nicole Bonvalot,
mère du cardinal de Granvelle, mort le 4 janvier 1575; Jacques de Vers,
de Poligny, ancien maitre d'hôtel de Thomas Perrenot, frère du cardinal;
François Dalonal, chanoine de Saint-Anatoile de Salins, dont le cardinal
écrivait : « Il a de fort beaux livres et plus d'esprit que de théologie »,
mort au château de Scey-en-Varais, le 28 avril 1575; Jacques de Saint-
Mauris, prieur de Bellefontainc, fils d'une sœur de la mère du cardinal
et conséquemment cousin germain de ce prélat, qui le fit son vicaire
général lorsqu'il devint archevêque de Besançon (voyez quelques lignes
1
( 28)
donnèrent fréquemment lieu à des reproches ainsi formulés :
« Il est bonne personne, mais certes quelquefois incompatible;
Ton a peynne de drapper avec luy, et souvent, pensant bien
faire, il gaste tout * ».
La mort de Thomas Perrenot de Chantonay, survenue à Spire
le 13 février 1571, laissa vacant, parmi de très nombreux
emplois, l'office de prévôt et capitaine de la place de Fauco-
gney, en Franche-Comté, « estât médiocre », avait écrit
Morillon 2, « que touttefois peult pourvoir un gentilhomme ».
Le cardinal obtint du roi d'Espagne que ce débris de la succes-
sion de son frère appartiendrait à son cousin Pierre Bordey 3.
Pour celui-ci ce fut l'occasion d'un mariage qu il contracta, le
16 février 1576, à l'âge de 48 ans, avec Jeanne de Courbessain,
issue d'une ancienne famille qui possédait un château voisin
de Faucogney : il devint, en conséquence de cette union,
seigneur du Saulcy, et fut souvent désigné dès lors par le nom
de ce domaine. A titre de couronnement de carrière, le gou-
vernement de Philippe II lui octroya des lettres de chevalerie,
qui relatent ses services et portent la date du 40 mars 1584 *.
Il mourut à Besançon, dans les derniers jours de mai 1586,
sur lui dans la Notice préliminaire des Papiers Granvelle, par Ch. Weiss,
pp. xxxvi-xxxvm).
\ Bonnet Jacquemel au cardinal de Granvelle, Salins, 11 mai 1575:
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XXX, fol. li verso.
8 Morillon au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 9 mai 1568 : Biblio-
thèque de Besançon, Lettres de Morillon, t. V. fol. 51.
3 El card. de Granvcla al Rey, Roma, 4 de março 1571 : Bibliothèque
de Besançon, Mém. de Granvelle, t. XXVIII, fol. 11.
* Son contrat de mariage el ses lettres de chevalerie font partie des
archives des hospices civils de Besançon : hôpital Saint-Jacques, BB. 135.
( 29 )
quatre mois avant l'illustre homme d'Etat qu'il tenait « pour
seigneur et père ». Au sujet de sa mort, le cardinal écrivit,
dans l'une de ses dernières lettres intimes au prieur de Belle-
fontaine * : « J'ay entendu à mon très grand regret le trespas
de M. de Saulcy, mon cousin, auquel j'ay tousjours conneu
singulière affection en mon endroit ; il avoit bonnes entrailles ».
Il ne laissait, comme descendance directe, qu'une fille natu-
relle reconnue, Esthcr Bordey, à laquelle son testament 2 légua
2,500 francs et 200 francs pour habits nuptiaux. A sa femme
Jeanne de Courbessain, il donna sa part de tous les immeubles
acquis pendant leur mariage et la plupart des tapisseries qu'il
avait rapportées de Bruxelles. Son héritière fut Clauda Bonva-
lot, sa nièce, femme de Pierre de Constable, dont il attendait
des fils, en désirant que l'un d'eux recueillît un jour sa suc-
cession et relevât son nom ainsi que ses armes.
Pierre Bordey avait la réputation d'un « homme d'honneur
1 Bibliothèque de Besançon, Lettres du cardinal de Granvclle au prieur
de Belle fontaine, t. H, fol. 327 : Madrid, 25 juin 158C.
* Son testament reçu à Besançon parle notaire Jean Alviset, le 16 mai
4J>86, fut publié le 29 du même mois, naturellement après la mort du tes-
tateur. Pierre Bordey y est qualifié de « chevalier, seigneur du Saulcy,
Verchamps, etc., prévost et capitaine de Faucougncy pour Sa Majesté
Catholicque ». La famille Bordey fut continuée par la descendance de Jean
Bordey, issu du second mariage de Jean Bordey l'ainé avec Guillemettc
Vurry, de Dole. Cette descendance eut pour derniers représentants deux
bienfaiteurs de l'hôpital Saint-Jacques de Besançon : Pierre Bordey,
major de la place d'Huningue, mort dans ce poste en 1728, et sa sœur
Jeanne-Anne Bordey, veuve de Jean-François Chandiot, morte à Besan-
çon en 1737, femme lettrée qui avait entretenu des relations épistolaires
avec Madeleine de Scudéri. (Archives des hospices civils de Besançon :
Hôpital Saint-Jacques, BB. 43o.)
1
(30)
et de vertu », d'un « homme franc », sûr et fidèle *. « Et certes
je l'ayme », écrivait de lui Morillon 2, « l'aiant en tout temps
trouvé fort amy et constant ». Le même Morillon, qui avait été
longtemps « couchant et levant » dans la maison qu'habitait
également Bordey, rendait encore de lui ce bon témoignage3:
« 11 ne fault avoir doubte qu'il ne face ponctuellement ce qu'il
escript, que n'est pour fard ou rhétoricque, comme d'aultres
qui en font profession, car luy c'est tout cœur et fort sincère ».
Ces attestations d'un clairvoyant contemporain ne peuvent
qu'inspirer toute confiance dans la véracité des récits que nous
allons mettre au jour.
1 Lorsque Frédéric Perrenot de Champagney, le plus jeune des
frères du cardinal de Granvelle, noua des intelligences avec les ennemis
de ce prélat, pour avoir un rôle dans les affaires publiques des Pays-
Bas, il n'hésita pas à solliciter le concours de son cousin et ancien cama-
rade d'études Pierre Bordey. La réponse de celui-ci fut énergiquemcni
digne : « Oultreplus, monsieur, vous n'ignorés que mon bien, ma fortune
et mon advancement(et cela je le confesse et ne le nieray jamais) despend
de Sadicte Seigneurie Illustrissime, comme celle qui m'a nourry plusieurs
années et nourrit encoircs journellement : ce qu'estant véritable, je me
mescongnoistrois grandement et serois des ingrats le pire quand j'atten-
terois chose pour quil que ce fût contre son vouloir ». {Bordey à Cham-
pagney, Bruxelles, 15 février [1566] : Bibliothèque de Besançon, Mémoires
(le Granvelle, t, XVI, fol. 260.) — Champagney revint à la charge, mais
sans plus de succès, comme en témoigne une lettre écrite au cardinal
par Morillon, le 0 mai 1568.
* Morillon au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 14 décembre 1567 :
Bibliothèque de Besançon, Leltres de Morillon, t. VU, fol. 268 verso.
3 Ibid., 16 mai 1568, t. V, fol. 53 verso.
NARRATION
* i
i
FAITE AU CARDINAL DE GRANVELLE
PAR SON COUSIN GERMAIN PIERRE BORDEY.
1. — Programme d'un tournoi projeté à Bruxelles, pour V époque-
des noces d'Alexandre Farnèse et de Marie de Portugal.
PlEItRK BORDEY AU CARDINAL DE GlUNVELLE.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t XVII, fol. 41».)
Bruxelles, 26 mars 456o.
Le premier dimenche de caresme, en la salle de nostre court,
fut publié ung amortissement, par ung hérault d'armes, d'une
jouste quil se doit faire aux lices de. ladite court, à la venue du
prince de Parme *, lorsque se célébreront ses nopees. Et est le
mainteneur le conte de Mansfelts, qui se faict surnommer le
1 Alexandre, issu du duc Octavio Farnèse et de Marguerite d'Autriche,
fille naturelle de Charles-Quint, gouvernante des Pays-Bas au nom du
roi d'Espagne Philippe II.
8 Pierre-Ernest comte de Mansfeld, chevalier de la Toison d'or,
capitaine d'une bande d'ordonnance, capitaine général du duché de
Luxembourg : bien que partisan dévoué de l'Espagne, il n'hésita pas
a affronter la colère du duc d'Albe en défendant les comtes de Homes et
d'Egmont. Après la mort d'Alexandre Farnèse, en 4592, il fut chargé du
gouvernement général des Pays-Bas.
{ M )
Chevalier de l'Aigle. Les conditions ne se proposent encoiresT
Tayant remis à la publication du cartel. Bien est-il vray qu'il
fit prier, par le prince d'Orenge * à qui l'hérault d'armes avoit
donné une lettre de la part dudict Chevalier de l'Aigle, toutes les
dames de porter chascune une plume, pour n'avoir plus de
préférence Tune que Faultre, mcctant chascune en mémoire
ceulx quilz toucheront, pour sçavoir le compte des survenans.
Lorsque ceste publication se fit, il estoit passé cinq heures. Et
estoient là Son Altèze 2, Me prince d'Orengc, les contes de
Mansfelt, Orne 3, Megue •*, Austrate 5 et Nanssou 6, Achicourt"
et le beaul-frèrc dudict conte d'Austrate, le dernier marié, et
plusieurs aultres gcntilhommes : lesquels se partirent le jour
après, ormis les ordinaires 8.
1 Guillaume de Nassau, prince d'Orange, dit le Taciturne, chambellan
du roi d'Espagne, membre du Conseil d'État, chevalier de la Toison d'or,
capitaine d'une bande d'ordonnance , capitaine général de Hollande,
Zélande, etc., le futur émancipateur de la Hollande.
* Marguerite d'Autriche, duchesse de Parme, gouvernante des Pays-Bas.
3 Philippe de Montmorency, comte de Hornes, chevalier de la Toison
d'or, amiral de la mer, capitaine d'une bande d'ordonnance, destiné à
périr sur l'échafaud en même temps que le comte d'Egmoiit.
1 Charles de Brimen, comte de Meghem, chevalier de la Toison d'or,
rapitaine d'une bande d'ordonnance, capitaine général et grand veneur
du duché de Gueldre et du comté de Zutphen.
:i Antoine de Lalaing, comte de Hooghstractcn, chevalier de la Toison
d'or, capitaine d'une bande d'ordonnance, marié à Éléonore de Mont-
morency, sœur du comte de Hornes, du baron de Montigny et de la
deuxième femme du comte Pierre-Ernest de Mansfeld.
,; Le comte Louis de Nassau, frère germain du prince d'Orange, pro-
testant zélé, l'un des promoteurs de la révolution des Pays-Bas.
7 Philippe de Montmorency, seigneur de Hachicourt, chevalier de la
Toison d'or, chef des finances, oncle du comte de Hornes et du baron de
Montigny.
8 C'est-à-dire ceux qui résidaient à la cour de Bruxelles.
(33)
II. — Avis de Farrivée prochaine à Bruxelles du comte d'Egmont,
ramenant d'Espagne le jeune Alexandre Farnèse.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t. XVII, fo 233.)
Bruxelles, 26 avril 1565.
Deux ou trois jours avant la semaine saincte, Son Altèze
reçeut lettres d'Espaigne, comme son fils, le prince de Parme,
venoit avec le conte d'Aiguemont*; et, au mesme instant qu'elle
en reçeut les nouvelles, elle en advertit incontinent le prince
d'Orenge et la contcsse d'Aiguemont *. Petro de Parc 3 me dit
hier qu'ilz pourraient estreicy de lundy quil vint en huict jours.
C'est chose certaine que le conte d'Aiguemont avoit jà son
congé du Roy, et devoit attendre ledict prince de Parme à
Vailladoli *, que deans deux jours après le devoit suyvre.
Sadicte Altèze les attend avec grand dévotion.
* Lamoral comte d'Egmont, prince de Gavre, chevalier de la Toison
d'or, chambellan du roi d'Espagne, membre du Conseil d'État, capitaine
d'une bande d'ordonnance, capitaine général de la Flandre et de l'Artois,
capitaine du château de Gand, destiné à périr sur l'échafaud en même
temps que le comte de Homes.
* Sabine de Bavière, palatine du Rhin, sœur du comte- palatin
Frédéric III.
3 C'est celui dont Morillon disait, l'année suivante : « mon compère
du Par ». (Correspondance du cardinal de Granvelle, 1. 1, p. 433.)
* Valladolid, qui fut avant Madrid la capitale des Espagnes.
Tome XLL
(34)
III. — Arrivée d'Alexandre Farnèse à Bruxelles, en compagnie
du catnte d'Egmont.
Pierre Bordey au cardinal de Granyelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de GranveUe, t. XVIII, foL iî>.)
Bruxelles, 4 mai 1565.
Monseigneur, la sepmaine passée, que fut le xxve de Paultre
moys, j'ay escript assez amplement les occurrances qui pour
lors se passoient à Sa Seigneurie Illustrissime : entre lesquelles
je l'adverlissois comme Ton attendoit, selon les nouvelles que
Son Altèze avoit heu, aux premiers jours de ce présent moys,
son filz le prince de Parme et le conte d'Aiguemont; lesquelx,
prévenant encoires lesdicts jours, arrivarent tous deux en bonne
santé lundy passé, dernier jour d'apvril. Et n'en fut advertie
Sadite Altèze sinon le mesme jour, environ les deux heures
après midy, par ung courrier que ledict conte d'Aiguemont
avoit dépesché dois Valen tiennes *, et la prioit de faire pro-
vision de chevaulx à Tibise 2, parce qu'ilz espéroient estre en
ceste ville sur les quatre heures. Mais il en fut sept quant ilz
arrivarent. Tous les gentilhommes de la court accompagnarent
le maistre d'hostel 3 et le marquis * pour aller au devant d'eulx
et les recepvoir; et les altendismes au village tout près de
* Valenciennes, alors chef-lieu de prévôté dans la province du Hainautt
aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement du département français du Nord.
8 Tubize, à 33 kilomètres au sud-ouest de Bruxelles.
3 François-Philippe de Bernimicourt, chevalier, seigneur de La Tieu-
loye, capitaine et gouverneur de Béthune, maître d'hôtel de la gouver-
nante, en vertu d'une commission du 16 juin 1562.
4 Jean de Glymes, marquis de Berghes, chevalier de la Toison d'or,
capitaine d'une bande d'ordonnance, grand bailli et capitaine général du
Hainaut, gouverneur de Valenciennes et de Cambrai.
(85)
Risbourgi, où que nous fusmes attendant plus de deux heures.
lAr avec les atritres, je salua le conte d'Aiguemont, le premier,
comme celluy qui marchoit devant le Prince : il me monstra
de sa grâce fort bon visaige, dont je fuz fort content. Et, en
chemin, ung de ses gentilhommes qu'est son escuyer, j'en-
tendis qui dit à Boysot 2 : « 11 y a bien des nouvelles et
d'aultres que nous ne pensions à nostre parlement ». Et ledict
gentilhomme, de soy-mesme, tantost après, me salua fort
allègrement...
Quant au prince de Parme, je n'en saurois encoires que
juger, car il ne se voit qu'à table, et à l'entrée et issue de la
messe. Il a esté une fois au lougis du conte d'Aiguemont. Je
diray seulement que je me doubte qui ne tienne dclanorriture
d'Espagne, et qu'à estre courtois et béning, qu'il ne ressem-
blera au Duc son père.
J'avois oublié de dire que monsieur d'Avrey 3, Barlemont *
et ses filz 5 vinrent au devant desdicts seigneurs en housse seu-
lement, jusques hors de la porte d'Aoust <>, jongnant la maison
du maistre des postes, et illec les trouvasmes attendant.
1 Ruysbroeck, à 6 kilomètres au sud-ouest de Bruxelles.
* Charles Boisot, l'ainé des fils de l'ancien trésorier général des
finances Pierre Boisot, était gentilhomme de la maison de la gouver-
nante; il fut néanmoins des premiers et des plus ardents fauteurs du
soulèvement des Pavs-Bas.
* Charles-Philippe de Croy, marquis d'Havre, chevalier de la Toison
d'or, fils posthume du premier duc d'Arschot et d'Anne de Lorraine,
seconde femme de ce seigneur.
* Charles baron de Berlaymont, chevalier de la Toison d'or, capitaine
d'une bande d'ordonnance, chambellan du roi d'Espagne, gouverneur
du comté de Namur.
5 Berlaymont avait eu sept fils de sa femme Adrienne de Ligne-
Barbançon.
6 II s'agit de la Porte de Hal, celle qui était dans la direction de cette
ville, dont le nom se prononçait H aulx. (Voir une lettre de Morillon,
dans la Correspondance du cardinal de Granvelle, t. I, p. 128.) C'est la
seule des anciennes portes de Bruxelles qui soit debout : on en a amé-
nagé les constructions pour abriter le Musée des antiquités de Bruxelles.
(30)
Le lendemain de leur arrivée, arriva le conte de Orne, et ce
jour mesme Ton dépescha ung courrier vers le prince d'Orenge
qui estoit allé en Hollande, dois vendredy passé, pour quelque
différant mectre par accord et quelque chose dadvantaige...
IV. — Préparatifs (F une expédition maritime pour conduire en
Portugal l'ambassade chargée de ramener la princesse fiancée
à Alexandre Farnèse.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
{Bibliothèque de Besançon — Mémoires de Granvelle, t. XVIII, fol. i 13 verso et il i.)
Bruxelles, 26 mai 1565.
Il fault que Sadicte Seigneurie Illustrissime entende que
Sadicte Altèze, contre l'espoir qu'elle avoit, est forcée d'envoyer
querre en Portugal l'espousée du Prince son filz. De sorte que,
pour parfournir ceste emprinse, elle a commandé à quinze
gentilhommes de sa maison de se tenir prestz pour s'aller
embarquer en Zélande, pour dois là faire voisle à Lisbonne,
du nombre desquelx elle m'a choisi, chascun avec deux servi-
teurs; et en prent encoires aultretant d'estrangiers, dont l'on
m'a dit que Estambourges * et Forzin 2 et le baron d'Aubigny3
(car ledict baron dois la mort de son père il avoit quicté le ser-
vice) estoient de ceulx-là; et y va le maistre d'hoslel Lattiloy.
4 Georges de Ligne, seigneur d'Estambruges, cousin du comte
d'Kgmont.
* Charles de Gavre, seigneur de Fresin, gentilhomme de la bouche du
roi d'Espagne.
* Gille de Lens, baron d'Aubigny, qui fut mêlé aux agissements du due
d'Anjou, de la maison de France, pour devenir souverain des Pays-Bas.
( 37 )
Et sera complie ceste compagnie de tous officiers, comme la
maison d'un g prince.
11 y vont aussi jusques à xu dames : lesquelles ce seront je ne
sçay encoires. Et tient-t-on pour certain que pour chief de
tous il y aura ung chevalier de l'Ordre, lequel Ton présume
estre le conte d'Austrate : pour le moings, il s'est offert*.
Le nombre de ceste noblesse, officiers et leur suytte, se
monte jusques à cent et cinquante. Et dedans quatre batteaulx
de guerre, que sont soubz la conduicte de monsieur de Vaque"2,
il y aura, tant en gens de guerre que matelotz, le nombre de
six cens personnes. Et nous a-t-on ordonné de nous tenir
prestz pour le xxve du moys prouchain.
Je n'ay sçeu à ce commandement aultre chose respondre,
sinon que je ferois comme les aultres. Et de tous Ton a choisy
ceulx que l'on espéroit qui mieulx se montreroient pour faire
honneur à Sadicte Altèze en ce voyage. Et ne demeure que dix
gentilhommes icy, dont Magny est l'ung : de quoy chascun est
bien ayse de ce qui n'est point de la troupe 3; il n'est pas
encoires de retour.
1 « Son Altèze est présentement empeschée à faire apprester les
bateaux pour envoyer en Portugal quérir la Princesse. 11 y en aura quatre
de guerre et deux ulques pour le bagaige. Mons. de Wakene y va comme
visadmiral. Et y envoyé Son Altesse vingt de ses gentilzhommes et aucunes
de ses dames. Entre les gentilzhommes sont La Thieuloye, comme
maistre d'hostel, son filz, Zvevghen, Bordey, Marnol, Lenze, Boisot et
aultres. Et desdictes dames, Orante, la fille dudict La Thueloye, et encores
une ou deux. Et pour principal, un chevalier de l'Ordre, qui n'est encoires
nommé : aucuns dient que ce sera mons. de Hucstrate, et sa femme pour
dame d'honneur ; aultres dient qu'il est trop jeusne, et que ce sera le conte
de Mansfelt ». (Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 25 mai 1565 :
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XVIII, fol. 103 verso.)
* Adolphe de Bourgogne, chevalier, seigneur de Wacken, grand bailli
de Gand, vice-amiral, fils d'un bâtard du grand bâtard de Bourgogne.
3 Ce Magny était attaché à la maison de la gouvernante au même titre
que Bordey, et ils avaient eu ensemble une discussion très vive, le
11 février 4565. Us étaient à la cuisine du palais, attendant les plats qu'ils
devaient porter sur la table de Son Altesse, quand Magny se permit de
( 38)
Or est-il que, quelque responce que j'ay faicte concernant
le vouloir de Sadicte Altèze, je ne feray jamais ce voyage avec
contentement, si n'est par Tadviset ad veux de Sadicte Seigneurie
Illustrissime, parce que sans son commandement je ne Fexé-
cuterois jamais de bon gré : et davantaige que si elle est de ces!
advis que je demeure, pour rien du monde, je ne la désobéiray.
Mais si elle est de ce vouloir, j'auray ceste charge fort agréable,
et d'allègre cueur j'entreprendray le voyage...
Je sçay bien que je ne seray pas bon marinier; mais cela ne
m'effroye, ny moins le péril que la mer continuellement
apporte : de sorte que, pour ne manquer à mon honneur et
devoir, je ne craindray à expérimenter la fortune de la mer.
Seulement désirerois-je, pour mon plus grand contentement,
que leffect de ceste navigation ressemblasse à celluy pour
quil j'entens que mon cousin d'Achey se soit embarqué à
Gennes*. Mais, puisqu'il ne peult estre pour maintenant, ce
me sera assez pour entière satisfaction que je Fenlrepreigne,
oultre le commandement de Son Altèze, par le bon vouloir et
celluy de Sadicte Seigneurie Illustrissime : ce que je requiers
bien humblement.
dire tout haut que le cardinal de Granvelle était coutumier de corrompre
la justice. Bordey releva vertement le propos, et Magny fit mine de vouloir
lui demander raison de cette réplique. Rendez-vous avait été pris pour
une rencontre ; mais Magny ne s'y trouva pas : bien plus, il fit dire à
Bordey, par le gentilhomme espagnol Camargo, qu'il ne voulait pas
cesser d'être son ami. « J'ay faict mon devoir », écrivait à ce sujet
Pierre Bordey, « et le lairay ainsi, et ne le rechercheray jamais; mais sy
me cherche, il me trouvera en tout et partout tousjours homme de bien ».
(Bordey au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 13 et 15 février 1565 :
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XVI, fol. 24445
et 259 verso.)
1 Jean d'Achey, baron de Thoraise et bailli d'Amont en Franche-
Comté, second mari de Marguerite Perrenot de Granvelle, sœur ai née du
-cardinal et cousine germaine de Pierre Bordey. Ce beau-frère du
cardinal aurait, parait-il, fait partie de l'un des contingents que Philippe II
envoya au secours de Malte, assiégée par les Turcs. Les galères d'André
Doria, qui transportèrent ces troupes, durent, en effet, partir de Gènes.
(39)
J'estime aussi que Sadicte Seigneurie Illustrissime pensera
bien que je ne puis faire ce voyage sans assistance d'aulcuns
deniers : de quoy j'en ay parlé à monsieur le provost
Morillon * qui, de sa grâce, m'a promis de ne me faillir de
m assister. Je prendray seulement de luy, de craincte d'oser
trop, le reste que Ton me peult devoir jusques au moys
prouchain du traictement qu'il a pieu à Sadicte Seigneurie
Illustrissime me faire en son absence, pour la nourriture de
moy et des miens :1a suppliant très humblement d'en faire
rembourser ledict provost, afin qu'il soit content d'ung si grand
plaisir qu'il m'aura faict...
Je la supplieray aussi bien humblement que si luy semble
ban d'cscrîpre une lettre h monsieur de Lattiloy 2 et à
monsieur de Vacque en ma faveur, de le vouloir faire, car
peult-estre cela servira à me mieulx louger aux basteaulx.
1 Maximilien Morillon, le plus intime des amis du cardinal de Gran-
velle, possédait, entre autres bénéfices ecclésiastiques, la prévôté de
Saint-Pierre a Aire en Artois : la qualité de prévôt était celle qu'on lui
donnait habituellement; son portrait gravé se trouve en tête du tome II
de la Correspondance du cardinal de Granvelle.
* Nous avons la réponse gracieuse que fit le maître d'hôtel François
de La Thieuloye à la lettre par laquelle le cardinal lui avait recommandé
son cousin Pierre Bordey : Bruxelles, 5 juillet 1565; Bibliothèque de
Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XIX, fol. 19. — Cette réponse est
signée : Fralnchois de Lathieiloye.
( 40 1
V. — Proposition faite au comte de Mansfeld et à sa femme <Vêlrc
à la tête de l'ambassade qui devait allei* en Portugal chercher
la fiancée d'Alexandre Farnèse.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t. XVHI, fol. il?.)
Bruxelles, lfr juin 4563.
Monseigneur, pour avoir escript à £a Seigneurie Illustris-
sime par monsieur de Bellefonteine * il y aura demain huict
jours seulement, ces deux motz serviront pour l'advertyr
comme ce mesme jour, sur lé soir, arriva le prince d'Orenge*
Et, après le dîner, se partit Montegny * pour retourner à
Brughes.
Depuis est retourné le conte de Orne devers monsieur de
Mansfelt, lequel, à ce que Ton présume, auroit esté envoyé vers
luy pour sçavoir si luy et la contesse sa femme vouldroit aller
en Portugal : atendu qu'au retour dudict conte, il s^st publié
par nostre court que ledict Mansfelt et Iadicte dame, pour cer-
tain, avoient promis à Son Altôze de faire ce voyage, combien
qu'aulcuns jours paravant Ton tenoit que ce seroit monsieur
d'Austrate; que peult estre fût esté ainsi si madame sa com-
pagne 3 Peult voulu suyvre, mais elle s'est excusée, à ce que
l'on dict, sur son indisposition.
1 Jacques de Saint-Mauris, prieur de Bellefontaine en Franche-Comté,
était le fils de Jean de Saint-Mauris, ambassadeur impérial en France
de 1544 à 1348, et d'Eticnnette Bonvalot, sœur cadette de la mère du
cardinal de Granvelle.
* Floris de Montmorency, seigneur de Montigny, baron de Leuzc,
chevalier de la Toison d'or, capitaine d'une bande d'ordonnance, capi-
taine et grand bailli de Tournai et du Tournaisis, frère puiné du comte
de Homes et comme lui victime de la politique ténébreuse de Philippe II.
3 La comtesse de Hooghstractcn, mariée depuis 1561, était Éléonore
{« )
L'on s'aperçoit clairement que Sadicte Altèze se trouve gran-
dement empeschée pour complir, comm' il convient, ù l'apareil
de ces nopees; et je crains seulement qu'elle n'en fasse trop.
Dois la my-caresme, il passe le nombre de soixante brodeurs
quilz continuellement en court besongnent pour cest effect.
VI. — Arrivée à Bruxelles du comte de Mansfeld et de sa femme :
préparatifs de leur embarquement avec une nombreuse suite;
avis du mariage par procureur contracté à Lisbonne au nom
d'Alexandre Farnèse.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
: Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, L XVIII, fol. 327 verso
et 328.)
Bruxelles, 24 juin 1565.
Par mes dernières, j'avois escript comme le conte de Horne
estoit allé, de la part de Son Altèze, vers celluy de Mansfelt
pour sçavoir s'il vouldroit entreprendre le voyage de Portugal
avec madame la contesse sa compagne i : ce qu'il a accourdé.
Et le ramena ledict conte de Horne avec luy. Et mardy passé
arriva en ceste ville la contesse sa femme, et tira-t-on à son
entrée plusieurs pièces d'artillerie : dont meincles personnes,
sont estes esbahys ; Lattilloy, maistre d'ostel, avec dix ou douze
gentilhommes, fut au devant d'elle plus d'une lieue. Son Altèze
Ta reçeue avec grandissimes caresses.
do Montmorency, sœur du comte de Hornes, du baron de Montigny et
de la deuxième femme du comte Pierre-Ernest de Mansfeld.
1 En 1562, Pierre-Ernest de Mansfeld s'était remarié avec la veuve du
comte Charles de Lalaing, Marie de Montmorency, sœur du comte
de Homes, du baron de Montigny et de la comtesse de Hooghstraeten.
(«)
Nostrc parlement pour Zélande estoit ordonné au jour de
demain, el pour ce jour l'on nous avoit commandé de nous
tenir prestz. Hais ladicte contesse sera cause qu'il soit esté
dilayé jusques à la fin de la sepmaine ou bien aux premiers
jours de la prouchaine, parce qu'elle s'est partie ceste après-
diné pour Vart f, pour illec aller prendre congé de madame la
contesse de Horne sa mère. Il est vray qu'elle est partie pour
cest effect. Mais cela ne fut pas survenu sans ung aultre empes-
chement qu'elle a causé, dont j'entens que Sadicte Altèze a esté
fort fâchée, qu'est que, pour mener avec elle plus de dames
que Sadicte Altèze n'espéroit, Ton dit que Ton sera contraîn de
rechanger tout le compartiment des basteaulx, que jà estoit
faict, ou bien qu'il en fauldra prendre ung dadvantaige. L'on
présumoit qu'elle se contenterait de cinq ou six femmes au
plus; mais elle va elle xne de femmes : entre lesquelles Tune
est sa belle-fille. Et oultre cecy, il va aussi madame de Vaque -,
accompagnée d'aultre cinq ou six dames : ce que Sadicte Altèze
n'espéroit point; mais s'estant offerte d'y aller, elle ne l'a osé
refuser. Aussi le conte de Mansfelt va grandement accompa-
gné, menant de son coustel pour le moings xxmi gentilhommes :
de sorte que sa suytte surpasse le nombre de iiiixx personnes.
Mais j'entends que Sadicte Altèze ne plaint point le grand
nombre des hommes, mais bien celluy des femmes, afin que
la Princesse, et celles qui viendront avec elle de Portugal, ayt
plus grand large et meilleur place pour eulx accommoder; car
l'on avoit déterminé que toutes les femmes iroient dedans ung
basteaul.
1 Weert, petite ville située à 24 kilomètres à l'ouest de Roermond : il
s'y trouvait alors un magnifique château qui était la résidence d'Anne
d'Egmont, successivement veuve de Joseph de Montmorency et de Jean
comte de Hornes. Ce second mari avait fait héritier l'ainé des fils issus
de la première union de sa femme ; c'était ainsi que Philippe de Mont-
morency portait les titres de comte de Hornes et de seigneur de Weert.
* La femme du vice -amiral Adolphe de Bourgogne -Wacken était
Jacqueline de Bonnières, vraisemblablement sœur de la seconde femme
de Jacques de Marnix, cette veuve « dame de Thoulouze », Marie de Bon-
nières, dont Pierre Bordey convoitait la main.
( 43 )
Celles que Son Altèze envoie sont ceulx icy : la seignora
Éléonor, la seignora Anthoine, Orante, Genèvre et Lattiloy. Le
nombre de ses gentil hommes n'est ny accru ny diminué, de
ceulx que j'ay jà advcrty Sadicte Seigneurie Illustrissime qui
alloient. Vray est que Zevfghven *, voulant et tâchant plus estre
que nul de ses compagnons à ce voyage, j'entens qu'il a faict
remonstrer par Armentere * à Sadicte Altèze, qu'il espéroit bien
que Sadicte Altèze le feroit maistre d'hostel de la Princesse, ou
bien le mectroit en plus hault degré que de gentilhomme : ce
qu'elle a prins de maulvaise part et quasi pour luy donner son
congé ; car inesine il tachoit de s'excuser pour ne point faire
ce voyage, remonstrant qu'il en avoit jà faict plusieurs aultres
et que ses affaires ne requeroient cestuy icy. J'entens que l'on
luy auroit faict responce que si vouloit demeurer, qui deult du
tout demeurer en sa maison : ce que a retiré aulcuns de noz
compagnons de s'excuser, encoires qu'ilz en avoient légitimes
causes 3.
■ François de Halewyn, seigneur de Zweveghem, gentilhomme de la
chambre de la gouvernante.
* Tomas Armenteros, donné par le Conseil d'Espagne pour secrétaire
intime à la gouvernante, avait acquis, depuis le départ de Granvelle, un
empire absolu sur cette princesse. « On l'appelait ou le barbier de Madame,
par allusion à un barbier du duc de Savoie, fort influent, ou Argentcros,
par allusion à sa cupidité ». (Poullet, Correspondance du cardinal de
Granvelle, t. 1, p. 26, note 2.)
3 Le secrétaire d'État Bave, dont Zweveghem était le cousin, put encore
mieux expliquer au cardinal de Granvelle les motifs du dépit de ce
gentilhomme. Voici quelques passages des lettres de Bave qui concernent
cet incident : « L'on est tousjours entendant à l'équipaige des bateaux
pour le voaige de Portugal, et est dois devant hier arrivé le conte de
Mansfelt. Les fraiz sont grandz, et le voaige en saison assez mal propice.
Et, ce considérant, mon cousin de Zvevghen a trouvé moyen de honnes-
tement s'en excuser, puisqu'il estoit seulement nommé avec les aultres
gentilzhommes, sans avoir particulièrement charge » (15 juin 1565). —
« Mon cousin de Zvevghen, voyant que l'on ne luy donnoit nulle parti-
culière charge et que Ton le vouloit seulement envoyer avec la troppe
des aultres gentilzhommes pour faire nombre, s'en est excusé, luy sem-
blant ne convenir aux autres charges que Son Altèze luy avoit autresfoys
(44 )
Quant à ce que Sadicte Seigneurie Illustrissime escript que
d'Angleterre l'on auroit adverty que l'armée estoit preste pour
admener la dame icy (je dis l'armée de Portugal), jamais je
n'en ay ouy parler ung mot par deçà, ains au contraire que
leur intention n'estoit point de despendre ung sol *. Bien
est-il vray que, par ung corrier, l'on a esté adverty en quelle
grande magnificence a esté espousée ladicte dame par pro-
cureur, et que Aldinguel â, qui est là, mandoit comme elle estoit
preste, attendant seulement les basteaulx de par deçà. L'on dit
qu'il coustera à Son Altèze plus de cent mil florins. Et parlc-
t-on estrangement de ce qu'elle faict pour faire avoir argent au
conte de Mansfelt, contraignant quasi les finances à luy poyer
toutes vielles debtes, voire, selon qu'aulcuns dient, celles que
luy pourroient estre dehues de l'Ordre... 3,
J'ay reçeu tout le reste du traictement qu'il me pouvoit estre
dehu jusqu'au premier jour de ce moys, qu'il plaist à Sadicte
Seigneurie Illustrissime me donner durant son absence. Et
donné; et, bien qu'elle luy avoit consonne en sa chambre, et estant
retiré en sa maison, a fait maistre d'hostel le sieur de Semmcri, frère de
monsieur de Trasigny, dont ledict Zvevghen ne seyt encores riens : Dieu
sçeit comm' il le prendra ! Je tiens qu'elle ne Ta voulu avancer pour
avoir esté promeu par Vostre Illustrissime Seigneurie à son service •
(9 juillet 1565). — « Zvevcghen n'est encores retorné, et tiens qu'il se
sociera doresnavant peu de servir, puisque Madame a en sa barbe fait
maistre d'hostel le sieur de Semeri » (13 août 1565). Bave au cardinal de
Granvelle : Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XVI1J,
fol. 196; t. XIX, fol. 25 verso et 172.
1 Bordey veut dire ici que la cour de Lisbonne n'avait pas l'intention
de dépenser un sou pour envoyer a Bruxelles Marie de Portugal.
* Strada appelle Ardinghellus cet envoyé de Philippe II à Lisbonne
pour la conclusion diplomatique du mariage d'Alexandre Farnèse et de
Marie de Portugal.
3 « Madame de Parme est fort empeschée aux nopees, et faict grandi
apprestez. Son mari faict lever deniers en Anvers pour ce : où Ton n'est
content si elle ne se oblige quant et quant, ad ce qu'elle ne vcult en-
tendre ». (Morillon au card. de Granvelle, 9 juillet 1565 : Papiers d'État,
t. IX, p. 386.)
(48)
davantaige m'a délivré monsieur le provost Morillon les cent
escuz qu'il a pieu à Sadicte Seigneurie Illustrissime me sura-
croistre pour m'assister en ce voyage de Portugal.
VII. — Festin donné par la gouvernante à l'occasion du départ
de l'ambassade qu'elle envoyait en Portugal.
Pierre Bordey au cardinal de Granyelle.
v Bibliothèque de Besançon.— Mémoires de Granvelle, i, XIX, fol. 21.)
Bruxelles, 6 juillet 1565.
Monseigneur, j'ay, par l'homme de Grandjehan i, du xxiiii6
du moys passé, escript mes dernières lettres, par lesquelles,
sur la fin, je prenois congé de Sa Seigneurie Illustrissime et
Reverendissime : ce que je faictz encoires par les présentes très
humblement ce jourd'huy, jour de nostre département de ceste
ville de Bruxelles pour Flezingue en Zélande?; et se faict le
chemin par Terremonde 3, où que l'on va aujourd'huy cou-
cher, et demain à Gand, pour dois là s'embarquer. Monsieur
de Mansfelt, chief, va accompagné de grand nombre de gen-
tilhommes, du nombre desquelx est Bassompierre, lourrain * :
1 Charles Grandjean, seigneur de Romain, en Franche-Comté, membre
du Conseil privé des Pays-Bas depuis 1561.
2 Flessingue ou Vlissingen, port de mer situé en Zélande, au sud de la
grande île de Walcheren, à l'embouchure de l'Escaut.
8 Termonde ou Dendermonde, petite ville forte, à mi-chemin entre
Mali nés et Gand.
* Christophe de Bassompierre était le plus jeune des trois fils de Fran-
çois de Bassompierre, qui avait été page d'honneur de Charles-Quint
enfant, puis capitaine de la garde allemande de ce monarque. Après la
(46}
c est celluy qui a tué son beaul-frère, et présume estre le mesme
quil fut à Besançon. Son Altèze, entre les gentilhommes de
sa maison, en ha choysi trois pour estre au basteaul de la
Princesse : que sont le baron d'Aubigny, Lenze * et Marno *...
subordination de la Lorraine à la France, François avait été contraint
d'envoyer ce fils en otage à la cour de Henri II, afin de conserver la jouis-
sance des biens qu'il possédait en Lorraine. Du même âge que le duc
d'Orléans, qui fut depuis le roi Charles IX, Christophe avait été donné pour
compagnon à ce prince, qui le prit en amitié et près duquel il demeura
jusqu'en 1565. 11 vint alors retrouver aux Pays-Bas le comte Charles de
Mansfeld, élevé avec lui et qu'il aimait fort Étant ensemble à la cour de
France, où un emploi de colonel avait été donné à chacun d'eux, le frère
aîné de Bassom pierre , Claude-François, vint les y visiter : son frère
Christophe, en jouant avec une épée, lui fit au bas-ventre une légère bles-
sure qui, pour avoir été négligée, fut mortelle. Le maréchal de Bassom-
pierre, fils de Christophe, place cet événement après la campagne de
Hongrie, où son père combattit aux côtés de Henri de Guise et devint son
ami de cœur : cette campagne eut lieu en 1566. Pierre Bordey, faisant
allusion à cet événement dans un écrit daté du 6 juillet 1565, il y a lieu
de croire qu'une interversion de faits s'était produite dans les souvenirs
du maréchal de Bassompierre. D'après ce même écrivain, Charles de
Mansfeld et Christophe de Bassompierre auraient été cousins germains :
aucune des généalogies de ces deux familles ne confirme cette allégation,
laquelle dès lors semble étrange de la part du fils de l'un des deux per-
sonnages ainsi qualifiés.
1 II s'agit vraisemblablement d'un membre de la famille de Lens, celle
à laquelle appartenait le baron d'Aubigny.
* Jean de Gilley, seigneur de Marnoz en Franche-Comté, était fils de
Nicolas de Gilley, qui avait été chargé par Charles-Quint de plusieurs
négociations, et de Jeanne de Marnix : il se trouvait ainsi le cousin ger-
main des deux frères Jean et Philippe de Marnix, ces ardents* auxiliaires
du prince d'Orange dans le soulèvement des Pays-Bas ; il était en outre
le neveu par alliance de la veuve de Jacques de Marnix, cette « dame de
Thoulouze », dont Pierre de Bordey recherchait la main. « Luy », écri-
vait Bordey, « est seul cause quy empesche une fin d'entre ladicte dame
et moy (26 avril 1565) ». Jean de Gilley n'épousa cependant pas la « dame
de Thoulouze »; il eut pour femme Anne de Saint-Mauris. Lettré et
savant, il fut l'auteur d'une carte de la province de Franche-Comté et
décrivit en vers latins quelques sites des environs de Salins, sa ville
(47)
Le retour du conte de Mansfelt avec sa femme, de Vart, fut
dimenche passé, et avanlhier au soir leur fit ung festin Son
Altèze à la grande gallerie basse, où qu'estoient les vielles
contesses d'Orne et Austrate i, avec madame de Mansfelt 2 et
la jeune Australe 3t la contesse de Ligne * et deux siennes
sœurs non encoires mariées, le Prince, le prince d'Orenges,
les contes d'Aiguemont, Mansfelt, Austrate et Ligne 8. Et n'y
estoit ny monsieur de Barlemond, ny monsieur d'Arem-
berghue <>, lequel estoit arrivé en cestc ville mardy au soir,
combien que j'avois escript par mes dernières que l'on ne
présumoit point qu'il viendroit
Tous les gentilhommes de la maison allant en Portugal
sont appelles à ix heures en court, ausquelx Son Altèze veult
parler. J'advertiray ce que ce sera, dois Zélande, Sadicte Sei-
ncurie, et de ce qu'adviendra de plus, par une lettre que je
lairay le jour de mon ambarquement
natale. L'historien Gollut, son contemporain, le disait « non seulement
très valereux et vaillant, mais encor très docte et bien versé en toutes
disciplines libérales, et en la cognoissance de plusieurs langues » {Mé-
moires historiques de la République séquanoise, édit. Ch. Duvernoy, col.
104). Voyez un article sur Jean de Gilley, par Ch. Weiss, dans la Biogra-
phie universelle.
i Anne d'Egmont, successivement veuve de Joseph de Montmorency et
de Jean comte de Homes; Anne de Rennebourg. veuve de Philippe de
Lalaing, comte d'Hooghstraeten.
* Marie de Montmorency, veuve du comte de Lalaing, remariée au
comte Pierre-Ernest de Mansfeld.
3 Éléonore de Montmorency, sœur du comte de Homes, du baron de
Montigny et de la comtesse de Mansfeld.
4 Marguerite de Lalaing, sœur du comte d'Hooghstraeten.
8 Philippe comte de Ligne, chevalier de la Toison d'or, avait épousé
Marguerite de Lalaing.
* Jean de Ligne, comte d'Aremberg, chevalier de la Toison dTor, capi-
taine général des provinces de Frise orientale, Groningue,0\veryssel,etc. :
son portrait gravé se trouve en tête du tome III de la Correspondance du
cardinal de Granvelle.
(48)
VIII. — Départ de T ambassade allant en Portugal : son voyage
entre Bruxelles et Middelbourg .
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t. XIX, fol. 55.]
Middelbourg, 15 juillet 1565.
Monseigneur, le jour de nostre partcmenl de Bruxelles pour
commencer nostre voyage de Portugal, que fut le vie de ce
moys, je laissay à monsieur le provost lettres pour Sa Seigneu-
rie Illustrissime de la mesme datte. Depuis n'est rien survenu
dois nostre parlement, sinon qu'avant icelluy, Son Altèze nous
fit tous appeller en sa chambre, où que en général clic nous
fit une harangue non moings vertueuse que courtoise, par
laquelle elle nous remercioit bien fort de ce que nous faisions
pour elle, et nous prioit de vouloir obéyr au maistre d'hostel
Lattiloy et faire ce qui nous commenderoit, et de faire et
rendre tout service au conte de Mansfelt et à sa femme, tout et
en la mesme sorte que nous ferions pour elle, et telz et sem-
blables aultres complimens,assheurant qu'elle recepvroit estrc
faict à elle tout ce que ferions en ce voyage, et qu'elle en auroit
souvenance et recongnoistroit par ci-après le service que luy
faisions en cecy.
L'on se partit après les trois heures pour Terremonde avec
belle et grande troupe de chevaulx, et accompagna le Prince
ceste compagnie, avec tous les seigneurs, plus d'une demye
lieue : desquelx nul ne passa avec le conte de Mansfelt jusques
audict Terremonde, sinon les contes d'Austrate et Nanssou. Le
lendemain, ainsi qu'aprouchions Gand, vint au devant mon-
sieur de Montigny et d'Assonville i, quilz ce jour mesme
1 Christophe d'Àssonleville , chevalier, docteur es droits, seigneur
(49)
venoient de Brughes, et audict Gand trouvâmes la vielle con-
tesse de Orne et la jeune d'Australe qu'il semble ne se porte
point trop bien. Et ce soir y arriva par la poste le conte de
Orne. Nous séjournâmes audict Gand et le dimenche et le lundy
avec toute ceste compagnie. Là parloit-on fort du retour de
Sadicte Seigneurie Illustrissime en Flandre : et y eult aucuns
gentilhommes quilz me demandarent si j'en avois nulles nou-
velles ; à quoy je fis response que non. La ville fit le dimenche
au soir un soupper à toute ceste compagnie, fort sumptueux,
où il y avoit plus de ctinxx personnes.
Le mardy, sur les m heures, Ton s'embarqua audict Gand et
dina-l'on à Saxe *, estant demeuré audict Gand le conte de
Mansfelt. Et prindrent illec congé Orne, Montegny, Australe,
Nanssou et aultres gentilhommes, qui s'en retournarent audict
Gand par la poste après l'ambarquement. Nous arrivâmes à
Medelebourg- environ les cinq heures. Et le jour après, sur le
matin, arriva le conte Charles de Mansfelt 3,qui estoit demeuré
à Bruxelles, et avec luy Bassompierre, Estanbourghe et Frezin.
Et, sur le soir, arriva le conte son père, et avec luy Orne et
Austrate, qu'on pensoit qu'ilz avoient prins congé de tout.
Nous sûmes tousjours attendant icy le vent pour nous
de Hauteville, conseiller et maitre des requêtes au Conseil privé des
Pavs-Bas.
et
1 Sas van Cent (écluse de Gand), ville hollandaise, où se trouvent les
grandes écluses du canal qui relie Gand à l'embouchure de l'Escaut.
* Middelbourg, capitale de la province de Zélande, située au milieu
de Tile de Walcheren, à la pointe méridionale de laquelle est le port de
Flcssingue.
3 Le comte Charles de Mansfeld, issu du premier mariage du comte
Pierre-Ernest avec Marguerite de Brederode, était à la fois le neveu du
comte Henri de Brederode, le plus violent des adversaires du cardinal de
Granvclle. et le neveu par alliance de Thomas de Chantonay, frère de ce
prélat. Dans la fougue de la jeunesse, Charles de Mansfeld compta parmi'
les premiers seigneurs confédérés ; mais les excès de l'insurrection popu-
laire le rendirent bientôt l'ennemi du mouvement qu'il avait contribué à
provoquer. 11 devint dès lors, sous les auspices de son père, l'un des chefs
distingués des armées catholiques.
Tome XLI. 4
(50)
ambarquer. Il y aura grande Hotte, car plusieurs marchans
suyvront nostre armée. Nous avons quatre navires, les plus
belles que Ton a jamais veu, mesmes YAdmirale et la Vice-
Admirale. En YAdmirale va le conte de Mansfelt et sa femme,
et les dames, monsieur de Vaque et Latiloy, et quelques aultres
gentilhommes, y estant réservé le quartier de la Princesse; en
la Vke-Admiraley nous aultres gentilhommes de la maison,
avec quelques x ou xu aultres gentilhommes. La 111e est pour le
conle Charles de Mansfelt avec toute la suytte des aultres gen-
tilhommes. Toutes trois sont munies de souldartz, comme est
aussi la 1111e, où que sont les vivres et partie du bagaige.
Monsieur d'Austrate et monsieur de Orne se partent aujour-
d'huy. L'évesque * festoyé toute la compagnie dans le palais
auquel est logé la court. Il me faict grandes caresses pour
aulcunes lettres que je luy pourta de la part de monsieur le
provost Morillon, et m'a prié de présenter ses humbles recom-
mendations à Sa Seigneurie Illustrissime L'on ne parle icy
sinon du retour de Sa Seigneurie Illustrissime : les ungs
disent qu'elle est arrivée, les aultres qu'elle est en chemin.
Monsieur de Saimery * est faict, dois nostre partement, maislre
d'hostel de Son Altèze, celluy quil n'est pas marié et a jà servy
la sepmaine passée. La fille de monsieur de Lattiloy a la fiebvre:
que si elle continue, le père n'a nulle volunté de la mener. A
luy et à monsieur de Vacque j'ay donné les lettres de Sa Sei-
neurie Illustrissime : ilz m'ont donné tous deux bonnes
parolles et peu d'effect ; et plus tost j'en espère de monsieur
de Vacque que de l'aultre, encoires que je n'ay guaires de
congnoissance de luy.
1 Lors de la création des nouveaux évôchés des Pays-Bas, Middelbourg
avait été dotée d'un siège épiscopal, dont le premier titulaire se nommait
Nicolas Vander Borch, en latin Sicolaus de Castro.
* Robert de Trazegnies, chevalier, seigneur de Sepmeries : fils de Jean,
chevalier de la Toison d'or, et d'Isabelle de Werchin, il était gouverneur
des villes et châtellenie d'Ath.
(M )
IX. — Séjour de ^ambassade à Middelbourg, en attendant le vent
propice pour rembarquement à Flessingue.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t. XIX, fol. 79 )
Middelbourg, 90 juillet 1565.
Monseigneur, j'ayreçeu les lettres qu'il a pieu à Sa Seigneurie
Illustrissime m'escrire du IIe de ce moys, mecredy passé, que
fut avant-hier, qu'estoit le jour que, avec grande diligence, l'on
ambarquoit le bagaigede toute la compagnie, aiant déterminé
le conte de Mansfelt, lors, de s'ambarquer le jour après et dedans
le basteaul attendre le vent propre pour faire voisle. Mais nous
sûmes encoires icy : je ne sçay si ce sera pour ce soir ou
demain. Ledict mecredy arriva la vielle contesse de Orne en
ceste ville ; et le conte Charles, le jour devant, estoit party pour
aller à Vienne vers monsieur de Brederode i, et n'est encoires
de retour. Hier le matin arriva monsieur de Montegny, et
courut le bruyt tout le jour que le prince d'Orenge devoit
venir, mais il r.e vint point. Le long séjour en ceste ville est de
grand fraizà Son Altèze 2 ; et comme c'est ung faire le fault de
faire ce voyage, chascun désire le vent pour faire voisle. Dieu
* Le comte Henri de Brederode, oncle de Charles de Mansfeld, était
alors dans son château de Vianen, en Hollande, occupé sans doute à
fomenter l'insurrection dont il devait, six mois plus tard, arborer si
audacieusement les insignes, c'est-à-dire la besace et l'écuelle des
Gueux.
* « Le conte de Mansfeldt et son trahain est encoires en Zéelande,
attendant le vent pour Portugal, et despendent journellement huit cens
frans ». (Viron au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 8 août 1565 : Biblio-
thèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XIX, fol. 151 verso.)
1
(52)
doint qu'il nous soit propiee et luy plaise nous conduire et
radmener à bon port
(P.-S.) L'on nous a commandé
cest après-dîner de nous tenir prestz,
pour demain s'ambarquer *.
X. — Navigation de l'ambassade pour arriver à Lisbonne; sa
l'écqrtion à la cour de Portugal; son réembarquement avec la
fiancée $ Alexandre Farnèse; aventures de sa seconde naviga-
tion; entrées successives de la jeune princesse à Middelbourg, à
Gand et à Bruxelles; célébration immédiate du mariage; grand
festin des noces, suivi d'un bal costumé et du « banquet des
suerades », dont la ville d'Anvers avait fait les frais.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Manuxcrit Cfci/tef n° 72, fol. 146-152)
Bruxelles, 19 novembre 1565.
Discours du voyaige de la princesse de Portugal et de ceulx
qui Fallèrent querre : 156o.
A Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime cardinal de
Granvelle, etc.
Monseigneur, nous ayant fait Dieu ceste grâce de nous rad-
mener à bon port, il m'a semblé convenable à mon debvoirde
1 Comme on le verra par le début du principal récit de Pierre Bordey,
rembarquement n'eut lieu que le 12 du mois d'août. Le vent propice
s'était fait attendre jusqu'à la veille de ce jour, ainsi qu'en témoigne le
passage suivant d'une lettre écrite par le secrétaire Bave au cardinal de
Granvelle : « Je tiens que la flotte pour Portugal sera partie, pour estre
desjà le tier jour que le vent est propice ». (Bruxelles, 13 août 1565:
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XIX, fol. 172.)
(83)
faire ung petit discours de nostre voyage, afin que Sa Seigneurie
Illustrissime puisse congnoistre comme la chose s'est passée,
tant en allant, que à Lisbonne, qu'au retour ; et le tout je le
taillera y au plus court que je pourray, mais par tout j'ensuivray
la vérité.
Et pour ce que Sadicte Seigneurie Illustrissime a desjà
entendu, par une lettre que je luy escripvis dois Medelebourg,
avant nostre ambarquement, tout ce qu'estoit passé jusques
alors, me remectant à ce, je commenceray au jour de nostre-
dict ambarquement, que fut à Flessingue le xn° jour d'aôust.
Et diray que nostre armée, qu'estoit de quatre grosses naves et
trois yaques, armées de plus de soixante grosses pièces de fonte,
ayant les capitaines d'icelles soubz leur charge environ six cens
hommes de toutes sortes, sans les gentilhommes que Son
Altèze envoyoit de sa maison, avec trois ou quatre aultres qui
faisoient le nombre de vingt, et ceulx quilz accompagnoient
monsieur le conte de Mansfelt, chief de toute l'armée, qu'es-
toient bien en nombre de quarante, tous lougés en l'une des
quatre naves, appellée la Béguine, où qu'estoit monsieur le
conte Charte son filz, sans les dames aussi et ung grand
nombre d'officiers et varletz, lesquelx tous par ensemble, tant
les dessus nommés que ceulx icy, faisoient bien le nombre de
mil. De toute ceste armée estoit commissaire général Fabio
Lambo 1, trésorier de Son Altèze, conteroleur Michel Jaques,
et pagador Jehan de Ponde 2. Laquelle armée, au jour que
1 Strada appelle ce personnage Fabius Lembus : il le dit Napolitain et
vieux serviteur dévoué à la gouvernante.
* « Mais quiconque qui demeure derrière, Michiel de Jaca a treuvé
expédient d'estre de la compagnye, quoyque sa femme soit tousjours en
mesme estât ». (Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 25 mai 4565 :
Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvcllc, t. XVIII, fol. 103
wrso.) — « Michiel de Jaca, qui, à mon advis, tire sa vaiche en ung
panier, a charge des victuailles et provisions, avec ung autre nommé
Jehan de Pugdere, y mis par Schetz, dont il me semble que monsieur de
Vakene ne se contente trop ». (Bave, 15 juin 1565: ibid., fol. 196.) —
« Miguel de Jacca, ou Yacca y Barca, est peu connu. C'était un Espagnol
assez obscur, appartenant dès 1558 à l'administration militaire des Pays-
(54)
dessus, se partit, accompagnée d'aultres trente naves, car toutes
celles qu'est oient aux portz de Zélande estoient arrestées et ne
pouvoient faire voille sans nostre armée, ny ne la pouvoient
abandonner que nous ne fussions hors d'Angleterre: de
laquelle nous en sortismes le xxme dudict moys, sans péril ny
sans aulcun rencontre, sinon sur l'issue d'icelle, que nous
aperçeumes environ douze grosses naves que Ton disoit estre
angloises et monstroient semblant de nous environner, parce
qu'elles faisoient ung demy-ccrcle, ce que causa que les nostres
se vindrent à joindre plus près. Mais il ne succéda aultre chose,
sinon que ce fut une monstre, combien que toutesfoîs les
pilottes assheuroient que c'estoient navires de guerre, et n'en
laissâmes nullement de poursuyvre nostre chemin, lequel nous
continuâmes avec toute prospérité, si bien que sans inconvé-
nient l'armée vint surgir, le pénultième dudict moys, à
Cascay f, qu'est le commencement de l'embouchure du canal
de Lisbonne, et a prins ce nom d'une forteresse située sur le
bort de la mer, pour estre semblable celluy dont elle s'appelle*,
laquelle n'est distante dudict Lisbonne que de six à sept lieues.
Néantmoings, le lendemain, que fut le vendredy dernier
jour, l'on ne passa point plus avant que Bellain, cinq lieues
de là et une lieue de Lisbonne. Bellain 3 est une tour ou for-
Bas ». Il apparaît plus tard comme époux de Marguerite Contault, nièce
ou cousine du chanoine de ce nom, qui était originaire de Franche-
Comte et devait son canonicat de Malines à l'amitié que lui portait le
cardinal de Granvelle. (Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I,
p. 205, note 2, et p. 122, note 3.)
1 Cascaes, ville située a l'embouchure duTage, a cinq lieues en aval de
Lisbonne, près d'une forteresse bâtie sur la pointe de quelques rochers.
* Bordey veut dire sans doute que le nom de Cascay a été donné à la
forteresse parce qu'elle ressemble de loin à un casque.
3 Belem est un faubourg de Lisbonne, qui tire son nom d'une mer-
veilleuse tour, de style gothique, assise sur un terre-plein fortifié et
casemate, dans le lit du Tage. En regard de cette tour se trouve un vieux
monastère de Hiéronymites, avec une église splendide, bâtie en consé-
quence d'un vœu de Vasco de Gama, lorsqu'il partit pour conquérir la
route des Indes. « A côté du grand autel », écrivait en 1670 un voyageur
( W)
tcresse bastic dedans le canal, dans laquelle il y a souldars et
capitaine, et grand nombre d'artillerie. Pour le moings ù
l'abordée, elle nous salua de plusieurs coups en signe d'allé-
gresse, et noz naves, après avoir jecté l'ancre, leur rendirent le
semblable par une salve fort brave. De ceste tour de Bellain a
pris son nom ung monastère de religieux de Sainct-Hiérome,
qu'est situé ù l'endroict de ladicte tour, sur le rivage de la mer,
au bas d'une coline. Cestuy est bien l'ung des beaulx monas-
tères de structure que l'on pourroit veoir. Tout le contour, qui
est fort grand, est serré et encloz de haultes murailles, où que
sont plusieurs jardins peuplés d'une infinité d'orangiers et
aultres telz gendres d'arbres, pourtant fruictz en grand abon-
dance. En ce monastère sont les sépulchres et monumentz des
roys de Portugal et de ceulx de leur sang. L'on y bastit, et y
faict la Royne une fort riche chappelle pour, estant parachevée,
y faire transporter tous les oz des feuz roys, et où que seront
inhumés ceulx quilz succéderont cy après. En ceste église fut
le sambedy matin monsieur le conte, avec madame sa femme
et toute la compagnie, oïr messe pour remercier et louer Dieu
nostre Créateur de nous avoir mené et conduit à bon port. Ce
qu'ayant faict et ayant visité les particularités du convent, il
retourna cliner aux naves.
Icy il fault que Sadicte Seigneurie Illustrissime entende que
le jeudy que nous encrasmes, le conte dépescha Fabio Lambo,
commissaire général, et ung gentilhomme de sa maison, espa-
gnol, appelé Verdugo *, à Lisbonne pour advertir le Roy 2,
digne de foi, « on voit quatre tombeaux de jaspe et de marbre, enclavez
dans l'épaisseur du mur, soutenus chacun par deux éléphants, où sont des
Rois et Reines de Portugal ; vis-à-vis sont d'autres tombeaux de leurs
Infants, qui sont construits de la même manière ». (Voyage de Madrid à
Lisbonne, dans le volume intitulé : Voyages faits en divers temps en Espa-
gne, en Portugal, etc.; Amsterdam, 4699, in-12, p. 194).
1 Francisco Verdugo épousa Dorothée de Mansfeld, fille naturelle du
comte Pierre-Ernest : il fut, avec la qualité de gouverneur de Frise, l'un
des lieutenants d'Alexandre Farnèse dans ses campagnes contre le prince
d'Orange.
* Sébastien, enfant posthume du prince Jean, héritier de Portugal, et
(36)
Royne ! et rillustrissime Senor cl Cardinal * de nostre arrivée
à Bel lai n, qu'estoit le vendredy. Hz envoyaient une gallère {car
le Roy en tient d'ordinaire dix en son port de Lisbonne,
lesquelles j'ay veu), avec aulcuns gentilhommes, pour congra-
tuler au conte nostre venue : lesquelx, ayant parlementé avec
luy et après avoir tournoyé tout alentour de noz naves et tiré
aulcuns coupz d'artillerie de la proue, s'en relournarent ; mais
ce ne fut sans que noz naves les saluarent par une fort magni-
ficque salve de canonades. La nuit aprouchoit quant ilz se
retirarent. Et alors fut prinse la détermination que l'on ne
bougeroit point dudict Bellain jusques au dimenchc après
dîner. Que fut cause que l'ambassadeur de nostre Roy vint le
sambedy en VAdmiralc, et tantost après le seigneur Don
Constantin et Don Fulgence, son frère, homme dVglise, tous
deux tilz au feu duc de Bergance et frères de l'Infante Dèna
Elisabet, mère de nostre Princesse, mais enfans d'une aullre
mère, laquelle le duc leur père espousa en secondes nopecs;
et estoit ceste dame de la maison de Mendoce. Et le ncpveur
de ces deux icy, c'est le duc de Bergance pour aujourd'huy,
quil, ayant été reffusé de nostre Princesse, espousa sa sœur s.
de la princesse Jeanne d'Autriche, fille de Charles-Quint, né le 20 janvier
15,54, avait succédé à son grand-père Jean III, le 2 août 1557 : à l'époque
de l'arrivée de l'ambassade, il était dans sa douzième année.
! Catherine d'Autriche, sœur puînée de Charles-Quint, veuve du roi
Jean III de Portugal et aïeule du roi Sébastien.
2 Henri de Portugal, cardinal, grand-oncle du roi Sébastien, régent du
royaume, destiné, par le fait de la mort tragique de son petit-neveu, à
occuper lui-même le trône de Portugal.
3 La princesse Marie, qui allait devenir la femme d'Alexandre Farnèse.
était la fille ainée de feu Edouard de Portugal, duc de Guimaraès, et
d'Elisabeth de Bragance. Par son père, elle était cousine germaine du
roi d'Espagne Philippe II, et elle avait eu le même degré de parenté avec
le défunt père de Sébastien, roi de Portugal. Son grand-père maternel, le
duc Jacques de Bragance, avait épousé deux femmes : l*ÉIéonore de Guz-
man, 2" Jeanne deMendoza. De la première étaient issues Elisabeth, mère
de la princesse Marie, et Catherine, mariée au duc Jean de Bragance, son
cousin germain. De la seconde femme sortaient les princes Constantin et
Fulgence; ce dernier était titulaire du riche prieuré de Guimaraès.
( «7 )
Avec eulx aussi vindrent plusieurs aultres gentilhommes. Et
se paracheva ce jour seulement en visites. Et alors tous les
gentilhommes de l'armée estoient en YAdmirale.
Cependant que ces choses se faisoient, l'Illustrissime Cardi-
nal, estant bien adverty quel seigneur estoit le conte et quelle
estoit sa suytte et compagnie, comme gouverneur du jeune Roy
son nepveur, et par ainsi du royaulme, voulant, que la chose
succédasse et prînt fin avec tout honneur, convoqua et fit
assembler les plus principaulx et riches marchans de la ville,
et leur commenda et pria qu'ilz eussent à recepvoir en leur
maison ceulx quilz leur seroient donnés par billetz, et de leur
faire le meilleur traictement qu'ilz pourroient, fusse en leur
lougis, fusse en leur fournissans chevaulx pour aller par la
ville; commenda davantaige et fit faire édict public que per-
sonne, à peine de la hard, n'eult à commencer ny faire aulcune
querelle à ceulx de l'armée, ains de les recepvoir et traicter
avec eulx en tout respect et amytié, comme certes ils ont faict
tout le temps qu'avons esté là. Et, par ce moyen, fut exemptée
Son Altèzc de grandz frais, par l'intention que l'on avoit d'y
tenir table fort magnificque.
Le dimenche suyvant, qu'estoit le second jour de septembre,
incontinent après dîner, retournarent en VAdmirale, en trois
gallères, lesdietz seigneurs nommés et encoires plusieurs aultres
gentilhommes, le principal desquelx estoit Don Edouard,
frère de la Princesse *, ung beaul jeune prince et de belle
taille, lesquelx ne furent si tost entrés, que l'on leva l'ancre
pour sortir dudict Bellain et tirer à Lisbonne. C'estoit lors
ung grand plaisir d'ouyr l'artillerie quil se deschargeoit par
toutes les naves qu'estoient encrées au port; mais ce n'estoit
rien au respect de celle que tirarent les nostres lorsqu'elles
jectarent l'ancre tout devant le palais du Roy.
A la descente, plusieurs barquerolles, richement tapissées
1 Edouard de Portugal, l'aîné des enfants et le fils unique du duc de
Guimaraôs défunt, qui avait eu aussi le prénom d'Edouard, était le frère
de la future duchesse de Parme et de la duchesse de Bragance.
(38)
de drapz de soye de diverses couleurs, estaient aprestées pour
recepvoir la compagnie. Là se véoit ung si grand nombre de
peuple, que je pense que Ton n'en a guaire veu davantaige
assemblé pour un coup aultrepart, lesquelx s'esmerveilloient
grandement de veoir une tant belle et tant grande compagnie
et si bien en ordre. Pour dire la vérité, il la faisoit beau veoir,
estans tous les gentilhommes habillés de maroniers *, les ungs
en soye, les aultres en escarlatte, et tous en général ayant leur
habillementz enrichis de passement d'or ou d'argent. Mais les
dames s'estoient parées de leur plus riches atours et habille-
mentz, qu'estaient extrêmement riches, car Son Allèze a voit
donné aux siennes les accoustrementz qu'estaient estes faietz
pour Francfort 2, et d'aultres encoires plus riches. Toute ceste
compagnie, descendue en terre, marcharent contre le palais en
bon ordre, quil n'est pas plus eslongné du port que d'ung ject
de pierre, mais bien le plus mal basti que j'ay oneques veu et
indigne de son assiete, qu'est bien la plus belle et la plus
grande, et a la plus belle veue que l'on sauroit veoir.
Nous trouvasmes le Roy en une grande gallerie, du coustel
de la marine toute ouverte, assez bien accompagné de noblesse.
Il estait au bout d'icelle, sur ung siège eslevé de trois ou quatre
pas, assis sur ung coussin de drap d'or, entre la Royne 3 et le
Cardinal *, quilz estaient en la mesme sorte assis, la Royne ù la
droietc et le Cardinal à la gauche; et au coustel droict de la
Royne estait l'Infante Dona Marie s, et auprès d'elle l'Infante
1 C'est-à-dire « vôtus en marins ».
* Probablement pour les grandes fêtes qui avaient eu lieu à Francfort,
le 30 novembre 1562, à l'occasion du couronnement de Maximihen d'Au-
triche en qualité de roi des Romains, c'est-à-dire d'héritier présomptif
de la couronne impériale.
3 Catherine d'Autriche, aïeule du roi.
* Le cardinal Henri, régent du royaume.
5 Fille d'Emmanuel le Grand, roi de Portugal, et de sa troisième
femme Éléonore d'Autriche, celle-ci remariée au roi de France François 1OT»
J'infante Marie était la grand'tante du jeune roi Sébastien.
(59)
t
Dona Elizabel * et la Princesse sa fille *. Je ne doubte point
que toute l'assemblée ne s'esmerveilla grandement quant iiz
Tirent entrer ceste grande compagnie quil marchoît devant le
conte, lequel arrivé qu'il fut devant le siège, le Roy se leva, et,
ayant démarché ung pas ou deux, il reçeut ledict conte entre
fies bras, quil tâchoit à luy baiser les mains. Et ayant ledict
conte rendu les compliments envers le Roy, il s'adressa à la
Boyne, puis au Cardinal, puis aux Infantes; mais aux deux
dernières, qu'cstoient l'Infante Elizabel et la Princesse sa fille,
sa harangue fut plus longue. Ledict conte ayant parachevé ses
harangues, la contesse sa femme fit le mesme, puis toutes les
dames et conséquemment tous les gentilhommes ; et durarent
-ces cpmpliments presque une heure : lesquelx estant parache-
vez, chascun se retira, demeurant lougé ledict seigneur conte
au palais et toutes les dames au quartier de l'Infante Elisabel ;
jet les aultres gentilhommes se retirarent chascun chez leur
hoste, lesquelx ils (rouvarent à la descente du palais, avec
chevaulx d'Espagne pour les conduire en leurlougis.
Quant à moy, j'eus pour mon hoste le seigneur Vanture de
Foias, à qui le sieur Curiel 3 m'avoit donné lettres de recom-
mendation fort favorables et une lettre de change de cent escuz.
Je ne me puis louer sinon grandement de luy, car il m'a faict
tout le bon recueil et faveur du monde, et traicté comme roy :
suppliant Sa Seigneurie Illustrissime que si elle escript audict
Curiel, de luy en toucher ung mot, puisque je n'ignore que
ledict Curiel ne m'a procuré cela sinon en faveur de Sadicte
* Elisabeth de Bragance, veuve d'Edouard de Portugal, duc de Gui-
maraès.
* Marie de Portugal, « la dame de nopces », comme l'appelaient les
correspondants du cardinal de Granvelle.
3 Hieronimo de Curiel, Espagnol établi à Anvers, où il avait la qualité
de facteur du Roi. « Tant que Curiel résida à Anvers, ce fut d'habitude
par ses soins, ou par son intermédiaire, que s'envoyèrent en Espagne les
peintures, tapisseries, armures, destinées soit au Roi, soit aux seigneurs
de la cour de Madrid ». (Poullet, Correspondance de Granvelle, 1. 1, p. 68,
note 1.)
(60)
Seigneurie Illustrissime, ne le méritant aultrement en son
endroict, tant il a désir de luy faire humble service et plaisir
aux siens.
Tout le temps que nous demeurasmes à Lisbonne, le conte
fut festoyé par bancquets hors du palais quatre fois : asçavoir
au lougis de Don Edouard *, au lougis de Don Constantin * (et
icy ilz furent appelles tous les gentilhommes de Son Àltèze),
au lougis de l'Ambassadeur (et y furent toutes les dames), et au
lougis de Damianus a Goes , auquel lieu j'estois invité avec
plusieurs aultres gentilhommes.
Icy je feray une petite disgression, et diray que le jour que
se fit le bancquet de Don Constantin, que fut magnificque et
opulent, ce fut le vendredy veille de Nostre-Dame en septem-
bre; mais, quoy que ce fût que nous y mengeâmes, nous
fûmes plus de huict quilz en rapportarent un fluz de ventre
estrange avec vomissement, et estoit de ce nombre le conte
Charles de Mansfelt et Camargo 3. Mais moy j'en heu une si
estrange atteincle, que je ne pensois jamais mieulx mourir,
me durant incessamment le fluz et le vomissement, dois les
vin heures du soir jusques aux six du matin, et la plus part
avec sang tout peur d'ung coustel et d'aultre : tellement que me
trouvant fort débile le lendemain, qu'estoit le jour de la Nostre-
Dame et le jour que Damianus a Goes faisoit son banquet, je
n'y pus estre; il m'envoya visiter deux ou trois fois par son
filz le docteur. Et ay parler à lui deux ou trois fois en court :
il se monstre grandement serviteur de Sadicte Seigneurie
Illustrissime, et me pria de luy présenter ses humbles recom-
mandations. Il se faict fort vieulx. Et son aultre filz, qu'a
demeuré en ceste ville, il est pour le présent aux Indes.
Pour retourner à mon propos, toute la reste des aultres jours
le conte ne s'empescha sinon à faire visites, et ce pendant tenir
* Edouard de Portugal, duc de Guimaraès, frère de la mariée.
* Constantin de Bragance, oncle maternel de la princesse.
3 Antonio Camargo, gentilhomme espagnol, attaché à la maison de la
gouvernante.
( 61 )
tousjours la main vers la Princesse de se faire preste le plus
tost qu'elle pourrait pour s'ambarquer, puisque le temps
couroit contre nous. Et comm' il la sollicitoit de luy faire
entendre, par un billet, le nombre des gens qu'elle vouloit
mener avec elle, et la qualité d'iceulx, et combien de coffres, il
se trouva bien esbahy quant il vit le nombre, qu'estoit les deux
tiers plus grand que luy n'espéroit ne que Son Altèze n'enten-
doit. De manière que cela causa ung grand changement aux
naves de l'armée, parce qu'ilz passoient le nombre de cent et
trente personnes : desquelx, ostez dix ou douze et trente trois
femmes qu'elle mesne avec elle, toute la reste est canaille,
néantmoings en leur parolles Idalgos comm'el Rey *. Le prin-
cipal de tous est Don Manuel Dalmade, évesque d'Àngre 2,
envoyé de la part du Roy avec elle, quil vint avec xxim ser-
viteurs. L'aultre après est Dieguo de Mendoce, maior d'homme
maior de la Princesse : ainsi l'appellent les Portugais; et avec
luy vint sa femme, camerera maior, ayant quatres filles, toutes
quatres damoyselles à la Princesse, et ung filz. Cestuy Dieguo
de Mendoce 3 est de la vraye maison des Mendoce et parent
proche à la seconde femme que jadis le duc de Bergance
eult espousée, qu'estoit de la maison des Mendoce. Oultre ces
deux icy et deux ou trois gentilhommes servans, je n'y con-
gnois personne d'estime.
Quant à la Princesse, elle n'est ny belle ny laide; néant-
moings elle est fort petite. Mais ce que deffault à la beaulté, si
le Prince en désiroit davantaige, comme certes je pense bien
qu'il faict, sa bonne grâce, sa grande humanité, vertu, pru-
dence et doctrine certainement récompense entièrement ce
deffault; car mieulx nourrie ny plus sage princesse l'on ne
4 C'est-à-dire nobles comme le Roy,
* Angra, principale ville de File Terceira et des autres Açores, est le
siège d'un évoque suffragant du patriarche de Lisbonne.
3 Serait-ce Diego Hurtado de Mendoza, comte de Saldagna, mort le
29 mars 1566, qui avait épousé Maria de Mendoza, fille et héritière de
Rodrigo, marquis de Zenete?
(04)
à son de trompe tant à Mcdelebourg qu'à Lisbonne, de droict
luy adjugeoient la mesme confiscation que le Roy prétendoit,
veu qu'il estoit deffendu, à peine de tout perdre, de ne charger
rien sur les naves sinon ce qu'estoit nécessaire pour le voyage,
confiscant toutes aultres marchandises que dedans se trou-
veroient pour traficquer. Cecy estant meurement considéré,
Ton fit entendre aux Portugais que Ton s'estoil aulcunement
encherchié des patrons pour en entendre la vérité, et que n'en
ayant rien sçeu congnoistre, il ne leur sembloit convenable
d'en faire poursuitte davantaige, mesmes de faire ouverture
des coffres comme eulx requéroient, puis qu'en cela ilz n'eus-
sent deuement gardé le respect qu'ilz doibvent et vouloient
garder ù la Princesse. Ainsi la chose demeura assopiepour les
Pourtugais. Mais pour nous aultres, Ton y bcsongna, comme je
diray cy après.
Entretant que cecy se passoit audict Bellain, furent faictes
plusieurs visites dois la ville en noz naves de tous les seigneurs
principaulx, jusques au Cardinal et l'Infante Dona Elizabel, et
y estoit quasi tousjours Don Edouart. Mais voyant lesdicts
Portugais que le vent ne nous vouloit scrvyr pour partir du
port, craignant à la longue que la saison ne se passasse et
pourtant que serions contrains d'hyverner audict Lisbonne, ce
qu'ilz ne désiroient nullement, firent venir quatre gallères,
lesquelles, attachées à noz naves, nous tirarent du port dudict
Bellain et nous conduisirent à celluy de Cascay. Et à ce désan-
crement choqua la Viçadtnirale, où qu'estaient tous les gen-
tilhommes de Son Altèze, contre la Béguine, où qu'estoit le
conte Charles et sa suytte. Il prit bien que ce n'est oit à la
hault' mer et que nous n'avions nul vent : tousjours la poincte
de la proue de la Viçadmirale enfonça la chambre de monsieur
d'Estambrughes en hault.
Tout ainsi que nous n'avions vent à Bellain, le mesme
advint-y à Cascay, et pour le séjour qu'y faisions, la mesme
crainetc que dessus augmentait aux Pourtugais. Et, ne voyant
aultre moyen de nous faire partir, firent venir en YAdmirale
leurs pilottes, quilzseurentsi bien persuader lesnostres en leur
( 65)
disant que, entrés que serions ung trente ou quarante lieues à
la haulte mer, nous ne fauldrions à trouver le vent que dési-
rions pour suyvre nostre chemin, que en fin Ton print résolu-
tion de lever l'ancre, contre l'opinion et vouloir de plusieurs :
ce que s'effectua par ung lundi matin xxini0 de septembre. Et
avions en nostre compagnie huict naves portugoises mar-
chandes et trois levantesques, aultrement vénétiennes ; et ces
trois estoient encoires plus grandes que les nostres, et aultant
belles que Ton pourroit veoir, et tiroient en Angleterre.
Nous continuâmes à faire voille à la hault' mer jusques au
jeudy matin, avec undes braves et ung vent puissant, mais du
tout contraire pour nous mectre en nostre chemin , duquel
nous estions jà eslongné de plus de mixx lieues. Ce que voyant
les pilottes, ayant YAdmirale donné signe, Ton retourna voille
pour penser regaigner Lisbonne : aultrement nous estions en
danger de prendre terre en Barbarie; mais il ne fut jamais
possible d'en reprendre la route. Ains, ne sachant où que
nous allions, fusmes en ceste peine jusques au dimenche après
le dîner, qu'estoit le dernier jour du moys, que Ton descouvrit
terre, et recongneut-on que c'estoit le Cap-Sainct- Vincent *,
quarante lieues par delà Lisbonne, auquel on jecta l'ancre. Le
jour de la Sainct-Michel, il y eult une alarme de feu en nostre
nave; mais, par le bon remide que Ton y mit incontinent, il
n'y eult aultre inconvénient que la peur, quil ne fut petite.
Cap-Sainct-Vincentest le lieu où que ce grand pyrale Austre-
lin édifia le chasteaul que pour le présent y est, qui depuis
fut prins et taillée sa teste, et son chasteaul démoly, comme
s'en voyent encoires les vestiges. Néantmoings-, il est mainte-
nant aulcunement réparé et muni d'artillerie assez, ayant ung
capitaine avec xx soûl dars pour sa garde, pour la craincte qu'ilz
1 Situé à Tune des extrémités du monde européen, les anciens rappe-
laient le Promontoire .sacré, vocable qui -se perpétue dans le nom de la
place maritime de Sagres, assise sur Tune des pointes du cap. Sur l'autre
pointe, un monastère, dédié à saint Vincent et protégé par une tour, a
fourni le nom moderne de l'ensemble du cap.
Tome XLI. 5
(66)
ont des Mores, lesquelx, il n'y a pas long temps, robarent le
monastère de Sainct- Laurent \ auquel la Princesse fut le
jeudy 1111e d'octobre dîner, n'estant qu'à une petite lieue du
chasteaul, où que le mesme avait faict le lundi premier jour.
En ce lieu, se trouvant mal dispos le sieur Camargo, le capi-
taine Veillar etaultres gentilhommes du conte, déterminaient
d'aller par terre, comm'ilz firent. Aussi fit Boisot, que le conte
dépescha par la poste. La nuict du mesme jeudy 1111e, se fit
ung tremblement de terre, que nous sentismes aussi dedans
la mer, par le grand branlement de noz naves.
Ce pendant que noz naves demeuroient encores en ce cap,
passarent aulcunes naves angloises marchandes, ausquelles
l'on fit caller voille, comme Ton a pour coustume de faire à
toutes celles qu'il passe par devant une armée de mer, mesme
où que V Admira le est, et print-on langue des patrons. Mais,
sur les derniers jours, se vindrent à descouvrir quatre grosses
naves à la volée d'ung canon, au moings la première : aus-
quelles ayant faict signe VAdmiraîe de caller voille, par ung
coup d'artillerie, monstrant ne s'en socier, eslongnant le cap,
singlarent en la haulte mer. Pour moy, j'ay opinion que
c'estoient pyrates bretons, et que ce furent ceulx qui, après
nostre parlement, cuydarent surprendre aulcuns des nostres :
que fut en ceste manière.
A quatre lieues du Cap-Sainct- Vincent, il y a une petite
villette appelle Achas, en laquelle, dois le mardy 11e, estoient
allés pour se refreschir monsieur d'Estambrughes, Auchy *, le
conte Annibal 3, A Ion ce Gayo, Paulo Walzin et Bouvier, les-
quelx s'obliant par trop à la faire trop longue, advint que
le vnc, que fut le dimenche matin, le vent se fit bon, qu'avions
1 Lisez « Sainct-Vincent ». — Saint Laurent et saint Vincent, tous deux
diacres et martyrs, pouvaient aisément être substitués l'un à l'autre dans
les souvenirs d'un voyageur.
* Jacques de Henni n-Liétard, baron d'Auxy, frère du comte de Boussu.
3 Annibal d'Altaemps, élevé à la dignité de comte par l'empereur
Ferdinand Ier, avait épousé, au printemps de 1565, Hortense Borroméc,
sœur consanguine du saint cardinal de ce nom.
(•67)
tant désiré et si longuement attendu. De manière que, sans
respecter personne, le conte commenda de lever l'ancre et faire
voille ; et n'eult pas attendu son propre filz s'il fût esté avec les
aultres, comme plusieurs fois je luy ay ouy dire, et ce que
n'ignoroient nullement ceulx dessus nommés qu'estoient en
terre. Lesquelx, craignant grandement qu'il n'advinsse ce
qu'estoit jà advenu sans qu'ilz en sçeussent rien, louarent une
barquerole avec rames, pour avec plus de diligence se faire
transporter à l'armée, et s'ilz la trouvoient partie, pour plus
tost la consuyvre. Or, ne sçeurent-ilz tant diligenter que
l'armée ne fusse jà partie quant ilz arrivarent au cap. Nom-
pourtant, sans nulle craincte, ilz se mirent à poursuyvre,
forçant à cela le maistre de la barquerolle quil n'y voulloit
entendre, bien qu'il leur remonstroit le péril où qu'ilz se
mestoient. Hz furent navigeant tout le jour et jusques à la
minuict sans rien rencontrer. La nuict estoit claire, et alors se
monstrarent quatres grosses naves devant eulx. Ce que voyant,
et présumant que ce fussent aulcunes de nostre armée, tirent
tant qu'ilz en approucharent l'une de sy près qu'ilz se par-
loient l'ung et l'aultre. Mais ilz se trouvarent bien esbahys
quant ilz congneurent estres pyrates, et que l'on les semon-
gnoit d'eulx rendre et approcher : ce que certes, comme
aulcungs d'eulx m'ont dit, ilz eussent faict, et se fussent soub-
mis à rançon; mais, estant assheurés de leur patron et pilotte
que telles gens ne prenoient personne à mercy, et que la
rançon qu'ilz prenoient estoit la vie, mectant tous la main aux
rames, prindrent la fuitte, et les autres à tirer force canonades
après pour les mectre au fond. Mais Dieu les préserva si bien
qu'ilz eschapparent et gaignarent la terre, tous sains et saulfz,
et dois là se transportarent à Lisbonne, où qu'ilz ont prins la
poste, et ont faict telle diligence qu'ilz sont jà tous arrivés en
ceste ville. Et arrivarent les premiers le conte Annibal, Alonce
Gaio et Paul Walzin, quilz vindrent trouver la Princesse à
Terremonde, avant que d'arriver à Bruxelles.
Ceste disgression ne m'a semblé hors de propos, puis qu'elle
despend de l'armée, laquelle continua à faire voille avec bon
(68)
vent l'espace dé quatre jours, et tantost après se rendit calme.
Depuis, se levant un vent contraire, nous temporisions ; mais
s'eslevant brave le mecredy xvne, et s'augmentant d'heure en
heure, le jeudy suyvant husmes si terrible tempeste, que, se
renforçant encoires sur la nuict, Ton fut contrain caller toutes
les voilles, sans en réserver nulles, nompas seulement le trin-
quet ', et par ainsi fûmes abandonnés à la miséricorde de
Dieu et des vagues. Et estoit la chose si désespérée que Ton
n'espéroit jamais veoir le jour ; mais Dieu nous préserva et,
par sa miséricorde* appaisa la tormente le vendredy lende-
main, sur le midy, nonobstant que la mer demeura encoires
tout ce jour brave avec ung vent du tout contraire, que fut
cause que nous prismes la route de la Coulongne en Gai lice 3,
en intention que si on la pouvait gaigner d'y passer nostre
hyver, parce que jà les vivres nous deffailloient. Et ont con-
fessé les patrons et pilottes que la plus grand' peur qu'ilz
avoient heu en ceste navigation estoit d'estre affamés et mourir
de faim, parce que sur ceste mer, et en la saison que nous
estions, l'on est bien deux et trois moys sans pouvoir prendre
terre. Durant ceste tempeste, nostre Viçadmirale fut en grand
danger d'estre périe, parce que, deux jours devant qu'elle
commençasse, elle chargeoit jà grandement l'eaul : de manière
que les pompes n'estoient suffisantes à espuiser le quart, com-
bien que l'on pompasse jour et nuict. Et par Ta tempeste se
firent aultres plusieurs trouz, que mirent la chose du tout en
désespoir. Et, pour certain, elle estoit du tout pardue, si la
tempeste eult encoires duré ung jour; mais le vendredy, don-
nant signe par ung coup de canon et par enseignes desployées
aux aultres naves du péril qu'elle estoit, fut secourue. La
1 « Trinquette : c'est une voile triangulaire faite en voile d'étai, de
toile à quatre fils ... ; elle se borde sur le côté de l'embarcation et sert
souvent à mettre à la cape, quand il vente trop ». (Encyclopédie métho-
dique, Marine, t. III, p. 791.)
* La Corogne (Corufia), port de mer et place forte, est le chef-lieu mili-
taire de la province espagnole de Galice.
(69)
Béguine perdit son botte ', duquel Ton couppa la corde envi*
ron la minuict; et, sans cela, la nave estoit en danger: car
corn m' il estoit plain d'eau, les undes le faisoient choquer
contre le timon. Des trois yaches, Tune fut fracassée et rompue
contre YAdmirale: de laquelle tous les gens se sàulvarent, moins
deux quilz furent noyés. Et la petite, qui pour lors se pardit
et que l'on tenoit du tout pour pardue, arriva six jours devant
nous à Medelebourg, avec les six naves portugoises, des huict
quilz accompagnoient l'armée : dont les deux quilz restaient se
retournarent joindre aux nostres, deux jours après, bien
désolées, comme celles qu'avoyent jecté en mer toute leur
artillerie et la plus grand' part de leur marchandise. Quant aux
levantesques, nous ne sûmes qu'elles devindrent, ny depuis
en avons heu nouvelles.
Nous suyvions doncques, comme j'ay dit, la route de la
Coulongne; mais Dieu permit que le vent se retourna bon le
sambedy xxe : que fut cause que nous reprîmes celle d'Angle-
terre. En laquelle, continuant tousjours le vent bon et pros-
père, nous entrasmes au canal d'icelle le mecredy xxiv*. Et le
lendemain Ton descouvrit terre. Et l'aullre jour suyvant,
qu'estoit le vendredy, Ton vint surgir et encrer à Turbay,
aultrement appelle le Bery * : ce qu'estoit plus que de besoing,
car YAdmirale n'avoit plus ny chair, ny vin.
Icy Ton se refreschit d'eaul et de vivres, et commença-t-on à
besongner sur cet advertissement que les Portugais avoient
donné lorsque nous estions à Bellain , et de quoy j'ay faict
mention icy dessus. Et en heult la principal le commission, de
la part du conte, le seigneur Bassompierre, quil se trans-
porta en toutes les naves, où qu'il proposa ordonnences et
1 « Bot : c'est une embarcation hollandaise ou flamande, fort pleine,
quarrée de l'avant, et pontée. Les chaloupes et autres bâtimens à rame
de ces nations, qui sont de cette forme, s'appellent aussi bot ». (Enqjclo-
pédie méthodique, Marine, 1. 1, p. 173.)
* Tor-Bay, plage en hémicycle, au sud de la Grande-Bretagne : l'un
des caps qui délimitent cette baie s'appelle Berry-Head.
(70)
commendemens , de la part dudict conte , qne tous gen-
tilhommes, capitaines, patrons, pilottes, maronniers et aultres
gens qu'cstoient en toute l'armée, quelz qu'ilz fussent, eussent
à inventoriser et donner par inventaire tous et quantz meubles
qu'ilz avoyent en leur coffres, bahuz et basles, et deans
xxuii heures; que si se retrouvoit par après aultrement lorsque
l'on en feroit ouverture et recherche, que tout seroit confisqué
au proffit de Son Altèze;commendant au surplus à tous capi-
taines qu'ilz ne permissent de tirer aulcuns coffres ny désam-
barquer personne sans licence.
Et de tout comme la chose passoit, en fut advertie Son Altèze
par Boysot, dois le Cap-Sainct- Vincent. Et pour ce que le tré-
zorier Fabio Lambo et Jehan de Ponde, pagador, n'entendoîent
ny ne vouloient consentir que l'on ovrisse les coffres de la tré-
zorerie, le conte en escripvit à Son Altèze par Marno, quil fut
dépesché dudict Turbay en terre, pour dois là prendre la poste
et appourter les nouvelles à Sadicte Altèze de nostre arrivée en
Angleterre. Et y arriva sy à propos, que l'on espéroit plus la
perte de nous aultres que nostre arrivée, par les tempestes et
grandz ventz qu'avoyent estes en Flandre lors que nous
voguions : dont Son Altèze fut bien joyeuse d'entendre si
bonnes nouvelles.
Toutes ces choses parachevées, l'on fit voille le dimenche
xxviir, et le dernier jour l'on jecta l'ancre devant Douvre. Icy
s'estoit résolu le conte à Lisbonne de se désambarquer et se
mectre dedans les yaches pour passer à Donquerque, pour éviter
les bancz, et de ceste résolution en avoit adverty Son Altèze par
Verdugo : de sorte que les lougis estoient jà faictz de ce coustel
là et du coustel de Brughes. Mais cecy fut changé pour la recher-
che que l'on debvoit faire des coffres, qu'estoit réservée pour
Medelebourg. En ce port de Douvre, nous husmes nouvelles
comme l'Ambassadeur d'Angleterre * avoit passé pour se trouver
1 « Cet ambassadeur était don Diego de Guzman de Silva, chanoine de
Tolède, nommé par le Roi au commencement de 1564, et parti de Bruxelles
pour son poste vers le milieu de juin de la même année. Il avait été
(71 )
aux nopces au nom de nostre Roy. Nous y séjournasmes le jour
de Tous-les-Sainctz, et, s'estans toutes les naves fournies de
pilottes pour éviter les bancz, approuchant la nuict, Ton fit
voille. Et, par la permission divine, sans aultre péril aulcun,
sur la nuict du jour des Ames *, nous arrivasmes au port tant
désiré, qu'estoit Ramure *, près de Medelebourg, et si à propos
qu'à peine avions-nous jçcté l'ancre, qu'il se leva ung furieux
vent tout entièrement contraire, et de telle sorte qu'il nous
repoulsa à l'isle Vie; mais encoires les pilottes assheuroient
qu'il n'y eult eschappé nulle nave, parce que la nuict et l'impé-
tuosité du vent les eult fraquassées sur les bancz. Dont nous
devons louer grandement Dieu et confesser et recongnoistre
que, par sa saincte seule grâce, avons eschappé tant de perilz,
mesme que YAdmirale donna trois fois sur ung banc sans
recepvoir aulcun inconvénient.
Ce soir mesme entra la Princesse à Medelebourg, qu'il estoit
plus de dix heures de nuict. Mais des aultres naves ne sortit
personne, parce que le lendemain se devoit faire la visite des
coffres. Et commença-t-on à nous aultres gentilhommes, nom-
pas pour opinion que l'on eult de trouver en nos coffres ce que
l'on cherchoit, ains pour servir d'exemple, afin que personne
ne fusse exempte. Aussi é toit-ce le vouloir de Son Altèze, selon
les lettres qu'elle escripvoit au conte par Boysot, qu'estoit
arrivé trois jours seulement devant Marno, ne voulant que per-
sonne en fût exclus, nompas les coffres de sa trézorerie; mais
bien commendoit-elle expressément qu'aulx coffres de la Prin-
cesse sa fille Ton n'y vult atoucher, encoires que ce fusse pour
chargé par Philippe II d'assister en son nom aux noces du prince de
Parme à Bruxelles. Les notes prises par l'ambassadeur lui servirent à
composer une Relation de l'état des affaires de Flandre, envoyée par lui,
avec une lettre du 24 novembre 1565, à Ruy Gomez, prince d'Eboli : Cor-
respondance de Philippe //, 1. 1, pp. 336, 337 ». (Poullet, Correspondance
de Granvelle, 1. 1, pp. 48 et 45.)
1 Le 2 novembre, jour consacré à la commémoration des trépassés.
* C'est-à-dire Armuyden, petit port maritime, situé sur le flanc oriental
de l'Ile de Walcheren et relié à Middelbourg par un canal.
(72)
trouver ung million d'or, ny en coffres d'au 1 très personnes de
ses domesticques pour qui elle poieroit: qu'a esté le chemin, à
ce que disent ceulx quilz faisoyent la recherche, pour estouper
la source du meilleur butin, parce qu'y se sont trouvez des
coffres de ce coustel là que vingt personnes ne pouvoyent lever.
En lin, j'entends quoi natus est ridiculus mus. Au moins l'on
n'a pas trouvé xx mil escus, quilz estoient encoires la plus part
ambarqués avec congé.
L'on séjourna à Medelebourg jusques au jeudy vme, où que
vint, de la part de Son Àltèze, le conte de Saint-Cegon *.
Depuis vindrent monsieur de Montegny et le conte de Orne.
Et, ayant le mccredy faict ses Pasques 2 la Princesse, le jeudy»
au bon matin, l'on s'ambarqua, et arriva-t-on à Saxe sur les
unze heures. Et là trouvâmes le conte d'Aiguemont, qui l'aten-
doit sur les digues avec plusieurs gentilhommes : les princi-
paulx desquelx estoient monsieur de Norcarme 3, le viceconte
de Gand * et La Troullière 5. D'aultre coustel estoit le prince
de Parme, ayant avec lui le prince d'Orenge et le marquis de
Berghues, tous trois habillés d'une mesme parure de ses cou-
leurs, fort richement, et estoient incarnatte, blanche et grihe.
Et estoit luy xx* de gentilhommes, habillés des mesmes cou-
leurs, quilz estoient venus par la poste. Hz se mussoient pour
n'estre aperçeus, car il désiroit veoir désambarqucr la Prin-
cesse sans qu'elle le visse. Mais il ne sçeut, car la mer n'estant
encoires assez haulte, la nave ne pouvoit arriver au bort, et fut
quasi une heure avant qu'elle descendisse en terre. Néant-
moings depuis il se cacha dans une maison et la vit passer.
Elle estoit richement habillée d'une robe à l'Espagnolle de drap
1 Gentilhomme italien de l'entourage du duc de Parme.
* C'est-à-dire ayant communié.
3 Philippe de Sainte-Àldegonde, chevalier, seigneur de Noircarmes,
bailli et capitaine de Saint-Omer, devenu plus tard l'un des auxiliaires
de la répression accomplie par le duc d'Àlbe.
1 Maximilien de Melun, chevalier, vicomte de Gand, capitaine de la
ville et citadelle d'Arras.
5 Louis de La Trouillière, gentilhomme de la bouche du roi d'Espagne.
(73)
d'or incarnat. Et comme elle fut entrée en sa chambre avec le
conte <f Àiguemont et toute sa suitte, le Prince y arriva avec la
sienne, qu'il faisoit certainement beau veoir. Il entra le dernier
de tous. Et comme la Princesse l'aperçeut, qu'estoit au coing
de la cheminée, elle s'advança d'ung pas ou deux, et avec une
humble révérence le reçeut, lors que le Prince tâchoit à luy
baiser les mains. Le Prince fit sa harangue assez courte; et ce
pendant la Princesse n'esguaroit aultrepart la veue que sur luy,
comme princesse la moins estonnée et la plus assheurée que
Ton sauroit veoir. Il salua après la contesse de Mansfeltz ; et
luy ayant baisé les mains toutes les dames et les Portugais, au
moings les principaulx (car nous aultres avions jà faict nostre
debvoir et fûmes fort bien reçeu), parla derechief pour la
seconde foys k la Princesse : de laquelle prenant congé, s'alla
mectre à table en une aultre maison avec tous ces seigneurs.
Et puis se partit avec les siens, sans plus veoir la Princesse *,
par la poste, laissant le conte d'Aiguemont pour la conduire à
Gand, lequel l'avoit opulamment traicté et reçeu audict Saxe
aux despens de la ville de Gand. Le dîner parachevé, Ton
s'ambarqua sur les basteaulx que les Gantois avoient admenés et
fort bien tapissés; mais il fut bien dix heures de nuict quant
l'on arriva. Le vendredy l'on séjourna audict Gand, et le sam-
4 M. de Home l'alla recevoir à Middelbourg comme admirai, et
M. d'Egmont, accompaigné du marquis de Berghes et aucuns aultres
seigneurs, et Gand, comme gouverneur de Flandres. Et deux ou trois
jours après se partit d'icy ledict prince de Parme, accompaigné du prince
d'Oranges et environ xxv autres gentilzhommes, entre lesquelz estoit
Zveveghem, tous habillez d'une sorte, à scavoir : les chaulées et savon
de veleoir cramoisi, et le manteau d'escarlate passementé tout d'argent;
et alla au devant de la dicte Princesse jusques sur le nouveau port près
de Gand, où que, le même jour qu'il y arriva, vint aussi la dicte Prin-
cesse, et après l'avoir saluée et déclaré le désir que le Duc et la Duchesse
avoient de la veoir et plesir qu'ilz avoient de son arrivée, s'en alla dis-
ner, délaissant la dicte dame en son quartier; et après disné se partit et
retourna icy ». (Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 4 décembre
4565 : Correspondance du cardinal de Granvelle, 1. 1, pp. 32 et 33.)
( 74)
bedy Ton vînt coucher à Terremonde. Icy perdit la Princesse
ung diament estimé à cinq mil ducas.
Le dimenche, Ton arriva sur la nuict à Bruxelles, et ren-
contra-t-on, à demye lieue hors de la porte, le Duc, le Prince
son fi Iz et tous les aultres seigneurs, lesquelx la receurent et la
firent démonter de la lictière où qu'elle estoit pour la mectre
dedans le beau couche quil pour cest effect avoit esté faict t.
Et fut avec elle la contesse et sa fille, et dedans ung aultre coche
les aultres damoiselles principalles. Aux portes, Ton trouva
l'Amant * avec les seigneurs de la ville, quilz firent le compli-
ment qu'ilz ont à telles gens pour coustume de faire, avec
grand nombre de torches, que pourtoient leur bourgeois, et
tonneaulx ardants par les rues qu'elle passoit. Et n'y eult
aultre chose jusques au palais , où que l'entrée se fit par la
grand' salle, parce que dedans la chappelle estoit l'évesque de
Cambray 3, en pontificqual revestu, quil les attendoit pour
1 Et elle vint le jour de Sl-Martin en ceste ville (Bruxelles). La
réception fut : premièrement, Ton luy envoya jusques en la maison de
l'Amman, hors de la porte de Flandres, ung fort beau et riche coche tout
entièrement doré et couvert par dehors de toi lie d'or et dedans d'argent,
trayné par quatre jumens pies caparassonéez de mesmes. Environ les
trois heures, le duc de Parme, accompagné de tous ces seigneurs, alla la
recevoir en la dicte maison ». (Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles,
4 décembre 1565 : Ibid.)
1 L'Amman, chef de la municipalité de Bruxelles, était sire Jean de
Locquenghien, chevalier, seigneur de Coekelberghe, qui occupait ce
poste depuis 1554. (Poullet, Correspondance de Granvelle, t. 1, p. 42,
note 2.)
3 Maximilien de Berghes, deuxième fils d'un bâtard de la maison de
Glyme-Berghes, « fut appelé à l'évêché de Cambrai, le 10 septembre
1556, par le chapitre cathédral de cette ville, grâce à l'influence toute
puissante du cardinal de Granvelle ». (Alph. Le Roy, article Maximilien
de Berghes, dans la Biographie nationale de Belgique, t. II, col. 218-221.)
Lors de la réorganisation ecclésiastique des Pays-Bas. en vertu d'une
bulle du 12 mai 1559, sollicitée par le roi Philippe II, Cambrai devint un
archevêché, et Maximilien de Berghes prit la qualité d'archevêque, bien
qu'elle lui fût contestée par l'archevêque de Reims, ancien métropolitain
de Cambrai. Cette contestation expliquerait peut-être la qualité d'évêque
donnée à Maximilien de Berghes dans la relation de Pierre Bordey.
(75)
espouser, et Son Altèze à rentrée de la porte pour les recep-
voir 1 : ce que se paracheva incontinent qu'îlz furent entrés. Et
depuis Son Altèze Ta conduit elle-mesme en sa chambre, qu'est
celle où Paulo Vitellio 2 lougeoit. Le soupper se fit en la grande
gallerie, et estoient environ xxvn à table : le Prince et la Prin-
cesse soubz le poisle, et Son Altèze et l'Ambassadeur 3 à
Topposite.
Ce soir ilz ne consommarent point le mariage, ains fut remis
au lendemain. Et n'atendit le Prince le soir, la faisant de fille
femme l'après dîner 4. Toute ceste sepmaine, jusques à l'aultre
dimenche que fat hier, Ton tint tousjours salle; mais c'estoit
en la chambre du Prince. Et cependant s'accreust la court de
toute la noblesse de ce pays, n'estant des seigneurs aulcuns
demeurés derrière, sinon le conte d'Obrande 5 ; néantmoings
son fils y est.
1 « Et ainsi arriva en nuict, environ les sept heures du soir, où que
Son Altèze l'actendoit en la grande sale, accompaignée du Prince son filz
et des sieurs d'Aremberghe, Berlaymont, Achicourt, Hierges et aultres.
Et incontinent après s'être entresaluez, la dicte Princesse fut menée en
la chappelle, où elle fut espousée au dict Prince par l'archevesque de Cam-
bray. Et ce fait, alla toute la compaignie souper en la grande galerie ».
(Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 4 décembre 1565 : Ibid.)
* Paolo Vitelli, gentilhomme italien qui avait la confiance du duc de
Parme et que ce prince faisait résider souvent auprès de la gouvernante,
sa femme, à Bruxelles.
* J'oblioye presque que l'Ambassadeur d'Angleterre a esté partout le
premier après Son Altèze, comme tenant le lieu du Roy; et, à ce qu'on
m'a dit, il a treuvé estrange toutes ces sumptuositez et braveries ».
{Bave au cardinal de Granvelle, Bruxelles, 4 décembre 1565 : Ibid.)
4 « Et ayans soupe, après quelque peu de dances, chascun se retira,
sans que la dicte Princesse voulut pour ce soir coucher avec le dict
Prince, s'excusant non le pouvoir faire avant avoir ouy messe, qu'elle
oyt le lendemain. Et l'après disné, ainsi que les dances estoient com-
mencées, l'on treuva moyen de joindre les deux parties en une chambre
où ilz furent encloz deux ou trois heures; et, au sortir, le Prince dit avoir
couru bravement trois bonnes carrières ». {Bave au cardinal de Gran-
velle, Bruxelles, 4 décembre 1565 : Ibid.)
* Serait-ce une altération du nom italien Aldobrandino? Un gentil-
( 76 )
Hier se fit le grand festin en la grande salle du palais, que
l'on avoil faict racoustrer. Et estoit la table des princes, prin-
cesses et seigneurs de cinquante-cinq personnes ; et la seconde
table, en la mesme salle, de plus de cent et trente, et en ceste
icy estoient nonante et quatre, que dames que damoiselles *.
Soubz le poisle estoient assis Son Altèze, la Princesse sa fille,
le Prince et l'Ambassadeur. Trois sumptueux buffetz estoient
dressez en la salle. Et servovent les trois maislres d'hostelz
quilz précédoient la viande, accompagnés de six trompettes
habillés en satin cramoysy et ung altabarre *, quilz les aocom-
pagnoyent à chascun meetz.
Fini le soupper, quil fut superabondant en toutes choses, le
bal commença. Et cependant le prince d'Orange s'alla habiller,
quil entra avec ung escadrille de seize amazones, desquelles le
prince de Parme en estoit Tune, et parachevoient le nombre
aultres seigneurs et gentilhommes. Aussi fit le semblable le
conte d'Aiguemont, qui entra avec seize saulvages, entre
lesquelx estoit le duc d'Arschot 3 : jfo estoient tous armés, et
n'eurent si tost faict leur entrée, qu'ilz commençarent leur
homme de la cour de Parme, Pictro Aldobrandino, écrivit de Bruxelles,
le 14 septembre 1567, une lettre qui contient des détails circonstancié?
sur l'arrestation des comtes d'Egmont et de Hornes.
1 « Le dimence ensuivant fut fait le festin honnourable desdictes
noepees en la grand1 salle de la court, laquelle estoit ricement tapissée
de la tapisserie servant au mistere de la célébration du chapitre général
de la Thoison d'or, laquelle tapisserie contient l'histoire de Gédéon....:
et est la plus belle salle que je verés jamais, car elle contient 180 pieds
de long et 60 pieds de large ». (Pasquier de le Barre, 1. 1, p. 17.)
* Le tabar était une sorte de dalmatique armoriée, que portaient les
hérauts d'armes dans les cérémonies.
* Philippe de Croy, duc d'Arschot, prince de Chimay, chevalier de la
Toison d'or, capitaine d'une bande d'ordonnance. Par lettres patentes
données au Bois de Ségovie le 17 octobre 1565, il venait d'être nommé
membre du Conseil d'État de la gouvernante, promotion qui accompa-
gnait les nouveaux ordres de rigueur édictés par Philippe II. Le doc
d'Arschot, en relations intimes avec le cardinal Granvelle, était pourtant
un modéré.
i
(77)
combat qui passa fort bien, combattant les amazones contre
les saulvages ; lequel fini, ilz se retirarent incontinent*. Et peu
après rentra le Prince, qui, après avoir dancé une dance ou
deux, se retira Son Altèze, et conduit la compagnie au bancquet
des succrades que la ville d'Anvers avoit faict présent, estimé à
plus de trois mil florins. Et y en avoit deux : l'ung dressé en la
salle devant l'oratoire, et cestuy estoit succre pour manger la
plus part ; l'aultre estoit en hault, en la salle devant la chambre
du Prince, et cestuy estoit bien l'ung des plus magnificques que
l'on sauroit imaginer. Là se véoit une ville qui représentoit
Lisbonne, puis l'adieu et l'embarquement, les naves, la
descente à Medelebourg, le recueil faict en Saxe, derechief
l'ambarquement pour venir à Gand, la réception faicte par les
Gantois, le parlement de Gand en lictière, l'entrée de Bruxelles
4 « Après soupe y eut dances, et après ung tornoy fort bien combattu,
et ung masque que feit la femme du conseiller Assonleville avec sa sœur
et la fille de l'avocat fiscal. Dieu sçait comme Ton en a parlé ! Ce sont des
sages invencions du chancellier. Elles présentèrent ung coniz (lapin)
à la Princesse et ung oiselet à la Duchesse ». (Bave au cardinal de
Granvelle, Bruxelles, 4 décembre 1565 : Ibid.) — « Le dict festin achevé,
Ton alla en hault où que fut dressé le bancquet de sucre, dont ceulx d'An-
vers avoient fait présent, qu'estoit fort riche. Et lors M. d'Egmond dit
qu'il avoit fait au dict tornoy ses dernières armes, et porté la dernière fois
dorures, et que doresenavant il se veult tenir comme qui va sur eaige et
a beaucop d'enffans; et aussi ne sera-y de la jouste qui se doit faire le
second de décembre, laquelle sera sur le grand marché ». {Bave au car-
dinal de Granvelle, Bruxelles, 4 décembre 1565 : Ibid.) — Cette contribu-
tion de la ville d'Anvers au grand festin de Bruxelles a occasionné une
méprise historique : Motley raconte en effet, d'après Meteren, que « la
grande métropole commerciale avait célébré l'événement par un banquet
magnifique », dont le principal ornement était « une magnifique pièce
de pâtisserie, image fidèle de l'expédition du comte de Mansfeld à son
arrivée en Portugal, avec la flotte destinée à ramener la fiancée; des
figures en sucre d'un travail exquis — des portraits, faut-il croire, —
représentaient les personnages principaux, dans le costume qu'ils por-
taient aux scènes les plus frappantes de cet épisode ». (Motley, Révolu-
tion des Pays-Bas, traduit de l'anglais par Gustave Jottrand et Albert
Lacroix, 1861, t. II, p. 6.)
( 78)
avec le coche, le palais et les cérimonies des espousailles, le
tout si bien faict qu'il donnoit grand estonnement aux regar-
dans.
J'avois oblié de dire que, fini le combat des amazones contre
les sttitaagp&, L'on publia les joustes quilz se feront deans xuu
josnr sur le mnefer de faivitte.
Voilà, Monseigneur, tout le suceès qu'il n'a mmkià k Sa
Seigneurie Illustrissime escripre, afin qu'estant de loystr, lèse
faisant lire, elle congnoisse et entende comme les choses sont
passées, la suppliant bien humblement de prendre le tout de
bonne part. Et ce pendant, luy ayant baisé avec toute humi-
lité les mains, je prieray le Créateur qu'il luy doint en santé
très bonne et longue vie, en toute prospérité.
De Bruxelles, ce xixe de novembre 1565.
De Sadicte Seigneurie Illustrissime
très humble et très obéissant serviteur,
PlERRE BORDEY.
XI. — Propos tenus par Pierre Bordey, durant la seconde
navigation de l'ambassade, à l'effet de réfuter les calomnies
semées contre le cardinal de Granvelle par les ennemis de
cet homme d'État.
Pierre Bordey au cardinal de Granvelle.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t. XXI, fo). 90-î>i.)
Bruxelles, 19 novembre 1565.
Monseigneur, par le discours que j'envoye à Sa Seigneurie
Illustrissime tant de l'allée que du retour de nostre voyage de
Portugal, elle pourra congnoistre, sur la fin d'icelluy, le temps
et le jour qu'avons faict nostre entrée en ceste ville de Bruxelles,
(79)
tous, Dieu grâce, en bonne santé, ormis la perte de cinq per-
sonnes, trois mortz par maladie et lesdeux au 1 très par naufrage.
Quant à moy, Dieu mercy, je me suis tousjours bien porté sur
la mer, et mieulx que sur terre, sans que jamais aulcunement
j'ay resentu ce qu'à tous nouveaulx maronniers eschappe peu.
Et, bien que la fortune en ce poinct s'est montré à moy pi us qu'à
aultre favorable, néantmoings ne m'a-t-elle rendu ce voyage
par tout heureux ; car, oultre la perte de ma bourse à Lisbonne,
au désambarquemenl à Medelebourg, je trouva deux douzennes
de vases de pourcelannes tous fracassés et rompus, sans que
desdictes pièces il en demeura une seule entière : ce que je
resenty griefvement et plus que nulle autre chose, parce que
mon intention estoit d'en faire présent, au moings de la plus
part, comme dexvm qu'estoient des plus belles et fort fines, à
Sadicte Seigneurie Illustrissime, et pour cest effect les avois-je
appourté, suppliant très humblement que ce mien désastre
n'empesche que ma bonne volunté ne tienne lieu , puisque je
n'y ay coulpe et que je l'ay resentu et resent encoires bien fort.
Plus que je n'espérois à mon partement, j'ay passé avec con-
tentement ce voyage avec monsieur de Mansfelt et les siens,
car le conte ne m'a jamais veu de fois, ny en terre ny en mer,
qui ne m'a demandé particulièrement comme je me pourtois :
aussi a faict tousjours madame la contesse sa femme. Quant au
conte Charles son filz, il m'a faict de l'honneur tant, que je ne
me saurais mescontenter de luy, jusques à m'escripre lettres
dois sa nave à la nostre, par un gentilhomme, au temps qu'il
faisoit calme, et me prioit de l'aller voir : ce que je fis, où que
je fuz reçeu, et me traicta comme sa personne propre. Et
comme je y eus demeuré deux jours par grande instance et que
je m'en pensoys retourner, le vent se leva de telle sorte que je
fus contraint d'y demeurer quinze jours, et n'en sortis jusques
à ce que l'on encra en Angleterre, et y estois du temps de la
grand' tempeste. Durant ce temps, ce ne fut sans quelquesfois
parler et de Sa Seigneurie Illustrissime et de Renard *, non
1 Simon Renard, ancien protégé de Granvelle, devenu, sous les aus
(80)
pas que j'en encommensasse le propos; mais il venoit de soy
mesmes à m'en toucher : dont j'eusse bien voulu qu'il s'en
fusse déporté, congnoissant l'humeur de l'homme f, et que
moy je ne soffrirois chose quil toucheroit à l'honneur de
Sadicte Seigneurie Illustrissime. Toutesfois, il s'y comporta
assez modestement, n'assheurant rien de soy mesmes, sinon
que l'on disoit telles et telles choses.
A ce qui me parloit du gouvernement domesticque que Ton
disoit estre scandaleux, je luy respondis que ceulx quilz
semoient telles choses estoient meschans et malheureux mesdi-
sans, et que je m'esbahyssois comme l'on adjoustoit foy à telles
choses qu'estoient mensongières, car il y avoit douze ans que
j'estoye domesticque de la maison de Sadicte Seigneurie, et
qu'en tout ce temps je ne m'estois oncques aperçeu d'aulcune
chose pour y prendre seulement opinion tant petite qu'elle
fût : et que estre vray je le maintiendrais. Et sur l'ambition qu'il
mectoit en avant, je fis responce que la poursuitte que Sadicte
Seigneurie avoit faict, après le parlement de l'Empereur, pour
estre désenveloppé des négoces et obtenir son congé de se
retirer, démentoit ces rapourteurs : oultre qu'il estoit notoire
assez que n'ayant sçou obtenir son congé, Sadicte Seigneurie fit
envers le Roy que le prince * et le conte d'Aiguemont fussent
pices de cet homme d'État, ambassadeur de Charles -Quint et de
Philippe II, puis allié aux seigneurs des Pays-Bas contre le cardinal.
* Charles de Mansfeld était alors engagé dans la ligue qui devait avoir
pour conséquences la Jacquerie des Gueux et la Terreur répressive
exercée par le duc d'Albe. A son retour de Portugal, il fut l'un des pre-
miers signataires du Compromis des nobles, mais il ne tarda pas à aban
donner ce parti. « Le 19 juin 1566, il écrivit à Thomas Armenteros,
secrétaire particulier de la duchesse de Parme, qu'il était entré dans la
confédération a l'instigation du seigneur de Brederode, son oncle, et sans
prévoir les événements qui devaient survenir; désirant vivre et mourir
en remplissant ses devoirs envers le Roi, il s'était séparé des confédérés
dont les actes ne correspondaient plus avec ce qui avait été dit lorsque
la confédération avait été formée ». (J.-B. Blaes, Mémoires anonymes sttr
les Troubles des Pays-Bas, 1. 1, p. 18, note 1. —Cf. Gachaed, Correspon
dance de Philippe //, 1. 1, p. 421 .)
1 Le prince d'Orange.
( 81 )
du Conseil d'Estat, ce que du temps de l'Empereur n'avoit
jamais esté; que si son but fût esté l'ambition, il n'eult pour-
chassé telz seigneurs pour consors. Et quant à la malveullance
que les seigneurs assheuroient, au moins aulcuns, que Sadicte
Seigneurie leur pourteroit, tant s'en fault-il qu'il fut vray : que
f assheura que j'avois lettres que Sadicte Seigneurie m'avoit
escript dois Bourgoingne, par lesquelles elle m'admonestoitet
commendoit de me conduire et gouverner à lendroict d'eulx
avec tout respect et service, et que si elle entendoit que autre-
ment je m'y conduisisse, qu'elle me désavouerait et ne me
tiendrait jamais pour estre de sa maison, adjongnant en ces
. lettres ces propres mots, disois-je : « car je leur suis serviteur,
et leur feray plaisir et service où que je pourray, encoires qu'ilz
ne veullent, et rendray le bien pour le mal ». J'ay, disois-je
audict conte en la présence de Bassompierre, ces lettres escriptes
de sa propre main, que n'est pas tesmonnage pour adjouster
foy à ung tas de rapourteurs, ny à Renard : que quil considérera
l'obligation qu'il a à l'endroit de la maison de Grandvelle et la
pèsera au contrepoix de ce qu'il faict, l'on s'esbahyra plus tost
de sa meschansteté que de croire à ces faulx rapors, lesquelx à
la fin l'on trouvera telz à sa grand'honte. Geste mienne res-
ponse rendit et l'ung et l'aultre sy muetz qu'ilz ne sçavoient
que me respondre, et en tout je m'y conduis de telle sorte que
le prindrent de bonne part.
Et à Bassompierre, venant en nostre basteau depuis, pour le
respect du bon recueil qu'il m'avoit faict en celluy du conte
Charles, je me travailla à luy faire le semblable, jusqucs à me
découcher de mon lict pour l'y faire coucher.
En fin, Dieu mercy, j'en suis sorty mieulx que je n'espérais
au commencement de nostre voyage : j'espère que ce que j'en
ay faict Sa Seigneurie Illustrissime' le prendra de bonne part.
Le conte d'Àiguemont, lorsqu'il reçeut la princesse en Sasse,
me fit aussi bon visaige et bon recueil ; aussi a faict aucune-
ment Son Altèze.
Il semble qu'il y ayt quelque picque entre la princesse
d'Orange et la contesse d'Aiguemont. Et, à mon jugement,
TombXLI. tf
(82)
Son Altèze faict plus de faveurs à la contesse qu'à l'aultre :
mesmes que le jour des espousailles, icelle alloit seule après
Son Altèze et l'aultre la suyvoit, et aux deux bancquetz fut
assise la première. Et entre les filles et seurs du prince se don-
naient quelque attacque du bec, hier au soir, pour la précé-
dence, à ce que Ton m'a dict; et m'assheure bien que telles
choses suffiroient pour mectre picque entre les marys, si le
prince avoit bonne intelligence avec sa femme '. Néantmoings
il semble jà que aulcuns en parlent *
1 Anne de Saxe, seconde femme du prince d'Orange, avait des mœurs
légères qui fréquemment troublèrent la placidité de son taciturne époux.
9 Les susceptiblités qui se produisirent alors à la cour de Bruxelles, au
sujet des rivalités de préséance, sont ainsi dépeintes dans une dépêche
de Pero Lopez au cardinal de Granvelle (Bruxelles, 4 décembre 4565} :
c< Luego que llego la princesa de Parma, Madama hizo aposentar en
palacio no se quantos dias â la de Mansfelt, y hazia le tanta honra corao
si fuera su ygual ni mas ni menos, tanto que salio dos vezes â corner y
çenar fuera, y siempre la acompafiaron el duque de Parma y suo hijo
hasta donde yva â çenar, que fue una vez en casa d'Egmont y la otra en
su casa propia, de mas desto todos los gentiles ombres de Madama era
menester la acompanasen, y yva siempre en el coche de Madama, cosa
que le yva bien al gusto segun es ambiçiosa ; succedio luego el banqueté
que Madama hizo en la gran' sala, en donde se hallaron la de Oranje y de
Egmont, y al assentar se â la mesa, como se assentasen primera estas dos
senoras, se agravio de tal manera la de Mansfelt y su marido de que â ellos
dos no los assentasen los primeras que estuvieron para partir, se luego
otro dia para su casa, y dixeron muchas palabras luego despues de çena A
los unos y otros sobrello, de manera que Madama lo vino â sentir ; y por
regalarla y darles contento, se fue, dos dias despues, acompanada del
Duque su marido y de su hijo â visitarla â su casa, con que los assossego
un poco ». (Bibliothèque de Besançon, Mémoires de Granvelle, t. XXI,
fol. 184 ver.w et 185.)
(83)
XII. — Préliminaires de la division des seigneurs; tournoi donne
sur le grand marché de Bruxelles, à T occasion du mariage
£ Alexandre Farnèse et de Marie de Portugal.
PlKRRE BORDEY AU CARDINAL DE GrANVELLE.
(Bibliothèque de Besançon. — Mémoires de Granvelle, t. XXI, fol. 307-808.)
Bruxelles, 8 décembre 1505.
Les lettres du Roy où qu'il commendoit le duc d'Àrschot
rstre reçeu au Conseil d'Estat n'ont donné moings d'esbahys-
sement aux gens que du mal contentement aux seigneurs, quilz
ayant requéru d'y estre admis Berghues et Norcarme, au lieu
d'iceulx voyent estre surroguer ung aultre quil n'a jamais
voulu estre de leur lignée. Et fit ledict duc son entrée au Con-
seil mardy passé, ayant quelques jours devant festoyé tous les
seigneurs, lesquels extérieurement se forcent de monstrer en
estre content.
Monsieur de Orne a demandé son congé, et monstre de se
vouloir retirer seulement pour non estre récompensé du Roy
comme il luy semble qu'il devroit estre : au moings ainsi l'on
le publie. Mais aulcuns doubtent qu'il n'ayt son congé du Roy
propre. Je m'en ra porte à ce qui en est.
Le prince d'Orange requiert aussi d'avoir permission de
s'aller tenir à son gouvernement d'OUande, et la veille de la
Sainct-Andrey, il pria les Estatz d'OUande d'en faire instance
à son Altèze pour le bien du pays qu'ainsi il le fit. Je ne sçay
quelle est son intention, si ce n'est que ne voyant les choses
succéder comme ilz vouldroient bien et comme ilz aspiraient,
de soy petit à petit retirer et délaisser au besoing son Altèze
enveloppée de mil broilleries.
Le comte d'Austrate, qu'à nostre arrivée de Portugal se don-
noit tant de presse pour partyr pour Allemagne, et qu'il sem-
(84 )
bloit qu'il ne pouvoit demeurer, sans trop arrester, au grand
bancquet que se fit il y a xv jours, est encoires pour aujour-
d'hui en ceste ville.
Si le conte d'Aramberghue, qui est fort malade à Mali nés
de sa fiebvre quarte, et le conte d'Ovrande * fussent esté
en ceste ville le jour de la Sainct-Andrey *, tous les chevaliers
de l'Ordre du pays ilz fussent estez; car ilz se trouvaient audict
jour treize en nombre 3. Et donna le duc de Parme en la
gallerie le dîner, comme le plus ancien de tous ceulx quilz
estoient là
Ces jours passez, le conte de Mansfelt ha heu estranges pro-
pos avec Marcello, Pungde noz compagnons italiens, et le conte
de Orne; et pource que le sieur Pero Lopez, de qui je l'ay sçeu,
en escript particulièrement à Sa Seigneurie Illustrissime *,
1 Bordey avait déjà fait remarquer l'absence aux fêtes de Bruxelles
du comte Jean de Oost-Frise et Over-Emdcn , qu'il appelle le « comte
d'Ovrande », ainsi que la présence aux mêmes fêtes de Maximilien d'Oost-
Frise, fils de ce seigneur. — Voyez ci-dessus, p. 75, et ci-après, p. 97,
erratum 3.
* Saint André, dont la fêle se célèbre le 30 novembre, était le patron de
l'Ordre de la Toison d'or.
5 La liste des quinze chevaliers de l'Ordre qui se trouvaient aux Pays-
Bas, à la fin de l'année 1565 et au début de 1566, est donnée dans les
Mémoires anonymes, édités par J.-B. Blaes, 1. 1, pp. 9 et 10.
* Le narré de Pero Lopez sur cet incident est ainsi conçu : « Despues a avido
otra frialdat con un gentilombre de Madama que se ilama Marcello Lam-
pignan, el quai trata muchocon todos estos senores, y comiendo Mansfelt
en casa de Hoochstrata, lenbio, despues de corner, â rogar se Uegasse alli
para tratar con el algo de las cosas de la justa ; y comènçando â hablarcon
cl, le dixo el conde de Mansfelt : « Senor Marcello, yo os quiero hablar
en Françes, porque me entenderei mejor ». Y comme nço le â dezir lo qur
queria, y el Marcello al responder hizo lo en Françes, y hablava le
siempre de vous como se suele usar en Françes ; de lo quai se enojo en
ta ri ta manera Mansfelt, que començo â dezir muy rezio y muchas vezes :
« Vous, vous, vous estes vous et moi poinet ». Y esto con tan ta colera que
fue cosa est rail a, y desale assi sin qucrcr le mas oyr, y mete se en una
camara, diziendo maravillas, y quesando se que los criados de Madama le
tenian en poco, y que por aver le hecho un tan granservicio le perd i an el
(85)
comme celluy qui Ta entendu du prince de Parme : sans en
faire icy aultre révélation, je me remectray à ce qu'il en dira.
Mais je me double que cecy sera commencement d'aulcune
chose quil n'aura jà bonne fin.
Je ne sçay si les joustes pour cest effect sont esté remises au
jour d'aujourd'huy, car elles se debvoient faire avant-hier; et
l'excuse du maulvais temps ne peult pas estre reçeue, car il fit
très beau jour : bien est vray que le sambedy fut pluvieux.
Aulcuns disent que le prince d'Orenge n'estoit point prest.
Quoy que ce soit, il y a du malcontentement grand. Néant-
moings Son Altèze, le Duc et le Prince, chascun particulière-
ment, sont esté visiter lesdits conte et contesse en leur lougis,
deux ou trois jours après nostre arrivée, et tousjours se sont
montrés fort humains et courtois en son endroict.
Ce jourd'huy, qu'est mardy 1111e, nonobstant que la pluye
fut grande, se sont faictes les joustes sur le grand marché, et
rommençarent à douze heures. Et y eult trente-trois surve-
respelo. El Marcello quedo atonito y llego se al de Hoochstrata, y dixo
le : « Senor, ya aveis oydo lo que lie passado con el de Mansfelt y la sin
razon que tiene; yo os suplico que le desengafteis de mi voluntad y que
pierda el enojo que ha tomado tan sin culpa mia ». Respondio le el : « Esso
me aveis de perdonar que yo no me melare en ello como si fuera algun
gran negocio ». Y allego se à* ellosel conde de Horne, y començo a vaziar
«•osas bien escusadas, diziendo quanta différencia avia de la casa de
Mansfelt a la de Fernesi, y que tenian sin razon de tratar assi con el,
porque era una persona de otra calidat, y que la casa de los de Mansfeld
ténia mas de dozientos mill escudos de renta, y tan principales que algun
dia podrian muy bien mover guerra â Parma, y dixo otras mill neçedades
de la casa de Mansfelt, abaxando la de Fernesi .... Y no falto quien lo
dixese la misma noche al Duque, el quai respondio al que se lo dixo,
que se raaravillava mucho del de Horne, ni nadie -dezir ni tratar de tal
cosa, pues les mostrava a todos por obras por quan principales los ténia,
porque aun no tratava con ellos con ygualdat, sino que los ponia â todos
sobre su cabeça, pero con todo que lo dissimula lo a sentido, aunque
tambien es menestcr dezir la verdat que todo fue despues de aver comido
o, por mejor dezir, bevido » (Pero Lopez au cardinal de Granvelle,
Bruxelles, 4 décembre 1565 : Bibliothèque de Besançon, Mémoires de
Granvelle, t. XXI, fol. 185 et 186.)
(86)
nans. El de ceulx icy, de la belle entrée le pris a esté donné k
l'escadrille de messieurs de Beauvort ' et Estambrughes ', que
l'on appelloit les Chevaliers (TOr ou bien les Chevalins du Soleil :
car, sur un chariot, se véoit Phaéton qui, avec ses quatres
chevaulx, conduisoit ung grand soleil, fait par tel artifice
qu'il tournoit tousjours, et les chevaliers, qu'estoient quatres,
avoient entièrement leur arnat doré, et rien ne se véoit sur
eulx et sur leurs chevaulx que or, jusques aux lances.
Néantmoings le prince d'Orenge entra fort magnifiquement,
avec ung chariot triumphal où qu'estoit Vénus et Cupidon, et
estoient douze chevaliers en son escadrille, fort richement
parée des couleurs orange, blanc et gris. Et telles les print le
prince en la faveur du conte Ludovic son frère, quil les pourtoit
pour le respect de la signora Genèvre : ledit conte Ludovic eult
le pris de la foulle 3.
Le conte de Boussu *, le visconte de Gand $, Lumey 6 et
Turlon 7 entrarent aussi fort richement, et eult ledit conte de
Boussu le pris des quatre coups de lances. Le conte Charles de
Mansfelt etVillersB furent les premiers assaillans; et contre
1 Philippe de Lannoy, chevalier, seigneur de Beauvoir, gentilhomme
de la bouche du roi d'Espagne.
• Georges de Ligne, seigneur d'Estambruges, cousin du comte
d'Egmont.
5 C'est-à-dire du combat à la foule, dans lequel les jouteurs, divisés eu
deux bandes, simulaient la mêlée d'un champ de bataille.
4 Maximilien de Hennin-Liétard, comte de Boussu, capitaine d'une
bande d'ordonnance.
5 Maximilien de Melun, chevalier, vicomte de Gand, gouverneur
d'Arras.
• Guillaume de La Marck, seigneur de Lumey ou Lummen, le futur
vice-amiral des Gueux de mer.
7 Louis de Blois, seigneur de Trélon, beau-père du seigneur de
Beauvoir.
• Jean de Montigny, seigneur de Villers, fut plus tard l'un des com-
mandants des troupes organisées par le prince d'Orange, pour l'envahis-
sement des Pays-Bas : il eut la tête tranchée à Bruxelles, le 2 juin 4S68.
(87)
tes deux courut le mainteneur * fort bien, et encoires quatre
lances contre le prince d'Orenge, et non plus : délaissant audit
conte Charles, son fils, et à Villers et au conte Ludovic à faire
le surplus, lesquelx il print pour aydans. Mais ce fut chose mer-
veille de ce que rompit le conte Charles : aussi a-t-il heu le
pris des dames.
Hz furent en tout trente-trois survenans. Et ne fut esté la
pluye quil dura quasi tout le jour, la feste fusse esté merveil-
leusement belle ; mais elle ne peult estre retardée, par l'instance
qu'en firent ceulx de la ville, parce que leurs victuailles se
gastoient. Le soupper se fit en la Maison de la ville, en la pre-
mière grande salle, où qu'il y avoit deux tables, celle des
princes et l'aultre des dames. A l'asseoir, l'on garda aultres
cérimonies qu'au dernier bancquet; car soubz le docet estoit
l'Ambassadeur, Son Altèze, la Princesse et la contesse de Mans-
felt : et vis à vis estoit la première la princesse d'Orenge, et
après la contesse d'Aiguemont. Telz sont les changemens.
Les juges des joustes estoient le duc de Parme, duc d'Arschot
et le conte d'Aiguemont.
Son Altèze se retira entre unze et douze.
Le duc de Parme et Son Altèze portent le deul pour la mort
du Cardinal, frère audict Duc *, laquelle ilz ressentent grande-
ment, et l'ont tousjours pourté dois nostre retour, ormis aux
jours des festins où que Son Altèze apparut richement parée
de carquans et pierreries.
Le jour Sainct-Nicolas, que fut avant-hier, se partit monsieur
1 « Le sousteneur et deffendeur estoit le conte de Mansfeld, chevalier
de l'Ordre, lequel avoit pour assistend le conte Charles, son filz, jousteur
fort adextre et estimé entre les princes ». (Pàsquier de le Barre,
Mémoires, 1. 1, p. 17.)
f Ranuce Farnèse, frère du duc de Parme, successivement archevêque
de Naples, de Ravenne et de Bologne, passa par les trois grades du col-
lège des cardinaux : lorsqu'il mourut à Parme le 28 octobre 1565, il pos-
sédait la qualité de cardinal-évéque de Sabine; néanmoins on continuait
2i l'appeler cardinal de Saint-Ange, titre qu'il avait eu comme cardinal de
l'ordre des prêtres.
(88)
d'Austrate pour Allemagne Le prince d'Orange Ton lient
pour certain qu'il yra à la diette en Allemagne.
Demain, aux lices du palais, se joustera, et esse ung deffis
d'ung escadrille du conte Charles contre ung aultre du conte
Ludovic de Nansou. Je désirerois bien que toutes ces festes
fussent passées, pour veoir quelles issues auront les change-
mens qui jà ont commencement bien grand
De Bruxelles, ce vin* jour de Nostre-Dame en décembre 4S6S.
De Sadicte Seigneurie Illustrissime
très humble et très obéissant serviteur
Pierre Bordkt.
TABLE DES NOMS DE PERSONNES.
Achky Jean, baron de Thoraise),
beau-frère du cardinal de Gran-
velle, 38.
Achey (Marguerite Perrenot, dame
d'), sœur ainée du cardinal de
Granvelle, 38.
Achigourt. — Voy. Hachicourt.
Aiguemont. .— • Voy. Egmont.
Aldinguel. — Voy. Ardinghel.
Altaemps (Annibal, comte d'), 66,
67.
Altaemps (Hortense Borromee,
comtesse d'), 66.
Altrze (Son) désigne la gouvernante
des Pays-Bas. — Voy. Parme.
Amkrot (Adrien), ancien condisci-
ple d'Érasme, précepteur - des
enfants de Granvelle et Bordey,
«,23.
Amyot (Jean), ancien secrétaire de
la mère du cardinal de Granvelle,
27.
Anthoink (la sefiora) dame de la
cour de Bruxelles, 43.
Ardinghel, envoyé de Philippe II a
Lisbonne, 44.
Arknberg (Jean de Ligne, comte d'),
47,84.
Armenteros (Tomas), secrétaire
intime de la gouvernante des
Pays-Bas, 43.
Arschot (Anne de Lorraine, du-
chesse d'), 35.
Arschot (Philippe de Groy, duc d1),
16, 76, 83.
Assonleville (Christophe d'), 48,
49, 77.
Assonleville (Marguerite Scheyvs,
dame d'), 77.
AuBiGNY(GilleDELENS, baron d'), 36.
Auchy. — Voy. Auxy.
Austrate. — Voy. Hooghstraeten.
Austrelin (le pirate), 65.
Autriche (Marguerite d'). — Voy.
Parme.
Autriche (Maximilien II d*), roi des
Romains, 58.
Auxy (Jacques de Hennin-Liétard,
baron d*), 66.
Barlemond. — Voy. Berlaymont.
Bassompierre (Christophe de), 45,
46, 69, 81.
BA8SOMPIERRE (Claude-François de)
46.
Bassompierre (François de), 45.
BAVE(Josse), secrétaire d'État du
gouvernement des Pays-Bas, 16.
Bavière (Sabine de). — Voy. Eg-
mont.
Beauvoir (Philippe de Lannoy, sei-
gneur de), 86.
( 90)
Bellefontaine (Jacques de Saint-
Mauris, prieur de), cousin ger-
main du cardinal de Granvelle,
«7,40.
Bergance. — Yoy. Bragance.
Berghes (Jean de Glymes, marquis
de), 34, 72, 83.
Berghes (Maximilien de), arche-
vêque de Cambrai, 74.
Berlaymont (Ad rien ne de Ligne-
Barrançon, baronne de), 35.
BERLAYMONT(Charles, baron de), 35.
Berlaymont (Gilles de), baron de
Hierges, fils du baron Charles,
75.
Bernimicourt (François - Philippe
de). — Yoy. Thieuloye.
Blois (Louis de) — Yoy. Trélon.
Boisot (Charles), gentilhomme de
la cour de Bruxelles, 35, 37, 66,
70, 71.
Boisot (Pierre), ancien trésorier
général aux Pays-Bas, 35.
Bonniéres (Jacqueline de). — Yoy.
Wacken.
Bonniéres (Marie de). — Yoy. Tou-
louze.
Bonvalot (Clauda). — Yoy. Con-
stable.
Bonvalot (Étiennette). — Yoy.
Saint-Mauris.
Bonvalot (François), administra-
teur de l'archevêché de Besan-
çon, oncle du cardinal de Gran-
velle, 27.
Bonvalot (Nicole). — Yoy. Gran-
velle.
Bonvalot (Paneras), beau-frère de
Pierre Bordey, 22.
Bordey (Charles), chanoine-archi-
diacre de Besançon, cousin ger-
main du cardinal de Granvelle,
23,24.
Bordey (Esther), fille naturelle do
Pierre Bordey, 29.
Bordey (François), chanoine-archi-
diacre de Besançon, cousin ger-
main et maître d'hôtel du cardi-
nal de Granvelle, 22, 24.
Bordey (Guillemette Perrenot ,
dame), première femme de Jean
Bordey, l'alné, 22.
Bordey (Guillemette Vurry, dame),
seconde femme de Jean Bordey,
l'alné, 29.
Bordey (Jean, l'ainé), père de Pierre
Bordey, 22, 29.
Bordey (Jean, le jeune), frère de
Jean Bordey, l'alné, majordome
du comte d'Egmont, 23.
Bordey (Jean), frère consanguin de
Pierre Bordey, 29.
Bordey (Jeanne de Courbessain),
femme de Pierre Bordey, 28, 29.
Bordey (Jeanne-Anne), veuve de
Jean-François Chandiot, 29.
Bordey (Pierre), seigneur du Saul-
cy, cousin germain du cardinal
de Granvelle, 21-30 et passïm.
Bordey (Pierre), major de la place
d'Huningue, 29.
Borromee (Saint Charles), lié d'ami-
tié avec le cardinal de Granvelle,
25,66.
Borromee (Hortense). — Voyez
Altaemps.
Bourgogne. — Yoy. Wacken.
Boussu (Maximilien de Hennin-Liê-
tard, comte de), 86.
Bouvier, gentilhomme de la cour
de Bruxelles, 66.
Boysot. — Yoy. Boisot.
(91 )
Bragange. — Voy. Portugal-Bra-
gance.
Brederodb (Marguerite de). — Voy.
Mansfeld.
Brederode (Le comte Henri de),
créateur du parti des Gueux, 49,
80.
Brimeu (Charles de). — Voy. Me-
ghem.
Camargo (Antonio), gentilhomme
'espagnol de la cour de Bruxelles,
38, 60, 66.
Castro (Nicolaus de). — Voy. Van-
der Borch.
Champagney (Frédéric Perrenot,
seigneur de), frère cadet du cardi-
nal de Granvelle, 23, 30.
Chandiot (Jean-François). — Voy.
Bordey.
Chantonay (Thomas Perrenot, sei-
gneur de), frère du cardinal de
Granvelle, 8, 13, 14, 45, 28.
Chavirey (Claude de », intendant des
affaires du cardinal de Granvelle,
27.
Constable (Clauda Bonvalot, dame
de), nièce et héritière de Pierre
Bordey, 29.
Constable (Pierre de), mari de
Clauda Bonvalot, 29.
Contault de chanoine , 54.
Contault (Marguerite), femme de
Miguel de Jacca, 53 et 54.
Courbessain (Jeanne de). — Voy.
Bordey.
Croy (Charles-Philippe de). — Voy.
Havre.
Croy (Philippe de).— Voy.Arschot.
Curœl (Hieronimo de), facteur du
roi d'Espagne, à Anvers, 59.
Dalmado (Manuel), évéque d'Agra.
61.
Dalonal (François*, chanoine de
Saint-Anatoile de Salins, 27.
Doria (L'amiral Jean-André), p. 38
et aux errata.
Egmont (Anne d'). — Voy. Homes.
Egmont (Lamoral, comte d* , 33 et
passïm.
Egmont (Sabine de Bavière, com-
tesse d*), 33.
Éléonor (La sefiora), dame de la
cour de Bruxelles, 43.
Épinoy (Hélène d1). — Voy. Monti-
gny.
Épinoy (Hugues de Melun, prince
d'), 6.
EstambourgeS. — Voy. Estambru-
ges.
Estambruges (Georges de Ligne,
seigneur d*), 36, 64, 66, 86.
Farnèse (Alexandre). — Voyez
Parme.
Farnèse (Octavio). - Voy. Parme.
Farnèse (Ranuce), cardinal, 86
Forzin. — Voy. Fresin.
(M)
Foiàs (Ventura de', gentilhomme
portugais, 59.
Fresin (Charles de Gavre, seigneur
de), 36.
Gànd (Le vicomte de). — Voy.Melun
Gàvre - Voy. Fresin
Gayo (Alonso), gentilhomme de la
cour de Bruxelles, 66, 67.
Genêvrb (La signoral, dame de la
cour de Bruxelles, 43, 65.
Gérard (Balthasar), l'assassin du
prince d'Orange, 12, 21.
Gilley (Jean de). — Voy. Marnoz.
Gilley (Nicolas de), négociateur
politique, 46.
Gilus (N.), fille de Joachim Gillis,
avocat fiscal du Brabant, 77.
Goes (Damian a), gentilhomme por-
tugais, 60.
Grandjean (Charles), membre du
Conseil privé des Pays-Bas, 45.
Granvelle 'Antoine Perrenot de),
cardinal, ancien principal mi-
nistre des Pays-Bas, passim.
Granvelle (Nicolas Perrenot de),
garde des sceaux de l'empereur
Charles-Quint, père du cardinal
de ce nom, 4.
Granvelle (Nicole Bonvalot, dame
de1, femme du garde des sceaux
de Charles-Quint, et mère du
cardinal, 13, 14. 22.
Gruyères (Léonard db>, chanoine
et officiai de Besançon, l'un des
diplomates employés par Charles-
Quint, 24.
Guimaraés. — Voy. Portugal.
Guise (Henri, duc de), 46.
Guzman (Éléonore de).
tugal-Bragance.
— Voy Por-
Hachicourt (Philippe de Montmo-
rency, seigneur d'), 32.
Halewyn (François de). — Voy.
Zweveghem.
Havre (Charles-Philippe de Crot,
marquis d*), 35.
Hennin-Liétard (Jacques de). —
Voy. Auxy.
Hennin-Liétard (Maximilien de) .—
Voy. Boussu.
Hsrges. — Voy. Berlaymont.
Hooghstraeten (Anne de Renne-
bourg, comtesse douairière de),
veuve du comte Philippe, 47.
Hooghstraeten (Antoine de La-
laing, comte de), 32, 83.
Hooghstraeten (Éléonore de Mont-
morency, comtesse de), femme
du comte Antoine, 32, 40, 41.
Hooghstraeten (Philippe de La-
laing, comte de), père du comte
Antoine, 47.
Hornes (Jean, comte de), second
mari de Anne d'Egmont, 42.
Bornes (Anne d'Egmont, comtesse
douairière de), mère du comte
Philippe de Hornes, du baron de
Montigny et de la comtesse de
Mansfeld, 42, 47.
Hornes (Philippe de Montmorency,
comte de), 32, 42, 83.
Jacca (Miguel de), économe de la
flottille envovée des Pavs-Bas à
Lisbonne, 53.
(93)
Jacquemet (Bonnet), trésorier des
. salines de Salins, 27.
Jaques (Michel). — Voy. Jacca.
Lalaing (Le comte Charles de), pre-
mier mari de la comtesse de
Mansfeld, 41.
Lalaing (Antoine de). — Voyez
Hooghstraeten.
Lalaing (Philippe de). — Voyez
Hooghstraeten.
Lalaing {Marguerite de). — Voy.
Ligne.
La Maroc (Guillaume de*. — Voy.
Lumey.
LAMBO(Fabio), commissaire général
de la flottille envoyée des Pays-
Bas à Lisbonne, 53, 70.
Lampignan (Marcello), gentilhomme
de la cour de Bruxelles, 84.
Lannoy< Philippe de). — Voy. Beau-
voir.
La Thieuloye. — Voy. Thieuloye.
La Thueloye. — Voy. La Thieu-
loye.
La Trouilliêre (Louis), gentil-
homme du roi d'Espagne, 72.
Lattiloy. — Voy. Thieuloye.
Lens iGille de). — Voy. Aubigny.
Lens (N. de), gentilhomme de la
même famille que le baron df Au-
bigny, 46.
Lenze. — Voy. Lens.
Ligne i Georges de). - Voy. Estam-
bruges.
Ligne (Jean de). — Voy. Arem-
berg.
Ligne (Philippe, comte db\ 47.
Ligne (Marguerite de Lalaing, com-
tesse de), 47.
Ligne-Barbançon (Adrienne de). —
Voy. Berlaymont.
Locquenghien (Jean de), amman de
Bruxelles, 74.
LoPEz(Pero), l'un des secrétaires du
gouvernement des Pays-Bas, 82
et 84.
Lorraine (Anne de). — Voy. Ars-
chot.
Lumey ou Lummen (Guillaume de la
Marck, seigneur de), 86.
Magny, gentilhomme de la cour de
Bruxelles, 37, 38.
Mansfeld (le comte Charles de), 46,
49, 79, 80, 87, 88.
Mansfeld (Dorothée deï, fille natu-
relle du comte Pierre-Ernest,
devenue la femme de Francisco
Verdugo, 55.
Mansfeld (Marguerite de Brede-
rode, comtesse de), première
femme du comte Pierre-Ernest,
et mère du comte Charles,
49.
Mansfeld (Marie de Montmorency,
comtesse de), seconde femme du
comte Pierre-Ernest, 41, 47.
Mansfeld (Le comte Pierre-Ernest
de), 31, 41 etpasslm.
Mansfelt. — Voy. Mansfeld.
Marnix (Jacques de), seigneur de
Toulouze, commissaire général
des guerres sous Charles-Quint.
26,46.
Marnix (Jean et Philippe), associés
(94)
au soulèvement des Pays-Bas
contre l'Espagne, 96, 46.
Narnol. — Voy. Marnoz.
Marnoz (Jean de Gilley, seigneur
de), gentilhomme de la cour de
Bruxelles, 46, 70, 71.
Marnoz (Anne de Saint-Mauris,
dame de), femme de Jean de
Gilley, 46.
Meghbm (Charles de Brimeu, comte
de), 32.
Mbgue. — Voy. Meghem.
Melun (Hélène de). — Voy. Monti-
gny-
Melun (Hugues de). — Voy. Épi-
noy.
Melun (Maximilien de), vicomte de
Gand, 72, 86.
Mendoza (Diego de), majordome de
la princesse de Parme, 61.
Mendoce. — Voy. Mendoza.
Mendoza (Jeanne de). — Voy.Por-
tugal-Bragance. .
Montegny. — Voy. Montigny.
Montigny (Floris de Montmorency,
seigneur de), 61, 40 et passïm.
Montigny (Hélène de Melun d'Épi-
noy, dame de), 6.
Montigny (Jean de). — Voy. Villers.
Montmorency (Éléonore de).— Voy.
Hooghstraeten.
Montmorency (Joseph de), père du
comte Philippe de Hornes, du
haron de Montigny et de la com-
tesse de Mansfeld, 42.
Montmorency (Marie de). — Voy.
Mansfeld.
Montmorency (Philippe de), oncle.
— Voy. Hachicourt.
Montmorency (Philippe de), neveu.
— Voy. Hornes.
Morillon (Maximilien), vicaire gé-
néral du cardinal de GranveUeà
Malines, 46, 30, 39.
N
Nansou ou Nanssou. — Voy. Nas-
sau.
Nassau Je prince Guillaume de). —
Voy. Orange.
Nassau de comte Louis de), frère
du prince d'Orange, 32, 85, 86, 88.
Noircarmes (Philippe de Sainte-Al-
degonde, seigneur t>e\ 72, 83.
Ooost-Fhise et Over-Emden (Jean,
comte de), 75, 84, et aux errata.
Oost-Frise (Maximilien de), fils du
comte Jean, 75, 84, et aux errata.
Orange (Guillaume de Nassau,
prince d*), 32 et passïm.
Orange (Anne de Saxe, princesse
d'), 82.
Orante, (la sefiora), dame de la cour
de Bruxelles, 37, 62.
Orengb. — Voy. Orange.
Orléans (le duc d'i, depuis le roi
de France Charles IX, 46.
Orne — Voy. Hornes.
Over-Emden. — Voy. Oost-Frise,
0 yuan de. — Voy. Over-Emden.
Parc (Pietro de), 33.
Parme (Alexandre Farnèse, prince
de), 31 et passïm.
(«)
Parme (Marguerite d'Autriche du-
chesse de), gouvernante des Pays-
Bas, 32 et passïrru
Parme (Marie de Portugal, prin-
cesse de), femme d'Alexandre
Farnèse, 49, 20, 56 etpassïm.
Parme (Octavio Farnèse, due de\
époux de Marguerite d'Autriche,
3 et passïm.
Perrenot (Antoine, cardinal de
Granvelle). — Foy. Gran-
velle.
Perrenot (Charles), l'un des frères
du cardinal de Granvelle, 23.
Perrenot (Frédéric). — Voy.
Champagney.
Perrenot (Guillemette). — Voy.
Bordey.
Perrenot (Marguerite). — Voy.
Achev.
Perrenot (Nicolas). — Voy. Gran-
velle.
Perrenot (Thomas). — Voy. Chan-
tonay.
Philippe II, roi d'Espagne, passim.
Poggio (Giovanni), nonce du pape
en Espagne, 24.
Ponde (Jean de), payeur de la flot-
tille envoyée des Pays-Bas à Lis-
bonne, 53, 70.
Portugal (Catherine d'Autriche,
veuve de Jean III, roi de), aïeule
du roi Sébastien, 56.
Portugal (Edouard de), duc de
Guimaraès, père de la princesse
de Parme, 56.
Portugal (Edouard de), frère de la
princesse de Parme, 57.
Portugal (Emmanuel le Grand, roi
de), 58.
Portugal (Henri de), cardinal,
grand-oncle et tuteur du roi Sé-
bastien, 56.
Portugal (Jean III, roi de), aïeul
du roi Sébastien, 56.
Portugal tJean, prince héritier de\
père du roi Sébastien, 55, 56.
Portugal (Jeanne d'Autriche, prin-
cesse de), mère du roi Sébastien,
56.
Portugal (l'infante Marie de),
grand-tante du roi Sébastien, 58.
Portugal (Marie des princesse de
Parme. — Voy. Parme.
Portugal (Sébastien, roi de', 55.
Portugal-Bragance (Catherine de),
femme du duc Jean de Portugal-
Bragance, 56.
Portugal - Brag ance ( Constantin
prince de*, 56.
Portugal-Bragance (Êléonore de
Guzman, duchesse de), première
femme du duc Jacques, 56.
Portugal-Bragance ^Elisabeth de),
duchesse de Guimaraès, mère de
la princesse de Parme, 56, 59.
Portugal-Bragance (Fulgence de),
prieur de Guimaraès, 56.
Portugal-Bragance (Jacques, duc
de ^ grand-père maternel de la
princesse de Parme, 56.
Portugal-Bragance (Jeanne de
Hendoza, duchesse de , seconde
femme du duc Jacques, 56, 61.
Pugdere (Jehan de). — Voy. Ponde.
Renard (Simon), protégé, puis en-
nemi du cardinal de Granvelle,
13, 79, 80, 81.
(96 )
Rbnnebourg (Anne de). — Voy.
Hooghstraeten.
Richardot (François), évèque d*Ar-
ras, 24.
S
Sàimery. — Voy. Sepmeries.
Saint-Cegon, gentilhomme italien
de l'entourage du duc de Parme,
72.
Saint-Mauris (Anne de), dame de
Gilley-Marnoz. — Voy. Marnoz.
Saint-Mauris Êtiennette Bon valot,
dame de), belle-sœur du garde
des sceaux Granvelle, 40.
Saint-Mauris (Jacques de). — Voy.
Bellefontaine.
Saint-Mauris (Jean de), ambassa-
deur impérial en France, beau-
frère du garde des sceaux Gran-
velle, 40.
Sainte-Aldegonde (Philippe de).—
Voy. Noircarmes.
Saulcy (Pierre Bordey, seigneur
DU). — Voy. Bordey.
Saxe (Anne de). — Voy. Orange.
Schetz (Gaspard), trésorier général
des Pays-Bas, 53
Scheyve (Jean), chancelier de Bra-
bant, 77.
Scheyve (Marguerite). — Voy As-
sonleville
Scheyve (N.), fille du chancelier de
Brabant, belle-sœur de Chris-
tophe d'Assonleville, 77.
Semheri. — Voy. Sepmeries.
Sepmeries «Robert de Trazegnies,
seigneur de \ maître d'hôtel de la
gouvernante des Pays-Bas, 44, 50
Thieuloye (François-Philippe de
Bermmicourt, seigneur de La).
maître d'hôtel de la gouvernante
des Pays-Bas, 34, 39.
Thieuloye (mademoiselle de La).
37,43.
Toulouze Mane de Bonniêrks.
dame de), seconde femme de
Jacques de Marnix, 26, 42, 46.
Toulouzb (Jacques de Marnix, sei-
gneur de). — Voy. Marnix.
Trasigny. — Voy. Trazegnies.
Trazegnies (Isabelle de Werchin,
baronne de), 50.
Trazegnies (Jean, baron de), 44
et 50.
Trazegnies (Robert de). — Voy.
Sepmeries.
Trélon (Louis de Blois, seigneur
de), 86.
Turlon. — Voy. Trélon.
Vander Borch (Nicolas), évèque de
Middelbourg, 50.
Vander Ee, gentilhomme de la cour
de Bruxelles, 62.
Vaque. — Voy. VVacken.
VEiLLAR(le capitaine , gentilhomme
attaché au comte Pierre-Ernest
de Mansfeld, 66.
Verdugo (Francisco', gentilhomme
espagnol, attaché au comte Pierre-
Ernest de Mansfeld, 55, 70.
Vers (Jacques de), ancien maitre
d'hôtel de Thomas Perrenot de
Chantonay, 27.
(97)
Viglius de Zuichem, président des
conseils politiques des Pays-Bas,
16.
Villers (Jean de Montigny, sei-
gneur de\ 86.
Vitelli (Paolo), gentilhomme ita-
lien, attaché au duc de Parme, 75.
VmoN (Odet\ gérant des domaines
du cardinal de Granvelle aux
Pays-Bas, 16.
VuRBY(Guillemette).— Koy.Bordey.
W
Wacken (Adolphe de Bourgogne,
seigneur de), vice-amiral, 37.
Wacken (Jacqueline de Bonnières,
dame de), 42.
Walzin (Paolo), gentilhomme de la
cour de Bruxelles, 66, 67.
Werchin (Isabelle de). — Voy.
Trazegnies.
Yacca y Barga. - Voy. Jacca.
Zweyeghem (François de Halewyn,
seigneur de), 37, 43, 44, 73.
ERRATA.
P. 32, lig. 22. Au lieu de : Brimen, lisez : Brimeu.
P. 38, lig. 36 et 37 (fin de la note 1). Au lieu de : « Les galères d'André Doria, qui
transportèrent ces troupes », lisez: c Les galères de Jean-André Doria, qui transpor-
tèrent une partie de ces troupes ».
P. 75, lig. 13. Au lieu de : Obrande, lisez : Ovrande. — Lig. 38, note 5. Cette note
est à supprimer; elle doit être remplacée par un texte ainsi conçu: c Le person-
nage que Bordey appelle « le conte d'Ovrande », et que l'auteur des Mémoires ano-
nymes sur les troubles des Pays-Bas nomme c le comte d'Overende », était Jean,
comte d'Oosl-Frise et d'Over Emden, chevalier de la Toison d'or, gouverneur du
Limbourg, qui fut au nombre des seigneurs ligués contre l'Espagne; son fils était
Maximilien d'Oost-Frise ».
Tome XLI.
TABLE DES MATIÈRES
P«fM>
Introduction 3
I. — Programme d'un tournoi projeté à Bruxelles pour l'époque des
noces d'Alexandre Farnèse et de Marie de Portugal 31
II. — Avis de l'arrivée prochaine à Bruxelles du comte d'Egmont,
ramenant d'Espagne le jeune Alexandre Farnèse 33
III. — Arrivée d'Alexandre Farnèse à Bruxelles, en compagnie du
comte d'Egmont 34
IV. — Préparatifs d'une expédition maritime pour conduire en Por-
tugal l'ambassade chargée de ramener la princesse fiancée à
Alexandre Farnèse , . 36
V. — Proposition faite au comte de Mansfeld et à sa femme d'être à
la tète de l'ambassade qui devait aller en Portugal chercher la
fiancée d'Alexandre Farnèse 40
VI. — Arrivée à Bruxelles du comte de Mansfeld et de sa femme :
préparatifs de leur embarquement avec une nombreuse suite; avis
du mariage par procureur contracté à Lisbonne au nom d'Alexandre
Farnèse 41
VII. — Festin donné par la gouvernante à l'occasion du départ de
l'ambassade qu'elle envoyait en Portugal 45
MIL — Départ de l'ambassade allant en Portugal : son voyage entre
Bruxelles et Middelbourg 48
IX. — Séjour de l'ambassade à Middelbourg, en attendant le vent
propice pour l'embarquement à Flessingue . 51
( 100 j
Pag».
X. — Navigation de l'ambassade pour arriver à Lisbonne; sa récep-
tion à la cour de Portugal; son embarquement avec la fiancée
d'Alexandre Farnèse ; aventures de sa seconde navigation ; entrées
successives de la jeune princesse à Middelbourg, à Gand et à
Bruxelles; célébration immédiate du mariage; grand festin des
noces, suivi d'un bal costumé et du « banequet des sucrades »,
dont la ville d'Anvers avait fait les frais 52
XI — Propos tenus par Pierre Bordey, durant la seconde navigation
de l'ambassade, à l'effet de réfuter les calomnies semées contre le
cardinal de Granvelle par les ennemis de cet homme d'État ... 78
Xll. — Préliminaires de la division des seigneurs; tournoi donné
sur le grand marché de Bruxelles, à l'occasion du mariage
d'Alexandre Farnèse et de Marie de Portugal 83
Table des noms de personnes 89
Errata 97
Table des matières 99
DE L'ATTITUDE
DES
SOUVERAINS DES PAYS-BAS
A L'EGARD
DU PAYS DE LIÈGE AU XVIe SIÈCLE,
PAR
HENRI LONCHAY,
Professeur à l'Athénée royal de Bruxelles,
Ancien élève de l'École normale des humanités.
« Plus oultre. »
(Mémoire couronné par l'Académie royale de Belgique, le 9 mai 4887.)
Tome XLI. 1
1
INTRODUCTION.
La question mise au concours par la Classe des lettres de
l'Académie royale de Belgique : « exposer l'attitude des souve-
rains des Pays-Bas à l'égard du pays de Liège au XVIe siècle »
était à la fois curieuse et opportune ; curieuse, parce que le
XVIe siècle est l'époque la plus dramatique de nos annales, et
que dès lors tout événement qui s'y rattache devient intéres-
sant; opportune, parce que, jusqu'à présent, les historiens lié-
geois n'ont guère traité que l'histoire locale de la principauté
ou le développement de ses institutions. Cette fois, il s'agissait
de caractériser la diplomatie de Charles-Quint et de Philippe II
vis-à-vis du petit État, et de marquer les différentes situations
où celui-ci s'est trouvé en rapport avec son puissant voisin.
La réponse à cette question exigeait une étude attentive de
la politique du Gouvernement des Pays-Bas et un examen
approfondi des sources historiques de cette politique. Les
archives de la chancellerie des Pays-Bas et du Conseil privé des
princes- évêques sont restées longtemps secrètes, et c'est pour-
quoi des chroniqueurs de mérite, tels que Chapeaville et Fisen,
1
(i)
ont ignoré des faits du plus vif intérêt. C'est seulement dans
ces dernières années que des écrivains ingénieux ont pu lever
un coin du voile qui a recouvert si longtemps l'histoire de
notre passé.
Les savants travaux de MM. Gachard, Poullet, Henné et Piot
sur l'histoire des anciens Pays-Bas, et de MM. Hénaux, Polain,
Daris et St. Bormans sur l'histoire de l'ancienne principauté
de Liège, ont singulièrement facilité les recherches des tra-
vailleurs en fournissant les éléments d'une étude diplomatique
du XVIe siècle.
Malheureusement, leurs investigations se sont portées sur-
tout sur la seconde moitié de ce siècle ; et, sauf quelques pièces
éditées par Gachard, Le Glay et Van den Bergh, ainsi que la
publication d'une partie de la correspondance de Charles-Quint
par Lanz, la plupart des documents relatifs au règne de ce
monarque aux Pays-Bas sont inédits. Un grand nombre se
trouvent aux archives de Vienne et de Lille, et ceux que la
Belgique a conservés n'ont pas encore été l'objet d'un classe-
ment définitif.
Nous avons donc été obligé de dépouiller toutes les collec-
tions des Archives du royaume, où nous espérions recueillir
de nouveaux renseignements sur les princes-évêques de Liège
contemporains de Charles-Quint.
Nos recherches n'ont pas été infructueuses. Au contraire,
après avoir compulsé les nombreuses liasses des Papiers (TÉtat
et de F Audience, les recueils manuscrits de la correspondance
de Marguerite d'Autriche et de Marie de Hongrie, les copies
faites à Vienne de lettres officielles du XVIe siècle et les origi-
naux revenus de cette ville, les chartes de Brabant, les registres
de la chambre des comptes, nous nous sommes trouvé en
(S)
présence d'un véritable monceau de documents dont la plupart
nous fournissaient des renseignements aussi importants
qu'inattendus.
Nous avions cette fois les éléments d'une histoire des rap-
ports diplomatiques des Pays-Bas avec la principauté de Liège,
et nous pouvions compléter ou reviser le récit des anciens
chroniqueurs liégeois.
Cette abondance inespérée de matériaux rendait leur mise
en œuvre plus difficile et nous embarrassait quelque peu.
Devions-nous exposer toutes nos trouvailles? Fallait-il mettre
en lumière les mille questions politiques qui ont été agitées au
XVIe siècle entre les Pays-Bas et la principauté de Liège? Notre
travail eût alors reçu un développement exagéré et, à force de
vouloir être complet, nous risquions d'être obscur. « Quand on
voit trop d'arbres, dit le proverbe, on perd de vue la forêt. »
C'est pourquoi nous avons préféré laisser de côté les débats
secondaires et concentrer notre attention sur les faits qui nous
paraissaient le mieux caractériser l'attitude des souverains des
Pays-Bas à l'égard du peuple liégeois.
Nous avons passé sous silence les menus différends qui
surgirent au XVIe siècle entre la cour de Bruxelles et celle de
Liège, sans compromettre la solidité des liens qui les unis-
saient. Nous avons relégué au bas des pages la plupart de nos
citations, afin de ne pas tomber dans cette prolixité désespé-
rante qui dépare trop souvent le style des secrétaires de
Charles-Quint ou de Philippe II. Dans les notes explicatives,
nous avons donné le texte original ou des extraits des dépêches
officielles, quand nous Pavons jugé utile pour l'intelligence
du récit, et nous avons publié sous forme de pièces justifi-
catives les documents qui nous semblaient répandre une
(61
lumière nouvelle sur l'histoire des rapports des Pays-Bas avec
la principauté de Liège.
De cette façon, chacun de nos chapitres présente un groupe
de faits d'une nature spéciale. Nous marquons l'attitude des
souverains des Pays-Bas dans les différentes questions qui inté-
ressèrent l'indépendance liégeoise depuis le début du siècle
jusqu'à la mort de Philippe II; nous la montrons dans les
affaires politiques, judiciaires et militaires, comme dans les
affaires religieuses ; à l'égard des princes-évêques énergiques
comme envers les prélats timorés. En un mot, nous tâchons
de caractériser d'une manière complète l'influence exercée dans
le pays de Liège par les souverains belges au XVIe siècle.
TABLE DES SOURCES CITÉES.
A. — Documents manuscrits :
Documents concernant le pays de Liège (recueil
de pièces restituées par l'Autriche en 1856),
cartons I et II.
Chartes de Brabant restituées par l'Autriche
en 4863.
Chartes de la trésorerie de la chambre des
comptes, carton 8.
Correspondance de Marguerite d'Autriche : re-
gistres 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41.
Correspondance de Marie de Hongrie : registres
49. 50, 51, 67, 69, 70, 128, 1-29, 130, 131.
Papiers d'État et de l'Audience : liasses 15, 16,
\1A% 170, 18, 19, 42, 43, 163, 164.
Correspondance des évéques de Liège : deux
registres.
Audience : registre aux traites n° 1082.
liegistre sur le faict de l'hérésie et inquisition.
Archives du royaume
à Bruxelles.
I
Le Fort : manuscrits généalogiques.
Archives de l'État
Registres aux conclusions capitulaircs du cha- ( j Liège.
pitre de Saint-Lambert.
(8)
B. — Livres et imprimés :
Gâcha rd, Précis de la correspondance de Philippe II, 8 vol.
— Correspondance de Marguerite de Parme, 3 vol.
— Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II et III.
— Actes des États généraux des Pays-Bas, t. I.
— Ânalectes Belgique» , t. I.
Poullet, Correspondance du cardinal de Granvelle, t. I, II, III.
Piot, — — — L IV, V, VI.
Piot, Cartulaire de Saint-Trond, t. I.
Stanislas Bormans : Inventaire analytique et chronologique des conclusions
capitulaires du chapitre de Saint- Lambert.
Stanislas Bormans, Inventaire des paweilhars dans les Procès-verbaux
des séances de la Société pour la publication des anciennes lois et ordon-
nances, année 4883.
Stanislas Bormans, Documents concernant l'abdication de Robert de
Berghes (Bulletins de l'Institut archéologique liégeois, t. VII).
Chronique d'Adrien du Vieux-Bois [Amplissima colleclio de Martene et
Durand, t. IV).
Chronique de Jean de Los (De Ram, Documents concernant les troubles
de Liège),
Chronique de Brusthem, en partie éditée par le chanoine Reuscns dans
le t. VIII des Bulletins de l'Institut archéologique liégeois.
Chapeaville, G esta Pontificum leodiensium, t. III. Leodii, 4646.
Fisen, Historia ccclesiae leodiensis. Leodii, 4696.
Foullon, Historia leodiensis, 3 vol. Leodii, 4735, 4736, 1737.
Schoonbroodt, Inventaire analytique et chronologique des chartes de
Saint- Lambert.
Polain, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 2e série, t. I.
Ï9-)
De Louvrex, Recueil des êdits et règlements du pays de Liège. Liège, 1 750,
475 I, 4752.
Galesloot, Êdits et ordonnances de Charles- Quint. Bruxelles, 4885.
Dumont, Corps diplomatique du droit des gens. Amsterdam, 4726-4721,
8 tomes en 4 4 volumes in -fol.
Oc Thcux, Histoire du chapitre de Saint- Lambert. Bruxelles, 4874-4872,
4 vol. in-8°.
B. Gains, Série* episcoporum ecclesiae ca/Iiolicae. Ratisbonne, 4875, in-4°.
Loyens, Recueil héraldique des bourgmestres de Liège. Liège, 4720, in-fol.
Hcnaux, Histoire du pays de Liège, troisième édition. Liège, 4874, 2 vol.
Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège au XVI* siècle.
Liège, 4884.
Rahlenbeek, L'église de Liège et la révolution (avec pièces justificatives).
Bruxelles, 4864.
Poullet, Histoire du droit criminel dans l'ancienne principauté de Liège,
t. XXXVIII des Mémoires in -4° de l'Académie royale de Belgique.
Pontus Heiiterus, Rerum belgicarum libri XV. Antwerpiae, 4598.
Strada, De bcllo belgico opéra. Romae, 4647 (4re et 2e déc, 2 vol.).
Le.Glay, Correspondance de Maximilien avec Marguerite d'Autriche.
Paris, 4839, 2 vol. in-8°.
Van den Bcrgh, Gedenkslukken tôt opheldering der ncderlandsche yeschie-
denis. Utrccht, 4849, 5 tomes en 2 vol. in- 8°.
Backhuizcn van den Brink, Studien en schc'fcn over vaderlands geschie-
denis, 1 deel, 2 stuck.
De Hoop Scheffcr, Geschiedenis der kerkhervorming in Nederland.
Amsterdam, 4875, 2 vol.
Max Losscn, Der Kôlnische Krieg. Gotha, 1882.
Alexandre Henné, Histoire du règne de Charles - Quint en Belgique >
40 vol. Bruxelles, 4859-4860.
(10)
Mignct, Histoire de la rivalité de François /«* et de Charles-Quint, 2 vol.
Petitot : Collection de mémoires pour servir à T histoire de France, f ™ série,
t. XVI, XVII, XVIII.
Goclhals, Dictionnaire généaloqique et héraldique des familles nobles du
royaume de Belgique. Bruxelles, \ 849- 1 882, 4 vol. in-4*.
Comptes rendus des séances de la Commission royale d'histoire de Belgique*
Hénaux, La Belgique et le pays de Liège en 4576. (Dans le t. III des
Bulletins de l'Institut archéologique liégecis.)
Dicgcrick, Quelques lettres de Gérard de Groesbeck. (Dans le t. III des
Bulletins de l'Institut archéologique liégeois.)
H. Baumgarten, Gcschichlc Karts W Stuttgart, Verlag der J.-C. Cot~
ta'schen Buchhandlung , I Band 1885, Il Band 188G.
DE L'ATTITUDE
DES
SOUVERAINS DES PAYS-BAS
A L'ÉGARD
DU PAYS DE LIÈGE AU XVI1 SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER.
La neutralité liégeoise à la fin du XVe siècle.
I
Le XVe siècle avait été pour la maison de Bourgogne une
période de prospérité continue et de conquêtes durables. Par
d'heureuses alliances, d'habiles négociations ou des victoires
brillantes, les princes de cette famille avaient réuni à leur
domaine primitif de la Bourgogne les comtés de Flandre et
d'Artois; les comtés de Hainaut, de Hollande, de Zélande et la
seigneurie de Frise; le marquisat de Namur; les duchés de
Brabantetde Limbourg; le duché de Luxembourg et le duché
de Gueldre.
L'acquisition des territoires de la basse Lotharingie eût été
complète, si les ducs avaient possédé la ville de Tournai ; les
terres ecclésiastiques de Cambrai, d'Utrecht et de Liège; les
provinces septentrionales de Groningue, de Zutphen et d'Over-
Yssel.
(12)
L'annexion de la principauté de Liège se recommandait
avant toute autre, à cause de la situation géographique et de
9
l'importance économique de cet Etat, et des rares facilités que
sa conquête offrait aux belliqueux souverains des Pays-Bas.
Enclavée entre le marquisat de Namur, le duché de Luxem-
bourg, le duché de Limbourg, le duché de Gueldre, le duché
de Brabant et le comté de Hainaut, la principauté de Liège
commandait la vallée de la Meuse et disposait des principales
voies de communication qui reliaient ces importants domaines
de la Maison de Bourgogne. Heureusement situé sur les rives
d'un beau fleuve, fécond en produits agricoles et en gisements
houillers, habité par une population industrieuse et virile, ce
petit pays rivalisait d'activité et de richesse avec ses voisins, et
sa conquête eût ajouté un insigne fleuron à la couronne des
ducs.
Il n'était guère de conquête plus aisée. La bizarre configu-
ration géographique de la principauté*, de cet étrange territoire
qui s'étendait démesurément en longueur et qui n'était pourvu
que d'un petit nombre de forteresses naturelles, leur organi-
sation militaire défectueuse, empêchaient les Liégeois de résis-
ter à un ennemi aguerri. Les progrès de l'artillerie et l'insti-
tution de troupes régulières avaient singulièrement réduit
l'importance des milices communales; et si les Liégeois du
XVIe siècle avaient hérité la vaillance de leurs ancêtres, ils
étaient, à cause de l'infériorité de leur armement et de l'inex-
périence de leurs chefs, à la merci des bandes disciplinées des
Bourguignons.
Ce qui facilitait encore la conquête de la petite principauté,
c'étaient l'instabilité de son Gouvernement et l'affaiblissement
général qui en résultait. La succession sur le trône épiscopal
de souverains d'origine et de caractère différents, empêchait les
1 La principauté de Liège comprenait, outre la eilé de Liège, vingt-qualre
bonnes villes dont douze wallones el douze flamandes, réparties daus cinq
grandes divisions territoriales : le comté de Looz la Hesbaye, le Condroz, le
marquisat de Franchimont et l'Enlre-Sambre-el-Meuse.
(13)
Liégeois de poursuivre à l'égard de l'étranger une politique
uniforme et précise. Les luttes fréquentes des bourgeois avec
la noblesse ou le clergé, les actes despotiques de quelques
princes-évêques, avaient longtemps entretenu la discorde au
sein de la nation et poussé parfois les vaincus à des résolu-
tions insensées. Les provocations continuelles adressées par
les démagogues liégeois aux ducs de Bourgogne, leur folle
obstination à seconder les projets perfides de la France,
prouvent combien un parti désespéré peut à certain moment
s'abuser sur ses propres forces et méconnaître les exigences
d'une sage politique.
Aussi, les révoltes fréquentes des Liégeois offrirent souvent
aux princes bourguignons l'occasion d'intervenir dans les
affaires de la principauté. Jean sans Peur, Philippe le Bon,
Charles le Hardi, remportèrent des victoires signalées sur Pin-
fanterie liégeoise et disposèrent souverainement du petit Etat.
Rien ne leur était plus facile que d'obtenir la résignation de
Pévêque régnant et d'annexer les terres épiscopales à leurs pays
de « par deçà ». Ce n'est pas le faible empereur Frédéric III
qui eût empêché ce changement de régime ; et les Liégeois se
seraient probablement attachés assez vite à leurs nouveaux
maîtres, pour peu que ceux-ci se fussent montrés habiles. Ils
n'auraient d'ailleurs rien perdu en passant du gouvernement
tracassier et despotique de Jean de Bavière ou de Louis de
Bourbon sous la domination du grand-duc d'Occident.
Malheureusement, les ducs de Bourgogne se méprirent sin-
gulièrement sur le rôle qu'une sage diplomatie leur conseillait
de jouer dans la vallée de la Meuse. Chacune de leurs inter-
ventions fut marquée par d'horribles ravages et des cruautés
inouïes. On eût dit que les ducs se glorifiaient de détruire les
cités liégeoises et de convertir en désert leur riche territoire.
Loin de flatter Pamour-proprc des Liégeois, de leur accorder,
à l'instar de la France, des avantages commerciaux * et de se
1 Voir dans le Cartulaire de Sainl-Trond, édité par M. Piot, la lettre de
Louis XI aux Liégeois du 23 septembre 1461.
( 14)
créer ainsi des titres à leur reconnaissance, les Bourguignons
imposèrent à leurs voisins des évéques indignes, confisquèrent
les antiques privilèges et ruinèrent le commerce d'industrieuses
communes. Que le sort de la petite principauté eût été diffé-
rent, si le rusé Louis XI eût régné à Malines à la place du
brutal Charles le Hardi !
La politique poursuivie par les ducs de Bourgogne à l'égard
du pays de Liège fut donc des plus maladroites. Le dédain
incompréhensible que ces souverains témoignèrent à la princi-
pauté leur fit manquer l'acquisition d'un État dont la posses-
sion leur eût été plus précieuse que celle de la Lorraine ; en
même temps, leurs cruautés insensées exaspérèrent le peuple
liégeois et rendirent le nom bourguignon odieux aux popula-
tions de la vallée de la Meuse. 11 s'écoula de longues années
avant que le souvenir de la terrible catastrophe du 3 novembre
1468 disparût, et longtemps les Liégeois regardèrent les souve-
rains des Pays-Bas comme des adversaires irréconciliables.
Les Bourguignons léguaient ainsi à leurs héritiers, les Habs-
bourg, une mission difficile. C'était aux Habsbourg de compléter
les acquisitions réalisées sous les règnes antérieurs; c'était à
eux aussi de réparer les fautes diplomatiques de leurs prédéces-
seurs et de rehausser le prestige des Pays-Bas, si compromis à
l'étranger par les folies du dernier duc de Bourgogne.
II
Les débuts du règne de Maximilien aux Pays-Bas ne furent
pas heureux. Ce prince frivole et capricieux se vit disputer par
les communes de Flandre la tutelle de ses enfants, et cette con-
testation juridique entraîna une guerre désastreuse, dont les
conséquences se firent sentir jusque dans le pays de Liège.
Gomme le feu duc, Maximilien intervint dans les affaires lié-
geoises. En 1483, ses troupes battirent, à Hollogne-sur-Geer,
Guillaume de la Marck, le terrible Sanglier des Ardennes *, qui
1 Sur le Sanglier des Ardennes, voir la Chronique cC Adrien du Vieux-Bois,
(18)
voulait chasser l'évêque Jean de Homes et s'emparer de l'auto-
rité suprême. Guillaume se réconcilia avec son ennemi; mais
en 1485, il fut traîtreusement arrêté par ordre de Haximilien
et décapité à Maestricht. Jean de Hornes avait été le complice
du prince autrichien; sa perfidie provoqua une guerre civile de
sept années qui rappela aux Liégeois les plus mauvais jours
de la tyrannie bourguignonne.
Les dernières années du XVe siècle apportèrent quelque
soulagement aux misères des Liégeois. La paix de Saint-
Jacques de 1487 leur avait rendu les privilèges confisqués par
les Bourguignons; la paix de Haccourt réconcilia, en 1492, les
deux familles rivales des la Marck et des de Hornes.
Il semblait que la vallée de la Meuse allait enfin jouir de la
paix qui lui était si nécessaire, quand un nouveau danger
menaça la principauté : la rivalité de la France et des Pays-
Bas.
L'inconstant Maximilien s'était de nouveau brouillé avec le
roi Très-Chrétien. Le renvoi de sa fille Marguerite *, la perte
de l'Artois, les projets ambitieux de Charles VIII sur le
royaume de Naples ; tels étaient les motifs de sa haine contre
la France, motifs qui entraînèrent à former contre ce pays
une coalition des Pays-Bas, de l'Angleterre et de l'Espagne *.
moine de S'-Laurent, publiée dans le t. IV ôeYAmplissima collectio de Mai-
lene et Durand, et la Chronique de Jean de Los, également moine de S'-Laurent,
publiée par de Ram dans les Documents relatifs aux troubles du pays de
Liège (Pcblicatioks de la Commission royale d'histoire). M. J. Demarleau,
directeur de la Gazette de Liège, a écrit une excellente notice sur le célèbre
aventurier, intitulée « Guillaume de la Marck, le Sanglier des Ardennes ».
Liège, Demarleau, 1884.
1 Marguerite, fille de Maximilien, avait été fiancée par le traité d'An as
de 1482 au Dauphin, le futur Charles VIII. Mais pour rattacher la Bretagne à
la couronne, ce prince épousa l'héritière de ce duché, déjà fiancée à Maximilien,
et renvoya Marguerite. Il offensait ainsi Maximilien comme père et comme
fiancé.
* Henri VII Tudor et Ferdinand le Catholique, roi d'Aragon, entrèrent
dans celte ligue.
(16)
Heureusement, la guerre qui s'ensuivit se borna à quelques
escarmouches sur les frontières de l'Artois, parce que le roi de
France, pressé d'entreprendre la conquête du royaume de
Naples, se hâta de se réconcilier avec ses adversaires, au prix
d'humiliantes concessions *.
Enclavée dans les Pays-Bas, voisine de la France et de la
Gueldre, la principauté de Liège se trouvait dans une situation
critique. Elle pouvait, en raison de sa position géographique,
être entraînée dans le parti d'un des belligérants et devenir le
champ clos où se combattraient les ambitions rivales des Etats
limitrophes. Douloureuse perspective pour une nation déjà si
éprouvée !
Si les Liégeois avaient cédé à leurs secrètes inclinations, ils
auraient suivi la bannière française; mais le souvenir des
perfidies de Louis XI mettait les patriotes les plus prudents en
garde contre les avances d'un voisin déloyal. Une union avec
les Pays-Bas semblait plus naturelle : c'était avec ces contrées
que les Liégeois entretenaient les rapports commerciaux les
plus importants; leur territoire était partout circonscrit par les
États néerlandais ; et les esprits éclairés devaient prévoir qu'un
jour les villes de la Meuse seraient englobées dans les Pays-
Bas. Ne valait-il pas mieux dès lors prévenir ce danger en
s'attachant aux destinées de la Flandre et du Brabant ?
Malheureusement, le souvenir des horribles catastrophes de
Dinant et de Liège n'avait pas encore disparu, et les Liégeois
éprouvaient une insurmontable répugnance pour une fédé-
ration avec le fils de Marie de Bourgogne, le jeune Philippe
le Beau.
Puisque l'alliance des Pays-Bas ou de la France soulevait de
sérieuses objections, il ne restait aux Liégeois qu'une issue :
déclarer qu'ils n'embrasseraient le parti de personne et demeu-
1 Par le traité d'Étaples, Charles VIN paya à Henri VII une somme de
745,000 écus d'or; par le traité de Sentis, rendit à Maximilien l'A ri ois, la
Franche-Comté et le Cbarolais; par le traité de Barcelone, restitua à Ferdi-
nand le Catholique le Roussillon et la Cerdague.
( 17 )
reraient neutres dans les guerres de leurs voisins. En prenant
cette sage résolution, ils revenaient à un projet qu'ils avaient
conçu à la mort du Téméraire ', et que les malheurs des der-
nières années imposaient avec une nouvelle force. Aussi, en
même temps qu'ils proclamaient la réconciliation des la Marck
et des de Homes, les trois Etats, c'est-à-dire le clergé primaire,
la noblesse et les députés des bonnes villes, délibérèrent sur
leur future attitude à l'égard des puissances voisines. Ils adop-
tèrent la neutralité « durant les guerres et divisions pré-
sentes 2 » et sollicitèrent du roi de France la faculté de
commercer dans son pays malgré les hostilités. Charles VIII 3
et, un mois plus tard, l'archiduc Maximilien, ratifièrent la
décision des états liégeois.
1 Dans le t. H de la troisième édition de son Histoire du pays de Liège
(pp, 237 suiv.), l'historien Hénaux examine les différentes hypothèses émises
au sujet de la proclamation de la neutralité liégeoise à la fin du XVe siècle et
de la date de cette proclamation 11 publie différents extraits d'un paweilhar
relatifs à celte neutralité, paweilhar qui appartenait à sa collection privée.
L'inventaire de M. Stanislas Bormans mentionne d'autres paweilhars oh l'on
trouve des copies de la résolution des états liégeois en 1492.
1 c Premier que ledit pays (de Liège) puisse demeurer eu bonne et vraie
neutralité durant les guerres et divisions présentes, et que les subgects
d'iceulx, nonobstant lesdiles divisions, puissent fréquenter, venir et commu-
niquer en royaume de France et avoir avec les marchands dicelluy et autre
seure communication de marchandise, y mener toutes denrées que bon leur
semblera et en ramener d'autres. » Délibération des états, extraite du
paweilhar liégeois cité par Hénaux.
3 Le 8 juillet 1492 : « Charles par la grâce de Dieu,... promettant doré-
navant lesdits de la cité et pays de Liège tenir et faire tenir paisibles par nos
capitaines et gens de guerre, sans leur permettre pendant ladite neutralité
fourager, piler, rober ou travailler par exploits de guerre lesdits pays de Liège.
Pourveu que de leur parte leurdil évéque et eux se tiennent neutres sans
fraude et qu'ils ne s'entremettent de faire ou dommaige à nous, nos royaumes,
pays et seigneuries, etc. • Hénaux, loc, cit.
Le chroniqueur contemporain Jean de Los ne dit rien de la neutralité pro-
clamée en 149-2. Fisen (Historia ecclesiaô leodiensis, édition de 1696, p. 310)
y faitallusion. Foulon {Historia leodiensis, t. II, p. 180) seul en parle d'une ma-
nière précise.
Tome XLI. 2
(18)
La mort de l'empereur Frédéric III, en 1493, rappela Maxi-
milien en Allemagne. Le roi des Romains succéda à son père
dans les domaines autrichiens et exerça les fonctions d'em-
pereur sans en porter le titre *. En 1494, son fils, Philippe
le Beau, fut émancipé et prit les rênes du gouvernement dans
les Pays-Bas. Le nouveau souverain eut à soutenir contre
Charles d'Egmont, le prétendant au duché de Gueldre, une
guerre opiniâtre qui dura plusieurs années; la descente de
Charles VIII en Italie l'entraîna dans une ligue contre la
France. En 1495, il épousa dona Juana, fille des rois catho-
liques, pendant que sa sœur Marguerite s'unissait à don Juan,
héritier des mêmes souverains. Ce double mariage, qui avait
été imaginé dans une pensée hostile à la France, fut le germe
de la puissance formidable des Habsbourg.
Conformément aux résolutions prises en 1493, le pays de
Liège garda une stricte neutralité pendant les campagnes de
Philippe le Beau contre les Gueldrois, et se montra assez indif-
férent aux intrigues diplomatiques, qui tantôt brouillèrent,
tantôt rapprochèrent les Pays-Bas et la France. Les Liégeois
n'avaient qu'un souci : réparer les brèches que les guerres
précédentes avaient faites à leur prospérité. Le chapitre cathé-
dral de S1- Lambert partageait les dispositions pacifiques de la
nation, puisqu'à la mort de Jean de Homes il écarta le candi-
dat de Philippe le Beau, Jacques de Croy, évêque de Cambrai,
et élut à l'unanimité un prince populaire, Erard de la Marck,
neveu du Sanglier des Àrdennes 2 et frère de Robert II de la
Marck, souverain de Sedan.
Telle était la situation politique des Pays-Bas et de la princi-
pauté de Liège au commencement du XVIe siècle : les Pays-
Bas, comme l'empire, venaient de se réconcilier avec la France;
1 N'ayant pas été couronné par le pape, Maximilien continua de porter le
H ire de « roi dts Romains. »
* Chapea ville : Gesta pontificum leodiensium, t. III, p. 235. Êrard de
la Marck élaii fils de Robert Ier de la Marck, frère du Sanglier des Ardennes
el prince de Sedan.
( 19)
mais cette réconciliation, œuvre de Philippe le Beau *, repo-
sait plutôt sur des convenances diplomatiques que sur des
motifs sérieux. Louis XII ne songeait pas à faire célébrer le
mariage projeté aux conférences de Blois entre sa fille Claude
et le jeune Charles, duc de Luxembourg^; au contraire, il sou-
tenait secrètement Charles d'Egmont contre Philippe le Beau 3.
C'est pourquoi l'alliance de la France et des Pays-Bas sera
bientôt rompue pour des raisons aussi futiles que celles qui
avaient présidé à sa conclusion.
D'autre part, la cité de Liège recevait dans ses murs un prince-
évéque qui comptait de nombreux partisans et ne s'était pas
compromis dans les troubles précédents. Pour la première fois
depuis l'avènement de Jean de Bavière, elle obéissait à un sou-
verain qui n'était pas une créature de la cour des Pays-Bas. La
mission du nouveau prélat était toute tracée : il devait résister
aux sollicitations indiscrètes des monarques voisins, et observer
la neutralité proclamée par les états liégeois en 1493, et solen-
nellement reconnue par le roi de France et par Maximilien.
III
La mort inattendue de Philippe le Beau et la minorité de
Charles rendirent de nouveau Maximilien maître des destinées
des Pays-Bas. Ce monarque insouciant révéla dans ses rapports
avec le prince de Liège le même esprit de légèreté que dans
ses autres entreprises. Soit qu'il fût mécontent de l'échec
de son candidat, Jacques de Croy, soit qu'il voulût se ven-
1 Mécontent de la perfidie de son beau-père Ferdinand dans la guerre de
Naples, Philippe le Beau se rapprocha de Louis XII et conclut avec ce monarque
les traités de Blois, par lesquels Maximilien accordait à Louis XII l'investiture
du Milanais, Charles d'Autriche était fiancé à Claude de France, Louis XII
et Maximilien s'alliaient contre Venise.
* A sa naissance, Charles-Quint fut nommé duc de Luxembourg par Phi-
lippe le Beau.
8 Voir le premier yolume du Règne de Charles-Quint en Belgique, de
M. A. Henné.
(20)
ger de l'aide fournie au duc de Gueldre par le frère du pré-
lat, Robert II de la Marck, seigneur de Sedan, il témoigna à
son vassal un mauvais vouloir mal déguisé, refusa de lui
conférer les droits régaliens et tenta même de s'emparer de sa
personne *. Sous prétexte de combattre les Gueldrois, il laissait
ses troupes hiverner dans le pays de Liège, et recommandait à
sa fille Marguerite, gouvernante des Pays-Bas, de faire appré-
hender Tévéque s'il se rendait à Bruxelles sans être porteur
d'un sauf-conduit 2.
Des procédés aussi mesquins se justifiaient d'autant moins
qu'Erard de la Marck ne négligeait aucune occasion de se
concilier les bonnes grâces de son suzerain. Déjà en 1506,
Josse de Courteville, bailli de Lille et ambassadeur de Philippe
le Beau à la cour de Louis XII, écrivait 3 à son souverain qu'il
ne devait rien craindre du nouveau prince-évêque de Liège.
»
Quoique l'ami du roi de France, Erard s'attachât à faire res-
pecter par ses sujets la neutralité proclamée à la fin du siècle
précédent. Il ne refusa jamais à son ancien protecteur ses con-
seils et sa médiation, mais empêcha les Liégeois, sous des
peines sévères, de prendre part aux querelles3 des Brabançons
et des Gueldrois, des Néerlandais et des Français *.
1 Chronique de Brusthem (pp. 22 et suiv ), publiée en partie par le cha-
noine Reusens dans le t. VIII des Bulletins de l'Institut archéologique liégeois.
Jean de Brusthem, moine récollet contemporain d'Êrard de la Marck, a com-
posé une chronique latine qui est le document historique le plus important
du règne de ce prélat. Chapeaville lui a emprunté un grand nombre de faits.
La chronique de Jean de Los ne rapporte que l'histoire des premières années
d'Érard de la Marck.
* Lettre datée d'Augsbourg, 25 mars 1507, dans Le Guy, Correspondance
de Maximilien avec Marguerite d'Autriche, 1. 1, P- 45.
* Lettre datée de Tours, 17 juin 1506, dans Van den Bergu, Gedenkstuk-
ken tôt ophetdering der Nederlandsche geschiedenis, t. I, p. 8.
* Voir Chapeaville, t. III, p. 243. « Praesul edixit ne quis vivat aut Caesar
aut Gallus, aut Burgundus, aut Gelder, vel publice vel privalim proclamarel,
ne quis ullam sive verbo sive facto injuriam ulli extero inferret, neve crucrm
in vestibus sive reclam, sive obliquam gestaret, sub abscissionis linguae et \
gravissimae sua? indignationis pœna. »
(21 )
Ce rôle pacifique servait trop bien les intérêts des Pays-Bas
pour que Maximilien ne se radoucît pas insensiblement à
l'égard du prince-évêque. Marguerite avait invité plusieurs
villes lossaines à ne point livrer passage aux Français et à
observer ce bonne amitié et voisinage avec les Pays-Bas i. »
Maximilien manda 2 aux Brabançons d'user de réciprocité à
l'égard des Liégeois. L'année suivante, en 1509, il conféra à
Erard les droits régaliens 3, après avoir confirmé les privilèges
accordés aux Liégois par ses prédécesseurs *.
Ces démonstrations tardives ne paraissent pourtant pas avoir
été très sincères, puisque Érard craignait encore que son
évêché n'eût le sort de la Gueldre, c'est-à-dire ne fût incorporé
dans les Pays-Bas, ou qu'il ne fût lui-même remplacé par un
prélat animé de sentiments moins français $. Heureusement
pour Erard, la révolte des Gueldrois suscitait de grandes diffi-
cultés à la jpolitique impériale et rendait la neutralité de la
petite principauté indispensable à Maximilien. C'est pour en
obtenir le maintien que ce prince, en 1513, prodigua de nou-
velles marques d'amitié aux Liégeois 6.
Maximilien avait donc trop longtemps hésité avant de se
réconcilier définitivement avec un prince dont l'amitié ou du
moins la neutralité lui était si précieuse. Il était heureux pour
les Pays-Bas que l'évêque de Liège comprît les exigences de sa
situation. Érard, en effet, avait tout fait pour ménager la sus-
ceptibilité de son suzerain et plaire en même temps à Louis XII,
1 Lettre du 20 août 1507. Compte de Jean Micaull (note de M. Henné,
loco citolo, 1. 1, p. 157).
* Ordonnance du 51 janvier 1507 (n st. 1508) dans Galesloot, Édits el
ordonnances de Charles-Quint.
3 Acte du 22 avril 1509. Voir Schoonbroodt, Inventaire analytique el
chronologique des chartes de Saint- Lambert, n» 1 110.
* Voir Polain, Recueil des ordonnances de la principauté de Lfèget t 1
(2e série).
* Lettre d'André de Burgo à Marguerite, datée du 18 juin 1511, dans
Le Glat, Correspondance de Maximilien et de Marguerite, t. I, p 407.
6 Chronique de Brusthem^ p. 46.
( 22 )
son ami et son protecteur. Quoique honoré de la confiance du
roi de France et pourvu par lui du riche diocèse de Chartres *,
l'habile prélat ne méconnut jamais l'attitude qu'un État neutre
doit observer à l'égard de puissants voisins 2. Il réprima avec
énergie les tentatives d'insurrection qui éclatèrent dans la prin-
cipauté en faveur des Français ou desGueldrois, et cette fermeté
toujours en éveil lui valut la réputation d'un prince vigilant.
Au plus fort de la guerre qui désolait les contrées voisines, il
contint les dispositions belliqueuses d'une partie de ses sujets;
et quand sonna l'heure des négociations, il s'interposa le pre-
mier en faveur de la paix. C'est par cette attitude prudente et
réservée, conforme en tout point à la neutralité adoptée par les
Etats en 1492, que fut marqué le début de la politique du
nouveau prince-évêque de Liège.
1 En 1507, d'après Jean de Los (ebron. citée p 124). Brustbtm assigne à la
promotion d'ftrard à l'évêcbé de Chartres la date fautive de 15U. On lit, en
effet, dans les Conclusions capitulaires du chapitre de Saint- Lambert (cons.
le répertoire chronologique de M Stanislas Bormans), qu'en 1510, Érard de
la Marck procéda en sa qualité d'évéque de Chartres à la cession d'un fief
français relevant de cette église.
' C'est à titre personnel qu'Érard de la Marck figure avec son frère Robert
parmi les alliés du roi de France dans le traité de Cambrai de 1508 (voir
Dumont, Corps diplomatique du droit des gens, t. IV, I» partie, pp. 109-1 15).
( 23 )
CHAPITRE II.
Le traité de Saint-Trond de 1518,
I
Si l'évéque de Liège s'était borné à donner à Louis XII, son
protecteur, d'utiles conseils, son frère, messire Robert de la
Marck*, prince souverain de Sedan, avait combattu vaillamment
avec les siens dans les rangs de l'armée française. Il se condui-
sit en héros à la sanglante journée de Novare, où il sauva la
vie à ses deux fils, Fleuranges et Jamets; et deux ans plus tard,
ce Fleuranges, que sa folle intrépidité'fit surnommer V Aventu-
reux, prit une part glorieuse à la victoire de Marignan.
François Ier devait récompenser de si vaillants capitaines. La
politique, à défaut de la reconnaissance, le lui conseillait.
Robert II de la Marck était un vassal important. Seigneur de
Bouillon, de Sedan, de Jamets et de Fleuranges, c'est-à-dire
de tout un cordon de places fortes s'étendant le long de la fron-
tière luxembourgeoise , il protégeait la Champagne en cas d'une
invasion des Pays-Bas. Frère d'un prélat illustre, pensionnaire
de la ville impériale de Metz, ami de Franz de Sickingen, un
des chevaliers les plus intrépides et les plus populaires de
l'Allemagne, qui disposait de vingt-trois forteresses, d'une
armée de dix mille lansquenets et d'une nombreuse artillerie,
le seigneur de Sedan pouvait, par ses ressources et celles de ses
alliés, faire pencher la victoire en faveur du monarque qui
obtiendrait son appui. A une époque où les plus illustres
1 Sur Robert II de la Marck lire les intéressants mémoires de son Ois aine,
le seigneur de Fleuranges, et l'article que lui a consacré Brantôme dans sa
Vie des capitaines français.
(24)
guerriers ne connaissaient d'autre drapeau que l'or du prince
qui les payait le mieux, François Ier eût dû ménager ce vassal
dont la susceptibilité égalait la bravoure. Comme tous les
la Marck, Robert était dévoré d'une insatiable ambition. Nature
brusque et sauvage qui rappelait celle de son oncle le Grand
sanglier des Ardennes, il se laissait parfois entraîner aux réso-
lutions les plus violentes. Courageux jusqu'à la témérité, sévère
au point de devenir cruel, il offrait un mélange de bonnes et
de mauvaises dispositions. Les populations voisines de ses
châteaux le redoutaient parce qu'elles le savaient capable de
toutes les hardiesses. Brantôme a dit de lui qu'il brûlait deux
chandelles, Tune à Sainte-Marguerite, sa patronne, et l'autre
au dragon. On connaît sa devise: « si Dieu ne me veut aider, le
diable ne me saurait manquer », devise bizarre, qui prouve
qu'aucun scrupule ne retenait l'orgueilleux seigneur, et qu'il
pouvait devenir l'ennemi. de la France après avoir été un de ses
plus vaillants soldats.
Tout autre était son frère, l'évêque de Liège. Prélat austère,
administrateur vigilant, diplomate de premier ordre, Erard se
distinguait par les qualités qui manquaient au sire de Sedan.
Ses premiers actes dans la principauté annoncèrent un règne
réparateur. 11 rétablit la concorde dans ce pays si longtemps
livré à l'anarchie, effaça les dernières traces de la guerre des la
Marck et des de Hornes, releva les forteresses en ruine, défen-
dit la neutralité. Tous ces mérites, que relevaient une vertu
sincère et une grande science théologique, eussent fait de cet
évéque un prélat incomparable, s'il ne les avait quelque peu
déparés par son amour du faste et son ambition. Cette ambi-
tion était un défaut de famille qui devait passer à tous les
la Marck, même aux plus illustres. Non content d'occuper
un des sièges apostoliques les plus célèbres de l'Allemagne, de
posséder un riche évêché français, Erard convoitait quelques
opulentes abbayes et surtout le chapeau de cardinal. Il aspi-
rait ardemment à ce suprême honneur, honneur qu'il méritait
du reste, et pour l'obtenir il sollicitait l'intervention de Fran-
çois Ier auprès de la curie romaine.
Malheureusement, François 1er ne comprit pas comme
(25)
Louis XII l'importance de l'alliance ou de l'amitié des la Marck.
Avec cette légèreté et cette ingratitude qui lui aliénèrent sou-
vent de fidèles serviteurs, il blessa les deux frères dans leur
orgueil et leur amour-propre. Soupçonnant Robert d'avoir
autrefois soutenu le parti d'Anne de Bretagne, il lui retira sa
compagnie et lui paya irrégulièrement sa pension. Erard aussi
eut à se plaindre du monarque; ce il n'avait point l'audience ni
l'entrée, ni la bonne chère du feu roi Louis », dit Fleuranges,
et bientôt il éprouva la plus amère déception: il ne fut pas
nommé cardinal !
Léon X avait laissé la première place vacante dans le sacré
collège à la nomination du roi de France, et celui-ci la réser-
vait à l'évêque de Liège. Le triomphe d'Erard paraissait assuré;
Fleuranges lui remit même la promesse écrite du roi et de
Louise de Savoie. Tout à coup, on apprit la promotion de
l'archevêque de Bourges au cardinalat. Gagnée par son tréso-
rier de l'épargne, parent de l'archevêque, la cupide Louise de
Savoie manœuvra si bien que l'insouciant monarque aban-
donna l'évêque de Liège. Plus tard, il jura qu'il était innocent
de cette intrigue ; mais Erard obtint par Aléandre, son chan-
celier qui défendait ses intérêts à Rome, une copie des dépêches
du roi au pape, et put se convaincre que son prétendu protec-
teur l'avait trompé. Ce fut là, dit Fleuranges *, la principale
cause de la rupture d'Érard avec François Ier.
II
La rupture ne tarda guère. Robert renvoya au roi le collier
de l'ordre de Saint-Michel, et au commencement de l'année
1518, les deux frères traitèrent avec Marguerite d'Autriche, la
fille de Maximilien, et avec les députés de Charles, le jeune
souverain des Pays-Bas qui faisait alors son entrée à Valla-
dolid, capitale de son nouveau royaume de Castille.
1 Mémoires de Fleuranges dans Pktitot, Collection de mémoires, t. XVI,
et Boute iLLER , Robert II de la Marck^ pensionnaire de la cité de Metz, dans
les Mémoires de la Société d'archéologie de la Moselle, 1865.
( 26)
Érard sollicitait 4 un évéché espagnol de 6,000 à 7,000 ducats
de revenu en échange du diocèse de Chartres, qu'il se propo-
sait de résigner; la première abbaye qui deviendrait vacante en
Brabant et 10,000 livres du poids de xl gros en attendant qu'il
reçût son évéché; quand il en serait investi, il se contenterait
d'une pension de 6,000 livres pour ses frais de représentation à
la cour des Pays-Bas.
Le seigneur de Sedan réclamait un traitement de 6,000 livres;
une indemnité annuelle de 2,000 livres pour l'entretien de ses
hommes d'armes ; vingt-cinq gendarmes et cinquante archers
pour sa garde personnelle ; 1,500 livres de pension pour un de
ses fils, Jean de la Marck, seigneur de Saulcy, qui s'engagerait
au service des Pays-Bas ; 300 livres de pension pour son
épouse, Catherine de Croy, dame de Sedan ; et le transfert sur
le comté de Chiny 2 d'une hypothèque qu'il avait jadis reçue
de Charles d'Autriche sur la prévôté de Bastogne, pour un prêt
de 3,000 florins d'or d Allemagne.
En retour de ces avantages et d'autres moins importants, les
deux frères offraient de laisser leurs châteaux forts au dernier
survivant, afin qu'ils fussent sérieusement gardés ; de servir le
roi d'Espagne à leurs dépens sous le bénéfice de la réciprocité;
de faire conclure entre le pays de Liège et les Etats de Charles
une alliance défensive.
Les la Marck n'avaient pas manqué de représenter au jeune
roi combien leur alliance lui serait avantageuse. Uni aux Lié-
geois, le souverain des Pays-Bas n'avait plus rien à craindre
pour la frontière orientale de ses Etats de ce par deçà ». En temps
de guerre, la possession de la vallée de la Meuse lui ménagerait
une route facile vers la France, et lui permettrait de couper
1 Toutes ces propositions des la Marck à Charles-Quint sont contenues dans
un long mémoire que nous avons trouvé aux Archives du royaume : carton I
des Documents concernant le pays de Liège.
* Chiny, et non Cbimai, comme on lit dans Fisen et dans P Histoire du dio-
cèse et de la principauté de Liège pendant le XVI* siècle de M. le chanoine
Daris.
(27)
toute communication entre ce pays, la basse Allemagne et la
Gueldre. L'alliance du seigneur de Sedan lui assurait celle du
brave chevalier allemand, Franz de Sickingen, dont la popula-
rité serait des plus utiles quand il briguerait la couronne
impériale.
Ces avantages étaient évidents, et les la Marck eurent soin de
les exposer dans le mémoire qu'ils expédièrent à Valladolid, où
Charles-Quint résidait alors. Le grand chambellan, Guillaume
de Croy, sire de Chièvres, le ministre le plus influent du jeune
roi, dut en comprendre l'importance, et la faire apprécier par
tous les conseillers de son maître.
Ce subit revirement dans la politique traditionnelle des
la Marck a frappé tous les écrivains liégeois. Le jésuite Fisen,
qui de tous les chroniqueurs a le mieux rapporté ces événe-
ments, l'attribue à trois causes : l'évêque de Liège n'avait pas
reçu la pourpre cardinalice et imputait son échec aux intrigues
de la cour de France ; il était mal vu du nouveau roi Très
Chrétien, parce qu'il aurait conseillé à son prédécesseur,
Louis XII, de se remarier ; il comprenait enfin qu'il compro-
9
mettait l'avenir de ses Etats en s'éloignant de Charles *.
A coup sûr, des raisons personnelles et des motifs politiques
ont tout à la fois provoqué cette grave résolution des la Marck.
En examinant les propositions relatives aux pensions et aux
bénéfices de ces princes, il est impossible de ne pas y recon-
naître cette ambition insatiable qui sembait l'apanage de leur
famille. Le soin avec lequel ils se firent promettre de riches
revenus en échange de ceux qu'ils avaient perdus, prouve qu'ils
obéissaient à leur ressentiment contre François Ier et confirme
le témoignage de Fleuranges. Cet historien, en effet, si bien
placé pour connaître les secrètes pensées des la Marck, attribue
la défection de son père et de son oncle à l'ingratitude du roi
de France, principalement à son manque de parole envers
Érard.
9
Mais nous croyons aussi, comme l'historien liégeois, qu'Erard,
1 Fisen, Historia ecclesiae leodiensis, page 323.
(28)
pour sa part, était mû aussi par des considérations plus élevées
que celles de l'intérêt. Ce prince clairvoyant assistait à la fortune
grandissante des Habsbourg, et pressentait le moment où il
resterait isolé entre les États de son puissant voisin, le souverain
des Pays-Bas. Il était plus menacé que son frère, et savait que
le roi de France ne pourrait empêcher l'annexion de son diocèse
aux autres provinces de Charles, si celui-ci déclarait la guerre
aux Liégeois. Nous attribuerons donc la politique nouvelle
d'Ërard au double désir d'accroître son influence personnelle
et de se concilier la protection de Charles-Quint.
Quoi qu'il en soit, le souverain liégeois ne s'abusait pas sur
l'accueil qu'une partie de ses sujets réservaient à ses proposi-
tions. Il savait que s'il présentait aux états son projet de traité
avec les articles concernant les avantages financiers réservés a
sa famille et l'abandon des forteresses, il soulèverait une oppo-
sition formidable. Ses ennemis lui reprocheraient de dénoncer
la neutralité proclamée en 1499, et les partisans de la France,
assez nombreux dans le pays, censureraient son ambition, et
crieraient peut-être à la trahison en le voyant recevoir les lar-
gesses du souverain des Pays-Bas.
C'est pourquoi, ne voulant pas justifier les griefs de leurs
adversaires, les deux frères écartèrent du libellé primitif toutes
les clauses relatives à leurs bénéfices, aux pensions et aux
forteresses, et négocièrent d'abord un simple traité d'alliance,
traité inoffensif en apparence et qui devait dissiper les préven-
tions des esprits les plus hostiles.
III
Signé le 27 avril 1518, par les la Marck et les députés du
souverain des Pays-Bas, le premier traité de Saint-Trond '
1 » Le texte du traité du 27 avril 1N18 publié par Louvrex, dit M. le cha-
noine Dans (p. 21), ne renferme pas les dispositions qui concernent 1rs forte-
resses, la résignation du siège épiscopal, les pensions,... A-I-od retratichédu
texte les parties qui n'ont pas été approuvées par les étais? Y a-t-il eu deux
(29)
stipulait que le roi catholique et les seigneurs de Liège et de
Sedan, pour mettre un terme aux entreprises des gens de
guerre et sauvegarder l'indépendance de leurs États, se défen-
draient mutuellement « envers et contre tous sans nulz exceptes »
sauf contre la ville de Metz et Franz de Sickingen, et ferme-
raient leurs villes, châteaux ou forteresses à leurs ennemis
réciproques. Les marchands et sujets des Etats contractants
commerceraient librement les uns avec les autres, en payant
les droits de douane et en répondant de leurs dettes person-
nelles. Chacun des trois princes s'engageait à chasser les
pillards et les voleurs de grand chemin, et à permettre aux
officiers de justice de ses alités de poursuivre les délinquants
sur son propre territoire, et de les remettre aux magistrats
locaux, qui les condamneraient et les châtieraient. Chaque
signataire avertirait son allié des entreprises de ses ennemis,
fournirait le passage à ses troupes, l'assisterait de ses forces
pour réduire les adversaires communs, prêterait son contin-
gent pour composer une armée ou faire un siège. Enfin, les
seigneurs de Sedan et de Liège soumettraient la ratification
dudit traité aux états liégeois *.
Ce n'était pas la première fois que le pays de Liège nouait
des relations diplomatiques avec une province des Pays-Bas.
traités du 27 avril 1518 dont les dispositions auraient été réunies par Fisen
dans un seul texte? »
Nous avons partagé les doutes du savant écrivain jusqu'au jour où nous
avons retrouvé aux Archives du royaume des copies authentiques du traité du
27 avril, conformes au texte de Louvrex,et une copie du traité secret dont nous
parlerons au chapitre suivant. Plus de doute par conséquent. 11 y a eu deux
traités du 27 avril 1518 : un patent et un secret. Le traité patent est celui que
donne Louvrex. Le traité secret n'a pas encore été publié, et nous le repro-
duisons dans nos pièces justificatives (n° 1) d'après une copie qui se trouve
dans le registre 1082 deY Audience, pp. 243 et suivantes.
1 Voir Louvrex, Recueil contenant les édits et règlements du pays de Liège,
1" partie, pp. 189 et 190. « Mesdicts seigneurs de Liège et de Sedan sollici-
teront et procureront par effet que les États desdicts pays de Liège se
déclairent et consentent estre compris en ce présent traictié. »
(30)
Un des prédécesseurs de Charles-Quint, Jeanne de Brabant,
avait conclu, le 3 février 1398, un remarquable traité d'alliance
avec les villes liégeoises '. Aux termes de ce pacte, les Liégeois
et les Brabançons promettaient de s'entr'aider pour repousser
les envahisseurs de leurs États respectifs, s'engageaient récipro-
quement à refuser les vivres à leurs ennemis, et assuraient à
leurs marchands le droit de trafiquer sur leur territoire. Enfin,
les difficultés éventuelles devaient être réglées à Maestricht *
par les députés des deux pays.
Les bénéfices de ce traité étaient évidents. Voisins sur une
grande étendue, le Brabant et le pays de Liège dépendaient
l'un de l'autre pour des raisons économiques multiples; il
était naturel qu'un acte solennel réglât définitivement leurs
rapports commerciaux, et les mît en mesure de défendre leurs
intérêts menacés : leur promesse de s'entr aider pour repous-
ser l'envahisseur n'était que le corollaire de leur alliance com-
merciale.
Ce traité n'eut pas une longue fortune. Les ducs de Bour-
gogne dépouillèrent les Liégeois de leurs privilèges, et quand
la petite principauté recouvra son indépendance politique et
ses libertés locales, elle ne fut guère tentée de renouer des
négociations diplomatiques avec les descendants de ses plus
implacables ennemis.
Erard de la Marck pouvait donc justifier par d'heureux pré-
cédents les clauses du pacte qu'il avait signé avec le souverain
des Pays-Bas. Remarquons en effet que les deux premiers
articles du traité de S'-Trond rappellent par leur esprit les
dispositions du pacte de 1398. Dans l'un comme dans l'autre
1 Locvrex, loc. citai., 1N partie, pp. 184 et 185. Ce traité fut signé parles
souverains des États contractants et les députés des bonnes Tilles de Louvain,
Bruxelles, Bois-le-Duc, Tirlemont, Léau, Nivelles, Lierre, Herenthals, Diest,
Breda, Berg-op-Zoom, pour le Brabant, et de Liège, Duj, Tongres, Saint-Trood,
Looz, Hasselt, Herck, Bilsen et Maeseyck, pour la principauté de Liège.
■ Maestricht relevait à la fois du duc de Brabant et du prince-évéque de
Liège.
(31 )
cas, les États contractants s'engagent à se défendre mutuelle-
ment contre leurs ennemis, et à garantir à leurs commerçants
la liberté du négoce sur le territoire commun '. Le troisième
article, qui astreignait les signataires à chasser les maraudeurs
ou les pillards, et à renvoyer les criminels devant leurs juges
respectifs, était un excellent moyen de prévenir les attentats à
main armée, si nombreux à cette époque de troubles. Il présente
à cet égard une grande analogie avec nos traités d'extradition.
Le quatrième article précisait le premier en déterminant les
charges et les devoirs réciproques qu'entraînait pour les con-
tractants la conclusion de leur alliance. Enfin, le dernier se
rapportait à une disposition de la paix de Fexhe, qui enjoignait
au prince de soumettre tous les actes législatifs à la ratification
des trois états.
Le nouveau projet de confédération offrait donc de frap-
pantes ressemblances avec le traité de 1398; et Erard pouvait
espérer qu'à l'exemple de leurs ancêtres les Liégeois accepte-
raient ses propositions d'alliance avec les Pays-Bas.
1 Dans le traité de 1308 (v. Louvrex, loc. cit.) nous lisons : c El à sçavoir
que deres-devant contre tous ceaus qui veneroient à bannière au fenon des-
ploié et aultre que on sçauroit en bonne foy suscourir, grever ou adampmagir
le pays de Brabant, les bonnes villes ou commun pays de Pevescbé de Liège
et de la comté de Looz plus prochain du lieu où on vouldroit faire ou porter
tel domproaige devront tanlost traire vers les inimis pour iceulx résister et le
pays de Brabant conforter et rescoire, et pareillement les bonnes villes et
commun pays de Brabant conlre tous cheauli que par la manière dessusdite
cou roi en t sus, ou adommager et grever vouroienl les pays del evesché de
Liège et de la comléde Looz. ... debvronl traire vers les ennemis et conforter
et rescoire les pays del evesché de Liège et de la comté de Looz, et si Je cas
le requiroit plus avant, lonsiours, etc. »
Voir, par comparaison, dans le traité de 1518, l'article premier : c Pour le
bien et seurelé des Elatz desdictes parties ... . soit convenu, accordé et con-
clud que entre ledict Sr. Roy calholicque et mesdicts seigu de Liège et de
Sedan sera doresnavant bonne, vraye et ferme amitié, intelligence, ligue et
obligation mutuelle, au moyen de laquelle lesdicls scigu. de Liège et de Sedan
seront tenus servir le Roy envers et contre tous sans nulz excepter, sauf que
ledict seigneur de Sedan at réservé la cité de Metz en Lorraine et le seign.
Francisque de Secking ..... •
(32)
Seulement, si les textes des deux traités s'inspiraient des
mêmes principes, les époques de leur rédaction différaient
singulièrement.
En 1398, le prince-évéqu e de Liège était l'égal du duc de
Brabant ; les deux souverains pouvaient donc négocier sans
craindre de part et d'autre la moindre arrière- pensée. Que les
temps étaient changés ! Le pays de Liège se relevait à peine des
ruines accumulées pendant un demi-siècle de destruction, et il
se préparait à souscrire un traité d'alliance avec un puissant
monarque, non seulement souverain du modeste duché de
Brabant, mais de presque tous les Pays-Bas et roi d'Espagne,
en attendant qu'il reçût la couronne impériale!
Ce redoutable voisin serait-il un sincère allié? Respecterait-
il l'autonomie du petit territoire qui voulait partager sa bonne
comme sa mauvaise fortune ? La nouvelle alliance n'entraîne-
rait-elle pas tôt ou tard l'absorption de la vieille terre épisco-
pale dans les vastes domaines de Charles d'Autriche? Pourquoi
enfin Érard s'écartait-il de la neutralité, de cette prudente
attitude que la nation liégeoise avait autrefois adoptée avec tant
d'enthousiasme, parce qu'elle la regardait comme le gage de
son indépendance?
Plus d'un Liégois dut agiter ces questions troublantes et se
demander avec angoisse si la brusque détermination d'Erard
de la Marck ne pousserait pas le pays à une nouvelle politique
d'aventure, qui ramènerait les mauvais jours de l'époque bour-
guignonne. Les patriotes qui connaissaient les projets d'Érard
durent un moment se révolter à l'idée d'une fédération des
bonnes villes avec le descendant de ces implacables despotes
qui avaient promené le fer et le feu dans la principauté, et
maudire la conduite hardie de leur souverain.
Mais l'art de gouverner n'est pas une affaire de sentiment,
et, heureusement pour les Liégeois, Érard était plus accessible
aux arguments de la raison d'Etat qu'à de vains regrets patrio-
tiques. Il dut reconnaître que son petit pays ne pouvait rester
isolé entre des voisins aussi redoutables que le roi de France
et le souverain des Pays-Bas, et qu'il élait obligé de se ranger
(33)
sous la bannière de l'un de ces deux puissants monarques.
Observer la neutralité, la faire reconnaître par les puissances
limitrophes, quand Charles d'Autriche et François Ier se prépa-
raient pour un duel gigantesque, était une utopie dangereuse
dont il comprenait l'inanité. L'isolement de la principauté eût
causé sa ruine. Travaillée par les émissaires de la France, elle
se serait compromise d'une façon ou de l'autre aux yeux du
souverain des Pays-Bas, et se serait attiré l'inimitié d'un prince
plus fort et plus opiniâtre que Charles le Hardi. Incapable de
se défendre par les armes, le petit pays de Liège ne pouvait
poursuivre une politique indécise. Il devait s'allier à l'un des
deux rivaux, et sa situation géographique de même que ses
intérêts économiques lui commandaient de partager les desti-
nées des Pays-Bas.
La nouvelle attitude d'Erard était donc non seulement habile,
elle s'imposait. En s'alliant avec le puissant monarque flamand,
il sauvegardait l'indépendance de ses sujets. Il est vrai que
l'ambitieux prélat se fît payer très cher le service qu'il rendit à
Charles ; et à voir le soin avec lequel il ménagea ses intérêts
personnels, on serait presque tenté de croire qu'en se jetant
dans les bras de son redoutable voisin, il se préoccupait autant
de la prospérité des siens que de l'avenir des Liégeois.
IV
Pour être exécutoire dans la principauté, le traité de Saint-
Trond devait recevoir la sanction des représentants de la
nation et l'approbation impériale. Aux termes de la paix de
Fexhe de 1316, l'évêque de Liège ne pouvait modifier la légis-
lation sans avoir consulté le sens du pays ; et ce n'est qu'à par-
tir du traité de Westphalie qu'il fut permis aux Etats du saint
Empire de contracter de leur plein gré des alliances avec les
pays voisins.
L'adhésion de Maximilien n'était pas douteuse. Le roi des
Romains appréciait maintenant l'importance de l'amitié des
Liégeois et devait approuver un traité qui favorisait si gran-
Tome XLI. 3
(34)
dément les Etats de son petit-fils; il témoigna son conten-
tement en octroyant, le 24 juin 1518, de précieux privilèges à
la principauté '.
Par le premier, il défendait d'appeler immédiatement d'une
sentence quelconque rendue par un jugeépiscopal à l'empereur
ou à la Chambre impériale, sans avoir passé par l'intermédiaire
de l'évéque ou de son conseil, et n'autorisait l'appel que pour
les affaires mobilières d'une valeur de plus de 300 florins ou
les affaires immobilières de plus de 600 florins.
Par le second, il défendait de soustraire un Liégeois à ses
juges naturels pour le citer devant un tribunal étranger.
Par le troisième, il confirmait les concessions faites aux
Liégeois par ses prédécesseurs-
Ces trois privilèges abrégeaient notablement la durée des
procès, et furent bien accueillis des Liégeois.
Comme si ces concessions ne lui paraissaient pas suffisantes,
le roi des Romains intervint auprès des Liégeois pour leur
recommander l'adoption du traité du 27 avril. La lettre qu'il
leur écrivit à cette occasion est à la fois affectueuse et mena-
çante, et trahit bien le caractère indécis et flottant de son
auteur. Le prince autrichien rappelle à ses vassaux, les Lié-
geois, qu'il leur avait octroyé les privilèges précédents pour
les remercier de leur envoi d'une ambassade à Cologne,
ambassade qui l'avait convaincu, disait-il, de l'amitié qui unis-
sait la principauté à l'empire, et pour prouver qu'il était satis-
fait de l'alliance contractée par le roi Catholique, son petit-fils,
et les princes de la Marck. Il les avertissait en outre qu'il avait
invité les ministres du jeune Charles à envoyer des ambas-
sadeurs à Liège pour obtenir la ratification du traité de Saint-
Trond, qu'il saurait bon gré aux Liégeois s'ils approuvaient la
1 Le lexte de ces trois privilèges a été publié par Louvbex, toc. ciL,
lrepartie, pp. 283 et suivantes. Chapeaville eu donne assez inexactement la
substance, et M le chanoine Daris (p. 22) voit dans le premier de ces diplômes
l'origine du conseil ordinaire. — Ce tribunal date de 1521 , par conséquent du
règne de l'empereur Charles-Quint.
( 38)
politique de leur évêque, et que dans le cas contraire, il leur
tiendrait rigueur d. En même temps, il écrivait à sa fille
Marguerite, gouvernante des Pays-Bas, pour qu'elle s'appliquât
à obtenir des Liégeois la confirmation du susdit traité 2.
Les concessions de Maximilien et ses démarches auprès des
Liégeois devaient, semble-t-il, décider les états à sanctionner
d'emblée la politique de leur prince-évêque. Cependant l'adhé-
sion des trois ordres ne fut pas immédiate 3. Lors de la pre-
mière conférence, tenue le 7 novembre 1818, quand les ambas-
sadeurs flamands, Charles de Croy et Antoine de Lalaing,
proposèrent aux Liégeois de ratifier l'alliance conclue le 27 avril
entre Erard, son frère Robert et le roi d'Espagne, le clergé
et la noblesse approuvèrent aussitôt le traité ; mais le tiers état,
qu'un vieux levain de rancune stimulait contre les Pays-Bas,
opposa une résistance inattendue. Erard dut convoquer en
assemblée extraordinaire les bourgmestres, les jurés et le con-
seil de la cité pour leur exposer les avantages d'une fédération
avec les Pays-Bas. Son éloquence triompha à la fin des scru-
pules de la bourgeoisie, et le 12 novembre, il proposa derechef
aux états le traité d'alliance. Celui-ci fut approuvé, avec la
clause que les droits et les privilèges des pays contractants,
auxquels il n'était pas dérogé dans le nouveau pacte, seraient
maintenus *.
1 Nous publions le texie de celle lettre dans nos pièces jusliGcalives, n° II.
1 Le Glay, Correspondance de Maximilien avec Marguerite d'Autriche,
t. II, p. 369.
8 Fiskih, Historia ecclesiœ leocUensis, p. 326.
* Article 6 du traité, voir Louvrex, loc. cit., p. 193.
(36)
CHAPITRE III.
Projets de Charles-Quint sur la principauté de Liège.
I
L'opposition du tiers état eût été bien plus redoutable, s'il
avait connu le pacte secret que le prince de Liège et son frère
Robert avaient signé dans cette ville de Saint-Trond avec les
ambassadeurs de Charles d'Autriche, le jour même de la conclu-
sion du traité précédent. Rappelons-nous qu'en offrant leur
amitié au jeune et ambitieux souverain, les la Marck s'étaient
réservé un grand nombre de faveurs : octroi de dignités ecclé-
siastiques, payement de fortes pensions, don d'une garde de
gendarmes et d'archers, ils n'avaient rien oublié de ce qui pou-
vait rehausser leur puissance ou accroître leur fortune.
Charles accorda tout, mais imposa à ses nouveaux alliés des
conditions qui rachetaient amplement ses concessions. Si Erard
obtint l'expectative d'un évêché espagnol de 6,000 ducats de
revenu, d'une ou de deux abbayes en Brabant d'un rapport de
4,000 à 5,000 livres, s'il toucha jusqu'à la réalisation de cette
double promesse une pension de 6,000 livres; si Robert reçut
également des émoluments considérables, le commandement
d'un corps de gendarmes, des rentes et des honneurs pour son
épouse et ses enfants, les deux frères durent en retour souscrire
de nouvelles obligations envers les Pays-Bas. Ils s'engagèrent
réciproquement à laisser au survivant les places fortes de leurs
Etats, afin d'empêcher qu'elles ne devinssent la proie d'un
étranger ou d'un ennemi des Pays-Bas; Erard promit de ne
disposer de son évêché, soit par une résignation, soit en dési-
gnant un coadjuteur, qu'en faveur de son neveu Philippe de la
(37)
Marck ou d'un autre prince agréable au roi d'Espagne ou à son
successeur ; il exigerait en outre des commandants des cita-
delles liégeoises le serment qu'à sa mort ils ne livreraient leur
forteresse qu'au seigneur de Sedan ou, en cas de prédécès de
celui-ci, à un prince désigné par le roi Catholique et les états
liégeois. En outre, lesdeux frères ratifiaient de nouveau l'alliance
qu'ils avaient contractée avec les Pays-Bas et juraient de la
respecter, non seulement si le roi Catholique était attaqué, mais
dans toute guerre qu'il entreprendrait.
L'alliance de deux Etats n'était donc plus simplement défen-
sive, elle devenait offensive, et c'est pourquoi ce mot défensive,
que nous voyons mentionné dans le mémoire explicatif envoyé
par les la Marck à Valladolid, ne paraît plus dans le traité
public du 27 avril. Si nous le retrouvons dans le libellé du
traité du 12 novembre, c'est qu'Erard voulut amadouer le tiers
état et présenter sous un jour favorable ses projets d'alliance
avec le monarque flamand.
Telles sont les principales stipulations de ce traité secret du
27 avril 1518, que les la Marck ratifièrent le 6 mai de la même
année. Pendant longtemps cet acte fameux fut ignoré des
historiens liégeois ; le jésuite Fisen l'a deviné, mais il a eu le
tort de le confondre avec le traité patent, et de rapporter dans
un même texte les dispositions distinctes de ces deux contrats.
Le second traité de Saint-Trond * ne devait pas être pré-
senté aux états, car il n'engageait les la Marck qu'à titre
personnel. Nous remarquerons simplement qu'il contenait
un article dont l'interprétation pouvait être dangereuse pour
les Liégeois : celui qui stipulait l'abandon des forteresses, en
cas de mort du prince-évêque et de son frère, au souverain
des Pays-Bas. L'évéque avait-il le droit de disposer, même
avec l'assentiment des états, des places fortes en faveur d'un
souverain étranger auquel il n'était encore attaché par aucun
* Nous avons trouvé une copie du traité secret du 27 avril dans le
registre 4082 de V Audience, pp. 245 et suivantes. Nous la reproduisons dans
nos pièces justificatives, n* 1.
— i
(38)
lien féodal? N'oublions pas qu'à ce moment Charles n'était
que souverain des Pays-Bas et roi d'Espagne.
Peut-être Erard avait-il deviné le brillant avenir réservé à
Charles d'Autriche. C'est peu de temps après la conclusion de
ces traités mémorables que le jeune souverain, qui avait choisi
pour devise les fières paroles « plus oultre », brigua la cou-
ronne du saint-empire. L'évéque de Liège usa de son crédit
auprès des électeurs allemands pour faire conférer à son royal
allié cet insigne honneur, le plus grand que pût ambitionner
un mortel. Charles fut nommé empereur et acquit ainsi une
plus grande influence sur le pays de Liège ; d'allié du prince-
évéque il devenait son suzerain, puisque le territoire épiscopal
était un fief du vaste empire germanique '.
On connaît les projets grandioses du nouvel empereur.
Charles-Quint se proposait d'employer les immenses ressources
de ses nombreux Etats à rehausser le prestige de sa maison et
à transformer peu à peu l'Allemagne en un royaume homogène
comme la Castille. La grandeur de l'empire l'intéressait moins
que la fortune de sa famille; et l'on pouvait craindre que,
devenu suzerain de la petite principauté, il n'usât plutôt de
son pouvoir pour agrandir les Pays-Bas du côté de la Meuse
que pour défendre les vieux privilèges de l'Eglise de Liège.
Les Liégeois ne devaient donc pas applaudir trop tôt au cou-
ronnement de Charles-Quint. En obtenant l'alliance du nouveau
Charlemagne, ils se ménageaient une protection efficace contre
les entreprises de la France, mais devenaient en même temps
les clients d'un prince dont l'ambition ne connaissait pas de
bornes et dont les exigences étaient rarement satisfaites.
1 Voir Mignet, Rivalité de François /" et de Charles-Quint, 1. 1. p. 16$»,
et pour les sources, Pontcs H e utérus, Rerwn belgicarum liber Vi "//, cha-
pitre II, et les Mémoires de Martin du Bellay, publiés par Petitot dans la
collection de mémoires relatifs à l'histoire de France, 1" série, t. XVII, p. 280.
Pour l'histoire générale de Charles-Quint, nous renvoyons le lecteur a la bio-
graphie de M. H. Baumgartek, Geschichte Karls V, dont seulement deux
volumes ont paru, et à V Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique de
M. Alexaudre Henné*
(39)
II
Soit par intérêt, soit par politique, Érard resta fidèle au
souverain dont il avait épousé la fortune. Robert, au contraire,
qui avait eu à se plaindre des officiers de Charles-Quint et qui
était gagné par le roi de France, se détacha bientôt du parti
impérial. Ce neveu du Sanglier des Ardennes, souverain d'une
principauté minuscule, osa braver le plus puissant monarque
de l'Europe. Il envoya un héraut d'armes à Worms porter
son cartel à l'empereur, qui présidait la diète germanique, et
envahit le Luxembourg '.
Aussitôt une émeute éclata à Liège. Les adversaires d'Erard,
les ennemis de la maison d'Autriche, projetèrent de livrer la
cité aux Français ; Antoine de la Marck, fils de Robert et cha-
noine de la cathédrale, les soutenait.
Mais les mesures énergiques d'Erard détournèrent tous les
dangers ; douze des conspirateurs furent arrêtés, écartelés ou
noyés; et Antoine de la Marck obligé de quitter la princi-
pauté 2. H se retira en France et devint abbé de Beaulieu en
Argonne.
Robert, de son côté, fut complètement battu par le comte
Henri de Nassau, général de Charles-Quint; et ses soldats
chassés des châteaux forts de Logne, de Messincourt, de Saul-
cy et de Fleuranges 3. Seule la forteresse de Bouillon n'avait
pas suivi le parti de Robert; Charles-Quint ménagea la popu-
lation et restitua la ville à l'évêque de Liège, comme récom-
pense de sa fidélité.
La trahison de Robert causa une amère déception à l'empe-
reur. Ce n'était qu'à la vigilance du prince-évêque qu'il* devait
le maintien de l'alliance de 1518. Qu'arriverait-il si, dans la
suite, l'activité d'Erard était déjouée, ou si la principauté était
1 Chapraville, toc. cit., pp. 276 et 277.
* De Theox de MoNTJAitniit, Histoire du chapitre de Saint- Lambert,
article : Antoine de la Marck.
8 V. Henke, loc. cit ,111, pp. S36 et suivantes.
( 40 )
gouvernée par un souverain moins fidèle ou moins pénétrant?
Charles-Quint était trop diplomate pour ignorer combien un
traité est fragile, quand il n'est garanti que par la parole d'un
prince ou les vagues promesses d'une nation. C'est pourquoi
il médita de resserrer les liens qui rattachaient le pays de
Liège aux Pays-Bas, et il associa Erard à ses projets.
Avant tout, il ne voulut pas se prévaloir du titre de mam-
bour perpétuel et héréditaire de la principauté, qui avait été
porté par les princes bourguignons, et qui rappelait de si
odieux souvenirs. Il ne songea pas davantage à se parer du
titre de voué, cédé jadis au duc de Brabant, Jean III, par les
comtes de Looz '. S' inspirant de la tactique qui lui avait déjà
si bien réussi, il visa à se faire donner indirectement et sous
une forme modeste le pouvoir exercé trop brutalement par ses
ancêtres dans le pays de Liège. Il combla de faveur les fonc-
tionnaires de la principauté dont il craignait l'opposition, et
par un traité secret signé à Bruges, le 30 août 1521 , obtint
d'Erard la promesse de faire conclure entre les Pays-Bas et les
Etats liégeois une alliance perpétuelle, aux termes de laquelle
toutes les forteresses seraient ouvertes à « sadite Majesté quant
besoing sera pour la luition et défense de ses pays cTembas * ».
Si les états n'agréaient pas ces propositions, Erard rendrait
le château de Bouillon à Charles-Quint.
L'empereur augmentait ainsi les prétentions si exorbitantes
qu'il avait émises en 1518 quand il n'était que roi d'Espagne et
I Voir aux Archives générales du royaume à Bruxelles dans les Chartres
de la iréiorerie de la chambre des comptes (carton n° 8) un vidiinus du cha-
pitre de Ste-Gudule et du magistrat de Bruxelles (du 14 niai 1438) d'une lettre
de Thierry, comte de Looz et de Chiny, par laquelle celui-ci fait savoir « d'avoir
donné et porté sur Jehan duc de Lothier et Brabant, sa vouer ie de Liège que
lui et ses devantrains comtes de Looz y avaient tenue et eue comme leur
propre alleud a tenir, avoir et posséder à toujours par ledit duc par ses hoirs
et ses successeurs comme son propre alleu », etc.
II est encore fait allusion à cette vouerie dans le mémoire des la Marck au
roi de Castille; mais il n'en est plus parlé dans les traités subséquents.
9 Nous donnons le texte, de ce traité dans nos pièces justificatives, n* 111 :
Sur les faveurs prodiguées aux fonctionnaires liégeois, voir plus loin, p. 45»
(« )
souverain des Pays-Bas. Il se contentait alors de la remise des
forteresses liégeoises au seigneur de Sedan ou à un de ses par-
tisans, à la mort de l'évéque. Cette fois, il réclamait le droit de
disposer du pays de Liège, quand il le jugerait convenable pour
la protection de ses États néerlandais. Autant valait demander
l'annexion pure et simple du territoire épiscopal aux Pays-Bas.
Si un tel traité était ratifié par les états, le pays de Liège
devenait une province des Pays-Bas. Charles-Quint aurait vite
trouvé un prétexte plausible pour loger ses soldats dans les
forteresses liégeoises et pour les y laisser.
Erard de la Marck ne devait pas s'abuser sur la portée d'un
pareil contrat; aussi nous avouons que son attitude nous
étonne. Comment ce fier prélat, si jaloux de son autorité,
descendait-il à de telles concessions? Comment de protecteur
et d'allié de Charles -Quint devenait-il en quelque sorte son
complice? Nous ne comprenons guère une aussi étrange
conduite. Peut-être Érard était-il ébloui par ce titre de cardi-
nal, réalisation suprême de ses désirs1; peut-être ne sut-il pas
résister à l'ascendant que l'empereur, alors à l'époque de sa
gloire, exerçait sur tous ceux qui l'approchaient.
Nous ignorons ce qu'il advint du traité de Bruges. Les chroni-
queurs liégeois ne le mentionnent pas; et nous arguons de leur
silence qu'il ne fut pas présenté aux états. Si ceux-ci, en 1521,
avaient ratifié les engagements de leur prince, nous ne com-
prendrions pas pourquoi les ambassadeurs de Charles-Quint
proposèrent dix-sept ans plus tard de rendre l'alliance de 1518
perpétuelle, et d'ouvrir les forteresses aux troupes néerlandaises
pendant la vacance du siège épiscopal.
Il est donc probable qu'Erard n'osa pas affronter la résis-
tance des Liégeois, résistance qui eût été énergique, aussi éner-
gique que le refus opposé aux propositions semblables des
ambassadeurs de Lannoy et Nigri en 1538 2.
1 C'est l'année suivante qu'Erard reçut les Insignes de cardinal, Chafea-
ville, loc. cit., p. 278.
* Voir le chapitre intitulé : Marie de Hongrie et le prince-évéque Corneille
de Berghes.
(42 )
III
Jusqu'à sa mort, Érard de la Marck resta fidèle au traité
d'alliance de 1518. Investi du siège archiépiscopal de Valence *,
promu à la dignité de cardinal, le fier prélat demeura le loyal
allié du prince qui l'avait comblé de si grands honneurs. Sauf
à quelques rares moments où, contrarié dans des questions
d'amour- propre, il bouda le gouvernement des Pays-Bas *,
Erard se conforma toujours aux désirs de Charles-Quint. Il sut,
comme nous le montrerons, défendre énergiquement les
intérêts spirituels de son diocèse, créer même de sérieuses
difficultés à son puissant voisin quand il vit son autorité reli-
gieuse menacée; il n'en fut pas moins un des fidèles vassaux
de Charles-Quint; et chaque fois que Marguerite d'Autriche, la
gouvernante des Pays-Bas , fit appel à son dévouement f elle
trouva un ami sûr et un guide perspicace.
Ce fut surtout pendant les terribles guerres des Pays-Bas
contre la France que Marguerite retira un profit réel de l'alliance
liégeoise. L'amitié du petit pays lui permit de résister victo-
rieusement aux armées de François Ier. La vallée de la Meuse,
ce magnifique chemin créé par la nature pour aller de France
en Hollande et dont l'importance stratégique fut aussi grande
au XVIe siècle que de nos jours, était fermée à nos voisins ; et
François Ier ne pouvait joindre ses troupes à celles des Guel-
drois, ses alliés.
Comme une sentinelle avancée, le petit pays de Liège gardait
la frontière orientale du Brabant, la partie la plus vulnérable
des Etats de Charles-Quint. S'il se fût relâché de sa vigilance,
la guerre eût probablement ménagé de pénibles surprises aux
Pays-Bas. La réunion des corps ennemis, français et gueldrois,
sur notre territoire eût séparé les forces militaires de Charles-
Quint et les eût livrées comme une proie facile au vainqueur.
s Voir Chape aville, loc. cit., p. 258.
4 Voir le chapitre intitulé : Histoire des contestations politiques, judiciaires
et religieuses de Charles-Quint avec la principauté de Liège.
(43)
L'étroite amitié qui liait les Pays-Bas à la principauté de
Liège explique donc pourquoi les Français obtinrent si peu de
succès quand ils tentèrent d'envahir notre pays; et comme le
roi-chevalier préférait garder le Milanais plutôt que de con-
quérir les Pays-Bas, il en résulta que l'Italie fut chaque fois le
principal théâtre des hostilités.
Pendant ces années désastreuses, le prince-évêque de Liège
s'occupa presque autant des Pays-Bas que de son diocèse. Il
était le conseiller habituel de Marguerite d'Autriche, et un con-
seiller dont elle prisait hautement la clairvoyance et la pénétra-
tion * . Très souvent cette princesse l'appelait à sa cour, et le
cardinal assistait à ces séances mémorables où les grands
seigneurs flamands, les de Buren, les de Berghes, les d'Hoog-
straten, les d'Aerschot 2, donnaient leur avis sur les questions
politiques ou militaires qui intéressaient les Pays-Bas. Quel-
quefois Marguerite, arrêtée par des difficultés diplomatiques
qu'elle n'osait résoudre d'elle-même, envoyait des ambassadeurs
à Liège afin de prendre les conseils d'Erard. C'est ainsi qu'en
1539, la minute de la célèbre paix de Cambrai, paix qui était
en partie l'œuvre de la gouvernante, fut présentée au prince-
évêque de Liège avant sa rédaction définitive 3.
Erard ne bornait pas son assistance à des avis utiles ou à de
sages consultations : il mettait quelquefois ses ressources mili-
taires à la disposition de Charles-Quint. Bien que les forces du
1 Chapeaville, pp. 277 el 207. Archives du royaume : Lettres manuscrites
de Marguerite d'Autriche à Charles-Quint, passim. Ces lettres soit les copies,
soit les originaux, sont éparpillées dans les registres 35 à 41 des Papiers
dC Étal et de l'Audience. Comme elles présentent un vif intérêt pour l'histoire
de nos provinces et que Charles Lanz ne les a guère connues, nous souhaitons
que la Commission royale d'histoire en entreprenne la publication le plus tôt
possible.
* Archives du royaume : lettres manuscrites de Marguerite d'Autriche,
passim.
8 Archives du royaume : lettres de Marguerite d'Autriche, reg.37: lettre du
31 décembre 1528. Érard de la Marck et le pays de Liège furent compris dans
le traité de Cambrai comme alliés de Charles-Quint (voir l'art. XL1II de ce
traité dans Dumo.it, Corps diplomatique du droit des gens, t. IV, 1" partie)*
(41)
pays de Liège ne fussent en rien comparables aux bandes d'or-
donnance ou à la vigoureuse infanterie des Pays-Bas, leur
concours n'était pas à dédaigner. En 1523, en 1524, en 1525,
au plus fort de la guerre entre François Ier et le roi d'Espagne,
nous voyons le prince de Liège prêt à fournir son contingenta
l'armée de Marguerite '.
Mais la gouvernante eut moins besoin des troupes du cardinal
que de son crédit. Quoique le plus riche souverain de son
temps, Charles-Quint était incapable de suffire aux vastes
dépenses que ses projets multiples entraînaient. La source de
ses revenus se tarissait sans cesse, les états généraux des Pays-
Bas résistaient souvent à ses demandes de subsides, et Charles,
9
obligé d'intervenir dans presque tous les Etats de l'Europe,
devait fréquemment emprunter aux princes et aux banquiers
allemands. Erard de la Marck lui avança quelquefois des fonds
considérables. Ce prélat possédait de grandes ressources. La
mense épiscopale de Liège était d'un excellent rapport, que le
voyageur Guichardin évaluait plus tard à 30,000 ducats ; et le
cardinal y ajoutait les bénéfices de l'archevêché de Valence, et
les pensions que lui payaient les évéques de Tournai et de
Cambrai et les abbés de S^Michel et d'Afflighem. Jointes à sa
fortune particulière, ces rentes diverses lui constituaient de
magnifiques revenus ; et nous ne devons pas nous étonner que
ce riche dignitaire consentît à l'empereur des prêts qui s'éle-
vèrent jusqu'à 100,000 florins 2. Quelques mois avant sa mort,
1 Archives du royaume : Correspondance de Marguerite d'Autriche,
registre 35 : le lire du 33 avril 1533; registre 39 : lettres du 13 avril 1534 et
du 13 avril 1535.
Le registre 35 renferme des copies de lettres de 1533 à 1535 et le registre 39
des copies du 30 avril 1533 au 38 décembre 1536.
Dans ces registres les lettres sont classées par ordre chronologique ; néan-
moins l'origine différente de ces volumes, la présence d'extraits de copies à
côté de copies complètes, en rendent le maniement très malaisé, et font
souhaiter qu'une édition vraiment scientifique de la correspondance de Mar-
guerite d'Autriche avec Charles- Quint paraisse le plus tôt possible,
* Voir dans le registre u* 37 les lettres du 38 mars 1538, du 7 juillet 1338
et dans le registre n° 38, la lettre du 13 juin 1539.
(48)
il discutait encore avec la gouvernante, Marie de Hongrie, les
conditions d'un emprunt dont Charles-Quint lui proposait la
souscription *.
Les Pays-Bas retirèrent donc un profit réel de l'alliance lié-
geoise. En lui octroyant les plus grands honneurs ecclésias-
tiques, en satisfaisant largement son ambition, Charles-Quint
fit d'Erard de la Marck un vassal dévoué. Le mérite de l'empe-
reur ou de ses conseillers fut de comprendre l'importance
réservée à cette alliance des Pays-Bas avec la petite principauté.
Pour la première fois, un prince néerlandais désavouait cette
brutalité insensée qui avait marqué jusqu'alors l'attitude des
souverains des Pays-Bas à l'égard du pays de Liège.
Ce n'est donc pas sans raison qu'on a surnommé le XVIe siècle
le siècle de la diplomatie. Charles-Quint avait révélé une rare
habileté en acceptant l'alliance d'Érard de la Marck. Il com-
pléta son œuvre en Rattachant les fonctionnaires de la princi-
pauté par les flatteries ou par la corruption 2. Ces moyens lui
réussirent. Insensiblement, les Liégeois se tournèrent du côté
des Pays-Bas et vécurent de la même vie que tous les petits
peuples dont ils étaient entourés. On verra bien encore plus
tard quelques germes de mécontentement, même une tentative
d'insurrection contre la politique de Charles-Quint; mais ces
séditions ne seront que des crises passagères provoquées par
1 Voir le chapitre intitulé : Charles-Quint et les coadju leurs de Liège.
* f Aux bourgmestres, jurés et conseil de la cité de Liège, à cause d'une
pension de mil livres dicte monnaie (de 40 gros de Flandre) que lempereur
leur accorda le XII II daoût XVe XXI tant et si longuement que lalliance et con-
fédération estant entre l'empereur, ses pays et subgects d'une part et les étals
et pays de Liège d'autre seront par eulx gardée, observée et entretenue
comme il appartient, ou jusques a ce que, après avoir ouy et entendu l'oppi-
niou et adviz de ses eslaz et officiers quil appartiendrait, sur 1 exemption des
thonlieux de Brabanl, Hollande elZélande par eulx requise, y auroit aullremenl
pourveu et ordonné. » Extrait par M. Henné du registre des Revenus et
dépenses de Chartes-Quint (1520-1550) et publié dans le t. III, p. 23 de son
histoire du Règne de Charles-Quint en Belgique. On trouvera d'autres preuves
des largesses de Charles- Quint à l'égard des fonctionnaires liégeois dans les
notes du même écrivain, t. III, p. 283.
(46)
des ambitieux déçus, et ie bon sens de la nation en triomphera
aisément.
L'empereur obtint donc par sa diplomatie ce que de grandes
victoires n'avaient pas donné à ses ancêtres, les princes bour-
guignons : la sécurité des provinces méridionales des Pays-
Bas. Que fût-il advenu de notre pays si les Liégeois eussent
tendu la main à ces indomptables Gueldrois? Les Pays-Bas
auraient été déchirés par la guerre civile, envahis par la France;
et l'union définitive des dix-sept Etats, qui s'acheva quelques
années plus tard, eût été peut-être compromise.
D'autre part, l'alliance de 1518 procura des avantages réels
aux compatriotes d'Érard. Les Liégeois ne furent plus ballottés
entre les influences étrangères, ce qui dans les siècles précé-
dents avait causé leurs plus grands malheurs; ils poursui-
virent désormais une politique extérieure nettement définie
par le traité de Saint-Trond. De plus, la protection de Charles-
Quint leur assura une protection efficace contre les entreprises
de la France; elle leur valut même l'octroi d'importantes
faveurs, telles que l'institution du Conseil ordinaire, dont les
arrêts exercèrent une heureuse influence sur l'administration
de la justice civile.
En somme, le traité de Saint-Trond, bien que Charles-Quint
l'interprétât quelquefois dans un sens trop favorable à son
ambition, sauva l'indépendance de la principauté de Liège
pendant le XVIe siècle.
(47)
CHAPITRE IV.
Charles-Quint et les coadjuteurs de Liège.
I
La fidélité que l'évêquc de Liège témoigna à la maison
d'Autriche pendant les troubles de 1521, ne put faire oublier
à Charles-Quint la conduite inqualifiable de Robert de la Marck.
La rupture par ce seigneur d'un traité solennellement reconnu
trois ans auparavant, nourrissait dans l'esprit de l'empereur de
grandes préventions contre les la Marck. Il avait octroyé à cette
famille d'insignes faveurs et réservé le trône épiscopal de Liège
à un des fils de Robert. Quoi d'étonnant qu'il vît dans la défec-
tion du sire de Sedan la plus noire ingratitude?
C'est probablement à cause de cette trahison imprévue et
des démonstrations hostiles qui éclatèrent à Liège contre sa
politique, que Charles conçut le projet de donner à Erard un
coadjuteur avec droit de succession. Il comptait prévenir ainsi
les intrigues que la nomination du futur évêque provoquerait
au sein du chapitre cathédral et les troubles qui en résulte-
raient ; et ce dessein fut exécuté avec la promptitude et la téna-
cité que l'empereur montrait dans toutes ses entreprises.
Naturellement, la dignité de coadjuteur ne pourrait être con-
férée à Philippe de la Marck, ce fils de Robert auquel le traité
secret du 27 avril 1S18 * donnait en quelque sorte l'expectative
du diocèse de Liège. Ce seigneur expia les fautes de son père
et de son frère, et fut privé de la succession du cardinal. Ce fut
1 Voir le chapitre précédent.
(48)
pour lui une déception cruelle, et il en conçut un ressentiment
qui le poussera plus tard à favoriser les projets de la France
sur notre pays. Charles-Quint pensa qu'un prince né dans les
Pays-Bas serait plus fidèle qu'un étranger, et il fixa son choix
sur Corneille de Berghes, sire de Sevenberghe.
Par son père, Corneille de Berghes descendait de ce Jean V
de Glymes, dit aux grosses lèvres, contemporain de Philippe le
Bon, qui avait ajouté à son domaine patrimonial de Glymes
les seigneuries de Berg-op-Zoom, de Walhain et de Brecht ; de
sa mère, Madeleine de Stryen, il tenait la terre de Seven-
berghe !.
La famille des de Berghes donna maintes fois aux souverains
des Pays-Bas des preuves de dévouement et fut gratifiée par
eux des titres les plus flatteurs. Corneille, le père du coadjuteur,
avait été l'échanson de Maximilien et décoré par ce prince
de l'ordre de la Toison d'or. De brillantes alliances matrimo-
niales rehaussèrent le lustre de la maison. Une de ses filles,
Marie de Berghes, épousa Louis de Ligne, baron de Barbançon ;
la seconde, Marguerite, devint la femme de Florent d'Egmont,
comte de Buren 2. Son deuxième fils, le futur évêque de Liège,
entra dans le clergé, et fut bientôt pourvu d'un canonicat dans
l'église de S^Lambert 3. Il obtint plus tard la prévôté de l'église
S'-Pierre à Lille et d'autres dignités ecclésiastiques. Longtemps,
il fréquenta la cour de Marguerite d'Autriche, mais il séjournait
de préférence à l'abbaye de la Cambre, près de Bruxelles *.
Une vie irréprochable et une grande modération de caractère,
* Nous écrirons de Berghes comme tous les généalogistes. Voir sur celle
famille les ouvrages généalogiques de Goethals el de De Vegiano, ainsi que les
articles de M. Alphonse Le Roy sur Corneille el Robert de Berghes, publiés
dans le deuxième volume de la Biographie nationale.
* Voir le Dictionnaire généalogique de De Vegiano, art. de Glymes.
5 Voir de Theux, Histoire du chapitre de Saint- Lambert, t. III, p. 58.
* Voir Foulon, Bistoria leodiensis, t. II, p. 245. Cel historien invoque le
témoignage d'une chronique eu langue vulgaire. Voir aussi, dans les lettres
missives de Marie de Hongrie, la dépêche de Marie au comte de Buren du
11 février 1537 (n. si. 1538).
(49)
recommandaient particulièrement ce prélat, que Charles-Quint
songeait à placer sur le trône épiscopal de Liège *.
Les canons de l'Église réservaient aux chapitres des cathé-
drales allemandes le droit d'élire leur évêque. Depuis 1122 2,
l'empereur et le pape n'intervenaient que pour conférer, le
premier, l'investiture laïque parle sceptre et l'épée, le second,
l'investiture ecclésiastique par l'anneau et la crosse. Le concor-
dat de 1448 accordait au souverain pontife la faculté de disposer
d'un siège épiscopal, lorsque le titulaire était cardinal, mourait
en cour de Rome, était promu à une autre dignité, ou rési-
gnait son diocèse. En outre, d'après les règles de la chancellerie
romaine, le pouvoir de désigner un coadjuteur avec droit de
succession à un évéché n'appartenait qu'au pape.
La nomination du futur évêque de Liège revenait donc au
9
souverain pontife, puisque Erard de la Marck était cardinal.
Cette circonstance facilitait singulièrement les projets de
Charles-Quint. Tout puissant auprès de la curie, surtout depuis
que Adrien VI, son ancien précepteur, avait ceint la tiare,
l'empereur était sûr que le candidat qu'il recommanderait
serait aussitôt agréé. Si même le pape avait refusé de satisfaire
à ses désirs ou renoncé aux bénéfices du concordat de 1448 en
faveur du chapitre, il possédait encore un moyen de briser la
résistance du clergé, c'était de refuser à l'élu les droits régaliens,
et de l'empêcher ainsi d'exercer le pouvoir temporel dans la
principauté.
Loin de se prévaloir de ces avantages, Charles-Quint suivit
la voie traditionnelle. Il se concerta à Bruges avec Erard de la
Marck et le chargea de présenter au chapitre de Sl-Lambert
Corneille de Berghes, comme son futur coadjuteur 3. En même
1 Chapeaville, loc. et'*., p. 378. • Erat in auta Margaretae Brabantiae Guber-
oatricis Cornélius a Bergis, vir non minori prudeniià quam vil* iuiegrUate
clams.
: * En vertu du concordai de Worms, qui régla jusqu'à la fia de l'ancien
régime ia nomination des évêques allemands.
* Voir Chapeaville, toc. cit., p. 278.
Tome XLI. 4
( 80)
temps, il députa à Liège Laurent de Casleto, le père de Cor-
neille, Antoine de Berghes, abbé de SMSertin, et d'autres
parents de notre prélat, afin de disposer les chanoines en sa
faveur *.
L'empereur se conduisait en habile diplomate. Il flattait
l'amour-propre d'une illustre assemblée en la consultant sur
une question qu'il eût pu faire résoudre à son insu par le
S'-Siège. Cette condescendance était le résultat d'un calcul.
Charles-Quint préférait amener le chapitre à accepter un coad-
juteur plutôt que de recourir à des mesures violentes. N'igno-
rant pas que rien n'égale la susceptibilité des corps privilégiés,
il proposa la nomination de Corneille de Berghes, comme s'il
se fût agi d'une élection ordinaire. Il se faisait ainsi un mérite
de sa complaisance, quoiqu'il ne laissât aux tréfonciers que
l'alternative ou d'élire un candidat qui serait aussitôt agréé, ou
de se brouiller avec le plus puissant monarque de l'époque.
L'attitude du chapitre ne pouvait être douteuse : beaucoup
de tréfonciers dépendaient de la maison d'Autriche; tous ils
savaient qu'on ne résistait pas impunément aux désirs du
puissant souverain. Ne fût-ce que par patriotisme, dans la
crainte d'éviter au pays une intervention dangereuse, les cha-
noines, quoi qu'il en coûtât à leur amour-propre, devaient
s'incliner devant la volonté impériale. Par faveur pour Charles-
Quint 2 et pour ne pas être privés de leur droit d'élection,
depuis qu'Erard était cardinal, ils accueillirent, dit Chapea-
ville, la présentation de Corneille de Berghes.
La ratification pontificale se fit plus longtemps attendre.
Adrien VI était mort après quelque mois de règne, et son suc-
cesseur, Clément VII, soit qu'il hésitât à satisfaire à la demande
de Charles-Quint, soit qu'il fût circonvenu par les rivaux de
1 Voir ScHooxbHoooT : Inventaire analytique et chronologique des chartes
de Saint-Lambert, n° 1128. Acte du 22 juin 1522.
* Voir Chapea ville, p. 278. « Annuit capilulum Caesaris favore et maxime
De per afiectiones el reservaiiones libéra electione, Erardo jam cardinaliln
digoila'.e iusignieudo, fraudarelur.
( si )
Corneille de Berghes, ajourna pendant plusieurs années toute
décision.
L'obstination du pontife indisposa l'empereur. A différentes
reprises, il enjoignit à Marguerite et aux parents de Corneille
d'insister auprès du pape pour qu'il confirmât l'élection du
coadjuteur 1. En 1527, il commanda même à Louis de Praet*
d'exiger des capitaines des forteresses liégeoises la promesse
formelle qu'ils ne recevraient aucune personne suspecte, soit
du vivant d'Érard, soit à l'avènement de son successeur.
L'empereur réclamait ainsi l'exécution des clauses fameuses
contenues dans le traité secret de 1518.
Enfin, en 1529, Clément VII se rendit aux exhortations pres-
santes de Charles-Quint 3 et sanctionna l'élection du chapitre
de Liège. L'empereur témoigna aussitôt son contentement en
renouvelant le décret qui annulait les créances que les la Marck,
les de Homes et d'autres partisans de la France possédaient
sur la principauté de Liège, créances qu'il s'était adjugées à la
suite de ses victoires sur Robert de la Marck et sur François Ier 4.
II
Charles-Quint devait, semble-t-il, être satisfait de ses négo-
ciations et attendre sans inquiétude l'avènement du coadjuteur
d'Érard de la Marck. Il comptait sur le tact de la gouver-
nante des Pays-Bas pour initier le futur évêque de Liège aux
secrets de la politique impériale, et pour le préparer au rôle de
1 Voir la leitre du 6 juillet 1528 (registre n° 37, p. 153 v°j écrite «Je Sara-
gosse par Charles-Quint à Marguerite, et la lettre du 30 novembre 1528
(même registre, p. 193) écrite de Tolède au seigneur de Moqueron, conseiller
et maître d'hôtel de l'empereur, et au seigneur de Monlfort, gentilhomme de
sa chambre.
* Voir l'instruction donnée de Valence au seigneur de Praet, bailli de Bruges,
dans la Correspondance inédite de Marguerite d'Autriche, registre n° 40, pp. 1)
et il.
3 Voir ChapEayille, loc. cit., p. 297.
4 Voir Chape a ville, lue. cit., p. 277 et Fisen, loc. cit., p. 32S».
(32)
vassal obéissant qu'il lui destinait. Mais Corneille de Berghes
ne tenait que médiocrement au trône épiscopal ; il montrait
même à cet égard une répugnance qui causa plus tard de
sérieux embarras à Marie de Hongrie *.
Il est probable que ce dégoût pour le pouvoir lui vint assez
tôt; autrement nous ne nous expliquerions pas comment ce
prélat, qui devait diriger un diocèse aussi important que le
diocèse de Liège, ne s'empressât pas de prendre la prêtrise. Il
savait cependant que cotte négligence à recevoir le sacerdoce
lui serait imputée à crime par ses ennemis personnels et par
les réformés. Et ces reproches eussent été fondés. À une
époque où l'hérésie provignait d'une façon inquiétante dans le
pays de Liège, il importait que le souverain donnât le premier
l'exemple du respect pour les canons de l'Église.
Instruit par sa sœur, Marie de Hongrie, qui en 1330 succéda
à Marguerite d'Autriche, dans les fonctions de gouvernante
générale des Pays-Bas, des hésitations de Corneille de Berghes
et désireux de prévenir toute surprise fâcheuse de la part de
ses bons voisins, les Liégeois, Charles-Quint songea donc à
désigner un nouveau coadjuteur à Érard de la Marck. Vers
l'année 1535, il fit part de ses desseins à sa sœur et, de l'Espagne
où il résidait à cette époque, lui adressa de nombreuses mis-
sives au sujet de l'évêché de Liège.
La situation troublée de la principauté et les dispositions
hostiles d'une notable partie des habitants, commandaient à
Marie de Hongrie d'user de grands ménagements dans l'accom-
plissement de sa tâche 2. L'habile gouvernante craignait que le
1 Dans son recueil héraldique, Loyens prétend (p. 263) que Corneille de
Berghes aurait résolu de se marier, parce que son frère aîné, Maximi lien, n'avait
pas d'enfant. Nous n'avons trouvé nulle part une preuve de cette assertion.
* Voir la Correspondance inédite de Marie de Hongrie aux Archives du
royaume, registre n° 67, p. 42. Lettre a Charles-Quint du 16 avril 1535 se
terminant par ces mots : t et jusque lors sera besoin g de différer le fait de la
coadjutorye • ; dans celte lettre, la gouvernante fait allusion à ses différends
avec l'évéque de Liège au sujet de leur juridiction en Brabant.
Sur l'insistance de Charles-Quint, dans celle question de la coadjutorerie
( 83 )
chapitre de S^Lambert ne s'insurgeât contre cette nouvelle
prétention de l'empereur d'adjoindre un second coadjuteur à
Erard de la Marck, et ses craintes étaient d'autant plus vives
qu'elle pressentait que le chapitre serait cette fois encouragé
dans sa résistance par l'évéque lui-même. Erard paraissait favo-
riser en ce moment un de ses cousins, Guillaume de la
Marck ^. Ce petit-fils du Sanglier des Ardennes était chanoine
de la cathédrale et archidiacre de Brabant. La terre de Seraing-
le-Château, qu'il tenait de son père, lui avait valu la titre assez:
bizarre d'archidiacre de Seraing 2. Ambitieux comme tous les
membres de sa famille, Guillaume de la Marck aspirait à la
dignité épiscopale, et montrait à cet égard une ténacité qui con-
trastait singulièrement avec l'étrange indifférence de Corneille
de Berghes.
Ce qui inquiétait surtout Marie de Hongrie, c'était l'attitude
indécise du prince-évêque. Depuis quelques années, les deux
souverains alliés n'entretenaient plus des relations aussi ami-
cales. Des prétentions rivales avaient tout à coup refroidi leur
intimité. Légat du Saint-Siège depuis 1533, Érard voulait
étendre la juridiction spirituelle qu'il exerçait déjà sur une
partie des Pays-Bas et, par ses empiétements continuels sur
l'autorité des magistrats brabançons, indisposait Charles-Quint.
Il ne pouvait s'entendre avec ce dernier quant à l'exercice de
de Liège, voir (registre n» 69, p. 82) sa leilre du 22 octobre 1535 à Marie de
Hongrie où Ton lit ces mois : « bien m'a dit le sire de Granvelle le soin que
eu tenez (de la coadjutorerie) selon que luy ont escript le sire de Molembais
et grand archidiacre d'Arras, mais comme la chose est de l'importance et
conséquence que bien savez, je ne puis délaisser vous encoire prier très
affectueusement de tenir la main que l'on puist achever ladite coadjutorye
selon et comme je lay escript » etc.
1 Voir la leilre du 25 janvier 153* de Marie de Hongrie au duc d'Aerschot à
Barcelone (registre n° 69, p. 166; : « la nouvelle coadjutorerie qui avait été
mise en train par iceluy cardinal pour son cousin de Serreyn nest encore
faite ni passée capitulairement. »
* Voirie chapitre : la Conspiration des la Marck et la mission du conseiller
Boisoi.
(54)
leur souveraineté indivise sur Haestricht *, il se plaignait que
le roi d'Espagne restreignît sa juridiction dans le diocèse de
Valence, et réclamait de fortes sommes d'argent qui lui étaient
dues, disait-il, par l'ancien archevêque.
Mécontent de la lenteur avec laquelle l'empereur faisait droit
à ses réclamations, Érard de la Marck provoquait le gouver-
nement des Pays-Bas par des actes arbitraires. C'est ainsi qu'au
mépris de la souveraineté de Charles-Quint et des droits des
seigneurs justiciers, Ulrich et Guillaume Scheuffaerts, il avait
fait arrêter à Haeren, sur le territoire étranger de Fauqueraont,
un nommé Jean Bourlet et ordonné son exécution à Liège
sous prétexte d'hérésie 2. Servaes Betten avait été appréhendé
à Maestricht et mis à mort pour le même motif, malgré Tinter-
_ *
vention de Marie de Hongrie, qui avait demandé à Erard de
surseoir à la condamnation.
Nous comprenons que Marie de Hongrie hésitât à demander
au prince-évêque d'admettre un second coadjuteur. Elle
différa quelque temps de lui communiquer les instructions
qu'elle recevait de l'empereur 3, espérant que les négociations
qu'elle avait entamées au sujet de la juridiction spirituelle de
l'église de Liège, aboutiraient à une heureuse solution. Ces
négociations échouèrent, et c'est pour ne pas mécontenter son
frère que Marie expédia quand même au cardinal les dépêches
reçues d'Espagne.
1 Voir la lettre du 24 octobre 1535 écrite de Gand par Marie de Hongrie à
Charles-Quini, registre n° 69, p. 90.
* Voir la lettre du 28 août 1555 écrite de Bruxelles par Marie de Hongrie
à Charles-Quint, registre n° 69, p. 75.
* Voir la lettre du 24 octobre 1535 de Marie de Hoogrie : * Javoye différé
l'envoy des lettres que naguures avez escriptes à Mr le cardinal de Liège tou-
chant la coadjutorerie de son évéché de Liège sur espoir quil se trouveroit
quelque bon expédient pour vuyder le différend de la juridiction dont cer-
taines ouvertures toutes raisonnables ont esté (Violes aux députés dudii
S' cardinal. Mais voyant quil ny a apparance selon 1rs termes quil* ont
tenuz es dernières communications je lui ai envoyé vendîtes lettres .... »
Registre u« 69. p. 90.
( W)
Charles-Quint, en effet, attendait impatiemment la nomina-
tion de ce nouveau coadjuteur. Dans une lettre * qui dut
croiser la missive précédente, il annonçait à sa sœur qu'il
accorderait à l'évéque de Liège une pension de 2,000 ducats,
assignée sur des bénéfices espagnols, et la priait instamment
de pourvoir à la succession de Corneille de Berghes, afin,
disait-il, de prévenir les troubles qui éclateraient dans la prin-
cipauté à la mort du cardinal.
Ce qui encourageait Érard dans sa résistance, c'est qu'il
connaissait la détresse financière de Charles-Quint. Marie de
Hongrie avait sollicité de l'opulent prélat un prêt d'argent et
essuyé cette fois un refus catégorique 2. Humiliée de cet échec,
elle n'osait trop insister sur l'élection d'un coadjuteur, parce
qu'elle savait qu'une telle proposition, émanant de l'empereur,
déplairait au clergé liégeois : « demander argent en prest et dire
se qu'il ne plet aux gens se sont points qui ne conviengnent
ensemble » écrivait-elle à Charles-Quint 3.
De son côté, Erard se rabattait rien de ses prétentions. Il
attendait la pension de 2,000 ducats que le roi d'Espagne lui
avait promise, réclamait le paiement d'une dette de 1,300 ducats
et le redressement de torts qu'il prétendait avoir éprouvés dans
son diocèse de Valence. Enfin, il exigeait la reconnaissance de
sa juridiction sur tous les clercs des Pays-Bas, même sur les
simples tonsurés *.
1 Voir la lettre de Charles-Quint à Marie, du 22 octobre 1535 : « et si
ledit cardinal nest content de l'assignation que jay consenti de 2000 ducal s
sur son archevêché de Valence je regardera y si je les lui pourra y assigner sur
tes bénéfices vacans présentement ou lire ceulx que jay resignés sur l'evesché
de Tortose. »
* Voir la lettre du 21 août 1536 de Marie de Hongrie a Charles-Quint
(registre n* 49, p. 88 ▼•) :< Je ne puis rien tirer de ce cardinal de Liège quelque
bonne asseurance que lui sache donner ».
5 Voir dans le registre n* 49 (p. 128 v* et 129) une copie de la minute d'une
instruction écrite de la main de Marie de Hongrie pour le seigneur de la
Thieuloye envoyé vers l'empereur (novembre 1536).
4 Voir l'instruction pour le seigneur de la Thieuloye : c Toutefois pour le
mettre entièrement à son tort (le cardinal de Liège) s'il plaisait à Sa Majesté
(86)
Satisfaire à de telles exigences, c'était ruiner l'autorité judi-
ciaire du souverain des Pays-Bas et les privilèges des seigneurs
haut-justiciers. Marie conseilla donc à son frère de ne pas flaire
de concession humiliante pour sa couronne. Quant au reste,
elle se montra assez accommodante. Connaissant la cupidité de
ce prélat avaricieux et dangereux épicier, comme elle l'appelait,
elle demanda à Charles d'envoyer à Érard la pension promise
et de lui donner également les 1,500 ducats; c'était, écrivait-
elle, une trop petite somme pour qu'on la refusât, d'autant que
par là, on enlevait au cardinal tout motif sérieux de méconten-
tement '.
9
Mais Charles-Quint était irrité de l'arrogance d'Erard de
la Marck. 11 répondit de Gênes * qu'il ne paierait plus de
pension à Erard, avant que ce prélat se fût résolu à accepter un
nouveau coadjuteur, et promit d'examiner plus tard jusqu'à
quel point cette réclamation de 1,500 ducats était fondée.
La lenteur calculée du prince-évêque triompha toutefois de
l'impatience de l'empereur; car l'année suivante, celui-ci se
départit quelque peu de sa rigueur première. Tout en recom-
raenvoier la dépêche de 1000 ducas pour son Deveu je luy depecheroy sur les
abeyes les au lires mille et que pour xv"n9 ducas Sa Majesté la me lise tenir
voiant que c'est pour si peu, ou donise la serge a l'evesque dTlrechl, voiaot
quil doit venir à son profil, les nantit au nom de Sa Majesté, sans ce qu'il
susse qu'ils vinssent de luy, du demeurant luy offrir la raison sy après il ne
le veult faire. Sa Majesté connoistra évidemment son voloir » etc.
1 Voir l'instruction précitée.
1 Voir (registre n° 6S>, p. lia) la lettre de Charles-Quint du 14 novembre
1556 : « touchant monseigneur de Liège sadite Majesté a expressément réservé
la pension de 1000 ducaz et ny faull aultre sinon que ledit seigneur de Liège
accorde ladite coadjulorerie comme Ion luy a expressément escripl et ne se
doit dépêcher ladite pension ny celle qui se doit fournir par delà, synon en
faisant de son cousté. Et venant en Espagne uieclra icelle sadite Majesté
une fin quant au 1500 ducatz qu'il prétend, esqueiz à la vérité il na raison
quelconque. Aussi entendra finalement ce que se pourra faire avec ses officiers
de Valence touchant la juridiction delà. El quant à celle de Liège il faultque
la fin sen face par delà. Car comme quil en soit il emporte dasseurer ladite
coadjulorerie et y a trop grand dangier en la dilasion ».
(87)
mandant à sa sœur de conférer la coadjutorerie de Liège à
Georges d'Egmont, évêque d'Utrecht, il conseilla de payer à
Érard les sommes qu'il réclamait, même celles dont la légi-
timité était contestable. Avant tout, écrivait-il, il fallait pourvoir
à la situation troublée de la principauté *.
Il est vrai que, dans l'intervalle, le sévère cardinal s'était
radouci à l'égard de Charles-Quint. Appelé à la cour de Marie
de Hongrie et consulté sur les affaires politiques les plus
graves, il donna de nouvelles preuves de fidélité à l'empereur.
La gouvernante, qui n'avait osé préjuger l'issue de sa démarche,
tant elle craignait, disait-elle, ce les complexions du person-
nage » 2, obtint les avances qu'elle sollicitait et trouva même
le prince-évêque disposé à recevoir un second coadjuteur. Elle
fit part à son frère des nouvelles marques de sympathie qu'elle
avait reçues du puissant cardinal 3 et lui conseilla, pour se
l'attacher définitivement, de conférer la coadjutorerie de Valence
à son neveu qui allait partir pour l'Espagne *.
Charles-Quint n'eut pas le temps de donner cette dernière
récompense à son vieil allié. Érard mourut trois mois plus
tard, victime d'une indigestion s, et Corneille de Berghes dut
se revêtir de ces insignes fonctions de prince-évêque de Liège
pour lesquelles il se sentait une si faible vocation. Toutefois,
comme nous l'exposerons dans un autre chapitre, son accep-
tation fut conditionnelle : ce fut avec la perspective d'être
1 Voir l'instruction donnée le 17 mars 1557 à Valladolid au sire de Horton,
dao9 la correspondance inédite de Marie de Hongrie aux Archives du royaume,
registre n« 69.
1 Voir (au registre 49, p. 164 v*) la lettre de Marie à Charles-Quint, du 8 jan-
vier 1537 : « J'ay mandé Monseigneur le cardinal de Liège pour massister
de conseil et donner bonne somme de deniers s'il est possible à cestuy grand
besoin g, je verray ce quil en fera, mais je crains la faulle pour autant que
cognoisses assez les complexions du personnage • .
* Voir (registre 49, p. 175) la lettre de Marie de Hongrie à Charles-Quint,
du 26 avril 1537.
* Voir (registre n° 50) la lettre de Marie de Hongrie à Chnrles-Quint, du
13 novembre 1 537.
* Le 16 février 1538 (voir Cbapea ville, p. 333).
(88)
bientôt remplacé qu'il se décida à échanger la vie paisible qu'il
menait à la cour des Pays-Bas contre les soucis et les fatigues
que lui réservait la succession d'Erard de la Marck.
III
Le choix d'un nouveau coadjuteur, futur successeur de
Corneille de Berghes, préoccupa plus que jamais le Gouverne-
ment des Pays-Bas, préoccupation naturelle, puisque plusieurs
candidats briguaient le trône épiscopal de Liège.
Charles -Quint, nous l'avons vu, penchait pour Georges
d'Egmont, l'évêque d'Utrecht * ; Marie de Hongrie inclinait vers
son oncle naturel, Georges d'Autriche, archevêque de Valence,
naguère évêque de Brixen en Tyrol, et vers Eustache de Croy,
évêque d'Àrras 2 ; de son côté, le comte de Nassau recomman-
dait son neveu, Adolphe de Schaumbourg, coadjuteur de
Cologne. Quant à Guillaume de la Marck, il paraissait s'être
désisté et avait accepté du comte de Buren 3, ambassadeur de
Charles-Quint, une pension de 6,000 florins, en dédommage-
ment de sa renonciation au trône de Liège; mais l'avenir
devait montrer combien ses promesses étaient mensongères.
La rivalité de ces concurrents engendrait mille intrigues qui
eussent dérouté un esprit moins pénétrant que celui de Marie
de Hongrie. Cette princesse intelligente se fit informer des
moindres événements qui intéressaient le pays de Liège, et
éclaira son frère en lui marquant les avantages ou les incon-
vénients que présenterait la nomination de chacun des préten-
dants.
Le coadjuteur de Cologne, Adolphe de Schaumbourg, plaisait
au chapitre cathédral; malheureusement, son origine étran-
1 Voir l'instruction précitée de Charles -Quint pour le seigneur de Horion,
du 17 mars 1537.
* Voir le registre u° 69, p. 178: lettre de Charles-Quint à Marie de Hongrie,
du 22 avril! 558.
5 Voir le chapitre suivant.
(89)
gère inquiétait la gouvernante sur l'attitude qu'il observerait à
l'égard des Pays-Bas. Aussi Charles-Quint, à qui les intrigues
des la Marck avaient déjà causé tant de soucis et qui préférait
placer sur le trône épiscopal un seigneur indigène, repoussa
la requête de ce prélat. Pour ménager le comte de Nassau,
un de ses plus fidèles serviteurs, il lui insinua qu'il avait
depuis longtemps disposé de la coadjutorerie de Liège *.
Georges d'Egmont, évéque d'Utrecht, était le candidat de
prédilection de l'empereur, et Marie de Hongrie l'appuya de
tout son crédit. Mais Georges était brouillé avec le chapitre de
Liège, ce qui déroulait les projets de Charles-Quint 2. On ne
pouvait plus songer à faire violence à ce corps si jaloux de ses
privilèges : « il n'y a noble gentilhomme ni ville qui ayt
autorité de choisir evesque et prince, mais appartient au
chapitre seul de la grande église », avait-on dit au chancelier
de la Toison d'or, Philippe Nigri 3, et l'empereur, dont
l'influence à Liège, depuis la mort du cardinal, était quelque
peu chancelante, se serait bien gardé de se brouiller avec le
chapitre de Saint-Lambert. S'inspirant de cette politique
prudente qui lui avait jusqu'alors si bien réussi, et ne voulant
pas encourir le reproche d'abuser de son influence auprès
d'une assemblée vénérable, il renonça à son évéque préféré.
L'évéque d'Arras, Eustache de Croy, était un prélat distingué,
d'autant plus recommandable qu'il appartenait à une famille
illustre, à laquelle l'empereur était sincèrement attaché. Il était
naturel qu'on le proposât * pour le siège de Liège, puisque
1 Voir le registre n° 69, p. 186 : lettre de Charles-Quint à Marie de
Hongrie, du 15 juin 1538.
* Voir le registre n° 50, p. 144 : lettre du 20 mat 1539 de Marie de
Hongrie au comte de Boussu.
* Voir les lettres missives de Marie de Hongrie (1536-1540); lettre de Nigri,
du 10 février 1538.
4 Dans une lettre au comte de Boussu, envoyé vers Charles-Quint, Marie
de Hongrie dit de ce prélat : « je ne ireuve par deçà prélat qui soit suffisam-
ment qualifié de tenir ledict évèclie laquelle sans contredit eût obtenu le feu
evesque d'Arras» s'il eût demeuré en vie ». Lettre du 20 mai 1339, registre
n° 6P, p. 240.
(60)
l'hostilité du chapitre empêchait la nomination de Georges
d'Egmont. Mais Eustache de Croy mourut pendant les négo-
ciations, et c'est alors que la présentation de Georges d'Autriche
s'imposa au Gouvernement des Pays-Bas.
Georges d'Autriche était un fils naturel de l'empereur Maxi-
milien et d'une demoiselle de Meghen. En 1525, il avait obtenu
l'évéché tyrolien de Brixen ', qu'il résigna en 4538 pour
succéder à Erard de la Marck dans l'archevêché de Valence.
Sa parenté avec les Habsbourg lui fournissait ses plus beaux
titres à la protection de Marie de Hongrie. Aussi cette prin-
cesse, qui semblait uniquement préoccupée d'assurer la gran-
deur de sa famille et de consolider la puissance de Charles-
Quint aux Pays-Bas, recommanda chaudement la candidature
de son oncle. Elle ne prévoyait, disait-elle, que deux obstacles
au succès de Georges : sa naissance illégitime et sa faiblesse
physique. Mais une politique adroite et persévérante pouvait
aplanir ces difficultés et faire obtenir du Saint-Siège les
dispenses nécessaires *.
Charles-Quint partageait l'inclination de sa sœur pour l'an-
cien évêque de Brixen, à qui il avait déjà témoigné sa sympa-
thie en lui conférant un des plus beaux sièges apostoliques de
l'Espagne. Mais ses affections personnelles s'effaçaient pour
le moment devant de puissantes considérations politiques.
Depuis longtemps, il se plaignait de l'ambition du haut clergé
néerlandais et travaillait à restreindre ses prérogatives. Aussi
avait-il nettement déclaré à sa sœur qu'il ne souffrirait pas que
l'évêque dTtrecht ou l'évêque d'Arras réunissent sous leur
1 Dans toutes ces lettres de Marie de Ilougrie, les évêques soûl désignés par
le nom de leur diocèse el jamais par leur nom de famille; ainsi Marie de Hongrie
appellera toujours Georges d'Autriche, l'évêque de Brixen, Kuslache de Croy,
l'évêque d'Arras, etc. Pour retrouver le nom de famil'e des prélats auxquels la
gouvernante fait allusion, nous nous sommes servis du catalogue de Boni face
Gams: Séries episcoporum ecclesiœ catholicœ.
* Sans autorisation du souverain pontife, un bâtard ne pouvait entrer dans
le chapitre de Suint-Lambert.
( 61 )
autorité deux diocèses *, et qu'il voulait qu'avant d'accepter le
trône de Liège, l'élu résignât ses autres bénéfices 2.
La résolution de l'empereur se justifiait aussi par des motifs
religieux. Les progrès inquiétants du protestantisme aux Pays-
Bas réclamaient la présence des diocésains au milieu de leurs
ouailles, et empêchaient que le même prélat ne s'occupât sérieu-
sement des intérêts spirituels de deux diocèses éloignés, tels
que Liège et Valence. Erard de la Marck n'avait jamais résidé
dans son archevêché espagnol ; il s'était contenté d'en percevoir
les revenus. 11 avait ainsi joui d'une faveur qui provoquait les
murmures de ses adversaires, et que Charles-Quint ne pouvait
conserver à un de ses successeurs sans justifier les plaintes
des ennemis de l'Eglise.
Charles-Quint n'accueillit donc la candidature de Georges
d'Autriche que lorsqu'il reconnut toute autre présentation
impossible, et à la condition formelle que le nouveau coadju-
teur renonçât à l'archevêché de Valence 3.
En 1539, Marie de Hongrie manda à son frère par le comte
de Boussu 4 que le chapitre de Saint-Lambert accepterait l'ar-
chevêque de Valence, mais qu'il était désirable que ce prélat
étranger reçût au préalable un canonicat dans la cathédrale,
ou la pourpre cardinalice. L'empereur approuva cette combi-
I Voir la lettre de l'empereur écrite de Barcelone le 22 avril 1538 à Marie
de Hongrie (registre 69, p. 178).
II résulte de ces lettres qu'Antoine de Granvelle parvint à l'évêché d'Arras
en 1538, après la mort d'Euslache de Croy; il avait alors 21 ans, puisqu'il
était né le 20 août 1517. Beaucoup d'historiens assignent à tort la date de
1540 à la promotion de Granvelle à l'évêché d'Arras (voir Gams, loc. ci'/., art.
Arras.)
1 Voir la lettre de l'empereur écrite à Barcelone, le 22 avril 1538 (registre
n° 69, p. 178) : « Car je ne veux, disait Charles-Quint, me mester comme quil
soit de pluralité cTéveschés en ung personnalge. »
* Voir la lettre de l'empereur à Marie écrite de Villefranche le 15 juin 1538,
la lettre écrite de Ratisbonne le 20 avril 1541 (registre n#5i, p. 43) et la lettre
(même registre, p. 74) du 6 août 1541.
4 Voir la lettre du 20 mai 1539 adressée au comte de Boussu et citée plus
haut, page 59.
(68)
naison ', et Georges d'Autriche, après que le pape lui eut
conféré les dispenses nécessaires, fut reçu dans le chapitre de
Liège.
L'année suivante, Charles-Quint, qui avait été rappelé de
l'Espagne par les troubles de Gand 2, proposa à Corneille de
Berghes de s'adjoindre l'archevêque de Valence comme coad-
juteur. C'était combler le vœu le plus cher du malheureux
prince. Corneille présenta incontinent Georges d'Autriche à
son chapitre; après une délibération de plusieurs jours, la
coadjutorerie de l'oncle de Charles-Quint fut acceptée par les
chanoines de Saint-Lambert et approuvée par le pape.
Le chapitre cathédral montra cette fois moins d'empresse-
ment qu'en 1532; il comprenait, dit Fisen, combien les procé-
dés de l'empereur restreignaient ses privilèges; s'il cédait,
c'est qu'il savait que les prières de Charles-Quint étaient des
ordres 3.
On eût dit que Charles-Quint éprouverait de continuels
déboires dans ses négociations pour la collation du trône épis-
copal de Liège. Après avoir résigné l'archevêché de Valence,
Georges d'Autriche quitta la péninsule pour se rendre dans son
futur diocèse. A Lyon, il fut arrêté par ordre du roi de France.
François Ier voulait venger la mort de ses députés, César Fré-
gouze et Antoine Rinçon *, que le gouverneur de Milan, obéis-
sant aux instructions de Charles, avait fait tuer, dans l'espoir
1 Voir la lettre de l'empereur du 12 juillet 1339 (registre n° 69, p. 278):
t Et trouve, dit Charles, bon ce que m'escripvez de faire chanoine dudit Liège
Parcbevesque de Valence et après la venue dudit mess ire Corneille auquel
vous remeciez, je vous ferai sur le tout plus résolue responce ».
* Voir Chapeaville, loc. ct'f., pp. 337,538 et F i ses, /oc. cil,, p. 339.
5 Clerus maie illud habuit quo suffragiis liberlatem imminui sentiebat,
principatusque maje&lati olim timendum. Verum Caesaris preces cum intel-
ligent armatas quales polentiorum principum soient esse, consentit nost
paucorum dierum délibéra tionem.
4 Voir la lettre du 28 novembre 1541 dans laquelle Marie instruit son frère
de Par resta lion de Georges d'Autriche et des projets des Français sur le pays
de Liège (registre n°51, p. 95).
(63)
de trouver des documents diplomatiques compromettants pour
la cour de France.
L'emprisonnement d'un archevêque innocent portait grave*
ment atteinte aux droits de l'Eglise; dans les conjonctures
présentes, cet emprisonnement renversait les espérances de
Charles-Quint. Ce prince croyait avoir assuré la tranquillité du
pays de Liège, et voilà que la guerre avec son redoutable rival
recommençait, plus implacable que jamais, menaçant particu-
lièrement les Pays-Bas. Quel danger pour ces provinces, si un
prince-évéque, plus énergique que Corneille de Berghes, ne
repoussait les attaques de la France et ne contenait les dispo-
sitions hostiles d'une notable partie du peuple liégeois!
Charles-Quint comprit qu'il devait aviser au plus tôt à un si
fâcheux contretemps. Instruit par Marie de Hongrie de la situa-
tion véritable du pays de Liège, il demanda au souverain pon-
tife d'intervenir auprès de la cour de France en faveur de
Georges d'Autriche i. Il songea également à présenter au cha-
pitre de Saint-Lambert un nouveau coadjuteur, afin de donner
un successeur capable à Corneille de Berghes, dans le cas où
François Ier refuserait d'élargir son prisonnier.
Renonçant, quoique avec regret, à l'ordinaire d'Utrecht 2, il
conseilla à sa sœur de proposer l'élection du nouvel évéque
d'Arras, Antoine Perrenot, seigneur de Granvelle. Les bril-
lantes qualités de ce jeune prélat et la reconnaissance que
Charles éprouvait pour les éminents services qu'il recevait de
son père, Nicolas Perrenot 3, chancelier des royaumes de Naples
et de Sicile, militaient en faveur du nouveau candidat, le meil-
1 Voir les lettres de l'empereur du 6 août et du 36 septembre 1541 (même
registre, pp. 74 et 78).
* Voir (dans le registre n°51, p. 117) la lettre écrite de Valladolid par
Charles-Quiot à Marie de Hongrie le 13 mai 1542.
* Voir la lettre du 13 mai 1542 citée plus baut : c Vous pouvez bien pemser
que quant il ny aurait aultres causes que les services du père que serois
très-aise que Vevesque d'Arras le fût, etc. »
Voir aussi la lettre de l'empereur du 3 novembre 1542, registre 69, p. 465»
(64)
leur que l'empereur pût présenter pour un siège épiscopal
aussi important que celui de Liège.
Marie de Hongrie se préparait donc à satisfaire aux désirs de
son frère, quand la nouvelle de la délivrance de Georges d'Au-
triche la dispensa de poursuivre ses négociations. Après une
captivité de vingt-deux mois, le coadjuteur obtint sa liberté, an
prix d'une rançon de 25,000 écus ! ; il s'empressa de se rendre
aux Pays-Bas et de prêter serment en présence des députés
du chapitre *.
L'année suivante, Corneille de Berghes résignait une dignité
qu'il avait acceptée sur les instances de Marie de Hongrie et
pour laquelle il ne se sentait pas la moindre vocation. Si la
courte administration de ce prince ternit quelque peu l'éclat
que le règne brillant d'Erard de la Marck avait projeté sur le
trône épiscopal de Saint-Lambert, nous reconnaîtrons que Cor-
neille renonçait à ses aspirations les plus chères en acceptant
la souveraineté du pays de Liège et qu'il manifesta souvent sa
répugnance pour le pouvoir. En lui déniant de grands talents
politiques, l'historien doit lui savoir gré de sa bonne foi et de
son désintéressement.
IV
La coadjutorerie de Robert de Berghes, le dernier prince-
évéque dont la nomination anticipée fût imposée par Charles-
Quint, ne suscita pas de difficultés comparables à celles que
nous avons signalées.
Ce fut en 1S49, lors de l'inauguration de Philippe II dans
nos provinces, que l'empereur songea à donner un coadjuteur
à Georges d'Autriche. Il se concerta à cet effet avec le prince-
évêque, et deux ambassadeurs 3, le comte d'Aremberg, gouver-
■ Voir la lettre de Marie de Hongrie a Charles-Quint, du 7 mai 1543(reg»
no 69, p. 305).
* Voir Chapea ville, toc. cit., p. 349.
* • Voir Chapea ville, loc, cit., p. 362, et dans les Papiers d'État et de FAtt-
( 65 )
neur de la Frise, et le conseiller, Gérard Velwyck, exposèrent
au chapitre de Saint-Lambert que leur souverain désirait pré-
parer la nomination du successeur futur de Georges d'Autriche,
afin d'assurer la tranquillité de ses Etats héréditaires.
Le chapitre ne montra plus la même condescendance que
les années précédentes. Il exigea * la faculté de présenter une
série de candidats en dehors desquels Charles- Quint et l'évéque
ne pourraient choisir un coadjuteur. C'est ainsi qu'Antoine
Perrenot, seigneur de Granvelle et évêque d'Arras, Gérard de
Groesbeck, doyen du chapitre, Hermann de Rennenbourg,
prévôt de Sainte-Croix à Liège, Antoine de Schaumbourg,
prévôt de Saint-Servais à Maestricht, et Robert de Berghes,
protonotaire apostolique, tous chanoines de Saint- Lambert,
furent recommandés par leurs collègues à la faveur impé-
riale.
Bien que des qualités sérieuses distinguassent chacun de ces
candidats, le choix de Charles-Quint ne pouvait être douteux.
Antoine Perrenot aurait dû, en cas de succès, renoncer à son
évéché d'Arras, car jamais l'empereur, qui avait sollicité du
souverain pontife la création de nouveaux diocèses 2, et avait
naguère obligé son oncle, Georges d'Autriche, à résigner le siège
de Valence, n'eût voulu qu'un prélat, si attaché qu'il lui fût,
gouvernât deux églises confinant à ses provinces belgiques. En
outre, Charles-Quint réservait à l'activité de Perrenot une autre
destination. Il avait remarqué les talents supérieurs du jeune
évêque et se promettait d'en faire le conseiller intime de son
fils Philippe. C'est pourquoi Perrenot écrivait plus tard à
Philippe II : ce deux fois j'ai été nommé à l'évêché de Liège et
dience (Archives générales du royaume), liasse 42, la minute de la dépêche
adressée à cette occasion, le 3 juillet 1549, au chapitre de Saint-Lambert par
Charles-Quint, et, dans la liasse 43, une lettre du mois de décembre de la même
année de Marie de Hongrie au chapitre de Liège.
1 Voir Cuapeaville, toc, cit., p. 362.
9 Voir le chapitre intitulé : Histoire des contestations politiques, judiciaires
et religieuses de Charles-Quint avec le pays de Liège.
Tome XLI. 5
{66)
deux fois, j'ai dû renoncer à cette église, uniquement à cause du
besoin qu'on avait de moi ■ ».
Ainsi Granvelle dut laisser à un rival plus heureux ce trône
épiscopal de Liège, dont la splendeur produisait sur son esprit
une sorte d'enchantement. Ambitieux comme beaucoup de
prêtres de son temps, toujours avide de revenus ou de dignités,
le brillant prélat eût été fier de régner dans le palais somptueux
fondé par Érard de la Marck, comme il le prouva par les
démarches 2 qu'il tenta plus tard pour recueillir la succession
de Gérard de Groesbeck.
Le plus sérieux des candidats après Granvelle était, sans con-
tredit, Gérard de Groesbeck. Doyen du chapitre cathédral,il dis-
posait d'une grande influence auprès des chanoines, et se distin-
guait par de rares qualités administratives, qualités qu'il révéla
plus tard, quand il fut investi de l'autorité suprême. Prince-
évêque, il eût rendu de précieux services à Marie de Hongrie. Le
Gouvernement des Pays-Bas ne pouvait faire de meilleur chou,
d'autant plus qu'il se fût par là réconcilié avec les chanoines
de Saint-Lambert, assez froissés de la hauteur avec laquelle
Charles-Quint, au mépris de leurs privilèges, intervenait dans
la politique intérieure de la principauté. Hermann de Rennen-
bourg et Antoine de Schaumbourg avaient moins de chances
de succès. Leurs familles n'étaient pas assez illustres, ni leurs
qualités personnelles assez brillantes pour les recommander au
monarque flamand.
Restait Robert de Berghes. Ce prince n'avait guère été favorisé
de la nature. Il était d'une complexion maladive et, après
quatre années d'administration, souffrit d'une maladie céré-
brale qui l'obligea plus tard à résigner ses fonctions 3. Cette
faiblesse intellectuelle ne ravalait pas ses titres auprès de
* Voir Papiers du cardinal Granvelle, t. V, pp. 657, 664.
1 Voir le chapitre IX : Alliance des gouverneurs généraux des Pays-But
avec la principauté de Liège pendant la révolution du XVI* siècle.
' Voir le chapitre : Avènement de Gérard de Groesbeck au trône épiscopal
de Liège.
(67)
Charles-Quint. Ce prince préférait placer sur le trône épi-
scopal de Liège un évêque médiocre, mais soumis, plutôt
que de nommer un diplomate de génie, tel qu'Érard de la
Marck, dont il aurait peut-être à redouter les intrigues. En
outre, Robert était Belge. Il était cousin de Corneille de Bergfaes
et fils de cet Antoine de Bergfaes ! en faveur de qui la seigneu-
rie de Berg-op-Zoom avait été érigée en marquisat. Charles-
Quint se disait que le nouveau prélat lui saurait gré des hon-
neurs qu'il avait prodigués à sa famille, et c'est dans ce calcul
de l'empereur que nous devons chercher la raison pour laquelle
Robert de Berghes,le moins capable des candidats capitulaires,
devint le coadjuteur de Georges d'Autriche.
Charles-Quint avait donc tiré un merveilleux parti de l'in-
fluence que son titre de chef du saint-empire et son amitié avec
la curie romaine lui ménageaient auprès du chapitre cathédral
de Liège. En imposant un coadjuteur à l'évêque régnant, il
réservait la succession de la principauté à un partisan de sa
famille et prévenait les intrigues de l'étranger. Chaque fois, il
était sûr que le nouveau prince-évêque observerait le traité
de 1518, ce qui lui garantissait la tranquillité des Pays-Bas et
lui permettait de poursuivre ses desseins dans ses autres
domaines. Allié du souverain liégeois, il pouvait résister vic-
torieusement aux Français et aux Gueldrois, et déjouer les
conspirations que ses ennemis ourdiraient dans la vallée de la
Meuse ou dans les Pays-Bas. Tels sont les avantages que Charles-
Quint retira de sa politique adroite et persévérante à l'égard du
chapitre cathédral de Liège, politique qui fut heureusement
comprise par les gouvernantes générales, Marguerite d'Autriche
et Marie de Hongrie.
1 Voir De Vegianu, Nobiliaire des Pays-Bas et du comté de Bourgogne.
(68)
CHAPITRE V.
Marie de Hongrie et le prince-évéque Corneille de Berghe*.
I
Érard de la Marck tomba malade le 15 janvier 1538. Un repas
trop copieux lui causa une indigestion qui dégénéra en une
fièvre dangereuse. On apprit bientôt qu'il était à toute extré-
mité.
On aurait cru qu'à cette nouvelle Corneille de Berghes,
seigneur de Sevenberghe, allait partir pour Liège, se prévaloir
de son titre de coadjuteur et s'aplanir ainsi le chemin du
trône. Il n'en fut rien. Corneille se trouvait bien à l'abbaye de
la Cambre et ne se souciait guère de se rendre dans une ville
qu'il savait livrée aux dissensions.
La discorde en effet régnait à Liège, même au sein du cha-
pitre. Le neveu et le cousin d'Érard, Philippe et Guillaume de
la Marck *, chanoines delà cathédrale et archidiacres, mettaient
tout en œuvre pour écarter le coadjuteur de Charles-Quint et
recueillir une part delà succession politique d'Erard. Guillaume
ou, comme on l'appelait le plus souvent, le seigneur de Seraing,
était le plus ambitieux et aussi le plus dangereux. 11 ne briguait
rien moins que l'épiscopat 2 et comptait sur les partisans de sa
famille, sur les ennemis de la maison d'Autriche, et surtout
sur les secours de la France.
1 Voir au chapitre suivant notre tableau généalogique des la Marck.
1 Voir le chapitre suivant : La conspiration des la Marck et ta mission du
conseiller BoisoU
(69)
Ces symptômes fâcheux n'échappèrent pas à Marie de Hon-
grie. Comme elle craignait qu'une révolution ne lui fît perdre
Palliance liégeoise, si précieuse aux Pays-Bas, elle députa à
Liège deux de ses diplomates les plus habiles : Florent d'Fg-
mont, comte de Buren, beau-frère de Corneille de Berghes, et
le chancelier de Tordre de la Toison d'or, Philippe Nigri. Ce
choix était des plus heureux. Le comte de Buren était intéressé
à assurer à son parent le trône de Liège, et Philippe Nigri,
chanoine de la cathédrale, pouvait par son crédit au chapitre
balancer la puissance des la Marck.
Les deux ambassadeurs reçurent de minutieuses instruc-
tions *. Ils devaient s'entendre avec les chanoines et les éche-
vins les plus influents; les amener à reconnaître Corneille de
Berghes ; désintéresser, si c'était nécessaire, les rivaux de ce
prince ; promettre même une pension de 4,000 à 6,000 florins à
Guillaume de la Marck, seigneur de Seraing; s'attacher surtout
les chanoines natifs des Pays-Bas; surveiller les intrigues des
Français, « voir si quelque practique du costé des Franchois ne
se maisne pour avoir ungevesque à leur appétit et lempescher
par tous les moyens qui seront possibles » ; si les Liégeois
exigeaient la nomination de Guillaume de la Marck et qu'on la
reconnût indispensable, « adviser de gagner ledit Seraing lui
donnant espoir de lui faire avoir encoires quelque autre bonne
provision de lempereur et linduire à l'observation de la capi-
tulation faite par lempereur et la royne avec ledit seigneur
cardinal ».
Nettes et précises, ces instructions donnaient toute latitude
aux députés flamands. Ceux-ci prirent aussitôt le chemin de la
principauté, s'arrêtant à ïirlemont, à Saint-Trond, et mandant
journellement à la gouvernante les nouvelles qu'ils recevaient
de Liège.
Leur tâche était difficile. Us avaient à lutter contre un parti
puissant, le parti des la Marck, qui se recrutait parmi tous les
1 Archives du royaume : Correspondance de Marie de Hongrie, régis tre-
n° 09, pp. 174 el suiv.
(70)
mécontents, et ils rencontraient partout la plus grande défiance.
Les bourgeois faisaient le guet jour et nuit, à telles enseignes
que Nigri écrivait de Saint-Trond * : « il y a gros guet de jour
et de nuit en ceste ville aux portes et murailles et ai oui dung
bon gentilhomme que si eussions été plus de XV chevaus Ton
ne nous eut laissé entrer ». Un seul membre de la famille des
la Marck s'intéressait au succès des négociateurs bruxellois,
c'était le grand maïeur de la Cité, Robert de la Marck d'Arem-
berg. Sa haute position le mettait à même de démêler les
intrigues de ses parents ; il en profita pour offrir immédiate-
ment ses bons offices au comte de Buren et à Nigri. Mais il
rencontra des difficultés imprévues. Il fut entouré de ses pro-
ches qui tentaient de l'entraîner dans leur parti. Il lui arriva
même quelquefois de ne pouvoir écrire au comte de Buren,
tant il craignait que ses lettres ne fussent interceptées 2 !
Le 12 février, de Buren et Nigri causèrent avec le cardinal et
apprirent des secrets qu'ils se réservèrent de révéler eux-mêmes
à la gouvernante. Le malade, pensaient-ils, pouvait encore
vivre sept ou huit jours. Les nouvelles du grand maïeur étaient
plus rassurantes : ce la commune est bonne pour ledit Seven-
berghe, combien que pour aucunes bourdes parcidevant elle
ait été d'autre opinion 3 ».
Les deux députés ne se trompèrent guère dans leurs conjec-
tures; le cardinal mourut le 16 février. Buren en avisa aussitôt
la gouvernante 4, et lui apprit qu'il avait promis au seigneur de
Seraing une pension de 6,000 florins. Il consacra les jours sui-
vants avec son collègue à préparer les esprits à la réception de
Corneille de Berghes, et à force d'adresse et d'énergie, ils y
réussirent. Guillaume de la Marck souleva encore des diffi-
1 Correspondance de Marie de Hongrie, registre 128, lettre de Nigri, du
10 février 1538.
1 Même lettre.
* Registre 128 : lettre collective de Bureo et de Nigri à la reine, du
12 février.
* Même registre, lettre de Buren, du 16 février.
(71)
cultes ; il exigeait que sa pension fût assignée sur les revenus
de l'évéché et tâcha même de nouer de nouvelles intrigues;
mais, en fin de compte, les choses prirent une heureuse tour-
nure, grâce à l'entente du clergé et de la noblesse et aux pré-
cautions prises dans la cité. « Les affaires, écrivait Nigri, jusques
ores se sont conduit icy assez gracieusement, non que les adver-
saires naient fait leur extrême debvoir de les troubler et à ce
se sont employé jour et nuict de toute leur puissance, mais par
l'union qui sest trouvée au chapitre avec les nobles et le bon
guet qui s'est fait continuellement en ceste cité *. »
II
Pendant que les ambassadeurs flamands et le grand maïeur
de la cité préparaient les habitants à recevoir leur nouveau
prince, la gouvernante des Pays-Bas ne restait pas inactive.
Elle força ]e coadjuteur d'accepter le trône de Liège par un
acte authentique, et cet acte fut aussitôt expédié au chapitre et
aux échevins 2. On apprit ainsi que le siège épiscopal ne serait
pas vacant, et cette nouvelle rassura les bons patriotes.
Mais Corneille de Berghes ne voulait pas devenir évéque. La
preuve, c'est qu'il n'avait pas encore reçu le sacerdoce, bien qu'il
fût depuis longtemps le successeur désigné d'Érard de la Marck.
Il ne quitta Bruxelles que sur les instances de Marie de Hongrie
et se rendit à Liège par le plus long. Il s'arrêta longtemps au
château de Curange, près de Hasselt, et là ses incertitudes
recommencèrent. Il s'écriait qu'on le nommait évéque contre
son gré; il parlait d'abdiquer; il voulait s'en aller à tout prix.
Le comte de Buren se rendit aussitôt à Curange pour lui faire
entendre raison 3.
1 Registre 128, lettre de Nigri à Marie de Hongrie, du 28 février.
* Même registre, lettre de Marie de Hongrie à Buren, du 15 février.
* Registre 69, pp. 123 et stiiv. Relation de Buren à Marie de Hongrie
sur son voyage à Curange.
(72)
La scène qui se passa à Curange entre le coad juteux et \e&
députés de Marie de Hongrie est mêlée d'incidents tellement
comiques qu'ils paraissent invraisemblables. Le comte de Buren
avait amené avec lui sa femme, son fils, le seigneur d'Issel-
stein, sa belle-fille, le comte et la comtesse de Hornes. Ce
conseil de famille devait relever le moral du pauvre prélat
et lui faire accepter le trône épiscopal. Mais Corneille de
Berghes paraissait inflexible. Il prolestait contre la violence
dont il était l'objet, voulait résigner sa dignité, et à n'im-
porte qui; tantôt au fils du marquis de Berghes, au jeune
Robert, ou au fils du seigneur de Nevele, son neveu, deux
princes à peine âgés de dix ans ; tantôt au seigneur de Bar-
bançon *, un autre de ses neveux. Les deux premiers étaient
trop jeunes ; le troisième ne convenait guère pour une chaire
apostolique. Il ne pourrait vivre chastement, disait son parent,
Philippe de Lannoy, comte de Molembais, ni recevoir le sacer-
doce dans le délai d'un an ! Jamais, d'ailleurs, le chapitre n'eût
accepté un de ces prétendants. Il paraissait plutôt incliner
en ce moment vers le comte de Schaumbourg, coadjuteur de
Cologne et prévôt de l'église de Liège.
Les hésitations de Corneille de Berghes eussent découragé
une princesse moins persévérante que Marie de Hongrie.
Comme elle négociait alors la nomination d'un nouveau coad-
juteur, futur successeur de Corneille, et que cette nomination
dépendait de l'installation immédiate du titulaire; comme,
d'autre part, elle ignorait les intentions de l'empereur, la
gouvernante des Pays-Bas tenta d'énergiques efforts pour déter-
miner l'évêque de Liège à se rendre dans sa capitale.
Sur son ordre, Philippe de Lannoy et Nigri partirent pour
Curange afin de seconder le comte de Buren. Ils représentèrent
au prélat qu'il avait promis à la gouvernante de rester en fonc-
tion, au moins pendant un an ; que son départ plongerait la
1 Sur la parenté de Corneille de Berghes avec les Montmorency, les
de Lannoy, les Rarbançon, voir les travaux généalogiques de De Vegiano et
de Goetbals.
(73 )
principauté dans des embarras inextricables; qu'il devait garder
son poste pendant trois ou quatre mois, jusqu'à ce que Marie
de Hongrie eût reçu une réponse de l'empereur.
Les deux ambassadeurs ne purent rien obtenir. Corneille
de Berghes monlrait une obstination qui tournait à la démence.
Il s'enfermait dans sa chambre pendant des jours entiers,
refusait le boire et le manger, préférant, disait le comte de
Buren, recevoir un coup de couteau plutôt que de rester
évêque !
. De Buren était à bout d'expédients. La ruse ayant échoué,
il préconisait les moyens rigoureux pour forcer la main au
prélat récalcitrant et éviter une vacance du trône, la pire des
situations, tant le chapitre était alors peu disposé à élire un
évéque du parti de l'empereur! La reine devait donc con-
traindre le prince « par lettres ou aultrement, selon l'Évangile:
cotnpelle intrare », écrivait notre diplomate avec une pointe
de malice.
Tout à coup, Corneille de Berghes, qui se sentait mieux, fit
mine d'accepter ses fonctions et de se rendre à Liège.
Marie de Hongrie voulut en avoir le cœur net. Elle renvoya
à Curange le chancelier de l'ordre accompagné du bailli de
Brabant pour marquer au prince la satisfaction qu'elle éprou-
vait de ses bonnes dispositions et lui mander qu'elle se con-
tenterait d'un an de gouvernement.
Les députés flamands furent reçus par le comte de Buren.
Celui-ci, qui craignait toujours les lubies de Corneille de
Berghes, leur recommanda de ne rien dire de leurs instruc-
tions, de simplement féliciter le prélat de la part de la reine;
autrement, ce bizarre personnage serait peut-être assez fou pour
refuser d'accepter le pouvoir!
Précautions inutiles : les deux diplomates retournèrent à
Bruxelles sans avoir obtenu une heure d'audience *.
Enfin, après des tergiversations qui inquiétèrent singulière-
1 Sur tous ces événements, voir la relation précitée du comte de Buren à
Marie de Hongrie.
(74)
ment Marie de Hongrie, Corneille de Berghes se décida à se
rendre à Liège, et promit de convoquer aussitôt les états pour
prendre les mesures que réclamait la défense du pays. Toute-
fois, le comte de Buren n'était pas rassuré ; il craignait que le
prince ne retombât dans son irrésolution première et appre-
nait que le coadjuteur de Cologne recrutait des partisans, comp-
tant sans doute sur la prochaine abdication de Corneille. Il
parlait même de surveiller le nouvel évéque de près et de le faire
garder dans un château, si c'était nécessaire.
De Buren rendit compte de sa mission à Marie de Hongrie *•
Le 16 juin, il assista à l'inauguration du prince avec Philippe
Nigri, les seigneurs de Molembais et de Berghes, les comtes
de Homes, de Rochefort et d'Aremberg.
Dans l'entretemps, Charles-Quint avait été informé des inci-
dents qui avaient marqué l'avènement de Corneille de Berghes.
Il répondit à la gouvernante que si ce prince était aussi dange-
reux qu'on le représentait, il devait résigner ses fonctions à
l'évêque d'Utrecht ou à l'évêque d'Arras *.
L'inauguration du nouveau souverain liégeois donna donc
lieu à des difficultés sérieuses, difficultés qui provenaient autant
du caractère fantasque de Corneille de Berghes que des intri-
gues des la Marck3. Charles-Quint avait cru s'assurer la fidélité
des Liégeois en leur imposant un souverain né aux Pays-Bas
et façonné de longue main à sa politique. Mais il s'était mépris
sur le caractère de Corneille de Berghes, et cette méprise faillit
lui coûter cher.
Heureusement, Marie de Hongrie, par une adresse diploma-
tique que nous ne saurions trop admirer, triompha des scru-
pules ou des répugnances du prélat. Elle le maintint même à
son poste pendant six années, années qui durent paraître bien
longues au malheureux prince, et, quand celui-ci abdiqua, le
1 Voir la relation précitée.
• Correspondance de Marie de Hongrie, registre 69, p. 178.
* M. le chanoine Daris (toc. cit., p. 133) a donc lorl d'écrire : « La mort
d'Érard ne donna lieu à aucun désordre, ni à aucune discorde. •
f 78 )'
trône de Liège était acquis à un souverain plus énergique et
tout aussi sûr, à Georges d'Autriche, l'oncle de l'empereur. Ces
négociations furent conduites avec tant d'adresse et de mystère
qu'elles ont échappé à tous les chroniqueurs du XVI* siècle,
et si les archives de Y Audience ne nous avaient pas révélé
leurs secrets, nous serions encore à cent lieues de les soup-
çonner *.
III
Les révélations du comte de Buren avaient convaincu la
gouvernante que l'habileté d'Érard de la Marck n'avait pas
dissipé toutes les préventions des Liégeois contre les Pays-Bas.
D'un autre côté, les partisans du seigneur de Seraing ne par-
donnaient pas à Corneille de Berghes son élévation à l'épicopat,
et de graves difficultés commerciales aigrissaient une partie de
la population liégeoise contre Charles-Quint.
C'est pourquoi Marie de Hongrie songea à faire reviser à son
profit le texte du pacte de 1518. Les états liégeois s'étant réunis
le 18 juin, deux jours après l'inauguration de leur prince,
Philippe de Lannoy et Philippe Nigri proposèrent de convertir
l'alliance de 1518 en une alliance perpétuelle. Les mêmes états
devaient promettre de ne traiter avec aucun monarque étranger
sans le consentement de leur allié, le souverain des Pays-Bas,
et de ne délivrer les forteresses à un nouvel évoque que lorsque
celui-ci aurait juré d'observer le traité de Saint-Trond.
Les états et le prince répondirent qu'ils étaient prêts à con-
firmer l'ancienne alliance, mais refusèrent d'en modifier les
clauses et représentèrent qu'ils avaient toujours respecté ladite
alliance, tandis qu'ils ne pouvaient accorder les mêmes
1 Les documents que nous avons utilisés pour ce chapitre sont contenus
daus les registres 69 et 128 de la Correspondance inédite de Mnrie de
Hongrie aux Archives du royaume. Le premier de ces registres ne renferme
que des copies d'originaux qui se trouvent aux Archives de Vienne. Ces copies
ont été faites en 1882 a la demande du Gouvernement belge.
(76)
louanges à leurs alliés. Ils se plaignaient particulièrement des
arrestations arbitraires dont leurs nationaux étaient souvent
les victimes, de rétablissement de nouveaux tonlieux à Xamur,
à Beaumont et à Bouvignes, et réclamaient, dans le plus bref
délai, le redressement de pareils abus. Tel fut le résultat de
cette journée des états de 1538 dont Louvrex nous a conservé le
procès-verbal. Ce procès-verbal * répand une lumière nouvelle
sur la politique de Charles-Quint à l'égard du pays de Liège.
Avec la ténacité qui le caractérise, l'empereur ou sa mandataire,
Marie de Hongrie, veut exposer au grand jour de la publicité
ce qu'il a dû garder jusque-là dans ses cartons. Les nouvelles
propositions du Gouvernement des Pays-Bas rappellent, en
effet, la convention de Bruges du 20 août 1521. Pour des
raisons exposées plus haut, cette convention n'avait pas reçu
d'exécution. Dix-sept ans plus tard, Charles-Quint revenait
à la charge, se disant qu'une nation impressionnable accorde
aujourd'hui ce qu'elle refusait hier, et que la première condi-
tion de réussir en diplomatie c'est de persévérer.
Si les états liégeois subordonnaient en quelque sorte la rati-
fication de l'alliance de 1518 au redressement de leurs griefs,
c'est qu'ils se défiaient encore de Charles-Quint. Ce ne fut
qu'en 1548 2, sous le règne de Georges d'Autriche, que furent
aplanies les difficultés relatives aux territoires contestés et aux
tarifs douaniers. Mais ce moment, si impatiemment attendu,
fut précédé de plusieurs événements dramatiques qui faillirent
perdre la principauté de Liège et la brouiller avec le souverain
des Pays-Bas.
1 Voir Louvrex, Recueil des édils, 1" partie, p. 195. Louvrex a publié la
proposition faite aux Liégeois par les députés de Marie de Hongrie avec la
réponse des états.
1 Voir notre chapitre : Histoire des contestatioixs politiques, judiciaires et
religieuses de Charles-Quint avec le pays de Liège.
(TM
IV
Corneille de Berghes était à peine monté sur le trône épiscopal
de Liège qu'une nouvelle révolte éclata dans le duché de Gueldre.
Guillaume, duc de Juliers et de Clèves, avait été, à la mort de
Charles d'Egmont, reconnu souverain de la Gueldre par les
états. Il prit aussitôt possession de son nouveau domaine et
rompit ainsi avec Charles-Quint, qui, en sa qualité de suzerain,
prétendait incorporer le duché dans les Pays-Bas. Voulant se
ménager une protection efficace, Guillaume de Clèves offrit son
alliance à François Ier et demanda la main d'une princesse de
sa famille. Il fut fiancé à la nièce du roi, à Jeanne de Navarre,
fille de la célèbre Marguerite et l'une des plus riches héritières
de France.
Déjà Corneille de Berghes avait dû ordonner l'exécution de
plusieurs Liégeois, partisans de la Gueldre et traîtres à leur
patrie. A' la nouvelle de la défection du duc de Clèves, il s'en-
toura de précautions extraordinaires pour protéger la capitale.
Il établit des corps de garde dans les différents quartiers,
défendit sous peine d'un exil perpétuel de prendre du service
chez les ennemis de Charles -Quint, menaça de mort tout
soldat rebelle, fit surveiller rigoureusement les étrangers et
les individus suspects *. Il se rendit même à Bruges afin
d'avertir la gouvernante et réclama des secours pour le cas
oh des troubles éclateraient dans ses Etats 2.
Ces dispositions étaient nécessaires, car dès le commence-
ment de l'année 1542, François Ier préludait à une nouvelle
guerre contre Charles-Quint par des actes de brigandage sur
la frontière des Pays-Bas. Devenu l'allié du roi de France, Guil-
laume de Clèves circonvint habilement les Liégeois. Il sollicita
pour son épouse l'autorisation de traverser la principauté et
leur demanda de rester neutres, ne fût-ce que pendant trois
1 Chapeayille, p. 341,
1 Fisen, p. 339.
(78)
mois. Ses députés essayèrent de rassurer le chapitre sur les
intentions des Clévois et des Français : le seigneur de Lon-
gue val, l'ambassadeur de France, avait lui-même déclaré au
duc que son souverain respecterait le territoire des Liégeois,
si ceux-ci, de leur côté, gardaient la neutralité. Ils invitaient
donc les chanoines à s'entendre avec Longueval {.
Indécis et inquiets, le chapitre et le prince-évêque consultè-
rent Marie de Hongrie. La gouvernante répondit 2 qu'en
embrassant la neutralité, les Liégeois violeraient le traité de
1518, mais elle permit de donner à la duchesse de Clèves un
sauf-conduit pour traverser la principauté. L'empereur, ajou-
tait-elle, s'était imposé de grands sacrifices pour défendre ses
alliés et principalement les Liégeois; l'équité commandait que
ceux-ci participassent aux frais de la guerre commune. Ils
devaient se défier des belles paroles du roi de France et lui
répliquer qu'ils ne pouvaient dénoncer le traité deSaind-Trond.
La conduite de François Ier justifia les soupçons de la gouver-
nante, car, quelque temps après cet échange de notes diplo-
matiques, les Français attaquèrent brusquement le Luxem-
bourg 3. Les Liégeois étaient plus que jamais autorisés à
décliner toute proposition de neutralité; en gens avisés, ils
démêlèrent les intentions de leurs prétendus amis et se rappro-
1 Dans le carton n° I des Documents relatifs au pays de Liège se trouve
une pièce intitulée : « Ce que les Réputés de Clèves ont exposé pour leur
crédence au chapitre de Liège. » Celte pièce n'est pas datée, mais elle doit
avoir été expédiée dans le courant du mois de juin de 1542, car elle porte en
marge « le double en a esté envoyé à l'empereur le dernier de juio 1342 >;
et elle doit être antérieure au 24 du même mois, puisque c'est ce jour-là que
le chapitre députa Guillaume de Poitiers vers la gouvernante pour connaître
sa décision.
* La réponse de Marie de Hongrie, datée du 27 juin, se trouve dans le
carton n° 1.
* Carton n° I, passini, et Lettres de Marie de Hongrie à divers (vol, 1,
p. 144), dépêche de Corneille de Berghes à Marie de Hongrie, du 22 juin 1542.
Tous les documents relatifs à la neutralité liégeoise, en 1542 et en 1543,
se trouvent dans le carton n* I.
(79)
chèrent de Marie de Hongrie. Les ambassadeurs belges, Lannoy
et Nigri, trouvèrent même le prince-évêque disposé à recevoir
les soldats impériaux. Aussi demandèrent-ils qu'on envoyât
des hommes d'armes pour fermer la principauté aux Gueldrois
et secourir les Liégeois *.
Deux jours plus tard, les trois états répondirent à de Lannoy
et à Nigri qu'ils s'en tenaient au traité de 1518 2, mais ne
jugeaient pas opportun d'attaquer les Gueldrois ou les Clévois,
dont ils n'avaient appris aucun acte hostile, à moins que la
reine de Hongrie ne les déclarât ennemis publics. Ils remer-
ciaient cette princesse de ses offres de secours, secours qu'ils
réclameraient en cas de besoin, et demandaient seulement
qu'on envoyât à Haestricht 300 ou 400 chevaux, et quatre ou
cinq enseignes de piétons à Limbourg et dans les Etats voisins,
afin de les mettre en mesure de repousser les envahisseurs.
Les Liégeois, remarquons-le, n'avaient pas rejeté formelle-
ment les offres de neutralité du duc de Clèves. Ils s'excusèrent
de leur timidité auprès de Marie de Hongrie. L'archidiacre de
Hainaut, Gilles de la Blocquerie, le sire de Chockier, Guillaume
de Champion, échevin de Liège, représentèrent que leur circon-
spection avait été dictée par la crainte de voir leur pays envahi,
et que la gouvernante ferait bien de consulter Charles-Quint sur
la neutralité offerte par le roi de France 3. Quant au reste, ils
1 Rapport de Philippe de Lannoy et de Philippe Nigri, du 15 juillet 1543
(voir canon I, cité plus haut). L'évêque leur avait répondu c qu'il tenait que
le pays dudit Liège ne se voulloit départir de l'alliance estant entre lempe-
reur et ledit pays. »
* Voir dans le carton n° I la pièce intitulée : Sommaire de la réponse que
les états de Liège ont donnée à M. de Molembais (Philippe de Lannoy), et
chancelier de l'ordre sur leur intention, 17 juillet 1542.
* La reine devra avertir l'empereur c de la neutralité que de par le roy de
France a esté présentée audit pays avec asseurance entretenir bonne paix,
amitié et voisinance avec icelluy pays, comme avec les autres subjects au
Saint Empire en cas d'acceptation dicelle neutralité et des meuaces de guerre
et hostilité faire au contraire ». Voir, dans le carton n° I, l'instruction de
par les états de Liège pour l'archidiacre de Hainaut, etc., ce xv août 154t.
(80)
respecteraient l'alliance de 1518 et attendraient que l'empe-
reur répondît s'il désirait loger ses soldats dans les forteresses
liégeoises.
Marie de Hongrie répliqua que, dès les premiers troubles,
elle avait offert aux Liégeois de les secourir et leur avait con-
seillé de ne pas embrasser la neutralité, vu que cette neutralité
serait contraire à l'alliance de 1518, qu'ils ne devaient pas
encore licencier leurs troupes, mais lui déclarer s'ils ouvri-
raient leurs forteresses aux troupes de l'empereur *.
La reine de Hongrie s'intéressait tout particulièrement à ces
fameuses forteresses, car elle connaissait les intentions de son
frère, et elle y tait encore allusion dans une missive ultérieure*.
Il est vrai que les attaques réitérées du duc de Clèves et de6
Français menaçaient alors sérieusement le territoire liégeois.
Peu de temps auparavant, la princesse belge avait averti le
prince-évéque qu'à Sittard et dans d'autres localités du duché
de Juliers, il se formait une armée destinée à surprendre
Maestricht, et elle offrait de doubler la garnison de cette ville,
si les Liégeois lui prêtaient leur concours 3.
En prémunissant ses alliés contre les avances de Guillaume
de Clèves, Marie de Hongrie se conformait aux instructions de
son frère, car, dans une lettre datée du 3 novembre 1542 *,
Charles-Quint recommandait énergiquement à la gouvernante
d'empêcher les Liégeois de conclure avec le duc de Clèves un
traité qui consacrerait leur neutralité.
Au commencement de l'année suivante, le chapitre cathedra!
1 Voir, dans le carton n° f , la réponse de la reine aux états, du 19 août 1541
* Voir, dans le carton n° I, la lettre de Marie à Corneille de Berghes, do
0 septembre 1542.
8 Chapka ville, loc. cit., p. 346.
4 Voir la lettre de Charles-Quint a Marie de Hongrie (Registre n« 69,
p. 465). « Fauldra faire en iendroil desdils de Liège le mieulx qu'on pourra
et les entretenir par tous les meilleurs moyens qu'on pourra ad viser et empê-
cher quils nentrent plus avant en neutralité ny avec le duc de Clèves ny
avec aultres en les asseurant de la bonne volonté et affection que je leur
porte. •
(84 )
apprit de Marie de Hongrie les machinations du duc *. Ce
prince eût désiré franchir la Meuse et réunir ses troupes à
celle des Français. Il songeait à s'emparer, soit de Visé, soit de
Maestricht ou de Maeseyck, et comptait sur les intelligences
qu'il avait dans ces villes, particulièrement à Maeseyck.
Corneille de Berghes prit les mesures de défense nécessaires
et, d'accord avec les trente-deux métiers, défendit d'incriminer
les traités conclus avec Charles-Quint 2. Amoureux du repos,
ce prince eût désiré à la fois conserver l'amitié de la gou-
vernante et se ménager la bienveillance du duc de Clèves 3.
Ce dernier lui avait demandé une entrevue. Elle fut fixée à
Maeseyck. Les Gueldrois, qui ne se sentaient pas en sûreté dans
cette ville, invitèrent les Liégeois à fixer un autre rendez-vous.
Mais Marie de Hongrie avait été avertie de ces pourparlers
inquiétants. Elle demanda des explications au prince-évêque.
Corneille se justifia en répondant qu'il devait veiller à la
conservation de son territoire, et que, pour ce motif, il avait
trouvé utile, ainsi que son chapitre, de s'entendre avec
son voisin, le prince gueldrois. Quant au reste, il se conforme-
rait au traité d'alliance qui l'unissait aux Pays-Bas 4.
Cette missive, dont la fermeté nous étonne quelque peu de la
part de Corneille de Berghes, ne plut guère à Marie de Hongrie.
Le 5 mai 1843 $, cette princesse blâma sévèrement les Liégeois
d'avoir entamé des négociations avec le duc de Clèves et les
engagea à respecter mieux dorénavant le traité de 1518 : elle
1 Voir Cuapeaville, p. 347.
* Voir Chapsavillb, p. 347. Praesul velal ne quis contra fœdera intcr
Cosaream majeslalem, Praesulem et slalus patriae inita loquatur...
8 Voir Fisen, loc. cit., p. 342. L'expression de cet historien dépeint très bicir
Corneille ; « Nec enim a Csesaris voluntate Cornelio discedere placebat et
tamen sui copiant Juliae duci promiserat. »
4 Voir Ja lettre du prince-évêque, lettre datée du 23 avril 1343, dans les
Papiers dÉlal et de l'Audience, liasse 13. Nous la reproduisons dans nos
pièces justificatives, d* IV.
5 Voir Papiers d'État et de V Audience, liasse 13, Ie. Voir nos pièces
justificatives, n° V.
Tome XLI. 6
(82)
ne voulait pas, disait-elle, s'expliquer sur les preuves qu'elle
avait recueillies des intelligences que les Clévois entretenaient
avec les Liégeois; il lui suffisait d'en avertir ses alliés.
Quelque temps plus tard, Marie de Hongrie envoyait à Liège
son conseiller et maître d'hôtel, Jean de Noirthout, pour rap-
peler au prince, au chapitre et aux états, le traité de 1518. Les
Liégeois, marquait la gouvernante, devaient empêcher la jonc-
tion des Français et des Clévois, jonction qui était imminente;
repousser toute proposition de neutralité faite par les adver-
saires de l'empereur, neutralité qui serait une violation de
l'alliance de 1518; pourvoir les forteresses de soldats et de
munitions; requérir les hommes valides de s'armer et de
répondre au premier appel; transporter enfin les vivres dans
les villes murées afin d'éloigner les envahisseurs.
La gouvernante terminait cette importante instruction en
assurant les Liégeois de son dévouement, et en les avertissant
de l'arrivée prochaine de Charles-Quint 1.
Jean de Noirthout communiqua les ordres de sa souveraine
au chapitre et au magistrat de Liège 2. Craignant de se com-
promettre par une résolution précipitée, les chanoines répon-
dirent, par l'organe de Guillaume de Poitiers, qu'ils ne pou-
vaient se prononcer avant la convocation des états, et l'un des
bourgmestres opina dans le même sens. Ces deux orateurs
insistèrent ensuite sur une réclamation qu'ils avaient déjà
adressée au maître des comptes, P. Boisot, au sujet de dom-
mages causés à des négociants liégeois dans leur trafic en
Brabant 3.
1 Voir c Instruction pour Jeban de Noirlhoudt conseiller et maître d'hosie!
de la royne de ce quil aura à faire vers levesque de Liège où Sa Majesté
Tenvoye présentement. » Papiers d'État et de CAudience% liasse 15. Acte da
0 juin 1545. Voir nos pièces justificatives, n° VI.
9 Voir, dans la même liasse, le rapport de Jean de Noîrhoudt, du 10 juhi
1543.
* Voir rapport de Jean de Noirhoudt, du 10 juin 1545. L'ambassadeur
adressa un rapport de sa mission a la reine de Hongrie et un autre au
président du conseil privé.
(83)
Les trois états se réunirent le 25 juin 1543. Le traité de 1518,
nous apprend Chapeaville, provoqua de longues discussions,
et les Liégeois décidèrent de répondre simplement à Charles-
Quint et à Marie de Hongrie qu'ils s'opposeraient de tout leur
pouvoir au passage de leurs ennemis parla principauté *.
Il ressort de ces preuves multiples que beaucoup de Liégeois
ne tenaient que médiocrement à l'alliance de 1518. Ils la subis-
saient plutôt qu'ils ne la respectaient. Ils pensaient qu'en dé-
fendant la politique de Charles-Quint, ils perdaient le meilleur
de leurs forces et ne gagnaient que le stérile honneur d'être
les alliés du plus puissant monarque de la chrétienté. Que leur
importait, après tout, ces querelles incessantes entre la France
et les Pays-Bas, entre les Pays-Bas et la Gueldre? Leur petit
territoire était ravagé par les mercenaires de l'empereur, leurs
finances épuisées par des demandes continuelles de subsides,
leurs villes nuit et jour sur le qui-vive! N'eût-il pas mieux
valu pour eux vivre tranquilles, à l'ombre de leurs murailles,
et jouir d'une bienfaisante neutralité au milieu de la confla-
gration générale?
C'est ainsi que bon nombre de Liégeois regrettaient main-
tenant cette neutralité proclamée par leurs pères à la fin du
siècle précédent. Les plus audacieux prêtaient même l'oreille
aux propositions insidieuses du duc de Clèves et du roi de
France et tâchaient d'éluder les obligations du traité de 1518.
Heureusement, la vigilance de Marie de Hongrie détourna les
Liégeois de cette politique dangereuse. Guillaume de Juliers et
François Ier, comme beaucoup de princes de cette époque, ne
songeaient guère à tenir leur parole. Ils voyaient dans le pays
de Liège une excellente base d'opérations, dont la possession
leur permettrait d'entreprendre facilement la conquête des
Pays-Bas. Le bonheur des Liégeois les intéressait peu, et ils
1 Chapeaville, p. 548. « Fit deinde mentio (dans rassemblée des élats)
fœderis initi am.o 1518 quo de longa cootroversia habita, et visu ni fuit res-
poudenduiu Caesari Marixque Gubernalrici Le odieuses transilum hostium
pro virili imptd Luros. >
(84)
n'auraient pas hésité, au premier revers de leurs armes, à
désavouer les alliés imprudents qui se seraient fiés à leurs pro-
messes.
Par son attachement opiniâtre au traité de 1518, Marie de
Hongrie sauvegardait donc l'indépendance du pays de Liège*
9
S'ils espéraient que les Etats voisins reconnaîtraient la neutra-
lité de leur territoire, les Liégeois caressaient un projet, non
seulement chimérique, mais même dangereux. Ils devaient
être, nous l'avons montré, les amis ou les ennemis de Charles-
Quint, et l'intérêt de leur nationalité, comme l'avait pressenti
le génie d'Erard de la Marck, leur commandait de rester fidèles
au souverain des Pays-Bas.
Les exigences de Marie de Hongrie eussent, il est vrai, paru
moins dures aux Liégeois, si cette princesse leur avait toujours
su gré des sacrifices qu'ils s'imposaient. Mais la sœur de Charles-
Quint était portée à voir dans les Liégeois plutôt des sujets que
des alliés, et, avec cet esprit autoritaire qui caractérisait sa
famille, elle faisait trop sentir aux princes-évéques leur dépen-
dance. Néanmoins les Liégeois devaient s'estimer heureux de
conserver leurs libertés locales et d'avoir échappé au sort
misérable qui frappa l'évéché d'Utrecht en 1538 *. Cet État
succomba à la suite d'une longue guerre civile qui se termina
par l'incorporation du petit pays dans les domaines de Charles-
Quint. Peu s'en fallut que, sous le règne du faible Corneille
de Berghes, la même catastrophe ne surprit les Liégeois, à la
suite de la conspiration ourdie par Philippe et Guillaume de
la Marck en faveur de la France.
1 Voir le récit de ces événements dans V Histoire du règne de Charles*
Quint en Belgique, de M. Alexandre Henné.
I-.
FRAGMENT GÉNÉALOGIQUE DES LA MARCR
d'après les manuscrits du héraut d'armes Le Port
(Archives de iÈlat à Liège).
(86)
Fragment généalogique des la Marck S après les mm
-\
Jean de
la Marck <TAiwà]
Everard de la Mark d'Arenberg
épouse
Marguerite de Bouchout
Robert de la Marck d'Arenberg
grand maleur de Liège
-ft-1544
Robert I 4e la Marck, prâq|
Robert II de la Marck de Hesdin
épouse en 1401
Catherine de Croy
Robert (III)
seigneur de Fleuranges
1536.
Guillaume Jean
seigneur de Jamets. seigneur de Saulcy.
Antoine
chanoine de SMJBtj
abbé de Beofai
en Argoeae
+ 1536.
Robert IV de la Marck.
(«7)
héraut iïarmes Le Fort (Archives de VÈtat à Liège).
Anne de Virnenbourg
Lan, épouse Jeanne de Saulcy
Érard de la Marck
prince-évêque de Liège
Philippe
moine de S*-Lambert
hidiacre de Hesbaye
+ 1545.
Guillaume de la Marck de Lutnmen
ou le grand Sanglier des Ardennes
épouse Jeanne de Schoonhoven
Jean de la Marck de Lummen et Seraing
épouse
Marguerite de Ronckel de Wied
Jean de la Marck
épouse
Guillaume Guillaume
chanoine de S1- Lambert (entant naturel.)
archidiacre de Brabant
plus connu sous le nom
Marguerite de Wassenaer d'archidiacre de Seraing
I -+- 1557.
Guillaume Philippe
chef des gueux de mer. chanoine de St-Lambert
épouse
Catherine de Manderscheid.
(88)
CHAPITRE VI.
La conspiration des la Marck et la mission du conseiller Boisot.
I
Le règne d'Erard de la Marck fut une époque de prospérité
pour cette famille. Le puissant cardinal profita de son influence
pour enrichir ses parents ou les revêtir des plus hautes dignités
ecclésiastiques. Deux de ses neveux, Antoine et Philippe de la
Marck, fils du seigneur de Sedan ; son cousin, Guillaume de la
Marck, seigneur de Lummen et de Seraing, entrèrent dans le
chapitre cathédral et devinrent archidiacres.
Si le cardinal avait disposé de son évêché, il l'eût laissé à
Philippe ou à Guillaume. Il en avait donné en quelque sorte
l'expectative à Philippe, quand il conclut le traité secret de
Saint-Trond, et il y a toute apparence que celui-ci eût succédé
à son oncle, sans la défection de son père, le seigneur de Sedan.
Nous savons comment Charles-Quint fit conférer la coadjuto-
rerie de Liège à Corneille de Berghes. Erard songea un moment
à lui imposer son cousin, Guillaume, mais l'énergie de Marie
de Hongrie empêcha cette combinaison *.
Philippe et Guillaume de la Marck ne pardonnèrent jamais
à Charles-Quint la nomination du sire de Sevenberghe. Ambi-
tieux comme tous leurs ancêtres, avides d'honneurs et de
dignités, prêts à exciter des troubles pour satisfaire leur orgueil,
ils minèrent l'autorité de cet étranger qui était venu à Liège
comme pour les frustrer de la succession du cardinal. Ils mon-
1 Voir nos chapitres III el V.
(89)
trèrentdans cette œuvre déloyale une ardeur croissante, parce
qu'ils savaient que Corneille de Berghes s'impatientait sur le
trône de Saint-Lambert et qu'ils espéraient tôt ou tard le rem-
placer. A cette fin, ils recrutaient des partisans parmi tous les
ennemis de la maison d'Autriche et comptaient sur la France,
qui épiait Foccasion de surprendre les Pays-Bas. Mais Charles-
Quint ne voulait pas qu'un la Marck régnât à Liège ; il enten-
dait que la principauté dépendît entièrement des Pays-Bas. C'est
pourquoi, après l'inauguration de Corneille de Berghes, il
pourvut à la nomination de son successeur en présentant son
oncle, Georges d'Autriche, comme coadjuteur.
Tant que la paix subsista entre la France et les Pays-Bas, les
deux archidiacres, que les contemporains appellent, l'un, Phi-
lippe de la Marck-Sedan, archidiacre de la Marck, chanoine
Marck ou Marck tout court, l'autre, Guillaume de la Marck-
Seraing, archidiacre de Seraing *, ou même quelquefois,
Seraing, évitèrent une révolte ouverte. Ils se bornèrent à favo-
riser les intrigues du seigneur de Sedan, qui convoitait la for-
teresse de Bouillon, forteresse qu'il ne pouvait reprendre aux
Liégeois qu'à la faveur d'une révolution.
La cour de Bruxelles surveillait de loin ces machinations
ténébreuses. Quand l'archidiacre Guillaume, vers le commen-
cement de l'année 1544 2, se rendit en France, Philippe Nigri,
qui savait tout par ses correspondants liégeois, en avisa aussitôt
Louis de Schorre, président du Conseil privé des Pays-Bas.
Le chancelier n'augurait rien de bon de ce voyage, d'autant
moins que Corneille de Berghes était très souvent absent et que
ses absences favorisaient les pratiques des ennemis. Le pays de
Liège, écrivait-il, dans son style pittoresque, est entre l'enclume
et le marteau, inter sacrum et saxum « et les malvaix garnements
mal contents presteroyent bientôt l'oreille à quelque indeue pra-
tique ». Si l'on ne pourvoyait au désordre, la présentation du
1 Voir notre tableau généalogique des la Marck.
* Archives du royaume, carton 1 des Documents concernant le pays de
Liège, lettre de Nigri au président de Schore, du 9 mars 1540 (vieux style).
(90)
coadjuteur (Georges d'Autriche) souffrirait des difficultés. Il
serait bon que la reine envoyât un espion à Sedan pour
apprendre ce qui s'y préparait. L'archidiacre Guillaume était
arrivé dans cette ville et y avait mandé un grand nombre de ses
partisans. A quelle fin? Le correspondant de Nigri l'ignorait;
mais le chancelier se méfiait du personnage et recommandait
d'avertir le bailli de Wamur d'être sur ses gardes.
L'avenir justifia les prévisions du chancelier. La guerre
n'avait pas encore été déclarée par la France aux Pays-Ras,
qu'une conspiration se tramait Liège. Quelques notables, dit
Chapeaville, des prêtres et des laïques, projetèrent de livrer la
Cité aux Français et aux Gueldrois. Ils parvinrent à s'enfuir;
mais leurs serviteurs furent pris et écartelés*.
Le chroniqueur n'en dit pas davantage. Apparemment, il
n'osait, par respect pour le chapitre de Saint-Lambert dont il
était membre, citer les noms de ces ecclésiastiques qui s'étaient
souillés d'un crime de haute trahison. Une missive de Marie de
Hongrie, du 28 novembre 1541, et les déclarations ultérieures
de Van Rossum nous apprennent le reste. François Ier, écrivait
la princesse, avait fait arrêter le coadjuteur, Georges d'Au-
triche, non seulement pour venger la mort de ses agents,
Frégouze et Rinçon, mais parce qu'il comptait ainsi surprendre
plus facilement la ville de Liège avec le concours du duc de
Glèves et de Guillaume de Seraing. Marie de Hongrie savait par
le comte de Buren que cinq cents bourgeois étaient du com-
plot et avaient promis d'ouvrir aux envahisseurs une porte de
la ville, quand ils en seraient requis. Ces envahisseurs devaient
être conduits par le fameux capitaine gueldrois, Meynaert van
Ham, l'émule de Van Rossum, qui se chargeait volontiers de
pareilles entreprises *• Une fois la ville prise, Corneille de
Berghes était renversé et remplacé par Guillaume de la Marck,
le seigneur de Seraing, qui aurait livré les forteresses liégeoises
1 Chapeaville, loc. cit., p. 543.
* Archives du royaume: Correspondance de Marie de Hongrie, registre Si,
pp 95 et suiv.; lettre de Marie à Charles-Quint, du 28 novembre 1541.
(91)
aux Français et facilité l'invasion du Brabant, attaqué en ce
moment par Van Rossum*, le maréehal gueldroîs allié de
François Ier.
Les rapports du chancelier Nigri et du comte de Buren, les
avertissements des nombreux espions qui parcouraient le pays
de Liège, éclairèrent la gouvernante sur les projets des la Marck
et les dangers qui menaçaient la principauté. Marie de Hongrie
redoubla d'activité et d'énergie, et pendant les années 1542 et
1B43, au plus fort de la guerre entre la France et les Pays-Bas,
elle contrôla tous les actes du gouvernement épiscopal. Nous
avons expliqué, dans le chapitre précédent, comment elle em-
pêcha les Liégeois d'accepter les propositions insidieuses des
Français et des Clévois, et comment elle leur fit respecter le
traité de 1518.
II
Pendant le mois de mai de 1543, le Gouvernement belge
-réussit à saisir trois conspirateurs : Thomas Faudeur, Josselet,
Godefroid d'Ardenne *. Conduits au château de Vilvorde, ces
prisonniers dénoncèrent leurs complices liégeois, accusèrent
les la Marck et révélèrent tout le complot.
Marie de Hongrie députa aussitôt à Liège Philippe Nigri, le
diplomate qui connaissait le mieux la principauté, et Charles
de Bernenicourt, seigneur de la Thieuloye, son maître
d'hôtel. Le 36 juillet 3, les autorités liégeoises furent prévenues
* Van Rossum révéla plus tard ce projet à Marie de Hongrie, quand il fut
passé au service de Charles-Quint. Voir à ce sujet : le Mémoire du sire de
Clayon, dans le tome III (p. 312) des Lettrée des seigneurs. (Archives du
Royaume). M. Benne (loc. cit., tome VII, p. 364) reproduit des extraits de
■ce mémoire, mais remplace par un trait pointillé le nom du sire de Seraing,
•chaque fois que ce nom est mentionné dans l'original.
* Chapeaville, loc. cit., p. 347, et lettres de Boisol, publiées dans nos
pièces justificatives, passim.
* Voir notre huitième pièce justificative : lettre de Marie de Hongrie au
-vice-doyen et chancelier de l'église de Lièg<\ du 26 juillet 1545.
;( 92 i
de l'arrivée de ces ambassadeurs qui devaient leur exposer
« aulcunes choses très-importantes à sa majesté impériale et au
» saint empire et signamment au pays de Liège », et invitées à
s'acquitter de leurs obligations envers Charles-Quint. Le 27, les
deux commissaires déclarèrent devant le conseil communal que
la reine avait fait avancer ses troupes du côté de la principauté
pour empêcher les machinations du roi de France et du duc de
Clèves, et demandèrent que les villes et forteresses liégeoises
fussent occupées par des soldats des Pays-Bas, et que deux
échevins s'entendissent avec eux pour prendre les mesures les
plus utiles au pays *.
De son côté, Charles-Quint envoya de Spire son fidèle agent,
le conseiller et maître des requêtes, Charles Boisot, pour pré-
venir les Liégeois de son arrivée, pourvoir aux troubles qui
désolaient la principauté et poursuivre l'archidiacre Philippe
de la Marck.
Aux termes de ses instructions 2, Charles Boisot devait
avertir confidentiellement le prince-évêque de sa mission ; sol-
liciter une audience du chapitre, des bourgmestres et des éche-
vins; leur recommander d'user de la plus grande discrétion
dans la poursuite des coupables; insister sur l'affection que
l'empereur avait toujours témoignée à la principauté comme
suzerain et comme 'souverain des Pays-Bas; expliquer les cir-
constances qui le mouvaient à révéler la conjuration ourdie
pour ruiner le pays de Liège et le détacher du saint-empire;
déclarer les menées criminelles du chanoine Philippe de la
Marck, qui avait projeté de s'emparer de la principauté et des
Pays-Bas avec l'assistance de la France ; produire les preuves de
cette conspiration ; prier les états liégeois d'agir avec la plus
grande célérité pour se saisir des coupables; faire arrêter le
chanoine de la Marck et ses complices, en veillant ù ce qu'ils ne
1 Conclusions capitulaires du chapitre de Saint- Lambert, registre cxiv.
Archives de l'Étal à Liège.)
* Voir noire dixième pièce jusiilicative : lettre de Charles-Quiol à Boisot,
du 27 juillet 1545.
(93)
pussent être prévenus et les mettre au secret le plus absolu ;
empêcher les Français et leurs partisans d'exécuter leurs des-
seins; informer la gouvernante des Pays-Bas de la marche
des affaires; conjurer enfin les états liégeois de s'acquitter de
leurs obligations envers le saint-empire et les assurer des
bonnes dispositions de l'empereur.
Dès son arrivée à Liège, Charles Boisot se mit en rapport avec
les commissaires de Marie de Hongrie. Il apprit ' que ceux-ci
avaient déjà instruit de leur mission quelques notables du
pays, produit les dépositions des prisonniers de Vilvorde,
déclaré les raisons qui obligeaient la gouvernante à poursuivre
les traîtres. Un bourgmestre et un échevin, personnes de con-
fiance, qu'ils avaient mandées auprès d'eux, leur représentèrent
qu'il serait imprudent de dévoiler le complot ; que la moindre
indiscrétion effraierait la populace et provoquerait des troubles
graves; que plusieurs des prévenus étaient absents et qu'il
serait sage d'attendre leur retour pour les arrêter; que les pri-
vilèges des bourgeois empêchaient d'appréhender au corps
un délinquant, même accusé de lèse-majesté, sans qu'une
enquête préparatoire eût été ordonnée par les juges compé-
tents; que, faute de ces précautions, les gens malintentionnés
se révolteraient et entraîneraient ce peuple mutin qui a sesdits
privilèges en merveilleuse recommandation.
Les ambassadeurs flamands décidèrent donc de ne pas souf-
fler mot de la trahison ; de mander simplement aux bourgeois
de la part de Marie de Hongrie que l'empereur se dirigeait vers
la principauté pour rendre visite à ses alliés, les Liégeois; que
les Français s'approchaient de Mézières et projetaient de s'unir
aux Clévois; que la gouvernante des Pays-Bas leur offrait des
renforts, s'ils en manquaient; qu'ils devaient envoyer à
Bruxelles deux échevins et deux jurés pour entendre les pri-
sonniers de Vilvorde; que ceux-ci révéleraient des détails
importants sur une affaire qui intéressait au plus haut point
le pays de Liège.
.* Voir notre onzième pièce justificative: lettre de Boisot a Cnarles-Qnint,
du 4 août 1543.
(94)
Philippe Nigri et Charles de Bernenicourt, écrivait Boisot,
avaient fait ces dernières déclarations en présence do chapitre,
des bourgmestres, des échevins et des jurés. Deux échevins et
deux jurés avaient aussitôt été députés vers la gouvernante
des Pays-Bas pour entendre les prisonniers de Vilvorde. Il
convenait d'attendre leur retour avant de continuer l'informa-
tion judiciaire commencée, parce que les Liégeois accor-
deraient plus de confiance à leurs magistrats qu'aux com-
missaires de la gouvernante.
Nigri et Charles de Bernenicourt estimaient avec les magis-
trats précités que Boisot ne devait pas exposer sa vraie mis-
sion; qu'une dénonciation intempestive occasionnerait des
troubles; que ni le chapitre ni les échevins n'oseraient décréter
les coupables sans observer la coutume, d'autant moins que les
conspirateurs comptaient beaucoup de partisans dans la Cité. Il
convenait donc que le conseiller impérial instruisît seulement
les Liégeois de la venue prochaine de Charles-Quint, rassurât
les timides qui redoutaient la présence de leur suzerain
et croyaient que celui-ci voudrait les assujetir en qualité de
seigneur des pays (Tembas et les soumettre à la loi de Brabant.
Ces propos perfides avaient, paraît-il, été répandus dans la
foule, dès qu'on apprit à Liège que Marie de Hongrie offrait
des troupes pour défendre le pays.
Boisot réunit donc le chapitre cathédral, les bourgmestres,
les échevins et les jurés, et, sans rien préciser, sans désigner
personne, fit une petite remontrance aux Liégeois, remon-
trance qui produisit un heureux effet. Le peuple se radoucit,
les bourgeois qui prêtaient des visées ambitieuses à Marie de
Hongrie consentirent à recevoir des troupes, et les bons citoyens
attendirent avec impatience la venue de l'empereur.
Une lettre de la gouvernante apprit à Boisot que les prison-
niers de Vilvorde avaient confirmé leurs dépositions devant les
délégués liégeois, et qu'on espérait bientôt arrêter et châtier
les coupables. A la demande du chapitre, Marie de Hongrie
envoyait deux enseignes de fantassins pour prêter main-forte
aux autorités. Boisot racontait ensuite à son souverain l'arres»
(95)
tation de Jean de la Marck, seigneur de Lummen, frère de l'ar-
chidiacre de Seraing. Ce prince était accusé d'avoir participé à
la trahison du chanoine Philippe de la Marck, et Marie de
Hongrie l'avait mandé à Bruxelles, sans doute pour en obtenir
des éclaircissements. Comme le gentilhomme faisait quelques
difficultés, les envoyés de la gouvernante le saisirent, paraît-il,
sur le sol liégeois et le conduisirent de force à Bruxelles.
Cette arrestation arbitraire provoqua des troubles à Liège.
Le territoire avait été violé par le Gouvernement des Pays-Bas,
infraction grave aux privilèges ries bourgeois et aux clauses
du traité d'alliance. La mère du prisonnier, M"16 de Seraing,
née Marguerite de Ronckel, noble et fière dame, qui par son
mariage avec Jean de la Marck, seigneur de Seraing-le-Château
et de Lummen, avait acquis l'audace des la Marck,* parcourait
les places publiques accompagnée de ses filles et demandait
vengeance.
La foule s'irrita. Les femmes, non moins ardentes que les
hommes, se mêlèrent au tumulte; telle fut la fureur de la
populace que Nigri et Bernenicourt n'osèrent pendant deux
jours se montrer dehors; ils eussent été assommés; on voulut'
même les tenir captifs jusqu'à ce que le prince de la Marck fût
remis en liberté. A la fin, le chapitre et le conseil communal,
pour faire cesser les clameurs populaires, envoyèrent des
députés à Bruxelles réclamer le prisonnier. Boisot attendait
leur retour et, dans l'entretemps, épiait avec ses collègues les
habitants. Quelques prêtres et quelques laïques favorisaient
leur surveillance; se promenant dans les rues, allant partout
aux écoutes, ces citoyens dévoués rapportaient tout au con-
seiller impérial ; chaque nuit, des gardes nombreuses veillaient
dans les lieux les plus exposés.
D'après Boisot, tout le mal provenait de l'incroyable incurie
du prince-évêque. Corneille de Berghes résidait rarement à
Liège; quelquefois il y venait le soir pour en repartir le matin ;
1 Tous ces événements sont racontés dans la lettre précitée de Boisol à
Charles-Quint, du 4 aoùl 1543.
(96)
les affaires allaient à vau-l'eau, ce II n'y avait personne pour
porter et soutenir la justice et montrer visage aux maulvais. »
Toutefois, le conseiller flamand espérait que les Français et
les Clévois échoueraient dans leurs entreprises. Quant à Phi-
lippe de la Marck, il ne se doutait de rien.
Telles sont les nouvelles importantes que Boisot commu-
niquait à Charles-Quint dans sa dépêche du 4 août 1543,
dépêche qui témoigne suffisamment de l'énergie avec laquelle
le Gouvernement des Pays-Bas intervenait dans les troubles de
la principauté. Trois jours plus tard*, Boisot écrivait à
Nicolas de Granvelle, garde des sceaux de l'empereur. Il lui
apprit que les délégués liégeois étaient revenus de Bruxelles
avec les pièces du procès, que les prisonniers de Vilvorde
avaient persisté dans leurs déclarations, déclarations que le
chapitre et le conseil communal avaient soumises à l'examen
d'une commission, que le plus grand secret avait été jus-
qu'alors observé, de sorte que Philippe de la Marck allait
être interrogé par le chapitre et peut-être arrêté, sans qu'il s'en
doutât.
Boisot faisait à Granvelle un triste portrait de ce malheureux
chanoine, que ses collègues du chapitre regardaient ce comme
un pauvre sot », que feu le cardinal de Liège n'estimait guère,
qui manquait d'esprit de suite et n'avait dû être qu'un instru-
ment dans les mains des conspirateurs, parce qu'il était d'ori-
gine française et appartenait à une puissante famille.
Les députés liégeois, qui avaient réclamé l'extradition du sei-
gneur de Lummen, étaient rentrés dans la Cité et avaient fiait
leur rapport selon les instructions de la reine, instructions
dont les Liégeois étaient satisfaits. Boisot envoyait au chance-
lier de Charles-Quint un double de ces pièces.
La gouvernante avait rappelé ses deux ambassadeurs, dont la
présence devenait inutile à Liège, puisque l'empereur y avait
député un commissaire spécial qui jouissait de plus de crédit
.' Voir noire douzième pièce justificative : lettre de Boisot k Nicolas de
Granvelle, du 7 août 1543.
(97)
queNigri et Bemenicourt; caries Liégeois, disait Boisot, accep-
taient plus facilement les ordres de l'empereur que ceux de
Marie de Hongrie.
La conduite de Corneille de Berghes irritait le Gouvernement
des Pays-Bas. Le prince répondait à Marie de Hongrie que sa
présence n'était pas nécessaire à Liège. Les dépêches de la
reine, les invitations du chapitre, les nouvelles alarmantes qui
venaient delà Cité, tout laissait ce prélat indifférent. 11 semblait
fuir plus que jamais le pouvoir, et cette apathie ne doit pas
trop nous étonner. Corneille de Berghes tenait rigueur à
Charles-Quint de ce qu'il avait dû accepter l'épiscopat et il
espérait, peut-être, qu'il obtiendrait d'autant plus vite son
congé qu'il se rendrait moins nécessaire.
Enfin, Boisot prévenait Granvelle que le chapitre de Saint-
Lambert s'était réuni pour entendre Philippe de la Marck, et
que trois domestiques de ce chanoine allaient être soumis à
la torture.
III
Ce chanoine de la Marck ou ce Marck, dont Boisot parlait
dans ses dépêches à Charles-Quint et à Granvelle, était Philippe
de la Marck, fils de Robert de la Marck, seigneur de Sedan,
et de Catherine de Croy. Comme son frère Antoine, il avait
choisi la carrière religieuse qui semblait lui réserver un brillant
avenir. Par le traité secret de Saint-Trond, son oncle, l'évéque
de Liège, avait promis de ne pas résigner sa charge à un
autre qu'à ce jeune prélat ou à un candidat agréable au roi
d'Espagne. Philippe paraissait donc destiné à succéder au car-
dinal, quand la trahison de Robert de Sedan vint ruiner toutes
ses espérances. Ce fut Corneille de Berghes qui, peu de temps
après, fut présenté au chapitre comme coadjuteur d'Érard de
la Marck.
Philippe ne renonça pas à la vie religieuse; il entra dans le
chapitre cathédral en 1527, et, en 1530, devint archidiacre de
Hesbaye. Il était ainsi le collègue de son parent, Guillaume
Tome XLI. 7
( 98)
de la Marck, seigneur de Lummen et de Seraing, archidiacre
de Brabant, que Ton appelait plus souvent archidiacre de
Seraing *, et qui brigua l'épiscopat à la mort du cardinal.
D'après Boisot 2, et nous pouvons croire un témoin toujours
si bien renseigné, Philippe de la Marck ne brillait point par les
dons de l'intelligence. 11 n'aurait été qu'un instrument entre
les mains des ennemis de Charles-Quint. Une preuve de sa
présomption, c'est qu'il s'ouvrit de ses projets à son oncle
maternel, Antoine de Croy, seigneur de Sempy. Nous avons
conservé la copie du billet qu'il lui adressa vers le 23 juillet
1543 3.
« Monseigneur mon oncle,
» Ceulx du chapitre de Saint-Lambert me font tout le pire
» que peuvent. Je vous prye dire la Royne quelle me donne
» une manutention pour saisir tous les biens quils ont en
» Brabant et si elle ne le fait je quitte mon serment et trou-
» veray ung aultre maître dont vous ay bien voulu advertir
» afin que mescriviez ce que jauroy a faire car je veulx user
» de votre conseil. »
Nous ne connaissons pas la réponse du seigneur de Sempy.
Elle ne devait pas être encourageante pour notre chanoine.
Antoine de Croy était fort aimé de Marie de Hongrie qui, en
1534, avait fait peindre son portrait par Bernard Van Orley;
il ne pouvait favoriser les desseins bizarres de son neveu.
Peut-être transcrivit-il lui-même ce curieux billet à Boisot.
Outre cette étrange missive, Charles-Quint avait recueilli des
preuves de la culpabilité de Philippe de la Marck dans les
dépositions des prisonniers de Vilvorde. C'est pourquoi il avait
recommandé son arrestation à Boisot; mais notre archidiacre
était couvert par les privilèges du chapitre; il ne pouvait être
interrogé et jugé que par ses confrères. Une réunion des
1 Voir notre tableau généalogique des la Marck.
s Voir la lettre de Boisot a Nicolas de Granvelle, du 7 août 1543
• Voir la lettre précitée.
i
(99)
chanoines de Saint-Lambert s'imposait donc; elle eut lieu le
7 août 1543.
Le chapitre se réunit pendant l'heure de grand'messe sous
la présidence de l'archidiacre de Hainaut, Gilles de la Blo-
quer ie 4. Tous les archidiacres étaient présents, sauf l'archi-
diacre de Brabant, Guillaume de la Marck, qui, paraît-il,
s'était rendu avec son oncle, Herman de Wied, archevêque de
Cologne, au-devant de l'empereur. Gilles de la Bloquerie s'était
concerté au préalable avec les échevins pour informer plus
rapidement. Renonçant aux immunités du chapitre, il se mit
à la disposition des juges civils, leur donna accès dans sa
maison, leur permit d'interroger ses serviteurs. Ses collègues
suivirent son exemple, même Philippe de la Marck. Un bailli
se rendit aussitôt auprès des échevins pour rapporter l'acte
d'accusation et la liste des prévenus ; les bourgmestres, de leur
côté, furent invités à en user de la même sorte envers les
bourgeois, nonobstant leurs privilèges.
Philippe de la Marck fut ensuite interpellé sur les lettres
qu'il avait écrites à son oncle, le seigneur de Sempy, sur les
rapports qu'il avait entretenus avec les Français, sur les chefs
d'accusation contenus dans les déclarations des prisonniers de
Vilvorde. Quand il fut rentré dans son logis, on lui enjoignit
d'y rester jusqu'à nouvel ordre, sous peine d'être convaincu
du crime qu'on lui imputait, d'ouvrir ses coffrets, de remettre
tous ses papiers. A l'étonnement de ses confrères, le malheu-
reux se soumit à tout. L'interrogatoire qu'on lui avait fait
subir Pavait atterré; il se prit à pleurer, à invoquer sa mère.
La noble dame lui avait défendu, paraît-il, de s'aboucher avec
le seigneur de Longueval, général de François Ier. Cet aveu
augmenta les soupçons des chanoines, et Philippe fut examiné
à nouveau. En même temps, trois de ses serviteurs, Jacquemin,
Janus, Louis Chabot, dénoncés par leurs complices, incarcérés
à Vilvorde, furent arrêtés dans les cloîtres de Saint-Lambert,
1 Voir notre treizième pièce justificative : lettre de l'archidiacre de Haioaut,
Gilles de la Blocquerie, au président de Schore, du 7 août 15i3.
(100)
enfermés dans la tour de l'official, mis à la torture, plus tard
exécutés. D'autres conspirateurs, Jean de Fumai, Piron d'Heure
et Guillaume de Sart, le chirurgien Gabriel, Raes de Laminne,
Jean Noël, furent également décrétés d'arrestation et poursuivis
par les magistrats liégeois et par les fonctionnaires de la gou-
vernante des Pays-Bas. Ils furent bientôt appréhendés au corps,
sauf Jean de Fumai et Raes de Laminne, que l'on saisit seule-
ment quelques jours plus tard dans l'électoral de Trêves *.
Gilles de la Bloquerie expédia, le jour même, un compte
rendu de cette séance extraordinaire du chapitre au président
du Conseil privé à Bruxelles, et conseilla de rappeler les
enseignes que Marie de Hongrie voulait envoyer au secours des
autorités liégeoises.
IV
Nous venons de citer les conspirateurs liégeois qui avaient
été signalés par leurs complices détenus dans la prison de Vil-
vorde : Janus de Saterelle de Châteaudun, Gabriel de Toulouse,
le Savoyard Louis Chabot, Raes de Laminne, Jean de Fumai,
Pierre d'Heure, Jacquemin Alardi et Jean Noël.
Plusieurs de ces meneurs étaient d'origine française; les
autres, bourgeois de Liège. Ils reconnaissaient pour chef ce
Raes de Laminne qui avait failli échapper à la justice. Ramené
à Huy avec Jean de Fumai, Raes fut torturé en présence du
maïeur, des deux bourgmestres et de deux échevins de Liège;
mais les tourments ne lui arrachèrent aucun aveu. Son com-
pagnon fit preuve du même héroïsme. Leur silence embarras*
sait les juges ; Raes et Jean étaient bourgeois et, comme tels,
bénéficiaient des privilèges réservés aux citoyens. Ils ne pou*
vaient être condamnés sans que des preuves suffisantes eussent
* Voir la lettre précitée de l'archidiacre de Hainaut, la lettre de Boisol à
Charles-Quint, du 15 août 1543 (15mc pièce justificative) et les comptes 6t
Th. de Braodenbourg et de P. de Werchin, comptes dont des extraits rat été
reproduits par M. Henné dans le VIIe volume (p. 530) de son histoire éi
Charles-Quint.
( 101 }
établi leur culpabilité. Raes surtout inquiétait les magistrats 4 ;
beau parleur, avocat de sa profession, il avait toujours défendu
les franchises des Liégeois et n'avait pas craint, sous le règne
précédent, de résister au terrible cardinal, en pleine réunion
des états. Une exécution précipitée de ce tribun pouvait exciter
des troubles. C'est pourquoi les échevins résolurent de députer
vers le prince-évêque, alors à Bruxelles, un d'entre eux pour
communiquer les révélations des prisonniers déjà suppliciés,
et obtenir de la gouvernante qu'elle interrogeât de nouveau les
détenus de Vilvorde. Peut-être recueillerait-on ainsi des
preuves suffisantes pour continuer l'information commencée
contre Raes de Laminne et son compagnon.
Janus de Châteaudun avait dénoncé un certain Pierre d'Heure,
bourgeois de Liège. C'était par ses ordres, prétendait-il, qu'il
avait mandé au sire de Longueval d'envahir la principauté.
Mis à la torture, Pierre d'Heure garda le silence. Il fut ensuite
confronté avec Janus qui confirma son premier dire, et con-
duit à l'échafaud. On craignait qu'il ne se récriât contre sa sen-
tence; mais il se résigna à son sort et exhorta même les assis-
tants à éviter la société des gens pervers.
D'après Chapeaville, Raes de Laminne et Jean de Fumai ne
furent exécutés que l'année suivante 2. Sur l'échafaud, le pre-
mier protesta de son innocence, mais pardonna aux échevins
qui, en le condamnant sur la déposition de deux témoins,
appliquaient la coutume. Comme on voit, il se montra beau
parleur jusqu'au bout.
Un des prisonniers de Vilvorde, Godefroid d'Ardenne, dit
Hatrival 3, avait accusé Jean de la Marck, seigneur de Luinmen
et de Seraing, d'avoir participé à la conjuration. Marie de
Hongrie fit confronter ce Hatrival â Bruxelles avec le seigneur
* Voir la lettre de Boisot à Nicolas de Granvelle, du 26 août 1543 (16°" pièce
justificative).
* Chapeaville, p. 547. Le chroniqueur liégeois appelé le second prisonnier
Qltelel de Fumai.
* Lettre de Boisot à Granvelle, du '26 août 1543.
( 102 )
liégeois devant l'évêque, un bourgmestre et le sire de Chokier.
Après cette formalité, Jean de la Marck fut remis entre les
mains des Liégeois. Marie exigeait d'abord que Corneille de
Berghes engageât tous ses biens pour répondre de l'inculpé;
mais Corneille rejeta cette proposition hautaine qui marquait
trop la défiance de la gouvernante; il offrit simplement de
consigner le prince dans un de ses châteaux. Boisot intervint
en faveur du prélat. Il représenta à Charles-Quint qu'il était
urgent de rendre Jean de la Marck à ses juges naturels. La
mère du prince réclamait son fils à cor et à cri, menaçait de
protester auprès des bons métiers et d'exciter des troubles dans
le pays *, si Ton ne satisfaisait pas à sa requête.
Jean de la Marck fut donc remis à ses concitoyens et laissé
libre sur parole. 11 promit de ne pas sortir du château de
Curange, résidence d'été du prince-évêque. Son procès com-
mença aussitôt devant la haute cour de Liège.
C'étaient les prisonniers de Vilvorde qui l'avaient dénoncé.
L'un d'eux, Josselet, prétendait avoir vu le prince dans h
maison du Val-Saint-Lambert, quand il reçut du chanoine
Philippe de la Marck des lettres pour le seigneur de Longueval
à Sedan. Confronté avec ce Josselet, Jean de la Marck protesta
de son innocence, offrant d'abandonner sa personne et son
bien 2, si l'on pouvait prouver qu'il avait séjourné à Liège
pendant l'année écoulée. La déposition de ce Josselet détermina
Boisot à questionner Philippe de la Marck devant le prince-
évêque; mais il ne put lui arracher aucun aveu, même en le
menaçant de la prison et de la torture.
Ce furent là les dernières nouvelles que le conseiller manda
de Liège à Charles-Quint. L'empereur l'envoya alors à Metz pour
régler certaines difficultés survenues dans cette ville. Boisot
obéit aussitôt. Sa mission était d'ailleurs terminée dans la Cité.
Le coadjuteur Georges d'Autriche venait d'arriver, et le calme
1 Lettre de Boisot à Charles-Quint, du 30 août 1543: dix-septième pièce
justificative.
4 Lettre précitée.
(103 )
se rétablissait peu à peu dans le pays. Boisot se rendit d'abord
à Louvain pour communiquer à Marie de Hongrie ce qu'il savait
du chanoine Philippe de la Marck et recevoir de nouvelles
instructions; de Louvain il tira vers Malines pour mettre ordre
à ses affaires privées, et de là se rendit directement en Lorraine.
Dans son curieux livre : Metz et Thionville, M. Ralilenbeck a
raconté le rôle joué par Boisot dans la vieille cité impériale.
Nous y renvoyons le lecteur qui voudrait connaître à fond la
carrière de cet habile diplomate *•
Le procès de Jean de la Marck attira ensuite l'attention du
public. Le 24 octobre 1543, ce prince protesta solennellement
contre les accusations dont il était l'objet, et sa protestation
fut enregistrée devant la haute Cour de Liège. Il s'adressa
ensuite à l'évêque, lui renouvela ses déclarations antérieures,
le pria de sommer les juges de produire les charges alléguées
contre sa personne, afin qu'il pût confondre ses calomniateurs.
Charles-Quint s'étonna de la lenteur du procès et, remar-
quant que l'official fiscal n'avait pas combattu avec assez
d'énergie les allégations du prévenu, il fit part de ses impres-
sions aux Liégeois. L'empereur croyait à la culpabilité de Jean
de la Marck : ce seigneur avait dû prêter son concours à son
frère l'archidiacre de Seraing qui avait brigué le trône épiscopaL
Ses longs séjours à Liège, son refus d'accepter une pension
pour entrer au service de l'empereur, la part prise par l'archi-
diacre dans la conspiration récemment découverte, étaient pour
Charles-Quint autant d'indices de la trahison du seigneur de
Lummen. Ces indices ne supposaient pas des preuves décisives ;
c'étaient plutôt des présomptions, mais des présomptions qui
paraissaient très graves à Charles-Quint. Si ce prince n'enleva
pas une affaire aussi importante aux échevins de Liège pour la
1 Sur la vie de Charles Boisot, voir les articles de la Riogtaphie national*
et du Biographisch Woordtnboek de Van (1er A a.
( 104 )
déférer à un autre tribunal, c'est qu'en souverain prudent, il
ne voulait pas irriter des alliés trop susceptibles *.
Quel fut le dénouement de ce procès politique? Nous l'igno-
rons, attendu que le dossier en est perdu. S'il nous était permis
d'émettre une conjecture, nous dirions que le défaut de preuves
suffisantes fit cesser toute poursuite contre le seigneur de
Lummen.
Le plus coupable des la Marck était sans contredit l'archi-
diacre de Brabant, Guillaume de la Marck-Seraing, le frère de
Jean de la Marck. Cet ambitieux prélat avait été jadis en laveur
auprès de son cousin, le cardinal; peu s'en fallut qu'il ne
devînt son coadjuteur. Supplanté par Corneille de Berghes,
plus tard par Georges d'Autriche, et désespérant de parvenir
jamais au trône épiscopal, tant que la principauté serait l'alliée
de Charles-Quint, il favorisa les projets de François Ier, espé-
rant obtenir de ce monarque la dignité qu'il ambitionnait.
Tantôt il se rendait à Sedan, chez Robert de la Marck, tantôt
à Cologne, chez son oncle maternel, l'archevêque Herraan de
Wied, nouant partout des intrigues criminelles contre son pays.
Ces allées et venues mystérieuses, ces rapports de l'archi-
diacre avec des agents français, attirèrent l'attention du Gouver-
nement de Bruxelles. En 1541, le chancelier Nigri signalait le
départ de Guillaume pour Sedan, et Marie de Hongrie instrui-
sait l'empereur du complot tramé par François Ier et l'archi-
diacre de Seraing contre la ville de Liège 2.
Si Ton se le rappelle, la gouvernante avait jadis essayé de
s'attacher le prélat liégeois par des faveurs pécuniaires; elle lui
avait fait promettre par le comte de Buren une pension de
■0,000 florins pour l'indemniser de la perte de la coadjutorerie
de Liège 3. Mais il paraît que cette pension ne fut pas payée4,
1 Papiers d'État et de V Audience, liasse 19.
* Voir le commencement de ce chapitre.
8 Voir, dans le chapitre précédent, l'instruction dounée le 8 février 1538
au comte de Buren.
4 Correspondance de Marie de Hongrie, registre 69, p. 280, Hnv de Marie
à Charlrs-Quint, du 2 avril 1542.
( îos y
ce qui n'étonnera pas le lecteur qui sait dans quelle pénurie
d'argent Charles-Quint se trouvait parfois. Nouvelle déception
pour l'archidiacre, qui devint plus que jamais l'ennemi des
Pays-Bas.
Quand le chapitre cathédral informa contre son parent,
Philippe de la Marck, Guillaume était à Cologne. Quatre jours
auparavant, il avait passé par Liège en prenant toutes les pré-
cautions imaginables pour dissimuler sa présence. 11 était arrivé
le soir, avait laissé ses chevaux aux portes de la ville et était
entré à pied « Dieu sayt à quelle fin, » écrivaient Nigri et
Bernenicourt, à qui rien n'échappait *.
Ce furent les prisonniers liégeois, principalement Jean Noël,
qui chargèrent surtout l'archidiacre de Seraing. Jean Noël,
ou Jean Pirlot, fils d'Arnould le Tourneur, donna même de
curieux détails sur les pratiques de ce prélat dont il avait été
un moment le messager. À Luxembourg, il avait reçu d'un
officier français la mission de se rendre à Cologne pour
remettre des lettres à Guillaume de la Marck : ce tiens ces lettres,
lui dit le seigneur français, faictes bien ton debvoir de les porter
à damoiseaul Guillaume de Seraing à Coulongne et sil nest à
Coulongne cherchez le la ouil sera et lui ditz que nous descen-
drons aile vallée le plus brief que pourrons a grosse compai-
gnie et bruslerons tout le pays là ou nous passerons » 2.
Arrivé à Cologne, Jean Noël se rendit au logis de l'archi-
diacre, lui remit les dépêches et reçut une réponse pour l'officier
français. Il repassa par le pays de Liège, tâcha d'embaucher
quelques citoyens, mais fut surpris dans la forêt des Ardennes
et n'eut que le temps de se débarrasser de ses papiers. Soumis
à la question, il révéla les faits que nous venons d'exposer.
Un autre prisonnier confirma la déposition de Jean Noël; ce
fut un certain Piron, fils de Thonon, tisserand de Chokier 3.
* Voir les pièces justificatives publiées par M. Rahlenbeck, à la suite de son
livre : L'Église de Liège et la révolution, n* III.
* Voir noire dix-huitième pièce justificative.
8 Voir notre dix-neuvième pièce ju si ificativr.
( 406
Ce pauvre diable, ancien conducteur de troupeaux, avait élé
chargé par l'archidiacre Guillaume, dans son propre château
de Seraing, de porter des lettres à Sedan. Il s'y était d'abord
refusé, par crainte de mauvaises rencontres ; mais, séduit par
les promesses qu'on lui fit, il accepta. D reçut un passe-port
de l'archidiacre et se mit en route. Près de Ciney, il fut arrêté
par deux individus qui le prirent pour un espion et loi
arrachèrent ses dépêches. Arrêté de nouveau quelques jours
plus tard, le malheureux fut conduit au château de Mirwart,
puis torturé devant la Cour de Grupont, enfin mené à Liège
pour y être confronté avec d'autres prisonniers, le frère bâtard
de l'archidiacre et la dame de Seraing. Toutes ces dépositions
prouvaient assez le crime de l'archidiacre; mais, par un départ
opportun, l'adroit prélat esquiva les poursuites, et ce fut son
parent Philippe, moins coupable et surtout moins compromis,
qui essuya toute la colère du chapitre et du Gouvernement des
Pays-Bas.
Qu'advint-il dans la suite des deux archidiacres? Nous l'igno-
rons. Philippe mourut en 1545 ' et légua une partie de sa
fortune pour l'achèvement du palais épiscopal. Il ne survécut
donc pas longtemps à son procès. Fut-il condamné à une peine
quelconque? Nous n'oserions l'affirmer. Peut-être suspendit-on
les poursuites pour ménager le chapitre, dont l'honneur eût
été quelque peu terni, si l'on eût révélé le crime d'un de ses
membres. Peut-être sut-on gré au chanoine de sa prompte
soumission et trouva-t-on qu'il était moins coupable qu'on
le supposait, qu'il eût été injuste de le punir, alors que l'archi-
diacre Guillaume, le plus chargé des la Marck, échappait par
la fuite à toute répression. Peut-être enfin son caractère sacer-
dotal lui évita-t-il tout châtiment. On connaît l'indulgence des
tribunaux ecclésiastiques pour une faute comme celle qu'avait
commise Philippe de la Marck.
Nous ignorons également ce que devinrent Jean de la
Marck et son frère, l'archidiacre de Seraing. Ils moururent en
1 Conclusions capital aires du chapitre de Saint-Lambert, registre cuv.
(107)
France, dit Chapeaville, en 1557. Voilà tout ce que le chroni-
queur liégeois nous apprend sur les deux petits-fils du Sanglier
des Ardennes *.
Pour terminer l'histoire de cette famille, à coup sûr une des
plus curieuses de l'ancien pays de Liège, nous ajouterons que
les deux fils de Jean de la Marck eurent une destinée tragique.
L'aîné, Guillaume, devint le chef des gueux de mer et se
signala dans la guerre de nos provinces contre Philippe II par
sa bravoure et son fanatisme. Le second, Philippe de la Marck,
fut chanoine de la cathédrale ; mais à la mort de son frère,
en 1578, il résigna son canonicat et épousa Catherine de Man-
der scheid. Quelques années auparavant, il avait été impliqué
dans un complot ourdi par quelques Liégeois pour livrer la
Cité à Guillaume le Taciturne.
On voit que tous ces la Marck avaient hérité les instincts
sauvages et les passions brutales de leur terrible ancêtre, le
grand Sanglier des Ardennes.
VI
Les lettres de Boisot^ que nous venons d'analyser, occupent
une place à part parmi les documents du XVIe siècle. L'histoire
de la vieille Cité, si obscure parfois dans le récit terre à terre de
Chapeaville, brille d'un éclat particulier dans la narration pitto-
resque et colorée du conseiller flamand. Au lieu d'une sèche
énumération de noms et de dates, comme on en rencontre trop
dans nos vieux chroniqueurs, nous trouvons une peinture
frappante de personnages historiques qui semblent revivre
avec leurs passions et leurs coutumes. Ces ambassadeurs
brabançons qui surveillent les autorités locales; cette foule
susceptible et inquiète, prête à se révolter à la moindre violation
de ses privilèges; ce Raes de Laminne, superbe raisonneur qui
1 Chapeaville, loc. ciU, |>. 382.
* Ces lettres se trouvent aux Archives du royaume, dans les liasses i%
17 A% 17 B des Papiers d'État et de l'Audience.
(408)
jusque sur l'échafaud proteste de son innocence; ce chanoine
Philippe de la Marck qui pleure comme un enfant, quand son
crime est découvert; cette dame de Seraing qui menace de
convoquer les métiers et d'exciter des troubles, si on ne lui
rend son fils; ces pauvres diables même qui expient dans les
tortures ou sur l'échafaud les fautes de quelques ambitieux :
tous ces événements prennent dans les dépêches de Boisot
un relief saisissant. A leur lecture, il semble que nous nous
sentions transportés dans la vieille Cité cpiscopale, en plein
XVIe siècle ; nous nous retrouvons tantôt dans les cloîtres de
Saint-Lambert, tantôt sur le Marché, quelquefois dans les
cachots de Potficial. Nos archives renferment peu de pages d'un
style aussi coloré et d'une lecture aussi fructueuse.
Mais ces missives diplomatiques ne charment pas seulement
le curieux qui veut retrouver les mœurs du vieux temps; elles
instruisent encore l'historien qui désire connaître la vie poli-
tique de la petite principauté; elles marquent en traits frap-
pants la situation exacte du pays de Liège vis-à-vis de Charles-
Quint.
De grands changements avaient suivi la mort du cardinal
9
Erard de la Marck. Cet habile et énergique prélat avail été rem-
placé par un prince maladif et pusillanime, pour qui les fonc-
tions épiscopales étaient un trop lourd fardeau ; par un prince
qui sortait de sa capitale quand les plus graves dangers mena-
çaient le pays; par un prince, enfin, qui aurait été le plus
coupable des souverains, s'il n'avait été le plus faible des
hommes. Charles-Quint avait redouté jadis la trop grande
ambition d'Érard ; il redouta bien plus l'excessive timidité de
Corneille de Berghes.
Heureusement pour les Pays-Bas et la principauté de Liège,
la gouvernante Marie de Hongrie fut aussi énergique que clair-
voyante. Elle ne prit jamais le change sur les intentions des
Clévois et des Français, et avertit chaque fois ses alliés des
dangers qu'ils couraient, dangers qu'ils ne soupçonnaient pis
le plus souvent et qu'ils n'auraient pu*par eux-mêmes détourner.
Ce fut Marie de Hongrie qui, pendant ces années critiques,
( 109 )
'gouverna la principauté; elle sauvegarda l'indépendance
liégeoise, quelquefois malgré les Liégeois, comme le prouve
la mission du conseiller Boisot, l'exemple le plus frappant de
cette tutelle intelligente et autoritaire que le Gouvernement
des Pays-Bas exerça sur le pays de Liège au XVIe siècle.
L'attitude de Charles-Quint dans ces années mémorables
montre que ce souverain était passé maître en fait de diploma-
tie. Jamais l'alliance de ses voisins, les Liégeois, ne lui fut
aussi nécessaire. Les progrès du duc de Clèves dans la vallée de
la Meuse, la campagne de Van Rossum dans le Brabant, le
mécontentement général des populations flamandes, tous ces
fâcheux événements mirent plus d'une fois le grand empereur
dans un cruel embarras. Si les Français avaient pu gagner le
pays de Liège à leur cause, installer un la ftfarck à la place de
Corneille de Berghes, il est probable qu'une partie des Pays-Bas
eût été perdue pour Charles-Quint. Une sourde irritation
couvait dans les villes de la Flandre et du Brabant contre leur
souverain, qui les épuisait par ses demandes continuelles de
subsides, et il ne fallait qu'une étincelle pour que cette irri-
tation engendrât une insurrection formidable des dix-sept
provinces.
Aussi Charles-Quint usa-t-il de la plus grande prudence dans
ses relations avec les Liégeois. Quelques motifs qu'il eût de se
plaindre de leur turbulence, l'adroit monarque évita de toucher
aux privilèges de ses alliés, à ces privilèges qu'ils avaient en
merveilleuse recommandation, comme l'écrivait Boisot. S'il
chargea un ambassadeur extraordinaire de surveiller les auto-
rités locales et de poursuivre les vrais coupables, il le fit avec
tant d'habileté que le peuple ne s'en douta pas, et que jusqu'à
ce jour, nous ne connaissons qu'un seul historien * qui ait
soupçonné cette intervention directe de l'empereur dans les
affaires de la principauté.
Par contre, tous les écrivains ont raconté l'entrée solennelle
de Charles-Quint à Liège, le 8 janvier 1844. L'empereur qui se
1 M. Rahlonbeck dans sou curieux livre : L'ÉylUe de Liège et (a révolution.
( no )
rendait à Spire pour présider la diète germanique passa quel*
ques heures à Liège afin de faire ses dernières recomman-
dations à Corneille de Berghes. Il fut reçu avec tous les hon-
neurs qui étaient dus au premier souverain de l'Europe et au
suzerain de la principauté. En signe d'hommage, les bourg-
mestres, Guillaume de Meefet Jean de Miche, lui remirent les
clefs de la ville. L'empereur les suspendit à l'arçon de sa selle;
mais, arrivé dans la cour du palais épiscopal, il les rendit aux
deux magistrats en leur disant : a Gardez-les toujours avec la
même fidélité que vous les avez conservées jusqu'à présent. »
Comme plus tard Louis XIV et Napoléon, Charles-Quint
trouvait quelquefois des mots heureux qui lui gagnaient les
cœurs. Il ne pouvait se montrer plus aimable envers les
premiers fonctionnaires de la Cité qu'en les félicitant de leur
fidélité. Mais il y avait dans ces flatteuses paroles comme un
avertissement discret qui échappa à la foule et qui dut être
compris de tous ceux qui avaient pénétré les secrets de la
politique impériale.
( 444 )
CHAPITRE VII.
Histoire des contestations politiques, judiciaires et religieuses
de Charles-Quint avec le pays de Liège.
I
L'habileté diplomatique d'Érard de la Marck et de ses suc-
cesseurs n'aplanit pas toujours du premier coup les difficultés
qui surgirent entre la principauté et Charles-Quint.
Les terres de la principauté étaient si bizarrement enclavées
dans les Pays-Bas, que, par-ci, par-là, les frontières des deux
*
Etats étaient indécises. Certains territoires étaient revendiqués
par les deux souverains, entre autres Maestricht, où ils exer-
çaient une autorité mal définie. Depuis le XIIIe siècle, les
évêques de Liège et les ducs de Brabant se disputaient la
juridiction de cette ville. Ceux-ci invoquaient la cession faite
par l'empire au Brabant; ceux-là se prévalaieut de ce que
Maestricht avait été jadis le siège de Pévêché, et que plusieurs
églises de la ville relevaient du patrimoine de Saint-Lambert.
Or, les Brabançons ne voulaient réserver à l'évéque que la sou-
veraineté sur les familles de Notre-Dame et de Saint-Lambert.
Les Liégeois interprétaient ce mot « famille » dans le sens
reconnu par le concordat de 4284, et les officiers d'Érard pré-
tendaient que tout étranger Rétablissant à Maestricht avait le
droit d'opter entre les deux ressorts <«
1 Sur les contestations enlre Érard de la Marck et Charles-Quint au sujet
de Maestricht, ou trouve de riches renseignements dans le tome VIII, pp. 216
et suivantes, de YHietoire de Charles-Quint en Belgique, de M. Alexandre
( 112 )
Obligé de ménager la principauté, Charles-Quint ne protesta
d'abord pas contre cette prétention ; mais en 1530, quand il
détacha les Pays-Bas de la suzeraineté de l'empire , il décida
que Maestricht avec ses dépendances serait annexée au Bra-
bant.
Cette décision mécontenta la population de Maestricht.
Voisine du pays de Liège, presque liégeoise elle-même par ses
relations suivies avec la capitale, cette petite localité éprouvait
peu de sympathie pour le Brabant. Elle craignait d'être acca-
blée de taxes par un nouveau souverain et préférait vivre sous
*
la tutelle du saint-empire. Erard profita de ces dispositions
et, tout en ménageant son auguste allié, travailla à obtenir le
retrait de la sentence de 1530.
Les Maestrichtois, de leur côté, défendirent leurs privilèges
avec cette sombre obstination qui est le trait distinctif de nos
anciennes communes; ils chassèrent les juges brabançons, en
appelèrent aux tribunaux impériaux et ne s'émurent nulle-
ment, quand ils apprirent les mesures hostiles de la gouver-
nante.
L'empereur eut plusieurs entrevues à Maestricht avec le
prince-évêque, et, comme tpujours, celui-ci n'osa résister aux
injonctions de son suzerain. Voyant qu'il n'obtiendrait aucune
w
concession, Erard de la Marck s'employa, quoique à regret, à
réconcilier Charles-Quint avec les bourgeois irrités. Il eut beau
prodiguer les plus vives démonstrations d'amitié; pendant
.plusieurs années, les Maestrichtois répondirent par d'auda-
cieuses représailles aux actes arbitraires de Marie de Hongrie.
Retenu par d'autres préoccupations et empêché de punir la
ville rebelle, Charles-Quint dut rabattre de ses exigences.
En 1537, il déclara qu'il maintiendrait les privilèges et les cou-
tumes de la villes, et quelques années plus tard, en 1545,
Henné. Pour cette question comme pour tant d'autres, le savant historien a
utilisé les différentes collections des Archives du royaume, principalement le
registre intitulé : Recueil en brief des droits et juridiction que Pempereur,
comme duc de Brabant, a en la ville de Maestricht. Archives du royaume.
( 113)
«
accorda à Georges d? Autriche ce qu'il avait refusé aux instances
d'JSrard de la Marck. Le concordat de 1546 modifia complète-
ment la charte de 1284. La juridiction des évéques s'étendit
sur les habitants de Maestricht nés dans les paroisses du pays
de Liège, du duché de Bouillon, du comté de Looz, du mar-
quisat de Franchimont et de leurs dépendances. Tous les
bourgeois, excepté les sujets de l'empire, des États héréditaires
de l'empereur et de Liège, eurent la faculté d'opter entre les
deux juridictions *.
Le 11 juillet 1548, Charles-Quint confirma cet acte, en décla-
rant que l'union de Maestricht aux Pays-Bas ne portait nul
préjudice aux droits de l'évêque de Liège dans cette ville 2,
Le concordat de 1546 avait paru aux états et au conseil de
Brabant un affaiblissement de l'autorité ducale, et ils insistè-
rent auprès de Charles-Quint pour en obtenir le retrait. Aussi,
au moment d'abdiquer, le 33 octobre 1555, l'empereur révoqqa
le traité ; mais cette révocation fut sans effet à Liège, et pen-
dant bien des années encore, les deux États voisins, le Brabant
et la principauté de Liège, maintinrent leurs prétentions à la
souveraineté de Maestricht 3.
Dans les conférences tenues à Saint-Trond et à Léau, les
députés de Charles-Quint et de l'évêque de Liège avaient tâché
de régler d'autres difficultés relatives aux frontières des deux
États, à des conflits de juridiction, à des réclamations doua-
nières. Ces questions étaient nombreuses et d'origines diverses*.
1 Voir A. Henné, loc. cit., tome VIII, p. 248, et pour le texte du concordat:
Louvrcx, 1" partie, p. 314.
* Voir Louvrbx, loc. cit^ 3* partie, p. 419.
* Voir A. Henné, loc. cil., tome VIII, p. 255.
4 Voir Henné, loc. cit., tome VIII, pp. 250 et 251 , et Louvrex, 1™ partie,
pp. 214 et suiv. Ce jurisconsulte reproduit le texte du concordai de 1546 (en
latin), qui règle les affaires de Maestricht, de Rochefort, d'Eysden et de
Château -Thierry, du lonlieu de Namur, de Bouvigne, d'Argent eau et de
Herraalle, de Franchimont et de la Vesdre. — A la page 218 et aux pages
suivantes, il reproduit le texte (en français) du concordat du 4 août 1548, qui
règle les autres différends. Les liasses de l'Audience, les collections des lettres
Tome XLI. 8
(U4)
L'indépendance et la neutralité de Saint-Hubert n'étaient
pas reconnues.
Les Dinantais, sujets liégeois, se plaignaient de ce que les
autorités namuroises prélevaient un tonlieu sur leurs marchan-
dises, et prétendaient que rétablissement de cette taxe était
contraire aux dispositions du traité de 1518. Conformément
aux mœurs violentes du temps, ils n'attendaient pas que la
juridiction compétente eût statué sur leurs réclamations et, en
guise de représailles, confisquaient les marchandises namu-
roises, chaque fois qu'ils en trouvaient l'occasion. Réciproque-
ment, les Néerlandais réclamaient contre le tonlieu que les
Hutois prélevaient sur les trains de bois descendant la Meuse.
Le procureur général de Namur et le mambour de Tévéque
se disputaient « le terroir, haulteur et juridiction es rues et
chemins de Flamingnol » *.
Bergeyck, village brabançon, Overpelt et Neerpelt 2, villages
liégeois, revendiquaient la jouissance du droit de pâture sur
des bruyères et des terres communes.
L'official de Liège avait assigné devant son tribunal des sujets
de la seigneurie de Vlytingen 3, appartenant au chapitre de
Saint-Servais, à Maestricht, sous prétexte que ladite seigneurie
relevait du pays et diocèse de Liège. Par contre, les habitants
de Vlytingen avaient saisi Henri Raoul, clerc et appariteur de
la cour spirituelle, ce qui leur avait valu de la part de l'official
provision pénale sous censure, et ils avaient obtenu l'annula-
tion de leur sentence du chancelier et des membres du Conseil
de Brabant.
de Marie de Hongrie, le carton I des documents relatifs au pays de Liège, les
archives de la chambre des comptes, reuferment une inOnité de pièces retra-
çant les contestations des Liégeois avec les Néerlandais. Le texte du traité du
4 août 1548 (voir Louvrex, toc, cit., p. 218) résume très brièvement l'histoire
de chacun de ces différends.
1 Flamingnol ou Flamignoles, aujourd'hui Fatmignoul, village de la province
de Namur, au sud de Diuant.
* Overpelt et Neerpelt, au nord de la province de Li m bourg.
* Vlyiingr n, entre Tongres et Maesiricht, province de Ltmbourg, s'écrivak
alors Vlietinghe ou Vlelinghe.
( 115 )
Les habitants d'Ëysden * se plaignaient du tonlieu exigé au
pont des arches à Liège, au mépris, disaient-ils, de l'alliance
de 1518.
Le procureur général deNamur et les Dinantais prétendaient
à la juridiction sur la maison de Servais de Louvières, située
à Popposite deBouvigne.
Les Liégeois réclamaient la juridiction des seigneuries
d'Àrgenteau et de Hermalle, dont le propriétaire, le seigneur
d'Àrgenleau, soutenait ressortir au duché de Brabant.
Le seigneur de Denée, Guillaume, dit Charpentier, assisté du
mambour de l'évêque, s'était emparé des vaches de Thierry,
baron de Brandebourg, seigneur de Bioul, à cause que ledit
seigneur de Bioul avait mis sur une roue le cadavre de Stassin
de Ville, décapité par ses ordres; qu'il avait, outre ce, érigé
un signe patibulaire sur une pièce de terre appartenant à
l'abbé de Broigne, et qu'il avait fait exécuter, en mars 1545,
un jeune gars sur une terre qui lui appartenait, à lui seigneur
de Denée. Par représailles, le baron de Brandebourg avait
saisi les bœufs et les brebis qui paissaient sur les biens du sire
de Denée 2.
Le marquisat de Namur et le pays de Liège ne s'entendaient
pas sur la direction de leurs frontières respectives.
Les échevins de Saint-Trond, ville liégeoise, avaient arrêté,
à la requête d'un de leurs bourgeois, un habitant du village
brabançon de Hellen.
L'écoutète liégeois de Maestricht faisait incarcérer le curé de
Lut, chapelain de Saint-Servais.
Le châtelain de Franchimont avait saisi le charretier, le cha-
riot et les chevaux du capitaine de Limbourg pour l'empêcher
de jouir des bois morts des forêts de Franchimont.
1 Eysden, village limbourgeois, au nord de Visé, aujourd'hui dans le
Limbourg hollandais.
* Voir le texte du traité du 4 août 1548 (Louvrix, !'• partie, pp. 318 et
suiv., n° 13). Denée et Bioul sont deux villages namurois situés entre Fosses
et Dinant.
( 116)
Les Liégeois prélevaient un tonlieu sur la Vesdre au pont
d'Amercœur à Liège.
Un bourgeois de Tongres interjetait appel devant les éche-
vins d'Aix-la-Chapelle d'une sentence ce donnée par une loi que
Ton dict subalterne de Vroenhove » *.
Le seigneur de Lavoir et l'officier de Moha * se contestaient
les limites de leur juridiction respective.
Le bailli de Fallais 3 avait fait arrêter et exécuter un meur-
trier à Opite, pays de Liège.
Les communes de Visé (territoire liégeois) et de Daelhem
(pays d'outre-Meuse) étaient en désaccord, ainsi que les locali-
tés d'Argenteau, de Hermalle et de Haccourt *; les communes
d'Overpelt et de Bergeyck.
L'écoutète de l'évéque à Maestricht s'arrogeait le titre de haut
écoutète.
L'évéque revendiquait la souveraineté des seigneuries de
Cheratte, de Fléron et de Feneur *.
La garnison d'Yvoy 6 (Luxembourg) avait pris des chevaux
appartenant à des bourgeois de Tongres.
Les princes d'Orchimont et de Gedinnes * se disputaient le
bois Notre-Dame.
* Voir Louvrex, loc. cil, n° 19. Le village de Vroenboveo, situé sur la route
de Tongres a Maestricht, appartient aujourd'hui à ta province de Limbourg.
C'était alors une enclave brabançonne, et plus d'une fois les magistrats de cette
petite localité furent en contestation avec les communes liégeoises voisines.
(Voir à ce sujet l'article 50 du concordat de 1615, Louvrex, 1" partie, p. 233.)
1 Lavoir et Moba sont deux villages limitrophes situés sur un affluent de
la Méhaigne (province de Liège).
* Fallais, aujourd'hui dans la province de Liège, alors dans le duché de
Brabant.
* Haccourt et Hermalle sont sur la rive gauche de la Meuse, Argenfeau sur
la rive droite (province de Liège).
* Cheratte, Fléron, Feneur, aujourd'hui dans la province de Liège, alors
dans le duché de Limbourg.
6 Yvoy, sur un affluent de la Meuse, aujourd'hui Carîgnan (France), était
situé dans le duché de Luxembourg.
7 Villages situés au sud-est de la province de Namur.
i
( HT )
Le village d'Àmbly J, sous Rochefort, était en contestation
avec celui de Hogne.
Enfin, il fallait régler les différends relatifs au chapitre de
Nivelles, à la seigneurie de Chaumont appartenant à l'abbé de
Bonne-Espérance, et au village de Lits près de Bois-le-Duc.
Nous avons tenu à rappeler les nombreuses contestations qui
faillirent plus d'une fois brouiller les deux États alliés, quelque
insignifiantes que quelques-unes nous paraissent, afin de com-
pléter le tableau des rapports diplomatiques de la principauté de
Liège avec les Pays-Bas. La plupart de ces difficultés avaient leur
source dans l'organisation de nos provinces. L'enchevêtrement
des frontières, la multiplicité des enclaves, les privilèges sécu-
laires des seigneurs haut-justiciers, le voisinage de communes
rivales et ressortissant à des pays distincts, le grand nombre
des tonlieux, engendraient sous l'ancien régime mille diffé-
rends que nous comprenons à peine dans notre siècle, où
l'uniformité de la législation, la précision des limites territo-
riales et la savante organisation des Etats, ont rendu de pareils
conflits presque impossibles. Le XVIe siècle portait encore les
marques du moyen âge, d'une époque où la noblesse, les
communes et le clergé invoquaient à tout moment leurs privi-
lèges et leurs coutumes, au mépris, très souvent, de l'intérêt
national.
Ces contestations étaient plus fréquentes dans le pays de
Liège, qui n'avait pas été soumis, comme les Pays-Bas, à une
centralisation puissante. Le prince- évêque jouissait d'une
double autorité, religieuse et laïque; le chapitre cathédral et
le clergé secondaire possédaient des privilèges notables; les
seigneurs avaient conservé une autorité considérable et les com-
munes,principalcmentla Cité, invoquaient à tout moment leurs
vieilles franchises, fruits des glorieuses luttes du XIVe siècle.
Rien d'étonnant que, voisins du Brabant, du Limbourg, du
marquisat de Namur, du Luxembourg, mis fréquemment en
rapport pour des questions religieuses ou des affaires judi-
1 AmbJy et Hogne, situés à Test de la province de Namur.
(118)
ciaires avec les Néerlandais, les magistrats laïques ou les
dignitaires ecclésiastiques liégeois, vissent naître de fréquentes
contestations avec les officiers de Charles-Quint.
La plupart des griefs que nous venons d'énumérer concer-
naient des individus et, partant, n'intéressaient que faiblement
les Gouvernements liégeois et néerlandais. Il en était autre-
ment des contestations financières. Les Liégeois se plaignaient
amèrement des tonlieux prélevés sur leurs marchandises à
Namur, à Bouvigne, à Beaumont; ils y voyaient une infraction
à l'alliance de Saint-Trond, et, si nous nous le rappelons, c'est
en se fondant sur ces taxes qu'ils refusèrent, en 1538, d'accepter
les nouvelles propositions d'alliance de Marie de Hongrie.
Ces réclamations étaient d'autant plus inquiétantes que les
Liégeois intéressés usaient de représailles à l'égard de leurs
voisins. Les Dinantais, nous l'avons vu, confisquaient les biens
des Namurois pour répondre à leurs prétentions douanières,
et cette sourde hostilité de deux villes rivales pouvait engen-
drer une guerre désastreuse entre les États alliés.
Heureusement , la sagesse de Marie de Hongrie et la pru-
dence du prince -évêque, Georges d'Autriche, conjurèrent
l'orage. « J'aime mieux avoir les Liégeois bons voisins et
amis que mes propres sujets, disait Charles-Quint t. » Cette
profonde pensée caractérise la diplomatie du Gouvernement
des Pays-Bas. Impliquée dans des affaires multiples, la gou-
vernante préférait régler par des négociations ce que, à la
rigueur, elle aurait pu décider par voie d'autorité. Elle trou-
vait plus sage d'accorder quelques concessions, concessions
qu'elle comptait retirer à la longue, que de froisser de suscep-
tibles voisins. C'est ainsi qu'elle termina à l'amiable ces nom-
1 Voir {Audience, liasse 18) la lettre du 2ii janvier 1544 de Gilles de te
ltlocquerie, archidiacre du Hainaut, à Marie de Hongrie ; l'archidiacre rappelle
les paroles de l'empereur « servant pour donner entendre le bon vouloir ei
désir que badite Majesté avoil toujours eu pour .... lentretenance de bon
voisinage, amitié et considération avec ceste cité et pays, déclarant que trop
mieulx les aymait avoir ses bons voisins et amys que ses propres $u/t/«,elc.»
( 119 )
breuses contestations qui depuis longtemps excitaient les sujets
des deux États.
Le concordat du 4 août 1546 *, qui réglait la juridiction du
duc de Brabant et du prince-évêque à Maestricht, trancha aussi
une partie des autres questions litigieuses.
Les députés des Pays-Bas et du pays de Liège décidèrent
que le comté de Rochefort relèverait du territoire liégeois et
du duché de Luxembourg, désignèrent les villes qui dépen-
daient de ce comté, approuvèrent l'échange de Herstal (enclave
brabançonne), contre le village de Pont-à-Freine, que le Gou-
vernement néerlandais baptisa du nom de Mariembourg,
exemptèrent les Franchimontois des tonlieux du Limbourg,
permirent en retour au châtelain de ce duché, ou à son lieute-
nant, de prendre les bois nécessaires à son chauffage dans les
forêts du prince de Liège, remirent à des arbitres l'examen
des contestations relatives aux tonlieux de Namur, du pont des
arches et du pont d'Amercœur à Liège, à la nationalité des
habitants de Hermalle.
A cette fin, de nouvelles conférences avaient été ouvertes à
Léau en février et en mars 1546, mais elles restèrent sans
résultat, et ce ne fut que deux ans plus tard, le 4 août 1548,
que tous les différends furent aplanis, sauf celui de Saint-
Hubert qui resta ouvert jusqu'en 1769.
Ce concordat de 1548 2, négocié à Bruxelles entre le prince-
évêque et Marie de Hongrie, témoigne de la sagesse diploma-
tique des Etats contractants, qui considérèrent « être requis et
plus que décent entre princes voisins et amis vuyder de tous
différens amiablement, pour plus parfaite observance de bonne
9
voisinance ». Aussi les prétentions des deux Etats reçurent une
juste solution, leurs droits réciproques furent reconnus, et les
litiges dont le règlement réclamait une enquête, remis à des
arbitres ou aux tribunaux compétents. C'est ainsi qu'à l'occa-
sion du tonlieu de Namur, il fut décidé qu'on ne prélèverait
1 Voir le tpxte latin de ce concordat dans Loovrbx, foc. cil , pp. 214 et suiv.
J Voir le texte français de ce concordat dans Lootrex, toc. cit., pp. 31 Set soi v .
( 120 )
plus dans cette ville que les taxes exigées avant 1518, et que la
légitimité de ces taxes, dans le cas ou elle serait contestée,
serait appréciée par le Conseil privé des Pays-Bas ou par le
grand Parlement. La justice se substituait ainsi à l'autorité *.
Dans la question de Maestricbt et les contestations judiciaires
et financières précitées, le Gouvernement de Charles-Quint mon-
tra donc une grande condescendance à l'égard du pays de Liège.
Il tâcha de satisfaire aux vœux des Liégeois et plus d'une fois
laissa fléchir sa volonté impérieuse. C'est que Charles-Quint
préférait céder quelques lieues de territoire, renoncer à on
tonlieu ou à une juridiction douteuse, plutôt que de perdre
l'alliance des Liégeois. Chacune de ses concessions résultait
d'un calcul, et lorsque l'empereur n'était pas mû par des con-
sidérations politiques, ou qu'il était sûr de triompher de la
résistance de ses alliés, il se gardait bien d'abandonner une
part de ses droits. 11 faisait preuve au contraire d'une obstina-
tion particulière, comme on le vit dans ses tentatives de
restreindre l'autorité spirituelle de l'évêque aux Pays-Bas.
II
A l'avènement de Charles-Quint, le diocèse de Liège avait
conservé les limites qui lui avaient été assignées lors de sa
fondation. Outre la principauté, il comprenait le marquisat
de Namur, une partie du duché de Luxembourg et du duché
de Limbourg, la presque totalité du duché de Gueldre et une
bonne partie du Brabant. Celte grande étendue de frontières
rehaussait le prestige du prélat qui les administrait. Son auto-
rité s'étendait sur tous les clercs, sauf les exempts, et sur les
laïques pour toutes les affaires civiles que la législation de
l'époque réservait encore aux évêques. L'official^, juge suprême
1 Nous trouvons superflu de rappeler les stipulations du concordai de 1548,
car nous ne signalons ces contestations multiples que pour y montrer l'in-
fluence du Gouvernement des Pays- lias sur les affaires liégeoises.
* Voir Poullet, Histoire du droit criminel dans ie pays de Liège, passim.
( 121 )
du diocèse, connaissait ainsi des crimes d'hérésie, des contrats
de mariage, de la légitimité des enfants; en un mot, il était le
juge compétent pour un grand nombre de contestations civiles
qui depuis des siècles ressortissaient au for ecclésiastique. A
Pévêque appartenait le droit de fulminer l'excommunication,
de prononcer l'interdit, peines terribles qui entraînaient une
flétrissure morale et des châtiments matériels redoutables.
L'évoque et ses représentants, l'oflicial, les vicaires généraux,
les archidiacres, les prévôts des chapitres, étaient donc des
juges puissants, dont le pouvoir contrebalançait souvent l'au-
torité des cours laïques. Rien d'étonnant que les échevins, juges
ordinaires de leurs, concitoyens et les cours de justice suprêmes
des Pays-Bas, comprises dans le diocèse de Liège, fussent
souvent en lutte ouverte avec les dignitaires ecclésiastiques.
C'est particulièrement le duché de Brabant qui souffrit de
ces conflits. Aussi, dès le XIVe siècle, les souverains brabançons
tâchèrent de régler par arbitrage ou par compromis leurs diffé-
rends avec Tévêque de Liège.
En 1323, le duc Jean III ' révoqua l'édit par lequel il avait
défendu à ses sujets de comparaître devant Tévêque de Liège ou
devant son archidiacre en matière spirituelle. La même année 2,
les commissaires du roi de France, Philippe V le Long, pris
comme arbitre, décidèrent à Cambrai que Tévêque de Liège, son
officiai et ses archidiacres exerceraient leur juridiction en Bra-
bant; ils confirmèrent ainsi le premier article du concordat pré-
cédent et réglèrent d'autres contestations soulevées par les deux
États. Par une sentence arbitrale rendue à Amiens, Philippe VI
de Valois annula les alliances contractées tant par Tévêque de
Liège contre le duc de Brabant que par le duc de Brabant
contre Tévêque, ordonna de restituer les prisonniers et les biens
confisqués de part et d'autre, décida que les Brabançons, sujets
du diocèse de Liège, pourraient être déférés au Tribunal de la
paix, qu'il serait loisible à Tévêque d'accorder des quarantaines
1 Voir Louvrex, loc. cit., 1" partie, pp. 168 et suiv.
* Idem, loc. cit., lr« partie, p. 171.
( 122 )
aux Brabançons de son diocèse, que le duc de Brabant n'im-
poserait plus de tailles sur les biens des ecclésiastiques liégeois
situés en Brabant, que l'évêque, son officiai» ses archidiacres
jouiraient de leur juridiction dans les terres ducales. Il régla
enfin d'autres litiges de moindre importance.
Quelques années plus tard, en 1356, l'évêque de Liège et le
duc de Brabant conclurent un nouveau concordat * au sujet du
Tribunal de la paix, Cour liégeoise dont la compétence s'éten-
dait aux infractions des trêves de Dieu. Suspendue pendant
les terribles années de la domination bourguignonne, la juri-
diction diocésaine reparut avec tout son éclat après que la prin-
cipauté eut recouvré ses privilèges. Le jour de son intronisa-
tion, Erard de la Marck jura qu'il écarterait tous les obstacles
opposés à l'autorité du Tribunal de la paix et à sa juridiction
ecclésiastique, non seulement dans le Brabant, mais dans les
autres parties de son diocèse.
Une telle prétention devait porter ombrage au nouveau sou-
verain des Pays-Bas. Charles-Quint était trop jaloux de son
pouvoir, pour ne pas combattre l'immixtion d'un prélat
étranger dans ses Etats héréditaires. Tout secondait d'ailleurs
ses projets : la grande puissance de sa maison, l'amitié du
souverain pontife et, par-dessus tout, l'empire que prenait en
Europe le droit romain, si favorable à l'absolutisme royal.
Dès son avènement, Charles-Quint tâcha de restreindre dans
le Brabant l'autorité des diocésains. Un article additionnel à la
Joyeuse Entrée limita les cas qui seraient dorénavant de la
compétence de l'évêque. Les Limbourgeois et les Brabançons,
dépendant des diocèses de Liège et de Cambrai, ne seraient plus
actionnés que devant les cours spirituelles établies dans le Bra-
bant. Cette clause fut étendue à tous les Pays-Bas par la bulle
de Léon X du 15 juillet 1515, qui défendit de citer les Belges
hors de leur patrie, pour les causes à juger en première instance
par les tribunaux ecclésiastiques, et restreignit la compétence
de ceux-ci à trois cas : la validité des testaments, les contrats
•
1 Voir Louvhex, pp. 180 ei suiv.
( 123 )
de mariage et les difficultés relatives à l'amortissement des
biens du clergé '.
Les juges ecclésiastiques ne respectèrent guère ces prescrip-
tions, et les lettres de Marguerite d'Autriche nous montrent les
empiétements continuels du clergé sur l'autorité judiciaire de
Charles-Quint. Aussi bon prélat que fin politique, Erard mit en
œuvre toutes les ressources de sa diplomatie pour conserver
ses privilèges. Il menaça la gouvernante de se retirer dans ses
Etats et de ne plus paraître à la cour des Pays-Bas, menace qui
rendit la gouvernante assez perplexe. Les prétentions de ses
agents allèrent si loin, que Marguerite, pour faire lever les sen-
tences d'excommunication 2 prononcées contre les villes et
villages brabançons, dut quelquefois ordonner la saisie des
biens des officiers liégeois situés en Brabant.
III
Peu s'en fallut que vers cette époque Erard ne devînt
inquisiteur général des Pays-Bas. Depuis 1520, la Réforme
faisait de tels progrès dans nos contrées, que le Gouvernement,
pour les arrêter, recourut à des mesures d'une impitoyable
rigueur. Comme les évêques des Pays-Bas ne suffisaient plus
pour châtier les hérétiques, Charles-Quint réorganisa l'Inquisi-
1 Voir A. Henné, toc. cit.. t. VII, p|> 239 ei suiv.
* Voir (Correspondance de Marguerite d'Autriche, reg. n° 35, p. 307) uu
extrait « du mémoire original au sieur de Praet, chambellan, el à Jehan
Hannart, premier secrétaire el audiencier de l'empereur ». On y lit celle phrase
importante : « Madame a cy devant assez adverly l'Empereur des différends
esquelz elle os'.oit avec les evesques et gens d'Eglise pour raison de leur juri-
diction, mais que elle ireuve plus de difficulté et de desroi au diocèse de Liège
que es autres. El que puis ung an ença ils ont usé largement d'excommuni-
cation et de cetz es villes comme es villages, que Madame pour remède a esté
contrai uc te user de main mise aux biens temporels des officiers dudit diocèse
et que a ce moyen ils ont levé leur cetz et que elle soit délibérée de ne plus
dissimuler de la conservation de la baulteur de lempereur audit diocèse ny
eu aultres. » Mémoire du 31 octobre 1525.
( 124 )
tion en 1522; mais au lieu d'en conférer la direction à un
dominicain, il la donna à un laïque, à François Van der Hulst,
conseiller au Conseil de Brabant. L'autorité quasi illimitée qui
fut déléguée à ce magistrat, prouve que si Charles-Quint défen-
dait la religion catholique, il n'entendait pas se priver d'une
part de son autorité au profit du clergé. Il introduisait dans la
législation une innovation que le pape Adrien VI consacra.
Hais Van der Hulst n'usa pas longtemps de son autorité. Il fut
destitué par la gouvernante, Marguerite d'Autriche, pour crime
de faux en écriture publique, et remplacé par trois inquisiteurs
spéciaux : Olivier Buedens, prévôt de Saint-Martin, à Ypres,
Nicolas Houseau, prévôt des écoliers, à Mons, et Jean Coppin,
doyen de l'église de Saint-Pierre, à Louvain. Les fonctions ter-
ribles d'inquisiteur étaient rendues au clergé, mais affaiblies,
puisqu'elles étaient conférées à trois personnes.
La nomination de ces trois inquisiteurs fut une déception
pour le cardinal de Liège. Il est probable qu'Erard avait
espéré devenir inquisiteur général. Il se fût merveilleusement
acquitté de cette mission. La sévérité avec laquelle il châtia
l'hérésie dans la vallée de la Meuse, sévérité qui lui valut les
félicitations du pape Clément VU, indique assez comment il
eût agi contre les sectaires des Pays-Bas. Mais Charles-Quint
redoutait trop l'ambition d'Érard pour lui donner la succession
de Van der Hulst.
Le rêve d'Érard faillit se réaliser d'une autre façon. Soit qu'il
reconnût dans l'évêque de Liège une aptitude spéciale pour ce
genre d'affaires, soit qu'il cédât à de secrètes démarches, Clé-
ment VII lui conféra en lo25 le titre d'inquisiteur général aux
Pays-Bas *.
1 Sur tous ces événements, consulter le précieux registre sur te faict de
l'hérésie et inquisition, aux Archives du royaume. La table en a été faite par
M. Eug. Hubert el imprimée dans le deuxième fascicule des Travaux du
cours pratique d'histoire nationale, de M. P. Fredericq. Nous recommandons
également pour cette époque le beau livre de M.d'Hoop-Scheffer: Ge.schiedenis
der Kerkhervorminy in Nederland. Amsterdam, 1 875.
•( 128 )
Ce bref provoqua à Bruxelles une grande émotion. Marguerite
d'Autriche le communiqua aussitôt à ses conseillers. Ceux-ci
donnèrent des réponses diverses. Les uns opinèrent qu'il n'y
avait pas lieu de démettre les inquisiteurs officiels, attendu que
jusqu'alors ils s'étaient bien acquittés de leur mission. Le comte
de Buren et le seigneur de Berghes estimèrent que le bref du
pape pouvait être accepté; d'autres orateurs enfin déclarèrent
que le cardinal ne devrait pas instrumenter sans l'avis du conseil
privé ni de la gouvernante, ni hors de la résidence des accusés,
et que les confiscations seraient prononcées au profit de
Charles-Quint; ils pensaient bien que de telles réserves ne
seraient pas agréées de l'évêque de Liège.
Erard de la Marck répondit à Carondelet, archevêque de
Palerme, conseiller de Marguerite, qu'il n'accepterait cette
charge nouvelle d'inquisiteur que pour obéir au souverain
pontife et consulterait la curie romaine au sujet des futures
confiscations.
Dans une seconde réunionnes mêmes conseillers estimèrent
que le cardinal de Liège ne pourrait s'acquitter par lui-même
de sa nouvelle mission, et que ses délégués abuseraient peut-
être de leur autorité. Marguerite écrivit donc à l'empereur de
refuser son placet au bref papal *. Cest ainsi qu'Érard de la
Marck dut renoncer à ces fonctions suprêmes d'inquisiteur
général, qui l'eussent rendu le prélat le plus puissant des
Pays-Bas.
Charles-Quint travailla à diminuer l'autorité spirituelle des
1 II a semblé à tous ceulx dudit conseil et à moy aussi que ladite commis-
sion ne doibt es ire admise, et que nullement du monde n'y debvez consentir,
ne accorder votre placet, dont Monseigneur en toute humilité je vous adveflyz,
a (aventure si le seigneur cardinal ou autres en sa faveur vous en escripvissent,
et vous supplye si cbier que aymez retenir votre jorisdiction et baulteur, que
né consentez à ladmission dudit brief, le surplus que touche la jurisdiction
espirituelle dudit seigneur cardinal, etc.... (Lettre de Marguerite d'Autriche
à Charles-Quint, du 12 avril 1525, publiée par M. Rablenbeck, dans les pièces
justificatives de son livre : V Église de Liège et la révolution^ d'après une
copie qui se trouve dans le registre précité, f° 400.)
( 126 )
prélats dont il avait rainé la puissance temporelle. Reprenant
un dessein conçu jadis par le duc Jean III, et plus tard par les
Etats brabançons, il entama des négociations avec la curie pour
obtenir la création de nouveaux évôcbés aux Pays-Bas 4. Cette
réforme était réclamée par de puissants motifs religieux : la
population néerlandaise était trop nombreuse pour trois évê-
chés, et les progrès du protestantisme devenaient alarmants.
Aux yeux de Charles-Quint et de ses mandataires, les évéques
ne surveillaient pas assez minutieusement les doctrines des
sectaires. L'empereur était mû encore par d'autres considéra-
tions; il eût voulu, en créant de nouveaux diocèses, écarter de
la politique intérieure les prélats étrangers et dominer plus
sûrement le clergé indigène 2.
Entamées avec Adrien VI, ces négociations furent suspendues
sous Clément VII et reprises sous les successeurs de ce pontife.
Mais il ne paraît pas que le diocèse de Liège fût sérieusement
menacé. Peut-être, comme le conjecture le jésuite Strada,
Charles-Quint ne voulait-il pas amoindrir l'autorité de son
oncle, Georges d'Autriche, qui avait dû résigner un archevêché
espagnol avant de monter sur le trône de Notger 3.
Dans les dernières années de son règne, Èrard de la Marck
eut encore des démêlés avec le Gouvernement des Pays-Bas.
Nommé, en 1533, légat apostolique* dans son diocèse, il pré-
tendit exercer son autorité sur tous les clercs, même sur les
simples tonsurés, et nous avons exposé dans un chapitre pré-
cédent les difficultés que ses exigences nouvelles créèrent à
Marie de Hongrie.
Heureusement pour le pays de Liège, Erard était un vrai
k Sur la création des nouveaux évéchés, voir les documents ad hoc des
Archives du royaume et la préface de Gacbard, au tome 1er delà Correspon-
dance de Phi'ippe II, pp. zcvn et suivantes.
* Marguerite d'Autriche l'entraînait dans cette voie, comme on peut le voir
par ses lettres du 22 avril 1526 (reg. n*39), du 11 novembre 1529, du
14 décembre 1529, (reg. n°58j, du 9, du 10 et du 22 jauvier 1530 (reg. o* 41).
8 Strada, De bello belyico, édition de Rome de 1Q47, lr* décade, livre I. ;
* Brustuem, loc. cit., p. 94.
( \tl )
diplomate. Quoique intéressé à défendre son autorité reli-
gieuse et à maintenir les privilèges de son église, il ne poussa
jamais ses revendications au point de provoquer une rupture
avec son puissant voisin.
La plupart des contestations judiciaires soulevées du vivant
*
d'Erard de la Marck furent aplanies sous le règne de Corneille
de Berghes. Le concordat de 1541 régla l'exercice de la juri-
diction épiscopale dans le Brabant. A partir de ce moment, la
répression des héritiques appartint à l'évêque, sauf les droits
du duc quant à la nomination d'un inquisiteur, à l'arrestation
des prévenus et à la confiscation des biens; et Ton spécifia les
cas où l'évêque interviendrait seul, ceux qui compétaient au
duc, ceux qui ressortissaient aux deux juridictions. Beaucoup
de délits étaient de for mixte, et Charles-Quint eut soin de déli-
miter nettement son autorité judiciaire dans le Brabant *.
Cet accord toutefois n'empêcha pas la naissance de nouvelles
contestations entre les souverains des Pays-Bas et le prince-
évêque de Liège, et, jusqu'à la fin du règne de Charles-Quint,
nous découvrons dans les archives des preuves de l'amertume
qui marquait quelquefois les doléances de la cour de Bruxelles
au sujet du clergé liégeois. Tantôt la gouvernante Marie de
Hongrie incrimine 2 l'indulgence de l'évêque à l'égard de
ses subordonnés et relève l'insolence de certains prêtres,
comme « ce moine de Parc, qui depuis huit ans menait une
vie scandaleuse et prêchait contre Sa Majesté, sans qu'il fût
puni par les officiers de' l'évêque » et qu'elle fit arrêter par
le procureur du roi de Brabant, avertissant Georges d'Autriche
qu'elle n'endurerait «telle injure de nul prélat d'église quelque
grand qu'il fût, et moins d'ung moine qui dût estre plus
humble et plus obédient que aultres selon sa profession »;
1 Voir le texte de ce concordat dans Louvrex, loc. cit., tre partie, pp. 198
et suivantes.
* Lettre de Marie de Hongrie à l'évêque de Liège, du 22 septembre 1546
(Documents concernant le pays de Liège, carton I).
(128)
tantôt elle se plaint que le chapitre de Liège ' ne veut pas contri-
buer aux aides du Brabant pour ses biens situés dans ce duché,
et à cette occasion reproche aux Liégeois d'avoir requis l'assis-
tance de l'empereur sans participer aux frais de la guerre pour
les terres qu'ils possédaient en Brabant, et sans fournir de sol-
dats conformément à l'alliance de 1518; tantôt elle attribue les
progrès de l'hérésie * dans les Pays-Bas, à la négligence de
certains curés et décide que, avant de conférer des cures de
son patronage, elle soumettra les candidats à une enquête
sévère et les astreindra à la résidence.
Charles-Quint réussit donc en partie à affaiblir l'autorité spi-
rituelle des évêquès de Liège dans ses Étals néerlandais, parti-
culièrement l'autorité d'Érard de la Marck. Les développements
que nous avons donnés à l'histoire de cette résistance conti-
nuelle de l'empereur aux prétentions du clergé liégeois paraî-
tront peut-être un hors-d'œuvre au milieu d'événements qui
concernent exclusivement le pays de Liège ; mais nous avons
cru que la personnalité de Charles-Quint gagnerait en relief,
si, à l'exposé de ses relations amicales avec le souverain de la
principauté, nous ajoutions le récit de ses démêlés avec le
chef du diocèse.
1 Lettre de Marie de Hongrie a Pévêque de Liège, du 6 mars 1549 (voir le
carton précité).
* Lettre de Marie de Hongrie à l'évéque de Liège, du 10 décembre 1549
{Papiers a? État et de ? Audience, liasse 43). Voir notre vingt-deuxième pièce
jasliOcative.
( 129 )
CHAPITRE VIII.
Avènement de Gérard de Groesbeck.
La dernière guerre soutenue par Charles-Quint contre la
France fut marquée par une invasion désastreuse pour les
Pays-Bas et la principauté de Liège. Le duché de Bouillon et
le territoire de PEntre-Sambre-et-Meuse, particulièrement
Couvin et les villages environnants, souffrirent cruellement
des ravages de l'ennemi; la petite forteresse liégeoise de Dinant
subit même toutes les horreurs d'un bombardement. Le pays
de Liège participait ainsi dans une large mesure aux malheurs
des Pays-Bas.
Charles-Quint exprima ses regrets au sujet de l'incendie de
Dinant et résolut de compléter la défense de la frontière méri-
dionale de ses provinces belgiques. Comme la citadelle de
Mariembourg, élevée quelque temps auparavant, ne suffisait
plus pour couvrir le pays de Namur et l'évêché de Liège,
le monarque flamand acheta la seigneurie d'Agi mont au comte
deStolberg et deConinxstein, sous réserve des droits de l'Eglise
de Liège et moyennant une compensation territoriale, et fit
bâtir les forts de Philippeville et de Charlemont '.
Suspendue par la trêve de Vaucelles, la guerre reprit de plus
belle à l'avènement de Philippe II ; ce ne fut que le 3 avril 1559,
par la paix du Cateau-Cambrésis, que les belligérants furent
définitivement réconciliés. Bouillon, Couvin et d'autres vil-
1 Sur Agimonl, voir les nombreux documents qui se trouvent dans le car-
ton I déjà cité (Archives du royaume) et les pièces publiées par Louvrex
{loc. cit., iw partie, pp. 227, 228, 220).
TOKB XLI. 9
( 130 )
lages furent rendus au pays de Liège ! par les Français, et les
droits des la Marck sur la place de Bouillon discutés dans
une conférence tenue à Cambrai, le 1er septembre de la même
année.
I
En recevant de son père les riches provinces des Pays-Bas,
le nouveau prince, Philippe II, devenait le souverain d'une
monarchie savamment constituée. Les réformes centralisatrices
de Charles-Quint avaient achevé ce lent travail d'unification
entrepris par les ducs de Bourgogne, et son attitude habile
à Tégard de la principauté de Liège avait transformé ce petit
État en une véritable enclave des Pays-Bas; en s'inspirant
de la diplomatie paternelle, Philippe II était sûr de ménager
la tranquillité extérieure des dix-sept provinces. Charles-
Quint lui avait révélé le secret d'enchaîner le pays de Liège
à sa fortune et d'assurer le trône épiscopal à un prélat dévoué
à sa famille; il lui avait fait entrevoir également le moyen
d'affaiblir l'autorité spirituelle du clergé liégeois dans les
Pays-Bas et de diminuer le prestige séculaire de l'église de
Saint-Lambert. Protéger les intérêts commerciaux des Liégeois,
satisfaire l'ambition des prélats et des fonctionnaires laïques,
envoyer à l'occasion des ambassadeurs perspicaces, surveiller
les machinations des étrangers et principalement les intrigues
de la France, allier au besoin les menaces et la séduction: telle
était la politique qui avait assuré à Charles-Quint l'alliance de
la principauté, et, en s'y conformant, Philippe II pouvait
espérer le même succès.
1 Chape * tille, foc. cit., p. 400.
Sur les dispositions des Liégeois à cette époque envers le Gouvernement
des Pays- Ha*, voir la lettre désolée de Marie de Hongrie à Charles-Quint, du
50 août l.Tii (registre n° 70, p. 208). — Si le seigneur de Sedan était veou,
dit la gnuvi niante, les Liégeois se se rai eut ralliés à la France; .... et « si les
Liégeois ivCuseul de recevoir notre secours lL bonne volonté, je vois grandes
difficultés de les -povolr jecter dedans ».
( 131 )
Le nouveau souverain des Pays-Bas et sa sœur, Marguerite
de Panne, investie depuis la conclusion de la paix du Cateau-
Cambrésis du gouvernement général de nos provinces, sui-
virent l'exemple de leur illustre père. Lorsque Robert de
Berghes succéda à Georges d'Autriche, en 1557, il s'empressa
de soumettre aux états liégeois la confirmation de l'alliance
de 1518 et d'annoncer à Philippe II les marques de sympathie
qu'il avait reçues du chapitre cathédral. Philippe H, qu'un
rapport du comte de Hornes avait déjà instruit de la réception
cordiale faite au nouvel évêque, lui adressa de Londres les
compliments les plus flatteurs. Il rappelait à Robert de Berghes
l'attachement qu'il avait toujours montré à sa famille, l'assurait
de son dévouement et espérait qu'il pourrait, en retour, compter
sur l'amitié des Liégeois.
Ce fut Simon Renard, conseiller du roi, qui porta à Liège
cette affectueuse missive *.
Philippe II pourtant n'était pas sincère. Tandis que ce
monarque promettait à notre évêque a que son église et ses
sujets ne seraient pas moins favorisés et respectés en toutes
choses raisonnables que les siens propres », il ouvrait avec le
1 • Mon cousin ce ma este grand contentement d'entendre tnnt par vos
lettres de ce mois que par le rapport du comte de llorues la bonne affection et
volonté que vous avez trouve en ceulx du chapitre de Liège en vous mettant
en possession et administration de levesebe si losl et de si bonne sorte après
le trespns de mon cousin le feu evesque dont Dieu ail lame et de tant plus
que ja passe longtemps jay désire votre bien honneur et avancement tant
pour le respect de vous que de vos parens.que jay toujours trouve affec-
tionnez en mon service. El ne doublant que de votre coslel vous tiendrez la
correspondance que convient à lancienne voisinance et amitié des deux pays.
Je vous puis asseurer que le mesmes se fera du m y en et ne seront voue église
et suhgectz moins favorisez <t respectez de mou coslel en toutes choses
raisonnabit s que les miens propres selon que vous entendrez plus amplement
de messireSymon Renard mou conseiller deslat présent porteur auquel vous
pouvez croire comme ma personne propre. A tant mon cousin notre seigneur
Dieu vous maimiegne en sa sainte garde. De Londres, le XIX de mai 1557.
» Philippe. »
Archives du royaume, carton II des documents concernant le pays de Liège.
( 132 )
Saint-Siège des négociations qui devaient singulièrement affai-
blir l'autorité spirituelle de Robert de Berghes dansles Pays-Bas.
Obéissant aux recommandations de son père, le.roi d'Espagne
réclamait en effet du souverain pontife la création de nouveaux
évêchés aux Pays-Bas.
Une Commission, composée de Viglius, de Philippe Nigri et
de Michel Driutius, étudia cette importante question, et François
Vandevclde, dit Sonnius, fut envoyé par Philippe II à Rome
pour en présenter le rapport. Le pape accueillit favorablement
les propositions du roi, les soumit à un comité de sept cardi-
naux, et, après la paix du Cateau-Cambrésis, signa la bulle
d'érection des nouveaux évêchés.
Cette grave décision fut une surprise pour Robert de Berghes
et le chapitre de Liège. L'affaire avait été conduite avec une
telle discrétion que les évêques intéressés n'en soupçonnaient
rien. La nouvelle n'en fut que plus douloureuse. Robert de
Berghes perdait d'un coup sa juridiction religieuse sur le mar-
quisat de Namur, le duché de Brabant et le duché de Gueldre.
L'érection des nouveaux diocèses de Ruremonde, de Bois-le-buc,
de Namur et d'Anvers ne lui laissait au spirituel que la princi-
pauté de Liège, les duchés de Limbourg et de Luxembourg.
Ces deux derniers Etats seuls n'avaient pas été compris dans la
nouvelle répartition *.
Robert de Berghes et le chapitre députèrent à Rome Livinus
Torrentius 2 pour obtenir le retrait de la bulle; mais la sen-
tence était irrévocable, et l'église de Liège n'obtint, en com-
pensation de la perte territoriale qu'elle éprouvait, que des
satisfactions honorifiques.
Le démembrement des anciens diocèses se justifiait par des
motifs religieux d'une valeur incontestable. Paul IV l'avait
1 Les Archives du royaume possèdent une collection complète de docu-
ments relaiiTs aux négociations échangées entre le Gouvernement des Pays-Bas
et la curie romaine au sujet des nouveaux évêchés.
• Sur le rôle de Livinus Torrenlius, voir la notice de M. de Ram dans les
Bulletins de ta Commission royale d'histoire, !*• série, L XVI, p. 100.
( 133 )
reconnu, quand il était nonce aux Pays-Bas, et c'est pourquoi,
devenu pape, il surmonta son aversion pour les Habsbourg et
satisfit immédiatement à la demande de Philippe IL
Les avantages politiques que la décision pontificale procu-
rait au souverain des Pays-Bas, étaient d'autre part considérables.
Désormais le Gouvernement de Bruxelles n'aurait plus à
redouter l'ingérence des évoques de Liège dans son adminis-
tration, sauf pour le Luxembourg et le Limbourg; mais ces
deux duchés formaient la partie la moins importante des Pays-
Bas. Moins riches que les autres provinces, ils s'intéressaient
très peu aux affaires générales et n'avaient guère souffert, du
moins le Luxembourg, de l'hérésie luthérienne.
Ce qui prouve que le roi d'Espagne avait été entraîné autant
par des considérations politiques que par des motifs religieux,
c'est qu'il négocia toute cette intrigue à l'insu de Robert de
Berghes, son allié, ne lui réservant même pas, en guise de
consolation, le titre de métropolitain, ni pour les archidiacres
et les chanoines de Saint-Lambert les nouvelles prévôtés et les
droits de préséance. Les nouveaux évêques furent nommés
par leur souverain, et désormais celui-ci put persécuter les
réformés et faire appliquer par les tribunaux néerlandais les
lois civiles, sans avoir à craindre les revendications de l'ordi-
naire de Liège.
Il
Le triomphe diplomatique obtenu par Philippe II dans la
question des évéchés fut suivi de graves événements qui l'obli-
gèrent d'intervenir de nouveau dans les affaires de la princi-
pauté. Robert de Berghes était d'une complexion délicate, et la
gouvernante, Marguerite de Parme, prévoyait une prochaine
vacance du trône épiscopal. Comme il lui importait que le
futur évêque fût un sincère partisan des Pays-Bas, elle informa
régulièrement son frère des moindres incidents qui méritaient
d'attirer son attention sur le pays de Liège.
A la suite d'une grave maladie qui priva momentanément
( 134)
Robert de ses facultés, Philippe II écrivit de Madrid * qu'il
serait dangereux que ce prélat mourût sans qu'on lui eût
désigné un successeur. Il invitait donc sa sœur à s'entendre
avec le marquis de Berghes, frère de l'évoque et gouverneur
du Hainaut, et à consulter le Conseil d'État. Marguerite exécuta
l'ordre du roi et, deux mois plus tard, lui rendit compte de ses
démarches 4. Les conseillers, écrivait-elle, jugeaient nécessaire
que le successeur de Robert fût un ami des Pays-Bas, mais
pensaient que le chapitre se résoudrait difficilement à choisir
un coadjuteur, que cette dignité exigeait le consentement du
pape, de l'ordinaire et des chanoines, que le souverain pontife
accorderait au roi la faveur qu'il demanderait, que Robert
résignerait ses fonctions, si on lui assurait une pension suffi-
sante. Quant aux chanoines, le roi pouvait s'attendre à une
sérieuse résistance, surtout que la maladie de Robert avait
réveillé l'ambition de quelques prélats, entre autres du prévôt
Bouchault, du doyen Gérard de Groesbeck, de l'archidiacre de
Poitiers et du comte de Wittgenstein. Le marquis de Berghes
assurait de son côté que Granvelle avait un moment songé à
se mettre sur les rangs, mais qu'il s'était désisté.
Le Conseil d'Etat, continuait Marguerite, estimait que le
marquis de Berghes ferait bien de se rendre à Liège pour
inviter son frère à s'adjoindre un coadjuteur et pressentir le
résultat d'une semblable proposition. En cas de succès, le roi
devait désigner un candidat. Elle lui signalait, comme les plus
recommandables, le fils du comte de Berlaymont, l'archidiacre
Guillaume de Poitiers, Gérard de Groesbeck, le chanoine Dou-
verin et le seigneur de Rennebourg,
La dépêche de la gouvernante exposait les titres de chacun
de ces compétiteurs. Le fils du comte de Berlaymont avait
25 ans à peine; de mœurs irréprochables, s'il était agréé, il
pourrait, grâce aux conseils de Robert, se préparer dignement
1 Gachard, Correspondance de Marguerite de Parme, t. Ier, p. 521 :
Jetlrc de Philippe II, du 0 octobre 1581.
* Gachard, loc. cit., t. I,r, p. 40 : lettre de Marguerite, du 19 décembre 1361.
( 135 )
à se» fiitures fonctions. L'archidiacre de Poitiers ne s'étah pas
opposé à la création des nouveaux évêchés; il avait donné une
preuve de désintéressement en refusant le diocèse de Saint-
Orner; c'était un diplomate et un prêtre vertueux. Le doyen
Gérard de Groesbeck était sujet de Sa Majesté, « homme traie-
table, de bon sçavoir et de vie honorable. » Le chanoine
Douverin paraissait un personnage maniable; quant au sei-
gneur de Rennebourg, frère de madame de Hoogslraeten, il
était moins connu, mais embrasserait très probablement le
parti du roi, s'il était élu. En tout cas, disait Marguerite, le
candidat du roi serait accepté des Liégeois « ayant ceulx du
costel de Liège autant affaire de votre majesté et beaucoup plus
que non votre majesté d'eulx. »
La gouvernante supposait que le chapitre, comme autre-
fois, choisirait un des candidats du roi, ù condition toutefois
que la liste de présentation contînt au moins trois ou quatre
noms.
Le roi, terminait la dépêche, devait éviter la nomination
d'un étranger, surtout d'un Allemand, « qui sous l'autorité de
l'empire mettrait les pays de par deçà en travail. »
Le roi répondit le 8 février de l'année suivante *. Agréant les
candidats de Marguerite, sauf le fils du comte de Berlaymont
qui lui paraissait trop jeune, il enjoignait à sa sœur de propo-
ser au chapitre de choisir entre Guillaume de Poitiers, le comte
de Rennebourg, Gérard de Groesbeck et Douverin. Si aucun
de ces prétendants n'était désigné, la gouvernante aviserait à la
nomination d'un prêtre, sujet néerlandais. 11 conseillait enfin
d'aplanir les différends soulevés à l'occasion de l'érection des
forteresses de Mariembourg, de Charlemont et de Philippeville,
afin de conserver l'amitié des Liégeois et de satisfaire aux récla-
mations du chapitre.
Cette dépêche était suivie d'une apostille, écrite de la main
du roi, dans laquelle Philippe II demandait à sa sœur s'il ne
1 Voir correspondance précitée, t. Il, p. 81, la lettre du roi à Marguerite,
<lu 8 février 1561 <n. sL, 1562).
(136)
serait pas utile avant tout de s'entretenir des nouveaux évêchés
avec le futur titulaire.
Après un voyage du marquis de Berghes à Liège*, Margue-
rite put donner de nouveaux renseignements à son frère.
L'évéque, paraît-il, s'était rétabli, et le chapitre avait choisi
quatre chanoines pour régir la principauté avec les officiers du
prince ; quant à l'élection d'un coadjuteur, elle ne savait rien,
sinon que Guillaume de Poitiers, Bouchault et Gérard de Groes-
beck faisaient leurs diligences pour gagner les sympathies de
leurs collègues.
III
Contrairement à l'opinion du Conseil d'Etat, le chapitre dési-
rait un coadjuteur, mais il entendait le désigner lui-même. Le
20 mars 1562, les chanoines se concertèrent avec le marquis
de Berghes, et, le 17 avril, l'évéque reçut le conseil de s'ad-
joindre un assistant. Le 1er mai, Gérard de Groesbeck était
investi de ces importantes fonctions.
Quelque temps plus tard, le chapitre tâcha d'amener Robert
à résigner Tépiscopat et rédigea un projet de commission qui
confiait à Gérard de Groesbeck l'autorité spirituelle et tempo-
relle de la principauté.
Cette fois le marquis de Berghes, qui défendait les intérêts
de son frère, demanda à réfléchir.
Si Philippe II et Marguerite de Parme avaient montré un
grand empressement à réclamer la nomination d'un coadju-
teur, le chapitre cathédral déploya une incroyable activité
pour arracher à l'évéque son abdication. On a vivement corn-
mente cette attitude du chapitre à l'égard d un prince qu'il
avait jadis recommandé à la faveur impériale. Il est probable
que le chapitre voyait avec déplaisir le trône épiscopal occupé
par un prélat étranger et maladif, dont les infirmités auraient
1 Dans sa lelire du 17 janvier, Marguerite annonce au roi que le marquis
de Berghes est parti pour Liège (correspondance précitée).
( 137 )
peut-être fourni un prétexte au gouvernement des Pays-Bas
pour intervenir dans les affaires de la principauté. La maladie
de Fève que pouvait en effet provoquer des troubles. Jean de
Berghes séjournait très souvent à Liège, et ce séjour du frère
du prélat dans la cité faisait naître les propos les plus étranges.
Enfin, pas plus que son parent Corneille, Robert de Berghes
n'était populaire. On le soupçonnait même d'avoir été le com-
plice de Philippe II dans l'érection des nouveaux évêchés.
Mais Hubert tenait plus aux fonctions sacerdotales que Cor-
neille. Quand on lui demanda d'abandonner au chapitre le
choix de son successeur, il voulut tout au moins connaître le
nom de ce successeur ou le choisir parmi trois candidats de la
cathédrale. Cette proposition parut inacceptable : les chanoines,
qui redoutaient l'influence de Philippe II, n'osaient confier à
Robert le soin de désigner son héritier.
A la fin les chanoines triomphèrent. Le 6 mars 1S63, ils élu-
rent évêque te coadjuteur Gérard de Groesbeck. Ce prélat était
né à Curange, en pleine terre lossaine; prêtre vertueux, admi-
nistrateur intègre, il était très estimé de ses confrères de la
cathédrale et plus à même que personne de diriger une église
aussi importante que l'église de Liège. Robert de Berghes
l'agréa, et te pape ratifia aussitôt l'élection capitulaire *.
Robert fut prié de fixer un jour pour sa résignation. Soutenu
par son frère, il opposa mille obstacles à une cérémonie aussi
humiliante; mais le pape enjoignit au chapitre de se passer du
consentement de lévêque, s'il ajournait encore sa démission.
Enfin, après s'être entendu avec les chanoines au sujet de sa
pension, Robert consentit à abdiquer, et, le 9 avril 1561, le
prévôt de Saint-Lambert résigna en son nom *.
1 Tous les documents relatifs a ta résignation de Robert de Itergbes et à
la nomiiiiiiion de Gérard do Groesbeck se trouvent aux Archives de l'État à
Liège, dans les Bryistres des conclusions capilulaires de Saint- Lambert.
M. S. Bormans en a donné la substance dans le t. VII des Bulletins de
F Institut archéologique liégeois»
* Voir les documents précités.
(138)
Gérard de Groesbeck avait donc été élu du consentement
unanime des chanoines, et le gouvernement de Bruxelles n'avait
pu que constater le fait accompli. Les députés, Jean d'Aremberg
et le conseiller d'Indevelde, envoyés par Marguerite pour pré-
parer une élection favorable à la politique espagnole, avaient
»
bientôt reconnu la résolution immuable des chanoines et
l'inutilité de leur présence ; ils partirent de Liège avant le vote
final * .
Gérard, nous l'avons vu, ne figurait que le troisième sur la
liste des candidats de Philippe II. Ce monarque avait inscrit
en première ligne l'archidiacre Guillaume de Poitiers, prélat
d'un grand savoir et jadis ambassadeur de Charles-Quint au
concile de Trente. Gérard de Groesbeck n'était donc pas le
candidat de prédilection du gouvernement du roi ce homme
traictable, de bon sçavoir et de vie honoroble », disait de lui
Marguerite de Parme, sans insister davantage sur les qualités
de ce prélat qui rendit plus tard d'éminents services à
Philippe 11 a.
1 Voir Gachird, Correspondance de Marguerite de Parme, l. II, p. 490,
lettre de Marguerite au roi, du 14 mars 1565.
1 Quand Marguerite de Parme apprit la nomination de Gérard de Groesbeck,
elle députa à Liège un gentilhomme de sa maison pour le féliciter et conseilla
au roi d'en faire autant. (Voir Gacuaiid, Correspondance de Marguerite de
Parme, t. III, p. 318, lettre du 4 mai 1564.)
Dans une lettre du 20 juin de la même année, Philippe II ré|K>ndil a sa
aœur qu'il approuvait son projet et qu'il féliciterait le nouvel évêque. Le
\± septembre, Gérard remercia le roi ci l'assura de son amitié (v. la note de
Gachard).
(139)
CHAPITRE IX.
Alliance des gouverneurs généraux des Pays-Bas et de la
principauté de Liège, pendant la révolution religieuse du
XVIe siècle.
I
Fort de l'appui du chapitre, le nouvel évêque prit les rênes
du gouvernement avant d'avoir reçu de l'empereur l'investiture
temporelle. Les graves dangers qui menaçaient la principauté
autorisaient cet acte irrégulier. Une sourde fermentation tra-
vaillait depuis longtemps les Pays-Bas et le pays de Liège. En
dépit des placards de Philippe II et de la surveillance minu-
tieuse des évêques et des inquisiteurs, les réformés se multi-
pliaient et devenaient plus audacieux. Partout le protestantisme
gagnait du terrain : Maestricht *, le comté de Looz, principa-
lement les bonnes villes de Maeseyck, de Hasselt et de Tongres,
étaient infectés des mêmes doctrines que la Hollande et la
Zélande; beaucoup de seigneurs liégeois partageaient même
l'irritation de la noblesse flamande. L'avenir devenait inquié-
tant. Une révolution se préparait dans les Pays-Bas, révolution
dont la principauté allait ressentir le contre-coup, comme, au
temps de Charles-Quint, elle avait souffert des invasions des
Français et des Gueldrois.
C'est du pays de Liège que partit le premier coup contre la
tyrannie de Philippe II. Réunis à la fontaine de Spa, quelques
seigneurs belges y nouèrent, en 1566, cette confédération,
1 Sur les troubles de Maeslrichl, voir le travail de M. Hnbels, dans le
t. XI, pp. 347-578, des Mémoires de la Société archéologique du Limbourg.
( 140 )
appelée le Compromis des nobles, qui groupait en un faisceau les
résistances que l'intolérance et le despotisme du roi avaient
suscitées dans les Pays-Bas. Cette protestation contre les
placards et l'Inquisition mit l'évéque de Liège dans un cruel
embarras, embarras qui redoubla lorsque quelques centaines
de gentilshommes néerlandais se furent réunis, malgré lui,
dans la ville lossaine de Saint-Trond.
Le pillage des Iconoclastes causa à Gérard de Groesbeek bien
d'autres soucis. A une simple sédition de privilégiés mécontents
qui murmuraient contre les édits draconiens du roi d'Espagne,
succédait une révolution populaire qui menaçait d'extirper le
catholicisme et de ruiner la souveraineté de Philippe II aux
Pays-Bas. L'explosion calviniste avait retenti de la Flandre
française jusque dans la Frise, provoquant sur son passage la
dévastation des églises et la destruction de chefs-d'œuvre
artistiques d'une valeur inappréciable. Excités par de fougueux
sectaires, les révoltés avaient satisfait leur rancune contre
l'Église, prouvé au monde l'ardeur de leur fanatisme et suscité
des émules à l'étranger. Quelques mois après ces tristes événe-
ments, la population de la ville lossaine de Hasselt *, remuée par
les prédications d'Herman Sluyker, pillera les églises, s'insur-
gera contre l'autorité épiscopale, et de graves désordres éclate-
ront dans tout le comté deLooz, une des parties les plus riches
de la principauté de Liège 2.
Le pillage des Iconoclastes fut une faute et un malheur.
Effrayés des excès des briseurs d'images, beaucoup de seigneurs
timorés rentrèrent dans le parti du roi, et le Compromis des
nobles fut oublié. Si Philippe II eût mieux connu l'état de nos
provinces, s'il eût écouté les avis d'une sage diplomatie au lieu
de se laisser emporter par son zèle religieux, il eût confirmé
l'autorité de sa sœur, accordé quelques concessions aux mécon-
tents et attendu la fin de l'orage révolutionnaire. Divisé par les
* Sur les troubles de Hasselt, voir Chapeaville, p. 423, et l'élude de
M. Van Neuss, archiviste de la ville de Hasselt, insérée dans les Huldins
de la Société des Mé ophiles de Hasselt (section littéraire, 2e volume, 1865).
* Chapeaville, p. 426.
(141)
partis, notre pays serait probablement rentré dans Tordre.
Malheureusement, le solitaire de l'Escurial vit dans la révolte
calviniste une manœuvre scélérate et impie, qu'il se crut tenu
de réprimer avec une impitoyable sévérité. Le duc d'Albe
fut investi du commandement militaire de nos provinces, et
bientôt après, Marguerite de Parme, qui ne jouissait plus que
d'une autorité illusoire, sollicita son congé. Les mesures san-
guinaires du nouveau gouverneur exaspérèrent les plus fidèles
partisans du roi et provoquèrent une terrible guerre civile, qui
enleva au souverain espagnol la partie septentrionale de ses
États néerlandais.
If
L'audace des révoltés, les intelligences qu'ils s'étaient ména-
gées dans les villes liégeoises, les promesses de secours qu'ils
recevaient de l'Allemagne, amenèrent le Gouvernement des
Pays-Bas à s'unir étroitement avec la principauté de Liège.
Marguerite de Parme et Gérard de Groesbeck se renseignèrent
réciproquement sur les menées des hérétiques et les dangers
qui menaçaient leurs Etats. Cette entente était d'autant plus
nécessaire que les protestants des deux pays avaient entre eux
de fréquents rapports, et que leur contact favorisait le progrès
des doctrines dissidentes.
Marguerite était impitoyable pour les réformés, même pour
les réformés étrangers. Un Liégeois, Jehan Helias, avait été
arrêté à Namur du chef d'hérésie. Les bourgmestres, jurés et le
conseil de la Cité écrivirent deux fois au magistrat de Namur
pour obtenir la délivrance de leur compatriote. Marguerite
répondit àl'évéque* qu'elle mitigeait la sévérité des placards en
faveur du condamné à cause du bon voisinage des deux États,
mais déclara nettement que, à l'avenir, elle ne souffrirait plus
une telle intervention de la part des fonctionnaires liégeois.
& Cette lettre a été publiée par M. Rahlenbeck dans le* pièces justificatives
de son travail sur Y Église de Liège et la révolution, n* IX; elle se trouve
aux Archives du royaume dans la Correspondance des éoéques de Liège.
( 143 )
C'est surtout à l'époque des troubles suscités par les Icono-
clastes que la correspondance des deux alliés devint active.
Presque tous les jours, Marguerite de Parme et l'évêque de
Liège s'écrivaient au sujet de cette effervescence religieuse qui
travaillait leurs États respectifs i .
Sur la demande de Gérard de Groesbeck, la gouvernante
envoya à différentes reprises des députés à Maestricht pour
seconder les commissaires épiscopaux. Elle ordonna également
de mettre fin aux prêches qui se tenaient dans plusieurs localités
du petit duché de Limbourg et qui attiraient à la cause protes-
tante de nombreux prosélytes. Apprenant qu'un habitant de
cette province, Antoine Mulckau, avait soutenu des doctrines
peu orthodoxes dans une lettre à un de ses coreligionnaires
liégeois, elle ordonna à Jean d'Oostfrise, gouverneur de Fau-
quemont, d'arrêter l'audacieux sectaire. Elle avertit en même
temps l'évêque qu'elle envoyait le prisonnier à Liège c< afin que
justice soit faite, ne s'y entendant l'accord feit avec les gentil*
hommes confédérée afin que ceste affaire s'achemine plus
seurement et à moindre scrupule ou difficulté 2 ».
On sait que la gouvernante avait du, le 25 août 1566, accorder
d'importantes concessions aux nobles néerlandais, entre autres
la suspension des poursuites inquisitoriales. Elle s'excusa de
cette indulgence auprès du roi et de l'évêque de Liège 3, allé-
guant quelle avait cédé à la force; mais on voit que l'habile
princesse avait trouvé un moyen fort ingénieux de tourner la
difficulté en confiant à un allié le soin de punir les hérétiques,
contre lesquels elle n'osait elle-même entamer des poursuites.
Cependant Maeslricht s'obstinait dans sa rébellion. Les prédi-
cateurs y devenaient plus audacieux, et les bourgeois refusaient
de recevoir les troupes épiseopales. Marguerite conseilla à
1 Voir aux A relises du royaume la Correspondance des évéques de Liège.
1 Aun'ei les bchjiiuvs : lettre de Marguerite de Parme à Gérard de Groes-
beck, du i) sfptinttie 1506 et Rahlekbeck , loc. cit., pp. 139 as.
' Anahti>8 be >j (jucs : lettre de Marguerite de Parme à Gérard de Groes-
beck, du 2G aoùUSÔtf. ......
( 143 )
Gérard de se rendre en personne dans la commune révoltée, et,
de son côté, elle y envoya deux commissaires, Jacques Boonen
et le baron de Liedekerke. Ce dernier fut moins heureux que
son compagnon. Invité par les bourgeois à communiquer ses
instructions et s'y étant refusé, il ne put entrer dans la ville *.
Le 4 janvier de l'année suivante, Marguerite avertit Gérard
que les Gueux projetaient de se réunir à Saint-Trond. Gérard
répondit que les habitants de cette localité étaient animés de
bons sentiments, et que lesdits Gueux avaient tort de « compter
sur la plus saine partie de la ville de Liège » comme ils le
criaient partout 2.
La contagion révolutionnaire avait gagné la petite commune
de Maeseyck. L'évêque l'ayant priée d'interdire toute commu- »■
nication entre ses États et la ville rebelle, Marguerite transcrivit
sa demande au comte de Meghem, gouverneur de la Gueldre, et
à Jean d'Oostfrise, comte d'Emden, gouverneur de Fauquemont.
Le 19 janvier, ce fut le tour de Hasselt. Travaillée depuis
longtemps par des prédicateurs audacieux, tels que Jean Van
Vleminck et Herman Stuycker, cette ville, la plus importante
commune du comté de Looz, vit se renouveler dans ses murs
les scènes de vandalisme qui avaient marqué le triomphe des
calvinistes dans les communes des Pays-Bas. Les églises furent
dévastées, les catholiques proscrits, l'autorité du princc-évôque
et des magistrats méconnue. Ni les exhortations de Gérard de
Groesbeck, ni la condamnation prononcée contre eux par la
haute Cour de Liège, ne firent rentrer les rebelles dans le
devoir. L'évêque dut bloquer la ville pour la soumettre. Il lui
imposa une capitulation peu sévère. Dans de pareilles circon-
stances, Erard de la Marck eût fait pendre tous les fauteurs de
troubles; Gérard se borna à établir une garnison et à chasser
les predicants.
La soumission de Hasselt entraîna celle de Maestricht.
1 Analccles belgiques : lettre de Marguerite à Gérard de Gwsb<xk, du
S décembre 1566 et rapport de Liedekerke à la gouvernante, du 28 décembre.
1 Lettre de Gérard à Marguerite de Parme, du 7 janvier 1567.
( 144 )
Marguerite de Parme avait député à Liège le conseiller, Jacques
de la Torre, pour avertir l'évêque que les troupes de No i réarmes,
renforcées des contingents limbourgeois, marchaient contre
Maestricht. En conséquence, elle le priait de confier le com-
mandement de ses soldats au général des Pays-Bas; de donner
passage par ses villes, même par la Cité, si c'était nécessaire ;
de souffrir que, le siège terminé, une garnison séjournât dans
la commune rebelle.
Gérard répondit k Marguerite que Maestricht venait de se
soumettre et qu'il était inutile d'y envoyer des troupes *. Les
soldats de Philippe II n'entrèrent pas moins dans la ville, en
dépit des assurances de l'évêque; celui-ci ne put que protester
contre un ordre qui portait atteinte à ses droits de souverain.
Il est vrai qu'un accord intervint bientôt après entre les deux
États et que le nouveau commandant de la place, le comte
d'Eberstein, dut prêter serment de fidélité au prince de Liège *.
III
Quelques mois après la soumission des villes flamandes de
la principauté, Marguerite et le duc d'Àlbe, qui partageait avec
la sœur du roi le gouvernement des Pays-Bas, envoyèrent à
Liège le conseiller, Jean-Baptiste Berty3, pour attirer l'attention
du prince sur les dangers qui menaçaient ses États et ceux de
Sa Majesté, le roi Catholique. Des mouvements hostiles se pré-
paraient en France et en Allemagne, et- des troubles étaient
imminents dans la vallée de la Meuse. Beaucoup de gentils-
hommes liégeois avaient signé le Compromis. Très peu, au con-
1 Sur tous ces événements, voir, dans les Analectes belgiques, les lettres de
Gérard de Groesbeck et de Marguerite de Parme, du 14 janvier au 8 avril 1567.
1 Louvrex, 1™ partie, p. 229. Rahlknbeck, V Église de Liège et la révo-
/utton, dix-neuvième pièce justificative.
* Instruction et rapport du secrétaire d'Étal Berty, envoyé à Liège le
24 septembre 1567, publiée par Gachard dans les Bulletins de la Commisse
royale d'histoire, o™ série, l. III, pp. 395 et suiv.
( 145 )
traire, avaient accompagné l'évêque dans son expédition contre
Hasselt. Comme Maeseyck, cette ville n'était pas encore pacifiée.
Les populations de Liège, de Huy, de Saint-Trond, penchaient
depuis longtemps vers les nouvelles doctrines et n'attendaient
peut-être qu'une occasion pour marquer, comme les sujets de
Sa Majesté, leurs véritables sentiments. Si jusqu'alors elles
s'étaient tenues tranquilles, c'était à cause de la surveillance
active du clergé et des autorités locales. La présence à Liège du
seigneur de Lummen * pouvait exciter des troubles, car ce per-
sonnage avait enrôlé des soldats et tachait de soulever la foule.
Marguerite et le duc recommandaient ensuite à Gérard de
Groesbeck de surveiller la conduite de ses officiers. Le sei-
gneur de Lavaux 2 Sainte-Anne, capitaine de Bouillon, avait
signé le Compromis et entraîné par son exemple d'autres nobles
dans le parti de l'opposition. Le capitaine de Huy, Claude de
Rougrave, seigneur de Monfrin, réunissait souvent ses parents
et ses amis, personnages assez suspects, car l'épouse du sire de
Béto, l'un d'eux, Marie Ghœr, dame d'Onstein, avait autrefois
introduit un prédicateur à Maestricht; elle habitait alors à
Liège avec son mari, ledit sire de Béto. Catherine de Bathen-
borgh, dame de Vogelsanck, avait hébergé un prédicateur à
Hasselt et favorisé la rébellion dans cette cité; elle continuait
d'assister les réformés et de recueillir les fugitifs.
Marguerite et le duc assuraient que le sire de Béto et quelques
autres de ses amis étaient calvinistes ; ils ne pouvaient donc se
dire luthériens et réclamer les bénéfices de la paix de religion
de 1553, qui permettait aux sujets des princes catholiques,
appartenant à la confession d'Augsbourg, de réaliser leurs
biens et d'émigrer. Enfin les gouverneurs généraux des Pays-
Bas prévenaient notre évéque du danger dont il serait menacé,
1 Guillaume de la Marck, seigneur de Lummen, fils de ce Jean de la Marck
dont nous avons parlé au chapitre VI.
* D'après Backhuizbn va* den Briisck {Sludien en schetsen over vadrr-
lands geschiedenis , liW deel, 2d« stuck), ce seigneur Del Vaux, comme écrit
Berly, serait Érard de Mérode, fils cadet de Henri de Mérode.
Tome XLL 10
( 146 )
si les ennemis du roi réfugiés en France et en Allemagne se
concertaient dans le pays de Liège avec les exilés des Pays-Bas,
ils le requéraient donc d'interdire tout conventicule et de
veiller particulièrement aux forteresses, « avoir singulier esgard
sur ces fortz, comme chose si importante et dont si grand
danger pourrait succéder par mesgarde. »
Ce précieux document prouve que le Gouvernement des
Pays-Bas était admirablement informé des moindres événe-
ments du pays de Liège, à telles enseignes qu'il connaissait
les pratiques secrètes de petits seigneurs, même la secte reli-
gieuse à laquelle ils appartenaient!
Le 27 septembre, Jean-Baptiste Berty arrivait à Liège et, le
lendemain, il obtint une audience du prince-évêque. Gérard de
Groesbeck le remercia * avec la plus grande courtoisie pour les
preuves d'amitié qu'il recevait du Gouvernement des Pays-Bas.
Il lui déclara qu'il regrettait que quelques-uns de ses vassaux
eussent adhéré au Compromis, qu'il avait marqué à plusieurs
d'entre eux son mécontentement à cet égard, qu'il n'avait hésité
à prendre des mesures rigoureuses que par crainte d'enve-
nimer la situation déjà si troublée de son pays, que plusieurs
des seigneurs incriminés étaient justiciables des tribunaux
néerlandais, que, lorsqu'il aurait recueilli des preuves suffi-
santes, il informerait contre les délinquants et s'adjoindrait
volontiers un avocat du roi pour les poursuivre.
Il reconnaissait que peu de nobles l'avaient suivi au siège de
Hasselt, que le calme n'était pas encore tout à fait rétabli ni
dans cette ville, ni à Maeseyck ; mais il ajoutait qu'il avait donné
depuis lors des mandements très sévères exigeant des étrangers
la production d'un certificat d'origine, ordonné à ses officiers
de ne tolérer dans leurs circonscriptions ni hérétiques ni feu-
_ »
teurs de troubles, qu'il se proposait de soumettre ses Etats à
une revue minutieuse et d'expulser les réformés, en se confor-
mant au texte de la paix de religion de 1555.
La capitulation de Hasselt et de Maeseyck, continuait-il, avait
* Voir l'instruction donnée au conseiller Berty.
( 147 )
rétabli la tranquilité à Saint-Trond et dans d'autres villes, et
l'arrestation d'un certain personnage « d'esprit très malain qui
troublait toute la cité » ramené le peuple liégeois à la religion
de ses pères. Il convenait des violences du seigneur de Lummen ;
s'il ne l'avait pas décrété d'arrestation, c'est qu'il devait, aux
termes des coutumes liégeoises, se livrer à une information
préparatoire et recueillir des preuves confirmées par trois
témoins. Il avait déjà commencé l'instruction, et, bien que le
coupable se fût réfugié à Metz, il promettait de le poursuivre.
S'il avait blâmé le seigneur de Lavaux-Sainte-Anne, capitaine
de Bouillon, pour sa participation à la ligue des nobles, il
n'osait informer contre lui sans l'assentiment du chapitre et
des états, auprès (lesquels cet officier jouissait d'un certain
crédit. 11 n'avait rien appris de grave sur le compte du gou-
verneur de Huy, mais se proposait de renoncer à ses services.
Il avait même réduit ses gages de 1500 à 800 florins par an.
Le seigneur de Béto et son épouse, Marie Ghœr,damed'Onstein,
avaient reçu l'ordre de quitter le pays, dans un délai déterminé.
En vain avaient-ils réclamé une prolongation de terme afin de
réaliser leurs biens plus facilement; en vain avaient-ils sollicité
un rescrit impérial en leur faveur, la loi serait respectée.
Quant à la dame Vogelsanck, il est vrai qu'elle avait commis
des folies; et, quoiqu'on ne pût encore articuler contre elle
aucun fait précis, sinon qu'elle voulut introduire une charrette
de farine dans la ville de Hasselt assiégée, son procès ne serait
pas abandonné.
A ces déclarations Berty répondit que les investigations de
Marguerite témoignaient à la fois de l'inquiétude et de l'affection
que ressentait le roi catholique pour la principauté. L'évêque
pouvait toujours compter sur le dévouement de Philippe IL
Au plus fort des troubles, ce prince ne lui avait-il pas prêté son
concours pour réduire la ville de Hasselt, et cette assistance eût
encore été plus efficace, si la révolte de Valenciennes et l'attaque
d'Austruweel * n'avaient réclamé une partie des forces royales?
1 C'est dans celte prise d'armes que, le 6 mars 1567, Jean de Maruix,
(148)
Quant à lui, il n'était pas venu à Liège pour exiger du prince
une enquête contre ses propres sujets ni même contre les
sujets du roi réfugiés dans la principauté, mais pour signaler
les dangers qui menaçaient Sa Grâce, si les ennemis de France
et d'Allemagne se concertaient avec les exilés liégeois, et la
requérir de veiller au salut de son propre pays.
Quelques jours plus tard, l'évêque eut un nouvel entretien
avec Berty. Il lui apprit que le capitaine de Bouillon s'était
plaint amèrement des soupçons dont il était l'objet, prétendant
qu'il n'avait signé que la première requête des nobles et que,
dans la suite, il n'avait plus participé à leurs réunions, ni à
Saint-Trond ni ailleurs ; cette déclaration faite, l'officier froissé
lui avait remis sa démission. Gérard ne savait quel parti prendre
et demandait conseil à Berty. En diplomate prudent, celui-ci
s'en rapporta à la sagesse du prélat.
Peu de temps après, le même Berty apprit encore que Gérard,
sur l'avis de son conseil privé, allait confier la garde du château
de Bouillon à son maître d'hôtel. Satisfait de ces nouvelles,
l'ambassadeur belge retourna à Bruxelles.
IV
L'année suivante, le duc d'Albe se prépara à combattre le
Taciturne. Plus avisé que d'Ëgmont, celui-ci s'était retiré en
Allemagne â l'arrivée du gouverneur espagnol et y avait recruté
une armée pour délivrer les Pays-Bas de la tyrannie étrangère.
D'Albe projeta de prévenir l'invasion de son ennemi. Il expédia
sur le territoire liégeois ses cavaliers espagnols et italiens avec
l'infanterie milanaise et tâcha d'y enrôler des soldats4. Le
comte de Berlaymont pria le prince-évéque et la Cité de fournir
des bateaux au général, pour lui permettre de franchir la
seigneur de Tholouse, fut Lue avec la plupart de ses compagnons. (Voir l'in-
troduction de Gachard au tome II de la Correspondance de Guillaume U
Taciturne,)
1 Voir Chape a ville, loc. cit.y p. 431.
( 149 )
Meuse dans les environs d' Ancienne ; cette demande fut aussi-
tôt agréée *. En acquiesçant aux désirs du comte, le prince-
évéque respectait le pacte de 1518. Les Pays-Bas étaient
menacés par les Gueux, et, aux termes du traité d'alliance qui
unissait les deux États, le souverain liégeois devait prêter son
concours au lieutenant du roi d'Espagne.
L'armée royale changea de direction, et, au lieu de passer la
Meuse, marcha vers le nord pour protéger la Frise. Le comte
Louis de Nassau avait envahi ce pays et infligé aux troupes
royales, commandées par le gouverneur Jean d'Aremberg, un
désastre retentissant. Cet échec fut réparé par le duc d'Albe, et
le frère du Taciturne, battu à son tour à Jemmingen, dut se
réfugier en Allemagne. Le duc d'Albe échelonna ses troupes le
long de la Meuse pour barrer le passage au prince d'Orange
dont l'armée voulait à son tour envahir nos provinces. Il avertit
en même temps l'évèque des préparatifs du Taciturne et de
l'invasion imminente de la principautés; l'engagea à prendre
de promptes mesures de défense, à procurer des vivres ù ses
troupes, à refuser toute subsistance aux ennemis, à veiller à la
garde des forteresses. Le 22 août 3, il écrivit à Gérard qu'il
allait employer son infanterie wallone et proposa de la loger
à Tongres, s'engageant à rembourser les frais et à imposer
une sévère discipline à ses troupes.
L'évêque, nous le savons, devait fournir son concours au
général espagnol. L'article 4 du traité de 1518 * enjoignait aux
deux États alliés de se prêter aide mutuelle, soit pour repousser
leurs ennemis communs, soit pour assiéger une ville. Mais il
répugnait au prince de remettre une forteresse aux troupes du
* Voir Chapeavillk, loc. cit., p. 431.
s Leltre du duc d'Albe à Gérard de Groesbeck, du 10 août 1568, publiée
par Gâcha ni dans le tome III de la Correspondance de Guillaume le Tani-
turne. Toutes ces lettres sont extraites des deux volumes de la Correspon-
dance des évéques de Liège (Archives du royaume).
5 Voir Gachard, correspondance précitée.
* Voir plus haut, chapitre H, p. 29.
( 480 }
duc dont il connaissait la férocité. Il déclina ses propositions
en prétextant la misère du pays de Tongres, qui avait déjà tant
souffert de la présence de la gendarmerie flamande, et en pré-
tendant qu'il ne pouvait livrer une forteresse sans l'assentiment
des états i.
Cette réponse évasive caractérise Gérard de Groesbeck.
Timide, trop timide même pour des temps aussi troublés, ce
prélat était quelquefois pris de scrupules, quand il aurait dû
agir énergiquement. Il voulait contenter tout le monde et, le
plus souvent, il ne contentait personne. Morillon n'avait pas
tout à fait tort, quand il écrivait à Granvelle, quoique sur un
ton assez méchant : « il n'est à croire comme ledict seigneur de
Liège est peu estimé de son peuple et moingz de la noblesse,
quia dum omnibus vult placere, displicet et parum bene audit
de religione ». Disons, à l'honneur du prélat, que rien ne justi-
fiait cette dernière opinion 2.
Peu satisfait des hésitations de notre évêque, le duc députa
vers lui François de Halewin, seigneur de Zweveghem, pour
lui marquer que les troupes royales seules pouvaient défendre
la principauté et pour demander l'autorisation d'introduire ses
soldats dans les forteresses liégeoises, à condition que ceux-ci
prêtassent serment de fidélité au souverain du pays 3.
La marche rapide du prince d'Orange, la prise de Tongres et
de Saint-Trond, firent taire les répugnances de Gérard. Il
promit de punir les traîtres, permit même au duc d'installer
ses troupes dans les villes liégeoises, sous la réserve du ser-
ment 4. Le chapitre approuva cette mesure extrême et autorisa
les capitaines de Dinant, de Huy, de Stockheim et de Franchi-
mont à ouvrir leur citadelle aux alliés 3.
1 Lellie de Gérard au duc d'Albe, du 24 août 1568 (correspondance précitée).
* Correspondance du cardinal de Granvelle, t. 111, lettre de Morillon, du
H septembre 1569.
: Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. III, lettre dn
duc d'Albe, du 4 septembre 1568.
1 Recueil précité: lettre de Gérard au duc d'Albe, du 17 octobre 1568.
5 Recueil précité : lettre de Gérard au duc d'Albe, du 35 octobre 1568.
( 131 )
On se croyait en sûreté quand le mouvement rétrograde du
Taciturne jeta l'alarme dans la Cité. Gérard supplia le gouver-
neur espagnol de protéger la petite ville de Huy et lui demanda
un renfort de six enseignes pour défendre la capitale *. Le
même jour, à minuit, il réitéra son appel en termes plus pres-
sants. Heureusement, le Taciturne battit en retraite, et, le
5 novembre, Gérard put annoncer la délivrance de la Cité, que
l'ennemi, ajoutait-il triomphalement, avait fait semblant
d'assiéger 2.
De son côté, le prince d'Orange, dont l'influence était grande
auprès des réformés liégeois, avait sollicité le concours de la
principauté. De son camp de Wittem, il demanda aux Liégeois
l'autorisation de passer la Meuse. D'après Chapeaville «*, le
messager du prince, arrivé à la porte d'Amercœur et entouré
d'une foule curieuse, aurait répondu insolemment au maïeur
qu'il n'avait rien à démêler avec lui ni avec le prince-évêque,
mais qu'il voulait remettre ses dépêches au conseil communal.
Il espérait ainsi semer la discorde entre l'évêque et ses sujets.
Le Taciturne avait en effet compté sur les sympathies que
les réformés liégeois et les ennemis du duc d'Albe éprouvaient
pour sa cause. Le général espagnol était exécré dans nos pro-
vinces, où ses soldats commettaient, surtout en Hesbaye et en
Condroz, des rapines inouïes; on lui prêtait même le dessein
de s'emparer de Liège et de séculariser la principauté *.
La réponse du Conseil de la Cité ne pouvait être douteuse :
les conseillers devaient respecter le pacte de 1518 et refuser le
passage de la Meuse au Taciturne. Ils répondirent donc au
prince par une fin de non recevoir très diplomatique, en allé-
1 Recueil précité : lettres de Gérard au duc d'Albe, du 31 octobre et du
3 uovembre 1568.
* Recueil précité : lettre de Gérard au duc d'Albe, du 5 novembre 1568.
5 ClIAPEAVII.LK, lOC. Cit., p. 457.
1 Voir Chapfaville, p. 456.
( 152 )
guant qu'ils ne pouvaient résoudre une question si grave sans
consulter les états.
Le Taciturne essuya le même refus de la part des autorités
de Maestricht. Le magistrat déclina ses propositions d'alliance,
et le courrier du prince fut même pendu par ordre du duc
d'Àlbe sous les murs de la ville.
Contrairement aux prévisions du général espagnol, Guillaume
de Nassau franchit la Meuse, au gué de Stockheim. Il envahit le
comté de Looz, et, comme nous l'avons dit, s'empara de Tongres
et de Saint-Trond. Quelques pertes que lui infligea le général
espagnol et l'indifférence des villes brabançonnes le détermi-
nèrent à battre en retraite. C'est alors qu'il tenta de repasser
la Meuse à Liège pour se retirer en Allemagne. Le magistrat
lui opposa le même refus que la première fois, et l'armée des
Gueux entreprit inutilement le siège de la Cité *. Le Taciturne
dévasta les environs et prit la route de la France par le mar-
quisat de Namur, le Hainaut et le Cambrésis^.
L agitation provoquée dans le pays de Liège par les héré-
tiques et la guerre civile qui désolait les Pays-Bas, n'altérèrent
pas les relations diplomatiques des deux Etats. Le duc d'Albe
promit à l'évêque l'appui du roi pour le cas où il ambitionne-
rait le chapeau de cardinal, et un traité, conclu le 24 août 1569 3,
confirma l'alliance de 1518, en réglant quelques difficultés qui
n'avaient pu encore être aplanies. Il stipulait que les futures
contestations seraient résolues par quatre arbitres choisis par
les deux parties, et, en cas de désaccord de ceux-ci, par un
surarbitre ou par le duc de Lorraine.
Quand Philippe II voulut ériger un évêché dans le duché de
1 Voir la page précédente.
1 Sur l'invasion du Taciturne dans la principauté, consulter les Mémoires
de Bernardin de Mendoça, édiles dans les Mémoires de h Société de
l'histoire de Belgique, par le général baron Guillaume, el la relation du
secrétaire d'étui (lourieville publiée par Gachahd dans lr tome Ili de la
Correspondante de Guillaume h Taciturne.
3 LoivRtx, lre partie, p. 2.30.
(153)
Luxembourg, il chargea Fonck, prévôt d'Utrecht, de s'entendre
au préalable avec les prélats intéressés : les archevêques de
Cologne et de Trêves et l'évéque de Liège.
Le roi d'Espagne dépouillait ainsi cette duplicité qui avait
tant froissé le chapitre sous le règne de Robert de Berghes ;
mais il ne retrouva plus le succès qui avait couronné ses pre-
mières négociations. L'évéque de Liège se plaignit auprès du
souverain pontife des visées ambitieuses du roi d'Espagne
et des torts que son église éprouverait, si on donnait encore
satisfaction à ce monarque; grâce à ses démarches oppor-
tunes Gérard de Groesbeek conserva sa juridiction dans le
Luxembourg 1.
VI
L'histoire des relations de don Louis de Requesens avec la
principauté de Liège offre peu de faits remarquables. En 1574,
le nouveau gouverneur défendit aux Liégeois d'accorder le
passage par leur territoire au comte Louis de Nassau 2. Ce jeune
prince, le Bayard de la Réforme, n'obtint pas plus de succès
que le Taciturne, quand il voulut entrer en rapport avec le
magistrat de Liège 3. Peu de temps après, il trouva une mort
héroïque dans la bruyère de Mook.
Don Louis de Requesens avait une double mission : sou-
mettre les provinces insurgées, la Hollande et la Zélande, et
tâcher de réconcilier les réformés avec Philippe IL
L'évéque de Liège travailla sincèrement au triomphe du
gouverneur espagnol. Aussi, quand ce dernier voulut entamer
des négociations avec le prince d'Orange, il reconnut qu'il ne
pouvait mieux faire que de confier à Gérard de Groesbeek une
1 Dabis, Histoire du diocèse et do la principauté de Liège, pp. 381 el suiv.
* Correspondance du cardinal de Granvelle, L V, lettre de Morillon du
25 février 1574.
3 Correspondance de Philippe //, t. III, n° 1308 : lettre de Requesens au
roi, du 5 mars 1574
( 154)
affaire aussi délicate. Il députa à Liège le professeur de Louvain,
le célèbre Elbertus Leoninus, pour prier notre prélat de le
mettre en rapport avec le Taciturne *.
Gérard de Groesbeek était vivement intéressé à voir la fin de
cette longue guerre civile. Son pays souffrait affreusement des
maux engendrés par ces hostilités incessantes, ses sujets lui
reprochaient en outre de ne pas avoir exigé la compensation
territoriale due à la principauté par le gouvernement de
Bruxelles, à la suite de l'érection des forteresses de Mariem-
bourg, de Philippeville et de Charlemont, et d'avoir consenti à
l'occupation de Maestricht par les troupes royales. Ces disposi-
tions peu bienveillantes étaient alimentées par les seigneurs
protestants de l'Allemagne, dont quelques-uns avaient même
proposé à l'évêque d'embrasser la réforme et de séculariser son
diocèse 2. En outre, Gérard avait dû s'imposer de grands sacri-
fices pécuniaires, et son ambassadeur à Bruxelles, Lœvinus
Torrentius, insistait pour obtenir en faveur du prélat ruiné
une pension de plusieurs milliers d'écus assignée sur les églises
d'Espagne qui deviendraient vacantes 3. Cette récompense, au
dire de Requesens et de Roda, lui serait plus agréable que le
chapeau de cardinal, attendu qu'il n'était pas assez riche pour
mener le train de maison ni pour s'entourer du faste d'un
membre du sacré collège *.
Non seulement le grand commandeur et le licencié Hiero-
nimo Roda recommandaient l'évêque de Liège à la munificence
de Philippe II, mais le cardinal de Granvelle, alors à Rome,
profitait de chaque occasion pour lui témoigner sa sympathie.
Déjà en 1564, il informait Philippe II que si d'autres ne le
1 Correspondance de Philippe II, t. III, n° 1357 : leiire de Reques**ns an
roi. du 12 juin 1374.
1 Voir la leltre du 25 septembre 1574 de Requesens au roi (correspondance
précitée, n° 1401) ei la leltre du 1er juillet 1576 de Hieronimo Roda au roi
(correspondance précitée, U IV, p. 1G47).
* Voir la lettre de Roda précitée et la lettre du 17 août 1575, de Reque*eos
au roi (correspondance précitée, n° 1500).
* Voir la lettre de Roda précitée.
( 185 )
gâtaient, Gérard serait un bon serviteur du roi *. L'année sui-
vante, il écrivait à Gonçalo Perez, ministre espagnol, que
l'évêque de Liège convenait pour le cardinalat 2. En 1569, il
assurait Gérard de son dévouement, en exprimant la peine
que le pape et lui avaient éprouvée à la nouvelle de l'inva-
sion de la principauté par le Taciturne 3. Le 2 août 1576,
il transmettait au roi une lettre de Gérard , en émettant
l'espoir que l'évêque serait nommé cardinal à la première
promotion 4.
Il est vrai que ces prévenances de Granvelle cachaient une
arrière-pensée. L'ambitieux prélat n'avait pas renoncé à l'idée
de devenir évêque de Liège et se faisait informer par son con-
fident, Morillon, des moindres événements qui pussent auto-
riser ses espérances. C'est surtout lorsque Gérard se fut blessé
au pied, au retour du siège de Hasselt, et que ses jours furent
en danger, que Morillon multiplia ses démarches en vue de
favoriser la candidature éventuelle de son protecteur ».
Tous ces témoignages prouvent néanmoins que l'évêque de
Liège était justement apprécié des conseillers de Philippe IL
Il n'est donc pas étonnant que le prince, dont l'intervention
fut le plus vivement sollicitée par don Juan d'Autriche, à son
entrée dans les Pays-Bas, ait été Gérard de Groesbeek.
4 Voir la lettre du 8 octobre 1561, de Granvelle au roi (correspondance
précitée, n° 259).
* Voir la lettre du 23 janvier 1 563, de Granvelle à Gonçalo Perez (corres-
pondance précitée, n° 236).
3 Lettre du 17 février 1569, de Granvelle à Gérard de Groesbeek (corres-
pondance précitée, t. Il, nu 826).
4 Lettre du 2 août 1576, de Granvelle au roi (correspondance précitée,
t. IV, p. 1675).
5 Voir dans la Correspondance du cardinal de Granvelle les lettres de
Morillon du 24 mai 1567, du 11 janvier 1568, du 14 septembre 1569; Morillon
émet très souvent, à l'égard de Gérard de Groesbeek, des appréciations trop
partiales.
( 156 )
VII
La rupture de don Juan avec les états généraux des Pays*
Bas l amena de nouveaux orages sur notre pays. Les troupes
espagnoles furent rappelées par l'irascible gouverneur, et les
états généraux se préparèrent à la guerre. Après une campagne
mêlée de succès et de revers, don Juan mourut de la fièvre, au
camp de Bouges, près de Namur, et ce fut Alexandre Farnèse,
duc de Parme, le meilleur général de Philippe II, qui hérita de
ses pouvoirs.
Le premier fait d'armes du jeune capitaine fut la reprise de
Haestricht, qui s'était insurgée après le départ de la garnison
espagnole. Le duc de Parme fut secondé dans cette expédition
par l'évëque de Liège, qui lui permit de traverser ses Etats et
lui envoya des troupes et des canons ; après un siège de quatre
mois, la malheureuse cité fut prise et livrée à la plus horrible
dévastation.
Farnèse contesta quelque temps les droits de souveraineté de
l'évéque sur la ville conquise. Finalement, Maestricht perdit la
plupart de ses privilèges, et l'autorité épiscopale y fut réglée
par un accord moins avantageux que celui de 1846 *.
Bien que Gérard eût reçu le chapeau de cardinal, le chapitre
de Liège conserva son droit d'élection. A la mort de Févêque,
en 1580, il dut choisir entre plusieurs candidats : le duc
d'Alençon, recommandé par le roi de France, Henri III;
1 Le £• volume de la Correspondance de Philippe II contient les lettres
adressées par don Juan d'Autriche à Gérard de Groesbeck. M. Henri Pirenue
en a tiré un heureux parti dans son étude sur La politique de Gérard de
Groesbeck, prince- évéque de Liège, pendant le Gouvernement de don Juan
a* Autriche dans les Pays-Bas (voir Travaux du cours pratique d'histoire
nationale, de M. P. Fredericq, 2e fascicule).
* Voir Chapeaville, pp. 500 et suiv. Dans sa lettre au duc de Parme, du
31 août 1579 (voir Documents relatifs au Pays de Liège, canon I), Gérard
de Groesbeck demande que le gouverneur de Maestricht, Francisco Moutedoça,
renouvelle le serment qu'il lui avait prêté avant le siège. Tous ces événements
ont été très bien exposés par M. le chanoine Daris dans son livre : Histoire
du diocèse et de la principauté de Liège au XVI* siècle, pp. 365 et suiv.
( 1« )
l'archiduc Mathias, soutenu par les états généraux des Pays-Bas;
enfin Granvelle, le comte Louis de Berlaymont, archevêque de
Cambrai, et Ernest de Bavière, évéque de Freisingen et de Hil-
desheim, présentés tous trois par Philippe II. Le duc de Parme
députa à Liège le conseiller Jean van den Burg, afin de préparer
l'élection d'un prélat partisan de la politique espagnole '.
Personne ne songeait à Granvelle ni à Louis de Berlaymont.
Le premier était trop loin de notre pays pour s'assurer la majo-
rité du chapitre, et Louis de Berlaymont, ce prélat que
Morillon, dans son style mordant, appelait une pécore*, ne
plaisait guère aux Liégeois. On ne voulait pas d'un prince,
écrivait Andréas Fabricius, l'ancien précepteur d'Ernest de
Bavière, qui eût écorché le peuple par sa rapacité, mais un
souverain qui relevât le prestige du pays 3.
Ernest de Bavière était en mesure de donner un lustre nou-
veau au trône d'Erard de la Marck. Il appartenait à la plus
puissante famille catholique de l'Allemagne et était apparenté
à la maison d'Autriche et à celle de Juliers. En outre, il plaisait
tout particulièrement à l'Espagne. Déjà en 1577, Philippe II
recommandait à don Juan de travailler à lui faire obtenir la
coadjutorerie de Liège. A la demande du duc Albert de Bavière,
prince à qui il devait beaucoup, comme il le reconnaissait lui-
même, le monarque s'adressa à l'évéque et aux chanoines de
Liège 4-. Mais ceux-ci, fidèles à leur réserve, retardèrent la nomi-
nation d'un coadjuteur,et la mort surprit Gérard de Groesbeek,
sans que son successeur fût désigné.
Le duc de Clèves et de Juliers, sollicita aussitôt la protection
d'Alexandre Farnèse pous son neveu, Ernest de Bavière. Le gou-
verneur des Pays-Bas penchait vers ce jeune prélat, celui qu'il
désirait le plus avoir comme voisin, écrivait-il. Néanmoins son
1 Voir Strada, De bello Belgico, Rome, 1647, 2« décade, livre IV, p. 136.
9 Correspondance du cardinal de Granvelle, t. VI : lettre de Morillon
à Granvelle, du 22 avril 1577.
5 Citation de Max Losskk, Dtr kolnische Krieg, p. 736.
4 Correspondance de Philippe //, t V : lettre du roi à don Juan, du
9 juin 1577.
( 158 )
député, Van den Burg, ne désigna personne spécialement et se
borna à présenter les trois candidats du roi d'Espagne, en recom-
mandant d'une manière générale celui que l'on reconnaîtrait
comme le plus capable de défendre la religion catholique *.
Les tréfbnciers n'étaient pas plus disposés pour Granvelle
que pour Berlaymont. ils ne se laissèrent pas séduire non plus
par les insinuations des états généraux, qui proposaient l'archi-
duc Mathias pour le consoler de son échec aux Pays-Bas, ni
par les députés du duc d'Àlençon. L'arrivée d'Ernest à Liège et
l'agréable impression qu'il produisit sur la population, déter-
minèrent le choix du chapitre : Ernest fut élu à l'unanimité,
après qu'il eut produit un bref du pape qui l'autorisait à diriger
plusieurs évêchés*.
A l'avènement d'Ernest de Bavière, la révolution des Pavs-Bas
avait atteint son point culminant. Par ses habiles manœuvres
et la désunion qu'il sema adroitement entre les rebelles,
Alexandre Farnèse reprit rapidement les villes insurgées. De
1580 à 1590, il remporta d'éclatants succès, et, quand il entre-
prit sa dernière expédition en France, en faveur de la Ligue,
l'autorité du roi catholique était restaurée dans les Pays-Bas
méridionaux.
Bien que le duc de Parme, sauf lors du siège de Maestricht,
ne fût pas obligé de traverser le territoire liégeois, ses troupes
dévastèrent souvent la petite principauté. Longtemps elles
hivernèrent dans les villes épiscopales; longtemps leur général
resta insensible aux protestations des habitants et aux réclama-
tions de Tévêque.
Le même fléau reparut sous les successeurs de Farnèse. En
1595, la petite ville de Huy, importante à cause de sa forte-
1 Max Lossen, Der kôlnische krieg, pp. 756 et suiv.
* Max Lossen, loc. ctt., pp. 756 et suiv. Nous recommandons tout parti-
culièrement Tétude de ce savant travail, intéressant non seulement pour
l'histoire de l'archevêché de Cologne et des diocèses de la basse Allemagne,
mais aussi pour celle de l'évêché de Liège. L'auteur a tiré un très riche parti
des différents dépôts d'archives de l'Allemagne, particulièrement de celui de
Munich.
( 159 )
resse, fut surprise par un hardi soldat, Héraugier, gouverneur
de Bréda. Ce coup de main jeta l'alarme dans le camp royal,
parce que la possession du château de Huy livrait une partie
de la vallée de la Meuse aux insurgés.
L'évéque reprit la citadelle avec le secours des Espagnols, et
les vainqueurs souillèrent leur victoire par un pillage qui
dépassa en cruauté celui de Maestricht. « Les pillards, écrit le
chroniqueur Laurent Mélart *, vendirent les meubles, jusqu'aux
fers et plombs des verrières qu'ils desclouèrent, tellement que
la ville fut entièrement démeublée, ne restant plus que les
parois des maisons, où ils brûlaient les formes de lit, les
armoires, les buffets, tables et semblables choses qu'ils ne
pouvaient vendre ou qu'à raison de leur vileté on ne voulait
acheter pour en faire du feu ».
Le comte de Fuentes, général de Philippe II, restitua la
forteresse aux Liégeois, mais à condition que le commandant
serait désigné par le roi d'Espagne. Les protestations éner-
giques d'Ernest de Bavière firent échouer cette prétention 2.
Depuis 1568, le roi d'Espagne soutenait contre les insurgés
des Pays-Bas une guerre qui devint désastreuse après la mort
d'Alexandre Farnèse. Déçu dans ses espérances et miné par une
maladie incurable, Philippe II fut heureux de signer le traité
de Vervins qui le réconcilia avec la France. Peu de temps
après, il cédait les Pays-Bas à sa fille Isabelle, future épouse de
l'archiduc Albert; mais cette cession ne fut pas reconnue par
les Hollandais, et les nouveaux souverains durent entreprendre
contre ces indomptables révoltés une guerre opiniâtre qui pré-
cipita la ruine de nos provinces et dont la petite principauté
de Liège ressentit plus d'une fois le contre-coup.
1 Mélart, Histoire de Huy, pp. 498 et suiv.
* Chapeayillk, u III, pp. 511 el suiv. Pour l'époque d'Ernest de Bavière la
chronique de Cbapeaville est une source originale. Voir aussi Foulon :
Historia ieodiensis, t. II, p. 563.
( 160 )
CHAPITRE X.
La nouvelle neutralité liégeoise.
I
Nous avons vu, dans le chapitre précédent, comment Gérard
de Groesbeck s'entendit avec le Gouvernement de Bruxelles
pour combattre le protestantisme et repousser les armées de
Guillaume et de Louis de Nassau. Cette entente était naturelle;
elle découlait du traité d'alliance de 1518 qui avait été confirmé
par les successeurs d'Erard de la Marck et particulièrement
par Gérard de Groesbeck.
Ce traité, si nous nous en rappelons la teneur, obligeait les
deux alliés, le souverain des Pays-Bas et le prince de Liège, à
s'avertir des menées de leurs ennemis, à s'entr'aider pour
repousser l'envahisseur de leur territoire, à fournir leur con-
tingent, soit qu'il fallût lever une armée ou entreprendre un
siège. Elle créait, en un mot, entre les deux voisins une alliance
défensive, alliance qui détermina, pendant plus d'un demi-
siècle, la politique extérieure de la principauté. Charles-Quint
en réclama les bénéfices, lorsque les Pays-Bas furent envahis
par François Ier, en 1542, en 1543, et par Henri II, en 1552.
Quand Guillaume le Taciturne, malgré la défense des autorités
locales, viola le territoire liégeois, l'évéque invoqua le secours
du duc d'Albe et, d'accord avec son chapitre, lui permit d'oc-
cuper provisoirement les forteresses du pays. Cette attitude
était logique. Quelles que fussent les sympathies de beaucoup
de Liégeois pour le prince d'Orange, Gérard de Groesbeck était
en droit de refuser l'entrée de ses États à un rebelle du roi
(161 )
d'Espagne, son allié, et de le combattre avec vigueur quand ce
rebelle persistait à traverser son territoire.
Le Taciturne et les calvinistes hollandais et zélandais ne
furent pas les seuls qui s insurgèrent contre la tyrannie espa-
gnole. A la mort de Requesens, toutes les provinces des Pays-
Bas, sauf le Luxembourg et le Limbourg, se révoltèrent contre
Philippe II, et, sur la simple proposition des états du Brabant,
les états généraux se réunirent à Bruxelles. Cette fois, la révo-
lution entraînait les catholiques et tous ceux qui souffraient
du despotisme étranger.
Les provinces dont les députés siégeaient à Bruxelles négo-
cièrent avec les calvinistes hollandais dirigés par le prince
d'Orange, et la mémorable Pacification de Garni réunit comme
en un faisceau toutes les forces de l'opposition nationale.
Tout en reconnaissant la souveraineté du monarque espagnol,
les députés réunis à Gand exigèrent le renvoi des troupes
étrangères, proclamèrent une amnistie pour les délits poli-
tiques et religieux, suspendirent provisoirement les poursuites
dirigées contre les réformés, et réservèrent à une prochaine
réunion des états généraux le soin de régler les questions relir
gieuses. L'union des provinces belgiques ne détruisait donc ni
l'autorité du roi, ni la religion catholique; elle ménageait un
accord opportun entre les deux grands partis qui divisaient
les Pays-Bas.
Quand don Juan d'Autriche, le nouveau gouverneur des
Pays-Bas, entra dans le Luxembourg, les états exigèrent qu'il
ratifiât la Pacification. A la suite de pénibles négociations, au
succès desquelles Gérard de Groesbeck contribua pour une
grande part *, don Juan accepta le traité qu'on lui proposait.
La paix, il est vrai, ne dura pas longtemps : l'irascible gouver-
1 Voir à ce sujel les oombreuses lettres publiées par Gachard dans le
5* volume de la Correspondance de Philippe //, et Pelade de M. Henri
Pirenne: La po'itque de Gérard de Groesbeck, princc-évéque de Liège, pen-
dant te Gouvernement de don Juan d'Autriche, dans le 2* fascicule des
Travaux du cours pratique £ histoire nationale, de M. P. Fredericq.
TomeXLI. 11
( 162 )
neur se brouilla avec les états, et la guerre civile recommença.
Le récit de cette guerre appartient à l'histoire générale des
Pays-Bas; c'est pourquoi nous n'en rappellerons que les inci-
dents qui se rapportent particulièrement à notre étude.
L'évéque de Liège était l'allié de Philippe II. Quelle allait
donc être son attitude dans cette lutte des états généraux contre
don Juan? Soutiendrait-il le gouverneur espagnol ; seconde-
rait-il les révoltés?
Dans le premier cas, il observait fidèlement l'alliance de
1518, mais risquait de provoquer une révolution à Liège, où la
haine contre le nom espagnol avait atteint son paroxysme.
Bien que Groesbeck, prince modéré de sa nature, eût tout fiait
pour adoucir les misères de ses sujets, il n'en passait pas moins
pour une créature de Philippe II, et cette opinion s'accrédita
surtout quand il eut obtenu le chapeau de cardinal. La pru-
dence lui défendait donc de fournir des troupes à don Juan
pour combattre les états généraux, quelque raison qu'il eût de
souhaiter le triomphe du roi catholique.
Prendrait-il, au contraire, le parti des états généraux? Il eût
alors obtenu le concours d'une grande partie de ses sujets,
principalement des communes du comté de Looz, où la Réforme
avait jeté de profondes racines. Mais on ne pouvait attendre
une résolution aussi hardie de Gérard de Groesbeck, souverain
catholique et prélat allemand. Soutenir les états généraux,
c'était intervenir dans les guerres civiles d'un cercle du saint-
empire, du cercle de Bourgogne, et se mêler à des discordes
que les diètes germaniques et l'empereur Maximilien II {
avaient, à différentes reprises, tâché d'étouffer. L'évéque de
Liège ne pouvait aider les Belges révoltés contre leur souverain
légitime, quelque sympathie qu'il éprouvât pour leur cause,
1 Voir les lettres de ce prince à Guillaume le Taciturne (Gachard, Corres-
pondance de Guillaume le Taciturne, t. III), et les preuves fournies par
M. Ém. de Borchgrave dans son savant travail couronné par l'Académie:
Histoire des rapports de droit public qui existèrent entre les province*
belges et Vempire d'Allemagne (Mémoire in-4°, t. XXXVI), pp. 211 et suiv.
C *63 )
sans violer les constitutions impériales et sans enfreindre l'al-
liance de 1518.
Une seule politique se recommandait donc à Gérard de Groes-
beck et aux Liégeois : la neutralité. En restant neutre, le sou-
verain liégeois n'observait plus le traité de Saint-Trond, mais il
respectait les nombreux recès des diètes germaniques, recès *
qui interdisaient aux princes allemands de prendre part aux
troubles qui désoleraient un État du saint-empire et fournis-
saient, par conséquent, un excellent prétexte à notre prélat
pour décliner toute proposition d'alliance d'un des belligérants.
Non seulement la neutralité liégeoise se justifiait par des
dispositions juridiques, elle était imposée par la situation cri-
tique où se trouvait la principauté. En soustrayant ses États
aux malheurs qui les menaçaient de toutes parts, Gérard
n'agissait pas en souverain égoïste qui abandonnerait son allié
au moment du danger, mais en prélat prévoyant qui assurait
ses sujets contre les risques d'une guerre désastreuse. Tout le
monde savait avec quel zèle ce loyal évoque s'était appliqué à
amener une entente entre don Juan et les états généraux des
Pays-Bas, et personne n'était en droit de lui reprocher sa
nouvelle attitude à l'égard de Philippe II.
II
Déterminés à rester neutres, Gérard de Groesbeck et les états
liégeois repoussèrent habilement les propositions d'alliance des
états généraux et de don Juan. Ce furent les états généraux qui
1 Le recès de Worms de 1564 interdisait la réunion de soldats, même
enrôlés pour une guerre étrangère, sans l'autorisation expresse du prince du
territoire; redit de Spire, de 4570, défendait toute levée de soldais de la part
d'un prince étranger sans l'autorisation de l'empereur et menaçai i du ban de
l'empire celui qui contreviendrait à celte défense; ce recès fut conQrmé à
Ratisbonne en 1576; redit d'Augsbourg, de 1582, défendit encore aux États
de l'empire de souffrir le passage de soldats non autorisés par l'empereur.
Le lexie de tous ces édits ainsi que les nombreuses ordonnances publiées
sur la paix publique se trouvent dans Koch : Neue und voll&taendigere
Sammlung der Beichstagsabschiede, Francfort, 1747.
( 164 )
implorèrent les premiers le secours des Liégeois en invoquant
le texte des anciens traités qui unissaient la principauté aux
Pays-Bas. Le 7 octobre 1576, Philippe vander Meeren, seigneur
de Saventhem, arriva à Liège pour demander au prince-évêque
aide et assistance contre les Espagnols. Gérard, le chapitre
cathédral et les bourgmestres, déclinèrent la proposition du sire
de Saventhem; le 16, Gérard répondit aux états généraux
« qu'il a senti et sent ung singulier regret et condollence allen-
droit des affaires qui se sont dernièrement addonnez es Pays-
Bas et que l'empereur et les états de l'empire à qu'ils en ont
écrit, voudront bien s'employer à addresser lesdites affaires à
appaisement et repos ». Le chapitre conclut qu'il s'en remettait
au jugement de l'évêque, et, non moins prudents, les bourg-
mestres s'en rapportèrent également à la décision de leur
prince et à celle de l'empereur.
Le pillage de Maestricht par les Espagnols et l'irritation qui
s'ensuivit à Liège déterminèrent Gérard de Groesbeck à convo-
quer les états. Les états généraux de Bruxelles crurent qu'ils
réussiraient auprès de l'assemblée liégeoise, et, le 5 novembre,
Jean de Bourgogne, seigneur de Froidmont, et Nicolas Oudart,
seigneur de Ranst, parlèrent en leur nom devant les états. A
une séance du tiers, Oudart rappela les anciens traités qui
liaient le pays de Liège aux provinces belgiques, les consti-
tutions impériales, telle que la Landfriedt de 1548, qui enjoi-
gnait aux États allemands de se secourir les uns les autres
en cas de péril commun ; représenta que les états généraux
avaient levé une armée pour résister aux Espagnols; que
les mêmes périls menaçaient la principauté de Liège et les
Pays-Bas; qu'on avait délibéré à Bruxelles d'envoyer une
ambassade à Liège « pour savoir l'intention de ladicte cité :
si i ce lie soy vorait conjoindre avec lesdits Pays-Bas pour soy
aidier, assister et deffendre l'ung l'autre; aultrement ledit
pays de Liège soy poroit perdre et tumber en une totale ruine
et désastre. »
Deux jours plus tard, dans une réunion plénière des états,
les deux députés renouvelèrent leurs propositions et aultres
( 165 )
plus grandes, et la discussion commença. Un membre *, dont le
nom est resté inconnu, prononça un discours véhément en
faveur d'une union intime avec les états généraux; mais sa
proposition fut habilement combattue par Florent de Berlay-
mont, seigneur de Floyon, et l'assemblée se sépara sans avoir
rien conclu.
L'état tiers se réunit l'après-midi à l'hôtel de ville et déclara
qu'il ne pouvait rien décider sans avoir consulté ses commet-
tants; il approuva même une réponse préparée par le chapitre
pour être lue le lendemain aux ambassadeurs des états géné-
raux. Il y était dit en substance que les Liégeois regrettaient
les désordres survenus à Maestricht, désordres dont l'empereur
et le duc de Juliers avaient été avertis, mais qu'ils ne pouvaient
se prononcer, parce que leur principauté relevait de l'empire et
qu ils devaient au préalable consulter l'empereur et la diète du
cercle de Westphalie. Le seigneur de Froidmont tenta vaine-
ment d'obtenir une réponse plus catégorique; on lui répliqua
« qu'on ne leur sauroit présentement donner autre response
que la susdite laquelle on leur baillerait par escript *. »
L'échec qu'ils avaient subi à Liège en 1576 ne découragea
pas les états généraux ; l'année suivante, quand ils furent en
guerre ouverte avec don Juan, ils tentèrent de nouveau d'obtenir
l'appui de la principauté. Le 2 novembre 1577, ils députèrent à
Liège le même Jean de Froidmont accompagné de Nicolas Sal-
mier, seigneur de Melroy. Ils mandaient aux états liégeois que
les ennemis des états généraux voulaient s'emparer de Dinant;
que les Liégeois fournissaient des vivres et des munitions
de guerre aux ennemis; ils rappelaient l'insatiable ambition
des Espagnols et représentaient qu'il convenait pour la sûreté
1 Voir Fisen, Historia ecclesiae leodiensis, pp. 376, 377.
* Sur la mission du seigneur de Savenlhem, voir Gachard, Actes des états
généraux, 1. 1, pp. 23 et 25.
Sur la mission de Froidmont et d'Oudarf, voir les pièces justificatives
publiées par Uénaux à la suite de son étude : La Belgique et le pays de Liège
en 4576.
( 166 )
des deux pays non seulement entretenir estroitement les anchiàk
accordais et traictez mais aussi de faire nouvelles confédération*
et aliances tant offensives que deffensives de façon qu'il ne fût
permis ni à l'un ni à l'autre État de fournir des soldats, des
munitions ou de l'argent aux ennemis de son allié. Ils invo-
quaient le texte des anciens traités *, qui stipulaient que les
Liégeois ne devaient pas souffrir que les ennemis du Brabant
s'approvisionnassent de vivres ou de munitions sur leur terri-
toire, mais étaient tenus de soutenir les Brabançons contre leurs
adversaires ; que ces deux peuples alliés ne pouvaient pas sou-
tenir ou favoriser leurs ennemis respectifs, ni leur fournir un
passage par leurs villes, leurs châteaux ou leurs forteresses,
mais s'assister réciproquement toutes et quantes fois ils en
seraient requis. Les états terminaient leur requête par un
violent réquisitoire contre les Espagnols et par la justification
de leur rupture avec don Juan.
Gérard de Groesbeck ne pouvait, sans violer la neutralité,
agréer la demande des états généraux; il leur répondit qu'il ne
pouvait prendre de décision sans une autorisation de Sa Majesté
l'Empereur; que les constitutions impériales l'obligeaient à
laisser libre le trafic des munitions par son territoire; que ces
munitions étaient livrées le plus souvent par des marchands
étrangers ; que ses sujets en avaient besoin pour eux-mêmes, et
que, en tout cas, ils n'en vendaient guère autant qu'on leur en
volait 2.
III
La seconde ambassade des états généraux à Liège est très
connue; mais ce que tous les historiens semblent ignorer,
c'est que peu de temps après le départ de Froidmont et de
1 Voir dans Louvrex, foc. cit., le texte des traités de 1398 et de 1518.
* Tous les documents relatifs à l'ambassade du sire de Froidmont et du
sire de Melroy, en 1577, ainsi que la réponse de Gérard de Groesbeck, se
trouvent dans le carton II des Documents concernant le pays de Liège, aux
Archives du royaume.
(167)
Melroy, le 19 de ce même mois de novembre 1577, don Juan
députa vers les états et les trente-deux métiers de la Cité le
baron de Wiltz et Jean-Guillaume Lefèvre, membres tous deux
du conseil provincial de Luxembourg, pour exposer ses griefs
aux Liégeois et requérir leur alliance. Nous n'avons pas con-
servé le texte de l'instruction qui fut donnée à ces deux députés,
mais nous pouvons en deviner le contenu par la réponse du
prélat et par le rapport des deux ambassadeurs.
De Wiltz et Lefèvre arrivèrent à Liège le 26, alors que les états
venaient de se dissoudre, et, le lendemain, présentèrent leurs
lettres de créance au prince, au chapitre et au conseil de la
Cité. Le prince répondit * qu'il regrettait la guerre, mais que,
sans les états, il ne pouvait rien résoudre. Les bourgmestres
et le conseil de la Cité ajoutèrent qu'ils avaient toujours auto-
risé Don Juan à se fournir de vivres et à les faire venir par
la Meuse et l'Ourthe, à telles enseignes que l'armée des états
généraux s'était emparée de Neuchâteau sur Amblève pour pro-
hiber ce trafic. S'ils s'abstenaient de plus amples déclarations,
c'est qu'ils ne jouissaient que d'un pouvoir limité, mais ils
promettaient de seconder le chapitre et leur prince dans d'aussi
tristes conjonctures. Ils priaient enfin don Juan de mettre fin
aux déprédations de ses soldats, déprédations qui ruinaient les
campagnes liégeoises.
Les députés de don Juan objectèrent que de tels méfaits
étaient l'œuvre de particuliers, et que les bourgmestres agi-
raient sagement en empêchant les ennemis de Sa Majesté de
s'approvisionner dans la principauté. A quoi les magistrats
répondirent que ces méfaits parvenaient de troupes régulières,
non d'individus isolés, qu'ils n'avaient pas le droit d'interdire
le trafic des denrées, que ce droit appartenait à l'évêque et
« que mesmes nestoit la coustume ni permis par les traictez
et ordonnances de l'Empire d'empêcher personne de trafiquer
1 Voir le rapport du baron de Wiltz et de Guillaume Lefèvre dans le car-
ton Il des Documents relatifs au pays de Liège, aux Archives du royaume.
(168)
en leur ville et passer à sa meilleure commodité pour quelle
part que fust ».
Le 30 novembre, Gérard écrivit à don Juan en son nom et au
nom du chapitre. Il s'excusait de ne pouvoir négocier une nou-
velle alliance sans le concours des états; ceux-ci venaient de
se dissoudre et ne pourraient, si même ils étaient présents,
délibérer sur un sujet aussi grave sans y être autorisés par
l'empereur, leur souverain seigneur. Quant à lui, il n'avait
jamais autorisé de levée * de soldats sur son territoire, mais
il n'avait pu empêcher quelques-uns de ses sujets malheu-
reux de s'engager dans les armées voisines, seul moyen d'exis-
tence qui leur restât dans ces temps de misère; s'il voulait s'y
opposer, il craignait fort de ne pouvoir être obéi ; et d'ailleurs,
la chose se pratiquait de la même manière dans toute l'Alle-
magne. Puisque les ordonnances relatives à la paix publique
autorisaient le trafic des marchandises sur le territoire impé-
rial, il ne pouvait défendre qu'on s'approvisionnât dans ses
Etats, d'autant que c'étaient les étrangers qui se livraient de
préférence à ce commerce; car ses propres sujets n'étaient
guère disposés à vendre des vivres, tandis qu'ils en avaient
eux-mêmes grand besoin; s'ils le faisaient quelquefois, c'est
qu'ils aimaient mieux vendre leurs denrées, au risque de ne
jamais être payés, que d'en être dépouillés par les maraudeurs.
D'ailleurs, les soldats de don Juan s'étaient souvent appro-
visionnés chez lui ; il priait donc le général espagnol de ne pas
empêcher les Liégeois de recevoir leurs denrées des provinces
voisines, ce qui l'obligerait d'user de représailles à l'égard des
sujets de Philippe II. Si des Espagnols avaient été outragés, il
le regrettait; le cas échéant, il ferait bonne justice des coupa-
bles. Il requérait enfin Son Altesse de punir les soldats qui
pillaient la campagne, lui promettait de défendre Dinant,
1 Déjà, en 1567, Gérard de Groesheck, en conformité des mandement»
impériaux, défendait , sous peine de la vie, de prendre du service ebrz les
rebelles des Pays-Bas. V. Bouille , Histoire de la ville et du pays de Liège,
t. II, p. 437.
( 469 )
comme les autres forteresses, l'assurait de tout son dévouement,
et s'engageait à prier Dieu pour qu'il mît fin aux troubles qui
désolaient ses États et ceux de son voisin, le roi catholique *.
Cette réponse *, dont nous avons retrouvé l'original aux
Archives du royaume, montre que les autorités liégeoises
approuvaient la conduite de leur évêque, et que celui-ci prati-
quait loyalement cette politique de neutralité, la seule qui pût
empêcher la ruine totale de son pays. Gérard de Groesbeck
tenait la balance égale entre les deux belligérants. Conformé-
ment aux constitutions impériales, il leur permettait de s'appro-
visionner sur son territoire, mais déclinait leurs propositions
d'alliance. Il leur accordait donc les mêmes avantages et leur
opposait les mêmes refus, seule attitude qui convînt à un sou-
verain qui voulait préserver ses sujets des atteintes de l'horrible
guerre qui déchirait les Pays-Bas.
IV
Il ne suffit pas de proclamer la neutralité de son pays; en
temps de guerre, il faut la faire respecter. Or, Gérard avait à
contenir les dispositions belliqueuses d'une partie de ses sujets
et à réprimer les insolences des soldats espagnols, insolences
qui alimentaient l'hostilité des Liégeois à l'égard des gouver-
neurs des Pays-Bas.
C'étaient surtout les villes frontières de la principauté, prin-
cipalementHuy et Dînant, ainsi que quelques localités du comté
de Looz, qui haïssaient les Espagnols. Don Juan ne mentait pas,
quand il écrivait à Philippe II « que les Liégeois, quoiqu'ils
dussent être neutres, tenaient le parti des états » 2. Ces Liégeois
étaient avant tout les habitants des communes voisines du mar-
1 Nous publions cette réponse de Groesbeck dans nos pièces justificatives,
n« XXII.
* Gâcha rd, Corresfondance de Philippe II, t. V, lettre de don Juan au
roi, du 21 janvier 1577.
.* i
(170)
quisat de Namur. A l'époque où Marguerite de Valois traversa
nos contrées pour se rendre à Spa, la petite localité de Huy
était en pleine agitation « tumultueuse et mutine (comme tous
ces peuples-là se sentaient de la révolte générale des Pays-Bas)
ne rëcognoissoit plus son évesque, à cause qu'il vivait neutre,
et elle tenoit le party des états. »
Arrivée à Dinant, la belle voyageuse eut fort à faire pour
empêcher la population de dévaster la maison où elle logeait.
On voulait massacrer le maître d'hôtel de l'évêque qui raccom-
pagnait, et la princesse effarée dut se réclamer du comte de
Lalaing, grand bailli du Hainaut, l'ennemi de don Juan. Ce
nom, paraît-il, produisit une sorte de charme sur la foule
irritée, qui s'employa dès lors à faciliter le retour de Marguerite
en France et à lui éviter toute rencontre fâcheuse. Les Dinan-
tais avaient fermé leurs portes à la troupe du comte de Berlay-
mont, que don Juan envoyait au-devant de la princesse pour la
conduire à Namur; ils craignaient que le rusé général ne
s'emparât de leur ville, comme il avait surpris la citadelle de
Namur quelques semaines auparavant. Tous ces incidents, si
agréablement racontés par le spirituel écrivain, prouvent assez
dans quelle effervescence vivaient les habitants du pays de
Liège, voisins du marquisat de Namur *.
Ce qui irritait particulièrement les Liégeois contre les Espa-
gnols, c'étaient les excès de ces soudards qui avaient été intro-
duits dans notre pays par les généraux de Philippe II. On ne
peut se rendre compte des malheurs qui affligèrent nos provinces
pendant ces années désastreuses, malheurs dont on trouve, à
chaque instant, la description dans le récit des chroniqueurs
liégeois 2 et dans les nombreuses lettres adressées aux gouver-
neurs généraux des Pays-Bas par Gérard de Groesbeck et par
1 Voir les Mémoires de Marguerite de Valois (édition de là Société d'his-
toire de France), pp. 119 ss.
1 Voir, dans Cuapeaville, l'histoire des dernières années de Gérard de
Groesbeck ei du règne d'Ernest de Bavière. La chronique de cei écrivain
devient très intéressante pour l'époque dont nous nous occupons.
(171 )
Ernest de Bavière. On est navré quand on lit ce lamentable récit
des misères de nos pères. Les horreurs qui avaient marqué le
triomphe des Espagnols à Anvers furent renouvelées à Maas-
tricht en 4576 et en 1579, à Huy,en 1595. Les riches campagnes
de la Hesbaye et du Condroz étaient mises en coupe réglée par
les bandits. Les garnisons de Diest, de Léau, de Hérenthals,
étendaient leurs ravages jusque sous les murs de Hasselt, ran-
çonnaient les habitants, enlevaient les récoltes, rendaient les
transactions commerciales presque impossibles, et les généraux
étaient impuissants à réprimer le brigandage de leurs soldats,
qui, rarement payés, vivaient aux dépens des paysans.
Les plus terribles de ces pillards étaient les déserteurs, les
vagabonds, les vrybuters, comme on les désigne d'ordinaire, qui
s'abattaient sur les campagnes et les dévastaient, comme ne
leussent pas fait des nuées de sauterelles. Ceux qui tombaient
dans les mains des bourgeois étaient exécutés sans miséricorde,
mais leur mort irritait davantage les survivants et provoquait
de leur part de terribles représailles. Si le pays de Liège eût
été protégé par de nombreuses forteresses ou défendu par
une vigoureuse milice, il eût peut-être été assuré contre ces
envahisseurs, mais, épuisé par les troubles des années précé-
dentes, il manquait des ressources nécessaires pour entretenir
des troupes suffisantes. Les eût-il trouvées, il n'eût pas encore
été guéri des maux dont il souffrait : telle était l'organisation
des armées à cette époque, que la présence du soldat, national
ou étranger, était toujours un malheur pour le peuple qui
devait la supporter.
Ces excès des soudards provoquaient des représailles de la
part des habitants, et ces représailles suscitaient les plaintes des
gouverneurs espagnols.
Don Juan, Alexandre Farnèse, Ernest de Mansfeld, préten-
dirent souvent que les Liégeois donnaient asile aux déserteurs *,
1 Des peines très sévères avaient été édictées contre les soldats vagabonds
dans les diètes allemandes. L'édil d'Augsbourg de 4548 défendait, par son
litre XXIV, de rien leur accorder, mais de les arrêter et de les justicier;
( 172 )
persécutaient leurs soldats, les empêchaient de se ravitailler.
Les liasses de V Audience et les Registres aux dépêches du Conseil
privé des évêques de Liège, contiennent un grand nombre de
lettres des lieutenants de Philippe II aux princes-évêques. Elles
dénotent une sourde irritation de tous ces généraux qui ne
pardonnent pas aux Liégeois d'observer la neutralité. Quant
aux autorités liégeoises, elles suivent la même tactique : elles
réfutent les faits qu'on leur reproche, invoquent les constitu-
tions impériales, demandent qu'on respecte leur neutralité. Le
plus souvent, il n'était tenu aucun compte de leurs réclamations,
môme des plus légitimes; aussi la petite principauté souffrit
presque autant que les Pays-Bas de la terrible guerre civile que
la tyrannie de Philippe II avait allumée dans nos provinces. Ce
serait trop nous écarter de notre sujet que de faire le tableau
à la fois si triste et si intéressant des misères de nos pères au
XVI6 siècle. Nous conseillons aux Liégeois qui désireraient
connaître le sort de leurs ancêtres, pendant cette époque néfaste,
de parcourir les nombreux documents insérés par M. le cha-
noine Daris dans son instructive histoire de la principauté au
XVIe siècle. Ils verront toutes les calamités qui affligèrent le
petit pays pendant la période de nos guerres civiles, et mau-
diront les auteurs de tant d'infortunes.
On se demandera ce que les gouverneurs des Pays-Bas pen-
saient de cette nouvelle politique des états liégeois, qui leur
enlevait un allié, au moment du danger, et anéantissait ce traité
de 1518 auquel Charles-Quint attachait tant de prix.
il menaçait l'Élat de l'empire qui manquerait à ce devoir d'une amende de
40 marcs d'or. Voir Koch, loc. cit., L II, p S84. Celle prescription $ e retrouve
dans les nombreux édils de Landfrieden contenus dans le 5* volume de la
même collection ; elle est répétée dans les articles 38 à 42 de ledit d'Àugs-
bourgde 1555.
( "3)
Les Espagnols subirent, plutôt qu'ils ne l'acceptèrent, la neu-
tralité du territoire épiscopal. Les difficultés qu'ils éprouvaient
aux Pays-Bas les empêchaient d'exiger des Liégeois la fidèle
exécution du pacte de 1518 ; ils étaient assez heureux que les
évéques continssent les dispositions belliqueuses de leurs
sujets, si hostiles aux Espagnols.
Aussi l'attitude des lieutenants de Philippe II à l'égard des
Liégeois fut-elle indécise et quelquefois contradictoire. Tantôt
le fougueux don Juan rappelle à Gérard de Groesbeck les
anciens traités d'alliance et en réclame l'exécution, se plaignant
amèrement des habitants de Saint-Trond et déclarant nettement
qu'il ne souffrira pas qu'ils observent la neutralité : « seulement
vous diray (à l'évéque) que comme estant leur seigneur ne vous
ay voulu celer ce fait à ce que selon la puissance quavez sur
eulx commendezqu'ilz se déportent de telles actes y pourvoyant
par les remèdes plus convenables sans que lesdits de Saint-Trond
s'arrestent au Mire de leur prétendue neutralité laquelle je nentends
aucuneme)it avoir lieu *. Tantôt Farnèse semble reconnaître la
neutralité des Liégeois, mais pour se plaindre que cette neu-
tralité n'est pas loyalement observée, parce qu'on lui refuse de
faire descendre la Meuse à quatre de ses bateaux; ce refus était
injustifiable, écrivait le gouverneur, puisqu'il n'attaquait pas un
prince voisin, mais soumettait des rebelles et éteignait un mal
dont la contagion pouvait frapper les pays voisins 2.
L'habile gouverneur aimait, d'autre part, à prodiguer ses
assurances de dévouement à Ernest de Bavière et multipliait
ses promesses de soulager le territoire liégeois 3 ; mais ces pro-
messes ne s'accomplirent que bien tard, car, jusqu'en 1588, les
troupes du duc de Parme hivernèrent dans la principauté
qu'elles ruinèrent pour longtemps.
1 Lettre de don Juan à Gérard de Groesbeck, da 11 aoùll578. (Audience,
pièce non classée).
* Lettre d'Alexandre Parnèse a Gérard de Groesbeck, du 6 décembre 1578,
(Audience, pièce non classée).
8 Voir Dams, loc. cil , pp. 477 ss.
(174)
En 1591, le conseiller Brosia vint à Liège i réclamer l'exécu-
tion des traités de 1398 et de 1518, et se plaindre que le pays
de Liège était rempli de francs pillards, qu'un officier royal
avait été tué par un habitant de Saint-Trond, que les soldats
qui avaient dévasté le Limbourg trouvaient un refuge sur le
territoire épiscopal. Le chapitre cathédral répondit qu'il avait
reçu plus d'injures de ses voisins qu'il ne leur en avait fait;
qu'il était impossible que les pillards ne passassent point par la
principauté, entourée de provinces belges; que le gouverneur
espagnol devait prendre ses mesures pour les arrêter.
Les Espagnols n'entendaient donc pas renoncer aux béné-
fices de ce traité de 1518 qui leur était si avantageux; ils espé-
raient obtenir d'Ernest de Bavière ce qui leur avait été refusé
par Gérard de Graesbeck.
Le 22 juin 1592, Etienne de Graesbeck, membre du conseil
de Brabant, se rendit à Liège de la part du comte de Hansfeld,
gouverneur intérimaire des Pays-Bas. Graesbeck devait se
plaindre de l'édit de neutralité promulgué en 1590 par le prince
de Liège à l'égard des rebelles des Pays-Bas, édit qu'Ernest de
Bavière avait en vain promis de reviser; représenter que les
vrybuters se réfugiaient dans les villes de Saint-Trond, de
Tongres, de Huy, de Maeseyck, de Hasselt et de Dinant, ce qui
était contraire aux anciens traités d'alliance et particulièrement
à la Landfriedt de l'Empire. Il demandait donc que les pillards
ne fussent plus reçus dans le pays de Liège, que le prince
déclarât catégoriquement s'il maintenait l'alliance de 1518. Le
conseiller Brosia avait présenté une pareille requête Tannée
précédente, et le prince avait promis de s'en remettre aux états;
mais, malgré la réunion de ceux-ci, on n'avait pas encore répondu
à Son Altesse, le gouverneur des Pays-Bas.
Ernest de Bavière objecta que l'assentiment des états ne
suffisait pas pour renouveler le pacte de Saint-Trond, parce que
1 Voir les Registres aux conclusions capilulaires du chapitre de Saint-
Lambert, année 1591, aux Archives de l'État, à Liège.
(478)
les circonstances étaient autres qu'en 4S18 ; que l'observation
dudit pacte entraînerait les Liégeois à prendre les armes, ce
que ni lui ni les états « ne peuvent entreprendre suivant les
ordonnances et constitutions impériales tant de la paix publique
dite Landfriedt qu'aultres, sans l'exprès consentement de Sa
Majesté impériale et des états de l'empire de sorte que toutes
telles alliances et confederacions et entreprises de guerre sont
mises à néant et défendues respectivement ». Il rappelait ce qui
était advenu à Georges d'Autriche, en 1S54 : ce prince-évêque
9
avait secouru Charles-Quint, dont les Etats étaient envahis par
la France; il se mit en frais et, plus tard, dut s'excuser de ne
pouvoir payer sa quote-part des contributions impériales; il fut
blâmé par la diète pour avoir fait la guerre sans le consente-
ment de l'empire.
Ensuite Ernest de Bavière représentait que la conduite des
troupes royales avait été une violation continuelle de l'alliance
de 1518; qu'au lieu d'aider les Liégeois à expulser les vaga-
bonds qui ravageaient leur territoire, les soldats espagnols
avaient pillé et ruiné le pays. Il rappelait les nombreux torts
dont les souverains des Pays-Bas s'étaient rendus coupables à
l'égard de la principauté : érection des forteresses de Marien-
bourg et de Philippeville sans compensation, usurpation
sur les droits épiscopaux dans une foule de localités, dimi-
nution sans indemnité du diocèse, « ce qui ne semble être
convenable entre alliez et confederez d'aultant que ladite
alliance devoit servir pour le maintien des droits de l'un et
de l'autre ».
En conséquence, Philippe II ne devait pas compter sur une
coopération militaire, mais se contenter de la bonne amitié des
Liégeois et permettre à ceux-ci d'observer la plus stricto neu-
tralité, d.'autant qu'ils observaient plus loyalement que les
Espagnols les ordonnances impériales.
Ernest de Bavière rappelait ensuite les mauvais offices des
Belges à l'égard de ses sujets. N'avait-on pas répandu le bruit
que les Liégeois avaient arrêté leur prince à Huy, bruit qui
avait pris une telle consistance qu'il fallut la présence du prélat
(176)
à Bruxelles pour le dissiper? N'avait-on pas dit que les Lié-
geois voulaient s'allier aux Hollandais, parce qu'ils avaient
envoyé vers ces derniers des députés, députés qui devaient
leur demander satisfaction pour les ravages de leurs soldats?
Les Espagnols infestaient les routes et empêchaient les mar-
chands liégeois de se rendre à la foire de Francfort. Ces
mauvais procédés se justifiaient d'autant moins que le prince-
évéque remplissait ses devoirs de souverain neutre. Il avait
fait arrêter tous les francs pillards, ce qui le dispensait de
réformer redit qui les concernait; d'ailleurs, il ne se croyait
pas responsable de leurs déprédations, qui s'exerçaient aussi
bien dans les Pays-Bas que dans la principauté. S'ils envahis-
saient plus souvent le territoire liégeois, c'est que la Campine
n'avait pas été pourvue de forteresses, négligence imputable
aux Espagnols. Les Liégeois avaient ordonné une levée de fan-
tassins, mais n'avaient pas été soutenus par leurs voisins. Quant
à lui, prince-évêque, il défendrait la foi catholique jusqu'à son
dernier soldat et tenterait tout pour reprendre une place qui
tomberait aux mains de ses ennemis.
Cette énergique réponse ne plut guère à Hansfeld. Ce général
la trouva remplie de considérations contradictoires qu'il était
facile de « rétorquer ». Il voulut savoir d'une façon formelle
si l'évêque respecterait les anciens traités, principalement celui
de 1518 ; le roi, disait-il, ne demandait pas le renouvellement
de l'alliance de Saint-Trond, mais son exécution ; il n'enten-
dait pas non plus obliger son allié à s'armer pour lui ni à lui
avancer de l'argent, mais désirait que les Liégeois ne signassent
plus avec les rebelles un traité qui consacrât la neutralité de
leur pays. Lui-même se verrait contraint de poursuivre ces
rebelles sur le sol liégeois, s'ils continuaient à s'y réfugier,
« par où se veoit si cette neutralité serait souffrable et si elle
est conforme aux traictés veullans que l'on soit amis d'amis
et ennemis d'ennemis contenans aussi obligation mutuelle
de sayder réciproquement à repousser les ennemis de l'un
et de l'autre ».
A défaut de traités spéciaux, les Liégeois devaient chasser
(177 )
les ennemis du roi; ils le devaient, parce que leur territoire
était enclavé dans les Pays-Bas et que la religion catholique
était en péril. Lui, Hansfeld, ne pouvait donc se contenter de
la réponse « maligne » de Pévêque, et il espérait que celui-ci
châtierait les révoltés et ferait une démonstration contre
« aucunes siennes petites villes qui admettent telz ennemis du
bien et repos publicque ».
Mais ni les réclamations de Hansfeld, ni les démarches de
Philippe II * n'amenèrent une confirmation dû traité de Saint-
Trond. Les Liégeois étaient résolus à rester neutres, et, sans
dénoncer officiellement l'alliance de 1518, ils s'abstenaient
d'en remplir les principales prescriptions. Le Gouvernement
espagnol fit de vains efforts pour obtenir le renouvellement de
ce pacte, dont l'exécution lui eût été si avantageuse. Ainsi,
en 1598, quand l'archidiacre Jacques de Carondelet et le cha-
noine Georges de Méan se rendirent à Pruxelles pour régler
certaines questions litigieuses 2, les députés de l'archiduc
Albert voulurent que les Liégeois confirmassent avant tout
l'ancienne alliance. Ils eussent désiré qu'on imitât ce qui avait
été pratiqué en 1569, quand le duc d'Albe et Gérard de Groes-
beck signèrent leur concordat, c'est-à-dire qu'on insérât dans
le texte du traité un article préliminaire qui consacrât à nou-
veau le pacte de 1518. Cette tactique était habile, mais les
députés liégeois la prévinrent en répondant qu'ils étaient sim-
plement ch irgés d'arranger les points de juridiction débattus
entre les deux États.
Elle mourait donc de sa belle mort, cette fameuse alliance
1 Voir, dans nos pièces justificatives (n° XXIII), la lettre de Philippe II à
Ernest de Bavière du 6 février 1593. La copie de cette lettre, ainsi que tous
les documents de la correspondance échangée entre Ernest de Bavière et
Ernest de Mansfeld, lors des tentatives faites pour renouveler l'alliance de
1518, forment un dossier spécial qui se trouve dans le carton H dos Documents
relatifs au pays de Liège (Archives du royaume).
* Le dossirr de celte affaire se trouve dans le carton 11 précité.
Tome XLI. 12
( 178 )
de 1518 *, création d'Erard de la Marck, qui avait si heureu-
sement servi la politique de Charles-Quint. Les Liégeois
l'abandonnaient, parce qu'ils la trouvaient trop onéreuse, et le
Gouvernement des Pays-Bas était impuissant à en réclamer le
rétablissement. Jusqu'à l'époque de Louis XIV, la petite prin-
cipauté observa cette attitude prudente qu'elle avait adoptée
à l'arrivée de don Juan dans les Pays-Bas. Si la neutralité de
leur territoire fut souvent violée, les Liégeois retirèrent du
moins l'avantage de ne pas être forcés de combattre en dehors
de leurs frontières et, en déclinant les propositions d'alliance
de leurs voisins, ils se mirent en garde contre les surprises de
la politique et les retours de la fortune.
1 C'est à torl que Louvrex, loc cit., 1" partie, p. 194, dit que ce traité fut
renouvelé par celui de 1615. Les articles 45 et 46 du traité de 1615 (y. Lou-
vrex, loc. cit., pp. 234 ss.) confirment les clauses du traité de 1518 qui per-
mettaient aux magistrats des deux États d'arrêter sur le territoire allié le
délinquant qui aurait commis un crime dans leur propre pays, à condition de
renvoyer ce délinquant devant ses juges naturels; mais le même traité ne
cou lient aucun article qui rappelle l'ancienne alliance de 1518.
CONCLUSION.
Au début de ce mémoire, nous avons exposé le rôle que la
politique assignait dans nos provinces aux Habsbourg : réunir
sous leur sceptre tous les Pays-Bas et compléter le travail de
centralisation commencé par les ducs de Bourgogne. Charles-
9
Quint exécuta fidèlement ce programme. A ses Etats hérédi-
taires il ajouta Tournai, Groningue, la Gueldre et Zutphen,
s'empara du temporel de l'évêché d'Utrecht et del'Overyssel,
se fit nommer avoué de Cambrai. La transaction d'Augsbourg
de 4848 érigea les Pays-Bas en un cercle de l'empire, le cercle
de Bourgogne, et la pragmatique sanction de 1549 assura l'in-
divisibilité des dix-sept provinces.
Philippe II ne sut pas conserver tous les joyaux du riche
écrin que lui légua son père quand il abdiqua la souveraineté
des Pays-Bas. Son despotisme administratif et son intolérance
religieuse lui aliénèrent les sympathies des Néerlandais; pres-
que tous les Pays-Bas imitèrent l'héroïsme de la Hollande et
de la Zélande et s'insurgèrent contre la domination espagnole.
Les victoires d'Alexandre Farnèse ne ramenèrent sous l'auto-
rité royale que les provinces méridionales, et Philippe II
mourut sans voir la fin de cette révolution, que sa tyrannie
avait provoquée.
Pourquoi le grand empereur respecta-t-il l'intégrité territo-
riale de la petite principauté de Liège, qui séparait si malen-
contreusement plusieurs de ses provinces belges? Comment ce
pays résista-t-il aux commotions violentes qui ébranlèrent le
nord de l'Europe au XVIe siècle, l'époque la plus agitée et la
plus orageuse des temps modernes? Comment cette étroite
(180)
bande de terre, convoitée par de puissants voisins, conserva-t-
elle son indépendance politique et ses libertés locales, pendant
que d'autres contrées étaient successivement annexées au
domaine des Habsbourg et que de grandes communes fla-
mandes perdaient leurs glorieux privilèges?
La solution de ces questions, questions, à coup sûr, des plus
intéressantes pour notre histoire, se trouve dans l'étude des
relations diplomatiques des Pays-Bas et de la principauté de
Liège au XVIe siècle. Les propositions d'alliance des la Marck
prévinrent les projets d'agrandissement des Pays-Bas du côté
de la vallée de la Meuse, et le jeune Charles-Quint fut heu-
reux de trouver une occasion de se concilier l'amitié d'un Etat
qui avait témoigné une hostilité implacable à ses ancêtres et
qui, en s'al liant aux Gueldrois et aux Français, aurait 'mis en
péril sa domination dans nos provinces.
Plus clairvoyant ou mieux inspiré que ses prédécesseurs,
Charles-Quint comprit donc le parti qu'il pouvait tirer de l'al-
liance des Liégeois. En signant le traité de 1518, il mit fin à
cette haine séculaire qui excitait les Liégeois contre leurs voi-
sins, les Néerlandais, et qui nuisait aux intérêts matériels des
deux peuples. Il put dompter la révolte des Gueldrois et ruiner
les projets d'agrandissement des Français du côté des Pays-
Bas. L'alliance des Liégeois lui permit enfin d'exécuter ses
projets de centralisation et d'annexion, tandis que leur inimitié
eût probablement provoqué dans la vallée de la Meuse une
insurrection dangereuse pour nos provinces.
En disant donc, à propos des Liégeois, « que mieulx les
aymait avoir ses bons voisins et amys que ses propres sub-
jects », Charles-Quint montrait un tact diplomatique qui
avait malheureusement manqué à ses ancêtres, les ducs de
Bourgogne.
Toutefois on se tromperait singulièrement si l'on voyait,
dans cette nouvelle attitude de la cour des Pays-Bas à l'égard de
la principauté de Liège, le désir de respecter fidèlement les
clauses du contrat d'alliance ou de défendre les intérêts de
l'Etat ami.
(181 )
En acceptant le traité de 1518, Charles-Quint se promettait
de l'interpréter dans un sens favorable à sa politique. Le sou-
verain qui avait choisi pour devise les fières paroles « Plus
oultre » n'entendait pas traiter le prince de Liège en égal ; il se
réservait d'en faire l'exécuteur de ses volontés ou l'instrument
de son ambition.
De là ces différentes tentatives du puissant empereur de
reviser le traité de Saint-Trond et d'introduire des soldats
néerlandais dans les forteresses liégeoises, tentatives qui
échouèrent devant la résistance des états de la principauté.
Déçu de ce côté et n'osant violenter un peuple dont il con-
naissait l'indomptable énergie, Charles-Quint fit jouer tous les
ressorts de la politique pour étendre son influence dans la
principauté. Il mina l'autorité spirituelle des princes-éveques,
intrigua auprès du chapitre cathédral pour préparer l'élection
de prélats dévoués à sa famille, signala à ses agents les pra-
tiques des bourgeois récalcitrants ou tenta de corrompre les
magistrats locaux.
Les gouvernantes générales, Marguerite d'Autriche et Marie
de Hongrie, comprirent les intentions de leur royal parent et
ne négligèrent rien pour enchaîner plus étroitement la princi-
pauté aux Pays-Bas. Rappelons-nous les ambassades envoyées
à Liège à l'avènement de Corneille de Berghes, les instructions
données aux Liégeois pendant la dernière guerre des Pays-Bas
contre François Ier, et la curieuse mission dont le conseiller
Boisot fut chargé après la découverte de la conspiration des la
Marck. Ces divers épisodes, qui ont été ignorés de presque tous
les écrivains liégeois, caractérisent admirablement la façon dont
le Gouvernement néerlandais interprétait quelquefois le pacte
de 1518.
Il n'a donc pas tenu à Charles-Quint ni à ses conseillers que
la principauté de Liège ne devînt une province des Pays-Bas. Si
le grand empereur restreignit ses velléités d'annexion dans la
vallée de la Meuse, c'est qu'il eut à surmonter de nombreuses
difficultés suscitées parla révolte de la Gueldre et par les guerres
de la France, et qu'il eut besoin de l'alliance ou de l'amitié des
Liégeois.
( 182 )
Les nations, a-t-on dit, ont le sort qu'elles méritent. S'il est
un peuple qui comprit sa situation au XVIe siècle et se montra
digne de la liberté, c'est bien le peuple liégeois. Instruit par ses
malheurs et dégoûté de cette politique d'aventures pratiquée
par les démagogues du siècle précédent, il sut parer aux dan-
gers qui l'assaillirent de toutes parts. Le tiers état et surtout
le conseil de la Cité donnèrent quelquefois des exemples de
sagesse politique fort rares à cette époque de troubles.
Ajoutons que la chapitre de Saint-Lambert et les prinoes-
évêques du XVIe siècle comprirent sérieusement leur mission.
Bien différents de leurs honteux prédécesseurs du XVe siècle,
qui furent pour la plupart de lâches courtisans des Bourgui-
gnons, et des prélats du XVIIe siècle, les despotes bavarois, les
évêques du XVIe siècle jouèrent tous un rôle honorable; quel-
ques-uns même révélèrent des talents politiques de premier
ordre.
A part quelques moments de défaillance, Érard de la Marck
se fit respecter et même craindre de Marguerite d'Autriche.
On admirera toujours l'énergie avec laquelle ce prélat rétablit
l'ordre dans la principauté épuisée par trente années de guerre
civile. L'habileté qu'il déploya dans ses diverses négociations
avec Charles-Quint, le zèle avec lequel il seconda la politique
étrangère des gouvernantes des Pays-Bas, la manière heureuse
dont il restaura les finances et répara les ruines du siècle
précédent, les encouragements qu'il donna aux artistes, tout
chez ce prélat dénote un esprit supérieur. Si la principauté
de Liège, plus heureuse que l'évêché d'Utrecht, échappa à
l'anarchie dont la menaçaient les intrigues de la France et les
attaques des Gueldrois, c'est, en grande partie, à la clairvoyance
de cet habile politique qu'elle le dut. Érard de la Marck fut,
sans contredit, le plus grand prince-évêque de Liège des temps
modernes, et c'est avec raison qu'on l'a surnommé le Notger de
la Renaissance.
Les successeurs d'Erard observèrent la même attitude : ils
furent les alliés ou les partisans sincères de Charles-Quint,
mais jamais des courtisans serviles. Même le fantasque Cor-
( 183 }
neille de Berghes osa quelquefois résister aux injonctions de
Marie de Hongrie.
Aussi, sous des princes aussi sages, la petite principauté fut
respectée; elle vit même augmenter ses franchises par des sou-
verains qui se distinguèrent ailleurs par leur ardeur à détruire
les libertés communales. Pour gagner leur amitié, les empe-
reurs Maxim i lien et Charles-Quint octroyèrent aux Liégeois
des privilèges importants, en matière de justice surtout, et ces
privilèges furent respectés et étendus par les princes-évêques
contemporains.
Si donc le pays de Liège conserva son indépendance poli-
tique, il le dut à la nécessité où se trouva Charles-Quint de
ménager un État voisin, et à la sagesse des princes-évêques et
des autorités locales, qui veillèrent toujours à prévenir la guerre
civile et à empêcher l'intervention d'une puissance étrangère
dans leurs affaires.
Les gouverneurs de Philippe II s'inspirèrent à l'égard du
pays de Liège des traditions diplomatiques établies sous le règne
de Charles-Quint. L'alliance de 1318 fut confirmée, le chapitre
de Saint- Lambert élut des prélats agréables à la cour de Madrid,
et les deux pays agirent de concert pour lutter contre la Réforme
et contre leurs ennemis.
*
La révolution religieuse, qui éclata dans les derniers mois de
l'administration de Marguerite de Parme, eut son écho dans la
petite principauté, et amena, pour ainsi dire, une liaison plus
intime entre les deux Gouvernements. Le duc d'Albe bénéficia
de l'alliance de 1518, quand il repoussa l'invasion du Taciturne;
ses successeurs, Requesens, don Juan, Alexandre Farnèse,
trouvèrent dans les évêques de Liège, Gérard de Groesbeck et
Ernest de Bavière, des amis dévoués.
Gérard de Groesbeck fut à la hauteur du rôle qui lui incom-
bait. Moins pénétrant sans doute qu'Erard de la Marck, mais
aussi moins ambitieux, ce sympathique prélat triompha de
toutes les difficultés par sa prudence et par son esprit concilia-
teur. Il sut rétablir l'ordre dans ses bonnes villes lossaines et
défendit énergiquement son territoire contre les envahisseurs.
(484)
Dans son zèle à préserver ses Etats de l'entrée des soldats étran-
gers, il repoussa les avances de Guillaume de Nassau et éluda,
autant que possible, les propositions belliqueuses du duc
d'Albe. Si, en 1568, il ouvrit les forteresses liégeoises aux
Espagnols, c'est qu'il se vit menacé par les Gueux, et, d'ailleurs,
en cédant à une nécessité aussi impérieuse, il se conformait au
pacte de 1518. Plus tard, en s'interposant entre les états gêné*
raux des Pays-Bas et don Juan, il rendit à Philippe II et à son
lieutenant d'éminents services. Enfin, en gardant une stricte
neutralité dans la guerre des gouverneurs espagnols contre ces
mêmes états généraux, il sauva la principauté de l'anarchie et
inaugura une politique que son successeur, Ernest de Bavière,
respecta scrupuleusement.
L'amitié des souverains liégeois permit donc à Charles-
Quint de triompher des Gueldrois et des Français, comme aux
généraux de Philippe II de repousser l'armée du Taciturne et
d'arrêter les progrès de la Réforme.
Si le pays de Liège, comme au temps des Bourguignons,
avait été l'implacable ennemi des Néerlandais, Charles-Quint
aurait difficilement empêché la jonction des Gueldrois et des
Français ; si un prince-évêque avait adopté les doctrines nou-
velles ou, à l'imitation de quelques prélats allemands, sécularisé
son diocèse, le protestantisme eût peut-être triomphé dans nos
provinces. Charles-Quint ne perdit donc rien à se montrer
habile diplomate.
En résumé, l'attitude que les souverains des Pays-Bas obser-
vèrent au XVIe siècle à l'égard du pays de Liège entraîna
l'abandon de cette politique impitoyable, trop longtemps pra-
tiquée par les ducs de Bourgogne. L'ambition de Charles-Quint
et de Philippe II de consolider et d'agrandir leur autorité aux
Pays-Bas fut contenue par la nécessité où ils se trouvèrent de
ménager les Liégeois devenus leurs alliés. Cette nécessité fut
admirablement comprise par les conseillers de Charles-Quint
et de Philippe II, et leur clairvoyance créa une situation nou-
velle, aussi avantageuse aux Liégeois qu'aux Pays-Bas. Sans
doute, les Liégeois furent quelquefois blessés dans leur amour-
( 188)
propre parleurs puissants alliés; sans doute, leur pays fut sou-
vent pillé sans merci par la soldatesque espagnole, et, dans
leurs transactions avec la chancellerie des Pays-Bas, notam-
ment dans l'affaire d'Agimont *, ils n'obtinrent pas toujours les
dédommagements auxquels ils avaient droit; mais ces mal-
heurs, inévitables à une époque de troubles, ne compromirent
pas l'indépendance de la petite principauté. Habilement dirigée
par ses évêques, et forte des circonstances qui rendaient son
alliance nécessaire à son puissant voisin, elle échappa aux
crises aiguës qui déchirèrent les Pays-Bas. Les communes con-
servèrent leurs libertés séculaires, les privilèges des bourgeois
en matière judiciaire furent même augmentés; en un mot, le
pays de Liège fut moins éprouvé que le Brabant ou la Flandre.
C'est ce qui nous explique pourquoi ce petit territoire témoigna
pendant les siècles suivants d'une vitalité intellectuelle et d'une
énergie populaire qui contrastent singulièrement avec cette
décadence morale dont souffraient déjà les Pays-Bas à la fin
du XVIe siècle.
1 Voir la noie de Louvrex, 1" partie, p. 229.
PIECES JUSTIFICATIVES.
Traité secret de Saint-Trond du %7 avril 4348.
(Registres aux traités de Y Audience, n<> i082, pp. 243 ss., copie *.)
Erard par la permission divine Evesque de Liège duc de Buillon et
conte de Loz. Et Robert de La marque et Daremberch seigneur de Sedan
de Floranges etc. A tous ceulx qui ces présentes lettres verront salut.
Comme en faisant nagaires certain traicte damitié intelligence et bon
voisinage. Entre très hault très excellent et très puissant prince. Charles
par la grâce de dieu Roy catholicque des Espaignes pour lui ses pays
terres seigneuries et subgetz d'une part. Nous et les nôtres dautre Ayent
aussi este convenuz accordez et concluz certains autres articles entre ledit
seigneur Roy et nous contenans les condicions obligacions et convenances
avisées et passées dune part et dautre pour le bien seurte et entre tene-
ment dudit traicte damitié, desquelz articles la teneur sensuit, Comme
certain traicte damitié intelligence et alliance deffensive. ait présentement
este faicte et conclute. Entre monseigneur Charles de Croy prince de Chi-
may messire Anthoine de Lalaing seigneur de Montigny second cham-
bellan, maistres Jehan Jonglet conseiller et maistre des Requestes. et
Philippe Haneton premier secrétaire et audiencer du Roy catholicque
despaigne. en vertu du povoir a eulx sur ce donne par icelluy seigneur
Roy dune part. Et très révérend père en Dieu monseigneur Erard de La
marque et Daremberch. evesque de Liège duc de Buillon et conte de Loz
* Le manuscrit d2Mo-22 de la Bibliothèque royale de Bruxelles et le Paweilhar UC
de la Bibliothèque de I" Université de Liège renferment également une copie de ce
traité se.ret du 27 avril 1518. Dans les chartes de Brabant restituées par l'Autriche
en i863 'Archives du royaume, nous avons trouvé les originaux de plusieurs engage-
ments pris par les la Marck en exécution du même traité.
(188)
et messire Robert de La marque et Daremberch seigneur de Sedan frères
d'autre. Et il soit que pour le bien seurté et entretenement dudit traicte.
Ayent aussi este avisez accordez et concluz entre lesdites parties les poins
et articles qui sensuivent. Premièrement que mesdits seigneurs de Liège
et de Sedan respectivement feront serement solempnel aux sainctes
evangilles de Dieu. Destre doresenavant bons et loyaulx serviteurs amis
et voisins dudit seigneur roy catholicque et de ses successeurs leurs vies
durant et du survivant deulx, et les servir envers et contre tous, sans nulz
exceptez. Sauf que ledit seigneur de Sedan a nommément reserve de sa
part la cité seigneurie et estât de Mets en Lorraine et le seigneur Fran-
cisque de Secquinghen tant seulement pourveu quil ne pourra faire on
donner aucun ayde secours ou assistence audit seigneur Francisque
directement ou indirectement contre le roy ou ses alliez en quelque
manière que ce soit. Item que lesdits seigneurs de Liège et de Sedan
feront aussi serement lun a lautre. que le premier décédant deulx deux
mectra et délaissera avant son trespas toutes les villes et fortes places
quil tient présentement, et tiendra audit jour de sondit trespas, es mains
et puissance du survivant, Assavoir ledit seigneur de Sedan les siennes
es mains de madame sa femme si elle le survit, ou dudit seigneur de
Liège et iceluy seigneur de Liège les siennes es mains dudit seigneur de
Sedan, pour estre gardées et conservées a la seurté du Roy et de ses suc-
cesseurs tellement que aucun dangier dommage ou inconvénient nen
adviengne a eulx leurs successeurs pays et subgectz, Item que mondit
seigneur de Sedan procurera par effect que la ville et place de Longne
soit reduicte et retirée en ses mains par practique ou autrement, et sil
ny scet parvenir et que de ladite place soient faictes aucunes courses
prinses pilleries ou autres entreprinses es pays du Roy de mondit sei-
gneur de Liège ou autres voisins, par ceulx qui tiennent présentement
ou pourroient tenir cy après ladite place, En ce cas lesdits seigneurs de
Liège et de Sedan avec leurs subgectz et serviteurs et ceulx de Luxem-
bourg Lembourg Faulkemont Dolhain Namur Stavelo Derbu et autres
voisins, mectront sus promptement une bonne grosse armée equippee
dartillerie et autres municions pour prendre ladite place par force.
A quoy le Roy ou son conseil les assistera de ses gendarmes et autres
choses nécessaires selon que le cas le requerra. Et si ladite place estoit
prinse et reduicte par la force, elle sera rasée et démolie de sorte que
rien ny demoura. et ne se pourra après reparer ne fortiffier, Item que
mondit seigneur de Liège promectra et baillera son scelle, que de son
( 189 )
vivant il ne disposera ne permettra disposer de son cvesché de Liège
par forme de resignacion coadjutorie ne autrement, a nul autre, que a
Philippe de La marque filz maisné 4 dudit seigneur de Sedan son neveu
ou autre personnaige son allye ou amy serviteur ou agréable au roy ou
ses successeurs. Et affin que après son trespas ledit evesché ne tumbe es
mains dun estrangier ou autre qui ne soit serviteur ou agréable au Roy,
mondit seigneur de Liège prendra desmaintenant serment et promesse
des cappitaines des places de sondit evesché que après son trespas ilz ne
feront ouverture ne délivrance desdites places a autre que audit seigneur
de Sedan sil es toit lors vivant, sinon es mains de cely ou ceulx qui par
le Roy catholicque ou ses successeurs et les estats dudit pays de Liège
par ensemble sera advise et conclu. Item que moyennant les choses
dessusdites et en accomplissant icelles de la part desdits seigneurs de
Liège et de Sedan Ledit seigneur Roy catholicque ordonnera octroyera et
accordera pour eulx et autres cy dessoubz nommez Les provisions et
traictement cy après declairez. C'est assavoir a mondit seigneur de Liège
une pension de six mil livres du pris de quarante gros monnaie de Flan-
dres la livre par an. Dont il sera paye et contente, par les mains du rece-
veur gênerai des finances du Roy. présent et avenir et des deniers de sa
recepte de demy an en demy par égales porcions, A commencer au
premier jour de may prochain venant, Et deslorsenavant. Tant et jusques
a ce quil sera pourveu dun evesché en Espaigne le plustot que faire se
pourra en valeur de six mil ducaz par an ou au dessus et une ou deux
abbayes en Brabant en valeur de quatre a cincq mil livres dudit pris de
xl gros toutes charges déduites, Et si la première desdites abbayes qui
vacquera, ne revenoit aladite somme, le Roy pourra faire charger lautre
qui vacquera premiers après de pension au prouffit dudit seigneur de
Liège jusques a ladite somme de quatre a cincq mil livres, pourveu tou-
teffoiz que desincontinent qu'il sera pourveu de lune desdites dignitez. Il
ne prendra delà en avant que la moictie de ladite pension, Assavoir trois
mil livres par an, Et quand il aura ledit evesché avec ladite abbaye ou
abbayes ou pension au pris et valJeur que dessus. Ladite pension de six
mil livres par an cessera entièrement Saulf que le Roy pour demonstrer
que le service de mondit seigneur de Liège lui aura esté et sera agréable,
et affin que tousiours il soit et demeure réputé serviteur de la maison lui
Maisné, de minor natu, puîné, cadet.
( 190 )
ordonnera et constituera une autre pension de douze cens livres dudit
pris par an, pour en joyr après la provision desdites deux dignités ou
pension, et que par ce moyen il sera prive desdites six mil livres par an
comme dit est, pourveu aussi que mondit seigneur de Liège sa vie durant
ne resignera cedra ou transportra et ne passera procuracion pour rési-
gner céder ou transporter lesdites abbaye ou abbayes et si nen disposera
ou fera disposer a nul qui que ce soit en court de Romme ne ailleurs.
Au moyen de quoy les Religieulx dicelles abbayes soient ou puissent
estre privez reculez ou empeschez en leur élection, Ains se obtiendra de
notre sainct père le pape et du saint siège apostolicque provision en
vertu de laquelle lesdits Religieulx retourneront après son trespas en leur
liberté et faculté de povoir eslire comme ils ont accoutumé de faire, sans
que icelle abbaye soit réservée ne impetrable en ladite court de Romme
ne ailleurs par sondit trespas, Item que ledit seigneur de Sedan aura et
prendra du Roy pour son entretenement et pour toutes choses pour ung
an commenchant comme dessus la somme de sept mil livres dudit pris a
en estre paye et contente aux termes a commancer et par la manière que
dessus. Et lan révolu, aura et prendra delà en avant huyt mil desdits livres
par an a en estre aussi payé comme dit est, Item que pour la garde de
ses maisons et la seurté de sa personne il aura vingt hommes darmes et
quarante archiers montez et traictez de leur payement et autrement a la
mode de France, a la charge du Roy et pourra ledit seigneur de Sedan
user desdits xx hommes darmes et xl archers a sa voulenté. sans quils
soient tenus de faire service au Roy sinon soulz et en la compagnie ou
quant bon semblera audit seigneur de Sedan, pourveu quilz seront tenus
eulx monstrer une fois lan par devant les commis du Roy a ce seront
ordonnez. Et seront iceulx vingt hommes darmes et quarante archiers
payez de quartier en quartier par les mains du trésorier des guerres
comme les autres gens de guerre des ordonnances dudit seigneur Roy. Et
quant le Roy augmentera le nombre de sesdites ordonnances il baillera
audit seigneur de Sedan charge de quarante ou cinequante hommes
darmes et quatre-vingts ou cent archiers, ouquel nombre lesdits premiers
vingt hommes darmes et quarante archiers seront comprins, et seront
lesdits xl ou l hommes darmes et un" ou cent archiers tenuz servir le
Roy soubz ledit seigneur de Sedan ou son lieutenant toutes et quanteffoiz
et en telz lieux ou lieu quil plaira a icelui seigneur Roy et seront aussi
payez traictez et subgetz a monstrer et autre service comme les autres
gendarmes desdites ordonnances, Saulf que desdits quarante ou cinc-
( 194 )
quante hommes d'armes et im" ou cent archiers. Il pourra tousiours
retenir vers lui ou en ses maisons les dix hommes darmes et vingt
archiers pour sen servir à son plaisir, Item pour ce que ledit seigneur
de Sedan a offert et offre au Roy de retirer de France ung de ses filz
nomme Jehan de La marque seigneur de Saucy pour le mectre au service
dudit seigneur Roy, Icelui seigneur considérant par ce le bon zèle que
ledit seigneur de Sedan lui demonstre. A octroyé et accorde, octroyé et
- accorde retenir ledit seigneur de Saucy en son service en estât de cham-
bellan devers le seigneur Infant don Fernande son frère, a la pension de
mil livres de xl gros dont il sera aussi paye et contente par les mains du
receveur général des finances présent et avenir et des deniers de sa
recepte, Aux termes a commancer et selon que dessus est declaire. Ledit
seigneur Roy a aussi octroyé et accorde, octroyé et accorde a madame de
Sedan la somme de mil livres de XL gros. Et au capitaine Damien autres
4
trois cens livres dudit pris de pension par an. A en estre payez aux termes
et à commencer comme dessus, Item que toutes les pensions appointements
et traictements dessusdits auront lieu et seront furniz et entretehuz par
le Roy et ses successeurs aux personnaiges dessusnommez et chacun
deulx tout le cours de leurs vies durant, si avant quilz demeurent servi-
teurs du Roy ou de sesdits successeurs et quilz sacquictent envers eulx
chacun en son endroit selon que dessus est declaire. Item pour ce quil
est apparu a souffissance que passé a longtemps la prevosté de Bastongne
ou pays de Luxembourg a este engagée aux prédécesseurs dudit seigneur
de Sedan pour la somme de trois mil florins dor dalemaignc. Lesquelz
ne sont encoires remboursez, et que le Roy désire retirer icelle prevosté
en ses mains pour faire reunir et rejoindre a son demaine de la duché
de Luxembourg (A esté advise accorde et conclu que ladite prevosté sera
rachatee la gaigiere deschargée et les originales lettres dicelle rendues
et restituées comme casses et acquictees) que icelle gaigie sera transfferee
et lesdits trois mil florins dor renchargez sur la conté de Chiny. Laquelle
comté sera transportée affectée et ypothequee audit seigneur de Sedan
par forme de nouvelle gagiere pour lesdits trois mil florins dor, pourveu
que icelui seigneur de Sedan sera tenu de la reprendre et en faire foyauté
et hommage au Roi comme duc de Luxembourg avec les autres devoirs
y appartenant, que icelui seigneur de Sedan ne autre de par lui ne pourra
faire aucune fortifficacion en ladite conté de Chiny ne es appartenances
appendances dicelle, et que le Roi ou ses successeurs la pourront retirer
et reprendre en leurs mains, pour les reunir et applicquer a leur demaine
( 192 )
dudit Luxembourg, toutes et quantteffoiz que bon leur samblera, en
payant et remboursant ledit seigneur de Sedan ou son ayant cause de
ladite somme de trois mil florins dor, que lors ledit seigneur de Sedan
sera aussi tenu sen départir libéralement et de bonne veulle, et la rendre
et remectre entre les mains du Roy ou de ses commis et députez pour lui,
en tel estât quelle lui sera présentement declairee. Et moyennant ceste
nouvelle gaigiere ledit seigneur de Sedan pour lui ses hoirs et ayans
cause a quicté et renonce quicte et renonce a tout ce quil pourrait pré-
tendre quereller et demander au Roy au seigneur de Rollers ou autres
tant a cause de levées de ladite prevosté de Bastongne comme a toutes
autres actions et querelles quil pourroit aussi demander au Roy pour
quelque cause que ce soit ou pourroit estre de tout le tamps passé jusques
a présent. Saulf que si cy après il se trouvoit estre fonde en quelque
autre droit ou action contre le Roy ou ses subgectz En ce cas il en pourra
poursuyr sa raison par voye de justice pardevant le Roy ou son conseil et
non autrement, Laquelle voye lui sera ouverte, et sommiere justice
administrée en manière quil aura cause sen contenter. Item pour ce que
le Roy et ses officiers de Luxembourg ont tousiours maintenu et main-
tiennent que la seigneurie de Florenges est fief tenu et mouvant du
duché de Luxembourg. Est advisé et conclu que Ion communiquera audit
seigneur de Sedan les tiltres et enseignemenz que Ion pourra recouvrer
pour la justification du Roy quant audit fief, et s'il en appert notoirement
et souffisamment En ce cas ledit seigneur de Sedan sera tenu reprendre
et relever ledit fief du Roy et en faire les autres devoirs y appartenant.
Item si après la conclusion et ratifficacion de ce présent traicté. il avenoit
que Dieu ne veulle que mesdits seigneurs de Liège et de Sedan pour
raison dicellui traicte ou autrement feusscnt envahis et assailliz par qui
que ce feust, En ce cas le Roy catholicque sera tenu de leur bailler ayde
et assistence Allencontre de tous ceulx que leur vouldroient grever et
nuyre, pour la garde tuicion et deffense de leurs estatz pays seigneurie et
subgectz. Et par le contraire si le Roy estoit assailli ou quil entrepreinsse
quelque guerre ou querelle contre qui que ce feust. Lesdits seigneurs de
Liège et de Sedan seront aussi tenuz de le servir assister et secourir a
ses despens. De toutes lesquelles choses les parties dessusdites et cha-
cune dicelles respectivement seront tenues bailler leurs lettres et scellez
en bonne et ample forme et les délivrer lun a lautre endedens le 7e jour
de may prochain venant. Ainsi fait advise accorde et conclu en la ville
de Saintron par les députez et seigneurs dessusnommez. Le 27e jour davril
1
( 193)
lan mil cinq cens et dix-huit. Ainsi signé Marguerite, Charles, A. de
Lalaing, Jonglet, Haneton, Erard Robert de la Marck
(Suit le texte des pleins pouvoirs conférés par Charles d'Espagne et par
les frères de la Marck à leurs ambassadeurs respectifs.)
il
Lettre de Maximilien aux Liégeois, sans date (minute).
(Àrch. du roy : Document* concernant le pays de Liège, carton I.)
Très chers et feaulx. Vous estes assez adverti de grants et beaulx
privilèges que vous avons envoyé par lofficial de notre très cher et bien
aimé levesque de Liège votre prince qui sont grandement au prouffit et
utilité de votre bien public et y at plusieurs princes du Saint empire qui
souventeffois nous ont prie et requis non seullement den avoir semblable
mais beaucoup moindres lesquelles avons refuse et y at deux raisons
principales pourquoy vous les avons octroyés dont la première est
quavons en bonne mémoire quanvoystes vers nous en notre cite de Cou-
logne le comte Daremberghe un bourgmestre de la cite de Liège avec
plusieurs autres bons personnages nous donner à connaître la bonne
dévotion et obéissance quaviez envers nous et le Saint empire pareille-
ment la bonne amitié et bienveillance quaviez envers nos enffans et leurs
pays et beaucoup dautres belles offres dont pour lors et toujours depuis
vous avons eus en singulière recommandation. La deux, raison si est que
puis nasgueres votredit prince avec son frère le seigneur de Sedan ont
pris alliance avec le roy catholique notre fils et ses pays qui nous est
chose très agréable k cause que cest ung bien inestimable pour entre-
tenir tant le pais de Liège que les pays voisins dudit roy notre fils en
bonne paix amitié et seurete dont cy après en pourra venir un grand
bien parquoy avons ordonne aux gens du prive conseil dudit roy notre
fils estant en ses Pays-Bas denvoyer aucuns bons personnages vers vous
aflfin que veuillez entrer en ladite alliance faicte par votredit prince et
ledit seigneur de Sedan son frère et si ainsi le faictes vous nous ferez
chose très agréable et dont cy après aurons toujours mémoire quant
aurez affaire de nous et de notre autorité impériale et ausi quant vous
feriez le contraire vous nous donneriez facilement à cognaistre que quant
TomeXLI 13
(194)
envoyastes vers nous en notre cite de Colongne lesdits dénommes que ce
cestoit plus par vantisse que autrement pareillement vous nous feriez
penser aucunes querelles quavons contre vous lesquelles jusque a pré-
sent navons voulu mectre a exécution à cause des belles offres et
remonstrances que nous fectes par lesdits nommes en notre cite de
Colongne comme plus à plain de toutes ces choses cy dessus escriptes
avons declairé audit officiai quant il se partist dernièrement de nous de
notre cité daugsbourg et donne charge vous dire de par nous en la pre-
mière journée des estats qui se tiendraient au pays de Liège.
ni
Traité secret de Bruges, du 20 août 4521.
(Bulle originale, sur parchemin, sceau détaché.)
Chartes de Brabant restituées par l'Autriche, en 1863, n° 285.
Nous Erard de la Marck par la permission divine et du saint siège
cardinal archevesque de Valence evesque de Liège duc de Bouillon et
comte de Loz cognoissons par ces présentes que considère le grand bien
et utilité de nous notre englise et pays de Liège. A cause de la prinse
réduction et rendange de la duché de Bullion faicte par la Majesté impé-
riale au prouflit de notredite église. Avons promis et promectons par
cestes que nous nous employerons de tout notre povoir pour faire une
alliance perpétuelle entre sadite Majesté et les estats de notredit pays
par laquelle entre autres articles sera déclaré que toutes les places dudit
pays seront ouvertes a sadite Majesté quant besoing sera pour la tuition
et défense de ses pays dembas. Et en cas que nosdits estats ne soy veul-
sissent consentir ou accepter ladite alliance perpétuelle avec cest article
dessus narre promectons en parolle de prélat et de prince de rendre la
place dudit Bullion entre les mains de sadite Majesté ou son commis a tel
droit que présentement sadite Majesté nous la baille et délivre et à
notredite église. En témoignage de quoy avons cesdites présentes de
notre main subsignez. Et y fait imprimer notre seau secret, donné a
Bruges le xx« jour du mois daoust an quinze cens vingt et ung.
Erard...
( 198 )
■v
Lettre de Corneille de Bergkes à Marie de Hongrie, du 2$ avril 154$.
(Papiers d'État et de l'Audience, liasse 15.)
Madame,
Jay receu vos lettres du 21 de ce mois et veu ce que votre Majesté a en
mesme effect escript a ceulx de mon chapitre par ladvis desquels vous
plaira entendre que ne eulx ne moy avons jusques au présent eu
aucunes nouvelles du passaige demande par le duc de Gleves a ceulx de
ma ville de Vise et quant ledit duc le demanderoit jespere avec mondit
chapitre me conduyre et régler en suyvant le contenu de notre alliance
de sorte que votre Majesté naura cause de mécontentement.
Quant au 2e point de vosdites lettres touchant la journée de communi-
cation avecq ledit duc de Cleves depuys quelle est conclue pour estre
tenue à la ville de Maeseyck le 1er jour de may ma semblé et pareille-
ment audits de mon chapitre que lhoneste et raison veult de la tenir
principalement pour lintdemnite guarde et protection des seigneuries
censés biens et subgects des seigneurs et surseans des pays de lempereur
notre sire gisans a mon pays de Liège affin quils ne soient pilles brans-
chattez prinz prisonniers et traictez hostilement comme Ion a com-
menche et pourra votre Majesté estre de tout asseuree que après avoir
faict bonne enqueste ne pouvons apparchevoir quelque intelligence que
ledit duc ou les siens ayent en ladite ville de Maeseyck et que a ladite
journée rien ne se traictera ou fera que pourroit aucunement estre au
préjudice de ladite alliance ce que par raison debra deplare a sa Majesté
ou la votre dont pour lapaisement dicelle votre Majesté lavons bien
voulu advertir avec ce que par ladvis de mondit chapitre fumes délibérez
de mectre certain nombre de gens de bien en notre ville de Maeseyck
pour la garde et tuition dicelle aydant le créateur a qui je prie Madame
vous avoir en sa saincte garde. — Escript en notre cité de Liège au
23 avril lan 1543.
{ 196 )
Lettre de Marie de Hongrie aux Liégeois, du 5 mai 4543 (minute).
[Papiers d'Étal et de V Audience, liasse 45*.)
La royne régente ayant oui messire Guillaume de Poitiers eseolatre de
leglise de Liège et veu Instruction que M. levesque de Liège et ceuli de
son chapitre luy ont donné a déclare ce qui scnsuit.
Premiers quant au passage que les gens du duc de Clèves auroyent
demande par la ville de Vise puisque les affaires sont depuis changées il
nest besoing y répliquer.
Sur le 2e article touchant la conduite des gens de guerre de lempereur
ausquels Ion a fait ouverture audit Vise la royne a ordonné de les
faire retirer et envoyer argent pour satisfaire et contenter leurs hostes
et est lintention de sa Majesté que chacun doibt payer raisonnablement.
Sur le troisième touchant la communication eonclute a tenir avec le
duc de Clèves en la ville de Maeseyck sa Majesté eust bien désiré que
lesdits de Lyège neussent tenu ladite communication mesmes audit Mae-
seyck pour plusieurs considérations et requiert que pour ladvenir ils
veullent prendre meilleur regard a lalliance auparavant daccorder
journée de communication et ne seroit raisonnable de donner spécifi-
cation des advertences que sa Majesté a des intelligences des Clevois
en ladite ville mais suffit de les en advertir pour y faire prendre bon
regard.
▼i
Instructions pour Jehan, seigneur de Noirthoudt, conseiller et maître
dkostel de la royne de ce quil aura afaire vers levesque de Liège ou sa
Majesté lenvoye présentement.
(Papiers d'État et de V Auditrice, liasse 15*.)
Premiers requerra audit seigneur de Lyege en vertu des lettres de cre-
dence que luy seront délivrées après lui avoir declaîrc les continuelles
advertences que la royne a de lamas que les François font pour envahir
les pays de pardeça vouloir faire assembler les estats de son pays incon-
tinent et a extrême diligence pour leur remonstrer ledit amas et que sa
( 197 )
Majesté craint quils ne veullent tirer pour eulx joindre avec les Clevois
en quoy faisant ils vouldroient passer par le pays de Lyege et le sur-
prendre sils pourroient. Que a ceste cause il veulle avec ceulx de son
pays ad viser ce quil debra faire pour garder et deffendre son pays.
Quil ne veulle entrer en aulcune neutralité avec les ennemis de sa
Majesté laquelle estant présentement en chemin pour venir par deçà ne
le scaueroit comporter en manière quelconque veu que ce seroit contre
1 alliance défensive quil a avec les pays de par deçà.
Quil veulle pourveoir ses forts de gens et de vivres de sorte que incon-
vénient nadviengne.
Quil veulle commander a tous gens qualifiez porter armes quils ayent
armes et bastons prêts pour deffendre le pays quant besoing sera et que
la royne faict faire le semblable par deçà.
Quil veulle faire retirer tous vivres du plat pays et apporter es villes et
forts afin que les ennemys ne sen puissent servir ne par ce le pays de sa
Majesté recevoir dommaige.
En ce faisant la royne les assistera de toutes les forces quelle a avec ce
que lempereur a sa venue leur en scaura bon gre ou sils faisoient autre-
ment nauroit cause de se contenter.
Et le mesmes pourra ledit seigneur de Noirthoudt dire ausdits estats
de Lyege en vertu des lettres de credence que lui sont baillées et ce plus
quil semblera audit seigneur de Lyege estre convenable a la cônduicte
de lintencion de la royne a laquelle il fera rapport de son besongnye,
faict a Bruxelles le ixe jour de juin 1543.
MARIE.
Par ordonnance de sa Majesté,
Verreycken.
▼ii
Extraits de l'instruction donnée par Marie de Hongrie à Philippe Nign
et au comte de Buren, le 8 février 4558. (Copie.)
(Archives du royaume, Papiers d'État et de l'Audience : Correspondance de Marie
de Hongrie, registre n° 69.)
« Lesdits commissaires adviseront de discrètement communiquer en
particulier avecque ceulx tant dudit chapitre que de la loy quils cognoi-
tront avec le plus de crédit et de povoir à conduire cette affaire, et
(198)
sil veoyent que besoing ou nécessité fust de promettre a aucuns per-
sonnaiges deglise mesmement a Serai n nepveu * dudit feu chanoine *
dudit lieu et à son frère seigneur de Serain jusque 4 ou 6™ florins
de pension par an et aucuns gens lays, de présenter argent comptant
pour leurs labeurs et sollicitudes jusques a vi, vil ou viiim florins pour
une fois, ils le porront offrir et promectre
Sera bon que a leur arrivée audit Liège lesdits commissaires sen-
quierent secrètement si quelque practique du costé des Franchois ne se
maine pour avoir ung evesque a leur appétit et Tempeschier par tous les
moyens qui seront possibles.
Si Ion obvioit quelque chose de la coadjutorie de Serain laquelle a
esté depuis quelque temps mise en termes, il se repondra quelle na este
consentie ni expédiée
Si Ion trouvoit que ledit Serain fut fort damis et eust grosse brigue
pour luy tellement que la chose fut en hasard, lesdits commissaires tien-
dront propos quil est besoing dasseurer laffaire de Zevenberghe
Si daventure (ils) sapercevoient que par force ceulx de la cité de
liège voulsisent faire élire ledit Serain et quil ny eut remède au con-
traire, en ce cas fauldra adviser de gaigner ledit Serain luy donnant
espoir de luy faire avoir encoires quelque autre bonne provision de
lempereur et linduire a lobservation de la capitulation faite par lempereur
et la royne avec ledit seigneur cardinal.. . .
▼m
Lettre de Marie de Hongrie au vice-doyen et chancelier de leglise de Liège*
du 26 juillet 4543.
{Papiers d'État et de l'Audience, liasse 16, minute.)
Vénérables et très chers et bons amys. Nous avons donne charge à
Messire Philippe Nigri conseiller detat de lempereur monseigneur et frère
1 Jean et Guillaume de la Marck étaient les cousins et non les neveux d'Érard,
puisque leur père était le cousin germain du cardinal. Mais au XVI* et au XVU< siècle
on appelle souvent oncle ou tante, le cousin ou la cousine germaine du père et de la
mère, et réciproquement, neveu ou nièce, le fils, la fille du cousin germain ou de la
cousine germaine. Ou dirait de nos jours, dans ce cas, oncle ou tante, neveu ou nièce
la mode de Bretagne.
* Le copiste aura lu chanoine, au lieu de cardinal.
( 199 )
et chancelier de son ordre de la toison dor et messire Charles Berneni*
court chevalier seigneur de la Thieuloye notre maistre dhostel présents
porteurs de vous dire et exposer de notre part aulcunes choses très
importantes a sa Majesté impériale et au saint empire et signamment au
pays de Liège vous et autres ainsi que deulx entenderez plus amplement,
si vous requérons affectueusemeut les vouloir croyr cette fois comme
nous mesmes et ce quils vous en diront et au demeurant vous conduire et
faire en tout selon que cognoisterez être requis et nécessaire pour le bien
tranquilité et pacification dudit pays de Liège vous et autres et aussi que
en vouldrez répondre à sadite Majesté impériale lui est sue sa venue par
deçà et audit S. Empire.
Lettre de Cimrles-Quint à Vévêque de Liège, de juillet 454$.
(Même collection, liasse 17 B, minute.)
Mon cousin je despeche expressément messire Charles Boisot * mon
conseiller destat pour vous advertir et les bourgmestres et eschevins de
choses très importantes et en quoy il faut mectre la main pour obvier à
linconvenient que autrement en pourroit advenir et faire le chastoy si
exemplaire que lenormité et grandeur du cas le requiert, et lentendrez
plus au long par ledit conseiller vous prient le croyre comme moy mes-
mes et en tout vous acquiter selon votre debvoir envers dieu votre église
moy et le S. Empire le requiert et encores vous recommande bien
expressément et affectueusement cestui affaire.
A tant de Spire le ... de juillet 1543.
* Fils de Pierre Boisot, trésorier général de Charles-Quint, et de Louise deTisnacq,
Charles Boisot joua un rôle important dans les affaires civiles et militaires des Pays-
Bas. Il fut chargé par Charles-Quint de négociations diplomatiques très importantes;
en 1566, il signa le Compromis des nobles et fut, pour ce motif, proscrit par le duc
d'Àlbe. C'était un des plus fidèles partisans du prince d'Orange qui, en 1573, le nomma
gouverneur de Walcheren. Boisot trouva la mort, deux ans plus tard, près de Philips
land, en combattant les Espagnols. Son frère Louis suivit son exemple; il se rangea
sous le drapeau du Taciturne. Nommé amiral de Zélande, il contribua beaucoup à la
délivrance de Leyde. (Voir la biographie de ces deux frères par M. Juste, dans la
Biographie nationale.)
( 200 )
Instruction a vos mess. Charles Boisot, conseiller destat et maitre des
requestes ordinaire du conseil de lempereur de ce que arez a dire déclarer
et requérir de la part de Sa Majesté devers levesque de Liège le chapitre
et les bourgmestres et echevins dudit Liège.
{Papiers d'État et de l'Audience, liasse 17 B, minute.)
Vous déclarerez premièrement en toute confidence et secret votre
charge à mondit cousin et avec son ad vis procurerez davoir audience de
luy de leglise et desdits bourgmestres et esche vin s joinctement et qu'ils
tienne regard que les personnes culpables ne soient preadvertys et se
puissent saulver. Et en premier lieu les conjurerez tous de garder le
secret requis en cestuy affaire pour mieulx pouvoir actaindre la vente de
cas pourveoir au saisissement des personnes et parvenir au chastoy
requis et exemplaire convenable a la grandeur et importance du cas.
En après vous remonstrerez et mecterez en avant asdits evesque cha-
pitre et de la cité lamytié et affection que lempereur a toujours porte
ausdits trois estats villes et pays dudit Liège, mesmes dois quil entra en
la possession de ses estats et pays dembas et comment il y a toujours
continué des quil parvint à la dignité impériale ayant tenu continuel
soing tant en tiltre et qualité dempereur que comme seigneur desdits
pays dembas a tout ce que a concerné lasseurance preservacion et tran-
quillité dudit pays et austant ou plus que des siens propres.
Que lacquit de sadite Majesté tant de sa dignité impériale que devers le
Saint Empire et ossi pour faire office de vraye amitié et bonne voisinance
avec ceulx du pays et le bien propre et nécessité diceulx oblige et mect
sadite Majesté a advertyr de la grande conspiracion et trayson estant es
termes pour ruyner et destruire ladite cité et pays de Liège tant au spiri-
tuel que temporel et pour soustraire perpétuellement ledit estât de Liège
dudit Saint Empire et mectre en hasard lesdits pays de sadite Mté confe-
derez perpétuellement avec ledit Liège.
Et signament déclarera ledit conseiller lemprise descouverte du cha-
noine de Marca * lequel suivant la malherté daucuns ses prédécesseurs
* Ce chanoine de la Mnrck est Philippe de la Marck, fils de Robert II de Sedan.
(Voir notre tableau généalogique.)
( 201 )
ennemis perpétuels de tranquilite et ayants esmeu et commence les
guerres dont sont procédez et se font continuellement les maulx innu-
merables que Ion voit en la chrétienté et sans regarder ledit de
Marca a son estât et qualité et lobligation quil a tant redoubler devers
lesdits estats cite et pays de Liège, a conspire empnns et procure de
vouloir occuper ledit Liège et lesdits pays patrimoniaux de sadite Majesté
avec port faveur et assistence du roy de France et soustraire ledit
Liège du Saint Empire et le mectre en servage perpétuel dudit roy de
France, comme il apparait par les dépositions mesmes des tesmoings que
ledit conseiller montrera. Baillant raison desdites dépositions preuves
indices et circonstances qui en résultent et si ce par devant il a aulcunes
plus enseignées de la Royne les adjoindra a ce propoz.
Ce fait et ayant aigry ce cas et demonstré limportance diceluy requerra
et conjurera tous lesdits estats de prendre laffaire a eueur comment il
importe et suivant ce que sadite M té lui escript, et comme actend lexi-
gence et qualité dicelle, requérant très soigneuse et grave inquisition et
en user de toute dextérité possible que avant de partir dudit conseil ils
pourvoient dois incontinent de soy saisir et asseurer des personnes
acculpées et ossy des papiers quils peuvent avoir en leurs maisons et
que ledit Marca sil se treuve présent soit incontinent détenu, et que Ion
envoie ossi prendre et saisir au corps les capitaines despechans présen-
tement et expressément par cest effect. Et quant a persuader ladite prinse
de corps et saisissement y a très grand fondement sur les messagiers
envoyés par personnes de soy et originellement suspectes, avec leurs
manières de vivre audit Liège, en termes quils ont tenuz jusque à oyres
et de leur conversacion en privée amictié et comme aucunes aultres par-
ticularités qui se pourroient considérer servies au cas, lesdits messagiers
prins oyres quils fussent informés et ne sadjoingnissent avec eulx les cir-
constances, fort probables indices pour au moings détenir les personnes
et s'en assurer. Sera aussi tenu soing que lesdits culpables ne pussent
estre preadvertiz et quant ils seront détenus soient soigneusement
gardez et de manière quils ne puissent adviser les ungs les aultres, et
soient en lieux assurez.
Davantage que Ion procède allencontre deulx diligement et continuel-
lement et que Ion vienne le plustôt quil sera possible a la diffinicion
et examen pour especher les menées et practiques qui se peuvent
faire par lesdits François et aultres, et esmues par les complices et
suspects non seulement pour especher la justice mais pour mectre en
( 202 )
confusion ladite cité et pays de Liège, Et cecy comme il trouvera a
propoz pourra ouvertement remonstrer ledit conseiller. Selon que
lalfaire sacheminera et quil verra lexigence dicelle ledit conseiller
sarrestera là pour y tenir la main comme il verra convenir et advertira
sadite Majesté et ossy la Royne en flandres de lestât dicelle avec ce
quil en trouvera et lui ensemblera pour selon ce ly ordonner au surplus
ce qu'il ora à faire. Et humblement requerra sommera interpellera
et conjurera lesdits trois estats de Liège selon qu'il verra estre à propos
<\e lesclaircissement du cas sadite justice et examen dicelle et en tout
fera ce quil verra estre pour le bien de ladite affaire et donnant a
entendre asdits estats que sils ne sacquittent en cecy que sadite
Majesté ne peult croire ils offencent grandement devers Dieu sa Majesté et
Saint Empire oultre le dommage et inconvénient irréparable que luy en
pourrait advenir et que ce que sadite Majesté en fait et les en requiert et
enhorte est pour cette considération, les certifiant que en soy meetent en
devoir comme ils sont obligés et signamment pour eulx mesmes que sa
Majesté les portera et assistera entièrement et comme bon et bening
empereur et ensuivant ladite ligue perpétuelle et en tout et partout le
trouveront très-affectionne en tout ce qui concernera leur seurete defen-
sion et protection.
Fait à Spire le xxvii de juillet 1543.
XI
Lettre de Charles Boisol à Charles-Quint, du 4 août 454$.
[Papiers d'État et de l'Audience, liasse 47 B.)
Sire, si très-humblement que faire puis me recommande en la bonne
grâce de votre impériale majesté.
Sire, estant arrivé en ce lieu mercreydi dernier et adverty que Mess, le
chancelier de Tordre et de la Thieuloye y estoient de la part de la Royne
votre seur, me trouvay incontinent vers eulx, pour entendre lestât et
disposition des affaires, et selon ce et par commun advis me conduire
en la charge que votre Majesté ma donné, mesmes que mons. de Liège
estoit comme il est encores absent, et comme Ion tenoit à Sevenberghe *
1 Corneille de Berghes tenait de sa mère la terre de Sevenberghe.
( 203 )
ou aultre lieu d'Hollande, ouquel je me debroie selon mon instruction
adresser, et lui déclarer madite charge, et après avoir communique nos
instructions lung à laultre, lesquelles nous avons trouve assez conformes
en substance, et tendre a une mesme fin d'advcrtir de la conspiration et
trahison et faire appréhender et punir les coulpables, lesdits seigneurs
commis me dirent quils avoient icy este le vendredi précédent xxvn de
moi passe, et à l'instant quils arrivèrent avoient fait assembler aulcuns
des meilleurs et plus confidens serviteurs de votre Majesté ausquels ils
avoient montré leur instruction, ensemble 1 examen et déposition des
prisonniers et déclare les raisons qui mouvoient ladite dame Royne de
faire manifester ladite conspiration et trahison et quils estoient délibères
dainsi le faire, ne fut quils oissent raison pregnante pourquoi ils deus-
sent changer.
Sur quoy et après que a ceste communication par bon advis furent
appelés un bourgmestre et un eschevin aussi gens de bien et affectionné
au service de votre Majesté et à là préservation de ceste republique, fut
advise unanimement que nestoit encore expédient de descouvrir tout
ouvertement ladite trahison, et ne seroit que donner occasion desmouvoir
ce peuple, et provoquer a trouble et sédition avec la perdition de la cite
et du pays, sans que Ion puist parvenir à lapprehension et châtiment
des maulvais, pour ce que audit examen y avoit aulcunes choses non
vraisemblables, et y estoient défères aulcuns absens qui navoient de
longtemps este en la cité, aussi quil estoit requis selon les privilèges que
ceulx cy ont, voire en crime de lèse Majesté, avant pouvoir procéder à la
capture dun délinquant, faire information préparatoire, et quelle fut veue
par les eschevins et aultres de la loy et puis par eulx mesmes inter-
pose le décret de lapprehension, lesquelles solemnités navoient été
observes, et y procédant daultre manière, prendraient les maulvais
matière de se rebeller, et crier quon leur volsist rompre leurs privi-
lèges et ainsi les persuader et imprimer a ce peuple qui a sesdits
privilèges en merveilleuse recommandation, et pour ces considérations
fut communément résolu que lesdits commis debvoient faire leur pro-
position sans toucher de ladite trahison ny en gênerai ni en particulier
et quils se pouvoient fonder sur ce que la Royne cognoissant la bonne
affection que ceulx de leglise et la cité de Liège portent à votre Majesté
les advertist de sa venue de son aprochement et équipage de guerre,
aussi que les françois aians levé leur camp de Maroles envoient gens
vers Mezières, et que cestoit pour eulx venir joindre en ce pays de Liège
( 204 )
avec les Clevois pour empescher le passage de votre Majesté, et à ceste
cause ceulx de Liège debvoient estre sur leur garde, et que s'ils navoient
gens pour eulx deffendre que ladite dame Royne leur en envoieroit, an
surplus quils avoient charge de leur dire quils envoyassent devers ladite
dame Royne deux de leurs eschevins et deux jurez pour oyr auleuns
prisonniers sur ung affaire grandement importante a ceste cité et pays de
Liège. Laquelle proposition lesdits seigneurs commis mont dit lavoir fait,
en présence du chapitre et les bourgmestres eschevins et jurez de la
cité, et qui depuis sont esté envoyés lesdits deux echevins et jurez vers
ladite dame Royne pour ouyr les confessions des trois prisonniers, et a
semble pour le mieulx de différer la publication de ladite trahison jus-
ques au retour desdits echevins et jurez, ausquels Ion donnerait plus de
foy que non ausdits commis, de la Royne Et pour ces mesmes considé-
ration sembloit ausdits seigneurs commis et aussi ausdits bons person-
nages tant du chapitre que la cité, que je ne povoie ny debvoie en la
remonstrance que mestoit ordonné de faire, ensuivre a la lettre madite
instruction, et que dénommant particulièrement les acculpez serait on
leur donner occasion dexciter quelque trouble, ou leur ouvrir la porte
pour se retirer. Car ny les officiers de leglise ni ceulx de la loy se ose-
raient avancer de mettre la main a iceulx acculpés, pour non avoir été
observe ladite solennité et quils craignent estre repris davoir laissé
enfraindre lesdits privilèges, que pour non estre les plus fors et que pour
iceulx acculpés ont beaucoup de complices et adherens qui sont favorises
par les mauvais de France *. Et néammoins avons paren semble advise
que pour estre ce peuple adverty de ma venue et que je suis envoyé par
votre Majesté, pour oster le scrupule a ceulx qui ne povoient achever
de croire la prochaine dicelle, aussi pour les remettre au droit chemin
de ce que plusieurs deulx estoient persuadés que votre Majesté les vouloit
assujetir en qualité de seigneur des pays dembas et submettre a la loy
de Brabant, dont furent les paroles semées entre le commung quant on
leur offrist gens pour eulx deffendre, que je ne povoie délaisser de faire
assembler lesdits du chapitre et les bourgmestres eschevins et jurez et
leur faire une remonstrance générale sans aussi riens particulariser
des personnes acculpés de ladite trahison, ce que feiz hier matin comme
votre Majesté pourra veoir par ce quen est rédigé par escript et va
avec cestes.
1 Les mots écrits eu italique sont chiffrés dans l'original.
203 )
Laquelle proposition, Sire, j entends avoir esté bien prise, et que depuis
le peuple sest fort radoulci, et ou auparavant ceulx de la cité navoient
voulu admettre les gens de guerre que la Royne leur offroit pour leur
sûreté et défense pour la doubte et craincte quon les vouloit assujetir
comme dessus, se sont tantost après joint avec ledit chapitre, et par
ensemble requy quon leur volsist envoyer lesdits gens de guerre, et ont
les bons eu. singulièrement grant plaisir de veoir la subscription de la
main de votre Majesté a mes lettres de credence, ce qui les a tant plus
confirmé et asseuré de la venue de votre Majesté, quils attendent avec
grande dévotion.
Sire, la Royne nous a escript que lesdits trois prisonniers ont en pré-
sence desdits eschevins et jures persiste en leurs confessions voire
amplié icelles davantage a leur retour se esclairciront les particularitez et
les acculpes se cognoitront avec leur confession par le raport et affection
des mesmes eschevins, et par ce moyen jespère que lesdits acculpes se
pourront appréhender et que justice se fera, et pour plus sûrement con-
duire ladite justice la royne a la requeste desdits du chapitre et de la
cité envoyé icy deux enseignes de piétons et de chevaux.
Ladite dame Royne avoit avant ma venue en ce lieu fait appelé vers
elle ung gentilhomme nomme Jehan Daremberghe seigneur de Lumpnes
frère de l'archidiacre de Serain fort bien volu de ce commung peuple et
accuse destre adhèrent a la trahison du chanoine Marca et pour ce que
feit quelque refus dy aller les gentilshommes qui lestoient venu appeler
lamenerent un peu oultre son gre, soubs les paroles qui lui deirent si ne
aloit ils avoient charge de le mener, et le détient ladite dame Royne
arresté à Bruxelles, a cause de quoy ceste cite a este en grand trouble, et
ne defailloit matière aux maulvais pour faire trouver ceste prinse plus
odieuse, allegans quil es toit pris sur le paiz de Liège et que cestoit contre
leurs privilèges et directement contre la ligue et confédération quilz ont
avec les pays dembas, lesquelles crieries vindrent si avant que aulcuns
populaires hommes et femmes disoient ouvertement quon debvoit aler
assommer les commissaires de ladite dame Royne, aultres quon les
debvoit tenir prisonniers, jusques ledit seigneur de Lumpnes leur seroit
rendu, et a ceste occasion lesdits commis furent deux jours sans eulx
oser montrer en publicque, et pour appaiser cedit peuple fut advisé qu$
ceulx dudit chapitre et de la cite envoieroient leurs députés vers ladite
dame Royne pour repeter ledit de Lumpnes, lesquels députes estoient partis
avant ma venue, et attend on leur retour de brief, et ce pendant lesdits
( 206 )
commis de la Royne et moy fumes icy temporisans, et regardans a ce qui
convient pour la seureté et garde de ce lieu, avec les gens de bien du
chapitre et de la cité et aulcuns gentilshommes de ce paiz qui faisans
semblant de promener pour passe temps sont partout aux escoutes, pour
empescher les assemblées et sont par tous les lieux principaulx chaque
nuyct ordonnes gens pour veiller tant de ceulx de 1 église que aultres.
Tout ce mal procède, Sire, que ceulx cy nont point de «nef et que
monseigneur de Liège se treuve bien peu ici, et ny vient sinon comme a
la dérobée y entrant le soir a dix heures, et partant le matin devant le
jour, et ny a personne pour porter et soutenir la justice et montrer visage
aux maulvais, et neammoings les affaires sont maintenant en assez bon
train et espère que les François et Clevois auront failly a leur emprinse
pour cette fois. Ledit de Marca ne se double encores deviens et vient en
chapitre et en église comme a laçons tume.
Sire je prie le benoist créateur qui doinst à votre Majesté très bonne
et longue vie et victoire de ses ennemis, de Liège ce 4* de août 1513,
de votre très sacrée impériale Majesté, très humble et très obéissant
serviteur, Charles Boisot.
XII
Lettre de Boisot à Granvelle, premier conseiller d'État et garde des sceaux
de l'empereur, 7 août 454$.
{Papiers d'État et de l 'A udteiice, liasse 47 B.)
Monseigneur, depuis mes lettres escriptes a lempercur que jay diffère
denvoyer attendant le succès des affaires afin de pouvoir advertir de ce
que Ion avoit icy fait touchant lapprehension et punition des acculpez qui
est le principal de ma charge, les eschevins et jurez qui avoien teste envoyés
vers la Royne pour oyr les confessions des trois prisonniers sont retournés
avec toutes les mesmes pièces que ladite dame Royne avoit envoyé à sa
majesté impériale avant mon partement de Spire, contenant lesdites con-
fessions, et sur lesquelles lesdits prisonniers sont este recolés, et ont per-
sisté en icelles ou en la plus grande part, et se sont assemblez aulcuns
personnages députes tant par le chapitre que ceulx de la cite pour veoir
lesdites confessions et décerner sur ladite appréhension. Et ont lesdites
( 207 )
■
confessions esté tenues secrètes jusques maintenant de manière que le
chanoyne Marca ne sest doubté de riens, et crois que ce matin il sera
mandé en chapittle et que Ion se asseurera de sa personne et ne say ce
quils en feront. Au surplus, car ils le tiennent icy pour un pouvre sot et
inocent et dient que le feu cardinal son oncle ne leust onques en aultre
estime et que na lesprit de conduite ce dont lesdits prisoniers le char-
gent et se présume que aultres aient moventé et conduit ladite conspira-
tion sur son nom, et aient usé de lui comme un temps fut les François
usoient de leur Roy, qui ne servoit que de statue ou représentation et de
porter lhabit royal et ne se mesler de riens et toutefois tout ce falsoit en
son nom, et que lesdits conspirateurs auraient cecy fait pour donner plus
dauctorité a leurs menées estant ledit de Marca de Metz este en France.
Comme quil en soit je feray mon mieulx que soûls couleur de ceste inno-
cence, tel et si grand delict ne demeure impuni et useray a cest effect de
toutes persuadons possibles tant verbalement que par escript et le mesmes
feray quant aux autres complices et adherens.
Avec lesdits esche vins et jures sont aussi retournez les députes du cha-
pittle et cite qui estoient allé demander la restitution du seigneur, de
Lumpnes lesquels ont ja fait leur raport selon la response que ladite dame
Royne leur a fait par escript par forme dordonnance ou apointement et
dont monseigneur je vous en donne le double duquel rapport iceulx de
ladite cite se sont contentes.
Ladite dame Royne a rapelle le chancelier de lordre et le seigneur de
Tieuloye et ma escript que puis jestoie icy par commission spéciale de
sa majesté impériale auquel en qualité dempereur principalement touche
cest affaire, et que ceulx de Liège entendent plus volontiers a ce que sa
Majesté commande que non a ce que icelle dame Royne en escript, lesdits
chancelier et Thieuloye ny avoient plus que faire. Aussi mescrit ladite
dame Royne le mal contentement quelle a de monseigneur de Liège
lequel sur plusieurs lettres quelle lui a escript de se trouver icy lui a
finablement respondu que ne savoit quil eust rien a faire audit Liège. Et
si tost que saura quil y a faire quelque chose il se trouvera en diligence,
ceulx du chapitre lui ont aussi escript et mandé letat de la cité et prié
de venyr le plus tost qui pouroit mais ne pour cela sest il encores hâté
dung pas.
Monseigneur, depuis ce que dessus escript jay entendu ce que ceulx
du chapittle ont besoingne ce matin et comme les députes en présence
des archidiacres ont examine larchidiacre Marck, et au surplus ce que
( 208 )
Ion a fait pour tout ce jour touchant lapprehension daulcuns accuses
et pour que le tout sest passé en mon absence assavoir en chapitre et
pardevant lesdits députés ou je ne suis admis, vous envoie le double
de la lettre que larchidiacre Blocquerie escript sur ce à H. le président
Schore.
Ledit Marca puis xv jours en ca a escript une lettre à monseigneur de
Saintpy * son oncle de ceste substance :
Mons. mon oncle ceulx du chapittle de Saint-Lambert me font tout le
piz que peuvent. Je vous prie dire à la Royne quelle me donne une
manutention pour saisir tous les biens quilz ont en Brabant et si elle ne
le fait je quicte mon serment et trouveray ung aultre maistre dont vous ay
bien voulu advertir afin que mescriviez ce que jauroy a faire car je veulx
user de votre conseil.
Ceste lettre montre bien que nest gaires saige et toutefois ceste qualité
ne le doibt excuser car il est fol malicieux, lesdits du chapittle nont
volu plus rigoureusement procéder contre lui jusques ils entendront la
déposition de ses trois serviteurs qui seront cette nuyct examinés par la
torture.
A tant Monseigneur après mestre très humblement recommandé a
votre bonne grâce je prie le créateur que vous doinst sainte et longue vie,
de Liège ce vu août 1543.
L'entièrement votre très-humble et obéissant sénateur,
Charles Boisot.
xiii
Copie de la lettre de Varchidiacre de. Hainaut du vu août escripte
au président Schorre de Liage.
[Papiers d'État et de l'Audience, liasse 17 B.)
Monseigneur le président. Ce matin jay fait appeler les députés du
chapitre en ma maison et eulx déclare que pour seurcment procéder a
lapprehension des principaux accusés seroit besoing dindire chapitre sttb
1 Ce seigneur de Sempy est Antoine de Croy. seigneur de Sempy, de Tours- sur -
Marne et de Saint- Piat C'était le second fils de Philippe de Croy, prince de Chimay.
Sa sœur Catherine de Croy avait épousé, en 4491, Robert delà Marck, prince de Sedan,
le père du chanoine Philippe.
( 209 )
pena juramenti (affin que personne ne puist excuser de soy trouver) et
illec declairet comment les eschevins sestoient excusés de faire justice et
procéder sur laffaire de trayson nestoit que après leur dire et déclaration,
lapprehension se poinst librement faire aussy bien sur les gens d église et
leurs familiers et es lieux claustrales que aultres et aultre part, ensuivant
lequel advis tout le chapitre a este ce matin a lheure de grande messe
assemble et illec lintention desdits echevins propose sur laquelle estant
interroge de mon opinion je abandonnoy et rendoy subgect à lordonnance
desdits echevins ma personne mes familiers et serviteurs et louverture
de ma maison. Marcka interroge de son opinion respondoit ad idem et
sic deinceps nemine discrepante dont en fust par moi prononce et par le
notaire du chapitre rédige par escript lacté cy encloz et iceluy inthime
premièrement ausdits eschevins (desquels aulcuns estoient presinstruytz
de ce que faire ce debvoit) et oultre ce aussy fait inthimation aux bourg-
mestre et conseil affin que a lexemple du chapitre Ion en usast aussy en
la bourgeoisie nonobstant tous privilèges et franchises, et sur ce mande
audit chapitre le baillif du prevost lui commande soy retirer incontinent
vers les eschevins pour avoir les noms et surnoms des accuses et le décret
dapprehension lesquels par ledit baillif obtenus il a attendu le retour
dudit Marcka hors du chapitre en enprest lui sur le cloistre de Saint-
Lambert appréhende ses trois serviteurs assavoir Jacquemin, Janus et
messire Loys * et les mys séparément en divers prison ou ce jourdhui
ils seront examinez comme il appartient.
Avant le partement dudit Marcka hors du chapitre avons tant fait
denvers tous les seigneurs quilz sont tous sortis hors dudit chapitre y
laissant seulement avec les députez du chapitre les archidiacres pourquoy
il convenoit que ledit Marca comme archidiacre il demeurast, ou il a este
deubuement examine sur linterpretation des lettres quil avoit escriptes a
son oncle M. de Saintpy sur les lettres quil avoyt envoyé en France et
plusieurs aultres points contenus en la confession des prisonniers, davan-
tage a ton envoyé en la maison dudit Marcka deux seigneurs du chapitre
avec le notaire diceluy chapitre affin de lui faire commandement de non
sortir hors de sa maison ne admettre accès a personne quelconque jus-
ques a ce que aultrement par ledit chapitre en sera ordonne sur paine
destre attaint du cas, etc. et aussi de donner ouverture de tous coffres et
1 Voir le récit de Chape a ville, foc. cit., p. 347 Ces prisonniers étaient Jacquemin
Alard, Janus de Saterellc et Louis Chabot.
Tome XLI. 14
( 210 )
secrets tant de luy que de sesdits serviteurs prisonniers pour avoir
inspection et faire inventorisation de tous lettrages etc. Auquel comman-
dement ledit Marcka a obey et respondu si saigement que plusieurs
cognoissant le personnage ont este esbahy, il pleure et est fort attonne et
reclame la désolation de sa mère et a dict que sadite mère dernièrement
que fust a Sedan luy defendoit de parler à Monseigneur de Longueval
que nous a donne quelque suspicion et occasion de Interroger plus
avant. Oultre ce ont este appréhendez Ottelet de Foumale, Piron Dheur
el damoiseau Guillaume de Sart, et tout ce a este faict de ce bonne sorte
quil ny a eu espechement aulcun, et avant que la bende de M. de Frens
et les 2 enseignes des piétons ayent este arrivez, et jespere que naurons
affaire de leur ayde et assistance ains que lempereur le poulra retirer et
sen servir ailleurs a son plaisir, dont en brief la Royne en sera advertye
et principallement le capitaine desdits enseignes nomme Gaspard de
Weed fils bastard du frère de Monseigneur de Colongne a mon advys
ne duyct icy pour servir de capitaine lesdits enseignes veu quil est du
parentaige de la dame de Serray et que hier au soir après avoir eu son
partement des députés il fust (comme Ion ma dict) plus de trois heures
avec ladite dame de Serray dont ossy jay adverty le docteur Boisot afin
de rescripre à M. le Prince. Au surplus Monseigneur, de ce que survien-
dra serez adverty sous confidence que cestes et les aultres que voy
escriray ne seront montré que a la personne de sa Majesté laquelle
poulrez advertir que mon raport (que fust faict hier du matin au chapitre
en présence des nobles et de tout le conseil de la cite) leur a este très-
agréable ou je nay point oublye ce que pourroit servir pour la bienvenue
de M. R. de Valence.
Larchidiacre Serray l na point este et nest en ceste ville ains comme
sa mère ladite dame Serray * a dict est aile avec M. de Colongne aude-
vant de lempereur, icelle dame depuys mon retour na cesse de me
presser pour venir devers elle ou permettre que elle viengne devers moy
de sorte que par ladvisdes aultres députez suys délibéré me trouver
demain au matin vers elle pour entendre les bonnes remonstrances
que elle me vouldra faire.
1 Cet archidiacre Serray est Guillaume de la Marck-Seraing, archidiacre de Bra-
baut, qu'il ne faut pas confondre avec sou parent, Philippe de la Marck-Sedan,
archidiacre de Hesbaye, dont il est parlé dans la même lettre. Sur la généalogie des
la Marck, on peut consulter utilement les papiers du héraut d'armes, Le Fort, qui se
trouvent aux archives de l'État, à Liège.
( 211 )
Lettre de Charles-Quint à Boisot, du 44 août 4S4S.
(Liasse 17 A, minute.)
Cher et féal nous avons receu vos lettres du 4 du presens ensemble la
proposition par vous faite aux trois estats de Liège et veu ce quavez
escript au seigneur de Granvelle du vn de juins et la copie de la lettre de
larchidiacre Blocquerie au président Scborre et nous savons très bon
gre de la diligence quavez faite et le debvoir en ceste votre charge et
treuvons très à propos ladite proposition et accommodée selon lestât
auquel avez tenu laffaire suivant la communication faite en ce avec le
cbancellier de Tordre et seigneur de la Thieuloye et ne vous saurions
pour maintenant donner plus exprès advis synon que serviez en cestedite
charge selon que vous verrez lexigence et ce qui sera survenu par larrest
du chanoyne de la Marche et prinse de ses serviteurs et comme le cas se
descouvrira, et ladvertissement que aurez du costel de la Royne douai-
rière de Hongrie madame notre bonne sœur laquelle ne faisons doubte
vous advertira de ce quon pourra tyrer des autres prisonniers et per-
sonnes arrestees devers elle et vous renvoyons ce tenir afin que nous
puissiez adverty de ce qui sera survenu dois son parlement et ce quil vous
semblera convenir a votredite charge en laquelle continuerez suivant ce
que notredite sœur vous a escript jusques ayez autres nouvelles délie
part de nous et vous envoyons en trois adveus lettres a ceulx des trois
estats dudit Liège pour vous en ayder si veez quil soit requis. Et
ferez la credence au pays de lestât de laffaire et direz audit archidiacre
que nous lui savons très bon gré de loffice quil fait en ce et de l'affection
quil continue du bien commun du pays de Liège et notre service.
A tant de Mayence ce 11 août 1543.
Lettre de Boisot à Charles-Quint, du 45 août 4545.
(Même liasse.)
Sire. Hier sur le midy jay receu les lettres dicelle votre Majesté escriptes
à Maience le xi du présent et aultres a messires du chapittle et de la cite
portans credence sur moy et combien jay devant hier escript a M. de
( 212 )
Granvelle et adverty de tout ce questoit icy passe depuis le partement de
Jehan Colard courier jusque lors et envoyé la lettre au maitre des postes
à Bruxelles pour ladresser par le premier qui se despescheroit vers vôtre-
dite Mte si ne veulx je laisser de reprendre icy le plus substantiel de
ladite lettre et ce adjouter ce quest succédé depuis, quest sire que deux
serviteurs de J archidiacre de la Marche * assavoir ung Janus et messire
Loys prestre après avoir confessé la trahison assavoir quils en estoient
charges par les prisonniers en Brabant, sont este publiquement exécutes
par lespée et ledit Janus esquartele, peu après a aussi este exécuté pour
la même cause ung nomme Gabriel cirurgien et estoient tous trois fran-
çois lesquelz par leurs dépositions ont chargé un Raes de la Mine
comme chief et qui auroit commence et conduit le pratique aussi ung
Jehan de Fomale, Pierron d'Heure et Jacquemin Alart tous borgeois ces
deux derniers ont dimanche et lundv este mis sur la torture mais nont
rien voulu confesser quelque tourment quon leur eut fait, ledit Raes de
la Mine et Foumale sestoient saulves de la prinse dudit Janus et sont si
bien este poursuivis quils ont este rataintz et pris sur le paiz de Tresves
et furent hier par ordonnance de Monseigneur de Liège menés à Huy ou
les maire et eschevins dudit Liège se trouveront cejourdhui pour les
examiner et se confessant les ramener en ce lieu pour renouveler leurs
confessions et après en faire la justice comme le cas le mérite.
Lon publia hier que tous ceulx qui se sont retirez depuis ces trahisons
descouvertes retournent en dedans xv jours a peine destre tenuz pour
attaints et coulpables dicelles et de confiscations de tous leurs biens a
applicquer pour la fortification de la cite.
Mons. le prince d'Orenges mescripvit hier que si lon navoit plus icy
afaire de gens de pied et de cheval que la Royne y avoit envoyé qui voul-
droit bien les ravoir, jen parlay incontinent à Ms. de Liège lequel fait
assembler le chapitre les bourgmestres et aulcuns des nobles et me fut
raporte que leur resolution avoit este de prier Mr. le prince de laisser
encore icy lesdites gens de pied jusques vendredy et que lors ils lui sau-
raient a dire quand ils sen pourraient défaire, quant aux gens de cheval
quilz sen passeraient et les povoit Mr le prince mander quant il vouldroit
dont jay adverty ledit seigneur prince et ay eu responce ce matin quil est
content et mande au seigneur de Frens capitaine de ceulx de cheval que
vient cejourdhui le trouver.
1 11 s'agit ici de l'archidiacre Philippe de la Marck-Sedan.
(213)
Sire je useray desdites lettres de credence selon que je verray il sera
de besoing avec ladvis de ceulx qui sont affectionnez a votre service et
bien de cette république.
Mr. de Liège depuis quil est arrive quest de vendredi dernier a fait
très bon debvoir et sest employé le plus quil a peu pour encheminer ce
que nous avions convenu et mesmes a obtenu* de ceulx de la cite et des
mestiers que Ion peust procéder a la torture des bourgeois sans la pré-
sence desdits mestiers et se a este cause par ladresse quil y a donne que
lesdits Raes de la Mine et Jehan de Foumale sont este prins.
Sire je prie le benoist créateur... etc....
De Liège ce xv août 1543.
Boisot.
ITI
Lettre de Boisot à Granvelle, du 26 août 4545.
{Audience, liasse 17 B, original.)
Monseigneur, par mes dernières lettres je vous ai escript de la prinse
de Raes de la Mine de Jehan de Foumale que Ion disoit avoir este chief de
la conspiration et que Mr de Liège les avoit fait mener à Huy.
Depuis lesdits Raes de la Mine et Foumale sont ete examines tant par
torture que aultrement par le maire deux bourgmestres et deux eschevins
de ce lieu qui sont este envoyé audit Huy tout propre pour ce faire, mais
quelque mal quon leur ait fait nont riens volu confesser, de manière que
les députez sur linquisition de ladite conspiration sen sont trouvez per-
plexes considérant que sans confession ils navoient estouffe suffisante
pour les faire morir et sils échappent Ion crainct quils ne suscitent nou-
velle sédition soubs couleur quon leur avoit fait tort, mesmes ledit Raes
qui est de sa profession advocat et beau parleur et celui qui a toujours le
plus combattu pour les privilèges et souvent résisté luy seul au feu car-
dinal quant il demandoit aucune chose aux estats et pour ce a este advise
quon devoit envoyer a Mr. de Liège qui lors estoit devers la Royne un
eschevin avec les réponses desdits Raes et Foumale et les confessions des
ja exécutes et aultres encore prisonniers affin que par ce moien ladite
( 214 >
dame Royne les puist veoir et en tirer matière pour plus avant interroger
les deux quelle tient encore prisonniers à Vilvorde lesquels peust être
pourront dire davantage a la charge desdits Raes et Foumale f et donner
cause pour les remettre à la torture.
Mons. un nommé Pierron Dheure * bourgeois et fort apparente en ceste
cite estant charge par Janus prisonnier exécute de lui avoir fait écrire
la lettre au seigneur de Longueval affin de haster sa venue et par les
aultres , qui debvoit estre porteur denseigne des gens de guerre qui se
levoient dedans ce pays pour assister ledit de Longueval, na riens volu
confesser quelque torment quon lui ait fait et toutefois pour estre
homme charge par quatre qui ont persiste jusque s à la mort et aussi
confronte avec ledit Janus qui luy a dit en son visage, a este mardy der-
nier exécute, et combien que Ion eut peur que ne fit quelque exclamation
de son innocence, venant sur le hourd ne dit aultre chose sinon que
prioit tous les assistents quilz se gardassent de hanter maulvoise com-
pagnie destrangers.
La Royne avant que remettre le seigneur de Lumpnes frère de larchi-
diacre de Seray es mains dudit evesque, la volu faire confronter avec
ung Godefroy Dardenne dit Hatrival prisonnier à Vilvorde qui le charge
davoir entrevenu a ceste conspiration et pour auctoriser ladite confron-
tation a fait mander par ledit seigneur eveque un bourgmestre dicy et un
gentilhomme nomme le seigneur de Ghoquier lesquels sont aies en Bra-
bant et ne sont encores de retour. Aussy nest retourne ledit seigneur
evesque pour resoldre sur le fait des aultres prisonniers mesme dudit
Raes de la Mine et ce pendant suis icy sans riens faire et fust avec bon
loisir aie a Malines et retourne mais ne lay ose faire sans lordonnance
de lempereur ou de la Royne.
Jay escript à Mr. le prince dOrenges que les députez mont fait dire
que Ion pouroit bien révoquer les deux enseignes de piétons et quil
ny a ici aulcun danger de tumulte ou sédition et que de ce qui reste
des traistres et conspirateurs ils sont fors assez pour en faire la justice3.
De Liège, 26 août 1543.
Monseigneur a cest instant et comme je voulais serrer cette lettre jay
1 Ces deux conspirateurs ne furent exécutés que l'année suivante (voir Chapeaville).
* Cette lettre, comme on voit, explique le récit de Chapeaviile (voir t. III, p. 348).
1 Cette lettre se termine par des renseignements étrangers à notre sujet.
( 218 )
reçu celle de sa Majesté de xix de ce mois escripte a Bonn par laquelle
sadite Majesté me mande de continuer en ma charge et tenyr main a ce
que justice se fasse de manière que avant mon parlement la cite puisse
demeurer en bonne asseurance union et tranquillité et pour ce Monsei-
gneur que sadite Majesté entendra par ce que dessus lestât des affaires
jusques a cest heure ny sauroyt que adjouter sinon que j attends le retour
des commissaires envoyés en Brabant et response de la Royne de ce qui'
lui semblera se debvoir faire touchant les aultres prisonniers. Mr. de
Liège qui retourna hier soir me dit que ce jourdhuy nous aurons ladite
response dudit Liège. Ce xxvn daoust.
Charles Boisot.
xvii
, Lettre de Boisot à Charles-Quint, du 50 août 4545.
(Original, même liasse.)
Sire, hier matin Mr. levesque de Liège et les députes des estats me firent
remontrer que la Royne nauroit volu rendre Jehan dAremberghe seigneur
de Lumpnes es mains dudit seigneur evesque selon que ladite dame
lavoit consenti par ung acte du mi de ce mois dont la copie va avec
cestes, nestoit que sobligeast a la garde diceluy soubx le péril de ses
biens patrimoniaux, ce que ledit seigneur evesque dit navoir volu faire,
nestoit quil y eust matière pour lenserrer en prison et que ne se pouroit
asseurer de luy retenant la liberté quil a présentement, ce qui aussi aus-
dits députez ne sembloit raisonnable, mais que ladite dame Royne se
debvoit contenter que ledit seigneur evesque assignast pour prison audit
de Lumpnes lune de ses maisons ou forteresse du pays de Liège et que
iceluy de Lumpnes promest et se obligeast et pareillement la dame de
Serain sa mère comme il est contenu au mémoire icy joinct. Et pour ce
que Sire que ladite dame Royne les auroit remis à votre Majesté comme
dient lesdits députez iceulx seign. evesque et députez mont requis den
escripre à V. M. affin qu'il plaise a icelle les sur ce pourveoir, et con-
sentir ladite restitution estre faicte soubx lesdites conditions, ce que jay
volontiers fait pour faire cesser les aigres poursuites que ladite dame de
Serain fait pour sondit filz et procure le plus quelle peust de faire
assembler les xxxn mestiers pour leur en faire les doléances et les sti-
(416)
muler de faire la poursuite de ladite restitution pour elle, mais attendu
sur ce que cest affaire dépend de l'ordonnance faicte par ladite dame
Royne, me semble soubx la correction de votre Majesté quelle ny doit
pourveoir sans son advis lequel je pense elle envoiera de brief a votre
Majesté comme je luy ay ja escript.
Sire ledit de Lumpnes est charge par un Josselet prisonnier de Vil-
vorde davoir este en la maison du Val-Saint-Lambert située en ceste cite
lorsque larchidiacre Marca délivra audit Josselet la lettre pour porter
à Sedan questoit pour faire haster le seigneur de Longueval et estant
ledit Josselet confronte avec lui y. apersiste mais ledit de Lumpnes sou-
tient le contraire et a habandonné corps et biens si Ion treuve que depuis
un ang ença il soit este en ladite cite, sur quoy par charge et ordonnance
de la Royne jay requis lesdits seign. evesque et députez de faire interroger
ledit Marca et aultres que ledit Josselet afferme aussi avoir este presens
audit Val-Saint-Lambert, ce quils ont accorde et sont este contens que
mois-mesme je l'interroge ce que jay fait ce matin en présence desdits
seigneurs eveque et députés avec commination de prison fermée et tor-
ture si ne cognoissoit la vérité, mais en fin je nen ai riens peu tirer.
Sire jay reçeu ce soir les lettres de votre Majesté du xxix du présent
par lesquelles votre Majesté me commande daler à Metz en Loraine pour
les causes contenues en icelles lettres, a quoy sire je obéiray et veant que
les affaires dicy sont en bon estât aussi que Mr de Valence y est venu ce
mesme soir lequel sera beaucoup respecte par ce peuple et le contiendra
sa présence en la pacification et tranquillité qu'il est maintenant. Je me
délibère de partir samedy soir vers Louvain pour faire rapport a ladite
dame Royne de ce que jay fait touchant lexamen dudit Marca et aultres
et des la avec le congé de votre Mte et de madite dame Royne men irey
vers Malines pour donner ordre a mes petitz affaires, et ce fait je ne par-
tiray vers ledit Metz avec les instructions que sa Mte reginale me don-
nera et que je pouray retourner passant par Luxembourg. A quoy je
memployerai le plus que me sera possible pour le service de votre Mte
este et feray tout mon extrême debvoir pour remectre la cite en concorde
et unyon et la faire persévérer en lobeissance de notre ancienne religion
moiennant laide de benoist créateur qui doinst à votre Mte continuer en
ses très nobles victoires et conquestes, et le surplus de ses très hauts et
vertueux désirs à laquelle je très humblement que faire puis me recom-
mande de Liège le xxx août 1543.
Charles Boisot.
( 217 )
XVIII
Extrait hors de la congnoissance Jehan Noël aultrement appelé Jehan Pirht
fils Arnult le tourneur exécute en la cite de Liège.
[Papiers d'État et de l'Audience, liasse 25, sans date.)
Dist que environ trois mois avant sadite congnoissance faicte il a
•esté à Luxembourg ou que ung seigneur de France estoit qui lenvoya
a Coloigne pour pourté lectres à Damoiseau Guillaume de la Marck et
luy donna lesdites lettres cousues en cuyr disant quil se faisait recom-
mander à luy et quilz descendroyent aile valler le plustot que faire
pourroyent.
Item dict que pour pourté lesdites lectres ledit seigneur lui baillât
vingt escuz. Dict que suyvant la charge quil avoit il a présenté lesdictes
lectres à ung gentilhomme de la maison dudit damoyseaul Guillaume
audict Coulongne pour les donner audit damoyseaul Guillaume ce quil fit
car il lui rendit arrier lettres pour pourter audict seigneur.
Dict que ledict seigneur luy avait recharge et escolle que sil luy venoit
quelque hazar sur le chemin ou quil fuisse en doubte destre prisonnier
quil jectatz lesdites lettres arrier luy ce quil fist luy venu en retournant
auprès dune abbaye qui est dedans les boys appelée labbaye de Covet
pays de Liège la avant quil fust prisonnier jectat les lettres que damoi-
seaul Guillaume luy avoit donne en ung fosse auprès de ladite abbaye ou
qui fut pris et emmené a han sur heure.
Dict que ledict damoiseaul Guillaume quant il luy bailla lesdictes
lettres luy fit donner ung escu et ung chevaulcheur de Gueldre.
Confesse quil a demande à Godeffrin le Boulengier dit Boldert en allant
à Corunmoese sil vouloit venir avec luy en France au service du Roy il
lui feroit avoir argent tout plain et luy diroit des secrets si ne les vouloit
reveller et que les secrets qui lui voulloit dire estoyent des lettres quil
avoit pourté à Coulongne adressantes à damoiseaul Guillaume de Seraing.
Après lui a esté demande comment en quel lieu et quant lesdites lettres
luy ont este données par ledit seigneur de France pour pourter à Coul-
logne quelle charge il avoit de dire audit damoyseaul Guillaume et quelle
eonduyte il a tenu en portant icelles et ce que ledict damoyseaul Guil-
laume luy a dict.
Sur ce a dict et respondu que quant le camp du Roy estoit devant
( 218 )
Arlon le seigneur de France dessuz meneionne le tist appeler en sa tante
luy demandant sil vouldroit pourter des lettres à damoiseaul Guillaume
de Seraing a Coullongne lors ledit déposant respondit que il en estoît
content a donc pour ce faire ledit seigneur luy donna promptement vingt
escuz pour avancer son payement en promectant en oultre de son retour
le parpayer très-bien luy donnant lors les lectres quil debvoit pourter
cousues en cuyr disant tels paroles « tiens ces lectres faictes bien ton
debvoir de les porter à damoiseaul Guillaume de Seraing a Goulongne
et sil nest a Coulogne cherchez le la ou il sera et luy ditz que nous des-
cendrons aile vallée le plus brief que pourrons a grosse compagnye et
bruslerons tout le pays là où nous passerons.
Dict que ledit seigneur de France luy rechargeât que sil avoit rencontre
des gens plus forts que luy duquoy il se doubtatz quil gechastz les lettres
arrier luy.
Dict que luy venu a Coullongne pour adresser ses lettres il se fist mener
à la maison ou se tenoit damoyseaul Guillaume présentant lesdites lectres
à ung gentilhomme de la maison quy ne congnoissoit luy disant que ces-
toient lectres de France que ung tel seigneur envoyoit audit damoyseaul
Guillaume et ledict gentilhomme les prist et les allast donner audict
damoiseau Guillaume faisant par ledit gentilhomme entrer ledit depposant
en la cuysine de ladite maison ou il trouvât ung quidam qui luy baillât a
boyre et manger auquel il déclarât quil avoit lectres de France dont ledict
quidam luy demanda si ces toit pour avoir damoyseaul Guillaume en
France et il dict que oy.
Interroge comment il scavoit que cestoit pour lavoir en France dict
que ung quidam luy avoit dict lequel quidam estoit ceiluy qui lavoit venu
quérir pour venir parler audict seigneur de France en sa tante affin de
porter les lectres.
Luy a esté demande sil navoit point parle audict damoiseaul Guillaume
dict que le lendemain il parla a luy et que luy mesme luy donnast les
lettres responssives quil avoit apporte luy faisant donner ung escu et ung
chevaulcheur de Gueldre par ceiluy a cuy il avoit présente les lettres quil
avoit appourte et que lors ledict damoyseaul Guillaume avoit vestu une
longue robe ung pourpoin de satin ung sayon de drapt de damas ung fin
bonet a corne et en luy baillant les lettres ledict domoyseaul Guillaume
lui dist quil feisse bien son debvoir de porter lesdictes lectres audit sei-
gneur de France.
Interrogie sil fist le messaige audict damoiseaul Guillaume tel que ledict
( 219 )
seigneur lui avoit charge comme dessuz est declaire, dict que oy et que
ledict damoyseaul Guillaume luy respondit telles parolles pourquoy
ne sont-ils venuz plustost présentement la paix est faicte lempereur ra
les pays.
XIX
Extrait de la déposition de Piron, fils de feu Thonon le Texheur de Chockier,
acte du 48 février 1544.
[Papiers d'État et de l'Audience, liasse 48.)
1° « At dit et declaireit ledit Piron que droitement a la discarge des
boix de la paxhon il (qui avoit este garde des bestes) fut trouveit la
nuycte de S. André dernier passeit, du matin en la cuisine de Seraing le
cbestea * ou que après avoir mengié le soppe estoient eulx chauffans a
feu ung homme qui partout le maison estoit appelleit damoiseaul le b ou
Mons. le b et un aultre nomme le grand Libert le Ghaiet lequel b vient a
demander audit Piron, compaignon que feras-tu dorsenavant ton service
est icy finneit et où yras-tu? A quoi ledit Piron dist quil chercheroit ser-
vice ou ens Ardenne (?) ou ailleurs la autrefois avoy servy, surqoy ledit b
luy demandât sil scaroit voldroit ou oseroit bien aller en France et à
Sedan et y faire quelque messaige et a retour quil en feroit il ledit b lui
promettoit bailler une robe, ossy bonne quil mesme le portoit dont sur
quelque petite difficulté que ledit Piron faisoit à cause des rencontres sur
le chemin ou autrement ledit Libert le Ghaiet approchât disant « gaingne
compaignon, gaingne il fait bon gaingner et ledit b disoit quil ledit
Piron neuyst doubte ne source car il lui donneroit un passe port et
saulf-conduit de damoiseau Guillaume archidiacre de Liège, au moien
duquel il seroit gardeit et sy bien asseureit quil naroit empêche-
ment, etc., etc
1 Seraing-le-Château, en Hesbaye.
( 220 )
xx
Mandement impérial du 44 mars 4544 relatif au procès
de Jean de la Marck,
{Papiers d'État et de l'Audience, liasse 19, minute.)
Lempereur ayant fait revoir et visiter les pièces du procès demene et
instruit pardevant les echevins de la ville et cite de Liège dentre les
mambour et fiscal du reverendissime eveque de Liège demandeur et
calengeur dune part et Jehan de La raarck seigneur de Lumey défendeur
daultre, envoyé par aulcuns députes desdits echevins et oy le rapport a
fait dire ausdits députes quil sembloit à sa Majesté que ledit procès n'a
este si bien instruit et poursuivi que la qualité du délit et cas à lui impose
le requérait en tant mesmement que ledit demandeur na aucunement
reproche ni contredit les témoignages que ledit seigneur de Lumey a
produit en ses décharges ne aussi allègue aulcuns faits contraires pour
éluder et effacer les qualités et présomptions par lui alléguées et propo-
sées pour éluder et diminuer la mauvaise présomption contre lui mili-
tante, jaçoit qu'il y avoit a ce bonne matière et mesmement les practiques
et indus moyens dont larchidiacre de Serain son frère a use pour parvenir
à levesche dudit Liège tant auparavant que après le deces de feu le
cardinal de Liège, lassistance que ledit seigneur de Lumey a vraisembla-
blement fait à sondit frère tant en séjournant par bonne espace de temps
en ladite cite allant le plus grande part du temps secrètement arme et
muni contre tous insults que autrement ensemble, que autrefois il a
refuse daccepter une pension à lui offerte et présentée pour lattirer au
service et dévotion de sa Majesté que aussi ledit archidiacre a este le
principal promoteur de la conspiration et faction dernièrement y décou-
verte pour distraire ladite cite et pays de Liège du Saint Empire comme
il est suffisamment apparu par les commissions et dépositions de plu-
sieurs qui pour ce ont este exécutes tant es pays de sadite Majesté que
audit Liège dont vraisemblablement ledit seigneur de Lumey ne pouvait
estre de tout ignorant, lesquelles choses et autres que selon le bruict qui
court tant es pays de pardecha que audit Liège eussent fait peu changier
les mérites de la cause et plus apertement instruire et informer ceux qui
seront en la termination dudit procès. Neantmoins sa Majesté remet le
tout en la discrétion et prudence de ceux à qui la judicature en appartient
( 221 )
espérant quils auront regard à ce que leurs loix et privilèges soient
gardes et que cy après nul danger ou inconvénient en advienne et quil
sera pourvu au repos et tranquillité de ladite cite et pays de Liège et si
autrement que Dieu ne veuille en advenir suffira a sadite Majesté avoir fait
ladvertissement
Fait à Bruxelles le u« jour de mars XVe 44.
Lettre de Marie de Hongrie à Vévêque de Liège, du 40 décembre 4549.
(Papiers d'État et de l'Audience, liasse 43, minute)
Mon cousin. Ayant cydevant trouve par expérience que en partie les
sectes réprouvées par notre mère saincte église sont este espandues en
mes pays de par deçà par la négligence ou insuffisance de plusieurs cures
qui ne sont este tels quils debvoyent avec ce quils ne tenoient résidence
personnelle au lieu de leurs cures. Désirant y pourveoir daultant que en
moy fut au regard des cures estant a ma présentation je les ay fait oster
hors du rolle des bénéfices estant de mon patronage et ordonne que
quand aucunes cures escherront vacantes que nul y fut dénomme sans
informacion précédente de sa vie qualité et ydoneyte et en avoir ladvis
daulcuns bons personnages et a charge de faire résidence personnelle.
Et comme pour la mesme raison ma semble convenir que aultres patrons
et collateurs observent ceste voye chose requise et nécessaire pour
obvyer aux inconvénients passes et ayant entendu que par les décrets de
votre dernier synode il a este aussi consenti et ordonne que ceulx qui
seroyent par les collateurs ordinaires présentes et nommes aux cures
estants riere les pays de mon obeyssance debvont estre examines par
tels que députerez a ce je nay voulu laisser vous escripre la présente et
par icelle vous requérir que conforme a la conclusion de votredit synode
voulliez faire ladite deputation, enchargeant vos vicaires et archidiacres
de tenir soigneulx regard que ceulx qui seront pourveus ausdites cures
tiengnent personnelle résidence sans les faire desservir par aultres. Et
au surplus que en regard au temps qui court ils ne soyent si facilles a
dispenser de non résider. Aultrement si en ce trouvisse faulte pour non
( 222 )
donner occasion aux subgects de sen plaindre me conviendrait y pour
veoir riere les pays de mon obéissance comme de raison et selon lexi-
gence. A tant....
*YII
Réponse de Gérard de Grœsbeck et du chapitre de Saint-Lambert aux
ambassadeurs de don Juany du 30 novembre 4577.
(Archives du royaume : Documenta relatifs au pays de Lièye, carton n° II.)
Reverendissime et illustrissime seigneur Monseigneur Gérard de Groes
beeck evesque de Liège duc de Bouillon marquis de Franchimont conte
de Loz, etc. et Messieurs les doyen et chapitre de lEglise cathedralle de
Liège ayans receu de Monsieur le Baron de Wyltz et Monsieur Phebvre
conseillers du Roy catholique en son conseil provincial de Luxembourg
envoyez par Monseigneur don Jehan d'Austriche etc. lieutenant gouver-
neur et capitaine gênerai des palz bas du Roy catholique vers sa Grâce
reverendissime et Messieurs les Estats de son pais deux lettres closes de
son Alteze a sadite Grâce et sondit chapitre addressantes, et entendu ce
quen vertu dicelles lettres leur a este par lesdits seigneurs envoyez
declaire et requis, ont resoulu dy respondre et respondent ce, et comme
sensuit. Que quant a ce que lesdits seigneurs députez ont remonstre a
lendroict dalliance dentre sa Majesté catholicque et ses païz bas d'une,
et sa Grâce et son pays et subjectz d'autre part, Gomme cestuy poinct
est de si grande et principalle importance, quil serait nécessaire, quil
fust propose aux Estats du pais de sa Grâce, et que iceulx Estats y déli-
bérassent dessus et donnassent leur resolution lesquels Estais ne sont
présentement ensemble, sestans puis nagueres retirez vers leur logiz
pour la garde et asseurance en ceste turbulente saison de ce que leur
touche, sa Grâce et ledit chapitre ne pourraient pour le présent plus
avant respondre sur ledit poinct, ny aussy ny pourraient icelle sa Grâce
et sesdits Estats, quand mesmes ils fussent icy presens, riens resouldre
sans préalablement y dessus avoir eu la resolution et consentement de
la Majesté impérialle leur souverain seigneur et du S*-Empire. Que,
quant a ce que lesdits seigneurs envoyez ont remonstre a lendroict de
levées et amaz ou assemblées de gens de guerre sur le pais de sadite
( 223 )
grâce; na este ny ne sera de la part de sa Grâce permise aucune telle
levée ou assemblée et se feroient icelles au regret de sa Grâce, comme
elle ne vouldra faillir de le monstrer par le divertissement dicelles tant
quen elle sera, mais au regard de ce, quaucuns surseans du pais de sa
Grâce en pourraient aller servir dehors en tant pour lune que l'autre
partie, comme les gens par tant de calamitez de guerres appauvris
cerchent moyen de vivre et service de touttes parts, quand Ion essayerait
d'y mettre aucun ordre alencontre serait vrayment a doubter que ny
aurait lobeissance selon les edicts et défenses qui sen feroient ainsy que
son Alteze au regard de la disposition des choses daujourdhuy et de ce
quen cest endroict tant par le reste de lEmpire que ailleurs aussy se
faict, peult considérer.
Que, quant a ce que lesdits seigneurs envoyez ont declaire sur la
matière de vivres armes et autres munitions de guerre ; on ne doubte
que son Alteze ne scache que les constitutions et ordonnances dudit
Empire sur le paix publique dicellui Empire faictes et publiées ordonnent
libre traficq et commerce en forme et manière comme se peult veoir f>ar
icelles constitutions et ordonnances, selon lesquelles sa Grâce et son pais
se doibvent régler et conduire, aussy, quant aux vivres armes et muni-
tions de guerre, semblables denrées viennent communément a estre
amenées et furnies par des marchants estrangers trafiquant et passans
par le pais de sa Grâce, davantage quant a vivres les subjects de sa Grâce
en auraient bien grandement affaire pour eulx mesmes, attendu signam-
ment que les gens de guerre se mettans sur ledit pais en prennent de
faict bon ou maulgre que iceulx subjects en puissent avoir, et toutteffois
comme iceulx subjects ayment mieulx les furnir sur leur hazard et péril
parmy payement quen estre par voye de faict defurnis et spoliez, il ny a
de la part de sa Grâce ou de son pais aucun empeschement audit furnis-
sement ce que la journelle expérience peult monstrer par la bonne et
grande quantité de vivres dont lesdits subjeetz assistent et furnissent tant
par eaue que par terre les gens de son Alteze, au reciprocque de quoy
prient et requièrent sa Grâce et ledit chapitre que de la part de son
Alteze on ne mette plus outre empeschement que les subjects de sa Grâce
ne puissent estre assistez et furniz de vivres par leur circonvoisins
subjects de sadite Majesté, affin qua iceulx subjects de sa Grâce ne
vienne a estre amoindriz et oste le moyen de povoir continuer le furnis-
sement susdit lequel sans ceste mutuelle correspondance traficq et
entrecours de vivres leur deviendrait impossible.
( tu )
Que quant aux cmpeschements destourbiers desplaisirs ou oultrages
que au pais de sa Grâce seroient inferez par qui que ce fust subject de sa
Grâce ou autre a quiconque ce fust du service de sadite Majesté et
soubs la conduite de son Alteze en préjudice dudit libre traficq et
commerce il deplaisoit a sa Grâce et audit chapitre que cela y advinst,
et le cas advenant ne vouldroit sa Grâce faillir de monstrer a tout
son povoir par deue et exemplaire correction et chastoy le regret quelle
en auroit.
Et au reciprocque prient et requièrent sa Grâce et ledit chapitre que,
comme les subjects de sa Grâce ont este depuis ces nouvelles émotions
et troubles si mal et inhumainement traictiez par les gens de guerre du
service de sadite Majesté dessoubs la conduicte de son Alteze par plu-
sieurs sortes de concussions foulles et pilleries; son Alteze veuille mettre
par effect si bon estroict et preeis ordre a la conduicte de sesdits gens de
guerre, quils se déportent dicy en avant des foulles et desordres susdits,
aussy que de la part de son Alteze ne soit plus oultre mis aucun empê-
chement a ce que ceulx des villes de sa Grâce faeent venir en icelles villes
grains ou autres vivres du plat pais de sa Grâce.
Que quant a ce que lesdits seigneurs envoyez ont requiz par sa Grâce
et son pais cstre pourveu a ce que la ville de Dynant ne vinst a estre
saisie par les gens de guerre du service des Estais generaulx desdits paiz
baz, l'on espère, Dieu en aide, tellement pourveoir et de faict a on desia
commence pouveoir a la garde et asseurance de ladite ville, comme
aussy des autres villes et places fortes du pais de Liège, que de la part
de sa Grâce et de son pais en sera respondu vers sadite Majesté impe-
rialle et ledit Empire ou il conviendra en respondre.
Que, au reste sa Grâce et ledit chapitre ne vouldront faillir de continuer
tous offices de bonne voisinance et amitié et suyvant leur affection chris-
tienne et fraternelle et especiallement conforme au debvoir de la bonne
voisinance et amitié susdites souhaient et prient, comme ne cesseront
signamment en regard de leur vocation prier continuellement notre
seigneur Dieu que les presens mesentendemens émotions et troubles
puissent cesser et estre par bonne et amiable manière assoupis.
Faict a Liège le xxxe et dernier jour de novembre lan XVe septante-
sept.
Par especial et exprès mandement et ordonnance de sa Grâce
reverendissime et Illustrissime et de sondit chapitre,
Lampson.
( 225 )
XXIII
Lettre de Philippe II à Ernest de Bavière. (Copie.)
(Archives du royaume: Documents relatifs au pays de Liège, carton II).
Mon bon cousin. Pour ce que jusques a ores nay entendu quelque bonne
resolution votre et de ceulx de votre pays de Liège sur lentretenement
des traictez de paix et alliance entre mes prédécesseurs et vous avecq les
estatz de votredit pays de Liège, suivant ce que vous en ay escript hui-
tième d'octobre de lan passe *, mais quau contraire Ion y procède bien
diversement de ce que attendoy, la présente sera pour vous requérir que
donnez ordre a lobservacion des traictez ou bien que en déclarez votre
intention afin que je puisse pourveoir a ce qui conviendra à la garde et
seurte de mes pays voisins aux vôtres et que soient évitées les occasions
qui pourroient troubler les affaires ayant donne charge a mon cousin le
comte de Mansfeld, chevalier de mon ordre, lieutenant gouverneur et
capitaine gênerai de mes pays dembas et de Bourgoingne de faire vers
vous les devoirs quil convient.
A tant, mon bon cousin notre seigneur vous ayt en sa sainte garde.
De Madrid le 6 février 1593.
Philippe.
* Nous n'avons pas retrouvé cette lettre, non plus que la réponse d'Ernest de
Bavière à la dépêche ci-jointe.
Tomb XLI. 18
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Introduction
Table des sources citées
Chapitre premier. — La neutralité liégeoise à la fin du XV siècle ... 41
Puissance territoriale de la maison de Bourgogne au XVe siècle. — Situation
politique et militaire de la principauté de Liège. — Maladresse des Bourgui-
gnons à l'égard des Liégeois*. — Rôle réservé eux Habsbourg dans les Pays-
Bas. — Débuts de l'adminiMration de Maximilien. — Rivalité de la France
et des Pays-Bas. — La neutralité proclamée par les états liégeois en 4402.—
Guerre des Pays-Bas et de la Gueldre. - Élection d'Érard de la Marck. —
Attitude équivoque de Maximilien à T égard d Érard de la Marck. — Habi-
leté politique d'Érard.
Chapitre II. — Le traité de Saint-Trond de 15 i8 23
Robert II de Sedan et Érard de la Marck. — Hostilité de François I*r
contre les la Marck. — Érard et Robert II de la Marck proposent une alliance
de leurs États à Charles d'Autriche. — Avantages de cette alliance pour
l'archiduc Charles. — Substance du traité de Saint-Trond. — Ce traité se
rapprochedu traité de 1398.— Conséquences du traité de Saint-Trond pour
les Liégeois. — La principauté de Liège partage désormais les destinées des
Pays-Bas. — Érard se laisse guider par des considérations financières autant
que par des raisons politiques. — Maximilien octroie des privilèges aux
Liégeois. — Il leur conseille de ratifier le traité de Saint-Trond. — Le tiers
étal oppose une résistance inattendue. — Intervention du prince -évéque.
Chapitre III. - Projets de Charles-Quint sur la principauté de Liège . . 36
Traité secret de Saint-Trond du 27 avril 4548. — Caractère de ce traité. — Il
n'est pas soumis au vole des états. — Érard favorise l'avènement de Charles
à l'empire. — Robert de la Marck rompt avec le parti impérial. — Révolte
à Liège. — Érard reste fidèle à Charles- Quint. — Traité secret de Bruges
( 228 )
Paffft.
de 4524. — Projets ambitieux de Charles-Quint. — Rôle étrange du prince
de Liège. — Avantages pour les Pays-Bas du traité de Saint-Trond. — Érard
de la Marck figure parmi les conseillers de Marguerite d'Autriche. — Assis-
tance fournie par le prince -évèque de Liège aux Pays-Bas. — Charles-Quint
a compris l'importance de l'alliance liégeoise. — Conséquences politiques
du traité de 4848.
CHAPITRE IV. — Charles-Quint et les ccadjuleurs de Liège 47
Charles-Quint propose an chapitre caihédral la coadjutorerie de Corneille de
Berghes. — Concordats de 4422 et de 4448. - Influence de Charles-Quint
auprès de la curie. — Habileté de Charles- Quint à l'égard du chapitre. —
Répugnance de Corneille de Berghes pour la dignité épiscopale. — Embarras
de Marie de Hongrie. — Prétentions d'Ërard de la Marck. - Proposition
d'un second coadjuteur. — Mort d'Érard. — Avènement de Corneille de
Berghes. — Titres des candidats à la coadjutorerie. — Présentation de
Georges d'Autriche. — Sa nomination par le chapitre. — Son emprisonne-
ment en France. — Nouvelles démarches de la cour des Pays-Bas. — Déli-
vrance du coadjuteur. — Coadjutorerie de Robert de Berghes. — Avan-
tages pour Charlc s-Quint de la nomination de coadjuteurs. -
Chapitre V. — Marie de Hongrie et le prince- évéque Corneille de Berghes.
Ambassade à Liège de Philippe Nigri et de Florent d Egrnont, comte de Buren.
— Situation troublée de la principauté. — Intrigues du chanoine Guillaume
de la Marck. — Corneille de Berghes accepte la dignité épiscopale. — Son
séjour à Curange. — Sa mélancolie. — Activité du comte de Buren. — Cor-
neille fixe le jour de son entrée solennelle. — Proposition d'une revision du
traité de Saint-Trond. — Refus des états. — Nouvelle lévolte en Gueldre. —
Guillaume de Clèves propose aux Liégeois de rester neutres. — Réponse de
la gouvernante des Pays-Bas. — L'acceptation de la n< utralité serait de la
part des[ Liégeois une violation du traité de Saint-Trond. - Correspon-
dance active de Marie de Hongrie avec les autorités liégeoises. — Beaucoup
de Liégeois souhaitent le rétablissement de l'ancienne neutralité.— Politique
astucieuse du roi de France. — Le salut de la principauté dépend du main-
tien de son alliance avec les Pays-Bas.
Chapitre VI. — La conspiration des la Marck et la mission du conseiller
Boisot
Ambition des la Marck. - Une nouvelle conspiration éclate à Liège en faveur
de la France. — Découverte du complot. - Ambassade à Liège de Philippe
Nigri et de Charlesde Bernenicourt. — Mission du conseiller Boisot. — Ses
lettres à Charles-Quint et à Nicolas de Granvclle. — Interrogation du
chanoine Philippe de .la Marck. — Exécution des conspirateurs. — Procès
de Jean de la Marck, seigneur de Lummen. — Intrigue de l'archidiacre de
Seraing. — Mort des deux frères Guillaume et Jean de la Marck. — Carac-
tère de l'intervention de Marie de Hongrie dans les affaires liégeoises, —
68
{ 229 )
Paies.
Diplomatie de Charles- Quint. — Son passage par Liège le 5 janvier 1544.
CHAPITRE Vif. — Histoire des contestations politiques, judiciaires et reli-
gieuses de Charles-Quint avec le pays de Liège 111
Souveraineté indivise des ducs de Brabant et des évoques de Liège à Maes-
tricht. — Rivalité de Charles- Quint et d'Érard de la Marck. — Concordat de
1546. — Difficultés territoriales, fiscales et judiciaires soulevées entre le
pays de Liège et les provinces belgiques. — Concordat de 4548. — Étendue
du diocèse de Liège. — Intervention fréquente des diocésains dans les
affaires (brabançonnes. - Altitude de Charles- Quint. — Bulle du 15 juillet
1515. — François vander Hulst est nommé inquisiteur général des Pays-Bas.
— Il est destitué et Érard de la Marck est investi de ses fonctions. —
Marguerite d'Autriche s'oppose à l'exécution du bref papal.— -Charles-Quint
réussit a restreindre le puissance du clergé dans ses États néerlandais.
Chapitre VIII. — A vènementde Gérard deGroesbeck 199
Invasion des Pays-Bas et de la principauté de Liège par les Français. — Création
de nouveaux évéchés — Proposition de Marguerite de Parme d'adjoindre un
coadjuteur à Robert de Berghes. — Le chapitre élit Gérard de Croesbeck.
Maladie de l'évéque. — Le chapitre réclame de l'évéque la résignation de ses
fonctions — Résistance de Robert. - Nomination définitive de Gérard de
Groesbeck. — Ambassade du comte d'Aremberg. — Caractère du nouvel
évoque.
Chapitre IX. — Alliance des gouverneurs généraux des Pays-Bas et de la
principauté de Liège pendant la révolution religieuse du X VI* siècle . . . 139
Compromis des nobles et pillage des iconoclastes.- Nomination du duc d'Albe.
— Révolte de Maestrichr. — Correspondance de Marguerite de Panne et de
Gérard de Groesbeck. — Mission du conseiller Berty. — Expédition du duc
d'Albe contre le Taciturne.— Entrée des soldats néerlandais dans les forte-
resses liégeoises. — Le conseil communal de Liège rejette les propositions
du Taciturne. — Rapports de Requesens et de l'évéque de Liège. — Avène-
ment de don Juan. — Rapports d'Alexandre Farnèse avec Gérard de
Groesbeck. — Nomination d'Ernest de Bavière. — Paix de Vervins.
Chapitre X. — La nouvelle neutralité liégeoise 160
Pacification de Gand. — Entrée de don Juan dans les Pays-Bas. — Médiation
de Gérard de Groesbeck. — Rupture de don Juan avec les états généraux. —
Gérard de Groesbeck et les états liégeois sont résolus à garder la neutralité.
— Ambassades successives à Liège du seigneur de Saventhem; du seigneur de
Froidmont et'de Nicolas Oudart; du seigneur de Froidmont et du seigneur
de Melroy. — Refus du prince de Liège d'accepter l'alliance des états géné-
raux. — Ambassade de Jean de Wiliz et de Jean Lefèvre, envoyés par don
Juan.— Gérard de Groesbeck oppose au gouverneur etpagnol le même refus
( 230 )
qu'aux députés des états généraux. — Hostilité des Liégeois contre les
Espagnols. — Excès des soldats étrangers. — Misère du pays. — Plaintes
de don Juan et d'Alexandre Farnèse. — Le comte de Mansfeld ?eut renou-
veler l'alliance de 4548.— Correspondance de ce gouverneur avec Ernest de
Bavière. — Abandon de l'alliance de 4548.
Conclusion 179
Ambition des Habsbourg. — Pourquoi le pays de Liège a-t-il gardé son indé-
pendance ? — Importance pour les souverains des Pays-Bas de l'alliance lié-
geoise. — Sagesse politique des Liégeois. — Appréciation de la politique
d'Érard de la Marck, de Gérard de Groesbeck et d'Ernest de Bavière. — Le
pays de Liège fut plus heureux au XVI* siècle que les Pays-Bas.
Pièces justificatives 187
I. Traité secret de Saint-Trond du 37 avril 4548. (Copie) 488
II. Lettre de Maximilien aux Liégeois, sans date (minute) 493
111. Traité secret de Bruges, du 30 août 4534 491
IV. Lettre de Corneille de Berghes à Marie de Hongrie, du $3 avril 4543. . 495
V. Lettre de Marie de Hongrie aux Liégeois, du 5 mai 4543 (minute) . . . 196
VI. Instructions pour Jehan, seigneur de Noirthoudt, conseiller et maître
dhostel de la royne de ce quil aura afaire vers levesque de Liège ou
sa Majesté lenvoye présentement 496
VII. Extraits de l'instruction donnée par Marie de Hongrie à Philippe Nigri
et au comte de Buren, le 8 février 4538. (Copie) 497
VIII. Lettre de Marie de Hongrie au vice-doyen et chancelier de l'Église de
Liège, du 36 juillet 4543 496
IX. Lettre de Charles-Quint à l'évoque de Liège, de juillet 4543. .... 499
X. Instruction à vos mess. Charles Boisot, conseiller destat et maître des
requestes ordinaire du conseil de lempereur de ce que arez à dire
déclarer et requérir de la part de Sa Majesté devers levesque de
Liège le chapitre et les bourgmestres et echevins dudit Liège . . . â00
XI. Lettre de Charles Boisot à Charles-Quint du 4 août 4513 30*
XII. Lettre de Boisot à Granvelle, premier conseiller d État et garde des
sceaux de l'empereur, du 7 août 4543. 306
( 231 )
Pages.
1111. Copie de la lettre de l'archidiacre de Hainaut du 7 août 1543 au
président Schorre 908
XIV. Lettre de Charles-Quint à Boisot du 4i août 4543 211
XV. Lettre de Boiaot à Charles-Quint du 15 août 1543 911
XVI. LettredeBoisotàGranvelledu26aoùtl543. 913
XVII. Lettre de Boisot à Charles-Quint du 30 août 1543 915
XVIII. Extrait hors de la congnoissance Jehan Noël aultrement appelé Jehan
Pirlot fils Arnult le tourneur exécute en la cite de Liège 917
XIX. Extrait de la déposition de Piron fils de feu Thonon le Texheur de
Chockier, acte du 18 février 1544 919
XX. Mandement impérial du 11 mars 1544 relatif au procès de Jean de la
Marck 990
XXI. Lettre de Marie de Hongrie à l'évoque de Liège du 10 décembre 1549. . 991
XXII. Réponse de Gérard de Groesbeck et du chapitre de Saint-Lambert aux
ambassadeurs de don Juan du 30 novembre 1577 992
XXIII. Lettre de Philippe II à Ernest de Bavière du 6 février 1593 .... 995
SERMONS DE CARÊME
EN
DIALECTE WALLON,
TEXTE INEDIT DU XIIIe SIÈCLE
PUBLIÉ PAR
EMMANUEL PASQUET.
(Présenté à la Classe des lettres dans sa séance du S décembre 1837. j
Tome XLI.
SERIONS Dl G4RÊ1E
EN DIALECTE WALLON.
INTRODUCTION.
Le texte que nous publions plus loin a été copié dans un
manuscrit sur parchemin appartenant à l'Université de Gand
(fonds Serrure, n° 1). Ce volume, petit in-4°, composé de
242 feuillets, a appartenu à l'abbaye de Saint-Jacques ù Liège,
comme le prouve l'inscription suivante, d'écriture ancienne,
qui se trouve à l'intérieur de la couverture : Liber monasterii
Sancti-Jacobi leodiensis in quo continenlur summa magistri pétri
Cantons de penitentia. Ce manuscrit est composé des pièces
suivantes, dont je crois devoir donner la liste complète à cause
de l'intérêt que présentent quelques-unes d'entre elles :
Fol. 1 - 39. Summa magistri pétri Cantons de penitentia.
40 - 62. Cantiea canticomm.
Avec glosas marginales.
64-91. Alique epistole extracte de epistolis sancti Jheronimi.
92-107. B» (Bernardus) de precepto et dispensatione.
108-112 r. Epistola sancti Bernardi ad Hugonem superiorem inagis-
trum militie templi.
412v.- 123. Apologeticus beati Bernardi.
424-127. Incipit qusedam epistola Bernardi.
128-130. B. Bernardus. De dignitate anime.
— 4 —
Toi. 131-132 v. Gregorius.
132 v. -634 r. Incipiunl autoritates AgUstini.
134 r. - 134 v. Jeronimus.
134 v. Ysydorus. Incipit de beato Ambrosio.
135-139 r. Parabole.
139 r. - 140 v. Transite ad me omîtes qui conçu pisci lis me et gene-
rationibus meis implebimini. Geste parole si dist nostrv
dame en l'epistole del jor d'ui.
Ce sermon me semble dater de la fin du XIJ1* siècle ; il est écrit dans U
langue française centrale, sauf quelques traces d'influence des dîaJsctes
de l'Est (bial, promeratns, assegurance ).
14M45. Tabernaculum in monte : idest tabernnculum dci «*om
hominibus sic composition est.
146-153. Notre texte.
154-189. Incipit liber de duobus monachis.
Glaustralis uite quondam sanctissimus ordo
Imbue rat monachos religione duos.
Poème en vers hexamètres et pentamètres alternés.
190-192. Ces feuillets ont été coupés.
193-198. Incipiunt sompnia Danielis.
Arare qui viderit ingenium significut.
Aslra celi videre magnam letitiam.
Asinum supersedere laborem vel infer mi talent.
La clef des songes en latin, liste alphabétique donnant la signification de*
choses qu'on voit en rêve.
199-302. Extractum de libro qui incipit : Préparâtes eiira correp-
tionem proximi maxima cantela adhibenda est.
203-212. Summa dictaminis Guidonis.
213. Epistolarum magistri Pontii.
Manuel épistolaire contenant lettres et réponses, coté I à XXII.
Summa iouis de arte dîctandi.
Huit feuillets sans pagination.
Les pièces qui composent ce manuscrit ont été écrites à
différentes époques du XIIe au XIVe siècle. Quant à notre texte,
qui a dû former primitivement un cahier séparé, un excellent
juge dans les questions paléographiques, M. Stanislas Bormans,
- 5 —
penche à croire que récriture ne peut pas en être postérieure à
la première moitié du XIIIe siècle. Nous chercherons a en fixer
la date après l'examen sommaire que nous allons en faire au
point de vue philologique. L'écriture est généralement lisible,
mais il y a quelques abréviations arbitraires : souvent la lettre
initiale seule représente un mot déjà exprimé. Ce système de
sténographie est employé plusieurs fois pour des citations de
r Ecriture. Le scribe est d ailleurs négligent et il y a des répé-
titions et des lacunes.
Notre texte forme une suite de neuf sermons prononcés à
l'occasion du carême ; il est incomplet à la tin, nous n'avons
que le commencement du sermon pour le jour de Pâques. Il
est évident qu'il manque un feuillet. Ce feuillet devait déjà
avoir disparu quand le cahier a été .relié dans le volume,
attendu que la pagination générale n'a ici aucune lacune.
Nous croyons que ces sermons ont été prononcés en français
et ne sont pas traduits du latin, car il faut remarquer pour les
sermons traduits, pour ceux de saint Bernard, par exemple,
que les citations de l'Écriture ne s'y rencontrent pas en latin :
elles ont été traduites avec le reste, tandis que, dans notre
texte, elles se trouvent en latin d'abord, puisénoncéesen roman
pour les auditeurs.
Ces sermons, qui ne présentent guère d'intérêt au point de
vue littéraire, ont leur importance pour la philologie : placés
chronologiquement entre les œuvres littéraires récemment
publiées et les chartes du XIIIe siècle, ils peuvent aider à élu-
cider certaines questions controversées et à mieux préciser les
traits caractéristiques du dialecte wallon à cette époque. Pre-
nons un exemple : nous trouvons réunies dans notre texte les
formes puisons et puissiens (subj. prés.); nous avons ainsi la
— G —
preuve que le puissiens des chartes et de Job, forme postérieure,
a coexisté avec le puisons des Dialoge et du Poème moral; il n'y
aurait donc pas, comme le croit M. Suchier * à propos de ces
deux mots, différence de dialecte, mais plutôt succession de
formes dans un même dialecte.
Dans les quelques notes qui suivent je m'occuperai surtout
des points sur lesquels il y a doute ou obscurité ; le double
astérisque (**) indique ce qui me semble appartenir exclusive-
ment au wallon.
Quand je parle des textes littéraires wallons, j'entends /i
Dialoge Gregore, Job et le Sermo de Sapientia, édités par
M. \V. Foerster (Niemeyer, Halle) ; le Poème moral, dont M. Paul
Meyer avait donné des extraits importants et qui vient d'être
publié en entier par M* Cloetta (Deichert, Erlangen); le Ver (M
juïse et la Vie sainte Juliane, édités par M. von Feilitzen (Ber-
ling, Upsala); les Poésies religieuses, en dialecte liégeois, d'après
le texte donné par M. Meyer dans la Revue des sociétés
savantes, série S, t. VI, p. 241. Le dialecte de ces différentes
œuvres est remarquablement pur; je laisse de côté le fragment
des Machabées, le Mùnchener Brut et d'autres ouvrages où Ton
rencontre des formes wallonnes, mais où le mélange des
dialectes offre une base trop incertaine à l'observation.
1 Dans son article sur le dialecte du Saint- Léger3 dans la Zeitschrift
Fl R ROMANISCHE PHILOLOGIE . Il . 235 Sq.
7 —
ORTHOGRAPHE.
**L mouillé est généralement rendu par Ih : pailhe, 130 v.,
vuelhe, 151 v., etc.; il y en a des exemples presque à chaque
page. Une ou deux exceptions : orguel, 148 v., orelle, 149 v.
On remarquera le Ih à la tin des mots ou / n'est plus mouillé
maintenant : filh (filii), 149 r.,perilh, 152 v. et même ilh et cilh ;
toutefois ces derniers sont souvent écrits il et cil.
JV mouillé est rendu par :
1. ng, esloinge (éloigné), 151 r.
2. ngn, vengne, 146 v.
3. gn, aveigne, 149 r.
I «a le. A côté de volentiers, 151 r. et 151 v., nous lisons
volentirs, 147 v. et 151 v., de même devint (3e pers. sing. prés,
ind.), 147 r. et avient, 147 r., mestirs, 151 r., mestiers, 149 v.,
irt (iertj, 147 r.
Le chuintement est fréquent devant e, i : amincier et anun-
chier, 151 v., comencierent et comenchierent, 152 v., mercit,
148 v. et merchit, 148 r. Ce chuintement peut servir d'indica-
tion pour la date de nos sermons : s'il est fréquent dans les
chartes du XIIIe siècle, il n'existe pas dans les textes plus
anciens et il n'a pas laissé de traces dans le patois moderne.
Le % représente souvent ti latin suivi d'une voyelle
(moderne c, ss) : graze, 147 r., etc., lezon, 148 r., 150 v.,
avarize, 147 v.; nous trouvons à côté lechon, 149 r., grasces,
150 v.; le % qui est employé le plus souvent dans ce cas par
les textes littéraires a disparu des chartes du XIIIe siècle (sauf
pour le mot ecclésiastique graze); il y a là, comme pour le
chuintement, une indication chronologique à laquelle nous
reviendrons.
— 8 —
PHONÉTIQUE.
a latin.
ails «s ex, enguez, 152 r., mortez, 152 v.
aient, 1. cil, queil, 152 v.
2. el, mortel, 152 r.t avec supp. de /, morte, 448 v:
3. al, celestial, 150 r.
aies, 1. cl», queis, 150 r.
2. eli, avec supp. de /, charnes, 149 v.
3. al», loials (reg. f. plur.), 148 v.
atum, aient, 1. elt, deliurcit, 152 v., etc.
2. et, e, porlet9 146 v., etc., poeste, 147 r., citet, 152 r.
Ce mélange des formes ext, et (e) s'observe dans les chartes
<lu XIIIe siècle; voyez également le Poème moral, 147.
atant = ee, chantée, 151 v.
Le part, passé fém. des verbes en ter est le : enpirie, 14# v.
a libre =* ai, représente par e i levé (lavât), 150 v.
De même a -♦- 1 = e : gleve, 453 r.
e latin.
c libre = le (f), siere, aconsiere *(sëquere), mides (mëd'cus).
Jean d'Outremeuse a également miede.
ellus =» las, biaz, 153 v., vermissiaz, 246 v., muiuz
(*mutellus, Jean d'Outremeuse, muweals), vermissiaz dans le
Sermo, 293, 1.
On regarde généralement clins, ellum = iaz, ial comme
une forme particulièrement picarde, mais cette forme s'éten-
dait très loin dans le pays wallon, comme l'indique le patois
de Namur et d'une partie de la province de Liège, ainsi qu'un
grand nombre de noms de lieux terminés en latin par le
diminutif clin*.
— 9 —
Je ne cite que les noms dont l'étymologie ne peut être mise
en doute :
Province de Liège. Champia campellum (Wanze, Antheil),
Chenia *quesnellum (Huccorgne), Poncia ponticellum (Geer).
Province de Namur. Champsiat campicellum (Andenne),
Monda monticellum (Thynes lez-Dinant), Coria corylum (?)
(Warisoulx).
Province de Hainaut. /itamcml (Lcssincs), Monda (Farciennes).
Province de Brabant. Chenia (Baisy-Thy).
Si Ton tire en partant du pays flamand dans les environs de
Landen-Waremme une ligne allant du nord au sud, qui tra-
verse la Meuse à 10 kilomètres environ en aval de Huy, à
23 kilomètres en amont de Liège et qui suive en remontant le
cours du fleuve à une distance de 20 à 30 kilomètres à Test
jusque vers Givet où cette ligne se dirige à l'ouest, on a la
démarcation de cette particularité de l'idiome : à l'ouest de
cette ligne ellum est rendu par ia (ta/), à Test par ay {eat). Voici
des exemples de ay tirés de la province de Liège : Fawetay fagi-
tellum (Cerexhe-Henseux), Viernay *vernellum(Xhendremael),
Sarlay *sartellum (Cheratte). Ce dernier se trouve également à
Awenne (Luxembourg). Dans le Hainaut, en se rapprochant de
la Picardie, on rencontre, à côté de ia> la vraie forme picarde
où le /, au lieu d'être muet, se transforme en u : Mouligniau
(Forchies-la-Marche), Sartiau (OEudeghien, Ostiches, Thiri-
mont), Quesniau (Montignies lez-Lens).
Notre conclusion est que la terminaison iaz, ial9 dans un docu-
ment ancien, n'est pas un indice certain d'une origine picarde.
ellum, elll = 1. cl i bel, 150 r. El est assez fréquent dans
les Dial. : chas tel, 104, 8, rastel, 125, 18; mais la forme wal-
lonne régulière est eal.
2. Ici : vei%missiel, 146 v., sans doute sous l'influence de la
sifflante.
c devant r géminé = c : terre, 146 v., etc. Une seule excep-
tion : lierre, 151 v.
- 10 —
La diphthoogaison de IV en ie devant r -+- cons. et s -+• cons.
ne semble pas être, en wallon, antérieure à la fin du XIIe siècle
ou au commencement du XIIIe; si elle est absente des textes
littéraires, elle se rencontre assez souvent dans les chartes et
est la règle dans le patois d'aujourd'hui.
Certains noms de lieux nous donnent, sous ce rapport, des
indications précieuses. Le village qui s'appelle actuellement
Vierset (près de Huy) est nommé Versoiz dans un diplôme de
1160 et Versez dans une charte de 1178; une autre charte
donne la forme Versailh : la racine doit être un dérivé de
*bersa. Les documents appellent Ernau en 1016, Ernaus en
1101 le village actuel de Yernawe. De même Hierge s'appelle
Herge en 1112 *.
lllos = cas, 146 v., etc.
c -4- 1 primitif ou secondaire :
1. el i mexmesy 146 r., meismes, loi r., etc.
2. I : parmi, 146 r., etc; Hz (lectos), 148 v.
Les Poésies religieuses ont meimes, II, 23 et piz, v. 6; le
Poème moral et H Ver dejuïse ont e -♦- i = i ; cependant plu-
sieurs mots du patois moderne semblent prouver que, dans
un certain nombre de cas au moins, e -*- i formait eif ce qui
est la règle dans les Dialoge. Exemple : lé (lectum), mexc nulle
(média nocte). En tout cas nous ne croyons pas que l'on puisse
faire, comme le voudraient plusieurs philologues -, de la
manière de rendre e •+■ t le critérium du dialecte ; les Dialoge
même ne suivent pas toujours la règle de IV», on y rencon-
tre assez souvent i : lit, 187.6, 269.21, 270.15, dis (decem),
281.16, etc.
1 Voir le Vocabulaire des noms de lieux de la Belgique orientale, par
Ch. Grandgagnage ; on trouvera dans cet ouvrage d'autres exemples
analogues.
* Voir Cloetta, Poème moral, 41 ; l'article de Suchier sur le dialecte
du Sl-Léger, Zcitschrift fur romaniscfie Philologie II , et Jenrich, Mundart
des Miïnchener Brut.
— il —
ë, ï latins.
*+i
In rendu par a devant deux consonnes : astalet, 151 v.,
astaleie. DiaL, 240.7, aclin, Poème moral, 219*.
»
i de in suivi d'une voyelle rendu par a : anoier, 148 v.,
miemis, 149 v. (aussi ennemis, 149 v.).
Anemis se rencontre dans plusieurs dialectes; anoiouse,
Job, 306.18.
c (7) -*- 1 « ol : voilent (vïgïlant), 152 r. Abrégé en o : sololh
(soliculum), 153 v. Le nominatif est solos, 11)3 v.
Le patois actuel dit également solo. DiaL a soloilh, 129.21 à
côté de soleilh, 103.23, Job, soloilh, 301.10.
ô, fi latins.
0 -4- 1 = 1 . al t tuit, 147 v., hui (hodie), 147 r., anui, 150 r.,
ttùioses (otiosas), 151 r.
2. ol : oile (olea, pi.), soi (sui), 149 r., 153 r., proimes, 149v.;
fréquemment dans la syllabe atone : noisous fnoxiosos), 148 r.,
mwier finodiare), 148 v.
01 abrégé en o : ol (audit), 151 v.; c'est encore la forme du
patois, lequel dit également aie par abréviation de oile.
Plusieurs mots du patois semblent appuyer o -*- i = oi ;
Outre ôle nous pouvons citer troie, français truie, mais Uoium
(nom de lieu) donne Ilu, français Huy,. comme noctein donne
nulle, français nuit; la règle comporte donc un certain nombre
< l'exceptions.
J latin.
■ = o dans **promier, 146 r., etc.
0 latin.
0 = 0 dans on (unum), 152 v. et son composé alcon, 148 v.
— 12 —
CONSONNES.
e, qu. Entre deux voyelles rendus par :
1. * t enguez, 152 r., aiguë, 153 r., assegures, 148 r. On sait
que dans les autres dialectes la transcription habituelle de
securus est seùrs, securitas, seùrteit; les Dialoge ont segurteit,
265.2, le Poème moral, segurs, 365*, etc.
2. w i lowier, 146 v. (Mocarium; je laisse de côté la questiou
de savoir si w sert simplement à combler l'hiatus ou s'il repré-
sente la progression régulière e = g *= w)\ aiwe, 150 v. Le
Poème moral a également les deux formes aiguë, 32*, aiwe, 63'.
g initial rendu par c dans covenier, 153 v. Le patois moderne,
par une tendance assez analogue, dit cras, conservant le c éty-
mologique qui est en français rendu par un g ; toutefois je ne
connais pas d'autre exemple de cette transformation du g initial.
Il me semble qu'il y a quelque chose de ce genre dans VEzéchiel,
mais je ne puis pas vérifier pour le moment. Coverner n'est
pas cité par Godefroy.
g entre deux voyelles rendu par w dans bienewiret, 146 r.;
comparez le mot du patois wallon aweure = heur, fortune. II
n est guère douteux que bienewiret vient de bene augurali,
comme le bienaureit (bienaûreit) des Sermons de Saint Bernard,
édit. Foerster, p. 44.5.
I supprimé dans l'article al, del : poeste a dyable, 147 rM
a deu del chiel, 150 v., al ior de jugement, 151 r.
Cette suppression, qui se retrouve dans le patois moderne,
est notée également par M. Foerster (Lyoner Yzopet) dans le
dialecte de la Franche-Comté; je ne crois pas qu'on Tait
observée ailleurs que dans ces deux idiomes de Test.
1 se supprime également dans les adjectifs en el (voir plus
haut alis), auxquels nous pouvons joindre le cas analogue,
subliment, 146 v.
— 13 —
Il abrégé en I dans qu't, 147 v., 151 r. (écrit qui); peut-être
est-ce une simple négligence du scribe.
Après a, 1 suivi d'une consonne disparaît ou persiste, mais
ne se change pas en u : aques (aliquid), 146 v., hatece (altitia),
147 v., communameiit, 148 r. Exceptions : autre, 147 r. (géné-
ralement écrit altre, 146 v., etc.) et fauz, 146 v.
u intercalaire dans ensaievet, 150 r., enguez, ioi r., renpen-
tir, 151 r.; toutefois, à côté de ce dernier nous avons dans la
même page repent, repentant.
GRAMMAIRE.
ARTICLE.
U, le sont employés pour l'article féminin; toutefois 'y.
n'observe U féminin que devant des voyelles, ce qui est d'usage
général : U escriture, 152 v., H aiguë, 153 r. Pour le cas oblique :
sor le hatece, 147 v., por le mort, 153 v. La forme la est de
beaucoup la plus fréquente.
PRONOM PERSONNEL.
Le est employé comme régime féminin singulier : le jeunat
(la quarantaine), 147 v., le tormente (ma filhe), 148 v.
** Les est employé comme régime indirect pluriel au lieu de
lor : qui, si les fait aimer les choses que li siècles aime, 148 v.
On pourrait toutefois, à la rigueur, considérer ici les comme
un accusatif: facit eos amare; mais dans la phrase suivante
tes est bien régime indirect : ne par prière, ne par manance, ne
par prechement de (que?) Sainte Eglise, qui lor mère est, les
puist faire, 148 v.
Cet emploi de les semble, dans la région du nord et de Test,
ne se rencontrer que dans le wallon. J'en ai donné ailleurs * un
1 Romania, XV, 130, sq.
— u —
grand nombre d exemples tirés des chartes du XIIIe siècle, du
Job, du Poème moral et du Ver de juïse; en voici encore un
exemple tiré des Poésies religieuses publiées par M. P. Meyer :
Tos lor piez les lavas. (V. 14.)
C'est le texte du manuscrit de Grosbois; le manuscrit de la
Bibliothèque nationale, fonds latin 1077, qui contient la même
pièce, a lor au lieu de les.
VKRBE.
I. ** Astolt. — L'auteur emploie comme imparfait de Punli-
catif du verbe estre : asloit, asloient, 17 fois, estoit, estaient t 10,
ert (ère, eret), S; on voit que la forme wallonne l'emporte.
U. Imparfait eu net. — Temptevet, 147 v., prievel,
148 v., etc. ; nous comptons, dans notre texte, au moins seize
exemples de cet imparfait. On rencontre une fois ive : priice,
149 r., pour priieve. L'imparfait en ivet, venant d'un verbe en
ir est lorrain : convmivet, Saint Bernard, édit. Foerster, 63.27;
tenivet. M. de Wailly, Actes de Lorraine, dans le tome XXVIII
des Extraits et notices des manuscrits, etc., 63 B3, warantiret,
ibid., 180H3.
L'imparfait de l'indicatif en evet, ivel fournit un moyen assez
sûr pour distinguer à quel dialecte de l'est appartient un texte
antérieur au XIVe siècle : le lorrain a evet et ivet, le wallon evet
seulement, le picard n'a ni l'un ni l'autre.
III. **Dlct, reclet. — Les formes diet (debuit), 153 v.,
rechiel (recepit), 153 r., reciet (receptum*, 147 v., semblent
particulières au dialecte wallon et assez rares même dans ee
dialecte.
J'en note un exemple dans U Ver de juïse, 391 :
Grant angoisse oui mes cors, kant m'anmc en diet issir.
Je crois qu'il faut voir dans diet deb'tum, par analogie avec
reciet =» receptum : l'emploi de cette forme se sera étendu du
participe passé au parfait.
— 18 —
IV. "Figent, dînent, prisent. — Les formes du parfait
fisent, 149 v., disent, 152 r., asisent, 150 v., prisent, 182 v., sont
à peu près les seules employées, aussi bien dans les textes
littéraires que dans les chartes. M. Suchier les considère avec
raison comme particulières au wallon. Ajoutons qu'il y a ici
une tendance générale du dialecte où la consonne sibilante
posttonique persiste en rejetant la consonne qui suit, tandis
que, en français, la sibilante est éliminée et la consonne qui
suit persiste seule. Exemple : latin fecerunt, wallon fisent,
français firent.
De même dans le patois actuel s postton. ■+- 1 = ss, s positon.
-♦- cons. 4-/our« ss. Exemples : latin bestia, wallon biesse,
français bête, latin nostrum, wallon nosse, français notre, latin
*muscnlam, wallon mosse, français moule 'fém.).
Dans les anciens documents ce phénomène nous est habi-
tuellement masqué par l'orthographe étymologique et presque
toujours les mots qui riment ensemble sont des mots soumis
à la même règle, mais les vers suivants de la Vie sainte Ju liane
ne laissent aucun doute sur l'existence de cette prononciation
dès le XIIe siècle :
1 190. Teil paQr at la maie bisse
Ke ele encor nel resaïsset.
Je pourrais encore citer les vers suivants d'une pièce en
dialecte wallon intitulée : Les . / . avez de Nostre Saignor qui
se trouve dans le manuscrit n° 10 de la bibliothèque de l'Uni-
versité de Liège, P> 222 :
63. Ki raemplit les places
De paradis ki erent gastes l.
Hais on peut, sans aucun doute, ne voir là qu'une rime
imparfaite, sans indication de prononciation.
1 Cette pièce a été imprimée dans le Catalogue des manuscrits de la
bibliothèque de l'Université de Liège, p. 26, mais la division en vers de
huit syllabes n'est pas indiquée.
— iG —
V. Prendre. — d étymologique est conservé aux présent
indicatif, présent subjonctif et impératif de prendre et de ses
composés : prende (subj. prés.), 147 r., aprendes (impér.), 449 r.
d s'intercale dans les mêmes temps des verbes dérivés de
verbes latins en ngere et dans les substantifs formés de ces
verbes : oindes, 146 v.
Ces formes qui sont, d'après M. Foerster (Aïolj, propres au
picard, sont constantes dans le wallon; on les trouve également
dans les textes littéraires et dans les chartes, et elles persistent
dans le patois. Dial. , ioindes, 83.4, tindeors (tinctores), 271.4, etc.
VI. Puisons, pulslcns. — La forme habituelle de
la lro pers. plur. du subj. prés. : àepooir est jmisons, 147 r.,
147 v?. (puissons, 147 r.), etc., mais nous trouvons aussi
puissieiis. Je vais citer les deux passages où cette dernière forme
se rencontre pour qu'on voie que c'est bien ici le prés, du
subj. et non l'imparfait mis par erreur pour poïsietis : Proies
li huj qu'il cest seruise uos laist faire en ceste s[ainte] qua-
rantaine] ke, si qu'il le jeunat par nos pechies (que), nos le
puisons jeûner a nostre petit pooir, si qu'il nos tort a remission
de nos pechies et, par l'apstinence de ceste jeune, puisons
uencre les temptfations] de glot[enie|, si com ilh uenki le
dy[able] et ses t[emptations], jhesus criz nostre sfire], que nos
li puissieiis rendre grases et loenges in eterna seculorum secula.
Amen. 147 v. Aionsades ioie en Deu et nient joie nule terriene,
si que nos puissieiis biens et malx tos sostenir por I'amor de
Deu. 148 r.
Les deux formes, dont puisiens est évidemment la plus
moderne, ont existé en wallon à côté l'une de l'autre et nous
en donnerons une autre preuve par deux extraits de chartes
de Liège de la fin du XIIIe siècle :
Nos Lowis sieres de Harsees devant nomeis por chu ke nos ne nostre
hoir nul jor ki a venir soit ne pussons aleir encontre ces choises desor
escrites... avons pendu nostre propre saeaul a ceste presens letre.
5 octobre, 4298.
[Charte* de l'abiatje du Val-Saint- Lambert, d° 408)
— 17 —
Si volons ausi et obligons nos et nos successours kc nos ni li autre après
nos ne pumiens mettre avant ne alligier ost, chevachie, esconsien <lo
bleis, etc.
Août, 1290.
[Charte du courent de* Dominicains à Liège. — l)(f>ot
des archives de la province de Liège).
Le dialecte des Sentions est, comme nous l'avons vu, relati-
vement pur : il a les traits caractéristiques du wallon avec un
petit nombre de formes picardes, par exemple : biaz, vermis-
siel, lierre, li, le art. fém. se, adj. pos. féin., 446 r., ou fran-
çaises comme cens (wal. ceaz) bel, et un subj. prés, lorrain
manjuoisent, 150 r. (voir Apfelstedt. LothringischerPsaMer, LVH ;
Job a d'ailleurs la même forme manioise, 324.27). Je ne cher-
cherai pas si ce mélange provient du copiste ou de l'auteur,
cette recherche n'est guère possible pour les ouvrages en prose :
Quant à l'époque où notre texte a été écrit, l'emploi du rh
picard pour c devant e, i, et de li, le pour l'article féminin
sont deux traits qui se rencontrent souvent dans les chartes,
mais qui sont presque absents des textes littéraires. Les Sermons
seraient donc postérieurs à ces textes.
D'autre part : 1° les règles de la déclinaison sont, à une ou
deux exceptions près, correctement observées. Nomin. : enfes,
150 r., leres, 146 v., salueres, 149 r. Cas oblique : enfant,
150 r., larron, 152 r., salueor, 150 r. ;
2° Les adjectifs venant d'une forme latine en is sont parfois
variables pour le féminin : teles uevres, 148 r., grande parole,
151 r. ; mais le plus souvent invariables : grant torbe, grant
miséricorde, grant dochor, 150 r., tel nature, 150 v., mortel
forme, 152 r., grant dampnation, 152 v., etc. ;
3° Les pronoms possessifs moi fmea), 153 r., sue, 150 v.
et sowe, 149 v., 150 r., sont les mêmes que ceux qui sont
employés dans les textes littéraires : moie, Dial., 231.4, sue,
Dial., 91.22, Poème moral, 13*, etc. Ces formes ont disparu
entièrement des chartes du XHl° siècle qui n'emploient que
ma, mienne, sa, sienne.
Tome XLI. b
- 18 —
Ce dernier point surtout me porte à croire que les Sermon*
ont dû être écrits dans les 2o ou 30 premières années du
XIIIe siècle.
En dehors des considérations paléographiques et philolo-
giques, le seul indice que nous trouvions dans le texte sur
l'époque où furent prononcés ces sermons est le passage sui-
vant qui prouve que la Chanson de Râlant devait encore jouir
alors de toute sa popularité :
Il sunt mainte gent qui ia ne uorroient oïr de l)eu parler et
tart lor est que la messe soit chantée et k'il fuist repairies u a
son labor u a la uanite del siècle, et plus volentirs oroit los
tens parler des bâta il lies Rolant et d'Oliuier qu'il ne feroitde
nostre seignor Jhesu Crist comment il soi uint combatre en
tierre encontre nostre mortel ennemis le dyable, loi v.
Mais cette allusion à la grande épopée du moyen âge ne peut
nous servir à fixer, même approximativement, la date de notiv
texte, car elle aurait été sans doute aussi bien comprise au
XIIIe siècle qu'au XIIe.
l'oftt-Kcrlptum. — L'éditeur des Sewnons, après avoir lu
le rapport de M. Scheler *, rapport dont il apprécie toute la
bienveillance, désire ajouter quelques explications aux notes
ri-dessus; s'il n'a rien changé à ces notes ni au texte, c'est pour
qu'on puisse mieux saisir les observations du savant rappor-
teur. 11 a cru qu'il valait mieux présenter à part les quelques
remarques et corrections que la lecture du rapport lui a sug-
gérées; les voici.
Xofes. — Puisons, puissiens. M. Suchicr (Zeitschrift fur
romunische Philoloyie, II , p. 27o) pour établir que Job n'ap-
partient pas au même dialecte que les Dialoge, dit : « Dans
les Dialoye la terminaison iens ne se trouve qu'à la première
1 Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 3e série, tome XIV,
n« 12, 1887.
i
— 19 -
personne plurielle de l'imparfait et du conditionnel , donc :
soions, 154.23, 135.1 (de même dans le manuscrit Canon ici,
dans le Brut de Munich et dans Huon de Bardeaux). Dans les
Moralités sur Job à la première personne plurielle du sub-
jonctif : soiens, 305.2, 313.27, oûssiens, 355.40).
■ •
Milles. L'auteur n'a pas proposé médius (!) mais mêd'cus.
Astoit. Pour astoit et esteue les Sermons suivent exactement
le même système que les Dialoge : astoit est l'équivalent de
eret, esteve est toujours pris dans le sens de stabat ou adstabat :
IHaloge, 85.15, 222.12, etc. :
Texte. — Delissent, 146 v. Je crois que delissent se rapporte
surtout à ruinins (le pluriel étant dû à la construction de la
phrase et à la position des sujets), et je suis tenté d'y voir le
verbe délisser, formé de lisse et employé ici dans le sens de
corroder. Ce verbe a sans doute une physionomie moderne
et l'exemple le plus ancien dans Littré date du XVIIe siècle,
mais si l'on admet l'étymologie de Diez : ancien haut allemand
lise, le mot lisse doit appartenir au fonds ancien de la langue.
Quant à une transcription de delectare, le sens de la phrase me
semble l'exclure complètement.
Provechiet, 146 v., n'est-il pas la transcription de *provedare,
tiré de provehere : qui ne sont avantageux, qui ne servent à
rien, etc.?
Plusemes, 148 r. Le mot est fréquent dans les Dialoge sous
la forme pluisemes, 63.2, 229.24, etc.
Piwochet, 148 r. est le mot du manuscrit et de la copie,
non provuehel.
A tenir, 148 v. Le mot se trouve répété trois fois : atenir,
alênes, atient, contre un amenons, 150 v. Peut-être y a-t-il sim-
plement dans cette orthographe une indication de prononcia-
tion usuelle. Lacurne de Sainte Palaye a atenance et altenanche
dans le sens de abstinence ou plutôt abstention.
— 20 —
Creït, 148 v., est-il un lapsus calami pour créât ou reprë-
sente-t-il une forme dialectale peu fréquente? Diez (Gram. des
langues romanes, trad. franc., II, 214-315) mentionne les
formes de l'imparfait du subjonctif partissions, amissiez et
d'autres semblables. Ces formes n'indiqueraient-elles pas une
tendance à un parfait en i pour les verbes de la lra conjugaison,
tendance qui s'expliquerait facilement pour les verbes en !>r,
en picard et en wallon où ie représente le plus souvent î?
L'éditeur admet d'ailleurs que cette supposition demanderait à
être appuyée par des exemples et que le lapsus calami de creit
pour créât est plus vraisemblable.
Manance, 148 v. pour manasce serait une forme nasalisée
analogue à larenchin.
Est, atrait, 149 v. M. Scheler propose ert, a trait, mais le
présent, qui ne demande pas de changement au texte, ne se
comprend-il pas facilement?
Mar\t]ret 149 v. L'éditeur supplée le / et non le r.
Ne nés vuelent, 149 v. ne signitie-t-il pas ni ne les veulent?
Voici la phrase : qui ne veulent les commandements Damredeu
accomplir ni ne les veulent écouter des oreilles de leur cœur.
Spiritel, 150 r. Le spirituez, 150 v. fait bien supposer qu'il
faut lire spirit[u\el; toutefois Saint Bernard* également spiritel
(édit. Foerster, 136.41), espiritel (ibid., 137.36), etc.
Cyu, gye, guiz, juies, 152 r., 152 v. L'éditeur ne se charge pas
d'expliquer la concurrence de ces diverses formes, qui d'ail-
leurs se rencontrent fréquemment réunies dans d'autres textes.
Quant ùjuyer, qui est plus rare, ce doit être la transcription
de *judarius, tiré de *judaria que l'on trouve dans Ducange
dans le sens de juerie, juiverie : le juyer serait l'habitant de la
juerie.
Savietet, 132 v. Le rapporteur propose sa viutet ou sa viltet :
$a viutet serait contraire à notre dialecte; d'autre part, por sa
— 21 —
villet dans le sens de : pour l'avilir, me semble une tournure
difficile à admettre. Savietet ne serait-il pas une forme demi-
savante de saevitas? Le sens : par cruauté, s'adapte très bien
au passage; quant à la forme, ae\e) = a dans la syllabe atone
est commun en wallon, cf. samaine, 453 v., sanior (seniorem),
Dialoge, 9.6, 33.9, etc. Le ie pourrait équivaloir à i.
Aisit, 153 r. Je vois dans aisit pour aisil une simple faute
d'orthographe, la substitution d'une consonne finale muette à
une autre consonne muette.
Giet, 153 v. pourrait être un participe formé par analogie
avec reciet, die t.
Si je ne mentionne pas ici les corrections grammaticales que
M. Scheler a proposées pour le texte, c'est qu'elles s'imposent
presque toutes : l'auteur des Sermons emploie souvent un verbe
au singulier avec un sujet pluriel, la règle des cas pour le
substantif n'est pas toujours observée, etc. L'éditeur n'avait
pas cherché a redresser ces petites incorrections parce qu'elles
peuvent contenir parfois une indication d'époque ou de dia-
lecte. Ainsi il croit que l'auteur des Sermons considère anemis ou
ennemis comme invariable, mais les corrections de M. Scheler
sont fort utiles et facilitent sans aucun doute la lecture du
texte.
L
SECONDE PARTIE.
TEXTE.
llh * est hui li promiers iors de la ieune Nostre Seignor, ie f0i. ittïr
ne di mie de la quarentaine, car bien sauez que cist • III f • ior
qui sunt de ci ka diemenche restorent les • IIII • diemences de
la quarentaine. Ilh sunt or li ior que Damrideus nos huche et
si nos somont parmi la boche de son prophète qui dist :
Conuerlimini ad me in toto corde uestro, in ieiunio et fletu et
planciu. Conuertisies uos, dist Damredeus par se prophète, a
moi en tôt uostre cuer en ieune et en plor et en plaindement *.
Repentez, dist ilh, par confession et se faites penance de uos
pechies et de uos iniquitez, que ie n'enuoie en uos les mais
que i'ai aparilhies a ceuz qui m'ont corechiet. Faites, dist ilh,
pennance par ieunes et par ploremens, par ce que uos qui ci
iuneis en ceste présente uie que uos en l'autre soies rasaziet
des parmanables mangiers, par que uos qui or plores puissies
rire es parmanables ioies. De ce dist nostre sire en l'evvangile :
Beati qui nunc fletis quia ri[debï]fis. Bienewiret estes qui or
plores, kar uos rires. Ilh dist après : Scindite corda uestra et
non u[estimenta] u[estra], Trenchies, dist Damredeus, uoscuers
et nient uos uestemens, ne uos cors mais uos cuers, qui plain
sunt de pechiet, trenchies par uraie pennance et par pure con-
fession. Cilh qui tranche son cuer par uraie penance et par pure
4 Les mots .ou lettres à supprimer sont mis entre parenthèses ( ); Jps
mots ou lettres à suppléer sont placés entre crochets [ ].
8 Voici, comme comparaison, la même Citation en dialecte lorrain dans
le Saint Bernard, éd. Foerster, p. 435, 34 : Conuertiz uos a mi en lot
uostre cuer, en ieune et en plor et en plaing.
— 24 —
confession ilh se conuertist a Deu et cilh qui a De soi conuer-
tist en teil lumière * par uraie penance et par pure concession]
if at mie trop grant paor de ses pechies, kar plus grans est la
merciz Nostre Seignor que ne soient nos félonies. Grans est, di
ie, la mercis Nostre Seignor a celui qui a lui se conuertist et
par pure confession et par uraie penance tranche les pechies
fors de son cuer. Car ilh aime miez la penance de! pecheor que
sa mort. Kar ilh meimes dist : Xolo mortem p{eccatotis] sed ut
conuer[tat] et u\niat]. Je ne welh mie, dist ilh, la mort del
pecheor, ains wuelh qu'ilh soi conuertiset et si uiuet. Conuer-
tisies uos dont ensi com dist la prophète, en ieune et en plor
et en plaindement et en almones. Ilh ne dist mie : conuer-
tisies uos solement par iuner. Bone est la ieune de ieuner, mais
autres ueures li couient ilh encor faire qui a Deu se conuertist.
Car se nos iunons sens almones doner, ilh semble que ce soit
auarisces, ia ne puissiens nos ieuner. Oiez que dirat Deus az
chaitiz auarisioz al ior del jujsse : Ite, maled[ictf] etc. Alezeut,
maloit, dirat ilh, el feu parmanable qui est aparilhies al diable
et a ses angles. Kant ie ou tain, uos ne moi donastes mie(z) a
mangier. Kant ie fuj nuz, uos ne moi couristes mie. Jeûnez
Foi. i«iv. dont que Deu soit ac[146 v.]ceptable ; donez si uostre al moue
kele li uengne en greit. Ne jeûnez mie par auarise ne ne iuncs
mie por esparnier, si com uol comande Damredeus meimes en
Tewangile kant ilh dist a ses desciples : Cum jeiunatis nolite
(ieri sicut ypocrite, tristes. Ceu est : Quant uos junes, ne uos
faites mie dolant, si com font li ypofcri]te. Ypoc[ri]tes ce est
fauz crestiens. Li falz crestiens il cangent lor faces et les font
pales par que (om) * puist sauoir li pueles qu'il jeûnent, por ce
qu'il uuelent c'om les en prise. Je uos di en uerite, dist Damre-
deus, cil qui ensi jeûnent il n'en aront mais altre lowîer, et il
ne perdront mie solement lor lowier mais encore en soferont
les doleroses paînes d'enfer. Mais il nos dist li mien amis:
Kant uos jeunes, oindes nostre chief d'oile et si l'aues nostre
1 Manière?
* Biffé dans le manuscrit.
i
I
face, que H home ne sachent que uos ieunez; et uostre pères
qui uoit totes les réponses choses le uos rendrat. N'asembles
mie, dist ilh, les auoirs en terre que li ruinins et li uermissiel
dclissent et manjuent, et li larron pueent enbler et foïr. Mais
assenbles les trésors en chiel la u ruinins nel porat courir ne
uermisiaz de De rore ' ; la u leres ne le porat tolir ne enbler.
Cestui trésor fist bien li buens martres s. Lorens, quant ilh dist
a Decium le tyrant : Facilitâtes ecclesie quas requiris in célestes
tes[aur]os manus pauperum deportauerunt. Kant om li demandât
les trésors de s. église qui li astoient commandet : ce que tu
demandes, dist s. L[orens], les mains des poures l'en ont
portet es trésors del chiel. Voi[e]s dont s'ilh ne sot mult bien
qu'il fist, qu'il ot plus chier qu'il departist le tfresor] d[e]
s. glise que li poure eussent 2 besongne. Et uos que deues dont
faire de uos t[resors] qui le saues qui 3 ne sunt prouechiet a
nulle chose se ce n'est qu'il gisent en uos escrins. Enuoies les
el t|resor] del chiel la u ruinins ne uers ne l'enpiront ne leres
nel pora foïr ne enbler. Li leres qui se painet d'enbler nostre
trésor ce est li dyable qui se painet de destruire tos les biens
que nos faisons por l'amor de Deu. Leres est il uoirement
quant il nos enble si subtiment nostre trésor, ce est le bien
que nos uolons faire por l'amor de Deu. Ki ki unques dont
uuet estre en chiel auuek Jhesu Crist * face ensenble lui son
trésor et si doist 8 por lui ce qu'il puet doner soit aques soit
pou. Car tant corn li hom puet doner, tant ualt li règnes del
chiel. Ne dones mie uos almones par que uos aies plus grant
congiet de pechier. Mais dones uos alm[ones] par que Deus
oiet uos orisons; que par uos almones et par uos ôrisons et par
1 Rore, ronger de roderc.
* Chacun des deux jambages de l'u est surmonté d'un trait oblique pour
indiquer que le mot doit se prononcer eussent.
5 Qui = qu'il ? On peut lire : qui les aues qui.
1 Toujours écrit en abrégé dans le manuscrit. J'emploie la forme con-
temporaine la plus probable.
3 Plus bas doinst : le copiste a peut-être oublié le trait indiquant l'n.
Toutefois on trouve doist dans les textes lorrains et picards,
— 26 —
uos jeunes puisies auoir remission de uos pechies, et nient
seulement en aies la rémission mais encor uos en doinst sa
compaignie en la uie parmanable. Jhesus Christus dominus
noster qui uit et règne per omnia secula seculorum. Amen.
DOMIMCA PRIMA XL.
Fratres, hortamur uos ne in uanum gratiam dei recipialùs, etc.
Foi. 447 r. Ilh nos somont huj [147 r.] et enhorte a l'entrée de ceste qua-
rantaine et ens es iors que nos deuons netier nos cuers et nos
cors, que nos deuons cesser de totes maies ueures t. Et de coi
nos somont il, mes sires S. Polz? Il dist : Frère, ie uos enhorte
que uos nereceuez en uain la graze Damredeu. Mais il rechoit
la graze Damredeu en uain qui, après son bateme, ne fait bones
ueures, car, parmi la grase del s. espir, prent ilh el baptême
la remission del pechiet nostre promier père Adam ; et quant
il, après ce qu'il est quites et mondes de pechiet, se renbat en
maies ueures et il deuint par son greit pechieres, dont at il en
uain reciet la graze del s. espir. Kar il dist : El tens acceptable
t'oï ie et el ior de salut t'aidai ie. Or est li tens acceptables que
nos deuons bien ourer et que nos deuons parmi bones ueures
deseruir que Deus nos uuelhe oïr, si que en ces s. iors puissons
deseruir la parmanable lumière, si com ilh est escrit. Âmbulate
» in dilectione et uoluntate dei dum ticet in hoc uita, ne uos mortis
ténèbre repente subripientes inueniant imparatos el tune incipiatix
uelle bene agere cum non licel operari. Ceu est : Aies en l'amor
de Deu et en sa uolente tant que il uos list en ceste uie, que
les ténèbres de mort ne uos soprendent et qu'eles ne uos
truisent mie aparilhies, et dont primes que la mort iert uenue,
uilhies bien faire quant il ne uos loirat. Car il auient cant li
pechieres est tos iors assegures en son pechiet et il sent le mal
de la mort, dont primas penset il : Deus! com uolentîrs tu
feroiesbien si tu pooies uiure. Et il ne uolt mie bien ourer es
1 Uevres = œuvres.
— 37 —
iors que Deus li ot a cel ues prestez. Dont H aposteles dist :
Ecce nunc tempus accep[tabi]le, ecce, etc. Or est H tens accep-
table], or sunt li ior de salut. Or est li tens de bien ourer,
mais al ior del juise que li pecheor se uorront repentir dont
irt iors de rendre a chascuns solonc ses ueures. La n'arat ia
autre merci, mais cescuns arat ce qu'il arat deseruit. Porpense
se dont cescuns de uos en lui meismes, porpense soi dont et de
ses biens et de ses mais; si les asemble tos deuant les ves * de
sa pensée et se uoi qu'il arat deseruit. Prende garde qu'il arat
fait al ior de juise por le nom de Jhesu Crist qui tant sofrit por
nos, qui tant nos ainat que nostre fraile nature prist en la
uirg[ene] M[arie] por qu'il nos deliurast de la poeste a dyable.
Uh jeunat la s. quarentaine, nient por que lui en fuist mestiers
se nos non, car ce fu por nos pechies qu'il jeunat et por qu'il
uolt qu'ensi que li dyabfles] auoit uencut Adam nostre promier
père par glotenie, qu'il reuenkist le diable par abstinenche,
par jeûner; et ce tist il par exemple, par que nos jeûnons par
grant deuotion quant nos auons pechiet en nostre creator, que.
nos par jeunes et par almones et par orisons et par pure con-
fession puisons auoir remission de nos pech[ies]. Iceste
quarentaine dont uos disons jeunat Damrideus ens es desers,
si corn dist me sire s. Matheus, et quant ilh ot jeunet XL. iors.
et XL. nuis s'ot il fain. Quel fain ot Damredeus? II ot fa in de
[147 v.] nostre saluement. De ce dist il la v il estoit en la Foi. in v.
s. crois : Scicio et cupio salut[eni] peccatorum. Ne nos deuons. •
nient merueilhier se diab[les] nos tempte, kant il uint a nostre
Seignor la u il ère es desers s'el commenchat a tempter ensi
com il tist nostre promier père Adam. Ilh le temptat en trois
manières, par glotenie, par uaine gl[ore] et par auarize. Par
gl[otenie] temptat li dy[ables] Jhesu Crist quant il dist : 57 (Mm
dei es, etc. Se tu es, etc. Mais Jhesus ne fist mie ce que li
dy[ables] li rouat, ains li res[pondit] mult humlement, por
qu'il par humilitet uoluit uencre celui qui par orguelh auoit
uenkut le promier hom, et si dist : Non in solo pane, etc. Li .
• Ves = ues, yeux.
— 28-
hom, etc. Car tuit cil qui ensemble Deu uulent uiure tôt ausi
fatement qu'il paissent lor cors de pfain] doi[e]nt ilh paistre lor
armes de la parole Deu. La parole Deu ce est p[ains] dont il
dist : Ego sum panis uiuus. Je suis, etc. Qui de cest pain arat
mangiet il uiurat. Mais cant ce uit li dy[ab]les qu'il nel uencoit
mie par glot[enie], si le prist et le portât sor le hatece d'un
mostier, se le temptat par uaine gl[ore] et li dist : Se tu es fiz de
Deu, lai te ius chaoir, car il est escrit de toi : Angelis suis
m\andauil] de [te], etc. Ilh at mandet a ses a[n]gel[esj k'il te
gardent en totes tes uoies. Ilh te porteront entre lor mains que
tu ne hurtes ton piet a la piere. En tôt ce que li dy[ables] temp-
teuet Nostre S[eignor], si disoit il ades : Se tu es t[\z] d[e] D[eu|,
par ce qu'il uoloit sauoir se ce estoit ilh; mais Jhesus li
lies pond itj si atempreement que li dy[ables| en remanoit ades
en dotance se ce estoit il u non. Encor uuet ce faire li fel de la
bone * qu'i uolt faire de nostre sjeignor], car cant ilh uoît un
prodome et de bone uie, com plus est hait montés par b[ones]
veures tant se paine ilh plus uolentirs de lui abatre. Et ke doit
dont faire li prodom quant il sent que li dyjablcs] le uuet
abatre? Que li r[espondit Jhesus Criz quant il li rouat se il estoit
f|iz] d[e] D[eu] qu'il s[oi] l[aist] ch[aoir]? H le chosat et se U dist :
Ilh est escrit, dist Damredeus, tu ne temptras mie ton sjeignor].
Ausi doit li prodom le dy[able] choser quant ilh l'ausaut. Fel
ennemis, doit ilh dire, se De plaist, tu 2 ne me temptras mie.
La tierce fois le t[emptat] li dyfables] par auarfize] quant ilh le
portât sur un hait mont et se li mostrat tos les règnes del
siècle, totes les diuises et les honors et se li dist : Totes ces
choses te donrai-ge se tu m'ahores. Et nostre s[ire] li r[espon-
dit] : Vade, Sathanas, ilh est escrit tu ahorras Deu ton sjeignor]
et a lui sol seruiras. Kant li dyjables] uit qu'il estoit uencus en
totes ce[s] trois manières] de tempter, il fu molt hontos, si s'en
1 11 y a après bone un signe que je ne puis déchiffrer. Comparez Job
352.12 les penses des bones. M. Foerster corrige boites en bons, mais il y a
'peut-être ici une abréviation usuelle : des bones armes? Comparez bones
pris substantivement (bonne disposition; dans Godefroid.
* Manuscrit te.
— 29 —
alat et li a[n]gel|el uinrent a Nostre S|eignor] sel commenchie-
rent a seruir. Proies li huj qu'il cest seruise uos laist faire en
reste s. quarent[aine], ke si qu'il le jeunat por * nos pechies
que nos le puisons jeûner a nostre petit pooir, si qu'il nos tort
a remission de nos pechies et par Tapstinence de ceste jeune
puisons uencre les t[emptations] de glotfenie] si com ilh uenki
le dy[able]et ses t[emptations] Jhesu Criz Nostre S[ire], que nos
li puissiens rendre grases et loenges in eterna seculorum
secula. Amen.
Sabbato ante se[clnd]an uomimcam epistola.
Fratres, rogamus uos corripite inquietos, consolamirii pusilla-
nimes, suscipite infirmos, etc. Vne gloriose amonicion nos fait
mes sires s. Polz en une de ses epistles. Hh [148 r.] le fait a nos FoL 148 r.
toz 2 comrnunament, mais plusemes le fait ilh a nos a cui est
la poestes d'anunchier la parole Damredeu. Ilh nos dist nostre
huens maistres : Frère, chaslies les noisous, confortes ceus de
tloible corage, reciuez les malades, soies patient a toz. Solonc
diuerses enfertes nos enseigne nos b[uens] maistres et nos
b[uens] m ides mes s[ire] s. Polz diuersefs] medicines. Les
noisous nos rueue il chastier, qu'il ne périssent. Ceus de floibe
corage nos r[ueue] il conforter, qu'il ne desperent de la merchit
de Deu. Les malades nos r[ueue] il reciuoir, cui armes sunt
malades par pechies. Soies, dist il, patient a toz, nez, dist il, a
noisous et as malitios sojes p[atient], ce est sofrant, car qui
Tomme chastie trop asprement il ne l'enmiedre mie souentes
fois, ains le prouochet a mal faire. Voies que nus de uos ne :*
rende atruj mal por mal. Semper gaudete. Tôt ades, fait il, uos
enioissies, ce est : aions ades ioie en Deu et nient ioie nule
terriene, si que nos puissiens biens et mal * tos sostenir por
1 Manuscrit par.
f Manuscrit tôt.
5 Manuscrit tfe.
4 Ou malz.
^
— 30 —
l'amor de Deu. Coin de ce deuons nos ioie auoir, se sûmes
digne de sofrir alcun tort por l'aïuor de Deu! Ores, dist li
apostle, sens entrecessement. Se la lengue ne puet tant orer,
si (h)ore li eu ers v nos ueures soient teles qu'eles orent por
nos a Deu, et ensi porons orer sens entrecessement v par
lengue u par cuer v par bones ueures. En totes les choses
rendes grases a Deu, kar cil qui les tribulations uos enuoic iih
uos enuoirat les consolations et les prosperitez, quant il uerrat
que mes tirs uos en iert, et Deus, li piuz, li merchiables, ne
uos lairat tempter se tant non que uos porres sofrir. Car quant
Damrcdeus nos enuoie les tribulations], dont nos deuons nos
plus fermement a lui tenir, car nos sauons bien que par
tribulations] nos conuient paruenir al règne del chiel. Car ce
qu'Adans perdit par délit et par orguelh nos couient deseruir
par traualh et par humilité, al aive de Jhesu Crist oui est
honors et gl[ore] in secula s[eculorum]. Amen.
DOMIMGA II- EPISTOLA.
Uogamus nos et obsecramus in domino Jhesu ut quemadmodum
accejnstis a nobis quomodo uos oporteat ambulare et placere deo
aient et habundetis mag[is]. Li apostle nos aprent hui en la lezon
que nos deuons fortement estre en la foit et en la uolente
Damredeu et crestre en totes les bjones] uertus. Car il dist :
Frère, nos uos prions et si uos rouons de part Nostre S[eignor]
Jhesu Crist que uos aies ensi que uos Paues apris et oït de nos
comment uos deues a Deu plaire. A ceus dist s. Polz : Qui la
uolente de Deu et les b[ones] veures font qu'il uoisent si qu'il
plaisent a Deu, car cil qui en la uolente de Deu mainent cil
uont en la uoie Damredeu. A ceus est Jhesu Criz uoie dont il
m[eismes] dist : Ego sum uia, ueritas et uita. Scitis etiim quae
precepta d[edi] u[obis] p[ro] d[omino] n[ostro]. Vos saues bien,
dist li ap[ostle], queis commans ie uos ai doncs por Nostre
S| eignor] Jhesu Crist. La uolentes de Deu que ic uos commande
— 31 —
a tenir ce est nostre * senifications et senifte : il retrait Tomme
de toz pechies. Il uos commande que nus de uos ne boise
l'autre en nule manière; kar ki uuet estre urais amis Damredeu
il ne doit mie solement de maies vcures atenir 2 a faire mais
encore doit molt por l'amor Damredeu son corage garder de
maies pensées. Car Deus H drois jugieres ne pardonrat 3 mie
en uain les maies pensées, si com il est escrit en l'evangil : Qui
uidit mulierem ad cont{upiscendum] e[am]j[am) m[aechatus] est
eam in c{ordé] s[uo], Ki uoit une feme si la conuoite malement
[148 v.] at il en li pechiet en sa pensée. Teles pensées ne teles Foi.4S8v.
cogitations ne remanient mie a comparer. Et vos qui Deu
aniez, qui sa uolente uoleis maintenir, qui net uoles estre en
ceste quarent[aine], atenes uos et si uos sostrahes nez de uos
loials espouses, par que uos soies de toi en tôt monde. Ne uos
doit mie anoier se uos en ce petit de tens départes uos liz, cor
ciz trauas est por le salut de l'arme et que uos puissies si entiè-
rement jeûner la s. xlne quele soit a Deu plais[ant]. Entière-
ment, di ie, kar s'on s'atient en ceste s. xloc de char, De! ne se
doit om miez encor atenir de luxure ! Om ne doit mie juner a
moitié, car com nos le ferons plus entièrement com nos
porons, si serat molt petit de chose enuers la xlne Nostre
Sfeignor] Jhesu Crist, de cui nos raconte hui mes sire
s. Matheus un molt glorious miracle et si dist que Nostre S[ire]
Jhesu Criz essit fors, si s'en alat es parties de Tyr et de Sjdone
t't une feme de celé contrée eissit fors, si commenchiat a
huchier après lui : Miserere mei domine fili D[avî]d, etc. Aiez
mercit de moi, sire, tiz de D[avi]d, ma filhe at el cors le
dy[a]ble qui griement le tormente. En la prière de ceste feme
poes connoistre la grande créance qu'ele ot quant ele dist :
Aiez merci de moi, sire, fiz de Dauid, m[a] f[ilhe] at el c[ors] ![e]
dy[able] qui gri[ement] le t[ormente]. Ele priive la santé, a
1 Manuscrit : après nostre : satisfactions biffé.
- Atenir, abstenir; ce sens ne se trouve pas à l'article afcm'r dans
(iodefroid.
3 Ou perdonrat; l'abréviation employée pour la première syllabe peut
signifier par ou per.
— 32 —
vez * sa filhe et si ne l'auoit * mie auuec H amenée, car ele
ereoit bien que cil cui ele priiue pooit bien par sa soûle parole
et par son soûl commant rendre santé a sa filhe, car ele ereoit
fermement qu'il estoit cil Deus qui de soûle parole creît 3 tôt
le monde. Et uos deues ausi croire que la poestes de Deu ele
est partot : v que nos alons Deus nos uoit, que que nos dissons
Deus nos ot, nez ce que nos pensons ne li est mie celet. Ceste
feme dont ie uos di ele signefie s. église, et la filhe por cui ele
prieuet a Deu mercit signefie les armes de pech[eors] homes
cui li dy[ables] tormente par les temptat[ions] de charnes
désirs, par les tempt[ations] de cest siècle qui si les fait amer
les choses que li siècles aime qu'il ne s'en puet partir ne par
prière ne par manance ne par prechement que * s. église, qui
lor mère est, les puist faire. Et que fait dont' nostre piive •*
mère s. glise de ceus cui li dy[ables] tormente, si com nés puet
atraire a lor saluement. Ele prie et huce a Deu Nostre Sjeignor]
que ce qu'ele ne nos puet faire par sa doctrine ne par son
chastiement (que) li pius Deus par la grase del s. es périr Ir
puist deliurer et mètre a droite uoie. Car se il i at nul de nos
qui sa consienche ait enpirie et adamee v par auarize v par
orguel v par haime v par larenrenchin v par aulcun morte
pechiet <>, par uerite sachies qu'il at la filhe cui li dyfables]
tormente. Et que doit dont faire cil ki celé filhe at ki le dy[able]
at el cors? llh li conuient querre comment sa filhe rarat santé.
V trouera il cel mide ne celé médecine qui celé filhe puist gatrir
de la poestc dy[ab]le? Bon mide li at Deus enuoiet ce est le
s[eignor] de poeste 1 qui la médecine seit trouer dont il gèlera
» A vcz — a liez (ad opus) en faveur de.
* Manuscrit tien auuct.
3 Crrtl, créa, de creier prononcé ereïr; les verbes de Tanc. français eu
ia' ont dans le patois wallon actuel l'intin. : en i (ir) ex. wal. chergi de
chergier Dial. 134.21.
4 Manuscrite.
5 Piiue, fém. de pim.
ft Manuscrit Parechiet.
7 Le texte porte: le s. depst'; peut-être faut-il lire : le seignor D?[u]
prestre, le prêtre du seigneur Dieu, mais cette inversion me parait invrai-
semblable pour notre texte.
— 33 —
sa tilhe le dy[ab]le del cors. La médecine ce est confessions, car
maintenant com li pech[ieres] est uenus à sainte confess[ion]
et il at le dy[ab]Je. et ses ueures gerpies et il at regehit son
creator et reconut, maintenant est la filhe, ce est l'arme,
deliuree de la poeste al dy[ab]Ie. Voies dont, seignor, et
s'a[449 r.Jprendes par ces paroles que cil qui ce fait que Deus Fol. 149 r.
hert, qui plus aime le mal que le bien, qui aime et maintient
auarisce et orgucl, enuie, luxure et glotenie et les altres mortes
pechies, qu'il at le dy[ab]le el cors. Or nos dist après li ew[an-]
gelistes que Nostre S[ire] ne r[espon]di mie la bone feme al
promier huchement. La bone feme, quant ele uit qu'il ne la
r[espon]di mie, si commencha a huchier miez a miez : Aiez
merci de moi, s[ire], fiz de Dauid. Ces paroles sont totes plaines
de nostre doctrine. Nostre S[ire] ne r[espon]di mie al promier
hucement a la bone f[eme], nient por ce qu'il ne fuist piuz et
merchiables, mais por ce qu'il nos uolt aprendre que quant
nos prions a Deu et il ne nos acomplist maintenant nostre
priire, nos ne deuons mie maintenant de nostre priire cesser,
car ensi uuet Deus esprouer de com urai cuer nos li prions ; et *
ensi fist la bone feme qui priiue la santé de sa tilhe. Et quant
Deus uit sa bone foit et sa bone créance, se li dist : Oi, feme,
molt est grande ta fois, ensi t'aueigne com tu as priet. Et main-
tenant que Deus ot dite ceste parole si fu la tilhe sanee et
deliure de la poeste al dy[ab]le. Ensi doit faire cescuns de uos :
il doit en grant humilité Deu prier, huchier et nuit et ior et de
buen cuer de ci a tant que Deus uuisl * saner sa filhe, ce est
l'arme puist deliurer des maies temptations del siècle. Et quant
Deus u errât nostre grant desier et nostre bone foit et il uerrat
que nos orisons et nostre b[one] fois ne cesset mie, ne nos
hucheittenz, si arat merci de nos et si nos ferat en cest sicle
rémission de nos pech[ies] et en l'autre nos donrat la ioie de
la uie parmanable, li piuz salueres Jhesu Criz ki uit et regnet
auuec le père et le s. espir per omnia secula seculorum. Amen*.
« Vuist a» veuille, formé par analogie avec puist; là' forme habituelle
est vuelhe\§[ v. " ' " ....-,'
Ton* XLI. c
— a4 —
DOMIMCA IIP EPISTOLA.
Fraters, eslote immitaloresdei sicut filii karissimi :eiambul[aie]
in dilectione sicut Christus dU[exit] uos et trad[idit] semet Upsum]
pro nobis obl[alï)onem et hos^iam) deo in odoribus suauUaiis.
Mes s[ire] s. Polz li buens prechieres il nos somont et com-
mande en ceste lechon que ie uos ai dite que nos ensîwons
Jhesu Crist et si dist : Frère, siuez Damredeu si com soi chier
filh. Icil est Hz Damredeu qui siere le puet, mais nos semble
grief chose ce que li apostles nos rueue que nos siwons
Damredeu, car Deus fist tant de bones veures que nos ne
porriens faire, ilh ot totes les bones uertus en lui que nos ne
porriens auoir. 11 jeunat la s. xln* a un mangier, que nos ne
porriens ia faire. Il sofrit mort et passion por nos qui molt
nos seroit grief a sofrir por lui. Et qu'est ce ! dont que li
apostlfes] dist? Frère, siwes Damredeu si com soi chier filh.
Il ne dist raie que nos en totes les choses et en totes les uertus
puissons Damredeu siere, mais de ce le deuons nos siere
qu'ensi faitement que Deus est piuz et merchable a tos ceus
qui de buen cuer l'apelent ausi faitement deuo[n}s nos estre
merchiable a toz ceus qui nostre mercit nos requièrent. De
ce aueis une molt ouerte auctorite que uos dites chescon îor
en noster pater noster. Et d[imUte] n[obis] dfebita] n[oslra\
s[icut] et nos d[imiltimus] d[ebitoribus] n[ostris]. Ce dites
Foi. U9 v. [149 v.] uos a Damredeu : Sire , lai nos nos detes si com nos
les laissons a nos detors. Ce est : pardone * nos nos pechies
si com nos les pardonons a ceus qui en nos ont pechiet. Veez
que uos meismes uos jugies. K'ensi ait merci de uos que uos
aues merci d'atruj. Et quant nos arons d'atrui mercit ke nos
uolons que Deus ait mercit de nos, dont siwons nos nostre
père Jhesu Crist si com soi buen filh, qui tant nos amat, ce
dist li apost[les], qu il donat son cor meismes por nos offrande
1 Manuscrit quecê.
9 Ou perdone comme plus haut.
— 35 —
et sacrefice Se Deus Hurat son cors a mort por nos, et nos com-
ment deuons nos les nos a mort lîurer por lui qui en paine et
en traualh est por le saluement d'altrui et de tos ses trauas
atrait ses proimes a bone uoie. Ki fortement soi combat contre
le pechiet et les désirs charnes et ki fer stat en droiture et el non
de Jhesu Crist, nez, se mestiers est, de ci k'a la mort, icil Hure
son cors a mort por Jhesu Crist si com il liurat le sien por lui.
Tant nos amat ilh nos pius Deus Jhesu Criz qu'il liurat por
nos a mort le sien precious cors. Et nos, en ceste manière que
ie uos di, deuons le nostre cors por la sowe amor liurer a
martyre, ko se nus nos uoloit oster de la foit Jhesu Crist que
nos anchois deuriens la mort reciuoir que son nom relinquir
ne puissiens, si com fisent li s. apostleet li s. mai{t]re qui por
l'amor de Deu sofrirent les grans martyres el commencement de
nostre crcstienteit. Mais en nos contrées n'est or nus ki so *
ociet, bien nos list amer Nostre Seignor Jhesu Crist ki tant nos
amat, de cui nos raconte s. Lues li ewangelistes un grant miracle
qu'il fist a un ior quant il aloit par terre. Cis miracles fu mer*
uilhosement grans, quar, ce dist li ewangel, ce fut d'un home
cui Jhesu Criz getat le dy[ab]le del cors. Il li rendi la parole car
il ère muiaz, il li rendi la lumière car il ère auogles. Ces(t) trois
miracles fist Damredeus en un soûl home. Et por coi fist il ce?
[1 le fist por nos enseignier et doctriner car si com dist s. Polz :
Quœcunque scripta sunt ad u[estram] d[octiïnam]s{criplà\ a[unt], etc.
Tôt ce qui est escrit, ce dist li aposl[Ies], est escrit por uostiv
doctrine. Àprendes dont en cest miracle ce que Deus i entend i.
Cil hom qui ert muz et auogles et le dyable auoit el cors
signefie les mesceans 2 et les maluais homes qui ne uuelent
les commandeme[n]s Damredeu par eas acomplir ne ries
uuelent escolter des orelles de lor cuer, car il nés uuelent mie
entendre, et qui molt sunt mut et taisant de la parole Deu a
1 So est placé au-dessus de la ligne. Il manque évidemment plusieurs
mots.
* Ou mescreans; le c est surmonté d'un signe qui peut se traduire
par e ou re.
- 36 -
anunchier. Ilh at lo dy[ab]le uoirement cl cors qui les com-
mandemens Damredeu oblie a acomplir. C'est cil qui son
corace at atornet es terrienes ioies et es charnes desiers que
Deus n'aime mie, de cui nos parlons en une altre ewangel de
la tilhe a la bone feme qui auoit l'ennemis el cors. Li arme
qui en maies ueures demore ce est la filhe qui Fanemis at el
cors. Ausi signefie cist hom qui Fanemis auoit el cors la
maluaise arme qui Deu n'aimet ne ne croit, mais tos iors est
en mal faire et en mal penser. Mais molt i at de ceus qui dient
qu'il croient en Deu et molt Faiment sor totes choses, et s'astoit
drois, et si ne font unques chose qui Deu soit a plaisir. Mais
Koi. 150 r. cil qui mal font ilh mentent; [150 r.] car ces dous choses ne
forât ia nus buens crestiens, Deu amer et mal ourer. Car s'il
fait mal, il fait ce que Deus heit; s'il fait ce que Deus heit,
dont n'aimet il mie Damredeu. Car s'il Fameue parfitement, il
feroit molt enuis chose dont il se coreceroit. Car es terrienes
amors meismes les poes molt bien conoistre que s'acuns hom
uos mostreuet bel senblant et uos desist qu'il uos ameuet et
dont uos fesist anuj et contraire, uos diries tost qu'il ne uos
ameuet mie, ains uos traïssoit. Tôt ausi est il cil qui mal fait
et si dist qu'il aime Deu, mais ne Fen puet traïr, kar Deus seit
totes les pensées des homes. Ce soit en sus de nos que ia Deu
n'amons par traïson, mais amons le uraiement si corn nostre
lige saignor; amon[s] le par parole et par veures, amons celuj
qui tos nos at formes a sowe ymagine, par cui tos li mons est
crées, qui connoist totes nos pensées et nos cuers. Amons
celuj par grant desier qui en terre paist les cors de nos des
fruis qu'il nos tremet par sa grant bonté, et les armes de nos
at asazies del pain celestial, ce est des paroles de la s. ewangel
et de la doctrine de s. glise. Enforce soi dont cescuns de uos
en cest s. tens de bien faire et de faire veures qui a Deu soient
acceptable], et se uos pennes de s'amor uraiement aconquerre
que uos légèrement et netement le puissies atendre a cest
s. tens de pakes ki uos en puist rendre bon mérite Jhesu Cris
Nostre Sire hic et in eterna secula seculorum. Amen.
• - 37 -
DOHIXIOA llll". S. JOHANNES.
I
Abiit Jésus tram mare Galilœœ et serfutbatur illum maxima
turba quia v[iilebant] s[igna] q[uœ] f[acicbat] s[uper] h[is] q[ui}
inf[irmabantur]. Es paroles de la s. ewangel deues prendre le
confort et la doctrine de uostre saluement. Si com dist s. Polz :
Quœcunque siripta sunt ad u[estram] d[octrinam] 8[cripta]
s[unt\, etc. Tôt ce qu'est escrit est escrit a ves uoslre doctrine.
A ves uostre doctrine uos raconte hui H ewanglistes un molt
glorious miracle que Nostre S [ire] fist a un ior et si dist :
Jhesu s'en alat ultre la mer de Gai et sel siwoiet grant multi-
tudine de gent, car ilh ueoient les signes et les miracles qu'il
faisoit de ceus qui malade estoient. Et quant Nostre S[ire] ot
sus son chief leuet et il ot ueve * la grant torbe de gent qui a
lui uenoient, si dist a s. Philip[um] : Dont achatrons nos des
pains que cist maniuoisent? Se li demanda por ce qu'il l'en-
saieuet, car il sauoit bien li piux Deus qu'il auoit a faire.
Oiez la grant miséricorde de la grant dochor de nostre salueor
qui songnieuet de ce dont il paisteroit ceus qui le sivoient.
Ceus cui il paissoit de pain spiritel uoloit il ausi paistre de
pain terrien et corporel. Dont li respondi s. Philipes : Sire,
dist il, por ce d[enier] n'aroies tu mie tant de pain que ches-
cuns en eust un petit. Et uns de ses desciples li dist; ce fu
S. Andres li frères S. Piere : Ci at, dist il, un enfant qui at
v. pains d'orge et ii. poissons, mais c'est molt pou entre tant
de gent. Li enfes qui les v. p[ains] porteuet signefie le puele
des juies; li v. p[ain] sign[efient] les v. liures Moyse u la lois
eret escrile que li pueles des juies porteuet et si ne s'en sole-
uent mie, car il n'entendoient les misteres ne les commans
qui estoient enclous en la uiez loi, qui [150 v.] nos sunt aouert Fol. iflo t.
et reueleit par la doctrine de Jhesu Crist. Ce que li pain
furent d'orge n'est mie sens raison car uos saueis bien que li
orges est de tel nature et si fer et enclos li grains en la pailhe
qu'a paine sens grant trauailh l'en puet om fors traire. Si
faite estoit la uiez lois qui si astoit et li spirituez et couers sens
1 Ueve =. veue.
— 38 —
ens en la letre que nus nel pooit entendre se par la graze
non et par la doctrine de Jhesu Crist. Li dui poisson signe-
fjient] les psalmes et les liures des prophètes, car li poisson
sunt legier por user et si font aiwe al fort pain c'on ne le pnet
mangier. Ensi faitement le psalmes et li liure des prophètes
sunt plus legier et si font a entendre les sacramens de s. glise.
Nostre S[ire] qui bien sauoit que il f uoloit ourer il dist a ses
desciples : Faites, dist il, les homes aseoir. Ensi, ce dist li
ewangelistes, la u il s'asisent ot molt de foink; si s'en asisent
bien par conte .v. mile. Li f[oînk] u sus li pueles s'asist
signefie la conuoitise de nostre char que nos deuons escor-
chier et restreindre, et ce doit faire qui qui unques se uuet
soler des spirituez nourrissemens : il doit la flor del f[oink]
descolchier, ce est il doit despitier la uolente de ses charnes
desiers, il doit son cors destraindre et mètre el seruise Dam-
redeu. Accepit ergo Jhesus Christus panes et cum gratias egisset,
distribua discumbentibus. Jhesu Criz prinst le pain com il oit
grazes rendues a Deu del chiel, si le donat a ceus qui seoient.
Il rendi a son père grases por qu'il nos uolt aprcndre, par que
nos tos iors rendisiens a Damredeu grasces des biens qu'il
nos tremet par sa miséricorde en terre. Et quant il furent
tuit asaziet, Jhesu Criz dist a ses desciples : Recoilhies cest
relief qui ci croist *, qu'il ne perisset. Et s'en enplirent
xu. corbel. Li xu corbel signefient les xn apostles qui, après
ce que Nostre S[ire] ot esposee la uies loi, prechierent la
s. ewangele a tôt le monde. Cest bel miracle nos fist Damredeus
cant il uint anunchier en terre nostre saluement. Mais coni-
sons la sue uenue, reconissons nos maluaistiez, nos félonies
et nos pechies. Enmialdrons nos maluaises uies par s[ain]tes
orisons, par uigiles et par larges almones. Astenons nos cors
et amaigrissons les par jeunes, que nos puissons estre resolet
de la gloire que deus donrat ases a ses amis par Jhesum
Christum Nostre Seignor qui règne etc.
1 Manuscrit qu'il iil; iil empiète sur la marge et semble une addition.
* Pour giest? La troisième et la quatrième lettre ne sont pas bien
distinctes.
— 39 —
Ff.BIA IIIl* POST IIII"* DOH1N1CAM EPISTOLA.
Hoc dicit dominus : Lauamini et mundi estote, auferte malum
cogitalionum uestrarum ab oculis meis. En totes les escrilures
qui sunt de Deu et en toz les sermons c'on fait de Deu en
s. glise uos somont [om] hui molt dochement que uos par
confession uos espurgies de uos pechies que uos aues fais et
que uos uos en laues par lermes et par almones, et en ceste
lezon com ie uos di ores, nos en somont H prophète molt
apertement qui dist : Lauamini, mundi estole etc. Li prophète
ne dist mie qu'il nos diet, ains dist que Deus le nos commande
par lui. Et que nos commande Deus par le prophète? Lauez,
dist Damredeus, soies net, laues uos, dist ilh. Comment? Par
lermes et par plors. Soies net par confession. Cil soi leue et
s'est nez qui deument se repent des mais qu'il at fais et de
mal faire se gardet après la confession. Car de [151 r.] celui Fol. iih r
qui après la confession reuat a son pechiet dist S. Pieres
li apostl[es] : Canis reuersus ad suum nomitum. Ce dist qu'il est
li chiens qui reuient a ce qu il at uomit. Mais se nos uolons
que Deus obliet nos pechies, dont nos conuient il que souent
nos en soueignet. Souent jeûnons, souent donons almones por
nos pechies; por que Deus les puist oblier; maintenons la
doctrine Jhesu Crist. Car la prophète dist : Ostes la maluaistiet
de nos pensées en sus de mes ves *. Il ne nos rueue mie
solement oster en sus de nos les pechies que nos auons oureis
mais encor les maies pensées cant il dist : Ostes, ostes la
maluaistiet de uos pensées. Et les maies paroles que nos auons
parleis nos rue[ue]t il oster deuant les ves Damredeu, ce est
que nos li faisons oblier par penance et par confession et par
almones. Cant il meismes Jhesu Criz dist en la s. ewangel :
De omni uerbo ocioso reddent homines rationem in die jndicii.
Ce est : De totes les visoses paroles rendderont li home raison
al ior de jugement. Et se Deus nos uoit uraiement renpentir
de nos pechies, il les oblierat molt uolentiers, et por ce uos
1 Ves = ues, veux.
9 ma ...
— 40 -
est grans mestirs que par penance et par s. confession li faites
oblier les pechîes. Cil ne fait mie uraie penance ne uraie
confession, encor soit, ce qu'il en soit molt dolans et molt se
duelhet de ses malz et molt en plore , et puis après la con-
fession et la penance reuat al pechiet. Si corn nos uos auons
dit, il at la constume del chien qui reuat a son vomissement.
Mais cil fait uraie penance ki bien et uraiement soi repent des
pechies qu'il at fais et iamais ne uuet râler al pech[iet].
A celui dist s. lohans : Facile ergo dignos fnictus penit[entiœ].
Ce n'est altre chose : Faites dignes frais de pénitence. Corn
se gart c'om ne rechaie mie après la confession en cel mal
raeismes dont om est en penance, mais c'om se gart bien de
cel mal et de tos altres et face om ce que dist Dauid li pro-
phètes : DiveHe a malo et fac bonum. Ja ne li estuet plus grande
parole querre qui urais confes est que Dauid dist : Esloinge toi,
dist il, del mal et foi le bien. Soiez dont tuit en cest s[aint]
tens urai confes, uraiefment] repentant de uos pechies, si
quant ce uenrat al ior del juïse que Deus les ait oblies par sa
mise[ricor]de et uos huchet a sa destre partie auuec ses amis,
Jhesu Criz Nostre Sire qui uit per o[mnia] s[ecula] s[eculorum].
Amen.
DOMINICA IN PASSIONS EP1STOLA.
Fratres, Christus assistais pontifex futurarum bonorum, etc.
Ceste lechon que ie uos di s. Polz le nos dist hui en ses
ep[ist]les, se nos dist de Jhesu Crist Nostre S[eignor] qu'i[l] fu
pontifex des* biens qui erent a uenir. Pontifex ce est ansi que
princes, et se l'apelons pontifex en latin por ce qu'il fu ansi
que pons de tos les biens qu'il anonchat, cant il les fist deuant
et puis ses anunchat; et ensi fist il de lui ausi coin un pont
quant il fist promiers les biens et puis si les nos anunchat par
que mies le creïssiens. Il est uraiement nos pons par cui nos
deuons passer al règne del chiel. Cant nos fist il ce pont Jhesu
Criz? Quant il fu miz en la s. crois et il dist par angoisse de
mort : scicio je ai soif; dont nos fist il le pont dont nos deuotos
— 41 —
aler al règne del chiel et nient soulement aler al règne del
ciel [151 v.] mais encor deseruir la ioie de paradys, se nos Foi. m v.
uolons les commans acomplir. Molt plus amplement, ce dist
H apostl[es], nos at il la uoie mostree al règne del ciel qu'il ne
fist as fiz Isrel par la doctrine de Hoysen. Car tote la uiez lois
ne fu s'ensi non Nombres de uerite. Mais Jhesu Criz li buens
pontifex nos aouurit la droite uoie de nostre saluement par la
doctrine des s. ewangiles que, se nos le uolons faire tôt ausi
que nos le trouons lizant (que) nos ne poons fallir a la ioie que
Deus at promise a ses amis. Tant par est gloriose chose des
s. ewangiles : qui acomplist les commans de la s. ewangil
(qu)'il ne puet mie fallir a la ioie de paradys, car tos nos salue-
mens i gîst ens. Mais qui la s. ewangil ne seit, comment en
acomplirat les commans*? Ne die nus : ie ne sai que ces ewangil
dient, car iel feroie uolentirs; car uraiement tuit les doient
demander et enquerre. Car astalet sunt (car astalet sunt) qui
anuncier les uos doient : ce sont uostre prestre qui par dete
les uos doient anuncier, et uos le deuez par dete escoter. Car
Deus dist a ses apostles cant il se deparlist d'eaz : Euntes (sic) in
mundum uniuersum predicare evangelium omni créature. Aies,
dist Damredeus, par uniuerse munde et si prechies l'ewa[n]gile
a tote créature, ce est a totes les manières de gens. Et ce qu'il
commandât dont az apostles, ce nos commandet il encor a faire,
car nos uos deuons anunchier les paroles -de la s. ewangil,
mais pourement en esploitons : car s'ilh est qui l'anonce[nt], om
trueue pou qui le uuelhe[nt] escoter; s'il est qui l'escolte[nt]
petit est de ceus que 1 acomplisent. H est petit des escoltors,
si corn je dis ores, car cil qui la parole Deu ne uuelent escolter
il ne sunt mie de Deu, si que dist meismes Jhesu Criz en
l'ewangile que nos raconte hui mes s[ire] s. Iohans : Qui ex
deo est uerba dci audit, propterea uos non auditis quia ex deo
non estis. Ce dist nostre salueres Jhesu Criz : Qui est de Deu
il ot uolentiers les paroles de Deu, mais por ce, dist il az jujers,
que uos n'estes mie de Deu, por ce n'en uoles oïr parler. Ci at
une paweroze parole. Solonc ceste parole pense chascuns en
son corage meismes s'il ot de Deu parler et s'il est de Deu. Et
— 42 —
ne doit mie solement qui de Deu est oïr Deu parler, mais
penner se doit par tote sentence des commans Damredeu acom-
plir. Il nos commande Jhcsu Criz que nos deseruons le règne
del chiel. 11 nos commande que nos despitons les chaînes
désirs et la uaine glore de cest siècle (a despitier). Il nos com-
mande que nos ne conuoitons mie altrui chose et de la nostre
propre chose donons por l'amor de lui. Qui ces paroles ot
uolentirs et desierement les acomplist cil est de Deu tôt uraie-
ment et Deus at en lui part. Il sunt mainte gent qui * ia ne
uorroient oïr de Deu parler et tart lor est que la messe soit
chantée et k'il fuist repairies u a son labor u a la uanite del
siècle, et plus uolentirs oroit tos tens parler des batailhes
Rolant et d'Oliuier qu'il ne feroit de Nostre Seignor Jhesu Crist,
comment il soi uint combatre en tierre encontre nostre mortel
ennemis le dy[ab]le, comment il nos saluât des ténèbres
d'enfer. Et se sunt li plusor qui uolentirs oient les paroles
Damredeu mais il unt nul desier de l'acomplir. Et si sunt li
roi. 45a r. plusor qui uolentiers oient la parole [152 r.] Damredeu et
grant desier ont de l'acomplir, mais il reuont puis al pechiet.
Cil qui en ceste manière oient la parole Damredeu ce n'est mie
oïrs. En ceste manière les oient li juier de cui Nostre S[ire] dist
en l'ewangil c'on list hui : Por ce, dist il, ne uoles oïr de Deu
parler que uos n'estes mie de Deu. Dont li respondirent li
juier et se li disent : De! ne disons nos bien que tu es sama-
ritans et si as le dy[ab]le el cors. Deus, aidies ! Et que respondît
Damredeus a ceus qui laidement l'auoient apelet? Dont dist il
a ceus : le n'ai mie le dy[able] el cors, mais uos l'i aues? Non
il. Ains respondit par grant sapience et si dist : le n'ai mie le
dy[ab]Ie el cors, mais ie honore mon père et uos m'aueis
desonoreit. 11 ne desnoiat mie qu'il ne fuist samaritans, car
samaifitans] ce est garde et salueres del mont; por ce ne uolt
mie desdire, mais de ce soi défendit il qu'il n'astoit mie, kar
il li auoient dit qu'il auoit le dy[ab]le el cors. Il astoit celé
garde de cui Dauid dist li prophète : Nui dominus é[usiodehf]
4 Après qui les mots mainte gcnt sont répétés et biffés.
— 43 —
<{ivitatem] f[rustra] u[igilan(\ qui ({mtodiunt] t{am], se Deus
ne garde la citet, en uain uoilent qui la gardent. Commandes
H dont uos cors et uos armes et totes uos choses que (uos) par
son greit a la soi honor uos laist en cest mortel siècle auoir,
qu'il en celé garde uos mete, qu'il uos défende des agaiz nostre
mortel anemis le dy[ab]le et uos conduise a celé ioie et a celé
pais que Deus donrat a ceus qui en sa garde aront esteit, que
cuers ne peut penser ne boche parler ne ueoir velh ne oreilhe
escoter. Et si uos laist Deus uiure en ceste quarantaine en
jeunes, en uigiles et en larges alm[ones], que uos si uos puis-
sies aparilhier encontre la gloriose pasion, qu'ele uos tort al
saluement des armes et des cors si que uos dignement puissies
es maissons de uos cuers rechoiure Nostre S[eignor] Jhesu
Crist a cui est honor et glore.
DOMINICA IN PALMIS EPISTOLA.
Fratres, hoc sentite in uobis quod et in Christo Jhesu. En
ceste epistle que ie uos di nos parole mes s[ire] s. Polz del
sacrament de la passion Jhesu Crist qu'il soffrit por rachater
le puele des doleroses paines d'enfer, car il dist : Frère, ce
sentes en uos que uos sentes en Jhesu Crist. Ausi com il desist :
Frère, celé humilité que uos saues que Jhesu Criz ot en lui
celé aiez en uos. Et quele humilité ot Jhesu Criz en lui? Il uos
dirat après : Quod cum in forma dei esset etc. Il ot, ce dist,
humilité si grant en lui ke ia fuist ce en la forme enguez a son
père et il astoit li sires de totes créatures, endont * s'umiliat
il tant qu'il uolt prendre et uestir la forme son serf, ce est del
home et deignat cstre parchoniers de nostre humaine nature,
por ce qu'il nos poïst deliurer de la parmanable mort d'enfer.
Grande uoirement fu ceste humilités qu'il, por ce qu'il poïst
morir, prist mortel forme; car ensi qu'il astoit deuant en la
nature de sa diuinitet, ne nos poïst il ia par sa mort rachater
des paines d'enfer, car il n'astoit mie corporel chose c'om poïst
4 Sans doute erreur de copiste pour encordant, néanmoins.
— 44 -
tenir et ueoir. Et por ce s'umiliat il tant qu'il nostre humaine
forme prinst que la dampnation v Adanz nos auoît mis por
Foi. 189 ▼. l'obédience qu'il enbrisat coue-[lo2 v.]-noit destruire et com-
parer par angoisse de mort. Mais quant li piuz pères del ciel uit
que si grant dampnation ne poroit destruire nus hom mortez,
il enuoiat son chier fil en terre enz en la uirgine Marie prendre
nostre char por celé mortel dampnation destruire. Il destruisit
la glotenie Àdan, car il ieunat xl iors es desers por cel sol
mors qu'Adans fist en Ja pume. Il uenkit l'orguelh Adan par
l'umilite. 11 soffrit a d errai n s quant il ot jeune la saine xl"* et
il fu recinez ensemble ses desciples, que Judas, qui astoit des
xii apostles, le uendi az félons juyers por xxx pièces d'argent.
Et quant il Tôt uendu et il l'ot trahi, si soi repenti, mais ne
proiat mie merci, ietat ius ses d[eniers] et si dist : Je ai pechiet,
car i'ai trahit le iuste sanc. Et il soi desperat, car il ne fu mie
dignes de urai repentement. Car il auoit toz iors esteit leres et
amasseres des biensfais c'om doneuet as poures. Car ce sachies :
qui tote sa uîe n'at fait se mal non, cant ce' uient a la mort,
il n'cs[t] dignes de urai repentement. Ausi ne fu li traîtres
Judas qui par desperation soi pendit, car il ot deliureit Nostre
S[eignor] Jhesu Crist as félons qui l'emmenèrent deuant Pilate
et sel commenchierent a encuser et dire qu'il soi clameue i roi.
Pylate l'arainat'en maintes manières et com il ne poist en
lui nul mal trouer sel uolt laisier aler. Et cil commenchierent
a crier : Se tu lai cestui aller, César ne t'en sarat nul greit.
Cil il astoit rois et quant Pylates oï del roi parler, s'ot grant
paor : Que ferai dont de cest home que uos auez ci amenet?
Il commencierent a crier a grande uois : Crucefiez le, cruce-
fiez le. Queil mal a ilh fait, dist Py[latjes, c'om le crucetieroît?
Et cil commencèrent] miez et niiez a crier c'om le crucefiast.
Cant Py[lates] uit qu'il nel poroit deliurer, il le deliural as
jujers et si dist : Prendes le, dist il, et sel crucefiez solonc uostre
loi. Il le prisent et sel commencierent à gaber, se li courirent
les ves et se li doneuent grans colees ens en la face et el roi
1 Après clameue, le texte porte deii biffé.
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et si disoient : Adeuine, Jhesu Criz, qui est ce qui te ferit?
Pense chascuns de uos en son corage se nus hom terriens
sofrist ia si grant honte qui si bien le poïst amender com fesist
Dainredeus? Car il meismes dist a Pylate : Quides tu, dist il,
se ie uoloie, ie ne poisse rouer mon père qu'il m'enuoiast
plus de xn légions d'angles qui moi deljueroient de tes mains?
Mais ensi conuient les escritures acomplir. Cant { ce orent
fait li félon jujer, si l'emmenèrent el mont d'Oliuet la u il le
crucefierent. La siwit il une si dure procession por nos
pecheors qu'il suât, ce dist li escriture, la suor si angoissouse
por paour de mort k'ele li coroit de ci en terre ausi com ce
fuissent gotes de sanc. Et se crucefierent ensemble lui por
sauietet .u. larrons, l'on a la destre et l'autre a la senestre. Li
uns des l[arrons] disoit a Nostre Sfergnor] : Se tu es fiz de Deu,
por coi ne salues tu et toi et nos? Et cest contraire et plusors
altrcs disait li lerres a Nostre S[eignor]. Et li altres qui a sa
destre pendoit respondoit a son compaignon : Chaitis, tu ne
dotes mie Deu et sa uirtut, qui es ens el perilh de mort. Oiez
del buen larron com buen larenchin il fist qu'il ens en la crois
pendant emblat le règne [153 r.] del ciel. Il abaisat la uoiz et Fol. 453 r.
si dist a Nostre S[eignor] : Sire, ramembre toi de moi cant tu
uenras en ton règne. Nostre S[ire] li respondit par grant
dochor : En uerite le toi ie [proftiets] k'ui en cest ior seras
ensemble moi en paradys. A cest larron doient prendre confort
luit li pecheor, ki si tart se repentit; confort (il) doient il pren*
dre de la merci de Deu aconsiere, mais ne doient mie prendre
confort de si tart repentir, ne ne doit nus pechier en sperance
de tart repentir. Car Deus maldit l'orne qui pechct en espé-
rance. Li félon juier qui entor Damredeu astoient il fléchie-1
uent lor genos a terre et si disoient par con[t]raire : Deus toi
sait, rois des guiz! se tu es fiz de Deu, descen de la crois;
si toi croirons. Se Damredeus uolsist, il en fust bien descen-
dus, mais il uoloit acomplir l'ucure que ses pères H auoit
commandée et sel uolt mostrer que cil qui n'aroit perseue-
1 Manuscrit car.
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rance ius qu'en la fin, ce est ius qu'en la mort, (qu)'il ne seroit
mie dignes del règne del chiel. Et por ce uolt il en la crois
perseuerer de ci en la mort. La sofri il si grant angoise
qu'il meismes dist a ceus qui trespasseuent par la uoie : O uos
omnes qui t[ransitis] per u[iam], etc. 0 uos, dist il, qui tres-
passes par celé uoie, entendes et si uoies s'onkes nu le dolors
fu semblans a la moi dolor. Si angoisose fu sa dolors qu'il
meismes dist a son père del ciel ausi qu'il en eust paor : Deux
métis ut quid dereliquisti me? Mes Deus, mes Deus, dist il, as
me dont relenqui? La v il estoit en celé angoissose dolor, il se
tornat a ceus qui deuant lui esteuent et si dist : Sicio. Je ai soif,
dist il. Il auoit soef des pecheors qu'il uoloit traire al règne
del chiel. Mais ce n'entendoient mie li félon gye, ains li corut
li uns de ceus aporter un molt moluais bojure, fiel et aisit
ensemble melet, et quant il ot sauret n'en uolt goster. Vns
cheualirs qui unques n'auoit ueut le ferit el costet d'une glaiue
si que li sanz et li aiguë eiissit et uint corant tôt aual la gleue
de ci a ses mains, et quant il sentit le sanc, il inist ses mains
a ses ves, si rechiet la lumière et la lumière del ciel. Ilh ne fu
mie solement ralumes des vez del chief. Celui cui il auoit
naureit et des ves del cuer conut qu'il astoit cil qui astoit uenuz
rachater le munde des paines d'enfer, il li priât merci de son
pechiet et Damredeus li pardonat. Voies et s'entendes la grande
merci Damredeu qui * le larron qui si tart soi repentoit recoil-
hit a merci, Longin(s) pardonat la plaie qu'il li fist el coste de
sa lance et nient solement li pardonat mais encor li rendi la
lumière des ves quant il li priât merci, saint 2 Pyere(s) qui
astoit garde de tos les altres pardonat ce qu'il l'auoit desnoiet,
quant il plorat amèrement. Ces trois grans confors donat Dam-
redeus en sa passion as pecheors. Et quant il astoit en la sainte
crois et il en astoient tuit fuoit soi desciple, mais que sa
gloriose mère ma dame s. Mjarie] et mes s[ire] s. lohans ewan-
glistes, il regarda sa mère docement en morant et ele regarda
4 Manuscrit que.
* Manuscrit sains.
i
s
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[153 v.] * lui tote dotante si coin mère et en plorant. Bias Hz, Foi. 153 y.
dist la gloriose dame, por coi pens tu si faitement? De ! n'es
tu Deus? Et Damredeus li respondi : Bêle mère, ce est por
le mortel puele qu il ne uoist en perdicion. Il li enseignât
s. Ioban et se li dist : Dame, dist il, uois ci ton fil, ciz serat
tes fiz des or en auant. Puis at dit a s. Johan : Johans, uois ci
ta mère, ie la te commant a garder et a couerner. Et cant il ot
ce dit, il enclinat son chief et si dist : Comummatum est. Con-
summet est dist il qu'il rendoit son espir, car quant il ot
rendu t a son père son espir, dont diet il bien dire : Consummet
est, car dont fut consummet et complit tôt ce que les prophètes
auoient de lui anunciet des al commencement del siècle. Com
Nostre S[ire] ot dit qu'il astoit consummet et il ot rendut son
espir a son père, la .... . lat par font, li iors deuint ténèbres
car li soles 2 retrast a lui sa clarté por le mort Jhesu Crist et
si conut son creator, et plusor mort qui auoient giet en terre
lonc tens soi releuerent et aparurent a ceu(s) de la cite. Cant ce
oirent auenir cil qui la astoient, si orent grant paor et si com-
mencierent a hucier : Uoirement cil hom astoit fiz de Deu. Ce
que li soles obscurat ce signefie que li gyu erent auogle et li
defailhemens del sololh signefie lor dampnation qu'il aront
por lor auoglement. Et nos qui en Damredeu créons, qui
sûmes apelet crestien Jhesu Crist, ki conissons et bien sauons
que la gloriose pasfsijons nos at toz deliureit des paines d'enfer,
ramemSrons la si dignement que se nos tort a remission de
nos pechies. Nos ne deuons mie mener ioie et desduis en ces
iors que cil qui nos créât toz et fist il a soi ymagene, sofrit si
grant dolor et si grant passion por nos cuers, cant uos
orez ramembrer la passion Jhesu Crist Nostre S[eignor]. Plorent
1 Le verso du f. 153, le dernier de notre texte, est fort endommage par
l'humidité ou le frottement et récriture en est, par endroits, très difficile
à lire ou complètement effacée : les lacunes sont indiquées par des points.
Le sermon qui commence au bas du feuillet étant le dernier de la série,
on peut supposer, d'après sa longueur probable, qu'il ne manque qu'un
feuillet à notre manuscrit.
* Ou solos.
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H velh de! chief del cuer, aies compassion de si grant
dolor que nostre salueres sofrit por nos en ceste penose
samaine, qui droit at nom penose, car en li fu pennes Dam-
redeus Cest s[aint] tens, que nos dignement puissons
atendre sa sfainte] resurexion puissons estre que
parmi foit et karite et parmi pacience et humilité, nos uuelh
releuer (releuer) de la mort dei pechiet a la uie humilité
dont il nos at et sa grant pacience sens dont
humle et soffrant si que fu Jhesu Crist qui tant nos amat
qu'il ne nos racbatat mie ne d'or ne d'argent del d'enfer,
mais de son precious sanc. Se li prions qu'il nos ioie qui
est promise az amis Deu in
lN CENA D0N1NI EP1ST0I.A.
Conuenientibus uobis in unum, etc. Mes s[ire] s. Polz de
la gloriose cène v Deus soi recinat ensemble ses apostles
cant il ot ieunet es desers. Celé cène tient hui tote la
crestientes en grant mémoire et en grant ueneration, car Nostre
S[ire] meismes le commandât a ses apostles, car il dist : Ego
exemplwn
Cœtera deswtt.
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