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MEMOIRES COURONNES
ET
AUTRES MÉMOIRES
PUBMKS PA K
L ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE,
C'OIjIjECTIOW IM-8”. — TOME XIII.
BRUXELLES,
M. BAVEZ, IMPRIMEUR DE U ACADÉMIE ROYALE.
1862.
erQA-
MÉMOIRES COURONNÉS
ET
AUTRES MÉMOIRES.
MÉMOIRES €01 RONNËS
ET
AUTRES MÉMOIRES,
PUBLIÉS PA K
l’académie royale
DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE.
COLLECTION IN-90. — TOJME *I8S
BRUXELLES ,
M. H AYEZ. IMPRIMEUR UE l’aCADÉMIE ROYALE.
1 862.
LE DLL JEAN 1
ET
LE BRABANT SOLS LE RÈGNE DE CE PRINCE
(1267-1294);
PAR
Alphonse WAUTERS,
ARCHIVISTE DE LA VILLE DE BRUXELLES, ETC.
( Mémoire couronné le ü mai 1859.)
Ecce Brabantorum
Üiix mililiae , leu dictas
Et ücus armormi.
( Jean de Tiueerode. )
Tome XIII.
1
•INTRODUCTION.
I.
Le règne de Jean 1er forme îa plus belle époque de l’histoire de
l’ancien duché de Brabant. Pendant vingt-sept années (de 1267 à
1294), ce riche pays parcourut une période qui ne fut pour ainsi
dire marquée par aucun désastre, tandis que de nombreux succès
augmentait la réputation de vaillance de ses habitants. La victoire
de Woeringen, une des plus éclatantes dont l’histoire du trei-
zième siècle fasse mention , couronna une longue série de cam-
pagnes et de négociations, heureusement conduites à travers des
intrigues sans nombre. Les villes et les campagnes du duché vé-
curent tranquilles sous l’égide d’un bras redouté; si elles payèrent
cette sécurité par d’énormes subsides, elles virent du moins l'au-
torité ducale s’étendre jusqu’aux bords du Rhin , le pays grandir
aux yeux de l’étranger, le commerce, l’industrie, l’agriculture
prospérer; la législation , les arts et les lettres naître à une vie nou-
velle. Il manquait au héros un poëte digne de le chanter : dix ans
après Woeringen , les vers de Van Heelu mirent le sceau à la gloire
de Jean Ier.
Six générations de grands princes s’étaient succédé sur le
trône ducal de la basse Lotharingie, depuis que la politique ver-
satile de Henri de Limbourg avait fait perdre à sa famille l’hé-
ritage des anciens comtes d’Ardenne. Malgré la défiance des
Empereurs, qui parurent toujours disposés à restreindre les pré-
rogativcs de leur dignité, malgré la jalousie et les efforts des
princes leurs voisins, les ducs de la Lotharingie inférieure surent
se maintenir dans une position honorable.
Sous leur gouvernement, le domaine des anciens comtes de
Louvain et de Bruxelles, leur patrimoine, accru de nouveaux
territoires, subit une transformation complète. Il se forma, au
?
centre de la Belgique, un Etat puissant, dont le territoire se cou-
vrit de châteaux, de villes et de monastères. Autour de la ban-
nière des ducs se groupa une nombreuse chevalerie , attachée à
ses chefs héréditaires par une législation féodale peu oppressive l.
A Limitation de ce qu’on remarquait dans les contrées rhénanes
et la Flandre, les bourgeoisies se multiplièrent jusque dans les
déserts de la Campine, où, avant la fondation de Bois-le-Duc par
Godefroid III, il n’existait pas une seule bourgade importante.
Des colonies de religieux, principalement de Prémontrés, ornè-
rent les campagnes de grandes fermes; elles donnèrent à l’agri-
culture une impulsion analogue à celle que l’industrie reçut dans
les cités.
Ces tendances civilisatrices , dont nos ducs secondèrent les dé-
veloppements dans leurs Etats, ils s’en firent également les propa-
gateurs au dehors.
Quand les communes belges commencèrent à prendre ce déve-
loppement excessif qui donne à l’histoire de notre pays un carac-
tère tout particulier, les ducs de Brabant recherchèrent leurs
sympathies. A Gand, en effet, à Saint-Trond, à Liège, et mémo à
Aix-la-Chapelle et à Cologne, leur intervention fut plus d’une
fois réclamée comme un bienfait.
Godefroid Ier avait eu longtemps à combattre le duc de Lim-
bourg, à qui l’empereur Lothaire de Saxe, attaché à une politique
toute différente de celle de ses prédécesseurs, avait rendu la
dignité ducale; Godefroid II ne fit que passer sur le trône, et Go-
defroid III dut employer toute la première partie de son règne h
1 Le droit féodal de Drabant n’excluait pas les tilles d’une manière absolue
de la succession de leurs parents; elles succédaient à défaut de fils. L’applica-
tion de celle disposition fut souvent réclamée dans les contrées voisines.
dompter ses principaux vassaux, les Bertïiout de Grimberghe. Un
rôle plus éclatant était réservé à Henri Ier, que son père Godc-
froid III associa de bonne heure au partage de l’autorité. Pendant
plus de soixante années, il fut mêlé à presque tous les événements
qui agitèrent l’Europe occidentale. Les rois d’Angleterre, de France
et d’Allemagne recherchèrent son amitié, et après avoir contribué
à défendre les prétentions d’Othon IV au trône impérial, il conçut
l’espoir de le supplanter. Sa valeur se déploya en Palestine comme
en Belgique; si la fortune ne lui sourit pas toujours, il sut con-
server intact son patrimoine, et le bien-être de ses sujets fut l’objet
constant de sa sollicitude, ainsi que l’attestent des centaines de
chartes. Son fils Henri II et son petit-fils Henri III continuèrent son
oeuvre. Tous deux héritèrent de la considération dont il jouissait :
le premier refusa l’Empire que son père avait ambitionné; le
second, dont le règne fut trop court, termina souvent, comme
médiateur, les querelles qui divisaient les princes belges.
Pendant le règne de ce dernier, une période nouvelle s’ouvre
dans notre histoire : les débats qui s’étaient élevés entre le saint-
siège et l’Empire amènent ou facilitent en Europe des change-
ments de la plus haute importance. L’autorité de la cour de Rome,
après avoir atteint son apogée sous Innocent III et Grégoire IX,
après avoir abattu à la fois Frédéric II et les Stadingues, ne tarde
pas à s’affaiblir, et l’excommunication, arme terrible dont les
souverains pontifes et leurs délégués ont trop usé, perd son ancien
prestige. Partout la foi ardente, la foi enthousiaste diminue et
s’éteint. Les croisades, détournées de leur but primitif, sont
impuissantes à reconquérir la Palestine; Saint-Jean d’Acre, le der-
nier rempart des chrétiens de Syrie, tombe enfin aux mains des
mahométans. Les biens immenses accumulés par les établisse-
ments monastiques deviennent pour eux une cause de vexations,
en même temps que, partout, on semble s’attacher à en prévenir
l’accroissement ultérieur.
Tandis que, dans la seconde moitié du treizième siècle, la voix
des chefs de l’Eglise, tout en restant écoutée et respectée, cesse
d’être dominante, la puissance impériale s’affaiblit également. Son
premier amoindrissement avait eu pour cause le trop fréquent
séjour des Empereurs en Italie et les guerres intestines qui suivirent
la mort de Henri VI. Le second , qui fut plus considérable, com-
mença le jour où la plupart des princes ecclésiastiques de la basse
Allemagne refusèrent d’obéir à Frédéric II, et élevèrent au trône
Henri, landgrave de Thuringe, puis Guillaume, comte de Hol-
lande. Durant plus de soixante ans, le sceptre passa à des princes
qui n’étaient pas même électeurs, et dont les efforts, secondés
quelquefois par de grandes qualités, échouèrent devant l’audace
des grands et la turbulence du peuple.
L’anarchie, en Allemagne, favorisa les prétentions de la no-
blesse, qui bientôt ne reconnut plus d’autre loi que la violence.
En abandonnant à leurs propres forces les villes habituées à servir
avec dévouement les Empereurs, malgré la répugnance de ceux-ci
à écouter leurs réclamations, elle ne fit qu’enflammer le courage
de leurs citoyens, qui sentirent la nécessité de redoubler d’ardeur
pour la défense de leurs privilèges. La confédération des cités du
Rhin aurait produit de féconds résultats, si presque toutes les
bourgeoisies n’avaient été alors menacées dans leur développement
par un germe de discorde, qui fut fatal à la plupart d’entre elles :
la scission qui se manifesta à cette époque, entre les riches et les
pauvres, entre les marchands et les artisans, ou , suivant une ex-
pression consacrée par l’usage, entre les patriciens et les plé-
béiens.
Dans le domaine intellectuel, c’est encore l’Église qui règne.
Saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin, Henri de Gand de-
vancent de bien loin leurs contemporains, les naïfs historiens et
les poètes au style léger et lascif, mais ces grands athlètes n’au-
ront pas de successeurs à leur taille. Le quatorzième siècle, livré
entièrement à de nouvelles préoccupations, verra s’ouvrir de nou-
veaux horizons. Le Dante, Pétrarque, Boccace, Froissard inau-
gureront le réveil des littératures modernes.
Jean Ier appartient déjà à la seconde époque du moyen âge. Et
cependant son père représente encore un de ces vieux barons,
qui n’écoutaient qu'avec respect la voix du chef de la chrétienté
et dont le dernier vœu était d’achever leur vie au pied du tom-
beau du Christ. Henri 111 guerroie, il est vrai, contre l’évêque de
Liège, mais est-ce un prêtre que cet Henri de Gueldre, dont les
mœurs souillent le siège épiscopal des Lambert et des Notger?
Il s'approprie les dîmes novales, c’est-à-dire les dîmes des terres
récemment défrichées, mais un bref du pape l’y a autorisé. 11
prend l’argent où il le trouve, mais, en mourant, il confirme en
faveur de son peuple les généreuses résolutions de Henri IL Le
caractère de son fils offre plus d’une nuance différente : la Pales-
tine l’intéresse médiocrement, il a trop de querelles à vider en
Belgique, et dans ces querelles, peu lui importe que son adver-
saire soit consacré; il saura, au besoin, supporter le poids de
l’anathème. A défaut de combats, il court aux tournois et se pas-
sionne pour eux autant que pour les belles demoiselles h S’il
protège le commerce de ses sujets, s’il leur accorde des privi-
lèges, il sait aussi les pressurer. Enfin sa mort est digne de sa
vie : il tombe frappé dans une joute. Au demeurant, courtois,
libéral, loyal, digne d’être célébré dans l’histoire et chanté par
les poêles.
Le landgrave de Thuringe Henri Raspon, que les ennemis de
l’empereur Frédéric II et de son fils Conrad appelèrent au trône,
en 1245, n’avait pas survécu à ses premiers succès.
Le pape Innocent IV, l’énergique défenseur de sa cause, offrit
alors la dignité impériale à plusieurs princes et, en particulier, au
duc de Brabant Henri II, qui la refusa, et qui lui conseilla de
choisir son neveu Guillaume II, comte de Hollande, âgé seulement
de vingt ans. Ce jeune prince fut en effet proclamé, dans une
grande assemblée qui se tint le 5 octobre 1247, à Neuss, ou, selon
d’autres auteurs, à Wocringcn. Mais plusieurs villes rhénanes lui
opposèrent une énergique résistance, et il ne réussit pas à do-
miner dans la haute Allemagne, quoique Frédéric II fût mort et
son fils Conrad parti pour l’Italie (décembre 1251).
1 Henri III était également passionné pour les tournois. Voyez à ce sujet
Van Veltbem, Spiegel historiaal, liv. II, c. 40.
La grande querelle des d’Avcsncs et des Dampierre, qui atteignit
alors son degré extrême d'intensité, retint longtemps en Belgique
le nouveau roi, dont les États héréditaires furent un instant me-
nacés. La sentence de Louis IX, roi de France , qui avait adjugé
le Hainaut à Jean d’Avesnes et la Flandre à Guy de Dampierre,
n'avait pas contenté le premier; il sollicita et il obtint du roi Guil-
laume la Flandre impériale, c’est-à-dire les pays d’Alost et de
Waes,ies Quatre-Métiers et la suzeraineté des îles de la Zélande.
Ses réclamations et la mort de Guillaume de Dampierre, qui périt
dans un tournoi, à Trazegnies, le G juin 4251, portèrent au comble
la colère de la comtesse Marguerite de Constantinople. Dans sa
haine pour les enfants qu’elle avait eus de Bouchard d’Avesnes,
elle ne craignit pas de leur attribuer la malheureuse lin de son
liîs préféré. Ardente à se venger, elle attaqua les domaines de leur
protecteur, le roi Guillaume; elle fit envahir la Zélande, où ses
troupes furent vaincues, à West-Capeîle (4 juillet 1253). Elle se
détermina alors à céder le Hainaut à Charles d’Anjou, frère de
Louis IX. Accueilli avec peu de sympathie par les habitants de
ce pays, et notamment par les fiers bourgeois de Valenciennes,
Charles d’Anjou dut bientôt le quitter, à l’approche d’une armée
nombreuse, commandée par le roi Guillaume.
Le roi de France, revenu d’une malheureuse campagne en
Égypte, se rendit immédiatement en Flandre pour y rétablir la
paix, et réussit à faire déposer les armes aux princes belligérants.
Cette intervention ne pouvait arriver plus à propos pour les
d’Avesnes, car la mort du roi Guillaume , qui fut massacré dans
une invasion en Frise, le 26 janvier 1256, les privait de leur plus
puissant appui. Ils renoncèrent à leurs prétentions sur la Flandre,
tandis que Charles d’Anjou abdiquait ses. droits au Hainaut. La
pacification de la partie occidentale de la Belgique fut complétée
dans un congrès tenu à Bruxelles sous la présidence du duc
Henri III, qui semblait aspirer à imiter, dans une sphère plus
modeste, le noble exemple que lui offrait le monarque français.
C’étaient les passions dénaturées d’une marâtre et des haines fra-
ternelles, où semble revivre l’antique lutte d’Atréeet de Thyeste,
qui déchiraient la plus belle partie de nos contrées; sur les bords
de la Meuse et du Rhin , des discordes non moins sanglantes
étaient provoquées par l’amour naissant du peuple pour la liberté.
Pour mieux se défendre contre le clergé, avec lequel ils avaient
eu plus d’une contestation, les échevins de Liège appelèrent aux
fonctions de maître à temps, un de leurs concitoyens qui jouissait
d’une grande popularité, Henri de Binant, et, de concert avec
lui , ils organisèrent la bourgeoisie en vingtaines ou troupes de
vingt hommes b Ils ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’ils avaient
contribué à élever une puissance qui devait contrebalancer la
leur.
Lorsque l’élu de Liège , Henri de Gueldrc, voulant marcher
contre Marguerite et Charles d’Anjou, réclama des Liégeois le ser-
vice militaire, les échevins s’empressèrent de l’accorder, mais la
commune le refusa, à 1 instigation du nouveau chef de la com-
mune. Peu de temps après, à la suite de nouveaux débats, l’élu
et la majeure partie du clergé quittèrent la ville, et les échevins,
mis par Henri de Binant en demeure de se prononcer, prirent le
même parti.
La ville de Liège, confédérée avec celles de Binant, de Huy et
de Saint-Trond, engagea contre ses ennemis une guerre où elle
obtint quelques succès (1254), mais elle fut moins heureuse l’année
suivante; Saint-Trond fut repris, les Huitois vaincus (lOaoût \ 255),
et, dans une scène pompeusement arrangée, une sentence de
proscription fut lancée contre Henri de Binant et ses principaux
adhérents. Après des négociations inutiles, les Liégeois eux-mêmes
réclamèrent la paix à grands cris. Le 27 septembre 1255, l’élu
rentra triomphant dans sa capitale, et une nouvelle sédition, qui
y éclata l’année suivante, trouva les échevins mieux préparés à la
1 Sur la foi de Hocsem (c. 5, apud Chapeauville, Gesta pontificum Leoclien-
sium, l. II, p. 286) et d’Outremeuse, que M. Polain a suivi ( Histoire de
l’ancien pays de Liège , 1. 1, p. 359), on attribue ordinairement ces réformes à
Henri de Binant seul; mais Jean Presbyler ( apud Chapeauville, l. c., p. 282)
s’exprime autrement , et nous le suivrons de préférence , parce qu’il était con-
temporain , ou peu s’en faut, de ces événements. Ce qui prouve qu’il a senti la
portée de son récit, c’est la réflexion dont il l’accompagne : Hoc scabini ad
conculcandum Cleruni faciebant , sed relortum est in caput eorum.
( 10 )
résistance. Victorieux cette fois, ils satisfirent leur soif de ven-
geance. Les maisons des chefs du peuple forent détruites; l’un
d’eux, le sellier Gérard Bassiers, fut pendu, et la porte Sainte-
Walburge, isolée des remparts, devint une citadelle redoutable.
D’autres villes de l’évêché s’étaient soulevées; elles furent sévè-
rement punies : Dînant paya une forte amende, et on supprima
la commune qui s’était organisée à Saint-Trond. Le duc de Bra-
bant, que cette ville avait reconnu pour avoué, ne put que stipuler
pour les bourgeois proscrits le droit d’y rentrer.
A Cologne, il y eut aussi des luttes assez vives entre l’arche-
vêque Conrad et la ville; là elles furent plutôt causées par des
conflits de juridiction entre les éehevins et le prélat, et ce dernier
y défendit énergiquement les prétentions des métiers. Après avoir
guerroyé contre la principale ville de ses domaines, en 1254 et
1252, Conrad en vainquit de nouveau les bourgeois, coalisés
avec un grand nombre. de princes allemands, dans une sanglante
bataille (14 avril 1254). La victoire de Conrad était un échec pour
l’autorité du roi Guillaume, car ces deux personnages s’étaient
brouillés. Le prélat, « voulant fuir le vice de l’ingratitude et re-
» connaître les bienfaits des comtesses Jeanne et Marguerite , qui
» jadis l’avaient fait sortir de prison b, » s’était déclaré ouverte-
ment pour Charles d’Anjou contre les d’Avesnes, tandis que tous
ses voisins se prononçaient en leur faveur 2.
Les dangers et les exactions auxquels étaient exposés les mar-
chands, au milieu de ces guerres sans cesse renaissantes, cau-
sèrent un tort immense au commerce. Fatiguées de 1 abandon où
les laissait la puissance royale, les villes rhénanes résolurent de
1 II rappelait ici le souvenir de sa captivité dans le château du comte de
Juliers , en 1245. Acte du mois d’août 1254, dans Saint-Génois, Monuments
essentiellement utiles , p. 579.
2 Pour ce qui concerne le comte de Juliers, consultez un traité du 15 oc-
tobre 1254, où l’archevêque et le comte se réservent chacun la faculté d’assis-
ter le comte d’Anjou ou les d’Avesnes (Lacomblet, Urkunclenbuch fur die
Geschichte des Niederrheins , t II , p. 217). Pour l’élu de Liège la question
n’est pas douteuse. Quant au comte de Gueldre, l’année qu’il promit au roi lui
valut une augmentation de l’engagère de Nimègue jusqu’à concurrence de cinq
mille marcs (1er juin 1254, Lacomblet, t. II, p. 216).
( Il )
se confédérée, et de conquérir à îa pointe de l’épée la sécurité
qui leur était refusée. Dirigées par un Mayeneais nommé Wal-
bodon, à qui elles durent la première idée de cette union, elles
abolirent par la force les tonlieux qui entravaient le négoce,
forcèrent les princes et les nobles à adhérer à leur ligue, et jurèrent
l’observation d’une paix qui devait durer dix ans, à partir du
jour de la Sainte-Marguerite, 20 juillet i 254.
Quoique confirmée h plusieurs reprises par le roi Guillaume,
et acceptée par la plupart des princes dont les États bordaient le
Rhin, la ligue rencontra de nombreuses difficultés et ne vécut que
péniblement. Elle ne fut acceptée par aucun duc ou comte de la
Belgique ou de la Lorraine, ni par aucune ville à l’ouest d’Aix-la-
Chapelle. Bientôt, dans les pays où elle paraissait jouir de îa plus
grande faveur, elle n’inspira plus de respect, et, peu d’années
après, on vit éclater de toutes parts des discordes et s’arrêter
le développement de la confédération, qui se divisa depuis en
deux grandes branches : la ligue hanséatique, composée des cités
saxonnes et westphaliennes, et la ligue rhénane, formée de celles
du Rhin.
Le roi Guillaume assista pour ainsi dire en spectateur désinté-
ressé à toutes ces grandes manifestations de l’opinion publique, et
put bientôt s’apercevoir qu’il avait accepté une mission au-dessus
de ses forces. Sa femme Elisabeth, fille du due de Brunswick, fut
arrêtée par un petit seigneur de l'archevêché de Trêves, qui
ne la relâcha qu’après l’avoir dépouillée de ses bijoux. Guillaume
lui-même faillit périr à Cologne; à Utrecht, une main inconnue
lui lança une pierre. Parti furieux de cette dernière ville, avec
laquelle il avait toujours entretenu des relations amicales, il alla,
à la faveur d’un fort hiver, se jeter sur le pays des Frisons, où
îa glace se rompit sous le poids de son coursier bardé de fer, et le
livra, sans défense, aux coups des plus acharnés ennemis de sa
race (29 janvier 1250).
Le trône impérial, doublement vacant par la mort du roi Con-
rad, fils de Frédéric 11, et par celle de Guillaume de Hollande,
devint l'objet de honteuses intrigues. On vit alors se produire les
négociations déplorables dont S élection de Charles-Quint donna
( 12 )
plus tard le triste spectacle. Richard, comte de Cornouailles, frère
de Henri ï II , roi d’Angleterre, passait pour le prince le plus riche
du temps. Ce fut à lui qu’on s’adressa, par l’intermédiaire de Jean
d’Àvesnes h Celui-ci fut parfaitement accueilli par lui, puis re-
tourna en Allemagne, où plusieurs princes vendirent leurs suf-
frages à Richard.
Le jour de l’élection, pendant les octaves de l’Epiphanie 1256-
1257, les partisans de ce prince le proclamèrent roi, tandis que
l’archevêque de Trêves, Arnoul, se disant autorisé par le roi de
Bohême, le duc de Saxe et le marquis de Brandebourg, donna la
couronne au roi Alphonse de Castille, neveu du roi de Bohême
et du duc de Brabant. Alphonse rallia quelques partisans en Bel-
gique; mais il y fut soutenu avec peu de vigueur. Ainsi, tandis
que Guy de Dampierre se déclarait en sa faveur, Marguerite de
Constantinople négocia avec Richard. Quant au duc de Brabant,
qu’Alphonse nomma gardien et défenseur des pays s’étendant du
Brabant au Rhin et du diocèse de Trêves à la mer, et de toute la
Westphalie 1 2 *, son dévouement se borna à accepter 20,000 livres
tournois 5. Seul, l’archevêque Arnoul combattit vaillamment au
nom du roi de Castille; mais il mourut en 1259, et l’absence
d’Alphonse, de qui le duc de Lorraine ne put obtenir qu’une
vague promesse de venir dans les deux années en Allemagne,
porta à sa cause un coup mortel.
Cependant son rival triomphait. De Dordrecht , où il débarqua
le 5 mai 1257, il se rendit, par la Gueldre à Aix, où lui et sa
femme, la belle Sanchie, sœur du seigneur de Fauquemont, furent
couronnés par l’archevêque Conrad, le 17 mai 1257.
Le nouveau roi suivit principalement les conseils de Conrad. Il
accorda également sa confiance à l’évêque de Cambrai, Nicolas 4,
1 L’historien Thomas Wikes ( Chronicon , apud Gai e , Renm anglicarum
scriptores veteres , t. Il, p. 51 ) lui donne le nom indéchiffrable de Jean de
A ttenicis.
2 1 6 octobre 1257, Willems , Brabantsche Yeeslen , t . 1 . p. G55. — De Dynter,
t, 11 , p. 417 , oh cet acte est mal daté de 1255.
5 Butkens, 1. 1, Preuves, p. 95 (20 octobre 1258).
4 Le 26 décembre 1256, le roi, étant encore à Londres, approuva les con-
qu’il créa son chancelier, et à Jean cTAvesnes, dont il fit son séné-
chal. Ce dernier ne jouit pas longtemps de sa faveur, et mourut
la veille de Noël, en 1257, laissant entre autres un fils du même
nom, qui devint également un des agents de Richard. Dans l’entrc-
temps, l'archevêque de Mayence dégagea le château royal de Bop-
pard, que son confrère de Trêves assiégeait, et Richard put
paisiblement remonter le cours du Rhin. Mais son voyage, tout
pompeux qu’il fut, ne dut pas l’encourager dans ses projets. Des
murmures s’élevèrent contre les Anglais qui l’avaient accompagné,
et il fut forcé de s’en séparer 4. Enfin, lorsqu’il arriva à Baie, la
plupart des princes l’abandonnèrent, sans cacher qu’ils l’avaient
suivi jusque-là pour son argent 2. Bientôt il se lassa d’un rôle
ingrat, et, en 1259, il retourna en Angleterre.
Le roi s’était empressé de confirmer les privilèges des villes.
Conrad, toutefois, jugea le moment opportun pour attaquer de
nouveau les bourgeois de Cologne. Au bout de trois mois, cette
cité, se trouvant isolée, consentit à soumettre le différend à cinq
arbitres, parmi lesquels figura le dominicain Albert le Grand.
Dans l’écrit où il expose la justice de sa cause, l’archevêque
s’étend longuement sur la nature de sa juridiction; il se plaint
des alliances de la ville avec ses ennemis, de la protection que les
citoyens riches et puissants accordent à des hommes du peuple
appelés Muntmannen ou monnayeurs, des prétentions des bour-
geois à juger de l’usure, des faux serments, des adultères, des
mariages, des fausses mesures, etc., matières dont il revendique la
connaissance exclusive pour la justice ecclésiastique; il réclame
également contre les impôts et corvées que les maîtres des citoyens
imposent aux marchands, et contre les exactions nouvelles que les
veinions que l’évêque de Cambrai et Jean d’Avesnes avaient conclues, le 15 du
même mois, avec Conrad, pour son élection. On s’était engagé envers ce
prélat à le réconcilier avec le saint-siège et avec le légat Pierre Capuce [Co-
dex epistolaris Rudol/i l, Romanonm regis , Leipsik, 1806, pp. 505-512,
Lacomblet, t. if, p. 252).
1 Mathieu Paris, Historia major.
2 Fragmentum historicum, Tritheim, etc., cités par Struvius, Corpus lus -
loriae Cermanicae , etc., 1. 11.
( ü )
majores ou notables font peser sur les métiers. Les bourgeois,
de leur côté, reprochent au prélat l’arrestation illégale et Fem-
prisonnement de certains d’entre eux et de quelques juifs, la levée
de taxes sur les chemins, la falsification des monnaies, l’octroi
à des marchands étrangers de la permission de naviguer libre-
ment sur le Rhin, au détriment de leur ville, qui, d’après eux,
devait former entre les deux parties du fleuve une étape infran-
chissable.
La sentence des arbitres porte la date du 28 juin 1258; elle
réforma les abus que l’on avait signalés de Fun et de l’autre côté ,
et exigea, notamment, la remise de l’administration financière de
la cité à une commission composée de quelques échevins, de quel-
ques membres des métiers et de quelques bourgeois, que l’on as-
sujettit à rendre compte de leur gestion quatre fois par an. Les
patriciens paraissent avoir été irrités au dernier point de ces inno-
vations. Ils prirent les armes et se répandirent dans la ville « en
» déployant des drapeaux ennemis. » Mais leurs tentatives échouè-
rent, et leur audace fut réprimée par une série de mesures vigou-
reuses, arrêtées de concert entre l’archevêque, d’une part, « les
» consuls, les fraternités (ou corps de métiers), le peuple de la
» commune et généralement toute l’universalité de la cité. »
Les monnayeurs, qui possédaient leur office à titre héréditaire
et que l’on appelait, sans doute pour cette raison, die IJüsge-
nossen , furent déclarés indignes et dépouillés de leurs fiefs et de
leurs privilèges (24 mars 4258-1259). Le maître des citoyens et
quinze échevins, sauf Bruno Crantz, qui avait mérité d’être épar-
gné, furent destitués, et on les remplaça par vingt-cinq autres
personnes, nommées à vie, et dont les successeurs, au fur et à
mesure des vacatures, devaient être désignés parles échevins res-
tants, l’archevêque et les corps de métiers. Vingt-cinq autres bour-
geois, qui, après quatre citations successives, de quinzaine en
quinzaine, n’avaient pas comparu, furent, le 17 avril 1259, pro-
scrits et dépouillés de leur avoir. Pour mieux prévenir une réac-
tion, l’archevêque et la commune resserrèrent leur alliance le
15 avril de l’année suivante, puis se partagèrent par moitié les
moulins sur le Rhin et les maisons des bannis, maisons qui au-
( IS )
raient dû être détruites, et que l’on épargna afin de ne pas enlaidir
l’aspect de Cologne (17 décembre 1260) b
La révolution opérée par Conrad justifie les tentatives du tri-
bun liégeois Henri de Dinant, en condamnant l’état d’infériorité
dans lequel on maintenait les artisans dans la plupart des villes
belges, mais elle survécut à peine à son auteur. Son triomphe ne
pouvait être que momentané, car le temps n’était pas encore ar-
rivé où les hommes de métiers, devenus dominants dans les com-
munes, devaient dépasser de bien loin les patriciens en courage
et en patriotisme. Leur première victoire à Cologne servit plutôt
l’autorité des archevêques, qui, de leur côté, s’aperçurent qu’ils
ne pouvaient plus espérer de maintenir leur domination, qu’à la
condition de s’assurer l’appui de l’une ou l’autre des fractions de
la bourgeoisie.
III.
Peut-être nous accusera-t-on d’avoir laissé dans l’ombre le duc
Henri III, le père de notre héros? Mais, au milieu d’une époque
si agitée, un prince pacifique devait nécessairement s’effacer 1 2.
Henri eut à peine occasion de prendre les armes, si ce n’est pour,
puis contre l’élu de Liège 2. La chevalerie brabançonne ne conquit
de lauriers qu’à l’étranger : Arnoul le Brun , de la famille des
Trazegnies, parvint à la dignité de connétable de France, et le
vaillant bâtard de Wesemael, sire Francon, s’illustra en défendant
pendant deux ans le château de Namur, qu’il ne rendit au comte
de Luxembourg que lorsqu’il n’y resta plus assez de pain « pour
apaiser les cris d’un enfant affamé. »
Poursuivant la politique de ses ancêtres, qui s’étaient toujours
1 Voyez Ernst ( Histoire du Limboury, t. IV) et les pièces diplomatiques
dans l’ouvrage intitulé : Securis acl radicem posita (Bonn, 1729, in-fol.),
et dans Lacomblet.
2 Le duc fut encore choisi pour arbitre en 1259, par l’évêque d’Utrecht et
le comte de Gueldre (Willems, Brabansche Yeesien, 1. 1, p. 657), et en 1260,
par ce dernier, d’une part, le comte de Elèves et ses fils Thierriet Thierri
Loef (Lacomblet, 1. 11, p. 272).
( 16 )
efforcés d’accroître leur influence dans les domaines des églises,
Henri III empiéta sur les droits du chapitre de Nivelles; il profita
d’une occasion favorable pour occuper, par engagère, Malines,
Hougarde, Beauvechain, qui appartenaient à l’église de Liège; il
essaya également de dominer à Saint-Trond. De plus, sous le pré-
texte que son père avait laissé des dettes considérables, et afin de
pouvoir appuyer plus énergiquement le roi Guillaume, il obtint
du pape Innocent IV le droit de percevoir les dîmes novalcs, à
charge d’en remettre un tiers aux recteurs des paroisses où ces
dîmes se levaient h
On ne sait pas au juste à quelle époque Henri III se maria. Une
lettre du roi d’Angleterre, en date du 21 janvier 1251, nous ap-
prend qu’il se refusait alors aux propositions que ce monarque lui
avait fait transmettre, à moins que celui-ci ne lui assurât le paie-
ment d une somme de 10,000 marcs et d’une rente annuelle de
500 livres. Un religieux, P... (sans doute Pierre) de Savoie, qui
s’était chargé de la négociation du mariage, n’étant pas encore
revenu de Bourgogne, le roi, dans l'impossibilité de prendre une
décision à ce sujet, réclama du duc un délai jusqu’à la fin du mois
qui suivrait la fête de Pâques prochaine, il promit de lui faire
alors connaître ses intentions, et il demanda pour cette date l’en-
voi de députés chargés de terminer la négociation 1 2.
Le duc épousa, probablement dans le courant de l’année 1252,
Aleydc de Bourgogne, hile du duc Hugues, mort en 1272, et
d’Yolcndc de Dreux. Aleyde donna à son époux trois fils et une
fille, outre un premier enfant mort en naissant : Henri, Jean,
Godefroid et Marie. Henri et Marie virent le jour à Louvain, les
deux autres à Bruxelles 3. Le plus âgé d’entre eux avait au plus
huit ans lorsque leur père mourut, et Jean sept ans seulement,
car il doit être né en 1254.
1 Bref daté de Pérouse ; le 5 des ides ou 1 i mars 1255, dans Miræus, Opéra
cliplomatica , t. II , p. 1255.
2 Rymer, Foedera, litterae el acta publica, l. I, p. 270.
3 Chronicon Nivellense, à la suite du Faux Childebrand de Chifïïel (1659,
in-4°), f° 155.
( 17 )
Au goût de Ja poésie et à la galanterie, le due unissait une ex-
trême piété. Elle lui valut, en 1260, une participation entière aux
prières et aux bonnes œuvres de l’ordre de Prémontré. En lui accor-
dant cette faveur spirituelle, l’abbé et le chapitre général procla-
ment « que tous les hommes, nés de notre premier père, sont
» égaux » , sauf que , selon les décisions des anciens docteurs de
» l’Église, une noblesse particulière échoit en partage à quel-
» (pics- u ns h »
Henri III expira le 28 février 1260-1261. « Adenez, dit M. de
» ReifFenberg, raconte que la mort de ce duc excita les regrets de
» tous ses sujets. Le poète fait l’éloge de son bon cœur et le dé-
» peint comme un prince vertueux, charitable, compatissant et
» juste. Il rapporte qu’avant de mourir, il commanda d’ouvrir les
» portes de son palais à tous ceux qui voudraient venir le voir,
» ayant fait mettre beaucoup d’or et d’argent près de lui, afin de
» le donner aux pauvres. Ce trait touchant n’est pas suspect dans
» la houchc d’un contemporain, qui parlait de ce qu’il avait vu
» comme tout le monde 1 2. »
A Limitation de son père , qui avait signalé ses derniers mo-
ments par l’abolition de la mainmorte, Henri III scella, deux
jours avant de mourir, une charte où l’on remarque un caractère
religieux très-prononcé, à côté de tendances progressives. Il s’y
oblige à payer 4,000 livres de Louvain, au profit de la croisade
contre les infidèles, si la mort l’empêchait de remplir son vœu
d’aller en Palestine, et il lègue une rente annuelle de 2,000 livres,
pour indemniser ceux dont il aurait lésé les intérêts. Ensuite, il
exempte les hommes (ou habitants) du Brabant de toute taille,
exaction ou précaire , si ce n’est dans des cas déterminés. Il or-
donne en outre de restituer les dîmes novales aux églises et aux
personnes ecclésiastiques à qui elles revenaient de droit, et de
rendre de même, avec une indemnité pour les véritables proprié-
1 Licet omnes , a primo parente progeniti , eandern adhitc nobilitatem
sorciantur, tamen , secunduni antiquorum patrum approbata décréta, in
quibusdam nobilitas locum optinet potiorem. Cartulaire de Brabant B., aux
Archives du royaume, f° 108.
- Introduction à la Chronique de Philippe Mouskcs, l. I, n. clxxx.
Tome XIII. 2
( 18 )
taires, les eaux l, les bruyères et les biens communaux, dont il
avait usurpé la possession. Enfin, pour obéir à cette répulsion
que les chrétiens de l’époque affectaient à l’égard des juifs et des
usuriers généralement désignés sous le nom de Cahorsins, parce
que certains d'entre eux étaient originaires de Cahors, il ordonne
de les expulser du duché s’ils ne consentent à y vivre comme les
autres marchands, en renonçant au prêt et à l’usure. Deux domi-
nicains : frère Gérard de Huldenberg et frère Gérard de Trêves,
le frère mineur Pierre, de Louvain, et le seigneur de Bruech,
Gérard de Marbais, furent chargés d’accomplir les intentions du
bon duc 2. Henri III ne décida rien au sujet de la tutelle de ses
enfants; il ne se doutait pas qu’on la disputerait à sa veuve et que
ses Etats seraient en proie, pendant plusieurs années, à l’anarchie
et à la discorde.
1 Wariscapii , c’est-à-dire waterschap , aquagium ou aquaeductus. M. de
Ram ( Chronique des ducs de Brabant par De Dynter t. II , p. 205 ) suppose
à tort que ce mot signifie ici terrains publics.
2 Butkens, t. 1 , Preuves, p. 99. — Luyster van Brabant , lste deel, p. 46.
— Opéra diplomatica, t. I, p. 207. — De Dynter, t. II, p. 204. — De Reiffen-
berg, Remarques sur deux actes de Henri II et de Henri III, dans les Nou-
veaux mémoires de l'Académie de Bruxelles , t. VI.
LE DUC JEAN I
ET
LE BRABANT SOUS LE RÈGNE DE GE PRINCE.
CHAPITRE PREMIER.
MINORITÉ DES ENFANTS DU DUC HENRI III. — AVENEMENT
DE JEAN Ier AU TRÔNE DUCAL.
I.
Les premiers embarras contre lesquels la duchesse eut à lutter
furent des questions d’argent, soit que son mari lui eût laissé des
domaines grevés de dettes, soit qu’Aleyde eût aggravé par des
dépenses de luxe la situation financière du duché. Les nécessités
dans lesquelles elle se trouva se trahissent dans les questions
qu’elle adressa à saint Thomas d’Aquin. Elle lui demande si elle
peut vendre au plus offrant les emplois, tels que ceux de bailli et
de maire; le savant théologien répond, avec raison, par la néga-
tive : si l'on agissait autrement, ajoute-t-il, on livrerait les fonc-
tions publiques aux hommes cupides. Il engage aussi la duchesse
à obliger ses officiers à restituer l’argent qu’ils se seraient pro-
curé au moyen d’extorsions; à son avis, il n’est pas permis d éta-
blir des taxes pour des causes futiles, mais uniquement pour faire
face aux besoins ou à la défense du pays, les princes étant insti ~
( 20 )
tués par Dieu, non pour leur propre avantage , mais afin de
procurer le bien-être au peuple. Enfin, saint Thomas insiste éner-
giquement pour que les juifs soient traités avec indulgence et avec
équilé h
Les monastères, dont les richesses s’étaient accrues dans des
proportions énormes depuis le commencement du siècle , et que
l’on prenait l'habitude de pressurer 1 2 *, furent aussi accablés
d’exactions. La duchesse fit placer des gardiens dans les fermes
de l’abbaye de Foret, sans doute afin de punir la communauté
d’un refus de contribuer dans les impôts; quelques ecclésiastiques,
par ordre de l’évêque de Cambrai, se rendirent auprès d’AIeydc,
à Louvain, afin de l’engager à révoquer ses ordres, mais ils ne
purent pénétrer dans le château et ce fut devant ses portes qu’ils
accomplirent la formalité de lancer l’interdit sur le Brabant et sur
sa souveraine 5.
La maison des Templiers, de Vaillampont près de Nivelles 4, et
l’abbaye de Gembloux eurent aussi à se plaindre. A la prière des
moines de ce dernier monastère, un religieux de Villers, Goberl
d’Aspremont, qui jouissait d’un grand renom de sainteté, se
chargea d’appuyer leurs réclamations. Son cheval l’ayant jeté à
terre, il se présenta devant Aleyde dans un. état pitoyable, cou-
vert de sang et de boue, et, sans ménagements, l'accusa d’avoir été
elle-même la cause de l’accident par lequel il avait failli perdre
la vie
1 Nouvelles archives historiques cle M. de Reiffenberg, t. I, p. 17.
2 Voyez ce que dit à ce sujet le père Maghe , dans la Chronicon ecclesiae
Bonae Spei.
5 Le diplôme de l’évêque porte la date du 18 octobre 1261 (M. Willems,
Brabantsche Yeesten, t. I , p. 660). Il a été publié, ainsi que la déclaration
des délégués du prélat, dans le Messager des sciences historiques, année
1856, p. 409.
1 11 y eut entre les templiers de Vaillampont et la duchesse des contestations
qui lurent portées devant l’archidiacre d’Amiens, Barthélemy, chapelain du
pape. Le Cartulaire de Brabant B ., f° 77, contient à ce sujet un acte où l’on
en rappelle un autre en date du 1er décembre 1265.
5 Le bienheureux Gober t mourut en 1265. Fisen, Historia ecclesiae Lco-
diensis, pars II , p. 15.
{ 21 )
Los villes furent-elles plus ménagées? Il est permis d’en douter,
en voyant la recrudescence de vie politique qui se manifesta alors
chez elles et qui fut provoquée, on peut le supposer, par des at-
teintes portées aux libertés séculaires des bourgeoisies braban-
çonnes. Sans une nécessité pressante, Louvain aurait-elle demandé
la confirmation de ses privilèges au chef suprême de la chrétienté?
Cette intervention insolite n’annonce-t-elle pas une situation ex-
ceptionnelle? Si l’on voit Alexandre IV défendre de citer les Lou-
vanistes hors de leur ville, aussi longtemps qu’ils seraient prêts à
comparaître devant leurs juges ordinaires *, si, en termes plus gé-
néraux, le même pontife confirmé toutes les libertés que cette cité
devait aux papes, aux rois, aux princes, aux comtes 2; c’est que
la situation réclamait des garanties exceptionnelles. Le recours à
l’autorité pontificale était, à cette époque, trop onéreux, trop dif-
ficile, pour que l’on s’en servît sans une nécessité pressante.
Les cités du Brabant ne se bornèrent pas à réclamer une inter-
vention puissante , mais éloignée. Leur principale force résidait
dans une union intime ; elles le comprirent. Déjà, de concert avec
quelques communes étrangères, elles s’étaient garanti mutuelle-
ment leur tranquillité, en proscrivant les hommes de métier, et
particulièrement les tisserands et les foulons, qui troubleraient
l’ordre à l’intérieur de l’une d’elles3; déjà leurs magistrats s’étaient
empressés de témoigner en faveur de la ville d’Anvers à laquelle
on disputait l’étape du sel 4. L’année même de la mort du duc
Henri III, par le premier de ces actes énergiques que depuis elles
posèrent si souvent, elles contractèrent une alliance solennelle.
« Regrettant que l’audace de quelques insensés ait autrefois excité
entre elles la discorde et la haine, et reconnaissant les suites fu-
nestes de ces dissensions, elles déclarent avoir arrêté, après de
nombreuses délibérations, les moyens d’entretenir la paix, comme
il convient à toutes personnes honnêtes et surtout à des com-
patriotes. Elles mettent à néant, en sœurs, toutes haines et tous
1 Bref du 2 juillet 1261, Opéra diplomatica, t. II , p. 1254.
2 Id. du 5 du même mois. Ibid.
3 Vers 1249, Iïenne et Wauters, Histoire de Bruxelles , t. I, p. 62.
1 En 1259. Ibidem , p. 65.
C 22 )
dissentiments, et se jurent amitié et alliance. Après avoir décidé
que les querelles s’élevant entre des habitants de deux villes diffé-
rentes, seraient jugées par les échevins et jurés des deux parties,
elles se garantissent le maintien de leurs droits contre tous, sauf
l’autorité du duc et de ses héritiers. Enfin, elles s’engagent, dans
le cas où l’étendue du duché ou les droits du souverain seraient
amoindris, à prévenir le duc qu’il peut compter sur leur aide, et
à protester, jusqu’à réparation, contre ces usurpations qui doivent
être considérées comme des torts particuliers causés à toutes les
villes. »
Des conventions de ce genre furent conclues : le 24 juillet 1261,
entre Bruxelles d’une part, Louvain, Tirlemont, Anvers, Lierre,
Hérentlials, Sichem, Jodoigne, Haelen, Vilvorde, Léau, Nivelles,
Incourt, Aerschot, Gembloux, Turnhout l; le 29 janvier 1261-
1262, entre Louvain, d’une part, Anvers, Jodoigne, Gembloux,
Haelen, Herk (Lierre? il y a ici une erreur), Iléren thaïs, Léau,
Tirlemont, Turnhout, Incourt, Sichem 2; le même jour, entre
Léau, d’une part, Anvers, Bruxelles, Haelen, Hérentlials,
Lierre, Louvain et Tirlemont, d’autre part 3; le même jour, entre
Turnhout, d’une part, Anvers, Louvain, Bruxelles, Lierre4 5 6; le
2 février, entre Anvers, d’une part, Turnhout, Lierre, Héren-
thals, Tirlemont, Léau, Louvain et Bruxelles, d’autre part
le jour de la Trinité 1262, entre Bruxelles et Nivelles c.
A côté de ce fait général , partout surgissent des épisodes lo-
caux, dont la signification commune est la même; ils trahissent
une aspiration nouvelle à la liberté, l’esprit de résistance à l’op-
pression, le désir d’abolir des privilèges. A Bruxelles, on voit re-
1 Hernie et Wauters, Histoire de Bruxelles , p. 66.
2 Rapport sur l' administration et la situation des affaires de la ville de
Louvain, année 1855, p. 26. — Piot, Alliances des communes du duché de
Brabant (. fylessager , année 1841, p. 464).
5 Archives de Léau aux Archives du royaume.
4 Opéra diplomatica , t. 1 , p. 428.
5 Mertens et Torfs, Geschieclenis van Antvverpen , t. II, pp. 47 et 531.
6 La ville de Nivelles ayant perdu ses chartes , demanda à la ville de
Bruxelles une copie de cet accord, qui lui fut délivré en 1504, le lundi après
le dimanche où Ton chante jubilate. Cartulaire de la ville de Nivelles , f° 26.
( 23 )
paraître les jurés, qui probablement avaient été abolis sous
Henri II ou sous Henri III, par l’influence des échevins, jaloux
de toute influence qui aurait pu contrebalancer la leur, dans la
commune b Des jurés se montrent aussi à Anvers, pour la pre-
mière fois 1 2 *, et le chapitre de cette cité est menacé dans la pos-
session de ses vieilles franchises 5. A Léau, les maire, échevins,
conjurés (pour jurés) et autres bourgeois déclarent que si une
personne du voisinage ou un étranger cause quelque préjudice
aux habitants, le maire et les échevins, ainsi que le maître de la
commune et les jurés, feront sonner la cloche et sortiront en
armes, à la recherche de l’offenseur 4. Mais en deux endroits sur-
tout des tendances révolutionnaires se manifestent : «à Louvain et
a Nivelles.
Dans la première de ces villes se formèrent deux factions : les
Colvers ( Colveren , Clavarii) et les Blanckaerts ( Blanckarde ,
Blancardi ), ainsi nommées, dit Butkens, du nom de leurs capi-
taines s. Elles étaient divisées par la haine la plus cruelle et leurs
1 Voyez à ce sujet Y Histoire de Bruxelles, 1. c., p. 65, note 3.
2 L’acte de confédération entre Anvers et Turnhout, fut contracté par les
échevins , jurés et bourgeois de ces deux villes.
5 Voyez plus loin , chap. X.
1 Le bourgeois qui refusait de suivre ses magistrats, à moins de motifs
sérieux, était puni par une amende de 20 livres, ou par la perte d’une oreille,
ou par le bannissement d’un an ; on en usait de même à l’égard de celui qui
causait du tumulte ou qui sonnait, sans motifs, la cloche d’alarme (octobre
1263). Piot, Notice sur la ville de Léau ( Messager , année 1843, p. 365).
5 Voyez Van Heelu, livre 5, vers 215 et suiv. — Van Velthem, chap. 41.
Selon M. Willems, qui cite à ce propos un ouvrage intitulé . Meyer s , borge-
meesteren, schepenen , enz., publié en 1667, les Colvers fournirent à la ville
de Louvain plusieurs échevins de 1234 à 1257. — Evrard Colvere occupait ces
fonctions en 1249, et Evrard Blanckart en 1272 ( Car tulaire de Parc les
Dames , passïm).
La famille Blancart, selon Hemricourt, portait d’or aux trois pals d’azur, au
chef de gueules, chargé d’une croix échiquetée d’argent.
Les deux factions avaient de puissantes racines dans la population louva-
iriste, puisqu’elles formaient encore, en 1360, deux lignages, dans lesquels
étaient exclusivement pris les sept échevins, les vingt-deux jurés et les huit
doyens de la gilde. 11 fut alors stipulé qu’on ne choisirait plus parmi les palri-
( 24 )
débats ensanglantèrent fréquemment les rues de Louvain. Toute-
fois, lorsque quelques années plus tard, les Colvers vainquirent,
grâce à l’appui du sire de Wesemael, ce fait constitua plus que
le triomphe d’une coterie. Ils furent probablement obligés de
payer par des concessions le concours des corps de métiers, qui
reçurent alors une organisation militaire. La commune donna à
chaque corporation deux chefs, qui obtinrent sans doute le droit
de siéger dans le conseil de la cité, et établit vingt-cinq porte-
bannières l.
Le mouvement qui s’était manifesté à Nivelles avait plutôt une
tendance nationale. Le bourg antique qui avait grandi à l’entour
du temple dédié à sainte Gertrude, constituait à cette époque
une localité considérable, dont Tunique paroisse avait été divisée
en onze parties, en l’année 1251 2. Mécontents d'être assujettis à
l’autorité d’une femme et livrés à une administration sans force,
les habitants s’étaient organisés en commune, et avaient réclamé
l’intervention des ducs de Brabant 3. Ces princes ne se contentant
plus d’être les avoués du chapitre, voulaient diriger ce corps;
dans ce but ils demandèrent aux empereurs la possession de l’ab-
baye de Nivelles, c’est-à-dire le droit d’en conférer les dignités,
principalement la dignité abbatiale. Des décisions contradictoires
leur confirmèrent et leur enlevèrent tour à tour l’objet de leur
convoitise 4; toutefois, favorisés par les événements, secondés par
la population , ils réussirent enfin de la manière la plus complète.
Henri II, consommant les empiétements de ses prédécesseurs,
reçut le serment des jurés ou magistrats de la commune (leséche-
ciens que quatre échevins; deux Blanckarde et deux Colvere; onze jurés:
cinq Blanckarde et six Colvere; et quatre doyens : deux de chaque lignage.
M. Willems, Brabantsche Yeesten, t. 11, p. 57t.
1 Vin cum signaculis qui vulgariter Pincekelene dicuntur. Charte de l’an-
née 1267. Ibidem , 1. 1 , p. 665.
2 Opéra diplomatica , 1. 111 , p. 705.
5 Charte sans date, mais qui doit appartenir à la seconde moitié du dou-
zième siècle. M. Jules de Saint-Génois, Histoire des avouer ies en Belgique ,
p. 207 ; — Willems, Brabantsche Yeesten , 1. 1, p. 616.
1 Consultez, à ce sujet, les diplômes que Butkens a fait connaître et dont
la discussion exigerait un travail spécial.
( 25 )
vins restant à la nomination du chapitre) et confia aux bourgeois
la garde des remparts et des portes ].
Ap rès la mort de Henri III, les Nivellois secouèrent tout à fait
le joug de l’obéissance, pour nous servir des termes mêmes de
l’évèque de Liège. Ils exercèrent toutes les prérogatives dont l’ab-
besse réclamait la possession. Se confédérer, s’imposer chacun à
un certain taux, avec une réserve fictive des droits de l’abbesse
et du chapitre, réorganiser l’administration de la justice après
avoir destitué les justiciers et le forestier en fonctions, se faire
graver un nouveau sceau, emprisonner dans une nouvelle prison,
promulguer des statuts comminant contre les contrevenants la
peine de la mort ou de la confiscation, voilà les griefs que les
adhérents de l’abbesse eurent bientôt à leur reprocher. Ils se li-
vrèrent encore à de plus graves excès. L’entrée de la maison de
sainte Gertrude (de la maison abbatiale, pour mieux dire) fut
forcée et le peuple en emporta et détruisit les portes. Les clefs
des portes de la ville furent enlevées , les gardes de ces portes ,
qui étaient à la nomination du maire et des échevins, maltraités
et destitués, le produit du péage que l’on y percevait, con-
fisqué. On brisa les serrures qui défendaient l’accès des tours de
la collégiale et on apporta à ces dernières de grands change-
ments.
L’abbesse et le chapitre, ayant porté leurs plaintes au roi Ri-
chard de Cornouailles, qui se trouvait alors en Brabant, ce prince,
par un diplôme daté de Louvain, le 5 juillet 1262, confia le soin
de terminer ce différend à l’évêque de Liège. Henri convoqua à
Fleurus les prêtres de toutes les localités ressortissant au concile
ou doyenné de ce nom, leur ordonna de menacer d’interdit les
membres de la commune, et les chargea d’inviter ceux-ci à se
soumettre, en omettant d’abord la sentence d’excommunication.
S’ils persistaient, ils seraient excommuniés; s’ils continuaient
pendant huit jours, les plébans ou curés de Nivelles étendraient
rexcommunication aux familles des bourgeois, et huit autres jours
plus tard, l’administration des sacrements (sauf le baptême des
1 Chronique manuscrite de Nivelles, à la Bibliothèque royale, n° 16,596.
( 26 )
enfants et les secours de la religion aux mourants) cesserait tout
à fait L
Quelque sévère que fût cet ordre du prélat, la ville se refusa à
obéir. Pendant deux ans, elle continua la lutte, elle conserva ses
nouvelles franchises. Enfin elle céda. En 1265, le jour de la divi-
sion des apôtres, quatre délégués : Hugues de Rougnon , Rodol-
phe de la Porte Brûlée (de Combustà porta), Simon de Postito et
Emorandus se présentèrent en son nom devant l’official de Liège,
B. de Bossut, en présence d’un grand nombre de clercs, de che-
valiers et d’autres personnes. Conformément à ce qui avait été
convenu , ils renoncèrent à la ligue que les membres de la com-
mune avaient formée entre eux, et remirent à l’official et à l’abbé
de Sainte-Gertrude de Louvain le sceau de la ville, qui fut immé-
diatement détruit. Quelques jours après l’évêque approuva tout
ce qui s’était fait 1 2. Les habitants de Nivelles s’engagèrent aussi à
restaurer la maison abbatiale et fondèrent en outre une chapel-
lenie dotée de cent livres 3. Leur soumission, cependant, doit
n’avoir été que temporaire , car en l’année 1267, ils figurèrent
encore au nombre des villes du Brabant et parmi celles qui pos-
sédaient un sceau particulier 4.
Le seul acte des premières années de la régence d’Aleyde qui
soit relatif aux relations du duché avec les pays voisins est un ac-
cord conclu, pour un terme de cinq années, commençant à la fête
de la Purification 1261 (2 février 1262, nouveau style), entre
elle et la comtesse de Flandre Marguerite. Les deux princesses s’in-
1 Diplôme daté du jeudi avant la nativité de la vierge, en 1265. Cartidaire
du chapitre de Nivelles , f° 527.
2 Le dimanche suivant, l’official fit part delà soumission des Nivellois à
l’évêque ( Cartulaire cité, folios 205, 256, 419) , qui ratifia le même jour le
traité conclu par ses soins (f° 55).
5 Au mois de septembre 1275, l’abbesse Isabelle reconnut avoir reçu
soixante livres sur les cent que la ville devait pour doter cette chapellenie,
ainsi que cela avait été décidé, « quant on fait paix du débat entre madame
» Odain , jadis abbesse de Nivelles, et les bourgeois de la commune. » Ibidem ,
f° 266.
4 Voyez plus loin , § 4.
( 27 )
terdisent la faculté de donner asile aux malfaiteurs qui seraient
bannis de leurs domaines respectifs. Une seule exception est faite,
en faveur des hommes de fief; encore ne pouvait-on les accueillir
s’ils étaient en guerre contre leur suzeraine, et devaient-ils res-
tituer ce qu’ils auraient enlevé [.
L’histoire intérieure manque également de clarté. Outre que le
pays fut agité par les commotions dont plusieurs villes donnè-
rent le spectacle, outre les rivalités qui s’agitèrent au sujet de
la régence, les haines et les vengeanees particulières se satisfi-
rent sans crainte, faute d’un pouvoir assez fort pour les préve-
nir et les réprimer. Godefroid et Jakemon ou Jacques de Fleppe
(ou Velp) furent assassinés par Guillaume de Bcrgynes, Bau-
douin, son frère, Iwain de Fleppe et Nicolas d’Udengyen ou lTdc-
kem. Ce meurtre occasionna entre les coupables, d’une part, et
les parents des victimes, Arnoul de Fleppe, Jakemon de Cler-
mont et la famille de Beau fort, de longues querelles, qui ne furent
terminées qu’en 1264. On condamna les meurtriers à aller à la
terre sainte, d’où ils ne pouvaient revenir qu’à l’invitation de la
partie adverse; déplus on confisqua les fiefs que les deux Bergynes
tenaient de Godefroid de Fleppe 1 2.
Les restes mortels de Henri III avaient à peine reçu la sépul-
ture que ses proches se disputèrent la tutelle de ses enfants et
l’administration de ses États. Le droit naturel et un usage presque
universel attribuent aux veuves le soin de veiller à la sûreté et
à l’éducation de leurs enfants; mais, en cette occasion, cette sûreté
ne pouvait être garantie que par l’intervention d’un ou de plu-
sieurs chevaliers, illustres par leur naissance et leur valeur. Ce-
1 Déclaration d’AIeyde, du mardi après Quasimodo 1262. Saint-Génois,
Monuments essentiellement utiles , p. 597.
2 Cette paix fut faite à Louvain, devant le château, Bulletins de la Com -
mission royale d’histoire, lTe série, t. IX, p. 49.
( 28 )
pendant la duchesse Lu (garde avait, dit-on, gouverné le Brabant
pendant la minorité de Godefroid III *, et Blanche de Castille avait
régné en France durant les jeunes années de Louis IX. Mais, tout
récemment, un conflit s’était élevé à ce propos en Hollande, où on
avait contesté à la comtesse Alice la tutelle des fils qu’avait laissés
son beau-frère, le roi Guillaume. L’orgueil des nobles répugnait à
servir sous une femme, de quelque rang qu’elle fût. Dans des
circonstances de ce genre, le choix d'un tuteur ou d’un premier
conseiller constituait donc un acte de la plus haute importance.
Il existait plusieurs descendants males du duc Godefroid III,
comme on peut s’en convaincre en jetant les yeux sur le premier
tableau généalogique, placé à la suite de notre travail. Quelques-
uns, comme les enfants de Hollande, n’avaient pas encore atteint
leur majorité; d’autres, notamment le seigneur de Perwez, étaient
séparés par un certain nombre de degrés. Il n’y en avait guère
que deux dont les prétentions eussent des chances d’être accueil-
lies : Henri le jeune, landgrave de Thuringe, et Henri de Lou-
vain, seigneur de Ilerstal, le premier, frère , le second, cousin du
duc Henri III.
Par malheur pour lui , le landgrave ne se trouvait pas en posi-
tion de faire valoir scs droits. Scs propres États étaient livrés à
une guerre civile, qui se perpétuait depuis la mort de son oncle
maternel, le landgrave Henri. Ce dernier, qui est connu dans
l’histoire sous le nom de Roi des prêtres , était mort le IG février
1247. Plusieurs de ses vassaux appelèrent à lui succéder sa sœur
Sophie, la seconde femme du duc Henri II de Brabant. Bientôt
privée de son mari, Sophie ne put se faire reconnaître que dans
une partie de la Hesse. Son cousin, Henri, marquis de Misnie,lui
enleva la Thuringe, et, fatiguée d’une lutte malheureuse, elle
retourna en Brabant. Plus tard, elle voulut revendiquer le patri-
moine de ses aïeux pour son fils Henri dit l’Enfant. Ses efforts
n’eurent pas plus de succès. Albert de Brunswick, qui commandait
1 L’approbation de Lutgarde à certains actes posés du temps de la minorité
de Godefroid III, témoigne de la déférence et du respect que ce prince avait
pour elle. Quant aux quatre tuteurs imaginés par le chantre de la guerre de
Grimberghe , ils n’apparaissent avec ce titre dans aucun document.
( 29 )
son année, lui vaincu et pris à Wettin, le 20 octobre 1205, et,
pendant sa captivité, Sophie et Henri signèrent l’abandon défi-
nitif de la Thuringe au marquis et à ses fils l.
La fortune qui poursuivait Henri au delà du Rhin, ne lui fut
pas plus favorable en Brabant. La duchesse Aleyde parvint à faire
écarter, par les états du duché, ce prétendant à la régence, qui
d’ailleurs sortait à peine de la tutelle, car il était né le 24 juin
1244. Toutefois on lui paya une somme d’argent, peut-être ces
mille marcs pour lesquels le comte de Gueldre se porta caution
envers Sophie, le 11 septembre 1202 2. Henri continua à se qua-
lifier, sur son sceau, de tuteur du duc de Brabant ou de tuteur
de Lotharingie et de Brabant 7\ mais sans participer à l’adminis-
tration du duché. Seulement, en 1260, il figura le premier parmi
les seigneurs qui signèrent l'alliance conclue entre Aleyde et le
comte de Clèves 4 * *, et parmi ceux qui s’engagèrent à faire ratifier
par l'héritier du Brabant, « lorsqu’il aurait atteint l’âge eom-
» pètent », la donation au seigneur d Heynsberg, par la duchesse
Aleyde , d’un fief d’argent 3. Puis il ne reparut dans le duché qu’en
1279. Suivant une déclaration qu’il scella à Bruxelles, le 25 no-
vembre, il avait, disait-il, réclamé une part dans le patrimoine
de son père, à l’instigation de ses conseillers. Mieux informé, il
avait acquis la conviction du peu de fondement de ses prétentions,
et il y renonçait complètement, en promettant de renouveler sa
renonciation par devant le roi d’Allemagne Rodolphe et partout
1 Voyez Struvius, Corpus historiae Germanicae , t. IL
2 Déclaration du comte de Gueldre, du il septembre 126:2. Ces mille marcs
devaient être employés à acheter, c’est-à-dire à désengager la terre de Rhode-
sur-Dyle ou Rhode-Sainte-Agathe ; si cette somme n’est pas payée par Aleyde
à Sophie ou à son (ils , le comte promet d’assigner à ceux-ci une rente de cin-
quante livres de Louvain sur ses revenus à Nodenbeke, c’est-à-dire Nodebais
près de Grez , et non pas Rodenbeke, comme l’avance à tort M. Willems,
Brabantsche Yeesten , t. 1, p. 661.
3 C’est ce que dit M. de Reiffenberg , dans son Mémoire sur quelques an-
ciennes prétentions à la succession du duché de Brabant , p. 8 ( Nouveaux
Mémoires de l'Académie , t. XI).
i Voyez plus loin § 5.
3 Ibidem.
( 50 )
où le duc le jugerait convenable *. Nous abandonnerons ici le
landgrave, en nous bornant à ajouter qu’il vécut jusqu’en 1508 1 2 *.
Quant à Henri de Louvain, qui, à son titre de parent, joignait
celui de possesseur des belles terres baroniales de Herstal et de
Gacsbeek5, il réclama également le gouvernement du pays, et,
dans le principe, ses droits furent reconnus. Mais le comte de
Gucldre Othon et son frère Henri, évêque de Liège, après s’être
montrés disposés à le favoriser, adoptèrent une opinion tout à fait
contraire. Eux aussi étaient des petits-fils du duc Henri Ier, par leur
mère Marguerite de Louvain , femme du comte Gérard de Gueldre.
Aleyde, trop faible pour tenir tête à la fois à tant d’adversaires,
entreprit de mettre à profit leurs rivalités. Les princes gueldrois
voulaient supplanter le sire de Herstal ; elle resserra ses relations
amicales avec eux, puis, à la tète de ses vassaux et accompagnée
en outre de Henri et d’Othon, elle dévasta le pays de Gaesbeck
et força Henri de Louvain à fuir. On ne possède qu’un acte relatif
à cette courte querelle. Le roi des Romains Richard y intervint
comme médiateur, ainsi que le reconnaît le seigneur de Herstal
dans un acte en date de l’année 1202 4. Il paraît que dès l’année
1 M. de Reiffenberg , 1. c., p. 10, d’après Kopp, Jus succedendi in Braban-
liam, a donné de cet acte un texte meilleur que Butkens(t. I, Preuves, p. H 2).
2 Butkens, t. Ier, p. «592. Il fut enterré à Marbourg, dans l’église consacrée
à son aïeule, sainte Elisabeth de Hongrie, dans le même tombeau que sa
mère, près de laquelle il est représenté, encore enfant. Namêche, Cours d'his-
toire nationale, t. V , p. 560.
5 Butkens, t. 1er, p. 593.
1 « Jou Ilenris deLouvaing, sires de Herstal, facli savoir à tout ceaus ki
ces letres verront et orront , ke je loue et grée le respit ke li rois de Ale-
maingne a prys sour lui de me dame la duchoise de Brebant, et de mi, ehi
à dimenche après la division des aposteles de mi et de miene et che dimense
tout. En tesmoing de mes letres pendans saielées de mon saiel. Che letres
furent donneies en l’an del incarnation Nostre Signeur M. CC. sissante
deus, le demarkes après le jour Saint Martin le boillant. » Cartulaire de Bra-
bant B ., f° 62. — Remarquons à ce sujet que le roi Richard se trouvait à
Gand le 2 juillet 1262 (Saint-Génois, Monuments essentiellement utiles,
p. 598), le 4 du même mois , à Bruxelles , où il déclara avoir reçu l’hommage de
la régente de Hollande, Aleyde, veuve de Jean d’Avesnes {Ibidem, p. 414), et
le lendemain à Louvain (voyez plus haut, p. 25).
( 31 )
1264, ce dernier s’était réconcilié avec sa souveraine, puisque le
sire de Perwez le pria, en même temps que la duchesse, d’ap-
prouver son testament.
Si nous en croyons les historiens brabançons *, Aleyde serait
ensuite parvenue à écarter, à prix d’argent, ses deux redoutables
alliés. Elle aurait elle -même gouverné, avec l’assistance de deux
nobles du premier rang et également alliés à la famille ducale :
Godefroid, sire de Perwez et de Grimberghe, arrière-petit-fils de
Godefroid III, et Walter Berthout , sire de Malines, qui avait
épousé une cousine de Henri III, Mathilde, fille de Guillaume,
comte d’Auvergne, et d’Aleyde de Louvain. Guillaume étant mort
en 1265, la duchesse l’aurait remplacé par Henri de Boutersheem
ou Bautersem 1 2. Les expressions dont se servent les mêmes histo-
riens pourraient faire supposer que les princes de Gueldre aban-
donnèrent complètement l’autorité qu’ils revendiquaient en Bra-
bant 3. C’est là une erreur profonde, comme en témoignent les
actes nombreux auxquels ils prirent encore part, et dont voici
quelques-uns :
En 1265, le lundi avant la Saint-Clément, ils contribuent à
réconcilier le chapitre et les notables d’Anvers 5.
Le jour de l’Ascension, en 1264, Henri intervient, de concert
1 Le seul auteur presque contemporain qui parle de ces querelles pour la
tutelle est Van Heelu (livre 1er, vers 110 et suivants) que Van Velthem a
certainement copié (livre 1er, chap. LX), à moins qu’ils n’aient puisé tous
deux à une source commune. Selon De Dynter (t. Il, p. 418), Aleyde négocia à
la fois avec l’évêque Henri, le comte Othon et le landgrave, qui renoncèrent
en sa faveur à leurs prétentions; puis elle gouverna pendant sept ans, sous
le nom de son fds Henri , encore mineur , et avec le consentement des trois
états de Brabant. Butkens a entrevu la vérité , car il a avancé que le gou-
vernement resta quelque temps entre les mains du comte Othon (t. I,
p. 279).
2 Henri, seigneur de Bautersem, conserva une grande influence jusqu’à sa
mort, arrivée en 1285. En 1262 , le dimanche après la Sainte-Lucie, il occu-
pait les fonctions importantes de sénéchal ( Nobili et lionesto Henrico, domino
de Boutershem , dupifero Brabantie, disent en s’adressant à lui l’écoutète et
les échevins d’Anvers , Car lui. de Brabant B., f° 54).
3 Voyez plus loin, chap. X.
( 52 )
avec Aleyde, dans la querelle causée par le meurtre des seigneurs
de Yelp 1 ;
Le 14 janvier 1264-1265, l’évêque et Othon, apres mûre déli-
bération avec les nobles, grands et puissants du duché : le sei-
gneur de Perwez, Walter Berthout, Léon, châtelain de Bruxelles;
Arnoul, seigneur de Rotselaer; Arnoul, seigneur de Walhain;
Henri, seigneur de Bauterscm, et quelques habitants des villes,
désignent les chevaliers Lihcrt de Dus et Robert Brise-tête 2 3 *, pour
assigner à la duchesse Aleyde le douaire que son mari lui avait
promis, savoir : trois mille livres de Louvain dans la ville et le
bailliage de Jodoigne, et cinq cents dans la ville de Genappc et les
lieux voisins. Les chevaliers Thicrri, sire de Bierbeek, et Gosuin
Boc, furent chargés de contrôler cette opération, dans l’intérêt des
enfants de Brabant 5 ;
A la lin de l’année 1265, le 6 décembre, l’évêque se trouvait
encore en Brabant, à Vilvorde. II gratifia de vingt jours d’indul-
gence ceux qui aideraient à achever la chapelle du béguinage en
cette ville
Aucun écrivain ne s'est occupé de celte époque de la vie de
Henri de Gueldre, qui va de la dernière fuite du tribun Henri de
Dinant jusqu’à la prise de la citadelle de Sainte-Walburge par les
citoyens de Liège, si ce n’est pour dire quelques mots de scs
guerres contre le Brabant. Lacune malheureuse, car Henri de
Gueldre, cet Henri tant et si justement flétri, fut un instant l’ar-
bitre de la Belgique presque entière. L'évêché de Liège subissait
respectueusement sa domination ; étroitement uni à son frère
Othon, Henri régnait par lui dans la Gueldre, le domaine de leurs
aïeux, et en Hollande où une faction avait appelé le comte à la
1 Voyez plus haut, p. 27.
2 Ce Robert Brise-tête avait un château au lieu dit As Manaujes, sur Se-
neffe; il y fonda une chapelle oii la célébration du service divin fut autorisée
par Nicolas, évêque de Cambrai, en 1262, le mercredi après Quasimodo.
3 Brabantsche Yeesten, t. 1 , p. 662. — Dans le principe, Aleyde, paraît-il
avait possédé certains droits à Leel'dael et aux environs. Voyez mon Histoire
des environs de Bruxelles , t. III, p. 437.
5 histoire des environs de Bruxelles, t. II , p. 504.
( 33 )
régence. Depuis l’année 1238 environ , la riche abbaye de Stavelol
le reconnaissait pour son abbé. La comtesse de Flandre et de Hai-
naut, Marguerite de Constantinople, après avoir lutté contre lui,
après avoir donné asile à Henri de Dinant, qui exerçait encore
en 1203 les fonctions de bailli de Lille J, la comtesse Marguerite,
dis-je, était revenue à d’autres sentiments, et avait pris de lui en
fief les francs-alleux qu’elle possédait dans la Flandre impériale,
c’est-à-dire la ville de Grammont et la terre de Bornhcm 1 2 3. Le fils
de Marguerite, Guy de Dampierre, ayant acquis le comté de Na-
mur, s’empressa également de relever de l’évêque le château de
Samson s. Enfin, à la même époque où le prélat semblait absorbé
par des préoccupations sans nombre, il consentit à intervenir
comme médiateur dans la longue querelle des habitants de Cologne
et de leur nouvel archevêque.
III.
Quel événement vint rompre la bonne harmonie qui semblait
régner entre le Brabant et le pays de Liège? Les princes guel-
drois, comme le dit Van lieclu, s'indignèrent-ils de ce qu’on ne les
acceptait pas pour mambours 4? Cette assertion est démentie par
les faits que nous venons d’exposer. A en croire d’autres auteurs,
un débat avait surgi à propos de Malines, Hougaerdc et Beauve-
chain, et l’évêque Henri avait remboursé à la duchesse les treize
mille marcs pour lesquels ces territoires avaient été engagés à
son époux, et demandé le rétablissement de son autorité. Mais les
Malinois résistèrent, à l’instigation de Walter Berthout, qui avait
1 Acte du mois de juillet 1263, Saint-Génois, Monuments, p. 601.
2 Acte du mois de mai 1263. Walter Berthout et Godefroid de Perwez in-
tervinrent comme témoins à la prestation de cet hommage, ainsi qu’à l’acte
Auquel se rapporte la note suivante. Saint-Génois, Monuments , p. 600.
3 Veille du jour de saint Jacques apôtre, 24 juillet 1263. De ReitFenberg, Mo-
numents pour servir à l' histoire des provinces de Namur, etc., t. Ier, p. 149.
1 Vers 277 et suivants, et d’après lui Van Velthem, chap. XL! et XLli.
Tome XIII. 5
( 54 )
constamment accru l’influence dont il jouissait dans leur ville et
s’en était constitué le véritable seigneur L Et en effet, Henri et
Berthout se querellèrent bientôt au sujet de Malincs.
La comtesse Marguerite et son fils Guy, les comtes de Gueldre
et de Juliers, pris pour arbitres, ordonnèrent aux deux parties de
comparaître à Binche, le lendemain de la nouvelle année (2 jan-
vier 1266-1267). Là, questionné sur le choix de l’évêque de Cam-
brai en qualité d’arbitre définitif, Ilenri répondit négativement et
partit1 2 3. Bientôt la lutte fut transportée sur un autre terrain.
Le château de Falais situé près de la Mchaigne, entre Huy et
Hannut, relevait du duché; l’évêque, après avoir vainement essayé
d’en faire l’acquisition, alla l’assiéger. A cette nouvelle Berthout
appela tous les Brabançons aux armes ; il n’était pas arrivé à
Hannut, que l’évêque, dont l’armée n’était sans doute pas assez
nombreuse pour lui permettre d’accepter le combat, se décida à
battre en retraite 5.
Cet échec augmenta sa haine contre Berthout. Pour mieux se
venger de lui, il appela à son secours « maint baron, maint haut
» homme d’au delà et d’en deçà du Rhin, ducs et comtes, pauvres
» et riches. » Seuls, Thierri de Fauquemont et ses parents lui re-
fusèrent leur appui. La comtesse de Flandre, qui lui devait le ser-
vice féodal à double titre, pour le comté de Hainaut d’abord, puis
pour Grammont et Bornhem, se prépara à l’appuyer, et concentra
ses vassaux sur les bords de l’Escaut, entre Bornhem et Bupel-
monde 4.
Selon Jean d’Outrcmcusc 5, l’évêque, accompagné des comtes de
Gueldre, de Juliers, de Berg, de Nassau et de Looz, et suivi de
soixante mille hommes, détruisit successivement Hannut, Landen,
Tirlemont et Viivorde. Les Brabançons ne parlent pas de ces succès
1 Fisen , Historia ecclesiae Leodiensis , pars II , p. 16.
2 Déclaration des arbitres, en date de la nuit de l’apparition (ou Épiphanie) ,
en 1266, Saint-Génois, Monuments , p. 611.
3 Van Heelu , /. c. — Le romancier d’Oulrenieiise attribue le siège de Falais
à la folle passion de l’évêque pour la dame de ce château.
4 Van Heelu.
3 Cité parM. Willems, Van Heelu, p. 19.
( 35 )
de Henri de Gueldre, succès qu’on essaierait difficilement de con-
tester, car, sans les avoir obtenus, le prélat n’aurait pu pénétrer
jusqu’à Malines, et sans avoir assuré sa retraite, ne se serait pas
engagé si loin de ses domaines. Un bref du pape Clément IV,
que nous citerons plus loin, nous fournit quelques détails sur
l’expédition de Henri. Suivant le souverain pontife, qui se base
sur les plaintes formulées par la duchesse, l’évêque, du consente-
ment du doyen, du grand chapitre et des autres églises de Liège,
avait réuni les chanoines et les vassaux de l’évêché, avait attaqué
le Brabant, sans motifs raisonnables, et, sans écouter les propo-
sitions de la duchesse, il y avait causé de grands dégâts, pillé
plusieurs villages et un monastère et incendié d’autres localités,
notamment une église, où des hommes et des femmes avaient
cherché un refuge.
Malines n’avait alors d’autre défense que la vaillance de scs habi-
tants; son ancienne enceinte étant devenue insuffisante, ses quar-
tiers extérieurs n’étaient protégés que par des barrières ou bar-
ricades (en flamand hameyden) J. Berthout les occupait avec des
troupes nombreuses, mais se montrait peu soucieux de com-
battre l’évêque, son suzerain. Henri, au contraire, désirait une
bataille, parce qu’il comprenait le danger de sa situation, au mi-
lieu d’un pays ennemi, où son armée souffrait du manque de
vivres, où l’on s’efforcait de toute manière à lui couper ses com-
munications.
Pendant trois jours les deux armées restèrent en présence,
n’attendant qu’un signal pour commencer la lutte. Dans l’entre-
temps, les alliés de l’évêque, entre autres la comtesse Marguerite,
travaillèrent à ménager une trêve. Pour donner une satisfaction
apparente à Henri de Gueldre, qui avait juré, par saint Lambert,
d’entrer dans Malines, on l’autorisa à y venir, mais seulement
avec une suite de trois personnes. Le prélat approcha en effet de la
1 En 1268, le samedi avant la Saint-Thomas d’hiver, Berthout céda à la
gilde de Malines, l’eau et les poissons du fossé entourant cette ville, pour
l’utilité de celle-ci. Dans notre opinion, il s’agit ici de l’ancien fossé, qui était
devenu inutile par suite de l’accroissement de Malines. La commune fut au-
torisée à l’utiliser, à la condition, sans doute, d’en creuser un nouveau.
( 36 )
ville, mais il se borna à appuyer sa main sur la barrière, comme
pour témoigner qu’il prenait possession de son domaine b
Irrité du pauvre résultat d une entreprise annoncée avec tant
de bruit, il retourna en hâte dans ses Etats, puis il se rendit à
Maestriclit, où il entra à main armée. Il y fit abattre les potences,
où l’on pendait les coupables condamnés par les officiers du duché
de Brabant, et renverser le banc de justice (dingebank) , où les
écbevins siégeaient sous la présidence de ces officiers; ceux des
habitants qui étaient sujets du duc durent aussi prêter serment de
fidélité. Puis il alla attaquer la tour qui protégeait à Wyck le pas-
sage du pont sur la Meuse. Les Brabançons avaient envoyé à la
garnison un renfort de trois cents hommes, commandés par le
sire de Fauquemont; l’attaque des Liégeois fut si impétueuse, que
la tour fut prise avant l’arrivée de Fauquemont. On la détruisit
de fond en comble, et on en employa les débris, dit d’Outre-
meuse, à réparer le château de Montfort, le séjour, ou plutôt le
repaire favori de Henri 1 2.
1 Van Heelu et Van Velthem. — Hocsem convient que l’évêque fut obligé
de se retirer. Selon les annalistes de Bois-le-Duc, les bourgeois de celle ville
se conduisirent si vaillamment en celle occasion, que les Malinois leur offri-
rent le corps de saint Rombaud. Sur leur refus, il fut décidé que lorsque des
habitants de Bois-le-Duc assisteraient à Malines à la procession de la ker-
messe (ou ommegang) , il leur serait permis d’aider à porter les reliques véné-
rées du saint patron. Cette coutume était encore observée en 1563 (Van
Heurne, Historié vcin S'IIertoijenbosch , t. 1, p. 151 , édit, de 1776, d’après
Oudenhoven).
Le plus grand nombre des historiens, d’après Hocsem (chap. Vil, dans
Chapeauville , t. II, p. 296), place le siège de Malines en 1267, tandis qu’ail-
leurs (Fisen, et alibi), on le rejette en 1266. Cette discordance peut être
attribuée aux différents modes de compter les années dont on se servait en
Belgique. D’Outremeuse place l’expédition de l’évêque vers la Saint-Denis, ce
qui n’explique rien, car il y a plusieurs saints de ce nom; Fisen parle du
Ier octobre 1266. C’est trop tôt. 11 faut, je crois , préférer les premiers et non
les derniers mois de 1267. C’est pour n’avoir pas admis ce système que le
savant Ernst s’est trouvé dans l’embarras (t. V, p. 269). D’après la narration
de nos anciens auteurs, cette expédition a précédé la renonciation au trône
du jeune duc Henri, qui eut lieu au mois de mai 1267.
2 Van lleelu, Van Velthem, Hocsem.
r ■ ' ' .
L’élu assiégea encore et emporta le château de Hierge, dont le
seigneur, Gérard, sire de Jauche, informa la duchesse Aleyde, le
lendemain de la mi-Carème de l’année 1268, qu’il renonçait, à son
grand regret, à l’hommage qu’il lui devait pour la terre de Jau-
che b
Nos auteurs se taisent tous sur la manière dont se terminèrent
ces débats, parce qu’ils n’ont pas connu trois actes, dont un n’a été
publié que récemment par M. le professeur David, et dont un autre
est resté inédit. Le souverain pontife, dont l’intervention avait été
invoquée par Aleyde, avait enjoint à trois dignitaires de l’église de
Reims d’évoquer l’affaire, d’en décider sans admettre d’appel, et
de rejeter toute bulle contraire qui leur serait présentée 1 2. Sur les
instances des seigneurs de Herstal, de Wesemale, de Diest, de
Rotselaer, de Bautersem et de Walhain, et du chevalier Henri de
Duffel, Berthout consentit à accepter un arbitrage. Gérard, chan-
tre de Liège, Walter de Lu de et Fastré de Ferme, chevaliers, nom-
més par l’évêque, Baudouin d’Eechove, doyen de Malines, les sires
de Duffel et de Bautersem, choisis par Berthout, reçurent la mis-
sion d’examiner les droits respectifs des deux parties et de décider
la contestation d’une manière absolue, « sans fracas de paroles 3. »
Si, à la nativité de saint Jean-Baptiste, ils ne s’étaient pas mis
d’accord, leur mission serait dévolue aux abbés de Saint-Trond et
de Saint-Feuillen; enfin si ces derniers ne se prononçaient pas
dans les deux mois, ils étaient tenus d’aller à Huy et d’y rester
jusqu’à ce qu’ils se fussent entendus, le tout aux frais des parties
(4 décembre). Les seigneurs cités plus haut ratifièrent cet arran-
gement et se soumirent également à séjourner à Huy, si Berthout
manquait à ses engagements.
Au sujet des «bastens» (ou débats), qui existaient entre Henri,
d’une part, la duchesse et scs enfants, d’autre part, par suite des
saisies que le premier avait exercées sur les rentes et biens des
1 Butkens , t. lrr , Preuves , p. 101 .
2 Bref daté de Viterbe , le 31 janvier 1 268 , Martene et Durand , Amplmima
collectio, t, I, col. 1554.
5 Sine strepitu advoca forum , David, Geschieclenis van Mechelen, pp. 445
et 446.
( 38 )
seconds, depuis la fête des saints Simon et Jude de l’année 1207,
et par suite des « lois et amendes » réclamées au nom du prélat
parce que l’interdit jeté sur le Brabant et ses habitants n’avait
pas été observé, le sire de Bautcrsem et Rase de Cortessem, châ-
telain de Calmont, désignés pour négociateurs, mirent entièrement
à néant les unes et les autres, sans préjuger du fondement des
réclamations des deux parties G
Le Brabant, depuis le milieu de 1207, obéissait à un nouvel et
vaillant seigneur. Cette circonstance détermina peut-être Henri
de Gueldre à se montrer accommodant, car ailleurs ses armes
étaient victorieuses ; un succès signalé , remporté au delà du
Rhin sur l’archevêque de Cologne, allié du Brabant, lui permet-
tait de conduire une seconde fois ses troupes dans ce dernier
pays.
Au moment où ses relations avec Henri de Gueldre devenaient
difficiles, évidemment dans le but de se créer des appuis contre
lui, Aleyde avait ouvert d’actives négociations. Elle assigna à
Thierri, sire de Heynsberg, un fief de cent livres de Louvain, et
promit, de concert avec Henri, landgrave de Thuringe, les sei-
gneurs d’Enghien et de Malines et Henri de Bautersem , que
cette donation serait approuvée par l’héritier du Brabant, lorsqu’il
serait arrivé à l’âge compétent. Quand Heynsberg servirait la du-
chesse, de ce côté de la Meuse, vers le Brabant, on devait l’indem-
niser de ses dépenses, et lui payer suivant une taxation à l’amiable,
les chevaux qu’il perdrait. Les parties contractantes s’engagèrent
à se soutenir mutuellement et à ne pas conclure de paix sans leur
consentement mutuel G
Quelques jours après, d’autres alliances offensives et défensives
1 Lundi avant la Saint-Marc, 1269, Cartulaire de Brabant B., f° 70.
2 Heynsberg avait d’abord reçu en fief une rente sur Maestricbt, mais par
l’acte où nous puisons ces détails et qui est daté du mercredi après la Saint-
Remi 1266, Berthout, le sire de Bautersem, Adam de Haren et Godefroid
Luscus, furent chargés de lui assigner d’autres revenus en garantie. On
hypothéqua la rente en question sur les revenus de la halle au blé et sur les
tonlieux dit Pont-Tol et Clawiren (sic) à Louvain. Acte en date du mercredi
avant la Saint-Jean-Baptiste 1267. Cartulaire de Brabant B., f° 24.
( 39 )
furent contractées entre la duchesse, d’une part, l’archevêque de
Cologne Engelbert et le comte de Clèves, d’autre part. Par un traité
qui devait durer jusqu’à la fête de Pâques 1271, Engelbert s’en-
gagea à protéger Aîeyde, puissamment et ouvertement, contre
tout homme, sauf contre l’empire romain; si elle était attaquée et
si elle demandait des secours, il lui enverrait, à ses propres frais
(sauf que la duchesse leur devait des vivres si elle guerroyait au
delà de la Dendre), deux cents cavaliers armés, chevaliers ou fils
de chevaliers, pour la servir aussi longtemps qu’elle le jugerait
nécessaire. Le comte de Clèves, Gérard, comte de Nuenare, les
seigneurs Thierri de Fauquemont, Thierri de Heynsberg, Brunon
de Brunsberg, Gérard de Wiîdenberg, Guillaume de Hohenstein,
Waleram, fils du seigneur de Fauquemont, et Henri, écoutête
d’Andernach, scellèrent cet accord et s’engagèrent à en recom-
mander l’observation à l’archevêque h Dans le traité avec le comte
de Clèves, Aleyde promet à ce prince un secours de cent cava-
liers, auxquels son allié fournira des vivres s’il les conduit au
delà du Rhin 1 2 *.
Aleyde comptait encore, parmi ses défenseurs, le frère de l’ar-
chevêque, le brave Tbierri, seigneur de Fauquemont, qui devint
son vassal pour une rente de deux cents livres de Louvain, à pré-
lever sur les revenus du pont de Maestricht 5. Lorsque cette ville
fut prise par Henri de Gueldre, Tbierri, en s’engageant à guer-
royer contre cet évêque et contre ses alliés, promit de faire tous
ses efforts pour la reprendre, et fut autorisé, s’il réussissait, à la
garder pour lui , c’est-à-dire à en percevoir les revenus à son pro-
fit, pendant une demi-année 4.
Toutes ces négociations, tous ces préparatifs n’aboutirent qu’à
1 Brabantsche Yeesten , t. 1, p. 663.
2 Ce traité fut scellé, à la demande de la duchesse, par son cher frère,
Henri, landgrave de Thuringe, sire de Hesse, les sires d’Enghien et de Matines,
Henri, frère de celui-ci, Henri d’Assche, Arnoul de Rotselaer, Arnoul de
Wesemale, Arnoul de Walhain, Henri de Bautersem, Cartulaire de Brabant
B., f° 47.
5 12 juin 1267, Butkens, Preuves, p. 103.
4 18 octobre 1267. Ib. Id., /. c.
( 40 )
de cruels mécomptes. L’archevêque Engclbert, loin de pouvoir
marcher au secours de la duchesse de Brabant, fut, après une
latte terrible, vaincu et pris par ses implacables adversaires, et
son frère perdit la vie en essayant de le délivrer. Les épisodes
de cette guerre se lient trop intimement à notre sujet et sont trop
peu connus en Belgique pour que nous n’en présentions pas un
résumé.
Quelque temps après son avènement à l’épiscopat, Engelbert
exigea la remise, entre ses mains, des clefs des portes de Cologne,
et fit élever deux tours aux extrémités de cette ville, afin d’en
contenir les bourgeois dans la soumission. Il se manifesta aussitôt
parmi le peuple un grand mécontentement, que la levée de nou-
velles impositions fit éclater. Les bourgeois prirent d’assaut les
deux tours (8 juin 1262). Engelbert, à la tête de ses vassaux,
s’avança vers la ville, qu’il espérait surprendre, mais son at-
tente fut déçue. Toutefois les Colonais consentirent à payer une
amende de 6,000 marcs; de son côté, le prélat pardonna aux
bourgeois que son prédécesseur Conrad avait proscrits (16 juin
1262).
A en juger par ces événements, l’élément aristocratique de la
bourgeoisie avait alors ressaisi le pouvoir à Cologne. C’est pour-
quoi l’évêque de Liège, qui avait eu de si rudes combats à soute-
nir contre la commune de la ville de ce nom, s’efforçant à deve-
nir démocratique, embrassa avec chaleur la cause des Colonais,
et ses querelles avec les Brabançons n’eurent peut-être pas d’autre
cause qu'une divergence complète d’idées sur l’administration in-
térieure des villes. En Brabant aussi le peuple voulait restreindre
le pouvoir exorbitant des échevins; ces tendances, qu’Henri avait
combattues dans ses Etats, devaient nécessairement lui être partout
antipathiques. Au surplus, meilleure était la position d’une cité,
mieux on pouvait y organiser fortement la partie notable de la
bourgeoisie. L’immense commerce dont Cologne était le centre y
enrichissait une foule de marchands, de banquiers, de proprié-
taires, aux intérêts desquels se rattachait l’existence d’une partie
nombreuse des classes inférieures. On peut ainsi s’expliquer com-
ment cette ville put, au treizième siècle, malgré le mécontente-
( « )
ment des hommes de métiers, soutenir si longtemps et avec tant
[le gloire, des luttes continuelles.
Malgré un nouvel accord, la défiance continua à régner entre
l’archevêque et les Colonais, et un jour que le prélat présidait sa
20 u r de justice, il fut pris avec quelques-uns de ses principaux par-
tisans comme coupable, dit-on, d’avoir voulu se rendre maître de
la cité et d’y avoir introduit des hommes d’armes dans ce but.
Les amis du prélat négocièrent sa délivrance (IG décembre 1263),
[nais le pape Urbain IV annula, comme extorqué parla violence,
l’accord qui avait été conclu, et l’archevêque recommença la
guerre. Il était parvenu à attirer dans son parti le peuple, mécon-
tent de quelques lois somptuaires et du taux excessif des assises.
Une fête organisée par un de ses partisans provoqua une lutte
mtre les hommes de métiers et les principaux bourgeois, mais
2eux-ci en sortirent victorieux et un complot formé pour ouvrir
les portes à l’archevêque ne réussit pas davantage. En vain Engel-
bert rassembla une armée formidable avec laquelle il parut devant
Cologne, le 5 septembre; dix jours après, il dut lever le siège de
?ette ville. De nouvelles négociations ramenèrent la paix (8 mars
1264-1263) et rendirent au prélat une partie de son ascendant.
Vlais il n’en profita que pour raviver la haine qu’on lui portait.
Le comte de Juliers, en qualité d’avoué de l’église de Cologne,
Vit appelé pour opérer une réconciliation; n’ayant pas réussi à
"amener Engelbert à d’autres sentiments, il se déclara contre lui
3t aida les bourgeois à chasser de la ville les épiscopaux , qui du-
rent se retirer à Bonn. Ces événements furent le signal d’une
scission générale parmi les princes de la basse Allemagne. L’ar-
•hevêque se ligua avec les évêques de Paderborn et d’Osnabruck,
e duc de Li ni bourg, la duchesse de Brabant, le comte de Clèves,
e sire de Fauquemont; le comte, de son côté, fut appuyé par les
ïvêques de Liège, d’Utrecht et de Munster, les comtes de Gueldre,
le Berg, de Juliers, Gerlac d’Isenbourg, et un grand nombre d'au-
tres seigneurs. Engelbert attaqua le comté de Juliers et s’empara
;îe Sintzig; mais, atteint par scs ennemis dans la plaine de Ma-
rienwald, entre Zulpich et Lechenich, il y éprouva une défaite
complète, et resta au pouvoir du vainqueur avec les deux évêques
( 42 )
ses alliés, le grand prévôt de Mayence et pins de mille autres
guerriers (18 octobre 1267) h
Le comte de Juliers, si l’on en croit les écrivains du temps, se
déshonora par le traitement barbare qu’il infligea à son malheu-
reux parent. Non content de le garder chargé de chaînes, à Nidce-
ken, dans un cachot affreux, il faisait parfois attacher au dehors
de cette prison une cage de fer, où le prélat devait rester aussi
longtemps que le comte l’ordonnait. Les démarches que l’on fît
pour obtenir sa délivrance, restèrent longtemps infructueuses.
Quand on parlait au comte de cet objet : « Ce n’est pas un prélat,
» disait-il , que je tiens enfermé, mais un oiseau de proie que j’ai
» pris sur mes terres. >• 11 brava audacieusement les menaces et
les foudres du pape, et Engelbert ne fut relâché qu’en 1271,
quand il eut fait sa paix avec les Colonais, par l’intermédiaire
d’Albert le Grand, ex- évêque de Ratisbonne, alors lecteur du
couvent des dominicains de Cologne.
Dans l’entretemps, le duc de Limbourg tenta de surprendre
Cologne. Des partisans du prélat avaient déterminé le nommé
llaveneil à pratiquer une ouverture sous Une arcade voisine de la
porte Saint-Ulric. Le duc de Limbourg promit d’accourir à leur
aide, à la tète de cinq cents hommes; il pénétra, en effet, dans
la ville, et, en attendant ses alliés, il rangea sa troupe dans le jar-
din de l’abbaye de Saint-Pantaléon. Là il fut aperçu par un nommé
Herman Vinckelbaert. L’alarme ayant été donnée, les bourgeois
accoururent en foule. Après un combat terrible , la plupart des
assaillants furent pris ou tués, ainsi que Thierri de Heusdcn, et
Waleram, fils du sire de Fauquemont. Celui-ci, Jean de Ileusden,
frère de Thierri, Henri et Albert de Herpene, et Arnoul de Jule-
mont, périrent les armes à la main (15 octobre 1268). Le duc fut
relâché au bout de trois mois et treize jours. Ce ne fut toutefois
1 Cette date n’est pas celle que donne Ernst (t. I V, p. 299), mais le raison-
nement de ce savant historien tombe à faux, car, dans la déclaration précitée
du chapitre de Cologne, du 25 octobre 1267, on rappelle déjà la défaite et la
captivité de l’archevêque. La bataille de Marienwald (ou, comme le dit De
Dynter, t. II, p. 427, de Marienholtz) se livra donc le 18 octobre et non pas
le 14 décembre.
( *3 )
qu’en 1275 qu’il se réconcilia avec les Colonais. Il cessa alors
d’être un des vassaux de cette belliqueuse bourgeoisie, à laquelle
il accorda le droit de traverser librement la ville de Duysbourg.
Le pape avait également excommunié les Colonais , et son légat,
Bernard de Castaneto, les avait sommés de comparaître à Bonn,
en leur enjoignant de renoncer à leur vicieux mode d’administra-
tion (regimen adulterinum) , de bâter la délivrance du prélat et
de ne rendre compte qu’à lui des revenus de l’archevêché. Mais ,
le 25 septembre 1270, les magistrats de la grande cité, par l’or-
gane de leur clerc, maître Godefroid Hagene, l’historien-poëte,
protestèrent énergiquement contre les accusations du légat.
Les armes spirituelles restant impuissantes aussi bien que les
temporelles, le prélat fut forcé de souscrire à ce que l’on exigeait
de lui. Il pardonna aux bourgeois de sa capitale, s’engagea à ne
bâtir aucun nouveau château aux environs et à les maintenir dans
leur exemption de tonlieux, et les autorisa à lever une assise aussi
longtemps qu’elle serait nécessaire. Quelques infracteurs de la
paix devaient être bannis du pays, et d’autres personnes, sus-
pectes de trahison, rester éloignées jusqu’à ce qu’elles fussent
réconciliées avec les Colonais (16 avril 1271). Toutefois, ces actes
ne reçurent pas la sanction du pape, et le souverain pontife, mé-
content de voir ses ordres méprisés, libéra l’archevêque des enga-
gements qu’il avait contractes avec le comte de Juliers (6 septem-
bre 1272) !.
1 Kremer, Academische Beilràge, t. III, Urkunde, p. 153. — La narra-
tion qui précède, pour ce qui concerne les guerres des archevêques de Cologne
contre leur ville métropolitaine, est en grande partie empruntée au savant
ouvrage du père Ernst, que nous avons contrôlé à l’aide des nombreux docu-
ments inédits dont l’archiviste Lacomblet a publié le texte.
( « )
IV.
Le moment approchait ou Aleyde allait devoir renoncer au gou-
vernement, scs (ils étant au moment d’atteindre leur majorité.
La princesse redoutait ce moment, car elle avait vu se réaliser une
prédiction qui datait de l’époque de son mariage. « Votre premier
» né, lui avait dit le médecin de son père, mourra immédiatement
» après avoir reçu le baptême, et le second n’aura qu’une faible
» complcxion; quant aux autres, ils seront tels qu’une mère peut
» le demander h » Le prince Henri, en effet, était si débile, si
dépourvu d’intelligence et de capacité, qu’on ne pouvait songer à
lui confier le pouvoir 2. Son frère Jean, au contraire, réunissait
aux grâces de sa personne les qualités qui séduisent et qui atta-
chent les cœurs. Dès sa jeunesse, il donna les plus belles espé-
rances.
Sa mère avait pour lui une préférence marquée; aussi résolut-
elle de lui assurer la succession de son père, et cet avis fut partagé
par la plupart des nobles, principalement par Walter Berthout.
Il y avait en Brabant un personnage qui voyait avec jalousie l’in-
fluence dont jouissait le sire de Malines, et qui se dépitait de
n’avoir pu occuper le premier rang parmi les conseillers d’Alcydc,
ou, comme le disent nos vieux chroniqueurs, parmi les tuteurs
du Brabant. C’était Arnoul de Wesemale, maréchal de Brabant.
Son union avec une princesse du sang ducal, Aleyde de Louvain,
1 Cantimpré, de A pib us , 1. 11, cliap. XLlf! , § 6.
s Ende die gone
Was soe onmachtich van leden ,
Ende van sinne soe onbesneden
Ende soe dwaes
(Rrabanlsclte Yeesten , t. Ier, p. 598.)
Ex fi de dignorum relatione didicimus , quod illuslris sive spectabilis Hen-
rieus, lune dux Brabantie appellatus, nature donis sit usque adeo destitutm ,
utpote corpore imbecillis existens,et virtutibus animi, saler tia , providentia
quoque ita deficiens , etc. Diplôme du roi Richard, en date du 5 juin 1267,
ubi infra.
( 4S )
rendit plus blessante pour son orgueil la préférence qu’on accorda
sur lui à des seigneurs de son rang. 11 se retira dans la ville de
Louvain, où il aida les Colvcrcn à chasser les Blankarde.
De concert avec les Colvcrcn , Wesemalc se déclara le protec-
teur du jeune Henri, accusant la duchesse d’avoir intrigué avec
Berthout pour dépouiller l’aîné de scs enfants d’un droit incontes-
table. 11 guerroya avec tant d’ardeur contre les partisans de la
duchesse, que les orphelins de Henri III ne pouvaient voyager
dans leurs Etats sans une escorte b
Appuyé par ses deux frères, Godefroid, sire de Perck, près de
Vilvorde, et Gérard, sire de Quabeke, Arnoul abusait de sa
puissance pour s’approprier des droits qui ne lui appartenaient
pas. Bien qu’il n’aimât pas les bourgeoisies, c’était surtout aux
établissements ecclésiastiques qu’il en voulait. On le vit, notam-
ment, usurper les domaines de l’abbaye de Nivelles à Wambeck.
Arnoul et Gérard tentèrent d’annihiler la juridiction du chapitre
de Saint-Barthélémi de Liège sur le village de Lincent, où Arnoul
était avoué du chapitre. Ils défendaient au maire et aux échevins
du chapitre de rendre la justice, aux habitants de cultiver les
terres des chanoines et de leur payer la dîme; ils firent emporter
plus de 500 muids d’épeautre qui appartenaient à eette corpora-
tion. Vainement le grand chapitre de Liège mit à néant leurs
usurpations 1 2 *; l’officier des Wesemalc, Quarlilottus, défendit aux
habitants d’obéir. Commencée en 1259, la contestation était à son
maximum d’intensité en 1205 et en 12GG. Les Wesemalc avaient
alops leur domicile à Louvain 5, où les mandataires du chapitre
de Liège n’osèrent se rendre, à cause de la grande puissance de
ces seigneurs 4.
Dans une expédition dirigée contre le village d’Erps, dont les
habitants avaient pris parti pour les Blankaert, les Louvanistes
1 Van Heelu , v. 215.
2 Jeudi avant les Rameaux (26 mars) en 1265.
5 Ubi ad presens dicuntur domicilium habere, dit l’acte cité à la note qui
précède.
i Nec ad villam de Lovanio propter eorum polenciam aitsi fuimus accé-
der e. Déclaration datée du samedi après Quasimodo (10 avril ) 1266.
( 46 )
essuyèrent un grave échec et furent chassés de l'église h Une in-
vasion des domaines de Berthout ne leur réussit pas davantage.
Conduits par Wesemale, ils y exerçaient de grands dégâts, lors-
que Berthout, ayant réuni de nombreux vassaux, marcha contre
eux, les chassa devant lui et les atteignit enfin en un lieu nommé
Leeps, à mi-chemin entre Louvain et Malines 2. Après un combat
acharné, les habitants de Louvain prirent la fuite, laissant entre
les mains du vainqueur un grand nombre de prisonniers, qui
furent conduits à Malines et à Erps 5, notamment les deux frères
du seigneur de Wescmale : Godefroid et Gérard.
Pour terminer ces différends et ramener en Brabant la tran-
1 Van Velthem, Spiegel historiaal, 1. 1, chap. XLlli, p. 59.
2 In de Leeps ( Brabantsche Yeesten , lVme livre, v. 1194). Apud Leepsle
(De Dynter , t. 11, p. 426). — Entre Wespelaer et Louvain, dit une chronique
inédite (MS. de la Bibliothèque royale, n° 18,001). On appelle encore du même
nom (de Leeps ) un ruisseau qui sépare les communes de Wespelaer et de
Thildonck.
Divæus (Rerum Lovaniensium librilV, 1. 1, p. 10 ) accumule dans son récit
les épisodes. D’après cet historien , les Blanckaert accusèrent les Colveren de
conspirer avec le sire de Wesemale et déterminèrent la duchesse à chasser
leurs adversaires. L’année suivante, dit-il, ils furent expulsés à leur tour,
deux ails avant le combat de Leeps. Butkens place ce combat en l’année 1264,
mais cette date est difficile à admettre, il est certain qu’en cette année et en
1265, Wesemale ne s’était pas encore séparé des autres barons brabançons,
lorsque, le lundi après vocem , en présence de ses échevins, vassaux et censi-
taires de Wesemale, et du consentement de sa femme, Élisabeth (il avait
donc perdu sa première épouse, Aleyde de Brabant), et de ses frères Gode-
froid et Gérard, il céda aux religieuses de Parck-les-Dames treize bonniers et
demi dans le marais (palus) de Wesemale; cet acte fut scellé par les seigneurs
de Rotselaer et de Bautersem (Cartulaire du couvent de Parcq-les-Dames ,
fos 158 et suiv.). Dans la confirmation de la dime de Boclit à Saint-Michel , en
1265, on voit figurer l’un près de l’autre la famille de Wesemale et des habi-
tants de Malines et de Bruxelles (Butkens, Preuves , p. 100). D’autre part, il
est certain qu’au commencement de l’année 1266, les Wesemale étaient tout-
puissants à Louvain (voyez note 4 ci-dessous); d’autre part, comme Arnoul
fut un des témoins du traité conclu avec le comte de Clèves, le 18 novembre
1266, sa soumission doit avoir eu lieu avant cette dernière époque.
3 Variante des Brabantsche Yeesten, cité dans le Van Heelu de M. Willems ,
p. 401.
( 47 )
quillité, on convoqua à Cortenberg un parlement ou, pour nous
servir d’une dénomination d’origine plus récente, une assemblée
des états. Là vinrent les députés des grandes et des petites villes,
les chevaliers et les autres possessionnés J. La ville de Louvain se
soumit. Wescmale en fit autant, et le jeune duc Henri céda à son
frère Jean, librement et spontanément, par donation entre vifs,
tout le droit qu’il pouvait prétendre au duché de Brabant et ses
dépendances, sous quelque nom que celles-ci fussent comprises.
Il s’en dessaisit fguerpivitj , puis en investit son frère. Il jura en-
suite sur les saints Évangiles, qu’il n’élèverait jamais aucune ré-
clamation contre cette cession, et il déclara absous de l’hommage
qu’ils lui avaient prêté tous ses vassaux, tant absents que pré-
sents, en leur demandant de considérer Jean comme leur seigneur.
Enfin, à la réquisition de celui-ci , les vassaux présents lui jurèrent
fidélité, les uns individuellement, les autres collectivement.
Ce fut le 14 mai 1267 que les échcvins, les jurés et la com-
mune de Louvain proclamèrent leur renonciation à toute querelle
contre leur illustre dame, la duchesse de Brabant, ses fils et leurs
adhérents, et leur abandon de toute plainte pour les torts qu’on
leur avait causés. A leur demande, leur charte fut aussi scellée
par les seigneurs d’Enghien, de Malines, de Diest, le châtelain de
Bruxelles, Jean Brine, seigneur de Linter; le chevalier Henri
d’Assche, les villes de Bruxelles, de Tirlemont, de Léau, d’An-
vers , de Nivelles, de Jodoigne, de Gembloux et de Lierre -. Selon
Divaeus, la première de ces localités déploya un zèle tout parti-
culier en faveur de sa voisine, et les Colveren ne furent punis
que par une exclusion temporaire des emplois A L’orgueil de la
1 Te Cortenberghe dede men comen ,
Die stade van Brabant clein ende groole,
Ende daer toe riddere ende genote ,
Ende al die ghene daer macht aen lacb.
Ainsi s’expriment Van Heelu ( I , c. VI , v. 550 ) , et , d’après lui, Van Veltliem.
Genote ne signifie point pairs, comme l’avance M. Willems d’après Raepsaet,
mais possessionnés, possesseurs. C’est un dérivé de genieten, jouir.
2 Van Heelu, édit. Willems , p. 595.
5 Divæus, Rerum Lovaniensium libri IV, pp. 10 et 99.
( 48 )
famille de Wesemaie lut aussi abaissé; une sentence arbitrale
avait, dès le mois de janvier, condamné les prétentions de Gérard
sur le village de Lincent, et, à la suite d’un bref impératif du
pape Clément IV, daté de Yitcrbc, le 16 juin 1207, ce seigneur
promit de lever les défenses qu’il avait faites aux habitants du
village, relativement aux biens du chapitre de Saint-Barthélemi L
Quant à Arnoul, son frère, il devint le vassal dévoué du nouveau
duc, mais il ne tarda pas à quitter la chevalerie séculière pour
entrer dans le redoutable ordre des Templiers, où nous le retrou-
verons, mêlé aux affaires les plus importantes du temps.
Les nobles et les villes du Brabant, qui semblent avoir formé
à cette époque les seuls ordres des états, quoique les abbés des
monastères assistassent quelquefois les dues et les assemblées na-
tionales de leurs conseils, envoyèrent à Cambrai une députation
nombreuse. Là, le 2 a mai, l’évêque Nicolas et les députés, savoir :
les abbés Henri d’Afflighem, Bernard de Villers, Alard de Parc,
l’abbesse de Nivelles, Élisabeth, Baudouin d’Avesnes, sire de Beau-
mont, les sires d’Enghien et de Malines , Arnoul de Wesemaie, Ar-
noul de Walhain, Rigaud de Falais, détaillèrent, dans un acte
solennel, les circonstances de la renonciation du prince Henri 1 2 3 *.
Comme cet abandon devait être revêtu de la sanction du roi des
Romains, qui se trouvait alors en Angleterre, la duchesse Alcyde
et son père, le duc de Bourgogne, s’adressèrent à ce prince, qui
chargea son chancelier, l’évêque de Cambrai , et son parent, le sire
de Beaumont, de vérifier l’exactitude des faits qu’on lui avait ex-
posés, et, dans l’affirmative, de recevoir, en son nom, l’hommage
du due Jean, à la condition que celui-ci renouvellerait cet hom-
mage à sa personne lorsqu’il se trouverait dans le royaume d’Al-
lemagne, et à sa première réquisition 5.
Les deux délégués du roi ayant eux-mêmes participé aux actes
posés à Cortcnherg, leur opinion ne pouvait être douteuse. Cepen-
1 Jour de l'Invention de saint Étienne, 5 août 1267.
2 De Dynter , t. Il, p. 422; — Butkens , t. Ier, Preuves , p. 101 ; — Opéra
diplomatica , t. 1er, p. 455 et suiv.
3 Acte daté du camp de Stafford, près de Londres , dans De Dynter, /. c.,
p. 420; — Butkens , l. c., p. 101 ; — Opéra diplomatica , 1. c.
( 4!) )
dant, par suite de 1 absence prolongée de Richard, Jean Ier ne
lui fit hommage que le !G août 1208. Ce jour-là, l’abandon du
duché par Henri fut définitivement approuvé J, et le 20 du mois
suivant, le roi confirma les dispositions prises pour la constitu-
tion de la dot d’Aleyde 2.
L'infortuné Henri, en faveur de qui aucune voix ne s’éleva plus
désormais, se rendit en Bourgogne, où, après un an de noviciat,
il fit profession dans l'abbaye de Saint-Étienne de Dijon, de
l’ordre de Saint-Augustin (1er octobre 1209) 3. Là il vécut, non pas
en moine, mais plutôt en homme noble. On lui laissa une suite
de sergents et de serviteurs, et on lui assigna pour sa demeure
de beaux appartements , où il était servi avec luxe 4. On ne sait
quand s’éteignit ce rejeton déshérité de la famille de Louvain.
Une ombre de grandeur et un profond oubli furent son partage,
tandis qu’une brillante auréole de gloire entourait le nom de
son heureux frère.
1 A Cambrai. De Denier, l. Il, p. 424; — Willems, Van Heelu, p. 594.
2 Celte confirmation eul lieu à Cambrai, eil présence des seigneurs d’En-
ghien, de Matines, de Wesemale, de Henri, frère du sire de Matines, de
Henri d’Àssche , de Henri , sire de Dutïèl , d’Égide Berthout , qualifiés de
magnates Brabanliae , de Guillaume de Lierre, de Robert Briseteste, elc.
De Dynter, t. il , p. 425; — Bulkens, l. J, Preuves , p. 102; — Opéra diplo-
iriatica, 1. c.
5 Opéra diplomatica, t. Ier, p. 436; — Fyot, Histoire de Saint-Étienne de
Dijon , Preuves , p. 158. ■- De Dynter, p. 426, prétend à tort qu’il aurait été
abbé de ce monastère ; Henri n’obtint pas de dignité supérieure au rang mo-
deste d’acolyte, comme nous l’apprend la Gallia christiana (t. IV, col. 758).
4 Van Heelu, livre I<r, v. 574 et suivants.
Tome XIII.
4
( 50 )
CHAPITRE II.
ALLIANCES MATRIMONIALES ENTRE LE BRABANT, D'UNE PART, LA FLANDRE,
LA FRANCE ET L’ANGLETERRE d’âUTRE PART. — RELATIONS AVEC
l’empire.
I.
A l’avénement de Jean Ier, une grande partie de la Belgique
parut reprendre des habitudes d’ordre et de tranquillité. Des
traités de paix ou des trêves assoupirent pour quelque temps les
diseordes auxquelles notre pays était en proie. Le Brabant, le pays
de Liège, l’archevêché de Cologne, entrèrent de nouveau dans
une période de tranquillité. Ces moments de répit devaient être
très-courts et aboutir, sur les bords de la Meuse, à cette funeste
guerre de la Vache, dans laquelle périrent tant de milliers
d’hommes; sur les bords du Rhin, à cette fameuse querelle des
comtes de Juliers contre la ville d’Aix-la-Chapelle et contre l’ar-
chevêque de Cologne, Sifroi, qui, en cette occasion, vengea
cruellement les infortunes de ses deux prédécesseurs.
Avant d’en arriver au récit de ces luttes mémorables, avant
aussi de raconter les graves événements dont la Hollande devenait
le théâtre, nous montrerons les alliances matrimoniales que la
dynastie brabançonne contracta avec la France et l’Angleterre,
ainsi que les principales circonstances de l’avénement au trône
du premier des Habsbourg.
Henri de Gueldrc n’avait pas encore renoncé à attaquer le Bra-
bant, ni contribué à accabler, dans les plaines de Marienholtz,
les défenseurs des droits de l’archevêché de Cologne, qu’une autre
bataille dénouait la querelle des comtes Henri de Luxembourg et
Thihaud de Bar, querelle qui avait été provoquée par l’inféoda-
tion à Henri de la ville de Ligny en Barrois. Le comte de Luxem-
( 51 )
bourg fut appuyé par le roi de Navarre, comte de Champagne,
et par le duc de Lorraine, tandis que son ennemi se liguait avec
l’évêque de Metz, Guy de Dampierre, comte de Namur; le comte
de Looz, etc. L’évêque de Metz ayant assiégé la petite ville de
Prény ou Pigny, près de Pont-à-Mousson, le comte de Luxem-
bourg accourut pour en faire lever le siège, mais le sort des
armes ne lui fut pas favorable (17 septembre 1206). 11 fut pris,
ainsi qu’un grand nombre de ses vassaux , notamment Philippe
de Vianden , qui était devenu seigneur de Pervvez et de Griin-
berghe , par suite de son mariage avec Alice de Perwez h Grâce
à l’intervention amicale et respectée du grand roi Louis IX , la
paix fut conclue peu de temps après, et les deux comtes ne tar-
dèrent pas à s’unir par un traité d’alliance. Ce dernier acte nous
offre une preuve de plus des relations d’amitié qui existèrent
longtemps entre le Brabant et le Barrois 1 2. Thibaud s’engage à
secourir Henri contre tous ses ennemis, sauf contre la duchesse
de Brabant, le duc son lils et les bourgeois des grandes cités,
pour ainsi dire constituées en républiques, de Metz et de Verdun3.
Les sujets de Jean Ier, retenus dans leur patrie par les hosti-
lités qui ne cessèrent qu’en 1208, n’avaient pas pris une part
active à cette contestation. De meme, leur attention ne put être
que médiocrement excitée par deux expéditions lointaines où la
valeur des Belges eut occasion de se distinguer. Nous voulons
parler de la conquête du royaume de Naples par Charles d’Anjou,
et de la septième et dernière croisade, celle de Saint-Louis contre
Tunis. Robert,' fils de Guy de Dampierre, fut l’un des chefs de
l’armée que Charles conduisit contre le roi Manfred 4 5, et parmi
1 Consultez pour l’histoire de la famille de Vianden, Bertholet, Histoire
du duché de Luxembourg , t. V.
2 En l’année 1255, lorsqu’un comte de Bar fut fait prisonnier à la bataille
de West-Capelle, en Zélande, le duc de Brabant contribua à lui faire rendre
la liberté. De leur côté, au quatorzième siècle, les comtes, devenus ducs de
Bar, prirent plus d’une fois les armes pour défendre les frontières du duché.
5 Bertholet, /. c., pp. 162 et suiv. — Brussel, Usages des fiefs , pp. 557 et
suiv. — Les deux sentences du médiateur portent la date de 1268. Quant à
Philippe de Vianden , il était déjà mis en liberté en mai 1267. Voyez X Histoire
des environs de Bruxelles, t. II, p. 185.
* En 1265.
( 52 )
les guerriers qui accompagnèrent en Afrique le roi de France
figura le comte de Luxembourg, à qui, à la mort du pieux mo-
narque, on confia le commandement de Farinée chrétienne L
Au nombre des Brabançons qui prirent la croix en cette der-
nière occasion , il n’en est qu’un dont on cite le nom : c'est Béatrix
de Brabant, la veuve de Guillaume de Dampierrc; et encore ob-
tint-elle du légat du pape, le cardinal Simon de Lally, une dis-
pense d'accompagner l’expédition, à la condition d’envoyer en sa
place des combattants bien armés 1 2 3. Des guerriers du duché qui
suivirent Robert de Flandre, on ne connaît que Gilles Le Brun, de
la noble famille de Trazegnies , et Alard, seigneur de Rêves et
de Bourgelles, qui se rendirent célèbres, le premier par l’huma-
nité avec laquelle il traita des dames nobles qui étaient tombées
entre ses mains; le second, par sa fermeté à défendre son ami 5.
A en croire Van Velthem 4, qui place ces événements en l’année
du mariage du roi Edouard d’Angleterre, un grand nombre de
bergers du Brabant, du Rainant et des contrées voisines prirent
alors la croix, et partirent pour aller à la délivrance du saint
sépulcre. Mais cette fois encore, ils éprouvèrent le même sort
que les autres multitudes que l’enthousiasme religieux et un zèle
irréfléchi avaient jetées, en désordre et sans armes, sur les routes
de 1 Orient. Rs ne pouvaient espérer de réussir là où tant de
braves capitaines, tant de vaillantes armées, avaient échoué, ils
ne parvinrent même pas à s’embarquer sur la Méditerranée, et
périrent tous, décimés parles privations elles maladies.
Un des premiers soins de la duchesse Aleyde fut de donner une
compagne au jeune duc de Brabant. Déjà, plus de treize ans au-
paravant, elle et son mari avaient négocié le mariage de leur liîs
aîné Henri avec Marguerite de France, fille du roi Louis IX,
qui, à cette occasion, leur paya immédiatement une somme de
1 Eli î 270 , Ernst , t. IV , p. 80.
2 2 avril 1267, an 111 du pape Clément. M. Kervyn de Letlenhove , Bea-
trix de Brabant ( Bulletins de l’Académie royale de Belgique, t. XXI,
Umc partie, p. 408).
3 Chronica Ægidii Li Muisis , dans De Smet, Corpus chronicorum Flan-
driae, t. II, p. 157.
* Liv. II, chap. XXI.
( 33 )
quinze mille livres, remboursables dans le cas où le mariage ne
s’effectuerait pas b Après avoir remplacé son frère sur le trône,
Jean IC1 le remplaça aussi auprès de sa fiancée. Louis IX donna à
sa fille dix mille livres tournois et Jean Ier lui assigna, sur ses do-
maines de Tcrvueren et d'Yssclic, lin douaire de six mille livres
par an1 2 3, au lieu de celui de quatre mille livres qui avaitété stipulé
en 4 257. Cette union fut contractée au mois de février de l’an-
née 1270-127!, mais elle ne dura qu’un an environ, Marguerite
étant morte à Paris, au mois de septembre 1272, en donnant le
jour à un (ou, suivant d’autres, à deux) enfants, qui expirèrent
en naissant 5.
Jean Ier ne tarda pas à choisir une nouvelle épouse. Il s’allia, au
mois d’août 1275 , à Marguerite de Flandre, fille de Guy de Dam-
pierre, héritier du comté de Flandre, et de Mathilde, dame de
Béthune et de Termonde. L’aïeule de la nouvelle duchesse, Mar-
guerite de Constantinople, réclamait encore de Jean 1er, une partie
du douaire de la tante de ce prince, Beatrix de Brabant, veuve
de Guillaume de Dampierre 4; à cette occasion elle en donna quit-
tance au gendre de son fils préféré s. Marguerite ne vécut avec
son mari que douze années. Elle expira le 5 juillet 1285 et fut
ensevelie dans le couvent des Récoîlets de Bruxelles.
1 Butkens, t. I,p. 270.
2 Id., p. 552. — De Dynter, t. It, p. 455. — Le Nain de Tillemont, Vie de
saint Louis , Paris, 1847, t. Y , p. 415.
3 Van ïïeelu, 1. c., v. 628 et suiv. — Van Velthem, l. c., chap. XLIIIJ. —
Chronicon ducum Brabantiae , publiée dans les Antiquités belgiques (Anvers ,
1855), t. Ier, p. 284. — Le chapitre de Liteaux décida qu’un anniversaire so-
lennel serait célébré pour la duchesse et pour sa sœur la reine de Navarre.
Le Naiÿ de Tillemont, l. c.
4 Sur ce douaire, qui s’élevait à la somme de douze mille livres parisis , il
était encore dù , à la date du 50 novembre 1271 , trois mille cinq cent douze
livres, que Jean 1er avait pris à sa charge, le lundi après les octaves de la
Saint-Martin d’hiver, en 1268 ( Cartulaire de Brabant B, f° 85. — Jules de
Saint-Génois, Inventaire des chartes de Flandre , p. 51 ).
t
3 Le 14 septembre 1274, le duc Jean donna quittance à la comtesse Mar-
guerite de deux mille livres tournois qu'elle lui devait du chef de ce mariage ,
et il pria cette princesse de payer pour lui cette somme au roi de France,
Van Heelu, p. 400,
( 54 )
Le 23 octobre 1275 mourut la duchesse Aleyde , dont l'in-
fluence sur son fils était restée fort grande. Cette princesse avait
hérité de l’affection de son époux pour l’ordre de Saint-Domi-
nique. Dans le couvent de Louvain, où Henri III avait choisi sa
sépulture, et où elle se rendait souvent pour le pleurer, elle fit
élever une habitation, qu’elle légua aux religieux, pour en jouir
après sa mort, et qu’elle reprit d’eux à cens, conformément aux
usages locaux et moyennant un denier de Louvain, par an b C’est
à elle qu’on dut la fondation de Val-Duchesse, cloître modeste,
situé dans une situation admirable, un peu au nord du village
d’Auderghem , à l’entrée de la forêt de Soigne, sur les bords en-
chanteurs de la petite rivière la Wolnwe. Aleyde y établit une
communauté de Dominicaines, la première que la Belgique ait
possédée et, après l’avoir comblée de bienfaits, lui légua son
cœur 2.
Les liens qui unissaient le Brabant et la France, un instant dé-
noués par la mort de la duchesse Marguerite, se resserrèrent
bientôt, lorsque le roi Philippe 111 s’allia à Marie de Brabant,
sœur de Jean Ier, princesse dont un contemporain exalte la sa-
gesse, la beauté et l’attachement pour sa famille 5. Son contrat de
mariage fut arrêté au château de Vincennes, le 21 août 1274, et,
elle reçut la couronne royale le 24 juin 1273, dans la Sainte-
Chapelle, au palais de Paris, dans ce merveilleux édifice où éclate
le génie de Pierre de Montreuil, et qu’une munificence éclairée a
rétabli plus imposante et plus splendide que jamais. Un long cor-
tège de barons et de chevaliers, couverts de vêtements de pour-
1 Le lendemain du jour de Pâques, en 1263. — Ce couvent de dominicains
était installé à Louvain depuis près de quarante ans. Dès l’année 1233, Jean
d’Àppia, évêque de Liège, lui accorda des privilèges. Henri 111 ne Je fonda
pas, comme le dit Butkens, p. 268, mais, en 1258, lui abandonna YOsse-
nem velt , plaine (area) contiguë au jardin des religieux et qui était située
entre la Dyle et l’Aa ( Opéra diplomatica , t. 1er, p. 426).
2 Voyez Y Histoire des environs de Bruxelles , t. 111, p. 346. — L’anniver-
saire de la duchesse Aleyde se célébrait à Sainle-Gudule le 23 octobre; la
fabrique de cette église payait à cet effet une rente de vingt sous, petite mon-
naie.
3 Hocsem, chap. XVI, dans Chapeauville, t. II.
( 55 )
pre, de nobles dames et demoiselles, aux tuniques tissées d'or et
remarquables par leurs manches énormes, accompagnait les deux
époux. Pendant huit jours, le peuple de Paris vécut en fêtes per-
pétuelles, et les maisons de la capitale de la France restèrent
ornées de draperies de différentes couleurs b Mais bientôt des
nuages assombrirent l'horizon de gloire et de bonheur qui s’était
ouvert devant Marie.
« La reine, dit Guillaume de Nangis », dont nous reprodui-
sons ici la narration traduite et arrangée par Sismondi 1 2 * *, « était
belle, sage et excellente, et le roi l’aimait, ainsi qu’il le devait,
avec la plus tendre affection. Comme elle gagnait tous les jours sa
faveur et son amour, Pierre de la Brosse ou des Brosses, cham-
bellan de Philippe 111, qui avait captivé tellement la familiarité
de son seigneur que chacun lui rendait plus d’honneur qu’à aucun
autre à la cour, commença à s’alarmer, à ce qu’on assure, de
l’amour du roi pour la reine, car c’était un homme envieux et
qui maigrissait du bien d’autrui. Il craignit que , par sa pru-
dence, cette femme n'arrivât à le connaître et à lui faire perdre
la faveur royale; et des lors, à ce que quelques-uns ont dit, il
conçut l'iniquité dans son cœur, et il chercha de jour en jour
comment il pourrait aliéner le roi de la reine. Ce Pierre de la
Brosse, quand il vint à la cour, fut d’abord chirurgien de saint
Louis, père du roi Philippe; c’était un pauvre homme, né en
Touraine. Après la mort de Louis, il fut fait chambellan de Phi-
lippe 5, et le roi l’aima tant, se confia tant à lui en toute chose,
1 Gesta Philippi regis, par Guillaume de Nangis, clans Duchesne, t. V,p.529.
— Grandes chroniques de France , publiées par M. Paulin Paris, t. Y, p. 58.
2 Histoire des Français , t. V, p. 575.
5 Tout ce récit est entremêlé d’invraisemblances et d’erreurs et il faudrait
un travail spécial pour éclaircir les ténèbres que l’on a répandues, comme à
plaisir, sur cette ténébreuse affaire. Pierre de la Brosse n’était pas d’une ori-
gine obscure ou ignoble. Son père, nommé comme lui Pierre, appartenait à
une famille noble, dite de la Brocc , d’après un fief qu’elle possédait en Tou-
raine. Il fut sergent, puis chambellan de Louis IX. Le fils n’exerça jamais la
profession de chirurgien ou barbier. Il était dès 1264 châtelain de Nogent-le-
Roi ; dès 1269 chevalier et il devint aussi chambellan II fut comblé de dons en
terres, en rentes, etc., non-seulement par son royal protecteur, mais par ceux
( 56 )
et, l’éleva si haut, que tous les barons, les prélats et les chevaliers
du royaume de France lui témoignaient le plus profond respect
et lui apportaient souvent de riches présents. En effet, ils le crai-
gnaient fort, assurés que tout ce qu’il voulait du roi, il l’obtenait
toujours. Les barons éprouvaient en seeret beaucoup de dégoût
et d’indignation de lui voir exercer tant de puissance sur le roi et
le royaume. A l’aide de cette puissance, Pierre avait obtenu qu’un
frère (il faut dire un cousin) de sa femme, maître Pierre de Bevais
fût faitévëque de Baveux. En même temps il mariait ses fils et ses
filles à qui il voulait et il satisfaisait tous ses caprices.
» Isabelle d’Aragon , première femme de Philippe le Hardi, avait
donné quatre fils à son mari. Marie de Brabant n’eut qu’un fils
(Louis, depuis comte d’Evreux) et deux filles, Pierre de la Brosse
chercha de bonne heure à alarmer le roi sur les projets que pour-
raient concevoir une marâtre contre des enfants qui privaient les
jalousie, à la haine, au mépris d'une cour orgueilleuse qui n'obéis-
sait qu’en frémissant à un homme sorti des derniers rangs de la
société. En 1270, le prince Louis, l’aîné des fils du roi, vint à
mourir, et l’on prétendit reconnaître dans sa maladie des symp-
tômes de poison.
» Le favori prit à tâche de diriger les soupçons du roi contre la
reine, il employa encore à envenimer l’esprit de Philippe l’évêque
de Bayeux. On connaissait alors trop mal la médecine et la chi-
rurgie pour chercher les preuves d’un empoisonnement dans
l’observation du cadavre ou dans l'analyse des substances qui
avaient été administrées au défunt. On croyait ne pouvoir dé-
qui préparèrent sa ruine, entre autres par !e comte d’Artois, et par un tîls de
Guy de Dampierre, Robert de Béthune. La Brosse laissa un riche héritage,
dont on ne laissa qu’une partie à ses enfants; l’autre fut confisquée, et la
terre de Damville, notamment, donnée à Mathieu de Montmorency. Voyez
les documents publiés par M. Jubinal, à la suite de La complainte et le jeu
de Pierre de la Broce , Paris, Techener, 1835.
1 Pierre de Bevais, et non de Benais, avait été d’abord chantre de l’église
de Reims'; il était à cette époque doyen de Bayeux. La femme de La Brosse
s’appelait Philippine de Saint-Venant. Jubinal, 1. c.
couvrir un crime qu'en torturant les prévenus ou au moyen
d’opérations magiques. Pour connaître la cause de la mort du
prince, on consulta ceux que l’on considérait alors comme doués
du pouvoir de lire dans l’avenir. Le vidante de l’église de Laon, un
très-mauvais sarabaïte ], et une béguine de Nivelles, tous trois
jouissant d’une réputation de sainteté, passaient pour avoir des
révélations 1 2. Ils contribuèrent d’abord, paraît-il, à accréditer les
bruits répandus contre la reine, car Guillaume de Nangis, dans
son style ampoulé et obscur, accuse La Brosse de les avoir gagnés.
Philippe, voulant obtenir des renseignements plus précis, chargea
Mathieu, abbé de Saint-Denis, et l’évêque de Bayeux, d’aller
interroger la béguine. Que se passa-t-il alors? On ne le sait trop,
car la narration de Nangis est des plus singulières : 1 évêque de
Bayeux, ayant prévenu l’abbé auprès de la fausse prophétesse ,
prétendit qu’elle s’était confessée à lui, mais refusa de révéler sa
confession; de son côté la béguine ne voulut rien dire à l’abbé :
Philippe se montra fort irrité de ces réticences. Il envoya à Ni-
velles de nouveaux délégués, l’évêque de Dol, et un personnage
qui a déjà figuré dans notre récit, Arnoul de Wcsemale, alors
chevalier du Temple. Cette fois, et grâce sans doute à la présence
d’Arnoul, qui n'était pas un homme dont on put se jouer, la
béguine eut peur. D’après sa déclaration formelle le roi ne devait
rien croire de ce qu’on tenterait de lui insinuer au désavantage de
sa femme, car elle était bonne et fidèle, et elle aimait de tout
son cœur lui et les siens. Le roi comprit alors qu’il avait auprès
de lui des serviteurs perfides.
» Dès ce moment la position du puissant chambellan devint
périlleuse. Philippe dissimula ses sentiments. Son favori parut
garder son influence, mais les grands et notamment Robert d’Ar-
tois, la sapaient sans relâche. Près de deux ans se passèrent jus-
qu’au jour où un moine apporta au roi, à Melun, des lettres
scellées par La Brosse, et qu’un messager mort dans son couvent
y avait laissées. Le roi ne montra ces lettres qu’à son conseil
1 Sarabaïta pessimus. On appelait Sarabaïtes les religieux vivant isolés,
sans reconnaître des règles.
2 Qui nu! la religione approbali , Deo mentiti, per arctam vitam qttam
deforis ostendebant, habere prophetiae spiritum dicebantur.
( 58 )
secret : une première fois à Melun, une seconde fois à Vineennes.
La Brosse fut arrêté, puis emprisonné, d’abord à Paris, puis à
Janvillc en Bcauce, Traduit devant une commission composée du
duc de Bourgogne, du duc de Brabant, son neveu, et du comte
d’Artois, cousin de Jean Ier 1 , et qui l avait déjà accusé, La Brosse
avait peu de faveur à attendre de pareils juges, animés par le
désir de venger leur parente commune et qu’un profond secret
sur la nature même de l’accusation mettait à l’abri de toute res-
ponsabilité. Il fut condamné et pendu au gibet de Montfaucon,
le 50 juin 1278. »
Le récit de ces événements a été singulièrement altéré par nos
chroniqueurs, même par ceux que l’on peut en quelque sorte
qualifier de contemporains. Selon Van Veltbem, la reine Marie,
accusée par La Brosse, fut enfermée dans un château, en même
temps que sa camériste. Le duc, secrètement averti, prit immé-
diatement conseil de scs barons, et s’empressa de partir pour
Paris, accompagné seulement d’un écuyer nommé Godekin Van-
denstalle 1 2 3 et qui était, est-il dit ailleurs, du village de Meerbeke,
dans la mairie de Campenhout 5. Arrivé au château où sa sœur
était gardée, il lui annonça qu’il allait la venger ou mourir. La
Brosse apprit bientôt son arrivée et obtint du roi des promesses
formelles de protection, mais les pairs de France appuyèrent les
plaintes du duc , et le monarque se vit forcé de consentir au sup-
plice de son favori. D’autres écrivains, exagérant encore ces dé-
tails peu admissibles, nous montrent la reine menacée d’être
brûlée vive, si un défenseur ne combat pour elle en champ clos.
Pendant deux jours personne ne se présente; enfin, le troisième,
un redoutable chevalier, le duc lui-même, entre en lice. La Brosse
n’ose tenter le jugement de Dieu, et périt attaché à la tour du
château de Vineennes 4.
1 Le père du comte Robert, frère aîné de saint Louis, et premier comte
d’Artois, avait épousé, en 1257, Mathilde, fdle du duc de Brabant Henri III.
2 Van Veltbem, L. II , chap. XL à XLIL — Van ïteelu ne dit que quel-
ques mots de l'affaire de La Brosse, L. Ier, v. 1568 et suiv.
3 Fragment d’un manuscrit des lirabantsche Yeesten, publié dans le
Van Heelu de Willems , p. 546.
1 Les Annales Colma rieuses placent son exécution vers le 1er juin 1278. Le
( S9 )
A la première nouvelle de l’arrestation de son parent, l’évêque
de Baveux s’enfuit à Rome. Le roi envoya au pape Nicolas III le
templier Arnoul de Wesemalc 1 , pour demander la déposition et
la punition du prélat. La réponse du souverain pontife est remar-
quable : en témoignant son affection à Philippe III, il déclare ne
pouvoir procéder contre le prélat, Arnoul ayant refusé de se
porter partie contre lui, soit en son nom propre, soit au nom
du monarque. D’ailleurs, aucune rumeur, aucune circonstance ne
l’accusent. Il termine en recommandant au roi la prudence, en
lui faisant observer que personne ne songeait à soupçonner la
reine. En même temps le pape engage celle-ci , « elle issue d’une
si haute lignée, » à mépriser des attaques qui ne pouvaient l’at-
teindre. Ces sages observations ne furent pas accueillies comme
elles le méritaient La cour de France désirait la punition de
l’évêque, elle s’indignait de le voir vivre auprès du pape, non-
seulement en sûreté, mais entouré de considération. Au commen-
cement de l’année 1279, les trois juges de la Brosse demandèrent
encore au souverain pontife, comme une faveur qui était due à
leur rang, la punition d’un homme qui n’avait pas craint de les
offenser. Au bas de leur lettre, ils ajoutèrent de la main de l’un
d’entre eux : « que leur cœur ne serait jamais en paix, tant que
» l’affaire resterait sur le même pied. » Mais le pape répondit
avec fermeté, le 9 juin : « Qu'il n’accorderait jamais à l’un, comme
» un bienfait, le malheur de l’autre, et que tout le crédit des en-
« nemis de l’évêque ne prévaudrait pas contre son innocence 2. »
récit de la Chronique de saint Magloire ( fabliaux de Barbazan . t. II, p 228),
où on représente les barons comme ayant fait une sorte de violence au roi pour
lui arracher son consentement à la mort de La Brosse, est évidemment un
écho des mêmes bruits que ceux dont on trouve la trace dans Van Velthem.
L’aventure de la reine Marie resta populaire; elle inspira à un écrivain
français du moyen âge la complainte et le jeu de Pierre de la Broce, que
M. Achille Jubinal a publié en 1855. On a édité dans le Bulletin de la Société
de F histoire de France, année 1844, deux documents qui renferment de
nouveaux détails sur l’affaire de La Brosse , mais nous n’avons pas dans l’au-
thenticité de ces pièces une foi assez robuste pour oser nous en servir.
1 Rinaldi l’appelle de Ursamala.
2 Rinaldi, Annales ecclesiastici , t. III, pp. 460, 502, 852.
( 60 )
Pierre de Revais resta à Rome, et rentra en possession de son
siège après la mort de Philippe 1 ï I L
La reine Marie survécut longtemps à son mari, car elle n’ex-
pira que le 10 janvier 13:21 , trente-six ans après lui. Les écrivains
français et brabançons ont chanté à Terni ses louanges, mais une
voix sévère proteste contre leurs adulations, et, en étudiant les
détails de ses démêlés avec La Brosse, plus d’un lecteur impartial
la soupçonnera, avec Dante Alighieri, d’avoir fait périr par envie
Je malheureux chambellan, et s’associera au vœu que manifeste
le grand poète, lorsqu'il parcourt en imagination le purgatoire :
« Puisse la dame de Brabant, pendant qu elle vit encore, pourvoir
» à ne pas être un jour rangée dans une plus coupable troupe. »
La reine habitait à Paris 1 hôtel de Flandre, qui devait à l’évêché
de cette ville , comme elle le déclare en 1 51 8 , un cens de six livres
parisis ~2. Son cœur fut. porté au couvent des Dominicains, et son
corps reçut la sépulture aux frères mineurs. Non contente d’enri-
chir des établissements religieux ou charitables de France, elle en
fonda un en Brabant , en reconnaissance sans doute du témoignage
solennel qu’avait rendu de son innocence la béguine prophétesse.
La ville de Nivelles, où suivant un ancien légendaire, l’institut
des béguines prit naissance et attira jusqu'à deux mille adeptes,
en comptait surtout un grand nombre dans la paroisse de Saint-
Cyr. Là, au nord de la ville, à peu près à l’endroit où se trouve
aujourd’hui la station du chemin de fer, la reine Marie fit com-
mencer un somptueux édifice, destiné à recevoir les béguines
pauvres et malades. Au mois de mars 1280-1281, il n’existait
encore qu’à l’état de projet r>, mais il s’éleva bientôt, quoique avec
lenteur 4 5. L’évêque de Liège et le pléban de la paroisse conscnti-
4 Gallia christiana, t. X, co!. 570.
2 Sauvai, Des redevances dues et des présents faits aux rois et reines de
France de la troisième race ( Lc-ber , Choix de dissertations , t. Vil, p. 454.)
5 Acte du mercredi après le jour du grand carême , en mars 1280. Cartu-
laire du chapitre de Nivelles , f° 457.
4 Approbation par l’abbesse , d’un don fait à « l’hospital noviaul de S. Soire
» ou aux pauvres béghines doudit lieu, si ledit hospital naloil en avant. »
Acte daté de la nuit de madame Sainte-Gertrude, en mars 1281 ( 1282 nou-
veau style. ) Ibidem , f° 458 v
( 'il )
rent à ce que l'on y célébrât l’ofïice divin , mais seulement deux
ou trois fois par semaine, et les jours non fériés 1 , et l'abbesse de
Nivelles en approuva la fondation et en retint la « warde et sou-
veraineté 2. » Mais, faute de revenus suffisants, on dut recourir
pour l’achever aux aumônes des fidèles 3. Malgré sa noble origine4 5,
malgré son titre pompeux de Maison de la Reine, ou Maison de
la Royauté ce ne fut jamais qu’un pauvre établissement, qui
disparut à une époque inconnue. En 1787, ses revenus, que l’ab-
besse de Nivelles employait en pensions destinées à récompenser
de pauvres veuves ou filles de bonne vie et mœurs, ne s’élevaient
plus, y compris ceux des béguinages de Goutissau et Duquettc,
qu’à la modique somme de 1 785 florins.
Bien que constamment occupé dans ses propres États , au milieu
des embarras que lui causaient scs guerres dans le pays de Liège
et entre le Rhin et la Meuse, Jean Ier épousa deux fois les que-
relles des rois de France. En 1270, de concert avec le comte de
Juliers, le comte de Bar et d’autres princes allemands6, il alla re-
joindre l’armée que Philippe 111 conduisit pour défendre ses ne-
1 La veille de l’Ascension el le jeudi avant celle fête, en 1281. Ibidem ,
f° 460. — En 1282, le dimanche après la circoncision (2 janvier), l’évêquf?
permit de célébrer une messe par jour , in novo hospital i beghinarum S. Siri ,
et, en 1288, son official permit aux mambours de l’hôpilal d’y pendre une
cloche, ibidem, fos 461 et.463.
2 En mai 1281, mercredi après i’ Ascension. Ibidem , l‘° 461.
5 Attestation en date du lundi avant le dimanche Invocavil me 1285.
Ibidem , f° 461 .
A Que domus fuerat construcla ab illustrissima domina Dei gratin
quondam Francie Regina, in qua pauperes Beguine commorabanlur
De ordinatione et eleemosinis serenissime domine , domine Marie, Dei per-
missions regine Francie , elc. Acte cité à la note précédente.
Hospitale pauperum Beghinarum S. Spiritus , in parrochia S. Siri in
Nivella, de domo qui dicitur unius illustrissime regine Francie quod de
novo reedi ficari cèpit opéré sumptuoso. Acte émanant de l’abbé de Liteaux,
du mois d’août 1284. Carlulaire cité, f° 462 v°.
5 Li maison condist le Roine, ki est en la parroche de S. Soire, ki est
maisons de pouvres beghines. Acte cité à la note 2. — Domus regine apud
Nivellam , 1286. — La Royauleit de Saint Syre. 1534. Carlulaire cilé, passim.
G De regno Allemaniae , Resta Philippi 111 regis , 1. c., p. 855.
( 62 )
veux, les enfants de La Cerda, contre leur oncle, don Sanche de
Castille. Mais, en arrivant à Salvatierra, les troupes du roi n’y
trouvèrent pas de vivres, et se virent dans l’impossibilité d’avan-
cer. Ce fut au retour de cette expédition malencontreuse, que
Jean Ier et son frère Godefroid furent armés chevaliers, à Paris *.
Quelques années après , une nouvelle guerre vint diviser la
France et l’Espagne. Les Vêpres Siciliennes ayant délivré une
partie du royaume de Naples du joug des Français, et le roi
d’Aragon ayant pris parti pour les révoltés, le roi Philippe III
arma en faveur de son parent, le roi de Naples, Charles d’Anjou.
Nous n’entrerons pas dans le détail des péripéties qu’offrit cette
lutte. Nous nous bornerons à rappeler qu’il fut un instant ques-
tion de vider la querelle, le 1er juin 1285, par un combat singu-
lier de cent chevaliers contre cent autres, parmi lesquels figure-
raient d’une part, Charles d’Anjou, et, de l’autre part, Pierre
d’Aragon. La cour de France et le pape jugèrent trop périlleux 2
cet expédient , qui était tout à fait dans les moeurs de l’époque.
Un Brabançon, le célèbre bâtard sire Franco de Wesemale, et
trois hesbignons: le sire de Hemrieourt, sire G. de Hanelfe et
sire Walter de Mommale, furent compris parmi les champions
auxquels Charles d’Anjou voulut confier la défense de scs droits 5.
Les négociations n’ayant pas abouti, le roi de France résolut
d’envahir les États du roi d'Aragon. Il passa les Pyrénées, au mois
de juin 1285, avec une armée redoutable, où l’on comptait, dit-
on, quatre-vingt mille fantassins et vingt mille cavaliers, et que
secondait une flotte de cent vingt vaisseaux. Le roi d’Aragon,
alors délaissé par son allié le roi de Castille, abandonné même par
une partie de ses sujets qui s’étaient, soulevés contre lui, ne se
découragea pas. La ville de Gironc fut assiégée et prise, mais les
1 Butkens , t. Ier, p. 288 — A l’occasion de cette expédition, le roi de France
prêta au duc 6,000 livres tournois , dont celui-ci donna quittance à Vincen-
nes, le 16 janvier 1278-1279. Willems, Van Heelu , p. 403.
2 Lettres du doyen de Caen à Béatrix de Brabant , dame de Courtrai. Jules
de Saint-Génois, Inventaire , p: 106.
5 Iloesem , l. c., c. XIV.
( 65 )
chaleurs excessives accablèrent l’armée française et y occasion-
nèrent une grande mortalité. Le roi Philippe en mourut, au mois
d’octobre, et le duc Jean tomba malade, au point que l’on craignit
pour ses jours. Plusieurs de ses barons et chevaliers : Henri de
Louvain, sire de Herstal; Léon, sire de Bautersem; Jean, sire de
Rotselaer; Jean, sire de Wavre; Jean de la Hutte et son fils, Jean
Vanden Bossche, Herman de Brustene, Pinchard de Fresin, Gilles
de Harduemont et Henri de Rixensart y perdirent la vie; d’autres,
tels que le sire d’Aerscliot, Guillaume, sire de Hemricourt, Franco
de Wesemale, etc., échappèrent à la contagion l. Gérard de
Luxembourg, sire de Durbuy, et Rase de Gavrc, sire de Liecle-
kerke, étaient aussi de l’expédition d’Aragon; le duc leur avait
promis, au premier, trois mille cinq cents; au second, trois mille
livres tournois, à condition de l’y accompagner et de le servir pen-
dant un an, chacun avec quatre autres chevaliers2.
Les rapports d’amitié qui avaient existé entre le Brabant et le
royaume de France, continuèrent après la mort du royal beau-
frère de Jean Ier. Philippe le Bel, fils de Philippe III, témoigna
aussi une grande affection à notre duc, et lui en donna une preuve
éclatante en décidant en sa faveur la fameuse querelle au sujet
du duché de Limbourg. Les alliances qu’avaient contractées la fa-
mille de Louvain avec plusieurs grandes races baroniales de
France : les comtes d’Artois , les comtes de Saint-Pol, les Châtillon ,
qui en plus d’une circonstance vinrent combattre sous la ban-
* Van Veltliem, l. c., c. XL11I et XLIX. — Butkens, t. 1er, p. 305. — Les
bruits les plus ridicules circulèrent en Allemagne au sujet de cette expédi-
tion. Suivant YHisloria Australie (citée dans Freher, Rerum Gennanicarum
Scriptores , t. 1er, p. 477), le duc de Brabant y périt; le duc de Lorraine et
son frère l’évêque de Metz échappèrent à grand’peinc à la mort. Outre ces
princes, les comtes de Flandre, de Hollande, de Picardie et le duc de Bour-
gogne accompagnaient l’expédition.
2 1er et G mars 1285, Van Heelu , p. 454 et suiv. Nous remarquerons ici
que des troubles éclatèrent à Lille, dans l’église Saint-Étienne, lorsqu’on y
prêcha la Croix d’Aragon. Les ecclésiastiques qui voulurent appeler Je peu-
ple aux armes furent insultés. Le 1er mai 1285, le comte Guy de Dampierre
pardonna aux reward, échevins et commune de Lille, et leur lit remise des
amendes qu'ils avaient encourues Saint-Génois, Monuments , p. 729.
( 64 )
iiicrc brabançonne, lui assuraient d’ailleurs des amis dévoués
dans les conseils des descendants de saint Louis. Jean Ier resta
donc leur allié. Mais, pendant la dernière partie de son règne,
scs affaires l’appelèrent et le retinrent plus fréquemment sur les
bords de la Meuse, et des négociations, entamées à une époque
où les cours de Paris et de Londres vivaient dans une entente
parfaite, préparèrent, avec la participation de son fils, le renou-
vellement de l’ancienne ligue de l’Angleterre et des princes des
Pays-Bas contre les empiétements et l’ambition de la France.
Au milieu du treizième siècle, la puissance anglaise n’exerçait
plus sur le continent l’ascendant qu’elle avait dû à la politique
des rois PJanlagcnets. On ne voyait plus, comme dans la grande
époque de Henri 11 et de Richard Cœur de Lion, et comme on le
vit encore sous Edouard 111, les souverains de l’Angleterre porter
la terreur jusqu’aux portes de Paris. La vieille île des Bretons était
déchirée par les plus violentes commotions politiques. Les nobles,
en travaillant sans relâche à défendre leurs droits contre les
monarques, en appelant les communes à leur aide, préparaient
l’établissement de cette constitution vigoureuse qui devait donner
à leur patrie tant de siècles de grandeur. Pendant que la France
respirait sous le sceptre d’un monarque sage et bienveillant,
Henri 111 ne s’était maintenu sur le tronc qu’au prix de luttes et
de concessions alternatives : trop faible pour gouverner par lui-
meme, trop inconséquent pour choisir des ministres habiles.
Déjà avant de monter sur le trône, son bis Édouard promettait
un meilleur avenir. Le respect qu'il avait montré pour la foi
jurée, son caractère chevaleresque, son expédition à la Terre
Sainte, son dévouement et sa fidélité à son père, lui avaient at-
tiré l’affection de ses sujets et l’admiration des étrangers L Faut-il
1 Malheureusement les qualités d’Édouard étaient ternies par son avidité
insatiable, et on peut lui re[ rocher aussi la cruauté avec laquelle ii traita le
( «S )
s’étonner qu’un prince, dont le caractère offrait tant de ressem-
blance avec ‘le sien, ait éprouvé Je désir de nouer avec lui des rela-
tions intimes?
Le désir de prouver sa vaillance conduisit Jean Ier à un grand
tournoi qui se donnait en Angleterre. Bien qu’une partie de ses
compagnons, entre autres Waleran de Fauqucmont et le comte de
Luxembourg, eussent accepté l’offre de combattre avec le comte
de Clarc , il maintint son défi de combattre contre tous ceux qui
se présenteraient dans la lice. Mais le roi Edouard, jugeant sans
doute la partie irop inégale, mit sous ses ordres six des meilleures
bannières de son royaume. Les prouesses de Jean Ier firent l’ad-
miration des spectateurs du tournoi, et bientôt on ne parla plus
que de lui en Angleterre *. C’est alors qu’on arrêta le mariage
de Jean, Fds de Jean Ier, et de Marguerite d’York, fille aînée du
roi Edouard. Les conditions dont on convint furent solennelle-
ment approuvées, à Westminster, le 2b janvier 1277, par la reine
Eléonore, Robert, évêque de Baa et de Galles; Edmond, frère du
roi; le comte de Champagne, Edmond, comte de Cornouailles;
Guillaume de Valence , comte de Pembroke; Henri de Lascy, comte
de Nichoîe et connétable de Chester, et Antoine Bek 2.
Les deux enfants étant encore fort jeunes, leur union ne put
se réaliser de sitôt. C’est pourquoi, sans doute, les clauses du
contrat ne reçurent que plus tard la sanction des parties contrac-
tantes. Le duc envoya en Angleterre, comme ambassadeurs,
l’abbé de Saint-Bernard, le sire de Bautersem, Jean, son « se-
cret chapelain; » Henri, son aumônier, qui était commandeur de
la « baillerie » ou bailliage du Temple en Brabant, et Francon de
Louvain, chevalier de son hôtel5. Le roi s’engageait donner au
duc cinquante mille livres tournois, payables : vingt mille à Paris
un mois après la conclusion du traité, et le restant à Bruxelles,
prince de Galles David, qui s’était révolté contre lui (voyez Chronicon Tho-
mae Wikes , apitd Gale, t. 11, p. 111 , ad annum 1282).
1 Yan Velthem, I. 11 , c. XLV.
2 Cartulaire de Brabant B., f° 89.
3 Acte daté du jour de la Tiphaine ou Epiphanie 1278. Rymer, Foedera ,
lilterae et acta publica, t. II , pp, 5-19 et suivantes , édit, de Londres, 1816.
Tome XIII. 5
un tiers à la Saint-Jean-Baptiste suivante, un tiers à la Noël d’en-
suite et le dernier tiers lors du mariage des deux jeunes gens.
Jean Ier était tenu de restituer au roi quarante mille livres, si le
mariage ne pouvait avoir lieu, et vingt-cinq mille livres seule-
ment, si l’un des conjoints décédait sans enfants après leur union.
Pour sa part dans la dot du jeune couple, il consentait à lui assi-
gner trois mille livres de revenu, qui, à sa mort, seraient aug-
mentées de mille autres livres.
De nombreuses ratifications vinrent valider cette importante
transaction, dont on était loin alors de prévoir toutes les consé-
quences. Le duc lui-même, se trouvant à Londres, l’approuva,
ainsi que son frère Godefroid, les sires dellerstal, de Malines, de
Marbais, de Bréda (Arnoul de Louvain), de Diest, de Bauter-
sem 1 ; ses ambassadeurs remplirent aussi la même formalité 2 3. A
quelque temps de là, Jean se rendit à Compiègne, où le traité
fut de nouveau sanctionné par lui, puis par Godefroid, les sires
de Ilerstal, de Marbais, de Malines, de Bréda, de Bautersem, de
Walbain , et Walter, fils aîné du seigneur de Malines5. Là, les
chevaliers Henri de Lascy, Jean de Yescy et Othon de Grauntsons
lui ayant garanti qu’ils feraient tous leurs efforts pour assurer
l’exécution des conventions précitées, et le premier en ayant fait
serment sur les Evangiles, « en larme du roi, » en vertu des
pleins pouvoirs qu’Êdouard lui avaient donnés de sa bouche et
par lettres patentes 4, le duc Jean jura de même, en présence
des chevaliers anglais que nous venons de nommer et de maître
Robert de Beauvoir, clerc b.
La duchesse de Brabant ajouta sa confirmation à la sienne et,
à la demande de leur prince, les maires, éclievins et communes
de Louvain, de Bruxelles, d’Anvers, de Tirlemont et de Léau se
portèrent caution pour lui, s’obligèrent « eux et leurs hoirs, »
pour tous ceux de leurs biens qui seraient trouvés à l’étranger,
1 Rymer , /. c.
2 Acte en date du lundi avant la conversion de saint Paul 1278. Ibidem.
3 Actes du mardi avant la Purification. Ibidem. ■>
1 Acte en date du dimanche après la Purification. Cartulaire de Brabant cité.
* Acte du même jour. Rymer, l. c.
( «7 )
notamment dans les États des rois de France, d’Angleterre,
d’Écosse, des comtes de Champagne et de Flandre, sur terre et
sur mer, et autorisèrent le roi, en cas où le duc manquerait à
ses obligations, à s’emparer de ces biens et à les faire vendre,
jusqu’à concurrence des sommes stipulées par les parties con-
tractantes h
Dès le lundi après la Sainte-Marie-Madeleine 1286, Jean Ier
donna quittance entière des cinquante mille livres que lui devait
son nouveau parent 1 2. Mais comme il était toujours en besoin
d’argent, il ne se montra pas très-pressé de remettre à son fils et
à sa bru leur dot, qu’il avait, il est vrai, portée à six mille livres,
outre deux mille qui seraient données à la princesse dans le cas
où elle deviendrait veuve 3. A sa demande, le roi lui abandonna
la jouissance de ces revenus, pour un terme de trois années com-
mençant à la Noël 1290, à la seule condition d’y renoncer, si lui,
le roi, partait pour la terre sainte4 5. Tout en accordant cette con-
cession, Édouard, aussi précautionneux qu’avide, chargea le clerc
Guillaume de Carleton et le chevalier Roger de Tilmanston d’as-
sister à l’assignation des cinq mille livres de revenus ajoutées par
le duc au montant primitif de la dot du jeune couple. Le mariage
de Jean et de Marguerite se célébra en grande pompe à West-
minster, le dimanche, veille des octaves de Saint-Jean, en l’an-
née 1290. Il y eut à cette occasion, dit un historien anglais, un
festin incomparable3.
1 Actes du mois de mars. Ibidem.
2 Acte daté de Londres, le dimanche après la fête de SS. Pierre et Paul,
en 1290, avec l’approbation des seigneurs d’Aerschot, de Walhain, de Ber-
laer,de Liedekerke et Breda, de Cuyck , de Diest, de Gramines (Jean Ber-
thout), de Walhain (Arnoul) , de Berghes, de Botselaer et d’Assche.
3 Actes du mardi avant Pâques 1290 et du 7 juin 1291 , Ibidem, pp. 751
et 750.
1 Lettre datée de Torpel , le 8 septembre 1290. Ibidem, p. 739. Le roi
Édouard y promet de garder le duc de tout dommage, « suivant la pourpar-
lance qui fut entre son frère Edmond et le duc, » et prie ce dernier d’ajouter
foi à ce que lui diront ses envoyés, au sujet du duché de Limbourg.
5 Chronicon Thomae Wikes , dans les Scriptores liistoriae anglicanae , de
Gale, t. II ,p. 121. —Marguerite y est à tort appelée Béatrix. C’est également à
( 08 )
Déjà, quelques années auparavant, le roi anglais avait, négoeié
le mariage de son fils Alphonse avee Marguerite de Hollande; puis,
cette alliance ayant avorté par suite de la mort des deux fiancés,
il avait uni sa fille Élisabeth à Jean, 1 héritier du comté de Hol-
lande. La cérémonie qui s’accomplit à Westminster en 1290, lui
assura sur le continent un nouvel allié; plus tard, persistant dans
la même ligne de conduite, il y accroissait encore son influence,
lorsque arriva la mort de Jean lir, dont la vaillance aurait singu-
lièrement secondé ses desseins.
III.
On s’étonnera sans doute que nous ne nous soyons pas occupé
plus tôt des relations du Brabant avec l'Empire. Mais, outre que les
dues affectèrent toujours de jouer le rôle de princes indépendants
et de rester éloignés des diètes et des armées des Hohenstauffen,
Jean 1er arriva au trône et l’occupa pendant une époque de dés-
ordres et d’anarchie. A la faveur des événements, il put agrandir
librement son autorité et son influence, sans rencontrer d’autres
obstacles que sa propre modération et les efforts ostensibles ou
cachés des princes ses voisins.
Richard de Cornouailles, dont le nom était entouré en Angle-
terre d’une grande popularité et qui possédait en abondance un
des meilleurs moyens d’action en politique, l’argent, aurait peut-
toi't que Butkens tixe au 2 janvier 129-i la date de ee mariage. M. .Van Bruyssel
a publié, dans les Bulletins de la Commission royale d’histoire , llmc série,
* ,
t. Xîl, p. 49, une gracieuse lettre du jeune prince au roi Edouard. Après
avoir demandé à son futur beau-père de ses nouvelles et lui avoir annoncé
qu’il se trouvait en bonne santé, le lils du duc ajoute qu’il souhaite beaucoup
le voir: « Chier sire, dit-il ensuite, je vous prie ke vous meteis conseil ke je
v espouçe tost, car je le désire moût (beaucoup) et me commandes adès vo
» volontei comme à vostre fille. » Jean 11 était alors fort jeune, car cette
lettre, qu’il scella du sceau de sa mère, faute d’en avoir un, doit être de
l’année l28o au plus lard, époque delà mort de Marguerite de Flandre.
( G9 )
être rendu de Péclat et de Ja force au pouvoir impérial, sans les
discussions interminables qui s’élevèrent en Angleterre entre son
frère, le roi Henri III, et ses barons. A peine couronné roi des
RomainsL, il était retourné dans sa patrie, où les événements le
retinrent presque constamment. Après un court séjour en Alle-
magne pendant l’année 1262 *, il regagna son pays natal et y resta
jusqu’au 4 août 1208. Le plus grand désordre régnait sur les
bords du Rhin, où les nobles, retranchés dans leurs forteresses
inexpugnables, se livraient impunément aux plus grands dés-
ordres, et entravaient la navigation du fleuve, cette source de
prospérité pour la contrée, en la grevant constamment de nou-
veaux péages. Richard convoqua a Worms, en 1209, une grande
assemblée où l’on décréta derechef la suppression de tous les
péages, sauf de ceux de Boppard et de Kayserswerth, qui devaient
être réservés pour le trésor royal. Puis, touché par la suprême
beauté de la fille du vaillant Thierri de Fauquemont fci, Richard
s’allia à elle en secondes noces (16 juin). A peine les fêtes de cette
union étaient-elles achevées que les deux époux prirent le che-
min de l’Angleterre, où ils débarquèrent, à Douvres, le 5 août 1 2 3.
Le roi ne revint plus en Allemagne et mourut le 2 avril 1271-127 2,
à Berkamstead 4.
Richard parait avoir adopté, dans ses États électifs, une poli-
tique de transaction. Nous avons vu qu’il approuva, sans diffi-
cultés, la cession du duché de Brabant à Jean Ier. La captivité de
l’archevêque de Cologne et l’accord qui s’en était ensuivi n’avaient
pas rétabli la paix sur les bords du Rhin. Le roi, dont les sym-
pathies étaient acquises aux villes plutôt qu’à leurs adversaires,
resta étranger aux querelles de la famille de sa nouvelle épouse , et
1 Richard quitta l’Angleterre le 24 juin et y rentra le 10 février de l’année
suivante. ChroniconTh. Wikes, dans les Scriptores historiae anglicanae , de
Gale , t. II , pp. 56 et 57.
2 Falkemonte , c’est ainsi qu’il faut traduire le nom de Falkemorite (ri a
été mal lu pour n), donné à la famille de la reine. Ernst, t. IV, p.266, a par-
faitement établi ce fait.
5 Wikes , Le., p. 86 et suiv .
4 Annales Waverleienses , dans Gale, h c., t. II , p. 226.
( 70 )
s’engagea, par un acte claie de Wallingford , à assister les Colonais,
si le prélat, qui était pourtant son oncle, les inquiétait, contrai-
rement au serment qu il avait prêté lors de sa délivrance L
La mort du roi Richard laissa un libre cours aux intrigues des
princes. Son compétiteur vivait encore; mais, trop occupé dans
ses États héréditaires, trop éloigné de l’empire qu’il convoitait,
Alphonse de Castille ne comptait plus de partisans en Allemagne.
L’autorité suprême semblait un bien si peu désirable qu’aucun
des grands feudataires n’y aspira. Lorsque les électeurs s’assem-
blèrent à Francfort pour choisir le nouveau chef de l’État, leurs
suffrages tombèrent sur un gentilhomme d’une haute naissance
et d’une valeur éprouvée, mais dont l’élévation inattendue causa
une surprise générale (29 septembre 1275).
Les contemporains de Rodolphe, comte de Habsbourg, le consi-
déraient comme un condottierri habile et heureux plutôt que
comme un prince destiné à devenir la souche d une des plus illus-
tres dynasties de l'Europe. Lorsqu'il reçut la nouvelle de son élec-
tion, il guerroyait contre la ville de Rôle, dans l’intérêt de la
faction des nobles, qui en avait été exilée. Assiégeants et assiégés
montrèrent à la fois un étonnement facile à concevoir et une joie
également vive. Rodolphe offrit la paix aux Bâlois et ceux-ci s’em-
pressèrent de lui adresser leurs félicitations.
Il y avait parmi les électeurs un prince qui voyait avec joie la
fin de l'interrègne, et qui, cependant, n’était pas sans craintes
pour l’avenir. Nous voulons parler de Louis, due de Bavière,
comte palatin du Rhin. Dans sa jeunesse il avait épousé Marie,
sœur du duc de Brabant Henri III. Cette princesse entretenait des
relations, qui n’étaient peut-être pas criminelles, avec un seigneur
de la famille des Raugraves. Un jour que le duc était retenu dans
le palatinat, sa femme écrivit à la fois à tous deux. Son messager,
sans doute par inadvertance, ayant donné à Louis la lettre qui ne
lui était pas destinée, fut la première victime de sa maladresse.
Le duc crut remarquer dans cette lettre des expressions équivo-
ques, et le tua sur place. Puis, partant pour Donawerth, il frappa
4 20 mai 1271. Lacomblet, t. Il, p. 361.
( 71 )
cle même le châtelain de cette ville, ainsi que la gouvernante et
quelques dames de la duchesse. Celle-ci , jetée en prison, périt
par la main du bourreau (18 janvier 1250).
A cet accès de rage succédèrent, chez le duc Louis, de profonds
regrets. Dans l’espace d’une nuit, sa barbe tomba, ses cheveux
blanchirent. Il fit publiquement pénitence de son crime, en de-
manda pardon aux parents de Marie, ordonna de célébrer en
grande pompe ses funérailles, et fonda en son honneur la char-
treuse de Furstenfeld, près de Munich. Ces démonstrations écla-
tantes n’auraient peut-être pas suffi pour détourner de sa tête le
courroux du nouveau roi, s’il ne s’était empressé de conjurer le
danger. Avant de contribuer à lélévation de Rodolphe, il de-
manda au burggrave de Nuremberg de lui garantir sa sécurité et
de lui assurer la main d’une fille de Rodolphe. Le burggrave
négocia cette alliance, et dès lors Louis, qu’on n'appelait plus que
Louis le Sévère, agit ouvertement en faveur du prince qui allait
unir son sang au sien b
Rodolphe fut solennellement couronné à Aix-la-Chapelle, par
rarchcvêque de Cologne Engelbert, le 21 octobre, en présence
des archevêques de Mayence et Trêves, des évêques de Liège, de
Paderborn et de Spire, du duc de Bavière, de Jean , duc de Saxe,
de Jean, marquis de Brandenbourg, qu’il appelle ses chers
princes, et de nobles hommes, le comte de Juliers, Gérard de
Luxembourg, les comtes de Furstemberg, de Wertheim, de
Luxembourg, de Spanheim, etc. 1 2. Jean Ier paraît n’avoir pas
assisté à la cérémonie, pour ne pas rencontrer le duc de Ba-
vière 3. Cependant il était à Aix , accompagné du comte d’Artois,
1 M. de Ram a réuni des détails circonstanciés sur la mort de Marie dans
une note à De Dynter (t. Il , p. 177).
2 Voyez l’acte de confirmation des privilèges d’Aix-la-Chapelle , dans La-
comblet, t. Il, p. 573 ; — Quix, Codex diplomalicus Aquensis, t. I, p. 139.
3 Un auteur contemporain raconte que le duc de Bavière s’étant rendu à
un tournoi qui devait se célébrer devant Rodolphe à Cologne, il s’y présenta
aussi cent chevaliers portant tous sur leur écu l’image d’une femme décapitée.
Le roi , prévoyant une lutte terrible , reprocha à Louis son imprudence et
ordonna à l’assemblée de se séparer. Chronicon Alberti Argentinenms, p. 104.
( 72 )
et, le 27, il fit hommage à Rodolphe, de qui, le même jour, il
reçut une confirmation solennelle de tous les droits, libertés,
concessions et privilèges, que l’empereur Frédéric II et scs prédér
cesseurs avaient accordés aux ducs de Brabant et à leurs sujets L
Fort de l’appui que lui prêta Grégoire X, l’un des plus sages
pontifes qui aient occupé le siège de saint Pierre, n’ayant aucun
ennemi extérieur à redouter, Rodolphe put se vouer entièrement
au rétablissement de la paix dans l’empire. Mais sa tâche était
rude. La plus grande partie des possessions et des droits dont
avaient joui les empereurs saxons et souabes avaient été dilapidés
pendant les troubles dont l’Allemagne souffrait depuis plus de
trente années. Les électeurs et les autres princes de premier ordre
s’étaient habitués à exercer sur leurs Etats une autorité pour ainsi
dire illimitée; les autres nobles se guerroyaient sans scrupule, les
villes aspiraient ouvertement à l’indépendance. Une anarchie sans
frein couvrait le pays de meurtres et de ruines.
Rodolphe fut longtemps en lutte contre l’orgueilleux Otlocare,
roi de Bohème, qui refusait de le reconnaître et qui détenait les
domaines des anciens archiducs d’Autriche 2. Un de ses premiers
soins fut l’annulation de tout ce qui avait été fait par les rois ses
prédécesseurs, depuis la déposition de l’empereur Frédéric II ,
et sans le consentement de la majorité des électeurs 3. Le roi s’at-
tacha aussi à détruire les forteresses dont le sol de certaines pro-
vinces était couvert, à établir la paix publique, c’est-à-dire à faire
jurer aux seigneurs et aux villes qu’ils n’exerceraient les uns
contre les autres aucune violence, mais qu’ils s’efforceraient de
régler leurs différends à l’amiable par les voies juridiques. Ses
efforts, toutefois, n’aboutirent à aucun résultat dans la basse
Allemagne; on ne le vit plus revenir dans ces contrées qui ne
x Butkens , 1. 1 , p. 287. — De Dynter, t. H, p. 431.
2 C’est à' tort, suivant nous , qu’on accepte comme authentique le traité de
paix conclu, en 1271, entre le roi de Bohême Ottocare et le roi de Hongrie
Etienne, et dans lequel on cite les ducs de Brabant et de Limbourg parmi les
alliés d’Ottocare. Rinaldi, Annales ecclesiaslici , t. III, p. 183.
5 Déclaration solennelle, datée de Nurenberg le 9 août 1281, Pertz ,
Monumenta , Leges, t. If, p. 455.
{ 75 )
' cessèrent d’être en proie à des guerres terribles : la guerre de la
Vache, celle qui suivit le massacre des princes et des chevaliers de
Juliers à Aix-la-Chapelle, et la lutte, plus célèbre encore, dont la
bataille de Woeringen forme le plus brillant épisode. Rodolphe
semble avoir redouté de s’aventurer parmi les populations si bel-
liqueuses des rives du Rhin et de la Meuse, et d’exciter, par une
intervention trop directe ou trop énergique, la jalousie des arche-
vêques de Cologne, si puissants et si redoutés, quoique si malheu-
reux à la guerre, ou du duc de Brabant, dont la jeune ambition
nourrissait l’espoir de commander sans partage à toute la basse
Lotharingie.
Dans toutes les questions politiques qui agitèrent nos contrées,
Rodolphe de Habsbourg déploya constamment de la duplicité et
de la mollesse. Ainsi , il se montra à la fois favorable aux Colonais
et à leur archevêque î à ce dernier il donna en engagère les villes
de Kayserswcrth et de Dortmund *, et il promit de le soutenir 1 2;
aux autres, sous prétexte qu'ils avaient juré d’observer la paix gé-
nérale, il accorda la faveur d’être compris dans cette paix 3, puis
une charte de protection pour leurs députés, avec confirmation de
leur droit de lever des impositions et de percevoir des assises 4.
A peu de temps de là, l’archevêque Engelbert mourut et, ainsi se
termina la lutte qui durait depuis près de douze ans.
En Hollande, le jeune Florent V, fds du roi des Romains Guil-
laume Ier, était le seul rejeton mâle de l’ancienne lignée des
comtes. En 127(>, Rodolphe donna à la fois l’expectative de sa
succession à un neveu et, à un beau-frère de Guillaume : à Jean
d’Avcsnes, l’héritier désigné du comté de Hainaut, fds de Jean
d’Avesnes et cl’Aleyde de Hollande, et à Herman, comte de Hen-
neberg, époux de Marguerite de Hollande. Quelques années après,
ce dernier renonça à ses droits au profit de Jean d’Avesnes s, qui ,
en effet, devint plus tard comte de Hollande, de Zélande et de Frise.
1 26 octobre 1273. Lacomblet, t. J1 , p. 375
2 Le 28 du même mois. Ibidem.
5 1er mars 1274. Ibidem, p. 383.
4 Le 2 du même mois. Ibidem , p. 386.
3 Huydecoper , Uym-Kronyk van Métis Sfoke , t lit , p. 500.
( 74 )
Cedant aussi aux conseils ambitieux de Jean d’Avesnes, qui ne
cessait de réclamer la possession de la Flandre impériale, que saint
Louis avait adjugée à son oncle Guy de Dampierre, Rodolphe
réveilla sans nécessité une fâcheuse querelle. La dame de cette
contrée, Marguerite de Constantinople, la mère dénaturée qui
fut la cause première de ces dissensions et qui a été justement
flétrie par l’histoire du nom de Zwarle Margriet , n’était pas
encore descendue au tombeau lorsque Rodolphe de Habsbourg
défendit aux nobles de l’empire de donner aide et appui à Guy de
Dampierre (29 mai 1275) L La guerre de la Vache, qui éclata à
cette époque entre le Namurois, un des domaines de Guy, et le
pays de Liège, donna lieu sans doute à cet ordre, par lequel se
trahissaient déjà les préférences de Rodolphe. Disons toutefois
que le roi fut mal obéi, car Guy obtint l’appui de ses gendres, le
duc de Brabant et le comte de Luxembourg, et ce dernier, ainsi
que maint noble homme, et notamment Louis, fils du comte de
Looz, et Waleram, sire de Fauquemont, briguèrent à cette époque
l’honneur de devenir ses vassaux. Le comte prit de lui en fief le
château de Poil vache et ses dépendances, qui jusqu’alors avaient
constitué un franc-alleu (2 mars 1281) ‘1 2.
Ainsi appuyé par la fleur de la chevalerie belge, Guy brava les
sentences que porta contre lui la cour impériale. Lorsque Rodol-
phe, après avoir cassé l’inféodation de la Flandre impériale faite
à Marguerite et à Guy parle roi Richard (.5 août 1281 ), investit
de cette contrée Jean d’Avesnes, celui-ci ne put s’y faire recon-
naître pour seigneur, et ceux qu’il chargea de cette mission, fu-
rent chassés» L’évêque de Cambrai s’étant présenté au nom dü
roi à Grammont, les habitants lui fermèrent les portes de la
ville, et à Alost on lui fit une réception plus hostile encore. La
noblesse, sauf Jean d’Audenarde et le sire de Sotteghem , resta
également fidèle à la maison de Dampierre. Il s’en suivit une
sentence de proscription contre Guy, ses vassaux et ses villes
(15 juin, 24 novembre et 15 décembre 1282). Guy s’en émut
1 De Reiffenberg, Monuments , t. I, p. 368.
2 Saint-Génois, Monuments , p. 689,
( 7b )
peu, et se borna à appeler au Saint-Siège. Le duc Jean n’inter-
vint dans ce débat que comme médiateur. A sa prière, les deux
comtes conclurent une trêve (15 octobre 1282), et acceptèrent
ensuite pour arbitres le duc lui-même, le comte de Nevers, Guil-
laume de Flandre, son frère; Jean, sire de Dampierre; Florent
de Hainaut, et Guillaume, prévôt de l’église de Cambrai, ces deux
derniers frères de Jean d’Avesnes, qui promirent d’aider celle des
deux parties qui se soumettrait à leur décision et de se déclarer
au contraire contre celle qui la repousserait (juillet 1283) L
Plus tard, évidemment à cause de la position que prit Guy dans
la querelle pour le Limbourg, Jean Ier négligea cette affaire. Une
nouvelle sentence de proscription lancée par Rodolphe et une
décision du légat du Saint-Siège (25 mai 1287) ajournèrent encore
une résolution définitive; Jean de Flandre, évêque de Liège, et
Bouchard d’Avesnes, évêque de Metz, furent alors pris pour ar-
bitres, et les villes d’Alost et de Grammont se portèrent cautions
de l’exécution de leur sentence (février 1287-1288) 1 2.
Nous avons condamné plus haut la politique de Rodolphe. Il
eut tort de permettre le renouvellement de ces débats stériles,
ou, s’il croyait à la .nécessité d’intervenir, il devait se prononcer
ouvertement, nettement, et appuyer par une démonstration vi-
goureuse, la décision qu’il avait prise. Mais, et c’est ce qui expli-
que ses irrésolutions, ses projets n’étaient, pas proportionnés à
ses forces; il pouvait agiter les Pays-Bas, et non y commander en
maître.
1 Willems, Van Heelu, pp. 411 et 413.
2 Jules de Saint-Génois, Inventaire, p. 139. Les sources où on peut puiser
les détails cpii précèdent sont très-nombreuses et généralement très-connues.
( 76 )
CHAPITRE III.
RELATIONS DU BRABANT ET DU PAYS DE LIEGE, DE 1270 A 1290.
I.
Le pays de Liège fui, sans contredit, la partie de la Belgique
dont la situation attira le plus fréquemment l’attention du due
Jean. Pendant vingt années, il le visita, quelquefois en ennemi,
plus souvent en médiateur. Cette contrée et le Brabant étaient
tellement en rapport que leurs intérêts se confondaient pour ainsi
dire. D’ailleurs, à part les questions relatives à la personne du
prince, les préoccupations des différentes classes, dans l’un et
l’autre, se ressemblaient en tout point.
A Liège même, l’autorité épiscopale fut de nouveau méconnue
et, "cette fois, avec l’assentiment commun des patriciens et des
plébéiens. Nous avons vu que la défaite de Henri de Dînant avait
rendu aux premiers leurs prérogatives. L’élu qui, à Cologne,
combattait aussi pour les droits des patriciens, paraît les avoir
respectés, en maintenant les taxes qui se percevaient sur les den-
rées au détriment des immunités du clergé
Mais un événement fortuit vint tout à coup ébranler sa puis-
sance. La garnison du fort qu’il avait fait élever à la porte Sainte-
Walburge, confiante en la situation inexpugnable de son asile,
accablait les Liégeois de vexations. Elle en sortait sans cesse pour
leur extorquer de l’argent et des vivres. C’est pourquoi toute la
cité de Liège avait la forteresse en horreur et en désirait ardem-
1 C’est à quoi fait allusion ce passage de la célèbre lettre adressée à Henri
par le pape Grégoire : Saeculares , ac etiam religiosos , clericos atque laicos,
indebitis eœaetionibus aggravas.
( -1 )
ment Ja destruction. Un jour 1 qu’on célébrait les noces du maître
à temps Jean de Marois avec la belle Aiglctine, fdle de l’échevin
Alard Pagnois 2 3, les gardes de la citadelle se rendirent à la fêle,
en abandonnant les clefs à une femme, qui leva après eux le
pont-levis. Les chefs de la cité, avertis de cette circonstance, en-
voyèrent au fort, comme pour en faire cadeau à la garnison, lin
panier de raisins, mais la gardienne, fidèle à la consigne, refusa
de baisser le pont. Le messager, sans paraître formalisé de tant
de méfiance, déposa son panier près de la porte, et, feignant de
partir, alla se cacher derrière un coin de 10c. La gardienne crut le
danger disparu et sortit pour prendre le panier, mais elle n’eut
pas le temps de regagner sa retraite. Le messager l’atteignit, la
dépassa et courut baisser le pont-levis. A ses cris, toute la popu-
lation accourt, entre dans le fort, et le détruit de fond en comble.
L’évêquc, irrité, appelle ses vassaux aux armes; mais Saint-
Trond , Huy, Binant, épousent la querelle des Liégeois. Alors
commence une guerre nouvelle dont les ravages sont arrêtés
par la médiation de la comtesse de Flandre, qui se trouvait alors
à Namur 5. Arnoul de Los, prévôt de Cologne; Gilles Langius ou
Le Long et Jean d’Eppe, chanoines de Saint-Lambert; des frères
dominicains et des frères mineurs, les chevaliers Henri de Her-
malle , Eustache Persan de Hanneffe, Henri, avoué de Huy, et
quelques bourgeois, furent chargés de conclure la paix que l'on
surnomma île Sainte- Mar guérite, probablement d’après le jour
où elle se signa. Une amnistie générale fut proclamée, ainsi
qu’une restitution mutuelle des prisonniers; les quatre villes con-
fédérées payèrent à l’évêque une indemnité de quatre mille marcs,
pour la destruction du fort; et les Liégeois consentirent à rebâtir
la maison de l’évêque à Nivelles 4, s’il était prouvé qu ils avaient
allumé l’incendie dans lequel elle avait péri 5.
1 Le 25 octobre J 269, selon Fisen.
2 Foullon, Historia Leodiensis , t. I, p. 557, (pii emprunte ces noms à des
chroniques en vers romans.
3 Hocsem , c. Vil.
4 Nivelle, entre Liège et Maestricht.
3 Fisen, /. c., p. 19. — En 1271 , le dimanche des saints Pierre et Paul , une
( 78 )
Ainsi que presque toutes les villes rhénù-mosanes,Ia cité de Liège
avait un magistrat supérieur portant le nom d’avoué et chargé
principalement du commandement militaire. Ces fonctions, que
l’on doit éviter de confondre avec celles d’avoué de Saint-Lambert
ou du chapitre cathédral, constituaient un franc-alleu, tenu à titre
héréditaire et non en fief; peut-être, comme le conjecture Hemri-
court, les évêques avaient-ils été obligés de l’abandonner aux éclie-
vins, à la suite de quelque débat L L’avoué de Liège percevait, à
son profit, le tiers de l’impôt sur le pain et la bière, le tiers des
amendes de loi et le cinquième des amendes sans loi2. Un seigneur
nommé Baudouin en était propriétaire en 125j, mais, non sans
contestation 5, et peu d années après, le jeune duc de Brabant
essaya de4c supplanter, et à ce titre s’immisça dans la querelle
des Liégeois et de leur prince. Les chroniques ne nous apprennent
rien de cette intervention. Elle est cependant certaine, car au mois
de novembre (le jeudi après la Sainte-Catherine) 1269, les maîtres
des citoyens, les écbevins, les jurés et la commune de Liège, en
présence du duc de Limbourg et de ses chevaliers, du châtelain
de Daelhcm et d’autres chevaliers du duc de Brabant, reconnu-
rent ce dernier pour avoué héréditaire de la cité et déclarèrent
qu’il pourrait y entrer quand et aussi souvent qu’il le voudrait L
Le duc prit encore une fois les armes contre l’évêque. Étant
encore fort jeune, mais déjà façonné au métier des armes, à cause
vingtaine de chanoines du chapitre de Saint-Lambert approuvèrent cet accord
et promirent de veiller à ce qu’il fût observé. Foullon.
1 De Villenfagne , Recherches sur l’histoire du ci-devant pays de Liège ,
1. 1, p. 406.
2 Déclaration des maire, échevins, maîtres de la cité et autres chevaliers
et bourgeois , du mois d’avril 1241. Saint-Génois, Les pairies du Hainaut,
p. 268.
5 Voyez à cet égard un ordre émané de Henri de Gueldre et enjoignant de
laisser jouir ce seigneur de ses droits. Acte daté de Beaumont, le jeudi avant
la fête de saint Jacques et de saint Philippe. Ibidem.
4 Bulkens, Preuves, p. 104. — DeDynter, t. il , p 428. — Leduc se trouvait
encore dans le pays de Liège en 1270,1e o mai. Voyez Wolters, Codex diplo-
maticus Lossensis , p. 15o. A cette date il scella un diplôme à Saint-Trond,
dans la maison du bourgeois Robin Prent.
( 79 )
des périls qui avaient entouré sa jeunesse, il résolut de se venger
de son ancien ennemi. Soutenu par un grand nombre de seigneurs
français, notamment par le comte d'Artois, il envahit le pays de
Liège à la tète de toutes les milices du duché, et alla camper
près du lac de Léau *, entre cette ville et Saint-Trond. Ses sol-
dats bridèrent Houtain - l’Évêque 1 2 3, dont 1 incendie éclaira les
murailles et les tours de Saint-Trond , où Henri de Gueldre avait
réuni quelques troupes. Mais deux nouvelles que Jean 1er reçut
presque en même temps le déterminèrent à abandonner son en-
treprise. La mort de la duchesse Aleyde le rappela dans ses États ,
et le couronnement de Rodolphe de Habsbourg nécessita sa pré-
sence à Aix-la-Chapelle (1275). Bientôt d’ailleurs, il fut débarrassé
de son puissant voisin.
Les débauches honteuses de Henri de Gueldre, qui amenèrent
sa déposition, lui avaient aliéné les cœurs de ses plus obstinés
défenseurs. En 1265, il avait fondé à Liège une communauté
nommée la maison Tire-bourse , où l’on suivait une règle presque
semblable à celle qui régissait les béguines 5, mais qui n’était
en réalité qu’une maison de prostitution, un sérail. Le viol de
Berthe, fille de Conrad Cocn dit le Frison, exaspéra la noble
famille des Des Près, dont Conrad portait les armoiries 4; enfin
lorsque, dans une réunion du chapitre de Saint-Lambert, il frappa
du pied l’archidiacre d’Ardenne, Thibaud de Plaisance, il signa
lui-même la sentence de sa condamnation. Ce Thibaud était un des
ecclésiastiques les plus instruits et les plus vénérés du temps. On
le connaissait vulgairement sous le nom de Tyard. Après une croi-
sade en Palestine, où il s’était rendu avec Edouard, prince, et
depuis roi d’Angleterre il fut désigné par saint Bonaventure
1 Vinne (Van Heelu , 1. I , v. 655 et suiv. ; — Van Veltbem , 1. 1 , c. XLIV).
2 Vrihoutheem (Van Heelu), c’est Houtain-rËvêque, dans la province de
Liège.
5 Fisen, Historia ecclesiae Leodiensis, pars I, p. 250.
K La Chronique de Tongres. dans Chapeauville, t. Il, p. 298, fixe la date
de ce viol au 10 mai 1271 , à tort, si , comme elle le dit, ce viol fut suivi de la
prise du fort Sainte- Walburg’e.
3 Chronicon Th. Wikes,\. c., p. 96.
( «O )
comme le plus digue de monter sur le trône de saint Pierre.
À peine intronisé (1272, le 0 janvier) sous le nom de Grégoire X,
lin de ses premiers soins fut d inviter l’évêque Henri à changer de
vie. Cité à Rome (Ilocsem dit à tort à Avignon), ce prélat y trouva
des députés de ses villes qui réclamaient sa déposition. Se croyant
toujours certain de l'impunitc, il s’était borné à communiquer le
bref du souverain .pontife au chapitre de Liège, en lui annonçant
qu’il ne tarderait pas à revenir, pour tirer vengeance de ses en-
nemis. Mais le pape ne balança pas à frapper cet indigne pasteur.
La lettre qu’il lui adressa pèse sur la mémoire de Henri de Gueldre
comme un stigmate écrasant de réprobation. Simoniaque et volup-
tueux, l’évêque y apparaît avec tous ses vices, rendus plus odieux
encore par son cynisme. On aura une idée de la dépravation de
son caractère par ce seul fait, qu’il se vantait hautement d’avoir
procréé quatorze fils dans l’espace de vingt-deux mois L
Lorsqu’il fut déposé (ce qui se fit au concile de Lyon, en
1274), le brigandage devint son délassement favori. Retranché
dans le château de Nieustadt (Novinn oppühtmj , près de Rure-
monde il tentait de fréquentes excursions dans son ancien
diocèse, sous prétexte qu'il lui était du une somme assez forte.
En 1278, comme il avait dévasté le pays de Francliimont, on
lui déclara la guerre. Waleram de Fauquemont assiégea et prit
Montfort et les Liégeois mirent sa tète à prix 1 2 3. Dans le but ap-
parent de négocier un arrangement, le noble brigand invita à une
conférence son successeur, Jean d’Enghien. Celui-ci se trouvant à
Brûle , dans une maison entourée d’eau , dépendante de la paroisse
de Hougarde, y fut surpris pendant la nuit par les soldats de
Henri, qui le placèrent sur un cheval et l’entraînèrent avec eux.
Gêné par une selle trop élroite, suffoqué par la rapidité de la
course, le malheureux prélat fut abandonné à la porte de l’abbave
d’Heylisscm et mourut accablé de fatigue ( le jour de saint Bar-
thélemy, 1281 ), sans qu’une voix s’élevât pour flétrir un pareil
1 Hocsem.
2 Henri énumère les biens qu’il possédait à litre viager, dans un acte du
4 août 1277. Bondam, Cliarterboek , t.l , p. 609. Voyez le même, p. 626.
5 Fisen , pars II , p. 27.
( «I )
guet-apens, sans qu'un bras s’armât pour punir le meurtrier L
Henri de Gueldrc continua à figurer sur la scène politique, mais
en seconde ligne, et mourut en paix en 1284 2.
II.
Pendant l’épiscopat de Jean d Enghien, le pays de Liège eut à
soutenir une guerre terrible, dans laquelle le duc Jean se rangea
parmi ses ennemis, circonstance curieuse et que l’on s’explique
difficilement, car plus tard nous le verrons presque constamment
combattre à la tète ou â côté des milices des communes. Quelle cause
motiva ce changement dans sa conduite? Faute de documents, nous
ne tenterons pas une explication qui ne pourrait être que hasardée.
Voici comment on raconte l’origine de la guerre dite de laVache.
Des joutes solennelles réunissaient à Andenne une nombreuse
noblesse. Un paysan de Jalain ou Jalhct, village voisin de Na-
mur, dans la terre de Gosnes, y vint, emmenant un bœuf qu’il
avait volé à un bourgeois de Ciney: celui-ci le reconnut, et, à sa
demande, le bailli du Condroz, Jean de Halloy, attira le voleur à
Ciney, où il le fit arrêter et pendre. Pour venger la mort de son
serf, Jean, seigneur de Gosnes, réunit ses vassaux et se jeta sur
les environs de Ciney, où il porta la dévastation. Le bailli, à son
tour, brûla Jalhet. Trop faible pour résister, le seigneur appela
à son secours ses deux frères, Henri (et non pas Rase), sire de
Beaufort, etRigaud (et non Richard) sire de Falais, qui s’empres-
sèrent de lui porter aide et assistance, bien qu‘ils fussent vassaux
de l’évêché (mi-septembre 1275). Ces trois seigneurs étaient cou-
sins de Jacques, seigneur de Celles, cl parents des Sponlin, et
tous avaient pour cri de guerre Beafor , Beafor.
Les Iïuitois pressèrent alors Jean d Enghien de soutenir les
bourgeois de Ciney. Comme le prélat détestait la guerre, il
montra peu d’empressement à prendre les armes. Le prévôt de
J Hocsem, c. XII.
2 Ibidem.
Tome XIII. fi
Liège, Burchard de Hainaut, fut créé mambour (7 octobre), se
rendit aussitôt à Iluy, y convoqua la bourgeoisie, emporta une
petite maison, propriété de Jean de Gosnes, située dans un ma-
rais à Tihange, et enfin, prit et brûla Gosnes J. Malgré les ri-
gueurs de Fliiver, les milices de Iluy allèrent entourer Beaufort,
et les bourgeois de Liège plantèrent leurs étendards au pied des
murs de Falais. Tandis que Rase (ou plutôt Henri) bravait ses
ennemis du haut du rocher escarpé où s’élèvent encore les ruines
de Beaufort , son frère Richard (ou plutôt Rigaud), peu confiant
dans la force de son manoir de Falais, partit pour Namur avec
son fils Rigaud et vingt cavaliers; mais atteint dans sa fuite par
le bailli de Ilesbayc, il périt avec douze de ses compagnons. Le
jeune Rigaud parvint à se réfugier en Brabant, où il obtint la
protection du duc, en se déclarant son vassal; l’approche d’une
armée brabançonne délivra sa forteresse, tandis que ses oncles
s’assuraient de la même manière l’appui du comte Guy de Dam-
pierre
Les Huitois et les Dinantais ayant dévasté le Namurois, tous
les princes voisins assaillirent presque en même temps l’évêché.
Le duc de Brabant pilla Meffe. Le comte Guy s’avança jusqu’à War-
nant, où il resta trois jours, ravageant et détruisant tout ce qui
1 Mansiunculam in palude juxtci Tytantiam. Hocsem , c. XI. — Tihange ,
commune de l’arrondissement et à 4/2 lieue au nord-est de Iluy.
2 On connaît un acte daté duôOaoùt 1273, parlequelle sire de Beaufort, Henri,
porte au bailli de Namur, Musart, mandataire du comte, tous ses alleux dans
la terre de Beaufort : à Bens, à Gievers, à Vilers , à Louvignies, à Ahiens , à le
Vakerèche, à Solières , etc., et les relève en accroissement de son fief, le château
de Beaufort et « le diarlière » de Marsines (De Reiffenberg , Monuments , 1. 1,
p. 160). Cet acte, où l’on voit qu’au térieurement déjà le château de Beaufort
constituait un fief du comté de Namur, contredit les assertions des Contem-
porains, dont les récits d’ailleurs ne concordent pas avec les actes officiels.
Henri, sire de Beaufort, était aussi seigneur d’Opprebais, près de Jodoigne,
et , en cette qualité, il donna quittance à l’abbaye de Villers, le jour de saint
Vincent 1267, de quatre-vingt-sept livres de Louvain, qui lui étaient dues pour
six bonniers de terres. En 1263-1264, il vendit à l’abbaye d’Afflighem ses
biens de Berthem près de Louvain, tenure féodale relevant de Heverlé, et il
promit la ratification de celle vente, au nom de son frère, qui était alors en
prison.
( 85 )
se trouvait aux environs. Le mambour avait appelé les vassaux et
les sujets de l’évêché à se réunir en armes à Wanghe, mais quel-
ques bourgeois de Huy répondirent seuls à son appel, le comte
Guy ayant, à ce que prétendent des récits populaires, corrompu
les notables des villes. Bouchard fut donc forcé de se retirer. La
veille de rineendie de Méfié, le comte de Luxembourg prit Ciney,
dont les habitants se défendirent avec courage, et périrent pres-
que tous dans l’église collégiale de Notre-Dame, qui fut brûlée,
avec une grande partie de la ville ( 18 avril 1270) i.
Quoique attaqués pour ainsi dire par toute la féodalité belge,
les habitants du pays de Liège persistèrent à soutenir la lutte, qui
leur devint plus favorable. Le sire de Modave, maréchal de l’évê-
ché, vengea le sac de Ciney par l’incendie de trente villages de la
Rendarche ( 1 1 mai 1270 ) ; le mambour Bouchard pénétra dans le
Brabant jusqu’à Tirlemont; les Dinantais enfin, conduits par Jac-
quet, frère de leur avoué, le sire de Rochefort, frappèrent lesNa-
muroisd’un coup terrible, le premier des épisodes qui signalèrent
les longues et fâcheuses querelles de leur cité et de Bouvignes. A
rapproche d’une armée envoyée par Guy de Dampierre, ils simu-
lèrent une fuite précipitée; les ennemis, acharnés à les suivre,
ayant pénétré, au nombre de quatre-vingts, dans Dinant,on baissa
derrière eux la herse de la porte et on les tua jusqu’au dernier 2.
L'intervention du roi de France mit un terme à cette guerre
1 Les écrivains, je devrais plutôt dire les poètes brabançons, emploient,
à l’occasion de cette guerre, leur style vague et ampoulé. Van Vellliem parle
d’un incendie de sept maisons situées près des frontières, à la suite duquel
Jean 1er prit les armes; puis d’un parlement, dont les deux parties sortirent
mécontentes l’une de l’autre, et après lequel on accorda cependant satisfaction
au duc (L. 2 , c. XL1V). Van Heelu (vers 975 et suiv.), nous montre d’abord le
comte Guy guerroyant contre les Liégeois , puis ajoute que ce prince n’osa che-
vaucher dans le pays ennemi qu’après s’être assuré l’appui du duc ; celui-ci se
présenta avec des forces tellement imposantes que personne n’osa entrer en
lutte contre lui. Cette vanterie de Van Heelu ne paraîtra plus aussi extrava-
gante, lorsqu’on remarquera que dans cette guerre le comte Guy ne combat-
tait pas comme possesseur ou héritier de la Flandre, mais seulement comme
seigneur du Namurois.
2 Cet événement arriva, suivant Hoesem , le 1 1 , et suivant Fisen, le 26 mai.
( 84 )
déplorable , qui avait amené des désastres incalculables et causé
la mort de plusieurs milliers de personnes. Philippe III provoqua
la conclusion de trêves, qui furent plusieurs fois prorogées L Les
comtes de Flandre et de Luxembourg, le fils de ce dernier, Henri,
alors comte de la Roche, et son oncle, le sire de Durbuy, ne se
réconcilièrent que plus tard avec les Liégeois.
Une réunion eut lieu dans l’abbaye de Bonne-Espérance, le
mardi avant le jour de Pâques fleuries, en avril 1277-1278. Là,
en présence du frère templier Arnoul de Wesemale et de maître
Wauthier de Chambli, archidiacre de Meaux, les quatre princes
précités et l’évêque de Liège s’en remirent à l’arbitrage de Pierre,
prévôt de l'église de Béthune, de Gérard Daules ou de Dave, de
Walter Berthout le père et de Guillaume de Petcrsem, chanoine
de Liège. Gobert d’Aspremont fut invité à se joindre à eux, pour
le cas ou ils ne pourraient^ s’accorder, et il leur fut enjoint de
prendre une décision finale, également à Bonne-Espérance, avant
la fête de la Vierge, à la mi-août de la même année 1 2 *. Le sire de
Durbuy eut encore avec l’évêque quelques débats, dans lesquels
Jean Ier intervint comme médiateur 5. Si l’on en croyait les histo-
riens Liégeois, les seigneurs de la maison de Beaufort durent,
comme auparavant, tenir leurs alleux du chapitre de Saint-Lam-
bert 4; cette assertion est inexacte : Palais resta ce qu’il était an-
1 Notamment le 4 août 1276, pour deux mois et demi, de l’Assomption à la
Toussaint, Ernst, t. IV, p. 89, note 1, citant Saint-Génois, Monuments. , t. J,
pp. 656 et 664.
2 L’acte est imprimé dans Reifïenberg, l. c., p. 14; ,cet auteur a fait res-
sortir (p. 522) la difficulté que présente la date de cette pièce. Voyez aussi
Ernst et Saint-Génois, /. c.
5 Ernst. — Après un combat livré à Rahiermont, le duc Jean , pris pour ar-
bitre, adjugea le village de Paulle ou Pailhe à l’évêque, à la condition qu’il
paierait au comte huit cents livres tournois (Liège, le 9 septembre 1280);
puis, il s’engagea envers le prélat, qui avait payé une partie de celte somme,
à le faire adhériler, c’est-à-dire mettre en possession de la localité contestée
(Willems, Van Heelu , p 463. — Ernst, t. IV, p. 98). Plus tard, le 25 janvier
1289, un autre accord fut conclu entre les mêmes parties contractantes.
Ibidem , et Saint-Génois, Monuments , p. 777.
4 Brusthein.
( 83 )
térieurement , un fief brabançon; Gosncs et Beaufort continuèrent
à relever de Na mur.
A travers les obscurités dont est entouré le récit de la guerre
de la Vache, on y aperçoit distinctement deux grandes luttes : les
villes combattent la féodalité encore puissante des rives de la
Meuse; la raee des d’Avesnes dispute aux Dampierre le gouver-
nement de la vieille cité Liégeoise. Qui défend le patrimoine de
Saint-Lambert? Un frère du jeune Jean d’Avesnes, un rejeton de
cette famille d'Enghien , si dévouée aux intérêts de Jean d’Avesnes
le père. Quels princes combattent dans les rangs opposés, à côté
du comte Guy? Le duc Jean et le comte de Luxembourg, ses
gendres. Le duc de Brabant ne resta pas longtemps dans la ligue :
puissant et ambitieux, craignant sans doute de se traîner à la
remorque du remuant Guy de Dampierre, il renoua son alliance
avec les Liégeois, sans que l’on puisse lui attribuer des relations
intimes avec les d’Avesnes, avec qui *11 n’eut jamais des rapports
très-fréquents L
i Hocsem , quoique exact dans son récit de la guerre de la Vache , y commet
d’étranges fautes, comme celle de distinguer la personnalité du comte de Namur,
de celle du comte de Flandre. Voyez aussi Fisen, Foullon (t. II, p. 360), et
Zantfliet (p. 115, dans Galliot, t. I, p. 326. — Quant à d’Outremeuse , il se
permet les plus grandes excentricités historiques, et ces excentricités sont
encore admises par plusieurs de nos écrivains. Sur les bancs de l’école on nous
apprend que Jean Ier n’atteignit sa majorité qu’en 1267 ; néanmoins des his-
toriens, d’après d’Outremeuse, le gratifient d’un fils nommé Henri, qui combat
(avec un sabre de bois sans doute) pendant la guerre de la Vache, et qui suc-
combe dans une bataille imaginaire. La première femme de Jean Ier étant
morte sans enfants et ce prince ne s’étant remarié qu’en 1275 , ce prétendu fils
aurait reçu la mort au champ d’honneur à l’àge de deux ans environ ! — On a ré-
cemment publié à Bruxelles un poëme héroï-comique en vingt-quatre chants :
la Cinéide ou la Vache reconquise (par De Weyer de Streel, M. le curé Duvi-
vier, de Liège; Goemaere,1854, un volume in-12).
( 86 )
III.
Après la mort déplorable de Jean d’Enghien, que nous avons
racontée plus haut, le chapitre de Saint-Lambert se partagea en
deux factions : l’une choisit Bouchard d’Avesnes, l’autre Guillaume
d’Auvergne. Ces deux prétendants se rendirent à Rome pour y
défendre leurs droits. Le pape ne donna raison à aucun d’eux,
mais, à la sollicitation du comte Guy, il conféra l’évêché de Liège
à un des fils de ce prince, qui était déjà évêque de Metz, et pour
consoler Bouchard, il lui confia ce dernier diocèse 1 2.
Lorsque Jean de Flandre fit son entrée dans Liège (la veille de
la Toussaint, 51 octobre 1282), le siège épiscopal était vacant
depuis plus d’un an. Un vaillant seigneur brabançon de la race
ducale, Henri de Louvain, seigneur de Herstal, en avait été élu
mambour -, sans y avoir aucun droit, mais par le libre choix du
chapitre de Saint-Lambert, ainsi qu’il le déclara lui-même 3. Il
dépensa dans l’exercice de ces fonctions deux mille marcs liégeois,
qui lui furent remboursés peu de temps après. On lui donna en
outre des sommes d’argent, à tenir en fief de Saint-Lambert.
Jean de Flandre n’eut, pour ainsi dire, pas de luttes extérieures
à soutenir, mais ses Etats furent presque constamment agités par
des commotions intérieures. Il trouva d’ailleurs le trésor obéré et
se vit souvent forcé de recourir à la bourse de son père, qui ne
lui procurait de l’argent qu’en prenant des garanties. C’est ainsi
que le château de Bouillon fut remis à Guy comme gage de plu-
sieurs sommes pour lesquelles ce prince se constitua caution
1 Hocsem , l. c.
2 Et non le comte de Looz, comme le dit Fisen, pars 11, p. 28, d’après le
chroniqueur Warnant. A en croire celui-ci, le pays refusa la manbournie au
comte de Looz parce qu’il était complice de la mort de Jean d’Enghien; de là
une guerre qui dura deux ans et ne se termina qu’en 1285. Consultez à ce
sujet Polain, Histoire de V ancien pays de Liège , t. II, p. 400.
3 Charte du 11 septembre 1281 (jeudi après la Nativité Notre-Dame).
Chartes de l’église de Saint-Lambert aux Archives de l’État à Liège.
( 87 )
envers Nicolas de Condé, sire de Morialmé, et Simon Malet, bour-
geois de Douai L Le comte de Flandre occupa encore de la même
manière Methyn, Marbais, Gosées , Marcinelle , Epiers, Jambes,
lorsqu’il s’engagea à payer à des marchands de Lucques, pour
l’évêque, douze mille cinq cents livres de gros tournois noirs 1 2.
Mais pendant qu’il abandonnait, pour ainsi dire, à son astucieux
père une partie de ses États, Jean s’appuyait surtout sur Jean Ier,
moins peut-être par sympathie ou de plein gré que parce qu’il
existait entre les bourgeoisies brabançonnes et les bourgeoisies
liégeoises une communauté d’intérêts dont il devait suivre l’im-
pulsion 3.
En 1283, l’élu de Liège et le duc Jean resserrèrent étroitement
leur alliance. Celui-ci comprenait la nécessité de s’assurer l’appui
de l’évêché de Liège pour ses opérations militaires au delà de la
Meuse. L’évêque regardait l’épée du duc comme la seule qui fût
assez puissante pour défendre les domaines de Saint-Lambert
1 Le 26 juin 1283, Baudouin d’Avesnes déclara que le comte de Flandre
lui avait confié ce château. Jules de Saint-Génois, Inventaire, p. 104. —
Voyez aussi des actes du 2 novembre 1284 dans le même, p. 111.
2 Dans cette somme , fraction de vingt-trois mille livres que devait l’évê-
que , figuraient trois créances à chargede Jean d’Enghien : six mille livrés dont
il était redevable au saint-siège pour des décimes, mille marcs liégeois dus
au duc de Brabant, neuf cents marcs dus pour achat du village de Paule
ou de Pailhe (et non pour fourniture de paille) au seigneur de Durbuy. Ce
dernier avait encore à toucher quatorze cents marcs pour dépenses faites
pendant la vacance du siège. Acte du 22 septembre 1284 dans Jules de Saint-
Génois, 1. c., p. 110.
3 Hues de le Ruele (Hugues de la Ruelle, peut-être un des ancêtres du
célèbre et infortuné bourgmestre de ce nom) , citoyen de Liège, semble avoir
été à Liège l’agent le plus actif du duc, avec qui nous le voyons conclure plu-
sieurs transactions. En 1280, le jour de la division des apôtres, il reconnut
devoir lui payer huit cents livres de Louvain à la Saint-Remi, si Jean Ier ne
rachetait pas Huardes (ou Hougarde). Dans la suite, il prêta cent quarante
marcs de Liège à notre prince et au seigneur de Herstal, qui s’engagèrent à
le rembourser à la Saint -André suivante et lui donnèrent pour cautions
les chevaliers Guillaume de Hemricourt, Walter de Warfusée et Iwain de
Meadrege, et Guillaume Lambute (samedi après la Saint-Remi, 1283), Car-
tulaire de Brabant B, fos 30 et 117 v°.
contre ses nombreux ennemis. Jean Ier lui promit de ne laisser
séjourner dans ses domaines aucun malfaiteur liégeois, «ki n’osast
» ou ne vosist droit attendre , par bonne véritei ou par loïal en-
» queste , » en la terre de l’évêque , et de ne le défendre en au-
cune façon contre l’évêque ou les siens L
Depuis de longues années , les deux pays étaient en contestation
au sujet de l’hommage que le souverain de Brabant devait à l’église
de Liège. Pour terminer ce débat, Jean I'r reconnut tenir en fief
de l’évêché Hakcndeure, avec ses dépendances (Hackendover, près
de Tirlemont), et davantage, si on lui prouvait que ses obligations
étaient plus étendues 1 2 *. Tous deux s’engagèrent à nommer deux
arbitres qui devaient terminer tous les débats existants entre eux
ou qui viendraient à surgir pendant la durée de leur vie, et en
conséquence le duc désigna, le 4 novembre, Pierre, prévôt de Bc-
tliune, et l’évêque choisit, le 18 du même mois, le chevalier Ber-
trand de Lies 5.
Quoique ami de l’évêque, le duc s’appuyait de préférence sur
les habitants notables de sa capitale, comme en témoignent suffi-
samment les épisodes du différend qui se termina par la paix des
clercs , en 1287.
Lorsque Rodolphe de Habsbourg monta sur le trône, tous les
privilégiés avaient recouru à lui, tous les particuliers, toutes les
communautés, dont les droits avaient souffert du développement
des libertés communales, avaient sollicité son intervention. C’est
ainsi que le clergé de Liège obtint la confirmation de ses libertés
et, notamment, de son droit de juridiction sur ses serviteurs et scs
sujets, et la ratification de la charte de l’année 1107, émanée de
l’empereur Henri V 4. La vieille lutte au sujet du jugement des
1 21 octobre 1285. Willems, Van Heelu, p. 422.
2 20 octobre 1285. Ibidem, p. 421.
5 Cartulaire des ducs de Brabant B , f° 05 v°, 67, 68. — Willems, Van
Heelu , pp. 422 et 425. — D’autres négociations s’ouvrirent en même temps
au sujet de la juridiction respective que prétendaient à Maestricht le duc et
l’évêque et au sujet des limites du Brabant vers le comté de Looz. (Voyez
plus loin, cliap. IX.)
4 Acte de Rodolphe du 10 septembre 1275. Fisen, pars II, p. 20. — Cha-
peauville, t. II, pp. 504 et 506. — Pertz, Monumenta , Leges , t. II , p. 405.
( 89 )
querelles et au sujet de la levée des assises , s’étant renouvelée
plus vive que jamais, huit délégués furent choisis, en 1283, pour
proposer un arrangement *. Ils statuèrent l’année suivante 1 2 * *, mais
le déhat ne tarda pas à recommencer.
En 1285, les patriciens liégeois ( insignes Leodienses) réta-
blirent une maltotc ou assise sur les denrées, malgré le clergé et
le peuple. L’évèque se voyant dans l’impossibilité de réprimer
leurs usurpations, partit, accompagné de sa cour et des ecclésias-
tiques, pour Huy, où il séjourna vingt-deux mois, à partir du
jour de la Saint-Denis 5. Les patriciens liégeois tinrent bon, assu-
rés qu’ils étaient de l’appui des villes brabançonnes et notamment
de Louvain, de Bruxelles, d’Anvers, deTirlemont et de Léau, que
l’on voit intervenir, le 5 août 1280, dans un traité d’alliance
conclu entre eux et le duc Jean Ier 4. Ce prince leur donna des
promesses formelles de secours.
lies échcvins avaient warclê , c’est-à-dire mis en garde de loi ou
statué que tout laïque, hormis les varlets des clercs ou prêtres
demeurant dans les hôtels de ceux-ci, devaient payer les taxes
établies pour l’entretien des murs, ponts, etc. Jean Ier déclara
que si l’évêque ou le clergé cherchait querelle à la ville à ce sujet,
il aiderait les bourgeois de toute manière et les défendrait, au
besoin , par la force. En cas de discordes dans la cité, le duc s’en-
gageait à se ranger à l’opinion des deux maîtres de la cité, à venir
à leur réquisition , ou à leur envoyer, à leur demande, des con-
seillers ou des gens armés ou sans armes. Si le duc était cité devant
des juges ecclésiastiques, pour arrêt mis sur des biens du clergé
à la réquisition des maîtres de la cité, il devait lui être payé une
rente annuelle de cent livres de petits louvignois. Jean Ier fut de
1 Ces délégués étaient : Joris de Wege et Henri d’Haloz , chanoines de Saint-
Lambert; Gilon de Kemexke, doyen de Saint-Paul; Ernut de Stavelot, cha-
noine de Saint-Denis; Jean de Saint-Martin et Thierri de Saint-Servais ,
échevins; Louis de Palechude et Walter de Hannut, clerc et juré. Foullon,
t. II, p. 473.
2 Idem , 1. 1 , p. 478.
5 Hocsem, /. c., c.XV.
i Cartulaire de Brabant II, f° 66, dans Willems, Van Ficela, p. 441.
( 90 )
nouveau reconnu pour avoué et les magistrats liégeois lui pro-
mirent une rente de trois cents livres ou, s’il achetait les droits
d’avouerie de Baudouin de Beaumont, une somme de trois mille
livres.
A en croire certains récits .1, le peuple, ameuté par Gérard de
Grez, s’indigna de l’absence du premier ordre de l’état et du
manque des sacrements; il prit les armes et occupa le marché ; les
riches, qui n’avaient rien prévu de semblable, se retirèrent dans
leurs hôtels et bientôt la paix se rétablit, grâce à l’intervention de
quelques ecclésiastiques.
Le duc, le premier, renoua ses relations d’amitié avec Jean de
Flandre, à des conditions assez onéreuses pour celui-ci. L’évêque
devait avoir, dans son conseil « assermenté », un membre du
conseil du duc, et remplacer, au besoin , tout officier qui essaierait
de semer la zizanie entre eux. Jean Ier promit d’engager le cha-
pitre cathédral à permettre à l’élu d’emprunter huit mille livres
parisis, rachetables par huitièmes, et consentit à emprunter lui-
même sept mille livres, pour lesquelles il se constituerait garant.
Chacun des deux princes reconnut devoir fournir à son allié deux
cents et même cinq cents armures de fer, « de bonnes gens », qui
seraient payées par celui qui aurait besoin de leurs services; toute-
fois Jean de Flandre ne pouvait être astreint de marcher contre
son père, le comte Guy, ni contre ses frères, à moins qu’ils n’en-
trassent dans des querelles qui ne leur fussent pas « propres ».
Ce traité, qui stipule encore la remise à deux arbitres des débats
qui pourraient surgir entre le duc et le prélat et l’interdiction
mutuelle de recevoir à bourgeoisie leurs sujets respectifs, fut signé
le 15 avril 1287, et suivi, le lendemain, d’une déclaration par
laquelle Jean de Flandre s’engagea, sous peine de dix mille livres
de petits tournois noirs , à exécuter les alliances conclues par lui
avec le souverain du Brabant 2.
Jean Ier se porta ensuite médiateur entre l’évêque et la ville de
Liège, que la paix dite des clercs réconcilia momentanément (15
4 Fisen, /. c., p. 30.
2 Willems , Van Heelu, pp. 4i9 et 451.
( !>f )
août 1287). La fermeté ou assise fut alors déclarée abolie à jamais.
Toutefois, pour indemniser la cité des travaux qu’elle avait fait
exécuter aux murs, aux portes, aux chaussées, elle fut autorisée
à prélever, pendant dix-huit ans, huit deniers sur toute aime de
cervoise ou bière consommée dans la cité de Liège et dans les
bans d’Àvroy, de Saint-Laurent, d’Ans, de la Bouverie, à la seule
condition de payer au clergé cinquante marcs par an. A l’expira-
tion des dix-huit années (c’est-à-dire en 1505), la taxe à percevoir
pour l’entretien des ouvrages de la cité devait être réglée de com-
mun accord par six ecclésiastiques et six bourgeois, élus chaque
année, et qui rendraient compte en sortant de fonctions. Les ma-
gistrats communaux, observe un ancien historien, ne se soucièrent
guère de ces restrictions , et le seul ouvrage public dont ils do-
tèrent Liège, fut le pavement du marché et la construction, au
centre du marché, d’une belle fontaine en forme de tourelle, où
l’eau était amenée par des tuyaux de plomb. Telle fut l’origine
du perron, ce noble emblème de la liberté liégeoise h
La paix de 1287 agrandit l’étendue du territoire et la franchise
de Liège. Le quartier de la Sauvenière y fut réuni, moyennant
trois cents marcs que la ville paya au prévôt et à l’église de Saint-
Lambert; d’autre part , les immunités dont jouissaient les maisons
des bourgeois furent étendues aux « encloistres » et aux maisons
des clercs, et des prérogatives particulières réservées aux trois
marliers (ou sacristains) de Saint-Lambert et à sept fieffés qui
étaient chargés de garder le corps de ce saint.
Les règles de procédure relatives aux délits et aux crimes com-
mis par les maisniers ou mansionnaires des églises, furent alors
déterminées. Sept bourgeois jurés, demeurant à Liège, et choisis
par les églises, procéderaient d’abord aux enquêtes. S’il s’agissait
d’un délit commis à l’égard d’un bourgeois ou d’un maisnier de
bourgeois , ils jugeaient de concert avec sept des échevins désignés
parles églises. Une plainte contre un tenancier de chanoine devait
1 Hocscm, l. c., c. XV. Il est à remarquer que dès 1155, il existait à Huy,
sur le marché, un perron qui avait au moins cinq marches. Chronique d’Al-
béric , ad. a. 1155.
( 92 )
sc porter au maire de l’évêque ou au sergent ou maire du prévôt
de Saint-Lambert, par devant les sept échevins et les sept jurés
précités. Ces quatorze personnes, après avoir mis la plainte en
warde, procédaient à l’enquête, déterminaient la peine dont la
loi punissait le délit, sommaient le coupable de satisfaire à la loi,
sous peine de bannissement, et en cas de désobéissance soumet-
taient l’affaire à la haute justice de l’évêque. Quand il s’agissait
d’un cas de mort, d’honneur ou de membre à perdre, la justice
de l’évêque, « à la chaîne en Gerardrie j* (sans doute, la cour féo-
dale), en était saisie; seulement, quand le méfait était commis sur
un bourgeois, les sept échevins et les sept jurés en connaissaient.
Si le coupable était un bourgeois , la juridiction appartenait à la
haute justice de l’évêque (c’est-à-dire au corps écbevinal). Le droit
de grâce fut reconnu au prélat, mais sous réserve d’une compo-
sition à payer à la partie lésée. La loi muée *, ou législation intro-
duite à la suite de ce traité, modifia considérablement les coutumes
restées jusqu’alors en vigueur.
L’article 20 de la Paix des clercs offre un des premiers exem-
ples connus de l’emploi des pèlerinages comme pénalités. Pour
plaie ouverte faite devant une église, la punition consiste en un
voyage à Saint-Jacques en Galice; pour coup sans plaie ouverte,
on est envoyé à Roquemandour; pour coup sans sang à Vendôme.
« Celui qui met à mort, doit mort recevoir; celui qui à autrui a
» tollu membre, doit perdre membre, et pour affoulure sans
» membre tollu , on en iroit en avant sur son honneur, soit tollu
» ou non le malfaiteur. » Le principe fondamental de cette loi est
donc la loi du talion : plus de composition pécuniaire, mais mem-
bre pour membre, mort pour mort; puis un système d’amendes,
emprunté à l’ancien droit franc et assez conforme à celui que l’on
retrouve dans les heures des villes flamandes et brabançonnes.
« Selon la loi salique, la réalité du fait s’établissait par des
1 « On appela depuis loi muée une loi que nous les églises et la cité avons
» obtenue de l’évêque pour durer cinq cents ans entre nos varlets des cha-
» noines, résidant en nos hôtels, et nous les bourgeois et les maisniers rési-
» dans en nos hostels, sauf que l’évêque nous a autorisés à la corriger et
» amender quand cela nous semblera profitable. »
( 93 )
épreuves et par le serment des conjurateurs; la loi muée changea ce
mode de procéder. On devait dorénavant procéder à l’enquête con-
cernant un délit à l’endroit même où ce délit avait été perpétré
ou dans le lieu le plus proche. Le plaignant jurait qu’il ne pro-
duirait aucun faux témoin, et le faux témoignage était puni d’une
peine semblable à celle qui aurait été prononcée contre l’accusé,
si ce témoignage avait été admis comme véridique. Le moyen de
contrainte adopté pour assurer l’exéeution des pénalités consistait
dans le bannissement b »
L’intervention des Brabançons dans les affaires du pays de
Liège contribua évidemment à l’établissement de la loi muée .
Celle-ci, en effet, n’a pas, que nous sachions, d’analogue dans les
contrées Rhéno-Mosanes, tandis qu’en Brabant, deux des grands
vassaux de Jean Ier avaient déjà gratifié leurs sujets de keurcs cri-
minelles. La nouvelle loi n’anéantit pas le droit du plus fort, legs
funeste de la féodalité à l’Europe. La guerre des Awans et des Wa-
roux prouva bientôt à quel point les nobles liégeois tenaient à
venger eux-mêmes leurs querelles personnelles; pour dessiller les
yeux de la chevalerie de l’évêché sur cette funeste coutume, il lui
fallut pour ainsi dire subir de ses propres mains une extermina-
tion complète.
L’obligation d’observer la paix de 1287 fut imposée aux cha-
noines et aux magistrats. La partie qui y contreviendrait fut décla-
rée passible d’une amende de mille marcs de Liège , payable moitié
à l’autre partie, moitié à l’évêque1 2. Cependant le chapitre de Saint-
Lambert ne tarda pas à manifester son mécontentement. Deux de
ses mandataires soumirent au tribunal du roi Rodolphe, à Erfurt,
la question de savoir si une cité, une ville ou une personne,
quel que fut son rang, pouvait établir un péage, un tonlieu, un
impôt quelconque, sous prétexte de subvenir à la construction
d’un édifice, sans le consentement du chef de l’empire. La réponse
des princes, barons, comtes et nobles présents, basée sur des
1 Voyez à ce sujet Warnkonig, lhilracje zur GescMchte und Quellenkunde
der Lütticher Gewohnheitsrechts. Fribourg, ]838,in-8°. — Polain, 1. 11, p. 17.
2 Foullon, t. II, p. 399.
( 94 )
décisions de Frédéric 11 et de Rodolphe lui-même, fut négative, et,
en conformité de cette décision , l’empereur défendit à la cité de
Liège, mais selon toute probabilité sans succès, de percevoir le
droit de ehausséage J. Dans le but d’empêcher l’immigration des
paysans dans les villes ou leur affiliation à la bourgeoisie, défense
fut également faite à la cité, au nom du roi, d’admettre dans son
sein tout individu qui n’y demeurerait pas 1 2.
Les révolutions de Liège eurent leur contre coup à Saint-Trond.
Pour « satisfaire aux réclamations continuelles des bourgeois, et
» afin de réprimer les crimes et les délits qui se commettaient
» impunément dans cette ville, » l’évêque de Liège et l’abbé de
Saint-Trond, Guillaume de Malines, après « avoir pris l’avis d’un
» grand nombre de personnes, sages et prudentes », y instituèrent
une commune. A en juger par les restrictions dont ils entourèrent
leur concession, on doit reconnaître qu’ils ne l’accordèrent qu’à
regret et qu’ils aspiraient au moment de pouvoir l’annuler; s’ils
octroient l’établissement de la commune , c’est en se réservant le
droit de l’abolir , dès que cela leur paraîtra convenable. Deux rec-
teurs : Jean de Namur et Guillaume de Speculo ou Yanderspiegel,
de concert avec huit conseillers : Jean Mens, Adam de Landcne,
René, fils de Sara, Henri de Pcdude ou Vandenbroecke, Jordan
de Laça ou Vanden Poele, Walter, fils de Wotgher, Stasmann
Cornes ou Grave, et Walter Welnere furent désignés par eux pour
la diriger. Ces magistrats jurèrent qu’ils ne quitteraient « jamais
» le sentier de l’équité, pour argent, pour récompense, par haine
» ou par faveur. » Ils devaient recevoir un traitement global de dix
liv res de Liège, à prendre sur les revenus des deux seigneurs, et
rester en fonctions pendant un an, à moins qu’ils ne fussent desti-
tués; leurs successeurs ne pouvaient se refuser à prendre leur
place, sous peine de vingt marcs d’amende. Tous les statuts donnés
antérieurement à la ville furent révoqués pour aussi longtemps
que durerait la commune; celle-ci abolie, la ville rentrait, de plein
droit, dans la situation où elle se trouvait auparavant (jour de
1 Janvier 1290. Pertz, Monumenta , Leyes, t. 11, p. 454.
2 20 janvier 1290. Fisen, l. c., p. 52.
( S>3 )
Saint-Marc, en a\ril 1288 L Cette charte, qui réorganisa la com-
mune créée révol utionnairement en 1253, puis détruite par Henri
de Gueldre, témoigne de l’agitation dont se ressentait alors le
pays de Liège. La principauté, restant en relations pacifiques avec
ses voisins, employait toutes ses forces à s’organiser intérieure-
ment, et n’exerçait à l’extérieur qu’une action purement passive.
CHAPITRE IV.
SOULÈVEMENT DES PAYSANS HOLLANDAIS ET FRISONS ET RÉVOLUTIONS
d’üTRECHT. INFLUENCE QUE CES ÉVÉNEMENTS EXERCENT EN BRABANT
ET EN FLANDRE. GUERRE DES HABITANTS D’AIX - LA - CHAPELLE
CONTRE LA FAMILLE DE JULIERS, ETC. (l2G8-I282.)
I.
Pendant le treizième siècle, un mouvement qui ne cessa de
grandir entraîna la petite bourgeoisie dans une lutte ouverte
contre leurs concitoyens plus fortunés. Ceux-ci avaient largement
profité de l’émancipation des communes : en influence, en consi-
dération, en puissance même, ils rivalisaient avec les membres
de la noblesse, en même temps qu’ils les effaçaient par leur luxe.
Legrand commerce, et par conséquent l'industrie, qui ne peut
rien sans lui, étaient tout entier entre leurs mains. Les artisans
n’ayant pu suivre la même progression, il en était résulté, entre
les deux classes, une scission qui grandit continuellement à partir
1 Gachard, Documents inédits, t. I , p. 112; — Goethals, Histoire des let-
tres, t. I, p. 45.
( 96 )
du jour où elle se manifesta. La morgue et l’arrogance des uns, la
haine et la jalousie des autres alimentèrent une querelle, qui fut
encore envenimée par les intrigues des ennemis de la prépondé-
rance des villes.
Les révolutions tentées dans un sens que l’on pourrait qualifier
de démocratique : à Liège, sous la direction de Henri de Dinant;
à Cologne, avec l’appui des archevêques Conrad et Engelbert, ne
furent pas étrangères aux tendances que l'on remarqua dans le
Brabant et principalement à Louvain, après la mort de Henri III.
3Iais la Belgique occidentale fut surtout remuée par une violente
tempête qui éclata, vers la même époque, en Hollande, et qui fail-
lit y engloutir la féodalité, dont les assises étaient en ce pays mal
affermies.
Après la mort de Florent, frère du roi Guillaume, qui fut frappé
d'un coup de lance dans un tournoi donné à Anvers le 26 mars 1 2b8 ,
la tutelle des enfants du roi avait été revendiquée par Alice ou Adé-
laïde, sœur de Guillaume et de Florent, veuve de Jean d’Avesnes.
Une partie de la noblesse ayant appelé à la régence le comte de
Gueldre Othon et son frère l’évêque de Liège, cette princesse pria
le duc de Brabant de l’aider de ses conseils et de son épée. Le duc
répondit à son appel et fut chaudement accueilli par les Zélan-
dais *, mais il s’aperçut sans doute qu’il maintiendrait difficilement
l’autorité d’Alice et il retourna dans ses États, où il mourut peu
de temps après. A la suite d’une lutte assez longue, Alice, qui
réclamait au nom de ses enfants une partie du patrimoine de ses
pupilles, perdit une bataille à Vcrnoutszée, dans le Sud-Bevcland,
et renonça à la régence 1 2.
1 Le jeudi après les octaves de Pâques, en 1238, Godefroid , sire de
Cruyningen, devint le vassal du duc, et au mois de mai suivant, Gerolf et
Henri de Cats promirent à ce prince de l’appuyer aussi longtemps que les
enfants du roi Guillaume ne seraient pas majeurs. Butkens, t. J, Preuves, p. 07.
2 Par un acte daté de Bruxelles, le 4 juillet 1262, le roi des Romains Ri-
chard reconnut Alice en qualité de tutrice de ses enfants, pour leur part dans
les comtés de Hollande et de Zélande. Saint-Génois, Monuments , p. 414. —
Au mois de juillet 1263, Othon et Henri étaient tuteurs des deux comtés,
Bondam, Charterboek van Getdertand , t. Ier, p. 562.
( »? )
Othon et son frère Henri, mêlés à toutes les grandes querelles
de la basse Allemagne, pouvaient difficilement échapper à la
destinée commune à tous les dominateurs étrangers, qui est de
provoquer des mécontentements, parfois uniquement à cause de
leur origine. Aussi, tandis qu’ils se réconciliaient avec l’évêque
d’Utrecht 1 et avec le comte de Clèves 2, tandis qu’ils pouvaient
se croire à l’abri de toute opposition venant du dehors, il se pré-
para un orage bien plus difficile à dissiper que tous ceux par
lesquels ils avaient été auparavant assaillis.
On sait que la Frise, ou pour mieux dire la majeure partie du
royaume actuel des Pays-Bas, se refusa longtemps à subir le joug
du régime féodal. La vie y resta plutôt patriarcale que militaire;
longtemps l’autorité des grands y emprunta à la simplicité des
mœurs une modération qui la rendit plus supportable et plus
respectée. On ne trouvait pas en Frise tous ces impôts qui, au
moyen âge, pesaient surtout sur le pauvre, et notamment la dime.
Les prêtres mêmes, chez qui Je mariage était encore toléré, vi-
vaient entièrement confondus avec la population. Mais ces habi-
tudes cédaient la place peu à peu aux coutumes patronées par les
corporations ecclésiastiques et par les comtes de Hollande. Par-
tout s’élevaient des châteaux, dont les possesseurs étendaient in-
sensiblement leurs droits et leurs prérogatives , ce que pratiquaient
aussi les habitants des villes.
Après des guerres sans cesse renouvelées et presque toujours
fatales aux Frisons, les seigneurs de Vlaardingen, devenus comtes
de Hollande, avaient fait reconnaître leur autorité depuis le
llont jusqu’au Texcl. Toute la Zuyd - Holland , parsemée de
villes et de manoirs, leur obéissait respectueusement, et la Zé-
lande avait également répudié son antique esprit d’indépendance.
Mais la Noord-IIolIand : le Kennemerland, au milieu duquel Ilar-
1 Othon et l’évêque se confédérèrent le 27 juillet 1265. Bondam , t. I,
p. 572.
2 Le duc de Brabant, Henri 111, avait négocié entre les deux comtes une
alliance matrimoniale, qui fut conclue à Bois-le-Duc, le 15 mai 1260. Ibidem,
1. 1, p. 541 . — Toutefois, ils redevinrent plus tard ennemis , et ne se réconciliè-
rent que le 24 mars 1271. Ibidem , t. I , p. 609.
Tome XII 1.
7
( 98 )
lem s’élevait comme une citadelle; la Westfrise (Hoorn, Enkhuy-
sen, Medemblick) et le Waterland (Purmerend, Edam, leTexel),
restait frisonne. Elle avait résisté victorieusement au roi Guil-
laume; elle voulut profiter de la désorganisation que produisirent
les querelles pour la possession de la régence du comté de Hol-
lande et des difficultés qui entourèrent les premières années du
règne du comte Florent, afin de mettre son indépendance à
l’abri de nouvelles tentatives.
En 1268 l, les Kennemers, irrités des prétentions et de l’or-
gueil toujours croissant de la noblesse, se soulevèrent en masse,
détruisirent plusieurs châteaux qui se trouvaient dans leur pays
et forcèrent les nobles à se retirer dans Harlem.
Exaltés par leurs premiers succès, ils résolurent de former une
seule communauté libre de tout le diocèse d’Utrecht, et, dans
ce but, appelèrent à leur aide les Frisons occidentaux et les habi-
tants du Waterland. Toutes ces populations formèrent une armée
redoutable, tant par l’esprit qui l’animait que par le nombre. Le
premier canton qu’elle envahit fut le pays de l’Amstel ou Amstel-
land, dont Amsterdam était la capitale. Le jeune Giselbert, qui en
était seigneur, loin d’oser lutter contre elle, lui jura fidélité et, de
concert avec ses chevaliers, entra dans la ligue, dont il devint le
chef suprême. Voulant profiter de la puissance que l’on mettait
entre ses mains pour anéantir ses ennemis particuliers, il court
immédiatement assiéger le château de Vredeland ou Vreelant,
qui avait été bâti pour arrêter les incursions de ses prédécesseurs
dans l’évêché d’Utrecht. Mais bientôt il conçoit un projet plus
hardi : à son instigation les Kennemers lèvent le siège du châ-
teau à l’improviste; pendant la nuit, ils pressent leur marche et
paraissent avant le lever du jour devant les remparts d’Utrecht,
que leurs bandes entourent d’une formidable ceinture. Les gardes
terrifiés s’imaginent apercevoir les Tartares dont le nom inspirait
alors une frayeur indicible dans la chrétienté, et se répandent en
clameurs. En un instant, les Trajectins armés garnissent les rem-
parts de leur cité. Tout à coup un colloque s’établit entre eux et
1 Heda. — Van Loon, Aloude regering van Holland , t. IV, p. 200.
( 99 )
les assiégeants : « Amis, s’écrie l’un de ceux-ci, la nation libre des
» Kennemers vous salue; elle vous engage à proscrire les nobles,
» les oppresseurs de la commune et à distribuer leurs richesses
» aux pauvres. » Ces mots, qui répondent aux sentiments de la
majorité des bourgeois, suffisent pour faire éclater une révolu-
tion. Les riches sont dépouillés des fonctions municipales , qui
sont dévolues à des personnes choisies parmi les métiers, sous le
nom d’ O udermannen ou Anciens. Les nouveaux magistrats signent
aussitôt un traité d’alliance avec les Kennemers , et cet exemple
est suivi par les habitants d’Amersfort et par ceux de l’Eemland.
Menacés d’être dépouillés à leur tour, les princes voisins de
l’évêché d’Utrecht se seraient certainêment coalisés pour rendre
au prélat son pouvoir, s’ils n’avaient eu d’autres préoccupations.
Toutefois, le comte de Gueldre, qui était le plus menacé, n’hésita
pas à conduire sa chevalerie au secours de l’évêque, Jean de
Nassau. Leur armée s’avança jusqu’à Zeist, où elle rencontra les
Kennemers, mais ceux-ci étaient à tel point supérieurs en
nombre que les princes n’osèrent risquer une bataille et regagnè-
rent le Veluwe.
La révolution fut bientôt, sinon étouffée, du moins poussée dans
une période de décroissance. Maître d’Utrecht, Amstel avait di-
rigé la fureur de ses auxiliaires contre les forteresses de Giselbert
d’Abcoudc, de Guillaume de Risenburch et d’Hubert de Vianen;
il les avait ensuite engagés à retourner dans leurs foyers, parce
que la saison des vendanges approchait, et à remettre à l’année
suivante la conquête de la Gueldre. A peine de retour, les Kenne-
mers coururent assiéger Harlem, et livrèrent à cette ville des
assauts furieux et multipliés, sans pouvoir vaincre la résistance
des nobles et des bourgeois. Décimés et fatigués, ils étaient dis-
posés à se séparer lorsqu'ils aperçurent au loin quelques-uns de
leurs villages consumés par le feu. C’était le chevalier Jean Persyn,
qui, sorti à l’improviste de Harlem, avait effectué cette diversion.
Ils se retirèrent alors sans ordre et furent poursuivis avec achar-
nement par les assiégés, qui en tuèrent et prirent un grand
nombre.
Aussitôt que cette nouvelle fut connue, l'évêque d’Utrecht et
( 100 )
J^' comte de Gueldre réunirent toutes leurs forces, et, le 21) août,
vinrent camper devant Utreeht; toutefois ils se retirèrent six jours
après ; ils s’étaient aperçus que leur entreprise ne pourrait être
conduite à bonne fin qu'à grands frais et au moyen d’énormes
machines de guerre. Ils déchargèrent leur fureur sur Amersfort,
qu’ils détruisirent après avoir reçu sa soumission, puis ils se
quittèrent : le comte regagna ses Etats, où il s’efforça de détruire,
autant que possible, les sujets de mécontentement que pouvaient
avoir ses peuples l; l’évêque courut de ville en ville, de château
en château, solliciter des secours en hommes et en argent 2 * *, et
fixa sa résidence dans ses domaines de rOveryssel.
&
Deux ans après, le 10 septembre 1270, un chevalier hollandais
d’une grande bravoure, Sweder de Buzinehem ou Boesinchem,
escalada pendant la nuit la ville d’Utrecht, s’en empara après un
combat sanglant, et couronna son triomphe par l’expulsion des
chefs du peuple et le rétablissement des anciens magistrats 5.
Cependant, ajoutc-t-on, les séditieux reprirent la ville. Leur
seconde domination dura encore moins que la première. Nicolas
de Cats, tuteur de Florent, comte de Hollande, part immédia-
tement avec cinq cents cavaliers; arrivé devant Utreeht, il en
brise les portes à coups de hache , et condamne au bannissement
mille quarante citoyens. Depuis cette époque, le gouvernement
1 Par un diplôme daté d’Arnhem,le 5 mars 1271, de l’avis de « son oncle,
)) l’évêque de Liège; de son parent, l’évêque d’Utrecht; de ses conseillers,
') fidèles et ministériels, » le comte rétablit « ses aimés bourgeois d’Arnhem »
dans toutes leurs libertés et particulièrement dans leur exemption de tonlieux
à Lobbede; son père Olhon avait injustement violé leurs immunités, mais
s’en était repenti à son lit de mort. Bondam, t. I, p. 607.
2 L’évêque reçut en prêt de Jean , sire de Cuyck, « à Cologne, au temps
» de la persécution qu’avait fait éprouver à lui et à son église la comniu-
» nauté de la terre d’Utrecht et de Hollande » une somme de 2,000 marcs
sterlings (à 12 sous le marc), pour laquelle il lui engagea le château de Ilorst
elle tonlieu et la juridiction de Rheenen. Voyez une charte du 25 juin 1277
dans Van Mieris, Charterboék van Holland , t. I , p. 392.
5 C’est en récompense de cet exploit que l’évêque accorda à Sweder le
droit de tenir deux foires franches, près de son château de Viane (7 décem-
bre 1272). Ibidem, 1. 1 , p. 566.
(101 )
de la cité resta aux mains de l’aristocratie bourgeoise, jusqu’aux
premières années du quatorzième siècle.
Ce qui précède constitue la version adoptée par les historiens
hollandais; elle pèche malheureusement par l’incertitude de la
chronologie et par le manque de clarté, qui se remarquent surtout
dans la fin de la narration.
Par les documents nous apprenons que le parti populaire était
encore dominant à Utrecht en 1274. Le 2o juillet, un traité de
paix et d’alliance réconcilia entre eux le comte de Hollande, d’une
part, et, d’autre part, l’écoutète, les échevins, les consuls et les
autres citoyens d’Utrecht, le conseil et la communauté des con-
jurés de Muyden , Amstel, Mydrecht, Lonen et leurs adhérents.
L’élu d’Utrecht entra dans la meme voie, car ce fut au comte
qu’il confia, le 19 septembre suivant, la décision de ses différends
avec les habitants de sa capitale, Giselbert d’Amstel, etc. b Quatre
ans plus tard, les circonstances ont changé. Ce sont des bour-
geois riches qui mettent la ville entre les mains du comte, et à
qui celui-ci promet à son tour appui et protection 2. Au 28 juillet
1279 3, aucune réconciliation ne s’était encore opérée entre les
bourgeois bannis et leurs adversaires.
Dans ses États aussi, ce fut d’abord à l’aide de concessions que
l’autorité de Florent se rétablit. Quand il gratifie les habitants
d’Amsterdam d’une complète exemption de tonlieux, c’est afin de
les dédommager des torts que lui et ses vassaux leur ont causés 4.
Aux habitants d’Akkersloot, après leur avoir assuré le maintien du
droit des Kennemers (c’est-à-dire des coutumes en vigueur chez
1 Mieris , L c., pp. 375 et 576.
2 Cette promesse est faite par Sweder de Zuylen, Zweder de Boesinchem
et Guillaume de Ryswyck, chevaliers, au nom de Gérard le Frison, Tydeman
Vrenkin, Herman, fds de dame Arnolde; Krien (sic) Vrederyck Soldenbagh,
Jacques, iils de sire Frédéric; Lambert le Frison, Jacques , fds desire Jac-
ques, et leurs amis. Charte en date du 28 août 1278. Ibidem, p. 397.
3 Ce jour-là, l’évêque promit au comte que si cette réconciliation s’opérait ,
la moitié de la composition que payeraient les bannis lui serait allouée. En
1278, le comte lit alliance avec l’écoutète, les échevins, le conseil et la ville
d’Utrecht. Ibidem , p. 598.
* Charte du 27 octobre 1275. Ibidem, p. 379,
( 102 )
cf* peuple), et leur avoir accordé un pardon complet, ainsi que la
remise des peines qu'ils avaient encourues 4, il les exempte du scol
(ou taille) annuel et des tonlieux , afin qu’ils s’opposent plus volon-
tiers aux Frisons et à leurs alliés 2. Dans la réconciliation des
hommes de Waterland et de leur seigneur, le chevalier Jean Per-
syn , celui-ci semble faire amende honorable. Après avoir fixé le
taux des redevances annuelles qui lui étaient dues et des compo-
sitions pour meurtres et blessures, il déclare que ses vassaux ne
seront plus tenus à marcher contre les Frisons ni contre aucun
autre ennemi, mais seulement à défendre leur seigneur contre
toute attaque; il promet de ne plus annuler les sentences portées
par les échevins ou les autres juges constitués par lui, et s’engage
à conserver aux prêtres de ses domaines les franchises des prêtres
frisons et à ne plus rebâtir, ni en pierre, ni en bois, le château de
Swanenburg 3.
Florent, sorti des embarras qui avaient entravé le début de son
règne, couvrit de quelque gloire les derniers jours de sa dynastie.
Son alliance avec l’Angleterre, l’ascendant qu’il sut conquérir et
conserver dans Utrecbt 4, ses victoires sur les Frisons, à qui il en-
leva les dépouilles mortelles de son père 5, et la guerre heureuse
qu’il fît à deux seigneurs turbulents : Giselbert d’Amstel et Her-
man de Woerden, entourèrent son nom d’un certain éclat. De son
temps les villes hollandaises grandirent encore en importance et
leur commerce prit de nouveaux développements.
Florent n’entra qu’assez tard en contestation avec le comte
1 Charte du 13 mars 1274. Ibidem, p. 375.
2 12 janvier 1276. Ibidem , p. 580.
3 30 décembre 1273. Ibidem, p, 379. — JeanPersyn se réconcilia également
avec ses vassaux de Sevenvanc, le 17 juillet 1277. Publications de la Société
historique d’Utrecht , Kronyk , t. VI , p. 223.
* Dès le 3 mars 1277, le comte avait promis de soutenir le prélat, à la con-
dition que celui-ci suivrait les conseils de sire Jean de Cuyck et de sire Giselbert
d’Amstel. Le 23 juillet 1279, l’évêque abandonna entièrement à Florent l’ad-
ministration de ses domaines, dont il lui engagea ensuite plusieurs parties
importantes. Voyez Van Mieris, pp. 588, 599 et suiv.
3 La grande victoire en Drechterland date de l’année 1282; une partie de
la Frise se soumit en 1284, une autre en 1288 seulement.
( 105 )
de Flandre, au sujet de l’hommage que celui-ci réclamait pour la
Zélande. Dans le principe il évita de le froisser. Le 25 mai 1278,
il signa avec lui une ligue offensive et défensive, contre tous,
sauf contre les princes auxquels il devait le service féodal et
sauf qu’aucun des deux contractants ne pourrait défendre contre
l’autre le duc de Brabant et ne devrait marcher contre ce prince 1 2 3 4.
Mais bientôt ces dispositions amicales changèrent. Le comte de
Hollande s’était, déjà rapproché du comte de Hainaut, ennemi
de Guy de Dampierre; le 51 août 1282, il lui promit aide et se-
cours, sauf les conventions négociées avec le duc de Brabant,
et sauf qu’il ne serait obligé à soutenir Jean d’Avesnes contre Guy
de Dampierre que pour le cas où celui-ci ne voudrait pas rendre
justice au premier 2. Les relations entre Florent et les d’Avesnes
avaient quelque temps souffert de ce que Florent de Hainaut, au
mépris de l’autorité du comte, avait élevé plusieurs forteresses
dans la Zuyd-Holland 5, et s’en était fait donner par d’autres sei-
gneurs.
Avec le Brabant, les relations restèrent toujours cordiales, sauf
quelques différends passagers, à peine dignes de mention. En 1275,
un débat de ce genre fut terminé par le bailli de la Zuyd-Holland,
Nicolas de Subburch, de l’avis du conseil du comte et principale-
ment de Nicolas de Cats, et à la demande de sire Egide Berthout
et des autres vassaux du duc. Le bailli déclara recevoir, sous son
sauf-conduit et jusqu’à la fête prochaine de Saint-Jean-Baptiste,
tous les Brabançons qui viendraient en Hollande 4.
Dans un tournoi donné à Bois-le-Duc, en janvier 1277, Jean Ier
donna à Florent l’accolade de la chevalerie; plus tard, celui-ci
prouva à son vaillant initiateur sa reconnaissance par l’appui qu’il
lui donna pendant la guerre contre la Gueldre à propos du
Limbourg.
1 Saint-Génois, Monuments , p. 640.
2 Idem, p. 637, où l’on donne au traité la date erronée du 51 août 1272;
à cette époque Jean d’Avesnes n’était pas comte de Hainaut.
3 Voyez le traité d’alliance du comte Florent et de l’évêque d’Utrecht, du
5 mars 1277, cité plus haut.
4 Acte du 5 décembre 1275. Cartulaire du Brabant B., f° 86.
( 104 )
C’est a cette guerre seule qu’on doit attribuer la rupture de
l'ancienne alliance de la Gueldre et du Brabant, alliance qui durait
depuis le temps de Henri Ier et qui , après Woeringcn, ne se renoua
jamais d’une manière durable.
En 1274, les sujets de querelle existant entre Jean Ier et le
comte Renaud avaient été soumis à l’arbitrage de six nobles : les
sires de Malines et de Bautersem, sire Robert de Heusden,
Guillaume, sire de Broncliorst, Gérard, sire de Batenbourg et
Guillaume, sire de Iferven. A la suite du meurtre d’un Brabançon,
René de Ilese, par le chevalier Albert de Wilre et ses complices,
Jacques, son parent, et Thierri de Lente, le comte promit de pro-
scrire ceux-ci, s’ils ne se soumettaient au jugement des arbitres
précités G
Tout en maintenant la paix sur ses frontières septentrionales,
Jean Ier prit soin de fortifier la seule position qu’il possédait au
nord de la Meuse, nous voulons parler de la commerçante ville de
Thiel. Le chevalier Jean Coc, du consentement de sa femme et de
ses héritiers, lui céda, moyennant indemnité, son habitation,
qu’il avait agrandie par l’achat de trois maisons contiguës, fait
entourer de murs, et convertie en forteresse, et Jean Ier la lui
rendit pour la tenir en fief, à condition que lui et les siens pour-
raient toujours y entrer et en sortir, et s’en aider contre qui que
ce fût1 2. Peut-être faut-il voir dans cette transaction un indice de
la crainte qu’avait inspirée le soulèvement des Kennemers en
l’année 1208.
1 Acte du 15 avril 1274, daté de Bois-le-Duc. Cartulaire cité, f° 83 v°. —
Poutanus, Historia Gelrica , p. 151, raconte qu’eu 1270 Jean 1er fit percer
les digues voisines de Thiel , afin de protéger cette ville contre les Gueldrois,
qui s’en emparèrent cependant , sous la conduite du comte Othon , père de
Renaud. L’histoire du Brabant est muette sur ces différends, auxquels se
rapporte peut-être la charte par laquelle Jean 1er reconnut, le 17 mai 1274,
devoir 1500 livres de Louvain au comte Renaud. Willems, Van Heelu , p. 397.
2 Actes, au nombre de deux et en date du 21 octobre 1274. Bondarn,
p. G15. Willems, Van Heelu, p. 399.
( 105 )
II.
Les dangers auxquels les tumultes populaires exposaient les
bourgeoisies aristocratiques des Pays-Bas eurent pour effet, à ee
qu’il semble, de déterminer celles-ci à resserrer leurs alliances et
à se prémunir ainsi contre les dangers dont elles étaient menacées.
Le moment était favorable : aux querelles pour la tutelle en
Brabant, et en Hollande : aux luttes des Liégeois contre le gouver-
nement tyrannique de Henri de Gueldre et des Colonais contre
les tentatives d’Engclbert de Fauquemont, succédèrent quelques
années de calme. C’est à cette époque, qui vit se terminer l’inter-
règne de l’empire d’Allemagne, que se rapportent un grand
nombre de traités conclus entre différentes villes.
L’audace et les prétentions des tisserands, des foulons et des
autres hommes de métier inspirant de nouveau des craintes, les
magistrats de Gand échangèrent avec les villes de Louvain, de
Bruxelles, de Lierre, de Malines, de Tirlemont, d’Anvers et de
Léau des promesses d’expulser l’artisan qui se réfugierait dans
une de ces localités, et une défense de l’héberger plus d’un jour,
sous peine d’une amende de vingt sous *.
On peut supposer à priori que les artisans durent être l’objet
d’autres mesures répressives ou restrictives. En Brabant, aucun
fait positif ne trahit l’antagonisme de la classe inférieure et de la
classe supérieure, et cependant il est incontestable. Les métiers
de Louvain qui, en 4267, sont autorisés à s’assembler quand bon
leur semble, reçoivent, en 1282, la défense de se réunir, sinon en
présence de l’officier du prince; la caisse des tisserands d’Anvers
est confisquée au profit du trésor communal, la levée d’assises, qui
ailleurs avait soulevé tant de récriminations, est en Brabant, sinon
introduite, du moins généralisée et réglementée.
Pour la Flandre, où les documents abondent davantage, on
1 Promesses datées du 24 mai et 20 juin 4274. Van Duyse, Inventaire des
chartes de la ville de Gand, p. 37.
( 106 )
connaît mieux ce qui se passa. Vers l’année 1275, un très-vif
mécontentement se manifesta, à Gand, contre la prodigalité des
magistrats, qui s’appelaient, comme on sait, les Trente-Neuf. Le
roi de France, Philippe III, pris pour arbitre, envoya d’abord
deux commissaires pour entendre les parties, et porta ensuite
sa sentence, qui fut favorable aux Trente-Neuf (22 juillet 1277).
Le comte Guy de Dampierre, qui cherchait tous les moyens
possibles d’étendre sa juridiction aux dépens de celles des villes,
obtint du même roi une ordonnance qui obligeait les échevins et
autres administrateurs de ses domaines à rendre compte de leur
gestion à lui et au peuple, mais cette prétention, qui était nou-
velle, amena entre lui et les Gantois une querelle interminable.
Les Trente-Neuf, après avoir acheté la paix moyennant une
somme de dix-huit mille livres et l’abandon au comte du droit de
nommer les percepteurs des assises, après avoir été condamnés à
une amende de quarante mille livres , pour avoir appelé à tort
des décisions de la cour du comte à la cour du roi, furent pour-
suivis, forcés de fuir, et enfin rétablis, grâce seulement à l’ap-
pui de l’étranger l 2.
Les autres communes semblent avoir prévu qu’un recours ju-
ridique n’apporterait aucun allégement à leurs souffrances et avoir
préféré la triste ressource de l’émeute.
La Kokerulle d’Ypres éclata à la suite d’ordonnances qui mé-
contentèrent les drapiers. Ceux-ci, soutenus par les autres métiers,
se livrèrent aux excès les plus condamnables. Ils pillèrent et brû-
lèrent les maisons des échevins, et ne respectèrent ni les églises
ni les monastères. Le comte se bâta de rassembler un bon nombre
de mercenaires allemands. Sa sentence donna tort aux deux par-
tis : les échevins d’une part, les drapiers, tisserands, foulons et
tondeurs, d’autre part, furent également punis pécuniairement
(1er avril 1281) *.
1 Consultez à ce sujet les beaux travaux qui ont paru récemment, sur
l’histoire de Flandre : les ouvrages de MM. Warnkônig, Kervyn , Le Glay , Van
Duyse.
2 Jules de Saint-Génois, Inventaire, p. 87.
( 107 )
Les délégués de Guy s’étant rendus à Bruges pour assister à
une reddition de comptes communaux, le peuple courut aux
armes et livra dans la ville un combat sanglant Robert de Bé-
thune, qui remplaçait son père absent, réunit une armée, entra
dans Bruges, fit décapiter les chefs de la révolte et condamna la
commune à une amende de cent mille livres, outre une redevance
de mille livres, et quatre mille qui furent employées à payer des
indemnités aux victimes de l’émeute (27 mai 1281). De grandes
restrictions furent en outre apportées aux franchises des Bru-
geois, qui se soulevèrent une seconde fois, tuèrent un officier du
comte, nommé Thierri Vrankesone, et furent de nouveau punis
d’une amende de vingt mille livres (17 septembre 1281). Ce se-
cond épisode révolutionnaire est connu dans l’histoire sous le
nom de Morlemay , sans doute d’après le cri de ralliement des
révoltés h
A Poperinghe aussi, à Douai, à Tournai, les ouvriers en laine
se soulevèrent. Dans la dernière de ces villes , leur chef, nom-
mé Roussian li Kos, fut écartelé et pendu en 1281 1 2 *. Tous ces
mouvements insurrectionnels, qui datent des aimées 1280 et
suivantes, s’influencèrent l’un l’autre et eurent des ramifications
ui loin. Ce qui le prouve, c’est qu’à Middelbourg le comte au-
torisa les échevins à bannir les artisans et nommément les tis-
serands et les foulons 5, et que cette époque abonde en mesures
restrictives adoptées à l’égard des métiers.
m.
La plus grande partie des contrées qui s’étendent entre Aix-la-
Chapelle et Cologne formaient jadis un comté qui empruntait son
nom à sa capitale, Juliers. Voisin des domaines de rarchevêque de
1 Warnliônig , Histoire de la Flandre , t. IV.
2 Li Muisis, dans De Smet, Corpus Chronicorum Flandriae , t. II, p. 170.
5 15 mars 1281. Van Mieris, 1. 1, p. 434.
( 408 )
Cologne, dont le chef y exerçait l’autorité spirituelle, ce petit État
ne vécut longtemps que d’une vie sans éclat. Mais, au treizième
siècle, ses maîtres essayèrent d’agrandir leur puissance, en pro-
fitant des luttes que les archevêques de Cologne eurent constam-
ment à soutenir, tantôt contre l’autorité impériale, tantôt contre
les princes leurs vassaux, ou contre les bourgeois de leur ca-
pitale.
Tour à tour vainqueurs ou vaincus, les comtes virent leurs
États s’arrondir et se morceler, selon que le sort des combats leur
fut favorable ou funeste. L’archevêque Conrad, après avoir été
leur prisonnier, leur imposa, le 1er février 1254, un traité désa-
vantageux. Vers l’an 1270, les nombreux échecs éprouvés par le
prélat Engelbert leur avait rendu une influence considérable,
qu’ils perdirent encore, mais pour quelque temps seulement.
Leur conduite dans la ville d'Aix paraît avoir été la source de
leurs malheurs. Ils y étaient avoués inférieurs ou écoutètes, et en
cette qualité c’était à eux de présider le tribunal royal de cette
ville ou tribunal des échevins, et de convoquer les plaids géné-
raux des personnes soumises à cette juridiction, plaid que l’on
désignait sous le nom de Voitdinghe (pour Voigtgedinghé) l.
Lorsque le couronnement du roi Rodolphe sembla promettre aux
contrées du bas Rhin une nouvelle ère de tranquillité, ce qui
leur avait fait défaut depuis plus de trente années, les Aixois de-
mandèrent une confirmation de leurs privilèges 2 3 et obtinrent
une charte pleine de menaces contre ceux qui les spolieraient ou
les attaqueraient 5. Le comte, de son côté, devint le vassal du
roi pour les châteaux de Lydeberg , de Kastere et de Woring
ou Woeringen , qu'il tenait auparavant comme une propriété
libre 4.
1 Voyez une sentence portée à Aix, le jour des octaves de l’Épiphanie , en
1 2G9. Quix , Codex . p 157.
2 Veille des SS. Simon et Jude, 1273. Ibidem , p. 139.
3 Charte de Rodolphe, datée de Haguenau, le 20 février 1273. Ibidem,
p. 140.
4 Charte du même, donnée à Cologne, le 24 novembre 1273. Kremer,
t. III, Urkunden, p. 141.
K
( 109 )
La tranquillité fut lente à reparaître et les Aixois multiplièrent
leurs négociations. Ils se créèrent ou s’achetèrent partout des
protecteurs. L’archevêque de Cologne, Sifroi, le successeur d’En-
gelBert, s’engagea à les défendre, particulièrement dans la contrée
qui s’étend entre le Rhin et la Meuse, et depuis Andernach jus-
qu'à Neuss, le long du premier de ces fleuves; de Liège à Rure-
monde, le long des rives du second. Lui et les bourgeois devaient,
dans ces limites, se secourir mutuellement contre leurs ennemis
quels qu’ils fussent, le roi des Romains excepté L Le duc de
Limbourg prit également rengagement de s’armer contre les mal-
faiteurs qui désolaient les chemins allant de la Meuse au Khin et
dont la garde lui était confiée par une concession des empereurs;
par contre, ceux d’Aix étaient tenus, quand ils guerroieraient avec
le duc, de fournir à ses cavaliers des vivres, de la boisson et du
fourrage, et de 1 indemniser s’il souffrait quelque dommage; le
duc, moyennant le payement d’une somme de cinq cents marcs
et d’une rente de cent marcs, renonça aussi au tonlieu qu’il le-
vait à tort sur les Aixois 2. Enfin, pour une somme égale et pour
une rente de trente marcs, le sire de Fauquemont leur vendit
encore une exemption des tonlieux qu’il avait exigés d’eux, au mé-
pris des édits des empereurs, et sa protection contre leurs enne-
mis, ses suzerains et quelques-uns de ses amis exceptés 5.
L’archevcque de Cologne mit également à profit la courte
période de paix qui s’écoula après son élection pour raffermir la
domination de son siège métropolitain et s’assurer des alliés.
Plus politique que son prédécesseur, il pardonna aux Colonais,
en vertu de l’autorité que lui avait donnée le pape, la captivité
d’Engelbcrt et leur alliance avec Je comte de Juliers 4. Puis il se
confédéra successivement avec le duc de Limbourg5, avec le comte
8 14 juin 1275. Ernst , t. VI , p. 290. — Quix , Codex, p. 150.
2 Août 1275. Quix , p. 146.
5 Dimanche après les octaves de saint Mathieu , septembre 1275. Ernst,
t. VI, p. 526.
4 2 juin 1275. Lacomblet, t. Il , p. 575. Le 5, il leur confirma leurs privi-
lèges et leurs coutumes. Idem, l. c.
5 24 août 1275, à Neuss. Lacomblet , t. Il , p. 595.
( HO )
de Juliers *, avec le comte de Hollande Telle était à cette époque
l’influence des bourgeoisies que l’on voit cinq bourgeois de Co-
logne figurer parmi les arbitres choisis par le prélat et par le
comte de Juliers, à côté de trois ecclésiastiques, du sénéchal de
Rhinberg et de trois autres nobles; deux d’entre eux, il est vrai,
étaient chevaliers.
Les négociations dont ces arbitres étaient chargés n’aboutirent
pas; une rupture éclata entre l’archevêque et le comte. Dès l’année
1276, le pape Innocent V invoqua, contre ce dernier, l’autorité
du roi Rodolphe. Le duc de Brabant essaya de s’interposer entre
Sifroi et Guillaume; il chargea, mais en vain, du soin de proposer
une trêve le sire de Bautersem, et Wolfard, chevalier de l’ordre
teutonique, à qui Sifroi donna le même mandat (17 février 1277 ).
Quelques jours après, l’archevêque écrivit aux villes de Louvain
et de Bruxelles 5. Après les avoir informées qu’il voulait , à l’imita-
tion de scs prédécesseurs, assurer à leurs habitants et aux autres
marchands étrangers paix et tranquillité, il les informe que le
comte de Juliers , qu’il gratifie du titre de « protecteur public des
brigands et des voleurs 1 2 * 4 », a attaqué l’archevêché et l’église de Co-
logne, incendié, dévasté et ravagé leurs domaines, massacré leurs
sujets, sans respect pour le sexe ni pour l’âge, et, « ce qui est
absolument déraisonnable », envahi et dépouillé à main armée un
monastère de l’ordre de Citeaux. Afin d’établir la vérité de ses allé-
gations, Sifroi avait consenti à accepter pour juge le duc de Bra-
bant, à cause de son amour pour la paix. Mais les efforts de ses
deux envoyés n’ayant pu vaincre l’obstination du comte, l’archevè-
que priait les villes du Brabant de le remercier en son nom de
1 17 mars 1276, à Neuss. Lacomblet, t. II, p. 408.
2 11 avril 1276. Saint-Génois , les pairies du Hainaut , 1. 1 , p 198. Dans
ce traité on trouve une stipulation singulière : Quand Sifroi ira au secours du
comte, celui-ci devra venir à sa rencontre jusqu’à Emmerich.
5 Judicibus, scabinis , consulibus et universis burgensibus Lovanien-
sibus , Bruxellensibus et aliorum oppidorum. Le mot de consuls, usité dans
les villes rhénanes, traduit celui de juré ( gesworen ), plus en usage en Bra-
bant.
4 Praedonum et latronum publicus defensor.
( 1H )
son intervention et leur renouvelait l’assurance formelle de son
attachement à leurs intérêts L
C’est alors que Jean Ier confirma le pacte conclu par ses prédé-
cesseurs avec l’église de Cologne. Il reconnut que l’alliance de
Sifroi « pouvait considérablement lui venir en aide dans certains
embarras » et promit de l’aider contre tous ses ennemis , quels
qu’ils fussent2. L’archevêque se confédéra encore avec douze autres
seigneurs, tandis que, de son coté, Guillaume de Juliers se coali-
sait, à Deutz , avec trente-cinq comtes et seigneurs, contre le prélat
et contre tout autre, sauf le roi, qui attaquerait l’un d’entre eux.
Simon, évêque de Paderborn, tuteur du seigneur de la Lippe;
Henri, landgrave de Hesse; Guillaume, comte de Juliers, et Guil-
laume, son fils aîné; Adolphe, comte de Berg; Henri de Windeck,
son frère; Godefroid de Seyne, Othon, comte de Nassau; Engel-
bert, comte de la Marck; Godefroid, son fils; Godefroid d’Arns-
bergh, Louis, son fils; Tbierri Loef de Clèves, Henri et Jean de
Spanheim, Henri, comte de Kessele; Guillaume de Salm, Henri de
Virnembourg, Frédéric de Rietbergh, Othon de Teklembourg,
Tbierri, comte de Limpourg ou de Lim bourg sur la Lenne; Tbierri
d’Heymersbergh ou Heynsberch, Henri d’Ysenburch, Gerlac et
Louis, ses fils; les deux Bertokl de Buren, Frédéric de Ryferscheyt
et Henri, son frère; Waleram, sire de Fauquemont; Rupert de
Virnembourg, Othon de Waldeck, Simon de La Lippe et Othon de
Wikerode formaient cette confédération redoutable 3.
Mais la commune d’Aix se prononça de la manière la plus solen-
nelle en faveur de la ligue brabançonne-colonaise; elle déclara par
l’organe de ses magistrats : juges, échcvins, consuls, maîtres des
citoyens, que les dues de Brabant avaient été depuis un temps im-
mémorial et devaient être son avoué supérieur, après le roi ou em-
pereur 4.
5 Cette lettre est datée de Legonich (Lechenich) , le 7 des calendes de mars
ou 23 février, mais sans indication d’année ( Cartulaire de Brabant B., f° 58).
Elle ne peut être postérieure à l’année 1277.
2 31 mars 1277. Lacomblet, t. 11 , p 409. — Willems, Van Heelu, p. 401.
5 7 avril 1277. Kremer, 1. 111, Urkunden, p. 150. — Ernst, t. IV, p. 334.
4 50 mai 1277. Quix , p. 451. — Butkens, 1. 1, p. 290, et Preuves , pp. 108 et
109 ; — De Dynter, p. 432.
(112)
Cette manifestation fut sans doute ee qui détermina le comte de
Julicrs à tenter de surprendre une ville, dont l’inimitié lui était
préjudiciable au plus haut degré et où il croyait avoir le droit de
gouverner, grâce à son titre de sous-avoué. Il était déjà en grand
désaccord avec les habitants 1 , soit, selon les uns, parce que le
roi lui avait hypothéqué Aix, pour faire face aux frais de son
couronnement, et qu’il ne pouvait s’y faire obéir 2 *; soit, comme
le disent d’autres, à cause d’une prétention qu’il élevait sur le
Scapulenbosch, qu’il maintenait lui avoir été cédé en gage, avec
la sous-avoucrie, par le roi Richard Ce qu’il y a de certain, c’est
que le comte avait des partisans dans Aix, et qu’il comptait sur
leur concours pour y rétablir son autorité.
Pendant la nuit de Sainte-Gertrude, du 16 au 17 mars 1277-
1278, à la tète de trois cent soixante huit chevaliers 4 et autres
nobles, il entra dans la ville par une porte que ses complices lui
avaient ouverte. Il s’avança sans résistance jusqu’à la grand’place,
où il comptait être rejoint par ses partisans au cri de : Juliers,
Juliers-JYotre-Dame. Il se vit au contraire assailli par les bour-
geois, qui avaient couru aux armes. Un combat à outrance s’en-
gagea; enfin, accablé par le nombre et ayant perdu presque tous
1 Chronicon Sampetr. Erfiirl., dans Menckenius, Scriptores rerum Ger-
manicarum, t. III, p. 271. — Gesta archiepiscoporum Trevirensium, § 271,
dans Martene, A mplissima collectio, 1. IV, p. 556.
2 Ollocarede Horneck, Rerum Auslriacarum , c. 280, dans les Scriptores
rerum Austriae de Pez, t. III, p. 254.
8 Petrus a Beck, Aquisgranum, p. 121; — les habitants soutenaient, au
contraire, que le roi Richard leur avait engagé ce bois pour la somme de
sept cents marcs.
-1 Ou trois cents, selon les G esta Trevirorum integra (t. II, p. 119) , où
l’heure de l’attaque est fixée à neuf heures , sans ajouter si c’est du matin ou
du soir. Le passage suivant contient des erreurs que nous croyons inutiles de
relever: Cornes Juliaccnsis , dum ad expeditionem régis Romanorum se
praepararet et ad civitatem Aquensem usque pervenisset , et exactionem ,
qaam ci rex Rodulphus ordinaverai , a civibus exiger et, subito lile exor ta,
suadente pestifero consilio , cum duobus liber is suis, ducentis militibus ac
fere mille aliis hominibus ante ecclesiam Deatae Virginis est occis us {Hislo-
riae Australis pars plenior, apud Ficher).
( 113 )
les siens, l’infortuné comte chercha à sc sauver dans le cou-
vent des Dames blanches, et déjà il en approchait lorsqu’il fut
tué avec son fils aine et un ou deux de ses bâtards, par des bou-
chers, qui ne l’avaient pas reconnu h Waleram de Fauquemont
avait essayé de le détourner de son projet, en lui rappelant le
triste résultat de l’entreprise semblable tentée à Cologne par son
père Thierri de Fauquemont et par le due de Limbourg, puis,
voyant ses conseils repoussés, avait refusé de suivre le comte à
une mort certaine
Le désastre de Guillaume de Juliers causa une si grande joie à
l'archevêque de Cologne, qu’en actions de grâces de ce mémorable
événement , il moula à l’autel dans sa cathédrale et entonna l in-
troït de la messe de Saint-Pierre aux liens : « Je sais maintenant
» que le seigneur a envoyé son ange et m’a délivré de la puissance
» d Ilérode. » Vaillamment soutenu par les Colonais 5, il entra à
main armée dans le pays de Juliers, délit, le 21 mars 4, scs enne-
mis qu’il accabla par le nombre, prit l’ancienne résidence du comte
défunt et en renversa le château de fond en comble. 11 força en-
suite les autres places fortes du comté 1 2 3, excepté les châteaux de
jNidecken et de Ilambach ou Ilengebach, et lit démolir les fortifi-
cations de plusieurs d’entre elles, tandis qu’il abandonnait les
campagnes à la rapacité des siens, et cela, disait-il, pour venger
les trois ans et demi de captivité que le comte Guillaume avait
fait essuyer à son prédécesseur G.
Dès le 4 avril 1277, l’avoué Anselme, les éehevins, les consuls,
les maîtres jurés et les autres habitants de Duren, lui prêtèrent
1 Annales Novesienses dans Marient; , Amplissima collectio , t. IV, p. 575,
— Baudouin de Ninove, dans Hugo, Annales’ Prœmonstratenses , t. II , p. 188.
— Vieille chronique de Cologne , l'° 238 v°. — Joannes à Leydis, Chronicon
Belgicum , p. 200. — Quix. t. Il , p. 48.
2 Hocsem , apud Ghapeauville , /. c., c. XI.
3 De Dynter, p. 454.
1 Chronicon archiepiscoporum Coloniensium , publiée par M. de Wurdl-
wein, et cilée par Ernst, t. IV, pp. 539 et 540.
3 Duren et vingt-cinq forteresses, suivant la Magnum Chronicon l'elgicum.
G Levold à Norlhof , Chronicon comitum de MarUa.
Tome Xîll.
8
( H* )
serment et promirent de lui obéir, comme ils l’avaient fait jus-
que-là au comte de Juliers 1 ; les habitants de Sintzig se mirent
sous sa protection et obtinrent, à ce prix, la confirmation de leurs
anciens droits 2.
La conduite de l’archevêque mécontenta au plus haut degré le
duc de Limbourg, qui , dans le but de venger la maison de Ju-
liers, entra dans la coalition contre le prélat, en même temps que
les comtes de Luxembourg, de Clèves, de Gueldre, de Looz, les
sires de Born, de Heynsberg, etc. Ces princes reconquirent une
grande partie du comté de Juliers, se jetèrent sur l’archevêché, où
ils mirent tout à feu et à sang, et ravagèrent le territoire d’Aix-la-
Chapelle, dont les habitants eurent énormément à souffrir. Ils ne
purent cependant emporter Zulpich, dont Sifroi les força à lever
le siège, et bientôt une diversion puissante vint en aide au belli-
queux prélat.
Pour punir des seigneurs^ limbourgeois qui avaient pillé des
marchands du Brabant, le duc Jean apparut sur le théâtre de la
guerre 3, accompagné des comtes de Flandre et d’Artois. Si l’on
s’en rapportait à un auteur autrichien 4, dont les expressions sont
ridicules à force d’être exagérées, l’armée ducale aurait été réelle-
ment formidable. « Le duc de Brabant, dit-il, son gendre le comte
» de Flandre et vingt autres grands comtes réunirent une armée
» immense et d’une force inconnue jusqu’à notre temps {comme
» en témoignent des lettres qui furent adressées au roi Rodolphe ,
» et que nous avons vues, nous et plusieurs autres). A la tète de
» 1,200,000 hommes [duodecies cenlum milita), ils s’avancèrent
» jusqu’à Cologne, mais leurs desseins n’étaient connus que de
» quatre d’entre eux. Ils ne tentèrent aucune entreprise et retour-
» lièrent chez eux. »
5 Lacomblet, t. il, p. 415.
2 Acte donné in castris apud Bonnam, le vendredi après saint Géréon ,
en 1277. Kremer, t. 111, Urkunden, p. 152.
3 Van Heelu, 1. I, v. 1005. — Les Annales Colmarienses placent celle
expédition en 1276, et Butkens, en 1277. — Voyez Ernst, t. IV, p. 541.
* Historiae Australis pars plenior, ad. ann. 1278 , dans Freher, Renan
Gernianicarum scriplores , 1. 1, p. 474.
1 113 )
Les historiens brabançons sont plus explicites au sujet de cette
démonstration. La ville de Bois-le-Duc avait eu à se plaindre des
torts que causait à son commerce le sire de Heusden ; le drossard
de Brabant parut immédiatement sous les murs de ce château et,
d’un autre côté, le comte de Hollande se prépara à entrer en cam-
pagne; mais Jean Ier, averti du danger de son lieutenant, rassembla
une armée si forte que les ennemis se dispersèrent, « comme des
oiseaux à l’approche de lépervier», et on lui livra, sans tenter
une résistance inutile, la seigneurie et la forteresse de Heusden,
qu’il restitua depuis à leur possesseur h Le duc remonta ensuite la
Meuse jusqu’à Kessel, puis alla traverser ce fleuve à Maestricht.
La force de son armée inspira une si grande terreur que ni le
comte de Clèves, ni aucun autre prince n’osa lui résister, et ce fut
sans rencontrer d’obstacles qu’il assiégea, prit et détruisit le châ-
teau de lthinberg ou Rimbourg, près de Rolduc, appartenant au
sire de Mulrepas, drossard de Limbourg.
Au mois d’août 1279, la paix se conclut entre les différents
princes belligérants. Par rentremise des comtes de Flandre et de
Luxembourg, le duc de Brabant se réconcilia avec le duc de Lim-
bourg, pour lequel le comte de Luxembourg, les sires de Durbuy
et de Fauqucmont se portèrent garants 1 2. Le jour précédent, le
comte de Gueldre reconnut que le comte de Clèves devait mille
huit cent vingt livres de Louvain à des sujets de Jean Ier et s’en-
gagea, en son nom, à payer cette somme sur le produit du tonlieu
de Lobbede 3.
Afin d’assurer au commerce la sécurité qui lui est nécessaire,
le duc de Brabant, l’archevêque Sifroi et les comtes de Gueldre et
de Clèves conclurent, à Wanken ou Wanckum, près de Venloo,
un traité qui devait durer trois ans. Ils se promirent de pour-
1 L'attaque de Heusden était une hostilité contre le comte de Clèves, de qui
la terre de Heusden était tenue en fief. Ce n’est qu’à la fin du treizième siècle,
paraît-il , que les seigneurs de Heusden relevèrent la ville de ce nom des
comtes de Hollande. Voir dans Van Mieris, t. I, pp. 505 et 564, deux actes,
l’un du 51 mai 1290, l’autre du 1er février 1295.
2 8 août 1279, Butkens, t. 1, p. 292, et Preuves, pp. 111 et 112.
5 7 août 1279. Willems , Van Heela, p. 404.
( lie )
suivre de commun accord tous ceux qui spolieraient, maltraite-
raient ou emprisonneraient qui que ce fût entre la Dendre et le
Rhin et de forcer les coupables à indemniser leurs victimes et à
payer une amende aux quatre confédérés. L’archevêque et le comte
de Clèves renoncèrent au droit de conduite qu’ils percevaient, le
premier à Woeringen , à Urdingen et à Bercke ; le second, à Orsoy.
Le comte de Gueldre promit de se contenter de son tonlieu habi-
tuel. Le péage illégal que le duc de Limbourg levait à Duysbourg
et les droits excessifs que Henri de Lecke exigeait à Smith usen de-
vaient être, le premier aboli, les derniers, réduits à leur ancien
taux, et, dans ce but, les quatre alliés convinrent d’employer au
besoin la force. Tout prince, laïque ou ecclésiastique, tout noble,
toute cité du pays borné d’un côté par la Dendre, de l’autre par
le Rhin, pouvait entrer dans la coalition, mais seulement avec le
consentement des quatre contractants. Toutefois, les deux comtes
étant en querelle avec les villes d’Aix et de Cologne, ne voulurent
pas les admettre dans la paix avant de s’être réconciliées avec
elles L
Peu de temps après, le comte de Seync parvint à conclure, à
Pinsheim, près de Lechenich, un accord entre l’archevêque de
Cologne, d’une part, le duc de Limbourg et la maison de Juliers,
d’autre part. Celle-ci avait alors pour chefs la comtesse Richarde,
et ses fds : Waleram, prévôt d’Aix; Othon, prévôt de Maestricht,
et Gérard. La comtesse et ses fils résignèrent entre les mains de
Sifroi la propriété de la ville de Zulpich et du territoire qui en
dépendait, jusqu’aux quatre pierres les plus voisines, ainsi que
celle du château de Lydeberg. Les bourgeois de Zulpich furent
exemptés de se rendre aux plaids qui se tenaient sur le Sehifel-
berg; les deniers censaux et le droit nommé Pelenze devaient
se lever dans cette ville au profit de l’archevêque, à qui on re-
connut le droit de la fortifier. A Lvdeben?, Sifroi fut autorisé à
détruire la nouvelle ville (novum oppidum] fondée près du château
et à en combler les fossés. La famille de Juliers obtint la faculté de
1 28 août 1279. Willëms , Y an Heelu , p. 404. — Ernst, l. IV, p. 544, et
t. VI, p. 298. — Laeomblet , t. 11 , p. 428.
( H7 )
réédifier Castere et Nidecken, mais à la condition de tenir celle
dernière forteresse en fief de rarchevêché, comme cela se prati-
quait du temps de Philippe de Heynsberg (vers l’an 1180). Les
citoyens de Cologne et les autres alliés du prélat furent compris
dans le traité, mais non les Aixois, avee lesquels le comte de
Seyne promit d’entrer en négociations, et que l’archevêque se ré-
serva la faculté de secourir L
Au commencement de l’année 1280, le duc Jean revint dans
Fentre-Meuse et Rhin. Il se trouvait, le lundi de Pâques, 22 avril 1 2,
à Daelhem, où des députés d’Aix, au nom des juges, des éehevins,
des consuls, des maîtres des citoyens de cette résidence royale
vinrent encore une fois le reconnaître, lui et ses descendants, pour
les hauts avoués de leur cité, comme l’avaient été ses ancêtres, et
promirent de l'assister dans toutes ses querelles, sauf contre le roi.
En compensation , le duc et son allié, l’archevêque de Cologne,
leur assurèrent leur protection contre tous, dans tous les cas où
ils voudraient suivre leurs conseils et leurs ordres. Deux jours
après, Jean 1er renouvela en particulier cette promesse 3.
Ce ne fut qu’à la fin de l’été que se scella, avec le consente-
ment de Henri de Gueldre, ex-évêque de Liège, de Renaud, comte
de Gueldre et duc de Limbourg, des princes luxembourgeois, du
comte de Looz, des sires de Fauquemont, d’IJeynsberg et d’Oyc,
l’acte de réconciliation des Aixois et de la maison de Juliers. Les
bourgeois consentirent à payer quinze mille mares anglo- bra-
bançons et à fonder quatre autels dotés d’un revenu annuel de
dix livres sterling pour l’âme du comte Guillaume. En retour, la
comtesse et ses trois fils, tant en leur nom qu’au nom des enfants
de Guillaume le Jeune, prêtèrent le serment à'Urvede ou de rc-
1 14 octobre 1279.Kremer, t. III, Urkunden, p. 155. — Ernst, t. IV, p. 546,
et t. VI, p. 300. — Lacomblet, t. II, p. 429.
2 Le Crastinum resurrectionis disent Miræus, Opéra diplomatica, t. I ,
p. 208, et De Dynter, p. 432.
3 Le mercredi après Pâques. Quix, pp. 150 et 151. — Butkens, t. I, p. 293 ,
et Preuves, pp. 112 et 113. — Ernst , t. IV, p 351 , note 5. — Le duc de Brabant
se déclara encore en 1282 (à Aix, la veille de saint Marc l’évangéliste) l’avoué
et le protecteur des Aixois. Quix, p 156. — De Dynter, p. 432,
( II» )
nonciation à toute vengeance et le firent prêter h leurs vassaux et
autres sujets. Ceux qui, de part et d’autre, avaient perdu des
biens, y furent rétablis, et les prisonniers recouvrèrent la liberté,
à la seule condition de jurer le traité. On n’exclut de cet accord
que le chevalier Jean Schefart de Rode (ou Mérode) , je ne sais
pour quelle raison l.
Pendant les années suivantes, il se passa dans la maison de Ju-
liers des incidents que l’on ne peut s’expliquer. Guillaume le Jeune
avait laissé des enfants, entre autres, le célèbre prévôt de Maes-
tricht, Guillaume de Juliers, dont le courage se signala maintes fois
pendant l’héroïque lutte des Flamands contre Philippe le Bel, roi
de France, et qui disparut mystérieusement, à la fin de la bataille
de Mons en Puelle. Le comté de Juliers n’échut pas à cet héritier
direct; son oncle Waleram le gouverna avec le simple titre de
prévôt d’Aix et ne s’intitula comte qu’ après la journée de Woerin-
gen. Son neveu ne se montra pas satisfait des arrangements que
l’on avait pris au sujet du patrimoine de son aïeul ; c’est pourquoi,
en 1289, nous voyons le sire de Fauquemont promettre au comte
de Flandre de contribuer à faire rendre justice au jeune Guillaume
de Juliers 2.
Sifroi victorieux s’occupa sans relâche de l’affermissement de
son autorité. A sa demande, les chapitres de sa capitale reconnu-
rent que leur déclaration de l’année J 207, contre son prédécesseur,
leur avait été extorquée par la violence 5, et le « noble homme »
Jean d’Arberg (ou Arenberg), son vassal, lui vendit le burggraviat
de Cologne, pour la somme de six cents marcs 4. Ses entreprises et
ses acquisitions l’obligèrent à contracter pour deux mille marcs de
dettes, mais il sortit de ses embarras en abandonnant temporaire-
ment la gestion de ses revenus à l’écolâtre de la cathédrale, au
' Traité conclu à Schônau, près d’Aix, le 20 septembre 1280. Kremer,
t. III, Urkunden, p. 162.— Bondam, p. 648.— Ernst, t. IV, p. 548, et t. VI,
p. 505. — Quix, p. 152.
2 Voyez Willems , Van Heelu , p. 482.
5 15 mai 1278.Lacomblet, t. II, p.422.
4 16 août 1279. Hamm, Burggraviatus Urbis Agrippinensis , p. 90. —
Securis ad radicem posita , p. 185. — Lacomblet , t. II, p. 426.
( H9 )
prévôt de Saint-Séverin, à son sénéchal Rupert, et à trois bour-
geois de Cologne h Après la conclusion de la paix dont nous
venons de parler, il conclut des traités d’alliance avec l’archevê-
que de Mayence ”J, avec le duc de Bavière, comte palatin du Rhin 5,
avec le duc de Brabant. Ce dernier devait aider le prélat entre la
Meuse et le Rhin, en aval de l’Ahr, et de même le prélat était
tenu de protéger entre les deux fleuves les frontières et les droits
du duc. Au besoin, Jean Ier s’obligea à fournir à Sifroi deux cents
cavaliers, qui, s’ils allaient combattre au delà du Rhin, serviraient
aux dépens de l’archevêque. Il fut stipulé que les deux princes se
partageraient par moitié la rançon des prisonniers et les frais
de construction et de garde des forteresses qu’ils bâtiraient dans
l’alleu de Saint-Pierre, c’est-à-dire dans les biens du chapitre de
Cologne 1 2 3 4.
Le duc recherchait avidement, à cette époque, l’occasion de
s’établir fortement dans le pays au delà de la Meuse, où il ne pos-
sédait encore que le comté de Daelhem, la tour de Wyck, près
de Maestricht, et l’avouerie d’Aix. C’est évidemment dans ce but
qu’il fit, en 1283, l’acquisition du duché de Limbourg et, en l’an-
née précédente, celle du château et de la terre de Kerpen, entre
Aix-la-Chapelle et Cologne, que Wenemar de Gimnich et Jeanne
sa femme avaient achetés à leur sœur Béatrix de Kerpen, peu de
temps auparavant [\ Comme l’attestent ses relations multipliées
1 3 décembre 1279. Lacomblet, t. II, p. 432.
2 23 avril 1281. Ibidem , p. 444.
3 22 septembre 1281. Ibidem , p. 446.
1 17 décembre 1282. Willems, Van Heelu , p. 411.
s Par un acte en date du 16 mai 1281, le roi Rodolphe confirma à We-
nemar la possession de ses châteaux. (Cartulaire de Brabant B , f° 8.) Après
l’achat fait par le duc, Béatrix éleva quelques réclamations, au sujet des-
quelles Jean Ier et le très -sage (vir sapienlissimus) Gér.ard, sire de Mar-
bais, furent reconnus pour arbitres et prononcèrent une sentence, la veille de
l’invention de la Sainte-Croix invincible (m crastino inventionis victoriosis-
simecrucis ) 1282 .Ibidem , f° 103. — Les lettres d’investiture accordées au duc
par Rodolphe portent la date du 11 février 1284. (Voyez Butkens, t. I, p. 302.
— De Dynter, t. II, p. 458. — > Opéra diplomatica, t. II, p. 951.) Les frères
Alexandre et Arnoul de Bewecswelt semblent s’être querellés avec le duc
( 120 )
avec les villes de Liège, d’Aix-la-Chapelle, de Cologne, notre due
avait surtout en vue la constitution d’un État dont les villes com-
mercantes et populeuses des contrées situées entre l’Escaut et le
Rhin auraient constitué la base, et dont la puissance devait néces-
sairement éclipser celle des souverainetés environnantes (Juliers,
Clèves, la Gueldre, etc.). Jean Ier étendit ses vues jusque sur Ni-
mègue, que le roi Philippe de Souabe avait donnée à son aïeul
Henri Ier en 1204, et qui depuis, en 1248, avait été engagée au
comte de Gueldre.
Le roi Rodolphe manifesta un instant l’intention de réunir cette
ville, ainsi que celle de Duysbourg, au domaine impérial; mais,
gagné probablement à prix d’argent, il ajourna la réalisation de
ses projets. L’engagère de Nimègue au comte de Gueldre fut pro-
longée de cinq années 1 , et la revendication de Duysbourg ren-
voyée à une autre époque 2. Cette dernière contestation apparaîtra
ravivée dans notre chapitre VIImc; quant à la première, elle fut
oubliée, à la fois, par l’Empire et le Brabant, et Nimègue ne cessa
plus d’appartenir à la Gueldre, dont elle constitua la véritable
capitale , la cité la plus importante.
Plaçons ici un épisode qui reproduisit dans d’autres conditions
et d’autres localités l’épisode du faux Baudouin. En 1 284, un paysan,
nommé Tile Kolup, propagea, d’abord dans le plus grand mystère
et sous le sceau du secret, puis de la façon la plus ostensible, le
bruit qu’il était le grand empereur Frédéric IL On le jeta en
prison, mais il persista dans ses dires. On l’exposa sur le marché
de Cologne, au haut d’un échafaud, la barbe rasée et la tète cou-
ronnée d’un diadème de la valeur d’une obole. Quoique accablé
d’insultes et d’outrages, il s’obstina a répéter : « Je suis le roi
Jean IPr, à propos du château de Kerpen. Ce sera à ce sujet qu’une réconcilia-
tion aura eu lieu entre eux {super reformatione pacis et concordiae). Le duc
leur paya cent marcs de deniers anglo- brabançons, dont il lui fut donné une
quittance scellée par Alexandre et par son oncle ( avunculus) , sire Wenemar
de Gimnich (vendredi avant la chaire de saint Pierre, en 1282. Cartulaire de
Brabant B , f° 21 ).
1 19 juin 1282. Bondam, Charterboekvan Gelderland , 1. 1, p. 677,
- Même jour. Lacomblet , t. II, p. 451. •
( *21 )
Frédéric L » Chassé comme insensé, il se rendit à Neuss, on les
habitants l’accueillirent avec les plus grands honneurs, le comblè-
rent de dons et refusèrent de le livrer à l’archevêque Sifroi, à qui
ils fermèrent les portes de leur ville. Haguenau, Colmar et d’au-
tres villes reconnurent également l'autorité du faux empereur. La
vanité de cet aventurier le perdit. Après avoir défendu au comte
de Hollande de continuer ses agressions contre la Frise2, et sommé
le roi Rodolphe de le reconnaître pour souverain légitime de l’em-
pire, il se mit en route vers Francfort, en annonçant l’intention
d’y convoquer une diète. Le malheureux fut pris à Wetzlar, par
l’archevêque Sifrid, qui ordonna de le brûler vif, comme con-
vaincu de fourberie et d’hérésie. A la demande de l’archevêque,
le roi Rodolphe, de l’avis de ses princes, déclara les habitants de
Neuss passibles de la même peine, et autorisa le prélat à leur ôter
ou à leur conserver, à son gré, leurs privilèges Mais le prélat,
alors en guerre avec Jean Ier, et peu certain déjà de la fidélité
des Coloriais , ne voulut pas s’aliéner, à ce qu’il semble, une ville
dont le dévouement avait toujours été acquis à lui et à ses prédé-
cesseurs.
Cet imposteur avait à peine rendu le dernier soupir qu’il en
parut un second, né, à ce qu’il disait lui-même, des cendres du
premier, après trois jours. Il avait promené ses folles prétentions
dans les villes de la Belgique, lorsqu’il fut pris à Gand, dans le
cimetière de Saint-Bavon, et jeté dans les fers par ordre du bailli
de Gand; délivré ensuite, il fut incarcéré de nouveau, et enfin
pendu , à Utrecht 4.
1 Rex moriar Fridericus.
2 Van Mieris , l. c., p. 495.
3 Gesta Trevirorum integra, t. I, p. 124. — Sentence du roi Rodolphe,
du 7 juillet 1285. Lacomblet, t. II, p. 478.
4 L’abbé Vande Putte, Annales abbatiae S. Pétri Blandiniensis , p. 21 ,
ad annum 1285.
( 122 )
CHAPITRE Y.
COMMENCEMENTS DE LA GUERRE POUR LE DUCHÉ DE LIMBOURG.
I.
Depuis la guerre d’Aix-la-Chapelle, les seigneurs d’entre la
Meuse et le Rhin, mais principalement ceux issus de la famille
ducale de Limbourg, nourrissaient une haine profonde pour le
souverain du Brabant. Leur animosité était si grande qu’elle écla-
tait jusque dans les tournois, où jadis ils aimaient à accompagner
Jean Ier en grand appareil, et où ils s’étaient acquis beaucoup de
gloire, en joutant, à sa suite, contre la chevalerie française.
Sur les limites du duché du Brabant et du comté de Looz , entre
la petite ville de Haelen et la bourgade de Herck, se trouvait alors
une bruyère « que Ton appelle communément werissal ; » ce
bien appartenait à l’église de Saint-Lambert à Liège, mais les
ducs de Brabant en avaient l’avouerie et à ce titre ils présidaient
aux combats simulés dont les seigneurs belges donnaient fré-
quemment le spectacle en cet endroit. Un jour les Limbourgeois
vinrent à une fête de ce genre en aussi grand nombre que possi-
ble, tant chevaliers qu’écuyers, et par familles entières. Le duc
de Brabant s’y rendit aussi, mais dans un simple but d’amuse-
ment. Il remarqua bientôt chez ses adversaires un appareil inac-
coutumé et, pour déjouer leurs projets, il lit dissoudre l’assem-
blée; toutefois, aussi généreux que brave et prudent, il indemnisa
Conon ou Conrad Werner, chevalier de la haute Allemagne, et
1 Voyez plus loin, chapitre IX.
( 1 25 )
d’autres étrangers, des dettes qu’ils avaient contractées afin de
pouvoir entreprendre leur voyage.
Cependant, entraîné par son goût excessif pour les tournois,
il ne manqua pas de se trouver à celui qui se tint bientôt après à
Sicgberg, au delà du Rhin. Les princes limbourgeois : les comtes
de Gueldre, de Luxembourg et de Clèves et le seigneur de Fau-
quemont, en étaient les tenants. Les libéralités du duc lui atta-
chèrent les chevaliers de la Westphalie et de l’Allemagne supé-
rieure, à la tète desquels il combattit les Limbourgeois, mais ses
nouveaux alliés furent presque tous désarçonnés. Comme le dit
Van Heelu, les chevaliers d’entre le Rhin et la Meuse, et princi-
palement les princes du sang de Limbourg, étaient considérés
comme les plus braves guerriers du royaume d’Allemagne. Si
Jean Ier parvint à rétablir le combat et à triompher, ce fut grâce
à sa bravoure, et grâce aussi au dévouement de son frère Gode-
froid, son infatigable compagnon d'armes , et au courage de ses
chevaliers brabançons *.
«*
Les deux partis eurent bientôt occasion d’entamer une lutte
plus sérieuse. La querelle au sujet de la mort du comte de Juliers
était à peine assoupie, qu’il s’en éleva une autre, où la vaillance et
la persévérance du duc Jean furent mises à de plus rudes épreuves.
Dès le commencement de l’année 1280, Waleram, duc de Lim-
bourg, avait laissé ses domaines à son enfant unique, Ermen-
garde, femme de Renaud, comte de Gueldre. L’époque de sa mort
et de l’avénement de ses héritiers au trône ducal est précisée par
la charte dans laquelle Renaud, se qualifiant de comte de Gueldre
et de duc de Limbourg, et sa femme Ermengarde énumèrent, en
les confirmant, les libertés de la vilie de Duysbourgi 2. Par malheur
i Van Heelu, v. 1189-1367.
^ 22 mars 1279-1280. Lacomblet , t. II, p. 433. — Ernst, t. IV, p. 334,
a établi que Waleram mourut entre le 14 octobre 1279 et le 11 mai 1280.
Waleram s’était successivement marié à Jutte ou Judith, tille de Thierri,
comte de Clèves, et de Mathilde de Dinslaken, qui mourut vers l’année 1275,
et à Cunégonde de Brandebourg. Van Spaen, t. IV, p. 326, et Ernst, t. IV,
p. 358, dotent celle-ci d’un second mari, Arnoul de Julémont. Mais leur opi-
nion ne s’étale que d’un acte mal interprété, à notre avis.
( m )
les deux époux ne devaient pas rester longtemps unis; nous di-
sons par malheur, car leur alliance, si elle avait subsisté et si
elle avait été féconde, aurait probablement été favorable aux deux
pays entre lesquels elle établissait de nouveaux liens. Le Lim-
bourget la Gueldre auraient formé un État qui pouvait encore se
développer, et dont la puissance assurait la tranquillité et la pros-
périté des contrées situées entre la Meuse et le Rhin Au contraire,
rattaché comme il le fut au Brabant, le Limbourg ne constitua
jamais qu’une annexe de ce dernier pays, annexe trop éloignée
pour être facilement défendue, entourée de trop de voisins puis-
sants, turbulents et jaloux, pour conserver un long repos.
Le 18 juin 1282 , le roi Rodolphe, en investissant Ermengardc
des fiefs qui lui étaient dévolus par la mort de son père, déclara
que si elle mourait avant Renaud, celui-ci jouirait, à titre viager,
de tout le patrimoine de sa femme. On prévoyait déjà, sans doute ,
la mort prématurée de la duchesse qui arriva, en effet, l’année
suivante, peut-être même en 1282, pendant que se préparait, à
Worms, l’acte dont nous venons de parler. Ermengarde fut ense-
velie au couvent de S’Gravendael, près de Goch, en Gueldre.
Aucun enfant n’étant né du mariage de Renaud et d’Ermen-
garde, la succession de cette princesse était ouverte, caria charte
impériale citée plus haut ne pouvait avoir qu’un effet temporaire;
elle ne portait aucune atteinte aux droits des autres membres de
la famille de Limbourg, qui comprenait trois branches princi-
pales, dont il convient de dire ici quelques mots.
Un frère aîné du duc Waleram de Limbourg, appelé Adolphe,
avait eu pour sa part dans l’héritage paternel le pays de Berg,
situé à l’est de Cologne et du Rhin; cette contrée n’avait pas,
comme le Limbourg, le titre de duché, mais elle était plus popu-
leuse, mieux cultivée, mieux située pour le commerce, et plus
richement dotée de villes et de monastères. Un fils d'Adolphe, du
même nom que lui, en avait hérité, et était, sans contestation,
l’héritier le plus direct de sa cousine Ermengarde.
Waleram III , duc de Limbourg , l’aïeul d’Adolphe Ier et de Wa-
leram, avait été marié deux fois. Sa première femme Cunégonde,
avait eu pour père, à ce qu’il semble, Gosuin, seigneur de Fau~
( 125 )
quemont, mort en 1214. La seconde, Ermesinde, veuve de Thi-
baud, comte de Bar, était l'unique héritière de Henri l’Aveugle,
comte de Namur, de Luxembourg et de Durbuy. Un instant on
vit la race de Limbourg dominer dans toute l’Ardennc, depuis les
portes de Metz et de Trêves jusqu’à celles de Maestricht et de
Ruremonde, sur les bords de la Moselle comme sur les rives de
l’Üurte et de la Rocr. Mais la féodalité donna cette fois encore une
preuve de son impuissance à rien constituer de durable. Les fils
de Waleram morcelèrent les Etats de leur père comme s’il s’était
agi de l’avoir d'un particulier; chacun eut son lot, et le fractionne-
ment qui s’opéra dans cette circonstance émietta les domaines
de la famille de Limbourg, au détriment de la branche aînée de
cette race. Des deux lils nés de Waleram et de Cunégonde, Lun,
Henri IV, obtint le duché de Limbourg; l’autre, Waleram, fut sei-
gneur de Fauqucmont. Deux autres de leurs frères, nés d’Ermc-
sinde , reçurent, le premier, le comté de Luxembourg, accru du
marquisat d’Arlon, qui fut alors démembré du Limbourg ; le se-
cond, le comté de Durbuy. Quant au comté de Namur, le premier
mari d'Ermcngarde en avait vainement , comme chacun sait, re-
vendiqué la possession.
Waleram le Long ou le Jeune, sire de Fauqucmont, fut un
guerrier redouté, ainsi que son père et presque tous ses descen-
dants. De lui naquirent Engelbert II, cet archevêque de Cologne
qui lutta si longtemps et si malheureusement contre les bourgeois
de sa ville métropolitaine, et Thierri, sire de Fauqucmont, qui,
toujours dévoué à la cause de son frère, fut fait prisonnier à
Cologne en 1205 ou 1264’, vaincu par les milices colonaises le 18
octobre 1267, et tué enfin dans l’attaque nocturne dirigée contre
Cologne, l’année suivante. Thierri laissa un héritage grevé de
dettes énormes à son fils Waleram, qui n'avait que seize ans à la
mort de son père. Comme celui-ci , Waleram se montra d'abord
le vassal dévoué du duc Jean Ier, mais plus tard il joua le rôle d’un
prince indépendant. On le vit maintes fois intervenir en qualité de
médiateur dans les querelles des princes belges. Après la mort du
comte de Juliers, il obtint du roi Rodolphe la sous-avouerie d’Aix-
la-Chapelle, qui lui assura une influence considérable dans la cité
( 126 )
de Charlemagne. Waleram, selon Hocsem, surpassait en beauté
tous les hommes de son temps; il en était aussi un des plus vail-
lants et des plus habiles. Après le comte de Berg, nul n’avait plus
de droits à hériter du Limbourg, mais il n’aftîclia jamais scs pré-
tentions, soit qu’il voulût s'effacer devant ses puissants parents,
les comtes de Luxembourg, soit qu'il tint à cœur de ne pas déjouer
les projets de Renaud de Gueldre, dont il avait épousé la sœur,
Philippine, dame de Susteren.
Les fds de Waleram de Limbourg et d Ermesinde commencèrent
une branche de la famille de Limbourg qui devait donner des
empereurs à l’Allemagne et à l’Italie, des rois à la Bohème, des
généraux renommés à la France. L’aîné, Henri, surnommé le
Blond, porta d’abord la qualification de sire de Durbuy, d’après la
seigneurie de ce nom, qu’il céda à son frère Gérard le 25 juin 1247.
En 1270, après la mort du roi saint Louis, devant Tunis, il prit
le commandement de l’armée chrétienne et remporta un brillant
succès sur les Sarrasins. Depuis un siècle, le comté de Namur
avait provoqué de sanglantes luttes entre les comtes de Flandre
et de Hainaut d’une part, et les deux époux et les descendants
d’Ermesinde, d'autre part. Pour terminer cette longue querelle,
on négocia le mariage de Guy de Dampierre avec une des sœurs de
Henri, Isabelle, et Henri lui-même consentit à prendre en fief de
son beau-frère, en l’année 1280, le château de Poilvaclie, près
de Dinant, qui avait été démembré du comté de Namur, soixante
ans auparavant. Henri le Blond ne vivait plus lorsque la guerre
du Limbourg commença. 11 avait laissé ses domaines à ses fils :
Henri, que l’on qualifia longtemps de sire de la Roche, et Wale-
ram, sire de Roussy, le fondateur de la branche de Luxembourg-
Ligny.
Les collatéraux de là maison de Limbourg n’hésitèrent pas à
faire valoir leurs droits. La dignité ducale tenta leur ambition et
ils entreprirent, pour s’en mettre en possession, une des guerres
les plus longues et les plus sanglantes dont l’histoire des Pays-Bas
au moyen âge présente le tableau.
Le comte de Berg, sans perdre de temps, s’adressa au duc de
Brabant. Le 5 août 1285, il lui envoya frère Erwin, commandeur
( 127 )
de l’ordre teutonique, et le chevalier Engelbert Russelpass, pour
lui demander l’investiture du fief que les ducs de Limbourg rele-
vaient de son duché. Cette démarche éveilla l’attention des autres
prétendants; les sires de Fauquemont et de Heynsberg, les comtes
de Luxembourg et de Juliers , qui étaient issus de la maison de
Limbourg, les uns par les hommes, les autres par les femmes,
commencèrent à débattre entre eux leurs droits respectifs. Ils
reconnurent pour arbitres les sires de Fauquemont et de Heyns-
berg et tous promirent, le 8 septembre, de prêter foi et hom-
mage à celui d’entre eux qui serait proclamé le plus proche
héritier d’Ermcngarde. Ils ne firent aucune mention du comte
Adolphe; si l’on en croit Yan Heelu, ce prince les avait invités
à se joindre à lui pour déposséder Renaud, et , de leur côté, ils
lui avaient demandé , sans succès , une part de la succession con-
testée.
Adolphe, prévoyant qu’il tenterait vainement de dissoudre une
ligue aussi redoutable, se décida à vendre ses droits, et, dans ce
but, il s’adressa au seul prince belge qui fut assez audacieux pour
braver des ennemis nombreux et assez puissant pour les vaincre.
Par donation entre vifs, et en considération du mariage projeté
(mais qui ne s’effectua pas) , entre la nièce d’Adolphe, Marguerite,
fille de Henri de Berg, sire de Windeck, et Godefroid, fils aîné
de Jean Ier, le comte, avec le consentement de ses frères, trans-
porta au duc de Brabant le duché de Limbourg, et tout ce qui en
dépendait (13 septembre) b Suivant les historiens du temps, celte
cession fut faite pour le prix de trente-deux mille marcs 1 2 3 *; on
sait, du moins, que Jean Ier paya successivement au comte, de
1283 à 1293, six mille vingt-cinq livres, plus quatre mille trois
cent quatre-vingt et un marcs 5.
1 Ernst, t. IV, p. 408; — Butkens, 1. 1, Preuves, p. HS. — Willems, Van
Heelu, p. 416. — Les fiancés moururent tous deux jeunes.
2 Gesta Henrici arch iepiscopi Trevirensis , § 275, dans Martene et Durand ,
t,. IV, p. 541. — Gesta Boëmundi archiepiscopi , Ibidem, p. 547. — Gesta Tre-
virorum , t. Tl , p 136.
3 Butkens, t. 1, Preuves , p. 115; — Ernst, t. IV, p. 412. — Cartulaire
de Brabant B. f° 114 v°.
( 128 )
Selon Van Heelu , le duc Jean , dont le comte de Gucldre était à
la lois le parent et le vassal, ne voulut pas rompre avec lui sans
tenter un accommodement. 11 l’invita, dit son panégyriste, à lui
faire connaître les conditions de son mariage et la nature des
droits qu’il croyait avoir sur le patrimoine de sa femme, offrant,
en cas de dissentiment entre eux, de porter la contestation devant
le tribunal du roi. Mais , ajoute le poète, le comte s’emporta et
rejeta les propositions de Jean I".
Les dissensions entre les prétendants au duché firent naître ou
favorisèrent la naissance de querelles entre les seigneurs du Lim-
bourg. Il y existait deux factions, dont la haine saisissait toutes les
occasions de se nuire mutuellement. C’étaient, d’une part, les
Scavedris ou Schaeffdriessche, et, d’autre part, les Mulrepas, à
qui s’étaient joints les Witthem, qui étaient cependant les parents
des premiers. Un événement fortuit ralluma leurs querelles.
Le due Renaud avait ôté la charge de sénéchal ou drossard du
Limbourg au chevalier Mulrepas pour la conférer au chef des
Schaeffdriessche, Conon ou Conrad Snabbe, sire de Lontzen ou
Loncin : il refusa, en outre, de payer aux Witthem une somme
qui leur était due. Aussi, dès que cette famille eut connaissance
de l’acquisition du duché par le duc Jean, elle se rangea de son
côté, et l’invita à entrer en armes dans le Limbourg. Le duc n’y
lit toutefois qu’une courte apparition et se borna à ravager et à
incendier quelques villages. Sa conduite lui aliéna plus d’un sei-
gneur du pays et eut pour résultat immédiat la formation d’une
grande ligue pour la défense de l’autorité de Renaud.
L’archevêque de Cologne, peu de temps auparavant, avait con-
tracté, avec Jean Ier, une alliance offensive et défensive contre
tous, sauf contre leur suzerain commun, le roi Rodolphe (22 jan-
vier 1282-1285); mais, par antipathie sans doute pour le comte de
Berg, qui venait de le forcer à démolir deux tours bâties près du
Rhin l, il se déclara contre le prince brabançon. Tandis qu'il lui
refusait l’investiture des fiefs mouvants de réalise de Cologne, il
1 Annales Novesienses , ad annum 1282, dans Martene et Durand, Am-
plissima collectio , l. IV, p. 576.
( 129 )
l’accorda au comte, non toutefois sans élever quelques difficultés
(traité conclu à Wannele, le 22 septembre 1285). On conclut, en
même temps, et cela en prétextant l’invasion faite dans le Lim-
bourg par le duc, une alliance offensive et défensive entre le
comte, rarchevèque et leurs alliés, contre Jean 1er, le comte de
Berg et leurs adhérents, en exceptant seulement le roi des Ro-
mains. « Aucun de nous, y est-il dit, ne fera de paix particulière,
» et celui qui violera cette convention sera regardé comme par-
» jure et comme un ennemi à qui nous ferons conjointement la
» guerre. Quelles que soient les chances des combats , nous reste-
» rons unis et nous ne nous séparerons jamais. » Le prélat, pour
mieux appuyer les efforts de son nouvel allié, lui fit une avance
de huit mille marcs, et reçut, en garantie du payement de cette
somme, la ville de Wassenberg.
L’archevêque et Renaud s’étaient déjà coalisés avec le comte de
Clèves ', à qui, deux mois après, Renaud céda les biens que son
beau-père avait possédés à Huinippe et à Ilunf, en déclarant
qu’après sa mort les biens qu’avaient acquis en commun Waleram
et sa première femme , Juttc de Clèves , écherraient à la famille de
cette dernière, pour autant que de droit (15 octobre 1285).
De son coté, le duc de Brabant resserra son alliance avec le
comte de Hollande et l’évêque de Liège. Pour mieux assurer les
liens qui Punissaient au premier, il renonça à l'hommage qui lui
était dù pour une partie de la Zuyd-Ilolland, à savoir pour la
contrée s’étendant au nord-est de la Zélande, entre l’Escaut et la
Meuse; en outre, il s’engagea à soutenir ce prince contre tous,
le roi Rodolphe et le comte de Flandre exceptés (10 octobre 1285).
A l’évêque de Liège, avec lequel il contracta le même engage-
ment dix jours après, et qui réclamait la propriété de Rolduc,.dc
Simpelvclt et d’autres localités, que ce prélat prétendait être échues
à son église par la mort de la dernière héritière directe, la prin-
cesse Ermengarcle, il promit de remettre ces biens lorsqu’il les
1 Le 11 août 1283 , à Neuss. — Le 26 février 1284, Sifroi donna en lief à
Thierri Luyf ou Loef de Clèves la forteresse de Brüche ou Grevenbroich , en
se réservant- la faculté de la racheter pour deux mille marcs. Fahne, Codex
diplomaticus Salnio-Rei/ferscheidanus , p. 49.
■ Tome XIII.
9
( 130 )
aurait conquis, à moins qu’il ne pût établir que ses droits étaient
mieux fondés que ceux de l’évêque.
Enfin , Jean Ier attira encore dans son parti un des princes
luxembourgeois : Gérard, sire de Durbuy. Il constitua en sa faveur
et en faveur de sa femme, Mathilde de Brabant, une rente de trois
cents livrées de terre (mercredi après la fête de Saint-Luc, en
1285), en remplacement de laquelle il leur céda, le 29 juin de
l’année suivante, le village de Mielens ou Melin, près de Jodoi-
gne, et ce qu’il possédait à l’Écluse, près de Tirlemont. Le ven-
dredi après les Pâques de 1285, il ajouta à cette seconde donation
celle d’une rente de deux cents livres. Par contre, Gérard fit aban-
don au duc de scs droits sur le Limbourg , et demanda au roi d’en
accorder l’inféodation à Henri, landgrave de Hesse, que le duc et
lui avaient choisi pour mandataire (24 janvier 1284-1285). Pour
mettre sa seigneurie à l’abri d’une saisie, il eut la précaution de
la céder, à titre d’engagère, au sire d’Agimont, qui en était encore
possesseur en 1 290 1 .
Ainsi, appuyé par deux puissants alliés, ayant dans ses inté-
rêts le sire de Durbuy, la ville d’Aix-la-Chapelle et plusieurs sei-
gneurs du pays voisin, pouvant compter sur l’aide, éloignée il est
vrai, du comte de Berg, du landgrave de Hesse et de maint autre
noble westphalien ou franconien, certain de ne pas être attaqué
par les Flamands ou les Hennuyers, Jean Ier ne recula pas devant
la lutte qui s’engageait. D’ailleurs, s'il comptait beaucoup d’en-
nemis, déclarés ou secrets, dans la chevalerie, les bourgeoisies lui
étaient dévouées. A Saint-Trond, à Maestricht, à Liège, à Aix-la-
Chapelle et même à Cologne, on désirait son triomphe. Sa victoire
devait garantir au commerce des communications faciles entre le
Rhin et la mer, et, en agrandissant ses possessions ultra-mosanes,
lui permettre de frapper plus facilement les tyrans féodaux qui y
pressuraient les marchands et les voyageurs.
Si l’autorité impériale avait conservé quelque force, elle aurait
évoqué l’affaire devant son tribunal et porté une décision; mais
Rodolphe de Habsbourg adopta le parti le plus facile, le moins
1 Bertholet , Histoire du duché de Luxembourg , t. VI , p. 40.
( 131 )
compromettant : il fit des promesses à tout le monde et évita soi-
gneusement de se prononcer.
Dès l’année 1282, sa politique tortueuse est facile à constater.
11 promet d’abord qu’il n’introduira aucun changement dans le
pays entre le Rhin et la Meuse , sans l’avis et le consentement du
comte de Gueldre, des enfants de Juliers, des seigneurs de Fau-
quemont et de Heynsberg *. Cette déclaration, et les faveurs que
Rodolphe accorda à cette époque à Renaud, attestent chez lui une
tendance marquée à favoriser le comte. Mais l’année suivante, la
chance tourne : c’est le compétiteur de Renaud qui est le préféré.
Rodolphe promet de défendre le duc fidèlement et toujours, contre
ceux qui insultent à ses droits, à ses honneurs et à ses titres; il
lui assigne une somme de trois mille marcs esterlings , pour laquelle
il lui engage toutes les rentes (ou revenus) de la monnaierie d’Aix;
enfin, il proclame que les droits jadis octroyés à ses prédéces-
seurs, et particulièrement au duc Henri 1er par le roi Philippe de
Souabe, sur la ville de Nimègue, sur la ville de Nivelles et sur
une redevance de soixante chariots de vin du Rhin , ne recevraient
aucun préjudice du silence que Jean Ier gardait à ce sujet, à la
réquisition du roi. Les trois actes dans lesquels ces concessions
sont spécifiées portent respectivement la date du 18, du 17 et du
10 février 1285. On semble y acheter le silence du duc; non-
seulement on se garde de le blesser, mais on cherche à prévenir
les réclamations qu’il pourrait élever.
Quand, plus tard, la guerre prit une tournure favorable à
Jean Ier, le comte de Berg informa ses vassaux, ministériels, châ-
telains ou gardes de château (castrenses) , fieffés et hommes du
duché de Limbourg, de la cession qu’il avait faite au duc de Bra-
bant, et pria le roi , ainsi que les autres seigneurs de qui relevaient
quelque tenure possédée par les ducs, d’en investir ce prince 2;
cette démarche fut encore inutile. Si Rodolphe s’occupa de la
question du Limbourg, ce fut sans esprit de suite et sans énergie.
1 Ernst, t. V, p. 279.
2 29 mai 1287. Bulkens, 1. 1, Preuves , pp. 115 et 116 (où cet acte porte
erronément la date de 1282). — Bondam, I. c., p. 670 (où la date est 1284,
également par erreur). — Voyez Ernst, t. IV, p. 409.
( 152 )
L'acte par lequel Cunégonde de Brandebourg, la seconde femme
du dernier due de Limbourg, transporte ses droits à Jean Ier, en
considération de la munificence que ce prince avait exercée à son
égard, date du même temps l.
II.
Le due de Brabant, ayant vainement tenté un rapprochement,
se décida à recourir à l’emploi de la force. En 1284, il entra dans
le pays de Fauquemont, et s’v empara du château de Limale, qu’il
fit raser 2. En ce moment, l’archevêque de Cologne, les comtes de
Gueldre, de Clèves, de Juliers, de Scyne, de Nassau, de Solms,
de Spanheim, de Salin, de Nuwenare, le duc de Lorraine, pres-
que tous les princes et seigneurs du pays entre la Meuse et le
Rhin, à la tête d'une armée considérable, s’approchèrent pour le
combattre. Jean 1er les attendit en ordre de bataille à Gulpen ou
Galoppe, sur la Geule, où il fut rejoint par l’évêque de Liège et
par le landgrave de Thuringe, ce dernier accompagné seulement
de six hommes. Les ennemis du duc s’avancèrent d’abord avec
beaucoup d’audace; mais le voyant prêt à les recevoir, ils hésitè-
rent à commencer l’attaque. Cependant le sang allait couler, quand
des frères mineurs, en courant d’une armée à l’autre, parvinrent
à ménager un accord, à faire reconnaître comme arbitres du dif-
férend les comtes de Flandre et de Ilainaut.
C’est à cette occasion que les annales du Brabant mentionnent
pour la première fois les milices des villes du duché. A Gulpen,
elles manifestèrent le plus vif enthousiasme et demandèrent la
bataille à grands cris. Le duc avait obtenu de ses sujets qu’ils cn-
1 15 avril 1288. Willems, Van Heelu, p. 456. — Le 9 juin 1292, le duc
Jean déclara avoir reçu du comte de Flandre cinq mille cinq cents livres
tournois, en payement de ce que réclamaient, à charge du comte de Gueldre
la duchesse de Limbourg et Àrnoul le jeune de Julémont. Ibidem , p. 557.
2 Selon Van Yellhem, p. 156, Limai dépendait de la seigneurie de Was-
senberg.
( 153 )
tretiendraient à leurs frais des troupes pour le soutenir dans la
querelle où il était engagé. 11 fut forcé d’imposer son au toril é
pour obliger les Brabançons à modérer leur ardeur b
La sentence portée par Guy de Dampierre fut, selon Van Ileelu ,
plus favorable au comte qu’au duc. Les comtes de Flandre et de
Iïainaut, sans rien stipuler au sujet des prétentions de Jean IPr.
reconnurent «à Renaud le droit de posséder le Limbourg aussi
longtemps qu'il vivrait. En attendant, le château du même nom
devait être confié à quatre chevaliers choisis par le comte de
Flandre (18 juillet). Les deux comtes décidèrent, le 51 du même
mois , que tous les alliés du duc seraient compris dans la paix, et
que les citoyens d’Aix-la-Chapelle y auraient part, pour toutes
les querelles nées de la guerre.
Le roi d’Angleterre, Edouard Ier, s’était efforcé, de son côté, de
hâter la réconciliation des princes belges. L’évêque de Dunelme
ou Durham, Jean de Vescy, Jean Lunetot et Thomas de Suding-
ton reçurent, le 20 juin, ordre d’aller de sa part agir en ce sens
auprès des princes belges. Leurs sollicitations amenèrent, entre
les comtes de Hollande et de Gueldre, la conclusion d’une trêve
qui devait durer un an, à partir du 15 août. Le roi Edouard fut
accepté pour médiateur, et l’examen de toutes les prises et extor-
sions, dont les deux princes avaient mutuellement à se plaindre,
remis à quatre arbitres qui pourraient s’en adjoindre un cin-
quième. Dans l’entretemps, on devait restituer les prisonniers,
rendre les biens confisqués, admettre à l'hommage les vassaux
qui auraient servi à la guerre le parti contraire 2.
• Maer die ghemeinle van Brabant
Moeste men met gliewout weren.
Soe coenlike wouden si striden gaen
Dat se moeste weder slaen
Die hertoge selve , met crachte
Eer lii se stille staende braehte
Tote dat die soene was ghesproken.
(Wii.lebs, Van Ileelu, 1. I, v. 1749 et suivants.)
2 Utrecht, le 9 août i284. Rymer, p. 234. — Bondam, p. 696. — Mieris, 1. 1 ,
p. 457. De cette époque doit dater la lettre par laquelle Renaud, se qualifiant
( 154 )
Mais ces négociations n’en empêchèrent pas d’autres, dont le
but était tout différent. Le jugement des arbitres avait, en effet,
déplu aux deux parties, et le duc de Brabant, notamment, se
plaignait de ce qu’ils avaient trop légèrement examiné la question.
Une rupture devint imminente. Le K» août 1284, le comte Re-
naud promit d’assister l'archevêque « ouvertement et puissam-
ment » (patenter et patenter J , de toutes ses forces et à ses frais,
pendant toute sa vie et à la première réquisition, contre tous, spé-
cialement contre Jean Ier, les comtes de Berg, de Windeke et de
la Marck. Le roi Rodolphe fut seul excepté. En outre, le comte
stipula que si le prélat guerroyait contre un de ses parents, au
deuxième ou au troisième degré, il se réservait le droit de prendre
connaissance de la querelle et de la décider, et si son parent ne
se soumettait pas à la sentence qu’il aurait rendue, de se joindre
à l’archevêque (acte daté de Vennebruck, le soir de l’Assomp-
tion ).
Afin de mieux défendre le duché de Limbourg, et particulière-
ment les châteaux et villes de Limbourg et de Rode ou Rolduc,
Renaud en confia la garde à Waleram de Luxembourg, en l’auto-
risant à conserver tout ce qu’il pourrait conquérir (à l’exception
toutefois des châteaux et villes), et à retenir les compositions et
amendes qui seraient payées par des étrangers non résidents dans
le duché. Par contre, il devait gouverner à ses dépens, sauf, en
cas d’insuffisance, à recourir au jugement de quatre arbitres, dont
l’un était Winand, maréchal du Limbourg. Le choix du fonction-
naire (ofjiciatusj chargé de percevoir les revenus, fut laissé au
comte (25 août).
De pareils préparatifs n’annonçaient pas des intentions paci-
fiques. En effet, la guerre ne tarda pas à se rallumer. Le séné-
chal du Limbourg, Conrad Snabbe, entra, le fer et le feu à la
main, dans le comté de Daelhem, appartenant au duc de Brabant.
de comte de Gueldre et de duc de Limbourg , promet au roi d’Angleterre de
maintenir l’accord conclu entre lui et le duc de Brabant, bien que ce dernier
n’en ait pas respecté les clauses, en retenant des prisonniers qui auraienl dù
être relâchés. Bulletins de la Commission royale d’histoire, IIme série, t. XI f ,
p. 40
{ 133 )
Mais le chevalier René de Visé, châtelain de Daelhem, le ren-
contra près de Warsage, le battit et le fit prisonnier avec plusieurs
des siens, que l’on conduisit à Genappe.
Le sire de Fauquemont ayant brûlé une maison aux portes de
Maestricht, les gens de métier de cette ville coururent aux armes,
saisirent leurs piques et leurs massues, et marchèrent à l’ennemi,
sous les ordres de Jean de Mille, écoutète nommé par l’évèque de
Liège. Au contraire, l’avoué Oger, sire de Haren 4, refusa de les
accompagner, et resta, avec d’autres cavaliers, à la porte de la
ville, sous le prétexte assez frivole de garder la cité, mais plutôt
afin d’abandonner à ses propres forces la petite bourgeoisie, dont
les prétentions croissantes causaient à cette époque un effroi
général. Un combat s’engagea et tourna au désavantage des bour-
geois, qui tombèrent presque tous, ainsi que leur chef, entre les
mains du sire de Fauquemont, Celui-ci tira grand profit de leur
rançon, comme le remarque naïvement le chantre de Jean Ier.
Le duc se bâta d’envoyer des renforts à Maestricht et à Aix-la-
Chapelle, pour mettre ces villes à l’abri d’une surprise. Sire We-
nemar de Gimnicb , seigneur de Hoogstraeten, l’un des meilleurs
capitaines de la chrétienté, prit à son tour l’offensive. Quelques
jours avant la Noël, il pénétra dans la seigneurie de Fauquemont,
qu’il parcourut dans tous les sens en y portant la dévastation ; il
conduisit ensuite ses troupes devant Rolduc, qu'il comptait em-
porter d’assaut, mais où il ne trouva que la mort.
Les princes confédérés, réunis à Neuss par les soins de l’arche-
vêque, résolurent de profiter de leurs succès, quelque médiocres
qu’ils fussent, pour tenter la prise de Maestricht, ou plutôt celle
deWyck; le pont qui ferme la communication entre ces deux
localités n’existant plus par suite d’une rupture, il devenait diffi-
cile de transporter une armée au delà de la Meuse. Jean Ier eut,
par bonheur, connaissance de ce projet, dont la réalisation lui
aurait été très-funeste; il s’empressa d’envoyer des troupes fraî-
* En 1318, le château de Ilaren , dont les châtelains causèrent de grands
torts à la ville de Maestricht, fut assiégé, pris et détruit par les milices de
l’évêché et de la cité de Liège. De Dynter, t, II, p 497.
( 1 56 )
clies à Maestrichty sous la conduite de Henri de Louvain et d’Ar-
noul, sire de Diest, et ees capitaines firent passer ce fleuve à leurs
soldats au moyen d’arbres, c’est-à-dife de radeaux. Lorsque les
alliés, arrivés sous les murs de Wyck au son des tambours et des
flûtes, livrèrent un rude assaut à ce faubourg, ils rencontrèrent
une résistance insurmontable. Le sire de Fauquemont, furieux,
se vengea sur le comté de Daelhcm, puis il courut incendier
Lommel , en Campine, où il pénétra par surprise.
Le duc de Brabant déploya bientôt une égale ardeur et une
égale inhumanité. La garnison de Hervé avait contribué à piller
le pays de Daelhem; elle fut attaquée par Jean Ier qui la força
dans son repaire, malgré les larges fossés et les palissades dont
elle avait entouré la ville, malgré les murs épais de la tour de
l’église, où elle s’était réfugiée. Le duc fit ensuite démolir cette
tour, puis réduisit en cendres la ville et les villages environnants.
L’hiver entier fut consacré à ces brigandages. Les alliés en vou-
laient surtout aux bourgeois d’Aix-la-Chapelle, qui depuis dix
années n’avaient cessé de rester fidèles au duc, leur protecteur,
et parmi lesquels on cite comme s’étant distingué par son atta-
chement à sa cause un particulier influent, nommé Seriveel ou
Serveel. Les confédérés ravagèrent cruellement les environs et
bloquèrent la cité si étroitement que la famine s’v fit sentir.
Toutefois, quelques barons du Brabant parvinrent à y introduire
un convoi, que Henri de Louvain, son frère Arnoul, sire de
Breda, les vaillants Berthout, le père et le fils; les sires de
Cuyck, de Diest, de Berlaer, de Heusden, de Rotselaer, de Wal-
hain, de Wesemael, à la tète de douze cents cavaliers, remirent
aux Aixois, qui étaient venus à leur rencontre.
Si Aix n’avait plus à craindre les ennemis du dehors, au dedans
des intrigues actives semaient des germes de mécontentement. Un
parti y maudissait la domination ducale; peut-être se composait-il
de la petite bourgeoisie, qui devait voir avec déplaisir l’union du
duc avec les patriciens de ces contrées. L’écoutètc organisa une
conspiration, en semant le bruit qu’elle aurait au besoin l’appui
du roi Rodolphe. Au jour désigné, le tocsin rassemble les bour-
geois; déjà ils se préparent à attaquer les Brabançons, lorsque
( 157 )
Louis, sire de Bautersem, s’élance au milieu d’eux et tue de sa
main leurs chefs, Tielman Yan Lenke et son gendre. Ce coup hardi
ayant décontenancé les conjurés, les soldats du duc les dissi-
pèrent facilement. L’écoulète se réfugia dans une église, avec
quelques-uns de ses partisans, et parvint ainsi à s’échapper. Qui
était cet écoutète? Les historiens ne le nomment pas, mais il
s’agit ici, encore une fois, du sire de Fauquemont, car la sous-
avouerie ou écoutèlerie constituait le même office. Peut-être ma-
chinait-il ces complots lorsqu’il signa la déclaration par laquelle
il promet au duc de Brabant qu’aussi longtemps qu’il posséderait
l’écoulèteric d’Aix, il maintiendrait les droits du duc dans cette
ville et il veillerait à l’observance des conventions conclues entre
lui et les bourgeois J.
Le duc ne réussit pas également à conserver le château de
Kerpen, dont il avait fait augmenter les fortifications. Les défen-
seurs de cette place, Jean Sccifaert de Mérode et Walter Van
Winde, furent contraints de l’abandonner, les assiégeants y ayant
mis le feu au moyen d’une machine construite expressément pour
ce siège. Par les ordres de l’archevêque Sifrid, Kerpen fut démoli
de fond en comble. Walter ayant été pris, fut forcé de payer une
rançon considérable. Le prix de ses meubles ne suffît pas pour
le libérer, et comme il restait redevable de cent soixante-quinze
livres de Louvain, il se présenta devant le maire, les hommes de
fief et les échevins de Tirlemont, pour obtenir l’autorisation
d’aliéner son patrimoine, ce qui lui fut accordé, mais à la con-
dition d’acquérir d’autres biens tenus en fief du duc, si celui-ci
lui accordait quelque grâce 1 2.
Au commencement de l’été, les alliés entreprirent le siège
d’Aix-la-Chapelle, après avoir détruit une tour d’église à Berge
et Horen, et vaincu les bourgeois. Leur but était de forcer le
duc à entrer en campagne. Celui-ci rassembla, en effet, toutes ses
1 2 mars 1284-1285. Le 10 novembre 1284, Waleram de Fauquemont,
sans doute afin de se concilier les Aixois, leur avait confirmé l’exemption de
tonlieux qu’il leur avait accordée neuf années auparavant. Ernst, t. IV, p. 446,
et t. VI , p. 526. — Quix, p. 156.
2 Acte du mois de mai 1287. Cartv taire rte Brabant B, f° 104 v°.
( 158 )
forces, et passa la Meuse à Maestricht, à la tête d’une armée où
figuraient quelques nobles hollandais et plusieurs princes français,
notamment le comte de Bourgogne, Othon dit Ottenin; Hugues,
comte d’ A vallon, frère du duc de Bourgogne; Hugues, comte de
la Marche et d’Angoulême; Jean, comte de Soissons; Guy, comte
de Saint-Pol; Jean, comte de Vendôme; Gauthier, seigneur de
Châtillon ; Mathieu, seigneur de Montmorency; Maurice, sire de
Craon, etc. Les alliés ayant reçu des renforts, se dirigèrent vers
Galoppe, où ils campèrent à l’endroit où les deux armées s’étaient
déjà rencontrées, l’année précédente.
Une bataille était imminente lorsque survint le connétable de
France, Raoul de Clermont, sire de Nesle, qui, au nom du roi,
son souverain, parvint à négocier une trêve. Si l’on en croit Van
Heelu, le duc et le comte Renaud plaidèrent alors leur cause de-
vant les rois de France et d’Angleterre, mais bien que le bon droit
du duc eût été établi à l’évidence, les deux monarques ne purent
influencer le comte Renaud, qui refusa obstinément de renoncer
à ses prétentions.
Le duc avait promis au roi de France de l’accompagner dans
son expédition en Aragon; avant de partir, il résolut de frapper
un coup terrible sur scs ennemis. Une irruption qu’il fit en Guel-
dre fut si désastreuse, que dans tout le pays situé entre le Bom-
melerweert et Weenle ou Venloo, il ne resta pas une seule maison.
Après avoir défait les Gueldrois près de cette dernière localité,
Jean Ier entra , bannières déployées, dans l'archevêché de Cologne,
qu’il traita avec la même barbarie. Scs troupes répandirent la ter-
reur depuis Frieslieim jusqu’à Blaetseem ou Blatsheim, et péné-
trèrent jusqu’à Lechenich. Il revint enfin sur ses pas , puis il
partit pour la France, laissant le gouvernement de ses États à
Walter Bertbout, sire de Malines. Chacun fut étonné de le voir
s’éloigner, car il n’avait conclu ni trêve ni paix avec les princes, si
nombreux, qui lui portaient la haine la plus vive.
( )
III.
Les hostilités ne tardèrent pas à recommeneer; aussitôt après
le départ du due, le comte de Luxembourg entra le premier en
campagne, et força le château de Fraipont, que le châtelain René
de Visé reprit peu de temps après. Informé de eette levée de bou-
cliers, le sire de Cuyck porta le ravage dans la Gueldre. Pour en
tirer vengeance, Renaud investit la ville de Tcn-Grave ou Grave,
qui avait été entourée de palissades et de fossés par le sire de
Cuyclv. Mais le régent du Brabant, Walter Berthout, envoya au
secours de celui-ci son fils Walter et le seigneur de Bréda, Arnoul
de Louvain , et le comte fut obligé de se retirer.
Au retour du duc 1 * * 4, la guerre reprit avec plus de vigueur.
Parmi les prisonniers qu’il avait refusé d’élargir se trouvait le
chef de la faction des Schafdriesscbe , Conon ou Conrad Snabbe,
sire de Lontzen, dont le fils chéri, comme ce dernier l’appelle
dans une charte du 20 juin 1289, Henri Snabbe, était resté en
possession des châteaux de Lontzen , de Herve, de Sprimont et de
Libois. Sommé par le gouverneur du Limbourg, Waleram, sire
de Roussy, de lui livrer ees forteresses, Henri ne voulut pas se
dessaisir de gages aussi précieux. Waleram vint assiéger Lontzen;
1 Jean Ier était déjà de retour à Bruxelles le 11 novembre 1285. Van Mieris,
t. I, p. 465. — Avec le mois de décembre 1285 commence le Compte de
l’amman de Bruxelles , Henri Lenken, qui va jusqu’à Pâques 1286-1287, et
qui est rempli de particularités curieuses. Le samedi avant la Saint-Nicaise,
le duc était à Anvers et manda à ses écuyers ( armigeri ) de se rassembler à
Moll. Quelque temps après, le samedi après la Saint-Thomas, les chevaliers
et les écuyers du Brabant reçurent l’ordre de suivre le duc à Oosterwyck. Le
samedi après la Purification, Jean 1er se trouvait en Hollande, où il reçut des
lettres de son receveur, Walter Volcart.
Notre prince partit ensuite pour Courtrai (où il était le vendredi avant les
Rameaux) ; lorsqu’il en revint , l’amman de Bruxelles et les maires qui lui
étaient subordonnés allèrent à sa rencontre, à Ninove; les écuyers qui les ac-
compagnaient dépensèrent dans cette ville (le lundi après les Rameaux), douze
livres trois sous.
( 140 )
mais déjà Conon Snabbe avait ouvert des négociations avec les
conseillers du duc, et ce dernier, à peine arrivé à Bruxelles, en
partit pour marcher contre le sire de Roussy. Lontzen fut déblo-
qué et ses seigneurs se réconcilièrent avec Jean Ier, à qui ils pro-
mirent fidélité et dévouement b
Peu de temps après, le comte de Gueldre se rapprocha intime-
ment du comte de Flandre, Guy de Dampierre. Celle des filles de
ce prince qui était unie à Jean Ier étant morte, les liens qui unis-
saient les deux princes avaient perdu toute vigueur, et Guy, que
l’on voit sans cesse à l'affût de toutes les occasions de placer ou
d’enrichir ses enfants, ne se fit aucun scrupule de choisir pour
gendre l’ennemi déclaré de son ancien gendre. Marguerite de
Flandre avait été fiancée une première fois à Alexandre, fils du
t
roi d’Ecosse du même nom, mais elle était devenue veuve presque
aussitôt 1 2.
On allégua, pour motiver le second mariage de Marguerite, un
prétexte assez singulier, la nécessité de mettre fin aux guerres et
aux discordes qui divisaient les habitants de la Flandre et de la
Gueldre. Guy n’avait d’autre but que de se ménageries moyens de
parvenir à la possession du Limbourg. Alors, par l’étendue de scs
domaines, par le nombre de ses alliances, il eut véritablement do-
miné toute la Belgique. Déjà possesseur de la Flandre et du Namu-
rois, maître en perspective du Limbourg , ayant un de ses fils
1 Jean Ier ne prit pas un moment de repos ; le mardi après les Rameaux, il
fit écrire au seigneur de Bréda, à la dame de Grimberghe, à Rumpst; à Henri
de Moerseke, au sire d’Assche, à la dame de Gaesbeek, à la châtelaine de
Bruxelles, à Walter d’Enghien, à Gérard d’Aa, à l’abbé de Gembloux, au
bailli de Nivelles, à l’écoutèle d’Anvers. Tous les maires de l’ammanie reçu-
rent l’ordre d’inviter les chevaliers et écuyers de leur juridiction à se trouver
à Maestricht, le jour de la Cène (ou Jeudi-Saint). L’amman Lenken assista à
« l’expédition devant Loncin, » à la tête de cinq chevaliers et cent trente-trois
écuyers, à qui il paya deux cent cinquante-six livres douze sous neuf deniers.
Le samedi après la fêle de l’invention de la Sainte-Croix, le duc était encore à
Maestricht.
2 Le roi Alexandre avait assigné à sa bru, au mois de décembre 1281 , à
titre de douaire, une rente annuelle de quinze cents marcs esterlings. Jules de
Saint-Génois, p. 95.
( 141 )
assis sur le siège épiscopal de Liège, comptant de nombreux par-
tisans dans le Hainaut, il rêvait une vieillesse pleine de grandeur,
sans prévoir les calamités qui allaient assaillir ses peuples, sa
longue captivité dans les prisons du Louvre, et les journées san-
glantes de Courtrai et de Mons en Puelle.
Par un bref en date du 4 février 1 286 , le pape Honorius IV
autorisa le doyen et archidiacre de Gand à accorder à Renaud et
à Marguerite les dispenses nécessaires pour contracter mariage,
dispenses qui furent en effet délivrées, le 4 mai suivant b Le con-
trat nuptial fut signé le 21 avril, lors des fiançailles, qui eurent
lieu à Namur, par-devant 1 évêque de Liège. Le comte de Flandre
donna à sa fille trente mille livres tournois, en échange du douaire
de Marguerite en Ecosse. Renaud promit d’assigner celte somme
sur des biens valant trois mille livres par an , à savoir : Rure-
monde, Venloo, les châteaux de Crikenbeke et de Breeinpt et le
castrum de Kessele 1 2, qu’elle devait posséder sa vie durant, sans
(pie Renaud pût les aliéner ou les hypothéquer, et à la condition
que si elle mourait sans laisser d’enfants nés du comte, celui-ci
ou ses héritiers en pourraient reprendre possession, en payant la
même somme de trente mille livres. Renaud déclara, en outre,
donnera sa femme quatre mille livrées de terre, c'est-à-dire des
terres produisant un revenu de quatre mille livres; s’il lui sur-
vivait, ces biens lui resteraient sa vie durant; si, au contraire, il
mourait le premier, Marguerite et, après elle, ses héritiers, en
seraient les possesseurs légitimes. Renaud s’engagea à accomplir
ces conditions, sous peine d’une amende de vingt mille marcs de
Liège, dont les sires de Montjoie (ou Fauquemont), de Born, de
llorncs, de Borclo ou Borckcloo, de Bronchorst, de Batcnbourg,
de Gennep, de Riembeke, de Iveppele, etc., se portèrent cautions.
L’archevêque Sifroi, dont ce mariage secondait les vues politi-
ques, permit à Renaud d’assurer à Marguerite, « quand il aurait
» dormi avec elle », une rente de quatre mille livres de Louvain,
1 Jules de Saint-Génois, p.qi9.
2 La prisée de ses biens , et de quelques autres biens à Rode et à Erkel, se
trouve aux Archives de la Flandre orientale Voyez Jules de Saint-Génois,
p. 125.
( 142 )
de petite monnaie, assignée sur les fiefs que le comte tenait de
son église.
Les noces eurent lieu au château de Namur, le 5 juillet 1286.
Le lendemain, suivant la vieille coutume germanique, Renaud
donna à sa jeune femme la ville d Arnhem et ses dépendances,
en morghengabe, c’est-à-dire comme don du matin. Puis, « ayant
emprunté une pièce de terre, » il s’y rendit avec plusieurs de
ses vassaux, entre autres, les sires de Fauquemont et de Born,
et Guillaume de Bronchorst; là il investit Marguerite des biens
sur lesquels était assuré son douaire. Ce ne fut que le 28 no-
vembre suivant que, par acte daté du château de Gueldre, il lui
assigna, à Gueldre et à Goeh, les quatre mille livrées de terre
dont il a été question plus haut L
Mais, pendant que son rival s’oubliait dans les fêtes, Jean 1er
ne cessait ni de négocier, ni d armer. Au mois de mai 1280, il fit
un voyage à Paris, où on lui adressa, le jeudi avant la fête de la
Division des Apôtres, des lettres du sire de Malines et du sénéchal,
et, le samedi suivant, des lettres du sire de Liedekerke. Walter
Berthout avait de nouveau reçu le gouvernement du pays. Le ven-
dredi avant la Sainte-Marie-Madeleine, il convoqua à Cortenberg les
chevaliers et les écuyers de l’ammanie de Bruxelles, et des lettres
appelèrent les dames de Gaesbeek et de Grimberghe, le sire
d’Assche, Gérard d'Aa , le châtelain de Bruxelles, à concourir à
une expédition sur laquelle on n’a pas de détail. Un des princi-
paux soins de notre duc avait été de resserrer son alliance avec le
comte de Hollande. Le il novembre 1285, il lui promit de ne pas
assister les seigneurs d’Amstel, ces éternels fauteurs de troubles,
et il s’engagea aussi à faire exécuter par les habitants d'Utrecht
les conventions qu’ils avaient conclues avec le comte 1 2. Mais le
premier de ces engagements avait également été pris par les
comtes de Gueldre et de Clèves; Florent était donc encore en
bonnes relations avec eux. Ce ne fut que l’année suivante qu’il se
1 Jules de Saint-Génois, pp. 93,123 et suiv. — De lteiffenberg, Monuments ,
1. 1, pp. 208 et 214
2 Van Mieris, Charterboek , t. 1 , pp. 462 et 463.
( 145 )
rapprocha du duc. Les deux princes se virent à Tholen 1 2 * 4, le
24 septembre, et là ils arrêtèrent les bases d’une alliance plus
étroite. Ils convinrent de partager à l’amiable les profits qu’ils
avaient retirés ou qu’ils retireraient de la guerre, soit par les
contributions militaires, soit par les compositions pour la déli-
vrance des prisonniers. Iis stipulèrent aussi un partage égal des
conquêtes qui seraient faites et des dépenses nécessitées pour la
construction de forteresses dans les pays conquis. Aucun d’eux ne
devait conclure séparément la paix avec le comte de Gueldre, et,
en cas de mort de ce prince, sans lignée, le comte de Hollande
devait obtenir la moitié des fiefs qu’il relevait du Brabant.
Ce traité fut conclu, suivant toute apparence, en vue de sauver
la ville de Thiel, possession brabançonne importante, mais d’une
défense difficile; le duc l’avait fait entourer d’une enceinte de pa-
lissades, et il en avait confié la garde au sire de Cuyck, qui de là
dévastait les campagnes environnantes* Le comte de Gueldre,
ayant voulu arrêter ces déprédations, en vint aux mains avec le
sire de Cuyck, qui se fiait peu à la force des remparts de Thiel.
Quoiqu’elles eussent été renforcées par le seigneur de Heusden, les
troupes brabançonnes, inférieures en nombre, allaient succomber,
lorsque la victoire fut décidée en leur faveur par l’arrivée de Jean
Uutenhove, à la tète des guerriers de Brcda. Le sire de Bueren,
Alard, sire de Driele; les chevaliers Walter de Soelen, Rodolphe
de Haegt, Henri et Adolphe De Cock furent, entre autres, faits pri-
sonniers; le vainqueur ne revint pas à Thiel; il marcha vers Grave,
contre laquelle on dirigeait alors, à ce qu’il semble, une attaque -.
Le comte de Gueldre ayant renoncé à l’hommage qu’il devait
au Brabant pour la partie de ses États qui s’étend entre la Meuse
et le Rhin, ou, comme le disent les anciens historiens, le Veluwe,
le Thielreweert et le Bommclerweert, Jean Ier en avait immédia-
tement prononcé la confiscation. Après son alliance avec le comte
1 Iule, Van Mieris, t. I, p. 465; et non pas Thyl, comme le dit Willems,
p. 445, ni surtout pas Thiel, comme Van Mieris le suppose.
2 Le mardi avant l’Assomption, trente arbalétriers et vingt écuyers parti-
rent pour aller rejoindre le sire de Cuyck à Graine ; les premiers reçurent une
indemnité de vingt-trois livres cinq sous; les seconds, vingt livres seize sous.
( 144 )
de Hollande, il résolut de tenter la conquête de ces cantons, afin
d’assurer la sécurité de la ville de Thiel, qui se trouvait au milieu
des domaines de son ennemi. Florent s’était engagé à lui fournir
des bateaux pour passer la Meuse; cependant Jean Ier, arrivé à
Oisterwyck, ne trouva rien de prêt, et, sans le zèle du chevalier
Vastaert ou Faslré Van Ghiscnc, il aurait dû renoncer à son en-
treprise. A l'aide de quelques chaloupes que Fastré réunit, il
effectua ce passage, et vainquit et prit le chevalier Gérard de
Rothem, qui, à la tête d’une troupe de paysans, essaya de l’ar-
rêter.
Le comte Renaud, ayant avec lui l’archevêque de Cologne, le
comte de Luxembourg et le sire de Roussy, occupait le Thielre-
weert, de l’autre coté du Walial. Passer ce fleuve en leur présence
eût été téméraire, et cependant il fallait s’ouvrir le chemin de
Thiel. Jean Ier offrit à ses ennemis l’alternative de traverser libre-
ment le Walial ou de lui laisser effectuer ce passage, afin qu’on
pût finir la guerre par une bataille. Mais les alliés n’eurent garde
d’accepter cette proposition. Renaud, profitant de l’avantage de
sa position, profitant aussi de l’inaction du comte Florent, qui
aurait dû tenter une diversion en faveur du duc !, laissa quelques
troupes pour faire face aux Brabançons et marcha contre Thiel.
Cette ville, assaillie avec fureur, fut emportée, saccagée et livrée
aux flammes. F rançon de Wangc, Jean Uutenhove, Jean De Cock,
Gilles, fils naturel du duc Henri 111, et Paul de ürogene ou Dron-
gene y tombèrent entre les mains des vainqueurs 2.
1 Des tentations furent faites, vers la fin de celle année, pour moyenner
un accord entre les comtes de Gueldre et de Hollande. Voyez à ce sujet un acte
du 14 octobre 1:286, qui se trouve dans Van Mieris, t 1, p. 466.
2 Le samedi après l’Assomption , des messagers allèrent avertir l’abbé de
Gembloux, le bailli de Nivelles, le maire de Tirlemont, le châtelain de
Bruxelles, Henri de Moerseke, le sire d’Assche et Jean son oncle, et Daniel
de Bouchout. D'autres coururent à Gaesbeek , à Enghien , à Gorroy-le-Ghàteau ,
où se trouvait le comte de Vianden ; à Ninove, où était la dame de Grim-
berghe; pendant que tous les maires recevaient l’ordre de presser l’armement
de leurs subordonnés. Le mardi avant les octaves de l’Assomption, l’amman
de Bruxelles partit pour Oosterwyck et Waelwyck, où il dépensa, pour lui et
les chevaliers et écuyers de sa troupe, quatre-vingt-quinze livres quarante-
( 143 )
Jean 1er, affligé de 11’avoir pu empêcher ce désastre, quitta le
Bommclreweert, après avoir fortifié le château de Driele G De
son coté Renaud remonta la Meuse jusqu’à Ruremonde, où il
trouva son nouveau beau-père, le comte Guy. Enivrés de leurs
succès, lui et ses alliés passèrent la Meuse et vinrent investir
Maestricht, où commandaient les sires de Wesemael et de Wal-
hain. Le duc ne leur laissa pas le temps de poursuivre leur entre-
prise. Traversant avec rapidité toute la Campine, il vint camper
dans la plaine qui s’étend entre Moll et Meerhout, sur les limites
du comté de Looz 2; là il fut rejoint par plusieurs de ses amis,
quatre deniers. Le lundi après la saint Barthélemy, l’armée brabançonne se
réunit de nouveau. Les écoutètes d’Anvers et de Bois-le-Duc et le bailli de
Nivelles sont avertis qu’une expédition se prépare. Walter d’Enghien, sire
Nicolas de Barbançon , la châtelaine de Bruxelles, qui séjournait alors à Cas-
teleir, à Marbais; la dame de Grimberghe, qui était à Londerzeel; le sire
d’Assche, Gérard d’Aa , alors à Pollaer; Henri de Moerseke, les ofïiciers du
seigneur de Herstal , la dame de Buggcnhout, reçoivent des lettres du duc.
Le vendredi avant la Nativité de Notre-Dame, Henri de Melbroec et Gosuin
son parent accompagnent sire Egide de Coekelberghe à Thiel , où se rendent
aussi douze arbalétriers, tandis que trente écuyers suivent le duc à Ooster-
wyek. La crainte d’une attaque contre le Brabant lit appeler à Tirlemont des
chevaliers et des écuyers, mais un contre-ordre leur arriva immédiatement,
puis on leur enjoignit d’aller à Bois-le-Duc. Le mardi après la Nativité,
Jean Ier se trouvait dans cette dernière ville , où il reçut des lettres de la ville
de Bruges, mais le vendredi suivant, il avait pénétré dans le Bommclre-
weert, où lui arriva un message de sire Égide Berthout. L’amman de
Bruxelles l’y accompagna avec quelques chevaliers et deux -cent trente
écuyers , à qui on paya soixante et onze livres douze sous.
1 Le samedi après la fête de saint Denis, treize sous furent payés à quinze
charpentiers qui avaient été envoyés à Driele. Les prisonniers faits à celte
occasion n'arrivèrent au cœur du Brabant que plus tard. Vers la saint Luc,
on envoya les maires pour les escorter (ut accédant contra caplos de Drile );
puis le lendemain de la saint André, on en conduisit vingt-deux de Malines
à Bruxelles, où on les logea chez Godefroid Abecoy. Six d’entre eux furent
reconduits à Lierre, quatre envoyés à Genappe, dix-huit reconduits de nou-
veau à Lierre, dans trois chariots et sous l’escorte de six écuyers; six conduits
à Genappe par Abecoy. Ils furent renvoyés vers le commencement de l’année
suivante. (Compte cité.)
2 L’ordre de l’amman de Bruxelles à ses mayeurs de faire réunir à Moll
Tome XIII. 10
( 146 )
tant français qu’allemands : le comte de Bourgogne, les fils du
comte de Saint- Fol, le comte de Wildenouwc, Sifrid, sire de
Roncke-le; les sires de Walbode, de Grevenstein, etc.
Peu soucieux d’en venir aux mains avec un adversaire aussi
actif que courageux, ses ennemis s’empressèrent de repasser la
Meuse à Stockem. Ils assiégèrent en vain Witthem, puis Lontzen,
que Gérard, vicomte de Meuselinge, défendit vaillamment contre
eux pendant quarante jours. Déjà Jean Ier était à leur poursuite.
A la nouvelle qu'il arrivait de Maestricht, ils se séparèrent comme
une troupe d’oiseaux timides se disperse à l’approche du faucon :
le comte de Flandre partit pour Namur, le comte de Gueldre
pour Nuwerstat ou Neustadt, près de Buremonde; l’archevêque
de Cologne pour Wassenberg, le comte de Luxembourg pour Lim-
bourg h
Le duc profita de sa supériorité momentanée pour étendre son
autorité dans le Limbourg. Il prit les châteaux de Reimérsdaele 2,
de Sineke ou Sinnich, de Woude, de Wilgenru ou Wilhenru. Il
alla ensuite déployer ses bannières devant Limbourg , où se trou-
vait la jeune comtesse de Gueldre. Un engagement très-vif eut
lieu entre ses soldats et la garnison, postée sur la rive gauche de
leurs subordonnés, fut expédié le jour de saint Michel (28 septembre); un
espion ( speculator ) partit pour Maestricht et un autre, peu de jours après,
alla au delà de la Meuse.
1 Le jeudi après la saint Denis, le duc se trouvait encore à Bêckevoirt,
près de Diest; l’expédition au delà delà Meuse se fit sans doute vers la saint
Luc (en octobre). Des messagers allèrent avertir le châtelain de Bruxelles et
plusieurs chevaliers hollandais, et appelèrent le peuple aux armes, par l’inter-
médiaire des maires. Trois jours après , une sommation semblable fut adressée
au sire de Gaesbeek et d’Àssche, au châtelain (de nouveau), à la dame de
Grimberghe (pour l’armement de ses vassaux), et envoyée aussi à Eygenc
et à Meerbeek. L’amman de Bruxelles dépensa dans l’expédition qui eut lieu
alors la somme de trente-six livres.
2 L’amman de Bruxelles eut un cheval tué à Reimarsdale; on le lui paya
soixante-dix livres. Compte cité, ad finem. Ce siège n’eut peut-être lieu que
vers le jour des Cendres, en 1286-1287, car le jeudi suivant des lettres du
sénéchal furent expédiées par les soins de l’amman à tous les maires pour leur
enjoindre de préparer rarmement de leurs subordonnés.
. ( H7 )
la Vesdre; celle-ci s'étant repliée sur le château , le duc fit mettre
le feu au faubourg, c’est-à-dire à la ville basse, aussi appelée Dol-
hain. Enfin, fatigué d’une campagne qui n’avait présenté que
des marches, il retourna en Brabant, vers le commencement de
l’hiver de l’année 1286 b
La retraite des alliés devant Lontzen avait eu un grand reten-
tissement dans le pays, les princes du sang de Limbourg n’ayant
pas coutume, dit Van Heelu, de fuir à l’approche de l’ennemi. Le
comte de Luxembourg, pour effacer cette tache, fit fortifier
l’église de Sprimont, afin de bloquer le château de ce village. Il
était loin de prévoir que le duc de Brabant braverait, pour secou-
rir cette placé, les rigueurs de la mauvaise saison. En effet, ce
prince arriva bientôt, à la tête d’un corps de cavaliers qui avaient
attaché à leurs selles des vivres pour eux et leurs chevaux. Les
deux cents hommes qui occupaient l’église de Sprimont prirent
d’abord la fuite, mais Henri, bâtard de Luxembourg, les rallia et
les conduisit à l’ennemi, avec des troupes qu’il avait réunies dans
le pays de Stavelot et aux environs. Les Brabançons le trouvèrent
occupant les abords d’Aywaille, sur les rives de l’Huwelghe ou
Amblève. Sans s’arrêter, ils lancent leurs chevaux dans la rivière,
abordent les Ardennais avec impétuosité, en tuent une centaine
et mettent les autres en fuite, Aywaille fut brûlé, l’église de
Sprimont détruite, et le duc, après avoir ravitaillé le château
au moyen de provisions amenées de Daelhem, reprit une seconde
fois le chemin du Brabant 1 2.
1 Le vendredi après la saint Nicolas (décembre), on paya douze livres cinq
sous aux écuyers qui avaient accompagné le sire de Wesemale à Maestricht
et dans la chevauchée vers Homborch. Un rassemblement d’écuyers à Tirle-
mont, sous les ordres du sénéchal, s’était effectué en vertu d’un message
adressé aux maires la veille de la saint André (28 novembre)
2 Cette expédition de Sprimont eut lieu vers la fête de l’Epiphanie , en 1286-
1287. Le jeudi après cette fête, des messagers portèrent des lettres du duc
au bailli de Nivelles, à Walter d’Enghien, à la dame de Buggenhout, à sire
Arnoul d’Yssche, au châtelain de Bruxelles, à sire Henri de Moerseke, à la
dame de Grimberghe et à sire Egide Berthout; des messagers allèrent encore
trouver la dame de Grimberghe à Rumpst et avertir tous les maires de se
mettre en marche avec tous les écuyers. Une somme de soixante-cinq livres
( 148 )
Remarquons, et notons ici comme un adoucissement apporté
aux maux de la guerre, une convention qui assura une sécurité
complète à tous le pays traversé par la Meuse, depuis Maestricht
jusqu’à Grave. Elle fut conclue, le 51 octobre 1280, par le sire de
Cuyck, agissant au nom du duc. 11 ne pouvait être fait d invasion
en Gueldre hors du pays de Cuyck, la ville de Grave excepté, et,
par contre, le comte de Gueldre ne pouvait entrer en Brabant
par les pays de Cuyck, de Kessel et de Rolduc. Dans le cas où le
due ne voudrait plus observer cet accord, le sire de Cuyck devait
en donner avis, quatre jours à l'avance, à Kessel.
11 se fit, à cette époque, de grands changements dans le Lim-
bourg. Guy en devint, en quelque sorte, le maître, son agent
dévoué, le sire de Fauquemont, en ayant obtenu le gouvernement
au nom de Renaud. Lui-même commença ses empiétements crise
faisant céder par le comte de Gueldre 1 hommage que lui devait
Humbert Corbial ou Corbeau, sire d’Awans, et qui était échu à
Renaud par la mort de son oncle, le trop célèbre Henri de Guel-
dre (21 octobre 1280) [.
Une grave contestation s’était élevée entre Renaud et son lieu-
tenant dans le Limbourg, Waleram de Luxembourg, seigneur de
Roussy. Celui-ci, à ce que prétendait le premier, s’était livré à des
excès d une telle gravité, qu’ils .avaient entraîné pour lui une
perte de près de trente mille livres de Louvain; il avait indigne-
ment abusé de ses avantages dans le poste qui lui était confié. Le
sire de Roussy répondit en réclamant le remboursement des dé-
penses qu’il avait faites pendant la guerre, et en s’engageant, au
surplus, à remettre les châteaux de Limbourg et de Rolduc aussi-
tôt qu’on lui aurait compté douze cents mares de Brabant. Henri,
sire de Blamont, et Henri , sire de Borckelo, furent choisis pour
arbitres de cette contestation, et le comte et la comtesse de Flan-
dre désignés comme surarbitres, en cas de dissentiment entre eux.
Le droit était sans doute du côté de Waleram, car Renaud lui paya,
cinq sous et six deniers fut payée à l’amman de Bruxelles pour ses dépenses
et celles des chevaliers et écuyers qui l’accompagnèrent à Sprimont (in clii-
vachia versus Spremont). Compte de l’amman de Bruxelles cité.
* Saint-Génois, Monuments , 1. 1 , p. 758.
( 1« )
le 4 juillet, non-seulement les douze cents marcs spécifiés ci-dessus,
mais encore quatre cents autres marcs.
Dès le commencement du mois de décembre, Waleram de Fau-
qucmont fut accepté par Renaud comme le successeur deWaleram
de Luxembourg, dans le gouvernement du duché de Limbourg,
et, déplus, pour son lieutenant en Gueldre. Le comte et la com-
tesse de Flandre devaient fixer la rétribution à laquelle il avait
droit à ce titre. Renaud confia à son beau-père la garde des châ-
teaux de Limbourg et de Rolduc, avec le droit de les faire garder
par qui bon lui semblerait, et promit d’en acquitter les frais de
garde, à la condition toutefois que son beau-père s’engagerait à
lui restituer ses forteresses à la première réquisition. Elles furent ,
en effet, remises à Guy de Dampierre, et, par celui-ci, au sire de
Fauquemont (6 mars 1286-1287).
Ce vaillant homme de guerre porta un coup funeste à la cause
du duc Jean, en négociant la réconciliation du comte de Gueldre
et des sires de Lontzen , Conon et Henri. En considération de leurs
services, Renaud créa ce dernier châtelain héréditaire de Spri-
mont, avec jouissance d’une rente annuelle de cinquante livres
de Louvain, de petite monnaie, à tenir en fief. Il le nomma aussi
sénéchal du duché de Limbourg et de la terre de Rolduc, et lui
concéda le château et la court de Herve, avec leurs dépendances.
Le 19 juillet *3 287-1288, Renaud ratifia une seconde fois ces con-
ventions, Conon lui ayant prêté de fortes sommes d’argent, que
le comte de Flandre lui fit restituer plus tard, afin de pouvoir
disposer de Limbourg, de Rolduc, de Sprimont , qui lui avaient
été donnés en engagère.
Vers ce temps, un incident fâcheux, mais de peu d’importance,
jeta du froid entre le sire de Fauquemont et son puissant protec-
teur, le comte de Flandre. Des Namurois tuèrent un vassal de
Waleram, à Vieu ville. Les meurtriers ayant donné satisfaction de
ce crime aux frères de la victime, Jean de Runde et Gilbert Bulle ,
ceux-ci et leurs parents déclarèrent renoncer à toute vengeance '.
1 Déclaration des chevaliers Rixon et Gérard de Kerke, Réné de Scumelt ,
Godefroid de Liclitemberg , datée du 15 juin 1287. De Reiffenberg, Monu-
ments, 1. 1, p. 27.
( ISO )
Le comte, en outre, s’engagea à payer à Walerain la somme de
quatre mille marcs de Liège l.
IV.
Au commencement de l’année 1287,1a guerre du Limbourg prit
un autre caractère; elle devint, en quelque sorte, une querelle
du pays rhénan tout entier, plusieurs des anciens alliés du comte
de Gueldre, et notamment les comtes de Juliers et de Cîèves,
l’ayant abandonné, sans cause connue, pour embrasser le parti du
duc Jean.
Le traité d’alliance du duc et du comte de Clèves est daté du
5 mars. Le comte y promet d’assister son nouvel allié contre tous,
hormis le roi et le comte de Hollande. Il déclare toutefois ne pas
vouloir tenter d’expédition sur les terres de son frère, Thierri
Loef, comte de Hulkerade, de l’archevêque et de l’église de Colo-
gne, des sires de Heynsberg et de Fauquemont, du comte de
Luxembourg et de son frère Waleram. Tout ce qui serait conquis
sur le comte de Gueldre devait être divisé en trois parts, entre le
duc et les comtes de Hollande et de Clèves, excepté toutefois les
fiefs tenus du Brabant, les biens du dernier duc de Limbourg et
ceux acquis par ce duc avec l’argent de sa première femme, Judith
de Clèves, et qui échéraient exclusivement à Thierri. Un traité
analogue lia les comtes de Hollande et de Clèves (6 mars 1287).
Le duc resserra aussi son alliance avec l’évêque de Liège, qui
s’engagea à l’aider envers et contre tous, sauf, dans certaines cir-
constances, contre le comte de Flandre, son père, et contre ses
frères, et en s’engageant h payer, en cas de contravention, dix
mille livres de petits tournois. Jean Ier intervint cette année,
d’une manière très-active, dans les différends qui agitèrent alors
la cité de Liège, comme nous l’avons dit au chapitre ÏII. Jean de
Flandre, dont le caractère péchait plutôt par une excessive dou-
ceur que par trop de sévérité, essuya vers ce temps un traitement
1 Acte du 8 juin. Jules de Saint-Génois, p 154.
( 131 )
cruel. Tandis qu’il se livrait aux plaisirs de la chasse, dans les en-
virons de Bouillon, son ardeur le sépara de sa suite. Tout à coup,
soixante cavaliers masqués tombent sur lui et l'entraînent dans
une forteresse. Là, on le retint cinq mois entiers. Pour en sortir, il
dut payer une forte rançon et jurer qu’il ne révélerait jamais le
nom des coupables L Le bruit public accusa le comte de Luxem-
bourg et ses frères d’avoir commis cet attentat par les ordres de
leur sœur, la comtesse de Flandre, dont l’évêque s’était attiré l’ini-
mitié en lui reprochant secrètement un crime. La princesse Isa-
belle, mainte circonstance le prouve, tenait singulièrement à
enlever au duc de Brabant le Limbourg, tandis que Jean de Flan-
dre suivait une toute autre politique. Allié et ami de Jean L’r, il
devait être l’objet de la haine de la princesse, sa belle-mère, dont
il contrariait les vues ambitieuses.
Pendant l’été de l’année 1287, une guerre éclata entre le comte
de Bar et l’évêque de Metz, Bouchard de Hainaut, qui venait de
vaincre le duc de Lorraine, Ferry III. Le duc de Brabant alla re-
joindre l’armée du comte, et les princes de la maison de Luxem-
bourg coururent renforcer les troupes de l’évêque, avec d’autant
plus d’empressement que leur ennemi se trouvait dans les rangs
opposés. Les deux parties belligérantes se disposaient à en venir
aux mains, lorsque Walter, sire de Ligne, parvint à ménager la
paix 1 2.
Cependant le roi Rodolphe commençait à se préoccuper de la
querelle qui couvrait de sang et de ruines la partie occidentale de
ses Etats. La persistance de la lutte à propos de la succession au
duché de Gueldre, témoignait du peu de respect que l’on portait
à l’autorité suprême. Lorsque, en 1287, Rodolphe tint, à Wurtz-
bourg, une diète célèbre, où on publia une paix ou édit pour le
1 Hocsem, c. XV. — Jean de Flandre rentra dans Liège le 15 avril 1288.
Fisen, Historia ecclesiæ Leodiensis , pars II , p. 52.
2 Annales Colmarienses , dans Urstitius, Scriptores rerum germanica-
rum, t. II , p. 22. — Van Heelu ,1.1, v. 5597. — Ernst, t. IV, p.475. — Le 22
mars 1287, l’évêque Bouchard donna deux mille cinq cents livres à Louis,
comte de Looz et de Chini , en remerciaient des services qu’il lui avait
rendus, à lai et à son église. Wolters, Codex diplomaticns Lossensis , p. 167.
( 152 )
maintien de la tranquillité, le premier qui ait été rédigé en alle-
mand, il avertit l’archevêque de Cologne qu’il voulait le réconci-
lier avec le duc, lui ordonna d’observer et de faire observer une
trêve, et lui annonça qu’il tiendrait une diète à Boppart, après la
Pentecôte. Celte seconde assemblée n'ayant pu avoir lieu au jour
fixé, l’empereur la prorogea au 25 juillet, et , le 5 mai, manda à
Sifroi que la trêve continuerait jusque quinze jours après cette
date. En effet, le 2 juillet, on conclut une suspension d’armes qui
devait durer depuis ce jour jusque un mois après l’Assomption,
c’est-à-dire jusqu’au 15 septembre; seulement, chacun des deux
partis pouvait recevoir les vassaux du parti contraire qui vou-
draient se ranger de son côté, mais sans occuper les maisons ou
châteaux possédés par ces vassaux, ni entraver les communica-
tions entre les pays respectifs. Plus tard, on négocia encore une
convention semblable, pour une nouvelle période allant du 12 oc-
tobre au 25 novembre, entre le duc et le comte de Hollande, d'un
côté, le comte de Gueldre, de l’autre.
L’archevêque Sifroi parait avoir vu avec regret cette longue
série de trêves, car il fut cause que les hostilités recommencè-
rent. Il est vrai que sa position devenait de plus en plus difficile à
Cologne, dont les bourgeois lui étaient plutôt hostiles que dé-
voués. Pour accabler le comte de Berg, le principal des amis du
duc, il assembla, à Neuss, ses alliés, et ceux-ci, excités par ses
discours, conduisirent leurs troupes dans le pays de Berg, où
elles portèrent la dévastation.
Heureusement pour le comte Adolphe, Jean Ier se hâta d’ac-
courir, quoiqu’on fût alors au cœur de l’hiver. Les ennemis,
instruits de sa marche, revinrent en deçà du Rhin pour défendre
rarchevêehé. Sifroi et Renaud prirent position sur l’Erft, qu’ils
remontèrent jusqu’à Lecbenich, tandis que le comte de Luxem-
bourg se portait à Berg, près d’Aix-la-Chapelle, et Je sire de Fau-
quemont à Rolduc. Ils espéraient cerner le duc et lui couper la
retraite, mais son activité déjoua toutes leurs combinaisons. Après
avoir poussé jusqu’au delà de la Ncffelbach, près de Diiren, où la
fumée des incendies allumés par ses troupes annonça son ap-
proche à Sifroi et à Renaud, Jean Ier battit promptement en re-
( 135 )
traite. Les deux armées s’attendaient à une bataille, car le due
avait sous ses ordres, outre les troupes de Juliers, deux mille
hommes armés de toutes pièces, mais on était arrivé au mois de
janvier 1287-1288, et il n'était plus possible, à cause du froid
excessif, de passer la nuit au bivouac. Jean Ier ordonna de rentrer
dans Diiren, où les ennemis vinrent assaillir son arrière-garde,
qui les repoussa avec perte.
Avec les premiers beaux jours, les hostilités recommencèrenl.
L’évèque de Liège s’étant plaint des attaques du sire de Fauquc-
mont, le duc se disposa à marcher contre ce dernier, mais il ne
donna aucune suite à ses desseins, Waleram ayant été joint par
l’archevêque, par le comte de Gueldre et par le sire de Roussy.
Vers cette époque, l’archevêque Sifroi attira dans son alliance
Waleram de Juliers, sire de Berchcim b
Cependant, on proclama une nouvelle trêve, afin de permettre
aux princes belligérants de préparer une transaction. Une assem-
blée fut convoquée à Fauquemont. Les comtes de Gueldre, de
Flandre et de Luxembourg, l’archevêque, les sires de Fauque-
mont et. de Roussy, et le duc de Lorraine s’y rendirent, non pour
se concerter au sujet de la paix, mais pour créer de nouveaux
embarras au duc Jean. Comme nous l’avons dit, le comte Renaud
/
n’avait que l’usufruit du duché, dont la nue-propriété était la
véritable cause de la guerre. Le comte de Luxembourg s’en pré-
tendait le plus proche héritier, le comte de Berg étant considéré
comme déchu de ses droits, parce qu’il les avait aliénés au préju-
dice de sa famille; il alléguait, de plus, non sans quelque fonde-
ment, si l’on consulte le droit féodal, que la cession aurait dû lui
être faite , de préférence à tout thitre 2. Mais, à cette dernière
observation, on aurait pu répondre que le droit de retrait pouvait
s’exercer aussi au profit du suzerain.
Mais déjà tout était concerté entre les alliés, « par les menées de
» la comtesse de Flandre. » Le 23 mai 1288, le comte de Gueldre
renonça au Limbourg en faveur du comte de Luxembourg, moyen-
1 17 mars 1288. Acte daté de Dusseldorf. Willems, Van Heelu , p. 456.
2 G es ta Boëmundi archiepisc-opi , dans Martene et Durand, Amplissima
collectio, t. IV, col. 347.
( 1-H )
liant quarante mille marcs de deniers brabançons, et sauf Was-
senberg et les autres terres à la droite de la Roer, qu’il se réserva.
L’archevêque donna immédiatement à l'acquéreur l’investiture des
fiefs mouvant de son église, et tous les princes présents promi-
rent de le soutenir, contre tous.
Cependant le duc était arrivé à Liège et y avait vu l'évêque.
S’étant rendu à Maestricht, il y apprit, avec indignation, les né-
gociations de Fauquemont. Aussitôt, il parta la tête de quinze
cents cavaliers et de quelques troupes de pied, arrive devant Fau-
quemont, le lendemain de la Pentecôte, et livre à cette ville de si
furieux assauts qu’elle aurait succombé, si le comte de Flandre
n’était intervenu. Ce prince promit à Jean Ier que Waleram ne
porterait plus les armes contre lui dans la querelle pour le Lim-
bourg, sous peine d’une amende de quatre mille marcs, dont il
se constitua garant.
Tournant alors ses armes contre un ennemi plus redoutable,
le duc, suivi de 1 500 cavaliers, poursuivit Sifroi du côté de IJeyns-
berg et de Wassenberg; de là, marchant vers l’est, il arriva au
Rhin, dans lequel il fit boire son cheval, en témoignage de ce qu’il
avait porté ses conquêtes jusqu’à ce fleuve. Ses troupes ravagèrent
les vignes et les jardins que l’archevêque possédait à Brühl, entre
Cologne et Bonn, et lui-même s’y livra, pendant quelques jours,
aux plaisirs de la chasse. Si ce que l’on raconta plus tard est vrai,
il fit venir, dans ce but, sa meute de Boitsfort h
Ce qui est plus certain, c’est que, se voyant éloigné de son pays,
Jean Ier appela à lui de nouvelles bannières d’hommes d’armes;
mais bientôt il se vit renforcé par une puissance qui n’avait pas
encore pris part à la guerre. %
Jusqu’en 1287, les bourgeois de Cologne obéirent fidèlement à
celui qui était à la fois leur chef spirituel et leur chef temporel.
Sifroi, en effet, gouvernait son diocèse avec fermeté, et de ma-
nière à faire respecter les droits de l’église de Cologne. Son in-
tervention en faveur des habitants d’Aix l’avait rendu populaire,
1 De Dynter, t. II, p. 44t. — Voyez Boendale, Brabant sche Yeesten. 1. IV,
vers 1 347 et suiv.
( 155 )
et cette popularité ne souffrit pas d’abord de la guerre du Lim-
bourg, qui cependant rompait ou du moins gênait les relations de
Cologne avec le Brabant et le pays de Liège, si heureusementTe-
nouées vers l’année 1277. Mais l’invasion dans le pays de Berg lui
aliéna la bourgeoisie de sa capitale. En vertu d’une convention en
date du IG novembre 1280, et qui fut renouvelée au bout de six
ans (le 23 novembre 1280), ni celle-ci, ni le comte ne pouvaient
tolérer la construction de forteresses sur les bords du Bbin, de
Bbeindorff à Ziidendorff. 11 y avait là une garantie sérieuse pour
le maintien de la paix.
L’archevêque prévoyait-il une révolte des Colonais? On doit le
supposer, car, tout en approuvant l’accord dont nous venons de
parler, il leur demanda une promesse de ne jamais écouter les
conseils de personnes hostiles à lui ou à son église. Comme on se
plaignait des tonlieux nouveaux qu’il avait établis afin de pourvoir
à ses énormes dépenses, il exempta les Colonais du tonlieu d'An-
dernach, et s’engagea à abolir les impôts de ce genre récemment
créés, dès que la guerre contre le duc de Brabant serait terminée,
il promit, en outre, de ne pas organiser de coalition contre les
habitants de sa capitale, aussi longtemps que ceux-ci n’en organi-
seraient pas contre lui (12 juillet 1287).
Rien n’annonçait donc la naissance de difficultés sérieuses entre
eux, lorsqu’un nouvel incident se produisit. Les Colonais avaient
jadis édifié sur les bords du Rhin, pour la défense du pays, la
forteresse de Worinch ou Woeringen, mais cette place étant de-
venue un refuge de voleurs, ils la rachetèrent de rarchevèque ,
qui la détruisit, mais en la faisant rebâtira proximité, dans une
meilleure situation b La garnison nouvelle ayant imité l’exemple
de 1 ancienne, et l’archevêque se montrant peu disposé à la punir,
les Colonais se préparèrent à assiéger Woeringen. Sifroi réunit
une armée pour défendre la forteresse et ce fut alors que les Co-
1 11 employa sans doute, à cet usage, le manoir de Wurrinc, que Gérard de
Juliers vendit au chapitre de Cologne, le 50 août 1287, pour la somme de sept
mille trois cent vingt-cinq marcs de Cologne. Kremer, t 111, Urkunden,
p. 177.
( «« )
lonais appelèrent à leur secours le duc de Brabant et le comte de
Berg L
D’autres documents contemporains, et en premier lieu l’enquête
ouverte à Bonn en 1290 -, attestent la part importante que la ville
de Cologne prit dans la guerre. « Les Coloriais, dit l’abbé de Sieg-
» berge, ont conçu une haine mortelle contre leur archevêque;
» ils le craignaient, parce qu’il avait notablement augmenté ses
» revenus. Comme ils sont puissants et qu'ils ne peuvent supporter
» de maître, ils désiraient sans doute l humilier. » — « Les bour-
» geois, déclare à son tour Salentin d Yscnbourg, sont causes de la
» lutte qui s’est engagée; ils n’ont jamais vécu en paix avec leurs
» archevêques et ils en ont fait plus d'un prisonnier. » — Mais le
plus explicite des déposants est l’écolâlre Wicboîd, qui plus tard
succéda à Sifroi : « Si l’archevêque, dit cct ecclésiastique, avait
» prévu la coalition formée entre les Colonais et le duc, joint à
» d’autres nobles, il aurait mis obstacle à l’arrivée de ceux-ci. Mais
» les bourgeois , sous prétexte de négocier la paix, demandèrent
» au prélat, en invoquant le bien de la patrie, qu’il jurât la paix
» avec le duc, et, comme Sifroi leur répondit que cela servirait
» à peu de chose, si le duc et ses alliés ne se réconciliaient
» d’abord avec lui, ils demandèrent, pour le duc, l’autorisation
» devenir â Cologne, sans armes et seulement pour négocier.
» C’est, à la suite de ces pourparlers que le duc arriva, non pas
» désarmé et sans suite considérable, mais avec des troupes nom-
» breuses, qui portèrent partout le ravage. »
Quoi qu’il en soit de ces détails, dont Wicbold atteste la véra-
cité, comme en ayant été le témoin oculaire et auriculaire 3, le duc
fit en effet son entrée dans Cologne et se coalisa avec les bour-
geois. Leurs députés étaient allés le trouver dans son camp et
l’avaient requis, en qualité de gardien de la paix publique entre la
Meuse et le Rhin, de vouloir prendre et détruire Woeringen.
D’autres négociations leur avaient encore assuré de puissants dé-
fenseurs. Le 5 mai, Gérard, « noble avoué de Cologne, » leur
1 Gesta Trevirorum integra , t. II , p. 190.
2 Voyez Willems, Van Heelu, p. 525.
3 Qvod Mis interfuit et ea au die il.
( i-àl )
promit de ne jamais aliéner son avoucrie, de leur rester fidèle,
principalement aux lignages (et précipité progeniebus ), comme un
véritable citoyen ; de les défendre, de faire tout ce que les consuls
de la cité lui ordonneraient de faire, et de garder, lorsqu'il serait
appelé au conseil, les secrets qui lui seraient confiés. Par contre,
ia ville était tenue de l’indemniser, s’il lui arrivait quelque dom-
mage, selon le dire de la majorité des consuls, et on ne pouvait
lui imputer à crime le tort qu’un de scs parents pourrait causer à
la cité.
On voit ici l’influence des idées communales sur les vieilles tra-
ditions germaniques : le citoyen renonce à sa famille pour se ral-
lier complètement à la commune; le vassal de l’archevêque, le
possesseur d'une des grandes juridictions féodales groupées autour
du siège métropolitain, devient l'ami des bourgeois b La com-
mune, la cité n’est pas une confédération timide de serfs à peine
affranchis, c'est un groupe de volontés puissantes et fortes, un
faisceau redoutable de glaives et de lances. Elle veut vaincre l’ar-
chevêque; elle y parviendra. Un traité solennel, conclu dans la
ville même, lui assure l’appui du duc de Brabant, des comtes de
Julicrs, de Berg, de la Marck, de Virncnbourg , de YVildenouwe,
de Waldeck, des seigneurs Henri de YVindeek, Jean de Reifïers-
cheid, Gerlae de Dollendorf, Gérard de Juliers. Bientôt le tocsin
sonne, la milice eolonaise prend les armes, elle sort de la ville,
envahit les domaines de l'archevêque et de la cathédrale, et en-
toure le château de Woeringen, dont elle ravage les environs 1 2.
1 Hainm, Rexpublka U b io-A gripp inens is , p. 74. — Laeomblet, t. II, p 409.
2 Enquête citée plus haut. — Suivant Van Heelu (I. Il, v. 4173), le duc
campa pendant sept jours devant le château, avant d’être rejoint par ses alliés.
( 158 )
CHAPITRE VI.
LA BATAILLE DE WOERINGEN.
I.
A la nouvelle du siège de Woeringen, rarchevèque ne dissi-
mula pas sa joie. « Préparez-vous, écrivit-il à tous ses amis et
» alliés; il est arrivé, dans notre pays, une baleine qui nous en-
» richira. Elle s’est tellement avancée dans les digues qu’on peut
» lui jeter le harpon, mais elle est si grande et si lourde que seul
» je ne saurais m’en rendre maître. Arrivez donc tous pour en
» prendre votre part G » Ses messagers coururent de ville en ville,
de manoir en manoir; comtes, barons, chevaliers et sergents,
tous ceux qui aimaient les hasards de la guerre, dans la vallée du
Rhin, depuis Strasbourg jusqu'à la Gueldre, répondirent à son
appel; avides de gloire et de butin, ils ne prévoyaient pas le triste
sort qui était réservé à la majeure partie d’entre eux.
Bientôt une armée formidable se rassembla autour du prélat,
près de Neuss. Le comte de Gueldre appela sous sa bannière ses
plus braves chevaliers. Les princes de la famille de Limbourg se
présentèrent aussi avec de grandes forces, bien que le comte de
Luxembourg ne fût pas accompagné par plusieurs de ses princi-
paux vassaux : le sire de Durbuy, son oncle; le comte de Looz et
Ghini, et celui de Vianden , qui figuraient dans les rangs de l’armée
ennemie. Mais , si le contingent des princes limbourgeois était
1 Van Heelu, î. II, vers 4195 et suivants. — Pour tout ce chapitre, nous sui-
vrons surtout cet écrivain, en évitant d’ajouter à sa narration les broderies
dont on l’a ornée plus tard.
( 159 )
numériquement faible, la valeur des princes qui le commandaient
le rendait redoutable.
L'archevêque et le comte Renaud convinrent d’abord de se
poster entre la cité de Cologne et les ennemis, afin d’empêcher
ceux-ci de recevoir des convois de vivres. Pour livrer bataille, ils
voulaient attendre jusqu’au mardi, 8 juin 1288, l’arrivée des
milices de Bonn, d’Andernach et des autres villes de l’archevêché.
Mais l’excès de leur animosité leur fit trouver ce délai trop long; ils
se décidèrent à combattre le samedi, 5 h Si l’on en croit un docu-
ment à peu près contemporain 1 2 3, le comte de Luxembourg aurait
été la cause de la précipitation funeste avec laquelle s’engagea la
bataille. Sifroi était prêt à céder aux instances de ses vassaux qui
lui remontraient la sainteté du samedi, jour spécialement con-
sacré à la Vierge , et la nécessité d’attendre des renforts. Il allait
donner des ordres en conséquence, lorsque le comte s’écria :
« Nous ne combattrons donc pas, par la faute de ce clerc timoré!
» — Ma clergie 5, répartit le prélat en s’adressant aux siens, est
» plus célèbre dans les camps que sa chevalerie. » Puis, à ses or-
dres, tout s’anime dans le camp : les trompettes, les flûtes, les
tambours se font entendre; les cris, les appels se croisent.
Le samedi matin, jour de saint Boniface, l’archevêque ayant
célébré la messe dans l’église abbatiale des bénédictins de Brau-
weiler j adressa aux siens une exhortation pour les encourager à
combattre : « Les ennemis, dit-il, sont loin de leur pays, et d’ail -
» leurs, ne sommes-nous pas trois contre un. Pour moi, ajouta-
» t-il, je ne demande que d’avoir le duc pour prisonnier. —
» Non, acclamèrent à la fois les princes de la maison de Limbourg,
» vous ne le retiendrez pas; il doit mourir, cet usurpateur, qui
» cherche à nous dépouiller de notre héritage. — Faites-en donc
» ce que vous voudrez, répartit Sifroi; en attendant, préparez-
» vous au combat avec allégresse. » L’archevêque excommunia le
duc et les siens et donna à son armée un pardon général. Puis ses
1 Chronicon comitum de Marka.
2 Gesta Trevirorum integra, t. II, p. 191.
3 Nous ne pouvons traduire autrement le mot clericatura.
( 160 )
soldats s’avancèrent en ordre de bataille vers Woeringen. L’ar-
clievêque et son frère, Henri, sire de Westerbourg, dirigeaient la
droite, qui s’appuyait au Rhin; le comte de Luxembourg, son
frère Waleram et le sire de Fauquemont conduisaient le centre;
quant à la gauche, elle s’étendait dans la plaine, sous les ordres du
comte de Gueldre. Cette armée traînait à sa suite, dit Van Heelu,
des chariots chargés de chaînes et de cordes, afin de lier des en-
nemis qu’elle croyait déjà vaincus.
De son coté, Jean Ier n’était pas resté inactif. Averti par ses
espions du mouvement qui se manifestait dans le camp ennemi,
il prit immédiatement ses mesures. Dès avant l’aube, ses trom-
pettes appelèrent les Brabançons aux armes. Il fit également dire
la messe par les prêtres qui l’accompagnaient, puis il se mit en
marche. Après avoir passé un ruisseau, il arriva dans la bruyère
dite Failli ngerheyd , à une lieue de l'abbaye de Brauweiler, où les
guerriers du comte de Berg et de la ville de Cologne avaient passé
la nuit. Chaque troupe n’occupait pas encore le poste où elle devait
combattre, lorsqu’un cri s’éleva : « Armez-vous, armez-vous, les
» ennemis s'avancent. »
Le duc et son frère Godefroi se placèrent au centre. Non loin
de lui se rangèrent Hugues et Guy de Châtillon , fils du comte de
Saint-Pol; mais, comme ils n’avaient amené de France qu’une
dizaine de gentilshommes le due mit sous leurs ordres deux
bannières, celle de Rase de Gavre, seigneur de Liedekerke et de
Bréda, et celle de Jodoigne, que commandait le bailli de celle
ville. Aux côtés de Rase on remarquait scs trois lils, Rase, Philippe
et Siger, et trois barons de marque : Jean Berthout dit de Berîaer,
Jean de Gramines, sire d’Escornaix, et Walter d’Antoing, seigneur
de Bélone.
Le duc retint près de lui, pour sa garde, Walter de Warfusée,
sire de Monial, et le bâtard de Wesemael, qui depuis quarante
années, était regardé comme le premier des guerriers brabançons.
11 confia l’étendard ducal à Rase, sire de Grez, que deux écuyers,
1 Quelques auteurs prétendent à tort qu’un grand nombre de Français
combattirent à Woeringen. Ernst, /. c., p. 491 , note 1.
( 161 )
.Nicolas Van Uden et Walter de la Chapelle, aidaient à porter ce
précieux fardeau. Sept des principaux barons du Brabant : Walter
Bcrthout, sire de Malines; Arnoul, sire de Wesemael, maréchal
de Brabant; Arnoul, sire de Diest; Thicrri, sire de Walcourt et
d’Aa; Godefroid, comte de Vianden, seigneur de Grimberghe et de
Perwez ; Gérard de Wesemael , sire de Berghes ou Berg-op-Zoom ,
et Jean, sire de Cuyek, avaient chacun sous leurs ordres une
bannière, accompagnée de nombreux parents, amis ou vassaux.
Ainsi Berthout avait à sa suite son oncle Gilles, seigneur de llum-
beek; Gérard, sire de Rotselacr, sénéchal du Brabant; Arnoul,
sire de Walhain, et les lils de ce dernier, nommés Godefroid et
Olhon. Sous la bannière de Vianden marchait un autre chevalier
banneret, Robert de Grimberghe, sire d’Assche, et, près du sire
de Cuyek, deux puissants barons : Jean, sire d Arckel, et Jean,
sire de Heusden, ainsi que quelques autres chevaliers de renom,
dirigeaient une vaillante troupe de guerriers hollandais. Jean
Tristan de Louvain étant encore trop jeune pour prendre les
armes, on avait confié la bannière de Gaesbeek au bailli de cette
seigneurie, Guillaume Pipenpoy, et, à cause de l’absence
Walter, sire d’Enghien, ses leudataires suivaient au combat
de
sire
Etienne d’Ittre.
Chaque ville ou quartier du Brabant avait fourni un contin-
gent de guerriers indépendant de celui des grandes seigneuries.
Celui de Louvain n’est pas mentionné par Van Ileelu ; mais, selon
toute apparence, il était rangé à l'entour du duc. Celui de Bruxelles
reconnaissait pour chef Taminan de cette ville, Arnoul d’Yssche,
remplaçant le châtelain Gérard de Marbais, qui n’avait pas atteint
sa majorité. Gilles Vandenbergen, maire de Tirleinont; le bailli
de Jodoigne, Guillaume de Lierre, écoutète d’Anvers, et René de
Visé, châtelain deDaelhcin, marchaient en tète des guerriers de
leurs juridictions. Les nombreux vassaux du chapitre de Nivelles
se groupaient autour du prévôt de ce corps ecclésiastique, Gérard
de Louvain, oncle de Y enfant de Gaesbeek . Enfin, au corps com-
mandé par le duc . ? joignirent deux bannières composées de
guerriers limbourgcois de son parti : les Mulrepas et les Witthem.
Le second corps brabançon, la droite de l’armée du duc, était
Tome XIII. Il
( i63 )
dirigé par les comtes de Looz, de Juliers, de Virnem bourg; le
comte de Wildenomve ; Gérard de Juliers, sire de Castre ; Frédéric
de Ryferscheyt, Jean de Bidbourg, son fils; Jean Scheiffaert de
Mérode, drossard de Juliers; le sire de Wildenberge, Herman de
Thonenborch, Gérard de Dollendorp, le sire de Gripbensteyne, etc.
Dans le troisième, à la gauche, on remarquait Adolphe, comte
de Berg; son frère Ilenri, sire de Windeck; les comtes Everard de
la Marck, Simon de Tecklembourg, Othon de Waldeck; le comte
de Segenhage. Avec eux marchaient les bourgeois de Cologne et
une troupe nombreuse de paysans du comté de Berg.
On a fort diversement évalué la force respective des deux armées.
Elles comptaient ensemble, selon Fauteur des Gesta des arche-
vêques de Trêves, cent mille hommes; selon Pontanus 4, vingt
mille combattants, dont quatre mille cavaliers. Selon Villani, il ne
s’y trouvait que des chevaliers, dent quinze cents du côté du duc
et treize cents du côté des alliés. Mais cette assertion de 1 histo-
rien florentin est complètement erronée. Les Brabançons étaient
certainement plus faibles en cavalerie que leurs ennemis; ils
avaient. Van Heelu l’atteste de la manière la plus formelle, onze
cents ou douze cents heaumes ou casques de moins -; or, si l’on
en croit une ancienne petite chronique colonaise 1 2 3, les alliés comp-
taient trois mille six cents cavaliers; mais cet avantage était com-
pensé par la supériorité numérique de l’infanterie ennemie. On
serait donc dans le vrai en donnant aux Brabançons deux mille
quatre cents cavaliers et trois mille six cents à quatre mille fan-
1 Pontanus, Historia Gelriae , p. 165.
2 Voyez, pour le chilïre de douze cents heaumes, Van Heelu, vers 4512;
ailleurs cet auteur parle de onze cents heaumes, vers 5252.
5 Wurdtwein, dans les Nova subsidia diplomatica, t. XIII , p. 555, cité par
Ernst, t. IV, p. 490, note 2 Selon Hocsem, c. XVI, les Brabançons auraient
. été inférieurs d’un tiers, mais peut-être Hocsem ne veut-il parler que de la
cavalerie. Dire avec d’autres ( Magnum chronicon Belgicum, p. 281 ; Chro-
nicon anonymi dans Matthæus , p. 45) que les alliés étaient dix contre un, me
semble insoutenable. Hocsem, dont la véracité pourrait difficilement être con-
testée, n’évalue qu’à un tiers la supériorité de l’armée coalisée (Chapeauville,
t. II, p. 318). — Nous avons dit plus haut que, au commencement de la cam-
pagne, Jean Ier n’était suivi que de quinze cents cavaliers.
( 165 )
lassins; à 1 autre armée, trois mille six cents cavaliers et environ
trois mille hommes de pied. Nous n’élevons pas très-haut le chiffre
de ces derniers, car le rôle de linfanterie n’était alors que secon-
daire, et l’on peut croire que Jean Ier n’en avait guère amené avec
lui, dans son expédition si lontaine. Celle qu’il avait dans son
armée se trouvait sans doute, pour une très-grande partie, à son
aile gauche. Là seulement, l’infanterie se montra agissante.
Avant de commencer la bataille, Jean Ier arma chevaliers un
grand nombre des siens : Henri Berthout dit Bebbeken, le jeune;
Gérard de Jauche, Louis Berthout, Arnoul de Steine, Henri, fils
de Jean de Cuyck; Guillaume de Bornes, Guillaume de Berchem ,
Nicolas de Doernc ou Deurne, Jacques de Merlaer, Gosuin de Goid-
senhoven, le chambellan de Heverlé, Godefroid de Walhain, Gé-
rard d’Aa , sire de Pollaer; Gérard de Rotselaer, sire de Vorselaer;
Laurent Volcaert, Thierri de Berlaer, Guillaume de Boecstele ou
Boxtel, Henri de Wilre, Arnoul de Iiellebeke, Henri Happaert de
Quaderebbe ou Querbs, Bernard de Bigard, Jacques de Velpe,
Herman de Bonsbeke ou Bunsbeke, le sergent Hugues Van Mer-
lant, Heynman Van Sorpele, Arnoul de Kercheem, Jacques d’Er-
renberghe, Lambert de Linter, Conoy ou Conon de Grasen et
Godefroid de Win de l.
Van Ileelu 2 place en cet endroit, dans la bouche de son héros,
une belle harangue. Quoique notre opinion, ou, pour mieux dire,
l’opinion générale rejette comme apocryphes les discours pro-
noncés pendant un combat, nous la donnerons ici, afin de mettre
sous les yeux du lecteur un exemple du style du vieux poète, chez
qui on rencontre souvent de l’élévation, de l’énergie, du senti-
ment : « Songez, dit le duc, à la valeur de vos ancêtres. Jamais
» on ne les a vus reculer ni abandonner leurs drapeaux. Si vous
» les imitez, nous en retirerons grand honneur. Souvent, sei-
» gneurs et chers amis, vous m’avez bien servi, mais aujourd'hui
» c’est plus nécessaire que jamais. Ou je resterai mort, ici, ou je
1 M. Willems, YanHeelu, pp. 513 et suivantes, a rétabli la plupart des
noms de famille cités par l’auteur qu’il a publié.
2 Vers 4700 et suivants.
( 104 )
» remporterai une victoire glorieuse. Dieu en est témoin; je ne
» suis venu en ce pays que pour rétablir la paix. Aussi nous pro*
» tégera-t-il. J irai moi-même en avant, car je suis mieux monté
» que vous. Restez tous à mes côtés, pauvres et riches, si ferme-
» ment et si vaillamment, que l’on ne puisse m’attaquer par der-
» rière ou sur les côtés. Quant à ceux qui arriveront par devant,
» je me charge de les repousser. Et si vous me voyez me rendre
» ou fuir, frappez-moi vous-mêmes. »
Pendant que les deux armées achevaient de se ranger en ba-
taille, des chevaliers de l’ordre Teutonique et d’autres religieux
essayèrent d’empêcher qu’on en vînt aux mains; mais leur inter-
vention n’eut aucun succès, tant les Brabançons et leurs ennemis
avaient bâte de combattre.
II.
Le duc était placé sur une colline, ayant son front protégé par
un marais (broec); quant aux ennemis, il fallait passer un chemin
bordé de deux larges fossés remplis d’eau, pour parvenir jusqu'à
eux. L’archevêque et les siens, en suivant la rive du Rhin, diri-
gèrent contre le comte de Berg une première attaque, qui réussit É
Le duc, voyant ses alliés en danger, conduisit son corps de ce
côté, malgré les observations du comte de Virnembourg, à qui il
avait confié le commandement général de ses troupes. Ce mouve-
ment aurait pu avoir des suites fâcheuses, si les alliés n’avaient
commis une faute bien plus grave. L’archevêque, changeant de
direction, alla à la rencontre du centre des Brabançons, et ce
mouvement fut imité par le comte de Gueldre, de telle sorte que
les trois corps ennemis ne tardèrent pas à se rejoindre et à se
confondre en une seule colonne.
* Le comte de Luxembourg s’aperçut aussitôt de la difficulté que
l’on rencontrerait pour diriger cette cohue, et deux de ses cheva-
liers les plus expérimentés : Herman de Haddcmale et Barrot (ou
Baré, Beroald) de Halloy, lui conseillèrent de se retirer de la mêlée
* Voyez les G es ta Trevirorum integra, 1. c
( 103 )
et de former un corps particulier de ceux qui voudraient le suivre;
mais cet avis ne fut pas adopté, probablement faute de temps.
Quant aux Brabançons, ils conservèrent leur disposition primitive,
à la recommandation expresse du bâtard de Wesemael. Le sire
de Liedekerke engagea ses compagnons d’armes à s’étendre, de
manière à empêcher les ennemis de les entourer; mais le cheva-
lier Libert de Dormael les en détourna et enjoignit énergiquement
de se tenir serrés, autant que possible.
Les premiers Brabançons qui s’élancèrent dans les rangs des
alliés furent Frambach Von Birgeîen, Arnoul d Yssche et le clerc
Arnoul, frère du sire de Heusden. De l’autre côté, les Limbour-
geois s’écrièrent avec force : « Au duc, au duc; » tous aussitôt, dans
l’armée ennemie, répètent: « Tous, au due de Brabant. » Leurs
escadrons chargèrent avec une telle vigueur, que les Brabançons
reculèrent l 2, mais en se maintenant si bien en ligne qu’ils parais-
saient un rempart bâti d'hommes. Un petit corps formé des ban-
nières de Cuyck, de Heusden et d’Arckel, et placé à une des
ailes du centre, faillit être séparé et accablé, mais il lui arriva des
renforts, qui lui permirent de résister.
Le comte de Luxembourg avait hâte d’assaillir le duc, mais il
trouva, sur son chemin, tant de rencontres, qu’il n’arriva que
difficilement jusqu’à lui. Il eut à repousser le vaillant seigneur de
Woude ou de Bréda, Gérard de Wesemael, qui avait pénétré, à
peine suivi de quelques guerriers, et notamment de Guillaume
Pipenpoy et de Gilles de Busegem, jusqu’au milieu des rangs des
vaillants enfants de l’Oesseninc â. Voyant Gérard démonté, le
comte cria avec force, en wallon : « tuwe chi chevalier die Wesc-
mael » (tuez ce chevalier de Wesemael), mais le Brabançon et les
siens résistèrent et parvinrent à rejoindre leurs camarades. En
ce moment le cheval du comte reçut de Godefroid de Brabant
lin si terrible coup de masse d’armes, qu’il s’effraya et emporta
au loin son maître. A la prière de Henri, son écuyer, Guillaume
l’Ardenois, sire de Spontin, le conduisit à l’endroit où Jean Ier si-
1 D’un jet de pierre , disent les Gesta Trevirorum integra , 1. c.
2 C’est ainsi qu’on appelait alors l’Àrdenne. Voyez Van Heelp, passim.
( IGG )
gnalait son courage. Les deux princes combattirent, quelque temps ;
nuis, abandonnant leurs épées, s’enlacèrent pour s’arracher de
cheval. Mais la mêlée était si grande qu’ils furent forcés de lâcher
prise. En ce moment, le duc fut blessé au bras par Walter de Wes
ou Wcz, écuyer qui fut ensuite fait prisonnier. Le seigneur de
Roussy, qui suivait partout son frère, tomba mortellement frappé,
et sire Bérot de Halloy, que le comte de Luxembourg envoyait
pour le dégager, fut lui-même pris, après avoir reçu une blessure
dont il ne guérit jamais.
Henri de Luxembourg, exaspéré, s’élança en avant avec une
nouvelle furie. Un de ses sergents tua le cheval du duc, et la ban-
nière de Brabant tomba, le cheval que montait Rase de Grez ayant
été frappé à mort. Cet incident jeta un instant la consternation
dans l’armée brabançonne; les ménestrels n’apercevant plus le
souverain du duché, cessèrent de jouer de leurs instruments. Mais
bientôt leurs accents retentirent avec plus d’énergie; Nicolas
d’Uden et Walter de la Chapelle avaient relevé l'étendard ducal ,
et Jean Ier, monté sur un autre coursier, jetait derechef la terreur
dans les rangs ennemis. Cependant, son cheval fut encore une fois
tué; les siens le relevèrent de nouveau, et un sergent louvaniste,
Arnoul, fils de Godefroid Vanderhofstadt *, lui présenta le cour-
sier qu’il montait. Alors, à peine suivi d’une vingtaine d hommes,
il se précipita sur ceux qui portaient la bannière de Luxembourg,
qu’il arracha et foula aux pieds. Le comte Henri étant accouru,
tous deux se frappèrent rudement. L’écuyer de Jean Ier, Meer-
beke 2, blessa grièvement le cheval du comte, et aurait tué ce prince,
s’il n’en avait été empêché par Guillaume l’Ardenois. Sans perdre
1 II mourut à la bataille des Éperons d’or. Willems, VanHeelu, p. 214.
2 Ainsi que je l’ai conjecturé ailleurs ( Histoire des environs de Bruxelles,
t. II, p. 756) ce Meerbeke n’est autre sans doute que Goly de Meerbeke,
dont le fils , appelé Jean, reçut en don d’un duc de Brabant, nommé Jean,
vers l’an 1290 ou 1300, le tonlieu qui se levait à Boort-Meerbeek. Un autre
Meerbeke, appelé Henri, occupa sous le règne de Jean Ier des fonctions im-
portantes. En 1279, le samedi après l’Ascension , il se qualifie de justicier de la
ville de Malines, dans une donation à l’abbaye de Parc des fiefs de sire Jean
d’Aerschot, à Vlasselaer. Il fut ensuite bailli de Jodoigne. mais ne l’était plus
en 1296. Car tul aire de Parc-les-Dames.
( 167 )
courage, Henri se jeta au cou du duc et voulut, à force de bras,
l’enlever de sa selle; mais, au moment où il se levait, le chevalier
Walter Vanden Bisdomme le tua, en lui enfonçant son épée dans
le fondement l.
Selon Vandendamme 2, le due , désolé de la mort de son vaillant
adversaire, aurait crié à Walter : « Qu’as-tu fait, tu as tué le meil-
» leur chevalier de la journée? » et Walter se serait excusé sur le
danger où il avait vu son prince. Avec Henri périrent deux de ses
frères naturels : Henri, sire de Houffalize, et Baudouin, ainsi que
plusieurs chevaliers de marque.
L’archevêque avait, sans obtenir de succès , assailli le sire d’Aer-
schot et les enfants de Saint-Pol 3, lorsqu’une diversion inattendue
mit le désordre dans sa troupe. A la suite du comte de Berg mar-
chaient un grand nombre de paysans, qui n’avaient pour armes
que des massues à pointes de fer et dont le corps n’était protégé
que par des pourpoints ( wambeys ) et des backeneel. Avec eux mar-
chaient les Colonais, « dans les rangs desquels resplendissaient les
» hauberts et les épées. » Cette infanterie ne se pressa pas d’entrer
en lice avec la brillante chevalerie du prélat; elle semble n’être
arrivée, au moins en partie, que vers les trois heures; alors elle
commença une attaque de flanc qui décida du sort de la journée.
Animée par un religieux, Walter Dodden, elle marcha à l’en-
nemi aux cris de : Hija , Berge , Romerike ; Hya, gloire à Berg.
1 Albert Mussati , le biographe du fils du comte Henri , l’empereur Henri Vil ,
est tout à fait dans l’erreur, lorsqu’il nous montre le comte offrant en vain
une grosse rançon , tué sans miséricorde, puis jeté dans une rivière. Voyez
Reuber, Scriptores rerum Germanicarum , éd. de 1729, p. 844, etMuratori,
Herum Italicarum scriptores, t. X, p. 40. Nous avons publié ( Histoire des
environs de Bruxelles , t. III, p. 342), mais en y signalant un manque évi-
dent d’authenticité, une charte de Jean Iir, autorisant Jean Vanden Bisdomme
à construire un moulin à Watermael , et cela en récompense des services que
ses ancêtres avaient rendus. L’acte est daté de Tcrvueren et de l’année 1281.
Or, ce ne fut que plus tard que les Vanden Bisdomme acquirent la seigneurie
de Schoonenberghe , à Watermael
2 Dans Willems, VanHeelu, p. 218.
3 En l’apercevant , Guy de Saint-Pol s’écria : Tuioe , tuwe li fans prester.
Van Heelu, vers 6044 et suiv.
( 168 )
Elle massacra d’abord tout ce qu elle rencontra, amis ou ennemis;
mais un valet du duc de Brabant, Battelc, qu elle avait failli tuer, la
rallia et lui lit passer un fossé; alors, abordant par derrière les vas-
saux de Farebevèquc, les entourant comme d’une vaste ceinture,
elle les mit complètement en déroute. Franc de Corsselaer, châte-
lain de Wassenberg, prit la fuite avec les siens; les gens de Heyns-
berg, dont le seigneur n’avait pas voulu répondre à l’appel de
Sifroi, parce qu’il était vassal et parent de Jean Ier, en firent au-
tant. L’arehevcquc, craignant de tomber entre les mains des Co-
lonais, cria au comte d’Aerschot qu'il se rendait ; mais, se voyant
séparé de lui par un grand nombre d’hommes et de chevaux, il
dut remettre son épée au comte de Berg; celui-ci le lit aussitôt
conduire au delà du Rhin, à Mulheim J, après avoir promis à Go-
defroid de Brabant et aux Saint- Pol qu’il ne le mettrait pas en li-
berté sans l’assentiment du duc, des Colonais et de ses autres alliés.
On conduisait sur un grand chariot l’étendard du prélat, en-
touré d une galerie de bois, à créneaux, semblable à celles dont
on garnissait les tours. De forts chevaux traînaient ce chariot, et,
quand on en arrêtait la marche, trois poutres, attachées par de
gros anneaux et que l’on fichait en terre, le rivaient solidement
au sol. Des paysans à peine armés assaillirent cette forteresse
mouvante, l’entamèrent avec leurs haches et leurs glaives, tuèrent
ceux des gardiens qui voulurent résister, et s’emparèrent de l’éten-
tard 1 2, dont la destruction fut un nouveau sujet de désolation pour
une armée déjà cruellement éprouvée 3.
1 Ou à Novnm castrum (Newerburcb) , selon l’enquête contre les Colonais.
Voyez Willems, Van Heelu, p. 525.
2 Van Heelu, I. II , vers 61 40 Voici deux passages curieux sur l’importance
de la diversion opérée par les paysans et les Colonais : Cornes de Monte, iner-
mibus cum suis rustieis in vulgo Kempen appellatis , archiepiscopi et
Henrici partes infirmavit , separavit , dissipavit totaliter et prost ravit (Gesta
Treviroriîm integra).
.... Cum usque horam nonam strenuissime dimicassent , nec percepi po-
tuisset quae pars potior videretur , supervenientibus etiam qui de Col onia
duci auxilium ei spoponderunt , dux ab h os te triumphat (Hoesem).
3 La chronicon comitum de Marka attribue cette destruction à des gar-
siones mermes du comte de la Marek.
( 160 )
A Vautre aile, le comte de Gueldre n’avait cessé de lutter, et
parmi les siens, Gosuin de Wasscnberg, sire de Born, signalait sa
valeur. Mais un des bâtards de Gosuin, qui portait sa bannière,
fut tué, et son fils aîné Gérard fut pris. Quant à lui, sa valeur
était si connue, que personne ne voulait le frapper. Par malheur,
en se retirant, il rencontra une troupe de paysans d’Outre-Rhin ,
qui l’accablèrent de coups de bâton , au point qu’il en eut le bras
cassé et le corps tout froissé. Son cheval, qui était blessé, le con-
duisit loin du champ de bataille, et tomba mort. Le sire de
Born, gisant mourant à terre, fut reconnu par un autre de ses
fils, devenu frère mineur, à qui il cria de le reconduire à l’en-
nemi; on n'eut garde de se rendre à ses désirs et on l’écarta du
danger.
Dès le commencement de la bataille, une partie des Gueldrois,
au lieu de se joindre à leurs camarades pour accabler les Braban-
çons, coururent aux tentes du duc et les pillèrent. En voyant le
combat changé de face, iis craignirent de perdre le riche butin
qu’ils avaient recueilli et prirent honteusement la fuite. De ce
nombre furent le sire de Keppel et René Die Eesele, drossard de
Gueldre, dont la lâche conduite est justement stygmatisée par
Van Heelu h
Lecomte Renaud ne se décourageait pas, quoique sa bannière,
que portait le chevalier Arnoul de Gravenrodc, fut renversée, et
lui-même démonté; il n’avait plus à l’entour de lui que quelques
guerriers, lorsqu’il fut aperçu par son cousin, le comte de Looz.
Des sergents, à qui il remit son épée, lui ôtèrent sa cotte d’armes
et ses brassards, afin qu’il ne fût pas reconnu, puis ils le confiè-
rent, par ordre de leur maître, à Jean, châtelain de Montenaben.
Il serait parvenu à se sauver si une troupe de Brabançons ne s’était
douté du complot et, ne s’était emparé de lui; toutefois on ne
le reconnut qu’à la fin de la bataille, lorsqu’on acheva de le
désarmer.
Le sire de Fauquemont restait seul à vaincre. Dans une charge
contre la bannière de Walhain,il blessa au cou le chevalier René
* Voyez aussi la Chronicon comitum de Marka.
( '170 )
de Moriansart, mais il perdit sa bannière et fut forcé de fuir.
Toutefois, il leva une nouvelle bannière, et aux cris de Montjoie,
Mont joie , il assaillit le comte de Juliers, qu’il blessa aussi au cou.
Cette seconde attaque lui fut encore plus funeste. Sept de ses che-
valiers tombèrent mortellement blessés; lui- même, frappé d’un
coup qui lui emporta presque le nez, eut été pris si deux de ses
parents, le comte de Looz et le sire de Steyne, n’avaient favorisé
sa retraite L
De toutes les bannières de l’armée coalisée, il n’en flottait plus
qu’une sur la plaine de Woeringen. La vaillante race de l’Oesse-
ninc ou Ardenne, les Schaefdriessche, avait été la première à
combattre. Au nombre de cent dix guerriers, parmi lesquels on
remarquait sire Gobelin et Adewyn d’Huckelbach , ses neveux
Reysen ou Richard et Heine Moreel, Henri Vanderbueken, Gilles
d’Huckelbach, Simon Balge, Henri Snabbe, Rode de Sinke, Simon
Frabbe, le sire de Wilgenru, etc., les Schaefdriessche, « sembla-
bles à des léopards affamés, » cherchèrent vainement leurs enne-
mis : Herman, Arnoul et Simon de Witthem , le sire de Mulrepas et
Odon, son frère; sire Sceyvaert de Geilenkerke, sire Guillaume
de Mormensi ou Normany, Guillaume de la Kemenade, Herman
de Heimenberge. Ceux-ci, dit Van Heelu, persistèrent à se tenir
derrière les Brabançons. Désespérés de l’issue de la lutte, les
Schaefdriessche ne quittèrent qu’à la dernière extrémité le champ
de bataille. Lorsqu’ils l’abandonnèrent, ils n’étaient plus que
quatre !
m.
Ce qui contribua à rendre la bataille très-meurtrière , ce fut que
les paysans du voisinage 1 2, voyant les principaux combattants
prendre à rançon les vaincus, s’empressèrent de les imiter. Ils
1 Suivant Pontanus, p. 165, ce fut Daniel de Bouchout qui termina la ba-
taille, en se rendant maître du sire de Fauquemont. Où l’historien gueldrois
a-t-il été chercher ce détail ?
2 Die ghebueren, Van Heelu; dans Velthem, die dorpüedc.
( 171 )
épargnèrent ceux qui demandèrent merci, mais tout ce qui résista
fut immolé sans pitié. On vit alors, dit Van Heelu, les plus vail-
lants guerriers de la chrétienté devenir les captifs de pauvres
laboureurs, d autres se noyèrent dans les marais d’alentour ou
dans le Rhin.
La perte des deux armées fut très-inégale. Il serait toutefois
ridicule de dire, avec le poëte brabançon, que Jean Ier ne perdit
que quarante hommes, tandis que les ennemis eurent à en re-
gretter plus de onze cents, presque tous chevaliers ou issus de
lignage de chevaliers , et des meilleurs de toute l’Allemagne h La
victoire dut coûter cher aux vainqueurs 2, surtout à la troupe qui
avait soutenu et repoussé la rude attaque du comte de Luxem-
bourg : selon de Dynter, ils auraient perdu six cents hommes 5.
Plus de quatre mille chevaux couvraient le champ de bataille et
il y resta aussi : selon un chroniqueur, quatorze cents 4; selon
un autre, quinze cents cadavres5; selon un troisième, deux mille
cinq cents alliés (i; ce dernier chiffre s’accorde assez avec celui de
deux mille quatre cents, que l’on a emprunté à une note margi-
nale d’un vieux missel de l’église de Woeringen 7.
Au nombre des Brabançons tués figurent : un oncle du duc,
Gilles, bâtard de Brabant; Walter Berthout, sire de Mali nés; Go-
defroid, fils du sire de Walhain, qui venait de recevoir l’ordre de la
chevalerie et qui mourut de ses blessures, à Aix-la-Chapelle, quel-
ques jours après la bataille; Arnoul de Zeelhem, cousin du sire
de Diest; Bastin de Nedermolen, écuyer du meme seigneur; le
è
1 Vers 7514 et suivants.
2 Gesta Trevirorum integra.
5 De Dynter, t II , p. 445.
4 Gesta, 1. c.
5 Necrologium Ninovicnse , dans Willems,
G Hocsem , c. XVI.
7 In missali vero libro villae Woringae sic scriptum est : M et C in bello
inter fecti sunt , et post bellum de captivis vulneratis mortui sunt DCC.... de
ignotis vero sepulti sunt in cimiterio Woring , apud sepem, I)C. Chronicon
Hermanni Corneri dans Eckhard, Corpus historiœ medii aevi , t. II , p. 958.
— - Ernst, t IV, p. 514. — La Chronicon Menconis continuata, p. 198, parle
de plus de deux mille tués.
( 172 )
chevalier hesbignon Jean Van Mulne; Thierri de Heusden, qui
expira à Cologne; sire Guillaume de Lierre. La mort de ce dernier
et du sire de Malincs forme un des plus beaux épisodes du récit
de Van Ileelu :
« Au plus fort du combat, le seigneur de Malines, Walter Ber-
» tliout, apercevant le duc Jean Ier pressé de tous côtés par les
» ennemis , donna de l’éperon à son coursier et se précipita la
» lance en avant. Grâce à la force et à l'impétuosité de son cheval ,
» il enfonça la ligne ennemie et parvint à la traverser tout en-
» tière; mais, parmi les gens de sa troupe, bien peu réussirent à
» le suivre : les Maselcndre et les Ruire ( les habitants des rives
» de la Meuse et de la Roer) , qui se tenaient en arrière, comme
» des vautours, pour garder le butin , le voyant presque seul, se
» jetèrent sur lui. Il sc défendit chevaleresquement et, à l'exemple
» des preux dont il était descendu, il refusa de se rendre, cl
» tomba bientôt, frappé d une blessure mortelle. Un chevalier
» bachelier, brave et audacieux, combattait à scs côtés; il fut en-
» fin forcé de se déclarer vaincu, et mourut en captivité, de ses
» blessures. On le nommait Guillaume de Lierre; aucun autre,
» sauf deux ou trois sergents, n’avait pu imiter Berthout,
Une armée victorieuse n’a d’ordinaire que quelques prisonniers.
Les Brabançons perdirent ainsi un guerrier de Daelhem, nommé
le Pape ou le prêtre de Berne ou Bernau, et le sire de Heusden,
qui dut se rendre aux ennemis dès le commencement delà bataille.
Les alliés de Jean Ier souffrirent moins que les troupes du duc.
Le comte de la Marek eut à regretter un chevalier, qui était le
maréchal de son armée, et les Colonais leur chef Gérard, fils de
sire Matthias. Quoique chevalier, il avait voulu marcher à pied à
la tête des milices de la commune, mais il mourut, sans doute de
fatigue, avant d’être arrivé sur le champ de bataille.
En regard de ces pertes, celles des ennemis s’élevèrent à des
chiffres effrayants. Citons parmi les tués : le comte de Luxem-
bourg et ses frères; Henri de Westerburch, vaillant chevalier,
frère de l’archevêque de Cologne; le chevalier Hehnich Vanden-
damme; les seigneurs de Brandebourg, de Mirenvaet ou Mir-
wart, de Messenborch, etc., dans le Luxembourg; le sire de Bor-
( 173 )
kclo, eu Gueldre. Outre plus de mille nobles hommes tués, ils
perdirent mille autres combattants, qui furent faits prisonniers *,
entre autres : le comte Renaud, l'archevêque de Cologne, les
deux comtes de Nassau , le comte de Nuwenaer, Walrave de Ju-
liers, sire de Bergheim; Renaud de Westerbureh, archidiacre de
Cologne, prévôt de Saint-Cassius à Bonn; Jean de Ifeynsberg,
seigneur de Lewenbcrg; le fils de sa sœur, Thierri Locf de Clèvcs,
comte de Hulkerade Evrard et Salentin d'Isenburg ou Yscn-
borcli les burggraves Jean de Rinecke ou Reyneck, d'Hamer-
stein, d Are, Henri de Drakevelt, de Wede: les chevaliers de
Montabure, de Rinebach , Herman de Haddemale; Guillaume,
sire de Bronckorst; Thierri, sire de Meurs; Hubert de Bosingen,
seigneur de Culembourg; Gérard, sire de Batenbourg ; Henri ,
sire de Gennep; les sires de Vorst, de Melsene, Ernest de Sole,
sire Knif, Othon Bole, Othon de Borne, prévôt de Nerre; Hubert
de Vianen, Jean Boc de Mcre, Henri, bâtard de Gueldre; Alard
de Driele, Frédéric de Baere, Gérard de Kelre, l'avoué de Rure-
monde, sire Jacques Yan Scelle et ses trois fils, les seigneurs
d Ulmen (ou Vliemen)? dé Circle ou Sierck, de Dolingen, etc. On
a conservé les déclarations par lesquelles Walter de Wultz, Léon
de Boitbcrgh, Henri de Buscheim, Arnould de Iloltheim, Walter
d’EIne, Jean Baly de Lewemberg, Henri Briene de Sweindrecht
et Henri d’Ossendorf, chevalier de Bonn, déclarent aux Colonais
qu’ils renoncent à toute haine contre eux, le duc de Brabant, les
comtes de Berg, de Juliers, de la Marck 1 2 3 4. Par d’autres actes, les
1 Chronicon praesulum et archiepiscoporum Coloniensium.
2 Loef de Elèves reçut de l'archevêque , pour lui et les siens (saill ie cheva-
lier Thierri de Batenbourg et Jean de Grunzebeke), une indemnité de deux
mille quatre cent marcs de Cologne. Willems, Van Ueelu , p. 521.
3 En indemnité de ses pertes et de celles de ses gens, l’archevêque donna à
Evrard une rente hebdomadaire de six marcs, à prélever pendant trois ans
sur le tonlieu des bières, à Cologne. Acte du 10 mai 1291. Ibidem, p. 558.
Quant à Salentin , il assigna pour sa rançon , à Waleram , comte de Juliers , une
rente de dix marcs, qui fut hypothéquée sur des biens situés à Heymbaeh,
près de Ramersdorp. 5 lévrier 1290. Ibidem , p. 182.
1 Urvedes , en date des 25 juin , 17, 19, 25, 21 et 51 juillet, 9 août et
27 septembre 1288. Ibidem , pp. 159 , 162, 165, 161 et 167.
( 174 )
chevaliers Henri Koc et Thierri Flecke achetèrent leur liberté de
Waleram de Juliers : le premier, en renonçant à toute vengeance
contre lui ; le second , en lui abandonnant la moitié de la ferme
dite Merci , située à Richrode 4.
On a récemment publié une liste, par malheur incomplète, des
pertes subies à Woeringen par les Gueldrois habitant entre la
Meuse et le Wahal. On y voit figurer Thomas de Berchusen , Henri,
frère de Thierri de Deyle; sire Thierri de Batenbourg, Rutger de
Bümcl et Conrad Pannekuke, serviteurs du précédent; Genekin
de Winsen, Guillaume de Hursen, Herman Pinneken, Rutger
Buckingen, Arnoul d’Autfurst, Arnoul, fils de Florin de Wamel;
Th. (probablement Thierri) dit le chambellan de Wamel, Jean dit
de Stralen de Wamel, Alard, fils de Trude de Wamel: Walter
Pycke de Wamel, Gosuin, fils de Walter de Lewen, plusieurs
vassaux du nom de Lewen, N. de Cleen, demeurant à Lewen;
Rutger d’Autfurst, N. Pufflich, N. Buchurst, N. de Wamel, etc.
Le premier et le dix-septième de ces guerriers furent pris par
Gosuin de Becke, le quatrième, le huitième, le quatorzième et
deux autres dont les noms manquent, par le sire de Cuyek; le
septième, le quinzième, le seizième, le vingt et unième par Ritolfe
de Ilesewyck ; le neuvième par le sénéchal de Juliers, le dixième
par Jean de Meghen, le douzième par les Colonais, le dix-huitième
par Robert de Liccc ou Litte , le vingtième par le sire d’Arekerc,
le vingt-troisième par Anoul Hoyvic. Outre la perte de leurs armes
et de leurs chevaux, parmi lesquels figure un destrier ou coursier
de bataille du prix de soixante-dix livres, ils durent payer des ran-
çons proportionnées à leur rang et dont quelques-unes s’élevèrent
très-haut. Pannekuke paya quatre mille livres, Arnoul d’Autfurst
seulement trois cents livres, d’autres moins encore, comme Arnoul
de Wamel, qui ne pava que quarante livres; Pinneken, qui n’en
donna que vingt , et Jean de Stralen, de qui les Colonais n’exigèrent
que 12 livres 1 2.
1 Actes du 11 février et du 50 novembre 1289. Willems, l. c., pp. 485 et 511
2 Historisch genootschap gevestigd te Utrecht, Kromjk, XImc année (1855),
p. 172.
( 173 )
Aussitôt que le résultat de la bataille fut clairement établi,
les troupes du comte de Berg, de la ville de Cologne et du prévôt
de Juliers retournèrent joyeusement dans leurs foyers. Quant aux
Brabançons, comme ils n’avaient plus ni chariots, ni pavillons,
ils s’arrangèrent comme ils le purent. « Maint chevalier harassé
» de fatigue, dit Van Ileelu, dut coucher sur un lit de heaumes
» et de cuirasses ». La joie était générale dans leur camp, où peu
de braves manquèrent ce soir-là à l’appel. Malheureusement des
misérables, parmi lesquels Van IJeelu range sire Sceyvaert, les
Mulrepas, Herman de Witthem, profitèrent de la fatigue de tous
pour s’abattre comme des vautours sur les dépouilles des vaincus.
Les morts furent laissés complètement nus , en sorte que les frères
de différents ordres qui s’occupèrent du soin de les ensevelir, ne
purent retrouver ni le comte de Luxembourg, ni Walter Berthoul.
Le lendemain, au soir, leur pénible travail était achevé; un reli-
gieux venu de bien loin, de la vallée du Haut-Rhin [van Over -
tant), avait conduit les morts, sur une charrette, au cimetière
de Woeringen.
Le duc , après la bataille , était véritablement harassé de fatigue;
il dut se reposer dans une loge ou baraque et se faire ôter ses
armes. Ce fut en ce moment que son frère Godefroid lui amena le
comte de Gueldre, que l’on venait de reconnaître; il n’y eut que
peu de mots échangés entre les deux compétiteurs au duché de
Limbourg. Jean Ier, après avoir confié son rival à des gardiens
fidèles, et après avoir pris quelque repos, monta en bateau et
se rendit à Cologne avec le prévôt de Juliers, qui était aussi
blessé.
Les Colonais accueillirent le duc comme leur libérateur. Pour
mieux lui prouver leur reconnaissance, ils le reçurent bourgeois
de Cologne et lui offrirent, dit-on, une vaste maison, qui devait
jouir du droit d’exemption des assises et du droit d’asile. On la
nomma depuis la Cour de Brabant l. Afin de perpétuer le souve-
1 Selon M Willems , l. c., p. xliv, remplacement de cet hôtel est actuellement
occupé par les maisons nos 2119 et 2120, dans la rue dite Am’hofe, près de la
cathédrale. — Le fait dont il est ici question me paraît douteux, car, déjà, le
( «76 )
nir de la terrible journée du b mai, les habitants de Cologne éri-
gèrent au saint de ce jour, saint Boniface, une chapelle où leurs
magistrats se rendaient en corps tous les ans, pour assister à une
messe solennelle. Au-dessus de la porte d’entrée , on lisait l’inscrip-
tion suivante, qui est actuellement conservée au musée de la ville :
A° MCCLXXXY1II F LIT PRELIIM
IX AYORR1XGEX ET HOC IX SABATH.
Aussitôt qu'il fut guéri de ses blessures, Jean Ier retourna dans
ses États, où son peuple l’accueillit avec les plus vifs transports.
A mesure qu’il approchait d'une ville, toute la population se ren-
dait à sa rencontre : moines, prêtres , religieuses, béguines, accom-
pagnés des croix et des bannières des églises, se joignaient à la
multitude pour lui composer un splendide cortège 5. Depuis long-
temps une aussi belle victoire n’avait récompensé la vaillance des
Brabançons; leur pays, déjà célèbre et respecté, grandit encore
dans l’opinion de tous.
Pendant le combat, Jean 1er avait particulièrement invoqué les
trois rois, dont les reliques furent transportées de Milan à Cologne
par l’archevêque Rainald, l’un des conseillers et des généraux les
plus dévoués de l’empereur Frédéric Barberousse; il fonda en leur
honneur une chapellenie dans l’église Sainle-Gudule à Bruxelles,
et institua aussi des distributions d’aumônes en faveur des pauvres
de cette ville, qui devaient se faire le jour de Saint-Boniface 2. On
prétend de plus que l’ancien Ommegany de Bruxelles, qui se célé-
brait le dimanche avant la Trinité, doit son origine à la journée
terrible dont nous venons de parler; mais ce fait est douteux,
l’église du Sablon, de laquelle sortait YOmmegang , n’ayant été
fondée qu’en 1304, parles arbalétriers de Bruxelles, sur un ter-
11 août 1213, le duc Henri 1er avait acquis de l’abbesse et du couvent du Vivier
{de Yi varia), à Cologne, une maison située dans cette ville, et qu’il paya trois
cent vingt-cinq marcs. Carlulaire de Brabant B, f° 59 v°.
1 Van Veltlicm.
2 Bulkens, t. I, pp. 521 et suiv. — Opéra diplomalica , t IV , p. 590.
( 177 )
rai a acheté cinq années auparavant de l’hôpital Saint-Jean , de la
même ville.
Enfin , ajoute-t-on , Jean Ier attacha un si grand prix à l’annexion
du Limbourg à ses Etats qu’à l’ancien cri de ses ancêtres : Lou-
vain au riche duc, il en substitua un nouveau : Lembouryh à
cdluy qui Va conquis. En outre, il changea d’armoiries. Il éear-
tela son noble blason, qui était de sable au lion d’or, des armes
du Limbourg, où l’on voyait, sur un champ d’argent, un lion de
gueules, à la queue bifidée *.
CHAPITRE Y IL
SUITES DE LA BATAILLE I)E "WOERINGEN. — SITUATION DE L’ARCHEVÊCHÉ
DE COLOGNE, DE LA GUELDUE , DU LUXEMBOURG, ETC.
I.
Aucun pays n’eut plus que l’archevêché de Cologne à souffrir
des suites de la bataille de Woeringen. Privé de son chef, cet
Etat, que Philippe de Heynsberg avait élevé à un si haut degré
de splendeur, et qui avait encore grandi, au treizième siècle, sous
l’épiscopat d’Engelbert de Berg, de Conrad de Hofstade et d'En-
gelbert de Fauquemont, subit toutes les horreurs de la guerre
civile et de la guerre étrangère. Conrad et le second Engelbert
1 Chronicon monaslerii Sancti Bertini , c. L11I, clans le Thésaurus ancc-
dotorum de Martene et Durand, t. III , p. 760. C’est là qu’Oudegherst et Bulkens
ont puisé celle allégation, dont Desroches ignorait l’origine. Ernst, t IV, p. 190.
Tome XIII. 12
( 178 )
avaient également perdu la liberté dans les combats, mais sans
entraîner leur parti dans leur chute. A Woeringen, au contraire,
aucun des alliés de Sifroi n’avait été épargné : les comtes de
Gueldre et de Nassau languissaient dans les fers; le comte de
Luxembourg et son vaillant frère avaient péri; nul guerrier re-
douté dans les batailles, ne protégeait les domaines et les vas-
saux de l’Église de Cologne.
Sauf le duc de Brabant, dont l’attention fut attirée ailleurs,
tous les ennemis de Sifroi, tous ceux qui avaient redouté sa va-
leur ou son habileté, s’empressèrent de profiter de sa défaite. Le
comte de La Marck prit et détruisit les villes de Werle et de
Mendene, les châteaux d’Ysenberg et de Wolmersteyne L Walc-
ram de Juliers attaqua le redoutable château de Zulpich, s’en
rendit maître et le ruina 2. Quant aux Colonais, dont l’indépen-
dance fut alors solidement affermie , ils portèrent les derniers
coups à la puissance de leur prince. Non-seulement ils instiguèrent
Waleram à assaillir Zulpich et ils lui envoyèrent leurs milices,
mais ils continuèrent le siège de Woeringen, que la garnison leur
livra, et ils s’emparèrent de Zunze et de Nuenberg. Ces trois
châteaux furent détruits, on conduisit à Cologne les arbalètes et
les autres engins de guerre qui s’y trouvaient, et on transporta
les pierres de leurs murailles près de la glorieuse cité, dans l’in-
tention de les employer à en améliorer les fortifications 3.
Ce n’était pas assez pour les Colonais d’humilier leur ennemi,
ils voulurent le mettre dans l’impuissance de se venger de leurs
outrages. De concert avec le comte de Berg, ils proposèrent de
confier l’administration de l’archevêché au frère de ce prince, qui
était grand prévôt de la cathédrale. De la sorte, on eût remplacé
momentanément Sifroi, dont la délivrance, devenant moins né-
cessaire, aurait été facilement retardée. Quelques-uns des hauts
dignitaires de l’Église de Cologne adoptèrent cette proposition ;
1 Enquête de 1290, déjà citée.
2 Eodem turbine castrum Tulpetense invictissimum cepit et destruxit.
Clironicon praesulum et archiepiscoporum Coloniensium , 1. c.
3 Enquête citée. — Selon De Dynter, ce fut le duc Jean qui lit démolir
Woeringen et décapiter la garnison de ce château (t. II, p. 444).
( 170 )
mais l’un des plus influents, l’écolâtre Wicbold, qui dans la suite
fut à son tour archevêque, ne voulut pas en entendre parler.
Lorsque le comte de Berg, poursuivant ses projets ambitieux,
convoqua à Bonn une assemblée des officiers et des vassaux de
l’archevêque, Wicbold refusa d’y assister. On ne donna aucune
suite aux ouvertures qui furent faites par le comte; cependant,
dans l’impossibilité où l’on était de continuer une situation dé-
plorable, il fallut consentir aux conditions les plus onéreuses pour
obtenir la paix l 2. Cinq traités ou conventions, également défa-
vorables à ses intérêts, furent acceptés par Sifroi , le jour de
l’Ascension, 19 mai 1289.
Le comte de Berg, en indemnité des torts que lui et les siens
avaient soufferts, reçut douze mille mares. Deux douzièmes de
cette somme devaient être payés dans les six mois; en remplace-
ment d’un troisième douzième on lui livra, pour un terme de dix
années, la ville de Deutz, avec sa mairie et ses revenus, sauf une
ciirtis ou ferme dont le prélat avait gratifié le chapitre métropo-
litain. En garantie du restant de sa dette, Sifroi s’engagea à confier
au comte les châteaux de Wede, de Waldenberg, de Rodenberg
et d’Aspele. 11 promit de remettre les parties du duché de Lim-
bourg, tenues de lui en fief, à la personne qu’Adolphc lui dési-
gnerait, de ne pas accueillir ou favoriser les ennemis du comte
et de ses alliés de ne pas élever de forteresse, sans le consen-
tement du comte, sur la rive orientale du Rhin , entre ce fleuve
et le grand chemin ( strata communis) qui le borde, depuis la
Sieg jusqu’à l’Angre ou Enger. Défense de se citer mutuellement
devant l’official, pour des questions de droit civil ou du ressort
des tribunaux séculiers, fut faite aux habitants laïques du comté
de Berg. Enfin, Sifroi pardonna aux ecclésiastiques qui, refusant
d’accepter l’interdit lancé par lui, avaient continué à célébrer
1 Enquête de 1290. Déposition de Wicbold.
2 Au nombre des ennemis du comte figurent ici : Adolphe et Puyts de
Stamheym, Pagin de Hemberg, Henri d’Ossendorp, chevaliers; Jean le Long
et Kikepot, Adolphe de Ralchusen, Sibodon de Buschenburg. Parmi ses
alliés : les comtes de la Marck et de Virnembourg, les seigneurs de Windeck,
de Thoneburg, de Ryferscheyt , Jacques d’Uphoven, Engelbert Ruselpasse.
( 180 )
roiïice divin et appelé de sa sentence d'excommunication k Le
comte de Windeck eut aussi sa part du butin. Il devint camérier
ou chambellan héréditaire de l’archevêché, avec jouissance d’une
rente féodale de cent Vingt marcs 1 2 * *.
Si l’on en croyait une légende de date beaucoup plus récente,
le comte Adolphe paya chèrement son triomphe. Sifroi alla le voir
au château de Bensberg et le pria de vouloir l’accompagner jus-
qu’à Deutz. Adolphe ne se doutait de rien lorsqu’il se vit entouré
de gens armés qui le conduisirent à Cologne. Là on le retint jus-
qu'à sa mort, quelques offres qu’il fit pour obtenir sa liberté. De
plus, par une cruauté inouïe, on exposait au soleil, pendant l’été,
la cage de fer dans laquelle on le gardait, et on frottait son corps
de miel, pour attirer sur lui les mouches. On répugne à admettre
un pareil acte de barbarie, dont ne parle, d’ailleurs, aucun écri-
vain contemporain, et qui ne coïncide pas avec les particularités
authentiques de la vie d’Adolphe de Berg 5.
Ce prince fut le principal négociateur de la réconciliation de
Sifroi avec le duc de Brabant, les comtes de Juliers, de La Marck,
de Waldeck, et les habitants de Cologne. Grâce à son intervention
et à celle d’autres amis communs, l’archevêque et le duc renon-
cèrent, pour eux, leurs parents, leurs vassaux et leurs officiers,
à toute inimitié au sujet de la mort, de la captivité et de la mise
à rançon des leurs, et de l’incendie, du pillage et de la dévastation
de leurs châteaux et domaines. Le prélat, dans le traité, s’enga-
gea à ne pas secourir contre le duc le comte de Flandre, les hé-
ritiers du comte de Luxembourg, le sire de Fauqueinont, ou ceux
qui avaient pris en mains, en qualité de tuteurs, l’administration
du comté de Gueldre. En garantie de sa promesse, il s’engage à
remettre les châteaux d’Are et de Godesberg à des dignitaires de
l’Église de Cologne; ceux-ci, en cas de contravention au traité,
devaient livrer les deux châteaux au duc, jusqu’à son entière
1 Lacomblet , t. II , p. 508. — Willems , Van Heelu , p. 484. — Ernst , t VI ,
1». 560.
2 K remer, Akademische Beitrcigen , t. III, Urkunden, p. 195.
5 Ernst, I. IV, pp. 554 et suivantes, a très-bien démontré le peu de fon-
dement de ce récit.
(181 )
réconciliation avec le comte de Flandre. Sifroi, en outre, était
tenu d’empêcher ses officiers et scs vassaux de soutenir le comte;
il devait, de plus, restituer au duc les terres de Kerpen et de
Lommersum, et lui permettre de rétablir la forteresse de Ker-
pen L
Waleram de Juliers et son frère Gérard, seigneur de Castre,
étaient entrés victorieux dans Zulpich, dont les habitants les
avaient reconnus pour seigneurs 1 2 3. Depuis longtemps, cette ville
était un sujet de discordes perpétuelles entre l’Eglise de Cologne
et la maison de Juliers; elle passait de l’une à l’autre selon les
événements, selon les chances de la guerre. Il fut décidé, le
19 mai 1289, que Waleram de Juliers en ferait la remise au due
de Brabant et au comte de Berg, qui la garderaient jusqu’à la fin
de la guerre entre le duc et le comte de Flandre. Dans l’entre-
temps, on ouvrirait une enquête afin d’établir les droits respectifs
de l’Église de Cologne et des comtes de Juliers, et, si l’on ne
tombait pas d’accord, les deux princes pourraient rendre la
ville à Waleram 5. La question fut pacifiquement vidée, l’année
suivante. L’archevêque renonça à l’avouerie de Zulpich. En cas
de guerre entre lui et Waleram, Zulpich devait rester neutre ;
nul des deux princes ne pouvait y élever de château ou forteresse;
seulement les habitants étaient libres de fortifier la ville, à leur
gré 4.
Dans la convention entre l’archevêque, d’une part, les comtes
de La Marck et de Waldeck, d’autre part, on ne trouve qu’une
1 Lacomblet, t. Il , p. 514. — Willems, /. c., p. 488. — Ernst, t. VI , p. 566.
De grands travaux de construction ( pro constructione et edifteatione) se
firent en effet au château de Kerpen. Le duc Jean 111 en paya la dépense à sire
Werner de Rode (ou Mérode), sauf dix mille livres de noirs tournois du roi de
France, à seize deniers , dont il reconnut lui être redevable. Bruxelles, le
jour de sainte Marie Madeleine, en 1525. Cartidaire de Brabant B, f° 106.
2 Déclaration des juges , échevins et habitants de Zulpich , donnée in cas-
tris ante Tulpetum, le jour de saint Pierre ès liens (1er août 1288). Kremer,
l. 111, Urkunden, p. 187. — Lacomblet, t. II , p. 499.
3 Lacomblet, t. II, p. 511 ; — Willems, /. c p. 491. — Ernst, t. VI,
p. 570.
1 8 mars ( lenzmonat) 1290. Kremer, l. c., p. 199.
( 182 )
stipulation importante. C’est une défense réciproque d’édifier des
forteresses dans leurs domaines
Le 18 du mois suivant , Sifroi s’accorda avec les échevins, les
consuls, les maîtres des citoyens et l’université (ou commune) de
sa capitale ; il ne fit de réserve que pour réclamer les biens et les
revenus qu’on lui avait enlevés, dans Cologne, après sa défaite 1 2.
Mais le comte de Berg, choisi pour arbitre, déchargea les Colo-
nais de toute poursuite à ce sujet 3.
Le prélat fut immédiatement délivré de sa captivité, qui a
inspiré au vieux poëte autrichien Ottocare de Horneck un récit
très-pittoresque, mais d’une exactitude plus que douteuse. Après
avoir dit que l’archevêque fut enfermé dans une prison où on le
contraignait à garder constamment la pesante armure qu’il portait
pendant le combat, Ottocare ajoute : « J’ai entendu raconter que,
» lorsqu’on lui donnait à manger, on lui ôtait pour un moment
» heaume et manicles, mais qu’on les lui remettait aussitôt après
» le repas, de manière qu’il devait les garder même au lit. Quand
» le pape fut informé de ce traitement , il envoya un légat au duc
» de Brabant. Arrivé dans le pays, ce légat salua le prince de la
» part du Saint-Père et l'invita à mettre un terme aux tortures
» de l’évêque: -—Me croyez-vous assez fou, répartit le duc, pour
» causer le moindre mal à un prêtre? Je ne l’ai jamais fait, et que
» Dieu m’en préserve à l’avenir. Il est vrai que je fis des prison-
» niers dans la dernière bataille, et que j’en garde un armé de
» pied en cap comme un chevalier; mais, je vous le demande ,
» est-ce là ce qu’on appelle un prêtre? Je n’y vois rien de sem-
» blable.
» Le légat témoigna le désir d’avoir une entrevue avec le pri-
1 Le comte de la Marck fit comprendre dans le traité le chevalier Thierri
de Volmestene. Lacomblet, t. II , p. 515. — Willems, p. 495. — Ernst, t. VI,
p. 575.
2 Lacomblet, t. II, p. 517.
3 Idem, l. c. — Ernst, t. VI, p. 575 — Les bourgeois de Cologne avaient
saisi tous les revenus archiépiscopaux, et extorqué de fortes sommes des juifs
de leur ville, qui relevaient de la « chambre spéciale, « c’est-à-dire de la
mense particulière de l’archevêque. Enquête de l’an 1290, ubi supra.
( 185 )
» sonnier, et il lui fut répondu : Soit. Introduit, dans la prison, il
s trouva l’évêque assis comme je viens de le dire. Il lui adresse la
» parole en latin. Sifroi, sous le heaume qui le couvre, fait enten-
» dre des sons confus et grommelants, pareils au bruit sortant
» d’une pierre creuse. Alors le légat, de sa propre main, lui ôta le
» heaume de dessus la tête, et ne sortit pas de là sans avoir en-
» tendu le lamentable récit de tout ce qui était arrivé. Sur ce,
» l’envoyé du pape travailla sans relâche et de tous ses moyens,
» pour rétablir la paix et l’amitié entre les partis, et il y par-
» vint h »
Ce fragment pèche doublement contre la vérité. L’archevêque
ne fut pas le prisonnier du duc, mais celui du comte de Berg;
puis, loin de rétablir la paix, le légat ralluma plutôt la guerre, puis-
qu’il refusa de ratifier les conventions que nous venons d’analyser.
En effet, au moment où Sifroi était rendu à la liberté, arrivè-
rent des bulles papales dont la teneur fait supposer que le souve-
rain pontife ignorait complètement ce qui venait de se passer. Il
est vrai qu’à cette époque un voyage de Cologne à Rome ne con-
stituait pas une affaire de quelques jours; le mauvais état des
chemins, les dangers du passage des Alpes, mille circonstances
dont nous ne nous faisons plus une idée, ne permettaient pas
aux messagers de la cour de Rome de franchir rapidement ces
distances, que les locomotives et les paquebots sillonnent aujour-
d’hui avec la rapidité de l’éclair.
Le 5 août, Nicolas IV avait engagé les comtes Adolphe de Berg
et Henri (sic) de Juliers à mettre le prélat en liberté1 2; mais, dans
la prévision qu’on n’obtempérerait pas à sa réquisition, il avait
chargé Bohémond , archevêque de Trêves, de menacer ces princes
d’excommunication et de la privation de tous les fiefs qu’ils te-
naient d'une église, s’ils se refusaient plus longtemps à délivrer
Sifroi et à indemniser de ses pertes l’Église de Cologne. Le pape y
traite les princes victorieux avec la plus grande dureté, et de ma-
1 Traduction de Willems, Van Heelu , Introduction, p. xlviii; voyez les
appendices à cet ouvrage, p. 569.
2 Willems , l.c., p. 500.
( 184 )
nière à faire croire que l’affaire lui avait été présentée sous un
jour tout à fait faux.
« A ce que nous avons appris, dit-il, le duc de Brabant et les
» comtes prédits, non contents de leurs domaines et donnant car-
» ricre à leurs entreprises audacieuses, ont persévéré dans leurs
» œuvres détestables, et, malgré l’obligation de fidélité qu’ils
» avaient contractée envers ladite Église, ils ont conclu criminelle-
» ment une conspiration, conjuration et confédération avec les
» citoyens de Cologne contre l’archevêque et son église; puis, pro-
» duisant au jour leur perversité préméditée, ils ont hostilement
» envahi les domaines de cette église, à la tète d'une immense*
» multitude... »
« Enfin, le duc, les comtes et autres précités se sont jetés sur
b l’archevêque et sur son peuple , ont cruellement frappé ce
s peuple de leurs glaives furieux et ont osé s’emparer, avec sacri-
» lége, d’un vénérable ministre du Christ, respectable par sa
» dignité pontificale; après l’avoir accablé de graves injures , sa-
» turé d’opprobres, affligé d’insultes honteuses, ils l’ont, avec
» une témérité damnable, lié avec des chaînes de prison, et le
» tiennent encore; dit-on, lié de cette manière, sans avoir cessé
» de vexer, de troubler et d’opprimer l’Église dans ses possessions
» et dans ses biens... »
Les évêques de Strasbourg et de Worms furent invités à prêter
aide et assistance à l’archevêque de Trêves 4, et les habitants de
Cologne engagés à contribuer à la délivrance de leur pasteur 1 2.
Le mécontentement du souverain pontife ne se calma pas à
l’annonce de la conclusion delà paix. Sifroi et ses amis n’avaient
été mis en liberté qu’au prix d’une forte rançon et en promettant de
ne jamais porter plainte au saint-siège de ce qui avait été fait. Ces
précautions, prises pour empêcher l’intervention de son pouvoir
suprême, paraissent avoir mécontenté le pape à un haut degré.
Ses brefs se succédèrent, nombreux, pressants, tous conçus dans
le même esprit. Après avoir délié Sifroi des engagements qu’il
1 8 août 1289. Lacomblet , t. Il , p. 518. — Willems, pp. 500 et 501 .
2 9 août 1289. Willems, /. c.} p. 501.
( 185 )
avait contractés *, il enjoignit aux princes, ses ennemis, de rendre
à la liberté leurs prisonniers et de restituer leur butin et leurs
conquêtes 1 2 3 *. Le même jour, les archevêques de Mayence et de
Trêves reçurent l’ordre de veiller à l’exécution des injonctions du
pape et d’employer au besoin la force, pour arriver à ce but 5.
La ville de Cologne persistant dans son refus de plier devant
les exigences de Sifroi , les archevêques de Mayence et de Trêves
se rendirent à Bonn, où ils ouvrirent une enquête dans le but de
constater le montant des dommages que leur collègue avait souf-
ferts. On a conservé le texte des déclarations des témoins qui fu-
rent alors entendus; tous incriminent les bourgeois de Cologne,
en les accusant énergiquement de haïr leur archevêque et de ja-
louser ses prérogatives. Les témoins, il est vrai, sont, sans excep-
lion, des dignitaires ou des vassaux de l’église métropolitaine :
Werner, prévôt de l’église Saint-Géréon ; Wicbold, écolatre de la
cathédrale, tout récemment élu doyen de ce temple; Jean de Ren-
nenberg, chor-évêque de la même église; le chanoine Gérard sur-
nommé l’avoué; Jean de Rinecge , prévôt de Notre-Dame ad
cjradus; les prévôts de Bonn et de Rces ; Louis de Bugstellc, Go-
belin d'Odekenbach et Gérard de Limbourg, chanoines de la cathé-
drale; Engelbert de Witerche, chanoine de Xanten; Herman,
pleban de Yreggene; les abbés de Campen, de Saint-Pantaléon ,
de Knegstcden, de Saint-Martin à Cologne, de Deutz, de Sieg-
berg;le moine Rodolphe et le frère ton vers Bernard, tous deux
de Campen; les chevaliers Jean, sire de Lewenberg; Conrad
d’Isenberg, noble homme; Salentin d’Isenberg, Daniel de Bag-
lieim, le bouteiller Matthias d’Are, et Burchard, écoutète d’An-
dernach. Ils appartenaient, par leurs alliances , par leurs sympa-
thies, au parti vaincu à Woeringcn. Ils voulaient, ils désiraient
1 Bref en date du 18 janvier 121)0. Lacomblet , t. II , p. 522. — Ernst , t. VI ,
p. 401. — Willems , Van Heelu , p. 512.
2 Brefs adressés aux comtes de Juliers et de la Marck, le 51 janvier. La-
comblet, t. II , p. 524; — Willems, l. c., pp. 514 et 515.
3 Brefs en date du 51 janvier. Lacomblet, t. Il, p. 525. — Willems, /. c.,
p. 515. — Le même jour, ordre fut donné à l’évêque de Strasbourg' de prêter
assistance aux deux archevêques. Willems , I. c.. p. 515.
( 486 )
l'affaiblissement de la bourgeoisie, dont la constante progression,
en influence, en prépondérance, en force militaire, leur inspi-
rait une crainte d’ailleurs fondée.
Les deux archevêques avaient cité les Colonais à comparaître
devant eux. Un député, Henri Westvelinch, vint, en effet, les
trouver au nom delà ville, mais, comme il refusa de s’expliquer,
une nouvelle injonction fut adressée, le 5 juillet, aux magistrats
de Cologne. Si, au 2 août, ils n’avaient pas indemnisé leur archevê-
que et son Église , eux et les autres officiers de la cité seraient ex-
communiés de fait, et s’ils persévéraient dans leur refus jusqu’au
lendemain de l’Assomption, on lancerait l’interdit sur eux et sur
tous les habitants. L’indemnité que l’on exigeait des Colonais ne
s’élevait pas à moins de deux cent mille marcs de Cologne, soit, si
l’on croyait M. Ernst, à plus de dix millions de livres tournois h
Toutes ces menaces n’aboutirent à aucun résultat; les Colonais
continuèrent à braver les foudres de l’Église, bien que Sifroi se
fût réconcilié avec presque tous ses voisins. Sans se laisser abattre
par le souvenir de sa défaite, ce prélat travailla énergiquement à
se préparer les moyens de lutter de nouveau contre ses indociles
sujets. Il éleva, à grands frais et sous la protection de forces mili-
taires considérables 1 2 *, le château de Brühl, et il commença en
outre la construction d’une forte tour sur la rive du Rhin, à
Berken. La mort le surprit avant qu’il eut eu le temps d’achever
ce dernier ouvrage. Son successeur Wicbold eut à la fois la gloire
de le terminer 5 et le mérite de montrer des dispositions plus
dignes de son ministère. Peu de temps avant sa mort, Sifroi avait
obtenu de l’Empereur, par l’intermédiaire de son maître d’hôtel,
Flecko Von Heîdorp, la proscription des citoyens de Cologne 4.
Wicbold ne tira aucun parti de cette sentence; il s’empressa, au
contraire, de solliciter du pape Boniface VIII la levée de l’interdit,
1 Ernst, t. IV, p. 552. — Pour le texte de l’enquête, voyez le même auteur,
t VI , p. 405. — Lacomblet, t II, p. 551. — Willems, Van Heelu, p. 525.
2 Maximo sumptu et cum non modico militaris potentiae apparatu. Chro-
nicon praesulum et archiepiscoporum Coloniensium , 1. c.
5 Ibidem.
1 18 août 1296. Securis ad radicem , p. 551 — Lacomblet, t. II, p. 570.
( 187 )
et lui-même donna l’absolution aux Colonais, le 21 mars 1297-
1298. La ville épiscopale vit s’éteindre, vers cette époque, toutes
les contestations dans lesquelles elle s’était engagée, à la suite de
la guerre du Limbourg. Le 6 octobre 1299, le comte de Gueldre
renonça aux réclamations qu’il avait élevées à sa charge, au sujet
des pertes subies par lui à Woeringen, et il renouvela ses an-
ciennes alliances avec les bourgeois b
II.
Ce ne fut pas sans de grandes difficultés que le duc Jean entra
en possession de ses nouveaux domaines.
Son beau-père Guy, comte de Flandre, qui avait également uni
une de ses filles au comte de Gueldre, continua contre lui son an-
cien système de demi-mesures, d’intrigues perfides, de machina-
tions à la fois déloyales et timides. Quelques chroniqueurs en
rejettent la faute sur l’entourage du comte et principalement sur
sa seconde femme, Isabelle, qui, de même que la comtesse de
Hainaut, était la sœur du dernier comte de Luxembourg. Avant
la bataille, disent ces écrivains, Guy parla d’offrir sa médiation,
mais les comtesses, qui comptaient sur un succès décisif, repous-
sèrent formellement cette proposition. On peut juger quelle fut
leur douleur en écoutant le récit de la bataille : « Isabelle, s’écria
» le comte, le duc est vainqueur, tes trois frères ont péri. Que
» n’as-tu suivi mes conseils! » Le mal était irréparable; il fallait
l’empêcher de grandir et protéger l’héritage des jeunes enfants
du comte de Luxembourg 1 2.
Tandis que Renaud était conduit à Louvain, où l’historien
liégeois Hocsem eut occasion de le voir3, ses châteaux de Limbourg
1 Lacomblet, t. II, p. 611.
2 Chronicon monasterii sancti Bertini, dans Martene et Durand, Thé-
saurus anecdotorum , t. 111, col. 7 et suiv.
5 Seloü Levold de Northof,il fut aussi enfermé, pendant quelque temps,
dans le manoir de Bautersem , près de Louvain.
( 188 )
et de Roldue furent remis au nom du sire de Fauquemont, par
son clerc, nommé Thomas, à Jean de Messines et Lottin de
Bruges, mandataires du comte de Flandre !.
Waleram ayant exercé de nouvelles hostilités dans les terres
relevant du duché de Brabant, le duc alla, au mois d’août 1288,
assiéger le château de Fauquemont, devant lequel il se trouvait
encore quelques jours avant la Toussaint. Waleram ne se ren-
ferma pas dans sa capitale, la comtesse de Flandre lui ayant confié
l’administration du comté de Namur, qui lui appartenait à titre
de dot. Là, il rassembla un corps de troupes et se jeta sur le
Brabant. Le seigneur de Melin ou Mellet ramassa à la hâte le plus
de forces disponibles et se porta à sa rencontre, mais il fut battu
et tué, ce qui obligea Jean Ie1 à quitter, au moins pour quelques
jours, le siège de Fauquemont -.
L’évêque de Cambrai, Guillaume d’Avesnes, se rendit auprès
du duc, pendant que ce prince assiégeait Fauquemont. Après
mainte conférence avec lui , avec l'évêque de Liège, avec les con-
seillers de tous deux, et grâce à l’appui de l’évêque de Liège et
de Nicolas de Condé , seigneur de Belœil et de Morialmé , « qui
» l’aident beaucoup, » il parvint à ménager une transaction. Jean
de Flandre, Nicolas de Condé, Philippe, fils du comte d’Artois, le
sire d’Aerschot, Gilles Berlhout et quelques autres personnages
de distinction déterminèrent le duc à l'accepter pour médiateur
et, d’autre part, promirent qu’ils feraient observer par le duc
rengagement que celui-ci venait de prendre (24 octobre 1288).
Conformément à ses promesses, le duc partit du camp devant
Fauquemont le lundi avant la Toussaint et se rendit à Nivelles le
vendredi suivant. L’évêque, qui ne le quitta que lors de la levée
du siège, avait, le 24 octobre, engagé le comte de Flandre à eon-
tremander la semonce ou prise d’armes pour laquelle il avait
donné les ordres, et à se trouver le même vendredi à Yieuville.
Les deux princes devaient se rencontrer près de ce dernier en-
droit, dans la ferme de l’abbaye de Villers, à Frasne.
1 Déclaration de Waleram, en date du 15 décembre 1288. Jules de
Saint-Génois , Inventaire cité, pp. 142 et suiv.
- Hocsem, c. XVI.
( 180 )
Lecomte admit aussi l’évêque pour arbitre et le due eu lit au-
tant, une seconde fois, la veille de la Toussaint, 51 octobre; il
s’obligea alors, pour le cas où il n’accepterait pas la décision de
Guillaume, à payer au comte de Gueldre une amende de cent
mille livres parisis. Philippe d’Artois, Hugues de Saint-Pol, le
comte Jean de Dreux, le sire d’Aerschot, Rase, sire de Liedekerke;
Othon, sire de Trazegnies; Jean, sire de Cuyek; Arnoul, sire de
Walhain; Robert, sire d’Assche; Gérard, sire de Rotselaer, et
Henri de Moerseke se constituèrent ses cautions.
L’évoque de Cambrai, avec une précipitation singulière, porta,
le fi novembre, la sentence suivante : Renaud devait lui être remis
dans la huitaine, et, dans le même délai, Je comte de Flandre
avait à lui livrer les châteaux de Limbourg, de Rolduc, de Spri-
mont et leurs dépendances. Il se réserva, au surplus, de pronon-
cer sur les débats des parties, qu’il assigna à comparaître devant
lui, à Rossignies, le mardi après l’octave de la Saint-Martin d’hiver.
Le comte de Flandre fit aussitôt remettre à l’évêque, par Walter
d'Antoing, sire de Reloue, les places de Limbourg et de Rolduc;
mais le duc n’agit pas de même. Craignant sans doute quelque
combinaison nuisible à scs intérêts , il se refusa à relâcher son
rival, « si ce n’est par paroles et par un want, » c’est-à-dire en
contractant un engagement verbal, pour lequel il fournirait une
garantie. Une nouvelle assignation fut donnée aux parties à Hac-
quegnies, et là, le 8 décembre, à l’heure de midi, l’évêque somma
encore une fois le due de mettre le comte de Gueldre en liberté.
Trois jours après, Guillaume se rendit à Nivelles , où le duc avait
fait conduire le comte, après lui avoir fait quitter le lieu où on
l’avait amené, par ordre du juge arbitre. Là, en présence de celui-ci ,
de l’évêque de Liège, de Jean de Fieffés, archidiacre de Flandre;
de Nicolas de Condé, de Walter d’Antoing, de Tliicri Loef, sire
de Thonnebourg; de sire de Bronckhorst, de «Gérard, sire de
Batenbourg; de Thierri, avoué de Ruremonde: de Loef de Clèves,
de Lot lin de Bruges, Renaud déclara approuver le compromis
fait pour sa délivrance. 11 pria l’évêque de vouloir continuer son
rôle de juge-arbitre, et donna pleins pouvoirs au comte de Flandre,
son beau-père, pour négocier en son nom. Par un autre acte, il
( 190 )
reconnut comme sien un nouveau scel, et il ordonna de le porter
au même comte, auquel il abandonna le soin de toutes ses affaires,
aussi longtemps qu'il resterait en prison.
Le due ayant été derechef et sans plus de succès, invité à livrer
le comte à l’évêque, « à la Caucie (ou chaussée romaine), de lés
» Librecliies, » fut condamné par défaut. Le juge-arbitre lui
défendit de conserver Rolduc et Limbourg, dont on l’avait mis en
possession, et de continuer à occuper le duché de Limbourg, avant
d'avoir accompli ce qu’il lui avait ordonné et ce qu’il lui ordonne-
rait par la suite (15 et 16 décembre).
Toutes ces tentatives infructueuses découragèrent le prélat.
Le 18 du même mois, il se déchargea de ses fonctions sur son
cousin Guillaume de Flandre J ; mais si celui-ci fit quelques dé-
marches, elles n'aboutirent à rien.
On craignit un moment que la guerre ne recommençât. Quel-
ques déprédations réciproques furent commises sur les frontières
du Brabant, d’une part; des comtés d’Alost et de Namur, d’autre
part. L'entreprenant sire de Fauquemont conclut un traité d'al-
liance avec Guy de Dampierre contre Jean Ier, l’évêque de Liège
et leurs alliés; il promit de garder loyalement le comté de Guel-
dre et de le restituer au comte de Flandre ou au comte de Guel-
dre,ou, si ce dernier était encore prisonnier, à la comtesse, de
même que toutes les places mises sous sa garde ou qu’il pourrait
conquérir, sans en rien retenir, pour quelque cause que ce fut -.
Heureusement, la paix ne tarda pas à se conclure. Dans le cou-
rant du mois d’août, le comte Renaud fut remis au roi de France,
à condition que si un traité n’était pas signé à la Saint-Remi,
ce prince serait rendu au duc, dans le même état et au même
endroit où il avait été confié au roi. Philippe le Bel décida la
question à Paris, le 15 octobre 1289, en présence du duc et des
deux comtes. A sa'réquisition, Jean Ier mit Renaud en liberté; puis,
celui-ci ayant ratifié son acte de compromis, on proclama les con-
1 Les actes relatifs à ces négociations ont été publiés par Nyhoff, Gedenk-
ivaardigheden , t. I, pp. 11 et suiv. ; — Ernst, Histoire du Limbourg,
t. VI, pp. 541 et suiv., — et Willems, Van Heelu, pp. 467 et suiv.
2 7 février 1288-1289. Willems, Van Heelu, p.482.
( 191 )
ditions du traité. Voici l’analyse de cet acte important, en vertu
duquel le Limbourg fut, pour jamais, annexé au duché de Brabant.
Le comte de Gueldre renonce, pour toujours, en faveur du
duc, à ses droits sur le duché de Limbourg et sur les châteaux de
Duysbourg, de Wassenberg, de Herve et de Sprimont et leurs
dépendances. ïl s’engage à payer la moitié des huit mille six cents
marcs pour lesquels Wassenberg est engagé à l’archevêque de Co-
logne (l’autre moitié devant rester à la charge du duc de Brabant),
à rembourser les autres hypothèques existant sur Wassenberg et
Duysbourg, et à indemniser le duc des dettes dont il avait grevé
ces châteaux ou des aliénations qu’il avait faites dans ses domaines ,
depuis la mort de sa femme Ermengarde.
Le comte de Gueldre restitue au duc la ville de Thiel, « dans
» l’état où elle se trouve, après avoir été ruinée pendant la
» guerre. » Par contre, le duc rend le Bommehveert et le Tieler-
weert. Aucune réclamation ne pourra être élevée à charge des
deux princes, à raison des dégâts ou des dommages qu’eux et leurs
gens se sont mutuellement causés.
Le comte de Flandre payera au duc les quatre mille marcs que
le sire de Fauquemont doit à ce dernier, pour avoir repris les
armes contre lui; de plus, il renoncera , en sa faveur, à la posses-
sion de Herve et de Sprimont.
Dans la paix on comprend : du côté du Brabant, les comtes de
Hollande, de Clèves, de la Marck, de Berg et de Juliers, et les
villes de Cologne et d’Aix-la-Chapelle; du côté de la Gueldre, le
sire de Fauquemont.
Aussitôt après le prononcé du jugement, et sur l'ordre du roi,
le sire de Fauquemont, puis le comte de Gueldre firent hommage
au duc pour les terres qu’ils possédaient à titre de fief, dans le
Limbourg; le second releva une seconde fois de Jean Ier ses fiefs
brabançons. Ensuite le duc et les comtes de Flandre et de Gueldre
approuvèrent la sentence royale, et se donnèrent mutuellement
le baiser de paix h
1 Praelium Woeringianum , pp. 66-70. — Butkens, t. I, Preuves, p. 124.
—Ernst, t. VI, p. 391. — De Dynter, t. II, pp. 44b et suiv. — Dumont, Corps
diplomatique, t. I, 1 re partie, p. 268.
( I9â )
Le duc entra aussitôt en possession de tout le Limbourg et
particulièrement de ce que le comte de Flandre y avait acquis
de Conon de Loncin et de son fils Henri, châtelain de Spri-
mont L Ces chevaliers, en vertu de lettres ou actes émanés du
dernier due de Limbourg, du comte de Gueldre, du sire de Fau-
quemont, avaient concentré entre leurs mains un grand nombre
de riches domaines et de beaux revenus : la maison ou château
de Loncin, que Jean Ier avait fait abattre; l’avouerie ou seigneurie
du même endroit, le village de Simpelvelt, une redevance en
blé qui se levait à Lymiers, un tonlieu qu’on percevait à Henri-
Chapelle, le château de Hervé et ses dépendances, la châtellenie
de Sprimont. Guy de Dampierre acheta le tout pour la somme de
quatre mille marcs ester! ings de Brabant, à douze sous, plus trois
ces biens, depuis la Saint-Remi de l’année 1 288 jusque quinze jours
après la Saint-Jean-Baptiste de l’année suivante (29 juin 1289) 1 2 * *.
Ce fut Florent Berthout, sire de Berlaer, qui eut commission de
recevoir, au nom du duc, la remise de Hervé et de Sprimont 5.
VVassenberg passa également sous la domination de Jean 1er L
mais ce prince ne put réunir à ses domaines l’antique et impor-
tante ville de Duysbourg, malgré l’invitation que le comte Renaud
adressa dans ce but aux habitants. IJ nous serait impossible, faute
de documents suffisants, de préciser les phases par lesquelles passa
cette localité après la bataille de Woeringen ; nous allons cepen-
dant essayer d’en donner une esquisse, parce qu’elle formait
1 Ces deux chevaliers assistèrent à la bataille de Woeringen , où ils essuyè-
rent de grandes pertes. Le comte de Luxembourg les indemnisa, eux et leur
suite, moyennant sept cents marcs esterlings de Brabant (déclarations de
Conon , en date du 26 juin 1289, et de son lils Henri, en date du 50 mai 1296).
Willems, Van Heelu , pp. 495 et 569.
2 Willems, Van Heelu,]). 496. — La quittance des deux chevaliers est datée
du 19 juillet suivant. Jules de Saint-Génois, p. 147.
5 Procurations données les 7 et 8 novembre. Willems, Van Heelu, pp. 508
et 509.
1 Ernst (t. IV , p. 562) doute que Wassenberg ait alors été réuni au Bra-
bant, mais lui-même (t. V, p. 22) donne la preuve du contraire de sa pre-
mière assertion.
( i»3 )
partie intégrante du duché de Limbourg. Adolphe de Berg avait
d'abord, à ce qu’il semble, essayé de s’en rendre maître. Le 9 août
1288, il en prit les habitants sous sa protection et conclut avec
eux un traité d’amitié b Peu de temps après, en 1290, le roi Ro-
dolphe, en constituant la dot de sa nièce Marguerite, femme de
Thierri, comte de Clèves, donna à celui-ci en engagère le château
et la ville de Nimègue et les villes de Duysbourg et de Deventer
(5 juillet 1290) 1 2 * *. On remarquera que le roi, sans doute afin de
se dépouiller le moins possible, donnait trois villes détachées
depuis longtemps du domaine : Nimègue obéissait depuis près
d’un siècle aux comtes de Gueldre; Deventer comptait parmi les
anciennes possessions de l’évêché d’Utrecht; Duysbourg aurait
du obéir au duc de Brabant. Il est vrai que Renaud était encore
prisonnier, et, quant au duc de Brabant, il ne fit pas alors valoir
ses droits, soit parce que le comte produisit, à l’appui de ses pré-
tentions, les conventions de mariage du dernier duc de Limbourg
avec Jutte de Clèves, sa tante; soit parce que ce même comte
devait être récompensé de l’appui qu’il avait prêté au vainqueur
de Woeringen. Les bourgeois de Duysbourg ne passèrent pas sans
difficulté sous cette nouvelle domination; mais la querelle qui
s’éleva entre eux et Thierri s’apaisa, grâce à la médiation de l’ar-
chevêque et du doyen de Cologne, des conseillers du comte et
d’autres seigneurs. Thierri promit de ne tirer d’eux aucune ven-
geance pour ce fait et de les indemniser, si on leur avait causé
quelque dommage 5. Mais, pour plus de sûreté, pour mieux ga-
rantir leurs précieuses libertés, les bourgeois recoururent au roi
et obtinrent de lui, dans l’espace de quelques mois, trois chartes
importantes. La première leur assure, notamment, la liberté de
tonlieu dans tout l’empire et le droit dé juger les différends qui
s’élèveraient entre eux, comme les habitants d’Aix le possédaient ;
1 Kremer, t. III, Urkunden , p. 188. — Lacomblet, t. II, p. 500.
2 o juillet 1290. Lacomblet, t. II, pp. 555 et 556. — L’engagère de Duys-
bourg, qui était primitivement de deux mille marcs d’argent, lïil augmen-
tée de quatorze cents marcs par le roi Adolphe de Nassau, en 1294. hlem,
p. 562.
5 6 novembre 1290. Lacomblet , t. 11 , p. 555.
Tome NUI.
15
( 494 )
elle leur confirme aussi la prérogative de promulguer des kutren
(keuren) ou ordonnances de police L Par la seconde, défense est
faite de les molester h cause des dettes du comte de Clèves, et,
par la troisième, le clergé reçoit l’ordre de payer les impositions
locales, à raison des biens qu’il possède dans la ville 1 2. Comme
nous le verrons plus loin, le duc de Brabant essaya de rentrer en
possession de Duysbourg, mais sans succès. Le roi Albert d’Au-
triche, le second des successeurs de Rodolphe, après avoir con-
firmé les privilèges de Duysbourg3, invita Fécoutète, les consuls,
les éehevins et les autres citoyens de cette ville à reconnaître pour
seigneurs la comtesse de Clèves et ses enfants, dont la postérité
se la transmit paisiblement 4 * 6.
Le 11 novembre 1289, le duc Jean donna quittance au comte
de Flandre de la somme de quatre mille mares mentionnée dans
le traité 3. Guy de Dampierre acquitta volontiers cette dette du
sire de Fauquemont; celui-ci, qui ne se fatiguait pas de servir la
politique du comte, avait négocié, non sans peine, le mariage de
son fils avec la nièce du duc de Brabant, la fille de Godefroid,
sire d’Aerschot et de Vierson G.
Le dernier combattant de Woeringcn fut, depuis cette époque,
le serviteur, le conseiller de son ancien ennemi. Il resta cependant
fidèle au prince dont il avait surtout suivi les inspirations; tou-
jours, il resserra les liens qui unissaient la Flandre et le Brabant.
Jean Ier, qui, après Woeringcn, avait donné sa seigneurie au sire de
Durbuy 7, avait appris à estimer son audace; il lui paya une indcm-
1 Plébiscita , quae vulgariter kuiren appellantur , pro compescendis vul-
garibus ipsius oppidi insolentiis, et pro congrui fori laxatione. Erfurt,
le 18 février 1290-1291. Lacomblet , t. 11 , p. 526.
2 Diplômes datés du 2 juin 1291. Ibidem.
5 28 août 1298. Ibidem, p. 590.
1 8 juin 1299. Ibidem , p. 600.
s Willems, l. c., p. 510.
6 11 décembre 1289. Willems, Van Heelu , p. 511. — Jules de Saint-Gé-
nois, p. 15o.
7 Le 17 août 1289, Gérard, sire de Blankenheim, se constitua le vassal du
comte Guy et de son fils, Jean de Namur, en promettant d’assister ce dernier
contre et envers tous , sauf quelques personnes et notamment le seigneur de
( 195 )
uité de quatre mille marcs pour les dégâts qu’il avait causés dans
ses domaines, « du temps qu’il y avait guerre outre la Meuse L »
Lorsque Waleram dut emprunter neuf cents marcs à des Lom-
bards d’Asti, le duc, ainsi que le sire d’Aerschot, le comte de Looz
et plusieurs autres nobles, se constituèrent ses cautions; chacun
d’eux s’obligea, en cas de défaut de payement, à se rendre à
Maestricht ou à y envoyer chacun trois chevaliers, pour y rester
jusqu’à l’entier payement delà dette. Le comte de Flandre contracta
le même engagement, mais le duc de Brabant promit de l’en tenir
indemne 2. Disons ici que l’archevêque de Cologne Wicbold gra-
tifia le seigneur de Fauquemont d’une rente de deux cents marcs
à prélever sur le produit du péage de Bonn ; il lui fit ce don en
dédommagement des torts que Waleram avait soufferts à Woe-
ringen et pour lui tenir lieu de la rente qui lui avait été promise
à Kempen 3. Le prélat, nouvellement monté sur son siège archi-
épiscopal, s’efforcait alors de cicatriser les blessures dont souf-
fraient ses sujets et son Eglise. Waleram , dont l’influence était des
plus considérables , ne pouvait être oublié.
A cette époque, Renaud n’était pas encore sorti des embarras
Durbuy, « qui est à présent le seigneur de Fauquemont. » Saint-Génois, Monu-
ments , p. 775. La dernière phrase signifie, non pas, comme l’entend Ernst
(t. IV, p. 523, note I), que le seigneur de Fauquemont avait probablement
conquis la terre de Durbuy , mais que le sire de Durbuy , en indemnité de ce
qu’il avait soulfert l’année précédente , était devenu seigneur de Fauquemont,
en vertu d’une concession du duc de Brabant.
En 1289, Gérard de Luxembourg eut une nouvelle querelle avec l’évêque
de Liège; elle finit, le 23 janvier de cette année (1290, nouveau style), par un
accord, moyennant deux mille marcs liégeois, dont le comte de Flandre
demeura caution. Saint-Génois , l. c., p. 777.
En 1296, Gérard et sa femme Mathilde, qu’il avait épousée vers l’année 1255,
vivaient encore, mais tous deux n’existaient plus au printemps de l’année 1504.
lis ne laissèrent que des filles, dont une, Ermengarde, prit pour mari Gérard ,
le sire de Blanckenheim cité plus haut. Voyez Ernst, t. IV, pp. 93 et suivantes.
1 Acte du 7 février 1286 (ou plutôt 1290), dans Willems, Van Heelu,
p. 437.
2 16 et 17 novembre 1292. De Saint- Génois , Monuments , p. 812; — Wil-
lems , Van Heelu , p. 565.
5 6 septembre 1299. Lacomblet, 1. 11, p. 608.
( 196 )
pécuniaires dans lesquels son ambition l’avait plongé. Après avoir
reçu de ce prince, conformément à la sentence du roi de France,
la somme de quatre mille trois cents marcs de Cologne, le duc de
Brabant lui avait donné une décharge complète de toute dette J.
Mais Renaud dut aussi payer, non-seulement les services de la
plupart de ses alliés, mais encore les dommages que leur avait
causés la bataille de Woeringen 2, Ce qui mit le comble au désordre
de ses finances, ce fut l’avidité de ses créanciers. En attendant le
remboursement de leurs avances, ils cherchèrent à s’indemniser
en saisissant tout ce qu’ils purent prendre. Le roi Rodolphe, pour
le consoler de ses déboires, lui confia l’administration de toute la
Frise non soumise au comté de Hollande, avec jouissance d’une
rétribution annuelle de quatre mille marcs 5; mais cette adminis-
tration fut probablement plus nuisible qu’avantageuse au comte,
et, dans l’état de faiblesse où se trouvait l’Empire, sa rétribution
lui fut sans doute très-mal payée.
Renaud se décida enfin à recourir à son beau-père. Il lui avait
déjà des obligations du même genre et lui avait abandonné une
rente de treize cents livres tournois, que le roi de France lui
devait pour la vente de la terre d’Erfleu ou Harfleur 4; il se dé-
cida, au mois de février 1290-1291, à lui abandonner momen-
tanément l’administration de son comté. «Pressés, dit -il, moi
» et ma femme, par d’impitoyables créanciers, réduits à la plus
» pénible extrémité, nous avons toujours trouvé un généreux
» secours dans notre père, le comte Guy, qui nous a avancé des
» sommes considérables, pour nous soustraire à une perte com-
! 8 novembre 1289. Willems, Van Heelu , p. 510. — Jules de Saint-Génois,
p. 151.
2 11 paya à Thierri Loef de Clèves, pour lui et les siens, sauf le chevalier
Thierri de Batenbourg et Jean de Grunzebeke, la somme de deux mille quatre
cents marcs de Cologne. Acte du 50 mai 1290, dans Willems, Van Heelu,
p» 521 .
5 20 juillet 1290. Rousset, Supplément au Corps diplomatique. — Ernst,
t. IV, p. 570. — Bondam, Charterboek , p. 507.
1 Saint-Génois, Monuments , p. 786. — Jules de Saint-Génois, Inventaire
cité, p. 160.
( 1^7 )
» plète. Afin de l'indemniser de ses grands sacrifices, nous avons
» recouru à un moyen extrême, et remis, entre ses mains, pour
» un terme de cinq années commençant à la fête prochaine de
» sainte Marguerite ou plus tôt, jusqu'à l’entier payement des
» sommes dues, les comtés de Gueldre, de Zutphen et de Kessel,
» avec toutes leurs dépendances. » Le comte et la comtesse aban-
donnent à Guy de Dampierre le droit de nommer dans leurs châ-
teaux et places fortes tels gardiens ou magistrats, châtelains,
juges, écoutâtes, échevins, qu’il lui paraîtra convenable. Enfin ils
renoncent à faire acte d’autorité dans leurs États. Ils autorisent
le duc de Brabant, les sires de Fauquemont et de Kessel à les
forcer, au besoin, à tenir leurs engagements; ils prient l’arche-
vêque de Cologne, les évêques de Liège, de Munster et d’Utrecht
de délivrer des lettres attestant l’accord qui précède. A leur de-
mande, un grand nombre de seigneurs et les villes du comté 1
ratifièrent cet accord, car les temps n’étaient plus où on disposait
des peuples sans leur consentement. Selon toute apparence, la
convention dont nous venons de parler fut négociée malgré le
comte. Elle constitua une mesure de salut public, invoquée par
un peuple souffrant d’une mauvaise administration. En effet, un
mois après, le comte n’en avait pas encore envoyé en Flandre la
ratification; il s’en excusa en alléguant l’éloignement des lieux 2.
La Gueldre resta entre les mains de Guy de Dampierre, qui
en confia la garde au sire de Fauquemont. Les sujets de Renaud
essayèrent de rembourser les dettes de leur prince; mais ils ne
purent y parvenir, car le comte devait encore à son beau-père,
en 1295, cent mille livres tournois, que le roi d’Angleterre paya
à sa décharge. Dès le 1er janvier 1296, le vaincu de Woeringen
était rétabli dans l’exercice de son pouvoir. Il eut encore un règne
très-long, mais qui se termina de la manière la plus déplorable.
1 C’étaient Nimègue, Ruremonde, Gueldre, Venloo, Nyestadt , Kessel,
Goch, Zutphen, Emmerich , Arnhem , Duysbourg (sur l’Yssel), Harderwyck,
Groenloo. De Saint- Génois, Monuments , p. 790. — Jules de Saint - Génois ,
Inventaire cité, p. 163. — Van Spaen, t, I, pp. 522-325. — Willems, Van
Heelu , pp. 316-519.
- Jules de Saint-Génois , Inventaire cité , 1. c.
( »98 )
Devenu odieux à son peuple, Renaud vit son fils se soulever contre
lui, et finit ses jours en prison, le 9 octobre 1526.
III.
Dans les traités de réconciliation conclus entre le duc de Brabant
et le comte de Gueldre, il n’avait pas été fait la moindre mention
des droits des comtes de Luxembourg, à qui Renaud avait pour-
tant cédé le duché de Limbourg. Mais ces droits appartenaient à
des orphelins, hors d’état de les revendiquer.
Beatrix, comtesse de Luxembourg, s’aperçut bientôt qu’elle ne
pourrait que perdre à continuer ou à recommencer une lutte
inégale. Non-seulement elle n’avait pas des forces suffisantes pour
lutter contre le duc de Brabant et ses alliés, mais elle ne pouvait
pas compter sur l’appui de tous ses vassaux. Les principaux d’entre
eux: le comte de Chiny, qui était de la maison de Los; le comte
de Vianden, devenu seigneur de Grimberghe, et le sire de Durbuy,
n’avaient-ils pas combattu à Woeringen dans les rangs des Bra-
bançons? Son peuple ne lui inspirait qu’une médiocre confiance,
depuis l’émeute de l’année 1289, pendant laquelle les bourgeois
de Luxembourg s’insurgèrent et envahirent le couvent des frères
Mineurs, où Béatrix avait cherché un refuge h Par suite de ses
embarras financiers, elle dut engager à la comtesse de Flandre, sa
belle-sœur, une partie de ses bijoux: une couronne d’or valant
cinq Cents livres parisis; un fermail d’or, valant trois cents livres;
une coupe d’or, pesant trois marcs et quinze sterlings, un capel
d’or, valant soixante livres 1 2.
Le comte de Flandre était le seul médiateur possible entre
Béatrix et Jean Ier. La comtesse et Guy de Dampierre se concer-
1 Le samedi après la mi-carême en 1289. — Voyez l’accord conclu à ce
sujet, le samedi avant la fête de saint Jacques et de saint Christophe de la
même année, et par lequel la ville s’engagea à payer une amende de trois
mille livres. Du Chesne , Histoire de la maison de Luxembourg , p. 86. —
Berthelet, t. V, pp. 285 et lxxiv.
2 Acte en date du 29 janvier 1290 Saint-Génois, Monuments, p. 789.
( J 99 )
tèrent et firent ensemble une alliance offensive et défensive. Us
s’engagèrent à ne pas conclure l'un sans l’autre : le comte, le
mariage de son fds Jean de Namur avec la fille de Marie de Bra-
bant, ancienne reine de France; la comtesse, l’alliance de son
fils Henri avec Marguerite, fille du duc de Brabant 4. Grâce à 1 in-
tervention de la reine Marie, les conventions matrimoniales entre
Henri et Marguerite furent arretées aussitôt que le pape eut
accordé les dispenses nécessaires, les deux jeunes époux étant
parents au troisième degré.
Le duc de Brabant promit de payer à son futur gendre trente-
trois mille livres de petits tournois. Le comte de Flandre, Marie,
reine de France; Robert, duc de Bourgogne; les comtes de Blois et
de Dreux, Philippe, fils aîné du comte d’Artois; Godcfroid de Bra-
bant, frère du duc; Raoul de Clermont, sire de Nesle, connétable
de France; Guyon et Jacquemon, frères du comte de Blois, et le
chevalier Robert de Dreux se constituèrent garants de cette pro-
messe, que le roi de France sanctionna également. En cas de non-
payement de la dot stipulée, les cautions du duc (sauf la reine
Marie) devaient, à la réquisition du comte, se rendre à Reims, y
rester pendant quarante jours et consentir à ce que leurs biens
restassent garants de la dette. Si le jeune comte de Luxembourg
venait à mourir avant la conclusion du mariage, son frère devait
épouser la princesse , aux memes conditions 1 2.
Les noces furent célébrées avec magnificence au château de
Tcrvucren, le 9 juin suivant. Des joutes furent données à cette
occasion, et le jeune époux se distingua par un trait de magnani-
mité, qui fi t très -bien augurer de sa destinée future. Il accueillit
1 Acte en date du jour de saint Remy (13 janvier, ou plutôt 1er octobre)
1290. De ReiiFenberg, Monuments , t. I, p. 50. — Le lundi après la Toussaint,
de la même année, la comtesse de Luxembourg et son fds s’engagèrent à
ratifier tout ce qui serait négocié, pour le futur mariage de ce dernier, entre
le duc Jean Pr et Guy de Dampierre. Vredius, Genealogia comitum Flan-
driae, 1. 11 , Preuves , p. 27.
2 24 février et 21 avril 1292. Bertholet, t. V, p. lxxvi. — Willems, Van
Heelu, p. 556. — Jules de Saint-Génois, inventaire cité, p. 184. — La ratifi-
cation du roi est du 28 mai.
( 200 )
avec bonté le chevalier Walter Vanden Bisdomme qui, pour sauver
Jean Ier, avait frappé le père du comte à la journée de Woeringen b
Et cependant la réconciliation des maisons de Louvain et de
Luxembourg ne fut pas complète. Peu de jours avant la fête, le
comte de Flandre avait demandé au duc de Brabant une promesse
de ne pas inquiéter, par lui ou par les siens, le comte de Luxem-
bourg et ses vassaux, jusqu’au jour de Saint-Pierre à l’entrée
d’août2. Le mois suivant, avant que la cérémonie nuptiale sanc-
tionnât la nouvelle union, Guy de Dampierre prenait ses précau-
tions contre 1 éventualité d’une amitié trop intime entre Jean le
Victorieux et le jeune comte. Un traité d’alliance, contre tous,
fut signé à Wynendale le 2b mai, entre Guy, son fils Jean de Na-
mur, Louis, comte de Retbel, fils du comte de Nevcrs, et Henri
de Luxembourg. Seulement ils exceptèrent: Guy, ses seigneurs,
ses enfants et petits-enfants et le duc Jean Ier; et Henri de Luxem-
bourg : ses seigneurs, ses frères, et son cousin Henri de Ligny.
Encore Guy promit-il d’aider son neveu contre le comte de ïiai-
naut, l’évêque de Liège et le duc de Brabant, si l’un d’eux tentait
d’envahir ses États 5.
La dot de Marguerite de Brabant ne fut payée que très-lente-
ment. Le jour même de son mariage, le comte reçut cinq mille
cinq cents livres, dont il donna immédiatement quittance. Les
événements politiques retardèrent le payement du surplus : au
mois d’août 1508, plus de vingt mille livres restaient dues 4. Les
grandes stipulations précisées, formulées, lors du mariage de
Henri de Luxembourg, furent donc à peu près inutiles. Elles pro-
voquèrent, du temps de Jean III de Brabant, une lutte nouvelle,
dans laquelle le petit-fils du vainqueur de Woeringen, attaqué
par une coalition formidable, conduite par le petit-fils du comte
de Luxembourg tué dans la même bataille, dut acheter la paix
par des sacrifices d’argent considérables.
Il nous reste à dire deux mots du Limbourg, l’objet même de
1 Rutkens, t. I, p. 526.
2 15 avril 1292. Archives de Lille.
5 26 mai 1292. De Reiffenberg, /. c., p. 39.
i Ernst, t.IV, p. 565.
( 201 )
la célèbre querelle de tous ees princes. On peut juger de l’état
dans lequel Jean Ier le trouva. La plupart des villes et des villages
avaient été ravagés et incendiés; les forteresses avaient cruelle-
ment souffert des sièges qu’elles avaient subies ; les familles nobles
déploraient leur ruine et les vides opérés dans leurs rangs par
la guerre. Les monastères aussi avaient énormément souffert.
Jamais, enfin , tant de calamités n’avaient à la fois accablé un pays
et tari sa prospérité pour bien des années '.
CHAPITRE VUE
DERNIÈRES ANNÉES DU RÈGNE DU DUC JEAN. — - NÉGOCIATIONS DANS LE
PAYS DE LIÈGE, EN HOLLANDE, EN HA INA UT , DANS L’EMPIRE. — MORT
DE JEAN Ier. ( 1290- 1294.)
I.
Immédiatement après la conclusion de la paix avec le comte de
Gueldre, le duc de Brabant modifia complètement le système de
ses alliances. Tandis que, d’une part, il se rapproche de Guy de
Dampierre et qu’il prépare sa réconciliation avec la maison de
Luxembourg, d’autre part, il s’éloigne de Florent de Hollande, il
s’aliène le parti des bourgeois ou des villes dans le pays de Liège,
il semble ne plus se soucier des Colonais. Fut-il étonné de l’ascen-
dant que sa victoire de Woeringen avait donné à la puissance des
1 En terminant la partie de notre travail qui concerne la guerre pour la
possession du Limbourg, disons que nous avons eu presque partout pour
guide le précieux poëme de Van Heelu et les excellents commentaires du
savant Ernst, dans son Histoire du duché de Limbourg. Quant aux chartes
et diplômes dont nous avons fait usage, sans citer nos sources, on les trouvera
dans Lacomblet, ürkundenbuch fur die Geschichte des Niederrheins , t. IL —
Ernst , ouvrage cité, t. VI. — Le Van Heelu de Willems, etc.; elles y sont édi-
tées dans l’ordre chronologique.
( 202 )
villes? Ce qui porterait à le croire, c’est que lui-même eut, vers
cette époque, plus d’une difficulté avec ses propres bourgeoisies.
Le défenseur de Liège, d'Aix-la-Chapelle, de Cologne, affecte,
dans les dernières années de son existence, des tendances essen-
tiellement féodales.
Jean Ier s’était engagé à reconnaître, d’après la décision d’ar-
bitres, les droits de l’Église de Liège sur le comté deRoIduc, fief
de cette Église; dans fivresse du succès, il jugea sans doute peu
nécessaire de tenir ses promesses. Aux réclamations de l’évêque
Jean de Flandre, il répondit par un refus l. De là, selon toute ap-
parence, le revirement qui s’opéra aussi chez les Liégeois. Guy de
Dampierre devient de plus en plus influent parmi eux, et lui et
l’évêque, son lils , confirment les alliances qui unissaient leurs
prédécesseurs 2 3. L’année suivante, les deux princes confient à des
délégués le soin de fixer les limites de leurs domaines respectifs :
le comté de Namur, d’une part, les comtés de Moha et de Con-
droz, d’autre part 5. Enfin , l'évêché de Liège étant devenu de nou-
veau la proie des troubles, Jean de Flandre réclama l’appui de son
père, qui le réconcilia, le 7 janvier 1290, avec le comte de Looz,
les villes de Liège, de Huy, de Dinant, de Saint-Trond, de Ton-
gres et de Fosses 4.
Jean de Flandre était tombé malade, peut-être de chagrin, car
l’état déplorable de ses finances l’obligeait constamment à recourir
à la bourse de son père s. Ce dernier remplissait dans ses États les
1 Selon Hocsem, ceci eut lieu immédiatement après la délivrance du comte
de Gueldre. En 1155, le duc de Limbourg avait cédé à l’Église de Liège le
pays de Rolduc et l’avait relevé d’elle en fief. Ernst, t. III, pp. 112 et 142.
2 18 janvier 1289-1290. De Reiffenber g, Monuments , t. 1er, p. 109.
5 6 juin 1290. Ibidem , p. 52.
4 Bulletins de la Commission royale d'histoire , t. XIII, p. 68. — Foullon,
t. I , p. 479 , et 1. 11 , p. 474.
3 Le 17 janvier 1290-1291 , il reconnut lui devoir dix-sept mille deux cent
cinquante livres tournois (Jules de Saint - Génois , l. c., p. 165, et pp. 172
à 175); mille dix livres parisis avaient été employées à payer Stassart,de
Herstal, à récupérer le château de Franchimont , à raison duquel « quatorze
pièges (ou cautions) gisoyent en mengailles, » et à couvrir les dépenses du
boire et du manger de l’hôtel de l’évêque.
( 205 )
fonctions de mambonr lorsque, peut-être à son instigation, un
incident déplorable vint aigrir les rapports , déjà peu amicaux , des
Brabançons et des Liégeois. Quelques vassaux du Limbourg avaient
vu avec mécontentement, paraît-il, l’Église de Liège acquérir la
propriété de la terre de Jupille, antique patrimoine des Carlovin-
giens, puis domaine de l’Église de Verdun *, et l’évêque Jean de
Flandre transformer en forteresse le monastère du Mont-Cornil-
lon 1 2. Se voyant dans l’impossibilité d’exercer en ce lieu le droit
de gîte, comme ils en avaient contracté l’habitude, ils résolurent
de se venger. La veille de l’Ascension, en 1291, ils se présen-
tèrent devant la forteresse, au nombre de cent vingt cavaliers, et
trente-deux d’entre eux parvinrent à y pénétrer. Le châtelain ,
Wantoul de Jupille, éveillé par sa femme, se donne à peine le
temps de prendre son casque et son épée; sans souliers, sans
hauts-de-chausse , il court enfoncer une hache dans la porte d'en-
trée, qui se referme, et, de leur côté, ses serviteurs, du haut de
la tour, appellent à l’aide. Ceux des Brabançons qui étaient entrés
au Mont-Cornillon ne trouvent plus d issue; les autres s’enfuient
à l’approche des Liégeois, qui accourent et les poursuivent. Le
comte Guy fit conduire à Dinant et exécuter quinze des prison-
niers les plus pauvres; quant aux autres, dans la crainte de
s’attirer la haine de leurs parents, on se borna à les garder à
Namur jusqu’en 1295 qu’on les relâcha, à la demande du duc 3.
Celui-ci, en effet, avait provoqué l’expédition tentée par les
siens, en réclamant la saisine des terres de Cornillon, de Jupille
1 La donation à l’Église de Verdun remontait à l’an 1000 environ; quant
à la cession au chapitre de Liège , elle datait du 26 juin 1266 ( Opéra diploma-
tica, t. Il, p. 865). — Ce bien, auquel ressortissaient les communes actuelles
de Beaufays, de Bru et de Bellaire , et qui comprenait aussi une partie du quar-
tier d’Outremeuse, à Liège, s’étendait depuis le lleuve jusqu’au pied des hau-
teurs où s’élevaient jadis les tours de Chèvremont. Ledernierduc de Limbourg,
en qualité d’avoué de la terre de Jupille, avait eu avec les chanoines de Saint-
Lambert quelques contestations au sujet des droits qu’il prétendait y posséder
et auxquels, après sa mort, le comte de Berg renonça. Ernst, l. TV, p. 525.
2 En 1291 , l’évêque était redevable de quatre-vingt-dix marcs pour travaux
exécutés au château de Cornillon. Jules de Saint-Génois, pp. 179-180.
5 Hocsem , c. XVII.
( 204 )
et de leurs dépendances *. Il n’abandonna pas immédiatement ses
prétentions, car, à sa demande, le roi Adolphe lui confia le soin
de protéger le monastère de Beaufays, dont le repos était troublé
par des « enfants d’iniquité 1 2 *. »
Dans l’entrc-temps, la querelle de la Hollande et de la Flandre
s’était rallumée, à propos de l’hommage que les comtes du premier
de ces pays devaient au second pour les îles de la Zélande. Le
droit de la Flandre était positif, et basé sur les traités conclus
après la mort du roi Guillaume. Mais Florent V, à qui le duc de
Brabant avait abandonné l’hommage qui lui était dû, se voyait
avec dépit le vassal de Guy de Dampierre. Profitant des démêlés
que ce dernier avait avec la cour impériale, il obtint du roi Ro-
dolphe la déclaration solennelle qu’un tuteur ne pouvait amoin-
drir le patrimoine de son pupille. C’était annuler sans réserve
les actes qui avaient sanctionné la sujétion de la Zélande à la
Flandre s.
Mais Guy de Dampierre ne manquait pas d’énergie et répondit
de la même manière. Dans une assemblée de ses vassaux tenue à
Alost, le 25 mars 1290, tout ce qui se trouve en Zélande, entre
la mer des Païens ( Heydenzee ) et l’Escaut, lui fut adjugé, pour
défaut de relief féodal 4 5. Les nobles de ce pays étaient très-mécon-
tents de Florent, qui refusait de leur abandonner un tiers des
aides votées en sa faveur, et que le roi Rodolphe leur accorda :i,
en même temps qu’il les réprimandait d’avoir répudié leur véri-
table seigneur6. En effet, ils avaient déjà porté leurs réclamations
au comte Guy et l’avaient reconnu pour leur suzerain , « à Rier-
vliet, en la Halle 7. »
1 Jules de Saint-Génois, p. 170.
2 7 juillet 1292. Willems, Brabantsche Yeesten, t. 1 , p. 685.
5 Diplôme du 24 mars 1287, dans Pertz, Monumenta, Leges , t. II, p. 452.
4 Jules de Saint-Génois , p. 157.
5 Mai 1290. Van Leeuwen, Batavia illuslrata, t. II, p. 899.
G Lettre du roi à Jean, sire de Renesse; Thierri, sire deRréderode; Wol-
fard, sire deRorsele, Jean, sire de Maelstede; Hugues, sire de Cruyningen ;
Florent de Rorsele et Nicolas de Cats. Van Mieris , t. I , p. 505.
7 11 avril 1290. Jules de Saint-Génois, /. c. — Parmi les mécontents figu-
( 205 )
Si l’on en croit les historiens hollandais, Florent envoya à Mid-
delbourg sa femme Beatrix et son jeune fils Jean. Cette démarche,
si elle eut le résultat désiré, si elle rallia les bourgeois des villes
dans les mêmes sentiments, n’arrêta pas les progrès des Flamands.
Les habitants de Middclbourg, après avoir défendu leurs remparts
avec courage, durent promettre à Guy de Dampierre de lui livrer
la ville si, à certain jour, ils n’étaient pas secourus. Heureusement
Florent parut avec une flotte à la hauteur de Ziericzéc. Le duc de
Brabant s’interposa alors entre les parties belligérantes. Il engagea
Florent à se rendre à Biervliet, en lui garantissant sa sûreté. Mais ,
dit-on, à peine celui-ci fut-il arrivé en Flandre, qu’on l’arrêta
par ordre de Guy. « Hélas, je suis trahi, s’écria-t-il, sire duc, je
» n’aurais pas cru cela de vous. J’étais en marche avec les miens,
» et je devais aujourd’hui même tenter mon entreprise, quel
» qu’en dut être le résultat. Est-ce là l’effet de votre sauf-conduit?
» Plaise à Dieu que je puisse vous en témoigner ma reconnais-
» sanec. J’en attendrai l’occasion, sovez-en certain » Jean Ie*
avait agi avec franchise. 11 alla trouver le comte de Flandre , qui
se montra, dit-on, impitoyable. Le duc ne put obtenir l’élargis-
sement de son parent qu’en se constituant prisonnier en sa place
et en rachetant sa propre liberté au prix d’une très-forte rançon 2.
Selon d’autres, Jean Ier ne remplaça pas en prison le comte de
Hollande, qui fut conduit à Gand; mais, exaspéré de la conduite
de Guy, il appela ses sujets aux armes, et parut, bannières dé-
ployées, aux frontières de la Flandre. Craignant les suites d’une
lutte contre le vainqueur de Woeringen, le comte consentit à
relâcher Florent, pourvu que celui-ci se soumit aux conditions
que le due dicterait 3. La première de ces versions, qu’acceptent
la plupart des auteurs hollandais, n’a pas été admise par un de
leurs compatriotes, presque contemporain de ces événements et
l'eut les sires de Borsele, de Cruyningen, de Maelstede, de Goes, de Grieps-
kerke, de Reimerswalle , de Poppendamme, de Baerstop, de Scoudee, de
Valkenisse , de Heile , etc.
1 Melis Stoke, Rymchronyk van Holland, 1. V, vers 595 et suiv.
2 Vanden Eynde, Chronicon Zelandiae.
5 Butkens , t. Ier, p. 550.
( 20G )
connu sous le nom de Procurator, et que Je partial lluydecooper
accuse de tendances flamandes : « Florent, dit-il, se trouvant à
» Ziericzée et se voyant dans l’impossibilité de résister à ses en-
» nemis, se recommanda à la bienveillance du comte de Flandre.
» Conduit à Huist, il y reçut en fief une partie de la Zélande. »
Au milieu de ces contradictions, où est la vérité? Cherehons-la
dans les pièces diplomatiques. Nous y voyons le duc Jean accep-
ter, au mois de mai , la mission d’être un des arbitres qui devaient
prononcer entre les deux comtes; se charger aussi, les 2 et 12 juin,
de concert avec le comte de Flandre et son fils aîné, de terminer la
querelle des nobles zélandais et de leur suzerain; promettre à
Guy de Dampierre, le 8 du même mois, de l’aider, si Florent
n’exécutait pas les conditions de la sentence arbitrale; le 10, se
rendre caution, au nom de Florent, d’une somme de vingt mille
livres parisis que le comte avait reconnu devoir payer à Guy pour
l’indemniser des dépenses que son refus d’hommage lui avait
occasionnées , et , le lendemain , se faire fort d’affranchir Florent
du payement de cette somme h
Le comte Florent avait promis au duc de le tenir indemne [scu-
deloes ) pour toutes les promesses qu’il avait faites en son nom à
Guy et lui avait garanti le remboursement des torts qu’il aurait
essuyés en cette circonstance; en outre, il s’était engagé à prêter
rhoininage qu’il avait reconnu devoir, avant le lundi qui précède
la fête de l’Assomption, au milieu d’août, et à se rendre à Gand,
pour n’en sortir que lorsqu’il aurait contenté le comte de Flandre
Mais lui non plus ne paraît pas s’être soucié de tenir parole à son
noble parent. A la demande de Guy de Dampierre, le duc, sous
peine d’une amende de trente mille livres parisis, déclara qu’il se
rendrait à Gand, le jour delà saint Remi , conformément au traité
conclu entre les deux comtes et qu’il y resterait jusqu’à ce que le
comte de Hollande eût rempli ses engagements (14 août 1290). A
la date fixée, des difficultés survinrent, et Jean obtint successive-
1 Tous les documents constatant ces faits sont imprimés dans Kluil, His-
toria critica comitatuum Hollandiae et Zeelandiae , t. Il, pp. 915 et suiv.
- Lundi, op den andach sente Bonefaes, en 1290. Cartulaire de Brabant B,
l‘° 86.
( 207 )
ment des prolongations de délai : le 19 décembre, jusqu’au premier
dimanche de carême de l’année 1290-1291; le 2 avril suivant, jus-
qu’aux octaves de la nativité de saint Jean, en juin 1291, et, le 1 5
avril 1292, jusqu’aux mêmes octaves de l’année suivante h
De quelque manière que le comte Florent ait été amené à
Biervîiet, il est certain qu’il ne se montra nullement soucieux
d’observer les traités dont nous venons de faire mention. Il pré-
tendit qu’on les lui avait extorqués parla force, et le roi Ro-
dolphe s’empressa de les désapprouver et de les annuler (G juillet
1290). Le comte pardonua aux principaux chefs des révoltés
zélandais : au sire de Borsele, à Florent de Borsele, à Bréderode,
à Jean de Renesse, etc. (5 novembre 1290 et 7 février 1291). Et
à ce propos, est -ce en réparation de quelque outrage, est -ce
comme garantie de l’exécution des promesses de Florent que le
duc Jean obligea la ville de Middelbourg à lui livrer Antoine Yan-
denvliete et six autres otages 1 2?
Cependant, fatigués de la mauvaise foi de Florent, Guy de
Dampierre et le due en vinrent à une alliance qui marque une
ère toute nouvelle dans la politique de Jean Ier. Elle se conclut,
disent les deux princes, « pour ce que nous et chacun de nous
» soïons plus puissans de nous accroître et maintenir en toutes
» choses, à notre honneur, à notre héritage. et à nos droits ap-
» partenant, et de ceux qui adversité nous voudroient se doivent
» plus douter d’emprendre et de maintenir chose qui nous fut
» contraire et en soient moins puissans. » Ils rappellent ensuite
qu’ils sont parents par suite d’un mariage dont « belle génération
est issue » et que pour d’autres raisons ils doivent « s’aimer et
s’avancer l’un l'autre. » En conséquence, ajoutent-ils, « dans toutes
» les besognes à honneur ou à héritage, nous aiderons, conseil-
» lerons et conforterons loyalement l’un l’autre, à armes et sans
» armes, par ost et par chevauchie, comme l’un requerra l’autre.
» Si l’un fait aide à l’autre par host, ce sera sans les frais de celui
» qu’on aidera, et si c’est par chevauchie, celui que l’on aidera
1 Voyez Saint-Génois, Monuments , pp. 786 et 805, et Willems, Van
Heelu , pp. 556 et 558.
2 22 juin 129 J. Charterboek van Brabant B, f° 24.
( 2U8 )
» pourvoira et étoffera la chevaucbie à ses frais, depuis qu’elle
» sortira de la terre de l’aidant jusqu’à ce qu’elle y soit rentrée.
» Celui qui requiert doit faire serment que c’est pour cause juste
» et droiturière. j> Les deux princes mettent hors de cette alliance
les rois de France, d’Allemagne et d’Angleterre. Elle n’est dirigée
contre le comte de Hollande que pour ce qui se rattache, à l’exé-
cution du traité de Biervliet. En outre le comte de Flandre et le
duc en excluent (c’est-à-dire entendent ne pas considérer comme
ennemis) : le premier, ses neveux de Dampierre et de Luxem-
bourg; le second, le comte d’Artois, le comte de Saint-Pol et ses
frères G
Les hostilités ne reprirent pas immédiatement, quoique la Zé-
lande continuât à être fort agitée. Les sires de Renesse et de Bré-
derode, après un nouveau soulèvement, se soumirent une seconde
fois à Florent -, tandis qu’un grand nombre de leurs compatriotes :
les Borsele, les Cats, les Maelstcdc, etc., dépouillés de leurs do-
maines, vécurent en Flandre, à l’aide de rentes que leur paya
Guy de Dampierre 1 2 3. Bien que des actes postérieurs mentionnent
l’existence de dissensions entre Florent et Jean Ier, ces princes
n’en vinrent jamais, à ce qu'il semble, à une rupture ouverte.
Le 31 mars 1290-1291, par un acte daté d’Anvers, Jean Ier
promit au comte que si une rupture éclatait entre lui et l’élu
d’Utrecht, Jean de Nassau, Jean, sire de Cuyck, et Henri son lits
lui donneraient assistance 4. Lorsque le 23 août 1292, le roi
Adolphe de Nassau, le successeur de Rodolphe de Habsbourg,
donna au comte l’investiture des fiefs qu’il tenait de l'Empire, il
consentit à ce que cette formalité s’accomplit par-devant le duc,
ou, pour le cas où celui-ci serait retenu ailleurs, par-devant le
sire de Cuyck 5.
L’inimitié du comte Guy pour le comte de Hollande, qui eepen-
1 7 novembre 1291. Willems, Van Heelu, p. 540.
2 7 février 1291. Van Mieris, Charlerboek . pp. 326 , 329.
3 Ces renies s’élevaient ensemble à trois mille Luit cent cinquante livres.
Voyez un acte du 1er août 1292 dans Jules de Saint-Génois , l. c\. p. 190.
4 Voyez Van Mieris ,1.1, p. 302
3 Ibidem , p. 348.
( 209 )
daiit a\c»it épousé une de ses filles, puisait surtout sa source dans
les liens de parenté qui unissaient ce dernier au comte de Hainaut,
à ce Jean d’Avesnes qui lui était si odieux.
Jean d’Avesnes n’avait trouvé chez le roi Rodolphe qu’une pro-
tection stérile; cependant, quoique sans alliés, et réduit à la pos-
session de son comté de Hainaut, il avait considérablement grandi
en influence. Leroi Rodolphe, toujours bienveillant pour lui,
l’avait nommé son vicaire général en Toscane, en remplacement
de l’archevêque de Saltzbourg L Deux de ses frères, Bouchard et
Guillaume, étaient montés sur les sièges épiscopaux de Metz et
de Cambrai; un troisième, Guy, que nous allons voir prétendre
à l’évêché de Liège, devait se distinguer, plutôt comme guerrier
que comme ecclésiastique, à la tète de l’Église d’Utrecht. Ces ap-
puis devinrent bien nécessaires au comte de Hainaut, lors de la
guerre que lui firent les habitants de Valenciennes, la principale
ville de ses États.
Au mépris du serment qu’il avait prêté à son avènement, Jean
d’Avesnes avait annulé le privilège dit du record , en vertu du-
‘quel, en cas de contestation sur un point de droit, on s’en remet-
tait, à Valenciennes, à la décision des échevins et des jurés. 11
s’ensuivit une guerre longue et sanglante, dans laquelle les
troupes du comte éprouvèrent plusieurs défaites, et son manoir
de Valenciennes, appelé le Château le Comte , fut pris d assaut.
Vainement, il obtint du roi une sentence de proscription contre
les rebelles; vainement il appela à son aide la noblesse des pays
voisins, et notamment Gérard de Juliers, le comte de la Marck, les
seigneurs de Voornc, de Cuyck, de Liedekerke, de Wesemael,
de Berlaer, les Valenciennois tinrent bon; ils parvinrent même à
faire accueillir leurs réclamations par le roi de France, et. avec
son autorisation, ils prirent pour protecteur le comte de Flandre.
Dans ses marches et ses campements, le comte avait causé de
grahds dommages aux abbayes d’une partie de ses domaines, de
l'Oslrevant. Philippe le Bel en prit prétexte pour se déclarer con-
1 Le 1er mai 1 284. Marteue et Durand, Thésaurus Auecdoforuin . t. i,
col. 1 m.
Tome MIL
14
( 210 )
trelui, et lorsque Jean cTAvesnes se rendit à Paris afin d’apaiser
son redoutable voisin , il fut arrêté et emprisonné à Montlhéry.
Cependant on le remit en liberté, mais pour quelques jours seu-
lement , grâce surtout à l’intercession de trois seigneurs belges
qui se portèrent cautions pour lui : Godefroid de Brabant, frère du
duc Jean; Jacques de Saint-Pol, seigneur de Leuze et de Condé,
et Gauthier de Châtillon 4. Le duc Jean, dont les vassaux
sympathisaient ouvertement avec le belliqueux champion de la
féodalité , aurait difficilement conduit une armée au secours de
Guy; il préféra s’entremettre entre les deux princes et, grâce à
lui, on négocia une trêve; les habitants de Valenciennes et du
Quesnoy furent autorisés à circuler librement dans tout le ïïai-
naut, jusqu’à la nativité de Saint- Jean-Baptiste de l’année pro-
chaine 2. Le duc et son frère (ainsi le voulut le comte Guy, qui
s’était emparé du Quesnoy) durent occuper cette ville, avec
promesse de la restituer, à l’expiration de la trêve, si une paix
n’était pas conclue 5. Mais, quelque temps après, le roi de France ,
qui voulait être en mesure de dicter des lois aux deux comtes,
exigea la remise du Quesnoy entre ses mains. Ce monarque se pré-
parait alors à lutter contre l’Angleterre; il parvint à faire ajour-
ner à deux années la reprise des hostilités.
Cette période de tranquillité fut employée par quelques-uns des
princes de nos contrées à réprimer les tentatives d’insurrection qui
avaient éclaté dans plusieurs cités importantes.
L’évêque de Cambrai avait dû quitter sa capitale : il y rentra
en vainqueur, à la tête de forces considérables, au mois de sep-
tembre 1292. A Maubeuge, le comte de Hainaut, ayant demandé
la levée d’une assise, les habitants se soulevèrent, pénétrèrent
dans l’église Sainte- Aldegonde, et enlevèrent la châsse de cette
sainte , en accablant de reproches et d’injures le comte et les per-
sonnes de sa suite. Jean d’Avesnes partit furieux, pour reparaître
bientôt avec son armée. En vertu d’un traité qui fut signé à la Mdtte
1 Acte daté de Saint-Denis, le lundi après la saint Remi 129:2. Du Chesne,
Histoire de la maison de Chastillon, Preuves, p. 184
2 14 octobre 1292. Saint-Génois, Monuments, p. 811.
3 Cartulaire de Brabant B, f° 113 v°.
( 21 1 )
dehors Maubeuge, le mardi avant le jour de Noël 1293, trente et
un bourgeois furent bannis, et on imposa sur chaque ouvrier une
taxe hebdomadaire d’une maille , et sur les drapiers un impôt d’un ,
deux ou trois deniers, par pièce de drap fabriquée h Ce fait, ainsi
<pie la défection du Quesnoy, prouve que le soulèvement de
Valenciennes n’avait pas été provoqué par des causes purement
locales, et avait eu du retentissement dans le restant du comté.
Jean d’Avesnes , presque dépouillé de tous ses États , ne trouva
de fidélité, paraît-il, que dans les habitants de Mons, à qui il ac-
corda plusieurs grands privilèges , et notamment des exemptions
des droits de mainmorte, de meilleur eatel, etc. Une situation aussi
périlleuse aurait pu assurer le succès de Guy de Dampierre. Mais
en Flandre, ce prince luttait également contre les bourgeoisies, et,
dans le comté de Namur, il eut à réprimer une insurrection des
bourgeois de la capitale.
Pendant qu’un repos forcé suspendait leurs luttes dans le Hai-
naut, les maisons de Dampierre et d’Avesnes se rencontrèrent sur
un autre terrain. Peu de temps après l’épisode du Mont-Cornillon
dont nous avons parlé plus haut, le comte Guy assembla les
états du pays de Liège au château de Huy, et leur demanda le rem-
boursement des dépenses que les fonctions de mambour de son
fils lui avaient occasionnées. Pendant les délibérations de l’assem-
blée, la bourgeoisie en apprit le sujet; elle s’indigna de l’avidité
de Guy, et son mécontentement, que l’intervention des grands
parvint seule à contenir, éclata avec tant de force que Guy dut
s’éloigner, après s’ètre aliéné le cœur des Liégeois.
Lorsque Jean de Flandre mourut, le 15 octobre 1292, au châ-
teau d’Anheve ou d’Anhée, qu’il s’était fait construire près de
Namur, le duc Jean et le comte Guy essayèrent vainement de faire
élire en sa place Guillaume Berthout, maître en théologie, archi-
diacre de Liège, prévôt de Saint-Pierre à Louvain. La majorité du
chapitre de Saint-Lambert confia provisoirement le gouvernement
du pays au comte de Hainaut, puis choisit pour évêque son frère
Guy, qui fut reçu dans tout l’évêclié, et qui continua à Jean
1 22 décembre 1295. De ReilFenberg, Monuments , t. I, p. 427.
( 212 )
d’Avesnes les fonctions de mambour. L'archevêque de Cologne,
obéissant à ses rancunes, approuva la nomination de Guy.
Berthout ayant interjeté appel au saint-siège, les deux rivaux
partirent pour Rome. Ils trouvèrent le siège pontifical vacant par
la mort de Nicolas IV, et les cardinaux indécis sur le choix d’un
nouveau pontife. Guy revint en Belgique, et après une lutte contre
Guy de Dampicrre, lutte dans laquelle se manifesta particulière-
ment la haine des habitants de Dinant et de Bouvignes, il fit la
paix avec ce prince, qui réclamait toujours de fortes sommes à la
charge de Févêché. Il obtint ensuite du roi des Romains des let-
tres d’investiture faveur qui lui devint funeste. En 1 9 G , le
pape Boniface VIII le déposa, parce qu’il avait administré l’évêché
avant d’avoir été confirmé dans ses fonctions par le chef suprême
de la chrétienté. Toutefois, ne voulant pas raviver une querelle à
peine assoupie, le souverain pontife écarta aussi Berthout , qu il
dédommagea en lui donnant Févêché d’Utrecht.
II.
Le roi Rodolphe était à peine intervenu dans la terrible lutte
qui s’était terminée par la bataille de Woeringen, non qu’il fut
hostile au duc de Brabant, car, le 29 avril 1290, il lui accorda des
lettres de sauvegarde pour venir séjourner à sa cour, valables
■jusqu’à la saint Michel suivante 1 2. Nous doutons que Jean Ier en
ait profité ; probablement il se fit remplacer par des envoyés.
Dans tous les cas, sa visite eût été inutile, Rodolphe étant mort
peu de temps après.
A la bataille de Woeringen, on avait remarqué un guerrier in-
trépide, qui fut enfin fait prisonnier. Lorsqu’on le lui présenta, le
duc s’écria: « Brave chevalier, qui es-tu, toi dont la valeur m’a
» été aujourd’hui si funeste2— Je suis le comte de Nassau, maître
» de domaines médiocres, mais vous dont je suis actuellement le
1 20 juin 129-L Hocsem, c. XIX.
- Cartulciire de Brabant B, f° 4. — Brabantsche Yeesten , 1. 1, p. 072.
( 215 )
» captif, qui êtes-vous? — Je suis le duc de Brabant que vous ne
» cessiez de poursuivre dans la mêlée. — Ah î reprit alors Nassau ,
>' ce glaive a tué cinq de vos capitaines et il vous a laissé échapper! »
— La hardiesse de cette réplique toucha le vainqueur, qui rendit
immédiatement la liberté au vaillant Nassau, sans lui demander de
rançon. Depuis lors, ajoute-t-on, les deux princes vécurent liés
par une étroite affection h
C’est au héros de cet épisode romanesque, et, disons-le, d’une
authenticité très-douteuse, que l’empire échut après la mort lie
Rodolphe, il dut sa nomination à deux des électeurs les plus in-
fluents : les archevêques de Mayence et de Cologne, qui, pour ga-
gner Bohémond, archevêque de Trêves, l’avaient menacé de se
prononcer en faveur de Renaud, comte de Gueldre1 2. Le sage
Bohémond avait-il des raisons pour détester Renaud? c’est ce que
nous ne savons. S’il s’opposa à l’élévation du courte de Gueldre, ce
fut évidemment dans la prévision de la lutte que ce choix devait
entraîner3. En la provoquant, on aurait infligé à son vainqueur une
injure mortelle, dont il pouvait se venger cruellement. Gérard de
Mayence sut éviter cet écueil; assuré de l’opinion de Sifroi et de
Bohémond, il proclama le comte de Nassau, qui était son cousin,
et qui avait quelques grandes qualités, mais à qui on ne recon-
1 Chronicon Leobiense dans Pez, Scriptores rerum Austriacarum , t. J,
p. 867.
2 Cette version a été adoptée par Schmidt , Histoire des Allemands , t. IV,
p. 549; les Gesta Trevirorum integra, t. Il , p. 149, disent au contraire que
Bohémond fut le premier à se déclarer pour Adolphe ( Quos tamen electores ,
qui sibi graviter adversabantur in principio , soins dominas Boemundus
archiepiscopus Trevirensis inclinavit ad electionem pr édicta m ).
3 Ce prélat gouvernait l’archevêché de Trêves avec beaucoup de prudence ,
il apaisa quelques grandes querelles , et lit vénérer sa sagesse par les princes
et parles barons du voisinage; il aima, dit-on, d’une affection paternelle,
les citoyens de Trêves, à qui il assura une entière tranquillité et qui, de leur
côté, montrèrent toujours beaucoup de déférence pour ses volontés. Il rendait
volontiers la justice et était accessible à tous ses sujets. Mais, d’autre part,
ses expéditions guerrières et ses voyages lui coûtèrent des sommes énormes
( Gesta domini Boemundi Trevirensis archiepiscopi , dans les Gesta Trevi-
rorum integra , t. II, pp. 1 40 et suiv.).
( 214 )
naissait ni la puissance, ni l’influence nécessaires pour se maintenir
avec succès sur le trône impérial.
Cette élection fut surtout un triomphe pour les trois électeurs
ecclésiastiques, avec qui Adolphe était lié par des liens d’amitié,
de parenté et de vassalité. Soit de gré, soit de force, il ne tarda
pas à leur donner des gages de sa reconnaissance. A Sifroi, il pro-
mit de le soutenir puissamment contre tous l. A Gérard, il rendit
l’avouerie de l'abbaye d'Essen2. A Bohémond, à qui son élection
avait coûté beaucoup de mille marcs 3, il engagea le château royal
de Cocheim sur la Moselle et le village de Cotten.
Adolphe de Nassau parut d’abord vouloir contester à Jean Ier
ses droits à la possession du Limbourg, droits dont on ne tarda
pas à remettre l’examen à quatre arbitres : le comte de la Marck,
le sire de Cuyck, Graftho, seigneur de Gryphenstein et Louis,
vicomte de Rynehove. Ces seigneurs, qui étaient les alliés ou les
vassaux du duc, lui promirent aussitôt que, dans la quinzaine,
l’investiture du duché de Limbourg lui serait accordée comme
elle l’avait, été aux anciens possesseurs de ce domaine et qu’ils
négocieraient une paix et amitié entre lui et le nouveau roi 4 5.
En effet, Adolphe était à peine couronné qu’il se prit à combler
de faveurs son vainqueur, devenu son vassal, et qui avait assisté à
*son couronnement, le 24 juin 1292. Dans un diplôme où il le
gratifie de « son très cher duc, » il le prend sous sa protection, et
déclare l’admettre, par une faveur spéciale, au nombre de ses
familiers ou courtisans 3. Déjà, il lui avait confirmé toutes les
concessions accordées à lui et à ses prédécesseurs par les empe-
reurs ou rois d’Allemagne (i, et en outre, il lui conféra la dignité
1 51 mai 1295. Lacomblet, t, Il , p. 557.
- Schmidt, l. c., p. 556.
5 22 juillet 1294. Hontheim , Historié Trevirensis cliplomatica, 1. 1 , p. 828.
— Ge.sta Trevirorum integra , t II, p. 142.
1 Accord daté d’Aix-la-Chapelle, le 50 juin 1292. Willems, Van Heelu ,
p. 560.
5 21 septembre 1292. Ibidem, p. 561.
G 15 du même mois. Butkens, t. I , Preuves . p. 127. — De Dynter, t. II,
p. 465.
( 213 )
d’avoué principal et de gouverneur et juge général de tout le
pays compris entre la Moselle et la mer, et s’étendant au delà du
Rhin jusqu’à la Westphalie l. De plus, en retour d’un prêt de
seize mille marcs de Cologne qui devait être employé à racheter
des hiens impériaux, il lui céda, jusqu’à remboursement de ses
avances et de la dette de trois mille marcs reconnue par le
roi Rodolphe, une partie considérable de ces mêmes biens : le
tonlieu et les autres revenus de Weerde (Kciyserswerth) , et ce
que l’empire possédait ou pourrait récupérer à Aix-la-Chapelle,
Sintzig, Dortmund, Duysbourg, et généralement dans toute la
contrée qui s’étend entre la Moselle et la mer. Weerde devait être
confié à Graftho de Gryphenstein ou , s’il venait à décéder, à
Everard, comte de Catzenellebogen, oncle du roi, ou à un des
arbitres qui avaient réconcilié celui-ci et le duc, et le château se-
rait toujours ouvert à Jean Ier et à ses héritiers 2.
Toutes ces concessions auraient considérablement affermi la
position du duc dans la basse Allemagne, si elles avaient sub-
sisté, mais elles furent bientôt annulées ou amoindries par d’au-
tres dispositions. Ainsi le roi Adolphe autorisa son parent, Wale-
ram de Juliers, à racheter du duc de Brabant l’écoutêterie d’Aix 3;
les négociations de Waleram aboutirent sans doute, car, le
14 septembre 1292, il fut investi de cette dignité, jusqu’au rem-
boursement de mille cinquante marcs de deniers d’Aix 4 5. La pos-
session de l’écoutèterie donna encore lieu à d’autres débats, et
nous voyons qu’en l’année 1297, Waleram l’acquit de nouveau,
en vertu d’un autre diplôme d’Adolphe La ville de Sintzig passa
d’abord entre les mains de Gérard de Juliers, comme garantie
d’une somme de mille marcs de Cologne 6, puis, avec Dortmund
1 18 novembre 1292. Butkens, l. c., p. 128.— De Dynter, t. 11, p. 464.
— Pertz, Monumenta , Leges , t. II, p. 459.
2 22 septembre 1292. Willems, l. c., p. 562.
5 15 juin 1292. Petrus à Beck, Aquisgranum , p. 127.
1 Ibidem. — I(remer,t. III, Urkunden, p. 211.
5 Acte daté du 13 juin 1297. Kremer, /. c., p. 222.
0 Lettre du roi Adolphe aux chevaliers, consuls et citoyens de Sintzig,
le 21 mars 1295. Kremer, /. c., p. 213.
( 21 fi )
et Kàyscrswerlh , à l’archevêque de Cologne Wicbold J, qui ne put
jouir paisiblement de ces acquisitions. Louis, vicomte de Sonnen-
borg, usurpa la possession du château impérial de Kayserswerth9,
et Everard, comte de la Marck, voulut s'approprier Dorlmund r>,
qu'il obtint ensuite, moyennant quatorze cents marcs l 2 * 4 5 6, à une
époque où le roi Albert, le successeur d’Adolphe, était brouillé avec
l’archevêque. Quant à la cité de Duysbourg, elle continua à former
une annexe du pays de Clèves, ainsi que nous l’avons dit plus haut.
Il semble que Jean Ipr, dans ses dernières années, et ses suc-
cesseurs à son exemple, considérèrent leur immixtion dans les
querelles des princes rhénans comme une charge trop onéreuse,
et qu'ils renoncèrent à s’en occuper. Leurs rapports avec Co-
logne et Aix devinrent de moins en moins fréquents, tandis que
leur attention se portait de préférence vers l’ouest de la Bel-
gique. Le comte de Flandre, qui sentait Je besoin de s’appuyer sur
l’Angleterre et l’Allemagne contre la France, profita de la présence
de Jean 1er auprès du roi, pour réclamer l’investiture par procu-
reur des fiefs de l’Empire; il fit valoir l’impossibilité dans la-
quelle il se trouvait de venir en personne : mais ses excuses ne
furent pas admises Le jour de l’alliance de la Flandre et de
l’Allemagne n’était pas arrivé.
Pendant les années qui suivirent la bataille de Woeringen, le
duc de Brabant ne cessa de demander de l’argent à son peuple;
ce fut surtout à cette époque qu'il mérita le reproche que lui
adressent Hocsem et Thielrode, d’épuiser ses sujets à force d’exac-
tions (î. On a trouvé cette accusation un peu vague ; les faits réunis
l. Diplôme du roi Albert, du 4 août 1298. Lacomblet , t. II , p. 585.
2 Ordre du roi Albert aux comtes de Gueldre, de Clèves, de Juliers, de
Berg, de la Marck, aux villes de Cologne et de Duysbourg, d’aider l’archevêque
contre le vicomte. 23 septembre 1298. Ibidem , p. 393.
5 Ordre adressé aux évêques de Munster, d’Osnabruk, de Minden, de
Paderborn; aux comtes de Gueldre, de Clèves, de Berg, de Ravensberg; aux
villes de Cologne, Munster, Osnabruk, Minden, Soest, Dortmund, Essen, le
19 octobre 1299. Ibidem , p. 613.
1 20 janvier 1300. Ibidem, p. 615.
ri 13 juin 1293. Saint-Génois, Monuments , p. 818.
6 Willems, Van Heetu , Introduction, p. lxvu.
( 217 )
dans notre XI,ne chapitre, au paragraphe 2, en démontrent la
réalité.
A cette époque, les relations entre le roi de France et son puis-
sant vassal, Guy de Dampierre, prirent une fâcheuse tournure.
Jean Ier, qui s’était rapproché du comte, fut appelé par celui-ci, et
sollicité d’user de son influence en faveur de la paix; mais, ainsi
que le remarque à cette occasion Van Velthem, il ne montra pas de
grandes dispositions à accepter ce mandat, car il aimait la guerre
plus que la tranquillité. Il ne se cachait pas pour exprimer ses
sentiments. A ce qu’ajoute le meme auteur, qui assure l’avoir en-
tendu lui-même, il répondit aux sires de Fauquemont et de Cuvek.
qui lui demandaient si personne ne pourrait opérer une réconci-
liation entre Philippe et Guy : « Laissez marcher les événements,
je voudrais voir le roi combattre le comte L »
Notre vaillant prince ne devait pas voir la réalisation de ses
vœux, quoiqu’il entrât seulement dans sa quarante et unième
année “1 2. Sa passion immodérée pour les tournois n’était pas
encore assouvie; il ne suffisait pas à son ambition d inspirer la
terreur et l’admiration , il lui fallait les bravos de la foule, les
sourires des dames, les louanges des ménestrels. Ce goût devint
encore plus vif après Woeringen. Le duc saisissait avec empres-
sement la moindre occasion de jouter; quelquefois il s’absentait
de Bruxelles, dans ce but, sans qu’on sût où il était allé. C’est à
lui qu’on attribue la règle, qui fut dorénavant admise dans les
tournois, d’avoir au plus deux valets ou écuyers, ce qui y établit
une égalité complète entre les chevaliers de tout rang. Sa manie
était poussée à tel point, qu’il acheta près de Saint-Quentin un
champ où chacun pouvait aller joûter 3.
En l’année 121)4, pendant qu’un de ses anciens ennemis, de-
venu un de ses plus zélés conseillers, le sire de Fauquemont, assié-
geait, de concert avec le comte de Looz, le château de Born, ap-
partenant à Renaud, comte de Gueldre 4, le duc partit pour le
1 Van Velthem, Spiegel historiael , I. Ul, c. XXXVIII.
2 Ibidem, c.XLIl.
Brabantsche Yeeslen, I. V , vers 1 el suiv.
4 Le 59 avril , h' roi Adolphe ordonna aux assiégeants de lever le siège et
4
( 218 )
Barrois. Le seigneur de ce pays venait d’épouser, en Angleterre,
Eléonore, fille d’Édouard Ier. Jean Ier reçut les nouveaux mariés
avec les plus grands honneurs et se fit une fête de les escorter
jusqu’à leur capitale, accompagné de cent dix chevaliers L On
célébra leur' arrivée par de splendides réjouissances. A la vue
du vainqueur de Woeringen, chacun exaltait sa vaillance, sa
générosité, et le sollicitait de déployer son adresse. C’était le
3 mai, vers l’heure des vêpres. Ayant endossé son armure,
Jean Ier accepta pour adversaire un chevalier renommé, Pierre
t
de Bausmes (ou selon d’autres, de Beauffremont 2). Etant montés
à cheval pour rompre une lance, ils se rencontrèrent à la troi-
sième passe avec tant de force que tous deux furent jetés à terre.
Le duc ne put se relever, la lance du chevalier lui ayant causé au
bras une grave blessure. « La fleur de la chevalerie, l’ornement
» de l’univers, la joie du monde, » comme l’appelle emphatique-
ment le chroniqueur à qui nous empruntons ces détails, fut ra-
mené mourant dans son hôtel. Le soir, au moment où le soleil se
couchait, Jean Ier, après s’être confessé et avoir dit adieu aux
assistants, posa en se retournant la main sur le bras blessé, et
expira en se recommandant à Dieu 5.
Van Velthem, dont le goût pour les aventures romanesques et
les récits poétiques rend la narration un peu suspecte, prétend
de porter leurs plaintes devant lui ; de plus, en conformité des lois qui proté-
geaient la paix publique, il ordonna aux princes voisins, et, entre autres, au
duc, de faire cesser ce siège. Ses ordres furent probablement méprisés; car,
une diète tenue à Coblentz, le samedi avant la sainte Marguerite de la même
année (en juillet), décida que l’empereur devait aide et protection à Renaud.
Lacomblet , t. Il , p. 560.
1 Jean de Thielrode, dans Willems, I. c., p. 550.
2 Le chroniqueur Mathieu de Westminster ne nomme pas ce chevalier.
Une chronique de saint Bertin (dans Willems, Van Heelu , p. 282) l’appelle
de Bausmes (et non pas de Bausimes, comme Martene et Durand l’ont
imprimé par erreur dans leur Thésaurus Anecdotoruni , t.lll). - De Dynter,
t. 11, p. 465, l’appelle de Beaufremont.
5 Nous suivons ici Thielrode et une Continuatio des Gesta abbatum Trudo-
nensium (dans Pertz, Monumenta , Scriptores, t. X, p.406), dont le récit n’a
rien que de vraisemblable. La Chronicon monasterii S. Rertini citée plus haut
( 219 )
que le duc avait un dessein secret en se rendant de Bruxelles à
Bar, quelque jeune dame à enlever sans doute. Il s’était formé
une compagnie de dix des plus braves chevaliers qu’il connut et
chacun d’eux avait son rôle à remplir. A Bar, les lices étaient
prêtes et on avait désigné les guerriers qui devaient jouter,
lorsque survint un chevalier que l’on proclama comme n’ayant
jamais trouvé de vainqueur. Ce fut pour Jean Ier une raison
suffisante de le provoquer, et comme ce nouveau venu refusait,
de crainte de blesser un prince dont il était l’arrière-vassal (son
overheer , dit le poëte), il promit qu’en cas de malheur aucun re-
proche ne lui serait adressé. Dans le combat, la lance du cheva-
lier brisa la courroie qui attachait le gantelet de Jean Ier et lui
déchira le muscle de la main *.
La mort du duc Jean fut un jour de deuil pour ce duché qui,
six années auparavant, avait accueilli avec tant d’enthousiasme
l’annonce de ses triomphes. Elle fut pleurée surtout dans cette
ville de Bruxelles qu’il avait toujours tant aimée 9. Le vendredi
après le jour de sa mort, son corps, suivant un usage du temps,
fut bouilli, c’est-à-dire plongé dans l’eau chaude pour détacher
les ossements des chairs. Ces dernières reçurent la sépulture à
Reims , ou l’opération s'était faite, dans la cathédrale; les ossements
seuls furent transportés en Brabant 3. Les prêtres, les religieux,
fait mourir le duc sept jours après la joute , ce qui ne concorde pas avec la ver-
sion précédente, ni avec les expressions positives de Jean de Thielrode. Mais
était-il possible de transporter en Brabant, à cinquante lieues de Bar, un
homme grièvement blessé, comme le dit De Dynter (et d’après lui, Butkens,
p. 531, et Willems, Brabantsche Yeesten, t. I, p. 416)? Ce (pie racontent
ces derniers auteurs de l’intervention de Jean Ier dans les négociations de Guy
de Dampierre avec Édouard Ier ne repose sur aucun fondement. Disons ici qu’à
Sainle-Gudule un service anniversaire était célébré pour Jean Ier le 4 août, un
autre pour Marguerite de Flandre, sa première femme, le 28 juin, et un
troisième pour une autre Marguerite (de France?), le 4 novembre. Une rente de
trois florins du Rhin était affectée à l’exonération de ces services.
1 L c., c. XL et'XLI.
- Van Vellhem , c. XLIL
5 Chronique de l'abbaye de Saint-Nicaise à Reims , dans la Gallia Chris -
tiana , t. IX, p. 215.— Recueil des historiens de France, t. XVIII, p. 699.
!
( 220 )
toute la population de sa résidence favorite allèrent recevoir son
cercueil, qui fut déposé, selon ses désirs, dans l’église conventuelle
des frères Mineurs, à côté des restes de sa seconde femme, Mar-
guerite de Flandre. Là on lui éleva un monument funéraire au
milieu du chœur, où on lisait l’inscription suivante :
A N NO DOM 1 NM 1297 OBIIT
VMRTUTUM AMATOR, JUSTITIAE PROCURATOR
AC DEFENSOR ,
F LOS MUNDI, SPECULFM JUSTITIAE
AC TOTIUS PROBITATIS SPECTACULUM ,
ILLUSTRISSIMES PRINCEPS .10 ANN ES
PR IM US , OCX LOTHARINGIAE ET BRABANTIAE ,
SEPULTUS ANTE SUMMUM ALTARE HUJUS
CONVENTUS, IN TUMBA LAPIDEA.
Cette épitaphe ayant été détruite en 1585, pendant les troubles
du seizième siècle, l’archiduc Albert la lit rétablir et on y répéta
la faute de date qui s’y trouvait (1297 pour 1294), en y joi-
gnant une seconde erreur, celle de placer le jour du décès de
Jean I‘rau 9 juin (obiit die ix junii anno 1297) b Le bombardement,
de Bruxelles, en IG95, a renversé le nouveau monument, qui ne
fut pas relevé lorsqu’on bâtit aux Récollets une troisième église,
qui a péri à son tour pendant la domination française. Aujour-
d’hui, dans son emplacement transformé en marché, où cher-
cher la poussière du plus glorieux de nos souverains?
Parcourez nos annales, dépouillez nos généalogies princières,
vous n’y rencontrerez aucun nom dont le souvenir apparaisse
plus brillant et plus pur. Jean Ier avait sans doute des défauts et
des faiblesses. C’est avec raison qu'on lui a reproché d’avoir ex-
posé dans soixante et dix tournois et partout : en Allemagne, en
France, en Angleterre 2, une vie qui appartenait à la patrie , mais
ce reproche fut mérité par tous ses contemporains, et d’autres
princes des Pays-Bas ont péri comme lui en joutant, après avoir
bravé la mort dans vingt combats. On a condamné aussi ses
mœurs; elles étaient plus que légères, comme l’atteste la liste de
1 Sanderus, Couvent us (Bruirellensis) fratrum niinorum, in-f° . p. 12.
- De Dynter, h c.
( 221 )
scs bâtards, mais ii était d une vaillance sans égale, actif, géné-
reux; il fut l’ami des poètes. Le tableau que Jean de Thiclrode
a tracé de son caractère abonde en traits curieux et que l’histoire
confirme; ce passage constituant une satire plutôt qu’un pané-
gyrique, les éloges que l’on y trouve n’en empruntent que plus
de force. Écoutons ce chant bizarre :
« O vous, amis de la gaieté, apprenez à mépriser les joies du
» monde, car elles s’évanouissent bientôt pour faire place au
» chagrin. Voyez le duc des Brabançons, surnommé le Lion, le
» Dieu des armées. 11 aimait les combats de Vénus, il était le
» meilleur des guerriers et on ne pourrait compter ses mariages.
» 11 procréa un grand nombre d’enfants. Il dépouilla son peuple ,
» il détruisit et pressura les monastères, il pesa lourdement sur
» eux. A la fois lion et agneau, il paraissait tantôt un maître,
» tantôt un serviteur, et savait être tour à tour marquis, valet,
» mime, histrion, et au besoin comédien et pacificateur. Il
» vécut dans la gloire et les délices du monde, il brilla dans cette
» vie. Ainsi s’envole la renommée »
Van Boendale, l’auteur des JSrubantsclie Yeesten , exalte la
bonté, la générosité, la loyauté de Jean Ier. Il lui attribue la gloire
d'avoir abattu les châteaux des pillards qui entravaient le com-
merce sur le Rhin ; sous son règne, dit-il, les étrangers, quoique
appartenant à un pays ennemi , pouvaient librement circuler
dans ses États, ce qui facilita au plus haut point les relations de
ses sujets avec le dehors. Mais ce que le poète admire surtout,
c’est la valeur du glorieux duc, qui se montra si digne du sang
dont il sortait, du sang de Charlemagne. Il avait, ajoute-t-il, un
aspect si terrible que son regard seul inspirait la crainte. Sa colère
ne connaissait pas de bornes et sa force était telle qu’il brisait un
bâton entre ‘les doigts -. Hocsem vante sa munificence envers les
étrangers et des découvertes modernes ont fait connaître son goût
pour la poésie 3. Enfin, au dire de Melis Stoke, notre prince chas-
sait loin de lui les flatteurs et les traîtres.
' Willems, Van H velu, p. 349.
- L. V, v. 1 07 et suivants.
3 Voyez le chapitre XIV.
III.
Pendant que son père se mourait, Jean II se trouvait en An-
gleterre. La mort du vainqueur de Woeringen faillit causer une
guerre civile en Brabant. Godefroid de Brabant était tout à fait
dévoué aux intérêts de la France et ceux qui partageaient ses vues
formaient un parti considérable. Pour rompre leurs menées , des
messagers fidèles allèrent inviter le prince à venir, sans délai, se
mettre en possession de son héritage
Jean II et sa femme étaient attendus par leur suite à Herewyc,
d’où ils partirent sur trois vaisseaux appartenant aux Brabançons
Jean Alard, Hugues, (ils de Baudouin, et Walter Pyl1 2. Remarquons
ici que nos ducs ne dédaignaient pas de s’occuper de commerce.
L’escadrille de Jean transportait une cargaison de laine, dont il
vendit une partie à son aïeul maternel, le comte de Flandre,
pour la somme de deux mille cinq cents livres tournois 3.
A peine arrivé, il fit arrêter sire Henri Prochiaen, l’un des
hommes en qui Jean Ier avait le plus de confiance. Le clergé de
Bruxelles l’ayant réclamé à cause de sa qualité de clerc, on le
remit au doyen de Sainte-Gudule, Jean Vanderhellenq celui-ci
l’ayant laissé fuir, fut à son tour jeté dans une prison, d’où ne
purent le tirer les réclamations de l’évêque de Cambrai et de son
official, et où il mourut bientôt 4. L'arrestation de Prochiaen se
rattachait sans doute à des questions financières, car il avait été
le trésorier de Jean Ier, qui devait des sommes considérables, no-
tamment à Jean, sire de Cuyck 5; à Jean , sire de Ryfferseheid 6, etc.,
1 Van Velthem , 1. III , c. XLII.
2 Lettre du 18 juin 1294, dans Rymer , l. c-, p. 802
5 Quittance du duc, en date du 1 6 juill. 1296. Saint-Génois, Monüm., p. 852.
1 Histoire de Bruxelles , t. Ier, p. 76.
3 Quittance de deux mille livres de Louvain, donnée par le sire de Cuyck à
Égide de Monte , chevalier, jadis sénéchal de Brabant, en à-compte de ce qui
lui était dù. Jour de la conversion de saint Paul, en 1294 (1295, n. s.). Car-
lulaire de Brabant B, f° 107 v°.
6 Quittance donnée par le seigneur de ReitFerscheid , de ce qui lui était dù
( 225 )
et Jean IJ lui-même avait laissé des dettes en Angleterre, où le
chevalier sire Arnoul d’Iks ou Yssche paya en son nom six mille
livres de Louvain à Lapus Bourecato, marchand florentin, man-
dataire de ses compatriotes Donat et Veluto l. L’emprisonnement
des favoris de Jean 1er avait été conseillé par Godefroid , mais ses
conseils ne furent pas longtemps suivis, et une haine mutuelle vint
bientôt remplacer dans le cœur des deux princes l’affection qu’ils
auraient dû se porter 2.
La première expédition du duc fut dirigée contre l’ancien en-
nemi de son père, l’archevêque Sifroi. Puis il s’attacha à forti-
fier et à accélérer la ligue qui se formait pour combattre le roi de
France. Ce fut dans ses Etats, à Lierre, que se négocia secrète-
ment, mais sans cependant pouvoir échapper aux espions de
Philippe le Bel, le mariage de Philippine de Flandre, fille de Guy
de Dampicrre, avec le jeune Edouard, l’héritier de la couronne
d’Angleterre. Philippe rompit cette union en attirant le comte à
pour dépenses faites à Cologne, en qualité de caution du duc Jean Ier; en
récompense , Jean II lui donne quatre cent cinquante marcs de Cologne
afin d’être reconnu suzerain de la ville et faubourg ( villae et suburbium) de
Bedebur, le jour de la saint Barthélemi 1295. Ibidem , f° 14 v°. Le 1er mai
1291 , noble homme Jean de Reilferscheyd avait relevé de l’archevêque Sifroi
le château dé Bedebure , et Sifroi avait augmenté ce fief d’une rente de trois
cents marcs de Cologne. Fahne, Codex diplomaticus Salmo - Rei/l'erschei-
danus , p. 60.
1 Quittance scellée à Londres le 11 octobre 1295, par Sitfred de Vezano ,
clerc du pape en Angleterre; par S.-J. Brelam, chevalier, garde de la cité, et
par Taldi Jamani, marchand de Florence, Cartulaire , cité , f° 107.
- Maer die te voren wel hadden gewesen
Metten broëder, verdreeft hy naer desen
Uten lande, ende nam haer goet,
Vele dinge die ic niet en moet
. Vertrecken werd in Brabant geanteert.
Maer in ’t leste werd dit gekeert
Van den anderen hertog Jan,
Ende hier af bleef hi gehaet vordan
Van sinen oem heren Godevaert
Om dat hi hem niet liet gewerden
So was heymelyc onder lien een nyt.
( Van Velthem f.)
( 224 )
Paris et en ne le relâchant qu’en échange de sa fille, dont les espé-
rances se terminèrent dans une tour du Louvre.
Le seigneur d'Aerschot, qui se trouvait encore le 17 juin 12%
à Bruxelles, où il termina un débat qui existait entre les bé-
guines et le gilde de la draperie J, se rendit le 16 octobre suivant
à Brühl, près de Cologne, où il s’opéra entre Sifroi et lui un rap-
prochement complet. Godefroid déclara s’allier avec Sifroi, de
l’avis de ses conseillers et familiers, en considération, dit-il, de
l’amitié qu’a pour lui l’archevêque de Cologne et des avantages et
secours qu’il peut lui procurer. 11 promit d’assister le prélat contre
tous ses ennemis, sauf contre l’Empereur, le roi de France, et son
seigneur et parent le duc de Brabant, « contre lesquels il ne peut
et ne doit l’aider. » Si dans la suite, Jean II se laissait gouverner
par lui et guider par ses conseils 1 2 3, Godefroid s’engageait à négo-
cier entre ce prince et Sifroi une paix qui leur conservât à chacun
leurs droits. Mais loin de réconquérir son influence, Godefroid la
vit diminuer de jour en jour, et il partit pour Paris où il vécut
honoré de la confiance de Philippe le Bel 5.
Mais lorsque Edouard Ier se refroidit pour la cause delà Flandre,
lorsque l’occupation de ce pays par les troupes françaises en en-
trava de plus en plus le commerce avec le Brabant, ce duché
et le prince qui y régnait chancelèrent dans leurs résolutions.
On vit alors Godefroid reparaître dans sa patrie et y commander
en maître.
Son premier soin fut d'opérer une réconciliation entre les princes
de notre pays, dans l’intérêt de la politique de son protecteur, le
monarque français. Par ses inspirations et celles de Raoul de Cler-
mont, connétable de France, Jean II conclut une paix peu hono-
rable avec le comte de Rainant et de Hollande, s'allia avec l’arche-
vêque de Cologne Wicbold, et essaya, de concert avec celui-ci et
l’évêque de Bâle, de réconcilier le roi Albert d'Autriche et le comte
de Ilainaut.
1 Histoire de Bruxelles , 1 . 1, p. 79.
2 Quod si, succedenie tempore, dueem per nos régi et uli noslro cunsilio
contigerit, etc. Lacomblet , t. II, p. 570.
3 Van Veltheni, l. IV, c. II.
( 225 )
Après six années d’agitation, la paix se rétablissait insensible-
ment partout. La Belgique paraissait complètement livrée à la
France ou à ses partisans, lorsqu’un mouvement général, se ma-
nifestant presque à la fois dans toutes les communes importantes ,
vint y sonner l’heure du réveil de la liberté. Dirigé surtout contre
les patriciens ou bourgeois riches, dont les prétentions et l’orgueil
allaient toujours croissant, il les força à admettre les artisans
au partage du pouvoir. La révolte des Brugeois contre l’oppres-
sion étrangère, la glorieuse bataille de Courtrai, où, en même
temps que les armes françaises, le parti des Leliaerts reçut un
coup si terrible (Il juillet 1302), eurent comme un long reten-
tissement dans toute la Belgique. A Valenciennes, à Malines^ à
Bruxelles, à Tournai, à Saint-Trond, partout éclatent des sédi-
tions. A Liège la jeunesse aristocratique, étalant avec insolence ses
chaperons de couleur, et se glorifiant du nom de fils des Francs
ou de France (fil H Francine , vel de Francis) ', comme pour dis-
tinguer sa noble origine de celle des vilains, des Gaulois ou Wal-
lons, ou peut-être voulant afficher son attachement inviolable aux
tendances despotiques de Philippe le Bel, cette jeunesse, dis-je,
s’organisa militairement pour protéger la levée des assises. Vaincue
par le chapitre de Saint-Lambert et le peuple coalisés, elle essaya
vainement de défendre des privilèges détestés. Elle devait périr
consumée dans l incendie de l’église de Saint-Martin, neuf ans
après que la chevalerie léliarde de la Flandre avait vu faucher à
Courtrai la fleur de scs enfants.
En ce dernier endroit, tombèrent aussi Jean sans Merci, un des
fds de Jean d’Avesncs; Godefroid de Brabant, le sire de Wcsemael
et plusieurs autres nobles brabançons. Ils étaient accourus pour
assister à la défaite de la démocratie flamande; leur perte signala
son triomphe. La mort de Godefroid, à qui, dit-on, le roi de
France destinait Je gouvernement de la Flandre, et dont la pru-
dence consommée prévit les conséquences de l’attaque imprudente
du sire de Chatillon 1 2, fut le signal d’un nouveau revirement dans
1 AmpHssima collectio, t. V, p. 143.
2 VanVellhem, l.c., c. XXII et suivants.
Tome XIII.
13
( 220 )
la politique du duc Jean II, qui s’unit intimement avec les Fla-
mands con tre le comte de Hainaut.
Nous arrêterons ici ce coup d’œil rapidement jeté sur les évé-
nements qui suivirent la mort de Jean Ier. Le vaillant frère de ce
prince et presque tous ses contemporains ont disparu. Deux vieil-
lards seuls restent debout, comme pour perpétuer la mémoire du
vainqueur de Woeringen : Guy de Dampierre, qui lui a suscité
tant de traverses, et dont les récents malheurs s’expliquent par
ses innombrables intrigues, par ses fautes plus nombreuses en-
core, et Renaud de Gueldre, dont la défaite avait pesé plus faible-
ment sur son peuple que ne pèse son déplorable gouvernement.
Moins agité que les contrées voisines, le Brabant continue, pen-
dant les dernières années de Jean II, à développer son agriculture
et son industrie, et comme s’il fut dans les destinées des chefs de
la maison de Louvain de signaler chacun leur règne par un mo-
nument législatif de premier ordre, Jean II, en signant la charte
de Cortenberg, entoure de nouvelles garanties l’administration de
la justice, de même que son père, en 1292, avait reconnu à ses
Brabançons le libre vote de l’impôt et le droit de résistance à l’op-
pression : Jean II, digne rejeton de Jean Ier, complète l’œuvre de
son glorieux prédécesseur.
( 227 )
V
CHAPITRE IX.
POLITIQUE DE JEAN I«; LA FÉODALITÉ EN BRABANT.
I.
La biographie du due Jean 1er nous le montre constamment
occupé de négociations et de combats. Quoiqu’il se plaise dans scs
Etats, et surtout à Bruxelles, sa ville natale, sa capitale, déjà citée
comme une des belles cités de la Gaule septentrionale, quoiqu’il
aime les plaisirs et la poésie, jamais il n’hésite à prendre les
armes. Qu’il s’agisse de réprimer des brigandages ou de réconci-
lier deux voisins, il n’hésite pas. Nul ne peut le devancer au lieu
du rendez-vous, toujours il est prêt à négocier et surtout à com-
battre.
Depuis que la race des Hôhenstauffen avait été mise au ban de
la catholicité, nos princes s’étaient liés plus intimement avec la
France, dont la dynastie royale ne dédaigna pas de mêler son
sang au sien. Jean 1er, sous l’influence sans doute des vieux con-
seillers de son père, fut, toute sa vie, en rapports directs avec la
cour de Paris. Plusieurs fois , il guerroya pour elle et il réclama
son arbitrage. Il rechercha avec empressement, pour son fils, la
main d’une princesse anglaise, mais il n’entra jamais, ou du moins
que tard, dans ses vues, de devenir un des défenseurs de la poli-
tique d’Edouard 1er sur le continent. Ce rôle ne fut joué que par
son fils, dont la volonté subit facilement l’influence d’un beau-
père habile et d’une femme aimée.
Sans doute, dans d’autres circonstances, Jean Ier n’aurait pas
refusé de changer de système et de devenir le chef de cette ligue
entre l’Angleterre, l’Allemagne et les Pays-Bas, dont les nœuds
( 228 )
se resserrèrent après sa mort. Seul il pouvait lui donner ce qui
lui manqua : un chef militaire capable de rallier autour de sa
personne les forces considérables dont la ligue disposait. Peut-
être, après avoir vaincu la chevalerie allemande sur les bords du
Rhin, aurait-il repoussé, sur les rives de l'Escaut, les bataillons
français; peut-être la gloire de réconcilier les maisons de Dam-
pierre et d’Avesnes lui était-elle réservée; mais il manqua lui-
même à ccs destinées magnifiques : il préféra livrer aux hasards
d’une lutte inutile des jours dont il aurait dû être avare.
On connaît la position pour ainsi dire indépendante que nos
ducs prirent de bonne heure: Jean 1er sut la maintenir. De même
que scs ancêtres, il n’accepta de subsides ou de fiefs ni de l'An-
gleterre, ni de la France; à l’égard des rois d’Allemagne, il mani-
festa une déférence empressée, mais plus apparente que réelle, et
il en fut récompensé par des faveurs qui le grandirent aux yeux
des peuples, sans lui imposer d’obligations gênantes.
A la suite de deux siècles d’union, les dépendances de l’ancien
duché de basse Lotharingie et les domaines des comtes de Lou-
vain ou de Brabant s'étaient si bien confondus qu’il était devenu
difficile de distinguer les unes des autres, tant ils formaient un
corps compacte. La conquête du Limbourg, qui depuis n’en fut
plus séparé, en augmenta considérablement limportance. Le
comté de Daelhem, la première seigneurie dont le Brabant
s’agrandit au delà de la Meuse, put alors s’appuyer à un vaste
territoire, peuplé par une race belliqueuse; de plus, la garde des
chemins entre le Rhin et la Meuse, la suzeraineté sur le marquisat
d’Arlon et nombre de châteaux, la possession de la forteresse de
Kerpen, enfin l’extinction d’un titre ducal dont l’origine rappelait
une vieille rivalité contre la race de Louvain, donnèrent un nou-
veau relief au Brabant.
L’autorité éphémère et contestée dont le duc Henri III avait
été revêtu par Alphonse de Castille, dans les pays entre la Mo-
selle et la mer du Nord, Jean Ier en fut aussi investi par Adolphe
de Nassau. Malheureusement il n’en était en possession que depuis
une année environ lorsqu’il mourut; le temps lui manqua pour
l’utiliser.
( 229 )
Les ducs de Brabant étaient placés, vis-à-vis de quelques pré-
lats voisins de leurs domaines, dans un état de vasselage qui ne
comportait à cette époque rien d humiliant. Ainsi ils étaient feu-
dataires de l’Église d’Utrecht pour le Veluwe (le pays entre le Rhin
et le Walial), que les comtes de Gueldre, à leur tour, relevaient
d’eux en arrière-fief1. Ils tenaient aussi de l’évêque de Liège le
village de Haekendover, près de Tirlemont 2, et ses dépendances;
mais, déjà à cette époque, l’étendue de ce devoir féodal faisait
l’objet d’un litige qui ne s’est jamais éclairci. Le due Henri Ier
s’était reconnu, en 1222, le suzerain de l’archevêque de Cologne s,
1 Voyez, à ce sujet, un diplôme de l’empereur Henri VI, du 6 mars 1196
(Miræus, Opéra diplomatica, t. 1, p. 289). — On ne doit attacher aucune
importance au prétendu diplôme qui se trouve dans Iléda, et d’après lequel le
duc de Brabant aurait tenu en fief de l’Église d’Utrecht la ville de Thiel et
toute la Campine jusqu’à Turnouter Voerde. Seulement le château de Tilbourg,
en Campine, constituait aussi un fief tenu de l’évêché par les ducs. C’est ce
qui résulte d’une charte de l’an 1222, imprimée par Butkens. (Trophées, l. I,
Preuves , p. 69.)
2 Accord entre le duc et l'évêque, du 20 octobre 1283. Louvrex, Recueil
contenant les édits et règlements faits pour le pays de Liège , t. 1er, p. 159. —
Willems, Van Heelu, p. 121.
Le village d’Haekendover avait appartenu à Marie de Brabant, femme de
l’empereur Othon IV et morte sans laisser de postérité, et la possession de la
dîme de ce village fut le prétexte d’un épisode qui donne une idée assez singu-
lière du caractère de cette princesse. Guillaume d’Haekendover ayant cédé
celle dime au couvent de Parc-lés- Dames, Marie recourut aux pairs de la cour
de l’Église de Liège et en obtint une sentence interdisant l’aliénation des fiefs
nobles relevant de celte Eglise, sans l’assentiment préalable de l’évêque et
du chapitre. Elle fit aussitôt « expulser » de cette dime le couvent. Néan-
moins celui-ci fut confirmé dans la possession de ce revenu par l’évêque Jean
(juillet 1236) et par le chapitre (samedi après la Purification, en 1248). Marie
elle-même se repentit de sa violence et restitua la dime, dont Parc-les-Dames
fut mis en possession en vertu d’un ordre de Henri, élu de Liège, en date du
dimanche Reminiscere , en 1249, et par les soins du bailli de Henri, Tillemann
de Tongres. ( Cartulaire de Parc-les-Dames.)
3 Henri Ier releva alors de l’archevêché l’alleu de Lumershem, près de
Kerpen; celui d’Orten , y compris Bois-le-Duc et ses dépendances; celui de
Tilbourg , sauf le château, et enfin ceux de Dormael et de Ilannut. (Butkens
Trophées , t. I , p. 69. — Lacomblet, Urkundenbuch , t. Il, p. 57.)
( 250 )
exemple qui ne fut pas imité par ses successeurs, et dont un acte
postérieur doit avoir amené l'annulation, car la charte originale
qui le constate, est revenue à Bruxelles, où on l’a récemment re-
trouvée aux Archives du royaume. L’acquisition du Limhourg
replaça nos princes dans cette sujétion envers l’Eglise de Cologne,
car les ducs de Limhourg tenaient d’elle plusieurs fiefs *, de même
qu’ils relevaient de celle de Liège la seigneurie de Rolduc 1 2.
Il est à peine douteux que les anciens ducs de Lotharingie
jouirent d’une sorte de suprématie sur tout le territoire qu’ils
devaient gouverner. On comprend que les feudataires indociles
des rois d’Allemagne se firent peu de scrupule de contester cette
suprématie, quand elle fut attribuée à une maison dont ils se
prétendaient les égaux, sinon les supérieurs. L’hommage isolé
que rendit Philippe , marquis de Namur, au duc Henri Ier, pour
la terre d’Alost, en 1209; les prétentions de Godefroid III à la
suzeraineté duHainaut3; la supériorité que reconnurent à Henri Ier
les ducs de Limhourg, en 1191 4, et les comtes de Hollande (ces
derniers pour la Hollande méridionale), peuvent être considérés
comme les derniers vestiges d’une puissance qui tendait constam-
ment à se transformer, h devenir territoriale au lieu de féodale. Car
la constitution d’une souveraineté forte et unie, tel fut le résultat
auquel semblent avoir toujours aspiré les ducs de Brabant; ils
employèrent pour réussir dans leurs projets un moyen qui témoi-
gne de la portée de leur intelligence et de la grandeur de leurs
vues; au moyen de belles chartes, fécondes en dispositions heu-
1 Lorsque le dernier duc de Limhourg assigna un douaire à sa seconde
femme , Cunégonde de Brandebourg , il y comprit le château et la ville de
Wassenberg, avec ses dépendances; le château de Sprimont et les villages et
territoires qui y ressortissaient , et enfin Galoppe, avec quelques autres loca-
lités , le tout tenu en fief de l’Église de Cologne , comme le déclare l’archevêque
Sifroi dans un acte du 10 janvier 1277. Le restant de ce douaire se compo-
sait des villages d’Espede et de Lovenich, d’une rente de soixante marcs sur
la monnaie de Cologne, d’une autre rente de cent marcs à Aix, des biens de
Waleram à Haneffe, de Walhar, Roderen, Tinholt, de la ville de Duysbourg.
( Cartulaire de Brabant B, f° 53.)
2 Voyez plus haut, p. 202.
5 Voyez Giselbert, Chronicon Hannoniae.
4 Butkens, t. I , Preuves , p. 45.
( 251 )
reuses, ils réunirent tous leurs domaines en un puissant faisceau.
Ainsi que nous l’avons montré ailleurs 4, les ducs de Brabant,
depuis leur longue querelle contre les Berthout, avaient montré
un grand zèle pour les intérêts des grandes communes voisines
de leurs Etats ; dans presque toutes les guerres qui désolèrent la
Belgique, ils s’unirent de préférence aux bourgeoisies de Liège,
d’Aix-la-Chapelle, de Cologne. Jean Ier marcha dans la même
voie, et on pourrait le représenter comme le chef d’une vaste
confédération municipale qui englobait tout le pays s’étendant
de l’Escaut au Rhin. De là et grâce à ses qualités personnelles,
l’ascendant marqué qu’il exerça pendant toute sa vie sur les
princes ses voisins, et que ne purent contre-balancer, ni la poli-
tique cauteleuse de Guy de Dampierre, ni l’esprit audacieux et
persévérant de Jean d’Avesnes.
Pour mieux accroître leurs forces, les ducs avaient essayé d’in-
corporer à leurs Etats, d’une manière plus complète, des terri-
toires qui n’y étaient qu’enclavés ou dont ils n’avaient pas la libre
disposition; trois possessions importantes furent surtout l’objet
de leurs efforts : Nivelles et ses dépendances, la ville de Maestricht
et la seigneurie de Malines.
Outre les différends qui avaient surgi à Nivelles à l’occasion de
l’établissement de la commune , il s’en était élevé d’autres à la suite
de l’usurpation par les ducs de Brabant et quelques-uns de leurs
vassaux des revenus que le chapitre possédait en plusieurs en-
droits, et notamment à Tubise, à Goyck, à Wambeek, à Berg-op-
Zoom. Un accord du mois de janvier 1255-1254 régla la plupart
des points en litige : toutefois ce ne fut que quinze ans plus tard
qu’on détermina d’une manière précise les droits du duc, du
seigneur de Wesemael et de l’abbaye sur les wasiines et les bois
compris dans l’alleu de Sainte-Gertrude, à Wambeek. Ces biens
devaient être donnés à cens héréditaire, et le produit devait être
divisé en trois parties égales, au profit des parties contractantes.
Si le messager ou mandataire de l’une de celles-ci ne compa-
raissait pas au jour fixé pour le payement du cens, sa part était
Histoire des environs de Bruxelles . t. II, p. 160.
( 202 )
confiée au curé ou à un prud'homme ou notable du village; mais
lorsque deux des messagers faisaient défaut, il n’était pas permis
d’exiger le cens. En cas de vente, le vendeur et l’acheteur étaient
tenus de payer chacun une année du cens; la même obligation
incombait au censitaire en retard. En cette occasion, le duc Jean
et Arnoul de Wesemale promirent solennellement au chapitre
de lui rendre, après enquête, tout ce qu’ils avaient usurpé. Dans
le même mois, Arnoul renonça également à la possession exclu-
sive de la foresterie des bois et des wastines « de Wambeke, de la
Natte et de Lumbeke, » et déclara que dorénavant les trois parties
contractantes y nommeraient des forestiers de commun accord,
et recevraient toutes trois l’hommage des fiefs de la foresterie J.
La juridiction des ducs dans la ville même de Nivelles s’affer-
mit encore du temps de Jean Ier, quoique avec lenteur. Ainsi
en 1272-1275, lorsqu’une assise ou maltote y fut établie par la
commune, du consentement de l’abbesse et du chapitre, il fut
reconnu que ce consentement, qui plus tard ne fut plus sollicité,
constituait un acte entièrement gratuit, et que les comptes du
produit de la taxe devaient être soumis à l’abbesse. Quelques
années plus tard, l’abbesse Elisabeth de Bierbais et le chapitre se
trouvèrent en dissentiment complet, principalement à cause des
concessions que la première avait faites aux bourgeois. Elle avait
ordonné qu'il n’v aurait à Nivelles qu’un poids public, dont le pro-
duit devait appartenir pour une moitié à la ville et pour un tiers
aux peseurs jurés. Elle défendit de vendre du drap et de la toile
autrement que par le ministère de mesureurs jurés, nommés par
l’abbesse et par les échevins, et tout individu qui se plaignait
d’avoir subi un préjudice considérable, fut astreint à déposer une
somme de cent sous, qui devait appartenir par moitié à l’abbesse
et à la ville, si l’accusation était reconnue fausse. Chacun de ces
statuts, dont l’utilité ne paraît pas contestable, devint l’objet
des réclamations des chanoinesses, qui semblent avoir adopté pour
principe constant de ne tolérer aucune innovation, fut-elle profi-
4 Cet accord, qui porte la date du mois d’octobre 1268, a été publié dans
V Histoire des environs de Bruxelles, t. I, p. 401.
( 253 )
table au suprême degré. L’abbesse tenant bon, le chapitre, par
un abus injustifiable des lois canoniques, lança contre elle une
sentence d’interdit (veille de la Nativité de la Vierge, en 1278).
D’autres débats recommencèrent quelques années après et ne
se terminèrent qu’en 1287. On fixa alors les parties des bâtiments
capitulaires dont l’entretien était à la charge de l’abbesse, qui
s’engagea à revendiquer, autant que possible, les domaines que
de grands personnages avaient usurpés sur le chapitre. Mais elle
ne pouvait que promettre, car il ne lui était pas possible de lutter
avec succès contre le duc et ses vassaux, et de dominer une com-
mune dont l’audace allait croissant *.
L’abbesse dut se convaincre de son impuissance par l’inutilité
de ses tentatives contre les usuriers ou prêteurs sur gages, les
cahorsins (caversini), comme on les appelait vulgairement. En pas-
sant par Nivelles, l’évêque de Liège avait appris qu’on y exerçait
publiquement l’usure. Il en prit prétexte pour lancer sur la ville
une sentence d’interdit. Les cahorsins cessèrent quelque temps
leur commerce, que, toutefois, ils reprirent bientôt. L’abbesse,
de l’avis de ses conseillers, se rendit alors à la maison où l’on
exerçait l’usure, elle en trouva les portes fermées et dut se borner
à faire avertir les usuriers. Ceux-ci , confiants dans les promesses
des deux serviteurs du bailli, se décidèrent à continuer. Vaine-
ment l’abbesse recourut au duc; Jean Ier se borna à répondre que
cela le concernait seul; que s’il y avait péril pour son Ame, il en
prenait la responsabilité, et qu’il négocierait à ce sujet avec le
pape et avec l’évêque. Deux ecclésiastiques désignés par ce der-
nier donnèrent raison au chapitre (20 septembre 1280), sans
pouvoir obtenir l'exécution des lois de l’Église contre l’usure ou
le prêt sur gages, qui continua à subsister à Nivelles.
Un dernier traité, conclu entre Jean Ier et l’abbesse 1 2, protège
1 Cartulaire de T abbaye de Nivelles , fos 88, 107, 539. — M. Schayes a
publié, dans ses Analectes archéologiques ( Anvers, Buschmann , 1857, in-8°,
et Annales de l'Académie d’archéologie d'Anvers, t. IX, p. 81), un réquisi-
toire foudroyant , mais non moins exagéré, des chanoinesses contre l’abbesse.
2 Dimanche après les octaves de l’Épiphanie 1289-1290. ( Cartulaire cité,
f" 392.)
( 254 )
les bourgeois contre les abus d’autorité qu’aurait pu commettre le
bailli du duc. 11 ne fut plus permis à cet officier d’intervenir dans
la poursuite des débiteurs, ni de citer les Nivellois à Genappe; la
prison que le duc possédait à l’endroit dit la Chapelle , à Nivelles l,
devait être supprimée; aucun bailli, maire ou forestier ne pou-
vait faire partie du magistrat.
Une tentative pour secouer la sujétion des abbesses aux ducs
fut encore tentée à la fin du règne de Jean Ier; Yolende de Steyne
ayant été élue à cette dignité, le chapitre, appuyé par celui de
Saint-Lambert, de Liège, demanda la confirmation de sa nomina-
tion à Guy d’Avesnes 2. C’était braver ouvertement Jean Ier, dont
les sympathies étaient acquises au compétiteur de Guy, Guillaume
Berthout. Le roi Adolphe, qui avait tour à tour confirmé les pri-
vilèges accordés par ses prédécesseurs aux ducs de Brabant et les
privilèges contraires attribués au chapitre3, chargea le comte de
Looz et Jean de Cuyck d investir la nouvelle abbesse de ses fiefs
impériaux 4, et le premier de ces princes la fit, en effet, reconnaî-
tre par le chapitre et par la ville Mais le duc (selon les chroni-
queurs ce serait Jean II °) punit Yolende de sa témérité en saisis-
sant ses domaines, etl’ohligea ainsi à lui faire satisfaction.
Dans la seigneurie de Malines, un accord, qui fut probablement
projeté vers l’année 1268 7, avait divisé la juridiction, par parts à
peu près égales, entre l’évêque de Liège et Walter Berthout. Voici
quelles en étaient les clauses principales : aucune aliénation de
droits ne pouvait se faire que du consentement des deux seigneurs;
à l’évêque seul appartenait la nomination de l’écoutète, chargé
exclusivement de l'arrestation des malfaiteurs; l’évêque et Ber-
1 Aujourd’hui le lieu dit le Franc-Étau.
2 La lettre du chapitre de Liège au prélat est datée du vendredi avant la
fête des saints Simon et Jude, en 1293. ( Cartulaire cité, f0 132 v°.)
5 Diplôme daté de Cologne, le 16 août 1292. Ibidem , f° 312.
i 4 janvier 1294. Ibidem , f° 310.
5 Vendredi avant la conversion de saint Paul, en 1293-1294. Ibidem,
f° 398 v°.
c Butkens, 1. 1, p. 343.
7 Et non vers 1299, comme l’a supposé M. Jules de Saint-Génois, Inven-
taire, p. 306. Voyez Ibidem, p. 42.
( 235 )
thoiit nommaient chacun un forestier ou amman. La création des
magistrats s’opérait de commun accord, et c’était aussi de con-
cert que les deux seigneurs ordonnaient la levée d’impôts , fai-
saient percevoir les revenus de la seigneurie et levaient des rede-
vances sur les étrangers ou lombards. Les habitants de Hevere ,
Muysen, Hanswyck, Iieffen et Hombeek étaient à la fois sujets de
Walter et de l’évêque, mais le premier seul avait juridiction à
Leest et sur les prés dits Rotbruch. Aucune suite ne paraît avoir
été donnée à cet acte et, pendant tout le dernier tiers du treizième
siècle, on voit Walter dominer sans contestation dans Malines,
dont il s’intitule constamment seigneur, et où son autorité repo-
sait, à ce qu’il semble, sur l’affection de la bourgeoisie b
En même temps que Malines, le duc Henri III avait pris en
engagère de 1 Eglise de Liège les villages de Hougarde, de Tou-
rinnes, de Reauvechain, où ses ancêtres prétendaient posséder le
droit de haute justice. Pour terminer ce débat, qui menaçait de se
prolonger indéfiniment, Jean Ier consentit à céder scs droits sur
ces trois localités et l’avouerie de l’église collégiale de Hougarde.
Il ne s’v réserva que le droit d appeler aux armes les habitants,
et la juridiction sur ceux d’entre eux qui étaient hommes de Saint-
Pierre, de Louvain. De son côté, l’évêque Jean de Flandre lui fit
abandon des villages de Herewarden, Kessele, Marre et Ueurne,
et de toutes leurs dépendances (8 juillet 1288). Au mois de no-
vembre 1248, Godefroid de Louvain , sire de Pervvez, avait
vendu à l’élu de Liège, Henri, pour huit cents livres de Louvain ,
l’avouerie de Hougarde et des villages voisins, et, à cette occasion ,
l’élu avait promis au duc Henri III qu’il n’élèverait pas de forte-
resse dans ces localités et qu’il n’y instituerait pas de franchise 1 2.
Jean Ier parait avoir formé le projet de racheter Hougarde , mais
il ne le réalisa jamais.
La possession indivise de Maestricht par les ducs de Brabant,
dont les droits reposaient sur des concessions impériales, et par
l’évêque de Liège, en qualité de chef de l’ancien diocèse de Ton-
1 David , Geschiedenis van Mechelen , p. 68.
2 Willems, Van Réélu , p. 460. %
( 230 )
grès, dont Maestricht avait été longtemps la capitale, fut constam-
ment l’objet de vives querelles. Une sentence arbitrale, prononcée
par deux seigneurs brabançons, les sires de Herstal et de Malines,
et par deux chanoines de Liège , Pierre , prévôt de l’église de Bé-
thune, et Guillaume de Rotselaer, posa les premières bases que
l’on connaisse avec certitude.
Quand une guerre éclatait entre les deux princes, la ville de
Maestricht restait neutre; aucun d eux ne pouvait, sans le con-
sentement de l’autre, y lever un impôt ou une taxe. Les portes,
les murs, les forteresses, les fontaines, le travail (sic), les che-
mins, la monnaie, la maison de ville, la prison, etc., étaient com-
muns. Les échevins des deux princes ne formaient qu’un seul
tribunal. Chaque juridiction devait aider l’autre à obtenir justice
et chacune pouvait ordonner de pendre, de brûler, de mutiler les
malfaiteurs. Tout étranger venant se fixer à Maestricht était con-
sidéré comme vassal du duc, à moins qu'il ne fut de la famille
(c’est-à-dire tenancier) de Notre-Dame, de Maestricht; de Notre-
Dame, de Tongres; de Notre-Dame, de Huy; de Saint-Lambert,
de Liège, et de Saint-Ode; dans ce dernier cas, il restait sujet de
l’évèque. Celui-ci était seul seigneur au village de Saint-Pierre, sauf
qu’entre le chemin conduisant à Montenaeken et le Jaer, il n’avait
que la juridiction foncière !. Les ducs de Brabant et les Liégeois
ne supportèrent qu’avec impatience leurs prétentions réciproques.
En 1296, éclata à Maestricht une lutte dont les Brabançons pro-
fitèrent pour étendre leurs droits au détriment des Liégeois 2.
Les empereurs n’intervinrent pas dans le débat, mais ils eurent
grand soin de renforcer une troisième juridiction, dont les droits
étaient de plus en plus contestés. Nous voulons parler du chapitre
impérial de Saint-Servais , en faveur duquel Rodolphe de Habs-
bourg renouvela les chartes de ses prédécesseurs, notamment
celles qui lui assuraient la propriété du pont sur la Meuse et du
péage qui s’y percevait 5. En 1271, ce chapitre eut un différend
très-grave avec la cour écliçvinale brabançonne, au sujet d’un
4 Février 1285-1285. Butkens, t. I, p. 299, et Preuves , p. 110.
2 Hocsem, c. XXXII.
3 En 1275. Opéra diplomatie^ , t. IV, p. 255.
( 257 )
criminel qui s’était réfugié dans l’église Saint-Servais et que les
magistrats brabançons, après l avoir inutilement réclamé, en ar-
rachèrent à main armée. Le due, à qui les chanoines recouru-
rent, chargea du soin de le remplacer Je comte de Looz, qui
désapprouva la conduite des magistrats brabançons, déclara que
dorénavant ils payeraient, pour un acte de ce genre, une amende
de deux cents marcs liégeois, et les condamna à assistera la pro-
cession en grand costume, un dimanche à l’église Saint-Servais
et l’autre à Notre-Dame, et d’y faire amende honorable au doyen
(24 novembre 1272) b Par un diplôme adressé à l’écoutètc, aux
échevins, aux consuls et aux autres citoyens de Maestricht, Ro-
dolphe défendit aux sujets impériaux de celle ville, ressortissant
à la paroisse de Saint-Jean, de faire moudre de la braie ailleurs
qu’au moulin du chapitre; en outre, il interdit aux magistrats pré-
cités d'empiéter sur les biens de celte corporation, et d’usurper la
juridiction qu’y exerçaient le camérier, les chanoines et les man-
sionnaires ou tenanciers de Saint-Servais1 2 *.
Les relations du Brabant et des États voisins furent, à la lin du
treizième siècle, l'objet de quelques dispositions, pour ce qui con-
cernait la fixation des limites respectives et la remise mutuelle des
criminels.
Celle-ci est déjà stipulée dans une convention entre la Flandre
et le Hainaut , de l’an 1170 5 * ; elle se retrouve dans un autre acte ,
sans date, conclu entre un comte de Flandre et de Hainaut, appelé
Th. (Thomas de Savoie?), et Henri, duc de Louvain (Henri II?) 4,
et elle fut ensuite admise entre le Brabant, d’une part, la Hol-
lande (1242) :i, la Flandre (1202) (i et le pays de Liège ( 1285) 7,
d’autre part.
1 Perreau, Recherches historiques sur le chapitre impérial de Saint-
Servais ci Maestricht.
2 Le H avril 1282. De Dynler, 1. 11 , p. 430.
5 De Reiffenberg, Monuments , t. I, p. 515.
1 Cartulaire de Brabant li.
Brabantschc Yeesten, t. 1 , p. 647.
0 Voyez plus haut, p. 26.
7 Willems, Van Heelu , p 422. — Louvrex, Recueil cité ,1.1, p. 139.
( 25» )
Quant aux limites, depuis longtemps elles n’offraient d’incer-
titude que sur quelques points : vers l’est, le comte de Looz ayant
étendu sa juridiction au delà de ses frontières, notamment à Maes-
tricht, à Johancourt (entre Montenaeken et Landen), sur une
ferme de l’hôpital, à Dormael; à Halle près de Dormael, à Waitre-
halen (?), entre Sicliem et Everboden, à Fessenelie (?) et Eykcl-
berglie, le duc et lui choisirent pour terminer leurs débats , quatre
arbitres : Waller Volkaert, Arnoul de Wyneghem , Gérard de Berlo
et Guillaume de Langdris l. Dans la suite, le comte reconnut qu’il
n’avait aucune juridiction, de quelque nature qu’elle fût, dans les
biens de l’abbaye de Saint-Trond entre Haelen, d’un côté, Loese-
berghc et Waenrode, de l’autre 2. De son côté, le duc Jean Ier,
« par meure délibération de son conseil et pour entretenir la paix
» avec le comte,» renonça à toute juridiction, à toute justice,
liante et basse, sur la bruyère dite vulgairement le Wcirissal,
située entre Herck et Haelen, et sur le warissal s’étendant en face
du village de Donck. Le duc, qui était en ces lieux avoué du cha-
pitre de Saint-Lambert, avait, de concert avec le comte, aliéné un
tiers de ces terrains 5.
Les limites entre le Namurois, d’une part, et la terre de Corroit
(ou Corroy-Ie-Château, appartenant au comte de Vianden), d’autre
part, furent fixées, le 14 octobre 1291, du consentement du duc,
et après une enquête minutieuse 4.
Ainsi que Roger de Leefdael, le premier des conseillers de
Jean III, le fit remarquer à Jean, roi de Bohême, comte de
Luxembourg, le duché formait un tout indivisible, dont on ne
pouvait aliéner aucune partie. Cette règle, toutefois, ne concer-
nait que la souveraineté et non le domaine direct, car si les filles
des ducs ne recevaient pas une fraction du territoire, mais seule-
ment des rentes, leurs fils, autres que l’aîné, avaient droit à une
* 5 avril 1284-1285. Willems, Van Heelu, p. 427. — Wolters, Codex cliplo-
maticus Los'sensis, p. 162.
2 Lundi après la Trinité, en 1292. Butkens, p. 327, et Preuves, p. 128.
5 Acte de la même date. Cartulaire du chapitre de Saint-Lambert , aux
Archives du royaume.
4 De Reilfenberg, Monuments , t. 1, p. 254
( 259 )
dotation en terres. C’est ainsi qu’un des frères et un des fils de
Henri Ier, l’un et l’autre connus sous le nom de Godefroid de
Louvain, eurent pour leur part : le premier, la baronnie de Per-
wez; le second, celle de Gaesbeek. C’est ainsi encore que Godefroid
de Brabant devint seigneur d’Aerschot.
En vertu d’un accord daté du 29 novembre 1284-, Jean Ier céda
à Godefroid, pour sa part dans le patrimoine paternel, un revenu
en terres de trois mille livres (les quatre deniers valant un ester-
ling), revenu qu’il composa de tout ce qu’il possédait en cens,
rentes, terres cultivées, prairies, eaux, bois, vignes, justices
hautes et basses et hommages, à Aerscliot, Betecom, Weerde,
Langdorp, Testelt, Messelbroeck, Rillaer, Nieuwrhode, Hauwaert,
Thielt, Sichem, Beckevoort, Molenbeek, Wersbeek, Waenrode,
Miscom, Bierbeek, Mille, Hamme, Nethen, Weerde sur la Dyle
(Sint-Joris-Weert), Vaelbeek, avec l’habitation et les étangs qui s’y
trouvaient, le IIoghen-Bosche, Ottenbourg, la haute justice de
Gelrode, quelques droits à Wavre, les bois de Meerdael, de Spreed
et de Biercuit et le petit bois de Yaelbeek. En constituant cet apa-
nage, qui devait être tenu de lui en fief, le duc ne s’y réserva,
pour lui et scs successeurs, que la chasse dans les bois précités, et
la garde et protection de l’abbaye d’Everboden , de la comman-
derie de l’ordre Teutonique dite de Beckevoort , et du prieuré de
Bierbeek, dépendance de l’abbaye de Saint-Nicaise, de Reims. Le
même jour, Godefroid reconnut que son frère l’avait complètement
satisfait1. Il y avait, dans ces biens, des wastines ou bruyères,
qui n’avaient pas été comprises dans l’évaluation précitée et qui
appartenaient en partie aux Berthout; Godefroid reconnut que si
ces bruyères étaient mises en culture, il devait renoncer, à pro-
portion de leur valeur, aux rentes qu’on lui avait assignées sur
le domaine, à Louvain et à Tirlemont. Son apanage ne pouvait
comprendre que deux mille bonniers (d’un produit moyen de
douze sous le bonnier), non compris « le haut bos de le Faubeke
» (ou Vaelbeek?), » qu’on n’avait pas encore mesuré 2.
1 Butkens, 1. 1 , p. 575 , el Preuves , p. 205.
2 Carlulaire de Brabant B, f° 55.
( 240 )
La dotation dont Godefroid de Brabant fut gratifié avait appar-
tenu avant lui à la seconde femme de son aïeul, Sophie de Thu-
ringe, que l’on voit donner des ordres au maire d’Acrschot 1 et
céder ses droits sur le village de Rhode-Sainte-Agathe 2.
Les enfants de Jean Ier
lurent dotés de la même manière. Il ne
nous est resté qu’une faible trace du mariage projeté de Godefroid,
l’aîné de ses enfants et qui mourut jeune, avec une prineesse du
sang de Limbourg. Nous sommes plus riches en détails concer-
nant le second, appelé Jean comme son père, et son alliance avec
Marguerite d’York. Le douaire primitif de cette princesse devant
valoir trois mille livres de revenu annuel, il fallut déterminer les
biens sur lesquels on hypothéquerait la dot des jeunes époux.
Cette opération se fit par les soins des chevaliers Walter Golard (ou
de Golard) et Arnoul de Wyneghcm. de Henneman Parochiens,
receveur du duc, et de Francon de Wanghe, sénéchal de Brabant,
en présence des sires de Hcrstal et de Marbais et de deux délégués
du roi Edouard, Richard, abbé de Westminster, et le chevalier
Thomas de Sandwich. Il fut constaté que ces biens, dont la ma-
jeure partie se trouvait dans le comté de Jodoigne, produisaient
les revenus suivants :
Livres.
Sols.
D. tourn.
Jedoigne
590
6
»
Melyn
299
1
8
Molembays
21
4
V)
Jedoigue-Superior
9
16
8
Dyncourt (Incourl) .
Torembays les Béguines ( Thorembais les Ué~
15
6
»
guines)
4
»
)>
Gest-Geropont (Geest-Gerompont) ....
16
4
9
Petrebavs ( Piétrebais )
»
48
»
Latuit (Lathuy)
»
54
8
Golengyn ( Gottechain )
»
64
»
Gest-Seint-Remy
10
5
4
Jesmeville (Jenville) et Gest-Seint-Marie . .
w
112
8
A REPORTER
766
4
9
1 Bulkens, t. 1, Preuves, p. 89.
2 Voyez plus haut, p. 29.
( 241 )
Livres.
Sols.
D. tourn,
Report
766
4
9
Joliangest
12
»
16
Petremal et Herbays
12
5
4
Helentynes (Heylissem) ........
15
17
4
Marilles
12
6
4
Pelleynes (Pelaines)
1 2
6
8
Marevs (Mare! s)
72
7
8
Orp (le Grand)
39
6
4
Jaundryn (Jandrain)
55
5
4
Jache la Mauvesse (Jauche la Marne, sur Jan-
drain)
80
45
4
Nodevvevns ( Noduwez ) . .
35
10
4
Libretinges (Libertanges)
4
17
4
Alyet et Dunlebert ( le Fayt et Dongelberg) . .
40
»
»
Et de perquis, vètures, entrées, sorties. . .
. 9
6
8
Assises, hommages, reliefs, dans les localités
précédentes
535
6
4
Donna le
127
16
»
De Viners (de Venue), que l’on appelle la Tour-
hère de Lywes ( l’étang de Léau )
155
6
4
Sur les tonlieux de Tirlemont
56
»
»
Sur la forêt île Soigne
1100
»
»
Total
3104
9
4(5?)
A partir de l’année 11290, date de son mariage, Jean II fut associé
à presque tous les actes importants do son père, pour lesquels
son consentement fut expressément réclamé. Le comté de Jodoigne
et les autres parties de son apanage appartinrent à sa veuve jus-
qu’à sa mort, arrivée en 1518, et c’est pour cette raison que dans
le plus ancien Livre des fiefs du duché, le Latyns boeck de Lan
15112, on ne trouve presque aucun relief se rapportant aux loca-
lités qui y étaient comprises.
Conformément à l’ancien usage de doter les princesses braban-
çonnes, non en terres, mais d’une somme d’argent ou, à défaut
d’argent, de rentes, de dîmes ou d’autres revenus de cette na- «
1 L’impératrice Marie , ainsi que nous venons de le voir, tint en lief de
l’Église de Liège la dîme de Haekendover. Celle de Grez lut possédée par
Tome XIII. IG
( n 2 )
ture *, Jean II régla de la manière suivante, en 1296, le payement
des vingt mille livres qu’il devait encore à sa sœur Marguerite,
devenue comtesse de Luxembourg. Il lui assigna un revenu de
deux mille livres de Louvain , savoir :
Livres.
Sur le grand tonlieu d’Anvers 1 ,000
A Bruxelles . 100
Sur le moulin à braie de cette ville . 100
Sur le tonlieu de la laine 30
Sur la halle aux draps 60
Sur les celliers et les chambres se trouvant sous les halles. 40
Sur la boucherie .............. 50
Sur le marché au poisson 40
Sur les rentes d’Obbrussel ou Saint-Gilles 30
Sur le tonlieu, la maison aux draps et les élallages de
cette maison à Louvain . .......... 214
Sur les rentes de Grez 40
Sur le moulin à blé à Bruxelles , 50 , et sur le moulin à
Louvain , 50 muids de froment , soit , à 22 sous le muid. 408
100 muids de seigle à Bruxelles et autant sur les mou-
lins de le Sluse et Thilois, à Louvain , à 18 sous le muid. 180
200 chapons à Obbrussel , 52 à la Chapelle près de
Bruxelles, 100 au quartier dit Orssendaelc, 57 il2 à
Molenbeek, 100 à Merchten, 100 à Rhode-St-Genèse ,
100 à Louvain, 114 4/2 à Herent, 328 à Grez, en tout
1,052 chapons, valant, à 10 deniers le chapon . . . 48 5
La seconde fille de Jean Ier, Marie, fut d’abord promise à Othon,
fils de Tbierri, comte de Clèves, qui s’engagea, le jeudi avant la
Saint-Jean ante portant Latinam, de l’année 1287, à exécuter les
conditions qui avaient été arrêtées entre lui, d’une part, le duc de
Brabant et le comte de Hollande, d’autre part. On ne donna pour-
tant aucune suite à ce projet, et plus tard on fiança Marie à Guy,
fils de Hugues, seigneur de Châtillon, ainsi qu’il résulte d’un ac-
cord conclu par ce dernier avec le duc Jean Ier, le 22 juillet 1292 2.
Mathilde de Louvain, comtesse de Hollande, qui en donna la moitié à l’abbaye
de Valduc, du consentement de son frère, le duc Henri II ( charte de celui-ci,
du samedi après la Saint-Barnabé , 1256. Opéra diplomatica , t. III, p. 688).
1 Cartulaire cle Brabant B, f° 75.
2 Du Chesne, Histoire de la maison de Châtillon , Preuves, p. 160.
( 243 )
Cette deuxième alliance ne se réalisa pas davantage que la pre-
mière, à cause, sans doute, des événements politiques qui sur-
girent bientôt après, la famille de Châtillon étant restée fidèle à
Philippe le Bel, tandis que le Brabant entrait dans les vues poli-
tiques de l’Angleterre. Jean II maria sa sœur à Amédée V, comte
de Savoie, et lui donna en dot vingt cinq mille livres tournois,
dont dix mille dues par le roi de France. Marie n’eut de son époux
que des filles et mourut avant lui l.
La descendance illégitime de Jean Ier fut aussi nombreuse, mais
nous est moins connue que sa lignée légitime. Outre Jean Meeuwe ,
Hannekin de Malines, Jean Pilyser et Marguerite de la Vuere, on
doit y comprendre Jean Vanderplast, à qui un acte de l’an 1515
donne la qualification d’oncle par bâtardise du duc de Brabant 2.
Ue tous ces enfants de l’amour, le premier fut le seul qui sortit
de l’obscurité. Son frère, Jean II, lui donna les seigneuries de
Wavre et de Dongelberg, dont ses descendants prirent les noms,
qui ne disparurent, celui de Wavre, que vers l’an 1400, et celui
de Dongelberg, qu’au milieu du dix-huitième siècle. Lorsque Mar-
guerite de la Vuere épousa Jean, fils d’Adam de Landewyc, sei-
gneur de le Horst, son père la gratifia de cinq cents livres de
Louvain, et Adam céda à son fils, en avancement de son mariage
et à l’exclusion de ses autres enfants, la terre de le Horst 5, ainsi
que ses biens à Saint-Trond et dans les villages voisins de Brus-
ihem et d’Alost ou AelsL
Ni la poésie, ni l’histoire ne nous ont conservé le nom des amies
qui partagèrent successivement la couche du vaillant prince des
Brabançons. Mais plus d’une princesse de la maison de Louvain,
plus d’une dame de sang illustre brillait à la cour de Bruxelles
par l’éclat de son nom ou par ses qualités personnelles. Parfois
on y vit encore, du temps de Jean Ier, Sophie de Thuringe, Ma-
thilde de Brabant, veuve du comte d’Artois et femme du comte
x Butkens, t. 1 , p. 353.
“2 C’était alors Jean III. Voyez Histoire des environs de Bruxelles , t. II , p. 373.
5 11 s’agit ici du château de Horst , à Rhode-Saint-Pierre , près de Louvain.
Acte en date du jeudi avant le jour de Pâques 1291-1292. Cartulaire de Bra-
bant B, f" 77. — De Reilî'enberg , Nouvelles Archives historiques , t. V,p. 185.
( 244 )
de Saint-Pol; sa sœur Beatrix, dame de Courtrai, et Marie d’Au-
denarde, la femme de Henri de Louvain, sire de Herstal, qui vécut
presque aussi longtemps que le duc. Aucune d’elles n’était plus
étroitement liée au duc que Béatrix. Privée de bonne heure de
son jeune et vaillant époux, Guillaume de Dampierre, dont un
accident, peut-être prémédité, causa la mort au tournoi de Tra-
zegnies , en 1251, Béatrix paraît avoir reporté toute son affection
sur son neveu. Ils s'écrivaient souvent et, plus d’une fois, Béatrix
prêta de l’argent à Jean Ier, toujours besoigneux au milieu de ses
richesses. Lors de son mariage, en août 1247, Béatrix avait eu
pour son douaire une rente de trois mille livres, hypothéquée sur
la châtellenie de Courtrai, et son père lui avait assigné douze
mille livres parisis, dont une partie (trois mille cinq cent douze
livres) était encore due en 1271. En 1287, elle prêta quatre mille
cinq cents livres à Jean Ier, pour qui Godefroid de Brabant, les
villes de Louvain, de Bruxelles et d’Anvers, Walter Volckaert,
receveur de Brabant, et le lombard Thadée Chavecbon se por-
tèrent cautions, le 28 avril. L’année suivante, Jean Ier lui adressa
encore une demande analogue, mais avec moins de succès, ainsi
qu'il résulte d’une lettre écrite par lui lorsqu'il se trouvait devant le
château de Fauquemont, le 2 septembre. Peu de temps après, au
plus tard le 6 avril 1289, Béatrix mourut b
Nous manquons de renseignements précis sur l’organisation de
la cour ducale, dont l'importance devait être proportionnée à la
grandeur croissante de ses maîtres. Ceux-ci habitaient le plus
souvent Louyain et surtout Bruxelles : là, dans l’ancienne habi-
tation des ducs, aux environs de la Dyle, ou, peut-être, sur la
hauteur du Château-César, qui était encore hors de l’enceinte de
la ville; ici, dans le manoir ducal, à Coudenberg 1 2. Tervueren
1 Voyez Jules de Saint-Génois, Inventaire, passim.
- Le château de Bruxelles, qui existait déjà en l’année 1120 environ,
ne fut rebàli que sous Jean II ou Jean III. Histoire de Bruxelles, t. III,
p. 518. Je ne sai; si Jean Ier lit exécuter des travaux au palais de Bruxelles,
mais , du moins, il l’agrandit. Son receveur Jean de Heldeberghe ou Hulden-
berg acquit du chapitre de Sainte-Gudule un héritage situé au Borgendael
( domisladium ... in Bovgedal , quod dicitur Crawelsbemdeken , juxta marie-
( 245 )
servait de résidence d’été à nos dues J, qui commencèrent aussi, à
cette époque, à affectionner le séjour de Boitsfort, où Jean Ier avait
sa vénérie et où il fonda, en 1280, une chapellenie qu’il dota
d’un cens de huit livres de Bruxelles, de quarante chapons à pré-
lever sur les revenus du domaine à Rhode-Saint-Genèse et Alsein-
berg, et de douze muids de seigle à prendre au moulin ducal, à
Boitsfort même. En 1287, Jean , curé de Foret, était chapelain du
duc en cet endroit 2. N’oublions pas de mentionner l’abbaye de
Cortenberg, dont la vaste salle servit plusieurs fois de lieux de
réunion à la noblesse et aux députés des villes, du moins pendant
la minorité des enfants de Henri III.
Le duc Jean se servit successivement de trois sceaux, dont
Butkens a donné la reproduction fidèle. Le premier nous offre le
prince à cheval, vêtu d’une longue robe, un faucon sur le poing;
dans le champ sont un lion rampant, un chien courant et un
épervier volant; à l’exergue on lit : sigillum johannis duels lolha-
ringie et brabancie. A cette époque le prince n’était que damoisel;
après sa réception dans la chevalerie, il se lit graver un sceau de
plus grande dimension , où on le voit armé de toutes pièces , ayant
sur la poitrine un écu , sur la tête un casque fermé et à panache;
il a en main une bannière au lion, et monte un cheval courant,
couvert de draperies armoriées et également panaché. Sur le
contre-scel le duc est figuré de même, sauf qu’au lieu d’une ban-
nière, il porte un glaive. La légende du sceau reste semblable
(sauf la suppression du mot et après lotharingie) et se continue
rium ducis), en échange du tiers d’un aulre héritage se * trouvant dans
YOrscendale ( la rue de Sehaerbeek actuelle ) , héritage qui payait un cens
annuel de dix sous et quatre chapons. Acte du mois de janvier 1283, aux
Archives de Sainlc-Gudule.
1 Dans Y Histoire des environs de Bruxelles , t. 111, pp. 384 et suiv., nous
avons donné l’histoire du château de Tervueren. Jean l,r doit avoir fait tra-
vailler à ce manoir ou à ses dépendances, car, en 1293, on y mentionne un
« nouvel étang du duc ; » le marais ou aunaie contigu fut aborné par les ordres
d’Egide, sénéchal du duché, et du receveur Jean lîoote, et par les soins de
Jean de Vueren dit De Pape, receveur des revenus du duc dans la mairie
d’Yssche.
- Voyez Y Histoire des environs de Bruxelles , t. III, p. 362.
( 246 )
sur le contre-scel par ces mots : et marchionis imperii. Le troi-
sième sceau, que l’on trouve déjà employé en 4289, ne présente
guère de différence avec le précédent, si ce n’est que le duc a
sur l’épaule un second éeu, carré et plus petit, et qu’au lieu de
panache, homme et cheval portent un dragon, accompagné de
banderoles flottantes h
Les documents nous manquent pour dépeindre avec vérité
l’aspect que présentait la cour du duc, et pour signaler les per-
sonnages qui y exerçaient une véritable influence. L’absence de
documents officiels et la concision des historiens, qui ne s’oc-
cupent en général que des opérations militaires, nous laissent à
cet égard dans une ignorance presque complète. D’ailleurs Jean Ior
n’était pas un de ces hommes dont l’influence s’exerce sur les arts
de la paix ; son palais n’était pour lui qu’un lieu de repos où il
venait se préparer à de nouveaux combats. Il y vivait entouré de
quelques conseillers et de ses ménestrels favoris, en attendant
qu’on l’appelât à une lutte nouvelle, à un nouveau tournoi.
il
La féodalité, telle qu’elle s’était développée depuis trois siècles,
formait un réseau immense qui, partant des sommités de la société,
s’élargissait sans cesse à mesure qu’il descendait vers les classes
inférieures. Quel que fût le «rang auquel appartenait un vassal,
1 Butkens, t. I, Preuves, pp. 107, 110 et 122. C’est à cause du change-
ment survenu dans leur condition que d’autres ducs de Brabant modifièrent
aussi leur sceau. Ainsi, si en avril 1247, le duc Henri 111 apparaît sur le sien
vêtu de longs habits, le faucon au poing, tandis qu’il est représenté couvert de
son armure, en 1253; si une distinction semblable se manifeste pour le duc
Jean II , sur des sceaux des années 1295 et 1312, et pour le duc Jean III, en
1327, d’une part, et, en 1334, d’autre part, c’est parce que, dans l’intervalle,
ils ont été admis dans la chevalerie. L’histoire nous apprend, en effet, que
Jean II y entra en 1299, lors de la visite que son beau-père lui fit à Bruxelles,
et Jean III en 1332, lorsqu’il vint camper près de l’abbaye d’Heylissem, afin
d’arrêter l’invasion dans le Brabant des princes coalisés contre lui. (Butkens,
t. I , p. 404.)
( 247 )
qu’il fût prince souverain ou simple écuyer à peine possesseur
de quelque modique fief, ses goûts et ses habitudes étaient toujours
les memes.
Ordinairement livré à l’inaction et ne vivant que du travail
d’autrui, l’homme féodal dédaignait toute autre occupation que la
guerre: les tournois, qui en offrent l’image, étaient son plaisir de
prédilection. Vainement les chefs spirituels de la chrétienté con-
damnèrent cet amusement barbare 4, vainement des événements
regrettables en attestèrent le danger, on s’en engoua avec une vé-
ritable passion, qui alla quelquefois jusqu’à la fureur, comme nous
le voyons dans la légende suivante : en 1255, il y eut à Neuss un
magnifique tournoi. Avant que la joûte s’ouvrît, un bénédictin,
nommé Bernard, monta en chaire, demanda ardemment à l’assis-
tance de renoncer à un jeu funeste, et l’invita à prendre plutôt les
armes pour repousser les Tartares de la Pologne, de la Hongrie,
de la Chionie [sic). Un grand nombre de chevaliers étaient dispo-
sés à se rendre à ses exhortations, mais le comte de Castre com-
mença le tournoi et entraîna scs compagnons par son exemple.
La punition du ciel ne se fit pas attendre. Un immense nuage
couvrit le ciel, oû apparurent des corbeaux qui remplirent l’air
de cris lugubres. Un grand nombre de chevaliers furent tués,
d’autres perdirent la raison ou furent atteints de maladies incura-
bles. La nuit suivante, ainsi que le légendaire l’apprit du curé
d’Yssche [Jska superior ), on vit dans cette paroisse des assem-
blées de démons équipés comme des chevaliers. Ils se réjouissaient
sans doute, ajoute Camtimpré, de cette fête funeste, où trois cent
soixante-six chevaliers chrétiens avaient perdu la vie. Mouskes
parle aussi de ce tournoi, et par son récit on peut apprécier les
tendances de Cantimpré à l’exagération ; d’après le poëte tour-
naisicn, les chevaliers coupables, au nombre de quarante-deux,
furent mangés par les loups, ainsi qu’un nombre à peu près égal
de valets 1 2.
A défaut de luttes contre les ennemis de l’État, les nobles tour-
1 Et notamment Grégoire IX , en 1228. Rymer , 1. 1 , p. 189.
2 Cantimpré , De Apibus , 1. If, p. 444. — Mouskes, t. ÏI, p. 671.
( 248 )
naicnt souvent leur ardeur contre leurs voisins. La moindre injure
provoquait une guerre de famille, qui se transmettait de géné-
ration en génération. En Brabant, l’intervention des ducs arrêta
souvent les querelles de ce genre, mais sur les bords de la Meuse,
elles eurent fréquemment les suites les plus funestes. La jalousie
des Schaefdriessche et des Mulrcpas lit verser le sang le plus pur
du Limbourg, et, dans le pays de Liège, la guerre des Awans et
des VVaroux, qui éclata peu de temps après la mort de Jean Ier,
porta un coup terrible à la chevalerie hesbignonne, jadis si re-
nommée L
Si le roi Édouard Ier eut sujet de s’étonner, en voyant le nom-
bre de seigneurs de haut rang qui entouraient le duc Jean II 1 2,
sa surprise aurait encore été plus vive de trouver son émule de
gloire entouré par sa vaillante noblesse, éprouvée par tant de
marches et de combats. Les comtes de Hollande, de Gueldre, de
Looz, de Vianden, de Catzenelbogen , de Kessel, etc., y tenaient
le premier rang. Au comte de Hollande, le duc remit, le 10 octo-
bre 1285, l’hommage qu’il lui devait pour Dordrecht et le pays
environnant. Quand le comte de Looz s’allia, en 1280, à Margue-
rite, fille de Philippe, comte de Vianden, il lui assigna une rente
de quatre cents livres de Louvain, hypothéquée sur les fiefs qu’il
tenait du duc : les châteaux de Duras et de Calmont, et sur le
village de Zepperen 3. Jean Ier comptait en outre un nombre con-
sidérable de vassaux de tout rang dont voici les principaux, dis-
posés autant que possible dans un ordre géographique :
Dans la mairie de Louvain : les seigneurs d’Aersehot, de Wese-
mael, de Rotselaer, de Heverlé, de Bierbcek ;
Dans la mairie de Tirlemont : les seigneurs de Diest et de Bau-
tersem ;
Dans l’ammanie de Bruxelles: les seigneurs de Grimberghe,
d’Assche, deGaesbeek, les châtelains de Bruxelles;
Dans le bailliage de Nivelles ou du Brabant wallon : l’abbesse de
1 Voyez Ilocsem, c. XX1I1, et surtout Hemrieourt.
2 Van Velthem , 1. IV, c. V.
3 Butkens, t. I , p. 295, et Preuves, p. 113.
( 249 )
Nivelles, les seigneurs d’Enghien, de Trazegnies, de Sombreffe,
de Wa'vre, de Walhain, de Jauclie;
Dans le marquisat d’Anvers : les différents chefs de la famille
de Berthout, à savoir, les sires de Malines, de Duffel, de Berlaer;
les seigneurs de Bréda et de Hoogstraeten ;
Dans la mairie de Bois-le-Duc : les sires de Cuyck, de Cranen-
donck.
Il restait des descendants d’une branche cadette de l’ancienne
famille des comtes d’Acrschot, qui, elle-même, se rattachait aux
comtes de Louvain. Ils prenaient la qualification de sires de Ri-
vieren, d’après le manoir où ils résidaient près d’Aerschot. Gode-
froid de Brabant n’était pas encore mis en possession de son héri-
tage, qu’il entra en contestation avec Jean d’Aerschot, au sujet des
droits que celui-ci prétendait posséder dans cette ville et dans les
villages de Betecom, Langdorp, Weerde, Testelt, Gelrode, Ril-
laer, Messelbroeek et Utheem, droits qui furent déterminés dans
une charte ducale, datée de la nativité de saint Jean-Baptiste, en
1285 h
Les deux familles de Wesemael et de Rotselaer rattachaient éga-
lement leur origine aux comtes d’Aerschot, et portaient comme
eux trois lis dans leur écusson. Ces derniers, en possession de la
première charge héréditaire, celle de sénéchal ou drossard,
avaient la haute, moyenne et basse justice, non-seulement à Rot-
selaer, à Haeght, à YVerchter, mais encore, en Flandre, à Ilael-
tert et dans plusieurs autres villages des environs de Ninove, que
l’on appelait, pour cette raison, le pays de Rotselaer1 2. A Limita-
tion de son père, Arnoul de Rotselaer favorisa particulièrement le
monastère de Parc-les-Dames. Le lundi avant la Saint-Denis, en
426! , il s’obligea, par-devant les échevins de Louvain, à faire
approuver le don de la dîme de Rotselaer, par les fils du duc dé-
funt, aussitôt qu’ils seraient « en âge compétent pour recevoir son
hommage3. » Deux jours après, il demanda une confirmation de
1 Butkens , t. I , p. 298. — Opéra diplomatica .1.1, p. 319.
2 Sanderus, Flandria illusïrata, t. fit, p. 194.
3 Butkens, t. III , p. 147.
( 250 )
ce don à l’évêque de Liège, Henri de Gueldre, qui déféra à ses
désirs lorsqu’il vint à Vlierbeek, le mardi avant la fête des saints
Simon et Jude , en la même année. Arnoul laissa plusieurs fds :
Gérard, à qui il avait laissé, dès l’année 1279, ses biens de la
Flandre; Jean, qui mourut pendant l’expédition d’Aragon; Guil-
laume, chanoine de Louvain, investi (ou curé) de Rotselaer, puis
prévôt du chapitre de Saint- Denis à Liège; Jacques, et enfin
Arnoul, qui eut en partage le village de Vorselaer, en Campine.
Les Wesemale, quoique d’une illustration un peu moins an-
cienne, parvinrent à effacer la gloire de leurs parents. La charge
de maréchal héréditaire 1 et l’alliance de l’un d’eux avec Aleyde de
Brabant, fille du duc Henri Ier et veuve des comtes Louis de Looz
(mort en 1225), et Guillaume d’Auvergne, augmentèrent leur
influence. A l’exemple de leurs suzerains, ils ménagèrent peu les
communautés religieuses dont les biens étaient à leur convenance,
Arnoul, l’époux cl’Aleyde2 * *, se qualifie seigneur de Wesemael
par la grâce de Dieu dans l’accord qu’il conclut avec le duc
Henri II, et par lequel celui-ci lui abandonna la justice sur les
habitants de ses terres et sur tous ceux qui y commettraient des
méfaits, fussent-ils même hommes de Saint-Pierre 5. Nous avons
vu les Wesemale usurper les droits du chapitre de Nivelles à
Wambeck et ceux du chapitre de Saint- Barthélemi de Liège à
Lincent. Ils détenaient aussi, à charge d’une rente annuelle de
cent marcs, qui ne se payait pas très-régulièrement, le domaine
1 La plus ancienne preuve que les Wesemale étaient investis delà dignité de
maréchal , nous est offerte par le sceau d’Arnoul , qui est attaché à un acte de
l’année 1265. Il porte ces mots : s. arnoldi de wesemale, marescalli bra-
bantiae (De Vadder, Origine des ducs de Brabant, t. II, p. 500). Les Bra-
bantsche Yeesten, livre IV, v. 1177, donnent à tort à Arnoul le surnom de
Bernage, qui lut dans la suite porté par des seigneurs du village de Perck
originaires de la Flandre ; c’est là sans doute le résultat d’une interpolation.
“2 Butkens donne pour époux à Aleyde Arnoul de Wesemale qui fut ensuite
templier et qui, suivant cet auteur, était alors veuf d’Isabelle de le Frète Or
Arnoul était encore mariée à une Isabelle en 1264; il est plus probable que ce
fut son père qui, devenu veuf de sa femme Béatrice, s’allia à Aleyde. On ne
doit pas perdre de vue que celle-ci perdit son premier mari dès 1225.
r> Acte du mois d’août 1257. Brabantsche Yeesten , 1. 1 , p. 645.
( 251 )
de Westerloo, dont le chapitre d’Utrecht avait été gratifié par
févëque Ansfrid.
Arnoul, qui joua lin rôle si considérable pendant la régence de
la duchesse Alcyde, n’ayant pas eu d’enfants de sa femme Isa-
belle, entra dans l’ordre du Temple, et vivait encore en 1285 b
Dès 1270, Wesemael échut à son frère Godefroid 1 2 , qui était
devenu sire de Perck par son mariage avec Isentrude d’Alphen,
et qui mourut peu de temps après, laissant le patrimoine paternel
à son fils Arnoul, et Perck et Oplinter à sa fille Marguerite, femme
de Henri, sire de Bautersem. Gérard, autre frère d’Arnoul le Tem-
plier, reçut pour sa part les villages de Quabeeck et de Ilersselt,
à charge de payer au chapitre d’Utrecht quatre marcs six sous et
huit deniers de Cologne, par an 3 * 5, et, dans la suite, il obtint du
duc Jean une moitié de la belle terre de Bréda.
A côté des anciennes seigneuries dTIeverlé et de Bierbeck, qui
jetèrent peu d’éclat à la fin du treizième siècle et dont la dernière
ne devait pas tarder à se confondre dans la terre d’Aerschot,
Jean Ier en créa une nouvelle. Pour remercier le sénéchal de
Brabant Égide de Monte ou Vanden Berghe des grands services
qu’il lui avait rendus, il lui céda , pour lui et pour ses héritiers ou
successeurs, les revenus et juridictions qu’il possédait à Wilsele,
près de Louvain , sauf le droit de faire exécuter les condamnés à
1 11 assista en cette année à un arrêt du Parlement de Paris Voyez Brussel,
Usage des fiefs, pièces justificatives, p. xlix.
2 Arnoul de Wesemale s’accorda, en 1268, avec le chapitre de Nivelles, au
sujet de leur juridiction respective à Wambeek. Il était encore laïque le jour
de saint Sixte 1269, lorsqu’il promit 100 marcs au chapitre d’Utrecht pour
l’indemniser de ce qu’il ne lui avait pas payé la redevance qu’il devait à ce
chapitre pour la terre de Westerloo ( Opéra diplomatica, t. I, p. 436), mais il
cessa bientôt de l’être. Le jour de saint Pierre ad vincula , son frère, étant
déjà seigneur de Wesemael , acensa à Parc-les-Dames le moulin de Beversluys,
situé près de ce monastère; puis, le jour de saint Nicolas, confirma le don
d’Arnoul de l’année 1264, dont nous avons parlé plus haut ( Cartulaire cité).
5 Actes en date du lundi avant la Sainte-Marguerite, en juillet 1270
(Butkens, t- II, p. 102), du dimanche après la Saint-Mathias apôtre, en 1280
( Opéra diplomatica, t. I, p. 209), et du samedi avant le dimanche Oculi , en
1290 [Ibidem , p. 210).
( 252 )
mort, et celui de juger les étrangers qui commettraient quelque
méfait dans ce village *.
Les sires de Diest s’enorgueillissaient de compter au nombre de
leurs possessions la cité dont ils portaient le nom et qui avait déjà
acquis, à celte époque, une certaine importance. Ils n’y tenaient
en fief du duc de Brabant que le tonlieu et le passage (doorvcierl)
à travers la ville, et, d’après une charte de l’année 125G, les
habitants, en cas d’invasion du duché, ne devaient au souverain
le service militaire qu’au même titre que ceux de Malines et de
Saint-Trond, villes qui ne faisaient pas partie du Brabant1 2. Mais
Jean Ier, à l’exemple de plusieurs de ses prédécesseurs, y accrut
son autorité en intervenant dans les démêlés des seigneurs et de
la commune, comme nous aurons bientôt occasion de le dire. Les
sires de Diest étaient devenus châtelains héréditaires d’Anvers par
le mariage de. l’un d’eux , Arnoul, père de celui qui vivait du temps
de Jean Ir, et d'une dame nommée Berthe. Dans le restant de la
mairie de Tirlemont, il y avait beaucoup de petits fiefs tenus du
duché, mais aucun domaine important, sauf celui de Bautersem.
La grande baronnie de Grimberghc, qui jadis avait résisté aux
ducs eux-mêmes, s’était morcelée en 1197 en deux fractions. Ces
dernières, par suite de mariage, étaient l’une et l’autre passées de
la famille des Berthout à deux races étrangères : les sires de Per-
wez, de la race ducale, et les Aa , dont les ancêtres avaient figuré
avec honneur à la cour des premiers ducs de Louvain.
Godefroid de Perwez succéda aux biens de son père, en 1259;
après avoir contribué à administrer le Brabant, après la mort de
Henri III, il mourut en 12G5. Par son testament, qui est daté du
jour de saint Jacques et de saint Christophe, au mois de juillet
12G4, il destina, « pour remède de ses forfaits, » c’est-à-dire des
injustices qu’il aurait pu commettre, quatorze cents livres et tout
ce qu’il tenait en fief à Leeuw-Saint-Pierre de son cousin Henri,
seigneur de Gaesbeek. Sa vie paraît n’avoir pas été exempte de
1 Charte datée de la veille de la Nativité de Notre-Seigneur 1 200. Sanderus ,
Dominium de Pieterbaix, p. 7.
2 Butkens, t. I, Preuves, p. 94.
( 255 )
passions et d’orages. 11 répudia sa femme, Marie d’Àudcnarde ,
pour s’allier à Félicité du Traynel, veuve de Godefroid, seigneur
de Château-Porcien. Les deux enfants nés de cette dernière union,
et qui moururent jeunes, ne furent point, sans doute, considérés
comme légitimes, car ce fut leur tante, Marie, femme de Gode-
froid, comte de Vianden, qui se mit en possession de l'héritage
des Pcrwez h Félicité du Traynel ne conserva que Hoboken et
Eeckeren, qui après elle retournèrent à la famille de son second
époux. C’est cette dame qui figure dans les documents relatifs à
l’affaire de la Brosse sous le nom de dame de Peroê ,* elle entrete-
nait une correspondance régulière avec Béatrix de Brabant, veuve
de Guillaume de Dampierrc “1 2, et mourut le 18 octobre 1283, après
avoir enrichi de ses dons le couvent des Dominicaines de Val-
Duchesse à Auderghem.
Circonstance importante à signaler pour l’étude de l'époque dont
nous nous occupons, c’était également la violence qui avait mis le
comte de Vianden en possession de la terre de ce nom. 11 se l'était
appropriée au préjudice de son neveu Henri, et après avoir
expié son usurpation par une longue captivité, il ne la recouvra
que grâce à l’intervention du comte de Luxembourg, dont il se
reconnut le vassal. Bientôt après il fut pris à la bataille de Pigny,
livrée par son nouveau suzerain au comte de Bar, mais dès l'année
suivante, au mois de mai, nous le trouvons à Grimberghe, où il
approuva, dans une assemblée tenue sur le cimetière, un don fait
à l'abbaye de Ninovc pendant sa détention. Cinq années après, le
comte mourut. Son fils aîné Henri décéda en 1280; le second,
également appelé Godefroid , transmit à ses descendants Vianden,
Grimberglie et Corroy-le-Chàtcau, mais aliéna Ainove, qu’il vendit
à Guy de Dampierrc pour dix mille trois cent quarante livres de
Flandre3; le troisième, Philippe, reçut pour sa part Rumpst et
quelques autres villages voisins, ainsi qu’une moitié de Vianden.
Quant à la terre de Perwcz, elle sortit de la maison de ses anciens
1 Marie se qualifiait déjà de dame de Grimberghe en 1265, le jour de la
chaire de saint Pierre. Histoire des environs cle Bruxelles , t. II, p. 185.
a M. Kenya , dans les Bulletins de l'Académie royale de Belgique.
3 30 novembre 1293. Histoire citée, p. 186.
( 254 )
maîtres, on ne sait trop comment, pour échoir aux de Homes.
La seigneurie de Buggenhout, qui devint plus tard une princi-
pauté sous le nom de Bournonville, remonte à cette époque. En
juin 1260, Marie de Penvez et Godefroid Ier de Vianden, séparè-
rent de leurs domaines pour être tenu d’eux en fief par Henri de
Grimberghe, l’un des fils de Guillaume II, sire d’Assclie, et par
ses descendants, le village de Buggenhout, avec tous les revenus,
feudataires et tenanciers qu’ils y avaient; en avril 1271, ils ajou-
tèrent encore à ce don celui de vingt bonniers de bois. La branche
aînée des Assche, dont le chef s’appelait Robert , était honorée de
la charge de guidon ou porte-étendard héréditaire.
Henri de Louvain, seigneur de Ilerstal , et qui s’intitulait de
Gaesbeek, d'après le beau château que ses parents avaient fait bâtir
au sud-ouest de Bruxelles, jouit d’une grande influence jusqu'à
sa mort, arrivée en 1284, influence dont ne put hériter son fils
Jean Tristan, parce qu’il était encore mineur. Quant au châtelain
de Bruxelles, Léon II, dont lé manoir, décoré du nom de Castrum,
s’élevait au Borgendael, à Bruxelles, à côté du palais des ducs*
il laissa ses domaines, notablement diminués par des aliéna-
tions, et cependant encore considérables, à sa fille Pétronille,
femme d’un des plus puissants barons du Namurois, Gérard, sire
de Marbais, qui après son mariage préféra à la cour de ses propres
suzerains celle du duc Jean Ier, dont il devint un des conseillers
les plus estimés b Les Trazegnies de Meerbeek, que l’on surnom-
mait les Contrecœur d’après leur château de Contrecœur ou de
YVedergraet, sur la Dendre, les sires de Bigard, deLeefdael, de
Huldenberg, les Crainhem brillaient également parmi les nom-
breux chevaliers qui peuplaient l’ammanie de Bruxelles.
Le Brabant wallon, c’est-à-dire la partie du Brabant où on
parle non le flamand, mais le patois de la langue romane ou fran-
çaise appelé le wallon ou gaulois, se composait de deux territoires
que l’on nommait les comtés de Nivelles et de Jodoigne. Le pre-
mier ne contenait, à peu de chose près, que des seigneuries dont
les possesseurs avaient toute la juridiction, jusques et y compris
la haute justice.
1 Voyez plus haut, p. 119, note o.
( 255 )
Dans l’antique partage des biens du chapitre de Nivelles, entre
ce chapitre, son abbesse et l'hôpital de cette ville, on avait assi-
gné à l’abbesse les fiefs relevant de cette communauté , mais
comme elle ne pouvait conduire ses vassaux à la guerre, c’était le
principal d’entre eux, le prévôt du chapitre, qui se chargeait de
ce soin.
Les sires d’Enghien s’étaient jadis attiré la colère de leurs suze-
rains, les comtes de Hainaut, en se reconnaissant les feudataires
du duc de Brabant pour leur manoir principal; ils continuèrent
cependant à reconnaître cette suzeraineté. Les sires d’Audenarde,
dont ils recueillirent plus tard le patrimoine en partie, possédaient
en Brabant un fief consistant dans le village de Ronquières, dans
ce que le sire d’Enghien tenait en arrière-fief de Jean d’Audenarde
et dans le village de Gouy, que ce seigneur cessa de tenir eti franc-
alleu et releva de Jean Ier, qui l’en récompensa en lui donnant une
rente annuelle de dix-huit aimes devin et sept faucons, en échange
de quatre-vingt livres qu’antérieurement il prélevait tous les ans
sur les moulins du duc à Bruxelles (vendredi avant les Pâques
fleuries, en 1278-1279) J.
Une grande partie du territoire de Nivelles même et d’autres
biens plus méridionaux obéissaient aux Trazegnies, qui se ral-
lièrent souvent, de préférence, aux comtes de Hainaut, de qui ils
tenaient en lief la pairie de Silly. Mais leur résidence favorite se
trouvait en Brabant, ainsi que leurs principaux feudataires, no-
tamment les sires de Rêves. L’histoire a conservé le souvenir d’un
épisode où se retrace, d’une manière pleine de charme, rattache-
ment sincère que s’étaient voué ces derniers et leurs suzerains.
C’était lors de l’invasion du royaume de Naples par Charles d’Anjou ;
Robert, fils de Guy de Dampierre, accompagnait ce prince et
avait sous ses ordres une troupe d’élite, où figuraient Égide de
Trazegnies, dit li Bruns ou le Brun, connétable de France, et
Alard, sire de Rêves et de Bourgelle. Égide avait été chargé par
Guy de Dampierre de guider son fils , qui le nomma maréchal de
sa troupe, et Charles d’Anjou dut à ses excellents conseils le gain
de la bataille de Bénevent. Mais la passion des combats n’excluait
1 Butkens, t. 1, p 291, el Preuves , p. 109.
( 25 g )
pas chez ces vaillants hommes le respect des lois de riiumânité.
« Un jour, dit 31. Kervyn de Lettcnhove que Charles d’Anjou,
» irrité de la résistance obstinée d’un château, avait ordonné d’en
» exterminer tous les habitants, Alard de Bourgclle eut pitié de
» quelques dames d’illustre naissance et admirablement belles qui
» y avaient été prises et leur permit de se retirer sans péril et
» sans outrages. On ne tarda point à apprendre dans le camp que
» le sire de Bourgclle allait expier au prix de sa vie une si noble
» désobéissance. Est-il vrai, dirent Robert de Flandre et Gilles de
» Trazegnies à Charles d’Anjou , que vous avez condamné à mort
» le sire de Bourgclle, notre compatriote, le plus brave des clieva-
» liers? S'il en est ainsi, continuèrent-ils, il faudra aller le pren-
» dre dans sa forteresse. — - Et ils le conduisirent alors au milieu
» du camp , où tous les croisés flamands s’étaient rangés autour
» de l’intrépide chevalier. — Voilà, s’écria l’un d’eux, la forte-
» cesse qui protège les jours du sire de Bourgelle. La colère de
» Charles d’Anjou était impuissante : il pardonna. »
Les seigneurs de Rixensart et de Wavre dominaient dans la
vallée de la Dyle. Les uns et les autres s’éteignirent à cette
époque. Le domaine des premiers appartenait, vers Lan 1290, à
Clémence deMalève, femme de Gillebaut ou Gilbert de Grez. Les
revenus des seconds , à Wavre, sont énumérés dans une charte du
7 février 1291-1292, par laquelle Jean 1er en laissa la jouissance, à
titre viager, à Jean , « jadis sire de Wavre » et à sa femme Alix "1 2.
Les Sombreffe et les Walhain étaient tout-puissants dans les
grandes plaines qui s'étendent à l’est de la Dyle, où ces derniers
s’efforcaient constamment de s’agrandir aux dépens de l’abbave
de Gembloux , dont ils étaient les avoués.
Dans ce qu’on appelait le comté de Jodoigne, les domaines
ducaux présentaient une extension considérable. Ils s'augmentè-
rent de la seigneurie de Dongelberg par suite de l’extinction de
la race de ces seigneurs ; mais Jean Ier en retrancha le grand vil-
1 Histoire de la Flandre, t. II, p. 282, d’après la Chronica Ægidii Li
Nuisis , dans De Smet, Corpus chronicorum Flandriae , t. 11, p. 157.
2 Brabantsche Yeesten , 1. 1, p. 079.
( 257 )
lage de Melin, dont il lit don au seigneur de Durbuy, en échange
de l’abandon de ses droits sur le Limbourg. Les seules baronnies
considérables, de ce côté, étaient Jauche et Falais; cette dernière
se trouvait enclavée au milieu du pays de Liège.
Au quartier d’Anvers, la majeure partie du territoire recon-
naissait pour seigneurs les Berthout de la branche aînée. Walter
Berthout, l’époux de Mathilde d’Auvergne, nièce de Henri 111, et
qui mourut au siège d’Aix, en 1280; son fils Walter, célèbre par
sa glorieuse mort sur le champ de bataille de Woeringen , et le fils
de celui-ci, Jean, se transmirent successivement la seigneurie de
Malines, où ils partageaient l’autorité avec l’évêque de Liège et le
pays de Malines (ce que l’on appela depuis le pays d’Arckel) , qu’ils
tenaient en fief du duc de Brabant. D’autres parties de l'ancien
territoire soumis aux Berthout appartenaient à différents mem-
bres de cette famille : Berlaer à Florent, fils de Walter et de
Mathilde d’Auvergne, et qui succéda plus tard à ses neveux;
Ilumbeck et Steenoekerzele, anciennes possessions du chapitre
de Saint-Rombaud à Malines, à Egide, frère du même Walter;
Duffel et Gheel, à Henri Berthout.
La première race des sires de Bréda, dont le nom primitif était
de Scoten, avait transmis ses biens a une branche cadette de la
famille ducale, lsabcau , dame de Bréda, et son mari, Arnoul de
Louvain, sire de Bruhames, n’ayant pas eu d’enfants, Jean Ier
adjugea à ce dernier l’usufruit des domaines de sa femme (jeudi
après Pâques, en 1281) 1 ; puis, le dimanche après la nativité de
saint Jean-Baptiste, en 1287, il partagea ces derniers entre les
deux plus proches parents d’Isabelle. Rase de Gavre , sire de Lie-
dekerke, eut dans son lot Bréda, Oosterhout, Roosendael, Ais-
pen, une partie de Woude, Halsdonek, Caesdonck, Gilse, Gin-
neken, Bauel, Tcn Rven, CIcin-Oosterhout, Dorft, Dongenhage,
1 Butkens, t. 1 , p. 297, et Preuves , p. 114. — Miræus et Foppens, Opéra
diplomatica, t. II, p. 770. — En 1275, le jeudi avant la Trinité, Arnoul s'éfail
obligé, par-devant le duc , Henri de Louvain , qui était son frère; Walter Ber-
thout, son cousin; Henri d’Assche et Gilles Berthout à accomplir les engage-
ments qu'il avait pris envers Béatrix, veuve de Gillion d'Otlencourt, dame de
Hellebeek, et ses enfants. {Carfulaire de Brabant B, f° 57 v°.)
Tome XIII.
17
( 258 )
Etten, Der Heycle et Tcteringen. Gérard de Wesemale, seigneur
Je Quabeke, devint seigneur de Bergues ou Berg-op-Zoom, de
l’autre partie de Woude, de Herle, de Halteren, de Borchvliet,
de Hildernisse, de Woensdrecht, de Put, de S’GravenweséJe , de
Schooten, de Merxem, de Ruckvenne, de Scakerlo, d’Ossen-
drecht. Steenbergen, Gestel, Oudenbosscbe, Nieuwenbosch, Heem,
Calckelo et Valkenberge devaient être possédés par indivis1. Les
limites de ces deux fractions furent déterminées, quelques années
plus tard, par les soins de l’écoutète d’Anvers 2.
Parmi les villages du marquisat d’Anvers ou la juridiction
n’appartenait pas à une de ces grandes races, les Berthout et les
sires de Bréda, on ne comptait que deux seigneuries de quelque
importance : Hoogstraeten et Vorselaer, cette dernière propriété
d’une branche de la famille de Rotselaer. Le chevalier Jean de
Lierre, fils d’Arnoul , reçut du duc Jean 1er le village de Wommel-
ghem, avec la justice haute et basse (janvier J 287-1288) 3, et Henri
de Wilre dut au même prince une spécification plus précise des
droits qu'il possédait à Westwezel , et qui comprenaient la juridic-
tion seigneuriale, sauf le jugement des assauts de maisons, des
mutilations, des meurtres, des vols, des viols, c'est-à-dire des cas
de haute justice (mercredi après le treizième jour, en 1291) 4.
Dans la mairie de Bois-le-Duc, on trouvait Cranendonck , vieille
et puissante baronnie ; Boxtel, dont le seigneur, Guillaume, re-
leva du duc Jean, en 1295, la maison de Stapelen et ses dépen-
dances, et enfin, le pays de Cuyck.
L’acquisition du duché de Limbourg valut à Jean Ier la suzerai-
neté de beaucoup de châteaux épars sur les bords de l Ourthe,
de l’Amblève et de la Vesdre, ou isolés dans les gorges des Ar-
dennes et de l'Eyffel, et Jean Ier augmenta encore par d’autres
voies l’importance de sa cour féodale; un grand nombre de sei-
gneurs belges et allemands prirent de lui en fiefs, soit des biens
1 Butkens, t. 1, p. 509,. et Preuves, p. 110. — Opéra diplomalica, t. 11,
p. 775. — Le Roy, Notitia marchionatus sacri Romani imperii, p. 478.
2 24 avril 1290. Miens, Charterboek van Holland , t. I , p. 504.
5 Butkens , t. I , p. 290 , et Preuves . p. 109. — Le Roy, l. c ., p. 205.
i Le Roy, /. c., p. 153.
( 259 )
qu’ils possédaient en alleu , soit des rentes en argent on des rede-
vances en nature.
Le lundi après l’octave des saints Pierre et Paul, en 1262, la
duchesse Aleyde et son fils Henri cédèrent à Philippe de Ilovelts ,
pour les tenir en fief jusqu’au remboursement d’une somme de ,
deux cents marcs, six chariots du vin de Rhin , à prendre sur
ceux que le roi Philippe avait jadis assignés au duc Henri Ier.
En 1267, la duchesse investit d’un fief d’argent le sire de Fau-
quemont. Depuis, Jean 1er racheta ce fief pour deux mille livres
de Louvain et, en retour, Fauquemont reconnut tenir de lui son
village de Houthem, près de Maestricht, entre Merssen et Saint-
Gerlac, ainsi que des biens qui ressortissaient à sa cour féodale
(15 novembre 1274). Plus tard, lorsque la guerre de Limbourg
fut terminée, ce seigneur redevint le vassal fidèle de Jean Ier et
le servit avec dévouement.
Le sire de Hevnsherg reconnut également la suzeraineté du duc
en 1267 et promit encore , en 1281, qu’il servirait le duc de la
même manière que devaient le faire le comte de Gueldre, le sire
de Fauquemont et d’autres seigneurs d’entre le Rhin et la Meuse.
Frédéric, sire de Reifferscheydt, eut une contestation avec le
souverain du Brabant au sujet de la collation d’une chapellenie à
Fouron, au pays de Daelhem;pour une cause que l’on ne précise
pas, il fut emprisonné. Le duc de Limbourg, les comtes de Juliers,
de Berg et de Kessel et le sire de Durbuy le réconcilièrent avec
Jean Ier (jour de la décollation de saint Jean-Baptiste, en 1270),
de qui il prit alors en fief son alleu de Worm, près de Randerode.
Plus tard, Jean 1er constitua en sa faveur une rente de soixante
marcs.
Dans le but de s’attacher le puissant sire de Hornes , Guillaume,
Jean Ier lui donna le village de Venloen, près de Tilbourg, avec
des dimes et des terres ( samedi après l’Ascension 1269); puis,
comme ce seigneur avait consenti d’être sa caution envers quel-
ques marchands lombards, il lui assigna une rente de quatre-
vingts livres de Louvain, sur le tonlieu de Bois-le-Duc, en augmen-
tation des fiefs que Guillaume relevait déjà du Brabant.
Notre duc se trouvait encore à Aix, où il s’était rendu pour
( 200 )
assister au couronnement du roi Rodolphe, lorsque Gérard, sire
de Limpborg, releva de lui une partie de scs alleux, jusqu’à con-
currence de trente marcs par an (28 octobre 1275).
Les seigneurs de Bolland, qui jouissaient d’une grande considé-
ration en Allemagne, devinrent aussi ses vassaux : Werner, le
sénéchal de l’Empire, pour l’alleu dépendant de son château de
Niefwilre et pour ses biens de Spaclbruke, et son frère Philippe
pour un revenu de cent cinquante livres de Louvain (jour de la
nativité de Notre-Dame, 1275).
Nicolas, sire de Condé, de Baillœul et deMorialmé, qui négocia
fréquemment au nom de Jean Ier, avait une sœur, Isabelle, qui
était restée veuve de Jean, comte de Looz, et dont le douaire fut
réglé à Bruxelles par la médiation du duc de Brabant et de son
conseil (en avril 1280-1281) L Le 5 du même mois, il prit en
fief de Jean Ier la terre de Court, dans lEntre-Sambre-et-Meuse,
en récompense de ce que le duc lui avait donné trois tonneaux de-
vin du Rhin, à prendre tous les ans à Bruxelles2.
En 1284, la veille de la nativité de saint Jean-Baptiste, Gerlac,
sire de Bruburg, releva les biens de Lutzelubacb, de Walderlu-
bach et leurs dépendances, en échange d une somme de quatre
cents livres de Halle 5.
Robert de Milesem céda au due, le jour de l'Ascension 1287,
ses biens de Hardenberg, qu’il reprit ensuite en fief, ainsi qu’une
maison voisine de l'église de Saint-Servais, à Maestricht, dont
Jean Ier lui avait fait don 4.
La veille de la nativité de la Vierge, en 1288, Jean Ier admit
plusieurs seigneurs allemands parmi ses vassaux : Hertwic de
Winningen et sa femme Béatrix, à qui il donna quarante marcs
pour la vigne dite Ham, à Langindal le chevalier Louis Walt-
podon et sa femme Gertrude, pour huit marcs de revenu à pren-
] Butkens, /. c , p. 296.
- Butkens, t. I , pp. 281 à 297, mentionne les inféodations qui précèdent.
5 Cartulaire de Brabant B, f • 94 v°.
1 Butkens, t. I, p. 509, et Preuves, p. 120.
;j Hillwic fit sceller son acte de relief par son beau-frère, le trésorier de
f église de Trêves. ( Cartulaire de Brabant B , f° 95.)
( 201 )
dre dans leurs alleux de Mulinke, d’Arnhem et de Vuirvar; le
chevalier Ruryoc de Milne, h qui il donna cinquante marcs pour
un revenu de cinq marcs *.
Pendant que le duc assiégeait le château de Fauquemont, il
donna h Thierri, sire de Walcourt et de Rochefort, douze aimes de
vin à prendre à Anvers, et, en retour, Thierri se reconnut son vas-
sal pour le village d’Ambly et le moulin de Gimeal ( Jemelle), près
de Rochefort (veille de la Saint-Matthieu évangéliste, en 1828)-.
Le mardi après les octaves de l'Epiphanie, en 1288-1280, un
des membres d’une famille qui s’était distinguée au service de l’ar-
chevêque Sifroi, le chevalier Gérard d’Isenbourg, du consente-
ment de son frère sire Gerlac, devint le vassal du duc pour une
rente annuelle de vingt marcs 1 2 3.
En 1280, le jour des saints Innocents, Libert de Mille, « fami-
lier du duc» et ancien écoutète de Maestricht, céda à Jean Ior ses
vassaux de Hardenberg, qui devaient dorénavant relever directe-
ment du due 4.
Louis, sire de Randerocle, releva du Brabant, le vendredi avant
la Noël 1280, le château et le village de Randerode, pour lequel
son aïeul avait jadis fait hommage à Waleram, duc de Limbourg.
Le lendemain, Waleram, prévôt de Munster, sire de Hengebach,
céda au duc, de la même manière, l’alleu et le château de Brucgc.
En 1200, le jour de saint Mathias, Henri, sire de Gerarstein,
devint vassal du Brabant pour son manoir de Blidenstat, dans le
comté de Nassau , du consentement du comte Adolphe.
Le jour de saint Servais 1201, Ogier, avoué de Maestricht et
trois autres chevaliers déclarèrent que Florent, dont le père, René
Doupuy, avait reçu du duc cent livres de Louvain, tiendrait doré-
navant en lief une rente de trente sous.
Deux vassaux d’un rang supérieur firent hommage à notre
prince en 1292: Gérard, sire de Blanckcnheim, pour son château
1 Ce relief fut fait par Ruryoc, d’après le conseil de Gérard, comte de
Wilnouwe, et de Grafton de Grvfensteine. Ibidem.
2 Butkens , 1. 1 , p. 522 , et Preuves , p. 121.
3 Cartulaire de Brabant B , I. c.
4 Ibidem , f° 150.
( 262 )
situé dans l’Eyffel et pour un revenu de deux cents marcs (le jeudi
avant la décollation de saint Jean-Baptiste), et Éverard, comte de
Catzenellebogen, qui reçut à cette occasion une rente de deux
cents livres de Louvain, pour son château de Stadeck (mercredi
après la Saint-Remi)1.
En 1295, le jeudi avant la Saint-Marc, Waleram, sire de Fau-
quemont , promit que Jacques Havret et son frère Henri achè-
teraient, pour les relever du duc, des alleux valant trente marcs
liégeois et situés à Limbourg ou à Daelhem.
La même tendance à constituer sans cesse de nouveaux fiefs,
en restreignant continuellement le nombre des alleux, en créant
sans relâche des rentes féodales, se manifeste dans les autres
provinces. Le Luxembourg entra résolument dans la même voie,
ainsi que la Flandre, dont le comte, Guy de Dampierre, grâce à
ses immenses trésors, prit successivement à sa solde la majeure
partie des barons du pays situé entre la mer et le Rhin.
Il n’y avait là, d'ailleurs, qu’une espèce de réaction contre un
autre mouvement, dont les progrès sapaient lentement l’édifice
séculaire de la féodalité. Un sentiment de piété et d’humanité,
qui devenait de plus en plus dominant , poussait les princes et les
nobles à abandonner une partie de leurs droits à des établisse-
ments ecclésiastiques et à en alléger d'autres qui pesaient lourde-
ment sur les classes inférieures. Or, la plupart de ces droits, les
dîmes, par exemple, constituaient des tenures féodales: on peut
apprécier quelle réduction celles-ci subirent vers Fan 1200, lors-
qu’on remarqua qu’en quelques années, une quantité énorme
de dîmes passèrent entre les mains du clergé, soit en vertu de
donations, soit par achat.
Des droits vexatoires ayant aussi été abolis, il en résulta que,
depuis lors, la principale richesse des nobles se composa du
revenu de leurs propriétés, des cens et redevances substitués aux
anciennes exactions, du produit des droits de congé ou de relief
que payaient, en cas de mutation, les terres censales ou féodales,
et d’une grosse part dans les amendes prononcées par leurs offi-
ciers et par leurs cours féodales et échevinales.
1 Butkens, l. c pp. 525 à 527,
( 205 )
III.
Au commencement du treizième siècle, la majeure partie des
habitants des campagnes étaient encore retenus dans les liens de
la servitude : ils ne pouvaient ni modifier leur position, ni changer
de domicile, ni se marier, ni posséder, que sous le bon plaisir du
seigneur. Des lois sévères interdisaient au serf de quitter le do-
maine dont il constituait en quelque sorte une fraction, ou de
s’unir à une femme étrangère. Les populations, ainsi parquées et
isolées, restaient étrangères les unes aux autres, et n’apprenaient
souvent à se connaître que par leurs querelles. Une oppression
dont on se fait difficilement une idée perpétuait leur misère;
souvent les serfs n’en sortaient que pour enrichir leurs maîtres:
l’ancienne loi féodale ne laissant au conjoint survivant que la
moitié de l’avoir commun, l’autre moitié devenait de droit la pro-
priété de son maître.
Au treizième siècle, les idées religieuses exercèrent à cet égard
une action bienfaisante. Nombre de seigneurs, soit pitié pour la
déplorable position des pauvres, soit remords de leur avidité,
eurent le courage de se dépouiller eux-mêmes et de laisser l’ai-
sance se répandre parmi leurs sujets. Entre ceux qui, à l’imitation
de ce qui se fît d’abord dans les villes, abolirent le droit de dé-
pouille sans restriction, nous citerons Rase de Gavre *, le duc de
Brabant Henri lï, et Jacques, sire de Chaumont. Ce dernier, en
cédant « sur l’autel de monseigneur saint Bavon , » à Chaumont,
tous ses serfs et servantes habitant cette paroisse, en faveur de
l’abbaye de Bonne-Espérance, stipule qu’ils ne payeront doréna-
vant qu’un denier de cens par an, et que si lui ou un de ses suc-
cesseurs veut les réduire de nouveau à l’état de servage, l’abbé
de ce monastère devra s’y opposer Son exemple ne fut guère
1 Diplôme du mois de juillet 1210, dans DeSmet, Corpus chronicorum
Flandriae, t. 1 , Introduction , p. 5.
2 Charte du mois d’aoùt 1275, Maghe, Chronicon Bonae Spei, p. 217. —
Un exemple d’affranchissement partiel nous est encore fourni par un acte du
( 204 )
imité en Brabant, où on continua à lever le droit de mainmorte
dans presque toutes les seigneuries, tandis qu’il était aboli pour
ies habitants des domaines des ducs, conformément à ces paroles
énergiques de Henri II : « Après en avoir suffisamment délibéré
» avec nos vassaux et fidèles et avec les hommes religieux de notre
» pays, par le serment que nous avons prêté, nous promettons
» que nous ne lèverons plus l’exaction ou extorsion dite vulgai-
» rement mainmorte *. »
En quelques endroits, par une transaction qui fut accueillie
comme un bienfait, les seigneurs avaient réduit leurs préten-
dons à une taxe de douze deniers en cas de mort (taxe que l’on
appelait cuermede) ou au meilleur meuble de la succession qui
venait à s’ouvrir. En Flandre, la comtesse Jeanne renonça à lever
le droit de meilleur meuble sur les habitants des huit vier-
schaeres du métier (ou châtellenie) de Bruges 2, mais la comtesse
Marguerite le maintint dans ses domaines. Un acte émanant de
cette princesse et qui a été fort loué parce qu’on en a exagéré la
portée, exempte ses serfs de l’abandon de la totalité de leurs
meubles, mais à la condition de payer annuellement un cens de
trois deniers par homme et d'un denier par femme, et avec obliga-
tion de donner, en cas de mort, la meilleure pièce de bétail (les
bœufs exceptés) ou du mobilier (sauf qu’on ne pouvait prendre le
lit) 3. Encore est-il douteux que cette concession ait reçu son exé-
cution partout, car, plus tard, un servage très-dur continua à
peser sur quelques villages domaniaux du pays d’Alost, dits S'Gra-
mois d’avril 1290, où Guillaume, sire de Dongelberg et de Berniermont,
offre à l’autel de saint Pierre, de Frasne, un serf nommé Gérard Frains de
Frasne ( Cartulaire d’Afflighem , t. t, p. 762). Le jour de saint Léonard, en
1266, Henri, sire d’Archennes, donna à l’autel de saint Pierre, d’Archennes,
son serf Wibert, en stipulant que dorénavant il ne devrait qu’un denier par
an à cet autel. (Raymaekers, Recherches historiques sur l’abbaye de Parc.
p. 27.)
1 Butkens, t. I, Preuves , p. 89.
2 Charte de l’année 1252 , veille de la fête de l’apôtre saint Mathias. (Opéra
diplomatica , t. III, p. 96.)
3 Charte du mois d’avril 1252. Oudegherst , Annales de Flandre, 1. 11,
p. 141. — Opéra diplomatica , t. lit , p. 339.
( 265 )
ven Propre, et, en juillet 1261 , on voit Marguerite elle-même
exempter du droit de halve-have (ou de partage des meubles par
moitié avec l’époux survivant) un grand nombre de ses sujets
appartenant à la chevalerie
Dans le Ilainaut, où la servitude fut maintenue avec un soin
lout particulier, et où , sous le nom de saintevrs , la plupart des
campagnards restèrent inexorablement assujettis aux grands corps
ecclésiastiques, Marguerite, réalisant un projet de sa sœur Jeanne,
se borna à « mettre à meilleur catel les saintcurs » des églises dont
elle avait l’avouerie, et qui avaient été « partis à moetié en acun
» tans 1 2 3 *. » Si l’on s’en rapportait aux expressions du diplôme, où
Marguerite semble poser un acte de bienveillance extraordinaire ,
on pourrait supposer que les sujets de cette princesse ont dù lui
savoir gré de ses concessions; au contraire, l’histoire en fait foi,
elle devint l’objet de leur haine. On comprend, lorsqu’on se rend
bien compte de l’acte qu’elle a posé , qu’ils maudirent souvent
cette mainmorte déguisée, ce meilleur catel qui venait, au plus
triste moment de la vie, lorsqu’ils perdaient un parent , leur
arracher leur meuble le plus précieux. En Ilainaut surtout , leur
mécontentement aura été très-vif, car la mainmorte n’y fut pas
abolie pour les serfs de la comtesse, et le meilleur catel, perçu au
nom de celle-ci sur les saintcurs, ne les exempta pas de payer la
mainmorte à leurs seigneurs immédiats 5. L’épisode des Ronds,
dont nous ne possédons qu’un récit poétisé, ne serait-il pas un ta-
bleau des désordres qu’amenèrent les exactions de la Noire Dame!
Ainsi rançonné et pressuré, le serf désirait avec passion chan-
ger de demeure, échanger sa pénible vie agricole contre les tra-
vaux de la ville. Ici, il lui fallait se réfugier dans des réduits à
peine habitables, mais il y trouvait au moins la liberté; la richesse
1 Oudegherst, l. c , t. Il , p. 142.
2 Juillet 1245. Bulletins de la Commission royale d’histoire, 2im‘ série,
l. IV, p. 255.
3 Voyez, à ce sujet un manuscrit de la bibliothèque de Mons, coté n° 2, oii
l’on trouve de curieux détails sur la mainmorte et le meilleur catel en Hai-
naut. — La mainmorte ne cessa que tard d’être exigée dans les villes. Ainsi, à
Mons, elle ne fut abolie qu’en 1295.
( 266 )
même l’y attendait s’il était favorisé par le sort. Ses espérances
cependant ne se réalisaient pas toujours! Les chartes de bourgeoi-
sies ou les traités interdirent souvent aux communes de recevoir
les hommes appartenant à l’avouerie des princes ou dépendants
de leurs vassaux. La frayeur que cette désertion inspirait aux
barons était telle qu’ArnouI, sire de Wesemael, et sa femme ne
balancèrent pas à offrir au duc Henri III l’abandon d’une rente
annuelle de cent livres (or, avec dix livres on achetait un bonnier
de terre, un capital de mille livres représenterait donc actuelle-
ment près de cinquante mille francs ) , s’il voulait interdire l’accès
de ses villes aux sujets d’Arnoul ‘. Les hères communes du Brabant
et de la Flandre ne se montrèrent pas très-faciles sur ce point, et
leur réclamer un serf fugitif devint bientôt une chose impossible.
Les bourgeois, du reste, non contents de vivre libres à l’abri de
leurs murailles, tendaient à envahir les villages et à y combattre
face à face la féodalité. Ailleurs, des paysans libres ou affranchis se
faisaient inscrire dans une bourgeoisie, tout en conservant leur
habitation à la campagne. C’est ce que l'on appelait en Belgique des
bourgeois forains, en Allemagne des paleburger. Le nombre de
ces derniers augmenta avec tant de rapidité qu’il excita les plaintes
des féodaux. Lorsque les villes du Rhin contractèrent, à Worms,
le 6 octobre 1254, leur célèbre alliance, elles refusèrent les immu-
nités bourgeoises au paleburger qui ne remplirait pas les condi-
tions suivantes : Il ne pouvait s’absenter de la ville qu’au temps
de la moisson, depuis la Sainte-Marguerite jusqu’à la Saint-Lau-
rent (du 20 juillet au 10 août), et au temps des vendanges, pen-
dant trois semaines; encore était-il tenu de conserver dans sa
maison, dont l’accès devait être libre, des serviteurs, du feu et de
la fumée 1 2.
A la même époque, un grand nombre de localités rurales obtin-
rent des libertés. Ce furent autant de petites bourgeoisies nou-
velles qui s’efforcèrent d’imiter en tout les anciennes. Les sei-
gneurs comprirent le danger et, si^ quelquefois ils établirent des
institutions analogues, en d’autres cas ils introduisirent des ré-
1 Vendredi après l’Épiphanie, en 1259-1260. Bulkens, t. I, Preuves, p.98.
s Pertz, Monumenta , Leges , l. Il, p. 569.
( 207 )
serves qu’il importe de constater. Ainsi , selon l’accord conclu en
1292 entre le duc Jean Ier et les seigneurs de Grimberghe, « celui
» qui entre dans la bourgeoisie de Vilvorde ou de Cappelle-au-Bois
» est tenu d’y faire constater, par les échevins, la date de sa récep-
» tion; si les seigneurs le réclament dans l’année, il reste soumis
» à tontes ses obligations antérieures. Les biens d’un bourgeois
» domicilié dans la baronnie contribuent dans les aides payées aux
» seigneurs en cas de mariage, de chevalerie et de captivité 1 2 * * . »
Les richesses des bourgeois leur donnant les moyens d’acquérir
aisément des biens-fonds, on craignit bientôt qu’ils ne devinssent
propriétaires d’une bonne partie du sol. Or, ces acquisitions
étaient onéreuses pour les villageois, parce que les bourgeois, de
même que les ecclésiastiques, jouissant de grandes exemptions
en matière d’impôts, la taxe assignée à une localité n’en pesait
que plus lourdement sur les habitants non privilégiés. C’est ce
qui donna lieu aux édits, où tantôt on ordonne aux bourgeois de
vendre dans l’année les biens ruraux dont ils hériteront - ; tantôt
on leur interdit absolument d'acheter « fiefs, rentes, terriers,
» héritages et autres choses mouvant du prince 5. » Rien de sem-
blable ne se fit en Brabant, où I on pourrait citer des actes sans
nombre attestant la possession parles bourgeois de terres, de cens,
de fiefs. La heure de Gaesbeek, de l’an 1284, interdit aux bourgeois
d’acheter des biens dans la terre de ce nom, sans le consentement
du seigneur, mais cette clause ne paraît pas avoir été observée.
En général, la population rurale se divisait en deux grandes
classes: celle des meysemedelieden ou mansionnaires , et celle des
cossaeten [ casati ) ou journaliers. Cette dernière végétait miséra-
blement; la première, qui semble avoir joui partout de l’exemp-
tion de la mainmorte et d’autres prérogatives semblables, com-
prenait les paysans exploitant soit une ferme ou un moulin, soit
un certain nombre de bonniers de terre. Parmi eux se plaçaient,
au premier rang, les Sint-Peeters mannen ou hommes de Saint-
1 Butkens , t. I , p. 327 , et Preuves , p. 129.
2 Charte de Delft, de l’an 1246. Van Mieris, t. I, p. 229.
5 Acte de la comtesse Marguerite de Flandre, de l’année 1266. (Placards de
Flandre . t. I , p. 47.)
( 268 )
Pierre, c’est-à-dire les personnes qui payaient un cens à l’église
Saint-Pierre de Louvain. Leur nombre s’élevait à un chiffre con-
sidérable, car ils étaient répandus dans tout le Brabant, et à Maes-
tricht, par exemple, on les comptait par centaines. Us étaient
placés sous le patronage direct des ducs, qui mirent un soin ex-
cessif à se réserver la juridiction sur eux '. Le seigneur de Wese-
male lui-même était homme de Saint-Pierre, et le duc Henri II
insista pour qu’il fut maintenu dans cette condition, bien que son
vassal prétendit faire partie de la familia de l’abbaye de Nivelles -.
Les seigneurs de Grimberghe et de Gacsbeek avaient aussi leurs
meysemedelieden. Pour être considéré comme tel ou comme
homme de Saint-Pierre, il fallait prouver qu’on descendait par
les femmes d’une personne de cette classe.
Dans une société aussi partagée, aussi morcelée, les conflits
survenaient à chaque instant. De là ces accords qui ont pour objet
de déterminer la condition des personnes.
Les seigneurs de Walhain, à titre d’avoués de l’abbaye de Gcm-
bloux , réclamaient une autorité sans partage dans les domaines de
cette abbaye. Ils prétendaient y avoir la haute, moyenne et basse
justice, en mener les habitants à la guerre, y exiger des précaires
(ou tailles), le droit de gîte, des corvées et d’autres services. A la
demande des religieux, Jean Ier, qui était leur avoué supérieur,
chargea le chevalier Francon Briseteste et Jean Loze, de Bruxelles,
de se rendre à Gcmbloux pour y ouvrir une enquête et porter un
jugement en son nom. Les deux députés, après avoir consulté les
habitants les plus âgés et les plus instruits de la contrée, décla-
rèrent, en présence des échevins de Gembloux, que l’avoué ne
pouvait exiger de chaque foyer, c’est-à-dire de chaque maison où
l’on allumait du feu, qu’un denier de bonne monnaie, une poule
et un setier d’avoine, par an. Toute la justice dans les domaines
du monastère revenait de droit à ce dernier, dont les maires et
forestiers devaient être complètement indépendants de l’avoué.
1 Une déclaration du chapitre de Saint-Pierre, à Louvain, relative à des
personnes de celte catégorie et datée du mois d’octobre 1278, se trouve dans
les Bulletins de la Commission royale d’histoire , lre série , t. IV, p. 215.
2 Acte de 1244, dans Butkens, 1. 1 , p. 88.
( 269 )
Les sujets du monastère marchaient au combat sous les ordres
du maire de Geinbloux et sous un même étendard; ils étaient
tenus à fortifier la ville de ce nom. Cette sentence obtint l’assenti-
ment d’Àrnoul , alors sire de Walhain , et Jean Ier l’approuva par
une charte qui est datée de Bruxelles et du mois d’août 1 28 1
Le samedi après la Saint-Martin d’hiver, en 1282, Jean 1er et
Guillaume, sire de Cranendonek, échangèrent les ministériels et
hommes ccnsaux des églises qui habitaient ou qui habiteraient
dorénavant leurs domaines respectifs, à l’exception des hommes
censaux de Saint-Pierre de Louvain, que le duc déclara retenir
sous sa juridiction. Quant aux sujets de cette catégorie que Guil-
f
laume possédait en dehors de ses propres biens et des Etats du
due, il reconnut les tenir en lief de celui-ci 1 2.
La position des habitants de la seigneurie de Grimberghe vis-
à-vis du duc et des possesseurs de la baronnie, fit l’objet d’une
convention conclue le lundi avant la conversion de saint Pierre,
en 1292-1293, entre le duc, d’une part, Godclïoid, comte de
Vianden, et Gérard d’Aa , d autre part. Les seigneurs de Grim-
berghe devaient prendre les armes à la réquisition du duc; si la
guerre était commune ou guerre nationale, ils servaient à leurs
frais; pour les chevauchées, on les soldait. Le meysamedeman ou
vassal du duc, habitant dans leurs domaines et âgé de moins de
soixante ans, qui ne répondait pas à l’appel du souverain ou qui
quittait l’armée sans permission, payait une amende, moitié au
profit du duc, moitié au profit des seigneurs : dix cscalins s’il était
cavalier; dix sous quand il combattait à pied; de plus, il lui
fallait reprendre immédiatement les armes. Sur le champ de ba-
taille, les seigneurs et leurs vassaux combattaient en première
ligne; pendant la marche, ils formaient l’arrière-garde. Lorsque
les premiers parlaient pour une expédition, ils pouvaient em-
prunter des chevaux à leurs sujets et les distribuer à leurs cheva-
liers et à leurs écuyers; le duc n’avait pas le même droit, et il ne
lui était pas permis d’exiger de l'abbaye de Grimberghe d’autre
service que le gîte ou le logement de scs chiens, pendant un jour
1 Reyistre des chartes déposées en 1 i98 et fbOO, f° 598.
2 Carlulaire de Brabant B, tv>9i v°.
( 270 )
et une nuit, dans le monastère et dans celles de ses fermes qui
étaient situées dans la seigneurie. Si un meysemedeman ou un
bourgeois d’une des villes du duc, mais demeurant dans la sei-
gneurie, encourait la peine de mort ou la confiscation de ses biens,
le seigneur faisait livrer son corps et ses meubles à son suzerain ;
toutefois, il jouissait des revenus de ses immeubles, fiefs ou alleux,
jusqu’au moment de sa mort ou jusqu'à ce qu’il fût gracié. On
agissait de même, mais vice-versâ, quand le coupable était un
vassal des seigneurs, habitant les domaines du duc. Il était dé-
fendu d’opérer une arrestation, au nom de celui-ci, dans la baron-
nie, en l’absence des officiers des seigneurs, sauf cependant les
cas extraordinaires *.
Toutes les relations tendaient insensiblement à devenir terri-
toriales au lieu de personnelles; la nécessité de pourvoir, dans
une localité, à des besoins multipliés, à l’entretien des églises, au
besoin des pauvres, seconda ce mouvement, dont on trouve la
preuve manifeste dans les modifications qu’éprouvèrent alors les
corps judiciaires.
Partout on voit surgir des échevinages : les uns, supérieurs,
étendant leur ressort sur un très-grand nombre de localités (tels
étaient, en Brabant , les échevinages d’Uccle et de Santhoven), les
autres ne rendant la justice que dans une seule paroisse. Les pre-
miers, dont la jurisprudence se rapproche fortement des coutumes
franques, ne constituaient peut-être qu’une continuation de ces
anciens tribunaux d’échevins, qui rendaient la justice dans les
comtés, du temps des Carlovingiens. En Flandre, les tribunaux
ambulants, que l’on désignait par le nom de Durginghe ou Door-
gaende waerheyt, et qui se rendaient de localité en localité, pour
s’enquérir des méfaits qui s’y étaient accomplis, furent successi-
vement abolis, et on les remplaça par des échevinages à rési-
dence fixe et siégeant toute l’année, à certains jours de la semaine.
N’oublions pas de rappeler que les mêmes libertés d’exactions,
sauf dans des cas déterminés, qui avaient été accordées aux villes,
furent étendues aux campagnes. Les seigneurs haut justiciers con-
servèrent et réclamèrent jusque dans les derniers temps de la
1 Butkens, 1. 1 , p. 527, et Preuves, p. 129. — De Dynter, t. Il , p. 468.
( 271 )
féodalité, le droit de demander des aides : lorsqu’ils armaient che-
valier leur lils aîné, lorsqu’ils mariaient leur fille aînée, ou lors-
qu’ils étaient faits prisonniers l. C’étaient autant de charges que
leurs sujets avaient de plus à supporter que les sujets du duc lui-
même, car leurs devoirs envers leur suzerain ne les exemptaient
pas de ce qu’ils devaient à leurs princes.
On remarque, à cette époque, une tendance générale à sup-
primer les redevances ou taxes de toute espèce et à remplacer
celles qui se payaient en nature par d’autres en argent. La célèbre
abbaye deSaint-Trond percevait, de temps immémorial, dans plu-
sieurs doyennés du diocèse de Liège, des oboles bannales , cens
annuel qui consistait en une obole par foyer. Les religieux rencon-
trant souvent de grandes difficultés à le faire payer, surtout en
Brabant, y renoncèrent en plus d’un endroit, moyennant com-
pensation. À Neerlinter, les habitants cédèrent, dans ce but, un
bonnier de terre, qui fut grevé de sept sous de Louvain par an,
et dont la propriété devait passer à perpétuité du possesseur à
l’aîné de ses fils ou à défaut de fils, à famée des filles (octobre
1266). A Léau,la commune, pour éviter une négligence qui lui
avait plus d’une fois attiré une sentence d’excommunication, se
soumit à payer à l’abbaye, en remplacement de ces oboles, vingt-
cinq sous de Louvain par an (avril 1274). A Wavre, à la suite
d’une querelle entre Jean, sire de Wavre, et les habitants de sa
seigneurie, d’une part, l’abbaye d’Afflighem et le prieuré de Wa-
vre, d’autre part, la dîme dite du vermillon ( décima sandyce sev
wesdra) fut remplacée par une taxe annuelle de trente-trois de-
niers par bonnier (convention du jeudi après Pâques, en 1275).
Le 7 août 1287, Wautier de Braine , sire de Seneffe, renonça,
moyennant un cens annuel de deux sous trois deniers de Lou-
vain, à différents droits qu’il prétendait lever sur les masuiers de
Reiniersart à Seneffe : « si comme poulage, fourche en pré, » et
l’obligation de moudre à son moulin comme s’ils eussent été ses
propres tenanciers 2. Une convention plus importante détermina,
1 Charte du châtelain de Gand, de l’année 1252. Du Cliesne, Histoire de la
maison de Guines , etc., Preuves , p. 498.
2 DeSmet, Corpus chronicorum Flandriae , t. II, p. 934. — Le chevalier
( 272 )
en 1290,1a quotité du cens que devaient à leur seigneur les ha-
bitants du grand village de Leeuw-Saint-Pierre *, mais le texte
en est resté inconnu, malgré toutes nos recherches sur ce point.
De meme qu’ils exigeaient dans leurs terres des aides et des
corvées, de même les seigneurs en accordaient des exemptions.
Pour n’en citer qu'un exemple, nous voyons Guillaume de Lede-
berg, seigneur de Pamele près de Ninove, et sa femme libérer
de corvées, moyennant cent sous de Bruxelles, les acquisitions
faites par l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles, et autoriser ses sujets
à céder des biens à cet établissement 2. Déjà alors on assujettissait
d’ordinaire les institutions monastiques à constituer, en leur nom,
ce que l’on appelait un lai vesti (ou laïque investi de la possession
des biens) ou tenancier mourant (en flamand sterfelyke laie),
c’est-à-dire une personne pouvant mourir, au contraire de
l’institution, perpétuelle de sa nature; le lai vesti supportait les
charges attachées aux possessions de la corporation, qui, à sa
mort, payait un droit de mutation.
A mesure que la population augmentait et se mélangeait, à
mesure aussi que les communications s’amélioraient, il devenait
plus dilïicile de maintenir les droits de banalité. Jean Ier semble
plus d’une fois avoir favorisé les prétentions des privilégiés, mais
en grevant ceux-ci de redevances au profit du domaine. Ainsi
lorsqu’il déclara obliger « tous les masuiers qu’il avoit à la Cha-
» pelle-Saint-Laurcnt » à faire moudre leurs grains au moulin de
l'abbaye d’AIne dans ce village, « à tel ban, dit-il, et à tel usage
» que oïl moût en ses moulins partout en Brabant, » l’abbaye
reconnut lui devoir, tous les ans, deux muids de blé, à livrer au
château de Louvain, et lui céda, en outre, une rente de six sous
et dix chapons que l’on percevait en son nom, à Wavre 3.
Siger de Braine et son frère J acquemin raliüèrent cette concession, au mois
d’aoùl 1290, et à leur demande, elle fut approuvée par leur suzeraine, Mahaut,
châtelaine de Bruxelles, et son fils Gérard de Marbais. Ibidem, p. 963.
1 Butkens , l. 1 , p. 615.
2 Histoire des environs de Bruxelles , t. J , p. 293.
5 Le lundi après la Saint-Martin 1285. ( Car lulaire des biens de V abbaye
d' Aine en Brabant.)
( 275 )
Il serait facile, à l’aide de quelques recherches, de réunir plus
d’une preuve que notre due concéda ou confirma à des habitants
des campagnes la possession de pâtures communes, qui consti-
tuèrent pour eux un élément de bien-être. Nous le voyons, notam-
ment, abandonner aux masuwiers de Gothengien (Gottechain ,
surBossul), « les brous, les warissais et les aisesmens, » qu'ils
tenaient auparavant à cens de lui et du chapitre de Nivelles, et il
les autorisa à planter d’arbres ces terrains, mais sans les enclore
et sans pouvoir les vendre ni les donner l. Ses vassaux suivirent
son exemple, et Mathilde, châtelaine de Bruxelles, entre autres,
donna (ou plutôt confirma, car une donation semblable avait déjà
été faite par son aïeul et par son père) à ses « ostes d’Elsele, »
c’est-à-dire aux tenanciers d lxelles, la pâture appelée YOpslal,
qui s’étendait de l’abbaye de la Cambre à l’endroit dit Eghenvoirt
en Eggevoirt, à charge d’un cens de six deniers louvignois ou
de Louvain 2.
De ce que nous venons de dire on peut conclure que les cam-
pagnes du Brabant vécurent heureuses et prospères pendant le
règne de Jean Ier. Elles n’eurent pas à redouter les attaques d’en-
nemis extérieurs, et la fermeté du souverain les mit à l’abri des
désastres qu’entraînèrent ailleurs les guerres civiles. Le cultiva-
teur, assuré de recueillir en paix le fruit de ses travaux, délivré
en partie des lourdes charges que lui avait imposées l’oppression
féodale, vit s’accroître son bien-être, particulièrement dans les
villages faisant partie du domaine ducal et où se réalisèrent
dans toute leur étendue les mesures bienfaisantes décrétées par
Henri II et Henri III à leur lit de mort.
La noblesse, rattachée à la dynastie de Louvain par des alliances
sagement ménagées ou par la concession de dignités, devint un
des appuis de l’Etat, sans être assez puissante pour en menacer
l’existence ou la tranquillité. Et si la chevalerie du duché, à
l’exemple de son chef, se montra encore ardente à courir aux
1 Acte en date du vendredi après les octaves de la Trinité , en 1:292. ( Caria -
taire du chapitre de Nivelles.)
2 Charte de Mathilde, du mois de mai 1289. {Environs de Bruxelles, t. HJ ,
p. 294.)
Tome XIII.
18
( 274 )
aventures, aux combats, aux tournois, elle commença à subir
l’influence d’une classe intermédiaire qui s’élevait insensiblement
presque à son niveau, et dont les intérêts et les tendances ne de-
vaient pas tarder à se confondre avec les siens.
CHAPITRE X.
LES VILLES DU BRABANT.
I.
Les événements que nous avons esquissés dans nos premiers
chapitres témoignent suffisamment de l’importance du rôle que
remplirent les villes, au treizième siècle, dans les Pays-Bas et sur
les bords du Rhin. Le nombre de leurs habitants, les grandes res-
sources dont ils disposaient, leur permirent de mettre à la dispo-
sition du prince ou d’employer dans leurs propres querelles des
armées considérables. Jouissant d’un crédit illimité, elles en profi-
tèrent pour élever des enceintes bâties à grands frais, des halles
somptueuses, souvenirs encore debout de leur puissance.
S’il nous manque des chiffres positifs établissant sur des don-
nées certaines l’augmentation rapide de la population dans nos
grandes communes, il est un fait d’une constatation plus facile,
c’est la considération dont on entourait alors cette qualification de
bourgeois si longtemps méprisée. Tous les habitants d’nne ville
n’avaient pas, d’ailleurs, le droit de prendre cette qualité, et l’on
pourrait même admettre qu’on ne l’accordait qu’aux possesseurs
d’une certaine fortune, à l’imitation de ce qui est statué par l’ar-
( 275 )
ticle 15 de la charte de Laon : « Quiconque sera reçu dans eette
» paix devra, dans l’espace d’un an, se bâtir une maison, ou
» acheter des vignes, ou apporter dans la cité une quantité sufïî-
>. santé de son avoir mobilier, pour pouvoir satisfaire à la justice,
» s’il y a par hasard quelque sujet de plaintes contre lui. »
Dans une multitude d’actes se manifeste l’existence d’une classe
de citoyens privilégiés, ordinairement qualifiés de majores ou
grands (à Anvers, au douzième siècle; à Bonn, en 1285, etc.),
de meliores ou meilleurs (à Cologne, en 1155, 1165; à Bruxelles,
en 1204, etc.). C’étaient là les véritables bourgeois, ou patriciens,
car, ainsi que le dit l’illustre Niebuhr 4, en Allemagne, pendant le
treizième siècle, bourgeois et patricien sont synonymes, de même
qu’on voit, dans l’Aragon, les bourgeois n’exercer aucun métier,
la profession d’artisan étant abandonnée aux vilains 1 2. Ces détails
expliquent les luttes acharnées dont nos communes furent le
théâtre à partir du milieu du treizième siècle, comme le furent
celles de l’Italie dès la fin du douzième; tendances, mœurs, inté-
rêts, tout séparait les deux classes. L’artisan vivait avec économie
du travail de ses mains ou du commerce de détail; il affectait une
grande austérité de mœurs; il se récriait contre la moindre aug-
mentation d’impôt; les patriciens, au contraire, imitaient le luxe
des nobles, s’occupaient du grand commerce, d’opérations de
banque, de placement de capitaux, et apportaient, dans le manie-
ment des finances municipales plus que de la libéralité.
De même que la population des cités rhénanes et des villes opu-
lentes du midi de la France, nos bourgeoisies comptèrent dans
leur sein des chevaliers. De nombreux extraits de Hemricourt
prouveraient, au besoin, qu’il en fut ainsi à Liège. Henri de Nou-
vice , le chef de plusieurs grandes familles de Liège , vendait des
laines d’Angleterre et des denrées de toute espèce; sa femme,
dame Segraz, riche bourgeoise de Saint-Trond, dirigeait sa maison
et ses affaires avec tant de parcimonie que, du temps de Hemri-
court, on appelait un avare « un du lignage de dame Segraz, »
1 Niebuhr, Histoire romaine, t. I, p. 321. Trad. de Golbéry, édit, de
Bruxelles.
2 Hallam, Histoire du moyen dye , t. Il , p. 31, édit. Woulers.
( 276 )
et les . « grands et riches hommes qui en étaient sortis s’en rail-
» loient les uns les autres '». Ailleurs, le même écrivain parle
d’Arnoul de Charneux, un des premiers iïls de bourgeois qui
devint chevalier 1 2 * ; de Nicolas de Hakendeure, qui, avant d’obte-
nir ce titre, fut longtemps marchand de vin à V Hôtel du Crois-
sant, à Liège, et dont la fille, Marie, s’allia à Corbeau, seigneur
de Clermont, d’Awans et d’Esneu x, et lui apporta en mariage de
fortes sommes d’argent comptant 5. A IIuy5 Hubin, « très-riche
» bourgeois, de qui vinrent tous les Fauchons de cette ville et
» tous les Hubins, » laissa des biles qui se marièrent dans les
familles de Harduemont, de Haultepenne, de Celles, de Harzé 4.
En Brabant, les fonctions d’échevin furent fréquemment remplies
par des chevaliers, notamment, à Bruxelles, par Guillaume de
Platea (ou Vanden Steenwege), surnommé R ex ou De Coninck,
fils d’Arnoul (1267-1208, 1270-1271 et années suivantes) etc.
En Flandre, la classe aisée de la bourgeoisie se réunit dans une
forte association que l’on appela la Hanse de Londres , parce que
ses membres avaient seuls le droit de négocier en Angleterre.
Fondée par des Brugeois, elle s’étendit bientôt aux habitants de*
Gand, de Damme, d’Ypres , deDixmude, de Lille, de Bergues, de
Fûmes, de Bailleul, de Poperinghe, etc. Saint-Omer, Arras,
Douai, Tournai et Cambrai y adhérèrent également, ainsi que
d’autres cités plus éloignées: Valenciennes, Huy, Péronne, Saint-
Quentin, Beauvais , Abbeville, Amiens, Montreuil, Reims etChà-
lons °.
La hanse était gouvernée par un directeur, choisi parmi les
bourgeois de Bruges et portant le nom de comte; la plupart des
artisans en étaient exclus, à moins qu’ils n’eussent quitté leur
1 Hemricourl, Le Miroir des nobles de la Hesbaye , p. 276.
- Ibidem, p. 256.
5 Ibidem, p. 256.
4 Ibidem, p. 507.
5 Histoire de Bruxelles, 1. 11.
ü Warnkônig , Histoire de la Flandre (tiad. de M. Gheldorf), t. II, pp. 206
et suivantes. — Kervyn de Leltenliove , Histoire de la Flandre , t. II, pp. 297
et suiv.
( 277 )
métier depuis un an et un jour; de plus, et c’est ce qui donne la
véritable signification de cette exclusion, on ne pouvait, en vertu
d’une charte du comte Ferrand , du mois de janvier 1241 , être
échevin de Bruges, si l’on ne faisait partie de la hanse et si l’on
n’avait cessé d’être artisan L On aperçoit tout de suite la corréla-
tion qui existe entre les privilèges commerciaux et les privilèges
politiques des Brugeois hanséates. Tous ont pour but de concen-
trer le pouvoir dans les mains des marchands riches : ceux que
l’on appelait à Garni et à Auclenarde de Comarinen (c’est-à-dire de
coopmannen ou les marchands ) -.
La hanse de Londres se rattachait dans toutes les directions
à des institutions analogues, dont l’origine nous échappe, et dont
le développement atteignit son apogée dans la seconde moitié
du treizième siècle, comme l’attestent les documents de l’époque.
Ainsi, dans l’ile de Walcheren, qui fut un des premiers foyers de
la civilisation hollandaise, il existait une confrérie de marchands
de Middelboarg , dont les statuts présentent des traits curieux
de ressemblance avec ceux de la hanse flamande. Toute personne
qui exerce un art mécanique : les cordonniers, les pelletiers, les
teinturiers, les tisserands, les débitants de poisson, de fromage,
de beurre, les barbiers, les bûcherons, les tondeurs de moutons,
les vendeurs de laine, les meuniers, les fruitiers, etc., en sont
formellement exclus. Par contre, la vente du vin et celle des étof-
fes ( gewant ) à la halle de Middelbourg sont entièrement réser-
vées aux membres de la confrérie r>. Le droit d’entrée est fixé à
quarante deniers, outre deux deniers pour le comte de la Hanse.
Celle-ci est dirigée par des formatores choisis par les échevins
1 Warnkônig, t. IV, p. 229.
2 « La franchise keon appelle Comannen gilde. » Diplôme de 1275, suppri-
mant les Trente-neuf de Gand — A Audenarde, le plus ancien registre de la
bourgeoisie portait le nom de Comanen boeck. Raepsaet.
5 A Anvers aussi, la gilde comprenait , outre les marchands de drap, ceux
qui le coupaient à la halle. En 1290, Jean Ier promit de ne plus donner, à
titre héréditaire, des stalles ou bancs dans cette halle, mais de les réserver
pour être tirées au sort entre les membres de la gilde. (Brabantsche Yeesten ,
1. 1 , p. 675.)
( 278 )
et par les jurés de la ville, sauf que le comte de Hollande a le
droit de réformer leurs règlements b
Les gildes de la draperie de Brabant' étaient à peu près consti-
tuées sur les mêmes bases. Malheureusement , les documents qui
concernent leurs commencements sont rares, et l’on n’a jamais
retrouvé le texte de l’ordonnance des échevins et des doyens
et huit de la gilde de Bruxelles, sur cette même gilde , ordon-
nance dont Jean Ier approuva les dispositions le 5 septembre
1289 2. Il était, très-probablement, il est vrai, identique à celui
du diplôme par lequel Jean II réorganisa la gilde en 1506, et où
on lui confirme le monopole de la fabrication et de la vente des
étoffes de laine, du mesurage et du pesage de différentes denrées
et marchandises. On ne pouvait y entrer lorsqu’on faisait partie
d’un métier, et le droit d’admission fut porté à trente marcs,
somme considérable 5.
11 y avait des gildes de la draperie partout : dans le duché , à
Malines, dans le pays de Liège; il en existait également une à
Paris 4, qui acheta, au mois d’août 1219, une maison contiguë à
celle qu’elle possédait déjà, près du Petit-Pont. Mais à Paris, une
véritable représentation des hanses du Nord, plus ancienne même
que celles-ci, puisqu’elle remontait, selon toutes les probabilités,
à l’époque romaine, se retrouvait dans les anciens nautae, les
marchands de l’eau , à la tête desquels étaient placés des prévôts
( praepositi mercatorum aquae , 1168) ou, comme on les appela
plus tard, des prévôts des marchands, et des jurés ou échevins s.
Le corps de la marchandise , à Rouen , présentait une organisation
analogue.
* Charte du comte Florent V, en date du 1er juin 1271. Van Mieris, t. I,
p. 556.
2 Willems, Van Heelu, p. 501.
5 Brabantsche Yeesten , t. I, p. 724.
4 Confraria mercatorum de draperia. ( Bibliothèque de l’école des chartes,
t. V, p. 476.)
5 Un fait curieux, une trace de rinftuence des institutions des villes rhé-
nanes sur la vie municipale de la capitale de la France, c’est la mention de
l’existence , à Paris , en 1275, d’un maître des échevins;
( 279 )
Dans certains actes, la gilde des cités brabançonnes, offrant
l’image parfaite des premières associations flamandes et anglaises,
semble comprendre l’universalité des habitants, ou plutôt toutes
les notabilités de la bourgeoisie, la classe dominante. « Qu’il soit
» connu à tous, dit une charte du duc Henri Ier, de l’année 1221,
» que son arrière-petit-fds confirma le vendredi après les octaves
» de l’Épiphanie, en 1285-1284, qu’il soit connu à tous qu’à la
» demande des bourgeois de Louvain, nous leur avons donné le
» droit suivant dans la gilde qu’ils tiennent de nous , et dont nous
» avons constitué juges les doyens de cette gilde : Celui qui sera
» convaincu, par le simple témoignage de deux bourgeois, d’avoir
» causé du tort à la cité, perdra le droit d’y travailler; pour se
» faire absoudre, il lui faudra le serment de quatre autres bour-
» geois. S’il s’agit d’un étranger, il perdra de plus la protection
» de la ville, et si c’est un bourgeois de la gilde, il sera exclu de
» celle-ci et payera une livre de deniers. Toutes les amendes pro-
» venant de cas de cette nature seront partagées par moitié entre
» le duc et la ville, et si le doyen est impuissant à faire justice des
» délinquants, notre justicier lui prêtera son appui L » Une
charte donnée à Malines, le 28 août 1276, par Walter Berthout,
débute de la même manière : Celui qui veut établir une commune
au détriment de la gilde, s’il est bourgeois, est exclu de cette
gilde; s’il est étranger, il perd l’appui de la cité. Dans toutes les
amendes, sauf celles de la lianse, qui sont entièrement adjugées
à la gilde, Berthout se réserve une moitié, qu’il doit partager,
par parts égales, avec l’évêque de Liège 1 2.
On entrevoit maintenant pourquoi il était sévèrement défendu
de former d’autres gildes, qui auraient pu s’élever au niveau de
celles-ci et, dans la suite, les effacer. On s’efforçait constamment de
maintenir l’unité dans la commune : « Tous les habitants de Mid-
» delbourg suivent le même droit et chacun est obligé envers ses
» concitoyens à remplir les fonctions d’échevin » ; ainsi s’expli-
1 Opéra diplomatica, t. II, p. 871.
2 Van Doren, Inventaire des archives de Malines , t. I, p. 8.
( 280 )
que la keure de Middelbourg de l'année 1217 b Plus lard ce prin-
cipe est sauvegardé autant que possible : à Diest, on défend de
former des gildes ou des divisions â, tandis qu'à Bruxelles on
interdit aux métiers de se former en commune 5. Et cependant,
malgré ces ordres positifs, l’esprit d’association se développe de
plus en plus.
Les gildes de la draperie avaient ordinairement à leur tète deux
doyens (guldekens , decani guidas) et huit (Bruxelles) ou sept (Ma-
lines, Lierre) autres personnes, qui, à Bruxelles, s’intitulaient
simplement les huit et portaient à Anvers le nom d’anciens (ou-
dernians); à Saint-Trond, il existait un comte des marchands,
assisté de conseillers; à Huy, douze maîtres ou conservateurs de
la draperie (duodecim magistri draperie , conservatores dr ap-
parias) 1 2 3 4.
On chercherait vainement, dans les premiers monuments di-
plomatiques de la Belgique, un témoignage de l’existence de ces
institutions singulières, qui prirent depuis le nom de lignages et
auxquelles on a souvent attribué des origines semi-héroïques.
D’après une charte ducale de l’an 1506, les lignages de Bruxelles
jouissaient depuis un temps immémorial du privilège exclusif
d’administrer la cité; mais une simple assertion constitue-t-elle une
preuve, et serait-ce la première fois qu'un parti puissant aurait
tronqué l’histoire?
Sans vouloir trancher une question que d’épaisses ténèbres en-
vironnent, nous rappellerons ce que nous venons de dire, que le
pouvoir communal, en Belgique comme en Allemagne , appartint
presque partout à la bourgeoisie riche : dans le principe, parce
que ses membres inspiraient plus de confiance; dans la suite,
1 Omnes in Middelburch manentes sub uno jure habeantur et quilibet
eorum cooppidano suo scabinium facere débet. Van Mieris, t. I , p. 170.
2 Nec etiam permittemus quod aliqui ex burgensibus nostris Dystensibus
aut alii, cujuscunque fuerint officii, gildas sive partes in Dyst faciant, seu
contrahant. ( Bulletins de la Commission royale d’histoire, 5me série, t If,
p. 475.)
3 1290. Histoire de Bruxelles , t. 1, p 68.
* Acte de 1249, et Chapeauville , t. II, p. 554.
( 281 )
parce qu’ils voulurent conserver comme un droit ce qui ne s’était
fait d’abord que par respect ou par attachement. Celte classe pui-
sait sa richesse soit dans le grand commerce, dont les bénéfices
sont généralement considérables; soit dans la possession de biens
fonciers, qui, quoique de peu d étendue, acquirent une immense
valeur lorsque la population des villes grandit dans d énormes
proportions. C’est pourquoi on peut considérer comme ayant
raisonné à peu près juste ceux de nos auteurs qui ont attribué
l’origine des lignages aux anciens propriétaires d’alleux, à ce que
l’on appelait chez les Francs boni hommes, et en Hollande les
welgeboren , les goedelieden l.
Mais comment cette classe, où chacun jouissait des mêmes droits
et n’avait, par conséquent, aucun intérêt à se séparer des autres
citoyens, comment se scinda-t-elle en fractions, et pourquoi le
nombre de ces fractions varia-t-il si fréquemment? Il n’y a guère
qu’une solution à ces questions. Comme le nombre des lignages
ou familles est d’ordinaire égal à celui des échevins 2, on peut
supposer que c’est l’institution des échevins qui a provoqué,
à la longue, l’établissement des lignages. Si l’on remarque que,
dans le principe, l’échevinage se conférait à vie, que ces fonc-
tions avaient une grande importance, on admettra que les per-
sonnes qui en étaient investies devenaient avec le temps des chefs
de groupes composés de parents, d’amis, de cointéressés, dont
les relations mutuelles, se multipliant de jour en jour, aboutirent
enfin à la constitution d’une sorte de famille artificielle.
On comprend que de pareilles associations purent subsister
pendant nombre d’années, avant de pouvoir se faire reconnaître
légalement. « Constituées à l’ombre du foyer domestique, dit Sis-
» mondi3 * 5, en parlant des huit compagnies nobles de Gènes, qui,
1 Piot , Histoire de Louvain, p. 120. — A praecipuis territorii Castro (Ant-
verpiensi) adjacentis possessoribus procreatae. Septem tribus Antver pieuses.
2 À Nivelles, le nombre des échevins ayant été réduit , en 1396, de quatre
à sept, celui des lignages subit la même diminution. Gramave, Nivella , p. 4.
— Mais ici Gramaye se trompe, car les échevins de Nivelles étaient primitive-
ment au nombre de quatorze.
5 Histoire des républiques italiennes, t. II , p. 565.
( 282 )
» en 1227, étaient déjà anciennes, elles se consolidèrent obscuré-
» ment avant de revendiquer des droits et des prérogatives. Elles
» s’arrogèrent des pouvoirs que rien ne reconnaissait, mais que
» l’on reconnut tacitement. »
» Connus d’abord à Cologne sous le nom de frères des êchevins
(fratres scabinorum , 1155, 1165, parce que, sans doute, les éehe-
vins pouvaient appeler leurs parents ou amis au conseil de la cité)
ou de membres de la richerzechheit , les patriciens colonais for-
maient déjà, en 1265 et 1288, des lignages ( progenies ), sur lesquels
se modelèrent évidemment ceux de la Belgique.
A Bruxelles, qui ne connaît les Scrhuyghskint ou enfants de
sire Hugues, les Serroelofs ou enfants de sire Rodolphe, les
Sweerts ou enfants de l’hôte, les Coudenbergs, les Rodenbeke,
les Steenwegs (ou de la Chaussée), les Sleeuws ou fils de Léon?
A Louvain, l’histoire ne parle d’abord que des Blanckaerts et
des Colveren , dont les disputes troublèrent la minorité des en-
fants du duc Henri III. Plus tard apparurent les Uutenliemingen
ou de Limminghe, les Vanden Calstere, les Van Redingen, les
Vanden Steene, les Verusalem, les Gillis, les Van Rode.
A Anvers, à côté des Volkaerts, des Wilmaerts, des Hoboken,
des Bode, des Aleyns, des Impeghem,des Papen ou Spapën, qui
tous, comme les lignages de Francfort, portaient dans leurs ar-
moiries une fasce échiquetée , dissemblable seulement quant aux
couleurs, on signale encore quatre familles importantes : les Bacx,
les Beyens, les Blocxet les Mengaerts. Mais ces dernières ont-elles
jamais participé à la nomination des êchevins? Parmi les premières,
il y en eut qui cessèrent d’avoir ce droit et qui peut-être cessèrent
d’exister, lorsque le nombre de ces magistrats fut porté à douze b
Qui le croirait? De petites villes, telles que Léau 1 2 * *, ont eu leur
classe privilégiée.
De même que les familles nobles des villes italiennes possé-
daient des Segcji ou lieux de réunion 5, celles des cités braban-
1 Mertens et Torfs, Geschieclenis van Antwerpen , 1. 1, pp. 184 et suiv.
2 Willems, Brabantsche Yeesten , 1. 1, p. 742.
5 Le père Ménestrier, De la chevalerie ancienne et moderne , dans la col-
lection de Leber, t. XI f, p. 21.
1
( 285 )
connes eurent leurs Steen ou châteaux, comme à Bruxelles la
S'Cantersteen. la Plattesteen. la Serhuvghskintsteen. la Pavhuvs.
J J ». o y '
la Machiaensteen, la Southuys, le Valkenborg l. Vos lignages
belges possédèrent des armoiries distinctes, des revenus, des
registres aux inscriptions, mais tout cela n'apparut que plus
tard, pendant ce quatorzième siècle, si plein d'événements et de
révolutions.
Dans les cités wallonnes ou françaises , on rencontre fréquem-
ment des vinaves , v inouïes ou voisinages, associations dont la
dénomination même détermine l'origine territoriale. Tels étaient,
à Liège, les vinaves d'Ile, de Saint-Servais . du Marché, de Saint-
Martin, de V eu vis ou de Soverain-Pont . de Saint-Jehan-Strée et
Delle Preit ou Des Près 2 ; à Metz . les lignages ou paraiges de Porte-
Muzelle, de Surne. de Saint-Martin, de Porte-Saillv. d Outves-
Seille ou de ceux de Maleboches, et du commun ou de Saint-
Etienne de la commune de Metz: et à Verdun, les estend.es de la
Ponte. d'Azanne, et d'Estoufï 3. Tous paraissent, à peu d'excep-
tions près, fondés sur des convenances de localité.
Rien de semblable ne se remarque dans les cités des rives de
l'Escaut: seulement il s'y organise des associations aristocratiques,
moitié civiles, moitié religieuses, entre autres les confréries des
Damoiseaux de Valenciennes et de Tournai, fondées, cette der-
nière, en 1:280 4 5: la première, antérieurement à 1510 s. A
Valenciennes, il existait une bourgeoisie riche, affichant des
prétentions exclusives: mais à Tournai, le système d'élection des
magistrats communaux reposait sur des bases très-larges , puisque
cette élection appartenait à un corps de trois cents personnes.
Aussi exigèrent-ils toujours et de tous une soumission complète
aux lois; et, en 1275, on les vit bannir tout haut homme ou haute
1 Histoire de Bruxelles. 1. 1 , p. 22.
2 Hemricourt.
5 Niebuhr, Histoire romaine . t. I. p. 29o(trad. de Golbëry .
1 Chotin . Histoire de Tournai . 1. 1 , p. 250.
5 origine, d'après la tradition, remontait à la peste de l'an 1008. On
appelait ses membres les Royez . parce qu'ils partaient des robes a raies.
1> Onltreman . Histoire de Ta< enciennes . p. 450.
, ( 284 )
dame qui y désobéirait J. Cependant, par suite de la tendance du
siècle, on y éprouva aussi, parmi les simples bourgeois, le besoin
d’imiter les fêtes de la noblesse, et, en 1282, les citoyens et iils
de citoyens y établirent une Table ronde, qui dura chaque fois
trois jours et dont le roi se nommait, en 1282, Jean Li Dans; en
1290, Jean Paven ~.
Les artisans, après avoir vécu longtemps dans le servage, ne
s’affranchirent que lentement et par degrés. Ce ne fut que vers
le milieu du treizième siècle qu'ils se formèrent en métiers, com-
posés généralement d’apprentis ou élèves, de valets ou compa-
gnons et de maîtres ou ouvriers experts, étayant des chefs, ordi-
nairement appelés doyens ou jurés, et une bourse commune, où
l'on puisait pour secourir les membres malades ou infirmes de la
corporation 5.
Les tisserands précédèrent les autres hommes de travail dans la
voie féconde de l’association. De bonne heure, on les voit en pos-
session de revenus communs i 2, mais aussi menacés de persécu-
tions. Lorsqu’on 1242, Malines ou Anvers, puis la plupart des
cités brabançonnes : en 1249, de concert avec plusieurs villes
liégeoises 3 4; en 1252 et 1274, conjointement avec Gand (5, pren-
nent des mesures contre les conspirations des artisans, eux et les
foulons sont spécialement désignés. Si à Bruxelles, en 1 50G, on leur
défendit, sous peine de la mort et de confiscation des biens, de
passer la nuit à l’intérieur de la ville, on ne fit alors, sans doute,
que rétablir une disposition antérieure, car c’était dans les fau-
bourgs dits Ter-Cappellen (de la Chapelle), de Blyckerye (la Blan-
chisserie, aujourd’hui la Terre-Neuve), et Ten-Cruyskene (la Pe-
tite-Croix, actuellement la rue d’Anderlecbt) , que se trouvaient
1 Chotin, I. c., p. 219.
2 Li Muisis , clans De Smet ,q>p. 170 et 172.
3 Le plus ancien statut des métiers d’Amiens est une ordonnance pour les
fruitiers, du mois de février 1267-1268. Tliierri, Monuments du tiers étal .
t. I , p. 225. — A Liège, il ne date que de 1257.
4 En 1149, à Cologne.
3 Bibliothèque des antiquités belgiques , t. II, p. 40.
4 Van Duyse, pp. 26, 57, 58. — Voyez plus haut, p. 105.
( 285 )
l’iiospice tics tisserands, depuis couvent des Bogards; I hospice
des foulons, les rames ou châssis servant à étendre les draps, les
foui cries, etc. b
Au mois de juin 1281, les échevins, les doyens et huit de la
gilde, ainsi que tout le conseil de la ville réglèrent, à Bruxelles,
du consentement des foulons, maîtres et valets, la manière de
travailler les draps. Ce règlement ne contient qu’une seule dis-
position politique : elle défend au métier de s’assembler et de
faire des collectes sans l’autorisation de la gilde et en l’absence
du valet de ce dernier corps 1 2.
Les confréries de Saint-Eloi ou des forgerons, qui comprenaient
encore différentes autres professions : les orfèvres, les serruriers,
les peintres, etc., jouirent de plus de faveur; du moins on ne voit
point que leur existence ait été menacée ou entravée. Les statuts
de celle de Malines, que l’élu de Liège, Walter Berthout et les
échevins approuvèrent le jour de saint Thomas, en décembre
1254, contiennent des dispositions curieuses et une tendance de
charité et de bienveillance mutuelles, qui expliquent mieux que
toute autre cause la force vitale qui se manifesta par la suite dans
les métiers.
La confrérie était gouvernée par des doyens et des jurés pris
parmi les forgerons, mais si des membres le désiraient, iis pou-
vaient choisir, comme supérieurs, deux jurés de leur métier par-
ticulier, à la condition toutefois d’abandonner à la confrérie les
droits perçus en son nom. Ces doyens et jurés étaient juges des
différends qui s’élevaient entre le maître et le serviteur, soit parce
que celui-ci aurait quitté le maître avant la lin de son terme, soit
pour coups et blessures. Dans ce dernier cas, chacun, maître et
serf (servus) , devait à la gilde un pot-de-vin. Un article spécial
interdisait, sous peine de cinq sous de Louvain, d’aller hors de
la ville à la rencontre des voituriers (caraccarii) ou des marchands
amenant du fer, du cuivre, de l’étain ou quelque autre métal,
ou du charbon, et de l’acheter pour soi seul. « Les œuvres, est-il
1 Histoire de Bruxelles, 1. 1 , p. o2.
2 A Thymo, partie 111 , titre 1, c. 10. — Histoire de Bruxelles, t. 1 , p. 08.
( 280 )
» dit plus loin, qui ne sont pas animées par la charité, restant
» infructueuses, » les frères de la gilde permettent aux doyens et
jurés de prêter une partie de l’argent de la confrérie au confrère
pauvre, pourvu qu’il ait des outils en sa possession et qu’on ne le
eonnaisse pas comme dissipateur. Ses instruments et de « bonnes
» gens » lui serviront de caution. Le confrère ou la femme de
confrère, devenus pauvres par suite de maladie ou d’infirmité,
doivent être également secourus par les chefs de la confrérie, et,
si un membre meurt, ceux-ci doivent en faire avertir les autres
par le serviteur de la gilde, qui, à cet effet, parcourra les rues
de la ville avec une sonnette. II est défendu aux confrères, sous
peine d’une amende de deux sous, de travailler après l’heure de
midi, la veille des fêtes de la Vierge, et après l’heure des vêpres,
le samedi et aux fêtes des Apôtres. Une autre stipulation interdit
aux serruriers, sous peine de cinq sous, de fabriquer des clefs
sans être nantis des serrures auxquelles ces clefs doivent s’a-
dapter K
En résumé, au-dessus des métiers se plaçait partout la bour-
geoisie riche, sous le nom de hanse ou de gilde; quelquefois
celle-ci se partageait encore en associations imitant la famille ou
la tribu : lignages ou voisinages. Partout les fonctions munici-
pales n’étaient accessibles qu’au petit nombre.
il
La scission des riches et des pauvres bourgeois s’était manifestée
en France, à Beauvais, dès l’année 1252. Le diplôme de 124!
interdisant aux artisans de Bruges l’accès de l’échevinage, et,
l’année suivante, la première des ligues conclues de ville à ville
contre les artisans, indiquent qu’en Flandre et en Brabant la si-
tuation commençait à s’aggraver. Par une charte de l’année 1265 1 2,
on voit qu’à Arras une partie des habitants avait conspiré contre
1 Azevedo , Oudheden van Mechelen , 1. 1 , pp. 91 et suiv.
2 Saint-Génois, Monuments , p. 607.
( 287 )
les maire et échevins, enlevé les reliques de la chapelle au Marché,
« et commis d’autres crimes énormes. » Les manifestations dé-
mocratiques des Liégeois, du temps de Henri de Dinant, celles des
Louvanistes pendant la régence de la duchesse Aleyde; la révolte
des plébéiens colonais, qu’appuyèrent successivement les arche-
vêques Conrad et Englebert II; l’union de ceux d’Utrecht avec les
paysans frisons, toutes ces révolutions comprises dans la pé-
riode de peu d’années qui va de l’an 1250 environ à 1270, nous
montrent le parti populaire aspirant avec ardeur au pouvoir, qui
devait enfin lui échoir, dans la plupart de nos cités, au commen-
cement du quatorzième siècle.
Les dissensions qui se manifestèrent au sein des çommunes ,
curent pour elles le résultat le plus funeste. Elles sauvèrent la féo-
dalité, qui se fortifia en ralliant à sa cause l'aristocratie bour-
geoise. Si les villes et leurs habitants avaient pu s’entendre, ils
auraient conquis une plus large part dans l’ordre politique, mais
ils consultèrent leurs nécessités particulières plus que les grands
intérêts de la société, et ils ajournèrent ainsi, pour plusieurs
siècles , le triomphe de la classe moyenne.
A proximité du Rhin inférieur, la plupart des cités impériales
avaient conquis une indépendance presque absolue, tantôt par
leur intervention énergique dans les guerres qui divisèrent l’Em-
pire, tantôt par suite de leur engagère successive à différents
princes. Les souverains avaient adopté l’usage de marquer leur
première réception dans une cité par une confirmation générale
de ses privilèges 1 ; les possesseurs engagistes imitèrent cet exem-
ple2. En même temps se généralisa de plus la coutume , dont on
aperçoit déjà des traces aux Pays-Bas , dans la seconde moitié du
douzième siècle, de faire intervenir les villes dans les actes im-
1 Chartes de Frédéric II, de Guillaume de Hollande, de Richard, de Ro-
dolphe, accordées à Cologne, à Aix-la-Chapelle, etc. (Lacomblel, passïm)\
de Henri 111, duc de Brabant, en faveur de Louvain (1249); du comte d’Ar-
tois, en faveur de Saint-Omer (1269, dans Saint-Génois); de Guy de Dampierre ,
en faveur de Bruges (1278. Jules de Saint-Génois, Inventaire , p. 76).
2 Chartes en faveur de Sintzig (1277, 1295), de Zulpich (1290), de Duys-
bourg , etc.
( 288 )
portants. Le règne de Jean Ier en offre plusieurs exemples, notam-
ment en 1207, lors de sa réconciliation avec les Louvanistes;
en 1278, lors de la négociation du mariage du 111s aîné du duc;
en 1202, quand celui-ci donna à sa noblesse ses célèbres lettres
de non-préjudice.
Un vif sentiment de patriotisme, étroit peut-être dans son ap-
plication, mais qui se manifesta pourtant par de grandes choses,
porta les bourgeoisies à améliorer encore leur position. De là ces
alliances conclues entre elles : d'abord dans les diocèses de Mayence
et de Liège, vers Lan 1230; puis bientôt sur de plus larges bases.
De là encore l'idée féconde d'utiliser une partie des ressources
financières de la commune à solder la valeur ou les talents des
barons et des chevaliers, comme le fit la ville de Gand lorsqu’elle
constitua une rente viagère à Waleram, seigneur de Fauque-
mont, « parce qu'il s’était humilié à devenir son conseiller l 2 *. »
11 serait oiseux de parler de l’augmentation des possessions des
communes et de leurs richesses; on en trouve des exemples par-
tout. Nous nous bornerons à remarquer que, tout en obtenant la
faculté de se fortifier ou d’augmenter l'importance de leurs dé-
fenses, quelques-uns des centres de population s’attachèrent à
faire disparaître les châteaux qui pouvaient menacer leur repos
à l’intérieur ou à proximité, et à défendre l’entrée dans leurs
murs des troupes qui auraient pu y semer l’épouvante.
Pour le Brabant, en particulier, on peut établir ce fait que la
véritable importance du tiers état ou de la bourgeoisie, comme
corps politique, date du milieu du treizième siècle. On peut donc
le considérer comme ayant grandi en môme temps que celui de
Flandre, et un peu antérieurement à celui des grands Etats voi-
sins. Les représentants des bourgs d’Angleterre ne furent en effet
appelés au Parlement qu’une fois, par exception, du temps des
luttes de Simon de Leicester et de Henri 111, et régulièrement
qu’à dater du commencement du règne d’Édouard Ier 2. Les villes
ne siégèrent aux diètes de l’Empire qu’en 1293 5, et au Parlement
1 Le 1er mars 1299-1500. Van Duyse, /. c., p. 72.
2 Hume, Histoire cl’ Angleterre , t. 111 , pp. 107 et suiv. (édit. Wouters).
5 Abrégé de V histoire cl’ Allemagne , p. 258.
de Paris qu’en 1502, quoique, dans l’un et dans l'autre pays, elles
eussent depuis longtemps et puissamment soutenu les dépositaires
du pouvoir suprême.
L’habileté des prédécesseurs de Jean Ier, et particulièrement du
duc Henri Ier, dont le règne, remarquablement long, présente une
série fort nombreuse de chartes en faveur des villes, avait couvert
le Brabant de lieux privilégiés. Leur nombre total ne s’élevait pas
à moins de trente- six : Louvain, Bruxelles, Tirlemont, Anvers,
Léau, Lierre, Bois-le-Duc, Aerschot, Sichem , Diest, Ilaelen ,
Asschc, Merehten, Cappellc-au-Bois , Yilvorde, Tervuercn , Duys-
bourg, Over-Yssche, IViv elles , Genappe, Wavre, Grez, Incourt,
Jodoigne, Landen , Hérentals, Turnhout, Arendonck, Eyndho-
ven , Oisterwyek, Bréda, Steenbcrg, Grave, Sint- Oden - Rode ,
Oss, Ilelmont, etc. Et encore omettons-nous ici des villages dont
les immunités n’avaient qu’une importance secondaire, ou dont
les libertés n’avaient été sanctionnées que par des seigneurs.
Le prince dont nous esquissons la biographie, tout en se mon-
trant favorable aux développements du commerce et de l’indus-
trie, ces deux grandes bases de la prospérité des villes , ne marqua
son règne que par un petit nombre de concessions, dont la plupart
ne datent que de la lin de son règne, de l’époque où il se trouva
dans ses plus grands besoins d’argent.
En voici une liste sommaire, augmentée de quelques actes
émanant de barons du Brabant :
29 juin 1267. Confirmation et ampliation des privilèges de
Louvain.
Janvier 1267-1268. Henri de Louvain, sire de Bréda, accorde h
ses sujets d’Etten la loi dite Jfoevensch charter l.
19 mai 1270. Confirmation, pure et simple, des concessions
faites aux Louvanistes par le père de Jean Ier, Henri III, et son
aïeul, Henri IL
Actes de la même date, confirmant le pardon octroyé aux
Louvanistes parla duchesse Aleyde, et la charte de Henri 111-
qui permet de donner un bien en location pour plus d’un an.
1 Vau Goor, Beschrycing van Breda, pp. 588 à 590.
Tome XIII.
19
29 juin 1272. Déclaration d’Arnoui, sire de Bréda, que les
habitants d’Oosterhout sont exempts de péages dans tout le Bra-
bant, et qu’il doit se tenir dans cette localité un marché toutes les
semaines et une foire tous les ans h
1272. Keure donnée aux habitants de Steenbergen, par le
même Arnoul et sa femme 1 2.
b septembre 1282. Approbation, par le duc, de quelques points
décidés par la commune de Louvain, « un prince devant accueillir
» des prières convenables et accorder, pour des causes légitimes ,
» ce qui n’est pas contraire à ses droits. » Toutes les amendes
résultant des stipulations de cette charte doivent être partagées
par moitié entre le duc et la ville 3.
1285-1284. Confirmation des droits de la gilde de Louvain.
Lundi avant la Purification, en 1285-1284, exemption de ton-
lieux octroyée à Bois-le-Duc 4.
Dimanche après la Saint-André 1289. Confirmation des privi-
lèges octroyés par Henri Ier, en 122G, au village de Duysbourg 5.
1289. Approbation des statuts arrêtés par la gilde de Bruxelles.
9 avril 1290. Restitution à la ville et à la banlieue de Lierre et
à leurs habitants, de leurs anciennes libertés 6.
21 septembre 1290. Confirmation, par le due, de quelques arti-
cles arrêtés par les bourgeois de Léau , « pour le bien commun
» de la cité, et en considération des services nombreux rendus
» par la ville à lui et à ses prédécesseurs, » et approbation de
leurs anciens privilèges 7.
28 septembre 1290. Privilèges importants accordés aux Bruxel-
lois 8.
1 Van Goor, l. c., p. 425.
2 Gramaye, Anüquitates Bredanae, pp. 24 et 28. — De Rouck, Den-Ne-
derlandschen herauld , p. 285.
3 Willems, Van Heelu, p. 409.
4 Registre des chartes déposées en 1198 et 1500, f° 75 (en extrait).
5 Histoire des environs de Bruxelles , t. 111 , p. 426.
e Willems , l. c., p. 520.
7 Ibidem, p. 551.
8 Luyster van Brabant, lre partie, p. 49.
( 291 )
29 du même mois. Charte en faveur des Louvanistes, sem-
blable à celle de Léau h
21 février 1290-1291. Autre charte, de même teneur, concédée
aux Anversois 1 2 3.
24 février 1290-1291. Charte très-curieuse, accordée à la ville
de Tirlemont 5.
15 avril 1290-1291. Autre, en faveur d’Hérentals 4.
1292. Énumération, par Jean Ier, des libertés dont jouissent
les habitants d’Aerschot b.
Mercredi après les octaves des saints Pierre et Paul, en 1293.
Confirmation de la charte de 1222, qui avait accordé aux habi-
tants de Wavre les droits des Louvanistes 6.
On attribue à Jean 1er les premières libertés d’Ililvarenbeke 7,
et à un duc de ce nom la création d’une franchise , ou bourgade
libre, dans la paroisse de Braine-F Alleu 8.
Lorsque Jean Ier fit son entrée dans Louvain, en 1207, il con-
firma solennellement toutes les libertés, coutumes et droits de la
ville, ainsi qu’elle les avait possédés du temps de son père, de son
aïeul, de son bisaïeul et de ses autres ancêtres. Il promit aussi de
maintenir en son entier le traité de réconciliation conclu entre sa
mère et les habitants, et il garantit à ceux-ci plusieurs libertés
nouvelles. Comme il n’avait pas son sceau près de lui, les sei-
gneurs de Malines, de Diest et de Wesemael et les députés de la
ville de Bruxelles scellèrent la charte en son nom. Il n’abolit ni
les deux chefs de chaque métier, ni les vingt-cinq porte-bannières
nouvellement institués, mais il affermit l’autorité du magistrat,
qui se composait alors du maire, des échevins et des jurés. Sans
1 Willems , l. c , p. 554.
2 Geschiedenis van Antwerpen , t. Iï,p. 502.
3 Oets, Histoire de la ville et des institutions de Tirlemont, t. 1, pp. 52
et 258.
•'* Willems, Brabantsche Yeesten, t. 1, p. 676.
5 Gramaye, Lovanium , p. 55.
G Registre des chartes déposées en 1498 et 1500, f° 56.
7 Gramaye, Taxandria, p. 56.
8 Gramaye , Gallo-Brabantia, p. 57.
leur consentement, on ne pouvait ni sonner la cloche d’alarme, ni
conduire au dehors l’étendard de la commune et les bannières
(signacnla). Les Louvanistes pouvaient s’assembler quand ils le
jugeaient convenable, mais à la condition de ne pas se condamner
à des peines dans ces réunions h L’un d’eux avait -il des motifs
de plaintes, il devait s’adresser : d’abord au juge (ou olïieier du
prince), puis, en cas de négligence de sa part, aux jurés.
La charte donnée à Bruxelles, en 4290, témoigne du change-
ment qui, à certains égards, s'était opéré dans les esprits. I! y est
strictement défendu aux métiers de s’assembler et de former* uuc
commune ( malien commoignie onder lien), sans l’assentiment de
l’amman et des échevins. C’est la principale disposition que ren-
ferme cct acte, par lequel la heure de 1229 fut confirmée, des
améliorations apportées dans le droit civil et des concessions de
revenus octrovées à la résidence ducale.
Y eut-il des luttes, des guerres de ville à ville, des violences
exercées au nom de celles-ci? on n’en sait rien. Seulement une
chronique postérieure rapporte le fait suivant dont rien n’établit
l’authenticité : Un abbé de Vlierbeek ayant eu un démêlé avec la
ville de Louvain, obtint de l'évêque de Cambrai une sentence en
sa faveur. La ville s’étant plainte au duc, celui-ci répondit à ses
délégués en souriant: « N’êtes-vous pas, vous, les habitants de
» Louvain, aussi redoutables que cet abbé? » Les Louvanistes pri-
rent ces paroles pour une autorisation tacite de tirer vengeance de
leur ennemi. Us se dirigèrent en armes contre le monastère, le
saccagèrent et le détruisirent de fond en comble. Peu de temps
après, l’abbé se présenta devant les magistrats de Louvain et de-
manda une attestation authentique des violences dont il avait eu à
souffrir. Muni de ce document, il partit pour Rome et, à sa re-
quête, le pape, de l’avis des cardinaux, porta en l’année 1277, une
sentence d’excommunication contre le duc et tous les Brabançons.
Les Anvcrsois et les habitants du marquisat d’Anvers réclamè-
rent en alléguant qu’ils ne formaient pas une partie du duché,
mais un fief particulier, relevant de l’Empire. Grégoire X accueillit
1 El .sine banduno invice m ah ipsis statuendo.
( 295 )
leur demande; peu de temps après, il promit aux Brabançons qu’au
bout de sept années l’interdit serait levé, et déclara, qu’en atten-
dant, les morts pourraient être ensevelis dans les cimetières, mais
non en terre bénite; les mariages célébrés en face d’église, les
enfants baptisés, les offices divins célébrés à porte close, la parole
sainte prèchéc sans autre appel qu’un léger tintement de cloche h
On sait que la ville de Diest, quoique comprise dans le duché,
formaità proprement parler le patrimoine d’une race seigneuriale,
nos princes n’y ayant que la souveraineté. Arnoul, sire de Diest,
et les bourgeois eurent, à l’occasion de leurs droits respectifs, une
longue contestation. Elle alla si loin que le seigneur de Diest lit
enterrer vivants deux bourgeois, sans qu’aucune sentence eût été
portée à leur charge. Jean Ier, reconnu comme arbitre, termina
cette querelle par une sentence datée de Bruxelles, le jeudi après
FAnnonciation , en 1279.
Une enquête faite par l’écoutète d'Anvers, Walter Volcart, et
par le maire de Tirlemont, Ywain de Meldert, avait au préalable
déterminé les droits respectifs des deux parties.
Tous les ans, le jour de saint Remî, les sept échevins de Diest
nommaient leurs successeurs, qu’ils devaient présenter au sei-
gneur. Ce dernier pouvait se refuser à les accepter, mais il fallait
que ce refus fut général et non limité à quelques-uns d’entre eux;
les échevins avaient le droit de choisir d’autres candidats, à deux
reprises; à la troisième présentation, leur choix ne pouvait plus
faire l’objet d’un refus.
Le duc confirma à Arnoul le droit de percevoir le tonlieu des
bouchers et de leur concéder l’emplacement qu’ils pouvaient oc-
cuper; le cens de la bière ( censura cerevisialem vulgariter dictum
Pantsys), la concession des étaux près du mur du cimetière et
des baraques de marchands pendant les foires, la pêcherie dans le
Dénier. Les pâtures communes furent partagées entre le seigneur
elles habitants, conformément à ce qu’avaient anciennement sti-
pulé les chevaliers Walter Chitine et Conon de Bierbais.
1 Vieille chronique cle Brabant, publiée par la Société historique d’Utrecht.
( Codex diplomaticus Neerlandicus , IIe série, t. lit, p. 08.)
*8»
( 294 )
Le seigneur fut tenu à indemniser quelques bourgeois des pertes
qu’ils avaient éprouvées , et le duc se réserva le prononcé de la
peine et la perception de l’amende que le seigneur avait encou-
rues, en ordonnant d’enterrer vifs deux bourgeois l. Quant à l’ar-
gent dont les Diestois avaient ordonné la levée, Jean Ier autorisa
Arnoul à le faire recevoir par un serviteur spécialement désigné
à cet effet, mais à la condition de l’employer à payer les dettes de
la ville. Le seigneur devait en outre accorder un pardon complet
à cette dernière, qui, de son côté, lui payerait deux cents livres
tournois 2.
En 1290, le mardi après la nativité de saint Jean-Baptiste,
Arnoul, sa femme Elisabeth et leur fils Gérard confirmèrent les
libertés et les coutumes de Diest, promirent aux habitants de ne
plus leur imposer, que de leur plein gré, des tailles, assises ou
autres extorsions, et défendirent dans cette vifle, comme nous
l’avons déjà dit, la formation de gildes ou de factions nuisibles à
la commune 5.
Dans les autres provinces des Pays-Bas, comme en Brabant, les
privilèges communaux reçurent peu d’extension. Dans plusieurs
provinces, les grandes cités: Gand, Bruges, Ypres, Valenciennes,
Namur, Cambrai, eurent des luttes à soutenir contre leurs princes;
Luxembourg, moins important, fut également le siège d’une sé-
dition, quoique les comtes du pays de ce nom eussent continué
le travail d’affranchissement commencé sous la comtesse Ernié-
sinde 4. Le seul pays où les chartes fussent alors réellement abon-
dantes, c’est la Hollande, mais nous sortirions de notre sujet en
en abordant l’examen détaillé.
En présence du développement que les villes prenaient de plus
1 Item dicimus quod cum dominus de Dyst duos burgenses vivos info -
derit sine judicio, quod hoc ad voluntatem nostram emendabit, quam
emendam nobis reservamus.
2 Messager des sciences historiques , année 1860, p. 447.
5 Bulletins de la Commission royale d’histoire , om° série, t. II, p. 474.
4 L’affranchissement de Bidbourg date de 1262, et celui de Nassogne de
1274. Ce dernier émane de Gérard de Durbuy. En 1282*, Henri, comte de
Luxembourg , qui périt à Woeringen, ratifia les privilèges accordés par ses
parents à sa capitale. Consultez Berthelet , t. Y, passim.
( 295 )
en plus, on conçoit de quelle importance devait être la nomination
des magistrats chargés de présider à l’administration de la cité.
Leurs attributions atteignirent d’énormes proportions, la ma-
gistrature communale ayant hérité à la fois, presque partout, des
attributions de l’ancienne curie romaine et de celles du tribunal
échevinal des comtés francs, et joint à ce patrimoine des temps
antérieurs les pouvoirs dont les événements nécessitaient la con-
centration entre ses mains. La mission la plus auguste des échevins
était d’assigner à chacun son droit, même aux seigneurs h Un cas
douteux se présente-t-il, c’est à leur tribunal qu’on s’adresse : ils
examinent, ils s’enquièrent, puis ils décident. En eux repose donc
la tradition légale; ils constituent la loi vivante; bien plus, ils
créent la loi écrite, car ces cas déterminés par eux, ils en ordon-
nent la transcription dans leurs registres, ils les mettent en wctrde
de loi. Attendons trois siècles, et de ces matériaux accumulés pierre
par pierre naîtront ces coutumes remarquables, où à côté d’er-
reurs et de divergences explicables, se rencontre une recherche
étonnante de l’équité. C’était devant les échevins que se passaient
les actes en matière réelle, ils étaient juges au criminel et au civil,
ils géraient les finances de la cité, ils la représentaient dans les
assemblées des états et souvent dans les ambassades; au besoin,
ils combattaient en tête de la milice de la commune.
Insensiblement, ces attributions multipliées se partagèrent : en
beaucoup d’endroits, on sentit la nécessité d’élever, à côté de
l’échevinage, des pouvoirs rivaux et pondérateurs. Ainsi, sur les
bords du Rhin, à Cologne, à Aix et à Liège, il y avait des maîtres
des citoyens , semblables aux prévôts des grandes villes des bords
derEscaut : Tournai, Cambrai, Valenciennes; de même, Bruges
et Louvain virent à leur tête, la première, à partir de l’année
1280 environ, un burchmeester 1 2; la seconde, dès l’année 1254,
des maîtres de la commune. Tous ces noms différents désignaient
1 On en voit un exemple frappant clans ce fait qu’en 1254, ce sont des éche-
vins qui sont chargés d’assigner à l’archevêque de Cologne et au comte de
Juliers leurs droits respectifs à Zulpich.
2 Un borchmeester existait déjà à Middelbourg, en 1253. Voyez la keure
de cette année , article 58.
( 296 )
des magistrats ordinairement peu nombreux, le plus souvent
n’étant qu’un ou deux, afin de donner plus d’ensemble à leurs
opérations, mais ayant la direction suprême delà bourgeoisie, de
véritables bourgmestres en un mot.
Ceux que l’on appelait en Allemagne consuls b à Liège et plus
à l’ouest jurés, ne se bornaient pas aux simples fonctions de con-
seillers, comme on l’a dit souvent. Des textes formels de chartes s’y
opposent et leur attribuent la police criminelle, le jugement des
causes provenant du texte des heures, tandis que la justice civile
reste l’apanage des échevins. Mais, excepté Louvain, où ils se
maintinrent toujours, les jurés disparurent presque partout en
Brabant. A Bruxelles, ils paraissent avoir cessé d’exister vers l’an-
née 1274.
Dans un grand nombre de villes existait aussi un conseil
de la cité ( commune consilium oppidi). Middelbourg en 1217,
Bruxelles dès 1282, en possédaient un. Il était convoqué, comme
le dit la charte de Capricke de l’an 1241, toutes les fois qu’il
s’agissait d’affaires d’un intérêt général. Quelquefois c’étaient les
échevins qui en nommaient les membres (charte de Bruges, de
l’an 1281).
Nos principales localités ne connaissent, pour la plupart, que
des échevins. Ils étaient éligibles tous les ans : à Bruxelles, en
vertu d’une charte de 1254 1 2; à Louvain 3 et dans presque toutes
les villes de Flandre, en vertu d’ordonnances datant de 1241. Lors
de l’avénement de Jean Ier, les Louvanistes se plaignirent que ces
magistrats se considérassent comme inamovibles, et le duc promit
d’en nommer d'autres tous les ans, la veille de saint Jean-Bap-
tiste, sans que les échevins sortants pussent être immédiatement
réélus. Mais cette concession, qu’il renouvela en 1270 et en 1282.
ne fut pas très -religieusement observée, car Walter le Cardinal,
Guillaume de Calster, Jean de Nethen, Gilles Lisensone, Arnouî
Nobel, Arnoul ïlcrendocte, Jean de Iluldenberg, Franc de Zade-
1 11 y avait à Cologne, en 1295, des consuls, tant supérieurs qu’inférieurs.
Faut-il traduire ces deux dernières expressions par patriciens et plébéiens?
2 Histoire de Bruxelles, t. 1, p.58.
r’ Piot, Histoire de Louvain , 1. I . p. 150.
( 297 )
leer, et Walter Corsehoul figurent, presque seuls, de 1267 à
1282, dans les listes de l’échevinage. Le même fait se produisit à
Bruxelles.
Ce fut principalement vers le Rhin et la Meuse que l’échevinage
continua à être un office viager. Mais, comme nous l’avons vu,
son influence toute-puissante était pondérée par l’existence d’au-
ires corps politiques : Gand seul présentait une organisation tout
exceptionnelle. Elle était régie par les Trente-Neuf, magistrats
nommés à vie et qui se recrutaient eux-mêmes, en se partageant
en trois séries, dont les attributions changeaient d’année en an-
née; treize étaient échevins ou juges, treize autres conseillers ou
administrateurs, et les treize derniers vagues, c’est-à-dire qu’ils
n’avaient aucune fonction déterminée.
La plupart des chartes accordées aux villes ne sont que des
approbations d’ordonnances faites par les bourgeois entre eux;
nous avons essayé de bien faire ressortir ce fait dans la liste que
nous avons donnée à la page 289. Les statuts municipaux, en effet,
émanaient de l’autorité collective du maire et des échevins, et,
sans ecs derniers, le premier n’y pouvait rien changer b
Les échevins avaient, de temps immémorial, la collation des
emplois communaux, et particulièrement de l’écrivain chargé
d'enregistrer les contrats passés devant eux 1 2, et du percepteur
des revenus 3. Dans d’autres localités, ils avaient déjà adopté
l’usage de nommer un légiste, qui prit le nom de pensionnaire,
et qui les aidait de ses conseils et de ses lumières, mais cette inno-
vation, qui devait puissamment aider à la renaissance de l’étude
du droit romain, ne fut imitée en Brabant que plus tard 4. Les
bourgeois n’étaient justiciables que des échevins; s’il arrivait
que l’officier du duc, à la première requête de deux échevins,
ne leur fit pas rendre justice, la ville où le fait se produisait
pouvait s’adresser au duc, ou, dans le cas où il aurait quitté le
1 Léau, 1290.
2 Anvers, 1290-1291.
3 Léau, 1290.
4 En 1296, Henri Fourès fut nommé en celle qualité à Tournai. Chotin,
t. t, p. 2ô9.
( 298 )
pays, à son sénéchal. Le déni de justice continuait-il, les échevins
delà ville lésée étaient autorisés à suspendre leurs séances jus-
qu’à ce qu’ils eussent obtenu satisfaction i.
Dans le chapitre suivant sera compris l’exposé des modifications
qui s’introduisirent, à la même époque, dans la législation , et des
développements que reçurent les ressources financières des villes.
CHAPITRE Xi.
ADMINISTRATION ET FINANCES. — ORGANISATION MILITAIRE.
I.
Le rétablissement de l’ordre et de la tranquillité dans le pays,
qui fut la première conséquence de l’institution des communes,
donna naissance à une jurisprudence nouvelle, empruntée en
partie au droit romain, en partie, au droit germanique; les pri-
vilèges et les heures accordés à nos villes déterminèrent les péna-
lités qui punissaient les différents genres de délits et de crimes ,
puis ce travail de rénovation juridique fut complété par des ordon-
nances successives, émanées des autorités des communes mêmes.
Sans qu’il y eut jamais de coutume générale pour tout le Bra-
bant, cependant on reconnaissait l’existence de certaines disposi-
tions universellement reçues; ainsi, le droit des filles d’hériter
des fiefs, à défaut de fils, faisait partie du droit brabançon. Ainsi
encore, le vendeur d’un bien s’obligeait à garantir l’acheteur
contre toute réclamation, conformément à la loi brabançonne
( secundum legem de Brabantia) , et à renoncer à toute espèce
d’exception légale.
4 Louvain, 1290 ; Léau, 1290; Anvers, 1290*1291.
( 299 )
Pour les villes, on ne rencontre que quelques dispositions des-
tinées à compléter des lacunes ou à confirmer d’anciens usages.
Ainsi, à Louvain, tout individu coupable d’avoir suscité une que-
relle devait, sous peine de quarante sous d’amende, demander la
prolongation de sa trêve, la veille du jour où elle expirait; les
parents avaient, de plein droit, immédiatement après la rixe,
une trêve complète d’un jour et d’une nuit. Une institution nou-
velle, mais qui ne pénétra dans le Brabant qu’un peu plus tard,
prouve la multiplicité croissante des querelles : nous voulons
parler des tribunaux d'apaiseurs ou pacificateurs , qui furent
établis à Douai en 1208 et à Valenciennes en 1 278 b
Les villes réclamèrent hautement et maintinrent le droit de
venger les injures reçues par elles ou par un membre de leurs
bourgeoisies. Dans un cas de ce genre, tous les habitants, riches
ou pauvres , devaient prendre les armes pour marcher à l’offen-
seur et incendier sa forteresse s’il résistait. Valenciennes et Tournai
exercèrent avec énergie ce droit, ce seul mode efficace de répri-
mer les brigandages qui désolaient les campagnes.
Dans ces dernières, où , jusque-là $ rien n’avait été statué que
pour quelques villages dotés de franchises, les crimes étaient
punis avec une cruauté effroyable : la décapitation, la pendaison,
l’ensevelissement tout vif, l’aveuglement étaient comminés contre
les coupables2; des amendes variables en frappaient d’autres,
ceux qui pouvaient se racheter de la mort à prix d’argent. Le règne
de Jean le Victorieux vit apparaître toute une série de grandes
mesures qui concernent particulièrement le droit pénal. Dans l’an-
née 1275, Godefroid de Vianden et Léon d’Aa donnèrent une
charte à la terre de Grimberghe; par malheur, on n’en connaît,
qu’un texte modifié au seizième siècle 5. Vint ensuite la ketire
de la terre de Gaesbeek, que Henri de Louvain octroya « pour le
» salut de son âme, le bien de son pays et l’amour qu’il portait à
» ses sujets, de leur avis et de celui de ses vassaux et de ses éche-
1 D’Oui treman , Histoire de Valenciennes , p. 356.
2 ... Fossato apud Yscham... Hanekino de Wambeke excecato. ( Compte de
l’animan Lenken.)
3 Coutumes de Brabant, t. I , p. 53t.
( 500 )
» vins. » Cette loi est digne d'attention sous tous les rapports. On
s'aperçoit qu’elle cinane d'un esprit large, d’un cœur généreux.
Voulant prévenir ou réprimer l’abus que quelques-uns de ses
serviteurs faisaient ou pourraient faire de leur pouvoir, Henri de
Louvain défend à ses valets de s’emparer des chevaux de ses
sujets, et, consacrant le droit de résistance à la tyrannie, il auto-
rise ceux-ci à repousser dans un cas pareil la force par la force,
sans méfaire contre lui. Il stipule seulement qu’il continueront
à faire les corvées, et à observer le droit de banalité que ses
prédécesseurs et lui avaient possédé; par contre, il leur promet
de payer leurs dépenses , lorsqu’ils seront à son service. Après
avoir juré de traiter, conformément à la loi qu’il décrète, tous ses
sujets, riches ou pauvres, et ordonné que scs justiciers et leurs
successeurs prendraient le même engagement, Ilenri déclare en-
core : que si lui ou eux, après trois sommations, ne rendaient
pas la justice lorsqu’on les en requerrait, ses hommes de fief, en
vertu de leur prestation d’hommage, et ses échevins, pour obéir
à leur serment, et les uns et les autres, sous peine d être mis hors
la loi et proclamés parjures (wetteloes ende meynedich), s’abstien-
draient de siéger comme juges, aussitôt qu’ils seraient avertis du
fait. Enfin, il scella cette charte et la fit sceller par les échevins
de Leeuw, de Lcnnick, d’Itterbeek, de Bodeghem et de Strythem,
et approuver par Mathilde d’Aa, qui possédait une partie des
deux villages de Lennick (octobre 1284) b
Les célèbres kcures cantonales de l’an 1292 dont on possède
à la fois le texte flamand, à l’usage de l’ammanie de Bruxelles et
du quartier d’Anvers, et le texte français pour le Romanch pays
de Brabant ou bailliage de Nivelles, sont presque entièrement
calquées sur la précédente, les dispositions finales exceptées 1 2. En
voici un résumé succinct :
Celui qui vous accusera de mensonge ou de parjure ou qui ap-
1 Environs de Bruxelles , t. 1, pp. 130 à 134.
2 La keure de ranimante de Bruxelles se trouve dans le Luyster van Bra-
bant, lre partie, p. 52; Loovens, Practycke van Brabant, t. 111, p. 13;
Willems, Van Heelu, p. 541 ; la keure de Nivelles dans ce dernier ouvrage,
p. 549, et celle d’Anvers dans les Mengelingen . p. 439.
( 301 )
pelle sur vous la malédiction du ciel , paye cinq escalins de Lou-
vain. Celui qui vous frappe avec le pied ou la main, qui vous
déchire vos vêtements ou vous arrache les cheveux, doit donner
dix escalins, outre une composition à votre profit, qui est fixée
par les hommes de fief ou les échevins. Si la personne frappée
tombe à terre, l’amende est de quinze escalins, si son sang coule,
de vingt. Quand on menace seulement du bâton, on ne doit que
dix escalins, mais on en paye vingt si l'on frappe son adversaire;
trente, si on le jette à terre; trois livres, si l’on fait couler son sang Ç
cent escalins, si on lui cause des blessures graves. Le fait de tirer
simplement l’épée est puni de vingt escalins d’amende; quand on
s’en sert et qu’il en résulte une blessure, celle somme est quin-
tuplée; les blessures sont-elles graves, le coupable donne sept
livres, et en cas de perte d’un membre ou de la vie, on applique
la loi du talion, accompagnée de la confiscation des biens. Les
pénalités s’aggravent quand il s'agit de coups portés avec des
armes défendues : le couteau, la pique, la massue, la courtoise ,
le bâton à pointe, les traits de toute espèce, le heuttax, la hache
dite ba/fuie , la ghiserme ou hache à deux tranchants, le bouclier
garni de pointes. Il suffit d’ailleurs d'en porter pour encourir une
amende de dix escalins, à moins qu’on ne soit engagé dans une
querelle à mort [dootveede) , et qu’on ne soit hors de trêve. Si on
les tire, même sans frapper, on paye en outre dix escalins, et
trente si l’arme est un couteau ou un steecziceert (ou épée); s’il y a
blessure, 'nous payez trente escalins; si le sang coule, trois livres;
si la blessure est faite avec un couteau ou un steecziceert , vingt
livres. Faute de pouvoir satisfaire à ces condamnations, vous avez
la main coupée, ou traversée par votre arme, lorsque vous n’avez
fait que tirer celle-ci.
La heure de l’ammanie, qui fut sans doute rédigée sous des
influences aristocratiques, aggrave les peines lorsque l’offensé est
un chevalier ou un écuyer issu de chevalier. L’insulte adressée à
un chevalier est punie de cent escalins d’amende; quand elle
s’adresse à un écuyer, de vingt escalins. Si un villageois frappe
un chevalier, de la main ou du pied, il subit la mutilation d’un
de ces membres; s’il frappe un valet, il paye cent escalins; si la
( 302 )
victime tombe à terre, il doit sept livres dix escalins; si elle saigne,
dix livres.
Le voleur d’objets valant moins de cinq escalins est marqué;
en cas de récidive on le punit de mort. Cette dernière peine et la
confiscation des biens sont comminées contre ceux qui volent pour
une somme plus forte, rincendiaire, le brigand, l’individu con-
vaincu d’avoir exigé à main armée des contributions ( transene -
ringe). Le droit de légitime défense est reconnu. A l’homme cou-
pable d'un viol, on inflige un supplice horrible : on lui tranche
le cou avec une planche ou une scie de bois. Quand une trêve est
proclamée, celui qui l’enfreint est écartelé et ses membres étalés
sur des roues, aux quatre coins du pays. Pour avoir poursuivi un
ennemi dans une maison, à moins que ce ne soit un ennemi
mortel, on donne trois livres; pour s’être introduit par force
dans une habitation et y avoir fait des perquisitions, dix livres;
chaque complice de ces méfaits paye, dans le premier cas, vingt
escalins; dans le second, trois livres. Si le fait s’est passé la nuit,
l’amende est de vingt livres pour le principal coupable , de cinq
livres pour les autres. Après un meurtre, il y a, de droit, une
trêve pour toute personne innocente de cette mort, et elle dure
huit jours et huit nuits; passé ce terme, chacun est libre de pour-
suivre sa vengeance. On ne peut refuser d’accorder des trêves,
sous peine de vingt escalins d’amende; si, après trois refus, on
persiste dans les mêmes sentiments, la trêve n’en est pas moins
déclarée, et tous sont tenus de l’observer.
On punit de trois livres d’amende celui qui ôte les bornes d’un
champ ou qui les déplace sans le concours de ses voisins; de cinq
escalins l’abatage d’un arbre, la destruction d’un jardin, l'enlè-
vement de grain, de foin ou de fruits , pourvu que le dégât n’ex-
cède pas cette somme et qu’il soit commis le jour; quand le délit
a été commis la nuit, l’amende s’élève à cent escalins. Pour avoir
battu ou assailli du bétail , on paye dix escalins d’amende et on
indemnise du dommage causé; pour avoir ouvert un fossé dans la
propriété d’autrui, on donne quarante escalins; pour avoir jeté
sur quelqu’un du vin, de la bière ou une autre boisson, dix esca-
lins; pour l’avoir frappé avec un pot, trois livres, et s’il y a du
sang répandu, cent escalins.
( 505 )
Emmener un enfant mineur, même du consentement de ses
parents, ou enlever une femme constitue un crime puni delà peine
de mort et de la confiscation des biens. Le coupable de rapt ne peut
jamais remettre les pieds dans le pays, et, si la femme déclare
avoir consenti , ses propres biens sont confisqués, à moins qu’elle
n’abandonne son ravisseur ou ne le désavoue. Si elle part une se-
conde fois, la confiscation de scs biens est prononcée de nouveau.
Après sa mort, son patrimoine échoit à son plus proche héritier, à
l’exclusion des enfants qu’elle peut avoir eus de son amant. Lors-
qu’un délit est commis par un enfant mineur, les parents n’en
sont pas responsables, à moins que le fait n’ait lieu lorsque l’enfant
se trouve chez eux, ou qu’on ne puisse prouver qu’il a suivi leurs
conseils. Pour émanciper un enfant, il faut comparaître devant
les hommes de fief du seigneur, lorsqu’on est son vassal et qu’on
appartient à sa meysenie ; devant ses collègues, lorsqu’on est
échevin; tout autre doit jurer qu’il n’accomplit pas cette forma-
lité pour faire tort à autrui, et l’enfant cesse d’habiter la maison
paternelle pendant un an et un jour.
Une enquête ou vérité (waerheit) est-elle ordonnée, on l’an-
nonce à l’église le dimanche et elle a lieu le lundi suivant; l’offi-
cier du seigneur ou son valet ne peut y siéger, mais bien les éche-
vins et les hommes de fief, qui ouvrent la séance en présence du
seigneur ou de son représentant. Le défaillant à la première vérité
paye deux escalins , et la même somme s’il manque encore à la
seconde; mais s’il ne se trouve pas à la troisième, on le traite
comme s’il était lui-même coupable du délit dont l’assemblée s’oc-
cupe. Les absents, les malades, les prisonniers, les personnes
alors en dootveede ou hors des trêves sont seuls exemptés. Quand
l’affaire est grave, les amendes sont décuplées. Les laits publics se
prouvent par le témoignage de deux personnes; s’il y a incerti-
tude , l’accusé peut se justifier en jurant sur les reliques des saints
avec deux personnes notables. L’étranger accusé déclare préala-
blement qu’il n’emploiera aucune aide pour se faire absoudre.
Personne ne peut prélever un droit de gerbe (. scooven ) en l’ab-
sence du sacristain de l’église paroissiale; à celui-ci, au forgeron,
au baertmaker ou armurier, et au messier, est expressément ré-
( 504 )
serve le droit de recevoir une contribution de cette espèce; en
exiger ou en payer à d’autres est également puni de vingt escalins
d’amende; l’officier coupable perd en outre son office J.
Les dispositions contenues dans ces keures sont généralement
imitées de celles qui remplissent les vieilles lois germaniques, où
on remarque le même luxe de pénalités pécuniaires, et dont les
paix promulguées au nom des empereurs perpétuaient le souve-
nir. Le droit civil des Francs laissa également des traces profondes
en Belgique. Comme l’ancienne terre salique, le bien censal, pres-
que partout, y passait aux lils, à l’exclusion des filles. Le droit
d’Uccle (jus de Ucele ), qui est cité pour la première fois en 1271 1 2;
Je droit de Liège, que l’on suivait dans un grand nombre de loca-
lités brabançonnes, et d’autres encore assuraient cet avantage
aux enfants du sexe masculin.
Le droit civil se mélangea plus tard d'emprunts faits au droit
romain ou de stipulations prescrites par des chartes ducales. C’est
ainsi que le duc Henri 111, à la demande de la commune de Léau,
décréta qu’en cas de mort d’un homme ou d’une femme mariée,
le conjoint aurait l’usufruit de tous les immeubles provenant du
défunt, et qu’à la mort du survivant ces biens retourneraient à la
famille de laquelle ils provenaient, de même qu’une moitié des
acquêts de nature ccnsale ou allodiale3. L'abolition, dans les do-
maines ducaux, de la confiscation de l’avoir des bâtards, abolition
qui fut ordonnée par Henri II, marqua un progrès réel, long-
temps avant que Guy de Dampierrc l’introduisît dans ses Etats,
où il la vendit successivement aux villes deBergues, de Bruges,
de Fûmes.
Ce sera une des gloires de l’institution des communes d’avoir
assis la famille sur scs véritables bases : le droit à l’époux survi-
vant de jouir en paix et à titre égal de la fortune commune,
l’égalité des enfants sans distinction de sexe, l’abolition des péna-
1 Voyez sur le droit pénal dans le Brabant au treizième siècle, un travail de
M. l’avocat Van Cutsem, qui se trouve dans le Messager des sciences histo-
riques, années 1855 et 1856.
2 Willems, Van Heelu, p. 570.
5 Charte de l’an 1255, dans les Coutumes de Brabant , 1. 1, p. 92.
( 505 )
li tés liseales infligées aux enfants naturels. C cst du règne de
Jean l,r que date l’emploi général des désignations patronymiques
qui, maintes fois encore, se bornent aux simples indications de
fils de Nicolas (d’où T'Serclaes ), fils d’Arnoul (doù T’Seraerls
ou TSerants ), fils de Gerelin, etc.
Les citoyens étaient souvent appelés en justice au dehors, soit
devant les cours ecclésiastiques , pour des questions de droit cano-
nique, soit pour vider des différends avec des nobles ou des
vassaux inférieurs. De là, ces fréquents recours à la cour de
Rome pour en obtenir le privilège de ne pouvoir être poursuivi
que dans sa localité, dès l’instant où l’on se montrait disposé à
accepter un débat judiciaire; de là, ensuite, ces nombreux statuts
réglant les relations des bourgeois avec les étrangers. Ainsi tout
sujet du duc, chevalier ou autre, ayant contracté des dettes et
fourni des cautions devant l'échevinage d une ville, pouvait être
forcé par le juge du lieu où il était domicilié, à entrer dans cette
ville à la première réquisition de cette dernière ou à donner des
garanties pour le payement de sa dette. Les habitants de Léau
obtinrent, en outre, le droit d’arrêter et de garder eux-mêmes le
débiteur étranger jusqu’à l’arrivée de l’ofïicicr ducal, qui ne pou-
vait le libérer sans le consentement du créancier.
Lue charte du duc Henri 111, du 12 octobre 1259, que continua
le lils de ce prince, en 1270, statua que le bail d’une propriété,
au lieu d’être annuel , pourrait se prolonger indéfiniment b
Les actes se passaient presque toujours en plein air, de préfé-
rence dans un cimetière ou à proximité d’une église, ou sur les
grands chemins, lieux consacrés par l’usage à la cession des pro-
priétés allodiales2. Dans la partie flamande du pays, les lettres
échevinales étaient d’ordinaire munies des sceaux de deux éehe-
vins, puis copiées dans des registres que l’on appelait aux adhé-
ritances et déshéritâmes (remisiers der goedenissen); tandis que,
1 Brabanlsche Yeesten, t. I , p. 057.
- In strata libéra ac publica, ubi veruni proprium allodium solilum est
ex antigua consuetudine supraporlari et douari. Lacomblet , t. 11 , p. 020
(acte de l’an 1500). Voyez aussi un acte de l’année 1255, dans V Histoire des
environs de Bruxelles , t. 111, p. 529.
Tome XIII.
20
( 506 )
dans le pays wallon, on adopta de préférence l’emploi des chiro-
graphes, actes divisés en deux fractions qui devaient s’adapter
d’une manière parfaite pour être admis comme preuves. Quel-
quefois, les cessions de biens étaient accompagnées de formalités
qui remontaient à des temps très-reculés. Les alleux, par exem-
ple, se transportaient encore, au quatorzième siècle , par le don
symbolique de la glèbe et du rameau, ou, comme on disait en
flamand, met ressche en met vise b
Les grole waerheden ou plaids dont parlent les landchartes , et
qui constituaient des espèces d’enquêtes périodiques sur les crimes
et les délits qui s’étaient écoulés depuis la tenue précédente de ces
assemblées, rappelaient les placita generalia dont il est si fré-
quemment parlé dans les chartes du dixième et du onzième siècle.
L’annnan de Bruxelles, comme nous l’apprend le compte de Henri
Lenken, en tenait tous les ans à deux reprises, après Noël et après
Pâques, dans chacune des douze localités suivantes : Bruxelles,
Uccle, Obbrussel ou Saint-Gilles, Yssche, Merchten, Vilvordc,
Tervuercn, Duÿsbourg, Assche, Rhode-Saint-Genèse, Ruysbroeck
(près de liai) et Capelle (près de Haemsdonck).
Lorsqu’il se présentait un cas nouveau, un débat pour lequel il
n’existait pas de documents, on recourait à une enquête solen-
nelle, sous la direction des officiers ducaux, en présence des ma-
gistrats ou échevins du lieu et des notables du pays; on recueillait
en public les témoignages des personnes les plus âgées et les plus
considérées, et une décision n’était prise qu’après mûr examen.
Citons ici quelques exemples de cette manière de procéder.
Le duc Henri, « qui mourut à Cologne, » c’est-à-dire le grand
duc Henri Ier, se rendit un jour à Neder-Ockerzeel et tint un
plaid dans une grange. Là comparut sire Franc de Lies ou List,
que l’on appelait d’ordinaire le vieux sire Franc, et qui dé-
clara donner aux habitants du village les herbages et les arbres
(tgars ende den gherven de viser e) d’un marais. Dans la suite, les
habitants d’Erps ayant prétendu qu’ils avaient des droits sur
ce terrain, l’amman de Bruxelles, Godefroid Vandenpanhuse ,
1 Histoire des environs de Bruxelles , t. 11 , p. 260.
( 507 )
alla à Neder - Ockerzeel, par ordre du duc Jean Ier, avec Henri
Berewoude, Henri de Lille, Arnoul de Wyneghem et Walter Den
Sas. Les anciens de l’endroit et les voisins du lieu contesté ayant
été cités à comparaître, le curé Alexandre ( Sandryn ), Guillaume
Vandendrissche , René de Velthem, le vieux sire Daniel de Lare,
Jacques et Georges de Lare vinrent déclarer qu'ils avaient assisté
au plaid tenu par le duc Henri Ier; le curé affirma le fait « sur sa
prêtrise, » les suivants témoignèrent après avoir juré sur les reli-
ques. D’autres personnes, au nombre de quinze, déclarèrent avoir
entendu parler de la donation du marais, et attestèrent que les
habitants de Neder- Ockerzeel avaient toujours chassé les porcs
que ceux d’Erps y conduisaient (25 juillet 1275) L
Un différend s’étant élevé entre l’abbaye d’Heylissem et « le
» peuple ou les hommes » habitant dans le village de ce nom fpo-
pulum seu hommes ville de HelencinealJ , en amont de l’abbaye,
au sujet du ruisseau qui, venant de Noduwez, traversait cette der-
nière, le maire de Tirlemont, Francon de Wanghe, se rendit sur
les lieux, accompagné de plusieurs chevaliers et sergents, vas-
saux du duc, et de quelques échevins de Tirlemont. Les religieux
prétendaient que le cours de l’eau devait rester libre, et qu’on
ne pouvait y rouir du lin, ni y laver des vêtements, ni salir les
eaux, ni planter sur les rives des arbres ou des baies, ni y rien
placer à moins de trois pieds de distance du côté du village et
du côté des prés, sinon de manière à laisser une voie suffisante à
deux personnes, cheminant en sens contraire avec une civière (?),
pour nettoyer et refouiller le ruisseau 2. Tel était, disaient-ils,
l’usage depuis un demi-siècle et plus. Ils obtinrent gain de cause,
1 Willems, Van Heelu, p. 571.
2 Homines predicto.s seu aliquos ipsorum in vivo predicto linum ad pre-
parandum non posse nec debere imponere , nec vestes lavare , nec aliquid
immundum facere in eundem, nec sepes in ripa seu littore rivi ejusdem
construere, vel arbores plantare, vel aliud eœercere ad très pedes ex parte
ville et ex parte pratorum ad spacium vie que sufficial duobus sibi concur-
rentibus cum instrumenta quod vocatur chivire , per quod purgatur ac refi-
ciatur cursus dicti rivi, cum ipsis visum fuerit expedire. Sentence prononcée
par Francon, le soir de sainte Marie -Madeleine, 1277, approuvée par le duc
Jean, le soir de la Sainte-Lucie de la même année.
( 508 )
après l’enquête, mais les habitants d’Heylissem furent, de leur
eôté, autorisés à conduire jusqu’à leur église l’eau d’une fontaine,
pour laquelle il y avait aussi contestation.
Le jour de l’Ascension, en 1280, Everdeius de Lillo, écoutètc
d’Anvers, présida à une enquête dans laquelle on détermina, au
moyen de bornes, les limites de Merxblaes ou Merxplas l.
Le vendredi avant le jour du Grand-Carême, en 1290-1291,
Henri Van den Berghc de Meldert se présenta devant sire Robin
Van den Driesce, bourgeois de Tirlemont, et devant ses vassaux
de Wommersom et de Ilaekendover : Jean de Cusler dOvcrbespine
ou Ovcrbespcn, Otlion Vermaricnsone d Overhespine, Jean Grin-
gaerdssonc d Ovcrbespine, René De Zaye de Wolmershem, Francon
Van Bingbeem de Wolmersbem, Godefroid de Wolmershem et
Jean de Raenshoven. Là, il demanda qu’on spécifiât ses droits sur
les biens de frère Henri de Houlhem; Robin semonea ses vassaux,
dont l’avis fut favorable à Henri. Pour donner plus de force à leur
déclaration, ces vassaux prièrent les écbcvins de Tirlemont d'ap-
poser leur sceau à l’acte qui en fut dressé 2 3.
Quelques années plus tard , nous trouvons le monastère d’Hey-
lissem occupé à donner une nouvelle direction à la voie « qui va
» de la ville de Hamteal, devant le molin de l’abbaye, et passe
» dcleis le mur de l’abbaye; » comme ce chemin était trop rap-
proché de leurs bâtiments conventuels, les religieux sollicitèrent
du duc Jean la permission de « stoppcir cette voie, de la fossir et
» clore, et d’en faire leur volonteit. » De plus, Gilles Du Mont,
sénéchal de Brabant, déclara qu’ils pouvaient « stopper et forcoin-
» mandeir toutes les voies ki soloient aleir parmi leurs coutures 5. »
L’abbaye de la Cambre avait, avec les fils du chevalier Abraham
de Jodoignc, quelques contestations au sujet de sept bonniers de
terres situés à Machelen. Les écbcvins de Vilvorde ayant été saisis
de cette affaire, il fut décidé que des personnes dignes de foi se-
raient citées par le juge ou maire de cette ville, et qu’elles seraient
appelées à donner leur avis, après avoir posé les mains, suivant
1 Cartulaire de l'abbaye de Saint-Michel, f° 285.
2 Cartulaire de Brabant lî, f° 104.
3 Déclaration de l’année 1292. Cartulaire de l'abbaye d’Heylissem, f° 119.
( 500 )
l’usage, sur les choses saintes. Plusieurs- témoins furent successi-
vement entendus, et leur déposition établit le droit de l’abbaye à
lever la cinquième gerbe de la récolte de ces terres (veille de l’As-
somption, en 1205) '.
Ainsi se fixaient successivement le droit général et le droit parti-
culier. Chartes, actes, enquêtes concouraient à former l’ensemble
de documents qui, plus tard , servirent à la rédaction des coutumes
ou à la formation des registres censaux ou féodaux, fragments de
cadastre qui, sans offrir la régularité de ce qui se fait dans ce
siècle, entouraient pourtant la propriété de garanties sérieuses.
IL
Les nobles de tout rang dont était peuplée la cour ducale, ne
concouraient pas seulement à en rehausser l’éclat et à former au
besoin le noyau d’une armée ; ils siégeaient aussi, soit dans le con-
seil du souverain, soit dans les assemblées qu'il convoquait par-
fois pour obtenir des soldats ou de l’argent.
Le conseil ducal était le premier corps politique et judiciaire du
pays, mais son organisation, à cette époque, nous reste complète-
ment inconnue. Tout ce que l’on en sait, c’est que, en 1280, il se
composait de Gérard, sire de Marbais ; Arnoul, sire de Diest; Wal-
ter, sire de Ligne; Thierri, sire de Heynsberg ; Iïenri, sire de
Petersem; Guillaume, sire de Langdris; Jean, son frère; Alard,
sire de Rêves; Jean, avoué de Logne; Walter, sire de Hers, et
Roger de Saint-Pierre1 2. Il s’y trouvait, non-seulement des pos-
sesseurs de baronnies en Brabant, mais des seigneurs étrangers
à cette contrée, et qui ne tenaient du duc que des fiefs d’argent.
Parfois, on y faisait entrer des ecclésiastiques influents ou instruits
et des chevaliers de rang inférieur, renommés toutefois par leur
valeur ou leurs talents militaires.
Ce que l’on nomma depuis les Etats ne se composait alors que
de deux ordres : les nobles et les villes. Si, quelquefois, on y voit
1 Histoire des environs de Bruxelles, t. III, p. 80.
2 Butkens, 1. 1 , p. 290.
( 510 )
figurer des ecclésiastiques , comme l’abbé de Gembloux et l’abbesse
de Nivelles, c’est à cause de l’importance de leurs domaines et de
l’étendue de leurs droits seigneuriaux. Le clergé n’intervient pas,
comme classe de la nation , dans les actes politiques ou diplomati-
ques. Lorsque quelques abbés sont cités comme témoins dans des
actes, c’est plutôt à cause de leur mérite personnel. Jean Ier, dans
la landcharte de Bruxelles, range les religieux et les religieuses,
en même temps que les lombards et les juifs, parmi les personnes
qu'il se réserve de traiter à son gré. On ne qualifie pas ainsi un
corps organisé. La noblesse était parfois représenté par les princi-
paux barons, et les villes l’étaient par les plus importantes d’entre
elles : Anvers, Bois-le-Duc, Tirlemont, Léau, Nivelles, et surtout
Louvain, la capitale, et Bruxelles, la résidence favorite de Jean Ier.
Les nobles qui se trouvaient auprès du prince siégeaient comme
cour féodale, lorsqu’il fallait recevoir 1 hommage d’un feudataire
du duché ou décider une question relative à un fief. La cour
féodale n’avait pas de résidence fixe; elle suivait la personne du
prince et se formait partout oit celui-ci pouvait rassembler quel-
ques-uns des siens.
Dans un rang inférieur et formant comme un double et im-
mense chaînon de juridictions se trouvaient : d’une part, les cours
féodales, d’autre part, les échevinages et cours censales. Les cours
féodales des seigneuries se modelaient sur celle du duché, et
comme elles se réunissaient sous la présidence du seigneur. Il y en
avait de très-importantes, et quelquefois elles avaient, notamment
dans la terre de Gaesbeek, la connaissance des causes criminelles,
à l’exclusion des autres tribunaux; d’autre part, il en existait de
si minimes qu’elles ne pouvaient se constituer qu’en empruntant
des vassaux étrangers L Les échevinages étaient également de di-
1 Amelric de Watermale n’avait qu’un seul vassal , son frère Francon ; lors-
que celui-ci céda une dîme à l’abbaye de la Cambre, il dut, pour constituer
une cour féodale , s’adresser à Jean Ier, qui mit temporairement à sa disposi-
tion cinq de ses propres vassaux, en présence. de qui Francon renonça à ses
droits, puis Amelric céda aussi les siens, et permit que le fief donné au mo-
nastère devînt un bien censal. Acte de 1287, dans V Histoire des environs de
Bruxelles, t. III, p. 528.
( 311 )
verses natures. Les uns rendaient la justice dans les villes ou dans
les franchises, et la plupart de ceux-là existaient en vertu des pri-
vilèges qui avaient çréé les villes ou augmenté leur importance;
d’autres, établis dans le plat pays, tantôt ne rendaient la justice
que dans une paroisse ou une fraction de paroisse, tantôt en com-
prenaient plusieurs appartenant au même seigneur, tantôt enfin
étendaient au loin leur juridiction , sinon en première instance, du
moins comme chef de sens, c’est-à-dire comme tribunal chargé de
donner un avis sur le jugement à porter en cas d’ignorance avouée
par les juges inférieurs./Lorsqu’un échevinage ne connaissait que
des questions relatives aux biens, il prenait le nom de cour cen-
sale (laethof) et ses membres celui de tenanciers ou censitaires
jurés ( gesworene laeten).
Il existait en Brabant quatre offices héréditaires : ceux de sé-
néchal, de maréchal, de chambellan , de porte-étendard ; ils étaient
respectivement possédés parles seigneurs de Wesemael, de Rot-
selaer, d’Heverlé et d’Assche. Mais déjà, au temps de Jean Ier, on
prenait l’habitude de ne laisser aux titulaires que d’anciens émo-
luments consacrés par l’usage, et de confier leurs fonctions à d’au-
tres gentilshommes, révocables à volonté.
Le sénéchal était le principal officier judiciaire du duché, et
c’était à lui qu’on devait recourir en cas de déni de justice. Du
chef de cette importante fonction, le seigneur de Rotselaer avait
droit par an à deux paires d habits, composées de quatre pièces
chacune, la première à la Purification, la seconde à la Toussaint,
et les chevaliers de sa suite à deux autres paires, de trois pièces.
Lorsqu’il venait à la cour, lors des grandes fêtes, on lui four-
nissait, par jour, trois pots de vin, quinze escalins, des chan-
delles, des torches et des assiettes. Enfin il avait droit tous les
ans à un cerf, et à une taxe de vingt escalins, que payait chaque
chef-mayeur nommé par le duc. Ainsi le décida notre héros, à la
suite d’une discussion qui s’éleva entre lui et Gérard, sire de Rot-
selaer, et d’une enquête qui fut faite par Rixon de Tirlemont dit
d’Averendoren , chevalier, et Guillaume Pipenpoy, bourgeois de
Bruxelles, en mars 1282-1283. Jean Ier reconnut, en outre, qu’il
avait méconnu et fait méconnaître les droits de Gérard, et déclara
que celui-ci devait posséder dans ses domaines la haute et la basse
( 512 ),
justice, y compris le droit de punir les criminels coupables par
l'incendie de leurs maisons, la peine de mort et la mutilation
(charte en date du samedi après la nativité de Notre-Dame, en
1295) Pendant le règne de Jean I", le Brabant eut successive-
ment pour sénéchaux ou drossards réels :
En 1202, Henri, sire de Bautersem , qui succéda à Gérard
d’Yssclie, que Ton trouve cité en 1200;
Walter de Winde, en 1205;
F rançon de Wanghe, en 1277 ;
Jwain de Meldert, en 1282, 1287;
Walter de Winde, en 1285;
Gilles de Monte (Vanden Berghe ou Du Mont), de 1290 à 1294.
Le maréchal était le chef de l’armée. Dès 1242, on cite un ma-
réchal qui n’appartient pas à la famille de Wesemael 1 2 *, et à Woe-
ringen, quoique le possesseur de la baronnie de ce nom se trou-
vât à l’armée, le duc ne le chargea pas de commander sous lui.
11 y avait, en outre, des sous-maréchaux r\
Le chambellan était préposé à la recette des droits de relief des
fiefs et surveillait l’intérieur de la maison du duc. Jean Ier cul
aussi un chambellan ou camérier effectif, Walter de Winenghem
ou Wyneghem, dont il récompensa les services en lui accordant, à
titre viager, pour lui et pour sa femme Catherine, une exemption
complète de taille et de toute autre exaction établie ou à établir
par le duc, pour leurs biens meubles et immeubles, dans quelque
lieu du pays qu’ils fussent 4.
Le guidon ou porte-étendard à Woeringen n’était pas le seigneur
d’Assehc. L’importance de ce poste périlleux le fit confier à un des
plus braves chevaliers de l’armée, Base de Grez.
La grande étendue du Brabant ne permettant pas au sénéchal
d’y rendre la justice par lui-même, on lui donnait pour suppléants
sept officiers, qui représentaient chacun le prince dans une des
1 Specht Boeck, aux Archives du royaume.
2 Gosuin de Wemmel. Histoire des environs de Bruxelles, t. Il, p. 55.
5 Le Compte de l'amman de Bruxelles pour 4%8o-1287 mentionne Nico-
laus submare scalcus , Clausekin submarescalcus.
x Acte daté du dimanche après la fête de sainte Lucie, en 1282.
( 51 à )
villes et y présidaient, à ce titre, au tribunal des échevins: le
maire de Louvain, le maire de Tirlcmont l, l’amman de Bruxelles,
le bailli de Nivelles, le bailii de Jodoigne, l’écoutète d’Anvers et
celui de Bois-le-Duc. C'étaient eux qui rendaient compte au prince
des deniers provenant des condamnations pécuniaires, qui veil-
laient à l’exécution des condamnations à mort ou corporelles, qui
transmettaient aux maires inférieurs, leurs subordonnés, les or-
dres nécessaires pour l’assiette et la levée des tailles, pour appeler
la population aux armes, etc. Ils étaient aidés par un certain nom-
bre de maires et de sergents.
Les mairies du Brabant n étendaient pas leur juridiction sur les
seigneuries avant haute, moyenne et basse justice. Elles ne com-
prenaient que les villages que l’on appela plus tard les villages du
prince, sheeren dorpe. Nous en aurions donné un tableau si les
plus anciens documents qui les concernent n’étaient d’un temps
postérieur et si nous avions pu constater que leur démarcation
était la meme au treizième qu’au quatorzième siècle. Au contraire,
le Compte de Ccnnman de Bruxelles , Lenken, constate que cet
officier avait son ressort autrement distribué qu’il ne le fut plus
tard. On y trouvait les mairies suivantes :
Vilvorde (Machelen, Dieghem , etc.).
Erps (Campcnhout, Perck, Bergh, Steenockerzeel , Eversberg,
Boort-Meerbeek, Wespelaer, Saventhem, Cortcnberg, Elcwyt,
Stcrrebeek, Vossern, Quaedrebbe ou Querps, Yroyenberg («à
Leefdael), Leefdael.
Yssche (Stockel, Ophcm, YVoluwe, Wcsembeek, Schaerbeek).
Rhode-Saint-Genèse (Ruysbroeck, Linkenbcek, Tourncppe,
leersel, Foret, Eysinghen, Bigard).
Wambeek (Lombeek, Bigard, Anderlecbt, Bercliem, Gans-
lioren, Beckerzeel, Molenbeek).
Assche (Baerdegem, Hekelgem r Maxenzeel , Meldert ).
Merchten et Lackcn (Cobbegliem, Zelliek, Ganshoren, Jette,
ilam, Wemmel, Heembeek, SteenhulFel, Liezelc, Buggenhout).
Wolverlbem et Capelle (Meysse, Londerzeel, Ramsdonck, Ep-
peghem ).
1 11 y avait à Tirlcmont un villicus major et un simple milieu s.
( 314 )
D’après le compte de sa recette, rendu à Jean Ier par Jean de la
Ramée, bailli de Nivelles et du Brabant wallon , en 1282, le mer-
» credi devant Fan renuef, » cet officier étendait sa juridiction
sur les mairies de Genappc, de Mont-Saint-Wibcrt, de Gouv, de
Grez et de la Hulpe, et sur le Sart de Nivelles.
Les sous-maires exerçaient dans leur ressort les mêmes fonc-
tions que leur supérieur dans le sien; ainsi ils étaient à la fois
administrateurs de ce territoire et officiers publics auprès des
échevinages. Quant aux sergents ou vorslers, ils étaient plutôt
huissiers judiciaires h Après avoir déclaré ceux qui occupaient ces
fonctions inhabiles à les occuper désormais, Jean 1er reconnut à
ses sujets, dans sa lantcharte flamande, le droit de leur donner
des successeurs, mais il se réserva le pouvoir de les révoquer à
son tour, et il stipula que, s'ils abusaient de leur autorité, ils ne
pourraient rester à son service, ni y rentrer. ïl est douteux que
ces points importants aient jamais été observés, ainsi que l’article
ou Jean Ier promet de ne donner aucun office à prix d’argent.
Une autre catégorie de fonctionnaires commença également à
acquérir de l’importance. Nous voulons parler de ceux qui perce-
vaient et maniaient les revenus du duc et surveillaient la gestion
des biens appartenant au domaine. Ces biens étaient très-con-
sidérables et comprenaient des bois fort étendus (tels que ceux
de Soigne, de Nivelles, ce dernier et quelques autres bois voisins,
par indivis avec le chapitre de Nivelles; de Loo, près de Lou-
vain, etc.), un grand nombre de beaux moulins2, d’autant plus
productifs qu’ils étaient banaux pour la plupart ; des terres cul-
tivées, des tonlieux, des cens, sans compter les droits de relief
1 Leur nombre fut fixé , en 1292, de la manière suivante :
Mairie de Tirleniont .....
. 4
sergents à
cheval et 8 à
pied.
Ammanie de Bruxelles ....
. 5
»
»)
10
»
Bailliage de Nivelles .....
. 5
»
»
6
»
Id. de Jodoigne et Hannut .
. 2
»
))
4
i>
Écoulèterie de Bois-le-Duc . . .
. 4
»
»»
8
»
Pour les deux autres grands ressorts, aucun chiffre n’est indiqué.
2 Jean Ier en augmenta le nombre par ses acquisitions. ( Environs de
Bruxelles , t. II I , p. 98. )
( 513 )
qui semblent avoir été anciennement perçus par le chambel-
lan clu duc, et toutes les amendes ou pénalités pécuniaires qui se
prélevaient par les soins des officiers des grands ressorts judi-
ciaires b
Les ducs avaient des receveurs du domaine dans presque chaque
localité importante : à Bruxelles, à Merehtem (pour la circonscrip-
tion dite d Overzenne ou Ultra Sennam ), à Vilvorde, à Ter-
vueren, à Yssche, à Nivelles, à Jodoigne, à Tirlemont, à Léau, à
Anvers, à Bois-le-Duc, etc. A leur tête était placé un receveur
général, dont les attributions sont spécifiées dans la commission
donnée par Jean Ier à Walter Yolcart, le 18 avril 1284. Walter
devait opérer la recette de tous les cens, rentes, deniers, blés,
chapons, gélincs ou poules, etc., qui étaient dus au prince, ainsi
que du revenu des bois, des monnaieries, des sommes perçues sur
les lombards et les juifs. Jean Ier confirma à l’avance toutes ses
opérations, l’autorisa à créer des rentes à sa charge et à aliéner
des parties de son domaine, et promit enfin de lui rembourser les
sommes qu’il pourrait perdre et à ne le remplacer dans ses fonc-
tions qu’après l'avoir indemnisé1 2 *. D'autres personnes, notamment
Nicolas de Lapide ou Vanden Steen 5, Jean de Huldenberg 4, Jean
Bote s, Henri Prochiaen 6, Pierre, qualifié de clerc et de rece-
veur du duc 7, un nommé Hugues, sont cités comme ayant été
receveurs en Brabant, sans que l’on sache s’ils avaient à diriger la
recette générale ou une recette particulière.
1 Les recettes de ce genre , effectuées par l’amman de Bruxelles de décembre
1285 à Pâques 1286-1287, soit en seize mois, s’élevèrent à onze cent trente-
huit livres treize deniers. — Celles du bailli de Nivelles, en 1282 , ne montè-
rent qu’à quatre-vingt-six livres deux sous.
2 Willems, Van Heelu, p. 574. — Walter était déjà receveur du duc, en
1282; il avait épousé Àleyde de Perwez, dame de Hoboken.
5 Nicolas de Lapide, habitant de Malines, était colla/or ou distributeur des
revenus du duc, en 1271. ( Cartulaire de Parc-les-Dames .)
4 Jean de Ileldebergh était receveur et distributeur des revenus du duc en
1285 , au mois de janvier.
5 En 1290-1291. Acte du 10 décembre 1295.
6 En 1294. Voyez plus haut, p. 222.
7 Pierre, clerc et receveur du duc, est mentionné en 1 289^
( 51« )
Les documents nous montrent fréquemment le duc plongé dans
des embarras pécuniaires, occasionnés surtout par ses conti-
nuelles expéditions militaires. Ici il se reconnaît le débiteur du
comte de Gucldrc ou du comte de Flandre, là celui de marchands
de Sienne ou de bourgeois de Paris !. En 1284, Jean de Rouergue,
trésorier de la maison du Temple dans cette dernière ville, lui
prêta mille livres, dont le payement fut garanti par les villes de
Louvain, Tirlemont, Bruxelles, Anvers et Léau ; le duc, à son tour,
s’engagea à indemniser ces villes au moyen des deniers qui lui
avaient été promis par elles et par Anvers, Bois-le-Duc et Nivelles
(51 mai 1284). L’année suivante, Louvain, Bruxelles, Tirlemont,
Bois-le-Duc et Léau se constituèrent également ses cautions envers
le roi d’Angleterre, à qui il avait emprunté quarante mille livres
de tournois noirs, et lui, à son tour, leur scella une promesse
d’indemnité (octaves de Pâques 1285) -. Sans cesse nous le voyons
harceler de demandes d'argent sa tante Béatrix.
En 1201 , le duc Henri 111 avait renoncé en faveur de ses su-
jets, à lever des tailles, si ce n’est dans sept cas déterminés :
lorsqu’il faudrait défendre le duché ou les droits du prince,
venger les injures que celui-ci aurait reçues, servir l’empereur
des Romains ou le roi d’Allemagne, marier un des enfants du due
ou procéder à l’admission d’un de scs fils dans la chevalerie. Il y
avait encore du vague dans cette décision, qui écartait cependant
toute demande arbitraire de subsides; mais Jean Ior put en utiliser
souvent les clauses, car son esprit entreprenant l’engagea con-
stamment dans de nouvelles guerres. A peine échappé aux em-
barras que lui occasionna l’inimitié de Henri de Gueldre ( 1207-
1275), il intervint dans la querelle des Aixois et de la maison de
Juliers (1277-1281 ), puis il dépensa son activité et les trésors de
ses sujets dans la guerre du Liinbourg (1283-1290).
Ce fut surtout à l’occasion de celte dernière qu’il accabla les
Brabançons de taxes. D’après une déclaration qu’il scella le 10 jan-
vier 1284, les « nobles hommes, chevaliers, bourgeois et autres »
1 Voyez Jules de Saint-Génois, pp. 70 , 80, 146. — Willems, Van Heelu ,
p. 397.
2 Originaux aux Archives fie Léau.
( )
habitants du duché promirent de lui fournir des soldats, à leurs
frais et à leur « coust » pour soutenir ses droits au duché de
Limbourg. Il y ajoute que ce service n’avait jamais été accordé à
ses ancêtres et promet de ne jamais le réclamer de nouveau , ni
lui, ni ses successeurs. Il lit apposer à sa charte le sceau de trois
de scs grands vassaux qu’il affectionnait particulièrement et qui
étaient tous trois scs parents : le sire d’Aerschot, son frère; les
sires d’Herslal et de Malines, ses cousins U Cette concession impli-
quait, delà part des barons, des villes et des monastères l’obliga-
tion d’entretenir un certain nombre d hommes d'armes; mais, en
outre, Jean Ier exigea le payement de sommes d’argent.
En 1280, nous voyons les maires de l'ammanie de Bruxelles re-
cevoir successivement l’ordre : de presser le payement de la taille
(vers la Saint-Rcmi), de remédier à son insuffisance (vers la Saint-
Denis), dose réunir pour rendre leurs comptes (le samedi avant
l'Epiphanie). Quelque temps après, un nommé Engelbert Roec est
envoyé pour lever le taille (vers le jour des Cendres). Bientôt
après, Jean Ier accorda des lettres de non-préjudice au sire de
Rêves, « qui l’avoit fait bouler de la taille qu’il avoit ordonné sur
» ses hommes et sur ses gens, si comme les autres riches hommes,
» chevaliers et seigneurs de notre terre ont fait », dit le duc.
Celui-ci déclara que ce seigneur et les habitants du village ne lui
devaient ni corvées, ni tailles, ni précaires, ni aides, même lors-
que les autres habitants en payeraient, et qu'ils ne devaient égale-
ment ni péage à Nivelles , ni péage au marché aux grains de cette
localité "1 2. Sa charte fut le document principal sur lequel se fonda
la qualité de terre franche , que Ton reconnut plus tard à la sei-
gneurie de Rêves; elle ne me semble pourtant pas avoir été ré-
digée dans ce but : elle devait plutôt garantir au sire de Rêves le
droit de ne pouvoir être imposé, sinon de son consentement.
Une seconde aide, votée en 12(J2, parut excessivement acca-
blante, à en juger par les promesses que Jean 1" se crut obligé de
faire à cette occasion.
1 Willems, Van Heelu, Introduction, p. l.
2 Charte du lundi après la mi-carême, en 1287-1288 Sanderus , Ravi sia
vulgo Resves, celebvis inter veteres Brabanliae baronias loparchia, p. 1.
( 518 )
Édouard Ier demanda à ses sujets, en 1290, le quinzième de la
valeur de leurs biens meubles, innovation qui, selon le témoignage
des historiens anglais, plongea l’Angleterre dans une douleur
inexprimable l. Les relations du Brabant avec ce pays étaient alors
si suivies et Jean Ir allait si volontiers y chercher des exemples
qu’on peut voir dans ce fait l’origine de ce qui se passa, en Bra-
bant, deux ans plus tard.
« Les chers, aimés, féables hommes « de Jean Ier, » qui avaient
» seigneurie dans son duché, et les gens sous eux, à raison de
» ses grands besoins, lui avaient donné de leur gré le vingtième de
» leurs biens, sauf leurs manoirs ou demeures, après décompte
» des dettes constituées à la charge de ces biens, avec exemption
» pour les chevaliers, les écuyers et personnes issues de cheva-
» liers, et à la condition que le duc pourrait imposer à volonté
» ceux que lui et ses prédécesseurs avaient imposés. » Le duc
reconnut qu'il n’avait aucun droit à cet impôt, et qu’il avait été
accordé de bon gré. En conséquence, il jura sur les saints Évangiles
de 11e réclamer jamais, pour quelque cas que ce fut, un service de
ce genre, sauf à titre de pure grâce. Il autorisa ses vassaux, pour le
cas où lui ou un de ses successeurs violerait ce serment, à se liguer
contre lui, à se faire soutenir par les villes, et à lui refuser le ser-
vice militaire, tant d’ost que de chevauchée. Pour donner plus de
sanction à cette charte, il la fit sceller par son fils aîné et par son
gendre, le comte de Luxembourg, et approuver parle roi Adolphe;
puis il pria le duc de Bourgogne, les comtes d’Artois, de Flandre,
de Blois, de Hainaut, de Nevers, de Hollande, de Saint-Pol, de
Clèves, de Looz et cle Juliers, le seigneur de Fauquemont, Jacques
de Saint-Pol, rarchevèque de Reims, les évêques d’Utrecht, de
Cambrai, de Liège et de Tournai, de donner au besoin aide et
appui à ses vassaux et de le contraindre à l’exécution de ses pro-
messes. Enfin il renonça à toutes les exceptions de droit qu'il
aurait pu invoquer pour faire annuler les engagements qu’il
prenait 2.
1 Chronicon Th. Wikes , apud Gale, t. II, p. 121.
2 Charte en date du 24 mars 1292-1293. Butkens, t. I , Preuves , p. 130.
( 519 )
On s’est singulièrement mépris sur la portée et le caractère
véritable de cet acte, que l’on a parfois envisagé comme la pre-
mière des joyeuses-entrées de Brabant. On en a attribué l’origine
à une manifestation spontanée de l’amour des Brabançons pour
un prince aimé et respecté K II est important de remarquer, tout
d’abord, qu’il ne s’agit ici que d’un impôt accordé par les nobles
du Brabant à leur prince. Les villes ne participèrent pas à ce
vote, circonstance qui lui ôte une partie de son importance. Si
le duc entoura de garanties nombreuses sa concession, ce fut sur-
tout, on doit en être bien convaincu, en raison des répugnances
que sa demande rencontra d’abord. Et encore, notons-le bien, il
n’est ici question que d’un vingtième du revenu et non d’un ving-
tième de la valeur même, ce qui aurait constitué la moitié du
revenu, l’intérêt de l’argent étant alors de dix pour cent.
Les villes, et en particulier les sept villes principales, s’étaient
engagées à payer au duc des subsides, ainsi qu’il résulte d’un do-
cument en date du 51 mai 1284 que nous avons cité plus haut
(p. 515). Moyennant une nouvelle promesse de ce genre faite par
Léau (et probablement par les autres cités brabançonnes), Jean Ier,
le 8 septembre 1 28G, en exempta les habitants de prendre part aux
expéditions militaires qui auraient lieu jusqu’à la fête de Pâques
suivante; ils devaient seulement défendre, en cas de besoin, les
domaines du duc. A en juger par la teneur de cet acte, le Brabant
payait alors à son prince, vers la fête de la Saint-Jean-Baptiste,
une taxe ( pac/amentum ), et Léau devait, pendant trois ans, ne
payer d’autre taille que sa cote dans cette taxe "1 2.
En 1289 ou 1290, à l’expiration de ce terme, de nouvelles de-
mandes d’argent furent faites à nos communes, mais leur patience
était épuisée, à ce qu’il semble, car elles élevèrent des réclamations
énergiques. Si, le 9 avril 1290, Jean Ier déclara rétablir dans leurs
anciennes libertés Lierre, toute sa banlieue (bivanc) et leurs habi-
tants, s’il s’engagea à ne pas exiger de cette ville plus d’exactions et
de tailles que des autres villes franches, à proportion de son impor-
1 Henne, Jean Ier dit le Victorieux (Trésor national, 1842, l. IV, p. 207 ).
2 Archives de Léau.
( 52ü )
lance1, c’est que probablement il l avait antérieurement surtaxée.
La plupart des autres communes contractèrent l’obligation de
donner au duc, pendant quinze années, une somme proportionnée
à leurs ressources et qui s’éleva, pour Ilérentals, à mille quarante
livres tournois, la première année, et six cent quarante livres les
autres années. Par contre, elles obtinrent, pour pareil terme,
une exemption complète de tailles, même dans les cas réservés
par le duc Henri 111 ; elles furent en outre autorisées à établir des
impôts comme elles le jugeraient convenable, et à se libérer de
la somme précitée par des payements en tournois noirs 2 *. Peu de
temps auparavant, la ville de Louvain avait promis au duc treize
mille livres tournois; mais ce prince, poursuivi par ses créanciers,
leur avait remis les actes constatant cette promesse, et il en était
résulté qu’on avait saisi en France des draps appartenant à des
Louvanistes , comme garantie des sommes dues par leur souverain.
La ville ne contracta l’obligation de donner la taxe dont nous
venons de parler, qu’après que le duc lui eut promis la restitu-
tion des actes concernant les quinze mille livres et celle des draps
saisis, outre une indemnité pour les torts considérables causés à
son commerce (29 septembre 1290) 5.
Quant aux monastères, les annales de l’abbaye de Parc nous
apprennent comment ils furent traités. Déjà, en 1280, on avait
demandé à Parc cent livres de Louvain pour l’expédition d’Alle-
magne; en 1283 et pendant les sept années suivantes, la commu-
nauté fournit pour l’entretien de l’armée trois cent soixante livres
de Louvain, le pain provenant de quarante-huit muids de grain,
huit bœufs gras, cinq porcs, vingt moutons et cent soixante et dix
fromages 4. Lorsqu’on juin 1284, Jean Ier lit annoncer une expé-
dition vers la Meuse ;), il défendit, il est vrai, d’exiger à ce sujet
1 Willems, Van lleelti, p. 520.
2 Voyez Willems, l.c., p. 551.
5 Voyez plus loin, chapitre X1L
1 Raymaekers, Recherches historiques sur l'ancienne abbaye cle Parc
(Louvain, 1858, in-8°), p. 29.
5 Occasione eœpeditionis jam mode et ediclœ (Summaria cronoloyia Par-
censis , p. 120). — 11 ordonna aussi de protéger les biens de l’abbaye cl’Ever-
( 321 )
aucun service de l’abbaye, se réservant de le faire lui-mèmc, si
cela devenait nécessaire, et il renouvela cette déclaration deux ans
plus tard. En 1287, quand il obtint un subside pour soutenir la
guerre, il déclara que l'abbaye de Grimberghe ne serait pas plus
imposée que celle de Diliglicm, lorsque lui ou ses successeurs pré-
lèveraient une taille ou autre exaction sur les couvents du pajs *.
Une charte importante lut donnée aux monastères le 8 novembre
1295, « en considération des services que le duc en avait reçus
» dans scs grandes nécessités.» Pendant huit années, leur fut-il
promis, on ne leur demanderait plus rien et on n’élèverait aucune
réclamation, soit à leur charge, soit à charge de leurs biens 2. Cet
engagement ne fut pas respecté, car, dès le mois d’octobre 1294,
Jean II et sa femme imposèrent Afïïighem, en lui déclarant en
retour que la communauté ne serait plus obligée, pendant un
terme de sept années, à recevoir qui que ce fut par leurs ordres r>,
et d’une série de chartes octroyées en janvier 1297-1298, aux
différentes abbayes, on peut conclure que ce prince se vit obligé
de violer ses promesses et celles de son père.
L’autorisation d’asseoir des impôts, accordée aux Ailles en 1290,
est plutôt une confirmation d’un droit ancien qu’une concession du
droit de s’imposer. Il est évident qu’en pressurant leurs sujets, nos
princes ont, dans le principe, du se préoccuper médiocrement de
la manière dont l’argent leur arrivait. Etre payé constituait leur
seul souci, pourvu, cependant, que nul ne payât qui fut affranchi :
ecclésiastique, noble, serviteur d’une des classes privilégiées, etc.
Ce dernier cas se présentait rarement, les tailles se levant au moyen
d’une contribution personnelle, que les bourgeois répartissaient
entre eux: mais, au treizième siècle, on adopta généralement
un autre système. Chaque denrée ou marchandise fut imposée,
botlen si l’armée en traversait pendant l’expédition (cum bona transira in
nostra expeditione contigerit. Charte du mardi dans les octaves de la iêle de
saint Pierre et Paul, en 1384).
1 Jeudi avant la Sainte-Lucie, en i287 (Histoire des environs de Bruxelles ,
l. II, p. 238).
2 Willems, Van lleela , p. 377.
5 Cartulaire d'Afflighem , l. III, p. 402.
Tome XI II.
21
( 522 )
d’après le débit que l’on en faisait. Comme cette taxe, tout en
atteignant directement les marchands , c’est-à-dire la bourgeoi-
sie, frappait aussi le consommateur, elle souleva de violentes ré-
clamations, notamment à Liège et à Cologne, ainsi que l’indique
le nom de maltôte, que le peuple lui donna. D’une part, elle violait
les libertés séculaires des ecclésiastiques; d’autre part, elle mécon-
tentait les artisans, en augmentant le prix des marchandises et
surtout des denrées. Mais la répartition des taxes personnelles, qui
d’ailleurs pesaient davantage sur les riches , offrait tant de diffi-
cultés qu’elle fut généralement abandonnée.
Un impôt qui frappait des classes étrangères à la bourgeoisie ne
pouvant être institué par la volonté seule de celle-ci, les villes,
pour éviter les difficultés qu’elles durent prévoir, prirent le parti
de réclamer de leurs princes l’autorisation de lever des assises.
Au mois d’avril 1228, le comte Ferrand et la comtesse Jeanne
autorisèrent les Gantois à lever dans leur ville, pendant trois ans,
« l’assise que l’on appelle maltôte, » et, en compensation de cette
charge imposée aux habitants, les souverains de la Flandre pro-
mirent de ne grever les Gantois, pendant le même temps, d’au-
cune taille, ni d’aucune précaire L Cette innovation fut ensuite
étendue aux autres cités flamandes ; mais elle provoqua de vives
réclamations de la part du clergé, qui, grâce à l'influence de l’ar-
chevêque de Reims, parvint, à ce qu’il semble, à en faire ajourner
ou modifier la perception 2.
La levée des assises, quelle que fut la répugnance que I on
éprouvât contre elles , se. généralisa pendant la seconde moitié du
treizième siècle; cependant, dans le principe, elle ne fut tolérée qu’à
titre temporaire et pour faire face à des dépenses imprévues. Vers
1270, la ville de Namur fut autorisée à établir des assises, mais seu-
lement pendant un an, afin de payer une amende de mille livres,
que le comte Guy de Dampierre lui avait infligée °. En 1277, Tour-
nai reçut du roi de France , Philippe le Hardi , son premier oetroi
d’assises, à la condition de n’en employer le produit qu’à la con-
* Dieriex, Mémoires sur la ville de Garni , t. I , p. 142.
2 Acte de l’an 1230 dans Marlot , Metropolis Remensis historia , t. Il, p. 515.
5 Notices historiques sur les octrois, p. 655.
( 525 )
struction de nouvelles fortifications L Bruges fut autorisée à effec-
tuer des levées semblables pendant dix ans, le 24 juin 1279 1 2.
Pour Mons, on ne connaît aucun acte de cette nature antérieur à
une charte de Jean d’Avesnes, du mois de septembre 1287. Le
comte n’y autorise la perception de l’assise que pour deux années 3 ;
mais à Mons, comme partout ailleurs, elle ne cessa plus, et on peut
dire avec certitude qu’à la fin du treizième siècle, l’assise, ou ce
que l’on nomme actuellement l’octroi , les taxes communales, se
levait dans toutes les villes belges. Le fait est du moins certain
pour la Flandre, pour Malincs et pour Bruxelles (dès 1295), pour
Maestricht (dès 1285), pour Maubeuge (dès 1295), etc.
Ainsi que le font remarquer, dans leur beau travail, MM. Bo-
gacrts et Deljoutte4 5, la levée des assises se fixait sur lesdéclara-
tions faites sous la foi du serment par le contribuable lui-même s;
elle s’opérait sous le contrôle d’ouvriers publics toujours asser-
mentés, qui seuls pouvaient procéder à l’enlèvement et au trans-
port des marchandises passibles de taxes ; elle était facilitée par la
désignation de lieux exclusivement affectés à la vente de certains
produits.
Le compte de la ville de Bruges pour l’année 1284-1285 té-
moigne des ressources immenses que les assises offraient déjà aux
communes. Elles figurent, parmi les recettes, pour une somme de
vingt- cinq mille six cent quarante-quatre livres dix- huit sous
cinq deniers, la moitié de ce qu’un roi d’Angleterre donnait en
dot à sa fille. On en prélevait une partie directement, et l’autre,
par l’intermédiaire des métiers. Voici comment leur produit se
répartit :
Livres.
Assise du yin 7,764
— de la bière 7,326
— du miel ou hydromel 692
1 Notices historiques sur les octrois , p. 690.
2 Delepierre, Inventaire des Archives du Franc de Bruges , 1. 1, p. lxxiy.
5 Notices historiques sur les octrois, p. 502.
1 Notice historique sur les impôts communaux de Bruges , dans les Notices
historiques sur les octrois , p. 27 1 .
5 C’est ce que prescrivit le comte de Hainaut,à Mons, en 1267.
( 3^4 )
Assise du pain
— sur l’huile
— sur les chevaux
— des bouchers
— du grain ( annonae )
— des boulangers
— des marchands fruitiers. . . .
— des marchands de poisson . .
— des corroyeurs
— des pelletiers .......
— des tanneurs
— des marchands de toile. . . .
— des teinturiers
— des drapiers
— . des marchands de fourrures . .
— des marchands de draps (snyders )
— des brodeurs (culcstikers) . . .
— des tailleurs ( sceppers ). . . .
— des savetiers
— des fripiers
— des merciers
— des marchands de lits ....
— des sabotiers
— des barbiers
— des forgerons
— des courtiers
— du poids public
Livres.
4,081
62
57
72
580
118
12
86
204
500
186
80
65 '/a
850
250
244
28
25
20
68
258
15
198
40
170
500
1,250 ».
Ces grandes recettes provenaient, à ce qu'il semble, de la mo-
dicité du tarif adopté, modicité qui mettait obstacle aux fraudes,
en même temps qu’elle facilitait la perception. Ainsi, à Tournai,
on ne payait généralement qu’un denier pour une valeur de vingt
sous, soit un deux-cent-quarantième; à Mons, la proportion va-
riait : pour une valeur de dix à vingt sous, on payait un denier;
pour moins de dix sous, il n’était dû qu’une maille. Les autres
articles des tarifs sont plus difficiles à préciser, à cause du manque
de données positives sur le taux des monnaies, mais il est pro-
bable qu’ils étaient proportionnels. Le vin de France vendu au
broc, payait par tonneau: dix- huit sous à Tournai, vingt-deux
4 Notice historique sur les impôts communaux de Bruges , p. 270.
( 323 )
sous à Mons. A Na mur, le setier île vin devait un denier; l’aime
de eervolse (ou de bière) deux deniers. A Tournai, les grains em-
ployés par les brasseurs payaient, par rasière : le blé, douze
deniers, l’orge et l’avoine, six deniers; le blé cuit chez les boulan-
gers, un denier par rasière; un drap, six deniers, sauf le battu,
qui ne payait que quatre deniers; chaque saie et chaque cuve de
teinturerie, six deniers. A Mons, on grevait d’une taxe plus forte
le prêt à usure, qui n’en devenait que plus onéreux pour les mal-
heureux débiteurs : sur vingt sous empruntés, l’assise prélevait
douze deniers, soit un vingtième '.
Les assises permirent aux villes de faire des dépenses considé-
rables de toute espèce, en constructions, améliorations de la
voirie, ornements, etc. Elles leur facilitèrent aussi la ressource des
emprunts, que depuis elles n’utilisèrent, que trop facilement2.
Lorsque, en 1291, les juges, les échevins, le consulat, la maîtrise
des citoyens et les autres citoyens d’Aix-la-Chapelle empruntè-
rent aux lombards de cette ville trois cents marcs, ils avaient
déjà vendu à terme trois assises, « malgré eux et par nécessité. »
La ville s’engagea à rembourser cette somme dans les six ans,
ou à donner aux lombards vingt- cinq marcs par mois, si elle
établissait une nouvelle assise. Le duc de Brabant et le sire de
Fauquemont (ou huit chevaliers pour le premier et quatre pour
le second) se portèrent cautions de la cité et s’engagèrent à se
rendre à Cologne, si les lombards l’exigeaient, et à y rester jus-
qu’à ce que satisfaction leur fût donnée ».
Citons encore, parmi les revenus de la commune, le produit du
droit de réception à la bourgeoisie, qui s’élevait, à Anvers, à vingt
sous de Louvain 4. A la traversée des villes, on payait un droit de
4 Notices historiques sur les octrois, pp. 502,655 et 690.
2 Le plus ancien compte de la ville d’Anvers (celui de l’année 1354) témoigne
de l’énorme quantité de rentes dont les finances de cette commune étaient
alors grevées.
3 Lundi avant l’Assomption, en 1291. Quix, Codex , p. 165.
4 Ordonnance datée du 24 avril 1298, dans les Brabantsche Yeesten, t. 1 ,
p. 690. — En Hollande, à Harlem, le même droit ne consistait, en 1245,
qu’en huit deniers, que se partageaient l’écoutète, l’amman et les échevins.
( 526 )
chemin, weggelt , dont le produit était surtout destiné à l’entre-
tien de la voie publique l.
En vertu d’anciennes conventions approuvant leurs privilèges,
les tisserands payaient au domaine une somme qui s’élevait, pour
ceux de Louvain, à deux cents livres par an; dans plusieurs loca-
lités, ce revenu fut abandonné, en 1290, à la caisse communale,
et la gestion de la caisse des tisserands confiée à deux personnes
que désignaient : à Louvain, le maire, les échevins et les jurés; à
Anvers, les échevins. Cette somme se prélevait par semaine sur les
tisserands, dont le salaire ne pouvait dépasser douze deniers de
Louvain 2 *.
Le poids public, c’est-à-dire l’endroit où on pesait les grosses
marchandises, et les marchés furent généralement abandonnés
aux bourgeois 5, qui trouvaient également de grandes ressources
dans leurs prairies communales 4. Le 51 mai 1295, Jean Ier ven-
dit aux Louvanistes la plaine située au Marché aux bêtes, où se
trouvait la balle au blé. qui appartenait à la ville, et les autorisa
à y transférer le marché qui se tenait sur le cimetière de Saint-
Pierre. En Flandre, on vit les Brugeois acquérir des seigneurs de
Ghistelles le poids public de leur ville (1282), et les Lillois obtenir
du comte Guy la halle et la boucherie (1279, 1285). Quelques villes,
entre autres Bruxelles (1290), Lille (1284), Mons (avril 1290), etc.,
devinrent propriétaires de leurs remparts; il est vrai que ces der-
niers , à cause de l’augmentation de la population dans les ban-
1 Assista viarumquae wegelt dicitur. Léau, 1290.
2 Louvain, 1290 ; Anvers, 1290-1291.
5 Wagha sive libra lanae. Louvain, 1290; Bruxelles, la même année.
Le 31 mai 1289, le marché au poisson de Bruxelles fut cédé en arrentement
perpétuel aux poissonniers et bouchers de cette ville, et, le même jour,
Jean Ier concéda aux bouchers bruxellois la possession de trente et un étaux,
dans la boucherie, moyennant une redevance de dix escalins par étal (Car tu-
laire du métier des Boucliers).
4 La possession des hemeden ou opstallen , voisins d’Anvers , fut confirmée
par Jean Ier à cette ville, en 1290-1291. Léau obtint aussi la confirmation de
ses pâtures communes, en 1290. Godefroid, sire de Vierson, concéda à
Aerschot des pâtures, en 1294. En mai 1280, Arnoul de Louvain abandonna
à la ville de Bréda les pâtures communes dites Emelenberg et Ypelaar.
( 527 )
lieues, n’avaient plus la meme importance et que la cession em-
portait l’obligation coûteuse de les remplacer. Lille paya les siens
vingt-quatre mille livres 1 2 3 4.
Le maniement des finances de la commune devenant, à cause
de son importance, une fonction pénible, les échevins le délé-
guèrent à d’autres personnes, à charge de rendre compte de leur
gestion. Ces receveurs, comme on les appela depuis, existaient
déjà, au nombre de quatre, à Arras en 1211, suivant une charte
dont on connaît une confirmation en date de l’année 1 268 2. Léau
et Tirlemont obtinrent, en 1290 et 1291, l’autorisation d’en éta-
blir également quatre, ce qui se fit aussi à Dordrecht, en 1295
Dans le Brabant, les échevins n’abdiquèrent pas ce soin partout;
du moins, à Bruxelles et à Anvers, nous voyons encore mention-
ner, en 1299 et 1501, un échevin receveur 4. A Léau, la per-
ception même, c’est-à-dire la mission d’aller chez l’habitant pour
recevoir le montant de la taille et de l’assise, s’opérait gratuitement
par les soins des forestiers ou sergents du due.
Les temps antérieurs virent souvent de graves débats s’élever
entre les autorités communales et le clergé , parce que celui-ci
refusait de payer sa part dans les taxes. Oublieux de l’utilité qui
en résultait pour la généralité , les ecclésiastiques essayèrent tou-
jours de maintenir et d’étendre leurs exemptions d’impôts. Cette
maladie gagna aussi les laïques : en 1282, Jean Ior se vit obligé de
décréter que, lorsque la ville de Louvain établissait une taille, les
échevins étaient tenus de contribuer à l’égal des autres bourgeois;
le 29 mars 1285, l’archevêque Sifroi, à la demande des princi-
paux [majores) et de la commune de Bonn, condamna une pré-
tention semblable des échevins, qui se refusaient à contribuer
dans une taxe de cent marcs s. Mais, dans l’intérêt du commerce,
1 Roisin , Les Franchises de Lille , p. 505.
2 Notices historiques sur les octrois, p. 101.
3 Mieris, t. I, p. 556. — La première mention du « conteur, païeur et reche-
veur » pour la commune d’Amiens, date de 1291 (Thierri, Monuments du
tiers état, t. I, p. 275).
4 Archives communales de Bruxelles. — Kreglinger, l. c., p. 111.
3 Lacomblet , t. II , p. 471 »
( 328 )
on accordait aux négociants étrangers l’exemption que l’on refu-
sait aux administrateurs de la cité.
Pendant la minorité de Jean I''r , un différend assez sérieux
s’éleva entre le chapitré de Notre-Dame d’Anvers et l’écoutète
Guillaume Sclauwaert, laminai! Nicolas Van Wyneghem, Àrnoul
le Changeur, Jean Aleyn et d’autres bourgeois d’Anvers. Une
sentence arbitrale, émanée de la duchesse Alevde et*dc ses cou-
seillers, autorisa les chanoines à acheter du vin pour eux et pour
leurs familles, à le placer dans leurs celliers respectifs, et à en
livrer une certaine quantité à des hôtes de distinction ( une aime)
ou à leurs amis (cinq geltes). On leur reconnut aussi le droit de
se servir de la grue et des ouvriers de la grue, moyennant le
salaire habituel, mais il leur fut défendu (ce que Jean Ier défendit
de nouveau en 1290-1291 ) de tenir des tavernes ou de vendre du
vin U
A Léau et à Tirlemont, aucun bien ne pouvait devenir la pro-
priété d’un couvent , qu’à la condition de rester assujetti au paye-
ment des tailles et des assises. Ces dernières se levaient sur toutes
les marchandises que débitaient les bogards et les béguines, sur
tout ce que consommaient les clercs mariés ( clerici uxorati ) ,
mais on ne demandait pas l’assise du vin aux clercs vivant régu-
lièrement, ni aux chevaliers, ni à leurs veuves, ni aux femmes
qui n’exerçaient aucun négoce 1 2.
ni.
Après les détails que le savant Willcms a donnés sur la manière
de faire la guerre du temps de Jean Ier, il reste peu de choses nou-
1 Charte du 17 novembre 1263. Mertens et Torfs, Geschiedenis van Ant-
werpen, t. I, pp. 546 et 574. — Notices historiques sur V ancienne législa-
tion des octrois , pp. 121 et 198.
2 1290, 1291. — Dans la ville de Duysbourg, les ecclésiastiques payaient
pour les biens les mêmes précaires, scots et collectes que les autres habitants.
Cet usage fut sanctionné par une charte du roi Rodolphe, du 2 juin 1291
(Lacomblet, t. II, p. 542).
( 529 )
voiles à dire sur ce sujet '. On sait que l’on reconnaissait, en Bra-
bant, deux sortes de guerre : l’ost et la chevauchée. Celle-ci n’était
qu’une simple prise d’armes, pour laquelle le duc réclamait uni-
quement le service d'un certain nombre de scs vassaux. Quant
à l’ost ou heervaert, comme on disait quelquefois, il n’avait lieu
que pour la défense du pays. Lorsqu’on ordonnait une expédi-
tion de ce genre, personne ne pouvait rester chez soi, à moins
d’une permission expresse du duc lui-même ou d’un de ses chefs-
officiers2; celui qui contrevenait à cette disposition encourait la
peine de mort et de confiscation, et l’officier inférieur qui se serait
permis de donner une autorisation de ce genre était destitué et
ne pouvait jamais rentrer au service du prince.
Ces convocations extraordinaires permettaient la concentration
de forces considérables, d autant plus redoutables qu’elles com-
battaient pour la défense de leurs foyers. Mais on les appelait rare-
ment à marcher, du moins toutes ensemble. Elles se réunissaient,
le plus souvent, par parties, quand, par exemple, il s’agissait de
repousser une invasion imprévue.
Lorsqu’un prince se proposait de participer à une expédition, il
signait une convention avec ceux qu’il prenait à sa solde. Ainsi Ro-
bert, comte d’Artois, se disposant à aller à la croisade, voulut se
faire accompagner par Guy de Cha tillon , comte de Saint-Pol : il lui
promit quinze mille livres tournois, en dédommagement de ses dé-
penses et notamment des frais de son passage au delà de la mer.
Saint-Pol devait servir, pendant un an , Robert ou, en cas de mort
de Robert, le roi de France, chef de F expédition. Il devait avoir
quatre chevaux, une suite de dix personnes et un chapelain;
vingt -neuf chevaliers, ayant chacun un cheval, l’accompagne-
raient et seraient suivis : chaque bannerct, de deux écuyers et de
deux valets ou sergents; chaque simple chevalier, d’un écuyer et
d’un garçon (ou valet?) 5. Le tout composait donc un corps d’en-
1 Introduction à Van Heela , pp. l et suivantes.
2 Keures de l’ammanie de Bruxelles et du pays de Nivelles , ad finem , dans
Willems, Van Heela, pp. 548 et 554.
5 Accord en date du mois de mars 1268. Saint-Génois, Monuments , t. 1,
p. 619.
( 350 )
viron cent personnes, parmi lesquelles on comptait trente che-
valiers. En 1285, les sires cle Gavre et de Durbuy promirent à
Jean Ier de faire partie de l’expédition d’Aragon et de le servir une
année; ils devaient avoir avec eux, chacun, quatre autres cheva-
liers, et recevoir, le premier, trois mille; le second, trois mille cinq
cents livres tournois. Si le service ne durait pas aussi longtemps
que le terme stipulé, cette somme diminuerait à proportion l.
Lorsque la guerre du Limbourg commença, le duc prévit qu'il
serait bientôt dans l’impossibilité de la soutenir avec ses feuda-
taires seuls; il convoqua ses sujets : « hommes, chevaliers, bour-
» geois et autres, » et il obtint d’eux « gens à armes, à leur frais
» et à leur coust, » c’est-à-dire l’entretien d’un certain nombre
de soldats, probablement pour toute la durée de la guerre. En re-
mercîmcnt, il leur donna des lettres de non-préjudice, qu’il fit
sceller par les seigneurs d’Aerschot, de Herstal et de Malines 2.
De la sorte, il ne fut pas obligé de grever ses domaines, de s’im-
poser des sacrifices exorbitants , qui l’auraient bientôt ou conduit
à sa ruine ou forcé de renoncer à son entreprise.
La solde journalière des combattants s’élevait, suivant un ac-
cord entre les comtes de Flandre et de Hollande, qui fut projeté
en 1295 : pour ce dernier personnage, à cent livres tournois;
pour cliaque banneret, à quarante sous; pour chaque chevalier, à
vingt sous; pour chaque écuyer ou sergent à cheval, à dix sous;
pour chaque piéton, à trois sous de Flandre 3. Ces chiffres donne-
ront la mesure du prix que l’on attachait au service respectif de
ces différentes classes de combattants.
Le cavalier, dit M. Willems, portait un bouclier rond, un peu
bombé au dehors et qui se distinguait de la targe du piéton , en
ce que celle-ci était oblongue, échancrée par le bas. Quant aux
armes offensives, Van Heelu les mentionne sous le nom de haches
d’armes et d’épées, de lances et de piques, de dagues ou coutelas,
1 Actes en date des 1er et 6 mars 1284-1285, dans Willems, Van Heelu ,
pp. 454 et 435.
2 16 janvier 1283-1284, Willems, Van Heelu, p. l.
5 Jules de Saint-Génois, Inventaire, p. 258,
( 331 )
et de masses d’armes avec ou sans pointes. Les paysans s’armaient
de bâtons, de massues et de piques.
Van Ileelu ne parle en aucun endroit d’arbalétriers, ce qui con-
duit à discuter la part de gloire qui revient aux villes dans les
événements militaires du temps. Il est inutile d’insister sur l’im-
portance qu’avaient alors nos milices communales. Depuis deux
siècles , elles s’étaient organisées et rendues redoutables. Lorsque
le roi de France le requérait, la ville de Tournai ne lui envoyait
pas moins de trois cents fantassins , et si le roi s’avancait vers
l’Arrouaise, toute la commune marchait à sa rencontre. Les cités
du nord de la France avaient une organisation analogue, et l’on
sait combien elles contribuèrent au gain de la bataille de Bou-
vines. Les bourgeois des villes belges eurent aussi l’occasion d’exer-
cer leur adresse et leur valeur dans les querelles incessantes de
leurs princes, mais ce qu’il y avait d’obligatoire dans leur ser-
vice fut successivement réduit. Ainsi les bourgeois de Vilvorde
furent exemptés de marcher au delà de la Meuse, d’Anvers, de
la Dendre et de Nivelles *. Plus tard, on concéda à d’autres cita-
dins le droit de ne plus être appelés aux armes que pour les
guerres générales de tout le pays, « quand il s’agissait de mourir
pour la patrie 2. »
Une charte de la ville de Mortagne, du mois- de février 1250-
1251, explique, d’une manière assez complète, comment -s’ar-
maient certains bourgeois. « S’il a vaillant cent livres , le bour-
» geois de Mortagne doit avoir son haubert et capel, et glaive et
» épée suffisants. » Celui qui n’a que soixante livres, porte un
capiel de fer et, au lieu de haubert, un haubergeon: les moins
riches s’équipent comme ils le jugent convenable et selon leurs
moyens. Celui qui, à la réquisition du seigneur, n’est pas fourni
d’armes suffisantes, paye une amende de six livres, qui sert à
acheter des armes pour ceux qui en manquent et à qui on en
prête à l’occasion 3.
1 Charte de 1192. — Les bourgeois de Wesel ne pouvaient, que de leur
propre gré, être conduits jusqu’à un lieu d’où ils ne pourraient pas revenir à
Wesel, à la nuit. Charte de 1241. Lacomblet, t. II.
2 Charte en faveur de Léau , 1213; du village de Duysbourg, 1229=
3 Chotin , t. Il , p* 23*
( 552 )
Dans plusieurs chartes accordées par le roi Guillaume de Hol-
lande à ses villes, le contingent que ces dernières devaient fournir
est fixé. Ainsi Harlem donnait soixante- quatre hommes, Delft
quarante et un, etc. C’est probablement à la suite de prescriptions
semblables que les villes brabançonnes organisèrent dans leur
sein des gildes ou serments d’arbalétriers, qui tenaient chacun un
certain nombre d’hommes bien équipés et bien exercés à la dis-
position du souverain et de la ville.
Mais quoiqu'il soit certain que le maniement de l’arc et, plus
encore, celui de l’arbalète fussent familiers aux Brabançons, quoi-
que, dans plusieurs des villes belges, il y eût déjà au treizième
siècle des gildes semblables, par exemple, à Namur, dont les ar-
balétriers reçurent des statuts de Guy de Dampierre en 1270,
cependant l’histoire positive de ces corps armés, en Brabant, ne re-
monte pas au delà de l’année 1504. On a souvent prétendu que les
milices des villes étaient représentées à Woeringen par des arba-
létriers '. Bien que ce fait soit accepté par les savants les plus hono-
rables, nous répugnons à l’admettre; il nous paraît inconciliable
avec le silence complet que Van Heelu garde à ce sujet. Cet auteur
ne mentionne, dans l’armée ducale, que des bannières composées
de chevaliers et de sergents, combattant avec le glaive et la lance.
N’est-il pas probable que c’étaient des guerriers de ce genre que
les villes avaient fournis à Jean Ier? Ce qui nous a inspiré cette
opinion, c’est la mention dans les traités conclus par Cologne de
chevaliers et fils de chevaliers que les patriciens de cette ville de-
vaient envoyer au secours de leurs nobles alliés. Or, nous l’avons
dit, l’organisation communale de Louvain, de Bruxelles, d’An-
vers , offrait une grande analogie- avec celle de la métropole
rhénane, et l’on sait combien la mode fait adopter une coutume
avec facililé, quand elle est de nature à flatter les passions hu-
maines. Combattre à cheval, devait être le rêve favori des bour-
geois riches; ils pouvaient se distinguer ainsi des plébéiens et
gens de métier, et, d’ailleurs, ils possédaient, pour la plupart,
quelque fief relevant soit du prince, soit d’un de ses vassaux.
1 Willems , /. c., p. lii.
( 555 )
Ainsi s’expliquerait l’apparent oubli du chantre de la bataille de
Woeringen.
Quand l’armée était réunie, on apportait l’étendard des dues
de Brabant, que l’on conservait à l’abbaye d’Afllighcm , dont
une des fermes, Overjelle, à Zellick, devait fournir le chariot
destiné à le porter pendant la marche. Le seigneur d’Assclic,
qui avait le titre de guidon héréditaire, le soutenait pendant la
bataille; mais souvent, à cause de l'importance de ses fonctions,
on les confiait à un guerrier renommé par sa bravoure. A Woe-
ringen , en remplacement de Robert d Assclie , c’est Rase de
Grez qui en fut chargé, et on lui adjoignit deux braves sergents
pour l’aider à porter la bannière. « On se mettait en route au
» son du tambour et de la flûte. Le maréchal assignait les quar-
» tiers pendant la marche et réglait toutes les affaires du camp,
» jugeant et punissant les militaires qui s’étaient rendus coupa-
» blés de quelque crime. 11 jouissait de grandes prérogatives : il
» avait la table du duc, du drap pour scs habits, le meilleur
» cheval de l’écurie après celui du souverain, des chandelles,
» des gants, et, quand la guerre était finie, tout le linge et les
» meubles en bois de la cuisine du prince. Les vivandiers et les
« filles publiques qui suivaient l’armée, lui devaient un tribut;
» enfin, les bestiaux pris sur l'ennemi et la troisième part de la
» rançon des prisonniers lui revenaient de droit. »
Arrivé sur le territoire de l’ennemi, on déployait les bannières
et on marquait son passage par les dévastations et l’incendie. Les
forteresses étaient attaquées à l’aide de machines dites evenhoeden
ou bliden, ou, selon l'acte d alliance de Henri III avec la ville de
Saint-Trond, de balistes L Quelquefois ces machines de guerre
lançaient des matières inflammables dans les châteaux assiégés.
On voit à Woeringen l'armée brabançonne divisée en un cer-
tain nombre de bannières, conduites, les unes par les chefs-
officiers de la juridiction à laquelle appartenaient les combattants
(l’amman de Bruxelles, qui eut l’honneur de commencer le com-
bat; l’éeoulète d Anvers, le maire de Tirlemont, le bailli de Judoi-
1 Butkens, t. 1, Preuves, \). 94.
( 554 )
gne le châtelain de Daelhem) ; les autres , par des seigneurs de
baronnies ou leurs lieutenants (les sires d’Aerschot, de Perwez,
de Malines, de Diest, de Cuyck, d’Assche, d’Arckel, de Heusden,
de Walhain, de Walcourt, de Rotselaer, de Wesemael, de Ber-
ghes, de Bréda, d’Enghien, de Gaesbeck, de Witthem, de Mul-
repas et le prévôt de Nivelles). Il n’est pas fait mention de la
bannière de Louvain , parce que c’était la bannière meme du duc,
celle sous laquelle Jean Ier combattit en personne. Celle de Bois-
le-Duc manquait, sans doute parce qu’elle avait reçu la mission
de protéger les frontières du côté de la Gueldre.
Avant comme après la bataille, on invoquait le ciel pour de-
mander son appui ou l’en remercier. Le duc se tenait à la tête de
ses troupes et se faisait garder par quelques guerriers d’une valeur
éprouvée. Son étendard était déployé près de lui, et bientôt la
lutte commençait; au bruit des armes se mêlaient les cris des
combattants. Aussi longtemps que la bannière de Brabant est
debout, les trompettes ne cessent de sonner; quand elle tombe,
les ménétriers se taisent, mais ils recommencent à se faire en-
tendre aussitôt qu’ils la voient flotter de nouveau.
Ap rès la bataille, on laissait à des religieux ou aux paysans du
voisinage le soin d’enterrer les morts, et, après quelque temps
de repos, ou partait, emmenant les prisonniers, qui n’obtenaient
leur liberté qu’au prix d’énormes rançons.
( 555 )
CHAPITRE XII.
AGRICULTURE, INDUSTRIE, COMMERCE, VOIES DE COMMUNICATION,
MONNAIES, ETC.
I.
m
Les développements de l’agriculture suivirent en Brabant la
même marche que les progrès des libertés publiques et du bien-
être. Deux causes principales y activèrent le défrichement des
bruyères et des terrains incultes.
La fondation d’un grand nombre de monastères des ordres de
Saint-Benoît, de Prémontré et de Cîteaux, y fit passer entre les
mains du clergé régulier la majeure partie du sol, qui fut cultivé
avec plus de soin et d’après de meilleures méthodes. De vastes
fermes, parfaitement construites et disposées, s’élevèrent dans
des localités choisies avec intelligence, et s’entourèrent de terres,
de bois, de prairies, dont l’aménagement s’améliorait à chaque
génération. Ces communautés monastiques avaient d’abord pris
l’habitude de confier à des religieux l’exploitation des fermes
conventuelles, mais cet usage parut à quelques supérieurs dispen-
dieux et funeste à la discipline. « C’est aux laïques, disait l’abbé
» de Villers, Arnoul de Gestele (1271 -1276), tout au plus aux
» frères convers, à s’occuper d’agriculture. » Il ordonna la ren-
trée dans son abbaye de tous ses religieux, et de la sorte il en aug-
menta considérablement la population, qui comprenait, à ce que
l’on prétend, cent moines et trois cents frères convers b
Le même changement doit s’être opéré dans les biens d’Affli-
ghem, car la grande ferme d’Osseghem à Laeken, après avoir
1 Wauters, L'ancienne abbaye de Villers , p. 34.
( 550 )
forme une espèce de couvent, fut confiée à un maître (ou fermier).
Eli 1289, c’était Henri dit le Diable et sa femme Elisabeth qui en
avaient la direction l. Toutefois, malgré les progrès incontestables
faits par le pays vers une situation meilleure , il n’y régnait
qu’une sécurité relative; ce qui le prouve, c’est que l’abbé de
Villers dont nous venons de parler fit entourer de murs les fermes
de Sart-Resbarbe , de Mellemont, du Chènoit, de Chessart. Ces
grandes exploitations tentaient la cupidité des troupes et surtout
de ces guerriers de profession que leur genre de vie habitue à la
violence. Voilà la raison pour laquelle, le 28 septembre 1285,
Jean Ier recommanda à ses capitaines 2 de protéger les biens de
Villers.
Les contestations dont les wastines ou bruyères devinrent
l’objet dans un grand nombre d’endroits, attestent l’importance
([ue l’on commençait à y attacher. Les terres cultivées acquéraient
donc une bien grande valeur pour que l'on se disputât des landes
improductives. L’occupation de ces landes était devenue une né-
cessité dont l’évidence frappait de plus en plus les esprits. Aussi
vit-on les ducs et leurs vassaux s’en emparer partout, non pour
en accaparer la possession, mais pour les morceler et les donner
à cens à leurs sujets.
De vastes bruyères avaient été mises en culture vers l’an
1250, à Lennick, où les terres produisent aujourd’hui les plus
riantes récoltes 3; d’autres, situées un peu plus au nord, à Wam-
beck, firent l’objet d’un débat qui commença vers la meme épo-
que et ne se termina qu’en 1208 4. La grande foret du Wavcnvald,
qui comprenait tout le triangle formé par la Dyle, la Nèthe et
Heyst-op-den-Berg, fut rudement attaquée par la hache du bû-
cheron. A propos de cette forêt, Henri Bertliout, seigneur de
Duffel, Walter Bertliout, seigneur de Malines, et Louis Bertliout,
seigneur de Gramines, eurent de longues discussions avec l’évêque
de Cambrai, Nicolas, au sujet de leurs droits respectifs sur la dîme
1 Histoire des environs de Bruxelles , t . Il, p. 578.
2 Omnibus, spécialité)' qui ducunt exercitus Brabantinos...
5 Histoire des environs de Bruxelles , l. 1, p. 218.
4 ld., L c., p. 400.
( 357 )
novale des terres ayant fait partie de eette forêt. Trois conven-
tions, toutes semblables dans leur teneur, mirent fin à ces contesta-
tions. Chacun des trois seigneurs cités plus haut consentit à pren-
dre en fief de l’évêque une moitié des dîmes novales (ou dîmes des
terres défrichées) qu’il possédait dans ses domaines, dans le dio-
cèse de Cambrai, et en céda l’autre moitié au prélat. Si l’érection
de nouvelles paroisses devenait nécessaire, c’était ce dernier qui
devait conserver le droit de patronat , et si les petites dîmes et les
offrandes ne constituaient pas en faveur des curés une dotation
suffisante , les possesseurs de dîmes novales étaient tenus de con-
tribuer à l’augmenter. Dans le cas où l’on établirait un village sur
remplacement de la forêt, Henri, Walter ou Louis et leurs des-
cendants y auraient la haute justice , sauf que l’évêque serait
seul juge de ce qui se passerait dans les habitations qui lui appar-
tenaient et de ce qui serait fait par ses serviteurs. Pour com-
penser les torts qu’on lui avait causés, le prélat reçut de chacun
des trois seigneurs cent bonniers de wastines ou de bruyères
et vingt bonniers de prés; il se soumit, par contre, à leur payer
à chacun un cens annuel très-modique, puisqu’il ne s’élevait qu’à
six deniers de Louvain. Les grandes dîmes furent aussi partagées
par tiers, et l’évêque promit que, s’il donnait les biens mention-
nés plus haut, ce ne serait qu’à son église ou à des églises faisant
partie de son diocèse (vendredi avant Laelcire , 1264). Le mardi
de Pâques 12G5, il disposa des immenses propriétés que cet accord
lui avait assurées : il réserva à ses successeurs un tiers des dîmes,
légua un deuxième tiers à l hôpital des prêtres émérites de Cam-
brai, et abandonna le troisième tiers à son chapitre diocésain,
à la condition de doter les curés des villages que l’on pourrait
créer par la suite dans la forêt de Wavre, et de distribuer un tiers
de ce tiers aux chapelains et aux enfants de chœur de la cathé-
drale de Cambrai et un second tiers aux pauvres. Quant aux biens-
fonds, qui ne comprenaient pas moins de six cents bonniers de
terres et de cent quarante bonniers de prés, ce fut encore le cha-
pitre qui en hérita '. A en juger par certaines expressions de ces
1 Opéra diplomatica , t. 111, pp. 415 et 416.
Tome XIII.
22
( 558 }
diplômes, on peut supposer que ce fut peu de temps après que
l’on créa les paroisses de Wavre-Sainte-Catherine, de Wavre-
Notre-Dame et de Wavre -Saint-Nicolas, ou, comme on l’appelle
aujourd’hui, de Putte l.
En Campine, où les villes étaient déjà nombreuses, mais entou-
rées d’immenses landes, de grandes étendues de terrain furent con-
cédées à des abbayes, principalement par les seigneurs de Bréda.
îl fallait les ressources dont disposaient les monastères et leur per-
sévérance pour tenter le défrichement de ces marais sans fin, de
ces océans de sable , dont les restes affligent les yeux du voyageur
quand il parcourt le pays situé entre le Denier et la basse Meuse.
Plusieurs communautés en acquirent des parties, non-seule-
ment en don, mais à prix d’argent ou à charge d’un cens, ce qui
indique bien l’intention d’essayer une mise en culture. Arnoul de
Louvain, seigneur de Bréda, et sa femme, après avoir abandonné
aux religieux de Saint-Bernard sur l’Escaut deux cents bon-
niers de bruyères et de marécages 2, leur en vendirent ensuite
cinquante manses (chaque manse contenant douze bonniers), en
leur en cédant encore douze autres manses 5. Lorsque , en novem-
bre 1282, ces personnages ratifièrent toutes leurs donations à ce
seul monastère, elles ne comprenaient pas moins de cent manses
ou douze cents bonniers 4. Arnoul et sa femme avaient, en outre,
vendu aux religieuses de Cortenberg 3 cent cinquante-trois bon-
niers de bruyères, situés à Oosterhout, et aux prémontrés de
Tongerloo 6 soixante bonniers de bois et de bruyères, auxquels
Rase de Gavre et Rase, son fils, ajoutèrent quarante et un bon-
niers , quelques années plus tard 7 .
Dans d’autres actes, nous voyons Jean Berthout approuver la
1 Voyez Y Histoire des environs de Bruxelles, t. II, p. 655.
2 Décembre 1275. Opéra diplomatica, t. II , p. 865.
3 Mardi avant la Saint-Servais , en 1276. Butkens, t. I , Preuves , p. 218.
4 Opéra diplomatica, 1. c., p. 867.
5 Juin 1277. Ibidem, p. 868.
(: Jour de saint Pierre et de saint Paul, en 1280 .Ibidem, p. 870.
7 Diplôme donné à Roosendael, le samedi après le dimanche Invocavit , en
1294. Ibidem, p. 879.
( 559 )
vente de cinquante bonniers de bruyères situées à Gheel, faite par
son parent, Walter de Hemixem, en faveur de l’abbaye de Saint-
Bernard 1 ; Jean Bote, receveur du duc, céder à Gérard, fils de
Walter de Tichelt, moyennant un cens de douze deniers, treize
bonniers de terrains vagues, compris dans les marais d’Abroeck,
à Heisterlé 2 *; le seigneur et la dame de Grimberghe charger, en
1270, leur vassal , Pierre d’Eppeghem , de vendre leur wcistine de
Pu ers , ainsi que la digue et la wastme de Willebroeck 5.
Le duc Jean Ier activa considérablement l’impulsion que l’agri-
culture avait reçue dans ses États, en donnant à son receveur
Walter Yolcart de pleins pouvoirs pour céder, à titre hérédi-
taire et à charge de cens, les wastines et déserts situés dans ses
domaines (18 avril 1284) 4. Volcart ayant aliéné de la sorte le
polder d’Oorderen ( moruvn communem de Oorderen ), Jean Ier
en garantit la possession aux acquéreurs , en leur confirmant
l’exemption d’endiguer et le droit de faire écouler leurs eaux
par l’écluse d’Oordam ( per sclusas sive aqaœductus de Order-
damme) A
Les terrains bordant le cours de l’Escaut étaient déjà défendus
par des digues, mais sans se trouver complètement à l’abri des
inondations. Willebroeck était certainement endigué en 1270; le
polder de Ruysbroeck se trouve mentionné dès 1298 6. La mer
ayant renversé les digues de Zantvliet et de Beirendrecht, les pro-
priétaires des terres adjacentes en confièrent la reconstruction à
noble homme, le sire de Ghistelles, et J. de Swinarden, bourgeois
de Gand, à qui un tiers des dîmes ecclésiastiques des deux villages
mentionnés ci-dessus fut abandonné pour un terme de vingt ans
1 1294. Opéra diplomatica , t. II, p. 769.
- Acte daté du lundi après la Saint-Boniface, en 1295. Cartulaire de Saint-
Michel.
5 Histoire des environs de Bruxelles , t. Il , p. 580.
4 Cartulaire de l’abbaye de Saint-Micliel , f° 119. — Willems, 1 an Heelu,
p. 575.
5 Acte de 1286. Ibidem, p. 155.
0 M, Kummer, dans les Annales des travaux publics en Belgique, t. II
p. 14.
•>
( 540 )
(mars 1285) *. Une nouvelle marée extraordinaire dévasta Lillo en
1288, mais on se remit immédiatement à l’œuvre pour réparer
les dégâts, et, le 7 février 1295-1294, une charte ducale autorisa
le chapitre de Notre-Dame d’Anvers à s’approprier les schorren
et autres terrains d’alluvion et à les faire endiguer 1 2 *.
Des travaux analogues à ceux qui s’exécutaient le long des rives
de l’Escaut furent entrepris à l’intérieur, soit pour modifier le
cours des ruisseaux 5, soit pour maintenir les eaux dans les étangs 4.
Le droit forestier fut l’ohjet de quelques conventions dont l’exis-
tence prouve l’importance que l’on commençait à attacher aux
propriétés boisées. On commina une peine de dix sous de Louvain,
payable : moitié au duc, moitié au monastère de Saint-Michel, â
Anvers, contre celui qui couperait du bois dans les forêts de
cette abbaye à Mcrxplas et â Wommelghem ». Jean Ier autorisa
également les religieux de Grimberghe à obliger ceux qu’ils au-
raient fait arrêter , sous prévention d’avoir'abattu des arbres dans
leurs bois ou d’y avoir commis d’autres dégâts, â consigner de
l’argent jusqu’à concurrence de douze deniers de Louvain pour
chaque délinquant; dans le cas où ils trouveraient des personnes
de l’un ou de l’autre sexe emportant du bois ? du grain , etc., prove-
nant de leurs domaines, il leur permit de reprendre et retenir ce
(jui leur appartenait, sans méfaire contre son autorité; enfin,
en indemnité des torts causés par des animaux domestiques, il
consentit à ce que les religieux fissent consigner, chaque fois que
ce cas se présenterait, quatre deniers par cheval, porc ou tête de
bétail , et un denier pour chaque troupeau de vingt brebis ( charte
du jeudi avant la Sainte-Lucie 1287, confirmée le G janvier 1298-
1299 et le jour de la Conversion de saint Paul 1529) °. L’abbaye
de Parc, près de Louvain, obtint de même, pour ses forestiers,
1 Carlulaire de Saint-Michel , f° 156.
2 Mertens et Torls , Geschiedenis van Antwerpen , t. II , pp. 535 et suiv.
5 Voyez plus haut, p. 507.
1 On en trouve un exemple en 1284. DeSmet, Corpus chronicorum Flan-
clriae , t. II, p. 950.
5 Janvier 1283-1284, Willems, Van Heelu, p. 575.
0 Histoire des environs de Bruxelles , t. H, p. 258.
la faculté de pouvoir accepter des garanties pour les torts qu’on
aurait causés aux bois du monastère, et de garder les bestiaux
qui les auraient dévastés l.
Mais s’il était sévère à l’égard des autres, Jean Ier se permettait
des libertés qui font nettement apprécier sa position vis-à-vis
des monastères. « Faire d’eux à sa volonté, « telle est la ma-
nière dont il entendait les traiter, d’après la landcliarte de l’am-
manie de Bruxelles. Il se fit admettre par le chapitre de Nivelles
dans la propriété indivise du grand bois de Nivelles, et promit de
ne jamais en aliéner sa part; si « on tournast le devantdit boys an
» culture, ou à édifices de villes, pour gens habiter, ou on en
» fesist yawes ou preis ou aultres usaiges » ou si on le donnait
à cens, la moitié des fruits appartiendrait toujours au chapitre,
qui se réserva le droit « d’y chasier et oiselier. » Chacun des deux
possesseurs y instituaient des forestiers, et se partageaient, éga-
lement par moitié, les amendes des délits qui s’y commettraient 2 3.
D’après un autre acte, Jean Ier avait racheté ce bois de différentes
personnes et l’avait « rapproprié , » parce qu’il était gâté et aban-
donné « à bêtes et à hommes qui le vastoient; » pour s’indem-
niser il s’adjugea cent douze bonniers, et, de l’aveu de son fils
Jean et du chapitre de Nivelles , il les vendit, au plus offrant, aux
templiers de Vaillampont, moyennant cent sous de Louvain par
bonnieretà charge d’un cens annuel de deux deniers, également
par bonnier (août 1290).
Les ducs accordaient fréquemment, soit aux populations de
certains villages, soit à des particuliers qu'ils voulaient favoriser,
l’autorisation d’enlever dans leurs forêts le bois mort ou d’y faire
pâturer des bestiaux. Une concession de cette nature, mais plus
avantageuse en ce qu’elle comprenait la permission de prendre
du bois de chauffage et le bois nécessaire pour l’entretien des
bâtiments, fut obtenue pour le manoir de Ter-IIolst à Overysschc,
qui formait un fief relevant du duché 5.
1 Jour de la division des apôtres, en juin 1292. Summaria cronologia
Parchensis , p. 127.
2 Mai 1290. Opéra diplomatica, t.IV, p. 725. — Brabantsche Yeesten, t. I,
p. 075.
3 En 1285 et 1287. Histoire des environs de Bruxelles, t. III, p. 515.
( 542 )
II.
L’industrie, sur laquelle on trouve tant de renseignements
dans les Fabliaux et contes de Barbazan et Méon et dans les
Règlements des corps de métiers , dont M. Depping a publié le
texte, nous fournira matière à quelques données intéressantes.
Dans les campagnes, elle était peu développée; elle se bornait à
la récolte du raisin, h la fabrication de la bière, à la mouture du
grain, à l’exploitation d’ardoisières ou de carrières.
En maint endroit, dans le Brabant, on trouvait des vignes;
elles abondaient surtout aux environs de Louvain, où l’on en
planta une sur le Roideberch, vers l’année 1264 j.
Pour la mouture du grain, on se servait, non plus seulement
des moulins à eau, que l’on rencontrait partout où il y avait moyen
d’en établir, mais aussi de moulins mus par le vent, dont l’usage
commençait à se répandre 1 2 *. En outre, plus d’un moulin à eau se
convertissait, soit en usine à fouler le drap, soit en tordoir d’huile.
Lorsque, le 4 9 avril 1265, Arnoul, sire de Rotselaer, céda aux re-
ligieuses de Parc-les-Dames son étang de Dine, il les autorisa à
établir en cet endroit deux moulins, l’un à foulon, l’autre à huile5.
En 1285, les prémontrés de Parc firent également construire un
moulin à foulon et à huile; cette usine, qui n’avait qu’une seule
roue, fut rapidement achevée, et coûta trente-cinq livres, non
compris les bois qui entrèrent dans la construction , et la nourri-
ture des ouvriers 4.
Les richesses minérales de notre sol n’étaient plus dédaignées.
1 Charte d’ Arnoul de Rotselaer en faveur de Parc-les-Dames.
2 Ainsi, il en existait déjà un à Erps, près de Louvain, en 1266. Cartu-
laire de l’abbaye de la Cambre .
5 Duo molendina, unum fullonum pro pannis tam alienis quam propriis
fullendis, aliud pro oleo et aliis seminibus, tantummodo propriis et non
aliis, exprimendis et extir pandis.
Æ Raymaekers, Recherches historiques sur l’ancienne abbaye de Parc ,
p. 28.
( 545 )
La tourbe, qui se rencontre dans presque toutes nos vallées, s’ex-
trayait pour le chauffage des habitations , mais le locataire d’un
bien ne pouvait y effectuer ce travail qu’avec la permission du pro-
priétaire h A Tubise, il existait une grande ardoisière, qui a été
exploitée jusqu’au siècle dernier, mais dont on a, de nos jours,
oublié jusqu’à l’existence. Au mois de septembre 1284, le chapitre
de Nivelles, du consentement du seigneur d’Enghien, qui, en
qualité d’avoué de Tubise, prélevait le tiers du revenu de cette
ardoisière, en donna la moitié à cens aux moines de Cambron , en
fixant à six le nombre d’ouvriers que ces derniers devaient y em-
ployer, à quatorze pouces la grandeur des grandes scailes ou
ardoises, vers le bas; à onze pouces, celle des petites ardoises; à
deux sous de Louvain le prix du mille d’ardoises. La durée de la
concession fut fixée à trente-six ans, ou à soixante et douze, si
Cambron était chargé d’exploiter la partie gardée par Nivelles.
Toutefois, si les religieux « ne trouvoient piere pour scaille
» faire, » le chapitre « ne pouvoit les forcer, si ce n’est par le
» dire des ouvriers. » Plus tard, par acte donné en son « castiaul
» d’Angien, » le 6 mai 1515, Walter d’Enghien céda au chapitre
son tiers de la « scaillior » de Tubise, pour un terme de huit ans
et moyennant trente livres de vingt-deux mites , outre un tiers de
quatre mille grandes « ascailles , loiaulx et marchandes » , que le
chapitre devait fournir pour lui à Cambron, et à la condition que,
si Walter le désirait, il lui serait fourni, tous les ans, deux mille
grandes et deux mille moyennes scailles, coûtant, les premières,
trente sous , les secondes, huit sous le mille 1 2. A peu près de cette
époque datent les plus anciennes notions concernant les houil-
lères, non de Liège, où quelques légendes font découvrir le char-
bon de terre dès l’année 1200, mais en Hainaut 3.
En parlant de l’organisation des villes, nous avons eu occasion
de signaler l’importance des corps de métier. L’industrie drapièrc
1 Voyez-en un exemple dans Y Histoire des environs de Bruxelles , t. III ,
p. 151.
2 Cartulaire du chapitre de Nivelles , fos 230 et 517.
3 Dès l’année 1274, on extrayait de la terre du charbon à Houdeng-Goe-
gnies, Haine.
( 544 )
florissait particulièrement, et les villes étaient si persuadées de la
nécessité où elles étaient de la protéger qu’elles n’hésitaient pas à
faire en sa faveur de grands sacrifices. En 1224, selon Raepsaet 1 ,
la ville de Courtyai accorda une exemption entière des charges
publiques à cinquante tisserands, s’ils venaient se fixer dans ses
murs. Alors apparurent les premiers règlements pour les tisse-
rands (à Malines, en 1270) 2, pour les foulons (à Léau, en 1248;
à Bruxelles, en 1282), pour les tondeurs de drap et de soie et les
foulons (à Bruges, vers l’an 1290).
Le règlement des foulons de Bruxelles fut arrêté par les éche-
vins , les doyens et huit de la gilde et tout le conseil de la ville ,
dans une assemblée tenue au lieu de réunion (ten gemeenen
stoele ) de la gilde, au mois de juin 1282. 11 fut porté du con-
sentement des maîtres et des valets ou ouvriers, et afin d’empê-
cher le retour des querelles qui s’étaient élevées au sein de la
corporation. On y stipule une liberté entière, pour les maîtres,
de faire dégraisser ( eerden ) et travailler par qui ils veulent les
draps qu’on leur envoie à préparer; l’obligation, pour eux, de
peigner chaque drap, des deux côtés, sous peine de cinq sous
d’amende, tant pour le maître que pour le valet qui l’aurait dé-
conseillé; de préparer les draps par un beau temps, sous la même
peine; d’indemniser les propriétaires des draps qui auraient été
endommagés chez eux; la défense de teindre les draps, de les
envoyer à la rame avec les largeurs prescrites, de s’interdire
mutuellement la confection de draps. Mais, ce que l’ordonnance
contient de plus curieux, c’est un tarif pour le foulage des draps
de différentes catégories. On payait :
Pour un drap d’écarlate (scarlaken) , dont la longueur était de
quarante-huit aunes) : dix sous, dont quatre pour le maître et six
pour le valet ou ouvrier, outre deux sous pour dégraisser (eerden)
le drap et trois sous de doechgelt (droit d’empaquetage);
Pour un long drap de quarante -deux aunes, entièrement
grené, et contenant six quarts de laine grenée, sept sous six de-
1 OE livres complètes, t. V, p. 541.
2 David, Geschiedenis van Mechelen , p. 67.
( 545 )
niers : deux sous six deniers pour le maître, cinq sous pour l’ou-
vrier, outre un sou quatre deniers pour dégraisser et deux sous
six deniers pour empaqueter ;
Pour un long drap mélangé : six sous, dont deux sous dix
deniers pour le maître, et quatre sous deux deniers pour l’ou-
vrier, outre douze deniers pour dégraisser et deux sous pour em-
paqueter ;
Pour un long drap blanc et bleu, six sous: deux sous pour le
maître, quatre pour le valet, outre les mêmes droits supplémen-
taires ;
Pour un drap court (de trente-sept aunes et demie) blanc et
bleu, quatre sous huit deniers, dont un sou huit deniers pour le
maître, outre les mêmes droits supplémentaires;
Pour toute espèce de drap court, non grené, cinq sous, dont
un sou six deniers pour le maître;
Pour un court drap anglais, dix deniers pour dégraisser et un
sou six deniers pour empaqueter;
Pour un court drap irlandais, huit deniers pour dégraisser, et
le même droit d’empaquetage.
Ces droits supplémentaires se payaient aux maîtres, qui étaient
chargés d’en remettre le montant à ceux dont ils utilisaient les
services. Ni eux ni les ouvriers ne pouvaient exiger plus que le
prix fixé, sous peine de cinq sous d’amende ou, en cas de réci-
dive, de vingt sous G
Parmi les personnes qui travaillaient à Bruxelles au tissage des
draps se trouvaient un grand nombre de béguines du béguinage
dit de la Vigne, hors de la porte de Laekcn; on les employait à
éplucher le drap ( noppene , tesene , scrodene). Vers la fin du règne
de Jean Ier, elles eurent une longue contestation avec la gildc, à
propos de leur salaire. Ce dernier fut enfin fixé comme suit :
A sept deniers et demi pour la partie de l’année allant de la fête
de saint Jacques en juillet à la Saint-Gilles (ou 1er septembre);
A trois deniers, de la Saint -Gilles à la Toussaint (ou 1er no-
vembre) et de la Purification (' 2 février) à la Saint-Jean (24 juin);
i Ordonnancie boeck der stadt Brussel, f° 2.
( 546 )
A deux deniers un hellinc, de la Toussaint à la Purification.
Les béguines promirent de ne jamais exiger davantage, à moins
qu’on n’augmentât en ville le salaire des tisserands, et s’engagèrent
à accepter une réduction, si elle avait lieu. En cas d’infraction à
ce statut, l’amende était de vingt sous pour la première fois, de
quarante pour la deuxième fois , de la même somme et de l’expul-
sion hors de la Vigne pour la troisième fois. Pour le cas où les bé-
guines ne voudraient plus se livrer au même travail, elles devaient
en avertir six mois à l’avance, en se présentant devant les doyens
et les huit, accompagnées de leur curé et de leurs quatre grandes
maîtresses; par contre, si la gilde ne voulait plus les employer,
ses chefs étaient tenus de se rendre en personne à la Vigne pour
y donner avis de leur résolution. L’autorisation de rentrer au
béguinage fut donnée aux béguines qui l’avaient quitté par suite
de la contestation , et, à la demande de la communauté, Godefroid
de Brabant scella sa réconciliation avec la gilde, le jeudi avant la
Pentecôte, en 1296, en même temps que les échevins et les
doyens Thierri Den Lose et Jean Ser Everwyns Wisselare sone L
Nous ne possédons aucune donnée sur les tisserands de Lou-
vain, si ce n’est que, d’après une ordonnance de l’année 1282,
ils devaient se rendre à l’ouvrage le matin et en revenir le soir,
au son d’une cloche spécialement destinée à les avertir. Suivant
une tradition dont l’exagération est notoire, ils étaient alors si
nombreux, qu’il fallait annoncer le moment de leur passage, afin
de prévenir les parents de retirer de la voie publique leurs en-
fants, qui auraient couru le danger d être écrasés par la foule; ce
qui est plus vrai, c’est que la cloche fut donnée à la ville en l’an
1290, et que, en 1527, la draperie en réclama la propriété; le
chapitre de Saint-Pierre , qui avait été chargé de terminer le pro-
cès, les échevins ne pouvant y être à la fois juges et parties, donna
gain de cause à la ville 1 2.
1 Ordonnancie boeck der stal B russe l, f° 3.
2 Piot, Histoire de Louvain, p. 152.
( 547 )
III.
Situés entre plusieurs contrées importantes , mais moins adon-
nées qu’eux à l’industrie , les Pays-Bas étaient devenus le centre
d’un immense négoce, qui grandissait constamment, grâce à
la protection dont nos princes entouraient les commerçants et
grâce à la sécurité que les villes s’efforcaient d’assurer aux étran-
gers. Un échange perpétuel de matières premières et d’objets
manufacturés s’opérait entre la Belgique et les contrées voisines :
la France nous fournissait du vin, l’Angleterre et l’Irlande de la
laine; partout nous répandions nos draps si estimés.
En vertu d’anciennes conventions dont l’origine remontait à
l’époque où l’Artois appartenait aux comtes de Flandre, le com-
merce entre ce dernier pays, d’une part, et la France, la Bour-
gogne, la Champagne, la Provence et Saint- Jacques de Compos-
telle, devait s’opérer par Bapaume; mais un tonlieu fut établi en
cet endroit, qui en reçut, à cause des extorsions des receveurs ,
le nom de Coupe- Gueule, et vers l’année 4262, les marchands
flamands s’y virent rançonnés à tel point qu’ils annoncèrent l’in-
tention d’abandonner dorénavant les foires de Troyes pour se
rendre à celles qui se tenaient dans l’Empire K
Gravelines était alors un des entrepôts du commerce de la
Flandre avec les ports de la Gascogne et du Poitou , et principale-
ment de la Rochelle, de Saint-Jean d’Angeîy, de Niort. Pour en
accroître l’activité, la comtesse Marguerite donna à Gravelines de
grandes franchises. Non-seulement elle déclara y recevoir sous sa
protection les marchands qui y viendraient commercer, « lor
» vallés et lor sergans et les gardes de leur avoirs et de leur
» marchandises, » non-seulement elle les autorisa à y trafiquer
avec la plus entière liberté, mais elle leur assura des garanties
contre les exactions de ses officiers ou des échevins, elle prit des
mesures pour faciliter le déchargement, la vente de leurs vins,
1 Jules de Saint-Génois, Inventaire, p. 37.
( 548 )
le payement do leurs créances (juin 1262). Gravelines était aussi
le centre du commerce des harengs, commerce qui était si im-
portant que les habitants de Saint-Omer considérèrent comme
une calamité la défense qui leur fut faite, par le comte Guy, d’y
acheter et saler individuellement plus de vingt-cinq mille harengs
par jour, et qu’ils recoururent au parlement de Paris pour obtenir
la faculté d’en acheter autant qu’ils le jugeraient convenable, ce
qui leur fut en effet octroyé *.
Les rapports de nos provinces avec l’Angleterre eurent quel-
quefois à souffrir des vexations ou des négligences de certains
officiers de la couronne dans ce dernier pays. Des ruptures de
ce genre brouillèrent à plusieurs reprises les rois Henri III et
Édouard Ier avec Marguerite de Constantinople et Guy de Dam-
pierre ou avec le comte Florent de Hollande. En 1274, Édouard Ier
prohiba l’exportation de la laine vers la Flandre et les autres pays
au delà de là mer; les Zélandais s’en vengèrent en équipant qua-
torze cocjge , qui causèrent au port de Londres un tort considéra-
ble; l’Angleterre renoua scs relations avec la Flandre dès l’an-
née suivante; toutefois, elle n’en ht autant que pour la Zélande
qu’en 1280 et ne conclut la paix avec le comte Florent qu’en 1281.
Jean Ier eut aussi des réclamations à adresser à Édouard, mais
celui-ci, dès qu’il eut connaissance des mauvais traitements dont
avaient eu à souffrir quelques Hollandais et le négociant braban-
çon Jean Ban vers, s’empressa de prescrire à deux de ses officiers,
Jean Butecure et Pierre de Champagne, de poursuivre les coupa-
bles (26 novembre 1295)1 2. Il était alors intimement lié avec les
princes des Pays-Bas, qu’il espérait entraîner bientôt dans une
grande guerre contre la France.
Le commerce maritime d’Anvers n’ayant d’autre débouché
que l’Escaut, qui séparait à cette époque la Flandre de la Zé-
lande, dut nécessairement souffrir de la guerre que ces deux
pays soutinrent contre l’Angleterre en 1274. Les actes de pira-
terie auxquels elle donna naissance lui occasionnèrent néces-
1 Arrêt de l’an 1279, dans Beugnot, Les Olirn, t. Il, p. 133.
2 Rymer, Acta, Fœclera, etc., t. Il, p. 792.
( 549 )
sairement des pertes très-graves. On dut peut-être à ces circon-
stances les améliorations que Ton apporta alors à la perception
de différents tonlieux.
On percevait notamment, sur le Hont ou Escaut occidental, un
tonlieu à Valkcnissc, au nom d’Arnoul de Louvain, sire de Bréda,
d’Arnoul et Pierre Belaert, de Dancard Stullart, de Gilbert de ltic-
lant, des frères Witton et Arnoul de Valkcnissc, de Nicolas de
Stapelen, de Jean Kimpo ’szoon, et un autre péage, dit de la digue
ou de Damme (de Aggere ), au nom de Hugues Kempo, lils d’An-
toine, de Berthon, fils de Henri, dit le prêtre d’Inclinoort, et de
Constantin de Damme, tous vassaux ou arrière-vassaux du duc de
Brabant. A la suite de contestations entre eux et les Anversois,
on choisit quatre arbitres : Zymar le jeune et Nicolas de Wyne-
ghem, échevins d’Anvers, Guillaume Berthoen, de 3Ierc, et Ar-
noul de Valkenisse. Ces arbitres, après avoir mûrement exa-
miné la question et entendu des personnes dignes de foi , tant de
Zélande que d’Anvers, déclarèrent que les habitants de cette ville
pouvaient naviguer sur le Ilont sans payer de droits, sauf que les
marchandises étrangères transportées sur leurs bateaux devaient
à chaque péage cinq sous trois deniers de Flandre; lorsqu’il attes-
tait n’avoir pas de ces marchandises à bord, le capitaine devait
être cru sur son seul témoignage (sola manu). En cas de fraude
on payait neuf fois le montant du tonlieu, outre le droit ordinaire
qui s’exigerait du propriétaire des marchandises; dans le cas où
le capitaine avait poursuivi sa route uniquement par suite d’une
tempête ou de crainte de l’ennemi, il devait, à la première réqui-
sition, payer le tonlieu à Anvers, sinon les échevins le condam-
naient à le donner deux fois h
Le monastère d’Afflighem obtint une exemption complète du
péage de Valkenisse, des deux seigneurs de ce nom, de Nicolas de
Stapelen, de Jean Kimpo ’szoon et de ses frères Nicolas et Guil-
laume (1285, samedi après la Sainte-Catherine), et de celui de Biel-
land, de Pierre Belaert, de son fils Hugues, surnommé Kimpo, et
de leurs parents (1284, premier dimanche de l’avent), exemption
1 Mertens et Torts, Geschiedenis van Antwerpcn , t. J J , p. 68.
( 550 )
qui lui fut confirmée par le comte de Hollande, au mois d’août
1283*.
Anvers commerçait également au moyen de la Meuse et du Rhin ,
qui reliaient cette ville à l’Allemagne. Nous voyons, en 1282, le
comte de Gueldrc,en empruntant une somme de trois cents marcs
sterling à sire Daniel Judæus, échevin de Cologne, lui permettre
de faire embarquer à Duysbourg et conduire jusqu’à Anvers cent
pièces de vin de Rhin, avec exemption complète de tonlieux dans
les Etats du comte. Dans la suite, Jean Ier, voulant favoriser le
mouvement du port d’Anvers, autorisa tous les marchands de vin,
sauf ceux de Gand (je ne sais pour quelle raison), à y commercer
en toute liberté 1 2 * *.
A proximité d’Anvers , au lieu dit Aiendickc, l’abbaye de Saint-
Michel percevait un péage dont, après quelques débats, les
échevins d’Anvers fixèrent le taux, en l’année 1280, le samedi
avant la Sainte-Catherine. On payait au pont de Deurne : pour
quatre porcs ou quatre brebis, un denier d’Anvers; par jument,
vache ou palefroi, une obole; pour un char ou biga , un denier.
Ailleurs, un troupeau de bétail payait deux deniers, un chariot
un denier. Les habitants du voisinage ne devaient rien; seulement
chaque tenancier demeurant entre Aiendicke et Thurenhouder-
voert, vers le Rhin, donnait à l’abbaye un pain de ménage (panis
domesticus) ou deux deniers; ceux qui habitaient du pont de
Deurne à Merxplas payaient au custos ou sacristain du village
une gerbe, et chaque maison située entre ce dernier endroit et
ïhurenhoudervoert une mesure dite lopen (ou lopin?) 5.
Jean IC1 se montra particulièrement le protecteur du commerce
zélandais. Le comte Florent ayant manifesté l’intention de fonder
deux villes nouvelles en Zélande : une dans l’île de Schouwen
1 Van Mieris, 1. 1 , p. 455.
2 Geschiedenis van Antwerpen, t. 11 , pp. 57, 95 , 97. — Il y avait certes,
à cette époque , de la froideur entre le duc et la ville de Gand, car nous voyons ,
au milieu de l’année 1286, Jean Ier écrire aux autres chefs-villes de la
Flandre : Bruges , Douai , Lille , Ypres , sans faire la moindre mention de Gand.
Compte de l’amman Lenken.
5 Carlulaire de l’abbaye de Saint-Michel , f° 195.
( 551 )
( Schaldia ?), àBrydorp, l’autre en Walcheren, à Àrnemuyden,
notre prince, « comme un gage d’amitié toute spéciale, » en
exempta les habitants de tout tonlieu dans ses États *. Sur la
plainte de Henri Buffel, que les percepteurs des tonlieux de Pa-
penisse (ou Papemutse entre Berg-op-Zoom et Tholen) et de
Borchvliet exigeaient des péages des habitants de l’ile de Tholen,
une enquête eut lieu et démontra le fondement des réclamations
de Henri, auxquelles Jean Ier s’empressa de faire droit 2.
La cité de Dordrecht, une des plus anciennes de la Hollande,
était particulièrement intéressée à trouver aide et protection en
Brabant. Elle était en effet la métropole commerciale de la basse
Meuse. Ses relations s’étendaient au loin sur ce fleuve. A la de-
mande de ses habitants, Jean, sire de Cuyck, fixa, le 9 septembre
1285, le tonlieu qu’ils devaient payer dans la capitale de sa sei-
gneurie; il avait eu avec eux quelques contestations, dont il avait
remis la connaissance à deux arbitres , Guillaume Willemse de Zie-
riczee et Guillaume, le lombard de Bois-le-Duc, le 14 juin 1285 3.
Un autre péage, celui-ci au profit du duc de Brabant, se levait à
Littoy. Jean Ier en détermina le montant, le 2 juillet 1274, égale-
ment pour les bourgeois de Dordrecht.
La mesure pleine de vin y payait dix deniers de Cologne.
Une autre mesure de vin, l’aime, un denier.
Le drap de laine, teint, trois hallinghen.
Le drap non teint , trois vierlinghe.
Les draps de laine, en paquet, dix deniers.
Les draps non empaquetés, un serton ou ferton.
Cent aunes de drap de lin , trois hallinghen.
Cent aunes d’ouvrage en drap [laken ivercke), trois vierlinghe.
Cent livres de fer dit manbroots yser, un ferton.
Cent livres de backyser , quatre deniers.
Le cent de sloefyser, dix deniers.
Tout autre fer ou acier, deux deniers le marc.
Un bateau de charbon, de chaux, d’ardoises, dix deniers.
1 6 décembre 1288. Van Mieris, 1. 1, p. 492.
2 9 novembre 1291. Ibidem , p. 541.
5 Ibidem , pp. 451 et 454.
( ÔJ- )
I n daker de peaux . dix deniers.
Un sac de cumin . onze deniers.
Une aime d'hydromel, un hallinck.
Un grand baquet de plomb . un denier, etc. L
Quelques autres chartes témoignent des dispositions bienveil-
lantes que manifestaient nos princes en faveur des négociants des
localités voisines. En remerciment des services que lui avait ren-
dus le sire d'Àrckcl . Jean Ier affranchit également les habitants de
Gorcum de tout péage, par eau et par terre, dans ses Etats
de son côté . le comte de Hollande accorda une franchise semblable
à ceux de Grave, d'abord dans toute la Hollande (29 avril 1290),
puis à Heusden . où son droit de souveraineté était contesté par
le comte de Clèves ( 31 mai 1290) 3.
Nous avons déjà signalé l'importance qu'avait le titre de duc de
Limbourg. auquel était attaché le droit de protéger le commerce
entre la Meuse et le Rhin. Nous voyons, dans un sauf- conduit
accordé par le duc de Limbourg Henri ( 1226-1244) aux bour-
geois de Garni et d'Ypres , qu'il promet de les indemniser de tout
ce qui leur serait enlevé entre Macstricht et Cologne, sur le che-
min direct (in recta strata sire via), c'est-à-dire sur l’ancienne
chaussée qui reliait ces deux villes depuis le temps des Romains 4;
il prit, en 1235, le même engagement envers les Colonais et les
Liégeoi> s. Les guerres qui désolèrent l'Empire pendant l'inter-
règne . celle qui fut marquée par le meurtre du comte de Juliers
à Aix et la lutte pour la succession au duché de Limbourg provo-
quèrent et perpétuèrent les hostilités dans ces contrées pendant
presque toute la seconde moitié du treizième siècle. En 1254, les
cités rhénanes essayèrent de rendre au pays la sécurité dont il
avait joui antérieurement, mais, nous l'avons constaté, leurs
efforts restèrent impuissants.
1 Vau Mieris, t. I , p. 37 t. — En 1283, Jean Ier se rendit à Dordrecht , où la
ville, à son entrée, lui offrit des cadeaux d'une valeur de soixante-trois livres.
- Charte du mercredi après les octaves de l'Épiphanie, en 1287-1288. Re-
gistres aux chartes de la chambre des comptes de Brabant . n° XI, f° 38 v°.
3 Van Mieris, l. c.; pp. 504 et 303.
4 YanDuyse, Inventaire des Archives de la cille de G and , p. 18.
5 Ernst, Histoire du Limbourg, t. VI. p. 249.
( 555 )
Après l’avénement de Rodolphe de Habsbourg et de Jean I".
nos cités et celles de P Allemagne respirèrent un instant. grâce à
ce qu’on espérait de Rodolphe, grâce surtout à l'attitude que prit
Jean Ier. Allié à la Flandre, réconcilié avec les Liégeois, redouté
au delà de la Meuse, où il fit une formidable apparition en 1279.
ce prince devint en quelque sorte le gardien de la paix dans toute
la basse Allemagne, et il aurait réussi à la maintenir si. pour le
Limbourg, il n’avait rompu les liens politiques qui Punissaient à
l’archevêque Sifroi.
Des différends, de peu d'importance, il est vrai, avaient altéré
les rapports d'amitié qui existaient entre Bruxelles et Cologne.
Un habitant de la première de ces villes y fit saisir l'argent appar-
tenant à des Colonais, et des sujets de la princesse Aleyde arrê-
tèrent à Hannut 1 le chevalier Herman Sterfgin et un autre bour-
geois de Cologne, nommé Xannekin. Par contre, les Colonais lésés
provoquèrent l’arrestation de plusieurs Bruxellois, et en mécon-
tentèrent d'autres, en les forçant à contribuer dans la levée des
assises. De là naquit une rupture également préjudiciable aux deux
parties, et qui cessa en avril 1270 2 * *.
Des pirates ayant enlevé des marchandises à des négociants
gantois et Gand ayant ordonné d'user de représailles à l'égard des
villes saxonnes (Brème , Stade, Hambourg , Lunebourg, Quedlin-
bourg, Halberstadt, Ilelmsladt, Goflar, Hildesheim, Brunswick,
Hanovre, Wernigerode, , ces dernières se hâtèrent d'étouffer une
contestation qui aurait considérablement nui à leur commerce :
elles prièrent la cité flamande de leur conserver son amitié et pro-
mirent à ses marchands aide et protection 5.
Dans les années qui suivirent, une convention spéciale affermit
les antiques relations des cités de Gand et de Cologne. Xul bour-
geois de l'une d'elles ne pouvait faire arrêter un bourgeois de
1 Et non pas Ha vint, comme le porte le texte.
2 Willems, Brabanlsche Yeesten, t.I, p. 665.
5 Warnkônig , Histoire de la Flandre . t. II, p. 453. — Van Duyse, p. 1 1.
— On place d’ordinaire cet acte vers l'an 1200; un auteur allemand, Schau—
mann, le croit plutôt de l’annee 1252 ou 1253 environ; mais, dans mon opinion.,
il est encore postérieur de vingt années.
Tome XIII.
23
( 554 )
l’autre, pour les dettes d’une tierce personne, sauf dans le cas où
celle-ci constituerait sa caution ou son débiteur principal b Des
rapports analogues s’établirent entre les communes des bords de
la Meuse et celles des bords du Rhin. Les Liégeois et les Aixois se
garantirent mutuellement une entière sécurité. En cas de rupture,
elle devait être annoncée quarante jours à l’avance, et tout diffé-
rend être soumis à des arbitres qui se réuniraient à Maestricht 1 2.
Liège, Huy et Saint-Trond signèrent avec Cologne une convention
semblable3, et la première de ces villes reçut du duc de Limbourg
une promesse de protection dans la contrée s’étendant entre le
Rhin et la Meuse4 5 6.
Cologne, on le voit, était le centre d’un immense mouvement
d’attraction, qui reliait insensiblement les villes de la Germanie
inférieure. Les relations qu’elle avait déjà renouées avec le Brabant,
en 1251 8, se rétablirent nécessairement lorsqu’elle se réconcilia
avec Bruxelles. Depuis, elle traita successivement avec le comte
de Clèves G, avec la ville de Deventer7, avec la cité de Nimègue8,
avec les comtes de Gueldre9 et de Hollande10. Les habitants de
Neuss obtinrent du roi de Danemark, Éric, une exemption com-
plète de tonlieu et du droit appelé Grurtdlrure , qui se prélevait
sur les naufragés 11 .
La ville d’Aix-la-Chapelle se trouvait en relations suivies et
presque continuelles avec toutes les cités belges; mais sa situation
fut constamment fort pénible dans les deux derniers tiers du trei-
1 Mai 1284. Van Duyse , p. 46. — Lacomblet , t. II , p. 465.
2 Août 1273. Fisen , pars II, p. 20. — Louvrex , Recueil des édits , Irc partie,
pp. 57 et 156.
5 30 avril 1277. Fisen, l. c., p. 27. — Foullon, t. I, p. 478. — Lacomblet,
/. c., p. 410.
x Acte sans date, que je crois de cette époque. Fisen, l. c., p. 20.
5 Voyez Lacomblet, t. Il, p. 201.
6 29 décembre 1268. Ibidem , p. 294.
7 15 mai 1271. Ibidem, p. 561.
8 9 décembre 1278. Ibidem, p. 420.
9 23 et 24 février 1281. Bondam , l. c., p. 657. — » Lacomblet, /. c., p. 442.
10 10 septembre 1287. Lacomblet, t. II, p. 493.
4i 7 mars 1270. Ibidem , p. 250.
zième siècle. Pendant les courts moments de paix dont on jouit
alors, les contrées rhénanes restèrent livrées aux ravages de
troupes de maraudeurs et de brigands. En 1275, Aix-la-Chapelle
s’engagea à payer cinq cents marcs et une rente annuelle de cent
mares au due de Limbourg, Waleram, et ce prince, de son côté,
prit les bourgeois sous sa protection spéciale et promit de les dé-
fendre, même par les armes. Dans le cas où une lutte s’engage-
rait, la cité d’Aix devait fournir aux cavaliers de Waleram des
vivres et des fourrages, mais pendant huit jours seulement, s’il
en résultait un siège. Elle était, en outre, tenue à indemniser le
duc, pour le cas où ses biens auraient à souffrir. Waleram avait
injustement perçu un péage sur les bourgeois; il les en affranchit,
à la condition que les seize jurés d’Aix veilleraient, selon l’an-
tique usage j au maintien de ses droits (veille des octaves de l’As-
somption, en 1275) E Quelques années après, le duc Jean se fit
reconnaître en qualité d’avoué supérieur des Aixois, et intervint
puissamment en leur faveur.
Les marchands de Hambourg fréquentaient déjà nos marchés
à cette époque. Le duc Henri III les avait admis, en 1250, à par-
courir ses domaines en toute franchise, même dans le cas où il y
aurait guerre entre lui et le comte de Holsaten ou Holstein. Sa
veuve ratifia cette convention, le dimanche après l’octave de la
Purification , en 1260-1207 1 2.
Un usage, presque général , rendait les bourgeois des villes res-
ponsables des dettes que les princes contractaient à l’étranger.
Leurs marchandises, leurs navires, leurs chariots étaient de la
sorte fréquemment séquestrés. Cet abus criant, dont Louvain, en
particulier, eut à souffrir en 1290, fut atténué par le due Jean Ier.
Il promit alors aux Bruxellois qu’il ne les donnerait plus pour
cautions, ni eux, ni aucun d’eux. Deux années plus tard, une
mesure extrêmement libérale fut consignée par ses ordres dans
les heures cantonales. Les étrangers furent autorisés à venir se
fixer dans le Brabant, en continuant à y jouir, eux et leur, posté-
1 Quix, Code x diplomaticus Aquensis, t. I, pp. 146.
2 Sartorius, Geschichte der Deutschen Hanse , t. II, p. 723.
( 556 )
rite, des privilèges dont ils étaient en possession dans leur patrie.
Aucune disposition ne pouvait amener plus de marchands, avec
leurs familles et leurs richesses, dans un pays où les attirait déjà
l’abolition complète de la mainmorte.
Les foires étaient alors d’une grande utilité pour le commerce.
On y voyait à la fois les producteurs et les consommateurs, les
uns, certains de vendre avec bénéfice, les autres, assurés de mieux
trouver à satisfaire leurs goûts. La comtesse de Flandre, Margue-
rite, en établit ou en autorisa un grand nombre : à Valenciennes
(1264), à Douai (1265), à Lille, mais pour les chevaux seulement,
à Mons, etc. Tournai obtint la sienne du roi saint Louis, en 1267.
Dans le Brabant, la première ville où il fut établi une foire est
Anvers; mais la date de cette concession n’est pas indiquée; on sait
seulement que la foire existait en l’an 1206; de plus, cette ville
obtint, le 24 avril 1298, au commencement du règne de Jean II,
un marché hebdomadaire pour la vente des chevaux h
Signalons encore une confirmation par Jean Ier des poids et
mesures adoptés par la ville de Léau 2.
C’est au temps de Jean Ier que s’établirent plusieurs de ces
grandes fêtes communales où nos populations semblaient vou-
loir éclipser les cours mêmes par le luxe qu elles y déployaient.
La plupart étaient remarquables par les ommegangen dont on a
essayé de raviver le goût dans ces dernières années. Celle de Lille
date de l’an 1269 ; celle de Soignies, de l’an 1264; Tournai institua
la sienne en 1285. Elles offraient toutes un caractère éminemment
religieux; toutefois, nous en parlons ici parce qu’elles consti-
tuaient en quelque sorte des solennités analogues à nos foires et
à nos marchés, parles liens qu’elles établissaient entre nos diffé-
rentes villes.
Des voies de communication nombreuses facilitaient déjà le
mouvement du commerce et l’exploitation des terres. Au village
de Forêt, près de Bruxelles, il existait une chaussée que les re-
ligieuses du monastère de ce nom et de celui de la Cambre firent
' Brabantsche Yeesten, 1. 1, p. 690.
2 Charte de 1290.
( 3S7 )
construire à frais communs, conformément à une décision des
échevins et des jurés de Bruxelles, en date du mois de juillet 1263 L
Un autre acte du même temps signale l’existence près de Malines ,
à Scmpst et à Hofstade, de deux voies pavées, que Walter Ber-
ihout, fils aîné du seigneur de Malines, afferma à Daniel de
Ponte, à charge d’entretien, et moyennant un cens annuel de
trente sous de Louvain, mais avec la faculté de lever un droit de
chaussée ( steenweghe gelt) 1 2 *.
Les villes du Brabant n’étaient pas en état, comme celles de
Flandre, d’entreprendre la construction de canaux 5, mais elles
appréciaient déjà les bienfaits résultant de la présence d’une route4
et de l’abolition des péages dans les campagnes du voisinage s.
Les monnaies brabançonnes, au treizième siècle, consistaient en
deniers et en oboles, ou petits deniers, valant une moitié de denier.
Le denier, de réduction en réduction, en était arrivé à ne plus
peser que six et demi ou sept et demi-décigrammes, et Jean Ier les
réduisit encore à six décigrammes. La valeur intrinsèque du de-
nier ne dépassait pas sept centimes, et comme le prix de l’argent,
eu égard à la valeur des marchandises de première nécessité,
était dix fois plus élevé que maintenant, une pièce semblable
équivaudrait aujourd’hui à soixante et dix centimes environ.
Une ordonnance de Philippe le Bel, roi de France, du 20 juil-
let 1282, ayant prohibé toutes les monnaies étrangères, tant
noires que blanches, soit baudekins, soit valencenois , et autorisé
seulement la circulation des esterlings, en leur donnant, comme
l’avait fait Louis IX, la valeur d’un quarriau tournois (c’est-à-dire
de quatre tournois ou d’un tiers de gros), la plupart des princes
belges, et particulièrement Jean Ier, s’empressèrent de faire frapper
1 Archives de l'abbaye de la Cambre.
2 Acte du mardi après le dimanche Misericordiam Domini, en l’année
1287. Histoire des environs de Bruxelles , t. Il, p. 554.
5 La petite ville de Rodenbourg fut autorisée, en 1243-1244, à creuser un
canal conduisant à la mer et à y lever un péage; en 1251 , les Gantois obtin-
rent un octroi semblable pour un canal de leur ville à l’Écluse, etc.
4 Chartes de Léau, des années 1215, 1290, etc.
5 Charte pour Bruxelles, de l’an 1290.
( 558 )
des esterlings. Ils imitèrent complètement ceux que l’on fabriquait
en Angleterre, et on en connaît même du Luxembourg, sur les-
quels on a gravé le nom du roi Édouard , et d’autres où on lit les
mots : civitas london.
C’est, paraît-il, à la suite de l’édit royal dont nous venons de
parler, que Jean Ier fit frapper une nouvelle monnaie : trois de
ses brousselois ou lôuvignois valaient deux deniers. L’année sui-
vante, en février 1282-1285, le comte Guy de Dampierre concéda
à Ubert Alion, citoyen d’Asti, et à ses compagnons, le droit ex-
clusif de battre monnaie à Namur, à la condition que cette mon-
naie serait « aux mêmes poids et loi que la nouvelle monnoie du
» duc et à la même taille de fort et de faible que les nouveaux
» sterlings d’Angleterre. » Il promit que si le duc ou un autre
prince la prohibait dans ses États, il userait de réciprocité h
Le duc Henri III avait affectionné, à ce qu’il semble, plusieurs
types tout à fait différents l’un de l’autre, et qui servirent à distin-
guer les produits de chacune de ses monnayeries. Ainsi il avait des
monnaies marquées d’un donjon (celles d’Anvers?), d’une église,
d’un double aigle (Haelen?), d’un aigle simple (Nivelles?), d’un ca-
valier, de l’agneau pascal (Tirlemont?), etc. On attribue à sa veuve,
avec une quasi-certitude, une obole offrant d’un côté une croix droite
avec les lettres b.r.v.x. (Bruxelles) et, de l’autre, une espèce de pont
à fleurons. Jean Ier abandonna la plupart de ces types, peut-être
parce qu’il réduisit le nombre des ateliers monétaires. L’obole si
connue de Henri III , avec le lion debout dans un écusson triangu-
laire, et au revers, la croix cantonnée des lettres b.a.s.t., initiales
probables des mots Brnocella , Antwerpia , Silva (ou Bois-le-Duc)
et Thenis (ou Tirlemont), se reproduit presque identique sous son
règne, tantôt avec l’écu et la légende a.î.d.v.x. (Johannes, dnx) et
de l’autre, la croix et les lettres i.d.v.x. ou l.o.v.a. ( Lovanium ),
ou quelquefois w.a.l.t., lettres que l’on suppose indiquer le nom
d’un monétaire ou directeur de monnayerie. Sur d’autres pièces on
lit : tantôt, autour de l’écu, d.v.x. ou m.o.n.e.t.a. d.v.x., et dans les
bras de la croix t.r.i.t. (c’est-à-dire Maestricht); tantôt, à l’avers,
moneta, et au revers, brux. et johannes dux.
4 Messager des sciences historiques, t. V, pp. 201 et suiv.*
( 559 )
Les esterlings de notre prince offrent aussi l’écu au lion et la
croix pattée. D’autres présentent une tête vue de face : ils se rap-
prochent des monnaies de plusieurs autres princes belges, et
notamment de celles de Jean de Louvain, sire de Herstal (1285-
1509); d’après cette dernière circonstance, on pourrait supposer
que Jean Ier ne les mit en circulation que vers la fin de son règne 4.
Jean Ier a également frappé des gros , offrant à l’avers un ange
debout, tenant une lance de la main droite et une fleur de la
main gauche; la légende porte moneta biiüxellensis. Au revers,
on voit une croix fleuronnée et les mots : johannes dux biubantie.
Les variations qu’éprouvait la valeur des monnaies consti-
tuaient alors un grand embarras pour les transactions. Il en ré-
sultait des différends dont on rencontre les traces fréquemment,
mais dont il est difficile d’apprécier nettement la portée. Ainsi,
nous voyons, aux environs de Saint-Trond, plusieurs contestations
s’élever au sujet des cens par tête et de l’obole banale due par
chaque maison du pays voisin. L’abbaye de Saint-Trond prétendait
qu’on devait les payer en monnaie de Liège , sans doute à cause
de la plus grande valeur de celle-ci; ses sujets, au contraire, se
disaient prêts à payer, mais en deniers et oboles de Flandre,
ces dernières nommées copots. D’après René, écolâtre de Tongres,
et le chevalier Walter de Lude, qui furent chargés par le comte
de Looz de juger ce différend, on devait acquitter les droits
mentionnés plus haut avec la même monnaie que les droits dus
aux seigneurs séculiers, monnaie que l’on appelait pontpenninc
(mardi après l’Epiphanie, en 1265)1 2. Un ordre formel de l’évêque
de Liège Henri prescrivit le payement immédiat dans les huit
jours, en monnaie de Liège (octaves de la Saint-Martin d’hiver,
de la même année).
Dans les contrées rhénanes, où le commerce était plus consi-
dérable, et particulièrement à Cologne, on s’était à plus d’une
1 Revue numismatique belge , passïm. — Piot, Notice sur un dépôt de
monnaies découvert à Grand-H alleux ( Nouveaux Mémoires de V. Académie
royale de Bruxelles).
2 Cum moneta ilia quae dicitur pontpenninc ( Cartulaire de l'abbaye de
Saint-Trond).
( 560 )
reprise, plaint de la qualité de la monnaie. Le roi Rodolphe et
l’archevêque Sifroi convinrent enfin d’en frapper chacun une
pareille à leur type, d’une valeur nominale de treize sous et qua-
tre deniers le marc d’argent, soit de quatre deniers seulement
au-dessous de la valeur réelle du marc J.
Les modifications que le duc apporta à sa monnaie excitèrent
sans doute des murmures, à cause du tort qu’elles causaient aux
transactions commerciales. Par un décret en date du dimanche
avant la fête de la chaire de Saint-Pierre, en 1290, Jean Ier déclara
que le payement des cens, dus à des seigneurs fonciers, s’effec-
tuerait en nouvelle monnaie, c’est-à-dire en deniers dont trois va-
laient quatre deniers de la monnaie ordinaire. Les dettes et autres
rentes, de quelque nature qu’elles fussent, pouvaient se payer
avec l’argent ayant cours 1 2.
Il dut s’opérer, à cette époque, une grande révolution dans les
conditions sociales. Les progrès de l’industrie et du luxe rendirent
l’existence plus chère, en augmentant les besoins. La richesse des
commerçants et des fabricants s’accrut dans de fortes propor-
tions, tandis que ceux dont les revenus consistaient en cens per-
pétuels se voyaient éclipsés. C’est pour cette raison qu’au quator-
zième siècle nombre de familles seigneuriales tombent dans
l’obscurité, tandis qu’on voit grandir les patriciens des villes, et
surtout ceux de Bruxelles et de Louvain, à qui leur fortune ou
1 Le 27 octobre 1282. Pertz , Monumenta, Leges,t. II , p. 440.
2 Voici le texte entier de ce diplôme , que nous croyons important : Nos
Johannes , Dei gratiadux Lotharingiae , Brabantiae et Lymburgiac, nolum
facimus universis quod super censibus hereditariis débit is et redditibus
annalibus seu perpetuis in Brabantia solvendis, talis est nostra inierpre-
tatio , videlicet ut census hereditarii dominis fundi quibuscumque debiti,
per totam Brabantiam cum nova moneta , scilicet cum denariis de quitus
très valent quatuor denarios nunc cur-r entes, solcantur. Débita vero et red-
ditus annales seu perpetui, al iis quam dominis fundi quibuscumque debiti,
cum moneta pro tempore currente persolvantur. Quam interpretationem
per totam Brabantiam volumus firmiter observant, et eam universis et
singulis tenore presentium volumus esse notam. Datum anno Domini mille-
simo ducentesimo nonagesimo , dominica ante cathedram beati Pétri ( Cartil -
taire d’Afflighem, 1. 111 , p. 560).
( 361 )
des alliances matrimoniales donnent bientôt une foule de seigneu-
ries. Quelques propriétaires fonciers s’efforcèrent de prévenir
leur futur appauvrissement , en reprenant leurs biens censaux et
en les concédant à de nouvelles conditions, mais cette opération
offrit souvent des difficultés. Entre autres exemples que nous
avons notés, nous citerons celui-ci : Le ltr février 1265-1264, le
chapitre de Sainte-Gudule reçut la renonciation à deux héritages,
d’un particulier qui les tenait à cens, moyennant trois deniers par
an, et les lui rendit immédiatement, à la condition de payer, outre
ce cens, un second cens de cinquante sous de Bruxelles, par an.
Les chiffres suivants donneront une idée de la valeur de l’ar-
gent à cette époque : on vendit à Merchten, en 1265, quinze
bonniers de terres, moyennant cent cinquante livres, et en 1278,
trente-quatre bonniers, moyennant trois cent quatre-vingts livres l.
Chaque bonnier valait donc dix ou onze livres; aujourd’hui on le
payerait de trois mille à cinq mille francs. En 1279, Godefroid de
Vianden vendit à l’abbaye de Grimberghe soixante et onze bonniers
de bois, à sept livres de Bruxelles le bonnier, et ensuite soixante
et onze autres bonniers, moyennant une somme globale de six
cent trente livres. En 1290, le bois de Vaillampont fut payé cent
sous (soit cinq livres) de Louvain le bonnier, et en 1295, on donna ,
pour un bois à Pamele, vingt-cinq livres de tournois noirs, par
bonnier. En 1278, à Jodoigne, le muid de blé valait vingt sous, un
chapon huit tournois, un bonnier de terre s’affermait pour vingt-
quatre muids de blé, un moulin se louait, suivant son impor-
tance, treize, quinze ou meme trente -six livres. Un muid de
chaux se payait cinq livres, en 1295. En 1296, on évaluait le muid
de froment à vingt sous de Louvain, le muid de seigle à dix-huit,
un chapon à dix deniers.
Les premières notions sur l’organisation de nos monnayeries
ne remontent qu’à l’époque de Jean Ier. Ce prince établit celle de
Bruxelles dans une maison qui se trouvait dans la rue des Cheva-
liers ( Viens militum, aujourd'hui la Grande rue de l’Ecuyer) et
qu’il acquit de l’abbaye d’Afïlighem, le dimanche après la Saint-
1 Histoire des environs de Bruxelles , t. II, p. 279.
( 562 )
Matthias, en 1289, en échange de cent mnids d’avoine que le
monastère lui devait pour des biens près de Genappe ; cependant
il ne réalisa pas son projet, car la monnayerie de Bruxelles,
située anciennement à proximité de la rue des Eperonniers , se
trouvait, en l’an 1508, à l’endroit où fut depuis le couvent,
aujourd’hui caserne, de Sainte - Elisabeth l. Plus tard Jean le
Victorieux déclara qu’il n’y aurait en Brabant que deux ateliers
de monnaies, Louvain et Bruxelles, et organisa les monnayeurs
en une corporation qui ne pouvait compter que quatre-vingt-dix
membres : quarante à Louvain, cinquante à Bruxelles, à moins
qu’il ne devint nécessaire d’augmenter ce nombre. Les mon-
nayeurs obtinrent le droit d’élire tous les ans deux valets chargés
de régir le corps, de concert avec le maître de la monnaie et le
waradyn ou contrôleur; ils devaient être exempts du service mili-
taire, excepté lorsqu’il s’agirait de défendre le pays. De leur côté,
les maîtres et les compagnons monnayeurs s’engagèrent à tra-
vailler pour un salaire égal à celui que donnaient les rois de France
et d’Angleterre et le comte de Flandre (juillet 4 291 ) 2. En l’année
1298, le fils de Jean Ier confirma et augmenta les privilèges de la
corporation, à laquelle il adjoignit deux cents sous-monnayeurs ,
et vers cette époque, presque tous les ateliers de monnayage de
la Belgique reçurent des statuts.
L’emploi de plus en plus répandu de la monnaie donna une
grande importance aux maisons où l’on faisait des opérations de
prêt, de change, etc. L’usure constituait alors un des vices domi-
nants; on peut le supposer d’après le zèle avec lequel les papes
l’attaquèrent dans leurs bulles et les prédicateurs dans leurs chaires.
Tout fut inutile ; la plaie ne fit que grandir et s’envenimer.
En quelques localités, on institua des changes, où le taux du
prêt était régularisé. En Flandre , par exemple , celui d’Arden-
bourg constituait un fief par lequel le détenteur donnait au comte
dix livres de Flandre par an; celui d’Ypres fut abandonné à la
ville, dès l’année 1285, mais à la condition de ne le reprendre
1 Voyez Histoire de Bruxelles , t. III, p. 196. Conf. Ibidem, pp. 77 et 566k
9 Placards de Brabant, t. I , p. 244. — De Dynter, t II, p. 454.
( 565 )
qu’en 1290, les lombards devant le garder jusqu’à eette époque.
Il y avait à Bruxelles des changeurs, et une des familles qui se
livraient à ce trafic en garda le nom de Cambitor ou Wisselaer; il
y en avait aussi à Anvers , à Bois-le-Duc. Dans la plupart des loca-
lités, on devait recourir aux lombards, qui se répandirent jusque
dans des bourgades : à Grimberghe, à Assclie, à Merchten, à Len-
nick, à Genappe, à Wavre, à Jodoigne, à Gembloux, à Yssche l.
Jean Ier, qui obéissait volontiers à ses goûts du moment, ne détes-
tait pas les lombards , parce qu’il en avait fréquemment besoin ;
nous l’avons vu, à Nivelles, malgré l'abbesse et malgré l’évêque
de Liège, maintenir les Cahorsins, dont son père mourant avait
ordonné l’expulsion du duché; un article de la charte qu’il accorda,
en 1267, à la ville de Louvain, y maintint ces deux catégories de
personnes, comme elles existaient à Bruxelles.
CHAPITRE XIII.
CLERGÉ, ABBAYES, HOPITAUX.
I.
Au commencement du treizième siècle, l’Église catholique se
trouva en face d’ennemis redoutables. Elle eut à se défendre à la fois
contre les peuples mahométans ou païens, qui menaçaient l'Europe
au midi et au nord, et contre la propagation des doctrines hétéro-
doxes, dont le principal foyer se trouvait dans le riche Languedoc.
1 Compte de Vamman Lenken, passïm. — Pour Lennick, voyez l 'Histoire
des environs de Bruxelles , 1. 1, p. 210.
( 564 )
Quoique encore en querelle avec plusieurs puissants monarques,
elle accepta la lutte et en sortit triomphante, mais la victoire lui fut
plus pénible à supporter que le combat. Les hérétiques proscrits
renaquirent dans les poètes, qui ne se firent pas faute de jeter le
ridicule sur la vie des moines; parmi les bourgeoisies, où une puis-
sance nouvelle disputa aux corps ecclésiastiques leurs anciennes
prérogatives !, et même parmi les princes, dont la plupart s’ac-
coutumèrent à pressurer un clergé devenu trop opulent à leur gré.
Pendant la seconde moitié du treizième siècle, il se manifesta
dans les idées de grands changements. Si la foi religieuse resta
vive, si le goût de la vie monastique continua à subsister, la géné-
ralité des fidèles se refroidit. On ne trouve plus, à cette époque,
cette immense quantité de chartes qui remplit les cartulaires
d’une série interminable de donations ou de ventes au profit des
corporations monastiques. Et ce changement, que l’on essaye-
rait vainement de contester, eut des conséquences désastreuses
pour plusieurs grandes corporations. Dans les temps antérieurs,
elles avaient entrepris d’immenses constructions, établi leur genre
de vie sur de larges bases; leurs ressources ayant diminué tout à
coup, elles se trouvèrent obérées : notamment Villers, où les supé-
rieurs se succédèrent sans parvenir à rétablir l’ordre dans les
finances, et Saint-Michel d’Anvers, où Jean Ier défendit de rece-
voir des botes, jusqu’à nouvel ordre et tant que l’état financier
de la communauté ne serait pas meilleur, parce qu’elle était gre-
vée de rentes viagères et appauvrie par suite d’inondations cala-
miteuses 2.
Les exactions, dont on frappa les abbayes, contribuèrent encore
à leur ruine momentanée. « Depuis le temps du concile de Lyon,
» sous Grégoire X, dit l’abbé de Bonne-Espérance, Maghe, plusieurs
» papes, voyant l’Église accablée outre-mer par les infidèles, et
» dans l’espoir de venir à son secours, accordèrent aux princes la
» dîme (ou un décime du revenu) des biens ecclésiastiques, pen-
4 Notamment le droit d’excommunication, que le pape Martin IV restreignit
pour Nimègue, à la demande de la cité. Bref en date du 25 août 128t. Bon-
dam, Charlerboek van Gelderlant , 1. 1, p. 659.
2 Mars 1282-1283. Willems, VanHeelu, p. 575.
( 505 )
» dci il t trois, quatre ou six ans, tantôt parmi toute la chrétienté,
» tantôt dans quelques contrées, mais cette concession n’aboutit
b qu’à forcer les religieux à vendre des immeubles, soit à perpé-
» tuité , soit pour un temps. »
« Au moyen des corvées, des tailles , des exactions , des charges
» de toute espèce, les princes frappèrent les ouailles du Christ, et
» leurs agents, officiers ou suppôts, comme des fils de Déliai , plus
» durs que Pharaon, sévirent contre les religieux plus que sur les
» laïques, au mépris des huiles papales. Ils essayèrent fréqueni-
» ment d’extorquer des subventions ou des dons ; ils les taxèrent,
» puis les forcèrent tyranniquement à payer au moyen de saisies.
» En outre, ils faisaient nourrir dans les monastères leurs che-
» vaux, leurs troupeaux de porcs, leurs meutes, ainsi que leurs
» gardiens; bien plus, ils ne rougissaient pas de forcer les corpo-
» rations religieuses à engraisser des chapons, et pendant les
» guerres, ils en exigeaient des chevaux, des chariots, du fro-
» ment, des bêtes à corne, de l’argent, pour leurs armées *. »
Nous devons le dire, Jean I01 se permit toutes ces extorsions,
ainsi qu’il résulte de ses chartes mêmes. Il demanda fréquemment
des subsides aux monastères, leur prodiguant chaque fois des
chartes d’exemption, qui ne prouvent qu’une chose, les exactions
continuelles auxquelles ils étaient en butte. D’ailleurs, l'immense
accroissement des biens ecclésiastiques effrayant les autorités
laïques, le duc essaya de l’arrêter. Scs intentions, à cet égard, se
trahissent dans les chartes par lesquelles il autorise Saint-Michel
d’Anvers et Coudenberg à acquérir des biens censaux ou allodiaux
jusqu’à concurrence d’un revenu de trente livres de Louvain, pour
la première de ces communautés, de cent livres pour la seconde.
Il y a ici limitation de la faculté d’acquérir, limitation qu’antérieu-
rement on songea rarement à établir2. Mécontent, sans doute,
de l’accroissement continuel des biens ecclésiastiques, et vou-
1 Chronicon Bonœ Spei , p. 278 , d’après un autre moine de l’abbaye, le
père Sivry.
2 Acte du dimanche Jubilate, en 1288. Cartulaire de Saint-Michel , f° 190.
— Histoire de Bruxelles, 1. 111, p. 353. — A celte époque, le couvent de
Coudenberg s’élait considérablement agrandi.
( 56G )
lant imiter ce qui se pratiquait en France, Jean Ier interdit
formellement « d'adhériter aucune église en Brabant sans son .
congé spécial , » et c’est pourquoi , lorsque les trois frères de Braine
voulurent doter de la seigneurie de Wauthier-Braine le monastère
de femmes fondé dans ce village, ils en firent une cession simulée
à Simon Tondeurlent (le samedi après l Épiphanie, en janvier
1280-1281) b Quelques années après, lorsque, à la suite sans
doute de nouvelles demandes d’argent, le duc confirma, en 1292,
les biens et les privilèges de presque tous les monastères, ce fut
à la condition bien expresse qu’ils devraient solliciter son appro-
bation ou celle de ses successeurs pour acquérir des terres, et que,
dorénavant, ils ne pourraient posséder qu’une habitation dans
chacune des sept chefs -villes du Brabant (Louvain, Bruxelles,
Anvers, Bois-le-Duc, Tirlemont, Léau et Lierre), les autres devant
être vendues à des tiers ou données à cens 1 2.
Ce qui justifiait jusqu’à un certain point les exactions ducales,
c’était la rapidité avec laquelle les biens de toute nature se con-
centraient dans les mains du clergé. Enrichi par des donations
sans nombre, il l’était encore par la sagesse de son administra-
tion, par sa persévérance dans Ses efforts pour l’amélioration du
sol, par les résultats du bien-être matériel qu’il réussissait pres-
que toujours à donner à ses tenanciers. La dime, qui, au com-
mencement du siècle, appartenait encore aux laïques en beaucoup
d’endroits, était devenue le patrimoine des églises, et comme on
trouvait que la libéralité des fidèles n’était plus assez active, on
autorisa ce qui avait été prohibé d’abord : on permit de racheter
1 Taiiier et Wauters , La Belgique ancienne et moderne, canton de Nivelles,
p. 116.
2 Charte accordée à Afïlighem, en avril 1292 ( Cartulaire de l’abbaye d'Af-
flighem, t. 111 , p. 372. — Histoire des environs de Bruxelles , 1. 1 , p. 487) ; —
à Villers , en mars 1295 (Wauters, L'ancienne abbaye de Villers ) ; — à Saint-
Michel et à Grimberghe, le mercredi avant la Sainte-Marie-Madeleine ( Opéra
diplomatica , t. IV, p. 259. — Histoire des environs de Bruxelles, t. Il , p. 239);
— à Dilighem (Sanderus, Chorographia sacra Brabantiae, 1. 1, p. 596); — à
Saint-Bernard, le lundi après la Trinité ( Brabantsche Yeesten, t. I, p. 682);
— à Parc-les-Dames , en avril 1292, etc.
( 30.7 )
les dîmes des laïques qui en possédaient *. Or, pour les abbayes,
il suffisait d’attendre; chaque famille en arrive un jour à avoir des
besoins d’argent, et, dans ees moments-là, une vente à des prix
avantageux est constamment acceptée.
Le choix que l’on fit, à cette époque, de conservateurs des biens
de certaines abbayes révèle les attaques auxquelles ces biens
étaient exposés2. Ailleurs, on entrevoit les réclamations sans cesse
renaissantes qui prenaient leur origine dans la cession d’un do-
maine à une corporation. Nous nous bornerons à l’exemple sui-
vant. En 1256, l’abbaye de Villers acquit des biens à Ramillies,
où les cessionnaires ne se réservèrent que les serfs ( exceptis lio-
minibus servilis conditionis) , en ordonnant à leur maire, à leurs
tenanciers et à leurs autres vassaux de n’user de leurs biens ou
de ne s’en dessaisir qu’avec l’autorisation des religieux. Mais,
quinze ans plus tard, il y eut des débats à ce sujet. Les sires de
Gaesbeek, de Walhain et de Rautersem, et Henri, bailli de Jodoi-
gne, furent choisis pour ouvrir une enquête, pour entendre le
témoignage des témoins. L’enquête se fit à Louvain , sur le cime-
tière de l’église Saint -Nicolas, devant le château, et tous les
témoins scellèrent, avec les enquêteurs, l’acte qui fut dressé le
lundi, 8 juin 1271, et qui confirma les droits du monastère. Ce
ne fut toutefois qu’en 1274 que les parents des anciens seigneurs
de Ramillies renoncèrent, pour la plupart, à l’héritage de ceux-ci.
Arnoul, sire de Steyne, avait été définitivement choisi pour ar-
bitre. En vertu de sa décision, qui devait être accomplie dans
le délai d’un an et un jour, et sous peine de deux cents marcs
d’amende, ces parents se désistèrent solennellement de leurs droits
devant la cour et justice séculière du duc (in curia et coram jus-
tifia seculari ducis Brabantiae) 3. Huit d’entre eux : Richard de
1 Charte du pape Boniface VIII, en faveur de Cambron, de l’année 1294.
LeWaitte , Historia Camberonensis, pars II, p. 257.
2 Charte en faveur de l’abbaye de Cortenberg, en date du 7 mars 1284.
Opéra diplomatica , t. II, p. 1011.
5 Déclaration émanant de René d’Audendorp , chanoine de Notre-Dame à
Aix et de Saint-Siméon à Trêves, et de René , chevalier de Wyswilre, et que
sire G. de Borne scella, à leur demande, à Maestricht, le vendredi après les
octaves de Pâques , en 1274.
( 308 )
ICeuswilre, Philippe de Berghe, Wenric de Kaudenbcrgc, René
d’Entvcld, Godcfroid Dobbclslain , Guillaume Tuel, Herman de
Tiederic, chevaliers, et René, bis de sire Godefroid de Breden-
rode, avaient reçu et accepté la mission d’entrer en leur nom, les
quatre premiers à Aix-la-Chapelle, les quatre autres à Maestricht,
pour y rester jusqu’à l’accomplissement de ces formalités 1 ; de
son côté, Villcrs paya trois cents livres de vieux deniers gros
tournois. Ce monastère n’en eut pas moins un nouveau procès
avec Guillaume, écuyer (armiger) de Milnc et de Greben, et les
siens, à qui les religieux payèrent encore deux cents livres 2 *.
Les tendances dont nous venons de parler commençaient seu-
lement à se manifester, et des legs ou achats nombreux enrichi-
rent encore le clergé ou lui conhrmèrent ses droits.
En mai 1266, la duchesse Aleyde confirma à l’abbaye de Saint-
Michel les pêcheries de Berendrecht, que lui contestait Gérard
d’Ysschc le jeune 5.
Au mois de mai 1264, dans une assemblée qui se tint dans le
couvent des frères mineurs, à Bruxelles, Gérard de Coekelberghe
céda au monastère de Dilighem, la seigneurie allodiale dont il
portait le nom, et la reprit en bef de ce monastère 4.
Félicité, dame de Ilobokcn, veuve du sire de Perwez, vendit
son alleu de Puers au monastère de Saint-Bernard, pour la somme
de mille quarante livres de Louvain, et avec l’approbation du duc
(lendemain des saints martyrs Jean et Paul, en 1278) 5; elle l’avait
achetée à l’abbaye d'Inde, près d’ Aix-la-Chapelle, en 1276, moyen-
nant neuf cent quarante livres de Bruxelles.
En 1280, la veille de Noël, Walter de Braine et scs frères Siger
et Jacques conhrmèrent aux religieuses de Wautbier - Braine,
toutes les acquisitions qu’elles avaient faites dans leurs domaines,
1 Déclaration de ces huit personnes, datées, pour les premières, du lundi
après les mêmes octaves; pour les autres, du vendredi suivant.
2 Déclaration du duc Jean II, du dimanche avant la Purification, en 1295-
1296, et du jeudi avant l’exaltation de la Sainte-Croix, en 1296.
5 Cartulaire de Saint-Michel , f° 215.
4 Histoire des environs de Bruxelles , 1. 1, p. 541.
5 Opéra diplomalica , 1. 111 , p. 690.
( 569 )
leur donnèrent la seigneurie de Wauthier-Braine, et leur aban-
donnèrent les revenus du moulin voisin de l’abbaye, en stipulant
que cette usine serait banale pour tous les tenanciers de l’alleu de
Wauthier-Braine b Walter renonça ensuite à l’alleu même, et cette
renonciation se fit entre les mains de Henri Procbiaen , bourgeois
de Bruxelles et délégué du duc, qui s’v réserva expressément le
feu, le meurtre, le larcin, ou, si l’on veut, les cas d’incendie, de
meurtre, de vol, c’est-à-dire la haute justice 1 2 *.
Le 7 février 1282-1285, Jean L] prit sous sa protection les biens
et les prérogatives de l’abbaye de Saint-Michel.
Par deux actes du samedi avant les octaves de Pâques, en 1282-
1285, Jean Ier accorda une exemption complète de tonlieux à l’ab-
bave de Val-Dieu, monastère de l’ordre de Citeaux, situé dans
le pays de Daelhem, et déclara libres d’exactions, sauf en cas de
guerre générale, les habitants des biens de cette communauté, qui
lui en avait donné l’avouerie. L’abbave racheta, moyennant trois
cent cinquante marcs de Liège, quelques redevances qu’elle devait
au domaine, et le duc employa cette somme à acheter du couvent
de Borcette, près d’Aix-la-Chapelle, le village de Saint-André
(acte du mardi après les Pâques) 5.
En 1285, le lundi avant la fête de la Division* des apôtres,
Jean Ier annula, en faveur des religieux d’Heylissem, un cens de
vingt sous qui lui était dù pour le vivier contigu à ce monastère.
Vingt- cinq ans auparavant, l’abbé en avait abandonné rempla-
cement, qui formait alors une prairie, pour l’usage du réfectoire,
afin d’y réunir des eaux et d’y placer des poissons, le monastère
se trouvant dans un lieu aride et éloigné de la mer, et la com-
munauté souffrant fréquemment du manque de poisson 4.
Les principaux bienfaiteurs de l’abbaye de Grimbcrglie furent
1 Opéra diplomatica , t. lit, p. 420.
Butkens, t. J , Preuves, p. 115. — Tarlier et Waulers , l. c. — Les frères de
Walter approuvèrent cette cession, au mois de janvier 1280-1281 , le samedi
avant l’Epiphanie.
5 Opéra diplomatica , t. 111, p. 158 et 159.
1 Acte daté du jour de la Sainl-Barnabé, 1258 ( Cartulaire de l'abbaye
d’Heylissem).
Tome Xlll.
24
( 570 )
les seigneurs de Grimbcrghe, qui s’intitulaient ses vrais avoués
{vert advocati). A ce titx*e , ils approuvaient les donations qui lui
étaient faites, ce que Fou voit, notamment, par une charte de
Marie, comtesse de Vianden, datée de la veille de l’Invention de
la sainte croix, 2 mai 1280; la comtesse ne s’y réserve, dans les
biens du monastère, que le domaine et la justice qu’elle y pos-
sède. Mais bientôt les ducs, qui étaient jusqu’alors restés étran-
gers à l’abbaye, entreprirent de la soumettre à leur juridiction;
ils y réussirent en s’en proclamant les avoués (6 mars 1284-
1285) L
En 1287, Jean Ier confirma aux religieuses de Saint-Jean-Bap-
tiste, de Boreette, l’exemption de tonlieux dont elles jouissaient à
Galoppe et à Dorath 1 2 3.
Le vendredi après la fête de Notre-Dame, en septembre, le duc
abandonna à la communauté de Florival « toute la peskerie du
» Til, de la maison Lermite jusque au pont monseigneur Abrani
» de Glabbeke. »
En 12.91 , le lendemain des saints Innocents, Jean Ier promit de
protéger les religieux d’Everboden contre ceux qui dévastaient les
bois et les pâtures de leur ferme de Sterczele.
En 1295, il ordonna à ses officiers de veillera ce que l’on payât
au monastère de Tongerloo ses cens héréditaires, comme on lui
payait les siens, sans réduction (diplôme en date du lendemain de
l’Annonciation 5.
Nous citerons encore une charte en faveur de l’abbaye de Parc,
où Jean Ier confirme aux religieux leur exemption de toute espèce
de tonlieux, winage, péage ou droit quelconque exigé pour l’en-
tretien « des voies publiques que l’on appelle chaussées (chau-
y> chidae ) et des ponts; » de tout droit prélevé sur les ânes,
mulets ou autres animaux employés dans les moulins. Le duc s’y
engage à ne jamais troubler ceux qui voudraient faire moudre
1 Opéra diplomalica , t. IV, p. 722. — Histoire des environs de Bruxelles ,
t. II, p. 258.
2 Opéra diplomalica , t. IV, p. 248.
3 Registre des chartes déposées en 1498 et 1500 , passim.
( 571 )
leurs grains dans un des moulins des moines, et à laisser leurs
animaux pâturer dans le Loo ou dans les pâtures communes des
localités où l’abbaye possédait des fermes !.
Le libre exercice de la juridiction inférieure , de ce qu’on ap-
pelait la petite justice , fut reconnu généralement aux monastères,
et en particulier : à Parc-les-Dames, qui obtint par une charte du-
cale, datée de Louvain le lundi avant le dimanche Invocavit me ,
de l’année 1273, le droit d’adhériter et de déshériter les tenan-
ciers de ses biens censaux et allodiaux à Cumptich et à Hoxem; —
à Saint-Michel, qui obtint, au mois de février 1282-1285, le droit
de rendre la moyenne justice, et au mois de mai suivant, la per-
mission d’instituer à Merxplas, pour remplacer ses censitaires
ou tenanciers jurés, des échevins, qui pourraient comminer des
amendes jusqu’au taux de trois sous de Louvain1 2; — au couvent
de Ten-Roosen, près de Termonde, dont les sept tenanciers à
Maxenzeel furent reconnus aptes à adhériter et déshériter les
censitaires du couvent, en se conformant à la loi d’Uccle (charte
du mercredi avant le dimanche de Laetare , 1284-1285) 3.
Quant aux abus à propos des gîtes, abus dont la répression ne
fut jamais complète et qui fit, en 1512, l’objet d’un diplôme im-
portant de Jean II, le vainqueur de Woeringen ne s’en occupa
que rarement. En accordant sa protection au monastère de Grirn-
berghc, il défendit à ses chasseurs de prendre leur gite pen-
dant plus d’un jour et d’une nuit, dans les bâtiments du monas-
tère et dans celles de ses fermes qui étaient situées dans le pays
de Grimberghe , et leur ordonna de réclamer ce gite avec ména-
gement, de manière qu’on n’eût pas à se plaindre deux4.
La protection qu’il accorda, ou qu’il parut accorder aux établis-
sements monastiques placés sous sa dépendance, le duc l’étendit
à certaines abbayes étrangères, qui avaient des propriétés dans
ses domaines et dont il se qualifiait l’avoué, le défenseur. C’est
1 Charte du 7 avril 1285. Summaria cronologia Parçhensis , p. 1 17.
2 Willems, Vau Heelu, pp. 572 et 575.
5 Histoire des environs de Bruxelles , t. 1 , p. 529.
1 Charte du 6 mars 1284-1285. Ibidem, t. Il, p. 258.
( 5'-' )
ainsi qu’il promit aux religieux de Saint- Trond que, chaque fois
qu’il lèverait dans son pays des exactions ou des tailles, la cote
exigée d’eux serait proportionnée à l’importance de leurs biens l.
IL
La chute de la maison de Ilohenstaulïen amena pour 1 Église une
période de tranquillité, qui lui fut peut-être plus funeste que les
agitations antérieures. Le repos amortit l’ardeur dont les âmes
étaient remplies et on s’habitua à une torpeur qui conduisit insen-
siblement ail relâchement et aux abus. Les grandes écoles abba-
tiales, d’où étaient sortis tant de prélats habiles, furent déser-
tées pour les universités et principalement pour celle de Paris,
qui resta, pendant tout un temps, la capitale intellectuelle de l’Eu-
rope occidentale.
Si les lettres conservaient quelques sectateurs dans les commu-
nautés des bénédictins, par exemple à Alïligbem, elles étaient
tout à fait abandonnées par celles de l’ordre de Citeaux. Dans la
grande et riche abbaye de Villers, on ne se livrait qu’à la vie con-
templative et à l’exploitation des terres. « Plus d’un moine, avons-
» nous dit ailleurs 2, y manifesta nettement de l’aversion pour les
» travaux théologiques on littéraires. L’abbé Arnoul de Louvain,
» consulté sur le projet de créer à Paris un collège qui serait
» ouvert à des frères de l’ordre, le collège Saint-Bernard, le
» désapprouva : Un moine ne doit pas enseigner, mais pleurer,
» disait-il en s’appropriant une parole du saint lui-même. Vers le
)> même temps, le jeune Arnoul de Gestele, qui devint plus tard
» abbé, se refusa à aller étudier dans ce collège ; il prétendait,
» lui, qu’un religieux n’avait pas pour mission d’étudier, mais de
» prier. » Cependant, tous ses confrères ne partagaient pas ses
opinions, et lorsque Robert de Blocquery fut élu abbé, en 1285, il
fréquentait l’université de Paris. Une bulle du pape Bonifaec, de
’ Cartulaire de l’abbaye de Saint-Trond.
2 L'ancienne abbaye de Villers, p. 50.
( 575 )
l’année 1 295, permit aux abbés des communautés de Prémontré
d’envoyer dans la même ville ceux de leurs religieux qui montre-
raient d’heureuses dispositions pour l’étude ; l’abbé de Parc, Guil-
laume de Lubbeeck, devança cette autorisation en faveur d’un
frère Henri, dont le séjour dans la capitale de la France coûta
au monastère : en 1295, dix-sept livres; en 1296, quatorze livres;
en 1297, treize livres b
Les Prémontrés sortirent rarement de leurs occupations favo-
rites : les fonctions sacerdotales. Toutefois, à Parc, ils ont laissé
de magnifiques monuments de leur goût pour la calligraphie. C’est
d’abord une superbe bible grand in-folio , ornée de lettrines, et à
laquelle plusieurs religieux ont certainement travaillé , car l’écri-
ture est de différentes mains. Les lignes suivantes indiquent qu’elle
fut exécutée en 1 265 , par les soins du prieur Simon de Louvain :
Istcim bibliam fieri fecit Symon de Lovanio prior ad honorem
Dei et beale Virginis Malris ejus et ad vtilitatem frcitrum stu-
dentium in Parcho anno Domini MCCLX tertio ; si quis abstu-
lerit anathema sit. Amen. Un autre manuscrit, un cartulaire ou
recueil de chartes, y fut exécuté, en 1266, par le frère Henri de
Libbcke, à la demande du prieur Everard, comme l’indiquent ces
mots copiés à la première page : Liber scinde Marie in Parcho.
— Anno Domini millesimo ducentesimo LXVI per script-us est
liber iste a fratre Henrico de Libbekci ad petitionem fratris
Evrardi prepositi. Si quis eum abstulerit , anathema sit , fiat,
fiat. Amen 1 2. En 1295, le monastère paya encore au copiste René ,
pour un missel, la somme de trois livres dix sous. Le zèle de cette
communauté fut récompensé par un legs d’un chanoine d’fncourt,
Walter de Faelbeke, legs également honorable pour le donataire
et pour ceux qui en profitèrent. Walter fit don au monastère d’un
Decretum , d’un Codex , des Décrétales et d’un Digeste vieux et
nouveau , en lui attribuant le droit de réclamer ces livres de ceux
qui en seraient détenteurs (2 février 1271) 3.
1 Raymaekers, Recherches historiques sur l'ancienne abbaye cle Parc, p. 33.
- Ibidem, pp. 5 et 43. •
5 Ibidem , p. 27.
( 374 )
L’abbaye d’Afïlighem, où nous avons trouvé plus d'un nom qui
semble se rattacher h l’histoire des arts, possédait, en 1278, un
écrivain titré, maître Égide le scribe ( magister Egidius scriptor );
une trentaine d’années plus tard, les mêmes fonctions y étaient
confiées à un sire Laurent (dominus Laurentius , scriptor Hafjii-
gemensis) b
L’austérité de la règle adoptée par les nouveaux instituts mo-
nastiques de l’époque : les frères mineurs, les dominicains, les
carmes, les augustins, leur donnaient un grand ascendant sur la
multitude, qui ne voyait qu'avec jalousie et déplaisir l’immense
accroissement des richesses des ordres plus anciens. Dans un
temps où la toute-puissance de l’argent se manifestait de plus en
plus, où l’usurier, le prêteur sur gages traitait pour ainsi dire
d’égal à égal avec les princes, la multitude, écrasée d’impôts,
devait applaudir à ces pieux enthousiastes, qui ne prêchaient
que pauvreté et désintéressement et dont quelques-uns rêvaient
un communisme irréalisable.
Le même éclat qui entoura les bénédictins du sixième au onzième
siècle, et les disciples de saint Bernard au douzième, s’attacha aux
ordres mendiants, et surtout aux dominicains, au treizième. C’est
parmi eux qu’il faut chercher les théologiens renommés, les sa-
vants j les gloires de la chaire. Deux des hommes les plus célè-
bres de l’ordre de Saint- Dominique exercèrent une grande
influence en Belgique : le premier, saint Thomas d’Aquin, dont
nous avons vu les conseils à la duchesse Aleycle; l’autre, le
bienheureux Albert le Grand (mort à Cologne, le 5 novembre
1280), qui participa aux événements politiques dont les bords
du Rhin furent le théâtre et fit de fréquents voyages dans notre
pays.
Si la Belgique ne peut se glorifier d’avoir donné le jour à ces
illustrations de la théologie, elle fournit du moins une pléiade
d’écrivains dont les aptitudes se manifestèrent de différente ma-
nière. Thomas de Cantimpré, le plus ancien de tous, déploie
dans ses écrits un amour sincère du bien , allié à un mysticisme
1 Histoire des environs de Bruxelles, t. I, p. 508,
4*
( 575 )
exagère, à une crédulité poussée à l’excès. Né au village de Lecuw-
Saint-Pierre, près de Bruxelles, Thomas prit le nom deCantimpré
d’une abbaye v oisine de Cambrai , où il entra comme religieux vers
l’an 1240; il devint frère prêcheur et, selon l’opinion la plus
généralement adoptée, il mourut le 15 mai 1261. Dans son prin-
cipal ouvrage : Liber qui inscribitur bonum universale Apum
aut de Àpibus , il nous a conservé une foule d’anecdotes qui
peignent avec naïveté les mœurs de son temps. Tandis qu’il se
montre à la fois compatissant pour les pauvres et inexorable
contre les indévots, les hérétiques et les juifs, il s’élève avec
énergie contre les tournois, il tonne contre la licence générale,
sans excepter les ecclésiastiques et surtout les prêtres séculiers;
il frappe d’anathème les usuriers; il flétrit la passion de ses con-
temporains pour le jeu des dés, la danse, les chansons obscènes,
la chasse au faucon i 2. C’est, dit M. Daunou -, un écrivain pieux,
doué d’une imagination vive, quoique son style ne soit pas très-
animé; recommandable d’ailleurs par sa bonne foi, par ses inten-
tions pures.
C’est ensuite Guillaume de Rubruquis , que l’on croit s’être
appelé ainsi du village de Ruysbroeck , entre Bruxelles et Hal ,
religieux mort en 1269, et qui nous a laissé une bonne relation
de son voyage en TaHarie, où il avait été envoyé par le roi de
France Louis IX; Guillaume deMoerbeke, Gérard de Liège, mort
vers 1270; Henri Kosbein ou de Brabant, qui, en 1271, à la
demande de saint Thomas d’Aquin, traduisit en latin les œuvres
d’Aristote. On donne quelquefois pour patrie à Guillaume de Moer-
beke le village de Meerbeke, près de Ninove; c’est une erreur, il
doit être de Moerbeke, près de Grammont, ainsi que je l'ai dit ail-
leurs 3. Roger Bacon l’appelle Guillaume le Flamand, avec raison;
et cependant ce n’est pas tout à fait à tort qu’on le surnomme quel-
quefois de Brabant, car Moerbeke est dans l'ancien Bracbantum ;
d'ailleurs, Guillaume étudia au collège de Louvain. Ses progrès
1 Histoire des environs de Bruxelles , t. I , p. 106.
2 Histoire littéraire de France, t. XIX, p. 177.
’ Histoire des environs de Bruxelles , t I, p. 302.
dans la connaissance du latin , du grec, de l’arabe, facilitèrent son
élévation rapide. Le pape Clément IV le choisit pour son chapelain
et pénitencier, fonctions que lui conserva Grégoire X : celui-ci
lui donna, en 1277, l'archevêché de Corinthe, où il travailla à
éteindre le schisme grec. On doit à ce savant prêtre des traduc-
tions d’Hippocrate, de Galien, d’Aristote, de Produis L
Leur zèle pour l’étude aurait mieux servi les dominicains,
s'ils n’avaient compté tant d’ennemis, ils s’en étaient créé un
grand nombre par la part qu’ils prirent aux poursuites exercées
contre les hérétiques : d’abord dans le Languedoc, puis en
Flandre et sur les bords du Rhin. De là l’opposition que ren-
contra leur projet d’établissement à Bruxelles, bien que la fa-
mille ducale leur témoignât une grande sympathie1 2. Henri IÏI et
Aleyde avaient enrichi le couvent de Louvain, et cette dernière
avait fondé, à Auderghem, un couvent de dominicaines, qui prit
le nom de Val-Duchesse. Le duc Jean 1er imita leur exemple, et,
non content de confirmer à ce second établissement ses biens et
ses immunités, il lui céda un moulin à eau contigu, à charge
seulement d’un modique cens de deux deniers 3.
Les autres ordres mendiants jouèrent un rôle plus modeste.
La seule illustration des frères mineurs, pour la Belgique de
cette époque, est Guibert de Tournai, mort en 1270, un des
théologiens les plus distingués du temps, auteur d une vie de saint
Éleuthère, de sermons, de traités, de chroniques. Ces frères,
ainsi que les carmes, avaient successivement établi des colonies
dans toutes nos villes importantes. Les frères ermites de Saint-
Ammstin se lixèrent à Louvain et à à! ali nés.
n
L’ordre de Saint - Guillaume ou les Guillemins durent à la
munificence d’Eustacbe du Rœux, seigneur de Trazegnies, l’aban-
don de remplacement de leur couvent, au faubourg de Soignics,
près de Nivelles (1270), et à celle d’Arnoul de Louvain, sire de
1 Histoire littéraire de France, t. XXI, p. 145.
2 Histoire de Bruxelles, t. III, p. 45t.
5 Acte du jour de saint Pierre et de saint Paul, en 1280. Opéra diploma-
tica, t. IV, p. 610.
( 577 )
Bréda, et de sa femme, la cession de l’allen et de la chapelle de
Huyberghen, où ils fondèrent aussi une maison (1277-1278). Un
nouveau couvent des Écoliers s’éleva à Ilanswyck, près de Ma-
lines, en 1287, et les religieuses de Biselinghcn, en Zélande, qui
suivaient la règle de Saint-Victor, envoyèrent une colonie à An-
vers, en 1279. Enfin l’ordre Teutonique profila des libéralités de
Jean Ier. Ce prince paraît avoir eu pour cet ordre une affection
toute particulière, car il comptait plus d’un de ses membres
parmi ses courtisans, et ce fut l’un d’eux qui éternisa le souvenir
de la journée de Woeringcn. Après avoir affranchi les chevaliers
de l’ordre de péages à Anvers 4, Jean lpr y vendit à la comman-
derie de Coblentz le bien de sire Gérard d’Anderstadt 1 2 3, où s’éleva
depuis la célèbre habitation connue sous le nom de Reuzen huys
ou Maison des géants.
Toutes ces congrégations, mais surtout les quatre ordres men -
diants, eurent plus d’une lutte à soutenir contre le clergé sécu-
lier. Ce dernier, dont l’ancien ascendant pâlissait devant leur
influence, ne leur accorda qu’à regret le droit d’inhumer des
personnes qui leur étaient étrangères, et réserva, chaque fois,
avec le plus grand soin, ses prérogatives et sa prééminence 5.
L’époque dont nous nous occupons vit se répandre en Bra-
bant quelques corporations plus modestes, telles que les frères
saccites ou sachets, qui eurent un établissement à Bruxelles, mais
dont l’institut fut supprimé par Grégoire X, en 1274 4, et les
Bogards. Les heggards ou bogards, qui se rapprochaient des
béguines par les usages, les vêtements, les coutumes, existaient
1 Acte du samedi après l'Assomption, en 1280. Le Roy, Notifia marchio-
natus , p. 49.
*2 En 1284, le soir de la Pentecôte. Ibidem, p. 50. — Mertens et Torfs,
Gesçhiedenis van Antwerpen , 1. 11, p. 198.
3 Voyez les accords conclus pour l’admission des augustins à Malines (en
1263, la veille de la Saint-Michel. Opéra diplomatica , t. IV, p. 565), et à Lou-
vain (le 7 août 1265. De Ram, Molani historiae Lovaniensium , t. II, p. 1205)
et ceux qui se moyennèrent entre les carmes et le chapitre de Sainte-Gudule,
à Bruxelles, en janvier 1268-1269, en 1274 et en 1292.
1 Histoire de Bruxelles, 1. 111 , p. 130.
( 578 )
déjà en Allemagne au milieu du treizième siècle, mais ils s’adon-
naient alors à la mendicité, parcouraient les villes èn criant :
« du pain pour l’amour de Dieu », et sc réunissaient pour as-
sister à des prêches dans des lieux écartés h En Belgique, ils
vivaient en commun, en soutenant leur existence parleurs tra-
vaux manuels et principalement par le tissage delà laine. Jean Ier
se déclara leur protecteur, et leur accorda une exemption com-
plète de tailles, d’aides, d’exactions et de services militaires 1 2 *. À
son exemple, les magistrats et la gilde de Louvain accordèrent
leur protection aux bogards de leur ville, à la condition qu’ils
n’accepteraient point dans leur couvent des personnes étrangères
à leur communauté et exerçant un métier ou un négoce quel-
conque, ces dernières n’étant pas exemptes des impôts com-
munaux -b
Les béguinages, qui ouvraient un asile assuré aux filles pau-
vres, aux orphelines, aux veuves, aussi longtemps qu’elles vou-
laient rester vouées au célibat, étaient parvenus à l'apogée de
leur développement , et il fallut leur donner des statuts qui main-
tinssent l’ordre parmi leur nombreuse population. Ces maisons
s’étaient extrêmement multipliées, surtout en Brabant, comme
en témoigne un legs fait en 1267, par René, écolàtre de Tongres,
à différentes communautés religieuses , parmi lesquelles il cite les
béguines d’Eyck (ou Maeseyck), de Hocht, de Bilsen, de Hasselt,
de Diest, de Léau, de Tirlemont, de Hovis (à Louvain), de Looz,
de Nivelles, de Nerehain ou Noirhat, de Thorembais, de Ma-
lève 4 ; il y en avait aussi en Flandre et en Hainaut, où la comtesse
Marguerite leur accorda une protection toute spéciale. Celui de
1 Smet, Histoire de la religion catholique en Brabant , p. 108.
2 Diplôme en faveur des bogards de Bruxelles, du 25 avril 1277 ( Histoire
de Bruxelles , t. III , p. 478) et autre, du 16 août 1280, en faveur des bogards
de Louvain (de Ram* /. c.,p. 1212).
5 Charte de la ville -, du dimanche de la Trinité, en 1293, et autre de la gilde,
du dimanche Judica, en 1294, dans de Ram, /. c., p. 1218. — Le couvent
d’Aerschot fut érigé en 1285 (Van Gestel, Historia archiepiscopalus Mechli -
niensis, t. I , p. 241 ), celui d’Anvers en 1291.
4 Archives du chapitre de Tongres.
( 37!) )
Bruxelles était régi par quatre maîtresses, par un curé ou chape-
lain particulier et par quatre tuteurs ou procureurs. Outre les
biens dits les biens communs , et ceux consacrés spécialement à
l’entretien de la chapelle, il y avait une fondation appelée Ter-
Kisten et où était établie la boulangerie des béguines. Aucune
veuve n’était admise au béguinage , à moins qu’elle n’y fit con-
struire une maison. Les habitations élevées par les béguines deve-
naient, après leur mort, la propriété de la communauté, sauf
qu’il leur était loisible d’en disposer en faveur d’une amie i. A la
demande du duc Jean Ier, le chapitre de Sainte-Gudule résigna à
l’abbaye de Saint-Bernard son droit de patronat sur le béguinage
de Bruxelles 2; celui de Louvain fut placé sous la surveillance de
l’abbé de Villers, qui lui donna des statuts, en janvier 1271 3.
N’oublions pas de rappeler ici le béguinage de la Royauté , fondé
à Nivelles par la reine de France, Marie de Brabant, à la suite de
ses démêlés avec le favori de son époux.
Les chapitres de chanoines, perdus pour ainsi dire au milieu
de la population toujours grandissante des villes commerçantes
de la Belgique, n’avaient plus la même influence qu'autrefois , ou
plutôt cette influence avait changé de nature. De morale qu’elle
était dans le principe, elle était devenue politique, les prébendes
se donnant souvent à des ecclésiastiques recherchés dans les cours,
et les biens des chapitres donnant parfois à ces corps (ceux de Ni-
velles, de Saint-Servais à Maestricht, de Saint-Lambert à Liège ,
de Notre-Dame-d’Aix , etc.) une importance que l’on pourrait qua-
lifier de territoriale.
Une charte par laquelle Thierri, sire de Heynsberg, et. sa
femme terminent les différends qui s’étaient élevés entre le
chapitre et les habitants de Heynsberg, attribue au premier
l’exemption de toute juridiction séculière, l’exemption d’impôts et
de corvées, le droit d’asile pour les coupables, le droit de nom-
1 Statuts approuvés par Jean l<‘r, le 17 mai 1271. Histoire de Bruxelles ,
1. lit, p. 530.
2 Novembre 1275. Ibidem. — Jeau Ier donna une charte de protection aux
béguines d’Anvers, en décembre 1285 (Mertens et Torts, t. I, p. 589).
5 De Ram , l. c., p. 1210.
( 580 )
mer les recteurs des écoles, le droit de diriger l’hôpital, avec le
concours des bourgeois les plus prudents, etc. L
Ces prérogatives donnaient aux chanoines toute la direction
spirituelle de la localité où ils étaient établis. On peut juger s’ils
virent avec plaisir les efforts que firent les ordres mendiants,
et surtout les frères prêcheurs ou dominicains et les frères mi-
neurs ou récollets, pour dominer les masses au moyen delà prédi-
cation et de la confession. Les religieux comptaient parmi eux bien
des âmes ardentes et dévouées; cependant le clergé séculier sou-
tint la lutte sans trop de désavantage. Au nombre des professeurs
de l’université de Paris qui se distinguèrent au treizième siècle,
on cite plusieurs Belges et particulièrement Henri de Gand, le Doc-
teur solennel, qui mourut le 29 juin 1295, à l’âge de 7 G ans. Dans
sa Somme théologique , ce savant prêtre « jette avec profondeur
» de pensée et fermeté d’expression les fondements de sa doc-
» trinc. » En plus d’un endroit, il défend des idées qui semblent
appartenir à une époque plus avancée; ici il combat les duels
judiciaires ; là il prêche la résistance aux gouvernements oppres-
seurs. D’après lui, « le prince est le chef et le représentant de la
grande famille, le défenseur des intérêts de tous et de chacun;
il a droit, en conséquence, au respect et à la confiance de ses
sujets. Mais si ses ordres viennent à être entachés d’injustice, le
premier devoir de ses sujets est d’en solliciter respectueusement
la révocation. S'ils ne peuvent l’obtenir, cette révocation, et s’il
ne leur reste aucun espoir d’amener le prince à des sentiments
plus équitables, ils doivent, plutôt que de se soumettre à une
volonté injuste, cesser de lui obéir et procéder à sa déposition1 2. »
Nous aurions omis cette citation, si les expressions dont Jean Ier
sc sert dans sa grande charte de l’an 1 292 ne nous en avaient paru
un écho.
Siger de Brabant se posa, plus encore que Henri, en adversaire
prononcé des ordres mendiants. Le collège de la Sorbonne, où
ses œuvres se conservent encore, le compta parmi ses membres;
1 Charte du 2 février 1290, dans Kreraer, Urkunden zur Gescliichte der
Herrenvon Heinsberg , p. 15.
2 Voyez V Histoire littéraire de France , t. XX, pp. 144 et suiv.
( 381 )
il fut le chef d’un des deux partis qui s'y disputèrent le pouvoir,
de 1272 à 1275. Mais sa brillante carrière fut parsemée d’orages.
Si Dante exalte « l’éternelle lumière de Siger, qui, professant dans
» la rue de Fouarre, mit en syllogismes d’importantes vérités, »
si, en 1500, un autre contemporain le loue d’avoir proclamé que
les bonnes lois sont préférables aux bons citoyens, parce que
ceux-ci sont toujours accessibles à la corruption, d’autres lui
adressèrent le reproche d'hérésie. Lui et Berner de Nivelles, son
collègue dans le chapitre de Saint-Martin à Liège, furent accusés
de ce crime par l’inquisiteur général pour le royaume de France,
le dominicain Simon Du Val, et sommés de comparaître devant lui,
à Saint-Quentin (1277 et 1278) ; Siger s’amenda et devint thomiste
(ou partisan de saint Thomas d’Aquin), et néannnoins sa répu-
tation ne sortit pas intacte de cette épreuve. Par une erreur
plaisante, « Siger de Bramant » est représenté, par un ancien com-
mentateur du Dante, comme un infidèle qui se fait baptiser à la
suite d’une vision L En Belgique, son nom, parfaitement oublié,
n’est sorti de l’oubli que depuis peu. Quoiqu’il soit devenu doyen
de Notre-Dame deCourtrai, rien ne prouve qu’il ait vu le jour
dans cette ville ou dans le village voisin de Gullcghcm 2 ; il appar-
tient plutôt à notre Brabant.
La seconde moitié du treizième siècle vit créer quelques pa-
roisses nouvelles, bâtir de nouveaux oratoires (notamment celle
de Roosendael, qui dépendait auparavant de l’église de Nispcn,
près de Bréda), ériger surtout un nombre infini de chapellenies
ou bénéfices, soit dans les villes, soit à la campagne. De ce temps
datent les chapellenies castrales de Gaesbeek , de Manage à Seneffe,
de Malève, près de Jocloigne, etc. Jean 1er en fonda deux à Bruxelles :
celle dite des Trois-Rois à Sainte-Gudule 5, et, en 1292, la chapel-
lenie de Saint-Martin dans l’église de I hôpital Saint-Jean.
Une sentence du concile de Ilanrct, dans l’évêché de Liège,
fixa les obligations des décimateurs. Elle fut portée à la requête des
paroissiens de Perwcz, qui s’étaient plaints au doyen du concile
1 Voyez V Histoire littéraire de France, t. XXI , pp. 96 et suiv.
2 Consultez !e Messager des sciences historiques , année 1855, p. 499.
5 Voir plus haut, p. 176.
( 383 )
et aux clercs de l’archidiacre de l’état de délabrement de la toiture
et de la cloche banale de l’église. Une assemblée fut convoquée à
Hanret; on y appela toutes les personnes et corporations qui per-
cevaient des dîmes dans la paroisse de Penvez : l’abbé d’Heylis-
sem, le prévôt de Nivelles, l’abbaye de la Ramée , le curé de Notre^
Dame de Nivelles, les mambours de l’hôpital de la même ville, le
chapelain du château de Perwez, et il fut décidé que tous, à
l’exclusion de l’investi ou curé du lieu, devaient contribuer à la
restauration du toit et de la cloche (jour de saint Denis, en 1267) h
Les idées de charité, qui ont doté la Belgique de tant d’éta-
blissements splendidement dotés, conservaient leur ferveur pre-
mière, et les institutions de bienfaisance se multipliaient à tel
point qu’il y en avait jusque dans les moindres bourgades. Les
hôpitaux et les hospices des grandes villes ne cessaient de pros-
pérer et de s’enrichir. Celui de Saint-Nicolas à Nivelles obtint du
duc Jean Ier et du chapitre de Nivelles douze bonniers de bois,
près d’Orival, en compensation d’une charrette, « ke li devant
» dis hospital a voit chariant et menant liegne es bos » (septembre
1290). Par exception, l’hospice de Saint-Nicolas à Bruxelles se
trouvant obéré, les échevins et les jurés de cette ville durent en
autoriser le proviseur, Guillaume dit le Monnayeur, à vendre, à
titre viager, le revenu de deux à trois prébendes et à réduire à
quatorze le nombre des prébendes, jusqu’à l’extinction complète
des cinq autres (mars 1265-4264) 1 2. Quelques établissements re-
çurent des statuts, notamment ceux de Bois-le-Duc et de Gheel.
Ces statuts, qui émanent, les premiers, de l’évêque de Liège
Jean d’Enghien (en date du mois de juillet 4277), les seconds, de
l’évêque de Cambrai (en date du mois d’aoiit 4286), sont iden-
tiquement les mêmes, et ne contiennent que des prescriptions
sur la manière de vivre des frères et des sœurs desservant ces
établissements. Seulement il y est déclaré que le temporel de
l’hôpital de Bois-le-Duc serait administré par quatre laïques zélés,
élus par l’autorité pontificale, du consentement des échevins et
1 Cartulaire de l'abbaye d'Heylissem.
2 Histoire de Bruxelles, t. III, p. 97.
( 585 )
des jurés de la ville, et que l'hôpital de Gheel serait confié à deux
personnes élues à cette fin. Dans ce dernier, qui devait son
origine à Henri Bertliout, sire de Gheel, on ne pouvait admettre
que des habitants du bourg et de quelques localités voisines, sauf
en cas de maladie *,
\
La lèpre, ce fléau terrible, dont les croisades avaient frappé
l’Europe, provoquait partout des mesures préservatrices. Relégués
à l’écart, les lépreux devenaient un objet d’horreur pour leurs con-
citoyens, qui, néanmoins, s’efforcaient d’améliorer leur position
en enrichissant les asiles où ils étaient reçus. Au mois de décem-
bre 1265, l’amman, les écbevins et les jurés de Bruxelles déci-
dèrent que les étrangers ne seraient admis dans la léproserie de
Saint-Pierre d’Obbrussel qu’en payant quarante sous pour leur
pitance, et à la condition de se procurer les vêtements, les chaus-
sures et les literies qui leur seraient nécessaires. Jean Ier garantit
aux lépreux de Bruxelles la possession de leurs demeures , qui
étaient entourées de baies et de fossés, et se déclara leur avoué
puis il ordonna à ses officiers de les protéger et de concourir au
besoin à faire payer ce qui leur était dû, sous peine d’encourir
son indignation 5,
La question de l’entretien des enfants abandonnés faisait déjà,
à cette époque, l’objet d’un différend entre quelques villages et
les monastères qui s’y trouvaient et à la porte desquels on avait
l’habitude de déposer ces pauvres créatures. A la suite d’un fait
de ce genre, un débat surgit entre l’abbaye de la Ramée et les
habitants de Jaucbelette. G., curé de Thorembais-les-Béguines,
déclara, après une enquête minutieuse, que ni l’abbaye, ni les
couvents d’Aywières, de Florival, de Valduc, de Lérines et de la
Ramée n’étaient dans l’habitude de supporter cette charge , mais
qu’elle incombait uniquement à la paroisse du lieu où l’enfant
était exposé 1 2 * 4.
1 Opéra diplomatica , t. III, p. 134 , et t. IV, p. 416.
2 Diplôme daté du Val-Duchesse, le 5 mars 1269-1270. Opéra cliploma-
lica, t. 111 , p. 603.
5 4 décembre 1270. Ibidem. — Histoire de Bruxelles, t. III, p. 428.
1 Acte du jeudi après la nativité de saint Jean-Baptiste, en 1265. Schayes,
dans les Annales de l'Académie d' archéologie , t. XI , p. 63.
( 584 )
Rien ne témoigne davantage du développement excessif que
prirent alors les idées charitables que l’accroissement de la dota-
tion des menses du Saint-Esprit ou tables des pauvres des pa-
roisses. En quelques années, ces institutions, dont l’origine pré-
cise n’est pas connue, se multiplièrent à tel point qu’il en exista
une dans chaque paroisse, à peu d’exceptions près. Celle delà
paroisse de Sainte - Gudulc à Bruxelles, une des plus riches qui
existent, doit s'être organisée peu de temps avant l’avénemcnt du
duc Jean Ier, car aucun legs constitué en sa faveur n’est antérieur
à l’année 1 259 1 2 .
III.
Les préoccupations qui assiégeaient chacun des princes belges,
et surtout leurs querelles à propos du Limbourg, de la Flandre
impériale et d'autres territoires, ne leur permirent jamais de
songer sérieusement à marcher au secours de la terre sainte, où
le dernier abri des chrétiens, la ville de Saint- Jean -d’Acre,
retomba enfin entre les mains des mahométans. Ce désastre ré-
veilla pour quelque temps les esprits, sans pourtant amener de
résultat, et bientôt la Palestine fut de nouveau oubliée. Un synode
fut convoquée par l’archevêque de Reims en janvier 1291-1292,
mais sans aboutir. En 1288, Florent de Hainaut, le frère du comte
Jean d’Avesnes, avait promis à Alix, comtesse de Blois, de partir
pour l’Orient et d’y servir en son nom, pendant une année, avec
quatre autres chevaliers, moyennant le payement de deux mille
cinq cents livres cet engagement, pas plus que mainte disposi-
tion testamentaire dont nous avons eu occasion de faire mention,
ne fut d’une grande utilité. Il aurait fallu d’autres efforts pour
résister à la puissance des califes ou pour l’amoindrir.
Les croisades, entreprises ou projetées, étaient l’occasion d’im-
1 Histoire de Bruxelles , t. III , p. 301 .
2 Du Chesne, Histoire de la maison de Cliastillon, Preuves, p. 08.
( 583 )
positions qui pesaient sur le clergé et qui consistaient ordinaire-
ment en un dixième du revenu des Liens ecclésiastiques. On en
leva un en J2G6, ainsi qu’il résulte d’une charte du roi Louis IX,
relative à l’cxeipption de ces sortes d’impositions dont jouissait
l’hôpital annexé à l'abbaye d’Afflighem, en vertu d’une bulle du
pape Alexandre IV, datée d’Anagni, le 4 mars 1250 h Dix ans
plus tard, le pape accorda au comte Guy de Dampierre le produit
d’un autre décime à lever dans le diocèse de Cambrai et dans la
partie des évêchés d’Arras, de Tournai, de Liège et d’Utrecbt où
il possédait des domaines. Cette taxe, qui devait subvenir aux
frais d’une expédition projetée pour la délivrance du saint sé-
pulcre, avait déjà rapporté, en I28G, dans le diocèse de Cambrai
seul, la somme de trente-neuf mille liyres tournois 2. Elle se per-
cevait encore en cette année, et le chapitre de Sainte-Gudule en
déclara exempts les petits chanoines ou chanoines du second cha-
pitre de la même église, à cause de leur pauvreté.
En 1 280—4 287, l’évêque de Tusculum, Jean Boccamazza, vint
en Allemagne comme légat a latere du pape Urbain IV, et de-
manda pour le saint-siège un décime, ou dixième des revenus du
clergé. Un concile s’étant réuni à Würzbourg, il s'y manifesta
une forte opposition contre les réclamations du pape; le légat,
accablé d’invectives , se retira sans avoir rien obtenu, « et nous
» espérons bien, dit un historien contemporain 5, qu'il n’y revien-
» dra pas. » Les archevêques de Cologne et de Trêves, et le frère
mineur Conrad de Tubingen, évêque de Toul, se distinguèrent
par leur ardeur à défendre les immunités du clergé allemand.
Les demandés continuelles d’argent, que l’on adressait au
clergé, tantôt au nom de l'autorité temporelle, tantôt au nom
des autorités spirituelles : le souverain pontife, les légats, les
évêques, les doyens, provoquaient un mécontentement très-vif,
des procès sans nombre. L’abus que l’on faisait de l’arme de l'ex-
communication en annulait de plus en plus l’clïicacité, et rien
1 Cartulaire cl’Afflighem.
2 Delepierre , p. xcu.
J Godefroicl d’Ensmingen , qui mourut vers l’an 1300. Histoire littéraire de
France , t. XXI , p. 92.
Tome XIII. 25
( 580 )
ne prouve que les Brabançons aient beaucoup souffert des nom-
breuses sentences d’interdit qui furent eomminées contre eux L
En réalité, l’esprit religieux , en Belgique comme dans le restant
de la catholicité , parut faiblir plutôt que croître dans les der-
nières années du treizième siècle.
Les idées de tolérance, à l’égard des Israélites, se répandaient
de plus en plus. Jean Ier nourrissait envers eux les mêmes senti-
ments qu’envcrs les Lombards, les Cahorsins, si généralement dé-
testés. Ce fut à sa sollicitation que le roi de France , Philippe le
Hardi, affranchit Abraham de Faloie, et sa « menie », c’est-à-
dire ses serviteurs ou ceux qui vivaient à ses dépens, de la
taille de soixante mille livres qu’il avait imposée sur les juifs du
royaume 1 2 3.
Quelques prélats essayèrent de raffermir la discipline, en
convoquant des synodes provinciaux ou diocésains, mais leurs
tentatives, à une époque de guerres et de discordes continuelles,
ne pouvaient aboutir que difficilement. On s’y réunissait pour ré-
soudre quelques questions de détail , mais on n’abordait aucune
discussion importante 5.
C’est en 1285 que, pour la première fois, se font jour des
germes de discorde dans cette abbaye de Villers, auparavant re-
nommée par l'ardente piété de ses religieux. Les uns choisirent
pour abbé Henri de Melsbroeck, abbé de Saint-Bernard, l’un des
ambassadeurs qui avaient négocié le mariage du fils de Jean Ier
avec la princesse d’Angleterre, mort le 22 mars 1296, en
odeur de sainteté 4; d’autres moines préférèrent Robert de
Blocquerie, qui l’emporta et se montra très -sévère à l’égard de
ses subordonnés. Dans les villes, la grande querelle du clergé
1 En 1294, à la suite de quelques débats de peu d’importance, l’Église de
Liège avait de nouveau jeté l’interdit sur le duché.
2 Acte daté du bois de Vincennes, le lundi avant Pâques fleuries, en 1282-
1283. Beugnot, Les Olim., t. Il, p. 218.
3 Synode de Cologne, de 1281, sous la présidence de Sifrid (Hartzheim,
Concilia Germaniœ, t. III, p. 637). — Synode de Liège, de l’an 1287 (Marlene,
Thésaurus anecdolorum , t. IV, col. 829. — Hartzheim , l. c., p. 684).
1 Sanderus, Coenobiographia abbatiae S. Bernardi , p. 5.
( 387 )
séculier et des ordres mendiants divisait les ecclésiastiques, et
fournissait aux poètes l’occasion de lancer maint brocard contre
ceux-ci, qu’ils traitaient de trompeurs et d’hypocrites L
Plusieurs incidents signalent, dans nos populations, quelques
velléités d’antagonisme contre les communautés religieuses : en
l’année 1202, les habitants de Tervueren, mécontents de ce que
les Prémontrés de Parc avaient entouré d’un fossé leur bois, à
Vossem, au préjudice de leurs droits d’usage dans ce bois, com-
blèrent ce fossé; il s’ensuivit un long procès, qui se termina par
un jugement que rendirent en faveur de l’abbaye les tuteurs ou
régents du duché, Henri, évêque de Liège, et le comte de Gueldre,
son frère 1 2. En 1280, le sang coula dans le cimetière de l’abbaye
de Saint-Michel, à Anvers, qui dut être réconcilié, comme nous
l’apprend une charte émanant de Jean Canis ou Le Chien, doyen
de Saint-Rombaud, chapelain de l’évêque 3.
En terminant ce chapitre, ajoutons que le culte voué à la Vierge
se répandit alors de plus en plus. Selon la tradition , ce serait
en l’année 1207 qu’une statue miraculeuse de la Vierge fut en-
voyée à liai, en vertu des dispositions testamentaires de Mathilde
de Brabant, comtesse de Hollande. D’après une enquête faite au
mois d’octobre 1504, l’église de Lombeek-Notre-Dame attirait à
cette époque de nombreux pèlerins 4 5. Sainte Gertrude, la pa-
tronne de Nivelles, était toujours en grand honneur parmi les
Brabançons, qui avaient l’habitude de boire, « pour l’amour de
sainte Gertrude » [Sinte Gertruyde minne). Cette coutume fut, dit-
on, miraculeusement enseignée à un chevalier de Sichem, peu de
temps avant la bataille de Woeringen. Une femme, vêtue comme
une étrangère, lui apparut la nuit et lui annonça que le combat
lui serait toujours favorable, lorsqu’il aurait soin de proposer
cette santé. Un seul des camarades du chevalier osa se moquer de
1 Voyez particulièrement Philippe Mouskés, v. 29642 et suiv., et le Roman
du Renard couronné (Dinaux, Trouvères de la Flandre et du Tournésis ,
p. 356.)
- Annales Par censes , dans Pertz, Monumenla, Scriptores , t. XVI, p. 607.
5 Cartulaire de l'abbaye de Saint-Michel , f° 143.
1 Histoire des environs de Bruxelles , 1. 1 , p. 267 .
( 588 )
son récit, mais il périt dans la bataille, ce qu’on ne manqua pas
d’attribuer à la colère divine b
CHAPITRE X1Y.
SCIENCES, LETTRES ET ARTS.
I.
Nous avons déjà eu occasion de signaler les nombreux écrivain
qui, au treizième siècle, vouèrent leurs loisirs à l’étude de la théo-
logie et de la métaphysique. Tous, jusqu’aux plus célèbres, con-
sumèrent leurs veilles dans de longues subtilités et vouèrent une
admiration peu intelligente à Aristote. Reconnaissons cependant
que leurs sentiments de justice, développés par la religion et la
philosophie, les conduisirent parfois à l’affirmation de grands
principes de liberté. Pour cette époque, nous 11e pouvons citer
aucun savant brabançon de premier ordre : le plus célèbre de
tous, Thomas de Cantimpré, l’auteur du traité de Apibus , d’une
biographie de Jean, le premier abbé du monastère où Thomas
prit l’habit religieux; d'une vie de sainte Lutgarde, sainte avec
laquelle il entretint des relations très - suivies ; de vers latins en
l’honneur du bienheureux Jordan , 11c sortit pas de la médiocrité ,
et appartient d’ailleurs à la première plutôt qu’à la seconde moitié
du siècle. D’autres sont à peine connus : un Gérard d’Anvers vécut
en France et composa, à la demande de l’évêque de Clermont,
une Biblia labulata, qu’il dédia au pape Grégoire X et dont le
manuscrit se conservait, selon Foppens, dans la bibliothèque de
1 Geldolphe À-Ryckel , Historia S. Gertrudis, p. 147.
( 589 )
l’église Saint-Jean de Maestricht b Un moine d’Afflighem, nommé
Guillaume, et qui devint prieur de Frasnes en 1298, écrivit , en
vers flamands, une vie de sainte Lutgarde, traduite de Cantimpré,
et une version latine d’un recueil de visions qu’avait composé, en
flamand, une religieuse de l’époque -. Un autre Guillaume, dit de
Malines, religieux dans le même monastère, fut choisi, en l’an
1277, pour abbé de Saint-Trond, non sans rencontrer une vive
opposition, parce que c’était un enfant illégitime de la maison de
Berthout; il laissa la réputation d’un savant laborieux, quoiqu'on
n’ait conservé de lui qu’une légende de la bienheureuse Béatrix,
prieure de Nazareth, près de Lierre, traduction latine d’un texte
en langue vulgaire 1 2 3. Afllighem constituait alors un vif foyer d’ac-
tivité littéraire. Là vécurent Gérard d’Afflighem, de qui on con-
servait à Parc un traité sur le mariage; Simon, auteur de sermons ;
Henri de Bruxelles, qui écrivit sur l’astrolabe et le comput 4.
Moins favorisées que la théologie, les sciences d’observation
restaient négligées : la chimie était abandonnée aux empiriques,
l’astronomie n’obtenait quelque faveur que grâce à l’astrologie,
les mathématiques demeuraient dans l’enfance. On commençait
toutefois à entourer de considération les médecins , à cause de la
dépendance où les plus puissants se trouvaient vis-à-vis d’eux, el
plus d’une charte de la duchesse Alevde fut passée en présence
de son physicien 5. Dans les hôpitaux, lors des épidémies, à la
1 Foppens, Bibliotheca belgica, t. I , p. 544.
2 Goethals, Histoire des lettres , des sciences et des arts en Belgique, t. 111 ,
p. 41.
5 ibidem, t. I, p. 45.
1 Sanderus, Cliorographia sacra Brabantiœ , t. I.
Pierre d’Osterciele, médecin de l’évêque de Cambrai , obtint de son maître
le patronat de l’église de Gorbeek, près de Louvain, patronat qu’il abandonna,
en 1258, à l’abbaye de Saint-Michel, moyennant une pension viagère de six
livres moins quarante deniers. Cartulaire de ï abbaye , f° 58.
Maître Siger, physicien de la duchesse Aleyde, est cité dans un diplôme
de l’année 1261, en faveur de Parc-les- Dames. Au mois de décembre 1271 ,
Walter d’Arras {de Atrebato ), physicien, donne à l’abbaye d’Afflighem cent
vingt livres, pour acheter des biens, et de plus une rente annuelle de vingt
livres. Cartulaire d’Afflighem , t. J II, f° 141.
( 590 )
guerre, les soins des hommes de l’art devenaient de plus en plus
indispensables b Mais les véritables savants , les écrivains scienti-
fiques se trouvaient parmi les juifs, à qui leurs nombreuses rela-
tions avec le midi de l’Europe permettaient de profiter des travaux
des grandes écoles des pays arabes : Séville, Fez, le Caire, Damas,
Bagdad. Un membre de cette tribu proscrite, Hagins le Juif, tra-
duisit de la langue hébraïque en français quelques livres d’astro-
logie; il acheva l’ouvrage intitulé le Principe de la Sagesse , à
Malines, « en la maison sire Henri Bâte (il faut lire probablement
Bote), » en 4275, le lendemain de la Saint-Thomas apôtre, ou
22 décembre 2.
Par rapport à la littérature vulgaire, le Brabant se trouvait
dans une position tout à fait exceptionnelle. Dans la plus grande
partie du duché régnait le dialecte flamand, tandis que le roman
ou français était parlé dans les bailliages de Nivelles et de Jodoigne.
Le Limbourg, dans son étendue si restreinte, se divisait de la
même manière : on y trouvait une partie wallonne ou gauloise
(Limbourg, Sprimont, etc.) et une partie teutonique (Fauque-
mont, Rolduc); ici le langage, de même qu’a Maestricht, à Aix,
à Cologne, s’éloignait du flamand pour se rapprocher du haut
allemand. Cette variété présentait , à côté de quelques avantages,
de grands désagréments. Le principal de ces derniers, c’était un
manque d’unité qui pouvait avoir de fâcheuses conséquences po-
litiques : les populations teutoniques tendaient à se lier de plus
en plus avec la Gueldre, la Hollande et la Flandre; les parties
romanes gravitaient nécessairement vers le Hainaut et le pays
de Liège. La scission était imminente ; elle ne fut évitée , selon
toute apparence, que grâce à l’attachement des Brabançons pour
leurs ducs et leur gouvernement paternel. D’un autre côté, la
pluralité des langues, en Brabant, et la situation de ce pays aux
limites extrêmes des races germanique et latine, lui assurèrent
des relations étendues avec l’une et l’autre, et le transformèrent,
1 Le Compte de ïamman Lenken mentionne un payement de vingt sous :
magislro Egidio sananti ruinera Jo/iannis forestarii de Levedale.
2 Histoire littéraire de la France , t. XXI, p. 499. — Hackinus judeus est
cité dans le Compte de Lenken.
( 391 )
en quelque sorte, en un terrain neutre, où vint s’éteindre et
s’amortir leur antagonisme naturel.
Le latin, la langue de l’Eglise, continuait à être préféré par
les hommes d’étude et, à la fin du treizième siècle, devant la
plupart des échevinages, les actes se passaient encore dans cet
idiome; mais il ne tarda pas à rencontrer des rivalités redoutables.
Le français, grâce à l’éclat qui entoura la cour de Philippe-Au-
guste et de saint Louis et celle des rois normands d’Angleterre,
grâce aux nombreux trouvères qui s’en servirent, se parla bientôt
dans tous les palais de l’Europe catholique (sauf en Allemagne).
C’est en français que Jean Ior et Florent de Hollande correspon-
daient avec le roi d’Angleterre, Edouard Ier. Dans son roman de
Berte aux Gratis pies , le poëte Adenez nous apprend (pie notre
aristocratie s’entourait de serviteurs connaissant cet idiome, afin
que l’usage en devînt familier à leurs enfants :
Tout droit à celui temps que je eis vous devis
A voit une coustume ens el tyois pais
Que tout li grant seignor, li conte et li marchis
Avoient, entour ans, gent française tout dis
Pour aprendre françois leurs filles et leurs fils b
Vers l’an \ 200, on commença à employer le français dans les actes
publics. En Brabant, cette innovation ne s’introduisit que pendant
le règne de Henri III et de Jean Ier2; déjà, dans les4ernières années
du règne de notre héros, plusieurs échevinages rédigeaient leurs
actes en français, tandis que ceux du pays flamand n’acceptèrent
l’usage du flamand qu’un peu plus tard, sous Jean II 1 2 3. C’est aussi
sous Jean Ier qu’on rencontre les premiers diplômes flamands
qui nous aient été conservés : une déclaration relative à l’usage
1 Dinaux, Les Trouvères de la Flandre et du Tournêsis .
2 Citons ici , comme le plus ancien exemple de l’usage diplomatique du
français en Brabant, un acte de l’année 1253, par lequel Henri III promet au
chapitre de Nivelles de réprimer les vexations dont ce corps avait été la vic-
time. Cartulaire du chapitre.
3 Voyez Y Histoire des environs de Bruxelles, 1. 1, p. 58.^ — A Nivelles, vers
l’an 1280 , le français était déjà l’idiome préféré pour les actes.
( 592 )
de quelques pâtures à Nederoekcrzeel, de l’an 1275, et la dona-
tion à l’hôpital Saint-Jean , de Bruxelles, d'une dîme à Bodeghem,
en 1277
•
En Allemagne, on ne rencontre pas d’acte publie antérieur au
règne de Rodolphe de Habsbourg, qui soit rédigé dans la langue
germanique 2. Du même temps datent les premières traductions
dans cet idiome, qui avait déjà une littérature florissante. Un frère
dominicain, Herman de Luxembourg, fit ce travail pour la règle
de l’ordre, en 127(5, à la prière de l’abbesse de Maricnthal, Yolende
de Vianden. Il écrivit en vers sur cette matière si aride; il est vrai
qu’il n’avait que vingt-six ans, que sa jeune intelligence n’était,
pas encore fatiguée par l’âge 5.
La littérature proprement dite fleurit alors d’un éclat sans pa-
reil à la cour de nos ducs. Poëtes eux-mêmes, les princes belges
sc plurent à l’envi à encourager leurs rivaux en poésie. En Flan-
dre, Guillaume et Guy de Dampierre, ces fils préférés de Mar-
guerite de Constantinople, mais surtout le premier, dont la mort
prématurée et tragique fut pleurée par les trouvères; en Brabant,
Henri III et ses fils, Jean et Godefroid, furent exaltés comme des
bi e nfa i teu rs génér eu x .
Il faudrait un volume pour énumérer tous les joyaux dont s’en-
richit, au treizième siècle, notre couronne poétique : Cambrai,
l’Artois, la Flandre et le Ilainaut eurent chacun leur école, leur
série de trouvèçcs, et la Belgique méridionale devint en quel-
que sorte le centre littéraire de la langue d’oil. Le Brabant suivit,
mais non pas aussitôt et aussi brillamment, la même impulsion
que les provinces voisines. Au commencement du douzième siècle,
une princesse de la famille de Louvain avait laissé un nom cher
aux poëtes : je veux parler d’Aleyde, fille de Godefroid Ier, et
femme du roi d’Angleterre, Henri II dit Beauclerc.
Avec Henri III s’ouvre une période nouvelle. On a conservé de
ce prince des chansons qui, par leur caractère, se rattachent à
1 Histoire des environs de Bruxelles, t. 1, p. 20J , et t. 111, p. MB. —
Serrure, Vaderlandsche Muséum, t. Il, p. 242.
2 Collection de Léber, t. XIV, p. 59.
^ Bertholet, Histoire du duché de Luxembourg , t. V, p. 212.
( 595 )
cette poésie galante et légère que les troubadours avaient mise en
honneur. « La première, dit Fauchet *, est un dialogue adressé
à Gilbert de Berneville, qu'il interroge pour savoir s'il doit quitter
l’amour d’une femme qui l’a délaissée; l’autre monstre qu’il n’étoit
pas fort loyal en amour et prenoit où il pouvoit. »
Henri fut le protecteur d’un des plus féconds écrivains du
temps : Adenez, c’est-à-dire Adam, surnommé le Roi, non, sans
doute, parce qu’il était le chef des ménestrels ou le roi d’armes
de son maître, comme le dit Faucbet, mais parce qu’il apparte-
nait à la famille bruxelloise des De Coninek ou le Roi (en latin
Rex)1 2. Adenez lui-même nous apprend ce qu'il dut au duc, dans
ccs vers pleins de grâce :
Menestrès au bon duc Henri
Fui ; cil m’aleva et norri
Et me lit mon meslier apprendre.
Après la mort de son premier bienfaiteur, il reçut de ses fils
les mêmes marques de bienveillance :
Lui (Jean 1er) et monsignour Godefroit
Maintes fois m’ont gardé de froit,
dit-il encore dans son naïf langage. Il les quitta cependant et
s’attacha de préférence à Guy de Dampierre, près de qui on b*
trouve, en Italie, en 1270 et 1271 , sous le nom d’Adam le mé-
nestrel 3, et dont il accompagnait encore la cour en 129G. Marie
de Brabant, la seconde femme du roi de France, Philippe le
Hardi, le compta aussi parmi ses courtisans. Ce fut dans son
1 Poètes français , p. 574, cité par M. Van Hasselt, Essai sur l'histoire de
la poésie française en Belgique , p. 81. ( Mémoires couronnés de l’Académie
de Bruxelles, t. XIII.)
2 Cette famille donna à Bruxelles plusieurs échevins au treizième siècle,
notamment Àrnoul Coninek (de 1260 à 1269) et Guillaume Vaiidensteemvege
dit Bex (de 1258 à 1294), qui fut élevé à la dignité de chevalier. Henri III
protégea encore Perrin d’Angecourt, d’Arras, qui lui adressa une de ses
chansons. Dinaux, Les trouvères artésiens, p. 560.
Bulletins de la Commission royale d’histoire , t. Il, p. 286.
( 594 )
palais qu’Adenez recueillit de la bouche de Blanche de France,
veuve de l’infant de Castille Fernand de La Cerda, la tradition
mauresque ou espagnole qui fait le fond du roman de Cléomadès.
Une miniature du temps, qui se trouve à la bibliothèque de l’Ar-
senal, à Paris, représente le poète, sa viole en main, écoutant
le récit de Blanche, en présence de Marie de Brabant et de Ma-
thilde d’Artois, couchées sur un lit de parade. Adenez est recon-
naissable à son rebec, les trois princesses, aux armoiries dont
leurs robes sont ornées ].
Adenez écrivit successivement quatre grands récits chevale-
resques : les Enfances Ogier , Berthe aux gratis pies, Bueves de
Comarchis et Cléomadès. Quand il écrivit le premier, ce fut pour
répondre aux désirs du comte Guy et il en adressa à la jeune
reine de France une copie, où il se qualifie de roi Adan. Ogier et
Berthe sont deux personnages du grand cycle carlovingien , et
Bueves se rattache à la légende, si populaire à cette époque, de
Guillaume au cort né. On a remarqué que notre poète semble
avoir voulu raviver de vieilles traditions dont on commençait à
se lasser et qui ne tardèrent pas, malgré ses efforts, à tomber
dans l’oubli. Aux longues épopées succédèrent de non moins longs
traités de morale, et bientôt la voix du poète s’éteignit au milieu
des guerres qui couvrirent de sang et de ruines l’Europe occiden-
tale, pendant les longues querelles de la France et de l’Angleterre.
Adenez avait fait une étude approfondie de toutes les délica-
tesses du dialecte de l’Ile de France. Nulle part, de l’aveu des
critiques, la langue et l’orthographe du temps ne se présentent
avec plus de netteté et d’élégance que dans ses œuvres. Ce poète
était, à ce qu’il semble, doué d’un esprit délicat et d’un caractère
facile, quoiqu’on soit en droit de lui reprocher de dénigrer ceux
dont il a imité les travaux. « On peut dire de luy, ainsi s’exprime
» Fanchet, qu’il fut facile rymeur autant qu’autre de son temps,
» mais il est fâcheux en répétition. » Suivant un autre critique 1 2,
1 Histoire littéraire de la France , t. XX, pp. 675-718. — Van Hasselt,
/. c., p. 82.
2 Histoire littéraire de la France, 1. c. — De ReifFenberg, Philippe Mous-
kés , 1. 1 , p. cLViu.
( 395 )
le fond de sa narration est d’autant moins poétique que son ex-
pression semble l’être davantage. Sa fécondité cache une absence
complète d’idées et de sentiments.
Outre Adenez, la cour ducale du Brabant comptait plusieurs
ménestrels, et entre autres, les ménestrels Tassin, Boidin et
Estnol le Sot , qui sont cités dans un Compte de la dépense du
comté de Flandre , de l’an 1277.
Jean Ier a pris place parmi les minnesingers de l’Allemagne,
grâce à neuf compositions qui nous ont été conservées dans le
dialecte souabe, l’une des branches du haut allemand qui se
rapproche le plus du flamand. Le fond de ces poésies, auxquelles
M. Willems a rendu leur forme primitive, est emprunté tout
entier à ces pastourelles provençales éternellement consacrées à
chanter les joies et les soucis des amoureux. Jean Ier cherche
moins à briller par le fond que par la forme, par l’harmonie du
rhythme , la cadence et la coupe heureuse des vers et des stro-
phes. Comme trouvère, il reste bien au-dessous de Conon de
Béthune, dont il n’atteint pas la finesse, et de Thibaud de Cham-
pagne, dont il ne possède ni l’imagination, ni la fécondité. Ces
neuf chansons sont toutes consacrées à la louange des dames et à
solliciter leurs bontés pour le poëte. A en juger par les nombreux
bâtards que le due laissa, on peut supposer que ses désirs ne
rencontrèrent d’ordinaire qu'une assez faible résistance *.
La littérature flamande était alors à son apogée. C’était l’époque
de VanMaerlant, cette grande figure du treizième siècle, philo-
sophe et pamphlétaire, écrivain infatigable et profond penseur. Le
Brabant ne produisit à cette époque aucun nom qui pût prétendre
au même rang; la couronne dont notre duché devait s’orner pen-
dant la génération suivante n’était pas encore préparée. On doit
attribuer sans doute à la prédilection marquée du duc Jean pour
les idiomes germaniques l’apparition des épopées savantes dont
la langue flamande s’enrichit alors et, d’un autre côté, elle con-
1 Ces appréciations sont empruntées à M. Vanden Berghe , Disserlatio
inauguralis de Joanne primo, p. 77. — Willems a publié les chansons de
Jean Ier dans ses Oude vtaemsche liederen, et, d’après lui, M. De Bruyn les
a reproduites à la tin de l’ouvrage intitulé : Histoire du règne de Jean Ier.
*
( 590 )
tribua, pour ainsi dire, à éteindre dans son germe le goût des
Brabançons pour les poèmes en langue d’oil; vinrent ensuite les
discordes civiles, au milieu desquelles toutes les lyres se turent.
11 semble que l’étude de 1 histoire aurait du se développer à
mesure que les événements dont la Belgique était le théâtre ac-
quéraient plus d importance. Mais, parmi les écrivains contem-
porains de Jean I'r, il n’en est presque aucun qui ait une cer-
taine valeur. Jean de Thielrodc, Baudouin de Ninovc et Baudouin
l’abbaye de Saint-Bavon dcGand, et vivait encore en l’an 1298;
ce qu’il n’a pas copié ailleurs se réduit à peu de chose et prouve
qu’il ne s’est pas trompé en se reconnaissant faible d’esprit. Bau-
douin, prémontré de Ninove, qui mourut vers l’année 1294, dans
un âge très-avancé, est plus intéressant, quoique fort concis et
d’une crédulité peu commune. Baudouin d’Avesnes, dans ses chro-
niques, se borne à parler de généalogies et ne pousse l’histoire des
princes belges que jusqu’à l’épisode de Marie de Brabant '.
Aucun de ces trois noms n’appartient à notre duché, tandis que
par une coïncidence remarquable, on y vit naître, à celte époque
dont nous venons de déplorer la stérilité sous ce rapport, toute
une pléiade d’historiens, recommandables par la valeur réelle de
leurs travaux et les qualités de leur style.
Jean de llocsem ou Hoxem peut être regardé comme Braban-
çon, car il naquit au hameau dont il porte le nom, dans la paroisse
, de Hougarde, domaine liégeois qui était entièrement enclavé dans
les États de Jean Ier, et qui en lit longtemps partie. Comme Jean
naquit au mois de février, en 1278 -, et qu’il n’avait que seize ans
lorsque le duc mourut, il a pu voir, ou entendre raconter par des
témoins oculaires, la plupart des événements dont il parle, son
récit ne commençant qu’avec l’épiscopat de Henri de Gueldre.
Parmi les historiens liégeois, Jean de Warnant, surnommé Pres-
byter ou le Prêtre, écrivain aussi recommandable, mais dont la
biographie nous est pour ainsi dire inconnue, décrit la même
1 Bulletins de la Commission royale d’histoire, 2mc série, t. IX, p 2G5.
2 Chapeau ville, Gesta pontificum Leodiensium, t. II, p. 272.
( 597 )
période. Quanta Jean d’Ou trc-Meuse, c’est un feu lollet dont nous
nous sommes écartés autant que possible.
Hocsem et Warnant écrivirent en latin et en 1)1*050, tandis que
trois Brabançons, leurs contemporains, Van Heelu, Van Velthem
et, Van Boendaele, ont tous trois adopté la langue flamande et la
forme métrique. Le premier, dont le poëme fut si longtemps
désiré par tous les amis de notre histoire, a été publié avec un
soin infini par le savant Willems , dont le travail a été notre prin-
cipal guide. Jean Van Ileelu ou Van Leeuw, ainsi appelé, sans
doute, parce qu’il naquit dans la petite ville de Léau, ou au village
de Heelen qui l’avoisine, était frère, c’est-à-dire, selon l’opinion
commune, chevalier de l’ordre tcutonique, et peut-être attaché à
la commanderie de Becquevoort, non loin de Dicst. II se trouva à
la bataille de Woeringcn , et la description qu’il en a laissée mérite
une entière confiance, sauf peut-être qu’il s’attache trop aux ex-
ploits des Brabançons, scs compatriotes, partialité bien excusable
et qui ne le rend pas injuste pour les ennemis de son prince. 11
écrivit, suivant son propre témoignage, dans le but de plaire à la
princesse Marguerite d’Angleterre, femme de Jean II, et afin que
le désir de connaître les exploits de son beau-père, décidât la
princesse à apprendre la langue flamande h
Van Velthem est moins positif et moins scrupuleux que Van
Heelu, à qui il emprunte parfois des chapitres entiers. Tandis (pie
le chantre de Woeringen ne sort jamais des événements authen-
tiques, son imitateur se permet de fréquentes excursions dans le
domaine de l’imagination. Il accepte tout ce qu’il rencontre et il
entremêle, sans beaucoup de discernement, les guerres, les mi-
racles, les événements météorologiques et les scènes de roman,
de manière à dérouter constamment le lecteur. C’est une circon-
stance fâcheuse, car son Miroir abonde en particularités que l’on
ne trouve que là. Louis Van Velthem était ecclésiastique; il des-
servait, en 1504, une chapellenie à Sichem et devint, plus tard,
le pasteur du lieu dont le nom est resté attaché au sien.
Nous dirons peu de chose de Jean Van Boendale. Les Bru-
1 Willems, Introduction au poëme de Van Heelu , pp. 1 et suiv.
( 398 )
bantsche Yeeslen , qu’il commença en l'an 1318, donnent à peine
sur Jean Ier quelques détails nouveaux. Ce personnage, dont la
biographie n’a été éclaircie que tout récemment, par MM. Van
Even et Génard, naquit à Tervueren , vers l'année 1280. II devint
clerc, c’est-à-dire secrétaire de la ville d’Anvers et, en cette qua-
lité, assista, en 1312, à l’assemblée des états de Brabant qui se
tint à Cortenberg; il mourut, selon les uns, en l’année 1351,
selon les autres , en 1565, après avoir écrit un grand nombre de
poésies. « Historien consciencieux et exact, moraliste sévère,
» écrivain élégant, Boendale occupe une place éminente dans la
» littérature flamande *. »
IL
Celui des arts auquel on peut donner la première place, car au
mérite de l’utilité il joint celui de comporter les dimensions les
plus splendides et les plus considérables, l’architecture, con-
tinua, pendant la seconde moitié du treizième siècle à marcher
dans la voie où elle était entrée pendant les années précédentes.
Le style ogival se répandit de plus en plus en Belgique, détrônant
partout l’art roman, dont les derniers adeptes n’eurent bientôt
plus de sectateurs.
Les monastères, paraît- il, persistèrent à garder les vieilles
formes, les types consacrés par la tradition et par l’usage. Villers
et Parc, près de Louvain, en offrent des exemples frappants.
Dans l’église de la première de ces abbayes, l’art ancien domine
encore l’art nouveau. Jusque dans les parties les plus élevées et
par conséquent les plus récentes du temple, des arcades cintrées
se dessinent. Et cependant, par l’époque de sa construction,
l’église de Villers appartient surtout au deuxième et au troisième
tiers du treizième siècle. Si, en 1245 et en 1252, Boniface, évêque
de Lausanne, put déjà y consacrer des autels, à proximité de
l’entrée de la tour, l’achèvement de l’édifice n’eut lieu que quinze
1 Histoire clés environs de Bruxelles, 1. 111, p. 418.
( 59!) )
à vingt ans plus tard. Le 3 niai 1207, line croix de fer, argentée,
fut placée sur le pignon de la façade vers l’ouest ou. façade prin-
cipale, et, le 13 juillet 1275, on en érigea une autre, entièrement
dorée, au sommet de la tour ou clocher qui surmontait le chalei-
dique. L’une et l’autre de ces croix avaient été préalablement
munies de reliques h
Quant à l’église de Parc, on y travaillai^ encore en 1293 et
elle ne fut achevée qu’en 1297. Cet édifice ayant été entièrement
modernisé au siècle dernier, on ne pourrait plus juger de son
état ancien , si un laborieux écrivain n’en avait récemment donné
une bonne description. « A l’exception de la voûte, elle était en-
» tièrement construite dans le style le plus pur. A la différence
» du chœur et des transsepts, qui étaient en pierre brune, la nef
» principale était en grès blanc appareillé avec soin. A l’extérieur,
» les murs étaient ornés d’un double rang d’arcades simulées,
» encadrant, tant en bas qu’en haut, sept fenêtres cintrées. Ces
» arcades étaient formées de deux cintres retombant au milieu
» sur une console. Une belle porte romane donnait accès dans
» l’église. Un portique dans le meme style, et dont le cintre
» encadre un arc trilobé que soutiennent des colonnettes, se voit
» encore de nos jours à la gauche de l’entrée principale. Quant à
» l’intérieur du vaisseau, il était divisé en trois nefs par douze
» colonnes qui correspondaient à autant de pilastres engagés
» dans les murs. Ces pilastres , dont quelques-uns existent encore,
» peuvent nous donner une idée des colonnes; ils sont formés
» d’un fût de cinq mètres de hauteur, cantonné de quatre co-
» lonnes elïilées, et l’ensemble a une largeur d’environ un
» mètre 1 2. »
Les bâtiments conventuels de Parc, auxquels on travailla à la
même époque, en 1295 et 1294, appartenaient au style roman
le plus sévère, « comme on peut juger par ce qui en reste,
» dit l’auteur que nous venons de citer. De petites fenêtres car-
« rées, divisées par une colonnette romane éclairaient le dortoir,
1 Wauters , V Ancienne abbaye de Viilers , p. 86.
- Raymaekers, l. c., p. 51.
( 400 )
» tandis que le rez de ehaussée (le eloitre) reeevait la lumière
» par de grandes baies garnies de rosaces, de deux mètres qua-
» rante centimètres de diamètre. » On ne doit donc pas s’étonner
. si le plein cintre apparaît encore dans le beau réfectoire de
Villers, qui porte évidemment le cachet de l’art ogival primaire.
Dans ce style, les édifices s’exhaussent, les voûtes, élancées et
à nervures croisées v semblent s’élever au ciel; les piliers dispa-
raissent pour faire place a des colonnes cylindriques, couronnées
de chapiteaux à crochets; les fenêtres sont lancéolées et souvent
groupées par deux ou par trois. Autour du chœur rayonnent des
chapelles, et d’énormes arcs-boutants soutiennent, vers Inté-
rieur, la partie supérieure des murs. Intérieurement, au-dessus
des colonnes, règne un triforium à eolonnettes cylindriques et
portant des arceaux lancéolés ou trilobés. Les quatre feuilles et les
lobes composent les principaux motifs de décoration, ainsi que les
tètes humaines, souvent grimaçantes, dont sont ornés les cor-
beaux des corniches et les retombées des nervures.
La grande activité qui avait signalé la période précédente con-
tinua. On travailla à l’achèvement de Notre-Dame de Diest, du
chœur de Saint-Léonard de Léau, à l’église des Dominicains de
Louvain, qui fut consacrée en 1270. A Sainte-Gudule, Jean Ier
voulut imprimer une nouvelle activité aux travaux, qui s’étaient
ralentis faute de ressources sulïisantes, et ordonna d’y employer
le produit des deux premières années de vacance des prébendes et
de l’écolàtrie h C’est de son temps que datent probablement, non
pas le chœur et le pourtour du chœur, mais les transsepts, œuvre
encore magnifique et où se révèlent plusieurs manières diffé-
rentes, sans doute parce qu’il y eut de nouvelles interruptions
dans les travaux, car les fonds manquèrent encore, et il fallut
solliciter, du pape Ilonorius IV, un bref accordant des indul-
gences à ceux qui contribueraient aux frais de la construction de
la collégiale de Bruxelles 1 2. Les travaux de reconstruction de la
1 Septembre 1275. Opéra diplomaticci , t. IV, p. 256.
2 Le 1er mars 1287. Histoire de Bruxelles , 1. 111 , p. 249. — Schayes, dans
les Annales de V Académie d'archéologie , t. XI, p. 09.
( 401 )
collégiale de Malines étaient alors commencés depuis longtemps;
mais, comme ils restaient en retard par suite delà négligence de
ceux qui devaient y veiller, Walter Berthout, de concert avec le
chapitre de Saint-Rombaud et la commune, statua qu on nomme-
rait, tous les ans, trois proviseurs : un chanoine résident , un éehe-
vin et un autre bourgeois, qui dirigeraient, de concert, les tra-
vaux de la fabrique du temple ]. Ce dernier, qui ne s'éleva qu’avec
lenteur, n’existe plus aujourd’hui; il disparut dans un incendie,
en 1548.
Nous pourrions mieux juger des progrès que lit l’architecture
religieuse au treizième siècle, si les révolutions ou le goût de mo-
derniser n’avaient détruit tant d’anciennes constructions. Car le
règne de Jean Ier lut une époque d’activité architectonique. Alors
furent construits : l’église deNotre-Dame à Afflighem (1261-1 501),
le cloître de ce monastère (1242-1261), qui était clôturé par des
colonnettes formées de petites pierres bleues , soutenant une
voûte de pierres ■ 2 ; l’oratoire des carmes de Bruxelles, dont l’aehè-
vement eut lieu en 1285. Alors furent consacrées : en 1270, l’église
des augustins de Louvain; en 1276, celle des dominicains d’An-
vers, qui avait été commencée en 1262; en 1284, celle des domi-
nicains de Maestricht; alors aussi, on accorda des indulgences aux
fidèles qui contribueraient à l’achèvement de l’église d’Oignies (en
1280).
L’architecture civile se développait en même temps que l’archi-
tecture religieuse. Des maisons de ville, des beffrois, des halles,
dont Gand, Apres et Bruges offrent encore de si brillants spéci-
mens, ornèrent la plupart des cités de Belgique. Quelques princes
se bâtirent des salles somptueuses, comme le lit entre autres, à
iluy, Jean de Flandre, évêque de Liège. Les ponts, constructions
plus utiles et plus massives, furent réédifiés avec soin : celui de
Maestricht , en 1281 et années suivantes; celui de lluy, vers l’an-
née 1294 5, et celui de Tournai, le seul pont ogival un peu consi-
! Ordonnance en date des octaves de la Pentecôte, de l’année 1265. Solle-
rius, Acta S. Rumolcli, p. 54.
- Histoire des environs de Bru, celles , t. 1 , p. 505.
5 llocsem, dans Chapeauvillc , t. II, pp. 515 et 525.
Tome NUI. 26
( 402 )
dérable que l’on ait épargné. Le pont de Maestricht s’était écroulé,
en 1275, pendant qu’une procession, accompagnant la châsse de
saint Servais, y passait, et plus de trois cents personnes avaient
perdu la vie dans les Ilots; le pont n’était pas encore achevé en
1287, lorsque l’évêque de*Liége promit des indulgences à ceux qui
en faciliteraient la réédification l.
La grande extension de la population urbaine ayant aggloméré
autour de nos villes d’immenses faubourgs, dont la défense pou-
vait être considérée comme impossible, elles s’entourèrent pour
la plupart de nouvelles enceintes, qui durent coûter des sommes
énormes.
Dans les campagnes, les châteaux se présentaient sous des
formes plus imposantes. La massive tour de Sichem, qui est isolée
au milieu des prairies voisines de cette ville, et dont l'origine est
inconnue, ne remonte probablement pas au delà du temps de
Jean Ier, et Ton pourrait, avec quelque fondement, en attribuer
la construction à Godefroid de Brabant, en faveur de qui le duc
aliéna la propriété de Sichem. Le donjon carré de Moriensart, qui
semble un géant s’élevant au-dessus de la plaine voisine, peut être
considéré comme contemporain, car les chevaliers de ce nom ne
sont pas plus anciens. L’un et l’autre offrent un revêtement de
pierres de taille et plusieurs étages superposés et voûtés. Con-
struite sur de moindres dimensions, mais entièrement en pierres,
la tour de la ferme de Cobbeghem porte également un caractère
tout à fait primitif. Elle se compose d’un caveau, dans lequel on
ne peut descendre qu’au moyen d’une échelle; d’une salle remar-
quable par sa voûte à nervures croisées et retombant sur des tètes
sculptées, et enfin d’un grenier, surmonté d’une petite flèche 2.
Les bourgeois notables avaient aussi, à l’intérieur des villes,
des habitations vastes et également en pierres; il y en avait un
grand nombre à Bruxelles, aux environs du grand marché 5. Les
développements que prenaient parfois les incendies (comme celui
de Bruxelles, de l’an 1276, qui consuma presque un tiers de cette
1 Annales de ï Académie d' archéologie de Belgique, t. X, p. 166.
2 Histoire des environs de Bruxelles , t. I , p. 381.
5 Histoire de Bruxelles , passim.
( 405 )
cité *) donnèrent l’éveil sur le danger qui résultait des construc-
tions en bois et des toits de chaume. C’est pourquoi Walter Ber thout
et les échevins de Malines , usant d’une sage prévoyance , défen-
dirent, en 1286, de couvrir les maisons autrement que de tuiles
ou d’ardoises 1 2 * *.
La richesse et l’esprit laborieux de nos populations urbaines,
les soins que les magistratures locales apportaient à maintenir
dans les villes une police à la fois sévère et équitable, se tradui-
saient, à tous les yeux, par des améliorations matérielles. Déjà,
du temps de Jean Ier, Bruxelles était une des plus belles villes de
la Belgique, comme en témoignent les vers suivants :
En mon dit vous amentevrai
Gant et Ypre et puis Douay,
Et Maaline et Broiselles,
Je les doy bien nommer cou celles
Qui plus belles sont à véoir 7>.
Et cependant la plupart des édifices civils et religieux de la
capitale actuelle du pays n’existaient pas encore. On y voyait bien
un beffroi et des halles, mais point d’hôtel de ville; le palais des
ducs n’avait pas l’importance qu’il eut depuis, et Sainte-Gudule,
l’église principale, ne consistait qu’en un chœur, élégant et impo-
sant, il est vrai, et en quelques chapelles rayonnant autour de ce
chœur. Louvain , la ville la plus industrielle , et Anvers , le grand
centre commercial, n’étaient pas plus riches en monuments.
Une autre particularité dans laquelle se révèlent les améliora-
tions dont les villes flamandes donnaient alors l’exemple, c’est le
système d’assurances ou plutôt d’indemnités mutuelles que les
habitants de Fumes avaient établi parmi eux, en cas d’incendie,
dès 4269. Dans un acte de cette année, le comte Guy accorde à
l’abbaye de Saint-Nicolas de Fûmes, du consentement des éche-
vins de cette ville, le droit de participer à la protection dont les
1 Histoire de Bruxelles , 1. 1, p. 70.
2 David, Geschiedenis van Mechelen , p. 60.
5 Les Fabliaux de Barbazan, cités par M. Kervyn de Lettenhove, Histoire
de la Flandre , t. 11 , p. 500.
( 404 )
laïques y étaient l'objet, pour ce qui concernait les incendies arri-
vant à l’improviste, à la charge de payer sa quote-part dans les
indemnités payées à d'autres dans des cas semblables l.
On ne connaît pour ainsi dire aucun architecte belge du trei-
zième siècle, si ce n’est Arnoul de Binche, ce célèbre constructeur
de Sainte -Walburge d’Audenarde, qui mourut vers l’an 1248,
tandis que la France a conservé le souvenir des artistes qui la
dotèrent de monuments splendides. Chez nous, il semble que les
ecclésiastiques continuèrent longtemps à s’occuper d'architec-
ture. Arnoul de Binche était chanoine de Cambrai 2 *; c’est à deux
chanoines de Saint-Lambert à Liège , Burchard et Guillaume, que
l’on attribue le magnifique portail, en style primaire, par lequel
on entrait dans l’église cathédrale de la même ville 5. Pour le Bra-
bant, nous ne pouvons revendiquer qu’un seul nom, Thierri,
surnommé de Brabant, celui des abbés des Dunes sous la direc-
tion duquel se termina l’église de ce monastère, église dont la con-
sécration eut lieu en 1202, et que l’on regardait comme la plus
belle de la Flandre 4.
1 Opéra diplomalica , t. J , p. 590.
- Cartulaire de l'abbaye de Saint-Denis , à la Bibliothèque de Mous, f° 85.
5 Schayes, Mémoire sur ï architecture ogivale, p. 139.
* Ibidem, p. 47. — Faut-il considérer comme architectes les latomi ou ma-
çons, dont les noms se rencontrent dans certains actes? Jean 1er compta
parmi ses serviteurs un nommé Pierre d’Altlighem, qui était maçon, ainsique
son frère Jean; le jour de sainte Catherine, en 1290, il autorisa l'abbaye
d’AIllighem à leur acheter des biens jusqu’à concurrence de quatre-vingts
livres de Louvain ( Cartulaire d’Afflighem aux Archives du royaume, l. I,
1° 29). En 1289, vivait à Malines un latomus nommé Arnoul Faber ou De
Smet,qui donna à l’abbaye de Roosendael une maison située dans la Mostrate
( Chartes de Roosendael). Les charpentiers, dont le métier a parfois à vaincre
d'énormes difficultés, méritent aussi de ne pas être laissés dans l’oubli : un
magister Franco, carpentarius Haffligemensis , ligure dans un acte en date
du mois de mai 1291 ( Cartulaire d’Afflighem cité). — Nous croyons que le
mot formator , qui se trouve dans plusieurs actes du treizième siècle, signifie
architecte. A ce titre nous citerons le passage suivant qui se trouve dans un
acte du mois de juillet 1265 : Notum sit universis quod Thomas dictas Schep -
man contulit in elemosinam Ingelberto formatori ad opus altaris B. Marie
Virginis in ecclesia Béate Gudile constituti duos solidos hereditarii cen-
( 405 )
Louvain conservait encore, en l’année 1762, un monument du
plus haut intérêt pour l'histoire nationale et pour l’étude de l’art
au treizième siècle. Il se composait d’un tombeau, d une peinture
murale et de trois verrières, consacrés à la mémoire de Henri III
et de sa femme. Le prieur Van de Putte, assisté par l’architecte
Corthout, le sacrifia sans pitié, lorsqu’ils affublèrent l’église des
Dominicains d’une décoration moderne, et le gouvernement, averti
trop tard, ne put que blâmer cet acte de vandalisme et se borner
à faire placer une décoration commémorative contre la paroi sep-
tentrionale du chœur. Il n’est resté de toute l’œuvre que d’anciens
dessins, dont on doit la connaissance à M. de Ram V
La tombe, que l’on peut voir aussi dans Butkens 2, avait dix
pieds de longueur sur trois de hauteur. Son soubassement offre,
sur les grands côtés, huit arcades simulées à arc cintré et trilobé
et, reposant sur des eolonnettes. Aux petits côtés régnent quatre
niches, qui abritent autant de statuettes. Ces niches et ces arcades
sont surmontées d’une double zone, formée de cercles, dont
chacun inscrit un quatrefeuilîe, et de cintres contenant des fleu-
rons à six lobes. Le même fleuron se retrouve sur le bord de la
table qui supporte les statues de Henri III et d’Aleyde. Le duc est
revêtu d’une cotte de mailles et d'une tunique; son front est, ceint
d’un simple diadème; sa tête repose sur un coussin; il a les mains
jointes, et plus bas que ses mains se trouve un bouclier armorié
de Brabant. Sa compagne est couchée à ses côtés. Tous deux ont les
pieds appuyés sur des lions dormants. Derrière leur tête se dressent
deux niches surmontées d’un dais. Le Christ, les mains levées au
ciel, et la Vierge reçoivent, de deux anges : le premier, l’âme du
duc, la seconde, l’âme de la duchesse, l’une et l’autre symbolisée
par des enfants entièrement nus
sus , etc. En 1296, Henri formator, architecte, et non pas précepteur de Gode-
froid de Brabant, comme on l’a dit par erreur ( Histoire de Bruxelles, 1. 111 ,
p. 234, Godefroid ayant alors près de quarante ans), fonda son anniversaire
dans l’église de Ste-Gudule. Engelbert et Henri auraient-ils travaillé à cette
magnifique collégiale?
1 Nouveaux Mémoires de l’ Académie , t. XIX.
2 Trophées de Brabant , t. I .
r’ Nous avons emprunté ces détails, ainsi que la description des autres par-
( 406 )
Les belles tombes se multiplièrent, mais la plupart ont disparu ,
en même temps que le souvenir de ceux qui les avaient dessinées
ou exécutées. Jean l’Imagier ( Johannes Imaginator ou Imagi-
nifex ), qui vécut à Louvain de 1250 à 1296 environ l, et Henri
V Imaginator, cité à Bruxelles vers 1280 2, sont des ombres plutôt
que des personnalités.
La peinture existait et même la peinture de tableaux, mais cet
art était surtout employé à compléter et relever les formes archi-
tectoniques 5. Il servait à recouvrir tout l’intérieur des temples et
même des autres bâtiments conventuels. Ainsi, à Pare, on orna
de la sorte l’infirmerie. On connaît le nom du peintre qui, en
1297, y travailla; il s’appelait Arnoul, et reçut, en cette année,
vingt sous pour le travail qu’il avait exécuté dans l’église 4. « A
» Villers, dit M. Van den Berglie 5, on trouve de nombreux frag-
» ments de peinture à fresque sur les différentes parties de
» l’église, depuis les voûtes et les murailles jusqu’à la moindre
» crédence. Les grandes surfaces étaient couvertes d’une teinte
» uniforme, jaune ocreuse, avec des dessins de pierre d’appareil,
» de diverses grandeurs, rouges ou blancs. Les chapiteaux avaient
» leurs palmes coloriées en rouge ou en vert. Les voussures de la
» porte du narthex (ou porche) offrent également des traces de
« peinture: ce sont des bandes à petites lignes réticulées, cou-
» pant les tores, dans un sens opposé à celui de leur projection. »
Parfois les pans de murailles s’ornaient de grandes figures ou
descènes épisodiques. A Villers, on voit, ou plutôt on voyait, car
les dégradations y marchent vite, on voyait, dis-je, la Vierge por-
ties du monument, au travail de M. Van den Berghe : Dissertatio inauguralis
de Joanne primo , qui a copié M. de Ram.
1 Messager des sciences historiques , année 1854, p. 132.
2 Cartulaire de Coudenberg , aux Archives du royaume.
3 A Atïlighem, on mentionne le don d’un tableau ( tabula ) par l’abbé
Henri II, au treizième siècle. Histoire des environs de Bruxelles, 1. 1, p. 508.
* Arnoldo pictori ad ecclesiam XX sol. — Pro vermelione ad pingenclam
cameram injirmarie XXVII den., Arnoldus pictor solvet. Raymaekers, /. c..
p. 32 et 53. — A Bruxelles, un Jean Sclnldere (ou peintre) fonda une chapel-
lenie à Sainte-Gudule, en l’an 1298.
3 L. c p. 96.
( 407 )
tant son fils , assise sur un trône et servie par deux anges. Sa robe
et celle de Jésus sont bleu-hyacinthe; toutes les tètes sont nim-
bées. Cette peinture, qui n’a pas moins de sept pieds de haut, a
été exécutée à la détrempe, sur une légère couche de mortier.
Sur le mur qui séparait autrefois le chœur de l’église des Do-
minicains de Louvain de la chapelle ducale, au-dessus du tombeau
du duc Henri III, on remarquait une peinture à fresque, dont le
dessin offre les représentations suivantes: Sur un trône élevé,
orné de pinacles à crochets, est assise Notre-Dame, que cou-
ronnent deux anges. Elle est vêtue à la mode du temps, et tient,
dans le bras gauche, Eenfant Jésus, entièrement nu; dans la main
droite, un sceptre. Plus bas on voit ces mots : Sancta maria
patrona huj 01 ecclesie. De chaque côté du trône, sur des prie-Dieu
recouverts d’une housse semée de leurs armes, s’agenouillent les
deux princes. Ils offrent chacun à la Vierge un petit modèle de
l’église qu’ils ont' élevée en son honneur, et sont accompagnés :
Henri III, par saint Dominique et par un autre saint de son ordre;
Aleyde, par saint Pierre de Vérone et par une sainte, que l’on
suppose être sa patronne, sainte Aleyde, abbesse de Villich près
de Bonn. Deux anges sortant des coins supérieurs de l’encadre-
ment du tableau, embouchant la trompette. Sous la peinture, on
lit : Hic subtus jacet dns henricus huj°> nomis terti0’ principis
illustris : | dux lottringie et brabancie sext ^ : huj 01 claustri fun-
dator : | ac totC fundi dator qui obiit ano : M° CC° LX ultia die
februarii. — Hic jacet dna aleidis de burgundia. ducissa | ejus
uxor. istia claustri et claustri de oudergheem | pia fundatrix.
nec non ordinis toti “ predicatorü | benigna amatrix. que obiit
ano dni M° CC° LXIII XXIII die octo : l.
Les nombreux monuments littéraires qui apparurent alors,
en Belgique, durent procurer un travail continuel aux miniatu-
ristes. On peut admettre, sans en exiger de preuves, que des
princes aussi amis des lettres que Jean Ier et Guy de Dampierre,
aimèrent aussi les beaux livres. Mais on manque de données sur
cette partie de l’histoire des arts. Tout ce que l’on sait, c'est que
1 Van den Berghe, /. c.
( 408 )
l’élcment. fantastique dans le choix des scènes religieuses et l'élé-
ment chevaleresque dominent presque généralement. A côté des
motifs empruntés à l’Apocalypse et aux cycles romanesques , il s’en
présente un grand nombre qui portent le cachet du mysticisme
allégorique, dont les écrits de l’époque sont empreints. Et, à
mesure que la pensée s’élance davantage dans un monde imagi-
naire, sa représentation matérielle abandonne les formes tradi-
tionnelles et se plie aux costumes, aux usages du temps A
Les peintures sur verre commençaient également à décorer nos
temples de leurs teintes variées, mais il ne nous en est resté que
les dessins représentant trois vitraux de l’église des Dominicains à
Louvain, et dont voici la description : La lancette du milieu repré-
sente le Crucifiement. Sous un dais trilobé apparaît le Christ, dont
la tête est ornée du nimbe crucifère et de la couronne, et dont les
bras sont étendus. Aux pieds de la croix, se tiennent la Vierge et
saint Jean. Dans un panneau inférieur est agenouillée Marie de
Brabant, reconnaissable h cette inscription : Dame Maria I Boyn
de France , et à ses armoiries, qui occupent la partie inférieure
et constituent la partie la plus soignée du vitrail. L’encadrement
du vitrail est chargé de fleurs de lis. La lancette de droite contient
la représentation de saint Ai col as et sous celle-ci un prince ( li
dux Henris de Brabant ), agenouillé et revêtu d’une longue
tunique et d’un manteau. Le compartiment inférieur est à losanges
chargés d_c fleurs de lis, et contient l’écusson de Brabant, bro-
chant sur le tout; quant à la bordure de la verrière, elle em-
prunte ses motifs de décoration aux armes de l’Empire, de France
et de Brabant. A la gauche, la lancette représente saint Denis,
debout , portant entre les mains une épée et sa tète, dont le nimbe
est resté au-dessus du cou. Plus bas, on lit : la du cesse Al | is née
Borgong , et cette princesse est figurée à genoux. La partie infé-
rieure est losangée, ornée de châteaux sommés de trois tours, et
de l’écusson ducal brochant sur le tout. L’ encadrement présente
alternativement eet écusson , les tours, des fleurs de lis et les armes
de Bourgogne-ancien.
1 Van Hasselt, Mémoire sur Je caractère rte l'école flamande de peinture ,
p. 60.
( 409 )
D’autres vitraux éclairaient la chapelle ducale et offraient les
portraits de Henri l’Enfant, landgrave de Thuringe, de Henri de
Louvain, sire de Herstal, et d’autres membres de la famille de
Louvain. Ces monuments, qu'il aurait été si important de con-
server, ont disparu lors de la restauration de l'église des Domi-
nicains, au siècle dernier. La perte en est d’autant plus regret-
table qu’il ne nous en reste aucun du même genre et de la même
époque ’. Le vitrail dont Jean Ier et sa seconde femme avaient orné
l’église des récollets de Bruxelles, survécut à la dévastation, de ce
temple pendant les troubles du seizième siècle, mais il était en
fort mauvais état, et le gouverneur général comte Mansfeld dut,
Je 1er septembre 1592, allouer la somme de soixante livres d’Ar-
tois pour en opérer la restauration 1 2.
Il nous reste à parler de l'art de l'orfèvrerie , pour lequel nous
possédons un document du plus haut intérêt; c'est le contrat par
lequel les orfèvres Colard de Douai et Jacquemon de Nivelles,
s’engagent à exécuter une nouvelle fierté ou châsse pour con-
tenir les reliques de sainte Gertrude, d’après la « pourtraturc »
ou le dessin exécuté par maître Jacques d’Anchin l’orfèvre, ou
comme on le dit plus loin, maître Jacques l’orfèvre, moine d’An-
chin3. Cette châsse, qui existe encore aujourd’hui et qui a été
récemment restaurée, est entièrement en argent doré, et simule
la forme d’une église. De petites figurines et des scènes emprun-
tées à la légende de sainte Gertrude, y relèvent la beauté de l'ar-
chitecture, dont les formes sont celles du style ogival. A Parc,
l’abbé Alard de Vurâ ou Tervueren lit exécuter, en l’année 1261,
une belle châsse ayant la forme d'une chapelle, de quatre pieds
de longueur et de hauteur; elle était entièrement dorée, riche-
ment sculptée et ornée de statuettes. Elle resta placée dans la
nef de l’église jusqu’en 1657, que l’abbé Macs ôta les reliques qui
1 Van den Berghe, /. c.
- .Comptes des fiefs de Brabant. — line allocation semblable fut encore ac-
cordée l'année suivante. Le vitrail se trouvait à l'abside, derrière le maître-
autel.
ô Acte du dimanche avant la Saint-Mathieu, en 1272. Van Hasselt, Mé-
moires de l'Académie d'archéologie de Belgique.
\
( 410 }
y étaient enfermées pour les placer dans de nouveaux reli-
quaires. On ne sait à qui il faut attribuer ce travail; seulement,
on rencontre dans le Compte de l'abbaye , pour 1297, le nom d’un
orfèvre appelé Conrad.
Les cloches, cet ornement poétique des temples chrétiens,
n’étaient pas négligées. La principale, dans les églises parois-
siales, devait être fondue et entretenue par le plus fort décimateur
de la paroisse, ainsi que cela fut décidé, en 1207, dans un concile
du doyenné de Hanret. Toutefois, la grosse cloche de l’église de
Rotselaer s’étant brisée, le monastère de Parc-les-Dames, malgré
les réclamations des paroissiens, se refusa à la faire réparer, en
se prévalant des privilèges qu’il avait obtenus des souverains pon-
tifes, et, en 1294, il obtint en sa faveur une déclaration de Gé-
rard, seigneur de Rotselaer, et de son frère Guillaume, prévôt de
Saint-Denis à Liège, qui avaient consulté à ce sujet des personnes
dignes de foi et des juristes ( jurisperiti ). A Parc, en 1290, un fon-
deur nommé Jean coula quatre nouvelles cloches, qui coûtèrent
vingt-six livres trois sous, outre le salaire donné aux ouvriers (et
notamment cinquante sous payés à Jean pour son salaire), huit sous
qu’il reçut pour dépenses faites à Bruxelles, quinze sous pour du
charbon , six sous pour les forgerons et les serviteurs qui aidèrent
l’artiste et les matériaux provenant des quatre cloches anciennes,
et, l’année suivante, en 1297, il fournit de petites cloches, ce qui
donna lieu à un autre payement de douze livres cinq sous, outre
quinze livres qui furent encore payées pour les premières cloches.
Les cloches nous conduisent à parler de la musique, mais, pour
ces temps reculés, son histoire se confond, en quelque sorte, avec
celle de la poésie, car beaucoup de trouvères étaient aussi joueurs
d’instruments. Adenez, comme nous Lavons vu, jouait du rebec
ou de la viole. Aucun nom de compositeur belge de Fépoque n'est
parvenu jusqu’à nous, si ce n’est celui de Pierre, chanoine de
Saint-Aubert à Cambrai, qui vivait vers l’année 1270.
( U 1 )
III.
Nous terminons ici notre biographie de Jean Ier. On nous par-
donnera si elle présente des lacunes, si elle ne dépeint que d’une
manière incomplète la vie intérieure de notre duché. En effet, où
aurions-nous été en chercher une esquisse? Van Heelu, le chantre
de notre héros , ne s’occupe que de la guerre du Limbourg; c’est
à peine s’il parle des événements antérieurs, et il ne dit pas un
mot de ce qui suivit la bataille de Woeringcn. Les autres écri-
vains, brabançons ou étrangers, ont presque tous puisé à cette
source, extrêmement pure d’ailleurs, et les détails qu’ils ajoutent
sont de peu d’importance.
Ce siècle a vu paraître deux grands travaux qui ont éclairci
bien des doutes, rétabli la vérité de maint détail. Nous voulons
parler de Y Histoire du duché de Limbourg , par le savant Ernst,
et de l’édition du poëme de Van Heelu, par le regrettable M. Wil-
lems. Ce poëme, dont il a paru, au dix-septième, deux traductions
abrégées , l’une en vers latins et l’autre en prose flamande *, fit
longtemps l'objet des études du philologue Van Wyn , dont les
annotations ont enfin été publiées, il y a une vingtaine d’années1 2 * *.
Mais déjà la Commission royale d histoire, instituée par le Gou-
vernement belge, en avait donné au public le texte, revu, cor-
rigé, annoté par M. Willems, qui raccompagna d’une excellente
introduction, d'extraits de chroniques relatifs à la bataille de Woe-
ringen et d’un choix de diplômes inédits ou peu connus 5. Autant
1 La première, intitulée : Praelium Woeringianum Joannis I Lotharingiae
Brabantiae ducis et S. Imp. Marchionis, ed. Bruxell. , apud Godefridum
Schoevartium , 1641,in-f°, est due à Henri-Charles de Dongelberghe , qui
descendait du duc par un (ils naturel; la seconde, Den slryt ende slach van
Woeringen, Brussel , b y G Schoevarts, 1646, in-4°, fut publiée par le libraire
lui-même.
2 Henri Van Wyn, Letter en geschiedkundige aanteekeningen op de Rym-
kronykvan Jan Van Heelu. La Haye, 1840, in-4°.
5 Chronique en vers de Jean Heelu ou relations de la bataille de Woe-
ringen , publiée par ,1 .-T. Willems. Bruxelles, 1856,in-4°.
( «2 )
ce travail est précieux, comme base officielle, si je puis m’exprimer
ainsi, de tout récit possible de la guerre du Limbourg, autant il
est essentiel de consulter également l’histoire de 31. Ernst, qui a
raconté les épisodes de cette guerre avec une patience infati-
gable et en déployant une sagacité peu commune. Un sentiment
de convenance, que le lecteur appréciera, ne nous permet pas de
porter un jugement sur d’autres œuvres historiques dont les au-
teurs sont encore vivants et dont il nous serait difficile de parler,
sans nous exposer à encourir le reproche de partialité U
C’est dans les diplômes, tant ceux qui sont épars dans mille ou-
vrages divers que dans les chartriers ou les cartulaires des
princes, des abbayes, des villes, que nous avons trouvé les meil-
leures données sur la situation du Brabant pendant la minorité et
le règne de Jean Ier. 3Iais cette source, que nous n’avons pas épui-
sée, laisse encore à désirer. Les diplômes sont excellents pour
attester la réalité d’un fait ou d’une circonstance; quant aux ex-
pressions dont on s’y sert, elles ne sont pas toujours delà dernière
exactitude; elles ne constituent parfois que de simples formules.
Néanmoins, on ne peut jamais recueillir des chartes en trop grand
nombre et de leur examen naissent toujours de vives clartés.
Nos historiens ont exalté Jean I,r « comme un prince plein de
» sagesse et de générosité, qui, facile à s’enflammer, ne manqua
» jamais à sa parole, ni à la foi jurée; qui plaça toujours la jus-
» tiee au-dessus de toutes choses; qui sut faire respecter ses
» sujets par l’étranger et rendit son peuple puissant et libre 1 2. »
N’y a-t-il pas quelque exagération dans cet éloge chaleureux? Le
travail qui précède nous montre la part qu’on peut en accepter
1 Voisin, La bataille de Woeringen , récit historique ( Brux., 1836,in-8°.
— Ibidem, 1859). — Alexandre Henne , Jean Ier dit le Victorieux (Brux.,
1845, in-8°; extrait du Trésor national). — Van Hasselt, Jean Ier (dans les
Belges illustres , t. ï, p. 35). — Philippe De Bruyne, Histoire du règne de
Jean 1er (Namur, Douxfils, 1835, in-8°.) — Van den Berghe, Dissertatio inau-
gural i s de Joanne primo , Lot/iaringiae , Brabanliae et Limburgi duce ( Lo -
vanii, 1837, in-8°). — De Ring, Essai historique sur Jean le Victorieux, duc
de Brabant ( Messager des sciences historiques , années 1849 et 1850).
- Les Brabant sche Yeesten , cités par M. Van Hasselt, l. r.,p.55.
( *13 )
et ce qu'on en doit rejeter. A l’époque où Jean Van Boendale écri-
vait, Je souvenir des exactions de Jean ICI et de son ardeur poul-
ies plaisirs s’était effacé; on ne se rappelait que ses guerres heu-
reusement terminées et les années de paix intérieure dont le pays
avait joui. A mesure qu’elle s’éloignait dans le passé, la journée
de Woeringen grandissait dans la mémoire des Brabançons.
Qu’on nous pardonne d’avoir jeté quelques ombres sur la mâle
et noble ligure de Jean Itr. Elles donnent plus de relief à sa phy-
sionomie, qui se détache \ igoureusement au milieu de celles de ses
contemporains. À côté de Jean 1er, le cauteleux Guy de Dampierrc
et l’imprévoyant Renaud de Gueldre n’inspirent aucune sym-
pathie; Jean d’Avesnes et Florent de Hollande s’effacent, celui-ci,
malgré ses luttes persévérantes et heureuses contre les Frisons,
celui-là, en dépit de l’énergie de ses efforts pour ébranler la race
des Dampierrc; involontairement le regard se détourne de ces
prélats toujours en armes, de ces rois de France et d’Angleterre,
Philippe le Hardi si faible dans sa toute-puissance, Édouard 1er si
cruel et si rapace. Au milieu de ce monde féodal qui n’a de respect
que pour la force, notre due seul reste grand. 11 rachète ses fautes
et ses faiblesses par sa vaillance au milieu du danger, et sa modé-
ration à user de la victoire rehausse l’éclat de ses triomphes.
.
(
(Page Uii.]
[P"ge 4I« ]
1.- TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA MAISON DE BRABANT.
GOUEFIIOIU III ,
•lue de Lotharingie ou de Louvain ,
t. Marguerite de Limhourg;
2. Imainb de Loo/..
Henri Ier, duc de Lotharingie ou de Drnbant ,
de 1172 environ à 1235,
épouse : l. Mathilde de Boulogne ;
2. Marie de France.
1 1 ENn i 11, duc, do 1235 a 1218 ,
ép. 1. Mark de Souabc;
2. Sophie, héritière tleTliu-
ringo, morte en 1275.
GoDBFnoio de Louvain, seigneur de
Lccuw-S'-Pierrc (ou de Gacsbeek),
mort en 1233, épouse Mamb d’Au-
donardc, morte après 1292.
Albydb, ép. : 1 . Louis, comte de Looz, Matoildb , morte en 12C7, ép. Flo- Élisabeth , ép. : l . Tuibbbi lo jeune ,
mort en 1217; rbut , comte do Hollande , mort comte de Clèvcs; 2. Gitiunn de
2. Guillaume, c,e d'Auvergne; en 1234. Limbourg , seigneur de Wasscn-
3. Abnoul, sire de Wcsomaol. berg. (Voir le Tableau n® II.)
Godefboid , sire de Perwez, mort en
1257, ép. Alicb, héritière de Grim-
herghc, morte en 1250.
Il m III, duc Mathilde, morte le I2mnrs BiSatmx , morte sans p., Mabie, éj>. Louis, duc Mai\oubbitb,
do 1248 à 1201. 1289, épouse: i. Bodeiit, ép. : 1. Henni, landgrave do Bavièro, par qui religieuse.
ép. Albydb comte d'Artois, mort de Thuringc, roi dcsRo- elle fut assassinée en
de Bourgogno , en 1249; 2. Guy de Clin- mains, en 1245, mort en 125G, dont P.
morte en 1273. tiilon, comte do Saint- 1247; 2. Guillaume de
I’ol, mort le 29 septem- Dampierro, (ils de Mar-
bre 1288, dont postérité. guérite, comtesse de
Flandre cl de Hainaut.
Il bimi i , dit VEnfanl, Élisabeth, ép.ALBBBTlo de Louvain,
landgrave do Tliu- Grand , duc de Bruns- sire
‘ ‘ wick. dcllerstal.
de Brunswick ;
2. Maiiaut de Clèves;
3. Anne de Bavière ,
ép. Isadellb
Élisabeth ,
de Brcda.
Gr.nuui , Jeanne,
Ileynsberg ,
en 1300.
Otiion le Boi-
teux, comte
de Gucldre,
ni. en 1270,
ép. : 1. MAn-
r.up.niTB
de Clèves,
ni. en 1251;
2. Philippine
do
Dnmmarlin ,
comtesse
de Ponlhici
Henni, Mabgubiiit
2.
eveque de ep , Robkbt,
Liège, en 1230, comte
1247-1274, Guillaume, d'Auvergne.
mort comte de
en 1284. Juliers, qui
cp. ensuite
UlCnABBB
de
Limbourg ,
2. Guillauiib ,
Guy, archevêque de comte de
Vienne. Hollande,
Mabib, ép. Waltbb . ro‘.
B.htÛout, sire de
Malines. en
Mahaur, Guim.aumb , Goniipnoio,
vesnes ,
comte
d'Ostrc-
comto île
llcnnen-
herg,
dont P.
Henri IV, due
de 1201 a 1207; entre
en religion
le 1er octobre 1209.
Jean 1er, Godbfboid de Brabant ,
due do 1207 à 1294 , sire d’Acrsehoï ,
épouse: mort à la bataille
1 . MinccEniTR de France, de Courlrai, en 1302,
morte en 1273; dont P.
2. Marguerite de Flan-
dre, morte en 1285.
Marib de Brabant ,
ép. PnjLippK 111, dit le
Hardi , roi de France,
cp. Giîrard, sii
de Homes ,
dont P.
2.
J b a n II ,
duc de Brabant après
son père ,
ép., en 1290,
Margderith d'York ,
dont P.
niARCUBRITR, (
ronde de Luxembourg,
roi des ^Romains et em-
pereur, dont P.
Marguerite ,
ép. Escuerraho ,
sire de Coucy,
en 1298.
Rbs
ale de Gucl- Élisabeth , Piiilippinb, Marie.
pelle Guillauiib, Robert,
en 1278. comle comte do
Godefroid, 1
| d'Auvergne. Boulogne,
Courlrai,
dont P.
en 1302.
!
ghe, mort en
1205, ep. :
I . Marie d'Au-
denarde, dite
depuis la
damede Péraé,
remariée à
JbaniIoNsslb,
sire do Fnluy;
2. FfuciTti
du Trnynol.
chessc de Limbourg,
morlocn 1282;
2. Marguerite de Flan-
dre, veuve d'Alexandre
d’Ecosse, dont P.
Aoolpub , de Suslcrcn,
comte ep.
de Berg. Walbran ,
seigneur de
Faiir
qucmonl.
puis
comte de
Juliers ,
i
de Clèves ,
dont P.
tiib- Flobint, comte Mar-
ne, de Hollande, gurritb.
rp. ép. Beatrix de
ban Flandre, fille
iren- du comte Guy,
:rg. est tué en 1290.
Jean , comte de Autres
Hollande , mort enfants,
en 1299 ,( s. p.,
épouse Isabelle
d’Angleterre.
Jran d'Avesncs, o,c do Hainaut
en 1280, c,e de Hollande en
1299, m. en 1505, ép. Puilif-
i'inb de Luxembourg, dont P.
Guillauiib, évêque de Cambrai ;
Bouchard, évêque de Metz ;
Guy, évêque d'Utrccht ;
Albydb, ép. le comte de SulTolk ;
Florent, cp. Isabrau de Ville-
II. -TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA MAISON DE LIMBOURG.
IIFiVUI 111,
duc de Limbourg, mort en 1221, ép. Sophie, fille (?)
de Simon , comte de Saarbruggcn.
n- Walbra* III, seigf de Montjoic, puis duc de Limbourg FnünÉnic , linul voué GfinAuo, sire de Was- Jurri.épGo-
rg, et mnrquis d'Arlon , mort en 1220, ép. : 1. Cunü- do Heslmie par son senberg , après son sum.sire
gondk , lillc de Gosuin, sire do Faiiqncmonl, morte mariage avec la fille frère aine, mort en de
en 1214; 2. Ehhesindb de Nnmur, rnmtessede Luxera- de Louis, sire de Lum- 1224 , ep. BiIatrix de Faiiqiiemonl.
bourg cl de Diirbuy, morte le 17 février 1240-1247, mon. Merlieim.
veuve de Thibaud , comle de Bar.
Isalde ou Isa-
cp.i?)TmÉBRi,
Ileynsberg.
Ils!
i IV, duc de Liin- Wai
e, rl le 25 fév. .
1240-1247, ép. Ehmbn
gardr, fille d'Adolphe
comte de Berg, mort I
12 août 1217.
le Jeune , sei
Fniiqiicmonl
Poilvachc ,
1242 , ép.
filleilc Tliihn
do Bar.
Long, dit Henri le Blond,
aeur de Durbuy, puis comte de
et de Luxembourg et marquis
d'Arlon , mûri le 24 de-
abeau , cembre 1281, ép Mar-
, comle guehitb de Bar, damede
Ligny, morte le 23 no-
vembre 1275.
de GénAnn , sire de E
l vers 1296, (
re de Clèves,
Gêoard II, sire de \V:.'
scnborg,morlen 125"
èp. I...; 2. Elisaret
de Brabant.
duc de Lim-
1280^ ’ép. : I. Jette de
Clèves; 2. En 1270, Cuni;-
gondr de Brnndcnbourg.
Walbran , sire de
Monljoie cl de Fau-
quemont, mort vers
Engei.rert ,
archevêque de
Cologne ,
de 1201 à 1270.
Adolphe
VII, héritier
■pii' vend' n.i
Brabant Jean
Maroueritb, duchesse
de Limhourg , morte
en 1282, s. p., cp.
Trier ri , sire du Fan- Hi
quemont , lue n Co-
logne, en 1208 ,
ép. Albyde de Looz, qui
joie, mort en 1302, ep
Philippine de Gucldre
sœur du comle R
n a ml , dont P.
de la Roche, Walbran,
nuis comte de Luxem-
bourg , tué n VVocringcn,
ép. ItfiATRIV de...
île Roussy,
ring -
dont P.
e, seconde femme
o'ïcFlu^
Élisabeth,
ép. Gbrlac,
Luxembourg,
de Uurbuy.
Henri VII, comte de Luxem-
bourg, puis roi des Romains
' mpercur, mort le 2V no"‘
1313, cp. Marguerite de Bra-
bant , fille de Jean Pr.
ÉPHÉMÉR1DES
DE
LA VIE ET DU REGNE DE JEAN T1, DUC DE BRABANT.
Notre mémoire, tel qu’il a été rédigé, soumis à l’Académie et
imprimé, ne présente pas une succession régulière, par ordre
chronologique, des événements auxquels le duc Jean Ier prit une
part plus ou moins active, et de ceux dont ses sujets subirent
l’influence. Nous nous sommes efforcé, au contraire, de les réunir
en groupes distincts, dont les intitulés de nos chapitres donnent
une idée suffisante. Mais, afin d’offrir au lecteur les moyens de
mieux saisir, dans tous ses détails, le développement successif des
faits, afin de combiner à la fois les avantages de la méthode chro-
nologique et de la méthode systématique, nous avons ajouté à
notre travail la liste suivante, où les incidents de la vie du con-
quérant du Limbourg sont, autant que possible, entremêlés
aux diplômes du temps, et classés d’après leur date. Cette liste ,
croyons-nous, ne sera pas consultée sans fruit, et peut-être elle
fournira matière à plus d’un rapprochement fécond. Les diverses
( 418 )
manières de dater dont on se servait alors dans notre pays ont etc
mises en rapport avec le style ordinaire, qui commence l’année
au Ier janvier, et non à Pâques, comme ce fut 1 usage en Brabant
jusqu’à la fin du seizième siècle.
1252? Mariage du duc Henri III et d’Aleydc de Bourgogne.
1:253? Naissance de leur fils Henri.
1254? Naissance de leur deuxième fils, Jean.
1:257. Accord pour le mariage du jeune Henri de Brabant et de Mar-
guerite de France.
1201.
28 février. Mort du duc Henri 111.
2 et 5 juillet. Confirmation, par le pape Alexandre IV, des privilèges
des Louvanistes.
24 juillet. Traité d’alliance conclu entre Bruxelles et les autres villes
du Brabant.
11 octobre (jeudi après la Saint-Denis ). Arnoul, sire de Rotselaer,
cède à l’abbaye de Parc-les-Dames les dimes de Rotselaer.
18 octobre. L’évêque de Cambrai ordonne à quelques ecclésiastiques
de sommer la duchesse de retirer les gardes placés par ses ordres dans
les biens du monastère de Forêt.
25 octobre ( mardi avant les saints Simon et J.ude). Henri de Gueldre,
évêque de Liège, approuve la donation des dîmes de Rotselaer, à Parc-
les-Dames.
1262.
29 janvier et 2 février (1201 ). Confédérations entre différentes villes
de Brabant.
18 avril (mardi après Quasimodo). Traité d’extradition conclu entre
la duchesse Aleyde et la comtesse de Flandre et de Rainant.
. . . Émeute à Nivelles, dirigée contre l’abbesse.
( il y )
5 juin ( jour de la Trinité). Alliance des villes de Bruxelles et de
Nivelles.
5 juin. Le pape Urbain IV prend sous sa protection les béguines et
les recluses du diocèse de Liège.
24 juin. Le roi des Romains, Richard de Cornouailles, quitte l’Angle-
terre pour se rendre en Allemagne.
b juillet. Le roi Richard confie à l’évêque de Liège le soin de récon-
cilier l’abbesse et la commune de Nivelles.
9 juillet (demarkes après le jour de Saint-Martin le Bouillant). Henri,
sire de Herstal, approuve la trêve conclue par les soins du roi, entre lui
et la duchesse.
10 juillet (lundi après les octaves des saints Pierre et Paul). Aleyde
et son fils Henri donnent un fief à Philippe de Ilovelts.
i l juillet. Nouvelle bulle du pape Urbain IV en faveur de l’institut des
béguines.
11 septembre. Lettres de garantie données par le comte de Gucldre ,
au nom de la duchesse , à Sophie de Brabant , landgravinne de Thuringe.
. . . Émeute à Tervucren; les habitants de ce bourg comblent un fossé
dans le bois de l’abbaye de Parc, à Vossem.
1205.
2 avril (lendemain de Pâques). Aleyde donne une maison au couvent
des dominicains de Louvain.
27 juin (jeudi après la Nativité de saint Jean-Baptiste). Sentence arbi-
trale rendue au sujet de l’entretien des enfants abandonnés.
Juillet. Déclaration des échevins et jurés de Bruxelles, relative à
l’entretien d’une chaussée, à Forêt.
5 septembre ( jeudi avant la Nativité de la Vierge). Menaces d’excom-
munication adressées aux habitants de Nivelles par l’olficial de Liège.
27 septembre. Accord pour l’admission des augustins à Malines.
26 octobre. Bataille de Wettin, où Albert de Brunswick est vaincu et
pris par le marquis de Misnie, à qui Sophie de Brabant et Henri, son
fils, sont forcés de céder la Thuringe.
Octobre. Déclaration des bourgeois de Léau contre ceux qui outrage-
raient un des leurs.
17 novembre. Convention entre le chapitre et les bourgeois d’Anvers,
pour le payement des assises.
Tome XI IL
27
( 420 )
1264.
Mars (1265). Règlement donné par les échevins et les jures de
Bruxelles à l’hôpital Saint-Nicolas de cette ville.
28 mars (vendredi avant Lœtare). Convention entre la famille Ber-
thout et Nicolas, évêque de Cambrai, pour le partage de la forêt dite le
Waverwald.
29 mai (jour de l’Ascension). Paix ayant pour but de terminer les
querelles nées de l’assassinat des chevaliers de Velp.
Mai. Gérard, sire de Coeckelberghe, relève sa seigneurie de l’abbaye
de Dilighem.
25 juillet (jour des saints Jacques et Christophe). Testament du sire
de Perwez.
1265.
14 janvier (1264). Nomination de deux chevaliers chargés d’assigner
un douaire à la duchesse Aleyde.
7 avril (mardi de Pâques). L’évêque de Cambrai dispose de ses biens
et revenus dans le Waverwald.
19 avril. Le sire de Rotselaer autorise Parc-Ies-Dames à construire
deux moulins au lieu dit Dine.
50 mai (octaves de la Pentecôte). Ordonnance rendue à Malines pour
régler la direction des travaux de l’église de Saint-Rombaud.
Mai. Godefroid de Wesemale, sire de Perck, confirme à l’abbaye de
Saint-Michel la possession d’une dîme à Perck.
1 5 juillet (Division des apôtres). Les Nivellois acceptent la sentence
rendue contre eux par l’évêque de Liège et renoncent à leur commune.
7 août. Convention pour l’admission des augustins à Louvain.
6 7iovembrc (jour de saint Léonard). Henri, sire d’Archennes, donne
un de ses serfs à l’église d’Archennes.
6 décembre. L’évêque de Liège, se trouvant à Yilvorde, accorde des
indulgences à ceux qui contribueraient à l’achèvement de la chapelle du
béguinage de cette ville.
Décembre. Statut des échevins et des jurés de Bruxelles pour la lépro-
serie de Saint-Pierre.
. . . Mort du sire de Perwez. Sa sœur Marie, femme de Godefroid,
comte de Vianden, hérite de ses domaines.
( 421 )
1260.
Mai. La duchesse Aleyde confirme a l’abbaye de Saint-Michel les
pêcheries de Berendrecht.
Juin. Godefroid de Vianden et Marie de Pervvez inféodent le village
de Buggenhout à Henri de Grimberghe d’Assche.
17 septembre. Bataille de Pigny, gagnée par le comte de Bar, et où
les comtes de Luxembourg et de Vianden sont faits prisonniers.
6 octobre (mercredi après la Saint-Remy). Des seigneurs brabançons
sont chargés d’assigner au sire de Heynsberg des revenus qu’il tiendra en
fief du Brabant.
Octobre. Les habitants de Neerlinter se rachètent des oboles banales
qu’ils devaient à l’abbaye de Saint-Trond.
Avril-novembre ? Les Wesemael tout-puissants à Louvain; ils attaquent
les domaines des Berthout, sont vaincus sur les rives de la Leeps et se
réconcilient avec la duchesse.
18 novembre . Traités d’alliance conclus entre la duchesse, d’une part,
l’archevêque de Cologne et le comte de Clèves, d’autre part.
1267.
2 janvier (1266). Entrevue ménagée à Binche, sans succès, entre
l’évêque de Liège et Walter Berthout. — L’évêque assiège Falais , envahit
le Brabant, attaque Malines, puis s’empare de Maestricht et du château
de Ilierges.
Janvier. Sentence arbitrale, qui condamne les prétentions des Wese-
mael sur le village de Lincent.
15 février (dimanche après les octaves de la Purification, en 1266).
La duchesse ratifie les privilèges dont jouissaient, en Brabant, les habi-
tants de Hambourg.
5 mai. Achèvement de la façade de l’église de l’abbaye de Villers.
14 mai. La ville de Louvain se réconcilie avec la duchesse.
25 mai. Une députation des états de Brabant expose les circonstances
qui ont déterminé le jeune duc Henri à renoncer au duché en faveur de
Jean, son frère.
5 juin. Le roi Richard approuve, sous certaines réserves, la cession
du duché au prince Jean.
( 422 )
12 juin. Alliance conclue entre la duchesse et Thierri, sire de Fau-
quemont.
21 juin. La duchesse inféode différents revenus au sire de Heyns-
berg.
29 juin. Le duc Jean accorde de nouveaux privilèges à la ville de
Louvain.
8 septembre. Le sire de Fauquemont promet de soutenir la duchesse
Aleyde et Jean, son fils, contre Févêque de Liège et le comte deGueldre.
18 octobre. L'archevêque de Cologne, allié du Brabant, est vaincu à
Marienholtz par les bourgeois de Cologne et les princes confédérés avec
eux, notamment Févêque de Liège.
21 octobre (jour de la Saint-Denis). Le concile de Hanret détermine
la nature et l’étendue des obligations des décimatcurs.
Testament de René, écolâtre de Tongres, en faveur d’un grand nom-
bre de béguinages.
12(58.
51 janvier. Bref du pape adressé à trois dignitaires ecclésiastiques, et
leur ordonnant de juger le débat qui s’est élevé entre la duchesse Aleyde
et Févêque de Liège.
Janvier. Le sire de Bréda accorde des privilèges à ses sujets d’Etten.
12 mars (lendemain de la mi-carcme). Le sire de Jauche renonce à
l’hommage qu’il devait au duc de Brabant.
4 août. Le roi Richard quitte de nouveau l’Angleterre pour retourner
en Allemagne,
16 août. A Cambrai, Jean Ier fait hommage au roi Richard, pour les
fiefs que les ducs de Brabant tenaient de l’Empire.
20 septembre. Richard approuve la convention réglant le douaire de
la duchesse Aleyde.
15 octobre. Le duc de Limbourg, en essayant de surprendre Cologne,
est pris par les habitants de cette ville.
Octobre. Accord entre le duc, l’abbesse de Nivelles et le seigneur de
Wcsemael, au sujet des wastines ou bruyères de Wambeek.
19 novembre (lundi après les octaves de la Saint-Martin). Jean Ier se
déclare débiteur d’une partie du douaire jadis assigné à Béatrix de
Brabant dite de Courtrai.
4 décembre. Walter Berthout et Févêque de Liège acceptent des ar-
bitres.
( mn ) •
4 o décembre (samedi avant la Saint-Thomas). Berthout cède les fossés
de Malines à la gildc de cette ville.
29 décembre. Traité d’amitié conclu entre la ville de Cologne et le
comte de Clèves.
.. . Sentence arbitrale du roi de France Louis ÏX, entre les comtes de
Luxembourg et de Bar.
Soulèvement des Kennemers en Hollande. Les corps de métier
s’emparent de l’autorité à UtrechL
? Accord entre l’évêque de Liège et Walter Berthout, pour le partage
de l’autorité dans Malines.
1269.
22 avril (lundi avant la Saint-Marc). Accord conclu entre l’évêque de
Liège, d’une part, et la duchesse et ses enfants, d’autre part.
19 mai (samedi après l’Ascension). Jean Ier inféode Vcnloen au sire
de Homes.
16 juin. Le roi Richard épouse la demoiselle de Fauquemont, et, peu
de temps après, part avec elle pour l’Angleterre.
1er août (jour de saint Pierre ès liens). Godefroid, sire de Wesemacl ,
dont le frère aîné, Arnoul, était devenu templier, acense à l’abbaye de
Parc-les-Dames le moulin de Beversluys.
1er octobre. Henri de Brabant, frère aîné de Jean Ier, fait profession à
l’abbaye de Saint-Bénigne de Dijon.
25 octobre. Les Liégeois se soulèvent contre Henri de Gueklre et
s’emparent de la citadelle de Sainte-Walburge.
28 novembre ( jeudi après la Sainte-Catherine). Les Liégeois déclarent
reconnaître le duc de Brabant pour avoué.
6 décembre (jour de saint Nicolas). Godefroid, sire de Wesemacl,
confirme à l’abbaye de Saint-Michel la donation d’une dîme, à Perck.
! 270.
20 janvier (jour des saints Fabien et Sébastien ). Jean Ier promet aux
bourgeois de Liège de les protéger et de les défendre.
5 mars (1269, jour de l’Annonciation, à Val-Duchesse). Il se déclare
l’avoué et le protecteur des lépreux de Bruxelles.
Avril. Renouvellement des alliances entre les villes de Cologne et de
Bruxelles.
( 424 )
5 mai. Le duc se trouve à Saint-Trond, dans le pays de Liège.
19 mai. Chartes de confirmation de privilèges, au nombre de trois,
accordées par Jean Ier aux Louvanistes.
14 juillet (lundi avant la Sainte-Marguerite). Gérard de Wesemael,
sire de Quabeek, reconnaît devoir au chapitre d’Utrecht un cens annuel,
pour ses biens de Quabeek.
29 août (jour de la décollation de saint Jean-Baptiste). Le duc de
Limbourg et d’autres seigneurs réconcilient le sire de Reifferscheydt avec
Jean Ier.
4 décembre. Jean Ier ordonne à ses officiers de protéger les lépreux de
Bruxelles.
... Le seigneur et la dame de Grimberghe vendent les wastines de
Puers et de Willebroeck.
. . . Établissement des Guillemins à Nivelles.
1271.
Février (1270). Mariage de Jean Ier et de Marguerite de France.
25 mars (1270). Le duc donne à la commanderie de Gemert tous les
droits qu’il possédait dans le village de ce nom.
17 mai. Jean Ier approuve les statuts du béguinage de Bruxelles.
1er juin. Le comte Florent de Hollande approuve les statuts de la con-
frérie des marchands de Middelbourg.
8 juin. Confirmation des droits de l’abbaye de Villers sur les biens de
Ramillies.
10 septembre (jeudi après la Nativité de Notre-Dame). Guillaume, sire
de Hornes, promet de garantir le duc des conséquences résultant de la
caution qu’il a offerte pour lui.
Décembre. Walter d’Arras, physicien, donne de l’argent à l’abbaye
d’Afflighem.
1272.
Janvier ( 1271). L'abbé de Villers donne des statuts aux béguines de
Louvain.
2 février (jour de la Purification , 1271 ). Le duc augmente le fief que
le sire de Hornes tenait de lui.
12 mars (mardi avant les Rameaux). Il confirme à l'abbaye de Saint-
Bernard ses biens et ses privilèges.
( 423 )
29 juin. Déclaration du sire de Bréda en faveur des habitants d’Ooster-
hout.
17 septembre (dimanche avant la Saint-Mathieu ). Convention conclue
entre le chapitre de Nivelles et des orfèvres, pour la confection d’une
châsse destinée à contenir le cercueil de sainte Gertrude.
Septembre. La duchesse Marguerite de France meurt à Paris.
24 novembre. Le comte de Looz termine un différend qui s’était élevé
entre le chapitre de Saint -Servais et les échevins brabançons, à Maes-
tricht.
. . . Keure donnée par le sire de Bréda aux habitants de Steenbergen.
1275.
13 avril (jeudi après Pâques). L’abbé d’AITlighem supprime la dîme
du vermillon qui se levait à Wavre.
50 août. Le sire de Beaufort, Henri , relève du comte de Namur (Guy
de Dampierre) ses alleux de Beaufort.
Août. Jean Ier épouse en secondes noces Marguerite de Flandre, fille
de Guy de Dampierre.
Août. Jacques, sire de Chaumont , affranchit ses serfs de Chaumont.
Août. Traité d’amitié conclu entre les villes de Liège et d’Aix.
29 septembre. Élection de Rodolphe de Habsbourg, en qualité de roi
des Romains.
Septembre. Jean Ier ordonne d’employer, pendant deux années, le
revenu des prébendes vacantes du chapitre de Sainte-Gudule, à la con-
tinuation des travaux de construction de cette église.
Octobre . Le duc envahit l’évêché de Liège.
25 octobre. Mort de la duchesse Aleyde, mère du duc. Celui-ci inter-
rompt sa guerre contre Henri de Gueldre.
24 octobre. Couronnement du roi Rodolphe h Aix-la-Chapelle.
27 octobre. Le duc fait, à Aix-la-Chapelle, hommage au roi Rodolphe,
qui lui confirme ses droits et ses prérogatives.
28 octobre. Le sire de Limpborg prend une partie de ses alleux en fief
du duc.
. . . Réconciliation de la ville de Gand et des villes saxonnes.
( m> )
1274.
I février (lundi avant le dimanche Invocavit } en 1275). Jean Ier au-
torise l’abbaye de Parc-les-Dames à établir des tenanciers jurés dans ses
biens de Cumplich.
20 février (1275). Le roi Rodolphe prend les Aixois sous sa protection.
15 avril. Les différends qui s’étaient élevés entre le duc de Brabant
et le comte de Gueldre sont remis cà la décision d’arbitres.
17 avril. Le duc de Brabant reconnaît devoir 1500 livres ail comte
de Gueldre.
17 et 21 avril (lundi et vendredi après les octaves de Pâques). Diffé-
rents particuliers abandonnent à l’abbaye de Villers leurs droits sur les
biens de Ramillies.
Avril. Les habitants de Léau se rachètent des oboles banales qu’ils
devaient à l’abbaye de Saint-Trond.
Mai. Concile de Lyon, où Henri de Gueldre est déposé par le pape
Grégoire X.
24 mai et 20 juin. Echange entre Garni, d’une part, et plusieurs
villes brabançonnes, d’autre part, de promesses de défense contre les
gens de métiers.
2 juillet. Jean Ier détermine le montant du péage que les habitants
de Dordrecht doivent payer à Littoy.
25 juillet. Alliance conclue entre le comte de Hollande, d’une part,
la commune d’Utrecht et ses alliés, d’autre part.
21 août. Contrat de mariage de Philippe III dit le Hardi, roi de
France, et de Marie de Brabant, sœur de Jean 1er.
14 septembre . Le duc donne quittance à Marguerite, comtesse de
Flandre et de Ilainaut, de 2,000 livres qu’elle lui devait.
19 septembre. Le comte de Hollande est accepté pour arbitre par
l’évêque et la commune d’Utrecht.
21 octobre. Le duc fortifie la ville de Thiel.
15 novembre. Le seigneur de Fauquemont relève du duc le village de
Houthem, près de Maestricht.
. . . Rupture des relations commerciales entre l’Angleterre, d’un côté,
la Zélande et la Flandre d’un autre côté.
( «7 )
1275.
. . . Guerre de la Vache, entre les Liégeois, d’une part, le duc de
Brabant, Guy de Dampierre et le comte de Luxembourg, d’autre part.
"20 mai. Le roi Rodolphe défend à ses vassaux de donner aide et
appui au comte Guy.
2 et 5 juin. L’archevêque Sifroi pardonne aux habitants de Cologne
leurs méfaits contre ses prédécesseurs.
6 juin (jeudi avant la Trinité). Arnoul de Louvain, seigneur de
Bruhames, promet au duc de remplir certaines obligations qu’il avait
contractées.
11 juin. L’archevcque Sifroi s’allie aux Aixois.
24 juin. Couronnement de Marie de Brabant comme reine de France.
25 juillet. Un plaid est tenu à Nederockerzcel, par ordre du duc, sous
la présidence de l’amman de Bruxelles.
21 août. Alliance entre le duc de Limbourg et les Aixois.
24 août. Alliance entre l’archevêque Sifroi et le duc de Limbourg.
8 septembre ( jour de la Nativité de Notre-Dame). Wcrner et Philippe
de Bolland relèvent quelques biens du duc Jean.
Mi-septembre. Commencement des hostilités entre les sires de Beau-
fort et les Liégeois.
29 septembre (dimanche après les octaves de la Saint-Mathieu). Le sire
de Fauquemont accorde aux Aixois de nouveaux privilèges dans ses
domaines.
7 octobre. Burchard de Hainaut est créé mambour de l’évêché de
Liège. — Les Liégeois assiègent Falais, les Huitois Beaufort.
12 novembre (lendemain de la Saint- Martin ). Le duc approuve la
cession faite, par le chapitre de Sainte - Gudulc à l’abbaye de Sainl -
Bernard, de son droit de patronat sur le béguinage de Bruxelles.
5 décembre. Le bailli de la Zuyd-Holland termine un débat qui s’était
élevé entre les habitants de ce pays et les Brabançons.
. . . Les seigneurs de Grimberghe accordent une heure à leurs sujets.
... Le duc de Brabant réclame au comte de Boulogne quarante mille
livres, pour ses droits sur ce pays. Il accepte ensuite des arbitres, et
donne pour cautions le connétable de France et Guillaume de Dontrail
(Olim , t. Il, p. 69).
( 428 )
1276.
17 mars. L’archevêque Sifroi s’allie avec le comte de Juliers.
11 avril. Il contracte également alliance avec le comte de Hollande.
17 avril. Le duc de Brabant pille Meffe, dans le pays de Liège, et le
comte de Flandre s’avance jusqu’à Warnant.
18 avril. Le comte de Luxembourg pille et brûle Giney.
H mai. Le sire de Modave et les Liégeois saccagent la Rendarche
(dans le Namurois).
11 ou 26 mai. Les Dinantois font éprouver aux Namurois un échec
très-grave.
11 mai (mardi avant la Saint-Servais ) . Le sire de Bréda et sa femme
vendent des bruyères à l’abbaye de Saint-Bernard.
. . . Conclusion d’une trêve entre les parties belligérantes.
4 août. La trêve est prolongée pour deux mois et demi.
28 août. Walter Berthout confirme à la gilde de Malines ses droits.
... Le duc de Brabant prend part à l’expédition des Français en Cas-
tille. Au retour, lui et son frère Godefroid sont créés chevaliers, à Paris.
. . . Mort du prince Louis de France. Sa belle-mère, Marie de Brabant,
est soupçonnée de l’avoir empoisonné.
... La dame de Hoboken, veuve du sire de Perwez (ou Peroé), achète
le village de Puers à l’abbaye d’Inde ou Sint-Cornelismunster.
. . . Rupture entre l’archevêque de Cologne et le comte de Juliers.
1277.
25 janvier. Négociations pour le mariage de Jean, second fils du duc,
et de Marguerite d’York, fille du roi d’Angleterre, Edouard Ier.
Janvier. Le duc donne l’accolade de la chevalerie au comte de Hollande.
17 février. Le duc essaye de moyenner une trêve entre l’archevêque
Sifroi et le comte de Juliers.
25 février. L’archevêque Sifroi se plaint du comte de Juliers aux villes
brabançonnes.
51 mars. Le duc renouvelle ses alliances avec l’Eglise de Cologne.
7 avril. Guillaume de Juliers se coalise avec trente-cinq autres comtes
et seigneurs.
25 avril. Jean Ier approuve l’établissement de la communauté des
bogards, de Bruxelles.
( 429 )
30 avril. Traité d’alliance entre Cologne, d’une part, les villes de
Liège, Huy, Saint-Trond, d’autre part.
30 mai. La ville d’Aix-la-Chapelle proclame le duc de Brabant son
avoué supérieur.
Juin. Le sire de Bréda et sa femme vendent à l’abbaye de Cortenberg
cent cinquante-trois bonniers de bruyères.
42 juillet (lundi avant la Division des apôtres). Le chevalier Léon de
Beersel cède à l’abbaye de Forêt la dîme de Beersel, avec le consente-
ment du duc.
Juillet. L’évêque de Liège donne des statuts à l’hôpital de Bois-le-Duc.
14 décembre (lendemain de la Sainte-Lucie). Le duc approuve la sen-
tence que le maire de Tirlemont avait rendue, le 23 juillet de la même
année, à propos d’un différend survenu entre l’abbé et les habitants
d’Heylissem.
. . . Etablissement d’un couvent de guillemins à Huyberghen.
. . . Henri de Louvain, sire de Herstal, et sa mère, la dame de Gaes-
beek, fondent des chapellenies à Gaesbeek.
? Les Louvanistes pillent l’abbaye de Vlierbeekj le pape jette l’in-
terdit sur le Brabant.
1278.
6 janvier (jour de l’Épiphanie). Le duc envoie en Angleterre des am-
bassadeurs pour le mariage de son fds.
24 janvier (lundi avant la Conversion de saint Paul), à Londres. Il
approuve les conditions du mariage.
1er février , à Compiègne (mardi avant la Purification). Le duc sanc-
tionne ces conditions.
8 février (dimanche après la Purification). Il les ratifie de nouveau.
Mars. La duchesse et les villes de Brabant les approuvent à leur tour.
16-17 mars. Le comte de Juliers, en voulant surprendre Aix-la-Cha-
pelle, est massacré dans cette ville , avec la fleur de sa noblesse.
21 mars. L’archevêque Sifroi met en déroute les troupes de Juliers.
4 avril. Les habitants de Duren se soumettent à lui. Grande guerre
entre les alliés de la famille de Juliers et ceux de l’archevêque.
5 avril ( 1277). Les comtes de Flandre et de Luxembourg et l’évêque
de Liège acceptent des arbitres.
23 mai. Alliance entre les comtes de Flandre et de Hollande, dans
laquelle le duc de Brabant est mentionné comme ami des deux parties.
( 450 )
50 juin. Le chambellan La Brosse, qui avait essayé de brouiller le roi
de France et sa femme, la reine Marie, est pendu à Monlfaucon par
ordre des ducs de Brabant et de Bourgogne et du comte de Flandre.
7 septembre (veille de la Nativité de la Vierge). Le chapitre de Ni-
velles excommunie son abbesse, Elisabeth de Bicrbais.
1 9 septembre. Le comte de Hollande s’allie avec les patriciens d’Utrecht,
qui avaient reconquis l’autorité dans cette ville.
Octobre. Déclaration du chapitre de Louvain, relative à des hommes
de Saint-Pierre.
? (le lendemain de la Saint-Jean et Paul). La dame d’Jïobokcn vend
le village de P uers à l’abbaye de Saint-Bernard.
1279.
10 janvier, à Vincenncs. Le roi de France donne quittance au duc do
six mille livres que celui-ci lui devait.
27 mars (vendredi avant Pâques fleuries). Jean d’Audenarde relève
Gouy du duc Jean.
... Le duc force à la soumission le sire de Heusdcn.
... 11 envahit les pays entre la Meuse et le Rhin, et prend et détruit
le château de R im bourg.
9 juin. Le pape refuse aux trois juges de La Brosse la condamnation
de l’évcque de Bayeux.
7 août. Le comte de Gueldre reconnaît que le comte de Clèves est
redevable au duc de mille huit cent vingt livres.
8 août. Le comte de Luxembourg et d’autres princes réconcilient le
duc de Brabant et celui de Limbourg.
28 août, à Wanckum, près de Venloo. Ligue conclue entre Jean Ier,
l’archevêque, les comtes de Gueldre et de Clèves, pour la sécurité du
commerce entre le Rhin et la Dendre.
14 octobre. Traité entre Sifroi, d’une part, le duc de Limbourg et la
famille de Juliers, d’autre part.
2b novembre , à Bruxelles. Le landgrave de Thuringe renonce à ses
droits sur le Brabant.
. . . Godcfroid de Vianden vend des bois à l’abbaye de Grimberghe.
. . . Etablissement d’un couvent de victorines à Anvers.
( 45i )
1280.
27 février (dimanche après la Saint -Matlliias ). Gérard, sire de Qua-
beek, reconnaît devoir un cens ail chapitre d’Utrecht.
22 mars 7 au plus tard. Mort du dernier duc de Limbourg, auquel suc-
cède sa hile Ermengarde. Celle-ci et son mari, Renaud de Gucldre, con-
hrincnt les privilèges de la ville de Duysbourg.
28 mars (jeudi après l’Annonciation 1279), à Bruxelles. Sentence
rendue par le duc, à l’occasion d’un débat entre le sire de Diest et les
bourgeois de cette ville.
22 avril (lendemain de Pâques). Les habitants d’Aix-la-Chapelle dé-
clarent que le duc de Brabant est et sera leur avoué à perpétuité.
21 avril (mercredi après Pâques), à Daelhem. Le duc les prend sous
sa protection.
2 mai. Marie, comtesse de Grimberghe, confirme à l’abbaye de Grim-
berghe scs possessions.
Mai. Arnoul de Louvain, sire de Bréda, confirme à i’abbave de Vil-
lers la possession des villages de Schooten et de Merxem.
27 juin (jeudi après la Nativité de saint Jean-Baptiste). Contrat de
mariage d’Arnoul, comte de Looz, et de Marguerite de Vianden, arrêté
par-devant le duc.
29 juin (jour des saints Pierre et Paul). Le duc Jean confirme au cou-
vent d’Auderghem ses possessions et en augmente l’importance.
29 juin. Le sire de Bréda et sa femme vendent à l’abbaye de Ton-
gerloo soixante bonniers de bois et de bruyères.
15 juillet. Hugues de la Ruelle, de Liège, s’engage à payer au due
800 livres de Louvain, si ce prince ne rachète pas Hougarde.
10 août. Diplôme du duc Jean Ier en faveur des bogards de Louvain.
17 août (samedi après l’Assomption). Jean Ier affranchit l’ordre leuto-
nique de péages à Anvers.
9 septembre. Il termine les querelles qui divisaient l’évêque de Liège
et le sire de Durbuy.
20 septembre. Sentence arbitrale, condamnant l’usure, à Nivelles.
20 septembre , à Schonau. Réconciliation des Aixois et de la famille de
Juliers.
10 octobre (dimanche après la Saint-Denis). Le duc remet au comte
de Hollande l’hommage que celui-ci lui devait pour Dordrecht et la con-
trée voisine.
( 452 )
27 octobre (dimanche avant la Toussaint), à Bruxelles. Le duc déter-
mine les droits que le sire de Zeelhem possédait à Meerhout.
25 novembre (samedi avant la Sainte-Catherine). Les échevins d’An-
vers fixent le tarif du péage d 'Aiendicke.
5 décembre (jeudi après la Saint- André). Adolphe, comte de Berg,
prie le duc de payer à Frédéric, sire de Reifferscheydt, les arrérages
d’une rente que celui-ci tenait en fief du Brabant.
24 décembre ( veille de Noël ). Les chevaliers de Braine donnent à
l’abbaye de Wauthier-Braine la seigneurie qu’ils‘ possédaient dans le vil-
lage de ce nom.
. . . Fondation de la chapellenie de Boitsfort par Jean Ier.
. . . Établissement de la confrérie des Damoiseaux, à Tournai.
1281.
11 janvier (samedi après l’Épiphanie, en 1280). Cession de Wauthier-
Braine à l’abbaye de ce nom, faite par les seigneurs de ce village.
25 et 24 février . Alliance entre la ville de Cologne et le comte de
Gueldre.
Mars (1280). Mention du béguinage de la Royauté, à Nivelles, mais
seulement comme d’une institution en projet. L’édifice s’élève, dans le
courant de l’année, par les soins de Marie, reine de France.
1er avril. Émeute dite kokerulle , à Ypres. Soulèvement des gens de
métier contre les bourgeois riches.
1er avril (mardi avant Pâques fleuries). Le duc charge Henri Pro-
chiaen d’adhériter en son nom l’abbaye de Wauthier-Braine dans la sei-
gneurie de ce nom.
7 avril (lundi après Pâques fleuries), à Bruxelles. Accord conclu,
sous les auspices du duc, entre Nicolas, sire de Condé, de Belœil et de
Morialmé, et la famille de Looz.
10 avril (jeudi avant Pâques). Nicolas relève du duc la seigneurie de
Court, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse.
17 avril (jeudi après Pâques). Le duc autorise Arnoul de Louvain,
sire de Bruhames , à garder, pendant sa vie, la terre de Bréda.
27 mai. Émeute à Bruges, identique avec celle d’Ypres.
28 mai (mercredi après l’Ascension). L’abbesse de Nivelles approuve
la fondation du béguinage de la Royauté.
15 juin. Sentence de proscription prononcée par le roi Rodolphe
contre le comte Guy de Dampierre.
( 435 )
Juin (en 1281 ou 1282). Statuts donnés par la gilde de Bruxelles aux
louions de cette ville.
19 août ( mardi après l’Assomption ) , à Turnhout. Le duc prend sous
sa protection les bogards de Diest.
24 août (jour de saint Barthélemy). L’évêque de Liège, Jean d’En-
ghien , est surpris à Hougarde par les gens de Henri de Gueldre , et est
entraîné à Ileylissem , où il meurt.
Août. Charte du duc, réglant les droits de l’avoué de Gcmbloux.
11 septembre. Le sire de Ilerstal devient mamhour de l’évêché de
Liège, par le choix du chapitre.
15 septembre (lundi après l’Exaltation de la sainte croix). Marie,
dame de Gaesbeek, approuve une donation faite au prieuré de Petit-
Bigard.
17 septembre. Nouvelle émeute à Bruges.
18 octobre (jour de saint Luc). Le sire de Heynsberg relève du due
une rente de cent livres.
. . . Soulèvement des tisserands de Tournai.
1282.
22 janvier (lendemain de la Sainte- Agnès). Le comte de Berg assigne
à Guillaume De Coninck, bourgeois de Bruxelles, et à Siger, son beau-
père, des arrérages d’une rente féodale que lui devait le duc de Bra-
bant.
51 mars (mardi après Pâques). Jean Ier achète le village de Saint-
André à l’abbaye de Borcette.
4 avril (samedi avant les octaves de Pâques). Jean Ier exempte de
tonlieux l’abbaye de Val-Dieu.
il avril. Le roi Rodolphe confirme au chapitre de Saint-Servais, de
Maestricht, ses prérogatives.
24 avril (veille de la Saint-Marc) , à Aix-la-Chapelle. Le duc se déclare
de nouveau le protecteur des Aixois.
2 mai (veille de l’Invention de la sainte croix). Le duc et le sire de
Marbais acceptés pour arbitres de quelques différends provoqués par la
vente de la terre de Kerpen à Jean 1er.
21 mai (jeudi après Pentecôte). Adolphe, comte de Berg, prie le roi
Rodolphe et les autres suzerains du Limbourg d’investir de ce duché
Jean Ier, à qui il l’a vendu.
( 454 )
18 juin. Le roi Rodolphe investit Ermengarde de Limbourg des fiefs
limbourgeois.
49 juin . Le roi Rodolphe autorise Renaud , comte de Gucldre, à trans-
férer à Rolduc la monnaierie de Limbourg, et promet de ne faire aucun
changement dans l’administration de la justice, entre la Meuse et le Rhin.
34 août. Le comte de Hollande s’allie avec Jean d’Avcsnes, comte de
Hainaut, sauf réserve de ses conventions avec Jean Ier.
o septembre. Nouveaux privilèges accordés par le duc à la ville de
Louvain.
13 octobre, ho duc Jean et d’autres princes se posent en médiateurs
entre les comtes de Flandre et de Hainaut, et sont acceptés comme tels.
54 octobre. Jean de Flandre, fils du comte Guy de Dampierrc, de-
vient évêque de Liège.
45 novembre (samedi après la Saint-Martin d’hiver). Jean 1er et le sire
de Crancndonck règlent leurs droits respectifs sur leurs vassaux.
Novembre. Le sire de Bréda, du consentement du duc, confirme la
cession de 4200 bonniers de bruyères à l’abbaye de Saint-Bernard.
47 décembre. Traité d’alliance conclu entre le duc et l’archevêque Sifroi.
20 décembre (dimanche après la Sainte-Lucie). Jean 1er accorde'
exemption d’impôts à son chambellan Waller de Wvneghem.
50 décembre (mercredi avant l’an renuef). I^e bailli de Nivelles, Jean
de la Ramée, rend compte à Jean Ie1' de sa gestion.
Décembre. L’abbaye d’Inde vend au comte de Flandre" la seigneurie
de Renaix.
. . . Les bourgeois de Tournai établissent une Table ronde.
1285.
22 janvier (1282). Nouvelle alliance entre le duc et l’archevêque.
Février (4282). Jean 1er confirme à l’abbaye de Saint-Michel ses biens.
7 février (1282). Jean Ier prend sous sa protection l’abbaye de Saint-
Michel.
10 février. Le roi Rodolphe déclare que le duc ne souffrira aucun
préjudice de ce qu’on ne l’a pas mis en possession des biens que le roi
Philippe de Souabe avait donnés au duc Henri Ier.
47 février. Le roi engage au duc les revenus de la monnaierie d’Aix-
la-Chapelle.
18 février. Il promet de défendre et de protéger le duc.
( 455 )
19 février (vendredi avant la fête de la Chaire de saint Pierre, 1282).
Quittance partielle donnée au duc, par les frères de Beweecwclt, à l'oc-
casion de l’achat de la terre de Kerpen.
Février. Jean Ier autorise l’abbaye de Saint-Michel à faire rendre la
moyenne justice à Merxplas.
Février. Il confirme à cette abbaye ses biens.
Février. Le comte Guy de Dampierre fait frapper, à Namur, de la
monnaie, à l’imitation de celle de Jean Ier.
Mars (1282). Enquête au sujet des droits du sénéchal héréditaire,
seigneur de Rotselaer.
Mars (1282). Jean 1er défend à l’abbaye de Saint-Michel de recevoir
des hôtes jusqu’à nouvel ordre.
5 avril (lundi avant Pâques fleuries, à Vincennes). Le roi de France ,
à la demande du duc, affranchit un juif de la taille.
7 avril. Charte exemptant l’abbaye de Parc du payement des tonlieux.
Mai. Charte autorisant l’abbaye de Saint-Michel à établir des éche-
vins, pour rendre la justice.
24 juin (Nativité de Saint-Jean-Baptiste). Le duc détermine les droits
respectifs de son frère, Godcfroid de Brabant, et de Jean d’Aerschot, à
Aerschot.
12 juillet, (lundi avant la Division des apôtres). Jean Ier renonce à un
cens que le monastère d’Heylissem lui devait.
Juillet. Le duc et d’autres princes se posent comme médiateurs entre
les comtes de Ilainaut et de Flandre.
3 août. Le comte de Berg, Adolphe, demande au duc de Brabant
l’investiture du duché de Limbourg.
il août. Alliance entre l’archevêque Sifroi et le comte de Clèves.
8 septembre. Alliance entre les membres de la famille de Limbourg
contre le duc et le comte de Berg.
15 septembre (lundi après la Nativité de la Vierge). Adolphe, comte de
Berg, du consentement de ses frères, déclare avoir cédé le Limbourg au
duc.
22 septembre. Alliance entre l’archevêque Sifroi et les membres de la
famille de Limbourg.
28 septembre. Le duc recommande à ses capitaines de protéger les
biens de l’abbave de Vil lers.
Septembre. Prise d’armes du duc. Il envahit le Limbourg pour la pre-
mière fois.
Tome XIII.
28
( 436 )
10 octobre. Le duc conclut une alliance avec le comte de Hollande.
13 octobre. Traité d’alliance entre les comtes de Gueldre et de Clèves.
18 octobre. Mort de Félicité du Traynel, dame de Peroé ou Pervvez.
20 octobre. Le duc promet à l'évêque de Liège de lui restituer éven-
tuellement Rolduc et d’autres domaines.
20 octobre (mercredi après la Saint-Luc). Le duc acquiert les droits
du sire de Durbuy sur le Limbourg.
20 octobre. Le duc relève Haekendover de l’Eglise de Liège.
20 octobre. Le duc et l’évêque de Liège concluent une alliance offensive
et défensive.
21 octobre (jeudi après la Saint -Luc). Traité d’extradition conclu
entre le Brabant et l’évêché de Liège.
21 octobre. Le duc et l’évêque de Liège conviennent de remettre à des
arbitres la décision des différends qui s’élèveraient entre eux.
4 novembre. Le duc choisit deux des arbitres chargés de terminer ces
différends.
15 novembre (lundi après la Saint -Martin). Jean Ier déclare que le
moulin de l’abbaye d’Alne, à Chapelle-Saint-Laurent, sera banal.
18 novembre. L’évêque de Liège nomme un des arbitres qui seront
chargés de décider ses contestations avec le Brabant.
27 novembre (samedi après la Sainte-Catherine). L’abbaye d’Afflighem
est déclarée exempte de payer le tonlieu de Valkenisse, en Zélande.
. . . Premières discordes intestines, à Villers.
1284.
14 janvier (vendredi après les octaves de l’Epiphanie, 1285). Le duc
ratifie les droits de la gilde de Louvain.
16 janvier (1283). Déclaration de non-préjudice adressée par Jean Ier
à ses sujets, qui avaient promis d’entretenir des troupes, à leurs frais.
51 janvier (lundi avant la Purification, 1285). Confirmation de
l’exemption de tonlieux dont jouissaient les bourgeois de Bois -le-Duc.
Janvier (1283). Jean de Heldeberghe, receveur du duc, acquiert pour
ce dernier un héritage situé au Borgendacl, à Bruxelles.
Janvier (1285). Charte ducale , ayant pour but de protéger les bois de
l’abbaye de Saint-Michel, à Merxplas et à Wommelghem.
11 février } à Erestein. Le roi Rodolphe investit Jean ïer du château
de Kerpen.
( 457 )
Février (1285). Accord conclu, à Maestricht, entre le duc et l’évêque
de Liège, au sujet de leurs droits respectifs à Maestricht.
7 mars. Le pape Martin IV confie à l’abbé d’Alïlighem le soin de pro-
téger le monastère de Cortenberg.
Mars (1285). Les digues de Santvliet et de Berendrecht sont recon-
struites par les soins des propriétaires du voisinage.
18 avril. Le duc spécifie les attributions de son receveur, Walter
Volcart.
1 8 avril. Il l’autorise à aliéner les terres vagues qui se trouvent dans
ses domaines.
29 mai (lendemain de la Pentecôte). Jean Ier vend à la comman-
derie de Pitzenbourg un bien situé à Anvers.
31 mai. Il promet d’indemniser ses principales villes de ce qu’elles
ont garanti le payement de mille livres dues par lui à Jean de Rouergue.
Mai. Traité d’amitié conclu entre les villes de Gand et de Cologne.
20 juin. Le roi d’Angleterre envoie des ambassadeurs pour essayer
de terminer la querelle à propos du Limbourg.
25 juin (veille de la Nativité de Saint-Jean-Baptiste). Gérard, sire de
Bruburg , relève du duc quelques biens.
29 juin (jour des saints Pierre et Paul). Le duc assigne sur la terre
de Melin la rente qu’il avait constituée en faveur du sire de Durbuy.
Juin. Le duc défend à ses officiers d’exiger aucun service de l’abbaye
de Parc.
4 juillet (mardi dans les octaves des saints Pierre et Paul). Le duc
défend d’endommager les biens de l’abbaye d’Everboden.
Juillet. Jean Ier entre dans le pays de Fauquemont et prend le château
de Limale. — Journée de Gulpen.
17 et 18 juillet. Le duc et le comte de Gueldre acceptent pour arbitres
les comtes de Flandre et de Hainaut; sentence de ces arbitres.
9 août. Les ambassadeurs du roi d’Angleterre négocient une trêve
entre les comtes de Gueldre et de Hollande.
16 août. Nouveau traité d’alliance entre le comte de Gueldre et l’ar-
chevêque de Cologne.
25 août. Le comte confie la garde du Limbourg à Waleran de Luxem-
bourg.
Septembre. Convention entre le chapitre de Nivelles et l’abbaye de
Cambron, pour l’exploitation d’une ardoisière à Tubise.
Octobre. K.eure accordée à leurs sujets par Henri de Louvain et Ma-
thilde, dame d’Aa.
{ 458 )
10 novembre. Waleram , sire de Fauquemont, confirme aux Aixois
les exemptions de tonlieux dont ils jouissaient dans ses domaines.
28 novembre (mardi après la Sainte- Catherine). Jean Ier assigne une
dotation à son frère Godefroid.
29 novembre. Jean Ier désigne les biens qui doivent constituer à son
frère un revenu de trois mille livres.
Automne [octobre -décembre). Le sénéchal du Limbourg ravage le
comté de Daelhem ; il est battu à Warsage. Le sire de Fauquemont
défait les Maestriciitois.
Décembre. Le sire de Gimnich et les Brabançons envahissent la terre
de Fauquemont; ce seigneur est tué au siège de Rolduc.
3 décembre (premier dimanche de l’Avent). L’abbaye d’Alïlighem ob-
tient une exemption complète du péage de Rielland, en Zélande.
. . . Un imposteur essaye de se faire passer pour l’empereur Frédé-
ric IL U est brûlé à Wetzlar.
1285.
24 janvier (veille de la Conversion de saint Paul). Le sire de Durbuy
prie le roi Rodolphe d’agréer sa renonciation au duché de Limbourg.
28 février (mercredi avant Laetcire , en 4284). L’abbaye de Ten-
Roosen est autorisée à établir des tenanciers jurés à Maxenzeel.
2 mars ( vendredi avant Laetarc ? en 1284). Le sire de Fauquemont
promet au duc de maintenir sa juridiction dans Aix.
6 mars (1284). Jean Ier prend l’abbaye de Grimberghe sous sa pro-
tection et s’en déclare l’avoué.
1 et G mars (1284). Les sires de Gavrc et de Durbuy promettent à
Jean Ier de l’accompagner dans l’expédition d’Aragon.
50 mars (vendredi après Pâques). Le duc augmente de 200 livres la
rente qu’il a donnée au sire de Durbuy.
Janvier-mars. Les ennemis du Brabant bloquent Macstricht. Le sire
de Fauquemont pille Loemel. Le duc prend Herve.
1er avril (octaves de Pâques ). Les villes du Brabant se constituent les
cautions du duc Jean envers le roi d’Angleterre, pour une somme de
40,000 livres.
5 avril , à Maestricht. Traité de délimitation entre le Brabant et le
comté de Looz.
Commencement du printemps (avril ou mai). Les ennemis du duc
( 459 )
menacent Aix-la-Chapelle, où Jean Ier envoie des renforts. Émeute à
Aix. L’archevêque prend Kerpen. Les armées belligérantes à Gulpen.
Le roi de France moyenne une trêve. Jean Ier envahit et ravage l’arche-
vêché.
7 juin. Marie, dame de Perwez, approuve la cession d’un bois faite
à l’abbaye de Grimberghe par son fils Godcfroid, comte de Vianden.
14 juin. Le sire de Cuyck remet à des arbitres le jugement de ses
différends avec les habitants de Dordrecht.
Juin. Le duc part pour se joindre à l’expédition des Français en Aragon.
o juillet. Mort de la duchesse de Brabant-, Marguerite de Flandre.
Août. Le comte de Hollande confirme l’exemption de péages dont
l’abbaye d’Afflighem jouissait à Valkenisse et Riellant.
9 septembre. Jean, sire de Cuyck, fixe le taux des péages que les habi-
tants de Dordrecht payaient dans ses domaines.
Septembre? Le comte de Luxembourg prend Fraipont, le comte de
Gueldre attaque Grave.
Octobre. L’expédition des Français en Aragon échoue. Le roi de
France meurt, le duc tombe gravement malade. Mort du sire de Herstal
et d’autres barons brabançons.
- *
11 novembre, à Bruxelles. Jean Ier promet de ne pas donner assis-
tance aux sires d’Amstel, ennemis du comte de Hollande.
Novembre. Waleran de Luxembourg se brouille avec les Snabbe, qui
se réconcilient avec Jean Ier; Waleran attaque Lontzen ou Loncin.
Novembre? Le comte de Hollande ravage la Gueldre.
8 décembre (samedi avant la Saint-Nicaise). Les écuyers du Brabant
convoqués à Moll.
22 décembre (samedi après la Saint-Thomas). Les écuyers du Brabant
convoqués à Oostcrwyck.
Décembre. Jean Ier prend sous sa protection les béguines d’Anvers.
1286.
9 février (samedi après la Purification). Jean Ier se trouvait en Hol-
lande.
5 avril (vendredi avant les Rameaux). Le duc à Courtrai.
8 avril (lundi après les Rameaux), L’amman de Bruxelles va, à Ninove,
attendre Jean Ier.
9 avril ( mardi après les Rameaux ). Les chevaliers et écuyers du Bra-
bant convoqués à Maestrieht. Expédition vers Loncin.
( 440 )
21 avril ? h Namur. Contrat de mariage de Renaud, comte de Gueldre,
et de Marguerite de Flandre , veuve d’Alexandre d’Écosse.
24 avril. Waleran de Luxembourg accepte un arbitrage pour la déci-
sion de ses différends avec le comte de Gueldre au sujet de la garde de
Limbourg.
4 mai (samedi après l’invention de la Sainte-Croix). Le duc était en-
core à Maestricht.
25 mai (jour de l’Ascension). L’écoutète d’Anvers préside une enquête
ayant pour but de déterminer les limites de la paroisse de Merxplas.
Mai. Le duc se rend à Paris.
5 juillet. Mariage de Renaud de Gueldre et de Marguerite de Flandre.
5 juillet. Acte de Renaud , semblable à celui de Waleran de Luxem-
bourg, cité plus haut.
19 juillet (vendredi avant la Sainte -Marie -Madeleine). Walter Ber-
thout appelle aux armes les guerriers du Brabant.
29 juillet (lundi après la Sainte -Marie -Madeleine). Jean Ier donne
quittance de cinquante mille livres que lui devait le roi d’Angleterre.
5 août (lundi après la fête de Saint-Pierre ès liens). Alliance entre le
duc de Brabant et la ville de Liège.
17 août (samedi après l’Assomption). Appel aux armes, en Brabant.
20 août (mardi avant les octaves de l’Assomption). L’armée du Bra-
bant part pour Oosterwyck.
26 août (lundi après la Saint-Barthélemy). Nouvelle convocation des
guerriers du Brabant.
Août. Statuts donnés par l’évêque de Cambrai à l’hôpital de Gheel.
6 septembre (vendredi avant la Nativité de Notre-Dame). Egide de
Coeckelberghe va renforcer la garnison de Thiel.
8 septembre. Jean Ier exempte les habitants de ses principales villes
de toute expédition militaire, jusqu’aux fêtes de Pâques prochaines.
10 septembre (mardi après la Nativité de Notre-Dame). Le duc se
trouvait «à Bois-le-Duc.
15 septembre (vendredi après la Nativité de Notre-Dame). Le duc
dans le Bommelreweert. Les alliés l’empêchent de passer le Wahal et
prennent Thiel. Jean Ier s’empare de Driele, dont la garnison, prison-
nière, arrive à Bruxelles le 1er décembre, le lendemain de la Saint-
André. Les alliés se dirigent vers Maestricht, qu’ils investissent.
24 septembre. Entrevue du duc de Brabant et du comte de Hollande,
à Tholen. — Alliance conclue entre eux.
( 441 )
28 septembre. Les Brabançons convoqués à Moll.
44 octobre. Essai de rapprochement entre les comtes de Gueldre et de
Hollande.
21 octobre. Le comte de Flandre acquiert du comte de Gueldre l’hom-
mage du sire d’Awans.
Octobre. Les alliés assiègent en vain Witthem et Loncin. Jean Ier passe
la Meuse. Combat à Lîmbourg.
51 octobre. Convention pour exempter de la guerre la contrée voi-
sine de Grave.
2 décembre. Waleram, sire de Fauquemont, remplace Waleram de
Luxembourg en qualité de gouverneur du Limbourg pour le comte de
Gueldre.
. . . Jean Ier autorise l’aliénation du polder d’Oorderen.
1287,
7 janvier (lendemain de l’Épiphanie, 1286). Le chapitre de Saint-
Rombaud , de Malines , autorise l’établissement à Hanswyck d’un cou-
vent de l’ordre des Écoliers.
9 janvier (jeudi après l’Épiphanie, 1286). Convocation des Braban-
çons pour une expédition vers Sprimont.
1er mars. Le pape Ilonorius IV accorde des indulgences à ceux qui
contribueront à achever l’église de Sainte-Gudule, de Bruxelles.
5 mars (1286). Conclusion d’une alliance entre le duc de Brabant et
le comte de Clèves.
6 mars. (1286). Conclusion d’une alliance entre les comtes de Hol-
lande et de Clèves.
6 mars (mardi après Laetare , en 1286). Le duc autorise les mar-
chands de vin, ceux de Gand exceptés, à négocier à Anvers.
7 mars (1286). Les forteresses du Limbourg sont remises par le
comte de Flandre au sire de Fauquemont.
15 avril. Traité d’alliance entre le duc et l’évèque de Liège.
16 avril. L’évêque s’engage à exécuter les clauses de ce traité.
22 avril (mardi après le dimanche Miscricordia). Walter Berthout
afferme le péage qui se levait sur deux chaussées voisines de Malines.
28 avril. Godefroid de Brabant, les villes de Louvain, de Bruxelles,
d’Anvers, et quelques chevaliers brabançons se portent cautions pour
Jean Ier envers Béatrix de Brabant.
( 44 2 )
Avril (commencement du printemps). Le duc va au secours du comte
de Bar, attaqué par l’évêque de Metz.
\er mai (jeudi avant la Saint-Jean à la Porte-Latine). Le comte de
Clèves s’engage à exécuter le traité conclu entre lui, le duc et le comte
de Hollande.
9 mai. Le roi Rodolphe proroge, jusqu’au 25 juillet, la trêve qu’il
avait fait conclure.
J 5 mai (jour de l’Ascension). Le duc Jean reçoit l’hommage de Libert
de Milsen pour les biens de Hardenberg.
29 mai. Le comte de Berg notifie à ses vassaux qu'il a cédé le Lim-
bourg au duc.
Mai. Walter de Winde vend, pour sortir de prison, les biens qu’il pos-
sédait près de Tirlemont.
4 5 juin. Des vassaux du sire de Fauquemont renoncent à la vengeance
qu’ils voulaient tirer du meurtre d’un des leurs, tué à Vieuville.
29 juin (dimanche après la Nativité de saint Jean-Baptiste). Jean Ier
partage la terre de Bréda.
Juin (?). Les Sriabbe, sires de Loncin, se réconcilient avec le comte
de Gueldre.
2 juillet. La trêve est prorogée jusqu’au 4 5 septembre.
4 2 juillet. Promesses que l’archevêque Sifroi fait aux Colonais.
49 juillet (veille de la Sainte-Marguerite). Les Colonais promettent de
rester fidèles à l’archevêque.
7 août. Le sire de Scnelfe renonce à ses droits féodaux sur les tenan-
ciers de Rcnirsart.
43 août. Traité conclu par la médiation du duc Jean, entre l’évêque
et la ville de Liège. — I3aix des clercs; loi muée.
40 septembre. Traité d’amitié conclu entre le comte de Hollande et la
ville de Cologne. — Cette ville se rapproche des ennemis de son arche-
vêque.
42 septembre (vendredi après la fête de Notre-Dame ). Jean Ier donne
une pêcherie à l’abbaye de Florival.
42 octobre. I.a trêve est prolongée jusqu’au 25 novembre.
4 4 décembre (jeudi avant la Sainte -Lucie). Privilèges accordés par
Jean 1er à l’abbaye de Grimberghe.
Décembre. L’archevêque de Cologne attaque le comté de Berg. Le duc,
pour opérer une diversion , passe la Meuse.
. . . Diète de Wurtzbourg. Le roi Rodolphe ordonne la conclusion
d’une trêve entre le duc et l’archevêque.
( 445 )
. . . Jean Ier confirme à l’abbaye de Borcette l’exemption de tonlieux
dont ce monastère jouissait.
4288.
44 janvier ( 4287, mercredi après les octaves de l'Épiphanie). Jean I**1
affranchit de tonlieu les bourgeois de Gorcum.
49 janvier (4287). J^e comte Renaud ratifie les conventions conclues
en son nom avec les Snabbe.
Janvier. Le duc donne le village de Wommelghem à Jean de Lierre.
Janvier. Le duc à Diiren. Fin de sa campagne au delà de la Meuse.
2(5 février (jeudi après le dimanche Reminiscere, en 4287). Alliance
entre le duc de Brabant et le comte de Clèves.
1er mars (lundi après la mi-carême, en 4287). Jean Ier exempte de
tailles le sire de Rêves et ses sujets.
47 mars. Alliance entre l’archevêque Sifroi et Waleram de Julicrs,
sire de Bercheim.
4b avril. L’évêque de Liège, après avoir etc retenu prisonnier pen-
dant cinq mois, rentre dans sa capitale.
4 8 avril. Cunégonde, veuve du duc Waleram de Limbourg, cède à
Jean Ier ses droits sur ce duché.
48 avril (dimanche Jubilale). Jean Ier autorise l’abbaye de Saint-Michel
à acquérir des biens jusqu’à concurrence d’un revenu annuel de trente
livres.
Avril. Établissement d’une commune à Saint-Trond.
Avril. Jean de Flandre, évêque de Liège, approuve la translation des
Prémontrés du Mont-Cornillon à Beaurepairc.
Avril ( commencement du printemps ). Jean Ier envahit la terre de
Fauquemont; conclusion d’une nouvelle trêve.
5 mai. Alliance entre l’avoué de Cologne et la bourgeoisie de cette
ville.
45 mai, à Tirlemont. Le comte de Berg reconnaît avoir reçu 2,440 liv.
de Louvain du duc de Brabant.
47 mai (lendemain de la Pentecôte). I„e duc de Brabant, à la nou-
velle des négociations ouvertes pour la cession du Limbourg au comte
de Luxembourg, assiège Fauquemont.
25 mai. Renaud, comte de Gueldre, vend le Limbourg au comte de
Luxembourg.
( 444 )
Mai. Le duc envahit l’archevêché de Cologne et s’allie aux Colonais.
5 juin. Bataille de Woeringen. Victoire du duc et des Colonais; mort
du comte de Luxembourg; le comte de Gueldre et l’archevêque faits
prisonniers.
25 juin et mois suivants. Actes d 'urvede ou de renonciation de ven-
geance donnés aux Colonais par un grand nombre de guerriers faits pri-
sonniers.
8 juillet. Le duc et l’évêque de Liège échangent quelques territoires, et
notamment Hougarde, Beauvechain, etc.
1er août. La ville de Zulpich se soumet au comte de Juliers.
9 aoiit. Le comte de Berg prend les habitants de Diiysbourg sous sa
protection.
Août. Le duc assiège le château de Fauquemont.
2 septembre. Le duc prie Béatrix de Brabant de lui prêter de l’argent.
7 septembre (veille de la Nativité de la Vierge). Le duc admet parmi
ses vassaux plusieurs seigneurs allemands.
20 septembre (dans le camp, à Fauquemont, la veille de la Saint-
Mathieu). Jean Ier déclare que le sire de Rochefort a relevé de lui plu-
sieurs biens.
Septembre. Le sire de Fauquemont envahit le Brabant et défait le sire
de Mellet.
24 octobre. Le duc accepte l’évêque de Cambrai pour médiateur.
26 octobre. Il lève le siège de Fauquemont.
51 octobre. Le duc et le comte de Gueldre prennent l’évêque de Cam-
brai pour arbitres de leurs différends.
1er novembre environ. Nouvelle lettre adressée par le duc à Béatrix
de Brabant pour lui demander de l’argent.
6 novembre. Sentence prononcée par l’évêque de Cambrai.
18 novembre. Le sire d’Antoing reçoit du comte de Flandre le château
de Limbourg.
28 novembre. L’évêque de Cambrai reçoit de même le château de
Rolduc.
6 décembre. Jean Ier exempte de tonlieux les habitants de deux villes
nouvellement fondées en Zélande.
8 décembre. L’évêque somme le duc de délivrer le comte.
11 décembre. Celui-ci accepte solennellement la sentence de l’évêque.
15 et 16 décembre. L’évêque somme de nouveau le duc de mettre le
comte en liberté.
( 445 )
18 décembre. L’évêque renonce à ses fonctions d’arbitre.
. . . Grande marce qui dévaste Lillo et ses environs.
1289.
6 février. Conclusion d’une alliance entre le comte de Flandre et le
sire de Fauquemont.
2 avril (samedi après la mi-carême). Émeute à Luxembourg.
19 mai. Convention conclue entre Sifroi, d’une part, le duc de Bra-
bant, les comtes de Berg, de la Marck et de Waldeck, et Waleram de
Juliers, d’autre part.
51 mai. Le duc cède en arrentement aux bouchers et aux poissonniers
de Bruxelles le marché au poisson de cette ville.
Mai. La châtelaine de Bruxelles confirme à ses tenanciers d’Ixelles la
possession de quelques pâtures.
18 juin. Traité entre Sifroi et les Colonais. L’archevêque mis en liberté.
26 juin. Les sires de Loncin déclarent que le comte de Luxembourg
les a indemnisés de leurs pertes.
29 juin. Ils renoncent à leurs droits sur le château de Loncin et d’au-
tres domaines.
19 juillet. Ils donnent quittance de quatre mille marcs à Guy de Dam-
pierre.
25 juillet (samedi avant le jour des saints Jacques et Christophe).
Pardon accordé aux habitants de Luxembourg.
5 août. Bulle papale ayant pour but de forcer les Colonais à mettre
leur archevêque en liberté.
8 août. Autre bulle analogue, adressée aux évêques de Strasbourg et
de Worms.
9 août. Bulle adressée aux Colonais.
17 août. Le sire de Durbuy est qualifié de seigneur de Fauquemont.
• Août. Le comté de Gueldre est remis au roi de France.
5 septembre. Le duc approuve les statuts de la gilde de Bruxelles.
15 octobre (samedi avant la fête de saint Luc). Traité de paix conclu
à Paris, par le roi de France, Philippe le Bel, entre le duc de Brabant
et le comte de Gueldre. Le duc devient le possesseur du Limbourg.
7 et 8 novembre. Florent Berthout est chargé de recevoir pour le due
remise de Herve et de Sprimont.
8 novembre. Le duc donne quittance de 4,300 marcs de Cologne que
lui devait le comte de Gueldre,
i
( 446 )
4 1 novembre. Le duc donne à Guy de Dampierre quittance de quatre
mille marcs dont le sire de Fauquemont lui était redevable.
4 décembre (dimanche après la Saipt-André). Jean Ier confirme au vil-
lage de Duysbourg près de Tervueren ses privilèges.
25 décembre (vendredi avant la Noël). Le duc reçoit l’hommage du
sire de Randerode pour le château de ce nom.
24 décembre (veille de la Noël). 11 reçoit l’hommage de Waleram, sire
de Hcngebach, pour la seigneurie de Brucge.
28 décembre (jour des Innocents). Jean, fils du due, confirme l’inféo-
dation de quelques biens à Libcrt de Milcsen.
1290.
4b janvier (dimanche après les octaves de l’Epiphanie, 4289). Accord
conclu entre Jean Ier et l’abbesse de Nivelles, au sujet de leur juridiction
respective dans cette ville.
4 S janvier ( 1289). Traité d’alliance entre Guy, comte de Flandre, et
son fils, l’évêque de Liège.
48 janvier. Le pape délie l’archevêque de Cologne des engagements
qu’il avait contractés.
25 janvier (Conversion de saint Paul). Le duc Jean concède le ma-
noir d’Eppene à Arnoul de Julémont.
25 janvier (1289). Accord entre le sire de Durbuy et l'évêque de Liège.
51 janvier. Bref adressé par le pape aux archevêques de Mayence et
de Trêves pour l’exécution du bref du 18 janvier.
2 février (Purification ). Le duc fonde à l’église de Sainte-Gudule , de
Bruxelles, la chapellenie des Trois-Rois, en mémoire de sa victoire de
Woeringen.
42 février (dimanche après les octaves de la Purification). Godefroid
et Edmond de Kerpen renoncent à leurs droits sur le château de ce nom.
24 février (jour de saint Matthias). Henri, sire de Gerarstein, relève
du duc le fief de Blidenstat.
27 février (dimanche après la Saint-Matthias, en 4289). Jean Ier ac-
quiert de l’abbaye d’Alflighem une grande demeure située rue des Che-
valiers, à Bruxelles.
48 mars (samedi avant le dimanche Oculi). Gérard, sire de Quabeek,
reconnaît devoir un cens au chapitre d’Utrecht.
19 mars ( 4289). Les religieux de Parc sont autorisés par le duc h
chasser, dans leurs bois, le Sapin et le lièvre.
( 447 )
25 mars. Le comte de Flandre se fait adjuger, par ses vassaux, la pos-
session de la Zélande. Guerre entre ce prince et le comte de Hollande.
9 avril. Le duc restitue aux bourgeois de Lierre leurs anciens privi-
lèges.
10 avril ( lundi après le dimanche Qaasïmodo). Jean , de Louvain, sire
de Herstal, fixe le cens que ses sujets de Lccuw-Saint-Pierre lui doivent.
1 1 avril. Les nobles de la Zélande se soumettent à Guy de Dampierre.
25 avril (dimanche Jubilatc). Le duc approuve les donations faites
au prieuré d’Auderghem par Aleydc de Pervvez, dame d’Hobokcn.
24 avril. L’écoutète d’Anvers détermine les limites des deux fractions
de la terre de Bréda.
29 avril. Le comte de Hollande affranchit de tonlieu les habitants de
Grave.
29 avril. Le roi Rodolphe accorde au duc Jean des lettres de sauve-
garde pour venir à sa cour.
29 avril. Le même roi prend le duc sous sa protection spéciale.
Avril. Guillaume, sire de Dongelberg, affranchit un de ses serfs.
19 mai (vendredi après la Saint-Servais ). Gerlac, noble homme de
Dollendorp, donne quittance à son suzerain, le duc Jean, de quarante
marcs de Cologne, que celui-ci devait au comte de Juliers, et prie le
duc de faire payer cette somme au chevalier Godescalc, sénéchal de
Juliers ( Carlul aire du Brabant /i, f° 90 v.).
51 mai. Le comte de Hollande affranchit de tonlieu les habitants
d’Heusden.
Mai. Le roi Rodolphe accorde aux nobles zélandais le tiers des aides
levées sur leurs sujets.
Mai. Le comte de Hollande est arrêté à Biervliet par ordre du comte
de Flandre.
Mai. Le duc de Brabant partage avec le chapitre de Nivelles la pro-
priété du bois voisin de cette ville.
Mai. Le duc accepte le rôle de médiateur entre les comtes de Flandre
et de Hollande.
2 et 12 juin. Le duc se charge de terminer le débat existant entre le
comte de Hollande et les nobles zélandais.
0 juin. Accord conclu entre le comte de Flandre et l’évêque de Liège
au sujet des frontières de leurs possessions.
8 juin. Le duc promet au comte de Flandre de l’aider à faire exécute]'
ce traité, si le comte de Hollande ne remplit pas ses engagements.
( 448 )
10 juin. Le duc se rend caution de vingt mille livres pour Florent,
envers le comte de Flandre.
11 juin , Il promet au comte de Hollande de l’affranchir du payement
de cette somme.
12 juin ( cindach van sinte Bonifaes). Le comte de Hollande promet
d’exécuter les conditions du traité que Jean Ier conclura en son nom
avec la Flandre.
19 juin. Charte du duc relative à la halle aux draps d’Anvers.
1er juillet (samedi après la nativité de saint Jean-Baptiste). Le sei-
gneur de Diest confirme à la ville de Diest ses libertés,
2 juillet (dimanche, veille des octaves de la Saint -Jean- Baptiste).
Célébration du mariage de Jean, fils du duc, et de Marguerite d’York.
5 juillet. Les délégués du pape somment, sans succès, les Colonais
de comparaître à Bonn. — Enquête ouverte dans cette dernière ville.
5 juillet. Le roi Rodolphe donne en engagère au comte de Clèves les
villes de Nimègue, de Duysbourg et de Deventer.
6 juillet. Le comte de Hollande obtient du roi Rodolphe l’annulation
des engagements qu’il a contractés.
20 juillet. Le roi confie au comte de Gueldre l’administration de la
Frise.
14 août. Le duc promet au comte de Flandre de se rendre à Gand
pour s’y constituer prisonnier, comme caution des promesses du comte
de Hollande.
Août. Le duc vend à la commanderie de Vaillampont une partie du
bois de Nivelles.
8 septembre. Le roi d’Angleterre charge deux délégués d’assister à
l’assignation de raugmentation de dot, accordée par Jean Ier à son fils
et à la fille du roi.
21 septembre. Le duc accorde des privilèges aux bourgeois de Léau.
28 septembre. Il accorde des privilèges aux Bruxellois.
29 septembre. Il en accorde également aux Louvanistes.
Septembre. Jean Ier cède douze bonniers de bois à l’hôpital Saint-Nico-
las, de Nivelles.
1er octobre. Alliance conclue entre le comte de Flandre et la comtesse
de Luxembourg.
5 novembre. Le comte de Hollande pardonne aux Zélandais soulevés.
6 novembre. Sentence de l’archevêque de Cologne et d’autres arbitres,
dans le but de terminer les débats existants entre le comte de Clèves et
les habitants de Duysbourg.
( 449 )
6 novembre (lundi après la Toussaint). La comtesse de Luxembourg et
son fils s’engagent à accomplir les conditions du traité négocié par le
comte de Flandre et le duc de Brabant pour le mariage d’une fille de ce
dernier, Marguerite, avec le jeune comte de Luxembourg, Henri.
25 novembre (jour de sainte Catherine). Jean Ier autorise l’abbaye
#
d’Alïlighem à acquérir des biens appartenant a deux de ses serviteurs.
19 décembre. Le duc obtient du comte de Flandre un délai pour se
rendre à Gand.
24 décembre (veille de la Nativité). Jean 1er étend la juridiction que
Gilles Van den Berghe possédait à Wilsele.
... Le sire de Stryene inféode à son frère Guillaume les terres dites
depuis de Sevenberge.
. . . Guerre des habitants de Valenciennes contre leur seigneur, le
comte de Hainaut.
1291.
15 janvier (dimanche avant la Chaire de Saint-Pierre, en 1290). Le
duc fixe le taux qu’auront dorénavant la nouvelle monnaie et la monnaie
ordinaire.
18 février (1290) et 2 juin. Chartes de privilèges accordées à Duys-
bourg par le roi Rodolphe.
21 février ( 1290). Le duc Jean accorde des privilèges à la ville d’An-
vers.
25 février ( 1290, vendredi avant le Grand-Carème). Enquête ouverte,
à Tirlemont, au sujet des biens de Henri Van den Berghe, de Meldert.
24 février ( 1290). Le duc Jean accorde des privilèges à la ville de
Tirlemont.
Février ( 1290). Le comte de Gueldre abandonne à son beau-père, le
comte de Flandre, l’administration de la Gueldre.
31 mars. Promesses faites par Jean Ier au comte de Hollande au sujet
des contestations de ce prince avec l’évêque d’Utrecht.
2 avril. Nouveau délai accordé par le comte de Flandre au duc
Jean Ier.
15 avril. Privilèges accordés par le ducaux bourgeois d’Hérentals.
13 mai (jour de la Saint-Servais). Florent Doupuy relève du duc une
rente féodale.
50 mai (veille de l’Ascension). Des chevaliers limbourgeoîs assaillent
la forteresse liégeoise du Mont-Cornillon.
( 430 )
22 juin. Le duc oblige la ville de Middelbourg à lui fournir des otages.
30 juin (à Genappe, le lendemain des saints Pierre et Paul). Le duc
donne six journaux de terre situés à Kerpen à l’abbaye d’Inde, et auto-
rise les drapiers de Renaix à étaler leurs draps à Louvain, sans payer
de cens.
Juin. Nouveau délai accordé à Jean Ier par Guy de Dampierrc.
43 juillet . Mort du roi Rodolphe de Hapsbourg.
Juillet . Statuts donnés par Jean Ier aux monnayeurs brabançons.
41 août (lundi avant l’Assomption). Le duc et le seigneur de Fauque-
mont garantissent le payement d’un emprunt contracté par la ville
d’Aix-la-Chapelle.
44 octobre. Convention ayant pour but de déterminer les limites de
la terre de Corroy-le-Château et du comté de Namur.
7 novembre. Traité d’alliance entre le duc et le comte.
9 novembre. Jean Ier défend d’exiger des tonlieux des habitants de
Tholen.
29 décembre (lendemain des Innocents). Jean ICI prend sous sa pro-
tection Pabbaye d’Everboden.
4292.
46 janvier (vendredi après les octaves du treizième jour, en 1291).
Le duc détermine les droits que Henri de Wilre possédait à Westwezcl.
7 février (4294). Charte réglant le mode d’après lequel on procédera
au partage des revenus et des droits seigneuriaux, à Wavre.
24 février. Conventions arrêtées pour le mariage d’une des filles du
duc avec le jeune comte de Luxembourg.
27 mars (jeudi avant les Pâques fleuries, 1291). Le duc Jean donne
cinq cents livres à Jean de Landwyck, qui épouse une de ses filles natu-
relles, et Adam de Landwyck, père de Jean, cède à celui-ci le château
de Horst.
15 avril. Le duc promet au comte de Flandre de ne pas attaquer les
domaines ou les sujets du comte de Luxembourg.
45 avril. Nouveau délai accordé à Jean Ier par Guy de Dampierrc.
24 avril. Confirmation des conventions du mariage du comte de
Luxembourg.
Avril. Charte de protection et de confirmation de privilèges accor-
dée à l’abbaye d’Afïlighem.
( 451 )
Avril. Charte semblable accordée à Parc-les-Dames.
26 mai. Alliance conclue entre les comtes de Flandre et de Luxem-
bourg.
2 juin (lundi après la Trinité). Le comte de Looz déclare n’avoir aucun
droit sur les biens de l’abbaye de Saint-Trond, aux environs de Ilaelen.
2 juin. Le duc renonce à ses droits sur un warissal , situé entre Hcrck
et Ilaelen.
2 juin. Charte de confirmation de privilèges octroyée par le duc Jean
à l’abbaye de Saint-Bernard.
9 juin, à Tervucrcn. Mariage du jeune comte de Luxembourg et de
Marguerite de Brabant.
12 juin. Le duc moyenne un accord entre le comte de Hollande et le
sire de Renesse.
15 juin. Le roi Adolphe de Nassau autorise le seigneur de Fauque-
mont à acheter du duc Jean l’écoutèterie de la ville d’Aix-la-Chapelle.
15 juin (vendredi après les octaves de la Trinité). Le duc Jean aban-
donne des aisements aux tenanciers de Gottechain.
24 juin. Couronnement du roi Adolphe, à Aix.
50 juin. Accord entre le roi et le duc, au sujet du duché de Limbourg.
7 juillet. Le roi Adolphe charge le duc de protéger le monastère de
Beaufays.
15 juillet (jour de la Division des apôtres). Charte ducale ayant pour
but de prévenir la dévastation des bois de l’abbaye de Parc.
1 § juillet (mercredi avant la Sainte-Marie-Madeleine). Charte de con-
firmation de privilèges accordée aux abbayes de Saint-Michel et de Grim-
berghe.
22 juillet. Conventions arrêtées entre le duc et le sire de Châtillon ,
pour le mariage de leurs enfants respectifs.
1 6 août. Le roi Adolphe confirme au chapitre de Nivelles ses privilèges.
25 août. Le roi Adolphe autorise le comte de Hollande à relever scs
fiefs de l’Empire par-devant le duc de Brabant.
28 août (jeudi avant la décollation de Saint-Jean-Baptiste). Le sire
de Blanckenheim relève en fief du duc son château allodial de Blanc-
kenheim.
15 septembre. Le roi Adolphe prend le duc Jean sous sa protection
spéciale et confirme ses privilèges.
21 septembre. Le roi choisit le duc pour un de ses familiers et con-
seillers.
Tome XIII.
29
( 452 )
22 septembre. Le roi engage au duc différents domaines.
Septembre. L’évêque de Cambrai rentre dans sa capitale, qui s’était
soulevée contre lui.
6 octobre (lundi après la Saint-Remy). Jean d’Avesnes, que le roi de
France avait fait arrêter, est remis en liberté.
8 octobre (mercredi après la Saint-Remy). Le duc reçoit l’hommage
du comte de Catzenellebogen, pour le château de Stadeck,
15 octobre. Mort de Jean de Flandre, évêque de Liège. Lutte d’in-
fluence entre le Brabant et la Flandre, d’une part, et le comte de Hainaut,
d’autre part, au sujet de l’élection du successeur de ce prélat. Guy de
Hainaut devient évêque de Liège, et le comte, son frère, mambour de
l’évêché.
14 octobre. Le duc Jean négocie une trêve entre les comtes de Flandre
et de Hainaut.
16-17 novembre. Le duc se porte caution d’une dette contractée par le
sire de Fauquemont.
18 novembre. Le roi constitue le duc son avoué principal entre le
Rhin et la mer.
. . . Jean Ier fonde la chapellenie de Saint-Martin à l’hôpital Saint-
Jean, de Bruxelles.
. . . Charte ducale en faveur de l’abbaye de Dilighem.
. . . Keures criminelles accordées, par Jean Ier, au plat pays de l’am-
manie de Bruxelles , du quartier d’Anvers et du bailliage du Brabant
wallon.
, . . Déclaration du sénéchal de Brabant en faveur de l’abbaye d’Hey-
lissem.
o . . Énumération, par Jean 1er, des privilèges de la ville d’Aerschot.
1295.
24 janvier (1292). Convention entre le duc et les sires de Grimberghe,
au sujet des obligations et des droits de leurs vassaux.
24 mars (mardi après Pâques fleuries, 1292). Le duc promet à ses
sujets de ne plus leur imposer des tailles.
14 mai (jeudi avant la Saint-Marc), Le sire de Fauquemont promet au
duc que les Ilavret deviendront ses vassaux.
24 mai (dimanche de la Trinité). Les magistrats de Louvain prennent
sous leur protection les bogards de cette ville.
\
( 455 )
51 mai. Le duc vend aux Louvanistes le marché au bétail de leur
ville.
4 juin (veille de saint Boniface). Waleram, comte de Juliers, libère
le duc de rengagement que celui-ci avait contracté, en son nom, envers
le chevalier Herman Vanden Sterre, bourgeois de Cologne. ( Cartulaire
de Brabant B7 fol. 46 v°.)
6 juin (lendemain de la Saint-Boniface). Jean Bote, receveur du duc,
donne à cens des terres vagues situées à Heisterlé.
15 juin. Le duc étant près du roi Adolphe, le comte de Flandre s’ex-
cuse de ne pas relever ses fiefs de l’Empire.
1er juillet (mercredi après les octaves des saints Pierre et Paul). Con-
fîrmation de la charte de liberté, accordée, en 1222, aux bourgeois de
Wavre par le duc Henri Ier.
14 juillet (jeudi avant la Division des apôtres). Le sire de Hornes pro-
met de garantir le duc des conséquences de la caution qu’il a offerte
pour lui.
10 septembre (samedi après la Nativité de Notre-Dame). Charte ducale
énumérant les droits que possèdent les sires de Rotselaer, sénéchaux hé-
réditaires de Brabant.
21 octobre (vendredi avant la Saint-Simon et Jude). Le chapitre de
Liège prie son évêque d’approuver l’élection d’Yolende de Steyne en
qualité d’abbesse de Nivelles.
8 novembre. Le duc accorde aux monastères du duché une exemption
de tailles pendant huit années.
11 novembre (jour de la Saint-Martin). Le duc déclare que les impôts
levés par ses ordres à Nederen, ne lui donnent aucun droit sur ce vil-
lage.
26 novembre. Le roi d’Angleterre ordonne de punir ceux qui ont causé
des torts à un négociant brabançon.
50 novembre. Le comte de Vianden, sire de Grimberghe, vend au
comte de Flandre la terre de Ninove.
22 décembre. Le comte de Hainaut reçoit la soumission de la ville de
«
Maubeuge, qui s’était soulevée.
. . . Guillaume, sire de Boxtel, relève du duc le château de Stapelen.
( 454 )
1294.
4 janvier. Le roi Adolphe ordonne au comte de Looz et au sire de
Cuyck de donner les régales à la nouvelle abhcsse de Nivelles, Yolende
de Steyne.
22 janvier (vendredi avant la Conversion de saint Paul, en 1295). Le
comte de Looz fait recevoir Yolende de Steyne par le chapitre et la ville
de Nivelles. Le duc de Brabant saisit les biens de l’abbesse et du chapitre.
7 février (1295). Le duc autorise le chapitre d’Anvers à s’emparer des
terrains d’alluvion et à les endiguer.
15 mars (samedi après le dimanche Invocavit ). Rase de Gavre et son
fils Rase donnent quarante et un bonniers à l’abbaye de Tongerloo.
20 mars (lendemain de l’Annonciation, en 1295). Le duc ordonne à
ses officiers de faire payer à l’abbaye de Tongerloo les cens qui lui sont
dus.
Mars (1295). Charte de protection accordée par le duc aux religieux
de Villers.
4 avril (dimanche J adieu). La gilde de Louvain prend les bogards de
cette ville sous sa protection.
Avril. Le sire de Fauquemont et le comte de Looz assiègent le château
de Boni, appartenant au comte de Gueldre. — Le 29, le roi Adolphe
leur ordonne de lever ce siège.
Avril. Le duc accompagne, dans le comté de Bar, la fiancée du comte.
5 mai. Il est tué, en joutant, à Bar. On transporte son corps à Reims,
où ses ossements sont séparés des chairs, puis conduits à Bruxelles, où
on les ensevelit dans l’église des frères mineurs.
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
La rédaction de nos Ephémérides de la vie el du règne de Jean Ier nous a
procuré l’occasion de rectifier quelques erreurs de date qui se sont glissées
dans notre Mémoire. Voici d’autres erreurs que nous devons également redres-
ser, des omissions qu’il nous faut réparer :
Page 26, ligne J 2. Au lieu de : l’abbé de Sainte-Gertrude de Louvain , lisez :
l’abbé de Saint-Trond,
Page 62, note 1. Il s’agit ici d’une quittance donnée au duc par le roi de
France, et non par le duc au roi.
Page 67. Les notes sont mal indiquées. Le chiffre 2 doit être supprimé
à la ligne 9 et reporté à la ligne 15. Le chiffre 3 remplace le chiffre 4, ligne 16 ,
et la note 4 se place sur la ligne 20.
Page 78, ligne 21. Le duc de Brabant intervint énergiquement dans cette
querelle des Liégeois et de leur évêque : en 1270, le jour des saints Fabien
et Sébastien, il promit aux premiers de les protéger, eux et leurs biens, de
les défendre, de les maintenir en leurs droits et franchises, sauf le droit de
l’Église, en qualité de haut voué de la ville. Archives de l'audience , aux
Archives du royaume.
Page 193, ligne 10. A cette époque, Renaud avait déjà été mis en liberté.
Page 244, ligne 26. Il est certain que, dès le treizième siècle, le château
ducal de Louvain occupait la hauteur dite depuis du château César ; l’église
Saint-Nicolas, qui s’élevait en cet endroit est mentionnée, en 1274, comme
existant: ante castrum, « devant le château. »
.
.
■
TABLE DES MATIERES.
Pages.
Introduction 1
I. Coup d’œil sur la politique des prédécesseurs de Jean Ier . . . . ib.
Situation de l’Europe au milieu du treizième siècle 5
Comparaison entre le caractère de Jean Ier et celui de son père
Henri III 6
II. Avènement au trône d’Allemagne de Guillaume de Hollande ... 7
Querelle des d’Avesnes et des Dampierre 8
Soulèvement des Liégeois contre Henri de Gueldre ib.
Établissement de la confédération des villes Rhénanes 10
Mort du roi Guillaume. — Élection de Richard de Cornouailles en
qualité de roi des Romains 11
Lutte entre les bourgeois de Cologne et Conrad, archevêque de
cette ville 13
III Le duc Henri III de Brabant 15
Mariage de ce prince 16
Sa mort et son testament 17
Chapitre Ier. ■ — Minorité des enfants du duc Henri III. — Avènement
de Jean Ier au trône ducal 19
I. Embarras pécuniaires de la duchesse Aleyde ib.
Alliances conclues par les villes du Brabant 21
Les Col vers et les Blanckaerls de Louvain 23
Soulèvement des Nivellois contre leur abesse 24
Traité d’extradition entre le Brabant et la Flandre 26
Assassinat des chevaliers de Velp 27
IL Contestations , en Brabant , à propos de la tutelle des jeunes princes. ib.
( 438 )
Pages.
Prétentions du landgrave de Thuringe 28
Prétentions de Henri de Louvain, sire de Herstal 50
Gouvernement d’Othon, comte de Gueldre, et de son frère Henri,
évêque de Liège 52
III. Rupture entre le Brabant et ce dernier prince 55
Siège de Malines 54
L’évêque s’empare de Maestricht 56
Conventions qui mettent fin à ce débat . 57
L’archevêque de Cologne, Englebert, allié de la duchesse Aleyde,
est vaincu et pris par les Colonais, alliés de Henri de Gueldre. . 58
Le duc dçLimbourg, en essayant de prendre Cologne , y est fait pri-
sonnier. 42
IV. La duchesse Aleyde projette de substituer le deuxième de ses fils,
Jean , à Henri , l’aîné 44
Le seigneur de Wesemael et les Louvanistes se soulèvent ; guerre
civile, défaite des Louvanistes ib .
Henri cède le duché à son frère et fait profession à Saint-Étienne,
de Dijon 46
Chapitre IL — Alliances matrimoniales entre le Brabant , d’une part ,
la Flandre, la France, l'Angleterre , d'autre part. — Relations
avec l'Empire 50
I. Guerre dans le Barrois
Invasion du royaume de Naples par Charles d’Anjou; septième croi-
sade; croisade de bergers
Jean Ier épouse Marguerite de France
Après la mort prématurée de cette princesse, il s’allie à Marguerite
de Flandre
Mort de la duchesse Aleyde
Mariage de sa fille Marie avec le roi de France, Philippe le Hardi. .
Aventure de Pierre de la Brosse
Marie de Brabant fonde, à Nivelles, le béguinage de Saint-Cyr ou
de la Royauté .
Jean Ier accompagne, à deux reprises, les armées que Philippe III
conduit en Espagne
IL Le duc se distingue dans un tournoi, en Angleterre
Fiançailles de Jean, son fils, et de Marguerite d’Angleterre . . .
III. Politique et mort de Richard de Cornouailles
Rodolphe de Hapsbourg succède à Richard
Politique de ce prince
ib.
51
55
54
ib.
v v
ou
60
61
64
65
68
70
72
( 459 )
Pages.
Chapitre III. — Relations du Brabant et du pays de Liège, de 1270
à 1290 76
I. Troubles à Liège; les bourgeois prennent la citadelle de Sainte-
Walburge ib.
Le duc Jean reconnu pour avoué de Liège 78
Dernières années de Henri de Gueldre . ib.
II. Guerre de la vache . 81
III. Jean de Flandre devient évêque de Liège 86
Alliance conclue entre le duc, d'une part, Jean de Flandre et les
bourgeois de Liège, d’autre part 87
Établissement d’une copimune à Saint-Trond 94
Chapitre IV. — Soulèvement des paysans hollandais et frisons, et
révolutions d'Utrecht. — Influence que ces événements exercent
en Brabant et en Flandre. — Guerre des habitants d'Aix-la-
Chapelle contre la famille de Juliers , etc. (1268-1282). . . . 95
I. Soulèvement en Frise, dans le Kennemerland et à Utrecht. . . . ib.
Dissensions intestines dans cette dernière ville . . 100
Le comte Florent rétablit la tranquillité dans ses États .... 101
Ses relations avec Jean Ier 105
Renaud de Gueldre et le duc de Brabant 104
IL Scission qui se manifeste dans la plupart des villes belges, entre la
haute bourgeoisie et les artisans; troubles en Flandre, à Tour-
nai, etc 107
III. Les comtes de Juliers MO
Guerre du comte Guillaume contre l’archevêque de Cologne, Sifroi
et la ville d’Aix-la-Chapelle ib.
Le comte est tué dans Aix, qu’il croyait conquérir 112
Le duc de Brabant intervient dans cette querelle , et rétablit la paix
dans le pays entre la Meuse et le Rhin . 114
Réconciliation de l’archevêque et de la ville d’Aix avec la famille
de Juliers. 116
Nouvelle alliance entre le duc Jean I, r et l’archevêque Sifroi. . . 118
Le duc acquiert le château de Kerpen 119
Des aventuriers, se disant l’empereur Frédéric II, excitent des
troubles sur les bords du Rhin et en Flandre 120
Chapitre V. — Commencement de la guerre pour le duché de Lim-
bourg 122
1. Les chevaliers brabançons et limbourgeois luttent dans les tour-
nois ib.
( 460 )
Pages.
Mort de Waleram, duc de Limbourg, et de sa fille Ermengarde,
femme du comte de Gueldre. Prétendants divers à la succession
de cette princesse 125
Le comte de Berg cède ses droits à Jean 1er . . . . » . . . 127
Rupture entre celui-ci, d’une part, le comte de Gueldre et l’arche-
vêque de Cologne , d’autre part. Chacun de ces princes se ren-
force par des alliances. . 128
Conduite que tient le roi Rodolphe en cette occasion 130
II. Journée de Gulpen ; conclusion d’une trêve .132
Hostilités dans le comté de Daelhem , aux portes de Maestricht, etc. 153
Blocus d’Aix-la-Chapelle et émeute dans cette ville 156
Prise du château de Kerpen par l’archevêque ’Sifroi 157
Fin de la campagne ib.
III. Pendant l’absence du duc, les hostilités recommencent 139
Mariage du comte Renaud et de Marguerite de Flandre .... 140
Jean Ier resserre son alliance avec le comte de Hollande; il essaye
vainement de secourir Thiel , force ses ennemis à lever le siège
de Maestricht et s’avance jusqu’à Limbourg 142
Événements divers dans le duché de Limbourg 147
IV. Le duc Jean s’assure de nouveaux alliés, va guerroyer dans le Bar-
rois, et marche au secours du comte de Berg 150
Le comte de Gueldre cède ses droits sur le Limbourg au comte de
Luxembourg 155
Jean Ier assiège Fauquemont, envahit l’archevêché de Cologne,
contracte alliance avec les Colonais, et met le siège devant Woe-
ringen 154
Chapitre VI. — La bataille de Woeringen 158
I. L’archevêque Sifroi et le duc se préparent à livrer bataille . . . ib.
Force respective des deux armées . .- 162
Discours de Jean Ier à ses soldats 163
IL Attaque dirigée par les alliés contre l’armée brabançonne. . . .164
Mort du comte de Luxembourg 166
L’archevêque est entouré et pris 167
Défaite du comte de Gueldre 169
Efforts inutiles du seigneur de Fauquemont et du lignage de
Schaeffdriessche ib.
III. Pertes des deux armées 170
Accueil triomphal fait au duc à Cologne et en Brabant 175
Chapitre VIL — Suites de la bataille de Woeringen. — - Situation de
l'archevêché de Cologne, cle la Gueldre, du Luxembourg, etc. 177
( 461 )
Pages.
j. Situation déplorable de l'archevêché de Cologne 177
Traités conclus entre Sifroi et ses ennemis. Le pape Nicolas IV re-
fuse son assentiment à ces négociations ......... 179
Enquête dirigée contre les Colonais ........... 185
II. La guerre continue entre le duc Jean et le sire de Fauquemont . . 187
Efforts inutiles de. l’évêque de Cambrai pour rétablir la paix et
rendre la liberté au comte de Gueldre .188
Paix conclue par la médiation du roi de France 190
La ville de Duysbourg 192
Le seigneur de Fauquemont devient le sujet dévoué de Jean Ier. . 194
Administration désastreuse du comte Renaud en Gueldre. ... 195
III. Réconciliation de Jean Ier et de la famille de Luxembourg. Mariage
du jeune comte Henri et de Marguerite de Brabant 198
Quelques mots sur le Limbourg 200
Chapitre VIII. — Dernières années du règne du duc Jean. Négocia-
tions dans le pays de Liège , en Hollande , en Hainaut, dans
l’Empire . Mort du duc Jean Ier ( 1290-1 294) 201
I. Jean Ier change complètement de politique ib.
Ses démêlés avec les Liégeois 202
Une lutte s’engage entre la Flandre et la Hollande. Étroite alliance
conclue entre le duc et Guy de Dampierre 204
Situation du Hainaut à cette époque. Guerre des habitants de Valen-
ciennes contre le comte Jean d’Avesnes 209
Contestations, à Liège , pour le choix d’un nouvel évêque .... 211
IL Le comte de Nassau, Adolphe, succède à Rodolphe de Habsbourg
en qualité de roi des Romains. Faveurs qu’il accorde à Jean Ier . 212
Dernières actions et mort du duc 216
III. Retour de son fds, Jean II, en Brabant 222
Godefroid de Brabant, frère de Jean Ier. Tendances qu’il veut faire
prévaloir. Sa mort , à la bataille de Courtrai 224
Chapitre IX. — Politique de Jean Ier. La féodalité en Brabant. . . . 227
L Coup d’œil général sur le système politique que suivit Jean Ier . . ib.
Liens féodaux qui unissaient nos ducs à d’autres contrées . . . 229
Ils étendent leur juridiction à Nivelles, à Malines , à Maestricht, etc. 231
Traités d’extradition ou de délimitation conclus avec les pays voi-
sins 237
Apanages créés au profit de Godefroid de Brabant et du jeune duc
Jean. Mariage des filles de Jean Ier 238
( 462 )
Pages.
Enfants illégitimes du duc 243
Cour et sceau du duc ib.
II. Féodalité et tournois 246
Coup d’œil sur les seigneuries qui existaient en Brabant à la fin du
treizième siècle. Fiefs nouveaux qui se constituèrent du temps
de Jean Ier 248
III. Situation des campagnes. Affranchissements . 263
Accords conclus et mesures adoptées pour l’amélioration du sort
des campagnards 268
Chapitre X. — Les villes du Brabant 274
I. Développement que prennent les villes. Importance nouvelle de la
classe riche de la bourgeoisie. Hanse de Londres. Gildes de la dra-
perie, lignages et voisinages ib.
Les corps de métier 284
II. Scission entre les bourgeois riches elles bourgeois pauvres. Résul-
tats de cette scission . 286
Chartes de libertés données par Jean Lr et ses barons 289
Saceagement de l’abbaye de Vlierbeek par les Louvanistes. Que-
relles du seigneur et des habitants de Diest 292
La magistrature communale dans les villes de Belgique. Importance
des fonctions d’échevins 295
Chapitre XI. — Administration et finances. Organisation militaire . 298
I. Le droit en général ib.
heures cantonales 299
Dispositions nouvelles introduites dans le droit civil 304
Règles de procédure. Enquêtes par lesquelles on termine quelques
débats 305
II. Le conseil ducal, les Etats , etc 309
Les offices héréditaires du duché 311
Mairies et sous-mairies, les receveurs du domaine 312
Les finances ducales, les aides 316
Impôts prélevés par les villes , à leur profit 524
III. Organisation militaire 528
Chapitre XII. — Agriculture, industrie , commerce , voies de commu-
nication , monnaies , etc 535
I. Influence des abbayes sur les développements de l’agriculture . . ib.
Défrichements de bruyères 536
Constructions de digues 559
( 405 )
Pages.
Modifications dans Je droit forestier 540
il. Industrie agricole, usines, exploitations diverses 342
Règlements pour les corps de métier 344
111. Conventions commerciales, exemptions de tonlieux, fixations de
péages 347
Alliances contractées entre les villes dans l’intérêt de leur com-
merce 333
Améliorations , répressions d’abus 535
Foires, fêtes communales, voies de communication 550
Monnaies, monnaieries, changes, lombards 357
Chapitre XIII. — Clergé , ciblages , hôpitaux 363
I. Modifications qui s’opèrent dans les idées religieuses, exactions des
princes il.
Malgré ces nouvelles tendances, les dons au clergé continuent à être
nombreux 568
II. Décadence de la discipline et des études dans la plupart des anciens
ordres religieux 372
Développements de l’ordre des dominicains et de quelques autres
instituts nouveaux , notamment des béguinages 375
Le clergé régulier, sa lutte contre les religieux mendiants. . . . 379
Les idées de charité, les léproseries, les enfants abandonnés . . . 581
III. Abandon et perte de la terre sainte par les États chrétiens; idées
de tolérance 585
Synodes, troubles qui éclatent dans certaines abbayes et mauvais
vouloir qui se manifeste contre d’autres 586
Culte particulier voué à la Vierge 587
Chapitre XIV. — Sciences , lettres et arts 388
I. Théologie, sciences d’observation il.
Les langues parlées en Brabant 590
Poètes 592
Historiens 596
H. Architecture religieuse 598
Architecture civile, amélioration dans la police des villes .... 401
Architecture belges de l’époque 404
Sculptures 405
Peintures , miniatures, vitraux 406
Orfèvreries , cloches 409
III. Travaux historiques sur Jean Ier 411
Conclusion 412
( 464 )
Pages. .
Tableaux généalogiques des maisons de Brabant et de JLimbourg . .415
Ëphémérides de la vie et du règne de Jean Ier 417
Additions et corrections 455
Table des matières . 457
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
DES
INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE EN GÉNÉRAL,
ET DES
ASSURANCES SUR LA YIE EN PARTICULIER;
PAR
M. Le Major LI AGILE,
MEMBRE 1)E L’ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE.
( Présenté le 1er lévrier 1862. )
Tome XI II.
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DES
INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE EN GÉNÉRAL,
ET DES
ASSURANCES SUR LA VIE EN PARTICULIER.
PREMIÈRE PARTIE.
Les institutions de prévoyance peuvent se classer en deux
grandes catégories.
Les unes, que nous appellerons institutions de prévoyance
sociale , sont fondées sur l’esprit de charité et de philanthropie:
leur but est de prévenir ou de soulager la misère publique, ou du
moins de venir en aide aux classes laborieuses dans les efforts
qu’elles pourraient faire pour améliorer leur sort.
Les autres, que nous désignerons sous le nom d’institutions de
prévoyance individuelle , ont leur source dans le noble sentiment
qui pousse l’homme à compter sur sa propre énergie pour as-
surer, au prix d’un sacrifice actuel, son avenir et celui de sa
famille.
. Les premières sont établies en faveur de la partie indigente de
la population, et l’esprit de patronage y règne, tantôt seul, tantôt
fondu avec l’esprit de solidarité et d association. Dans ce dernier
cas, la quote-part apportée par chacun des participants n'y jouit
pas seulement des avantages d’une gestion prudente et économe;
elle se grossit de subsides accordés par l’État, par la commune,
par des particuliers. Nous rangeons dans cette catégorie la fonda-
tion d’écoles primaires et d’ateliers d’apprentissage; la construc-
tion d’habitations saines destinées aux ouvriers, et un grand
nombre de sociétés de secours mutuels instituées, soit en faveur
des associés en cas de maladie ou d’infirmités, soit en faveur des
veuves et des orphelins en cas de décès du père de famille, soit
pour l’achat en gros de provisions, de vêtements, de meubles,
d’outils, et leur distribution à prix réduit et avec facilité de
payement.
Lorsque l’on compare ces moyens si simples, et cependant si
généraux et si féconds, aux établissements fondés par les corpo-
rations du passé, à ces vastes hospices, à ces hôpitaux richement
dotés au profit d’un petit nombre d’élus, on ne peut s’empêcher
de rendre justice à l’esprit philosophique qui distingue notre
siècle, et de reconnaître que si la charité, par ses remèdes cura-
tifs, produit des miracles dans certaines circonstances particu-
lières, la raison seule, par scs moyens préventifs, est capable de
répandre d'une manière impartiale ses bienfaits sur le plus grand
nombre; d’établir l’économie par l’ordre; de préparer dans le
présent des ressources pour l’avenir, et de fermer enfin pour
toujours les plaies de notre organisation sociale.
Dans le cas assez rare où les sociétés de secours mutuels peu-
vent, sans rien perdre de leur efficacité, se passer de toute sub-
vention de la part de l’État, de la commune ou des patrons, et
gérer elles-mêmes leurs propres affaires, elles offrent un admi-
rable modèle de ce que l’association peut produire de bien, tout
en laissant aux membres leur indépendance et leur dignité. Alors
ces sociétés passent dans la seconde catégorie, celle des insti-
tutions de prévoyance individuelle, et elles se placent sur le
même rang que les caisses d’épargne et de retraite, les caisses de
veuves et orphelins, les assurances sur les personnes et sur les
choses, etc.
Créer un lien de solidarité entre la masse et l’individu, en
répartissant sur celle-là tout entière les charges que celui-ci peut
avoir à supporter accidentellement; amortir, par le ressort de
l’association, les coups qui viennent frapper brusquement le par-
ticulier, soit dans ses biens, soit dans sa vie; contribuer ainsi à la
tranquillité et au bien-être des familles, tel est le résultat matériel
des institutions de -prévoyance. Comme résultat moral, elles in-
culquent des habitudes d’ordre et d’économie; intéressent chaque
citoyen à la conservation de la prospérité publique; effacent les
rivalités entre les diverses classes de la société , et préviennent les
désordres et les crimes auxquels la misère et le découragement
n’entraînent que trop souvent les classes déshéritées.
On peut juger du bien-être et de la moralité d’un pays par le
nombre, la nature et le degré de prospérité de ses institutions
de prévoyance. Là, en effet, où le prolétaire retire à peine de son
travail de quoi vivre au jour le jour, peut-il songer à prélever la
moindre parcelle sur son modique salaire pour parer aux malheu-
reuses éventualités? Non; lorsque le triste tableau de l’avenir se
présente devant ses yeux, il se bâte de détourner la tête avec
découragement; et ne pouvant s’aider lui-même, il espère que le
ciel l’aidera. Or le ciel, c’est ici la charité privée ou l’assistance
publique, remèdes insuffisants qui, au lieu d’extirper le mal, le
prolongent et l’aggravent en le palliant. D’ailleurs, la charité et
l’assistance offrent rarement les garanties désirables d impartialité
et de désintéressement ; elles émoussent l’énergie individuelle de
l’homme, et enlèvent à celui qui y a recours, le noble sentiment
de sa force et de sa liberté.
Quant à la moralité du pays, elle est une conséquence naturelle
de son bien-être matériel, ou du moins, elle est si étroitement
liée à celui-ci qu il est impossible de les séparer. Malesucida
famés : de tout temps la misère a engendré le crime, et les re-
levés statistiques montrent partout, marchant parallèlement, le
paupérisme, la mortalité et la criminalité.
Les institutions de prévoyance sont donc un objet de haute
utilité sociale , et l’on ne saurait trop vivement engager les capita-
listes à les établir, les gouvernements à les protéger, les parti-
culiers à y coopérer. Mais si l’on veut qu’elles gagnent peu à peu
chez nous la confiance publique, et qu’elles s’infiltrent pour ainsi
dire dans nos mœurs , il faut commencer par recommander parti-
culièrement celles qui présentent le moins d’éléments aléatoires.
Dans notre pays, en effet, la prudence en affaires est telle, qu’elle
dégénéré trop souvent en une réserve timorée, et bien des per-
sonnes trouvent plus sage d’économiser le payement des primes ,
que d’assurer leur fortune ou leur vie contre des accidents éven-
tuels. On se défie de l’esprit d’entreprise, on craint de compro-
mettre scs capitaux dans une association, et c’est ainsi que l’on
renonce à rien faire de grand; c’est ainsi que l’on méconnaît le
caractère distinctif de notre époque, où le progrès est si rapide,
et où la puissance du temps est remplacée avec tant d’avantage
par l’énergie des moyens employés.
L’Angleterre, ce pays du bon sens pratique, est le berceau des
institutions de prévoyance, et c’est là encore qu’elles jouissent
aujourd’hui du plus haut degré de développement. Depuis 4706,
époque de leur fondation, le succès de ce genre d’établissements
y a été si rapide et si continu, que l’on y compte maintenant plus
de cent trente sociétés d’assurance, toutes en voie de pleine pros^
périté, et présentant un total de sommes assurées supérieur à six
milliards de francs.
Que manque-t-il à la Belgique pour qu’elle suive l’exemple de
l’Angleterre? Il lui manque la confiance. Or celle-ci ne peut se
puiser que dans la connaissance raisonnée de l’agencement des
combinaisons sur lesquelles sont fondées les institutions de pré-
voyance : il faut exposer avec netteté l’état de la question; éclairer
les masses sur les déceptions qui pourraient frapper non-seule-
ment les particuliers, mais encore les établissements équitables
et désintéressés, dont la conservation importe beaucoup au bien
de la société; indiquer avec précision la nature et l’utilité des
diverses formes de cumulation d’épargne, afin de faire ressortir
celles qui sont le plus favorables à l’intérêt des familles et aux
habitudes dignes d’être encouragées ; prouver enfin , par des
calculs rigoureux, que les avantages promis aux participants
reposent sur une base scientifique, et non sur des espérances
chanceuses*
Parmi les institutions de prévoyance, celle qui mérite d’être
placée au premier rang, sous le rapport de la simplicité des com-
binaisons et de la sûreté des placements, est la caisse d’ épargne.
Ici, pas de spéculation aventureuse : le déposant ne contracte
aucun engagement pour l’avenir; il se réserve la faculté de retirer,
quand il le jugera convenable, le tout ou une partie de son ca-
pital; il peut, à chaque instant, venir placer la somme la plus
modeste, et elle lui rapporte immédiatement un intérêt équi-
table. Pareille à un utile réservoir où les plus minces filets d’eau
viennent se rendre, se conserver et s’accumuler, la caisse d'épar-
gne reçoit dans son sein les plus faibles économies, et empêche
leur déperdition; elle offre une ressource précieuse en cas d’ad-
versité, et développe dans les masses l’esprit de moralité, d’ordre
et de prévoyance.
Certes il serait à désirer que les caisses d’épargne pussent
attirer davantage le public, par l’élévation de leur taux d’intérêt;
mais si l’on considère qu elles doivent constamment tenir le
capital à la disposition du déposant, et que les circonstances peu-
vent devenir telles que les demandes de remboursement affluent
à un instant donné, on reconnaîtra que ces établissements doi-
vent éprouver parfois de grandes difficultés pour le placement
des sommes considérables qu’ils reçoivent. Ces difficultés doivent
être regardées comràe l’obstacle le plus sérieux qui arrête aujour-
d’hui l’essor des caisses d’épargne.
En conservant aux déposants la possession et la libre disposi-
tion de leurs capitaux, ces caisses s’adressent au sentiment le plus
naturel de l’homme, celui de la propriété : c’est là un de leurs
principaux éléments de succès; mais, il faut le reconnaître, leur
but est moins noble, leurs résultats sont moins efficaces que ceux
des associations mutuelles. Répartissent sur la généralité les mal-
heurs qui viennent frapper l’individu, celles-ci reposent sur le
sentiment de la solidarité et de la fraternité humaines. D’ailleurs,
si quelques épargnes réalisées peuvent garantir le travailleur
contre les suites d’un léger abaissement du salaire, d’un chômage
accidentel, d’une maladie momentanée, elles le laissent sans dé-
fense contre une incapacité de travail produite par des infirmités
ou par la vieillesse; elles ne calment pas les préoccupations qu'il
ressent pour l’avenir de sa famille. Les sociétés de secours mu-
tuels, combinées avec les caisses de retraite, et avec leur com-
plément indispensable, les caisses de veuves et d’orphelins, sont
les seuls préservatifs certains qui puissent rassurer le prolétaire
contre les accidents imprévus dont sa position précaire est con-
stamment menacée.
Une condition absolument nécessaire pour que de pareilles
institutions puissent subsister et prospérer, e’est que le nombre
des associés soit considérable. La loi des grands nombres , loi qui
a été trop souvent méconnue en Belgique, est la base de toutes
les associations mutuelles : avec elle, les événements heureux et
malheureux se compensent, et l'institution fonctionne avec une
régularité et une sûreté presque aussi grandes que si elle était
fondée sur une loi mathématique; sans elle, un seul revers suffît
pour faire crouler l’édifice dont la pression n’était pas répartie
sur une base assez large, et pour écraser sous scs ruines ceux qui
étaient venus y chercher lin abri.
Aussi longtemps que les sociétés mutuelles resteront isolées,
et n’embrasseront pas, dans une seule administration centrale,
toutes les industries similaires du pays, elles devront se borner
à des secours temporaires, et éviter de s’engager pour un avenir
lointain. Une association peu nombreuse, tout en imposant de
fortes contributions aux participants, se chargerait d’un bien
dangereux fardeau , si elle assurait des pensions aux ouvriers
invalides, aux veuves et aux orphelins.
A ce point de vue, l’intervention de l’Etat, intervention pure-
ment administrative, serait un grand bienfait. L’Etat seul a le
pouvoir de remédier au fractionnement des caisses , en formant
un faisceau unique de toutes les combinaisons similaires. Sa ges-
tion économique, mise alors à l’abri des revers par le grand
nombre des participants, lui permettrait sans danger d’imprimer
aux institutions de prévoyance un précieux caractère de sûreté,
celui de la garantie du Gouvernement.
Que l’État ait le droit d’imposer à ses fonctionnaires l’obliga-
tion de participer aux caisses de retraite, de veuves et d’orphe-
lins, nul ne peut le contester : c’est un acte de sage autorité
paternelle. Mais pour toutes les autres catégories d’individus, la
participation doit être volontaire : le travailleur est libre de dis-
poser comme il l’entend du salaire de son travail; on ne peut pas
plus lui imposer le devoir de s’assister lui-même, que lui accorder
le droit d’être assisté par les autres. C’est par l’exemple, par la
persuasion, par certains avantages accordés aux participants,
que l’on doit chercher à introduire et à généraliser les habitudes
de prévoyance.
Les assurâmes sur les choses sont une autre application féconde
du principe d’association. Les incendies, les grêles, les épizooties,
les naufrages, etc., sont des malheurs qu’aucune prudence hu-
maine ne peut prévenir: alléger le fardeau de pareils sinistres
individuels, en le faisant supporter par la masse, tel est le but
des assurances sur les choses. En sacrifiant ainsi une légère partie
de sa fortune pour garantir la sécurité du reste, l’assuré ne perd
pas plus que l'industriel qui diminue la vitesse d’une machine
pour en augmenter la puissance. De cette manière, il n’obéit pas
seulement à son intérêt bien entendu; il contribue en même
temps au bien-être général : en effet, d’après la théorie de la
valeur morale, une même somme acquiert plus d’importance
lorsqu’on la perd que lorsqu’on la gagne; si donc l’assurance
n’existe pas, l’aisance publique sera bien plus diminuée par une
seule perte égale à 1000, qu’elle ne sera augmentée par l’épargne
de 1000 primes d’assurances égales chacune à un.
L’établissement de pareilles institutions mérite d’être encouragé
avec d’autant plys de confiance, qu’elles ne peuvent guère donner
lieu à des spéculations frauduleuses. Les compagnies d’assurance
sur les choses ne disposent en effet que des primes annuelles qui
leur sont confiées, et au bout de chaque année, elles se trouvent
libérées des engagements qu’elles ont contractés envers les assurés.
La spéculation ne pourrait donc s’exercer que sur une échelle
très-faible, restreinte à la fois parla valeur relativement modique
des capitaux encaissés, et par la courte échéance de la dette.
Il n’en est pas de même des assurances sur la vie , dont les
combinaisons multipliées exigent des garanties et une surveillance
( 10 )
sérieuses. Ici les compagnies reçoivent, non-seulement, des primes
annuelles, mais souvent encore des versements considérables, et
leurs opérations sont échelonnées sur des espaces de temps qui
peuvent dépasser un clemi-siècle. Si, pour faire produire à leurs
capitaux des intérêts élevés, elles s’engagent dans des spécula-
tions hasardeuses; si, poussées par la concurrence, et mues par
le désir d’attirer les souscripteurs, elles abaissent leurs tarifs au-
dessous des limilcs voulues, elles n’en réalisent pas moins des
bénéfices certains pendant les premières années de leur existence;
mais leurs risques s’accumulant sans cesse, et les rembourse-
ments devenant de plus en plus nombreux, elles finissent néces-
sairement par faillir, et par causer la ruine d’un grand nombre de
malheureux, dont la confiance avait été trompée.
Plusieurs catastrophes de ce genre, arrivées à la fin du siècle
dernier et au commencement de celui-ci, ont jeté sur ces institu-
tions un discrédit dont elles n’ont cependant pas tardé à se re-
lever en Angleterre et en Allemagne; mais en France, cl surtout
en Belgique, les compagnies d’assurance sur la vie, malgré les
garanties de solidité et de moralité qu’offrent plusieurs d’entre
elles, ne sont pas encore reçues aujourd’hui avec toute la faveur
qu’elles méritent.
Pour attirer la confiance publique, certains économistes ont
recommandé les assurances par l’Etat. Dans notre opinion, l’Etat
doit éviter d’intervenir dans cette espèce de transactions : son
rôle doit se borner à les surveiller, pour sauvegarder autant que
possible les intérêts des participants, quels qu’ils soient. Les assu-
rances ne demandent pas seulement une gestion économique,
elles réclament une activité et une initiative toutes particulières :
il leur faut des agents zélés, entreprenants, directement inté-
ressés à la prospérité de l’établissement auquel ils sont attachés.
Le placement fructueux des capitaux, cette condition indispen-
sable du succès, ne s’obtient que par l’intervention d’hommes
spéciaux, ayant des connaissances profondes et variées en fait
d’opérations financières. Nous avons vérifié un grand nombre de
tarifs d’assurance sur la vie, en nous fondant sur l’hypothèse que
les compagnies plaçaient à i1/^ p. °/o les capitaux qui leur étaient
( H )
confiés : dans la majorité des cas, le bénéfice probable était si
faible qu’il devait être absorbé en grande partie par les frais de
gestion. La conviction qui nous est restée, c’est que les sociétés
d’assurance font, en général, produire à leurs capitaux un intérêt
supérieur à 4 */2 P* °/° 5 et que l’État, sous ce rapport, ne pourrait
entrer en concurrence avec elles.
Si un gouvernement se trouvait dans une position financière
telle qu’il dût nécessairement se créer de nouvelles ressources,
nous concevrions qu’il eût recours, non aux assurances sur la vie,
mais aux assurances sur les choses : c’est un des impôts les plus
équitables que l’on puisse établir. Dans ce cas, il devrait se ré-
soudre non- seulement à les rendre obligatoires, mais encore à
s’en réserver le monopole; sinon il ne pourrait lutter contre la
coalition de plusieurs compagnies puissantes et bien organisées.
Le moyen le plus efficace pour propager la pratique des assu-
rances sur la vie, c’est d’en exposer la théorie qui, ne reposant
en définitive que sur les lois de la mortalité humaine combinées
avec l’accumulation des intérêts, a presque toute la rigueur des
théories mathématiques.
Cet exposé, très-utile aux particuliers, ne peut être qu’avanta-
geux aux compagnies qui opèrent avec bonne foi; s'il fait con-
naître aux uns la véritable valeur de la spéculation financière à
laquelle on les convie, il donne aux autres des lumières précieuses
sur la nature et l’étendue des chances qu’elles courent. 11 n’est pas
rare, en effet, qu’une compagnie d’assurance ignore sur quelles
bases ses opérations sont fondées : elle choisit, parmi les tarifs des
sociétés existantes, ceux qui lui semblent les plus convenables,
et les modifie arbitrairement, mais de manière à paraître offrir
au public des conditions plus avantageuses que celles des compa-
gnies concurrentes. C’est ainsi, par exemple, que nous avons vu
des tarifs de rente viagère établis de telle façon, qu’ils faisaient
aux jeunes rentiers des conditions évidemment trop avantageuses,
tandis qu’ils les faisaient onéreuses pour les rentiers d’un âge
avancé. Par ce moyen , la compagnie regagnait sur les derniers ce
qu’elle s’exposait à perdre sur les premiers; mais il ne faut pas une
connaissance bien profonde du coeur humain pour pénétrer le
( 12 }
secret de cette combinaison, si singulière en apparence. L’homme
jeune aime mieux faire fructifier son capital par son activité, en
disposer pour satisfaire ses plaisirs ou son ambition, que de l’im-
mobiliser pour s’assurer une existence modeste; le vieillard, au
contraire, est prévoyant et timide, et songe; à lui-même plus qu’à
sa famille. 11 en résulte que, malgré les avantages offerts aux
jeunes rentiers viagers, le nombre en est toujours trop faible pour
causer à la compagnie un préjudice notable; tandis qu’elle réalise
des bénéfices certains sur les rentiers, beaucoup plus nombreux,
qui viennent contracter avec elle dans un âge avancé.
Quelque ingénieux que puisse paraître ce procédé, il offre ce-
pendant de graves dangers pour scs auteurs, comme toutes les
combinaisons qui ne sont pas fondées sur les principes immuables
de la droiture. De riches banquiers, ou des compagnies concur-
rentes, peuvent choisir un grand nombre d’individus jeunes et
bien constitués, placer en viager sur leurs têtes des capitaux con-
sidérables, et ruiner sûrement, au bout d une trentaine d’années,
la compagnie en question, en lui faisant payer des intérêts hors
de proportion avec ceux qu’elle retire des fonds versés dans sa
caisse. Cette hypothèse n’est pas purement gratuite; elle a été
réalisée lors de l’emprunt public à rentes viagères contracté par
le Gouvernement français en 1780.
Les combinaisons auxquelles donnent lieu les assurances sur la
vie sont extrêmement variées, et il serait impossible de les traiter
toutes; mais elles se rapportent à un petit nombre de types qu’il
suffit de faire connaître. Ces types eux -mêmes se rangent en
trois catégories, dont nous allons nous occuper successivement;
ce sont :
1° Les assurances en cas de décès;
2° Les assurances en cas de vie ou de survie;
5° Les contre-assurances.
SECONDE PARTIE.
FORMULES POUR IÆ CALCUL DES PRIMES DASSURAINCE.
Toute formule relative aux assurances sur la vie repose sur
trois éléments principaux, savoir :
1° Le taux d’intérêt auquel la compagnie est supposée faire
fructifier les capitaux qu’elle reçoit;
2° La loi de la mortalité humaine;
5° L’application raisonnée du calcul des probabilités au genre
particulier de combinaison que l’on considère.
Quelques mots suffisent pour ce qui concerne les deux premiers
points. On ne peut rien donner d’absolu relativement au taux d’in-
térêt : il varie avec les temps et, les circonstances. Le taux moyen
le plus convenable pour les applications numériques nous parait
aujourd’hui celui de 4 !/â p. °/0. S’il est vrai, comme nous l'avons
dit précédemment, qu’une compagnie, administrée avec intelli -
i
genre, peut tirer de scs capitaux un intérêt plus élevé, elle n’aug-
mente en général ses bénéfices qu’en augmentant scs risques, et
il est juste de lui tenir compte de cette circonstance.
La table de mortalité à choisir doit avoir été construite d’après
de nombreux documents authentiques, et avoir reçu la sanction
de l’expérience. Elle doit en outre, pour représenter aussi bien
que possible la mortalité des personnes qui contractent en général
des assurances, se rapporter à une catégorie d individus vivant
dans une certaine aisance. La table de Deparcicux, calculée d'après
verses conditions, et elle est adoptée même par des compagnies
belges et anglaises. Il serait avantageux cependant, non-seulement
de faire usage de tables construites d’après les relevés faits dans
le pays , mais encore d’avoir égard au sexe et a l’état civil des indi-
vidus. En effet, l’ordre de mortalité n’est pas le même pour les
femmes que pour les hommes, et celui des personnes mariées
diffère de celui des célibataires. Nous possédons en Belgique des
tables de mortalité très-détaillées, dressées avec beaucoup de soin
par M. Quctelet.
Le troisième point exige plus de développements : nous allons
exposer les considérations mathématiques sur lesquelles repose la
solution des principaux cas qui peuvent se présenter.
1er. — Assurances eu cas de décès.
I.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle que doit verser
» un individu, pour assurer le payement d’un capital à son décès. »
Soient vH, vn + 1 , vn + 2.... les nombres de vivants portés dans la
table de mortalité vis-à-vis des âges n, n~hi , années.
1
r l’intérêt d’un franc ; = q.
P® la prime unique, et jo® la prime annuelle à verser par une
personne âgée de n années, pour assurer, à sa mort, le payement
d’une somme a.
La compagnie peut avoir à payer cette somme à la fin de la
première, de la deuxième, de la troisième... année à partir de la
signature du contrat, suivant que l’assuré meurt dans le courant
de la première, de la deuxième, de la troisième... année de son
assurance.
Or la dépense a, faite à la fin de la première année, et rap-
portée à l’époque de la recette (commencement de la première
( 15 )
année) , ne coûte à la compagnie que aq ; vu que, avec cette somme
aq , versée dans sa caisse à l’époque initiale, elle pourrait payer
a à la fin de la première année. De plus , la probabilité qu’elle
devra effectuer ce payement est
Vn Vn^. |
Vn
, égale à la probabi-
lité qu’une personne âgée de n années mourra dans le courant
de la première année de son assurance. La valeur mathémati-
que du premier payement à effectuer par la compagnie est donc
( Vn Vn- f-1 )
ü(ï Ç
Un
Pour la même raison, la somme éventuelle a, si elle est payée
par la compagnie à la fin de la seconde année, ne vaut que aq 2
lorsqu’on la rapporte à l’époque initiale. La probabilité qu’elle
devra être payée est d’ailleurs — — - : la valeur mathéma-
Vn
tique du payement, pour décès survenu pendant la deuxième
année d’assurance, est donc ur/2 -~w+i — et ainsi de suite
1 vn
jusqu’à l’épuisement de la table de mortalité, c’est-à-dire jus-
qu’à r99 (*).
Or, les risques de la compagnie et de l’assuré devant être égaux
(abstraction laite des frais de gestion), il suffit, pour mettre le
problème en équation , d’égaler la prime unique à verser par l’as-
suré à la somme des primes éventuelles à payer par la compa-
gnie. On a donc la formule
D a
1 n
aq [ Vn H- Vn + I q -h Vn + vn + 3 <?3
’ (Vu -f- 1
Vn + 2 q -+- Vn + 3 q2
V99 (l
^99 (1
99 — n
98 — Il
... (a).
Remarqua. — Dans le raisonnement que nous venons de faire,
nous avons supposé que les payements dus par la compagnie,
pour les décès survenus dans le cours d’une année, étaient effec-
tués le dernier jour de cette année; mais comme ils se font en
réalité immédiatement après les décès, il faut, pour être plus
exact, regarder ces derniers comme distribués d’une manière uni-
lorme sur toute l’année, et prendre le milieu de celle-ci comme
(*) En effet, les tables de mortalité les plus lentes permettent, sans erreur
appréciable, de supposer rioo= 0.
( le )
révoque moyenne des payements. Dans ce cas, les capitaux res-
teront à la disposition de la compagnie pendant six mois de moins
que nous ne l’avons supposé, et l’on devra remplacer, dans la for-
mule précédente, le facteur aq par aq11-. La véritable formule à
adopter est donc
P„ _ i Vn -h Vu + 1 q 4- On + * (f -f- .... -+- V99 q" “ » j
V» j — («„ + ! -+- On + 2 q + "“))
Comme nous aurons fréquemment occasion de faire usage de
séries de la forme générale
V» -f- Vn + j q -f- Vn + 2 (f -+- V»» -f 3 -+• — ■+* Vt ql~ ”,
nous les représenterons par la notation dans laquelle les in-
dices de la lettre 2 sont ceux de la lettre v dans le premier et le
dernier terme de la série. D’après cette convention, la formule
(a'), qui peut d’abord se mettre sous la forme
P
a
H
aq*1*
Vn
devient
ou bien
vn -h v,i -f i q -f- v,i -}- 2 q~ *+*
Vn -H Vn -f 1 q -+* On _j. 2 q “ ■+*
■+* v99 q^~n
p;: = — { 2? - - (2? -«>.)} •• •(«"),
Vn ( q )
K==~£jt>*\°" ~ ( l ~
Lorsque l'assuré, au lieu de se libérer par une prime unique,
paye chaque année une prime constante, on calculera la valeur
de celle-ci de la manière suivante :
Au commencement de la première année, l’assuré paye la prime
pl avec une probabilité égale à la certitude, qui est l’unité.
Au commencement de la deuxième année, sa prime, rapportée
à l’époque initiale, ne vaut que plq ; et la probabilité qu’il la
Vn -1 1
payera (ou qu'il vivra encore) est — La valeur mathématique
Vn
du deuxième payement est donc plq
Vn 4** 1
Vn
De même, celle du troisième payement est plq
Vn 2
Vn
de suite jusqu’à l’épuisement de la table de mortalité.
et ainsi
( 17 )
La somme des primes annuelles à verser éventuellement devant
présenter la même valeur que la prime unique calculée ei-dessus,
on a l’équation
'- h -J- 1 Oh -J- 2 0
1 H q H q-
Vu
Vn
d’où l’on déduit la formule
— q™ ~ « \
Vn )
pa
r n •>
P" V
* 11 ^ il
Vn
Vil -f 1 q -h Vn 2 q *4-
99
,99
= Prt .. (b)
r n V99 •••• \u )•
Elle est facile à calculer numériquement, puisque son dénomi-
nateur est déjà donné par la formule («).
Comme l’expression 2?® revient fréquemment dans le calcul des
primes d’assurance, soit en cas de décès, soit en cas de vie, et
qu’elle constitue la principale difficulté des applications numéri-
ques, nous avons calculé sa valeur de cinq en cinq ans, en ad-
mettant la mortalité de Deparcicux et l’intérêt de 4 */2 p. °/o. (Voyez
la table à la fin du mémoire.)
Exemple . — Calculer la prime unique et la prime annuelle que
doit verser une personne âgée de quarante-cinq ans, pour assurer
à son décès le payement d’un capital de 10 000 francs.
Appliquant la formule (w") , on tire de la table
log (2«— v«) - 3.91 5 23
1
d’ailleurs log- = 0.019 12
q
5.932 53, nombre correspondant 8557
Mais, d'après la table, 1% — 8811
Ditférence 254
log 234 = 2.404 85
log a.q11'2 — 5.990 44
G. 595 27
Comp1 log = 7.2UG 21
5.601 48; d’où P^00 = fr. 3994,64.
Tome XIII.
( 18 )
La formule (6) donne très-simplement la prime annuelle par le
calcul suivant :
log Pis000 X Vis = 6.395 27
Iog 2g = 3.945 03
log p
100U0
m
= 2.450 24; d’où pg00ü = fr. 282,00
II.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle que doit verser
» un individu âgé de n années, pour assurer le payement d’un
» capital a à son décès, si ce décès a lieu avant qu’il ait atteint
» l’âge de (n -+- k) années. »
Cette assurance temporaire en cas de décès diffère peu, quant
au calcul, de l’assurance pour la vie entière, dont il a été ques-
tion dans l’article précédent.
En effet , les risques que court la compagnie sont de payer la
somme a, à la fin des première, deuxième, troisième,... kme an-
nées à partir de la signature du contrat, suivant que l’assuré
meurt dans le courant des première, deuxième, troisième,...
kme années de son assurance. Ces risques sont donc exprimés par
la série
aq
( r>ti tv+i) , ( vn -j. i vn -j- ü ) _ { o,i- j- 2 e» -j- 3 )
-+- aq* h aq° —
Vn
Va
aqk
(Vn + k—l—Vn + /k)
Vn
Cette quantité devant être équivalente à la prime unique à
payer par l’assuré , on a l’équation
(n+rjpa __ a/{ ( V" ■+* V» + » + q2 H- Vn+ 3 <f + + +* - ' (f ~ * ) ^ .
Vn \ — ("C»4- 1 ■+■ 'I’h+2 q H-Vn+3 q~ -U- C«-j q,l~l) j
ou bien, conformément à la remarque faite dans l’article pré-
cédent ,
(»4-/,)po _ j1’”'4' i’» + l + + - .-+-««+*-! qk ~ * > ", ^
vn \ — (Cn+i ■+* q -+- vu-f-3 q~ H- qk~ 1 ) J
Le second membre de cette expression peut se mettre sous la
forme
^Ll 1 + _ I ( ZJI + *-1 Vn+Ic qk - v„) | .... (e");
on a donc
(H+fc)P» = { v» — vn+k qk — 2”+A~1 ( 1 — q) | .... (c'").
En faisant n -*-/<: = 100, on retrouverait la formule (a"), rela-
tive à l’assurance en cas de décès pour la vie entière.
Remarque. — La formule précédente doit s’employer quand on
veut calculer directement la valeur d’une prime quelconque; mais
lorsque l’on a un tarif complet à construire, il est beaucoup plus
simple de déduire chaque prime de celle qui la précède. On a en
effet
p« = ( °n 1,1 + * <i q* ■»«+*- 1 qk~ 1 + *>«+* qk j
On 1 — l -h Vn -j- 2 q U- •• ..H" Vn + k q1' ~ 1 qk) '
Si l’on retranche (c'), il vient
(»+A + i)pa _ + h- -™L_ j VH + k ~ Vn+k + l \ t (C1V ).
Vn ' »
Toutefois, comme une erreur commise sur le calcul d’une prime
se propage ici sur toutes les suivantes, il sera prudent, comme
vérification, de calculer directement, pour chaque valeur de n,
la prime qui correspond a la valeur de k la plus avancée.
Si, au lieu d’être unique, la prime est annuelle, la valeur ma-
thématique du versement fait par l’assuré au commencement de
la première année sera
(n+k),.a
lJn 1
celle du versement fait au commencement de la deuxième année,
Oi + k)a 0n + 1 .
Pu q ■> •••
Vu
et pour la kme année, on aura
( 20 )
Comme la somme des primes éventuelles à verser chaque année
doit présenter la même valeur que la prime unique, on aura
l’équation
«{
H -f- 1
V„
Vu
g* + 4-
Vn + lc—l
Vn
T
k- 1
d’où l’on déduit la formule
( n+k).Da
1 H
(n-K)pa >,
r » H- r u
,, -y"
J! (h -K) P«
Pour la pratique, il importe d’observer que la série
qui se présente dans les formules des assurances temporaires, se
déduit aisément de la table que nous avons calculée pour les va-
leurs de 299. En effet :
Vn -+- v.1+1 q 4- .... 4- Vn+k qh 4- 1 qk+l- f- :... 4- c99 (f9~“
Vn + k + Vn + k+i q *+■ Vu -\-k-\-ï q2 4- .... 4- V99 (/•>'■> K
Multipliant les deux termes de la seconde équation par q1,
on a
qk 2j®+Jfc — vn+k qh -f- Vn+k+i q,i+l 4- .... 4- Vw q"~n ;
v99
■ —
^n+k —
retranchant de la première,
- qk 2?+* = Vn 4~ VH+1 q 4- Vn+ 2 4- .... 4- Va+k-iqk~l = 2“+*-*.
Exemple. — Calculer la prime unique et la prime annuelle
que doit verser une personne âgée de trente ans , pour assurer à
son décès le payement d’un capital de cent mille francs, si ce
décès a lieu avant qu’elle ait atteint l’àge de trente ans.
On a d’abord , d’après notre table , £92 = 12 254 ; s99 ~ 1 1 i 53,
d’où <75£?9 = 8951 ; par conséquent = o 505.
Appliquant maintenant la formule (c"), on a
— 3 303 ; V33 — 694, d’où
Vga q!i — 536,87
Somme. . . 3 839,87
Vôo = _ 754
Différence . . 3 125,87 ; log — 3.494 97
cl log q — 0.019 12
3 514 09 .... 3266
3303
Différence .... 57
log 37 = 1 .568 20
log aqu 2 = 4.990 44
c' log v30 — 7.154 30
3.692 94 .... 4951 francs est donc la
prime unique; la multipliant (d) par 754 : 5505, on trouve pour
la prime annuelle 1096 francs.
III.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle que doit verser
» une personne âgée de n années, pour assurer, à son dceès, le
» payement d’un capital de
a francs, si ce décès a lieu avant 1 an;
b » v » » 2 ans;
c » » » 3 »
z » » » k »
Les risques de la compagnie sont de payer :
a francs à la fin de la 1 re année, si l’assuré meurt dans le cours de cel te 1 ro année.
b « t> 2e
2e
»
( 22 )
D’après ce qui a été exposé dans les deux articles précédents,
ces risques sont donc exprimés par la série
(Vn Vn-\-i) (Vn- (-1 Vn-Wi) {Vn- j-2 Vn -j- ?>)
aq h 6g2 \- cq° —
Vn
Vn
zq
y. {Vn-j-k — 1 — Vn-\-k)
Vn
Cette quantité devant être équivalente à la prime unique à verser
par l’assuré, on a l’équation
(w +A)px __ SL j ÜV« + 6r» + 1 (J Cr« + 2 (1~ + -*• Mn + k-l qh- { \
Vn I - ( (IVn + i -+- bvn+<i Q H" -+- ZVn+l; qk~X) \
ou bien, conformément à la remarque déjà faite dans les deux
premiers articles ,
(M+*)p, __ ) Mn-h bVn + t q + CVn+i f -+- - SVn+k-iq*-1 \ . ,
Vn ( — (avn+ 1 ~H bv„+v q -+- -+- zvn+/{ g*-1) y"
formule qui se confond avec (c'), lorsque l’on fait b — c — ....
— z — a.
Dans le cas où l’assuré paye une prime annuelle au lieu d’une
prime unique, on déduit la première de la seconde, comme dans
l’article (II), et l’on a
(n + k)nx (»•+-*) pæ //\
l n « v« + /.-i u ;•
Zn
Exemple numérique. — Quelle est la prime à verser par une
personne âgée de quarante ans, pour assurer à sa mort, si elle a
lieu avant l’expiration de la vingtième année d’assurance, un ca-
pital progressif de
105 francs, si le décès de l’assuré a lieu dans le courant de la lre année.
215 » » » 2e »
ool » » » 5e »
et ainsi de suite; ces capitaux progressifs représentant les valeurs
successives de placements annuels de cent francs à 5 p.°/o.
( 23 )
Continuant «à adopter les tables de Deparcieux , et le taux
d’intérêt à 4 Va p. °/o, on trouve, d’après la formule (e'),
P — fr. 282,1b; puis, d’après la formule (/’), p — fr. 25,08.
IV.
« Calculer la valeur de la prime à verser pendant un nombre
» limité d’années, k, pour assurer le payement d’un capital a , au
» décès d’une personne âgée de n années. »
La compagnie devant payer le capital, quelle que soit l’époque
delà mort de l’assuré, le risque qu’elle court est le même que si
l’assuré versait une prime unique : il est donc représenté par la
valeur de P“ de l’article (1).
Quant aux versements éventuels à faire par l’assuré pendant
k années, la somme de leurs valeurs mathématiques est
n 1 < 'Tw-f-l ^«4* 2 9 Vn-{-5
kPan t-+ - — q-\ —
f Vn Vv Vn
q°
Vn+lc-l . . I
— q'~l '
Vn
on a donc la formule
t.Pn =
P" V
L n Vn
vn
Vn-\-\ q Vn-^-l q H- -+- Vn-j-l—i q
le- i
— p«
1 n
(q)-
Exemple. — Calculer la prime à verser annuellement pendant
cinq ans, par une personne âgée de trente ans, pour assurer â
son décès le payement d’un capital de dix mille francs.
Appliquant la formule (a"), on trouve que la prime unique à
verser serait de 2869 francs. La multipliant par le facteur v30:
(voyez l’exemple de l’article (III)), on trouve 5p30,noon = fr. 657,50.
( 24 )
2. — Assurances en cas de vie ou de survie.
y.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle que doit verser
» une personne âgée de n années, pour se constituer, si elle vit
» à l’âge de (n k) années, un capital de a francs. »
La valeur du capital, rapportée à l’époque initiale, est acf ; et
comme il ne sera payé que si l’assuré vit encore à l’âge de (n -+- k)
années, l’espérance mathématique de celui-ci est aqk . On
a donc la formule
= aqhV^i .... (h).
Vu
Si la prime est annuelle, l’assuré la payera certainement au
commencement de la première année, et éventuellement au com-
mencement des deuxième, troisième, .... kmc années. La somme
des valeurs mathématiques de ces payements est
r«4-2
v„
+
Vn+k- 1
Vn
I .
J ’
et comme elle doit être équivalente à la prime unique calculée
ci-dessus, on aura la formule
ïpn =
Pft r»
Vn Vn-}- 1 (j H- Vn- j-2 Q~
-+- Vn + k-l (f
aqk vnjrk
-ij
... (/O-
Exemple. — Calculer la prime unique et la prime annuelle que
doit verser une personne âgée de trente ans, pour s’assurer, si
elle vit à l’âge de trente-cinq ans, le payement d’un capital de
1 0 000 francs.
On a ici a = î 0 000 ; vn == 754 ; vn+k = 094; = 5505 ; d’où
l’on déduit P — 7587 francs, et p — 1680 francs.
( 25 )
VI.
« Calculer la prime que doit verser une personne âgée de n
» années, pour s’assurer une rente viagère immédiate, r. »
- Vn | j
La probabilité que l’assuré vivra un an est • , et la rente
éventuelle que la compagnie lui doit, à la lin de la première
année d’assurance, a pour valeur rq ----- . (Nous rapportons,
r»
comme précédemment, la valeur de la rente à l’époque initiale
du versement de la prime.)
Pour la même raison, la rente éventuelle à payer à la fin de
la deuxième année a pour expression rq 2 ----- ; et ainsi de suite
r„
jusqu’au terme le plus avancé de la table de mortalité. Nous avons
donc pour formule
p,
nr — — i vn -j, i -4- rH-j-2 7 -I- Vn- j-3 7 v • • • • e99 7 3 n
Vn (
. r(/ v!»!> //A.
+ i •••• V'j ?
Vn
ou bien, pour introduire la série déjà calculée dans l’article (I),
p;; = — (2?-^) .... (//).
Vn
Première remarque. — Si l’on suppose qu’aucun rentier ne
meure pendant un nombre d’années, t, il faudra faire vB+1
— v1)+2 .... = vn+t = vn, et la formule (/»•) deviendra
pr
n
Pr
n
d’où
rq j 1 -v 7 +72 + -9t_1
1-71 |
7
p»'
1-7
7(1-70
Ce sont les formules connues, relatives aux annuités.
Deuxième remarque. — D’ordinaire, les tarifs des compagnies
( 26 )
n’indiquent pas la valeur de la prime unique a verser pour ob-
tenir une rente r, mais la valeur de la rente r' qui correspond à
une prime unique de cent francs. La transformation à effectuer
pour disposer les tarifs de cette manière, lorsque l’on connaît
P£, est très-simple. En effet, pour un âge donné, les rentes à rece-
voir sont proportionnelles aux primes versées, et l’on a
d’où
r : r' = PI : 100
100 r
Exemple. — Quelle est la prime à verser par une personne
âgée de quarante-cinq ans, pour s’assurer une rente viagère im-
médiate de mille francs?
Recourant à la table placée à la fin de ce mémoire, et appli-
quant la formule ( k '), on trouve :
10g (2ÏÏ - t>«) = 3 913 23
compP log Vin — 7.206 21
log 1000 — 3.000 00
log = 4 119 44
Pl(m = 13 165,60 francs.
Pour obtenir la valeur de la rente correspondant à un place-
ment de cent francs, ou le taux d’intérêt viager, on posera
ou
, 100 x 1000
* ~~ 13 163,60 ’
log r' — 3 — log P|jJ°° = 0,880 36
r' = fr. 7,60.
On voit quelles facilités présente, pour le calcul des assurances
sur une tête, notre table des valeurs de 2”. Les opérations qu’elle
laisse à faire, dans chaque cas particulier, sont tellement simples,
que l’on peut dire que cette table, combinée avec nos formules
( 27 )
disposées à cet effet, remplace à elle seule tous les tarifs qu’il y
aurait à dresser pour résoudre numériquement les différents cas
que nous avons traités dans ce mémoire.
« Cas où les arrérages sont payés aux héritiers. »
Le raisonnement que nous avons fait pour obtenir la formule
(k) suppose que les décès des rentiers ont lieu à la fin de chaque
année, ou, ce qui revient au même, que les arrérages sont aban-
donnés à la compagnie assurante; mais si Ton paye aux héritiers
une partie de la rente proportionnelle à la fraction d’année pen-
dant laquelle le rentier a vécu , il faudra regarder les décès comme
distribués d’une manière uniforme sur toute l’année, et substi-
tuer a vn+i la moyenne — v„ H; a vn+i la moyenne
1,1+1 ^ a- = Vw+2...., et ainsi de suite. La formule est donc , pour
ce cas,
P'' =
1 n
rcj .
— - V»+1 -+- X n -j-2 fj -+- \ ,,. + 5 (f H-
Vn ‘
Y
99
9
98 — n
« Cas où la rente viagère est payable par semestre. »
L’assuré qui touche une rente viagère par semestre a un double
avantage sur celui qui la touche annuellement; car outre l’intérêt
du premier semestre pendant six mois, il a la chance de recevoir
un payement semestriel de plus.
Pour calculer la prime unique qui correspond à ce cas, re-
Vn -f- Vn _j_ ( Vn { •+■ Vn- 1~-2 ,
marquons que , ...., etc., représentent sen-
siblement le nombre de personnes vivant aux âges respectifs de
(n •+• f) ans, (n -f- 1) ans..., etc. Par conséquent, la valeur du pre-
mier payement semestriel est
celle du deuxième sera
celle du troisième sera
et ainsi de suite.
> Vn "+~ Vn- fl
— (r1- ;
0) 1 G)V
f n
v Vn-\-\
â 9
3 Vn
r Vn + i Vn + 2
- r/-'« —L L_
- Jvn
( 28 )
La prime à verser par l’assuré est donc ici
p?*> = — I + ”■'+>* + o,c. !
c)>, fa1 9 J 9 7 (
2rw
rr/ (
'7 1 J
~ i i ~t- rH-j_2 7 *+* v«+5 q~ -h vn 4 fyJ h- ... rtc. | .
~‘Vn ' J
La seconde ligne du second membre est (k) égale à •/- Pii; et la
première peut se partager en deux autres séries, savoir :
rq 1/2 i,
4v» ^
. _ri_ .(
4ry1/2 Vn \
Vn 4- v,,-ft ry 4- r„+2 q 2 4- r»+s cy3 4- .... etc. J
v»+t 4- v«+- 2 q + +3 fy- -1- r„4-4 ry3 + .... etc.
dont la somme vaut
qiis , p;;
(r 4. p>\ H •
4 ' v) 4ry1/2
La somme à verser a donc pour expression
1
- p»-
9 «
a/2
— - (r 4- P£) 4- - ,
4 4 q'1-
ou bien
2ry1/2 4- 1 4- f/
4ryl/2
1/2
Mais les valeurs de q et de q */ 2 étant très-voisines de l’unité,
le facteur entre accolades est sensiblement égal à 1 , et l’on peut
poser
rq* h ■
p»’(«) — P'- i i
4
Par conséquent, le dernier terme, que l’on peut, sans erreur ap-
r
préciable, remplacer par — , est la correction à faire pour passer
de la rente annuelle à la rente semestrielle (*). Si donc, à la prime
(*) Quand le taux de l’intérêt est de 4 */2 p. °/o, le facteur entre accolades
est égal à 1,000128, et la quantité- — vaut 0,24455.
4
( 29 )
calculée dans le cas de pavements annuels, on ajoute le quart de
la rente d’une année, la somme sera, à très-peu de chose près,
la valeur delà prime pour le cas où la rente se paye par semestre.
VII.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle que doit
» verser une personne âgée de n années pour recevoir, lors-
» qu’elle atteindra l’âge de (n + k) années, une rente viagère de
» r francs. »
La valeur de la première rente est, comme dans le cas de l’ar-
ticle (V),
Vu 4 -le
rqk —
vn
celle de la deuxième rente sera
i i j 1 n + k + 1
>V+l ;
Vn
et ainsi de suite jusqu’au dernier nombre delà table de mortalité.
On a donc, pour la formule des rentes viagères différées,
rqh (
— { Vn ' i -4- Vn4-k 4-1
/•p'- — < c ,
u 1 — i - » 4
Vn \
4- * 4 - * q ■+■ ^m+a-4-2 q H- Cyy q
y 'J-k—n )
. rï V99 m
••• vO
Vn
formule qui coïncide avec (k) , lorsque l’on fait k— 1.
Si la prime est annuelle, l’assuré payera, comme à 1 article (VI),
k
n
p
r
V» 4- { Vn y
-+ q + -y- q-
Vn Vn
Vn+k — l
l ,
et comme la somme de ces payements éventuels doit être équiva-
lente à la prime unique, on aura
4
u
P"
/'IV
Pr V»
Vn + Vn -j- 1 q -P Vn -j- 2 T
• -+- V n 4~ 4 — i q
4-1
( 30 )
Exemple. — Calculer la prime unique et la prime annuelle que
doit verser une personne âgée de trente ans, pour s’assurer,
lorsqu’elle atteindra l’âge de trente-cinq ans, une rente viagère
de mille francs.
Notre table donne 2g = 11 155 : appliquant la formule (/) ,
on a
Jog (f — 9.904 40
log = 4.047 47
cL log r30 = 7.154 50
1.086 17 . .. 12,195 francs,
comp* 0.915 85 .... 8,20
Pour une rente de mille francs, la prime unique à verser est donc
de 12195 francs, et la rente viagère, pour un placement de
100 francs, est de fr. 8,20.
Calculant la prime annuelle , on a
log P = 4.086 17
log r50 = 2.865 70
c' log 2g = 6.481 09
5.452 96 .... p = 2 710 lianes,
et la rente viagère, pour un placement annuel de 100 francs est
fr. 56,90.
VIII.
\
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle à verser pour
» assurer un capital de a francs au survivant désigné de deux
» individus. »
Dans ces assurances de survie, nous désignerons l’assuré par A,
le bénéficiaire par B, et nous supposerons le premier âgé de n
années, le second de m années, à l’instant où l’assurance est con-
tractée.
Comme notations, nous désignerons par ,Pf, tP£, les primes
uniques a verser pour assurer à un survivant désigné (1), le paye-
ment d’un capital a ou d’une rente viagère r à la mort de (2).
( 51 )
2P“, SP£, représenteront les primes uniques à verser pour assu-
rer le capital ou la rente au premier survivant quelconque des
deux associés.
„p;;t sera la prime unique à verser pour assurer au couple as-
socié une rente viagère, aussi longtemps que A et B coexisteront.
Les primes annuelles seront désignées par les mêmes notations,
dans lesquelles P sera Changé en p.
Cela posé, la compagnie peut avoir à payer le capital a, à la fin
des première, deuxième, troisième.... années à partir de l’assu-
rance, mais elle ne sera tenue à faire cette dépense que sous la
double condition que A soit mort et que B lui survive, ou lui ait
du moins survécu pendant quelque temps.
Or vH individus étant, au bout d’une année, réduits à î?w+1 par
des extinctions que l’on peut supposer uniformément réparties,
la probabilité que A meure dans le cours de la première année
. . Vn L'n -j_ i
d assurance est
Vn
Dans la même hypothèse d’une égale répartition des décès, B
sera regardé comme ayant survécu à A, s’il vit jusqu’au milieu
au moins de la première année; et la probabilité de cette cir-
Vm "+~ 'Cm+l Vm-J- i
constance est —
2rWi , , vm
La probabilité de l’événement composé résultant de la mort de
A et de la survivance de B, est le produit des deux probabi-
a f Vn —
lités simples qui viennent d’être formées, ou
Vn + \
' ws+1
la
rn vm
somme éventuelle que la compagnie aura à payer au bénéficiaire,
(,Vn Vn _j_ i ) A m-\- 1
Vn V„
dans le courant de la première année, est donc a
et si tous les payements sont regardés comme effectués à l’époque
moyenne, la valeur de cette somme, rapportée à l’époque ini-
tiale, sera
{Vu Vn -J— 1 ) V m -J- 1
aq
l/2
Vn Vu
La probabilité que A meure dans le courant de la deuxième
M+-; celle que B vive encore au milieu de celle
annee est
année est
Vn
Vm -J- 1 H- V m -j- 2
V/)(. -f- 5
; la valeur de la somme éventuelle
( 5“2 )
à payer par Ja compagnie, pour la deuxième année de l’associa-
tion , est donc
-/j ('Cji- j-i Vu -]- ü) Y »«-(--
«<Z
V n L' ti
On peut continuer ce raisonnement jusqu’à l’extinction de la
table de mortalité pour le plus âgé des coassurés; la formule cher-
chée est donc :
p« (MlV~ I Vn V vi-]- iH~ rji-j-i \ Wi-f2 Vwi-f-3 (J* -+- CtC. J
( — (iV-h ^ m-{- 1 -+- vnq.% \ 2 q H- Vn-qz V»h-5 q2 ■+* etc.))
ou bien, en représentant par Y et Z les valeurs numériques de
chacune des deux séries,
pu
IM
aq
1/2
r» Va
(Y -Z) ....(O.
Pour calculer la valeur de la prime annuelle, 011 raisonnera de
la manière suivante :
Au commencement de la première année, le couple assuré verse
la prime, t ffî, avec une probabilité égale à la certitude, qui est
limité.
Au commencement de Ja deuxième année, son versement 11e
vaudra que X (J, multiplié parla probabilité qu’il sera réelle-
ment effectué, ou que A et B seront tous deux vivants ; son expres-
sion sera donc
Vn+l V,n- f-1
1P2 ( / ; — ;
l ni
Pour le commencement de la troisième année, 011 aurait
Vn- 1-2 Vm-i-2
1 Pi (1~
Vn Vin
et ainsi de suite, jusqu’à ce que Ton arrive à un terme égal à zéro,
caractérisant l’épuisement de la table de mortalité.
La somme des primes annuelles à verser éventuellement devant
( 53 )
être équivalente à la prime unique calculée ci-dessus, on a :
Vn 4- i iWi
Vn Vm
H
t’»+2 Vm+î
Vn Vm
(f
etc. | — tP£ ,
d’où l’on déduit la formule
i Pi
1P2 Vn VK
Vn Vm 4- Vm + 1 </ 4- i’w+2 «W* T
etc.
(«»").
Or, le dénominateur du second membre ne diffère de la série Y,
qu’en ce qu’un facteur quelconque vm + k, du dénominateur, est
remplacé dans la série par le facteur un peu plus petit Vm+/.+1
_ lw>+:*z!lJ,ü±i±i . En substituant Y à ce dénominateur, ou com-
2
mettra sur la valeur de la prime annuelle une légère erreur en
trop, qui ne s’élève généralement pas à un centime, et qui a pour
effet de sauvegarder les intérêts de la compagnie, puisqu’elle con-
duit à une prime un peu trop forte. Effectuant cette substitution,
on aura
= iPfoj*.. = n,?'4Y-z> (,»"■).
Pour un assuré de soixante ans, on trouve ainsi que la prime
unique à verser, pour garantir un capital de cent francs à un
bénéficiaire de trente ans, est de fr. 49,60; la prime annuelle est
de fr. b, 23.
Si c’est l’assuré qui a trente ans et le bénéficiaire soixante,
les mêmes primes ne seront respectivement que de fr. 10,49 et
fr. 1,13.
IX.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle à verser, pour
» assurer une rente viagère de r francs au survivant désigné de
» deux individus. »
La probabilité que la compagnie payera une rente à la fin d une
Tome XIII. 3
( 54 )
année quelconque, est égale à la probabilité que A sera mort et
B vivant à cette époque. Pour la fin de la kvie année à partir de
celle de l’assurance, cette probabilité a pour expression
Vm+k (Vn — Vu+I: )
Vm Vn
par conséquent, les valeurs éventuelles de la rente à servir, rap-
portées à l’époque initiale, sont:
r
A la fin de la lre annee, vm+i {vn — vn+i) q
Vn Vin
. r
» 1-1 Vf)i~h2 ( Vn — Vn+Ci ) Ç2.....
Vn Vin
et ainsi de suite jusqu’au terme de la vie de B.
La prime unique à verser par le couple assuré devant être égale
à la somme des valeurs des rentes éventuelles à payer par la com-
pagnie, on a l’équation
iP*
ou bien
pr
4 *2
La première ligne du second membre représente (k) la prime
unique P’t à verser, pour assurer la rente viagère au bénéficiaire
âgé de m années.
La seconde ligne représente évidemment la prime unique J)rm
qu’il faudrait verser pour assurer au couple associé la rente via-
gère, tant que A et B coexisteront. L’expression précédente peut
donc se mettre sous la forme
iK = Ki - nKn (>0-
Vn v,
rq t
A Vm-hl ( Vfi Vn-i~ 1 ) H- Vtn+ 2 ( Vn ^w-f-2) Q
-4- Vm+ 5 {vH — vn+ z) q 2 -4- ... etc. | ,
rq
Vu
rq
Vn Vu
| Vm+ 1 -H Vin -+- 2 q Vm + 3 Q~ H- ClC. j
| Vm- l-l Vn+ 1 H- Vin -j- 2 Vn± 2 q -4- ..... 6tC.
.... (»).
( 55 )
La traduisant en langage vulgaire, on trouve que « la prime
» unique à verser pour assurer à B une rente viagère dans le cas
» où il vivrait sans A, plus celle à verser pour lui assurer la
» même rente dans le cas où il vivrait avec A, est une quantité
» indépendante de la vie de A , et égale à la prime à verser dans
» le cas où B voudrait assurer la rente immédiate sur sa tête
» unique. » — Ce théorème est évident par lui-même.
Remarque. — Nous avons supposé que la compagnie ne payait
la rente qu’à la fin des lre, 2me, 5me.... années; mais si elle paye
aux héritiers de B une partie de la rente proportionnelle à la
fraction d’année pendant laquelle il a vécu, il faudra, comme nous
l’avons fait à l’article (VI), remplacer les vm+k par des et il
viendra alors :
rq i
«Pn — — ) Vm+4 ■+* q 4~ Vmh_3 q2 H- etc.
vm '
| V«n- l V» -H V «H- 2 Cm -t-2 Vw-j_ 3 + 3 </2 H- • • •• e tC.
Cn Vm '
ou enfin
\V p>’
lr2 —
rq
Vu vt,
Z (■ n' ")
Pour calculer la valeur de la prime annuelle, il n’y a évidem-
ment rien à changer au raisonnement que nous avons fait à ce
sujet dans l’article précédent, et l’on aura
1P2 =
1P2 V)i Vi,
Vn V,n -t- !>„+■! vm+i q -+- vn+2 vm+t q'2 .... etc.
.... (a1'),
ou bien, comme nous l’avons fait voir dans ce même article,
1 1*2 Vn Vm
(^V).
Pour un assuré de soixante ans, on trouve ainsi que la prime
unique à verser, pour garantir une rente viagère de cent francs à
( 56 )
un bénéficiaire de trente ans , est de fr. 71 3,40; la prime annuelle
est de fr. 75,06.
mêmes primes ne sont respectivement que de fr. 70,60 et fr. 8,56.
X.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle à verser, pour
» assurer un capital de a francs au premier survivant quelconque
» de deux individus. »
Lorsque la compagnie doit payer un capital a au premier des
deux survivants, quel qu’il soit , elle s’engage non-seulement pour
le cas où A meure et que B lui survive, mais encore pour le cas
où B meure et que A lui survive. La probabilité correspondant à
cette double hypothèse est la somme des probabilités correspon-
dant à chacune d’elles, et, d’après ce qui a été dit à l’article (VIII),
la compagnie aura à payer éventuellement:
et ainsi de suite. On a donc :
' "Vwi-H -H Vn-hl V «h- 2 (J -4- 2 \ wH-3 Çf2 H- • ..
-}-l -4- t V»i-J-2 q *+• V«t4-3 fj f2 -4- . . )
-H Vm V»-f- i t'm 4- 1 Vn + 2 Q ■+* i’wt-f- 2 ^ n-f- 3 Q2 *•••
~~{Vm-t-l -H Vm-h 2 V n~h 2 (J “H ^ n-\- 3 Q2 -h .. .)
ou bien, en nous reportant à la formule ( m ) ,
C’est-à-dire que « la prime unique à verser pour assurer un
» capital en cas de décès de l’une quelconque de deux tètes, est
( 57 )
» égale à la somme des primes uniques à verser pour assurer
» séparément le meme capital, en cas de décès de chacune des
» deux tètes désignées. »
Ici encore, les primes annuelles seront versées aussi longtemps
que A et B coexisteront: leur somme sera donc, comme à l’ar-
ticle (VIII),
«I
n i i 'T» 4-1 Vm-\- 1 ^«-4-2 'Cn»4-2 .
2P2 l j — q H- q * .... etc. ( ;
Vn Vm Vn Via S
et comme elle doit être équivalente à la valeur de la prime unique
qui vient d’ètre calculée, on aura l’équation
a 2^2 Vm
2 V± —
Vn Vm "4“ Vn-i- 1 Via -H 1 q "4" ^«4-2 Vm 4- 2 q •••• e(C.
ou bien, comme on l’a fait voir au meme article,
(P"),
2P2 = 2P* (p'")‘
Si l’on remplace, dans l’équation ( p "), 2Pg par sa valeur dé-
duite de (p')} on a
2P2
Vn Vm
Vn Vm vn+i vm+i q -4- vn+î v,n+<i q 8 -4- .... etc.
2^1 Vn Vm
v» Vm -t- i’w + i rwi+i q -t- v«+2 »«+2 </2 -4- .... etc.
ou bien, en invoquant la relation (ni"),
2P2 = 1P2 -4“ 2P? fP1')'
C’est-à-dire que « la prime annuelle à verser pour assurer un
» capital en cas de décès de l’une quelconque de deux têtes, est
» égale à la somme des primes annuelles à verser pour assurer
» séparément le même capital, en cas de décès de chacune des
» deux têtes désignées.
»
( 58 )
Comparant les équations ( m") et (p”), on en déduit la relation
• Y fl T)a *
ilJ2 • 2 IH 1* 2 • 2r2 \P ) >
qui permettrait au besoin de calculer l’une quelconque des quatre
espèces de primes en fonction des trois autres.
Pour assurer un capital de cent francs au premier survivant de
deux associés âgés respectivement de trente et de soixante ans , la
prime unique (voyez, article VIII) est de fr. 60,15, et la prime
annuelle de fr. 6,55.
XI.
« Calculer la prime unique ou la prime annuelle à verser, pour
» assurer une rente viagère de r francs au premier survivant
» quelconque de deux individus. »
La rente doit être servie par la compagnie dans deux cas : 1° si
A est mort et B vivant (B survivant désigné); 2° si B est mort et
Avivant (A survivant désigné). D’ailleurs, la probabilité corres-
pondant à cette double supposition est égale à la somme des pro-
babilités correspondant à chacune d’elles en particulier : donc « la
» la prime unique à verser pour assurer une rente viagère au
» premier survivant, quel qu’il soit, est égale à la somme des
» deux primes uniques calculées dans l’hypothèse où l’un des deux
» survivants serait successivement désigné . »
Ce théorème, qui aurait pu se déduire d’une analyse semblable
à celle de l’article (IX), mène à la formule
aP5 = *P5-*-,PÏ (q),
ou bien, d’après la relation (nf),
= (qf)-
Pour le cas des primes annuelles, il est inutile de répéter les
raisonnements déjà faits, et l’on aura, comme à la lin de l’ar-
ticle précédent,
< 59 )
Pour assurer une rente viagère de cent francs au premier sur-
vivant de deux associés, âgés respectivement de trente et de
soixante ans, la prime unique (voyez , article IX) est de fr. 793,00,
et la prime annuelle de fr. 83,61.
XII.
« Calculer la prime unique à verser pour assurer à un couple
» une rente viagère, réversible en totalité sur la tète du survivant. »
La rente viagère sera servie aussi longtemps que l’un au moins
des deux associés vivra; c’est-à-dire d’abord tant que tous deux
coexisteront, et ensuite tant que Vun quelconque des deux vivra
seul. La prime à verser, est donc égale à la somme des primes
qui correspondent à ces deux cas , et l’on a l’équation
mn n. m
Remplaçant WP/W et 2P2 par leurs valeurs ( n ') et ( q ), on a
ou bien
formule qui résout la question proposée, au moyen d’éléments
déjà connus par les calculs précédents.
On en déduit
relation entre les rentes viagères immédiates sur une seule tête,
et les rentes viagères différées sur deux têtes. Elle peut se traduire
ainsi : « La rente viagère immédiate à payer au plus âgé, plus la
» rente viagère différée à payer au plus jeune à la mort du plus
( « )
» âgé, est équivalente à la rente viagère immédiate à payer au
» plus jeune, plus la rente viagère différée à payer au plus âgé
» à la mort du plus jeune. »
Première remarque. — Si l’on avait quelque doute sur la légi-
timité du procédé qui a conduit à la formule (r), on pourrait
analyser le problème de la manière suivante.
A la fin de la kme année d’assurance, la rente sera servie dans
la triple hypothèse où
A et B vivront simultanément; prohabilité
Vn 4- h Vm -i-A
Vn Vm
A vivra et B sera mort ;
Vn -+■ h ( Vm Vrn~h!i )
Vn Vm
I] vivra et A sera mort;
Vm+k ( Vn Vn-hk)
Vn Vm
La valeur de cette rente éventuelle, rapportée à l’époque initiale,
est donc
i i
\ Vn 4- 1. Cm *+* Cwt-f-A Vn - — Vn-\-k 'Cm 4- A £ ,
Vn Vm ' î
et l’on aura l’équation
r i
“ \ ( C»( -j-i Vm " I i in 4- 1 f n Cw-f-t Vm-i-l ) CJ -1— ( Vn _{_2 Vm Vm 4- 2 V n
Vn Vm '
Vn-h'i Vm+ 2) Q~ •••• |
rq
| Vn-hl •+" Vn-hZ q *+■ Vn-hZ q~
... etc. (
\
Vn
r(i
| Vm + \ -+- Vm-i-2 q *+* Vm-h?i Ç2 ...
... etc. |
Vm
rq
| Vn+l Vm -+-i Vn-i-2 Cm 4- 2 q •+• Vn-f~Z Vm-\-Z Ç2 ~h
Vn Vm
ou bien, en remplaçant chacune des lignes du second membre par
sa valeur connue (n) ,
P'- — - p»' + pr _ p*- ir'm
Invoquant la relation (q'), on retombe sur la formule (r).
( 41 )
Deuxième remarque. — Si les deux associés sont du même
âge, et si chacun d’eux est supposé payer la moitié de la prime
d’assurance, la combinaison que nous venons de traiter représen-
tera l’élément de la tontine dont il sera question à l’article (XIII).
Troisième remarque. — Comme généralisation, on pourrait de-
mander quelle est la prime à payer pour assurer une rente via-
gère r sur deux tètes réunies, A et B, avec réversion d'une partie,
a y de la rente sur la tête de A, s’il survit à B, et d’une partie, b ,
de la rente sur la tête de B, s’il survit à A.
Dans ce cas, au bout d’une année quelconque, la compagnie
aura à payer dans trois hypothèses, savoir :
La rente r, si A et B coexistent;
» o, si A existe et que B soit mort;
» b y si B existe et que A soit mort.
Le calcul de la prime d’assurance se réduit donc à chercher
quelle est la prime à payer,
1° Pour assurer une rente viagère immédiate sur deux têtes
réunies,
n
p
r
m
jrç_ j
Vn Vm I
Vm ■+■ l Vn + 1 “f" Vm+i Vn + 2 (J *4" 'Cwi-j-5 Vn 4-3 q2 4- «... CtC. / .... (il).
2° Pour assurer une rente viagère a au survivant désigné A,
= — — j Vn + i -+* Vn+<2 (J 4- Vn-h 3 T 4“ • ••• ®tC. |
Vn \ '
{ Vn + i Vm+i 4- Vn+ 2 Vm+2 4- .... etC. [ ....
Vn Vm ( )
3° Pour assurer une rente viagère b au survivant désigné B,
vm
hq
Vm Vn
vm+i 4- vm+ç> q -+- vm+ 3 q2 4- ... etc. j
vm + i Vn + 1 4- Vm+i Vn+ 2 q 4- .... ClC. ( .... (fl).
( « )
La somme de ces trois primes partielles sera donc la prime
totale , et Ton aura
pr " = h- ,pî .pi .. - w ,
formule immédiatement applicable, puisque le second membre ne
renferme que des quantités déjà calculées. Si Ton remplace ces
quantités par leurs expressions algébriques, et que l’on opère les
réductions, on trouve
Pr’a’h = pr-a-b p« pb
Ainsi « la rente cherchée est équivalente à une rente viagère
» immédiate de a francs sur la tète de A, plus une rente viagère
» immédiate de b francs sur la tête de B, plus une rente viagère
» de (r — a — b) francs, payable tant que A et B coexisteront. »
Si l’on fait à la fois a = r, b = r, et si l’on observe que nV~r —
— J*rm , on retombe sur le cas où la rente est réversible en tota-
lité, et l’on retrouve la formule (r"'), P£m — P£ h- P^ — nVm.
Si la rente est réversible par moitié seulement, le terme nVr~a~b
disparaît de la formule ( s' ) , et il reste
C’est-à-dire que « la prime à verser pour assurer à un couple
» une rente viagère réversible par moitié sur la tête du survi-
» vant, est égale à la somme des primes nécessaires pour assurer
» à chacun des deux associés une rente viagère immédiate de
» moitié. » Ce cas particulier est évident par lui-même : en effet,
lorsque la compagnie s’engage à payer une rente viagère j/2 r à
chacun des deux associés séparément , elle paye d’abord la rente
entière, r, Aaussi longtemps que le couple coexiste, et ensuite la
moitié jusqu’à la mort du premier survivant.
Exemple numérique. — Un mari âgé de quarante-cinq ans et
une femme âgée de trente-cinq veulent s’assurer une rente via-
gère de deux mille francs tant qu’ils vivront ensemble. Si le mari
vient à mourir, la femme jouira d’une rente viagère de mille cinq
( 45 )
cents francs, et si c’est la femme qui meurt la première, le mari
jouira d’une rente viagère de mille francs. Quelle est la prime
d’assurance?
Appliquant la formule (s), prenant la loi de mortalité d’après
la table de Deparcieux, et le taux d’intérêt à 4 */2 p. °/0, on
trouve :
1° Que la prime nécessaire pour assurer au couple une rente via-
gère de deux mille francs, pendant la durée de la coexistence,
est de fr. 22770
2° Que la prime nécessaire pour assurer une rente viagère de
mille cinq cents francs au survivant âgé de trente-cinq ans, est de . 5532
5° Que la prime nécessaire pour assurer une rente viagère de
mille francs au survivant âgé de quarante-cinq ans , est de . . . 1781
La prime totale est donc de . . fr. 30083
Si, au lieu de la formule (s), on voulait appliquer la formule
(s'), on trouverait, d’après les mêmes données :
1° Prix d’une rente viagère immédiate de mille cinq cents francs
sur une tête de trente-cinq ans fr. 22605
2° Prix d’une rente viagère immédiate de mille francs sur une
tête de quarante-cinq ans 13170
Somme. . . . fr. 35775
3° Prix d’une rente viagère de — 500 francs (2000-1500-1000)
au couple associé 5692
Prime totale à payer. . . . fr. 30083
XIII.
« Calculer la rente à fournir à une classe de tontiniers du
même âge. »
Lorsqu’un gouvernement contracte un emprunt à rentes via-
gères par tontines , il partage les souscripteurs en classes com-
posées de tontiniers à peu près du même âge, et paye chaque
année la rente totale jusqu’à la mort du dernier vivant de chaque
classe. De cette manière, le revenu du rentier augmente tous les
( 44 )
ans, puisque la même somme est toujours partagée entre un
nombre d’individus de plus en plus faible. Aussi , les tontines
ont-elles joui d'une grande vogue dès leur apparition : flattant la
cupidité par la perspective d’une rente éventuelle qui peut finir
par s’élever à deux ou trois cents fois la mise elles offrent tout
l’appât des loteries ; mais elles sont loin de posséder le caractère
de sage et morale prévoyance qui distingue en général les assu-
rances de survie entre deux ou trois personnes au plus. D’ailleurs
la chance d’arriver, dans une tontine, à obtenir un jour une rente
très-élevée, est compensée par la faiblesse de l’intérêt que re-
çoivent les participants pendant les premières années de l’insti-
tution.
Pour calculer cet intérêt, soit X le capital fourni par une classe
de lontiniers; R la rente qu’ils doivent se partager chaque année:
on aura, d’après la théorie des annuités (article VI),
Or, quand le nombre des tontiniers est considérable, la prudence
exige que l’emprunteur s’attende à payer la rente jusqu’à l’épui-
sement complet de la table de mortalité : on fera donc n égal à la
différence entre l’âge des tontiniers et cent ans.
D’après cela, supposons une classe âgée de vingt-cinq ans; fai-
sons X = 100 francs, et prenons le taux d’intérêt à 4 */2 p. % :
nous en déduisons pour R, ou pour le taux d’intérêt viager de la
première année, fr. 4,67. Si, au lieu de placer son capital dans
une tontine, le souscripteur l’avait simplement placé en viager, il
toucherait immédiatement un intérêt de fr. 6,18, d’après la
formule (k). Ce n’est qu’à lage de cinquante et un ans que le
tontinier arrivera à toucher un intérêt égal. 11 y a un à parier
* Une classe de tontiniers s’éteignit en France, en 1726, par le décès de la
femme d’un barbier, âgée de quatre-vingt-seize ans, qui s’était intéressée,
moyennant trois cents livres , dans les deux tontines ouvertes en 1689 et
1696. Cette femme jouissait à sa mort de 75500 livres de rente.
Les tontines doivent leur nom à leur inventeur, Laurent Tonti, Napolitain,
qui les fil connaître en France vers 1665.
( 45 )
contre un qu’il sera mort à soixante-cinq ans, et à cette époque,
il ne toucherait encore que fr. 9,54.
Dans le cas où le nombre des tontiniers est peu considérable,
l’emprunteur leur ferait tort en reculant, comme nous venons
de le faire, le terme de l’annuité jusqu’à l’extinction complète de
la table de mortalité. Le terme qui semble le plus équitable est
alors celui pour lequel il y a un à parier contre un que tous les
tontiniers seront morts. Pour calculer ce terme, supposons que,
sur vn individus de Page des tontiniers, pris dans la table de
mortalité, il en ait disparu Dx au bout d’un temps x : la proba-
bilité qu’un tontinier meure dans cet intervalle est — , et si le
nombre total des tontiniers est t , la probabilité qu’ils soient tous
morts est ( — * ) . Egalant cette expression à —, on en déduit
Vn \*W 1
Da. = -j — -, d où log Dx = log vn log 2. Cherchant dans la
\/ç> " 1
table de mortalité l’âge qui correspond à Dx ainsi calculé, on
trouvera le terme de l’annuité: c’est lui qui devra servira cal-
culer R dans la formule (&'").
Ce procédé, tout satisfaisant qu’il puisse paraître à la première
vue, laisse cependant quelque chose à désirer sous le rapport de
la rigueur mathématique; car il est uniquement fondé sur la lon-
gueur de la vie probable, à l’instant du contrat, et fait abstraction
de la loi que suit la mortalité pendant la durée de la tontine.
Néanmoins, comme il donne lieu à une formule très-simple, on
est forcé de l’adopter pour les assurances sur plus de deux ou
trois tètes, à cause de la longueur des calculs auxquels condui-
rait la généralisation de la marche rigoureuse indiquée dans l’ar-
ticle (XII).
* Pour comparer les résultats numériques des deux procédés,
considérons d’abord un seul rentier viager de vingt-cinq ans : la
vie probable, d’après la table de Deparcieux, est alors de qua-
1
ranlc ans. Faisant n = 40, X = 100, q — — — - dans la formule
1 1 ,045
(&"'), on trouve R = fr. 5,44. Telle est, dans ce cas, la rente
viagère pour un placement de cent francs. L’application de la
formule rigoureuse a déjà donné fr. 6,18 : celle-ci est donc à
l’avantage du rentier.
( 46 )
Supposons maintenant deux rentiers âgés de vingt-cinq ans :
1
égalant à - la probabilité que tous deux soient morts, on trouve
(pour vn = 774) , Dx = 547, d’où vn — Dx = 227. Ce nombre de
survivants se trouve , dans la table , en face de lage de soixante-
quatorze ans; donc 74 — 25 — 49 ans est le terme probable de
la tontine. Dans ce cas, la valeur de l’annuité, pour un place-
ment de cent francs, est, d’après la formule ( k "'), R = fr. 5,09;
tandis que, si l’on calcule d’après la formule (s) la prime à verser
pour assurer une rente viagère sur deux tètes de vingt-cinq ans,
avec réversion de la totalité sur la tète du survivant, on trouve
R = fr. 5,52. On voit que le procédé le plus commode, mais le
moins exact, donne en général des rentes trop faibles.
§ 5. — Des contre-assurances dans les sociétés mutuelles .
XIV.
La contre-assurance est une opération par laquelle la com-
pagnie s’engage, moyennant une prime stipulée d’avance, à rem-
bourser aux assurés qui ont contracté avec les sociétés mutuelles,
le montant intégral des sommes versées par eux. Ce rembour-
sement a lieu dans le cas où la personne sur la tète de laquelle
repose l’assurance mutuelle, viendrait à décéder avant l’expiration
de l’association dont elle fait partie : on annihile ainsi l’élément
aléatoire du contrat mutuel.
La théorie des contre-assurances présente deux cas distincts,
suivant que l’on veut assurer des versements déjà effectués, ou
des versements éventuels à faire annuellement.
Premier cas. — Supposons vn individus de l’àge n se contre-
assurant en même temps; chacun d’eux a déjà versé un capital a,
et leur association mutuelle doit encore durer k années.
Soit X la somme inconnue qu’ils payent collectivement pour
prime de contre-assurance au commencement de la première
année : pendant cette première année, il meurt ( vn — vM + 1)
associés, et la compagnie paye donc, à la fin de cette année,
( 47 )
(vn — vn + i)a; mais cette somme, rapportée à l’époque initiale,
ne lui coûte que ( vn — vn + , ) aq.
Pendant la deuxième année, il meurt (vn + i — vH + 2 ) asso-
ciés; et la compagnie paye, à la fin de cette deuxième année,
(vn + { — vn + 2)ct, qui ne valent en réalité que (vH + l — v„ + 2) aq*2.
On peut continuer ce raisonnement jusqu’à la fin de la kme an-
née, époque à laquelle la compagnie fait son dernier payement
( vn -j- k - 1 _[_ k ) aq'\
Egalant ces dépenses successives à la recette primitive, et
désignant par (” + /i:)P“ la prime de contre-assurance à verser par
chacun des vn associés, on a
X = Vn X (M +/)P“ = a | {Vn — Vtl+t) (j -V- (Vn+\ — 1W2 ) (f •+- (t>w+2 — Vn+i) (f
-4- .... {Vn+k-i — Vn + k) qk j .... (O ;
d’où, conformément à la notation adoptée dans l’article (I),
<*+t>p; = — — s;-*-*-*
Vn q 1 '
Deuxième cas. — Les vn contre-assurés ont déjà versé une cer-
taine somme, soit d’un seul coup, soit par annuités, mais ils doi-
vent encore luire k versements annuels : quelle prime doit-on
exiger d’eux pour contre-assurer le tout?
La prime exigible pour contre-assurer les versements déjà
effectués se calculera par la formule précédente. Pour trouver
celle qui est relative aux annuités éventuelles que les vn associés
ont encore à fournir, on raisonnera de la manière suivante.
Pendant la première année à partir du contrat, il meurt
(vH — vH+i) associés, pour chacun desquels la compagnie de
contre-assurance doit rembourser une annuité , a : la dé-
pense qu’elle fait, à la fin de cette première année, est donc
(vn — vn + l )a, et cette somme, rapportée à l’époque initiale,
vaut ( vu — vn + , ) aq.
Pendant la deuxième année, il meurt (vn+1 — vw+2) contre-
assurés, ayant versé chacun deux annuités : la somme à rem-
bourser, à la fin de cette deuxième année, a donc pour valeur
(vH+i — vH + i) X
( 48 )
Pendant la kmc année, le nombre des décès est (vn + k_
— vn + a-); chaque associé qui meurt dans le courant de cette
année a d’ailleurs versé k annuités : la compagnie rembourse
donc ( vn + k _ i — vn + k) X kaqk. Par conséquent la prime à
verser, à l’instant du contrat, par chacun des v„ contre-assurés,
est
(«+*)p*==iL — vn+î) q + 2{vn- M — vn+i) q2 -4- 3 (vH+i — vH+z) g3-*-....
Vn \
k (v„+k~ 1 — Vn+k) qk j •••• («)■
D’après la table de Deparcieux, le nombre des décès annuels
est constant entre les âges de dix et de cinquante ans; et sur
huit cent quatre-vingts individus pris à l’âge de dix ans, il en
meurt annuellement huit pendant cette période de la vie. On peut
donc, entre ces deux âges, mettre l’expression précédente sous
la forme plus simple
* n
aqb l \ — qL 1
vn I (1— q)2
(/t-4-1) qk \
i — q I
U*')»
D représentant le nombre annuel des décès sur vn individus âgés
de dix ans.
Du reste, lorsque le capital progressif à payer par la compagnie
suit, comme dans le cas des contre-assurances, la progression
arithmétique a, 5 les primes de la formule (u) peu-
vent se déduire de celles de la formule (t) par un calcul arithmé-
tique très-simple.
Désignons en effet par P1? P.,, P3 P* les primes fournies par
la formule (t), pour les cas où l’association mutuelle doit durer
encore 1,2, 5.... k années; par P/, P/, P/, P/ les primes
analogues à calculer par la formule (u) ; nous avons
aq , aq
Pj = -7- [Vn ~ + 1); 1»4 = — ( Vn — Vn- f l), d’OÙ .... P, = Pj
Vn Vn
aq aq- , aq
P 2 — • •— ( Vn ’ Vn 4- 1 ) “P - ( Vn 4- I Vn -4-2)5 P 2
Vn Vn Vn
Zaq-
2 — 7 — ( Vn V,i 4- 1 )
P — {Vn+l — Vn+ï) ; U’OU P'2 = P2 H- (P2 — P,) = 2P2 — P,.
Vn
( 49 )
On trouverait de même
Pj = P« + (P«— Px) + (P.-P.) = 3P8-(P1 + pa),
et en général
Pyt == ^Pa — ' (Pi-V-P2-4-P3-4- •••• ■+" Pa — 1 ) .... ( II").
Il est inutile de faire observer une fois de plus que si la com-
pagnie paye à toutes les époques de l’année , et non à la fin comme
nous l’avons supposé, il faudra regarder tous les remboursements
comme effectués au milieu de l’année, et diviser par conséquent
par c/1'2 les seconds membres des équations (t) et (u).
On remarquera enfin que ces équations ne sont autre chose que
les formules (c") et (e), calculées pour assurer le payement d’un
capital constant ou progressif au décès d’un individu âgé de
n années, si ce décès a lieu avant qu’il ait atteint l’âge de ( n k)
années. En effet, la contre-assurance n’exige pas l’existence d’une
association mutuelle; elle peut se faire entre une compagnie et un
individu; et si nous avons raisonné dans l’hypothèse d’une asso-
ciation mutuelle , c’est principalement pour montrer comment ce
genre de question peut se traiter, sans que l’on ait besoin d’in-
voquer les règles du calcul des probabilités.
Tome XIIL
( 50 )
Des valeurs numériques de la série vn vn+l q -+- vn+i q1 -4- ....
-4- tjgg q^~n7 calculée de cinq en cinq ans , depuis v0 jusqu’à vso>
le taux d’intérêt étant de 4 4/a p. °/o.
V
2
Log (2 - v)
CompF log v
99
v0 = 1466
20 = 19 019
4,244 55
6,833 78
99
348
t>5 = 948
2S = 17 280
4,215 04
7,023 19
99
198
0
II
00
Q©
O
210 = 16 290
4,187 80
7,055 52
99
189
vIS = 848
215 = 15 -345
4,161 28
7,071 61
99
200
v20 = 814
220 == 14 346
4,151 56
7,089 58
99
208
v,5 = 774
205 — 3 3 308
4,098 09
7,111 26
99
211
^30 73 4
250 — 12 254
4,061 45
7,154 50
99
220
v35 = 6 9 4
235 = 11 155
4,019 57
7,158 64
99
227
vi0 — 657
240 = 10 0 20
5,971 41
7,182 44
99
242
■vls = 622
245 = 8 81 1
5,915 23
7,206 21
99
260
«so ~ 581
2S0 = 7 509
5,840 61
7,255 82
99
272
«S5 = 526
235 = 6 151
5,750 12
7,279 02
99
271
«60 = 465
260 = 4 795
3,636 69
7,334 42
99
265
V6S — 595
26û= 5 471
5,487 99
7,403 40
99
245
v70 = 310
270 = 2 244
5,286 46
7,508 64
99
201
«75= 211
2,5= 1 238
5,011 57
7,675 72
99
139
«89= H 8
y — K45
^80 J
2,628 59
7,928 12
FIN.
NOTE
SUR
LES TREMBLEMENTS DE TERRE
EN 1859,
AVEC SUPPLÉMENTS POUR LES ANNÉES ANTÉRIEURES,
1*AR
M. Alexis PERREY,
PROCESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE DIJON
(Présenté dans la séance du 7 décembre 1861.)
Tome XIII.
1
'
NOTE
SUR
LES TREMBLEMENTS DE TERRE
EN 1859,
AVEC SUPPLÉMENTS POUR LES ANNÉES ANTÉRIEURES.
Depuis quelques années, la météorologie compte sans cesse de
nouveaux adeptes : des sociétés particulières se sont formées,
des commissions centrales ont été instituées , et des observatoires
spéciaux ont été établis par divers gouvernements pour étudier
les phénomènes météorologiques. Des académies et d’autres corps
scientifiques continuent non -seulement à publier les observa-
tions qui leur sont transmises, mais plusieurs publient meme des
séries d’observations anciennes, jusqu’à ce jour enfouies dans
leurs cartons. Il semble que les savants reconnaissent enfin que
ce n’est qu’en comparant et en discutant de longues suites d’ob-
servations qu’on parviendra à formuler, d’abord empiriquement,
les lois numériques de la météorologie, science qui réclame à
bon droit sa place parmi tant d’autres, et dont plus tard quelque
homme de génie ou seulement ingénieux reconnaîtra les principes
et les causes, qu’en législateur habile, il reliera dans un corps de
doctrine rationnelle.
J’entends encore, il est vrai, quelques personnes qui, résu-
mant, à leur insu peut-être, les paroles regrettables qu’un illustre
vétéran de la science a prononcées dans une enceinte célèbre,
répètent avec une espèce de commisération un peu dédaigneuse :
Mais c’est toujours la même chose , oubliant sans doute que, la
veille, elles se plaignaient de ce que l’ordre des saisons était altéré
et que tel ou tel phénomène un peu insolite, dont nous étions té-
moins, prouvait que l’ordre ancien des choses était profondément
changé. Ce que ces personnes disent des phénomènes météorolo-
giques en général , elles le disent parfois aussi des tremblements
de terre, en reconnaissant néanmoins que leur décourageante
formule: C’est toujours la même chose , admet des degrés divers
d’intensité et même de violence désastreuse dans les manifesta-
tions du phénomène.
Quoique sensible à ces détraetions, faites dans une bonne in-
tention, je me sens fortement encouragé par les progrès qui
s’opèrent dans l’étude de la météorologie, par l’extension re-
marquable qu’ont prise les observations centralisées et par la
publicité toujours croissante qu’on leur donne. Soutenu depuis
longtemps par l’Académie royale de Belgique, dont le savant et
modeste secrétaire perpétuel a bien voulu m’aider à mon début
et m’appuyer toujours de son affectueux concours, je viens, plein
de confiance, réclamer de nouveau sa bienveillante hospitalité.
Dans ce travail, c’est toujours la même chose, quant à la forme.
C’est encore un simple catalogue divisé, comme les précédents,
en deux parties: l’une, que je fais remonter à 1845, date de mes
premières publications, l’autre que je consacre tout entière aux
manifestations séismiques qui ont eu lieu pendant l’année 1859.
Comme je l’ai fait pour les catalogues antérieurs, j’ai recueilli
avec zèle tous les faits parvenus à ma connaissance; je les ai en-
registrés avec tout le soin dont je crois avoir fait preuve depuis
près de vingt ans, j’en ai condensé la rédaction dans le simple
exposé des diverses circonstances qui les accompagnent et dont les
caractères m’ont paru devoir intéresser la science et pouvoir aider
à ses progrès futurs. L’Académie voudra bien, j’en ai l’espoir, con-
tinuer à approuver mes efforts et ceux des quelques amis qui
m’aident de leur concours et auxquels j’adresse mes affectueux
et publics remerciments.
PREMIÈRE PARTIE.
SUPPLEMENTS.
. 1 845. Janvier. — Le 14, au matin, à Aréquipa, secousse avec
bruit.
— Le 1 7, 5 h. 1 b m. du matin, autre secousse avec grand bruit;
durée 50 secondes.
— Le 18, 7 li. 20 m. du soir, très-forte secousse de 5 à 5 se-
condes de durée.
— Le 20, 1 li. bO m. du soir, très-forte secousse; durée, 40 se-
condes.
— Le 27, 11 h. 28 m. du soir, secousse avec bruit.
— Le 50, 4 b. 4b m. du soir, forte secousse; durée 50 secondes.
(M. de Castelnau.)
Fè vrier . — Le 18, 5 h. 40 m. du matin, à Reggio (Calabre),
léger tremblement en trois ondulations du NE. au SO. A 9 h. 50 m.
du matin, autre plus sensible, vertical et accompagné du bruit dé-
signé sous le nom de rombo. (Connu, manuscrite de M. Arcovito.)
— Le 25, 10 h. du soir, à Aréquipa, une secousse.
Mars . — - Le 51 , 2 h. 4b m. du matin, à Aréquipa, une secousse
de 1 b secondes de durée. (M. de Castelnau.)
Avril. — Le 5, 2 h. 2b m. du matin, à Reggio (Calabre), léger
tremblement en deux ondulations. A 4 b. */4 du matin , autre
tremblement léger. (M. Arcovito.)
Mai. — - Le 12, 8 h. du soir, à Aréquipa, deux secousses vio-
lentes dans l’espace d’une heure.
— Le 14, 5 h. du matin, nouveau tremblement. (M. de Cas-
telnau.)
— Le 20, 7 h. 7 m. du matin, à Reggio (Calabre), un petit
tremblement du SE.
— Le 25, 11 h. 59 m. du soir, tremblement médiocre, vertical,
avec rombo du nord. (M. Arcovito.)
Juillet. — Le 4, 1 b. 10 m. du soir, à Aréquipa, forte secousse.
— Le 12, au matin, autre secousse légère de cinq minutes (sic)
de durée. (M. de Castelnau.)
Août. — Le 1er, au matin, à Aréquipa, secousse de 2 secondes
de durée.
— Le 4, 11 h. 50 m. du soir, nouvelle secousse légère.
— Le 7, 9 h. 50 m. du soir, secousse légère de 40 secondes de
durée. (M. de Castelnau.)
Septembre .- — Le 8, 2 b. 9 m. du matin, à Reggio (Calabre), une
secousse légère. — Le 8, 2 h. 49 m. du matin, autre tremble-
ment moyen avec trois secousses du NNE. (M. Arcovito.)
— Le 21 , 5 h. 5 m. du soir, à Aréquipa, légère secousse; durée
15 m. {sic). (M. de Castelnau.)
Octobre. — Le 7, 11 h. 50 m. du soir, à Aréquipa, courte se-
cousse avec bruit.
— Le 9, 8 h. 50 m. du soir, autre secousse avec fort bruit.
(M. de Castelnau.)
Décembre. — Le 1er, minuit 10 m., à Aréquipa, forte secousse
de deux mouvements; durée, 50 secondes. (M. de Castelnau.)
— Le 22, 5 h. 53 m. du soir, dans les îles de la Manche, à
Jersey, Guernesey, Alderney, Serk, Ilerne et Jethore, bruit res-
semblant à un tonnerre éloigné, suivi immédiatement d’un bruit
métallique, semblable au roulement d’un train sur un chemin de
fer; celui-ci fut accompagné d’un mouvement ondulatoire distinct
et suivi d’une secousse. Le tout dura 10 à 15 secondes. Le baro-
mètre à 50p, 554 n’a pas été influencé; un vent léger variait du
SSE. au SSO. (Note de M. J. Elliot Haskins, dans les Proceed. of
the R. Soc., t. V, p. 498). Nous avons déjà indiqué un tremble-
ment comme ayant été ressenti à Cherbourg, quelques minutes
avant 4 h. du soir.
— Le 26, 11 h. 55 m. du matin à Reggio (Calabre), léger trem-
blement de deux secousses ondulatoires avec rombo. (M. Arcovito.)
— Le 29, au point du jour, à Àréquipa, secousse de 50 se-
condes de durée. (M. de Castelnau.)
1844. Janvier. — Le 22, 10 b. du soir, à Aréquipa, secousse
de peu de mouvement. (M. de Castelnau.)
Février. — Le 2, 10 b. 45 m. du soir, à Aréquipa, secousse
avec grand bruit. (M. de Castelnau.)
Mars. — Le 18, 5 b. 42 m. du matin, à Reggio (Calabre), léger
tremblement ondulatoire de G secondes de durée. (M. Arcovito.)
— Le 24, le matin, à Aréquipa, secousse avec mouvement insen-
sible; à 5 b. du soir, autre secousse assez forte et de courte durée.
— Le 28, 8 h. du soir, autre secousse de peu de mouvement;
durée, 10 secondes. (M. de Castelnau.)
Avril. — Le 9, 11 h. 15 m. du soir, à Aréquipa, secousse avec
bruit. ,
— Le 25, 5 b. 50 m. du matin, nouvelle et rapide secousse.
Mai. — Le 4. 6 b. du matin, tremblement à Aréquipa; à 5 b.
du soir, une nouvelle secousse. (M. de Castelnau.)
— Du 18 au 26, le cap. Ed. Belcher a visité Manado, dans l’ile
de Célèbes. « Le voisinage, dit-il, est encore soumis 5 Faction vol-
canique. Sur la plage orientale delà Péninsule, près de Keema, un
cône a été formé (upheaved) depuis quelques années, et c’est en ce
moment un amas de produits volcaniques. Le cratère, que nous
avons pu voir du haut d’une montagne conique voisine, est au-
jourd’hui dans un mouvement d’activité qui se manifeste par le
bouillonnement de la lave qui s’échappe par un orifice situé au
centre. » ( Narrative of the voyage of H. M. S. Samarang, t. I,
p. 125. London, 1848, 2 vol. in-8°.)
Juin. — Le 1er, le cap. Belcher voyait les pics de Klabat, Tyfore ,
Ternate et Tidore. Il n’y signale aucun indice d’activité volca-
nique. ( L . c., p. 152.)
Juillet. — Le 15, 10 h. 20 m. du matin, à Reggio (Calabre), un
fort tremblement qui commença avec un rombo retentissant, tou-
jours croissant comme le bruit d’un carrosse courant avec rapi-
dite; un léger mouvement ondulatoire, d’abord du NE. au SO.,
s’accrut fortement en se mêlant avec un mouvement vertical et
accompagna le rombo qui dura 8 secondes. Du mercure se trouva
dans quatre des huit fossettes du séismoscope : trente-cinq grains
dans celle du NE., trente-trois grains dans celle de l’E., vingt-six
grains dans celle du S. et soixante-trois grains dans celle du SO.
A 8 h. 22 m. du soir, autre tremblement léger. (M. Arcovito.)
— Le 17, 1 h. 15 m. du matin, à Aréquipa, une secousse.
(M. de Castelnau.)
— Le 29, i 1 b. 25 m. du soir, à Reggio (Calabre), tremblement
léger. (M. Arcovito.)
Août. — L e 25, 1 b. 45 m. du matin, à Aréquipa, une secousse
très-forte. (M. de Castelnau.)
Novembre. — Le 9, 11 h. 52 ni. du soir, à Reggio, léger trem-
blement.
— Le 12, 1 h. 50 m. du matin, autre secousse semblable.
(M. Arcovito.)
Décembre. — Le 10, au matin, à Aréquipa, secousse de peu
de mouvement. (M. de Castelnau.)
— Le 20, 5 h. du matin, à Reggio, une légère secousse.
— Le 29, 4 h. 50 m. du matin , autre secousse semblable.
— Le 50, 5 h. 50 m. du matin, autre secousse encore sembla-
ble. A midi 20 m., tremblement qui commença par une légère se-
cousse suivie de deux autres de moyenne force avec rombo ; trente-
cinq grains de mercure versés dans la fossette du sud. A 0 b. 5 m.,
une légère secousse encore.
— Le 31, 5 b. 50 m. du matin, autre semblable (M. Arcovito).
(Sans date mensuelle). — A Montréal (Canada), tremblement
signalé sans détail par M. J.-W. Dawson, dans son mémoire sur
le tremblement du 17 octobre 1800.
— Dans le courant de l’année, à Nanta (Colombie), secousses
légères. On y en ressent tous les ans. (M. de Castelnau, Expédi-
tion..., t. IV, p. 450.)
1 845. Janvier. — Le 5 , Mb. 50 m. du soir, à Aréquipa , secousse
avec beaucoup de bruit et assez de mouvement (M. de Castelnau).
— Le 14, M. Sébastien Wisse lit une première ascension du
Pichincha; le volcan était encore enflammé (Humboldt, Mélanges
de géologie , t. 1, pp. 89-110.)
— Le 21, 2 h. du matin, à Aréquipa, secousse avec mouve-
ment; durée, quarante secondes. (M. de Castelnau.)
Mars. — Le 9 , 2 h. du matin , à Aréquipa , secousse avec grand
bruit. A G h. du matin, autre secousse avec grand bruit et trois
mouvements; durée, trente secondes. (M. de Castelnau.)
— Le 18, 8 h. 17 m. du matin, à Reggio (Calabre), tremble-
ment de force moyenne et d’une seule secousse; trente grains de
mercure dans la fossette sud du séismoscope. (M. Arcovito.)
Avril. — Le 10,7 b. 50 m. du soir, à Aréquipa, secousse avec
bruit. (M. de Castelnau.)
Mai. — Le 2, 9 b. du matin, à Quito, forte secousse, oscilla-
tion du N. au S.; durée, deux secondes. Pluie. (M. Boussingault.)
— Le 4,10 b. 45 m. du soir, à Aréquipa, secousse avec bruit.
— Le 15, midi 45 m., autre secousse de peu de mouvement.
(M. de Castelnau.)
Juin. — Le 5, 10 b. 45 m. du soir, à Aréquipa, secousse avec
grand bruit. Dans la même nuit, à des heures différentes, se sont
succédé quatre autres secousses très-fortes.
— Le 4, à 7 et à 8 b. du matin, deux autres secousses moins fortes.
— Le 5 , à midi et à 1 b., deux secousses très-légères.
— Le 7, entre 7 et 8 h. du soir, deux secousses très-fortes.
— Le 10, à 10 h. 50 m. du soir, une légère secousse avec mouve-
ment lent. A minuit, autre secousse semblable. (M. de Castelnau.)
— Le 27, 1 b. du matin, à Aréquipa, une secousse de peu de
durée. A 2 b. 50 m. du matin, autre secousse très-forte.
Juillet. — ■ Le 5, 8 b. 10 m. du soir, à Aréquipa, secousse de
dix secondes de durée.
— Le G, au point du jour, autre secousse avec grand bruit;
mouvement lent et de peu de durée.
— Le 10, 7 b. 10 m. du soir, secousse très-grande et de fort
mouvement. (M. de Castelnau.)
Août. — Le 7, 2 h. du matin, à Aréquipa, légère secousse,
mouvement rapide. (M. de Castelnau.)
— Le 8, 5 b. du matin, à Quito, trépidation très-violente, trois
( 10 )
secousses. On a supposé qu’elles venaient du Pichincha. (M. Bous-
singault.)
— Le 10, 7 h. du soir, à Aréquipa, légère secousse, mouvement
rapide. (M. de Castelnau.)
— Du 11 au 14 , M. Wisse a fait une seconde ascension du Pi-
cliincha. (M. de Humboldt, /. c. Voy. au 14 janvier précédent.)
— Le 14, 11 h. 50 m. du soir, à Aréquipa, forte secousse.
— Le 24, 10 h. du matin, encore une forte secousse. (M. de
Castelnau.)
— Le 5 juin , encore, vers G h. du soir, à l’île de Sa m a 3a n a (à l’E.
de Formose par lat. 22°38'22" N. et long. 121°26' E.), légère se-
cousse verticale.
« Nous étions assis sur le haut d’une petite colline , dit le capi-
taine Belcher, et prêts à dîner, lorsque nous fûmes surpris par un
choc soudain comme si la colline allait s’ouvrir à son sommet et
lancer, dans toutes les directions (in radii from the centre) , les
comestibles placés à terre devant nous. Au même instant la Sama-
rang , qui se trouvait à PO. de Pile, éprouva un choc violent; on
crut avoir touché, mais on ne trouva pas de fond avec cinquante
brasses de sonde. » (Narrative of the voyage of H. M. S. Sama-
rang , t. I, p. 511, et t. II, p. 4G8. London 1848, 2 vol. in-8°.)
« Dans notre traversée de Nangasaki aux Lou-Tchou, dit
M. Adams, médecin et naturaliste de l’expédition, nous passâmes
au milieu d’un archipel peut-être inconnu et formé d’une quin-
zaine ou vingtaine d’iles coniques qui toutes présentaient évi-
demment l’aspect des cimes d’une chaîne affaissée de montagnes
volcaniques dans un état actif d’éruption , vomissant d’énormes
volumes de fumée par les cratères placés à leurs sommets ou par
les fissures ouvertes sur leurs flancs. » ( Ibid ., t. II, p. 474.) —
L’une de ces îles, au N. des Lou-Tchou, est marquée par ces
mots : Sulphur /. Volcano, sur la carte de M. Belcher. C’est la
plus septentrionale. La Samarang a relâché aux Lou-Tchou du
18 au 22 août 1845. Le père Furet a noté onze tremblements de
terre aux Lou-Tchou dans un espace de vingt-deux mois. Nous
les avons rapportés dans notre dernier catalogue séismique.
— Le 10, 2 ou 5 minutes après 11 h. Va du matin, à Boock-
( H )
stein (dans la vallée de Gastein, cercle de Salzburg), une très-forte
secousse du NO. au SE. Baromètre 25 p. 1 | 1.; thermomètre
16° R. On l’a ressentie à Siglitz, où elle s’est renouvelée à midi et
plus fortement encore à 2 h. du soir. A 5 h., il y a eu une qua-
trième secousse; celle-ci a été faible.
— Le 11, 7 b. 72 du matin, à Siglitz, une cinquième et dernière
secousse, dirigée comme les précédentes du NO. au SE. Communi-
cation de M. W. Haidinger, qui a eu la bonté de m’envoyer la note
qu’il a publiée sur ce phénomène, dans les Annales de Poggendorf \
t. LNVII, p. 441, et plusieurs autres mémoires pour ma Collec-
tion séismique. — Je n’avais cité que la première, la troisième et
la cinquième de ces secousses dans mes précédents catalogues.
— Le 22, 9 h.* 9 m. du matin, à Reggio, fort tremblement; on
trouva dans la fossette S. deux cent vingt grains de mercure; deux
cent vingt dans celle du SO. ; trente dans celle de l’E. ; et dix dans
celle del’O., en tout quatre cent quatre-vingts grains. (M. Arcovito.)
Août. — Le 20, 1 1 h. 25 m. du soir, à Reggio (Calabre), trem-
blement moyen avec deux secousses et le rornbo ordinaire; vingt
grains de mercure dans la fossette du N. (M. Arcovito.)
— Le 50, 2 h. 45 m. du matin, à Aréquipa, secousse très-forte
comme la détonation d’un canon. (M. de Castelnau.)
Septembre. — Le 19 , 7 h. 50 m. du matin , à Aréquipa . secousse
assez forte, de peu de durée.
— Le 22, 2 h. 45 m. du matin , autre secousse très-forte.
— Le 25, 4 h. du matin, secousse de peu de durée.
— Le 50, 5 b. 20 m. du soir, secousse assez forte avec beau-
coup de bruit. (M. de Castelnau.)
Octobre. — Le 2, 2 h. 25 m. du matin, à Aréquipa, très-forte
secousse.
Le 25, 10 b. du soir, autre secousse très-forte et de longue
durée. (M. de Castelnau.)
— Le 24, 6 b. 15 m. du soir, à Quito, une forte secousse; oscil-
lation de l’O. A 9 h. du soir, autre secousse encore de l’O.; pas
de dégâts. Ces deux secousses, avec celles du 2 mai et du 8 août,
sont les seules qu’on ait ressenties, à Quito, d’avril 1845 à avril
1840. (M. Boussingault.)
( 12 )
Novembre. — 1er, 1 h. 42 m. du matin, à Reggio (Calabre),
tremblement en deux secousses, la première légère et la deuxième
plus forte. (M. Arcovito.)
— Le 1 1 , 7 b. 30 m. du soir, à Aréquipa, secousse avec très-
grand bruit et mouvement peu sensible; durée, 50 secondes.
— Le 20, 0 h. 50 m. du soir, autre secousse avec grand bruit.
(M. de Castelnau.)
Décembre. — Le 1), 5 b. 50 m. du matin, à Aréquipa, forte se-
cousse avec grand bruit; durée 20 secondes.
— Le 21 , au soir, encore une secousse.
184(>. Mars. — Le 2, 9 h. 10 m. du soir à Reggio (Calabre),
tremblement léger en deux secousses successives.
— Le 22, 7 h. 57 m. du soir à Reggio, encore tremblement avec
trois secousses médiocres et oscillatoires qui durèrent trois se-
condes; on trouva dix-neuf grains de mercure dans la fossette S.
du séismoscopc.
— Le 28, 4 h. 50 m. du soir, nouveau et fort tremblement qui
renversa beaucoup de mercure dans les fossettes du séismoscopc;
vingt-quatre grains dans celle du NE., vingt dans celle de LE.,
vingt-cinq dans celle du SE., une once et cinquante grains dans
celle du S., et vingt-deux dans celle de 1*0. Ce tremblement se
composa de deux secousses, la première légère, la deuxième forte,
suivie d’une autre deux secondes après : la durée fut de six se-
condes. Il fut ressenti semblablement à Naples, à la même heure.
(31. Arcovito.)
— Le 28, 5 b. du soir, à Kliania (ile de Crète), secousse forte
et longue. A la Canée, une vingtaine de maisons ont été lézardées
et plus de cent à Candie. (M. Raulin, Description physique de nie
de Crète , p. 427.) Je rappellerai que ce tremblement paraît avoir
ébranlé une grande partie du bassin de la Méditerranée.
Juillet. — Dans l’ile de Crète, nouvelles secousses. On écrivait à
31. Raulin, le 22 : « 11 y a quelques jours, nous avons eu à deux ou
trois jours d’intervalle, deuxnouvelles secousses; mais assez légères
pour que beaucoup de personnes ne les aient pas ressenties ( L . c.,
p. 428). »
Septembre. — Le t7, 4 b. 55 ni. du matin, à Reggio, fort trem-
( iô )
bleinent avec rombo et deux secousses ondulatoires; il renversa
cinquante grains de mercure par partie dans les fossettes du S. et
du SO. du séismoscopc. (31. Arcovito.)
1847. Février. — Le 10, 4 h. */- du soi1*? à Alt Aussee (Styric),
trois secousses légères et consécutives à des intervalles de huit à
dix secondes. Elles furent accompagnées d’un bruit sourd qui
parut venir du NE. et semblèrent être purement locales. On les
ressentit dans les mines. La première fut la plus forte. (M. Fr. Si-
mony, dans Haidingers Berichte , t. II, p. 525.)
Août. — - Le 50, 2 h. du matin, à 31urzzuschlag (Styrie), une
secousse remarquée seulement dans cette localité. Le même jour,
5 h. du soir, à Gratz, et dans les environs, une faible secousse
ondulatoire avec bruit semblable au roulement du tonnerre dans
l’éloignement. Il n’y avait aucun signe d’orage. Elle fut plus sen-
sible à Vordenberg et sur toute la ligne de 3Iurzzuschlag à Gratz.
A Murzzusclilag, où elle fut très-forte, elle fut accompagnée d’un
roulement souterrain. Le mouvement parut venir de Bruck,
c’est-à-dire du SO. ( Haidinger’s Berichte, t. 111, p. 249.) Nous
n’avions signalé que Bruck, 5 h. et 10 h. du soir. 31. Haidingcr
n’en parle pas.
(Sans date mensuelle). — A Montréal (Canada), tremblement
signalé sans détails par M. Dawson.
1848. Janvier. — Le 11, 8 h. 58 m. du matin, à Reggio
(Calabre), tremblement qui dura trente secondes, fort et oscilla-
toire: les cloches sonnèrent d’elles-mèmes. Le séismoscopc pré-
senta trente-huit grains dans la fossette du NE., vingt-cinq dans
celle du SE., deux cent quatorze dans celle du S., six cent trois
dans celle du SO. et cinquante dans celle de 10., en tout neuf cent
trente grains, c’est-à-dire neuf onces et demie et trente grains.
Ce tremblement fut désastreux en Sicile, de Catane à Trapani.
Après de longues pluies, le ciel était nuageux , le vent SE. Le baro-
mètre marquait 27 p. 9 1. 4/io, le thermomètre 12° B.
— Le 19, 1 h. 3/i du matin, à Reggio, un fort tremblement en
trois secousses consécutives; durée trois secondes; ciel pluvieux.
Vent NE.; thermomètre 9° /?.; baromètre 27 p. 0 1. io. (31. Ar-
covito.)
( 14 )
Février. — Le 12, 11 h. du soir, à lteggio , deux tremblements
ondulatoires de moyenne force; la premier dura trois secondes et
le deuxième, qui suivit une minute après, dura cinq secondes.
(M. Arcovito.)
Avril. — Le 17, 11 h. 51 m. du soir, à Saint-Martin (Antilles),
tremblement violent. (M. le docteur Fleury.)
Mai. — Le 24, 1 h. 55 m. du matin, à Rcggio, tremblement
d’une seule secousse verticale de moyenne intensité. On trouva
huit grains de mercure dans la fossette S. du séismoscope et deux
dans celle du N. et du NO. (M. Arcovito.)
Juillet. — Le 12, 5 h. 55 m. du matin, à Saint-Martin (Antilles),
faible secousse. (M. le docteur Fleury.)
A Tahiti (îles delà Société), tremblement accompagné d’un fort
ras de marée : des bâtiments furent portés sur le rivage. Le ras
de marée fut très-violent aux îles Sandwich. (Communication de
M. II. Muteau , officier de marine.)
Août. — Le 27, 3 h. du matin, à Saint-Martin (Antilles) très-
forte secousse.
Septembre. — Le 20, 4 h. 50 m. du soir, à Saint-Martin (An-
tilles), secousse faible. Ces divers tremblements, ditM. le docteur
Fleury, n’ont pas été assez violents pour modifier la surface du
sol, mais assez cependant pour déterminer la chute des meubles
dans les maisons (17 avril et 27 août). Celui du 27 août a été pré-
cédé par un fort bourdonnement souterrain qui m’éveilla , et im-
médiatement après , je sentis mon lit osciller. (Communication de
M. Ch. Sainte-Claire Deville.)
Octobre. — Le 0, 1 h. 55 m. du soir, à Rcggio, tremblement
léger. A 5 h. 55 m., tremblement fort; à 0 h. 55 m., autre plus
sensible; à 10 li. 55 m., tremblement fort, suivi d’autres légers.
— Le 7, 0 h. 55 m. du matin, autre très-fort; à 5 h. 55 m. et
4 h. 50 m. du matin, deux encore, le premier signalé comme plus
fort que le précédent et l’autre comme très-sensible.
— Le 8, 2 h. 55 m. du soir, fort tremblement suivi de beaucoup
d’autres légers.
— Le 15, 5 h. 20 m. du matin, à Reggio, légère secousse.
— Le 16, 6 h. 20 m. du soir, deux légères secousses.
( 15 )
— Le 17, 20, 55 et 50 m. après minuit, trois forts tremble-
ments. A 1 h. 20 m. du matin, autre léger.
— Le 18, 0 h. 25 m. et 2 h. 50 m. du matin, deux autres de
moyenne force. (M. Arcovito.)
Novembre. — Le 11 , 4 h. 50 m. du soir, à Reggio, deux trem-
blements légers.
— Le 15, 2 h. 50 m. du matin, autre léger.
— Le 15 , 5 h. 48 m. du soir, autre léger encore. (M. Arcovito.)
Décembre. — Le 2, 1 h. 40 m. du matin, à Reggio, tremble-
ment médiocre; on trouva quarante-neuf grains de mercure dans
la fossette S. du séismoscope et quarante-neuf aussi dans celle du
S.O.
Le 20, 1 h. 45 m. du matin, à Reggio, tremblement médiocre.
(M. Arcovito.)
(Sans date mensuelle). — Au Kamtchatka, tremblement vio-
lent pendant lequel le volcan d’Asatscha (lat. 52°2' N.) s’écroula.
(M. Ch. de Dittmar, PetermamC s Mittheil., 1800, t. II, p. 07.)
M. de Dittmar distingue bien celui-ci du volcan d’Asatscha , qu’il
place par 55° 1 7' lat. N.
1849. Janvier. — Le 7, 11 h. du matin, à la Séréna (Coquimbo,
Chili), petit tremblement; ciel couvert, vent ouest.
— Le 29, 8 h. 20 m. du soir, à Coquimbo, la terre a tremblé
sans faire aucun bruit. Temps calme. Ce sont les deux seules se-
cousses notées dans ce mois par don Luis Troncoso. (Anales de la
Universidad de Chile , t. XVI, p. 280; 1859.)
Février. — Le 4, 1 h. !/4 du soir, à Coquimbo , secousse assez
prolongée et continue; ciel clair et petit vent d’ouest.
— Le 21 , 8 h. */2 du soir, petite secousse avec grand bruit qui
répandit l’épouvante. Ciel très-nuageux. (Anales, 1. c., p. 281.)
Mars. — Le 1 cr, 3 h. */2 du matin , à Coquimbo , une secousse
forte et de peu de durée.
Le 18, 5 h. 25 m. du matin, fort tremblement en trois se-
cousses consécutives et sans bruit. Durée, dix-neuf secondes. Ciel
nuageux. ( Anales , 1. c., p. 282.)
— Le 28, 6 h. 40 m. du soir, à Reggio (Calabre), trem-
blement en deux secousses d’intensité moyenne : la première ver-
( 16 )
ticale, la seconde ondulatoire; on trouva vingt grains de mer-
cure dans la fossette du S., un dans celle du N., quatre dans celle
du SO. et deux dans celle du NE. (M. Arcovito.)
Avril. — Le 8, 5 h. '/4 du soir, à Coquimbo, deux petites se-
cousses sans bruit, séparées par un intervalle de temps inappré-
ciable. Ciel couvert, air calme.
— Le 9, G b. Y'* du matin, trois secousses avec petit bruit sou-
terrain; les deux premières ont duré cinq tesix secondes, la der-
nière a été plus courte ; ciel clair et calme.
— Le 25, 5 b. du soir, bruit souterrain épouvantable, et deux
ou trois secondes après, une secousse courte et lente. Ciel couvert,
vent N.
— Le 50, 8 b. du soir, bruit souterrain d’une force épouvan-
table auquel succéda immédiatement une petite secousse. Ciel
couvert , air calme. ( Anales , 1. e., p. 285.)
Mai. — Le 10, 10 h. du soir, à Santiago (Chili), une secousse,
la seule notée dans les tableaux d’observations météorologiques de
janvier à juin. ( Anales , 1. c., p. 278.)
Juin. — Le 4, 10 b. 50 m. du soir, à Copiapo (Chili), secousse
assez forte précédée d’un bruit sourd et prolongé. (M. Gay )
Août. — Le 20, 8 b. 55 m. du matin , à Reggio, fort tremblement
qui s’annonça par le rombo et qui fut suivi d’une petite secousse
oscillatoire, à laquelle succéda une violente secousse verticale.
On trouva quarante grains de mercure dans la fossette du S., qua-
rante dans celle du SO. et huit dans celle de 1*0. (M. Arcovito.)
Novembre. — - Le 18, 2 b. 45 m. du soir, à Coquimbo (Chili),
encore une secousse: c’était la cinquième du jour. Elle a été ou-
bliée dans mon dernier catalogue.
1850. Avril. — Le 10, 8 h. du soir, à Reggio (Calabre), une
légère secousse. A 11 b., deux nouvelles secousses consécutives,
la première de force moyenne, la seconde légère.
— Le 1 1 , 2 b. 40 m. du matin, autre secousse légère.
— Le 15, 11 b. 8 m. du soir, autre secousse semblable, oscil-
latoire. (M. Arcovito.)
— Le 19, 11 h. */2 du soir, à Brousse (Anatolie), une secousse
d’une violence considérable et de huit à dix secondes de durée.
( 17 )
L oscillation sembla venir du S. ou du SO.; elle lut suivie de deux
autres secousses dans la nuit et de quatre autres jusqu’au 2! ;
celles-ci furent légères. Ce tremblement a ébranlé tout le pays
jusqu’à Kiutahiyali, notamment Muhelitsch (à quarante milles à
l'O. ou au SO. de Brousse), Lubat, sur le lac Apollonia et Kirmasli
(à quarante milles au SO. de Brousse) sur la rive sud du lac; dans
ce dernier endroit, on remarqua un jet d’eau mêlée de sable qui
jaillit pendant quelque temps d’une ouverture faite dans le sol par
la secousse. On a remarqué encore que la plus forte secousse avait
été immédiatement suivie d’une violente averse de grêle, et qu’à
Zebekergué, près de Brousse, les sources minérales avaient cessé
momentanément de couler. (Quart. Journal of the geol. Soc .,
n° 25 , p. 19.)
Juillet. — Le 4, 1 h. */a du matin, à Montevideo, la ville fut
éveillée tout entière par le plus effroyable coup de tonnerre que
nous ayons entendu de notre vie, dit M. Martin de Moussy; on ne
pouvait le comparer qu’à l’explosion simultanée de plusieurs
centaines de canons de gros calibre; ce coup fut seul et suivi
d’une forte pluie; on aurait dit que le bruit sortait du sol et non
pas des nuages. Beaucoup de personnes crurent à un tremblement
de terre analogue à celui du 9 août 1848; cependant c’était bien
une explosion unique, courte, et qui n’avait pas les roulements
prolongés produits par la secousse du sol, dans les trépidations
terrestres. (Ann. de la Soc. météor. de France, t. VIII, p. 106,
1860.)
— Le 20, 11 h. 40 m. du soir, à Reggio, encore une secousse
médiocre; nous en avons déjà signalé deux semblables à 1 b. et à
1 b. 5 m. (M. Arcovito.)
Novembre. — Le 20, entre 2 et ô b. du matin, à Smyrne, une
très-forte secousse que précéda et suivit une violente tempête.
Depuis quelques jours, le temps était lourd et orageux. (M. Kluge.)
Décembre. — Le 4, 10 h. 20 m. du soir, à Reggio, un fort trem-
blement de deux secousses, la première légère, -et la deuxième
forte et verticale. (M. Arcovito.)
1851. Février. — Le 2, 5 b. du matin, à Cartbagène (Amer,
du Sud), grand tremblement; beaucoup de maisons renversées.
Tome XIII. 2
( 18 )
— Le 7, 5 h. ll% du matin, une nouvelle secousse. (M. Mériam.)
— Le 14 et le 25 , à Tebriz (Perse), violentes secousses signalées
par M. Kluge (Die Erd- Ersehütterungen, p. 55). Je n’en avais
mentionné que pour le 16, 5 h. 7 m. du matin.
Juillet. — Le 14, à la Guadeloupe, tremblement signalé par
M. Kluge.
Octobre. — Le 50, 9 h. 1/2 du matin, à Reggio (Calabre), trem-
blement vertical de moyenne force. (M. Arcovito.)
1852. Février. — Le 4,M.Philippi est parti de Valdivia pour faire
l’ascension du volcan d'Osorno (Chili). Il n’a pas pu atteindre le
sommet d’où s’échappait de la fumée. Cette excursion a duré trois
semaines. (Anales de la Universidad de Chile , t. XII, p. 107-110,
mars 1855, avec une carte du volcan dressée par M. Doll, un des
membres de l’expédition.)
Avril. — Le 5, vers 3 h. du matin, à Bristol, légère secousse
de deux secondes de durée. Vers 5 h. 5/4 du matin, deuxième se-
cousse plus forte et plus longue. Elle paraît avoir suivi un axe
d’ébranlement dirigé à peu près vers le NS., sur lequel se trouvent
Mendips, Wells, Cbeddar, Pensford et Dundry, dans le Sommer-
setshire, Bristol, Westbury upon Trym et Ilembury, dans le
Gloucestershire. Le foyer d’ébranlement paraît s’être trouvé à
Cbeddar, où la colline oscilla pendant plusieurs secondes. Des
plâtras se sont fendus, des sonnettes ont tinté, etc. A Dundry,
cinq milles au S. de Bristol, les portes et les vitres ont oscillé avec
bruit. A Bristol et dans le voisinage immédiat, comme à Cliton,
Catham et Kingsdown, le mouvement a été moins fort. De légers
effets en ont été, dit-on, remarqués jusqu’à trente milles de dis-
tance. On a évalué à dix ou douze secondes la durée du mouve-
ment, qui a été accompagné d’un bruit sourd. (Le major T. Austin,
Quart. Jour, of the geol. Soc., n° 51 , p. 255-254.)
Mai. — Le 26, à Huasco (Chili), mouvements qui se répétè-
rent de demi-heure en demi-heure pendant tout le jour. — Ce
phénomène doit être du 26 mai 1851.
Juin. — Le 18, 2 h. 55 m. du soir, à Neuchâtel, plusieurs pe-
tites secousses très-peu sensibles. (Bull, de la Soc. des sc. nat. de
Neuchâtel , t. III , p. 47.)
/
( 19 )
— Le 11), 5 h. 5 m. du soir, à Melfi (Basilicate), deux sceousses
précédées et suivies de violents coups de vent. (M. Kluge.)
Août. — Le 51 , 1 h. 5/i du matin, aux Baléares, tremblement
à peu près aussi fort que celui du 15 mai 1851 (M. Kluge). N’est-ce
pas celui que j’ai cité pour Palma à la date du 50?
— D’épais nuages de fumée noire s’échappaient presque conti-
nuellement du bord S. du cratère du grand Sematschik (Kamt-
chatka), qui a recommencé à fumer, il y a une dizaine d’années.
Il s’était écroulé soixante ans auparavant, pendant une violente
éruption. C’est alors qu’il a pris la forme d’un cône tronqué.
(M. de Ditmar, l. c.)
Septembre. — Le 1 9, à Bayazid (entre l’Ararat et le lac de Van),
une violente secousse, preuve suffisante, dit M. Loftus, que les
feux intérieurs, qui ont soulevé autrefois les montagnes des en-
virons, ne sont pas encore entièrement éteints. (Quart. Jour, of
the geol. Soc., n°45, p. 515, 1855.)
Octobre. — Le 28, de 5 à 5 h. du matin , à l’E. du Kamtchatka,
bruit sourd, grondant au loin; « tantôt, dit M. Félix Maynard, il
ressemble aux roulements du tonnerre, tantôt il se transforme en
gémissements, puis il s’affaiblit peu à peu, redouble- d’énergie,
s’affaiblit encore et cesse pour quelques minutes après une explo-
sion comparable à celle d’une mine. » A midi , on relâcha dans
le port d’Asatcha, et l’on apprit que ce bruit avait été causé par
une éruption du Kosclkoï , qui est toujours en ignition et dont les
laves ont creusé sur les pentes de la montagne, à travers les gla-
ciers et les neiges, de noirs et tortueux sentiers. Il s’en élevait
encore une colonne de fumée. (Revue contemporaine , 50 septem-
bre 1857, p. 715, 71G et 744.)
Novembre. — Le 9, un volcan du Mexique était en pleine érup-
tion. « Am 9 Novembre , dit M. Kluge, sahen die Passagiere des
Cortez sechsig Meilen von Acapulco (Mexico) einen Vulkan in
voiler Thâtigkeit (Keine nahere Angabe). De quel volcan s’agit-il?
— Le 20, pendant les secousses ressenties en Californie, érup-
tion d’un volcan boueux dans le désert de Colorado et d’un autre
situé plus au S. (M. Kluge. )
— (Sans date mensuelle). 8 h. 50 m. du matin , à File du Prince
( 20 )
de Galles (Pulo-Pcnang), une très-faible secousse; l'atmosphère
étaitcalme. (M. de Castelnau , Comptes rendus, t.LlI,p. 882,1861.)
Cette secousse ne serait-elle pas du 11 novembre? Ce jour-là,
à 7 h. du matin, un tremblement à ébranlé toute la côte occiden-
tale de Sumatra sur un espace de cent quatre-vingt milles carrés.
On l’a ressenti à Padang, à Pulo-Nias; se serait-il étendu au N.
jusqu’à Pulo-Penang?
— Pendant les années 1852, 1855 et au commencement de
1854, d’épaisses masses de fumée noire s’échappaient avec aîo-
Icnce du cratère éboulé du volcan d’Asatcha, au Kamtchatka.
(M. de Ditinar, l. c.)
1855. Juillet. — Le 10, 5 h. du soir, à Port d’Espagne (ile de
Trinidad), on ressentit la secousse qui lit périr quatre mille per-
sonnes à Cumana. (M. Poey, d’après M. Mériam.)
Août. — Le 15 , 2 h. du soir, à Cumana, secousse qui dura plus
de cinquante secondes. Le mouvement, d’abord horizontal, procéda
duNE.au SO. et finit par des oscillations verticales. 11 n’est presque
pas resté une seule maison qui ne fut fortement endommagée.
Tous les édifices publics ont été renversés. Lorsque M. Vall visita
la ville en 1859, elle était encore couverte de ruines. (Quart.
Journ. ofthe yeol. Soc., n° 64, t. XVI, p. 469.)
Octobre. — Le 2, 4 h. du malin, tremblement sur plusieurs
points de la Suisse occidentale. M. Kluge auquel j’emprunte ce fait
ne signale aucune localité.
— Le 25, à Acapulco (Mexique), tremblement qui s’est étendu
sur toute la côte NO. de l’Amérique (M. Kluge). J’ai déjà signalé un
tremblement dans l’Orégon à cette date.
— - Pendant l’année 1855, le volcan d’Asatcha, au Kamtchatka,
lançait d’épaisses masses de fumée noire. (M. de Dilmar, /. c.)
1854. Février. — Le 9 , à Alger, deux secousses par un vent d’O.
épouvantable. (M. Kluge.)
— En février, violentes éruptions simultanées du Schewelutsch,
lat. 56°40' N., et du Kljutochewskaja-Sopka, lat. 56°8' N., au Kamt-
chatka. Le dernier fume continuellement. (M. de Ditmar, L c.,
p. 66.)
Mars. — Le 16, de nuit, à San -Francisco (Californie), trem-
( 21 )
blement signale par 31. Klugc sans détails et sans indication de
source.
Mai. — Le 24, 31. Permikine, dans son exploration de l’Amour,
est parvenu en vue des monts Tsagayan, qui s’avancent dans l’in-
térieur de la courbe décrite par le cours du fleuve en cet endroit
et forment, sur une longueur de trois verstcs, un escarpement
de grès et de sable. Au pied de cette montagne, on aperçoit des
couches de conglomérats qui renferment des agates. Les indigènes
prétendent avoir vu de la fumée se dégager de sa cime, et affir-
ment qu’elle est le séjour d’un mauvais esprit.
Juin. — Le 21 , près du village de Poul : « J’ai reconnu, dit-il,
que les roches présentent des aspects divers de minerai de fer
Il est évident que le schiste a été soumis ici à l’action violente du
feu souterrain. »
Juillet. — Le 1er, en quittant le nouvel établissement russe de
Nicolaïevsk, il a abordé sur les deux rives du fleuve; les rochers
en sont pour la plupart formés d’une lave d’un brun rouge qu’il a
retrouvée plus bas le lendemain l. On se rappelle que M. de Sé-
ménow a constaté récemment l’éruption d’un volcan en 1721 dans
la Mandchourie.
Septembre. — Le 13, à Savello (rov. de Naples), tremblement
signalé par 31. Kluge.
Le petit Sematschik, petit cône tronqué, parlât. 34° N., au
Kamtchatka, lançait de temps en temps des masses de fumée
noire comme de la poix, qui recouvraient toute la montagne et
d’où s’échappait par intervalle une forte pluie de cendres.
(31. Ch. de Ditmar, l. e.)
Novembre. — Le 20, 2 h. 25 m. du soir, à Santiago (Chili), une
secousse d’une seconde de durée. (Oubliée dans ma note pour
1857.)
Décembre. — Le 25, dans la matinée, à Port-Lloyd (îles Bonin
ou de l’Archevêque, par 27°2Ü' lat. N. et 142°45' long. E. de Or.),
ras de marée extraordinaire; la mer s’éleva à plus de quinze pieds
au-dessus des plus hautes eaux, et se retira immédiatement en
1 Nouv. Ann. des Voyages , août 1860, pp. 151 , 196, 207 et 209.
( 22 )
laissant les récifs à sec. Le navire le What Cheer chassa sur ses
ancres et tourna sur lui-même. Ses oscillations se répétèrent de
quart d’heure en quart d heure, en diminuant d’intensité; mais le
25 au soir, les eaux s’élevèrent encore à une hauteur de douze
pieds; les marées ne reprirent leur régularité que dans la ma-
tinée du 26. Les habitations des résidents furent plus ou moins
endommagées; quelques maisons furent complètement rasées.
Pendant tout le temps que dura ce phénomène, le ciel fut clair,
le vent léger et le baromètre à 29p90. Il n’y eut pas d’oscillation
sensible ( apparent ) dans le sol.
Ces îles ont déjà éprouvé plusieurs fois de grands dégâts de ce
genre; on reconnaît à des marques évidentes (des coraux et des
coquilles) que leur niveau s’est élevé d’au moins cinquante pieds.
Les pierres ponces y abondent, et les résidents m’ont affirmé , dit
l’auteur de cette notice, que, quelques années auparavant, la mer
avait paru couverte de produits volcaniques. ( The sea was covered
witli the évidences of volcanic agency , which they said came in
from seaward.) L'ile de Soufre, qui est un volcan actif, situé par
lat. 24°48' N. et long. 141°15' E. de Gr., est regardée comme étant
la cause de ces phénomènes. (P.-W. Graves, Quart. Journ. of the
geol. Soc., n° 44, p. 552). — Nous avons dit ailleurs qu’on y avait
ressenti une légère secousse vers 9 h. du matin.
— Au commencement de l’année , le volcan d’Asatcha , au
Kamchatka, vomissait d’épaisses masses de fumée noire. (M. Dit-
mar, l. c.)
1855. Janvier. — Le 2, le volcan de Masaya, qui depuis dix-
huit mois était en activité, eut une violente éruption.
— Le même jour, un peu avant 2 h. du matin, tremblement en
Virginie, et vers 11 h. du soir à Mexico. (M. Kluge, sans indica-
tion de source.)
—-Le 12, à Ouennoupha (Algérie), tremblement signalé par
M. Kluge, sans indication de source.
Février. — Le G, un peu avant minuit, dans les États de New-
York et de Massachusets, deux secousses. (M. Kluge.)
Mars. — Le 22, à Manado (Célèbes), une secousse signalée par
M. Kluge. Elle doit être du 21.
( 25 )
Avril. — Le 20, 0 h. 50 m. , 2 h. 45 m., 4 4 h. 20 m. du matin,
à Brousse et à Constantinople, nouvelles secousses.
— Le 25, 5 h. 40 m. et 8 h. 50 m. du matin, à Brousse, nou-
velles secousses. A 10 h. 2 m. à Constantinople, encore une se-
cousse, suivant M. Kluge. — Toutes ces secousses me paraissent
un peu douteuses. '
Mai. — Violente éruption du volcan d’Asatcha, situé par 55°, 4 7'
lat. N., au Kamtchatka. 11 fume continuellement. (M. de Ditmar,
L c.)
Juin. — Le 42, dans l’archipel Indien, commencement d’une
série de fortes secousses qui durèrent jusqu’au 5 août, ayant leur
centre tantôt à Ternate, tantôt dans la partie méridionale de Java.
(M. Kluge, sans indication de source.) Je ne connais que celles
dont j’ai publié le journal dans mes précédents catalogues, d’après
le Natuurkundig Tijdschrift voor Nederlandsch-Indië.
Juillet. — Le 26, 10 h. 15 m. du matin et 2 h. 20 m. du soir,
à Neuchâtel (Suisse), deux faibles secousses.
— Le 28, 11 h. du matin et 40 h. du soir, deux nouvelles se-
cousses très-faibles. (Bull, des sc. nat. de Neuchâtel , t. IV, p. 45.)
Août.- — Le 8, recrudescence d’activité au volcan de Kirauea
(M. Kluge,* sans indication de source.)
Septembre. — Le 28, 8 h. 40 m. du matin et 7 h. 4 6 m. du
soir, à Neuchâtel (Suisse), deux faibles secousses. La première a
été accompagnée d’un bruit analogue à celui d’un mur qui s’écroule ;
la seconde a été plus remarquable par ses suites. Au moment de
la secousse, le temps était très-calme, la lune se levait au N.-E., et
se réfléchissait sur la surface du lac, unie comme une glace, quand
tout à coup un bruit très-violent, comme celui des vagues qui se
briseraient, poussées par un vent impétueux, se fit entendre au
S. dans la direction de Portalban; ce bruit semblait se rapprocher
rapidement, et en effet, on entendit bientôt un léger clapotage
de l’eau , puis des vagues grossissant sans cesse vinrent battre le
rivage et s’élevèrent jusqu’à la hauteur d’un pied, sans que l’on
ressentît encore le moindre souffle de vent. Les vagues allongées
étaient arrondies comme sont les ondes produites par la chute
d’un corps dans l’eau. A 40 h., le lac allait s’apaisant et le temps
( 24 )
était toujours calme. Il semble donc probable que le mouvement
de l’eau du lac a été produit par une rupture d’équilibre, occa-
sionnée dans son bassin même par la secousse du tremblement de
«erre. (M. Borel, Bull, de la Soc. des sc. nat. de Neuchâtel, t. IV,
p. 43.)
— Dans la province de Victoria (Australie), pendant une dé-
pression longtemps prolongée du baromètre, une secousse qui s’est
étendue sur un espace considérable, et qui a été assez forte pour
réveiller les personnes endormies et ébranler les murs peu solides
des habitations. M. Smytli, auquel j’emprunte ce fait, dit qu’on y
éprouve de temps en temps de légères secousses et que, il y a une
dizaine d’années, on en a éprouvé une à Melbourne qui a causé
une vague considérable dans la rivière de Yarxas (Quart. Journ.
ofthe çjeol. Soc., n° 53, p. 253. Aug. 1837). — Nous en avons déjà
signalé, sans détails, une à Melbourne, le 7 septembre 1833.
Octobre. — Le 20, 4 h. du matin, à Neuchâtel, une secousse
avec détonation. (L. c., p. 44.)
1836. Janvier. — Le 12, entre 10 et 11 h. du matin et entre
2 et 3 b. du soir, dans la vallée de l’Aar (Suisse), secousses que j’ai
signalées sans indication d’heure. (M. Kluge.)
Mai. — Le 1"', à Ottawa (Canada) et dans le voisinage, trem-
blement signalé par M. Dawson,qui renvoie au Canadian natura-
list and geologist , vol. I. Je n’ai pas pu me procurer ce volume.
Juin. — Le 8, 0 b. 10 m., 34 s. (sic), à ïillis, une violente se-
cousse du NO. au SE. Elle a été ressentie en même temps et
dans la même direction à Troizko-Ssawsk, non loin de Kiachla.
(M. Kluge.)
Juillet. — Le 12, lord Dufferin a abordé sur Elle Jean-Mayen
et gravi une partie du Beerenberg, alors couvert de neiges et de
glaces. Le volcan ne manifestait aucun signe d’activité. (Nouv.
ann. des vog. Janvier 1800.)
— Le 23, 0 b. ,J/4 du soir, à Rhodes, tremblement avant lequel
le baromètre était descendu de quatre lignes. (M. Kluge.)
Août. — Le 11 , à Trevandrum (côte de Malabar), une secousse.
— Le 22, 4 b. 23 m. 10 s. (du soir?), une nouvelle secousse.
Il y en a encore eu deux autres dans le mois; les dates n’en sont.
( 2o )
pas indiquées par M. J. Allan Broun, qui, dans une note, On the
velocity of earthquake shocks in tlie Latérite of India, trouve
une vitesse de quatre cent soixante et dix pieds par seconde pour la
secousse du 22. ( Report of the brit.Assoc. 1860, Trans., p. 74-75.)
Octobre. — Le 11 , I I h. */4 du soir, à Malte, une première se-
cousse. (M. Kluge.)
Novembre. — Le 23, I l h. 57 m. du matin, à Smvrne, secousse
courte, mais assez forte. (M. Raulin, l. c., p. 450.)
1857. Janvier. — Du 17 au 21 , M. Jules Laveirière a fait l’as-
cension du Popocatepetl , dans le cratère duquel il a couché une
nuit. Plusieurs fumerolles dégageaient encore des vapeurs et de la
fumée. On y entendait de fortes détonations souterraines. [Le Tour
du Monde , t. IV, n° 80, pp. 161-176.)
Mars. — Le 10, 4 h. du matin, à Venise, légère secousse qui
s’étendit à T révise, Pievc di Soligo et Valdobbiadene, avec fort
bruit souterrain dans ces deux dernières localités. M. Bcrti fait
remarquer que celle secousse et les deux précédentes (Ier février
et 7 mars) ont eu leur centre sur une ligne parallèle à l’un des
grands arcs de soulèvement des Alpes. (M. Roth, Forschritte der
Phys, XIII, 611; M. Berti, Nota svyli ultimi trenwoti di Ve-
niy ia. )
Juin. — Le 5, 2 h. 15 m. du matin, à Guatemala, secousse
médiocre du NNE. au SSO. et de cinq secondes de durée, avec
bruit. Un pendule d’environ trois mètres et demi de longueur a
décrit un arc de quatre millimètres L
Juillet. — Le 15, 7 h. du matin, à Guatemala , secousse à peine
sensible et de deux secondes de durée. Le pendule séismique à
spirale a été agité. (M. Canudas, /. c.)
— Du 15 août au 21 septembre, aux environs du lac Urmia
(Perse), violentes secousses. (M. Kluge.)
Septembre. — Le 6, l’Etna a fait entendre de fortes détonations
et a vomi des cendres qui sont allées tomber jusqu'à Aci-Reale, à
1 Record of Eartquakes fait at the Collegiale Seminary of Guatemala in
4857 and 1858, by A. Canudas. (Ann. Report of tue Récents of the
Smiths. Instit. for 1838, p. 437 )
( 20 )
quatorze milles du volcan, dont le sommet s’est abaissé et a
éprouvé des changements assez considérables. (M. Roth.)
— Le 7, en Californie, tremblement violent. J’emprunte cette
citation à M.-J.-L. Henderick, qui signale le fait «à la fin de ses ob-
servations météorologiques (7/,ne Rapport annuel des régents de
l université de Neiv-York, p. 559); mais cette date me paraît très-
douteuse, aussi bien que celle du 9 octobre suivant.
— Le 16, 5 h. 5! m. du matin, à Guatémala, légère secousse
du NNE. au SSO. et de quatre secondes de durée. Le pendule de
5 «/a m. de longueur a décrit un arc de deux millimètres. (M. Ca-
nudas.)
Octobre. — Le 9, à San-Francisco, tremblement cité par M.IIcn-
derick, à la suite de celui du 7 septembre. [Vide supra.) M. Trask
n’en parle pas.
— Le 14, 6 b. 0 m. du matin, à Guatémala, légère secousse
qui n’a duré qu’une seconde ; le pendule à spirale a été agité.
(M. Canudas.)
* — En octobre (sans date de jour), dans les provinces supérieures
du Canada, tremblement signalé sans détails par M. Dawson.
Novembre. — Le 5, 7 h. 50 m. du matin , à Guatémala, secousse
assez forte del’E. à PO., de deux secondes de durée et accompagnée
de bruit. Le pendule à spirale a été agité.
Le 6, 11 h. passées du matin, autre secousse de l’E. à l’O. Elle
a été ressentie par beaucoup de personnes et a fait décrire au pen-
dule un arc de six millimètres.
Le 7, 10 h. 46 m. du matin, une secousse à peine sensible,
d’une seconde de durée. A 11 h. du matin, une autre secousse
très-légère. Les pendules séismiques n’ont pas été influencés.
(M. Canudas.)
— Le 6, près du lac Ilopango, au SE. du volcan de San-Salva-
dor, dans l’Amérique centrale, tremblement assez fort qui, comme
celui de 1854, a répandu l’effroi dans les villes de Cohutepeque et
S.-Vicente. Les secousses se sont peu étendues à 10. et ont duré
jusqu’au 10 novembre.
Presque en même temps, les volcans de S. Miguel et de Masaya
ont donné des signes d’activité. (M. Roth.)
( 27 )
— Le 19, la frégate autrichienne Novcira , a relâché à Pile
Saint-Paul, dont elle a déterminé la position par 58°42'55" lat. S.
et 75°I1'9" long. E. de Par. Les divers membres de l’expédition
ont, pendant une relâche de quinze jours, visité et étudié Pile
dans tous ses détails. Il s’y trouve beaucoup de sources chaudes ,
notamment près de la baie cratériforme, qui leur a servi de port.
La température de ces sources est si élevée que le poisson qu’on
y jette est cuit dans cinq ou six minutes. Arrivés à une hauteur
d’environ sept cents pieds au-dessus du niveau de la haie, les
voyageurs se trouvèrent sur un plateau entièrement privé de vé-
gétation. Le sol était encore chaud en beaucoup d’endroits. Du
côté du NO. se trouvent plusieurs cônes de scories, tronqués à
leur sommet, mais d une forme très-régulière* Dans le voisinage,
on reconnaît encore facilement les nombreuses traces des coulées
de laves.
Le 6 décembre , l’expédition a visité l ile d’Amsterdam , qui se
trouve au N. Elle est évidemment de nature volcanique et proba-
blement de la même époque d’éruption que Pile Saint-Paul. Mais
elle n’olïre plus aucun signe d’activité. D’après leurs observations
et leurs recherches, les membres de l’expédition ont pensé que les
nuages de fumée que d’Entrecasteaux y avait aperçus en 1792
n’étaient pas un phénomène éruptif. (Jahrbuch d. k. k. geol.
Reichsanstalt , t. IX, cah. I, pp. 27-29.)
— Le 25, par 59°57' lat. N. et 25°50' long. O. de Gr., M. W. Cook,
commandant du scliooner Estramadura, vit la mer dans un mou-
vement continuel d’ébullition pendant une demi-heure ; les va-
peurs qui s’en élevaient étaient chaudes. On se rappelle qu’on a
remarqué plusieurs fois des indices d’activité volcanique dans les
parages des Açores. (M. Roth d’après Petennann ’ s Geog. Mitth,,
1858, p. 428.)
Décembre. — Le 1 6 , le cratère du Pichincha , qui n’avait pas été
visité depuis 1845, manifestait un fort dégagement de vapeurs
dont la température s’élevait à 188° et même 194° F. Elles offraient
des traces d’acide sulfureux, d’acide sulfurique, d’acide sulfhy-
drique et quatre pour cent d’acide carbonique. Beaucoup de
soufre s’était déposé dans ce cratère, qui était bien changé depuis
( 28 )
1845. (G. Morcno, Edinb. Journal, 1858, VII, pp. 290-202, cité
par M. Iloth.)
Décembre. — Le 28, dans le Maine (Etats-Unis), tremblement
cité encore par M. llcnderick, après celui du 9 octobre. Pas de
détails.
■ — En 1857, don Augustin José Prieto a noté à Santiago (Chili),
trois jours de tremblements en janvier, zéro en février et mars , trois
en avril, un en mai, un en juin , un en juillet, zéro en août, un en
septembre, un en octobre, zéro en novembre et un en décembre;
total, douze jours. J,c tableau qu’il en donne ne présente pas de
détails. (Anales de la Universidad de Chile, t. XVI, p. 75, 1859.)
1858. Janvier. — Le 5, 10 b. 15 m. du matin, à Guatemala,
secousse très-légère, sans influence sur les pendules séismiques.
— Le 14, G b. 7 m. du matin, à Guatemala, légère secousse
avec bruit et de cinq secondes de durée. Ail b. 5 m. du matin,
autre secousse ressentie généralement.
— Le 16, 5 h. 44 m. du malin, secousse assez forte, avec bruit
et de deux secondes de durée. Le pendule a éprouvé une oscilla-
tion très-légère. A 5 h. 15 m. du matin, secousse assez forte avec
bruit et de trois secondes de durée. Les séismomètres n’ont pas
été agités par cette treizième et dernière secousse mentionnée dans
la note de M. A. Canudas, depuis le 5 juin 1857.
Février. — Le 2, 5 b. du matin, à Rome, trois secousses on-
dulatoires, la première très-sensible du NNO. au SSE.; les deux
autres très-légères. (M",e Scarpellini.)
— Dans les nuits des 18 et 20 février, à Pollock (Philippines),
longues et nombreuses secousses de LE. à FO. On observa que* le
volcan de Macatusing, distant d’environ huit lieücs de Pollock,
commença peu après une violente éruption (M. de Luca cite, p. 24,
les journaux de Singapore, en date du 15 juin, d’après des nou-
velles de Manille) b — - Je ne connais pas de volcan du nom de
Macatusing, mais à Mindanao se trouve une ville du nom de Pol-
lock ou Sugar près delà baie d’Ulano. Le volcan cité par M. de Luca
doit être celui d’Ulano, situé par lat. 70°58' X. et long. 122°4' E.
a Su’ Tremuoti , Memoria cli geocjrafia fisica. Napoli, 1859, 1 12 pp., in-8°.
( 29 )
Mars. — Le 12, 1 h. du matin, à Schaffhousc et dans les envi-
rons, léger tremblement. (Bull, de lu Soc. des sc. nul. de Neuchâ-
tel, t. V, p. 139.)
Avril. — En 1858 le volcan de Toconado a fumé pour la der-
nière lois. M. V. Tschudi auquel j’emprunte ee fait revient encore
ici (Ergànzungsheft zu Petermamis Geogr, Mitth ., p. 27, 1800)
sur l'éruption que M. Pliilippi a signalée pour 1848, et la nie.
Dans la carte qui accompagne ce cahier, M. Petermann place ee
volcan par lat. 22°50' S. et long. 70°10' O. à peu près. Il en place
encore deux autres sous le meme méridien et un peu au N., celui
de Luancan par 22°20' et celui d’Àtacama par 22,,10' lat. S. en-
viron. Celui de Llullayacu est placé par lat. 24"27' S. et long.
70,,20' O., avec une altitude de dix-neuf à Aingt mille pieds. M. de
Tscliudi, qui a fait le voyage de Cordova à Cobijà, du 18 juin au
13 août 1858, ne signale aucun autre phénomène séismique dans
son récit.
Mai. — Le 10, à Richmond (Canada), tremblement léger si-
gnalé par 31. Dawson sans autre indication.
— Le 24, 3 h. 30 m. du matin, à Rome, secousse vibrante, suivie
d’une autre très-légère, quelques minutes plus tard. (Mmc Scar-
pcllini.)
Juin. — Le 5, tremblement sous-marin dans la mer du Nord.
Trois vagues énormes, indépendantes delà marée, s’avancèrent de
Î OSÜ. venant de l’Océan atlantique. On les vit au Havre, à 8 h. J/a,
à Folkstonc vers 1) h., à Calais à 9 h. du matin, à Catwiek après
midi, à Wangcvood et Ilelgoland, vers 5 h. du soir, et à l’extré-
mité N. de la Frise septentrionale , vers 0 b., ainsi que sur la cote
occidentale du Jutland. Au moment de leur plus grande hauteur,
on ressentit un véritable frémissement du sol, sur lequel le com-
mandant du port de Ramsgate (Kent) a donné une notice dans le
Naulical Almanac. (Le D‘ K.-J. Clément, dans \eJahrbuch d. k. k.
geol. Reichsunstall , t. IN, cah. II, p. 123, 1858.) Nous avons si-
gnalé le phénomène pour Ilelgoland seulement, d’après le Moni-
teur elles Débats du 18 juin.
— Le 27, à New-IIaven, tremblement léger. (31. Dawson.)
Juillet. — Le 25, G h. 7 m. du soir, à Rome, deux secousses
( 50 )
ondulatoires du N. au S. La première fut la plus sensible. (Mme Scar-
pellini.)
— En juillet ou août, Quito et ses environs auraient été ruinés
en très-grande partie par un tremblement épouvantable que je ne
trouve mentionné qu’en P . S. dans une lettre de M. Mocsta, qui,
après avoir raconté son voyage au Pérou pour l’observation de
l’éclipse du 7 septembre, dit dans le mois précédent : Im vorigen
Monat wurden Quito uncl seine Umgebungen von einem fürch-
terlichen Erdbeben heimgesucht , welches die Stadt zum grôssten
Theile zerstôrt liai. ( Petermann \s Geog. Miltheilungen , 1860,
t. II, p. 79.) '
— Au commencement de septembre, à Cheriton-Bishop , sur le
terrain carbonifère, entre Drewteignton et Crediton, ainsi qu’à
Fingle Bridgc-sur-Teign , une secousse avec bruit. On n’y a rien
remarqué le 28, ni le 50 du même mois. (M. Wareing Ormerod,
Notice of the Occurrence of an Earthquake ulong the northern
edge of the Granité of the Dartmoor district on the 28 th. of
september 1858.)
Septembre. — Le 28, vers 7 h. du soir, à Druits (un mille à peu
près au NO. d’Ahsburton), bruit sourd semblable à celui d une voi-
ture. A Absburton, on n’a remarqué ni bruit, ni mouvement du sol.
Une heure plus tard, vers 8 b. du soir, à Dartmoor et dans les
environs, une légère secousse qui paraît avoir suivi la ligne de
jonction du granit et du terrain carbonifère.
A Cliagford (sur le granit), le mouvement du sol a été accom-
pagné d’un bruit sourd; le tout n’a duré que quelques secondes;
direction apparente, de l’ESE. à l’ONO.
A Drcwsteignton (sur les couches carbonifères et tout près de
la roche granitique) , les maisons ont été fortement ébranlées, la
secousse, qui a duré une quinzaine de secondes, y a été accom-
pagnée d’un bruit sourd, semblable au tonnerre. Il était 7 h.
45 m. du soir.
M. Ormerod cite encore d’autres localités où l’on a remarqué le
bruit et la secousse, et beaucoup d’autres dans le même district,
ou l’on ne s’est aperçu de rien. Ainsi le pays, ébranlé d’une ma-
nière fort inégale , forme une zone de vingt et un milles de long
( 51 )
de l’E. à 10., sur une largeur qui ne doit pas dépasser huit milles
dans le sens du méridien.
Le 50, dans la soirée, à Trusham, au nord de Chuldleigh, on
a entendu un bruit qu’une personne qui a habité des contrées
sujettes aux tremblements de terre a immédiatement attribué à
la même cause. On n’y avait rien remarqué le 28, non plus qu’à
Chudleigh et IJennocb, qui se trouvent sur les roches carbonifères.
(M. Ormerod, mém. cité, Quart. Journ. ofthe geol. Soc., n° 58,
pp. 188-191.)
Octobre. — Le 25, entre 0 b. 50 m. et 0 h. 45 m. du matin, à
Alméria (Espagne), une secousse assez forte avec bruit sourd.
Durée totale, trois à quatre secondes. Vers 5 h. du matin, une
nouvelle secousse moins forte. (Lettre de M. Anselmo Tirado à
M. Casiano de Prado, qui me l’a transmise.)
Novembre. — Le 12,5 b. 15 m. du matin, à Rome, une secousse
ondulatoire de LE. à l’O.
Le 18, 9 b. du soir, une secousse vibrante et légère.
Le 29 , 1 b. du matin , une dernière secousse semblable.
(Mrae Scarpellini.)
— Le 10, de nuit, à Sillcin, faible secousse. (M. Clément.)
Décembre. — Le 5, de nuit, à Sillein, faible secousse.
Le 10, de nuit encore, une secousse semblable. (M. Clément.)
— Fin de décembre; au Caire (Egypte), tremblement qui m’est
signalé sans détails par le docteur Ami Boué.
— Dans le courant du mois, on a parlé de plusieurs secousses
légères dans le Valais. (Bull, de la Soc. des sc. nat. de Neuchâtel,
t. V, p. 1 59.)
— (Sans date mensuelle). M. le docteur Boué me signale Ylllustr.
deutsche Monatschrist, par Westermann, 1858, n° 10, comme
contenant la description d’un tremblement dans l’Honduras. —
Je ne connais pas ce journal.
— En 1858, don Augustin José Prieto a noté à Santiago (Chili),
un jour de tremblement de terre en janvier, zéro en février, deux
en mars, trois en avril, zéro en mai, un en juin, un en juillet,
un en août, zéro en septembre, un en octobre, un en novembre
et zéro en décembre ; total , onze jours dans l’année. Le tableau
( 5* )
qu'il en donne n’offre aucun détail. [Anales de la Universidad de
Ch île y XVI, p. 75, 1859.)
— On lit dans le Moniteur du 25 septembre 1858 :
« En onze ans, M. Stephens a constaté, à Nelson (Nouvelle-Zé-
lande), cinq marées extraordinaires et cinquante-cinq tremble-
ments de terre. La région ou le tremblement de terre se fait sur-
tout sentir comprend trois cent cinquante milles ; elle s’étend
vers le 57°5(V de latitude vers While Island et le 43’4G' de lon-
gitude dans Banks Peninsula, avec le détroit de Cook pour
centre. »
SECONDE PARTIE.
TREMBLEMENTS DE TERRE EN 1839.
1851). Janvier. — Le 1er, vers 5 h. 5 m. du soir (2 h. 55 m.
avant le coucher du soleil), à Janina (Epire), secousse assez forte
d’environ huit ondulations, précédée d’une sourde rumeur sou-
terraine. Direction très-distincte du SE. au NO. Elle a été ressentie
dans toute l’Epire méridionale, principalement à Arta et à Pré-
vésa. Le même jour et le lendemain, tempête violente du NE.
dans la vallée de Janina.
— Le 1), vers 8 h. du soir, à Panderma (côte de Marmava), à
quatre kilomètres à l’E. de l’isthme de Cyzique, une forte secousse
suivie de deux ou trois autres pendant la nuit.
— Le 9, encore, 9 h. {h du soir, à Erzeroum, une secousse
assez forte. On parle d’un village détruit aux environs. Les oscil-
lations venaient de la côte S. de l’Anatolie. (Presse (V Orient.) Cette
secousse doit être du 21 , nouveau style.
— Le 10, au point du jour, à Rhodes, plusieurs secousses dont
une assez forte. Direction de l’O. à 1E.
— Le 15,7 h. du matin, à Sugatagh (Mannaros, Hongrie), se-
cousse très-légère. On n’a rien remarqué dans les mines.
— Le 15, 5 h. 15 m. du soir, à Guatémala, secousse légère du
NO. au SE , et de trois secondes de durée.
— Le 15, encore, vers 10 h. 50 m. du soir, à Chacodate sur File
Tome XIII. 5
( 54 )
Jeso Matomai, dans le détroit de Sangar (Japon) deux légères se-
cousses qui ont duré seulement (sic) une demi-minute. La ville de
Chacodate est située par lat. 41°48'50" N. et long. 140°47'15" E.
de Gr. suivant le lieutenant Maury. À cinquante verstes au N.
s’élève un volcan de trois mille cent soixante-neuf pieds de hau-
teur. Ce tremblement est signalé par M. Albrecht, médecin du
consulat de Russie, dans ses observations météorologiques qui
comprennent l’année entière. ( Correspondance météorologique de
M. Kupffer pour 1857. Saint-Pétersbourg, 1800, in-4°.) D’autres
écrivent Hokodade et Jcsso.
Du 15 au 20, à Trawnik (basse Bosnie, lat. 44°10' N., long,
15°15' E.), plusieurs secousses. Le froid était très-intense , la neige
abondante.
— Le 20, à 8 b. 56 m. du matin, dans le quartier de Piavc,
province de Trévise, tremblement considérable qui paraît avoir
eu son centre à l’antique château des comtes de Collalto. En voici
la description d’après M. le comte Alfred de Collalto l.
« Le premier mouvement a été ondulatoire, du SSE. au NNO.
à peu près, mais instantané; il a été suivi immédiatement d’un
mouvement vertical de bas en haut, auquel, après une courte
interruption, en a succédé un autre du même genre. Ces trois se-
cousses ont eu lieu dans un intervalle qui n’a pas dépassé 10 se-
condes, pendant lesquelles on a entendu un très-grand bruit,
qu’on a comparé à celui d’une locomotive.
» Après cette triple secousse d’une violence encore inconnue
dans le pays, on en a ressenti de temps en temps de moins fortes
et de moins longues (cinq secondes au plus de durée) , accompa-
gnées souvent d’un bruit sourd ou d’une détonation semblable à
un coup de canon. On a même entendu des bruits sans remar-
quer de mouvement du sol.
» Malheureusement, on n’a pas tenu un journal de ces se-
cousses. On ne signale que les suivantes. Il y en a eu une un quart
1 J’en dois la communication à M. Jeittelis, professeur à Ivaschau, en
Hongrie. Qu’il me soit permis de l’en remercier, lui , ainsi que M. le comte
de Collalto.
( 33 )
d’heure après la grande secousse, une autre à H h. du matin,
puis à 1 h. du soir, une autre plus sensible à 2 h., et enfin une
plus légère à 4 h.
» Le 21. une seule secousse assez sensible; elle a eu lieu vers
9 b. du soir.
» Le 22, fi */2 b. du matin, une secousse; plusieurs autres dans
la journée. Jusqu’au 9 mars, il s’est passé peu de jours sans qu’on
en ait compté plusieurs. M. le comte de Collalto en signale encore
quelques-unes sur une centaine qu’il a ressenties jusqu’au 51 mai;
nous les citerons à leurs dates.
» L’atmosphère n’offrait rien de remarquable au moment de
la grande secousse du 20; l’air était à peu près calme et le ciel
presque pur. Les secousses suivantes ont eu lieu par tous les
temps et dans toutes les conditions atmosphériques, par une
pluie diluvienne, un vent impétueux, etc. On n’a pas observé les
instruments météorologiques. Le temps était sec depuis deux
mois et très-froid.
» Les effets produits sur les bâtiments se sont bornés à des cre-
vasses ou lézardes qui se sont manifestées dans tous les sens,
mais spécialement dans le sens horizontal. Elles ont été assez con-
sidérables pour qu’on vît le jour à travers plusieurs d’entre elles.
Beaucoup de murs ont perdu leur aplomb; ils sont en général
inclinés à l’ouest. Dans les villages voisins du château , beaucoup
de cheminées ont été renversées; quelques maisons peu solide-
ment construites se sont écroulées en partie. L’église de Collalto
qui était en reconstruction depuis 1851 , a été tellement endom-
magée qu’il a fallu en démolir plusieurs parties; une des lézardes
a présenté quartorze centimètres de largeur. Cependant personne
n’a péri.
» Le sol a aussi été crevassé aux environs; des rochers se sont
détachés des montagnes, des arbres ont été arrachés et les eaux
sont restées troubles pendant quelque temps.
» On a remarqué , deux ou trois secondes avant la grande se-
cousse, que tous les chevaux de l’écurie de M. le comte de Collalto
étaient agités d’une manière extraordinaire; ils semblaient cher-
cher à s’échapper. L’attention ne s’est pas portée sur d’autres
( 50 )
animaux domestiques. » Cette relation, que nous abrégeons, est
signé du 27 novembre 1859.
31. le docteur Antonio Bcrti a aussi publié sur ce tremblement
une note qu’il m’a fait l’honneur de m’envoyer *.
J’en extrais ce qui suit :
Le 20, à 8 h. 55 m. du matin, à Venise, deux secousses consé-
cutives, ondulatoires et séparées par un instant de repos, la pre-
mière, du N. au S. et la seconde de l’ENE. à l’OSO., durée totale,
environ dix secondes. Des sonnettes ont tinté. Quelques personnes
ont entendu un léger rombo .
Ce tremblement a été très-violent à Collalto,à Falze, Pievc di
Soligo, Sernaglia , Moriago , Col S. 3Iartino, Guja, Combai, 31iane,
S. Pietro et jusqu’à Valdobbiane et Vidor (sur le Piave). La secousse
a été à peine sensible à Segusino, à trois milles de Valdobbiane.
11 est allé s’affaiblissant vers 1*E., mais il a encore été fort à Scr-
ravallc, à Ceneda et à Conegliano. 11 a été presque insensible à
Udine, mais le choc a conservé sa force vers la mer, à Venise et
meme jusqu’à Trieste; à Trévise, une cheminée a été renversée.
A Padouc, 8 h. 58 m. 58 s., temps vrai, les pendules de l’obser-
vatoire, oscillant de TE. à l’O. se sont arrêtées.
Quant à la direction du mouvement, elle a été différemment
notée. A Venise, 31. Berti signale deux directions pour les deux se-
cousses, celle du N. au S. et celle de l’ENE. à l’OSO. À Ceneda,
on a aussi remarqué que la première secousse était du N. au S.,
mais que la deuxième avait eu lieu de LESE, à l’ONO. Il les ré-
sume ainsi :
A Trévise et à Bovigo, du N. au S.
A Bellune et à Saeilc, du NE. au SO.
A Valdobbiadene, Udine, Vieence et Trente de l’E. à l’O.
A Padouc et Agordo, du NNO. au SSE.
Les limites du phénomène sont Auronzo au N., Trente et Vérone
à l’O., la rive gauche du Pù au midi et Trieste à TE.
31. Bcrti, dont fa note est datée du 12 février, dit encore qu’il
1 Sul Terremoto di Venezia del 20 Gennajo 18o9. Atti dcl I. H. lnstiiulo ,
t. IV, série III.
( 37 )
ne s’était pas passé lin seul jour depuis le 20 janvier, sans quelque
secousse à Collalto; la plupart, assez fortes, étaient verticales;
presque toutes étaient accompagnées de bruits souterrains dont
l'intensité n’était pas toujours proportionnelle à celle du clioc.
Le 28, au soir, une forte secousse verticale.
Le 50, à midi, encore une secousse semblable. Ces deux-ci ne
sont pas mentionnées par M. le comte de Collalto.
— Le 20 encore (heure non indiquée), à Trieste, une secousse
assez sensible.
— Le 21, entre 2 et 5 b. du matin, à Nagy-Karoly, et dans
quelques autres lieux du comitat de Szathmar (Hongrie) , une se
coussc de quelques secondes de durée, sans dommages.
— Le 21, encore à Erzeroum, tremblement violent. Apres la
première secousse, la terre, écrit-on, n’a cessé de trembler pen-
dant près d’une demi-heure. On manque jusqu’à présent de dé-
tails {Journal de Constantinople du 2 février). — Ce tremblement
diffère-t-il de celui du 9? Je ne le pense pas.
— Le 25, vers 10 h. du soir, à Aïdin Guzcl Hisser (près de
Smyrne, lat. 50°50' et long. 25°50' E.), une secousse.
Le 25, 5 b. ,/2du matin, une nouvelle secousse.
— Le 23, éruption du Mauna Loa dans î’ile Hawaii (Sandwich).
M. Dana en a donné la description dans Y American journal of
science , t. XXVII, Mardi , 1859, p. 410-415. Nous l’avons traduite
dans les Nouvelles annales des voyages , août 1859, p. 1GG-17G.
M. M. C. Ilaskell, professeur au collège Oabu (Ilonoloulou) a fait
l’ascension du volcan le 9 février suivant et en a publié le résultat
dans Y American journal, t. XXVIII, july 1859, p. 66-71. En
voici l’analyse :
L’éruption a eu lieu le 25, sans qu’on eut ressenti auparavant
aucune secousse de tremblement de terre dans l’Archipel. Mais
dès le 21 , on avait remarqué des poissons morts à l’E. deMolakai
et entre Molakai et Oabu. Ce poisson ne paraissait pas avoir été
malade; il semblait avoir été bouilli. A Ilonoloulou, à deux cents
milles du théâtre de l’éruption , l’atmosphère était dense et
chargée. Tels sont les seuls phénomènes avant-coureurs qu’on ait
remarqués.
La fumée a paru au sommet de la montagne dans le courant de
la journée, on l’aperçut de Waimca et dans la soirée, on vit la
lave s’écouler à la fois du côté d’Hilo (à l’E.) et du côté de l’O. de
l’île. Elle jaillissait d’un point peu éloigné du sommet ; quelques
minutes plus tard , on vit un autre jet jaillir à l’O. et beaucoup
plus bas.
A Labaina, à plus de cent milles de distance, tout le ciel parais-
sait éclairé dans la direction de l’éruption.
Le courant de lave atteignit la côte à Wainalalii, le 51 , ayant
ainsi parcouru quarante milles en huit jours.
Le professeur Haskell, campé à deux milles du double cratère
d’où s’échappaient des gaz et des vapeurs avec des apparences de
flammes ne fut pas témoin des jets de lave qu’on avait observés les
jours précédents. Il ne remarqua que des émanations gazeuses;
l’apparence de flamme n’était due qü’à la présence des parties
fines des scories chauffées au rouge, et entraînées dans le courant
ascendant de vapeurs qui se dégageaient avec un bruit considé-
rable. Le courant de laves ne commençait à se montrer qu’à un
demi-mille environ au-dessous des deux cratères. Sur un espace
de cinq ou six milles, son cours était bien défini, il n’offrait au-
cune ramification. Plus bas, il se divisait en plusieurs branches
entre les monts Hualalai, Kea et Loa sur une étendue de trois à
quatre milles, détruisant tout sur leur passage.
Le lendemain, malgré la brume et la pluie, fauteur examina
les deux cratères. Les gaz sulfureux qui s’en dégageaient étaient si
pénétrants et la chaleur si grande qu’il lui fallait tenir un mou-
choir devant la figure. Les cratères offraient une forme tout à
fait irrégulière tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. On n’y voyait
plus de lave liquide ; mais deux ou trois trous d'où s’échappaient
les gaz et les vapeurs. Ils étaient formés de laves scoriacées; le
bord du cratère inférieur (qui avait vomi de la lave pendant
quinze jours) était échancré vers le bas, l’orle du cratère supé-
rieur était intact.
Au-dessus s’en trouvait un troisième encore chaud, mais dont
l’action avait cessé. Le bord inférieur en était brisé et ouvert;
l’orlc ne se composait que de scories et de lave ancienne. Plus
( 39 )
haut, on apercevait encore les traces évidentes d’autres évents du
même genre, d’où la lave était descendue par des canaux cachés
sous l'effort de la pression hydrostatique jusqu’aux deux princi-
paux cratères qui lui avaient donné issue.
Le jour suivant, dans la matinée, il visita le point où la lave
avait fait sa première apparition. Elle se précipitait encore en
cataractes; elle paraissait d’un rouge blanc et aussi liquide que
l’eau. II en suivit la coulée et le soir, à douze ou quinze milles de
sa source, il put contempler le cratère d’où elle s’échappait avec
une nouvelle violence. Cette recrudescence avait cessé trois ou
quatre jours après.
Nous avons dit ailleurs qu’après avoir formé de nombreuses
ramifications, le courant de lave qui n’avait pas une vitesse
moindre que celle d’un convoi de chemin de fer (suivant notre
auteur : The velocity certainly seemcd as great as that of a rail-
road*car) s’était précipité dans la mer à Wainalalii, sur la côte
occidentale de l’île.
Dans une seconde lettre à M. Dana, datée de Kona, Hawaii,
22 juin, M. Haskell s’exprime ainsi :
« Je viens de visiter une deuxième fois le Mauna Loa. La source
réelle du courant de lave se trouve à quatre milles environ au-
dessus des deux cratères que je vous avais signalés en février
dernier. De ce point jusqu’aux deux cratères mentionnés, on peut
suivre une fente qui d’abord n’a pas plus de deux pouces de lar-
geur, mais qui s’élargit par degrés jusqu’à deux pieds. La chaleur
y est encore considérable, mais peu de lave s’est échappée par
cette crevasse au-dessus des deux cratères.
» On ne peut donc douter qu’il ne se soit formé un canal sou-
terrain d’une longueur de quatre milles au moins, avant de se
déverser dans les cratères d’où s’échappaient encore d'immenses
colonnes de vapeurs sulfureuses. Au-dessous, le courant liquide
coule encore , mais plus faible qu’en février. Il est d’ailleurs caché
sous le sol, sur un espace de vingt-cinq à trente milles ; ce n’est
qu’en quelques endroits qu’on peut apercevoir la lave, à quarante
pieds de profondeur. Je suis monté au sommet du Mauna Loa. On
n’aperçoit pas de trace d’activité dans le cratère de Moknaweoweo.
( M )
La source de la coulée actuelle se trouve probablement à onze
mille pieds au-dessus du niveau de la mer. » (Amer. Journ.,
t. XXVIII, p. 284.)
Suivant Y Écho du Pacifique des C et 20 juillet (Édit, de quin-
zaine), il y avait eu, vers la fin de mai, une recrudescence dans
les éruptions qui avaient entièrement cessé, d’après des nouvelles
du 18 juin.
Suivant le révérend H.-M. Lyman, des navires auraient ren-
contré, dans la semaine qui a précédé l’éruption, une grande
quantité de poissons morts aux environs des îles de Hawaii, Maui
et Molokai; quelques personnes ont, d'après ce fait, supposé
qu’une éruption sous-marine avait précédé celle du Mauna-Loa.
Mais de simples dégagements de gaz peuvent avoir causé la mort
de ces poissons. (Proc. Bost. soc. Nat. Ilist. , t. VII, pp. 58-59).
D’après Y Écho du Pacifique du 20 octobre, la coulée de lave
descendant à la mer aurait eu six milles (plus de huit kilomètres)
de large sur soixante milles de long.
— Le 24, o b. 15 m. du soir, à Guatemala, secousse à peine
sensible qui a cependant fait faire une petite oscillation à un pen-
dule séismique de 5m52 de longueur.
— Le 24 encore, à Tripoli (Syrie), une forte secousse.
— Le 28, 7 h. du matin, à Beyrouth (Syrie), tremblement
assez sensible; d’autres disent violent.
— Le 29, 40 h. 54 m. du matin, à Guatemala, secousse très-
légère du NNE. au SSO, qui a fait faire une oscillation d’un demi-
millimètre au pendule séismique de 5m52 de longueur. A midi,
nouvelle secousse pendant laquelle le pendule a oscillé de deux
millimètres.
— Le 29 (?), dans le district de Gessopolena (Abruzzc cité-
rieure), tremblement qui a renversé beaucoup de maisons. Un
grand nombre d’arbres ont été arrachés et divers torrents qui ont
surgi du sein de la terre, ont transformé une riche campagne en
un lac très-profond. ( Presse du 22 février). Cette date n’est pas
certaine, car le même journal, n° du 4 février, rapporte déjà le
phénomène dans les mêmes termes d’après des nouvelles de
Naples en date du 27 janvier. D’après d’autres journaux, les nou-
( 41 )
vcllcs de Naples seraient du 29. Par conséquent, la secousse est
antérieure à cette date. L 'Ami des sciences (n° du 20 février)
donne la date du 27.
— Le 51 , 5 li. du malin, à Schopfeim (Bade) et dans les envi-
rons, une première secousse. Vers fi b. ‘/2; une deuxième un peu
plus violente. Un violent orage a régné à la même heure dans la
basse Franconie.
— Au commencement du mois, à Aden, à Moka et sur d’autres
points de l’Arabie, secousses assez fortes. A Aden, les oscillations
étaient de FF. à FO.
Février. — Le 1er, 7 b. 45 m. du matin , au château de Collalto,
une légère secousse ondulatoire avec bruit et de cinq secondes de
du rée. Plusieurs autres secousses dans le jour, dont une verticale,
assez violente et instantanée à fi b. 55 m. du soir (M. le comte de
Collalto). M. Berli indique 7 h. du matin et G b. */2 du soir.
Le 2, dans la matinée, une secousse moins violente signalée par
M. Berli.
— Le tcr encore, à Travnik (Albanie), un nouveau tremblc-
men t.
— Le 10 et le lfi, dans la Basilicate, secousses nouvelles et
répétées. (M. Boué. ) — Suivant M. T. Roller, elles y étaient encore
très-fréquentes au commencement du mois. (Voyez Un tremble-
ment de terre à Naples et la charité du gouvernement napolitain.)
— Le 14, 9 b. 22 m. du matin à Guatémala, deux secousses
assez fortes de FF. à FO., dans un intervalle de trois secondes. Le
pendule séismique a oscillé d’un demi-millimètre.
— Le 14, vers fi b. lh du soir, à Saumur (Maine-et-Loire) et
dans les villages voisins, à Distré, Pocé, Saint- Florent, le Petit-
Puv, Villebcrnier , etc., une violente secousse avec bruit pareil à
celui d’un chariot. Air calme et temps doux.
— Le 14, encore (style non indiqué) à Kopalsk, à l’ouest du
lac Dalkhasch (mer de Kirghis, entre 44-46° lat. N. et 74-77°
long. F.), tremblement de quelques secondes de durée et sans
dommage.
— Le 15, 10 b. du matin, à Rhodes, une légère secousse de
FF. à FO.
( 42 )
— Le 18, une nouvelle éruption s’est produite au Mauna Loa
qui a vomi de la lave sans interruption jusqu’au commencement
de mars, époque à laquelle il n’était pas encore tranquille. Ajou-
tons que le Kilanca, volcan de la même île, dit M. Jonveaux, pa-
raissait disposé à suivre l’exemple de son turbulent voisin. Son
cratère était rempli jusqu’au bord et l’on s’attendait de jour en jour
à une éruption. ( Illustration , IG juillet.)
— * Le 19, 4 h. du soir, à Collalto, autre secousse remarquable.
Il y en a eu encore les autres jours, tantôt à une heure, tantôt à
une autre, mais spécialement de G à 7 h. du matin , de midi à 1 h.,
de 8 à 9 h. du soir, et de minuit à 2 b. du matin (M. le comte de
Collalto).
— Le 24, à 8 b. 19 m. du soir, à Guatémala, secousse du NNO.
au SSE. accompagnée de bruit et de deux secondes de durée.
— Le 25, 2 h. 50 m. du soir, à Mulhouse (Haut-Rhin), une
secousse assez sensible avec détonation sourde.
— Le 25 , encore, à Chacodate ( Japon) , deux légères secousses
du N. au S. et de quinze secondes de durée.
— Le 27, 7 h. */2 du soir, à San-Francisco (Californie), deux
légères secousses du NE. au SO. , et de chacune environ trois se-
condes de durée, avec un intervalle d’environ deux minutes.
— - D’après les nouvelles de Naples, en date du 22, on avait
ressenti, dans la province, deux secousses qui n’ont fait aucun
mal.
— • On lit dans la Presse du 22 : « Le Vésuve continue à dé-
vaster les terres avoisinantes et menace les villages qui l’entou-
rent. Son éruption incessante qui dure depuis plusieurs mois a
obstrué sur quatre points le chemin qui conduit à l'Observatoire.
La lave sort toujours par la base du cône.
Mars. — Le 4, vers 5 h. du soir, à Mulhouse (Haut Rhin), se-
cousse sensible. Ciel serein.
— Le 5, 10 b* 5/ 4 du matin, à Saint-Jean-Ie-Vieux (Basses-
Pyrénées), tremblement très-fort et très-long. On écrit de Saint-
Jean-le-Vieux au Mémorial des Pyrénées (pas de date) :
« Les tremblements de terre ont recommencé; samedi, nous en
avons ressenti un très-fort et très-long, à 10 b. 3/4 du matin, on
( 43 )
en a été assez généralement pins effrayé que par les secousses
précédentes; les sonnettes se sont fait entendre, et très-certaine-
ment les lézardes anciennes se sont élargies dans beaucoup de
maisons. Parmi les personnes plus ou moins émues par ces phé-
nomènes, malheureusement trop fréquents, il y en a qui crai-
gnent que nos volcans éteints, dit-on, depuis deux mille ans, ne
cherchent à se rallumer... » ( Moniteur , 4 7 mars.)
Nous avons cité les premières secousses aux dates des 16, 20,
26, 27 et 50 décembre 4858. Nous n’en avons pas vu de signalées
en janvier et février 1 859.
Dans la lettre de M. Salabery que nous avons rapportée au
29 novembre 1858, on ne signale explicitement que le 5 mars
vers 8 h. 4/a (sic) une secousse très-forte, moindre cependant que
celle du 29 novembre. Les autres ont été à peine sensibles à plu-
sieurs reprises. On n’en donne pas les dates.
— On écrit de Naples, le 8 : « Le sol ne paraît pas encore raf-
fermi. A Cosenza (Calabre) et Amatrice (Abruzze ultérieure), deux
nouvelles secousses très-violentes viennent de se faire sentir.
» En même temps le Vésuve, qui n’a pas cessé d’être en érup-
tion depuis plus de dix-huit mois, continue à jeter par plusieurs
cratères nouveaux qui se sont ouverts à la partie inférieure du
cône, une masse énorme de laves qui ravage les campagnes situées
sur le penchant méridional de la montagne, de sorte que la belle
route construite en 1842, pour monter à l’observatoire météoro-
logique, se trouve coupée aujourd'hui en quatre points.
— Minuit du 8 au 9, au château de Collalto, nouvelle secousse
plus prolongée et plus forte que les précédentes. Dans les cin-
quante jours qui suivirent (jusqu’au 29 avril), ou ne ressentit
presque rien. Quelques frémissements légers furent à peine re-
marqués. (M. le comte de Collalto.)
— On lit dans Le Pays du 45 mars : « Marseille 42 mars : Té-
légraphie privée : 41 y a eu plusieurs secousses dans les Abruzzes,
de nouveaux cratères se sont ouverts dans le Vésuve. »
— Le 15, 44 b. lU du matin, à Janina (Épire), faible secousse
du S. au N. Elle a été plus forte à Corfou , veut S., ciel clair.
— Le 44, 6 h. 3/ 4 du soir, à Iiuelva (Andalousie) une secousse
de huit secondes de durée.
( 44 )
— Le 19, vers 7 h. 40 ni. du soir (1 h. 1/2 après le coucher du
soleil), à Janina, deuxième secousse, faillie, d’environ huit à dix
ondulations du SO. au NE., vent O., temps variable.
— Le 21 , 5 h. 20 m. du matin, à S. Diego (Californie), trem-
blement.
— Le 22, 8 h. du matin, à Quito (Pérou), tremblement épou-
vantable. Les églises, les couvents et les édifices publies ont été
la plupart renversés ainsi qu’un grand nombre d’habitations par-
ticulières. On porte à cinq mille le nombre des personnes qui ont
péri, mais on croyait ce chiffre fort exagéré. Un certain nombre
de petites villes, au N. de la capitale, ont été également détruites
et à Guyaquil la secousse a été très-forte et a causé quelques dé-
gâts. D’après les Débats du 19 mai, dix personnes seulement ont
péri à Quito, mais toutes les maisons sont endommagées. Les
villes de Machachi, de Pcrucho, de Pomasqui, Saint - Antonio,
Chillogallo, Magdalcna et Cotocallao ont été également détruites.
Le phénomène a été précédé de violentes détonations souter-
raines, et la plus violente secousse ne s’est fait sentir que trente
secondes environ après le premier ébranlement, circonstances qui
ont fait fuir les habitants de leurs maisons. Dans certaines loca-
lités, des montagnes se sont affaissées, d’autres ont roulé dans les
vallées qu’elles ont comblées. Dans d’autres localités, des rivières
sont sorties de leurs lits; d’autres, arretées dans leur cours par des
éboulements, ont formé d'immenses lagunes, qui rompant tout à
coup leurs digues, ont porté la dévastation et la mort dans les
campagnes.
— Dans la nuit du 25, vers 2 h. du matin, à Djidjéli (Algérie),
une forte secousse.
— Le 27, à Aïdin (pachalik d’Anadoly), une forte secousse
horizontale. On a remarqué que ce jour était l’anniversaire d’une
secousse qui a renversé la ville et tranché en deux une colline
située à peu de distance, d’ou a jailli la rivière qui traverse au-
jourd’hui la ville. — La Presse d’Orient à laquelle j’emprunte
cette citation ne signale pas l’année.
— Le 28, G h. */4 du matin , à Oran (Algérie), une forte secousse.
— Dans la partie septentrionale du comté de Chasta (Californie),
( 45 )
le docteur Mogencroft croit avoir vu une éruption volcanique pen-
dant le mois de mars. Dans une région volcanique comme la Ca-
lifornie, dit M. E. Jonveaux auquel j’emprunte refait, cela n’aurait
rien de surprenant.
Avril. — On écrit de Naples le 5 : « Le Vésuve menace Saint-
Torio, le faubourg de Portici qui est le plus éloigné de la mer. La
lave a comblé un ravin dans lequel elle s’était jetée pendant tout
Eliiver. Sa marche est très-lente, mais sa direction est menaçante. »
— Le G, 10 b. 45 m. du soir, à Plombières (Vosges), une se-
cousse assez forte. On a entendu un bruit retentissant analogue
au fracas que produirait une voiture chargée de lourdes barres de
fer roulant avec rapidité sur un pavé inégal; ce bruit était tout à
fait distinct du frémissement des vitres que l’on entendait en
même temps. Il a éclaté subitement du côté de 10., cts’cst perdu
du côté de LE. en s’affaiblissant graduellement à mesure qu’il
remontait le cours de la vallée. Les secousses, ou plutôt les vibra-
tions , ont été sensibles, mais peu prononcées, très-rapides et sans
direction appréciable. Le bruit a duré quatre a cinq secondes. La
direction indiquée par le bruit était assez exactement celle de
10. h l’E.
Quelques personnes prétendent avoir ressenti un deuxième
tremblement moins violent que le premier, quelques minutes
après celui-ci. (Lettre de M. Julier, ingénieur chargé des travaux
de captage des sources minérales de Plombières.)
Le G encore, 10 h. 45 m. du soir, sur la rive droite du petit
ruisseau de Cleuria (Vosges) et plus loin sur le meme versant, le
* long de la petite Moselle, roulement semblable à celui du tonnerre
accompagné de trépidations qui ont duré environ une demi - mi-
nute. L’aiguille aimantée a oscillé pendant quelque temps encore
après. Une pendule du rez-de-chaussée s’est arrêtée. (Lettre de
M. P. Laurent.)
— Le 8, G h. 50 m. du soir, à Guatémala, secousse à peine
sensible.
Le 9 , 2 b. 20 m. du matin, secousse légère avec un craquement
des poutres et de trois secondes de durée.
Le 10, 5 b. 58 m. du soir, assez forte secousse de l’E. à l’O. et
( 40 )
de cinq secondes de durée. Le pendule séismique a fait une
double oscillation.
Le 11, 9 h. 55 m. du soir, dernière secousse avec bruit sou-
terrain.
— Le 11, 9 h. 25 m. du soir, à Sienne, une première secousse;
elle fut légère; un vent violent du SO. cessa comme par enchan-
tement et recommença à 11 h. 50 m. A 9 h. 41 m., une deuxième
secousse assez forte.
Le 12, on a noté trente-deux nouvelles secousses; à 5 h. 50 m.,
4 h. 21 m., 4 h. 28 m., 4 h. 55 m., 4 h. 41 m., 4 h. 55 m., 5 h.
14 m., 5 h. 45 m., 5 h. 51 m., 6 b., 0 h. 57 m., 7 h. 24 m., 8 h.
45 m., 8 h. 45 m. 20 sec., 9 h. 10 m., 9 h. 20 m., 10 h. 4 m. ,
10 h. 10 m., 10 h. 15 m , 10 h. 50 m., 10 h. 45 m., 10 h. 55 m.,
et 11 h. 55 m. du matin; puis à 0 b. 5 m., 0 h. 22 m., 2 h. 5 m.,
2 h. 25 m. , 5 h., 5 h. 4 m., 5 h. 20 m., 4 h. 20 m., et C h. 5 m.
du soir. D’autres en ont porté le nombre à cinquante.
Les secousses les plus fortes ont été celles de 4 h. 28 m. et 2 h
3 m. La première, composée d’une ondulation très- violente, ren-
forcée de trois chocs distincts, a duré de sept à huit secondes.
Celle de 2 h. 5 m., plus violente encore, n’a pas duré plus de
trois secondes.
Celles de 4 h. 21 m., 6 h. 57 m., 7 h. 24 m., 10 h. 4 m. et 10 h.
10 m. furent presque aussi intenses: deux d’entre elles, la troi-
sième et la dernière, furent très-prolongées et pourraient être
regardées comme composées chacune de trois secousses distinctes.
Des vingt-cinq autres, quatre furent encore d’une intensité supé-
rieure à la moyenne, ce sont celles de 4 h. 55 m., 4 h. 41 m., *
5 h. 14 m. , 6 h. Les autres furent médiocres, légères et même
très-légères.
Chacune des secousses principales fut précédée et accompagnée
d’un bruit fort et prolongé. Le mouvement fut en général ondu-
latoire; on remarqua cependant des chocs verticaux dans les se-
cousses de 7 h. 24 m. et 2 h. 5 m. On peut dire aussi que le sol
ne fut jamais parfaitement tranquille pendant les vingt-deux
heures qui suivirent la première secousse du 11. Depuis, ce ne
furent plus que des trémoussements légers.
( 47 )
Le 13, vibrations fréquentes du sol avec quatre secousses pro-
noncées à 0 h. 15 m., 3 h., 5 h. 55 m. et 6 h. 48 m. du soir. La
troisième fut assez forte, surtout dans la campagne au NE. de la
ville.
Le 14, le mouvement vibratoire du sol se ralentit et devint
rare; on n’a noté que trois secousses très-légères à 1 h. 40 m. ,
5 h. 4 m. et 4 b. 5 m. du matin.
Le 15, 4 h. du matin, une secousse légère.
Le 10, 5 h. 15 m., 5 h. 55 m. et 5 h. 15 m. du matin, trois
secousses légères.
Le 17, 4 b. 19 m. et 4 b. 55 m. du matin, deux secousses, res-
senties aussi au château d’Armaiolo (à treize milles de Sienne) où
l’on reconnut distinctement que le mouvement venait du côté de
la ville. A 5 h. précises du soir, une troisième secousse; elle fut
légère.
Le 18, minuit un quart et 4 h. 19 m. du matin, deux secousses.
Le 19 enfin, 2 h. et 4 h. 6 m. du matin, deux dernières se-
cousses.
Ces secousses n’ont été ressenties que dans un espace de forme
elliptique, s’étendant à environ seize milles à l’ONO. de Sienne et
â douze milles à l’ENE., sur une plus grande largeur de quatre
milles. Des murailles lézardées et des cheminées renversées sont
les seuls dégâts produits par les plus fortes. De la direction des
secousses observée à Sienne (du N. au S.) et à Armaiolo, et des
traces laissées par ce phénomène, on a conclu que le centre
d’ébranlement se trouvait très-près de la ville, probablement
entre le couvent des Minori Osservanti et la villa de Colombajo.
Les auteurs du Mémoire l, auquel j’emprunte ces détails, ont
demandé au directeur (M. E. Duvat) des Soffiani boracifères de
Montcrotondo, situés à vingt-cinq milles de Sienne, si on n’y
avait rien remarqué de particulier. Il leur a été répondu qu’on y
avait ressenti une seule secousse, celle du 12, à 4 h. 28 m. du
1 Su i Terremoti avvenuti in Siena nelt' aprile ciel 181)9 e nei tempi pre-
cedenti. Memoria dei pro [essor i G. Campani e C. Toscani. Pisa, 1859, 22 pp ,
in-8°.
( 4» )
matin : personne ne se trouvait alors clans les lagoni, mais dans
le courant de la journée, on n’a observé aucun changement, soit
dans leur aspect, soit dans leur produit journalier.
— Le 18, un peu avant minuit, à Malte, une légère secousse.
Le 19, vers 1 h. du soir, deux autres secousses légères. Le temps
était sombre, le vent chaud et le brouillard épais.
— Le 25, minuit, à Janina (Epire), faible secousse venant du
NE. Vent N., temps variable.
— Le 24, 2 b. 5 m. du matin, à llome, trois secousses : la pre-
mière, ondulatoire de 10. à l’E., et les deux autres verticales.
(M. Scarpellini.)
— Le 24 encore, 5 h. 5a m. du soir, à Constantinc (Algérie),
une secousse assez forte du NO. au SE. , et de quelques secondes
de durée, avec bruit souterrain qui avait beaucoup de rapport
avec celui de nombreuses pièces d’artillerie soumises à un rapide
mouvement. Durant toute la journée, le vent du désert avait
soufflé, le temps avait été lourd et couvert. Le thermomètre qui
marquait 51° 5/4 à midi, s’est élevé à 54° à 2 heures. A Philippe-
ville, des plâtres se sont détachés de la voûte de l’église.
— Le 20, à Chacodatc (Japon), une légère secousse qui a duré
une demi-minute.
— Le 27, vers 5 h. du soir, par 52°, lat. N. et 70°25' O. de
Londres, à peu près à la hauteur des Bermudes, le IVinono, cap.
Fox, crut avoir touché sur un banc de corail. La secousse a duré
trente secondes. Deux minutes après, on ressentit une secousse
qui fut plus forte encore; vers 5 b. du soir, il y en eut une troi-
sième qui surpassa les deux premières en violence et dura vingt-
cinq secondes.
De ce fait, nous rapprocherons le suivant signalé sans date,
mais qui a eu lieu vers la même époque ou au moins au commen-
cement de cette année : « Par 29° 55' latitude N. et 09°, 10' long. O.
de Londres, le baleinier le Shieffield , cap. Green, a constaté trois
secousses, dont la première a duré plus d’une minute; la mer fut
agitée si violemment que le bâtiment tangua. Le bruit fut telle-
ment fort que l’on croyait entendre une décharge d’artillerie à
quelque distance. » (Illustration , IG juillet.)
( 49 )
— Le 28, 8 h. du matin , à Scliwatz Jeibach, Rattemberg (Tyrot)
tremblement qui n'a duré qu’une seconde.
— Le 29, entre 2 et 5 h. du matin, au château de Collalto, une
secousse très-forte. De là, à des intervalles de trois, quatre et six
jours, ce triste phénomène s’est reproduit jusqu’au 51 mai (M. le
comte de Collalto). -
— Le 50, G b. 15 m. du soir, à Rome, une secousse ondula-
toire de l’E. à 10. (Mme Scarpellini.)
Mai . — Le 1er, 0 h. 45 m. du matin, à Rome, deux légères se-
cousses ondulatoires; à 1 h., 1 h. 10 m. et 1 h. 25 m., autres
secousses légères, mais vibrantes. ( M,ne Scarpellini.)
— Le 5, vers 8 h. 55 ou 55 m. du soir, à Plauen (Voigtland,
Saxe), tremblement accompagné d’un bruit sourd et prolongé. Le
mouvement a paru venir du SO. au NE. Quelques minutes plus
tard, une seconde secousse de courte durée et accompagnée d’un
bruit éclatant, semblable à un coup de tonnerre. A Zwickau,
quelques minutes avant 9 li., une secousse de près d’un quart de
minute de durée, avec bruit sourd. Mêmes phénomènes à Kirch-
berg et ailleurs.
— On écrit de Naples, le 5 : « Les affaires se compliquent en
Italie, mais Naples reste calme et le Vésuve qui est maintenant en
feu (la montagne de Somma, éteinte depuis des siècles, vient de
se rouvrir, à ce qu’il paraît, et le volcan bicéphale fume le jour et
flarnl >e la nuit par scs deux têtes), le Vésuve, disons-nous, est bien
plus agité que la population. » — Il y a dans ces paroles une exa-
gération facile à remarquer : la Somma est restée éteinte, le
Vésuve seul manifestait alors une grande activité.
— Le G, de nuit, à Margonga, près Cirait (comitat de Saros,
Hongrie ), tremblement léger.
— Le 8, vers 4 h. du soir, à Philippeville (Algérie) secousse
assez violente. Elle a été légère à Rone et à Guelma.
— Le 8 , éruption du volcan de File Bourbon (Réunion ou Mas-
careigne). On lit dans le Moniteur de la Réunion du 1 1 mai : « Le
volcan a rallumé, au-dessus de nos hautes montagnes, sa splen-
dide illumination. Depuis dimanche (le 8) aussitôt la nuit close,
les habitants de Saint-Denis aperçoivent par un temps clair, dans
Tome NUL 4
( SO )
le SE., une longue zone de lumière qui fait l’effet du coucher de
soleil derrière la montagne, tandis que l’espace environnant revêt
la teinte indécise du crépuscule. Ce mirage dure jusqu’aux pre-
mières lueurs du matin.
— Le 9 (heure non indiquée), à Constantine, une nouvelle se-
cousse, légère.
— Le 15, vers 8 h. du soir, à Monistrol-sur-Loire, Sainte-
Sigolène et Bas (Allier), deux secousses à cinq minutes d’inter-
valle, avec bruit; durée, deux à trois secondes chacune; direction
apparente, de TE. à l’O.
— Le 14, à Nice, trépidations du sol constatées par M. le ba-
ron O. Prost qui les signale comme correspondant à un tremble-
ment ressenti à Quito. Ce tremblement m’est inconnu.
— - Le 20, midi et midi 45 m., au château de Collalto, deux se-
cousses, les plus remarquables depuis le 29 avril. La dernière fut
la plus forte et la plus longue depuis le 20 janvier.
— Le 26 et le 28, au Vésuve, deux secousses indiquées par le
séismographe de l’Observatoire.
Le 28, 5 h. du soir, à Sugatagh (Marmaros, Hongrie), vio-
lente secousse de l’O. à l’E., précédée d’un bruit semblable au
roulement d’une voiture. On n’a rien senti dans les mines. L’ai-
guille de déclinaison ne montra aucune variation après le phéno-
mène. A Rhonaszek, 5 h. 19 m. du soir, le mouvement a été du
SE. au NO.
— Le 51, 5 h. du soir, au château de Collalto, elle ne fut pas
très-forte et termina le phénomène qui ne s’était pas renouvelé
jusqu’au 27 novembre suivant, date de la notice de M. le comte
de Collalto. Comme toutes les précédentes, au nombre de plus
d’une centaine, elle ébranla aussi les pays voisins du château.
Juin. — Le 2, vers 10 h. !/2 du matin, à Erzéroum, deux se-
cousses, qui n’ont pas duré quinze secondes, et dont la direction
était du S. au N., ont détruit presque complètement la ville. La
moitié des mosquées, des khans, des bazars et des maisons sont
renversés. Ce qui était debout menaçait ruine et l’on campait dans
la plaine de Cavak. On parlait de cinq cents victimes. Suivant le
Journal de Constantinople , les secousses allaient du SO. au NE.
( SI )
Un quart d’heureg)près, line seconde secousse, moins forte que la
première, mais d’une plus longue durée, a achevé de couvrir la
ville de ruines. D’après le recensement fait par l’autorité, quatre
mille maisons auraient été détruites, trois mille autres menace-
raient ruine et il y aurait eu environ quinze cents victimes. Mais,
chaque jour, on retirait encore, au 10 juin (date de la dépêche),
des cadavres ensevelis sous les décombres.
Le 5, à 5 h. du soir, elles continuaient encore à quelques heures
d’intervalle. Elles paraissent avoir ensuite diminué de fréquence.
On écrivait le 27, à la Presse d’ Orient :
« Le 11 et le 14, nouvelles secousses.
» Du 15 au 20, nous n’avons ressenti aucune secousse; mais
depuis lors, elles ont recommencé et on en compte jusqu’à deux
et trois par jour, qui, heureusement, n’ont pas occasionné de
nouveaux désastres.
» Le 26, 10 h. du matin, deux nouvelles secousses et nouvelles
ruines.
» Le 27 , 10 h. du matin , une nouvelle secousse qui a renversé
des maisons lézardées. »
Suivant un rapport officiel et postérieur, il y aurait encore eu
des secousses désastreuses le 11 , le 14 et le 26 : il y aurait eu qua-
torze cent soixante maisons détruites , deux mille quatre cent
quarante-six ébranlées, treize cent deux victimes et cent quatre-
vingt-douze blessés.
D’après un autre rapport, le nombre des victimes a atteint le
chiffre de mille cinquante -quatre, parmi lesquelles on compte
trois cent soixante-quinze morts, six cent seize blessés et soixante-
trois manquants. Deux mille maisons, six mosquées, dix-sept
khans, cinq établissements de bains et trois édifices publics se sont
écroulés; quatorze cent cinquante autres maisons sont plus ou
moins endommagées.
Les secousses se sont renouvelées en juillet (voir au 15).
— Les 2, 11,12, 14, 15 et 16 , à Nice, trépidations du sol con-
statées par M. Prost.
— Le 5, 1 h. 15 m. du matin, à Rome, une secousse vibrante.
(M,ne Scarpellini.)
( 52 )
— Le 10, à 10 h. (sic), une forte secousse a fait écrouler
seize magasins à Tebriz-Kapouçou. On remarquait que la partie
sud de la ville était le point où les secousses étaient le plus
fortes.
— Le 11, le 14 et le 29, au Vésuve, trois secousses indiquées
par le séismographe de l’ Observatoire.
On écrit de Naples le 21 : « Le Vésuve dont l’éruption dure
sans discontinuité depuis le mois de décembre 1855, avec des
phénomènes inconnus jusqu’à ce jour, continue toujours à offrir
un spectacle sublime, mais terrifiant.
» Deux nouvelles bouches d’où s’échappe avec abondance
comme un torrent, une matière bitumineuse, viennent de s’ou-
vrir dans le flanc de la montagne au lieu dit Piano délie Ginestre ,
et cette lave dépassant les limites des éruptions précédentes, porte
la désolation du côté de Torrc del Greco. Enfin deux autres cou-
rants se sont fait jour pour accroître la destruction sur différents
points. C’est la plus longue éruption dont on ait gardé la mé-
moire. » (Moniteur , 29 juin.)
— Le 12, 5 h. 20 m. du matin, à Rome, deux secousses ondu-
latoires de l’0. à l’E., et à 5 h. 50 m., une troisième secousse, ver-
ticale et légère.
— Le 12 encore, 5 h. du soir, à Chaeodate (Japon), deux légères
secousses du N. au S. et qui n’ont duré que trente secondes.
— Le 12 encore, à Schemakha (Caucasie), tremblement qui a
coûté la vie à plusieurs centaines de personnes. Les secousses ont
duré plusieurs jours. Le Moniteur dit plusieurs secondes.
Voici, d’après la gazette le Caucase, le résultat de l’enquête
faite par la commission spéciale chargée de vérifier les dommages
occasionnés par les tremblements de terre qui ont dévasté la ville
de Schemakha , du 50 mai dernier jusqu’au 18 juin (v. st.) : « deux
mille cent soixante et un édifices sont restés intacts; quatorze
cent soixante-quatre ont été endommagés, mais peuvent être ré-
parés; sept cent quarante et un ont été complètement détruits;
mille quarante-six enfin sont tellement endommagés qu’il est im-
possible de les réparer. Cent personnes ont été tuées et deux cent
quatre-vingt-six blessées.
( 53 )
— Le 45, à Phil t ppopoli (Roumélie), tremblement qui a atteint
plusieurs villages.
— Le 1 G, 6 li. 20 m. du matin, à Oriovacz, trois secousses venant
du SO.; la deuxième fut la moins forte; les habitants quittèrent
leurs maisons. On les a ressenties en meme temps à Pakraez dans
le eomitat de Porega et à Diakovar, dans le comitat d’Essck.
Le même jour, G h. 40 m. du matin, à Vinkoveze (Slavonie),
assez violente secousse horizontale, venant du SO., accompagnée
de bruit et de trois secondes de durée.
— Le 21 , 1 h. du soir, à Nice, une secousse assez forte, A Grasse
(Var), 1 h. moins 14 m., une secousse très-faible.
— Dans la nuit du 21 au 22, à Pontremoli (État de Parme),
violentes secousses qui ont duré vingt secondes; elles ont été ac-
compagnées d’un fort orage.
— Le 25, midi et demi, à Bouffarick (Algérie), secousse de
trois secondes de durée sans interruption; seulement le commen-
cement et la fin étaient plus violents que le milieu. Les oscilla-
tions étaient de l’E. à 10. Une maison en maçonnerie a été assez
lézardée pour nécessiter un étai.
Le même jour, midi 55 m., à Alger, deux secousses, séparées
par un court intervalle; la deuxième a été la plus forte. Mouve-
ment oscillatoire de l’E. à l’O. ou du NO. au SE., suivant d’autres.
— Le 27, 11 h. G m. du soir, à Rhodes, une secousse de l’O. à
l’E.; durée, douze secondes. A minuit, autre secousse plus faible
et moins longue.
Le 2S, à Sophia (Evalet de Rumili), pluies torrentielles qui ont
causé de grands dégâts. « Ces pluies, écrivait-on le 18 juillet, ont
eu pour résultat quelques secousses de tremblement de terre , dont
deux fortes, mais sans accident. >» — Ces secousses ont-elles eu
lieu à la fin de juin ou au commencement de juillet?
Juillet. — Le 2, 5 h. du matin, à Mirabeau (Vaucluse), secousse
assez sensible de cinq à six secondes de durée.
— Le 5, vers 4 h. et demie à la turque (vers huit heures du
soir), à Brousse, une secousse assez forte.
— Du 8 juillet au 5 septembre, à Levina, île dalmate, cinq
secousses avec bruit souterrain.
( 54 )
— Le 14 , 40 h. du matin, près d’Orihuela (Murcie), après une
détonation épouvantable, un volcan s’est ouvert dans la mon-
tagne dite la Cr-uz de la Muela ; des torrents de laves brûlantes
se sont élancées du cratère jusque sur le collège de San Miguel.
La campagne est couverte de cendres; les habitants ont abandonné
la ville. . . . (Lettre du correspondant de la Presse , datée :
Madrid, 15 juillet et signée Carlos de Salino.)
Le fait a été démenti par l’auteur lui-même, Carlos de Salino,
dans la Presse du 28 juillet.
— Le 1 5 , à Erzeroum , une forte secousse a complètement dé-
truit les murs d’enceinte et la forteresse. Ce qui restait de maisons ,
à la suite du dernier tremblement de terre, a été renversé.
Le 15 et le 17, à Erzeroum, nouvelles secousses de l’E. à l’O.,
destruction complète.
— Le 16 et le 17, à Nice, trépidations du sol constatées par
M. Prost.
— Le 21 , entre 8 et 9 h. du soir, à Szurdok (Marmaros) , deux
secousses du S. au N. La première a été la plus forte. A Rho-
naszek , 8 h. 45 m., direction de TE. à FO.
— Le 25, à Philippopoli (Roumélie), secousses de l’E. à l’O.,
dégâts assez nombreux.
— Le 27, à Smyrne, une secousse du NE. au SO., ou du mont
Sipyle au mont des Deux-Frères.
— (Sans date de jour). A File Hawaï (Sandwich), une secousse.
Août. — Le 12, vers minuit et demi, à Smyrne, une légère
secousse.
• — Le 15, peu après l’éclipse de lune (vers 9 h. */2 du soir),
à Erzeroum, tremblement qui a ébranlé toute la ville. Une heure
après, tremblement nouveau, suivi immédiatement d’un troi-
sième. Il n’y a pas eu d’accident.
Le 22, dans la matinée, deux nouvelles secousses, légères.
Le 25, 10 h. */ 2 (sic), une secousse qui a duré environ huit
secondes.
— Le 15, vers 8 h. du soir, «à Chacodate (Japon), tremblement
plus fort que tous les précédents; il a duré une minute. C’est le
dernier mentionné par M. Albrecht, dont les observations em-
( 53 )
brassent l’année entière. Les dates sont du nouveau style. — Ce
sont ainsi, cinq jours de tremblements pour une région où on les
dit si fréquents!
— Le 15 encore, éruption du mont Hood (Orégon). Voici ce
qu’on écrit de Portland : « Les 15, IG et 17, l’atmosphère com-
mença à devenir étouffante, on ne respirait qu’avec peine; le 17,
à 10 b. du matin, il faisait excessivement chaud, ce qui est très-
extraordinaire dans le pays. A midi, le ciel était à peu près sans
nuages, mais peu après, il prit un aspect insolite. En portant
notre attention sur le mont Ilood, nous remarquâmes tous un
amas de nuages des plus singuliers qui planaient au-dessus de
son sommet; ils avaient un éclat légèrement argentin, mêlé de
nuances plus sombres; il semblait que leur poids les faisait des-
cendre. Le lendemain, le ciel conserva le même aspect, les nuages
flottaient toujours au-dessus de la montagne. Le 18 au soir, on
remarqua des lueurs brillantes et fréquentes autour du sommet
d’où semblaient s’élever des masses de vapeurs lumineuses ou
fortement éclairées. Le 19 et le 20, ces masses de vapeurs né-
buleuses continuèrent à s’élancer du cratère; le soir, elles pa-
raissaient enflammées, du moins, il s’en échappait des rayons
lumineux et la lumière persista pendant toute la nuit. Le 20, la
fumée se dissipa pendant quelques instants et permit de distin-
guer le sommet; à l’œil nu, on s’apercevait facilement qu’il avait
changé de forme, mais avec une lunette, on reconnut que la
crête NO. avait entièrement disparu, il s’était formé une brèche
immense; cette crête a dû s’écrouler dans le cratère. Plusieurs
personnes sont parties po\ir explorer la montagne; à leur retour,
je vous donnerai d’autres détails h »
— Le 18, 4 h. 20 m. du soir, à Salonique, assez forte secousse
du NO. au SE., sans dommages.
— Le 20, dans lile d’Imbros (Archipel), tremblement après
lequel mon ami M. Ritter, ingénieur au service de la Turquie, a
été envoyé dans File par le sultan, et sur lequel il a écrit une
longue lettre dont je vais donner un extrait. Après une description
1 Amer. Jour, of Sc., 2e sér., t. XXVIII, p. MS, nov. 1859.
aussi curieuse que complète de cet îlot à peine connu et sur lequel
il ne se trouve que cinq petits villages, M. Hitler ajoute :
« Avant le 20 août 1859, les tremblements de terre étaient
inconnus à Imbros. II y a dans File des vieillards de quatre-
vingt-dix ans qui ne se souviennent pas d’avoir jamais senti de
secousses, ou d’en avoir entendu parler par leurs pères. Même
en 1855, on ne ressentit rien, ou ce fut si peu de chose qu’on
ne s’en aperçut qu’a près avoir reçu la nouvelle des désastres de
Brousse; aussi, quelle ne fut pas la stupeur de la population
quand, dans la nuit du 20 au 21 août (1859), elle fut arrachée
aux douceurs du sommeil par plusieurs secousses dont, au pre-
mier moment, personne ne comprenait la nature!
» Imbros. — 20-21 août 1859. Dans la nuit, à 10 h. et I0h.3/'*,
deux premières secousses, suivies de douze autres jusqu’au matin.
Aucun accident.
» 21 août. A 8 h. 20 m. du matin , une secousse, sans accident,
pendant que tout le monde était à la messe. Vers 9 li. 50 m., se-
cousse plus forte; pas d’accident encore. A M h. 20 m., secousse
plus forte; elle renverse des cheminées, des fours, des murs de
clôture. A 11 h. 55 m., secousse plus violente encore; elle ren-
verse des maisons. A 11 h. 55 m. du matin, secousse terrible; à
cette secousse, pas une maison n’a résisté dans les deux villages
d’Iskinit et de Panaya; les unes se sont écroulées, les autres ont
été lézardées; dans les autres villages, il y a eu moins de dégâts,
mais presque toutes les maisons, comme j'ai pu m’en assurer de
visu , ont été lézardées. Cependant il n’y a eu dans l’île ni tués ni
blessés.
» Dans le restant de la journée, le sol n’a cessé de trembler : on
a noté dix-neuf secousses bien sensibles ce jour- là.
» Direction des secousses. — A Panaya, le fermier des douanes
m’a signalé la plus forte des secousses comme allant de FO. à l’E.
J’ai moi-même relevé le croquis d’une maison isolée de ce village;
elle présente, en plan, un rectangle ayant son grand axe orienté
N. 12° E. (i magnétique ) à S. 12° O.; c’est l’angle NNE. qui s’est
écroulé vers l’E. , ce qui semble, en effet, indiquer un choc de
FO. vers l’E.
( »7 )
» A Ayo Theodoro, je suis entré dans line maison dont les ha-
bitants étaient occupés à croquer des noix étalées sur le plancher,
qui, comme partout en Orient, sert de table. Les noix ont roulé
de O. 50° S. à E. 50° N. magnétique. Cette maison est rectangu-
laire; son grand axe est orienté N. 50° O.; la toiture de la maison,
avec sa charpente, a glissé sur les murs et s’est transportée parai
lèlement à elle-même d’environ dix centimètres, perpendiculaire-
ment au grand axe, c’est-à-dire dans la même direction que les
noix, de O. 50° S. vers E. 50° N.
» A Pyrgos, il y a quelques maisons de pêcheurs; ce sont les
murs, du reste, tous parallèles et orientés N. 25° O., qui ont été
renversés de préférence, en tombant de l’O. vers l’E. Les habitants
sont, du reste, d’accord pour indiquer cette direction à la se-
cousse; c’est à peu près la direction du grand axe de Lîle et celle
des couches de grés tertiaires que je vous ai signalées.
» Nature des secousses. — A Panaya, on m’a dit que la forte
secousse avait été d’abord horizontale, puis verticale; mais ce qui
paraît certain, c’est que, tandis que les premières secousses
n’étaient pas instantanées , elles le sont aujourd’hui. Elles durent
un clin d’œil, ce ne sont plus des vibrations; mais un simple
choc.
» Bruit précurseur. — La forte secousse du 21 a été précédée
d’un bruit souterrain tellement sensible que tous les habitants
qui stationnaient dans les rues depuis le matin, ont prévu ce qui
allait arriver. Quatre ou cinq fois depuis, l’instituteur d'Iskinit a
entendu le bruit un instant avant la secousse.
» Circonstances météorologiques. — Les habitants ont tous pré-
tendu remarquer que c’est par le vent du sud qu’ils ont des trem-
blements; il n’y a eu qu’une secousse par le vent du nord, m’a-t-on
dit, à Ayo Theodoro; ainsi, le 50 octobre au soir, il s’éleva un
affreux coup de vent SO., et tout le monde s’attendait à quelque
tremblement. Il y eut, en effet, deux secousses, comme vous le
verrez un peu plus loin. Seulement, il faut observer que les vents
régnants dans ce pays, surtout en été, sont du N. au NE., et
qu’exceptionnelleinent depuis la fin d’août, nous avons eu le S.
et le SO. fort souvent; ainsi, à Constantinople, du 21 août au
( SS }
1er novembre, nous avons quarante et un jours de S. et SO. sur
soixante-dix jours; à Constantinople, le 21 août, nous avions N.;
le & n’est arrivé que le lendemain ; il est vrai que cela ne prouve
rien pour lmbros, qui paraît être le centre du phénomène; mais
enfin, il y a eu au moins une exception à la règle à lmbros
même.
» Effets divers du tremblement de terre du %! août. — A la forte
secousse du 21 , des blocs de rochers se sont détachés des mon-
tagnes, et ont roulé jusque dans les vallées. Dans la plaine de
rilyssus, au pied de Kastro, le sol s’est entr’ouvert en un endroit,
et il en est sorti des flots d’eau boueuse et noire (tout naturelle-
ment) qui ont coulé pendant un quart d’heure et inondé les
champs voisins. Puis, la crevasse s’est refermée; depuis, la char-
rue a passé par cet endroit. Le fait m’a été affirmé par un témoin
oculaire, par-devant l’évêque d’Imbros.
» En divers points de Pile, l’eau, paraît-il , serait aussi sortie des
flancs des montagnes, à tel point qu’il en résulta, dans la rivière,
une crue subite et assez forte pour rendre un gué impraticable.
J’ai oublié de demander à quelle heure, par rapport à la secousse,
s’est produite la crue qu’une déformation momentanée du sol eût
expliquée plus facilement que l’afllux d’eaux venues de loin suc-
cessivement, et qui, pour occasionner une crue sensible, eussent
laissé certainement des traces autrement désastreuses de leur pas-
sage que ce souvenir réel, mais peu précis dans l’imagination d’un
Grec épouvanté. Tout autre d’ailleurs à sa place eût pu être épou-
vanté.
» Près d’Iskinit, à l’endroit, appelé Saouz, l’eau d’un puits,
dont la nappe se trouve habituellement h cinq mètres en contre-
bas du sol, a failli par-dessus la margelle.
» Kastro est alimenté par deux fontaines; l’une est tarie, l’autre
a augmenté de volume. Dans le même village, les moulins à vent,
qui n’ont pas été renversés, ont été brusquement arrêtés dans
leur marche.
» Pendant une semaine, les eaux des fontaines d’Iskinit ontcoulé
troubles.
» Secousses en mer. — Plusieurs grandes barques entre Samo-
( 59 )
thraki et Imbros ont ressenti la secousse; des marins racontent
même qu’ils avaient vu un instant Imbros disparaître dans la mer.
» Zone à laquelle s’est étendu le phénomène. — Nuit du 20 au
21, Gallipoli. Vers 11 h. du soir, légère secousse; dix minutes
après , une nouvelle secousse plus forte fait quitter le lit aux per-
sonnes déjà couchées. Toute la nuit, les secousses ont continué
plus ou moins intenses.
» Dardanelles. — A il h. '/s du soir, secousse suivie de plusieurs
autres dans la nuit.
» Enos. — Les secousses ont commencé à 11 b. ]/ 4 et ont duré
toute la nuit. A Metelin , le phénomène a commencé à 1 j h. du soir.
» Ahdrinople. — Un peu après minuit, secousse qui s’est ré-
pétée plusieurs fois pendant la nuit.
» Constantinople. — A Tl h. J/2du soir, mon drogman a senti
une secousse que je n’ai pas remarquée, mais qu’il m’a signalée le
lendemain matin avant qu’on eût parlé d’autres localités.
» Journée du 21 août. — Gallipoli. — Dans la matinée, quatre
secousses; celle de 1 1 h. '/s a été terrible, et a duré plusieurs se-
condes; les oscillations venaient du nord; la population entière
est sortie des maisons, et le soir, on a couché sous des tentes et
dans des caïques, tant la peur était générale. Quelques maisons
lézardées, une baraque renversée, ainsi qu’une cheminée, et un
chapeau de minaret.
» Dardanelles. — Plusieurs secousses, seize en vingt-sept heures
depuis la veille au soir. Le mouvement a toujours été ondulatoire
et de l’O. à l’E. Une vieille maison et un mur écroulés; chapeau
de minaret déplacé, quelques maisons lézardées.
» Andrinople. — A partir de minuit, neuf secousses, dont la
dernière à midi et demi. Point de dommages.
» C’est à tort que le Moniteur donne la date du 25.
» Enos. — Depuis la veille au soir jusqu’à 2 h. de l’après-midi,
dix-sept secousses.
» Mètelin. — A 11 h. 5 m., secousse qui a duré plusieurs se-
condes; à II h. 20 m., deuxième secousse plus forte, mais moins
longue. A 11 h. 45 m., une troisième secousse a jeté l’épouvante
dans tous les esprits, en faisant craindre la répétition des trem-
( «0 )
blcmcnts de terre, qui, en 1845, obligèrent la population à
camper pendant un mois sous des tentes. Mais, fort heureuse-
ment, les secousses ne se sont pas répétées.
» Aiwali (côte d’Asie). — D’après une correspondance de Mé-
tclin, les secousses y ont été très-fortes.
» Smyrne. — Voici ce que m’écrit Rechad-Bey, commissaire im-
périal au chemin de fer de Smyrne à Aïdin : « Dimanche, 21 août,
» à 11 h. 12 m. du matin, nous avons ressenti une première se-
» cousse de tremblement de terre qui a duré trois secondes, par
» 27°5 centigrades. Le commencement de l’oscillation allait du N.
» au S., sur la fin de l’E. à LO. A 11 h. 27 m., seconde oscillation de
» deux secondes, allant de l’E. à 10. Le vent, qui était d’OOS., a
» tourné au S. une demi-heure après. » La Presse d’Orient signale
une troisième secousse de 1E. à 10. encore, à 1 1 h. 50 m. Pas
d’accident.
Brousse. — J’extrais ce qui suit d’une lettre que m’écrit M. Pa-
diano, ingénieur, à la date du 21 août : « J’ai placé le poids pour
» les tremblements de terre (pendule séismique), les thermomètres
» aux bains, et le pluviomètre chez Isset-Bey. A cet instant, 11 h.
» 7 m. avant midi, beau ciel, temps calme, thermomètre à 22°5
» centigrades, et baromètre au-dessus de variable, une secousse de
» tremblement de terre s’est fait sentir; elle a duré dix secondes.
» Cette fois, j’ai parfaitement compris que c’était dans la direction
» du mont Olympe.
» Dix-neuf minutes après, 1 1 b. 20 m. , une autre se fait sentir
» plus légère que la première, mais plus durable encore; celle-ci
» était dans la direction de l’E. à l’O., et elle a duré quinze secondes.
» Sept minutes après, Il b. 55 m.,une autre se fait de nou-
» veau sentir, plus légère encore, mais qui a duré dix-huit se-
» coudes. Celle-ci était dans la même direction que la deuxième.
» Lorsque j’ai vu ces trois secousses se suivre successivement, j’ai
» eu un peu de crainte, pensant au tremblement de terre de 1 855. »
« Constantinople. — Voici ce que j’ai ressenti à Ivourou-Tchesmé.
Je m’occupais à prendre des hauteurs du soleil au sextant, et à
les calculer quand je sentis à ma table oû je travaillais deux tré-
pidations très-sensibles, séparées par un intervalle d’environ dix
( 01 )
secondes. Je n’ai pu apercevoir la direction du mouvement. Il
était 1 1 b. 50 m.
» A 11 li. 5 G m., étant debout à une grande table à faire des
calculs, j’ai senti une secousse trcs-courtc et peu sensible. Mais la
première a été une des plus belles que j’ai senties depuis mon
arrivée à Constantinople, et je n’y ai remarqué qu’une trépidation
sans cboc, ou forte onde initiale ou terminale.
» La Pi 'esse (l’Orient } du 24, signale quatre secousses à Con-
stantinople et dans le Bosphore.
« Elles étaient plus perceptibles à mesure qu’on avançait vers
le nord. La première, assez forte, a eu lieu à 6 b. du matin, à peu
près du AO. au SO. ( sic ); la deuxième, peu sensible, à 10 b. *//*;
la troisième, peu sensible, à 10 b. 5/i, et la quatrième, assez
forte, à 11 b. 42 m. Cette dernière a causé une certaine émotion
à Buyukdéré.
» Plusieurs personnes se sont réfugiées sur le quai. Au même
instant, la mer déferlait assez vivement à l’entrée de la mer Noire.
Plusieurs personnes qui traversaient le Bosphore en caïque ont
cru toucher sur un bas-fond.
» Le, Journal de Constantinople dit seulement qu'à l’exception
de la secousse de 11 b. '/s du matin, dont les oscillations allaient
du SE. au NO., et qui a été assez sensible, les trois autres ont été
très-légères.
» Suivant le même Journal, on a senti le même jour, à 1 1 b. J/i
du matin, à Salonique, une légère secousse qui a été suivie,
deux secondes plus tard, d’une autre secousse assez forte de
10. à l’E.
» Le renseignement le plus précis que je puisse donner est
l’heure du phénomène; quelques instants après, je déterminai
mon midi au sextant. En tenant compte de la différence de sept
minutes vingt-trois secondes entre Smyrne et Constantinople, dix
minutes vingt-quatre secondes entre les Dardanelles et Constanti-
nople, et vingt-quatre minutes sept secondes pour Salonique,
vous trouverez les heures inscrites au tableau suivant, où je ne
corrige pas les données de Brousse qui est sous le méridien de
Constantinople :
( 02 ,
Constantinople.
Smyr ne.
■trousse.
Salonique.
h.
m.
h.
m.
h.
m.
h.
m.
5 49
))
»
»
»
))
»
10
4
»
»
»
»
»
»
10 34
»
»
»
V)
»
»
»
»
»
»
11
7
»
»
»
tt
11
19
11
26
))
»
11
31
11
34
11
33
11
39
il
50
»
»
»
))
»
» De ccs nombres corrigés et rapprochés on peut conclure
rétendue de la secousse de 11 h. Va; mais est-il possible d’en tirer
quelque chose sur la vitesse de propagation du phénomène?...
Poursuivons.
» Sophiaou Sofia. — Quelques légères secousses entre 5 et 4 h.
du soir (.sic). Il doit y avoir erreur; c’est probablement entre 5 et
4 b., à la turque, c’est-à-dire entre 10 et 11 h. du matin. Encore
une fois, une petite observation sur les heures. Les horloges pu-
bliques sont inconnues ou fort rares en Orient. L’heure dont on
fait usage est l’heure turque, 12 h. au coucher du soleil; l’heure,
dite à la franque, donnée dans les journaux , est l’heure vraie } ou
du moins devrait l’être; on met sa montre sur midi quand on
chante le muezzein qui est loin d’être réglé comme le soleil.
L’heure que je vous donne pour Constantinople est l’heure
moyenne exacte.
» Philippopoli et Demotika sur la Maritza. — Le tremblement
y a été fortement ressenti; pas de détails.
» Lemnos. — La maison de l’évêque et celle d’un musulman se
sont écroulées.
» Samothraki et Tenedos . — Secousses, mais beaucoup plus
faibles qu’à Imbros. Il n’y a pas eu de maisons renversées.
» Centre ou foyer d9 ébranlement. — Tous les points pour lesquels
le phénomène a été signalé s’étendent de 58° à 45° de latitude et
de 20° à 28° de longitude. Pour fixer les idées, on peut dire que
( 63 )
les points où les secousses ont été maximum et où elles se sont
manifestées dès le 20 au soir sont dans le cercle ayant pour dia-
mètre la droite qui joint Andrinople et Imbros et les autres dans
le cercle ayant même centre, et dont la circonférence passe par
Sophia.
» Répétition des secousses . — Postérieurement au 21, les trem-
blements ont été fréquents à Imbros; dans les premiers jours, on
comptait quatre, cinq et six secousses par jour; elles ont ensuite
diminué de fréquence; vers la fin d’octobre, il y en avait une tous
les quatre ou cinq jours.
» On en avait noté une le 27 octobre.
» Dans la nuit du 50 au 51 du même mois, il y en a eu deux ,
l'une à 10 h. */a du soir et l’autre à 25 m. après minuit. La
seconde a été assez forte pour ébranler les tuiles et faire sortir
les habitants d’Ayo Théodoro de leurs maisons. Mais je n’ai res-
senti ni l’une ni l’autre. Aujourd’hui ce tremblement a encore line
queue qui dure toujours à Imbros....
» Kouvou Tchesmé, 21 décembre 1859. Ch. Ritter. »
— Le 22, entre 1 h. */4 et 1 h. du soir, à Norcia (États de
l'Église), très- forte détonation souterraine semblable à une dé-
charge d’artillerie. A peine avait-elle cessé que la terre trembla
violemment; le mouvement d’abord vertical, puis horizontal se
renouvela à trois reprises différentes, avec une violence toujours
croissante pendant six à sept secondes. Dans ce court espace de
temps, la ville entière fut couverte de ruines. Cependant le
nombre des victimes ne s’éleva qu’à cent et une sur une popula-
tion de quatre mille cinq cents âmes environ.
Nous ne décrirons pas les dégâts causés par ce tremblement.
Nous en emprunterons seulement les principales circonstances à
la monographie qu’en a publiée le P. Secchi 1 à la suite d’une
excursion officielle qu’il a faite dans le pays.
Campi et Casali, Capo del Colle et la Villa de S.-Angelo ont
à peu près souffert autant que Norcia; Abeto, Todiano et la Villa
1 Escursione scientifica fatta a Norcia al occasione dei Terremoti del
22 ayoalo IS'àO, 44 pp. in-4°.
( 64 )
d’Ancarno, n’ont que moitié souffert et Fusearo, un peu plus du
tiers. Des positions relatives de ces diverses localités et de la
nature du sol ont peut conclure que le centre d’ébranlement se
trouvait au monte Pattino, situé au NE. de Norcia. La secousse
s’est étendue à d’assez grandes distances; d’un coté, jusqu'à Rome
où le P. Secehi l’a remarquée à 1 h. 52 m. 1 et de l’autre jusqu’à
Camerino et à Pesaro. Cascia l’a légèrement ressentie.
La direction parait avoir toujours été, dans les secousses qui
ont suivi, comme dans la première, du NE. au SO., c’est-à-dire
qu’elles semblaient provenir du Monte-Pattino.
Cette secousse désastreuse ne semble pas avoir été. immédiate-
ment précédée d'une secousse moins forte; mais depuis plusieurs
jours, on en avait senli de légères auxquelles on n’avait pas fait
grande attention parce qu’elles sont fréquentes dans le pays. De-
puis, elles ont été à peu près quotidiennes, aussi bien que les
bruits souterrains, jusque vers le milieu de novembre. Elles
n’avaient pas encore cessé au 21 décembre. 11 est bien regret table
que personne n’ait tenu un journal de ces secousses nombreuses
dont plusieurs ont été très-fortes.
Pendant les premiers jours, les bruits souterrains ont été ex-
trêmement fréquents 2. On en a compté plus de quarante dans
une seule nuit. Ils semblaient avoir leur origine au monte Pattino
et au monte Capregna. Cependant le P. Sccchi, en descendant du
monte Vcnlosola, a entendu une forte détonation suivie d’une
secousse si violente qu’il la ressentit même à cheval, ainsi que les
pe rsonnes qui étaient avec lui. Tous crurent qu’elle avait son origine
au monte Capregna; mais ils constatèrent ensuite que ce tremble-
ment avait eu son maximum d intensité à S. Pellegrino, c’est-à-
dire, en un point diamétralement opposé et à cinq milles de dis-
tance.
« Ce qu’il y a de certain, dit-il, c’est que les bruits ont été
souvent très -concentrés, qu’ils se sont étendus sur un espace très-
1 M,nc Catli. Scarpellini a noté, àéRome, deux secousses à 1 h. 26 ni. du ma-
tin, la première de PE. à PO., et la seconde vibrante; toutes deux très-sen-
sibles.
2 Si sen livano quasi continuamenle.
( 65 )
restreint et qu’ils ont été plus fréquents sur les montagnes au NE.
qu’à Norcia. On peut admettre :
» 1° Que la détonation n’a pas lieu en même temps que l’ébran-
lement du sol, mais qu’elle le précède de quelque fraction de
seconde;
» 2° Que l’ébranlement est ordinairement suivi d’un bruit
i
sourd, semblable à un tonnerre lointain et que le bruit de la se-
cousse se propage et se réfléchit dans l’air;
» 5° Que le bruit souterrain ressemble plutôt à celui d’une
masse solide frappant la terre de bas en haut qu’à une explosion
ordinaire. On peut dire aussi qu’il a beaucoup d’analogie avec
celui que produit la vapeur en passant dans le lencler d’une loco-
motive. »
M. Secchi a désiré connaître l’état du Vésuve pendant la durée
prolongée du tremblement. Il s’est adressé à M. L. Palmieri qui
lui a envoyé la réponse suivante que nous traduisons textuel-
lement :
« De continuelles émissions de lave se font à la base du cône
du Vésuve depuis le mois de de l’année dernière (1858); elles
sont aujourd’hui peu considérables, mais elles durent encore. En
parcourant mon journal je trouve qu’elles avaient à peu près cessé
vers le 15 août de cette année, car on en apercevait à peine la
lueur dans l’obscurité de la nuit, mais elles augmentèrent vers
le 18 et s’accrurent jusqu’à la mi-septembre et causèrent de très-
graves dommages.
» Le 20 août fut un des jours de plus grandes ruines.
» Le séismographe a accusé deux secousses en mai, le 2(> et le
28; trois en juin, les 11 , 14 et 29: il n’v en a pas eu en août;
mais en octobre, il y en a eu une très-forte le 2, et en novembre
une médiocre le 22.
» J’ai constaté deux ou trois exemples d’un certain affolement
de secousses au Vésuve; elles ont précédé un grand tremblement
lointain par lequel le volcan n’a pas été ébranlé L
1 Ho due o Ire esempi di un certo af/'ollamenlo di écosse al Vesiwio che
han prececluto digiorni un grande tremuoto lontano per lo quale poi il cul-
Tome XIII.
( 66 )
» Mon séismographe signale les secousses les plus faibles; il en
indique l’heure et la durée; il enregistre la nature et constate
toutes secousses (repliche) qui suivent le premier ébranlement
du sol. »
« Durant tout notre séjour à Norcia (du 29 septembre au 6
octobre), ajoute le P. Secchi, le temps fût très-beau , les petites
secousses ne cessèrent pas (non cessarono mai); les deux pre-
miers jours nous n’osions presque pas rester dans la maison du
marquis Cipriani (la seule qui fût restée presque intacte), tant les
secousses étaient fréquentes et sensibles; mais nous nous y habi-
tuâmes et nos craintes s’évanouirent. Malgré cette fréquence, nous
n’avons pu y découvrir aucune périodicité. Mais il serait bien à
désirer qu’on tînt une liste exacte des tremblements éprouvés à
Norcia et à Spoleto (où ils sont moins fréquents et moins dange-
reux et où le monte Luco est pour Spoleto ce que le monte Pattino
est pour Norcia ), et que cette liste fût comparée au mouvement du
baromètre et des autres instruments météorologiques.
« On a remarqué que le tremblement de Norcia est arrivé dans
le dernier quartier de la lune, ce qui ne s’accorde pas avec l’idée
de marées à l’intérieur du globe terrestre. »
Nous ferons observer qu’un fait isolé ne peut rien prouver
contre une loi physique basée sur plus de six mille manifestations
du phénomène. L’auteur le dit lui-même; il est très-regrettable
qu’on n’ait pas tenu une liste exacte des secousses. On aurait pu
comparer cette liste non-seulement à la marche de la lune dans
son orbite, mais aussi à son passage au méridien. C’est dans une
série prolongée de faits et non dans des manifestations isolées
qu’on doit rechercher la vérification d’une loi physique quel-
conque. Ainsi sur sept cent quatre-vingt-six jours de secousses
marqués à Reggio (Calabre), de 1836 à 1855, nous en trouvons
456,7 aux syzygies et 549,5 aux quadratures. Différence 87,4.
Relativement au passage de la lune au méridien, nous trouvons,
dans le même intervalle de temps , sur sept cent cinquante-sept
cano non si è scosso . ( Op. cit., p. 23.) Ceci ne semble pas se rapporter au
tremblement que nous décrivons.
( «7 )
secousses données avee indication d’heure : 410 lors du passage
de la lune au méridien supérieur ou inférieur, et 547 secousses,
quand la lune était à 90° du méridien. Différence 65. Et cependant
des nombres inférieurs à mille ne sont pas de ces grands nom-
bres tels que les réclame le calcul des probabilités dans la vérifi-
cation des lois physiques, c’est-à-dire des lois auxquelles les
grands nombres seuls peuvent donner leur puissance , comme
celle que nous avons établie sur plus de six mille faits. Nous ne
craignons pas de le dire, peu de lois physiques ont une base nu-
mérique plus solide que la nôtre. Au reste, nous ne perdons pas
de vue ce sujet qui mérite toute l’attention des savants.
Ajoutons, en finissant ce résumé, que les phénomènes magné-
tiques n'ont rien présenté d’irrégulier à Noreia. On sait que le
docteur Ami Boué rapporte les tremblements de terre aux cou-
rants magnétiques; un de mes bons amis, que je cite souvent
dans mes catalogues annuels comme un de mes correspondants les
plus zélés, M. Cli. Ritter, ingénieur à Constantinople, semble
avoir les mêmes idées que le docteur Boué b Comme je ne repousse
aucune théorie, je rapporterai un passage de Humboldt : « J’ai
trouvé, dit-il, que les inclinaisons étaient, en 1805, à Acapulco,
à Guyaquil et à Callao de Lima, de -t- 38°48', -M0°42', — 9°54\
Sir Edouard Belcher à trouvé (de 1857 à 1842), -+-57°57', -h9°1',
— 9°54'. Cela tiendrait-il à ce que les tremblements de terre, si
fréquents le long de la côte du Pérou, exercent une influence
locale sur les phénomènes dépendants de la force magnétique 1 2? »
Pendant le tremblement de Noreia, on n’a rien constaté d’ex-
traordinaire dans le régime des sources du pays.
— Le 22 encore > à Citta Ducale et Aquila (roy. de Naples) , nou-
velles secousses.
— Le 25, au matin, écrit-on de Bellune le 26, un volcan a fait
éruption dans le district d’Agordo , entre les communes de Hanale
et Faibou, après des craquements terribles. ( Moniteur , 6 sep-
tembre.) — Elle a été démentie plus tard.
1 De l’influence de la lune sur le temps. Journ d’agriculture de la Cote-
d’Or, 5nie sér., t. V, p. 219, juillet 1860.
2 Cosmos , t. IV, p. 85 de la traduction française.
On lit dans le Constitutionnel du 1 1 septembre : « La prétendue
éruption d’un volcan près d’Agordino dans le voisinage de Bel-
lune, se réduit à l’incendie d’une petite forêt située au haut d’une
montagne, incendie qui eut lieu en même temps qu’une secousse
de tremblement de terre. »
— Le 27, 9 h. J/2 du soir, à Aïn-Beïda , province de Constan-
tine, une forte secousse en trois ondulations de l’O. à LE.
— Vers minuit du 27 au 28, à Constantinople, une secousse
légère ressentie par le drogman de M. l’ingénieur Ritter. Celte os-
cillation a laissé une trace sensible (une espèce de spirale) au pen-
dule séismomètre que M. Ritter a établi au premier étage de sa
maison à Kourou Tchesmé sur le bord du Bosphore. Le grand
axe de la spirale était orienté EO. magnétique, c’est-à-dire E. 0°
N. — O. 6° S.
9
— Le 50, 4 h. !/2 du soir, à Janina (Epire), secousse assez forte
d’environ vingt-cinq ondulations du S. au N. Ce jour et le lende-
main, jusqu’à ce que éclate un violent orage le 1er septembre.
Vent S., beau temps.
— Le même jour, dans la soirée , à Guatemala , secousse du
SSO. au NNE.
— Le même jour encore, à Nice, trépidations du sol constatées
par M. Prost.
— Le 51 , vers 5 h. du matin, à Gallipoli (Turquie), une légère
secousse.
Le même jour, 0 h. */a du soir, à Sophia (Turquie), deux fortes
secousses. Un magasin en pierre de Tchoadjiklian s’est écroulé.
Chose à remarquer, c’est que la direction des oscillations cette
année, comme l’an passé, est toujours la même, du SO. au NE.,
précisément suivant la ligne parcourue par les eaux chaudes des
bains de Sophia.
— Un correspondant du Times informe cette feuille que ces
jours derniers, au village d’IIopton, près East Ilarling (Norfolk),
on a senti deux secousses, à un intervalle de trente secondes,
dans la direction du NE. au SO. Les vibrations étaient accompa-
gnées de grondements lointains comme ceux de la canonnade.
Le ciel était serein. Ce tremblement a été également ressenti
( 09 )
h Wattisfield ( Su/Tolk ) cl à Brighton. (Journaux français du 25
août.)
— Des lettres de Trébisonde apportent la nouvelle d’un trem-
blement de terre qui aurait eu des conséquences effroyables. La
ville de Chirvan, dans le gouvernement général de Tillis, aurait
été engloutie sous nue montagne qui s’est subitement affaissée.
(Presse iV Orient , 54 août 4859)
— On lit dans Y Echo du Pacifique du 20 août : « L’année der-
nière on donnait la description d’une montagne brûlante située
dans le comté de Prumas (Californie) , à quatre milles de Jamison-
City, sur le coté O. de Jamison-Creek. La matière incandescente
formait sur la montagne un lit semblable à du coke enflammé.
Cette année on n’aperçoit aucune ouverture d’où jaillisse la
flamme; mais une fumée abondante et épaisse s’échappe con-
stamment des flancs et du sommet de la montagne. Ce phéno-
mène attire un grand concours de curieux. »
Septembre. — Le 4, 4 h. 57 m. matin , à Guatemala, assez forte
secousse de l'E. à 10. et de quatre secondes de durée. A 8 h. du
soir, nouvelle secousse à peine sensible du NNO. ou SSE.
— J^e 8 (?), 9 h. !/â du matin, à San-Franeisco (Californie), une
légère secousse ressentie par quelques personnes seulement.
— Le 8 encore, 44 b. J/2 du soir, à Constantinople, une faible
secousse.
— Le* 44, vers 4 4 h. */2 du matin, à Gallipoli (Turquie),
faible secousse sentie seulement dans les étages supérieurs des
maisons.
Le 49, vers 14 h. 20 m. du matin, deux nouvelles secousses
dans l’intervalle de 5 m. Direction du SO. au NE.
— Le 47, à 7 h. 40 m. du soir, à Port-au-Prince, une se-
cousse.
— - Le 48, 7 h. 20 m du matin, à Lisbonne, tremblement de l’E.
à l’O. sans dommages.
— Le 25, de 7 h. {k à 8 h. du matin, à Constantinople, on a
ressenti, notamment dans le quartier qui avoisine la Porte, un
tremblement de terre avec cette particularité que c’était, une
espèce de soulèvement qui s’est renouvelé une dizaine de fois.
{ 70 )
Le même jour (heure non indiquée) à Gallipoli, trois oscil-
lations assez violentes à 10 m. d’intervalle. Direction de l’E.
à ro.
— On écrit de Naples: « Depuis quelques jours, on observe
de fréquentes détonations au Vésuve, et l’on craint que ce ne soit
l’indice d’une prochaine éruption. « (Moniteur, 28 septembre).
Octobre. — Le 2, à l’observatoire du Vésuve, une secousse très-
forte.
— Le 4, 5 h. 27 m. du matin, à Saint-Pierre (île de la Réu-
nion), une secousse, d’une demi-seconde de durée, a légèrement
ébranlé les meubles de toutes les maisons en charpente. Le mou-
vement paraissait venir du centre de l’île en se dirigeant vers la
mer. Sur les terrains d’alluvion, on n'a rien ou presque rien senti.
« Malgré notre volcan, dont le cratère est toujours plus ou moins
brûlant, dit M. Maillard, nous venons de ressentir, à Bourbon,
un léger tremblement de terre. Ce phénomène se renouvelle de
loin en loin sans jamais causer aucun dégât.
— Le 5, midi et quelques minutes, San-Francisco (Californie),
une secousse très-forte. Une maison en brique a été lézardée.
— Le 5 encore, à la Serena (Chili), tremblement qui a causé
de grands désastres. (M. Gay.)
— Le 11, 10 h. 3/4 du matin, à Perjamos (?), tremblement de
FF. à FO. avec bruit semblable au tonnerre. (M. Boué.)
— Le 11 encore, à Copiapo (Chili), tremblement qui a ren-
versé environ deux cents maisons. Dans le port de Caldera, la mer
a été fortement agitée et les navires à l’ancre ont éprouvé d’une
manière très-marquée les effets de la secousse terrestre.
— Le 17, 10 h. du matin, à Lovrin, dans le Banat, secousse du
SO. au NE. et à Perjamos, 10 b. 45 m. (sic), secousse de l’E. à l’O.
avec tonnerre souterrain.
— Le 18, 6 h. du matin, à San Francisco (Californie), une nou-
velle secousse. Le schooner Black Wcirrior, se trouvait à l’ancre
dans Half Moon Bay, où l’eau en se retirant soudainement Fa
laissé à sec pendant quelques secondes; puis elle est revenue vio-
lemment et a fait au schooner des avaries graves. Il paraît y avoir
encore eu une autre secousse trois ou quatre jours après.
( 71 )
— Le 19, G h. !/4 du matin, à Valparaiso, tremblement assez
fort. (M. Gay.)
— Le 20, 4 h. du soir, à Jalbova (entre Constantinople et
Brousse), une secousse.
— Le 21, 4 b. 10 m. du matin, à Essek (Slavonie), et à Ter-
nova, près de Diakovar, tremblement du SE. au NO. A Ternova,
la croix de la tour de l’église est tombée. Maisons endommagées.
Le 25, 11 h. du soir, à Villefranche (Rhône), deux secousses
assez fortes, accompagnées d’un tintement de verres, de bou-
teilles et de vaisselle. Les personnes couchées ont été réveillées.
— Le 2G, 8 b. 10 m. du soir, à Janina (Epire), faible secousse,
avec deux ondulations se propageant très-distinctement du S. au
N. Vent S., beau temps.
— Le 27 et dans la nuit du 30 au 51 , à Imbros. (Voyez la lettre
de M. Ch. Ritter.)
— On écrit de Constantinople, le 2G : « un tremblement de
terre s’est fait sentir à Erzcroum. Au départ du courrier les se-
cousses continuaient. Nous avons appris que la ville de Chamakhi
(capitale de la province de Chirvan) avait été entièrement dé-
truite. »
Novembre. — Le 1er, 5 m. après minuit, à Janina (Epire), faible
secousse du S. au N., vent SE., temps pluvieux.
— Le 8, à Gopiapo et Caldero (Chili), une violente secousse.
— Le 14, 4 h. du matin, au Chili (localité non indiquée), grand
mouvement suivi d’autres mouvements forts pendant quelques
secondes. (M. Gay.)
— Le 14, 4 h. du soir, à Malte, légère secousse accompagnée
d’un fort bruit de croulement.
— Le 14 encore, à Nice, trépidations du sol constatées par
M. Prost.
— Vers minuit du 1 9 au 20, à Arreau (Hautes-Pyrénées), deux
secousses de l’O. à l‘E.
— Le 21 , 5 h. du soir, à Circulai’ Head (Tasmanie), une vio-
lente secousse.
— Le 22, 7 h. 5 m. du matin, à La Guayra (Colombie), une se-
cousse du N. au S.
( 7-2 )
— Le 22, encore, à l'observatoire du Vésuve, une secousse
médiocre.
— Le 25, à San Francisco (Californie), une légère secousse.
Le 27, au soir, à San Francisco (Californie), deux secousses.
— Le 28, à 5 h. (sic), à Circulai1 Head (Tasmanie), une nou-
velle secousse précédée d’un bruit sourd qui dura une minute.
Le tremblement fut très-fort et dirigé du N. au S.
(Sans date de jour). A File Hawaï (Sandwich), deux secousses.
Le journal Olympia Pioneer du 5 décembre contient l’article
suivant : « Plusieurs personnes au nombre desquelles figure
M. J.-A. Tennant , rapportent que le mont Baker (situé près de la
frontière N. du territoire de Washington), a été vu en état d’érup-
tion par des résidants de Semiahmoo et par des navires voisins de
ees localités. On a remarqué deux larges jets de flammes s’échap-
pant de la crête de la montagne et paraissant sortir de deux fis-
sures distinctes. Ce phénomène ne s’est produit que pendant peu
de jours, et l’on n’a point remarqué qu’il fût accompagné, comme
cela arrive d’ordinaire en pareil cas, d’épais nuages d’une fumée
noire. Il est rare que l’on ait eu à constater des éruptions émanées
de la montagne Baker. »
— On lit dans le Moniteur du 4 9 novembre, un petit article
sur la ville de Jeddo au Japon : « 11 n’y a aucune trace d’architec-
ture. La cause en est dans les tremblements de terre qui sont si
fréquents dans ces contrées. Il n’y a de hautes et solides murailles
qu’au bord du fossé qui défend la ville. Ces murs, qui s’élèvent à
trente ou quarante pieds, sont formés de grands blocs de granit
curieusement enchâssés les uns dans les autres. Par la singularité
de la maçonnerie et par son épaisseur, il semble que de telles mu-
railles doivent résister même aux tremblements de terre. 31ais
toute autre muraille dans la ville est bâtie en traverses de bois
fortement agencées , reliées entre elles par des cloisons de bam-
bou et n’ayant jamais plus de deux étages... C’est un mode de
construction qui a l’avantage de résister admirablement aux se-
cousses terrestres. Même à présent, depuis que j’écris, toute la
maison et la terre sous mes pieds ont tremblé plusieurs fois, ce-
pendant la solidité de la construction n’a été aucunement ébranlée;
( 75 )
les habitants n’ont pas craint pour leur sûreté un seul instant. Si
l’on se préoccupait, outre mesure des tremblements de terre, il ne
resterait personne dans Jcddo, et nous l’avons dit, cette ville a
deux ou trois millions d’habitants. »
Décembre. — Le 1er, 1 b. moins 8 m. du matin, à San-Fran-
cisco (Californie) une forte secousse, cinq ou six vibrations ont
ébranlé les murailles.
— Le l(r encore, 7 b. 20 m. 54 s. (temps vrai), à Bologne, une
très-faible secousse ondulatoire du SE. au NO.; durée une se-
conde.
— Le 4 à Valparaiso, plusieurs tremblements; les plus forts
ont eu lieu à midi quelques minutes, à G b. */2 du soir et le der-
nier à 5 b. '/s du matin , le 5. (M. Gay.)
— Le G, 5 b. 45 m. du soir, à Donzèrc (Drôme), du côté de la
montagne et sur les bords du Rhône, tremblement sensible dans
les étages supérieurs; au rez-de-chaussée et en pleine rue on n’a
eu qu’une espèce de frémissement. A Pierre Latte, à la Garde et
aux Granges, on n’a rien ressenti. On ne se rappelle pas avoir
éprouvé, dit-on , de tremblement de terre au bourg de Donzèrc.
— Le 8, 8 b. 20 m. du soir, à Guatémala, violent tremblement
du SO. au NE. et de quatre-vingt-dix secondes de durée pendant
lesquelles le pendule séismique de trois mètres cinquante-deux
millimètres de longueur a fait des oscillations de quarante milli-
mètres d amplitude et les poutres ont fait entendre un craquement
fort et continu.
Le 10,8 b. 4G m. du soir, deux légères secousses du NE. au SO.
et de quatre secondes de durée. Le pendule a oscillé d’un milli-
mètre. M. J. Canudas a accompagné la note à laquelle j’emprunte
les secousses de Guatémala d’une lettre à 31. Deville, président de
la société météorologique de France. « Pour l’observation des
tremblements de terre, dit-il dans cette lettre, je me sers d’un
disque de bois bien gros d’un décimètre de diamètre : du centre
partent seize petits canaux dont la largeur va croissant à mesure
qu’ils s’éloignent du centre, où se trouve fixé un petit verre con-
vexe sur lequel j’équilibre une petite boule d’ivoire; au moindre
mouvement , la boule tombe pour entrer dans un des petits canaux
( 74 )
où elle se trouve arrêtée par le bord qui entoure le disque. Ce
petit appareil couvert d’une cloche de cristal se trouve sur un
plan horizontal pratiqué dans une muraille très-solide de l’édifice
et avec les canaux bien orientés. J’ai en outre un pendule de
plomb de cinq cent cinquante grammes de poids, suspendu à un
fil d’archal fin de trois mètres cinquante-deux de longueur sous
lequel se trouvent bon nombre de cercles concentriques d’un
millimètre de distance : huit petites aiguilles fixées au pendule
dénotent ses oscillations et leur direction. J’ignore si ces futiles
appareils sont usités quelque part ailleurs pour cette espèce d’ob-
servation, mais je les ai imaginés faute d’autres moyens et ne
connaissant pas la manière de les observer qu’on suit en Europe;
je vous serais bien obligé, si vous aviez la bonté de m’indiquer
quelle en peut être la valeur pour les observations.
» Je vous envoie ci-jointe une note des tremblements de terre
que j’ai observés pendant l’année 1859.
» Le tremblement le plus considérable eut lieu le 8 décembre.
C’était une secousse violente qui s’est prolongée pendant l’espace
d’une minute. Quand le bruit qui l’accompagnait eut cessé, l’os-
cillation de la terre continuait encore bien sensiblement durant
environ une autre demi-minute. Chaque oscillation paraissait
durer comme une demi-seconde ou quelque chose de plus. La
boule tomba du coté du SO. tandis que le pendule oscillait dans
une direction perpendiculaire, c’est-à-dire du NO. au SE., diffé-
rence de mouvement qui a été remarquée par beaucoup d’obser-
vateurs; d’ailleurs l’eau contenue dans un grand bassin de la
fontaine qui occupe le centre de la cour a débordé d’abord dans
le premier sens indiqué, puis dans l’autre. Il régnait alors un
vent assez fort du NNE., qui avait soufflé tout le jour et fait bais-
ser considérablement le thermomètre, tandis que le baromètre se
trouvait très-élcvé; le ciel, à l’exception de quelques cirrus-stra-
tus qu’on distinguait sur l’horizon vers le NE., était très-serein.
Ce tremblement a été éprouvé, à ce qu’il paraît, avec plus de
force et de désastres vers le SE. et particulièrement dans les envi-
rons du volcan d’Izalco dans l’État de San Salvador, où il est censé
avoir eu son foyer. Mais ce qu’il y a de plus étonnant, h mon avis,
( 75 )
c’est que l’aiguille magnétique de la position d’environ 7°lo'5o"
où elle se trouvait tout le 8, se trouva une demi-heure apres,
très-fixe à 7°6'3" et qu’elle ait continué depuis lors, dans cette
nouvelle position, avec une certaine tendance vers la précé-
dente. »
Voici ce que je lis dans le Times : « Le 8, vers 8 h. 3/4 du soir,
à Izalco (Guatémala), tremblement qui a continué pendant deux
minutes et trente-cinq secondes L’église de la paroisse a été dé-
truite, à l’exception de la nef et de la sacristie; quarante environ
des meilleures maisons et un certain nombre de plus petites ont
été aussi détruites; personne heureusement n’a péri. Pendant la
nuit, plusieurs autres secousses plus ou moins fortes et longues
ont été ressenties. L’une d’elles, plus violente que les autres, a
amené la destruction de plusieurs bâtiments qui avaient résisté
au premier choc.
« Le tremblement de terre s’est fait sentir à Guatepèque, Opico,
Apopa, Tepecoya et dans d’autres villes. A Tepecoya, l’église, la
maison de ville et plusieurs maisons ont été détruites. A Guate-
pèque, l’église et la maison de ville l’ont été en partie.
» Jacquaque a souffert également; plusieurs maisons ont été
détruites et l’église grandement endommagée. Dans les faubourgs,
de grands trous se sont ouverts, quelques-uns de plus de cent
yards de largeur.
» A Guayamoco, des maisons ont été détruites et l’église a beau-
coup souffert. A Pancbimalco, des maisons ont été endommagées
et de larges crevasses se sont ouvertes dans la terre. A San Martin
et Comasagua, l’église et la maison de ville ont été en partie dé-
truites. Nanhuisaleo a souffert aussi
» Dans la nuit du \ 0 , à 9 h. 30 m. , il y a eu encore deux fortes
secousses.
» Lors de ces deux tremblements, les nuits étaient très-claires ;
seulement le vent du nord souffla avec violence jusque un peu
avant les secousses, pendant lesquelles il s’apaisa pour recom-
mencer aussitôt après.
» Le volcan d'Izalco a été sans aucun doute, le centre du trem-
blement, parce que les secousses se sont fait sentir tout alentour,
( 70 )
mais très-fortement, surtout dans la direction NE. et sur une dis-
tance de cent cinquante milles environ. [Times.) »
M. l’abbé Brasseur de Bourbourg a simplement écrit à M. Malte
Brun :
« Le 8 décembre dernier, à 8 b. 20 de la nuit, nous avons
éprouvé ici (à Guatemala ) un fort tremblement de terre; il a duré
une minute; Guatemala n’en a éprouvé aucun dommage; mais à
Escuintla, il y a eu plusieurs édifices renversés. Le cboc qui pa-
raissait venir du volcan d’Izalco, dans l’Etat de San Salvador, a
renversé un grand nombre de maisons dans la petite ville d’Izalco
et ébranlé beaucoup d’édifices à Sanzonate dans d’autres en-
droits. » (/Y. Ann. des voyages , 18G0, t. Ier, p. 5G0).
— Le 10, de nuit, à Circular-IIead (Tasmanie) plusieurs se-
cousses moins fortes que celles de novembre.
— Le Tl et le 20, à Nice, trépidations du sol constatées par
M. Prost.
— Le 15, entre 2 et 5 h. du matin, dans diverses parties du
comté d Yorskshire, principalement àGrassington et dans la vallée
de Wliarte, une secousse qui a ébranlé plus de deux cents milles
carrés. Des mineurs qui travaillaient à Grassington-Moor, à trois
cent soixante pieds de profondeur ont senti cette secousse qui
s’est annoncée par un bruit distinct.
— Le 18, entre 0 et 10 b. du soir, à Janina (Epire) faible se-
cousse venant du S. et se dirigeant vers le N. Vent NE., temps
pluvieux.
— Le 18 encore, à la Pointe-à-Pitre, tremblement violent, mais
qui ne paraît pas avoir causé de dégâts, d’après le rapport du
capitaine Quéma commandant le brick Trois-Frères , quia quitté
la rade le lendemain matin.
— Le 21 , entre 10 et Tl b. du soir, à Sziget (Comitat de Mar-
maros), violent tremblement avec bruit souterrain; durée, sept
secondes; vingt ou vingt-cinq chocs; pas de dommages.
- — Le 22, 1 b. 25 m. du matin, à Oran (Algérie) deux se-
cousses. C’était la cinquième fois, dit Y Echo d'Orcui , que cet
effrayant phénomène se reproduisait dans le même mois; heu-
reusement, ajoute-t-il, que les secousses étaient très-peu sensibles.
( 77 )
— Le 22 encore, 10 h. du soir, et ie 25, 2 li. du matin à Bres-
lau (Silésie prussienne), secousses pendant un ouragan. Le 20,
2 h. */2 du malin, tonnerre et dégel à Prague, non pas à Vienne.
(M. Bouc.)
— Le 50, 4 h. 10 m. et 1 1 h. 5 m. du soir, à Bikes (Comitat de
Gran , Hongrie), deux violentes secousses de PO. à LE., durée sept
minutes suivant M. Boué, sans dommages.
— Dans le courant de décembre, des bâtiments de guerre fran-
çais, se rendant en Chine, ont relâché à Ténérilfe; un officier a
fait l’ascension du pie. « Près de la pointe, écrit-il, on voit de
nouvelles crevasses; une vapeur bridante en sort et occasionne
un bourdonnement semblable à celui des abeilles. Celte vapeur
fait monter le thermomètre à C7° et jusqu'à 75°. Autour de ces
ouvertures, le sol est couvert d’une terre argileuse très blanche,
provenant de la décomposition des produits volcaniques exposés
constamment au contact de l’aeide sulfurique et de Peau qui sor-
tent de ecs soupiraux. »
— On lit dans le Journal de Constantinople , le passage sui-
vant d’une lettre d Odessa, en date du 17 : « ...Depuis hier, on
parle d’un tremblement de terre qui aurait eu lieu à RastofF et à
Taganrock. J’ai cherché, mais en vain, à aller à la source de celte
nouvelle; je suis donc assez porté à douter de son exactitude ou
tout au moins à la croire exagérée; peut-être a-t-on ressenti quel-
que légère secousse dans les deux villes que je vous ai nommées
et grossit-on le fait. S’il en était autrement, nul doute que l’au-
torité, comme nos maisons de commerce qui ont presque toutes
des succursales, en eussent été informées. »
— On lit dans la Presse , du 25 janvier 1800 : « La frégate mixte
la Bellone , a mouillé le 28 décembre sur la rade de Saint-Pierre
(Martinique). La situation du pays, aux dernières dates, était satis-
laisantc. On avait ressenti sur différents points des Antilles, plu-
sieurs secousses de tremblements de terre, mais la manifestation
du phénomène n’avait pas eu de gravité et l’on était sans inquié-
tude sur les suites. »
FIN.
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ERRATA
à la dernière note de M. Alexis Perrey, sur les tremblements
de terre en 1858.
1854. Au lieu de : — Le 25 juillet et le 8, lisez : le 25 juillet et le 8 août.
1855 Septembre. Au lieu de : Le 7 et le 8 , lisez : Le 7 et le 18
» Le 25 , »
» Lamengan, »
» Someroe , »
» Le 1 2 et le 1 8, »
» Et 7 h. 1/2, »
» Secousses et , »
» Hema , »
» 9 h. 51 m., »
Nuit du 21 au 22 janvier. Au lieu de .-(Lombardie), lisez :dei Lombardi.
27 janvier. Au lieu de : Entlibluch, lisez : Entlibuch.
Octobre.
1856. Septembre.
1857. Le 13 août.
Octobre.
14 novembre.
17
17 »
1858. 15 janvier
Le 5.
Lamongan.
Semeroe.
Le 12 et le 15.
A 7 h. 'h
Secousses de.
Kema.
9 h 34 m.
27 »
21 février,
23
26
Aaran , » Aarau.
Depuis le 9 au 12, lisez : Depuis le 9/21 , et
Lettre du 7 au 19, lettre du 7/19 mars.
Et le soir, lisez : Et le soir vers 7 h. 'k.
5 h. avant l’aube , lisez : 5 h. avant l’aube (vers
2 et 5 h. 10 m. du matin).
Le 15, 9 h. et 10 h., lisez : le 15, 9 h. et 10 h.
Grontovon , lisez : Grantown.
Santa Johanna, » St. Johann (Autriche).
Le 21 , 11 h. du soir. Le 23, 4 h. du matin.
— Le 24, 20 h. ll%.
Lisez : Le 21, 11 h. du soir, le 23, 4 h. du
matin, le 24, 10 h. *1 2.
Enfin, le dernier alinéa du Mémoire doit être précédé de la phrase suivante:
« M. le Dr A. Schlaefli , médecin d’un régiment en garnison à Janina (Epire),
a fait des observations et en a publié les résumés. Nous donnons.... »
Mars.
6 juin.
7 »
21 septembre.
V.
\
TABLE
I)K S
MEMOIRES CONTENUS DANS LE TOME XIII.
1. Le duc Jean Ier et le Brabant sous le règne de ce prince ( 1267 - 1294);
par M. Alphonse Waulers.
2. Des Institutions de prévoyance en général, et des assurances sur la vie
en particulier; par M. le major Liagre.
3. Note sur les tremblements de terre en 1859, avec suppléments pour les
années antérieures; par M. Alexis Perrey.
PUBLICATIONS DE L ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE.
^oiivenui Mémoires de l’Académie royale des sciences et belles-
lettres de Bruxelles, tome I à XIX ; collection in-4°. — Mémoires de
l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Bel-
gique, t. XX à XXXIII; in-4°. — Prix : 8 francs par volume, à partir
du t. X.
Mémoires couronnés par l’Académie royale des sciences et
belles-lettres de Bruxelles, tome 1 à XV ; in-4°. — Mémoires couronnés
et Mémoires des savants étrangers , publiés par l’Académie royale des
sciences et des belles-lettres de Bruxelles, tome XVI à XVIII 5 in-4l>.
— Mémoires couronnés et Mémoires des savants étrangers , publiés
par l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de
Belgique, tome XIX à XXX; in-4°. — Prix : 8 francs par volume,
à partir du tome XII.
IM émoi res couronnés et autres Mémoires, collection in- 8°,
tome ï à XIII. — Prix 4 francs par volume.
a « si a a ire de l’Académie, lre à 28me ann. 1855-02; in-18. Fr. 1,50.
BBislSetins de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de
Bruxelles, tome I à XII; in-8°. Prix : 4 fr. par vol. — Bulletins de
l’ Académie royale des sciences , des lettres et des beaux-arts de Bel-
gique, tome XIII à XXIII. — 2me série, tome I à XIII; in-8°. — An-
nexes aux Bulletins de 1854, 1 vol. in-8*. — Prix : 4 fr.
itibliograpbie académique, ou liste des ouvrages publiés par
les membres, correspondants et associés résidents. 1854; 1 vol. in-18.
Tables des Mémoires des membres, des Mémoires couronnés et
des savants étrangers (1810-1857). 1 vol. in-18; 1858.
Tables générales et analytiques du recueil des Bulletins de
l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Bel-
gique, comprenant les tomes I à XXIII, lre série (1852-1850). 1858 ;
1 v. in-8°.
Catalogue des livres de la bibliothèque de l’Académie royale des
sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. 1850; 1 vol. in-8ü.
Commission pour ta publication des monuments de la
littérature flamande.
Mer Saturen ISloeme van Jacob Tan Maerlant. publié par
M. Bornions, tome Ier, 1857; 1 vol. in-8°.
Igymhybel va** Jacob Van ItMeriant, publié par M. .1. David,
tomes 1, 11, III et Glossaire, 1858-1800; 4 vol. in-8°.
Alexander Geesten van Jacob van Maerlant. publié par
M. Snellaert, tome Ier, 1800, 1 vol. in-8°.
Commission royale d'histoire.
Coliecîlon «le Chroniques belges inédites, publiée par ordre
du Gouvernement; 25 volumes in-4°.
Compte rendu des séances de la Commission royale d’histoire ,
ou Recueil de ses Bulletins, lre série, 10 vol. in-8° (1837-1849). —
2 me série, 12 vol. in-8° (1850-59). — 5me série, tomes I à III (1800-02).
Annexes aux Bulletins, G volumes in-8°. — Tables générales des
Bulletins de la lrc série, par E. Gachet. 1 vol. in-8° (1852).