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Full text of "Mémoires de la Société d'émulation du Doubs"

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MÉMOIRES 


SOCIÉTÉ D'ÉMULATION 


DU DOUBS 


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MEMOIRES 
DE LA 


SOCIÉTÉ D'ÉMULATION 
| PTT OUBS 


QUATRIÈME SÉRIE 


HUITIÈME VOLUME 


1873 


BESANÇON 


IMPRIMERIE DODIVERS ET C*, 
Grande - Rue, 87. 


1874 


REZ 


MÉMOIRES 


LA SOCIÉTÉ D'ÉMULATION 


DU DOUBS 
1873 \ 


PROCÉS-VERBAUX DES SÉANCES 


Séance du 11 janvier 1873. 


PRÉSIDENCE DE MM. SRE ET Ducart. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Sire, président sortant, élu premier vice- 
président; Ducat, deuxième vice-président sortant, élu pré- 
sident, Chotard, élu deuxième vice-président; Faivre, vice- 
secrétaire réélu; Gauthier, archiviste réélu; Castan, secré- 
* taire décennal ; 

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Berr de Turique, Charlet, Dela- 
fond, Grand (Charles), Guillin, Klein, Mathieu, Saint-Loup, 
Trémolières, Vézian. 

Les procès-verbaux des séances tenues les 18 et 19 dé- 
cembre 1872 ayant été lus et adoptés, et les élections faites 
dans la première de ces réunions se trouvant ainsi validées, 
M. le président Sire, après avoir remercié la Société d'une 
bienveillance qui lui a rendu facile l’accomplissement de son 
mandat, cède le fauteuil à son successeur et appelle au bu- 
reau M. Chotard. 

& 


M. Ducat, prenant la direction de la séance, assure ses 
confrères de tout son dévouement à l'œuvre commune. . 

Par une circulaire en date du 30 décembre dernier, M. le 
Ministre de l'instruction publique fait connaître aux sociétés 
savantes qu'une réunion de leurs délégués aura lieu, à la 
Sorbonne, du mercredi 16 au samedi 19 avril de cette année. 
Une somme de 3,000 fr. est mise à la disposition de chacune 
des trois sections du Comité des travaux historiques, pour 
être distribuée, à titre d'encouragement, soit aux sociétés, 
soit aux savants dont les productions auront contribué le plus 
efficacement aux progrès de l’histoire, de l'archéologie et des 
sciences. Aucun travail d'histoire ou d'archéologie ne pourra 
être lu en Sorbonne, s’il n’a préalablement été jugé digne de 
cette faveur par une société savante : les travaux de l'ordre 
scientifique ne seront pas soumis à cette formalité. Les ma- 
nuscrits d'histoire ou d'archéologie, ainsi que la liste des dé- 
lécués, devront parvenir au ministère avant le 1° avril, date 
de la clôture des registres d'inscription. Des billets de voyage 
à prix réduits, valables du lundi 7 au mercredi 23 avril, se- 
ront adressés aux délégués régulièrement inscrits. 

La Société exprime l'intention de faire de son mieux pour. 
figurer dignement dans ces nouvelles assises. 

Répondant à une lettre qui lui avait été écrite à l'effet de 
demander le paiement par la ville de ce qui reste dû à. 
MM. Voisin père et Brice Michel sur les travaux de macon- 
nerie et de terrassement du square archéolosique, M. le 
maire, par une dépêche en date du 10 janvier courant, dé- 
clare à la Société qu'il ne perd pas de vue les intérêts de nos 
deux honorables collaborateurs, son intention étant toujours 
de saisir le premier moment opportun pour proposer au con- 
seil municipal de terminer l'affaire d’une façon satisfaisante. 

M. Vézian présente à la Société, en vue d’une publication 
dans ses Mémoires, un travail qu'il intitule : Introduction à 


l'étude de la géologie du Jura, considéré principalement dans sa 
partie nord-occidentale. 


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Ps 
. Ce manuscrit est renvoyé à l'examen d’une commission 
composée de MM. Alphonse Delacroix, Henry et Delafond, 
ce dernier membre chargé du rapport. 

M. Sire met sous les yeux de l'assemblée un modèle de la 
pipette à capacité variable, dont il avait, dans la séance du 

9 novembre dernier, expliqué les avantages, communication 
qui fut alors retenue pour nos Mémoires. 

Le même auteur dépose, en l’analysant, une notice ma- 
nuscrite sur un voluménomètre et son application à la mesure 
approchée de la hauteur barométrique. 

La Société, jugeant que la divulgation d'appareils d’une 
utilité pratique rentre essentiellement dans les conditions du 
but qu'elle poursuit, s'empresse de voter l'impression de cet 
opuscule. 

M. Berr de Turique, parlant au nom de la commission 
permanente des bibliothèques populaires, fait connaître à la : 
Compagnie que ses délégués n’oublient pas la mission qu’elle 
leur a confiée. Par les soins de M. Demongeot, notre confrère, 
des dépôts de livres, qui ne tarderont pas à être rendus acces- 
sibles au public, s'organisent dans les salles des écoles muni- 
cipales ; et la Société, qui devra être instruite du résultat 
obtenu, ne pourra manquer d’y applaudir et de coopérer à sa 
continuation. 

M. le président remercie M. Berr de Turique, en expri- 
mant les meilleurs sentiments au sujet de l'œuvre des biblio- 
thèques populaires. 

Des remerciments sont votés à M. Ernest Vermot, capi- 
taine de frégate, en retour du don que nous a fait cet hono- 
rable compatriote d'échantillons géologiques et paléontolo- 
giques, provenant de la grotte de Loubeau, près Melle (Deux- 
Sévres), mine féconde et dont les produits ont été récemment 
l'objet d’un rapport de M. Paul Gervais, inséré dans les Ar- 
chives des missions scientifiques et dans le Bulletin de l’Asso- 
ciation scientifique de France. 

MM. Chotard et Castan demandent le titre de membres 


I 
résidants pour MM. Henri Tivier, professeur de littérature 
française à la Faculté des lettres, et Camille Francois, profes- 


seur d'histoire au Lycée. 
À la suite d’un scrutin secret, sont déclarés élus : 


Membre résidant, 


M. Bourrerin (Francois-Marcel), adjoint à l'architecte de 
la ville, et professeur à l'Ecole municipale des Beaux- 
Arts ; 


Membres correspondants , 


MM. RiNGuELET (Eusèbe), industriel, à Trécourt (Haute- 


Saône) ; 

Vermor (Ernest), capitaine de frégate de la marine 
nationale. 

Le Président, Le Secrétaire, 


A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 8 février 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. SIRE. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Sire, premier vice-président; Zaremba, tré- 
sorier ; Castan, secrétaire ; 

Me£mBres RÉSIDANTS : MM. Androt, Bial, Chotard, Debau- 
chey, Delacroix (Alphonse), Delafond, Delagrange , Dupuy , 
Grand (Charles), Guillin, Jégo, Klein, Ravier, Renaud (Fran- 
colis), Vézian. 

Le procès-verbal de la séance du 11 janvier est lu et adopté. 

Dans une lettre adressée à M. le président Ducat, et dont 
le secrétaire donne lecture, notre confrère M. Ernest Vermot 
annonce qu il à fait faire de nouvelles fouilles dans la grotte 
de Loubeau (près Melle), et que les vestiges qui en sont ré- 


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TEE 
sultés viennent d'être expédiés, à ses frais jusqu'à Paris, dans 
une Caisse qui doit parvenir à notre musée. M. Vermot a 
joint à sa lettre trois brochures de M. de Longuemar, sur les 
premières explorations de la grotte de Loubeau et de ses ana- 
logues du Chaffaud. Ces brochures nous sont données par 
M. Jacques Lavaud, fermier à Mérilly (près Melle), zélé 
fouilleur qui offre de nous adresser de nouveaux échantillons, 
si, à vue de ceux que nous allons recevoir, il nous paraît 
convenable de payer le port de ce qu'il aurait ultérieurement 
à nous transmettre. 

La Société se montre très sensible à cette nouvelle preuve 

de la sollicitude de M. Ernest Vermot envers les collections 
publiques de sa ville natale; elle lui vote, ainsi qu'à M. Jac- 
ques Lavaud, des remercîiments bien sincères ; puis elle dé- 
clare s’en rapporter à l'opinion de M. Vézian sur la question 
de savoir s'il y aura lieu, après ouverture de la caisse qui 
nous arrive, de désirer de nouveaux envois de la même pro- 
venance. 
. Parmi les livres récemment parvenus à la Société, le secré- 
taire signale l'Annuaire du Doubs et de la Franche-Comté pour 
1873, par notre confrère M. Paul Laurens, ainsi que la Vérité 
sur le masque de fer, par M. le capitaine Jung, membre cor- 
respondant de la Compagnie. 

L'Annuaire du Doubs, arrivé à son 60° volume, est une 
œuvre dont notre pays a le droit d’être fier, car il ne se publie 
nulle part rien d'aussi parfait en ce genre. L'auteur, s’inspi- 
rant du noble désir d’être utile, produit ainsi Chaque année 
un recueil où sont groupés, avec une conscience et un savoir 
hors ligne, tous les faits qui intéressent la prospérité présente 
et l’avenir désirable des diverses sources de la richesse pu- 
blique en Franche-Comté. 

Des remercîments sympathiques seront adressés à M. Paul 
Laurens. 

Le secrétaire fait également ressortir l'excellente méthode 
employée par M. le capitaine Jung pour résoudre le problème 


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SEE 
que pose le titre de son ouvrage. « Je suis parti, dit-il, du 
point de vue suivant : M. de Saint-Mars, le fameux gouver- 
neur du donjon de Pignerol, d'Exiles, de Sainte-Marguerite 
et de la Bastille, a eu sous sa garde un certain nombre de 
prisonniers. L'un de ces prisonniers est sûrement l’homme au 
masque. Donc, en faisant l'historique exact de chacun de ces 
messieurs, je devais être certain de ne point laisser échapper 
ce personnage, et, par élimination, d'arriver nécessairement 
à la constatation de son identité. Tel est le système qui m'a 
permis d'entrevoir tout un côté mystérieux et inconnu du 
règne de Louis XIV, les empoisonneurs, cette bande fameuse 
dont l’action désastreuse se fit sentir pendant cinquante an- 
nées sur la France et les plus hautes familles de l'Europe. » 
L'homme au masque appartenait à cette catégorie de conspi- 
rateurs : il fut arrêté, en 1673, comme chef d'un complot qui 
se tramait contre la vie du roi. C'était un gentilhomme lor- , 
rain, qui avait porté successivement différents noms et qui 
s'appelait en réalité de Marchiel. L'isolement absolu dans 
lequel le tenait Saint-Mars, et surtout la précaution que prit 
ce terrible gardien de lui masquer le visage pour le conduire 
à sa suite dans diverses forteresses, ont donné naissance aux 
légendes romanesques dont M. Jung a fait bonne et définitive 
justice. 

La Société félicite M. Jung, en acceptant avec gratitude 
l'hommage d'un exemplaire de son livre. 

Au nom d'une commission nommée dans la précédente 
séance, M. Delafond déclare que l'œuvre géologique de 
M. Vézian, offrant une description claire et substantielle des 
phénomènes qui ont constitué notre région jurassique et des 
accidents qui la composent, mérite le plus favorable accueil ; 
il en propose l'impression dans les Mémoires de la Société. 

Cette conclusion étant adoptée et M. Vézian ayant été en- 
tendu, il est décidé que le travail dont 1l s’agit entrera pour 
moitié dans le volume de 1872 et pour moitié dans celui de 
1873. Quant aux cartes sommaires que l’auteur désirerait 


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297 EDS AE UC , ; 


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joindre à son œuvre, il ne sera rien arrêté qu'après informa- 
tion prise de la dépense qu'occasionnerait ce complément. 

M. Castan lit une note sur les deux vocables Rognon et Ro- 
semont, qui servent concurremment à désigner une montagne 
appartenant au territoire de cette ville. Il démontre que Ro- 
gnon est le vieux nom de la montagne, tandis que Rosemont, 
dérivé de Rubeus mons, apparut seulement en 1291, pour dé- 
signer un Castel que l'archevêque Eudes de Rougemont (Odo 
de Rubeomonte) avait construit au sommet de cette hauteur et 
qui fut immédiatement démoli par les citoyens de Besancon. 

Cet opuscule est retenu pour les Mémoires de la Société. 

L'ordre du jour appelant la nomination de trois membres 
étrangers au conseil d'administration pour vérifier les comptes 
de l'exercice 1872, le choix de l'assemblée se porte sur 
MM. Klein, Bougeot et Francois Renaud, ce dernier membre 
chargé du rapport. 

Sont présentés pour entrer dans la Société : 

Comme membre résidant, par MM. Charles Grand et Cas- 
tan, M. Léon Barbier, ancien sous-préfet ; 

Comme membres correspondants, par MM. Chotard et Cas- 
tan, MM. Moquery, ingénieur des ponts et chaussées, à Ve- 
soul; et Achille Roberti, bibliothécaire de la ville de Valence. 

A la suite d’un scrutin secret sur les candidats antérieure- 
ment présentés, M. le président proclame: 


Membres résidants , 


MM. Trvier (Henri), professeur de littérature française à la 
Faculté des lettres; 
François (Camille), professeur d'histoire au Lycée, 


Le Vice-Président, Le Secrétaire, 
G. SIRE. A. CASTAN. 


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Séance du 8 mars 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. CHOTARD. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Chotard, vice-président ; Faivre, vice-se- 
crétaire ; Zaremba, trésorier; Gauthier, archiviste ; Castan, 
secrétaire ; 

MewBres RÉSIDANTS : MM. Berr de Turique, Bial, Debau- 
chey, Delafond, Demongeot, Dunod de Charnage, Girod (Victor), 
Goguely, Grand (Charles), Guillin, Klein, Renaud (Francois), 
Tivier, Vézian, Waille ; 

MEMBRE CORRESPONDANT : M. Vermot. 

Le procès-verbal de la séance du 8 février est lu et adopté. 

L'assemblée accueille par des applaudissements unanimes 


la dépêche suivante de M. le Ministre de l'Instruction pu-. 


blique et des Cultes : 
« Paris, le 22 février 1873. 

» Monsieur le Président, conformément aux dispositions 
de l'arrêté du 25 décembre dernier, la section d'archéologie 
du Comité des travaux historiques vient de m'adresser ses 
propositions pour la répartition de la somme de trois mille 
francs entre les sociétés savantes des départements dont les 
travaux ont le plus contribué aux progrès de l'archéologie. 

» Je suis heureux de vous informer que la Société d'Emu- 
lation du Doubs a été désignée par la section pour recevoir 
une récompense de mille francs. 

» Recevez, etc. 

» (Signé) JULES SIMON. » 


Le secrétaire fait connaître , à ce propos, que si l'attention 
des maitres de la science archéologique a été, une fois de plus, 
appelée sur les productions de notre Société, c'est grâce sur- 
tout à la sollicitude de M. Servaux, chef du bureau des tra- 


vaux historiques. Rien n’égale la bienveillante activité et le 
laborieux dévouement de ce haut fonctionnaire, qui est en 
même temps un naturaliste des plus distingués. La Société, 
qui doit à l'initiative de M. Servaux un certain nombre d’en- 
couragements flatteurs , ferait acte d'intelligente gratitude en 
conférant le titre de membre honoraire au digne chef du bu- 
reau des travaux historiques. 

Cette proposition est adoptée à l'unanimité et par acclama- 
tion. 

La Société s'occupe ensuite de composer la délégation qu'elle 
enverra au prochain congrès de la Sorbonne. Conformément 
au vœu de plusieurs membres de la section d'archéologie du 
Comité des travaux historiques, MM. Ducat et Castan produi- 
ront les dessins et un texte abrégé de leur monographie du 
Thédtre de Vesontio. La Société aura en outre pour représen- 
tants à cette solennité, MM. Sire, Chotard, Gauthier, Berr de 
Turique, Boullet, Carrau, Alphonse Delacroix, Delafond, 
Demongeot, Victor Girod, Goguely, Grosrichard, Louvot, 
Mathieu, Marion, Potier, Reboul, Tivier, Widal et de Fro- 
mentel. 

M. le Recteur de l’Académie nous ayant demandé les deux 
derniers volumes parus de nos Mémoires, pour les faire entrer 
dans la section française de l'Exposition universelle de Vienne, 
la Compagnie trouve bon qu'il ait été satisfait à ce désir. 

Sur la présentation du prospectus des Fables en patois de 
Montbéliard que va publier notre confrère M. Contejean, la 
Société souscrit à un exemplaire de cet ouvrage. 

M. Waïlle communique un mémoire mathématique, inti- 
tulé : Note sur les normales à l'ellipse et sur deux cas particu- 
liers de l'équation du quatrième degré. 

La Société vote l'impression de ce travail. 

M. Vézian apprécie, dans les termes suivants, les débris 
séologiques et paléontologiques provenant de la grotte de 
Loubeau (Deux-Sèvres), et offerts à la Société, pour le musée 
d'histoire naturelle, par M. Ernest Vermot : 


IC ARR 
« La caisse, adressée par M. Vermot, contenait, outre quel- 
ques échantillons de quartzite et de galène provenant des en- 
virons de Melle (Deux-Sèvres), divers débris recueillis dans 
la grotte de Loubeau, située près de la même ville. Ces débris 
étaient notamment des ossements en plus ou moins bon état, 
des dents de cheval et d'ours et des fragments de boïs de cerf. 
À son envoi, M. Vermot avait joint un morceau de la couche 
stalagmitique recouvrant la masse ossifère et formant le sol 
de la caverne : dans ce morceau se trouvaient engagés des 
ossements et des dents de cheval. à 

» La grotte de Loubeau a fait l'objet d'un rapport de 
M. Paul Gervais. Cet éminent paléontologiste a reconnu, 
parmi les débris qui en proviennent, des représentants des 
genres hyène, ours, bœuf, cheval, sanglier, etc. Il n'y a pas 
constaté de témoignages attestant que cette grotte aurait été 
habitée par l’homme. Mais les coprolites, dont on a pu re- 
cueillir plusieurs mètres cubes, ainsi que l'aspect des os fré- 
quemment rongés à leur extrémité, démontrent assez que 
cette grotte servait de refuge à l’hyène. C’est là qu'elle se 
livrait à ses repas, dont les cadavres rencontrés par elle fai- 
saient les frais. 

» Les hyènes ont donc été les agents de remplissage de la 
grotte de Loubeau; ce remplissage, selon nous, date de l'é- 
poque immédiatement antérieure à la seconde période glaciaire. 

» Si, maintenant, nous Comparons ce qui s'est passé dans 
la grotte d'Osselle à ce que nous venons de constater pour la 
srotte de Loubeau, nous constatons également dans la grotte 
d'Osselle l’absence de tout témoignage de son habitation par 
l'homme. L'époque de son remplissage par des débris orga- 
niques est la même. Mais ce remplissage ne s'est pas opéré 
dans les mêmes conditions. Les ossements, excessivement 
nombreux, qu'on a extraits de la grotte d’Osselle, proviennent 
exclusivement de l’Ursus spelæus. Celui-ci dévorait sa proie 
sur la place même où il la rencontrait. Peut-être même n'a- 
vait-il pas un régime exclusivement carnivore et se nourris- 


LATE 
sait-il quelquefois de miel et de fruits. Il ne rentrait dans la 
grotte d'Osselle que pour s’y abriter pendant la nuit et lors de 
la mauvaise saison. C'est là qu'après sa mort chaque individu 
laissait ses dépouilles. L'entrée de la grotte n'est qu'à quelques 
mètres au-dessus du niveau du Doubs, et jadis le débit de 
cette rivière était bien plus considérable qu'aujourd'hui. Il 
est donc probable qu'à certains moments les eaux diluviennes 
envahissaient la grotte et occasionnaient la mort des ours qui 
s’y étaient réfugiés. Ceux-ci laissaient leurs ossements en- 
gagés dans le limon apporté par les eaux, et c’est là qu'ils se 
sont conservés, gpâce à la couche stalagmitique dont la for- 
mation s’est ultérieurement effectuée. » 

M. Vermot, présent à la séance, offre en outre à la Com- 
pagnie une momie d'ibis sacré dans son urne de terre cuite, 
provenant des nécropoles de Memphis; une bouteille d’eau 
très bitumée de la mer Morte; une carte générale de l'Océan 
Atlantique septentrional, par Robiquet (1855); un plan du 
“bras canalisé de Sulina (Bas-Danube), par C.-A. Hartley 
(1860); un groupe de 50 monnaies et médailles de l'antiquité, 
du moyen âge et des temps modernes. ; 

La Société, acceptant avec reconnaissance les nouveaux 
objets que M. Vermot veut bien lui offrir, décide que les 
deux premiers articles de ce don seront déposés au musée 
d'histoire naturelle, tandis que le reste prendra rang dans les 
collections de la bibliothèque de la ville. 

M. Guillin entretient l’assemblée des vestiges d’une voie 
romaine existant dans les bois de la commune d’Arc-et-$Se- 
nans, vestiges qu'il serait intéressant de constater et peut- 
être d'étudier par quelques sondages. 

La Société déclare qu'elle accordera volontiers son patro- 
nage à cette exploration. 

Par un article du budget de 1873, une somme de 850 fr. 
avait été allouée pour l'acquisition d'un titre de rente, des- 
tiné à achever la consolidation des sommes versées par les 
membres qui ont racheté leurs cotisations. 


AT ES 


M. le trésorier expose qu'ayant voulu remplir à cet égard 
les intentions de la Société en achetant 50 francs de rente au 
3 0/0, une somme de 935 fr. 50 c. lui avait été nécessaire. IL 
demande en conséquence que son opération soit ratifiée par 
le vote de la somme complémentaire qui en couvrira les frais. 

Cette proposition est adoptée. 

Sont présentés pour entrer dans la Société : 

Comme membre résidant, par MM. Ducat et Castan, 
M. Jules Bichet, fabricant d'horlogerie, membre du conseil 
municipal de Besançon ; 

Comme membres correspondants, par MM. Lancrenon et 
Castan , M. l'abbé Claudon, curé de Lods (Doubs); par 
MM. Delacroix (Alphonse), Bouvot et Castan, M. Poulain, 
chef de bataillon, commandant du génie aux Rousses (Jura). 

Sont élus à la suite d'un scrutin secret : 


Membre résidant, 
M. BarBrer, Léon, ancien sous-préfet ; 


Membres correspondants, 


MM. Moquery, ingénieur des ponts et chaussées, à Vesoul; 
Rogerri (Achille), bibliothécaire de la ville de Valence 


(Drôme). 
Le Vice-Président, Le Secrétaire, 
CHOTARD. A. CASTAN. 


Séance du 26 avril 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. 


Sont! présents : 


Bureau : MM. Ducat, président; Sire et Chotard, vice-pré- 
sidents ; Faivre, vice-secrétaire ; Zaremba, trésorier ; Castan, 
secrétaire ; 


C1 LNSURE 


ane: À 0 9 L'or 


Memgres RÉsIDANTS : MM. Boillot, Canel, Cuenin, Debau- 
chey, Grand (Charles), Guillin, Klein, Potier, Vézian. 


Le procès-verbal de la séance du 8 mars est lu et adopté. 


En remerciant la Société de l'avoir élu membre honoraire, 
M. Servaux s'exprime ainsi : « Si, dans ma carrière adminis- 
trative, j'ai rendu quelques services aux travailleurs et aux 
sociétés savantes des départements, croyez que je me trouve 
aujourd’hui bien récompensé de ce que j'ai pu faire en voyant 
qu'on me sait gré de mes efforts. » 


Par une lettre en date du 29 mars dernier, M. Drapeyron 
annonce à la Société la perte qu’elle vient de faire, avec la 
France entière, dans la personne de M. Amédée Thierry, l’un 
de ses membres honoraires. Il rappelle à ce propos l’affec- 
tueuse sympathie de l'illustre historien pour Besançon et la 
Franche-Comté, berceau de sa double carrière d'écrivain et 
d'administrateur. Il communique le texte du discours qu'il a 
prononcé aux obsèques du regretté défunt, discours dans le- 
quel il a fait une mention spéciale des relations de M. Amédée 
Thierry avec notre Compagnie. Il termine en demandant que 
ce discours soit recueilli dans nos Mémoires. 

La Société est vivement affectée d'un douloureux événement 
qui, en privant la France d’une de ses gloires littéraires, 
ravit à notre province un patron plein de sollicitude et de dé- 
vouement. Elle ne saurait oublier l'intérêt que M. Amédée 
Thierry prenait à nos travaux et l’empressement qu'il met- 
tait à les faire valoir. Chacun de nous se souvient des paroles 
cordiales qu’il prononça, le 6 juin 1868, lorsqu'il vint, en 
honorant de sa présence une de nos séances, renouer avec 
les souvenirs qui le rattachaient à la Franche-Comté. La So- 
ciété fut alors justement flattée d’avoir été choisie par un tel 
homme pour confidente de sentiments que notre pays était 
fier d'avoir inspirés. La mort de M. Amédée Thierry est donc 
pour la Société d'Emulation du Doubs une perte de famille : 
aussi se fera-t-elle un devoir de contribuer à honorer la mé- 


AR. à FA Noe à 


moire de celui qui, parvenu au faîte des grandeurs, aimait à 
se dire le fils adoptif de notre vieille cité. 

En conséquence, la Société accepte avec gratitude la pro- 
position de reproduire dans ses Mémoires l'excellent discours 
prononcé par M. Drapeyron aux funérailles de M. Amédée 
Thierry. Elle vote également l'impression de l’éloquent éloge 
par lequel l'un de ses vice-présidents, M. Chotard, a ouvert 
la série des travaux du récent congrès de la Sorbonne. Par ce 
solennel hommage, rendu au nom des sociétés savantes des 
départements, notre Compagnie a dignement affirmé les titres 
qui la désignaient entre toutes pour conduire le deuil de la 
France provinciale au début d’une réunion qui devait être 
présidée par l’illustre auteur de l'Histoire des Gaulois. 

L'un des fils de M. Amédée Thierry, M. le capitaine Jacques 
Thierry, ayant bien voulu, à la suite de cette manifestation, 
exprimer le désir de compter, comme M. Gilbert Thierry, son 
frère, parmi les membres de notré Société, cette candidature 
est déclarée particulièrement agréable à la Compagnie. 

Le secrétaire notifie ensuite le décès de M. de Caumont, 
fondateur des congrès scientifiques et archéologiques qui ont 
exercé une si heureuse influence sur le développement des 
études provinciales. 

La Société ne peut qu'être très sensible à la mort du savant 
dévoué qui, durant une longue carrière, Consacra sa haute 
intelligence ‘et sa grande fortune à la propagation des idées 
qui ont fait éclore la plupart des associations savantes que 
possèdent les départements. 

La Société d'Emulation de Montbéliard nous ayant demandé 
d'envoyer des délégués à sa séance générale du jeudi 8 mai, 
MM. Sire, Chotard, Faivre et Gassmann acceptent le mandat 
de représenter notre Compagnie dans cette gracieuse circon- 
stance. 

La Société de tir de Besancon nous informe qu'elle orga- 
nise, pour le 7 juin prochain, un grand concours auquel sont 
conviés tous les tireurs français et étrangers ; elle nous prie 


Msal e Red 
de donner à cette entreprise une marque de notre sympathie. 
L'assemblée, estimant qu'il est d’un bon principe que les 
associations d'utilité publique se prêtent un fraternel appui, 
décide qu'elle offrira à la Société de tir, comme prix à décerner 
dans son prochain concours, une médaille en vermeil du mo- 
dule de 68 millimètres. Cette médaille portera au droit la 
figure de la République française; au revers se liront les 
inscriptions suivantes : Société de Tir de Besancon. — Concours 
de 1873. — Prix offert par la Société d’'Emulation du Doubs. 
M. Le président Ducat fait un rapport sur la part prise par 
notre Société au récent congrès de la Sorbonne. Il mentionne, 
en premier lieu , le bel éloge de M. Amédée Thierry, dû à 
notre confrère M. Chotard, morceau qui a été salué, dans la 
grande salle de la Sorbonne, par les applaudissements d’un 
auditoire d'élite. Il constate ensuite que le président de la 
Société d'Emulation du Doubs, comme représentant l’une des 
compagnies distinguées dans l'ordre des travaux archéolo- 
giques, fut appelé à siéger en qualité d’assesseur au bureau 
de la section d'archéologie du congrès. Les opérations de cette 
section furent inaugurées par une lecture de M, Castan, notre 
secrétaire, sur le Thédtre de Vesontio et le square archéologique 
de Besançon. Pendant cette lecture, qui fut parfaitement ac- 
cueillie, des plans et des dessins de M. Ducat circulèrent dans 
la salle, ce qui permit aux auditeurs de bien saisir les des- 
criptions contenues dans le texte de M. Castan. Lors de la 
distribution des récompenses, notre Société eut les prémices 
des éloges qu'avait à décerner le savant secrétaire de la sec- 
tion d'archéologie du Comité des travaux historiques : M. Cha- 
bouillet rappela nos fouilles si fructueuses des tumulus d'A- 
laise, loua sans réserve notre création d'un square archéolo- 
gique, fit des vœux pour le dégagement du Capitole de Ve- 
sontio, nous félicita d’avoir imprimé dans notre dernier vo- 
lume l’œuvre érudite de M. de Rochas sur la Poliorcétique des 
Grecs, ainsi que l’intelligente étude de M. Delacroix sur Be- 
sançon place forte. Une médaille de bronze, symbole du prix 


mn. LV ve 


de mille francs qui nous était attribué, fut recue par notre 
président des mains du Ministre qui présidait la solennité. 

M. Ducat dépose sur le bureau cette médaille ; puis il sou- 
met à la Société les dessins qui complètent le travail de 
M. Castan et doivent être transformés en planches pour le pro- 
chain volume de nos Mémoires. 

L'assemblée félicite et remercie son président de la com- 
munication si flatteuse qu'elle vient d'entendre; elle décide 
que le rapport de M. Ducat, ainsi qu'un extrait de celui de 
M. Chabouillet, entreront dans le volume de 1873. 

L'ordre du jour appelle la commission des finances à faire : 
son rapport sur la gestion du trésorier pendant l'exercice 1872. 

En l'absence du rapporteur, M. Klein donne lecture de ce 
document qui est ainsi CONÇu : 


« Messieurs, 


» La commission chargée de vérifier les comptes de notre 
Société, pour l'exercice 1872, a reconnu l'exactitude des écri- 
tures et le bon état de la caisse. ; 

» La balance des recettes et des dépenses, au 1‘ janvier 1873, 
donne à l'actif de la Société, y compris 240 fr. de 
coupations, rachetées 52072: MU Lie 2,654 f. 70 

» À ce solde il convient d'ajouter la subven- 
tion de la ville pour 1872, qui n’a été encaissée 
qaprés Je 1% janvier 18h32. 155020 een 600 » 


» Ensemble. .... 3:24 #10 


» Voici les mouvements de la caisse pendant l'année 1872 : 


RECETTES. 
» 1.p0Ide en Caisse de 187122712200 2,821 f. 79 
» 2° Subvention extraordinaire de l'Etat........ 1,000 » 
» 3° Subvention ordinaire de l’Etat.....,....... 00 » 


» À reporter... .. 4,321°275 


—, XVI — 
» Report..... 4,321f.75 
» 4o Subvention départementale. .............. 300 » 
» -b° Recettes accidéntelles...:....2,:,.0...2. 36 » 

» 6° Cotisations des membres résidants et corres- 
HOMTANÉS Eee Le bare de NE GRR ER R 3,006 » 
A0 orDitdetdiplômes). 02,1, E Mage EC" 
» Total des recettes. .... 7,695 75 

DÉPENSES. 


» 1° A l'agent de la Société, qui est 


encore créancier de 75 fr...... L1bf. » 
» 2° Fonds votés pour le square ar- 
PHÉMIOELUE LE AUS Liu die 6 de e 1,000 » 
» 3° Fonds votés pour les fouilles de 
DES LOC US 30 » 
».4° Réliure’de livres. ............ 190: 2x 
» 5° Frais de correspondance....... 30 90 
DR EULDEESSIOLS Liu a ras due ae 3,024 50 
» 7° Séance publique et dépenses di- 
ÉD ERMER SEE AR AAES 90:65 
» Total des dépenses. .... 5,041 05 
» Excédant des recettes sur les dépenses..... 2,654 70 


» Le capital inaliénable, produit des cotisations 


rachetées, était, au 31 décembre 1871, de....... 3,120 » 
_» Les recettes afférentes à ce compte ont été, 
CE 21) PO RE LE ON A OO TEE ARR RATE 420 » 
» Ensemble. .... 4,140  » 
» Dépenses effectuées pour placement en rente 
SEE QU EAP ENMPAR PR R RAEe E 3,486 » 
» Il restait à placer, au 1° janvier 1873...... 654 » 


» Dans le courant de janvier 1873, il a été acheté 50 fr. de 
| b 


VIN 


rente 3 0/0, moyennant 935 fr. 50 c., l’excédant de cet achat 
sur la somme prévue ayant été voté par la Société. 
» Il reste à recouvrer sur les cotisations : 
» 1° Des membres résidants........,.... PRE" 200f. » 
» 2° Des membres correspondants........... 1,124 » 


» Ensemble,.... 1,324 » 


» Afin d'assurer, autant que possible, la rentrée de cette 
somme, votre commission s’est entendue avec notre honorable 
trésorier, M. Zaremba, pour qu'il ne soit pas retenu par les 
frais de correspondance et les commissions de banque néces- 
saires à cet effet. 

» Nous vous prions, Messieurs, d'accepter les comptes de 
l'exercice 1872 et de ratifier les dépenses pour le recouvrement 
des cotisations antérieures à l'exercice 1873. 

» Votre commission croit devoir vous proposer en outre de 
faire un placement spécial des 1,000 fr. advenus comme prix 
à la Société. Cette somme est une exception dans nos finances; 
elle peut être ménagée comme exception dans nos dépenses, 
ou comme fonds de réserve. 

» Besancon, le 10 avril 1873. 


» (Signé) Aug. KLEIN; E. BouGeor; 
F. RENAUD, rapporteur. » 


La Société, adoptant les termes et les conclusions de ce 
rapport, met à la disposition de son trésorier les fonds néces- 
saires au recouvrement des cotisations arriérées, puis décide 
que le montant du prix de mille francs sera consacré à l'achat 
du titre d'une nouvelle rente de 50 fr., laquelle toutefois 
n'entrera pas dans le capital inaliénable. 

Le contrôleur des dépenses expose que, par suite de l'in- 
suffisance de divers crédits, les dépenses faites en 1872 excè- 
dent de 217 fr. 15 c. les sommes inscrites au budget de cet 
exercice. Il rend compte à la Société des motifs qui ont en- 


NL SP mg 


traîné le conseil d'administration à dépasser, sur certains 
articles, les sommes primitivement jugées suffisantes. 

La Société, admettant les explications qui lui sont données, 
ouvre un crédit extraordinaire de 217 fr. 15 c., pour équil- 
brer les opérations financières de l'année 1872. 

M. Debauchey présente un rapport sur l'expérimentation 
qu il a faite d’une ruche à segments mobiles offerte à la So- 
ciété par M. Pierre Faivre. Dans cet appareil, dont il critique 
les principales dispositions, l'honorable rapporteur ne trouve 
à recommander qu'une innovation heureuse, celle qui con- 
siste à placer sur l’un des flancs de la ruche le réservoir au 
beau miel. Cette case, logée communément au sommet de la 
ruche, avait l'inconvénient de recevoir un air excessivement 
chaud et malsain, ce qui en rendait le séjour peu attrayant 
pour les abeilles. En faisant disparaître cet inconvénient, 
M. Faivre a doté l’apiculture d’une idée neuve et qui peut 
être appliquée à n'importe quel système de ruche. M. Debau- 
chey pense néanmoins que l'expérience d’un seul et une seule 
expérience ne doivent pas être considérées comme décisives : 
aussi demande-t-il à la Société de confier la ruche de M. Faivre 
à une autre personne qui tentera un second essai. 

La Société remercie M. Debauchey de son intéressant rap- 
port, en le priant de trouver la personne capable de tenter la 
nouvelle expérience qu’il désire. 

MM. Gauthier et Castan demandent le titre de membre ré- 
sidant pour M. Louis Monnier, secrétaire-adjoint de l’Aca- 
démie universitaire, et celui de membre correspondant pour 
M. Dornier, pharmacien à Morteau. 

Un scrutin secret ayant eu lieu sur le compte des candidats 
antérieurement présentés, M. le président proclame : 


Membres résidants , 


MM. Brcuer (Jules), fabricant d’horlogerie, membre du con- 
seil municipal de Besançon ; 
THierry (Jacques), capitaine d'état-major, aide-de- 


camp du général commandant la 7° division mili- 
taire; s 
Membres correspondants, 


MM. Czaupox (Félix), curé de Lods (Doubs); 
Ducar (Auguste), docteur en médecine, médecin du bu- 
reau de bienfaisance du x1x° arrondissement de Paris; 
PouLain, chef de bataillon, commandant du génie aux 
Rousses (Jura). 


Le Président, Le Secrétaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 17 mai 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar.. 


Sont présents ! 


Bureau : MM. Ducat, président ; Sire et Chotard, vice-pré- 
sidents; Zaremba, trésorier ; Gauthier, archiviste ; Castan, se- 
crétaire ; 

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Debauchey, Dunod de Charnage, 
Dupuy, Klein, Renaud (François), Tivier, Trémolières, Waille. 

Le procès-verbal de la séance du 26 avril ayant été lu et 
adopté, il est fait part à la Société de la mort de M. le général 
de division vicomte de Boislecomte, membre correspondant. 
Le secrétaire rappelle à ce propos que l'honorable général 
commanda la 7° division militaire de 1854 à 1856, qu’entré 
ainsi dans nos rangs comme membre de droit, il exprima, en 
quittant Besançon, le désir de figurer à titre personnel sur 
nos listes et de continuer à prendre intérêt à nos travaux. Sa 
sympathie ne nous fit jamais défaut, et elle était de celles 
dont on peut être fier et dont on doit se montrer reconnais- 
sant. 


7 REPORT PUOTR 


NE 


L'assemblée partageant ces sentiments, il est décidé que 
leur expression sera inscrite au procès-verbal. 

La Société de tir nous exprime sa gratitude au sujet de 
notre résolution de lui offrir, comme prix à décerner dans 
son prochain concours, une grande médaille de vermeil. 

Le secrétaire présente, de la part de M. Grenier, un ma- 
nuscrit de 36 pages in-4°, intitulé : Tableau analytique des 
familles de la Flore de France. C'est un résumé de la science 
botanique, pouvant servir de clef à ceux qui, n'étant pas en- 
core initiés, désireraient faire des recherches dans une Flore. 

La Société, appréciant toute l'importance d’un pareil ins- 
trument, vote l'impression de cet opuscule, en faisant des 
vœux pour que la santé de l’auteur lui permette de contri- 
buer longtemps encore au progrès d'une science dont il est 
l'un des plus savants maîtres. 

M. le commandant Poulain, membre correspondant, nous 
demandant l'impression d'un mémoire intitulé : Les Huns et 
les Champs catalauniques, ce désir est soumis à une commis- 
sion composée de MM. Bial, Alphonse Delacroix et Chotard, 
ce dernier membre chargé du rapport. 

M. Berthet, maire d'Arc-et-Senans, prend la peine de 
nous donner des renseignements sur deux voies romaines, la 
Grand’ Vie et la Levée de César, lesquelles passent sur le terri- 
toire de la commune qu'il administre. | 

Cette note, accueillie avec gratitude, est renvoyée à l’exa- 
men de M. Alphonse Delacroix. 

M. le vice-président Chotard rend compte de la séance gé- 
nérale tenue, le 8 mai courant, par la Société d’'Emulation de 
Montbéliard. Notre Compagnie s’y trouvait représentée par 
quatre délégués : MM. Sire et Chotard, vice-présidents ; 
Faivre, vice-secrétaire ; Gassmann, membre résidant. Deux 
communications ont particulièrement intéressé l'assistance : 
l'une, de notre premier vice-président, M. Sire, avait trait à 
de curieux phénomènes de rotation périmétrique ; l’autre, de 
notre confrère M. Tuetey, consistait dans une étude absolu- 


Se. 0.01 (| Colis 


ment neuve sur l'invasion des écorcheurs en Franche-Comté. , 
Au banquet, qui était remarquablement ordonné, M. Sire a 
fait une réponse chaleureuse au toast cordial porté à notre 
Compagnie par le président de la Société de Montbéliard. 

Une vacance s'étant produite dans la catégorie de nos 
membres honoraires par le décès de M. Amédée Thierry, le 
secrétaire demande s'il n'y aurait pas lieu de combler ce vide 
en décernant un hommage à M. Francis Wey. 

La Société applaudit unanimement à cette proposition. Le 
titre de membre honoraire est réservé chez nous à ceux qui 
illustrent la province par leurs talents, ou qui ont bien mé- 
rité de notre Compagnie par de réels services. Or, M. Francis 
Wey remplit à souhait l’une comme l’autre de ces conditions. 
Ses nombreux ouvrages, où les qualités de l'écrivain côtoient 
celles de l’érudit et de l'artiste, jettent un aimable reflet sur 
Besançon, sa ville natale. D'ailleurs notre Société compte dès 
longtemps M. Francis Wey parmi ses plus dévoués adeptes : 
c'est, en effet, dans nos Mémoires qu'il a révélé les détails 
ignorés de la vie du peintre Wyrsch; c'est par notre entre- 
mise qu'il a enrichi de plusieurs belles pièces le musée archéo- 
logique de Besancon ; enfin nous avons trouvé constamment 
en lui un zélé défenseur de nos intérêts et un sympathique 
appréciateur de nos efforts. 

Pour ces motifs, la Société élit membre honoraire, par 
acclamation, M. Francis Wey, inspecteur général des ar- 
chives. 

Sont présentés pour entrer dans la Société : 

Comme membre résidant, par MM. Zaremba et Gassmann, 
M. Gschwind, ancien notaire, rue de Glères, 6; 

Comme membre correspondant, par MM. Ducat, Vermot 
et Castan, M. Eugène Morel, homme de lettres, à Courchaton 
(Haute-Saône). 

A la suite d’un scrutin secret sur les candidatures annon- 
cées dans la dernière séance, M. le président proclame : 


RE) Me 
Membre résidant, 


M. Monnier (Louis), secrétaire-adjoint de l'Académie uni- 
versitaire ; 


Membre correspondant, 
M. Dornier, pharmacien à Morteau. 


Le Président, Le Secrétaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 14 juin 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Ducati, président; Sire et Chotard, vice-pré- 
sidents; Castan, secrétaire ; 

MEMBRES RÉSIDANTS : MM. Androt, Berr de Turique, Bout- 
terin, Cuillier, Debauchey, Delacroix (Alphonse), Dunod de 
Charnage, Klein, Lancrenon, Michel (Brice), Ravier, Thierry, 
Waille ; 

MEMBRE CORRESPONDANT : M. Vermot. 

Le procès-verbal de la séance du 17 mai est lu et adopté. 

M. Francis Wey nous ayant remercié dans les meilleurs 
termes de son élection au titre de membre honoraire, 1l est 
décidée que sa lettre ainsi conçue sera insérée au procès- 
verbal : 

« Messieurs et chers confrères, 


» Ma fidélité au pays natal, l'intérêt avec lequel je m'’as- 
socie à vos travaux, et d'indulgentes sympathies dont je peux 
être fier, sont mes meilleurs titres à l'honneur que me décerne 
la Société d'Emulation. 

» Amédée Thierry est un de ces hommes éminents qui ne 


RAIN E 


sont jamais remplacés : vous appelez à lui succéder un écri- 
vain qu'il aimait, qui apprécie l’œuvre considérable de cette 
carrière si bien remplie et qui, dans ces dernières années, 
avait saisi une occasion de signaler au public un des plus 
beaux ouvrages du maître. 

» Historien vigoureux et coloré d’une période curieuse, 
observée de près et retracée par lui seul, M. Thierry se plai- 
sait à causer avec moi, à m écouter lui décrire les contrées, 
les monuments, témoins des actions de ses héros : un des 
rêves de son automne était de parcourir avec moi cette Italie 
où ses livres nous font vivre et qu'il n'a pas vue. 

» Les années lui avaient donné l’érudition des longues 
études ; l'amour de son art lui avait laissé l’ardeur des jeunes 
impressions. Il la retrouvait pour célébrer notre belle pro- 
vince, à laquelle il demeura jusqu’à la fin tendrement atta- 
‘ ché. Notre commune affection pour la patrie comtoise, les 
amitiés précieuses que j'y partage avec lui, mon respect pour 
sa mémoire, voilà mes titres à rappeler dans vos rangs un 
souvenir qui nous est cher à tous. 

» Veuillez agréer, Messieurs et chers confrères, l'expression 
de ma vive reconnaissance, ainsi que l'hommage de mes sen- 
timents dévoués et confraternels. 


” » (Signé) Francis WEy. 


Sur la proposition du secrétaire, des félicitations sont votées 
à M. Résal, membre honoraire et collaborateur de la Com- 
pagnie, au sujet de son entrée récente dans la section de mé- 
canique de l’Académie des sciences. 

La Société des sciences, lettres et arts de Pau, nouvelle- 
ment reconstituée, nous adresse, avec le premier volume 
d'une seconde série de son Bulletin, la demande de figurer sur 
la liste des associations qui correspondent avec la nôtre. 

Cette requête est favorablement accueillie. 

De la part de M. l’archiviste Gauthier, le secrétaire com- 
munique un croquis de la partie subsistante d'une fresque du 


LI 
. 


+: 
Res 


En AS MON en 


quatorzième siècle qui décorait l’intérieur d’une maison ca- 
noniale devenue la propriété des Frères de Marie. Cette pein- 
ture représente deux rois assis, derrière lesquels un moine et 
divers personnages debout sont attentifs à une scène dont il 
ne reste plus de vestiges appréciables. Sous les pieds des per- 
sonnages est une frise ornée de grossiers rinceaux, laquelle 
domine un soubassement décoré de teintes plates renfermées 
dans des carrés qui se subdivisent diagonalement. 

En raison de la rareté des monuments de ce genre dans 
notre contrée, M. Gauthier a pensé que cette peinture inté- 
ressait l’histoire de l’art : aussi a-t-il fait une démarche, au 
nom de notre Compagnie, pour en demander la conservation. 
Les Frères de Marie ont bien voulu accéder à ce désir. 

La Société se montre très sensible à ce résultat obtenu sous 
ses auspices, et elle remercie M. Gauthier de l'avoir associée 
à cette œuvre d'intelligente préservation. Elle apprend en 
outre avec intérêt que ce zélé confrère fait exécuter des repro- 
ductions photographiques d’un certain nombre de croix pro- 
cessionnelles, qui sont de véritables objets d'art et cependant 
demeuraient inconnues dans des sacristies rurales. Au pre- 
mier rang de ces joyaux doit figurer la croix d'argent doré 
donnée à l’église d'Ornans par le cardinal de Granvelle : c’est 
un remarquable produit d'orfévrerie du seizième siècle, et la 
photographie en fait valoir à merveille les exquises délica- 
tesses. 

Le secrétaire expose ensuite que M. le Maire lui a remis, 
pour la bibliothèque de la ville, un cuivre gravé représentant 
l’antiquaire Jean-Jacques Boissard, de Besancon, à l’âge de 
71 ans, en 1598. Cette remarquable planche, œuvre de l’un 
des de Bry, est offerte à la ville de Besancon par un artiste de 
Metz, M. Dembourg, actuellement retiré à Vittonville (Meur- 
the-et-Moselle). Le secrétaire estime que ce portrait inédit, le 
plus expressif de ceux qui reproduisent les traits de Boissard, 
mérite d'être vulgarisé. En éditant cette planche dans nos 
Mémoires, nous aurions d'ailleurs l'occasion de faire plus am- 


NET == 


plement connaître un compatriote illustre, l’un de ces esprits 
encyclopédiques du seizième siècle qui dissipèrent les ténèbres 
du moyen âge par la résurrection des lumières de l'antiquité. 

Cette proposition est adoptée, et Le secrétaire est chargé d'y 
donner suite. 

Au nom d'une commission nommée pour examiner le mé- 
moire de M. Poulain sur les Huns et les Champs catalauniques, 
M. Chotard fait un très intéressant rapport qui se résume 
ainsi : 

__« M. Poulain présente à la Société un travail de 68 pages 
in-4°, avec deux planches, sur l'invasion d'Attila en Gaule. 
Après une introduction, peut-être un peu vague, où il cherche 
à expliquer l’origine et les migrations des peuples barbares, 
il aborde résolument son sujet, dans lequel il distingue trois 
parties : la marche d’Attila jusqu'à Orléans et le siége de cette 
ville; la retraite d'Orléans à Châlons; la bataille de Châlons. 

» M. Poulain s'appuie sur les auteurs originaux, particu- 
lièrement sur Jornandès; il fait aussi grand usage de deux 
écrivains modernes, M. Amédée Thierry dont, outre l'Histoire 
d'Attila, il cite souvent un mémoire adressé à l'empereur Na- 
poléon IIT; M. Tourneux, ingénieur en chef des ponts et 
chaussées, dont il loue beaucoup un mémoire sur Attila en 
Gaule, publié eu 1833. 

» Il explique avec une grande clarté les mouvements du 
roi barbare dans la Gaule, les causes de son succès, l'intré- 
pide défense de l'évêque saint Aignan, qui l’arrête devant 
Orléans, l’arrivée tardive du général romain Aétius et les 
trois défaites successives d’Attila, à Orléans, à Méry et à Chä- 
lons. 

» Il rejette l'opinion de quelques savants qui n’admettent 
qu'une action après Orléans, et qui en fixent l'emplacement 
à Méry, dans la grande plaine comprise entre la Seine et 
l'Aube. 

» Il est en cela d'accord avec MM. Amédée Thierry et 
Tourneux ; mais il se sépare d'eux en un point important. 


Se VIE" 


Il admet, contre M. Amédée Thierry, l'établissement d'un 
camp ou ring près de Châlons, dans lequel, avant de mar- 
cher sur Paris, Troyes et Orléans, Attila aurait enfermé et 
mis sous bonne garde les richesses qu'il avait enlevées dans 
l'est de la Gaule. La discussion à laquelle il se livre sur ce 
point est curieuse. Il déclare hunniques les débris de travaux 
qu'on voit encore aujourd'hui près de Châlons, débris aux- 
quels l’illustre auteur de l'Histoire d'Attila assigne une origine 
romaine. M. Tourneux admettait bien l'existence du ring, 
mais il prétendait qu’Attila ne l'avait construit qu’à son re- 
tour ; c'est ce que M. Poulain conteste très vivement. 

__» On suit encore avec intérêt le récit de la bataille des 
Champs catalauniques. Cette action entièrement reconstituée, 
et les cartes qui la représentent, permettent de la comprendre 
sans efforts. 

» La création du ring, près de Châlons, et la restauration 
de la bataille, voilà les deux parties importantes du travail; 
elles en font la nouveauté et l'attrait. Et cette nouveauté est 
assez réelle et cet attrait assez vif pour que nous proposions à 
la Société de voter l'impression du mémoire. » 

Cette conclusion ayant été adoptée, 1l est décidé que la dis- 
sertation de M. Poulain entrera dans le volume que la Com- 
pagnie éditera pour 1873. 

Au sujet d’une communication de M. Berthet, maire d’Arc- 
et-Senans, relativement à deux voies antiques de cette région, 
M. Alphonse Delacroix donne lecture de la note suivante : 

« M. le maire Berthet offre de faire l'étude de la Levée de 
Jules César et de la Grand’ Vie, qui l’une et l’autre passent 
sur le territoire d’'Arc-et-Senans. Il a été frappé de voir, du- 
rant la dernière guerre, les armées allemandes parcourir la 
terre de Séquanie en prenant successivement les positions et 
les lignes stratégiques signalées dans le grand débat archéo- 
logique de la question d’Alésia. C'est que la stratégie est la 
même dans tous les temps, parce que les principaux accidents 
du sol ne changent pas d’une époque à une autre. Nonob- 


PR ET 


stant deux nouveaux éléments de la guerre, les voies ferrées 
et les armes à longue portée, on a donc vu les Prussiens 
barrer le passage à l'armée française, en decà de Belfort, sur 
les positions occupées jadis par César et par Arioviste. On les 
a vus s'établir sur la Saône, entre Gray et Pesmes, exacte- 
ment comme avait fait César au moment d'entrer en Séquanie. 
Leurs batteries ont couronné l'antique champ de bataille des 
Gaulois et des Romains, sur le mont Colombin. Pour gagner 
les hauts plateaux du Jura en évitant Besancon, l'armée du 
général Manteuffel suivit pas à pas l'itinéraire de Vercingé- 
torix et de César, du mont Colombin jusqu'au Doubs, jus- 
qu'aux dépressions du Lomont, jusqu'à Brd de Pointvillers, 
jusqu'à la sauvage Alaise où les Prussiens laissèrent momen- 
tanément quelques centaines d’artilleurs. Puis, quand l’en- 
nemi s'est assuré que le plateau d’Amancey est sans défen- 
seurs, il fait marcher quatre jours durant, par cette contrée 
d'où César défia jadis la Gaule entière et qui est son unique 
moyen de passage, une longue bande de 40,000 hommes qui 
va couper la retraite à Bourbaki. Cependant, à l'époque de 
nos débats sur l'emplacement d’Alesia, un lieutenant-colonel 
d'état-major, alors chef des travaux topographiques au minis- 
tère de la guerre, faisait imprimer ces mots : « Alaïise n’a 
jamais été une position militaire! » Quand donc cessera en 
France cet usage de n'accorder aux militaires la liberté d'étu- 
dier l’orographie que lorsqu'ils sont devenus généraux et 
n'ont plus de jambes pour marcher ? 

» La proposition faite par M. Berthet mérite d'être acceptée. 
Il est bon de relever exactement les tracés de la Levée de Jules 
César et de la Grand’ Vie, leur point de jonction, leur passage 
sur le Doubs, les vestiges de castramétation qui les accom- 
pagnent. Les chemins suivis en Gaule par César n'étaient 
encore que des voies naturelles, comme celle qui, dans le bois 
de la Teige, s'appelle les Chemins de Jules César et croise la 
Levée du même nom. Quelques détails, tels que l'existence 
d'une tête de pont fortifiée sur la rive gauche du Doubs, 


FAR EIX = 


tandis qu'il n'y a rien de semblable de l’autre côté, semblent 
rappeler des époques d’invasions barbares analogues à celle 
dont nous venons d’être témoins. 

» Un plan qui donnerait avec exactitude les chemins an- 
tiques entre le Doubs, la Loue, la chaîne du Lomont et la 
forêt de Chaux, serait utile au double point de vue historique 
et militaire. » 

La note qui précède ayant été retenue pour le procès-ver- 
bal, il est arrêté qu'une copie en sera adressée à M. Berthet, 
avec prière de baser ses recherches ultérieures sur l’intelli- 
gent programme fourni par M. Delacroix. 

Le secrétaire fait connaître qu'il a reçu de M. Quiquerez, 
membre correspondant, un mémoire manuscrit de 34 pages 
in-folio, intitulé Montjoie. C'est l’histoire d’un château féodal 
qui commandait l’un des défilés du Clos-du-Doubs, en même 
temps que les annales de la famille noble qui tirait son nom 
de cette forteresse. Tous les événements relatés dans ce tra- 
vail se rattachant aux invasions dont notre province fut si 
souvent victime, le secrétaire pense qu'il serait intéressant 
d'imprimer cette monographie consciencieusement préparée 
et sobrement écrite. 

La Société, édifiée de longue date sur la valeur sérieuse des 
productions de M. Quiquerez, vote avec empressement la pu- 
blication de ce nouveau tribut d’un savant et zélé collabora- 
teur. 

M. François Leclerc, membre correspondant, nous ayant 
adressé un troisième mémoire sur la segmentation dans les 
végétaux, le conseil d'administration avait renvoyé ce travail 
à l'examen de M. Paillot. Mais cet honorable confrère, em- 
pêché d'assister à la présente séance, a donné par écrit un 
avis trop peu explicite pour qu'il puisse être pris à cet égard 
une délibération. En conséquence, la Société décide qu’elle 
attendra, pour se déterminer, que M. Paillot soit en mesure 
de lui fournir des explications plus amples. 

Le secrétaire entretient la Compagnie d’une question d’édi- 


— XXX — 
lité au sujet de laquelle un avis pourrait être transmis utile- 
ment à l'administration municipale. Il s’agit d'un nom à 
choisir pour la rue nouvelle qui longe l'ancien couvent des 
Carmes et doit vraisemblablement être prolongée jusqu’à la 
rue de l’Arsenal. On a mis en avant le nom de Charles No- 
dier, le plus artiste des écrivains produits par notre ville. 
Mais contre ce choix se présenterait une objection de principe : 
Charles Nodier, né dans la rue Poïtune et élevé dans la rue 
Neuve, n’a habité aucun des immeubles avoisinant la rue 
qu'il y aurait lieu de nommer. Or, il est d’une bonne logique 
que le vocable d’une rue rappelle le souvenir d’un événement, 
d'un édifice ou d'un homme ayant marqué dans les terrains 
dont la rue s'est formée. Si l’on voulait dédier la rue nouvelle 
à une personnalité saillante remplissant cette condition, au- 
cune n'aurait plus de droits à cet hommage que celle de 
l'amiral Jean de Vienne. Ce grand homme de guerre est né 
à Roulans (département du Doubs), vers 1340 : sa famille était 
une branche cadette de la maison des anciens. comtes souve- 
rains de la Franche-Comté. Trois siècles avant la légitime 
conquête de notre province par la France, Jean de Vienne 
avait compris la nécessité de l’union des deux pays en face 
des invasions sans cesse renaissantes. Son premier exploit fut 
de purger la Franche-Comté des compagnies anglaises qui y 
vivaient comme en pays conquis : à la tête de la milice com- 
munale de Besancon, il repoussa l'assaut que l’une de ces 
bandes allait donner à notre ville, et il poursuivit ces brigands 
jusqu'à Chambornay, où il les anéantit. Recommandé par 
cette prouesse à l'attention du sage roi de France Charles V, 
qui montait alors sur le trône avec la résolution d’expulser 
l'étranger de ses Etats, Jean de Vienne fut adjoint à Dugues- 
clin pour accomplir cette grande tâche. Toujours aux premiers 
rangs de l'armée française, il ne cessa d'être l'associé et l'é- 
mule des connétables Duguesclin et Clisson. Charles V le ré- 
compensa en lui conférant la dignité d’amiral de France et 
en le faisant entrer dans son conseil intime. À deux reprises 


— XXXI — 


il eut mission d'opérer une descente en Angleterre et de ven- 
ger sur le sol anglais l'échec de Crécy : il réussit à nuire 
beaucoup aux ennemis de la France, mais son intrépidité ne 
fut pas secondée par des forces suffisantes pour qu'elle attei- 
gnit le but que l'on désirait. Resté l’ami de son souverain im- 
médiat, le comte-duc de Bourgogne, il accepta, en 1396, le 
périlleux honneur d'accompagner le fils de ce prince dans 
une croisade contre les Turcs. Cette expédition aboutit au dé- 
sastre de Nicopolis, où périt bravement la fleur de la cheva- 
lerie de France et de celle des deux Bourgognes. « Dieu nous 
garde, avait dit Jean de Vienne, de racheter notre vie aux 
dépens de notre dignité ! » On trouva ce héros étendu sur le 
champ de bataille, pressant encore dans ses bras raidis la ban- 
nière de Notre-Dame de France, signe de ralliement de l’ar- 
mée chrétienne. Peu de temps avant son départ, il avait fondé, 
de concert avec sa pieuse épouse Clémence d'Oiselay, le cou- 
vent des Carmes de Besançon. 

On le voit, c’est à bien des titres que Jean de Vienne se re 
commande au souvenir des Bisontins : il fut, en plein moyen 
âge, le promoteur de l'idée toute moderne d’une alliance né- 
cessaire entre notre province et la France; il sauva Besançon 
des horreurs de l'incendie et du pillage ; il dota cette même 
ville d’un établissement qui, après avoir abrité notre univer- 
sité et notre bibliothèque, devient un immeuble du plus beau 
caractère monumental. 

Dans le cas où l’on tiendrait à honorer, par la dédicace 
d’une rue, la mémoire du spirituel Charles Nodier, ce serait 
à la rue Neuve qu'il conviendrait de donner ce nom. C’est, 
en effet, dans cette rue que le charmant écrivain a passé son 
enfance et sa première jeunesse, et le vocable rue Neuve, qui 
est un non-sens, disparaîtrait sans éveiller le moindre regret. 

La Société, tout en s’abstenant de délibérer sur une ques- 
tion qui ne lui a pas été soumise par l'autorité compétente, 
autorise néanmoins la communication des renseignements 
qui précèdent à l'administration municipale. 


ne. 5.5.0 0 (NES 


MM. Ducat et Castan présentent, comme candidat au titre 
de membre correspondant, M. Ruffier, architecte, à Dole 
(Jura). 

Sont élus à la suite d'un scrutin secret : 


Membre résidant, 


M. GscHWIND, ancien notaire; 


Membre correspondant, 


M. Morez ( Eugène), homme de lettres, à Courchaton 
(Haute-Saône). 


Le Président, Le Secrétaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 12 juillet 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Ducat, président; Chotard, vice-président ; 
Zaremba, trésorier ; Castan, secrétaire ; 

Mewgres RésipanTs : MM. Androt, Gouillaud, Klein, Mi- 
chel (Brice) et Renaud (François). 

Le procès-verbal de la séance du 14 juin est lu et adopté. 

M. le président donne lecture d'une notice de M. Quiquerez, 
sur une découverte de tombeaux chrétiens à Moutier-Grandval. 
Cette trouvaille confirme l'opinion émise par M. Quiquerez, 
dans un mémoire que nous avons imprimé, au sujet de la 
place qu'occupait le plus ancien sanctuaire d’une abbaye qui 
eut ses jours de célébrité. | 

La Société, accueillant avec intérêt cette communication 
complémentaire, décide que la notice de M. Quiquerez, après 


— "XXXNII — 


élimination de quelques lignes étrangères au sujet, entrera 
dans notre volume de 1873. 

M. Castan lit une dissertation , en forme de lettre adressée 
à M. Léopold Delisle, sur les Probabilités d’un voyage du roi 
Saint Louis à Besancon, en 1259. 

Bien que l'auteur ait déclaré qu'il destinait ce morceau à 
la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, la Société en vote néan- 
moins la reproduction dans ses Mémoires. 

M. Brice Michel fait connaître que les créanciers de l'œuvre 
du square archéologique n'ont pu encore obtenir de la ville 
le remboursement de leurs avances. Il rappelle que, dans 
notre séance du 10 août de l’an dernier, M. le Maire avait 
déclaré que personnellement il considérait ce reliquat comme 
une dette qui incombait à la caisse municipale. En effet, la 
ville a non-seulement autorisé la création du square, mais 
elle a délégué deux architectes de son choix, l’un pour diriger 
les travaux, l’autre pour en surveiller l'exécution ; elle a en- 
suite pris livraison de la chose faite, l’a déclarée promenade 
publique et a pourvu aux clôtures, plantations et bancs que 
nécessitait cette destination. Par son acquiescement perma- 
nent aux travaux qui s'accomplissaient sous la conduite de 
ses délégués, par la livraison qu'elle a prise de l'œuvre et les 
soins directs qu'elle a donnés à son achèvement, la ville a 
contracté implicitement l'obligation de supporter les dettes 
que la souscription ne pourrait pas acquitter. Ces dettes, 
mises en regard de l'avantage moral et matériel que le square 
procure à Besancon, ne constituent pas une charge dont la 
municipalité puisse se plaindre, surtout si elle veut bien ne 
pas oublier que l’œuvre résulie du concours désintéressé de 
ous ceux qui en ont eu la gestion. Les créanciers actuels sont 
dans ce cas et méritent les plus grands égards : c’est par zèle 
pour la ville, par sympathie pour la science, qu’ils ont mis 
leurs moyens d'action au service d'une entreprise interrompue 
par la guerre et qui sans eux n'aurait pu se poursuivre qu'au 
prix de beaucoup plus lourds sacrifices ; ils ont ainsi fait acte 

c 


XXI 


de bons citoyens, et il serait profondément regrettable que 
leurs ressources personnelles, amoindries par les événements, 
eussent à en souffrir. La Société, qui a contribué pour une 
somme de treize cents francs à la confection du square, n’a 
pas la faculté de s'imposer davantage; elle ne peut que réi- 
térer à la municipalité l'instante prière de faire droit aux lé- 
gitimes réclamations de MM. Voisin et Brice Michel. 

Il est délibéré, en conséquence, que l'exposé qui précède sera 
transmis à l'administration municipale. * 

Sont présentés pour entrer dans la Société comme membres 
résidants : 

Par MM. Androt et Castan, M. Jules Renaudin, négociant; 

Par MM. Gauthier et Cuillier, M. le baron de Prinsac, em- 
ployé des télégraphes. 

Puis, un scrutin secret ayant eu lieu sur Ja candidature 
posée dans la dernière séance, M. le président proclame : 


Membre correspondant. 
M. Rurrier, architecte, à Dole. 


Le Président, Le Secrélaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 11 août 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Ducati, président; Castan, secrétaire; 

MeuBres RÉSsIDANTS : MM. Berr de Turique, Denizot, Girod 
(Victor), Paillot, Ravier, Renaud (François), Waille. 

Le procès-verbal de la séance du 12 juillet est lu et adopté. 

Par une dépêche en date du 28 juillet dernier, M. le Mi- 
nistre de l’Instruction publique annonce qu’il attribue à notre 


mn ©: $: rar 


Compagnie, comme encouragement, une allocation de cinq 
cents francs. 

La Société ratifie et réitère les remerciments transmis par 
le conseil d'administration en retour de cette hibéralité. 

M. Berr de Turique rend compte d'une conversation qu'il 
a eue avec M. le Maire de la ville sur la question des biblio- 
thèques et conférences populaires. Une commission du con- 
seil municipal est saisie de la question, et déjà un local est 
choisi pour installer les livres et organiser les réunions. M. le 
Maire n’a pas oublié que l'initiative en cette matière appar- 
tient à la Société d'Emulation du Doubs, et il compte, lorsque 
le moment sera venu de se mettre à l’œuvre, faire appel au 
bon vouloir de notre Compagnie. 

M. le président remercie M. Berr de Turique de cette nou- 
yelle preuve de son dévouement à l'intéressant mandat qui 
lui a été confié. 

M. Castan donne lecture de trois courtes dissertations qu'il 
se proposerait de joindre à son mémoire sur le Théatre de Ve- 
sontio. Ces dissertations ont pour objets : 1° la valeur histo- 
rique de la légende de saint Maximin; 2° l'emplacement du 
baptistère primitif de l'Eglise de Besançon; 3° les sépultures 
dela place Saint-Jean. 

La Société accueille favorablement ces corollaires d'un tra- 
vail dont l'impression a été précédemment votée. 

Sont présentés pour entrer dans la Société : 

Comme membre résidant, par MM. Ducat et Castan, 
M. Paul Ripps, architecte; 

Comme membres correspondants, par MM. Gauthier et 
Castan, M. Cardot de la Burthe, bibliophile, à Paris, boule- 
vard de Neuilly, 92 (Batignolles) ; 

Par MM. Gauthier, Thuriet et Castan, M. Louis Guillemin, 
attaché au ministère des affaires étrangères, membre du con- 
seil général du Doubs, à Rougemont (Doubs). 

A la suite d’un scrutin secret sur les deux présentations 
faites à la dernière séance, M. le président proclame : 


CA KYLE 


Membres résidants, 


MM. le baron DE Prinsac, employé des télégraphes; 
RENAUDIN (Jules), négociant. 


Le Président, Le Secrétaire, 
! A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 8 novembre 18783. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. j 


Sont présents : 


Bureau : MM. Ducat, président; Sire et Chotard, vice-pré- 
sidents; Gauthier, archiviste; Castan, secrétaire ; 

MemBres RÉSsIDANTS : MM. Androt, Courtot, Delagrange, De- 
mongeot, Gaudot, Haldy, Jégo, Lacoste, Renaudin, Saint-Ginest 
et Vézian. 

Le procès-verbal de la séance du 1! août est lu et adopté. 

Par une circulaire en date du ?29 octobre, M. le Ministre 
de l’Instruction publique demande aux sociétés savantes de 
lui faire connaitre désormais les décès de ceux de leurs 
membres qui appartiendraient à l'Ordre national de la Légion 
d'honneur. | 

Il sera satisfait, en ce qui nous concerne, au désir-exprimé 
par cette circulaire. 

Sur un rapport écrit de M. Paillot, déclarant que le mé- 
moire de M. Francois Leclerc, sur la Segmentation dans les 
végétaux, lui paraît digne d’un. favorable accueil, la Société 
vote l'impression de cet opuscule. 

Le secrétaire présente un travail de M. le commandant 
Poulain, intitulé : Assainissement des littoraux marécageux 
avec le concours des marées, travail dont l’auteur désirerait 
l'insertion dans nos Mémoires. 


as 


ee AMEN 


Cet ouvrage est renvoyé à l'examen d'une commission 
composée de MM. Delacroix (Alphonse), Saint-Loup et 
Waille. 

M. Canel écrit une lettre pour demander à la Société : 1° de 
provoquer la reproduction photographique, par M. Braun (de 
Dornach), des principales richesses de nos musées d’art et 
d'antiquités ; 2° d'acquérir un exemplaire de la collection, faite 
par le même photographe, des vues de tous les lieux de 
Franche-Comté où se sont passés des événements de guerre, 
en 1870 et 1871 ; 3° de décider qu'il sera fait dans nos séances 
une analyse du contenu des nombreux volumes que nous en- 
voient les sociétés correspondantes. 

Après examen de ces trois propositions, il est décidé : 1° que 
la Société ne peut prendre l'initiative d'une entreprise com- 
merciale, intéressante sans doute, mais reposant sur des 
chances de vente que l'opérateur seul est en mesure de sup- 
porter; 2° que les photographies de sites ne sont pas dans 
l'ordre des objets que la Société collectionne, les paysages 
ainsi reproduits ne pouvant ni disparaître, ni être sensible- 
ment modifiés par les événements ultérieurs; 3° que les mé- 
moires de toutes les sociétés savantes étant analysés, par les 
soins du Comité des travaux historiques, dans la Revue des 
sociétés savantes qui est envoyée à toutes les bibliothèques et 
à tous les corps scientifiques de la France, il n’y a pas utilité 
que notre Société refasse un travail qui s’accomplit en haut 
lieu et dans des conditions que nous ne saurions réaliser. 

Cette triple réponse sera transmise à M. Canel, avec les 
remerciments de la Compagnie pour les excellentes intentions 
qui l'avaient porté à écrire sa lettre. 

M. Gauthier met sous les yeux de la Société quelques nou- 
velles reproductions photographiques de croix et reliquaires 
appartenant à des églises du diocèse. Il fait ressortir l'intérêt 
(çue présentent ces joyaux, tant au point de vue de l'histoire 
de l’art dans nos contrées qu’à celui des souvenirs légués sous 
cette forme par des personnages éminents du pays; il dé- 


RAA VIII 


montre l'opportunité qu'il y aurait de former une collection 
d'images de ce genre, les brocanteurs enlevant sans cesse des 
pièces importantes du mobilier des sacristies rurales; il pro- 
pose, en conséquence , à la Société de décider que des photo- 
graphies seront faites, à ses frais, d’après les morceaux d'orfè- 
vrerie religieuse dont il paraîtrait utile de conserver mémoire : 
les clichés de ces photographies demeureraient la propriété 
de la Compagnie, qui aurait ainsi, dans peu d'années, les élé- 
ments d’un recueil capable de lui faire le plus grand honneur. 

Cette proposition est adoptée, et M. Gauthier, chargé d'y 
donner suite, disposera dans ce but, jusqu à délibération 
contraire , d'une somme annuelle de cinquante francs à pré- 
lever sur le crédit affecté aux recherches scientifiques. 

M. Castan communique un dessin réduit de deux pierres 
antiques récemment extraites de l'embrasure d'une des fe- 
nêtres de l'ancienne église des Grands-Carmes de Besançon. 
Ces fragments, qui proviennent de la frise d'un édifice gallo- 
romain, portent quatre lettres ayant fait partie d'une inscrip- 
tion du plus beau style. Ces lettres, qui ont 2? centimètres de 
hauteur, ne peuvent fournir aucun sens; elles témoignent 
seulement, par leur allure grandiose, que Vesontio, qui fut 
un instant colonie romaine, ne manqua point de ces habiles 
tailleurs de lettres dont les productions monumentales ont 
servi de modèles aux graveurs en caractères des temps mo- 
dernes. Voici la reproduction, au seizième de leur dimension 
réelle, de ces deux fragments : 


T4 


FEES 


EST 


M. Castan lit ensuite une note concernant la vie du musi- 


gi 
3 


” 


ane. ©. 2. €. eme 


cien Claude Goudimel, de Besançon, le célèbre auteur de la 
musique des psaumes traduits par Marot. Ce compositeur, qui 
habitait Paris en 1554, fut prié, à cette époque, par Francois 
Bonvalot, administrateur de l’archevêché de Besançon, d’ex- 
traire du greffe de la châtellenie de Fresne-les-Rungis, près 
Paris, les actes d'une procédure scandaleuse autrefois in- 
struite contre Claude Boni, de Poligny, devenu chanoine 
dans cette dernière ville. Une lettre de compulsoire, délivrée 
par le conseil royal de Henri IE, sous la date du 2? avril 1554, 
autorisa Goudimel à faire la recherche que désirait l’adminis- 
trateur. Cette circonstance prouve que l’éminent artiste ne 
pactisait point alors avec les réformés, puisqu'il jouissait de 
la confiance de l’un des adversaires déclarés de la doctrine 
protestante. 

De la part de M. le trésorier, empêché d'assister à la séance, 
le-secrétaire propose qu'il soit alloué à l'agent de la Société 
une somme de vingt-cinq francs, en raison du nombre excep- 
lionnel des courses que le recouvrement des: cotisations a 
exigé cette année. 

Cette gratification est accordée. 

M. le président présente un projet de budget pour l’exer- 
cice 1874, préparé par le conseil d'administration. 

Tous les articles de ce projet étant successivement adoptés, 
et un vote affirmatif ayant été rendu sur l'ensemble, M. le 
président déelare le budget de 1874 arrêté dans la forme sui- 
vante :. 


RECETTES PRÉSUMÉES. 


1° Encaisse prévu au 31 décembre 1873.......... 1,500 f. 
Mubyenon da ÉEtatss. ut dou uote, 1) C008 


3° —— du département. 2.3 vais 900 
49 — dés ta villes Gus AE ar Eee 600 
95° Cotisations des membres résidants........,... 2,300 
6° — —  correspondants....... 400 


À reporter..... 5,800 f. 


Report..... 5,800 £. 
7° Droit de diplôme, recettes accidentelles........ _ 50 
8° Intérêts du capital en caisse et des rentes sur 
D'OAL SUN ms Du ee D 1e © gite dicisle ES SSSR 300 
Total..... 6,150 f. 
DÉPENSES. 
io Achat d’un nouveau titre de rente............ 1.000 f. 
répréssions ul, ELLES SRE 3,900 
dRaliures Ji PNA de TE Fi IRAN 2 60000 
4° Frais de bureau, chauffage et éclairage. ........ 300 
50 Frais divers et séance publique. .............. 400 
6° Traitement et indemnité pour recouvrements à 
Pasent'dé LA BOCIbÉ, 245 SN EN CNE AU 225 
7° Crédit pour recherches scientifiques. .......... 900 
Total des dépenses........ 6,125 f. 
Excédant de recettes...... 25 


Appelée à délibérer sur l’époque de la séance publique et 
du banquet annuel, ainsi que sur les mesures à prendre pour 
cette double solennité, la Société choisit la date du jeudi 
18 décembre prochain; elle donne en outre plein pouvoir au 
conseil d'administration pour trouver des lecteurs, réunir des 
convives et régler l'ordonnance du festin. Conformément à 
l'usage, la séance mensuelle de décembre, consacrée aux élec- 
tions, se tiendra la veille de la fête. 

Sont présentés pour entrer dans la Société : 

Comme membres résidants, 

Par MM. Delacroix (Alphonse) et Castan, M. Frihoisé 
Xavier Beuret, voyer de la ville; 

Par les mêmes, M. Désiré Brulard, greffier du tribunal 
civil ; 

Par MM. Goguely et Sire, M. Félix Charles, directeur de la 
Société générale; 


TE 


PS 

Me 
— XLI — 

Par MM. Alexandre et Gauthier, M. Courgey, avoué près 
le tribunal civil; 

Par MM. Renaud (Victor) et Gauthier, M. Victor Delavelle, 
propriétaire; 

Par MM. Berthelin et Cordier, M. Georges Duvaucel, com- 


mis de la direction des douanes; 


Par MM. Grosjean et Guenot, M. Adolphe Grillier, fabri- 
cant d’horlogerie ; 

Par MM. Marion et Vézian, M. Guienet, ingénieur des 
forges de Gouille ; 

Par MM. Faivre et Castan, M. Lépagnole, médecin à Saint- 
Ferjeux; 

Par MM. Delacroix (Alphonse) et Ducat, M. Gustave Our- 
son, directeur de la succursale de la Banque ; 

Par MM. Berthelin et Cordier, M. Charles-Gabriel D 
naud, premier commis de la direction des douanes; 

Par MM. Marion et Vézian, M. Valtefaugle, directeur des 
forges de Gouille ; 

Par MM. Bial et Castan, M. Théodore Vermaot, entrepre- 
neur de maçonnerie : 

Et comme membres correspondants, 

Par MM. Fournier et Castan, M. Eugène Boudot, proprié- 
taire, à Arbois ; 

Par MM. Ducat et Castan, M. Emile Cugnier, chef de ba- 
taillon de chasseurs à pied, à Auxonne; 

Par MM. de Sainte-Agathe et Canel, M. Hoffmann, impri- 
meur, à Montbéliard. 

Un scrutin secret ayant eu lieu sur le compte des candidats 
antérieurement proposés, M. le président proclame : 


Membre résidant, 
M. Riprs (Paul), architecte ; 
Membres correspondants, 


MM. CarDoT DE LA BurTHr, bibliophile, à Paris; 


Le 


XLR 


/ 


GuizzemiN (Louis), attaché au ministère des affaires. 
étrangères, membre du conseil général du Doubs, à 
Rougemont (Doubs). 


Le Président, Le Secrétaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance du 17 décembre 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Ducat, président; de Mandrot, délégué des 
sociétés savantes de Neuchâtel; Baïlle, président de la Société 
d'agriculture, sciences et arts de Poligny ; Sire et Chotard, 
vice-présidents; Faivre, vice-secrétaire; Zaremba, trésorier ; 
Gauthier, archiviste; Castan, secrétaire; 

Meugres résipanTS : MM. Alexandre, Androt, Arnal (Ale- 
xis), Arnal (Amédée), Barbier, Bertrand, Bial, Bougeot, Bour- 
cherielte, Bourdy, Canel, Debauchey, Delagrange, Demongeot, 
Dunod de Charnage, Dupuy, Faucompré père, Gauffre, Girod 
(Victor), Goguely, Grosrichard, Haldy, Huart, Klein, Lacoste, 
Micaud, Potier, Renaud (François), Renaud (Victor), Rialpo, 
Ripps, Saillard, Saint-Loup, Tailleur père, Tailleur (Louis), 
Tissot, de Vezet, Vouzeau, Waille ; 

MEMBRE CORRESPONDANT : M. Thuriet. 

Le procès-verbal de la séance du 8 novembre est lu et 
adopté. 

Il est donné lecture d’une lettre par laquelle M. Duruy, 
membre honoraire, exprime sa gratitude au sujet des féhici- 
tations qu’il a reçues du conseil d'administration de la Com- 
paguie, à l'occasion de son entrée à l’Institut, 

Le secrétaire rend compte des mesures prises par le conseil 
d'administration pour organiser la séance publique et le ban- 


te: À 2 9 Mitnran 


quet. Il communique les réponses faites par les membres ho- 


. noraires invités et par les sociétés qui avaient été priées d'en- 


voyer des représentants. La Compagnie apprend ainsi qu'elle 
aura pour auditeurs et pour convives M. le Général comman- 
dant le 7° corps d'armée (1), M. le Préfet du Doubs, M. le 
Maire de Besançon, M. le Recteur et M. l’Inspecteur de l’A- 
cadémie, puis des délégués de Neuchâtel, de Belfort, de 
Montbéliard, de Lons-le-Saunier, de Poligny, de Vesoul et 
de Troyes. Des excuses, basées sur des empêchements invo- 
lontaires, ont été écrites par Son Eminence le Cardinal-Ar- 
chevêque, M. le Premier président et M. le Procureur général. 
En raison du nombre exceptionnel des personnes qui se pro- 
posent d'assister à la séance publique, il a été décidé que cette 
cérémonie aurait lieu dans la salle des audiences solennelles 


x 


du Palais de justice. Ce magnifique local a été mis à notre 


disposition, pour cette fois, par M. le Premier président. Le 
menu du banquet, dicté par MM. Klein et Goguely, s'enri- 
chira d'un présent de vin d'honneur qui nous est fait par la 
Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny : il s’agit 
d'une trentaine de vénérables bouteilles extraites des plus 
renommés caveaux de cette bonne ville; le Château-Châlon 
de la vigne Sous-la-Roche S'y rencontre avec des fioles de vin 
de paille, dont quelques-unes datent de 1807 et de 1811. 

L'assemblée ratifie les mesures prises, et vote des remerci- 
ments à la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny. 

Par une lettre en date à Dijon du 26 novembre dernier, 
M. le conservateur des Archives de la Côte-d'Or nous propose 
d'échanger un certain nombre de volumes de nos Hémoires 
contre un exemplaire de l'Inventaire sonumaire des richesses 
de son dépôt, ouvrage dont la partie publiée forme trois 
tomes in-4°. 

Sur l'avis de M. l’archiviste de la Société, il est décidé que 


(1) Son Altesse le duc D'AvmaLe, membre de l'Académie fraaçaise. 


1 
me 42.4 À À\'Hmnes 


les volumes composant notre quatrième série seront offerts en 
échange de l'Inventaire des Archives de la Côte-d'Or. 


Le secrétaire informe la Société que la bibliothèque de la : 


ville de Luxeuil se réorganise par les soins désintéressés de 
M. le docteur Delacroix. Il demande, de la part de ce savant 
confrère, que le dépôt luxovien soit gratifié de quelques-uns 
de nos volumes déjà publiés et qu'il reçoive à l'avenir, comme 
les autres bibliothèques de la province, nos recueils annuels. 

Cette requête ayant été agréée, il est décidé que les 3° et.4* 
séries de nos Mémoires seront envoyées à la bibliothèque de 
la ville de Luxeuil. 

Au nom d'une commission nommée dans la dernière 
séance, M. Saint-Loup fait un rapport verbal sur un travail 
de M. Poulain, intitulé : Assainissement des littoraux maréca- 
geux avec le concours des marées. Il estime que ce mémoire 
offre un intérêt assez sérieux pour que la Société lui donne 
place dans l'un de ses recueils, mais en laissant à la charge 
de l’auteur les frais d'exécution de la grande planche litho- 
graphiée qui est jointe au manuscrit examiné par la commis- 
sion. Quant à deux autres travaux du même auteur, intitulés : 
Nouvel organe mécanique réciproque de transformation de mou- 
vement circulaire alternatif en rectiligne alternatif, et Projet 
d'un nouveau type de navire de guerre, la commission, tout 
en rendant hommage à leurs mérites, ne pense pas qu'il soit 
opportun de leur faire, au moins présentement, le même ac- 
cueil. 

Adoptant l’avis de ses commissaires, la Société vote l'im- 
pression du mémoire relatif à l'Assainissement des littoraux 
marécageur, sous la réserve que M. Poulain fera exécuter à 
ses frais la planche lithographiée nécessaire à l'intelligence 
d’une portion du texte, 

M. le colonel de Mandrot ete, la Compagnie d’un ou- 
vrage qui s'exécute sous les auspices de deux sociétés neuchä- 
teloises dont il est parmi nous le délégué. Cet ouvrage, qui 
aura pour titre : Le bel äge du bronze, consistera dans la re- 


‘4 


production en chromolithographie des objets en bronze les 
plus saillants qui sont sortis des stations lacustres de la 
Suisse. Deux planches de ce recueil sont déposées sur le bu- 
reau, en attendant qu'un exemplaire complet nous soit offert 


par la Société d'histoire de Neuchâtel. 


M. de Mandrot fait ensuite hommage à la Compagnie de 
la minute très soignée d'une belle carie de la région d'Alaise, 
pouvant être utilisée pour les études ultérieures auxquelles la 
question de l'emplacement d’Alesia donnerait lieu. 11 déclare 
enfin que la carte des trois départements de l’ancienne Fran- 
che-Comté, depuis si longtemps annoncée comme allant pa- 
raitre, est actuellement en voie d'exécution définitive : il y a 
maintenant certitude qu'elle pourra être mise en vente dans 
les derniers jours de juillet 1874. 

Ces trois communications sont accueillies avec intérêt, et 
la Société adresse en retour des remerciments à M. le colonel 
de Mandrot. 

Sur la proposition de M. l’archiviste Gauthier, appuyée 
par le secrétaire, il est décidé que la Société d'histoire de la 
Suisse romande comptera désormais parmi les compagnies 
qui correspondent avec la nôtre, ainsi que son savant prési- 
dent en a exprimé le désir. 

Un vote affirmatif ayant eu lieu sur le compte des candidats 
présentés dans la dernière séance, M. le président proclame : 


Membres résidants, 


MM. BeurerT (François-Xavier), voyer de la ville; 
Bruzarp, Désiré, greffier du tribunal civil; 
CHarces, Félix, directeur de la Société générale ; 
CourGEy, avoué près le tribunal civil : 
DeLaveLLe, Victor, propriétaire ; 
Duvaucez, Georges, commis à la direction des douanes; 
Grizcrer, Adolphe, fabricant d'horlogerie ; 
GUIÉNET, ingénieur des forges de Gouille ; 
LÉPAGNOLE, médecin à Saint-Ferjeux ; 


nan. À 1) Pa 


MM. Oursonx, Gustave, directeur de la succursale de la $ 


Banque ; 
Riconnaup, Charles-Gabriel, premier commis de la di- 


rection des douanes ; 

-VALTEFAUGLE, directeur de la Société des forges de 
Gouille ; 

Veruor, Théodore, entrepreneur de maçonnerie; 


Membres correspondants, 


MM. Boupor, Eugène, propriétaire, à Arbois ; 
Cuenier, Emile, chef de bataillon de chasseurs à pied, 
à Auxonne ; 
Horrmanx, imprimeur, à Montbéliard. 


Sont présentés pour entrer dans la Compagnie : 

Comme membres résidants, par MM. Arnal et Castan, 
M. Jean-Paul Clément, proviseur du Lycée; par les mêmes, 
M. Moschenros, profess. d'allemand au Lycée; par MM. Faivre 
et Castan, M. Lucien Vernier, docteur en médecine; 

Comme membre correspondant, par MM. Gauthier et La- 
coste, M. Henri Passier, bibliophile, à Dole (Jura). 


L'ordre du jour appelle la Société à procéder au renouvel- 
lement de son conseil d'administration. Quarante-trois mem- 
bres résidants prennent part aux scrulins successifs ouverts à 
cet effet. Le dépouillement des bulletins de vote donne les ré- 
sultats que voici : j 


M. Chotard est élu président, par 42 voix ; 

M. Ducat, premier vice-président, par 41 voix; 

M. Reynaud-Ducreux, deuxième vice-président, par 38 voix; 
M. Faivre, vice-secrétaire, par 38 voix ; 

M. Zaremba, trésorier, par 38 voix ; 

M. Gauthier, archiviste, par 36 voix. 


En conséquence, il est arrêté que le conseil d'administra- 
tion sera, pour l’année 1874, composé de la manière suivante : 


“ 


Président és 2e Mate NES CÉOTARR : 
Premier vice-président. ....... M DucArs 
Deuxième vice-président... ..... M. REYNAUD-DuCREuUx ; 


Secrétaire décennal...….…...,.... M: OASTAN; 
Vice-secrétaire et contrôleur des dé- 


MANSES RUE CL URL LIST Me FAR; 
DASTTIENNS RAS D NM ZAREMBAS 
Archiviste …...... Ci SEL MERE NET Te M. GAUTHIER. 

Le Président, Le Secrétaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


Séance publique du 18 décembre 1873. 


PRÉSIDENCE DE M. Ducar. 


Sont présents : 


Bureau : MM. Ducat, président; Sire et Chotard, vice-pré- 
sidents; Faivre, vice-secrétaire; Zaremba, trésorier ; Gauthier, 
archiviste; Castan, secrétaire ; 


MEMBRES HONORAIRES : MM. le GÉNÉRAL COMMANDANT LE 
7° cores D'ARMÉE , le PrÉFET pu Douss, le REcTEUR et l'INs- 
PECTEUR DE L' ACADÉMIE ; 


DÉLÉGUÉS DES SOCIÉTÉS SAVANTES : M. le colonel de Mandrot, 
délégué des sociétés savantes de Neuchâtel; M. Parisot, maire 
de Belfort et président d'honneur de la Société d'Emulation 
de cette ville; M. Dietrich, secrétaire général de l’'adminis- 
tration -de Belfort et président de la Société d'Emulation ; 
M. Favre, secrétaire général de la Société d'Emulation de 
Montbéliard ; M. Rousseaux, président de la Société d'Emula- 
tion du Jura; M. Perraud, membre de la même Société; 
M. Baille, président de la Société d'agriculture, sciences et 
arts de Poligny ; MM. Faion, vice-président, et Monnin, se- 


€ P) di y CS 


crétaire adjoint, de la même Société, MM. Roger Galmiche, 
président, et Willemot, trésorier, de la Société d'agriculture; 
sciences et arts de la Haute-Saône ; M. Le Brun-Dalbanne, 
président de la Société académique de l'Aube ; 


Meugres RÉSIDANTS : MM. d'Arbaumont, l'abbé Bailly, Bar- 
bier, Bertrand, Bial, Bougeot, Bossy, Canel, Carrau, Charlet, 
Chrétien, Coulon, Courtot, Daclin, Debauchey, Delacroix (Al- 
phonse), Delavelle (Victor), Demongeot, Dubost, Dunod de Char- 
nage, Faucompré père, Foin, Gassmann, Gaudot, Gauffre, Go- 
guely, Grand (Jean-Antoïine), Grosrichard, Haldy, Jeanningros, 
Klein, Lacoste, Lieffroy, Louvot, Maire, Mathiot, Micaud, d'Ori- 
val (Léon), Ourson, Paillot, Pétey, Potier, Ravier, Renaudin, 
Rialpo, Ripps, Saillard, Tivier, Vouzeau ; 


MEMBRES CORRESPONDANTS : MM. Delacroix (Emile), Gau- 
thier (de Luxeuil), Jurgensen, Mourot, Thuriet et Viard. 


Cinq cents auditeurs environ achèvent de remplir la salle 
des audiences solennelles du Palais de Justice, local extraor- 
dinairement choisi pour la tenue de la séance. 

Les lectures commencent à deux heures précises. 

M. le président Ducat en ouvre la série par un ÆExposé des 
travaux de la Société pendant l’année 1873. 

M. le vice-président Chotard raconte ensuite les Voyages 
d'Henri Mouhot (de Montbéliard) dans le royaume de Siam, au 
Cambodge et au Laos. 

Pendant cette lecture, M. le Général commandant le 7° corps 
d'armée vient prendre séance, et son entrée dans la salle est 
saluée par de vifs applaudissements. 

M. Thuriet, membre correspondant, communique une 
Etude sur les traditions populaires de la Franche-Comté. 

M. Jurgensen, membre correspondant, dans un morceau 
qu'il intitule : Une Francaise de la décadence, analyse le ta- 
lent, peint le caractère et décrit les angoisses d’une jeune fille 
de la Lorraine, victime de la dernière guerre. 


—miX De 


M. le secrétaire Castan lit une dissertation sur un tableau 
de Fra-Bartolommeo, qu'il faudra désormais appeler la Vierge 
des Carondelet. 

La séance est levée à quatre heures et demie. 


Le Président, Le Secrétaire, 
A. Ducar. A. CASTAN. 


BANQUET DE 1873. 


Cette fête a eu lieu le jeudi 18 décembre, à six heures du 
soir, dans la grande salle du palais Granvelle ; elle réunissait 
cent cinquante personnes. 

En raison de ce nombre exceptionnel de convives, il avait 
fallu modifier l'arrangement ordinaire de la salle du festin. 
Cette fois, une large table centrale était encadrée par des 
lignes de tables qui formaient un grand rectangle : deux pas- 
sages avaient été ménagés aux extrémités de la ligne qui 
avoisinait la cheminée. 

Sur la table centrale, M. Lépagney, un horticulteur doublé 
d’un artiste, avait disposé un magnifique parterre, dans le- 
quel une foule de plantes rares surgissaient de courbes gra- 
cieuses décrites par des mousses et des fougères. Des candé- 
labres en bronze doré, des lampes élégantes, des vases et 
coupes en porcelaine de Chine complétaient ce surtout réel- 
lement princier. Les autres tables supportaient des plantes 
isolées qui alternaient avec des candélabres. Sur les parois 
fraîchement tapissées de la salle, des groupes de drapeaux 
faisaient ressortir les armoiries de la Société d'Emulation du 
Doubs et celles des villes de Neuchâtel, Belfort, Montbéliard, 
Lons-le-Saunier, Poligny, Vesoul et Troyes. Des rideaux et 
portières en velours rouge garnissaient les fenêtres et les portes 
du local. s 

Les tentures, ainsi que la majeure partie des candélabres et 
vases, provenaient des riches magasins de M. Louis Baud, 
décorateur de notre théâtre. Un certain nombre de candé- 
labres et de vases avaient été généreusement prêtés par 
M. Chevaidel, de Besançon. 

Le grand escalier du palais et l’antichambre de la salle 
étaient garnis d'arbustes et éclairés par des lustres. 

Le menu, des plus distingués, avait été étudié par MM. Klein 


Menus. si.) + DL 


1.100 


— Li — 
et Goguely ; il était l'œuvre de la maison Colomat, à qui des 
félicitations sont dues pour la bonne ordonnance du service. 

MM. Gauthier, archiviste, et Zaremba, trésorier, avaient 
bien voulu se charger des fonctions de commissaires. 

À six heures précises, M. le GÉNÉRAL COMMANDANT LE 
7e corps p’ARMÉE, le plus éminent de nos invités, fut reçu, au 
pied du grand escalier du palais Granvelle, par MM. Sire, 
premier vice-président, et Castan, secrétaire. Il fut introduit 
dans un salon, attenant à la salle du festin, où se trouvaient, 
avec M. Ducat, président annuel, MM. Chotard et Reynaud- 
Ducreux, président et vice-président nouvellement élus, et 
les autres membres honoraires invités. C’est là que lui furent 
présentés les délégués des sociétés savantes, les auteurs des 
lectures entendues dans la journée, puis MM. Alphonse et 
Emile Delacroix, fondateurs et anciens présidents de notre 
Société. 

À six heures et demie, l’un des officiers de bouche s'avança 
dans le salon et dit à haute voix : M. le Président de la Société 
d'Emulation du Doubs est servi! Tous les convives prirent aus- 
sitôt leurs places aux tables. 

M. le président Ducat avait à sa droite M. le GÉNÉRAL com- 
MANDANT LE 7° CORPS D'ARMÉE, et à sa gauche M. le MAIRE DE 
LA Vizce. En face était assis M. Chotard, président élu pour 
1874, ayant à sa droite M. le Prérer pu Douss, et à sa gauche 
M. le RECTEUR DE L'ACADÉMIE. Venaient ensuite : M. Sire, 
premier vice-président annuel; M. l'INSPECTEUR D'ACADÉMIE ; 
M. le colonel fédéral de Mandrot, représentant les sociétés de 
Neuchâtel ; MM. Parisot et Dietrich, délégués de Belfort ; 
M. Favre, secrétaire général de la Société d'Emulation de 
Montbéliard; M. Rousseau, président de la Société d'Emula- 
tion du Jura ; M. Baille, président de la Société d'agriculture, 
sciences et arts de Poligny ; M. Roger Galmiche, président de 
la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône; 
M. Le Brun-Dalbanne , président de la Société académique de 
l'Aube ; MM. Jurgensen et Thuriet, membres correspondants ; 


D 
| D 
U 


ae A) 


… M. Reynaud-Ducreux, vice-président élu pour 1874; MM. Boys- 
son d'Ecole, Alphonse et Emile Delacroix, Faucompré, Victor 
Girod et Vézian, anciens présidents de la Compagnie ; M. le 
lieutenant-colonel de Bigot; M. le comte de Vezet, ancien lieu 
tenant-colonel des Mobiles du Doubs ; M. le chef d'escadron 
Guioth, aide-de-camp du Général; MM. les commandants 
d'artillerie d'Arbaumont et Bial; M. Arthur Picard, ancien 
chef de bataillon de la Garde nationale ; M. le capitaine Jung; 
MM. le baron Daclin, le comte de Jouffroy et Jules Vautherin, 
membres du conseil général du Doubs; M. Barbier, membre 
du conseil d'arrondissement de Baume-les-Dames; M. Mairot, 
ancien président du tribunal de commerce; MM. les ingé- 
nieurs en chef Berthelin et Maire; M. Vouzeau, ancien con- 
servateur des forêts; M. Ourson, directeur de la succursale de 
la Banque ; MM. Brugnon et de Sainte-Agathe, administrateurs 
des forges de Franche-Comté; MM. Paul et Maurice Bretillot, 
banquiers; M. Clément, proviseur du Lycée; MM. Gouillaud 
et Saint-Loup, professeurs à la Faculté des sciences; MM. Car- 
rau et Gérard, professeurs à la Faculté des lettres, MM. Cou- 
tenot, Faivre, Gauthier et Bertrand, docteurs et professeurs 
en médecine; M. Demongeot, inspecteur des écoles commu- 
nales; M. Auart, substitut du Procureur général; M. Gas- 
mann, rédacteur en chef du Courrier franc-comtois; M. Jean- 
not-Droz, président de la Société helvétique; M. Coulon, doc- 
teur en droit ; M. de Fromentel, géologue ; M. Lépagney, hor- 
ticulteur, etc., etc. 

Le moment du dessert arrivé, tandis que le vin de Cham- 
pagne se buvait, après les vins de Château-Chalon et avant 
les vins de paille offerts par la Société de Poligny, M. le pré- 
sident Ducar se leva et s’exprima en ces termes : 


« Messieurs, 


» Parmi les sociétés artistiques de la France, il en est une, 
la Société centrale des architectes, qui a pour devise : le beau, 
le vrai, l’utile. 


AIME 


» Ces trois mots ne représentent-ils pas également le triple 
but que nous poursuivons ? Le wrai et l’utile, ce sont les 
sciences et leurs applications ; le beau, c’est l’art. 

» On dit quelquefois que les études abstraites dessèchent le 
cœur, que l'industrie matérialise la pensée et que l’art aide à 
nous amollir. Travaillons ensemble, messieurs, à éviter de 
tomber sous le coup de tels reproches. Ne laissons pas venir 
jusqu'à nous ceux qui admetient et propagent un réalisme 
grossier où un art dépravé. Notre tâche est de nous consacrer 
au vrai qui éclaire l'esprit, à l’utile qui soutient le corps, au 
beau qui élève l’âme. 

» Je vais quitter cette présidence dont vous m'aviez honoré 
et qui a trop hautement récompensé les quelques journées de 
labeur que je vous avais consacrées. Je suis heureux de 
trouver, dans l'excellent confrère que vous avez choisi pour 
me remplacer, un ami, un savant, un successeur digne de 
mes plus dignes prédécesseurs. 

» Pour que notre Société poursuive sa marche avec succès, 
restons sans cesse unis, tous ensemble, sur le terrain neutre 
de la science. Travaillant pour un intérêt commun, écartons 
avec soin celles des discussions qui passionnent et qui divi- 
sent : élevons le regard; rappelons-nous un mot dit récem- 
ment, dans une circonstance solennelle, un mot que nous 
avons tous lu et répété avec émotion, c’est qu'au dessus de 
toutes les questions et de toutes les opinions, il y a la France!.… 
La France, cette patrie qui était si belle et si enviée, elle s’é- 
tait, hélas! endormie dans ses succès, et elle s'est réveillée 
déchirée et sanglante! Mais elle se relèvera, soyons-en sûrs, si 
nous apprenons tous à pratiquer l’abnégation et le dévouement. 

» Vous, messieurs les membres d'honneur de notre Com- 
pagnie, qui avez bien voulu assister à cette solennité, vous 
représentez parmi nous l'autorité dans tout ce qu'elle a de 
plus éclairé, de plus noble et de plus digne. Avec votre appui, 
vos paroles et vos exemples, nous apprendrons chaque jour à 
aimer et à servir la patrie. 


cn R  Trn 


» En vous exprimant cet espoir, nous vous prions d'agréer 
les sentiments de gratitude de cette Société, qui comptera 
parmi ses principales dates le jour où elle vous a réunis et où 
elle a eu pour convive, dans une illustre personnalité, non- 
seulement un des représentants du premier nom de France, 
mais encore un des élus de l’Académie francaise, et surtout le 
vaillant Général auquel est confiée la garde de la nouvelle 
frontière, le poste d'honneur de Besançon-Belfort. 

». Permettez-moi, messieurs, de boire avec vous à la santé 
de nos membres honoraires, à la bienvenue de notre éminent 
Général et à la prospérité de notre chère patrie ! » 


Cette harangue terminée et justement applaudie, M. le 
GÉNÉRAL DUC D'AUMALE, COMMANDANT LE 7° CORPS D'ARMÉE, 
voulut bien faire la réponse suivante, accueillie en sa péro- 
raison par les plus sympathiques bravos : 


« Messieurs, 


» Je remercie votre président, je vous re- 
mercie de votre bon accueil; je vous remercie 
de m'avoir convié à cette réunion avec un Si 
cordial empressement. Je vous en sais d'autant 
plus de gré que j'ai le regret de m'être trouvé 
en désaccord avec vous — désaccord amical 
heureusement et toujours courtois, —sorti d’une 
discussion historique qui, malgré votre unani- 
mité à reconnaître dans le massif d’Alaise l’em- 
placement d’Alesia, ne vous à peut-être pas 
trouvés tous en parfaite concordance sur les dé- 
tails, et qui ailleurs a provoqué des jugements 
si divers que l’on peut, à ce propos, répéter le 
dicton : « Quot capila, tot sensus. » 


DT 


— LV — 


» Quoi qu’il en soit, vous ne m avez pas gardé 


rancune, et vous avez bien fait; Car Je n'ai ja- 


mais songé à détacher un fleuron de la couronne 
guerrière de cette vaillante province, dont plus 
que jamais aujourd'hui je dois savoir apprécier 
le mâle et patriotique courage. 

» La rivalité des Eduens et des Séquanes n’a 
plus de raison d'être; elle est oubliée comme 
cette sanglante guerre des Deux-Bourgognes, 
dont nous reparlerons quelque jour si vous le 
trouvez bon, et qui a été terminée, 1l y a 200 ans, 
pour ne plus recommencer. Rien, s'il plaît à 
Dieu, rien ne pourra rompre le lien indissoluble 
qui unit les Comtois à la France, à cette France 
dont nous sommes tous les enfants et les servi- 
teurs. » 


Puis ce fut le tour de M. Casraw, secrétaire décennal, qui 
adressa l'allocution que voici aux délégués des sociétés sa- 
vantes : 


« Messieurs les délégués des sociétés savantes, 


» Au moment où l'une de nos séances publiques vient de 
tirer un éclat exceptionnel de la présence d’un auditeur 
illustre, plus grand encore, à nos yeux de travailleurs, par la 
noblesse personnelle de ses talents que par le prestige de sa 
haute extraction, il n’est pas hors de propos de rappeler l’ori- 
gine de ces solennelles manifestations de notre activité collec- 
tive. 

» C'était en 1864. Nous nous trouvions à la Sorbonne, pre- 
nant part à l'un de ces pacifiques tournois où nos efforts sont 


— LVI — 


appréciés avec une si constante indulgence., Il arriva que la 
Société d'Emulation de Montbéliard avait remporté le prix 
du concours d'histoire, et que notre Compagnie était cou- 
ronnée dans le concours d'archéologie. Ces deux récompenses, 
obtenues du même coup par deux sociétés de notre départe- 
ment, furent, pour l’une et l’autre compagnies, un trait d’u- 
nion en même temps qu'un trait de lumière. Un pacte de 
visites réciproques fut aussitôt scellé entre le président de la 
Société d'Emulation de Montbéliard, le regretté Luc Wetzel, 
et l'homme distingué que nous avions alors pour chef, et qui 
est demeuré l'honneur de cette association, M. Alphonse De- 
lacroix. Avec lui, j'allai à Montbéliard, au mois de mai 1865, 
et nous en rapportâämes la promesse que nos collègues des 
bords de l’Allan accepteraient l'invitation d'assister à notre 
banquet du mois de décembre. Ainsi fut-il fait; et comme 
nos aimables hôtes nous avaient donné l'exemple d’une fête 
de l'intelligence précédant les agapes confraternelles , il nous 
parut convenable de nous emparer de ce programme et d'es- 
sayer de le reproduire. 

» Vous le voyez, messieurs les délégués, c’est à l'ambition 
de vous fêter dignement, c’est au désir de mettre notre ému- 
lation en harmonie avec la vôtre, que nous avons dû l'idée 
de ces séances publiques qui ont tant contribué à faire cir- 
culer la vie dans nos rangs, à nous élever dans l'estime de 
nos concitoyens. 

» Merci pour cet immense service, merci davantage pour 
l'empressement avec lequel vous venez, chaque année, veiller 
ici sur une œuvre dont l'initiative vous appartient et dont le 
succès est notre bénéfice. 

» C'est donc à bon droit que je porte un toast de gratitude 
aux savantes Compagnies qui ont bien voulu, cette fois en- 
core, nous envoyer leurs délégués : 

» Aux Sociétés d'histoire et des sciences naturelles de Neu- 
châtel, de cette portion séquanaise de l’'Helvétie, qui se sou- 
vint si généreusement, lors de nos récents désastres, que les 


NE 


soldats de la France étaient des enfants de la grande famille 
gauloise | 

» À la Société d'Emulation de Belfort, de cette sentinelle 
avancée de la défense du Jura, qui a justifié et justifiera tou- 
jours cette sentence du géographe Strabon : « Quand les. Ger- 
» mains ont pour alliés les Séquanes, ils peuvent tout contre 
» le Midi; sans eux, ils ne peuvent rien! » 

» À la Société d'Emulation de Montbéliard, notre sœur, 
notre associée intime pour l'accroissement de l'éducation pu- 
blique dans le département du Doubs! 

» À la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, 
qui s'entend également bien à mettre en relief les gloires ju- 
rassiennes et à faire les honneurs de ce délicieux nectar dont 
la chaleur bienfaisante serait capable de nous rendre tous 
éloquents ! 

» À la Société d’Emulation de Lons-le-Saunier, notre aînée, 
à qui revient le mérite d’avoir compris de longue date que les 
associations largement ouvertes sont les seules, du moins dans 
nos provinces, où il puisse y avoir abondance de ressources, 
continuité de sève et vigueur d'action! 

» À la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute- 
Saône, qui réunit en faisceau les forces vives d'une région 
que César appelait « le meilleur terroir de toute la Gaule! » 

» À la Société académique de l'Aube, déjà représentée deux 
fois dans nos fêtes, nous apportant ainsi le témoignage d’une 
estime dont nous avons Je droit d’être fiers et le devoir de 
nous montrer reconnaissants ! 

» Je me résume en buvant à la prospérité de ces utiles asso- 
ciations , à la santé de leurs honorables délégués, au progrès 
de l’'émulation qui nous anime tous pour la culture des intel- 
ligences, l’apaisement des esprits et l'élévation des cœurs! » 


Nous donnons ci-après les répliques faites par MM. les dé- 
légués des sociétés savantes : 


ANT = 


Toast de M. le colonel DE MANDROT, délégué des sociétés savantes 
de Neuchätel 


« Messieurs, 


» Je ne réponds pas seulement comme représentant de la 
Société d'histoire de Neuchâtel au toast amical que l’on vient 
de porter aux sociétés de mon pays qui sont en rapport avec 
la Société d'Emulation du Doubs. Ce que votre secrétaire a 
dit au sujet de l'hospitalité que nous avons accordée à votre 
armée malheureuse, m'oblige à vous répondre encore au nom 
de mon pays. 

» Vous nous remerciez, messieurs, de ce que nous avons 
fait. Ce n'était de notre part que l'accomplissement d’un de- 
voir, et ce devoir était d'autant plus impérieux que nous 
avions à faire oublier une date (1814) à laquelle nous n'a- 
vions pas rempli ce même devoir que nous imposait notre 
neutralité. 

» Je vous remercie, messieurs, d'avoir mis de côté ce sou- 
venir, et je bois à la bonne entente continuelle de la France 
et de la Suisse : entente morale, car notre position politique 
ne nous en permettrait pas d'autre, mais entente sincère pour 
la réciprocité des services et le culte commun des nobles 
idées ! » 


Toast de M. ParisoT, maire de Belfort et président d'honneur 
de la Société d'Emulation de cette ville. 


. « Messieurs, 


» Nous vous remercions de votre aimable accueil, et nous 
nous associons de cœur aux sentiments si francais qui ani- 
ment cette réunion. 

» Quand reviendra l'heure du péril, nous saurons être en- 
core à la hauteur des grands devoirs : le Belfort du passé ré- 
pond du Belfort de l'avenir! » 


è 


rl 


Toast de M FAvRE, secrétaire général de la Société d'Emulation 
de Montbéliard. 


« Messieurs les membres de la Société d'Emulation 
du Doubs, : 


» Ceux qui ont le bonheur d'assister à vos réunions en 
sortent chaque fois plus vivement frappés du mérite de vos 
travaux, qui sont des modèles de savoir ou des monuments 
de véritable éloquence, que viennent dignement couronner 
dans un banquet somptueux ‘ouies les merveilles de la science” 
gastronomique. 

» Ces merveilles et ces splendeurs, vous les devez à la gé- 
néreuse' activité de votre bureau, à la solidarité qui unit vos 
membres, à la cordialité qui les anime, à la concorde qui fait 
de vous tous une seule et grande famille, à l'estime que vous 
avez su inspirer aux sociétés étrangères. La Société d Emula- 
tion du Doubs a fait ses preuves à la Sorbonne ; et, dans des 
circonstances désastreuses qu'on ne doit point oublier, car il 
faut nous souvenir si nous voulons redevenir forts, elle a 
hautement affirmé sa vitalité : c'est presque sous le canon 
des Allemands qu'elle a fait sortir de terre un beau monu- 
ment de l'antiquité, qu’elle l’a reconstruit pierre à pierre, 
pour en former un ensemble qui charme les regards et qui 
parle éloquemment de la gloire et des progrès accomplis dans 
l’art par nos devanciers. 

» Humble délégué d’une Société amie, à laquelle vous avez 
inspiré des sentiments tout fraternels et qui s'efforce de mar- 
cher sur vos traces, je fais, messieurs, des vœux sincères pour 
la continuation de vos nobles travaux, pour l’éternelle pros- 
périté de votre Compagnie, pour qu'elle reste toujours, selon 
la juste expression d'un de vos honorables présidents, la So- 
ciété d'Emulation de l'émulation des bons exemples! » : 


! OR — 


Toast de M. Rousseaux, président de la Société d'Emulation | 
du Jura. 


« Messieurs, 


» Au nom de la Société d'Emulation du Jura, je tiens à 
vous remercier de votre bienveillant accueil. 

» Laissez-moi vous assurer de la haute estime que cette 
Compagnie professe pour vos travaux si intéressants et si sé- 
rieux ; laissez-moi aussi vous affirmer ses sentiments d'affec- 
tueuse confraternité. 

» Le but de nos efforts est le même; car, comme le disait 
il y a un instant votre honorable président, nous cherchons 
comme vous le beau dans les sciences, les lettres et les arts. 
D'ailleurs ne sommes-nous pas les enfants de la même pro- 
vince ? Nous avons le même sang, la même origine, le même 
amour pour cette Franche-Comté chérie dont une voix auto- 
risée vient de vous parler. 

» Permettez-moi, en terminant, de vous dire combien je 
suis fier d'être l'interprète de mes collègues dans cette splen- 
dide réunion, et combien je serai heureux de leur raconter 
les grandes choses et les hommes illustres qu’il m'a été donné 
d'entendre et de voir aujourd'hui. » 


Toast de M. Baïzze, président de la Socièté d'agriculture, 
sciences et arts de Poligny. 


« Messieurs, 


» La Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny me: 
charge de vous remercier des témoignages de bienveillante 
confraternité qu'elle ne cesse de recevoir de vous. 

» Les vignerons nos collègues (et à Poligny nous sommes 
tous vignerons) ont eu la pensée de vous offrir, à titre d'hom- 
mage reconnaissant, quelques bouteilles de leur vin, ce qu'ils 
ont de meilleur et de plus vieux. Ce vin-là, messieurs, il a 


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son histoire : Henri IV lui a fait une réputation. Lors de son 
entrée dans notre ville, en 1595, il demanda un verre de vin 
du crû et le trouva excellent : « Nous en avons encore du 
» meilleur, » repartit avec sa rudesse comtoise celui de nos 
compatriotes qui lui servait d'échanson, mais qui n'oubliait 
pas qu'il parlait à un ennemi. Le Béarnais se contenta de ré- 
pondre avec son fin sourire gascon : « Vous le gardez, sans 
» doute, pour une meilleure occasion ! » 

» Cette occasion d'offrir notre meilleur vin, messieurs, ja- 
mais, depuis 1595, nous ne l'avons trouvée plus belle qu’au- 
jourd'hui, puisqu'il nous est donné de le boire au sein de cette 
Société qui est l'honneur de la province, et qui compte parmi 
ses convives un descendant du Béarnais, non plus notre en- 
nemi cette fois, mais le défenseur de nos frontières ! 

» Il ne dépendrait que de vous, messieurs, de nous faire 
retrouver prochainement une bonne fortune du même genre. 
On vous disait éloquemment tout à l'heure que, depuis long- 
temps, la lutte entre les Bourgogres était terminée. Dans 
quelques mois, le 15 mai 1874, il y aura deux siècles que 
cette lutte a pris fin par la réunion définitive de la Franche- 
Comté à la grande famille française. Pensez-vous qu'il soit 
possible de laisser passer cette date sans donner à notre mal- 
heureuse et bien-aimée patrie un témoignage d’invincible 
attachement ? Personne mieux que vous, messieurs de la So- 
ciété d'Emulation, ne saurait fêter dignement cet anniver- 
saire, en associant à l'élan patriotique qu'il comporte le re- 
cueillement douloureux que nous impose le voisinage de nos 
frères d'Alsace. Si vous prenez l'initiative de cette manifesta- 
tion, vous vous créerez un titre de plus à l'estime et à la sym- 
pathie du pays. 

» Dans l'espoir que ce vœu sera entendu, je bois à la pros- 
périté de la Société d'Emulation du Doubs et à la réalisation 
de plus en plus complète de sa noble devise : Utinam maxima 
Sequanorum ! » | 


7 AT 


Toast de M. Roger GazmicHe, président de la Société d'agricul- 
ture, sciences et arts de la Haute-Saône. 


« Messieurs, 


» Au nom de la Société d'agriculture, sciences et arts de 
la Haute-Saône, je remercie la Société d'Emulation du Doubs 
de sa gracieuse hospitalité. Elle a voulu réunir autour d'elle 
les représentants des sociétés savantes de la Franche-Comté 
et de la région de l'Est. Nous nous sommes rendus avec em- 
pressement à son appel. 

» C'est que nous autres Francs-Comtois nous avons, mes- 
sieurs, à côté d'un grand amour pour notre grande patrie, 
nous avons une vive affection pour notre patrie restreinte; et 
des fêtes comme celle-ci sont une véritable joie pour notre 
patriotisme local. 

» Ce patriotisme local, nous l'avouons hautement ; car nous 
savons qu'il est une forme de notre attachement pour la 
France. Sans vouloir devancer l'heure qui n'appartient qu'à 
Dieu, nous aspirons de toute notre âme après le jour où la 
fortune de la France nous permettra d'en donner, sous vos 
yeux et sous vos ordres, mon Général, d'irrécusables preu- 
ves ! » 


M. Jules JURGENSEN, exprima, une fois de plus, ses senti- 
ments affectueux pour la France, en prononcçant le toast sui- 
vanti : 

« Messieurs, chers collègues, 

» Venu de Suisse où j'habite, vice-président du conseil de 
commerce du Locle, je saisis l'occasion qui se présente à moi, 
pendant mon trop court séjour à Besançon, de vous parler de 
la hâte qui se manifeste, dans les montagnes du Jura suisse, 
de voir enfin commencer la ligne ferrée qui doit nous rap- 


procher de vous. 
» La commune origine des habitants des deux contrées, les 


TEXTES 


liens de sympathie qui les unissent, les intérêts multiples 
qui les rapprochent, l'industrie horlogère qu'ils cultivent à 
côté les uns des autres, tout légitime le désir qu'ils ont de se 
mieux connaître pour mieux s'entendre. 

» Nous aurons, plus que vous sans doute, à nous féliciter 
de ce précieux résultat ; néanmoins, soyez-en bien convaincus, 
vous trouverez de l’autre côté du Doubs de bons voisins et 
des amis. 

» Les populations qui séparent Besancon des centres indus- 
triels jurassiens seront immanquablement privilégiées par le 
parcours de ce nouveau chemin de fer. 

» Leurs blés, leurs bestiaux , leur laitage, leurs légumes, 
aisément transportés, se vendront, ici et là, à des prix bien 
plus rémunérateurs, en sorte que la chaîne et ses extrémités 
bénéficieront, dans une large mesure, du travail accompli. 

» Si, d'une part, il vous semble que les allures un peu 
brusques des Suisses pourraient produire un fàcheux effet 
sur vos populations, dites-vous, d'autre part, que nos monta- 
gnards ne sont pas sans vertus. 

» Donc, à l'échange des idées ! — A l’école des sentiments 
respectables ! — A la construction du chemin de fer Besan- 
con-Locle ! — A l'avenir! » 


Enfin, M. Cuorarp, président élu pour 1874, termina la 
série des discours par cette aimable préface de son exercice 
présidentiel : 


« Messieurs les membres de la Société d'Emulation 
du Doubs, 


» D'après une tradition toujours respectée et qu’il m'est 
doux de suivre, c'est à vous que s'adresse le dernier toast de 
cette fête, et c’est mon privilége, privilége de nouveau prési- 
dent, de le porter. 

» Messieurs, entre celui de nos confrères qui accomplit en 
ce moment le dernier acte de sa présidence et celui que vous 


sr ANNE 


avez Choisi hier pour vice-président, qui dans un an sera 
mon successeur, tous deux enfants du pays, tous deux distin- 
gués par des mérites éminents bien que divers, l’un voué à 
la construction d’édifices qui embellissent votre ville, l’autre 
à la recherche des problèmes les plus ardus et les vérités les 
plus hautes des mathématiques, entre ces deux Francs-Com- 
tois qui vous font tant d'honneur, vous avez placé un étranger 
à votre province, un membre de cette modeste université qui 
a bien le goût du beau et de la science pure, mais qui a sur- 
tout le ministère de faire connaître aux jeunes générations 
toutes les grandes et belles choses qui s’accomplissent, s'élè- 
vent et se construisent, et de les initier, en les leur rendant 
accessibles , aux découvertes les plus récentes de la science. 
Permettez-moi de vous remercier. Vous avez témoigné de 
votre estime pour le corps auquel j'appartiens, et vous m'avez 
donné, je puis dire, mes lettres de naturalisation ; vous m'avez 
fait votre compatriote. 

» Croyez, messieurs, que votre choix a pour moi une haute 
valeur. Il y a longtemps que j'ai appris à vous apprécier. Dès 
le jour où j'ai été introduit au milieu de vous, j'allais dire 
par votre secrétaire perpétuel, mais nous n'ignorons pas que si 
notre cher secrétaire tient à se dire décennal, nous pourrons 
toujours lui donner une continuité qui vaudra la perpétuité; 
dès le premier jour donc où je suis entré dans la salle de vos 
réunions, j ai été frappé de l'esprit qui vous anime. Entière- 
ment adonnés à vos travaux, vous ne laissez pénétrer jusqu'à 
vous rien qui leur soit étranger; nul bruit du dehors ne se 
fait entendre; tout mouvement, tout entraînement, toute 
passion du moment s'arrête sur votre seuil comme sur le seuil 
d'un asile inviolable. Quelle paix agréable et bienfaisante 
vous vous donnez ainsi à vous-mêmes! en quelle tranquillité 
se produisent vos efforts et sous quelle sûre direction ! direc- 
tion qui appartient plus à vous qu'à celui qui vous préside! 
Vous vous gouvernez véritablement vous-mêmes par. un ri- 
goureux attachement aux règlements que vous avez arrêtés, 


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— LXV — 


par une stricte observation des décisions que vous avez prises, 


par une pleine et entière soumission à la discipline que vous 


avez acceptée. Je n’aurai au milieu de vous qu'une tâche fa- 
cile, et je ne saurais me montrer trop reconnaissant. Vous 
n'avez fait don d'une chose rare en tout temps ; vous m'avez 
conféré un pouvoir sans trouble, une autorité sans agitation, 
une présidence sans péril. 

» À vos travaux, messieurs, à la science telle que vous 
l'aimez et la pratiquez, à la science pure et désintéressée ! » 


Les conversations reprirent ensuite leur cours; elles du- 
rèrent jusqu à onze heures du soir, et les convives, en se re- 
tirant, exprimaient à l'envi leur satisfaction d’avoir pris part 
à la plus mémorable solennité qui ait encore couronné les 
efforts de la Société d'Emulation du Doubs. 


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SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS 


EN, 16 7:S 


Discours d'ouverture de la séance publique du 48 décembre 


PAR 


M. ALFRED DUCAT 


PRÉSIDENT ANNUEL. 


Mesdames, messieurs, 


En vous conviant à sa séance publique annuelle, la Société 
d'Emulation du Doubs a eu non-seulement le désir de vous 
faire part de ses efforts et de ses succès, mais surtout la vo- 
lonté de vous remercier du bienveillant accueil que vous 
faites à toutes ses entreprises, et des marques d'intérêt que 
vous accordez à chacune de ses œuvres. 

Chargé, cette année, de rendre compte des travaux de notre 
Compagnie, j'aurais renoncé à cette tâche si Je n'avais compté 
sur votre indulgence, et si je n'étais encouragé par la pré- 
sence des confrères dévoués qui, depuis un an, m'ont rendu 
agréable et facile la flatteuse fonction dont ils m'avaient ho- 
noré. | 

Dans notre dernière séance générale, mon prédécesseur, 
M. Sire, a dignement soutenu l'honneur des sciences, et les 
a vengées des reproches exagérés qu'on leur adresse si sou- 
vent. Il a montré que la vraie science tend au bien; il a 

1 


GC LR 


prouvé, par de hauts exemples, qu'elle n’est ni orgueilleuse, 
ni matérialiste, ni athée, et que le nombre est grand des sa- 
vants qui sont restés aussi sincères dans leur foi que profonds 
dans leur savoir. Notre Société n'a pas à s'inspirer autrement : 
son but est la recherche du vrai et de l’utile; en d’autres 
termes, nous nous livrons à l'étude des vérités historiques et 
scientifiques, puis à l'application de ces dernières à l’indus- 
trie et aux arts. Nous ne nous occupons d'aucune des ques- 
tions brülantes qui agitent et divisent les esprits. Répandre 
les bienfaits de l'instruction, maintenir celle-ci dans une voie 
droite et élevée : tel est le mobile qui a guidé nos devanciers 
et qui nous semble toujours digne de nos plus persévérants 
efforts. 

Je ne traiterai aujourd'hui aucun sujet spécial de science 
ou d'art : la plupart dépasseraient, d’ailleurs, la limite de mes 
forces. J'extrairai tout simplement, des procès-verbaux de nos 
séances, l'énoncé des objets qui nous ont occupés depuis un 
an. Dans l’une ou l’autre de mes pages, chacun de vous 
pourra trouver quelques lignes se rapportant soit à un parent, 
soit à un ami. Ces citations, faites devant un public d'élite, 
auront alors pour vous quelque intérêt et vous feront passer, 
je l'espère, sur la monotonie un peu forcée de l'ensemble de 
ce compte-rendu. 

Tout d’abord, et pour liquider le passé, je dois vous faire 
connaître que le volume renfermant les nombreux mémoires 
de l’année dernière est prêt à paraître : l'impression, retardée 
par l’achèvement de plusieurs planches, est à peu près ter- 
minée aujourd'hui; la distribution des exemplaires de ce sep- 
tième tome de notre quatrième série sera faite dans quelques 
semaines aux membres de la Société. 

Le volume de 1873 ne sera ni moins important, ni moins 
varié que ce dernier. L'analyse que je vais en faire sera un 
premier coup d'œil jeté sur les articles qui vont être mis sous 
presse. 

Il serait inutile de dire, et surtout en leur présence, que 


.… - 


v. 
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» 
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, 


—3— 

nos collaborateurs continuent à apporter dans leurs études 
une ardeur et une persévérance qui ne connaissent aucun 
obstacle. Avec eux, tout devient un sujet d'observations et de 
recherches ; dans chaque question, ils font preuve de zèle, 
de conscience et de talent. Je dois rendre hautement, à cha- 


_ cun d'eux, un témoignage d'estime et de gratitude. 


Commençant notre revue par ce qui concerne les sciences 
naturelles, nous trouverons tout d'abord un travail de M. Vé- 
zian , sur la Géologie du Jura, considéré principalement dans 
sa partie nord-occidentale. Cet ouvrage de l'érudit professeur 
offre, d’une manière claire et substantielle, le tableau des 
phénomènes qui ont formé et accidenté la région jurassique. 

M. François Leclerc, membre correspondant, a rédigé, lui 
aussi, une intéressante notice, dont le sujet est la Segmenta- 
ion des végétaux. 

M. Grenier, le doyen distingué de notre Faculté des sciences, 
a complété les grands travaux qu'il a publiés sur la botanique, 
travaux qui sont si connus et si appréciés dans le monde sa- 
vant, par un Tableau analytique des familles de la Flore de 
France. Ce résumé, très précis et très bien présenté, est un 
guide sûr, une véritable clé pour tous ceux qui ont à faire 
quelques recherches dans les mille détails qui composent une 
Flore. 

M. Paillot a également continué ses persévérantes observa- 
tions de botanique et en a fait bénéficier nos Mémoires. 

En mathématiques, nous avons eu de M. Waille, comme 
souvenir de son brillant professorat, une savante Vote sur les 
normales à l’ellipse et sur deux cas particuliers de l'équation 
du 4° degré. 

Passant des théories aux applications scientifiques, nous 
signalerons un travail intitulé : Assainissement des liltoraux 
marécageux, avec le concours des marées, par M. Poulain, 
commandant du génie, notre compatriote et l’un de nos cor- 
respondants. 

Avec ce même membre nous entrerons dans le large terrain 


2h feu 


des recherches historiques, car nous allons imprimer son in- 
téressant mémoire sur les Huns et les Champs catalauniques. 
C'est avec une grande clarté que l’auteur décrit les mouve- 
ments d'Attila dans la Gaule, précise les causes de ses vic- 
toires, raconte la défense intrépide de l’évêque saint Aignan 
arrêtant le roi barbare devant Orléans, puis l'arrivée tardive 
du général romain Aétius, enfin les trois défaites que subit 
Attila à Orléans, à Méry et à Chälons. 

Reliant les événements historiques aux descriptions des 
monuments, un savant ingénieur suisse, M. Quiquerez, aussi 
notre correspondant, a reconstitué les Annales de la famille de 
Montjoie, en tracant l’histoire du vieux château féodal qui 
portait ce même nom. Le passant voit, encore aujourd'hui, 
les restes imposants de cette ancienne forterésse, qui fut long- 
temps la gardienne de l'un des passages du Clos du Doubs et 
le théâtre des luttes amenées par les trop nombreuses inva- 
sions qui désolèrent notre province. 

Dans une autre notice, M. Quiquerez nous entretient d’une 
Découverte de tombeaux chrétiens à Moutier-Grandval. Il à 
trouvé, dans cette circonstance, la confirmation d’une opi- 
nion, émise précédemment par lui, au sujet de la place qu'a 
occupée le plus ancien sanctuaire d’une abbaye très longtemps 
célèbre. 

Continuant la revue de nos travaux historiques, j'arrive 
aux nombreux mémoires dus à notre érudit secrétaire M. Cas- 
tan. Ce confrère infatigable cherche sans cesse et chaque fois 
il trouve ; constamment il entre en lice et toujours il en sort 
avec les honneurs de la guerre. Je ne puis qu'énumérer très 
rapidement les principaux articles dont il a enrichi notre pro- 
chain volume. 

Je citerai d’abord une dissertation, en forme de lettre 
adressée à M. Léopold Delisle, sur les Probabilités d’un voyage 
du ro; saint Louis à Besancon en 1259. 

Je mentionnerai ensuite trois dissertations à joindre au mé- 
moire sur le Théâtre de Vesontio ; elles ont pour objet : 1° la 


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valeur historique de la légende de Saint-Maximin ; 2° l'empla- 
sement du baptistère primitif de l'Eglise de Besançon ; 3° les 
sépultures de la place Saint-Jean. Tout cet ensemble, accom- 
pagné de la reproduction de dessins faits par le président an- 
nuel de la Société, forme une notice prête à paraître et qui 
sera offerte prochainement à chacun des principaux souscrip- 
teurs à l'œuvre du square archéologique. 

M. Castan nous a également communiqué une Note sur un 
détail de la vie du m'isicien Claude Goudimel, de Besançon, le 
célèbre auteur de la musique des psaumes traduits par Ma- 
rot. Nous attendons encore de lui une Notice sur le bisontin 
Boissard, l'un des esprits encyclopédistes du xvi° siècle : cet 
opuscule est destiné à accompagner, dans nos Mémoires, un 
portrait tiré sur un ancien cuivre gravé en 1598 et retrouvé 
par un artiste de Metz, M. Dembourg, qui l’a offert à la bi- 
bliothèque de Besancon. 

Dans une autre note, M. Castan explique l'origine des deux 
vocables Rognon et Rosemont, qui servent à désigner une des 
montagnes du territoire de Besançon. 

Ailleurs, il décrit deux fragments de pierres antiques qui, 
au moyen âge, avaient trouvé place dans un des jambages 
d'une fenêtre de l’ancienne église des Carmes, et qui, à l’é- 
poque romaine, ont fait partie d'une grande inscription du 
plus beau style. 

Enfin, pour terminer cette nomenclature des travaux de 
notre secrétaire, Je citerai son article biographique sur l'ami- 
ral Jean de Vienne, une des célébrités franc-comtoises dont 
le souvenir ne saurait être trop pieusement conservé. Ce grand 
homme de guerre, né à Roulans (Doubs) vers 1340, descen- 
dait d'une branche cadette de la maison des anciens comtes 
souverains de la Franche-Comté. Son premier exploit avait 
été de purger notre province des compagnies anglaises qui y 
vivaient comme en pays conquis. Après avoir, à la tête de la 
milice communale de Besançon, repoussé l'assaut que l’une 
de ces bandes allait donner à notre ville, il se trouva recom- 


pu 
mandé à Charles V qui, alors, montait sur le trône de France, 
avec la résolution d'expulser l'étranger de ses Etats. Jean de 
Vienne devint l'associé et l’émule des connétables Duguesclin 
et Clisson; pendant longtemps, il soutint avec eux l'honneur 
du nom français. Il périt bravement à Nicopolis, dans le fatal 
dénouement d’une croisade organisée contre la barbarie mu- 
sulmane. On raconte que, sur ce champ de bataille, son ca- 
davre fut retrouvé pressant encore dans ses bras raïdis le signe 
de ralliement de l’armée chrétienne, la bannière de Notre- 
Dame de France. Peu avant son départ, et de concert avec sa 
pieuse épouse Clémence d'Oiselay, Jean de Vienne avait fondé 
le couvent des Carmes de Besançon. | 

M. Castan, et avec lui la Société d'Emulation , ont émis le 
vœu que le nom du célèbre amiral soit donné à la rue com- 
mencée en face de la promenade Granvelle et longeant l'an- 
cien établissement des Carmes. En même temps, on devrait 
remplacer par le nom de Charles Nodier l'appellation de rue 
Neuve, devenue sans signification; on indiquerait ainsi que 
c'est dans cette dernière rue que le spirituel écrivain a habité 
pendant toute sa première jeunesse. Le vocable de rue Gran- 
velle pourrait être donné plus tard à une des voies projetées à 
côté du palais qui porte ce même nom. 

J'en aurais fini avec tous nos mémoires, si la Société d'E- 
mulation n'était pas devenue un centre auquel viennent 
aboutir la plupart des recherches et des études de ceux qui, 
dans cette contrée, s'occupent de la science et de ses applica- 
tions. Fréquemment on nous envoie, au sujet d'une décou- 
verte ou d'une question locale, une note, un avis, parfois un 
objet à étudier, de temps en temps quelque richesse pour les 
musées de la ville. La réception et l'examen de ces divers en- 
vois donnent lieu à des rapports souvent importants, toujours 
pleins d'intérêt. 

Aiïnsi, par exemple, une ruche à segments mobiles a été 
offerte à la Société par M. Pierre Faivre : M. Debauchey, 
notre confrère, en a étudié les éléments et a constaté qu'il v 


a une heureuse innovation dans la manière dont on a placé, 
sur l’un des flancs de cette ruche, le réservoir au beau 
miel. 

Ainsi encore, M. Berthet, maire d'Arc-et-Senans, ayant 
signalé les traces de deux voies romaines qui passent sur le 
territoire de sa commune, un de nos anciens présidents, 
M. Alphonse Delacroix, a saisi cette occasion d'établir les 
analogies qui existent entre les chemins suivis dans nos 
contrées par les armées de César, d'Arioviste ou de Vercin- 
gétorix , et ceux qu'ont pratiqués récemment, dans ces 
mêmes pays, les armées allemandes. Il est arrivé à cette re- 
marquable conclusion : c’est que, malgré les nouveaux pro- 
cédés de la guerre, on voit les grandes positions de combat et 
les principales lignes stratégiques rester les mêmes, sur un 
même sol, pour tous les temps. D'où résultent, d’une part, 
la nécessité de connaître avec exactitude la topographie d’une 
contrée dans laquelle on est appelé à combattre; puis, d'autre 
part, l'utilité de chercher les traces des chemins antiques et 
de se rappeler sans cesse les itinéraires qu'ont suivis les en- 
vahisseurs, aussi bien que les défenseurs de la Gaule. 

La carte que nous prépare, pour cette année, M. le colonel 
fédéral de Mandrot, notre correspondant, rendra de vrais ser- 
vices à ce genre d’études. 

Parmi les dons qui nous sont récemment parvenus, je si- 
gnalerai ceux offerts par M. Vermot, capitaine de frégate. 
Pour marquer son entrée parmi nous, ce confrère s’est des- 
saisi en notre faveur de divers objets. Tels sont : une momie 
d'Ihis sacré, trouvée dans les nécropoles de Memphis, des 
monnaies de diverses époques, enfin des échantillons géolo- 
giques et paléontologiques provenant de la grotte de Loubeau 
(Deux-Sèvres). Ces débris ont été l’occasion d’une intéressante 
note de M. Vézian, sur les rapports de la caverne de Loubeau 
avec nos grottes d'Osselle. Nous avons envoyé au musée d’his- 
toire naturelle ce qui lui convenait dans cet envoi; le reste à 
été déposé à la bibliothèque de la ville. 


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Cependant tous les objets qui intéressent la science, l’art ou 
l'histoire, ne peuvent entrer dans les collections publiques; il 
en est beaucoup qui doivent rester en d'autres lieux, mais 
dont il importe que nous conservions le souvenir et l'aspect. 
C'est à cette fin que le gardien de nos archives, M. Jules 
Gauthier, a commencé une collection qui deviendra très pré- 
cieuse ; elle consiste dans la reproduction photographique de 
reliquaires, croix processionnelles, vases sacrés, enfouis dans 
les sacristies rurales et qui souvent ne voient le jour que pour 
être enlevés par des brocanteurs. Ces joyaux, dont plusieurs 
sont des chefs-d'œuvre d'orfévrerie, se rattachent presque 
toujours à l'histoire des principales familles du pays, et mé- 
ritent d'être préservés contre la rapacité commerciale ou d’être 
tirés de l'oubli. 

Déjà précédemment, M. Gauthier avait entrepris un autre 
genre de collection, celle des pierres tumulaires du moyen 
âge. Par ses soins, nous possédons les premiers éléments : 
d’une galerie de belles dalles sculptées ou gravées. 

Cette année, des délégués de notre Compagnie ont pu 
assister à la séance générale tenue le 8 mai par la Société 
d'Emulation de Montbéliard ; ils ont recu de leurs hôtes un 
aimable accueil dont nous sommes heureux de rendre au- 
jourd'hui la réciprocité. Dans cette séance, fort intéressante, 
des communications ont été faites par deux des nôtres : celle 
de M. Sire avait trait à de curieux phénomènes de rotation 
périmétrique ; celle de M. Tuetey se rapportait à l'invasion 
des bandes d'écorcheurs en Franche-Comté. 

Maintenant, ne pensez pas, mesdames, messieurs, que 
nous nous bornions au développement de nos seules idées ; 
l'esprit d'exclusivisme serait trop contraire à notre principe 
fondamental, l'Emulation. Nous appuyons volontiers toute 
entreprise étrangère à notre initiative, mais intéressant la 
Franche-Comté. C'est ainsi que nous avons voulu contribuer 
à l'érection, sur l’une des places de Poligny, du buste en 
bronze de l'historien Chevalier ; nous avons tenu également 


Re. | 

à doter d'un prix le grand concours de tir qui a eu lieu cette 
année à Besançon. Cette dernière circonstance nous a valu, 
de M. le Maire de la ville, un hommage public dont nous le 
remercions. 

Déjà, nombre de fois, tantôt l'être collectif de la Société, 
tantôt plusieurs des membres qui la composent, ont recu, dans 
les congrès annuels de la Sorbonne, les récompenses les plus 
flatteuses. Cette année, nous avons eu une part plus large 
encore dans les honneurs de ces grandes assises. 

La réunion des délégués des sociétés savantes se trouvant 
privée de l'homme éminent qui devait la présider, on voulut 
du moins que la mémoire de M. Amédée Thierry fût célébrée 
dès le début du congrès. Cette tâche fut confiée à M. Chotard, 
notre vice-président, qui l'a brillamment remplie; elle lui 
revenait, du reste, à plus d’un titre, car il occupe, à la Fa- 
culté des lettres de Besançon, la chaire précédemment illus- 
trée par l’auteur de l'Histoire des Gaulois. 

Après ce début, sigracieux pour nous, M. Gastan fut appelé, 
dans la section d'archéologie, à ouvrir la série des lectures 
par son Exposé de la découverte du théatre de Vesontio et la 
création du square archéologique de Besançon. Ge remarquable 
travail a été écouté, apprécié et applaudi. Un album de plans, 
fait et apporté par le président de notre Société, a circulé dans 
la salle et a permis aux auditeurs de se rendre parfaitement 
compte de l'importance de la découverte. 

La distribution solennelle des récompenses eut lieu le 19avril, 
en présence de ce que la France possède de plus hautes célé- 
brités scientifiques. La Société d'Emulation du Doubs fut 
alors appelée à recevoir l'un des trois grands prix de mille 
francs, affectés en 1873 aux travaux archéologiques. 

Une distinction d’un autre ordre, bien que concernant per- 
sonnellement un de nos confrères, n’en rejaillit pas moins 
sur notre Compagnie : il s’agit d'une médaille d'or accordée 
récemment, par la Société d'encouragement pour les études 
grecques, à M. de Rochas, capitaine du génie, comme récom 


LA) | BP 
pense des travaux qu'il a publiés dans notre recueil sur la 
Poliorcétique des Grecs. 

Il me reste, mesdames, messieurs, à souhaiter la bienvenue 
aux membres honoraires de droit qui viennent aujourd'hui 
prendre, pour la première fois, séance parmi nous. Qu'il me 
soit permis de saluer tout particulièrement, dans ce groupe 
de notabilités, le chef du grand commandement militaire dont 
Besancon est le siége. C'est pour notre pays une heureuse 
fortune que ce poste d'honneur et de péril ait été accepté par 
un Général (1) qui joint aux talents spéciaux du soldat l’éru- 
dition du savant, qui résume en sa personne les hautes qua- 
lités et les souvenirs de la première famille de France. Sa 
présence au milieu de nous est saluée par tous avec respect et 
sympathie. Nous nous félicitons d'être des premiers à lui 
offrir, dans cette fête de l'intelligence et devant l'élite de la 
population, l'assurance de ces sentiments. Nous lui serons 
reconnaissants de nous accorder sa bienveillance, et nous fai- 
sons des vœux pour qu'il lui soit donné de consacrer long- 
temps à l’œuvre régénératrice du pays son haut mérite et son 
grand Cœur. 


(1) Son Altesse le puc D'AUMALE. 


LA 


SOCIÉTÉ D'ÉMULATION DU DOUBS 


à la réunion des délégués des sociétés savantes 


EN 1873 


Rapport fait à la Société d'Emulation du Doubs sur la part prise par 
cette Compagnie à la réunion des délégués des sociétés savantes des 
départements en 1873, par M. A. Ducar, président annuel. 


Messieurs, 


Le congrès annuel des délégués des sociétés savantes des 
départements a eu lieu à Pâris du 16 au 19 avril. Dans ces 
assises scientifiques, la Société d'Emulation du Doubs, repré- 
sentée par plusieurs de ses membres, a tenu une place ho- 
norable. 

Déjà les principales feuilles publiques ont raconté les faits 
les plus saillants des séances qui se sont tenues à la Sorbonne : 
aujourd’hui il suffira donc de mentionner, avec quelques dé- 
tails, ceux de ces fails qui se rapportent à notre Société. 

La première journée a commencé par une assemblée géné- 
rale dans le grand amphithéâtre. M. Chotard, un de nos vice- 
présidents, fut invité à ouvrir la série des lectures par un dis- 
cours qui avait pour but de rendre à M. Amédée Thierry un 
hommage public. Bien que n'ayant eu que quelques jours 
pour recueillir des documents et composer son œuvre, notre 
confrère a su mériter les suffrages d’un nombreux et brillant 
auditoire. Occupant, à la Faculté des lettres de Besancon, 


, 


EUR LOUE 

cette même chaire dans laquelle l'illustre écrivain avait au- 
trefois professé, M. Chotard à rappelé les liens de souvenirs 
et d'affection qui rattachaient M. Thierry à la Franche-Comté ; 
il a continué en caractérisant les principaux ouvrages dus au 
grand historien; puis il a montré ce même savant, ayant 
atteint le faîte des distinctions, acceptant néanmoins avec 
bienveillance de compter parmi les membres de notre So- 
ciété, qu'il vint honorer un jour de sa présence. Enfin il a 
rappelé la bonté avec laquelle cet homme distingué, aussi 
remarquable par les qualités du cœur que par celles de l'in- 
tellisgence, accueillit jusque dans son intimité quelques-uns 
d’entre nous qu'il voulait bien favoriser de son amitié. 

Parmi les auditeurs, se trouvait un des deux fils du regretté 
défunt, M. Jacques Thierry, capitaine d'état-major, aide-de- 
camp du Général de division de notre ville. Ce jeune et sym- 
pathique officier, assis auprès de notre confrère M. Drapey- 
ron, à pu être heureux et fier d'entendre prononcer en si 
bons termes l'éloge de son illustre père. Lors des applaudis- 
sements prolongés qui suivirent le discours, il nous serra les 
mains avec émotion, en nous efprimant le désir de prendre 
rang, lui aussi, dans notre Société d'Emulation. 

On procéda ensuite à la désignation des personnes qui de- 
vaient composer les bureaux des trois sections : histoire, ar- 
chéologie, sciences. Dans la deuxième de ces sections, à côté 
de M. le marquis de La Grange, président, de M. Léon Re- 
nier, vice-président, et de M. Chabouillet, secrétaire, on ap- 
pela, pour siéger comme assesseur, le président de la Société 
d'Emulation du Doubs, l’une des compagnies que la section 
avait jugée digne d'une récompense. 

Les travaux des sections commencèrent aussitôt après. Pour 

J'archéologie, vingt-neuf mémoires étaient à lire. Celui de 
notre secrétaire, M. Castan, fut appelé le premier. Le sujet 
était : Le Théätre de Vesontio et le square archéologique de Be- 
sançon. Ici encore l'attention des auditeurs fut promptement 
captivée : l'exposé des faits se rattachant à la découverte de 


LT Le JR 
ruines importantes, la clarté des descriptions, l'élucidation 
des destinées successives de notre antique édifice et de ses 
annexes, tout fut apprécié ; et cette lecture, écoutée constam- 
ment avec le plus grand intérêt, fut ensuite très vivement 
applaudie. ! 

Des photographies représentant les fouilles et quelques 
plans, dressés par l’un de vos confrères, furent exhibés pen- 
dant que M. Castan décrivait la transformation de notre place 
Saint-Jean en un square; ces images circulèrent dans la salle 
et permirent de juger plus complètement de l'importance de 
la découverte. 

Ainsi, messieurs, dans cette première journée, en trois cir- 
constances différentes, l'attention était appelée sur notre So- 
ciété par la présence et par les travaux de plusieurs de ses 
membres. 

Pendant deux autres jours, les diverses lectures annoncées 
se continuèrent, donnant lieu assez souvent à des controverses 
très instructives. Là, les modestes délégués des sociétés de 
province soutenaient avec des maîtres de la science d'assez 
vives discussions; ils en sortaient sinon toujours en vain- 
queurs, du moins constamment en lutteurs ayant fait preuve 
de quelque savoir et surtout du désir d'être utiles à leur pays. 

Le samedi, 19 avril, a eu lieu la distribution générale des 
récompenses. Le grand amphithéâtre de la Sorbonne était 
décoré de tentures réservées pour les jours de solennité. De 
bonne heure les gradins avaient été envahis. Sur l’estrade on 
pouvait reconnaître ce que la France compte de plus éminent 
dans les sciences et dans les lettres. Le Ministre de l'Instruc- 
tion publique présidait l'assemblée, 

Les rapports généraux furent faits par M. Hippeau pour 
l'histoire, par M. Chabouillet pour l'archéologie, et par 
M. Blanchard pour les sciences. La Société d'Emulation du 
Doubs eut, cette fois encore, les prémices des éloges accordés 
aux études archéologiques : on signala la découverte et les 
études récentes dues à M. Castan, aussi bien que celles plus 


— 14 — 

anciennes relatives à la question d’Alesia ; on rappela les tra- 
vaux publiés dans nos Mémoires sur la fortification chez les 
Grecs, par M. de Rochas, et sur le rôle de Besancon comme 
place forte, par M. Alphonse Delacroix; on approuva l'idée 
de la formation d’un square archéologique, voisin de notre 
vieil arc triomphal, encadrant les nombreux restes d’un grand 
édifice ainsi que d’autres constructions qui, toutes, ont joué 
un rôle dans l'histoire de notre cité. Ce témoignage, rendu en 
si haut lieu à des recherches et à une entreprise patronnée par 
notre Société, sera pour celle-ci la meilleure des récompenses 
et le plus puissant des encouragements. 

Un long discours de M. le Ministre compléta la séance. 
Cette allocution, dont le but principal était de faire connaître 
l'insuffisance des locaux affectés en France au service de l’en- 
seignement supérieur, a été reproduite par la presse officielle 
et commentée par le journalisme; elle ne peut être rappelée 
ici que pour mémoire. Souhaitons qu’elle ait pour principal 
résultat de déterminer l’Assemblée législative à doter plus 
largement les Facultés de Paris et de la province. 

La solennité se termina par la distribution générale des 
récompenses. Quelques distinctions spéciales, dans l’ordre de 
la Légion d'honneur et dans les grades académiques, furent 
aussi proclamées. L'un de nos confrères, M. Boussingault, 
essayeur de la garantie, obtint à cette occasion la palme d'of- 
ficier d'académie. 

Dans la seule section des sciences, on accorda individuelle- 
ment des médailles aux auteurs des principaux mémoires ré- 
cemment publiés par les sociétés savantes. Mais, pour l’archéo- 
logie aussi bien que pour l’histoire, trois prix de mille francs 
chacun ont été attribués, en nom collectif, aux sociétés qui 
se sont le plus distinguées par l’ensemble de leurs travaux. 

La Société d'Emulation du Doubs a partagé avec celles de 
Nancy et d’Autun l'honneur d'obtenir un de ces grands prix. 
En votre nom, messieurs, votre président est allé recevoir, 
de la main du Ministre, la médaille de bronze qui atteste ce 


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L! 3 


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succès et qui sera un des plus précieux joyaux de votre écrin. 

Le soir du même jour, vos délégués se sont rencontrés une 
dernière fois dans la splendide soirée musicale offerte par le 
Ministre aux représentants des sociétés savantes. A cette ré- 
union assistait, avec tout le haut monde officiel, le Chef de 
l'Etat. 

Telles sont, messieurs, les fêtes auxquelles nous avons pris 
part et pour lesquelles nous vous aurions tous désirés. Puisse 
l'avenir nous permettre d'avoir toujours l'émulation du tra- 
vail et d'y être encouragés encore par quelques succès. 


Il 


Extrait du rapport de M. A. CaaBouïiLLer, secrétaire de la section d'ar- 
chéologie du Comité des sociétés savantes, sur les récompenses accor- 
dées, en 1873, par cette section. 


Les sociétés entre lesquelles sont partagés ex æquo les en- 
couragements mis à la disposition de la section d'archéologie 
sont : la Société d'Emulation du Doubs, la Société Eduenne et 
la Société d'archéologie lorraine. Nous parlerons d’abord des 
mérites de la Société du Doubs, la première selon l'alphabet, 
et nous saluerons avec plaisir cette primauté du hasard qui 
nous fournit l'occasion de manifester, dès à présent, la vieille 
prédilection du comité pour les fouilles. 

Si la section d'archéologie aime et favorise les fouilles, la 
Société d'Emulation du Doubs a prouvé depuis longtemps 
qu'elle en comprend l'importance : témoin la médaille d'or 
qui lui fut décernée en 1864, pour les comptes-rendus des 
fouilles d’Alaise, publiés dans ses Mémoires par son secré- 
taire, M. Auguste Castan. Cette Société doit encore à des 
fouilles le nouveau succès qu'elle va enregistrer dans ses 
annales, et ces fouilles, couronnées par une belle découverte, 
ont été dirigées par le même savant. Une circonstance rend 
la découverte de M. Castan particulièrement méritoire. Le 


CARE | “MR 


hasard n’y est pour rien. Personne, à Besançon, n'ignorait 
qu'en se promenant sur la place Saint-Jean, on foulait des 
vestiges romains, mais on s’y croyait sur l'emplacement du 
forum. Doué d'une qualité que l’on pourrait nommer le dia- 
gnostic des ruines, M. Castan avait de longue main étudié le 
sous-sol de la place Saint-Jean. La comparaison de l’ensemble 
des vestiges romains qu'il y observa, surtout la forme courbe 
d'un fragment de grandes proportions qui lui semblait déceler 
un podium, d'autres indices encore, avaient fait naître dans 
son esprit la conviction que là avait été, non pas le forum, 
mais le théâtre de Vesontio. Des fouilles pouvaient seules dé- 
cider cette question. En février 1870, M. Castan demanda à 
la Société d'Emulation un crédit destiné à ouvrir une tran- 
chée sur la place Saint-Jean. Ce crédit fut immédiatement 
alloué. Le conseil municipal accorda l'autorisation néces- 
saire, et les travaux commencèrent au printemps de cette 
même année 1870, sous la direction de M. Castan, à qui la 
ville adjoignit un architecte distingué, M. Ducat. 

Dès cette première campagne, les fouilles donnèrent raison 
à M. Castan. La place Saint-Jean occupait en effet l'emplace- 
ment du théâtre de Besancon ; mais il fallait retrouver ce que 
le temps et l'incendie de 355 avaient respecté de l'édifice. La 
Société, ne pouvant suffire seule à cette tâche, ouvrit une 
souscription, qui fut parfaitement accueillie, non-seulement 
par ses membres, mais dans la ville et au dehors. Un membre 
anonyme de la Société (1) donna 6,000 fr.; le souverain, le 
gouvernement vinrent aussi à l'aide ; enfin le conseil muni- 
pal, qui, dans cette affaire, montra la plus haute intelligence 
des intérêts de la cité, accorda des crédits pour l'achèvement 
de l’entreprise, et, sur la proposition de M. Ducat, décida la 
transformation de la place Saint-Jean en square archéolo- 
gique. Les travaux, poussés avec vigueur, marchèrent si ra- 


ee eee 2 me me me ee | a 


(1) M. Adolphe Veiz-Picarn. (Note du Conseil d'administration de la 
Sociélé.) 


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pidement que, malgré l'interruption causée par la guerre, 
dès à présent Besancon peut montrer avec un légitime or- 
gueil les imposants vestiges de son théâtre. 

Selon M. Castan, le théâtre de Vesontio date du temps de 
Mart-Aurèle, et cette appréciation n'est démentie ni par la 
beauté de la construction du podium, dont une partie consi- 
dérable est dégagée, ni par la richesse et l'élégance des frag- 
ments d'architecture et de sculpture recueillis dans les fouilles. 
De ces fragments, les plus remarquables sont ceux des co- 
lonnes. On a pu en redresser huit. De ces huit colonnes, quatre 
sont entières, mesurent huit mètres et ont retrouvé leurs cha- 
piteaux corinthiens; deux ont même pu être reliées par un 
beau morceau d’entablement complet. Rien n'est plus saisis- 
sant, au milieu de la ville moderne, que cette colonnade qui 
surgit à quelques pas d’un autre majestueux monument de 
l'époque romaine, l’arc triomphal connu sous le nom de 
Porte-Noire! Que le soleil vienne à dorer ces nobles ruines, 
et l’on se croirait à Rome, près de l’arc de Septime-Sévère, à 
l'entrée du Campo Vaccino. 

On s'oublierait volontiers en pareil endroit; mais il nous 
faut retracer les autres titres de la Société du Doubs. Le der- 
nier volume de son recueil renferme non-seulement de bons 
mémoires, comme les précédents, mais un livre, la première 
traduction française du Traité de fortification de Philon de 
Byzance, dont un extrait, lu à la Sorbonne en 1869 par l’au- 
teur, M. de Rochas d'Aïglun, capitaine du génie, fut salué 
par les applaudissements sympathiques de l'assemblée. Ce 
livre, qui a obtenu l'approbation des savants compétents, 
pouvait-il venir plus à propos (1) ? 

Le même volume (@) contient encore deux mémoires qui 


tem me à — 


(1) A la suite du Traité de Puicow, viennent d'autres traités ou frag- 
ments, traduits également par M. pe Rocxas p'Arezun. En outre, on y a 
réuni une compilation anonyme sur la défense des places fortes, dont la 
traduction est due à M. E. CAILLEMER. 

(2) Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4° série, t. VI, 1871. 


2 


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duels: 

2 [Le Nu 

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sont de notre ressort. Mais, pour m'être trop arrêté au théâtre, 
Je puis à peine en signaler les auteurs. Le premier, dû à 
M. Alphonse Delacroix, Besançon place forte, est une étude 
écrite sous le coup de nos désastres, dans laquelle le patrio- 
tisme s'appuie avec succès sur l'archéologie. Le second est 
une monographie des sceaux de Besancon, qui montre une 
fois de plus que M. Castan ne s’est pas tellement renfermé 
dans l'étude de l'architecture romaine, qu'il en ait négligé 
celle des annales de sa patrie. En remontant plus avant dans 
le passé de la Société du Doubs, j'aurais encore trouvé à rap- 
peler de remarquables travaux de MM. Bial, Delacroix, Cas- 
tan, Henri Martin : je voudrais aussi m'’étendre sur tout ce 
que le musée de Besancon doit aux dons de cette Compagnie ; 
mais j'ai hâte de quitter la Franche-Comté pour la Bour- 
gogne. 


III 


Extrait du compte-rendu des lectures faites à la section d'archéologie 
par M. A. CHABOUILLET. 


Séance du 16 avril 1873. 


M. Auguste Castan, secrétaire de la Société d'Emulation 
du Doubs, a donné lecture d'un mémoire intitulé : Le Théâtre 
de Vesontio et le square archéologique de Besançon. 


Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement. 


Cet axiome ne pourrait plus heureusement s'appliquer qu'à 
ce lucide exposé d’une des plus intéressantes découvertes qui 
aient été faites en France depuis quelques années. A la vé- 
rité, qui donc mieux que M. Castan aurait pu rendre compte 
de cette campagne archéologique, dont il a concu le plan, et 
qu'il a été assez heureux pour mener à bonne fin ? 

On peut dire du secrétaire de la Société d'Emulation du 
Doubs qu'il a entrepris de restituer l’antique Vesontio, qui 
se cache sous le moderne Besançon. Déjà, en 1868, il lisait à 


A |: Te 
la Sorbonne un bon travail intitulé : Le Capitole de Vesontio 
et les capitoles provinciaux du monde romain ®), publié d’a- 
bord dans le Recueil des mémoires lus à la Sorbonne ®), puis 
dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs (3) ; à la 
session suivante, Le Champ de Mars de Vesontio, travail non 
moins important, dont il a été rendu compte dans la Revue 
des sociétés savantes (4) l'année même (1869), et qui a été pu- 
blié dans les Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs en 
1870 G). Aujourd'hui, M. Castan est venu montrer que les 
vestiges d'architecture romaine du sous-sol de la place Saint- 
Jean n'étaient pas ceux du forum, comme on le croyait gé- 
néralement à Besançon, mais ceux du théâtre. Comme dans 
les deux mémoires que l'on vient de citer, c’est sur des fouilles 
que s'appuie le sagace archéologue. Guidé par une connais- 
sance approfondie des usages des Romains, des principes de 
leur architecture, M. Castan avait remarqué surtout un frag- 
ment de grandes proportions, de forme courbe, qui lui pa- 
raissait ne pouvoir appartenir qu'à un théâtre, ou tout au 
moins à un édifice quelconque destiné à des représentations 
scéniques. Des fouilles seules pouvaient confirmer ou détruire 
l'hypothèse de M. Castan. Il n’hésita pas à en entreprendre, 
et, avec l’aide de la Société d'Emulation, qui lui accorda un 
crédit, et l'autorisation du conseil municipal, il ouvrit, au 
printemps de 1870, une tranchée sur la place Saint-Jean, 
avec la collaboration de M. Ducat, architecte distingué, au- 
jourd'hui président de la Société d'Emulation du Doubs. 


(1) Il a été rendu compte de ce travail dans la Revue des sociélés sa- 
vantes; voy. 4° série, t. VII, pp. 399 et suiv., 1°" semestre de 1868. 

(2) Mémoires lus à la Sorbonne : Archéologie; Paris, 1869, pp. 47 à 77, 
avec trois planches. 

(3) Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4° série, t. IV, 1868, 
pp. 201-235. 

(4) Revue des sociétés savantes, 4° série, t. VIL p. 339 et suiv., 1° se- 
mestre de 1869. 

(5) Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 4e série, t. V, 1869, pp. 13-45, 
avec quatre planches. 


SONT 

M. Castan espérait rencontrer l'une des extrémités de l'es- 
trade et l’un des angles de retour vers la pente qui avait 
servi d’assiette aux gradins. Les choses se présentèrent comme 
il les avait annoncées. Aïnsi qu’il le dit modestement lui- 
même, « sa fouille eut la bonne chance de tomber droit sur 
l’un des points où finissaient les dalles, de montrer une por- 
tion de celles-ci soudées au blocage qui les réunissait en es- 
trade, de témoigner que cette estrade supportait un dallage 
horizontal et avait pour couronnement une corniche, dont 
les moulures étaient en harmonie avec celles de la base déjà 
connue. De ce creusage sortirent aussi des fragments de cha- 
piteaux corinthiens, ce qui promettait de sérieuses conquêtes 
à une fouille plus ample. » Ces conquêtes furent faites. Grâce 
à une souscription parfaitement accueillie, à des subventions 
du souverain, du ministère, du conseil municipal, on a fouillé 
une assez grande portion du théâtre de Vesontio, pour qu'il 
soit possible d'affirmer l'exactitude des conjectures de M. Cas- 
tan; et aujourd'hui la place Saint-Jean , convertie en square 
archéologique, constitue une décoration des plus pittoresques 
et des plus intéressantes pour la ville de Besançon. 

On s’en fera facilement une idée, si l’on songe que l'on a 
pu redresser huit colonnes, dont plusieurs, entières, ont con- 
servé leurs chapiteaux corinthiens, et que cette colonnade 
romaine s'élève à quelques pas de l'arc de triomphe romain, 
connu sous le nom de Porte-Noire. C'est là un succès dont on 
ne saurait trop féliciter M. Castan, M. Ducat, la Société d'E- 
mulation et le conseil municipal de Besancon. Désormais, il 
faudra ajouter le nom de Besançon au catalogue fort restreint 
des villes de France qui ont conservé et peuvent montrer des 
vestiges d’un théâtre romain. 


A LA MÉMOIRE 


D'AMÉDÉE THIERRY 


Discours prononcé à ses obsèques, par M. L. DRAPEYRON. 
Eloge fait en Sorbonne, par M. H. CHOTARD. 


Le surlendemain des obsèques de M. Amédée Thierry, le 
conseil d'administration de la Société d'Emulation du Doubs 
adressait au Courrier franc-comtois la communication sui- 
vante : 

« Nos concitoyens ont appris et déploré avec la France en- 
tière la mort de M. Amédée Thierry. C’est une gloire natio- 
nale qui vient de quitter ce monde, et la Franche-Comté est 
trop éminemment française pour n'avoir pas été sensible à 
un tel événement. Mais notre province doit des regrets d'une 
nature plus spéciale au grand historien. M. Amédée Thierry 
aimait à se dire l'un des enfants d'adoption de la Franche- 
Comté. C'est à Besancon qu'il avait préludé, par des lecons 
aussi substantielles qu'éloquentes, aux immortels ouvrages 
qui ont élucidé les origines de notre race gauloise et retracé 
les plus anciennes manifestations de son génie. Recu docteur 
ès-lettres par la Faculté de Besançon, devenu professeur d'his- 
toire dans cet honorable corps, un instant exilé pour les prin- 
cipes libéraux qui coloraient son enseignement, M. Amédée 
Thierry eut de suite la confiance du gouvernement de 1830, 
et fut placé, comme préfet, à la tête du département de la 
Haute-Saône. Il administra, pendant huit ans, cette riche 


De QE M 

portion du territoire franc-comtois, sachant mener de front 
le laborieux exercice de ses devoirs publics et la continuation 
des grandes œuvres historiques qui font à sa mémoire un si 
glorieux cortége. Ni son fauteuil de membre de l'Institut, mi 
son siége de sénateur, ni les rares distinctions qui lui furent 
conférées par les plus illustres compagnies savantes de l'Eu- 
rope, rien de tout cela ne put lui faire oublier que Besancon 
et Vesoul avaient été les berceaux de sa brillante carrière 
d'historien et d'administrateur. Attachant une importance en 
quelque sorte religieuse à ce que ce sentiment fût apprécié 
par le pays qui en était l'objet, il chercha toujours les occa- 
sions d'encourager les jeunes intelligences et les entreprises 
utiles qui émanaient de notre province. 

» Lors d’une visite qu'il fit à la bibliothèque de Besancon 
en 1869, il remarqua que l’une des salles de lecture était ornée 
des portraits de ceux qui avaient honoré et servi la Franche- 
Comté : il eut l’exquise attention de demander une place pour 
son image dans cette galerie. Peu de temps après, la biblio- 
thèque recevait un splendide portrait photographié, au bas 
duquel le grand maître avait écrit lui-même ce touchant com- 
mentaire : 

AMÉDÉE THIERRY 


PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES LETTRES DE BESANCON 
années 1828-1829. 


Forsan et hæc olim meminisse juvabit. 
3 février 1870. 


» M. Amédée Thierry laisse deux fils, l’un et l’autre très 
dévoués à la terre comtoise : l'aîné, M. Gilbert Thierry, an- 
cien auditeur de première classe au conseil d'Etat, déjà connu 
par d'intéressantes études historiques, est propriétaire d'un 
domaine dans la Haute-Saône ; le second, M. Jacques Thierry, 
capitaine d'état-major, décoré pour sa brillante conduite dans 
les incidents de la dernière guerre, est aide-de-camp du gé- 
néral qui commande la division dont Besancon est le chef- 
lieu. 


ATOUT 


CUS ee 
» Il était donc convenable que la Franche-Comté fit en- 
tendre quelques paroles sympathiques sur la tombe d’un aussi 
affectueux patron. Ce devoir ne pouvait être mieux rempli 
que par M. Drapeyron, membre de la Société d'Emulation 
du Doubs, l'un de ceux qui furent justement distingués par 
M. Amédée Thierry dans ses excursions en Franche-Comté. 
On nous saura gré de reproduire le discours prononcé au ci- 
metière Mont-Parnasse, le samedi 29 mars, par ce représen- 
tant de la plus active de nos sociétés savantes. » 


I 


Discours prononcé par M. L. DraPeyroN, aux obsèques de M. Amédée 
Tæierry, le 29 mars 1873. 


Messieurs, 


Qu'il soit permis à l’un de ceux qui ont recu le dernier 
soupir de l’'éminent historien que nous pleurons tous, de re- 
présenter, devant sa tombe, cette chose qui peut ennoblir les 
plus obscurs et rehausser les plus humbles, l’amitié. Telle est 
mon excuse d'oser prendre ici la parole après des maîtres 
illustres. J'aimais M. Amédée Thierry dans ses ouvrages, 
longtemps avant de le connaître personnellement. La généra- 
tion à laquelle j'appartiens avait pour lui les mêmes senti- 
ments que moi. C’est que cette génération — son élite du 
moins — se sent mal à l'aise dans les cadres étroits de partis 
politiques, bien vite enrichis, au grand dommage de la 
France, de coteries aristocratiques, scientifiques et littéraires. 
Elle court d'instinct à ceux qui veulent l’affranchir. Elle cou- 
rut donc à M. Amédée Thierry, l'historien calme et impartial, 
l'observateur profond qui savait sonder, comprendre et classer 
toutes les âmes, l'homme d'Etat enfin qui, en dépit de con- 
victions inébranlables , n'écrivit jamais une ligne pour satis- 
faire une haine ou une rancune. Aussi quel charmant accueil 
il faisait à cette jeunesse, soit qu'elle vint lui demander con- 


à: ant 


seil, soit qu'il la rencontrât au milieu des représentants des 
sociétés savantes, à Paris et en province! 

Besancon gardera à jamais le souvenir de l’une de de ces 
tournées, toutes d'amitié. On le vit, honoré d’un vote unanime 
et enthousiaste, prendre séance dans la Société d’Emulation ), 
et, à la suite de lectures dont sa forte attention n'avait rien 
laissé perdre, se promener délicieusement, en compagnie de 
ses nouveaux disciples, sur ces belles rives du Doubs, si ad- 
mirées par lui dans sa jeunesse. Il partit trop vite, nous lais- 
sant bien des regrets ; mais il exigea que j'allasse le rejoindre. 
C'est alors que j'appris à le connaître complètement. Ami 
modeste, mais aimé autant qu'aimant, je recus la confidence 
de ses prodigieux labeurs. Les malheurs de la patrie les inter- 
rompirent. Alors il fut avant tout bon Français et bon père. 
Quel supplice il endura, lorsque, après Gravelotte, il ne re- 
cut plus de nouvelles de son fils Jacques Thierry, officier de 
l’armée de Metz! Il fallut toute la piété filiale, si active et si 
puissante de Gilbert Thierry, pour atténuer, sinon pour 
vaincre, son inconsolable douleur. 

L’armistice établit entre nous une correspondance. « Les 
gens qui ont été éloignés de Paris dans cette épouvantable 
crise, nous disait-il, ressemblent à Epiménide, cherchant qui 
est mort, qui vit, qui est debout, qui est à bas... Et revoir 
cela, sera affreux (2). » 

Lorsqu'une criminelle insurrection eut centuplé les dé- 
sastres, il écrivait : « Votre récit m'a fait frémir, quand Je 
vous ai vu témoin auriculaire des fusillades qui vous atten- 
daient sur les degrés du Panthéon G). » 

Il s'était remis au travail avec une ardeur fébrile. Tout à 
l'heure un maître éminent vous a dit ce que pensait la Revue 
des Deux-Mondes de son assidu et bien-aimé collaborateur. 


(1) Séance du 6 juin 1868. 
(2) Lettre du 5 février 1871. 
(3) Lettre du 1° juin 1871. 


- 


7:95 = 
L'absence de cet important recueil avait été une de ses grandes 
privations. « La Revue des Deux-Mondes a-t-elle continué à 
paraître ? Ah! les lettres, les lettres, où sont-elles (1) ? » Et il 
ajoutait : « Je reprendrai avec délices ma vie littéraire à Pa- 
ris, S'il y a place pour les travaux de l'esprit au milieu de tant 
de ruines (?). » 

Ces travaux, vous les connaissez, messieurs ; ils sont tout 
récents, et j'ajouterai que ce sont les plus achevés : ils ont 
mis M. Amédée Thierry définitivement hors de pair. 

Nos entretiens ayant recommencé, je pus voir comme il 
avait su tirer la lecon des événements. Il ne cessait de répéter 
que le relèvement de la France était non-seulement une ques- 
tion d'instruction primaire, mais une question de méthode, 
une question de profonde culture scientifique en tout sens, 
surtout une question d’affranchissement intellectuel. 

Membre de l’Université de France, interprète des profes- 
Seurs d'histoire qui lui sont si redevables, je me plais à vous 


* citer l’une de ses pensées : « Plus il y a nécessité de relever 


en France non-seulement l'esprit politique dévoyé, mais le 
goût et le sentiment des études sérieuses, plus il y a d'avenir 
pour ceux qui se vouent à cette sainte mission (3). » 

On vous a retracé la mort touchante de ce grand homme; 
je n’aurais pas le courage d'y revenir en ce moment. C'est le 
calme de la réflexion qui en fera ressortir les enseignements 
de plus d’un genre. Mais il me reprocherait de ne pas rap- 
peler sur sa tombe la tendresse désolée de ses enfants, le noble 
dévouement de M. Victor Revillout, l'empressement affec- 
tueux de ses secrétaires (4), qui sont tous restés ses amis, et 


(1) Lettre du 5 février 1871. 

(2) Lettre du 1° juin 1871. 

(3) Lettre du 19 février 1871. 

(4) MM. Canivet, Louis Heykman et Jules Poignand, de Besançon, son 
dernier secrétaire et mon ancien élève. Citons aussi, parmi ses amis les 
plus dévoués, MM. Gustave Saige et Auguste Castan, anciens élèves de 
l'Ecole des Chartes : le premier, archiviste aux archives nationales ; le 


A 1 LEBE 
surtout la prière angélique de son jeune petit-fils, s’envolant 
avec son âme vers le Ciel. 

Au revoir, cher et bien-aimé maïtre, reposez au sein de 
Dieu! Vous n'aurez pas la joie de voir la prochaine libération 
de notre sol; mais l'on peut affirmer que la France sera 
grande et forte le jour où, dévorée de l’amour de la patrie, 
une phalange suivra le salutaire exemple que vous avez donné 
par votre travail, votre bienveillance inaltérable et votre large 
équité. 


Il 


Eloge de M. Amédée Tarerry, prononcé à la Sorbonne dans la séance 
d'ouverture des trois sections des sociétés savantes, le mercredi 
16 avril 1873, par M. Cnoranrn, vice-président de la Société d' Emulation 
du Doubs. 


Messieurs, 


Au moment où s'ouvrent les séances des sociétés savantes , 
quel serait mon titre pour prendre le premier la parole, si je 
ne devais vous entretenir de l’homme éminent qui a présidé 
pendant si longtemps nos réunions, dont nous avons tous 
apprécié et la haute valeur et la grande bienveillance, que nos 
yeux cherchent encore involontairement, et que nous ne ces- 
serons pas de regretter ? 

M. Amédée Thierry nous a été enlevé il y a quelques se- 
maines à peine. Nous espérions le retrouver à notre tête après 
trois années de séparation, et c'était en vain. Chacun de nous 
a souffert pendant cette douloureuse interruption de nos tra- 
vaux, mais que n'a pas ressenti notre président ? Personne 
n’a été plus troublé que lui par nos maux et nos misères ; il 
l’a dit, il l’a écrit, car il avait dû quitter Paris, et ceux qu'il 
honorait de ses lettres ont rapporté les témoignages touchants 


second, conservateur de la bibliothèque de Besançon, tous les deux 
lauréats de l'Institut. 


GE AN 

de son affliction. Il a été atteint dans tout ce qu'il avait de 
plus cher : la France, qu'il aimait tant et qu'il a si bien servie, 
était aux mains de l'étranger, le plus jeune de ses fils com- 
battait à Metz, et, Metz rendue, partait prisonnier pour l’Al- 
lemagne; ses livres, ses chers livres, menacés dans Paris, 
pourrait-il les retrouver et continuer avec eux les études 
qui ont fait la joie de sa vie et donné de l'éclat à son nom? 
Combien ces plaintes sont émouvantes ! et quelles craintes ne 
devaient-elles pas donner! Nous nous rassurions cependant 
en admirant sa forte vieillesse ; le temps semblait ne l'avoir 
pas touché; on l’entendait parler non pas des travaux qu'il 
avait faits, mais de ceux qu'il concevait, qu'il préparait, dont 
le plan était arrêté, dont l’exécution était commencée, et nous 
pensions, en vain, hélas! qu'il lui serait donné de rester long- 
-temps encore notre maître et notre exemple. Aussi notre dou- 
leur a-t-elle été bien vive quand nous avons appris qu'il 
n'était plus; je n’oserais dire plus vive que celle des autres 
sociétés savantes ; et cependant on sait qu'il aimait à se dire 
. Franc-Comtois, à considérer Besancon comme son berceau 
littéraire, après Paris toutefois. Avec ce ton qu'on ne peut 
oublier après l’avoir entendu, ce ton si fin et si enjoué, il pré- 
tendait être notre compatriote ; et quand il y a cinq ans il a 
visité pour l'avant dernière fois notre ville et notre Société, il | 
s’est assis à notre bureau, il a même pris part à nos travaux, 
et depuis, suivant un de ces mots qui lui étaient familiers, 
pleins de bonté et de douce humeur, il en a conservé non pas 
la direction, mais l'approbation. 

Il semblera donc naturel, du moins nous l’espérons, que la 
Société d'Emulation du Doubs rende ici un pieux et public 
hommage à l'historien distingué qui, président de toutes les 
sociétés savantes réunies chaque année à la Sorbonne, avait 
accepté un jour d'être le sien, et que, reconnaissante d’un si 
grand honneur, elle entourait d'une vénération particulière. 
Et moi-même, qui suis ici son interprète, peut-être avais-je 
quelque droit à le devenir. Si Besançon a été le berceau lit- 


— 


 téraire de M. Amédée Thierry, c’est qu'il y a été professeur 
d'histoire à la Faculté des lettres; c'est même à Besançon 
qu'il a été recu docteur ; sa nomination avait en effet devancé 
ce titre qui est venu bientôt la confirmer. On se souvient en- 
core parmi nous de son enseignement et de son succès ; c'est . 
lui qui a fait l'honneur de la chaire que j'occupe, honneur 
redoutable, comme je le lui disais, quand il voulait bien m’ap- 
peler son successeur, expression d'une grande bienveillance, 
et tout ensemble d’une juste appréciation. Il était, en effet, de 
ces hommes auxquels on succède, mais qu’on ne remplace 
pas. 

M. Amédée - Simon - Dominique Thierry est né à Blois, 
le 2 août 1797. Il était de deux ans plus jeune que son frère 
Augustin. Ces deux frères, réservés tous deux à une grande 
renommée, qui sont restés constamment unis par les liens de 
la plus tendre amitié et du plus généreux talent, sont nés pour 
ainsi dire au milieu des livres. Leur père joignait, en effet, à 
ses fonctions d’employé au district celles de bibliothécaire de 
la ville. Ils ont fait tous deux leurs études au collége de Blois ; 
ils y ont pris et y ont fortifié mutuellement leur goût pour 
l'étude de l’histoire. Qui ne se souvient de cette page mémo- 
rable où Augustin raconte comment lui a été révélée sa voca- 
tion historique? Qui ne revoit cette salle d'étude dallée et 
voûtée où 1l s'était enfermé pendant la durée d’une prome- 
nade scolaire pour lire le récit d'Eudore dans les Martyrs de 
Chateaubriand ? Amédée partagea cet enthousiasme d’un esprit 
vif et ardent, et à son tour, dans la même salle, il répéta le 
chant des Francs marchant au combat. L'impression fut pro- 
fonde et durable, et si Augustin se rendit le premier dans 
cette ville de Paris, alors comme aujourd’hui le centre de tout 
travail et de toute science, Amédée ne tarda pas à l'y rejoindre. 
Il y arriva en 1816 et, comme son frère, il se fit connaître 
par de bons articles dans les journaux et dans les revues. 

Tout le monde sait avec quelle ardeur nos pères se livraient. 
en ces temps aux travaux de l'esprit. On sortait de vingt-cinq 


Sean 


années de luttes intestines ou de guerres étrangères ; le bruit 


des discordes et des armes s'était tu enfin; l’activité guerrière 
des esprits était devenue une activité littéraire, plus géné- 
reuse peut-être, mais je n'oserais dire plus calme. La science 
ouvrit elle-même un champ de lutte, où se pressèrent de nou- 
veaux Courages, où se livrèrent de nouveaux combats. Entre 
les deux mondes, que séparait une ère de révolution assez 
longue pour égaler le quart d’un siècle, les passions surgirent, 
et la plume remplaca l'épée. Montesquieu avait, dit-on, re- 
trouvé les titres que l'humanité avait perdus; de jeunes écri- 
vains se mirent à la recherche de ceux de la France, et, reje- 
tant tous les récits historiques qui jusqu'alors avaient été 
acceptés, ils puisèrent la vérité aux sources mêmes, dans des 
auteurs si négligés qu'ils étaient inconnus, dans ceux des 
premiers siècles du christianisme , dans ceux qui avaient 
assisté aux invasions et aux premiers établissements des Bar- 
bares en Gaule. Entre tous se distinguèrent Augustin et 
Amédée Thierry. Ils se firent historiens par amour de la 
vérité, et aussi par conviction politique, et ils s’appliquèrent 
à conserver à notre pays de justes avantages, compromis au- 
trefois par les violences de la révolution et depuis par les sou- 
venirs terribles qu'elle avait laissés. 

Toutefois la polémique ne leur suffisait pas; ils avaient 
l'esprit trop haut pour ne s'attacher qu'à une littérature de 
combat ; tous deux aspiraient à d’autres succès, plus solides 
et plus durables. Sans cesser d'écrire des articles dans les 
journaux, ils écrivirent des livres. M. Amédée coopéra à la 
publication de résumés historiques fort en vogue à cette 
époque, et pour sa part il donna le résumé de l’histoire de 
Guyenne, où se firent jour des qualités qui devinrent en lui 
si éminentes, la force et la conscience des recherches, l'or- 
dre et la méthode de la narration. Ce n'était pas en effet 
seulement l’histoire générale de la France que l’on voulait 
savoir; on comprenait que ce royaume, qui s'était formé 
successivement de provinces réunies le plus souvent par la 


= 20 


force et la guerre, ne pouvait avoir depuis son origine jus- 
qu'à nos jours une histoire unique. La vie des provinces ne 
commence pas, en effet, avec leur annexion ; et il faut con- 
naître ce qu'elles ont été auparavant, ce qu’elles ont fait, 
et aussi ce qu'elles ont souffert. Leur gloire, comme leur 
misère, est un patrimoine que nous ne devons ni mépriser, 
ni même négliger. Avant d’appartenir à la France, elles en ont 
_ été l'honneur, même par leur résistance à nos rois, et dès 
lors elles ont leur place dans nos annales nationales. 

On peut dire que jusqu'ici M. Amédée Thierry n'a fait 
qu'exercer son talent par des études savantes et approfondies ; 
il le produit enfin tout formé dans une œuvre considérable. 
Il était entré vers 1826 dans une association où il rencontra 
non-seulement son frère Augustin, mais M. Mignet, dont la 
renommée était déjà puissante. Il s'agissait de tracer une 
histoire générale de la France. Les rôles furent distribués, 
et Amédée Thierry se chargea de la Gaule celtique et de la 
Gaule romaine. La Gaule franque revint à Augustin, et à 
M. Mignet la France des Capétiens. L'œuvre ne réussit pas et 
fut abandonnée. M. Amédée Thierry seul accomplit sa 
tâche, et publia l'Histoire des Gaulois, dont nul de nous n'i- 
gnore le mérite ni le succès. 

Sa réputation est en effet fondée. Jusqu'ici il a été connu 
par son frère Augustin; il l'est maintenant par lui-même. 
Plus âgé que lui de deux ans, arrivé plus tôt à Paris, et en- 
traiîné tout de suite dans le grand mouvement littéraire et 
politique du temps, Augustin Thierry y avait jeté un grand 
éclat. Ses articles dans le Censeur européen, et après 1820 dans 
le Courrier, remuèrent les esprits; ses lettres sur l’histoire de 
France furent accueillies comme la révélation des destinées 
premières de nos villes au moyen âge; on y vit comme un 
avénement de ce peuple français si longtemps méconnu. De 
plus ne savait-on pas que ces publications n'étaient qu'un 
jeu, presque un repos dans la vie de travail de ce jeune 
homme entreprenant et infatigable, et que, voué à la re- 


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cherche des annales des vaincus du moyen âge, il s'était atta- 
ché à ces vaincus de la grande île, notre voisine, aux Saxons 
si longtemps opprimés par les Normands? Il racontait l'his- 
toire de leur résistance, il la suivait à travers les âges ; il la 
menait même jusqu'à nos jours en Irlande, et avec quel feu, 
quelle ardeur de recherches, quel génie d'écrivain ! C'est ce 
que l'on comprit quand parut, en 1825, la Conquête de l'An- 
gleterre par les Normands. 

Posséder un frère illustre, c'est un grand bonheur, mais 
c'est un bonheur sous lequel des âmes même vaillantes s’in- 
clinent et s’affaissent. Quel fardeau que cette obligation d’être 
illustre à son tour! et combien s'y sont dérobés, et ont 
comme fui l'honneur d’un nom qui n'était pas leur œuvre 
et qu'ils ne pouvaient égaler! Aïnsi n'a point fait notre cher 
et vénéré président ; il a accepté l'honneur et la tâche d'en 
être digne. Quel touchant spectacle que ces deux frères unis 
dans le travail et dans la gloire! Sans doute il est entre eux 
des différences ; mais n'est-ce rien pour le second de se pré- 
senter comme de front avec son aîné dans l'estime de tous 
les amis des hautes et sérieuses études ? S'il n'est pas aussi 
vif dans ses récits, aussi brillant dans ses peintures, s’il n’a 
pas autant de vigueur et d'éclat dans le style, comment ne 
pas estimer comme les plus précieuses qualités sa puissance 
de recherche, sa persévérance que rien ne lasse, sa tenacité 
que rien ne décourage, enfin cette justesse de vue, cette 
sûreté d'appréciation qui ne laisse jamais échapper la vérité! 
L'histoire renaissait aux yeux d'Augustin en traits saisis- 
sants et avec une telle promptitude que parfois elle le trom- 
pait en le séduisant; avec plus de lenteur dans l'esprit, 
moins de hardiesse et de prime-saut, si je puis dire, Amédée 
arrivait sans écarts à une conviction forte et à la certitude. 
C'est ce que pensa et dit la France, quand, trois ans après la 
Conquête de l'Angleterre, il lui fut donné de lire l'Histoire des 
Gaulois. On ne parla plus que des deux Thierry, si divers et 
si éminents. M. de Martignac, qui dirigeait alors le mi- 


TUE | pe 
nistère, fit nommer Amédée professeur à la Faculté des 
lettres de Besançon, et le titre de docteur qui lui manquait, 
il l'obtint bientôt de ses collègues, comme nous avons eu 
déjà occasion de le remarquer. 

J'ai dit aussi quel nombreux auditoire il réunit près de sa 
chaire ; il racontait son Histoire des Gaulois, et les disciples 
n'eurent pas d’autres yeux ni un autre goût que les lecteurs; 
l'œuvre, l'écrivain et le professeur furent appréciés à leur 
Juste valeur. En effet, on a pu-depuis compléter par des re- 
cherces bien dirigées le travail du premier historien de notre 
Gaule; on à pu rectifier quelques erreurs; on a aussi dé- 
passé sa réserve et sa sagesse qu'on s’est plu, un peu trop 
vite et de trop haut, à accuser de timidité; maisles fondements 
qu'il a jetés demeurent solides. C’est à lui que nous devons 
le partage de notre terre entre les Ibères, les Celtes et les 
Kimris ; et avec quel intérêt il nous fait assister aux migra- 
tions des Celtes, qui n'ont plus de place dans la Gaule entre 
l'attaque des Kimris et la résistance des Ibères ! Il les suit 
dans la vallée du Danube, en Grèce, jusqu'en Asie, et sur- 
tout en Italie, où Rome détruite survit à peine à elle-même. 
Plus tard, quel récit de la campagne de César! Avec quelle. 
adresse toute romaine ce grand proconsul se joue des riva- 
lités des Gaulôis, triomphant des peuples l’un après l’autre, 
jusqu'au jour où il les abat quoique réunis! La campagne 
s'ouvre à Genève et à Vesontio, et se ferme à Alesia. On 
comprend avec quelle ardeur le jeune maître était écouté à 
Besancon, comment autour de lui naissait l'affection, et 
comment se préparaient nos pieux souvenirs. | 

Mais de tout temps la politique s'est mêlée à l'étude des 
lettres. Nommé sous le ministère de M. de Martignac, 
M. Amédée Thierry fut, sous celui de M. de Polignac, destitué 
et contraint de chercher un asile en Suisse. Rien n’a donc 
manqué à sa vie et à sa réputation, pas même les souffrances 
amères de l'exil. La révolution de juillet le rappela, et dès 
le 4 août il fut nommé préfet de la Haute-Saône. En chan- 


99e 
seant de carrière, il restait dans cette Franche-Comté qu'il 
aimait et dont il était si justement aimé. 
- Nous ne nous arrêterons pas sur les huit années de son 
administration préfectorale. Bien qu'il ait montré une grande 
aptitude et qu'il ait rendu de grands services, 1l ne s'y est 
point complètement enfermé ; à Vesoul, en effet, il prépara 
son Introduction à l'histoire de la Gaule sous l'administration 
romaine, et il la publia au sortir des affaires en 1839. Avec 
- quelle faveur elle fut accueillie, nous le savons pour la plu- 


part. N'y avait-il pas alors un vrai et grand mouvement lit- 


téraire ? On tenait en poésie, soit pour les classiques, soit pour 
les romantiques, et sous l'impulsion donnée par une pléiade 
de grands chercheurs et de grands écrivains, on s’appliquait 
en histoire à toute étude ; la plus ardue était celle qui plaisait 
le plus. M. Amédée Thierry justifia l'empressement dont il 
fut l'objet, et, sanctionnant l'opinion publique, l'Académie 
des sciences morales et politiques l'admit parmi ses membres, 
à l'unanimité, en 1841. 

M. Amédée Thierry s'était enfin choisi un champ d'étude 
qu'il ne devait plus abandonner. Il s'était établi dans les pre- 
miers siècles de notre ère entre le monde ancien qui s'achève 
et le monde nouveau qui commence, époque à jamais mémo- 
rable où l'empire romain recoit des Barbares la force qu'il a 
perdue et leur donne à son tour, pour parler comme Bossuet, 
l'esprit qui leur manque; il les convertit au christianisme et 
leur apprend à se gouverner. De 1839 à 1847 paraît l'Histoire 
de la Gaule sous la domination romaine, accompagnée de Mé- 
moires sur le régime administratif de l'empire; en 1856, l’His- 
toire d'Attila et de ses successeurs ; en 1862, le Tableau de l’em- 
pire romain. Depuis 1849, la Revue des Deux-Mondes avait 
accueilli l'historien éminent et le grand écrivain; elle a pu- 
blié avec suite ces mémoires si intéressants qui, devenus des 
volumes, ont de moment en moment et jusqu'à ces derniers 
Jours captivé notre attention. 

Nul n'a mieux compris que notre illustre président l'œuvre 


3 


REY 
de Rome dans la Gaule, ce travail lent, mais sûr, d’une or- 
ganisation forte et puissante qui, après avoir conquis le pays, 
se l’assimile. La Gaule devient romaine, elle n’a plus d’autres 
dieux que ceux de Rome; et là où 1l survit, le druidisme est 
réduit à se cacher. Partout, sur les bords des grands fleuves, 
des villes s'élèvent, réunies par de belles routes et par les 
fleuves eux-mêmes; partout s'ouvrent des écoles. La langue 
latine et le sénie romain se réfugient sur le sol gaulois et y 
renaissent ; l'éloquence y fleurit et avec elle l'histoire et la 
poésie. La Gaule rend Rome à elle-même, en même temps 
qu'elle donne aux légions ses enfants et qu'elle combat sur 
toutes les frontières 

Mais, après Rome, la Gaule s’épuise : les barrières tombent 
devant les Barbares , les digues sont renversées ; et cette bar- 
barie que l'empire avait contenue, qu’il n’avait laissé passer, 
pour ainsi dire, que par infiltration, déborde de toutes parts. 
Le Danube est forcé, puis le Rhin ; aux Goths, aux Bourgui- 
gnons, aux Vandales, à tant d’autres, succèdent les Huns, 
qui menacent d’abord l'Orient et envahissent ensuite la Gaule 
et l'Italie. Quelle étrange figure que cet Attila, fléau de Dieu 
pour les Romains, envoyé par le ciel pour leur punition et 
leur ruine; pour les Germains, héros légendaire, que la tra- 
dition empreint de férocité et de grandeur et que la poésie 
exalte dans un véritable cycle de chants nationaux et de 
longs poèmes; pour les Hongrois, héros mystique et chré- 
tien, précurseur puissant de saint Etienne, frappant de l'épée 
le paganisme et l'idolâtrie; et quelle tâche de retrouver 
l'homme lui-même sous ces images dont l'effroi des uns, 
l'admiration des autres et leurs naïves croyances, avaient 
couvert en les altérant les véritables traits ! M. Amédée 
Thierry y a suffi, et son livre, traduit dans toutes les langues, 
a porté jusque sur les bords de la Theiss, aux lieux même où 
fut la capitale d’Attila, le renom de l’auteur et la sincère his- 
toire de son héros. 

Si je ne craignais de fatiguer l'attention, avec quel plaisir 


RS AR 
je m'étendrais sur ces derniers volumes où il a peint en traits 
si énergiques Stilicon, Rufin, Eutrope et l’impératrice Eu- 
doxie ! Mais je me trompe, ces personnages ne sont que se- 
condaires : ceux qu'il a rendus avec amour à la vie, c’est 
saint Jérome à Rome et en Terre-Sainte, et saint Chrysostome 
à Constantinople ; et encore, l’un et l’autre ne représentent- 
ils que la société chrétienne de l'Occident et celle de l'Orient, 
toutes deux si diverses déjà, et laissant prévoir la séparation 
qui s’est accomplie. Ces tableaux, si forts et si touchants, sont 
empreints de religion; il y règne une lumière pure et calme. 
L'historien écrivait dans ces heures sereines qui marquent la 
fin d'une belle vie, heureusement remplie par l’amour du 
bien et le culte du devoir; il recueille ses pensées et ses 
forces, les veux déjà fixés sur cette autre vie qui est la sienne 
aujourd'hui, et il juge avec un calme et une autorité que 
rien ne trouble. De là vient l'attrait indéfinissable, mais sou- 
verain, de ces bons écrits, et du dernier surtout : Saint Jean 
Chrysostome et l’impéralrice Eudoxie: 

Si dans l'œuvre de M. Amédée Thierry nous avions à faire 
un choix, peut-être nous arrêterions-nous sur le Tableau de 
l'empire romain depuis la fondation de Rome jusqu’à la fin du 
gouvernement impérial. Cet ouvrage n'avait été d’abord 
qu'une introduction à l'histoire de la Gaule romaine, et 
sous cette première forme il avait mérité cet éloge du philo- 
sophe Jouffroy : « C'est le livre qu'aurait fait Montesquieu, 


si Montesquieu avait vécu de nos jours. » L'éloge ne saurait: 
F : 


aller plus loin, et cependant combien ce livre a été perfec- 
tionné avant de paraitre en 1862 sous son titre définitif ! Il y 
avait dans M. Amédée Thierry, non seulement un historien 
et un philosophe, mais encore un administrateur. Ce ne fut 
que justice rendue quand, en 1853, le conseil d'Etat recut 
parmi ses conseillers l’ancien préfet de la Haute-Saône, que 
ce département revit sept ans plus tard comme sénateur, pré- 
sidant le conseil général. IL faut avoir gouverné les hommes 
et su les gouverner pour comprendre le merveilleux dévelop- 


Re 

pement de la constitution et de la législation romaine. Quelle 
hiérarchie puissante ! Comme tout se tient et s’enchaine ! 
Avec quelle sûreté le pouvoir descend de Rome jusqu'aux 
extrémités du monde, et remonte ensuite avec toutes les forces 
de l'empire ! Armée, justice, finances, tout se concentre dans 
la main qui dirige, et sous cette main, que ce soit celle de 
Scipion, de César ou d'Auguste, consolide la grandeur et la 
majesté de l'empire. Le droit romain, quand a-t-1il été mieux 
compris et mieux exposé ? La partie du livre qui lui est con- 
sacrée, bien que l’auteur ne soit pas légiste de nom, est peut- 
être la meilleure. Le droit, ce beau patrimoine du Romain, 
ce bien qu'il ne doit qu'à lui, sur lequel la Grèce n’a aucun 
titre, il est là mieux limité, mieux condensé qu'en aucun 
livre de jurisprudence. M. Amédée Thierry savait tout, me 
disait, il y a quelques jours, un des membres de nos sociétés, 
un professeur de droit. 

C'est ce que n’ignore aucun de nous, aucun de ceux du 
moins qui l'ont vu présider nos réunions. Il avait succédé en 
1859 au célèbre doyen de la Faculté des lettres de Paris, à 
M. Victor Le Clerc, dans la présidence de la section d'histoire 
et de philologie. Depuis lors, il a été attentif à tous nos inté- 
rêts; plein de bienveillance et d'aménité, il a accueilli tous les 
travaux, secondé toutes les bonnes volontés. Les questions les 
plus diverses ne le trouvaient jamais au dépourvu; il avait 
beaucoup lu, beaucoup médité, et sa sûre mémoire avait tout 
retenu ; alors même qu'il était entrainé le plus loin de ses 
études ordinaires, de celles qui faisaient notre orgueil et la 
joie de ses dèrnières années, il retrouvait soudain les souve- 
nirs d’une étude ancienne ; il se reportait à l'une de ces ex- 
cursions qui.lui ont toujours plu sur les différents domaines 
de ses amis et de ses confrères, et aveê une précision que rien 
ne gûnait, avec une lucidité que rien n'obscurcissait, il en- 
trait dans le vif de la discussion et la terminait par des argu- 
ments nets et décisifs. La philologie la plus ardue ne le sur- 
prenait, ni ne l'étonnait; cet esprit éminemment français, 


LG 7 ps 
qui se placait si volontiers au sommet des idées pour les em- 
brasser dans leur ensemble et y saisir ce qu’elles avaient de 
général et d’humain, descendait avec bonheur dans les plus 
petits détails de la critique des langues et y déployait les 
mêmes qualités, celles qui font le charme de toutes œuvres, 
l'esprit, le goût et l’art. 

Je m'arrète, messieurs; je n'ai point eu le dessein de pré- 
senter une étude complète sur M. Amédée Thierry. Si peu 
de jours ont passé sur sa tombe qu'il est comme vivant en- 
core ; il faut attendre pour le juger réellement que, suivant 
une de ses expressions, la poussière des années se soit élevée 
entre lui et la postérité. J'ai rappelé, sans qu'il en fût besoin 
toutefois, les mérites de son esprit, les beautés de son âme et 
les qualités de son cœur; j'ai accompli un devoir pieux, un 
devoir de reconnaissance ; et dans notre tristesse commune, je 
serai satisfait si j'ai pu pendant quelques instants le faire re- 


vivre au milieu de nous. 


UNE 


FRANCAISE DE LA DÉCADENCE 


Par M. Jules-F.-U. JURGENSEN. 


Séance publique du 18 décembre 1873. 


Les contemporains qui se sentent engourdis par l'indifré- 
rentisme accusent d’une manière trop générale notre époque 
d'être une époque de décadence. Non, Dieu n'a pas tari la 
source des grandes pensées et des purs dévouements ! 

Je voudrais raconter ici la simple histoire d’une jeune fille 
lorraine, Marie-Edmée Pau, à qui les récents malheurs de 
la France ont donné l'occasion d'offrir sa vie en véritable 
héroïne pour sa patrie et pour les siens. 

Fille d’un officier supérieur mort sans fortune, restée avec 
sa mère et un frère plus jeune qu’elle, elle fut, dès l’âge de 
onze ans, obligée de compter avec les difficultés de l'exis- 
tence. 

Son père était revenu paralysé du siége de Rome, et c'est 
auprès de ce lit de douleur que l’enfant recut, de la bouche 
mème du malade, ses premières lecons. 

Elle les mit grandement à profit. L'enfance glissa sur elle 
comme un rayon qüi caresse la fleur sans avoir le temps de 
vivifier ses couleurs ; et quand le deuil fut là, le deuil irré- 
parable et sombre, elle s’enveloppa de ses jeunes souvenirs 
et du manteau de sa tristesse pour ne plus songer qu’au de- 
voir. 

S'il est, dans nos temps agités, un spectacle propre à for- 
tifier les cœurs, c’est celui de la famille du soldat, alors que, 


EN QUE 
privée de son chef, elle demeure comme pénétrée des vertus 
qu’il représentait et les fait revivre en elle. 

Avec une abnégation parfaite et cette simplicité touchante 
qui ennoblit le sacrifice, lorsque s’agite la grave question du 
choix d’une carrière pour le fils de l’absent, la mère et la 
sœur se conforment à l’avis du jeune homme qui s’écrie avec 
élan : « Moi aussi je serai soldat, et je me donne à la France, 
comme mon père. » 

Quoi de plus naturel que de travailler pour subvenir aux 
études et aux déplacements du futur officier? Il n’a pas songé 
pour lui-même aux lucratives carrières que de bienveillants 
amis et même quelques parents semblaient disposés à lui 
ouvrir; la mère et la sœur renferment dès lors le labeur 
journalier et les rêves de leur ambition dans le cercle étroit 
des premières études du jeune homme. 

Mais avec quel soin jaloux on veille à distance sur cet en- 
fant qui résume à la fois tant de souvenirs et tant d’espé- 
rances ! 

Combien il manque au cercle étroit de la famille, et comme 
on sait adoucir pour lui les douleurs de la séparation et ré- 
chauffer le désir du retour ! 

Ecoutez plutôt : 

L'oiseau s'en va chercher dans les îles lointaines 
Un soleil et des fruits inconnus à nos plaines. 

Il part et nous pleurons ; — mais l'exil doit finir ; 
A l'aspect des beaux jours on le voit revenir. 
Et pourquoi revient-il? — Oh! c'est que la vallée 
Cache sous un vieux mur et parmi la feuillée 


L'abri qu'il cherche en vain dans un pays plus beau : 
Paille, brin d'herbe et mousse. un nid... c'est son berceau. 


Emigrant comme lui tu quittas la famille, 

Pour l'arbre au fier maintien tu laissas la charmille ; 
Ton ciel est parsemé d'astres plus radieux 

Et tes jardins ornés de fruits plus savoureux... 

Un jour, fruits et vertus, chauds rayons de science 
Remplaceront pour toi le trésor de l'enfance ; 

Mais si tu veux garder l'amour, — comme l'oiseau 
Ouvre ton aile, frère, et reviens au berceau. 


: 


RE Le GTS 


AD 

Et puis succèdent à leur tour les conseils tout imprégnés 
de tendre sollicitude, d'amour fraternel. 

Peut-être s'agit-il d'encourager l'adolescent après quelque 
passagère défaillance, de réprimer les dévorantes hâtes qui 
minent certaines natures d'élite, de fortifier la foi que fait 
par instants vaciller la trop impétueuse jeunesse ? 

Voici comme s’y prend Marie-Edmée : 


À Gérald, Le jour de ses quinze ans. 


Frère, ne cherchons pas à fendre ce nuage 

Qu'on appelle avenir. Il embellit l'azur ; 

Il peut cacher l'étoile ou préparer l'orage. 

Nous confier en Dieu, c'est toujours le plus sûr. 

Aimons comme un ami chaque instant qui s'écoule ; 

Il emporte et doit rendre à notre àme ses dons. 

I semble que tout meurt dans ce gouffre où tout roule ; 
Notre bien, notre mal pourtant y germeront. 


« Qu'est-ce que le présent ? — dit l'humaine folie — 
» Un souffle... moins que rien. — Bâtissons l'avenir ! » 
Et c'est ainsi qu'au bout d'une inutile vie, 

Pauvres et le cœur vide, on en voit tant mourir ! 
Aujourd'hui, frère aimé ! c'en est fait de l'enfance ; 
Il faut lui dire : adieu ! ce mot sied à ce jour. 

Oui, Seigneur ! recevez nos trésors d'innocence 

Et donnez au présent votre force en retour. 

Donnez ce que demande un courageux pilote 

Entre le ciel et l'eau, lorsqu'il se voit perdu, 

Quand il sait qu'à l'endroit où sa nacelle flotte 

Plus d'un marin passa qui n'est pas revenu, 


Un phare dans la nuit !.. car l'ombre, d'heure en heure, 
Grandit, mystérieuse, autour de vos enfants. 

Sans leur guide céleste, à la sainte demeure 

Les Mages n'auraient pu descendre triomphants: 


Dieu couvre de son aile la famille éprouvée et, lui en- 
voyant mieux que la fortune, l’enrichit de grâces excel- 
lentes. 

Les lecons du père et de la mère ont profité à Marie-Edmée, 
et, de sa baguette d’or, un génie à touché son front d'artiste 


Lich 
La Ce « 


et de poëte en le marquant d'une étoile aux immortels scin- 
üllements. 

Trois amours embrasent cette âme bien trempée et ce rare 
esprit : la sainte affection pour les siens — un ardent patrio- 
tisme — et enfin la piété religieuse qui sanctifie toutes 
choses en les élevant, en les épurant, en les couronnant pour 
l'éternité. 

Ce qui frappera dans le court récit de cette courte vie, c'est 
de voir comment ces sentiments et ces aptitudes se dévelop- 
perent en se soutenant et finirent par former un tout har- 
monique dont l'épanouissement fut sublime. 

Aïmer la France parce qu'on est Française et qu'on a un 
père soldat, ce ne serait là que la conséquence ordinaire de 
faits communs. L'habitude du dévouement n'est pas chose 
rare dans ce pays, et l’on sait que celui qui a le plus donné 
donne encore le plus volontiers. 

Mais se rendre compte de la source, de la valeur, de l’in- 
tensité, du but et de la grandeur de son patriotisme, le dé- 
gaser de toute mesquinerie, l’élever à la hauteur d'un apos- 
tolat, l’imprégner, pour ainsi dire, des espérances religieuses 
et tout y sacrifier — certes, voilà bien un idéal digne d'ad- 
mirätion, quand on saura que dès l’âge de douze ans celle 
que nous pleurons admettait, en silence et avec la plus tou- 
chante modestie, tous les sacrifices que supposait le devoir — 
le devoir ainsi qu'elle le comprenait. 

Marie-Edmée voua une sorte deyculte à Jeanne d'Arc. La 
grande libératrice, sa préférée dans l’histoire, ne lui parut 
pas grande seulement à cause des hauts faits qu’elle accom- 
plit ; mais sa naissance, sa vie obscure, son enfance déjà con- 
sacrée au dévouement chrétien, son courage tranquille, sa 
conduite au village, ses extatiques oraisons, tout la charmait 
en la sainte paysanne de Lorraine. 

Tandis que son frère grandissait au prytanée impérial de 
La Flèche, Marie-Edmée, que son talent de dessinateur dési- 
snait à l'attention, illustrait de son crayon une Vie de Jeanne 


L D 6 À sn MC ES AVAL, os Un a“. '« à 


d'Arc enfant, écrite aussi par elle pour ses jeunes élèves. 

Rien de touchant comme cette belle jeune fille appelée de 
si bonne heure à en diriger d'autres, et les associant à ses plus 
nobles enthousiasmes : aussi n’a-t-on pas voulu laisser 
perdre ces pages précieuses, et des mains amies les ont-elles 
pieusement réunies en un riche volume destiné aux amis de 
l'auteur et à quelques privilégiés. 

Nous apprenons avec un vif plaisir que l'un des premiers 
éditeurs de Paris (1) a acquis le texte et les dessins, et qu'il 
offrira au publie l'Histoire de notre petite sœur de Lorraine. 
C'est le titre de l'œuvre. L'un des derniers numéros du Ma- 
gasin pitoresque a reproduit un des dessins : Autour du ber- 
ceau (?). 

Quand nous aurons cité l’Ave Maria, illustré en douze des- 
sins, nous aurons enregistré la- liste trop brève. de ce 
qu'on a détaché pour 18 public dans l'œuvre de l'artiste nan- 
céenne. 

Mais venons à l'épopée. 

En 1870 s’entr'ouvre l'abîime béant, sourdement creusé par 
la réaction européenne et l'ambition prussienne sous les pas 
de la France. Courageuse, couronnée de lumière et de 
gloire, cette nation s'avancçait à travers la forêt de l'ignorance 
et des préjugés, n'ayant plus d'armes à la main, si ce n'est la 
hache du pionnier, la hache quiémonde les arbres vigoureux 
et n’abat que les troncs pourris, quand, du sein des taillis, 
on s’élanca sur elle, la sommant de reculer ou de se dé- 
fendre. 

Elle ne recula pas. 

On a prétendu qu’alors la nation fut apathique. Elle n'é- 
tait que fatiguée. Son âme vivait forte et sublime. Elle fut, 
malgré tout, digne de son ancien prestige et en conserva le 
reflet jusque dans les jours d'une extrême adversité. 


(1) M. Po. 
(2) Magasin pilloresque, t. XLI, 1873, p. 265. 


er He 

Alors que, des garnisons occidentales de l'empire et de 
l'Afrique, accouraient les légions éparses, et qu'on se deman- 
dait ce qui allait sortir de cette lutte attendue et pourtant si 
peu prévue, Marie-Edmée se préparait à prêter au pays ses 
forces et son intelligence. 

Son frère, récemment nommé lieutenant, appartenait au 
corps du maréchal de Mac-Mahon. 

A Woerth, blessé à la jambe et au. bras, il fut abandonné 
dans une ambulance et ne dut la vie qu'à une sœur de charité 
demeurée avec lui après l’amputation de la main droite. 

Prisonnier, trainé d'hôpital en hôpital, il ne voulut jamais 
promettre aux vainqueurs de ne plus servir la France pendant 
cette guerre. 

Sans nouvelles de l'officier, la mère et la fille, livrées aux 
plus poignantes angoisses, sous le double coup des malheurs 
de la patrie et de ceux de leurs proches, se résolurent à un 
sacrifice de plus. — Elles se séparèrent. 

Mr Pau demeura à Nancy, dirigeant les élèves que sa 
fille avait organisées en une compagnie d'infirmières et 
d'ouvrières, sous l’invocation et le patronage de Jeanne 
d'Arc, et Marie-Edmée partit à la recherche du soldat 
perdu. 

Après huit jours d’affreuses perquisitions à travers l'Alsace 
envahie, elle le retrouva. 

Elle le retrouva souffrant de mille souffrances, le cœur 
blessé plus peut-être que le corps, n’apprenant que défaites et 
malheurs, considérant avec une érrergique tristesse ce bras 
mutilé, et jurant de consacrer ce qu'il avait encore de vie et 
de foi au relèvement de la patrie. 

A la suite de longues et pénibles démarches, la sœur obtint 
pour l'officier français la liberté sans conditions. Il ne parais- 
sait pas possible qu'un homme si grièvement blessé puüt se 
battre de longtemps. 

Tout Nancy s’associa à la joie d’un retour inespéré. La croix 


de la Légion d'honneur fut envoyée à M. G. Pau, dont la 


ENT /ÈE 
guérison avançait, et les deux femmes savouraient avec une 
joie amère le bonheur cruel du revoir, quand un jour le lieu- 
tenant boucla sa valise et voulut partir pour Besancon où 
le -78e de ligne était reformé. 

Quoique encore très souffrant, il refusa de se laisser accom- 
pagner par sa sœur, et annonça sa bonne arrivée en Franche- 
Comté où l’attendait un brevet de capitaine. 

I prit part à la dernière campagne, sous le commandement 
du général Bourbaki, et c’est alors que je fis sa connaissance. 
Il campa à Arcey, se battit à Montbéliard et à Villersexel, y 
fut de nouveau blessé à la tête, ne se soigna qu’en route, et 
lorsque nous rentrions en Suisse, ignorant comme tout le 
monde si, oui ou non, l'armistice comprenait la pauvre armée 
de l'Est délaissée, il voulut continuer à tenir la campagne. 
Pas un des hommes valides de sa compagnie ne le quitta, et 
quand toute illusion eut disparu , quand les dernières loques 
du fatal rideau furent à terre et que la retraite sur sol neutre 
parut la dernière ressource, le valeureux capitaine, désespéré, 
s’'ensevelit dans une folle obstination et dit à son monde, après 
avoir obtenu la liberté de mouvement du petit corps qu'il 
commandait : « Pour moi qui ai été prisonnier une fois, Je 
ne me reudrai pas même aux Suisses, nos amis. Essayons 
de descendre sur Lyon. » Il passa, en sept nuits, avec 120 
fantassins francais (d’autres soldats s'étaient joints à lui) à 
travers l’armée du général de Manteuffel, au prix de dangers 
constants, et gagna Saint-Julien, en Savoie. 

On n'apprit ce fait que quinze jours plus tard. 

Un soir que, revenant de France au Locle, en compagnie 
d'un commandant d'artillerie et d’un sous-lieutenant de 
zouaves, j'avais réussi à franchir sans arrêt les postes fédé- 
raux de la frontière et facilité ainsi à deux amis le voyage 
sur Genève et Lyon sans stage d’internement, je trouvai au 
logis une jeune fille en costume de voyage foncé, canne à 
la main, ceinture de cuir, à la figure intelligente, noble, mais 
pâle et les traits fatigués. Elle me présenta deux lettres de re- 


RE PE. 
commandation. Cette voyageuse inconnue était Mile Marie- 
Edmée Pau. 

On se souvient que les communications furent coupées 
pour Besancon pendant nombre de semaines, et qu'on n’en 
recevait des nouvelles que fort irrégulièrement. — Avec 
Nancy, moins de facilité encore pour correspondre. 

Ne recevant aucune lettre, n’apprenant que vaguement et 
sans détails ce qui concernait l’armée de l'Est, mesdames 
Pau, au comble de l'inquiétude, tentèrent une seconde fois 
leur première aventure, et Marie-Edmée partit de nouveau. 

Les Allemands, puis les Bälois, purent se demander quelle 
pouvait bien être la dame de haut parage qui, tout de noir 
habillée, menait si grand train de route et avait à sa suite un 
entier fourgon de bagages. 

Pauvre chère vaillante capitaine de la compagnie Jeanne 
d'Arc, elle venait distribuer le travail de ses ouvrières dans 
les hôpitaux suisses qui regorgeaient de soldats français. C'é- 
tait son premier voyage sur terre helvétique. — Au lieu d'y 
entrer joyeusement, au bras d’un frère ou d'un époux, pour 
y admirer les lacs bleus et les perspectives alpestres, au lieu 
d'y pouvoir étudier les paysages que son crayon devinait, 
l'artiste y vient en hiver panser quelques-unes des plaies de 
la grande délaissée, de cette France si cruellement éprouvée, 
de cette patrie déchirée, saignante, exténuée dans la personne 
de ses fils errants. Et parmi ces soldats — ses frères — elle 
cherche un frère de par le sang ; elle le demande aux incer- 
tains échos de la tourmente, interroge les malades dans les 
hospices, les administrations diverses, les listes des morts, 
les longues routes neigeuses, les camarades valides casernés 
dans les églises, dans les colléges. à 

Ballottée de renseignements en renseignements, stupéfaite 
au spectacle de ces uniformes en lambeaux, écrasée par le 
poids de ce désastre affreux et de cette infortune sans exem- 
ple, elle nous arrive, semblable à l’hirondelle blessée au mi- 
lieu de l'incendie. Dieu nous l'envoie et nous la consolons ; 


A A0 
nous avons, peu de jours ensuite, l'immense joie de lui ap- 
prendre l’arrivée de son frère en Savoie. 

Pourquoi donc a-t-il fallu que la nouvelle de cette hardie 
et héroïque délivrance arrivât une semaine trop tard ; pour- 
quoi cette douce victime du patriotisme et de l'amour frater- 
nel après tant d'hécatombes ? 

Pour Marie-Edmée, le parcours de la voie douloureuse, 
bien que semé d'heures bénies, n'en fut pas moins amer. 

Toutefois, chose digne d’être notée, jamais les préoccupa- 
tions personnelles n’absorbent l'activité et les pensées de cette 
âme vraiment francaise, au point de lui faire oublier la ter- 
rible épreuve générale. 

Elle écrit à son entrée en Suisse : 


« Hélas je suis hors de France, et je le sens bien. Quoi 
qu'on dise, le patriotisme n’est pas plus un mot que la fa- 
mille : c’est une question de largeur, de diamètre, voilà tout. 
Douce France! tu n'es plus le plaisant pays que regrettait 
Marie Stuart! — raison de plus pour que le cœur se gonfle en 
te quittant... Voilà des montagnes qui paraissent, elles 
semblent sortir curieusement des vallées pour me souhaiter 
la bienvenue. Les plus basses ont l’air de pauvres petites or- 
phelines qui marchent par rang de taille et se pressent l’une 
sur l’autre au sortir d'un enterrement; les grandes — dé- 
nudées — et, par ci, par là, couvertes de neige, ressemblent 
à de vieilles femmes assises sur le pas de leur porte en filant 
une toile qui les ensevelira… Je t’assure que cette impression 
prend corps dans mon esprit: l’art n’y est pour rien ; l’art de 
la forme ne me touche guère en ce moment. L'idée seule me 
tire hors de mes sentiments personnels — mais elle m’en- 
lève avec des serres et un bec formidables. Où m’emporte- 
t-elle? au centre de ce diamètre dont je parlais tout à 
l'heure» 


Puis, comme elle trace ces lignes en wagon et qu'elle les 
adresse à sa mère : 


« J'essaie, dit-elle, de relire ma lettre et j'ai grand’peur que 
tu n’aies plus de mal que moi à la déchiffrer. En ce cas, j'au- 
rais travaillé pour le... (ici le vieux proverbe). » 


À Bâle, où elle erre un peu au hasard, cherchant à fixer 
son itinéraire avant de pénétrer dans l’intérieur de la Confé- 
dération, elle consigne en peu de mots des observations très 
judicieuses, écrites avec sa bonté de cœur habituelle, aux- 
quelles nous souscrivons, non sans malice : 


« J'ai prié dans la seule église catholique. Elle est simple 
et triste comme une étrangère, comme moi, peut-être. 

» Néanmoins, Ce pays me plaît, en dépit de ma chère dame 
d'hier (une compagne de route de la veille) qui prétend que 
les Suisses ne vivent que pour entasser ou vendre. Je leur 
trouve un air honnête, qui m'inspire confiance et me fait peine 
de me sentir étonnée. Etais-je donc peu habituée à voir cet 
air-là ? — Tout chez eux est propre, solide et fait pour être 
utilisé en famille. Il résulte de la vue de leurs maisons, riches 
ou pauvres, de leurs magasins qui attendent l'acheteur sans 
réclamer, de leurs intérieurs bien clos, bien tapissés, modé- 
rément éclairés, que l'étranger se dit : Je n’ai pas de place 
dans ce cercle intime, passons notre chemin. Tout le dévoue- 
ment chrétien de cette paisible race ne saurait changer ce 
fait, que je constate. C'est bien vraiment une race patriarcale, 
une seconde édition du peuple juif, dont la mission est peut- 
être aussi divine que celle des enfants d'Abraham. Eux aussi 
gardent une arche d'alliance — mais ils ne sacrifieront pas 
leur Sauveur; il est immortel. 

» Notre génie national se révèle plus clairement à moi de- 
puis que j'ai passé la frontière. C’est en lui que je crois, et 
c'est pourquoi j'espère invinciblement. Je veille sur cet espoir 
avec la jalousie anxieuse d'une vestale pour son divin bra- 
sier. » 


Mais revenons au Locle et à mes recherches qui, bien 
qu actives, puisque j'avais mis à contribution mille moyens 


Ts 
pour arriver à connaître le sort du capitaine et parvenir à 
garder sous notre toit la sainte voyageuse, n’aboutissaient 
qu’à de vagues résultats. 

Marie-Edmée ne voulait plus tenir en place. Des amis, les 
journaux, les différentes administrations militaires et canto- 
nales, m'envoyaient toutes sortes de renseignements qui, peu 
à peu, me mettaient sur la trace de M. Pau. Celui-ci même 
écrivait à sa mère, restée à Nancy, des lettres qui ne lui par- 
vinrent qu'en dix jours, et, de Nancy, elles en mettaient sept 
ou huit à m'arriver. 

Dans cette inquiétude sans cesse aiguisée, notre hôte se 
résolut à courir aux Verrières et à Pontarlier. ; 

Le terrible combat, sous le fort de Joux, lui donna de nou- 
velles alarmes. 


« Hier soir, mande-t-elle à sa mère, j'ai lu dans le Journal 


de Genève : « Retraite de l’armée de l'Est. » Il s’agit d’un épi- 


sode héroïque qui nous apprend qu'une petite troupe, com- 
posée de onze officiers et de soldats appartenant à différents 
corps d'armée, après avoir protégé la retraite, a pu se Jeter 
dans les montagnes du Jura, sous les ordres du général Pallu 
de lafBarrière. Le composé de cette troupe me porte à croire 
qu'elle a dû être formée d'hommes de bonne volonté... Je 
pars. M° J*** me comprend. Son mari finira, je crois, par 
me laisser partir, puisque je ne puis, semble-t-il, recevoir ici 
des nouvelles de tant de démarches avant trois ou quatre 
jours. Ils admettent que j’emploie ce temps à des recherches 
qui ont maintenant un itinéraire historique. — Le soleil se 
lève et vient me trouver à travers les mousselines, les fleurs 
et l'harmonie du paradis terrestre où Dieu m'a fait plier l'aile 
depuis quelques jours. Cette bonne mère nature semble ap- 
prouver ma résolution. Je vais donc partir, laissant ici ma 
valise et n’emportant que mon manteau et mon petit sac, au 
cas où je devrais marcher. — Ne im'’attends pas avant huit ou 
dix jours, et surtout pas d'inquiétude, mère chérie. — Le 


4 


SLA OR 
danger pour moi n'est pas dans la lutte, mais dans le repos. 
Aucun pressentiment ne me tourmente au sujet de cette ten- 
tative; au contraire, quelque chose m'attire, comme un aimant 
irrésistible, sur ce point où le sang de nos martyrs fera peut- 
être germer le salut national. 

» Chez M" J*** je suis en Suisse, mais beaucoup en Dane- 
mark. — Que dis-tu de cette vieille alliance renouvelée ? Ah! 
les cœurs valent mieux que beaucoup de bras, et le faible 
peut souvent abriter les forts. C'est l’éternelle histoire. Le gé- 
néral commandant Besancon doit écrire à M. J***, et au cas 
où, pendant mon absence, des nouvelles lui parviendraient, 
il te les expédierait de suite. Je repasserai ici de n’importe 
quelle façon. J’ai une bonne recommandation de mon allié 
pour M. Girod, de Pontarlier. Je vais donc partir à une heure. 
Je préfère cela. | 

» J'ai confiance en Dieu, mère chérie, une confiance iné- 
branlable; je veux espérer jusqu'au bout, je veux avoir fait 


tout ce qui est raisonnable et possible. Je me tourmente de 


mille remords et ne puis pas rester dans ce nid chaud et doux 
que Dieu m'a fait rencontrer sur ma route. Toujours un so- 
leil admirable : ni froid, ni dégel; c’est un temps de la Pro- 
vidence. Ecris-moi toujours ici. Je te prie de ne pas t’in- 
quiéter, d'espérer toujours et de demander à notre Père le 
courage des grands ei tristes jours où l’on ne doit compter que 
sur lui.» 


Elle partit donc. 


« Pontarlier, midi. — Quel chemin que celui des Verrières 
ici ! grand Dieu! » écrit-elle à Nancy. 


En effet, des Verrières à Pontarlier, elle interroge les tas 
de morts, les fosses béantes, les chars d’ambulance, les amas 
d'armes brisées, les terres ensanglantées. 

Par elle j'ai su ce qu'a été ce suprême combat livré à la 
frontière par des lions blessés : récit épique qui fait penser 
aux Thermopyles. — Jeune fille qui cherchas un frère parmi 

4 


Ge EN 
les morts, retourne dire à Sparte que ses enfants furent dignes 
de la patrie ! 

M. le général Rolland voulut bien m'écrire pour annoncer 
la résolution du capitaine de rester en France et de gagner 
Lyon. J’appris, d'autre part, l’arrivée de la brave petite troupe 
en Savoie, mais trop tard pour empêcher les recherches de 
Marie-Edmée dans les hôpitaux et les ambulances, où elle 
contracta le germe d’une maladie qui mit une semaine à se 
déclarer, puis l’'emporta en huit autres Jours. 

Je pus lui télégraphier la bonne nouvelle chez M. Girod, à 
Pontarlier, où, malgré la sévérité des temps, elle avait été 
accueillie fraternellement. 

Elle revint à nous. 

Nous la voulions garder, ne plus même la laisser partir 
pour Nancy. Elle était souffrante. Deux jours nous la retinmes 
à notre foyer, parce qu’elle se sentait chancelante et comme 
frappée par un invisible ennemi. 

« Attendez ici votre frère, qui m'annonce son arrivée, lui 
disais-je ; ensemble, vous deux et nous, soutenus les uns par 
les autres, nous traverserons ces heures néfastes. » 

— « Ma mère pleure, répondit-elle, il la faut consoler. » 

Elle arriva à Nancy pour annoncer à sa mère les bonnes 
nouvelles de la famille et pour y mourir, frappée au cœur par 
les malheurs de la patrie. 


Prends courage, Ô mon âme! 


s’écriait-elle la veille de sa mort, en une strophe qui fut le 
chant du cygne : 


Prends courage, Ô mon âme! et marche jusqu'au soir. 
Pour atteindre le but, il suffit de vouloir. 

Le désir, le désir, survivant à la tombe, 

Continue à monter quand notre corps y tombe. 

Va donc, comme Psyché, vers l'éternel amant; 

Cours au-devant de Dieu jusqu’à l'épuisement. 


Le capitaine vint au Locle. La fatale nouvelle l'y attendait. 
« Adieu, frère, lui disait Marie-Edmée dans sa dernière 


ou AE 
lettre et en la terminant, adieu !..…. c'est un sûr au revoir! » 

Il est de nobles destinées — bien qu'obscures — qu'il est 
bon, néanmoins, de raconter lorsqu'un enseignement découle 
de leur histoire. 

D'ailleurs, toutes les gloires ne sont pas retentissantes, et 
c'est une salutaire émulation que celle qui porte à faire con- 
naître et à faire aimer ceux qu’on a en soi-même avantage à 
connaître et à aimer. 

Digne fille de Lorraine, en communion avec Jeanne de 
Domremy, Marie-Edmée Pau mourut jeune après avoir beau- 
coup donné à son pays. 

I m'est doux d’honorer ici cette chère mémoire, en vous 
associant au deuil que porta toute une ville française. 

Quand les Prussiens virent sortir de la cathédrale de Nancy 
le cercueil de notre amie, suivi par des officiers et des soldats 
blessés, en retraite dans la Pas lorraine, et par une ue 
de peuple : 

_— « Pourquoi ces fleurs et cetie multitude si affligée ? de- 
mandèrent-ils ; est-ce une princesse que vous pleurez ? » 

— « Noa, dit une enfant, c’est une sœur de Jeanne d’Arc. » 


Un seul mot, ei j'ai fini. 


_ Non, la décadence n’est pas là. — Non, le navire ne som- 
brera pas. — Non, la source des grands sentiments n’est pas 
tarie : sachons y puiser seulement ; sachons penser, mürir de 
sases projets et agir avec persévérance. 

Alors pourra se répéter ce mot d’un valeureux prince iran- 
Cais, si heureusement rajeuni par un autre prince français 
coniemporain : « Espérance ! » 

Semons, et, avec l’aide de Dieu, bien sûr nous récolterons! 


NO TE 


LES NORMALES A L’ELLIPSE 


et sur deux cas particuliers 


DE L'ÉQUATION DU QUATRIÈME DEGRÉ 


! Par M. WAIÏLLE. 


Séance du 8 mars 1873. - 


On sait que pour mener à une ellipse des normales par un 
point du plan de la courbe, on fait usage, suivant une mé- 
thode due à de La Hire, d’une circonférence dont les points 
d’intersection avec l'ellipse ont, à un facteur près, les mêmes 
abscisses que les pieds des normales (1). On remarque que ce 
facteur devient égal à 1 quand le point est sur une perpendi- 
culaire menée par le centre de l’ellipse à une diagonale du 
rectangle des axes : il en résulte que dans ce cas l'équation 
du 4° degré, qui a pour racines les abscisses des pieds des 
normales, se décompose en deux équations du second degré, 
dont les coefficients ne contiennent qu'un radical carré; c’est 
la proposition qu'il s’agit de démontrer. 


(1) Une solution plus simple du problème des normales est fournie 
par le théorème suivant de Joachimsthal. « Si, par un sommet du grand 
axe d’une ellipse, on abaisse des perpendiculaires sur les quatre nor- 
males issues d’un point, les points où ces perpendiculaires rencontrent 
la courbe, sont sur une circonférence. 


LOMO TN" 


28" A CL 
L'équation de l’ellipse, rapportée à son centre et à, ses axes, 
étant 
(1) ay? + br? — ab? — 0, 
les pieds M, , M,, M, , M,, des normales menées à cette courbe 


par un point (x”, y"), sont les points d’intersection de l’ellipse 
et de l’hyperbole 


(2) cxy — x'y + by'x = 0. 
En éliminant y entre les équations (1) et (2), on obtient 
l'équation 
(3) cat — 20x28 + a? (a2x'? + by? — ct) à? LE 2atc?x'x 
— ax? — 0, 
dont les racines sont les abscisses des points W,, M, , M,, M,. 


L'élimination de y entre l'équation de l’ellipse et celle du 
cercle représenté par 


(4) Gary RF=o, 


dans lesquelles «, 8, R, sont des quantités indéterminées, 
donne, en posant pour abréger , 


pb R——/P, 
l'équation du 4° degré 
(5) cat — 4a?cax + a? (4a?a? + 4b2p? — 2c2/°) x? 
+ 4atlex + af (If — AR) — 0, 


dont les racines sont les abscisses des points d’intersection de 
lellipse et du cercle. Cette équation ne peut pas être iden- 
tifiée avec l'équation (3); mais si dans celle-ci on remplace 
æ par {æ, t désignant une inconnue auxiliaire, on peut écrire 
que la nouvelle équation, divisée par t‘, a ses coefficients 
égaux ‘à ceux de (5); il en résulte quatre équations pour dé- 
terminer «, 8, Ret t. 
La valeur de t est donnée par l’équation 


ax"? + ct 


= ————"—, 
E by"? + (hé 


— 04 — 
Cette quantité devient égale à 1, quand on a 


" 
ax"? = by"?, 


c’est-à-dire quand le point (x”, y") est, comme on l’a énonté, 
sur une perpendiculaire élevée par le centre de l’ellipse à une 
diagonale du rectangle des axes. Les équations (3) et (5) sont 
dans ce cas identiques et les valeurs des inconnues , 8, R, dé- 
terminées par les équations | 


(4 


CRE 
RAT 
(6) Bi DEEE ax eur 
GATE ne 
RP + + 0° 


correspondent à une circonférence (C) dont les intersections 
avec l’ellipse ont les mêmes abscisses que les pieds des normales 
issues du point (x”, y"). Cette propriété donne lieu aux remar- 
ques suivantes, d’où résulte le théorème dont il est question. 

Lä forme de l’équation générale des courbes du 2° degré 
qui passent par les quatre points d’intersection de l’ellipse (1) 
et de l’hyperbole (2), montre que ces points ne peuvent pas 
être sur une circonférence. D’après un autre théorème, qui 
se déduit de la même équation, la circonférence déterminée 
par trois de ces points, qui seront par exemple ceux qu'on a 
appelés M,, M, M,, coupe l’ellipse en un 4° point M symé- 
trique du point désigné par M ,, par rapport au centre, et ne 
peut pas non plus se confondre avec la circonférence (C), 
puisque les abscisses de M et W, sont égales et de signes con- 
traires. La circonférence (C) doit donc passer par deux seule- 
ment des pieds des normales, et si on suppose que ce sont les 
points M,, M, , elle rencontrera l’ellipse en deux autres points 
M;,M,, symétriques des points #,, M,, par rapport à l'axe 
des æ. De cette manière les points W,, M,, ont respective- . 
ment les mêmes abscisses que M.,, M,; mais leurs ordonnées 
étant deux à deux égales et de signes contraires, il en ré- 


Dre tt 


sulte que l'équation du 4° degré, qui donne les ordonnées des 
pieds des normales, et celle qui donne les ordonnées des points 
d'intersection de l'ellipse et de la circonférence (C), doivent 
avoir deux racines communes, les deux autres racines de la 
première étant égales et de signes contraires aux deux autres 
racines de la seconde. Les premiers membres de ces deux équa- 
tions auront donc un diviseur commun du second degré, et 
pourront être décomposés en deux facteurs ; c'est ce que mon- 
trent Les calculs sufvants. 

L’équation qui donne les ordonnées des points M,, M,, M, 
M, est dans Le cas où on suppose a?x"?— b?y"?. 


(7) c'y + 2002y'y + by? (2b2y2— ct) — 2040 y'y — by" 0. 


Celle qui donne les ordonnées des points d’intersection de 
l’ellipse et de la circonférence devient, en tenant compte des 
relations (6), 


(8) chyi+ Abc By by? (2 y 2H cf) — by" 0. 

Retranchant l'équation (7) de l'équation (8), et supprimant 
les facteurs communs aux différents termes du résultat, on a 
l'équetion 

(28 — y") y? + y + y = 0, 

dont le premier membre divise les polynômes (7) et (8), et 
‘ constitue un des facteurs cherchés. 
Cette équation peut se transformer en 


; 2" [9 : 
(28 y} 


1 
= 42 Lea 12 482 LE y'? TA , 
et si on remplace 48? — y? par sa valeur — e tirée des équa- 
tions (6), elle devient : 
28 LA b* LA 28 " 
(9) go nn PCR be 


c! 


Le premier membre de cette équation est un diviseur du 


DE ET NE 


polynôme (7). Pour avoir le second diviseur, on remarque 
qu'il pourra s’écrire 
c'y? LE 
By UT PU , 


z étant indéterminé et le premier facteur étant conservé sous 


la forme : 
(28 — y")y? + y + by". 


Multipliant ces deux trinômes et égalant les coefficients 
des termes en y dans le produit et dans le polynôme (7) on a 


3 = — bc? 


Substituant cette valeur, on aura, après avoir multiplié 
tous les termes par 28 — y", l'équation cherchée 


(10) Ch — De? (28 — y") y— by" (8 — y'}—0 


dont le produit par l'équation (9) donne l'équation (7): 

Les racines de (9) sont les ordonnées des points qu'on a dé- 
signés par M,, M, et qui sont communs à l’ellipse, à l'hyper- 
.bole et à la circonférence (C). Les racines de (10) sont les or- 
données des deux autres points M,, M, communs à l’ellipse et 
à l’hyperbole. 

On vérifie facilement que l'équation (8) est le produit de 
l'équation (9) par l'équation 


ch? bc? (28 — y") y — d'y" (2 — y) — 0, 


dont les racines, égales et de signes contraires à celles de (10), 
sont les ordonnées des deux autres points W,, M',, où la cir- 
conférence (C) rencontre l’ellipse. 

Il est permis de supposer que x”, y” sont des quantités po- 
sitives et on peut prendre aussi pour 8 la valeur positive. 
Alors l'équation (10) a toujours ses racines réelles et par con- 
séquent les points Y,, W, sont sur la branche d'hyperbole qui 
passe par le centre de l'ellipse et par le point donné, et qui, 
dans le cas où ces coordonnées remplissent la condition 


12 
10 
2 


Pa"? — by 


DA A 


a pour tangente à l’origine la diagonale du rectangle des axes 
menée dans l'angle des coordonnées oùest le point (x”, y”). 

Les racines de l'équation (9) ne sont réelles que si on a la 
condition 

28> 3y" 

qui devient, en remplaçant 28 par sa valeur Fee des équa- 
tions (6), 
c! 
8b? 
c'est-à-dire quand le point x”, y” est à l'extérieur de la déve- 
loppée de l’ellipse. 

Les points M,, M,, dont les ordonnées sont racines de l’é- 
quation (9), sont donc les points réels ou imaginaires communs 
à l'ellipse, à la circonférence (C) et à l’autre branche de l'hy- 
perbole. 

— Il est maintenant facile d'opérer la décomposition de l'é- 
quation (3) en deux équations du second degré. En effet, y,, 
Ya désignant les racines de l’une quelconque des équations 
(9) et (10), on a, d’après l'équation (?), pour calculer les ab- 
scisses correspondantes, les deux équations du premier degré, 

(c2y, + by") à — ax'y, = 0 
(ya + y) & — dx" y2 = 0 

Si on multiplie entre elles ces deux équations et si on rem- 
place dans le produit y, y, et y, + y, par leurs valeurs tirées 
successivement des équations (9) et (10), suivant qu'on con- 
sidère les points M,, M, ou les points Y,, M,, on obtient, en 
observant que ax” = by" et en simplifiant les deux équations 
du second degré : 


ab 
po) 


y"? < 


abæ" (28 + y") 
c! ge 


A1) mt yist 


(12) ci? L abc? (28 — y") x — a%bx" (28 —V") = 0 


dont le produit est identique à l'équation (3), quand on rem- 
place 6 par sa valeur tirée des équations (6). 


A RREr EE 


Les droites (9) et (11) déterminent les coordonnées des 
points H, et M, qui sont toujours réels, les droites (10) et (12) 
donnent les coordonnées des points M, et M, qui peuvent être 
imaginaires. En calculant au moyen de ces équations les 
coefficients angulaires des droites M, M, et M, M,, on trouve, 
en supposant toujours æ” y” positifs, que ces coefficients an- 


Q , » b , =: . . 
gulaires sont égaux à a R est-à-dire que ces deux droites sont 


parallèles à la diagonale du pin des axes situés dans le 
même angle des axes que le point x” y”. 

On peut trouver directement ce résultat en cherchant l’é- 
quation qui donne le système des droites passant par les pieds 
des normales. Cette équation est, comme on le sait, 


(13) à (a2y? + ba? — ab?) + cxy — x'"'y + by'x = 0 
où à est donnée par l'équation 
4@D? À (2x? + Py"2— ci) LE x'y" = 0. 
Celle-ci devient, en posant ax” — by", 
(14) 48 Lx (2022? — c!) + ar =iÿ 
Elle peut s’écrire : 


À (4a2b2 — ci) + 


VD) 


ax ” 


(2abx H €?) = 0 
et sous sa forme on voit qu’elle admet la racine commen- 


surable —— —-. Substituant cette valeur dans l'équation (13), 


on obtient l'équation d’un système des deux droites parallèles 
à la diagonale ay — bx — 0. 

— En s'appuyant sur les résultats précédents, on peut aussi, 
dans le cas où a?x"? — b?y"?, décomposer en deux équations 
du second degré l'équation 


(15). b2x"?mt— 2x" y + (a2x"? + by"? — ci) m? 
— 2&@x'y"m+ y"? = 0, 


MH EÔ 
dont les racines sont les coefficients angulaires des normales 
menées par le point x'y". 

Si on désigne par x, y les coordonnées du pied d’une quel- 
conque des quatre normales, on a 

ay 

Les équations (10) et (12) donnent les coordonnées des pieds 
des normales aux points #,, M,; donc, en éliminant x et y 
entre les équations (10), (12) et (16), on aura une équation 
du deuxième degré dont les racines sont les valeurs de m qui 
correspondent à ces normales. 

Pour faire cette élimination, on multiplie (10) par ax”, (12) 
par by". On retranche et on supprime le facteur commun 
&x'y + b?y'x ; on à ainsi : 

(17) c? (ay — bx) — ab? (28 — y} = 0 
De l'équation (16) on tire 

ay — bx _bm—a 
(8) HOME” 
on a par suite 

2 8 hi (2 
Re b(28— y") 
bm — a 

qui, substituée dans (12), conduit après simplification à l'é- 
quation cherchée 
(19) bx"m? — b (28 + y") m+ ay = 0, 
dont les racines sont réelles quand on suppose x”, y” et 8 po- 
sitifs, et correspondent aux normales aux points M, , M. 

On peut d’une manière analogue éliminer x et y entre les 
équations (9), (11) et (16). 

L'équation qu'on obtient 

bx" (28— y") (bm — a}? + ci (bm — a) + ac — 0 


a pour racines les coefficients angulaires des normales aux 
points M,, M,. Elle se simplifie en y remplaçant c* par sa va- 


NE 27 ai 
leur 4b?g? —b?y"?et en supprimant le facteur 6? (28 — y’) com- 
mun à tous ses termes ; on à ainsi : 


(20) bx''m? + b (28 — y") m + ay" = 0, 


et on vérifie facilement que l'équation (15) est le produit des 
équations (19) et (20). 


NOTE SUR DEUX CAS PARTICULIERS DE L'ÉQUATION 
DU QUATRIÈME DEGRÉ. 


Les résultats obtenus dans la note qui précède conduisent 
à la proposition suivante : 

L'équation générale du 4° degré 
(a) + paÿ + qu + rt + s = 0 
se décompose en deux équations du 2° degré dont les coefficients 


ne contiennent qu'un radical carré, lorsque les quantités p, q, 
r, S satisfont aux conditions 


pr — 4s— 0 
m) p$ — ?2pq + 2r = 0 
où aux conditions 
(pr — 4s — 0 
() À 72 — sp? — 0 


Pour démontrer cette proposition , il suffit d'exprimer que 
les coefficients de l'équation {a) sont proportionnels à ceux de 
l'équation 
(3) cat — 2ac?x'a8 + 2 (2x? + by? — c\) à° + Lacx' x 

— ax? —= 0 
ou à ceux de l'équation 
(15) bx"?mt— 20° 'y'mS + (axe + boy"? — c1} m? 
— La x'y'm + ay'* = 0 


NO ne 
(3) et (15) se décomposant, comme on l’a vu, en deux équa- 
tions du 2° degré quand x", y” vérifient l'égalité 
ax"? — by"? — 0. 
En considérant d’abord l'équation (3), on a la suite des 
égalités : 


x Rac?x" (Rex —c)  ?2ac?x aFy'e 
CE 2 — ——————_—_—_—_—_—_—_—2 EE ——— = — 
f D q r s 
d’où on déduit : 
a=— 
p 
; 2L 20" 
CZ — == 
p r 
4aïx'? LE 2aix'?  4afx'? 
— ER ur RL 
?P q p°q 


En simplifiant ces dernières égalités et en y remplaçant a? 
r ë a 
par A on obtient facilement les conditions (b). 


Quand ces conditions sont satisfaites, on trouve les deux 
équations de second degré dont le produit donne l'équation 
(a), en substituant dans les équations 


3 1 . 14 
(11) m2 84 y PACA PAS 


F 
(12) ‘ ciæe + abc? (28 — y") x — abx" (28 a y") = 0 
qui composent l'équation (3), la valeur de 8 donnée par l’éga- 
lité 
LA artnet 
P— V by? + co. 


Ces équations deviennent, en y remplacant by” par ax”, c! 
4aïx"? c2 èr 


par RE De gr Par Pa et en simplifiant 
| 4 3 —4r à 3— 4r 
dd a? ss Rae +1 SITE 


roi 
SMART,» MEET. 


dont le produit est identique à l'équation (a), en tenant compte 
des conditions (b). 

— Pour décomposer en deux équations du ?° degré l’équa- 
tion du 4° degré, quand les coefficients p, q, r, s remplissent 
les conditions {c), il faut écrire que ces coefficients sont pro- 
portionnels à ceux de l'équation (15); on a ainsi la suite des 
égalités 


Ba — 2b?x'"y" a 2b?2y"? — c! ds 2&@x'y" 5 ay"? 
P q r s 
desquelles résultent : 
JV  ppy ES 
GET Mate à 
mn T 
Et 
ay"? af 7? 
Bar p 


IAE "2 L ve 
en observant que — ESP ces égalités donnent évidem- 
b° x@ 7 


ment les conditions (c). 

Les équations du 2° degré, dont le produit est l'équation (a), 
se déduisent dans ce cas des équations 
(19) bx'm? — b (28 + y") m + ay = 0 
(20) bx'm? + b(28— y") m+ ay —=0 
dans lesquelles se décompose l'équation (15); 8 et c satisfont 
aux égalités 

01 — V by"? + ci 
2h24"? — ct = qh?x"? 
d’où on tire : ; 
2bg = V 302y"? — qx"?, 

Substituant cette valeur de 268 dans (19) et (20), divisant tous 


A Ts 


les termes par bx", et remplaçant m par æ, on a les deux - 
équations : 


@ m5 (p + V)2 + 20 


Il Lans 5 
(8) gt (—p+ Vin — 4) x += 0 


dont le produit est l'équation (a), en tenant compte des con- 
ditions (c). 

— Bi on désigne par x,, t,, æ,, æ, les racines de l’équa- 
tion 

dt pas + qu? + rx Hs —0 
et si on pose 
LyDa + sl — Y 
on sait que la valeur de y est donnée par l'équation du 3° de- 
gré 
y — qu? + (pr — 45) y — [s (p?— 49) + r] = 0. 

Il est à remarquer que le dernier terme de cette réduite 

prend la même valeur 
4 


Er RS 
a (P 2q) 


quand on y remplace r et s par les valeurs 


2 
T5 (1—p) 


tirées des équations (b), ou par les valeurs 
3 

4 

p° 

16 


tirées des équations (c). La réduite est alors 


pi 


SE 


NU NV E 
| 2 p" 
(b) y Qu —" (p°— 29) — 0. 
Le système des équations (d), (e) et celui des équations (f), 
(g), donnant 


[I 


DD3 + Lady — 9 ? 
cette quantité doit être racine de la réduite (h). C'est en effet 
ce qu'on vérifie facilement. 

2 
À 
peut vérifier que les diviseurs du 2° degré qui lui correspon- 
dent sont les mêmes que ceux qui ont été trouvés géométri- 
quement. 


Réciproquement, connaissant la racine — de la réduite, on 


3 


1 


Les quantités ,%,, æ,æ, dont on a la somme _. et le pro- 
duit s sont racines de l'équation 


leurs valeurs sont 


» 2 


pr 
Comme pr — 4s, on a, en remplaçant s par sa valeur 7? 


__p? + Vp (p° — 4r) 


DyTa = P 
p?— Vp (p$ — 4r) 
A EE A A 


Les relations entre les racines et les coefficients de l’équa- 
* tion (a) donnent 


(@y + Ge) Has + m3) = —p 


TaB (dy + L2) + dde (as +) = 7 


PR: GR 


on en déduit : 
_ Plile —T 
Di + Lo PRE te 
303 — Lila 
T — PTT; 
Ra AR, — 2%, 
30, — V2 


En substituant les valeurs de x,x, et de x,%,, et en sim- 
plifiant, on a enfin : 


D + Vp (p5 — 4r) 


D + La — 2p 
2— ÿp (p° — 4r 
NEuTe 2 ) 


Les valeurs de x, + x, et x, x, donnent l'équation (d); 
celles de z, + x, et æ;, æ, déterminent l'équation (e). 

— La méthode précédente ne peut pas être appliquée dans 
le deuxième cas où les coefficients p, q, r, s remplissent les 
conditions 

pr — 4s — 0 
T2 — Sp? — 0 
En effet, de ces égalités résulte 
4 
s—E ; 
16 


par suite les racines de l'équation 
2 
X? — 5 X+s—o 
sont égales, et les valeurs de x, + x, et de x, + x, se pré- 


0 : 
sentent sous la forme 5° maison a alors les équations 


(my + de) + (ts + ds) = —9p 


(Gy, + de) (ms + 23) + di m2 Eds œ = 0Q 
et puisque ; 


p 
TT = Ta = Π


D Epr 


ras 
(ty + Le) (23 + ds) — + 


on a donc la somme et le produit des deux quantités (x, + x), 
(x: + x,) et par conséquent 


== 30°? — 4 
PR tres q 


Ships Var ER 
DÉS ER EN EPS eZ : 


Les équations (f) et (g) sont évidemment les conséquences 
des relations précédentes. 


PROBABILITÉS D'UN VOYAGE 


DU 


ROI SAINT LOUIS A BESANÇON 


EE NYTL259 


Lettre à M. Léopold DELISLE, membre de l’Institut, conservateur 
des manuscrits à la Bibliothèque nationale, 


Par M. Auguste CASTAN. 


Séance du 12 juillet 1873. 


Besancon, le 12 juillet 1873. 


Monsieur et cher confrère, 


Vous m'avez fait l'honneur de lire avec intérêt mon opus- 
cule sur les Sceaux de la commune, l'hôtel de ville et le palais 
de justice de Besançon () : vous avez remarqué dans ce travail 
une note relative à l'intervention personnelle de saint Louis 
dans la lutte que soutenait, en 1259, l'archevêque de Besan- 
con contre la commune de cette ville et l'aristocratie de la 
province; vous m'avez engagé à élucider, plus complètement 
que je ne l'avais fait, ce détail inconnu, et qui vous parait 
encore douteux, de la vie du pieux monarque. Je ne pouvais 
mettre trop d’empressement à me rendre à votre désir. 


a 


(1) Mémoires de la Société d'Emulation du Doubs, 4° série, t. VI, 1870- 
71, pp. 443-500 (avec ? planches et 12 bois gravés). 


LoeQg fe ES 

Je dois d’abord préciser en quelques mots les circonstances 
qui auraient amené cette intervention du roi de France dans 
les affaires d’un pays étranger à sa juridiction. 

Par le fait du fatal traité de Verdun, qui avait découpé 
d’une façon aussi arbitraire qu'anormale l'héritage de Char- 
lemagne, la Franche-Comté, bien que gauloise de race et ro- 
maine de langage, était échue en partage au césar germa- 
nique. Sous l’autorité, plus nominale que réelle, de ce suze- 
rain, la province était régie par un comte; mais ce chef 
immédiat lui-même était loin d'exercer un pouvoir absolu. 
Les terres d'église, qui étaient devenues très considérables, 
échappaient au contrôle du prince. De ce nombre était Be- 
sancon, la ville principale du pays et le boulevard naturel de 
sa défense : l'archevêque y régnait en maître, ne reconnais- 
sant d'autre supérieur que l’empereur d'Allemagne. 

Cependant Frédéric Barberousse, par son mariage avec 
l'héritière de la Franche-Comté, avait réuni dans sa main 
les prérogatives de comte de Bourgogne et celles d’empereur. 
Il en était résulté pour la province quelques années de calme, 
suivies bientôt des récriminations armées de la branche ca- 
dette des anciens comtes contre les descendants de Barbe- 
rousse, puis contre les ducs de Méranie, qui se substituèrent 
à ces derniers comme possesseurs du comté. 

Jean de Chalon l’Antique eut l’heureuse fortune de con- 
fondre les droits de la branche aînée et ceux de la branche 
cadette, en unissant Hugues son fils à l’héritière du dernier 
comte de la maison de Méranie. Mais cette combinaison 
n’empêcha pas la rivalité de poursuivre son cours : Jean de 
Chalon, oubliant, sous l'influence d'une seconde femme, ses 
sentiments paternels, se ligua lui-même avec une portion de 
la noblesse du pays contre son propre fils, le comte Hu- 
gues. 

C'était en 1254. Saint Louis, qui revenait de la croisade 
avec le prestige d’une infortune noblement supportée, connut 
immédiatement cette guerre immorale et désastreuse pour un 


ed 

pays qui devait tôt ou tard se souder à la patrie française. I] 
s'intéressa d'autant plus à l'événement, que son fidèle con- 
seiller, le sire de Joinville, était proche parent des deux bel- 
ligérants (1). Sa médiation fut acceptée. « Et, dit Joinville, 
pour la paiz dou père et dou fil, il envoia de son consoil en 
Bourgoingne et à ses despens ; et par son pourchas fu faite 
la paiz dou père et dou fil (?). » 

Cette réconciliation opérée , le père et le fils s’unirent pour 
réparer les dommages qui, durant les récentes discordes, 
avaient été faits à leurs intérêts désormais communs. Ils 
eurent bientôt à réclamer contre un acte d'association de l'ab- 
baye de Luxeuil avec le comte de Champagne, traité qui 
transférait à un seigneur étranger la garde du plus riche mo- 
nastère de la contrée franc-comtoise. Il s’ensuivit une guerre 
entre les comtes de Bourgogne et de Champagne ; mais cette 
lutte ne fut pas de longue durée, car, dit encore Joinville, 
« pour laquel guerre appaisier, messires li roys y envoia mon- 
signour Gervaise d'Escrangnes, qui lors estoit maistres queus 
de France, et par son pourchas il les apaisa G). » 

Restait à débattre la question, grave entre toutes, de la 
situation politique de Besancon. Les premiers comtes héré- 
ditaires de la haute Bourgogne avaient fait de cette métropole 
le siége de leur gouvernement. Mais les archevêques, sachant 
profiter des nombreux conflits qui déconsidéraient les puis- 
sances laïques, étaient parvenus à reprendre dans la ville leur 


(1) Fils de Simon de Joinville et de sa seconde femme, Béatrix de 
Bourgogne-Chalon, dame de Marnay; l'historien de saint Louis était, 
par sa mère, neveu de Jean de Chalon l'Antique et cousin germain du 
comte Hugues. (Voir la Généalogie de la maison de Joinville, par Du- 
cANGE, à la suite de l'Hist. de saint Louis, édit. de 1668.) 

(2) Histoire de saint Louis, publ. pour la Soc. de l'hist. de France par 
N. de Wailly, p. 245. — Voir en outre GuisLaume, Hist. des sires de Sa- 
ins, t. I, pp. 322-333. 

(3) Histoire de saint Louis, 1. ce. — Voir en outre D'ARBOIS DE JUBAIN- 
vice, Histoire des comtes de Champagne, t. IV, pp. 389-391, 


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antique rôle de défenseur de la cité. La population urbaine 
supporta leur omnipotence, non toutefois sans se souvenir 
qu'elle avait sur le territoire des droits antérieurs à ceux des 
prélats : aussi, dès que le vent de la révolution communale 
agita l’est de l’ancienne Gaule, cette population fut-elle prompte 
à secouer le joug de la domination cléricale (1). Les comtes de 
Bourgogne se firent volontiers les alliés de ce mouvement () : 
ils espéraient ainsi reprendre possession de la capitale natu- 
relle de leur province. 

Ce résultat était le rêve chéri de Jean de Chalon l’Antique, 
et rien ne lui coûta pour y arriver. Dès 1251, il avait obtenu 
de l’empereur Guillaume de Hollande, qui.était en quête 
d’alliés, les droits de suzeraineté de l’empire sur Besançon (3) 
et le droit de faire concurrence à la monnaie archiépisco- 
pale (4); mais les agissements de l'archevêque Guillaume de 
la Tour amenèrent bientôt une sorte de révocation de ces 
deux priviléges (5). La guerre fut dès lors imminente entre le 
comte et le prélat : elle n’éclata toutefois que lorsque Jean de 
Chalon eut vidé sa querelle avec son fils. L'archevêque eut 
ainsi le temps de se préparer à la lutte : il acheta, par des 
inféodations, l'alliance des Montbéliard, des d’Oiselay, des 
Faucogney ; puis il fit élever des maisons fortes en différents 
points de ses domaines, à Mandeure, à Gy et sur la colline de 


Beauregard qui appartient au pourtour immédiat de Besan- 


con (6). Les citoyens de la ville ne demandaient qu'un pré- 


(1) Voir nos Origines de la commune de Besançon, dans les Mém. de 
la Soc. d'Emul. du Doubs, 3° série, t. III, pp. 183-382. 

(2) J.-J. CarrrLer, Vesontio, I, pp. 219-21, et n° I de nos Pièces justi- 
ficatives. 

(3) Pièces justificatives n°° II et V. 

(4) PLanrTer et JEANNEz, Essai sur les monnaies du comté de Bourgogne, 
p. 275. — Pièce justificative no XII. 

(5) Pièces justificatives n° VI et VII. 

(6) Comptes de l'archevêque Guillaume de la Tour, dans les Docum. 
inéd. pour servir à l'hist. de la Franche-Comté, t. IT, pp. 342-343. 


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texte pour faire revivre leur commune, déjà plusieurs fois 
abolie par les sentences des papes et des empereurs : la nou- 
velle forteresse, qui menacçait directement Besancon, fournit 
ce prétexte. Tandis que les citoyens élisaient des prud'hommes, 
faisaient graver un sceau communal, accaparaient les clés 
des portes de la ville, organisaient une caisse publique, s’in- 
surgeaient contre les tribunaux de l'archevêque et essayaient 
de dresser une forteresse dans la ville (1), les comtes de Bour- 
gogne, secondés par la majorité des nobles de la province, 
envahissaient les domaines du prélat. ‘Le château de Gy fut 
emporté d'assaut et détruit ). En même temps, les confédérés 
s'emparaient de la montagne de Pouilley, située non loin de 
Besancon et appartenant au chapitre métropolitain, et les. 
comtes de Bourgogne y élevaient une maison forte (3). 
L’archevèque, obligé de quitter son palais, fut un instant 
sans savoir où il pourrait passer une nuit tranquille (4. En 
vain provoqua-t-il des sentences impériales qui menacaient à 
la fois la commune et l'aristocratie confédérée (5) ; ces éclairs 
lointains ne terrifiaient personne. Ayant fini par trouver asile 
dans la collégiale de Sainte-Madeleine, église qui desservait 
le quartier nord de Besancon, Guillaume de la Tour put faire 
parvenir à Rome ses cris de détresse, et le pape Alexandre IV 
ne lui ménagea pas le secours des foudres spirituelles. Du 
mois de mars 1258 au mois de mai 1259, les bulles d'interdit 
et d'excommunication ne cessèrent de gronder tour à tour sur 
les confédérés et sur la commune, et les évêques d'Auxerre, 


(1) Pièces justificatives n° III, VIII, IX et X. — Voir en outre une 
bulle du pape Alexandre IV, en date du 29 janvier 1259, publ. à la suite 
de notre travail sur les Sceaux de la commune, dans les Mém. de la Soc. 
d'Em. du Doubs, 4° série, t. VI, 1870-71, pp. 472-74. 

(2) Comptes, déjà cités, de l'archev. G. de la Tour, et Pièces justifi- 
catives n° XIII et XVI. 

(3) Pièce justificative n° XV. 

(4) Pièce justificative n° IV. 

(») Pièces justificatives n° IV, VIII, IX et X. 


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d'Autun , de Mâcon et de Chalon furent chargés de fulminer 
ces actes (1). Mais on avait tellement abusé des sentences ca- 
noniques, qu'il n'y avait plus crédit que pour celles dont 
l'exécution était remise au bras séculier. La cour de Rome 
le savait bien : aussi le pape Alexandre IV terminait-il deux 
de ses bulles en chargeant les évêques, ses commissaires, de 
requérir l'assistance des rois de France et de Navarre et du 
duc de Bourgogne. Le pouvoir impérial, médiateur naturel 
de ce conflit, se trouvait alors annulé par une rivalité éner- 
vante (2). L'évêque d'Auxerre, Guy de Mello, était parent du 
roi de Navarre et en fort bons termes avec le roi de France (3). 
Nul mieux que lui ne pouvait remplir la commission du pape, 
et il paraît s’en être acquitté auprès de saint Louis. Mais il ne 
s'agissait plus cette fois de faire seulement entendre des pa- 
roles de paix pour mettre d'accord deux puissances en dis- 
corde; il fallait tendre une main secourable à un opprimé et 
le délivrer de ses ennemis. Or, comme l'incident avait pour 
théâtre un pays qui relevait de l'empire germanique, saint 
Louis ne jugea pas qu'il pouvait en conscience faire acte 
d'autorité dans un tel débat. Ce scrupule fut notifié à la cour 
de Rome, et Alexandre IV tâcha de le vaincre en écrivant 
lettre sur lettre au pieux monarque. « Bien loin, lui disait- 
il dans une dernière épître, bien loin d'empiéter sur les droits 
de l'empire, si tu prêtes main forte à l'archevêque et à l’église 
de Besancon contre leurs oppresseurs, tu contribueras à la 
conservation de ces mêmes droits, en accomplissant de plus 
un acte d’urgente piété (4). » 


—— a —— — ——— — — — —————————…——…——— ——————— 


(1) Pièces justificatives n° XI, XIII, XIV, et bulle du 29 janvier 1259, 
dejà citée. 

(2) Art de vérif. les dates, édit. Saint-Allais, t. VII (ap. J.-C.), pp. 350- 
351. 

(3) Leseur, Mém. sur l'église d'Auxerre, t. I, pp. 379-391: 

(4) Voir cette lettre pontificale, à la suite de notre travail sur les 
Sceaux de la commune, dans les Mém. de la Soc. d'Emul. du Doubs, 
4e série, t. VI, 1870-71, p. 475. 


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Cette lettre pontificale est du 31 mars 1259; elle fut com- 
muniquée à l'archevêque Guillaume de la Tour et à l’église 
qui lui donnait asile, car le texte en est transcrit dans le car- 
tulaire de Sainte-Madeleine de Besancon. 

Quelle fut la réponse du roi de France ? La collégiale de 
Sainte-Madeleine avait un lectionnaire du douzième siècle, 
sur les feuillets de garde duquel les chanoines notèrent plu- 
sieurs fois des événements qui intéressaient leur église. Ce 
volume n’est malheureusement pas entré dans nos dépôts pu- 
blics. Mais, au siècle dernier, un ecclésiastique érudit avait 
pris soin de transcrire les notes historiques couchées sur le 
lectionnaire en question. Parmi ces notes se trouve la sui- 
van(e : £ 

« Anno Domini mocxzix, tertio nonas junii, VENIT nobilis 
vir rex Francie (1). » 

L'année 1249, donnée comme date de la venue du roi de 
France à Besancon, ne peut être que le résultat d’une inad- 
vertance. La perte du lectionnaire nous émpêche de dire si 
ce lapsus est le fait de l’annotateur primitif ou celui du co- 
piste moderne. Quoi qu'il en soit, il est connu que, le 3 juin 
1249, saint Louis était en Egypte et prenait position devant 
Damiette. Rien, d’ailleurs, n'aurait alors motivé une inter- 
vention de sa part dans les affaires de la Franche-Comté. Dix 
ans plus tard, au contraire, saint Louis, réinstallé dans son 
royaume et exclusivement occupé d'œuvres de paix, était 
supplié par le pape de venir en aide à l'archevêque de Besan- 
con. L'hésitation entre les deux dates n’est donc pas possibie. 
C'est certainement 1259 qu'a voulu écrire l’annotateur du 
lectionnaire de Sainte-Madeleine. Moyennant cette correc- 
tion parfaitement plausible, on résoudrait la question de sa- 


(1) Extractum ex antiquo lectionario ecclesiæ beatæ Mariæ-Magda- 
lenes, ante ann. 1200 exarato, auct. Joanne-Baptista Fceury (1729), à la 
suite d'un manuscrit de la-bibliothèque de Besançon, intitulé Ordina- 
rium antig. eccles. Bisunt., p. 98, g: 


NT 


voir quelle réponse fit saint Louis à la lettre d'Alexandre IV. 
Entre la date de l'invitation pontificale et la venue du roi de 
France à Besancon, il ne se serait écoulé que deux mois et 
trois jours. 

On se demandera maintenant comment saint Louis aurait 
pu se rendre de Paris à Besançon sans qu'aucun chroniqueur 
eût fait mention de cette démarche exceptionnelle. Joinville, 
dira-t-on, qui avait si fort à cœur de prouver que son maître 
était « li om dou monde qui plus se traveilla de paiz entre 
ses sousgis et espécialment entre les riches homes voisins (1) ; » 
Joinville, qui a parlé de deux ambassades de pacification en- 
voyées en Franche-Comté par saint Louis, aurait, à plus forte 
raison, mentionné une circonstance dans laquelle le roi se 
serait rendu de sa personne en ce même pays. 

Ces objections sont sérieuses, mais nous ne désespérons pas 
d'en avoir raison. On se souvient que saint Louis hésitait à 
intervenir d'autorité dans un conflit qui se passait sur des 
terres relevant de l'empire germanique. S'il consentit, par 
égard pour la cour de Rome, à se départir de ce scrupule, ce 
fut sans doute à la condition que sa démarche aurait un ca- 
ractère essentiellement privé et qu'elle demeurerait secrète. 
Rien n'empêche de croire que son voyage se soit accompli 
dans le plus strict incognito, et qu'il y ait eu défense à ses 
familiers de révéler cette complaisance peu conforme à son 
respect pour les droits des autres souverains. En effet, Join- 
ville ne dit pas un mot de l'influence qu'eut son maïtre dans 
l'apaisement du conflit qui nous occupe, et cependant, en 
dehors de la question du voyage royal, cette influence est 
certaine. Elle nous est révélée par Jean de Chalon lui-même, 
qui, dans un acte du ?7 juillet 1259, déclare que s'il a rasé la 
forteresse de Pouilley, en restituant la montagne de ce nom: 
au chapitre métropolitain, c’est « par la proière et par la vo- 


(1) Hist. de saint Louis, édit, de Wailly, p. 245. 


LL 


lunté le roi de France qui (lui) envoia l’abbé de Citeaus (1). » 

Saint Louis n'aurait donc fait que s’aboucher un instant 
avec l'archevêque de Besançon, retiré dans le quartier nord 
de la ville. Là il se serait rencontré avec l'abbé de Citeaux, 
dont l'ordre possédait une maison dans ce même quartier, et 
il aurait donné mandat à ce religieux d'adresser de sa part 
des remontrances sévères aux deux comtes et à leurs adhé- 
rents. L'effet de cette mission fut immédiat : les seigneurs 
confédérés mirent bas les armes; ils s'obligèrent de plus à 
indemniser l'archevêque et son chapitre des dommages que 
la guerre leur avait causés (2). La commune de Besancon fut 
seule à bénéficier de l’aventure : elle s'était si solidement re- 
constituée durant les troubles, que force sera désormais aux 
archevêques de la tolérer. Bientôt les deux concurrents à la 
dignité impériale, Alphonse de Castille et Richard de Cor- 
nouailles, lui donneront officiellement des gages d'amitié (3). 

En résumé, nous trouvons dans le cartulaire de l’église de 
Sainte-Madeleine une lettre, en date du 31 mars 1259, par 
laquelle le pape supplie le roi de France de porter secours à 
l’archevèque de Besançon qui pliait sous les coups de ses 
ennemis. Nous possédons, d'autre part, une note, tirée du 
lectionnaire de la même église, qui affirme que ce monarque 
vint à Besancon le 3 juin d’une année qui ne peut être que 


l'an 1259. Un document, daté du 27 juillet de cette même 


année, témoigne en outre que l'archevêque obtint la paix par 
l'effet d'une médiation de saint Louis. Nous avons enfin donné 
des raisons qui portent à croire que le saint roi dut tenir à ce 
qu’on ignorât cet acte d'autorité par lui fait dans un pays qui 
relevait d’une autre couronne que la sienne. Dès lors il nous 
semble difficile que l’on puisse invoquer le silence des chro- 
niques contemporaines pour refuser créance à l’assertion du 


(1) Pièce justificative n° XV. 
(2 Pièces justificatives n°° XV, XVII et XVIII. 
(3) J.-J. CairrLer, Vesontio, I, p. 222-223. 


LR ES 
lectionnaire de Sainte-Madeleine, d'autant plus qu'aucune 
des dates connues de la présence de saint Louis en divers 
lieux (1) ne s'oppose à ce que ce monarque se soit rencontré à 
Besancon le 3 juin 1259. 

Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, l'hommage de 
mes sentiments de haute estime et d’affectueux dévouement. 


Auguste CASTAN. 


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(1) Ludovici IX gista, mansiones el ilinera, ap. Scriplor. rer. francic., 
t. XXI, pp. 400 et 418. 


DaSU APR 


PIÈCES JUSTIFICATIVES 


I 
19228 (mai). 


Quittance d'une somme de cent livres annuellement due par la com- 
mune de Besancon au comte Jean de Chalon, devenu son gardien. 
(Archives de la ville de Besançon.) 


Ego JoHannes, comes Cabulonensis, notum facio omnibus 
presentes litteras inspecturis quod ego accepto et ratam habeo 
solutionem que facta fuit nomine meo Renaldo de Chois, civi 
Bisuntino, a civibus Bisuntinis, de centum libris stephanien- 
sium quas dicti cives michi debebant solvere anno Domini 
M° cc° xx° virr°, in Pascha ; et de dictis centum libris habeo 
pro soluto me, et prenominatos cives de ipsis acquito ; et quia 
litteras quas habebam a sepedictis civibus, de jamdicta pe- 
cunia, habere non poteram, ipsas litteras meas presentes 
apertas et sigillo proprio sigillatas transmisi et concessi ha- 
bendas, in testimonium predicte solutionis jamdicto Renaldo 
facte. — Datum anno Domini m° cc° xx° octavo, mense mail. 


Il 
1951 (23 avril) — 1952 (29 août). 


Bulle du pape Innocent IV,vidimant et ratifiant, moins une clause, l'acte 
par lequel l’empereur Guillaume de Hollande avait acheté la fidélité 
du comte Jean de Chalon, en concédant à ce vassal, comme nantis- 
sement d’une somme de 10,000 marcs d'argent dont il lui faisait don, 
la jouissance des droits de suzeraineté dans les cités impériales de 
Besançon et Lausanne. 

(Archives nationales, Trésor des Chartes, 3. 247, 18 et 19) 


INNOCENTIUS episcopus, servus servorum Dei, dilecto 


SG us 
filio nobili viro J., comiti Burgundie, domino Salinensi, sa- 
lutem et apostolicam benedictionem. 

Promerente tam tue devocionis constancia quam fidei pu- 
ritate constantis, dignum ducimus ut te, tanquam devotum 
Ecclesie filium, favore benivolo prosequentes, petitionibus 
tuis, quantum cum Deo possimus, liberaliter annuamus. 
Cum igitur, sicut tua peticio nobis exhibita continebat, ca- 
rissimus in Christo filius noster W., rex Romanorum illus- 
tris, decem milia marcharum argenti tibi liberaliter dare pro- 
miserit, pro quibus, quia solvendi eas ad presens non subpe- 
tebat facultas, universos proventus et jura que in Bysuntina 
et Lausannense civitatibus ad eum ratione Regni et Imperïi 
pertinere noscuntur, tibi et legitimis tuis heredibus titulo 
pignoris obligavit, prout in litteris dicti regis inde confectis 
plenius continetur, Nos, tuis supplicationibus inclinati, pro- 
missionem et obligationem hujusmodi ratas et gratas ha- 
bentes, eas auctoritate apostolica confirmamus et presentis 
scripti patrocinio communimus, tenorem ltterarum ipsarum 
presentibus de verbo ad verbum inseri facientes, qui talis 
est : 

« WILLERMUS, Dei gracia Romanorum rex semper au- 
eustus, universis Imperïii fidelibus graciam suam et bonam 
voluntatem. Recognoscimus et tenore presentium publice pro- 
testamur quod Nos, devocionis constanciam et fidei purita- 
tem nobilis viri JoHANNIS, comitis Burgundie, domini Sali- 
nensis, regalis beneficii oculis intuentes, ac considerantes 
quod sue probitatis obsequia possunt nobis et romano Imperio 
existere multipliciter fructuosa, ipsum, de providentia nostri 
consilü, in nostrum et Imperii fidelem recepimus et vassal- 
lum. Ipse quoque nobis prestitit fidelitatis debite juramen- 
tum ; promittens nobis, sub debito prestiti juramenti, quod 
contra Conradum, filium Frederici condam imperatoris, et 
omnes fauctores ipsius ac universos alios se nobis in negotiis 
Regni et Imperüi opponentes, ipse et heredes sui, omni dolo 
excluso, servient bona fide, quandocumque ipsos duxerimus 


ti ANTIRS 


Eure 


ay re 

requirendos. Nos vero decem milia marcharum argenti sibi 
dare promisimus liberaliter et libenter ; pro quibus, quia ad 
presens solvendi eas non habuimus facultatem, universos 
proventus et jura que in Bysuntina et Lausannense civita- 
tibus ad nos ratione Regni et Imperii pertinere noscuntur, 
eidem comiti et legitimis suis heredibus titulo pignoris duxi- 
mus obliganda : regalibus que familie curie nostre debentur, 
ac fidelitatibus in nostris manibus faciendis, nobis per omnia 
semper salvis (1). In cujus rei testimonium, presens privile- 
gium nostro sigillo duximus muniendum. — Datum apud 
Salinas, viur° Kkalendas maïi anno Domini m° cc° zr°, indic- 
tione nona. » | 

Nulli ergo hominum liceat hanc paginam nostre confirma- 
tionis infringere vel ei ausu temerario contraire. Si quis au- 
tem hoc attemptare presumpserit, indignationem omnipoten- 
tis Dei et beatorum Petri et Pauli, apostolorum ejus, se no- 
verit incursurum. — Datum Mediolani, xr° kalendas septem- 
bris, pontificatus nostri anno nono. ; 


III 
1252 (16 août). 


Engagement pris, en présence du cardinal Hugues de Saint-Cher, par 
le chevalier Pierre, fils du maire de Besançon, de payer à l'archevêque 
cent marcs d'argent, en réparation ges dommages causés par lui à ce 


prélat et à son clergé. 
(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


Universis presentes litteras inspecturis, Perrus, miles, filius 


(1) Le texte primitif de cette lettre impériale se terminait par la clause 
suivante, que le pape refusa sans doute d'homologuer : « Si vero archi- 
episcopus Bysuntinus et Lausannensis episcopus, ad generalem nostram 
curiam evocati, non venerint, et, propter eorum contumaciam, contra 
ipsos vel alterum eorum processum fuerit, sententia principum id dic- 
tante, volumus quod omnis utilitas que ex pena exigenda ab eis ad 
nostros usus pervenire deberet, cedat cum integritate qualibet comiti et 
suis heredibus supradictis. » 


Ben 2e 
domini Johannis, majoris Bisuntinensis, salutem in Do- 
mino. 

Noverit universitas vestra quod ego, pro fractione ecclesia- 
rum Bisuntinensium et aliis injuriis domno Willelmo, Dei 
gracia archiepiscopo Bisuntinensi, et aliis ecclesiis et personis 
ecclesiasticis ejusdem civitatis et dyocesis per me illatis, te- 
neor reddere bona fide et per stipulationem lesitimam me 
redditurum promitto dicto domno W., archiepiscopo, vel ejus 
mandato, secundum placitum suum et posse meum, nomine 
emende, centum marchas argenti : hoc duntaxat excepto quod 
inde michi misericorditer duxerit remittendum; obligans 
inde, in manu dicti domni W., archiepiscopi, et suorum 
successorum, Omnia bona mea mobilia et immobilia, adqui- 
sita vel adquirenda, ubicumque existant. 

In cujus rei testimonium, sigillum venerabilis patris domni 
Hugonis, Dei gracia tituli Sancte Sabine presbiteri cardinalis, 
apostolice sedis legati, presentibus litteris rogavi apponi. 

Datum Bisuntii, anno Domini m°cc° quinquagesimo se- 
cundo, in crastino Assumptionis Beate Marie. 


IV 
1953 (26 avril). 


Lettre de l'empereur Guillaume de Hollande, invitant le comte Jean de 
Chalon à protéger l'archevèque de Besançon contre les seigneurs 
francs-comtois qui prétendaient empêcher ce prélat de construire des 
édifices sur ses domaines. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


WILLERMUS, Dei gracia Romanorum rex semper au- 
gustus, nobili viro Johanni, comiti Burgundie et domino Sa- 
linensi, dilecto fideli suo, graciam suam et omne bonum. 

Etsi quibuslibet Imperii fidelibus debeamus esse in gracia 
liberales, illos tamen qui pro nostri laude nominis excolenda, 
circa nostram exaltationem, vigilancius elaborant, gratis be- 


TU Fa 
neficiis debemus attollere et condignis honoribus exaltare. 

Cum itaque venerabilis Bisuntinus archiepiscopus, dilectus 
princeps noster, pro suis et subditorum suorum juribus et 
jurisdictionibus conservandis, quorumdam nobilium et ci- 
vium civitatis Bisuntine malivolencias duxerit incurrendum, 
nec extra civitatem Bisuntinam mansionem aliquam habeat 
in qua valeat pernoctare secure; ac 1bidem in fundo sedis 
Bisuntine, quem a nobis et Imperio tenet, sibi quasdam do- 
mos edificare cepisset, vicecomes Bisuntinus et quidam alii 
nobiles de illis partibus, qui etiam homines et infeudati sui 
existunt , absque causa rationabili, pro sue libito voluntatis, 
ipsum impediunt et disturbant quominus consummari non 
valeat quod incepit. 

Quare fidelitatem tuam affectuose rogamus, regia tibi auc- 
toritate mandantes, quatinus dicto archiepiscopo, quem suo- 
rum exigenciis inimicorum carum habemus pariter et accep- 
tum, ad ipsorum edificiorum consummacionem assistas modis 
quibus poteris, auxilio, consilio et favore, contradictores et 
rebelles districtione qua convenit compescendo, prout tue 
industrie visum fuerit expedire ; si quos vero idem archiepi- 
scopus, de predictis hominibus et infeudatis suis qui ab 
ipso domos sive alia bona tenent, ipsorum culpis exigentibus, 
doe \werit esse privandos et ipsos propter hoc rite privaverit, 
ut de domibus vel bonis fpredictis disponere et ordinare valeat 
et ea suis usibus applicare, eidem assistas viriliter, fideliter et 
potenter, ut proinde sollicitudinem et devocionem tuam pos- 
simus merito commendare. 

Datum Antuerpie, vi kalendas maïi, indictione unde- 
cima. 


“00 D = 


V ; 
1953 (juillet). 


Acte de l'association conclue entre le comte Jean de Chalon, d'une part, 
son fils et sa bru, comte et comtesse de Bourgogne, d'autre part, au 
sujet de la jouissance des droits de suzeraineté dans les cités impé- 
riales de Besançon et de Lausanne, jouissance accordée au comte 
Jean par l’empereur Guillaume de Hollande, en nantissement de 

10,000 marcs d'argent, moyennant lesquels ce monarque avait acheté 
la fidélité de son vassal. 

(Archives du Doubs, Ch. des comptes, B. 73.) 


Nos Joan, cuens de Borgoingne et sire de Salins, faisons 
savoir à toz cels qui cestes présentes laitres verront, que cum 
nobles hom Guillame, par la grace de Deu roi des Romains, 
nos eust doné dis mile mars d'argent, por les quals dis mile 
mars d'argent il nos a baïllié, doné et otroié, a nos et à nos 
oirs, totes les droitures, les saignories, les usages et les cos- 
tumes que il, par nom de l'empire de Rome et de réalme 
d'Alemaigne et d’Arle, doit avoir en la cité de Besenzon et de 
Losanne, et ès apertinances des dites citez, à tenir, avoir et 
paisiblement aporseoir, tant que il ou si suscessor à nos ou à 
nos oir eussent paié les devanz diz dis mile mars d’arg #,1e 
qual don et la qual asise nostre saint Père l’apostoile nos a 
confermé et otroié par ses laitres ; et est asavoir que nos el dit 
don et en la dite asise avons acompaignié par moitié nostre 
chier fil Hugun, conte de Borgoingne palatin, et Aaliz sa 
fame et leur oirs, en tel manière que nos sanz els, ne il sanz 
nos, ès dites citez, ne ès dites droitures, saignories, usages et 
costumes, ne devons riens faire, demander ne quérir l’un 
sanz l’autre; et si avons promis à bone foi que as dites citez, 
ne as habitanz en celes, ne à lor aideors, ne à auqun d’els, 
n’aurons pais, ne treuve, ne négun proage, ne négune COM- 
mandise l’un sanz l’autre; et li diz Hugues, cuens de Bor- 
goingne palatins, et Aaliz sa fame, ensement, nos ont acom- 


— 83 — 

paignié, nos et nos oirs, en totes les droitures qu'il avoient, 
ou pooient, ou devoient avoir en la cité de Besenzon; et est 
asavoir que nos avons promis à bone foi et par serrement de 
cestes choses aidier l’un à l’autre, à grant force et à petite, 
sanz faintise et sanz nule manière d'enjan ne de décevement; 
et totes cestes choses et totes cez covenances, si com il sont 
contenues en cez laitres, nos avons promis, par n0z serremenz 
faiz sus sainte Evangile, à tenir et à garder sanz enfraindre ; 
et que ce soit fers et estable, nos avons cestes présentes laïitres 
fait séeler de nostres séels. Ce fu fait en l'an de l’Incarnation 
de nostre Saigneur que on conte par mil et dous cenz et cin- 
quante trois, el mois de julet. 


Sceaux absents. 


Nos HuGuss, cuens de Borgoingne palatins, et AaLrz, con- 
tesse de Borgoingne palatine, fame de dit Hugun, faisons sa- 
voir à toz cels qui cestes présentes laitres verront, que cum 
nobles hom Guillame, par la grace de Deu rois des Romains, 
eust doné à nostre chier père Joan, conte de Borgoigne et sire 
de Salins, dis mile mars d'argent, por les quals dis mile mars 
d'argent li dit Guillame, rois des Romains, li a doné et 
otroié totes les droitures, les saignories, les usages et Les cos- 
tumes que il, par nom de l'empire de Rome et de réalme de 
Alemaigne et d’Arle, doit avoir en la cité de Besenzon et de 
Losanne, et ès apertinances des dites citez, à tenir, avoir et 
paisiblement aporseoir, tant que il ou si sussessor à lui ou à 
ses oirs eussent paié les devant dites dis mile mars d'argent, 
le qual don et la qual asise nostre saint Père l’apostoile a 
confermé et otroié au dit Joan, conte de Borgoingne et sai- 
gneur de Salins par ses laitres ; et est asavoir que il el dit don 
et en la dite asise nos a acompaignié par moitié et nos oirs, 
en tel manière que noz sanz lui et il sanz nos ès dites citez, 
ne ès dites droitures, saignories, usages, costumes, ne devons 
faire riens, ne demander, ne quérir l’un sanz l’autre; et si 


RARE 
S'ULTES 


LPRE D 


avons promis à bone foi que as dites citez, ne as habitanz en 


“ 


celes, ne à lor aideors, ne auqun d’els, n’aurons pais, ne 
treuve, ne acort, ne négun proage, ne négune commandise 
l’un sanz l’autre; et nos au dit Joan, conte de Borgoingne et 
saisneur de Salins, nostre chier père, avons otroié la moitié 
de totes les droitures que nos avions ou poions avoir ou de- 
yions, et à ses oirs, en la cité de Besenzon ; et est asavoir que 
nos avons promis à bone foi et par serrement de cestes choses 
aidier l’un à l’autre, à grant force et à petite, sanz faintèse et 
sanz nule manière d'enjan ne décevement; et totes cestes 
choses et totes cez covenances, si com il sont contenues en 
cestes présentes laitres, nos avons promis, par n0Z serremenz 
faiz sus sainz Evangiles, à tenir et à garder sanz enfraindre ; 
_et que ce soit fers et estable, nos avons cestes présentes laitres 
fait séeler de nostres séels. Ce fu fait en l'an de l’Incarnation 
de nostre Saigneur que on conte par mil et dous cenz et cin- 
quante et trois, el mois de julet. 


Trois sceaux en cire jaune, sur double queue de parchemin : à droite 
le sceau équestre de Jean de Chalon, avec contre-sceau également 
équestre ; au milieu le sceau équestre du comte Hugues, avec contre- 
sceau encore équestre; à gauche le sceau de la comtesse Alix, repré- 
sentée assise sur un trône, avec contre-sceau portant une semblable 
image. 


VI 
1254 (7 mai). 


Confirmation, par l'empereur Guillaume de Hollande, de tous les privi- 
léges temporels appartenant au siége archiépiscopal de Besançon, et 
particulièrement du droit qu'avait l'archevêque de battre monnaie 
à l’usage de la totalité de son diocèse. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besancon.) 


WILLERMUS, Dei gracia Romanorum rex semper augus- 
tus, universis Imperii fidelibus graciam suam et omne bo- 


num. 
Ex radice benignitatis illustris et ex regie sinceritatis affectu, 


ERA 


provocamur principum nostrorum adesse commodis, hono- 
ribus et quiet, ut eorum libertas, antiquis regum suffulta 
privilesiis et ex confirmationis nostre innovatione votiva, de- 
lectabilius elucescat. 

Sane igitur ad noticiam universorum volumus pervenire 
quod Nos, precibus venerabilis archiepiscopi Bisuntini, dilecti 
principis nostri, benivolo propter sua merita concurrentes 
assensu, libertates, immunitates quascunque, jura, juridi- 
ciones, et jus cudendi monetam stephaniensem, ac usum ex- 
pendere eam per dyocesim suam totam, prout hactenus est ob- 
tentum et a Regibus romanis concessum, necnon et privilegia 
universa dicto archiepiscopo suisque antecessoribus archie- 
piscopis Bisuntinis et ecclesie Bisuntine, a nostris antecesso- 
ribus Imperatoribus et Regibus romanis liberaliter et benigne 
concessa, legitime auctoritate regia confirmamus ac presentis 
scripti patrocinio communimus. 

Nulli ergo hominum liceat hanc nostre confirmationis pa- 
ginam infringere, vel ei ausu temerario contraire. Quod qui 
fecerit gravem regie celsitudinis offensam se noverit incur- 
risse. 

Datum Leodii, anno Domini M° cc quinquagesimo mxr°, 
nonis mali. é 


VII 
1255 (15 février). 


Déclaration de l’empereur Guillaume de Hollande, affirmant que, par la 
cession temporaire des revenus de l'empire à Besançon, faite au comte 
Jean de Chalon, il n'a voul1 en rien porter atteinte au pouvoir tem- 
porel des archevêques de cette ville, son désir étant plutôt de l’aug- 
menter que de l’amoindrir. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


WILLERMUS, Dei gratia Romanorum rex semper augus- 
tus, venerabili W., archiepiscopo Bisuntino, dilecto principi 
suo etejus capitulo, fidelibus suis, gratiam suam et omne 
bonum. 


NE 

Declarando, tenore presentium publice protestamur quod, 
occasione obligationis nostrorum redituum in civitate Bisun- 
tina nobili viro Johanni, comiti Burgundie et domino Sali- 
nensi, facte, nullum volumus vobis in vestris juribus prejudi- 
cium generari; nec volumus quod de illis que in curia epi- 
scopali tractantur, de causis civilibus, ad alios quam ad nos, 
tanquam ad romanum regem et superiorem debeat appellari : 
cum jura episcopalia et ecclesie non minuere, sed potius au- 
gere velimus. 

Datum Spire, xv kal. martii, indict. x. 


VIII 
1255 (15 février). 


Sentence d'interdiction, prononcée par l’empereur Guillaume de Hol- 
lande, contre ceux qui prétendaient construire à Besançon une for- 
teresse, au préjudice des droits de l'archevêque. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


WILLERMUS, Dei gratia Romanorum rex semper au- 
oustus, universis Imperii fidelibus presentes litteras inspec- 
turis gratiam suam et omne bonum. 

Cum regalem deceat majestatem universorum jura conser- 
vare illesa, Nos qui, divina favente clementia, sumus ad re- 
giam dignitatem assumpti, sic tenemur proinde singulis pro- 
videre, ut tam ecclesiastice quam seculares persone contente 
suo jure permaneant, et malorum insolentia se prelatam non 
gaudeat et bonorum innocentia non lugeat se oppressam. 

Intellecto si quidem quod quidam in civitate Bisuntina cas- 
trum sive munitionem edificare intendunt, quod in nostrum 
prejudicium et venerabilis archiepiscopi Bisuntini, dilecti 
principis nostri, et ecclesie sue lesionem non modicam redun- 
daret de facili, Nos, hujusmodi discriminibus proinde preca- 
vere volentes, presenti edicto, universis et singulis, sub inter- 
minatione nostre gratie, districtius inhibemus ne quis in 1psa 


RS 


civitate, vel in villis predicti archiepiscopi et ecclesie Bisun- 
tine, aliquod castrum vel ullam munitionem edificare presu- 
mat, absque ipsorum Consensu atque nostro beneplacito et 
mandato. Quod qui facere presumpserit, gravem indignatio- 
nem nostre celsitudinis se noverit incursurum. 

Datum Spire, xv kal. martii, indict. xm1, anno Domini 
M° cc° quinquagesimo quinto. 


IX 
1255 (6 novembre). 


Sentence de l'empereur Guillaume de Hollande, dirigée contre les ci- 
toyens de Besançon qui, au mépris des prérogatives de l'archevêque, 
frappaient des contributions arbitraires et prétendaient changer la 


procédure des tribunaux. 
(Cartulaire de l’archevéché de Besançon.) 


WILLERMUS, Dei gracia Romanorum rex semper au- 
gustus, universis sacri Imperii romani fidelibus presentes 
litteras inspecturis gratiam suam et omne bonum. 

Cum regalem deceat majestatem universorum jura conser- 
vare illesa, Nos qui, divina nobis suffragante clementia, su- 
mus ad regimen regie dignitatis assumpti, sic fidelium nos- 
trorum tenemur adesse justicie, quod malorum insolentia se 
prelatam non gaudeat et bonorum innocentia non lugeat se 
oppressam. 

Sane cum, defectu juris pariter et neglectu, in civitate Bi- 
suntina sint adeo in usum redacte quedam consuetudines 
detestande quarum aliquas presentibus jussimus annotari, 
prout ex insinuatione venerabilis Bisuntini archiepiscopi, 
dilecti principis nostri, didiscimus, quibus juri ejus detrahi- 
tur et honori, et regalis auctoritas enervatur, nostre incumbit 
sollicitudini precavendum ne hujusmodi consuetudines, quas 
censemus corruptelas, in diurna tempora protrahantur ; vo- 
lumusque ut libertates et dona que predictus Bisuntinus ar- 
chiepiscopus et antecessores ipsius juste et legitime hactenus 


— 88 — 


possederunt ex dono Imperii, vel que sunt, tam ipse quam 
successores ipsius possessuri, ex gratia nostri culminis latis- 
sima interpretatione gaudeant et quieta ; statuentes ut de ce- 
tero in causis civilibus, in curia memorati archiepiscopi, prout 
juris et moris est, non obstantibus pravis consuetudinibus 
et juri scripto contrariis, secundum rationabiles et approbatas 
consuetudines procedatur. Sunt enim he consuetudines de- 
testande : quod majores cives Bisuntini qui jura archiepi- 
scopi spernentes, ut dicitur, ipsa detrahere moliuntur in 
elisionem jurisdictionis ipsius, in civitate ipsa communes 
collectas imponunt et propter hoc auctoritate propria domos 
frangunt, vadia capiunt, et his similia, in oppressionem pau- 
peérum, quanquam hoc de jure sine ipso facere nequeant, 
committere non verentur, nulla de collectis hujusmodi legi- 
tima computatione servata. Preterea si aliquis in causa sua 
testes ad probandam intentionem suam producat, iidem testes 
in publico dicta sua deponunt, et nisi secundus testis in om- 
nibus et per omnia idem quod primus et sub eisdem verbis 
dixerit, totum, ut dicitur, testimonium irritatur, et, quod 
deterius est, unus docet et instruit alium, et alia plura in re- 
ceptione dictorum testium observantur in quibus si quis cadit 
a syllaba cadit a causa : que omnia contra jus scriptum et 
consuetudines rationabiles legitime esse dignoscuntur. Ad 
hec, si contra testem vel ejus dicta objicit adversa pars, testem 
productum compellitur relinquere. Insuper in causis hujus- 
modi, nullo juris ordine servato, sed prorsus informiter pro- 
ferunt pro sue libito voluntatis, et multa alia attemptant 
contra jus scriptum et bonas et rationabiles consuetudines. 
Quas autem censemus potius corruptelas, de providentia nos- 
tri consilii, cassamus et penitus irritamus : presenti edictali 
sententia irrevocabiliter statuentes ut de cetero, in hujusmodi 
causis civilibus, in scriptis et secundum quod ordo rationis 
exigit procedatur, et juxta quod eidem archiepiscopo, cum 
iurisdictionem temporalem et feuda regalia ecclesie Bisun- 
tine recepit ab Imperio, est concessum. 


7e 


Si quis igitur contra hoc venire presumpserit, gravem in- 
dignationem celsitudinis nostre se noverit incursurum. 

Datum Moguntie, vr° idus novembris, indictione x1r1, 
anno Domini m° cc° Lv°. 


X 
1255 (7 novembre). 


Promulgation, par l'empereur Guillaume de Hollande, d’une sentence 
du conseil aulique autorisant l'archevêque de Besançon à traiter 
comme convaincus de culpabilité les plaideurs qui s'insurgeraient 
contre la procédure suivie dans ses tribunaux. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


WILLERMUS, Dei gratia Romanorum rex semper augus- 
tus, universis sacri Imperii fidelibus presentes litteras inspec- 
turis gratiam suam et omne bonum. 

Cum gladii temporalis, Deo nobis propitio, accepimus po- 
testatem, illius auctoritatem sic extendere volumus et debe- 
mus, ut malos coherceamus severitate debita et condigna, 
bonos autem contra malorum insultationes in nostra justicia 
foveamus. 

Nobis igitur, nuper pro tribunali sedentibus, requisitum 
fuit et petitum in judicio sententialiter a nuncio et procura- 
tore venerabilis archiepiscopi Bisuntini, dilecti principis 
nostri, quod cum contingat interdum aliquos cives Bisuntinos 
super criminali vel civili actione in judicio coram archiepi- . 
scopo memorato convinci, et iidem, cum sententia promulga- 
tur legitime contra eos, judicium violenter aspernantur et de 
ipsius curia contumaciter se absentant, quid super hoc foret 
agendum ? Ad quod, per comites, nobiles et magnates qui 
presentes erant, coram nobis fuit responsum et sententialiter 
definitum : quod tales, pro hujusmodi violencia et injuria, 
sunt, in quantum eorum Corpora, archiepiscopo supradicto, 
cui de delictis, super quibus convincuntur se nundum, ipso 
facto convicti, et fautores eorum qui contra dictum archiepi- 


PO. se 


scopum eis prestant auxilium et favorem pari sunt pena plec- 
tendi, et alii domini qui contra eos eidem archiepiscopo sub- 
sidium denegant et favorem, ad majorem emendam pecunia- 
rum que in ipsius Curia Consuevit levari archiepiscopo me- 
morato tenentur. 

Quas sententias ratas et gratas habentes, et auctoritate re- 
galis culminis confirmantes, eas precepimus, sub intermina- 
tione nostre gratie, firmiter observari. 

Datum Moguntie, vis idus novembris anno Domini m° cc° 
LV°. 


XI 
1258 (9 mars). 


Sommaire d'une bulle par laquelle le pape Alexandre IV renouvelle un 
privilége apostolique daté de 1251, en vertu duquel l'archevêque de 
Besançon et son chapitre étaient autorisés à refuser l'accès des di- 
gnités ecclésiastiques aux parents de ceux qui auraient porté atteinte 
à leur église. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) . 


Concessionem Innocentii, anni 1251, renovat ALEXAN- 
DER, pontifex maximus, indulgens ecclesie Bisuntine, ar- 
chiepiscopo et capitulo, ut non teneantur ad receptionem 
filiorum , nepotum, consanguineorum alicujus predictorum 
civium qui aliquo modo ecclesiam eorum gravaverint vel 
oppresserint, nisi obtento super hoc speciali indulto aposto- 
lico. — Datum Viterbii, vu idus martii, pontificatus domini . 
Pape anno 1v. 


HO 


XII 
1258 (novembre). 


Lettre du comte Jean de Chalon, notifiant à la commune de Besançon 
le procès-verbal d’un essai faït à Lyon des nouvelles espèces frappées 
par l’archevêque-de Besançon, cette expérience ayant démontré que 
lesdites espèces étaient de quatre sous et deux deniers par livre au 
dessous de l’aloi légal. 

(Archives de la ville de Besançon.) 


J., comes Burgundie et dominus Salinensis, dilectis suis 
universitati civium Bisuntinorum, universis aliis amicis suis 
presentes litteras inspecturis et audituris, rei geste notitiam 
cum salute. Noveritis nos recepisse litteras quasdam sigilla- 
tas sigillis duobus : videlicet sigillo Stephani Albi et Bertho- 
lomei de Fuer, civium Lugdunensium, non cancellatas, non 
abolitas, non rasas, nec in aliqua parte sui viciatas, quarum 
tenor talis est : 

« Ilustri viro ac domino suo specialissimo, domino J., co- 
miti Burgundie et domino Salinensi, Stephanus Albi et Bar- 
tholomeus de Fuer, cives Lugdunenses, et Stephanus Pluvier, 
civis Valentiniensis et magister monete Lugdunensis, salu- 
tem et se promptos et paratos ad suam facere omnimodam 
voluntatem. Noveritis nos interfuisse probationi monete ste- 
phanensium novorum ad veteres cum pluribus aliis perso- 
nis, et invenimus quod libra novorum valebat pejus octo 
denarios de lege argenti quam veteres, vel plus, et quod ve- 
teres plus valebant octo denarios de pondere quam novi; et 
de illis octo denariis, quos ponderabant plus veteres quam 
novi, amovemus quatuor denarios in quibus magister debe- 
bat facere meliores novos quam veteres essent; et sic rema- 
net, secundum arbitrium nostrum et plurimorum aliorum, 
in quatuor denariis pejor libra novorum stephaniensium 
quam deberet, secundum convenciones quas dicunt quod 
magister debebat facere meliores in quatuor denariis libram 


= 09 
quamlibet quam veteres essent; item quod pejus valebant 
stephanienses novi quam veteres, secundum quod solent 
exire de moneta tres solidos et sex denariôs qualibet libra de 
pondere ; item valet pejus libra novorum quam veterum ad 
valorem vu denariorum de lege, secundum quod dicitur quod 
stephanienses solebant exire de moneta ponderantes decem et 
septem solidos et 1111 denarios : summa m1 solidos et 11 dena- 
rios quam pejus valet libra nove monete quam veteris, secun- 
dum quod solet exire de moneta. » 
In cujus rei testimonium , sigillum nostrum presentibus 
apposuimus. Datum anno Domini m° cc° L° vrn°, mense no- 
vembris. 


Sceau absent. 


XIIT 
1259 (4 février). 


Bulle du pape Alexandre IV, déléguant les évêques de Mâcon et de Cha- 
lon pour faire exécuter, d'autorité apostolique, la sentence d'excom- 
munication lancée par l'archevêque de Besançon contre les seigneurs 
francs-comtois qui avaient pillé et incendié le château de Gy, ces 
prélaté étant autorisés, en cas d'endurcissement des coupables, à de- 
mander main forte au roi de France, à celui de Navarre et au duc 
de Bourgogne. | 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


ALEXANDER episcopus, servus servorum Dei, venerabi- 
libus fratribus Matisconensis et Cabilonensis episcopis, salu- 
tem et apostolicam benedictionem. 

Exposuit nobis venerabilis frater noster W., archiepiscopus 
Bisuntinus, quod ipse in nobiles viros Theobaldum de Ru- 
beomonte, Guillelmum li Destroie, Guerardum, Richardum 
et Theobaldum de Novocastro...,....... de Grandivilario, 
Willelmum de Erguello et Petrum fratrem ejus, Othonem 
de Rocha, Petrum de Molans, Renaudum de Granges, Wil- 
lelmum de.......... Espallans, Henricum et Johannem de 


+ 


QE 
Jou fratres, Stephanum de Montemartino et Othonem fratrem 
ejus, Renaudum de Roullans, Haimonem de Willeres...... 
Petrum de Montferrand, Jacquinum de Chenecey, Johannem 
fratrem Petri de Molans, Johannem de Sanaz, V.......bon, 
Willelmum de Cherancey, Poloyns de Sayes, Renaudum fi- 
lium Putenne, Petrum de Cuse, Guidonem Chardenaz, Rus- 
tier de Port, Monachum de Levancort, Theobaldum de Sancto- 
Quintino, Fromundum de Rogemont, Bavelerem de Rocha, 
Johannem dictum Noise de Montbozon, et alios laïcos illa- 
rum partium, complices ipsorum, pro eo quod castrum de 
Giz, quod erat ipsius archiepiscopi speciale, hostiliter obsi- 
dentes, illud capere ac funditus diruere presumpserunt, bo- 
nis ejusdem archiepiscopi inventis 1bidem pro parte ignis 
conflagratione Consumptis et pro parte nequiter asportatis, et 


dé hïüis, que adeo érant notoria, quod nulla poterant tergiver- 


satione celari, eidem archiepiscopo satisfacere non curabant, 
moniti diligenter, excommunicationis sententiam, exigente 
justicia, promulgavit. Quare dictus archiepiscopus nobis hu- 
militer supplicavit ut dictam sententiam faceremus firmitatis 
robur debitum obtinere. 

Quocirca fraternitati vestre, per apostolica scripta, manda- 
mus quatinus sentenciam ipsam, sicut rationabiliter est pro- 
lata, authoritate nostra, usque ad satisfactionem condignam, 
appellatione remota, observari inviolabiliter faciatis et, ubi 
et quando expedire videritis, solempniter innovari. Quod si 
predicti excommunicati eam, postquam ipsam constiterit fore 
rite prolatam, per unum mensem animo sustinuerint indu- 
rato, ex nunc contra illos charissimorum in Christo filiorum 
nostrorum Francie ac Navarre regum illustrium ac dilecti 
fil nobilis viri ducis Burgundie auxilium, prout opus fuerit 
et protervitas eorundem nobilium exegerit, invocetis, nonob 
stante aliqua sedis apostolice indulgentia, cuicunque persone 
sub quavis verborum expressione concessa, per quam effectus 
présentium impediri possit vel etiam retardari, etiamsi de 
ipsa plenam et expressam oporteat in presentibus fieri mentio- 


_— 94 — 
nem. Quod si non ambo hiis exequendis potueritis interesse, 
alter vestrum nichilominus exequatur. 


Datum Anagnie, 11 nonas februarii, pontificatus nostri 
anno quinto. 


XIV 
1259 (28 avril). 


Sommaire d'une bulle du pape Alexandre IV, confirmant le statut par 
lequel l’archevèque et le chapitre métropolitain de Besancon avaient 
interdit l'accès des dignités ecclésiastiques aux descendants; jusqu'au 
quatrième degré, de ceux qui auraient tué, blessé ou séquestré l'un 
des chanoines. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


ALEXANDER pontifex, ad supplicationem et precem ar- 
chiepiscopi et canonicorum, confirmat decretum ab ipsis la- 
tum quo statuerunt ut si aliquis laïcus, cujuscunque condi- 
tionis vel dignitatis fuerit, occiderit, vulneraverit seu temere 
* ceperit aliquem de canonicis ecclesie supradicte, filui sui per 
rectam lineam descendentes ab illo, usque ad quartum gra- 
dum, non possint in ecclesia predicta aliquem locum aut be- 
neficium obtinere. — Datum Anagnie, 1v kal. maiïi, pontifi- 
catus domini Pape anno v°. 


XV 
1959 (27 juillet). 


Acte des réparations prescrites par le roi de France Louis IX au comte 
Jean de Chalon, à l'effet d'indemniser le chapitre métropolitain de Be- 
sancon des dommages résultant pour lui de la guerre faite à l'ar- 
chevèque par la noblesse de Franche-Comté. 14 

(Cartulaire de Salins.) 


Nos J., cuens d: Borgoingne et sires de Salins, façons sa- 
voir à toz ces qui verront ces présentes lettres que come li 
chapitres de Besençun fust à nos en descort por acoison dou 
chastel que nos et no: genz et nostre fil Hugues, cuens pala- 


2 one 


tin de Borgoingne, et ses genz, aiens fermé ou mont de Pol- 
liez, près de Besençun, nos, par la proière et par la volunté 
le roi de France qui nos envoia l’abbé de Citeaus, havons le 
devant dit chastel abatuz et avons le devant dit mont de 
Polliez rendu et restabli au chapitre, por ce que li chapitre 
l'ait et tigne ensi délivré et en tel franchise comme il le te- 
noit devant ce que nos i fermesiens le chastel. Après, por le 
chastez, les domages et déperdes que nos et nostre fil li devant 
dit cuens et nos genz aviens pris et fait en la terre et ès ho- 
mes de l'iglise de Besençun en fermant et por fermer le de- 
vant dit chastel ou mont de Polliez, li quels domages, chastez 
et déperdes li chanoines et li homes de la dite iglise ont prové 
et asomé xvir xx livres d’estevenens par devant trois prou- 
domes qui hont receu les prueves par nostre acort et par le 
lour, c’est à savoir Petrun de Arlay, trésorier, mon si Henri 
de Ceys, chanteour, mestre Richard de Valgrenant, mestre- 
école de Besençun, nos amis et nos féaus, nos asséons per- 
magnablement à la dite yglise de Besençun xvir livrées de 
rente à estevenens en nosire puis et en nostre muire de Sa- 
lins, à penre et à recoivre et à paier, chascon an ou mois 
d’aoust, au devant dit chapitre ou à son certain message en 
deniers numbrez. Et de ceste assise tenir et emplir et rendre 
chascon an, par ensi comme il est devant dit, nos enloiuns 
nos et nos hoirs permagnablement, et espécialment ces qui 
tendront le puis et la muire devant diz et qui tendront ou 
prendront comme nostre hoir, qui que raisons qui que soit 
de partage ou puis et en la muire devant diz. Et si nos ou li 
nostre voliens racheter dou chapitre, denz an et jour, les 
xvi1 livrées de rente desus nommées, li chapitre doit penre 
les xvn livres devant dites, et nos seroiens quite, nos et nostre 
hoir, de les xvu livrées de rente desus nommées. Et prome- 
tons loiaument et en bone foi, pour nos et pour nos hoirs, 
que nos n'’irons encontre ces choses devant dites, par nos ne 
par autres. Et por que ce soit ferme chose et estable, nos 
havons fait mettre le séel à nostre honorable père et segnor 


1, 200 DIN CHR 
FLN 


A. ‘Jp 
Willaume, par la grace de Deu arcevesque de Besencun, 
avoques nostre séel en ces présentes lettres. — Ce fu fait en 
l'an Nostre Segnor qui corroit par m et ac et zrx, le dimeinche 
après la Magdaleine. 


XVI 
1959 (30 juillet). 


Pension viagère sur les salines de Salins, accordée par le comte Jean 
de Chalon à un charpentier allemand dont il utilisait les services pour 


ses engins de guerre. 
(Cartulaire de Salins.) 


Nos J., cuens de Borgoingne et sires de Salins, facons sa- 
voir à toz ces qui verront ces présentes lettres que nos havons 
doné en fié et en homage à mestre Jehan de Saixon, le char- 
pentier, quinze livrées de rente à estevenens, à sa vie, à paier 
et recevoir chascon an en nostre puis de Salins, lui ou à son 
commandement, à la feste de sent Pere entrant aoust; et est 
devenuz nostre hons liges, sauve la féauté ès citians de Toul 
en Lorregne, à l'évesque de Maez, au segnor de Chosuel, à 
l'abbé de Lisseu et au conte de Bar; et il est tenuz de nos ai- 
dier contre totes genz, fors que contre ses segnor devant 
nommez se il havoient guerre de lour chief; et se il avoient 
guerre empruntée, ou l’um d'auz, où que il o l’um d’aus vos- 
sissent aidier autrui, il ne puet aidier ne doit ses segnors de- 
vant nommez contre nos. En tesmognage de ceste chose, nos 
havons mis nostre seel pendant en ces lettres. — Ce fu fait 
le mecredi après les huitaves de la Magdalene, l'an de l’In- 
carnation Nostre Segnor qui corroit par M et cc et LIx. 


AT LA 


XVII 
1261 (janvier). 


Obligation d’une somme de 260 livres passée au profit de l'archevêque 
de Besançon par le comte Jean de Chalon, cette somme représentant 
la part qui incombait à ce prince dans l'indemnité due au prélat par 
les seigneüûrs de Franche-Comté qui avaient saccagé ses domaines. 


(Cartulaire de Salins.) 


Nos JEANS, cuens de Borgoingne et sires de Salins, facons 
savoir à ces qui verrunt ces présentes letres que nos assignons 
et ballons en nom de vendue à nostre honorable père et si- 
gnour Guillaume, par la grace de Deu arcevesque de Besen- 
cun, et à ces qui serunt arcevesques après lui, por la pais 
: Tiébat de Rogemunt, trèze livrées d’estevenens à paier lui ou 
à son comandement en nostre puis de Salins, au respon après 
la saint Jehan, chascun an, por xn livres d’estevenans, en 
tel manière que nos poiuns racheter les dites xn1 livrées de 
rente denz dos anz por le dit pris; et voluns et comanduns à 
ces qui sunt et serunt en nostre commandement por recoivre 
nostre rente dou puis de Salins et tenrunt nostre table, que il 
les rendunt au devandit terme chascun an; et de ce enloïuns 
nos hoirs. En tesmognaige de ceste chose, nos havons fait 
metre nostre séel en ces letres. — Ce fu faiz l'an de l'Incar- 
nacion qui corroit par mil et ac et saxante, el mois de gen- 
vier. 


XVIIT 
1262 (19 mars). 


Fondation faite par le comte Jean de Chalon de l’anniversaire solennel 
du comte Etienne, son père, moyennant une rente annuelle et perpé- 
tuelle de cent sous concédée, sur les salines de Salins, au chapitre 


métropolitain de Besançon. À 
(Carlulaire de Salins.) 


Nos Jexans, cuens de Borgoingne et sires de Salins, façons 


x 


savoir à ces qui verront ces lettres que nos havons doné à 
7 


LAQB ES 


l'iglise de Besençun, por le remide de nostre arme, et por 
l'arme le conte Estevenon nostre père et por faire son anni- 
versaire, au jor que il morut, en la dite iglise, cent soudées 
de rente à estevenens en nostre rente de nostre puis de Sa- 
lins, à havoir et recevoir chascon an permagnablement en 
nostre salnerie de Salins le jor des Bordes; et Hi chapitres de 
la dite iglise nos ha promis faire l'anniversaire sollempnel 
nostre dit père, chascon an en la dite iglise, au jor que il mo- 
rut, et départir les diz cent souz à ces chanoines qui seront 
présent au dit anniversaire faire ; et nos avons promis au dit 
chapitre garantir et maintenir nostre dite aumogne chascon 
an perpétuelment par nos et par nos hoirs. En tesmognage 
de ceste chose, nos havons mis nostre séel pendant en ces 
lettres. — Ce fu fait le jor de Miquaroime, l'an Nostre Se- 
gnor qui corroit par m et GG et Lxr, à Besençun 


e 


TABLEAU ANALYTIQUE 


DES 


FAMILLES DE LA FLORE DE FRANCE 


Par M. Ch. GRENIER 


DOYEN DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE BESANÇON. 


Séance du 17 Mai 1873. 


EMBRANCHEMENT I (1). 
PHANÉROGAMES où COTYLÉDONÉES. 


Végétaux pourvus d'étamines et de pistil....,,...... de. etre 
4 


EMBRANCHEMENT IL. 


CRYPTOGAMES ou ACOTYLÉDONÉES. 


Végétaux dépourvus d'étamines et de pistil,....,...... 248 


CT 


(1) Les premières divisions adoptées dans ce tableau vn’étant pas identiquement 
celles de notre Flore de France, sont quelquefois sans citation de page; mais cela est 


sans inconvénient, attendu que leurs subdivisions conduisent ensuite directement dux 
familles. 


— 100 — 


DIVISION I. 


EXOGÈNES OU DICOTYLÉES (1. p. 1) (1). 


Tige formée de couches concentriques (écorce et bois), avec 
canal médullaire au centre. Feuilles à nervures ramifiées et 
anastomosées, rar. réduites à des phyllodes ou à des 
écailles. Fleurs tantôt dipérianthées (calice et corolle), 
tantôt mono ou apérianthées ; div. ord. 5, ou multiples de 
5, cotylédons deux, opposés et rar. soudés en un seul,,... 3 


DIVISION II. 


ENDOGÈNES PHANÉROGAMES OÙ MONOCOTYLÉES 


(3. p. 163). 


Tige non séparable en 2 zones ou couches concentriques, 
formée de faisceaux fibro-vasculaires épars dans le tissu 
celluleux. Feuilles ord. simples, à nervures presque tou- 
jours simples et parallèles, parfois réduites à des écailles, 
ou nulles. Divisions florales 3, ou multiples de 3. Un seul 
COLYIÉ OR en a ae met afeteue RE D MAN, 


(1) Obs. Dans l’analyse des dicotylées, je n’ai pas fait figurer toutes les monocotylées 
à feuilles larges et à nervures plus ou moins divergentes et anastomosées, parce que, 
dans ces plantes, la disposition des nervures, ainsi que le nombre, l'arrangement et 
l'aspect des parties florales, m'a paru suffire pour les ramener à leur véritable place. 

Ainsi, dans les Monocotylées inferovariées, les Dioscorées ont les fleurs dioïques, 
parfaitement trimêres, et un périanthe à 6 divisions subherbacées sur deux rangs; les 
Hydrocharidées, avec leurs trois divisions florales externes herbacées, et leurs 3 div. 
internes pétaloïdes, ont les fleurs dioïques et trimères, renfermées dans une spathe, 
avant l’anthèse. Enfin les Orchidées, pour la plupart à feuilles linéaires, ont des fleurs 
gynandres, ce qui ne permet pas d'erreur. 

Dans les Monocotylées superovariées, le plus grand nombre des espèces a les feuilles 
linéaires graminiformes et à nervures parallèles. Parmi les espèces à feuilles larges et 
à nervures ramifiées plus ou moins anastomosées, les Arum, avec leurs fleurs apérian- 
thées, réunies sur un spadice dans une spathe, et les Lemnacées réduites à des frondes 
flottantes et à fleurs également apérianthées et monandres, sont faciles à reconnaître. 
Il en est de même des Potamogeton, à fleurs tétramères-herbacées et à inflores- 
cence en épis. Les Asparaginées, les Liliacées et les Colchicacées, à feuilles linéaires, 
se distinguent en outre à leurs 6 divisions florales sur deux rangs et toutes pétaloïdes, 
Les Butomées pourvues de 3 divisions florales externes herbacées et de 3 divisions 
intérieures pétaloïdes, se font reconnaitre par leurs feuilles linéaires. Enfin, les Alis- 
macées, qui simulent les dicotylées par leurs 3 divisions florales ext. herbacées, leurs 
3 divisions int. pétaloïdes et leurs feuilles larges, s'en séparent par le nombre et 
l’arrangement des parties florales, et surtout par l’organisation des tiges, 

D'après cela, j'ai cru pouvoir me dispenser d'ajouter au tableau dichotomique une 
complication qui en rendrait la pratique bien plus dificile, 


Lee : 1: Wu 


DIVISION H. 


DICOTYLÉES (1. p. {). 


Dialypétales (1. p. 1). — Enveloppes florales constituées par 
un calice, et une corolle à pétales libres entre eux ou rar. 
DUIS IDE AVORLENTENT (1) Met eee MANU En RE EL 
3 Gamopétales (2, p. 5). — Enveloppes florales constituées par 
ÿ un calice, et une corolle à pétàles plus où moins soudés 
CIRE EUX (2 he Mers te ie siale bte le sole lee ieate site ele ee ere LUI 
Apétales (3, p. 1). — Enveloppes florales réduites à un pé- 
rianthe (calice ou corolle), ou nulles. Ovules contenues 
dans un ovaire, comme dans les deux classes précédentes. 163 
Gymnospermes (3, p. 151). — Enveloppes florales nulles. 
Ovules non contenus dans un ovaire fermé..,.,...,..,.... 209 


CLASSE I. — Dialypétales (Sp), 


Sous-classe TL. — DrALYPÉTALES HYPOGYNES. 


Pétales et étamines indépendants du calice, insérés sur le 
réceptacle, ou sur un disque hypogyne situé sous la base 
dumshlQuairet libre... aile eee 


Æ 


Sous-classe 2. — DIALYPÉTALES PÉRIGYNES O4 ÉPIGYNES. 


Pétales et étamines insérés à diverses hauteurs sur le calice, 
ou sur un disque subhypogyne qui lui est adhérent, et enfin 
épigynes, c'est-à-dire insérés sur l'ovaire, ,,,.,..,..,..., 56 


Sous-classe 1. — DIALYPÉTALES HYPOGYNES. 


BE TUIT:. SEC LU AURONT EN. LS LAIT TRE 6 
Hnnbabaccormern (lies nait con ii Nine Art) 


(4) La corolle manque dans Sagina apetala et dans les genres : Pistacia (Térében- 
thacées); Rhamnus (Rhamnées); Ceratonia (Papilionacées); Isnardia (Onagrariées); 
Peplis (Lythrariées); Scleranthus (Paronychiées) ; Ghrysosplenium (Saxifragées) ; Myrio- 
phyllum (Haloragées). 

(2) La corolle manque dans: Xanthium et Ambrosia (Ambrosiacées) ; Glaux (Primu- 
lacées); Fraxinus (Oléacées). 

La corolle manque dans les genres : Clematis, Thalictrum, Anemone, Caltha, 
Actœæa, appartenant aux Renonculacées, ainsi que dans plusieurs espèces du genre 
Sagina (Alsinées); et quelquefois dans le Lepidium ruderale (Grucifères). D'autre part, 
les genres Jasione et Phyteuma. (Gampanulacées), Oxycoccos (Vacciniées), appartenant 
aux gamopétales, simulent des dialypétales, par leurs pétales à peine soudés à la base, 
mais non atténues en onglet à la base, comme dans les vraies dialypétales. 

(3) Ce caractère n’était guére appréciable lors de l’anthése, j'ai fait figurer les espèces 
de ce groupe, comme double emploi, dans l’analyse du groupe à fruits secs. 


10. 


11. 


12: 


13. 


14. 


15. 


16. 


17. 


18. 


MU L ee 
LL Ta CNE 
CONTENU 


— 102 — 


Carpelles monospermes distincts et ord. nombreux, ou poly- 
spermes et distincts ou soudés entre eux seulement par la 
base et ne formant pas un fruit unique, ou enfin réduits à 
un carpelle unique... s.suesssceustoncoreottnan-sonssees eos 0 

Plusieurs carpelles soudés en un fruit unique et symétrique.. 15 


Un seul carpelle...,.,,.4.,..s0000eu0oous se pes PET UE à 8 
Plusieurs carpelles distincts au moins au sommet..,..,..,.., 10 


Fruit bacciforme. (Etamines 6-8, Oppo- 
sées aux pétales),,,,...,....,....,.. BERBÉRIDÉES (1. p. 54) 
Hit CAPSLANO ER Pre nos spas orse sur ent or SARA T UD 


Un seul carpelle comprimé, mono- 

sperme, dilaté en aile au sommet 

(Bamiare) dés stes PPT ETCLE DE Fraxinus Ornus (2. p. 473) 
Un seul carpelle non comprimé, non 

dilaté, polysperme.......... …..... Delphinium (1. p. 45) 


Efamines en "nombre indéfinii 276 0MiLei SRE. 2.7 RC 
Etamines 51202277 LAN Eee SPP ENUS RE 13 


Etamines à filets soudés en tube qui 
enveloppe l'ovaire........... uses. MALVAGÉES (1. p. 287) 
Fiimines d'flèts libres. Laisse dt ie rest 0 NOIRE 


Fleurs hermaphrodites ..,..,,,...... , RENONCULACÉES (1. p. 2) 
Fleurs unisexuelles monoïques. (Fleurs 

trimères; les mâles au haut de la 

ATAPDO) As Messe teanoeenost0 se DAGITTAHEE (3. p. 167) 


Carpelles 5, verticillés à la base de l'axe 


qui est prolongé en long bec........ GÉRANIACÉES (1. p. 296) 
Carpelles très nombreux, en long épi 
EE TOP Te DONNE © Myosurus (1. p. 17) 


Carpelles nombreux, en capitule ou en verticille.......,,,... 14 


Etamines 6, opposées 2 à 2 aux 3 pé- 


tales. (Fleurs trimères).., ...,...... ALISMACÉES (3. p. 163) 
Etamines 12-15}; sépales et pétales 5... BATRACHYUM (1. p, 19) 
Fleurs régulières ..,...4.4...s.ee ose. s.eessssseresse 16 
Fleurs irrégulières .,,..,,.4,44.s.sesce server 43 
Etamines en nombre indéfini,,.....,.,....,.,.,,.,.......... 17 
Etamines en nombre défini,,....,.,.,...... s's'ile a ie DRE 22 
Sépales 2; pétales 4.,,,..........,.., PAPAVÉRACÉES (1. p. 57) 
Sépales 4-5 ; pétales 4-5.,,,.,..,,,..,,.,...,.. LU GMA PAPE rie 18 


Etamines nombreuses et polyadelphes. HypÉRiINÉES (1. p. 313) 
Etamines nombreuses et libres...., ..,..... RP NES En À) 


19% 


24: 


22. 


23. 


24. 


pS IN 


— 103 — 
Fruit déhiscent....…. FRE ANSE Are NE Et add ec te Of 
Fruit indéhiscent,,..,......... A ETAT NOÉ LOS OS E à 
Un seul style....,,.,,.. AR A ce CISTINÉES (1. p. 159) 


Plusieurs styles..,.,,,,. HELLÉBORAGÉES et PÉONIÉES (1. p. 40 et 52) 


Fruit bacciforme, uniloculaire, poly- 


SHOT ces due ncesnse dre QAPPARIDÉES (L. p. 159) 
Fruit capsulaire, uniloculaire, à 1-2 

PRES ES Gr ua de AUS nat os eus «7 MELIAGÉES (1. p. 285) 
Fruit à loges nombreuses et poly- 

DUOTRER: Laksenr ans sossssessesse NYMPHÉACÉES (1. p. 55) 


Etamines 6, tétradynames. Fruit en si- 
bin: sihioule 4 AE NS. ... CRUCIFÈRES (1. p. 70) 
Etamines toutes égales. Fruit varié...,,.,,,....,....sessve. 23 


Fruit siliquiforme. se subdivisant en ar- 
ticles transvers et monospermes. {Sé- 


pales 2; pétales et étamines 4)..,.,,, Hypecoum (1. p. 62) 
Fruit uniloculaire, sec.,.,.,., DD PU SE CREUSE ASE 
Fruit pluriloculaire, non articulé, sec ou bacciforme,...,.,.,.. 31 
Graines insérées sur des placentas pariétaux...,,,,,,..,,,.. 25 
Graines portées par un placenta central, ou par des funicules 

partant de la base de l'ovaire...... TEE CRU RAT € ARIANE Te 
Styles en nombre égal à celui des pla- 

HEIUE e NMANUANNE Pa vossssess DROSÉRAGÉES (1. p. 191) 
Unseutstyie rat, dvsossmsessess FRANKÉNIAGÉES (1. p. 199) 


Calice à sépales soudés en tube. Eta- 
mines insérées avec les pétales sur le 
HODDBNE sa us des A ane en à ,. SILÉNÉES (1. p. 200) 
Calice à sépales libres ou à peine soudés entre eux par la 
base. Etamines insérées avec les pétales sur un disque hypo- 
OÙ DÉTISYNE, ss oser ee oc HR OA Sc co re DT 


Capsule monosperme. Feuilles stipulées. PARONYGHIÉES (1. p. 607) 
Capsule monosperme. Feuilles sans sti- 


DUIBS Lise PET isoctoodsaidsese SCLÉRANTHÉES V(1 "D. 614) 
Capsuleipplysperme se ete Olsen sueur eat uetiés 28 
Feuilles sans stipules...,... A atete de Fe AR EN Pr els 29 
rénies shipulées »., 4444 A Rate sud fée al eue TN 


Sépales 4-5. (Capsule s'ouvrant par des 

valves; étamines alternes avec les pé- 

ee ae EAN an an à ao ALSINÉES (1. p. 244) 
Sépales 2-3. (Capsule en pyxide, ou à 

3 valves; étamines opposées aux 

DÉAIBS nait dar idees M L'PDRTULAGRES (1. p. 605) 


30, 


31. 


38. 


39. 


40. 


41, 


42, 


CA PP à. 
" 540 14 4 


AE | 
Styles distincts jusqu'à la base..,,,,,, SPERGULÉES (1. p. 274) 
Styles nuls ou soudés à la base,.,,,,., ParonyoniéEes (1. p. 607) 
Pétales munis d'un éperon court. An- 

thères unilobées.,..,.,,,.,,,,.,,,,,,. MONOTROPÉES (2. p. 440) 
Pétales sans éperon. Anthères bilobés..,,..... RMS ER A RE | 
Fruit à 2? carpelles comprimés et dilatés 

en aile au sommet (Samare),,,,,,.., ACÉRINÉES (1. p. 321) 
Fruit capsulaire non comprimé ni dilaté...,.,,,,.,,,,,...,. .. 33 
Fleurs diplostémonées ..,.,.,,,.,..se..esses DEEE es Ja UE 
Fleurs isostémonées..... ds diurne ab el  Ce ERRE 39 
MIPUTS D AEMIETON NN Ur cbr trees ELATINÉES (1. p. 277) 
Hionrs:pentamÈros re een UT MA y PA LP 35 
Etamines soudées à la base par les filets...... RURALE 6: Ve 
Piamines a filets dibres. "ht. -mhe.ce 0 et-Deenande te (NOIRE 
Cinq styles. Graines munies d’une arille 

élastiques’ siiduéan dat otedellas sis tr . OXALIDÉES (1. p. 325) 
Un style. Graines sans arille...,.,,...,, MÉLIAGÉES (1. p. 324) 
Cinq stigmates sessiles et filiformes. 

Fruit formé de 5 carpelles monosper- 

mes et enveloppés par le calice et la 

corolle devenus charnus et simulant 

une baie..... te ae Rene Se à CORIARIÉES (1. p. 330) 
Un style, un stigmate. Fruit sec..,,.:.,.....,.:,.: ap PRE 38 
Calice à préfloraison valvaire. Anthères 

extrorses, s'ouvrant par un pore. Fruit 

capsulaire non anguleux....,,...., . PYROLACÉES (2. p. 436) 
Calice à préfloraison imbricative. An- 

thères introrses, s'ouvrant en long. 

Fruit capsulaire anguleux....,,..,., ZYGOPHYLLÉES (1. p. 327) 
Fleurs trimères. 3 étamines,,.,....,., Elatine triandra (1. p.279) 
Fleurs pentamères....s...suseseeovnesesesss Fous otre 40 
Plusieurs styles, ou plusieurs stigmates sessiles..,,..,,.,.... 41 
Un seul style....... RAC D ES Re Re RS ARE RS AE 
Ovules insérés à l'angle interne des 

loges Let OU O-TANÉES (1. p. 279) 
Ovules portés par un placenta central., ParoNyonTÉES (1. p. 607) 
Etamines opposées aux pétales. Préflo- 

raison valvaire. (Fruit bacciforme)... AMPÉLIDÉES (1. p. 323) 
Etamines alternes avec les pétales. Pré- 

flor. imbricative (une capsule)...,,,. CÉLASTRINÉES (1. p. 331) 


43, Fleurs éperonnées ..... NE PO MER tn TR ER Ce a tres de 
Fleurs sans éperon......., Co One abc Lie to TO 7 
44, 4-5 éperons courts...... veu v...sse MONOTROPÉES (2. p. 440) 
ÜUn)seul'éperonmi 2e des Haas 240 MN: os ae se UD 
Li ST ES CAN ON EE EE ee .. FUMARIACÉES (1. p. 63) 
SC CENEEN  PRRe es A D nn CR ne Yan le 2 RD 


46. Capsule à 5 loges, à placentas axiles... BALSAMINÉES (1. p. 325) 
Capsule uniloculaire, à placentas parié- 


LL RÉPARER SHÉRNTNR ut CO VIOLARIAGÉES (1. p. 175) 
47. Sépales soudés en tube à 5 dents iné- 
BIOS escort MRC re RARE HYPOGASTANÉES (1. p.323) 
Sépales libres ....,... PPÉPCE eee A ARTE RER . 48 
48. Fruit capsulaire à 2 loges monospermes. PoLvGALËEs (1. p. 194) 
Fruit capsulaire, uniloculaire, poly- 
SPEFME sretératalorate) ctelatat etat dde RÉSÉDACGÉES (1. p. 187) 
49. * Feuilles bi-pennées ou bi-tri-ternatiséquées,......, RARES Se 50 
Feuilles simples, entières ou lobées......,,.,,...,.,.,..,.... 1 


90. Etamines à filets libres. Ovaire à une 
loge multiovulée. Feuilles bi-tri-ter- 
HALISÉQUÉES: sat rare eee ete tetero etes ACTÆA (L. p. 51) 
Etamines à filets soudés en tube. Ovaire 
pluriloeulaire, pluriovulé. Feuilles bi- 


POMNOBS AE Er set armere es ep à vs. MÉLIACÉES (1. p. 324) 
5" -Etamines en nombre indéfint....,.1:....,244..00.,. M ME A 
Etamines en nombre défini.......,.,...,,.,.,.. PAR DES FT 93 


92. Etamines polyadelphes (fleur jaune)... Androsæmum (1. p. 320) 
Etamines libres ou à peine soudées à la 


base (fleur d'un blanc rosé)..,.,.,.,., Capparis (1. p. 159 

53. Fleurs diplostémonées..,..,,,,.,...4,,... RE Do troc 0108 

Piénts 1908 6MORÈBS, ue le ee Bee NOM 55 

54. Etamines 10, 5 alternes avec les pétales. Cucubalus (1. p. 201) 
Etamines 6-8, opposées par paire aux 

pétales... .:.. HA He Re eh: BERBÉRIDÉES (1: p. 54 


9». Etamines 5, opposées aux pétales. 
(Fleurs hermaphrodites ou polyga- 
mes) ,..,., res API MIT Ne LA TAREAEN AMPÉLIDÉES (1. p. 323) 
Etamines 2-3. Fleurs trimères dioïques \ 
OÙ polVgames. ', , 4er ess... EMPÉTRÉES (.:p; 93) 


96, 


61, 


65. 


66. 


— 106 — 


Sous-classe 2. — DIALYPÉTALES PÉRIGYNES OU ÉPIGYNES. 


Ovaire libre, ou soudé par la base au calice, c'est-à-dire pétales 
et étamines fixés sur un disque soudé au calice, et tantôt non 
soudé à l'ovaire qui reste libre, ou tantôt soudés en outre 
avec la base de l'ovaire...,......,... ee JON R EME OA 
Ovaire'soudé avec le calice (O=infère)...5,.. Mme tn. 081 


X. Ovaire libre, ou soudé par sa base au calice. 


Fleurs irrégulières. (Ovaire entièrement libre)...,,,.,,,..., 58 
Fleurs régulières. (Ovaire libre, ou soudé par la base au calice). 61 


Etamines mono-diadelphes..,,,,.,,,., PApirionNAGÉES (1. p. 341) 


Btdmines DT ee une laeare ses see dec ere ECO 
GCOOUS MIE een cs oo COTON (1. p. 511) 
Corolle PARA, 0e posa me ons unie cc CON TS 
Feuilles orbiculaires-cordiformes, ,,,.. Cercis (L. p.510) 
Feuilles trifoliolées...,.,,....,..,...,. Anagyris (1. p. 343) 
Ovaire formé de carpelles distincts polyspermes, ou mono- 
spermes libres ou soudés à la surface d'un réceptacle inséré 
SULUPICAIICE de. Na ee ee de See alle ee RNA TR TT TES 
Ovaire à un seul car pelle, ou formé de carpelles soudés en un 
ÉT IOME sr ren Pr E NC UC sblliates as ee AT RL 
Etamines nombreuses, 12-20 ou plus.....,....,,..,,,,,.,.1,,."1063 
Etamines en nombre défini...... RS CINE TE RE à à (y 
Carpelles polyspermes....., RE A ES NES ACT da PRE 64 


Carpelles monospermes fixés à la RE d’un réceptacle repo- 
sant sur le calice, ou enveloppés par le calice épaissi et sec, 
ou charnu, et simulant un carpelle unique....,,.,,..,..,.., 65 


Pétales 5 ANDreS Een MEET SPIRÉES (1. p. 517) 
Pétales 7-20, un peu soudés à la base,, Sempervivum (1. p.628) 


Carpelles nombreux, rar. {-2, réunis 


sur un réceptacle sec ou charnu...., ROSAGÉES (1. p. 516) 
Carpelles enveloppés par le calice sec ou charnu, et simulant 
un carpelle unique...... PAR tu OP ERP DT Ua 


Carpelles nombreux dans le calice le- 

venu pulpeux à la maturité...,..,,, Rosa (1. p. so1) 
Carpelles 1-2 dans le calice induré-li- 

gneux à la maturité, et couronné par 

de nombreuses spinules recourbées.. Agrimonia (1. p.561) 


S Sr d LR _ 
WE Te 


67., 


68. 


69. 


70. 


41: 


72: 


73. 


74. 


79: 


76. 


77. 


78, 


— 107 — 
Carpelles 3-20, polyspermes...,,,..,.., CRASSULAGÉES (1. p.615) 
Carpelles ?, polyspermes......,., v11:: SAXIFRAGÉES (1. p. 636) 
Etamines 12-20 ou plus (un seul car- 

HE re idenirens et RONA Arte +. AMYGDALÉES (1. p.511) 
GROS a OT One ete nine don cree RATEANOE ROSE HAE 69 
Fruit bacciforme ou drupacé....,.,.,.4.,,,,,, SANTO AE tent. 70 
Fruit capsulaire....,....4,, APE PE res vote ÉRCANIS PATES 


Etamines alternes avec les pétales. 
1 style, 1-4 noyaux mono-dispermes, TÉRÉBENTHACÉES (1. p. 338) 
Etamines opposées aux pétales. 2-4 noyaux ou pépins mono- 


SHÉTIIES uen FE AB Fat Me nn SE 
Un drupe. 2-4 styles. 2-4 noyaux osseux. RHAMNÉES (1. p. 334) 
Une baie. 1 style. 1-4 pépins...,,.,.... AMPÉLIDÉES (1. p. 323) 
Capsule uniloculaire au moins au sommet.,,,....,. ARTN me A 
Capsule pluriloculaire au moins à la base. .,,,.... RENTE 78 
Placentas pariétaux, situés sur le mi- 

MÉMOOS EMAR RN en ne à one en à 1e cou TAMARISCINÉES (1. p. 599) 
Placenta central, ou remplacé par des funicules partant de la 

base de la loge........ Rte COUR RATE ARR ANERIRRS 74 


Capsule monosperme, indéhiscente ou à 5-10 valves soudées 
par le sommet. Graine portée par un funicule basilaire cen- 


ERA Aus de aies eue en ati oan té de IN TE EE ARENA LE) 
Capsule polysperme, avec placenta central...,....,.... ..... 76 
HELIORPSLDUIRES 28 en dunes TS one à PARONYCHIÉES (1. p. 607) 
Feuilles sans stipules.....:....,:,:.,: SCLÉRANTHÉES (1. p. 614) 


Feuilles stipulées. Styles soudés entiè- 

rement, ou au moins à la base. Eta- 

mines insérées sur un disque calici- 

RE Ra NM ne LS de PR 1 PARONYCHIÉES (1. p. 607) 
Feuilles stipulées. Styles libres dans 

toute leur longueur. Etamines insé- 


rées sur le réceptacle, sous l'ovaire.. SPERGULÉES (1. p. 274) 
Moules Sa SLIDUIAS,. nithseuns vutss NN ee 77 
Capsule en pyxide ou à 3 valves. Eta- 

mines opposées aux pétales...,,..., PorTULAGÉES (1. p. 605) 
Capsule à 6 valves. Etamines ext. alter- 

nant avec lés pétales. ...,,...... ..... Stellaria (1. p. 263) 


Capsule pluriloculaire à la base, unilo- 
CUITE AU SONMEL. ya SNS ASE . PARONYCHIÉES 1. p, 607) 
Capsule pluriloculaire dans toute sa longueur..,,.,... état AT 


— 


19. 


80, 


81. 


82. 


83. 


89. 


86, 


87. 


88. 


— 108 — 
Capsule à loges polyspermes.. ......... LyraRariées (1. p. 593) 
Capsule à loges mono-dispermes......,,..,.......,..,..,... 80 
Fruit arillé. Un style....... PRET « CÉLASTRINÉES (1. p. 331) 
Fruit sans arille ; styles 2-3; capsule bi- 
triloculaire ........ Fat ae NT ET STAPHYLÉACÉES (1. p. 332) 
Fruit sans arille; style 1; drupe sec à 


2-4 noyaux dispermes..,...,,,..... . Üneorum (1: p. 340) 


XX. Ovaire soudé avec le calice. 


Etamines 15-30 ou plus.....,,... ST dt cote ue ne OS EEE 
Etamines 2-10,,.... .... RO ns 87 
Fruit charnu, bacciforme ou drupacé...:,.,..,,..4,...e. 1.02 83 
Fruit capsulaire...,.°..... tee RE STE CPP Eu Dit 


Calice à estivation imbricative. Styles 
2-5, rar. 1. Fruit charnu, à 5 loges et 
rar. à 1-4, à 1-2 ou plusieurs graines 


dans'chaque loger. Un, t een PoMAGÉES (1. p. 566) 
Calice à estivation valvaire. Style 1. Fruit bacciforme, multi- 
loculaire, polysperme...,... PAPIERS De AN ne D ce 12. 704 


Fruit formé de carpelles disposés sur 

deux rangs superposés et séparés par 

une cloison transversale. Graines en- 

tourées de pulpe (Balauste)...,.,.... GRANATÉES (L. p. 575) 
Fruit bacciforme, à plusieurs carpelles non superposés... .... 85 


Calice à 4-5 sépales herbacés. Ovaire 

pluriloculaire; placenta central...., MyrTACÉES (L. p. 602) 
Calice à sépales nombreux, pétaloïdes, : 

presque semblables aux pétales nom- 

breux. Ovaire uniloculaire, à placen- 

tas pariétaux,,. ue. seules ee jsleiètes sl ROAGTÉES (1. p. 631) 


Fruit subligneux, à carpelles distincts 

au sommet et divergénts en étoile, à S 

loves DoNspénes. 0. ee . FICOÏDÉES (L. p. 632) 
Fruit coriace, à 3-10 carpelles non dis- 

tincts et soudés en capsule à 3-6 loges 


bolyspermes, nai. 2454 er PuxiLADELPHÉES (F1. jur. p. 280) 
Fruit pulpeux, bacciforme..... RAT A ENTER À De matte PME SDS < . 88 
Fruit sec, capsulaire..,,..... a SE RG TPPIE La ARRET A RO 
DEVIES Ai ee 2 à PAT ee RTE GROSSULARIÉES (1. p. 634) 


SE TER RATS UE UT RÉRAPSAPRSR RE TE SE PE so Peas RTE 89 


7 FAR 
SHIRE 


r-89: 


90, 


91, 


92, 


93: 


94, 


95, 


96, 


97. 


98. 


99. 


100. 


— 109 — 


Fleurs monoïques ADI QUE ES TRE EU RERO N LUE 90 
Fleurs hermaphrodites..,.,...,.........,... ROC TOR: AN 


Etamines 4, à anthères soudées sur la 

face sup. des pétales. Fleurs dioïques 

GUPOIYSAME., ere. e. vosccoessrs LORANTHACÉES (2 p.13) 
Etamines à anthères libres. Fleurs monoïques ou dioïques.,.. 91 


Etamines ord. triadelphes. Ovaire à 3-5 

loges, Fleurs monoïques ; corolle ga- 

mopétale, 5 fide..... des de ve... CUCURBITACÉES (1. p. 602) 
Etamines 12, dont 3 stériles, à filets et 

anthères libres. Ovaire à 6 loges. 

Fleurs dioïques ; corolle à 3 pétales 

RES Sens ae nana en A ee pe dt HYDROGHARIDÉES (3. p. 316) 


Pétales Libres: ne die ne me tie SAR ME Er (Sd Apr MN: 
Pétales soudés par la base... cessions eseceesecs0 94 
Fleurs pentamères. Fruit à 5 loges et à 

5 pyrènes cartilagineuses unilocu- 


laires. (Feuilles alternes)..,..,.,,,... ARALIACÉES (2. p. 1) 
Fleurs tétramères. Fruit à un noyau 0s- 

seux biloculaire. (Feuilles opposées), CoRNÉES (2. p. 2) 
SPRL ee an cut ire nous 1 0T ons (2. p. 424) 
Style nul; stigmate sessile...,,, Cie TIEIGINÉES (L. p. 333) 
Btaminesi2.s0e, soc, ME En eee. CIRCÉAGÉES (1. p. 585) 
Plus de: deux: étaminessi ss ae san rs der oahsios ANG 06 
Fruit à loges polyspermes....,.,,.,., RO Ed nb ours SA 97 
Fruit à loges monospermes ..,,.,,,.....,..,. SIM RESTE .. 100 


Etamines à anthères soudées en tube à 
la base. Pétales linéaires, soudées par 
la base, à la fin étalées en roue)...,.. Jasione (2. p. 398) 


Etamines" à anthéres libres CNP RER 0 0S 
Etamines 5. (Pétales linéaires, soudés 

à la base et au sommet, puis libres 

au sommet et étalés en roue)... ..,. Phyteuma (2. p. 400) 
Etamines 4-8-10-12..,,,,.,...,.,...,, ss... DC QD OURS FRIC TAC 99 
Capsule à une loge, 10 étamines,...... Stellaria (4. p. 263) 
Capsule à ? loges. 10 étamines..,...,.,. SAXIFRAGÉES (1. p. 636) 
Capsule à 4 loges. 48 étamines...,..., ONAGRARIÉES (1. p. 576) 
Capsule à 6 loges. I? étamines, dont 3 

stériles.,.,,.. MR 2 A Vs fol 24 . HyYpROCHARIDÉES (3. p, 306) 
Etamines 1-8. Style 1, ou 4 stigmates. 

ÉMearpelles RE du cas sus .. HALORAGÉES (1. p. 587) 


Etamines 5. Styles 2. Carpelles 2......, OMBELLIFÈRES (1. p, 661) 


— 110 — 


CLASSE II — Gamopétales. 


Sous-classe 1. — GAMOPÉTALES PÉRIGYNES OU ÉPIGYNES. 


Corolle insérée sur le calice. Etamines insérées sur le calice 
avec la corolle, ou insérées sur la corolle. Ovaire infère,.,, 102 


Obs. Quelques dialipétales périgynes, dans les genres Trifo- 
lium, Portulaca, Montia, ont les pétales plus ou moins co- 
hérents entre eux et figurent ici dans le tableau analytique. 


101, 
Sous-classe 2. — GAMOPÉTALES HYPOGYNES. 


Corolle et étamines sans adhérences avec le calice. Corolle 
insérée sur le réceptacle; étamines insérées sur la corolle 


et rar. indépendantes de la corolle. Ovaire libre, très rar. 
soudéavocde calice she 24 eee Rite sida ee VUS RER 


Obs. Quelques dialypétales ont les pétales plus ou moins 
cohérents entre eux, dans les genres Delphinium, Impa- 
tiens, Fumaria, Corydalis, et dans nos Malvacées,.,,,.... 


Sous-classe 1. — GAMOPÉTALES PÉRIGYNES OU ÉPIGYNES. 


102. Fleurs toutes, ou au moins les mâles réunis dans un involucre 
COMMUNE, caler sr do ui aies ec in PAIE 
Fleurs non réunies dans un involucre commun,,,,,...,.,,,... 104 


103. Fleurs hermaphrodites. Etamines à an- 
thères Libres. ns ensa2 ts DIBSNCÉES (2. p. 67) 

Fleurs unisexuelles , les mâles au moins 

dans un involucre commun. Etamines 
d'antheres Dress ee Etre 0e .. AMBROSIAGÉES (2. p. 393) 

Fleurs hermaphrodites ou polygames. 
Etamines soudées par les anthères.., SyNANTHÉRÉES (2. p. 81) 


104, Fleurs diplostémonées.., ....sssss.sises. ses sutee este . 105 
Fleurs. isostémonéess 22.00 een renceuvit bee ie 
105 rt baccilormetser ec A none Le AC A A ERRRRRTS 


Hruif /Capsulaire x jus avniele y me dt Eye dote 06 le TERRES 


106. Corolle à 4-5 divisions. Etamines 8-10. k 

Ovaire à 4-5 loges,...,.,.,..,,.,,.,, VACCINIÉES (2. p. 422) 
Périanthe à 6 divisions sur deux rangs. 

Etamines 6. Ovaire à 3 loges..... 12. Tonus (3. p. 235) 


AU TI M NA ne. ects Rte an EE 
Plusieurs styles. .:,......27.. An ER Bon LE 


108, 
109. 
110. 
111. 
112. 
113. 


114, 


115, 


116, 


117. 


118 


119. 


— 111 — 

Ovaires à 3 loges. Capsule indéhiscente 

ou 3-valve. Feuilles alternes,...,..,. STYRACÉES (2. p. 470) 
Ovaire uniloculaire. Capsule en pyxide. 

Feuilles inf. opposées..........,.,.. Portulaca (L. p. 605) 
6-20 carpelles distincts, polyspermes. 

AE ED Ta lg AR LATE Gil Sempervivum (1. p. 628) 
» carpelles distincts, polyspermes. Sty- 

ES RAR Ta TAN LS ot Be EPP PET MERS Umbilicus (1. p. 630) 
3 carpelles soudés en capsule trivalve, 

1-sperme.:Btyles 3:44 ads a ds DioscoréEs (3. p. 235) 
HÉROS EE à 2e medio Pace ne ofe De 598 2 CO UE En 111 
Feuilles opposées ou verticillées,......... .. Ro RER ue 118 
Etamines soudées par les anthères ,,,,,.,.... .. NOUS DS 112 
Etamines à anthères libres entre elles.................:..,... 113 
Fleurs irrégulières et labiées...,,.... LOBÉLIACÉES (2. p. 395) 
Fleurs régulières; corolle en roue.... Jasioné (2. p. 398) 
Etamines à filets libres entre eux........,...,.,.... REUTERS CL 
Etamines 4 filets mono-polyadelphes.,,......,,,,.,........ ah 7 
Fruit bacciforme (Hédéracées)..,..,.... ARALIACÉES (2. p. 1) 
Fr) CASE, 4 cure avides ee did Csani  IO 
Fleurs dioïques. Etamines 6. Styles 3. 

Capsule à 3 loges 1-2-spermes,,.,,,,, Dioscoræa (3. p. 235) 
Fleurs hermaphrodites. Etam. 5. Style 1. Capsule uniloculaire, 

polaperme hs ie 4 DES Se ER CE 
Etamines opposées aux divisions de la 

DOCONES RENE AS 7e de datent ds SGNOUES (2. p. 468) 
Etamines alternes avec les divisions de 

Ja COLOLLE ES Ne ARR MR MONET CAMPANULAGÉES (2. p. 397) 
Etamines mono-triadelphes. Fleurs uni- 

sexuelles régulières. .,.,,.,.4.,::,..: CucurBITAGÉES (1. p. 602) 
Etamines diadelphes. Fleurs herma- 

phrodites, irrégulières, ..,,,..,.,,. Trifolium (1: p. 403) 
Styles DEA SL ee lee ee Sa Le CREER ER E,) 119 
IE ace mines eur un anseatti nt OR EN NE, JD 


Styles 3-5, libres au moins au sommet. 

(Capsule polvsperme) .,,,,,,..,..,.. PORTULAGÉES (1. p. 605) 
Styles 2, libres au moins au sommet, 

(Fruit formé par ? akènes monosper- 

ASE PET à Su neo 8 € pe men Le LÉLUHEAGEEE (2. p. 12) 


120, Fruit sec. Etamines 1-3........,.,.... VALÉRIANÉES (2.:p. 5?) 


Fruit bacciforme ou drupacé. Etamines 4-5........,..,...,.., 121 


121. 


122. 


123 


124 


125 


126 


RAT 
Etamines à anthères soudées sur la face 
interne.des pétales...,,....., vives. LORANTHACÉES (22n:9) 
Etamines à anthères libres,.,,,.,,..... FN EURE ANR À se NOR) 


Fleurs tétramères. Fruit renfermant un 

seul noyau osseux..... Re à ÉARS CoRNÉES (2. v-4 
Fleurs ord. pentamères. Fruit renfer- 

mant une ou plusieurs graines carti- 

lagineuses et non osseuses.......... CAPRIFOLIACÉES (2. p.5) 


Sous-classe 2. — GAMOPÉTALES HYPOGYNES. 


Etamines à anthères toutes ou en partie uniloculaires........ 124 
Etamines à anthères bilobées et biloculaires..,,... RAR 127 
Etamines soudées par les-filetss ut Jiti. Lanta. sec 125 
Etamines à-filets libres entre‘eux.....,.1.,.,42.....0,..3000 126 
Etamines très nombreuses, soudées en 


tube dans leur moitié inférieure et 


enveloppant l’ovaire....,..,.,.,,,., MALVACGÉES (1. p. 287) 
Etamines 8, soudées par 4 en deux fais- 
ÉBRRES RAM APE AL AL: SU ee JU , POLYGALÈES (1. p. 194) 


Etamines 6, soudées par 3 en deux fais- 
ceaux. ( Anthères latérales unilocu- 


laires, les centrales bilobulaires...,.,. FUMARIACÉES (1. p. 63) 
MARINES D Rae ee do metres ae ete VERBASCÉES (2. p. 547) 
Etamines 4, didynames.,...,..,,,.... . SCROFULARIACÉES (2. p. 062) 
EÉtAInes RESTE CERTA CTAAU e LENTIBULARIÉES (2. p. 411) 
Fleurs éperonnées et irrégulières. ,..,,....... ........ URL D 
Fleurs non éperonnées, régulières ou irrégulières, ..... gr 
Etamines nombreuses, libres, ,...... .. Delphinium , (1. p. 45) 
Etamines 8, soudées par les anthères,, /mpatiens (1. p. 325) 

. Etamines diadelphes...... nacetlans. Aro ur (L. p. 403) 
Etamines libres ou un peu soudées à la base..... dé Je IR 130 
Fruit sec...... sers eu Re ET ATOUT ste Te CITE 
Fruit drupacé ou bacciforme...... Natetee store tele efetelo (ie CDI 159 


. Etamines en nombre double de celui des div. de la corolle.., 132 


Etamines en nombre égal à celui des div. de la corolle......,, 136 
Etamines en nombre moindre que celui des div. de la corolle, 149 


. Fruit formé par 6-20 carpelles distincts. Sempervivum (1. p. 628) 


Fruit formé par 5 carpelles distincts... Umbilicus (1. p. 630) 
Fruit formé par une capsules: 20, SHELL 0 NRRS 133 


— 113 — 


133. 2-Æstyles.......... PR UT “eus. EBÉNACÉES (2. p. 469) 
Unés ile enasr AE R A  Dr SR ie A ANT EURE tas (34 
134, Anthères s'ouvrant par un pore........ ERIGINÉES (2. p. 425) 
Anthères s'ouvrant en long................ Sr CR NT de EU 135 
135. Ovaire à 3 loges. Feuilles alternes...., Siyrax (2. p. 470) 
Ovaire uniloculaire. Feuilles inf. oppo- 
SÉeS(DYXMIG}r à à à 6 4 o cut dd RL Portulaca (1. p. 605) 
136. Etamines opposées aux lobes de la corolle....,...,..... vers 197 
Etamines allernes avec les lobes de la corolle,.,......,.,,,,. 138 
137, Style 1. Ovaire uniloculaire, multiovulé. 
Placenta central. Fruit à deux ou plu- 
HICUPS SCALE 4, LUN MST +... PRIMULAGÉES (2. p. 445) 
137. Styles 5. Ovaire uniloculaire, uniovulé. 
Placenta nul. Fruit utriculaire, mono- 
sperme, renfermé dans le calice pen- 
DRAP En ele tenae u V1 delete +... PLUMBAGINÉES (2. p. 132) 
112 re 0 RME ED AMAR RRRE UE. Ye MB LiNÉES (1. p. 279) 
PRE ANT TA EL En LR EAN USE ME ere 139 
139. Ovaire formé de 4 akènes ou de 2 carpelles distincts......... 140 
CAFE CONS ULÉARE UT fruit Unique: 1.1.0 eee Gran 142 
140. 4 akènes indéhiscents. Feuilles alternes. BoRRAGINÉES (2. p. 507) 
? carpelles déhiscents. Feuilles opposées................,.,.. 141 
141. Etamines libres. Pollen pulvérulent. 
Graines sans aigrettes....,.....,.... APOCYNÉES (2. p. 476) 
Etamines soudées par les filets. Pollen 
en masse solitaire dans chaque loge 
de l'anthère. Graines munies d’une 
disrebie tu drain en PA +... ASCLÉPIADÉES (2. p. 478) 
142, Fruit s'ouvrant en pyxide ou indéhiscent,.,,...... , nes UE 
Fruit à déhiscence non cireulaire...,..,.,... DR ee PRET Eu 
143, Style 1. Plantes munies de feuilles... PLANTAGINÉES (2. p. 119) 
Styles 2. Plantes dépourvues de feuilles. CuscuTacéEs (2. p. 503) 
144. Style nul. Ovaire à 4 loges. (Un drupe ; 
feuilles épineuses))..,,.,...., due ÉDICINÉES (1, p. 333) 
Styles 1-2. Ovaire 1-2-3-loculaire, .., .....,,... UT eee «à ILES 
145. Ovaire uniloculaire. Deux placentas pariétaux....,,,,,.,,,... 146 
Ovaire bi-triloculaire. Placentas axiles..... ent irait 147 
146. Corolle à préfloraison contournée ou 


IMAHDUQUÉE pese léee à v5001+ GENTIANÉES (2. p. 482) 
Corolle à préfloraison quinconciale..., RamonpracËes (2. p. 506) 


8 


148 


149. 


— 114 — 
147, Ovaire triloculaire. Capsule triloculaire. 

LS RTC TE get ARS EEE SAS AA SEE POoLÉMONIACÉES (2. p. 498) 
Ovaire biloculaire. Capsule 1-2-loculaire. Stigmates 1-2,,,.... 148 
Dovenanl=9 graines. 4,446: Versaacs .. CONVOLVULAGÉES (2. p. 499) 
DoPeSIpolySper mes... 4e 0h eue 1... SOLANÉES (2. p. 541) 
Fleurs régulières...,...,.. se SU Ts AE nt or ER 150 
Hours arrévulières. ! sua eth rates en ea ee ES 
Pétiole non articulé ; feuilles simples. “À 


150 


L 


151. 


156. 


157 


158 


159. 


Corolle à 4 divis. Ovules pendants... OLÉAGÉES (2. p. 470) 
Pétiole articulé, portant une ou plu- 
sieurs folioles. Corolle à 5-8 divisions. 


Ovules dressés, 45... ASE tele JASMINÉES (2. p. 475( 
Fleurs en capitule dans un involucre 

CODE ER Eee lee nn ste te GLOBULARIÉES (2. p. 754) 
Fleurs non en capitule, et dépourvues d'involucre,..,.,,, MR 
Fruit quadrilobé (4 nucules)..,..,,.. ane 7008 dos sed dt SRE 
TN TELE a TR A Ar rs PR AMEN ne eee QUO 
Style naissant de la base des nucules... LABIÉES (2. p. 645) 
Stylesterminal sis SX RSA RUr tes VERBÉNAGÉES (2. p. 717) 
CODE MOPACÉBN ANNEE «ee els tete te eine er RUN ETES 155 
Corolle labiée onipersonée ne teste uen ER 156 
Etamines 5; anthères unilobées et uni- 

loculaires .…....... dr nesht els . VERBASCÉES (2. p. 547) 
Etamines 2; anthères bilobées, bilocu- 

AIT ES NT RS re ee 1e cjefeio af . Veronica (2. p. 585) 
Etamines 2; anthères unilobées, unilo- 

culaires. (Fruit uniloculaire)..,,...,, LENTIBULARIÉES (2. p. 441) 
Etamines 4, didynames ; anthères bilobées, biloculaires.,.... 157 


Plantes parasites, non vertes; feuilles 
réduites à des écailles....., DE) ERO DIU Se OROBANCHÉES (2. p. 623) 
Plantes non parasites, à tiges et feuilles vertes... ,,,,,,....,., 158 


Placentas 4, formant un axe central qui 

lors de la déhiscence devient libre, ou 

se subdivise et reste adhérent aux 

bords des valves. Albumen charnu 

OÙ COTNÉ: 5 Mess es rue “uses OCROFULARIACÉES (2. P. 562) 
Placentas fixés sur le milieu des valves. 

Albumen nul. ,..c..svssesesoessee JACANTHACÉES . | (2:p/ 416) 


Feuilles épineuses et alternes,,,,,,,.,, ILIGINÉES (1:D5334) 
Feuilles non ÉPINEUSES, ses eermessoneenmenennesenensenennennns 160 


160, 


161, 


162. 


163. 


165. 


166, 


— 115 — 


Arbrisseaux à feuilles opposées.,..,,,, OLéAGÉEs (2. p. 470) 
Hanes 2/feuilles altemes Nr rs een 161 


Pédoncules extra-axillaires ou termi- 
RES De a ent dre ordi alhaire et VISOMME (2. p. 542) 
Bédoneulesailidires. 41e ec ee AR ete RAM tn AE AR EE A RO 


Etamines en nombre double de celui 

des div. de la corolle.....,.,....,,.,, EBÉNACÉES (2 p. 469) 
Etamines en nombre égal à celui des 

div. de la corolle....,,,,..,,,...,..,, Menyanthes (2. p. 497) 


CLASSE III. — Apétales. 


Sous-classe 1. — APÉTALES NON AMENTACÉES. 


Fleurs pourvues et rar. dépourvues d'une enveloppe florale 
(périanthe, périgone), les mâles n'étant pas en chaton: Eta- 
mines en nombre défini (1-10 et rar. 12). Fruit sec ou bacci- 
forme, uniloculaire, monosperme, indéhiscent; ou sub- 
divisé en ?-3-4 coques monospermes et indéhiscentes; ou 
plus rar. capsulaire et à 3-6 loges polyspermes. Feuilles 
AVÉCIOU SANS StIpUleS ee TO A LIU 


Sous-classe ;2. — APÉTALES AMENTACÉES. 


Fleurs unisexuelles, diclines.Fleurs mâles souvent dépourvues 
d'enveloppe florale (périanthe), munies d’involucre ou d'é- 
cailles, disposées en épis qui tombent après la floraison, en 
se désarticulant (chaton); fleurs femelles pourvues ou non 
de périanthe, disposées où non en chaton. —-Arbres ou ar- 
brisseaux. ti, dette da ER RAR AN sa, 207 


Sous-classe 1. — APÉTALES NON AMENTACÉES. 


TU) PATRON O anale ee qe da see a se ele ans I ONE RL N UTOD 


OvaireNDre st re ee ARIANE RL 2 RES NEA ne PR CNT 


A. Ovaire infère. 


Etéitiunique, uniloculairéitsisditanti aan rar 166 
Fruit pluriloculaire et indivis, ou subdivisé en coques, ou con- 
stitué par des akènes distincts...... SPA ET NM PEN A NI 


Houihabeiforme.s Jo et acaseentiovone net tiers Le 
Entiticapsulaire., same romeo es eessnals en ieesioe 168 


— 116 — 


167, Fruit bacciforme, pulpeux, polysperme. 
8 placentas pariétaux ; tiges non vertes 
et couvertes d'écailles imbriquées,.,., CYTINÉES (3. p. 70) 
Fruit bacciforme, succulent, mono- 
sperme. Ovule dressé sur le fond de 
la loge. Feuilles opposées........... LORANTHACÉES (2. p. 3) 


168. Fruit capsulaire, polysperme, bivalve.. Chrysosplenium (1. p. 660) 
Fruit capsulaire, monosperme, indéhiscent..,.,.,.,,,,,,,...,., 169 


169, Feuilles verticillées, simples. Etamine 


UNE seemresereeses er de OCDE .. HYPPURIDÉES (1. p. 589) 
Feuilles inf. verticillées, bi-tripennati- 
partites. Etamines5,.,.,.,,,,..,,.., Ambrosia (2. p. 395) 


* Feuilles alternes ou opposées. Etamines 5 ou plus....,,,,,,,, 170 


170, Feuilles toutes alternes. Fleurs herma- 
phrodites. Périgone 4-5-fide. Etamines 
4-5, Ovaire 2-4-ovulé...........,..., SANTALACÉES (3. p.65) 
Feuilles inf. opposées, les sup. alternes. 
Fleurs unisexuelles; périgone à ? di- 
visions, ou tubuleux. Etamines 12-20. 
Ovaire uniovulé..,,... AR NA Es Theligonum (3. p. 110) 
AA SECUI EILON SUD AMASE eee creer meet tren RCE 172 
Fruit subdiviséauran Pan Sata) et TEE 173 
172. Fruit déhiscent, à 3-6 loges....,..... . ARISTOLOCHÉHES (3. pP. 71) 
Fruit indéhiscent, à 4 loges, ....,,,.... Isnardia (1. p. 585) 
173, Fruit formé de 2 akènes dans un invo- 
lucreñiétte a RE dur SAT A PAU Xanthium (2. p. 393) 
Fruit formé de 1 akène dans un invo- 
luCre sm rnrien ner ... ... AMbrosia (2. p, 395) 


Fruit subdivisé en 4 coques...,,.,...., Myriophyllum (1. p. 587) 


B. Ovaire libre, 


L] 


174. Fruit se subdivisant en coques distinctes monospermes et in- 


déliScentess-hreet ahR pere enraanen SI So Le 175 

FH Orne d'akènes dISTINCLS. eee rep en nietarete dei ei 176 
Fruit formé de carpelles distincts polyspermes, ou par une sili- 

cule, une gousse ou une baie........ PT ICT IATE st FT 

Fruit capsulaire non subdivisé,.,.,,,,..... He à bite 2H RETS 

175, Fruit subdivisé en 4 coques....,..,,.. CALLITRIGHINÉES (1. p. 590) 


Fruit subdivisé en 2-3 coques,.,,,,.,.,. EuPHORBrACÉES (3. p. 74) 


— 117 — 

176. Fruit formé d'akènes nombreux. (Eta- 
mines nombreuses.).,..,,.,.,...,.., RENONGULACÉES (1. p. 1) 
{Clematis, Thalictrum, Anemone) 

Fruit formé de 4 akènes ou moins par 
avortement. (Etamines 4.),.,..,...,, Potamogeton (3. p. 311) 

Fruit formé de 1-3 akènes renfermés 

dans Île calice induré. (Etamines 1-4 
ou nombreuses.).,.,,,..,..,::°,..,. SANGUISORBÉES (1. p. 961) 

177. Plusieurs carpelles distincts et poly- 
PURE MON ERA TPE ,. Caltha (1. p. 39) 
CASIO EE RE him b res Lepidium ruderale (1. p. 151) 
À JE NE MONTRE OR ER RTE ER PE EE Ceralonia (1. p. 511) 
MIMÉNDAIE RE MA eme tel ua al Ie de Ve a Ve TES 

178. Fleurs apérianthées, unisexuelles en 

anneau sur un spadice dans une 
PHP éternel such tas CATUIM (3. p. 329) 

Fleurs munies d’un périanthe, hermaphrodites, sans spadice ni 

SE NE LE to RAP RARE PE CCE RNA dE MSA PE 
LOPREUNIES COPA T De e ne aies de és ae UE . 180 
MÉMRESSnnles rot eces au ntie de M till 
180. Feuilles bi-tri-ternatiséquées....,..,... Actæa (1 ps) 
Feuilles pennéés..r ,.:..44.4:.4vevivu. Pistacia (1. p. 339) 

181. Styles 6-12. Baie à 10-12 graines carti- 
AIDÉS ea ae bte AN Life es Phytolacca (3, p. 1) 
Styles 2-4. Drupe à 2-4 noyaux osseux... Rhamnus (1. p. 335) 

182. Fruit capsulaire comprimé et dilaté en 
aile. (Samare ; ? étamines.).,.,...... Fraxinus (2. p. 471) 
Fruit capsulaire non comprimé ni dilaté.......... Ja ULebqe : - 183 
183. Plantes réduites à des frondes flottantes. LEMNAGÉES (3. p. 326) 

Plantes munies de racines fixées au sol, de tiges et feuilles 

MODES Nr one dre PAT EN dr MS. 184% 
184./Feutlles stipulées.. .., 6.440000 see ss ess 00 508100 Re A 
Feuilles sans stipules ..... 4m AIMONS PRIS MALE . 191 
185. Stipules intra-pétiolaires...,,......... PoLYGONÉES (3. p. 33) 
Stipules adnées au pétiole.....,,...... SANGUISORBÉES (1. p, 561) 
Stipules libres ou soudées entre elles...,,,..., data Seititi dus. 480 
186. Fleurs monoïques, dioïques ou polygames......, SRE NI DES à .. 187 
Fleurs hermaphrodites:;%:..104 eee ses coment. ce 188 

187, Ovule dressé, basilaire. Embryon droit. 
(Albunen:naul sas dis AU: URTICÉES (3. p. 106) 
+ Ovule courbé et suspendu. Embryon courbé.,.,.,... ..,.... 188 


— 118 — 


188, Fleurs en panicule. Fruit sec. Ovule 

suspendu au sommet de la loge. Al- 

DUMEN MAL 'estaalee à à #0 0.» à vessesse CANNABINÉES (3. p, 311) 
Fleurs en épis unisexuels, ou renfer- 

mées dans un réceptacle creux et 

charnu. Ovule suspendu vers le mi- 

lieu de la loge. Albumen nul. Plantes 

dIBUC TaCIESCEN TA es feras sessssse MORÉES (3. p. 102) 

189. 5 pétales filiformes simulant des éta- 

MINES ISERE PEER PaRoONYCHiéEs (1. p. 607) 

Pétales nuls....., étrange lone OO BAD Pi cu 20 190 
190. Ovule réfléchi et suspendu. Embryon 

droit. Fleurs en fascicules naissant 

avantles feuilles. Samare monosperme 

formée de 2 carpelles. eine ete. ULMACÉES (3. p. 104) 

. Ovule courbé et suspendu. Embryon 
courbé. Fleurs solitaires....,........, Celtis (3. p. 104) 
DEVIS D. der etat rene di lee de Tete PRE M TRES 
DAVID AE Mat T0 OU AT e ETAT ee à e SU TN EU 125 cute ee RS 

192. Fleurs apérianthées, unisexuelles, mo- 

no-dioïques. 2-3 styles..,,........., . NAJADÉES (3. p. 321) 
Fleurs monopérianthées, hermaphrodites.....,... AA D 193 

193, Capsule monosperme, indéhiscente. . 

2'styles mn AN PM AO LL AA ,.. Scleranthus (1. p. 614) 

Capsule uniloculaire, polysperme, déhiscente..,..... 5 1e NES 
194. Capsule à 4 valves (4 styles)..,.,,..... Sagina (1. p. 245) 

Capsule à 2 valves (2 styles)...,....... Chrysosplenium (1. p. 660) 
195. Feuilles verticillées. (Etamines s'ou- 

Vrant'ParT UN IpOres) er eee CÉRATOPHYLLÉES (1. p. 592) 
Feuilles DennéB ait dl ie s in à lala aoie SR Lieu ses NT HE 00 196 
Feuilles simples, éntières ou,10bées,:,....s00 ses 0 

196. Fruit capsulaire comprimé et ailé. (Sa- 

mare.) cs nee nés das reasons Fraxinus (2. p. 471) 

Fruit drupacé peu charnu...... css se PISIGCIG (1. p. 339) 

197. Etamines insérées près de la gorge du tube périgonal...,..... 198 
Etamines insérées sur un disque soudé avec le fond du péri- 

gone, ou situé sous l'ovaire, ,..,,...,,.. PAS ET SO street OU 

198. Fruit polysperme, uniloculaire..,... .. Glaux (2. p. 462) 

Fruit polysperme, pluriloculaire....... s 50e Ne Gene PEN 


Fruit monosperme, uniloculaire.......,... DAS à ie dite 6 DE 200 


199. 


200, 


201. 


206. 


207. 


208. 


— 119 — 
Capsule 4-loculaire........,.....,,,.., Isnardia (1. p. 585) 
Capsule 2-loculaire.. 4.4.5... Pephs (L. p. 597) 


Périgone ord. caduc, non induré ni 

charnu, et ne concourant pas à la 

formation du fruit.............,,.,,. DAPHNOÏDÉES (3. p. 66) 
Périgone à la fin induré ou charnu, en- 

veloppant le fruit et constituant une 

HAUSSE UD AT ES aie sie mtee den fe ins ARR GNÉES (3. p. 68) 


Etamines insérées au bord d’un disque 
situé au fond du périgone. Anthères 
à 2 lobes souvent subdivisées par une 
cloison transversale en ? loges s'ou- 
vrant de bas en haut par un opercule, LAURINÉES (3. p. 64) 
Etamines insérées sous l'ovaire, à la base du périgone. An- 
thères à 2llobes s'ouvrent englons, 2400 state see 202 


Sépales herbacés ou charnus. Fleurs 


sans bractéoles ou à 1-2 bractéoles.. SALSOLAGÉES (3. p. 6) 
Sépales plus ou moins scarieux, Fleurs 
munies de 3 bractéoles..,,.,,.,,,..., AMARANTACÉES (3: P: 2) 


Sous-classe 2. — APÉTALES AMENTACÉES. 


Fruit succulent, syncarpe bacciforme., Morus (3. p. 102) 
PAM HOT SRCCUIOHES 40 252 ME AR RPM a es de RE 


Fleurs femelles situées à l'aisselle d'é- 

cailles simulant un strobile........., Humulus (3. p. 112) 
Fleurs mâles seules en chaton. Ovaire infère..,,,,,,,:,,..... 205 
Fleurs mâles et femelles en chaton. Ovaire libre.,..,.,,.,,..., 206 
Fruit (noix) à 2 valves, enveloppé d'un 

brou. Feuilles imparipennées..,...., JUGLANDÉES (3. p. 113) 
Fruit indéhiscent, à péricarpe coriace 

ou ligneux. Feuilles simples....,,.., CUPULIFÉRÉES (3. p. 113) 


PEUT MOIQUES 0: s coco tons es ce sas SO ALIGINÉES (3. p. 122) 
PIE RONOÏQUES à... à 0080 «aide Mis dut otre dre TT ED 
Chatons globuleux très compactes.,,.. PLATANÉES (3. p. 145) 


Ghatous cylindriques où ovoidés., . es secseseocosene vente e 208 


Fleurs mâles et femelles géminées ou 

ternées à l'aisselle des bractées. 

Ovaire à 2 loges uniovulées. Fruit 
. sec, anguleux ou ailé.,.,,..,.,......, BÉTULAGÉES (3. p. 146) 
Fleurs solitaires à l’aisselle des brac- 

tées. Ovaire à une loge uniovulée. 

Fruit sans aile ni angle,,...,.,,,,,, MyRricées (3. p. 151) 


— 120 — 


CLASSE IV. — Gymnospermes. 


209. Connectif portant 2 lobes d’anthères qui 
s'ouvrent en long. Ovules 2, suspen- 
dus. Graines ailées. Femelles en stro- 
bile ligneux,..... TO Sante +. ABIÉTINÉES (3. p. 151) 
Connectif portant 3-4 lobes d’anthères 
qui s'ouvrent en long. Un ou plusieurs 
ovules dressés. Graines ord. non 
ailées. Femelles en strobile court, li- 
gneux ou charnu............., HE CUPRESSINÉES (3. p. 157) 
Etamines ord. nombreuses, à filets sou- 
dés.en colonne ; à anthères à 1-4 loges 
qui s'ouvrent par un pore. Un ou plu- 
sieurs ovules dressés. Graines non 
ailées. Femelles solitaires ou gémi- 
nées, non en strobile, et devenant 
une fausse baie.,....,.,.,.,,,..0.1.: GNÉTAGÉES (3. p. 160) 


DIVISION IL. 


MONOCOTYLÉES (3. Pp. 163). 


M0 £Ovaireunfère (inferoyariées) nent Nice Are 211 
Ovaire supère (superovariées)..,,..,,.....,,.., F6 bare Reis de ETS 


CLASSE I. — Inferovariées. 


211, Etamines et pistil soudés ensemble 


(fleurs irrégulières, gynandres)..,... ORGHIDÉES (3. p. 264) 

Etamines et pistils libres.,....... NOR TETE bb Etc V2 

212. Tige volubile. Fruit bacciforme,..... . Tamus (3. p. 235) 

Tige non volubile. Fruit capsulaire...........,,,.,,,.,...... 213 

213. Stigmates pétaloïdes. (Etamines 3.),.. IRIDÉES (3. p. 236) 

Stigmates non pétaloïdes...,,... NO qui 20e OR nice + 0 CRT RER 
214, Périgone à divisions toutes pétaloïdes. 

(Feuilles linéaires.)..,.,,,.,......... AMARYLLIDÉES (3. p. 249) 
Périgone à trois div. ext. herbacées, et 


à trois div. int. pétaloïdes, ......... . HYDROGHARIDÉES (3. p. 306) 
Périgone à div. toutes herbacées, ....,, DioscoRÉEs (3. p. 235) 


CLASSE II. — Superovariées. 


215. Périgone régulier, à 6 et rar. à 4-8 divisions pétaloïdes, herba- 

cées, ou scarieuses, sur deux Tangs......ssessss ess AQU A 
Périgone nul, ou formé par des soies, par des ae et par 

MERAMTAGLÉOR ET, de des cie sp eue elle ne He ia none net en NU mie mt AU 

216. Plusieurs ovaires libres, ou soudés plus ou moins, mais dis- 

VER MEME Je asbre den à AMOR LÉinerses i. 352217 

Un seul ovaire...... APE DRE TT RE 1 D Len 0 RS pv 
217, Périgone à div. externes herbacées; les internes pétaloïdes... 218" 

Périgone à div. toutes semblablement colorées...,..,,..... 210 
218, Fleurs blanches. Carpelles 6-12 ou plus, 

mono-dispermes. Placentas axiles... ALISMAGÉES (3. p. 163) 
Fleurs purpurines. Ovaires 6, polysper- 

mes. Placentas pariétaux......,,,,.. BUTOMÉES (3. p. 168) 

219. Périgone à 4 div. ou moins, herbacées. 

(Ovaire formé de 2-6 car pelles libres.) POTAMÉES (3. p. 311) 
Périgone à 6 div. toutes pétaloïdes......,,......., etre 8 20 
Périgone à 6 div. toutes herbacées ou d'un vert jaunâtre...,. 221 

220. Carpelles 6, soudés à la base. Eta- 

RATES OU NAT Le à lee ne ane ein (al ols BUTOMÉES (3 p. 168; 
Carpelles 3, soudés dans leur longueur 

et distincts au sommet. Etamines 6. COLGHIGAGÉES (3. p. 168) 

221. Fruit unique, sec, formé de 3-6 carpelles 

soudés, se séparant à la maturité en 

autant d'ARéRES MEME Een Re . JUNCAGINÉES (3. p. 309) 
Fruit bacciforme indéhiscent......,... AROÏDÉES (3. p, 328) 

22. Périgone à div. pétaloïdes ou scarieuses-colorées, sur deux 

RDS tee tiere: ere tafe ls a re sise RAD CU LES POS 7. 

Périgone à div. herbacées, ou nul.........,....,..,..... cu Ha 
223. Divisions pétaloïdes-scarieuses..,..... JONCÉES (3. p. 338) 

Divisions pétaloïdes non scarieuses...,..,....,.............. 224 
224, Fruit bacciforme indéhisc. (Smilacées).. ASPARAGINÉES (3. p. 227) 

Fruit capsulaire déhiscent............. Ve DEL de RE 
225. Fruit unique, capsulaire, à 3 loges po- 


FYSpérmes .. 7/0 ae Le Lace da LILIAGÉES (3. p. 174) 
Fruit capsulaire formé de 3 pme 
distincis à leur sommet............. CoLcmicacéEs (3. p. 168) 


— 122 — 
226. Fruit capsulaire, unique en apparence 
et formé de 3-6 carpelles qui se sépa- 
rent à la maturité.....,...., SAUT JUNCAGINÉES (3. p. 309) 
Fruit capsulaire uni-triloculaire......, JONGÉES (3. p. 338) 
Fruit bacciforme, indéhiscent...,..... A Connect Par PIE 221 
227. Périgone à 8 divisions sur deux rangs... Paris (3. p. 227) 
Périgone nul, ou à 6 divisions....,..., AROÏDÉES (3. p. 328) 
228. Fleurs agglomérées et sessiles sur un spadice...... Ris 227 
Fleurs solitaires ou fasciculées, sessiles ou pédicellées à l’ais- 
sel os ei RER PANNE NE SM Pr 2 
229, Fruit bacciforme........ senronsedesse so fronsast cs s625 400 
Fruit sec ou obscurément, drupacé, ..., RAM on A REC LT TTOR 
230. Fleurs monoïques. Albumen farineux.. AROÏDÉES (3. p. 328) 
Fleurs hermaphrodites. Albumen nul.. Posidonia (3. p. 323) 
231, Fleurs en épi terminal compact. Albu- 
MOMDAbDONTANLE.- Reset el Hess TYPHAGÉES (3. p. 333) 
Fleurs en épi latéral. Albumen abondant ou nul...... raie 232 
232. Spadice libre en sortant du phyllode et 
recouvert en totalité par les fleurs. 
AlbimenalbDndanteetrice ere ACorus (32p-332) 
Spadice soudé par le dos au phyllode et 
portant les fleurs sur la face libre. 
AJbumen nn EN ie en diner Zostera (3: D 929) 
233. Fleurs pédonculées. Albumen nul......... Te NE 234 
(Fleurs SSSR APE de Times see Ie Ne 239 
234. Deux carpelles comprimés, adossés et 
soudées par le bord interne.....,.... Cymodocea (3. p. 326) 
Deux-quatre carpelles libres et stipités, Ruppia (3. p. 324 
235. Plantes réduites à des frondes flottantes. LEMNACÉES (3. p. 326) 
Plantes munies de racines fixées au sol, et de feuilles..,,..... 236 
236. Feuilles opposées ou ternées. Albumen 


237. 


nul. (Plantes submergées et apérian- 
HhBES Sue ts Ce AAA UE sous NAJADÉES (3..p:821) 
Feuilles distiques. Albumen farineux...,,,..,... Homer nue 231 


Etamines à anthères insérées sur le filet 
par la base et à lobes soudés entre 
eux dans toute leur longueur. Fruit 
(akène) libre, ou renfermé dans une 
écaille utriculaire. Gaine des feuilles 
soudée par les bords et formant un 
Der sen PA LPC RTS RE De «4.1: CYPÉRACÉES (3. p. 357) 


4 4€ 
# “Las 
rA VS AUTRES 


2e 


Etamines à anthères insérées sur le filet 
par leur dos, à lobes libres et même 
divergents aux deux extrémités. Fruit 
(cariopse) libre ou soudé avec les glu- 
melles. Gaine des feuilles à bords 
libres, ou plus rar. soudés...,.,..,., GRAMINÉES. (3, p. 433) 


EMBRANCHEMENT II 


CRYPTOGAMES où ACOTYLÉDONSES (3. p. 623). 


SAMUMEeNSOUCheSOUterraine rs M See UE TT NE MUR O2 
DEMO AERIONTIE 2 20e 0e La aapre die se ee an en OT Sd 


239. Corps reproducteurs (sporanges) nais- 
sent à la face inférieure des frondes 


normales ou modifiées.,.....,....... Fougères (3. p. 623) 
Corps reproducteurs naissant de la souche à la base des 
frondés 44200 MN PS eee anne de pe de SUN A PT UE 


240. Sporocarpes en forme de nucules ou de 

corpuscules naissant à la base des 
feuilles, ou entre les racines......... RHizocaRpéEs (3. p. 646) 

Sporocarpes formés par une cavité creu- 

sée sur la face interne de la base des 


ASS Re stereo Des ee meme ete SORT PES (3. p. 649) 

241. Tige non articulée, munie de feuilles 
OÙ D'ÉCAILIES. 4 0, 2 ee ee a eo mu soma so ct LIVCOPODIAGÉES) 4(3. D: 049] 

Tige articulée, munie de gaines sans 
FOULIIOS SO A ea Pare +... EÉQUISÉTAGÉES (3. p. 642) 


DÉCOUVERTE DE TOMBEAUX 


DANS 


L'ÉGLISE PRIMITIVE DE MOUTIER-GRANDVAL 


Par M. A. QUIQUEREZ 


ANCIEN PRÉFET DE DELÉMONT. 


Séance du 12 juillet 1878. 


En 1869, la Société d'Emulation du Doubs a publié, dans 
ses Mémoires (1), une notice que nous lui avions fournie sur 
l'église et le monastère de Moutier-Grandval. Nous avions 
alors émis l'opinion que l’église primitive, bâtie lors de la 
fondation du monastère, vers l’année 650, était celle dédiée à - 
saint Pierre et qui a servi de temple réformé depuis le sei- 
zième siècle jusqu’après 1859. Elle est déjà citée par Bobolène, 
qui rapporte que é’est dans cette église qu'on inhuma saint 
Germain, premier abbé de Grandval, mis à mort, de 666 à 
670, par les soldats d’Atticus, duc d'Alsace. Bobolène, con- 
temporain de Germain, appelle cette église une basilique, et 
elle fut l’église abbatiale jusque vers le milieu du siècle sui- 
vant : alors on bâtit une plus grande église sur la hauteur 
voisine. La basilique de Saint-Pierre devint l’église paroissiale 
de la localité, et, en 1179, elle appartenait au trésor de Grand- 
val. Elle fut rebâtie en partie sur ses anciennes fondations, 
en 1761, et ses alentours furent convertis en cimetière, après 
la ruine de la grande église, à l’époque de la réformation. 


ee D D ee 


(1) L'église et le monastère de Moutier-Grandval, dans les Mémoires de 
la Société d'Emulation du Doubs, 4° série, t. V, pp. 249-293 (avec un 
plan). 


: — 125 — 


Lorsqu'on rebâtit cette dernière, pareillement sur ses fon- 
dations, en 1859, on découvrit plusieurs sarcophages indi- 
quant des sépultures au moins du onzième siècle. C’est dans 
un caveau, sous le chœur, qu'avait été transférée la tombe de 
saint Germain, comme l’indiquent tout à la fois l'acte de son 
ouverture faite au quinzième siècle et le caveau même que 
nous avons retrouvé et mesuré. Cette église, dédiée à la 
Vierge Marie, comme on le voit dès l’année 769, prit ensuite 
le nom de Saint-Germain, déjà en 866, et elle servit d'hy- 
pogée pour les personnages importants du monastère et ceux 
de la contrée voisine. C'est là que fut inhumé, en 871, Ison, 
le célèbre professeur de Saint-Gall. 

Comme l'église abbatiale de Sainte-Marie et Saint-Germain 
n'offrait pas assez de place pour les inhumations, on établit 
un cimetière en dehors, et il y en eut même un dans la 
prairie, près de la Byrse, à côté de la vieille voie romaine. 
On y a trouvé plusieurs grands sarcophages approchant pour 
la forme de ceux déterrés dans l’église de Sainte-Marie. 

L'église primitive de Saint-Pierre a dù cesser de servir 
d'hypogée pour le monastère, après la construction de l’ab- 
batiale, comme l'indiquent le transfert de la tombe de saint 
Germain, l’inhumation d'Ison, et plusieurs tombes dont nous 
avons vu les restes lorsqu'on acheva de démolir ce monu- 
ment, pour l’édifier à nouveau et en faire le temple réformé. 
En mai 1873, on travaillait encore à extraire les pierres de ses 
fondations, et c’est alors qu'on découvrit des sarcophages ap- 
partenant sans nul doute aux premiérs temps de cette église, 
ou à la période durant laquelle elle servit d'hypogée, soit de- 
puis le milieu du septième siècle jusque dans le courant du 
siècle suivant. 

Ce bâtiment formait un parallélogramme de 19 mètres de 
long sur 9 de large, avec des murs de 80 centimètres d’épais- 
seur, construits en petits moellons et à bain de mortier. Nous 
n'avons pu constater s'il y avait eu une abside semi-circu- 
laire. Lors de sa rebâtisse en 1741, on l'avait élargi d'un 


LA 


UN PURES 
Re 
HE. + 


— 126 — 


mètre vers le sud , et il y avait une tour servant de portail du 
côté de l’ouest. Cet édifice, étant placé sur le flanc d’un co- 
teau, avait des fondations profondes, surtout vers le sud, et 
l’on avait nivelé le sol en remplissant les baissières avec du 
sable de rivière. 

Nous avons constaté qu'il y avait deux étages de sépultures 
dans les matériaux de remblaïi. La couche inférieure et pri- 
mitive, d’une épaisseur d’un mètre, était recouverte d'un 
béton composé de chaux et de tuiles pilées grossièrement, 
véritable réminiscence romaine, comme d’autres parties de 
cette église et de celle de Sainte-Marie. C’est sur ce béton que 
reposait le pavé de la basilique, et c’est dans cette couche 
inférieure que se sont trouvés les sarcophages qu'on va dé- 
crire. 

Ces sarcophages n'étaient pas de niveau, ni dans une direc- 
tion régulière. On voyait que, pour les placer, on avait creusé 
une grande fosse pour chaque inhumation, puis descendu le 
lourd sarcophage en pierre qui restait posé peu régulière- 
ment. On y déposait alors le mort, et l’on plaçait ensuite le 
couvercle, presque aussi pesant que le cercueil et qui fermait 
exactement la tombe. On rétablissait enfin le pavé de l’église, 
qui touchait presque le couvercle des sarcophages. 

Plus tard, et vraisemblablement après la rebâtisse de l’é- 
glise, en 1741, on en exhaussa le sol au moyen d’une seconde 
couche de sable d'environ { mètre 10 centimètres d'épaisseur, 
et on recouvrit cette couche d'un pavé. C’est dans ce deuxième 
remplissage qu'on fit encore quelques inhumations, mais avec 
des cercueils en bois qui, parfois, reposaient sur le couvercle 
même des sarcophages antérieurs. La rencontre de ceux-ci, 
par les fossoyeurs du second âge, a causé la violation et la 
rupture de plusieurs. L'un de ces sarcophages se trouvait à 
l'angle nord-ouest, un autre à l'angle nord-est, tous deux 
tournés en nord-sud, et il y en avait un troisième dans la 
même direction, vers le centre de l’église. Cinq autres sarco- 
phages étaient rangés à la file, sur deux rangs peu réguliers, 


‘pag Le 


du côté méridional, mais tournés la tête à l'ouest et les pieds 
à lorient : l’un occupait à peu près le devant du grand autel 
vers le milieu de la nef, tandis que trois étaient plus serrés 
vers la muraille. IL est probable qu’il y en a encore quelques 
autres dans les parties de l’église non explorées. Un de ces 
sarcophages était construit en grands blocs de tuf, mais tous 
les autres sont d’une seule pièce en calcaire blanc (calcaire 
blanc à nérinées de l'étage corallien), comme la généralité de 
ces sortes de tombes dans nos contrées depuis l’époque gallo- 
romaine. Le couvercle est bombé comme ceux de cette der- 
nière période. Sur l’un d'eux, on remarque une croix grecque 
pattée, et tous sont sans inscriptions ni moulures. Ces sarco- 
phages, fort pesants, sont taillés à la hache, ce que permet la 
pierre dont ils sont faits. Voici les dimensions de l’un d'eux, 
d’une conservation parfaite, que nous avons fait extraire et 
déposer, avec un autre pareil, près de l’église de Chalière, à 
un kilomètre de Moutier. Sa longueur extérieure est de 2 mè- 
tres 10 centimètres ; sa largeur, de 66 centimètres à la tête 
et de 36 aux pieds. Les bords ont une épaisseur de 8 à 9 cen- 
timètres. La profondeur du cercueil est de 30 centimètres à 
la tête et de 21 aux pieds. Le couvercle bombé est un peu 
moins profond, et il s’ajuste exactement sur le cercueil. 

Les autres sarcophages, de même forme et à peu près de 
mêmes dimensions, ont été brisés par les ouvriers. Nous avons 
toutefois été assez heureux pour en trouver un encore intact, 
en sorte que lorsque nous avons fait lever avec précaution 
son lourd couvercle, nous avons pu voir un squelette de 
grande taille, les bras posés en croix sur la poitrine, mais le 
tout poudreux, aplati sur le fond du sarcophage qui portait 
l'empreinte brunie de ce corps humain. 

Le sarcophage placé devant l'autel renfermait un squelette 
presque tout aussi poudreux, mais conservant quelques débris 
de vêtements «1, laine de couleur sombre et des paillettes d'or 
provenant de galons. Il y en avait particulièrement autour du 
du col et sur la poitrine. On a ramassé une petite plaque de 


— 128 — 
cuivre doré dont l'emploi ne saurait être déterminé. Nous 
avons pu constater, par l’examen du crâne, que cette tombe 
était celle d’un vieillard, et la place honorable qu’elle occu- 


RE ‘ 


pait semblerait indiquer la sépulture d’un des premiers abbés 


de Grandval. 

Comme il est certain que, dès le milieu du neuvième siècle, 
on enterrait déjà dans la grande basilique les personnages 
importants, comme le fut Ison, en 871, il devient évident que 
les sarcophages découverts dans l’église de Saint-Pierre ap- 
partiennent à une époque antérieure, celle qui commencerait 
avec la fondation de cette église, au milieu du septième siècle, 
pour finir avec les dernières années du siècle suivant. 

Ces sarcophages de pierre, d'un travail coûteux et d’un 
emploi peu commode, devaient être préparés à l’avance. Deux 
carrières ont pu en fournir les matériaux : celle de la mon- 
tagne de Courroux, déjà utilisée par les Romains pour les 
édifices ornés d’Augusta-Rauracorum, et celle de Montmelon, 
qui a donné les pierres pour les sculptures de l'église collé- 
giale de Sainte-Ursanne. On ne devait employer ces sarco- 
phages que pour des personnes de distinction : ce qui fait 
présumer que les sépultures qui viennent d’être décrites, et 
particulièrement celles qui furent rencontrées vers le milieu 
et le côté droit de l’église, renfermaient les premiers abbés 
de Grandval, ceux de ces prélats qui moururent avant l’érec- 
tion de la grande église. 

Cette découverte confirme notre opinion sur l'identité de la 
basilique de Saint-Pierre, indiquée par Bobolène, avec celle 
qui devint l’église paroissiale, puis le temple réformé de Mou- 
tier, comme aussi sur les églises paroissiales de Saint-Imier 
et de Sainte-Ursanne, qui primitivement, comme à Grandval, 
furent d’abord les églises abbatiales de ces monastères. 


SOC. D'EMUL. DU DOUBS 1873. 


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Figurcs, 
4. Plan de l'église de Saint-Pierre de Grandval ef position des sar- 
cophages en pierre. 
a. Place de l'autel. 
b. Tour du clocher. 
2 Coupe transversale de l'église. 
aa. Murs primitifs. 
bb. Nouveaux murs. 
c. Couche inférieure des sépultures, avec cercueils en pierre 
dans du gros sable de rivière. 
d. Pavé primitif. 
e. Second étage de sépultures avec cercueils en bois. 
f. Nouveau pavé. 
3. 4. Sarcophages en pierre au nombre de sept, d'une seule pièce, trou- 
vés dans la couche inférieure. 


5 Plan et coupe d'un sarcophage en plusieurs morceaux de pierre 
. découvert dans la grande église abbatiale. 
6. Couvercle d’un autre sarcophage en pierre, déterré dans les ver- 


£ers près de la Byrse. 


TOMBE AUX DE MOUTIER-GRANDVAL. 


SOC. D'ÉM. DU DOUBS. 1873. 


EI: [ré 


Courbe lit: 


LA VIERGE DES CARONDELET 


TABLEAU DE FRA BARTOLOMMEO 


A la Cathédrale de Besançon. 


LA 


VIERGE DES CARONDELET 


Par M. Auguste CASTAN. 


Séance publique du 18 décembre 1873. 


La cathédrale de Besancon abrite l’une des rares peintures 
de Fra Bartolommeo qui existent en France. Ce morceau 
d'art est fort peu connu : cela résulte de deux causes qu’il 
nous faut tout d'abord énoncer. La première tient à l’empla- 
cement qu'occupe le tableau, recoin fort sombre où la 
lumière n'arrive que par réfraction et après avoir été tamisée 
par des vitraux médiocrement transparents. La seconde 
cause vient de ce que cette page picturale n’a point encore 
son histoire vraie. Il ne dépend point de nous de dissiper les 
ténèbres matérielles qui obscurcissent cette charmante pein- 
ture ; mais nous sommes parvenu à éclaircir les circonstances 
qui la firent naître, ainsi que celles qui nous en valurent la 
possession, et c'est pour nous un agréable devoir de divul- 
guer ces renseignements. 


1 


Le tableau qui nous occupe est peint sur bois. Sa hauteur 
est de 2 60, sa largeur de 2" 30. « Le caractère de la compo- 
sition, dirons-nous avec l'abbé Lanzi, est celui qui régnait 
généralement à cette époque; on le retrouve dans toutes les 


écoles, sans en excepter celle de Raphaël; et il dura, dans 
9 


— 130 — 


celle de Florence, jusqu'au temps de Pontormo. L'idée 
exprimée par les peintres d'alors est presque toujours une 
Vierge avec l'Enfant-Jésus, assise au milieu de plusieurs 
saints (1). » Dans notre peinture, la Vierge est assise sur des 
nuages dans lesquels se montrent des anges; elle tient son 
Fils sur ses genoux. La Mère abaisse ses regards sur les per- 
sonnages qui sont à sa gauche, l'Enfant bénit ceux qui se 
trouvent à droite, tandis que deux anges aux ailes diaprées 
voltigent au niveau de la tête de la Vierge, en jouant de la 
mandoline. Cette apparition radieuse a pour témoins deux 
groupes de personnages. Le groupe de droite se compose 
d’un saint Sébastien à peu près nu et percé de flèches, d’un 
saint Jean-Baptiste à genoux et montrant du doigt un 
homme de robe agenouillé en face de lui, enfin d’un saint 
Etienne tenant une palme et ayant sur sa tête la pierre tra- 
ditionnelle. Sur la gauche, un saint Antoine fort sombre fait 
ressortir la coule blanche d’un saint Bernard qui est dans 
l'attitude de la contemplation, et le premier plan de ce même 
côté est occupé par l'individu que désigne saint Jean-Bap- 
tiste. Cet individu est vêtu d’une robe rouge bordée d’un 
galon noir et pourvue de larges manches à retroussis d’étoffe 
noire : il est à genoux, la téte aux trois quarts tournée vers 
le spectateur ; sa main gauche tient une calotte, et de la droite 
il indique la Vierge ; à côté de lui, sur un prie-dieu, est une 
aumusse canoniale avec un surplis, et par terre se voit un 
bréviaire posé verticalement. La scène se passe dans un salon 
dont l’architecture de marbre, élevée sur des gradins, forme 
deux avant-corps latéraux : sur le parquet sont des roses 
semées par les anges. Une large baie centrale laisse voir, au- 
dessous de la Vierge, la perspective d'un paysage animé par 
quatre baigneurs au bord d'une rivière qui avoisine une ville. 
Sur l'un des gradins est la signature FR’ BARTHOLOMEYS. 

Le nom de l'artiste manquerait à ce tableau, qu’on ne l’at- 


(1) Histoire de la peinture en Ilalie, trad. fr., t. I, p. 237. 


— 131 — 


tribuerait pas à une autre main qu à celle du Frate, tant y 
éclatent les qualités saillantes du maître qui initia Raphaël 
aux secrets du coloris et reçut en échange des lecons de per- 
spective du divin Sanzio. « La méthode de ce religieux, dit 
l'abbé Lanzi, était de dessiner d'abord le nu des figures, et 
de disposer ensuite les draperies, puis d'employer quelque- 
fois, même dans ses tableaux à l'huile, un clair-obscur qui 
* marquât les oppositions des ombres et de la lumière : étude 
qu il ne cessa d'approfondir et qui était l'âme de ses composi- 
tions (1). » Ce travail préliminaire est visible dans notre ta- 
bleau, et il semble même que le coloriste ait tenu à laisser 
paraître quelques traces de la savante esquisse du dessi- 
nateur. Tout est grand et gracieux dans cet ouvrage ; l'étude 
et le sentiment s'y harmonisent à merveille, et l'élévation du 
style y concorde avec une entente supérieure des contrastes 
du coloris. C’est bien une œuvre de l’artiste dont on a pu 
dire qu'il associa dans ses productions le clair-obscur de 
Léonard à la chaleur de Giorgione, et la pureté de Raphaël à 
la vigueur de Michel-Ange, tout en se créant une manière 
qui n'appartenait qu'à lui (2). En un mot, c'est un joyau 
insigne, qui figurerait avec honneur dans les plus impor- 
tantes galeries, et que la ville de Besancon doit s’estimer 
heureuse de posséder (3). 


(1) Histoire de la peinture en Iialie, trad. fr., t. I, p. 240. 

(2) Maromese, Memorie dei più insigni pittori domenicani, seconda 
ediz., t. IX, p. 136. | 

(3) « C'est un tableau de toute importance et de toute beauté. Après 
l'avoir examiné, l'avoir quitté, y être revenu, et, en somme, avoir passé 
plusieurs heures en contemplation devant ce chef-d'œuvre, je m'étonne 
qu'on ne vienne pas visiter le Fra Bartolommeo de Saint-Jean (de Besan- 
con) comme on va visiter l'Agneau de Gand ou la châsse de sainte 
Ursule de Bruges...., . Que Dieu le conserve. Orale pro labula! » 
(OLéMENT DE Ris, Les musées de province.) 


 'VRS 


= 489 = 


II 


Parmi les traits saillants de la vie de Fra Bartolommeo, il 
n’en est pas de plus souvent cité que l’anecdote ainsi racontée 
par Vasari : « De retour à Florence, où les critiques l'avaient 
accusé plusieurs fois de ne pas savoir peindre le nu, il voulut 
montrer son habileté dans toutes les parties de son art. II fit 
donc un saint Sébastien absolument nu, d’un coloris et d’un 
dessin si parfaits, d’une beauté si suave, que tous les artistes 
s’accordèrent à le louer, Mais les religieux, ayant appris dans 
leurs confessionnaux que cette trop séduisante imitation de 
la nature devenait l’objet spécial de l'admiration des dévotes, 
retirèrent le tableau de l'église où il était exposé, pour le 
placer dans leur chapitre ; il fut bientôt acheté par Gio.-Bat- 
tista della Palla et envoyé au roi de France (1). » Notre 
tableau comprenant une figure de saint Sébastien, et la pein- 
ture spécialement consacrée à ce bienheureux ne se retrou- 
vant point dans la galerie de France, il n’en fallut pas davan- 
tage pour faire penser à nos historiens locaux que le saint 
Sébastien du Frate était échu à Besancon. C'est ce qu'affirme 
Dunod, en disant de plus que l’un des frères Carondelet, 
acquéreur de cette peinture et voulant en faire hommage au 
chapitre de Besancon, y avait fait ajouter, par une main aussi 
habile que celle de Fra Bartolommeo, le portrait en magistrat 
de Jean Carondelet, le père, ou de Claude, son quatrième 
fils (2). Cette conjecture n'était d'accord ni avec le texte de 
Vasari, contemporain et admirateur du Frate, ni avec les 
remarques qu'un examen attentif du tableau pouvait sug- 
gérer : en effet, la figure en robe rouge ne saurait être prise 
pour une addition postérieure, car elle fut dès le principe 
nécessaire dans le groupe de gauche pour équilibrer les 


(1) Vies des peintres, trad. Leclanché, t. IV, p. 122. 
(2) Histoire du comté de Bourgogne, t. I, p. 164; t. III, p. 161, 


— 133 — 


trois personnages représentés à droite de la Vierge; puis les 
vêtements canoniaux, peints auprès de cette figure, indi- 
quent en elle le portrait d’un chanoine et nullement celui 
d’un fonctionnaire appartenant exclusivement à l’ordre laïque. 
Néanmoins l'opinion de Dunod subsista plus d'un siècle sans 
rencontrer de contradicteurs. 

M. le comte Clément de Ris fut le premier à s'inscrire en 
faux contre elle. Ayant lu dans le livre du P. Marchese que 
Fra Bartolommeo s'était engagé, en 1514 ou 1515, à peindre, 
pour les Dominicains de Pistoie, un tableau représentant une 
Vierge avec l'Enfant-Jésus, saint Paul, saint Jean-Baptiste et 
saint Sébastien, l’auteur des études sur les Musées de province 
n'hésita pas à identifier cet ouvrage avec celui que nous 
possédons. C'était encore une erreur; car il n'existe aucune 
figure de saint Paul dans le tableau de Besancon, et d’ail- 
leurs « tout porte à croire que le tableau destiné à l’église de 
Pistoie n'a pas été exécuté, soit parce que Vasari n’en fait 
pas mention, soit, ce qui est plus concluant, parce qu’il ne 
se trouve pas dans le catalogue des œuvres de Fra Barto- 
lommeo, conservé dans les archives du couvent de Florence 
et écrit en 1516 (1). » 

Dans un Mémoire, publié en 1868, sur l’abbaye de Montbe- 
noît et les Carondelet, M. le président Clerc affirme que notre 
tableau fut acheté de rencontre, en Italie, par Jean Carondelet, 
archevêque de Palerme et doyen du chapitre de Besançon, 
qui, en faisant à notre église ce « véritable présent de roi, » 
voulut contribuer à l'embellissement de la chapelle que son 
frère l’archidiacre, mort en 1528, avait érigée dans la basi- 
lique de Saint-Etienne. Le même écrivain prétend aussi que 
le personnage en robe rouge est une figure ajoutée après 
coup, et qu’elle représente Claude Carondelet, baïlli d'Amont, 


(1) Lettre du P. Marcuese au P. Bayonne (22 février 1869), citée dans 
les Annales franc-comtoises, t. XII, p. 133. — Voir en outre la disserta- 
tion complémentaire jointe à ce travail. 


— 134 — 


autre frère de l'acquéreur prétendu de la peinture. Ces deux 
hypothèses ne sont que la répétition de conjectures déjà émises 
par Dunod. 

Cependant le P. Marchese, le savant biographe des 
artistes de l’ordre de Saint-Dominique, avait appris l'exis- 
tence, à Besançon, d’une œuvre inconnue de son cher Frate. 
Il éprouva naturellement le désir d’être renseigné sur cette 
production, et il eut pour cela recours aux bons offices du 
P. Bayonne, dominicain, qui trouva un zélé collaborateur 
dans M. l'abbé de Beauséjour. Sur ces entrefaites, le tableau 
fut descendu de son réduit pour être réparé par M. Jules 
Arthaud : c'était une occasion unique de voir de près ce bel 
ouvrage et d'observer attentivement les détails de sa compo- 
sition. M. de Beauséjour n’y manqua point, et le résultat de 
ses observations fut consigné dans un intéressant travail que 
publièrent les Annales franc-comtoises (1). Le P. Marchese 
avait retrouvé et édité un catalogue de toutes les peintures 
exécutées par Fra Bartolommeo, depuis son entrée en reli- 
gion jusqu’en 1516, c'est-à-dire jusqu'à l’année qui précéda 
celle de sa mort. Ce document ne mentionnant pas une seule 
peinture faite pour l’église de Besancon, et la signature qui 
se voit dans notre tableau différant essentiellement de celles 
que traça l'artiste lui-même (2), il eût été logique d'en con- 
clure que l’ex-voto qui nous occupe datait des derniers temps 
de la vie du Frate, qu'il devait conséquemment être mis au 
nombre des ouvrages interrompus par la mort de ce religieux 
et achevés par Fra Paolino de Pistoie, héritier de ses pin- 
ceaux. Au lieu de raisonner ainsi, M. de Beauséjour fixa son 
attention sur un article du catalogue de 1516, lequel parle 


(1) La Vierge de Carondelet, dans les Annales franc-comtoises, t. XII 
. (1869), pp. 44-55, 132-142. 
(2) Cette observation est du P. Marcuese ( Annales franc-comtoises, 
t. XII, p. 140). — Voir, à titre de confirmation, les signatures des deux 
tableaux du Frate que possède le musée du Louvre (F. Vrzcor, Notice, 
école italienne, n°° 64 et 65). 


— 135 — 


d'un important ouvrage commandé et payé, en 1511 et 1512, 
par un certain Ferrino, anglais, et envoyé en Flandre. Or, 
l'un des deux ecclésiastiques Carondelet s'étant appelé Ferry, 
et celui-ci ayant siégé dans les conseils du gouvernement des 
Pays-Bas, M. de Beauséjour ne fit aucune difficulté d’assi- 
miler ce Ferry au Ferrino du catalogue : quant à la qualité 
d’Anglais, elle fut considérée par lui comme une erreur de 
plume échappée au procureur du couvent de Florence. On 
eût tranché moins vite la question si l’on se fût souvenu que, 
précisément en 1511 et 1512, Ferry Carondelet occupait le 
poste d’ambassadeur de Maximilien I*r près la cour de Rome. 
Dès lors, comment admettre qu'un procureur de couvent ait 
travesti le nom et ignoré la nationalité d’un aussi éminent 
personnage ? Comment comprendre aussi que l'on ait dirigé 
sur la Flandre un envoi qui aurait été fait depuis Florence à 
Besancon ? Au contraire, si l’on s'en tient aux termes du 
catalogue, rien ne s'explique mieux que l'expédition par la 
voie de Flandre d'un tableau commandé par un Anglais et 
destiné à l'Angleterre; car c'était par les ports. du littoral 
belge et hollandais que s’effectuaient, au seizième siècle, les 
échanges entre la Grande-Bretagne et l'Italie. Tout concourt 
donc à faire rejeter l'identification du tableau de 1511 avec le 
nôtre, et par suite le travestissement d’un ambassadeur impé- 
rial en gentleman anglais. Disons pourtant que M. l'abbé de 
Beauséjour a fort justement établi que la figure en robe 
rouge n'est pas, dans notre tableau, une addition faite après 
Coup, mais qu'elle fut une partie essentielle et nécessaire de 
la composition primitive. Il estime que cette figure repré- 
sente Ferry Carondelet. 

On le voit, nous n’avons sur le compte de la Vierge des 
Carondelet qu'une série d'hypothèses qui se contredisent 
entre elles et dont aucune ne repose sur des vraisemblances 
plausibles. Ainsi personne n’a encore révélé ni la date pré- 
cise de l'exécution de cette peinture, ni les circonstances qui 
l'amenèrent dans l’une de nos églises, ni le véritable nom du 


— 136 — 


personnage en robe rouge qui semble chargé d'en faire les 
honneurs. Pour résoudre ce triple problème, un document 
était avant tout désirable : nous voulons parler de l'acte par 
lequel le chapitre métropolitain de Besancon avait accepté le 
tableau et autorisé son placement dans la basilique de Saint- 
Etienne. Rechercher cet acte n’était pas une mince besogne : 
il fallait s’armer de paléographie et de patience, et se résigner 
à lire au moins deux registres — je dirais presque deux volu- 
mineux grimoires — des délibérations capitulaires. C'est ce 
que j'ai fait, et l'on trouvera, dans ce que je vais dire, une 
preuve nouvelle que la vérité n’échappe pas toujours à qui 
veut bien et sait quelque peu la chercher. 


IT 


C’est une aimable et sympathique figure que celle de notre 
Ferry Carondelet. Il était le troisième fils (1) de Jean Caron- 
. delet, de Dole, l’un des conseillers de Philippe le Bon et de 
Charles le Téméraire, demeuré fidèle à la cause de ses an- 
ciens maîtres durant l'occupation française de la Franche- 
Comté, récompensé de cette conduite par la charge de chan- 
celier de Bourgogne et de Flandre, sous l’archidue Maximi- 
lien et son épouse Marie, disgracié ensuite par l’archiduc 
Philippe, mais emportant dans sa retraite l'estime des gens 
de bien et y recueillant les témoignages réitérés de la vénéra- 
tion de ses compatriotes. Son crédit dans notre province était 
tel, qu'en 1493 les chanoines de l’église métropolitaine de 


(1) Ferry Carondelet était né en 1473, non point à Dole, comme on l'a 
cru généralement, mais à Malines où résidait alors son père. Les re- 
gistres matriculaires de l'Université de Dole en témoignent par l'in- 
scription que voici : « Nobilis vir Farricus CaronDeLeT, de Maclinia» 
Cameracensis diocesis, prestitit juramentum fidelitatis in manibus meis, 
in civitate Bisuntina, die xxra septembris anno quo supra (1498). — 
(Signat.) S. DE FALETANS. » 


Besancon avaient élevé son second fils, alors âgé de 24 ans, 
à la dignité de doyen, la première de leur chapitre. Ce se- 
cond fils, nommé Jean comme son père, entra bientôt dans 
les conseils du gouvernement des Pays-Bas, et le chapitre 
n'eut point à regretter de l’avoir fait son chef. C’est en con- 
sidération des services qu'il rendait à l’église, que son frère 
Ferry, de quatre ans plus jeune que lui, fut élu tout à la 
fois, en 1504, chanoine et grand archidiacre du même cha- 
pitre, bien qu'il ne fût pas même sous-diacre et qu'il montrât 
des dispositions peu conformes à la vocation sacerdotale. 
Sans cesse en butte aux tracasseries de la commune, le cha- 
pitre avait besoin de protecteurs auprès du pouvoir central : 
aussi ses choix étaient-ils plus souvent inspirés par le souci 
des intérêts temporels que par celui des nécessités du service 
divin. Les deux frères purent donc résider aux Pays-Bas, 
tout en recueillant les fruits de leurs prébendes canoniales : 
ce qu'ils dérobaient en assiduité, ils le rendaient largement 
en influence. Siégeant l’un et l’autre dans le conseil supé- 
rieur de Malines, Jean comme conseiller et Ferry comme 
maître des requêtes, ils inspirèrent toute confiance à la bonne 
archiduchesse Marguerite qui, devenue en 1507 gouvernante 
des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, eut à cœur de 
dédommager les Francs-Comtois des infortunes qu'ils avaient 
supportées pour conserver leur nationalité bourguignonne. 
Dans la cour qu'elle tenait aux Pays-Bas, elle s’efforçait de 
faire revivre les goûts artistiques que ses aïeux les ducs de 
Bourgogne avaient cultivés. C'est à ce foyer que la vive 
intelligence de Ferry Carondelet s'enflamma d'admiration 
pour les grandes œuvres de la peinture et de la statuaire, 
admiration qui s'accrut encore durant le long séjour que 
notre archidiacre alla faire en Italie. 

Par lettres patentes données à Malines le 12 mai 1510, un 
traitement annuel de six cents livres fut accordé à messire 
Ferry Carondelct, envoyé à Rome par l'empereur Maxi- 
milien et l’archiduc Charles, son petit-fils, comme procureur 


— 138 — 


et solliciteur des affaires de ces princes (1). L'Eglise avait, : 
depuis sept ans, pour chef le pape Jules IT, ce vieillard rébar- 
batif dont les accès de colère faisaient trembler Raphaël et 
mettaient en fuite Michel-Ange. Ces deux artistes étaient 
alors bien tranquilles, car le fougueux pontife tenait la cam- 
pagne avec une armée dont 1l dirigeait lui-même les opéra- 
tions : il voulait, avec l'alliance de Venise, expulser d'Italie 
les Français qui l'avaient aidé, l’année précédente, à sou- 
mettre les Vénitiens. En attendant l'issue de ce conflit, Ferry 
Carondelet s'établit à Bologne, la ville aux archaïques Ma- 
dones, devenue le théâtre des plus beaux succès de Pérugin, 
précurseur et maître de Raphaël. Notre archidiacre passa près 
d’une année dans ce sanctuaire de la peinture mystique, puis 
il se replia sur Rome (2) avec le pontife dont les troupes 
venaient d'être mises en déroute par celles du maréchal Tri- 


(1) « À messire Ferry Carondelet, archidiacre de l'esglise métropoli- 
taine de Besançon, conseillier et maistre des requestes de messeigneurs 
l'Empereur et l’Archiduc et leur procureur et solliciteur de leurs affaires 
de pardeça en court de Romme, la somme de trois cens livres que, par 
le commandement et ordonnance de mesdis seigneurs, le receveur 
général lui a baillée et délivrée comptant, pour semblable somme que 
deue luy estoit à cause de six cens semblables livres que iceulx sei- 
gneurs, par leurs lettres patentes données en leur ville de Malines le 
xue jour de may l'an XVe dix, luy ont ordonné, octroyé et accordé 
prendre et avoir d’eulx de gaiges et pension par chacun an à cause de 
sondit estat de leur conseillier, procureur et solliciteur en court de 
Romme, à en estre païé comme dessus, de demy an en demy an par 
égale porcion, à commencher ledit xu° de may, et dès là en avant tant 
qu'il leur plairoit, et ce pour demy an commenchant le xxv° dudit moys 
de may que lors il fist son sèrement dudit estat, et finissant le xxrv° jour 
de novembre ensuivant oudit an XVe dix; pour ce icy : re livres. » — 
(Chambre des Comptes de Lille : recette générale des finances, compte 
de 1511, fol. 93, aux Archives générales du département du Nord. — 
Communication de M. l'abbé Denaisnes, conservateur de ce dépôt.) 

(2) Cet itinéraire de l'archidiacre est indiqué par sa correspondance 
diplomatique avec le gouvernement des Pays-Bas, conservée aux Ar- 
chives générales du département du Nord et composée de 21 lettres 
dont les formules de datation ont été obligeamment relevées, dans l'in- 
térêt de ce travail, par M. l'abbé DenaIsnes. 


— 139 — 


vulce. Jules IT se consola de sa défaite en s’enorgueillissant 
des immortels chefs-d’œuvre que, pendant son absence, 
Michel-Ange et Raphaël avaient produits au Vatican. La ville 
éternelle tressaillit d'enthousiasme quand, sur l’ordre du 
pape, on ouvrit les portes de la salle dite de la Signature, et 
lorsqu'on démasqua le plafond de la chapelle Sixtine. Le 
génie de deux grands maîtres venait de montrer que la 
pensée chrélienne peut revêtir avec succès les formes savantes 
de la statuaire antique : les lois de l’art moderne étaient 
trouvées. Ferry Carondelet dut être des premiers à jouir de 
ces merveilles. Il paraît avoir subi tout particulièrement le 
charme des créations et de la personne de Raphaël: il existait 
entre ces deux hommes une certaine parenté de caractère, de 
sentiment et même de physionomie; ils se convinrent et se 
rapprochèrent. Une belle œuvre d'art, que possède l’Angle- 
terre, témoigne de leurs relations : c'est le portrait de Ferry 
Carondelet par Raphaël (1). 

La mission diplomatique de l’archidiacre prit fin au prin- 
temps de 1512 (?). Il avait réussi, paraît-il, à contenter égale- 
ment les princes dont il était l'ambassadeur et le moins trai- 
table des pontifes, car des deux côtés on le récompensa. Le 
pape Jules IT, usant en sa faveur des réserves apostoliques, 
lui avait conféré la commende perpétuelle de l’abbaye de Mont- 
benoît, dans les montagnes du Doubs 6). Le gouvernement 


(1) « Ce portrait fut offert en présent, par les Etats-Unis de Hollande, 
à lord Arlington, comme un ouvrage de Raphaël ; depuis cette époque 
(sous Charles I°'), il est resté dans la famille des ducs de Grafton, à 
Londres. » (PassavanT, Raphaël d'Urbin, trad. fr., p. 357.) — Parmi les 
gravures faites d'après cet ouvrage, il faut distinguer celle qu'exécuta 
Nicolas de Larmessin pour le Cabinet Crozat. 

(2) C'est à ce moment que cesse la correspondance diplomatique de 
Ferry avec le gouvernement des Pays-Bas. 

(3) Dans une lettre écrite à Rome, le 15 juillet 1511, Ferry Carondelet 
sollicite de l'archiduchesse Marguerite l'autorisation d'accepter la com- 
mende de l'abbaye de Montbenoît, que le pape lui a offerte. (Archives 
du département du Nord; communication de M. l'abbé DemaISnes.) 


— 140 — 


des Pays-Bas, non seulement ratifia cette nomination, mais 


fit encore obtenir à Ferry la prévôté du chapitre de Sainte- 
Walburge de Furnes (1). Bien renté par les trois bénéfices 
dont il était titulaire, Carondelet ne se résigna pas volontiers 
à regagner le climat brumeux des Flandres : il était fasciné 
par le radieux soleil d'Italie et par les éclosions artistiques 
qui s’opéraient sur cette terre privilégiée. Jules IT se l’attacha 
volontiers, à la condition de pouvoir mettre à profit les res- 
sources de son esprit délié et conciliant. Notre archidiacre 
fixa dès lors sa résidence à Viterbe (@), la capitale du patri- 
moine de Saint-Pierre. à 

Tout près de Viterbe est un riche couvent de Dominicains, 
appelé Notre-Dame de la Quercia. L'ordre de Saint-Domi- 
nique, spécialement voué à la prédication, était favorable aux 
manifestations extérieures de la pensée. Dès l'aurore de la 
renaissance des arts, il avait fourni nombre de peintres ha- 
biles, et Fra Bartolommeo continuait, en la surpassant, cette 
noble lignée. Les religieux de la Quercia étaient fiers de ses 
talents : aussi quand le Frate se mit en route pour Rome, au 
printemps de 1514, l'engagèrent-ils à s'arrêter chez eux. Pour 
un homme aussi laborieux que notre artiste, s'arrêter c'était 
produire. Il fit à la Quercia son Jésus jardinier et ébaucha 
une Vierge qui fut terminée par son élève Fra Paolino (6). Ce 
fut là sans doute que Ferry Carondelet se rapprocha du 
Frate : l'amitié de Raphaël, qui leur était commune, semble 
avoir été le principe de leurs relations. Quand on connaissait 


— 


(1) Ferry Carondelet fut nommé prévôt du chapitre de Sainte-Wal- 
burge, le 16 novembre 1513. (Archives municipales de Furnes; commu- 
nication de M. l'abbé Dexaisnes.) 

(2) Cette circonstance de la vie de Ferry Carondelet a fait dire par 
ses biographes qu'il avait été gouverneur de Viterbe pour le pape 
Jules IT: c'est une erreur. M. Joseph Opni, secrétaire de la municipalité 
de Viterhe, consulté par moi sur ce point, m'a obligeamment répondu, 
après les plus minutieuses recherches, que notre archidiacre ne figure 
à aucun titre officiel dans les actes publics de cette localité. 

(3) Marcxese, Memorie dei pittori domenicani, t. II, pp. 87-88. 


— 141 — 

Fra :Bartolommeo, il étais difficile de ne pas se rencontrer 
avec Mariotto Albertinelli; car, suivant Vasari, « ce fut, pour 
ainsi dire, un second Fra Bartolommeo, tant ces deux hommes 
se portèrent une vive affection, tant ils offrirent de similitude 
dans leur talent. » Mariotto fréquentait aussi le monastère de 
la Quercia ; c'est même là qu'il peignit son dernier ou- 
vrage (1). Notre archidiacre ne put donc manquer de le con- 
naître. | 

Il est dans la nature des âmes ardentes et des cœurs géné- 
reux d'aimer à faire partager par autrui les passions qui les 
agitent et les sentiments qui les dominent. Epris comme il 
l'était des miracles de l’art, Ferry Carondelet éprouva le be- 
soin de faire goûter à ses compatriotes de la Franche-Comté 
quelques-unes des émotions délicates qui inondaïent de bon- 
heur son existence. Les deux artistes qu'il avait connus à la 
Quercia, Fra Bartolommeo et son inséparable Albertinelli, 
lui parurent propres à seconder un tel dessein. À chacun 
d'eux il commanda une peinture religieuse, leur donnant 
tout le temps nécessaire pour en soigner l'exécution. Le Fraite 
consentit à lui fournir une Madone qui rappelât celle que 
Sanzio avait récemment produite pour Sigismond Conti de 
Fuligno, et Mariotto accepta la mission de peindre un Cou- 
ronnement de la Vierge. L'archidiacre destinait ces deux 
tableaux à l’église de Saint-Etienne de Besancon, celle de nos 
cathédrales qui abritaient les restes des anciens comtes de 
Bourgogne, et où lui-même ambitionnait de reposer après sa 
mort. 


IV 


Le 26 mai 1518, le chapitre métropolitain de Besançon ve- 
nait d'autoriser, une fois de plus, son grand archidiacre à 
toucher, quoique absent, les revenus entiers de sa prébende 


(1) Vasarr, Vies des peintres, trad. Leclanché, t. IV, pp. 136 et 142, 


— 142 — 


canoniale, comme marque de gratitude pour les bons offices 
qu'il rendait en cour de Rome à ses confrères, quand deux 
chanoines se dirent chargés de présenter une requête au nom 
de ce dignitaire. Ils exposèrent que messire Ferry Carondelet, 
voulant honorer Dieu et sa bienheureuse Mère, en même 
temps que contribuer à la décoration de l’église de Saint- 
Etienne de Besancon, désirait placer sur l'autel dédié à la 
Vierge, situé près de la sacristie de cette basilique, un tableau 
de figures peintes dont il faisait cadeau, et cela en remplace- 
ment de l’ancienne image du même autel, que l’on pourrait 
placer non loin de là et en lieu convenable. Le chapitre s'em- 
pressa d'accepter cette offrande, à la condition que le change- 
ment proposé se ferait aux frais du donateur et sans que 
l'autel en füt dégradé (1). 

Tel est l’acte de réception du précieux morceau d'art dont 
nous avons voulu faire l’histoire. S'il ne parvint à Besancon 
que dans les derniers jours de mai de l’an 1518, c'est que son 
achèvement fut postérieur à la mort du grand artiste qui l’a- 
vait concu. En effet, le décès du Frate remonte au 30 octobre 
1517 (2. Ce religieux laissait nombre de tableaux incomplets, 
mais tous assez arrêtés comme dessin, suffisamment indiqués 
comme coloris, pour qu'ils pussent être convenablement ter- 
minés par Fra Paolino de Pistoie, légataire des études et des 


CEE 


(1) « Facta per dominos cantorem et Guerard relatione, parte domini 
hujus ecclesie archidiaconi, petentis dominis de capitulo sibi dari 
consensum et voluntatem seu licenciam ut, ad honorem Dei et ejus 
matris Virginis Marie decoremque ecclesie Bisuntine, reponere possit 
et valeat quandam protecturam ymaginum cujusdam tablarii, in et 
super altare predicte beate Marie Virginis situm in ecclesia Sancli- 
Stephani, juxta sacristiam, quam se obtulit daturum, ymaginem ejus- 
dem beate Marie inibi, si opus sit, admovendo et in proximiori loco et 
convenienti reponendo : domini capitulantes eidem petenti annuerunt 
et concesserunt pro premissis facultatem et licenciam premissa, suis 
sumptibus, facienda et adimplenda, et hoc sine altaris prejudicio et 
detrimento. » (Acta capituli Bisunt., 26 maii 1518, aux Archives du 
Doubs.) 

(2) MarcesE, Memorie, t. IL, p. 369. 


— 143 — 


traditions du maître (1). C’est donc à ce continuateur du Frate 
qu'est due, au moins en partie, l’énergique et fraiche colora- 
tion de notre tableau. On s'explique de la sorte comment 
cette peinture ne se trouvait pas inscrite dans un catalogue 
dressé en 1516, comment aussi elle n'avait pu être signée par 
Fra Bartolommeo lui-même. 

L'année suivante, des formalités analogues eurent lieu pour 
l'arrivée de l'œuvre de Mariotto : ce fut le 18 mai 1519. De la 
part du grand archidiacre, un chanoine de ses amis pria le 
chapitre de consentir au placement dans l'église de Saint- 
Etienne, en la chapelle dédiée à sainte Madeleine, d’une 
grande peinture sur bois, formant tabernacle, que le dona- 
teur, mû par un sentiment de dévotion, avait fait faire pour 
honorer Dieu. Ferry Carondelet demandait en outre la per- 
mission de reconstruire à ses frais l’autel qui devait sup- 
porter cette nouvelle peinture (?). 

Par la requête dont nous venons de rapporter les termes, on 
peut avoir une idée vague de la forme qu'affectait le Couron- 
nement de la Vierge de Mariotto. Cette importante page exis- 
tait encore en 1735 dans notre cathédrale actuelle, ainsi 
qu'en témoigne l'historien Dunod G). On l'y avait descendue 
en 1674, lorsque la basilique de Saint-Etienne, qui renfermait 
également l’œuvre du Frate et le tombeau de Ferry Caron- 
delet, fut démolie de fond en comble pour l'établissement des 


(1) Marcuesse, Memorie, t. IL, pp. 131 et 137. 

(2) « Domino archidiacono majori hujus ecclesie, voce magistri Leo- 
nardi de Gruyères, canonici, petenti, de speciali gratia, pro anno pre- 
senti, remittuntur grossi fructus sue prebende, licet ejus stagium dicto 
anno minime adimpleverit..... Etiam dicto domino archidiacono, voce 
cujus supra petenti, annuitur et conceditur facultas reponendi quandam 
protecturam cujusdam magni tabernaculi seu tablarii nemorei certe 
ymaginis, per ipsum ad laudem Dei factam, in ecclesia Sancti-Stephani, 
et in capella beate Marie-Magdalenes, pro ipsius devotione, cum erec- 
tione altaris dicte capelle noviter, ut sibi videbitur necesse et expediens, 
fienda. » (Acta capituli Bisunt., 18 maii 1519, aux Archives du Doubs.) 

(3) Histoire du comté de Bourgogne, t. T, p. 165. 


— 144 — 


glacis de la citadelle. On ne sait ce qu'est devenu ce second 
des tableaux offerts par notre archidiacre. S'il portait des 
armoiries, nos communeux de 1793 auront fort bien pu le 
comprendre dans le monceau des peintures historiques qui 
furent brûlées, sur la place des casernes, pour inspirer aux 
volontaires du Doubs la haine des tyrans (1). | 

Revenons à Ferry Carondelet. L’hommage de deux ta- 
bleaux, de deux chefs-d'œuvre, n’était que le prélude des 
bienfaisants projets qu'il se promettait d'accomplir dans sa 
patrie d'origine. Avec l'autorisation du chapitre, il entreprit 
la reconstruction totale de cette chapelle de Sainte-Madeleine 
où devait prendre place le tableau que nous avons perdu (). 
D'habiles tailleurs d'images s’installèrent dans cet édicule, 
au printemps de l’année 1520, et s’appliquèrent à transformer 
en dentelles les lignes de son architecture. Jean-Jacques 
Chifflet dit que c'était splendide (3); ce devait être un abrégé 
de la flore sculpturale dont l’église de Brou est le délicieux 
herbier. 


(1) Guenarn, Description de Besançon, ?e édit., p. 153. 


(2) « Facta per dominos Luxeul et de Grueriis, in absencia tamen 


domini hujus ecclesie archidiaconi, relatione de et super nonnullis 
verbis per aliquos dominos canonicos, ut asseruerunt, dictis et prolatis, 
ratione reparationum per eundem dominum archidiaconum in capella 
sancte Marie-Magdalenes, in Sancti-Stephani ecclesia sita et fundata, 
factarum, et presertim de quibusdam janua lapidea murata et tomba 
commutatis, pro tamen decore dicte capelle : que verba potius illum 
commovere possent ad renunciationem sue bone voluntalis quam ad com- 
plementum sue fundationis, quod foret in grande detrimentum predicte 
Bisuntine ecclesie; domini capitulantes voluerunt et volunt premissa 
omnino cessare, eidem domino archidiacono, voce quorum supra pe- 


tenti, insequendo acta capitularia aliàs per capitulum super premissis : 


conclusa et sibi concordata, libere dando et concordando atque conce- 
dendo licenciam, facultatem et omnimodam potestatem in predicta 
capella edificandi, construendi, reparandi, commutandi et rapiendi, 
pro decore sepedicte capelle, que sibi videbuntur fore et esse necessaria 
et facienda, juxta ipsius voluntatem et discretionem..,., (Acta capituli 
Bisunt., 13 april. 1520, aux Archives du Doubs.) 

(3) J.-J. CairrLer, Vesontio, II, p. 309. 


D AURA PM, 


— 145 — 


Ce travail était à peine commencé, quand une perte cruelle 


vint frapper l'esprit et navrer le cœur de l’excellent archi- 


diacre. Le plus sublime des artistes, le meilleur des amis, 
celui que la postérité a surnommé le divin Raphaël, s'étei- 
gnait à l’âge de 37 ans. Ferry comptait dix années de plus, 
et il ressentait déjà les atteintes du ‘mal qui lui interdisait 
d'espérer une longue vie. Averti par cette catastrophe, il 
quitta brusquement l'Italie, voulant hâter, par sa présence 
presque continuelle, l'exécution des travaux d'art qu’il dési- 
rait léguer encore à son pays d’origine. Revenu en Franche- 
Comté dans l'été de 1520, il s'établit à Montbenoît (1), avec la 
pensée d'embellir l’église de cette abbaye dont il était com- 
mendataire. Pendant les huit dernières années de son exis- 
tence, tout son bonheur fut de suivre, tant à Montbenoît (?) 
qu'à Saint-Etienne de Besançon (3), les progrès des décora- 
tions exquises qui étaient le fruit de son goût et de ses lar- 
gesses. Cette occupation ne l’'empêchait pas d’être constam- 
ment au service de ses confrères les chanoines. Soit que le 
chapitre manquât d'argent pour soutenir ses priviléges ou 
combattre l’invasion de l'hérésie, soit qu'il eût besoin d'un 
négociateur pour moyenner un arrangement avec l'arche- 


2 ————— 


(1) « Exhibita fuerunt capitulariter privilegia dominorum canonico- 
DD Adele de do» videlicet reverendi patris domini Ferrucii Carondelet, 
archidiaconi, privilegium de grossis fructibus percipiendis in absencia, 
residendo in altero suorum beneficiorum, eidem per summum Ponti- 
ficem dominum Julium papam secundum concessum, cum littera testi- 
moniali de FeRAnse in suo monasterio Montishbenedicti..... RATE are 
capituli Bisunt., # maiïi 1520, aux Archives du Doubs.) 

(2) Voir, sur les embellissements réalisés à Montbenoît par Ferry Ca- 
rondelct, le Mémoire déjà cité de M. Ed. CLErc.s 

{3) « Domino Johanni Vuillemoti, capellano familiari Sancti-Stephani, 
voce domini archidiaconi petentis, impertitur licencia assislendi et 
faciendi atque manendi cum operariis operantibus in capella dicti 
domini archidiaconi : quo tempore durante, tenebitur pro presente in 
ecclesia, actento quod consiructio predicte capelle erit in decorem pre- 
dicte ecclesie. » (Acta Capituli Bisunt., 2? mai 1525, aux Archives du 
Doubs.) 


10 


— 146 — 


vêque ou la commune, soit qu'il s'agît de défendre les inté- 
rêts capitulaires dans les assemblées des Etats de la province, 
c'était toujours à la bourse, à l’éloquence et aux capacités 
diplomatiques de l’archidiacre que l’on recourait. En 1525, 
Ferry Carondelet eut un moment de grande jouissance. 
Erasme, l'esprit le plus universel du seizième siècle, fit le 
voyage de Bâle à Besancon, uniquement pour le visiter. 
Toute la ville fut en liesse à ce propos, et le frêle écrivain dut 
expier par quatre jours d'indisposition et de diète les trop co- 
pieux festins auxquels il avait pris part dans les confortables 
demeures de nos chanoines (1). En sage qu'il était, Erasme 
préférait boire à petits coups les excellents vins du Jura que 
lui envoyaient de longue date quelques-uns des membres du 
chapitre (?) : cette tisane convenait merveilleusement à son 
estomac débile, et l'archidiacre, tant qu'il vécut, ne l’en laissa 
jamais manquer (3). 

Ferry Carondelet mourut, à Montbenoît, d'un calcul vé- 
sical (4), le 27 juin 1528, occupé jusqu'à son dernier soupir de 
la contemplation du beau et de l’accomplissement du bien. 
Quoique revêtu de plusieurs dignités ecclésiastiques, il n’était 
jamais entré dans les ordres (5) : ainsi le toléraient les mœurs 
d'un temps qui vit éclater la réforme. 


(1) Erasmr epistola 784. 

(2) Ferry Carondelet, grand archidiacre; Léonard de Gruyères, archi- 
diacre de Salins et official de l'archevêque Antoine de Vergy; François 
Bonvalot, trésorier du chapitre, plus tard ambassadeur de Charles- 
Quint près la cour de France. (Erasm epistolæ 1036, 1045, 1080, 1181, 
1294, 1297.) 

(3) « Itaque paulatim reviviscemus, et bona spes esset salutis, si,..,., 
adesset vinum quale mihi suppeditare solebat, dum viveret, Fericus 
Carondiletus, Besontinæ ecclesiæ archidiaconus, ..,,.» (Erasm epistola 
1148.) 

(4) « Nos, licet summo in periculo versantes, onusti calculo vesicæ, 
quo dudum periit Fericus, archidiaconus Bisuntinus...,..,, » (ERASMI 
epistola 967; 27 jul. 1528.) 

(5) « Le registre des chartes de l'audience de la Chambre des Comptes 
de Lille (B, 1759) renferme la lettre de légitimation de Paul Carondelet, 


x 


Il nons reste à trouver le sens et la raison d’être des 
figures qui composent la peinture magistrale dont on connaît 
maintenant l'origine. En dehors de la Vierge, de l'Enfant- 
Jésus et des anges, qui en sont la partie essentielle, les figures 
accessoires peuvent être divisées en deux catégories. Trois 
d’entre elles nous semblent avoir été imposées par le dona- 
teur, tandis que les trois autres auraient été laissées au choix 
de l'artiste (). 

Fra Bartolommeo, on le sait, brillait plus par le savoir que 
par l'imagination (?) : il avait au plus haut degré le tempéra- 
ment d'un érudit; sa méthode éclectique en est la preuve. 
Accablé de travaux, comme il Le fut jusqu’à son dernier jour, 
il lui eût été d’ailleurs difficile de trouver le temps de beau- 
coup inventer. Ses cartons regorgaient de consciencieuses 
études, et il y recourait fréquemment, sachant utiliser, au 
profit d'œuvres nouvelles, des types sur lesquels il s'était 


me + à ne + de de 2 demie ne ce ee À CO ms 


fils naturel de maître Ferry Carondelet, alors archidiacre à Besançon, 
n'étant ni prélre, ni dans les ordres ecclésiastiques (avril 1548). » — (Note 
de M. l'abbé Denaisxes, conservateur des archives du Nord.) 

(1) Dans la commande d’un ex-volo en peinture, il était alors d'usage 
d'imposer à l'artiste un certain choix de figures, en lui laissant d'ail- 
leurs la faculté d'ajouter d'autres personnages à sa convenance. Cette 
double condition est exprimée dans le contrat passé entre Fra Barto- 
lommeo et Jacques Panciatichi, curé de Quarrata, au sujet d'un tableau 
analogue à celui qui nous occupe, lequel était destiné aux Dominicains 
de Pistoie : « E sancti di detta tavola che vuole M. Jacopo, cioè : una 
Vergine col Bambino, san Paulo, san Gio.-Battista e san Basliano, e 
quelli più che piaceranno al susdetto Fr. Gio.-Maria Canigiani (priore 
di San-Domenico di Pistoia), e Frate Bartolomeo dipintore. » (MARCHESE 
Memorie dei pittori domenicani, t. II, p. 368.) L 

(2) « Le Frate est certainement au nombre des plus grands maitres, et 
Richardson remarque avec justesse, que s'il eût eu l’heureuse imagi- 
nation de Raphaël, il n'aurait peut-être point paru au dessous de lui. » 
(Lanzr, Histoire de la peinture en Italie, trad. fr., t. I, p. 240.) 


— 148 — jé à 


antérieurement exercé. Saint Bernard et saint Sébastien 
comptaient parmi ses anciennes connaissances (1), et c’est de 
lui que dut venir l’idée de les représenter dans le tableau qui 
nous occupe : il trouvait ainsi l'occasion de montrer, une fois 
de plus, qu'il s’entendait aussi bien à épurer les contours 
d’un corps nu qu à tirer d'heureux effets d’une robe mona- 
cale. Le saint Antoine, qui est totalement noyé dans l'ombre, 
paraît n’avoir été introduit que pour faire valoir la lumineuse 
figure de saint Bernard. 

Trois autres images nous semblent, au contraire, avoir été 
voulues par le dignitaire qui fit les frais de la peinture. Il n'y 
a pas de doute pour celle de saint Etienne, puisque c'était 
sous le vocable du premier martyr qu'était placée l’église à 
laquelle on destinait le tableau. Quant au saint Jean-Bap- 
tiste, comme il est, parmi les cinq bienheureux groupés au 
pied de la Vierge, le seul qui prête une attention spéciale au 
personnage en robe rouge, il paraît évident que sa présence 
a été motivée par le portrait dont il est en quelque sorte un 
corollaire. Ce portrait, qui représente-t-il ? C'est encore un 
problème que je vais essayer de résoudre. 

La commande du tableau étant le fait de Ferry Carondelet, 
il semblerait naturel que son image occupât dans cette com- 
position la place habituellement réservée au donateur. Mais 
plusieurs raisons s'opposent à ce que l’on en juge ainsi. Le 
portrait est certainement celui d'un Carondelet, et d’un Ca- 
rondelet appartenant à l'Eglise, vu qu'il y a près de lui des 
insignes de chanoine et un bréviaire. Deux fils du chancelier 
Carondelet étaient dans ce cas : Jean, doyen du chapitre de 
Besançon, et Ferry, grand archidiacre. 

Si la figure en robe rouge représentait Ferry, ce ne sérait 
pas saint Jean-Baptiste qui ferait à son égard l'office de pa- 
tron (2). Le véritable nom de l’archidiacre était Ferjeux ; C'est 


(1) Marcuese, Memorie, t. II, pp. 36-38, 100-102. 
(2) Non-seulement Ferry n'était pas voué personnellement à saint 


" — 149 — 

ainsi que le désignent les actes capitulaires. Or saint Ferjeux, 
l’un des apôtres primitifs de Besançon, n'aurait pas été de 
trop dans un tableau destiné à l'une des cathédrales de cette 
ville. D'autre part, Ferry était, depuis 1511, c'est-à-dire six 
ans et plus avant l'achèvement du tableau, abbé commenda- 
tairé de Montbenoïît; et comme il aimait à se parer de ce 
titre, l'artiste n'aurait pas manqué de le rappeler, par des 
attributs, auprès de son image. Ces attributs, consistant en 
une mitre et une crosse, font partie de la statue couchée sur 
son tombeau. | 

En considérant notre portrait comme celui de Jean Caron- 
delet, ces diverses objections tombent d’elles-mêmes. Saint 
Jean-Baptiste a toute qualité pour intercéder en faveur d’un 
homme ayant le prénom de Jean. Et, à l’époque où fut peint 
le tableau, Jean n'avait droit qu'à des insignes de chanoine, 
car sa première prélature, l'archevêché de Palerme, ne lui 
fut accordée que le 19 décembre 1519 (1), dix-sept mois après 
l’arrivée de notre peinture. Il y a d'ailleurs une parenté 
réelle, surtout quant au regard, entre la tête qui nous occupe 
et les divers portraits que l’on a de Jean Carondelet (2) ; mais 
la ressemblance ne serait pas complète, que nous n’y ver- 
rions pas un motif de changer d'opinion : en effet, le Frate 
n'aurait pu peindre d'après nature Jean Carondelet, ce per- 
sonnage ayant été de bonne heure attaché aux pas et à la for- 
tune du prince qui devait s'appeler l'empereur Charles-Quint. 


Jean-Baptiste, mais aucune des églises dont il était titulaire, du moins 
à l'époque ou notre Vierge fut peinte, n'avait ce saint pour patron. Plus 
tard, c'est-à-dire le 15 décembre 1523, notre archidiacre échangea sa 
prébende canoniale de Villeneuve contre celle de Saint-Jean-Baptiste 
de Besançon ; mais alors le tableau qui nous occupe existait depuis 
près de cinq ans. 

(1) Rocchi Prrrr Sicilia sacra, t. I, col. 188. 

(2) Portrait par Jean van Mabuse, au musée du Louvre (école fla- 
mande, n° 271) ; — Portrait attribué à Holbein, au musée de Besançon 
(n° 147); — Portrait gravé par C. van Caukercken, dans Forpens, Biblho- 
theca Belgica, t. IX, p. 605. 


LS AD 


La Vierge des Carondelet est donc non seulement une œuvre 
d'art magistrale, mais encore un monument de l'amitié 
fraternelle de deux hommes qui honorèrent et servirent la 
Franche-Comté. Jean Carondelet, comme son frère, voyagea 
beaucoup, et à cette époque les pérégrinations exposaient à 
de nombreux dangers. Peut-être la scène des baigneurs, qui 
se voit à l'arrière-plan de notre tableau, est-elle la constata- 
tion d'un péril couru par Jean Carondelet et dont il se serait 
tiré en invoquant la Vierge (1) ? Si son frère se chargea d’ac- 
quitter le vœu qu'il aurait fait en cette circonstance, Sean ne 
fut point ingrat envers la mémoire de Ferry : il accomplit 
pieusement les intentions de l’archidiacre, et lui fit ériger ce 
magnifique tombeau de marbre blanc, dont la statue semble 
se soulever pour donner un regard permanent d'amour au 
chef-d'œuvre de Fra Bartolommeo. 


(1) La dévotion de Jean Carondelet envers la Vierge est attestée, en 
outre, par le dyptique que possède le musée du Louvre, ouvrage exécuté 
en 1517, c'est-à-dire contemporain de notre magnifique ex-voto. Sur le 
pourtour du feuillet de ce dyptique qui représente la Vierge, on lit 
l'invocation suivante, tracée par Jean van Mabuse sous la dictée de Jean 
Carondelet : MEDIATRIX : NOSTRA:QVE:ES: POST: DEVM:SPES: 
SOLA:TVO:FILIO:ME‘REPRESENT A : (F. Viccor, Notice des pein- : 
tures du musée du Louvre, école flamande, n° 277.) 


— 151 — 


APPENDICE. 


ee — 


La Société d'Emulation du Doubs avait désiré que le tra- 
vail qui précède fût lu, en son nom, dans la section d’ar- 
chéologie du congrès de la Sorbonne. Cette lecture eut lieu, 
le mercredi 8 avril 1874, par les soins obligeants de M. Cho- 
tard, président de la Société. Au nombre des auditeurs se 
trouvait M. le comte Clément de Ris, membre du comité des 
travaux historiques et l’un des conservateurs du musée du 
Louvre. Mon mémoire contredisait l'opinion émise sur notre 
tableau par cet érudit, dans son ouvrage intitulé : Les musées 
de province. M. Clément de Ris n'admit pas mes arguments 
comme bien fondés; il prépara une note pour les combattre 
et maintenir le jugement qu'il avait porté sur la provenance 
du Fra Bartolommeo de Besancon. Ayant eu connaissance 
de cet incident par mon savant maître et ami M. Jules Qui- 
cherat, j'écrivis aussitôt la réplique que voici, laquelle de- 
vient un complément de la partie critique de mon travail. 

A. C. 


À Monsieur À. CHABOUILLET, secrétaire de la section d’archéo- 
logie du comité des travaux historiques. 


Besançon, le 14 avril 1874. 


Monsieur et très honoré collègue, 


La cathédrale de Besancon possède un magnifique tableau 
peint sur bois par Fra Bartolommeo. On savait, par tradi- 
tion, que cette œuvre d'art était un don de Ferry Carondelet, 
grand archidiacre de l’église de Besançon, membre du con- 
seil supérieur des Pays-Bas et un instant ambassadeur de 


LT 4b9 


Maximilien 1° près la cour de Rome. Mais personne ne con- 
naissait ni l’époque précise de la production de ce chef- 
d'œuvre, ni les circonstances dans lesquelles il avait été offert 
à notre ancienne cathédrale de Saint-Etienne. 

Ces points ne pouvaient être éclaircis qu'au moyen d’une 
fouille dans les délibérations du chapitre métropolitain de 
Besancon; je me livrai à cette recherche, et j'eus la satisfac- 
tion de trouver l'enregistrement du don fait par notre archi- 
diacre d'un tableau à plusieurs figures, devant être placé 
dans l'église de Saint-Etienne, sur un autel dédié à la 
Vierge : c'était la confirmation et le commentaire de la tradi- 
tion qui voulait que la peinture de Fra Bartolommeo fût un 
cadeau de Ferry Carondelet. 

Cet acte est du 26 mai 1518, et Fra Bartolommeo était 
mort le 30 octobre 1517. La Vierge de Besançon datait donc 
des derniers temps de la vie du maître, et elle devait être 
rangée parmi les tableaux que celui-ci laissa inachevés et 
auxquels Fra Paolino de Pistoie mit la dernière main. 
Ainsi sexpliquait comment notre peinture ne figurait pas 
dans le catalogue des œuvres du Frate, dressé en 1516 ; com- 
ment aussi la signature qu'elle porte différait essentiellement 
de celles que Fra Bartolommeo traca lui-même. 

J'avais les éléments d’une histoire vraie de la meilleure des 
peintures dont mon pays puisse s’enorgueillir; j'entrepris 
d'écrire cette histoire, et je commençai naturellement par 
combattre les hypothèses, plus ou moins hasardées, que le 
tableau de Besancon avait inspirées à ceux qui s’en étaient 
occupés avant moi. 

Parmi ces hypothèses, il en était une qui appartenait à 
M. le comte Clément de Ris, l’estimable auteur des Etudes sur 
les musées de province. Cet érudit n'avait pas pensé qu’une 
œuvre de telle importance pouvait avoir été omise par les 
biographes du Frate ; il s'était donc mis en devoir d'en cher- 
cher la mention soit dans Vasari, soit dans le savant livre 
que le P, Marchese venait de publier sur les artistes de 


— 153 — 


l’ordre des Dominicains. Dans ce dernier ouvrage se trouvent 
les lignes que voici : « A la fin de l'année 1514 ou dans les 
premiers mois de l’année 1515, Fra Bartolommeo se rendait 
à Lucques auprès de son cher ami le P. Santi Pagnini, alors 
prieur du couvent de Saint-Romain. En passant par Pistoie, 
le 17 février 1515, il signait un contrat pour peindre un ta- 
bleau destiné à l’église de Saint-Dominique de cette ville, 
sur la demande de messire Jacques Panciatichi, curé de 
Quarrata. Il devait y peindre les figures suivantes, savoir : 
la Vierge avec l'Enfant, saint Paul, saint Jean-Baptiste et 
saint Sébastien. (1). » Le texte même du contrat, tiré de 
l'Obituaire des Dominicains de Pistoie, a été publié par le 
P. Marchese (?). On y lit, en outre de ce qui précède, que le 
tableau en question devait avoir cinq brasses de haut et 4 2/5 
de large, et que d’autres figures de saints pourraient y être 
ajoutées à celles prescrites par le donateur. 

La peinture commandée par le curé de Quarrata ne se re- 
trouvant pas en Italie, et le tableau de Besancon ayant les 
dimensions et comprenant quelques-unes des figures indi- 
quées dans le marché fait à Pistoie, il n'en fallut pas davan- 
tage à M. Clément de Ris pour conclure que notre cathédrale 
avait hérité de cette page perdue. Dominé par cette idée, 
il fit du tableau de Besançon la description suivante : 

« Le Fra Bartolommeo de la cathédrale de Besancon re- 
présente la Vierge glorieuse entourée de saints et d'anges….. 
A ses pieds, deux hommes agenouillés, deux donateurs, maitre 
Jacopo Panciatichi, curé de Quarrata, et frère Giovanni-Maria 
Canigiani, supérieur des Dominicains de Florence, montrent 
un tableau représentant un paysage où l’on voit trois figures 
nues. Derrière un des donateurs en vêlement rouge, à droite, 
saint Dominique en manteau blanc; plus loin, saint Jac- 
ques : derrière le second donateur, à gauche, saint Sébastien 


a me ne de 


(1) Marcnese, Memorie, t. II, p. 108. 
(2) In., tbid., pp. 368-69. 


— 154 — 


nu, les mains attachées derrière le dos et le corps percé de 
flèches; plus loin, saint Jean. Sous le paysage, une estrade 
où l'on a jeté des fleurs et des livres. » 

Que l'on compare cette description avec l'image qui ac- 
compagne mon travail, et on sera tenté de croire que M. Clé- 
ment de Ris n'a pas vu notre tableau avant de le décrire. Il 
affirme pourtant « l'avoir examiné, l'avoir quitté, y être re- 
venu, et, en somme, avoir passé plusieurs heures en contem- 
plation devant ce chef-d'œuvre. » Soit; mais il avait en tête 
l'idée préconçue que ce morceau d’art était celui qui fut com- 
mandé pour les Dominicains de Pistoie, et cette préoccupa- 
tion lui troubla le regard au point de lui faire voir deux do- 
nateurs où il n’y en a qu'un. Pourtant, s’il se fût rappelé les 
termes du contrat passé avec le curé de Quarrata, il aurait dû 
voir en outre, dans le tableau de Besancon, une figure de 
saint Paul qui n'y est pas. La description de M. Clément de 
Ris est donc purement imaginaire, et l'identification qu'il 
préconise ne repose sur aucune vraisemblance. C’est ainsi 
qu'en a jugé le P. Marchese qui, ayant été consulté là-dessus 
par un de ses confrères, répondait, le 22 février 1869 : « Tout 
porte à croire que le tableau destiné à l’église de Pistoie n’a 
pas été exécuté, soit parce que Vasari n’en fait pas mention, 
soit, ce qui est plus concluant, parce qu'il ne se trouve pas 
dans le catalogue des œuvres de Fra Bartolommeo, conservé 
dans les archives du couvent de Florence et écrit en 1516. La 
maladie qui attrista les dernières années de la vie de Fra Bar- 
tolommeo, et sa mort, survenue en 1517, l’'empêchèrent sans 
doute de réaliser cette œuvre (1). » 

Malgré cette condamnation de son hypothèse par l’homme 
qui est le mieux à même de la juger, M. Clément de Ris per- 
siste dans ses anciennes conclusions, et l'on m'assure qu'il a 
pris la peine de les reproduire dans une note, lue par lui à la 
Sorbonne, en réponse à mon travail qui venait également 


(1) Annales franc-comtoises, t. XII, p. 133. 


: 
Eve 


— 155 — 


d'être lu devant la section d'archéologie du comité des so- 
ciétés savantes. 

« Il y a des gens, a dit mon savant maître M. Jules Qui- 
cherat, qui aimeraient mieux se faire hacher que de con- 
venir que quelque chose soit à corriger dans leurs livres. » 
J ai hâte de déclarer que je ne range pas M. Clément de Ris 
dans cette catégorie d’incurables, et la preuve, c’est que je 
veux essayer de le convaincre en insistant sur les motifs qui 
empêchent d'assimiler la Vierge de Besancon à celle que le 
Frate destinait aux Dominicains de Pistoie. 

Pour juger de ce que devait être ce dernier ouvrage, nous 
n'avons que le contrat passé entre Fra Bartolommeo et le 
curé de Quarrata. Or, ce document mentionne saint Paul 
parmi les figures expressément voulues par le donateur, et 1l 
n'existe pas de figure de saint Paul dans le tableau de Be- 
sancon. i 

Le marché réservait la possibilité, pour l'artiste et pour le 
prieur des Dominicains de Pistoie, d'introduire dans l’œuvre, 
en dehors des figures prescrites, quelques autres saints per- 
sonnages. Le tableau étant destiné à une église de Domini- 
cains, le prieur et le peintre appartenant tous deux à l'ordre 
des Frères prêcheurs, il est vraisemblable que le choix de ces 
derniers aurait porté sur quelque bienheureux de l'ordre de 
Saint-Dominique. Or, il n’y a pas, autour de la Vierge de 
Besançon, une seule figure revêtue du costume des Domini- 
cains. On y remarque bien deux figures monacales; mais 
l’une est saïnt Antoine, reconnaissable à son bâton potencé 
et à sa clochette, tandis que l’autre, vêtue de lample froc 
blanc des Cisterciens, a toute raison d'être prise pour saint 
Bernard. 

Si le donateur de notre tableau eût été un simple curé, ce 
qu'était Jacques Panciatichi, il aurait eu un tout autre accou- 
trement que celui qui distingue et caractérise le personnage 
agenouillé aux pieds de la Vierge de Besançon. Ce personnage, 
qui a d’ailleurs une physionomie toute française, était à la 


— 156 — 


fois un magistrat et un dignitaire ecclésiastique, car il est 
revêtu d'une robe rouge de conseiller et a, tout près de lui, 
des insignes de chanoïne, savoir une aumusse de fourrure 
avec un surplis. 3 

Enfin notre tableau comprend une figure de saint Etienne, 
la palme à la main et la pierre traditionnelle sur la tête. C'est 
là une indication des plus péremptoires, car le morceau d'art 
qui nous occupe était le retable d’une des chapelles de l’église 
de Saint-Etienne de Besancon. Il y demeura jusqu’en 1674, 
époque de la destruction de cette église de Saint-Etienne par 
les ordres de l'ingénieur Vauban. Donc, si le Frate a intro- 
duit une figure de saint Etienne dans sa composition, c’est 
que celle-ci fut, dès le principe, destinée à une église qui 
avait pour patron, non point saint Dominique, mais le pre- 
mier martyr de la foi chrétienne. 

L'historique que j'ai présenté repose sur une tradition 
constante, corroborée par un document précis et étayée par 
les plus complètes vraisemblances. Tous ces moyens, au con- 
traire, manquent à la thèse soutenue par M. Clément de Ris. 
J'ai donc les meilleures raisons de continuer à prétendre que 
le Fra Bartolommeo de Besancon doit incontestablement 
s'appeler : la Vierge des Carondelet. 

Veuillez bien, monsieur et très honoré collègue, commu- 
niquer cette lettre à mon estimable contradicteur, et en tenir 
compte vous-même dans l'analyse des lectures entendues cette 
année par la section d'archéologie du congrès de la Sorbonne. 
Vous obligerez, en ce faisant, votre très humble et tout dévoué 
serviteur, 


A. CASTAN, 


Secrétaire de la Société d'Emulation du Doubs, 
correspondant du Ministère de l'Instruction 
publique. 


+ A ant SR 


STI ER 
UN VOLUMÉNOMÈTRE 


ET SON 


APPLICATION A LA HESURE APPROCHÉE DE LA HAUTEUR BAROMÉTRIQUE 


Par M. Georges SIRE. 


Séance du 11 janvier 1873. 


La connaissance du volume des corps solides est une donnée 
importante dans un grand nombre de recherches. Lorsque 
les corps ont des formes régulières, la géométrie fournit, dans 
la plupart des cas, les éléments nécessaires à la détermination 
du volume ; mais si la forme est irrégulière, la question tombe 
dans le domaine de la physique. 

Dans l’état actuel de cette science, deux procédés sont jour- 
nellement employés pour déterminer le volume des corps so- 
lides. Tous deux consistent à obtenir le poids de liquide que 
les corps déplacent lorsqu'ils y sont plongés. L'un de ces pro- 
cédés est connu sous le nom de principe d'Archimède, l’autre 
est la méthode du flacon à l’émeri : dans l’un et l’autre cas, 
la condition indispensable est que les corps soient insolubles 
dans les liquides employés. Or, bien que cette condition puisse 
être généralement réalisée, beaucoup de substances ne peu- 
vent être mises en contact avec des liquides, sans éprouver 
une altération plus ou moins grande; tels sont certains sels, 
les graines des céréales, les poudres de guerre, etc., etc. Donc, 
pour déterminer le volume de ces substances, il faut néces- 
sairement recourir à d'autres méthodes. 

H. Say, physicien français, a le premier fait connaître un 


— 158 — 


procédé qui est parfaitement applicable aux substances pré- 
citées, en ce qu'il permet de déterminer le volume des corps 
par la mesure du volume d’air qu'ils déplacent (1). 

L'appareil imaginé dans ce but, et que l’auteur a appelé 
stéréomètre, consiste en une capsule C, terminée inférieure- 
ment par un tube B, gradué d'un côté en parties d’égale ca- 
pacité, et de l’autre en parties d’égale longueur. On opère de 
la manière suivante : 

On commence par enfoncer le tube dans une éprouvette 
contenant du mercure jusqu'à ce que le 0 de l'échelle des ca- 
pacités affleure le liquide. Dans cette position, la capsule, 
dont les bords sont usés à l’émeri, est fermée par un obtura- 
teur de glace dépolie légèrement graissée. L'appareil se trouve 
renfermer un volume Ÿ d'air à la pression atmosphérique A ; 

RS NN on soulève ensuite la capsule, de façon 
que le volume d'air primitif devienne 
Vo, lequel est alors à la pression H— h; 
v étant égal à op donné par l'échelle des 
capacités, et k—pn, mesuré sur l'échelle 
des longueurs. Or, d'après la loi de Ma- 
riotte, on a l'équation 


VH=(V+0)(H—h); [1] 


de laquelle on tire 


nt (Gr). [2] 


Pour déterminer le volume d’un corps, 
on rétablit l'affleurement en 0, et on place 
le corps dans la capsule, puis on ferme avec l'obturateur 
comme précédemment. Dans ce second cas, l'instrument ren- 
ferme un volume d'air V—x, sous la pression atmosphé- 
rique À : & étant le volume du corps. On soulève de nouveau 


SL 


| 
Il 


(1) Annales de chimie eb de physique, t. XXHII, p. 1. 


— 159 — 


la capsule de façon que le volume de l'air devienne V —x 
+», dont la force élastique est alors H— h’, h' étant égal à 
la hauteur de la colonne de mercure soulevée. La loi de Ma- 
riotte donne également l'équation 


(V— x) H=(V—x+0v) (H—h) [3] 
d'où l’on déduit 


ALMA à: EX (à 
av ( = ) [4] 
Tel est le procédé imaginé par Say. 

L'appareil dont il va être fait mention offre beaucoup d’ana- 
logie avec celui de Say; il a été construit dans le but spécial 
de déterminer la densité des graines des céréales, et, par suite, 
il diffère notablement de l’appareil précédent, par la quantité 
de mercure employée et par la manière d'opérer. 

Il se compose d'un ballon de verre à 
deux tubulures À : la plus large est 
fermée à volonté par un obturateur de 
verre dépoli, au moyen d'une vis de 
pression, et l’autre tubulure commu- 
nique à l’aide d’un canal étroit avec un 
tube vertical B, le tout établi sur un 
support fixe. Le tube B est relié avec 
un tube C, de même diamètre, par un 
tube de caoutchouc t, revêtu extérieu- 
rement d'une spirale de fer pour l’em- 
pêcher de céder à la pression inté- 
rieure produite par le mercure introduit 
dans l'appareil. Le tube C est mobile, 
et peut être élevé ou abaissé parallèle- 
ment au tube B, à l'aide d’une crémail- 
lère. 

Les tubes B et C contiennent une 
certaine quantité de mercure, et je supposerai le tube C assez 
élevé, pour que le niveau soit à la même hauteur dans les 


— 160 — 


deux tubes et vis-à-vis un point de repère d’, le ballon 4 
étant ouvert. | 

Dans cet état, on ferme le ballon à l’aide de l’obturateur, et 
l'instrument contient un volume V d'air à la pression atmo- 
sphérique }H. 

On descend ensuite le tube C de manière à produire une 
augmentation de volume d'B = »; il en résulte une différence 
de niveau du mercure b'C—h, et l'équation [1] fait con- 
naître v. 

Pour déterminer le volume d’une graine, par exemple, on 
rétablit l’affleurement en d’, et on ouvre Le ballon dans lequel 
on verse la graine, puis on ferme avec l’obturateur. L'instru- 
ment contient alors un volume V — x d'air à la pression A, 
æ étant le volume de la graine. 

On abaisse de nouveau le tube C, de manière à obtenir la 
même augmentation de volume que précédemment; de sorte 
que l'appareil renferme un volume V — x+v d’air sous la 
pression A — h', h' étant la dénivellation produite dans les 
deux colonnes de mercure. L'équation [3] sert à déterminer x. 

Mais le procédé de Say ne donne que des résultats peu ap- 
proximatifs, en raison de la condensation des gaz à la surface 
des corps, et même, lorsqu'il s’agit de corps granuleux ou 
pulvérulents, ces résultats peuvent être tout à fait erronés : 
aussi ce procédé est-1l aujourd'hui abandonné. 

Le calcul de la formule [4] exige la connaissance de la hau- 
teur barométrique, au moment de l'expérience, et comme le 
voluménomètre que je viens de décrire était destiné à fonc- 
tionner dans des circonstances où cette connaissance pouvait 
faire défaut, j'eus l’idée de faire servir l'appareil lui-même à 
la mesure de la hauteur barométrique. 

La disposition de l'instrument reste la même; la seule con- 
dition expresse qu’il doive remplir, c'est une fermeture her- 
métique par l’obturateur. Cela établi, voici comment on pro- 
cède : 

On enlève l’obturateur, puis on verse du mercure dans le 


nine } 

tube C jusqu'à ce que ce liquide arrive à une même hauteur 
Bb' dans les deux tubes, et lorsqu'on suppose que l'équilibre 
est établi et que l'air du ballon est à la même température 
que celui ambiant, on ferme hérmétiquement le ballon. 

Dans cet état, l'instrument renferme un volume d'air , 
sous la pression H qu'il s’agit de déterminer. 

On descend le tube € jusqu’à ce que le volume de l’air ait 
augmenté de la quantité Bd ; il en résulte une différence de 
niveau dans les deux colonnes de mercure, soit h cette diffé- 
rence. 

L'appareil contient alors un volume d’air V' sous la pres- 
sion (H— h), et, d'après la loi de Mariotte, on a 


VH= V (H— h); 


et si par construction, — on tire de l'égalité précédente 


L'ART 
CAT 

ES RM UR 
qui est une première valeur de la hauteur barométrique. 

Pour obtenir une autre expression de cette hauteur, on re- 
monte le tube C jusqu'à ce que le mercure, dans le tube B, 
atteigne le niveau Bb'; ce liquide doit être de nouveau à la 
même hauteur dans les deux tubes B et C. Si cela n’a pas 
lieu, c’est qu'il est rentré de l’air dans le ballon, ou que la 
température n’est pas restée constante; 1l faut alors recom- 
mencer l'expérience. 

Mais si l'on ne constate aucune différence de niveau, on 
continue à faire monter le tube C jusqu'à ce que le mercure 
affleure le trait d', et l’on mesure la différence de niveau qui 
s'est produite dans les tubes; soit »' cette différence. 

Dans ces conditions, l'appareil contient un volume d'air V", 
sous la pression (4H + h’) et l’on a la relation 


VA= V'(H+h); 
H=9 RH, 
si la graduation de l'instrument est telle qu’on ait T= 
4: 


de laquelle on tire 


" 


Sie 


— 162 — 


Si cet instrument était susceptible de mesures très précises, 

on devrait avoir 

11h 4% 

mais, en général, ces deux valeurs de H différent entre elles 
d'une petite quantité, et c’est leur moyenne qui fournit une 
expression très rapprochée de la hauteur barométrique. L’ap- 
proximation dépend de la précision qu’on apporte dans la me- 
sure de h et de h', et de la constance de la température de l’air 
contenu dans l'appareil. 

En résumé, la disposition du voluménomètre dont je viens 
de décrire la manœuvre, offre entre autres avantages : 1° une 
grande facilité pour les affleurements, par suite du déplace- 
ment vertical du tube C, qui produit les différences de niveau 
plus promptement que par l'écoulement ou l’addition du 
mercure dans ce tube ; 2° une lecture rapide des hauteurs À 
et h, due à la grande proximité des tubes B et C; 3° enfin, 
l'emploi d'une quantité de mercure relativement très faible. 


HENRI MOUHOT 


(DE MONTBÉLIARD) 
Ses voyages dans le royaume de Siam, au Cambodge et au Laos 


Par M. Henry CHOTARD. 


Séance publique du 18 décembre 1878. 


Messieurs, 


La lecture que j'ai l'honneur de faire aujourd’hui n'est, à 
bien dire, qu'un appendice de celle que vous avez bien voulu 
écouter l’an dernier. Je vous ai présenté l'état de la science 
géographique en France et en Allemagne; j'ai eu soin, et 
c'était bien naturel, de relever tous nos titres; je n'ai négligé, 
en restant dans l’exacte vérité, aucun de nos avantages. Par 
conséquent je vous ai cité les grands noms français qui se 
sont illustrés dans les explorations maritimes, dans les voyages 
à travers les continents, et encore dans la publication des 
Bvres et des cartes qui ont porté à la connaissance et fait voir 
aux yeux de tout le monde les eaux et les terres du globe, 
telles que la science est enfin arrivée à les connaître et à les 
rendre. La liste a été honorablement longue, et cependant 
j'ai omis un nom justement cher à des amis depuis longtemps 
fidèles à nos réunions et qui nous entourent encore aujour- 
d'hui, à nos amis de Montbéliard. 

Cette omission, veuillez me croire, je ne l'avais point faite 
en préparant mon travail et en l’écrivant du premier jet; 
mais la crainte d’être trop long, le désir de ménager votre 


sn 164 2 
temps et de vous épargner un ennui, m'ont engagé à faire 
quelques coupures, et, comme à mon insu, le nom d'Henri 
Mouhot est sorti de mes feuilles mises au net. 

Le regret n’a pas tardé à venir, et j'ai promis à nos amis 
une réparation ; veuillez, messieurs, en être les témoins. 

Si la promesse n'avait pas été vraiment solennelle, si elle 
ne répondait pas à une patriotique insistance, exprimée avec 
cette vivacité qui n’étonne pas Ceux qui connaissent n0s amis 
et surtout Ceux qui, Comme nous, les ont entendus, dans leurs 
fêtes littéraires, parler devant ce château tout martelé encore 
par les obus et les balles de la Prusse, j'aurais été tenté de 
ne pas la tenir. Je suis confus de m'imposer deux fois de suite 
à votre attention ; et de plus ne savez-vous pas que, dans un 
bon recueil de votre province, la vie et les voyages d'Henri 
Moubhot ont été l’objet d’un travail excellent que j’ai Lu et qui, 
au premier moment, m a inspiré la résolution de ne pas re- 
faire ce qui a été si bien fait? Mais j'ai senti, par réflexion, 
que, n'étant que géographe, je pouvais apprécier la partie 
purement géographique de l’œuvre d'Henri Mouhot et ac- 
quitter ma dette sans m'exposer à une préjudiciable compa- 
raison. | 

Je ne m'arrèterai pas à la biographie d'Henri Mouhot. 
Tout a été dit et bien dit, non seulement dans l’article dont 
je parlais tout à l'heure, mais encore dans les travaux des 
membres de la Société de Montbéliard. On sait donc que, né 
à Montbéliard, il a été poussé dès sa jeunesse hors de son 
pays par le goût des voyages, par la passion de voir et de sa- 
voir. Il a vécu dix ans en Russie; puis il est allé en Angle- 
terre, où il a épousé la fille d’un grand voyageur, Mongo 
Park. Ce mariage a décidé sa vocation. Imiter son beau-père, 
marcher comme lui à la découverte de terres et d'hommes 
inconnus, ce fut dès lors toute sa pensée. La voie est ouverte 
devant lui, la voie véritable pour son génie; il s’y engage le 
cœur haut. Il quitte avec une émotion bien grande, quoique 
contenue, l’Europe, sa femme, sa famille; mais son ferme 


— 165 — 
regard est déjà fixé vers le pays qu'il voit dans sa pensée et 
qu'il veut révéler au monde qui l’ignore. 

Ce pays, c'est celui où coule le Mé-Kong, ou plutôt d'où 
vient le Mé-Kong, ce grand fleuve de la presqu'île de l'Indo- 
Chine, bien connu déjà à son embouchure et sur quelques 
points de son cours inférieur, mais dont nul Européen n'a 
encore suivi le haut cours, ni touché la source. 

Henri Mouhot s'était embarqué à Londres le 27 avril 1858 ; 
le 12 septembre il atteignait la barre du Mé-nam, et peu après 
il était à Bangkok, la capitale du royaume de Siam. Ce n'est 
point le Mé-nam qu'il veut explorer, on le sait; mais, à 
Bangkok, il se recueille et se prépare. IL y établit, pour ainsi 
dire, sa forteresse ; ce sera son point de départ, ce sera au 
besoin un refuge où, dans le repos, il prendra de nouvelles 
forces et'un nouveau courage. Bangkok et toutes les côtes 
qui l’avoisinent offrent une terre amie aux Européens; on les 
y connaît; on connaît surtout les Français. Le christianisme 
a porté partout ses missions. Notre voyageur, à plusieurs re- 
prises, a recu des encouragements et des conseils d'autant 
plus chers qu'ils étaient donnés dans la langue de la patrie, 
avec l'accent de la terre natale, de la Franche-Comté. 

En remontant le Mé-nam et les affluents du nord-est, en 
franchissant les montagnes d'où ces derniers descendent, 
Mouhot espère atteindre le Mé-Kong au milieu de son cours. 
Il visite Ajuthia, Arajiek, le mont Phrabât, Saraburi, Pak- 
prian, et arrive à Patawi, mais à travers quels dangers! il a 
bravé l'inondation des rivières, les couverts impraticables des 
forêts , les pentes ardues des montagnes, les bûtes fauves, le 
mauvais vouloir des habitants, et celui mème de ceux qui 
l’accompagnent. Il n'ose aller plus loin et, sans avoir dépassé 
le bassin du Mé-nam, revient à Bangkok. 

Il en repart à la fin de décembre; cette fois, il gagne par 
mer le bas cours du Mé-Kong. Le premier jour de l’année 
1859 le trouve à Chantaboun. Après deux mois de navigation 
autour de cette ville, après une exploration complète des îles 


22 A6 


et des côtes, il se rend à Kampot, et de Kampot, par terre, à 
Udong, sur un affluent du Mé-Kong et d'Udong, en barque, 
à Pinhalu et enfin à Penom-Penh, où il salue le Mé-Kong 
comme un ami près duquel il vivra longtemps. 11 Le remonte 
jusqu'à l’île Ko-Sutin. Il s’aventure sur la rive gauche, à 
l'est, jusqu'à Brelum, et reste trois mois au milieu du peuple 
sauvage des Stiengs. Quand il retourne au Mé-Kong, il re- 
nonce à lutter avec une faible barque contre la masse des 
eaux; il retourne à Penom-Penh, et par Pinhalu, Udong, il 
atteint le grand lac de Touli-Sap, le traverse, et, prenant la 
voie de terre, il passe par Battambang, Ongkor, et retourne à 
Bangkok, 4 avril 1860. 

Il revient alors à son premier dessein ; c’est par les af- 
fluents du Mé-nam qu'il atteindra le Laos, qu'arrose le mys- 
térieux Mé-Kong. Il attend toutefois six mois avant de partir; 
il se repose et se tient en haleine par des courses à l’ouest 
autour de Petchabury. 

Au mois d'octobre il reprend donc son premier chemin, 
dépasse Patawi, entre dans Korat et, se lançant au nord, ar- 
rive à Tchaïapoune. Il en est chassé par le gouverneur. 
Laissant alors son escorte à Korat, il revient en toute hâte à 
Bangkok. Il obtient du roi des ordres favorables et précis, et, 
de nouveau en route, il triomphe de toutes les résistances et 
pénètre enfin dans le Laos. Le 24 juin 1861, il touche, à 
Paklaie, ce Mé-Kong tant désiré; le 25 juillet, il est plus au 
nord à Luang-Prabang : « Me sera-t-il donné de faire plus ?» 
s'écrie-t-il. Non, sa fin est marquée ; il doit mourir à Luang- 
Prabang. il avait résisté à bien des fatigues, il avait échappé 
à bien des périls; la terrible fièvre des jungles le saisit le 19 
octobre ; il se sentit, suivant l'expression d’un missionnaire, 
et transir et brüler ; ses derniers mots, le 29, sont un tou- 
chant appel à Dieu : « Ayez pitié de moi, mon Dieu; » la 
fièvre tortura encore douze jours son corps presque insen- 
sible : enfin il expira le 10 novembre. , 

Jamais mort n’a été plus regrettable. Arrêté si prompte- 


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Le” Le fr 

14 
a TE 


— 167 — 


ment, Henri Mouhot a moins fait qu'il n'avait promis de 
faire ; le temps a manqué à sa gloire. Cependant tant de cou- 
rage, de force et de persévérance n'ont point été en vain mis 
au jour. On comprend, sans que j'insiste, l'importance de ces 
hardis voyages, de cette course audacieuse à travers la vallée 
du Mé-Kong ; la voie est ouverte non pas à de plus braves, 
mais à de plus heureux champions. Du reste, notre intrépide 
voyageur n’est pas mort tout entier; il a laissé au monde un 
précieux héritage, et je ne parle pas seulement de ces riches 
collections de plantes et d'insectes qu’un mauvais destin a 
poursuivies sur les mers, puisqu'elles ont en partie disparu 
dans le naufrage du steamer Sir James Branke, mais de ce 
journal si vif et si animé que ses compagnons de route ont 
du moins rapporté intact et que l’Angleterre a publié. 

Henri Mouhot a tout vu à Bangkok, au Cambodge et au 
Laos, et tout bien vu. Comme ce pays le frappe par des beautés 
nouvelles à ses yeux! Sans doute, il est soumis à de terri- 
bles fléaux : les rivières, que nuls travaux ne règlent, cou- 
vrent chaque année les campagnes de leurs eaux et portent 
partout l'humidité et la fièvre; mille insectes nuisibles naïs- 
sent pendant la chaleur ; les forêts sont pleines de tigres, de 
léopards, de chats-tigres, de serpents, et les crocodiles se rou- 
lent dans la fange des marécages. Mais la terre est fertile et 
donne tout d'elle-même pour ainsi dire. Les arbres dans les 
bois, comme dans les champs, se chargent de fruits exquis, 
la mangue, le mangoustan, l'ananas, le dourion, ce fruit 
étrange qui ne plaît que lorsqu'on le connaît bien et dont on 
ne peut plus se passer quand on en a bien distingué et saisi 
l'arome. Le labourage n’est point en usage; quelques trous 
dans la terre, quelques grains dans ces trous, cela suffit, la 
nature fait le reste. Et quels tableaux splendides se déroulent 
devant les voyageurs que n'effraie pas la fatigue et que les 
pentes abruptes mènentau sommet des montagnes! Les dieux 
ont habité les montagnes, disent les Siamois, qui vénèrent 
ici la trace du pied de Bouddha, là l'empreinte de sa main. 


— 168 — 
Ne cherchez pas Dieu sur la terre, dit Mouhot, levez les yeux 
et, en présence de ce ciel d’un azur si pur, de ces forêts vertes 
et vigoureuses, de ces champs émaillés de fleurs et de fruits, 
au delà desquels la mer s'étend comme une longue bande 
d'argent étincelante au soleil, vous sentez et comprenez Dieu; 
il apparaît dans sa majesté et dans sa splendeur. 

Mais à ce pays si beau et si redoutable les hommes font 
défaut ; il faudrait tout à la fois le vaincre et le seconder, et, 
pour cette double tâche, les Siamoiïis ne sont ni assez coura- 
geux, ni assez persévérants. C’est une race molle et indolente 
qui demeure dans une sorte d'enfance ; elle aime le jeu, les 
combats de coqs, les spectacles et surtout les longs specta- 
cles ; vingt-quatre heures de représentation ne lassent pas 
des spectateurs qui. restent, yeux ouverts et bouche béante, 
devant des acteurs et des actrices enfarinés, coiffés de bonnets 
pointus et ornés de longues oreilles postiches, devant des po- 
Bchinelles chargés de plaques de métal. Leur patience ne s'é- 
branle pas quand les musiciens répètent pendant cinq heures 
la même phrase! Les Siamoïs sont là, hommes, femmes, en- 
fants, couverts eux-mêmes d'anneaux, de bijoux, qu’ils por- 
tént aux bras, aux jambes, sur leurs vêtements. Les-fils du 
roi en sont si chargés qu’ils ne peuvent se remuer. 

Cette race si étrange dans ses goûts, dont on hésite à dire 
si elle est jeune ou vieille, M. Mouhot l'a bien vue et la dé- 
crit avec soin : « Les Siamois ont l’allure molle et paresseuse 
et la physionomie servile. [ls ont presque tous le nez un peu 
camard, les pommettes des joues saillantes, l’œil terne, la 
bouche trop fendue, les lèvres ensanglantées par l'usage du 
bétel et les dents noires comme de l'ébène. Ils ont tous la 
tôte complètement rasée, à l'exception du sommet où ils lais- 
sent une espèce de toupet. Leurs cheveux-sont noirs et rudes; 
ils figurent assez exactement la brosse. Les femmes portent le 
même toupet, mais leurs cheveux sont fins et tenus soigneu- 
sement. On regrette à les voir qu'elles les rasent impitoyable- 
yent depuis leur naissance. Le costume des hommes et des 


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— 169 — 

femmes est peu compliqué; une pièce d'étoffe relevée par 
derrière et rattachée à la ceinture est leur unique vêtement. 
On lui donne le nom de pagne ou de langouti. Les femmes 
portent en outre une écharpe d'une épaule à l’autre. Le type 
de la femme, tant qu'elle est jeune, est de beaucoup supérieur 
au type de l'homme, et, sauf la finesse des traits, la Siamoise 
de douze à vingt ans a peu à envier aux modèles de notre sta- 
tuaire. » 

C'est l'esclavage qui énerve la race dans la vallée du Mé- 
Nam comme dans celle du Mé-Kong, bien plus, qui la dé- 
truit. On a compté jusqu'à six millions d'habitants ; de ré- 
cents calculs n’en donnent que quatre millions et demi, dont 
il faut retrancher un cinquième de Chinois. Sur les quatre 
autres cnquièmes, deux sont esclaves et les deux autres ne 
sont libres que de nom. Tout appartient aux rois. Sans doute 
on distingue au-dessous des rois une nombreuse aristocratie, 
plusieurs ordres de princes, de ministres, de mandarins, degou- 
verneurs de province ; mais si toute la nation s'incline devant 
eux, eux-mêmes s'inclinent devant les rois, qu'ils n’abordent 
que prosternés sur les genoux et sur les coudes: Si nous di- 
sons les rois, c'est qu'il y en a deux partout, à Banhkok, au 
Cambodge et au Laos. Le second a sa cour, ses gardes, maïs 
il est sujet du premier ; longtemps on les a crus égaux, mais 
à tort. Le premier était, disait-on, le roi de la paix et de la 
religion, le second, le roi de la guerre et de l'administration ; 
cette erreur n'a point eu en ces lieux pour les Européens les 
graves et douloureuses conséquences qui se sont produites au 
Japon ; elle n’en était pas moins regrettable, et il est bon 
qu'elle soit dissipée. Le premier roi est maître absolu de tout ; 
sa volonté est Loi, non seulement loi civile, mais loi religieuse ; 
son pouvoir que nul ne conteste, que rien ne trouble, s'exerce 
dans une sécurité parfaite, dans une sorte de sérénité radieuse. 

Ils nous étonnent quelque peu ces premiers rois de Siam 
et de Cambodge ; ce sont ceux que M. Mouhot a le mieux 
connus. Ils sont tous deux sexagénaires, celui de Siam assez 


2 


— 170 — 


grand, celui de Cambodge court et replet, tous deux d’une 
physionomie fine et rusée. Ils s’habillent à l’européenne, 
avec de larges pantalons et de courtes jaquettes ; dans ce pays 
où les bijoux, les ornements de toute sorte sont si recherchés, 
ils se couvrent la poitrine de toutes les décorations qu'ils peu- 
vent rassembler ; ils ont sur les bras des torsades dorées; ils 
portent des épaulettes, et en même temps se coiffent d'une 
casquette de cuir bouilli et se chaussent de pantoufles. Phra- 
Bard-Somdecht-Phra -Pharamond-Maha -Mongkut, roi de 
Siam, a une certaine dignité ; il est même solennel dans les 
audiences qu'il accorde et dans les dîners qu'il offre et ne 
partage pas. Il passe autour des tables et dit des mots gra- 
cieux, tout en mâchant le bétel comme le plus humble de ses 
sujets. Il est généreux et se plaît à offrir des présents aux 
voyageurs. Le roi de Cambodge, au contraire, en exige, et 
M. Mouhot ne sait comment défendre son fusil et sa montre. 
Le second roi de Cambodge n'est pas moins extraordinaire ; 
il aime le cognac et le bon, good-brandy ; ce sont les seuls 
mots anglais qu'il prononce ; et, roi d’un pays placé sous le 
protectorat de la France, il ne trouve rien de mieux, quand il 
appelle ses musiciens, que de leur demander la Marseillaise et 
l'air des Girondins ; il fait tête à ses hôtes avec des chants de 
guerre et de révolution. 

Vraiment la cour du roi de Siam est mieux tenue; l’ordre 
y règne et aussi une sorte de pompe et de grandeur. Le palais 
est riche, bien orné, rempli de nombreux gardes et de nom- 
breux serviteurs. La reine a pour son propre service deux 
mille femmes ; elle a sa garde composée de femmes prises 
parmi les plus belles filles du royaume. « Les femmes- 
hommes, dit M. Mouhot, forment le corps militaire le mieux 
vêtu et le mieux discipliné de l’armée siamoise ; mais, à les 
voir évoluer fièrement, avec leur béret écossais, leur jupe de 
tartan, le sabre au côté, le pistolet à la ceinture, arc et car- 
quois sur l'épaule, on les prendrait volontiers pour des échap- 
pées d'un corps de ballet. » 


— 171 — 


Les rois se montrent peu en public; on sent leur action 
plutôt qu'on ne la voit. Le gouvernement du reste est très 
simple; avec une obéissance passive, 1l n'est point de diffi- 
culté. Les impôts rentrent sans peine ; je devrais dire l'impôt : 
il n’y en a qu'un : tout Siamois, haut d’un mètre, paie dix- 
huit francs par an. La justice n'est point mauvaise ; les tribu- 
naux paraissent au premier abord très tumultueux ; on s'y 
presse, on y crie, mais tout finit comme par un coup de ba- 
guette ; l'huissier, ou du moins celui qui en remplit le rôle, 
fait un signe : avocats, parties, témoins, spectateurs, tout se 
tait, le juge se recueille et prononce. Si le roi entre à l’au- 
dience, la foule s'écrase contre les murs, contre terre; lasalleest 
comme vide; ce jour-là les procès vont vite; devant le roi, 
les aveux se précipitent : il n’y a plus de place que pour la 
vérité et la bonne foi. 

De tous les ordres privilégiés, le plus considérable est, sans 
contredit, celui des mandarins. Il est respecté par le peuple 
et ménagé par le roi, qui est son chef. Ce n'est pas que la 
religion soit aussi puissante dans l’Indo- Chine que dans 
l'Inde, la Chine et le Japon. Bien que les fêtes de Bouddha 
réunissent encore, surtout dans les lieux anciennement vé- 
nérés, au mont Phrabât, à Chantaboun plusieurs milliers de 
fidèles et de pèlerins, il est certain que le grand culte boud- 
dhiste a beaucoup perdu de sa force et de son prestige. Les 
Siamois, les Cambodgiens, les Laotiens sont réellement 
adonnés aux plus étranges superstitions. Ils vénèrent des 
démons crochus, cornus, chevelus, puissances inférieures de 
la mythologie indienne et chinoise ; ils adorent des ogres, des 
géants, des sirènes, des nymphes des bois et des montagnes, 
des génies du feu, de l'eau et de l'air. Ils offrent des présents 
aux Vaghas, serpents divins qui vomissent des flammes, aux 
Garoudins, ces aigles terribles qui enlèvent les hommes et 
les transportent sur des rochers inaccessibles. Ils ont foi dans 
les amulettes, dans les philtres; ils quittent les mandarins 
pour se presser autour d'’astrologues qui prédisent la pluie et 


— 172 — 


la sécheresse, la paix ou la guerre, les bonnes ou les mau- 
vaises chances du jeu et des transactions commerciales , qui 
indiquent des jours favorables pour un mariage, une nais- 
sance, la construction d'une maison. 

Ici même nous rencontrons une horrible superstition, reste 
d'un temps éloigné et barbare, qui maintient au milieu d'un 
peuple doux la coutume cruelle des sacrifices humains. On 
arrose du sang des victimes les fondements des temples et des 
maisons; on enterre les cadavres sous les vestibules; les 
nobles immolent des esclaves ; le roi immole des hommes 
libres saisis par surprise. Les seuils des portes des villes sont 
tous des pierres tumulaires qui recouvrent les malheureux 
qui ont été égorgés pour fléchir les dieux et qui deviennent 
comme d'éternels gardiens. C’est d'un mauvais présage, et 
ces villes sont tristes et affreuses : Paknam, la première que 
parcourut Mouhot, lui fit voir une saleté repoussante. 
Bangkok ne frappe que vue de loin et surtout du fleuve. On 
y rencontre des palais nombreux et riches, mais au milieu 
de rues étroites, tortueuses et boueuses, au milieu de huttes 
basses et sales. 400,000 âmes occupent un espace qui, dans 
notre France, ne suffirait pas à 50,000. On bâtit sur char- 
pente près du fleuve et sur le fleuve, et ce sont ces habita- 
tions lacustres qu'on a parfois comparées aux palais de 
Venise. 

Les voyageurs ne savent où se loger, où se reposer de leurs 
fatigues. « J'aurais besoin de longs sommes, dit Mouhot, et 
plusieurs fois pendant la nuit je suis réveillé par des armées 
de fourmis qui me passent sur le corps, s'introduisent sous 
mes couvertures, dans mes vêtements, et s'établissent dans 
ma barbe. D'autres fois, ce sont des canchrelas et d’autres 
vilaines bêtes qui prennent leurs ébats sous le toit, se laissent 
tomber sur ma figure et m'inspirent le dégoût. » À Kampôt 
seulement existe un hôtel, mais quel hôtel! Les marins de 
M. de Montigny, notre ministre plénipotentiaire l'ont nommé 
hôtel du roi et des ambassadeurs ; ils y ont laissé les inscrip- 


d'r5 | 
PARC | 


— 173 — 


tions suivantes : Ici on loge à pied, à cheval et à éléphant... 
pour l’amour de Dieu ; bon lit, sofa et salle à manger... sur 
le plancher; bains d'eau de mer... dans la rivière ; bonne 
table... au marché; bon vin... à Singapour; mais rien à 
donner... pour la servante. 

Les palais sans doute sont magnifiques, surtout celui du 
roi ; on y trouve un tribunal, un théâtre, une bibliothèque ; 
la salle d'audience est couverte de peintures et de dorures ; le 
trône, qui a la forme d’un autel, est surmonté d'un dais à 
sept étages ; la pagode est ornée de deux idoles de Bouddha, 
l’une faite d’or massif, l’autre d’une seule émeraude. Les jar- 
dins sont splendides ; les pavillons sont décorés suivant le 
goût de l’Europe : mais quel goût ! on y voit pêle-mêle des 
statues et des portraits de souverains, des livres, des cartes, 
des sphères, des bronzes ide Barbedienne, des cristaux de 
Baccarat, des porcelaines de Sèvres, de Chine, des laques du 
Japon, des télescopes, des cornues de laboratoire, des appa- 
reils de photographie, des bocaux remplis d'échantillons 
d'histoire naturelle et des lanternes magiques. 

La vraie splendeur du pays réside dans les villes anciennes 
depuis longtemps détruites ; il faut aller la contempler dans 
l'ancienne Ajuthia, au mont Phrahât, à Battambang et à 
Ongkor, à Ongkor surtout, l'ouvrage du roi des Anges, di- 
sent les indigènes, l'œuvre des Géants; ce ne sont plus que 
des ruines, mais ces ruines sont augustes ! On se rappelle 
involontairement les paroles de Bossuet sur les Egyptiens : 
« Les ouvrages de ces anciens hommes étaient faits pour tenir 
contre le temps; leurs statues étaient des colosses ; leurs co- 
lonnes étaient immenses. Ils visaient au grand et voulaient 
frapper les yeux de loin. » On a découvert à Ajuthia une 
statue de Bouddha de dix-huit mètres de haut; elle paraît de 
bronze, mais elle est de briques à l’intérieur, elle est seulement 
revêtue de bronze. Son prix toutefois est immense. M. Palle- 
goix assure que les ruines d’'Ajuthia récèlent d'inépuisables 
trésors et qu’on y fouille toujours avec succès. Selon lui, pour 


— 174 — 
revêtir une seule de ces statues aujourd'hui renversées et 
couvertes de décombres, on employait 25,000 livres de cuivre, 
2,000 livres d'argent et 400 livres d'or. Sous la végétation 
très touffue de Battambang, on a retrouvé la maison de plai- 
sance de Bassette, le palais de Banone et le temple de Wat-ek. 
Les ruines d'Ongkor sont si imposantes et attestent un tra- 


vail si prodigieux qu’on est saisi devant elles d’étonnement et : 


d’admiration. On y arrive par une longue chaussée, on tra- 
verse de vastes portiques, on passe de nombreux pavillons; là 
étaient des palais, ici des temples; sur un grand socle, s'é- 
lève calme et rigide la statue du roi géant qui a créé ces mer- 
veilles. Il appartenait aux Siamois, comme aux Egyptiens, 
de dresser des monuments pour la postérité. 

Ainsi donc un grand peuple a vécu sur cette terre lointaine ; 
il a disparu laissant ces belles ruines, ces témoins imposants 
de sa grandeur et de sa magnificence. Les Siamois d’aujour- 
d'hui, dont on a plaint longtemps l’immuable enfance, ne 
sont que les fils dégénérés d'une noble race qui n’a plus 
d'histoire, mais qui a laissé sur le sol une forte et impéris- 
sable empreinte. Les pères revivront-ils dans leurs enfants ? 
Qui pourrait dire non, quand chaque jour la civilisation chré- 
tienne, établie depuis longtemps aux bouches du Mé-Nam et 
du Mé-Kong, signale ses nouveaux pas par de nouveaux 
avantages ? Je n’ose rien ajouter sur ce point ; il a été traité 
avec une autorité absolue dans le travail que j'ai rappelé au 
commencement de ma lecture. 

En terminant, rendons à Mouhot l'honneur qu'il mérite. 
I] a ouvert la voie du Mé-kong à d'intrépides voyageurs qui, 
plus heureux, mieux servis par les événements et par la vie, 
ont été plus loin que lui sans toucher encore le but, cette 
source si bien cachée du grand fleuve. Ils ont puisé dans 
ses récits, dans ses jugements sur le pays, sur les prôduc- 
tions, sur les habitants, sur le gouvernement, des encoura- 
gements efficaces, disons mieux, les vraies causes de leur 
succès. Ils lui doivent une partie de leur gloire; qu’elle lui 


PS2 
+ MEME 
va 


— 175 — 


revienne et jette sur sa mémoire un juste éclat; et qu'elle 
inspire un noble orgueil à ceux au milieu desquels il est né, 
à ceux qui l’ont aimé, qui ont applaudi à son courage et à 
ses travaux, et qui ont si amèrement regretté sa fin préma- 
turée. 


MONTIJOIE 


ET 


LES ANCIENS CHATEAUX DU CLOS-DU-DOUBS 


Par M. A. QUIQUEREZ * 


ANCIEN PRÉFET DE DELÉMONT. 


Séance du 14 juin 1878. 


Li 
LES CHATEAUX ET LES VIEUX CHEMINS DU CLOS-DU-DOUBS. 


En écrivant l’histoire des châteaux de l’ancien évèché de 
Bâle (1), nous avons dû consacrer tout un chapitre à ceux de 
la vallée du Doubs, depuis Saint-Ursanne jusqu'à Vaufrey. 
Une fois engagé dans ces montagnes, nous avons trouvé le 
nom des sires de Glère et de Montjoie attaché à chaque 
manoir, à chaque localité, et dès lors il nous a fallu décrire 
Bremoncourt, Chauvilier, Glère, Montjoie, et dépasser les 
frontières de la Suisse; car les recherches historiques ne 
sont pas limitées par des bornes territoriales que les événe- 
ments placent et déplacent, selon le droit du plus fort, ou les 
convenances des souverains plus que celles des peuples. 

Avant de franchir les frontières de France, sur les rives 
du Doubs, examinons rapidement l’histoire des localités que 
nous allons traverser. L'origine de plusieurs châteaux de 


(1) Histoire des châteaux de l'évéché de Bâle ; manuscrit in-folio de plus 
de 2000 pages de texte et de 500 planches, exposant les vues et les 
plans des châteaux, les armoiries, les sceaux, les antiquités, les généa- 
logies des familles seigneuriales. 7 


— 171 — 


cette contrée se rattache au système de défense admis par les 
Romains, et peut-être déjà par les peuples antérieurs qui 
trouvaient dans ces montagnes des positions faciles à fortifier. 
Ces positions commandent en général les principaux passages 
du Doubs. Cette rivière, qui séparait les Séquanes des Hel- 
vètes et des Rauraques, dans la partie de son cours que nous 
envisageons, forme un coude très remarquable près de Saint- 
Ursanne. Courant d’abord du sud au nord à travers de pro- 
fonds encaissements, elle reprend brusquement une direction 
vers l’ouest, en approchant de Saint-Ursanne, et elle coule 
dans une vallée un peu moins resserrée. Le promontoire qui 
l'oblige à faire ce détour s'appelle le Clos-du-Doubs, parce 
que la rivière l’enceint de trois côtés. La partie la plus 
accentuée de ce promontoire à quatre à cinq lieues de lon- 
sueur, sur une largeur d’une lieue, entre Vaufrey et le ter- 
ritoire de Gourgouton, un peu au-dessous de Goumois. 

Dans mes publications sur nos contrées aux époques 
celtiques et romaines, j’ai signalé plusieurs castels et posi- 
tions militaires qu'on peut attribuer aux Romains et même 
aux peuples antérieurs occupant les deux rives du Doubs, 
dans tout le parcours précité. Plusieurs de ces positions ont 
été abandonnées à une époque fort éloignée, et d’autres ont 
été réoccupées aux temps féodaux pour la perception des 
péages et la conduite des voyageurs. Un petit nombre de 
châteaux n'ont surgi que plus tard, lorsque le système féodal 
allait déjà en déclinant. Quelques-unes de ces constructions 
tardives sont dues à la famille noble de Glère, la plus puis- 
sante de ces parages. 

Non seulement une voie de communication suivait le 
cours du Doubs, mais plusieurs autres y aboutissaient 
depuis le bassin d’Ajoie, franchissant même le Clos-du- 
Doubs, pour gagner le plateau des Franches-Montagnes et 
de là se diriger vers la plaine helvétique. Chacun de ces 
chemins a été commandé par un ou plusieurs castels 
romains, et l’on verra qu'au moyen âge il en restait encore 

12 


— 178 — 


un bon nombre dans des lieux qui actuellement ne parais- 
sent pas avoir une importance suffisante, pour motiver de 
telles constructions. Mais il ne faut pas oublier que jadis les 
communications se faisaient par des charrières qu'on rebute 
de nos jours, tandis qu'autrefois on les parcourait avec des 
chars à voie étroite, trainés par de petits chevaux attelés à la 
file, comme l’attestent quelques tronçons de ces chemins 
primitifs avec ornières et rainures transversales taillées avec 
soin et régularité dans le roc, et non pas produites par le 
frottement. Ces railvays de l'antiquité se sont retrouvés dans 


l'ancienne Grèce, comme nous en avons découvert plusieurs 


dans les montagnes du Jura. 

Quatre de ces routes reliaient le bassin d'Ajoie à la vallée 
du Doubs et traversaient le Clos, pour aller vers l'Helvétie. 
Chacune d'elles avait des postes militaires aux temps ro- 
mains et au moyen âge. La plus ancienne était celle dite 
de la Croix, entre Courtemautruy et Saint-Ursanne, avec le 
Castel d'Outremont, sur la crête du Lomont, et le château de 
Saint-Ursanne , au passage du Doubs. Si de ce dernier lieu 
on gravissait le Clos, on trouvait sur sa sommité un vaste 
camp romain, ayant son prétoire sur les rochers de Chà- 
tillon. 

La route, jadis très parcourue entre Porrentruy, Villard et 
Bremoncourt, avait le château romain de Calabry et celui 
de Montvouhay, sur les deux versants de la montagne, puis 
ceux de la Motte et de Bremoncourt, au passage du Doubs. 
Roche-d’Or et Glère commandaient des chemins bien plus 
ardus, et ces chemins, à leur prolongement à travers le Clos- 
du-Doubs, rencontraient Chauvilier, puis Franquemont et 


Spiegelberg de l’autre côté du Clos. Plus à l'ouest, Montjoie, 


près de Vaufrey, sur la rive droite de la rivière, se trouvait 
en rapport avec d’autres castels sur la montagne opposée, 
et l’une de routes qu'ils protégeaient allait encore aboutir à 
Goumois, sous Franquemont. 


— 179 — 


Saint-Ursanne. 


Voilà donc bien des châteaux à étudier, et certes ce 
n’était pas la beauté du site qui les avait fait bâtir. Quelques- 
uns paraissent être contemporains de ce pieux solitaire, de 
ce compagnon de Colomban, qui, au commencement du 
septième siècle, chercha une retraite dans ces montagnes que 
la légende qualifie de désert, mais qui ne l'était pas autant 
qu'elle le dit; car à peine l’anachorète fut-il établi dans le 
trou de rocher qui lui servait de cellule, que les habitants 
du voisinage vinrent le visiter. La légende raconte que le 
riche Evélion l'invita à sa table pour se moquer de lui en 
lui faisant boire du vin, dont l’ermite ne connaissait pas 
l'usage et la douceur perfide. Mais Ursanne, s'étant aperçu 
de la malice de son hôte, prononca contre sa maison la malé- 
diction de David : « Que cette habitation soit déserte et que 
nul ne puisse y demeurer! » La légende ajoute que peu après 
la maison maudite fut envahie par des reptiles qui en chas- 
serent les habitants. Qui était cet Evélion, et où était sa 
demeure ? Ce personnage porte un nom gaulois, et sa 
demeure, qui ne devait pas être éloignée de la cellule d'Ur- 
sanne, pourrait bien être un de ces castels romains réoccupés 
à l’époque barbare, peut-être celui de la montagne de 
Calabry, peut-être Outremont ou Montvouhay. Le château 
de Saint-Ursanne est trop rapproché, et sa désertion trop 
récente. La dernière fois que nous l'avons visité, il y a plus 
de cinquante ans, nous en avons été chassé par les puces et 
les guêpes ; et quand j'ai découvert un dessin de ce château 
au xvi° siècle, chez un antiquaire bâlois, celui-ci a exigé une 
pièce de cinq francs pour me permettre de copier cette vue de 
Saint-Ursanne faite par le chroniqueur Wurstisen. 

L'histoire de l’église de Saint-Ursanne forme tout un vo- 
lume de mes manuscrits. L'abbaye, ensuite chapitre de ce 
nom, possédait un vaste territoire appelé la Prévôté. Il em- 


— 180 — 


brassait une grande partie de la contrée qu'on vient d’entre- 
voir, mais cependant il n y avait que le seul château de 
Saint-Ursanne qui en dépendit : tous les autres avaient leurs 
domaines propres et indépendants, indiquant une autre ori- 
gine que celle du monastère. La mouvance de l'évêché de 
Bâle, pour quelques-uns d’entre eux, parait remonter aux 
droits de souveraineté accordés à cette église par le dernier 
roi de Bourgogne, en 999, sur la célèbre abbaye de Grand- 
val, dont Saint-Ursanne était alors une dépendance. Les 
limites de la Prévôté sont indiquées dans un acte de l’année 
1210 ; on les retrouve, avec les mêmes noms de localités, 
en 1367, 1436 et plus tard, ce qui indique l'ancienneté et la 
persistance des noms, en même temps que l'importance qu'on 
doit attacher à leur conservation dans les documents mo- 
dernes. Une des bornes de la Prévôté de Saint-Ursanne est 
la Pierre de l’Autel, une de ces roches de culte et de sacrifice, 
sur la montagne de Repais, en face de la Roche-au-Diable, 
près desquelles on éleva, dans les premiers siècles chrétiens, 
une église dédiée à saint Martin. 

Le petit bourg de Saint-Ursanne doit sa naissance au mo- 
nastère établi en ce lieu au septième siècle. Son église est un 


curieux monument de l’époque de transition, lorsque les 


architectes commencèrent à substituer l'ogive au plein cintre. 
Le portail du sud offre des sculptures d’un grand intérêt. Un 
des chapiteaux des six colonnes qui ornent cette porte repré- 
sente l’histoire du loup à l’école. Ce monument donne au 
tableau un âge qu'on ne lui connaissait pas; son voisin offre 
la Sainte Famille, avec le symbole du poisson, du mot grec 
ixeds, dont on a fait l’anagramme de Jesus-Christus (1). Les 
quatre autres sont consacrés aux figures mystiques des évan- 
gélistes. 

Le château de Saint-Ursanne a été bâti vers le treizième 


(1) Le Bulletin de la Société pour la conservation des monuments his- 
toriques d'Aisace (t. VI, p 55) a publié la notice que nous avons rédigée 
à ce sujet. 3 


ne A Ml At 
+. à 


— 181 — 


siècle pour y loger l’avoué du monastère. Cette avoucrie avait 
. êté jusque-là inféodée aux barons d’Asuel, dont le château 
était à une lieue de là. Gelui de Saint-Ursanne devint en- 
suite la demeure du châtelain régissant, pour lPévèque de 
Bâle, la Prévôté et même les Franches-Montagnes, Il sou- 
tint un siége durant la guerre de Trente ans ou des Suédois. 
On le convertit plus tard en bastille épiscopale, puis après 
1793 il devint propriété privée, abandonnée à de pauvres 
familles, jusqu'à ce que les bâtiments, tombant de ‘vétusté, 
ne furent plus bons qu'à démolir. Du treizième siècle jusqu’à 
la fin du quatorzième, on trouve une famille noble du nom 
de Saint-Ursanne, qui avait des armoiries pouvant bien in- 
diquer sa parenté avec les nobles de Glère. Les Saint-Ursanne 
- portaient de gueules à deux clefs d'argent posées en sautoir. 
Ces armoiries n’ont aucun rapport avec celles de la ville dort 
ces nobles portaient le nom ; l’écu de la ville était d'argent, à 
l'ours de sable posé debout et tenant une crosse d'or. 


Outremont et Ravine. 


Outremont, au nord de Saint-Ursanne, n'offre que les 
restes d’une vigie romaine. Il en est de même de Châtillon, 
sur le point culminant du Clos-du-Doubs, entre Montenol et 
Epauvillers. Au pied de ces rochers, le hameau de Ravine a 
donné naissance à la belle et spirituelle Pierrette de Ravine, 
qui fut pendant plus de vingt ans la maîtresse en titre de Louis, 
comte de Neuchâtel, nonobstant ses trois femmes successives 
et peut-être à cause d'elles : toutes trois étaient de grandes 
maisons bourguignonnes (1). Le comte donna la Perrusson, 
ou Perusée-maîtresse, en fief matrimonial à un noble de 


(1) La première était Jeanne de Monfaucon, qu'il épousa en 1325; la 
seconde, Catherine, fille de Thiébaud V, sire de Neuchätel, épousée le 
28 mai 1343, morte en 1353 ; la troisième, Marguerite, dame de Vufflans, 
qui, après la mort du comte de Neuchâtel, épousa Jacques de Vergy. 


— 182 — 


Péry, avec droit de reprise. Un des fils de Pierrette, Gau- 
thier, sire de Rochefort, occupa fort la cour de Bourgogne, 
qui avait pris son parti contre Conrad de Fribourg, son neveu, 
devenu comte de Neuchâtel. Mais ce comte allemand ne laissa 
pas que de faire décapiter son oncle (1412). Nous croyons que 
Pierrette de Ravine appartenait à une branche des Asuel qui 
‘possédait des fiefs nobles à Epauvillers, d’où elle prenait le 
nom de de Vilario, et à Ravine dont elle a aussi pu emprunter 
1e nom. 


Montvouhay. 


Montvouhay, sur le versant méridional du Lomont, a suc- 
cédé à une vigie romaine. Son nom actuel paraît provenir de 
ce qu'au xrr° siècle ce château a appartenu aux nobles de 
Vendelincourt, qui ont longtemps possédé l’avouerie d’Ajoie 
et dont une branche, encore pour ce motif, donna le nom de 
Châtelvouhay au lieu de sa résidence près de Courchavon. 
Le château de Montvouhay était un fief de l’église de Bâle, 
tenu par les sires de Neuchâtel qui en investirent diverses 
familles nobles. Après les Vendelincourt, le fief passa aux 
Saint-Aubin, vers le milieu du xrv° siècle. L’un d’eux eut des 
démêlés avec les bourgeois de Porrentruy et de Saint-Ur- 
sanne, qui s'émancipèrent au point d'assiéger Montvouhay, 
de le prendre de force, de le piller et de maltraiter les dames 
de Saint-Aubin. Le sire du lieu eut une autre querelle avec 
son suzerain Thiébaud de Neuchâtel, devenu son seigneur 
engagiste. Les officiers de ce sire assiégèrent Montvouhay, le 
prirent et forcèrent Simon de Saint-Aubin à se reconnaître 
vassal de Neuchâtel (1390). 

Jeanne, que nous croyons sœur de Henri de Saint-Aubin, 
sire de Conflandey et de Gouhans, avait épousé un noble de 


’ 


Ces époux habitaient le château de Boudry, sur le lac de Neuchâtel, et y 
exerçaient des actes de brigandage qui les firent expulser du pays et 
renvoyer en Bourgogne. (Monrmozuin, p. 212) 


— 183 — 

Boncourt-Asuel, auquel elle donna la moitié du fief de Mont- 
vouhay. Son mari étant mort le 8 septembre 1431, elle s’en 
consola en en prenant un autre, au mois de mars suivant, 
dans la personne de Thiébaud de Tavanues. Montvouhay 
resta dans la famille de celui-ci jusqu’à son extinction en 
1549. Le château passa alors en diverses mains, et comme 
ses possesseurs ne l’habitaient pas, il tomba de vétusté dans 
le courant du xvr° siècle. 

On a trouvé dans les ruines de Montvouhay une trompe 
en bronze de forme antique, dont le son avait, disait-on, la 
vertu de chasser la tempête et d'empêcher les femmes de 
tromper leurs maris. Il paraît que, depuis quelques années, 
cette vertu était frappée d'impuissance, ce qui expliquerait 
pourquoi le talisman a été troqué contre une pièce d'or que 
nous avions vainement offerte précédemment. 


Bremoncourt. 


Bremoncourt, presque en face de Montvouhay, vers Le sud, 
a eu une famille noble et deux châteaux. L'un, sur la rive 
droite du Doubs, une Motte, qui a laissé son nom à un ha- 
meau voisin et dont les fossés étaient remplis par les eaux du 
Doubs; l'autre occupait le sommet d'une colline rocheuse au 
sud du village de Bremoncourt. Les actes ne font mention 
de ces nobles qu'au xrrr° siècle, lors même que leurs châteaux 
attestent une plus haute antiquité : on voit même des traces 
romaines à la Motte, comme sur la colline. Les Bremoncourt 
se sont éteints au commencement du xvi° siècle. [ls portaient 
de gueules à la bande componnée d'argent et d'azur de six 
pièces. 


Chauvilier. 


Si l'on s'écarte un peu de la vallée du Doubs, entre Glère 
et Indevillers, sur le tracé d’une voie primitive, on trouve les 


— 184 — 


ruines de Chauvilier ou Kalenberg. Deux nobles de ce nom 
apparaissent déjà au x1rr° siècle ; mais ces deux personnages 
paraissent être les mémes que deux nobles de Glère ayant 
alors les mêmes noms de baptême. Il se pourrait que les Glère 
aient possédé Chauvilier, soit à titre féodal, soit à titre allo- 
dial, jusque vers l’année 1300, que ce château a pu parvenir 
à l'évêché de Bâle, par suite d’une guerre avec les Glère- 
Montjoie et d'échange avec les comtes de Montbéliard. Ce 
n’est que dans le courant du xiv* siècle qu'on trouve la trace 
du château de Chauvilier, bien qu'il doive provenir de Pun 
des siècles antérieurs aux actes qui le nomment. Il apparte- 
nait alors à l’église de Bâle, qui l’inféoda à diverses personnes. 
Il fut engagé avec Saint-Ursanne et Spiegelberg à Jean de 
Vienne, sire de Roulans, qui garda ces domaines jusqu'à leur 
rachat en 1384. Il fut de nouveau engagé, et il parvint à ce 
même titre aux sires de Neuchâtel, en 1388. Ceux-ci n'ayant 
point voulu le restituer contre le prix d'engagement, le chà- 
teau fut assiégé et pris par les officiers de l’évèque de Bâle, 
en 1425. Il fut remis en gage et sous la garde de Humbert, 
comte de la Roche, qui le conserva jusqu'en 1437. Il fit re- 
tour à l’évêché, qui le fit restaurer. Mais ce manoir fut en 
partie brülé lors de la guerre de Bourgogne (1475). Nicolas 
de Montjoie offrit de le rebâtir, en 1525, si on le lui donnait 
en fief; mais l'évêque le remit à son chancelier, puis il passa 
dans les mains roturières des Berret ou Barret, Barotins, 
alors châtelains de Saint-Ursanne. Le 5 août 1627, le comte 
de Grancey, commandant à Montbéliard pour la France, 
ayant résolu de chasser les Bourguignons de Saint-Hippo- 
lyte, qu'ils tenaient pour l'empire, passa, avec son armée, 
par Porrentruy et Saint-Ursanne, et s'empara de Chauvilier, 
dont la garnison avait pris la fuite à son approche. Le comte 
occupa le château et y tint un conseil de guerre. On ne sait 
si ce manoir fut incendié au départ des troupes, ou s’il tomba 
peu à peu de vétusté. Cependant on s’occupa encore de cette 
seigneurie en miniature , en 1780. lors d’un traité de la 


— 185 — 


France avec l'évêché de Bâle, au sujet de rectifications de 
frontières, et Chauvilier passa sous la domination francaise, 
avec quelques réserves en faveur de l’évêque. 

Nous avons envoyé à la Société d'Emulation de Monthé- 
lard une monographie du château de Franquemont, de l’autre 
côté du Clos-du-Doubs, qui avait appartenu aux comtes de 
Montbéliard. Celle du château voisin de Spiegelberg, por- 
tant jadis le même nom que le fort de Joux, WMirra, Mira 
vallis, figure dans nos manuscrits sur les châteaux de l’évê- 
ché de Bâle. Nous allons actuellement revenir à Glère, déjà 
nommé en passant, puis à Montjoie, but de cette notice. 


Il 


GLÈRE. 


Les sires de Glère-Montjoie ont possédé tous les châteaux 
qui bordent les deux rives du Doubs, sur quelques lieues de 
longueur, et peut-être pourrait-on encore rattacher à leur 
possession les châteaux de Bremoncourt et de Chauvilier. 
Quoique cette contrée se trouve hors des limites de l’ancien 
évêché de Bâle, elle s'y rattache intimement, à raison des 
droits qu'y possédait cette église. 

Dans nos publications sur les monuments de l’époque cel- 
tique et romaine, nous avons déjà indiqué les emplacements 
de plusieurs positions fortifiées de ces temps reculés, qui 
attestent que ces montagnes n'étaient point alors désertes. 
Tels sont les castels près de Vernois, celui de Chéseau, sur la 
rive gauche du Doubs, près de Glère. Ce dernier a pu être 
restauré plus tard par les sires de Glère, pour servir, comme 
autrefois, à la défense du passage du Doubs et du chemin qui 
de là traversait le Clos-du-Doubs en passant près de Chauvilier. 
Peut-être même que le château de Glère, qui occupait la som- 
mité d’une colline au dessus du village de ce nom, n'était Iui- 
même qu'une restauration d’une forteresse plus ancienne, 


! SNS 


— 186 — 


Origine des nobles de Gière. 


Glère, Gliers, Chilirs, au douzième siècle, est un village 
d’une trentaine de maisons qui a donné son nom à une fa- 
mille noble, dont on fait remonter l’origine au x° siècle. Le 
château devait être plus ancien encore. À en croire un mé- 
moire publié en 1773, à l’occasion d’un procès des comtes de 
Montjoie, Jean de Gliers, premier seigneur connu de cette 
maison noble, vivait au milieu du x° siècle. Guerrier distin- 
gué, il aurait aidé puissamment Henri I, empereur d’Alle- 
magne, à faire la conquête de l'Alsace, après la déchéance de 
Charles le Simple, roi de France, possesseur de cette province. 
La terre de Gliers aurait ensuite passé à Berthold qui, à son 
tour, servit l'empereur Otton I dans ses guerres contre Louis 
d'Outre-mer, fils de Charles et aspirant à reconquérir l’Al- 
sace enlevée à son père. En récompense de ces services, les 
empereurs d'Allemagne auraient donné la vallée de Glère à 
ces personnages qui en prirent le nom. 

Ce récit, sans preuves suffisantes à l'appui, laisse cepen- 
dant entrevoir l’origine probable de ces seigneurs. Il révèle le 
fait fréquent de ces anciens domaines du fisc romain échus 
aux empereurs d'Allemagne, comprenant généralement les 
vieilles forteresses romaines ou leurs emplacements, avec les 
territoires et les droits qui y étaient restés attachés. On sait 
de plus que les empereurs et les rois récompensaient volon- 
tiers leurs officiers en leur donnant de ces sortes de domaines. 
Une fois établis dans de tels postes, les officiers avaient plus 
ou moins de chances d'accroître leurs terres et leurs droits. 
C'est ce qui a dû avoir lieu pour les nobles de Gliers. Ils ne 
tardèrent point à étendre leur puissance dans la vallée du 
Doubs, et leur manoir de Glère se trouvant sans doute trop 
étroit pour leur famille, ils en bâtirent d’autres, soit pour la 
défense de leurs terres, soit pour avoir une demeure plus 
agréable, ou pour loger leurs nombreux descendants. Dans 


"2 1 


— 187 — 


le courant du douzième siècle, ils construisirent le château 
de Montjoie, dans la position la plus avantageuse et la plus 
agréable de la vallée, et ils donnèrent à cette maison de plai- 
sance le nom de Montjoie ou de Froberg. On a souvent con- 
fondu ce nom allemand avec celui de Frobourg, désignant 
une famille et des châteaux absolument étrangers à Montjoie. 
Un de ces manoirs, celui originaire des comtes de Frobourg, 
était en Argovie, et l’autre dans l'évêché de Bâle, sur le 
Haueustein. 


La Roche-à-Canon. 


Il est probable que vers la même époque les Glère avaient 
déjà restauré un poste romain sur la montagne, au sud de 
Vaufrey, afin de couvrir le passage du Doubs et les chemins 
vers Goumois, à travers le Clos et vers Maîche. Cette position 
importante s'appelle actuellement Roche-à-Canon. Certes ce 
qu'il en reste atteste que ce n’est pas un ouvrage militaire 
pour le canon, mais une de ces antiques forteresses que nom- 
ment déjà des actes du xrr1° siècle et qu'on croit détruite de- 
puis 1438, durant une guerre que les sires de Montjoie et des 
nobles d'Alsace soutinrent contre la maison d'Autriche. Nous 
n'avons plus retrouvé en ce lieu que des fondations de mu- 
railles et des fossés avec vallum extérieur, mais le tout insuf- 
fisant pour en déterminer l’âge. 


Moron. 


A un quart de lieu plus au levant, sur la même montagne, 
les sires de Glère-Montjoie firent bâtir, avant le xrv° siècle, 
une forteresse près du hameau de Moron. Elle occupait une 
roche arrondie à laquelle on donne maintenant le nom de 
Roche-au-Chüteau; et lorsque ce manoir fut détruit, du xv° au 
xvrr' siècle, les sires de Montjoie, qui prenaient aussi le titre 
de barons de Moron ou Moutron, ne laissèrent pas que d'en- 


L 


— 188 — 


tretenir dans une maison du village une douzaine de cava- 
liers chargés de la défense et de la police de leur baronie. 
M. l'abbé Richard assigne à cette bâtisse les années 1315 à 


- 1335; mais à cette première date le château existait déjà, 


comme le prouve l'acte même qu’il invoque. Dans cette lettre 
de franchises, du mois de juin 1315, le sire de Montjoie et de 
Moron ne fait mention que de la fermeture du bourg qu'il 
voulait établir au pied du castel (1). 


Ruine du chäteau de Glère. 


On ne sait à quelle époque le château de Glère a été dé- 
truit ou abandonné. Il est encore nommé dans les inféoda- 
tions du quinzième siècle ; mais les lettres de fief, se copiant 
comme nos baux actuels, rappelaient fréquemment des châ- 
teaux qui depuis longtemps n'existaient plus, afin de con- 
server les domaines, droits et dépendances qui survivaient à 
la ruine de ces châteaux. Le manoir de Glère n’a pas laissé 
de ruines : son rapprochement du village et son accès facile 
ont amené sa démolition absolue: il a servi de carrière pour 
les maisons voisines. Tel a été le sort de la plupart des châ- 
teaux qui n'étaient pas perchés sur des rochers inaccessibles 
et éloignés des habitations. C’est une situation en lieu élevé 
qui a en partie sauvé le château de Montjoie, ruiné d’ailleurs 
beaucoup plus tard. Nous allons le visiter avant de résumer 
l’histoire de ses nobles habitants. | 


(1) Ricuarp, Essai sur l'histoire de la maison et baronie de Montjoie ; 
Besançon, 1860, in-8, p. 81. 


HT 


MONTIJOIE OÙ FROBERG. 


Au bas du grand cirque que forme le Lomont autour de 
Vaufrey, une colline rocheuse, servant de contrefort à la 
montagne, descend jusque vers la rive droite du Doubs. C’est 
à l'extrémité méridionale de son arète qu’on a bâti la forte- 
resse, après avoir détaché son emplacement de la prolonga- 
tion occidentale de la colline par une entaille large et pro- 
fonde creusée dans le roc vif, suivant un usage observé dans 
lassiette d'un grand nombre de châteaux. On avait ainsi un 
premier moyen de défense et une carrière. 

De l’ouest au nord, des roches escarpées offraient un autre 
rempart naturel; mais l'accès étant plus facile des autres 
côtés, on avait construit une double enceinte enveloppant 
quelques maisons des vassaux, ou ce qu’on appelait la ville 
de Montjoie, et embrassant, avec le manoir, une surface de 
plus de 85 ares. Le rempart extérieur était flanqué de quel- 
ques tourelles rondes, dont deux fort rapprochées protégeaient 
la porte, à l’angle du sud. Une fois dans cette enceinte, il 
fallait encore, pour monter au château, prendre un chemin 
rapide et étroit, ménagé dans le flanc rocheux de la golline. 
On arrivait d'abord près d'une chapelle, placée dans! la pre- 
mière enceinte, et n'étant pas celle du château même; nous 
reviendrons à cet oratoire. 

L'entrée du château se trouvait à un niveau plus élevé. On 
remarque encore une tour ronde qui renfermait l'escalier en 
pierre. Une petite cour centrale était environnée d’habita- 
tons construites sur les bords du rocher et à des niveaux dif- 
férents vers l'extérieur : ces constructions sont absolument 
ruinées. La partie la mieux conservée est le donjon qui borde 
le fossé ou l’entaille de l’ouest. Son plan est un trapèze; ses 
murailles sont fort épaisses, et l'absence ou la rareté de ses 


— 190 — 


fenêtres très petites, indique qu'il servait de prison dans ses 
étages inférieurs, tandis que ceux du haut servaient à la dé- 
fense de la forteresse. C’est bien là l'édifice construit au xrr° 
siècle, si ce n'est plus tôt encore. Là aussi, dans ces sombres 


Se 


réduits, sans lumière, sans air, on enfermait les prisonniers : 


de guerre qu'on voulait mettre à rançon, et ensuite, pour les 
forcer à payer plus tôt et davantage, on ne leur épargnait pas 
les mauvais traitements. Quelques seigneurs faisaient métier 
d'enlever des personnages éminents ou riches pour les ran- 
conner. Ils contractaient même des marchés avec des aven- 
turiers pour pratiquer cette chasse à l’homme, comme le 
font encore les brigands romagnols et calabrais. Perreciot 
rapporte un marché fait, le 4 août 1350, par un seigneur de 
Belvoir avec deux routiers d’Asuel, pour procurer à ce sei- 
gneur des prisonniers et en partager la rançon avec lui (1). 

En 1374, Louis, sire de Montjoie, dans une guerre contre 
l’évêque de Bâle, ayant pris Petermann Schaller, Aymon de 
Domprels et Walter de Colombier, les enferma dans le donjon 
de son château et ne les relâcha que sous le cautionnement 
du marquis de Hochberg et de plusieurs grands seigneurs, 
parmi lesquels on comptait sept comtes, huit chevaliers et 
sept écuyers (?). L'abbé Richard se trompe au sujet des causes 
de la guerre. 

En 1428, Jean de Montjoie et Thiébaud, sire de Neuchâ- 
tel, étaient en lutte ouverte avec les ducs d'Autriche. Ils en- 
trèrent dans leurs terres avec 2,500 hommes, brûlèrent Dan- 
nemarie et dix villages, massacrèrent les habitants et com- 
mirent d'horribles ravages dans cette partie de l'Alsace, d’où 
ils amenèrent 60 notables bourgeois qu'ils entassèrent dans 
les cachots de la forteresse de Montjoie. En vain Jean, comte 
de Thierstein, bailli de Ferrette (pour l'Autriche), vient-il 


(1) Perrxcior, Elal civil, preuve n° 127 ; — Cf. TROUILLAT, Monuments 
de l'ancien évéché de Bäle, t. III, p. 871. 
(2) TrourzLar, t. IV, p. 739, 


L VREVLE A 


— 191 — 


assiéger cette forteresse; en vain écrit-il (10 août 1428) à 
Antoine de Toulongeon, maréchal de Bourgogne, pour le 
sommer, au nom de l’amitié que son maître porte aux princes 
d'Autriche, de demander au baïlli d’Amont de venir l'aider 
avec 20 ou 30 hommes à poursuivre le siége : toutes ces ten- 
tatives restèrent sans succès. Montjoie ne put être forcé (1). 
J1 fallut alors recourir aux cantons suisses, ces anciens enne- 
mis de l'Autriche, et quand Bâle, Soleure, Berne intervin- 
rent, Montjoie dut ouvrir ses prisons. 

Comme les sires de Montjoie étaient souvent en expéditions 
militaires, et que leur famille ne pouvait rester dans le ma- 
noir de Montjoie sans défenseurs, ils y mettaient un châte- 
lain ou officier chargé de commander la garnison et de les 
remplacer pour l'administration de la justice et d'autres 
affaires (2). Ce fut sous l’un de ces châtelains que Montjoie et 
Moron furent pris, en 1438, par les partisans de l'Autriche, 
contre lesquels guerroyait alors le baron de Montjoie. On ne 
lui rendit ces places qu'après sa soumission. Il se pourrait 
que Glère ait été alors pris et ruiné. 

Durant la guerre de Trente ans, Montjoie fut menacé, le 
12 mars 1635, par le rheingrave Otton-Louis, qui comman- 
dait une armée suédoise ; mais il échappa au danger. Vers la 
fin de mai de l’année suivante, survint le maréchal de La 
Force, à la tôte d’une armée de douze mille Français. Il campa 
sous Montjoie, qui avait pour commandant un capitaine lor- 
rain, de la famille de Saint-Belmont. Celui-ci refusa de rendre 
la place; il fallut en faire le siége. La difficulté était de prendre 
position sur une colline au sud-ouest du château, de l’autre 
côté du ravin dans lequel passait le seul chemin pour arriver 
au point culminant. Ce chemin creux et étroit longeait la base 


(1) Ricæano, Montjoie, pp. 37 et 38, 

(2) Slaicquin de Elsembourg était châtelain de Montjoie en juillet 1438. 
Jean, bâtard de Thullières, est qualifié de même dans des actes de 1469, 
1493 et 1494. (TrouiLLar, t. V, pp. 776, 846, 903 et 906.) 


— 192 — 4 


de la forteresse, et de celle-ci partait un feu de mousquetene 
qui tuait tous les animaux, bœufs et chevaux attelés aux ca- 
nons. Tant qu'il y eut des munitions, l'ennemi ne put s’éta- 
blir sur la position qui dominait le château. La poudre man- 
qua enfin, mais non pas le courage du commandant, qui 
attendit que le canon eût fait une brèche praticable avant de 
rendre la place, après trois semaines de siége. Il sortit avec 
les honneurs de la guerre, n'ayant à sa suite qu’une poignée 
de brave gens. Les vainqueurs se vengèrent de cette résis- 
tance sur la forteresse : Les tours et les remparts furent ren- 
versés par la poudre, pendant que le feu dévorait les habita- 
tions et léchait les murs de la chapelle qui en porte encore 
les traces. Telle fut la fin de Montjoie, dont les seigneurs se 
retirèrent dans la maison de plaisance qu'ils avaient à Vau- 
frey et qu'ils convertirent, dans la seconde moitié du dix- 
huitième siècle, en un beau et grand château. Cette résidence 
fut ruinée à son tour après 1790 ; il n’en reste qu'un faible 
débris : les caves, les granges et dépendances, avec un corps 
de bâtiment qui servait de logement au châtelain. Le siége 
de la justice avait été transféré à Indevillers, après la ruine 
de la forteresse (1), Qui ne se rappelle l’aimable hospitalité 
qu'on a trouvée durant tant d'années dans cette demeure 
pendant qu'elle était la propriété de M. Monnot? C'est à lui 
que nous devons d’avoir pu étudier Montjoie et ses environs, 
et nous en conservons le meilleur souvenir. 


(1) A la date du 20 janvier 1468, les seigneurs de Morimont reconnois- 
sent tènir de l'évêque de Bâle la seigneurie, château ruiné et château de 
Montjoie (Froberg) avec toutes les dépendances. (TrouILLaT, t. V, p. 840:) 
Mais le répertoire des archives de l'évêché de Bâle dit, à cette date: 
« Item herschofften, Burgstall und Schloss Mouron und Froberg, mit 
aller Manschafit, herliskeit, und zeigehorungen, nicht uberal ausge- 
nomen. » Nous avouons que ce document est peu applicable à une date 
où la possession de Moron et de Montjoie n'était pas contestée, à moins 
qu'il n'y ait eu une main mise ou saisie de fief dont l'évêque aurait alors 
investi les Morimont. Le 20 mars 1493, un acte relate encore une de ces 
saisies du fief de Montjoie par l'évèque de Bâle. (Trourzar, t. V, p. 903.) 


— 193 — 


Chapelle de Montjoie. — Sépultures des barons. 


Nous n'avons fait qu’entrevoir en passant la chapelle du 
château de Montjoie ; elle mérite cependant d’être visitée. 
Quoique plusieurs fois restaurée, elle a conservé d’intéres- 
‘ sants débris de son architecture primitive remontant au xn° 
siècle, lorsque le plein cintre ne cédait qu'avec peine la place 
au style ogival. Quand on y fit des réparations en juillet 1826, 
on trouva, sous son pavé formé en partie de pierres tombales, 
trois couches de sépultures superposées. M. Désiré Monnier 
dit qu'il a pu s'assurer, par la longueur des cercueils et par 
le rapport des gens du lieu, qu'il y avait des corps dépassant 
six pieds de longueur. Il raconte que les paysans, après avoir 
découvert ces grands sarcophages, en avaient sorti leurs an- 
ciens seigneurs et les avaient dressés contre le mur, en leur 
faisant tendre le jarret longtemps replié dans leurs coffres de 
pierre ; il ajoute que les comtes de Montjoie qui existent en- 
core offrent pareïllement cette grande taille, qui semble être 
un privilége de famille (1). | 

M. Monnot, dont nous avons déjà cité le nom, et M. le co- 
lonel Buchwalden, témoins de cette découverte, nous ont 
confirmé ces faits, tout en nous faisant remarquer que les 
corps n'étaient pas tous également conservés. Les uns tom- 
baient en poudre, et les autres étaient desséchés, mais mous 
et bruns comme de l'amadou. Leurs cercueils en bois étaient 
encore en bon état. Un de ces personnages était coiffé d’un 
casque et chaussé de grosses bottes de cuir. Dans une boîte 
de sapin se trouvait le corps d’un nouveau-né, dont le cordon 
ombilical était enveloppé de linge. 

On peut attribuer à diverses causes la conservation de ces 
corps : d’abord au terrain sec et graveleux dans lequel étaient 
placés les cercueils ; puis à l’embaumement, ou encore au 


(1) Traditions populaires comparées, p. 561. 


13 


— 194 — 
grand âge de quelques-uns qui, à l’époque de leur mort, 
étaient déjà pour ainsi dire desséchés. Ce cas s’est produit 
pour un vieil ecclésiastique enterré dans une chapelle à Por- 
rentruy. 

Parmi ces corps découverts en 1826, on montre encore 
celui de Claudine de Montjoie, née en 1571, et morte en 1611, 
. en odeur de sainteté, dit-on. On peut la woir en une cavité 
pratiquée dans l'épaisseur du mur de la chapelle, et les dévots 
forcent parfois la porte vitrée pour enlever, comme reliques, 
des parcelles d’'habits ou de chair de cette momie jurassienne. 
Cette demoiselle, un peu surannée, était coiffée d'un petit 
bonnet de basin garni de blondes. La bonne conservation de 


ce corps fut regardée comme une preuve de sainteté, qu’on 


n’osa toutefois étendre jusqu'aux grands parents de Claudine, 
couchés près d'elle en tout aussi bon état. 

Une de ces grandes momies était celle de Didier I, mort 
en 1587; une autre, celle de Didier IT, mort en 1736. On 
prétendait que l'un d'eux, en revenant de la chasse, avait 
tué un couvreur, pour voir l'effet que produirait ce gibier en 
dégringolant du toit. Le roi, dit-on, lui fit grâce, maïs en gra- 
ciant d'avance celui qui lui rendrait la pareille. Un de leurs 
ancêtres, Guillaume L, à son retour de Palestine, où 1l avait 
accompagné Jean de Saint-Mauris, chevalier, fonda et dota, 
de concert avec ce parent, sept chapelles, tant au château 
qu’au bourg de Montjoie, en 1288, 1300, 1304. Ces faits sont 
énoncés dans des actes de ratification que firent plus tard 
Guillaume de Montjoie, Collin de Saint-Mauris et Clémence 
de Montjoie, sa femme, en 1310 et 13171). L'abbé Richard 
dit que Guillaume fonda deux chapellenies dans l'oratoire de 
son château : l’une en l'honneur de saint Nicolas, et l'autre 
de sainte Catherine. On voit ailleurs qu'il se proposait, en 
1305, d'établir une autre chapelle au château de Moron, et 


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(1) Galeries historiques de Versailles : salles des croisades, t. VI, 
{re partie, pp. 324 et 520. 


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— 195 — 


peut-être les fondations, rappelées plus haut, concernaient- 
elles les oratoires de ses autres manoirs. Selon le rang qu'oc- 
cupe, dans le texte des Galeries de Versailles, l'article où il est 
fait mention de Guillaume de Montjoie, il aurait coopéré à la 
septième croisade en 1270. 

Un des sires de Montjoie devint vice-roi de Naples. Il était 
grand maréchal du pape, et son fils porta également des titres 
pompeux à la cour d'Avignon. L'un d'eux ramena de Rome 
une statue de la Vierge Marie qui orne encore la chapelle de 
Montjoie. Gelle-ci est sous le vocable de saint Jacques ; mais 
ce qu'elle renferme de plus estimé, nous n’osons dire vénéré, 
est un grand saint Christophe en bois qu'on plaçait autrefois 
dans les églises pour en écarter les voleurs. Celui de Berne, 
nonobstant sa taille colossale, ne fut pas vigilant, et, pour le 
punir, on le relégua dans une tour d’enceinte de la ville. 
Saint Christophe de Montjoie, moins heureux encore, se 
laissa voler pièce par pièce. Les filles et les veuves qui dési- 
rent trouver un mari dans l’année, n’ont qu'à couper une 
parcelle du saint, et l'objet de leurs vœux leur arrive. Il pa- 
raît que la recette est bonne, puisque lesdites personnes ont 
tant et tant taillé toutes les parties saïllantes du saint, à 
commencer par le nez et les oreilles, sans négliger tous les 
plis de sa robe, qu'il faut de la bonne volonté pour recon- 
naître dans ce bloc une statue d'homme. M. Fournet cite un 
exemple pareil ou analogue dans une chapelle du départe- 
ment de l'Isère. Là c'est une pierre de forme conique qui re- 
présente le dieu Terme et que vont invoquer à deux genoux 
les femmes en quête d'époux (1). Il y a, dans une chapelle 
dédiée à saint Humbert, près de Bassecourt, une pierre levée 
qui rappelle cette même préoccupation, et la roche en porte 
encore les traces. L'oratoire de Montjoie aurait-il également 
remplacé quelque pierre vénérée ? C'est chose possible. Mais 
M. l'abbé Richard renvoie, pour l'explication de cette cou- 


(1) Fourner, De l'influence du mineur, p. 429. 


— 196 — 


tume, aux écrits de M. X. Marmier, et il pense qu'elle a pu 
être apportée à Montjoie au dix-septième siècle par des co- 
lons qu’on avait fait venir de pays où les femmes ont recours 
à des pratiques de ce genre. 

Quelques pierres tumulaires, qui forment le pavé de la 
chapelle, offrent les signes héraldiques des nobles de Glère- 
Montjoie. D'autres portent des figures qui semblent être les 
instruments de la Passion de Notre-Seigneur. Ces pierres 
sont au moins du quinzième siècle. Il y a également quel- 
ques tableaux, dont un nous montre l’un des miracles attri- 
bués à Catherine de Montjoie, lorsque son père, voulant savoir 
ce qu'elle portait dans son tablier, en allant visiter des pau- 
vres, n’y trouva que des roses qui avaient remplacé le pain 
de l’aumône. 

On est heureux de rencontrer de temps à autre quelque 
tableau touchant pour faire diversion aux souvenirs de cette 
époque, du reste peu regrettable. Ce luxe de châteaux établis 
sur les rochers bordant la vallée du Doubs, et dont chacun 
ajoutait une perle à la couronne des barons de Montjoie, 
pesait lourdement sur les vassaux de ces seigneurs. S'ils qua- 
lifiaient du nom de ville les petils groupes de maisons bâties 
au pied des murs de Montjoie et de Moron, ces demeures, la 
plupart en bois, n'abritaient que dix ou douze ménages 
dans chacune de ces maigres cités. C’est là que végétaient 
quelques familles main-mortables, d'autant plus écrasées de 
charges féodales que ces serfs étaient moins nombreux et 
plus près de leur seigneur. Taillables à merci, jusqu'au com- 
inencement du quatorzième siècle, ils étaient tenus au ser- 
vice militaire pour la garde des châteaux et pour les expédi- 
tions qu'il plaisait de faire à leurs seigneurs belliqueux. Ils 
étaient chargés de corvées pour la bâtisse et l'entretien des 
forteresses seigneuriales. Qu'on se figure ce qu'il fallait de 
pierres pour bâtir des murs de six à douze pieds d'épaisseur, 
et de peines pour les monter une à une sur ces roches si peu 
accessibles ! Ils pouvaient, à la vérité, se réfugier dans ces 


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— 197 — 


châteaux à l'approche de l'ennemi; mais, au départ de 
celui-ci, quel que füt le résultat de la guerre, ïls étaient 
assurés de trouver leurs maisons incendiées ou dévastées. 


Affranchissement des serfs de Montjoie et Moron. 


En 1306 et 1315, Guillaume, chevalier, sire de Glère, 
Montjoie et Moron, allégea un peu la condition de ses 
hommes habitant les deux bourgs précités. En 1307, il fit un 
traité avec son cousin Jean, comte de la Roche et sire de 
Châtillon, pour faciliter l'établissement réciproque de leurs 
vassaux dans leurs terres limitrophes. Par les deux premiers 
actes, Guillaume affranchit ses hommes de toutes tailles, 
prises et corvées, s'engageant à les protéger, mais se réser- 
vant l’ost, la chevauchée et toutes justices et dépendances de 
ces droits, avec obligation pour les affranchis d’habiter con- 
stamment dans leurs bourgs respectifs. Il leur imposa un 
cens annuel de 12? deniers par toise de facade de leurs mai- 
sons, la même somme pour chaque journal de terre cul- 
tivée, et un quartal de vin pour chaque muid s'ils plantaient 
des vignes. Tout étranger qui s’établissait dans la terre de 
Montjoie payait 12 deniers de droit d'entrage, et tout autant 
s’il partait avec la permission du seigneur qui, dans ce cas, 
devait le faire accompagner pendant un jour et une nuit. Les 
meubles appartenaient à l'émigrant ; mais la terre restait au 
seigneur. Si l'on se dispensait de la permission d'émigrer, et 
qu'on ne rentrât point au domicile dans la huitaine, le sire 
pouvait s'emparer de tous les biens du fugitif. Ces bourgeois 
pouvaient cependant hériter de la fortune de leurs ascen- 
dants, d'après les lois sur les successions; mais ils ne devaient 
pas acquérir d'immeubles, à quel titre que ce fût, sans l'as- 
sentiment du seigneur. Celui-ci se réserva le droit de faire 
fortifier à ses frais ses bourgs ou villes de Montjoie et de 
Moron, durant un laps de temps de vingt ans; mais, ce term 
écoulé, les habitants devaient payer la moitié des dépen 


— 198 — 


pour l'entretien et la réparation des murailles de ces bourgs. 
IL imposa enfin le cens d’une mesure de blé à payer annuel- 
lement par chaque ménage au prêtre desservant la chapelle 
du château (1). 


Etendue de la seigneurie. 


La seigneurie de Montjoie embrassait la partie la plus occi- 
dentale du Clos-du-Doubs, par une ligne entre Montjoie, In- 
devillers et Gourgouton, et par une autre, à lorient, s'arrê- 
tant aux territoires de Soubey et des Piquerez. Elle compre- 
nait, au sud, le versant méridional du Lomont, depuis Mon- 
tancy à Montjoie, soit ensemble une quinzaine de villages et 
beaucoup de métairies. Il y avait de plus une enclave de 
l’autre côté du Clos, englobant les bois de Montjoie et Mal- 
nuit, entre le Doubs et les Pommerats. C'était toute une sei- 
gneurie, dans laquelle les Montjoie exercaient des droits de 
quasi-souveraineté, que leurs relations féodales finirent par 
amoindrir graduellement, surtout en ce qui concernait les 
appels de leur justice qu'on porta en Bourgogne eten Alsace, 
selon les temps et les circonstances, chaque fois qu'il y 
eut possibilité de protester contre les sentences de leurs offi- 
ciers. 

Les Montjoie tenaient aussi, en Alsace, des fiefs de la 
maison d'Autriche et de l'évêché de Bâle : c’étaient les vil- 
lages d’'Hirsingen, de Heymersdorf, Bisel, Audelingen, Ræ- 
dersbach, Brubach, Muesbach et quelques autres près de Bel- 
fort, où ils exercaient des droits seigneuriaux. Hirsingen et 
Heymersdorf avaient des châteaux qui donnèrent ensuite 
leurs noms à des branches de la famille de Montjoie. 

C’est dans la première partie de la seigneurie de Montjoie, 
voisine du Doubs, formant les dernières limites de l'Alsace 
et aussi une enclave, que les barons de Montjoie exercaient 


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(1) Ricaarp, Pièce justificative no 2, 


Le HS RES 


— 199 — 

plus spécialement leur pouvoir féodal, comprénañt le droit 
de faire la guerre, jadis inhérenit à celui de haute justice : 
dans cette contrée, on leur payait la dîme à la sixième gerbe. 
A la suite de la guerre de Trente ans, lés Montjoie, voyant 
que la population de leurs villages était diminuée, cherchè- 
rent à attirer de nouveaux habitants en réduisant l'impôt à la 
dixième gerbe. Mais cette générosité ñe dura guère : les tu- 
teurs des enfants du baron rétablirent la dime à la sixième 
gerbe, en 1662. Ce fut à cette occasion que commenca une 
lutte entre les sujets et leur seigneur, lutte qui dura jusqu'en 
1780. Elle fut accompagnée de voies de fait, de violences, de 
désordres nombreux, qui rappellent les troubles de l'évêché 
de Bâle de 1726 à 1740. Il surgit uné multitude de procès, 
que les sujets perdirent devant toutes les juridictions. Il y eut 
des dépenses énormes, dix fois pires que les charges dont Les 
sujets avaient voulu s'affranchir. La servitude personnelle 
fut maintenue, et ce ne fut qu'en 1789 que tombèrent enfin 
tous les restes de la féodalité. Les charges féodales étaient 
devenues fort lourdes à l'occasion de la bâtisse du château de 
Vaufrey, après 1738, ce qui avait dccasionné un redouble- 
ment de querelle. 


Û IV 
NOBLES DE GLÈRE-MONTIJOIE. 


Il en est des nobles de Glère où Gliers, comimé de bien 
d'autres familles dont l'origine se perd dans la nuit des 
temps, parce que les actes antérieurs au douzième siècle sont 
fort rares. On à voulu faire remonter les Glère au dixième 
siècle, tandis que ce n'est que le 6 août 1173 qu'on voit 
figurer Hugo, chevalier de Chilirs, parmi les témoins nobles 
d’un acte des barons d’Asuel en faveur de Saint-Ursanne. 
Déjà, en 1148, 1179, l'église de Grandval percevait la 
dîme dans la courtine de Glère, et ce n’était pas chose nou- 
velle. 


— 200 — 

Richard de Gliers, probablement fils de Hugues, est cité 
comme témoin dans une charte des comtes de Ferrette, en 
1233, avec les nobles qualifiés liberi, mot indiquant des 
dynastes indépendants, jouissant de domaines en franc-alleu. 
Comme, vers celte époque, les comtes de Ferrette appelaient 
les Gliers leurs cousins, M. l'abbé Richard a pensé qu'ils 
avaient une origine commune, et qu'ils descendaient des an- 
ciens comtes de Monthéliard. Mais les armoiries des Glère 
sont sans analogie avec celles des Monthéliard, des Ferrette 
et de toutes les grandes maisons issues de cette souche. Le 
titre de cousin provient probablement d'une alliance de- 
Glère avec une comtesse de Ferrette. 

Le même auteur cite un acte rapporté par D. Calmet, do 
son Histoire de Lorraine, par lequel un Henri de Montjoie et 
Wal. le jeune de Limbourg, son frère, donnent une attesta- 
tion au sujet du mariage de leur sœur, Catherine, avec 
Mathieu II, duc de Lorraine, et où il est fait mention de 
leur père W., comte de Luxembourg et duc de Limbourg. 
M. l'abbé Richard ajoute que c’est par cette alliance que, dès 
les premières! années du treizième siècle, les Montjoie se 
trouvèrent en relations intimes avec la maison de Lorraine, 
mais qu'il n’a pas pu découvrir la descendance de Henri de 
Montjoie et de Wal. de Limbourg, tandis que leur sœur Ca- 
therine gouverna la Lorraine de 1250 à 1254, pendant la 
minorité de son fils (1). 

Nous avons peine à croire qu'il se soit agi des Montjoie- 
sur-le-Doubs, à cette époque où les Glère ne prenaient pas 
encore ce nom, et rien, dans les temps suivants, ne confirme 
cette haute origine. 

Richard I, sire de Glère, laissa un fils appelé comme lui, 
qui épousa, selon le même auteur, Marguerite, sœur d'UI- 
rich, comte de Ferrette : cette assertion repose sur ce que les 
enfants d'Ulrich se seraient dits les cousins de Richard. 


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(1) Ricaanp, p. 19 et 20. 


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— 201 — 


Nous n'avons trouvé aucune trace de cette Marguerite dans 
la famille de Ferrette. Richard IT eut trois fils et trois filles, et 
il est probable que ses frères laissèrent aussi des enfants qui 
conserverent le titre de sire de Glère, tandis qu'il semble que 
celui de sire de Montjoie fut l'apanage des descendants de 
Guillaume I, fils de Richard II. Nous avons trouvé le sceau 
de Berthold de Gliers, sire de Moutron ou Moron, petit-fils 
de Guillaume I, apposé à un acte de 1372, au sujet de la 


vente d’un de ses fiefs à Cœuve (1). Le fils de Berthold prend 


le titre de baron et de sire de Heymersdorf ou d'Eméricourt, 
en 1398 et 1400 (?). C’est de ce Guillaume I (1265 à 1325) que 
part avec certitude la généalogie des sires de Montjoie. La 
position de ce seigneur ne paraît pas aussi indépendante que 
celle de ses ancôtres. Il avait fait un voyage en Palestine, 
fondé et doté des chapelles, et il paraît avoir contracté des 
engagements pour se procurer de l'argent. Il se reconnut 
vassal de Renaud de Bourgogne, comte de Montbéliard, en 
1297 ; mais quand Renaud eut cédé ses droits de suzeraineté 
sur Montjoie et dépendances à l’évêque de Bâle, en échange 
des droits de celui-ci sur Blamont, en 1300, Guillaume ne 
voulut pas reconnaître ce nouveau suzerain , et il en résulta 
une guerre entre eux. M. Trouillat présume que cette cession 
de Renaud n'eut pas de suite, et que l'évêque, pour mettre 
fin à la guerre, échangea bien vite sa suzeraineté contre des 
droits sur la terre de Malnuit et sur la seigneurie de Chau- 
vilier (1). Cependant nous avons vu plus haut qu'en 1468 
l'évêque de Bâle revendiquait encore cette suzeraineté sur 
Montjoie et Moron, opérait un retrait du fief et le conférait 
aux nobles de Morimont (4), sans toutefois que le retrait ait 
eu de longues suites. 

Si les sires de Montjoie purent se soustraire à la vassalité 


(1) Archives de l'évéché de Bâle : fac-simile dans l'Hist. d’Asuel, p. 144. 
(2) TrourzLaT, t. IV, pp. 357 et 867. 

(3) Iein.., t. II, p. cx. 

(4) Isin., t. V, p. 840, et Répertoire des archives : fiefs nobles. 


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— 202 — 

de l’église de Bâle pour Montjoie et Moron, ils y restèrent 
attachés pour d’autres fiefs dans le Sundgau et pour les bois 
de Montjoie ou la terre de Malnuit, qui leur était assignée en 
fief castral à Porrentruy, avec obligation de contribuer à la 
défense de cette ville (1309). Dès cette époque, les Montjoie 
eurent un hôtel au haut de la rue de l’église, comme nous 
l'avons indiqué dans l'histoire de Porrentruy. 

Guillaume I fut un chevalier de renom. A son retour de la 
Terre-Sainte en 1288, Edouard, roi d'Angleterre, le prit à sa 
solde pendant trois ans, pour faire la guerre à Philippe le 
Bel, roi de France. Il servit également son cousin Thiébaud, 
comte de Ferrette, et celui-ci l'indemnisa en 1298. On a dit 
précédemment qu'il avait accordé des libertés à ses sujets de 
Montjoie et de Moron, et fondé des chapelles dans ses châ- 
teaux. Il mourut vers 1325. 

Son fils, Guillaume IT, déjà du vivant de son père, s'inti- 
tulait sire de Montjoie et de Moron. Il avait fait la guerre à 
Jeanne de Bourgogne, ensuite reine de France (1327). IL fut 
fait prisonnier et mis à si grosse rançon que sa fortune en 
souffrit longtemps. Il dut se reconnaître vassal de Thiébaud, 
sire de Neuchâtel, qui avait obtenu cette suzer aineté dans des 
arrangements avec les comtes de Montbéliard, ses alliés. 
(1340). Il était de même vassal de l'Autriche pour Heymers- 
dorf et autres domaines du comté de Ferrette (1336). On re- 
marque, par plusieurs documents, que Guillaume IT, ayant 
été obligé de payer de grosses sommes pour ses dégâts en 
Bourgogne et pour racheter sa liberté, aliéna des droits et des 
terres. Son mariage même avec la fille du comte de Neu- 
châtel, en Suisse, ne le tira point d’embarras. À sa mort ar- 
rivée vers l’année 1350, il laissa deux fils encore mineurs. 
L'un, Rollin, devint évêque de Viterbe, et l’autre, Louis, re- 
leva la fortune des Montjoie, qu'il porta au plus haut degré. 
Il épousa, en septembre 1360, Jacobée de Cly, fille où sœur 
de Pierre de Cly, sire de Roche-d'or, son voisin. Ravenez dit 
que sa femme était Cunégonde, marquise de Hochberg ; mais 


su va NC 


— 203 — 
Louis de Montjoie a pu avoir deux femmes. Cependant on ne 
trouve pas cette Cunégonde parmi les enfants de Henri de 
Hochberg, duquel Ravenez dit qu'elle était fille. 

Quatre ans après (1364), Louis faisait la guerre en faveur 
de Marguerite de Flandre, pour conserver à cette princesse 
ses droits sur la Franche-Comté. IL eut des démêlés avec 
Jean de Vienne, évêque de Bâle, son suzerain, et il lui en- 
leva le château de Sogren, qu'il garda pendant trois ans. 
L'évêque se ligua avec Thiébaud de Neuchâtel ; mais le sire 
de Montjoie porta la guerre dans les Etats de ce puissant 
voisin et il y causa de grands ravages. Thiébaud le fit pri- 
sonnier, et l'évêque demanda sa détention dans le château de 
Blamont où il fut traité durement. La comtesse de Neuchâtel 
en Suisse intercéda pour lui, avec plusieurs comtes et hauts 
barons, et la paix fut conclue le 20 mai 1373. Louis dut s’en- 
gager à ne tirer aucune vengeance des mauvais traitements 
qu'il avait éprouvés, et, chose curieuse, l’évêque de Bâle, qui 
en était la cause, se porta son garant avec deux grands sei- 
gneurs. À cet effet ils livrèrent des otages jusqu'à parfait 
payement de la rançon et des indemnités auxquelles on avait 
condamné Louis de Montjoie. Une fois hors de prison, 
celui-ci, les 26 juin et 8 juillet 1373, dut reconnaître que le 
château de Montjoie était fief rendable de Neuchâtel et que 
le sire Thiébaud y avait droit d'entrée ou de recept, en temps 
de guerre. 

Les sires de Neuchâtel étaient très habiles à se procurer 
ces sortes de droits, qui mettaient à leur disposition les forte- 
resses de la contrée. Le 19 février 1398, ils exigèrent de Jean, 
fils de Louis de Montjoie, une reconnaissance authentique. 
A cet effet, Thiébaud envoya Jean Bernard, dit le Camus, 
sire d’Asuel, se présenter aux portes de Montjoie, avec deux 
notaires et des témoins. Là, le baron d’Asuel appela Jean de 
Montjoie et lui demanda s’il n’était pas vrai qu'il tenait son 
château et ses terres en fief rendable de Neuchâtel. Jean ré- 
pondit affirmativement, ouvrit son château, en présenta les 


: 17.000 


Enr 


— 204 — 


clefs au baron, et jura entre ses mains de garder la forteresse 
au nom et pour messire Thiébaud. L'envoyé du suzerain 
remit les clefs au portier, et les notaires dressèrent acte de 
cette reconnaissance, sous la grande porte du castel. 

On a déjà dit que Louis de Montjoie avait fait la guerre à 
l’évêque de Bâle et enfermé des prisonniers de distinction 
dans le donjon de Montjoie (1374). Plus tard, en 1383, il fit 
la paix avec lui, et alors il portait déjà le titre de baron de 
Glère et de maréchal du pape. Louis, par ses alliances de fa- 
mille, se trouvait le neveu de Clément VII, élu pape en 
1378, en opposition à Urbain VI. Ce pontife, qui avait établi 
sa résidence à Avignon, chargea le sire de Montjoie d'enlever 
Rome à son compétiteur (1379). Après quelques succès en 
Italie, il fut pris à la bataille de Marino, mais relaché plus 
tard. Il se mit alors au service du comte d'Anjou, pour faire 
les conquêtes des royaumes de Naples et de Sicile devenus 
vacants, et que Clément VIT avait donnés au comte. Cette 
campagne fut heureuse pour le baron de Glère, et il fut créé 
vice-roi des pays conquis. En 1404 il guerroyait contre Hesso, 
marquis de Hochberg, et Thuring de Ramstein, au sujet de 
la seigneurie de Heymersdorf, que les Montjoie tenaient de 
l'Autriche. Lorsqu'il fit son testament le 21 septembre 1424, 
il prit pour exécuteurs testamentaires le roi et la reine de Na- 
ples. Il mourut le 23 juin 1425, et il fut enterré à Avignon où 
l'on grava sur sa tombe l’épitaphe suivante : 

« Cy gist messire Louis S' de Montjoye, du diocèse de Be- 
» sançon, qui fut maréchal de N.S. P. le pape Clément VII et 
» conseiller chambellan du Roi de France, et par l'ordonnance 
» de Notre dit S. Père, sans changer son office, maréchal et 
» vice-roi au royaume de Sicile et de Naples pour les rois 
» Louis I et IT, qui trépassa de ce siècle le 98 juin 1495 À). » 

Louis laissa son château de Montjoie par préciput à son fils 
Jean Il, tandis que l'aîné, Guillaume, devint évêque de 


(1): RAveNEz, t. V, p. 747. 


22906" — 

Béziers. Jean, déjà du vivant de son père, occupait une haute 
position et portait les titres de maréchal du pape, en 1391, et 
de conseiller et chambellan du roi de Sicile, en 1404. Il avait 
épousé, en 1386, Jeanne, fille de Henri de la Roche, sire de 
Villersexel, qui, en faveur de ce mariage, donna à Jeanne 
deux mille francs d'or, auxquels l'archevêque de Besançon et 
Guillaume de Vergy ajoutèrent chacun 500 francs (1). La 
mère de Jeanne était sœur de ces deux personnages : aussi 
Jean de Montjoie prit-il chaudement, en 1391, le parti de 
l'archevêque contre le duc de Bourgogne. Son haut rang lui 
imposait de grandes dépenses, qui lui firent aliéner de nom- 
breux droits et domaines pour se procurer de l'argent. Dans 
ce but, son père avait déjà remis la seigneurie de Montjoie en 
fief oblat à l'empereur d'Allemagne, s’obligeant à lui prêter 
foi et hommage, mais en gardant l’usufruit de la seigneurie. 
Un mémoire relatif à Montjoie, rédigé en 1772, dit que les 
ducs d'Autriche forcèrent les Montjoie à leur rendre hom- 
mage, et que, de franc-alleu noble, la terre de Montjoie de- 
vait fief oblat; que déjà vers 1334 une de ces investitures fut 
donnée à Jean de Gliers, et une autre en 1439. Il y a appa- 
rence qu'on a confondu l’empereur d'Allemagne avec les ducs 
d'Autriche. Il est certain que Jean II de Montjoie était vassal 
de ces princes pour la forteresse de Moron, en 1382, et c'était 
alors son cousin Berthold de Glère qui la tenait à titre d'en- 
gagement. En juin 1412, il reprit en fief des ducs Frédéric 
et Léopold le fort de Moron, avec le bourg et dépendances, 
Heymersdorf et toutes ses appartenances, des biens à Hir- 
singen et à Rœdersbach, la mairie des trois Muesbach et la 
ferme de Riesbach, avec tous les droits attachés à ces posses- 
sions. Cet acte est le premier qui établit clairement la dépen- 
dance féodale des Montjoie de la maison d'Autriche. 

Jean II de Montjoie se brouilla avec son puissant voisin 
Thiébaud de Neuchâtel. I] lui fit la guerre pour le compte 


es 


(1) Trourzzar, t. IV, p. 787. 


— 206 — 


de l’évêque de Bâle. Celui-ci, ayant voulu racheter les sei- 
gneuries et châteaux engagés au sire de Neuchâtel, ne put 
lui faire accepter le remboursement de la somme d’engage- 
ment. Il fallut recourir à la voie des armes. Le sort de la 
guerre fut défavorable à Thiébaud et le força à céder. Récon- 
cilié avec le sire de Montjoie, il se ligua avec lui contre l’Au- 
triche, et les ducs éprouvèrent de grandes pertes dans leurs 
domaines de la Haute-Alsace. Ce fut alors que Jean IT rem- 
plit les cachots de Montjoie de prisonniers alsaciens. 11 mou- 
rut enfin avant le 18 juillet 1438, et avec lui s'éteignit l’an- 
tique maison de Gliers : son cousin Berthold IT n'avait pas 
laissé d'enfants mâles. 


V 


NOBLES DE THUILLIÈRES-MONTJOIE. 


On s’est donné beaucoup de peine pour démêler comment 
la succession du dernier sire de Gliers-Montjoie a pu passer 
à la famille noble de Thuillières, dont deux membres, Jean- 
Louis et Valentin, sont déjà nommés dans le testament de 
Jean II de Montjoie. Mais Jean-Louis de Thuillières était 
neveu de Jean II de Montjoie par suite de son mariage avec 
Guillaumette, qui devait être fille d’une sœur, suivant les 
uns, et plutôt, selon nous, d’un frère de Jean IL. On ne con- 
naît pas de sœur à celui-ci, mais bien un frère, Guillaume, 
son aîné, qui reprenait déjà les fiefs de la famille en 1399, 
du vivant de leur père Louis. Il ne fut élu évêque de Béziers 
qu'en 1424 (1); il avait donc pu contracter un mariage avant 
son entrée dans les ordres sacrés. 


(1) Ce prélat mourut le 2 avril 1451, et voulut être inhumé dans le cime- 
tière des pauvres. Un manuscrit contemporain résumait ainsi les actes 
de son épiscopat : « Anno Domini M CCUC LI et die ur aprilis, obiit reco- 
lendæ memoriæ GuiLzezmus DE MonreGAUDI0, episcopus Biterrensis, qui 
dictæ ecclesiæ per xxvir annos præfuit, ipsamque et totum clerum paci- 
fice rexit, multa pro libertate ecclesiæ conservanda passus incommoda, 


it LME ES Es chat » Pa 4 mi, % 5 ? = 
Te - ; ! : 


— 207 — 

Ce degré de parenté de Jean-Louis de Thuillières avec 
. Jean II de Montjoie est clairement établi par un acte original ‘ 
du 18 juillet 1438. Alors Jean-Louis de Thuillières , cheva- 
lier, sire de Hardemont et de Montjoie, déclare que sa tante, 
noble dame de Villersexel, dame de Montjoie, veuve de feu 
Jean , sire de Montjoie, oncle dudit Jean - Louis, lui a de- 
mandé le châtel et forteresse de Montjoie, la ville dudit Mont- 
joie, ensemble tous les revenus, rentes et issues appartenant 
à la châtelainie dudit Montjoie, auxquels elle prétend avoir 
droit par testament de feu son mari et en vertu de son con- 
trat de mariage, et qu'un accord est intervenu entre eux, 
comme suit : Jeanne renonce à tous ses droits sur la sei- 
gneurie de Montjoie et à toutes ses réclamations, sauf son 
droit de logement (manaige) qui est spécialement réservé, 
moyennant une rente viagère que lui paiera Jean-Louis et 
qui consistera en 50 florins d’or du Rhin, 6 bichots de fro- 
ment, 4 bichots d'avoine (mesure de Montjoie), 10 livres de 
cire, 30 gelines et 12 glanées de poissons (1). Cette rente, 
payable à des dates fixées, devait se livrer, à la convenance 
de la dame, soit à Saint-Ursanne, soit à Porrentruy, ou à 
Montjoie; elle fut garantie par Henri, bâtard de Montbé- 
liard, sire de Franquemont, par Thiébaud Macabré de Ta- 
vannes, qui scellèrent l’acte en présence de plusieurs té- 
moins (2). 

Par un acte du 6 septembre 1447, Jean-Louis de Thuil- 


plurima ecclesiæ Biterrensi bona largitus est : inter quæ majus altare 
argenteum refici, cathedram episcopalem et organa reparari, sacristiam 
funditus ædificari, ac quatuor millia ducatorum pro fundatione instituta 
donari, sex vestimenta sacerdotalia, duos calices pulcherrimos deau- 
ratos, unam crucem auream, totas suas tapisserias pro ornatu ecclesiæ, 
et alia infinita dona, voluitque sepeliri in cimeterio pauperum S. Felicis, 
in quo capitulum, ad memoriam tanti ac venerandi episcopi, curavit 
extrui monumentum quadratum. » (Gallia christiana, t. VI, col. 360-61.) 

(1) Quand le pêcheur tue le poisson à mesure qu’il le prend, il lui 
passe dans la bouche et les ouïes une baguette avec un crochet dans le 
bas, et il forme des glanes plus ou moins grandes et pesantes. 

(2) TrouiLLAT, t. V, p. 779. 


— 208 — 


lières acheta une rente annuelle de 120 florins d’or, assurée 


sur les dîmes d'Hirsingen par feu son oncle Jean de Mont- 
joie et vendue à réméré à Jean de Massevaux (1). 

Enfin plus tard, le 17 décembre 1474, Jean de Venningen, 
évêque de Bâle, écrit à Didier de Thuillières, chevalier, 
fils de Jean-Louis, que lui Didier retient des biens et cens 
relevant de l'église de Bâle, qu'il en jouit sans en être ni 
l'héritier, ni le possesseur légitime, attendu que les sires de 
Montjoie les ont possédés, comme vassaux nés de l’église de 
Bâle, à titre de fief mâle, et qu'ils sont tous morts sans hoirs 
mâles de leurs armes, de leur nom et de leur souche; les- 
quels biens sont échus, non pas audit Didier, mais à l'évêque 
et à son église de Bäle, comme sire du fief. Il invite en con- 
séquence Didier à laisser ladite église en possession de ces 
biens et à payer une indemnité raisonnable pour la jouis- 
sance indue qu'il en a eue. Les biens en question compre- 
naient les bois sous la ville des Pommerats (bois de Montjoie- 
Malnuit}, appartenant en fief castral à Porrentruy; des 
champs et prés que les gens des Pommerats tenaient dans le 
voisinage desdits bois; le quart de la dîime d'Hirsingen et 
de Greutzingen (?). 

Ces divers actes prouvent que Jean-Louis de Thuillières 
n'avait pu épouser qu'une fille légitime de Guillaume de 
Montjoie, et non pas la fille d’une sœur de celui-ci. Dans tous 
les cas, il n’était point l'héritier des Montjoie par descen- 
dance masculine, mais seulement par son mariage avec une 
nièce du dernier membre de cette famille. Lui-même était 
le fils de Guillaume de Thuillières et de Jeanne de Montu- 
reux-sur-Saône, Il portait le titre de sire de Hardemont, près 
de Remiremont, arrondissement d'Epinal. Le nom de Thuil- 
lières s'écrit de diverses manières (Tulière, Tuillère, Tul- 
lière) dans différents actes. 


(1) RIcHARD, p. 38. 
(2) TrouILLaAT, t. V, p. 851. 


D: TR 


— 209 — 


Jean-Louis de Thuillières, sire de Montjoie, tout enor- 
gueilli de la grande fortune à laquelle il était parvenu par la 
mort et par la succession de l'oncle de sa femme, voulut s’é- 
manciper de ses liens féodaux envers l'évêque de Bâle, 
comme on vient de le voir. Il refusa de faire hommage à la 
maison d'Autriche pour les fiefs que son oncle avait tenus 
des ducs de ce nom. Il en résulta une.guerre qu'il soutint 
avec l'argent que lui prêta Jean de Chalon, en 1438. I] lutta 
pendant deux ans avec des succès divers; mais il fut enfin 
vaincu : ses châteaux furent pris et lui-même réduit à se 
soumettre. Le 28 novembre 1439, on lui rendit l'investiture 
tant pour les mâles que pour les femelles, conformément aux 
lettres précédentes de 1434, de tous les fiefs que ses prédé- 
cesseurs les Montjoie avaient tenus de l'Autriche (Moron, 
Glère, Montjoie, Eméricourt ou Heymersdorf, et toutes leurs 
dépendances), et Jean-Louis se reconnut vassal de l’Au- 
triche (1). 

Un an après, le 19 novembre 1440, il signa un traité de 
paix avec les officiers des ducs. 11 demanda pardon pour lui 
et ses adhérents des dommages causés à l'Autriche, et le 
bailli de Ferrette, au nom de cette puissance, lui restitua les 
châteaux de Montjoie, de Moron, d'Eméricourt et autres fiefs, 
comme en avaient joui les Montjoie, hommes et femmes, et 
messire Jean de Montjoie récemment trépassé. Jean-Louis, 
en se reconnaissant vassal de l'Autriche, s'engagea à servir 
cette maison dans la guerre contre Venise, avec vingt hommes 
d'armes et à ses dépens, pendant un mois. Si l'Autriche exi- 
geait un plus long service après ce délai, elle devait en payer 
les frais. Plus tard les Montjoie durent servir leur suzerain 
avec trente chevaliers (). 

C'est à la suite de cette guerre et d’arrangements subsé- 


(1) Ricxar», p. 84, pièce n° 3; — TrourLear, t. V, p. 882 (1454) ; — In- 
féodations de 1412, 1434, et autres documents. 
(2) ScxœpPrLiN, Alsace illustrée, t. II, p. 52 ; — Bovys, Annales de Neu- 
châtel, t. IL, p. 298 (1587). 
14 


210: 
quents que l'Autriche étendit sa suzeraineté sur Glère et 
Montjoie, qui avaient précédemment relevé de Neuchâtel, et 
c’est alors, paraît-il, qu'on établit la ligne de séparation 
d’entre la Haute-Alsace et le comté de Bourgogne, au moyen 
d’un fossé traversant le haut plateau d’Indevillers, tout à tra- 
vers le Clos-du-Doubs. 

Nous ne suivrons pas plus loin les faits et gestes de Thuil- 
lières de Montjoie, dont nous donnerons un essai de généa- 
logie. Cette famille se partagea en deux branches : celle des 
Montjoie-Heymersdorf subsista de 1474 à 1686, et celle de 
Montjoie ou de Froberg proprement dite se maintint plus 
longtemps encore. En 1681, il en sortit deux nouveaux ra- 
meaux : l’un dit de Montjoie-Vaufrey, lieu de sa résidence; 
l’autre dit de Montjoie-Hirsingen, où il y avait un château. 
Ce dernier rameau existe encore en Bavière. 

En 1736, le roi de France donna le titre de comte à la fa- 
mille de Montjoie, et en 1743 l'empereur la créa comte d’Em- 
pire. Les Montjoie avaient déjà le droit de prendre ce titre 
par suite de l'achat qu'ils firent, à la fin du dix-septième 
siècle, du comté de la Roche-Saint-Hippolyte, qui limitait 
leurs domaines vers l'occident. Déjà même ils s'étaient alliés 
par un mariage, en 1386, avec les comtes de la Roche. 

Ils tenaient aussi de l'empire d'Allemagne le droit de battre 
monnaie , et ils en faisaient encore usage au seizième siècle. 
Le 18 juillet 1554, un édit du parlement de Dole, rendu au 
nom de l’empereur Charles-Quint, interdit en Franche-Comté 
le cours de la monnaie de Montjoie, trop faible de poids et de 
mauvais aloi (1). Elle était si bien connue sous ce rapport, 
qu'en Franche-Comté, lorsqu'on veut parler d'un mauvais 
payeur, on dit encore : Jl paie en monnaie de Montjoie. 

Les barons de Franquemont, leurs voisins, en agissaient 


—— 


(1) On n'a pu retrouver un seul type de ces mauvaises espèces, (PLAN 
TET et JBANNEZ, Essai sur les monnaies du comté de Bourgogne, pp. 253- 
256.) 


— 211 — 
de même, imitant de plus les monnaies courantes, pour faire 
passer plus facilement leur mauvais billon (1). 

Les Montjoie ont occupé des charges importantes en France 
et en Allemagne, tant dans les armées que dans les ambas- 
sades, comme aussi dans les hautes dignités ecclésiastiques, 
dans les ordres de chevalerie, dans les grandes abbayes et les 
chapitres où l’on exigeait la preuve de seize quartiers de no- 
blesse. L'un d'eux, Simon-Nicolas, a été prince-évèque de 
Bâle de 1742 à 1775. 

Les Montjoie s’alliaient aux premières familles de France 
et d'Allemagne, et peu de maisons nobles ont eu une aussi 
srande et une aussi longue illustration. Un des derniers du 
rameau de Vaufrey est venu mourir malheureusement aux 
limites de ses anciens domaines. IL fut tué le 2 juillet 1815, 
dans une échauffourée royaliste, au pont de Goumois. 


VI 


ARMOIRIES DES GLÈRE-MONTIJOIE ET DES THUILLIÈRES-MONTJOIE. 


On a cité en passant le sceau de Berthold de Gliers, en 
1372. Dans l'acte il est nommé sire de Moutron et de Gliers, 
et sur le sceau en cire verte on peut lire Berthold de Gliers. 
Au centre on voit un écu de forme antique, avec une clef en 
pal tournée à droite. Ce sont bien les signes héraldiques des 
sires de Gliers-Montjoie-Moron, dont les émaux étaient de 
gueules à la clef d'argent en pal (?). 

L’armorial de Tschudi donne deux cimiers : l’un composé 
d’une clef à deux barbes d'argent, en pal ; l’autre, d’un buste 
de femme vêtue de gueules et coiffée d’un chaperon d'azur, 
avec une barbe de clef d'argent sur chaque épaule. 


= ——— 


a — © 2 2 


(1) PLanrTer et JEANNEz, p. 249. 

(2) Salle des croisades à Versailles, t. NT, 1"° partio; — Armorial ma- 
nuscrit de Tscaup:; — Plusieurs grands almanachs officiels de la cour 
des évêques de Bâle ; — Armoriaux divers. 


— 212 — 


Un ancien armorial de l'évêché de Bâle en offre aussi deux 
qui se rapprochent des précédents : 1° deux clefs d'argent 
adossées en pal et liées par leurs anneaux; 2° un buste de 
femme vêtue de gueules, coiffée d'une couronne d'azur et 
une clef d'argent sur chaque épaule. 

Quand les Thuillières héritèrent des Gliers-Montjoie, ils 
écartelèrent leur écu : 1 et 3° de Gliers et 2 et 4° de Thuil- 


lières. Ceux-ci portaient de gueules à la clef d’or, en pal, la 


barbe à sénestre, accostée à dextre de 4 billettes d’or taillées 
en diamant et posées en pal, et à sénestre de 5 besans d’ar- 
gent en sautoir. Quelques armoriaux donnent 5 boules d’or 
au lieu des besans d'argent. 

L'écu était timbré d'une couronne de marquis; il avait 
pour supports deux satyres, l’un à pieds d'homme et l’autre 
à pieds de bouc. Celui de dextre tenait une clef d'argent de 
la main gauche ; l’autre tenait une massue. 


VII. — Généalogie des sires de Glère-Montjoie. 


Jeax De Guiens, un des éhevaliers de l'empereur Henri {er (x* siècle). 


mm À —_ ©" 
Benraozo De Guns recoit de l'empereur Otton la terre de Gliers (xe siècle) 


| 


sires d’Asuel en faveur de Saint-Ursanne. 


———————2 a 
jan I de Guen, Liber, donne une terre à Gerwillers au chapitre de Grandval (1184). Témoin d'un acte des comtes 
de Ferrette 11233). On lui attribue la bâtisse du château de Montjoie. 
2 — 
fenaro IL De Guëne, nobilis, du consentement de sa femme Marguerite, présumée de Ferrette, et de ses six enfants, [Ses fils Hewnr de Mor-|Et Wa, junior, de|CaTaexine, épouse de 
vend un domaine à Mittel-Muesbach, pour 30 talents de deniers (1267). JOIE. Limbourg. Mathieu, duc de Lor- 


Selon D. Calmet : W., due de Luxembourg et Limbourg. 


Sa descendance incon- raine (1251, 1254). 
nue 
————— ZE 
| Hexri (1267). 2. Berraozo De GLèRE|3. ANNE, none au Klin-[4.P. dite abbesse(1267)./5. An£Laïne (1267). 6. Goiccaume I ne GLere (1263, 1257), chevalier,sire de Montjoie (1291). 
(1267). genthal (1267 à 96). Il possédait le péage de Delémont. En 1308, il reçoit de l'église de 


Bäle les dimes épiscopales à Hirsingen et à Grentzingen, assignées 

en fief castral à Porrentruy. Il va à la Terre-Sainte avant 1288. 

Qvevce [ne GLène, chanoïînesse de Remire- Sa femme Jeanne de Rougemont (1296). H est au service d'Edouard I, 
mont (1313). roi d'Angleterre. Il meurt vers 1325. 

222222200200" ©" 

ERMENTRUD snee de|JEAN I ve Grëre, sire de Monljoie, chevalier|Béatrix, épouse de|Guicraume II 0e Gzène, sire de Montjoie (1317). 11 possédait des biens 

Guillaume TIT, comte| (1326, 1336). II épouse, en 1330, Agnès de] Vautier de Varré| à Bremoncourt, en 1345. Mort avant 1360. Sa femme Catherine, fille 


de Genève. Saïint-Mauris-en-Montagne, Il eut trois fils. (1314. de Rodolphe IV, comte de Neuchâtel et d'Eléonore de Savoie (1350), 

D ———— 222 mm © © © LULU 
Un. prieur de Cler-|Ricnanp, abbé de Bau-|Bentaozo II ne Gène, sire de Montjoie et de[RouuiN encore ‘mineur|Loms, sire de Montjoie, maréchal du pape, vice-roi de Naples et de 
val (1356). me-les-Moines (1397). Moron. Il avait un fief à Cœuve (1370). 11 te-} en 1350, lorsqu'il de-| Sicile. Prisonnier à Blamont en 1373, sur la requête de Jean de 

nait de l'église de Bâle les dimes d'Hirsin-} vint évêque de Vi-| Vienne, évèque de Bäle. Il fait hommage à Thiébaud de Neuchâtel 

en et Grentzangen, un chésal à Porrentruy.} terbe. Jour le bourg et château de Montjoie en 1373. Mort le 23 juin 1495. 

es dimes à Bisel, Seppois, Friesen, et les f épouse, en septembre 1360, Jacobée de Cly. — Ravenez lui donne 


bois de Montjoie sous les Pommerats. pour femme Cunégonde de Hochberg. 

©" 0 EE 0 mm, 
Benreoco IL pe GLëng, sire de Heymersdorf, fonde un anniv ire à Lucellé (1392). II[JEax LI, sire de Montjoie, joue un rôle impor-|Guiccaune be Montyors, l'ainé des fils de Louis. 

engage le château de Moron à Louis de Montjoie, en 1389. Il inféode à Jean de Boncourt-| tant à la cour d'Avignon et à celle de Naples.| 11 reprend les fiefs de la famille déjà du vi 
Asue] quelques terres à Cœuve (1400). On ne lui connait pas de descendance. 11 épouse, en 1386, Jeanne, fille de Henri,| vantdeson père, en 1399. Elu évêque de Bé- 
comte de la Rocheët sire de Villersexel, qui| ziers en 1424. I avait dû être marié avant de 
se trouvait déja veuve le 18 juillet 1438. 1l| devenir évêque. 
meurt sans enfants, et sa succession passe à 
son neveu Jean-Louis de Thulliéres, qui 

rend le titre de siré de Montjoie dès l'année 

438 et forme la souche des Thuillières- 
Montijoie, 


ee ——— L 

Guicvaumerre pe Monryote épouse Jean-Louis 
de Thuillières et Ini apporte la succession 
de son oncle Jean II, sire de Montjoie. 


PVITT 
k 


À 


v SR + TPM ET INT SR NT TN /TE 


UPPER CRE CT IS LÀ 


. VIII. — Généalogie des Thuillières, sires, puis barons et comtes de Montjoie. 


> = | 
Guicaume De TaviLuères, sire dé Hardemont, en Lorraine. — Sa femme Jeanne de Montureux-sur-Saône. Il eut deux fils. 


a — 
(Vawrnin-De PruIcLÈREs, CO- 


nour de Har-[Jeax-Lours DE TauiLciërr e Montjoi 


s, co-seigneur de Hardemont 1435). neveu de Jean 11 de Montjoie par son mariage avec Guillaumette d 
el 


| demont (1435). Déjà en possession de l'héritage des Montjoie le 18 juillet 1438. Parait avoir eu une seconde femme, Isabelle de Thuillières. 
(Brie e DE Tauue-|Tuiésauo, baron defDioien 1 ve Tuviuitenes, sire de Montjoie et de Hardemont, chevalier 41447). Il épouse, le 12 juillet 1451, Marie LJUILLAUME, baron « 
Montjoies d'Alberg-Valengin, üille de Jean III. 11 meurt en 1500. Montjoie. 
ES —_—_ Ji - ————— : — _—_—_——— 
Auez ve TuuruuëresfCanouine, épouse deErexxe pe Montois | Jean-Louis (1494, 1496, Jaconée (1505). SAN-Nicoas DE Tauit-|JEAN, bâtard de Mont- RozLaNb, bâtard « 
| (1469). Thiébaud, sire del sire de Moron (14911, 1500), LIERES, büron del joie (1469). Montjoie, vassal « 
Maryly (1494-1508). | Mort avant 1494. Sal Montjoie (1474, 1494); Jean d'Arberg. 
É l femme, Catherine mort aprés 1511. Sa =: 
d'Harauconrt, ; femme N. d'Orselet. 


TT ———— 
ÉPoMucÈNE (1511). [JEAN-Manc DE Tuurzuières, baron de Montjoie,|ANTorne (1511). 5 DE Paureciènes-Monrioe, mort avant PIERRE DE al 


Mans, épouse de Ca 
de de Franquemor 
(1480). 


Moron, Heymersdorf (1911), + av. 1552. & Sa femme Marie de Hadstatt. Monriot. 
femme, Jeanne de Montmartin, vivait en 1571. 


—————— 

GLaubine, épouse 10 dejJean 0e Tauiccéres, baron de Montjoie, Mo-|Dinien (1591-1579). Fnénéme pe Monmore|Nicocas pe TauiLuieres, baron de Montjoie 1552); + ava 57 
Georges d'Asuel , 2°| ron, Grone, Héymersdorf et Brubach (1552): (1552). miére femme Jeanne de Tartre: la Reno pe de Maille ne 
de Guillaume de + 1579 Sa femme Perronne de V lille de Y- 
Grammont, sire de] Michel de Viry et de Pauline de Vergy. 
Vezet; + av. 1571. 


——__— = I —— — 

Micuec (1570 à 74). |CLAUDINE, née 1571, Simon (1572, 1579). [Jsax-Simon D£ TauiL-[Fenvivaso-Gronces ve Taviziènes (1510-1561).)J&An-CLatoe pe Tuvreuièn baron de M 

| 1 " Tes Co f 4 2 ELLE , Di e Mon! 
morte en odeur de LiÈèRES, baron de Mo-| Sa femme Jeanne-Catherine de Reinach. 


joie (1574); 1610. S: Eléonor 
sainteté en 1612. ron, sire de Montjoie Nelsbere TD EEE à 


(1574; ; + avant 1610 

Sa femme Ursule de 

Reinach 

nm a ——— 

JEAN-GEOnGES DE THUILLIER 
Märie-Francoi 


. = - = : EE ——_—_—_—— 
le jeune, baron de Montjoie (1647); + avant 1660. Sa PT cnrs EM épouse son cousin oxone] "à Geonces De TuuiLcrères, le vieux, baro 


se de Montjore, lille de Ferdinand-Georges de Montjore. Georges de Montjoie, et sa sœur ELtononel de Montjoie, camérier de l'évêque de Stras 
un comte de Spaur. bourg (1614); mort avant.1648. 


ns n Eee , . © mn n —- 
Panis-Caances-Josern,| Béar-ALsent-IGnace, né le 21 juin 1647, comte {Jean-Fnançors-Ixacg, né en 1653: + 1716. Sa femme, Marie-Jeanne “| FRançois-Panis, baron de 


Montjoie, mort er 


chanoine de Stras-| de la Rathe. Sa femme J.-Fr.-Appoline de Reichenstein (1684). Créé comte par la France (1736), et par l'empire] 168 , Sans héritiers mâles. 
bourg (1706). Reinach;+-1721. Chef des Montjoie-Vaufrey.| (1743). Souche des Montjoie d'Hirsingen. Neuf enfants et parmi : 
Mane-Fnançgorse,épou-)Nicocas, capitaine ,|Dinien IL ép. Joséph. de Montjoie (1702). Ce deJPmuirpr-Busèse, com-|Cnan AGNUS, comte de Montjoie, + le 5 fé-|Srmon-Nicoras, né el 
se de Franç.-Joseph| mort jeune. Montjoie et la Roche, baron de St-Hippoly mandeur de l'Or. 1757. Sa femme Marianne de Montjoie-| 1691; évêque de Bäl 
de Schauenbourg. } et Maiche. + 1739. Neuf enfants et parmi : teutonique: + 176 y. Il rebätit le château d'Hirsingen. de 1762 à 1775. 
2 ——— —— "mm 
Geonces, chanoine etBéar-Jeax-BapTisre-HaTrMaNx, comte de lafTrois sœurs chanoi- François — Sicismono ,|Jean-Néronuce-Fra 


jonGr ) c Xavien-Fonrené, comte de-Montjoie, né & 
écolûtre de Bâle. Roche, ete. (1736); 5. Sa femme Cathe-| nesses. chanoine de Bäle] 1737; + 1791. Sa femme Marie-Anne de inach-Hirz ES 
rine-Victoire Rinch de Baldenstein, + 1762. (1732-1789). Quatre lils et deux filles. PR ROSE 
Neuf enfants. 
"0 — a ——— 
FenoiNanD-FRançois-Finee Harrmanx, né 1737; + 1818. Epouse en 1760JE E, Capitaine, tué Maxrutex, officier au-|Jeav-Néromuce, général bavarois à Muni 4 ë le 
M-Anne-Sophie de Kagueneck. — I eut e q enfants, et parmi : à Weinhem (1789). trichien (1812). (1824). Sa femme Laure de A Ca RER É an 
Es = ———— A _—  —" d 
Fnépén.-Vicror, (1765) Joseru-Wicenme(1771);| Fenp.-Cn.-V (1793) Maximiuien, officier au-|[Louis, maj on Ba-|MéLan 28 | £ 
’ ; -CH.-V. ë MAXIMILIEN s jor en Ba-|MéLanie, comiesse de|Canouine, comtesse de[Amëure baronne dé 
+ 1816 Su femme trichien ; + 1857. vière. Lindau. Saint-Mauri NTI 
Mar.-Louise-Caroline Saint-Maur, Bernhard + 1838 
de Hersberg-Wager. Ï 
2 EE ' 
Sopnt. CAMILLE. Enxesr, + vers 1858. |N., tué à Goumois le 3] Trois fils. Cinq enfants. 
EG - juillet 1815. 
Un fils en Bavière. 


j | ACT CE 


. LES CHATEAUX ET LES CHEMINS DU CLos-pu-DouBs,. 


Saint-Ursanne. 
Outremont et Ravine. 
Montvouhay. 
Bremoncourt. 
Chauvilier. 


II. GLÈRE, 


IT. 


IV. 
bic 
VI. 
VII. 


VIII. GÈNÉALOGIE DES THUILLIÈRES, SIRES, PUIS BARONS ET COMIES DE 


Origine des nobles de Glère. 
La Roche-à-Canon. 
Ruine du château de Gière. 


MonTy01E OÙ FROBERG. 

Chapelle de Montjoie. — Sépultures des barons. 
Affranchissement des serfs de Montjoie et Moron. 
Etendue de la seigneurie. 


NoBLes DE GLÈRE-MONTJOIE. 


NoBLes DE THUILLIÈRES-MONTIOIE, 


ARMOIRIES DES GLÈRE-MONTJOIE ET DES THUILLIÈRES-MONTIO1E. 


GÉNÉALOGIE DES SIRES DE GLÈRE-MONTIJOIE. 


MONTIOIE.. 


14. 


DE LA 


SEGMENTATION DANS LES VÉGÉTAUX 


Par M. François LECLERC (de Seurre). 


TROISIÈME MÉMOIRE (1). 


Séances des 14 juin et 8 novembre 1872. 


——— 


\ 


M. Schultz-Schultzenstein a donné en peu de mots la 
théorie de la formation de la feuille; il a dit, en se résu- 
mant : que la feuille n'est point un élément morpholo- 
gique simple, mais une formation composée par articulation 
et ramification des parties vraiment élémentaires; qu'elle 
est formée dès l'origine de la même manière que la tige, par 
anaphytose, et qu’elle doit être expliquée ainsi de même que 
toutes les autres phases de la plante, fleurs et fruits. La 
grande énigme de la botanique, ajoute-t-il, qui est d’expli- 
quer d’abord la feuille elle-même (ce que n’a pas fait Gæthe), 
se trouve résolue par la théorie de l’anaphytose. 

D'après cette théorie, les fleurs et leurs parties, telles que 
les étamines et le pistil, ne se forment jamais par une méta- 
morphose de feuilles, mais par une nouvelle anaphytose à 
elles propre, c'est-à-dire par un nouveau système d’articu- 
lation et de ramification qui produit un développement 
sraduel propre, avec de nouvelles fonctions. Chaque feuille 


(1) Voir Théorie de l'anaphytose (1869), Gæthe et le livre de la méla- 
morphose des plantes (1870), dans les Mémoires de la Société d'Emula- 
tion du Doubs. 4° série, t. V et VI. 


— 215 — 


ne croît que selon la forme qu'elle avait d’après le plan pri- 
mitif ; elle ne se métamorphose jamais en une autre partie. 
Ce qu’on appelle métamorphose ne présente que des degrés 
de l’anaphytose. La métamorphose rétrograde de Gœæthe n'est 
pas autre chose qu'une prolification anaphytosique des 
étamines, consécutive à l'avortement des anthères, et non 
pas une métamorphose de l’anthère même. Enfin l’ana- 
phytose montre que la répétition et la ramification des 
articles se trouvent non-seulement dans la tige, maïs aussi 
dans les feuilles. L'auteur établit trois systèmes de ramifi- 
cation : le système archicladique (croissance pyramidale), le 
système hypocladique (croissance sarmenteuse et par la 
bifurcation), et le système termocladique (croissance en 
ombelle ou en éventail) (1). On voit que la ramification n’a 
leu que par segmentation ou articulation, et par épigénèse. 

Auguste Saint-Hilaire reconnait deux états dans la plante 
en végétation : celui que font apparaître les altérations gra- 
duelles des organes appendiculaires, et que l’on a désignées 
sous le nom de métamorphose (ici cette dénomination ne 
doit, selon lui, être prise que dans le sens métaphorique) ; 
puis il dit que, par le mot métamorphose, on entend dans le 
langage ordinaire la transformation d’un corps en un autre 
corps entièrement différent. Il n’en est pas ainsi d’une feuille 
qui, une fois développée, n’éprouve aucun changement 
notable ; mais celles qui doivent venir au-dessus d'elles 
représentent des formes avec des modifications successives. 
Telles sont, d’après ce botaniste, les bases de la doctrine de 
la métamorphose (?). 

Les Leçons de botanique d’Auguste Saint-Hilaire compor- 
tent deux théories: celle de la métamorphose des plantes 
conçue par Gœæthe, et celle de l’auteur sur l'épuisement de 


(1) De la différence qui existe entre la théorie de l'anaphytose des 
plantes et la théorie de la métamorphose, dans le compte-rendu du 
Congrès international de bolanique, 1867. 

(2) Leçons de botan. et de morphol., pp. 35-56. 


— 216 — 

la plante durant l'acte de la végétation, et que professait 
le savant de Weimar. Nous cherchons, dans le présent mé- 
moire, à nous expliquer la signification des expressions 
épuisement, défaut de vigueur, appliquées à l'inflorescence 
par ce célèbre professeur, et dont il a fait, à notre sens, un 
emploi systématique. IL nous a semblé que rien, dans les 
phénomènes de la végétation, n'autorisait une pareille pro- 
position. En effet, toute végétation a pour fin d'aboutir à la 
fructification, et ce fait n’annonce pas, à proprement parler, 
l'épuisement, la mort du végétal, puisque les plantes vivaces 
et les arbres survivent à ce travail. Or, l’inflorescence et La 
floraison ne présentent autre chose qu'une période très natu- 
relle, la surabondance des parties dans la production florale 
n'étant d’ailleurs qu’une anomalie, de même que l'absence 
de floraison. Or, d’après Auguste Saint-Hilaire, le végétal, à 
mesure qu'il croît, se rapproche néanmoins, par cause 
d’épuisement, de l’état où il était à sa naissance, qui était 
un état de faiblesse naturelle, c'est-à-dire que les verticilles 
de feuilles se raccourcissent successivement le long de la tige, 
de manière à être toujours plus rapprochés jusqu'à la hau- 
teur où la plante doit fleurir. Parvenue à cette période, elle 
émet la fleur, résumé de la plante et qui met un terme à la 
végétation épuisée (1). 

L'auteur dit que le calice n’est qu'un verticille de feuilles 
altérées par l'épuisement (?) ; que les spathes des aroïdées, des 
liliacées, des palmiers, ne sont qu'une feuille engainante dans 
un état d’altération (3). 11 constate néanmoins que dans les 
arum, les pothos, les palmiers, on en voit de fort grandes; il 
remarque dans le gentiana acaulis, plante formée presque 
entièrement par la fleur, des symptômes d’affaiblissement (4). 
Toutefois, en passant en revue la floraison des malvacées, il 


(1) Leçons de botaniq., pp. 30-31. 
(2) Leçons, p. 209. 

(3) Leçons, ibid, 

(4) Legons, ibid. 


— 217 — 
reconnaît que dans les hibiscus, qui sont des arbrisseaux très 
vigoureux et à grandes fleurs, il est impossible de ne pas 
regarder le calice extérieur comme un développement de 
plus (1). Néanmoins cette opinion de l'épuisement et de l’al- 
tération dans la végétation florale se répète souvent sous la 
plume d'Auguste Saint-Hilaire : elle lui était venue par 
contraste de la végétation luxuriante des tropiques comparée 
à la végétation lente et de peu de durée de notre latitude; et 
pourtantil savait que la végétation des bois vierges, excitée 
par l'humidité et la chaleur, ne permet pas aux arbres de 
développer des fleurs (du moins que fort rarement), mais 
leur fait produire des rameaux et des feuilles, tandis que 
des années de sécheresse auraient permis aux végétaux d'é- 
mettre des fleurs comme dans nos pays tempérés. Ces faits 
opposés sont, comme on en peut juger, des résultats de 
causes ambiantes, et non des phénomènes d’épuisement; car 
nous disposons dans nos climats de moyens d'imiter cette vé- 
gétation exubérante des pays chauds, en faisant produire aux 
arbres et aux plantes des rameaux, des fleurs et des fruits en 
abondance : seulement le tempérament de nos végétaux d’Eu- 
rope ne permet pas d'appliquer ce régime sans épuiser les 
sujets par suite de la vigueur qu'on leur imprime. Les phé- 
nomènes que fait naïître l'horticulture dans le développement 
floral démontrent également qu'ils sont dus à l'exubérance 
de la végétation, comme cela a lieu sous les tropiques. Mais, 
dans la théorie qu'il a exposée, Auguste Saint-Hilaire re s'oc- 
cupe que du prétendu épuisement qu'éprouverait le système 
axile pour parvenir à produire la fleur (?). Or, les plantes et les 
arbres qui vivent sous une température moyenne, ne donnent 
des fleurs que dans la mesure de leur constitution. Il en est 
autrement pour les arbres de nos vergers et pour les végétaux 
de culture qui fleurissent abondamment, mais au détriment 


(1) Leçons, p. 334. 
(2) Leçons, p. 373. 


14. 


— 218 — 


de la croissance. Un poirier, un pommier, un cerisier s'élèvent 
dans les bois plus haut qu'ils ne le font dans nos vergers, 
parce qu'on ne les force pas à donner plus de fleurs que ne le 
comporte leur nature; tandis que, dans les jardins, les arbres 
tenus en quenouille ou taillés autrement donnent beaucoup 
de fleurs et de fruits. Ici l'épuisement n'est pas dans le sens 
de la floraison seulement ; il a lieu pour le sujet tout entier, 
dont cette végétation trop active épuise la vie physiologique. 
Auguste Saint-Hilaire, en se servant du mot épuisement, veut 
donner à comprendre qu'une plante à l'état de nature, qui a 
produit des rameaux et des feuilles, manque de sève ou de 
vigueur pour produire des fleurs. Mais, et on pourra le com- 
prendre autrement que l'auteur, il y à une destination qui 
veut que la plante, dans les conditions de sa constitution, 
parcoure les phases de sa végétation, de manière à aboutir à 
la floraison qui est le résultat final. Si l'épuisement était le 
fait général dans l'apparition de la floraison, les arbres de nos 
pays méridionaux, qui sont continuellement en fleurs et en 
fruits, devraient s’épuiser rapidement. Un arbre, dans nos 
cultures, pourra, par sa grande végétation, exclure la florai- 
son, parce que la vigueur végétative réside essentiellement 
dans la tige et les rameaux ; il y a dès lors exubérance dans 
le sujet au préjudice de la floraison, qui n’est qu'un phéno- 
mène consécutif. On estimera donc aussi que la formation 
des pièces d’une fleur exige, sauf le calice, moins de sub- 
stances assimilables que les pédoncules et les feuilles qui les 
précèdent. Mais, si l’on vient à examiner le phénomène dans 
les rosacées, les cucurbitacées, on y constate un fait excep- 


tionnel, nous voulons dire une anomalie de végétation, une 


irruption de l’axe dans les organes floraux : voici, pour 
exemples, la fleur du poirier, la rose prolifère, etc. Certes, 
lorsque la végétation axile l'emporte par un excès de wi- 
gueur, les plantes ou arbres ne donnent que très peu de 
fleurs, ou même pas du tout; mais aussitôt que cette activité 
devient normale, tout se passe dans l’ordre, et le végétal donne 


RAR 


des fleurs, puis des fruits : c'est la marche régulière et natu- 

relle. Du reste, l'excès de vigueur dans un sujet, laquelle 

entrave la floraison, ne prouve aucunement qu'il y ait alté- 

ration, puisque l'absence de fleurs est causée par la trop forte 

végétation axile, Cependant Decandolle et Auguste Saint-Hi- 

laire citent des cas qui prouvent qu'un rameau qui va donner 

des fleurs n'est pas épuisé, puisque sa végétation propre se. 
poursuit assez fréquemment au travers de la fleur, dans le 

poirier, la rose, et habituellement dans la couronne impériale, 

où les fleurs pendantes s'abritent sous un panache de feuilles. 

D'autre part, l’agriculture ne fait-elle pas apparaître une sur- 
abondance de fleurs dans la giroflée, dans le quarantin, sans 
que la plante soit épuisée d'une première saison, puisqu'elle 
fleurit de nouveau l’année suivante ? C’est la floraison hâtive 
qui devance la foliation dans l’abricotier, l'arbre de Judée 
(cercis), la glycine (wistaria sinensis), le tussilage, et même 
dans les genres cornus, daphne, salix, etc. Or, doit-on quali- 

fier d'alanguissement cette précocité florale ? 

Il nous paraît donc y avoir ici, dans l’acte de la floraison 
normale, non pas un épuisement, une perturbation, mais un 
ralentissement momentané, causé d'abord par l'absence de 
chlorophylle, élément de nutrition dont sont pourvues toutes 
les parties de la plante; nous verrons plus loin la nature se 
servir de ce ralentissement dans l’acte tout entier de la végé- 
tation. On peut remarquer, au sujet du rosier d'ornement 
connu sous le nom de rose verte, que la fleur de cet arbuste 
passée à la chlorantie végète, étant greffée, avec beaucoup 
plus de vigueur. Dans ce fait, l'envahissement de la chloro- 
phylle est dû à l’exubérance de l’axe, qui a fait irruption dans 
l'appareil floral, et devient permanent dans le sujet maintenu 
par l'horticulture. L'apparition de la chlorophylle dans les 
fruits siliquacés et les fruits succulents est une transmission 
du pédoncule au réceptacle, à moins que les plantes où cela 
a lieu n'aient pour organe floral un réceptacle anormal ; 
comme dans les cucurbitacées, les pommiers, les rosiers, où le 


— 220 — 


pédoncule, c'est-à-dire l'axe, fonctionne concurremment avec 
le réceptacle. On ne peut non plus qualifier d’épuisement, de 
végétation languissante ou altérée (Auguste Saint-Hilaire) 
celle qui apporte aux fruits les matériaux de nutrition dont 
ils ont besoin pour arriver à la maturité; elle doit fournir, aux . 
fruits charnus principalement, ainsi qu'aux baies succulentes, 
aux siliques des crucifères et des légumineuses, une abondance 
de sève et de matière verte qui peu à peu s'emmagasinent 
dans leurs péricarpes, et préparent ainsi leur maturation pour 
le temps où ils auront été séparés des sujets qui les ont vu 
naître. On voit là le système axile reparaître avec sà force de 
végétation : d'où l’on ne saurait conclure que la vie de la 
plante est épuisée ; l'appauvrissement, l'épuisement, ne sont 
donc pas un caractère inhérent à la végétation. 

Si nous portons notre attention sur les végétaux inférieurs, 
nous ne trouvons pas qu'il y ait lieu davantage de leur appli- 
quer la théorie du défaut de vigueur. Voyons d'abord les 
conifères (arbres et arbustes) : ces végétaux produisent beau- 
coup de fleurs et nourrissent la plupart des cônes volumi- 
neux. Les graminées, annuelles ou vivaces, ne semblent pas 
souffrir de l'épuisement, puisque toutes, en général, émet- 
tent beaucoup de fleurs. Il est évident que lorsqu'une gra- 
minée annuelle périt, c'est tout en même temps parce que 
sa vie ést épuisée et que sa constitution ne lui permettait pas 
de vivre plus d’une année. Parmi ces dernières plantes, les 
panicées développent des panicules spiciformes très chargées 
de graines ; Les chatons cylindriques des thyphacées offrent une 
quantité innombrable de fleurs mâles et femelles ; les /ycopo- 
diacées, quoique ne fleurissant pas d’une manière apparente, 
n'en fructifient pas moins en donnant, dans certaines espèces, 
une abondance de poussière pollinique. Aïnsi on peut dire, 
d'après les faits, que lorsqu'il y a ralentissement dans le sys- 
tème axile, cela donne lieu à la floraison. Toute plante a son 
heure de fleurir. Qu'une plante éprouve du retard dans sa 
végétation par un obstacle quelconque , il lui arrivera, lors- 


Leg 1 LUNEMERS 
LE À 
Æ Le 


— 221 — 


qu'elle la reprendra, de pousser à peine une tige et quelques 
rameaux, pour donner au plus tôt des fleurs et parvenir à son 
terme presque aussitôt que celle qui aura mené sa vie nor- 
male. Lorsqu'on retranche les bourgeons à fleur d’un chardon 
(onopordon acanthium , circium eriophorum), il semble qu’on 
lui communique une ardeur nouvelle pour la floraison : la 
plante, loin de paraître fatiguée ou épuisée, émet de nou- 
veaux bourgeons, développe de nouveaux capitules, et aura 
vécu autant que les autres individus de son espèce. Au con- 
traire, si, à l'égard de la solanée tubéreuse, on enlève les fleurs 
que porte le pied, la plante se flétrit promptement au profit 
des tubercules, vrais parasites qui tirent leur nourriture de 
la tige souterraine et du collet. Ce fait peut étre donné comme 
un cas direct d'épuisement. Néanmoins, quant à cette même 
plante de la pomme de terre, il en est autrement lorsqu'on a 
affaire à un individu venu de graine et végétant sans culture; 
celui-ci vivra plus longtemps que la plante cultivée quand on 
aura replanté ses tubercules de première année, et la nouvelle 
plante ne mourra qu'après avoir entièrement müri ses baies 
pour lesquelles sa végétation profitera plus qu'aux tubercules. 

Pour faire un emploi logique du mot épuisement, on pour- 
rait dire avec Decandolle ce qui suit : « Il arrive quelquefois 
que, parmi les bourgeons d’une pousse, quelques-uns, mieux 
placés que les autres, se développent les premiers, attirent 
toule la sève; et les autres bourgeons affamés, pour ainsi 
dire, par ces voisins voraces, avortent par épuisement (1). » 
C'est de la même facon que les gourmands de la vigne font 
avorter le fruit en absorbant la sève. Ici, du reste, le système 
axile fournit toujours sa sève au fruit qui profite, ainsi qu'il 
a fait à la fleur, puisque ce fruit ne mürit que lorsque le bois 
lui-même müûrit ou cesse de recevoir de la sève. Cependant 


(1) Théorie élémentaire de la botanique, 3° édit., p. 91. — Ge botaniste 
paraît aussi, comme Auguste Saint-Hilaire, donner dans cette opinion 
de l'épuisement (0rganographie, t. I); il considère le rameau comme 
épuisé par la nourriture abondante qu'exigent les organes floraux. 


vrk "4 


_— 222 — 
Auguste Saint-Hilaire reconnaît sans hésitation que dans les 


plantes pourvues d’une organisation élevée, telles que les re= 


nonculacées, les magnoliers, il existe beaucoup d'énergie dans 
la floraison, à tel point qu'il se produit, au lieu de parties 
simples et symétriques, une multiplication d'organes (1). C'est 
ainsi que dans les myrtacées proprement dites et les renoncu- 
lacées, on observe un nombre indéfini d’étamines. Le dédou- 


blement est en outre, aux yeux d'Auguste Saint-Hilaire, un. 


signe de vigueur. Sous un autre rapport, il peut arriver 
qu'un arbre fruitier malade produise beaucoup de fleurs: 
dans ce cas particulier, ce n’est pas la floraison qui épuise le 
sujet, mais sa débilité même qui permet à la floraison d’avoir 
lieu, par le fait du ralentissement de la sève; c’est là, croyons- 
nous, l'interprétation la plus simple du fait. 

Nous lisons dans l'ouvrage de Gæœthe (?) l'observation sui- 
vante : « On a remarqué que l'apport trop abondant des sucs 
alimentaires retardait la floraison, tandis qu'une nourri 
ture modérée, avare même, la favorisait. » Voilà toute l’his- 
toire du prétendu épuisement de la plante, sauf quelques 
cas fournis par des espèces exotiques (le bougainvillea) qu'il 
faut nourrir. En résumé, et comme nous nous efforcons de 
le démontrer pour d’autres circonstances de la végétation, Le 
phénomène de la floraison, dans les arbres et les plantes, est 
l'effet d'une stase plus ou moins prononcée dans l’appareil 
axile, et l’on ne ipeut trouver l’épuisement positif que parmi 
les espèces cultivées. L'affaiblissement dans l'acte végétatif, 
au fur et à mesure de la floraison, est une idée de Wolf, 
adoptée par Auguste Saint-Hilaire. Quant à l’appauvrisse- 
ment d'une plante au bénéfice du fruit ou de la graine, 
cause peut-être de l'épuisement à proprement parler, c'est 
plutôt une suite nécessaire de la végétation de l’axe pour la 
maturation du fruit, laquelle a toujours lieu dans les circon- 


a ———_———— ———_————— 2 2 ————— 


(1) Lecons de botanique, p. 608. 
(2) Œuvre de botanique, édit. Ch. MarTixs, p. 219. 


— 223 — 

stances normales. Pourquoi la paille ou la tige d’une gra- 
minée se trouve-t-elle épuisée de tout ce qu’elle contenait de 
nutritif, si ce n’est qu'elle a tout cédé au profit de la graine ? 
La végétation axile qui se poursuit au travers d’une fleur est, 
comme nous l'avons fait voir, un argument contre le prétendu 
épuisement que manifesterait l'époque de la floraison; et 
pourtant s'il y avait langueur dans le mouvement de la 
plante, ce fait d'exubérance ne se produirait pas. Les cas 
d'avortement ne peuvent pas davantage être attribués à l’a- 
languissement, non plus que les pélories, ni la plupart des 
transformations que l’on rapporte à la métamorphose et aux 
monstruosités, et qui sont le plus ordinairement l'expression 
du contraire. 


Il 


Déjà, dans une notice (1) ayant trait à la théorie de l’ana- 
phytose, nous avions fait apercevoir la concordance des opi- 
nions de Gœthe et d’Auguste Saint-Hilaire à l'égard de la 
doctrine de l'épuisement de la plante dans la formation de la 
fleur. Aujourd’hui, en insistant sur les motifs que nous ve- 
nons d'exposer de nouveau contre la valeur scientifique des 
opinions de ces savants en cette matière, nous poursuivons 
l'ordre des idées qui nous ont suggéré cette critique. Nous 
ne doutons nullement qu'Auguste Saint-Hilaire, avec l’es- 
prit méditatif qui caractérise ses écrits et sa longue expé- 
rience, n'ait eu des raisons bien fondées sur quelques-unes des 
formes du phénomène qu'il qualifie d’épuisement, de défaut 
de vigueur. Dans la végétation habituelle de la plante, c’est 
donc encore la question de savoir ce que peut être la significa- 
tion de cette doctrine, et nous croyons devoir faire ressortir 
ici le fond de la conception de ce célèbre morphologiste. 


(1) Bulletin de la Société des sciences naturelles de Semur-en-Auxois, 
année 1868, p. 28; nous y exprimons l'idée du ralentissement au lieu de 
celle de l'épuisement. 


— 224 — 


Nous avons plus haut fait pressentir que, pour l'ac- 
complissement de la floraison, un ralentissement, quelque 
momentané qu'il soit, dans le cours de la sève, est néces- 
saire. Auguste Saint-Hilaire, à propos de la végétation 
du rameau, a dit aussi, en soutenant la thèse de l'épui- 
sement, que le rameau étant arrivé à son apogée par la force 
d'expansion, bientôt cette force commence à diminuer, et le 
rameau revient par épuisement à peu près au point -où il 
était d'abord par faiblesse (1). Si nous voulons interpréter 
cette proposition dans toute sa rigueur, nous dirons à notre 
tour que le travail de la segmentation de la plante, qui fait 
l'objet de cette dissertation, peut fort bien, et même nécessai- 
rement, de même que pour l'acte de la floraison, causer du 
retard dans la croissance du rameau, surtout s'il est peu 
feuillé ; mais sans aucun doute cette croissance aura pour 
effet, dans les cas ordinaires, de donner lieu à une multipli- 
cation plus ou moins nombreuse de segments ou anaphytes. 
Or, cela se fait généralement pour la production de la feuille 
d'abord, puisque c'est elle qui indique le point segmenté. 
Ces mêmes points s'offrent en plus grand nombre dans un 
rameau foliacé, par suite de cette sorte de temps d'arrêt que 
nous concevons comme étant l’une des causes de l'ana- 
phytose. Selon nous, il faut, pour que la segmentation se 
forme, qu'il survienne un ralentissement dans le cours et le 
mouvement de la sève ; c'est le moment de l'apparition d'un 
ou de plusieurs bourgeons : il y a là intermittence dans la 
marche de la sève, le vis insita éprouve une stase qui permet 
au liquide qui en est l'agent de déposer du parenchyme, 
lequel précisément donne lieu à la formation des bourgeons. 
On peut de prime abord le supposer, puisque une augmen- 
tation de température donne lieu à l'allongement plus rapide 
des mérithalles. Du reste il est naturel, et sans que ce soït 
une preuve de faiblesse, que les derniers segments d’un ra- 


(1) Leçons de botaniq.et de morphol., pp. 224-25. 


— 225 — 
meau soient plus courts que ceux qui les précèdent, puisque 
ceux-ci s’allongent continuellement à la faveur du mouve- 
ment végétatif; ce ralentissement semble ainsi plus fréquent 
au fur et à mesure de la formation des segments supérieurs, 
lesquels sont nécessairement plus jeunes et partant plus 
courts. Un rameau attire d'autant plus de sève qu’il acquiert 
plus de diamètre. D'un autre côté, lorsque l'humidité et la 
température activent la végétation, on voit des arbres et des 
plantes lancer des jets ou anaphytes tout d’une: venue et 
très allongés, la sève n'ayant pas éprouvé de temps d’arrêt 
pour développer plusieurs segments ; le contraire a lieu si la 
saison se montre défavorable à la végétation. Du premier fait 
on peut citer beaucoup d'exemples (1) parmi les synanthérées. 
On observe, dans les rameaux d’un grand nombre de végé- 
taux, qu’à mesure de la chute des feuilles et du grossissement 
de ces rameaux, les points segmentaires s’effacent à l’exté- 
rieur, ainsi qu'il arrive pour les rameaux des conifères. 
Certains arbrisseaux, tels que le sureau, offrent très distincts 
les segments de leurs rameaux; le point segmentaire où s’o- 
père la soudure des deux articles contigus ne donne lieu qu’à 
un léger étranglement opéré par les fibres libériennes, mais 
n'interrompant pas le cylindre central de parenchyme mé- 
dullaire. Pour certaines plantes, l'obscurité donne lieu à un 
phénomène tout autre : ainsi une pomme de terre, placée dans 
l'obscurité d'une cave, lance des tiges incolores sans feuilles 
et sans articles. De même, dans l’hypochæris radicata, la 
nourriture que recoit des feuilles bien développées le jet qui 
part du collet, détermine l'accroissement rapide de ce jet, sans 
que le plus souvent il y apparaisse des bifurcations, ni par 
conséquent des segments. Dans une plante à racines tra- 


(1) Leontodon hirtum, hyoseris fœtida, hypochæris radicata, doro- 
nicum pardalianches; dans d'autres genres, les scabiosa columbaria, 
belonica purpurea, frilillaria imperialis, agapanthus umbellatus. L'in- 
dépendance de la tige, dans ces plantes à feuilles radicales, nous semble 
évidente, cette tige partant du collet. 


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çcantes, l’article ou segment, placé entre deux tiges enracinées, 
ne s’allonge plus ; il n'a plus l'indépendance dont est doté le 
jet du fraisier cultivé, qui peut s'étendre au loin sur le sol, 
tandis que le stellaria uliginosa, l'utricularia vulgaris, le 
nymphæa alba, le triticum repens, le thlaspi campestre, le 
scirpus palustris, etc., pratiquent leur segmentation sous 
terre ou sous l’eau. La première portion de la tige du gera- 
nium cicutarium se forme également entre deux terres ; maïs, 
dans cette portion, elle est succulente, et les segments sont 
rapprochés au point de simuler un rhizome. Auguste Saint- 
Hilaire veut que l’extrême raccourcissement des entre-nœuds 
ait pour cause le défaut d'énergie vitale dans la partie supé- 
rieure du rameau ; il pense aussi que la même cause donne 
lieu à la production du pédoncule qui doit porter la fleur (1). 
Nous croirons au contraire que, dans ce dernier cas, C'est 
l'énergie végétative qui développe le pédoncule (2). 

La recrudescence du mouvement de la sève, au mois 
d'août, démontre que ce liquide s’est ralenti dans son ascen- 
sion pour donner lieu à la floraison, et parfois à la fructifi- 
cation; or, le retour de sève est favorable à ce dernier tra- 
vail : on sait d’ailleurs l'utiliser pour la greffe et pour la 
taille. L’arboriculteur a vu, en pratiquant la greffe, que les 
incurvations et les coudes sont propres à retarder la marche 
de la sève et à mettre les arbres à fruit, puis, par la taille, 
à produire une floraison plus abondante. La nature, dans son 
procédé (la segmentation), a trouvé avant l’homme le moyen 
de disposer d'abord de l’action de la sève pour un résultat 
général, en en modérant le cours. Auguste Saint-Hilaire 
concevait comme un fait d'affaiblissement ce que nous consi- 
dérons comme un simple fait de ralentissement; il y voyait 
un effet irrégulier soit d’altération des organes, soit de méta- 


(1) Leçons de botanig. et de morphol., pp. 104-105, 132-138. 

(2) Ce fait est sensible dans le viegelia rosea, qui se couvre d'une mul- 
titude de fleurs ; dans l'oranger (citrus aurantium) également, du moins, 
sous notre climat. 


; — 227 — 


morphose, tandis que, constaté dans la segmentation, ce ra- 
lentissement s'opère dans une mesure mathématique, par une 
action de tous les instants, combinée pour la marche comme 
pour la stase. C’est sous ce point de vue qu'il faut étudier ce 
qu'on pourrait appeler (pour rentrer un instant dans les idées 
de Gæthe) les métamorphoses incessantes de la plante. De son 
côté, M. Schultz-Schultzenstein s’est borné à constater le 
fait de l'articulation et de la ramification, sans en déduire la 
cause. Pour Auguste Saint-Hilaire, son idée d’affaiblissement, 
de faiblesse de végétation dans la plante, s'est fixée sur un 
phénomène réel ; mais il l'a faussement interprété. Enfin 
l'articulation et la ramification, que réalise la segmentation 
par anaphytose, sont, selon nous, des produits de l'épigé- 
nèse. 

MM. Schultz-Schultzenstein et Trécul condamnent avec 
raison l'emploi des mots axe et appendice. La notion d’axe, 
d’après le botaniste allemand, est aussi peu déterminée que 
celle d'appendice, et n'est tout au plus qu'une abstraction 
mécanique (1). A propos de ces mêmes expressions, M. Trécul 
dit que si l’on supprime celle d'appendice, et que l’on con- 
sente à regarder les feuilles, les sépales, les étamines et les 
carpelles comme de simples ramifications de la tige, il n’y à 
plus aucune difficulté à se figurer des étamines naissant sur 
des pétales, une corolle naissant sur un calice, un bourgeon 
naissant sur une feuille, tout en conservant aux organes les 
noms que leur ont donnés les créateurs de la science. Ce sa- 
vant conclut que les branches d'une tige, les feuilles et les 
diverses parties de la fleur ne sont que des formes particu- 
lières de la ramification, destinées à remplir des fonctions dif- 
férentes (2). Nous ferons remarquer qu'en ce point les idées 
de M. Trécul se rapprochent de celles qui ont donné lieu à la 


(1) Congrès international de botanique, 1867, p. 104. 

(2) Observations sur la nature des différentes parties de la fleur, dans 
le Bulletin de la Société botanique de France, 1872, revue bibliogra- 
phique D. 


— 228 — 
doctrine positive de l'articulation et de la ramification. Nous 
nous faisons un devoir, en cette occasion, de nous appuyer, 
ainsi que nous l'avons déjà fait (1), de l'opinion de M. Charles 
Royer sur la nature de la fleur. 


III 


Dans une notice concernant la théorie de l'épuisement 
dans la végétation (2), opinion érigée en système par Auguste 
Saint-Hilaire, nous nous sommes efforcé de démontrer, par 
des faits, ce que ce système a de spécieux, et comment le 
phénomène dont l'auteur prétend rendre raison, peut s'ex- 
pliquer par une voie qui nous a semblé naturelle, et sur la- 
quelle nous sommes revenu dans nos mémoires sur l’ana- 
phytose. Nous y avons vu un ralentissement dans le cours 
de la sève, une rémittence que s’est ménagée la nature, dans 
le but de donner lieu à la formation de la feuille et à la flo- 
raison du végétal. Après avoir cherché à prouver le peu de 
fondement de la doctrine de l'épuisement, nous croyons avoir 
constaté deux lois de la végétation dans la plante : celle de 
l’anésie (remissio), et celle de l'anaphytose; le ralentissement 
ou la rémittence de la sève, et la segmentation, plus la flo- 
raison, qui sont la conséquence de l’anésie. La segmentation 
se produit à l'apparition de la feuille, le long de la tige, aussi 
bien qu’à celle de la fleur. Dans le développement des rh1- 
zomes déterminés (convallaria, polygonatum), la segmenta- 
tion a lieu à l'apparition du bourgeon foliacé qui donne lieu 
à un nouveau segment. 

A l'égard de la structure des entre-nœuds, Auguste Saint- 
Hilaire, maintenant son argument du défaut d'énergie vitale, 


(1) Voir notre mémoire intitulé : Gœthe et livre de la métamorphose 
des plantes, dans les Mémoires de la Société d'Emulaiion du Doubs, 1870. 

(2) Bulletin de la Sociélé des sciences historiques et nalurelles de Semuwr- 
en-Auxois, 1868. 


— 229 — 
dit « que l'extrême raccourcissement des entre-nœuds de la 
plante peut amener les nœuds à se rapprocher tellement 
qu'ils semblent placés dans un même cercle, et forment un 
faux verticille. Comme alors l’entre-nœud existe toujours, 
quoique peu appréciable à nos sens, il est évident qu'il y a 
autant de nœuds que d'organes appendiculaires, tandis que 
s’il peut en être ainsi quand les organes résultent d’un véri- 
table verticille de nœuds, nous pouvons pourtant, comme 
dans les rubia, les galium, avoir un verticille d'organes ap- 
pendiculaires avec un seul nœud, mais alors il est périphé- 
rique (1). » Ceci est l'exposé vrai du fait; néanmoins nous 
persisterons à voir dans le phénomène qui multiplie les mé- 
rithalles et les fleurs sur une même tige, non pas un manque 
d'énergie vitale, mais un ralentissement nécessaire. Du reste, 
nous ne pouvons reconnaître le prétendu défaut de vigueur 
dans le raccourcissement des entre-nœuds qui se développent 
au fur et à mesure au sommet de la plante, puisque d’ailleurs 
ils s’allongent avec le mouvement de végétation du sujet. Ce 
raccourcissement s’observe surtout dans les plantes qui fleu- 
rissent presque aussitôt que se forme l’entre-nœud. Nous pou- 
vons offrir un exemple vulgaire de cette incessante segmen- 
tation dans la renouée (polygonum aviculare). La variété courte 


_et ascendante de cette plante, lorsqu'elle se met à fleurir, 


pousse, en même temps, au collet ainsi que le long de la tige 
mère et des rameaux, de nouveaux bourgeons qui, à peine 
convertis en tigelles de la longueur de deux millimètres, 
donnent immédiatement des fleurs; et ces tigelles ou méri- 
thalles continuent à se multiplier ainsi tout l'été. Du reste, 
l'allongement de ces segments a lieu de bas en haut par un 
effet régulier de la végétation ; mais, à partir du commence- 
ment de la saison, cette végétation s’effectue avec une lenteur 
remarquable, lenteur qui a précisément pour cause la stase 
de la sève, stase motivée par le travail qui se répète successi- 


(1) Leçons de botan. et de morphol., p. 132. 


030 


vement. Dans cette plante vivace, la fleur paraît le plus sou- 
vent avant la feuille et avant la gaine scarieuse. Nous avons 
compté, dans une tige de renouée de deux ans et longue de 
vingt centimètres, trente segments ou anaphytes, abstraction 
faite des ramuscules. Dans l'espèce qui est en tout plus déve- 
loppée, les mérithalles sont beaucoup plus allongées. On peut 
citer également la tige de la prêle (equisetum arvense) dont les 
segments sont très raccourcis et réunis par un anneau foliacé. 

Ainsi qu'on a pu le remarquer dans le cours de nos mé- 
moires sur l’anaphytose (1), nous avons traité concurremment 
des opinions de Gæthe sur la métamorphose, et de celles d’Au- 
guste Saint-Hilaire touchant le prétendu épuisement de la 
plante en végétation, embrassant dans une idée commune 
les doctrines de ces deux célèbres morphologistes. 


(1) Monographie de l'appareil fructifère de l'ipomæa purpurea (1867); 
Théorie de l'anaphytose (1869); Gæœthe et le livre de la métamorphose 
des plantes (1870). 


LES HUNS 


ET LES 


CHAMES CATATAUNIQUES 


Par M. H. POULAIN 


CHEF DE BATAILLON DU GÉNIE. 


Séance du 14 juin 1873. 


ANALYSE. 


Ce mémoire contient des considérations neuves sur la 
marche d’Attila dans les Gaules, et dont les principales pour- 
raient ainsi se résumer : 

1° De temps immémorial les Tartares ont fait des camps 
défensifs ou rings, dans lesquels ils abritaient les produits 
de la course au butin. Quand Attila déboucha de l’Argonne, 
il dut se débarrasser des dépouilles encombrantes qu’il avait 
arrachées au nord des Gaules, afin de courir à la rencontre 
d'Aétius et de Théodoric, et de prévenir leur jonction. Il 
choisit un terrain entre deux cours d’eau, propice à l’exis- 
tence et à la manœuvre d'une armée, et le fortifia de quel- 
ques ouvrages à intervalles dont on voit aujourd’hui les restes 
à la Cheppe, à Bussy, à Saint-Remi et à Nantivet. C'est tout 
cet ensemble défensif, compris entre la Noblette et la Suippe, 
auquel j'ai maintenu le nom de ring. 

M. Amédée Thierry, dans son mémoire à l'Empereur, in- 
séré à la fin de la 2° édition de son livre : Attila et ses succes- 
seurs, nie que les Huns fussent capables de construire des 
ouvrages de fortifications, et 1l blâme vivement les auteurs 


— 232 — 


qui ont émis cette opinion. — Or, non seulement les faits 
conduisent à soutenir que les ouvrages que l’on voit entre la 
Suippe et la Noblette sont d'origine hunnique ; mais des au- 
teurs tels que MM. Lebas et Guizot parlent de retranchements 
que les Huns, puis les Avares, avaient coutume de se con- 
struire, et dont les restes sont connus aujourd’hui sous le 
nom d'Anneaux d'Avares. — On trouve dans Ammien Mar- 
cellin et dans Eginhart des détails intéressants qui enlèvent 
tous les doutes. 

29 Grâce au zélé patriotisme d'Aignan, son évêque, Orléans 
prolongea la résistance jusqu à la date convenue avec Aétius. 
Les Huns venaient d'entrer dans la place quand les fédérés 
apparurent. Attila manqua de présence d'esprit, et commit la 
faute de ne pas rompre le pont en bois qui faisait communi- 
quer la place avec la rive gauche de la Loire. — De cette 
faute datent ses revers. 

3° Chassé d'Orléans, Attila est poursuivi par Aétius, l'épée 
dans les reins, jusqu'à Méry. À Méry, Attila fait passer la 
Seine par son infanterie et soutient avec sa cavalerie le choc 
d’Aétius; puis il détruit le pont de Méry, file au galop avec 
sa cavalerie, passe par Troyes et par Arcis, et rejoint son 
infanterie, qui trouve un pont et un gué pour passer l'Aube 
et qui marche sur Châlons. Par la destruction du pont de 
Méry, il se débarrasse pour quelques jours d’Aétius, court à 
son ring de Châlons, et là il attend qu'Aétius lui apporte la 
bataille. 

4° Aétius est séparé d'Attila; pour le poursuivre, il est 
obligé de passer par Pont-sur-Seine et Damery, où il y a des 
ponts. Il marche ainsi sur le flanc gauche d’Attila, mais il a 
perdu de la distance. Attila est déjà dans son ring quand 
Aétius arrive vers la ferme de Sillery, et, pour attaquer, 
Aétius est obligé de se présenter comme s’il venait de Reims. 
Or, ceci répond aux questions que Napoléon III avait posées 
‘à M. Amédée Thierry. 

5° Les circonstances topographiques du champ de bataille, 


— 233 — 

la présence des retranchements, les tumulus élevés à la mé- 
moire des héros fédérés, les ossements parsemés dans la 
plaine, les dénominations que la tradition a conservées à 
certaines parties de la terre, et les règles de la guerre, font 
concevoir la série des engagements encore plus nettement 
que le récit peu technique que Jornandès nous à laissé, d'a- 
près la relation, aujourd'hui perdue, de Cassiodore. 

Les conditions du terrain étaient telles qu'Attila ne pouvait 
être attaqué par Aétius que sur le côté du ring qui faisait 
face à Reims. Or, c’est par là qu’Aétius arriva naturellement. 
Le roi des Huns se proposait d'exécuter un changement de 
front en avant, autour de l'ouvrage de la Cheppe qui était à 
son aile gauche, si le premier choc lui était favorable, pour 
jeter les fédérés dans la Vesle. Si, au contraire, les débuts 
de la bataille lui étaient funestes, 1l se proposait de faire son 
changement de front en arrière, sur l'aile gauche, et de passer 
la Noblette, qui est un affluent de la Vesle, à la faveur des 
ouvrages de la Cheppe, de Bussy et de Saint-Remi, pour 
interjeter un ruisseau entre Aétius et lui. Aussi son plan 
tactique était-il une conversion sur son aile gauche et res- 
semblait-il au mouvement stratégique tournant qu'il avait 
effectué autour de Bâle, en passant le Rhin. — Jornandès 
signale le mouvement tournant de la bataille par l'expression : 
« convertere partes, » qui ne signifie pas, comme on l'a tra- 
duit : changer de rôle, mais converser les partis ou changer de 
front. La manœuvre d'Attila ne réussit pas. Le passage, où 
Jornandès nous représente l’humble cours de la Noblette 
comme tout à coup grossi et métamorphosé en un torrent de 
sang, ne peut s'expliquer que par un changement de front 
de l’armée d’Attila, passant du Ahan des Diables, où s'était 
accomplie la première phase de l'action, à une seconde posi- 
tion le long de la Noblette. Après la seconde phase sur la 
Noblette, il y eut une troisième phase qui est la déroute des 
Huns dans plusieurs directions, telles que celle de Poix où 
est Le tombeau de Théodoric. 


— 234 — 


ñ 


RÔLE DE LA FRANCE DANS LES INVASIONS ASIATIQUES. — RÔLE 
DES HUNS DANS L'HUMANITÉ. 


Quand on visite les plaines où se dénouèrent les grands 


événements de 451, dans la région qui tient le milieu entre 
le camp de Châlons et Valmy, on aime à se rappeler que deux 
fois notre pays sauva l'Europe de l’agression de l'Asie. Au 
v* siècle, d’une part, sous la conduite d’Aétius, les Gallo-Ro- 
mains, auxquels se sont joints les Visigoths, les Burgondes 
et les Franks de Mérovée, rejettent au delà du Rhin les Huns 
que le Fléau de Dieu précipite sur la Gaule en hordes innom- 
brables, et empêchent ainsi qu’Attila, vainqueur, ne plonge 
l'Europe dans l’état sauvage où vivent les Tartares et les 
Mongols. Au vi siècle, d'autre part, quand le fanatisme 
musulman s'abat sur les Gaules, et que l'enjeu habituel de 
la guerre, le pillage ou la conquête, est dépassé, il surgit 
encore de la France un héros, Charles Martel, qui préserve 
de la ruine non seulement les nationalités et la civilisation 
européennes, mais encore le christianisme. De même qu’un 
torrent grossit en s’éloignant de sa source, les courants asia- 
tiques entraînent les peuples qu’ils rencontrent sur leur route, 
en passant avec Attila du fond de la Tartarie ou du cercle 
polaire arctique dans le bassin de la Loire, ou avec l'isla- 
misme des confins de l'Arabie et des tropiques jusqu’au 
même fleuve. Qu'il s'agisse du débordement tartare ou du 
flot arabe, toujours l'épée gallo-franke brille au premier rang, 
non seulement chez nous, à Châlons et à Poitiers, mais en 
dehors du territoire, sur les bords de la Theïss avec Sigebert 
et Charlemagne, à Jérusalem, en Syrie, en Egypte, en Afri- 
que, avec Godefroy de Bouillon, Philippe-Auguste et saint 
Louis. 

On se sent volontiers atteint de la méditation de l’histoire 


LA ONU 


quand on étudie, en les parcourant, les champs catalau- 
niques. La Providence avait sans doute assigné un rôle à ces 
effroyables tourbillons qui, personnifiés dans Attila, nous 
vinrent de la Haute-Asie, et à ceux qui, sortis du même 
foyer avec Gengis-Kan et Tamerlan, dévastèrent l'Asie cen- 
trale. Nous voyons dans la mission de ces Barbares du nord 
de l’Asie une force de dislocation et de projection des peuples, 
par suite un violent croisement des races. Dans le petit musée, 
qui est situé au centre de l'enceinte que la tradition populaire 
désigne sous le nom de Camp d’Attila, sont collectionnés des 
débris d'armes et des ossements que de récentes recherches 
ont fait découvrir. Ges fémurs sont d'un Burgonde, ce crâne 
est d’un Gallo-Romain, et celui-ci d'un Mongol. L'anthropo- 
logie, qui reconnaît nn crâne tartare, est en parfait accord 
avec la relation de Jornandès, l'historien le plus précieux qui 
nous soit resté de cette mémorable guerre de 451, car Jor- 
nandès nous donne un signalement qui se rapporte parfaite- 
ment aux types kalmouk et mongol (1). Des représentants des 
peuples les plus divers sont donc venus périr' dans les champs 
catalauniques. Le même sol devait encore s'illustrer par de 
grands événements militaires. « C’est par là, dit Théophile 
Lavallée, dans son ouvrage sur les Frontières de France, que 
les armées espagnoles ont, sous François I, sous Henri IV, 
sous Louis XIV, envahi notre territoire, c'est là qu'en 1792 
les Prussiens furent arrêtés au combat de Valmy; enfin c'est 
là que Napoléon résolut d'arrêter la marche des armées coa- 
lisées. » 


(1) Suivant JornanDës, ils étaient basanés à faire peur (pavenda ni- 
gredine). Au lieu d’une tête, ils avaient une affreuse boule (deformis 
offa, non facies); des trous plutôt que des yeux (habensque magis puncta 
quam lumina); leurs joues étaient tailladées, sans barbe (ferro secant 
genas;,.. imberbes senescunt). 

C'étaient, dit Ammien MarcezLN, des bêtes à deux pattes, de ces 
monstres dont la statuaire reproduit l’horrible forme pour orner les pa- 
rapets des ponts (ut bipedes existimes bestias, vel quales in commargi- 
nandis pontibus effigiati stipites dolantur incompte). 


— 236 — 
Au rv° siècle, les Huns, apparaissant aux confins de l'Eu- 


rope, déterminent sur l'empire romain, que la corruption dé- 


compose, un véritable éboulement des peuples barbares de 
l'Europe, et occasionnent le changement de la face du monde. 
Leur invasion dans l'empire d'Orient se répercute avec la 
plus grande violence dans l'empire d'Occident : alors les 
peuples s’entrechoquent et se brisent, se répandent de l’est 
à l’ouest, perdent leur ordre relatif, s'interposent les uns dans 
les autres. Aux Goths sont réservées les premières atteintes 
des Barbares que vomit le nord de l'Asie; et voilà que les 
Suèves et les Vandales, qui vivaient entre l'Elbe et la Vis- 
tule et n'avaient jamais vu les Huns, sont, en même temps 
que les Alaïins qui venaient de la Sarmatie asiatique, jetés 
sur les Gaules dès l'année 406. Durant quatre ans, ces Ger- 
mains ravagent les Gaules, puis ils s'étendent en Espagne et 
passent en Afrique. Une portion des Goths, les Visigoths, 
recue par pitié en Pannonie, dévaste la Grèce et l'Italie 
sous la conduite d’Alaric, et, avec Ataulf, entre dans les 
Gaules par les Alpes occidentales et s'installe en Aquitaine, 
où elle se croit à tout jamais débarrassée des fils des sor- 
cières (1). Il se produit ainsi des translations de races dont on 
trouve les pendants en Amérique. Une fois la brèche ouverte 
sur le Rhin, les Franks passent et se fixent sur Les bords de 
la Meuse; les Burgondes imitent ce mouvement, franchis- 
sent le Rhin près de Bâle, occupent l'Helvétie et la Savoie, 
et se prolongent sur le Rhône. Enfin, quand les Huns s’avan- 
cent vers l'Occident, toute la race slave s'abat dans le grand 
angle formé par les monts Ourals et le Danube, devenu vide, 
et la race turke se rapproche de l’Europe. 

Au milieu du v° siècle, la puissance des Huns est à son 


(1) La renommée prétendit que ces Huns avaient été enfantés par des 
sorcières qui s'étaient accouplées dans les déserts avec des esprits in- 
fernaux ; « Quasdam magas mulieres,...., quas spiritus immundi per 
eremum vagantes dum vidissent, et earum se complexibus in coitu mis- 
cuissent, genus hoc ferocissimum edidere. » (JoRNANDES.) 


— 237 — 


apogée. Attila, leur roi, est maître de toute la portion de l’Eu- 
rope qui est à l’est du Rhin et au nord du Danube, des pays 
tartares jusqu'à la mer Jaune, de la Perse et de la Syrie; ïl 
est allié et protecteur de Genséric, roi des Vandales, qui do- 
mine en Afrique; et quand il lui plait, il jette l’effroi dans 
l’une ou l’autre capitale de l'empire romain. En 451, il trouve 
dans les Gaules une barrière à ses exploits, et reparaît l’année 
suivante au nord de l'Italie, à la tête de forces colossales. 
Enfin il se retire au delà du Danube, et meurt tout à coup. 
Eut-il une fin comme Alexandre ou comme César ? Avec lui 
son vaste empire tombe en morceaux, et il ne reste de tant 
de grandeur qu'un nom légendaire des plus immenses, au- 
quel l'histoire ‘a décerné l’immortalité avec des appréciations : 
nationales contraires : abhorré et maudit à gauche du Rhin, 


il est chanté et glorifié sur Les rives du Danube, et la Hongrie 


le revendique comme son héros. Mais c'en est fait du monde 
romain : vingt-cinq ans après Attila, Rome rentre dans la 
poussière, et trouve une compensation à sa gloire et à sa 
puissance militaires dans le pouvoir spirituel de ses pontifes. 
Elle avait été la reine des nations durant douze siècles, et 
maintenant elle devient la capitale éternelle du monde chré- 
tien : Capitolii immobile saxum. 

Dans le xrr° siècle, sous la conduite de Gengis-Kan, et 
dans le xrv°, sous celle de Tamerlan, deux héros de la trempe 
d'Attila, les Mongols recommencèrent dans l’Asie-Moyenne, 
sur une longueur de quinze cents lieues, ce que les Huns, 
leurs devanciers, avaient fait en Europe. Napoléon, qui n’a- 
vait pas une foi illimitée dans les hauts faits tant soit peu 
hyperboliques des Grecs, croyait à l’histoire générale de Rome 
qui est d’une vérité patente, aux colossales entreprises de Gen- 
gis-Kan et de Tamerlan, « à leurs armées, quelque nom- 
breuses qu'on les ait prétendues, parce qu'ils traînaïent à leur 
suite des peuples nomades qui se grossissaient encore d’autres 
peuples dans leur route. Il ne serait pas impossible, disait 
l'Empereur, que l’Europe finit un jour de cette manière. La 


— 238 — 


révolution opérée par les Huns et dont on ignore la cause, 
parce que la trace s'en perd dans le désert, peut se renouve- 
ler, — La Russie est admirablement bien située pour amener 
une telle catastrophe. Elle peut aller puiser à son gré d’in- 
nombrables auxiliaires et les déverser sur nous; elle trouvera 
tous ces peuples errants d'autant mieux disposés, d'autant 
plus impatients, que les récits et les succès de ceux des leurs 
qui dernièrement ont exécuté chez nous des courses si -heu- 
reuses, auront frappé leur imagination et excité leur cupi- 
dité. » 

Aïnsi les 1ve, ve, xrr1° et x1v° siècles, qui ne sont pas seule- 
ment des siècles de guerres, mais surtout, à proprement par- 
ler, des siècles d’extermination, caractérisent le rôle qu’ont 
joué dans l'humanité les peuples tartares de la Haute-Asie, 
et nous les représentent comme une force de dislocation et de 
dispersion des races. Mais il y a plus : en remontant le cours 
des âges, on voit que ces nomades avaient tellement effrayé 
les Chinois, que ceux-ci avaient muré leur empire. En effet, 
la grande muraille de la Chine, longue de 600 lieues d’après 
les uns, de 900 d'après les autres, soit comme de Paris à Sé- 
bastopol, haute de 8 à 9 mètres et d’une épaisseur telle que 
six cavaliers peuvent y passer de front, est une œuvre telle- 
ment extraordinaire que les pyramides de l'Egypte et le per- 
cement de l’isthme de Suez ne sont auprès d’elle que des mi- 
niatures. C'était évidemment un grand écart d'intelligence et 
de cœur. Construite, paraît-il, dans Le m° siècle avant Jésus- 
Christ, elle n'empêcha pas la Chine d'être asservie par les 
Mongols et les Mandchoux. 

Voilà très sommairement les données de l'histoire; mais 
l'ethnologie les complète, et surtout celles de ses branches 

que l’on nomme l'anthropologie et la philologie. 
- . D'une part, les recherches des anthropologistes francais, et 
principalement celles de M. de Quatrefages, basées sur la 
zoologie, la physiologie et la géographie physiologique, prou- 
vent que l’homme n'a pu prendre à la fois naissance dans 


LPO 
MATE 
t 


— 239 — 


tous les foyers de création proposés par les polygénistes, mais 
dans un foyer unique. La contrée qui a servi de berceau au 
premier couple humain serait, scientifiquement, le pays de 
Hérat, l'ancienne Arie, c'est-à-dire le point central des terres 
continentales du globe, quand on considère à la fois l’Eu- 
rope, l'Afrique, l'Asie et les deux Amériques. 

D'autre part, les philologues se sont livrés à un immense 
travail de paléontologie linguistique; ils ont exhumé deux 
langues, le sanscrit et le zend, qui allaient tomber dans l'ou- 
bli. Comparant ces deux langues aux langues et aux princi- 
paux idiomes de l’Europe qui existaient avant la chute de 
l'empire romain, ils ont trouvé que ces langues en étaient les 
sœurs, et qu'il devait exister une langue-mère commune, 
dont l'antiquité se perd dans la nuit des temps. 

Les peuples qui parlaient cette langue-mère sont les Aryas, 
ou habitants primitifs du pays de Hérat. Par où et comment 
s'en fit la dispersion ? Tout d’abord on voit que la nature offre 
de grands obtacles aux migrations : — des chaînes de mon- 
tagnes infranchissables, telles que l’'Himälaya à l’est ou de 
l'Irak-Adjemi à l'ouest ; — ou de grands cours d’eau, comme 
l'Oxus et l’Yaxartes au nord, l’Indus à l’est, le Tigre et l'Eu- 
phrate à l'ouest; — des mers, la Caspienne, le lac d’Aral qui 
communiquait avec elle, le golfe Persique et la mer d'Oman ; 
— enfin une série de déserts, interrompue par quelques 
pays fertiles qui, traversant d'écharpe une grande partie du 
globe, part de la côte occidentale de l'Afrique, un peu au 
nord du Sénégal, sous le nom de Sahara, et arrive jusqu’à 
la Mandchourie, sous le nom de désert de Gobi. Pour fuir de 
riches contrées, ces populations ont dû être expulsées par une 
violence atroce qui ne pouvait provenir que des pays déshé- 
rités de la Haute-Asie. Avec les siècles, la puissance des no- 
mades du nord s’accrut, et la houle devint une irrésistible 
tempête qui projeta plus au loin de plus nombreuses épaves. 
On reconnait aujourd’hui l'ordre dans lequel les débris s’at- 
tachèrent au sol de l’Europe et à celui de l'Asie. Les Hellènes 


— 240 — 


partent les premiers et s'abattent sur la Grèce, puis les Latins 
gagnent l'Italie ; les Gallo-Celtes suivent et tournent aussi à 
gauche pour descendre dans le pays qui s'appellera l'Espagne; 
les Germains viennent après les Celtes et les refoulent dans 
la vallée du Danube, mais les Alpes et le Rhin les arrêtent 
et ils tournent à droite; le mouvement se continue par les 
Slaves, et enfin se termine par les Médo-Perses. Plus tard, 
quand l'Italie, la Grèce, l’Asie-Mineure, la Perse, arrivaient 
déjà à un haut degré de civilisation, une autre branche des 
Aryas, qui avait franchi l’Indus dans les vallées duquel elle 
avait composé les Védas, conquérait l'Inde, fondait la grande 
religion brahmanique, puis la religion bouddhique, et ré- 
pandait les idées aryennes chez les peuples jaunes de l’em- 
pire de Siam et du Japon. 

Ce qui se passa en Europe et dans l’Asie orientale se pré- 
sente en Afrique et en Amérique. Pour l'Afrique, on com- 
prend que des refoulements ont pu avoir lieu du côté de l'E- 
gypte, comme ils se produisirent du côté de l'Indus ou du 
côté du Caucase. Pour l'Amérique, la tradition rapporte que 
la population du Mexique descendait du nord; qu'avant l'ar- 
rivée de Cortez aux plages de Vera-Cruz (1519), il y avait eu, 
à des époques différentes, trois immigrations : d’abord celle 
des Tolteks, puis celle des Chichimeks, et enfin celle des 
Azteks. On ne peut assigner aucune date précise à ces immi- 
grations; toutefois les monuments anciens que l’on trouve au 
milieu des steppes de la Californie ou dans la vallée du Mis- 
sissipi, et plus encore l'étude de la langue aztèke et des idiomes 
congénères de l'Anahuac, confirment non seulement l’exac- 
titude de ces trois immigrations successives, mais permettent 
d'avancer que les Tolteks seraient arrivés au Mexique vers le 
milieu du vu siècle, et que les Azteks auraient fondé leur 
empire dans la première moitié du xrv°. En rapprochant des 
époques, nous sommes ainsi conduit à conjecturer que les 
Huns, qui inondèrent le nord des Gaules au milieu du 
v® siècle et qui se désunirent à la mort d’Attila, ne se fon- 


Dé 4 MARNE 
HR? 


— 241 — 

dirent pas entièrement en Europe en des dépôts plus ou 
moins considérables, mais que, disparus de la’ scène du 
monde, ils recommencèrent dans une autre direction, en 
Asie, ce qu'ils n'avaient pas réussi à faire dans l'extrême 
Occident, et projetèrent dans des régions inconñues des peu- 
ples que l’épouvante avait gagnés. La fondation de l'empire 
des Azteks, dans la première moitié du xrv° siècle, ne serait- 
elle pas due à des événements du même ordre d'idées, c'est- 
à-dire aux gigantesques et terrifiantes expéditions des xurr° et 
xiv° siècles, sous la conduite de Gengis-Khan et Tamerlan ? 

Résumons cette discussion. La science confirme la Genèse 
au sujet de l'existence d’un couple originel unique et de la 
dispersion du premier groupe important des hommes. 
Deux partis se formèrent : l’un resta attaché à la contrée, 
et l’autre fut refoulé au nord de l'Himälaya. Or il arriva, ce 
qui arrive encore de nos jours de la part des tribus pillardes 
du Turkestan sur les populations du pays de Hérat (lan- 
cienne Arie), que des luttes s’engagèrent. Des siècles s’ac-. 
complirent et la puissance des nomades s’accrut. Ce que 
nous avons voulu montrer, c'est que redoutables, mais mal 
connus de l'antiquité sous les noms de Massagètes et de Scy- 
thes, ces barbares ont continué d’être la terreur de l’Asie et 
de l'Europe. Ce sont ces peuples qui avaient tellement ter- 
rifié les Chinois, que ceux-ci avaient songé à murer leur 
empire; — qui, sous le nom de Huns, ont envahi l'Europe 
dans les rv° et v° siècles ; — qui, sous le nom de Mongols, 
aux xrr° et xiv° siècles, ont abominablement dévasté l’Asie ; 
— dont une fraction, sous le nom de Kalmouks, est venue à 
Paris à la chute de l'Empire, et qui, entraînés par la Russie, 
pourraient un jour, suivant Napoléon I*, nous écraser. 
Abordant ensuite les époques antéhistoriques, nous consta- 
tons, sur des résultats positifs que la philologie nous fournit, 
qu'un peuple, encore assis au berceau du monde, est mis en 
morceaux, et que les morceaux sont projetés au loin par l'é- 
pouvante. Ce peuple s'appelle les Aryas, et c’est de lui que 

16 


— 242 — 


descendent la plupart des grands peuples de l’Europe, les 
Médo-Perses et les Hindous. Un semblable refoulement a 
peuplé l'Afrique. La population de l'Amérique n'étant pas 
autochtone, il faut que l'Amérique se soit peuplée par des 
races qui ont passé par Le détroit de Behring, c’est-à-dire par 
le cercle polaire arctique, un peu au nord de la Mongolie et 
de la Mandchourie. Si une expression de mécanique pouvait 
être tolérée, on dirait que cette puissance mongole a fonc- 
tionné comme un terrible piston qui, pressant sur les peu- 
ples de l’Asie centrale, les a fait jaillir par les détroits, les 
défilés, les isthmes, qui relient l’Asie aux autres parties du 
monde. Pour émigrer dans de telles conditions, ces races ne 
devaient pas être libres de leurs mouvements, mais terri- 
fiées, mises en fuite. La Tartarie prise dans son ensemble à 
donc été un foyer d’éclatement ; ou mieux, dans tous les 
âges, ce qu'à diverses époques on a appelé les Scythes, plus 
tard les Huns, enfin les Tartares et les Mongols, ont été une 
force de dislocation et de dispersion des peuples sur la surface 
de la terre. C’est un de ces grands cataclysmes humains que 
nous nous proposons d'interpréter dans les chapitres qui sui- 
vent, en Ce qui Concerne notre pays. 


IT 


PLAN DE CAMPAGNE D’ATTILA. — SES MARCHES JUSQU'A 
LA BATAILLE DE MÉRY. 


On ne doit pas perdre de vue, en étudiant la campagne 
d’Attila dans les Gaules, que ce conquérant appréciait à fond 
le général qu'il allait combattre, et qu'il tenait d’Aétius lui- 
même, son ancien hôte, les plus précieux renseignements sur 
la structure géographique et la statistique du pays qu'il se 
proposait d’envahir. À ces données se joignaient les indica- 
tions que lui fournissaient Clodomir et d'autres chefs bar- 
bares qui avaient dejà visité la rive gauche du Rhin, ou des 


— 243 — 

renseignements circonstanciés que lui apportaient des trans- 
fuges gaulois, tels que le médecin Eudoxe, l’un des chefs des 
Bagaudes. C’est sur la connaissance des plaines, des monta- 
gnes, des rivières, des places fortes, des villes, des ressources 
et de l’état des esprits, de la position des forces ennemies, 
qu'Attila arrêta son plan de campagne, et se montra, par 
ses combinaisons, un maître consommé dans la politique et 
l’art de la guerre. | 

L'armée que rassembla le héros tartare était la plus formi- 
dable qui eût menacé l'Occident. C'était le ramas des hordes 
qui affluaient de l’Asie et des nations qui vivaient au nord 
du bas et du moyen Danube. « Dans cette multitude, dit Jor- 
» nandès, brillait l’armée des Ostrogoths conduite par trois 
» frères, Walamir, Théodemir et Widemir... Là se trou- 
‘» vait aussi, avec des bandes nombreuses, le roi (des Gépides) 
» ArdariC, qui, à cause de son extrème fidélité envers Attila, 
» assistait à son conseil. Attila, qui avait remarqué sa saga- 
» cité, faisait de lui et de Walamir plus de cas que de tous 
» les autres rois. » Bien que les Ostrogoths allassent se me- 
surer contre les Visigoths, leurs anciens frères, et que leurs 
chefs fussent de race plus noble qu'Attila, la confiance, la 
dévotion des rois et des peuples envers le maître souverain 
n'avait pas de limites. 

Attila fit d’abord courir le bruit qu'il voulait soumettre la 
Pannonie tout entière, réprimer quelques tribus germani- 
ques qui refusaient de reconnaître son autorité, entrer en 
relations avec les contrées de l’est du Rhin, mais qu'il n’a- 
vait aucun projet sur les provinces de la rive occidentale 
dont ce fleuve est la barrière naturelle. Au printemps de 
l'année 450, il avait, suivant Jornandès, 500 mille hommes 
sous les armes (1), et une heureuse circonstance s’offrit à lui : 


(1) Attila dut laisser des forces de l'autre côté du Rhin; nous admet- 
- tons, avec M. Tourneux, que le chiffre des forces réellement envahis- 
santes fut de 490 mille. 


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— 244 — 

la mort de l’impératrice Placidie ne pouvait qu'amener le 
trouble dans les affaires d'occident. Dès lors il gagne le haut 
Danube, envahit la Bavière, la Souabe, la Franconie, s’em- 
pare de toutes les places, lève des subsides qu'il emmènera 
avec lui. Malgré la grande irruption de Suèves, de Vandales, 
d’Alains et de Burgundes qui s'étaient jetés, sous la conduite 
de Godégisèle, en 407, sur les Gaules, et de là sur la pénin- 
sule ibérique; malgré le torrent des peuples d’outre-Rhin 
qui s'était déversé sur la rive gauche du fleuve, en 420, sous 
la conduite de Pharamond, la Germanie, encore inassouvie 
de la haine du nom romain, répond à l'appel du héros tar- 
tare, et vient ajouter de nouveaux contingents aux hordes de 
lorient et du nord. Huns, Ruges, Gépides, Hérules, Turci- 
linges, Bellonotes, Gélons, Neures, Ostrogoths, constituaient 
le noyau des forces d’Attila, et formaient un hideux assem- 
blage des produits les plus repoussants de l’humanité. Et 
voilà que se joignent dans la marche les Suèves, les Marco- 
mans, les Quades, les Thuringiens, les Scyrres, les Bas- 
ternes et ceux des Francks qui se nommaient Bructères. 
Attila emploie l'hiver de 450 à 451 à bien asseoir sa base 
d'opérations le long de la rive droite du Rhin et sur le haut 
Danube, de Mayence à Bâle. Obligé d’éparpiller ses masses 
pour leur faciliter les moyens d'existence, il donne, par la 
dissémination même de ses cantonnements, du crédié aux 
bruits qu'il a fait courir. | 

Au printemps de 451, au moment où il va mettre en 
marche ses innombrables colonnes, Attila garde encore ile 
masque; et quoique renseigné sur la sécurité suffisante où 
semblent vivre Valentinien et Théodoric, il envoie des am- 
bassadeurs à ces princes, avec mission de continuer à les 
entretenir dans l'obscurité de ses desseins, et de leur insi- 
nuer, en temps opportun : — à l’empereur, qu'il n’en veut 
qu'à Théodoric, que son seul but est de faire rentrer sous ses 
lois les Visigoths, ses sujets fugitifs, mais qu'il les châtiera 
pour être devenus les ennemis des Romains ; — et à Théo- 


Enr 


doric, qu'il vient pour se dédommager, en partageant les 
Gaules avec lui, de ce qu’il n’a pas obtenu la main d'Ho- 
noria, ni touché la dot de cette princesse. Les messages 
furent exactement accomplis, et la politique d’Attila porta 
juste. En vain Valentinien, auprès duquel les ambassadeurs 
d’Attila prodiguaient les protestations d'amitié de la part de 
leur souverain, s'évertuait à répondre qu'il n’était point en 
guerre avec les Visigoths, et que, le cas échéant, il n’avait 
besoin de personne pour les réprimer ; en vain Théodoric 
recevait-il" également les démonstrations les plus chaleu- 
reuses de la part du roi des Huns, et la promesse d’être 
bientôt débarrassé du joug des Romains. Ni Valentinien, 
ni Théodoric ne s’abusèrent sur ce manége ; tout au contraire 
la chancellerie romaine s’aboucha immédiatement avec la 
cour des Visigoths, et sollicita leur roi de concourir « à la 
» défense d’une république dont il tenait un des membres... 
» Méprisant le droit et l'équité, dit le message relaté par 
» Jornandès, il se montre l'ennemi de tout ce qui existe. 
» Celui-là mérite la haine qui se pose comme l’ennemi 
» commun de tous... C’est des Huns qu'est venu le mal- 
» heur... » Théodoric, effrayé, répondit aux envoyés ro- 
mains en leur promettant vaguement de s'unir à Valen- 
tinien ; mais, au fond de sa pensée, il était dès lors bien ré- 
solu de laisser les Romains se tirer de leurs démêlés avec les 
Huns, et de ne prendre part à la guerre que s’il était attaqué 
dans ses Etats. D'un autre côté, Aétius, qui connaissait pro- 
fondément Attila et qui entendait toujours parler d’une inva- 
sion des Huns dans les Gaules, ne se méfiait que davantage 
d’une fausse attaque, craignant une volte-face, c’est-à-dire une 
invasion en Italie, et par suite n’osait bouger de la pénin- 
sule. Ainsi, celui que l’on nomma le dernier des Romains 
rendait justice à la capacité stratégique d’Attila, avant de se 
mesurer avec lui. Théodoric et Aétius étaient donc de fait 
séparés, et Aétius tenu loin du théâtre des futurs événe- 
ments. 


— 246 — 

Quand on étudie les machinations que les chefs des Bar- 
bares se plaisaient à ourdir, et qu'on les reconnaît assez 
madrés politiques pour obtenir par des artifices ce qu'ils se 
proposaient de continuer à dépecer par la violence, on ne 
peut admettre qu'ils aient été imprévoyants dans l’art de la 
guerre. C'est une lourde tâche que de jeter une masse de 
plusieurs centaines de mille hommes dans un pays, car il 
faut s'inquiéter de la manière dont ils vivront, et dans ce 
but les partager en corps qui exécutent individuellement des 
marches et concourent, à un Jour donné, en un point dé- 
signé par le chef suprême, à l’accomphissement de quelque 
srand acte. En cela consiste la stratégie. D'une manière 
générale, aux yeux de la masse des Barbares, la guerre n’a- 
vait point pour but la conquête, mais le brigandage, et il n'y 
a rien que de très juste à les comparer, comme des auteurs 
réputés l'ont fait, à des nuées d'insectes dévorants qui s'abat- 
tent sur une contrée et la ruinent, comme aussi de caracté- 
riser de tumultuaire la guerre d’invasion de ce temps. Mais 
devons-nous croire que les chefs des Barbares n’eussent pas, 
à côté des intérêts mesquins de la plèbe, le souci de leur 
gloire personnelle par laquelle, à toutes les époques, s’entre- 
tient la puissance royale, et qu’ils ne fussent doués du talent 
ou du génie qui procure cette gloire ? 

Tant qu'Attila vécut, « la tourbe des rois et les conduc- 
» teurs des peuples, » attentifs au moindre signe du maître, 
obéissaient, au dire de Jornandès, avec la plus admirable 
ponctualité. Quand Attila mourut, l'empire qu'il avait créé 
de toutes pièces, pour écraser l'empire romain, s'écroula 
comme celui d'Alexandre, parce que personne n'était capable 
de prendre en main un sceptre aussi pesant. Comment, après 
cela, supposer qu’Attila, qui avait fait tant de marches à tra- 
vers l'Europe, n’eût pas profité de sa propre expérience, de la 
capacité des généraux qui servaient sous lui, des doctrines 
qui découlaient de toutes les grandes entreprises contempo- 
raines, des longs entretiens qu'il avait eus avec Aétius, pour 


— 247 — 
n'avoir pas une connaissance infuse des règles de la stratégie, 
pour ne pas engager méthodiquement ses masses, quitte à 
ces masses, à la vérité mal organisées, à se tirer d'affaire 
comme elles pourraient dans les opérations de détail ? Or 
un ancien élève de l'Ecole polytechnique a osé, il y a 
41 ans (!), reconstituer avec les matériaux que nous ont 
laissés des écrivains ecclésiastiques et des poètes, la grandeur 
des conceptions d'Attila, et compléter les feuillets de l’his- 
toire que, par incurie ou par incompétence, les écrivains, nés 
dans ces siècles, n'avaient jamais tracés convenablement, ou 
que les désordres de cette époque ne nous ont point laissé 
parvenir. Doit-on blâmer Cuvier d'avoir émis la loi de corré- 
lation des formes, déduit et classé des espèces ignorées dont 
on n'avait que des fragments fossiles, et qu’on n'aurait jamais 
connues sans l'anatomie comparée ? Or M. Tourneux, cet 
écrivain dont nous parlons, a pris pour cadre le récit des 
faits ; il les a confrontés avec l’ensemble du territoire sur 
lequel ils se sont accomplis, et avec les particularités locales 
du sol. Il a été hardi, il s’est trompé quelquefois ; mais il a 
rendu un service incontestable en fixant irrévocablement 
les esprits sur l'emplacement de la bataille où Attila fut 
défait, et en tentant de jeter du jour sur cette formidable 
invasion. Certes il est très fâcheux qu'il n'ait pas connu des 
ouvrages tels que celui de M. Amédée Thierry, ni surtout le 
Mémoire que cet académicien adressa à l'Empereur; car une 
discussion n'aurait pas manqué d'ajouter au domaine de l’his- 
toire, si elle eût pu se prolonger entre deux savants, dont 
l'un était un grand historien, et dont l’autre, signalé par 
M. Amédée Thierry lui-même comme un esprit sagace et 
distingué, avait consacré sa vie tout entière aux sciences et à 
leur application. Cependant, disons-le, M. Tourneux a eu 
l'insigne honneur de remplir, au sujet d’une invasion si mal 


(1) Atlila dans les Gaules, par Tourneux, ingénieur en chef du dépar- 
tement de la Marne.(1823). 4 


"FOR 
A TRORR 


y 


Loic" 
rendue par les historiens anciens et si écourtée dans leurs 
récits quant à l'art militaire, le rôle d’un Cuvier. Entre la 
reproduction d'écrivains incompétents et l’exhumation ra- 
tionnelle d’un plan de campagne, nous n'hésitons pas. C’est 
dans la voie frayée par M. Tourneux que nous marcherons, 
et nous apporterons, autant qu'une existence passée dans les 
camps de France et en campagne peut le permettre, quel- 
ques pierres à l'édifice que cet ingénieur a tenté de recon- 
struire. à 

N’abandonnant rien au hasard, Attila examine les diffi- 
cultés inhérentes à la topographie des localités qu’il a devant , 
lui, et à la répartition politique du pays qu'il veut envahir. 
Vues dans leur ensemble, les Gaules ne sont plus pour les 
Romains qu'un faisceau brisé, dont les éclats sont devenus la 
proie des nations barbares ; mais il prévoit qu’elles se recon- 
stitueront vite en une masse compacte au moment du danger 
dans la main vaillante d’Aétius. Les Franks, auxquels Julien 
avait permis de s’établir sur la rive gauche du Rhin, depuis 
Mayence jusqu'à l'embouchure de ce fleuve, et qui étaient 
descendus dans le midi sur la Meuse, dans une zone nommée 
Ripa, ce qui leur avait fait donner le nom de Ripuaires, 
d’alliés de l'empire en sont devenus les ennemis, et, grossis 
des Franks Saliens, se sont rendus maîtres de la Germanie 
inférieure et de la Belgique seconde ; — les Alaïins ont pé- 
nétré dans l'Armorique; — les Vandales occupent tout le 
pays entre les Pyrénées et la Loire; — les Burgundes se 
sont emparés de l'Helvétie, de la Savoie, de la grande Séqua- 
naise et d’une partie de la Lyonnaise première. Depuis un 
demi-siècle ils ont fondé des établissements dans ces con- 
trées, et Les relations qu’ils ont gardées avec le Mein les ont 
mis en méfiance sur les dispositions d’Attila : aussi se pré- 
parent-ils à défendre vigoureusement à Bâle le passage du 
Rhin ; — enfin les Romains n’ont plus que la Narbonnaise. 
Tel est l'échiquier stratégique. Se jeter du Danube par 
Schaffhouse pour passer le Rhin à Bâle, comme l'avaient fait : 


— 249 — 


les Burgundes, et de là gagner la trouée de Belfort, c'était se 
mettre aux prises immédiates avec des peuples résolus et 
aguerris, risquer de perdre un temps précieux à batailler 
dans les défilés du Jura et des Vosges, pays hérissés d’obsta- 
cles, d’une garde facile, où il n'aurait pu manœuvrer avec un 
si grand déploiement de forces, avec tant de cavalerie surtout, 
ni faire vivre tout son monde. 

Tranquille au contraire sur son flanc droit, il juge quil 
vaut mieux descendre par les rives du Necker et du Mein, 
et suivre encore le cours du Rhin pendant quelque temps 
pour s'éloigner des Burgundes et dissimuler le plus possible 
son mouvement d'agression. Il passera le fleuve entre Co- 
blentz et Bonn pour éviter de se trouver, après le passage, au 
pied des versants de Hundsrück. Il gagnera donc le cours 
inférieur de la Moselle et pénétrera au centre des deux Bel- 
giques, où 1l trouvera l'étendue nécessaire pour faire ma- 
nœuvrer son armée, surtout sa cavalerie, et les ressources 
indispensables pour l'existence. Moins méfiants que les Bur- 
gundes, mais à la vérité moins directement menacés, les 
Franks se sont endormis dans une quiétude dont il se gardera 
de les tirer autrement qu'en les surprenant. Trèves, capitale 
de la Belgique première, une des villes les plus riches des 
Gaules, ancienne résidence de plusieurs empereurs, n’a pas 
de garnison : c'est une proie facile, qui fournira avec abon- 
dance aux ravitaillements de l'armée assaillante et remontera 
la cavalerie. Trèves est donc son premier objectif ; de là, par 
des marches rapides, il se jettera sur la Loire, sans perdre de 
temps à combattre les Franks et les Burgundes, tombera au 
milieu des Gaules consternées, ne laissera pas aux peuples 
qui les composent le temps de se reconnaître, hâtera son pas- 
sage de la Loire, si les forces combinées de Théodoric et 
d'Aétius ne sont pas encore accourues au devant de lui. 
Quant à ses derrières, il ne manquera pas de les relier avec 
sa base d'opérations de la rive droite du Rhin contre les en- 
treprises ultérieures des Franks et des Burgundes, 


— 250 — 


Une fois le passage résolu entre Coblentz et Bonn, Attila 
fait rassembler les barques du Necker, du Rhin, de la Lahn, 
envoie construire des radeaux; puis, pour ne pas être troublé 
dans son passage, il détache un corps de 50 mille Ostrogoths 
sous la conduite de Théodemir, avec ordre de contenir ou de 
battre les Burgundes s'ils viennent à le harceler, d'opérer 
une diversion en effectuant un passage du Rhin à Bâle, et 
enfin de le rejoindre par la ligne la plus courte si les circon- 
stances se montrent propices. 

En mars 451, Attila lève ses cantonnements et étend ses 
forces sur le Rhin, depuis Bâle jusqu'à Coblentz. Le corps de 
Théodemir, qui doit servir de pivot dans le grand mouve- 
ment, réussit dans ses entreprises. Bâle ct Colmar tombent 
en son pouvoir. Les Burgundes battus sont chassés de l’AI- 
sace, poursuivis au delà de Belfort, et rejetés..., mais où ? 
Jornandès, l'historien de cette guerre, n'est pas toujours 
exact, et M. Amédée Thierry le constate dans sa préface. Or 
Jornandès dit « expressément » qu'Aétius, passant en revue 
les forces qu'il devait un jour porter devant Orléans, avait 
dans ses rangs les Franks et les Burgundes, et nous avons 
peine à croire que les Burgundes eussent tous pris le che- 
min du midi, attendu que, premièrement, ils avaient dans 
les montagnes de l'Helvétie des refuges inexpugnables, et 


que, secondement, l'armée des Burgundes, qui avait alta- 


qué l'aile gauche des Huns, était assez imposante pour ne 
pas s'enfuir dans le midi après quelques échecs. Des partis de 
Burgundes sont refoulés à la rencontre d'Aétius qui les ra- 
masserà, mais les autres regagnent leurs montagnes. De 
même les Franks seront dispersés : de telle sorte que Bur- 
gundes et Franks auront des représentants dans l'armée du 
patrice avant la délivrance d'Orléans; mais le gros de-leurs 
forces nous paraît rester dans leur pays, ou, en d'autres 
termes, Attila ne produit pas complètement le vide derrière 
lui en marchant vers la Loire, bien que M. Amédée Thierry 
le donne à entendre dans son mémoire à l'Empereur. Nous 


— 251 — 


retrouverons donc des Franks et des Burgundes qui rallieront 
l’armée d’Aétius, lorsque le grand drame se dénouera quel- 
ques mois plus tard dans les plaines de la Champagne, et qui 
viendront y chercher, lors de la retraite d’Attila, le butin 
qu'ils ont perdu. 

_ Pendant que Théodemir opère en Alsace, Attila, avec les 
390 mille hommes qu'il commande en personne, s'empare de 
Coblentz et passe le Rhin; sa droite se déploie tout de suite 
vers le nord, et son front occupe un instant la ligne qui va 
de Bâle à l'Océan, enfin il converse autour de Théodemir 
qui devient pivot, ce qui était dans ses calculs. Mais où l'o- 
pération pèche, c'est qu'il ne peut retenir le brigandage de 
ses hordes, et que pour les laisser vivre, leur donner satisfac- 
tion, les animer, il est obligé de perdre du temps. Il se disait 
l'ami des Romains, et voilà que Trèves, l’ancienne métropole 
des Gaules, et une foule d’autres villes appartenant à des 
alliés de l'empire, sont saccagées. Trèves était dévastée pour 
la cinquième fois depuis le commencement du siècle. Ton- 
ores, Reims, Arras, Cambrai, Besancon, Langres, Auxerre 
et la capitale du Vermandois éprouvèrent un sort pareil. Les 
Huns emportent de toutes ces cités un riche tribut qu'ils 
augmentent encore plus loin, mais qu'ils ne pourront pas 
toujours traîner malgré leurs nombreux chariots, et qu'ils 
seront un jour obligés de déposer quelque part. Nous insis- 
tons donc sur la nécessité qu'il y aura de créer un dépôt. 
Là est la solution du nœud gordien de bien des contro- 
verses. 

De Trèves, Attila marche sur Metz. Metz est une ville trop 
forte pour qu’il la laisse exister sur ses derrières; il lui fait 
en vain des sommations et ordonne de battre en brèche ses 
murailles, mais la place résiste. D'après M. Amédée Thierry, 
Attila était non seulement dépourvu de machines suffisantes, 
mais inexpert à faire des siéges ; cependant, parmi les nom- 
breuses places dont il aura à s'emparer, on peut citer Metz, 
Orléans et Aquilée, qui offriront, par leur assiette et leurs 


— 252 — 


ouvrages, des difficultés sérieuses, et qui seront défendues 
avec vigueur; de plus on doit considérer qu’à cette époque 
l’art de l'attaque avait souvent Le désavantage sur celui de la 
défense. Devant la résistance inattendue de Metz qu'il ne 
peut prendre en quelques jours, Attila, qui est pressé de 
gagner la Loire, cède; il trouve sur sa route, à deux journées 
de marche, le château de Scarponne sur lequel il déverse sa 
colère. Tout à coup il apprend qu'un pan de la muraille de 
Metz, qu'il avait battue du bélier, est tombé ; il court à Metz 
et ordonne l'assaut. Dans ses vues, avec un caractère ambi- 
tieux et tyrannique, un exemple était à produire, car il ne 
jugeait pas pouvoir, sans risquer son plan de campagne, 
s'arrêter devant toutes les places fortes. C’est par la terreur 
que désormais il veut se rendre maître des citadelles, et les 
amener à lui ouvrir leurs portes dès qu'il se présentera. Metz 
est prise, et rien ne peut arrêter la férocité du vainqueur : 
tous les habitants, sans exception, sauf l'évêque, sont massa- 
crés ; toutes les maisons sont brûlées. Cet événement arriva 
la veille de Pâques 451, c'est-à-dire le 7 avril, suivant le ça- 
lendrier julien. 
Cet atroce exploit ne devait pas peu contribuer à lui faire 


dans les Gaules un nom perpétuellement abhorré et maudit; 


mais les Romains n'étaient-ils pas devenus grands par des 
crimes, et César, tout le premier, n’avait-il pas employé huit 
années à réduire la Gaule en province romaine par le mas- 
sacre ou la captivité de deux millions de Gaulois ? 

Sur les ruines de Metz, Attila marque une halte de quel- 
ques jours ; il y recoit des nouvelles du corps d'observation du 
Rhin. Théodemir a refoulé les Burgundes, traversé l'Alsace 
où il s'est ménagé des intelligences, et il occupe Strasbourg 
et Saverne du consentement des Allemands ; sa mission bien 
remplie, il semble qu’il sera plus sage de lui confier la garde 
des communications sur les derrières de l’armée, et d’ailleurs 
le conquérant ne se soucie peut-être pas qu'un de ses lieute- 
nants se couvre d'une trop grande gloire. Toutes ces ques- 


AR Ne 


— 253 — 


tions de relations paraissent admirablement senties; elles 
semblent peser dans l'ordonnance de la marche. 

De Metz, Attila peut prendre deux routes pour arriver dans 
le midi des Gaules : l’une par Langres, la vallée de la Saône, 
puis celle du Rhône, est trop montagneuse pour qu'il puisse 
y faire bien vivre et y bien employer sa cavalerie ; l’autre par 
Reims, Troyes et Orléans, passe dans des plaines immenses 
qui se prolongent au delà de la Loire, dans la Sologne et le 
Berry. Il divise ses forces pour aller plus vite et mieux pro- 
fiter des ressources des contrées qu’il va inonder; pour cela il 
organise son armée en trois COrps. 

L’aile droite, commandée par Andagèse et forte de 40 mille 
hommes, passe l’Aïsne, marche du côté de Reims, et attendra 
au sud de cette ville dans les plaines qui s'étendent entre la 
Suippe et la Vesle. Traversant ainsi le sud de la Belgique 
seconde, elle couvre les passages de l'Argonne, et est à même 
d'observer les mouvements des Franks qui commencent à se 
grouper. 

L’'aile gauche, sous les ordres de Walamir, doit compléter 
la soumission de la Belgique première. Elle s'empare de 
Toul, tourne à droite dans la direction de l'ouest, et marche 
sur Nasium. Cette riche cité s'élevait sur les bords de l'Or- 
nain, un peu au-dessus de Ligny : sans remparts, Sans gar- 
nison, elle avait accepté immédiatement la loi du vainqueur ; 
et déjà la colonne envahissante cantonnait depuis un jour 
dans ses murs, quand un de ses habitants, outragé dans ses 
affections, tue le barbare qui l'a déshonoré. De cet acte isolé 
surgit le signal d’un massacre général, et l’infortunée Na- 
sium est détruite de fond en comble. En quittant Nasium, 
l'aile gauche se met en route par Bar-le-Duc, dans les 
plaines qui se déroulent entre Châlons et Reims, où rendez- 
vous lui a été assigné. 

Le centre, sous la conduite d’Attila, s’avance par Verdun : 
cette place se met en état de défense, résiste quelques jours, 
et eût été incontestablement détruite, à l'exemple de Metz, si 


— 254 — ee 
elle ne se fût rendue à discrétion. Couvert par ses aïles pour 
le passage du défilé de l'Argonne, et bien éclairé sur la tête 
de sa colonne, il arrive dans les plaines de la Champagne où 
Andagèse l’a devancé, et avant de se porter sur Reims, il 
attend vers Mauriac, aujourd’hui La Cheppe, en travers de 
la voie romaine qui conduit de Metz à Reims par Bar-le-Duc, 
que Walamir ait opéré sa jonction avec lui. 

Un chef puissant comme Attila, qui remue des masses 
colossales hétérogènes venues des pays les plus divers, à 
besoin de se montrer parfois à ses troupes, et de faire des- 
cendre jusqu’au fond des rangs la conviction de son autorité 
suprême. S'il a su choisir des hommes auxquels il confie 
des commandements, il sera assez prudent pour maintenir 
leurs sentiments de discipline, et pour ne pas trop les aban- 
donner à eux-mêmes en les exposant à travailler pour leur 
propre compte. D'ailleurs la réunion des principaux chefs 
de colonnes, qui étaient, on n’en peut douter, des Barbares 
de haute valeur, ne pouvait servir qu'à éclairer le maître 
souverain : à lui seul de prendre à son gré des avis, .de 
recevoir des rapports, de trancher en dernier ressort sur 
toutes les questions. C’est ainsi qu'il résistait aux vives solli- 
citations de Clodomir, qui n'avait pour but que d’arracher la 
monarchie des Franks à Mérovée, et que lui-même, Attila, se 
préparait à marcher vers le midi, ayant avant tout pour 
visées d'attirer les Visigoths en dehors de leurs cantonne- 
ments, de les battre, de courir au devant d'Aétius qu'il 
croyait encore en Italie et de l'attendre au débouché des 
Alpes. Pour montrer sa puissance à son innombrable armée, 
faire naître dans l’âme de tous la confiance qui se puise dans 
la grandeur des masses, il consacre quelques jours à des 
manœuvres où tout le monde prend part, et auxquelles les 
immenses plaines de la Champagne se prêtent si bien. Pen- 
dant les jours qui y sont employés, il recoit une députation 
des habitants de Châlons, en tête de laquelle marche l’évêque 
saint Alpin, et impose à cette cité, qui s’y soumét, de fournir 


— 299 — : 

des vivres et des effets d'habillement, et de recevoir garnison. 
À partir de ce moment les Huns n’enlèvent plus de butin aux 
villes qu’ils traversent, car déjà ils sont encombrés de ba- 
gages. Peut-être y a-t-il de la part d’Attila un ordre qui met 
fin aux inconvénients de se charger outre mesure et d’indis- 
poser les populations. Cet ordre serait en effet dans la nature 
même des choses ; mais s’il fut réellement émis, il dut être 
accompagné de la promesse qu’on pillerait tout quand l'en- 
nemi principal serait battu. 

Attila a deux ennemis sérieux, Théodoric et Aétius : il 
cherche à les entreprendre l’un après l’autre; mais ïl doit 
redouter l'activité du patrice et se garder de mécomptes, en 
supposant qu'il trouvera ses adversaires réunis. Or, dans la 
prévision des grandes opérations qu'il va engager, il n’est pas 
admissible qu'Attila ait permis que des monceaux de bagages 
pillés partout paralysassent ses mouvements ultérieurs. Jus- 
qu'à présent il n’en était point gèné; mais désormais il doit 
mettre de côté tout ce qui l'embarrasse. Mauriac (La Cheppe) 
convient pour l'installation d'un camp fortifié, car il y a de 
l'eau et de l’espace, deux choses nécessaires à la cavalerie. S'il 
s’y installe, il sera à cheval sur la ‘voie romaine de Reïms à 
Bar-le-Duc et à Bâle, et de là il dominera en même temps 
Reims, Châlons, les défilés de l’Argonne qui sont au nord-est, 
et le débouché entre les Vosges et le Jura qui est au sud-est. 
On ne comprendrait guère d’ailleurs que, s’avançant dans 
un pays comme les Gaules, et qu'ayant pénétré dans les 
plaines de la Champagne, il n'eût pas pris souci de cette 
grande muraille des Ardennes qu'il pouvait considérer à 
loisir, ni qu'il se füt-exposé à se laisser fermer un jour les 
deux portes qui lui permettaient de regagner le Rhin en cas 
de désastre. Il doit donc détacher des troupes nombreuses 
pour les garder. Aïnsi il a double intérêt à créer un camp, et 
nous en répétons à dessein les motifs : {° pour garder le 
butin conquis, devenu encombrant ; 2° pour avoir toujours 
une porte de sortie des plaines de la Champagne. Mais une 


FRET 


— 256 — : 
telle création est-elle de la compétence des Huns, et si les 
Huns sont aptes, dans quelles dimensions, dans quels carac- 
tères créeront-ils un camp ? C'est là une grave question; car 
M. Amédée Thierry, dans son mémoire à l'Empereur, dit et 
répète que les Huns étaient « tout à fait inexperts à pareille 
besogne. » 

Ici nous opposerons à l'autorité de M. Amédée Thierry 
l'autorité de l’un de ses pairs, M. Ph. Lebas ; nous irons plus 
loin : nous lui opposerons tous les auteurs qui ont écrit un 
chapitre sur les Avares (Ouar-Chouni). Quand les Avares, 
branche collatérale des Huns d'Attila, qui avaient fondé sur 
les bords du Danube la deuxième domination hunnique, se 
trouvèrent réduits, en 626, par le patrice Bonose, aux seules 
provinces de la Pannonie, de la Dacie et de la Moravie, ils 
n'édifièrent point de villes, mais ils campèrent dans neuf 
rings où camps fortifiés, d’une immense étendue, et dont üls 
tenaient l'usage des Tartares leurs ancêtres. L'un de ces camps 
avait jusqu'à sept milles géographiques de diamètre. Charle- 
magne détruisit ces repaires (1). Et cette organisation, nous 


(1) Voir Le Dictionnaire de la conversation, aux mots Avares et Char- 
lemagne. 
1o Avares. — Les Avares « avaient l'habitude d’entourer leurs habi- 
» tations de fossés, de remparts et de pieux; on en trouve encore bon 
» nombre de débris....,,et on les désigne sous le nom d'anneaux d'A- 
» vares. » 
20 Charlemagne. — « En 796, Charles.,.,. envoya son fils Pépin qui 
» les battit (les Avares), pénétra jusqu'au Raab, et s'empara du ring ou 
» camp fortifié des Avares. » (F. Guizor.) 
3° D'autre part, SIDOINE APOLLINAIRE dit dans son Panégyrique d'An- 
thémius, qui fut lu à cet empereur le 1* janvier 468 : 
1 Hanc tu directus per Dacica rura vagantem 
Contra his aggrederis, superas, includis; et ut te 
Metalo spatio castrorum Serdica vidit, 
Obsidione premis, etc. 


« Te voilà donc en Dacie, à marcher contre ces barbares, tu les 
» attaques, tu les bats, tu les enveloppes, et dès que Serdica t'a vu dans 
» l’espace défini de son camp, tu la tiens étroitement assiégée, etc. » 

Cette épithète #1etalo exprime littéralement l'idée de bornes destinées 


. 


L — 257 — 

la trouvons encore aujourd'hui, maïs avec les modifications 
du temps et des besoins, dans les confins militaires, c'est-à- 
dire dans cette bande longue et étroite qui borde la frontière 
de la Turquie, depuis l'Adriatique jusqu'à la Transylvanie : 
camp perpétuel et barrière contre les empiètements des 
Turks depuis le xvi° siècle, cette organisation ne comporte 
que des militaires vivant en famille, et qui au premier mou- 
vement laissent la charrue pour prendre le fusil. 

Nous gagnons déjà du terrain : pour deux motifs Attila 
devait faire un camp, et les Huns étaient tout à fait experts à 
ce travail. Que pouvaient être les rings des Avares ? Tout ce 
que nous en savons, C’est qu'ils étaient immenses, que leur 
superficie, qui avait un diamètre de 10 ou 12 kilomètres, 
était susceptible de devenir un champ de bataille pour deux 
armées considérables, et nous concluons que des ouvrages 
continus n’existaient pas sur le périmètre de ces camps, car 


à limiter un espace, et ces bornes sont des retranchements dispersés 
sur un périmètre, comme ceux que l'on voit entre la Suippe et la 
Noblette. . 

4° Enfin on trouve dans les Annales D'EGiNxaRT (196) : « Missus est ad 
» hoc Engilbertus, abbas monasterii Sancti Richarii; per quem etiam 
» tunc ad S. Petrum magnam partem thesauri, quem Erichus, dux Fo- 
» rojuliensis, spoliata Hunnorum regia quæ ringus vocabalur, eodem 
» anno de Pannonia regi detulerat, misit, etc. » 

— « Engilbert, abbé du monastère de Saint-Riquier, fut choisi pour 
» cette mission. C'est par lui aussi qu'il envoya une grande partie du 
» trésor que, cette même année, lui avait apporté de Pannonie Herric, 
» duc de Frioul;:ce trésor était la dépouille du ring, c'est-à-dire de 
» l'établissement du roi des Huns, etc. » 

Quelques lignes plus loin, Ecnmarr dit encore : « Pipinus autem 
» trans Tizam fluvium fugatis, eorumque regia, quæ ut dictum est 
» ringus, a Longobardis autem campus vocatur, etc. — Pépin, après 
» avoir chassé les Huns au delà de la Theiss, dévasta de fond en comble 
» l'établissement royal, ce que les Huns appellent le ring, ce que les 
» Lombards nomment le camp, etc. » 

Il ne saurait désormais plus y avoir de doute sur la provenance hun- 
nique des retranchements que l'on voit à 16 kilomètres au sud-est du 
camp de Chälons. C’est Attila qui les éleva dès qu'il eut franchi l'Ar- 
gonne, avant de se porter sur Orléans. 


17 


— 258 — 

leurs auteurs eussent été obligés de faire des parapets d’en- 
viron 3 kilomètres de développement. Vraisemblablement 
ces barbares profitaient des obstacles naturels, tels que cours 
d'eau et montagnes, pour arrêter l'assiette de leurs rings, 
et entre les obstacles naturels ils édifiaient quelques ouvrages 
à intervalles. Nous ne voyons que cela dans les rings, 
jusqu’à plus ample information, mais nous avons conscience 
de leur ensemble. Or les quatre ouvrages de La Cheppe, de 
Bussy, de Saint-Remi et de Nantivet, occupent le bord d’une 
bande de terrain qui sépare deux cours d'eau, et cette bande, 
déjà limitée par deux obstacles au nord et au sud, est fermée 
à l’est et à l’ouest par le mamelon de La Croix et le Mont- 
Piémont, qui sont, dans un rayon de plus d’un myriamètre, 
les deux plus fortes ondulations des plaines de la Cham- 
pagne (1). Du camp de La Cheppe à la redoute de Nantivet, 
en passant de la Noblette à la Suippe, il y a 10 kilomètres ; 
du camp de La Cheppe au mamelon de La Croix il y en a 12. 
Nécessités doublement indiquées par les circonstances, tra- 
dition tartare, caractère et dimensions des rings, tout se lie 
pour nous faire croire à l'origine hunnique de ces retran- 
chements. L'ensemble de ces fortifications se rattache à 
quelque grand acte de guerre et ne peut convenir qu'à cette 
époque. 

M. Amédée Thierry nie que ces fortifications soient d'ori- 
gine hunnique, et prétend qu'elles n'étaient pas dans l’habi- 
tude des peuples tartares ; puis il avance qu'Attila, lors de 
sa retraite, a trouvé dans le camp de La Cheppe un de ces 
camps que les Romains établissaient sur les points stratégi- 
ques importants, que ce camp est incontestablement ro- 
main... Là où M. Tourneux, qui attribue ces ouvrages à 
Attila, nous semble errer, c’est quand il dit que le roi des 
Huns les construisit en revenant d'Orléans. C'est au con- 


(1) Voir le mémoire topographique de M. Savy, dans l'Annuaire de 
la Société des sciences el arts de Uhälons, 1859. 


— 259 — 
traire en y allant qu'il ordonna de faire un ring, et qu'il 
chargea les troupes qu'il laissait sur ses derrières d’en 
achever l'exécution ; Car sans doute il l'entreprit avant d’en- 
trer dans Reims. 

La construction du ring, dont on voit les vestiges entre la 
Noblette et la Suippe, exercera, comme nous le verrons, une 
influence sur la marche d’Aétius, et l’obhigera à passer au 
large par l'ouest, afin de ne pas tomber dans un repaire qu'il 
n'a pas reconnu, et aussi pour profiter de la voie romaine 
qui devait le conduire de Sens à Reims par Sézanne et Da- 
mery, et dont, près de Damery, on voit un troncon. Plus 
tard, nous reviendrons avec détails sur la description des ou- 
vrages. 

Après avoir trempé le moral de son armée dans la connais- 
sance de sa souveraineté, Attila juge à propos de ne pas laisser 


* de côté une cité aussi importante que Reims et d’ailleurs si 


rapprochée, et qu'il doit montrer à la capitale de la Belgique 
seconde la masse imposante de ses forces. 

Reims avait été trop maltraitée par les Vandales, auxquels 
elle avait résisté en 407, pour ne pas acheter les bonnes grâces 
des Huns : aussi recut-elle dans ses murs Attila et les guer- 
riers qui formaient la garde de ce prince. Ses-:aisons étaient 
désertes, les habitants avaient fui dans les forêts, et Nicaise, 
évêque, qui restait seul avec quelques fidèles, les avait grou- 
pés autour de lui sur le seuil de l’église. L'auteur de la Vie 
de saint Nicaïse rapporte que les Huns préludèrent aux mas- 
sacres par le meurtre de l’évêque, et que le prélat eut la tête 
tranchée au moment où il chantait ce verset d’un psaume de 
David : « Seigneur, vivifie-moi selon ta parole; » puis que 
les Barbares s'enfuirent, laissant là le butin, parce qu'ils 
avaient entendu un bruit soudain dans l'église, et qu'ils sor- 
tirent définitivement de la ville. Voilà ce que dit l'histoire; 
mais les Huns étaient-ils gens à se sauver du bruit, et ne 
serait-ce pas plutôt un ordre d’Attila qui les aurait rappelés, 
parce que les Franks ne pouvaient que s'inquiéter vivement 


— 260 — 


d'un trop long séjour des Huns dans la capitale de la Belgique 
seconde ? Pour écraser les Franks et se défaire des dangers 
qui le menaçaient de leur côté, Attila devait dépenser un 
temps précieux ; et à moins de les détruire, il se voyait obligé, 
après la victoire, de se garder plus fortement qu'en les lais- 
sant en paix. Quand Aétius avait battu Clodion, les Franks 
avaient reparu le lendemain plus dangereux que la veille. 
Attila les néglige donc, quitte à les entreprendre plus tard en 
détail, laisse le corps d'Andagèse en observation sur l'Aisne, 
met des garnisons à Reims et dans les places fortes de l'Aisne, 
de la Meuse, de la Marne, sous les ordres de ce général, et 
ordonne à Théodemir, qui est en Alsace, de se rabattre sur 
Metz et de se tenir prêt à le rejoindre sur la Marne. 

Attila quitte Reims et marche en trois colonnes sur la 
Marne, qu'il passe le même jour à Châlons, à Damery et à 
la Ferté-sous-Jouarre ; puis il se porte rapidement,,dans un 
ordre parallèle, sur l'Aube et la Seine, depuis Méry jusqu'à 
Montereau, et campe de sa personne entre Méry et Pont-sur- 
Seine. 

Les fatigues de la route nécessitent un repos de plusieurs 
jours ; d’ailleurs il faut refaire des approvisionnements. Di- 
vers partis de cavalerie poussent de Montereau dans le Séno- 
nais, et vont jusqu à Paris; mais n'ayant pas d'ordres pour 
opérer sur cette ville, ils se retirent. 

L'aile gauche, qui a suivi la grande voie romaine de Reims 
à Auxerre, arrivée à Arcis, envoie sur Troyes un corps expé- 
ditionnaire. Cette dernière cité connaît les malheurs qui ont 
frappé Metz et Nasium, et sait que le plus sage parti à prendre 
est de se rendre à discrétion comme Châlons et Reims l'ont 
fait. Sept clercs, députés au nom de la ville par l'évêque saint 
Loup, se présentent à Attila dans son camp, et implorent sa 
clémence. Attila les écoutait bienveillamment et allait accéder 
à leurs vœux, quand un incident fâcheux se présenta : le 
cheval que montait un de ses favoris, effrayé de l'aspect d’une 
pompe aussi inusitée, jeta à terre son cavalier. Attila irrité 


— 261 — 


traita les députés de sorciers et les fit massacrer ; mais quand 
il fut revenu de sa colère, il voulut voir l’évêque. Le calme 
et la dignité du saint prélat le touchèrent profondément, et 
dès lors il prit le clergé et la ville sous sa protection. 

Au moment de s’avancer sur Orléans, qui depuis long- 
temps est un de ses objectifs, Attila envoie l’ordre à Théode- 
mir de se porter de la Moselle sur la Marne, afin de lui servir 
de réserve et de couvrir ses derrières; et de même qu'il a mis 
un corps d'observation sur l'Aisne contre les Franks, sous la 
conduite d'Andagèse, il couvre son aile gauche contre les 
Burgundes par un second corps d'observation. Walamir, au- 
quel il en confie le commandement, fouille les débouchés de 
la Bourgogne sur le Sénonais, remonte les vallées de l'Yonne, 
de l'Aube, de la Seine, et pénètre dans la vallée de la Saône 
qu'il descend jusqu'à Mâcon. 

Pendant ce temps, Attila lève son camp de Pont-sur-Seine, 
franchit l'Yonne à Sens et à Pont-sur-Yonne, le Loing à Ne- 
mours et à Montargis, et paraît devant Orléans à la tête de 
150 mille hommes. Depuis le Rhin, il n'avait éprouvé qu'un 
peu de résistance à Metz, et les difficultés qu’il avait rencon- 
trées ne tenaient qu'au sol. Il a paru inutile de s'étendre sur 
les extorsions et les massacres partiels qu'une masse aussi 
immense de Barbares était appelée à commettre en envahis- 
sant les Gaules. Partout où pénètrent les Huns, l’effroi les 
précède et la désolation reste. De pieuses légendes ont éter- 
nisé le souvenir de ces bandes, et la France, reconnaissante 
de toutes les vertus qui se sont développées sur son sol, hono- 
rera toujours la dévotion dans saint Nicaise, évêque de Reims, 
et dans sainte Geneviève de Nanterre; l'héroïque chasteté 
dans sainte Germaine de Bar-sur-Aube ; la grandeur du rôle 
de saint Loup, évèque de Troyes ; le zélé patriotisme de saint 
Agnan, évêque d'Orléans. 

Orléans était la clef de la Loire. Bâtie sur la rive droite de 
ce fleuve, elle communiquait par un pont en bois avec la rive 
gauche, et pouvait recevoir du côté du midi des munitions et 


— 262 — \ 
des renforts. Sur son périmètre, elle était protégée par une 
large ceinture de murailles élevées garnies de tours, en avant 
desquelles existait un fossé profond. Des ouvrages extérieurs 
complétaient la défense. 

A différentes époques, Orléans avait eu à souffrir dans les 
ouerres civiles et étrangères; et déjà elle avait joué dans les 
campagnes de Jules César un rôle important sous le vieux 
nom de Genabum. César l'avait prise, pillée et détruite. En 
272, Aurélien en releva l'enceinte, et, par reconnaissance, les 
habitants donnèrent son nom à leur ville. Point stratégique 
et commercial, elle avait été et devait être longtemps encore 
visitée par tous les envahisseurs : au moindre symptôme de 
guerre, les Orléanais étaient en éveil, et se disposaient à sou- 
tenir un siége en complétant leurs fortifications permanentes 
par des ouvrages accessoires, en étudiant la marche des 
affaires, et en observant leurs voisins. Grâce à cet esprit de 
méfiance, ils découvrirent que Sangiban, roi des Alains, 
qu'Aétius leur avait donné pour protecteur, était entré en 
intelligences avec Attila : aussi, dès que Sangiban se présenta 
pour défendre la place, les portes lui en furent refusées, et 
un député, que la grandeur de son caractère personnel et la 
sainteté de ses fonctions désignaient à leur choix, Agnan, 
évêque, fut chargé d'aller à Arles rendre compte au patrice, 
ou en son absence à son lieutenant, de la défection de San- 
giban, et d'implorer un prompt secours. 

Le patrice venait d'arriver à son quartier-général. Dès que 
la nouvelle du passage du Rhin était parvenue en Italie, Va- 
lentinien avait consenti à laisser Aétius partir pour les Gaules; 
mais il avait retenu presque toutes les légions par devers lui, 
car ses frayeurs restaient grandes. Aétius n'avait donc que 
quelques troupes romaines : chemin faisant, il rallia des tri- 
bus des Alpes, entre autres les Bréonnes, et arriva à Arles ; 
mais il se trouvait fort désappointé, dans la prévision de la 
guerre qu'il allait avoir à soutenir, de ne pas avoir une armée 
aussi imposante que les circonstances l’exigeaient. Attila 


— 263 — 

marchait sur Orléans. Sans tarder, Aétius entre en relations 
avec Théodoric; mais le roi des Visigoths est effrayé et ne 
voudrait de l'alliance romaine que contre Genséric : 1l s'opi- 
niâtre donc à ne pas prendre les armes. En vain Aétius lui 
représente-t-il que lorsque les Romains seront défaits, le roi 
des Huns pèsera de tout son poids sur les Visigoths, ses pré- 
tendus sujets, et veut-il le persuader, en confrontant les 
lettres d'Attila, que le Barbare se joue des cours de Toulouse 
et de Ravenne. En vain les principaux chefs des Visigoths 
gémissent-ils des résolutions antiguerrières de leur souve- 
rain ; Aétius ne peut le décider à prendre part à la lutte qu’en 
allant lui-même prier un noble Arverne, Avitus, qui exer- 
çait sur l'esprit de Théodoric une magique influence, de vou- 
loir bien s’employer comme intermédiaire. Le retard ne pro- 
venait donc pas du fait d’Aétius; il était le fruit des combi- 
naisons diaboliques d’Attila, qui avait réussi à empêcher ses 
adversaires de savoir où donner de la tête. 

En même temps que le roi des Visigoths se décide à opérer 
sa jonction, le midi des Gaules se lève comme un seul 
homme ; la Bagaudie s'éteint et rentre dans les rangs des 
clients que les nobles gaulois arment et commandent. De 
toutes parts accourent vers le midi des forces, que l'immi- 
nence du danger et la confiance dont jouit l'illustre général 
romain dirigent instinctivement sous ses drapeaux. Ce sont 
des partis de Burgundes et de Franks, les tribus de l'Armo- 
rique, les Lètes, c’est-à-dire des compagnies de colons sar- 
mates, saxons, taïfales, teutons, suèves, etc., qui étaient atta- 
chées au sol des Gaules, à Poitiers, à Chartres, à Bayeux, à 
Coutances, à Autun, etc., et qui se portent sur Arles, par 
masses petites à la vérité, mais si fréquentes qu'Aétius aura 
bientôt une armée comparable en effectif à celle d’Attila (1). 


(1) JornanDpÈs donne l’'énumération des peuples qui accoururent $e 
mettre à la disposition du patrice dès qu'il parut dans les Gaules, et il 
cite les Burgundes. Nous verrons plus tard la confiance qu'il faut avoir 


— 264 — 


Quoique improvisée, cette armée aura une supériorité sous le 
rapport de l'armement et de la discipline, mais elle sera 
incapable de manœuvres tactiques savantes. Aïnsi donc déjà, 
dès cette époque, le défenseur sortait instinctivement du sol 
et faisait présager l’énergique vitalité de la France. 

Agnan avait exposé à Aétius qu'à la grande rigueur Or- 
léans tiendrait jusqu’au huitième jour avant les calendes de 
juillet, ce qui correspond au 23 juin (1), et il était retourné 
au centre de son diocèse. Attila poussa avec vigueur les tra- 
vaux du siége, mais la place avait d'excellentes. murailles et 
ses défenseurs se conduisaient avec intrépidité dans l'espoir 
d’un prompt et efficace secours. Cependant si le bélier ne 
produisait aucune brèche, les flèches des Huns, qui étaient 
des archers admirables, occasionnaient de grands désastres 
dans la ville. Peu à peu les courages s'émoussèrent, les bras 
faiblirent : Agnan soutenait les cœurs, faisait promener les 
reliques des saints sur les remparlis, promettait l'assistance 
de Dieu, baignait de ses larmes les degrés de l'autel {ce qui, 
à cause de sa sainteté bien reconnue, était pour les Orléanais 
une raison de croire qu’un secours arriverait), et prolongeait 
ainsi la défense de quelques jours ; mais les fatigues et les 
maladies, qui s’attachent à d'aussi rudes labeurs, poussèrent 
les habitants à se rendre. Ce fut encore Agnan que la cité 
députa. Attila, irrité de ce qu'on lui faisait des conditions, 
renvoya durement l'évêque. 

Alors les habitants se rendent à discrétion, et les portes de 
la ville sont ouvertes. L'armée de siége pénètre avec ordre 
dans la place, les chefs en tête, afin de choisir dans le préle- 
vement des prisonniers et du butin, et le pillage s'effectue 
régulièrement, quand tout à coup voici Aétius et Théodoric 


dans Jornannës. Des partis de Burgundes purent arriver à la rencontre 
d'Aétius, mais le gros des Burgundes n'arriva qu'après l'affaire d'Or- 
léans. 

(1) Le 23 juin du calendrier julien est le 26 juin du calendrier gré- 
gorien. 


— 265 — 


qui accourent à toute bride. Aétius était exact ; on était au 
23 juin (1). Un combat s'engage au débouché du pont ; mais 
les Huns ont pris trop tard leurs dispositions : ils sont ou 
jetés à l’eau, ou refoulés dans la place. Les fédérés les y 
poursuivent et les contiennent, pendant que les Orléanais 
leur font pleuvoir sur la tête, du haut des fenêtres et des 
toits, une grèle de pierres et de tuiles. Il en est fait un hor- 
rible massacre. Si Aétius opérait avec justesse en envelop- 
pant les Huns dans la place et en s'emparant des issues qui 
leur eussent permis de regagner leurs lignes, Attila avait fait . 
une faute en se laissant surprendre, surtout sachant combien 
était prodigieuse l'activité d’Aétius. Un cordon de sentinelles 
à cheval à quelque distance sur la rive gauche de la Loire 
l'eût averti à temps, et 1l eût pu arrêter les fédérés en détrui- 
sant une travée du pont de bois qui joignait les deux rives de 
la Loire. Plus tard et suivant le cas, cette travée pouvait être 
rétablie avec les matériaux qu'Orléans lui offrait en abon- 
dance. En supposant qu'une travée eût été supprimée, il 
achevait tout à l'aise la destruction de la population, et occu- 
pait Orléans. Orléans entre les mains d’Attila, défendue par 
un corps de Huns, eût été pour les fédérés l’objet d'une rude 
et périlleuse entreprise : il eût fallu alors passer la Loire, et 
quel que ft le point choisi, Attila tenait la rive droite. Enfin, 
si les Huns eussent pris pied aussi fortement au cœur des 
Gaules, que fût-il advenu ?.. 

Nous insistons donc sur la faute que commit le roi des Huns, 
ct particulièrement sur ce qu'il la sentit. Gertes Attila ne 
devait plus la commettre, et à Méry il ne manquera pas de 
détruire le pont qui sert à son infanterie pour franchir la 
Seine. C'est par cette théorie que nous justifierons l'avance 
qu'il prend sur Aétius après Méry, en reconnaissant toutefois 
que cette avance pouvait être de trois jours. 

Sans doute que les portes de la place étaient restées au 


© — 2 ——————— 


(1) GrécoïRe pe Tours et SIDOINE APOLLINAIRE. 


— 266 — 


pouvoir des Huns, puisque ceux-ci rentrèrent dans leurs 
lignes. Aétius les y poursuivit évidemment, et le combat se 
prolongea ; l'occasion était trop belle, et les fédérés, dont on 
peut supposer l'effectif à 100 mille hommes avant l'action, 
durent faire tous leurs efforts pour détruire l’armée assié- 
geante. Mais Attila leur échappa et commenca à battre en 
retraite ; il ne devait pas avoir grands bagages, puisqu'il les 
avait laissés dans le ring de Châlons. On peut évaluer ses 
pertes à 50 mille hommes. Aétius et Théodoric le suivirent 
- de près; c’est l’histoire qui Le dit. 

Nous interromprons encore un instant le récit des faits, 
parce que la vérité se fera jour par la discussion. Or, le mé- 
moire adressé à l'Empereur par M. Amédée Thierry renferme 
ce passage : 

« Aétius, suivant M. Tourneux, aurait donné pour instruc- 
» tions aux Visigoths de passer la Loire à Tours et de re- 
» monter le fleuve par la rive droite jusqu'à la hauteur 
» d'Orléans, c'est-à-dire jusqu'aux lignes d’Attila qui blo- 
» quait la ville de ce côté, tandis que lui-même entrerait par 
» le pont conduisant en Sologne et à Bourges, lequel se 
» trouvait libre. 

» Je ne sais si la manœuvre eût été bien concue, ajoute 
»y M. Amédée Thierry, ce dont je doute pour plus d'une 
» raison; mais, bonne ou mauvaise, elle appartient tout 
» entière à l’auteur de la brochure. Les témoignages les plus 
» explicites nous affirment que les Visigoths entrèrent dans 
» Orléans avec Aétius : « Ecce Actius venit, et Theodorus reæ 
» ac Thorismodus filius ejus cum exercitibus suis ad civitatem 
» accurrunt. (GREG. Tur.). » — « [lle (Aetius), una cum Theo- 
» doro et Torsomodo regibus..., eguum ascendit ac concitus 
» pergit. (Vita S. Aniani). » 

» La brochure nous dit positivement qu'Orléans ne fut pas 
DPBAS SE." » 

Orléans ne fut pas pris par assaut, mais se rendit, en 
d'autres termes, les Huns n'’entrèrent dans la place ni par 


> 967 
escalade, ni par une brèche, mais par les portes. M. Tourneux 
a commis des inexactitudes historiques, et dans le rôle qu'il 
fait jouer à Sangiban, et dans la manœuvre qu'il prête aux 
Visigoths. Quant à la manœuvre en elle-même, elle ne vaut 
pas celle qu'effectua réellement Aétius, parce que : {° si la 
place n’était pas encore prise ou ne s'était pas rendue à l’ar- 
rivée des fédérés, Aétius avait le temps et le moyen de lui 
donner une garnison et des munitions, puis de passer la 
Loire pour amener l'armée de secours ; et 2° si la place était 
prise ou s'était rendue, il était fâcheux pour les fédérés 
d'être divisés par le fleuve, attendu qu'Attila aurait com- 
mencé par battre les Visigoths sur la rive droite, et qu'Aé- 
tius, sur la rive gauche, n’eût plus été en force et eût perdu 
des contingents qui devaient lui arriver du nord. Mais pas- 
sons. 

Après le siége d'Orléans où il a éprouvé un rude échec, 
Attila ne peut avoir pour plan de battre en retraite immédia- 
tement vers le Rhin. Nous ne partageons pas l'opinion que 
M. Amédée Thierry émet dans son mémoire à l'Empereur (1), 
même quand cette opinion serait étayée de cette considération : 
« Les nomades ne se font pas comme nous un déshonneur de 
» la fuite; attachant plus d'importance au butin qu’à la 
» gloire, ils tâchent de ne combattre qu'à coup sûr. » Nous 
croyons au contraire qu'un homme de la trempe du héros 
tartare, qui, par sa politique et par ses guerres, a fondé un si 
colossal empire et qui va réunir sous sa main ses 350 mille 
hommes, arrivé au point où il est parvenu, ne songera pas à 
abandonner la campagne après le premier échec; que les 
Huns ne sont pas gens à renoncer à cet immense butin qu'ils 
ont accumulé dans leur ring de Châlons, et que leur retraite 


re ot oo 


(1) « Maintenant qu'Orléans est délivré et Attila trompé dans ses espé- 
» rances, puisque les Visigoths se sont joints aux Romains et qu'Aétius 
» a pu réunir à temps une armée, le roi des Huns renonce à sa con- 
» quête; il ne songe plus qu'à regagner le Rhin, à mettre son butin à 
» couvert des pertes qu'il vient d'éprouver. ; 


— 268 — 


encombrée serait susceptible de tout leur faire perdre. Attila 
persévère donc dans ses projets, et il ira droit à son ring, . 
parce qu'avec toutes les facilités que les Huns y trouveront 
pour vivre et pour combattre, il sera en mesure d'attendre en 
deçà de l’Argonne que des circonstances plus propices s’of- 
frent à ses armes, telles que la zizanie qui pourrait se mettre 
entre les chefs des fédérés, ou une diversion de Genséric, ou 
un complot contre la vie d’Aétius ourdi par Sangiban... Ce 
ne sont encore que des interprétations, et non des affirma- : 
tions. Tout repose sur ce qu'Attila ne peut songer encore à 
regagner la Pannonie, sans avoir engagé toutes ses forces. 
Nous verrons plus tard que, malgré 60 kilomètres d'avance 
qu'il gagne après Méry, il veut tenter la bataille dans son 
ring. Quoi qu'il en soit, Attila retrograde d'Orléans vers 
Châlons, et les faits généraux de l’histoire sont respectés. 
Voici le morceau par lequel M. Amédée Thierry termine 
le récit du siége d'Orléans : « Le patrice n'avait point 
» manqué à sa parole; on était au 23 juin. Telle fut cette 
» fameuse journée qui sauva la civilisation d’une destruction 
» totale en Occident. L'Eglise d'Orléans la célébra longtemps 
» par une solennité où les noms d’Agnan, d'Aétius et de 
» Thorismond se confondaient dans ses prières ; mais Or- 
» léans était destiné à décider une autre fois encore du sort 
» de nos aïeux, et la gloire plus récente et plus poétique de 
» la vierge de Domremy fit pâlir celle du vieux prêtre gau- 
» lois. Cette gloire pourtant était grande au xrm° siècle, 
» puisque saint Louis vint à Orléans avec ses fils pour avoir 
» l'honneur de porter les ossements de saint Agnan, lors 
» d'une translation de reliques. Les guerres religieuses n’é- 
» pargnèrent pas les restes d'un héros coupable d’avoir été 
» évêque et canonisé : les calvinistes, en 1562, brisèrent 
» sa châsse et dispersèrent ses os. Par une triste coïncidence, 
» le saint roi qui était venu l’honorer eut, lui aussi, sa 
» tombe violée à Saint-Denis, sous l'empire d'autres passions 
» et d’autres fureurs, et la ville de Paris vit brüler en place 


— 269 — 

» publique les restes de la fille vénérable dont les patriotiques 
» pressentiments et la courageuse volonté avaient empêché sa 
» ruine. Ainsi la France dispense tour à tour à ses enfants 
» les plus glorieux l’apothéose et les gémonies. Puisse du 
» moins l’histoire offrir à ceux qui ont servi la patrie en des 
» temps et sous des costumes différents, prêtres, rois, guer- 
» riers, bergères ou reines, un asile sûr où leurs reliques ne 
» seront point profanées ! » 

Attila dut rétablir l'ordre dans ses troupes. L'histoire dit 
qu'Aétius et Théodoric le suivirent de près : en cela ils ne 
faisaient qu'appliquer exactement les règles de la guerre qui 
veulent que l’on poursuive, tant que l’on peut, l'épée dans 
les reins, un ennemi battu. Toutefois certaines péripéties 
surgissent de la nature même du sol, et c'est ce dont il im- 
porte de se rendre compte. La route la plus courte, celle 
qu'Attila se proposait évidemment de suivre, passait par 
Sens et Pont-sur-Seine. À coup sûr, il existait déjà un pont 
dans cette localité; car deux .villes comme Reims, capitale 
de la Belgique seconde, et Sens, capitale de la Lyonnaise 
quatrième, ne pouvaient qu'être reliées entre elles par des 
points tels que Damery, où l’on coulait des monnaies, Con- 
gy, qui était célèbre par ses poteries, et Bibe, l’ancienne 
Sézanne : du reste le mémoire topographique de M. Savy, 
qui est une étude tout à fait sérieuse, signale un troncon de 
voie romaine sur la rive droite de la Marne. Les adversaires 
arriverent en même temps à Pont-sur-Seine ; mais, à partir 
de ce moment, Attila, pour gagner le ring dont il a lui- 
même, après le passage de l’Argonne, déterminé l'assiette 
entre la Noblette et la Suippe, avait soit deux, soit trois obs- 
tacles à franchir : — ou la Seine grossie de l’Aube et la 
Marne ; — ou bien la Seine au-dessus de son confluent avec 
l'Aube, puis l'Aube et enfin la Marne. A cette époque le 
delta forms par la Seine et l'Aube était susceptible d’être tra- 
versé, car il existait une voie de Cæsaromagus (Beauvais) à 
Augustobona (Troyes) ; partant il y avait un pont sur l’Aube 


— 270 — 
en face de Méry. À quelques kilomètres en aval de ce pont, 


on voit un gué pavé dans le lit de l’Aube, et en prolonge- . 


ment dans le delta, des restes de petits arceaux romains. 
Ainsi, en face de Méry, il y avait deux moyens de passer 
l'Aube; donc à Méry il y avait un pont pour passer la Seine. 
Enfin il existait une voie romaine de Troyes à Chälons par 
Arcis, et qui est devenue la route nationale actuelle. En ré- 
sumé, à cette époque, on pouvait passer la Seine à Pont, à 
Méry et à Troyes ; — l'Aube à Baudement, vers Plancy ou à 
Plancy, et à Arcis ; '— la Marne à Damery et à Chälons. Ni 
les Huns, ni les fédérés n'avaient d'équipage de pont; d’ail- 
leurs il y a trop de difficultés dans l'improvisation d'un pont 
militaire, pour supposer qu'ils aient cherché, dans les cir- 
constances où ils étaient, à passer les rivières autrement que 
sur les ponts existants ou aux gués. 

Vraisemblablement Attila essaya de passer à Pont, au lieu 
de se jeter dans le delta; mais la voie lui fut barrée. Ni les 
forces qui gardaient ses derrières, ni celles qu'il avait avec 
lui ne purent empêcher l'avant-garde d’Aétius, à laquelle 
se réunissaient apparemment les Bellovaques et les Franks 
qui accouraient de l’ouest et du nord, de s'emparer de la 
position. Le combat s'était engagé pour le passage de la 
Seine en amont vers Méry, et son théâtre est défini par les 
localités. Trois tumulus existent en effet dans cette région : — 
l’un à Baudement, sur la rive droite de l’Aube ; — deux au 
hameau de Pars, entre Romilly et Ocey, sur la rive gauche 
de la Seine. Jornandès dit que les Franks engagèrent un 
combat avec les Gépides, et qu'il en périt xe mille; ce chiffre 
vient-il d'une erreur de copiste ? Quoi qu'il en soit, nous ad- 
mettons avec M. Tourneux que la perte des deux côtés s’é- 
leva au moins à 30 mille hommes (1). Maintenant comment 


(1) JorNanDès donne trois nombres : celui des forces envahissantes 
d'Attila, 500 mille; celui des pertes après l'affaire de Méry, 90 mille; et 
celui des pertes près de Châlons, 162 mille. M. Tourneux a quelquefois 


> 


— 271 — 


cette affaire de Méry doit-elle être interprétée ? Elle concerne 
un passage de rivière en opérant une retraite ; dans ce cas le 
principe de tous les temps est de faire passer la colonne sous 
la protection d'une troupe qui exerce une action immédiate 
sur la rive de départ, et qui ne sera point ultérieurement 
sacrifiée. Avec l'armement du v° siècle, l'infanterie eût tra- 
versé, par exemple, sous la protection de la cavalerie; puis la 
cavalerie, enlevée au galop, eût filé pour traverser plus loin. 
Cette version est d'autant plus admissible que les Huns 
avaient une excellente cavalerie. Attila, qui est résolu d'aller 
au plus près, ordonne que les chariots et les troupes d’infan- 
terie fatiguées traverseraient le delta, tandis que les troupes 
fraîches de réserve, qui avaient gardé Troyes (1) et Arcis, sou- 
tiendraient avec la cavalerie leur mouvement. Enfin, quand 
il a fait passer Les réserves d'infanterie à la faveur de la cava- 
lerie, qui opère comme dernier corps de protection, il ap- 
plique la lecon qu'il a reçue à Orléans, et détruit le pont de 
Méry pour couvrir ses chariots et son infanterie par la Seine; 
puis il file rapidement avec sa cavalerie sur Troyes, pour 
suivre la voie romaine qui le conduira à Châlons par Arcis. 
Cette manœuvre est du moins simple et naturelle, et par elle 
il ne doit plus être talonné, comme il l’est depuis Orléans; il 
prend de l'avance, non pas assez pour avoir le temps de con- 


à à 


présenté des chiffres qui, s'ils ne sont pas historiques, sont générale- 
ment probables. Nous nous y rallions le plus souvent, mais. nous diffé- 
rons essentiellement avec lui sur les pertes éprouvées séparément par 
les Huns et par les fédérés dans les Champs catalauniques. 

(1) Attila était venu à Troyes, car l’auteur de la Vie de saint Loup dit: 
« Hunni ad Tricassim infesio aginine venere civitatem, patentibus campis 
» silam, et nec armis munilam, nec muris. — Une colonne de Huns 
» infesta Troyes, qui était une ville ouverte et sans garnison. » Et il y 
retourna, Car FRÉDÉGAIRE, qui écrivait moins de deux siècles après les 
événements, s'exprime ainsi : « Junni repedentes Tricassis in Mauria- 
» cense consident campania. — En sortant de Troyes, les Huns allèrent 
» camper dans les environs de Mauriac. » Le mémoire topographique 
de M. Savx démontre péremptoirement que Mauriac est l'ancien nom de 
La Cheppe. 


— 272 — 


struire l'ouvrage de La Cheppe auquel dix jours au moins 
sont nécessaires, Ce qui est l'opinion de M. Tourneux, mais 
une avance de trois jours environ. Si Attila voulait fuir, 1l 
en avait tout le temps. 

Il y a en effet une soixantaine de kilomètres de différence 
entre la longueur des chemins qui vont de Méry à l’embou- 
chure du passage de l’Argonne, en passant tout droit à tra- 
vers le delta et Châlons, et celle des chemins qui tournent par 
Pont-sur Seine et Damery. Malgré le crochet qu'ils décrivent, 
Attila et sa cavalerie rattrapent promptement le gros de l’ar- 
mée. Tout ce que nous venons de dire est en partie fondé sur 
les auteurs anciens, et en partie sur les témoignages des lo- 
calités ou les règles de la guerre. Ainsi donc nous croyons, 
avec M. Amédée Thierry, qu'Attila passa par Troyes et par 
Arcis; mais nous différons essentiellement de cet écrivain 
quant à la forme du drame. C’est après Méry, où il a soutenu 
un combat pour le passage de la Seine, qu'Attila se rendit à 


É 2 R 


Troyes; et surtout, à n'y eut pas, dans le delta, de combat pour : 


le passage de l'Aube. Nous n’admettons pas non plus ce qu'a- 
vance M. Tourneux, à savoir qu'Attila laissa les blessés, les 
chariots et le butin sur la rive gauche de la Seine. Il avait peu 
de chariots, pas de butin, mais des vivres pour les hommes 
et pour les chevaux; et tout le monde, valides ou blessés en 
état de marcher, traversa. Attila parut découragé en passant 
à Troyes, car lorsque Loup alla au-devant de lui, afin de le 
prier d'épargner son diocèse, il voulut faire servir à son 
profit la vénération dont jouissait le saint prélat, et il lui dit: 
« Je t'emmènerai avec moi jusqu'au Rhin, et là je te lais- 
» serai libre (1). » Preuve nouvelle qu’il avait été de sa per- 
sonne à Méry, avant de revenir à Troyes; car un général 
n’est jamais découragé que lorsque les revers se sont accom- 
plis sous son commandement, mais découragement qui ne 


(1) « Secum indicit iturum Rheni etiam fluenta visurum, ibique eum 
dimillendum pariter pollicelur. » (Vila S. Lupi.) 


1? 


A 


\ 


— 273 — 


doit abattre que momentanément l'âme de fer d’un conqué- 
rant. Attila voudra en effet tenter une nouvelle fois le sort 
des armes. 


III 


, BATAILLE DE CHALONS. 


La bataille de Méry, loin d'être une action définitive, n'é- 
tait que le prélude d’un drame autrement sanglant qui ne 
devait pas tarder à se dénouer. De part et d'autre, il s’en faut 
que toutes les forces aient été engagées. Attila va concentrer 
sur lui les corps d'Andagèse et de Théodemir, qu'il avait 
laissés sur l’Aïsne et sur la Marne. Mais bientôt il aura sur 
les bras toutes les Gaules, quand les nouveaux corps de 
Franks et de Burgundes opéreront leur jonction avec Aétius. 
Sa situation s'aggrave de plus en plus : au manque de con- 
fiance qui peut atteindre ses rangs après deux revers mar- 
qués et consécutifs, va s'ajouter le danger que comporte un 
accroissement plus considérable de forces gallo-romaines, par 
suite duquel il y aura à peu près balancement dans l'effectif 
numérique total des deux adversaires. Cependant il ne veut 
pas profiter de l’avance que lui donne la destruction du pont 
de la Seine, pour métamorphoser en une fuite honteuse vers 
Je Rhin une retraite qu'il a énergiquement effectuée d'Or- 
léans jusqu’à Méry; il ne songe au contraire qu'à recon- 
quérir les avantages qu'il a perdus. Une grande victoire lui 
est devenue indispensable, et il s'entourera de toutes les pré- 
cautions qui peuvent la lui assurer, en restant sur la défen- 
sive. 

Dans son mémoire, où brillent à la fois la sagacité et la 
distinction, M. Tourneux discute le point précis de la grande 
bataille où Attila a été défait, et conclut, après avoir examiné 
les auteurs anciens et modernes et profondément étudié la 
campagne dans tout son ensemble, qu'à la suite d’un combat 
acharné à Méry, il y a eu un engagement définitif à Mauriac 

18 


— 274 — 


(La Cheppe). C'est la version qui est admise aujourd'hui et 
qui se trouve reproduite dans le très intéressant et très con- 
sciencieux mémoire topographique de M. Savy, qu'on ne doit 
pas manquer de consulter pour l'étude des événements de 451. 
Mais la question est loin d’être aussi tranchée au sujet de 
l'origine des fortifications de La Cheppe, de Bussy, de Saint- 
Remi et de Nantivet. Pour M. Tourneux, c’est par l'ordre 
d'Attila, alors qu’il battait en retraite, que ces retranchements 
ont été élevés, tandis que suivant d’autres archéologues ou 
historiens, tels que M. Amédée Thierry, l'ouvrage de La 
Cheppe, par exemple, serait un camp retranché permanent 
qui assurait les communications de Reims avec Metz par 
Nasium, et que les Romains avaient construit. Cette dernière 
opinion est celle qui semble prévaloir aujourd’hui, et que nous 
essayons de combattre. Pour nous, comme pour M. Tourneux, 
ces fortifications ont été élevées par l'ordre d’Attila. Passé 
cela, nous divergeons. Ce n’est pas après Méry, comme cet 
auteur le prétend, mais au moment où le souverain barbare 
venait de passer l’Argonne et se préparait à marcher sur Or- 
léans, que ces fortifications furent entreprises. 

La grande revue qu'on attribue à Attila dans ces plaines, 
était un temps d'arrêt pendant lequel il étudiait une ordon- 
nance de combat propre à cet emplacement, mesurait son 
terrain en mettant ses troupes elles-mêmes en ligne, déter- 
minait l'assiette et commençait l'exécution d’un grand camp 
fortifié où il voulait déposer les dépouilles arrachées à tant de 
villes, parce que ce butin était devenu un sujet d’encombrement, 
une cause de ralentissement et de danger. On pourrait le 
taxer de folie, ou pour le moins d'imprévoyance, si, à la veille 
de se mesurer avec Aétius, 1l n’eût pris des précautions pour 
se réserver le rôle de la défensive, auquel les chances de la 
guerre pouvaient le réduire. Rien de plus naturel qu'il gardât 
les débouchés de l’Argonne et du Jura, car c'étaient des avan- 
tages précieux qu'il avait acquis; rien de plus correct qu'il 
choisit un terrain où il avait de l’eau et de l’espace pour faire 


— 275 — 


vivre et faire combattre sa cavalerie. Il combina donc ses 
ouvrages avec les particularités du sol, qui consistaient en 
deux ruisseaux et deux mamelons. L’un de ces ruisseaux, la 
Suippe, qui est au nord du terrain, coule dans la direction 
du nord-ouest, et l’autre, la Noblette, qui est au sud, coule 
de l’est à l’ouest; à l’est, le mamelon de La Croix-en-Cham- 
pagne, à l’ouest le Mont-Piémont, sont des hauteurs qui achè- 
vent de circonscrire l'espace. Trois ouvrages sur la rive droite 
de la Noblette, à La Cheppe, à Bussy et à Saint-Remi, un 
autre sur la rive gauche de la Suippe, à Nantivet, abriteront 
le butin et serviront de points d'appui ou de points de protec- 
tion aux manœuvres dans le courant de la lutte. Voilà le 
champ de bataille défensive que se prépare Attila, et à7 ne fait 
que suivre en cela les habitudes des Tartares. Dans les vr° et 
vu® siècles, les Ouar-Chouni (Avares) en établirent encore 
sur les bords du Danube. Nous maintenons le nom de ring 
qui nous paraît le plus convenable à cause de son application 
tartare, et pour que la désignation de camp fortifié, que nous 
attribuons à l’espace compris entre la Suippe et la Noblette, 
n'apporte pas de confusion dans les termes de camp de La 
Cheppe et de camp d’Attila qui se rapportent au même ouvrage 
isolé. D'ailleurs le nom ne fait rien à l'affaire, et les faits ne 
résident pas dans les mots; ce que nous voulons établir, c’est 
l'origine hunnique ou attilienne des quatre ouvrages. Le point 
d'attaque de ce ring n'était ni par la rive gauche de la No- 
blette, ni par la rive droite de la Suippe ; on n'attaque pas de 
front un ennemi en passant un fossé plein d'eau dont la berge 
opposée est occupée. Le mamelon de La Croix n'était pas non 
plus à choisir : c’est en effet le point le plus élevé du terri- 
toire, le centre d’un système de ruisseaux qui descendent en 
divérgeant dans toute la région de l’est, entre lesquels il serait 
impossible de remonter sur un front respectable. Au contraire, 
du côté nord-ouest, on a une bande de terrain limitée par 
deux cours d’eau parallèles, la Suippe d’une part, et d'autre 
part, depuis le camp d’Attila jusqu'à une certaine étendue, la 


— 276 — 
Noblette, prolongée de la Vesle qui la recoit. Ces deux cours 
d’eau parallèles sont propres à encadrer l’armée assaillante. 
C'est d’ailleurs dans cette direchion qu’Aétius se présente natu- 
rellement pour l'attaque du ring. 

Attila n’a pas été sans faire une reconnaissance du terrain : 
avant d'y faire des préparatifs, il a discuté son projet avec 
ses généraux les plus capables, et il a reconnu le côté faible 
de son installation. S'il est attaqué du côté de Reims, il bar- 
rera l'intervalle de la Noblette et de la Suippe par une ligne 
de bataille solide, dont les ailes seront appuyées non seule- 
ment par ces deux cours d'eau, mais par deux retranche- 
ments. En avant de lui, il aura le Mont-Piémont qu'il cou- 
ronnera à temps. Si de cette position, qu’il rendra formidable 
par la disposition de ses troupes, il réussit à repousser l’as- 
saillant, il démasquera soudain sa cavalerie qu'il aura mise 
en arrière des lignes d'infanterie, tout à fait en amont et 
sur la rive gauche de la Suippe, car c’est la meilleure ma- 
nière dont il puisse employer ses forces. Si, au contraire, 1l 
‘est débusqué de sa position, il fera un changement de front 
en arrière, en pivotant sur le camp de Mauriac qui est son 
point le plus fort, et passera la Noblette à la fois en trois 
points : en amont près de la source, au gué de Saint-Remi, 
et par une tête de pont à Bussy; il se trouvera, après le pas- 
sage, dans l’angle que forme la Noblette et la Vesle, et il sup- 
pose que l'ennemi aura du mal à l'y atteindre. Nous verrons 
plus loin comment, avec les textes des auteurs, les vestiges 
des ouvrages, la présence des tumulus, la dénomination qui 
est restée à certaines parties du champ de bataille, on peut 
interpréter ainsi non seulement le grand événement qui eut 
lieu, mais le plan de bataille lui-même dans la prévision des 
chances favorables et funestes. De même que le plan straté- 
gique d'Attila comportait un changement de front sur son aile 
gauche, à Bâle, de même son mouvement tactique près de 
Châlons devait consister dans une conversion en avant sur 
son aile gauche, à Mauriac, s'il était heureux, ou, en cas 


— 271 — 
d'échec, en un changement de front en arrière sur le même 
point. 

Aétius avait sans doute connaissance des préparatifs de la 
bataille défensive qu’Attila voulait accepter près du débouché 
des passages de l’Argonne : les prisonniers qu'il avait pu in- 
terroger après Orléans et après Méry, et auxquels il ne man- 
quait pas de faire des avantages considérables pour un rapport 
utile, l'avaient complétement instruit. Il y avait peut-être déjà 
là un motif pour attirer le patrice dans la direction de Reims, 
afin de faire face dès le premier moment au côté le plus ac- 
cessible du ring. Mais ce n’est pas là-dessus que nous nous 
appuierons pour démontrer qu'effectivement Aétius alla sans 
tdtonner dans la direction de Reims, et tourna à droite, au sud 
de Sillery, pour se mettre, face en arrière, en bataille. 

À Méry, les chariots et l'infanterie d'Attila avaient passé 
la Seine sous la protection de la nombreuse cavalerie des 
Huns, et la gauche de la colonne avait détruit le pont, afin 
que l'armée fût couverte par le fleuve (1). Puis cette cavalerie, 
emmenée au galop dans la direction de Troyes, avait passé 
la Seine à Troyes, l'Aube à Arcis, et avait rejoint sur la voie 
romaine le gros de l’armée en marche sur Châlons. Evidem- 
ment Aétius ne peut plus poursuivre Attila l'épée dans les 
reins, et 2 n'ira pas faire avec son infanterie le crochet qu’At- 
tila décrit en passant par Troyes; mais il a à Pont-sur-Seine 
un moyen de passage, et une route qui le conduit à Damery, 
et à Damery ÿl aura encore un pont. On ne peut douter qu'il 
ne dirige sur cette position ses troupes les plus agiles ; c’est à 
Damery qu'il passera la Marne, et non à Chdlons, où le pont 
serait ou interrompu, ou vigoureusement défendu. 

Il suit donc ainsi la route qui le mène le plus directement 


—" —— ee 


(1) Attila avait profité de la leçon qu'il avait reçue à Orléans ; nous 
avons démontré que la conquête de la partie des Gaules au nord de la 
Loire n'avait tenu qu'à ce qu'une travée du pont ne fut pas supprimée 
à temps. 


0 


sur le passage de l’Argonne, et tourne, après le passage à Da- 
mery, au sud de Sillery. Or ceci répond catégoriquement à la 
note que l'Empereur adressa à M. Amédée Thierry, et qui est 
ainsi CONCUE : 

« La question importante est de savoir si Aëtius, en pour- 
» suivant Attila, venait de Reims ou de Châlons, car s’il ve- 
» nait de Reims, la position indiquée par la brochure en 
» question (1) est probable; si au contraire il venait de Chà- 
» lons, la position indiquée par M. Amédée Thierry serait 
» plus vraisemblable. » 

Dès le combat de Méry, et au sujet même de ce combat, le 
sentiment des faits nous emporte loin de M. Amédée 
Thierry, et nous nous rapprochons davantage de M. Tour- 
neux, avec lequel nous sommes cependant loin de cadrer. 
Non seulement le combat de Méry n'a pas eu lieu dans le 
delta pour le passage de l'Aube, mais ÿ a eu lieu sur la rive . 
gauche de la Seine et pour le passage de ce fleuve; mais sur- 
tout Aëtius, qui à poursuivi Attila et l'a jusque là serré de 
près, a été obligé de le quitter pour prendre la route de Pont- 
sur-Seine et de Damery. « On ne peut pas induire d’un seul 
» mot des historiens anciens, dit M. Amédée Thierry dans 
» son Mémoire à l'Empereur, qu'Aétius, manquant à sa for- 
» tune, aurait négligé de poursuivre les Huns jusqu'à Châ- 
» lons. » Soit : ce n'est pas dans les auteurs, mais c’est dans 
la force des choses ; le narrateur de cette guerre, Jornandès, est 
d'ailleurs fort incomplet. Ainsi, pour nous, il omet de dire 
qu'Aétius fut obligé de laisser respirer Attila après Méry ; — 
et il oublie de rapporter qu'il y avait un système d'ouvrages 
entre la Nobletie et la Suippe ; — de ces deux cours d’eau, il 
n’en signale qu'un, et sans dire son nom ; — de deux hau- 
teurs importantes, le mamelon de La Croix et le Mont-Pié- 
mont, il ne parle que d’une. Mais, en revanche, Jornandès 
nous donne une proclamation d’Attila au milieu de la ba- 


(1) La brochure de M. TourNEUXx. 


— 279 — 
taille...; nous ne la qualifions DO on jugera de sa teneur 
et du moment choisi. 

A la fin de son Mémoire à l'Empereur, M. Amédée Thierry 
s'exprime ainsi : 

« Mais M. Tourneux n’a pas avoué la vraie cause du re- 
» tard d'Aétius et de sa longue promenade. II fallait laisser 
» aux Huns le temps de construire ces grands ouvrages dont 
» la brochure nous donne la description... etc.» 

Pour M. Tourneux comme pour nous, Aétius a marché 
par le chemin le plus direct d'Orléans à l'embouchure du pas- 
sage de l'Argonne ; i} a passé par Pont-sur-Seine et non par 
Arcis. Mais là où M. Tourneux est dans l'erreur, c'est quand il 
suppose qu'Aétius a laissé le temps à Attila de construire des 
ouvrages. Les convictions occasionnent les répétitions; que 
le lecteur nous les pardonne ! Or ce n'est pas après Méry que 
les ouvrages furent construits; c'est au moment où Attila mil 
le pied dans les plaines de la Champagne, à la sortie du pas- 
sage de l’Argonne, que ces ouvrages furent ordonnés, reçurent 
immédiatement un commencement d'exécution, pendant que 
le roi des Huns était présent, et furent terminés, ou à peu 
près, par les troupes qu'il laissa sur ses derrières. 

Quand Attila eut franchi les passages de l’Argonne, il se 
dirigea sur Châlons, et se mit immédiatement en travers de 
la voie romaine de Reims à Bar-le-Duc. Il fut sans doute 
obligé d'attendre l’arrivée de tous les chariots qu'il traînait à 
sa suite, et dont la marche, dans les défilés surtout, n'avait 
pas été sans flottement ni grand temps d'arrêt ; il fut frappé 
de l'inconvénient de garder avec lui les dépouilles de tant de 
villes. Si nous ne craignions de traiter l'histoire en roman, 
nous ne serions pas éloignés de supposer qu'il s'arrêta de sa 
personne au point de rencontre de la Nobletie et de la route, 
là où l’on voit aujourd’hui le Camp d’Attila. C'était apparem- 
ment une ancienne limite d'étape, un campement des troupes 
romaines en marche, et au v° siècle une station pour les 
voyageurs. Les Romains y avaient Construit autrefois un 


— 280 — 
temple à Minerve; maïs ce temple avait dû perdre son affec- 
tation païenne, par application d'une loi de Théodose, qui 
date de l'an 380 et qui supprime le culte païen. Les recher- 
ches actuelles sur cet emplacement ont été faites avec le plus 


grand zèle : on est arrivé à penser que le fanum Minervæ a 


été transformé en une chapelle sous le vocable de saint Mau- 
rice, et que cette chapelle elle-même disparut dans les 
guerres de religion. Il n’en reste plus de trace, mais on sait 
où elle était. L'ancien village aurait été élevé autour de 
cette chapelle ; il à été remplacé par La Cheppe, qui est plus 
en amont sur la Noblette, et dont l'église renferme aujour- 
d'hui une chapelle sous l’invocation de saint Maurice. Cette 
partie des plaines de la Champagne dut-elle au patronage de 
ce saint son nom de Champs-Mauriciens, et l'étymologie de La 
Cheppe nous mettrait-elle sur la trace d'une chapelle commé- 
morative, Comme la dénomination de La Croix-en-Cham- 
pagne, attribuée au mamelon qui limite et domine le champ 
de bataille, nous rappelle la pieuse reconnaissance des popu- 
lations délivrées du joug d’Attila ? Quoi qu'il en soit, il est 
positif que les environs de La Gheppe furent le théâtre de la 
bataille de 451, au sujet de laquelle Jornandès nous a légué 
. ce passage : « Convenitur itaque in Campos catalaunicos, qui et 
Maurici nominantur, » et qu Isidore de Séville fixe de cette 
manière : « Ubi Mauriacus campus tribus leucis Catalauna 
_abest. » Mauriac est un hameau disparu du sol et que La 
Cheppe a remplacé, mais non précisément au même endroit ; 
Mauriacus ne désigne nullement Méry (1). 

Attila est décidé à laisser ses bagages ; c'est de toute évi- 
dence. Comme militaire, nous ajoutons qu'il ne faudrait pas 
avoir marché avec une colonne, même peu importante, pour 
ne pas se rendre compte des difficultés apportées par les con- 
vois. Attila fera-t-il un dépôt dans une ville telle que Châ- 
lons ou Reims, ou l’enfermera-t-il dans des redoutes, en gar- 


eo, M D 6 a no 


{1) Voir le travail de M. Savy. 


— 


— 281 — 


dant de plus près les passages de l’Argonne et en se ména- 
geant le terrain propre à ses évolutions ? C'est cette dernière 
conjecture qui a toute notre foi. Les ouvrages qui circonscri- 
ront les dépouilles arrachées à tant de villes seront séparés, 
pour que les peuples divers reconnaissent mieux leurs dé- 
pôts; Attila appliquera les principes de castramétation que 
de temps immémorial les Tartares nomades et guerriers 
observent dans la course au butin. Tous les ouvrages seront 
sur le bord de l’eau, et s'ils viennent à être attaqués indivi- 
duellement, les défenseurs n'auront pas à souffrir de la 
soif. 
Nous allons maintenant examiner les fortifications du ring, 
donner les interprétations que nous avons déduites des ves- 
tiges que nous avons vus ou qu'avait constatés M. Tourneux 
avant 1833. Ces fortifications, comme les tumulus qui s’éle- 
vèrent après la bataille, composés la plügart du temps de terre 
végétale que les Barbares avaient ramassée à la surface du 
sol, ont été exploités, surtout dans ces dernières années, par 
l'agriculture champenoise qui en a répandu l'humus. 

Le camp de La Cheppe, populairement dénommé Camp 
d'Attila, est irrégulièrement circulaire. M. Tourneux prétend 
qu'il est d'origine hunnique ; M. Amédée Thierry soutient 
qu'il est dû aux Romains. Mais si les Romains eussent voulu 
faire un ouvrage permanent circulaire, n'eussent-ils pas 
apporté du soin dans le tracé, plutôt que de décrire un con- 
tour quelque peu bizarre, renflé sans motif en certains points 
et aplati dans d'autres ? Certes on ne saurait de prime abord, 
sur la seule dénomination populaire, dire que les Huns l'äu- 
raient construit, parce qu'il faut étudier non seulement la 
forme et la tradition, mais la connexion des ouvrages qui 
existent entre la Noblette et la Suippe, examiner les fouilles 
et approfondir la chaîne des événements. Pour le moment 
déjà nous voyons que la forme du camp de La Cheppe ne 
prête pas à supposer qu'il est d'origine romaine, et donne 
tort aux écrivains qui ont émis cette hypothèse. On dirait 


— 282 — 


plutôt qu'un potentat barbare en a ordonné l'exécution sur la 
piste de son cheval. ë 

Un peu plus bas que La Cheppe, la Noblette présente un 
rentrant très prononcé, dans lequel Attila assied son grand 
ouvrage ; il fera jouer au ruisseau le rôle d'avant-fossé, et, 
par un barrage en aval, il tendra une inondation, pour pro- 
téger la partie sud de son camp retranché et noyer ses 
fossés. 

La redoute, construite dans un sol crayeux, a gardé, au- 
tant que quatorze siècles pouvaient le permettre, le caractère 
de ses formes. Le tracé a été fait par des hommes peu 
exercés : il a la figure d’un cercle très irrégulier, et rien ne 
motive cette irrégularité; son petit axe est de 460 mètres et 
son grand axe de 554. Le parapet, élevé de 4" 75 environ au- 
dessus du sol, a de 22 à 26 mètres de largeur à la base; le 
développement des crêtes est de 1763 mètres. Une suréléva- 
tion remarquable se présente dans la partie sud de l'enceinte, 
et paraît avoir été un cavalier destiné à battre un petit pré 
contenu dans un méandre de la Noblette : les gens du pays 
l’appellent le Gros-Chätelet. Le fossé, au niveau du sol, varie 
de 27 à 30 mètres de largeur, mais il s’est comblé en partie. 
Sa profondeur n’est aujourd'hui que de 6" 50 environ, tandis 
qu'elle dépassait autrefois 10 mètres. Huit fouilles ont été 
exécutées transversalement dans les fossés, et nous en don- 
nons le spécimen dans un dessin, en présentant deux coupes. 
On remarquera combien le fond du fossé primitif est 1irrégu- 
lier; il est d'autant plus facile à reconnaître qu'il est fait 
dans la craie et qu’il est recouvert de vase noire. Si le 
camp de La Cheppe eût été un camp permanent des Romains, 
nul doute que l’on eût achevé le fossé, puisqu'il restait si peu à 
faire. Cet argument élimine radicalement l'hypothèse d'un 
camp romain permanent. Le contrefort qui longe la rive 
droite, immédiatement en aval de l'ouvrage, servait à rejeter, 
dans la portion nord-ouest du fossé, les eaux soulevées par la 
digue. Des dépôts de terre vaseuse, qui varient de 10 à 40 


— 283 — 


centimètres d'épaisseur, montrent que les eaux de la Noblette 
ont été recues autrefois dans le fossé quoique inachevé. Dans 
la condilion où les outils seraient occupés nuit et jour sans 
interruption, et en admettant qu'un homme, dans douze 
heures de travail, puisse piocher deux mètres cubes de cette 
terre, il faut neuf jours et neuf nuits, et 30 mille hommes à 
piocher, charger, transporter et disposer la terre, pour faire 
le camp d’Attila. En campagne, on fait des terrassements la 
nuit, surtout quand il s’agit de siéges ; il n'est pas nécessaire 
que la lune donne. Attila put très bien prescrire que l'éxécu- 
tion du camp se ferait jour et nuit, car à la guerre on ne sau- 
rait être trop tôt prêt. 

Quatre issues permettaient les communications du camp 
retranché avec les dehors : l’une, à l’est, le reliait avec le 
pont de la voie romaine sur la Noblette ; une autre, à l’ouest, 
avec la digue; celle du sud devait servir à la garnison ; la 
porte du nord, sans doute couverte par une demi-lune très 
aplatie, devait être le bras d'union entre la garnison du camp 
retranché et les troupes qui seraient engagées dans la bataille, 
et aussi favoriser les sorties dans le cas où l'ennemi tenterait 
de saigner la digue, parce que par la porte ouest on ne pou- 
vait sortir pour présenter immédiatement une force respec- 
table, Il n'est pas possible de reconnaître cette demi-lune; 
mais elle était si rationnelle, et d’ailleurs le corps de place 
est si intelligemment concu, que nous en admettons l'an- 
cienne existence. C'était d’ailleurs l'application de l’idée que 
l’on retrouve dans la tête de pont de Bussy. Des vieillards, 
dans lesquels on peut avoir toute confiance, entre .autres 
M. Létaudin, de La Cheppe, membre correspondant de la 
Société des sciences ct arts de la Marne, se rappellent avoir 
vu, devant la porte du nord, des reliefs que le nivellement 
d'un sol remué par la charrue ne permet plus de reconnaître 
suffisamment. Enfin le camp retranché de La Cheppe, destiné 
à abriter les femmes, les objets précieux et la partie princi- 
pale de l’attirail, devait contenir de 8 à 10 mille hommes 


— 284 — 


pour sa défense. C'est le point le plus fort du champ de ba- 
taille défensive ou du ring; c’est le réduit de la position. Tel 
sera le point d'appui de l'aile gauche, si l'ennemi vient dans 
la direction de Reims, et Aétius ne peut attaquer que de ce 
côté. Nous verrons plus tard qu'Attila exécute autour de cet 
ouvrage un changement de front en arrière. Mais déjà il a 
arrêté que si la fortune lui souriait, il ferait autour de ce 
point une conversion en avant, et reproduirait ainsi dans 
l'opération tactique son mouvement stratégique autour de 
Bâle, après le passage du Rhin. 

Le point d'appui de l’aïle droite, dans l'hypothèse où l'en- 
nemi viendrait de Reims, est naturellement la Suippe; mais 1l 
sera consolidé par un ouvrage. La redoute de Nantivet, sans 
être la copie du camp retranché de La Cheppe, est concue dans 
le même esprit : autant du moins que par la pensée on peut 
en rétablir les formes, sur les quelques vestiges qui en res- 
tent et que M. Tourneux avait reconnus plus amplement 
avant 1833, elle a dû avoir la forme d'un cercle irrégulier, 
protégé par un fossé qu'inonde la Suippe. Sur son enceinte, 
du côté du nord, un marais en défendait les approches: 
comme au camp de La Cheppe, une inondation factice pouvait 
défendre le côté’ sud de ce dernier ouvrage. Il y avait sans 
doute dans la redoute de Nantivet un réduit, de la forme 
d'un cercle aplati et concentrique au premier. La porte de la 
redoute donnait vers l’amont de la Suippe, et ce qui le dé- 
montre, ce sont les f{umulus qui s'élèvent comme les témoins 
de l’assaut donné dans la direction de cette porte. Une autre 
communication débouchait directement sur le ruisseau. Les 
communications de l'ouvrage étaient habilement disposées, 
pour que l'ennemi, à supposer qu'il eût franchi la première 
enceinte, ne pût tomber immédiatement dans l'intérieur de la 
seconde. La redoute de Nantivet devait être défendue par 
trois ou quatre mille hommes. À quelle époque la rattacher, 
si ce n'est au système de bataille défensive d’Attila ? Bien 
certainement la redoute de Nantivet n est pas un retranche- 


— 285 — 


ment romain; personne ne l'a écrit, que nous sachions du 
moins. 

Nous continuerons l'interprétation des retranchements du 
ring, en étudiant ce que pouvait se proposer Attila, lorsqu'il 
le fonda peu après le passage de l’Argonne, et les vestiges 
que l’on trouve aujourd’hui dans cette portion des Champs 
catalauniques. Le côté d'attaque élait face à Reims, ainsi que 
nous l’avons démontré, et ce fut d’ailleurs par là qu'Aétius 
arriva naturellement. Puisque nous ne pouvons procéder que 
par hypothèses, conjectures, interprétations, avouons-le, et 
ne livrons pas pour certitude ce qui n'est qu'une opinion. 
Quelquefois une conjecture bien assise sur des faits positifs a 
presque la valeur de la certitude, mais à la condition qu’elle 
ne soit pas guindée, et que l'auteur, ne se permettant pas de 
complaisances, procède avec une rigueur qui se rapproche 
des procédés géométriques. Dans la prévision d'avoir face à 
Reims une ligne de bataille aussi étendue (car elle avait 
10 kilomètres de longueur) et aussi bien appuyée à ses deux 
ailes, il était à craindre qu’une portion intermédiaire ne fût 
enfoncée, malgré les réserves qui seraient placées en arrière 
pour boucher les vides, malgré la qualité des troupes et la 
présence du souverain lui-même. Si la bataille est perdue sur 
la ligne de La Cheppe à Nantivet, Attila, par un changement 
de front en arrière sur l'aile gauche, peut ressaisir la fortune 
sur la rive gauche de la Noblette. Il lui faut. donc des ou- 
vrages qui protégent son passage de la rive droite sur la rive 
gauche de ce ruisseau. Telle est l'interprétation qu'il convient 
de donner aux ouvrages de Bussy et de Saint-Remi, qu'on 
ne saurait suffisamment expliquer autrement. Serait-ce à tort 
que nous voudrions honorer dans Attila la valeur tactique 
comme le talent du stratégiste ?....... Mais nos pères l'ont 
vaincu. 

Le tracé de l'ouvrage de Bussy peut se reconstruire par la 
pensée d’après les reliefs qui existent encore : c'était une 
immense tête de pont, composée d’une demi-lune elliptique 


— 286 — 


de 450 mètres à la gorge, et dont les extrémités étaient dis- 
tantes de 150 mètres du ruisseau ; l'intervalle laissé était 
rempli par deux redoutes elliptiques, dont le fossé extérieur 
était inondé par les eaux de la Noblette. Une autre redoute 
elliptique devait aussi exister au centre et tout contre le ruis- 
seau, pour mieux en protéger le passage. Les tumulus que 
l’on voit sur cet emplacement montrent le rôle important qu'a 
joué cette tête de pont. Pas plus que pour la redoute de Nan- 
tivet ou l’ouvrage de Saint-Remi, il ne s’est trouvé d'auteur 
qui l'ait attribuée aux Romains. 

Enfin, à Saint-Remi, c'est-à-dire près de la source de la 
Noblette, existait un ouvrage pour la défense du gué et pour 
linterception du chemin de Somevesle. De Saint-Remi à 
Bussy, la rive gauche du ruisseau est plus favorable à la dé- 
fense, et Le ruisseau lui-même constitue un sérieux obstacle à 
l’assaillant. Si cet ouvrage n’eût pas existé, la Noblette aurait 
évidemment été passée au gué; mais l'ouvrage fut tourné 
par la source du cours d'eau, et comme il n’a pas servi, nous 
ne jugeons pas nécessaire de le décrire. 

Les trois retranchements de La Cheppe, de Nantivet et de 
Bussy présentent comme caractère commun d’avoir des formes 
elliptiques irrégulières, mais ils diffèrent dans le mode de 
construction. À La Cheppe les outils abondaient; c'était là 
que devaient être enfermées les dépouilles les plus précieuses, 
celles réservées au maître des Barbares : aussi les fossés sont- 
ils profonds. A Nantivet et à Bussy, les parapets sont formés 
en grande partie, non par l’excavation d’un fossé, mais par 
l’amoncellement de toutes les terres végétales qui existaient à 
l’entour, que les Barbares grattaient à la surface du sol, puis 
apportaient dans leurs vêtements. Les Romains n’ont jamais 
procédé ainsi pour faire des camps, surtout dans les Gaules. 

C'est ici, croyons-nous, le moment d’appeler, plus particu- 
lièrement que nous n'avons pu encore le faire, l'attention 
sur la topographie générale du champ de bataille. La Croix- 
en-Champagne, ou simplement La Croix, située à moitié 


— 287 — 


chemin de Mauriac à Valmy, à 12 kilomètres du camp re- 
tranché de Mauriac, est un des sommets les plus élevés des 
plaines mollement ondulées qui avoisinent Mauriac. Six val- 
lons distribués régulièrement, sauf un, celui de l’Auve, pren- 
nent naissance dans les pentes de ce mamelon. Trois d’entre 
eux, dont le thalweg va plus ou moins dans la direction de 
l'ouest, jouent un rôle dans la bataille : celui qui est Le plus au 
nord, ou la Suippe; celui du centre, ou la Noblette ; et celui 
de la Vesle au sud, qui reçoit la Noblette à Vadenay. Entre 
ces six vallons existent des contreforts très bas et très aplatis, 
dont l’un, qui divise les eaux entre la Noblette et la Suippe, 
arrive presque dans l'angle que fait l’ancienne voie romaine 
de Reims à Bar-le-Duc avec la route nationale moderne de 
Nevers à Sedan, A quatre kilomètres et au nord du camp de 
Mauriac, ce contrefort se relève insensiblement de 51 mètres, 
et s'appelle, dans la région de son point le plus élevé, Mont- 
Piémont. Telle est la position que Jornandès signale (liv. xx) 
dans ces termes : « Erat aulem positio loci declivi tumore in 
modwm collis excrescens, » et qui, se modelant en forme de 
colline sur plus de la moitié du champ de bataille, devait être 
disputée. 

Il est tout à fait essentiel de connaître le cours de la No- 
blette. Ce ruisseau prend sa source à environ 6 kilomètres à 
l’est du centre de la ligne de La Cheppe à Nantivet : de Saint- 
Remi à Bussy, il a moyennement 27 de large et 0" 50 de 
profondeur ; souvent marécageux, il est guéable en plusieurs 
points, mais il n'est ni guéable, ni d'un franchissement facile 
entre Bussy et Mauriac (La Cheppe), où ses rives sont géné- 
ralement à pic, aujourd’hui du moins, et en arrivant vers 
Mauriac, il a de 4 à 5 mètres de largeur et 1" 30 de profon- 
deur. Il n'y a pas lieu de revenir sur le rôle que devaient 
remplir la Suippe et la Noblette pour appuyer les aïles, ni 
sur l'emploi que se proposait de faire Attila de la Noblette, 
pour s'en couvrir, si les chances de la bataille l’obligeaient à 
faire un changement de front en pivotant autour de Mauriac. 


— 288 — 


Ajoutons d'ailleurs que tout le pays était découvert comme 
aujourd'hui, et méritait la dénomination d’apertus mars, rase 
campagne, que l'on trouve dans les relations de Jornandès et 
d’Idace. 

Jornandès, qui écrivait un siècle après l'événement, a 
laissé un récit trop peu circonstancié de la bataille de Mau- 
riac (La Cheppe) : il faut regretter qu’il n’ait pas donné des 
renseignements plus complets sur la configuration du terrain, 
la position des armées au moment de l'engagement, le pas- 
sage du ruisseau, la mort de Théodoric, le blocus du camp 
de La Cheppe; tout ce qu'il dit est loin d’être technique, et il 
faut discuter et faire cadrer avec sa narration la présence et 
le but des ouvrages, le témoignage des engagements fournis 
par les tumulus et les ossements, et ce que veut l’art de la 
guerre. Comme nous ne cherchons que la substance exacte 
du drame, nous omettrons de reproduire in extenso la mise 
en scène dont cet auteur a coloré son récit. Trop de place a 
été par lui consacrée aux scènes de magie, aux harangues, et 
trop peu aux faits. Il a été un de ces malencontreux abrévia- 
leurs qui n’ont pas su ou pu reproduire ce qu’avaient de spé- 
cial des écrits plus étendus et originaux, tels que ceux de 
Cassiodore ; son caractère ecclésiastique l’a sauvegardé de 
l'oubli. Voilà quelle était notre opinion sur la relation de 
Jornandès, et déjà elle.se trouvait formulée telle qu'on vient 
de la lire, quand la traduction de M. A. Savagner, ancien 
élève pensionnaire de l'Ecole des Chartes, nous tomba sous 
les yeux. Or M. A. Savagner signale dans sa préface la facon 
dont Jornandès a écrit son histoire des Goths. Dans une épître 
dédicatoire à un ami, Castalius, Jornandès s'exprime ainsi : 

« Tu m'engages à résumer les douze volumes du sénateur 
» Cassiodore sur l'origine-et les actions des Goths..... C'est 
» pour nous un fardeau trop lourd, parce que ses livres ne 
» sont pas à notre disposition, de manière que nous en sui- 
» vions rigoureusement le sens. Mais..... j'ai relu naguère 
» ces livres dans l’espace de trois jours, grâce à la faveur de 


— 289 — 


» son intendant. Bien que je n’en reproduise pas littérale- 
» ment les termes, je crois cependant en conserver dans leur 
» intégrité les pensées et les faits. » 
Ce passage démontre avec la dernière évidence, suivant 
M. A. Savagner, que Jornandès n'avait qu’une connaissance 
très imparfaite des ouvrages de Cassiodore; qu'il n’a pu le 
suivre fidèlement; que probablement il en a bouleversé tout 
le plan; qu'il a dû ou pu l’altérer dans ses parties les plus 
saillantes peut-être et les plus curieuses ; qu'il y a mêlé une 
foule de choses étrangères, sinon au sujet, du moins aux re- 
cherches de l’illustre sénateur. 
« Il ne faut donc consulter qu'avec méfiance, continue 
» M. A. Savagner, un semblable document, qui est une 
» compilation plutôt qu’un abrégé d’une histoire conscien- 
» Cieusement faite et puisée aux meilleures sources. Cette 
» méfiance est d'autant mieux justifiée, que l’on ne peut re- 
connaître et déterminer les passages que Jornandès doit à 
» Cassiodore, ceux qu'il doit à d’autres auteurs, etc... » 
D'après Jornandès, Attila fut déconcerté de ce qu’Aétius et 
Théodoric mirent Sangiban et ses troupes au milieu d’eux, et 
il ajoute que le roi des Huns, « se méfiant de ses propres sol- 
» dats, craignant d'en venir aux mains et méditant une re- 
» traite, résolut de s'adresser aux aruspices pour connaître 
» l’avenir..... » (Les aruspices lui font de sinistres prédic- 
tions, mais ils lui promettent la mort d’un des généraux en- 
nemis.) « Inquiet de ces présages, Attila songeait cependant 
» que, dût-elle être achetée par quelque perte, la mort d’Aé- 
» tius, qui s'opposait à ses progrès, était pour lui d'une ex- 
» trême importance : aussi le combat fut-il résolu..... » 
Nous croyons que Jornandès commet une grave erreur : 
une bataille défensive était résolue, en cas de revers, à Mau- 
riac, dès l’entrée des Huns dans les plaines de la Champagne, 
et Attila avait pris de nouveau la résolution de combattre 
dans son ring, quand il se fut couvert par la Seine et par 
l'Aube, après Méry. Sien effet il n'avait plus voulu combattre, 
19 


ÿ 


— 290 — 


il avait le temps de gagner le Rhin, parce qu'Aétius étant 
obligé de passer par Pont-sur-Seine et Damery, avant de ga- 
gner l'Argonne, Attila prenait l'avance sur lui d'environ 60 
kilomètres. Pour faire ressortir l'erreur que Jornandès a pu 
commettre, nous rapporterons la harangue qu'il prête à Attila 
pour aiguillonner le courage de ses troupes. La paraphrase 
de l’auteur démontrerait au besoin qu’il n’a pas été suffisam- 
ment judicieux dans le récit de l’action. Nous admettrions 
volontiers une harangue où Attila leur dirait : qu'elles ont 
devant elles leurs plus terribles ennemis, mais qu’elles sonb 
en force, en bonne position et qu'il les commande ; — qu'elles 
doivent défendre les riches et abondantes dépouilles arrachées 
jusqu’à présent aux Gaules ; — qu'après la victoire elles se- 
ront maîtresses des Gaules, de l'Italie, du monde; — qu'aux 
plus braves guerriers seront réservées les meilleures parts 
dans la répartition des armes et des chevaux, et qu’ils auront 
de l'or, du vin, des femmes. Cette péroraison eût été du goût 
des Huns, des Ostrogoths, des Ruges, etc., qui n’eussent pas 
manqué de la trouver très éloquente. Au lieu de cela, ce que 
Jornandès fait dire au héros tartare n’est ni d'un conquérant, 
quelle que soit sa nationalité, et encore moins d’un rhéteur. 
Toutefois nous nous abstiendrons de caractériser en termes 
amers cette harangue, dont nous empruntons la traduction 
au livre de M. Amédée Thierry : 

« Après tant de victoires remportées sur tant de nations, 
» et au point où nous en sommes de la conquête du monde, 
» je ferais, à mes propres yeux, un acte inepte et ridicule en 
» venant vous aiguillonner par des paroles, comme si vous 
» ne saviez pas ce que c'est que de se battre. Laissons ces 
» précautions à un général tout neuf ou à des soldats sans ex- 
» périence : elles ne sont dignes ni de vous ni de moi. En 
» effet, quelles sont nos habitudes, sinon celles de la guerre ? 
» Et qu'y a-t-il de plus doux pour les braves que de chercher 
» la vengeance les armes à la main ? Oh! oui, c'est un grand 
» bienfait de la nature que de se rassasier le cœur de ven- 


14 


— 291 — 


» tions différentes qui ne s'accordent point; on montre sa 
» peur au grand jour, quand on compte pour sa défense sur 
» un appui étranger. Aussi voyez, même avant l'attaque la 
» frayeur les emporte déjà ; ils veulent gagner les hauteurs; 
» ils se hâtent d'occuper les lieux élevés, qui ne les garanti- 
» ront point, et bientôt ils reviendront demander, sans plus de 
» succès, leur sûreté à la plaine. Nous savons tous avec quelle 
» faiblesse les Romains supportent le poids de leurs armes; 
« je ne dis pas la première blessure, mais la poussière seule 
» les accable. Tandis qu'ils se réunissent en masses immo- 
» biles pour former leurs tortues de boucliers, méprisez-les et 
» passez outre : courez sus aux Alains, abattez-vous sur les 
» Visigoths ; c’est sur Le point où se concentrent les forces du 
» combat que nous devons chercher une prompte’victoire. Si 
» les nerfs sont coupés, les membres tombent, et un corps ne 
» peut se tenir debout quand les os.lui sont arrachés. Elevez 
» donc vos courages et déployez votre furie habituelle. Comme 
» Huns, prouvez votre résolution, prouvez la bonté de vos 
» armes; que le blessé cherche la mort de son adversaire; 
» que l’homme sain se rassasie du carnage de l'ennemi ; celui 
» qui est destiné à vivre nest atteint par aucun trait; celui 
» qui doit mourir rencontre son destin, même dans le repos. 
» Enfin pourquoi la fortune aurait-elle rendu les Huns vain- 
» queurs de tant de nations, sinon pour les préparer aux joies 
» de cette bataille ? Pourquoi aurait-elle ouvert à nos ancêtres 
» le chemin du marais Méotide, inconnu et fermé pendant 
» tant de siècles ? L'événement ne me trompe point : c'est ici 
» le champ de bataille que tant de prospérités nous avaient 
» promis, et cette multitude rassemblée au hasard ne sou- 
» tiendra pas un moment l'aspect des Huns. Je lancerai le 
» premier javelot sur l'ennemi; si quelqu'un peut rester tran- 
» quille quand Attila combat, il est déjà mort! » 

Suivant M. Tourneux, Aétius aurait attendu durant plu- 


— 292 — 

sieurs jours l’arrivée des Burgundes, afin d'être mieux en 
force pour attaquer Attila, et ce serait alors qu'Attila aurait 
créé ses retranchements. Cette supposition n’est pas admis- 
sible. Aétius, en effet, ne pouvait pas laisser Attila se retran- 
cher en sa présence. Nous admettons, pour des raisons que 
nous avons précédemment développées, que des Franks et 
des Burgundes soient venus dans les derniers moments; mais 
qu'ils soient ou ne soient pas tous arrivés, Aétius commence 
l'action sans perdre de temps. 

Par la direction qu'il a suivie, Aétius a sa ligne de bataille 
à cheval sur la route de Reims à Bar-le-Duc, face au ring 
et le dos tourné à Reims. Il se portera en avant, en proté- 
geant ses ailes : la gauche par la Suippe, et la droite par la 
Vesle ou plus tard par la Noblette, qui est un affluent de la 
Vesle. 

Attila prend sa ligne de bataille perpendiculairement à la 
même voie romaine, face à Reims; il appuie ses aïles à la 
Noblette et à la Suippe, et il les consolide par le retranche- 
ment de La Cheppe et la redoute de Nantivet. 

Des engagements partiels ont lieu apparemment dans le 
principe, à la faveur desquels Aétius fait reconnaitre le ter- 
rain ou le reconnaît lui-même ; mais déjà il est sans doute 
renseigné sur l'ensemble du ring par ses prisonniers d'Or- 
léans et de Méry. 

Relativement à la force des armées, nous avons adopté les 
chiffres de M. Tourneux; ils sont loin d'être sûrs, mais ils 
sont suffisamment probables. Les historiens anciens sont en 
effet très discordants : par exemple, au commencement de 
l'invasion, les Barbares s’élevaient au nombre de 400, de 500, 
de 700 mille ; par exemple encore il y aura du fait de la ba- 
taille 300 mille morts d’après Idace, et 162 mille d’après Jor- 
nandès. On est de la sorte fort embarrassé pour fixer un 
nombre; et si l’on se reporte à la facon dont les armées s’é- 
taient recrutées, on est tenté de croire que les chefs eux- 
mêmes ne savaient que très vaguement combien ils avaient 


— 293 — 
d'hommes à l'effectif. Nous admettrons, avec M. Tourneux, 
que les fédérés avaient 193 mille hommes le jour de la ba- 
taille, et que les Huns s'étaient réduits de 400 mille à 225 
mille combattants. 

La proportion eût donc été de 7 à 8. Comment Aëétius, qui 
a le désavantage du nombre et du terrain, pourra-t-il rem- 
porter une victoire aussi colossale que le dit l’histoire ? L'in- 
terprétation que nous allons donner de l'opération tactique, 
découle de la relation de Jornandès, de la topographie locale, 
des renseignements que fournissent à la fois les retranche- 
ments, les fumulus, et certaines dénominations caractéristi- 
ques qui sont restées attachées à la terre. 

Au ve siècle, l'art militaire était retombé dans l'enfance; 
il allait y stationner jusqu'à la chevalerie. Chez tous ces 
fédérés, qui étaient à vrai dire des demi-barbares, on trouve 
une sorte de conformité d'armement avec celui de la Répu- 
blique et de l'Empire, une pénétration de tactique et de civi- 
lisation que des esclaves fugitifs, des proscrits, des opprimés, 
des déserteurs, avaient implantée chez ces peuples avant 
même qu'ils ne fussent atteints par la conquête. Leur ordon- 
nance était profonde, et pour garantir les premiers rangs, ils 
employaient la tortue, c'est-à-dire qu'ils mettaient en avant 
d'eux les hommes d'élite, armés de casques, de cuirasses et 
de grands boucliers, qui, par leur force et leur courage, con- 
stituaient une muraille aux archers. La cavalerie, peu nom- 
breuse, était chez eux en général placée sur les ailes ou en 
arrière. Ils mettaient les troupes sur deux ou trois lignes. 
Leurs armes étaient le javelot, la hallebarde, la hache à deux 
tranchants ou francisque, l'épée ; la cavalerie avait le javelot 
et lançait des flèches. Les Huns avaient pour armement des 
flèches et des zagaies, comme en auront plus tard les musul- 
mans d’Abd-el-Rhaman qui viendront à Poitiers. À Chälons 
età Poitiers, les Asiatiques, «alertes et légers, » feront peu d’im- 
pression sur les gros bataillons que les Gaules leur opposent, 
parce que ces bataillons sont couverts de la tortue des bou- 


— 294 — 


cliers, et hérissés de pointes de hallcbardes et de javelots. S'ils 
n'ont point le pas léger, ils l’ont ferme et leur bras est pesant 
dit Mézerai ; ils laissent faire à l'ennemi ses assauts et ses 
« caracols, » le lassent et l’enfoncent après. Dans l'armement 
et la discipline était le gage de la victoire. 


Ordonnance de combat d’Attila. 


Attila attend la bataille dans son ring. — Jornandès ne nous 
disant rien ou presque rien des dispositions préalables de ce 
prince, nous donnons l'interprétation suivante d'après les 
précieuses indications que nous fournissent le sol et les ou- 
vrages ; nos chiffres ne doivent être regardés que comme des 
probabilités : d’ailleurs ils sont toujours présentés sous la 
forme hypothétique. 


Point d'appui de la 1*° position. 


A l’aile gauche, camp retranché de Mauriac.... 10,000 
A l’aile droite, redoute de Nantivet............ 4,000 
Nous présumons ces chiffres d’après le dévelop- 

pement des crêtes et l'importance des ouvrages. 


{re ligne d'infanterie. 


Du camp retranché de Mauriac à la redoute de 
Nantivet, il y a près de 10 kilomètres, ce qui cor- 
respond, à cause de l’irrégularité des formations 
qui n'observaient ni alignements corrects, ni inter- 
valles, à une muraille continue de 12 mille files. La 
profondeur des files était irrégulière; on peut la sup- 
poser.de.8 à 10, -ce.qui donne... ,.40LPARERS us 108,000 


ee 


À reporter. .... 122,000 


— 295 — 
Report..... 122,000 


2 et 3° lignes d'infanterie. 


Réserves sur une ou deux lignes pour boucher 
les vides, soutenir le centre et les points qui se mon- 
treraient faibles, ou pour lancer des forces fraîches 
sur les points de l'ennemi qui viendraient à être 
ébranlés. Nous supposons ces réserves du tiers au 
AU TONER ie EAU oi EN APE PRIME AE EA  TEM Fe PAU 


Cavalerie. 


Attila s'apprêtait à pivoter sur le camp de Mau- 
rlaC, qui était son principal appui. Si la fortune lui 
est propice, son changement de front en avant sur 
l'aile gauche (Mauriac) rabattra les fédérés sur la 
Vesle, et la cavalerie, soudainement démasquée, les 
culbutera dans le ruisseau. Destinée à charger, elle 
doit avoir un terrain propice à ses évolutions : aussi 
la placons-nous près de la Suippe, dans la direction 
de Saint-Remi à Sommesuippe. Elle pouvait mon- 
LE CR RE E OM AT JUN. 3 ARE 39,000 


Réserves générales. 


Elles devaient être prêtes à donner dans la vallée 
de la Suippe ou dans la vallée de la Noblette, ou 
à servir ultérieurement d'appui au mamelon de La 
Croix, à l'aile droite de la 2° position, qui sans cela 
LS NE UD co ENT, ONE OR AN TAS AP Ar DEC ue AT F2 40000 


Points intermédiaires de la 2° position. 


ein de, potide Bussy ien nt 1e aleeters re » oies 6,000 
Redoute du gué de Saint-Remi............... 4,000 


À reporter..... 215,000 


— 296 — 


LA 
Report..... : 215,000 
Nous présumons ces chiffres d’après le dévelop- 
pement des crêtes et l'importance des ouvrages. 


Division pour garder la rive gauche de la 
Nobleite (1). 


C'était une garde contre les tentatives qui pour- 
raient venir de la rive droite ; — ou bien, si la for- 
tune était contraire, elle devenait utile pour assurer 
l'efficacité du changement de front en arrière sur 
MU RIA CAPE EME RME AE MR, 44 0, 2 HOTOMMNNE 


Total. :::,,%4405 2200 


On peut jusqu'à un certain point, en partant de la relation 
de Jornandès et s’aidant de la tradition populaire qui est 
restée attachée au sol, parler des grands commandements. 

« Attila se mit au centre — au milieu des forces de sa na- 
tion. » Ainsi la position que Jornandès attribue aux Huns 
s’accorde avec l'emplacement du Ahan des Diables. Ardaric 
et Walamir, que le rôi tenait en grande estime, commandè- 
rent, le premier, l'aile droite formée des Gépides; le second, 
l'aile gauche composée des Ostrogoths. Voilà ce qui ressort 
assez clairement du mémoire de l'évêque de Ravenne, et on 
est porté à conjecturer que Théodemir et Widemir, issus du 
noble sang des Amales, n'étaient pas loin du maître. Quant 
au commandement de la cavalerie, nous supposerions volon- 


a ——— — ——————————— 


(1) M. Tourneux suppose une ligne de bataille entre Mauriac et Nan- 
tivet, de 120 mille combattants, et une réserve de 70 mille hommes sur 
la rive gauche de la Noblette. Mais comment admettre que l'effectif des 
forces fût ainsi coupé en deux masses aussi considérables par un ruis- 
seau d'un passage difficile ? On doit avoir ses réserves à bonne portée et 
sans obstacles qui les empêchent d'accourir en touté hâte. Ces 70 mille 
hommes de réserve, nous aimons mieux croire qu'ils étaient, partie 
en deuxième et troisième lignes, partie à garder le mamelon de La 
Croix, et le reste dans les ouvrages de Bussy, de Saint-Remi, et sur la 
rive gauche de la Noblette. 


LE 


— 297 — 


tiers qu’il fut exercé par Andagèse. En effet, d'après Jornan- 
dès, le roi des Visigoths aurait été tué dans un engagement 
sérieux, de la main d'Andagèse; et, d'après la tradition po- 
pulaire qui donne le twmulus de Poix comme le tombeau de 
Théodoric, ce prince aurait succombé à Poix. Or, deux épi- 
sodes sanglants avaient eu déjà lieu, l’un au Ahan des Diables, 
l’autre sur la Noblette, et la bataille avait conimencé à trois 
heures. Pour que Théodoric tombât à Poix sous le fer d’An- 
dagèse, à 20 kilomètres du centre de la première position, il 
fallait que ces deux chefs commandassent, le premier la ca- 
valerie des fédérés, le second la cavalerie hunnique. 


Ordonnance de combat d’Aétius. 


Aétius, dans les différents engagements qui précèdent la 
bataille, a reconnu le terrain et sent que ses efforts doivent 
partir de son aile gauche. C’est vers ce point qu'il doit 
mettre ses plus vaillantes troupes; c’est donc l'aile gauche 
qui aura le plus besoin de son impulsion. En plaçant Aétius 
à l'aile gauche, Jornandès nous montre implicitement qu'un 
mouvement tournant va s'effectuer. Les Franks, que le patrice 
avait combattus du temps de Clodion, et dont il appréciait la 
valeur, et les Burgundes, qui avaient à se venger des échecs 
subis après le passage du Rhin à Bâle, convenaient parfaite- 
ment pour la rude tâche qu'il méditait de ce côté. Il se mé- 
fiait de Sangiban et ne pouvait se compromettre en le mettant 
en première ligne; voulant s’en servir sans qu'il eût l’occa- 
sion de faire défection, il l'enferma « au milieu de la troupe 
de ses fidèles. » Les Visigoths de Théodorice, il les mit à l'aile 
droite, mais sous les ordres de Thorismond ; c'est ce qui ré- 
sulte de la relation de Jornandès. Quant aux légions romaines, 
il les tint en réserve, car il craignait des difficultés après la 
victoire, à supposer qu’il la remportât. Ses forces auraient été 


— 298 — 


de 193 mille hommes, et leur répartition paraîtrait ration- 


nelle comme il suit : 
q 
d'° ligne d'infanterie. 


Elle se trouve sensiblement égale à celle d’Attila. 


Les Franks, 
A l’aile gauche, sous la conduite de Mérovée, leur 
roi, en face de la redoute de Nantivet......,..... 27,000 


Les Burgundes, 
Au centre, sous la conduite de Gondeba!d ou Gon- 
dicaire (?), leur roi, en face du gros d’Attila....... 28,000 


Les Visigoths, 


A l'aile droite, sous la conduite de Thorismond, 
fils aîné de Théodoric, en face du camp de Mau- 


FLTENS PORMCRST TE CONTE TRS À LIST CARS an PCA HER EU SE 44,000 


2° et 3° lignes d'infanterie. 


Principalement en arrière des Burgundes, en face 
des réserves d’Attila, elles comprenaient : 


Les Alains, 


Sous la conduite de Sangiban, leur roi....,.... 14,000 
Les légions romaines, 
Commandées par Aétius en personne........... 93,000 
Cavalerie. 


Toute la cavalerie des fédérés derrière les lignes 
d'infanterie, sous la conduite du roi Théodoric.... 27,000 


Total >. 20e .. . 193008 


Si l'infanterie des Huns est entamée, la cavalerie des fé- 
dérés, démasquée par un changement de front en avant sur 
Mauriac, a pour mission de remonter la Suippe au galop et 
de rejeter cette infanterie sur la cavalerie hunnique. 


:-« «nu 

11 TVA, 
IL vi 4 
, 0". "4e NOIRE 


— 299 — 


_ Après avoir ainsi interprété l'ordonnance de combat des 
deux adversaires, nous allons suivre pas à pas Jornandès, en 
continuant à le commenter; et pour ne pas être accusé d'erreur 
dans la traduction, nous prendrons celle de M. A. Savagner. 

« ... Il (Attila) engagea le combat vers la neuvième heure 
» du jour (à trois heures de relevée (1)}) dans les Champs cata- 
» launiques, comme nous l’avons dit, et avec une certaine 
» crainte, de manière à ne pas paraître céder, à laisser à la 
» nuit qui arrivait le temps d'arriver et de changer les rôles. » 

M. A. Savagner a traduit : converteret partes par de changer 
les rôles ; nous dirons, nous : de faire un changement de 
front @). Attila n’est pas sans savoir que son changement de 
front sera très difficile; car, pour passer sur la rive gauche 
de la Noblette, il faudra qu'il ploie ses masses en plusieurs 
corps, afin de se se servir des points de passage qu'il a au 
pont de Mauriac, à Bussy, à Saint-Remi et à la source de la 
Noblette, et il compte sur la tombée de la nuit. 

« Il y avait, continue Jornandès, une position présentant 
» la forme d'éminence et s’élevant à la manière d’une col- 
» line. L'une et l’autre armée désiraient s'en emparer, parce 
» que ses avantages devaient assurer une grande supériorité. 
» Les Huns avec leurs alliés occupent le côté droit; les Ro- 
» mains et les Visigoths, le côté gauche. Renoncant à dis- 
» puter le sommet de cette éminence, Théodoric se plaça à 
» l'aile droite avec les Visigoths ; Aétius, à l'aile gauche avec 
» les Romains, assignant le centre à Sangiban qui comman- 
» dait les Alains, comme nous l’avons dit plus haut: ils vou- 


2 


(15 Les Romains comptaient les heures à partir de six heures du matin. 

(2) Convertere parles signifie mot à mot « converser des partis, exé- 
cuter une conversion de troupes, » ou comme l'on dit : faire un chan- 
gement de front. JornanDës a été frappé de ce changement de front qui 
aurait été mentionné dans les récits de Cassiopore, mais il l'a rapporté 
sans le comprendre, Pour traduire convertere partes par exécuter un 
changement de front, il faut ne pas être étranger aux manœuvres mi- 
litaires. 


— 300 — 

» laient, par une précaution toute militaire, enfermer au 
» milieu de la troupe des fidèles ce prince, sur le dévoue- 
» ment duquel ils comptaient peu. En effet, l'homme à qui 
» l’on Ôte la facilité de fuir, accepte aisément la nécessité de 
» combattre. L'ordre de bataille des Huns fut différent. 
» Attila se mit au centre avec ses plus vaillants guerriers : 
» par cette disposition, le roi avait surtout en vue sa propre 
» sûreté ; il voulait, en se plaçant au milieu des forces de sa 
» nation, se soustraire à un péril menaçant. (Suivent des 
appréciations sur Walamir, Théodemir et Widemir, que 
Jornandès eût bien fait de mettre ailleurs.) Le combat s’en- 
» gage donc pour la position dont nous avons parlé. Attila 
» conduit les siens qui devaient s'emparer du sommet de 
» l’'éminence, mais il est prévenu par Thorismond et Aétius. 
» Ceux-ci arrivent au faîte de la colline disputée, s'assurent 
» le dessus, et grâce à l'avantage de cette position, ils culbu- 
» tent les Huns qui s'avançaient. Lorsqu’Attila vit son armée 
» troublée par cet échec, il crut nécessaire dans un tel mo- 
» ment de relever les courages par le discours suivant... » 

Nous avons donné précédemment ce discours. Si, après le 
jugement que nous en avons porté, il paraît encore digne de 
quelque crédit, même en le considérant uniquement comme 
type, du moins avoucra-t-on qu'il est un peu long pour une 
armée de plus de 200 mille hommes qui parlent des idiomes 
entre eux si différents, et quand le centre des forces est au 
moment même l'objet d’une menace. En une telle circon- 
stance, quelques énergiques apostrophes seules conviennent. 
Nous regrettons vivement d’avoir tant à critiquer l'unique 
écrivain ancien duquel nous tenions des détails sur cette 
bataille : tout imparfaits que soient les renseignements qu'il 
nous a laissés, ils doivent être profondément étudiés. L'his- 
toire a ses droits. — Nous ajouterons cette remarque, que 
Théodoric a dû quitter l’aile droite pour se mettre à la tête 
de la cavalerie, puisque c'est son fils Thorismond qui, avec 
Aétius, s'empare de la hauteur. 


” HAN 


— 301 — 

Ces commentaires faits, nous allons essayer d'expliquer la 
position des armées avant la bataille, et la première phase de 
celle-ci qui a pour théâtre le Ahan des Diables. 

Les premières lignes d’Attila et d’Aétius étaient perpendi- 
culaires à la voie romaine ; et l’on peut s'en représenter la 
position initiale par les circonstances qu'offre aujourd’hui le 
terrain. La route nationale de Nevers à Sedan divise en deux 
parties égales la bande de terrain qui les séparait ; et si on lui 
mène deux parallèles par le camp d’Attila et Cuperly, les 
portions de ces parallèles, comprises entre la Noblette et la 
Suippe, sont les fronts de bataille à l’origine. Pour venir de 
la première ligne d'Aétius sur les hauteurs de la colline du 
Mont-Piémont, il y avait plus de chemin à faire que du 
côté d’Attila, et d’ailleurs il fallait gravir des pentes qui sont 
beaucoup plus raides du côté de l'ouest. 

Attila a prononcé son long discours. « Enflammés par ces 
» paroles, dit Jornandès, tous se précipitent au combat. Et 
» bien que les circonstances en elles-mêmes fussent effroya- 
» bles, la présence du roi ôtait toute hésitation à ces hommes 
» acharnés. La mêlée s'engage, bataille affreuse, multiple, 
» épouvantable, opiniâtre, telle que l'antiquité n’en raconte 
» pas de semblable ; on rapporte qu’il s’y fit des prodiges de 
» valeur, au point que l'homme privé de ce merveilleux 
» spectacle n’a pu dans sa vie rien voir de plus beau. Car si 
» l’on peut ajouter foi à nos pères, un ruisseau qui, dans les 
» plaines dont nous avons parlé, roule de faibles ondes, 
» gonflé par le sang qui s'échappait des blessures des morts, 
» et grossi, non par les pluies comme à l'ordinaire, mais par 
» un liquide inaccoutumé, fut changé en torrent par les flots 
» de sang mêlés à ses eaux. Ceux qui, percés de blessures, 
» furent poussés vers ce ruisseau par une soif brûlante, se 
» virent réduits à boire de cet horrible mélange; ainsi, 
» forcés par un sort misérable à une affreuse boisson, ils 
» avalèrent le sang qui avait coulé de leurs plaies. Là (nous 
comprenons : dans cette bataille, et non dans le lit de la 


— 302 — 


Noblette) le roi Théodoric, en parcourant les rangs de son 
» armée, qu'il excitait par des exhortations, tomba de son 
» cheval, fut foulé aux pieds par les siens, et termina sa car- 
» rière dans un âge avancé. D’autres assurent qu'il fut tué 
» d’un coup de javelot par Andagèse, de la nation des Ostro- 
» goths qui Suivaient alors les drapeaux d’Attila. Ainsi s’ac- 
» complit la prédiction faite par les aruspices à Attila, et 
» que celui-ci avait appliquée à Aétius. Alors les Visigoths 
» se séparent des Alaïins, se précipitent avec fureur sur les 
» bandes des Huns, et ils eussent exterminé Attila, si ce 
» prince n'avait eu la prudence de s'enfuir, et de s’enfermer 
» aussitôt avec les siens dans l'enceinte de son camp, qu’il 
» avait entouré d’un retranchement de chariots (...nisi prius 
» providus fugisset, et se suosque illico intra septa castrorum, 
» quæ plaustris vallata habebat, reclusisset). Quelque faible 
» que füt cet abri, des guerriers, auxquels un instant aupara- 
» vant nul rempart naturel ne pouvait résisler, y cherchè- 
» rent une retraite pour sauver leur vie. » 

De l'étude de Jornandès, de l'examen du terrain et de la 
tradition, il résulte pour nous ceci : 


x 


La bataille s'engage à trois heures sur toute la ligne. Le 
centre des Huns' est enfoncé, et laisse à cette partie de la 
terre où il succombe le nom de Ahan des Diables, mot qui 
veut dire, en terme d'agriculture champenoise, l’endroit des 
semailles des diables. Les Huns, qui défendent énergique- 
ment le terrain pied à pied, opèrent leur changement de 
front en arrière sur l'aile gauche. L’aiïle droite rabat sur La 
Croix, mais dans ce mouvement elle paralyse l’action de la 
cavalerie d’Andagèse sur laquelle elle est repoussée. Un tel 
succès est dû à la supériorité de l’armement, à la valeur des 
fédérés et au génie du patrice. 

Le passage du ruisseau, aux trois points de Mauriac, de 
Bussy et de Saint-Remi, est difficile pour une telle masse de 
monde ; beaucoup de Huns périssent sur la berge de droite, 
ou tombent frappés à mort en passant la Noblette. Aussi Jor- 


— 303 — 


nandès n’exagère rien quand il dit que le lit du ruisseau se 
sonfla de sang ; non seulement les blessés allaient y étancher 
leur soif, mais les cadavres s'y entassaient, parce que le 
massacre des Huns s'y faisait sur toute la ligne. Les fossés 
du camp de Mauriac, et l’inondation qui y était tendue, de- 
vaient être des mares de sang. 

La cavalerie de Théodoric, remontant au ae la vallée 
de la Suippe, précipite le mouvement des Huns, et ne tarde 
pas à leur couper la retraite sur Verdun, en les débordant 
sur leur aile droite. 

Aétius a exécuté un changement de front en avant sur son 
aile droite, et maintenant que les Huns ont passé la Noblette, 
il borde la rive droite du ruisseau. Cette ligne n’a pas mis- 
sion de s'engager avec les Huns qui sont sur la rive gauche, 
car en principe il serait téméraire de courir à l'ennemi dans 
l'ordre de bataille, en franchissant un obstacle sur l’autre 
bord duquel un ennemi vous attend ; mais elle empéche les 
retours offensifs des Huns. Une partie des réserves des forces 
alliées doit garder à vue les points de passage de Mauriac, de 
Bussy et de Saint-Remi. À Mauriac et à Bussy, les fédérés 
cherchent à enlever les passages de la Noblette, et les Huns 
résistent bravement. Les tumulus que l’on voyait il y a quel- 
ques années à La Cheppe, et ceux qui existent encore à Bussy, 
prouvent la vigueur des engagements en ces deux points. Le 
passage de la Noblette est la deuxième phase. 

Pendant qu'une partie des forces d'Aétius est ainsi 
occupée, l’autre partie reflue sur l’aile gauche vers La Croix, 
où ses efforts, joints à ceux de Théodoric, emportent le pas- 
sage au-dessus de Saint-Remi. Evidemment Théodoric, avec 
sa cavalerie, à passé au-dessus de la source de la Noblette. 

Attila, tourné et pris de flanc, tient encore quelque temps; 
mais les Huns finissent par perdre contenance, et le ruisseau 
est franchi par les fédérés. Attila n’a plus de ligne de ba- 
taille : les Huns sont rompus ou en fuite. C'est la troisième 
phase. 


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Théodoric poursuit les fuyards et les serre de près pen- 
dant que l'infanterie des fédérés s’avance. Andagèse, avec la 


cavalerie hunnique, veut s'opposer à la désorganisation que 
Théodoric sème devant lui, et engage contre lui un combat 
acharné. À Poix, Théodoric tombe et meurt. Un tumulus 
indique le champ de ses exploits. 

. Le lendemain les forces d’Attila se réduisaient aux garni- 
sons des ouvrages non encore attaqués de Mauriac et de Nan- 
tivet, et à trois troncons. Le premier de ces tronçons, formé 
de l'aile gauche des Huns, avait été aux prises avec les Visi- 
goths, et s'était réfugié avec Attila dans le camp de Mauriac. 
Jornandès ne dit pas nettement qu'une enceinte en terre 
existät ; cependant, que l'ouvrage de Mauriac fût construit 
ou non par ordre d'Attila, personne ne conteste qu'il ne s'en 
servit. Aétius se hâte d'y enfermer son adversaire, et emploie 
les Romains, les Alains et les Visigoths à faire le siége de 
ce retranchement. — Le deuxième tronçon, composé du 
centre des Huns, avait cruellement souffert, d'abord au 
Ahan des Diables, puis au passage de la Noblette, et avait été 
haché dans la direction de Poix. Les Burgundes et la cava- 
lerie des fédérés sont à le poursuivre. — Enfin le troisième 
tronçon était un débris de l’aile droite que commandait 
Ardaric : fort maltraité, il avait été rejeté dans le vallon 
marécageux de l’Auve, et Mérovée l'empêche de se réunir 
aux deux autres troncons. La victoire est donc complète (1). 
Ce fut la dernière remportée au nom des anciens maîtres du 
monde. 


(1) Nous ne savons pas au juste la date de la bataille, mais nous pou- 
vons la calculer approximativement. D'Orléans à Méry, il y a près de 
200 kilomètres, et de Méry à La Cheppe, par Sézanne et Vertus, 100. 
Comme on batailla sans cesse d'Orléans à Méry, on ne fit guère plus 
de 12 kilomètres par jour. Après Méry, Aëétius put aller avec une 
moyenne de 15 à 18 kilomètres. Il fallut ainsi 25 jours environ pour 
passer d'Orléans à Mauriac. La délivrance d'Orléans ayant eu lieu, 
suivant le comput grégorien, le 26 juin, la bataille de Châlons aurait 
été livrée vers le 20 juillet. 


— 305 — 

C’en était fait d’Attila, et il ne tenait qu’à Aétius de détruire 
les Huns jusqu'au dernier. Ces Barbares, en effet, qui jus- 
qu'alors avaient trouvé des vivres, grâce à la terreur qu'ils 
répandaient devant eux en envahissant les Gaules, vont bien- 
tôt en manquer, maintenant qu'ils sont battus; et les con- 
trées voisines, Chälons, Reims et tant d'autres cités, sont 
prêtes à mettre leurs ressources à la disposition de leurs libé- 
rateurs. Attila, s’il reste bloqué dans son camp, y sera bien- 
tôt réduit par la famine : s’il tente de s'ouvrir un passage par 
l’'Argonne, ce sera avec les seules forces qu'il a sous Mauriac, 
sans qu'il lui soit possible de rappeler les restes dispersés de 
ses troupes ; tandis qu'au premier signal Aétius réunira tout 
son monde, fera garder les défilés, et aura beau jeu à l’é- 
craser (1). Il n’a donc d'autre parti à prendre qu'à négocier. 

Sans doute qu'Attila s'engageait à évacuer les Gaules, ju- 
rait solennellement de n'y plus reparaître, laissait le butin 
qu'il avait amassé, donnait la liberté aux prisonniers. Mais 
l’histoire, dans ses investigations, se demande si les peuples 
des Gaules étaient tellement impatients de rentrer dans leurs 
foyers; si, après une victoire aussi complète, ils tenaient tant 
à se soustraire immédiatement à l'autorité romaine, plutôt 
que d’écraser un ennemi qui pourrait revenir; — ou bien, 
quand elle évoque le souvenir de la conduite d’Aétius envers 
le comte Boniface, quand elle scrute les motifs de la mort du 
patrice et juge la main qui l'a frappé, l'histoire se demande: 


té mt + ne de + mener nee en 0 


- 


(1) Jornanpës expose à la fin de son récit que, le lendemain, Attila, 
loin d'être abattu, se prépare au combat, et qu'assiégé dans son camp 
par les Romains, il fait dresser un bûcher avec les selles de ses chevaux, 
prêt à s'y jeter. L'ouvrage de Mauriac fut sans doute attaqué, et l’on 
trouve aujourd'hui de grosses pierres jetées à travers la vase qui 
existe au fond du fossé. Les tumulus de Nantivet démontrent aussi 
qu'on se battit dans cette redoute. Aëtius, dit encore JoRNANDES, crai- 
gnant que les Visigoths, après la destruction des Huns, ne vinssent à se 
tourner contre les Romains, conseille à Thorismond de se retirer à Tou- 
louse, afin d'écarter, dès le début, les prétentions de ses frères à la cou- 
ronne. ; 


20 


— 306 — 

si Aétius, ambitieux du pouvoir et aspirant peut-être à la 
pourpre suprême, ne se ménageait pas des appuis en vue de 
l'avenir... Enfin, contre toute attente, sans interprétation 
plausible, Attila échappe à la destruction. Les Huns, réduits 
à moins de 100 mille hommes, se mettent en marche sur 
Verdun, Metz, Trèves, et longent la Moselle jusqu’à son em- 
bouchure. Loup, qu'Attila avait emmené avec lui après l'af- 
faire de Méry, et qui s'était retiré à Châlons sous la protec- 
tion de ce prince, l'accompagne dans sa retraite jusqu'au 
Rhin, et le préserve à son tour des représailles des populations. 
Partout où il y a une rude mission à accomplir, on trouve 
toujours un prêtre chrétien. Le saint prélat, en laissant dans 
l'esprit d’Attila le souvenir des plus hautes vertus, rendra 
ainsi plus facile les démarches du pontife Léon, quand le Hun 
campera au foyer de Virgile. Aétius suit à une journée de 
marche, et observe la retraite ; puis, quand les Huns ont fran- 
chi le Rhin, il donne congé aux Franks, passe par l'Alsace 
dont il châtie ou récompense les habitants, suivant la conduite 
qu'ils ont tenue envers Théodemir, et redescend la vallée du 
Rhône. 

Pendant ce temps, les armées des Gaules s'étaient arrôtées 
sur le champ de bataille, et transmettaient à la postérité, par 
des monuments grandioses, dénués de faste, élevés notam- 
ment à La Cheppe, à Nantivet, à Bussy, à La Croix et à Poix, 
le témoignage de l'éclatante victoire qui devait s'appeler dans 
les temps modernes Bataille de Chälons.. Cette fois le mot des 
fiers Gaulois : « Si Le ciel venait à tomber, nous le soutien- 
» drions avec nos lances, » fut réalisé. D'immenses pyramides 
en terre abritent les restes des chefs les plus illustres, et sont 
comme les palais d’une nécropole où gisent, pêle-mêle, les 
ossements de 162 mille guerriers (1), venus de tous les pays, 


(1) M. Tourneux, dont nous discutons encore le mémoire, précisé- 
ment à cause de la valeur qui le distingue, porte à 105 mille le chiffre 
total des pertes, dont 60 mille du côté d'Attila, et 45 mille du côté 
d'Aétius. Ainsi le chiffre des pertes d'Aétine serait les trois quarts du 


Se 


He ru 


— 307 — 


depuis la mer Jaune jusqu'à l'Atlantique. Ne nous étonnons 
point de ce chiffre, et reportons-nous à la manière de com- 
battre de l'antiquité. Les mêlées étaient alors beaucoup plus 
sanglantes que nos batailles modernes. Quand, en l'an 101 
avant J.-C., Marius vainquit les Cimbres et recula de cinq 
siècles l'invasion germanique, il fit à l'ennemi 60 mille pri- 
sonniers et en tua deux fois autant. 

Ne quittons point le théâtre de cette mémorable bataille 
sans jeter en arrière un coup-d'œil recueilli. La tradition 
donne des indications précieuses. Sur la rive droite de la 
Noblette, près du Mont-Piémont, un point du sol a gardé le 
nom de Ahan des Diables, pour perpétuer le souvenir du mas- 
sacre d'un corps d'armée tartare; sur la rive gauche, à Poix, 
un tumulus nous est légué comme le tombeau de Théodoric. 
Et quand nous remontons l'humble ruisseau de la Noblette, 
que Jornandès nous représente comme tout à coup transformé 
en un torrent de sang, trois tableaux échelonnés se présen- 
tent à notre imagination. En bas une vaste redoute où le 
« Fléau de Dieu, » battu, s'est réfugié, est entourée du sang 
que la digue de la Noblette fait refluer dans ses fossés; rien 
de plus juste que la dénomination populaire de Camp d’Attila. 
En amont de cet ouvrage, les tumulus se présentent comme 
le panthéon des défenseurs des Gaules et de la civilisation. 
Enfin, tout en haut, ne pouvons-nous, sans trop nous égarer 
dans la conjecture, voir dans la dénomination de La Croix- 


chiffre des pertes d’Attila. Cette proportion nous semble inadmissible, 
parce que la victoire se dessina dès le début; que les Huns, refoulés du 
Mont-Piémont, durent déjà perdre sensiblement plus de monde que les 
fédérés; qu'il périt considérablement plus de Huns en franchissant le 
ruisseau; qu'enfin il en tomba incomparablement davantage lorsque 
le centre s’enfuyait en déroute dans la direction de Poix. Dans ces con- 
ditions, nous admettons volontiers qu'Aétius ne supporta qu'un quart 
du total des pertes, et qu'Attila subit les trois autres quarts. Quant au 
déficit de 69 mille hommes du côté d'Attila, il nous paraît erroné, 
d'après M. Tourneux lui-même; car cet auteur admet le chiffre de 
295 mille combattants à Mauriac sous les ordres du roi des Huns, et il 
en accuse moins de 100 mille en retraite après l'affaire. 


M 308 — 


en-Champagne, un indice que les populations, guidées par les 
évêques, auraient rendu à Dieu des actions de grâces pour 
l'heureuse victoire des Champs catalauniques, et planté une 
croix sur la hauteur qui domine cet immense charnier ? 

L'année suivante, Aétius va recommencer une nouvelle 
campagne contre Attila; mais les Franks, les Burgundes, les 
Visigoths refuseront de venir défendre l'Italie où ils n'ont que 
faire. Avec une armée bien composée, mais malheureuse- 
ment beaucoup trop faible, il ne sera pas en état de livrer ou 
d'accepter la bataille; mais par son activité, sa prudence, son 
génie, il fera dégénérer la guerre en affaires d'avant-poste, et 
opposera ainsi une barrière à l'invasion. Telle avait été la 
tactique de Fabius en présence d’Annibal, et celle de Stilicon 
en présence de Radagaise. 

Il était dans la destinée des deux derniers Romains de périr 
des mains du fils et du petit-fils du grand Théodose. La même 
jalousie, qui avait armé Honorius contre Stilicon, arma Va- 
lentinien contre Aétius. Attila avait trouvé la mort dans les 
fêtes ; l'empereur assassina son général. Avec Attila disparut 
la puissance des Huns ; quelques années après Aétius, 
Odoacre, fils d'un ancien confident d’Attila, était proclamé 
roi d'Italie. Enfin « Celui qui règne dans les cieux et de qui 
relèvent tous les empires, » permettait que des royaumes du- 
rables pussent s'établir sur les débris du vieux sol romain, de- 
puis tant de temps si convulsivement agité, et que Clovis, 
petit-fils de Mérovée, couronné de sa longue chevelure et élevé 
sur le pavois, jetât les fondements de la monarchie française 
et choisit Paris pour sa capitale. 


«a Pharamond, Pharamond, nous avons combattu avec l'épée ! » 


*SOC. D'ÉMUL.DU 


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D'aprés NOT Gourueux 
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Wotice de la/Flanche 1. 
Huit fouilles transversales ont été exécutées dans les fossés et démontrent, par le Dee ci-contre de deux d'entre elles, 
fossé n'a pas été achevé, mais qu'il était sur le point de l'être. Si le camp de 


( Cheppe eût été un camp permanent, 
È au fossé neggrait pas resté dans cet état CHI HÉPHGT Eure fond irr guerre cgayeux existe une couche de terre 
e de 10 à 40 timètres, et par ci par là,mélangtes à la vase, de grosses pierres de silex. 

forme du camp ne permet E de dattribuer aux Gallo-Romains: l'irrégularité de l'ensemble montre que le tracé a été 


fait par des gens peu exercés ; mais le choix de l'assiette,et la faculté de tendre une inondation dans les fossés, prouvent que 
ange a été créé par des gens intelligents et SEDRAneR NE 

: ion, qui nous livre cet ouvrage sous le nom de camp ila, n'es 5 
qu'après Méry, Attile eut le temps de ji construire. M. Amédée Thierry le nie formellement. Cependant le EyARe qe 
uvrages de La Cheppe. de Nantivet, de Bussy, de Saint-Remi, doit se ratiacher à un grand acte de guerre, qui ne ne Q 
{ue la bataille de Châlons. M. Amédée Thierry n'a voulu s'occuper ni des ouvrages, ni des twmulus, et il a déduit la cam- 
p ainsi que la bataille de Chälons, du seul récit des écrivains anciens. - 


peut-être 


e de 451, : 
ù Vérité ne sera jamais bien connue. Si Altila n'a pas eu le temps de construire l'ouvrage de La Cheppe après Méry, il 
de Paraît rationnel qu'il l'ait ordonné lors de la revue qu'il passa en allant de Reims à Orléans, car il lui était nécessaire 


yo 0 Û = = ni A St ln " ù ne. Impossible à lui 
dan lieu de dépôt pour abriter le butin déjà fait, et qu'il ne devait laisser qu'en de: à de FArgonne. In nee Es 


our Re l'entraîner,sans risque de s'encombrer,dans les opérations ultérieures. En m 
L2 


er ses derrières, il les employait à parquer le butin conquis. 


Ledoute Nanlis 72 2 r te de pont de Pussy : Âose d'orientation 
( à la muéme éohefle/que Loco D'EUEæ) (a bwanènse échelle quue Le camp d Utile ) ose &lous Les flous 


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mais les diffé- 


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 BATAIELE DE CHALONS. 
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Loc.D'EMUL. DU DOUBS 1875. 


LESHUNS PLIH. 


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ÜrDONNANCE AVANT LE COMBAT 

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OSomme-Yêvre 


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La môlée s'en . , 
1 sagaä{roïsheures du soir, Grâce à la supé- 
4 TL ot de l'armement des alliés. le 
out ù 

anal eg de, Dia es) et son aile droite rejetée sur sa 


cé sur les pentes du Mont-Pié- 


«A aclion est momentanément paralysée. 


lan des Diables est 1e point précis de la 4e phase. 


SOC. D'ÉMUL. DU Doté} 5 


à nO f]J.ava] 
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de Mavriac. Les Huns 

assez vite par le pont 

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Aétius laisse une ligné 

offensifs, porte la maj 

de la Noblette, à Ls Cr 
Le lit de la Noblett 


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: N ; æ Tumulus 
< Vo em * Tumwi us 


Troisier 


Le centre des Huns, €." 
Croix, est dispersé dans 
taillé en piéces. Leur ai 
|rejetée dans le vallon 
mais leur aile gauche r« 
Iriac. Toutefois, les tro 
Lolus se ressouder; la 
urs suivants par l'aft: 
» massacre des fuyai 
jusqu'au dernier, si, pe 
|pliqués, Aétius n'eût J: 
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A BATAILLE DE CHALONS 


LES HUNS: PL.IV. 


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Deuxième phase. 


Changements de front. Les adversaires pivotent autour dn camp 
de Mauriac. Los uns, aceulés à la Noblette, ne peuvent passer 
aseez vite par le pont de Mauriac, la Lête de pont de Bussy et le 
gné do Saint-Remi. Hs se jettent dans la Noblette et y sont en grande 
parlig massacrés. Attaque et défonso de la Late de pin de Bussy. 
Aëlios laisse une ligne sur la rivo droîle pour emp@cher les retours 
ofoosifs, porte la majeure partio de ses forces tont à fait en amont 
de la Nolette, â FES et coupe aux Huus lo chemin do Verdun. 

s lit de la Noblette est le théâtre de la seconde phase. 


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| Troisième phase. 
Le contra des Huns, de nouveau rompu à La 3 Tilloÿ 
" \ Ë pu à La Tillo: 
oi. est dispersé dans la direction de Poix et : 7e ti 
br 8 en piéces, Leur aile droite, maltraitée, esl 
1 e dans lo vallon marécageux de l'Auve, 
[ns leur aile gauche reste intacte prés de Mau- 
| 


Herpont 
lac Toutefois, les trois tronçons ne ponvent a : 


fu se rossouder; Ja bataille se continue les : j nes Dommarlin 
rs suivants par ue des ouvrages et pai Éd 
quan es fu es Huns Gt péri 7 
siu'au dernier, des molifs restés 1ne3-| - 
Mliqués, Aétius n'oût laissé Attila opérer libro- k <= + Varimont o 


Mal s1 rétraite par las défilés de l'Argouno. - 


2 AE TU 


LES 


TRADITIONS POPULAIRES 


DE LA FRANCHE-COMTÉ 


Par M. Charles THURIET. 


Séance publique du 18 décembre 1873. 


Par cette expression de Traditions populaires, on doit en- 
tendre d’abord les légendes miraculeuses, ces « harmonies de 
la religion et de la nature, » comme les appelle Chateau- 
briand, où la foi et la poésie chrétienne se confondent dans 
une union si intime, que l'Eglise ne saurait ni les avouer ni 
les proscrire d'une manière absolue ; ensuite les chroniques 
merveilleuses des époques chevaleresques et guerrières, récits 
en dehors de l’histoire, où figurent cependant des person- 
nages historiques, avec les vices ou les vertus qui les caracté- 
risent aux yeux du peuple, sortes de broderies variées à l’in- 
fini, sur un canevas quelquefois réel et quelquefois supposé ; 
enfin les contes populaires, plus nombreux encore, que la fan- 
taisie, l'erreur ou la superstition paraissent avoir enfantés. 

Prises ainsi dans leur ensemble, les Traditions populaires 
sont en quelque sorte l'histoire pittoresque et poétique d'une 
contrée, non-seulement celle des faits mémorables qui s'y 
sont accomplis, mais encore celle des mœurs, des usages et 
des croyances du peuple dont elles représentent, avec une 
fidélité parfaite, la physionomie morale, le caractère particu- 
ler et distinctif. Ainsi l’on peut juger de la vivacité de la foi 


dans une province par l'examen attentif de ses traditions reli- 
20. 


— 310 — 


sieuses; on peut apprécier son patriotisme par les traditions 
qui tiennent à ses origines et à ses exploits militaires; on 
peut enfin se rendre compte de ses aptitudes poétiques par la 
variété même des récits fabuleux qui sont les fruits spontanés 
de son imagination ou de sa verve caustique. 

Les Séquanes, nos ancêtres, ne nous ont laissé aucun mo- 
nument écrit de leur littérature. Cependant chaque peuple a 
eu la sienne, et l’histoire nous redit depuis deux mille ans 
que les poètes de la nation gauloise en étaient à la fois les prê- 
tres, les législateurs et les historiens. Où retrouverons-nous 
les traces de cette littérature sans livres de nos pères, si ce 
n’est dans ces traditions mythologiques qui sont parvenues 
jusqu’à nous, et qui n'ont absolument rien de commun avec 
la mythologie des Grecs et des Romains ? D'où viendrait ce 
goût inné et persistant de nos campagnards pour les histoires 
merveilleuses, pour les contes satiriques qu'ils composent 
eux-mêmes, malgré leur ignorance des premières règles de 
l’art, si ce n’est d’une prédisposition originelle, d’un instinct 
poétique héréditaire ? 

A plus d'un point de vue, la recherche et l'étude de nos 
traditions doivent donc paraître utiles et intéressantes. 

Les éléments de cette curieuse étude sont beaucoup plus 
multipliés qu'on ne pourrait le croire au premier abord. Ils 
se présentent en foule au chercheur qui daigne s’en soucier. 
On les trouve dans les ruines de ces vieux châteaux dont la 
féodalité avait, pour ainsi dire, hérissé la cime de nos mon- 
tagnes; dans les enceintes aujourd’hui désertes de ces anti- 
ques monastères auxquels notre province doit la plupart de 
ses défrichements et la première instruction de ses habitants ; 
dans ces grottes profondes que la nature a creusées dans 
notre sol, pour servir de refuge au peuple dans les temps de 
calamités. Il n’est presque pas de fontaine, de lac, de rocher, 
d'oratoire, dans notre province, qui n’ait sa tradition. Les 
forêts, les prairies, les rivières ont aussi les leurs, où figurent 
les Dames blanches, les Dames vertes, les Follets, les Vouivres 


Pr ne. 
SR 


— 311 — 


et les Fées. Cet arbre séculaire, dont les vents ont déchiré les 
rameaux, dont la foudre a plus d’une fois brisé la cime et 
dont la cognée du bücheron n’a pu encore entamer le cœur, 
ne l'appelle-t-on pas l’Arbre des sorciers ? N'est-ce pas sur 
cette pelouse aride et inculte, dans cette clairière sauvage et 
désolée, que se tenait jadis le sabbat et que se jouaient à mi- 
nuit, le jeudi de chaque semaine, des scènes prétendues in- 
fernales (1) ? N’avez-vous pas rencontré quelquefois, dans vos 
voyages, un pont rustique jeté audacieusement sur un 
abîme, entre deux rocs gigantesques, et ne vous a-t-0n pas 
dit, quand vous le traversiez en tremblant, que ce pont était 
le Pont du Diable ? 

Les chemins de fer n’ont encore point de traditions ; mais 
nos anciennes routes, à présent délaissées par le voyageur, 
en avaient presque autant que de bornes kilométriques. Le 
grandvalier les savait, etil était rare que, dans une diligence, 
il ne se trouvât personne pour les apprendre à ceux qui pou- 
vaient les ignorer. 

On n'allait guère autrefois de Dole à Montbéliard sans 
ouïr conter, chemin faisant, la tradition du Pas de Roland, 
ou celle de Frédéric Barberousse attendant dans sa grotte. 
comme ailleurs Charlemagne, que sa barbe ait fait trois fois 
le tour d'une immense table de pierre, pour reparaïtre dans 
ce monde et l'étonner encore par de nouveaux prodiges. 

On ne passait pas Rochefort sans recueillir la tradition de 


(1) « J'ai estimé autrefois, dit Bocuer dans son livre intitulé Discours 
des sorciers (chap. xx), que le sabbat se tenoit seulement la nuit du 
jeudi, parce que tous les sorciers que j'ai vus, du moins la plupart, l’ont 
ainsi rapporté; mais depuis que j'ai lu que quelques-uns de la même 
secte ont confessé qu'ils s'assembloient, les uns la nuit du lundi au 
mardi, les autres la nuit du vendredi au samedi, les autres encore la 
nuit qui précède le jeudi ou le dimanche, j'ai de là conclu qu'il n'y 
avoit point de jour certain et assuré pour le sabbat, et que les sorciers 
y vont toutes et quantes fois qu'il plaît à leur maitre, encore qu'il n'y 
a point de doute que le jeudi ne soit le jour le plus commun pour ce 


regard, » 


— 312 — 


cette jeune fille qui, poursuivie par des soldats, se précipita 


dans le Doubs, du haut d’un rocher, en se recommandant à 
la Vierge, et qui tomba miraculeusement, sans se faire aucun 
mal, sur le gazon de la prairie voisine. | 

Après l'histoire du Saut de la Pucelle, venait celle de la 
fontaine de Châtenois, qui rajeunissait les femmes, à la con- 
dition qu’elles eussent été fidèles un an et un jour à leurs 
maris; celle des Rois mages d’Etrabonne et de la source salu- 
taire dont ils dotèrent ce pays. Puis arrivait celle de Montfer- 
rand, où l’on disait qu’un prêtre, mort depuis vingt ans, sor- 
tait chaque nuit de son tombeau, pour chercher un vivant 
disposé à servir sa messe, une messe qu'il avait autrefois omis 
de dire à l'intention d’un trépassé ! 

A Grandfontaine, on rappelait que saint Germain, ayant 
été décapité en ce lieu par les hérétiques, recut sa tête entre 
ses bras et se dirigea, sous la conduite des anges, jusqu'aux 
portes de l'abbaye de Baume. 

Près d'Avanne, on montrait la Male-Combe, où, par le fait 
d'une trahison diabolique, les citoyens de Besancon essuyè- 
rent une sanglante défaite. 

Au sommet de Rognon, on signalait la place d’une forte- 
ressse archiépiscopale, dite de Rosemont, que le peuple de la 
cité ne voulut souffrir, et qu'il détruisit de fond en comble, 
trois jours après son achèvement. 

D'un autre côté, c'était la Grotte des apôtres de Besançon, 
que l’on indiquait en racontant, entre autres faits miracu- 
leux, l’histoire de la Mauve fleurie que la sœur de Grégoire de 
Tours y trouva et dont la vertu rendit la vie à son époux. 

On ne pouvait sortir de Besançon sans avoir recueilli à 
pleines mains les traditions populaires qui y abondent: entre 
autres celles de Jacquemard et des Boussebots, de Barbizier et 
de la Place Labourey; puis celles de la Femme sans tête, du 
Confitemini, des Rancenières, de la Combe de l’homme mort 
dans la forût de Chaïlluz, des Fées de la roche de Palente, de la 
Dame verte de Thise, de Notre-Dame d’Aigremont, du Saut 


— 313 — 


de Gamache, du Chêne-marié et du Fauteuil de Gargantua. 

Combien d'autres histoires populaires je vous rappellerais 
encore, sans m'éloigner de la grand'route ! Nous les trouve- 
rions par centaines, si nous avions le temps de pénétrer dans 
la vallée de la Loue, depuis le Val-d’Amour à Saint-Gorgon; 
dans la vallée du Cusancin, depuis la Grotte de la Fächée à la 
Fontaine de l'Ermite; dans la vallée du Dessoubre, depuis 
Saint-Hippolyte jusqu'à Consolation, à la Roche du Prêtre et 
au pays de Vennes ; dans la vallée haute du Doubs, depuis 
la Grotte du roi de Prusse, sur le lac de Chaiïllexon, à l’Ora- 
toire de Sainte-Colombe, sur les bords du lac Saint-Point. 

Dans le Jura, nous aurions à faire une aussi riche mois- 
son, soit en nous approchant du château de Parthey, fa- 
meux dans nos traditions par les esprits divers qui y appa- 
raissent durant la nuit; soit en pénétrant dans la forêt de 
Mont-Saint, lieu redouté, où l’on ne se hasarde guère à des 
heures tardives, parce qu’il est réputé pour être un rendez- 
vous de revenants et un théâtre effrayant d’apparitions noc- 
turnes. 

À Poligny, on nous raconterait l’histoire de la Pierre qui 
vire et celle de la Fontaine de Sainte-Colette ; à Salins, la lé- 


* gende du Prieur et celle de Saint-Anatoile ; à Nozeroy, sur 


les bords de la Serpentine, on nous redirait la légende de 
Notre-Dame de Miéges, et nous voudrions relire ensemble, 
dans Charles Nodier, la légende de Béatrix et de Notre-Dame 
des épines fleuries, alors même que nous la saurions par 
cœur. 

Au bord du lac de Bonlieu, sur le rocher où fut bâti le chà- 
teau de l’Aïgle, nous évoquerions le souvenir de ces douze 
Vaudrey, dont le coup de lance était si redoutable, la devise 
si hautaine et si digne de leur courage : J'ai Vallu, Vaux et 
Vaudrey. 

Non loin d’Arinthod, entre les vallées de l'Ain et de la Va- 
louse, nous entendrions parler des Dames de Pierre où d’Oli- 
lerne ; et si nous paraissions curieux de savoir ce que rap- 

20. 


L 1 


* 


— 914 — s 
porte à ce sujet la tradition, quelqu'un nous dirait: « L'an- 
cien seigneur d'Oliferne était un- des personnages les plus . 
puissants de son époque. Son pouvoir balançait celui du roi 
de France. Il était aussi haut que son manoir, ce qui veut 
dire qu'il était aussi orgueilleux que son château était élevé. 
Un envoyé du monarque lui apporte un jour une déclaration 
de guerre. « Allez dire à votre maïtre, répond le seigneur 

°» d'Oliferne, qu'il ne croît pas assez de foin dans tout son 
» royaume pour remplir les fossés de mon château.» Attaqué 
d’abord par la force, le fier baron resta vainqueur; il eut en- 
suite à se défendre contre la ruse : des émissaires apostés le 
guettèrent pour le surprendre pendant son sommeil. Se dou- 
tant bien de l’espionnage, que fit le rusé seigneur ? Partout 
où il allait passer la nuit, il arrivait sur un cheval ferré à re- 
bours, de manière à faire croire qu'il était parti de ce lieu 
pour se retirer dans une autre direction. A la fin, cependant, 
le roi se rendit maître de la formidable forteresse. Le sei- 
gneur s'échappa sans doute ; mais ses trois filles, saisies dans 
leur refuge, payèrent de leur vie la résistance du père. Le 
roi les fit périr par le supplice de Régulus. On les enferma 
dans un tonneau garni intérieurement de pointes de clous, et 
on lança ce tonneau sur la pente de la montagne; il roula 
jusqu'au fond de la vallée, et la rivière de l'Aïn le recut dans 
ses flots. La pitié du peuple, qu'émut cette triste aventure, 
imagina une métamorphose en l'honneur des victimes. On 
montre en effet, sur la rive opposée à Oliferne, trois pointes 
de rocher, d'inégales hauteurs, qui se nomment les trois Da- 
mettes. La tradition ajoute que les âmes toutes filiales des 
Damettes d'Oliferne n’ont pu se décider à se rendre où vont 
toutes les âmes, et qu'elles sont toujours errantes et plain- 
tives parmi les ruines de leur antique manoir. » 

On pourrait penser que la Haute-Saône est moins riche 
que le Doubs et le Jura en traditions populaires. La vérité 
est peut-être qu’elles y ont été moins cherchées que dans le 
Jura et dans le Doubs; mais ce n'est pas une raison pour 


F 


— 315 — 
croire que la récolte doive être nulle dans le bassin de la 
Saône. 

N’avons-nous pas, en effet, à Autrey, la célèbre histoire 
de Gabrielle de Vergy, qui, avant d'épouser le sire de Fayel, 
avait aimé Raoul de Coucy, ce noble ménestrel à la fière de- 
vise : Je ne suis roy, ne duc, prince, ne comte aussi; je suis le 
sire de Coucy ? Raoul désespéré partit pour la croisade, et 
reçut dans le combat une blessure mortelle. « Quand mon 
cœur aura cessé de battre, dit-il à son écuyer, tu le prendras 
dans ma poitrine, et tu le porteras à Gabrielle. » On sait que 
le mari de Gabrielle, auquel fut remis le cœur du chevalier 
amoureux, en fit préparer un mets qu'il offrit à sa femme. 
Informée qu'elle venait de manger le cœur de Raoul, Ga- 
brielle refusa dès lors toute autre nourriture; elle mourut 
peu de jours après, moins de faim que d'amour. 

N'avons-nous pas encore à Champlitte la tradition de son 
château défendu par une vaillante femme, en mémoire de 
laquelle la porte nord-est du manoir recut et garda le nom de 
Claudine ? 

Au château d'Oiselay, n'est-ce pas encore une femme que 
la tradition nous montre sur la brèche, arrachant une halle- 
barde des mains d'un officier ennemi, le tuant et taillant en 
pièces des soldats étonnés de rencontrer dans une femme un 
tel héroïsme ? 

Après Jeanne d'Oiselay, nous trouverons, à Ray ou à 
Beaujeu, l’histoire populaire de cette jeune châtelaine qui, 
attaquée dans son manoir par des prétendants indignes de 
son cœur et de sa main, se précipita du haut d'une tour qui, 
en mémoire de cette mort tragique, recut le nom de Tour de 
Rose ou de Tour d'Amour. 

A Colombin, près de la source de la Charsenne, nous re- 
cueillerons de la bouche du peuple une précieuse tradition 
qui, venant heureusement suppléer à l'insuffisance des textes 
historiques, nous révélera en,ce lieu le passage de Jules César 
et y fixera la place d'une grande bataille. 


L 


— 316 — 

N'avons-nous pas, à Vesoul, la tradition de cette montagne 
qu’un druide nomma le Tombeau du soleil ? l'histoire de cette 
vigne fameuse que le roi avait promis de donner aux gens 
qui, après un an de mariage, ne se seraient jamais repentis 
de s'être mariés, et qui, dit-on, n'a pu être encore obtenue 
par personne ? le récit de ce débordement miraculeux du 
Frais-Puits, qui, en 1557, obligea fortuitement Polviler à 
lever le siége de la ville, en abandonnant aux Vésuliens 
échelles, artillerie, tambours et bagages, « voire, chose incré- 
dible entre les Allemands, dit Gollut, les bouteilles mêmes et 
Les barils remplis de vin ? » 

A Chariez, on pourra nous montrer la Pierre tournole ; à 
Montaigu, on nous entretiendra des apparitions de la Dame 
blanche du château; à Faverney, on nous édifiera par le récit 
du Miracle de la Sainte-Hostie (1), et à Menoux, par la légende 
de Berthaire et d'Athalaire ; à Rupt, on nous scandalisera 
peut-être un peu en nous contant les amours de la Dame verte 
et du Moine rouge; mais à Chauvirey, le sort de tanfortanes 
Béatrix nous arrachera des larmes de pitié. 

À Faucogney, enfin, nous voudrons savoir ce que l’on dit 
encore de ces douze Fées des Vosges, qui ont leur demeure sur 
le plateau de la montagne nommée la Planche aux belles 
Filles. Nous voudrons surtout savoir si la Planche aux belles 
Filles ne nous a pas été ravie pour être comprise dans les ter- 
ritoires annexés à la Prusse. Notre cœur battra d’aise en- 
core quand nous saurons que les Belles Filles sont restées 
françaises ! 

Je n'ai fait avec vous, messieurs, qu'une excursion bien 


(1) Un critique a blâmé l’auteur de ce morceau d'avoir mis au rang 
des Traditions populaires le récit du miracle de Faverney, parce qu'il 
est admis comme vérité historique par l'Eglise. Mais il faut observer que 
l'imagination du peuple a singulièrement ajouté à la relation des témoins 
oculaires de l'incendie de Faverney,fet que plus d’une version non écrite 
de cet événement merveilleux peut à bon droit rentrer dans le cadre de 
nos légendes. 


é — 317 — 


rapide et bien insuffisante dans le vaste domaine de nos tra- 
ditions franc-comtoises. J’abuserais de votre attention si j'es- 
sayais aujourd'hui de mettre en lumière les lois suivant les- 
quelles se forment les traditions populaires, et si j'entre- 
prenais de vous montrer, par une série d'exemples empruntés 
à différents lieux et à différentes époques, de quelle manière 
j'estime que l'on doit s’y prendre pour cueillir d’une main 
lésère ces fleurs sauvages des ruines et faire bénéficier l'his- 
toire de leur parfum. Je me bornerai à vous rappeler som- 
mairement ce qui à été fait jusqu à ce jour pour sauver de 
l'oubli quelques-uns de ces récits d'autrefois, et à vous indi- 
quer ce quil me paraît opportun de faire encore dans le 
même but. 

Longtemps les traditions populaires des diverses contrées 
de l’Europe demeurèrent l'amusement de la veillée des chau- 
mières; elles n’eurent, pendant des siècles, d’autres conser- 
vateurs que la mémoire des hommes, la sensibilité des 
femmes et la crédulité des enfants. 

Enfin, au commencement de notre siècle, les frères Grimm, 
après de longues et laborieuses recherches, publièrent les 
Traditions de l'Allemagne. Leur exemple fut suivi presque 
dans tout le nord, comme en Angleterre, en Suisse et dans 
les Pays-Bas. On ne songea que plus tard à entreprendre 
chez nous ce genre de recherches. 

« Hâtons-nous cependant, disait Charles Nodier, demain 
peut-être il sera trop tard... Hâtons-nous d'écouter les déli- 
cieuses histoires du peuple, avant qu'il les ait oubliées, avant 
qu'il en ait rougi, et que sa chaste poésie, honteuse d’être nue, 
se soit couverte d’un voile, comme Eve exilée du paradis. » 

Trois fois, de 1834 à 1838, l'Académie de Besancon mit au 
concours le sujet suivant : « Recueillir les traditions de La 
Franche-Comté ; signaler les événements auxquels elles peuvent 
se rattacher, ainsi que les traits de mœurs locales qui y corres- 
pondent ; enfin, indiquer le parti qu'on en pourrait tirer, soit 
pour l'histoire, soit pour la poésie. » 


— 318 — 


Deux Francs-Comtois, Désiré Monnier et Clovis Guyor- 
naud, répondirent seuls à cet appel ; ils présentèrent succes- 
sivement deux recueils incomplets, quoique volumineux. On 
reprocha au premier d'avoir en quelque sorte dénaturé celles 
de nos traditions qu’il avait pu recueillir, en voulant les rat- 
tacher systématiquement aux croyances de l'antiquité asia- 
tique et romaine. On fit un grief au second, tout en tenant 
compte du patriotisme sincère qui anime son travail, de ne 
s'être pas appliqué à reproduire nos traditions dans leur forme 
originale, et d'avoir trop lâché la bride à son inspiration per- 
sonnelle. 

C'est une grave erreur de croire que l'on peut fabriquer 
de la poésie populaire. Il faut, au contraire, respecter dans 
les traditions jusqu'aux moindres détails, et se contenter d'en 
Ôtre le scrupuleux collecteur. 

Auguste Demesmay, qui eut le tort de traduire en vers 
médiocres un certain nombre de nos traditions, au lieu de se 
borner à les reproduire dans leur simplicité native, aimsi 
qu'il le conseillait si justement aux autres, commit une faute 
plus grave encore, en donnant comme franc-comtoises plu- 
sieurs légendes de provenance étrangère. 

Malgré les tentatives qui ont été faites jusqu à présent dans 
notre province, nous ne possédons pas encore le Recueil des 
traditions populaires de la Franche-Comté. Ce livre .ne pourra 
résulter que d’un travail long et minutieux, accompli en 
quelque sorte par le concours de tout le monde; car, 1l faut 
bien le dire, après M. Xavier Marmier, les traditions d’une 
province ne sont pas l’œuvre d’un seul homme, ni même 
d'un seul âge : elles sont l'œuvre de tout un peuple, l'œuvre 
successive et craduelle de plusieurs générations. Un seul 
homme ne parviendrait jamais à les réunir toutes. Beaucoup 
sont encore inédites; un grand nombre sont disséminées 
dans une foule de livres, de brochures et de journaux. 

Dans la retraite où je suis confiné, je ne saurais employer 
plus agréablement mes loisirs qu'à colliger des tradi- 


Nat” 


— 319 — 


tions. J'en ai réuni jusqu'à ce jour plus de 350. Nombre de 
personnes m'ont aidé dans ce travail, et je viens ici faire 
appel à tous ceux qui pourraient me seconder encore. Ils 
coopéreront ainsi à :a création d’un livre intéressant et utile, 
qui, sous le titre de Traditions franc-comtoises, sera l'œuvre 
de notre pays. | 


EXEMPLES DE TRADITIONS POPULAIRES. 


I 
Le Géant de ia Pierre qui vire, à Poligny. 


Voici l’histoire de cette fameuse Pierre qui vire (1) du Mont 
Saint-Savin, près de Poligny. 
_ On dit qu'autrefois un géant de la contrée, joli garcon, 
mais assez mauvais sujet d'ailleurs, guettait dans les bois une 
jeune bergère de-Pläne ou Barrataine, dont il était épris. Un 
soir il la surprit seule et s’avisa de la poursuivre dans la côte. 
La pauvre enfant s'enfuit à toutes jambes à La vue de ce beau 
monstre. Dans sa perplexité, elle recourut à l'intervention 
divine et se vit sur le champ exaucée. Au moment où le 
maudit colosse allait atteindre sa proie, il se sentit arrêté 
debout sur une base de rocher, et se trouva changé lui-même 
en roc vif des pieds jusqu'à la tête. Depuis ce temps-là, il n’a 
pas quitté le poste où l'a fixé le châtiment du Ciel, et il ne lui 


(1) Il existe en Franche-Comté plusieurs accidents naturels du même 
genre : le Moine, à Mouthier-Haute-Pierre; Toum tâtre, à Cléron; la 
Pierre qui tourne, à Champey (canton d'Héricourt), l'Homme de pierre, 
sur la Valouse ; la Pierre tournole, à Chariez, etc. Chacune de ces pierres 
a son histoire particulière, que la tradition perpétue. 


— 320 —- 
est donné de se mouvoir sur lui-même qu’une fois tous les 
cent ans, à l'époque anniversaire de sa faute. 


Il 


La Tradition de Colombin (1). 


Autrefois la Charsenne avait un autre nom. 

On l’appelait Senne, et alors ce mot voulait dire de l’eau. 

Or, Jules César ayant remporté une grande victoire à Co- 
lombin, la terre fut trempée de sang jusqu'aux conduits sou- 
terrains de la source. 

Lorsque le général, mourant de soif, y accourut pour boire, 
le sang l’avait devancé. 

— « O Senne, pour cent lieues de pays dont tu seras reine, 
une goutte d’eau pure ! » x 

Mais la Senne continuait à vomir du sang. 

— « Pour mon empire qui s'étend aussi loin que le cours 
des fleuves et sur les îles de la mer! » 

La Senne vomissait toujours du sang. 

— « Pour mon nom, Ô Senne... Que la victoire m'aura 
coûté cher ! » 

— «de retiens ce mot, dit la Senne, je retiens ce mot qui 
fera durer le souvenir de ta visite. Va, tu ne me reverras 
plus ! » 

Dès lors la Senne a pris le nom de Chère-Senne. 

C'était au temps de nos ancôtres les Gaulois. Maintenant 
les arbres ne veulent plus croître sur Colombin, et les 
bruyères qui y poussent sont marquées de sang. 


(1) Cette légende, publiée pour la première fois par M. J. QuicHerar, 
dans sa Conclusion pour Alaïse (p. 41), a été reproduite par M. A. DELA- 
croIx, dans Alaïse et Séquanie (p. 142), et par M. A. Casran, dans ses 
Préliminaires du siége d'Alesia (Mém. de la Soc. d' Em. du Doubs, 3° série, 
t. IX, 1804, pp. 397-398). 


HN 


III 


Le Collier de larmes (1). 


Pierre de Scey-en-Varais partit un jour pour la guerre 
sainte, après de touchants adieux à sa jeune femme et à son 
enfant. Dans une bataille, il est fait prisonnier, et son vain- 
queur le jette dans une prison humide, en exigeant pour sa 
rançon une somme exorbitante. Un an lui est accordé pour 
payer ou mourir. Payer ?.. le pauvre prisonnier n'y songe 
même pas. Il se résigne à son sort et écrit à sa femme pour 
lui faire ses derniers adieux. Quand ce triste message arrive 
au pays, un incendie vient de dévorer le château de Scey, et, 
pour comble de maux, la disette régne dans la contrée. La 
dame de Scey se trouve sans asile et sans ressources ; mais 
son amour la soutient. « Si Monseigneur doit mourir, dit- 
elle, il faut au moins que ce soit près des siens. » Elle part 
donc, emportant avec elle son enfant. Guidée par la sainte 
Vierge, dont elle avait imploré l'appui, elle arrive, mais les 
mains vides. On ne lui permet même pas de voir son époux. 
Cependant Pierre de Scey doit mourir le lendemain. Dans 
ce péril extrême, la Vierge apparaît la nuit à sa protégée ; 
elle lui remet un collier à trois rangs de perles, d’une valeur 
inestimable. « Ces perles, lui dit la Vierge, ce sont les pleurs 
que vous avez versés au pied de mes autels. » Voilà la rançon 
trouvée et la délivrance du captif obtenue. Il paraît même 
que le vainqueur se contenta de quelques-unes des perles ; 
car le seigneur de Scey, de retour dans ses domaines, y ré- 
pandit de grandes-largesses, et lorsqu'il déposa ensuite dans 
l'église de l’abbaye de Buillon, qu'il avait réparée et enrichie, 
le merveilleux collier renfermé dans un reliquaire, il n’y 


(1) Ce charmant récit a été mis en vers par notre regretté poète Ale- 
xandre DE SAINT-JuAN (1862). 


21 


HE 


manquait encore que deux rangs de perles. Un vieil abbé de 

Buiïllon, montrant plus tard ce trésor aux Curieux visiteurs 

de son monastère, disait : Voilà ce qui reste des larmes de la 
dame de Scey ! 


IV 


… 


Charles le Téméraire et le Fantôme du guerrier de Morat. 


Après les sanglantes journées de Grandson et de Morat, 
Charles le Téméraire se replia sur la Franche-Comté, et vint 
camper à la Rivière, bourg fortifié au pied du Laveron. Re- 
tranché dans le camp dont il avait entouré cette petite place, 
Charles y rassemblait les débris de son armée et enregimen- 
tait de nouveaux soldats, afin de tirer vengeance de ses en- 
nemis. Mélancolique et solitaire, il restait des journées en- 
tières sans parler à personne. Un soir qu’il combinait des 
plans d'attaque et de défense, un homme blême lui apparaît 
et lui dit : « Charles, ton étoile pälit! renonce à la guerre 
et songe à Dieu ! » Le duc saisit son épée pour punir celui 
qui avait parlé de la sorte. Il lui porte trois coups vigou- 
reux; mais le fer de son arme ne fend que l'air vif des mon- 
tagnes. Le fantôme lui crie alors d'une voix terrible : « Ta 
colère est inutile; j'ai laissé mes os sur le champ de bataille 
de Morat, et mon ombre va t'attendre sous les murs de 
Nancy. » On sait qu'à quelque temps de là, Charles le Té- 
maire, ayant porté la guerre en Lorraine, trouva la mort 
devant Nancy. 


V 


Le Chdteau dans la Roche, à Nans. 


A l’est du village de Nans ,/près de Cuse, il existe une 
roche perpendiculaire, au flanc de laquelle, en 1848, M. le 
marquis de Moustier a fait restaurer une vieille forteresse 


à à 
LE 


— 323 — 

des plus singulières, consistant dans une caverne que la na- 
ture a pratiquée au milieu même du rocher. Pour y par- 
venir, il faut se servir d’échelles d’une longueur démesurée, 
ou s’y faire descendre par des cordes du haut de la mon- 
tagne. Une fois les échelles et les cordes enlevées, il n'y a 
plus aucune communication possible avec le reste du monde. 
Une forteresse du même genre, connue sous le nom de 
Chiuze (Kiousé), était signalée autrefois, comme une cu- 
riosité, aux environs de Bassano. On raconte qu’en 1475, lors 
de l'invasion des Suisses dans notre pays (d’autres disent lors 
de celle des Suédois, d’autres encore lors de celle des Sarra- 
zins), les habitants de Nans se réfugièrent dans leur rocher 
avec une quantité considérable de provisions. L’ennemi, qui 
trouva le village déserté, y mit le feu, et ne tarda pas à con- 
naître le lieu où les habitants s'étaient retirés. Mais jugeant 
leur retraite inexpugnable, il ne songea qu'à les réduire par 
la faim et la soif. « Vous avez emporté là-haut votre bon 
vin (1), criaient les soldats du fond de la vallée ; mais quand 
vous l'aurez bu entièrement, il faudra bien que vous vous 
rendiez. » Pour toute réponse, les habitants de la grotte jetè- 
rent des seaux d'eau sur la tête des soldats. Ceux-ci compri- 
rent alors que dans la caverne il y avait une fontaine, et que 
les réfugiés y pourraient vivre indéfiniment. On dit qu’en 
désespoir de cause, ils s’éloignèrent et ne reparurent plus. 

À Gondenans-les-Moulins, la même tradition existe au 
sujet des Suédois et de la grotte qui se trouve au-dessus de 
ce village, dans le flanc escarpé du mont Pizolet (?). 

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en 1475, Nans et Gonde- 
nans devinrent inhabités, comme conséquence de l'invasion 
des Suisses. 


(1) Les vins blancs de Nans jouissent d’une certaine réputation. 

(2) Cette grotte du mont Pizolet, près de Gondenans-les-Moulins , est 
surtout remarquable par la quantité prodigieuse d'ossements d'animaux 
carnivores, notamment de l'ours dit des cavernes, que les zoologistes y 
ont découverts. 


— 324 — 


VI 


Une Gageure de maçons. 


Au pied de la montagne où les sires de Montmartin avaient 
leur château-fort, il existait, au moyen âge, dans l’emplace- 
ment actuel du village d'Huanne, un couvent de moines 
rouges. La chapelle du couvent, sous le vocable de saint 
Jean l'Evangéliste, sert aujourd’hui d'église paroissiale à six 
communes. Quand un étranger est conduit à la messe par un 
paroissien d'Huanne, celui-ci ne manque pas de lui faire 
remarquer une grosse pierre saillante et arrondie, que l’on 
aperçoit extérieurement, à une hauteur d'environ vingt mè- 
tres, contre la tourelle ronde qui flanque au nord le clocher 
de l’église. Cette pierre a son histoire. Lorsqu'on bâtissait le 
clocher d'Huanne, on construisait aussi le clocher de Rouge- 
mont. Ce dernier s'élevait déjà à plusieurs mètres du sol, que 
les fondations du clocher d'Huanne n'étaient pas encore ter- 
minées. Les constructeurs de ces deux édifices étaient jaloux 
et présomptueux. Ils se vantaient réciproquement de travail- 
ler vite, et ils convinrent entre eux que ceux qui atteindraient 
les premiers une certaine élévation placeraient à cette hauteur 
un objet ridicule pour faire honte aux autres. Ceux de Rou- 
gemont croyaient bien gagner la partie; mais ceux d’'Huanne 
parvinrent les premiers à la hauteur convenue, et ils y pla- 
cèrent, en regard de Rougemont, cette pierre qui affecte gros- 
sièrement la forme d’un des muscles postérieurs du corps hu- 
main. 


LE JURA FRANC-COMTOIS 


ETUDES GÉOLOGIQUES 


SERGE TORRES 


CONSIDÉRÉ PRINCIPALEMENT 


DANS SA PARTIE NORD-OCCIDENTALE 


PAR 


M. ALEXANDRE VÉZIAN 


PROFESSEUR À LA FACULTÉ DES SCIENCES DE BESANÇON 


“ 


A4 4 NE res 


\ 


DEUXIÈME ÉTUDE 


: STRUCTURE INTÉRIEURE 


ET 


CONFIGURATION GÉNÉRALE DU JURA 


DEUXIÈME ÉTUDE 


STRUCTURE INTÉRIEURE 


ET 


CONFIGURATION GÉNÉRALE DU JURA 


CHAPITRE I 


CARACTÈRES DISTINCTIFS DU JURA CONSIDÉRÉ COMME MASSIF 
MONTAGNEUX. — SA FORME GÉNÉRALE, 


Limites du Jura ; sa forme arquée; sa configuration géné- 
rale. — Le Jura, avons-nous dit dans la première Etude, se 
sépare très nettement des régions basses qui l’avoisinent. Le 
voyageur qui s'éloigne de l'Alsace, de la Suisse ou de la 
vallée de la Saône, pour pénétrer dans le massif jurassien, 
voit des changements brusques se produire autour de lui et 
affecter l'allure des strates, la composition du sol, la configu- 
ration du pays, l'aspect de la végétation et même le caractère 
des habitants. Ces changements se traduisent dans la nature 
des terrains. Aussi peut-on tracer facilement sur une carte 
les lignes qui séparent le Jura des fégions environnantes. Ces 
lignes ne sont autres que celles qui se placent entre le terrain 
jurassique de celte contrée et les terrains tertiaire et quater- 
naire des régions limitrophes. 

Le Jura semble moins nettement limité sur les points où 
il se soude aux massifs montagneux voisins; mais des lignes 


22 


— 330 — 


Hate 
de démarcation sont alors indiquées par des changements 
dans la constitution géognostique du point où l’on se trouve, 
changements s’effectuant de telle sorte que le terrain juras- 
sique, au lieu de disparaître sous les formations plus récentes, 
cesse en réalité et laisse les terrains plus anciens que lui se 
dégager de dessous la nappe qu’il constitue. C'est ainsi qu'il 
est permis d'admettre que sa partie septentrionale est séparée 
du Schwarzwald et des Vosges par la ligne qui se dirige entre 
le lias et le terrain triasique. 

Vers le sud, le noxd-est et le nord-ouest, le terrain juras- 
sique ne subit aucune interruption réelle ou apparente; il ne 
disparaît pas sous les terrains plus récents ; il ne cesse pas 
brusquement contre des formations plus anciennes ; mais des 
lignes de démarcation sont alors fournies par les cours d'eau. 
La partie méridionale du Jura se trouve ainsi séparée, par le 
Rhône, du massif de la Grande-Chartreuse et de la partie 
basse des Alpes savoisiennes qui lui ressemblent beaucoup 
par leur constitution géognostique : aussi Thurmann com- 
prenait-il dans le Jura la partie de la Savoie et du Dauphiné 
où se montrent les terrains jurassique et crétacé. Vers le 
nord-est, c’est le Rhin qui sépare le Jura de l’Albe du Wur- 
temberg. Enfin, nous avons été conduit à considérer la rivière 
de l’'Ognon comme marquant, dans la partie de son cours 
comprise entre Villersexel et Marnay, la ligne de partage entre 
le Jura et la zone de terrain jurassique qui, après avoir tra- 
versé le département de la Haute-Saône, se prolonge vers le 
plateau de Langres et la Côte-d'Or. 

Le Jura, délimité ainsi que nous venons de le faire, a la 
forme d'un croissant dont la concavité est tournée vers les 
Alpes. La corde des deux arcs qui dessinent le croissant a une 
longueur de 300 kilomètres environ, lorsqu'on la représente 
par une ligne menée de Kaisersthul (Argovie), sur la rive 
gauche du Rhin, à Cordon, au point où le Rhône recoit le 
Guier et change brusquement de direction. Le milieu de cette 
ligne se trouve à peu près à 15 kilomètres à l’est de Mondon, 


L'on e Were 


en Suisse. Une perpendiculaire élevée sur cette ligne par le 
point qui la divise en deux parties égales, passe un peu à l'est 


‘de Besancon et va rencontrer l’Ognon {limite du Jura) un peu 


en amont de Marnay. Sa longueur, mesurée entre son point 
de départ et celui où elle rencontre l'Ognon, nous donne celle 
de la flèche de l'arc jurassien extérieur; elle est de 116 kilo- 
mètres environ. La flèche de courbure de l'arc intérieur, 
(mesurée par la partie de la perpendiculaire que nous venons 
de tracer comprise entre le pied de cette perpendiculaire et le 
point où elle atteint la rive occidentale du lac de Neuchâtel, 
près d’'Yverdon,) a près de 30 kilomètres de longueur. La dif- 
férence entre les flèches des deux arcs est de 86 kilomètres ; 
telle est à peu près la plus grande largeur du Jura. Le rayon 
du cercle auquel appartient l'arc intérieur a 166 kilomètres 
de longueur ; le centre de ce cercle tombe à 10 kilomètres 
environ au nord-est de Sion, dans le Valais. 

Le Jura peut être comparé à un plan doublement incliné 
vers le nord et vers l’ouest, de sorte qu’il montre toujours sa 
face abrupte vers le massif alpin. La forme du Jura, prise 
dans son ensemble, est celle d’une surface conique gauche. 
Mais cette surface présente un autre caractère résultant de ce 
que le Jura est divisible en deux zones, ainsi que je l’indi- 
querai à la fin de ce chapitre. D'après cette disposition, il 
faut se représenter la surface conique formée par le Jura 
comme étant engendrée, non par une seule ligne droite, mais 
par une ligne brisée composée de deux éléments rectilignes : 
l’un peu incliné par rapport à l'horizon et correspondant à la 
zone occidentale; l’autre, un peu plus redressé et COTES DOS 
dant à la zone orientale. 


Influence du massif alpin sur le Jura. — Nous venons de 
voir que l'arc jurassien est tourné vers les Alpes ; c'est égale- 
ment vers les Alpes que se relève la surface conique dessinée 
par le Jura, et c’est, avons-nous dit, un peu à l’est de Sion 
que serait placé l'axe du cône irrégulier correspondant à cette 


— 332 — 
surface. Cet axe s'élève ainsi entre les massifs du Saint-Go- 
thard, du Mont-Rose, du Mont-Blanc et du Finstern-Ahorn, 
c'est-à-dire vers le milieu de la partie des Alpes la plus rap- 
prochée du Jura. Ces deux circonstances sont en relation avec 
les déplacements auxquels ont obéi les forces intérieures qui 
se sont manifestées dans le bassin jurassien. 

En tenant compte des actions dynamiques dont le Jura a 
été le siége, on peut distinguer dans son histoire géologique 
deux périodes : l’une qui finit avec l’époque éocène et pen- 
dant laquelle le Jura a subi le contre-coup des actions dyna- 
miques qui se faisaient sentir dans la partie nord-occiden- 
tale du bassin jurassien, c’est-à-dire dans la zone comprise 
entre les Vosges et le Morvan; l’autre, commencant avec la 
période miocène, et pendant laquelle le Jura a été maintenu 
sous l'influence du massif alpin. C’est à cette influence que 
le Jura doit non seulement sa forme générale, mais aussi 
l’exhaussement de sa partie orientale. 

En quoi consiste cette influence exercée par le massif alpin 
sur le Jura? Nous ne saurions admettre, comme quelques 
géologues l'ont pensé, que cette influence ait été directe, en 
d’autres termes, que le massif alpin, en exerçant une pres- 
sion latérale autour de lui, ait pu déterminer, dans les strates 
jurassiennes, des dislocations et des plissements. Les actions 
dynamiques, qui ont imprimé au Jura son relief, ont eu dans 
les Alpes leur maximum d'énergie, mais non leur centre 
d'action. Elles se sont propagées au travers non de l'écorce 
terrestre, mais de la pyrosphère. Il s’est produit, dans la zone 
pyrosphérique, une agitation qui, des Alpes, s’est dirigée vers 
les régions voisines comme une onde gigantesque dont l'am- 
plitude allait en diminuant. 

Cette influence dynamique exercée par les Alpes s'est même 
étendue jusqu'aux Vosges, qui présentent également leur face 
abrupte vers le sud. Elle a atteint le plateau central de la 
France : celui-ci, comme le Jura, constitue un plan double- 
ment incliné vers le nord'et vers l'ouest, ainsi que l’indiquent 


— 333 — 


les cours d'eau qui sillonnent sa surface. Le plateau central, 
considéré dans sa partie orientale, se rattache à cet ensemble 
d'accidents topographiques qui comprend le Jura, les Vosges 
et la Forêt-Noire, et qui est disposé autour des Alpes comme 
les bords d'un cratère de soulèvement le sont par rapport à 
ce cratère. Ces accidents, tout à la fois stratigraphiques et 
topographiques, sont la reproduction sur une vaste surface 
de ceux qui s’observent autour du Mont-Blanc lui-même. On 
sait que le massif du Mont-Blanc est constitué par un noyau 
de terrain cristallin qui, en arrivant à la surface, à relevé 
autour de lui les strates dont se composent les montagnes 
voisines, telles que le Cramont, le Mont-Buet, la montagne 
des Fiz, etc. Celles-ci, dont l'altitude est bien inférieure à 
celle du Mont-Blanc, l'entourent et lui forment comme un 
cortége. 

Pourtant, l'influence exercée par le massif alpin tout au- 
tour de lui, dans un rayon assez étendu, ne doit pas nous 
faire perdre de vue l'existence d’un autre centre de commo- 
tion. Le plateau central se relève non seulement vers l’est, mais 
aussi vers le sud. Les Pyrénées présentent leur flanc le plus 
abrupte dans cette dernière direction. Les Alpes sont égale- 
ment plus fortement inclinées du côté du Piémont que du 
côté de la Savoie et du Dauphiné. 1 faut donc conclure de 
tous ces faits qu'au delà des Alpes et des Pyrénées se déve- 
loppe une région qui a joué, par rapport aux Pyrénées et aux 
Alpes, et sans doute aussi par rapport à toute l'Europe cen- 
trale et septentrionale, le rôle rempli par les Alpes elles-mêmes 
relativement au Jura. Le centre de commotion, auquel nous 
venons de faire allusion, est la région méditerranéenne, la 
contrée de l’Europe où, dans les derniers temps géologiques, 
les actions intérieures ont fonctionné avec le plus d'énergie 
et ont donné naissance aux phénomènes les plus variés. 


Structure d’une chaîne de montagnes ; divers axes qu'elle 
présente. — Les caractères distinctifs du Jura, considéré 


— 334 — 


comme massif montagneux, dépendent surtout de la manière 
dont son soulèvement s’est opéré. Avant de rechercher dans 
quelles conditions s’est effectué ce soulèvement, essayons de 
nous rendre compte des diverses circonstances qui accompa- 
&nent ordinairement la formation d’une chaîne de montagnes 
telle que celle des Pyrénées. Dans cette recherche, nous pren- 
drons pour point de départ cette hypothèse très naturelle : 
c'est qu'une chaîne de montagnes est la conséquence d’une 
impulsion de bas en haut se manifestant le long d'une ligne 
plus ou moins étendue. Un massif montagneux ainsi formé 
présente plusieurs axes : 

1° Un axe médian ou géographique, passant par le milieu de 
la région soulevée ; 

?o Un axe de soulèvement, ou ligne le long de laquelle l’ac- 
ion dynamique, cause du surgissement de la chaîne, s’est 
manifestée ou a présenté son maximum d'énergie ; 

3° Un axe éruptif, rattachant entre elles les masses érup- 
tives que cette action dynamique a poussées à la surface du 
globe ; 

4° Un axe stratigraphique, coïncidant avec la ligne centrale 
vers laquelle les strates soulevées se redressent de part et 
d'autre, en prenant une disposition semblable à celle des deux 

côtés d’un toit; 

5° Un axe géognostique, mis en évidence par les zones que 
les divers terrains dessinent en se coordonnant par rapport à 
cet axe. On voit alors les terrains les plus anciens occuper le 
centre de la région montagneuse et les autres terrains se dis- 
poser autour de la région centrale par ordre d'ancienneté ; 

6° Un axe orographique où hypsométrique, c'est-à-dire une 
ligne de plus grande altitude, rattachant entre eux les points 
culminants de la chaîne et marquant la zone de partage des 
eaux (1). 


(1) Ces axes se réduisent quelquefois à des points faisant fonction de 
centres géographique, de soulèvement, éruptif, stratigraphique, géognos- 


der TE: 
ue «0 


— 335 — 


Ces axes existent presque toujours d’une manière simulta- 
née. Ils pourraient même se ramener quelquefois à un seul; 
il en serait ainsi dans le cas où le soulèvement d'une chaîne 
de montagnes se serait effectué d’une manière régulière, et 
je dirai presque conforme à la théorie. Cette coïncidence n’est 
qu'accidentelle. La situation d’un seul de ces axes peut être 
indiquée à l'avance et ne saurait varier : c'est l’axe géogra- 
phique. L'emplacement des autres reste indéterminé. L’axe 
hypsométrique ou de plus grande altitude, par exemple, se 
dirige tantôt à droite, tantôt à gauche, soit de l'axe géogra- 
phique, soit de l'axe éruptif. Dans le massif du Mont-Blanc, 
le point culminant est situé à peu près dans la partie centrale 
de la masse éruptive ; mais les deux points culminants de la 
chaîne pyrénéenne, le pic Nethou et le Mont-Perdu, domi- 
nent les roches éruptives qui ont soulevé les strates dont ils 
se composent. 


Le Jura est un plateau et non une chaîne de montagnes.— 
L'idée de la structure d’une chaîne de montagnes, telle que 
nous venons de l’exprimer, est, avant tout, une conception 
théorique qui, ordinairement, ne se trouve réalisée que dans 
une certaine mesure. Il en résulte que toutes les chaînes de 
montagnes, bien que présentant dans leur structure des traits 
généraux communs, se distinguent les unes des autres par 
divers caractères, de sorte que l'unité de plan ne s'oppose pas 
à la variété infinie des détails. Mais, quelles que soïent les 
variations que l’on fasse subir à l'hypothèse que nous avons 
mise en œuvre, elle ne saurait s'appliquer au Jura, parce que 
le soulèvement de ce massif montagneux ne s'est pas opéré 


rs 


tique et hypsomélrique. Cette circonstance se présente lorsque, ainsi 
qu'on le constate pour le plateau central de la France, le bourrelet mon- 
tagneux, au lieu de s'allonger sous forme de chaîne, constitue un massif 
limité par des lignes plus ou moins concentriques. La force soulevante, 
au lieu de s'exercer le long d'une ligne droite, s'est manifestée sur un 
point central par rapport à la région soulevée. 


FA ob Le, D PROCESS 
. 


— 336 — 

dans les conditions qui viennent d’être indiquées. LeJura a été 
porté à la hauteur où il se trouve en vertu d’un mouvement 
d'ensemble pendant lequel les strates ont tendu à conserver 
leur situation relative, leur parallélisme, et peut-être aussi, 
dans une certaine mesure, leur horizontalité primitive. Les 
forces intérieures ne s'y sont pas manifestées de préférence 
le long d’une ligne droite ou courbe; elles se sont exercées à 
peu près avec la même énergie sur toute l'étendue du Jura. 
Il a pris ainsi la forme d’un plateau, dont l'allure régulière 
n’a pu être détruite par les accidents topographiques posté- 
rieurs à son premier soulèvement. 

Les figures 1, 2 et 3 ont pour objet de faire comprendre 
comment le soulèvement du Jura et celui des Pyrénées se 
sont opérés de deux manières différentes. 

La figure 1 correspond à l’état de choses antérieur au sou- 
lèvement d’un massif montagneux; elle représente une suc- 
cession de terrains à, b, c, d, ayant encore leur horizontalité 
primitive; ces terrains sont superposés à la zone granitique G. 

La figure ? est destinée à rendre compte de la nature du 
phénomène qui a déterminé le soulèvement des Pyrénées. 
Elle nous montre une force agissant de bas en haut, dans le 
sens de la flèche, et se manifestant tout le long de la partie 
centrale de la chaîne. Cette force a fonctionné avec assez d’é- 
nergie pour amener à la surface du sol le terrain granitique G. 
Les terrains 4, b, €, d, ont été rejetés à droite et à gauche; 
leurs strates ont perdu leur horizontalité et se sont relevées 
en dirigeant leur tranche vers le centre de la chaîne. 

La figure 3, qui concerne le Jura, nous montre bien aussi 
une force agissant de bas en haut; mais, au lieu de s'exercer 
sur un seul point, cette force s'est fait sentir sur toute l’é- 
tendue de la ligne MN obéissant à un mouvement d’en- 
semble. On conçoit que, pendant que ce mouvement s’effec- 
tuait, les strates aient pu conserver leur horizontalité primi- 
tive et leur situation relative; on conçoit aussi qu’elles n'aient 
pas éprouvé de solutions de continuité. 


LR 


— 331 — 


Dans les deux figures ? et 3, on voit le terrain e, qui s’est 
déposé immédiatement après le terrain d, se placer à droite et 
à gauche, soit de la chaîne de montagnes (fig. 2), soit du 
massif qui représente le Jura (fig. 3). 


Disposition des axes géographique, stratigraphique, géo- 
gnostique, etc., dans le Jura. — Par suite de la manière dont 
le soulèvement du Jura s’est opéré, les divers axes que nous 
venons d’'énumérer ne s'observent pas dans ce massif monta- 
gneux où n'y apparaissent que dans des conditions particu- 
lières. 

Dans le Jura, on constate bien l'existence d'un grand 
nombre d’axes secondaires coïncidant soit avec les failles, 
soit avec les chaînons qui s’y dirigent dans divers sens; mais 
il n'y a pas d’axe principal de soulèvement. 

I n'y a pas d'axe éruptif et même pas de roches éruptives. 

I n'y à pas non plus d’axe stratigraphique. Les strates, 
prises dans leur ensemble, se dirigent et s'inclinent dans tous 
les sens ; dans leurs mouvements, elles ne se coordonnent 
nullement par rapport à une ligne quelconque, médiane ou 
non. Leurs nombreuses inflexions, quelque énergiques qu’elles 
soient, n'en constituent pas moins des accidents locaux. 

Enfin, un autre caractère inhérent au Jura et résultant de 


son mode de formation, c’est l'absence d’un axe géognostique 


proprement dit. Dans le Jura, on constate bien, ainsi que 
nous le dirons tout à l'heure, un certain ordre dans le mode 
de répartition des terrains. On pourrait, à la rigueur, con- 
sidérer la longue falaise qui limite le Jura à l’ouest comme 
dessinant un axe géognostique, puisque les terrains tendent 
à diminuer d'ancienneté à mesure que l’on se transporte 
dans une direction perpendiculaire à chacun des éléments 
de cet axe. Mais, pour être complétement dans le vrai, il 
fr udrait reporter cet axe en dehors du Jura, vers le nord ou 
vers l'ouest. 


Les Alpes n’ont acquis tout leur relief qu’à une époque re- 


À — 338 — 

lativement récente, tandis qu’antérieurement à la période ter- 
tiaire, les forces intérieures se sont manifestées de préférence 
dans la région qui se développe au nord-ouest du Jura. (Voir 
Etude TI; Chap. vu.) Au moment où ce massif montagneux a 
surgi, les terrains dont il se compose se coordonnaiïent par 
rapport à un axe de soulèvement qui, partant des Vosges, 
passait par la Serre et prenait ensuite une direction indé- 
terminée à travers la vallée de la Saône. Cet axe a exercé son 
influence jusque dans la contrée que les Alpes occupent main- 
tenant; la présence du terrain nummulitique dans le massif 
alpin, et son absence dans les autres parties du bassin juras- 
sien, sont la conséquence des mouvements du sol qui, pen- 
dant longtemps, se sont coordonnés par rapport à cet axe. Les 
conditions qui ont présidé au soulèvement du Jura n’ont pu 
détruire la première disposition des terrains, puisque ce sou- 
lèvement n'a nullement été la conséquence d'un mouvement 
d'ensemble coordonné par rapport à un axe quelconque. Par 
conséquent, si l'on veut reconnaître au Jura un axe géognos- 
tique, il faut placer cet axe en dehors du Jura lui-même et 
dans une situation tout à fait excentrique. En outre, on ne 
doit pas perdre de vue que cet axe résulte d’un état de choses 
antérieur au soulèvement du Jura et qu'il n'est en rien la 
conséquence de ce soulèvement. 

Des considérations du même ordre nous conduiraïent à 
dire que, s’il existe dans le Jura un axe de soulèvement, cet 
axe (déterminé par le sens dans lequel l'altitude va crois- 
sant et surtout par la manière dont les failles sont disposées 
les unes par rapport aux autres) est également hors du Jura. 
Il faut le reporter dans le massif alpin. C’est, en effet, dans 
ce massif que les actions dynamiques, qui ont déterminé la 
surélévation du Jura vers sa partie orientale, ont eu leur ma- 
ximum d'énergie. L'intervention de ces actions dynamiques 
a modifié le caractère primitif du Jura en occasionnant, sur 
sa lisière orientale, l'apparition d’un axe, sinon orographique, 
du moins hypsométrique ou de plus grande altitude. 


— 339 — 


L'opinion, que nous venons de formuler à propos de la si- 
tuation des axes stratigraphique et géognostique du Jura, offre 
une grande analogie avec les idées que M. Suess a récemment 
exprimées au sujet des Apennins. « La chaîne des Apennins, 
dit-il, ne doit pas être considérée comme l'axe anticlinal de 
la contrée. Cette chaîne ne possède pas de roches comparables 
aux schistes anciens des Alpes méridionales et est surtout 
constituée par des roches arénacées. Les roches paléozoïques 
doivent être cherchées au dehors de l’Apennin, dans les Alpes 
Apuennes, dans les îles de la côte occidentale, dans la Calabre 
et le nord-est de la Sicile. Les Calabres et les formations an- 
ciennes des environs de Messine semblent former l'extrémité 
d’une chaîne centrale se poursuivant par l’île d'Elbe jusqu’à 
la Spezzia, en sorte que le véritable axe anticlinal de l'Italie 
serait au-dessous de la mer Tyrrhénienne. L’Apennin, d’une 
part, le massif de la Sicile, d'autre part, ne seraient que des 
chaînes latérales. » (DELEssE et LAPPARENT, Revue de Géologie, 
1873). 


Disposition des chaînons transversaux dans un massif mon- 
tagneux; conséquences. — Une chaîne de montagnes ne pos- 
sède pas toujours une structure aussi simple qu'on pourrait 
le supposer d’après ce que nous avons dit. Les failles et les 
phénomènes de dénudation interviennent également pour lui 
imprimer l'aspect et la forme qui lui appartiennent. Ce se- 
rait trop nous éloigner de l’objet de notre travail que de pro- 
longer ces considérations générales. Nous nous bornerons à 
dire quelques mots relativement à la disposition des chaînons 
transversaux qui se rattachent généralement à un massif 
montagneux. 

Même lorsqu'une chaîne de montagnes s'est formée dans 
les conditions que nous avons énumérées, en prenant les Py- 
rénées pour exemple, on voit qu'au lieu de se composer d'un 
élément unique, elle résulte de l’entrecroisement de plusieurs 
chaînons différents par leur âge comme par leur orientation. 


— 340 — 


Une chaîne de montagnes possède, outre un axe principal se 
dirigeant dans le sens de sa longueur, des axes secondaires 
correspondant à des chaînons qui se groupent différemment 
entre eux. Quelques-uns de ees chaînons ont pour caractère 
commun leur direction plus ou moins transversale par rap- 
port à l’axe principal; mais, dans le Jura, ils ne présentent 
pas cette disposition. 

Une partie du Jura peut bien se décomposer en chaïînons; 
mais ces chaînons, sujets à se bifurquer quelquefois, se pla- 
cent bout à bout, les uns à la suite des autres. Ils dessinent 
ainsi une ligne brisée dont les éléments convergent dans le 
même sens que le Jura lui-même, c’est-à-dire en détermi- 
nant une ligne courbe dont la concavité est tournée vers les 
Alpes. Ils forment un plexus ou faisceau, dont les éléments 
restent à peu près parallèles. On remarque en outre que ces 
chaînons se soudent les uns aux autres en ne laissant entre 
eux que des dépressions très peu profondes. 

Le parallélisme existant entre la direction générale du Jura 
et celle des chaînons qui accidentent sa surface, la manière 
dont ces chaînons s’ajoutent les uns aux autres, l'absence de 
chaînons transversaux, la disposition du Jura en plateau, sont 
autant de circonstances qui expliquent pourquoi ce massif 
montagneux ne possède pas, comme les Alpes et les Pyrénées, 
de cols permettant le passage facile d'un versant à l’autre. 
Du côté de la Bresse, le Jura se termine brusquement par 
une haute falaise; il en est à peu près de même du côté de la 
Suisse, et l’observateur, placé au milieu de la plaine helvé- 
tique, voit à l'horizon le Jura se profiler comme un mur noi- 
râtre dont le faîte peu accidenté contraste avec la chaîne den- 
telée des Alpes. 

La différence que nous avons signalée entre la structure 
du Jura et celle des chaînes de montagnes proprement dites, 
reparaît lorsque l’on porte son attention sur le régime hydro- 
graphique superficiel. Les cours d’eau, qui ont leur source 
dans les Pyrénées, tendent à prendre une direction perpendi- 


SE: 7 Res 
culaire à celle de cette chaîne; c’est ce que l’on constate pour 
l'Aude, l’Ariége, la Garonne, le Gers, l’Adour, etc. Cette 
disposition s'explique parfaitement lorsqu'on se rappelle la 
forme générale du massif pyrénéen, forme qui permet de 
comparer ses deux versants aux deux côtés d’un toit. La di- 
rection des cours d’eau est ainsi la même que celle des chai- 
nons latéraux qui forment et limitent les vallées par où ces 
cours d'eau prennent leur écoulement. 

Dans le Jura, les rivières se dirigent également dans un 
sens parallèle à celui des chaînons : mais ces chaînons sont 
eux-mêmes parallèles, sinon à l’axe principal de soulèvement 
qui n'existe pas, du moins à l'axe géographique du Jura; il 
en résulte que tous les cours d’eau coulent parallèlement et 
non transversalement par rapport à cet axe. Le système hy- 
drographique, de même que le système orographique, tend à 
dessiner un ensemble de lignes courbes dont la concavité est 
tournée vers les Alpes. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à 
observer les directions du Surand, de l'Ain, de la Bienne, de 
la Valserine, du Doubs, etc. Je citerai la Loue, depuis sa 
source jusqu'au delà d'Ornans, comme étant peut-être le seul 
exemple d’un cours d’eau se dirigeant dans un sens trans- 
versal par rapport à la direction générale du Jura, et encore 
faut-il se rappeler que cette rivière, dans cette partie de son 
trajet, coule à travers une vallée qui a exclusivement le ca- 
ractère d’une vallée d’érosion. 


Axes de second ordre; structure qu'ils impriment à un 
massif montagneux. — D'après ce qui précède, il est permis 
de distinguer, dans une chaîne de montagnes, un axe prin- 
cipal de soulèvement auquel se rattachent latéralement des 
axes secondaires correspondant aux chaînons transversaux. 
Mais la dissection d’une chaîne de montagnes à structure un 
peu compliquée conduit à distinguer, outre l'axe principal et 
les axes latéraux, des axes d’une importance intermédiaire. 
Ces axes, différents par leur orientation et par leur âge, sont 


— 342 — 

dus à ce qu’une chaîne de montagnes résulte ordinairement 
de plusieurs impulsions successives qui ne se sont pas tou- 
jours manifestées dans le sens de l’axe principal. Le mode de 
groupement de ces éléments stratigraphiques, qu’il est permis 
de distinguer sous le nom d'éléments ou d’axes de second 
ordre, varie d’un massif à un autre et contribue à imprimer 
à chaque chaîne son aspect particulier. 

« Les centres ou les extrémités de plusieurs caînons se 
sont placés quelquefois plus ou moins exactement au même 
point, ce qui a donné naissance à des groupes montagneux 
d’une forme rayonnée. D’autres fois, des chaïînons se sont 
ajustés de manière à former des espèces de caustiques qui re- 
présentent les axes de certaines chaînes de montagnes recour- 
bées, telles que les Alpes, le Jura, les Andes de l'Amérique 
méridionale depuis le détroit de Magellan jusqu’à l’île de la 
Trinité. Quelquefois même des chaînons se sont placés ou 
combinés de manière à former une enceinte continue comme 
celle de la Bohème. » (Ecre pe BEAUMoONT.) 

Un exemple emprunté aux Pyrénées achèvera de faire com- 
prendre ce que nous entendons par éléments stratigraphiques 
de second ordre d'une chaîne de montagnes. 

Les Pyrénées se composent de deux lignes parallèles que 
l'on peut désigner en leur donnant le nom du sommet le plus 
élevé placé sur le trajet de chacune d'elles. La ligne du pic 
Nethou commence à l’est de la vallée d'Aran et se termine à 
la hauteur de Pampelune, vers le point où les Pyrénées, 
obliquant un peu vers le sud, changent de nom; la ligne du 
pic du Midi de Bigorre commence vers le point où s'élève 
cette montagne et se dirige vers le golfe de Rosas. Le val 
d'Aran est placé sur le point où commencent, pour se diriger 
en sens opposés, la chaîne du pic Nethou et celle du pic du 
Midi. Les Pyrénées se composent d’autres chaînons moins 
importants ; parmi ceux-ci, nous citerons celui des Albères, 
qui produit, dans la chaîne des Pyrénées, une déviation vers 
le nord, de même que la chaîne cantabrique produit une dé- 


— 343 — 


viation vers le sud. À chacun de ces chaînons s'adaptent les 


- chaînons transversaux dont le principal rôle, comme nous 


l'avons vu, est de dessiner les limites des bassins hydrogra- 
phiques des cours d’eau qui prennent leur origine dans le 
massif pyrénéen. 

Dans le Jura, avons-nous dit, il y a, Sinon un axe prin- 
cipal de soulèvement, du moins un axe géographique. Les 
chaînons s’y disposent parallèlement à cet axe géographique. 
Is jouent tout à la fois le rôle des chaînons transversaux limi- 
tant les bassins hydrographiques et celui des éléments strati- 
graphiques de second ordre dont il vient d’être question. La 
manière dont ils sont disposés est en harmonie avec la forme 
générale du Jura, et c’est en se plaçant bout à bout. dans cer- 
taines conditions, qu’ils déterminent ou contribuent à déter- 
miner la forme arquée du Jura. Une autre différence à si- 
gnaler entre les Pyrénées et le Jura, c’est que les chaînons 
de second ordre des Pyrénées appartiennent à des systèmes 
stratisgraphiques différents, et, par conséquent, ne datent pas 
de la même époque. Les chainons du Jura, bien qu'ayant des 
directions différentes, se présentent dans des conditions telles 
qu'on est conduit à admettre leur synchronisme ; ils ont surgi 


x 


en même temps à une époque que, dans le courant de cette 


Etude, nous essaierons d'indiquer d'une manière précise. 


Division du Jura en deux zones : l'une occidentale, l’autre 
orientale. — En combinant les divers caractères fournis par 
la constitution stratigraphique, topographique et géognos- 
tique du Jura, en tenant compte aussi des données qui résul- 
tent de son histoire géologique, on est conduit à le diviser en 
deux zones, l’une occidentale, l’autre orientale. Ces deux 
zones sont séparées par une ligne courbe qui, partant des 
environs de Quirieu (Isère), passerait approximativement par, 
Nantua et Pontarlier et irait aboutir à Porrentruy ; elles sont 
caractérisées de la manière suivante : 

ZONE OCCIDENTALE. — Altitude moyenne moindre. — Failles 


— 344 — 


très nombreuses, souvent fortement accidentées et, dans tous- 
les cas, présentant des dénivellements considérables. — Sou- 
lèvements en voüte plus rares et moins nettement dessinés. — 
Plateaux très étendus. 

Terrains plus anciens. — Pointements keupéro-liasiques ou 
liasiques apparaissant cà et là ; oolite inférieure recouvrant de 
larges surfaces et formant la majeure partie des plateaux ; 
terrain crétacé très peu développé; absence complète de 4er- 
rain terhaire. | 

Cette zone était émergée dès la fin de la période crétacée. 

ZONE ORIENTALE. — Altitude moyenne plus grande; c’est 
dans cette zone que se trouvent les hauts sommets du Jura. 
— Failles moins nombreuses, peu prononcées.— Soulèvements 
en voûte très multipliés et nettement dessinés.— Voütes et vals 
alternant, au lieu de plateaux à surface horizontale ou peu 
inclinée. 

Pas de pointements keupériens ou liasiques, si ce n’est dans 
le nord-est du Jura, qui forme une région distincte. — Pres- 
que pas de lias; peu d’oolite inférieure; prédominance de l’o0- 
lite supérieure et du terrain crétacé; cà et là, des lambeaux de 
terrain tertiaire, de plus en plus nombreux à mesure que l’on 
s'éloigne de la partie sud-ouest du Jura pour se rapprocher 
de la partie nord-est. 

Cette zone est restée sous les eaux pendant plus longtemps 
que la zone occidentale ; son émergement définitif n’a eu lieu 
qu'à la fin de la période miocène. 

Dans cette division du Jura, il faut donner une place à 
part à toute la partie nord-est de ce massif montagneux, com- 
prise entre Porrentruy et Soleure, et s'étendant depuis la rive 
droite du Doubs jusqu’à la rive gauche du Rhin. Dans cette 
région, dont le centre géologique est le val de Delémont, les 
caractères que nous venons d'énumérer, comme distinguant 
entre elles les zones occidentale et orientale, se trouvent en 
quelque sorte réunis. A côté du terrain le plus ancien, le 
trias, on rencontre le terrain le plus récent, c'est-à-dire le 


D: 


Er Ne 28 3 Le MT SALE 
RÉ Er r LS ÿ 


— 345 — 


terrain pliocène inférieur : les failles et les soulèvements en 


voûte interviennent dans la constitution stratigraphique et 
topographique du pays, mais ils n’ont pas la même part d’in- 
fluence ; les soulèvements en voûte prédominent et, sous ce 
rapport comme sous celui de son histoire géologique, le Jura 
bernois et bâlois se rattache plutôt à la zone orientale qu'à la 
zone occidentale. 

Dans la note ci-dessous (1), nous rappelons dequelle manière 
Thurmann divisait le Jura. Cette division est à peu près celle 
que nous venons de proposer. Notre zone orientale comprend 


(1) « Le Jura est limité du côté suisse par une ligne de chaînes re- 
dressées. Au contraire, du côté du nord et de l’ouest, sauf quelques 
exceptions, il est terminé par une ligne de falaises bordant des plateaux 
et regardant successivement le Schwarzwald, les Vosges et la vallée de 
la Saône. Entre ces deux zones, des dernières chaînes et des plateaux, 
s'étend une succession de chaînes à relief moins prononcé et d'exhaus- 
sements en masse accidentés par des chaînes émoussées, le tout offrant 
souvent l'aspect de plateaux. On peut donc, sauf des exceptions pour 
certains districts, reconnaitre, dans le massif du Jura, trois zones oro- 
graphiques : celle des hautes chaînes, celle de l'exhaussement central et 
celle des platéaux. Cette dernière ne s'étend vers l'est que jusque dans 
le Jura bernois, et, vers le sud, que jusqu'à la vallée de l'Alberine ou à 
peu près. À ses deux extrémités orientale et méridionale, tout le sys- 
tème s'effile en se réduisant à un petit nombre de chaines. 

» La zone des haules chaines du Jura est priñcipalement formée de 
chaînes s'intersectant sous des angles aigus et comprenant entre elles 
des vals profonds. C'est son orographie qui porte particulièrement le 
cachet jurassique. 

» La zone de l'exhaussement central est aussi formée de chaînes à 
caractères orographiques tout pareils à ceux des hautes chaînes, mais 
en général moins tranchés ; de façon que le dessin alternatif des vals et 
des chaînes y est beaucoup moins vigoureusement accusé. Les failles 
sans relief, ou à relief faible, commencent aussi à y devenir fréquentes. 

» La zone des plateaux, qui est aussi çà et là interrompue de quelques 
chaines peu puissantes, est surtout divisée par les failles sans relief, 
avec des quantités de discordance variables, quantités révélées le plus 
souvent par la dénudation qui, ayant nivelé les saillies, a mis en con- 
traste sur le même plan des subdivisions géologiques diverses. Cette 
division des plateaux par failles commence vers le Jura bernois, où les 
discordances sont encore très peu considérables, et va en augmentant 


23 


— 346 — 


sa zone des hautes chaînes et sa zone de l’exhaussement central, 
tandis que notre zone occidentale correspond à sa zone des pla- 
eaux. 

Les caractères, que je viens de signaler comme inhérents à 
chacune de ces deux zones, reparaissent dans les massifs mon- 
tagneux les plus voisins de chacune d'elles. Les contrastes 
que nous avons reconnus entre elles se retrouvent lorsque 
l’on compare le massif alpin, placé du même côté que la zone 
orientale, avec les régions situées au nord et à l’ouest du Jura 
et, par conséquent, du même côté que la zone occidentale. 

Le massif alpin est plus élevé que les Vosges et le Morvan; 
en même temps, il est en partie formé de terrains moins an- 
ciens, puisque le terrain nummulitique et même le terrain 
miocène (Mont Righi) entrent dans sa composition. Ce con- 
traste existant, sous le rapport de l'altitude et de l’âge des 
terrains, entre les Alpes et les massifs montagneux placés à 
l’ouest et au nord du Jura, nous l'avons déjà reconnu entre 
les deux zones dont le Jura se compose. 

Les accidents stratisraphiques se montrent de préférence, 
dans les Vosges et le Morvan, sous forme de failles comme 
dans le Jura occidental, tandis que, dans les Alpes, de même 
que dans le Jura oriental, ce sont les soulèvements en voûte 
qui dominent. 

Nous ferons remarquer, enfin, que le soulèvement des 
Vosges et du Morvan a précédé celui du massif alpin, de 
même que l’émergement de la zone occidentale du Jura s'est 
effectué avant celui de la zone orientale. 


= ———— —— —— 


vers l'ouest, où elles deviennent parfois très puissantes ; ces failles pa- 
raissent rares ou nulles dans les plateaux du Jura oriental, ou plutôt 
elles y sont trop peu discordantes pour y être aisément reconnues. » 
(TaurMmanN, Ésquisses orographiques de la chaîne du Jura, 1"* partie, 
pages 6 et suivantes.) 


A à pe 


CHAPITRE II 


CONSTITUTION GÉOGNOSTIQUE DU JURA. — RÉPARTITION 
GÉNÉRALE DES TERRAINS. 


Constitution géognostique du Jura; en quoi elle diffère de 
celle des régions voisines. — Dans l'Etude précédente, nous 
avons fait l'énumération des divers terrains que l’on observe 
dans le bassin jurassien ; nous avons sommairement indiqué 
les caractères stratigraphiques, pétrographiques et paléonto- 
logiques des principaux d’entre eux ; nous avons, enfin, rap- 
pelé comment chacun de ces terrains est divisible en sys- 
tèmes et étages. 

Dans ce chapitre, notre intention est, en premier lieu, de 
donner une idée de la constitution géognostique du Jura. 
Nous dirons aussi en quoi cette constitution géognostique 
diffère de celle des régions voisines; il nous suffira pour cela 
de rappeler quelques-uns des traits du tableau que nous avons 
tracé, lorsque notre attention s’est portée sur les formations 
appartenant à la région comprise entre les Vosges, le Morvan 
et les Alpes. Nous nous occuperons ensuite de la répartition 
des terrains, soit dans la masse du Jura, soit à sa surface ; cet 
examen, de ce que j'appellerais volontiers sa constitution 
géognostique intérieure, doit évidemment précéder l'étude de 
sa structure interne. 

Le tableau ci-joint est un résumé de la constitution géo- 


- gnostique du Jura; il assigne, à chacun des cinq systèmes dont 


se compose la série des terrains (Voir Et. 1; chap. u), le rôle 
qu'il joue dans la partie du bassin jurassien que nous avons 
actuellement en vue. 

Au bas de ce tableau se place le granite (terrain azoïque),: 
servant de charpente ou d’ossature à l'écorce terrestre et de 
support aux terrains de sédiment. 


TERRAINS 


formant le supersira- 


formant 
le substratum 


des terrains 


tum ou le recouvre 
ment des terrains 


du Jura 


‘ 


formant la masse principale du Jura 


du Jura 


— 348 — 
T. HOMOZOIQUE. 5%... 
e sf PH MRC 
T. NÉOZOIQUE...... &) Miocène. ..... 
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Supérieur . ...." 
1 Moyen... 1.4 
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Es 


Supérieur 24. 
T. TRIASIQUE... Moyen 22000 
Inférieur 1% 


T. permien 
T.PALÉOZOIQUE...) T. houiller.….... 
T. trilobitique... 


T. AZOIQUE......... AU 0e 


/ 


— 349 — 


II. — Epoque néolitique. (Eboulis: terre végétale ; tourbières ; alluvions mo- 
dernes.) 

I. — Epoque paléolitique. (Alluvions anciennes; diluvium; blocs alpins; 
terrain glaciaire.) 


(Terrain lacustre de Soblay et de la Chaux-de-Fonds.) 
(Mollasse marine. — Calcaire lacustre d'Auberson.) 
(Terrain sidérolitique. — Sables éocéniques. — Nagelfluhe jurassique.) 


Etage sénonien (Craie blanche de Saint-Julien et de Leissard). 

Et. cénomanien (Craie chloritée). — Et. 'albien (Gault). — Et. aptien (Grès 
vert inférieur de la perte du Rhône). 

Et. urgonien (Calcaire à Chama). — Et. néocomien (Calcaire de Neuchâtel 
et marnes de Hauterive). — Et. valangien. 


Etages dubisien..,.,. 
—  portlandien.., 
kimméridien.. 

— séquanien...., 


Oolite supérieure. . | Supérieur, . 


— corallien,,.,., 
— oxfordien..... 
— mandubien,..; Moyen..... 
Oolite inférieure... —  vésulien...,... 
— lédonicen,,,... 


Oolite moyenne... 


— toarcien....,.. 
IL TERRE RARE EE —  liasien..,.,.... 
— sinémurien,.. 
MrAlAS Le à —  infraliasien,.. 


HAÔISSVUNL NIVUUTL 


Inférieur... 


Calcaire de Saint-Cassian (représenté par les marnes à reptiles). 
Keuper ou Marnes irisées. 

Muschelkalk ou Calcaire conchylien. 

Bunter-Sandstein Ou Grès bigarré. 


Grès vosgien et Nouveau grès rouge (Jura nord-occidental). 
(Bassins houillers répartis çà et là, surtout dans le Jura nord-occidental. ?) 
'errains carbonifère et dévonien (Jura sub-vosgien). 


GRANITE formant avec les Schistes cristallins et le Gneiss la partie essentielle et 
constante du substratum des formations jurassiennes, mais ne se montrant 
jamais à découvert. 


— 350 — 


Au-dessus du granite vient le terrain paléozoïque qui con- 
stitue avec lui le substratum des formations jurassiennes. 
Nous verrons tout à l'heure quelle est la composition de ce 
substratum; bornons-nous à dire qu'il comprend tous les 
terrains antérieurs au trias et que, sur aucun point du Jura, 
les assises dont il se compose ne se montrent à découvert. 

Le terrain mésozoïque , représenté par ses trois termes, le 
trias, le terrain jurassique et le terrain crétacé, forme, avons- 
nous dit, la masse principale du Jura. 

Au-dessus du terrain crétacé, dernier terme de la série mé- 
sozoïque, vient la série néozoïque représentée par quelques 
lambeaux de terrain tertiaire. Ges lambeaux constituent, avec 
les diverses formations de la période homozoïque ou quater- 
naire, un ensemble que nous désignerions volontiers sous le 
nom de « terrains de recouvrement. » 

La figure 4 a également pour objet de donner, sous une 
forme différente, une idée tout à la fois simple et précise de 
la constitution géognostique du Jura, telle que nous venons 
d'en tracer une esquisse. Le lecteur trouvera, à la fin de ce 
chapitre, l'explication de cette figure. 

En quoi la constitution géognostique du Jura diffère-t-elle 
de celle des régions voisines ? C'est ce qu'il est possible d’in- 
diquer en peu de mots. La principale différence est fournie 
par le terrain jurassique qui, excessivement développé dans 
le Jura, disparaît en totalité ou en partie dans les autres ré- 
gions appartenant au bassin jurassien. Dans les régions basses 
limitrophes, c'est-à-dire dans le Sundgau, la plaine helvé- 
tique et le bassin de la Saône, il est caché sous une masse 
puissante de terrain tertiaire qui, au contraire, est à peine 
représenté dans le Jura. Enfin, le granite, les schistes cristal- 
lins et les terrains anciens, qui forment le substratum du Jura, 
et que le terrain jurassique dérobe à nos regards, reparaissent 
dans les massifs montagneux voisins; ils en forment l’élé- 
ment 2éognostique essentiel. C’est du moins ce que l’on con- 
state pour les Vosges et le Morvan ; mais la comparaison entre 


— 351 — 


les Alpes et le Jura conduit à rappeler quelques autres faits. 

Les Alpes offrent à l'observateur une grande variété de 
formations : on y rencontre des représentants de presque tous 
les terrains qui existent dans les contrées que nous venons 
de comparer entre elles; le terrain jurassique lui-même y 
acquiert une assez grande extension. D’après cela, une cer- 
taine similitude devrait pouvoir être constatée entre les Alpes 
et le Jura sous le rapport de leur constitution géognostique ; 
mais il n’en est rien. Dans l'Etude précédente, nous avons 
eu souvent l’occasion de rappeler les différences considérables 
qu'un même horizon géognostique présente dans le Jura et 
dans les Alpes, même lorsqu'on ne considère que la partie de 
ce massif la plus voisine du Jura. Nous avons vu combien le 
trias, l'infralias et le lias diffèrent de part et d'autre sous le 
rapport pétrographique et paléontologique. Nous avons vu 
également qu'il y a lieu de distinguer, pour le terrain cré- 
tacé, deux faciès : le faciès alpin, caractérisé par l'abondance 
des céphalopodes, et le faciès ordinaire, où prédominent, 
comme dans le Jura, les gastéropodes, les acéphales et les 
rayonnés. Ces différences d'aspect d’un même terrain sont 
d'autant plus remarquables que le Jura et la partie helvé- 
tique des Alpes ont toujours appartenu au même bassin géo- 
génique. Elles s'expliquent pourtant lorsqu'on se rappelle 
l'influence que la profondeur de l’eau et la direction des cou- 
rants exercent sur le caractère des dépôts. 

Un dernier fait à signaler dans la constitution géognos- 
tique du Jura, c’est l'absence complète de roches éruptives. 
Cette absence, en relation avec celle des sources thermales, 
peut surprendre lorsqu'on tient compte de l'énergie des ac- 
tions dynamiques qui, pendant la période miocène, se sont 
exercées sur le Jura. Mais il ne faut pas perdre de vue que 
les roches éruptives du bassin jurassien se sont montrées, 
dans les massifs montagneux qui l'entourent, avant l’époque 
où se sont manifestées les actions dynamiques qui ont im- 
primé au Jura son relief actuel. 


— 352 — 


Relations stratigraphiques entre les terrains du Jura. — 
Je rappellerai d'abord la concordance de stratification que 
l’on constate entre tous les terrains qui, en se superposant les 
uns aux autres, forment la masse du Jura, depuis le plus an- 
cien, le trias, jusqu'au plus récent, le terrain miocène. Ce 
fait général a déjà attiré notre attention {Voir Et. I; chap. vor); 
il est la conséquence de la situation du Jura au milieu du 
bassin jurassien. Pendant toute la période d'immergement 
de ce bassin, sa partie centrale a pu s’abaisser et s'exhausser 
alternativement sans que les strates aient perdu leur horizon- 
talité et leur concordance primitives ; des discordances de 
stratification ne s’y sont manifestées que vers ses bords et 
dans le voisinage des massifs montagneux qui le limitent. 
Ce fait, selon nous de la plus haute importance, doit servir 
de point de départ et de base à l'étude stratigraphique du 
Jura. 

À plusieurs reprises le bassin jurassien a été momentané- 
ment émergé. La conclusion de ce fait, c’est qu'il doit exister, 
entre plusieurs des terrains appartenant au Jura, des discor- 
dances d'érosion, que des circonstances favorables peuvent 
permettre d'observer. Mais ces discordances d’érosion ne sont 
pas incompatibles avec la concordance de stratification entre 
tous les terrains qu'elles ont affectés. C’est à chacune des 
époques d'émergement du bassin jurassien que se produi- 
saient les érosions et les dénudations qui imprimaient aux 
strates les caractères du phénomène que nous avons en vue. 
Il semble, au premier abord, que les strates, ainsi dérangées 
de leur situation première, devaient perdre, sinon sur tous 
les points, du moins sur un grand nombre, leur horizonta- 
lité; mais il n’en a pas été ainsi. Il ne faut pas oublier, en 
effet, que, pendant chacune de ces époques d’émergement, le 
bassin jurassien avait l'aspect d'un plateau; toutes les strates, 
qui en formaient le sol géologique, conservaient leur horizon- 
talité et ne devaient commencer à la perdre que vers la fin de 
la période éocène. Chaque fois que ce plateau était ramené 


— 353 — 


au-dessous du niveau de l'océan, les strates, qui se déposaient 
au fond des eaux envahissantes, se trouvaient en stratification 
concordante avec les strates sous-jacentes qui n'avaient pas 
été dérangées de leur ancienne horizontalité. 

Des discordances d’érosion existent virtuellement et d’une 
manière générale entre le terrain jurassique et le terrain cré- 
tacé; entre le terrain crétacé moyen et le terrain crétacé su- 
périeur; entre le terrain crétacé supérieur et le terrain mio- 
cène : elles correspondent aux lacunes que l'échelle géolo- 
gique offre dans le Jura. Ces discordances d’érosion peuvent 
n'être que partielles. Il en est ainsi lorsque certains points 
d'un même bassin ont été momentanément émergés, tandis 
que d’autres continuaient à être recouverts par les eaux. Ces 
points momentanément émergés peuvent fournir des exem- 
ples de discordances d’érosion locales; maïs, en ce qui con- 
cerne le bassin jurassien, ces exemples n'existent que sur son 
pourtour. Ils ne peuvent guère être constatés dans le Jura, 


parce que, en dehors des discordances d’érosion générales que 


nous venons de signaler, l’action sédimentaire n'y a été sus- 
pendue sur aucun point, depuis le commencement de la pé- 
riode triasique jusqu à la fin de la période néocomienne. 

Lorsque deux terrains, appartenant à un même bassin géo- 
génique, se sont déposés dans des mers n'ayant pas les mêmes 
rivages, ils ne présentent pas la même distribution géogra- 
phique. On dit alors qu'il y a discordance d'isolement. Dans 
ce cas, non seulement les terrains dont on recherche les re- 
lations stratigraphiques n'ont pas les mêmes limites, mais ils 
peuvent être complètement isolés l’un de l'autre, et occuper 
des régions distinctes. 

Le Jura est constamment resté sous les eaux depuis le 
commencement de la période triasique jusqu’à la fin de la 
période jurassique : aussi les divers étages de la série tria- 
jurassique n'y sont jamais séparés par des discordances d’iso- 
lement. Le premier exemple d’une discordance d'isolement 
existerait entre le terrain jurassique et le terrain néocomien, 


— 394 — 


s’il était démontré que la mer néocomienne ne recouvrait pas 
tout le Jura. Mais certainement il y a discordance d'isolement 
entre le terrain crétacé moyen et la craie blanche, puis entre 
cette craie blanche et le terrain miocène. 

Les agents d'érosion ont quelquefois opéré de manière à 
isoler certains terrains dont l’un était d'abord immédiate- 
ment superposé à l’autre. C’est ainsi que le terrain oxfordien, 
que sa nature pétrographique rend facilement destructible par 
les agents d'érosion, a disparu en laissant l’oolite inférieure à 
découvert sur de vastes surfaces. Mais alors la discordance 
d'isolement n’est qu'apparente ; l’oolite inférieure n'est isolée 
du terrain oxfordien que par suite de circonstances posté- 
rieures au dépôt de ces deux terrains. 

Substratum des formations jurassiennes. — Le terrain gra- 
nitique, revêtement continu de l'écorce terrestre, forme la 
partie essentielle et constante de ce substratum. Souvent il le 
constitue à lui seul. Alors, le trias, premier terme de la série 
mésozoïique, repose immédiatement sur le granite. Il en est 
ainsi pour toute la partie du Jura placée en dehors de la zone 
morvando-vosgienne. Pourtant, dans cette partie du Jura, 
des lambeaux de terrain houiller s’interposent probablement 
entre le trias et le terrain granitique. 

Mais, dans le Jura septentrional, le substratum des forma- 
tions jurassiennes se complète par l'addition : {° d’une nappe 
de terrain trilobitique [terrains dévonien et carbonifère) qui, 
des Vosges, s’avance au-dessous du massif jurassien jusqu'à 
une distance indéterminée, mais probablement très faible; 
2° d’une autre nappe de terrain permien (nouveau grès rouge 
et grès vosgien). 

Enfin, dans toute une région qui des Vosges va vers le 
Morvan, en passant par la Serre, et que l'on peut désigner 
sous le nom de zone morvando-vosgienne, la nappe de terram 
permien, dont il vient d’être question, se prolonge sans solu- 
tions de continuité et donne une grande puissance au substra- 


— 359 — 
tum de la partie nord-occidentale du Jura. Le terrain per- 
mien existe au moins dans toute la zone comprise entre l'O- 
gnon et le Doubs. Jusqu'à quelle distance se prolonge-t-il sur 
la rive gauche de cette dernière rivière? c'est ce que les son- 
dages, qui seront tôt ou tard entrepris pour la recherche de 
la houille, pourront seuls indiquer d'une manière précise. 

Nous avons énuméré les motifs qui permettent d'admettre 
l'existence de bassins houillers plus ou moins étendus dans 
l'intérieur du bassin jurassien (Voir Et. I; chap. 1). Parmi 
les bassins houillers dont nous avons admis la présence au- 
dessous du Jura, il en est sans doute qui sont disposés en 
série depuis les Vosges jusqu'au Morvan et qui rattachent 
ainsi le gisement houiller de Ronchamp à ceux de Saône-et- 
Loire. Cette question de l'existence d'une zone houillère dans 
la partie nord-occidentale du Jura est assez importante pour 
qu'il nous soit permis de nous y arrêter un instant. 

La moindre attention suffit pour montrer la tendance qu'ont 
les bassins houillers, dans le nord et encore mieux dans l’est 
de la France, à se diriger de l'est un peu nord à l’ouest un 
peu sud. Cette disposition n’est certainement pas l'effet du 
hasard. Elle nous apprend que, dans la partie centrale de 
l’Europe, lors de la période houillère, les accidents de terrain, 
et notamment les dépressions du sol et des vallées, s’orien- 
taient dans le sens que nous venons d'indiquer. Cette orien- 
tation se retrouve dans la zone morvando-vosgienne ; nous en 
concluons que les bassins houillers exploités dans cette zone 
ne sont certainement que les jalons qui marquent à la surface 
du sol une piste souterraine. Si ces bassins ont été découverts 
et mis en exploitation, c’est parce que la houille s'y montre 
en affleurement. Il nous paraît difficile de supposer que les 
mouvements du sol, qui ont déterminé ces affleurements, se 
soient effectués précisément sur les points où ce combustible 
existait déjà et sur ces points seulement; il y aurait là une 
coïncidence tout à fait inadmissible. N'’est-il pas naturel de 
penser que, si les actions dynamiques qui, en se combinant 


— 356 — 


avec les phénomènes d'érosion, ont déterminé les affleure- 
ments de Ronchamp et de Saône-et-Loire, s'étaient manifestées 
sur d’autres points de la zone morvando-vosgienne, elles-au- 
raient pu, sinon toujours, du moins dans quelques cas, mettre 
également la houille à découvert? L'étude de la constitution 
géognostique et stratigraphique de la zone morvando-vos- 
gienne conduit à reconnaître que les mêmes phénomènes 
géologiques se sont accomplis dans cette zone, depuis le com- 
mencement de la période houillère jusqu’à la fin de la période 
triasique, Une direction commune, celle du système du 
Hundsrück, rattache entre eux ses principaux accidents stra- 
tigraphiques et orographiques. Il est donc naturel de penser 
que la formation de la houille, qui s’est effectuée au pied des 
Vosges et autour du Morvan, a également eu lieu sur plu- 
sieurs points de la zone intermédiaire. 


Formations constituant la masse principale du Jura. — 
Au-dessus du substratum dont nous venons d'indiquer la 
composition probable, se superpose le premier des trois ter- 
rains formant la masse principale du Jura : c'est Le trias. Le 
terrain triasique constitue une vaste nappe qui se développe 
sans interruption sur toute l'étendue du bassin jurassien. 
Cette nappe est presque constamment cachée sous les forma- 
tions post-triasiques ; elle ne se montre à découvert qu'à la 
Serre et sur plusieurs points de la zone occidentale du Jura, 
où elle fait saillie sous forme de pointements keupéro-liasi- 
ques. Elle se relève ensuite dans le voisinage des massifs 
montagneux et joue dans leur constitution géognostique un 
rôle plus ou moins important. 

Dans le Jura, le trias doit ressembler beaucoup à celui du 
Wurtemberg, des Vosges et de la Lorraine. Il doit donc se 
composer des trois groupes qui le constituent : le grès bigarré, 
le muschelkalk et les marnes irisées. Maïs, en dehors du 

Jura nord-oriental, c’est la partie supérieure des marnes 
irisées qui apparaît seule à la surface du sol. 


— 357 — 


Dans le massif alpin, la série triasique comprend quatre 
termes : trois de ces termes correspondent au grès bigarré, au 
muschelkalk et au keuper; le quatrième est l'équivalent du 
calcaire de Saint-Cassian , dans le Tyrol. Le-trias des Alpes 
et celui du Jura ont été recus dans le même bassin, et comme 
rien n'indique entre eux une solution de continuité, il est 
naturel d'admettre un passage insensible entre les deux as- 
pects sous lesquels le terrain triasique se présente. Il est donc 
probable que la constitution du terrain triasique se modifie 
un peu dans la partie du Jura méridional voisine des Alpes. 
D'un autre côté, l’action sédimentaire n’ayant pas été sus- 
pendue dans le bassin jurassien entre les époques triasique et 
jurassique, il faut que le quatrième terme du trias, constitué 
par le calcaire de Saint-Cassian, soit représenté dans le bassin 
jurassien, ne füt-ce que d'une manière rudimentaire. Nous 
avons indiqué, comme étant ce représentant rudimentaire, 
l'assise des marnes irisées supérieures ou argiles à reptiles. 

Si les terrains triasique, jurassique et Crétacé forment à 
eux seuls presque toute la masse du Jura, on peut dire que, 
dans cet ensemble, c’est le terrain jurassique qui offre le plus 
d'importance. Cette remarque est surtout exacte lorsqu'on ne 
tient compte que de la partie visible ou actuellement exis- 
tante de chacun de ces terrains. Le trias, en effet, forme bièn 
au-dessous du terrain jurassique une nappe puissante et non 
interrompue; mais les forces intérieures ne l'ont porté à la 
surface du globe que sur un très petit nombre de points. 
Quant au terrain crétacé, il est probable qu'immédiatement 
après son dépôt, il recouvrait la majeure partie, sinon la tota- 
lité du Jura; mais, ainsi que nous l'avons rappelé, les phé- 
nomènes d’érosion l'ont fait disparaître d’un grand nombre 
de localités. | 

Ce que nous avons dit des caractères du terrain jurassique 
dans le bassin jurassien s'applique sans grandes modifications 
au terrain jurassique du Jura. Il nous suffira de signaler 
quelques-unes des conséquences de la situation du Jura par 


— 358 — 


rapport au bassin jurassien dont il occupe la partie centrale. 
Par suite de cette situation, les roches calcaires sont plus 
abondantes, les roches marneuses le sont moins; les strates 
n'ont pas ressenti l'influence des mouvements qui se mani- 
festaient dans les massifs montagneux et sont toutes en stra- 
tification concordante; la série des étages est complète, ou du 
moins les étages qui manquent n’ont disparu que sous l’ac- 
tion des phénomènes de dénudation; enfin, c’est dans le Jura 
que le terrain jurassique acquiert son maximum de puissance. 
Dans l'Etude précédente, nous avons exprimé notre opi- 
nion quant aux grandes divisions que l'on peut reconnaître 
dans le terrain jurassique. On à vu qu'il était permis de le 
considérer comme étant formé de deux grandes séries : la 
série liasique et la série oolitique , celle-ci comprenant trois 
termes: l'oolite inférieure, l'oolite moyenne et l'oolite supérieure, 
ce qui conduit à distinguer dans le terrain jurassique quatre 
grands groupes ou systèmes. En se plaçant à un autre point 
de vue, on peut encore adopter pour ce terrain une division 
ternaire consistant à le partager en trois termes : le terrain 
Jjurassique inférieur, correspondant à la série liasique; le ter- 
rain jurassique moyen, comprenant les systèmes oolitiques in- 
férieur et moyen; et le terrain jurassique supérieur, qui corres- 
pond au système oolitique supérieur. En réalité, ces deux clas- 
sifications ne diffèrent l’une de l'autre que par la réunion des 
deux systèmes oolitiques inférieur et moyen dans un cas, et 
par leur séparation dans l’autre. Ces deux classifications sont 
parfaitement rationnelles, et l’on peut s’en servir simultané- 
ment, suivant que l’emploi de l’une ou de l’autre se prête 
mieux à l'exposé des faits. La différence dans la nomencla- 
ture suffit d’ailleurs pour que toute équivoque soit évitée. 
Nous n'avons rien à ajouter à ce que, dans la première 
Etude, nous avons dit du terrain crétacé. Nous nous borne- 
rons à rappeler qu'il est divisible en trois groupes ou sys- 
tèmes : le système inférieur ou néocomien, le système moyen 
ou du grès vert, et Le système supérieur ou de la craie blanche. 


— 359 — 


Le terrain crétacé occupe dans le Jura trois zones assez 
distinctes. Dans la zone orientale, il ne dépasse pas la lati- 
tude de Soleure; les systèmes inférieur et moyen sont très 
développés, mais le système supérieur manque complètement. 
Dans la partie de la zone occidentale correspondant aux dé- 
partements de l’Aïn et du Jura, les systèmes inférieur et 
moyen sont très réduits, mais c'est la seule région du Jura 
où apparaisse la craie blanche. Celle-ci y est représentée par 
trois lambeaux ayant à peine un ou deux kilomètres de su- 
perficie. Enfin, une troisième zone, correspondant à la partie 
occidentale du département du Doubs, comprend le lambeau 
qui se montre aux environs de Rozet, près Saint-Vit, et la 
bande de terrain néocomien, de grès vert et de craie chlo- 
ritée qui s'observe dans la vallée de l'Ognon. Dans cette troi- 
sième zone, la craie blanche fait défaut comme dans la pre- 
mière. 


Terrains de recouvrement; terrains tertiaire, quaternaire 
et sidérolitique. — Nous avons considéré.le terrain crétacé 
comme formant le recouvrement du Jura; cette manière de 
voir, exacte lorsqu'on l’applique aux formations constituant 
ce que nous appelons la masse principale du Jura, l’est moins 
lorsqu'on a en vue tous les terrains appartenant à ce massif 
montagneux. La désignation de « terrain de recouvrement » 
doit alors être réservée au dernier des terrains sédimentaires 
appartenant au Jura, c'est-à-dire au terrain tertiaire. 

Nous avons déjà mentionné le rôle peu important joué par 
le terrain tertiaire dans la constitution géognostique du Jura. 
Ce terrain pourrait disparaître non seulement sans que la 
masse du Jura fût amoindrie, mais aussi sans que sa confi- 
guration et son aspect fussent changés. L'étude du terrain 
tertiaire du Jura offre pourtant, au point de vue où nous nous 
placons actuellement, une grande importance. Elle nous per- 
met de reconnaître quelle était la forme du Jura lors de la 
période néozoïque et de donner une date précise aux mouve- 


, — 360 — 
ments du sol qui ont imprimé à ce massif montagneux sa 
configuration. 

On à vu que la division du terrain tertiaire en trois sys- 
tèmes (éocène, miocène et pliocène) est parfaitement applicable 
au Jura et aux régions limitrophes. C'est surtout par des dé- 
pôts se rattachant au système miocène que le terrain tertiaire 
est constitué dans le Jura; ces dépôts appartiennent pour 
la plupart à la mollasse marine et se rencontrent presque 
exclusivement dans la zone orientale. 

La série des horizons géognostiques que nous venons d'é- 
numérer se termine par les formations qui datent de l'ère 
jovienne. Ce que nous avons dit par rapport au peu d’impor- 
tance du terrain tertiaire, nous pouvons le répéter avec plus 
de raison pour le terrain quaternaire. Nous nous bornerons 
à-faire remarquer que ces formations peuvent se partager, au 
point de vue chronologique, en deux groupes. Le premier 
groupe comprend le diluvium et les alluvions datant de la 
période paléolitique; dans le second groupe se placent les 
formations de la période néolitique : la tourbe, les éboulis, la 
terre végétale, etc. 

Nous mentionnerons, en dernier lieu, le terrain sidéroli- 
tique qui a attiré un instant notre attention dans l'Etude pré- 
cédente. Dans cette deuxième Etude, nous aurons à recher- 
cher le lien qui rattache ce terrain d’une nature spéciale aux 
mouvements du sol et aux dislocations qui se sont manifes- 
tés dans le Jura. 


Ordre de répartition des terrains dans le sens vertical. — 
La figure 4 indique, d’une manière générale et pour ainsi 
dire théorique, quel est le mode de répartition des terrains 
dans l’intérieur du Jura; elle achève de donner une idée gé- 
nérale de sa constitution géognostique. 

Dans cette figure, on remarque de bas en haut, et au-des- 
sus d’une ligne qui correspond au substratum du Jura : 

1° Trois zones superposées les unes aux autres et représen- 


— 361 — 

tant les terrains triasique, jurassique et crétacé. Ces trois 
zones se suivent d'une manière continue, ce qui veut dire 
que leur sédimentation n’a jamais subi d'interruption. Elles 
sont placées en retrait les unes par rapport aux autres; mais 
ce retrait n'est considérable que pour la troisième zone qui 
correspond au terrain crétacé. Nous avons voulu rappeler par 
là que ce terrain manque presque complètement dans la 
partie occidentale du Jura ; 

2° Une zone correspondant au terrain tertiaire et ne se 
montrant que dans une faible partie de la zone orientale du 
Jura; 

3° Une zone très mince, persistant sur le Jura tout entier, 
se superposant indistinctement à tous les terrains et compre- 
nant les dépôts de la période quaternaire. 

Trois espaces vides représentent chacun -une des trois la- 
cunes qui existent dans l'échelle des terrains et qui correspon- 
dent aux périodes pendant lesquelles le Jura a été émergé. La 
première de ces lacunes se place entre le substratum du Jura 
et la zone du trias ; la seconde, entre le terrain crétacé moyen 
et le terrain crétacé supérieur ; la troisième, entre le terrain 
-crétacé supérieur tt le terrain tertiaire. 

Afin de rendre le dessin aussi figuratif que possible, nous 
avons donné à chaque zone une épaisseur en relation avec 
celle du terrain qu’elle représente. Pour ne pas trop compli- 
quer ce dessin, nous avons jugé convenable de ne pas mon- 
trer, en faisant varier l'épaisseur de chaque zone, comment 
chaque terrain augmente de puissance soit dans un sens, soit 
dans un autre. 

La puissance relative des terrains que nous venons de men- 
tiouner, ainsi que la manière dont ils sont disposés les uns 
par rapport aux autres, permettent de comparer le trias au 
soubassement d’une colonne qui aurait pour fût le terrain 
jurassique et dont le terrain crétacé serait le chapiteau. Cette 
comparaison est d'autant plus exacte que le terrain triasique 
ne se montre guère à découvert que près des limites du Jura, 

24 


— 362 — 

de même que le fût d’une colonne recouvre normalement la 
majeure partie de son soubassement. Quant au terrain cré- 
tacé, puisqu'il manque sur un grand nombre de points, soit 
que son dépôt n'ait pas eu lieu partout d’une manière con- 
tinue, soit qu'il ait été détruit par les agents d'érosion, nous 
dirons que presque tout le chapiteau de la colonne a disparu. 
Enfin, en persistant dans le même ordre d'idées allégoriques, 
nous ajouterons que le substratum des terrains du Jura est 
pour nous le sol sur lequel la colonne a été dressée; quant 
aux dépôts superficiels, ils sont la croûte ou la patine dont la 
main du temps, à la longue, finit par recouvrir tous les édi- 
fices. 


Distribution géographique des terrains. — Lorsqu'on jette 
les yeux sur une carte géologique du Jura, il semble au pre- 
mier abord que les terrains y soient répartis au hasard. Ce 
fait est exact, maïs dans une certaine mesure seulement. Un 
examen plus attentif conduit à reconnaître que les terrains, 
tout en ne formant pas de zones à contours bien définis et à 
répartition bien régulière, tendent à se disposer par ordre 
d'ancienneté, en allant du côté suisse vers le côté français; 
en d’autres termes, de l’est vers l’ouest et du sud vers le 
nord. | 

En effet, nous remarquons d'abord que les lambeaux de 
terrain tertiaire appartenant au Jura ne se montrent que vers 
sa lisière orientale. 

On observe ensuite que le terrain crétacé n'atteint son plus 
grand développement que dans la partie du Jura voisine de 
la Suisse. À mesure que l’on se dirige vers l'ouest, on voit 
ce terrain perdre rapidement de son importance et disparaître 
complètement dans le Jura occidental et septentrional. Il en 
est ainsi, du moins, pour le terrain crétacé inférieur et moyen. 
Le terrain crétacé supérieur (craie blanche) n'infirme pas 
sensiblement le fait que nous venons d’énoncer; on peut . 
d’ailleurs ne pas tenir compte de ce terrain, puisqu'il n'est 


— 363 — 
constitué dans le Jura que par trois ou quatre lambeaux in- 
signifiants. 

Pendant que, pour l'observateur qui se dirige du côté suisse 
du Jura vers le côté français, le terrain crétacé disparaît peu 
à peu, le terrain jurassique prend une importance de plus en 
plus grande ; en même temps, on voit les divers étages de ce 
terrain se succéder par ordre d'ancienneté. Le terrain juras- 
sique est d’abord principalement représenté par l’oolite supé- 
rieure, puis par l’oolite moyenne et, enfin, par l'oolite infé- 
rieure qui domine dans la région des plateaux. Ce n’est que 
lorsqu'on se rapproche du bord occidental et septentrional du 
Jura qu'on voit apparaître en grand nombre les premiers 
pointements du terrain liasique, et, par conséquent, de l'é- 
tage le plus ancien de la série jurassique. Au contraire, 
l'étage jurassique le plus récent, c’est-à-dire le terrain la- 
custre supra-oolitique (étage dubisien), ne se montre que 
dans la partie tout à fait orientale du Jura. 

Enfin, les affleurements keupériens et keupéro-liasiques, 
rares et clairsemés dans l'intérieur du Jura, deviennent 
nombreux et rapprochés le long de sa lisière occidentale; ils 
s’échelonnent les uns à la suite des autres ; ils forment, de- 
puis le Bugey jusque dans le Jura bernois, une traînée qui 
a l'apparence d'un axe géognostique. Signalons, en dernier 
lieu, au delà de cette série d’affleurements keupériens, et à 
une faible distance, le pointement bien plus important de la 
Serre, où apparaissent des terrains plus anciens que ceux qui 
existent dans le Jura proprement dit. 

D'où provient le mode de répartition des terrains à la sur- 
face du Jura, tel que nous venons de l'indiquer ? Il est en 
partie la conséquence d’un état de chôses qui remonte à la 
fin de la période crétacée et qui, par conséquent, est antérieur 
au soulèvement du Jura. Il achève de s'expliquer lorsqu'on 
tient compte, ainsi que nous allons le faire, des phénomènes 
d’érosion et des actions dynamiques qui se sont manifestés 
postérieurement à la période crétacée. 


— 304 — 

Répartition des terrains à la fin de la période crétacée. — 
Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que le soulève- 
ment du Jura à été la conséquence d’un phénomène en vertu 
duquel ce massif montagneux a 6té détaché des régions voi- 
sines et enlevé comme à l'emporte-pièce. D’après cela, on com- 
prend pourquoi la distribution des terrains dépend, avant tout, 
et de la manière dont ces terrains étaient déjà répartis, dans le 
bassin jurassien, lorsque le soulèvement du Jura a eu lieu, etde 
la portion de ce bassin où le coup d’emporte-pièce a été opéré. 

D'après ce que nous avons déjà fait remarquer (Voir Et. I; 
Chap. vin), les terrains, dans le bassin jurassien, dessinaient, 
à la fin de la période crétacée, des zones irrégulières se suc- 
cédant par ordre d'ancienneté, depuis la partie centrale de ce 
bassin jusque vers ses limites, c’est-à-dire jusque vers les 
Vosges, le Morvan et les Alpes. 

Or, le coup d'emporte-pièce, auquel nous venons de faire 
allusion, a été dirigé de telle sorte que la limite orientale du 
Jura passe précisément par le centre géogénique du bassin 
jurassien, c’est-à-dire par la partie de ce bassin où se trouvent 
et où se trouvaient les terrains les plus récents. Evidemment, 
la répartition des terrains dans le Jura, soit à l’époque ac- 
tuelle, soit à la fin de la période crétacée, eût été tout autre 
si l'impulsion qui lui a donné naissance s'était fait sentir sur 
un autre point du bassin jurassien, un peu plus au sud ou 
au nord, à l'est ou à l’ouest. Aïnsi, dès le commencement 
de la période éocène, un voyageur, qui se serait dirigé de la 
partie orientale du Jura vers sa partie occidentale, de même 
que celui qui se serait éloigné du centre du bassin jurassien 
pour aller vers ses bords, aurait rencontré des terrains de plus 
en plus anciens. Cette disposition générale des terrains a été 
rendue plus apparente par le soulèvement de la Serre et le 
dénivellement des failles ; ces deux phénomènes ont amené 
au jour, vers la limite occidentale du Jura, le trias et le nou- 
veau grès rouge que, sans cela, on ne rencontrerait qu’à une 
distance assez grande. | 


— 3065 — 


Telle était la répartition des terrains à la fin de la période 
crétacée. Lorsque la mer miocène s’est montrée dans le bassin 
jurassien, elle en a occupé la partie centrale, de sorte que 
l'ordre de répartition des terrains, tel qu’il existait antérieu- 
rement, n’a pas été modifié. 


Actions dynamiques postérieures au premier soulèvement 
du Jura. — Recherchons maintenant quelle a été l'influence 
des phénomènes d’érosion et celle des actions dynamiques 
postérieures à la période crétacée. 

Si rien n'était venu modifier l'état des choses existant à la 
fin de la période crétacée, le mode de répartition des terrains 
par ordre d'ancienneté serait moins nettement accentué que 
nous venons de l'indiquer. L’observateur, qui traverse le 
Jura de l’est à l’ouest, voit les systèmes dont se compose la 
série jurassique se montrer Chacun à son tour et prédominer. 
Or, avons-nous dit, il n'existe pas dans le Jura de discor- 
dances d'isolement entre les divers étages du terrain juras- 
sique ; en d’autres termes, la mer n’a pas cessé de recouvrir 
tout le Jura pendant que ce terrain se déposait. L'étage port- 
landien, le dernier de la série jurassique, devrait seul se mon- 
trer à la surface du sol; les lignes séparatives des étages ne 
devraient apparaître qu'en dehors du Jura et dans le voisi- 
nage du Morvan et des montagnes du Beaujolais, ou tout 
au moins de la Serre. Comment ces lignes séparatives appa- 
raissent-elles dans le Jura ? 

Pour se rendre compte de cette circonstance, il faut se rap- 
peler que l'impulsion, qui a déterminé le soulèvement du Jura, 
s’est d'abord manifestée dans sa zone occidentale. On peut 
admettre que, plus un point quelconque du Jura est rappro- 
ché de la limite ouest de ce massif, et plus son émergement 
remonte à une époque éloignée; en même temps aussi, ce 
point a été soumis pendant une plus longue période à l’in- 
fluence des agents d’érosion. À mesure que l'on s'éloigne du 
côté suisse du Jura pour se rapprocher du côté français, on 


FAITES 


— 366 — 


constate que la masse des terrains enlevée à la suite des phé- 
nomènes d’ablation a été plus considérable ; on constate, en 
outre (ce qui est d’ailleurs une conséquence du fait qui vient 
d'être énoncé), que les terrains mis à découvert appartiennent 
à une époque plus ancienne. Tandis que le Jura occidental 
était émergé, tandis que sa masse subissait une diminution 
progressive, sa partie orientale, recouverte par les eaux de la 
mer miocène, recevait de nouveaux dépôts; ceux-ci non seu- 
lement augmentaient l'épaisseur totale des terrains, mais pro- 
tégeaient contre toute destruction ultérieure les terrains sous- 
Jacents. 

Ce que nous venons de dire du terrain jurassique s'ap- 
plique également au terrain crétacé; sous l'influence des 
mêmes causes sa disparition à été plus rapide dans le Jura 
occidental que dans le Jura oriental. Mais une autre cir- 
constance a occasionné le moindre développement du terrain 
crétacé au moment de son dépôt et favorisé plus tard sa dis- 
parition dans la partie ouest du Jura. C’est dans cette partie 
du Jura que la mer crétacée avait son minimum de profon- 
deur : de là, sur un grand nombre de points, l'absence de 
dépôts se rattachant à la période crétacée et, sur d’autres, 
leur faible épaisseur ; de là, aussi, une constitution pétrogra- 
phique qui devait activer leur ablation sous l'influence des 
agents d’érosion (Voir Et. I; chap. x). 


— 307 — 


CHAPITRE I 


CONSTITUTION STRATIGRAPHIQUE DU JURA, — SA STRUCTURE 
INTÉRIEURE. — RÉGIME HYDROGRAPHIQUE SOUTERRAIN. 


Puissance des divers terrains existant dans le Jura. — 
Dans le Jura nord-occidental, la puissance du trias peut être 
évaluée à 300 mètres. Si nous nous conformons à l'hypothèse 
que nous avons émise relativement à l'importance de plus en 
plus grande que le trias prend en allant vers les Alpes, nous 
serons conduit à penser que ce terrain doit avoir au moins 


400 mètres d'épaisseur dans la partie de la zone orientale du 


Jura la plus rapprochée du massif alpin. Son épaisseur va, 
au contraire, en diminuant dans le voisinage des Vosges et 
de la Forêt-Noire. 

Ce que nous venons de dire du terrain triasique s'applique 
aux divers systèmes de la série jurassique et au terrain juras- 
sique tout entier. On constate également que la puissance du 
terrain jurassique va en augmentant à mesure que l’on s’é- 
loigne de la partie nord-occidentale du Jura pour se rappro- 
cher de sa partie orientale ou méridionale. Ce fait est en re- 
lation avec les mouvements du sol qui, pendant la période 
jurassique, se sont produits vers le milieu du bassin juras- 
sien et vers ses bords, mouvements qui déterminaient des 
inégalités dans la profondeur des mers. Le lecteur se rappelle 
sans doute le principe que nous avons formulé en disant que 
la puissance des dépôts constitués sur un même point dans 
un intervalle de temps donné est, à conditions égales, pro- 
portionnelle à la profondeur des eaux qui les ont reçus (Et. T; 
chap. x). 

Dans le tableau ci-joint, nous avons essayé d'apprécier la 
puissance de chaque terrain, en nous plaçant en dehors de 


— 368 — 


toute idée préconcue et en nous basant soit sur nos observa- 
tions personnelles, soit sur les évaluations fournies par divers 
géologues. Les nombres que nous indiquons ne représentent, 
d’ailleurs, que d’une manière approximative l'épaisseur 
moyenne de chaque terrain. En outre, nous établissons une 
distinction entre le Jura nord-occidental et le Haut-Jura. La 
première colonne correspond à toute la partie de la zone occi- 
dentale comprenant les départements du Jura et du Doubs; 
l’autre colonne concerne la partie de la zone orientale appar- 
tenant à la France et aux cantons de Vaud et de Neuchâtel. 


Jura nord-ouest.| Haut-Jura. 


Oolite supérieure.....,...... 140 390 
Oolite moyenne....... FRERE 120 300 
Oolite inférieure.,........... 160 250 
Cia tennis. tre. ? 100 180 


Terrain jurassique.. ....... 020 1080 


En additionnant les nombres compris dans chaque colonne, 
on voit que la puissance moyenne du terrain jurassique est 
de 520 mètres environ dans le Jura nord-occidental. Dans le 
Haut-Jura, elle est de 1,080 mètres, ou de 1,100 mètres, en 
nombre rond, si l’on ajoute 20 mètres pour le terrain lacustre 
supra-oolitique. Nous énumérerons tout à l'heure les circon- 
stances qui ont donné au terrain jurassique du Jura oriental 
un développement vertical double de celui qu’il présente dans- 
le Jura occidental (1). 


PR RE TR ER GTR 1 Ce 


(1) D'après ErazLon, l'épaisseur totale des trois systèmes oolitiques est, 
aux environs de Saint-Claude, de 934 mètres ; en ajoutant à ce total ce 
qui appartient au lias, on arrive à une évaluation qui diffère à peine de 
celle que nous venons d'adopter. La puissance considérable que l’oolite 
moyenne acquiert dans le Haut-Jura est due au grand développement 


,3! a 0 SEL 


— 369 — 

Dans sa Géologie du département du Jura, le frère Ogé- 
rien, après avoir divisé le terrain crétacé en plusieurs assises, 
indique la puissance de chacune d'elles. En prenant pour base 
ses appréciations, on est conduit à admettre que l'épaisseur 
du terrain crétacé est de 300 mètres dans le Haut-Jura, et 
de 115 mètres seulement dans ce que le frère Ogérien appelle 
le Bas-Jura, c’est-à-dire la région des plateaux et la vallée 
de l'Ain. À mesure que l'on se dirige vers la limite nord- 
occidentale du Jura, l'épaisseur du terrain crétacé diminue 
rapidement : dans la vallée de l'Ognon, elle ne paraît pas 
dépasser 30 mètres. 

Dans les évaluations précédentes, nous n'avons pas tenu 
compte de la craie blanche qui n’est représentée que par 
quelques amas d’une très faible étendue. Le lamhbeau de 
Leissard (Aïn) a 30 à 40 mètres d'épaisseur : telle était, sans 
doute, la puissance moyenne de la craie blanche dans le 
Jura, avant qu'elle eût subi les effets si énergiques des agents 
d'érosion. Ce terrain s’amincissait rapidement vers le nord, 
mais devait augmenter d'épaisseur vers le sud. 

Nous ne citons le terrain tertiaire que pour mémoire; il 
pourrait disparaître sans que la masse du Jura fût sensible- 
ment modifiée. Il en est de même, à plus forte raison, pour 
le terrain quaternaire. 


Epaisseur totale de la zone sédimentaire dans le Jura. — 
Pour apprécier aussi exactement que possible l’épaisseur to- 
tale de la zone sédimentaire dans le Jura, il faut tenir compte 
tout à la fois et de l'épaisseur de chaque terrain, d’après les 
évaluations que nous venons d'adopter, et des différences qui 
existent entre les diverses parties du Jura sous le rapport de 
leur constitution géognostique. L'épaisseur de chaque terrain 


A 7 


du terrain corallien. Quant à l'oolite supérieure, c’est dans le canton de 
Neuchâtel que sa puissance doit atteindre son maximum, puisque Dxsor 
et Gressy l'évaluent à plus de 400 mètres. 


— 310 — 


varie d’un point à un autre ; en outre, les diverses formations 
représentées dans le Jura peuvent manquer sur certains points 
et contribuer par leur absence à diminuer l'épaisseur de la 
zone sédimentaire. Cette absence provient tantôt de ce que 
ces formations ne se sont pas constituées dans une localité 
donnée, tantôt dans ce qu'elles ont disparu sous l'influence 
des agents de dénudation. 

Par suite de diverses causes qui ont, pour ainsi dire, exercé 
une action concomitante, la zone sédimentaire présente son 
maximum de puissance dans le Haut-Jura et son minimum 
dans le Jura nord-occidental. Dans le Jura oriental, les phé- 
nomènes d'érosion ont eu leur minimum d'énergie et leur 
intervention n'a pas eu pour conséquence la disparition com- 
plète d'aucun horizon géognostique ; c'est là que chaque ter- 
rain acquiert son maximum de puissance, parce que, dans 
le Haut-Jura, s’est presque toujours trouvé le point le plus 
profond des mers qui ont successivement occupé le bassin 
jurassien ; c'est là, enfin, que les termes de la série géologique 
sont les plus nombreux, puisque, à l'exception de la craie 
blanche, tous les terrains existant dans le Jura y sont re- 
présentés: Dans le Jura occidental, des circonstances tout 
opposées à celles qui viennent d’être rappelées, ont concouru, 
au contraire, à amoindrir le développement vertical de la 
zone sédimentaire : intervention des agents de dénudation 
qui ont opéré avec une grande énergie; absence normale de 
certaines formations qui n’ont pu se constituer; moindre 
épaisseur des formations existantes due aux circonstances qui 
ont présidé à leur dépôt. 

Afin de mieux montrer la différence qu'il est permis de 
constater, sous le rapport de l’épaisseur de la zone sédimen- 
taire, entre les diverses parties de la contrée que nous avons 
en vue, prenons, dans le Haut-Jura, une localité où se montre 
le terrain tertiaire et où, par conséquent, le terrain crétacé 
n’a pas subi de dénudation; choiïsissons, en même temps, 
dans le Jura occidental, un point où le système oolitique in- 


— 371 — 


férieur apparaît à la surface du sol, les autres terrains ayant 
été enlevés par les agents de dénudation. En comparant ce 
qui se passe de part et d’autre, on est conduit à adopter, pour 
représenter l'épaisseur de la zone sédimentaire, les nombres 
suivants : 1,800 mètres pour le Haut-Jura (trias, 400 mèt.; 
terrain jurassique complet, 1,100 m.; terrain crétacé, 300 m.), 
et 560 mètres seulement pour le Jura occidental {trias, 300 m..; 
lias et oolite inférieure, 260). Ces deux évaluations consti- 
tuent un maximum et un minimum ; il nous paraît conve- 
nable de diminuer ce maximum, parce que le terrain crétacé 
a été rarement respecté dans sa totalité par les agents d’éro- 
sion, et d'augmenter le minimum parce que l’oolite inférieure 
est, sur un grand nombre de points, recouverte par tout ou 
partie de l’oolite moyenne et de l’oolite supérieure. Nous 
croyons nous rapprocher beaucoup de la vérité en admettant 
que l'épaisseur de la zone sédimentaire est de 1,600 mètres 
dans le Haut-Jura et de 800 mètres dans le Jura occidental. 

Dans la partie du Jura qui se développe au nord d'une 
ligne menée de Salins à Soleure, on pourrait également 
adopter le chiffre de 800 mètres pour représenter la puis- 
sance de la zone sédimentaire. Mais il faut tenir compte des 
formations qui entrent dans la composition du substratum 
jurassien, et porter l’évaluation que nous venons d'indiquer 
à 1,200 mètres en moyenne. Cette appréciation nous paraît 
suffisante, parce que le terrain permien et le terrain de tran- 
sition des Vosges n'existent pas nécessairement sur toute l'é- 
tendue du Jura septentrional. 

En résumé, on peut évaluer la puissance de la zone sédi- 
mentaire, dans les trois parties du Jura que nous avons suc- 
cessivement considérées, à 1,600, 800 et 1,200 mètres. La 
moyenne de ces évaluations est de 1,200 mètres : tel est le 
nombre que nous adopterons pour représenter la puissance 
de la zone sédimentaire dans la région qui fait l'objet de cette 
Etude. L’épaisseur de l'écorce terrestre étant, selon nous, de 
vingt kilomètres environ, il en résulte que la puissance de la 


— 372 — ï 
zone sédimentaire, dans le Jura, est égale à un peu plus du 
vingtième de celle de la croûte du globe. 

Structure intérieure du Jura ; conséquences des actions dy- 
namiques. — Parmi les causes qui ont imprimé au Jura sa 
structure, les unes sont antérieures aux actions dynaniques 
dont il a ressenti les effets ; les autres sont postérieures à ces 
actions, et souvent ne sont que ces actions elles-mêmes. 

Sous l'influence des premières, la zone sédimentaire s’est 
trouvée divisée en nappes correspondant à chaque terrain, 
et chacune de ces nappes a été subdivisée en strates. Sous 
l'influence des secondes, ces nappes se sont déformées ; les 
strates, de leur côté, ont perdu, comme nous l'avons dit 
maintes fois, leur horizontalité et leur continuité primitives; 
en même temps, elles ont été soumises à l'influence des agents 
d'érosion. 

Les nappes des terrains, comme les strates qui les consti- 
tuent, formaient primitivement des surfaces planes et hori- 
zontales dont la régularité était à peine interrompue par les 
variations que présentait leur épaisseur. Plus tard, elles ont 
subi des déformations, les unes locales et assez prononcées, 
les autres plus générales et à peine sensibles. Les déforma- 
tions locales sont celles que l'on observe dans le voisinage 
des failles et tout autour des soulèvements en voûte. Quant 
aux déformations générales, pour mieux indiquer leur na- 
ture et leur importance, je prendrai le lias pour exemple. Le 
lias, dont l'altitude n'est quelquefois que de 200 mètres dans 
la partie tout à fait nord-occidentale du Jura, s'élève jusqu'à 
1,500 mètres au crêt de Chalam. Il y a donc, entre ces deux 
points, une différence d'altitude de 1,300 mètres (Voir Et. I; 
chap. x1). La distance entre l'extrémité nord-occidentale du 
Jura et le crêt de Chalam étant de 100,000 mètres environ, 
il en résulte que la pente de la nappe liasique est d'environ 
13 millimètres par mètre. Et encore la nappe liasique n’a- 
t-elle été portée à la hauteur où elle se trouve que parce qu'au 


— 373 — 

crêt de Chalam elle fait partie d’un soulèvement en voûte et 
a éprouvé ce que nous venons d'appeler une déformation lo- 
cale. Mais ces déformations seraient bien plus prononcées si 
on. les suivait en dehors du Jura. La nappe liasique, que 
nous venons de voir portée à une altitude de 1,500 mètres 
au crêt de Chalam, plonge sous la plaine helvétique : à une 
distance de 25 kilomètres environ, elle se trouve, au-dessous 
du niveau de la mer, à une profondeur que l'on ne peut pas 
évaluer à moins de 1,200 mètres, si l'on tient compte de la 
puissance des terrains superposés. La différence de niveau 
est donc de 2,700 mètres, qui, répartis sur une longueur de 
25,000 mètres, donne une pente de 110 millimètres par mètre, 
c'est-à-dire près de dix fois plus forte que dans le cas précé- 
demment examiné. 

Ce sont les failles qui ont fait perdre aux strates et aux 
nappes correspondant à chaque terrain leur continuité pri- 
mitive. Elles ont découpé le Jura en fragments prismatiques 
placés les uns contre les autres. Pour donner une idée de la 
structure du Jura, il faut le comparer à une marqueterie ou 
à une vaste mosaïque. Mais, ainsi que nous l'avons déjà dit 
(Voir Et. I; chap. xr), les diverses pièces de cette mosaïque 
ont été dérangées sous l'impulsion des forces intérieures ; elles 
ont glissé les unes contre les autres de manière à faire saillie 
à la surface du sol. Ces saillies n'ont été qu'imparfaitement 
effacées par les agents d’érosion, de sorte que la mosaïque est 
encore à l'état brut et n’a été qu'imparfaitement polie et ra- 
botée. Cette disposition, due à l’entrecroisement des failles, 
s’observe principalement dans la zone occidentale du Jura. 
Mais, dans la zone orientale, les failles sont bien moins nom- 
breuses et bien moins prononcées. La structure du Jura subit 
alors une modification en rapport avec cette circonstance ; la 
division en fragments prismatiques tend à devenir moins pro- 
noncée. En même temps, l'abondance des soulèvements en 
voûte imprime aux strates des ondulations qui contrasteraient 
avec leur allure plus régulière dans le Jura occidental, s'il 


LL 


— 374 — 


nous était possible d'établir, à travers ce massif montagneux, 
une coupe profonde nous permettant d'observer directement 
ce qui se passe dans l’intérieur de sa masse. . 

Pour achever de donner une idée aussi exacte que possible 
de la structure intérieure du Jura, il nous reste à porter notre 
attention sur ce que nous appellerions volontiers sa « texture 
vacuolaire ; » c'est ce que nous allons faire en peu de mots 
dans le paragraphe suivant. 


Influence de la constitution pétrographique du Jura sur sa 
structure intérieure ; effondrements du sol; cavités souter- 
raines. — Au point de vue de l'influence que la constitution 
pétrographique du Jura exerce sur sa structure intérieure, il 
y a lieu d’abord de distinguer dans sa masse deux zones su- 
perposées et composées de roches différentes. La zone infé- 
rieure comprend le trias et les terrains sous-jacents, lorsqu'ils 
existent ; les roches calcaires y sont peu abondantes ; Les grès et 
les argiles dominent. La zone supérieure est formée par les 
terrains jurassique et crétäcé ; son principal caractère résulte 
des alternances d'horizons marneux et d'horizons calcaires. 

Dans la zone inférieure, les cours d’eau délaient et entraî- 
nent les roches argileuses ; ils dissolvent les bancs de sel 
gemme qui existent dans le keuper et peut-être dans le mus- 
chelkalk; de là la formation de cavités souterraines qui 
finissent par s'effondrer; ces effondrements déterminent à leur 
tour des dislocations et des dérangements dans les strates 
sur-jacentes. Mais ces cavités souterraines doivent persister 
pendant très peu de temps et les dérangements de strates doi- 
vent rarement se prolonger jusqu'à la surface du sol. 

Les effets auxquels nous venons de faire allusion se mani- 
festent également dans la zone supérieure; mais ils se pro- 
duisent, comme nous allons le voir, dans d'autres conditions 
et persistent pendant plus longtemps. 

Les eaux, après avoir pénétré dans l’intérieur du sol, y 
circulent librement à la faveur des failles et des fissures des 


AND 


bancs. Elles élargissent de plus en plus les canaux à travers 
lesquels s'effectue leur écoulement. Elles opèrent comme elles 
le feraient à la surface du sol ; elle agissent mécaniquement 
et chimiquement sur les calcaires qu'elles usent et décom- 
posent. Les calcaires sont moins durs et moins résistants que 
les roches siliceuses ou silicatées ; ils se prêtent à l’action 
décomposante exercée sur eux par l'acide carbonique que 
l'eau des sources, de la pluie et des ruisseaux contient.tou- 
jours en dissolution. Les marnes, également sujettes à subir 
l'action dissolvante de l'acide carbonique, sont, en outre, 
très délayables. Remarquons, enfin, que la disparition des 
assises marneuses active celle des assises calcaires placées au- 
dessus d'elles. Aussi les cavités existant dans la masse du 
Jura augmentent-elles sans cesse de dimension, et lorsque 
les strates qui en forment le plafond ne sont pas suffisamment 
soutenues, celles-ci s’affaissent et s’effondrent. De là quelques- 
uns des accidents stratigraphiques et topographiques qui con- 
tribuent à imprimer un caractère spécial au Jura et sur les- 
quels Fournet a appelé le premier l'attention des géologues. 

Mais ces cavités, avant de déterminer des effondrements, 
peuvent persister longtemps grâce à la résistance des roches 
calcaires où elles sont pratiquées. Lorsqu'elles disparaissent, 
d’autres les remplacent bientôt. Elles sont, dans tous les cas, 
assez nombreuses et assez rapprochées les unes des autres, 
pour que l’on puisse dire que le Jura à une structure caver- 
neuse et en quelque sorte vacuolaire. Cette structure permet 
de comparer sa masse à une éponge et sa surface à un crible. 


Causes qui ont modifié l'allure primitive des strates et leur 
ont imprimé les diverses inflexions qu’elles présentent. — La 
cause essentielle réside dansiles forces intérieures qui ont agi 
contre les strates et dont le siége est dans la pyrosphère. 
Parmi les mouvements qu’elles ont déterminés dans la croûte 
du globe, il en est qui se sont fait sentir d'une manière peu 
efficace ; nous voulons parler de ceux qui se sont manifestés 


— 316 — 


en affectant de larges surfaces et que nous avons décrits sous 
les noms de mouvements ondulatoire, oscillatoire et d’intu- 
mescence (Voir Prodrome de Géologie, t. IL, pages 230 et sui- 
vantes). 

Ces mouvements impriment à l'écorce terrestre des flexions 
dont le degré de courbure est assez faible pour que cette 
écorce puisse les subir sans éprouver de déchirures ou de 
solutions de continuité, et sans que les strates paraissent, 
même pour l'œil de l'observateur le plus attentif, dérangées 
de leur première horizontalité. 

Il est des cas où les mouvements affectant des surfaces 
peuvent amener des dérangements considérables dans les 
strates, et leur imprimer de fortes inflexions : c’est lorsque 
leur action se combine avec les phénomènes qui ont pour 
conséquence l'apparition des failles. Mais, ici, la cause immé- 
diate, directe, des inflexions éprouvées par les strates réside 
réellement dans les failles. 

Par conséquent, les impulsions se manifestant dans des 
directions linéaires peuvent seules imprimer aux strates leurs 
inflexions plus ou moins prononcées. Ces'inflexions se pré- 
sentent sous la forme de plissements en V ou de courbures 
en C le long des failles; elles forment le caractère essentiel 
des soulèvements en voûte. 

Parmi les causes secondaires du phénomène que nous avons 
en vue, nous mentionnerons les refoulements ou pressions 
latérales que les masses dont se compose l'écorce terrestre 
exercent les unes contre les autres. En ce qui concerne le : 
Jura, nous pensons, ainsi que nous le démontrerons par la 
suite, que cette cause peut être à peu près complètement mise 
de côté. 

Quant aux érosions souterraines qui déterminent l’appari- 
tion de cavités et plus tard d’effondrements, toujours accom- 
pagnés de dérangements dans les strates, il faut évidemment 
en tenir compte, bien qu'elles ne donnent naissance qu’à des 
accidents locaux et d’une importance secondaire. Dans le 


— 311 — 

voisinage des failles, ces efflondrements présentent des carac- 
tères particuliers que nous décrirons dans le chapitre suivant. 

Enfin, parmi les causes qui modifient l'allure des strates, 
il faut comprendre la pesanteur : la pesanteur est une force 
négative et pour ainsi dire de second ordre, puisqu'elle n'in- 
tervient que lorsque les autres forces fonctionnent ou ont 
fonctionné. Dans le dénivellement des failles, le côté qui s’a- 
baisse ne fait qu'obéir à l’action qui le sollicite vers le centre 
du globe. I1 en est de même pour les strates qui s'effondrent 
lorsqu'une cavité devient trop vaste pour que la voûte qui la 
surmonte puisse se soutenir. Quelles que soient la nature, la 
direction et l'intensité des forces qui opèrent lorsque des 
strates sont mises en mouvement, la pesanteur intervient 
toujours et exerce une influence qui souvent est peu impor- 
tante, mais qui n'est jamais nulle et qu'il ne faut jamais 
perdre de vue. 


‘ 


Plasticité et mobilité des strates ; présence de l’eau ; in- 
fluence des alternances marneuses et calcaires. — Parmi les 
circonstances qui ont facilité les mouvements des strates et 
qui, dans quelques cas, ont empêché leur rupture, il faut 
mentionner d'abord l'influence exercée par les alternances 
de marnes et de calcaires. Les assises calcaires et les assises 
marneuses n’adhèrent pas ensemble, et lorsqu'elles éprouvent 
des tractions latérales, elles peuvent glisser les unes sur les 
autres comme les diverses parties d'un meuble à coulisses. 
Ces glissements sont fréquemment favorisés par l'eau qui pé- 
nètre les surfaces de contact entre les bancs marneux et Les 
bancs calcaires. 

Les inflexions et les contournements des strates indiquent 
chez elles une certaine plasticité déterminée par diverses cir- 
constances que nous allons mentionner. 

Thurmann croyait que le soulèvement des chaînes du Jura 
s'était opéré, à plusieurs reprises, entre le commencement du 
dépôt du terrain portlandien et celui du terrain néocomien. 

25 


— 378 — 


Les soulèvements de ces chaînes et leur émergement ayant 
eu lieu, d’après lui, en même temps, il pouvait admettre que 
les strates, au moment de leur émersion, étaient encore 
douées d’une certaine mollesse qui leur permettait de prendre 
avec facilité les courbures qu’elles présentent dans les sou- 
lèvements en voûte. Mais, ainsi que nous l’avons établi 
(Voir Et. I; chap. x), les actions dynamiques qui ont peu à 
peu imprimé au Jura sa structure et son relief extérieur, 
n'ont commencé à s'exercer que vers la fin de la période : 
éocène, c'est-à-dire longtemps après le dépôt des strates qui 
ont conservé la trace de leur manifestation. Dans l’intervalle, 
le Jura avait été, en totalité ou en partie, plusieurs fois 
émergé. D'ailleurs des dépôts peuvent s'effectuer au fond de 
l’eau tout en acquérant une grande dureté. 

Toutefois, les roches sédimentaires contiennent toujours 
une certaine quantité d'eau qui a dû rendre les strates plus 
souples au moment où elles étaient dérangées de leur situation 
première. Quant à l'origine de cette eau de carrière, on peut 
penser que cette eau provient de celle où la roche s’est déposée 
et qui est restée en partie engagée dans sa masse. Mais il est 
également permis d'admettre qu'elle y pénètre à chaque ins- 
tant, soit en vertu de la capillarité, soit par suite de la pres- 
sion exercée par l’eau souterraine, lorsqu'une roche se trouve 
à une grande profondeur. Ces deux hypothèses ne sont d’ail- 
leurs nullement exclusives l’une de l’autre. 

L'état physique des roches influe également sur leur plas- 
ticité. Ce fait est incontestable pour les roches marneuses et 
argileuses. Quant aux roches calcaires, elles offrent des lignes 
de clivage qui doivent faciliter leurs mouvements, en les di- 
visant en parties indépendantes, dans une certaine mesure, 
les unes des autres. Même en l'absence de ces lignes de cli- 
vage, on aurait tort de considérer les roches calcaires comme 
formant des masses complètement rigides. Les molécules 
peuvent, jusqu'à un certain point, se déplacer afin de se 
disposer d'une manière conforme au nouvel état des choses, 


— 379 — 


et retarder ainsi le moment où une roche, ayant atteint sa 
limite d’élasticité, est obligée de se déchirer. Ces actions mo- 
léculaires interviennent alors avec d'autant plus d'efficacité 
que les forces qui les sollicitent opèrent avec plus de lenteur. 
Les expériences de M. Tresca sur l'écoulement des solides, 
les observations de Tyndall sur la plasticité de la glace des 
glaciers, la malléabilité de la houille attestée par la déforma- 
tion des bancs de combustible sous le poids des masses qu'ils 
supportent, tous ces faits, et d'autres que nous pourrions in- 
voquer, conduisent à reconnaître que, dans les roches, les 
molécules peuvent se mouvoir les unes autour des autres. 

Nous rappellerons, à ce sujet, les expériences suivantes de 
M. Miall sur la résistance du calcaire carbonifère à la flexion. 
«Il a reconnu que, tandis que l'application brusque d’un 
poids de 1 kilogramme déterminait la rupture des plaques 
d'échantillon après une flexion de 2 degrés, un poids de 200 
grammes seulement suffisait pour produire une flexion sans 
rupture de 7 degrés en trois semaines et de 11 degrés en deux 
mois. De plus, les plaques soumises à une forte flexion pré- 
sentent, pendant quelque temps, une tendance marquée à se 
rompre transversalement. M. Miall pense que, dans les cas 
où le calcaire carbonifère a subi sans se rompre des plisse- 
ments brusques, il à été préservé de la rupture par le poids 
des roches superposées. I cite un cas, dans le Yorkshire, où 
un simple pli anticlinal de ce calcaire passe, à mesure que les 
terrains superposés diminuent d'épaisseur, à une véritable 
faille avec un rejet d'une amplitude toujours croissante. » 
(Revue de Géologie. t. IX, 1873, p. 170.) 


Hydrographie souterraine.— Quelques remarques sur l'hy- 
drographie souterraine du Jura me paraissent devoir être le 
complément des considérations qui ont été formulées dans 
les pages précédentes. Le sujet, dont nous allons dire quelques 
mots en passant, est certainement très vaste ; mais nous nous 
en oCcuperons en nous plaçant à un point de vue très restreint. 


— 380 — 


Nous voudrons avant tout établir la relation qui existe entre 
la structure intérieure du Jura et son régime hydrographique. 
Nous n’aborderons nullement les questions relatives au débit, 
à la température, à l’état hydrotimétrique des sources ; nous 
ne rechercherons pas non plus quels rapports on pourrait 
constater entre le régime des sources d’une part, et, d'autre 
part, les conditions climatériques du Jura, son déboise- 
ment, etc. Si le lecteur s’est bien rendu compte de la struc- 
ture intérieure et de la configuration du Jura, il comprendra 
sans peine à quel régime, dans ce massif montagneux, doi- 
vent être soumis les cours d’eau pendant leur trajet souter- 
rain ou superficiel. Il comprendra que ce régime est fonction 
de trois éléments principaux : {° les alternances de marnes 
et de calcaires ; 2° les failles ; 3° la structure caverneuse du 
Jura. 


Influence de la composition des terrains et de la nature des 
roches. — Au point de vue hydrographique, on peut diviser 
les roches en roches imperméables, roches perméables en petit, 
roches perméables en grand. 

Les roches imperméables sont surtout les marnes et les ar- 
giles. Elles s'opposent à l'introduction de l'eau dans l'inté- 
rieur de l'écorce terrestre et à sa circulation souterraine. A 
la surface du sol, dans le Jura, les roches imperméables jouent 
un rôle tout à fait secondaire. Presque partout, les horizons 
marneux ont disparu par voie d’ablation ; ils n'apparaissent 
qu’en affleurements et ne dessinent, sur les cartes géolo- 
giques, que des zones très étroites. Leur influence, très grande 
sur l’hydrographie souterraine, est à peu près nulle sur l'hy- 
- drographie superficielle. Il n’en est pas de même pour cer- 
taines contrées, telles que la Bresse et la Sologne, que la na- 
ture de leur sol rend humides, malsaines et impropres à la 
culture. Dans les pays dont le sol est argileux et offre une 
pente faible ou nulle, l’eau pluviale, ne pouvant être absor- 
bée par un sol imperméable, ni prendre son écoulement à sa 


— 381 — 
surface, ne disparaît que très lentement par voie d’évapora- 
tion et détermine, en restant stagnante, la formation de 
mares, d'étangs et de marais (1). 

Les roches perméables en petit possèdent des vides nombreux 
qui leur permettent de se pénétrer d’eau dans toute leur 
masse avec une grande facilité. Dans ces roches, l’eau circule 
tantôt en vertu de la capillarité, tantôt par suite de son propre 
poids ou de la pression exercée sur elle par l’eau qui tend 
également à s’infiltrer dans la masse déjà imbibée. Parmi 
les roches que l’on peut citer comme étant perméables en 
petit, je mentionnerai les schistes, où l’eau circule entre les 
feuillets tout en ne pénétrant qu'avec difficulté dans la sub- 
sance même de ces feuillets; les sables, les grès et les 
roches possédant une texture analogue ; les conglomérats, sur- 
tout lorsque leurs éléments ne sont pas cimentés, les roches 
employées comme pierres à filtrer, quelques trachytes, les 
cendres et les scories volcaniques, etc. Les roches perméables 
en petit ne consistent, dans le Jura, qu’en quelques grès ap- 
partenant aux terrains jurassique et crétacé; nous pouvons 
n’en tenir aucun compte. En exprimant cette opinion, nous 


(1) Il ne faut pas confondre le degré de perméabilité d'une roche 
avec son degré d'hygroscopicité. Les roches que nous considérons comme 
perméables en grand ou en petit, sont celles qui absorbent le moins 
d'eau, tandis que celles que nous avons appelées imperméables ont, si 
l'on peut s'exprimer ainsi, une granée affinité pour elle. Il est aisé de 
s'expliquer ce fait, en apparence paradoxal, si l'on se rappelle que les 
roches perméables ne laissent circuler l'eau dans leur intérieur qu'à la 
faveur des vides qu'elles présentent et qui permettent de les comparer 
à «les cribles ou à des tamis ; les autres, au contraire, absorbent rapi- 
dement l'eau par l'intermédiaire de tubes capillaires, et c'est pour cela 
qu'elles happent à la langue; une fois que les molécules d’eau ont pé- 
nétré dans ces tubes capillaires, elles ne se dégagent qu'avec difficulté ; 
en obstruant ces tubes, elles s'opposent à ce que d'autres molécules de 
liquide viennent les remplacer ; elles rendent par conséquent impossible 
toute circulation de l'eau dans les roches imperméables. Le granite et 
le calcaire sont généralement des roches peu hygroscopiques ; les 
marnes, la craie blanche, les argiles, le kaolin pur, le sont beaucoup. 


— 382 — 
faisons abstraction, bien entendu, du terrain triasique qui se 
cache à une profondeur très grande. 

Parmi les roches perméables en grand, il faut placer quel- 
ques granites, certains &rès à grain serré, les balsates et sur- 
tout les calcaires. Les calcaires, par suite de leur texture très 
compacte, se laissent difficilement imbiber par l'eau; mais 
ils présentent fréquemment des fentes ou cavités où l'eau pé- 
nètre et circule très facilement, en formant quelquefois de 
véritables rivières souterraines. De là, à cause de l'abondance 
des roches calcaires dans le Jura, un des caractères essentiels 
du régime hydrographique de ce pays. 


Alternances de marnes et de calcaires; horizons aqui- 
fères. — Nous n'avons pas besoin d'insister sur le rôle qui est 
dévolu aux alternances de marnes et de calcaires. Les assises 
marneuses sont imperméables et forment les nappes ou hori- 
zons aquifères. Au-dessus de chacune de ces nappes se place 
un ensemble plus ou moins puissant de calcaires plus ou moins 
fracturés. Ces calcaires sont des roches perméables en grand 
et constituent les nappes d'alimentation. L'eau y circule libre- 
ment lorsqu'elle trouve une issue, et, dans le cas contraire, 
s'y accumule en quantité plus ou moins grande. 

Evidemment, l'importance d’un horizon aquifère dépend 
tout à la fois de la puissance du massif calcaire qui lui amène 
les eaux et de l'épaisseur des marnes qui les retiennent. À ce 
titre, les marnes liasiques constituent le niveau aquifère le 
plus important du Jura. Mais la circonstance suivante con- 
tribue également à augmenter leur importance dans une pro- 
portion considérable. Les eaux doivent passer fréquemment 
d'un niveau aquifère au niveau sous-jacent, en mettant à 
profit les failles et les fentes accidentelles qui traversent les 
bancs marneux. Il en résulte que l'horizon aquifère, constitué 
par les marnes liasiques, est alimenté non-seulement par le 
massif calcaire sur-jacent, mais aussi par les nappes aquifères 
supérieures. AD «re 


— 333 — 

Les niveaux aquifères varient, d’un point à un autre, avec 
l'altitude et la constitution géognostique de chaque localité. 
Dans le Jura occidental et septentrional, les principaux hori- 
zons aquifères sont au nombre de deux : les marnes liasiques 
et les marnes oxfordiennes; des horizons aquifères d’une 
moindre importance correspondent aux marnes vésuliennes, 
séquaniennes, kimméridiennes et portlandiennes. Dans le 
Jura oriental, l'horizon aquifère correspondant au lias perd 
de son importance ou même disparaît complètement ; mais 
les marnes néocomiennes prennent assez d'extension pour 
constituer un niveau aquifère assez important : toutefois ce 
sont les marnes oxfordiennes qui, en cette partie du Jura, 
jouent le principal rôle dans le régime hydrographique sou- 
terrain. | 


Influence des failles et de la structure caverneuse du Jura ; 
sources vauclusiennes. — Il n'est pas nécessaire d'’insister 
beaucoup pour mettre en évidence l'influence prépondérante 
exercée par la structure vacuolaire du Jura sur son régime 
hydrographique souterrain ou superficiel. Nons avons com- 
paré la surface du Jura à un crible ; cette circonstance explique 
comment les cours d’eau, sujets à rencontrer des ouvertures 
et des cavités plus ou moins profondes, ont peu d'étendue; ils 
ne peuvent avoir un long trajet, à moins qu'ils ne coulent 
dans des vallées profondément encaissées. Quelques rivières, 
le Doubs, le Lison, l'Ain, subissent des interruptions dans la 
partie supérieure de leur cours; mais ces interruptions cessent 
dès que ces rivières arrivent à des niveaux trop bas pour que 
les eaux disparaissent dans les cavités qui se trouvent sur leur 
passage. Ces cavités, bien au contraire, servent souvent d’issue 
aux eaux qui arrivent des plateaux situés dans le voisinage et 
déterminent des sources sous-riveraines ; elles contribuent 
alors à augmenter le débit de la rivière et non à le diminuer. 

Si l’on tient compte de la structure caverneuse du Jura, on 
concevra que les sources soient relativement rares dans ce mas- 


— 384 — 


sif montagneux, mais qu’elles y aient un débit considérable. 
Dans les régions qui entourent le Jura, les sources, alimentées 
par des roches perméables en petit sont plus nombreuses, 
se montrent pour ainsi dire à chaque pas; mais elles ont un 
faible débit. La plupart des sources du Jura appartiennent au 
type des sources que Fournet appelait vauclusiennes et que 
M. Desor a proposé de désigner sous le nom de doues. Dans 
ce cas, une source n'est que le point où un cours d’eau, ayant 
acquis pendant son trajet dans les profondeurs du sol une 
importance suffisante pour être considérée comme une rivière 
souterraine, commence à couler à découvert. Nous avons 
comparé le Jura à une éponge. Mais puisque l’eau pénètre 
dans toutes les cavités dont il est criblé, pourquoi ne complé- 
terions-nous pas cette comparaison en disant que le Jura est 
une éponge imbibée d'eau ? - 
Quant aux failles considérées dans leurs relations avec le 
régime hydrographique souterrain, nous rappellerons qu'on 
les a comparées, avec raison, à d'immenses conduits collec- 
teurs; mais il y à une restriction à faire à ce sujet. On ne 
constate pas toujours une concordance parfaite entre la ma- 
nière dont les sources sont distribuées et le réseau dessiné 
par les failles. Puisque le sol du Jura est caverneux et fissuré 
dans tous les sens, les eaux, dans leur trajet souterrain, s'é- 
chappent quelquefois des conduits collecteurs fournis par les 
failles, lorsqu'il se présente une issue latérale. Il est alors 
permis de dire aue la conduite d'eau existe bien, mais une 
félure dans les tuyaux a livré à l'eau une ouverture acci- 
dentelle. . 


— 385 — 


CHAPITRE IV 


FAILLES. — LEUR MODE DE FORMATION. — LEURS PRINCIPAUX 
CARACTÈRES. 


Considérations préliminaires. — Dans l’avant-propos, nous 
avons dit que l'importance du rôle joué par les failles, dans 
la structure intérieure et le modelé du Jura, serait pour nous 
un motif de nous en occuper d'une manière spéciale. Une 
autre considération nous engage à consacrer à leur étude au- 
tant de place que le comporte le plan que nous nous sommes 
tracé. C’est le Jura nord-occidental ou franc-comtois que 
nous avons principalement en vue dans cette série de recher- 
ches. Or cette partie du Jura est celle où les failles se mon- 
trent en plus grand nombre, présentent leur maximum de 
dénivellement et atteignent leur plus grande dimension dans 
le sens de la longueur. 

Les failles (en anglais fault, de l'allemand fall, chute, 
affaissement) sont des fentes ou cassures planes qui se diri- 
gent, à travers l'écorce terrestre, en conservant une direction 
qui se rapproche plus ou moins de la verticale. Leur verti- - 
calité et leurs grandes dimensions les distinguent des autres 
fractures existant dans la croûte du globe. Le caractère essen- 
tiel d'une faille, c'est le glissement de ses deux côtés l’un 
contre l’äutre, l’un s'étant exhaussé, tandis que l’autre s’est 
abaissé. Il en résulte que les parties correspondantes d’une 
même faille, c'est-à-dire celles qui étaient contiguës avant 
son apparition, ne se maintiennent pas au même niveau. 

La distance verticale qui, dans une faille, sépare les deux 
parties d’une même strate après leur disjonction, mesure le 
rejet ou le dénivellement de cette faille. Les deux côtés d’une 
faille en sont les lèvres ou les bords. L'une de ces lèvres s'é- 


— 386 — 

lève, au-dessus du sol et de la lèvre opposée, d’une quantité 
égale à la dénivellation. Le côté qui s’est élevé forme la tête 
de la faille, l’autre en est le pied. Très fréquemment, les 
agents d’érosion ont fait disparaître le bord saillant de la 
faille qui alors est dite sans rel'ef; il convient, dans ce cas, 
de remplacer les désignations de pied et de tête de la faille 
par celles de cûté inférieur et côté supérieur. On appelle regard 
d’une faille le point de l'horizon vers lequel est tourné son 
bord saillant. 

Les failles proprement dites, c'est-à-dire celles qui font en 
partie l'objet de cette Etude, ne sont pas des accidents locaux. 
Elles résultent, comme nous essaierons de le démontrer, des 
actions moléculaires qui se manifestent dans toute l'étendue 
de l'écorce terrestre, et des impulsions qui ont leur point de 
départ dans la pyrosphère. Les actions moléculaires inter- 
viennent, dans la formation des failles, en déterminant, dans 
la masse de l'écorce terrestre, l'établissement d'un réseau de 
fissures qui découpent cette écorce en fragments prismatiques. 
Plus tard, les impulsions, qui ont leur point de départ dans 
la pyrosphère, font glisser ces fragments les uns contre les 
autres et les portent à des niveaux différents. Dans la forma- 
tion d'une faille, il faut donc distinguer deux phénomènes 
successifs; mais on ne doit pas perdre de vue que le premier 
de ces phénomènes n'a pas toujours le second pour consé- 
quence. 

Avant d'aborder le sujet que nous nous proposons de trai- 
ter, nous allons résumer en peu de mots l'état de nos con- 
naissances sur la structure et le mode de formation de l’é- 
corce terrestre. 


Structure et mode de formation de l'écorce terrestre. — 
Nous rappellerons d'abord que l'écorce terrestre se compose 
d’une zone moyenne qui s’est constituée la première; on peut 
la considérer comme étant actuellement la charpente ou l'os- 
sature de la croûte du globe. Elle est formée de granite et de 


» 


< _— 387 — 
roches analogues, toutes d'origine hydro-thermale, c'est-à-dire 
produites par le concours de l’eau et d’une haute température. 

Au-dessus de la zone moyenne ou primitive se place la 
zone épigénique, formée par voie d'action sédimentaire et par 
le concours exclusif de l’eau. Elle résulte de la superposition , 
des sédiments qui s'accumulent au fond des lacs et des mers, 
Elle se compose de strates ou parties planes empilées les unes 
au-dessus des autres; elle présente ainsi une structure stra- 
tifiée qui contraste avec la structure massive des autres parties 
de la croûte du globe. 

Tandis que l'écorce terrestre s’accroît de bas en haut par 
la superposition des terrains sédimentaires, elle prend une 
épaisseur de plus en plus grande par la juxtaposition de 
nappes empruntées à la pyrosphère et successivement soli- 
difiées. L'ensemble de ces nappes forme la zone hypogénique 
ou ignée, zone que nous ne pouvons pas connaître par l'ob- 
servation directe, et que les dislocations de l'écorce terrestre 
n'ont mises nulle part à découvert. 

Nous admettrons que l’écorce terrestre a une épaisseur de 
20 kilomètres qui se répartissent, de la manière suivante, 
entre les trois zones dont elle se compose. 

Nous évaluons, sous toutes réserves, la puissance moyenne 
de la zone sédimentaire à cinq kilomètres. Cette évaluation 
serait peut-être trop faible, si l’on tenait compte de l'énorme 
épaisseur que les géologues américains donnent aux terrains 
anciens de leur pays. Cette épaisseur si grande constitue pour 
nous un fait exceptionnel, que l'absence de documents, et 
léloignement du pays où il se manifeste, ne nous permettent 
pas d'apprécier à sa valeur. Ce qu'il importe de ne pas perdre 
de vue, c'est que la puissance de la zone sédimentaire est très 
variable ; très épaisse dans certaines régions, cette zone dis- 
paraît complètement sur d’autres, et la zone granitique se 
montre alors à la surface du sol. 

Quant à l'épaisseur de la zone ignée ou hypogénique, on 
conçoit que l'absence complète de données ne nous permette 


— 388 — 


pas de l’apprécier d’une manière même approximative. Il est 
une hypothèse que nous serions porté à admettre : c’est que 
l'écorce terrestre s'accroît en bas par voie de solidification 
directe dans la même proportion qu'en haut par voie d’ac- 
tion sédimentaire. La conséquence de cette hypothèse, c’est 
que la puissance moyenne de la zone ignée serait la même 
que celle de la zone stratifiée, c’est-à-dire de cinq kilomètres. 
D'un autre côté, comme il est naturel de penser que la puis- 
sance de la zone primitive est assez uniforme, nous sommes 
amené à cette conclusion : c’est que l'épaisseur de la zone 
isnée varie beaucoup, de même que celle de la zone sédimen- 
taire, ce qui revient à dire que le refroidissement et la solidi- 
fication de la partie superficielle de la pyrosphère sé sont 
opérés d'une manière inégale. Ce refroidissement a été plus 
rapide sur les points où, par suite de l’amincissement de la 
zone sédimentaire, l'écorce terrestre avait moins d'épaisseur ; 
plus lent sur les points où cette zone était plus puissante. Il 
en résulte que les points où la zone sédimentaire a le plus 
d'épaisseur correspondent verticalement à ceux où la zone 
ignée s’amincit le plus, et réciproquement. 

D’après ce qui précède, la zone primitive, c'est-à-dire la 
croûte du globe diminuée des zones ignée et sédimentaire, 
serait de 10 kilomètres Nous avons admis qu'elle avait une 
épaisseur uniforme parce que, à une certaine époque, elle 
constituait à elle seule toute l'écorce terrestre, et dès lors, 
comme aujourd'hui, les dimensions de la croûte du globe, 
dans le sens de la profondeur, devaient être partout à peu 
près les mêmes. 

Nous n'attachons pas plus d’ pics qu'il ne faut aux 
évaluations que nous venons de formuler. Si nous cher- 
chons à nous faire de la structure de la partie de l'écorce ter- 
restre correspondant au Jurà une idée plus précise et en rela- 
tion avec les faits que nous aurons à mentionner, nous serons 
conduit à distinguer dans cette écorce terrestre deux zones 
seulement : une zone sédimentaire dont nous avons évalué la 


— 389 


puissance à 1,600 mètres au maximum (Jura oriental), 800 
mètres au minimum (Jura occidental), et 1,200 mètres en 
moyenne. Au-dessous se place l'ensemble résultant de la 
réunion de la zone granitique et de la zone ignée. 


Pyrosphère; son rôle dans les mouvements du sol ; absence 
de cavités dans l’intérieur de la croûte du globe. — Nous 
appelons pyrosphère cette partie de l'écorce terrestre où la 
matière est à l'état de liquéfaction ignée et qui se trouve en 
relation directe avec l'écorce terrestre. Elle supporte celle-ci, 
comme la mer supporterait un vaste radeau aux pièces mal 
jointes. C'est de la pyrosphère que partent toutes les impul- 
sions, brusques ou lentes, ressenties par l’écorce terrestre ; 
c’est aussi dans cette pyrosphère que s’alimentent les courants 
de matière éruptive qui pénètrent à travers cette écorce. 

Les mouvements de l'écorce terrestre ne sont que le contre- 
coup de mouvements correspondants se produisant dans la 
pyrosphère. Le lecteur aura peu de peine à admettre ce prin- 
cipe, s’il tient compte de la faible amplitude de ces mouve- 
ments par rapport à la masse du globe. 

Le rayon terrestre étant de 6,000 kilomètres, et les plus 
hautes montagnes n'ayant pas 10,000 mètres d'altitude, il 
suffit, pour expliquer leur formation, d'admettre, pour ce 
rayon, un allongement qui serait d'un millimètre sur un 
globe de 1" 20 de diamètre. L'altitude du plus haut sommet 
du Jura (le Reculet, Crêt de la neige) étant de 1,723 mètres, 
un allongement, de moins d’un cinquième de millimètre, du 
rayon de ce globe, serait suffisant pour expliquer le soulève- 
ment de ce massif montagneux. Enfin, les plus forts dénivel- 
lements des failles du Jura atteignant 600 mètres environ, 
il en résulte que, pour expliquer leur formation, il n’y a qu'à 
admettre dans la pyrosphère une intumescence inférieure à 
un dix-millième du rayon de notre planète, soit un dixième 
de millimètre sur une sphère dont le rayon aurait un mètre 
de longueur. 


— 390 — 


On voit que l'hypothèse que nous adoptons, et qui servira 
de base à une partie des théories que nous allons développer, 
n’a rien d’excessif. Si quelque chose doit nous étonner, c’est 
que la mince pellicule qui nous supporte ne soit pas plus 
agitée. 

L'écorce terrestre a dû, dès son origine, s'adapter exacte- 
ment à la pyrosphère, et, à vrai dire, on ne sait pas s'il existe 
entre l’une et l’autre une ligne de démarcation bien tranchée. 
Probablement, la zone inférieure de la croûte du globe, dans 
sa partie voisine de la pyrosphère, ne passe de l'état solide à 
l'état liquide que par des transitions qui, bien que s’opérant 
d’une manière assez rapide, n’en sont pas moins graduées. 

Des cavités existent vers les parties tout à fait supérieures 
de l'écorce terrestre; nous avons même vu qu'elles étaient 
très abondantes dans le Jura, quoique toujours de très petites 
dimensions. Mais elles manquent complètement dans la ma- 
jeure partie de la croûte du globe, et si, par une circonstance 
ou une autre, il s’en produisait, elles seraient bientôt détruites 
soit par les éboulements, soit par l’arrivée de la matière 
éruptive. 

La manière dont l'écorce terrestre s’accroit de haut en bas, 
pour ainsi dire molécule par molécule, exclut l'idée d’un vide 
quelconque entre cette écorce et la pyrosphère. Nous rejetons 
par conséquent l'hypothèse d'une atmosphère souterraine, 
ainsi que les divers systèmes que l’on a proposés pour expli- 
quer ce qui se passe dans l’intérieur du globe, systèmes qui 
sont du domaine du roman plutôt que de la science. 


Actions moléculaires se manifestant dans l'intérieur de 
l'écorce terrestre. — Les failles ont pour première origine les 
mouvements moléculaires qui se manifestent avec une grande 
lenteur dans l’intérieur de la croûte du globe, et dont l’im- 
portance, dans la théorie des failles, est trop grande pour que 
nous ne disions pas quelques mots de leur nature avant de 
rechercher leurs effets. 


pe 


à 


— 391 — 


Ces mouvements moléculaires sont dûs à plusieurs causes 
dont quelques-unes nous sont inconnues, tandis que d’autres 
peuvent être soumises à notre examen. Parmi celles-ci nous 
mentionnerons le refroidissement de l'écorce terrestre, le pas- 
sage à l'état cristallin des substances dont cette écorce se com- 
pose, et le desséchement accidentel des roches primitivement 
imbibées d'eau. Ces mouvements sont, en partie, du même 
ordre que ceux qui ont pour conséquences la formation de 
félures dans les roches et leur clivage ; seulement ils se 
produisent dans de plus grandes proportions. [ls rappellent 
par leurs effets, sinon toujours par leur nature, ceux qui dé- 
terminent le réseau de fissures existant dans le basalte, dans 
l'argile desséchée ou à la surface des corps recouverts d’un 
vernis. Cela posé, recherchons comment fonctionnent les 
causes qu'il nous est donné d'apprécier et qui sont suscep- 
tibles d'amener dans les roches un mouvement de contrac- 
tion moléculaire. 

Les terrains stratifiés ne se maintiennent pas toujours au 
niveau où ils se trouvaient au moment de leur dépôt. Tôt ou 
tard, ils participent aux divers mouvements qui s’exercent sur 
l'écorce terrestre, tantôt dans un sens et tantôt dans un autre. 
S'ils obéissent à une impulsion de bas en haut, ils sont émer- 
gés et, dès lors, soumis à l'influence des agents d'érosion ; ils 
sont destinés à disparaître, et nous n'avons pas à nous en 
occuper. 

Si les terrains stratifiés obéissent à une impulsion de haut 
en bas, ils sont bientôt recouverts par d’autres dépôts qui les 
mettent à l'abri de toute destruction ultérieure; ils s’enfon- 
cent de plus en plus et deviennent définitivement partie in- 
tégrante de l’écorce terrestre. La pression des masses super- 
posées, jointe à l'élévation progressive de la température, doit 
amener la disparition d’une certaine quantité d'eau primiti- 
vement renfermée dans la roche et, par suite, un mouvement 
de contraction. Mais ce mouvement de contraction est en 
partie compensé par la circonstance suivante : une roche 


— 392 — 


sédimentaire, à mesure qu'elle s’affaisse et qu’elle se recouvre 
d’autres dépôts, atteint des profondeurs où la température est 
de plus en plus élevée; sous l'influence de cette cause, elle 
tend à se dilater plutôt qu’à se contracter. 

Quant à la zone ignée ou hypogénique, les roches dont elle 
se compose sont complètement anhydres. Par conséquent, ce 
n'est pas par la disparition de l’eau qu'elles peuvent se con- 
tracter ; leur contraction s'effectue en vertu de l’abaissement 
considérable de température qu’elles éprouvent, abaissement 
qui est dû lui-même au refroidissement cosmogonique de 
notre planète. 

Enfin, dans ces diverses zones, et surtout dans la zone su- 
périeure, les roches diminuent de volume en passant de l’état 
amorphe à l'état cristallin. D'après M. Delesse, la contraction 
des roches par voie de cristallisation est souvent égale au 
dixième de leur volume. Les roches peuvent, d’ailleurs, di- 
minuer de volume en prenant une texture de plus en plus 
compacte qui n’est qu'un acheminement à la texture cris- 
talline. 

Nous serions porté à admettre que les contractions molécu- 
laires se manifestent avec moins d'énergie dans la zone sédi- 
mentaire que dans les zones sous-jacentes; l'agent principal 
de ces contractions est, en effet, le refroidissement de la 
croûte du globe, et ce refroidissement produit des effets plus 
marqués dans les roches qui étaient jadis à l’état de liquéfac- 
tion ignée que dans celles qui se sont constituées dans l’eau 
de l'océan toujours douée d'une faible température. On verra 
quelles conséquences nous nous croirons autorisé à tirer de 
la remarque que nous venons de faire. 


Lignes de moindre résistance; lignes de retrait. — Disons 
comment les actions moléculaires dont il vient d'être ques- 
tion donnent origine à des lignes de moindre résistance, des- 
tinées à se transformer plus tard en lignes de retrait, qui sont 
le point de départ dans la formation des failles. 


— 393 — 

Soient (fig. 5) À et B, deux centres d'attraction vers chacun 
desquels les molécules voisines tendent à se diriger dans leurs 
déplacements. Supposons que l'intensité des forces qui agis- 
sent autour de chacun de ces points soit la même de part et 
d’autre ; cette hypothèse n'importe nullement à notre raison- 
nement, mais le simplifie : recherchons ce qui se passera le 
long d’une ligne MN menée verticalement à la ligne qui joint 
les points À et B et par le point O0 milieu de cette ligne. 

Evidemment, les molécules placées les unes à droite, les 
autres à gauche de la ligne MN, attirées dans des directions 
opposées, tendront à se séparer et à laisser un vide entre elles. 
Sur un tout autre point, au point C, par exemple, le même 
résultat ne se manifestera pas. La molécule C, en se déplaçant 
dans le sens du point 4, est aussitôt remplacée par une autre 
molécule qui se trouve derrière elle et qui obéit à la même 
attraction. Le vide, se produisant le long de la ligne HN, ira 
en croissant, tant que la force d'attraction s’exerçcant autour 
des points À et B n’aura pas produit tout son effet. 

La ligne HN est aussi une ligne de moindre résistance. Si, 
avant qu'aucune solution de continuité ne se soit établie entre 
les points 4 et B, il se produit, dans l’intérieur de la croûte 
du globe, une action dynamique telle qu'une déchirure doive 
nécessairement en résulter, celle-ci se manifestera le long de 
la ligne MN. C’est ainsi qu'une feuille de papier, tirée par les 
mains en deux sens opposés, se déchire de préférence le long 
du pli qu'on y a préalablement imprimé. Quant à ces déchi- 
rures, elles peuvent résulter notamment des variations brus- 
ques de température qui se produisent dans l'intérieur de 
l'écorce terrestre, lorsque certaines régions deviennent le siége 
de phénomènes volcaniques. Ces changements brusques, 
dans l’état thermométrique de l’écorce terrestre, amènent des 
changements dans son état moléculaire et donnent origine 
à des fendillements semblables à ceux que l’on observe dans 
une lame de verre que l'on approche d'un corps incandescent, 
ou qui subit brusquement un faible changement de tempéra- 

26 


— 394 — 
ture. Ces déchirures peuvent provenir aussi des secousses 
que les mouvements de la pyrosphère impriment à l'écorce 
terrestre, et notamment des tremblements de terre. : 

Les actions moléculaires, qui donnent naissance aux lignes 
de retrait, s’exercent dans tous les sens; mais, dans tous les 
sens aussi, les déplacements moléculaires, effectués en vertu 
des causes que nous avons mentionnées, sont compensés par 
la pesanteur. En d’autres termes, il peut se produire, sur tous 
les points de l’intérieur de l'écorce terrestre et dans toutes les 
directions, des lignes de moindre résistance et des lignes de 
retrait; mais ce n’est que lorsque ces dernières lignes se 
rapprochent de la verticale qu’elles ne finissent pas par dispa- 
raître sous le poids des masses sur-jacentes. C'est pour cela 
que les fissures, qui forment un réseau dans l'argile ou la 
vase qui se dessèche, sont toujours à peu près verticales. 
C'est par un concours de circonstances analogues que les 
prismes du basalte sont perpendiculaires aux Surfaces de re- 
froidissement. 

Nous posons donc en fait que les lignes de retrait sont toutes 
verticales ; ce principe est dans notre théorie d’une grande 
importance, puisque la verticalité des lignes de retrait nous 
conduira à admettre la verticalité des failles. 


Failles à l'état latent. — Tant que les impulsions qui ont 
leur point de départ dans la pyrosphère n’agissent pas contre 
les parties de l'écorce terrestre où existent les lignes de 
moindre résistance et les lignes de retrait, une faille est, 
en elle-même, un accident d'une minime importance. Les 
étages placés des deux côtés de la faille se maintiennent au 
même niveau et se correspondent exactement; à la surface 
du sol, il est impossible à l'observateur le plus attentif de con- 
stater son existence. La faille reste, pour ainsi dire, à l'état 
latent; elle constitue l’état initial d'un phénomène dont nous 
allons maintenant indiquer le développement ultérieur. 


— 395 — 


Dénivellation des failles; ses causes. — Supposons qu'à 
un moment donné, les forces qui ont leur siége au-dessous 
de l'écorce terrestre agissent contre la face inférieure de cette 
écorce. Si elles exercent partout la même pression, elles sou- 
lèveront, en les portant au même niveau, les deux côtés de la 
faille, et celle-ci persistera dans ce que nous venons d’appeler 
son état latent. Mais si les deux côtés sont inégalement pous- 
sés, ils ne s’exhausseront pas de la même quantité. Il pourra 
même arriver qu'un côté s’exhausse ou s’abaisse, tandis que 
l'autre restera immobile. Enfin, par suite d'un mouvement 
de bascule que l'on observe fréquemment däns les impulsions 
subies par la croûte du globe, les deux côtés de la faille pour- 
ront, en se déplaçant, prendre des directions opposées : l’un 
s’abaissera, l'autre s'exhaussera. Dans ces divers cas, il ÿ 
aura dénivellation : les étages cesseront de se correspondre, 
et, à la surface du sol, des terrains différents, mis en contact 
immédiat et portés au même niveau, avertiront le géologüue 
qu'il se trouve sur le trajet d’une faille, : 

En définitive, une faille n'est d'abord qu'une ligne de 
moindre résistance qui se change ensuite en une ligne de re- 
trait ou fente dont l'existence devient de plus en plus évi- 
dente, parce que c’est le long de ces lignes que les déchirures 
de l'écorce terrestre tendent à s’opérer. Plus tard, la faille 
quitte son état latent; elle acquiert une existence réelle, 
lorsque la dénivellation des côtés se produit. ee 

On voit que nous établissons une distinction très nette 
entre les deux états successifs d'une même faille ; c’est ce 
que le lecteur ne doit pas perdre de vue afin de mieux com- 
prendre les considérations que nous serons conduit à for- 
muler par rapport aux failles étudiées soit en elles-mêmes, 
soit dans leurs relations avec d’autres accidents stratigra- 
phiques. Entre ces deux choses, nous admettons la différence 
qui existe entre une idée préconçue et sa réalisation, ou, si 
l'on veut nous permettre l'emploi d’une expression empruntée 
à la métaphysique, entre l'être et le devenir. Du reste, cet 


— 396 — 


intervalle entre les deux périodes qui marquent la formation 
d’une faille peut être très court. [1 devient même nul lorsque 
la déchirure de l’écorce terrestre se manifeste, sous l’impul- 
sion des forces intérieures, en même temps que la dénivella- 
tion de ses deux côtés. 


Hypothèse d’effondrements souterrains et de tassements 
dans l'écorce terrestre, — Quelques personnes, tout en nous 
accordant que le point de départ dans le phénomène qui a 
pour conséquence l'apparition d’une faille est bien la forma- 
tion d’une ligne de retrait, pourraient admettre que l’action 
dynamique qui détermine la dénivellation n’a pas son siége 
dans la pyrosphère, et qu’elle résulte tout simplement d’effon- 
drements de cavités souterraines ou du tassement des diverses 
parties dont se compose l'écorce terrestre. À cause de sa sim- 
plicité, cette hypothèse offre quelque chose de séduisant, sur- 
tout pour les géologues qui aiment à chercher le plus près 
possible de la surface du globe la cause des phénomènes géo- 
logiques ; mais, selon nous, elle n’est pas admissible en ce 
qui concerne les failles proprement dites. 

Nous avons précédemment parlé des effondrements qui, de 
temps à autre, se manifestent dans le Jura. Si les cavités, 
cause de ces effondrements, se trouvent sur le trajet d’une 
ligne de retrait, l'effondrement pourra s'effectuer, dans quel- 
ques cas, de manière à déterminer une cassure qui aura toutes 
les allures d’une faille. Mais on aurait tort évidemment de 
considérer ces cassures ou pseudo-failles et les failles propre- 
ment dites, que nous avons ici spécialement en vue, comme 
constituant un seul et même phénomène. 

On nous objectera, sans doute, que l'analogie serait com- 
plète si on admettait, dans l'intérieur de l'écorce terrestre, 
des cavités assez vastes pour donner origine à des accidents 
d'une étendue comparable à celle des failles. Mais c'est pré- 
cisément l'existence de cavités, dont les dimensions se mesu- 
reraient par des centaines de kilomètres, qui est complètement 


— 397 — 


inadmissible. L’écorce terrestre présente bien des vides, mais 
vers sa partie supérieure seulement; et ces vides, dont nous 
connaissons là véritable origine, ont toujours de très faibles 
dimensions. 

L'hypothèse de tassements s'effectuant dans toute la masse 
de l'écorce terrestre semble, au premier abord, plus naturelle; 
mais, pas plus que la précédente , elle ne saurait supporter 
un examen sérieux. D'ailleurs, les tassements et les effondre- 
ments du sol ne peuvent créer qu’une force passive qui a pour 

unique résultat de déterminer une impulsion de haut en bas; 

en d'autres termes, cette force est purement et simplement 
la pesanteur. Or les forces qui agissent dans la formation des 
failles sont essentiellement actives; elles interviennent pour 
exhausser les masses contre lesquelles elles s’exercent, en 
laissant les autres obéir à l’action qui les sollicite vers le 
centre du globe. Elles opèrent, en définitive, comme le ferait 
une eau plus ou moins agitée sur les pièces mal jointes d’un 
radeau. 


Hypothèse de Boucheporn. — Boucheporn a formulé, pour 
expliquer la formation des failles, une théorie dont nous di- 
rops ici quelques mots, non seulement par égard pour la mé- 
moire d'un esprit aussi distingué que l'était l’auteur des Etudes 
sur l'histoire de la terre, mais aussi pour réfuter ses idées sur 
la direction que présentent les failles dans l’intérieur de l’6- 
corce terrestre. Nous aurons, d’aillenrs, dans les pages qui 
suivent, à rappeler plusieurs fois les opinions de Boucheporn. 

« On sait que le plan des failles, quoique plus rapproché 
en général d’être perpendiculaire quel parallèle à l'horizon, 
est toutefois assez rarement d'une verticalité complète; les 
grandes failles surtout, celles qui déterminent l’abaissement 
de niveau le plus considérable, sont presque toujours incli- 
nées. L’angle de ces plans avec la verticale oscille ordinaire- 
ment entre 0 et 45°; il atteint même assez fréquemment cette 
dernière limite, mais il ne la dépasse guère. Or maintenant, 


— 398 — 


de quelque manière que l’on cherche à expliquer les frac- 
tures, il faudra que ce phénomène de l'inclinaison vienne 
entrer dans leur explication pour une part indispensable, 
principale peut-être ; car c’est, selon nous, celui qui s’éçarte 
le plus fortement de toutes les idées admises sur la nature 
des forces qui ont pu jouer un rôle dans les mouvements de 
la surface du globe. On se forme facilement une idée de forces 
verticales, dues à la pesanteur ; de forces sensiblement hori- 
zontales, qui peuvent être dues à la contraction; de forces 
enfin divergeant simultanément dans tous les sens, qui ap- 
partiennent à l’éruption : mais de forces inclinées agissant 
avec régularité sur de longs espaces et soumises à des lois 
d'alignement et de parallélisme, nous ne nous en formons 
nulle idée. » (Etudes, p. 131.) 

Pourquoi Boucheporn admettait-il comme un fait démon- 
tré cette inclinaison des failles ? pourquoi y attachaïit-il tant 
d'importance ? C'est parce qu'il pensait y trouver des argu- 
ments à l'appui de sa théorie cosmogonique, basée, comme on 
sait, sur l'hypothèse de chocs de comète plusieurs fois répé- 
tés. Si, disait-il, on suppose une rencontre entre une comète 
et la terre, cette rencontre amènera un changement dans l’axe 
de rotation de notre planète. Les molécules fluides de la 
masse interne céderont à la nouvelle force centrifuge et au 
principe d'égalité de pression ; les parties polaires afflueront, 
en vertu de leur excès de pesanteur, vers le centre et sur les 
parties devenues équatoriales ; la masse interne se déprimera 
donc aux extrémités du nouvel axe, mais se renflera sous la 
nouvelle zone équatoriale. Dans toute l’étendue de cette zone, 
l'écorce terrestre, trop rigide pour se modeler exactement sur 
elle, se rompra sous l'impulsion des forces d'expansion des- 
tinées à transmettre, perpendiculairement à l’axe de rotation, 
la poussée imprimée par l'excès de pesanteur dans la direc- 
tion même de cet axe. Le principal caractère de ces forces est 
de s'exercer uniquement dans des plans parallèles à l’équa- 
teur; car toute réaction, tendant à faire effort en dehors de ces 


— 399 — 


plans, est dominée et détruite par les pressions générales dans 
le sens de l'axe. Ces forces devront d’abord diviser l'écorce du 
“globe en zones pour ainsi dire annulaires, par des ruptures 
planes, perpendiculaires à l'axe de rotation, et qui traceront 
ainsi sur la surface de la sphère des portions de lignes circu- 
laires parallèles. 

Nous venons de résumer la théorie cosmogonique de Bou- 
cheporn considérée au point de vue de l’origine des failles. 
Pour bien préciser l’idée qu'il se faisait de ce phénomène, 
nous reproduirons le passage suivant de ses Etudes : « Si nous 
imaginons une dislocation universelle et instantanée assu- 
jettie à cette loi : que les principaux plans de fracture aient 
entre eux un parallélisme absolu, ou, en d’autres termes, 
qu'ils soient tous parallèles au plan d’un même grand cercle, 
nous les verrons s'incliner progressivement (fig. 6) sur le 
rayon de la sphère, c'est-à-dire sur la verticale, à mesure 
qu'ils s'éloignent de cet équateur, sans que toutefois cet angle 
puisse dépasser facilement 45°; en un mot, le phénomène de 
l’inclinaison des fractures se présente ici avec toute sa netteté 
et même avec les limites que les faits lui assignent. » (£tudes, 
p. 143.) 

Je crois inutile de rechercher si, même au point de vue où 
Boucheporn se plaçait, les choses se passeraient comme il 
l'indique; nous ne le pensons pas. Mais, dans tous les cas, 
sa théorie, basée sur l'hypothèse de chocs répétés de comètes, 
ne peut plus avoir d'adeptes, et lui-même y eût certainement 
renoncé si, de nos jours, il avait dû formuler son système. 
Nous ne ferons qu'une seule remarque : c’est que sa convic- 
tion que les failles étaient toujours plus ou moins inclinées 
résultait d'idées tout à fait systématiques ; ces idées ayant été 
reconnues inadmissibles, les conclusions que Boucheporn en 
tirait doivent être reconnues fausses ou auraient besoin d’au- 
tres confirmations. 


Etendue des failles dans le sens vertical. — Selon nous, 


— 400 — 


les failles proprement dites doivent être considérées comme 
traversant l'écorce terrestre dans toute son épaisseur. Il en°a 
été, du moins, ainsi pour chacune d'elles au moment de sa 
formation. Si ce caractère n’a pas persisté dans tous les cas, 
c'est parce que la croûte du globe a toujours été en augmen- 
tant d'épaisseur. À chaque époque, elle s’est accrue, en bas, 
par la juxtaposition de nappes successivement solidifiées et 
détachées de la pyrosphère ; en haut, par la superposition de 
strates formées, par voie d'action sédimentaire, au fond des 
eaux douces ou salées. 

La figure 7, dessinée à l'échelle de un millimètre par 500 
mètres, est destinée à représenter les variations que les failles 
peuvent offrir, sous le rapport de leur étendue verticale, sui- 
vant la région où on les observe et l'époque à laquelle elles 
appartiennent. L'espace laissé en blanc correspond à la partie 
de l'écorce terrestre existant à une époque déterminée 4. Deux 
zones, marquées de traits horizontaux en haut et en bas de la 
figure, représentent les masses qui se sont ajoutées à la croûte 
du globe pendant l’époque B, postérieure à l’époque 4. De ces 
deux zones, l’une se rattache à la zone stratifiée ; l’autre est 
la portion de la pyrosphère qui s’est solidifiée et qui est ainsi 
devenue partie intégranté de l'écorce terrestre. 

À droite de la figure, on voit une faille a b qui se prolonge, 
sans solution de continuité, depuis la surface du globe jusqu'à 
la pyrosphère ; elle est immédiatement postérieure à l’é- 
poque B. 

Une autre faille c d est intermédiaire entre l'époque 4 et 
l’époque B. Depuis le moment de sa formation, ses dimen- 
sions n’ont pas changé. Mais, en vertu du mode d’accroisse- 
ment de l'écorce terrestre, tel que nous l'avons indiqué, la 
faille s'arrête à la rencontre de la zone inférieure qui faisait 
jadis partie de la pyrosphère et qui depuis s’est solidifiée. En 
haut, la faille est recouverte et cachée par les dépôts à strati- 
fication horizontale qui sont venus se superposer aux terrains 
affectés par elle ; sa trace est ainsi effacée à la surface du globe. 


— 401 — 


Une troisième faille e f, également antérieure à l’époque B, 
et contemporaine de la faille c d, se présente pourtant dans des 
conditions un peu différentes. Elle ne franchit pas la partie 

| de la pyrosphère ajoutée à l'écorce terrestre postérieurement 
à l'époque 4. Mais, à la surface du sol, aucun terrain n'étant 
venu se déposer sur le point où elle s’est montrée, il en 
résulte que son empreinte apparaît encore à la surface du 
globe. 

C’est la disposition indiquée en dernier lieu que présentent 
les failles du Jura, surtout celles de sa partie nord-occiden- 
tale. Comme, d’un autre côté, leur dernière dénivellation 
date de là fin de la période miocène, et par conséquent d’une 
époque relativement récente, il est probable qu'elles se rap- 
prochent beaucoup de la pyrosphère. Elles ont, dans le sens 
vertical, une dimension qui est bien près d'égaler l'épaisseur 
de la croûte du globe. 

D’après ce que nous venons de dire, on peut poser en prin- 
cipe que l’étendue d'une faille, dans le sens de la profondeur, 
est d'autant plus faible que cette faille est plus ancienne. Il 
est également naturel de penser que, dans les temps à venir, 
les failles auront des dimensions de plus en plus grandes. 


Circonstances qui ont accompagné la formation d’une faille: 
striage et polissage des roches, ete. — La dénivellation d’une 
faille se produit en donnant naissance à des effets d’une 
énergie dont on peut se faire une idée lorsque l'on tient 
compte de l'énorme pression qui s’est exercée au contact des 
masses mises en mouvement. Cette pression est égale, dans 
certains cas, au poids de la partie de l'écorce terrestre sou- 
levée. En admettant que cette écorce ait une épaisseur de 
vingt kilomètres, et que la densité des substances dont elle 
est formée soit égale, en moyenne, à 3, on arrive à conclure 
que la force qui a déterminé le dénivellement d’une faille est 
au moins de 600,000 kilogrammes ou de 6,000 atmosphères 
par décimètre carré ; nous disons « au moins, » parce que rien 


— 402 — 


ne prouve que cette force n'eût pu soulever un poids plus 
considérable. 

Parmi les circonstances qui ont accompagné la dénivellation 
d’une faille, nous mentionnerons d'abord le striage et le po- 
lissage des roches sur chacun des côtés de la faille. Ses paroïs 
se montrent sillonnées de stries et de cannelures profondes 
comme la surface d’un rocher sur lequel un glacier aurait 
passé. Tantôt les stries sont parallèles et continues; elles in- 
diquent alors que le glissement a eu lieu d’un seul coup. 
Tantôt elles sont irrégulières, discontinues, et changent de 
directions il est alors permis de penser que le glissement s’est 
opéré à plusieurs reprises, en d'autres termes, qu'il y a eu 
des intervalles de repos et d’activité dans la manifestation du 
phénomène. 

Les parois sont polies et brillantes, d’où le nom de miroirs 
qu'on pourrait leur donner par analogie avec ce que l’on ob- 
serve dans les filons. On les appelle aussi des surfaces de glis- 
sement, en anglais slickensides. Souvent elles sont revêtues 
d'une espèce de placage de calcaire cristallin qui semble 
accuser un commencement de fusion produit par la chaleur 
qui s’est dégagée pendant le frottement. 

Les roches, des deux côtés de la faille, sont plus ou moins 
fracturées ou laminées. Les fossiles qu'elles renferment sont 
quelquefois rendus méconnaissables. Enfin, les débris tombés 
dans le vide de la faille sont broyés et triturés. 

Le remplissage des failles s’effectue aux dépens des débris 
qui se détachent de leurs parois. Il se complète par l’intro- 
duction, soit des matériaux amenés des profondeurs de l’é- 
. corce terrestre par voie d'action éruptive ou geysérienne, soit 
des détritus charriés par les courants superficiels et détachés 
de la surface du globe. 

En ce qui concerne le Jura, les divers modes de remplis- 
sage que nous venons d'indiquer ne s’observent pas toujours, 
parce que les deux côtés d’une faille sont ordinairement très 
rapprochés l’un de l’autre. Parfois, on constate un remplis- 


— 403 — 

sage de haut en bas par le terrain à chaïlles remanié. D'un 
autre côté, on observe qu’une faille est pénétrée de terrain 
sidérolitique ; il en est ainsi, notamment, pour la faille de 
Châtillon-le-Duc, entre Auxon et Devecey. I semble natu- 
rel, en effet, de penser que les émanations sidérolitiques ont 
dù mettre à profit les voies naturelles que les failles leur 
offraient, Mais il ne faut pas perdre de vue que les émissions 
sidérolitiques les plus importantes ont eu lieu, dans le Jura, 
vers la fin de la période éocène. Or, à cette époque, les failles 
n’existaient pas encore dans le Jura, ou étaient à peine ébau- 
chées. Les traces de terrain sidérolitique que l’on peut ob- 
server dans quelques-unes d’entre elles appartiennent donc 
probablement à une des émissions sidérolitiques postérieures 
à l’époque éocène (Et. I; chap. 1x). À ces émissions se ratta- 
chent également le fer hydraté qui recouvre et imprègne les 
débris renfermés dans les failles. 

Les failles sont toujours accompagnées d'accidents strati- 
graphiques qui attireront notre attention dans le chapitre VIT. 
Nous nous bornerons à rappeler que presque toujours les 
strates situées du côté de la faille qui a été soulevé n’ont 
pas subi de grands dérangements; quelquefois même elles 
ont conservé leur horizontalité. Mais il n’en à pas toujours 
été ainsi pour les strates du côté opposé. Dans quelques cas, 
celles-ci ont été plus ou moins redressées, rendues verticales 
ou renversées et rabattues sur elles-mêmes. 

Les accidents stratigraphiques auxquels nous venons de 
faire allusion sont, avant tout, la conséquence des coilitions 
qui ont présidé à l'installation de chaque faille; ils sont, en 
outre, contemporains de son apparition. Mais d’autres acci- 
dents, que l’on peut distinguer sous la désignation d'accidents 
secondaires, se produisent également le long des failles, pos- 
térieurement à leur formation. La plupart d’entre eux recon- 
naissent pour agents essentiels les cours d’eau auxquels les 
failles livrent fréquemment passage. 

Sous l'influence de ces cours d’eau, le phénomène des effon- 


— 404 — 


drements dont il a été déjà question, se manifeste avec une 
grande énergie et offre divers caractères dus à la présence de 
la faille sur le trajet de laquelle ils se placent. Comme exemple 
d'accidents stratigraphiques secondaires se produisant dans 
les conditions qui viennent d’être indiquées, nous mention- 
nerons le cas où une assise calcaire plus ou moins puissante 
est supportée par une assise marneuse qu'un Cours d’eau 
soumet à une destruction incessante. À mesure que le vide 
se produit au-dessous de la masse calcaire, celle-ci s'affaisse, 
soit en conservant son horizontalité, soit en obéissant à un 
mouvement de bascule. 


— 405 — 


CHAPITRE V 


DIRECTION ET ALLURE DES FAILLES À LA SURFACE DU SOL ET 
DANS LE SENS VERTICAL. — LEUR MODE DE GROUPEMENT. 


Etendue des failles. — Les dimensions des failles, dans le 
sens de la longueur, varient beaucoup; quelques-unes ont à 
peine quelques centaines de mètres d'étendue , tandis que 
d’autres atteignent un développement de plusieurs lieues. En 
Angleterre et en Irlande, on a reconnu des lignes de fracture 
s'étendant sans interruption sur des longueurs de 100 kilo- 
mètres ; certaines failles du continent ont des dimensions 
encore plus considérables. 

En ce qui concerne le Jura, nous pensons ae la plus 
longue des failles qu'on y observe est celle de Montfaucon, 
qui peut être suivie depuis le village de Fourg jusqu’à Cler- 
val, sur une longueur de 70 kilomètres, sans présenter au- 
cune interruption. Encore est-il probable-qu'elle se prolonge, 
vers l'ouest, jusqu’à une distance indéterminée, en se cachant 
sous les terrains de la Bresse postérieurs à sa formation ; il 
est probable aussi qu'après une interruption apparente, elle 
va se souder, vers l’est, aux failles des environs de Monthé- 
liard. 

Du reste, les dimensions que l’on est conduit à reconnaître 
à une faille dépendent en partie de l’idée que l'on se fait de 
ce que nous appellerions son identité. Les failles s'ajoutent 
les unes aux autres, et si le point où une faille change brus- 
quement ét définitivement de direction n'élait pas considéré 
comme étant celui où elle finit, on serait amené à déclarer 
que certaines failles ont, non pas des centaines de kilomètres, 
mais des centaines de lieues de longueur. 


— 406 — 


Allure et direction des failles dans le sens horizontal. — 
Lorsqu'on suit le trajet d’une faille, on constate qu’elle ne 
conserve pas longtemps la même direction. Elle dévie, à 
droite ou à gauche, d'une quantité plus ou moins grande. 
Si le changement de direction est peu considérable, et sur- 
tout si, à une certaine distance, la faille dévie de nouveau, 
mais en sens opposé, elle se présente alors sous la forme d’une 
ligne brisée, dont les divers éléments se placent bout à bout 
sans s’écarter beaucoup d’une direction moyenne qu'on peut 
appeler la direction de la faille. Ces éléments d'une même 
ligne brisée peuvent, dans le cas spécial que nous avons en 
vue, être considérés comme des déviations superficielles d’une 
mêmé faille qui serait rectiligne à une faible profondeur. 

Prenons pour exemple la faille de Montfaucon qui accom- 
pagne constamment la rive gauche du Doubs. Cette faille 
commence à Fourg, ou du moins devient visible près de cette 
localité où l’on voit le terrain jurassique se dégager de des- 
sous la nappe alluviale qui remplit la dépression bressane. 
Elle passe par Byans, puis entre Abbans-Dessus et Abbans- 
Dessous ; ensuite elle atteint Vorges et, après avoir dépassé 
Larnod, elle envoie à gauche un rameau constituant la faille 
de Trois-Chätels. De là elle se dirige vers Arguel, puis vers 
Maillot, où elle occasionne le grand plissement en V qui, de 
ce point, se prolonge jusqu'à Morre. Plus loin, elle passe par 
le château de Montfaucon et se rapproche enfin de la source 
d'Arcier. 

Nous avons indiqué (fig. 8) l'allure de la faille de Mont- 
faucon dans sa partie comprise entre Fourg et Arcier. On voit 
qu'elle dessine une ligne brisée dont la direction moyenne est 
représentée par une ligne orientée à l'E. 41° N., c’est-à-dire 
dans le sens du Système de la Côte-d'Or. 

Avant d'arriver à la hauteur de la source d’Arcier, la faille 
de Montfaucon oblique assez brusquement à droite et se dirige 
vers Baume-les-Dames et Clerval. Elle ne cesse pas de se 
maintenir sur la rive gauche du Doubs, et, en déviant tantôt 


24 


à droite, tantôt à gauche, dessine encore une ligne brisée. 
Dans cette seconde partie de son trajet, sa direction moyenne 
est à peu près celle du Système de la vallée du Doubs, c’est- 
à-dire E. 31° N. Ce changement de direction, que nous éva- 
luons à 10° environ, ne s'oppose pas à ce que la faille de Mont- 
faucon soit considérée comme conservant son unité à partir 
du moment où elle dévie d’une manière brusque et définitive 
vers l'est. Mais ici nous sommes conduit à nous poser cette 
question : quel est, évalué en degrés, le changement de di- 
rection que doit éprouver une faille pour qu’on la considère 
comme ayant perdu son identité et comme devant recevoir 
un autre nom ? Nous pensons que, dans les diverses circon- 
stances qui peuvent se présenter, il faut, jusqu'à un certain 
point, laisser place à l'arbitraire; il faut s'en rapporter au 
tact du géologue pour apprécier les cas où deux failles placées 
bout à bout doivent être considérées comme distinctes, et 
doivent aussi, par conséquent, recevoir des désignations dif- 
férentes. 


Failles simples ; failles ramifiées. — Quelquefois les failles 
ne présentent qu’une seule ligne de fracture, ligne qui, d’ail- 
leurs, est tantôt droite, tantôt brisée ; on peut alors les distin- 
guer sous le nom de failles simples. Maïs, le plus souvent, du 
moins dans le Jura, elles se bifurquent et envoient, à droite 
et à gauche de leur trajet, des ramifications qui se répètent à 
plusieurs reprises. 

C'est ainsi que la faille de Chätillon-le-Duc, lorsqu'elle 
arrive auprès de cette localité, après avoir passé par Rigney, 
Venise, Bonnay et Devecey, se bifurque. Une branche se 
dirige vers Auxon-Dessus, puis, arrivée à Auxon-Dessous, dis- 
paraît sous le diluvium vosgien. L'autre branche, qui paraît 
former le rameau principal, va vers Miserey, puis se prolonge 
vers Chaucenne et Pelousey. 

Parmi les autres exemples de bifurcation que les failles du 
Jura pourraient nous fournir en grand nombre, nous nous 


— 408 — 


bornerons à mentionner celui que la faille de Montfaucon 
nous présente entre les villages de Larnod et de Beure. La 
bifurcation de cette faille s’observe lorsque, en venant de 
Larnod, on arrive au sommet de la côte qui, le long de la 
vieille route, descend à Beure. Une des deux branches tra- 
verse le massif d’Arguel, passe par la cascade du Bout-du- 
Monde et de là se dirige vers Clerval, en suivant l'itinéraire 
que nous venons d'indiquer ; c’est la branche principale. 
L'autre branche suit la vieille route, passe par Beure et tra- 
verse ensuite le bois de Peu et le plateau de Trois-Châtels, 
qui lui donne son nom. Arrivée à la rencontre de la route de 
Besancon à Morre, cette branche se divise à son tour en deux 
rameaux, dont l’un semble se terminer à l'entrée de ce der- 
nier village, tandis que l’autre franchit le Doubs, passe vis- 
à-vis la Malâte, au point où les strates séquaniennes sont 
fortement redressées, et va se terminer du côté de Chalezeule. 
De ces deux rameaux, l’un peut être désigné sous le nom de 
faille de Saint-Léonard, et l’autre sous celui de faille de la 
Malüte. 

Evidemment, on ne saurait considérer, comme étant une 
ramification d’une faille, une ligne de fracture qui, après 
s'en être détachée, se prolongerait à une assez grande dis- 
tance. Dans ce cas, on se trouverait en présence de deux 
failles distinctes, et la distinction serait d'autant plus impor- 
tante à établir que l'angle formé par les deux failles à leur 
point de rencontre serait plus grand. 


Failles composées ; failles secondaires. — Recherchons 
maintenant ce qui doit se passer lorsque deux failles sont 
très voisines l’une de l’autre, sans qu'aucune soudure entre 
elles puisse s’observer à la surface du sol. Pour rendre plus 
facile l'examen des relations qui existent entre ces failles, 
nous nous aiderons de la figure 9, où deux lignes parallèles 
AB, CD, placées à 40 millimètres l’une de l’autre, représen- 
tent les faces supérieure et inférieure de l'écorce terrestre. 


— 409 — 


L’échelle employée dans cette figure est de un millimètre par 
500 mètres. 

Traçons sur la figure 9 deux lignes ab, cd, qui seront per- 
pendiculaires aux lignes AB, CD, et qui se trouveront placées 
à quatre millimètres l’une de l’autre. Les lignes ab, cd, re- 
présenteront deux failles qui, à la surface du sol, seraient sé- 
parées par un intervalle de deux kilomètres. Le dessin in- 
dique suffisamment de visu que ces deux failles, astreintes à 
la condition de ne pas beaucoup s'éloigner de la verticale, 
finiront par se rencontrer, sauf à se séparer de nouveau. 
Elles constitueront un seul et même accident, de même qu’un 
fleuve qui se divise en plusieurs bras ne constitue qu'un 
même cours d'eau. On a ainsi un exemple de faille ramifée 
pendant son trajet souterrain , exemple qui rappelle ce que 
l’on observe à la surface du sol. En d'autres termes, des deux 
failles ab, cd, l'une n’est qu'une ramification de l’autre ; seu- 
lement, dans ce cas, le raccordement ne se fait qu'à une cer- 
taine profondeur. Mais, quand bien même on admettrait que le 
raccordement entre la faille principale et la faille secondaire 
ne s'effectue pas, il n’en faudrait pas moins penser que celle-ci 
a été la conséquence de l'apparition de celle-là, et qu'elles ap- 
partiennent l’une et l'autre à un même accident stratigraphi- 
que. Le raccordement pourrait d’ailleurs être amené par ce 
que nous appellerons une ligne de faille. 

Mais, à mesure que la distance qui sépare deux failles aug- 
mente, les chances de rencontre dans l’intérieur du globe di- 
minuent. Quel intervalle doit-il exister, entre deux failles 
voisines, pour autoriser à penser qu’elles conservent leur in- 
dépendance et leur autonomie à travers l'écorce terrestre ? 
C'est ce qu'il est impossible d'indiquer d'une manière pré- 
cise ; on est obligé de s’en rapporter à une appréciation pour 
ainsi dire graphique. Nous serions, quant à nous, porté à 
penser que, si l'intervalle existant entre deux failles est de 
plus de 4 kilomètres, on doit les considérer comme étant ab- 
solument distinctes. 

21 


— 410 — 


Nous ferons du reste remarquer que l'intervalle nécessaire 


pour que deux failles voisines conservent leur indépendance 
dépend surtout de la puissance que l'on accorde à l'écorce 
terrestre. Evidemment, moins cette écorce sera épaisse et plus 
les failles pourront être rapprochées l’une de l’autre, sans que 
leur rencontre, dans le sens de la profondeur, doive néces- 
sairement s’opérer. 

Nous proposons de désigner sous le nom de failles compo- 
sées l’ensemble des failles groupées dans les conditions que 
nous venons d'indiquer. Dans un pareil groupe, il est une 
faille qui joue un rôle prépondérant et que l’on peut appeler 
la faille principale ou magistrale. Les autres sont les failles 
secondaires. Cette dernière dénomination doit s'appliquer éga- 
lement aux divers rameaux d’une faille ramifiée. Il ne faut 
d’ailleurs accorder qu'une valeur relative à l’expression de 
« faille secondaire. » C’est ainsi que la faille de Trois-Châtels 
est une faille secondaire par rapport à celle de Montfaucon, 
et une faille principale par rapport aux deux rameaux par 
lesquels elle se termine du côté de Morre et de la Malte. 


Failles en faisceau; failles conjuguées. — Entre les deux 
cas extrêmes qui peuvent se présenter, c’est-à-dire celui où 
deux failles sont trop rapprochées pour qu'elles ne se rencon- 
trent pas, et celui où elles sont trop éloignées l’une de l’autre 
pour que leur rencontre s'effectue, il est un cas intermé- 
diaire dont l'observation directe ne permet pas de constater 
d'exemple, parce que nous ne pouvons pas pénétrer à une 
assez grande profondeur, mais dont la réalisation est parfai- 
tement admissible. C'est celui où deux failles se dirigeant 
dans le même sens sont assez éloignées l’une de l’autre pour 
que leur rencontre puisse bien ne pas s'effectuer, mais où 
elles sont assez rapprochées pour que l’on ait de la peine à 
admettre qu’elles marchent ainsi parallèlement, l'une à côté 
de l’autre sans qu'aucune relation ne les rattache entre elles. 
Ne peut-on penser qu’un lien est alors établi par les ramif- 


— AT — 


cations qu’elles envoient à droite et à gauche ? Il en résulte- 
rait, dans ce cas, un accident stratigraphique particulier que 
l'on pourrait désigner sous le nom de failles en faisceau; cet 
accident stratigraphique est représenté, dans la fig. 9, au 
point où se trouvent les failles ef, gh. L'accident stratigra- 
phique, que nous venons de désigner sous le nom de failles 
en faisceau, doit encore se produire lorsque plus de deux 
failles, ayant la même direction, sont très rapprochées l’une 
de l’autre. On pourra bien alors ramener, par la pensée, les 
deux premières failles à une seule ligne de dénivellement; 
mais on ne saurait se livrer à la même opération pour un 
plus grand nombre de failles, sans les faire trop dévier de la 
verticale. Il est probable qu'alors les failles, en se ramifiant, 
dessinent une espèce de réseau de fissures limité des deux 
côtés par deux lignes verticales. 

En parlant des failles en faisceau, j'ai surtout en vue celles 
qui limitent le Jura à l’ouest dans les départements du Jura 
et de l'Ain. Parmi ces failles se placent celles que le frère 
Ogérien décrit lorsqu'il dit que « sur la ligne du vignoble, le” 
lias est littéralement brisé par une multitude de failles cou- 
rant toutes dans le sens des chaînes ; ces failles, très rappro- 
chées les unes des autres, souvent à 1 ou 2 kilomètres, ne 
présentent aucune confusion de leurs allures parallèles et de 
leurs détritus. Du puits Cornot par Savagna à la côte de Pan- 
nessières, On peut compter au moins six failles parallèles, 
courant du N. 40° O. auS. 40° E., et se poursuivant à travers 
le vignoble jusque vers le département du Doubs. » (Géologie 
du Jura, p. 798.) : 

Nous sommes porté à penser que la grande falaise, qui 
limite le Jura du côté de la Bresse, appartient, au moins dans 
une partie de son étendue, non à une seule faille, mais à des 
failles en faisceau. Les fragments découpés par ces failles ont 
glissé les uns contre les autres ; leurs dénivellements, en s’a- 
joutant entre eux, déterminent un rejet considérable entre 
des formations qui ont été ainsi séparées en deux parties dont 


— 412 — 


l’une se trouve à la même altitude que le Jura, tandis que 
l’autre est descendue au-dessous des dépôts qui ont comblé la 
dépression bressane. 

Parmi ces divers groupements de failles, citons, enfin, un 
dernier cas : celui où deux failles, assez éloignées l’une de 
l’autre pour que leur rencontre dans l'intérieur de l'écorce 
terrestre ne soit pas possible, se dirigent dans le même sens, 
subissent les mêmes inflexions, offrent la même allure. On 
ne peut mettre en doute leur indépendance mutuelle, mais 
les relations stratigraphiques et géogéniques qui existent 
entre elles ne sauraient non plus être contestées. Pour expri- 
mer ces relations, il nous semble qu'on pourrait employer 
une désignation spéciale , telle que celle de failles conjuguées. 
Comme failles se présentant dans ces conditions, je citerai 
celles de Chdtillon-le-Duc et de Montfaucon. 


Allure des failles dans le sens de la profondeur ; leur ver- 
ticalité. — On pourrait sans doute se représenter une faille 
comme une cassure qui se dirigerait à travers l'écorce ter- 
restre en se maintenant toujours dans la verticale, en dessi- 
nant une ligne droite et en conservant son unité. Nous pen- 
sons que c’est là une conception qui peut quelquefois se 
trouver réalisée, mais très rarement. 

Nous venons de voir que les failles, à la surface du sol, 
n'ont pas une direction constamment rectiligne, et qu'elles 
oscillent autour d'une direction moyenne en dessinant une 
ligne brisée. Nous avons vu également qu'elles envoient, à 
droite et à gauche de la ligne qu'elles parcourent, des ramifi- 
cations qui se prolongent à une faible distance et se main- 
tiennent sous leur dépendance. 

Evidemment ce qui s’observe à la surface du sol, dans le 
sens horizontal, doit se produire également dans l’intérieur 
de l'écorce terrestre, et par conséquent dans le sens vertical 
ou de la profondeur. C’est ce qui nous a conduit à admettre 
que les failles, dans leur trajet souterrain, tout en se main- 


— 413 — 


tenant dans une direction verticale, peuvent subir des dévia- 
tions tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, et dessinent 
ainsi une ligne brisée. Nous avons admis également qu'une 
faille peut, dans l’intérieur de l'écorce terrestre, comme à la 
surface du sol, envoyer à droite et à gauche des ramifications 
qui ne s'opposent nullement à ce qu’elle conserve son unité. 

En dernière analyse, nous adoptons, en ce qui Concerne 
l'allure des failles dans le sens vertical, deux idées qui ont 
pour nous une égale importance et qui ne sont nullement 
exclusives l’une de l’autre. Une faille, considérée dans son 
ensemble, est verticale : c'est la conséquence même de son 
mode de formation. Mais, en même temps, elle subit, dans 
son trajet souterrain, des changements de direction en vertu 
desquels elle est diversement inclinée par rapport à l'horizon, 
tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. On verra tout à 
l'heure qu’il est nécessaire de recourir à cette disposition que 
présentent les failles lorsqu'elles sont inclinées, pour expli- 
quer les accidents stratigraphiques de leurs bords et pour 
rendre compte de quelques-unes des circonstances qui ont 
accompagné leur apparition. Mais l'observation directe con- 
duit également à admettre que les failles s’éloignent presque 
toujours, dans une faible mesure, de la verticalité; c'est 
ce que les travaux des mines permettent à chaque instant de 
constater. Pourtant on a eu le tort de supposer qu'une faille 
plus ou moins inclinée conservait sa direction dans le sens de 
la profondeur à travers l'écorce terrestre toute entière. On a 
oublié qu'après tout on ne pouvait suivre les failles qu’à une 
faible distance du sol, et que, pour se renseigner sur leur 
allure dans la profondeur de la croûte du globe, il fallait s'a- 
dresser à des considérations théoriques et non à l'observation 
directe qui fait complétement défaut. Or, ces considérations 
théoriques nous conduisent à penser que les lignes marquant 
la direction moyenne des failles sont verticales, et que cette 
verticalité est la conséquence immédiate de la verticalité des 
lignes de retrait dont elles procèdent. 


— 414 — 


Amplitude du rejet des failles dans le Jura. — A la Serre, 
et, par conséquent, sur un point très rapproché du Jura, le 
lias vient butter contre le granite. Le rejet ne peut pas ici être 
évalué à moins de 7 à 800 mètres, puisque au-dessus du gra- 
nite se superposent, en retrait les uns par rapport aux autres, 
le nouveau grès rouge, le grès vosgien et tout le trias. 

Dans le Jura nord-occidental, c’est-à-dire dans la partie de 
ce massif montagneux qui se place immédiatement sous la 
dépendance du centre de soulèvement de la Serre, les déni- 
vellements atteignent de 5 à 600 mètres. Théoriquement, on 
peut arriver à cette conclusion en se rappelant : 1°que la masse 
des formations affectées par les failles comprend le terrain 
crétacé ; 2° que ces failles ont amené au jour, sur certains 
points, une partie des marnes irisées. Or l'intervalle compris 
entre la partie supérieure des marnes irisées et le terrain 
crétacé est au moins de 500 mètres. 

A l'appui de cette évaluation, basée sur des considérations 
théoriques, nous citerons quelques exemples. Le plissement 
en V de la faille de Châtillon-le-Duc, entre Devecey et Au- 
xon-Dessus, comprend le grès vert; de l’autre côté de la faille 
se trouve le keuper. La faille de Montmahoux, qui des envi- 
rous du Mont-Poupet va jusqu'à la source de la Loue, met en 
contact, à Marnoz, les marnes irisées et le calcaire porlan- 
dien ; elle détermine ainsi un rejet de près de 500 mètres. A 
Nans-sous-Sainte-Anne, le long de cette même faille, les 
marnes irisées sont portées à la hauteur du calcaire séqua= 
nien. On observe fréquemment le contact du corallien et du 
keuper, ce qui correspond à un dénivellement de plus de 300 
mètres (Miserey, près de Besancon, faille de Châtillon-le- 
Duc; Bout-du-Monde, à Beure, faille de Montfaucon ; route 
de Salins à Nans-sous-Sainte-Anne, faille de Montmahoux). 

Nous venons de dire que les failles du Jura atteignent leur 
plus grand rejet dans sa partie nord-occidentale ; leur déni- 
vellement va en diminuant à mesure qu'elles se rapprochent 
du bord oriental de ce massif montagneux. « Les quantités 


— 15 — 
de discordance des failles, disait Thurmann, augmentent, en 
général, des hautes chaînes à la région des plateaux. Tandis 
que, dans les hautes chaînes, elles atteignent rarement 100 
mètres, elles s’approchent d'autant plus et d'autant plus sou- 
vent de ce chiffre, qu’on s'approche de la zone des plateaux, 
où elles s'élèvent bientôt à 200, 300 mètres et au delà. » 


Amplitude du rejet des failles en dehors du Jura. — Afin 
d’avoir un terme de comparaison , citons quelques exemples 
de dénivellement de failles pris en dehors de la contrée que 
nous avons plus spécialement en vue dans cette Etude. 

Dans le massif de la Grande-Chartreuse, qui forme, en 
quelque sorte, au delà du Rhône, le prolongement du Jura 
méridional, on constate des rejets plus considérables que ceux 
que nous venons de signaler, ainsi qu'il est permis de s’en 
convaincre par l'examen des coupes très nettes que M. Lory 
a données de ce massif. (Bull. Soc. géol., 2° série, t. IX, 
p. 226.) Le long de la faille que M. Lory désigne sous le nom 
de faille de Voreppe, la partie supérieure de la mollasse se 
trouve mise en contact avec la base du terrain oxfordien, ce 
qui correspondrait, sur ce point, à un rejet de 2,000 mètres 
environ. 

Le rejet si considérable que l’on constate dans les failles de 
la Grande-Chartreuse provient sans doute de ce qu'on s’y 
trouve dans le voisinage des Alpes. Il est probable que dans 
le massif alpin les dénivellements atteignent une plus grande 
amplitude. S'il en est ainsi, certaines failles dans les Alpes 
pourraient être affectées de rejets de près de 3,000 mètres. 

On voit que Boucheporn était bien loin de la vérité lors- 
qu'il admettait que les rejets des grandes failles varient entre 
50 et 200 mètres. « On cite, disait-il, des failles de 500 mè- 
tres, celles par exemple que M. Elie de Beaumont à signalées 
comme formant la délimitation des Vosges; mais ce sont des 
cas isolés et qui sortent tout à fait des valeurs ordinaires. » 
(Etudes, p. 131.) " 


— 416 — 


M. Magnan, dans son Etude sur les formations secondaires 
des bords S.-0. du plateau central, s'est occupé de quelques- 
unes des failles qui existent dans cette région. L'une d'elles, 
celle qu’il désigne sous le nom de faille de Marnoves, a porté, 
près du village de Tonnac, la partie supérieure du lias moyen 
à la hauteur de la partie moyenne du terrain permien. En 
tenant compte de l'épaisseur que M. Magnan donne aux di- 
verses formations comprises entre les parties mises ainsi en 
contact, on est conduit à admettre un rejet de plus de mille 
mètres. 

Peut-être n'est-il pas sans intérêt de faire remarquer que 
les évaluations que nous venons de formuler, à propos du 
Jura, s'éloignent très peu de celles que M. G. Fabre, dans un 
intéressant travail sur le Mont-Lozère (Bull. Soc. géol., 3° série, 
t. I, p. 306), a indiquées pour les failles qui découpent ce 
massif? Il estime que leurs plus forts dénivellements varient 
entre 700 et 900 mètres. Nous remarquons, en outre, sans 
attacher à ce fait plus d'importance qu’il n'en comporte, que 
les failles de la Lozère, d'après M. G. Fabre, dateraient de la 
fin de la période éocène. Or, c'est précisément vers cette 
époque que les failles ont commencé à se constituer dans le 
Jura. ; 

Nous ferons observer que ces dénivellements, quelle que 
soit leur amplitude, sont en définitive peu de chose relative- 
ment à la puissance de l'écorce terrestre. Un rejet de mille 
mètres n’est égal qu’à la vingtième partie de l'épaisseur de 
cette écorce, et un rejet de 500 mètres à la quarantième partie. 
Mais ces rejets peuvent déterminer des différences de niveau 
bien plus importantes lorsque, par suite du voisinage de plu- 
sieurs failles, ils s'ajoutent les uns aux autres. 


Allure des terrains des deux côtés d’une faille. — Dans 
les dénivellements, on constate tous les intermédiaires pos- 
sibles, depuis le maximum que nous avons indiqué dans 
les paragraphes précédents jusqu’à zéro, c’est-à-dire jusqu'au 


— AT — 


point où les terrains sont maintenus à leur premier niveau 
relatif. Ces variations s'observent non seulement lorsqu'on 
suit le trajet d'une même faille, mais aussi lorsque l’on com- 
pare plusieurs failles entre elles. Si l’on se transporte le long 
d’une faille, on remarque que les deux parties d’une même 
strate, séparées par un rejet de quelques mètres à peine, s’éloi- 
enent de plus en plus l’une de l’autre, jusqu'à ce qu'un in- 
tervalle de plusieurs centaines de mètres soit laissé entre elles ; 
plus loin, elles se rapprochent de nouveau pour se séparer 
encore une fois. 

Afin de nous rendre compte de ce qui se passe dans ces cir- 
constances, superposons les unes aux autres un certain nombre 
de feuilles de papier qui représenteront une succession de 
strates. Pratiquons, au moyen d’un canif, une fente à travers 
tous ces feuillets. La coupure que nous obtiendrons ainsi sera 
pour nous l'équivalent d’une ligne de retrait, ou d’une faille 
à l'état latent. Si on laisse un des côtés de la coupure dans 
une situation horizontale, et si, comme cela est indiqué dans 
la fig. 10, on fait fléchir l’autre côté en exerçant une pression 
avec le doigt, les feuillets prendront de part et d’autre une 
disposition tout à fait semblable à celle que présentent les 
strates des deux côtés d'une faille. Aux points À et B, où les 
deux côtés du feuillet supérieur sont encore en contact, le 
rejet est égal à zéro; la faille est à l'état latent. Mais, à me- 
sure que ce feuillet s’infléchit, il vient successivement toucher 
tous les autres feuillets : le rejet va en croissant jusqu’au 
point 0, pour diminuer de nouveau et revenir à zéro. 

On obtiendra des effets plus variés en faisant onduler (fi- 
gure 11) le côté que nous venons d'abaisser. Enfin, on arrivera 
à un maximum de complication, en supposant (fig. 12) que 
les deux côtés de la coupure ondulent en même temps. Entre 
les deux points extrèmes 4 et B de la coupure, il y aura des 
points intermédiaires & Ctb, où les strates, primitivement con- 
tiguës et séparées ensuite par la faille, se trouveront pourtant 
au même niveau. Ce seront ceux où les deux lignes ondulées 


EE 


— 418 — 


se rencontreront en faisant des espèces de nœuds. Dans ce 
cas, on ne pourra pas dire que la faille est à l’état latent ou 
rudimentaire. Le rapprochement des terrains sera la consé- 
quence des impulsions contraires subies par chacun d'eux, 
l'un s'étant exhaussé et l’autre s'étant abaissé de la même 
quantité, de manière à établir une sorte de compensation. 


Sens dans lequel s’est opérée la dénivellation des failles.— 
Dans les dénivellations des failles du Jura, c’est le côté alpin 
qui s’est élevé, tandis que le côté opposé s’est affaissé, ou 
tout au moins à subi un exhaussement moindre. Ce fait 
est en relation avec la manière dont le soulèvement du Jura 
s’est opéré. Lorsque ces dénivellations ont commencé à se 
produire, en d’autres termes, lorsque les failles ont commencé 
à se dessiner à la surface du sol, les forces intérieures avaient 
leur maximum d'énergie du côté des Alpes, autour desquelles 
les régions voisines tendaient à se soulever. Chacun des frag- 
ments prismatiques découpés par les failles s’est d'autant plus 
exhaussé qu’il était plus rapproché du massif alpin. De là 
cette disposition en gradins, ou cette série de plateaux que 
l’on voit se succéder, lorsqu'on se dirige de la partie occi- 
dentale du Jura vers sa partie orientale. De là aussi la dispo- 
sition générale du Jura, dont l'altitude va en croissant du 
nord vers le sud et de l’ouest vers l’est. Lorsque, dans une 
faille, le côté alpin ne fait pas saillie, c’est que les agents d’é- 
rosion ont nivelé le sol; mais, dans ce cas, le sens dans le- 
quel s'est opérée la dénivellation est indiqué par la nature des 
terrains : on remarque, en effet, que les formations placées 
du côté alpin sont alors plus anciennes que celles situées du 
côté opposé. 

A l'appui du fait que nous venons de rappeler, nous dirons 
que les principales failles qui, d’après M. Lory, découpent le 
massif de la Grande-Chartreuse, présentent une disposition 
semblable. Ces failles se dirigent en moyenne du S$. 26° O. 
au N. 26° E., et le côté alpin est toujours occupé par un 


— 419 — 


terrain plus ancien que celui qui se montre du côté opposé. 

Afin de nous rendre compte des caractères des failles du 
Jura considérées au point de vue des terrains qu'elles mettent 
en contact, reprenons la comparaison dont nous nous sommes 
servi dans le paragraphe précédent. Dessinons deux lignes 
ondulées (fig. 13) représentant les diverses ondulations des 
terrains placés de chaque côté de la faille. Puisque le côté 
alpin , d’après ce que nous avons dit, doit être géognostique- 
ment plus élevé que le côté opposé, la ligne ondulée repré- 
sentant ce côté alpin devra être, dans son ensemble, constam- 
ment plus élevée que la ligne ondulée correspondant au côté 
français. Il pourra se produire, comme dans les cas précé- 
dents, des nœuds, c’est-à-dire des points où le dénivellement 
sera nul, mais ces nœuds résulteront du simple contact des 
lignes ondulées et non de leur entrecroisemeut. 


Signes d’une faille. — Avant de faire un pas de plus dans 
cette étude des failles considérées soit en elles-mêmes, soit 
dans leurs relations avec les autres accidents stratigraphi- 
ques, nous croyons devoir rappeler quelques-uns des faits 
que nous avons déjà eu l'occasion de mentionner et qu'il faut 
avoir présents à l'esprit lorsqu'on veut reconnaître le trajet 
d'une faille. : 

Le signe principal, infaillible, auquel on reconnaît qu’on 
se trouve sur le passage d’une faille, c'est le dénivellement 
qui met en contact des terrains différents. L’observateur doit 
seulement, dans cette circonstance, chercher à se rendre 
compte s’il a à faire à une faille proprement dite, ou à une 
simple cassure résultant d'un effondrement souterrain. 

Le principal caractère d’une faille consistant dans le déni- 
vellement de ses deux côtés, on serait porté à penser qu'on 
peut constater son existence par le seul fait de la saillie de 
terrain formée par la tête de la faille. C’est ce qui arrive, en 
effet, dans certains cas, et notamment à Casamène, près de 
Besancon, où la faille de Trois-Châtels forme un abrupte de 


— 420 — 


120 mètres environ au-dessus de la vallée du Doubs. Mais 
les agents d’érosion ont, presque toujours, complètement 
érodé et nivelé le sol. Souvent, il est impossible d'indiquer, 
sur le flanc d’une montagne, le point où passe une faille 
connue, parce que la ligne qui dessine la silhouette de cette 
montagne conserve sa continuité dans toute son étendue. 

Je fais abstraction des grandes failles qui déterminent des 
accidents topographiques de premier ordre, tels que la grande 
falaise qui limite le Jura du côté de la vallée de la Saône ou 
la saillie de terrain qui accompagne la vallée de l'Ognon, en 
amont d’Auxon. Toutefois, même dans ces divers cas, la 
saillie de terrain n'indique la direction de la faille que d'une 
manière approximative; car lorsqu'une faille accompagne un 
chaînon, elle peut se trouver à la base, au sommet ou à mi- 
côte de ce chaînon. Elle peut même passer d'un versant à 
l'autre sans que rien, à distance, n'indique son emplacement. 

Dans un grand nombre de cas, des cavités s'échelonnent 
le long des failles et servent de jalons qui en marquent la 
trace. Ces cavités fonctionnent fréquemment comme puits 
absorbants. Elles sont surtout faciles à reconnaître sur les 
points où le sol est marneux, parce qu’alors elles se montrent 
sous la forme d’entonnoirs plus ou moins réguliers qui atti- 
rent le regard de l'observateur. | 

D'un autre côté, comme les failles jouent le rôle d'appareils 
collecteurs pour les eaux souterraines, la présence de sources 
temporaires ou permanentes peut aider à prévenir le géologue 
de l'existence d’une faille sur le point où il se trouve, ou 
l'aider à retrouver le prolongement d’une faille déjà connue. 
Mais, bien que des sources et des entonnoirs se placent fré- 
quemment sur le trajet des failles, il ne faut pas en conclure 
que chaque fois que des sources ou des entonnoirs apparais- 
sent, on doit les considérer comme indiquant nécessairement 
le passage d’une faille. 

Les accidents stratigraphiques qui se sont ordinairement 
produits de l’un ou des deux côtés d’une faille, fournissent 


— 421 — 


également le moyen de la reconnaître, même lorsque les 
strates mises en contact appartiennent au même terrain. 
Lorsque, à la surface du sol, on voit des strates verticales 
s'appliquer contre des strates horizontales, il est probable que 
l'on se trouve sur le passage d’une faille; seulement, dans ce 
cas, l'observateur doit se demander s'il a devant lui une 
faille proprement dite ou le résultat d’un simple effondre- 
ment. Il doit se mettre en garde contre une autre chance 
d’erreur provenant de ce qu'il peut se trouver sur un soulève- 
ment en voûte, au point où les strates se recourbent forte- 
ment et passent brusquement de l’horizontalité à la vertica- 
lité. C’est ainsi que, dans le ploiement en voûte de la citadelle 
de Besançon, les strates presque verticales à côté de la porte 
de Malpas, s'appuient contre les strates horizontales du som- 
met de la voûte. Ici la coupure, correspondant à la cluse de 
Tarragnoz, ne permet pas à l'observateur de se tromper. Mais, 
si celui-ci marchait sur le sommet de la voûte et s’il aperce- 
vait tout d’un coup des strates verticales, il croirait arriver 
sur le bord d'une faille. Son illusion serait complète si une 
cassure accompagnait le changement d’inclinaison des strates 
au point où le changement s'effectue, et si cette cassure était 
accompagnée d’un léger glissement. Nous sommes porté à 
croire que, dans le Jura oriental, certains accidents analogues 
ont été quelquefois considérés comme des failles sans rejet. 

Les strates redressées sont non seulement le témoignage 
du passage d'une faille, mais elles indiquent en même temps 
quel est le côté qui s’est abaissé, puisque c’est de ce côté que 
le redressement des strates a constamment lieu. 


Ligne de faille ; faille à l’état rudimentaire.— Ce que nous 
venons de dire au sujet des divers accidents stratigraphiques 
qui marquent la piste d’une faille, s'applique au cas d’une 
faille avec rejet. Mais, très souvent, une faille peut se pro- 
longer jusqu'à une certaine distance en n'étant affectée que 
d'un dénivellement nul ou insignifiant. Elle persiste alors à 


: TA 


— 422 — 


l’état latent ou rudimentaire, c’est-à-dire à l’état de ligne de 
retrait. Alors, parmi les divers accidents que nous avons 
mentionnés, il en est qui disparaissent : ce sont les plus ca- 
raCtéristiques ; d'autres, plus nombreux, persistent. Ceux-ci 
s’échelonnent les uns à la suite des autres, et, malgré l’ab- 
sence de tout dénivellement, n’en signalent pas moins le pro- 
longement d’une faille. Les effondrements, les cavités craté- 
riformes, les sources, témoignent de l’existence d’une faille 
rudimentaire, ou d’une ligne de retrait le long de laquelle 
une faille à rejet aurait pu s'établir, ou pourrait s'établir si la 
contrée que l'on à en vue venait de nouveau à subir l’in- 
fluence des forces intérieures. C’est ce prolongement d’une 
faille que nous désignerons*quelquefois sous le nom de ligne 
de faille. 

Au delà, on peut avoir un prolongement tout à fait théo- 
rique et, du reste, indéterminé. Ce dernier prolongement com- 
mence lorsque la ligne de retrait passe à l’état de ligne de 
moindre résistance. 

Ces considérations ne sont pas, comme on pourrait le pen- 
ser, tout à fait sans portée ; elles nous seront de quelque uti- 
lité lorsque nous étudierons le réseau auquel les failles don- 
nent lieu par leur entrecroisement. Nous nous bornerons, 
pour le moment, à faire remarquer que ces lignes de faille 
peuvent servir non seulement à marquer le prolongement 
d'une faille, mais aussi à établir un trait d'union entre deux 
failles placées l’une à la suite de l’autre et subissant une in- 
terruption plus apparente que réelle. 


CHAPITRE VI 


LES SOULÈVEMENTS EN VOUTE. — HYPOTHÈSES SUR LEUR MODE 
DE FORMATION. — HVPOTHÈSE DE REFOULEMENTS LATÉRAUX. 


En quoi consistent les soulèvements en voûte. — Les soulè- 
vements en voûte sont des accidents tout à la fois stratigra- 
phiques et topographiques, dont le caractère essentiel est 
d'imprimer aux strates, sur une faible étendue, une courbure 
en dôme ou en voûte plus ou moins prononcée. 

L'idée la plus exacte et la plus simple que l’on puisse se 
faire d'un soulèvement en voûte, est de se représenter un 
demi-cylindre obtenu par la section d’un cylindre droit à 
base circulaire, la section étant faite par un plan mené par 
l'axe du cylindre; il faut, en outre, placer le demi-cylindre 
de manière que le plan de section soit horizontal. Une sec- 
tion verticale, pratiquée à travers ce demi-cylindre, perpen- 
diculairement au grand axe ou axe longitudinal, nous don- 
nera la figure 14 formée par une ligne droite AB servant de 
diamètre à une demi-circonférence ASB. Cette demi-circon- 
férence représente le soulèvement en voûte ; elle suit la ligne 
dessinée par les strates après leur soulèvement. La ligne AB, 
que nous appellerons ligne de base, petit axe ou axe transver- 
sal du soulèvement en voûte, est menée perpendiculairement 
au grand axe; elle mesure la largeur du soulèvement en 
voûte. Quant à la longueur de ce soulèvement en voûte, elle 
est égale au grand axe qui passe par le point 0, milieu de la 
ligne AB. Une perpendiculaire OS, élevée par le point O à la 
ligne AB, coupe la demi-circonférence en deux parties égales ; 
elle donne le rayon de courbure de l’arc ASB, marque la hau- 
teur du soulèvement en voûte et va passer par son sommet S; 
on peut la considérer comme jouant le rôle d’axe vertical. 


— 424 — 


La figure 14 est suffisante pour représenter un soulèvement 
en voûte si on l’observe sur un point isolé. Mais, lorsqu'on le 
considère dans son ensemble, on constate que sa base, au lieu 
de dessiner un rectangle résultant de la section d’un cylindre 
par un plan, a plutôt la forme d'une ellipse. À mesure qu'on 
se dirige du milieu de cette ellipse vers son extrémité, on voit 
les lignes 4B et OS diminuer de longueur et finir par être 
égales à zéro. D'autres fois, la base dessine un cercle. Alors, 
au lieu d’un soulèvement en voûte, on a un soulèvement en 
dôme. Le demi-cylindre est remplacé par une demi-sphère, 
dont la ligne 4B est un diamètre et la ligne OS un rayon. 

La figure tout à fait géométrique, que nous venons de des- 
siner pour représenier un soulèvement en voüte, doit être 
considérée comme un type essentiellement théorique. Nous 
n'avons pas besoin d'insister pour indiquer quelles sont les 
parties de ce type qui, dans la réalité, se trouvent plus ou 
moins modifiées, sans que le plan général de l'édifice soit 
changé. Un soulèvement en voûte a toujours un axe longi- 
tudinal, mais cet axe n'est pas nécessairement rectiligne et 
ne passe pas toujours par le point O0, milieu de la ligne AB. 
La courbe qui, en partant des points 4 et B, dessine le soulè- 
vement en voûte, n'est pas dans tous les cas une demi-cir- 
conférence ; elle peut constituer un arc de cercle et avoir un 
rayon de courbure plus grand ou plus petit que OS ; elle peut 
aussi présenter une forme ellipsoïdale, et, dans ces divers 
cas, être plus ou moins irrégulière. Le point $, marquant le 
sommet du soulèvement en voûte, peut être placé un peu 
plus à droite ou à gauche et subir des déplacements indépen- 
dants de ceux du point 0. 

Les hypothèses, émises au sujet de l’origine des soulève- 
ments en voûte, sont au nombre de deux ; avant d'en appré- 
cier la valeur, nous croyons devoir nous livrer à un examen 
sommaire des opinions qui ont été successivement formulées 
relativement à la nature et à la direction des forces qui ont 
donné naissance aux principaux accidents stratigraphiques 


— 425 — 


et orographiques que l’on observe à la surface du globe. Cet 
examen, qui sera du reste très concis, nous permettra de bien 
nous rendre compte des circonstances qui ont amené la for- 
mation des soulèvements en voûte. Il nous mettra à même de 
choisir entre les théories que l’on oppose l’une à l’autre pour 
expliquer la formation des chaînes de montagnes et des mas- 
sifs montagneux. Ces théories, lorsqu'on ne considère les 
forces mises en jeu que sous le rapport de leur direction, sont, 
en dernière analyse, au nombre de deux. Tantôt on invoque 
des refoulements latéraux résultant de causes diverses ; tantôt 
on admet une impulsion verticale qui, pour les uns, est tout 
simplement la continuation d'une impulsion semblable partie 
de la pyrosphère et qui, pour les autres, est le contre-coup 
de l’affaissement des régions voisines. 


Formation des montagnes à la suite d’une impulsion ver- 
ticale; Sténon, Hutton, etc. — Les ouvrages d'Ovide, de 
Strabon, etc., témoignent que les anciens se faisaient une 
idée assez exacte de la formation des montagnes par voie de 
soulèvement. Les écrivains de l'antiquité habitaient un pays 
où l'écorce terrestre est sans cesse agitée par les tremblements 
de terre et les phénomènes volcaniques ; ils avaient dû être 
témoins d'affaissements et de soulèvements du sol. Nous pou- 
vons nous expliquer de la même manière les idées très justes 
que Sténon (1670) s'était formées, non seulement sur la stra- 
tification que les anciens ne connaissaient pas, mais aussi sur 
le soulèvement des strates et sur la cause de ce soulèvement. 
Sténon était Danois, mais avait passé une partie de son exis- 
tence en Italie. « Les couches, disait-il, sont perpendicu- 
laires ou inclinées à l'horizon, mais lui ont été parallèles à 
une autre époque. Les couches terrestres ont pu changer 
d'impulsion suivant deux modes différents. Le premier mode 
est une violente secousse imprimée aux couches de bas en 
haut, et provenant de la combustion subite de vapeurs sou- 
terraines ou d'un très fort dégagement d'air; cette secousse 

28 


— 426 — 


est accompagnée quelquefois d’une projection de cendres, de 
soufre et de bitume (évidemment Sténon faisait ici allusion 
au mode de formation des montagnes volcaniques). Le second 
mode résulte de l’action violente des eaux à l'intérieur ou à 
l'extérieur des couches terrestres : à l'extérieur, les pluies et 
les torrents entraînent les couches déjà fendues par les alter- 
natives de la chaleur et du froid ; à l'intérieur, il se produit 
des cavernes et des conduits souterrains, de sorte que les 
couches supérieures s’affaissent, lorsque la base qui les soute- 
nait disparait. » Nous ne pouvons nous empêcher de faire re- 
marquer, en passant, que, dans les lignes précédentes, à part 
ce qui se rattache aux phénomènes volcaniques, on trouve 
énoncées les causes que nous avons invoquées jusqu'ici et 
que nous invoquerons encore pour expliquer la constitution 
stratigraphique et topographique du Jura. 

La notion du soulèvement des strates, si féconde en consé- 
quences pour la géologie, était à peu près tombée dans l’oubli 
depuis Sténon. La gloire de l'avoir retrouvée revient tout en- 
tière à Saussure, qui la vulgarisa par ses belles observations 
sur le poudingue de Valorsine. Mais Saussure ne pouvait 
rer de cette découverte toutes les déductions dont elle était 
susceptible. Il professait les idées de Werner sur le mode de 
formation des terrains : le granite, la protogyne et toutes les 
roches cristallines du massif alÿin étaient pour lui, comme 
pour l'illustre minéralogiste saxon, le résultat du premier dé- 
pôt effectué au fond de la mer ; et, lorsqu'il déclarait que les 
Alpes, qu'il avait parcourues dans tous les sens pendant 
vingt-cinq ans, n'offraient aucun vestige de roches ayant subi 
l'action de feux souterrains, il ne se doutait pas que la proto- 
gyne et le granite en tenaient la place et avaient joué, comme 
puissance de soulèvement, le même rôle que le basalte dans 
d’autres contrées. | 

Hutton avait deviné la véritable nature du granite et con- 
slaté sa fluidité primitive ; il avait reconnu aussi qu'il se rat- 
tachait, par une série non interrompue de roches diverses, au 


— 427 — 

basalte le plus homogène. Puis, « en examinant les indices 
de désordre e. de mouvement parmi les strates, » il avait ob- 
servé que, « malgré la fracture et la dislocation dont il y a tant 
d'exemples, il se trouve entre elles peu d'espaces vides. Les 
fentes, les séparations sont nombreuses et distinctes, mais 
elles sont presque toujours remplies de minéraux, d'une 
espèce différente de celle qui se trouve sur les deux côtés. Ces 
minéraux (Hutton entendait parler des roches éruptives) sont 
immédiatement liés au bouleversement des strates, et, dan 
beaucoup d'occasions, ont servi d’instrument à leur éléva- 
tion. » Hutton rattachait ensuite le soulèvement des strates 
à une impulsion de bas en haut opérée par les masses érup- 
tives, et il considérait cette impulsion comme un des effets de 
la puissance expansive de la chaleur. Nous n'avons, disait- 
il, d'autre alternative que d'adopter cette opinion, ou d'attri- 
buer les faits en question à quelque cause secrèle et inconnue. 

La science a pu donner à la pensée de Hutton quelque 
chose de plus précis et de plus net dans l'expression; elle n’en 
a pas modifié le fond. C'est la force d'expansion, résidant 
dans la pyrosphère, et encore mieux dans le nucléus ou masse 
centrale du globe, qui est la cause, et (si nous faisons pour 
un instant abstraction de la pesanteur) nous pourrons dire 
la seule cause de tous les mouvements ressentis par l'écorce 
terrestre et par chacune des parties dont cette écorce se com- 
pose. Or cette force est normalement dirigée dans le sens des 
rayons du sphéroïde terrestre, et, par conséquent, dans un 
sens vertical pour chacun des points de la surface du globe. 
Tel est le fait fondamental qu'il ne faut jamais perdre de vue 
lorsqu'on étudie le mécanisme des forces qui ont contribué à 
imprimer à l'écorce terrestre sa structure. 


Hypothèse de refoulements latéraux ; J. Hall, Saussure. — 
L'hypothèse de refoulements latéraux s'appuie principale- 
ment sur l'expérience de J. Hall démontrant que des pres- 
sions latérales effectuées dans certaines conditions, détermi- 


— 428 — 


nent des refoulements et des ondulations dans les strates ou 
dans les corps stratiformes soumis à leur action. J. Hall su- 
perposait les uns aux autres de petits lits d'argile ou des mor- 
ceaux de draps de diverses couleurs; au-dessus de ces lits, 
taillés en rectangles égaux, il posait un livre chargé d’un 
poids suffisant; puis il exercait contre les lits une pression 
latérale au moyen de deux livres placés parallèlement l'un à 
l’autre. Il voyait, à mesure que la pression augmentait, les 
lits former des ondulations ou des plis de plus en plus pro- 
noncés. 

Nous examinerons tout à l'heure dans quelles circonstances 
et dans quelles proportions les phénomènes de refoulement se 
sont produits. En attendant, nous dirons que les expériences 
de J. Hall peuvent rendre compte des ondulations qui affec- 
tent certaines roches, telles que les schistes anciens; mais on 
ne saurait s’en servir pour expliquer la formation des soulè- 
vements en voûte, encore moins des chaînes de montagnes. 

Pour expliquer le redressement des strates, Saussure avait 
eu d’abord recours à l'hypothèse « du feu ou d’autres fluides 
élastiques qui, enfermés dans l'intérieur du globe, avaient 
soulevé et rompu son écorce, et fait sortir ainsi la partie in- 
térieure ou primitive de cette même écorce, tandis que ses 
parties extérieures ou secondaires demeuraient appuyées 


contre les couches intérieures. » Plus tard, il abandonnaït 


l'hypothèse de feux souterrains ; le désordre que l’on observe 
dans la structure des montagnes lui paraissait rappeler bien 
naturellement à l’esprit l’idée de feux souterrains. « Mais, 
disait-il, comment des feux capables de soulever et de boule- 
verser des masses aussi énormes n’auraient-ils pas laissé, ni 
sur ces mêmes masses, ni dans tous ces lieux, aucun vestige 
de leur action ? Le redressement des couches est dû à une ré- 
volution de notre globe qui a déterminé leur refoulement. » 
Quelle idée Saussure se faisait-il de cette action qu'il désignait 
sous le nom de refoulement? M. Elie de Beaumont pense 
qu'il existe beaucoup de rapports entre les résultats néces- 


— 429 — 


saires de ce qu'il a lui-même appelé écrasement transversal et 
les phénomènes que Saussure entendait désigner par le mot 
de refoulement dont il s’est servi dans/les derniers aperçus 
théoriques consignés dans ses Voyages. Il fait observer que 
quelques-uns des passages où ces apercus se trouvent consi- 
gnés ont été imprimés trois ans seulement avant la mort de 
Saussure, qui conservait sans doute le projet de les développer 
ultérieurement. Dans l'état provisoire où l’immortel observa- 
teur nous les a laissés, ces passages lui paraissent moins clairs 
que l’article qu'il a consacré au poudingue de Valorsine. 


Théorie de Boucheporn. — On a vu quelle relation l'auteur 
des Etudes sur l'histoire de la terre établissait entre la forma- 
tion des failles et sa théorie cosmogonique basée sur des chocs 
répétés de comètes. C’est également à cette théorie qu'il rat- 
tachait la formation des chaînes de montagnes et même des 
soulèvements en voûte. 

Reprenons l'exposé des idées de Boucheporn, au point où 
nous avons interrompu cet exposé pour rappeler comment ce 
savant comprenait le mode de formation des failles. Pendant 
qu'à la suite du changement d’axe de rotation, les molécules 
fluides de la masse interne se déplaceront dans une direction 
parallèle au nouvel équateur, l'écorce terrestre, en vertu de 
la pesanteur, obéira à une force centripète. Boucheporn fait 
voir que cette force centripète se décomposera en deux autres : 
l’une dirigée normalement au nouvel axe et qui sera détruite 
par la force d'expansion dont il vient d'être parlé; l’autre 
offrant ces deux caractères, d’être universellement tangente 
aux nouveaux méridiens et dirigée de toutes parts vers le 
cercle équatorial. Chacun des méridiens se trouvera donc sou- 
mis à une double série de forces analogues qui exerceront 
l’une contre l'autre, des deux côtés de l'équateur, leurs efforts 
opposés. L'écorce terrestre, saisie par cette double pression, 
subira donc, par un refoulement universel, une série d'ondu- 
lations ou de ploiements. Ces ondulations, qui seront l’origine 


4 


VAL ,, F2 1" QUOTE 
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— 430 — 


des montagnes, croîtront en intensité des pôles à l'équateur; 
elles seront linéaires, parallèles entre elles et au nouvel équa-  : 
teur ; elles représenteront par leur direction la direction même 
du nouveau mouvement de la terre. Dans l'hypothèse de 
Boucheporn, la formation d'une chaîne de montagnes est le 
résultat d'un soulèvement par suite de l'expansion équato- 
riale, mais aussi et surtout d’un refoulement produit par des 
pressions latérales. Les nouveaux méridiens étant de grands 
cercles qui jadis passaient par les pôles, subiront un raccour- 
cissement, et ce raccourcissement s'effectuera, non par un 
effondrement aux pôles, mais par une série de plissements 
sous la zone équatoriale. 

« Les deux phénomènes dont je viens de parler, les failles 
et la flexion des terrains, appartiennent à deux genres de 
forces bien distinctes, quoiqu'elles aient agi simultanément : 
dans les failles on doit reconnaître le résultat évident d'un 
mouvement vertical ; dans la flexion, au contraire, agit une 
force d’un ordre tout différent. Les montagnes, en effet, con- 
sidérées dans les traits les plus généraux de leur structure, 
représentent bien moins le brisement d’une enveloppe rigide 
par une force d'éruption intérieure, que le plissement succes- 
sif d'une matière flexible par une compression horizontale 
agissant à la fois sur de vastes étendues... Tel est donc, en 
définitive, l'unique agent du soulèvement général des chaînes : 
ce sont des forces qui, saisissant leur masse entière et l’étrei- 
gnant comme entre les mâchoires d'un immense étau, l'ont 
reployée sur elle-même en mille replis, et en ont élevé les 
crêtes par refoulement, par écrasement transversal. » (Etudes, 
pages 70 et 77). 

Nous pouvons opposer aux idées de Boucheporn sur la for- 
mation des chaînes de montagnes la même fin de non-rece- 
voir que pour la formation des failles, puisque la cause pre- 
mière invoquée par lui est, dans un cas et dans l’autre, un 
choc de comète. Mais, pour les chaînes de montagnes, nous 
ferons également, comme nous l'avons fait pour les failles, 


— 431 — 


l'objection suivante : c’est que, même en admettant un chan- 
gement d'axe de rotation, les choses ne se passeraient pas 
comme l’entendait Boucheporn. Dans sa Thèse de mécanique, 
soutenue en 1855, M. H. Résal a cherché, en s'appuyant sur 
la théorie mécanique de l'élasticité, à se rendre compte des 
effets qui se seraient produits sur l'écorce terrestre, à la suite 
d’un changement de pôles dû au choc d'un corps céleste. Il 
a supposé que l'écorce terrestre était, avant le changement 
des pôles, une couche sphérique homogène, d’une épaisseur 
très petite par rapport au rayon moyen de la terre, ainsi 
qu'on l’admet généralement. En se plaçant à ce point de vue, 
M. H. Résal a reconnu que l'épaisseur serait constante aux 
pôles, mais aurait subi une diminution croissante vers l’é- 
quateur et proportionnelle au carré du sinus de la latitude ; 
l'écorce terrestre aurait une élasticité suffisante pour avoir 
cédé, sans se rompre, à la distension nécessitée par le gon- 
flement équatorial; tout au plus pourrait-on admettre sous 
l'équateur une rupture par voie d'arrachement ou d'étire- 
ment,— 1 ne s’y formerait donc pas un bourrelet monta- 
gneux, ainsi que le prétendait Boucheporn. 

Nous avons insisté sur la théorie de Boucheporn plus que 
ne le comportait le sujet que nous nous sommes proposé de 
traiter dans cette Etude, parce que c’est dans son ouvrage que 
nous avons trouvé formulée, de la manière la plus explicite, 
l'hypothèse de refoulements latéraux. Souvent cette hypo- 
thèse n’est appliquée que d'une manière très vague et qui 
fait voir que ceux qui l’invoquent ne s'en font pas toujours 
une idée bien précise (1). 


2e Sn 


(1) Boucheporn appartenait, par la nature de son esprit, à cette école 
où l'on a de la peine à admettre que la nature puisse produire les plus 
grands effets par les moyens les plus simples. Le lecteur ne lira pas 
sans intérêt les lignes suivantes où Boucheporn porte son jugement sur 
les travaux de Saussure et de Hutton : « Ce furent les observations de 
Saussure dans les Alpes, un peu antérieures aux travaux de Hutton, 
qui portèrent pour la première fois l'attention des savants sur un genre 


— 432 — 


Cas où des refoulements latéraux peuvent se produire, — 
Toutes les forces qui interviennent dans la géologie dyna- 
mique sont, au moment où elles se produisent, verticales. Si 
on fait abstraction de la pesanteur, on peut même ajouter 
qu'elles se dirigent de bas en haut. Toutes, enfin, sont le 
contre-coup des mouvements de la pyrosphère qui agissent 
sur l’écorce terrestre en pressant normalement contre elle. 
Mais, dans certains cas, ces forces, à mesure que leurs effets 
se propagent, peuvent se décomposer, prendre diverses direc- 
tions et devenir partiellement horizontales; nous ne le nions 
pas. Déjà Playfair, dans son Explication sur la théorie de la 
terre de Hutton, avait dit : « Quoique la première direction de 


de phénomènes d'une haute généralité géologique, absolument incom- 
patible avec la simplicité des théories précédentes. Ce grand observa- 
teur, qui, dans ses pérégrinations alpestres, porta un coup d'œil si lucide 
sur la disposition des couches, fut frappé de leurs vastes contourne- 
ments dans ces montagnes, et des changements brusques et multipliés 
de leurs pentes mis en contraste avec la régularité générale de leur 
direction. Ces phénomènes si remarquables lui inspirèrent l'idée de 
grandes forces latérales, et c'est cette idée qu'il exprimait par le mot 
de refoulement, qu'il a créé comme expression géologique. Admirable 
dans l'étude des faits, mais extrêmement prudent dans la recherche des 
causes, parce qu'il avait trop de portée dans l'esprit pour hasarder une 
idée médiocre, Saussure ne paraît pas avoir exprimé de conjectures 
positives sur l'agent de ce refoulement, de cette vaste compression; il 
sentait sans doute combien il manquait encore à la science de son 
époque. Mais l'idée n’en est pas moins remarquable par sa justesse et 
par la lucidité avec laquelle elle donne l'image des phénomènes. — 
Hutton, vers le même temps, observant aussi en Ecosse les contourne- 
ments des couches, mais les reliant à l’intrusion apparente des trapps, 
des basaltes, des granites même, conçut le premier l'idée de l'influence 
qu'aurait exercée la poussée de ces roches ignées sur la structure des 
terrains sédimentaires. Porté par la nature et le cadre ordinaire de ses 
observations à envisager les phénomènes physiques sous un point de 
vue moins large que Saussure, et disposé sous ce rapport à donner une 
grande importance aux causes locales, Hutton attribuaït à une action de 
ce genre, essentiellement bornée, le contournement des couches. S'il 
eût étudié la nature dans une contrée où elle pütse montrer à lui dans 
toute la majesté de ses accidents, peut-être la grandeur des phénomènes 
lui eût-elle inspiré d'autres idées. » (Etudes, p. 64.) 


— 433 — 


la force qui a ainsi soulevé les couches ait dû agir de bas en 
haut, cependant elle a été combinée avec la gravité et la ré- 
sistance des masses de manière à’ donner un choc latéral 
oblique et à produire toutes les contorsions qui, sur une 
grande échelle, se comptent parmi les phénomènes les plus 
curieux et les plus instructifs de la géologie. » 

J'ai rappelé l'expérience de J. Hall. Pour retrouver l'appli- 
cation de cette expérience dans la nature, il n’y a qu'à se re- 
présenter une fissure dans laquelle la matière éruptive est en 
voie de pénétrer. Deux forces verticales, mais de sens opposés, 
agissent dans ces fissures : l’une résulte de l'impulsion qui 
tend à porter la matière éruptive vers la surface du globe; 
l’autre est le poids de cette matière éruptive. Une pression 
considérable s'exerce contre les parois de la fissure ; les masses 
stratifiées, situées près de ces parois, ne pouvant se déplacer 
à cause de la pression exercée sur elles par les masses qu'elles 
supportent, subissent un plissement. Les conditions de l’ex- 
périence de J. Hall seront encore mieux reproduites si l’on 
admet une masse stratifiée soumise, de part et d'autre, à la 
pression provenant de deux fissures voisines ; ces deux fissures 
représenteront les deux livres verticaux et parallèles l’un à 
l’autre; les strates correspondront aux lits d'argile, et le poids 
supporté par ceux-ci sera fourni, dans la nature, par les 
masses qui recouvrent ces strates. Au poids de ces strates 
s’ajoutera celui de la mer elle-même, si le phénomène s'ac- 
complit au fond de l'océan. 

Nous pourrions rappeler d'autres circonstances où des phé- 
nomènes de refoulement sont déterminés par des impulsions 
horizontales procédant de forces verticales. La dénivellation 
des failles et les soulèvements en voûte sont dus à des forces 
verticales, mais ces phénomènes ont été accompagnés de re- 
dressements et de renversements de strates, de plissements 
en V et de courbures en G, c’est-à-dire d'accidents stratigra- 
phiques que l’on peut, à un certain point de vue, considérer 
comme étant le résultat d’une poussée horizontale. Dans les 


— 434 — 


Alpes, ces transformations de mouvements verticaux en mou- 
vements horizontaux se sont manifestées dans des proportions 
gigantesques. À 


Opinions de Gressly, Thurmann, Studer. — Parmi les sa- 
vants qui ont adopté la théorie des refoulements, les uns, 
comme J. Hall, basent leur opinion sur des observations et 
des expériences qui peuvent expliquer certains accidents lo- 
caux, tels que le contournement des strates, mais non la for- 
mation des chaînes de montagnes. D’autres, comme Bouche- 
porn, invoquent des causes tout à fait inadmissibles. Il en 
est, comme Saussure, qui se font une vague idée du phéno- 
mène considéré dans ses causes et ses effets, et pour qui l’em- 
ploi du mot de refoulement semble suffire et répondre à tout. 
Parmi les partisans de l'hypothèse de refoulements, nous 
mentionnerons, enfin, Ceux qui, se rapprochant beaucoup 
plus de la vérité, admettent une poussée latérale exercée par 
les massifs montagneux, au moment de leur apparition, sur 
les contrées environnantes. Ceux-là n’ont eu d'autre tort que 
de supposer trop d'étendue à la région affectée par cette poussée 
latérale et d'admettre que l'influence directe du massif alpin 
s'était fait sentir jusque dans le Jura. C’est ce que nous essaie- 
rons de démontrer ; mais, auparavant, afin de rendre l'examen 
auquel nous nous livrons aussi complet que possible, nous 
rappellerons les opinions de quelques-uns des géologues qui 
se sont occupés du Jura. 

Gressly se faisait, selon nous, une idée très exacte du mode 
de formation des chaînes du Jura. Il résumait ces idées de 
la manière suivante : 1° Chaque soulèvement s’est effectué 
par une force agissant de bas en haut sur une série de couches 
compactes ou incohérentes, suivant une ligne centrale ou 
faille longitudinale, qui marque la direction de la force agis- 
sante; 2° chaque soulèvement a déterminé soit un prolonge- 
ment, soit une rupture, le long de l’axe central de ce soulè- 
vement ; 3 suivant que la force agissante a eu plus ou moins 


TE 


— 435 — 


d'intensité, ou a agi sur des strates plus ou moins impressio- 
nables, il en est résulté un affleurement des couches d’un ter- 
rain plus ou moins profond ; 4 le soulèvement a non-seule- 
ment déterminé des æuptures longitudinales, il à encore 
donné lieu à des ruptures transversales et latérales (cluses 
et ruz); 5° l'agent soulevateur n’a pas seulement agi dans 
le sens vertical, mais aussi obliquement, sous des angles sou- 
vent très aigus, de manière que le déversement s’est opéré 
tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. (Obs. géol. sur le Jura so- 
leurois, p. 179 et suiv.) On remarquera l’analogie qui existe 
entre la théorie des soulèvements en voûte, telle que Gressly 
s’en faisait une idée, et celle que nous serons conduit à adopter. 

Gressly, en donnant de sa théorie le résumé que nous ve- 
nons de transcrire, faisait observer qu'il reproduisait les idées 
fondamentales du système de Thurmann. Toutefois, celui-ci 
ne se faisait pas du mode de formation des chaînes du Jura 
une idée aussi nette que Gressly voulait bien l’admettre. 
Thurmann, en étudiant les chaînes du Jura, était préoccupé 
des effets plutôt que des causes du phénomène dont il faisait 
l'objet de ses investigations. Les idées de Saussure avaient 
ldissé dans son esprit une empreinte dont nous retrouvons le 
témoignage dans les lignes suivantes : « L'existence des failles 
qui divisent le massif du Jura, disait-il, est la cause essen- 
tielle des formes qu'ont pu prendre les dislocations sous l’ac- 
tion dynamique qui reste à apprécier, agent qui, lui, n’est pas 
la cause, du moins directe, des failles... L'ensemble des lois 
exposées me conduit à éliminer toute action soulevante appli- 
quée verticalement, soit selon des lignes, soit en marchant le 
long de celles-ci dans un sens déterminé. Au contraire, les 
faits s'interprètent en tous points, par l'hypothèse d'une ac- 
tion latérale, procédant du côté suisse vers le côté français 
sur des massifs faillés et avec concours des grands agents 
d’ablation. » {Bull. Soc. géol., 2° série, t, XI, p. 46 et 50.) 

« Tous ces faits, a dit à son tour Studer, nous portent à re- 
connaître une force latérale immense, dont l’action s’est pro- 


— 436 — 

pagée de l’axe des Alpes centrales sur les bords de la chaîne. 
Cette force ne paraît pas devoir se rapporter directement aux 
massifs granitiques ; car l’axe du massif cristallin des Alpes 
valaisannes fait un angle de 15 à 20 degrés avec la vallée du 
Rhône, qui est à peu près parallèle à la chaîne de Wildhorn. 
Elle est due plutôt, je crois, à l'origine ou à l'élargissement 
de la crevasse dans la croûte terrestre par laquelle toute la 
zone de nos Alpes centrales a été mise à découvert, comme 
un Corps qui sort d’une boutonnière en forçant ses bords à 
lui donner passage. » (Archives des sciences physiques et natu- 
relles, nouv. pér., t. XI, p. 19.) 


Structure des Alpes ; leur influence sur les régions envi- 
ronnantes. — Les divers massifs des Alpes présentent une 
structure qui ne permet pas de ne pas voir en eux de véri- 
tables soulèvements en voûte établis dans des proportions 
gigantesques. C’est ce qui est incontestable pour le massif du 
Mont-Blanc, dont la structure est actuellement si bien connue, 
grâce aux travaux de nombreux géologues et notamment de 
MM. A. Favre, Lory, etc. La coupe du Mont-Blanc que nous 
avons reproduite (voir fig. 15) a été dressée en tenant compte 
des indications fournies par ces deux éminents géologues. 

La cause immédiate, qui a imprimé au massif du Mont- 
Blanc sa constitution stratigraphique et qui même a déter- 
miné son apparition, a été certainement une impulsion verti- 
ticale de bas en haut. Il en a été de même pour l’ensemble 
du massif alpin. Mais ce puissant massif n’a pas été porté à 
la hauteur où il se trouve sans exercer, dans le sens horizon- 
tal, une pression considérable sur les masses environnantes. 
Et comme ces masses, ainsi redressées, forment à elles seules 
des chaînes de montagnes, l'attention des géologues suisses 


ment, le phénomène plus important de l'impulsion verticale 
ayant été négligé par eux. Cette préoccupation nous paraît 
parfaitement naturelle. 


— 43T — 


Mais le tort de plusieurs savants a été de penser que la 
poussée horizontale s'était propagée des Alpes jusqu’au Jura. 
La partie du massif alpin où les effets de refoulement se sont 
fait sentir paraît limitée vers le sud par la ligne que Studer 
et Escher de la Linth, dans leur carte géologique de la Suisse, 
ont dessinée comme marquant, dans le Tessin, la séparation 
entre le gneiss vertical et le gneiss peu incliné. Vers le nord, 
la limite est formée par la ligne anticlinale de la Suisse dont 
il a été dit quelques mots dans le chapitre xr de la première 
Etude. Au delà de cette ligne, les actions dynamiques qui se 

sont exercées sur les strates se placent sous la dépendance 
plutôt du massif jurassien que du massif alpin. 

Nous ne serions pas éloigné de penser que la ligne anti- 
clinale de la Suisse est, elle aussi, la conséquence directe 
d'une impulsion verticale; mais nous ne repoussons pas pour- 
tant la manière de voir des géologues qui, comme M. Alph. 
Favre, voient, dans cette ligne anticlinale, la manifestation 
du grand phénomène de plissement auquel les Alpes et les 
régions voisines doivent, en partie, leur relief. On peut aussi, 
comme M. Studer, considérer cette ligne comme une preuve 
de la pression latérale exercée par les Alpes. Mais, si cette 
ligne est la conséquence d’un refoulement, elle a été aussi le 
résultat de deux poussées latérales dirigées l’une contre l’autre 
et venant, l'une des Alpes, et l’autre du Jura. Les parties si- 
tuées des deux côtés se sont redressées comme le feraient deux 
planches mises en contact par un de leurs bords et poussées 
l’une contre l’autre. Dans tous les cas, la ligne anticlinale de 
la Suisse a marqué la limite des actions dynamiques qui se 
manifestaient dans les Alpes ; elle s’est opposée à leur propa- 
gation, ne füt-ce qu’à la manière dont les soulèvements en 
voûte s'arrêtent, dans le Jura, contre les failles (voir posteà, 
chap. vi). 

Quant à nous, nous ne saurions admettre que les soulève- 
ments en voûte du Jura soient la conséquence d’une poussée 
latérale venue des Alpes. On ne s'explique pas comment cette 


— 438 — 
impulsion horizontale aurait pu se faire sentir jusque dans 
les environs de Besancon, où l’on observe des soulèvements 
en voûte très bien dessinés. On ne s'explique pas non plus 
que cette impulsion ait pu se propager jusque sur ce point, 
après deux interruptions importantes, l’une correspondant à 
la plaine helvétique, et l’autre comprise entre le Haut-Jura 
et Besançon, c'est-à-dire dans une zone où les soulèvements 
eu voûte sont rares et mal dessinés. Et si la possibilité d'un 
effort aussi considérable est admise, on ne comprend pas 
comment il a donné lieu à des accidents aussi peu considé- 


Rd 
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Tr" PENETR 
CES ex, 
’ 


rables que les soulèvements en voûte. On comprendrait plutôt 


que le soulèvement du massif alpin eût eu pour conséquence 
celui du massif jurassien tout entier. 


Le rayon qui dessine la courbe d’un soulèvement en voûte 


est, en définitive, très court, et on ne peut penser que la 
courbure qui affecte les strates persiste jusqu’à une grande 
profondeur. Or, si la cause qui a recourbé ces strates avait 
son point de départ dans le massif alpin, elle aurait agi sur 
toute l'épaisseur de la croûte du globe, et les soulèvements 
en voûte atteindraient de plus grandes proportions. Supposer, 
pour répondre à cette objection, que la poussée latérale ne 
s'est exercée que sur la partie superficielle de l'écorce ter- 
restre, sur la zone sédimentaire, par exemple, qui aurait 
glissé sur la zone sous-jacente nullement intéressée au phé- 
nomène, c’est compliquer de plus en plus le problème sans 
le résoudre. ; 


Remarques de M. Lory à propos de la structure du Mont- 

lanc, — La partie centrale du massif du Mont-Blanc est 
formée de protogyne et de gneiss passant aux schistes cristal- 
lins. Ces roches se montrent en strates ou en nappes strati- 
formes, disposées en éventail. Cette disposition est contraire 
à ce que l’on devrait observer, quelle que soit d’ailleurs l'idée 
que l’on se fasse du mode de formation des soulèvements en 
voûte. Dans un soulèvement de ce genre, la verticalité est le 


— 439 — 


fait des strates placées sur le côté de la voûte dont elles for- 
ment, pour ainsi dire, les pieds-droits. Les strates de la partie 
centrale tendent généralement à rester horizontales. Il y a 
dans cette circonstance une anomalie apparente dont M. Lory 
a donné une explication que nous n’hésitons pas à admettre : 
voici en quoi elle consiste. 

« M. Studer admet que la protogyne et même le gneiss des 
Alpes bernoïises, du Saint-Gothard, etc., ne sont point réelle- 
ment stratifiés, et que leur structure stratiforme n’est que le 
résultat d’un clivage et d’un feuilletage très développés dans ces 
roches, en réalité massives, postérieurement aux dislocations, 
c'est-à-dire postérieurement au terrain jurassique. et même, 
en beaucoup d’endroits, au terrain éocène. Pour moi, je dois 
dire que je crois fermement à la stratification primitive du 
gneiss, et que, tout en admettant dans les Alpes l'existence 
de vrais 2ranites massifs, même de granites éruptifs en filons, 
admettant même que la protogyne se rencontre quelquefois 
sous cette forme, je persiste à croire que les grandes masses 
de protogyne du Mont-Blanc se lient au gneiss par des pas- 
sages insensibles et qu'elles sont stratifiées originellement, 
comme le gneiss lui-même. Dans toute la région dont le 
massif du Mont-Blanc fait partie, il y a eu, entre le dépôt 
du terrain houiller et celui du trias, des bouleversements 
très étendus, qui ont plissé les couches des terrains an- 
ciens, les ont redressées, le plus souvent dans une position 
voisine de la verticale, et ont été suivis de grandes dénuda- 
tions et d'un rabotage général des parties saillantes. C’est ce 
fond de vieilles roches déjà disloquées, entièrement consoli- 
dées et usées sur leurs tranches, qui a recu, d’abord des dé- 
pôts minces et discontinus de trias, puis une couverture gé- 
nérale de lias, ou, plus généralement, du groupe jurassique 
inférieur... Lorsque plus tard se sont produites de nouvelles 
dislocations, les terrains anciens, complètement rigides, n’ont 
pas pu se prêter à de nouveaux plissements : ils n’ont pu 
éprouver que des fractures, des failles, des glissements, sui- 


— 440 — 


vant des plans de rupture nouveaux ou anciens, ou encore 
suivant leurs plans de stratification. Ces nouvelles disloca- 
tions des terrains anciens, et les glissements relatifs de leurs 
lambeaux ont porté ceux-ci aux niveaux les plus divers, mais 
en leur conservant à peu près leur direction et leur inclinai- 
son générales. Les terrains secondaires, éminemment flexibles 
et ductibles, ont été tout autrement bouleversés : au lieu 
d'être brisés par toutes les fractures et les glissements des 
terrains anciens , ils ne l'ont été que par les failles d’impor- 
tance majeure; mais partout ailleurs ils ont fléchi et se sont 
adaptés, sans se rompre, par des contournements multiples 
et des plus compliqués, aux nouvelles positions relatives des 
divers lambeaux de leur base disloquée. Cette considération 
est, je crois, le point de départ auquel il convient de se placer, 
pour se rendre compte des phénomènes complexes de l’oro- 
graphie de cette partie des Alpes. Par la considération de ces 
deux ensembles de terrains , l’un inférieur, déjà ancienne- 
ment bouleversé et rigide, ne se prêtant plus qu’à des fractures 
et à des glissements, des déplacements relatifs de ces lam- 
beaux, par mouvement de translation ; — l’autre supérieur, 
fiexible, s'adaptant aux déformations de sa base disloquée par 
des plissements multiples, sans en subir toutes les fractures, 
nous avons un principe fécond pour l'explication des pro- 
blèmes orographiques, dans toute la partie des Alpes ainsi 
constituée. Nous comprenons immédiatement, par là même, 
comment et pourquoi son orographie diffère si essentielle- 
ment, comme le fait observer M. Studer, de celles du Jura ou 
des chaînes secondaires subalpines, dans lesquelles n’entrent 
généralement que des ensembles d'étages sensiblement con- 
cordants entre eux, que l’on peut considérer comme étant 
tous flexibles jusqu’à l'époque de leurs dislocations com- 
munes. » (Bull. Soc. géol., 3° série, t. I, p. 397 et suiv.) 


— AH — 


CHAPITRE VIT 


CIRCONSTANCES QUI ONT ACCOMPAGNÉ LA FORMATION DES SOULÈ- 
VEMENTS EN VOUTE. — LEUR MODE DE GROUPEMENT. 


-Impossibilité d'appliquer l'hypothèse de refoulements laté- 
raux aux soulèvements en voûte du Jura. — Nous ferons 
observer d'abord que les conditions de l’expérience de J. Hall 
ne se retrouvent nullement dans les circonstances qui ont 
déterminé l'apparition des soulèvements en voûte dans le 
Jura. 

On ne saurait indiquer une force ayant agi de haut en bas, 
puisque, au moment où les soulèvements en voûte se sont 
produits, toutes les strates qui les composent étaient complè- 
tement à découvert. Il est vrai que cette pression n'est pas 
nécessaire pour expliquer l'apparition d’une seule ondulation 
dans la masse pressée latéralement. Mais on ne saurait s’en 
passer lorsque, ainsi qu’on le constate dans le Jura oriental, 
plusieurs soulèvements en voûte se placent l’un à côté de 
l’autre en se dirigeant dans le même sens. É 

Quant aux forces ayant opéré latéralement, il n’est pas pos- 
sible d'en trouver une raison d'être quelconque dans le Jura, 
puisque les roches éruptives n'existent pas dans ce massif 
montagneux. Nous avons déjà dit que la cause de ces pres- 
sions latérales a été placée dans les Alpes. On a supposé que 
le massif alpin, porté tout d’un coup à la hauteur où il se 
trouve, avait dù exercer latéralement une pression sur les 
parties de l'écorce terrestre situées dans son voisinage et les 
obliger à se plisser sur elles-mêmes : d’où les ondulations qui 
constituent les soulèvements en voûte. Nous avons vu, dans 
le chapitre précédent, que cette explication n’est pas suscep- 
tible de rendre un compte exact des diverses circonstances 

29 


— 442 — 


qui ont présidé à la formation d'un soulèvement en voûte: 
Mais remarquons, en outre , que, dans l'hypothèse que nous 
repoussons, la difficulté est plutôt déplacée que surmontée ; 
car il reste à retrouver la cause qui a déterminé le soulève- 
ment des Alpes et des divers massifs dont elles se composent. 
Et, lorsqu'on se livre à cette recherche , on voit que le massif 
du Mont-Blanc est lui-même précisément un soulèvement en 
voüte. | 
= Nous ferons observer, enfin, que, même dans les massifs 
des Alpes, après avoir admis qu’un soulèvement en voüte est 
la conséquence d’une pression latérale, on est toujours obligé 
de se livrer à la recherche des causes de cette pression. Il 
nous paraît impossible que l’on n'arrive pas ainsi à la no- 
tion d'une force originelle dirigée verticalement de bas en 
haut. On nous objectera, sans doute, que le véritable pro- 
blème , dans la théorie des soulèvements en voûte, est de se 
rendre compte des conditions qui ont présidé au phénomène 
lui-même et non de remonter à ses causes premières. Mais 
nous répondrons que, s’il faut toujours en venir à l’interven- 
tion de forces agissant verticalement, il est bien plus simple, 
du moins en ce qui concerne le Jura, de commencer et de 
finir par là. \ % 4 
M. Lory, lors de la réunion de la Société géologique à Be- 
sancon, en 1860, insistait sur la similitude des accidents strati- 
graphiques existant tout à la fois dans les Alpes et le Jura (). 


(1) « On trouve dans les petites chaînes du Jura tous ces accidents de 
structure orographique dont quelques géologues semblent vouloir con- 
tester l'existence dans les Alpes. Nulle part ces accidents ne sont plus 
nombreux et plus faciles à étudier que dans les environs de Besançon, . 
où plusieurs grandes failles se combinent avec des ploiements éner- 
giques des couches ; seulement, dans ces localités, ces accidents affec- 
tent un ensemble d'étages dont l'épaisseur tolale est tout au plus de 
800 mètres, et donnent lieu à des reliefs qui ne dépassent guère 2 à 300 
mètres au-dessus de la vallée du Doubs..Dans le massif de la Char- 
treuse, l'épaisseur totale des terrains disloqués est environ cinq fois 
plus grande, et les saillies du relief au-dessus de la vallée de l'Isère 


— 443 — 


Ce sont de part et d'autre les mêmes actions dynamiques qui 
ont fonctionné. La cause, quelle qu'elle soit, qui a donné au 
massif du Mont-Blanc sa structure, a dû aussi agir directe- 
ment dans le Jura et agir de la même manière ; seulement, 
dans cette dernière région, cette cause s'est manifestée avec 
moins d'énergie. Mais, par suite des moindres proportions que 
les phénomènes de géologie dynamique ont présentées dans 
le Jura, l'impulsion verticale, qui a été la cause première de 
l’apparition des soulèvements en voûte, est restée, sur ce der- 
nier point, le fait important. C'est ce fait qui, avant tout, 
attire l'attention. Les faibles dimensions de l'accident strati- 
graphique que, le géologue a devant lui le mettent mieux à 
même d'en étudier les caractères essentiels. Les crêts ooli- 
tiques et coralliens des soulèvements en voüte du Jura cor- 
respondent aux chaînes latérales des massifs alpins, mais 
sont loin d'en avoir les proportions. L’observateur les consi- 
dère comme des accidents secondaires et ne songe nullement 
à recourir à l'hypothèse d’une poussée latérale pour expliquer 
les accidents de terrain qu'il étudie. 

Les soulèvements en voûte se sont produits à la suite d’une 
impulsion dirigée de bas en haut. — Pour expliquer le mode 
de formation des soulèvements en voûte, il est une autre hy- 
pothèse qui va faire l'objet de notre examen et que nous adop- 
terons du moins en ce qui concerne le Jura. Dans cette 
hypothèse, on considère les soulèvements en voùte comme 
résultant non d'’impulsions latérales déterminant un refoule- 
ment, mais d’impulsions verticales agissant de bas en haut et 
ayant leur point de départ ou leur raison d'être dans la py- 


—— 


sont plus fortes dans le même rapport. Enfin, dans les Alpes centrales, 
l'épaisseur totale des terrains disloqués est encore bien plus considé- 
rable, et, par suite, les accidents sont sur une échelle bien plus gigan- 
tesque, dix fois plus grande, par exemple, que dans les petites mon 
tagnes de Besancon. » (Lory, Bull. Soc. géol., 1860.) 


— 444 — 


rosphère, directement au-dessous du point où le soulèvement 
se produit. 

L'application de cette théorie au Jura présente une diffi- 
Culté que nous avons déjà signalée à propos de l'hypothèse 
de refoulements ou de pressions latérales. Cette difficulté 
résulte : 1° de l'épaisseur considérable de la croûte du globe 
par rapport à celle des strates recourbées ; 2° du faible rayon 
de courbure des voûtes ou des dômes. Mais cette difficulté 
peut être surmontée en rapprochant, autant que cela paraîtra 
nécessaire, le point d'application de la force intérieure. Il 
suffit pour cela d'admettre que les soulèvements en voûte 
correspondent à des fentes ou fissures qui, tout en commen- 
çant à une grande profondeur, n’atteignent pas la surface du 
sol. Ces fentes ou fissures ont permis à la matière éruptive de 
venir très près de la surface du globe, et c'est ainsi que la 
force qui a produit les soulèvements en voûte s’est trouvée 
très rapprochée des points où nous pouvons observer ces sou- 
lèvements. 

Avant de rechercher dans quelles conditions, sous l’in- 
fluence de la cause que nous venons d'admettre, se sont con- 
stitués les soulèvements en voûte, achevons de préciser en quoi 
et dans quelles limites diffèrent les deux hypothèses que nous 
venons de comparer. 

Soit 4B (fig. 16) une strate primitivement horizontale ; soit 
ASB la même strate lorsqu'elle a subi la courbure qui a dé- 
terminé la formation du soulèvement en voûte dont elle fait 
partie. 

Dans l'hypothèse d'un refoulement, la courbure sera due 
à deux forces f f' agissant horizontalement l’une contre l’autre; 
à la rigueur, une seule force suffirait, mais il faudrait alors 
supposer qu'un des points À ou B, placés de l’autre côté de la 
force agissante, est fixe. Sous l'influence de ces deux forces, la 
ligne AB se courbera comme le ferait une tige flexible tenue 
à chacune de ses extrémités par les mains d'une personne qui 


x 


voudrait imprimer à cette tige une flexion plus ou moins 


— 445 — 


grande. Dans ce cas, les points 4 et B se déplaceront et ten- 
dront à se rapprocher l'un de l’autre, tout en se maintenant 
dans la direction des forces f et f‘. . 

Dans l'hypothèse d'une impulsion verticale de bas en haut, 
une seule force F suffira. La strate AB, sous la pression qu'elle 
éprouvera , se courbera avec d'autant plus de facilité qu’elle 
sera douée d’une certaine plasticité; les points À et B reste- 
ront ou pourront rester immobiles. La strate AB, une fois 
qu'elle aura été recourbée, présentera une partie centrale qui 
n'aura pas cessé d’obéir à une impulsion verticale de bas en 
haut et deux parties latérales qui se seront déplacées sous 
l'impulsion de forces dont la direction variable allait en s’éloi- 
gnant de la verticalité pour se rapprocher de l'horizontalité. A 
mesure que ce déplacement s’opérera, la pesanteur intervien- 
dra à son tour d'une manière de plus en plus active : elle 
interviendra 1° lorsque les strates plus ou moins redressées 
tendront à s’affaisser sous leur propre poids ; 2° lorsque ces 
strates ayant dépassé la verticale ne seront plus soutenues 
et retomberont sur elles-mêmes. 


Formation des soulèvements en voûte ; premiers effets de 
l'arrivée de la matière éruptive. — Rappelons-nous d'abord 
que nous avons admis la préexistence d’une fissure ou d’une 
faille sur le point où le soulèvement en voûte s'est manifesté ; 
mais, à la rigueur, on pourrait supposer que la production de 
cette fissure à été quelquefois la conséquence de l’arrivée de 
la matière éruptive venant presser contre la face inférieure de 
la croûte du globe. 

La matière éruptiv@ pénètre d'abord dans la fissure qui lui 
livre passage : elle se rapproche de la surface du sol à une 
distance qui peut varier, mais que l’on peut supposer aussi 
faible que l’on veut et qui, dans tous les cas, est en rapport 
avec le rayon de courbure du soulèvement en voûte ; plus ce 
rayon devra être petit et plus la fissure devra se rapprocher 
de la surface du sol. Au-dessus du point où cesse la fissure, 


— 446 — 


les strates ont, bien entendu, conservé leur continuité jusqu’à 
l’arrivée de la matière éruptive. 

A partir du moment où la matière éruptive atteint le som- 
met de la fissure, il se produit les mêmes phénomènes qui, 
dans les régions volcaniques , ont déterminé la formation des 
cônes de soulèvement. 

La matière éruptive exerce une forte pression contre les 
strates, les soulève et les courbe sans leur imprimer aucune 
rupture, du moins d'une manière directe. Lorsque cette rup- 
ture existe, elle affecte, non les strates inférieures situées dans le 
voisinage de la matière éruptive, mais les strates superficielles 
qui en sont plus éloïgnées. 

Nous n'hésitons pas à admettre qu'il y a similitude dans 
la nature des actions qui ont déterminé la formation d'un 
soulèvement en voûte et d’un cône de soulèvement. Pour 
nous, nous dirions presque qu'un soulèvement en voûte est 
un volcan qui, ayant subi un arrêt de développement, n’a 
pas pu franchir la première des phases par où passe une mon- 
tagne ignivome avant sa constitution définitive. Peut-être un 
soulèvement en voûte et un cône de soulèvement ne diffèrent- 
ils que par leur forme, qui tend, dans un cas, à être allongée 
ou ellipsoïdale, et, dans l’autre, à se rapprocher du cercle; la 
similitude est complète lorsque l’on compare entre eux un 
cône volcanique et un soulèvement en dôme. 


Causes qui ont favorisé le ploiement des strates. — Ces 
causes sont celles que nous avons énumérées déjà (voir ant, 
chap. 11). Elles permettent aux strates de se recourber comme 
le ferait une tige flexible ou une branche d'arbre que l’on 
voudrait ployer ; elles leur permettent aussi de s’étirer ou de 
s’allonger comme le ferait un morceau de caoutchouc ou de 
substance malléable que l’on tirerait dans deux sens oppo- 
sés. 

Nous avons dit que les roches sont traversées par des fis- 
sures et des lignes de clivage qui les divisent en parties indé- 


— 447 — 


pendantes pouvant se déplacer, dans une faible mesure, sans 
que l'aspect des strates soit sensiblement modifié. 

Les marnes et les argiles, surtout lorsqu'elles sont imbihées 
d'eau, possèdent une espèce de fluidité, et les roches calcaires 
ne sont pas complètement dépourvues de plasticité. Nous 
avons rappelé les expériences de M. Miall sur la flexion qu'il 
est permis d'imprimer à certains calcaires sans les rompre ; 
ces expériences font voir qu'à conditions égales, l'angle sous 
lequel la rupture se produit est d'autant plus grand que la 
flexion est exercée avec plus de lenteur. Or, la formation des 
seulèvements en voûte a pu s'effectuer, dans un temps très 
court, géologiquement parlant, mais elle à certainement exigé 
plusieurs années ou, pour mieux dire, plusieurs siècles. Et 
pendant que ce phénomène s’accomplissait, les conditions de 
temps favorables à une flexion sans rupture étaient largement 
réalisées. \ 

Enfin, tandis que les bancs résistaient ainsi individuelle- 
ment aux forces qui tendaient à les rompre et à les déchirer, 
une circonstance , que nous avons également mentionnée, 
s’opposait à ce que ces solutions de continuité apparussent à 
la fois dans toute la série des strates constituant le soulève- 
ment en voûte. Ces’strates glissaient le$ unes sur les autres 
comme les diverses pièces d’un meuble à coulisses. On ob- 
serve quelquefois les traces de ce glissement. C'est ainsi qu’à 
la porte Malpas, à Besancon, on voit les couches du forest- 
marble, fortement redressées, offrir, sur leurs plans de stra- 
tification, des stries et des cannelures semblables à celles que 
l'on observe sur les surfaces de contact des deux côtés d’uue 
faille. 


Influence des fissures préexistantes sur la forme et le mode 
de groupement des soulèvements en voûte. — La figure que 
nous avons donnée comme étant la forme typique d’un sou- 
lèvement en voûte se compose : 1° d’une ligne AB, représen- 
tant la base ou axe transversal du soulèvement en voûte; 


— 448 — 


20 de la demi-circonférence ASB correspondant au soulèvement 
en voûte lui-même. Cette ligne ASB, tout en conservant sa 
courbure, peut subir, dans sa forme générale, de nombreuses 
modifications, de sorte qu'il existe bien peu de soulèvements 
en voûte ayant rigoureusement la même allure. 

La demi-circonférence ASB peut se transformer en un arc 
de plus en plus surbaissé et prendre (fig. 17) la forme d'un 
arceau dont la partie centrale est horizontale, tandis que les 
parties latérales, fortement redressées et presque verticales, 
font penser aux pieds-droits ou culées d’un pont. Quelquefois, 
une dépression s'opère au milieu de la courbe ainsi sur- 
baissée, et celle-ci se transforme en une ligne ondulée (fig. 18) 
indiquant, en quelque sorte, un passage à deux soulèvements 
en voûte placés l’un à côté de l’autre. D’autres fois encore, 
la courbe ASB tend à devenir conique et parabolique, et à 
prendre, pour ainsi dire, une forme ogivale (fig. 19). Ces 
différences, dans la forme plus ou moins aiguë ou surbaissée 
d’un soulèvement en voûte, me paraissent pouvoir être attri- 
buées à la résistance plus ou moins énergique opposée par les 
parties voisines du point où le soulèvement en voûte s'est 
opéré. C'est là une hypothèse assez simple pour qu'il ne soit 
pas nécessaire d’insister. 

Dans les divers cas que nous venons de dtiéé la courbe 
ASB conserve, pour ainsi dire, sa régularité; les divers élé- 
ments dont elle est formée sont disposés symétriquement par 
rapport à l’axe vertical OS dont la longueur est variable. Mais 
la courbe dessinant le soulèvement en voûte peut se déjeter 
à droite ou à gauche et dépasser même le point À ou le point 
B au-dessus desquels elle surplombe (fig. 20). 

Nous pensons que les variations de forme que présentent 
les soulèvements en voûte dépendent de l'allure des fissures 
qui, d’après la théorie que nous avons adoptée, ont déterminé 
et précédé leur apparition. Ces fissures sont, selon nous, de 
la même nature que les lignes de retrait dont nous avons 
parlé à propos des failles. Comme elles, elles sont sujettes à 


— 449 — 

prendre une direction oblique par rapport à la verticale, à se 
ramifier ou à se bifurquer. On conçoit, dès lors, qu'une fis- 
sure verticale donne origine à un soulèvement en voûte par- 
faitement régulier et qu'une fissure oblique détermine un 
soulèvement en voûte plus ou moins déjeté de côté : on con- 
coit aussi qu’une fissure qui se ramifie près de la surface du 
sol, ait pour conséquence un soulèvement en voûte à plu- 
sieurs courbures, dont le nombre et l'importance dépendent 
du nombre et de l'importance des fissures correspondantes (1). 

Le mode de groupement des soulèvements en voûte nous 
paraît également être là conséquence des variations d’allure 


(1) Nous croyons devoir signaler la similitude qui existe entre l'opi- 
nion que nous venons de formuler relativement à l'influence des fissures 
sur la forme des soulèvements en voûte qui en proviennent et les idées 
que Gressly a exprimées à ce sujet : « Les modifications opérées par 
l'agent soulevateur sont souvent plus imaginaires que réelles, et pro- 
viennent en grande partie d’une délimitation trop spécieuse des diffé- 
rents modes ou ordres de soulèvements. C'est ainsi qu'en supposant un 
soulèvement effectué par une force dirigée de bas en haut, mais opé- 
rant sur des strates de diverse nature et placées horizontalement, on 
soumet ordinairement ce soulèvement à des règles mathématiques trop 
rigoureuses, et l'on élimine ainsi toute déviation résultant, soit de 
l'agent soulevateur lui-même, soit de la force résistante des masses 
minérales. A l'aide de ces observations, on peut être conduit, j'en 
conviens, à douter de la vérité de la théorie, lorsqu'on ne connaît pas à 
fond tous les accidents qui peuvent avoir lieu pendant le soulèvement. 
.... L'agent soulevateur n’a pas seulement agi dans le sens vertical, 
mais aussi obliquement, sous des angles souvent très aigus, de manière 
que le déversement s’est opéré, tantôt d'un côté, tantôt de l’autre. C'est 
ainsi que la chaîne du Weissenstein montre en général un déversement 
au sud, tandis que dans les chaînes septentrionales, par exemple au 
Mont-Terrible, il est habituellement du côté du nord; dans les chaînes 
intermédiaires, comme celle du Passwang, il se montre tantôt d'un côté, 
tantôt de l’autre. Les modifications qui en résultent sont le renverse- 
ment de fond en comble de l'un ou de l’autre flanquement du soulève- 
ment et un dérangement plus ou moins complet de la stratification ; il 
arrive même quelquefois que les crêts coralliens et oolitiques se trouvent 
morcelés et mis en brèche par ces dérangements, encombrent ou res- 
serrent les combes oxfordiennes, qui sont alors très difficiles à retrou- 
ver. » (Obs. géol. sur le Jura soleurois, p.184.) 


— 450 — ; 


que présentent, dans le sens horizontal, les fissures préexis- 
tantes. Tout ce que nous avons dit du mode de groupement 
des failles se trouve ainsi applicable aux soulèvements en 
voûte ; nous croyons quil est inutile d’insister à ce sujet. 
D'ailleurs , les considérations théoriques auxquelles nous 
pourrions nous livrer, soit sur les relations existant entre des 
soulèvements en voûte voisins, soit sur l'indépendance mu- 
tuelle de soulèvements en voûte plus ou moins éloignés, n'of- 
friraient qu'un médiocre intérêt. Nous nous bornerons à rap- 
peler les idées de Thurmann et de Gressly sur le mode de ré- 
partition des soulèvements en voûte. 

« Il est des chaînes (c’est ainsi que Thurmann désignait ce 
que nous appelons des soulèvements en voûte) qui dérivent 
les unes des autres par bifurcation ou décomposition réelle 
de leur individualité comme dislocation, tout à fait à la ma- 
nière des composantes qui subdivisent une résultante. Il en 
est d'autres qui naissent parallèlement des précédentes comme 
un pli né à côté d'un autre et qui se fond dans les flancs de 
celui-ci, sans présenter aucun des caractères de décomposi- 
tion d'une même individualité de dislocation, sans rien qui 
rappelle les manières d'être relatives d’une résultante et de 
ses décomposantes. Il en est qui se juxta-posent presque au 
contact, de manière à présenter grossièrement l'apparence du 
cas précédent, bien que réellement rien ne force à les ratta- 
cher l’une à l’autre. Il en est enfin qui se montrent totale- 
ment indépendantes. ..... .... L'ensemble des chaînes con- 
stitue un plexus à mailles subelliptiques, très allongées, se ter- 
minant, sous des angles généralement très aigus, à des points 
d'assemblage dont les uns sont des décompositions réelles 
d'une même dislocation, tandis que les autres ne sont que 
des naissances pliciformes ou des tangentes plus ou moins 
étroites de dislocations indépendantes... Un grand nombre 
de chaînes sont courbes ou sinueuses, offrent dans leur trajet 
des changements de direction qui varient jusqu’à 20 ou 30 
degrés, sans que rien indique, du reste, un changement 


— 451 — 


quelconque d’individualité de dislocation, d’une partie angu- 
laire à l'autre, et où, au contraire, tout accuse la simulta- 
néité de ces parties. » 

Dans cet exposé d'une partie de sa théorie sur la constitu- 
tion stratigraphique du Jura, Thurmann fait observer, en 
outre, que l’ensemble des lignes de dislocation ne saurait en 
aucune façon procéder d'un tronc unique par dichotoma- 
tion. En formulant cette opinion, Thurmann se montrait, 
avec raison, complètement opposé à la théorie inadmissible 
de Gressly sur l'âge et le mode de groupement des chaï- 
nons. | 

Dans sa carte géogénique du Jura, Gressly nous montre 
un tronc principal prenant origine dans le canton d'Argovie, 
aux environs de Regensberg, et se prolongeant, sous le nom 
de Lœgern, jusqu'aux environs d’Aarau. De ce tronc princi- 
pal se détachent successivement des chaînes secondaires qui 
se développent dans le reste du Jura suisse et français, entre 
le Rhin et le Rhône. Ces diverses chaînes se classent en plu- 
sieurs ordres, suivant leur position vis-à-vis le tronc princi- 
pal ; il y a une chaîne primitive {celle de Wiessenberg), cinq 
secondaires, un nombre considérable de ternaires, et enfin des 
chaînes quaternaires dans le Jura neuchâtelois et francais. 
Ces chaînes sont disposées suivant leur ordre d'ancienneté, 
les plus éloignées du tronc principal étant les plus récentes. 
Gressly exprimait ces idées en 1839; nous/ne les rappelons 
que dans un intérêt purement historique, d'autant plus que 
nous ignorons si, depuis lors, Gressly ne les avait pas modi- 
fiées. | 

Ruptures se produisant au moment où les strates attei- 
gnent leur limite d’élasticité. — Pour se faire une idée de la 
manière dont ces ruptures se produisent, il faut se rappeler 
que les strates, pendant que les soulèvements en voüte se 
constituaient, étaient sollicitées à la, fois par deux forces dis- 
tinctes : l'une tendant à les allonger, l’autre à les recourber 


— 452 — 


fortement et à les faire passer de leur direction primitivement 
horizontale à une direction verticale. | 

La rupture, résultant de l'allongement d’une strate, se pro- 
duit vers le milieu de cette strate, à peu près à égale distance 
-des points À et B, et, par conséquent, vers le sommet de la 
voûte. Quant à la rupture résultant de la courbure des bancs, 
elle doit se manifester sur les points où s'opère le change- 
ment de direction. Si le lecteur tient compte des diverses 
formes qu'un soulèvement en voûte est susceptible de prendre, 
il comprendra comment il peut y avoir, dans ce cas, un ou 
deux points de rupture : un seul lorsque le soulèvement pré- 
sente une forme aiguë, droite ou déjetée par rapport à l'axe 
vertical ; deux, lorsque le soulèvement, ayant une forme très 
surbaissée, est affectée sur ses deux côtés d’un changement 
brusque dans la direction des:strates. On voit, en effet, les 
strates verticales ou fortement redressées à droite et à gauche, 
devenir brusquement horizontales. 

Dans ces divers cas, la rupture comménce par les strates 
superficielles pour se transmettre ensuite, de proche en 
proche, aux strates sous-jacentes. C'est, en effet, dans les 
strates superficielles que l'allongement relatif est le plus con- 
sidérable ; ce sont elles aussi qui, sur les points où s'opère le 
ploiement, se rompent les premières, de même que, dans 
une branche d'arbre que l’on ploie, les fibres extérieures, 
par rapport à la courbe de ploiement, se brisent avant les 
fibres intérieures. 

Lorsque l’on considère ce qui, sous l'influence des causes 
que nous venons d'indiquer, se passe en réalité vers le som- 
met d'un soulèvement en voûte, on constate que les divers 
modes de rupture que nous avons indiqués ont pour résultat 
la formation d’une seule crevasse. Cette crevasse, de plus en 
plus élargie et approfondie par les azents atmosphériques, 
donne origine aux accidents topographiques dont la connais- 
sance est devenue pour ainsi dire classique, mais dont nous 
dirons pourtant quelques mots afin de rendre moins incom- 


7 # 


— 453 — 


plet le tableau que nous traçons des phénomènes qui font 
l'objet de ce chapitre. 


Accidents topographiques qui caractérisent les soulève- 
ments en voûte. — Nous venons de nous occuper des soulè- 
vements en voûte en nous plaçant à un point de vue pure- 
ment stratigraphique, c’est-à-dire en ne considérant que 
l'influence qu'ils ont exercée sur l'allure et l’inclinaison des 
strates. Il nous reste à dire comment ils se manifestent à la 
surface du sol et quelle influence ils exercent sur la consti- 
tution topographique du Jura. Ici, nous constaterons l’action 
concomitante de trois sortes d'agents qui interviennent dans 
le modelé d'un pays quelconque : les forces intérieures, les 
agents atmosphériques et la nature des terrains. 

D'après ce que nous avons dit dans le paragraphe précé- 
dent, les forces intérieures déterminent, vers le sommet d’un 
soulèvement en voûte, une crevasse que les agents atmosphé- 
riques agrandissent ensuite. Si l’on avait à tenir compte de 
nulle autre circonstance dans le phénomène que nous avons 
ici en vue, cette crevasse se présenterait sous la forme d'une 
dépression conique limitée par deux lignes qui coïncideraient 
avec les côtés de cette crevasse. Mais, par suite du glissement 
des strates dont il a été question, au lieu de deux lignes 
droites marquant la direction des deux côtés de la crevasse, 
on a deux lignes brisées qui nous montrent que les terrains 
sont placés, à droite et à gauche, en retrait les uns par rapport 
aux autres. Remarquons, maintenant, que si tous les terrains 
dont se compose le soulèvement en voûte étaient calcaires, 
les lignes brisées seraient formées d'éléments rectilignes al- 
ternativement verticaux et horizontaux et disposés comme les 
marches d’un escalier. Enfin, si nous tenons compte de la 
composition pétrographique des terrains du Jura, qui sont 
alternativement marneux et calcaires, nous nous explique- 
rons coment les lignes dessinant les bords des cavités plus 
ou moins cratériformes qui occupent la partie centrale d’un 


— 454 — 


soulèvement en voûte, sont formées d'éléments rectilignes 
tantôt horizontaux ou verticaux et tantôt plus ou moins in- 
clinés par rapport à l'horizon. Cette disposition est la consé- 
quence de la nature des terrains. 

Soient 4, B, C, D (fig. 21), quatre assises horizontales, su- 
perposées les unes aux autres et alternativement marneuses 
et calcaires. Supposons que D et B correspondent respective- 
ment au terrain corallien et à l’oolite inférieure qui, dans le 
Jura, sont en majeure partie calcaires; C et À représenteront 
le terrain oxfordien inférieur et le lias dont la constitution 
pétrographique, dans ce pays surtout, est essentiellement 
marneuse. Supposons, en outre, qu'une force dirigée de bas 
en haut et possédant une énergie de plus en plus grande, 
s'exerce contre ces assises. Il se produira une série d'accidents 
stratigraphiques et topographiques dont nous allons indiquer 
sommairement les principaux caractères. Thurmann, qui, le 
premier, les a étudiés avec soin, leur a imposé des désignations 
que nous allons rappeler et qui sont, pour la plupart, em- 
pruntées au langage des habitants des régions jurassiennes. 

Fig. 22. — Les strates primitivement horizontales acquiè- 
rent d’abord une faible courbure. L’assise supérieure D forme 
à la surface du sol un bombement qui correspond au ploie- 
ment des assises sous-jacentes. On a une voüte corallienne. 
Une deuxième impulsion amènera une convexité plus grande 
dans la courbure des strates. Une déchirure ou crevasse se 
manifestera dans l’assise D; elle sera agrandie par les cours 
d’eau et les eaux pluviales. 

Fig. 23. — La persistance dans l'impulsion intérieure a 
pour effet de mettre à découvert l’assise marneuse € appar- 
tenant au terrain oxfordien. On a une combe oxfordienne, 
plus ou moins élargie par les eaux. A droite et à gauche se 
dressent deux épaulements se composant chacun : 1° d’une 
partie faiblement inclinée ou talus formée par les marnes de 
l'assise C ; 2 d'un abrupte ou crêt corallien ou partie verti- 
cale correspondant à l'assise calcaire D. 


Mb 


Fig. 24. — Après une nouvelle impulsion, la courbure des 
strates devient plus forte. Les deux épaulements sont écartés 
l’un de l'autre. Alors on a une voûte oolitique avec deux épau- 
lements formés chacun d’un talus oxfordien et d'un crét co- 
rallien. Les deux épaulements constituent chacun une demi- 
combe oxfordienne. 

Fig. 25.— Cette voute oolitique est ensuite déchirée et cre- 
vassée, comme l'avait été la voûte corallienne, puis les marnes 
de l'assise À se montrent à leur tour. On a une combe lia- 
sique avec épaulements oolitiques ; puis, à droite et à gauche, 
des flanquements formés d’un talus oxfordien ou crêt corallien. 

Il est inutile de pousser plus loin l'examen de ce qui se 
passerait dans le cas où les forces intérieures amèneraient au 
jour d’autres assises alternativement marneuses et calcaires. 
Evidemment, les marnes irisées apparaîtraient au-dessous des 
marnes du lias pour former avec elles une combe keupéro- 
liasique, au milieu de laquelle on verrait plus tard surgir une 
voûte conchylienne, constituée par le muschelkalk. Les voûtes 
conchyliennes sont très rares; Thurmann cite le Rothiflühe, 
au-dessus de Soleure, comme présentant l’origine d’un sou- 
lèvement de cet ordre. 

La série des assises marneuses que nous avons fait inter- 
venir pour expliquer les diverses phases d’un même phéno- 
mène géologique, commence par les marnes oxfordiennes. 
Nous aurions pu remonter plus haut et montrer comment on 
peut rencontrer des combes séquaniennes, kimméridiennes, 
portlandiennes et même néocomiennes. Du reste, il est rare 
qu'un même soulèvement en voûte affecte à la surface du sol 
plus de deux horizons marneux, et lorsque la série des acci- 
dents topographiques que nous avons énumérés débute parune 
combe néocomienne, eïle ne se prolonge pas au delà d’une 
voûte oolitique. 


Divers caractères appartenant à un même soulèvement 
en voûte, cluses, ruz. — Nous venons d'énumérer les divers 


— 456 — 

résultats produits par l’action dynamique régulièrement 
exercée contre des assises primitivement horizontales. Cette 
action présente des arrêts de développement correspondant à 
autant de formes orographiques distinctes. Ces formes orogra- 
phiques constituent des protubérances allongées dont les 
diverses parties dessinent à la surface du sol des zones 
ellipsoïdales. Ces zones apparaissent alternativement en relief 
et en creux, Les parties en creux ou courbes sont comme des 
circonvallations qui se présentent, lorsqu'elles ont peu d’éten- 
due, sous la forme de cavités cratériformes ; le plus souvent, 
elles se terminent, aux extrémités du soulèvement en voûte, 
par des cirques où amphithéâtres que les crêts, en se rejoi- 
gnant à leur tour, entourent d'escarpements rocheux plus ou 
moins bien accusés et quelquefois d’une grande beauté. 

Un même soulèvement en voûte peut offrir les diverses 
formes que nous avons énumérées. Il en résulte que les alter- 
nances de crêts et de combes s’observent non-seulement dans 
le sens de la largeur d’un soulèvement, mais encore dans le 
sens de sa longueur. C'est ainsi que le soulèvement en voûte 
de la citadelle de Besançon débute, à Bregille, par une voûte 
corallienne, formant, du côté de Besancon, un crêt corallien 
au-dessus d’un talus oxfordien. Au-delà de la cluse de Ri- 
votte, se montre la voûte oolitique de la citadelle séparée, par 
la cluse de Tarragnoz, de la voûte du fort Chaudanne. Puis, 
apparaît la combe liasique de Rosemont qui se prolonge 
jusque vis-à-vis la verrerie de Montferrand, après une inter- 
ruption produite par la voûte oolitique de Planoise. Au-delà 
de la verrerie, le soulèvement en voûte de la citadelle de 
Besancon semble se prolonger par la faille dont on observe Le 
passage sur le chemin qui conduit de Thoraise à Boussière. 

Des fentes ou coupures profondes coupent un soulèvement 
en voûte dans un sens perpendiculaire à son.grand axe. On 
les désigne sous le nom de ruz lorsqu'elles ne se montrent 
que sur un des côtés de la protubérance. On les appelle 
cluses, lorsqu'elles traversent la protubérance toute entière et, 


= YONNE 
UNS D», 
! 2 


— 457 — 


par conséquent, joignent entre eux deux épaulements ou deux 
flanquements. 

Le soulèvement en voûte de la citadelle de Besançon est 
coupé par trois cluses : celles de Rivotte, de Tarragnoz et 
d'Avanne ; chacune d'elles est traversée par le Doubs. Entre 
Aveney et Rancenay, le Doubs pénètre de nouveau dans 
l’intérieur du soulèvement en voûte, par une large ouverture 
qui n’a qu'imparfaitement le caractère d’une cluse; car pen- 
dant une distance de plus de cinq kilomètres, cette rivière 
coule sur les marnes liasiques, c’est-à-dire le long de l’axe 
même du soulèvement. 

Des cinq soulèvements en voûte qui, dans les environs de 
Besançon, se montrent sur le côté sud de la faille de Mont- 
faucon, il en est quatre qui possèdent des ruz; la combe 
keupéro-liasique de Chapelle-des-Buis en a même deux: le 
Bout-du-Monde, près de Beure, et le Trou-d'Enfer, près de 
Morre. C’est par ces ruz que les eaux de chacune de ces 
combes se rendent dans le Doubs. 

Les cluses et les ruz sont évidemment des fissures que les 
cours d'eau et les eaux pluviales ont élargies. Mais quelle est 
l’origine première de ces fissures ? On peut les comparer aux 
déchirures qui semblent se produire sur les flancs d’une 
chaîne de montagnes au moment de sa formation ; mais on 
pourrait aussi les rattacher aux lignes de retrait qui, selon 
nous, ont joué un rôle si important dans la formation des 
failles et des soulèvements en voûte. 

Les cluses et les ruz offrent, une grande importance, soit 
au point de vue de la géologie pittoresque, soit à cause des 
facilités qu'ils procurent pour l'étude du pays où ils existent, 
C’est ce que Thurmann à très bien exprimé dans les lignes 
suivantes : « Les cluses offrent au géologue les observations 
les plus intéressantes. En traversant leurs pittoresques défilés, 
il trouve réunis, dans un espace très limité, tous les accidents 
que nous avons décrits, et, dans leur ensemble, facile à 
saisir, il fera l'application de la théorie que nous avons ébau- 

30 


— 158 — 

chée. Il verra se relever, se redresser, sous mille formes variées 
et toujours hardies, les strates coralliennes, tantôt élancées en 
pics décharnés, ou isolées en feuillets verticaux, tantôt sus- 
pendues en massifs surplombants, creusés de nombreuses 
cavernes. Il les verra recouvrir entièrement d'un cintre 
immense la voüte concentrique des couches oolitiques infé- 
rieures, ou seulement en revêtir les flancs arrondis, en domi- 
nant de leurs âpres escarpements le thalweg sinueux et 
incliné de la combe oxfordienne ; il touchera du doigt les 
voussures avec tous les détails du ploiement et les effets de 
la résistance; il pourra en compter les couches superposées, 
et mesurer d'un regard leur énorme puissance ; en un mot, il 
reconnaîtra le profil du soulèvement dessiné avec une netteté 
parfaite. » 


Remarques sur les idées de Thurmann. — Dans sa carte 
géologique et orographique du Jura bernois, Thurmawmn, 
après avoir donné une place à part à tout ce qui est au-dessus 
du terrain jurassique, divisait les terrains en cinq groupes, 
représentés chacun par une couleur distincte. C'étaient les 
groupes : 1° portlandien et corallien ; 2° oxfordien ; 3° ooliti- 
que ; 4° liasique et keupérien ; 5° conchylien. Pour justifier le 
choix qu'il avait fait des terrains à représenter par des cou- 
leurs particulières, il disait : « L'objet principal de notre carte 
n'est pas de représenter la délimitation géométrique et morte 
de certains terrains, mais elle est surtout destinée à démon- 
trer l’étroite dépendance qui existe entre les formes extérieures 
et les affleurements. Or, si deux groupes en contact jouent, 
en vertu de leur mode de consistance, un rôle simultané et 
se formulant, toujours ensemble, suivant un fait unique et 
propre, dans toutes les combinaisons orographiques, il est 
évident qu'en les distinguant par des teintes différentes, on 
scindera la physionomie de l'accident, on tuera l’expression 
du détail des formes, et partant, l'harmonie de l'ensemble, 
avec les conséquences orographiques qui en ressortent ; enfin, 


— 459 — 
au lieu d’un relief lumineux, on n’aura qu’un plan cadastral 
sans relief et sans vie géologique. » (Essai sur les soul. juras. 
2° cahier, p. 7.) 

Les chaînes de Porrentruy (c’est ainsi que entr dési- 
gnait ce qu’il avait d'abord appelé des soulèvements) se clas- 
sent, d'après lui, en quatre ordres caractérisés comme il 
suit : {4° ordre, une voûte du massif supérieur ; 2° ordre, une 
voûte oolitique, contre laquelle s'appuient deux flanquements 
terminés par des crêts coralliens, interceptant, avec le corps 
de la voûte, des combes oxfordiennes ; 3* ordre, une combe 
liasique ou keupérienne centrale, dominée par deux crêts ou 
épaulements oolitiques opposés, supportant eux-mêmes des 
flanquements coralliens, avec leurs crêts et leurs combes 
oxfordiennes ; 4° ordre, tout, comme dans lé cas précédent, 
excepté qu’au centre de la combe keupérienne, s'élève une 
voûte conchylienne (1). 

La théorie de l'illustre géologue de Porrentrny a été, de la 
part de d’Archiac, l’objet de quelques critiques que nous 
croyons devoir reproduire, bien qu’elles ne soient fondées 
que dans une certaine mesure. 

« Les motifs qui ont déterminé Thurmann à adopter le 
mode de coloriage de sa carte, nous semblent plutôt d’ingé- 
nieux paradoxes que des raisons valides, car le but essentiel 
de ces représentations graphiques de la nature est beaucoup 
moins de faire connaître les formes extérieures d’un pays que 
la composition de son sof. D'ailleurs, une carte ne peut être à 
la fois orographique et géologique, sous peine d’être fausse, 
tantôt sous un point de vue, tantôt sous l’autre... Quant à 
la valeur de son classement des chaînes de montagnes, elle 
nous semble avoir été singulièrement exagérée, puisque les 


” 


(1) Nous ferons observer que, dans cette énumération, il aurait été 
convenable d'intercaler un ordre pour les cas où il y a une combe 
oxfordienne, de même que Thurmann a admis un ordre pour le cas où 
il y a une combe liasique. 


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— 460 — 


différences entre les quatre ordres de soulèvement n’indiquent 
qu'un plus ou moins d'intensité de la force soulevante sur un 
point que sur un autre, et n’apportent aucune donnée sur 
l’âge des chaînes de montagnes. » (D’Archiac, Hist. des prog. 
de la géol., t. VII, p. 7 et 9.) 

D'Archiac formulait cette critique du classement des mon- 
tagnes en 1857; Thurmann y avait répondu longtemps à 
l'avance, puisqu'il disait en 1836 : « Les formes qui consti- 
tuent ces ordres, envisagées comme résultat, sont nécessaire- 
ment une fonction de la nature des terrains, et des agents de 
commotion, considérés dans leur intensité, leur direction et 
leur mode d'application. Ces ordres sont artificiels dans leurs 
principes. Ils ne représentent que des faits constatés, et ne 
sont que le résultat d’une cause unique que l’on pourrait 
exprimer par une fonction, dans laquelle les termes varient 


de grandeur, sans changer de nature. » (Thurmann, Loc. cût., 
p. 49.) 


Comparaison des soulèvements en voûte des Alpes et de ceux 
du Jura. — D'après Thurmann, dans les chaînons qui tra- 
versent le Porrentruy, la largeur moyenne des portions affec- 
tées par le soulèvement, ou la base des montagnes qu'ils ont 
produites, est de 2,133 mètres, et cette base est d'autant plus 
large que le soulèvement appartient à un ordre plus com- 
plexe, ou mieux qu’il a amené au jour un plus grand nombre 
de groupes. Ainsi la moyenne des observations à donné, pour, 
les soulèvements du premier ordre, une largeur de 1,200 mè- 
tres, pour ceux du second, 2,500, et pour ceux du troisième, 
2,900 ; de sorte que la largeur de la base de la montagne est 
en raison directe de la profondeur des affleurements ou de 
l'ancienneté des couches mises à découvert. Quant aux éléva- 
tions, elles ne sont en rapport ni avec les bases ni avec les 
affleurements des divers groupes. Les évaluations de Thur- 
mann me paraissent applicables à tout le Jura. Le soulève- 
ment en voûte de la citadelle de Besanton , mesuré entre le 


— 461 — 


milieu de cette ville et le point où les strates se relèvent, sur 
la route de Morre, en sens opposé, a une largeur de 2,400 mè- 
tres environ ; C'est, sur ce point, un soulèvement du deuxième 
ordre. 

La partie centrale du massif du Mont-Blanc, formée exclu- 
sivement par les terrains cristallins, atteint, à elle seule, sur 
certains points, une largeur de plus de 20 kilomètres. On 
voit quelle énorme disproportion existe entre l'étendue du 
soulèvement en voûte constitué par le massif du Mont-Blanc 
et les soulèvements en voûte du Jura. Les grandes propor- 
tions de ce massif rendent inutile, en ce qui le concerne, l’hy- 
pothèse d’une fissure préexistante que nous avons adoptée 
pour les soulèvements en voûte du Jura. Il est donc permis 
d'admettre que l'impulsion qui a déterminé l'apparition du 
massif du Mont-Blanc a eu son point de départ dans la py- 
rosphère même. 

Une autre différence, entre les soulèvements alpins et les 
soulèvements en voûte du Jura, pourrait résulter de ce que 
les roches éruptives se sont montrées, dans un cas, à la surface 
du sol et, dans l’autre cas, sont restées cachées à une certaine 
profondeur. Mais rien ne démontre que la protogyne et le 
granite éruptif du massif du Mont-Blanc soient précisément 
les roches qui lui ont imprimé la structure qui le caractérise. 
Nous serions, au contraire, porté à penser que ces roches 
datent des époques pendant lesquelles, conformément à l’opi- 
nion de M. Lory, l'écorce terrestre avait commencé, dans les 
Alpes, à se disloquer. 

Par suite de la plus grande énergie des forces qui ont opéré 
dans les Alpes, toute la série des terrains sédimentaires exis- 
tant dans cette région a été mise à découvert; la zone cristal- 
line apparaît même à la surface du sol. Dans le Jura, le ter- 
rain le plus ancien qui se montre dans la partie centrale des 
soulèvements en voûte est le muschelkalk. 

Les terrains que l’on observe dans le massif du Mont-Blanc 
se partagent en deux groupes : les terrains antérieurs et les 


— 462 — 


terrains postérieurs au trias. Les premiers sont plus ou moins 
disloqués; leurs strates sont souvent redressées, et c'est à 
cette circonstance que M. Lory attribue, avec raison, la dis- 
position en éventail des roches formant le noyau du massif. 
Nous sommes ici amené à nous poser cette question : si les 
terrains anté-triasiques se montraient à découvert dans les 
soulèvements en voûte du Jura, présenteraient-ils la même 
disposition stratigraphique que dans les Alpes? Pour ré- 
pondre à cette question, il nous semble qu'il y a lieu de dis- 
tinguer entre la zone occidentale et la zone orientale du Jura. 
Dans la zone occidentale, les terrains anté-triasiques sont 
probablement en concordance de stratification avec le trias. 
Quant à la zone orientale, qui est, avons-nous dit, la région 
des soulèvements en voûte, rien ne s'oppose à ce qu'on 
admette que les terrains formant le substratum du Jura pré- 
sentent la même constitution stratigraphique que dans les 
Alpes. 


— 463 — 


CHAPITRE VII 


RELATIONS ENTRE LES FAILLES ET LES SOULÈVEMENTS EN VOUTE. 
— LEUR RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE. — RÉSEAU QU'ILS CON- 
STITUENT. 


ed 


Relations entre les failles et les soulèvements en voûte, — 
D'après ce que nous avons dit, les failles et les soulèvements 
en voûte ont une origine commune. Ils procèdent également 
de fentes ou fissures existant préalablement à travers l'écorce 
terrestre. Ce qui permet également de leur reconnaître une 
certaine communauté d'origine, c'est que les soulèvements 
en voûte se continuent quelquefois par des failles. Mais, cette 
circonstance mise à part, on peut dire que les failles et les 
soulèvements en voûte diffèrent sous tous les autres rapports. 

Is différent notamment par leur âge. La conséquence évi- 
dente des faits qui vont attirer notre attention, c'est que les 
soulèvements en voûte sont postérieurs aux failles, ou, tout 
au moins, aux failles telles qu'elles existaient dès leur pre- 
miere manifestation. 

Les accidents stratisgraphiques que nous comparons n’ont 
pas le même mode de répartition géographique. En effet, ainsi 
que nous l'avons déjà dit, les failles sont plus nombreuses et 
plus fortement accusées dans la partie occidentale du Jura 
que dans sa partie orientale, tandis que les soulèvements en 
voûte sont plus abondants et se manifestent avec plus d’am- 
pleur dans la partie orientale de ce massif. Nous avons déjà 
fait remarquer comment ce mode de distribution des failles 
devient encore plus évident à mesure que l’on recherche ce 
qui se passe dans les régions voisines du Jura. 

La tendance que les soulèvements en voûte et les failles 
ont à s'exclure est, en outre, accusée par la manière dont ils 
se comportent lorsqu'ils viennent à se rencontrer. On voit, en 


LA y | RE JR 
0 or. : 
1 A . 


— 464 — 


effet, les soulèvements en voûte se terminer brusquement au 
contact des failles, comme si celles-ci s'étaient opposées à leur 
développement. 


Faits que l'on observe au point de rencontre de deux failles 
ou de deux soulèvements en voûte. — Nous croyons pouvoir 
poser en principe que jamais, Ou presque jamais, une faille ne 
franchit celle qu'elle vient rencontrer. Nos observations per- 
sonnelles, dans le Jura nord-occidental, ne nous ont pas, 
jusqu'à présent, fourni d'exemple de faille en franchissant 
une autre. L'examen des documents qu'il nous a été donné 
de consulter (cartes et descriptions géologiques) ne nous ont 
que très rarement montré des cas où il y avait croisement de 
failles. Peut-être même un examen attentif permettrait-il de 
reconnaître que ces exemples de croisements de failles ne 
constituent que des exceptions apparentes au principe général 
que nous venons de poser. Admettons, en effet, que deux 
failles, placées l’une à droite et, l'autre à gauche d’une troi- 
sième faille, se dirigent vers celle-ci et la rencontrent en un 
même point. On pourra supposer que ces deux failles laté- 
rales n’en forment qu'une seule et qu’il y a dans ce cas croi- 
sement incontestable. Mais ne sera-t-il pas permis aussi de 
les considérer comme étant distinctes et de voir, dans leur 
rencontre, un simple effet du hasard ? Dans ce cas, le fait que 
nous venons de mentionner ne perdrait rien de sa généra- 
lité. 

Le réseau constitué par les failles, lorsque l’on observe la 
manière dont les lignes qui le composent sont disposées les 
unes par rapport aux autres, a donc pour principal caractère 
de ressembler à celui que dessinent les lignes qui apparais- 
sent dans l'argile ou le basalte et dans les corps recouverts 
d’un vernis. Dans ce réseau, il n’est pas de ligne qui en coupe 
une autre, Ou qui, en d'autres termes, après l’avoir rencon- 
trée, poursuive son trajet de l’autre côté. L'effet que nous 
constatons ici s’observe journellement dans un grand nombre 


— 465 — 


de corps, et, notamment, dans les lames de verre où nous 
voyons les félures s’arrêter tout d’un coup dès qu’elles en 
rencontrent une autre. Dans ce cas, le mouvement molécu- 
laire qui a déterminé une félure, et qui s’est transmis de 
proche en proche, s’est forcément arrêté, au point de ren- 
contre d’une autre félure, parce qu’il n’a pu s'exercer sur les 
molécules placées de l’autre côté. 

On peut donc poser en principe que l'existence préalable 
d’une faille est un obstacle au développement UÉNRS d’une 

autre faille qui vient la rencontrer. 

Sous ce rapport, ces lignes diffèrent des filons proprement 
dits, c'est-à-dire des filons qui ne sont pas des failles rem- 
plies, postérieurement à leur formation, par des substances 
provenant de l’intérieur du globe. Lorsqu'un filon, au mo- 
ment de sa formation, en rencontre un autre préalablement 
établi, non seulement il le franchit, mais, en outre, il le 
divise en deux parties qu’il déplace et qu’il écarte plus ou 
moins l’une de l’autre. Il y a des filons croiseurs et des filons 
croisés, mais je ne crois pas qu'il en soit de même pour les 
failles. 

Cette différence entre les failles et les filons tient à plu- 
sieurs circonstances. Les failles et les filons ne sont pas ri- 
goureusement des phénomènes du même ordre, ni par leur 
nature, ni par leur importance. D'ailleurs, dans un filon, la 
continuité primitive entre les deux salbandes a été plus ou 
moins rétablie; la matière injectée a formé comme une sou- 
dure d'autant plus efficace que cette matière a intimement 
pénétré dans les roches voisines. 

Ce que nous venons de dire des failles s'applique égale- 
ment aux soulèvements en voûte. Jamais un soulèvement en 
voûte n’en franchit un autre, ce qui nous conduit à admettre 
que le réseau de fissures correspondant aux soulèvements en 
voûte offre les mêmes caractères que celui qui se rattache aux 
failles. 


— 466 — 


Faits que l’on observe au point de rencontre d'une faille et 
d’un soulèvement en voûte, — C’est dans le Jura nord-occi- 
dental que les relations entre les failles et les soulèvements 
en voûte se prêtent le mieux à l'observation, puisque c’est 
dans cette région que les failles atteignent leur maximum de 
développement, et se trouvent fréquemment situées dans le 
voisinage de soulèvements en voûte très nettement dessinés. 

Les soulèvements en voûte, dans les environs de Besançon, 
se partagent en deux groupes, suivant qu'ils se placent du 
côté nord ou du côté sud de la faille de Montfaucon. 

Du côté nord se trouve notamment le soulèvement en 
voûte de la citadelle de Besancon ; il se dirige dans le même 
sens que la faille de Montfaucon, en dessinant des ondulations 
qui correspondent aux diverses inflexions de la faille dont il 
est séparé par une distance moyenne de deux kilomètres. 

Les soulèvements en voûte placés. sur le côté sud de la 
faille sont au nombre de cinq : ce sont ceux de Liesle, de 
Byans, d'Abbans-Dessus, de Vorges et de Chapelle-des-Buis. Is 
se présentent sous la forme de combes liasiques ou keupéro- 
liasiques, à l'exception de celuide Liesle, qui est un dôme ooli- 
tique. Ils s’'échelonnent les uns à la suite des autres, en 
accompagnant la faille qu'ils viennent rencontrer sous un 
angle plus ou moins aigu. À lexception de celui de Liesle, 
placé à une faible distance de la faille, tous s'arrêtent brus- 
quement au moment où ils la rencontrent, et c’est en vain 
qu’on en chercherait le prolongement de l’autre côté de la 
faille. Celle-ci semble avoir réagi sur la force qui a produit le 
soulèvement en voûte, soit en l’arrêtant pour ainsi dire au 
passage, soit en l’obligeant à dévier et à prendre une direction 
parallèle à la sienne. Nous verrons tout à l'heure comment il 
est permis de se faire une autre idée de la manière dont les 
choses se sont passées, tout en mairtenant le principe que 
Pidancet a depuis longtemps formulé dans les termes sui- 
vants : 

« Les failles ont formé un véritable obstacle au développe- 


— 467 — 


ment des ploiements réguliers, qui les rencontrent souvent 
en formant avec elles des angles aigus, et le plus souvent 
encore suivant la direction de la faille, qui semble alors 
couper la chaîne suivant son axe ou parallèlement à lui (1). » 

Ce que nous venons de constater pour les soulèvements en 
voûte qui accompagnent le bord méridional de la faille de 
Montfaucon, s'observe également pour les autres failles du 
Jura. C'est ainsi que la vaste combe keupéro-liasique de 
Salins, lorsqu'elle rencontre la faille de Montmahoux, s’arrête 
brusquement. Le fait général que nous venons de rappeler 
constitue une loi sans exception. Il faut en conclure que les 
failles sont antérieures aux soulèvements en voûte. 

Nous avons admis que les deux réseaux correspondant res- 
pectivement aux failles et aux soulèvements en voûte offrent 
un caractère commun, résultant de ce que les lignes dont ils se 
composent ne se croisent jamais entre elles. D’après ce qui 
vient d'être dit sur les relations entre les failles et les soulè- 
vements en voûte, ce caractère doit s'appliquer également au 
réseau complexe produit par la superposition des deux réseaux 
particuliers. 

On aurait tort, d’ailleurs, de penser que les failles avaient 
leur forme actuelle lorsqu'elles se sont opposées au développe- 
ment des soulèvements en voûte. Leurs dénivellements de- 
vaient alors être moins importants; l'apparition des soulève- 
ments en voute a été accompagnée de dénivellations considé- 
rables, ou, pour mieux dire, a eu ces dénivellations pour 
conséquence. Les lignes suivantes font voir que cette succes- 
sion de phénomènes n'avait pas échappé à l’attention de Pi- 
dancet : « À une certaine époque, le Jura était sillonné par 


(1) Pidancet. Note sur quelques-uns des phénomènes que présentent les 
failles du Jura. (Mém. Soc. d'Emulation du Doubs, 1848) Ce travail 
très remarquable fait vivement regretter que son auteur n'ait pas 
continué la publication de ses recherches sur le Jura, recherches qui 
certainement auraient largement contribué au progrès de nos connais- 
sances sur la géologie de cette région. 


— 468 — 


un grand nombre de fractures alignées suivant des directions 
déterminées et ayant une grande étendue. Ces fractures se 
trouvaient presque toutes situées au N.-0. d’une ligne pas- 
sant par Saint-Laurent, Pontarlier, Maiche, Porrentruy, etc. 
Après la formation de ces fractures aurait agi la force qui a 
produit les ploiements, et dont l’action se serait principale- 
ment fait sentir au S.-E. de la ligne que nous venons de tra- 
cer, ce que montre la grande abondance des chaînes régulières 
dans cette région. C’est alors que les abruptes des failles au- 
raient été formés par les assises rompues de la fracture pri- 
mitive, tandis que celles qui n'avaient pas été déchirées ont 
eu une tendance à se ployer régulièrement et à former une 
voûte plus ou moins complète, contre laquelle viennent butter 
les couches du pied de la faille. » 


Soulèvements en voûte hémiédriques. — Lorsqu'un soulè- 
vement en voûte rencontre une faille, jamais il ne la fran- 
chit; mais très souvent il éprouve une déviation pour conti- 
nuer son trajet en accompagnant la faille sur une étendue 
plus ou moins grande. Ce contact de la faille et du soulève- 
ment en voûte donne lieu à un accident stratigraphique et 
topographique d’une nature complexe. Cet accident, que nous 
proposons de désigner sous le nom de soulèvement en voüte 
hémiédrique, comprend, outre un demi-soulèvement en voûte, 
une faille et un plissementen V, ou tout au moins un redres- 
sement des strates sur le côté de la faille opposé à celui où se 
trouve le soulèvement ; la fig. 26, qui est une coupe à travers 
la combe liasique de Chapelle-des-Buis, représente d'une ma- 
manière très exacte le phénomène que nous avons ici en vue. 

La combe liasique de Chapelle-des-Buis commence à 
Pugey par un cirque assez vaste, muni d'un ruz qui livre 
passage à une route. À une faible distance de ce cirque, la 
combe rencontre la faille de Montfaucon. Des äeux parties 
dont elle se compose lorsqu'on se la représente divisée par 
son axe longitudinal, l’une, celle de gauche par rapport à 


— 469 — 


l'observateur qui vient de Pugey, s'arrête brusquement ; son 
développement est interrompu dans les conditions que nous 
venons d'indiquer. L'autre oblique à droite en se dirigeant 
dans le même sens que la faille et continue son trajet jusqu'à 
la hauteur du château de Montfaucon, où elle se termine par 
un demi-cirque. On pourrait même dire qu'elle se prolonge 
encore par une demi-voûte oolitique, continuation du crêt 
oolitique qui accompagne la combe. 

La fig. 26 fait voir qu’à la hauteur de Chapelle-des-Buis, la 
combe est réduite à un de ses côtés ; celui-ci se prolonge avec 
une régularité complète jusqu’à la Vèze. De l’autre côté, les 
strates, au lieu de se disposer de manière à compléter le soulè- 
vement en voûte, prennent une allure tout à fait anormale. 
Elles se redressent, se renversent sur elles-mêmes et déter- 
minent le plissement en V de Chapelle-des-Buis, dont il sera 
question dans un des paragraphes suivants. Entre les strates, 
dont l'allure est si différente de part et d'autre, se place la 
faille de Montfaucon. 

Ce qui rend cet accident stratigraphique si complexe et ce 
qui lui imprime un certain cachet d'unité, c'est qu'on ne peut 
le considérer comme le résultat d'une simple juxta-position 
d’un demi-soulèvement en voûte, d’une faille et d'un plisse- 
ment en V, simple juxta-position qui serait due au hasard. 
Le soulèvement en voûte doit son hémiédrie au voisinage de 
la faille, et la faille doit au soulèvement en voûte son fort 
dénivellement. Et, sans l'intervention simultanée de la faille 
et du soulèvement en voûte, le plissement en V n'aurait pu 
se produire. 

L'unité d'effet conduit à supposer l'unité dans la cause. 
Quelle est cette cause qui a déterminé l'accident stratigraphi- 
que qui vient d'attirer un instant notre attention ? Nous per- 
sistons à penser que cette cause a été une impulsion verticale 
de bas en haut ; mais cette impulsion s’est manifestée dans 
des conditions particulières que nous essaierons d'apprécier à 
la fin de ce chapitre. 


— 470 — 


Plissements en V ; courbures en G. — Le moment est venu 
pour nous de nous occuper des accidents stratisgraphiques 
que l’on désigne sous le nom de plissements en V, de courbures 
en C, de coins, etc. Ces accidents atteignent, dans les Alpes, 
des proportions grandioses ; l'étude attentive qui en a été faite 
a conduit à reconnaître en eux la conséquence de refoule- 
ments latéraux. Ces mê res accidents s'observent également 
dans le Jura; ils sont le résultat de la même cause, mais ils 
offrent de bien plus petites dimensions : on remarque, en 
outre, qu ils accompagnent constamment les failles et les sou- 
lèvements en voûte. | 

D'après le mode de formation des soulèvements en voûte, 
on s'explique facilement que les strates, de plus en plus re- 
dressées sur les parties latérales de ce soulèvement, puissent, 
dans quelques cas, être renversées sur elles-mêmes et donner 
ainsi naissance au phénomène du plissement en V ou de la 
courbure en GC. Ce phénomène peut aussi être la conséquence 
du contact de deux soulèvements en voûte. Nous n'avons pas 
besoin d’insister à ce sujet. Mais les failles ont également dé- 
terminé des plissements en V; avant d'expliquer le mode de 
formation de ces plissements, nous dirons quelques mots de 
l'influence des failles sur la stratification. 


Influence de l’allure des failles sur la stratification. — Ad- 
mettons d'abord qu'une faille soit parfaitement verticale, que 
ses parois soient parallèles entre elles et que sa direction soit 
rectiligne. Evidemment, lorsque la dénivellation s'opérera, 
la force mise en activité agira tangentiellement contre.les 
deux côtés de la faille; un rejet considérable pourra être la 
conséquence de cette impulsion, mais ce rejet ne sera pas 
nécessairement accompagné de dérangements et de disloca- 
tions dans les strates. Probablement les deux côtés de la 
faille resteront alors très rapprochés l’un de l'autre et la 
largeur de cette faille sera très faible. 

Dans les failles, on remarque souvent que les strates situées 


— 471 — 


du côté qui a été soulevé n’ont pas subi de grands dérange- 
ments, tandis que celles qui appartiennent au côté opposé 
ont été plus ou moins redressées, disloquées et dérangées de 
leur situation première. Dans le Jura nord-occidental, no- 
tamment, il est bien peu de failles qui ne présentent, sur un 
point ou sur un autre, des exemples de redressement des 
strates. Lorsque ces accidents stratigraphiques n'existent pas, 
on est conduit à penser qu'ils ont disparu sous l'influence 
des agents d’érosion qui ont dénudé la partie de la faille 
affectée par eux. Quelquefois pourtant, les strates offrent, sur 
une grande étendue de la faille, une allure assez régulière et 
assez constante pour qu'il semble naturel d'admettre que la 
dénivellation n'a été accompagnée d'aucun dérangement dans 
les strates. D’autres fois, au contraire, le phénomène du plis- 
sement en V se manifeste avec une ampleur tout à fait excep- 
tionnelle, que l'énergie des forces mises en jeu ne semble 
plus, à elle seule, pouvoir expliquer. L'esprit est alors, 
malgré lui, porté à rechercher une circonstance, également 
exceptionnelle, pouvant rendre compte d’un accident strati- 
graphique qui se manifeste dans de si grandes proportions. 
C’est à cette recherche que nous nous livrerons dans le para- 
graphe suivant; nous devons, auparavant, indiquer quelle 
action les failles exercent sur les strates, dans les conditions 
ordinaires. 

Quand la dénivellation d'une faille s'effectue, ce sont, 
avons-nous dit, les strates du côté descendant qui se redres- 
sent et se renversent sur elles-mêmes. Au moment où la dé- 
nivellation va s'opérer, les strates superficielles des deux côtés 
de la faille se trouvent dans les mêmes conditions, en ce sens 
qu'elles pressent également par leur tranche les unes contre 
les autres, et qu'elles n’ont que leur propre poids à supporter. 
Voyons, maintenant, ce qui se passe dès que les actions dy- 
namiques, qui président à la formation de la faille, ont déter- 
miné un dénivellement de quelques mètres. Entre les strates 
mises en contact par leur tranche et pressées les unes contre 


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les autres, il y a une lutte résultant de ce que les unes ten- 
dent à entrainer les autres dans le mouvement auquel elles 
obéissent. Dans cette lutte, l'avantage reste au côté qui s’é- 
lève. Les strates superficielles de ce dernier côté se trouvent 
mises définitivement à l'abri de l'action exercée par les strates 
situées de l’autre côté, dès que celles-ci sont placées en contre- 
bas vis-à-vis elles. Les strates superficielles, du côté qui s’af- 
faisse, sont au contraire entraînées par le côté qui s'exhausse, 
parce qu'aucune pression ne les protége contre la. force qui 


les sollicite; elles se redressent, et les strates sous-jacentes, 


n'étant plus protégées à leur tour par les strates superficielles 
qui les abandonnent, obéissent à la même impulsion. Il en 
résulte un mouvement de redressement qui peut se prolonger 
jusqu’à une certaine profondeur. 


Plissements en V qui accompagnent les failles ; plissement 
de Chapelle-des-Buis. — Les failles possèdent dans le sens 
vertical la même allure que nous leur avons reconnue dans 
le sens horizontal, et c’est une ligne brisée que l’on obtien- 
drait si l’on supposait une faille coupée par un plan vertical. 
Il en résulte que la fracture correspondant à une faille est 
limitée latéralement par deux surfaces qui ondulent dans 
tous les sens. 

Supposons maintenant qu’une faille, tout en restant verti- 
cale dans son ensemble, n'ait pas une direction rectiligne, et 
dessine une ligne brisée formée d'éléments rectilignes oscil- 
lant autour d’une direction moyenne. La disposition de la 
faille, au lieu de rappeler l’idée de deux surfaces libres, frot- 
tant à peine l’une contre l’autre, fera penser plutôt à un en- 
grenage qui, bien que toujours sollicité par la force qui le 
met en mouvement, serait subitement arrêté par une cause 
accidentelle ou un obstacle quelconque. De même que les 
dents de cet engrenage, les parties saillantes de chaque côté 
de la faille seront brisées et disloquées ; leurs débris, plus 
ou moins broyés, s'accumuleront entre les deux bords de 


— 473 — 


la faille, qui aura ainsi acquis une plus grande largenr. 

Recherchons maintenant ce qui passera dans le voisinage 
du dernier des éléments rectilignes dont une faille est formée, 
au moment où la dénivellation s’opérera. Ce dernier élément 
rectiligne est celui qui termine la faille vers sa partie supé- 
rieure et qui vient affleurer à la surface du sol. Supposons 
que cet élément s'éloigne plus ou moins de la verticale , deux 
cas pourront alors se présenter ; nous allons les examiner suc- 
cessivement. 

Si le côté ascendant, indiqué dans la figure 27 par la direc- 
tion de la flèche, est placé au-dessus du côté descendant, il 
glissera sur lui en exerçant une action qui sera très faible, 
surtout si ce dernier, au lieu de rester immobile, tend à s'af- 
faisser et se dérobe ainsi à l’action du côté ascendant; celui-ci 
pourra tout au plus fonctionner comme un rabot. 

Si, au contraire, le côté ascendant est placé au-dessous du 
côté opposé (fig. 28), il y aura lutte entre les impulsions con- 
traires subies par chacun d’eux : le côté ascendant obéissant 
à l'impulsion qui tend à le soulever, le côté opposé cédant à 
la pesanteur. Si, dans cette lutte, c’est le côté ascendant qui 
l'emporte, il repoussera le côté opposé, absolument comme le 
fait une charrue qui trace un sillon et rejette à droite et à 
gauche les mottes de terre en les renversant quelquefois sur 
elles-mêmes. 

Le phénomène du redressement des strates se produit avec 
une énergie d'autant plus grande que la faille est plus incli- 
née. Cette énergie croit également avec l'étendue, dans le 
sens de la profondeur, de l'élément incliné. Elle est aussi 
proportionnelle à la quantité de dénivellement, puisque cette 
quantité de dénivellement dépend elle-même de la force qui 
intervient dans la formation de la faille. 

Dans le Jura, l'exemple le plus remarquable d’un plisse- 
ment en V produit au contact d’une faille est, croyons-nous, 
celui de Chapelle-des-Buis, près de Besançon. Il est naturel 
d'admettre que, sur ce point, se trouvent réalisées les condi- 

31 


— 474 — 


tions que nous venons d’énumérer comme susceptibles de 
favoriser le développement du phénomène qui attire notre 
attention. On peut donc admettre que l'élément de la faille 
qui à déterminé le plissement en V de Chapelle-des-Buis 
(fig. 26) plonge du côté de Besançon jusqu’à une assez grande 
profondeur. Quant au dénivellement, l'observation directe 
nous permet de nous convaincre qu'il est considérable. Au 
Bout-du-Monde, près de Beure, on observe le contact des 
marnes irisées avec le terrain corallien. Mais ce contact ne 
nous donne pas une idée suffisante de la quantité de dénivel- 
lement: il nous semble qu'il faut ici tenir compte des terrains 
qui sont compris dans le plissement en V ; le rejet doit être 
mesuré par l'intervalle compris entre les marnes irisées et le 
calcaire portlandien, le plus récent des terrains qui ont été 
affectés par le plissement en V. Dans ce cas, le dénivelle- 
ment serait de 600 mètres environ. 

Le plissement en V commence aux rochers d’Arguel, près 
du point où les failles de Montfaucon et de Trois-Châtels se 
séparent jusqu'au delà du village de Morre; son étendue, 
en ligne droite, est de plus de huit kilomètres. Une des deux 
branches du V est presque horizontale ou faiblement incli- 
née, tandis que l’autre est verticale et, sur quelques points, 
- renversée sur elle-même. La distance comprise entre la 
faille, cause du plissement, et le point le plus éloigné où 
l'on rencontre les premières strates renversées, est de mille 
mètres environ. 

Parmi les faits que l'étude du plissement en V de Chapelle- 
des-Buis conduit à signaler, nous nous bornerons à mention- 
ner le suivant. L'intérieur du pli du V ne contient pas tou- 
jours le même terrain. Aux environs de Morre, le terrain 
portlandien est compris entre les deux branches du V; mais, 
à mesure que l'on se dirige vers l'extrémité sud-ouest du plis- 
sement, on voit disparaître successivement les terrains port- 
landien, kimméridien et séquanien. Cette circonstance nous :- 
démontre qu'à l’époque où le plissement s’est produit, c'est- 


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à-dire vers la fin de la période miocène, le sol de la contrée 
était déjà fortement dénudé. 


Répartition générale des failles. — Les failles sont très 
nombreuses et facilement reconnaissables dans les massifs 
montagneux et dans les pays dont le sol est formé de terrains 
anciens. Elles se montrent de plus en plus rares et acquièrent 
une allure de plus en plus simple, à mesure que l'on se 
rapproche des pays de plaine et des régions dont le sol est 
constitué par des formations plus ou moins récentes. On 
aurait tort de conclure de ce mode de répartition des failles 
que l'écorce terrestre, dans les pays de plaine, est moins frac- 
turée que dans les pays de montagnes. Seulement les fractures 
sont alors cachées par les terrains à strates se rapprochant de 
l'horizontalité. 

Quoi qu'il en soit, si nous distinguons, à la surface du 
globe, les régions faillées et les régions non faillées, c'est 
parmi les premières que se placera le Jura considéré dans sa 
partie nord-occidentale ; sous ce rapport, sinon sous le rapport 
géognostique, il ressemble aux massifs montagneux voisins. 
Il est même permis d'admettre qu'il existe une continuité 
réelle, toujours souterraine, quelquefois superficielle, et, dans 
ce dernier cas, observable à la surface du sol, entre le Jura 
et les massifs montagneux voisins ; leurs failles se réunissent 
entre elles, en subissant au besoin de brusques changements 
de direction. 

Le groupe des failles qui découpent le massif des Vosges 
est sans doute en communication directe avec le faisceau 
formé par les failles de Châtillon-le-Duc et de Montfaucon. 
Ces deux failles, avec les failles secondaires qui les accompa- 
gnent, constituent un faisceau qui se prolonge à travers le 
Jura septentrional. Arrivé à la hauteur de Besançon, ce 
faisceau se divise en deux parties : l'une, avec la faille de 
Châtillon-le-Duc, se dirige vers la Serre, et de là va se ratta- 
cher sans doute aux failles du département de Saône-et-Loire, 


— 476 — 

après une interruption apparente résultant du recouvrement 
par les terrains d'alluvion de la vallée de la Saône. L'autre, 
avec la faille de Montfaucon, suit la rive gauche du Doubs et 
se continue par le faisceau qui, après s'être dirigé le long 
de la lisière occidentale du Jura, va se réunir au groupe de 
failles qui existent dans le massif de la-Grande-Chartreuse. 
Dans toute la région qui entoure le Mont-Poupet, le faisceau 
envoie, dans l'intérieur du Jura, plusieurs grandes failles qui 
s'effacent peu à peu avant d'atteindre sa zone orientale ; telles 
sont celles de Mamirolle et de Montmahoux. Il en résulte, 
dans cette région, un groupement de failles formant comme 
un étoilement, dont la partie occidentale est sans doute 
cachée sous les terrains récents de la Bresse. C'est également 
sous ces terrains que se cachent, s'ils existent, les accidents 
stratigraphiques rattachant les failles du Jura à celles des 
montagues de la rive droite du Rhône au-dessous de Lyon. 
Les failles qui accompagnent le bord septentrional et occi- 
dental du Jura forment un faisceau continu ; ce faisceau fait 
partie d’une zone faillée qui se prolonge, sans interruption , 
depuis les Vosges jusque vers les Pyrénées. 


Age des failles. — Puisque nous avons admis que toutes 
les strates dont se compose le Jura sont en concordance de 
stratification, nous devons tirer de ce fait la conséquence 
suivante : tant que le dépôt de ces strates n’a pas été complet, 
les lignes, que nous avons considérées comme étant des lignes 
de moindre résistance, n’ont pu se transformer en lignes de 
dénivellement, c'est-à-dire en failles proprement dites ; celles- 
ci sont restées à l’état virtuel ou latent. Sans cela, des exem- 
ples de discordance de stratification se seraient produits dans 
le Jura, et le principe que nous venons d’invoquer ne serait 
pas fondé. 

D'un autre côté, il est évident que les failles n’ont pu se 
produire qu'après le dépôt des strates qu'elles affectent. Il en 
résulte que toutes les failles du Jura sont postérieures au 


— 477 — 


moins à la période crétacée. A l’appui de cette opinion, nous fe- 
rons remarquer que la grande faille de la rive gauche de l'O- 
gnon détermine, entre Devecey et Auxon, un plissement en V 
dont les branches renferment le terrain crétacé. On peut même 
aller jusqu'à considérer les failles comme s'étant manifestées 
après le terrain éocène inférieur, car, aux environs de Besan- 
con, la faille de Montfaucon a affecté un conglomérat qui nous 
paraît correspondre au nagelfluhe jurassique. 

Les considérations qui nous ont fait admettre que les failles 
sont postérieures au terrain Crétacé et même au terrain ter- 
tiaire inférieur, sont applicables surtout à la zone occidentale 
du Jura. Des considérations de même ordre nous conduisent 
à reconnaître que, dans la -zone orientale, les failles peu 
nombreuses et peu importantes qui s'y trouvent datent de la 
fin de la période miocène ; le terrain miocène y est, en effet, 
en concordance de stratification avec le terrain crétacé. 
 Avraidire, pour bien apprécier l’âge d’une faille du Jura, 
il ne faut pas perdre de vue que sa formation a constitué un 
phénomène qui, avant d'atteindre son entier développement, 
a dû passer par plusieurs phases dont chacune correspondait 
à un accroissement dans la dénivellation des deux côtés. S'il 
en est ainsi, il nous semble permis de distinguer, dans la for- 
mation des failles, deux périodes successives. 

Les failles ont commencé à se produire, c'est-à-dire à sortir 
de l’état latent, dès le milieu de la période éocène. Depuis ce 
moment jusqu’à la fin de la période miocène, elles se sont peu 
dessinées à la surface du sol : elles sont devenues de plus en 
plus nombreuses et leurs dénivellements se sont de plus en 
plus accusés. Il en résulte que ces failles se sont produites 
pendant que la partie occidentale du Jura se soulevait progres- 
sivement et se séparait ainsi des régions voisines pour prendre 
plus tard ses limites actuelles. En un mot, ces deux phéno- 
mènes, première apparition des failles et premier soulèvement 
du massif jurassien, ne constitueraient qu’une seule et même 
action géologique. 


7” 


— 478 — 


Plus tard, lorsque l’exhaussement définitif de la partie 
orientale du Jura s’est opéré, les actions dynamiques, qui ont 
eu pour conséquences cet exhaussement et l'apparition des 
soulèvements en voûte, ont amené en même temps un autre 
dénivellement dans les failles qui ont pris tout leur relief. 


Age et répartition géographique des soulèvements en 
voûte. — Nous avons vu, dans un des paragraphes précé- 
deents, que les soulèvements en voûte sont postérieurs aux 
failles, ou du moins à l'époque où celles-ci ont commencé à 
paraître dans le Jura occidental. Ils pourraient donc dater 
tout au plus du commencement de la période miocène. Mais 
l'observation de ce qui se passe dans le Jura oriental conduit 
à admettre que les soulèvements en voûte datent de la fin de 
la période miocène. On y remarque, en effet, que le terrain 
miocène a participé aux mouvements du sol qui ont recourbé 
les strates en voûte. Il est même naturel de penser que l’appa- 
rition des soulèvements et l’exhaussement du Jura oriental se 
sont produits en même temps; ils ont été la conséquence 
d'une même impulsion. Du reste, nous avons déjà mentionné, 
dans la première Etude, le synchronisme des principales 
actions dynamiques qui, vers la fin de la période miocène, 
ont imprimé au Jura et au massif alpin le modelé qu'ils pré- 
sentent actuellement. 

En ce qui concerne la répartition des soulèvements en 
voûte, nous rappellerons d'abord ce que nous avons déjà dit 
sur leur plus grande abondance dans la zone orientale ; c’est 
aussi dans cette zone qu'ils sont le mieux dessinés. Si l’on 
porte sa pensée vers les Alpes, on voit que les soulèvements 
en voûte y acquièrent des proportions bien plus grandes que 
dans le Jura. Par conséquent, c’est dans les Alpes que les 
forces qui ont donné naissance aux soulèvements en voûte-ont 
eu leur maximum d'intensité ; leur énergie a été en diminuant 
dans la direction du nord-ouest : ainsi dans le département de 
la Haute-Saône, il n’y a plus de soulèvements en voüte. Pour- 


— 479 — 


tant ceux-ci existent encore dans le Jura nord-occidental et 
notamment aux environs de Besancon. Remarquons, en outre, 
que, dans cette partie du Jura, les soulèvements en voûte 
présentent souvent un aspect particulier, dû au voisinage des 
failles, et prennent la forme que nous avons distinguée par 
l’épithète d'hémiédrique. 


Réseau stratigraphique du Jura. — Comment il s’est peu à 
peu constitué. — D’après ce que nous avons dit sur le mode 
de formation des failles et des soulèvements en voûte, on est 
conduit à se représenter toute la masse du Jura comme étant 
découpée par un réseau à mailles serrées, formé de lignes 
dont le caractère commun est de s'opposer à leur développe- 
ment mutuel dès qu'elles viennent à se rencontrer. Leur 
allure, ainsi que leur mode de manifestation à la surface du 
globe, varient d’un point à un autre. Tantôt elles restent à 
l'état de lignes de moindre résistance ou de lignes de retrait ; 
tantôt elles s’accusent sous la forme de failles et de soulève- 
ments en voûte. C'est ainsi que le réseau stratigraphique du 
Jura vient se refléter à la surface du globe, pour y exercer 
une influence de premier ordre sur la constitution opera 
phique du pays. 

Comment le réseau stratigraphique du Jura s'est-il consti- 
tué ? Pour rendre plus simple l'exposé des faits que nous allons 
mentionner, nous ferons, pendant un instant, abstraction de la 
zone cristalline et nous ne considérerons que la zone sédimen- 
taire. Ce réseau stratigraphique, étant, ainsi que nous l'avons 
expliqué, le résultat d'actions moléculaires s’exerçant dans 
les strates, s’est établi à mesure que le dépôt de ces strates 
s’effectuait. Il a commencé à se dessiner dès la période tria- 
sique, et il s'est peu à peu constitué jusque vers le milieu de 
la période éocène, en laissant son empreinte d’abord sur les 
strates les premières déposées, puis sur les suivantes à mesure 
qu'elles étaient reçues au fond des eaux. En d’autres termes, 
ce réseau, d’abord vaguement ébauché, a peu à peu, soit 


ÉCRIRE 


— 480 — 


dans le sens horizontal, soit dans le sens vertical, tracé ses 
mailles à travers la masse du Jura. Maïs, depuis le commen- 
cement de la période triasique jusque vers le milieu de la 
période éocène, il s'est maintenu à l’état latent; il n’a pas 
accusé son existence à la surface du sol. C'est vers la fin de la 
période éocène ou le commencement de la période miocène, 
que ses premiers linéaments se sont manifestés à la surface 
du globe sous la forme de failles encore peu dénivellées. Et, 
lorsque la fin de la période miocène s’est approchée, le réseau 
‘stratigraphique à achevé de se dessiner à la surface du Jura 
en favorisant la formation des soulèvements en voûte. 

Il nous paraît assez difficile, dans l’état actuel de nos con- 
naissances, de préciser ce qui s’est passé pendant la période 
pliocène. Mais puisque, dès la fin de cette période, le Jura 
avait son relief actuel, il est probable que son réseau strati- 
graphique intérieur était aussi, à très peu de chose près, ce 
qu'il est aujourd'hui. Les actions moléculaires n’ont certaine- 
ment pas produit ce que nous appellerions volontiers tout leur 
effet utile ; mais les lignes de retrait et les lignes de moindre 
résistance, qu'elles ont déterminées et qu'elles continuent à 
développer, ne pourront se manifester à la surface du sol 
avant que de nouvelles impulsions se produisent, sous une 
forme ou sous une autre, dans la partie de la pyrosphère cor- 
respondant au Jura. 


Différences, au point de vue de leur formation, entre les 
failles et les soulèvements en voûte. — Ici des questions très 
délicates, et que nous n’abordons qu'avec hésitation, se présen- 
tent à notre examen. D'où vient qu'à une certaine époque, 
il ne s'est produit que des failles, et, à une autre époque, rien 
que des soulèvements en voûte? Pourquoi les soulèvements 
en voûte ne se sont-ils montrés qu'après les failles ? Enfin, 
pourquoi les failles et les soulèvements en voûte n’ont-ils pas 
la même répartition géographique ? 

Pour répondre à ces questions, nous ferons d'abord observer 


— 481 — 


que l'impulsion qui, ayant son point de départ-dans la pyro- 
sphère, a agi contre l'écorce terrestre pour déterminer tantôt 
des failles et tantôt des soulèvements en voûte, ne s'est pas 
manifestée sans doute dans les mêmes conditions. / 

L'impulsion qui a déterminé l'apparition des failles, avait 
pour caractère essentiel d’affecter à la fois des surfaces plus 
ou moins étendues et d'opérer avec lenteur; son principal 
résultat était de porter les fragments prismatiques dont se 
compose l'écorce terrestre à des niveaux différents : d'où 
apparition des failles. Dans ce cas, il n’y avait pas nécessai- 
rement, du moins en ce qui concerne le Jura, projection de 
matière éruptive dans l’intérieur de la croûte du globe. Cette 
manière de voir est conforme à l'opinion que M. Bleicher 
a exprimée, lorsqu'il a dit qu'aucune des grandes failles, qui 
accidentent les massifs des Pyrénées et des Vosges, ne con- 
tient de roches éruptives. M. Bleicher admet, comme M. Ma- 
gnan, que ces roches n'ont joué aucun rôle actif dans la pro- 
duction des failles. 

Pour les soulèvements en voûte, l'impulsion a été plus lo- 
calisée et plus violente; elle s’est manifestée sur des points 
restreints ou le long de lignes plus ou moins étendues ; elle a 
été accompagnée d’une projection de matière éruptive dans 
l'intérieur de l'écorce terrestre, et même, pour des contrées 
autres que le Jura, à la surface du globe. 

La disposition des lignes de retrait a dû exercer également 
une grande influence sur les deux phénomènes que nous 
comparons. Ces lignes forment le point de départ commun 
des failles et des soulèvements en voûte. Mais, au moment où 
les failles se sont produites, les fentes ou fissures, constituant 
ce que nous avons appelé des failles à l'état latent, étaient 
fortement prononcées et traversaient l'écorce terrestre tout 
entière. À la rigueur, on pourrait admettre que, si la fissure 
correspondant à une faille ne traversait pas toute l'écorce 
terrestre au moment où la faille se produisait, l'apparition de 
la faille avait eu précisément pour résultat de la prolonger 


— 482 — 


jusqu’à la surface du globe. Les lignes de retrait, qui (si la 
théorie que nous avons exposée est fondée) ont été l'origine 
des soulèvements en voüte, ne traversaient pas l’écorce ter- 
restre tout entière et s'arrêtaient à une certaine distance de la 
surface du sol. Et lorsque les soulèvements en voûte se sont 
constitués, les lignes de retrait qui leur correspondaïient ont 
pu acquérir plus de largeur; mais elles n’ont pas occasionné 
de dénivellement dans les strates et ne se sont pas prolongées 
jusqu’à la surface du globe. Les strates superficielles ont 
opposé une certaine résistance à la force intérieure qui a pu 
leur imprimer une flexion plus ou moins grande, mais non 
les déchirer, ni les rompre. Cette rupture ne s’est produite que 
dans les cas où un soulèvement en voûte se prolonge par une 
de ces failles que Pidancet proposait d'appeler des failles de 
ploiement; mais, dès que celles-ci se présentent, les strates 
tendent à perdre les caractères que nous avons reconnus être 
inhérents aux soulèvements en voüte. 

D’après ce qui précède, la différence dans les causes qui ont 
amené l'apparition des failles et des soulèvements en voûte, 
résulterait, en partie, de ce que les lignes de retrait qui leur 
ont donné naissance ne présentaient pas les mêmes disposi- 
tions. Nous serions ainsi ramené à nous demander quelle a 
été la raison d'être de cette différence dans la forme et l'allure 
des fentes préexistantes. Or, nous ne pensons pas qu'il soit 
nécessaire d'insister beaucoup pour démontrer comment les 
lignes de retrait, qui ont été la cause première des failles, ont 
pu insensiblement traverser toute la croûte du globe. Ce qui 
nous paraît ici plus important, c’est de nous rendre compte des 
ciréonstances qui ont pu empêcher les lignes de retrait, corres- 
pondant aux soulèvements en voûte, de se prolonger jusqu'à 
la surface du sol. 

Parmi ces circonstances, il en est deux qui nous paraissent 
parfaitement admissibles. Nous avons déjà fait remarquer que 
les contractions moléculaires, qui ont pour conséquence l’appa- 
rition des lignes de retrait, devaient être plus considérables 


— 483 — 


dans la zone cristalline que dans la zone sédimentaire. Aussi, 
en ce qui concerne le Jura oriental, pourrait-on considérer 
ces lignes comme n'existant que dans la zone cristalline et 
s'arrêtant au contact de la zone sédimentaire. La matière 
éruptive, dont l'arrivée a déterminé la formation des soulève- 
ments en voûte, se serait ainsi arrêtée au contact de cette zone 
sédimentaire dont elle aurait recourbé les strates. Rappelons- 
nous, en outre, qu'une ligne de retrait doit aller en diminuant 
d'importance à mesure qu'elle se rapproche de la surface du 
globe. Sa largeur diminue à mesure qu'elle pénètre dans des 
terrains moins anciens et soumis aux actions moléculaires 
depuis moins de temps. On conçoit, par exemple, que les 
strates du terrain miocène qui, dans le Jura et en Suisse, a 
été soulevé presque immédiatement après son dépôt, n'aient 
pas encore été traversées par des lignes de retrait lorsque ce 
soulèvement s’est effectué. 

L'observation des phénomènes géologiques qui se sont 
accomplis jadis ou qui se manifestent aujourd’hui, nous 
montre que les forces ayant leur siége dans la pyrosphère 
n'opèrent pas en même temps dans toutes les régions du 
globe. A côté d’une contrée fortement agitée par les trem- 
blements de terre et les actions volcaniques, s'en place une 
autre complètement tranquille. Plus tard, les centres d'action 
des forces intérieures se déplacent : une contrée d’abord 
agitée devient tranquille, tandis qu'une région qui avait été 
livré au calme le plus complet, se transforme en un centre de 
commotion. 

Des déplacements semblables ont dû se produire dans le 
Jura pendant tout le temps qu’il a été soumis à l'influence 
des forces intérieures. Ces forces intérieures ont d’abord agi 
dans la partie occidentale du Jura où, pendant les périodes 
éocène et miocène, elles ont déterminé la formation des failles 
et le soulèvement du sol. Puis, à dater de:la fin de la période 
miocène, sans abandonner complètement le Jura occidental, 
elles ont opéré avec plus d'énergie dans le Jura oriental ; elles 


— 484 — 


ont alors eu pour effet d'amener son exhaussement définitif, 
et, en même temps, l'apparition des soulèvements en voûte. 
Tandis que les forces intérieures se déplacaient dans le Jura, 
en vertu de lois qu'il nous est impossible d'apprécier, si elles 
existent, elles subissaient, dans leur manière d'opérer, certaines 
modifications que nous n'avons pu qu'indiquer vaguement; 
enfin, les parties du Jura sur lesquelles elles agissaient, 
n'avaient pas tout à fait la même constitution stratigraphique. 

Telles sont, en résumé, les réponses que nous croyons pou- 
voir faire aux questions que nous nous sommes posées tout à 
l'heure. Peut-être le lecteur ne les trouvera-t-il pas suffisantes, 
mais nous ne pensons pas que, dans l'état actuel de nos con- 
naissances, il puisse en être donné d’autres. Toutefois, l'incer- 
titude, qui règne relativement à la cause des phénomènes que 
nous avons étudiés, ne doit pas nous empêcher de nous rendre 
compte des effets qui se sont manifestés à la surface du globe, 
et de nous faire une idée exacte de la constitution stratigra- 
phique du Jura. 


— 485 — 


CHAPITRE IX 


PHÉNOMÈNES DE DÉNUDATION. — LEUR INFLUENCE SUR LA CON- 
STITUTION TOPOGRAPHIQUE DU PAYS. — DÉMANTÈLEMENT DU 
JURA. 


Agents extérieurs ; leur antagonisme avec les forces inté- 
 rieures. — Les agents extérieurs, lorsqu'ils s’exercent sur le 
sol émergé ou sur les points très peu profonds de la mer, 
opèrent surtout Comme puissances de destruction; ils dégra- 
dent sans cesse les continents, dont ils entraînent les débris, 
et pour ainsi dire les lambeaux, au fond des vallées et de 
l'océan. Lorsque les débris charriés par les cours d’eau attei- 
gnent le bassin des mers, les agents extérieurs prennent le 
caractère de forces reproductives. Le résultat définitif de ces 
deux manières d'opérer est de leur faire jouer le rôle d'agents 
de nivellement. 

Entre les agents qui fonctionnent à la surface du globe et 
les forces qui tendent à soulever l'écorce terrestre, tantôt sur 
un point, tantôt sur un autre, il existe un anltagonisme très 
remarquable. On peut poser en principe que si les agents 
atmosphériques fonctionnaient seuls, ils auraient bientôt 
détruit tous les continents. La terre finirait par présenter une 
surface parfaitement nivelée , et par se recouvrir d'une 
immense nappe d’eau, comme pendant les premiers temps 
géologiques. Les forces intérieures tendent, au contraire, à 
rider la surface du globe ; si elles fonctionnaient seules, ou si 
leur action ne trouvait un contre-poids suffisant dans l’exis- 
tence des agents atmosphériques, l’écorce terrestre, partout 
bouleversée, offrirait en quelque sorte l’image du chaos. 

On peut distinguer à la surface du globe deux zones : l’une 
où les agents atmosphériques opèrent comme puissance de 
reproduction, et l’autre où ils interviennent comme éléments 


— 486 — 


de destruction. Ces deux zones comprennent: la première, le 
bassin des mers dans sa presque totalité; la seconde, tout le 
sol émergé et la partie du sol sous-marin assez peu profonde 
pour être soumise à l'influence des courants, des vagues et des 
marées. Ceci nous conduit à indiquer sommairement ce qui, 
sous l'influence des agents de dénudation, s’est passé dans le 
Jura, d’abord pendant qu'il était en totalité ou en partie sous 
les eaux, puis à dater de son émergement. 


Phénomènes d'érosion pendant les périodes d'immergement. 
— Le premier émergement définitif d'une partie du Jura date 
du commencement de la période tertiaire ; quant à l’émerge- 
ment définitif du Jura tout entier, il s’est effectué après la 
période miocène. Mais, avant cet émergement partiel ou to- 
tal, les roches dont se compose le Jura avaient déjà subi, sur 
certains points, l'influence des agents de destruction. 

Pendant la période tria-jurassique, toute la région juras- 
sienne a été maintenue sous les eaux; mais l’œuvre de 
destruction n’en a pas moins commencé. Elle s'est mamifestée 
sur les parties du sol sous-marin assez peu profondes pour 
avoir été maintenues dans la zone d’agitation des eaux et 
s'être ainsi trouvées soumises à l’action dénudatrice des cou- 
rants marins fonctionnant à la manière d’un rabot. (Voir 
Et. I; chap. x.) 

Le même phénomène s’est reproduit, pendant la période 
crétacée, avec une plus grande énergie, parce que, pendant 
cette période, les mers du bassin jurassien étaient moins 
profondes que pendant la période précédente. 

Remarquons encore qu'avant le commencement de la pé- 
riode tertiaire, la mer a déserté, à trois reprises différentes, 
l'emplacement correspondant au Jura, pour l'envahir chaque 
fois de nouveau. On concoit sans peine que ces mouvements 
de retrait et de retour des eaux aient été accompagnés de 
fortes dénudations, se manifestant surtout le long de la ligne 
du littoral qui se déplaçait à chaque instant. 


— 487 — 


Ce que nous venons de dire des périodes antérieures à la 
période miocène s'applique également à cette période miocène 
pendant laquelle la partie orientale du Jura est restée sous 
les eaux. Les points peu profonds de la mer de la mollasse 
étaient soumis à l’action destructive des vagues et des cou- 
rants, et cette action destructive s'exerçait aussi le long du 
rivage de cette mer, rivage qui se dirigeait à travers le 
Jura. 


Phénomènes d'érosion pendant les périodes d'émergement 
et pendant l’époque actuelle. — Pendant chacune des pério- 
des d’immergement, des phénomènes de dénudation ont dû 
se produire, ainsi que nous venons de le dire; mais leurs 
effets ont eu relativement peu d'importance. C'est pendant les 
périodes d’émergement que les phénomènes de dénudation 
se sont manifestés avec énergie. 

Nous n'avons pas besoin de rappeler la manière dont 
opèrent les agents atmosphériques. Leur rôle se trouve décrit 
dans tous les traités de géologie. On connaît les effets des 
alternatives de sécheresse et d'humidité, de gel et de dégel. 
L'eau, qui s'introduit à l’état liquide dans les roches poreuses, 
et par conséquent plus ou moins gélives, croît de volume 
lorsqu'elle passe à l'état de glace ; elle occasionne ainsi la 
séparation des parties de la masse dans laquelle elle pénètre, 
elle les retient cimentées les unes contre les autres tant qu’elle 
conserve l’état solide, mais elle les abandonne à l'action de la 
pesanteur dès qu'elle reprend l’état liquide : de là ces débris 
qui s'accumulent, pendant l'hiver, au pied des murailles etau 
pied des montagnes formant talus. 

L'atmosphère exerce également une action décomposante 
sur les roches. L'affinité de l'oxygène pour certaines sub- 
stances détermine la séparation de leurs éléments et rend 
plus soluble ou plus friable un corps qui l'était à peine. 
L’acide carbonique contenu dans l'atmosphère, celui qui se 
dégage de l'intérieur de la terre, et l’acide nitrique qui se 


— 488 — 


forme dans les orages, attaquent les roches calcaires. Les 
roches qui se composent surtout de feldspath subissent une 
transformation.que l'on désigne sous le nom de kaolinisation, 
et en vertu de laquelle des deux silicates dont se compose le 
feldspath, l’un, le silicate alcalin, étant soluble dans l’eau, 
est entraîné par elle, tandis que l'autre, le silicate d’alumine, 
devient l'élément constitutif des argiles. 

Les actions, dont nous venons de citer des exemples, 
détruisent molécule à molécule, usent et rongent lentement 
la surface du sol émergé ; il en est d'autres qui se manifestent 
par intervalles et ont pour résultat de démanteler les roches 
et d'en détruire certaines parties, pour ainsi dire, en bloc. 
C'est ainsi que, dans le Jura, après les fortes pluies, des 
masses considérables de marnes s’éboulent, glissent vers les 
parties basses des vallées et finissent par laisser en surplomb 
les assises calcaires qu'elles supportaient d’abord et qui, à leur 
tour, subissent un effondrement. ] 

Les éboulements qui se produisent dans les Alpes, et dont 
les traités de géologie citent de si nombreux exemples, ont dû 
se manifester également dans le Jura, quoique dans de plus 
petites proportions. Dans le Jura, comme dans les Alpes, des 
barrages, momentanément formés et subitement rompus, ont 
donné naissance à des courants dévastateurs : des masses, 
supportées par des argiles imbibées d’eau, ont glissé en vertu 
de leur propre poids; d'énormes blocs de rochers ont été 
détachés des montagnes dont ils n'étaient séparés que par une 
fissure. S'il ne nous est pas donné d'être souvent les témoins 
de semblables événements, il n’en est pas moins vrai que l'on 
trouve à chaque instant, dans le Jura, des accidents de terrain 
qui n'ont pu se produire que dans des circonstances analogues 
à celles que nous venons de mentionner. 

Les cours d'eau contribuent aussi, d’une manière énergique, 
à la destruction des parties de l'écorce terrestre portées 
au-dessus du niveau de la mer. En creusant et en élargissant 
leur lit, ils ont dû amener, dans le Jura, l’ablation de portions 


— 489 — 
considérables de terrain. Leur action dénudatrice a été favo- 
risée par la Grconstance suivante pendant les temps anté- 
rieurs à l’époque actuelle, leur lit se déplacait chaque fois que 
le Jura était soulevé dans un sens ou dans un autre, et, par 
suite de ces déplacements successifs, leur action dénudatrice 
n'épargnait sans doute aucun point du Jura. 

Nous venons d'indiquer brièvement quel est et quel a été, 
dans le Jura, le mode d'action des agents atmosphériques sur 
le sol émergé. Cette action varie, dans son intensité et dans 
sa nature, d'une époque à une autre, avec le climat et le 
relief du sol. L'intervention de ces agents a dû produire son 
maximum d'effet pendant chacune des deux périodes gla- 
claires. La vaste nappe de neige et de glace, qui a recouvert 
alors tout le Jura, ne s’est pas coristituée et n'a pas disparu 
sans alimenter de puissants courants d’eau, et sans oécasionner 


des phénomènes de dénudation hors de toute proportion avec 


ce que l’on observe aujourd'hui. 


Influence des phénomènes d'érosion sur la configuration 
du Jura ; vallées d'érosion. — Il n’est pas de contrée qui ne 
présente des traces de dénudation plus ou moins anciennes, 
et dont l'aspect ne soit en partie déterminé par l'intervention 
des agents atmosphériques. 

Les pays dont le sol est formé de cailloux roulés, d'argile, 
de marnes ou de roches friables comme le granite décom- 
posé, sont parcourus dans tous les sens par des ravins plus 
ou,moins profonds qui ont été creusés par les eaux. Ce ravi- 
nement se produit aussi dans les terrains solides, mais d'une 
manière moins sensible. Dans aucun cas, le sol ne reste par- 
faitement uni comme lorsqu'il était placé sous les eaux. 

Lorsque les phénomènes d'érosion prennent un grand dé- 
veloppement, ils amènent à eux seuls, ou avec le concours 
des forces intérieures, la formation des vallées. On appelle 
vallées d'érosion celles qui se sont produites par la seule action 
des cours d'eau; on pourrait donner le nom de vallées oro- 


32 


— 490 — ÿ 


graphiques à celles qui résultent simplement de dépressions 
longitudinales dues aux forces intérieures, dies premières 
s'observent surtout dans les pays de plaines, les secondes 
dans les pays de montagnes. Mais, souvent, la distinction 
que nous venons d'établir ne peut être constatée; car, dans la 
plupart des cas, les forces intérieures et les agents d'érosion 
interviennent dans la formation d’une vallée, les unes, en 
amenant à la surface du globe des dépressions, des fentes ou 
des fissures, que les autres élargissent de plus en plus. 

Les vallées orographiques sont ainsi nommées parce qu'elles 
trouvent leur raison d'être dans les mêmes phénomènes qui 
ont déterminé l'apparition des chaînes de montagnes et des 
principales protubérances de terrain. Les unes sont des vallées 
de ploiement, c'est-à-dire des dépressions résultant de la simple 
courbure des strates qui s’infléchissent et passent, sans se 
rompre, d’une chaîne de montagnes à la chaîne voisine. Les 
autres sont des vallées de fracture, de déchirement ou de dislo- 
cation : elles proviennent d’un déchirement du sol ou d'une 
faille que les eaux ont de plus en plus creusée et élargie. 
Dans la nomenclature proposée par Thurmann (voir antè, 
chap. vu), les vals, c'est-à-dire l’espace compris entre deux 
soulèvements en voûte très voisins, correspondent aux vallées 
de ploiement, et les cluses, ainsi que les ruz, aux vallées de 
fracture ; les combes ont, en quelque sorte, une origine mixte. 
Nous indiquons ces divers caractères sous la réserve de ce 
que nous venons de dire sur l’action simultanée des agents 
d'érosion et des forces intérieures. 

La vallée du Doubs, dans sa partie nord-occidentale, nous 
fournit un exemple très net d'une vallée orographique. Ce 
caractère résulte d’abord de la présence de la faille de Mont- 
faucon, qui détermine et règle le cours du Doubs. Cette ri- 
vière accompagne, en effet, la faille de Montfaucon en restant 
constamment à une faible distance d'elle ; c'est évidemment 
la saillie de terrain , résultant de cette faille, qui imprime au 
Doubs les diverses inflexions qu'il présente dans sa direction 


y — 491 — 
générale. La vallée du Doubs offre encore le caractère d’une 
vallée orographique, d'abord, lorsqu’entre Clerval et Deluz, 
il parcourt une profonde crevasse que les eaux ont pu élargir, 
mais dont la première origine est due à une impulsion inté- 
rieure ; ensuite lorsqu'il franchit des cluses, telles que celles 
de Rivotte et de Tarragnoz. 

Le Jura, qui nous montre, dans la vallée du Doubs, un bon 
type de vallée orographique, nous fournit aussi un exemple 
de vallée d’érosion, c’est-à-dire d’une vallée qui est l’œuvre 
exclusive des eaux ; cette vallée est celle de la Loue, pendant 
une partie de son trajet. Dans le voisinage de sa source, la 
Loue franchit une de ces vallées d'effondrement dont il sera 
question dans le paragraphe suivant. Puis, elle coule à travers 
une gorge très pittoresque à laquelle on ne peut refuser le 
caractère d'une vallée de fracture, lorsqu'on remarque l’al- 
lure si tourmentée des strates qui encaissent cette gorge. 
Mais, de Mouthier à Ornans et au delà, cette rivière serpente 

‘à travers une dépression que tout démontre avoir été creusée 
par les eaux. Au-dessous de la terre végétale et du terrain de 
transport (fig. 29), on aperçoit, dans le fond de la vallée, 
l'oolite inférieure O0 qui, grâce à ses assises calcaires, a été à 
peine entamée par les agents d’érosion. A droite et à gauche 
s'élèvent des talus constitués par les marnes oxfordiennes 
OX, et ces marnes oxfordiennes sont surmontées de crêts 
coralliens C. Des deux côtés de la vallée, les strates des 
terrains oxfordien et corallien se montrent parfaitement hori- 
zontales et se maintiennent au même niveau avec une régu- 
larité remarquable. Sur les plateaux, à droite et à gauche, se 
placent en retrait les assises de l’oolite supéricure. 

Si plusieurs vallées d’érosion sont très voisines, ou si le 
cours d'eau qui a creusé une même vallée a successivement 
suivi plusieurs directions qui se croisent, il se produit, comme 
autant de fémoins d'anciens déblais, des cônes de dénudation. 

Dans le Jura, surtout dans sa partie nord-occidentale, on 
observe des cônes de dénudation dont nous dirons quelques 


2,107 2 


mots dans le chapitre suivant. Ces cônes présentent des 
caractères particuliers dus à leur constitution pétrographique ; 
ils ne sont pas exclusivement l'œuvre des petits cours d’eau 
qui circulent dans leur voisinage. Ils sont le résultat de l’en- 
semble des agents d'érosion qui fonctionnent à la surface du 


globe, et leur première formation remonte sans doute à 
l'époque où le Jura était à peine émergé. 


Erosions souterraines ; phénomènes d'effondrement ; consé- 
quences. — Le Jura, fissuré dans tous les sens et découpé par 
de nombreuses failles, est traversé intérieurement par des 
cours d'eau qui exercent souterrainement la même action 
destructive que les rivières à la surface du sol. Ces érosions 
intérieures contribuent au démantèlement du Jura, ainsi 
que nous le rappellerons à la fin de ce chapitre, et déterminent 
des accidents topographiques dont nous allons dire quelques 
_ mots. 

Les tassements du sol et les effondrements qui sont la con- 
séquence de ces érosions souterraines, se manifestent surtout 
dans quelques localités du Jura nord-occidental. Fournet 
cite les environs de Lons-le-Saunier comme une des localités 
les plus remarquables sous ce rapport. Cette ville est établie 
sur un calcaire jurassique supporté par des marnes argi- 
leuses et une formation salifère. Un premier effondrement 
eut lieu dans cette ville en 1703 ; d'autres événements du 

‘même genre s’y sont produits en 1712, 1738, 1792, 1814, 
1830 et 1849. On est naturellement porté à supposer, dit-il, 
qu'une sorte de fleuve souterrain circule sous la ville, et mine 
peu à peu les marnes. Ce qui donne d’ailleurs quelque appui 
à cette hypothèse, c’est que, pendant l’affaissement de 1792, 
les eaux, interceptées dans leur cours par la descente du sol, 
s'exhaussèrent en même temps au puits d'où l’on extrait l'eau 
salée qui alimente les salines de l'endroit. Il faut encore 
ajouter que, dans le même moment, à peu de chose près, et 
dans une commune de la basse plaine qui se trouve à trois 


— 493 — 
lieues vers le S.-0., un moulin disparut comme par enchan- 
tement ; cette corrélation autorise à croire que c’est dans le 
canal que furent engloutisile moulin et quelques maisons de 
la ville. 

« Jusqu'à présent, on a accordé assez peu d'attention aux 
effondrements que provoquent cà et là les actions dissolvantes 
ou délayantes des eaux. Cependant, en étudiant pas à pas les 
phénomènes, je suis arrivé à voir que le rôle de ces eaux est 
infiniment plus important qu'on ne l’a supposé. Non-seule- 
ment il faut attribuer à ces agents occultes la formation des 
ouvertures coniques et béantes désignées dans nos provinces 
sous le nom de gouffres, de gouilles, de gours, de pots, de puits 
naturels, de bétoirs, de bois-tout, d'anselmoirs et de scialets; 
mais encore il faut recourir à leur influence pour comprendre 
l'établissement de quelques lacs, les inflexions des diverses 
assises, et même le creusé de plusieurs vallées. 

» Certaines vallées présentent des caractères assez excep- 
tionnels pour qu'il soit impossible de les faire entrer dans les 
groupes des vallées de dislocation et des vallées d’érosion 
superficielle. Limitées latéralement dans les pays calcaires par 
des parois très abruptes, elles sont de plus terminées brusque- 
ment vers le haut par une sorte de cirque escarpé, sans issue, 
auquel les montagnards donnent assez ordinairement le 
nom très expressif de Bout-du-Monde. Ici donc, les formes 
adoucies de la rapure superficielle font défaut ; et, d’un autre 
côté, on ne comprend pas comment l'effet d’une dislocation 
se serait trouvé instantanément amorti au point de s’arrêter 
contre un haut plateau sans échancrure possible. Il faut 
ajouter que l’amphithéâtre de ces sortes de vallées est muni 
d’une source volumineuse du genre de celles que l’on peut 
désigner sous le nom de fontaines vauclusiennes (FourNET). » 

Après avoir ainsi mentionné les effets des cours d’eau sou- 
terrains, et donné la caractéristique des vallées d’effondrement, 
Fournet en décrit un exemple très intéressant, celui de la 
vallée du Cholet, près de Saint-Jean-en-Royans. Il cite 


— 494 — 


ensuite la vallée du Dorain, à Poligny. « Cette vallée est 
terminée brusquement par un amphithéâtre, sous le nom de 
Culée de Vaux. De même la Seille, à Baume, coule au fond 
d'un précipice entre des montagnes immenses, entre d’arides 
rochers, qui ne laissent apercevoir que la voûte des cieux. 
Ce vallon se termine également en fer à cheval, d’une hau- 
‘teur et d’un aplomb dont l'aspect excite une secrète mais 
invincible horreur. Les diverses sources de la Seille s'échap- 
pent en masses volumineuses de la branche droite, quand on 
est en face de la Culée. Pour sortir par l’amont de cette gorge, 
on a dû pratiquer, dans une scissure qu'on nomme les Echelles, 
des degrés rapides que les ânes et les mulets peuvent seuls 
escalader. Enfin la Culée de Gyzia, près de Cousance, est 
également l'image de celle de Vaux, quoiqu'elle soit plus 
large et plus éclairée ; mais, comme elle, on la voit terminée 
par une paroi verticale de deux cents mètres de hauteur. Un 
petit torrent intarissable s'écoule hors des talus d'éboulement 
placés au pied de ce mur coupé d'aplomb, et dans lequel on 
n'aurait pas même pour y monter la ressource des joints 
qu'on trouve dans une muraille ordinaire. Il a donc fallu 
ciseler dans la roche, et sur la gauche de la culée, un sentier 
par lequel on peut passer à cheval pour aller à Saint-Julien 
et à Gigny (FOouRNET). » 

Les effondrements correspondant aux vides souterrains 
produisent quelquefois à la surface du sol des cavités aux 
contours arrondis et simulant parfaitement des cratères ; de 
là le nom de cavités cratériformes qu'elles ont reçu. D’autres 
fois, ces cavités prennent des contours irréguliers, se placent 
les unes à la suite des autres et déterminent des accidents 
topographiques qu'on pourrait appeler des vallées sèches : en 
effet, elles ne sont pas dues au travail des eaux superficielles, 
et aucun ruisseau ne les arrose ; si ce ruisseau existe, il est 
caché à une profondeur plus ou moins grande, et il prend son 
écoulement à travers les débris de roches et les strates dislo* 
quées. 


— 495 — 


Lorsque les effondrements se produisent sur un point où le 
sol est marneux, les marnes disparaissent peu à peu dans les 
cavités souterraines. Les cavités superficielles qui en résultent 
se disposent alors en cônes renversés ou en entonnoirs régu- 
liers. Ces cavités s’observent fréquemment dans le voisinage 
ou sur le trajet des failles, et peuvent, comme nous l'avons 
dit, aider à constater leur existence. 


Phénomènes d’ablation; leur influence sur la répartition 
des terrains; puissance des terrains enlevés. — D'après les 
faits que nous avons rappelés dans ce chapitre, on voit que 
le Jura subit, depuis de longs siècles géologiques, l'influence 
des agents de dénudation. Ces agents ont déterminé l’abla- 
tion de masses considérables, dont il est aisé d'évaluer l’im- 
portance en tenant compte de ce qui a été dit sur la réparti- 
tion et la puissance des terrains dans le Jura. (Voir chap. 11 
et 111.) 

C’est dans le Jura occidental que les agents de dénudation 
ont produit leur maximum d'effet; en d’autres termes, c’est 
dans cette partie du Jura que l'épaisseur des terrains enlevés 
atteint son maximum. Sur les points où, comme au nord- 
ouest de Besancon, le lias est mis à découvert sur une 
grande étendue, la puissance totale des terrains disparus 
peut être évaluée à 500 mètres environ, en se tenant à égale 
distance des exagérations auxquelles les géologues se trouvent 
conduits suivant le point de vue auquel ils se placent dans 
leurs appréciations. 

À mesure que l'on se rapproche de la partie orientale du 
Jura, les effets des agents d’érosion vont en diminuant 
d'importance. Vers le haut Jura, sur les points où des lam- 
beaux de terrain miocène ont persisté, l'épaisseur des terrains 
enlevés n’est plus que de quelques mètres. 

Par conséquent, il est permis de se représenter la masse 
des terrains qui ont été détachés du Jura, par une nappe qui 
recouvrirait ce massif tout entier et dont l'épaisseur serait de 


— 496 — 
500 mètres dans le Jura occidental; cette épaisseur irait en 
diminuant vers l’est et finirait par n'être que de 50 ou 100 
mètres environ. 

Cette inégalité, dans l'atome des phénomènes de dénu- 
dation, s'explique aisément lorsqu'on se rappelle de quelle 
manière le soulèvement du Jura s’est opéré. Evidemment, 
les effets des agents d’érosion, pour un point quelconque du 
Jura, sont d'autant plus considérables que l'émergement de 
ce point remonte à une époque plus éloignée. Or, le soulè- 
vement du Jura à commencé par sa partie occidentale, et 
c'est cette partie du Jura qui, la première, a pénétré dans la 
zone d’agitation des eaux océaniennes; c'est elle aussi qui, la 
première, a été émergée. La diminution dans l'épaisseur de 
la nappe dénudée est donc, pour ainsi dire, la traduction ou 
la contre-partie d’un autre fait résultant du mode d'action 
des forces qui ont exhaussé le Jura. 

Nous avons sommairement décrit l'influence des agents 
extérieurs sur la constitution topographique du Jura. Quant 
à leur influence sur sa configuration générale, on peut s’en 
faire une idée en tenant compte des faits suivants. Admettons 
que la zone occidentale du Jura ait une altitude moyenne de 
7 à 800 mètres, il en résultera que cette altitude serait de 
12 à 1,300 mètres, sans l'intervention des agents de dénuda- 
tion. Nous avons évalué à 100 mètres environ l'épaisseur de 
la masse totale qui a disparu dans le haut Jura ; sans l'inter- 
vention de ces mêmes agents de dénudation, l'altitude 
moyenne du haut Jura, qui est actuellement de 15 à 1,600 
mètres, serait donc de 16 à 1,700 mètres. D'où cette conclu- 
sion : c’est que le Jura doit sa configuration à l'influence 
presque exclusive des forces intérieures. Tant que ces forces 
resteront à l’état de repos, le Jura conservera, sinon sa masse, 
du moins la forme générale qui le caractérise, car les agents 
d'érosion opèrent à sa surface d’une manière uniforme. 

Nous avons indiqué sommairement l'influence que les phé- 
nomènes d'érosion ont exercée sur la répartition des terrains 


— 497 — 


(voir Chap. 11). Ces phénomènes ont eu surtout pour résultat 
de faire disparaître la zone littorale de chaque formation, de 
sorte que les limites des terrains ne coïncident plus avec les 
rivages des mers qui les ont recus. On remarque, en outre, 
que l’action des agents d’érosion s'est fait sentir avec plus 
d'énergie sur les terrains marneux que sur les terrains cal- 
caires : aussi l'extension géographique des terrains calcaires, 
tels que l'oolite inférieure ou le terrain corallien, est-elle 
plus grande que celle des terrains marneux, tels que les 
marnes liasiques ou oxfordiennes. 

Jusqu'à présent, on n'avait pas apprécié à leur juste valeur 
l'importance des phénomènes d’érosion, ni leur influence sur 
la configuration et l'altitude des massifs montagneux. Dans 
ces derniers temps, par suite d’une réaction naturelle dont 
on trouve à chaque instant des exemples dans l'histoire de la 
science, il s'est formé une école de géologues (parmi lesquels 
nous citerons MM. Ebray, Magnan, Bleicher, G. Fabre, etc.) 
qui donnent à ces mêmes phénomènes une importance exa- 
gérée. 

« On a généralement, dit M. Magnan, négligé beaucoup 
trop jusqu'à présent l'étude des dénudations. Je suis certain 
que cette étude fera voir sous un jour nouveau la géologie: 
de la France. » Ce serait parfaitement exact si, avec M. Ma- 
gnan, on admettait, par exemple, que la mer crétacée infé- 
rieure recouvrait tout le plateau central, et que, sur certains 
points de ce plateau, il y a eu jusqu'à 1,600 mètres d’enlevés. 
C’est là une opinion que nous ne saurions adopter. 

Nous ne saurions admettre non plus, avec M. Bleicher, que 
l'épaisseur des couches enlevées est de 1,275 mètres sur les 
points des Vosges où le granite est mis à nu. En prenant pour 
point de départ cette évaluation, M. Bleicher arrive à cette 
conclusion que nous traiterions volontiers de paradoxale : 
« Il faudrait à la hauteur de nos montagnes granitiques (des 
Vosges) les plus élevées, ajouter 1,275 mètres de hauteur, ce 
qui ferait de nos sommets de 1,400 mètres, des pics de 2,675 


— 498 — 


mètres, comparables à ceux des Pyrénées et recouverts de 
neiges éternelles. Cette altitude plus grande pourrait expli- 
quer l'existence des grands glaciers du commencement de la 
période quaternaire ? » 


Démantèlement du Jura. — On peut, en se plaçant à un 
point de vue général, diviser l’histoire géologique du Jura en 
deux périodes distinctes par la nature des phénomènes qui 
se sont accomplis pendant chacune d'elles. 

La première période a été une période d'immergement et, 
par conséquent, une période de construction, c'est-à-dire d’ap- 
port et de dépôt de matériaux destinés à l'édification du Jura. 
C'est alors que se sont constituées les strates dont il se com- 
pose et qui appartiennent aux terrains triasique, jurassique 
et, crétacé. 

La seconde période, comprenant le temps qui s'est écoulé 
depuis le commencement de la période tertiaire jusqu'à nos 
jours, a été une période d’émergement ou de destruction. Dès 
lors, le Jura a joué, par rapport aux régions voisines, le rôle 
de centre de soulèvement; dès lors, aussi, il a été soumis, 
d'une manière complète et continue, à l'influence des agents 
d’érosion et de dénudation. Si sa masse s’est accrue de quel- 
ques lambeaux de terrain tertiaire et de la zone superficielle 
des formätions quaternaires, en revanche, il n’a pas cessé 
d'être soumis à des actions destructives, tantôt lentes, mais 
incessantes; tantôt temporaires, mais douées d’une grande 
énergie, — les unes et les autres opérant comme si elles 
avaient pour mission d'amener la disparition du Jura. 

Les phénomènes qui ont attiré notre attention dans ce cha- 
pitre, persisteront jusqu'à ce que tout le Jura ait disparu. On 
peut, en effet, prévoir que, dans un avenir certain, mais très 
éloigné, ce massif finira par être nivelé. Sa structure et sa 
composition favorisent cette œuvre de destruction qui se ma- 
nifeste avec bien moins d'énergie dans d'autres massifs mon- 
tagneux, formés de roches siliceuses ou silicatées, c’est-à-dire 


— 499 — 


plus réfractaires à l'influence des agents atmosphériques que 
les calcaires. Ceux-ci se prêtent aisément à l’action décompo- 
sante exercée sur eux par l'acide carbonique que l’eau des 
sources, de la pluie ou des ruisseaux contient toujours en 
dissolution. Les marnes, également sujettes à subir l’action 
dissolvante de l'acide carbonique, sont en outre très délaya- 
bles. Et, comme elles alternent avec les calcaires, leur dispa- 
rition active celle des calcaires placés au-dessus d'elles. Ces 
effets se manifestent sur le trajet des cours d’eau souterrains, 
aussi bien qu’à la surface du sol. 

À mesure qu'un horizon géognostique disparaîtra, Ponen 
du pays éprouvera quelque changement. C'est ainsi que la- 
blation du terrain jurassique aura pour résultat d'amener au 
jour d'autres terrains placés au-dessous du terrain jurassique 
lui-même, et s’en distinguant, ainsi que je l'ai déjà dit, par 
leur constitution pétrographique. On pourrait donc prévoir 
le moment où non seulement le Jura aura disparu, mais où 
l'aspect du pays et la nature du sol seront complètement 
changés. Mais il est inutile d'insister sur ces considérations 
relatives à un avenir, même géologiquement, si éloigné. Si 
nous les formulons, c'est afin de donner une idée exacte des 
phénomènes géologiques, plutôt que pour prévoir quel avenir 
est destiné au Jura. 

D'ailleurs, ce serait se tromper sur la nature essenâelle des 
agents atmosphériques que de ne voir, dans leur manière 
d'opérer, qu'une influence exclusivement destructive. Ils 
jouent un autre rôle, qui est aussi d’une grande importance, 
lorsqu'ils contribuent à imprimer à toutes les contrées, et au 
Jura en particulier, la configuration qui les caractérise. 

Les forces intérieures, toujours en lutte avec les agents de 
dénivellation, pourront sans doute modifier, dans un sens ou 
dans un autre, les prévisions que nous venons de formuler. 
Si le Jura s'affaisse, il pourra être une autre fois recouvert 
par les eaux océaniennes, et de nouveaux dépôts viendront 
recouvrir ceux qui existent déjà ; ils les mettront, pour un 


_ 


— 900 — 


temps indéterminé , à l'abri d’une destruction ultérieure. Si, 
au contraire, le Jura subit un nouvel exhaussement, l’œuvre 
de destruction en sera activée. 

Cet ensemble d'actions destructives constitue un phéno- 
mène que nous désignerions volontiers sous le nom de dé- 
mantèlement du Jura. Sous un certain rapport, on peut dire 
que le Jura est une forteresse que l'ennemi fait tomber lam- 
beaux par lambeaux. Les terrains dont se compose le Jura 
disparaissent les uns après les autres, et leur ablation s'opère 
avec d'autant plus d'activité qu’ils appartiennent à un niveau 
plus élevé dans la série géologique. C’est ainsi que la vaste 
nappe, qui s'était déposée au fond de la mer de la craie blanche, 
n'est plus représentée sur le Jura que par trois ou quatre lam- 
beaux insignifiants. 

Bien que le Jura aille en diminuant sous l'influence des 
agents atmosphériques, on ne peut le comparer à un édifice 
en ruines. C’est plutôt un monument que la nature se plaît à 
modifier sans cesse, tout en diminuant les proportions sur 
lesquelles elle l'avait d’abord établi, L'ordonnance de l'édifice 
peut changer, mais il ne porte aucune trace de vétusté. 


— 501 — 


CHAPITRE X 


COMMENT LE JURA A PRIS SA CONFIGURATION GÉNÉRALE. — SA 
CONSTITUTION TOPOGRAPHIQUE ; SES CARACTÈRES DISTINCTIFS 
COMME RÉGION NATURELLE. 


Le Jura pendant les périodes antérieures à l'époque éocène ; 
émergement de la Serre. — Dans ce chapitre, nous nous pro- 
.posons d’abord d’esquisser à grands traits l’histoire géologique 
du Jura, et de montrer comment il a pris peu à peu sa confi- 
guration actuelle ; nous essaierons ensuite de donner une 
idée sommaire de sa constitution topographique, et nous indi- 
querons en peu de mots ses principaux Caractères comme ré- 
gion naturelle. 

Pendant la période paléozoïque, le Jura a fait partie d’un 
vaste continent qui comprenait toute la région des Alpes et 
le plateau central. Aucune strate ne s’y est déposée pour con- 
server la trace de quelques-uns des événements géologiques 
qui s'y sont accomplis. Pendant la période permienne, toute 
la partie septentrionale du Jura s’est affaissée et a été envahie 
par les eaux océaniennes. 

Au commencement de la. période triasique, l’affaissement 
du sol, qui ne s'était d’abord produit que sur une faible partie 
du bassin jurassien, s’est étendu au bassin tout entier dont 
l'envahissement par les eaux océaniennes a été complet. 
Pourtant, dès cette époque, un bombement du sol existait 
autour de la Serre; il résultait, selon nous, de la première 
manifestation du phénomène qui devait, en dernier lieu, avoir 
pour conséquence l'apparition du Jura au milieu du bassin 
jurassien. Le petit centre de soulèvement de la Serre a été 
pour le Jura comme une pierre d'attente contre laquelle devait 
s'appuyer le futur édifice constitué par ce massif montagneux. 


— 502 — 


Pendant toute la période jurassique et presque toute la pé- 
riode crétacée, le Jura continue à rester sous les eaux. IL 
éprouve un émergement momentané pendant les périodes 
correspondant au dépôt du terrain lacustre supra-oolitique, 
de la craie tufau et du terrain à hippurites. Le bomhement du 
sol correspondant à la Serre prend plus d'importance et s'ac- 
croît de toute la partie occidentale du Jura. Ce bombement 
du sol forme un plateau sous-marin, et peut-être un premier 
émergement définitif s’y manifeste-t-il dans sa partie voisine 
de la Serre elle-même. 

La figure 30, de même que les trois figures suivantes, est 
un diagramme traversant le Jura dans sa partie centrale, de 
l'ouest à l'est. Elle représente le Jura pendant l’époque juras- 
sique. Gelui-ci est entièrement recouvert par les eaux indi- 
quées par des traits horizontaux; le sol sous-marin est un 
peu bombé vers sa partie occidentale ; sur le second plan 
s'élèvent les Vosges ayant, à peu de chose près, leur altitude 
actuelle. 

Vers la fin de la période crétacée, le bassin jurassien à 
subi un émergement qui a persisté jusqu’à la fin de la période 
éocène, excepté pour une zone étroite correspondant à la partie 
des Alpes la plus voisine de la plaine helvétique. Cette zone 
étroite a été occupée par la mer nummulitique. A l’époque 
où cette mer existait, le Jura et tout le bassin jurassien for- 
maient un vaste plateau doucement incliné du nord-ouest 
vers le sud-est, et s'étendant depuis les Vosges et le Morvan 
jusqu’à la mer qui occupait alors une partie de l'emplacement 
des Alpes. 


Le Jura pendant l'époque éocène supérieure ; émergement 
définitif de sa partie occidentale. — L'histoire géologique du 
Jura, considéré comme formant une région distincte des con- 
trées voisines, ne commence, en réalité, que vers le milieu 
de la période éocène. C'est, en effet, de ce moment que date 
la première manifestation des deux impulsions qui ont per- 


— 503 — 


sisté jusqu'à la fin de la période pliocène et qui, en étant di- 
rigées en sens contraire, ont eu pour résultat, l’une d’ex- 
hausser de plus en plus le Jura, l’autre d'abaisser les régions 
voisines. 

C’est à la fin de la période nummulitique proprement dite, 
ou vers le milieu de la période éocène, que le Jura, ainsi que 
nous venons de le dire, a commencé à se séparer des contrées 
environnantes. Alors un vaste lac, de forme très irrégulière, 
est venu envahir toute la région s'étendant, entre les Alpes et 
le plateau central, depuis le midi de la France jusqu'en 
Suisse. Ce lac recouvrait toute la plaine helvétique, une partie 
de la vallée de la Saône et le Jura méridional. Le restant du 
Jura formait une presqu'île peu élevée au-dessus des eaux 
voisines et se rattachant au massif vosgien. 

La figure 31 représente le Jura pendant la période éocène 
supérieure. À droite et à gauche se trouve le grand lac dont 
nous venons d'indiquer l'étendue ; le massif vosgien continue 
à se montrer sur le second plan. | 

L'absence, dans presque tout le Jura, de formations se 
rattachant aux terrains tongrien et falunien inférieur, nous 
permet de penser que, pendant les périodes correspondant au 
dépôt de ce terrain, le Jura a continué à s'élever au-dessus 
des régions voisines. Peut-être même a-t-il pris une altitude 
_ plus grande et les failles ont-elles commencé à se dessiner 
dans sa partie occidentale. 

Ces mouvements du sol et ces phénomènes dynamiques ont ‘ 
été accompagnés des premières émissions sidérolitiques; pro- 
bablement, des émissions semblables ont coïncidé avec les 
soulèvements du sol et les dislocations qui se sont produits 
pendant les époques suivantes. 


Période miocène ; soulèvement du Jura occidental; appa- 
rition des failles. — Pendant la période falunienne supé- 
rieure, le Jura constituait une presqu ile à forme allongée 
qui se détachait du massif vosgien en s’avançant au milieu 


— 504 — 


des eaux de la mer de la mollasse. Cette mer occupait toute 
la Suisse ; elle communiquait, à l’est, avec la mer miocène de 
la vallée du Danube, et, au sud-ouest, avec la Méditerranée de 
la même époque. Elle recouvrait une faible partie de la région 
des Alpes et toute la zone orientale du Jura. Elle contournait 
le Jura méridional et remontait le long de la vallée de la 
Saône, en formant un golfe qui se prolongeait sans doute 
jusqu’au pied de la Serre. 

La presqu'ile jurassienne occupait DR dela zone 
occidentale du Jura, zone dont le soulèvement et l'émerge- 
ment définitifs peuvent être considérés comme remontant au 
commencement de la période crétacée, mais qui, jusqu'alors, 
s'était confondue avec les régions voisines. Elle formait un 
plateau qui, sans doute, s’inclinait doucement vers l’est, pour 
disparaître sous les eaux de la mer falunienne helvétique. 
Vers l’ouest, ce plateau était limité par une falaise que venaient 
baigner les eaux du golfe bressan, et qui a persisté jusqu'à 
notre époque en s’exhaussant de plus en plus. 

Le Jura avait encore une faible altitude. Il était sillonné de 
failles dont l'apparition avait sans doute coïncidé avec la fin 
de la période éocène, et qui ont été en s’accentuant davantage 
pendant toute la période miocène. Elles avaient alors un faible 
rejet et leur dénivellation s'était effectuée de telle sorte que 
leur bord supérieur se trouvait du côté francais et non, 
comme on l'observe actuellement, du côté suisse. 

La figure 32, qui reproduit les diverses circonstances que 
nous venons de rappeler, montre ce qu'était le Jura pendant 
la période de la mollasse ; il est limité, à l’ouest, par le golfe 
bressan, à l’est, par la mer helvétique qui occupe la moitié de 
son emplacement actuel; sur le second plan, apparaissent les 
Vosges et la Serre. 

Epoque pliocène ; soulèvement du Jura oriental ; apparition 
des soulèvements en voûte. — Vers le commencement de la 
période pliocène se sont accomplis les derniers événements 


| 


= 505: — 

qui ont imprimé au Jura sa configuration générale actuelle. 
Alors, la mer miocène a disparu du bassin jurassien et l’émer- 
sement du Jura a été définitif et complet. Alors, aussi, toute 
sa masse à subi un exhaussement général, mais cet exhausse- 
ment a été beaucoup plus énergique dans sa partie orientale 
que dans sa partie occidentale, de sorte que l’on peut dire que 
l'apparition de la zone orientale date du commencement de 
la période pliocène. 

Déjà, pendant la période pliocène, le Jura avait, à peu de 
chose près, sa configuration actuelle; décrire ce qu'il était 
alors, ce serait dire ce qu'il est aujourd’hui. Il constituait, 
comme de nos jours, un plateau incliné de l’est vers l’ouest, 
et il avait la forme arquée qui le caractérise. Les soulèvements 
en voûte de la zone orientale venaient de s’édifier, ainsi que 
ceux qui existent en plus petit nombre dans la zone occiden- 
tale; avec l'apparition de ceux-ci avait coïncidé celle des 
soulèvements hémiédriques. Les failles avaient acquis tout 
leur relief. Remarquons, enfin, que les agents d’érosion 
avaient produit, non pas la totalité, mais une grande partie des 
effets dont le Jura porte la trace. Les principaux traits du 
régime hydrographique étaient dessinés, les lignes anticli- 
nales séparant les principaux bassins avaient à peu près leur 
direction actuelle. La principale différence entre l’état des 
choses pendant la période pliocène et pendant l’époque 
actuelle, était due à la présence de quelques lacs intérieurs, 
un peu plus grands que ceux qui existent actuellement et 
contemporains du grand lac bressan. ; 

La figure 33 représente le relief du Jnra pendant la période 
pliocène; ce relief est celui qu'il a conservé jusqu'à notre 
époque. À droite se développe la plaine helvétique définiti- 
vement émergée ; à gauche, le Jura est baigné par le lac bres- 
san qui s'étend jusqu à la Serre. 


Le Jura pendant la période quaternaire. — Surélévation de 
la partie méridionale. — Peu de changements se sont mani- 
33 


— 506 — 


festés dans le Jura au moment où la période quaternaire a 
commencé. La disparition du lac bressan a été la conséquence 
d'un phénomène de comblement plutôt que d'un exhausse- 
ment du sol. Tout au plus peut-on admettre un léger exhaus- 
sement de la partie méridionale du Jura à la suite des actions 
dynamiques que M. Elie de Beaumont a personnifiées dans le 
système des Alpes Principales. Ce léger exhaussement a pu 
être accompagné, mais seulernent dans le Jura méridional, 
d'une faible dénivellation des failles et, peut-être aussi, d’un 
accroissement dans la courbure des soulèvements en voûte. 

Ce que nous avons constaté, dans l'Etude précédente, à 
propos de la configuration générale du bassin jurassien au 
commencement de l’ère jovienne, est également vrai de la 
contrée qui a fait l'objet spécial de cette Etude. Et ce que nous 
venons de dire de l'état des choses pendant la période pliocène 
s'applique, à plus forte raison, à la période quaternaire. 

Dès le commencement de la période quaternaire, le Jura 
était ce qu'il est aujourd'hui. Dès lors il présentait un plan 
doublement incliné vers l'ouest et vers le nord, et sa forme 
générale était celle d'un croissant dont la concavité se dirigeait 
vers les Alpes. Les régions basses qui l'entourent, c’est-à- 
dire la Suisse, la vallée du Rhin et le bassin de la Saône, 
déterminaient une surface plane au-dessus de laquelle, 
ainsi que de nos jours, il s'élevait comme un vaste bas-relief. 
Les mêmes failles, qui maintenant le divisent en fragments 
prismatiques soudés les uns aux autres, existaient déjà, ainsi 
que les saillies de terrain qui accidentent sa surface et les 
soulèvements en voûte qui impriment à sa constitution topo- 
graphique un cachet particulier. Chaque montagne avait sa 
forme et son altitude actuelles ; le sol était sillonné par les 
mêmes Cours d'eau que nous voyons couler sous nos yeux. 
Les seuls changements qui datent de la période quaternaire, 
et qu'un examen attentif conduirait à reconnaître, résultent 
des phénomènes d'érosion qui se sont manifestés avec tant 
d'énergie pendant les deux époques glaciaires. Pour faire 


VS = 


comprendre d’un mot notre pensée, nous dirons, par exem- 
ple, que le creusement, sinon la première formation de la 
vallée de la Loue, date du moment où les courants dilu- 
viens ont pris toute leur importance. 

Le Jura n’a pas subi de changements, dans son modelé, 
depuis le commencement de l’ère jovienne, parce que depuis 
lors il n'a pas été soumis à l'influence des agents intérieurs. 
On serait porté à penser que, lorsqu'une région quelconque 
a pris la structure intérieure et la configuration qui la carac- 
térisent, elle devient réfractaire à toute nouvelle action qui 
voudrait s'exercer sur elle. Peut-être aussi une période de 
repos doit-elle succéder à une période d'activité ; peut-être les 
forces intérieures, après avoir fonctionné dans une contrée 
pendant un temps plus ou moins long, sont-elles sujettes à se 
déplacer et à transporter ailleurs leur centre d'action. 


Constitution topographique du Jura ; influence des agents 
atmosphériques. — Les causes qui donnent à une contrée 
quelconque sa constitution topographique et qui lui impri- 
ment le relief et le modelé général qui lui appartiennent, 
sont au nombre de trois : 

1° Les agents atmosphériques ou extérieurs, c’est-à-dire les 
divers phénomènes qui ont leur siége dans l'atmosphère ou à 
la surface du globe ; 

2° La nature pétrographique des terrains qui entrent dans 
la composition du sol et qui se montrent à découvert; 

3° Les actions dynamiques auxquelles l'écorce terrestre 
obéit et dont la contrée que l’on étudie a subi l'influence. 

Les agents atmosphériques jouent un rôle pour ainsi dire 
négatif, en ce sens qu'ils tendent à annihiler les effets des agents 
intérieurs. Leur intervention donne lieu à une puissante 
action nivellatrice ; ils tendent à effacer les angles saillants 
correspondant aux montagnes et à combler les angles rentrants 
correspondant aux vallées et aux dépressions du sol. Pourtant, 
on aurait tort de prétendre que l'influence des agents atmo- 


— 508 — 


sphériques sur !la constitution topographique d'un pays est 
nulle. Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment 
les agents d’érosion peuvent creuser des vallées plus ou 
moins profondes et isoler des masses assez importantes pour 
recevoir quelquefois, surtout dans les pays de plaines, le nom 
de montagnes. Nous croyons qu'il est inutile d’insister à ce 
sujet, d'autant plus que les agents atmosphériques fonction- 
nent partout de la même manière ; ils ont opéré et opèrent 
dans le Jura comme dans les autres contrées. Nous n’aurions 
rien de particulier à signaler en ce qui les concerne, quelle 
que fût d’ailleurs l'importance de leurs effets. Ce qui devrait 
attirer surtout notre attention, si nous pouvions donner à 
cette Etude plus d’étendue, ce ne serait pas le jeu lui-même 
des agents atmosphériques, mais la manière dont ce jeu s’est 
combiné avec la nature des terrains et les actions dynamiques. 


Influence exercée par la nature des terrains sur la confi- 
guration du sol. — La nature des terrains exerce sur la con- 
stitution topographique d’un pays une influence en quelque 
sorte passive, mais réelle. Les mêmes agents intérieurs ou 
extérieurs produisent des effets différents, suivant qu'ils 
s’exercent sur des terrains meubles, sur des masses graniti- 
ques, ou sur des roches régulièrement stratifiées. 

Une masse, homogène quant à sa composition pétrographi- 
que, peut l'être aussi quant à sa dureté et à sa texture; d’où 
il résulte que les agents extérieurs opèrent sur elle d'une 
manière uniforme. Si cette masse est une roche tendre, faci- 
lement désagrégeable, le sol prend des formes mamelonnées ; 
il présente des pentes très douces et les cours d'eau dessinent 
des lignes sinueuses et mollement arrondies. C’est ce que l’on 
observe dans certains pays granitiques, tels que le Limousin ; 
mais C'est ce que l’on constate surtout dans les contrées à sol 
marneux ou argileux, et dans les parties du Jura où apparais- 
sent les marnes liasiques ou oxfordiennes. Mais, dans le Jura, 
les terrains marneux ont été fortement dénudés ; ils se mon- 


— 509 — 


trent presque toujours en affleurements : aussi le sol n’y pré- 
sente-t-il que sur de faibles étendues les caractères que nous 
venons d'indiquer. 

Si la roche est résistante, elle offre presque constamment 
des fentes que les agents d’érosion creusent de plus en plus. 
C'est ainsi que se produisent les crevasses et les gorges pro- 
fondes à parois verticales, qui accidentent les contrées juras- 
siqües; c'est également ainsi que les’ bancs calcaires, qui 
recouvrent les plateaux ou couronnent le sommet des monta- 
gnes de ces contrées, se montrent divisés, par des fissures 
verticales, en masses prismatiques de toutes les dimensions. 

Si une roche, homogène quant à sa composition pétrolo- 
gique, offre des parties d'inégale résistance à l’action des agents 
atmosphériques, les parties facilement désagrégeables sont les 
premières entraînées et laissent en place les parties les plus 
résistantes. Evidemment, la configuration du sol dépend alors 
de la forme des parties qui ont persisté et reste, comme elle, 
complètement soumise au hasard. Parmi les roches qui se 
prêtent le mieux à recevoir les formes irrégulières et variées 
auxquelles nous faisons allusion, se trouvent quelques cal- 
caires (notamment les calcaires portlandiens du Jura), les 
granites et surtout les dolomies. 

Les roches dolomitiques entrent pour une part importante 
dans la composition du terrain jurassique du versant méri- 
dional des Alpes, du midi de la France et de l'Algérie. Le 
grand développement de ces roches imprime quelquefois au 
paysage de ces contrées un aspect particulier. Elles prennent, 
sous l'influence des agents atmosphériques, les formes les plus 
bizarres, rappelant vaguement celles de colonnes, d’obélis- 
ques, d’arceaux, de tours en partie écroulées, d’édifices en 
ruine. Le voyageür, qui aperçoit de loin ces rochers dolomi- 
tiques, ou qui se dirige à travers les couloirs qu'ils laissent 
entre eux, croit voir une ville en ruines ; lorsque ces rochers 
sont placés sur le flanc ou le sommet d’une montagne, leur 
ensemble prend l'aspect d’une forteresse démantelée. 


— 910 — 


Les roches dolomitiques établissent une différencé très 
nette, sous le rapport de la composition du sol, entre les ré- 
gions jurassiques du midi et celles du nord de l'Europe. On 
peut dire qu'elles manquent complètement dans le Jura, car 
les dolomies du keuper, et la couche dite « dolomie portlan- 
dienne, » sont tout simplement des calcaires magnésiens et 
non de véritables dolomies : d’ailleurs les dolomies du keuper 
affleurent sur très peu de points, et la dolomie portlandienne 


forme une simple couche épaisse à peine de deux à trois 
mètres. 


Influence des alternances d'assises marneuses et d'assises 
calcaires. — La constitution topographique du Jura est 
surtout en relation avec la manière dont s’opèrent régulière- 
ment les alternances des roches marneuses et des roches 
calcaires. Ces alternances, qui ont déjà attiré notre attention, 
s’observent surtout dans les terrains jurassique et crétacé, 
c'est-à-dire dans les terrains que l’on rencontre presque con- 
stamment à la surface du Jura. 

D'après ce que nous venons de dire, on comprend que le 
relief du sol ne soit pas le même sur les points où existent des 
marnes et dans les localités où le sol est calcaire. Nous avons 
déjà dit pourquoi cette opposition ne pouvait pas être con- 
statée sur de grandes étendues. Mais le contraste, entre les 
terrains marneux et les terrains calcaires, apparaît avec toute 
sa netteté dans le sens vertical. On l'observe notamment 
lorsque l’on suit de l’œil la silhouette dessinée par le flanc 
des collines, des montagnes et des plateaux. Cette silhouette 
présente une ligne brisée formée de parties alternativement 
verticales et plus ou moins inclinées par rapport à l'horizon. 
Les lignes verticales correspondent aux terrains calcaires et 
les lignes plus ou moins inclinées aux terrains marneux. 

Le degré d'inclinaison, dans ce dernier cas, dépend de la 
plus ou moins srande cohérence des marnes, et, si ces marnes 
sont cimentées ou pénétrées de lits de rognons calcaires, le 


— 911 — 


degré d’inclinaison augmente. C'est ainsi que, dans le terrain 
oxfordien, on peut distinguer, à distance, les trois zones dont 
il se compose. La zone supérieure, exclusivement calcaire 
et correspondant au calcaire oxfordien, est verticale. La zone 
moyenne, correspondant à l’assise dite des rognons oxfordiens, 
est formée d'éléments marneux alternant avec des éléments 
calcaires ; elle est assez fortement inclinée, tandis que la zone 
inférieure, exclusivement marneuse, l'est beaucoup moins. 
À la suite de ces trois zones se montre la ligne horizontale 
correspondant à l'oolite inférieure. 

Parmi les accidents topographiques résultant de la manière 
différente dont les agents atmosphériques opèrent sur les 
marnes et les calcaires, nous mentionnerons les plateaux 
plus ou moins étendus se terminant par des crêts coupés à 
pic qui surmontent des abruptes marneux. Les vallées 
formées exclusivement par voie d’érosion, comme celle de la 
Loue, sont aussi des accidents topographiques du même 
ordre. Nous mentionnerons, enfin, les chapiteaux calcaires 
supportés par des soubassements marneux. Ces chapiteaux, 
très nettement caractérisés, s'observent fréquemment dans la 
partie nord-occidentale du Jura. Maïs, comme il existe deux 
principaux horizons marneux, le lias et le terrain oxfordien, 
il y a lieu de distinguer les chapiteaux oolitiques, correspon- 
dant aux marnes liasiques, tels que celui de Pouilley-les- 
Vignes, et les chapiteaux coralliens, correspondant aux 
marnes oxfordiennes, tels que ceux de Montrond, de Mérey- 
sous-Montrond, de Tarcenay, etc., appartenant à une même 
région qui accompagne la rive droite de la Loue. Un des 
exemples les plus remarquables de ces collines à chapiteaux 
coralliens nous est fourni par le Mont-Rivel, qui s'élève au 
nord-est de Champagnole et a la forme d'un prisme triangu- 
laire posé sur une de ses bases (1). 


(1) « Ces caractères topographiques se retrouvent pour les mêmes 
terrains dans le Yorkshire. L'Oxford-clay, 12 calcareous-gril inférieur, 


— 912 — 


Les accidents stratigraphiques que nous venons de men- 
tionner s'observent surtout dans la zone occidentale du Jura. 
Dans la zone orientale, la nature des terrains a manifesté son 
influence en imprimant aux soulèvements en voûte leurs 
formes variées. Tous ces accidents topographiques qui com- 
pliquent l’aspect d’un soulèvement, ces crêts, ces dômes, ces 
abruptes, sont le résultat des alternances des marnes et des 
calcaires ; nous devons reconnaître en eux l'influence de la 
constitution pétrographique du sol. 

Influence des actions dynamiques ; tremblements de terre. 
— Nous savons que, dans le Jura, les actions dynamiques 
se sont manifestées principalement en produisant des failles 
et des soulèvements en voûte. Nous nous sommes occupé de 
ces accidents avec assez de développements pour que nous 
n'ayons rien à ajouter ici en ce qui les concerne. 

Qu'il nous suffise de répéter que les soulèvements en voûte 
constituent les principaux accidents stratigraphiques et oro- 
graphiques du Jura qu’ils contribuent, mieux que tout autre, 
à caractériser, surtout dans sa partie orientale; ils s’y mon- 
trent avec une netteté qui, depuis longtemps, leur a valu 
l'attention des géologues. 

Quant aux failles, leur principal effet a été, ainsi que nous 
l'avons dit plusieurs fois, de découper, par leur entrecroise- 
ment, la masse du Jura en fragments prismatiques portés à 
des niveaux différents. De là cette disposition en gradins que 
présentent les plateaux du Jura en s’échelonnant les uns à la 


et le coral-rag, termes correspondants des trois terrains oxfordiens, 
corallien inférieur et corallien supérieur, y constituent ce que M. Phi- 
lipps nomme les collines oolitiques tabulaires où à plateaux, qui, dit-il, 
forment un des traits les plus remarquables de l'orographie du Yorkshire 
oriental. L'Oxrford-clay, avec le Kelloway rock qui le supporte et le cal- 
careous-grit qui le recouvre, forment les pentes et la base des collines à 
plateaux, tandis que l'oolite corallienne et le calcareous-grit supérieur 
forment le sommet et le bord du plateau. » (D'Arcuiac, Hisé. Prog. Géol., 
t.. VI, p. 46). 


— 513 — 


suite des autres, de l’ouest à l’est. Toutefois, ces différences 
de niveau sont peu sensibles, parce que les agents atmosphé- 
riques ont toujours tendu à effacer les saillies du sol. C'est 
pour cela que, dans les lignes du paysage, il est souvent dif- 
ficile d'indiquer le point précis où passe une faille dont l'exis- 
tence est pourtant connue. Les failles ont bien porté à une 
certaine hauteur les masses dont se composent les montagnes; 
mais ce ne sont pas elles qui les ont façonnées : elles ont tiré 
le bloc de marbre de la carrière, mais elles ne l'ont pas mo- 
delé. 

La question relative à l'influence des forces intérieures sur 
le relief du Jura nous fournit l’occasion de dire quelques 
mots des tremblements de terre et du rôle qu'ils ont joué 
jadis dans le Jura. 

On sait que le caractère essentiel du mouvement séismi- 
que, celui qui le distingue des autres mouvements qui affec- 
tent la croûte du globe, c'est d'imprimer à l'écorce terrestre, 
tantôt sur un point, tantôt sur un autre, des vibrations après 
chacune desquelles cette écorce a rarement subi un déplace- 
ment quelconque. Aussi les tremblements de terre n'exer- 
cent-ils qu'une très faible influence sur la structure de l'é- 
corce terrestre et sur sa configuration extérieure. 

Il serait puéril, en effet, d'admettre par exemple que de 
petits soulèvements, semblables à ceux qui se produisent 
quelquefois sur les côtes du Chili après les tremblements de 
terre, aient pu à la longue déterminer la formation des chaînes 
de montagnes. Supposer que le mouvement séismique a pos- 
sédé, à certaines époques, assez d'énergie soit pour soulever 
des masses aussi puissantes que les Andes et les porter à leur 
altitude actuelle, soit pour déterminer ces soulèvements dont 
les strates du massif alpin nous présentent des exemples sur 
une si large échelle, c’est invoquer une cause qui n'offre au- 
cune analogie, sous le rapport de son intensité comme de son 
mode de manifestation , avec le mouvement séismique tel 
qu'il nous est donné de l’observer ; c’est se mettre dans l'o- 


— 514 — 


bligation de donner à ce mouvement, ainsi transformé, une 
tout autre désignation. . 

« On a essayé, dit M. Elie de Beaumont, d'expliquer par la 
répétition prolongée des effets lents et continus que nous 
voyons se produire sur la surface du globe, l’ensemble des 
phénomènes qui s’observent dans les pays de montagnes; 
mais on n’est parvenu, de cette manière, à aucun résultat 
complètement satisfaisant. Tout annonce, en effet, que le re- 
dressement des couches d’une chaîne de montagnes est un 
événement d'un ordre différent de ceux dont nous sommes 
journellement les témoins, Chaque chaînon de montagnes 
présente généralement, dans sa structure individuelle, un ca- 
ractère d'unité qui dénote l'action d’une cause unique et in- 
stantanée. » 

Ce ne sont donc pas les secousses séismiques qui ont eu 
pour résultat et le soulèvement du Jura, et les dénivellations 
de ses failles, et l'édification de ses soulèvements en voûte. 
Toutefois, on aurait tort de penser que les tremblements de 
terre ne sont jamais venus visiter ce massif montagneux. 


Pendant la période quaternaire, le plateau central de la 


France et l’Eifel, sur les bords du Rhin, constituaient deux 
contrées où les phénomènes volcaniques se manifestaient 
avec énergie; de ces deux contrées partaient des ondes séis- 
miques qui atteignaient le Jura et qui, en s'y rencontrant, 
devaient déterminer de très fortes secousses. L'exhaussement 
du massif alpin, l'apparition des soulèvements en voûte dans 
- le Jura oriental, la dénivellation des failles, les phénomènes 
sidérolitiques, ont été certainement accompagnés de secousses 
séismiques. 

Ces secousses séismiques ont été la cause occasionnelle 
d'accidents secondaires destinés à ne persister que pendant 
très peu de temps. En ébranlant l'écorce terrestre, ils ont pu 
détruire l'équilibre des masses dont elle se compose, hâter les 
effondrements souterrains, ou déterminer l'éboulement de 
montagnes déjà fissurées. 


— 515 — 


Lignes du paysage dans le Jura. — Dans le Jura oriental, 
les lignes qui dominent, ce sont les courbes plus ou moins 
régulières correspondant aux soulèvements en voûte. Dans le 
Jura occidental, ce sont des lignes ordinairement droites, 
tantôt horizontales, lorsqu'elles correspondent à la surface 
des plateaux, tantôt verticales, ou formées d'éléments rectili- 
gnes verticaux ou faiblement inclinés, lorsqu'elles dessinent 
les flancs des plateaux ou des montagnes. Quoi qu'il en soit, 
dans le Jura, les lignes du paysage sont remarquables par 
leur simplicité, nous dirions même par leur placidité. Il en 
résulte que, dans le détail comme pour l’ensemble, on re- 
trouve la même opposition que nous avons signalée, sous le 
rapport des formes orographiques, entre les Alpes et Le Jura. 
Lorsque les roches et les montagnes du Jura présentent des 
formes coniques ou plus ou moins accidentées, ce-n'est que 
dans des conditions exceptionnelles. 

Comme exemple de ces conditions exceptionnelles, nous 
citerons, dans le plissement en V de Chapelle-des-Buis, les 
strates appartenant à la branche verticale du V. Le mouve- 
ment qui les a redressées et renversées, les a, en même temps, 
fracturées et disloquées; sous l'influence des agents atmo- 
sphériques, elles ont achevé de se morceler. Leur silhouette 
dessine une crête déchiquetée, à forme alpine, selon l'expres- 
sion de Pidancet. C’est ce que l’on peut observer entre Beure 
et Arguel, entre Morre et Chapelle-des-Buis. Sur d'autres 
points du Jura, la même cause donne origine aux mêmes 
accidents topographiques. 

Certaines montagnes coniques doivent leur aspect à la cir- 
constance suivante. Nous avons parlé des formes tabulaires 
ou prismatiques qui résultent de la superposition de massifs 
calcaires plus ou moins puissants au-dessus de couches mar- 
neuses. Dans ce cas, le massif calcaire est limité par deux 
lignes se coupant à peu près à angle droit; l’une verticale et 
l'autre horizontale. Admettons que cette masse prismatique 
vienne à éprouver un mouvement de bascule qui ait pour ré- 


VOVEFRES 


— 16 — 
sultat d'incliner par rapport à l'horizon les deux côtés de 
l'angle droit, le massif, primitivement tabulaire, prendra 
une forme conique. 

A quelle cause faut-il attribuer ce mouvement de bascule 
dans les strates ? Evidemment il se produit toujours des deux. 
côtés d’un soulèvement en voûte. Admettons que ce mouve- 
ment de bascule ait fortement affecté un des côtés du soulè- 
vement en voute; admettons en outre que le soulèvement en 
voûte soit vu de profil, c'est-à-dire dans le sens de son grand 
axe. Si le côté qui a été fortement redressé domine la région 
environnante, il apparaîtra comme un cône souvent placé 
au-dessus d’un plateau. Il en est ainsi pour la montagne de 
Torpes vue de la gare de Montferrand, pour la montagne de 
N.-D. d'Aigremont vue de l'ouest, pour Rognon vu du pont 
de Battant, à Besançon, etc. 

Quelquefois, le mouvement de bascule est la conséquence 
du voisinage d’une ou de plusieurs failles ; nous allons en 
citer un exemple. Le vallon de Nans-sous-Sainte-Anne est 
limité; à l’ouest, par un groupe de trois sommets aigus que 
l'on appelle, dans le pays, les Aiguilles, désignation qui est, 
pour le géologue, comme un vague souvenir des formes oro- 
graphiques des Alpes. La disposition que l’on observe sur ce 
point est due au rapprochement de trois petites failles ; et il 
est probable que le mouvement de bascule a été déterminé 
par des effondrements de cavités dues elles-mêmes à l’action 
des cours d’eau souterrains. 


Caractères distinctifs du Jura considéré comme région 
naturelle. — Les caractères distinctifs du Jura sont, en 
partie, le résultat de sa situation géographique et de son alti- 
tude; ces deux circonstances influent principalement sur la 
végétation. Mais ces caractères sont aussi et surtout en relation 
avec la constitution pétrographique de la contrée, qui achève 
d'établir une distinction très nette entre le Jura et les massifs 
montagneux qui l'entourent, massif dont il se distingue 


— 517 — 
encore, ainsi que nous l'avons dit dans le premier chapitre, 
par sa configuration générale et son mode de formation. 

Un premier caractère pétrographique qui imprime au Jura 
un cachet particulier, c’est l'absence de roches éruptives et 
même de terrain primitif. Les deux pointements granitiques 
existant, l’un à la montagne de la Serre, l’autre près de 
Chamagnieu, dans le département de l'Isère, sont trop peu 
importants pour fournir une exception à ce fait général; 
d’ailleurs ils se trouvent placés en dehors du massif jurassien 
proprement dit. L'absence de roches éruptives, qui est en 
relation avec celle des sources thermales, nous paraît d'autant 
plus remarquable que, dans le Jura, les strates sont fortement 
tourmentées et ont été soumises à des actions dynamiques 
d'une grande énergie. 

Au point de vue pétrographique, il existe un contraste 
complet entre le Jura et la plupart des autres massifs monta- 
_gneux. Dans le Jura, il y a prédominance du carbonate de 
chaux, qui tantôt intervient pour former à lui seul les roches 
calcaires, et tantôt se mélange à l'argile pour la faire passer à 
l’état de marne. Dans les massifs montagneux voisins, dans 
les Alpes, les Vosges, le Morvan, c’est l'élément siliceux ou 
silicaté qui domine et qui, souvent même, se montre seul. 
L'élément siliceux, à l'état de quartz, y apparaît dans les 
grès, les roches granitiques et un grand nombre de filons ; 
quant à l'élément silicaté, il se rencontre dans les schistés, les 
argiles, et se retrouve dans le granite à l’état de feldspath, de 
miCa, etc. rt 

La différence entre le Jura et d’autres contrées qui n’ont 
pas la même constitution pétrographique, est d'autant plus 
sensible que cette constitution pétrographique réagit sur la 
configuration du sol et sur sa structure intérieure, ainsi que 
nous l'avons rappelé dans ce chapitre et dans le chapitre pré- 
cédent. Elle réagit aussi sur le régime souterrain ou super- 
ficiel des eaux (voir chap. 11), et, enfin, sur la végétation. 

Pour démontrer l'influence que la constitution pétrogra- 


— 518 — 


phique exerce sur l'aspect du tapis végétal, nous nous bor- 
nerons à rappeler l'opposition si tranchée que l'on constate 
entre la végétation des pays calcaires et celle des pays sili- 
ceux. Le noyer et le buis aiment les sols où domine le car- 
bonate de chaux, tandis que le châtaignier et le genêt crois- 
sent sur les sols formés en majeure partie de silice à l'état 
isolé sous forme de grains quartzeux, et non à l’état de com- 
binaison avec l’alumine sous forme d'argile. Il est permis 
d'observer ce contraste sans s'éloigner beaucoup du Jura, 
puisqu'on le retrouve à la montagne de la Serre, où un poin- 
tement de granite, de nouveau grès rouge et de trias, c’est- 
à-dire de roches en totalité ou en majeure parte siliceuses, 
fait saillie au milieu d’une zone de terrain jurassique. L'idée 
de comparer la Serre à un îlot vient à l'esprit du botaniste 
aussi bien que du géologue, lorsque l'un et l’autre abordent 
l'étude de cette localité si intéressante. 

Les caractères du Jura, tels que nous venons de les indiquer 
sommairement, sont la conséquence de la manière dont s'est 
opéré son soulèvement. Mais ils proviennent surtout de l'épo- 
que à laquelle ce soulèvement a eu lieu. L'aspect du Jura 
serait, en effet, tout autre, si son soulèvement s'était effectué 
plus tôt, à la fin de l’époque triasique, par exemple, ou plus 
tard, pendant la période tertiaire. Dans le premier cas, il eût 
ressemblé aux Vosges; dans le second, son aspect eût été 
celui des contrées où le terrain tertiaire domine, comme en 
Suisse et aux environs de Paris. 


Dernières remarques ; géologie pittoresque. — « Ces curieux 
rapprochements entre la constitution géognostique et la forme 
des masses rocheuses, dit M. Leymerie dans ses Éléments de 
géologie, avaient été entrevus par d'anciens géologues ; mais 
c'est Dolomieu qui le premier appela sur eux l'attention d'une 
manière spéciale. Ils mériteraient d’être étudiés à part, et 
l'ensemble des considérations qui se rapportent à ce point de 


vue, serait très propre à servir de base à une application de 


— 519 — 


la géologie, qui serait au paysage ce qu'est l'anatomie à la 
représentation de l’homme, et qu’on pourrait désigner par le 
nom de géologie pittoresque. » 

Dans cette Etude, nous avons eu pour but  od de 
décrire la structure intérieure et la configuration générale du 
Jura. Nous regrettons que les limites que nous nous sommes 
imposées ne nous permettent pas de donner plus de place à 
l'examen des relations qui existent entre la constitution géo- 
gnostique ou stratigraphique du sol et le modelé du globe. 
Pour démontrer tout l'intérêt qu'offrirait un pareil examen, 
nous dirons avec l’'éminent géologue anglais John Phillips : 

« La description des grandes et belles combinaisons pro- 
duites par la nature {combinaisons qui, pendant longtemps, 
ont attiré dans les vallées et les montagnes du Yorkshire les 
paysagistes et les amateurs du pittoresque) ne fait pas partie 
d'un traité de géologie ; toutefois, quelques considérations sur 
la manière dont l'aspect de chaque contrée varie en même 
temps que sa constitution géognostique, peuvent y trouver 
place. Il n’est pas inutile de démontrer que les principaux 
caractères de tout paysage se trouvent en relation immédiate 
avec les phénomènes géologiques. Les effets qui résultent des 
différences de hauteur dépendent des convulsions souterraines 
et de l’action énergique des cours d’eau superficiels. Il faut 
rattacher aux mêmes causes l’infinie variété d'aspects que 
montre un groupe montagneux ; les plus petits détails qu'un 
promontoire présente à notre attention, le profil d’une mon- 
tagne, le caractère particulier d'une cascade, dépendent prin- 
cipalement de la composition et de la structure des roches, 
ainsi que de l’ordre dans lequel elles se succèdent. L’attrait 
d’un beau paysage est-il diminué parce que la connaissance 
des forces secrètes qui lui ont donné une existence est devenue 
familière aux géologues ? À coup sür, l'homme qui doit être 
le plus sensible au charme de la nature est celui qui, tout en 
jouissant du plaisir de contempler le monde qui l'entoure, se 
sent irrésistiblement conduit à rattacher le modelé de Ia 


— 520 — , 
surface de la terre aux grands changements survenus dans la 
constitution intérieure et extérieure de notre planète. Dans 
les révolutions qui se sont succédé à la surface du globe, il 
voit, non un accident sans raison d’être, mais les diverses 
parties d’un vaste plan parfaitement adapté à la nature intel- 
lectuelle et morale de l'homme. » 


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TABLE 


DEUXIÈME ÉTUDE, 


SIRUCTURE INTÉRIEURE ET CONFIGURATION GÉNÉRALE DU JURA. 


CHAPITRE I 


Caractères distinctifs du Jura considéré comme massif montagneux. — 
Sa forme générale. 


Limites du Jura; sa forme arquée ; sa configuration générale. — In- 
fluence du massif alpin sur le Jura. — Structure d'une chaine de 
montagnes ; divers axes qu'elle présente. — Le Jura est un plateau 
et non une chaîne de montagnes. — Disposition des axes géogra- 
phique, stratigraphique, géognostique, etc., dans le Jura. — Disposi- 
tion des chainons transversaux dans un massif montagneux : consé- 
quences. — Axes de second ordre; structure qu'ils impriment à un 
massif montagneux. — Division du Jura en deux zones : l'une occi- 
dentale, l'autre orientale Net meta roro P. 329 


CHAPITRE II 


Constitution géognostique du Jura. — Répartition générale des terrains. 


Constitution géognostique du Jura , en quoi elle diffère de celle des ré- 
gions voisines.— Relations stratigraphiques entre les terrains du Jura. 
— Substratum des formations jurassiennes.— Formations constituant 
la masse principale du Jura. — Terrains de recouvrement; terrains 
tertiaire, quaternaire et sidérolitique. — Ordre de répartition des ter- 
rains dans le sens vertical, — Distribution géographique des terrains. 
— Répartition des terrains à la fin de la période crétacée. — Actions 
dynamiques postérieures au premier soulèvement du Jura,.,. p. 347 


CHAPITRE III 
constitution stratigraphique du Jura. — sa structure intérieure. — Régime 
hydrographique souterrain. 


Puissance des divers terrains existant dans le Jura. — Epaisseur totale 
de la zone sédimentaire dans le Jura. = Structure intérieure du Jura; 


34 


— 522 — 


conséquences des actions dynamiques. — Influence de la constitution 
pétrographique du Jura sur sa structure intérieure; effondrements du 
sol; cavités souterraines. — Causes qui ont modifié l'allure primitive 
des strates et leur ont imprimé les diverses inflexions qu'elles pré- 
sentent. — Plasticité et mobilité des strates; présence de l’eau; in- 
fluence des alternances marneuses et calcaires. — Hydrographie sou- 
terraine. — Influence de la composition des terrains et de la nature 
des roches. — Alternances de marnes et de calcaires ; horizons aqui- 
fères. — Influence des failles et de la structure caverneuse du Jura; 
sources /vauglusiennes:. 44.504280. 08 ireltii eta ND UE 


; CHAPITRE IV 


Failles. — Leur mode de formation. — Leurs principaux caracteres. 


Considéralions préliminaires. — Structure et mode de formation de l'é- 
corce terrestre. — Pyrosphère ; son rôle dans les mouvements du sol; 
absence de cavités duns l'intérieur de la croûte du globe. — Actions 
moléculaires se manifestant dans l'intérieur de l'écorce terrestre. — 
Lignes de moindre résistance; lignes de retrait. — Failles à l'état la- 
tent. — Dénivellation des failles; ses causes. — Hypothèse d'effondre- 
ments souterrains et de tassements dans l'écorce terrestre. — Hypo- 
thèse de Boucheporn. — Etendue des failles dans le sens vertical. — 
Circonstances qui ont accompagné la formation d'une faille; striage 
et polissage des roches, ete......... ER LS RATS FN 6 LE ORRRES 


CHAPITRE V 


Direction et allure des failles à la surface du sol et dans le sens vertical. 
— Leur mode de groupement. 


Etendue des failles. — Allure et direction des failles dans le sens-hori- 
zontal. — Failles simples; failles ramifiées. — Failles composées; 
failles secondaires. — Failles en faisceau; failles conjuguées. — Allure 
des failles dans le sens de la profondeur: leur verticalité. — Ampli- 
tude du rejet des failles dans le Jura.— Amplitude du rejet des failles 
en dehors du Jura. — Allure des terrains des deux côtés d'une faille. 
— Sens dans lequel s'est opérée la dénivellation des failles. — Signes 
d’une faille. — Ligne de faille ; faille à l'état rudimentaire..... p. 405 


1 


CHAPITRE VI 


Les soulèvements en voûte. — Hypothèses sur leur mode de formation. — 
xypothèse de refoulements latéraux. 


En quoi consistent les soulèvements en voûte. — Formation des mon- 
tagnes à la suite d’une impulsion verticale : Sténon, Hutton, etc. — 
Hypothèse de refoulements latéraux : J, Hall, Saussure. — Théorie de 


— 523 — 


Boucheporn. — Cas où des refoulements latéraux peuvent se pro- 
duire. — Opinions de Gressly, Thurmann, Studer. — Structure des 
Alpes; leur influence sur les régions environnantes. — Remarques de 
M. Lory à propos de la structure du Mont-Blanc, ,,.,,,,..,., p. 423 


CHAPITRE VII 


circonstances qui ont accompagné la formation des soulèvements en voûte. 
— Leur mode de groupement. 


Impossibilité d'appliquer l'hypothèse de refoulements latéraux aux sou- 
lèvements en voûte du Jura. — Les soulèvements en voûte se sont 
produits à la suite d’une impulsion dirigée de bas en haut. — Forma- 
tion des soulèvements en voûte ; premiers effets de l'arrivée de la ma- 
tière éruptive. — Causes qui ont favorisé le ploiement des strates. — 
Influence des fissures préexistantes sur la forme et le groupement des 
soulèvements en voûte. — Ruptures se produisant au moment où les 
strates atteignent leur limite d'élasticité. — Accidents topographiques 
qui caractérisent les soulèvements en voûte. — Divers caractères ap- 
partenant à un même soulèvement en voûte; cluses, ruz. — Remar- 
ques sur les idées de Thurmann.— Comparaison des soulèvements en 
voûte des Alpes et de ceux du Jura.,,..,..,4.s4ususu...ss.s. Dp. 441 


CHAPITRE VII 


Relations entre les failles et les soulévements en voûte. — Leur répartition 
géographique, — Réseau qu'ils constituent. 


Relations entre les failles et les soulèvements en voûte. — Faits que l’on, 
observe au point de rencontre de deux failles ou de deux soulèvements 
en voûte, — Faits que l'on observe au point de rencontre d'une faille 
et d'un soulèvement en voûte.— Soulèvements en voûte hémiédriques. 
— Plissements en V ; courbures en C.— Influence de l'allure des failles 
sur la stratfication. — Plissements en V qui accompagnent les failles ; 
plissement de Chapelle-des-Buis. — Répartition générale des failles.— 
Age des failles. — Age et répartition géographique des soulèvements 
en voûte. — Réseau stratigraphique du Jura. — Comment il s’est peu 
à peu constitué. — Différences, au point de vue de leur formation, 
entre les failles et les soulèvements en voûte.,,,,..,.,.,.,,,. p. 463 


CHAPITRE IX 


Phénomènes de dénudation. — Leur influence sur la constitution topographique 
du pays. — Démantèlement du Jura. 


Agents extérieurs ; leur antagonisme avec les forces intérieures. — Phé- 
nomènes d'érosion pendant les périodes d'immergement. — Phéno- 


— 


” mènes d’érosion pendant les périodes d'émergement et pendant l'é- 


— 524 — 


poque actuelle. — Influence des phénomènes d’érosion sur la confi- 
guration du Jura ; vallées d'érosion. — Erosions souterraines ; phéno- 


mènes d'effondrement ; conséquences. — Phénomènes d'ablation ; 
leur influence sur la répartition des terrains ; puissance des terrains 
enlevés. Démantèlement du Jura.,,.,,...,..,,..,.,,,,,... p. 485 


\ 


4: CHAPITRE X 


comment le jura a pris sa configuration générale. — sa constitution topogra- 
phique ; ses caracteres distinctifs comme région naturelie, 


Le Jura pendant les périodes antérieures à l'époque éocène; émerge- 
ment de la Serre, — Le Jura pendant l'époque éocène supérieure ; 
émergement définitif de sa partie occidentale. — Période miocène ; 
soulèvement du Jura occidental; apparition des failles. — Epoque 
pliocène ; soulèvement du Aura oriental ; apparition des soulèvements 
en voûte. — Le Jura pendant la période quaternaire. — Surélévation 
de la partie méridionale. — Constitution topographique du Jura ; in- 
fluence des agents atmosphériques. — Influence exercée par la nature 
des terrains sur la configuration du sol. — Infiuence des altérnances 
d'assises marneuses et d'assises calcaires. — Influence des actions dy- 
namiques ; tremblements de terre. — Lignes du paysage dans le Jura. 
— Caractères distinctifs du Jura considéré comme région naturelle. — 
Dernières remarques ; géologie pittoresque. ,,..,,.,,,.,,..,,, Pp. 901 


Société d'Emulation du Doubs 683) " 


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PIPETTE A CAPACITÉ VARIABLE 


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L'ESSAI DES MATIÈRES D'ARGENT PAR LA VOIE HUMIDE 


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Par M. Georges SIRE 


ESSAYEUR DU BUREAU DE GARANTIE DE BESANÇON. 


Séance du 10 août 1872. 


Depuis la publication et la vulgarisation de la méthode 
d'essai des matières d'argent imaginée par Gay-Lussac, di- 
verses recherches ont été entreprises dans le but d'assurer à 
cette méthode la simplicité et la généralité désirables. C’est 
ainsi qu'au point de vue chimique, Gay-Lussac lui-même (1) 
et M. Levol (?) ont signalé les incertitudes causées par l’exis- 
tence, dans l’argent, du soufre, du mercure et de l’étain; 
mais ils ont indiqué, en même temps, les correctifs qui ren- 
dent à la méthode la supériorité que la présence de ces sub- 
stances avait fait mettre en doute. 

Au point de vue instrumental, M. Stas a imaginé une pi- 
pette préférable à celle employée par Gay-Lussac, en ce qu’elle 
permet un remplissage plus simple et plus rapide, tout en 
faisant disparaitre les lenteurs de l’affleurement du liquide. 
Moi-même j'ai réalisé une disposition pour opérer le remplis- 
sage de la pipette de M. Stas, qui n’exige ni la présence, ni la 


C4 


(1) Annales de chimie et de physique, t. LVIIT, p. 218; t. LXIIT 
p.334; ett. XVII (3° série). 
* (2) Annales de chimie et de physique, 3° série, t. XVI, p. 503. 


— 526 — 


surveillance de l'opérateur, ce qui accroît notablement la cé- 
lérité des essais (1). 

Dans la présente note, je me propose de faire connaître une 
_pipette destinée à tenir compte de la correction relative à la 
variation de température de la dissolution normale de sel 
marin. Bien que cette pipette soit d’une application générale, 
dans les essais des matières d'argent, par la voie humide, 
puisqu'elle permet de mesurer une quantité de dissolution 
normale capable de précipiter toujours exactement un gramnme 
d'argent pur; cette pipette, dis-je, est surtout d’une grande 
utilité pour la vérification du titre des ouvrages d'argent dans 
les bureaux de £arantie. 

En France, il y a deux titres légaux pour l'orfévrerie d’ar- 
gent; 950 et 800 millièmes, avec 5 millièmes de tolérance; 
en sorte que si l’on part des limites inférieures 945 et 795, les à 
poids d’alliages renfermant un gramme d'argent pur pour 
chacun de ces titres, sont : 

Pour'le-premier..11..:.1....11M4e,02820 
Pour de:sécondinir At EE AIR VER PET 

Après la dissolution de ces alliages dans l’acide azotique, 
si l’on ajoute à chacun d’eux le contenu d’une pipette de dis- 
solution normale de sel marin, prise à la température dun 
titrage, l'argent est complétement précipité à l’état de chlo- . 
rure, sans excès de l’une ou de l'autre liqueur, si les alliages 
essayés sont justes aux titres de 945 et de 795 millièmes ; mais 
il y a nécessairement excès de sel d'argent, ou de sel marin, 
selon que la liqueur normale est à une température supé- 
rieure ou inférieure à celle à laquelle elle a été titrée. 

Comme on part toujours de la limite inférieure du titre, il 
serait avantageux de verser d’une seule fois la quantité de 
dissolution normale ‘qui précipite exactement un gramme 
d'argent pur; mais c’est une chose impossible à réaliser avec 
une pipette de capacité constante : aussi dans la pratique 


A ———————— .—…— …— —… —… …" ……—"— — — ——— ——————  —————————————…———— 


(1) Annales de chimie et de physique, 4° série, t. XX VIIT. 


— 527 — 
actuelle est-on dans la nécessité de faire cette opération en 
deux fois. 

A cet effet, on a recours à un témoin, c’est-à-dire qu'au 
début de chaque journée, on pèse exactement un gramme 
d'argent fin que l’on dissout dans l’acide azotique et auquel 
on ajoute une pipette de dissolution normale de sel marin. 
Après l'éclaircissement par l'agitation, on explore la dissolu- 
tion à l’aide de la liqueur décime d'argent, ou de sel marin, 
selon les circonstances. 

Admettons, par exemple, qu’en outre du contenu de la pi- 
pette, il soit nécessaire d’ajout2r 1,5 centimètre cube de la 
liqueur décime de sel marin, pour obtenir la précipitation 
complète de l'argent. Il est évident qu'il faut faire la même 
addition, avant ou après le contenu de la pipette dans tous 
les flacons de la même série d'essais, et pendant tout le temps 
que la ‘dissolution normale conserve la même température. 
Si la température de cette dissolution est inférieure à celle à 
laquelle elle a été titrée, c'est une addition de liqueur décime 
d'argent qu'il faut faire dans la même série d'essais et dont 
un témoin fait aussi connaître le volume. 

Comme, d'une part, ce n’est qu'après avoir introduit dans 
les flacons le volume de dissolution de sel marin capable de 
précipiter exactement un gramme d'argent pur qu'il est ra- 
tionnel de procéder à l’éclaircissement des liqueurs par l’agi- 
tation, et que, d'autre part, ce n’est qu'après cet éclaircisse- 
ment que l’on peut explorer le titre avec l’une ou l’autre 
liqueur décime, il y a lieu de regretter la nécessité actuelle de 
faire ces additions successives, qui sont autant de causes de 
retard que de causes d'erreur, mais qui sont des conséquences 
forcées de la mesure au volume de la dissolution normale 
de sel marin à l'aide d’une pipette de capacité constante. 

La modification que j'ai apportée à la pipette de M. Stas, 
consiste précisément dans sa transformation en pipette à ca- 
pacité variable, afin d'augmenter ou de diminuer à volonté 
le volume de liquide qui s'en écoule. 


— 528 — 


Il résulte d’une table dressée par Gay-Lussac, pour corriger 
les variations de température de la dissolution normale de sel 
marin, comprises entre 0 et 30 degrés, que ces variations 
n'occasionnent jamais une différence dépassant 3 millièmes (1). 

Si, par exemple, la dissolution normale a été titrée à 159, 
et qu'au moment de s’en servir sa température est de 25 de- 
grés, la table précitée indique que le contenu de la pipette 
précipitera 1,6 millième d'argent de moins qu'à la tempéra- 
ture du titrage. Le signe — qui précède ce chiffre indique 
que la dissolution est trop faible et qu'il faut ajouter au con- 
tenu de la pipette ordinaire une quantité de dissolution nor- 
male capable de précipiter 1,6 milligramme d'argent, pour 
obtenir à 25° la précipitation exacte d’un gramme de ce métal. 

Si, au contraire, la température de la dissolution normale 
est descendue à 10°, la même table indique que le contenu 
de la pipette précipite 0,2 de millième d'argent de plus qu’à 
15 degrés. Le signe + signifie que la dissolution est trop 
forte. 

Il résulte de ce qui précède que si à 15° le volume de dis- 
solution normale qui s'écoule de la pipette précipite 1 gramme, 
ou 1000 millièmes d'argent, tandis que à 25 degrés la même 
pipette ne renferme plus qu'une quantité de dissolution sus- 
ceptible de précipiter 998,4 millièmes du même métal, c'est 
exactement comme si en passant de 15 à 25 degrés la disso- 
lution normale de sel marin éprouvait une dilatation égale 
à 1,6 millième de son volume à la première de ces tempéra- 
tures. Si donc on avait la ressource d'augmenter, dans ce 
cas, la capacité de la pipette de 1,6 millième, elle laisserait 
écouler à 25° la quantité de dissolution normale capable de 
précipiter exactement un gramme d'argent pur, ou 1000 mil- 
lièmes. 

Réciproquement, pour obtenir une égale précipitation à la 


(1) Instruction sur l'essai des matières d'argent par la voie humide . 
p. 35 (1832). 9 


— 529 — 
température de 10°, il faudrait pouvoir réduire la capacité de 


la pipette de 0,2 de millième. On voit de suite que les varia- 
pour corriger les variations de température de la dissolution 


contraires ; ce qui constitue une nouvelle table ayant la com 
normale de sel marin. 


position suivante : 
Table des changements de capacité à faire subir à la pipette 


tions de capacité à faire subir à la pipette sont données par 
les chiffres de la table de Gay-Lussac, pris avec des signes 


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100 


TEMPERA- 
TURE. 


— 530 — 


Or, en restant dans les limites de température de cette 
table, la question se réduisait donc à imaginer une disposi- 
tion qui permit d'augmenter ou de diminuer de 3 millièmes, 
au maximum, la capacité de la pipette. Voici de quelle ma- 
nière je suis parvenu à produire ces variations de capacité. 

La fig. 1 représente la pipette à capacité variable vue exté- 
rieurement. C’est toujours la forme générale de la pipette de 
M. Stas, à l'exception de la partie supérieure qui est munie 
de la disposition permettant de faire varier le volume inté- 
rieur. Cette disposition est représentée de grandeur naturelle 
dans les fig. 2, 3 et 4. La fig. 3 montre une coupe faite sui- 
vant l'axe de la pipette, dont les variations de capacité sont 
obtenues à l’aide des pièces suivantes : 

Un tube cylindrique de platine T, très mince, de 12 à 13 
centimètres de longueur et de 5 millimètres de diamètre ex- 
térieur, traverse un système de deux douilles métalliques À 
et B, fig. 3. La douille inférieure B est mastiquée au tube de 
verre qui surmonte la panse de la pipette, le diamètre de ce 
tube devant êtrè choisi de facon que le tube de platine y entre 
à frottement doux. La douille supérieure À est vissée sur l’in- 
férieure, en laissant entre elles un intervalle de 3-millimètres 
de hauteur sur 12 millimètres environ de diamètre. Cet in- 
tervalle est occupé par une rondelle de caoutchouc traversée 
par le tube de platine, en sorte que quand cette rondelle est 
pressée par le vissage des douilles, elle rend cette partie de la 
pipette parfaitement étanche, tout en permettant le déplace- 
ment du tube de platine dans le sens de son axe (1). 

Bien que l'intervalle existant entre le tube de platine et le 
verre soit très petit, pour éviter un effet capillaire facile à 
comprendre, qui pourrait sinon déterminer l’obstruction de 
ce tube, mais du moins faciliter la retenue d'une couche va- 
riable de liquide, l'extrémité inférieure du tube T est coupée 


(1) La rondelle de caoutchouc est graissée avec du suif sur toute sa 
surface. 


— 531 — 


perpendiculairement à l’axe sur le tiers de sa section, et taillée 
en biseau sur les deux autres tiers, comme on le voit en D. 
Mais lorsque dans la suite on désignera l'extrémité inférieure 
du tube de platine, il ne sera question que de la partie limitée 
par la section perpendiculaire à l’axe de ce tube. 

A l'extrémité supérieure du tube de platine est mastiqué 
un bout de tube de verre effilé f, qui permet de constater 
l’arrivée du liquide et son affleurement lors du remplissage 
de la pipette. 

Enfin, une petite coupe métallique C, faisant corps avec le 
tube de platine, recoit le liquide qui peut déborder acciden- 
tellement. Comme il n’y a que le tube T et la coupe C qui 
subissent le contact de la dissolution salée, ces parties seules 
ont besoin d'être construites avec un métal inattaquable par 
cette dissolution. 

Par cette sommaire description, il est aisé de comprendre 
comment, en enfoncant le tube de platine, on diminue la capa- 
cité de la pipette, tandis qu'on augmente cette capacité en éle- 
vant le même tube. Une vis de serrage V permet d’arrêtersolide- 
ment le tube T à la position voulue, pour telle ou telle capacité. 

Pour se rendre compte du mode de graduation de ce genre 
de pipette, 1l suffit de concevoir que le tube de platine est fixé 
premièrement dans la position moyenne de ses excursions 
extrêmes, et de facon que son extrémité inférieure soit vis- 
à-vis un trait marqué 0 sur le tube de verre, fig. 2. C'est 
cette position du tube de platine qui donne à la pipette une 
capacité moyenne, que j'appelle capacité normale, et c'est la 
position que doit toujours avoir le tube T, lorsqu'on procède 
au titrage de la dissolution normale de sel marin. 

Supposons que cette capacité normale ne s'éloigne pas trop 
de 100 centimètres cubes. — Si le diamètre du tube de verre 
en 0 est sensiblement de 5 millimètres, on trouve que toute 
tranche cylindrique de 5 millimètres de longueur, prise dans 


tre one 
cette partie du tube, équivaut à très peu près à 1000 1° la ca- 


— 532 — 


pacité normale. — Par suite, chaque fois qu’on enfonce le 
tube T, de manière à placer son extrémité inférieure à 5, 10 
ou 15 millimètres au dessous du trait 0, on diminue de 1, 2 
ou 3 millièmes la capacité normale de la pipette; de même 
qu'on augmente dans la même proportion ladite capacité, 
toutes les fois qu'on place l'extrémité du tube à 5, 10 ou 15 
millimètres au-dessus du même trait. 

Or, comme on a vu précédemment que les variations dues 
aux changements de température de la liqueur normale ne 
dépassent pas 3 millièmes, la course totale du tube de pla- 
tine se réduit à 3 centimètres environ ; il en résulte que si la 
partie du tube de verre où s'effectue cette course dans le voi- 
sinage du trait 0 n’est pas rigoureusement cylindrique, les 
différences de volume correspondant à des longueurs égales 
sont entièrement négligeables. 

J'ai supposé tout à l'heure que la capacité normale de la 
pipette ne s'éloignait pas trop de 1 décilitre ; mais, en réalité, 
il n'est pas toujours facile d'en approcher autant qu'on le 
voudrait. Par suite du mode de construction de ce genre de 
pipette, la capacité normale varie le plus souvent entre 98 et 
102 centimètres cubes. Cela établi, voici comment on gradue 
l'instrument dans un sens général. 

La position du tube T qui donne à la pipette sa capacité 
normale étant définitivement arrêtée, on trace sur le verre et 
vis-à-vis la partie inférieure du tube, un trait qui constitue 
le zéro de l'échelle. Dans cet état, on fixe solidement le tube 
de platine à l’aide de la vis V, et on procède au jaugeage de 
la pipette, ou plutôt on détermine avec précision le poids 
moyen d’eau distllée P qu’elle laisse écouler d’un jet con- 
tinu (1), et soit alors 


P 
P 1000 : 


(1) La connaissance de la capacité normale de la pipette est nécessaire 
pour la préparation d'une quantité un peu considérable de liqueur nor- 


— 533 — 


On remonte ensuite le tube de platine de façon à rendre la 
capacité la plus grande possible par ce système, et soit P'le 
poids moyen de liquide que la pipette laisse écouler dans cette 
condition. 

Si, d'autre part, P" est le poids moyen de liquide qui s’é- 
coule lorsque la capacité de la pipette a été réduite à son mi- 
nimum par l'enfoncement du tube de platine, 


P'—P'=n 


est la différence de liquide qui s'écoule de la pipette pour un 
déplacement / du tube T. 

En désignant par x le déplacement du tube T qui donne 
lieu à une différence de liquide p, on a la relation 


D NUE 
BR 
d’où 
Î 
ART 


C'est cette longueur qui correspond à _. de la capacité 


normale que l'on porte trois fois de part et d'autre du trait 0, et 
vis-à-vis chaque trait, on marque respectivement les chiffres 
1, 2, 3. Cette première division constitue la graduation prin- 
cipale de la pipette à capacité variable. Chacun des inter- 


male de sel marin. Cette capacité est déterminée en poids comme je viens 
de le dire. Or admettons que la pipette laisse écouler dans cet état un 
poids d'eau distillée égal à 98gr 35 à la température de 12. 

Si l'on veut préparer de la liqueur normale pour 1,000 essais, il faudra 
employer 98k 350 d'eau; et si des poids on veut passer au volume, on 
admettra avec MM. BerTaecot, Courier et D'ALMéina (Comptesgrendus 
Ac. Sc., 1873, t. LXX VII, p. 971) que le poids apparent de 1 litre d'eau 
distillée à 12°, pesé avec des poids de laiton, est de 998er 084; par suite 
le volume d'eau à employer pour 1,000 essais sera 


98k 350 


998 084 = O8iit 538. 


— 534 — 


valles précédents est en outre subdivisé en cinq parties égales ; 
par suite, chacune de ces subdivisions correspond à 0,2 de 
millième de la capacité normale. 

En adoptant l'emploi d'un tube de platine de 5 millimètres 
de diamètre extérieur, on est à peu près certain que chaque 
millième d’une capacité normale voisine de 100 centimètres 
cubes, correspond sensiblement à un déplacement de 5 milli- 
mètres de ce tube dans le sens de son axe; et comme dans les 
essais d'argent par la voie humide on pousse rarement la pré- 


cision au delà de 5 de millième, on voit que ce volume de li- 


quide est mesuré, en plus ou en moins, par: un déplacement 
du tube T gui diffère peu de 1 millimètre. 

J'ai dit précédemment que, selon les variations de la tempé- 
rature, les changements de capacité à faire subir à la pipette 
sont donnés par les chiffres de la table de Gay-Lussac, pris 
avec des signes contraires, changements consignés dans la 
table ‘précédente. Maintenant, pour convertir ces change- 
ments de capacité en divisions de la pipette, il suffit de se 
rappeler que chacune de ces divisions équivaut à 0,2 de mil- 
lième de la capacité normale de l'instrument ; dès lors les 
chiffres de la table précédente seront représentés par les 
nombres de divisions du ‘tableau suivant qu'on obtient en 
divisant les chiffres de la première table par 0,20. 

Le signe + indique que les divisions sont comptées au- 
dessus du trait 0; le signe — que ces divisions sont comprises 
au-dessous du même trait. 


— 535 — 


Tableau des déplacements à faire subir au tube de platine de la: 


pipette à capacité variable pour corriger les variations de 


température de la dissolution normale de sel marin. 


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DOS 00 Di ON SAND ANAN AS IQUDOOS 


2 OS Re OT TS NN LS SD SNS SIN TS 


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40 
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90 
130 
140 
1° 
16° 
17 
18° 
19° 
(0° 


3? PTIT NT PES 


L'usage de ce tableau est des plus faciles, et pour le mon- 
trer, je prendrai deux variations de température pour exem- 


ples. 


Premier exemple. Je suppose que la dissolution normale a 


été titrée à 12 degrés, mais qu'au moment de s’en servir sa 


— 536 — 


température soit de 20 degrés. Dans la 3° colonne marquée 
10°, et vis-à-vis le chiffre 20 de la colonne des températures, . 
on trouve le nombre + 4. Cela veut dire que l’extrémité in- 
férieure du tube de platine doit être placée vis-à-vis la 4° di- 
vision au-dessus du trait 0. Comme on sait que chacune de 
ces divisions équivaut à 0,2 de millième de la capacité nor- 
male de la pipette, il en résulte que cette capacité sera aug- 
mentée de 0,8 de millième; or, c'est précisément le chiffre 
que donne la première table, pour la même variation de 
température, c’est-à-dire l'augmentation de capacité que doit 
subir la pipette, pour qu'à 20° elle laisse écouler la quantité 
de dissolution normale précipitant le mème poids d'argent 
qu'à 12 degrés. 

Deuxième exemple. Je supposerai maintenant que la liqueur 
normale de sel marin est à la température de 14°, sachant 
qu'elle a été titrée à celle de 25°. Dans la 6° colonne marquée 
25° et vis-à-vis le chiffre 14 de la colonne des températures, 
on trouve le nombre — 0,8, c'est-à-dire que l'extrémité infé- 
rieure du tube de platine doit être placée à la huitième divi- 
sion au-dessous du trait 0; la pipette se trouvera réduite, par 
le fait, de 1,6 millième de sa capacité normale; ce qui est le 
nombre donné par la première table, pour les changements de 
température supposés ci-dessus. 

Il n'est pas inutile de faire observer qu'en réalité ce n’est 
qu'à la température du titrage de la dissolution normale de 
sel marin que 5 divisions de la pipette précipitent exactement 
1 milligramme d'argent; mais il est aisé de reconnaître que 
la différence est négligeable dans les limites de température 
du tableau précédent. 

En effet, je suppose que, à une température donnée, le 
contenu de la pipette de capacité normale ne précipite que 
05,997 d'argent; dans ces conditions, 5 divisions de ladite 
pipette précipiteront 08",000997 du même métal. Or, la diffé- 
rence entre ce poids et { milligramme, est plus de 30 fois 
moindre que celle qui résulte de l'emploi de la balance, 


— 537 — 


puisque pour ce genre d'opération les prises d'essai sont rare- 
1 HS £ hte 
ment faites à plus de T0 de milligramme près. Les variations 


de la température n'affectent donc pas d’une manière appré- 
ciable la graduation de la pipette telle que nous l'avons éta- 
blie plus haut; par conséquent, on peut admettre que le vo- 
lume de dissolution normale correspondant à 5 divisions, 
précipite sans erreur sensible { milligramme d’argent pour 
toute température de cette dissolution comprise entre 0 et 30 
degrés. 

D'autre part, rien n’empèche de regarder l'usage du tableau 
précédent comme donnant seulement une première approxi- 
mation, puisque, au début de chaque journée, un témoin fait 
connaître le volume de dissolution de sel marin nécessaire 

pour précipiter exactement 1 gramme d'argent pur. Toute- 
fois, en faisant subir préalablement à la pipette la variation 
de capacité indiquée par le tableau, l'exploration de la disso- 
lution normale à l’aide des liqueurs décimes se trouve consi- 
dérablement simplifiée et abrégée; car, le plus souvent, on 
reconnaît qu'il n’y a pas lieu de changer la position du tube 
T déduite du tableau, pour que la pipette soit réglée. 

L'emploi de la pipette à capacité variable offre donc ce pré- 
cieux avantage que le volume de dissolution normale qui 
précipite exactement un gramme d'argent pur est versé d'un 
seul jet, et qu'on peut opérer avec la plus grande sécurité sans 
avoir à se préoccuper d'aucune addition complémentaire. 

La manœuvre de ce genre de pipette est identiquement la 
mème que pour celle de M. Slas. Néanmoins je ferai remar- 
quer qu'avec le remplissage automatique que j'ai imaginé, 
on n’a pas à redouter un débordement de la liqueur lors de 
l'affleurement, paisque à chaque remplissage il y a.tout au 
plus une petite gouttelette de liquide qui s'échappe de l'ori- 
fice supérieur de la pipette. Par suite, il est inutile de donner 
de grandes dimensions à la capsule destinée à recevoir le 
liquide qui peut s'échapper par cet orifice; cela explique la 

35 


1e PORN EI 


— 938 — 


petitesse relative de cette capsule dans la pipette à capacité 
variable que je viens de décrire. 

Quant au nettoyage de cette pipette, il est des plus faciles. 
On commence par dévisser la douille À qui contient le tube 
de platine et on enlève le tout. On lave ensuite la pipette avec 
une solution alcaline, ou d'acide étendu, selon la nature du. 
dépôt qui s’est formé à la surface intérieure. D'autre part, on 
frotte l’intérieur du tube de platine à l’aide d’un petit tampon 
de coton, fixé à l’extrémité d'un fil de fer, et imprégné de 
l'une des liqueurs dont on s'est servi pour le verre de la pi- 
pette ; on termine en employant un tampon de coton sec. Le 
verre de la pipette étant soigneusement lavé à l’eau distillée, 
la douille À est revissée sur la douille B et la pipette est de 
nouveau en état de fonctionner. 

Toutefois, il est indispensable que le tube T soit en pla- 
tine, car, s’il est en argent, le contact permanent de ce métal 
avec la rondelle de caoutchouc détermine une sulfuration qui 
ronge le tube et le met hors de service en très peu de temps. 

Enfin, je signalerai quelques perfectionnements que j'ai 
apportés récemment dans le remplissage automatique de la 
pipette auquel je faisais allusion tout à l'heure. 

Ces perfectionnements sont réalisés dans la disposition re- 
présentée fig. 5. 

On y voit que le flacon de Mariotte constituant le réservoir 
de la dissolution normale de sel marin est placé sur un petit 
caisson rectangulaire. À gauche de la face antérieure de ce 
caisson se trouve fixée la pipette, tandis qu'à droite sont in- 
stallés le robinet d'alimentation et les tubes de communica- 
tion en caoutchouc. Le thermomètre servant à accuser la 
température de dissolution salée est plongée dans le flacon de 
Mariotte, où il est fixé au tube qui permet la rentrée de l'air. 

Indépendamment de son rôle de support, le petit caisson 
forme une petite armoire s’ouvrant sur le côté et servant à 
mettre les liqueurs décimes à l'abri de la lumière et de la 
poussière ; enfin, sur la face antérieure de ce caisson, entre 


— 539 — 


la pipette et le robinet d'alimentation, on peut coller ou sus- 
pendre le tableau ci-dessus, afin de l'avoir constamment sous 
la main. | 

Sur la même face, et au-dessus du tableau, est réservé un 
petit espace peint en noir sur lequel on inscrit à la craie la 
température à laquelle la liqueur normale a été titrée. La 
différence entre cette température et celle accusée par le ther- 
momètre plongé dans la liqueur fait de suite connaître, au 
début de chaque série d'opérations, la position à donner au 
tube de platine, pour que le contenu de la pipette précipite 
exactement 1 gramme d'argent pur. 

En somme, la nouvelle disposition constitue une installa- 
tion complète de la voie humide pour l'essai des matières 
d'argent. Elle occupe très peu de place. car tout le système 
repose sur une planche de 50 centimètres de longueur et de 
40 centimètres de largeur. 

Comme dernier perfectionnement, Je citerai le petit godet 
de décharge que je conseille d'établir à la partie supérieure 
du tube d'air du flacon de Mariotte. Il a pour but de recevoir 
le liquide qui se déverse par ce tube lorsque dans l'intervalle 
des opérations la température s'élève rapidement. En se dila- 
tant, l'air du flacon presse sur le liquide qui remonte par le 
tube t et finalement se déverse au dehors. L'inconvénient qui 
résulte de ce déversement est éliminé par le godet en ques- 
tion, lequel est formé par la partie supérieure d'un flacon 
ordinaire coupé par le milieu et dont le col est ajusté sur le 
tube £ à l’aide d’un bouchon de caoutchouc. 

En résumé, l'emploi de la pipette à capacité variable que 
je viens de décrire donne au procédé de la mesure au volume 
de la dissolution normale de sel marin les mêmes avantages 
que celui de la mesure au poids, puisqu'il rend indépendant 
de la température et dispense l'opérateur de toute addition 
ultérieure de liquide. 

Si le procédé de la mesure au volume tel que l’a imaginé 
Gay-Lussac, a été préféré par lui comme plus rapide et mieux 


— 540 — 


approprié à des essais nombreux et journaliers , j'ai la con- 
viction que l’usage de ma pipette à capacité variable, combiné 
avec le remplissage automatique de cette pipette, seront re- 
gardés par les opérateurs comme de sérieux perfectionne- 
ments de la voie humide pour l'essai des matières d'argent. 


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ASSAINISSEMENT 


DES 


LITTORAUX MARÉCAGEUX 


AVEC LE CONCOURS DES MARÉES 


Par M. H. POULAIN 


CHEF DE BATAILLON DU GÉNIE. 


Séance du 17 décembre 1873. 


SOMMAIRE. 


I. Circonstances qui ont déterminé les études de l'auteur. 
IT. Partie dangereuse dans un marais. Saison à choisir pour les travaux 
d'assainissement. 
III Méthode générale proposée. 
IV. Mise en équation. 
V. Différents modes d'intégration de l'équation du problème : 
Deux méthodes par les intégrales eulériennes ; 
Méthode par les séries; 
Méthode par les fonctions elliptiques. 
VI. Application à l'étang de Biguglia. 
VII. Revêtement des canaux. 


I 


CIRCONSTANCES QUI ONT DÉTERMINÉ LES ÉTUDES DE L'AUTEUR. 


Le service hydraulique, qui est confié aux ingénieurs des 
ponts et chaussées, comprend des questions qui se rattachent 
souvent en même temps à l'hygiène et à la fortune publiques, 
entre autres l'assainissement des marais. Aux colonies, les 
officiers du génie en sont chargés : aussi ne doit-on pas s'é- 
tonner de ce que, en dehors de leurs fonctions militaires, 1ls 


— 542 — 


ne sont pas tout à fait étrangers aux travaux de leurs cama- 
rades des ponts et chaussées. Les circonstances m'ont conduit 
à m occuper de l'étude des marais voisins de la mer, dans des 
pays où il y avait des marais nombreux et redoutés, et où 
l’on ne pouvait guère compter, pour exécuter de grands tra- 
vaux, que sur des allocations restreintes. En 1861 et 1862, 
comme chef du génie et des ponts et chaussées à Gorée (Sé- 
négal), j'avais à me préoccuper de l'assainissement de la 
contrée du Cap-Vert, car l'on voulait y fonder une capitale 
pour tous nos établissements de la Sénégambie', et je devais 
présenter à ce sujet un projet d'installation sur l’emplace- 
ment de Dakar. Dakar, qui était alors un village où s’étaient 
implantés plusieurs colons, paraissait susceptible d'un grand 
avenir et déjà nous avions commencé les travaux de son port. 
Sa position touche à la pointe elle-même du Cap-Vert. Dans 
un rayon de 8 à 10 kilomètres autour de Dakar se trouvent 
des marigots pestilentiels, et le village de Dakar, comme les 
factoreries voisines, est déserté, du commencement de juillet 
au milieu de décembre, par les colons qui se réfugient à 
Gorée. La création d'une capitale, ou mieux le succès d’une 
telle fondation était donc avant tout subordonné à une ques- 
tion d'assainissement. 

En général, tout le long de la Sénégambie, la côte est 
basse, étendue, parsemée de marais ou marigots dont on 
compte les dimensions horizontales par kilomètres. Ces bas- 
sins sont relativement peu profonds et, par suite, leurs 
berges sont extrêmement peu inclinées. Les violents orages ‘ 
de l'été les remplissent d’eau et, entre deux tornades distantes 
de quelques jours seulement, il y a une énorme déperdition 
d’eau par évaporation ou par filtrations, et par conséquent 
des espaces considérables découverts. En passant de l’hiver- 
nage à la saison sèche, les vases mises à nu continuent d'être 
nuisibles, jusqu’à ce qu’elles aient exhalé les miasmes qu'elles 
renferment et se soient durcies sur une assez forte couche, et 
le niveau des étangs ou marais arrive souvent à être plus bas 


— 543 — 


que les basses mers. Or cette circonstance se présente sur 
beaucoup de littoraux qui n’ont qu'une faible altitude, et 
j'eus l'occasion de l'observer en Algérie et en Corse, princi- 
palement sur la côte orientale de cette île. Persuadé qu'un 
haut intérêt s'attache à la désinfection des littoraux maréca- 
geux, j ai cherché, non pas la solution d’un cas particulier, 
mais une méthode générale, simple, économique et d’un succès 
certain. 


Il 


PARTIE DANGEREUSE DANS UN MARAIS. SAISON A CHOISIR POUR 
LES TRAVAUX D'ASSAINISSEMENT. 


La surface mouillée des étangs ou des marais diminue par 
l'action combinée du soleil et des vents et par les filtrations, 
quand on passe de la saison pluvieuse à la saison sèche. Les 
berges de ces étangs ou marais ont le plus souvent une pente 
excessivement faible qui se découvre, ou, en d’autres termes, 
pour un faible abaissement des eaux il y a de très grandes 
surfaces mises à nu. Sous l’action d'un soleil ardent les vases, 
qui renferment une infinité de détritus végétaux et animaux, 
fermentent et engendrent des miasmes;s et suivant que les 
eaux se retirent et disparaissent partiellement, ou tout à fait, 
on à une surface annulaire ou totale dangereuse. 

Je m'arrêterai encore quelques instants sur les variations 
de cette surface dangereuse. Dans une série de jours secs, 
l'anneau découvert augmente rapidement de largeur, se cre- 
vasse de plus en plus à partir de sa périphérie extérieure, et 
les miasmes s'échappent par les fissures produites. Vienne 
une autre pluie, les terrains avoisinants envoient de nouvelles 
matières putrescibles qui s'arrêtent dans les crevasses et 
alimentent la production miasmatique. Tout le temps que 
durera la saison des grandes chaleurs et des orages, et jus- 
qu'à ce que le soleil n’ait plus assez de force pour agrandir 
et approfondir les fendillements dans les vases, le pays 


PRE 


— 544 — 


sera fiévreux: mais, avec l'hiver, il cessera d’être insalubre. 

De ce qui précède, 11 y à à tirer cette importante conclu- 
sion : On assainira un marais en empêchant la formation de 
l’espace annulaire dangereux, — et on n'aura plus d'espace an- 
nulaire en mintenant les eaux à un niveau constant. 

Le cas des étangs ou marais dont Le niveau est durant l’é- 
tiage au-dessous du niveau des basses mers, est très fréquent. 
J'en prendrai en Corse un exemple auquel je ferai l'applica- 
tion de la méthode nouvelle. L’étang de Biguglia, qui est 
situé à quelques kilomètres au sud de Bastia, est très insa- 
lubre et exerce sur cette côte une influence funeste. Sa sur- 
face, prise au niveau moyen de la mer, est d'environ 4,200 
hectares. Durant l'hiver, elle est plus grande, parce que le 
niveau des eaux s'élève à la suite des pluies; mais durant 
l'été, le niveau baisse jusqu'à 1 mètre 50 au-dessous des mers 
moyennes. Sa plus grande profondeur n’est alors que de 2" 
30. On voit immédiatement que la surface mise à nu-par les 
chaleurs doit être immense. Depuis Louis XVI, bien des tra- 
vaux ont été entrepris, mais sans suCcès..... 

Sous les tropiques, et surtout quand une rivière ne vient 
pas apporter d’eau au marigot, la surface annulaire dange- 
reuse se manifeste dans de plus grandes proportions. 


On exécutera les travaux d'assainissement dans la saison 
où il y a le moins de fièvres paludéennes : dans nos latitudes, 
durant l'hiver; dans les contrées tropicales, durant la saison 


la moins chaude ; — eton y emploiera des ouvriers du pays’ 


ou des ouvriers des pays voisins, habitués à vivre dans les 
localités humides et marécageuses, ou des condamnés aux- 
quels on ferait des remises de peines suivant leur conduite et 
les services rendus; toujours on prendra les plus grandes 
précautions hygiéniques. Chaque cas particulier fournira ses 
enseignements : ainsi, par exemple, pour les plaines orien- 
tales de la Corse et de la Sardaigne, il y aurait peu de risques 
à courir durant l'hiver, parce que les marais sont couverts 


— 545 — 


d'eau, que la chaleur n’est pas intense, et que les vents ré- 
gnants, venant de l'ouest, chassent les miasmes vers la mer. 


IIT 


MÉTHODE GÉNÉRALE PROPOSÉE. 


Je divise les marais en trois catégories : 

1° Ceux dont le plafond est au-dessus des hautes mers ; 

20 Ceux dont le plafond est au-dessous des basses mers; 

3° Ceux dont le plafond est entre les hautes et les basses 
mers. 


4° Marais dont le plafond est AU-DESSUS des HAUTES mers. 


Quand on aura, sur un littoral, un marais dont le plafond 
sera plus élevé que le niveau des hautes mers, on pratiquera 
une ou plusieurs saignées, c'est-à-dire un ou plusieurs ca- 
naux avec pente pour déverser à la mer les eaux de ce bassin 
pestilentiel, puis, sur les terrains mis à sec, on fera des cul- 
tures ou des plantations appropriées. Si la pente n'est pas 
suffisante, et que l'eau soit rendue stagnante dans le canal, 
on augmentera l'inclinaison en remblayant un peu la partie 
la plus basse du marais. Ce bassin, autrefois dangereux, de- 
viendrait une sorte de vallon qui laisserait passer les eaux de 
pluie sans jamais les retenir, mais qui ne recevrait jamais 
non plus les eaux de la mer. 


2° Marais dont le plafond est AU-DESSOUS des BASSES mers. 


Mais si, au contraire, on a un marais dont le plafond soit 
au-dessous des basses mers, pourquoi ne prendrait-on pas la 
solution inverse, je veux {dire : pourquoi ne le ferait-on pas 
envahir par la marée? 

Dès qu’un ou plusieurs canaux seront ouverts dans la‘dune 


— 546 — 


qui sépare de la mer le marais dont il s’agit, toutes les eaux 
du marais, qui se sont accumulées à un niveau supérieur à 
celui des hautes mers, s'écouleront et continueront de s'é- 
couler dans la mer pendant tout le temps que la marée bais- 
sera, et encore pendant celui qu’elle emploiera à remonter 
jusqu'au point de rencontre du niveau décroissant du marais. 
Il se déversera, au contraire, des eaux de la mer dans le ma- 
rais quand la marée montante dépassera le niveau auquel les 
eaux du marais étaient descendues. Un nouveau déversement 
aura lieu ensuite du marais dans la mer, quand celle-ci sera 
à-un niveau plus bas; et ainsi de suite, de telle sorte que, en 
général et sous l'influence des marées, l'étang donnera de 
l'eau à la mer ou en recevra. Ces échanges d’eau se régula- 
riseront bientôt; mais ce qu’il importe de voir, c'est que Les 
oscillations périodiques de la marée engendreront, dans l'étang, 
des oscillations également périodiques, mais restreintes, et aussi 
restreintes qu'on le voudra, dans leur amplitude. 

Pour bien comprendre l'idée dont il s'agit, supposons que 
toute la dune, qui existe entre l'étang et la mer, soit enlevée : 
l'étang deviendrait une anse, et la marée s'y ferait sentir 
avec la même amplitude qu'en mer. Mais si au lieu d'enlever 
toute la dune, on y perce seulement des canaux, la différence 
de niveau entre les hautes et les basses mers, supposée de 
Om 70, par exemple comme en Corse, n'engendrera, si l'on 
veut, qu'un changement de niveau de ? centimètres dans 
l'étang communiquant. 

Que résulte-t-il de ce que la surface de l'eau dans l'étang 
soit maintenue entre deux niveaux qui ne diffèrent plus que 
de 2 centimètres ? C’est que la périphérie mouillée de l'étang ne 
pourra plus se dilater ni se contracter qu'entre deux courbes, 
l'une maxima, l’autre minima, très rapprochées; que l’es- 
pace annulaire dangereux, considérablement réduit, ne sera 
plus exposé à se fendiller sous l’action du soleil pendant une 
série de jours chauds et secs, mais sera au contraire deux fois 
par jour délavé par des eaux de plus en plus salubres. Il y 


— 9547 — 

aura donc réduction très considérable dans la production des 
miasmes, mais On en aura l'annulation complète en creu- 
sant à pic, de quelques centimètres, le bord de la périphérie 
mouillée enveloppante. Alors l'étang, tout en variant un peu 
de niveau avec la marée, se projettera toujours sur la même 
surface, en plan horizontal. 

La surface de l’eau dans le marais recoit donc une forme 
et des dimensions invariables, mais en même temps les eaux 
du bassin s'échangent avec celles de la mer, suivant une loi 
de progression. La raison de cette progression dépendra de 
plusieurs circonstances, entre autres de la largeur des canaux. 
L'échange aura lieu même avec des marées très faibles. 

Quant à la surface non mouillée qui enveloppera la surface 
constante désormais assignée à l'étang, il faudra la couvrir 
d'une couche de terre végétale d'environ 30 centimètres d'é- 
paisseur, qui ne permettra plus la décomposition des anciens 
détritus. On fera avec discernement les plantations conve- 
nables : les ombrages fournis par les végétaux s'opposeront 
au dégagement des miasmes, et d'ailleurs les arbustes absor- 
beront à leur profit les éléments chimiques des détritus. Si 
le terrain sous-jacent est salé, on plantera le famarix gallica 
ou l'argousier, qui y réussiront fort bien. 

En résumé, pour des marais dont le plafond est au-dessous 
des basses mers, j ouvre à travers la dune des canaux à fond 
horizontal. Dans la suite j'en calculerai les dimensions. 
Quatre faits sont à noter : (1) le trop-plein des eaux de pluie 
se déversera à la mer par des canaux; — (2) il se fera un 
échange entre les eaux de la mer et les eaux du bassin à 
chaque oscillation de la marée, c'est-à-dire deux fois par jour, 
et les eaux du bassin perdront leurs qualités putrides ; — 
(3) le bord du bassin étant légèrement creusé à pic, il n'y 
aura plus de surface annulaire miasmatique; — (4) par un 
petit colmatage sur le bord de l'étang modifié et par des plan- 
tations choisies, on empêchera la surface autrefois dange- 
reuse d’être désormais nuisible. 


— 548 — 


Le calcul des dimensions du canal sera fait dans l'hypo- 
thèse où le plafond est au-dessous des basses mers. On peut 
dire que c'est là le cas général, car presque toujours sur les 
littoraux bas et étendus, le niveau d'un étang est, dans l'é- 
tiage, très sensiblement au-dessous des basses mers, a for- 
tiori le plafond. 


3° Marais dont le plafond est situé ENTRE les HAUTES 
et les BASSES Mers. 


Cette catégorie est entièrement différente des deux qui pré- 
cèdent. Comme plus haut, j'ouvre à travers la dune des ca- 
naux à fond horizontal : il y aura encore des échanges d'eau 
entre l'étang et la mer, mais avec des intermittences consis- 
tant en ce que le plafond sera alternativement mouillé et mis 
à sec en totalité ou en partie, suivant sa hauteur et les di- 
mensions des canaux. On rentrerait ainsi un peu dans le cas 
d'une plage délavée par la marée, mais je n'ai pas la con- 
fiance que le marais soit pour cela assaini. Au lieu d’avoir 
un plafond alternativement mouillé et mis à sec, je veux 
qu'il soit constamment chargé d'eau dans un périmètre res- 
treint et invariable, et que cette eau se renouvelle. 

En premier lieu, je songeai à construire dans le canal un 
barrage par dessus lequel les eaux de l'étang iraient à la mer, 
quand celle-ci serait basse, — et par dessus lequel encore la 
mer, quand elle serait haute, enverrait des eaux dans l'étang. 
Mais le jeu de l’eau, modifié par ce barrage, ne donne pas, 
comme dans la 2° catégorie, une périphérie mouillée con- 
stante au niveau des mers moyennes. 

En effet, si le barrage était au niveau des mers moyennes, 
ou au-dessous, la charge de la marée montante étant beau- 
coup plus grande que la charge de l'étang sur le même point, 
l’eau aurait beaucoup plus de vitesse pour entrer que pour 
sortir. Conséquemment, il entrerait plus d’eau de la mer 
dans l'étang qu'il ne sortirait d’eau de l'étang dans la mer, et 


— 249 — 


le niveau de l'eau dans l'étang s’élèverait entre la moyenne 
et la haute mer, pour osciller, ou mieux fluctuer, autour 
d'un niveau moyen fixé par la condition que les eaux de la 
période de vidange équilibrassent les eaux de la période de 
remplissage. 

Aïnsi la crête du barrage devrait être plus élevée que les 
mers moyennes, Ce qui serait une défectuosité par rapport à 
la solution précédente, en ce sens que pour quelques centi- 
mètres seulement de hauteur, l’agriculture perdrait des ter- 
rains considérables, et que l’on a toujours avantage, au point 
de'vue de la salubrité, à contenir les eaux de l’étang dans 
l'enveloppe la plus resserrée, en complantant le pourtour. 
Donc il y a nécessité de créer un barrage à double effet, pour 
maintenir l'étang à la forme et aux dimensions qui corres- 
pondent à la hauteur des mers moyennes. 

En conséquence, je construis un barrage en travers du 
canal, dont la crête serait le niveau moyen des mers; qui, du 
côté de l'étang, aurait un talus à 45° terminé par une courbe, 
comme l'indique la figure ; qui, du côté de la mer, affecte- 
rait la forme d’un gradin. La hauteur de ce gradin sera tou- 
jours plus grande de quelques centimètres que le diamètre 
du cylindre dont il va être parlé. A ce barrage je fixe trois 
cloisons en fer fortement galvanisé : la première, verticale, 
percée d’un grand nombre de petits trous, à O0" 20 en avant 
du barrage ; — la deuxième, verticale aussi, à l'aplomb de la 
crête du barrage ; — la troisième, horizontale, à 0 15 du som- 
met de ce massif. La première cloison {claire-voie) est reliée 
à la troisième par des barreaux en fer qui ont la forme de 
quart de cercle, et que j'appelle barreaux directeurs. 

Dans la fosse, comprise entre la première cloison {claire- 
voie) et le parement antérieur du barrage, l'eau de la mer 
pénètre et baigne un cylindre léger, d’une densité calculée, 
qui surnage et fonctionne par intermittence comme un véri- 
table tampon, depuis tel point jusqu'à tel autre point précis 
de la période d’oscillation de la mer. 


— 550 — 


Le tampon a 0® 20 de diamètre, et environ 5" de longueur; 
il est composé : au centre, d’un cylindre en liége, dont le 
poids spécifique est de 0,24; à l'extérieur, d'une enveloppe en 
caoutchouc, dont le poids spécifique est de 0,99; entre ces 
deux corps et dans tout leur intervalle, d'une toile de crin 
enroulée autour du liége sans être très serrée. Dans les inter- 
stices de cette toile se logera de l’eau de mer, dont le poids 
spécifique est de 1,026. Le crin. allant au fond de l’eau douce, 
je suppose que le poids du crin plein d’eau sera spécifique- 
ment de 1,08. J'équilibre les éléments constituants du tam- 
pon, de manière que le diamètre vertical ne surnage que 
de 0,025: 

Ce cylindre est donc un peu mou et un peu flexible, et c'est 
pour cela que je le préfère à un cylindre de sapin qui serait 
équilibré lui-même, de manière à ne surnager que de 0,025. 

Le tampon sera susceptible de fermer l'issue dn canal 4 de 
vidange, qui a 0,15 de hauteur, en s'appliquant sur ? feuil- 
lures cylindriques égales, a et b, où les extrémités du dia- 
mètre vertical seront engagées de 0®,025 chacune, lors de 
l'herméticité complète. 

La marche du tampon est à étudier avec soin. Je partirai 
de la basse mer. 

Tant que la marée sera au-dessous de la crête du barrage 
de plus de 0,025, le tampon se tiendra d’abord au fond de la 
fosse ; puis il s'élèvera verticalement au fur et à mesure que 
la marée montera, à partir de cette cote, pour prendre gra- 
duellement diverses positions, comme l'indique la figure. 

L'eau de l’étang s'écoulera par le canal À de vidange et 
aura pour débouché toute la section du canal jusqu’à ce que 
le tampon soit, par sa partie supérieure, tangent au plan ho- 
rizontal de la crête, qui est en même temps le niveau moyen 
de la mer, ce qui correspond à une hauteur de marée plus 
basse de 0,025 que la crûte. 

Lorsque le tampon aura, par sa génératrice supérieure, 
dépassé le niveau moyen, la section du canal À de vidange 


2e 


en AE 


sera partiellement fermée; mais déjà l’eau de l’étang aura dû 
baisser au niveau de la crête. Si une crue étrangère a gonflé 
l'étanz, l'eau surabondante s'échappera d'autant moins vite 
que le tampon s’élèvera davantage. Alors, pour qu'elle dispa- 
raisse entièrement, il faudra peut-être plus d'une autre oscil- 
lation de la mer. 

Quand l'axe du tampon sera au niveau moyen de la mer, 
le tampon sera dévoyé de la verticale par les barreaux direc- 
teurs, puis il tournera graduellement autour de la généra- 
trice C du barrage, au fur et à mesure que la mer l’élèvera. 
Il tournera vite, parce qu'à l’action des barreaux se joindra 
la poussée de la mer, qui résultera de la différence de niveau 
que la mer aura déjà acquise au-dessus de l'eau de l'étang. 

La marée vient-elle à arraser l'angle inférieur de la cloison 
horizontale, le tampon est déjà logé dans les deux feuillures 
cylindriques a et b, et Le canal À de vidange hermétiquement 
fermé. La fermeture sera complète, tant que la marée sera 
plus haute que ce niveau, soit qu'elle monte, soit qu'elle 
baisse. 

Entre le plan horizontal tangent au-dessus du tampon, 
pourvu qu'il soit un peu au-dessus de l'eau de l'étang, et le 
niveau supérieur de la cloison horizontale, il n'y aura pas 
d'eau échangée entre la mer et l’étang. 

Mais dès que la marée aura franchi la surface supérieure 
de la cloison horizontale , l'eau de la mer s'introduira dans 

l'étang par l'ouverture B, d’abord partiellement, puis à pleine 

section, et encore partiellement quand la marée redescendra 
suffisamment. Comme les hautes mers seront à un niveau 
supérieur au débouché, l'introduction de la marée à pleine 
section se fera en quantité variable. 

Cette même ouverture B est munie d’une vanne dont le 
débouché sera réglé invariablement par l'expérience et per- 
mettra à la mer de n’introduire dans l'étang que la quantité 
d’eau nécessaire. Alors les fluctuations de l'étang n'excéde- 
ront pas la hauteur qui leur aura été fixée au-dessus de la 


— 552 — 
crête du barrage, à moins qu’il n’y ait une crue étrangère 
dans l'étang. 

En résumé, il y aura déversement de l'étang dans la mer 
quand la marée sera à plus de 0,025 au-dessous de l'étang, 
et déversement de la mer dans l'étang quand la marée sera 
au-dessus du niveau supérieur de la cloison horizontale. 

Tel est l'appareil. J’ai parlé d'un cylindre de 5 de lon- 
gueur, que je considère comme pratique. Je n’oserais pas le 
faire plus long. Si donc il était nécessaire d’avoir un plus 
grand débouché de vidange, il faudrait diviser sa longueur 
en 2, 3, 4 parties, et déterminer Les tampons entre 3" et 5, 
suivant le cas. 

Alors le barrage sera divisé en compartiments ou travées. 
Des bajoyers de rives et des piles séparant les travées contre- 
butent la cloison supérieure qui peut être battue par des 
vagues, mais qui le sera d'autant moins violemment qu’elle 
sera plus éloignée de la mer. Au moyen d'un certain nombre 
de vannes on pourra n'introduire que la quantité d’eau utile, 
et régler ainsi, une fois pour toutes, le débouché permanent 
des vannes, de manière à mettre en équilibre les eaux en- 
trantes avec les eaux sortantes par une fluctuation préalable- 
ment déterminée dans le niveau de l'étang. 

Un grand clapet, dont la charnière serait en C, ne ferme- 
rait pas aussi bien le canal de vidange contre la mer, parce 
que sa construction serait plus difficile ; qu'en employant de 
la tôle doublée de corps mous, on n’arriverait peut-être pas à 
le rendre tout à fait étanche, ni à l'empêcher de se gauchir; 
et parce que sa charnière serait bientôt oxydée et rongée, car 
le frottement, auquel elle serait assujettie par le mouvement 
des vagues, détruirait rapidement la galvanisation. Aucun 
inconvénient de ce genre avec le tampon proposé; mais on 
aura soin de polir les faces de la fosse et les feuillures cylin- 
driques où le tampon vient se loger à la fin de son élévation, 
afin que le caoutchouc s’use le moins possible. 

Il y à, je crois, dans ce tampon flotteur, une idée neuve 

« | 


— 553 — 


qui ne ressemble ni de près, ni de loin, à aucun système 
établi. 

Je souhaiterais que le mode d'exécution des travaux d’as- 
sainissement, que je viens d'exposer, püût être entrepris dans 
la plaine orientale de la Corse, qui n’est encore pour l’agri- 
culture qu'à l’état de terre promise. La fécondité de cette 
plaine est due à des alluvions anciennes qui proviennent de 
la dénudation des montagnes, et auxquels se sont mélangés 
des détritus végétaux pendant un grand nombre de siècles. 
Malheureusement le séjour en est redoutable et redouté du- 
rant l'été et l'automne, et l’on trouve difficilement des mois- 
sonneurs pour faire seulement les récoltes de quelques par- 
celles ensemencées. Mais ce n’est pas seulement l’agriculture 
qui profiterait de l'assainissement, d'autres grands résultats 
pourraient encore être atteints. Le bienfait de ces travaux se 
ferait ressentir à Bastia où la malaria sévit par moments avec 
intensité, et permettrait surtout d'ouvrir la foce de l’étang de 
Diana, l’un des bassins les plus splendides que la nature ait 
créés pour les rapports commerciaux et militaires, au centre 
d'une plaine si riche d’avenir agricole, en face de Rome, sur 
le trajet de Malte à Toulon, et pour ainsi dire sur la voie de 
Suez. 


IV 


MISE EN ÉQUATION. 


1. J'ai émis sous le n° III (2) qu'un étang voisin du litto- 
ral, dont le plafond est au-dessous des basses mers, est sus- 
ceptible d'être assaini par la marée, si l’on ouvre entre la mer 
et lui des canaux assez larges et à fond horizontal, de telle 
sorte que des fluctuations de quelques centimètres de chaque 
côté d'un niveau moyen soient le résultat d'oscillations beau- 
coup plus considérables de la mer. La surface annulaire dan- 
gereuse, devenant alors constante et assez faible, délavée 
d’ailleurs par des eaux renouvelées, perdrait de toutes facons 

36 


— 954 — 
de ses qualités putrides; et même il serait loisible de réduire 
cette surface annulaire à une simple ligne par un léger creu- 
sement dans les vases. Il est donc utile de connaître au moins 
approximativement la largeur des canaux qui donneront des 
fluctuations imposées, de ? centimètres par exemple. 

La solution de cette question est très complexe : soit parce 
que beaucoup de lois de l'hydrodynamique sont encore à 
trouver, telles que celles de l'écoulement de l’eau à travers 
de larges sections sur des longueurs de plusieurs centaines de 
mètres , qu'il serait très important d’avoir 1C1; soit parce que 
l'on arrive à des expressions sous le signe f que l’on ne sait 
pas résoudre. Il y à ainsi quelquefois des deux côtés échec pour 
les hydrauliciens et les analystes, et comme ils le reconnais- 
sent souvent, ils sont obligés de se contenter de solutions 
numériques approchées. Je paraîtrai donc très osé de cher- 
cher accidentellement à soulever un coin du voile d’une de 
ces grandes questions. | 

2. Je suppose que l’étang soit mis en communication avec 
la mer par un canal horizontal. L'eau de la mer se déversera 
dans l'étang, et inversement l'eau de l'étang se déversera 
dans la mer, suivant les oscillations de la marée. Quand 
l’eau sera arrivée à son niveau supérieur dans l'étang, celui- 
ci ne recevra plus rien et sera sur 16 point de donner. 

Il régnera donc en même temps un niveau commun entre 
la mer et l'étang pour les plus hautes eaux de ce dernier. 
Semblablement, quand l'étang sera à ses plus basses eaux, 
son niveau sera Le méme que celui de la mer au même mo- 
ment. 

J'appellerai fluctuations de l'étang les petites oscillations 
qui s’y produisent, afin de mieux les opposer à la dénomina- 
tion d’oscillations de la mer. BD est une demi-fluctuation 
versée ou versante, c'est-à-dire qui alternativement passe de 
la mer dans l'étang et de l'étang dans la mer. 


FUN 


— 9595 — 


n Hautes eaux de la mer. 


Hautes eaux de l'étang. 


Niveau moyen. 


Basses eaux de l’elang. 


sl 


Basses eaux de la mer. 


Plafond horizontal du canal. 


L’écoulement se faisant par le même canal horizontal sera 
soumis aux mêmes lois, quel qu'en soit le sens, si l'on ne tient 
pas compte des circonstances atmosphériques, dont il n'y a pas 
lieu de se préoccuper ; il sera constant, mais alternativement 
positif et négatif, si je puis ainsi m’exprimer, et par suite il 
semble naturel que les limites de la fluctuation, c’est-à-dire 
les horizontales B et D soient à même distance des horizon- 
tales À et £ qui représentent la haute et la basse mer (BA 
— DE), ou, en d’autres termes, que les plans des niveaux 
moyens de la mer et de l'étang se confondent. 

La figure précédente montre que l’étang, supposé à son ni- 
veau inférieur D, sera dans sa période de remplissage quand 
la mer montera de D en A et descendra de À en B, et qu’il 
sera au contraire dans sa période de vidange quand la mer 
baissera de B en E et montera de £ en D. Il est évident, d’'ail- 
leurs, que les niveaux moyens de l'étang et de la mer, qui 
sont les mêmes, ne sont pas simultanés. 

8. Je vais reprendre les considérations qui précèdent sous 
une forme plus explicite, en faisant intervenir le temps dans 
la figure. Soient tracées les quatre horizontales qui représen- 
tent les hautes et les basses eaux ‘tant dans la mer que dans 
l'étang, et l’horizontale qui figure le niveau moyen commun. 
Sur la verticale m n, égale à la demi-oscillation de la mer, je 
décris un cercle sur lequel je compte le temps. L’aiguille de 


A. 
h TE 


— 556 — 

cette horloge fictive marquera zéro au point le plus bas sn, 
T— 6b 12m 305 au point le plus haut n, et achèvera son tour 
complet en 12h 25m, juste pendant que la mer accomplira son 
oscillation. 

Il y a quatre périodes à examiner, qui sont isochrones , et 
dont la durée est de 6h 42m 30°. Ce sont : 

{° Celle de la marée montante, quand l'aiguille de l'horloge 
décrit le demi-cercle m a n; 


Hautes eaux de la mer. 


£ 
Hautes eaux de l'étang. = 
Niveau moyen | PÉRRTET | true ces commun à la mer et à l'ét 


Basses eaux de l'étang, A 


2222 ERRETENRE ASE" 


Plafond horizontal du canal. 


! Basses eanx de la mer. 


2° Celle de la marée descendante, quand l'aiguille de l’hor- 
loge décrit le demi-cercle n c m; 
3° Celle du remplissage de l'étang, quand l'aiguille de 
l'horloge décrit le demi-cercle a n c'; 
4 Celle de la vidange de l'étang, quand l'aiguille de l’hor- 
loge décrit le demi-cercle c’ m a. 
4. Le tableau suivant donne la définition des notations em- 
ployées dans le calcul; soient : 
28, la demi-amplitude des oscillations de la mer, ou la 
distance verticale entre la basse et la haute mer; 
Ra, la demi-amplitude des fluctuations obtenues dans l’é- 
tang ; 
T, le temps d'une demi-oscillation, c’est-à-dire 6b 12» 
-305 ; 
r, le rapport de la circonférence au diamètre ; 


— 9551 — 

æ, la hauteur du niveau de la mer au-dessus de ses basses 
eaux ; 

y, la hauteur correspondante du niveau de l'étang au- 
dessus de ses basses eaux ; 

t, la valeur correspondante du temps qui marque l’6- 
poque où la mer et l'étang atteignent respectivement 
les hauteurs x et y; 

p, la profondeur, comptée au-dessous des basses eaux de 
la mer, des canaux horizontaux qui ont été creusés 
entre la mer et l'étang ; 

1, la largeur de ces canaux, qui est l’inconnue cherchée; 

m, un coëfficient au sujet duquel il sera fait des remar- 
ques au n° 8 ci-après ; 

A, la surface de l'étang au niveau moyen, que l'on peut 
regarder comme constante entre les basses et les hautes 
eaux des fluctuations de quelques centimètres pro- 
duites dans l'étang. 


5. La surface de l'eau reste sensiblement constante dans 
l'étang, puisque la fluctuation 24 de l’eau y est très faible. 
On aura donc pour la quantité d’eau versée correspondant 
au demi-cercle a n c': 


244, 


terme dont il faut avoir une autre valeur pour lier une rela- 
tion entre les variables de la question, de manière à déduire 
l’indéterminée la moins engagée, quand on se sera donné les 
autres. 

A cet effet, il faudra chercher ce que la mer, arrivée au 
temps #, à la hauteur x variable entre 0 et 28, verse à chaque 
instant d t dans l'étang dont les eaux se sont élevées à partir 
de leur niveau le plus bas d'une quantité y variable entre 0 
et 24. Ce sera en intégrant la variation infinitésimale due à 
la tranche versante x— y a— 6, dans toute l'étendue du 
demi-cercle à n c', que l’on aura le second membre de l’équa- 
tion cherchée. 


— 558 — 

6. Cherchons d’abord x. La hauteur x peut s'exprimer faci- 
lement en fonction du temps {. Quand le temps variera de la 
différentielle d t, l'extrémité de l'aiguille décrira un arc ds 
correspondant à la variation d x de l’oscillation, et l'on aura, 
en supposant que l'aiguille marque zéro au point m, et en 
observant que l'angle décrit par l'aiguille correspondant au 


rl 
temps {, est T: 


dx = ds. Sin. La 
- P. 

D'un autre côté, si l'on observe que 
l'aiguille dont la marche est régulière, 
décrit un demi-cercle égal à 78 dans le 
temps 7, on aura 


D'où 
mr TI 
dr = — Sin — 
T Te 
et en remarqu :; que æ = © pour 
1—=0, et xæ—?$8 pour i—T, puis inté + 
(1) D'—)B (i — Ces 


Cette équation a été donnée pa: : äplace, comme expression 
analytique de la loi qui régit le phénomène des marées, et 
J'en ai hasardé la démon tration précédente. 

7. Les canaux horizontaux, qui seront établis entre la mer 
et l'étang, peuvent être considérés comme des déversoirs 
noyés, puisqu'il y aura toujours de l’eau sur le fond, et en- 
suite prolongés par un canal au niveau de la crête d’un séuil 
dont la Saillie verticale serait nulle. 

C’est en interprétant les choses de cette facon que l'on 
trouve à appliquer une formule. On apprendra donc beau- 
coup en ouvrant des canaux, tels que ceux que je propose 


pont re 
(ce qui ne serait pas très dispendieux), car il ne faut pas se 
dissimuler que le mouvement de l'eau pourra être très com- 
pliqué à cause du flux et du reflux de la mer, et que la lon- 
gueur des canaux peut s'ajouter à cette complication, comme 
cause retardatrice, 
La formule que j'appliquerai est celle de Dubuat : 


Q = mlH V 2g (H—h), 


dans laquelle on représente par 
Q, le volume d’eau écoulé par seconde ; 
m, un Coëfficient numérique variable suivant les circon- 
stances ; 
l, la largeur de l'orifice supposé rectangulaire ; 
H, la hauteur de l'eau d'amont, sur le seuil ; 
g, — 9" 8088 l'accélération de la chute. 
L'équation spontanée du problème est visiblement 


(2) 24a = [ Q dt 


dans les limites de temps qui correspondent aux points a et c 
de notre horloge fictive, comme.cela a été dit au n° 5. 

Je vais calculer ces limites. Si l’on désigne par 2x, le nombre 
de secondes sexagésimales.qui correspondent à la demi-fluc- 
tuation 2, c’est-à-dire le nombre de secondes interceptées 
sur l'horloge entre les lignes des basses et hautes eaux de l’é- 
tang, on aura 


arc ma— 


ro + 


arc MmAancC—=—— a, 


d'ailleurs 
H=œ&+<?, 
R=p EE + y—%+, 
H—h=m—p6+e—y, 


et par suite l'équation spontanée (2) se transforme en 


: 


— 960 — 


3T 
DE 

G) em G+nVWE—-FFe- vd 
RAS 


qui conduira à la détermination de l’inconnue la plus inté- 
ressante, /, la largeur des canaux. 

8. Dans la pratique, il faut simplifier les équations inté- 
grales, surtout quand elles renferment un coëfficient tel que 
m, qui offre beaucoup d’incertitude, parce que pour la lon- 
gueur des canaux dont il s’agit, les expériences manquent 
totalement. Après avoir consulté les tables de M. le colonel 
Lesbros et m'être bien représenté les influences retardatrices 
du flux et du reflux, je réduirais volontiers au jugé ce coëffi- 
cient m à 0,30. 

Les fluctuations de l’étang ne seront jamais que très faibles, 
et l’on comprend que l'on obtiendra son assainissement en 
se contentant d’une fluctuation de 2 centimètres de hauteur, 
c'est-à-dire .pour laquelle «— 0,01. Alors «—y sera plus 
petit 0m,01, mais 242 sera toujours une quantité très grande 
à cause de la valeur du coëfficient À, qui peut être de plu- 
sieurs centaines d'hectares. 

J'insiste sur ce que l’on n’a qu’à peu près le coëfficient m, 
et sur le peu de valeur des quantités «, et «— y, et je sub- 
stitue à l’équation (3) la relation suivante, bien suffisante dans 
le cas de la pratique. Ce sera l'équation du problème. 

3T 
7 


(4) 2 Aa = mi EF?) V 2g (œ— B) dt 
T 


— 961 — 


V 


DIFFÉRENTS MODES D'INTÉGRATION DE L'ÉQUATION DU PROBLÈME, 


PAR LES INTÉGRALES EULÉRIENNES , PAR LES SÉRIES, PAR LES 
FONCTIONS ELLIPTIQUES. 


9. Si dans l'équation (4) on substitue 


(2) &=B(1— CT) 
on à 
OU 


2 Aa — ml \ £ (6+» — f Cos 5) VA Cos Tdi 
1h 
pt 


et en faisant 


ÉD AE 
Ti T 
T + o — 


il vient 


T 
' 2 
del Mes \ (KL Sin «) Sin 
T 


0 


D | 


o do. 
SOI 
BT V 2gB c 
Tr “TT » 
z 


+ 
r=| (K + Sin w) Sin odo, 


1 


US : 
Ps — Sin oc , 


0 


= RUE 


LA 
CH L1 
n— \ Sin «de, 
0 
il én résulte 


? = Ky + % 
(5) Aa — Cpml, 
équation qui servira à déterminer la D L des canaux. 
Mais il y a à calculer d’abord la quantité + : plusieurs procédés 
vont être employés dans les paragraphes qui suivent. 


Calcul de # par les intégrales eulériennes. 


10. D'aborl #, et +, sont réductibles aux intégrales eulé- 
riennes de dcuxième espèce. On a, en effet, en adoptant la 
notation usilie 


+ "a—1 
r (= e x dx 
0 


et en s'appuyant sur la relation fondamentale qui donne l'in- 
tégrale eulérienne de première espèce : 
1 


a—i b—1 r'(a) r' (b) 
n { — T 2Z= Et 
œ 1— x) dx T(a Lt) 


0 


puis en posant 
Sin © — V æ, 
on obtient 


Le PP LE +3 n+1 
128 À ÿ u - es TC ra JE Ed +) 
0 + 1 


21 — 


Mais 


donc 
n+i 
9 L 
\ Sin EME ( è ) 
Fe n 
0 Aa 


et 


T 
2 sal V 
IN Sin odu—= = 
Fe na) 
Si, d'un autre côté, on s'appuie sur la relation 


r(1+a)=ar(a), 


ri 
LL 
#| or 
CR 


on aura 
(Her (+D= 2e 
d'où 
7 
n == Ve Eu 
3 Fa % 
ble 
et 
?4 Fa = 


relation qui servira à vérifier le calcul des fonctions », et »,. 

Legendre a donné une table des logarithmes de la fonction 
T (a), pour toutes les valeurs de la racine a, de millième en 
millième, depuis a—1 jusqu'à a =? (Traité des fonctions 
eulériennes, tome II, pages 489 et suivantes), et l'on y trouve, 


— 564 — 
en gardant toutes les décimales, mais en retranchant 10 à la 
caractéristique : 


5 L 
(G=?=1.250) Log. r () — 1.957 321 083 716 
(a— DR Ve pe 

=;=1.7%60 Log.r (z) — 1.963 345 058 874 


Le calcul des valeurs de », et #, n'offre pas de difficulté. 
On trouve à moins de 0.001 près | 
pi —01- 108 La vérification 39, #, —7r donne 
9» — 0.874 ) 3.1412; ce qui est suffisant; 
et en admettant, comme dans l'application ci-après, n° VI, 


K = 3.86, on a 
o — ).500, 


Seconde méthode par les intégrales eulériennes. 


11. On peut chercher à conduire le calcul de manière que 
chacune des fonctions +, et #, ne renferme qu'un seul et 
même T. 

La relation suivante, donnée par Euler (LEGENDRE, Fonc- 
tions elliptiques et intégrales eulériennes, tome II, page 409), 
en fournit le moyen. Pour a < 1 elle est 

r'{a) Tr (1 TT 
L'application en donne 


{ 3 = 
fre =" 


(D) 


Mais 


Donc 


— 565 — 
D'après cela, les valeurs trouvées ci-dessus au n° 10 de- 


viendront 


et l’on trouve encore à moins de 0.001 près, dans l'hypothèse 
où K — 3.86 


P = 1.198 
92 — 0.874 
pg — 5.500. 


Méthode par les séries. 


12. L'intégration par les séries, de l'équation (4), laisse à 
désirer, parce que l’on tombe sur des séries peu convergentes. 
Je reprends l'équation (4) 
3T 


k 2 
tan) +) V?9 &—E) dt. 


— 


On a 
Ti 
æ = (1 — Cos ns) 
Soit comme ci-dessus 
B+p —Bû6Kk \ 
o— ÉTV2E 


T 


Je pose en outre 


— 566 — 
TÎ 
— Cos T = ua, 
et l'équation (4) se transforme en la suivante : 
1 2 


(6) Az — 20 nÀ (Kw) u2(1— ut) ? du 
0 
Les fonctions #, et ?, du n° 9 seront ici 


Or l'on a 
ES 
1° u2 (H— ut) ? du 
=\ 2 du (is ut+s jure ua + te.) 
: 2 8 16 
=| u? du + | du +a\ue du ie \“ et. 
2 8 16! 


US" -Lut , 3 ut 5 ult5 
QUE ÉTÉ TEE + etc.) 


RME De ET 
a) 3 sé À Es 
ce Ce 


série peu convergente (pour les quatre premiers termes on 
a #, — 0.918) 


1 
25 \: ({— wi) ? du 


=|" du ( En + +2 ul? L ke. } 


,— 967 — 
ï l 5166 F 
=\ du + 5 \s du + AT du + ae" du + etc. 


uÿ L u° 5 u!7 


3 u13 1 
es To at NM ET 
d'où 
{ 1 5 5 | 
net tin tonte) 


série également peu convergente (pour les quatre premiers 
termes on a ?, = 0.605). 


Méthode par les fonctions elliptiques. 


13. Il vaut donc mieux renoncer à développer en séries les 
quantités +, et », exprimées en fonction de w, d'autant plus 
qu’elles sont, par des artifices très simples, facilement réduc- 
tibles aux fonctions elliptiques de première et deuxième 
espèces. On a en effet : 

D'une part, 


Or l'intégration par parties donne 


— 568 — 
: 1 51 
u-miauu ire {{—u) ?du 


donc 


donc encore 


4 Ag 4 d | 1 
\ eu nn EEE ? du: 
0 


0 


d'où 


Si l’on fait maintenant 
u = Cos À, 


et si l’on adopte les notations £! (c) et F! (c) de Legendre, il 
vient : 


T 
1 CRC: " 9 RO RRET A pe 
V 25 du — VE 1-35 dÀ — V2E Cal 
VI VE 


0 


/ 


Legendre a également publié une table de logarithmes des 
fonctions F! (c) et El (c), quand l'argument 9, du module dé- 
fini par la relation Sin 9 —c, varie de dixième en dixième 
de degré depuis 0° jusqu’à 90° (Traïlé des fonctions elliptiques 
et des intégrales eulériennes, tome IT, pages 221 et suivantes). 


Ée 
Ici c———, d'où 8 — 45°. On trouve 


Dan Es Us) — 0.130 540 855 400 


V2 h 


F 
d’où, en se bornant à un nombre restreint de décimales : 
9, — 1.198 
9 = 0.874 


valeurs déjà trouvées ci-dessus. 


VI 


APPLICATION A L’ÉTANG DE BIGUGLIA. 


Je vais faire l’application de cette théorie à un étang dont 
la superficie serait de 1.200 hectares au niveau des eaux 
moyeunes de la mer, ce qui représente assez bien l'étang de 
Biguglia dont il a été question ci-dessus, et je veux donner 
des fluctuations dont la demi-amplitude 2x = 2? centimètres. 
On a d'ailleurs déterminé par des expériences que 28 = 0m70 
pour le itoral de la Corse. Je donnerai aux canaux une pro- 


Pro 3 gp: 


P 


fondeur p = 1,00, ce qui conduit à K— 


L'équation (9) 
Aa Coml, 


— 570 — 
se transforme numériquement dans la circonstance présente, 
en 
120000 — 6527 >< 5.500 X ml 
d'où 
MIE 30:99 


Voilà la valeur de ml déterminée avec toute l'approxima- 
tion nécessaire pour le cas de la pratique; mais la valeur de 
L est encore bien obscure, car l'expérience n’a encore rien 
appris sur le coefficient m dans le cas d'aussi grands canaux 
que ceux que je propose. J’ai dit, n'ayant pas de meilleures 
raisons à donner, que je le préjuge égal à 0.30, ce qui don- 
nerait 

LE MeIDE 


soit un canal d’une douzaine de mètres de largeur. 

Aiïnsi, pour une variation deux fois quotidienne de ? centi- 
mètres du niveau de l'étang, il faudrait un canal de 12 mè- 
tres de large. Si l'on veut renouveler l’eau de l'étang dans 
une plus grande proportion, on ouvrira plusieurs canaux 
semblables en plusieurs points choisis; et alors la variation 
du niveau dans l'étang, au lieu d’être de 2 centimètres, pour- 
rait être portée à 4 ou 5, ce qui serait excessif. 

Quelle sera la proportion de l’eau introduite ? Ici je regrét- 
terai de ne pas avoir un plan topographique et hydrogra- 
phique de l'étang de Biguglia ; mais je chercherai à me rap- 
procher des dimensions de cet étang, pris pour exemple, en 
supposant qu'il ait une profondeur moyenne de ?2",00 au- 
dessous du niveau moyen, dans toute l’étendue de la surface 
de 1,200 hectares. Le choix des quantités montre qu’à chaque 
marée la mer verse dans l'étang le centième du volume des 
eaux que ce dernier renferme, c’est-à-dire qu'après chaque 
marée il ne restera plus que les 5% des eaux qui remplissaient 
l'étang dans la marée précédente, ce qui est suffisant pour 
les empêcher de croupir, en même temps que par le maintien 
d'un niveau quasi constant on empêche les bords de nuire. 


Er, 


3 


— 571 — 
Bien entendu que tout ce qui aura été vaseux, mais qui ne 
sera plus mouillé, sera colmaté, puis complanté. 


VII 


REVÊTEMENT DES CANAUX. 


La vitesse de l’eau dans les canaux ne sera-t-elle pas assez 
grande pour les dégrader ? 
Je reprends la formule de Dubuat : 


Q — nt H V 29 (H—h); 


on à pour l'expression de la vitesse moyenne 


V=m NV ?g (H —h). 


Le maximum de la vitesse correspond aux hautes eaux; on 

a 
V?g HR) < V8, 
de telle sorte que l'on aura une résistance plus que suffisante, 
en cherchant quelle doit être la nature des parois pour un 
courant dont le niveau serait le même que celui que donnent 
les hautes mers. 
Or 
V — m V 29 = 0,79, soit 0w,80, 


et la vitesse moyenne de ce courant donnée par la formule 
de M. de Prony, est, en négligeant les millièmes, 


EL EME, 


VE3. D ie Us 


La vitesse au fond sera plus petite encore, mais je lui sub- 
stitue la vitesse moyenne afin de me mettre dans des circon- 
stances défavorables. Or l'expérience a appris que 

Les terres détrempées commencent à être entraînées par 
des CAx Ayant NOVICE DER AN ee de nee pat 0m,07 


2. Ho re 


Les argiles tendres commencent à être entraînées par 


des eaux ayant une vitesse de..... V5 HS, RANGS EU 0:45 
Les sables non agglomérés..............: He os à SONO 
Bes'sraviers......... aa ei : RO Eee ER 

es cailloux... RE SE EE i 2 SU EME Om,61 
La pierre cassée, les A SE AE A À à PER LE 
Les cailloux agglomérés.........:. asie ds STORE 
Les poudingues et schistes tendres............ 6 Me 
Les roches en couche....... HQE RER EE 1025 F#,85 
Dés TOChES UUTES APE POSE UNI RAT RER ,68 


On voit d’après ce beau que si l’on fait un radier en 
pierres plates brutes et des perrés très inclinés, ils résisteront 
au courant, et l’on comprend en outre que s'il y a quelque 
invasion des sables de la mer, le courant les poussera à cer- 
tains moments dans l'étang. Comme on ne cherche pas dans 
ces Canaux nn moyen de colmatage, mais une transformation 
d'oscillations en fluctuations, on sera porté à draguer l’extré- 
mité du chenal assez profondément, à y faire un radier plus 
solide, dont le rôle se combinera avec l’action des jetées pour 
empècher tout envahissement des sables de la mer. Enfin il 
est probable que, malgré toutes les précautions, il faudra 
encore se servir de dragues pour empêcher la formation de 
dépôts, de même que l'on est obligé d'employer des canton- 
niers de marais pour nettoyer les rigoles d'assainissement. 


FAUT-IL DIRE ROGNON OÙ ROSEMONT? 


Note de M. Auguste GASTAN. 


Séance du 8 février 1873. 


Chacun voit d'ici cette montagne conique qui domine la 
plaine de Saint-Ferjeux, et regarde la vallée du Doubs sui- 
vant une ligne tangente au sommet du fer à cheval que la 
rivière décrit autour de l'antique assiette de Besançon. 

Si, depuis le vieux pont qui relie les deux rives du Doubs, 
on regarde dans le sens du courant de la rivière, cette mon- 
tagne forme la limite d'horizon; et lorsque le soleil tend à 
disparaître au sein d'une atmosphère sans nuages, la mon- 
tagne empourprée colore de son image une nappe d'eau par- 
faitement unie. Ce réjouissant spectacle est généralement 
l'indice d'un beau temps pour le lendemain ; de là est venu 
le dicton : « Quand on voit Rognon dans l’eau, le lendemain 
il fait beau. » 

Un autre propos populaire s'applique également à cette 
montagne : il a pour origine un événement de la fin du trei- 
zième siècle. En 1291, l'archevêque Eudes de Rougemont, 
voulant prendre ses précautions contre la commune, s'était 
fait construire un château-fort au sommet de cette hauteur. 
La commune considéra ce fait comme une menace; des sei- 
gneurs de la province lui vinrent en aide, et, après un siége 
de quelques jours, la forteresse fut prise d'assaut et démolie : 
il n'en resta pas pierre sur pierre, les matériaux ayant été 
enlevés au profit des fortifications de la ville (1). 


2 ou ne © D nn AU A 2 mm en D LA ne = CO RS men Pons 


(1) Nous publions, ci-après, quelques documents inédits relatifs à ce 
fait de guerre. 


: * L ne ia 


— 574 — 
La mémoire de cet exploit a donné lieu au quatrain sui- 


vant : 


L'an mil trois cens, ostez en neuf, ! 
Sur Rosemont fut chasteau neuf, 

Ne passèrent trois jours ou quatre, 

Que le chasteau l'on fit abattre (1). 


Pourquoi la montagne est-elle appelée Rognon quand il 
s'agit des prévisions atmosphériques, et pourquoi est-elle 
nommée Rosemont lorsqu'il est cas de la destruction du châ- 
teau qui la couronna quelques instants ? 

Généralement on croit que Rosemont est une facon élégante 
de prononcer le mot rustique Rognon : ces deux vocables se- 
raient, l’un la forme francaise, l’autre la forme patoise d'un 
même mot. 

Cependant l'observation des documents, seul moyen d'ar- 
river à des étymologies précises, contredit cette manière de 
penser. En effet, les deux formes Rognon et Rosemont se mon- 
trent concurremment dans des chartes qui datent de la même 
époque et appartiennent au même dialecte : il est donc à 
croire que les notaires du vieux temps ont eu des motifs pour 
écrire, suivant le cas, quelquefois Rognon et quelquefois Rose- 


mont ou Rogemont. 

Le mot de cette petite énigme m'a été fourni par la dépo- 
sition d'un témoin qui, âgé de 64 ans en 1435, s’exprimait 
ainsi : « Il est de notoriété publique qu'un archevêque de 
Besancon fit bâtir un château, alors appelé de Rosemont, au 
sommet du mont de Roignon, château que les citoyens de 
Besançon firent démolir (2). » 


(1) J.-J. CuirrLxTt, Vesontio, I, p. 236. 

(2) « Audivit dici publice, communiter et notorie, quod quidam archi- 
episcopus Bisuntinus edificari fecit quoddam castrum, tunc vocatum de 
Rosemont, in cacumine montis de Roignon, et illud demoliri fecerunt 
cives Bisuntini. » (Déposition de Pierre MaLmisserr, âgé de 64 ans, et 
mémoratif de 55, dans une #Ænquéte de l'an 1435, aux Archives de la 
ville de Besancon.) 


« y 
2 1 3 
ia 
re D?" 


— 575 — 

Ce simple témoignage montre nettement la distinction d’o- 
rigine et de sens qu'il faut établir entre les appellations qui 
font l'objet de cette note : Rognon, vieux mot celtique, doit 
demeurer le nom de la montagne ; Rosemont, ou Rougemont, 
nom de l'archevêque qui avait fait bâtir le château détruit 
en 1291, ne pourrait s'appliquer raisonnablement qu'au fortin 
ébauché, pendant la dernière guerre, sur l'emplacement oc- 
cupé jadis par ce château. 


— 976 — 


PIÈCES JUSTIFICATIVES 


I 


Récit de la destruction du château de Rognon, extrait d'une Chronique 
anonyme du seizième siècle. 
(Bibliothèque et Archives de la ville de Besançon.) 


Edification et ruyne du chasteaul de Rozemont (1). 


L'an mil deux cens nonante, Odo, natifz des seigneurs de 
Rougemont, estant archevesque de Besançon, commencea à 
bastir une forteresse ou chasteaul sur une montaigne dicte 
Rougnon, à présent Rozemont, proche la cité de Besancon ,, 
et fut parachevé l’an mil deux cens nonante ung. Et estoit 


(1) Ce récit n'est qu'un écho légendaire du fait auquel il se rapporte. 
La forteresse de Rognon ne fut pas enlevée par une simple sommation 
des citoyens, mais par un siége pour lequel on employa des machines 
de guerre dirigées par des ingénieurs de profession. De vrais hornmes 
d'armes, rémunérés par une solde journalière de cinq sous, avaient été 
fournis à la commune par les seigneurs qui secondaient l’entreprise. 
Hugues de Bourgogne, frère du comte Othon IV, avait amené 84 hom- 
mes; Thiéhaud IV de Neuchâtel en avait conduit 55; Jean de Bour- 
gogne, Poinçart de Rans, Hugues de Vienne, Jean de Belmont, étaient 
également venus avec des soldats. Le rassemblement des troupes com- 
mença le 10 juillet 1291, jour de l’arrivée du contingent de Hugues de 
Bourgogne. La première attaque eut lieu le mardi 24 juillet, et la forte- 
resse se rendit avant la fin de la semaine. L'archevêque Eudes de Rou- 
gemont fut laissé libre de se retirer à Salins, mais la garnison de la for- 
teresse dut se constituer prisonnière : elle se composait de 99 combat- 
tants, dont les seigneurs alliés se partagèrent la garde. Cette expédition 
mit à la charge de la commune une dépense de 2,725 livres; mais ce 
sacrifice fut compensé par la prise du matériel de la forteresse, par une 
indemnité de 500 livres imposée à l'archevèque, et surtout par la pro- 
messe que fit implicitement ce prélat de ne jamais songer à la réédifi- 
cation du castel qui venait d'être démoli. 


= Hibee 


icelle forteresse de sy grande estendue, tant en haulteur que 
largeur, qu'elle pouvoit beaucoup nuyre à ladicte cité. 

Ce qu'ayant recongneu les citoyens, et se souvenant des 
procès et guerres précédentz par le moyen de Gérard et aultres 
archevesques, par commune délibération et résolution entre 
eulx, le dymenche avant la Magdaleine de l'an mil deux cens 
nonante ung, grand nombre de citoyens, tant vignerons 
qu’aultres, comme d'envyron six ou sept cens, se transpor- 
tarent avec armes, d’aultres avec instrumentz propres à dé- 
molir édifices, en ladicte place et devant ledict chasteaul, au- 
quel estoit ledict archevesque avec ses gens. 

Où estant, quelques particuliers, ayantz charge des aultres 
citoyens, parlarent audict archevesque, luy remonstrant le 
peu de proffit qu'il debvoit espérer de telle forteresse, et les 
incommoditez et dommaiges qu'en pourroient recepvoir la 
cité et les citoyens sy telle place tomboit entre les mains de 
leurs ennemys, et que se resentant encor des guerres passées, 
tant à cause des Vandales qu'aultres, et craignant par après 
de retomber en telle peine et intérestz, ilz avoient entre eulx 
délibéré se transporter en ladicte place, en intention de la 
desmolir et razer icelle forteresse, le priant, d’austant qu'il 
désiroit prolonger sa vie et vivre le reste d’icelle en paix et 
amytié avec eulx, sortir dudict chasteaul et permettre la dé- 
molution d’icelluy, ne désirant, après ce, que son amytié et 
le recongnoistre pour archevesque et pasteur, luy déclairant 
en oultre que leur intention estoit non sortir de ladicte place 
qu'icelle forteresse ne fut totallement mise par terre. 

Ce qu'ayant entendu, ledict archevesque, voyant le prou- 
chain danger où il estoit, et que le reste des citoyens estoient 
en armes, et le peu de secours qu'il espéroit, ayma mieux 
céder à la fureur du peuple que perdre la vie. Après quelques 
honnestes excuses prinses, sortit avec ses gens dudict chas- 
teaul, et incontinant après, les citoyens se meirent à desmolir 
icelluy, tellement qu'il n’y demeura pierre sur aultre. Et de- 
puis ledict archevesque vesquit avec les citoyens sans procès. 


— 518 — 


Des pierres dudict chasteaul furent, pour la plus part, for- 
tiffiées et faictes les murailles de Charmont. 


I 
1293 (18 mars). 


Quittance d'une indemnité de 136 livres et de 20 bichots de froment, 
payée par l'archevêque Eudes de Rougemont à l'abbesse de Battant- 
lez-Besançon, comme dédommagement des dégâts advenus aux pro- 
priétés de ce monastère durant le siége de la forteresse de Rognon. 

(Cartulaire de l'archevéché de Besançon.) 


Nos Guillerma, abbatissa de Bathento, Cisterciensis ordi- 
nis, totusque ejusdem loci conventus, notum facimus uni- 
versis quod nos recepimus, in pecunia legitime numerata , a 
reverendo in Christo patre et domino Odone, Dei gracia ar- 
chiepiscopo Bisuntino, centum et triginta et sex libras ste- 
phaniensium, et viginti frumenti bicheta ad mensuram Bi- 
suntinam, pro omnibus dampnis, deperditis, missionibus et 
interesse que, quas et quod sustinuimus, incurrimus et ha- 
buimus a dicto domino archiepiscopo et ejus exercitu, vel ejus 
coadjutoribus , dum dictus dominus archiepiscopus in monte 
de Rougnons edifficaret quoddam castrum : quittantes dictum 
dominum archiepiscopum et ejus successores, nomine suo 
et sedis Bisuntine, pro nobis et successoribus nostris, super 
predictis dampnis omnibus et singulis nobis illatis occasione 
superius annotata...... In cujus rei testimonium, sigillum 
nostrum presentibus litteris duximus apponendum..... Da- 
tum et actum in abbatia de Bathento, in camera domine ab- 
batisse, xv kal. aprilis, anno dominice Incarnationis M° CC 
LXXXXII, indictione vr, sede romana, ut dicitur, vacante 
per mortem felicis recordationis domini Nicolai pape mu. 
Presentibus discretis viris : domino Stephano, sigillatore Bi- 
suntino ; magistro Stephano, physico Bisuntino, et pluribus 
aliis fide diguis testibus, ad hoc specialiter vocatis et rogatis. 


— 9579 — 


III 
1293 (29 avril. 


Traité de paix entre l'archevêque Eudes de Rougemont et la commune 
de Besançon, par lequel, moyennant une indemnité de 500 livres payée 
par le prélat à la commune, celle-ci consent à mettre en liberté les 
‘prisonniers de guerre faits à la suite du siége de la forteresse de Ro- 


gnon. 
(Archives de la ville de Besançon.) 


Saichent tuit cil qui verront et orront ces présantes letres 
que come querale, questions et descors fut entre redoté père 
et seigneur Odon de Rogemont, par la grace de Deu arceves- 
que de B:sançon, por luy et en noum de luy et de ses aïidanz, 
d’une part, et les prodomes citiens de Besancon, por lour, en 
noun de lour et de lour aidanz, d'autre part, sor ce espressé- 
ment et espécialment que li diz arcevesques, il et sui aidant, 
avoit fait et fermé une maison fort ou puy et en la montaigne 
dou mont de Roignom, qui est près de la cité de Besançon et 
danz la banlée de cale, contre la velonté et le deffans exprès 
des diz citiens, en lour griève et ou préjudice très grant de 
lour et de la dite cité, ce que li diz archevesques faire ne pooit 
ne davoit, ansi come li dit citien le disoient et affermoient, et 
le dit arcevesque disant encontre que faire le pooit come en 
la chose dou siége de Besancon ; et li dit citien, il et lour 
aidant, la dite fort maison hahussent abatu en usant de lour 
droit, ausi come il disoient, et hahussent pris li dit citien en 
cale fort mayson plusors prisons, gentis homes et serjanz, 
qui hostaigié se estoient en la main des diz citiens et en la 
main de acuns de lour aidanz [por] certainne some de argent, 
et ahussent encor pris en la dite fort maison plusors chestex 
et de diverses mennières de choses ; et li diz arcevesques et 
sui aidanz, en fermant la dite maison fort, hahussent faiz ès 
diz citiens granz domaiges et divers, et espécialment ès vignes 
et ès chans des diz citiens ; en la perfim, sus les diz descors, 


— 280 — 
amis Communs entrematanz, et espécialment noble home et 
puissant Huguon de Borgoinne, chevalier, pais, acors et 
amors finax est faite amiablement entre les dites parties, en 
noum de lour et de touz lour aidanz, de commune et de bone 
velonté, sor touz les devanz diz descors et sor totes autres 
grahuses, querales, torzfais, enjures que issues an sont por 
acuyson ne por raison des descors desus diz jusque à tans de 
ces présantes.latres, en tel mennière : que mises, despans, 
costanges, grief, perdes, totes quex que ales soient, que li 
diz arcevesques ne sui aidanz, li dit citien ne lour aidant, 
aient fait, encorru ne sostenu en queque mennière que ce soit 
por raison ne por l'occasion des descors desus diz, sunt quicté : 
et remis outréement, sanz riens que jemais s’an doie ne 
puisse demander de l’une partie ne de latre, à lour ne à lour 
aidanz ; et en outre ce, li diz arcevesques ai quic'é ès diz ci- 
tiens cinc cenz livres d'estevenans et randu lour en ai l'es- 
trument qu'il avoit sor cales; et li diz citien ont quicté tran- 
chiement les devanz diz prisons et hostaiges à dit arcevesque, 
sanz rien jaimès demander en cäles, sal Iles droiz anciens à 
devant dit arcevesque, et sal les droiz et les deffanses à devanz 
diz citiens. Totes ces choses desus dites et une chescune 
d'icales li devant diz arcevesques, ou noum de luy et d? ses 
aidanz, et li dit citien, en noum de lour et de lour aidanz | ont 
promis tenir et guarder en bone foy et par sollempnel st\pu- 
lacion, sanz jaimès venuir encontre. En tesmoignaige d?> la 
quel chose, nos li devant dit arcevesques et Hugues de Eor- 
goinne avons mis nos seas en ces présantes letres, faite:| et 
donées à Besançon, à la requeste des devant dites parties |le 
mecredi après la feste saint George, l'an Nostre Seignour c 
rant per mil dous cenz et nonante et trois. 


(Fragments des deux sceaux en cire brune, apposés s 
double queue de parchemin.) 


— 581 — 


IV 
1293 (29 avril. 


Engagement pris par Humbert de Rougemont, envers la commune de 
Besançon, de ne jamais aider son oncle, l'archevèque Eudes, à recon- 
struire une forteresse sur la montagne de Rognon. 

({rchives de la ville de Besançon.) 


Nos Humbers, sires de Rogemont, facons savoir à tous que 
nos promettons et havons promis loïalment en nostre bone 
foy à noz amez les citiens de Besançon que redoutez pères et 
sires nostre chiers honcles, Huedes per la grace de Deu arce- 
vesque de Besançon, per nos, per nostre aide, per nostre vo- 
lunté, ne per nostre porchaz esprès ne taisible, maison fort, 
fermeté, ne habitacle nunl quelque soit, ou puyl ne en la 
montaigne de Roignon ne fermerai ne fermer ferai, ne por- 
chacerai per lui ne per autruyl affermer. En tesmoignaige 
de la quel chose, nos havons requis à noble baron et puissant 
Hugon de Bergoigne, chevalier, et à saige baron et discret 
l'official l’arcediacre de Besançon que il, por ce que nos n’a- 
viens nostre seel présant, meissent lor seex. Et nos li devant 
diz Hugues et officiax, per devant cui li diz Humbers ai con- 
fessez Les choses desus dites estre veraies, à la requeste du dit 
Humbert, havons mis nos sees en ces présantes leitres, en 
signe de verté, faites et données à Besançon, lo jor du mes- 
credi devant feste seint Philipe et Jaique, apostres, l'an 
Nostre Seigneur mil dous cenz quatre vinz et traze, 

(Fragments du sceau équestre de Hugues de Bourgogne, et petit 
sceau de l'official de l'archidiacre; sur ce dernier figurent le 
bras de saint Etienne et l'aigle de saint Jean, avec la légende : 


+ S. CVRIE G. ARCHID. BISVNT. Ces deux sceaux en cire 
brune pendent sur double queue de parchemin.) 


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— 583 — 


Dons faits à la Société en 187. 


D 


Par M. le MaxiISTRE LE L'INSTRUCTION PUBLIQUE... 500 f. 
Parle DÉPARTEMENT DU DOUBS. 5000 500 
Par la VILLE DE BESANCÇON............ PERS ERP EU 600 


| 


Par M. le MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE : Revue des 
Sociétés savantes, 5° série, t. IV (juillet-décembre 1872) et 
t. V (janvier-avril 1873); — Discours de M. Jules Simon à 
l'assemblée générale des délégués des Sociétés savantes réunis à 
la Sorbonne le samedi, 19 avril 1873, in-12 ; — Liste des So- 
ciélés savantes des départements et des correspondants du Mi- 
nistère, 1873, in-8; — L'empire du Brésil à l'Exposition uni- 
verselle de Vienne en 1873, in-8. 


Par la CHAMBRE DE COMMERCE DE BESANCON, Compte-rendu 
de l’année 1872, in-4. 


Par MM. 

Laurens (Paul), membre résidant, son Annuaire du Doubs et 
de la Franche-Comté pour 1873. 

Jun (Th.), membre correspondant, son ouvrage intitulé : La 
vérité sur le masque de fer; Paris, 1873, gr. in-8. 

Lavaux (Jacques), fermier à Mérilly (près Melle), trois bro- 
chures de M. de Longuemar sur les Grottes du Loubeau et 
du Chaffaud. 

Casran (Francis), membre correspondant, son Etude des 
poudres pour le nouveau matériel de l'artillerie de terre, 
1873, broch. in-8. | 

QUETELET, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Bel- 
gique : Premier siècle de l’Académie royale de Belgique, gr. 


— 584 — 
Par MM. 

in-8, 1872; — Tables de mortalité et leur développement, 
in-4, 1872; — Sur l'aurore boréale du 4 février 1879, in-8 ; 
— Sur les étoiles filantes et Les aurores boréales de 1871 et 
1872, ? broch. in-8 ; — Sur le huitième congrès international 
de statistique, tenu à Saint-Pétersbourg au mois d'août 1872, 
in-8. 

GAUTHIER (Jules), membre résidant, sa Notice sur l'hôpital du 
Saint-Esprit de Gray (1238-1790) ; Vesoul, 1873, in-8. 

VIVIEN DE SaixT-MarTiN, membre correspondant, son Année 
géographique, 1872, in-12. 

MarescHaAL (Jules), son Rapport à la Société académique des 
Hautes-Pyrénées sur le congrès des sociétés savantes en 1867; 
Paris, 1873, gr. in-8. 

GAFFAREL (Paul), membre correspondant, sa brochure inti- 
tulée : La mer des Sargasses; Paris, 1873, in-8. 

QuiquerREz, membre correspondant, son Catalogue (imprimé) 
des principales publications et ouvrages encore manuscrits de 
A. Quiquerez (exemplaire complété par un supplément ma- 
nuscrit), in-4 

Cuvier (Charles), son Cours d'études historiques au point de 
vue philosophique et chrétien, 3° série : esquisses d'histoire 
générale; Paris (Neuchatel), 1873, in-12. 

Huauexy, inspecteur d'Académie, membre honoraire, ses 
cinq ouvrages, intitulés : Recherches expérimentales sur la 
dureté des corps et specialement sur celle des métaux, 1865, 
gr. 1n-8;, — Recherches sur la composition chimique et les 
propriétés qu'on doit exiger des eaux potables, 1865, gr. in-8; 
— Le coup de FE de l’île du Rhin, près de Strasbourg (13 
juillet 1869), in-4; — Rapports sur la situation de l'instruc- 
tion primaire du Fi de Meurthe-et-Moselle pendant 
les années 1871-1872 et 1872-1873, ? broch. in-8 et gr. in-8. 

DE Manoror, colonel fédéral, membre correspondant, la mi- 
nute d'une nouvelle Carte du pays d'Alaïse, dessinée par 
lui-même. 


— 585 — 
Par MM. 

Rossr (D.), sa Réponse à MM. Gazan et Léon Renier, au sujet 
d’une inscription tumulaire de l’époque romaine, trouvée à 
Solliès (Var), broch. in-8. 

Rozer (E), trésorier de la caisse départementale de l’ nee 
tion primaire du Doubs, sa brochure intitulée : Des biblio- 
thèques populaires, in-8. 

VEermorT (Ernest), capitaine de frégate, membre correspon- 
dant : Echantillons géologiques et paléontologiques prove- 
nant de la grotte de Loubeau, près Melle (Deux-Sèvres) ; 
— Momie d’'Ibis sacré, dans son urne en terre cuite, pro- 
venant des nécropoles de Memphis; — Bouteille d’eau très 
bitumée de la Mer-Morte ; — Carte générale de l'Océan at- 
lantique seplentrional, par Robiquet (1855) ; — Plan du bras 
canalisé de Sulina (Bas-Danube), par G.-A. Hartley (1860) ; 
— Groupe de 50 monnaies et médailles de l'antiquité, du 
moyen âge et des temps modernes. 


38 


— 58GE 


Envois des Sociétés correspondantes en 4873, 


a 2 


Bulletin hebdomadaire de l'Association scientifique de France, 
année 1873. 

Répertoire des travaux de la Société de statistique de Marseille, 
t. XX VIII (6° série, t. III), fascic. 1 (1866). 

Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, année 1872 
et 1°" semestre de 1873; — Histoire naturelle du Morbihan : 
Catalogue des Lépidoptères, par M. Griffith. 

Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 
2e série, t. XIII (XXI de la collection), 1871-1872; t. XIV, 
1873. 

Mémoires de l’Académie de Lyon, classe des sciences, t. VI, 
1856. 

Mémoires de la Société d'Emulation du Jura, 1871, 1872, 1873. 

Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny, 
13° année (1872), n° 9-12; 14° année (1873), n° 1-9. 

Revue Africaine, 1872-73, n°5 96-101. 

Bulletin de la Société algérienne de climatologie, 9° année, 1872, 
n° 4-6; 10e année, 1873, n°s 1-3. 

Revue Savoisienne, 13° année (1872), n° 12; 14° année (1873), 
nos {-11. | 

L'Horticulteur lyonnais, journal de la Société d’'horticulture 
pratique du Rhône, 1872, n°s 22-24. 

Bulletin de la Société Dunoise, n°5 15-17, 1873. 

Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar, 1871-1872. 

Académie de Besancon, séance du 24 août 1872. 

Journal d'agriculture de la Côte-d'Or, 1%, 2° et 3° trimestres 
1873. 

Mémoires de la Société d'agriculture. commerce, sciences et arts 
de la Marne, 1872. 


— 587 — 


Mémoires de la Société des sciences naturelles et historiques de 
Cannes, t. III (1873), n°: 1 et 2. 

Mémoires de l'Académie de Savoie, 2° série, t. XII (1872), { vol. 
in-8, eb un A/bum de la notice sur les constructions romaines 
el les mosaïques découvertes à Arbin, par le marquis César 
d'Oncieu de la Bathie, 5 pl. in-fol.; — Etude préhistorique 
sur la Savoie, spécialement à l'époque lacustre (dge du bronze), 
par André Perrin (1870), 20 lithogr. in-fol. 

Bulletin de la Société vaudoise des sciences naturelles, ?° série, 
t. XI (1872), feuilles 21-28; 2° série, t. XII (1873), pp. 1- 
204. 

Journal des bibliothèques populaires, publié par la Société 
Francklin, n° 66, 67 (1873). 

Bulletin de la Société d Emulation du département de l'Allier, 
t. XI (1870-71), 3e et 4° Livr.; t. XII (1873), 3° et 4° livr. 
Bulletins de l'Académie ‘royale de Belgique, ?° série, t. XXXI 
et XXXII (1871), XXXIIL et XX XIV (1872); — Centième 
anniversaire de sa fondation (1772-1872), 2 vol. gr. in-8; 

— Annuaire de cette Académie, 1872 et 1873. 

Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 1872, n° 4; 
1873, n° 1-2. 

Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de 
l'Yonne, t. XX VI (2e série, t. VI), 1872, 2° partie, t. XX VII 
(2° série, t. VII), 1873. 

Bulletin de La Société archéologique et historique du Limousin, 
t. XXI, 1873:1— Nobiliaire de la généralité de Limoges, 
t. III, feuilles 1-13. 

Bulletin de la Société d'agriculture de Joigny, juillet-décembre 
1872, janvier-mars 1873. 

Mémoires et bulletin de la Société des antiquaires de France, 
4e série, t. III, 1872. 

Bulletin de la Sociélé industrielle et agricole d'Angers, 1872, 
n% 1-3; 1873, 1er semestre. 

Bulletin de la Société d'horticulture pratique du Rhône, 1873, 
n°s 1-3. 


— 588 — 


Mémoires de la commission des antiquités de la Côte-d'Or, t. VIIL : 
(1870-1872), 2° Livr.; — Voies romaines du département de la 
Côte-d'Or et Répertoire archéologique des arrondissements de 
Dijon et de Beaune, ?° fascicule. 

Mémoires de la Société philomathique de Verdun, t. VII, 1873. 

Bulletin de la Société académique de Brest, 1871, 2e FA 
SON. 

Annales de la Société d'agriculture de Lyon, 4° série, t IX, 
1870. 

Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Chalon-sur- 
Saône, t. V (1872), 3 partie ; t. VI (1872), {re partie. 

Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau, 2° série, 
t. 1, 1871-1872. 

Mémoires de l'Académie du Gard, 1871. 

Mémoires de l’Académie de Dijon, 1866-67, 1868-69, 1870. 

Mémoires de la Société d'Emulation de Montbéliard, 2 série, 
LE À 

Annuaire de l'Association philotechnique, à Paris, 1872. 

Annales de la Sociélé d'agriculture, industrie, sciences et arts 
du département de la Loire, à Saint-Etienne, t. XVI, 1872. 

Mémoires de la Société des sciences physiques et naturelles. de 
Bordeaux, t. IX, cahier !, 1873. 

Mémoires de la Société académique de l'Aube, 3° série, t. VIII 
(1871) ; t. IX (1872) 

Mémoires de la Société archéologique du midi de la France, à 
Toulouse, t. X, livr. 3-4 (1873). 

Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute- 
Saône, 3° série, n° 4, 1873. 

Société de secours des amis des sciences : compte-rendu de la 
14° séance publique annuelle, tenue le 29 mai 1873, 

Mémoires de la Socièlé Eduenne, nouv. série, t. IE, 1873. 

Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais, 1869 (2° tri- 
mestre), 1871 (4° trimestre), 1872 et 1873 (1°' trimestre). 

Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, 
tr, XOCH672: 


— 589 — 


_Société des sciences médicales de l'arrondissement de Gannat, 
27° année, 1872-1873. 

Mémoires de la Société des sciences naturelles de Cherbourg, 
t. XVII (2° série, t. VII), 1873; — Catalogue de la biblio- 
thèque de la Société, 2° partie, Hvr. IL. 

Publications de l'Institut grand-ducal de Luxembourg : section 
des sciences, naturelles et mathématiques, t. XII (1872), 
t. XIII (1873). 

Bulletin de la Société des sciences naturelles de Neuchätel, t. IX, 
cahier 3, 1873. 9 

Bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation, 1872-1873. 

Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, t. XX VII 
et XX VIII. 

Bulletin de la Société de médecine de Besançon, ?° série, n° 3, 
1870-72. 

Annales de la Société d’'Emulation du département des Vosges, 
CEXIV, n041,:1870 

Schriften der kœnigl.-physik.-ækonomischen Gesselschaft zu 
Kœnigsberg, 1869-1872. 

Vierteljahrsschrift der naturforschenden Gesselschaft in Zürich, 
Jahrgang XVI, n° 1-4. 

Abhandlungen herausgegeben vom naturiwissenschaftlichen Ve- 
reine zu Bremen, Bd. III, n° 3. 

Beilage n° 2 zu den Abhandlungen des naturwissenschaftlichen 
Vereines zu Bremen (Tableaux statistiques publiés par la So- 
ciété des sciences naturelles de Brême), in-4, Jahrgang V, 
ni 2; 

Jahrbuch der k-k geologischen Reichsanstalt in Wien : Bd. XX, 
n° 2-4 {april-décemb. 1870); Bd. XXI, 1871; Bd. XXII, 
1872; Bd. XXIIT, n° 1-2 (jæn.-juni 1873); — Verhand- 
lungen, 1870, nes 6-18; 1871, 1-18; 1872, 1-18: 1873, 1-10: 
— Zur Erinnerung an Wilhelm Haïdinger, von Franz Ritter 
von Hauer, 1871. 

Verhandlungen der naturforschenden Gesselschaft in Basel, t. V, . 
n° 4, 1873. 


— 590 — 


Bericht (XIV) der oberhessischen Gesselschaft für Natur-und 
Heilkunde (Giessen, 1873). 

Annalen der kœnigl. St:rnwarte bei München, Bd. XVII (1869), 
Bd. XVIII (1871); Supplementband IX (1869), XI (1871). 

Sitzungsberichte der mathematisch-physikalischen classe der 
Akademie der Wissenschaften zu München, 1871, n° 2, 3; 
1872, ne {, 2; — Id. der philosophisch-philologischen und 
historischen classe, 1871, n°5 4-6; 1872, n°5 1-3; — Inhalts- 
verzeichniss zu Jahrgang 1860-1870 der Sitzungsberichte der 
Akademie der Wissenschafien ; — Deukschrift auf Carl.- 
Fried.-Phil. von Martius, von C.-F. Meissner, 1869 ; — Jd. 
auf Chr.-Erich-Hermann von Meyer, von C.-F. Zittel, 1870; 
Ueber die Entwicklung der Agrikuliurchemie, von August 
Vogel, 1869. 

Memoirs of the Boston Society of natural history, t. XIE, part. I» 
n° 2 ct 3 (1871-1872); part. IT, n° 1 (1872); — Proceedings, 
t. XIII (1869-1871), fol, 24-28; XIV (1871-1872), fol. 1-14. 


— 991 — 


MEMBRES DE LA SOCIETÉ 


Au 30 novembre 1874. 


Le millésime placé .en regard du nom de chaque membre indique 
l'année de sa réception dans la Société. 

Les membres de la Société qui ont racheté leurs cotisations annuelles 
sont désignés par un astérisque (*) placé devant leur nom, conformément 
à l’article 21 du règlement. ù 


Conseil d'administration pour 1874. 


President. drsetitiinasesnrse MM GEO AR D: 


Premier Vice-Président... ..... PRE Ducar ; 

Deuxième Vice-Président.......... REeyNaup-DuCREUx; 
Secrétaire décennal....... HEART pa CASTAN ; 
Vice-Secrét. et contrôl. des dépenses. FAIVRE; 

DPÉSORET I SL N. PALETTE KLEIN,substitué par 

M. DE PRINSAG; 

ÉPOUSER NT obtained aN es cities GAUTHIER. 
Secrétaire honoraire ........... er Ne DAVOUX, 


LS 


Membres honoraires (24). 
MM. 
Le GÉNÉRAL commandant le 7° corps d'armée et la 7° division 
militaire. 
Le Premier PrésipenT de la Cour d'appel de Besançon. 
L’ARCHEVÈQUE du diocèse de Besançon. 
Le PRéreT du département du Doubs. 
Le RecTeur de l’Académie de Besancon. 


— 59 — 
MM. 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Besancon. 

Le Marre de la ville de Besançon. 

L'INSPECTEUR d'Académie à Besancon. 

Baye, professeur de paléontologie à l'Ecole des mines; Paris. 
— 1851. 

Bzancxarp, Em., membre de l’Institut (Académie des scien- 
ces), professeur au Muséum d'histoire naturelle; Paris. — 
1867. 

Coquaxp, Henri, professeur de géologie; Marseille. — 1850. 

Device, Henri-Sainte-Claire, membre de l'Institut (Académie 
des sciences) ; Paris. — 1847. 

Devorsins, ancien sous-préfet; Paris, rue Monsieur-le-Prince, 
48. — 1842. | 

Dougcenay, Henri, entomologiste ; Epping, comté d'Essex 
(Angleterre). — 1853. 

Duruy, Victor, ancien ministre de l'Instruction publique, 
membre de l’Institut (Académie des inscript.); Villeneuve- 
Saint-Georges (Seine-et-Oise). — 1869. 

Govucer, docteur en médecine ; Dole (Jura). — 1852. 

Lécur, membre de l’Institut (Académie des sciences morales) ; 
Paris, rue Vanneau, 15, et Gy (Haute-Saône). — 1866. 

Magie (M£'), évêque de Versailles. — 1858. 

Marin, Henri, membre de l’Institut (Académie des sciences 
morales), député à l’Assemblée nationale; Paris-Passy, rue 
du Ranelagh, 54. — 1865. 

ParAvey, ancien conseiller d'Etat; Paris, rue des Petites- 
Ecuries, 44. — 1863. 

QuicaerAT, Jules, directeur de l'Ecole nationale des Chartes ; 
Paris, rue Casimir-Delavigne, 9. — 1859, 

Résaz, Henri, membre de l'Institut {Académie des sciences), 
ingénieur des mines, professeur à l'Ecole polytechnique ; 
Paris, rue de Condé, 14. — 1853. 

SERVAUX, chef de division au ministère de l’Instruclion pu- 
blique. — 1873. 


…e 


— 593 — 


M. 
WEy, Francis, inspecteur général des archives de France; 
Saint-Germain-en-Laye, rue de Mareil, 57. — 1860. 


Membres résidants (234) (1). 


MM. | 

ALEXANDRE, secrétaire du conseil des prud'hommes, rue d’An- 
vers, 4. — 1866. 

ALVISET, président de chambre à la Cour d'appel, rue du 
Mout-Sainte-Marie, [. — 1857. 

ANDROT (GIROLET, Louis, dit); peintre-décorateur; à la Croix- 
‘d’'Arènes. — 1866. 

AMBERGER, Lucien, pharmacien, rue Morand, 7. 

D'ARBAUMONT, chef d'éscadron d'artillerie en retraite, rue 
Sainte-Anne, {. — 1857. 

ARNAL, économe du Lycée. — 1858. 

ARNAL, Amédée, avocat, rue des Bains-du-Pontot, 3.— 1872. 

Baper, bijoutier, rue des Granges, 21. — 1870. 

* Barzzy (l'abbé), maître des cérémonies de la cathédrale. — 
1865. 

BargauD, Auguste, ancien adjoint au maire, rue Saint-Vin- 
cent, 43. — 1857. 

Bargier, Léon, ancien sous-préfet; Baume -les - Dames 
(Doubs). — 1873. 

* Bavoux, Vital, contrôl. des douanes, à Valenciennes (Nord). 
— 1853. 

BELLAIR, médecin-vétérinaire, rue de la Bouteille, 7. — 1865. 

BELOT, essayeur du commerce, rue de l’Arsenal, 9. — 1855. 

BERTHELINX, Charles, ingénieur en chef des ponts et chaussées 
en retraite, rue de Glères, 23. — 1858. 


. 


(1) Dans cette catégorie figurent plusieurs membres dont le domicile 
habituel est hors de Besançon, mais qui ont demandé le titre de résidants, 
afin de payer le maximum de la cotisation et de contribuer ainsi d'une 
manière plus large aux travaux de la Société. 


— 594 — 
MM. 
BERTIN, négociant, membre du conseil municipal; aux Cha- 
prais (banlieue). — 1863. 
* BERTRAND, docteur en médec., rue des Granges, 9. — 1855. 


Bessox, avoué, place Saint-Pierre, 17. — 1855. 

Beurer, François-Xavier, voyer de la ville, rue du Lyçée, 5. 
— 1873. 

Beurnier, conservateur des forêts, rue de la Préfecture, 23. 
— 1874. 

Braz, Paul, chef d’escadron d'artillerie, rue du Chateur, 16. 
— 1858. 


Brcuaer , Jules, fabricant d'horlogerie, rue du Mont-Sainte- 
Marie, 17. — 1873. 

Brzos, professeur de rhétorique au Lycée, rue des Granges, 5. 
— 1874. 

BLonpeau, Charles, entrepreneur de menuiserie, président du 
conseil des prud'hommes, rue Saint-Paul, 57. — 1854. 

BLonpow, docteur en médecine, rue des Granges, 68.— 1851. 


Boizzor, Constant, graveur, place Saint-Amour, 1. — 1870. 

Boxame, Albert, photographe, rue Mairet, 1. — 1874. 

Bossy, Xavier, fabricant d’horlogerie, rue des Chambrettes, 6, 
— 1867. 


Bouceor, Eugène, sous-chef de bureau à l'hôtel de ville, 
secrét. du bureau de bienfaisance, rue Battant, 20. — 1868. 

Bouzzer, inspecteur d'Académie; Melun (Seine-et-Marne).— 
1863. 

BourRCHERIETTE dit POURCHERESSE, entrepreneur de peinture 
et propriétaire, rue des Chambrettes, 8. — 1859. 

Bouroy, Pierre, essayeur du comm., rue de la Lue, 9.— 1862. 

Boussineauzr, Joseph, chimiste, essay. de la garantie.—1870. 

BouTrTeniN, Francois-Marcel, adjoint à l'architecte de la ville 
et professeur à l'Ecole municipale de dessin, rue des Cham- 
brettes, 19. — 1873. 

Bourrey, Paul, fabricant d’horlogerie, juge au tribunal de 
commerce, rue Moncey, 12. — 18359. 


PAR 


— 595 — 


MM. 

Bouvarp, Louis, avocat, membre du conseil municipal, 
Grande-Rue, 95. — 1868. 

Boyssox p'Écoce, trésorier-payeur général en retraite, rue 
de la Préfecture, 22. —- 1852. 

BRELIN, Félix, sculpteur, membre du conseil municipal, fau- 
bourg Tarragnoz. — 1868. 

Brerizzor, Eugène, propriétaire, rue des Granges, 46.—1840. 

Brerizzor, Léon, banquier, ancien maire de la ville, président 
du tribunal de commerce, rue de la Préfecture, 21.— 1853. 

BrerTizor, Maurice, propr., rue Saint-Vintent, 18. — 1857. 

Brerizzor, Paul, propr., rue de la Préfecture, 21. — 1857. 

Brucuow, professeur à l'Ecole de médecine, médecin des hos- 
pices, rue des Granges, 16. — 1860. 

BRruGNON 'anc. notaire, administrateur des forges de Franche- 
Coté, rue de la Préfecture, 12. — 1855. 

BruüLarp, Désiré, greffier du tribunal civil, rue Battant, 1. 
— 1873. 

Brunswick, Léon, fabricant d'horlogerie, Grande-Rue, 28.— 
1859. 

BRussET, notaire, Grande-Rue, 14. —"1870. 

Burnicxow, Victor, ancien élève de l'Ecole forestière, Grande- 
Rue, 31.— 1872. 

DE BussierRe, Jules, conseiller honoraire à la Cour d’appel, 
président honofaire de la Société d'agriculture, rue du Clos, 
33. — 1857. 

DE Buyer, Jules, inspecteur de la Société française d’archéo- 
logie, Grande-Rue, 102. — 1874. 

Caxez, chef de bureau à la préfecture. — 1862. 

Carrau, professeur de philosophie à la Faculté des lettres, 
place Saint-Amour. — 1871. 

Casran, Auguste, conservateur de la bibliothèque et des ar- 
chives de la ville, Grande-Rue, 88. -— 1856. 

DE CHARDONNET (le vicomte), ancien élève de l'Ecole poly- 
technique. rue du Perron. 28. — 1856. 


— 596 — 


MM. 
CHarLes, Félix, directeur de la Société générale, Grande-Rue, 
73. — 1873. 
CHarzeT, Alcide, avocat, Grande-Rue, 135. — 1872. 
CHEviziET, professeur de mathématiques à la Faculté des 
sciences, rue du Clos, 27. — 1857. 
* Cora», professeur d'histoire et doyen de la Faculté des 
lettres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). — 1866. 
CHRÉTIEN, Auguste, directeur des transmissions télégraphi- 


ques, palais Granvelle. — 1869. 
CLÉMENT, Jean-Paul, proviseur du Lycée. — 1874. 
CouLon, Henri, avocat, rue de la Lue, 7. — 1856. 
CourGey, avoué, rue des Granges, 16. — 1873. 


CourrorT, Théodule, commis-greffier de la Cour d'appel; à la 
Croix-d’Arènes (banlieue). — 1866. 
CourTenor, professeur à l'Ecole de médecine, médecin en chef 


des hospices, Grande-Rue, 44. — 1852. 
Cuenix, Edmond, pharmacien, rue des Granges, 40. — 1863 
Curzier, relieur de livres, Grande-Rue, 88. — 1870. 


Dacun (le baron), juge au tribunal de première instance, 
membre du conseil général, rue de la Préfecture, 23.—1865. 

DauBrax-Dezisze, Henri, directeur des contributions directes, 
rue Neuve, 4. — 1874. 

Davin, notaire, adjoint au maire, Grande-Rue, 107: — 1858. 

DEBAUGHEY, ancien pharmacien; aux Chaprais. — 1871. 

Decouwois, Ch., directeur d'usine; la Butte (banlieue). — 
1862. | 

Decacroix, Alphonse, architecte de la ville. — 1840. 

DELAGRANGE (Charles), imprimeur-lithographe, Grande-Rue, 
73. — 1872. 

DeLaveLLe, Victor, rue de la Préfecture, 16. — 1873. 

DEmonGEoT, inspecteur des écoles communales, rue Neuve, 
24 bis. — 1872. 

DexrzorT, receveur de l’Asile départemental, rue des Granges, 
60. — 1871. 


1594 — - 
MM. 
Dérrey, Just, banquier, Grande-Rue, 96. — 1857. 
Devaux (l'abbé), professeur au collége Saint-Francois-Xavier, 
rue des Bains-du-Pontot, 4. — 1872. 
DIÉTRICH, "Bernard, négociant, membre du conseil des pru- 
d'hommes, Grande-Rue, 75. — 1859. 
Dusosr, Jules, maître de forges, rue Sainte-Anne, 2.— 1840. 


Ducar, Alfred, architecte, rue Saint-Pierre, 19. — 1855. 
Dunop DE CHARNAGE, avocat, rue des Chambrettes, 8.— 1863. 
Dupuy, propriétaire, rue de la Préfecture, 23. — 1872. 


Durer, géomètre, rue Neuve, 28. — 1858. 

Duvaucez, Georges, commis de la direction des douanes, rue 
de la Préfecture, 6. — 1873. 

EHRENSPERGER, secrétaire de la Société des salines de Mise- 
rey, rue d'Arènes, 5 et 7. — 1874. 

Ets, Edmond, propriétaire, membre du conseil municipal, 
Grande-Rue, 73. — 1860. 

Evais, Ernest, propriétaire, Grande-Rue, 91. — 1855. 

Fapy, directeur d'usine, rue Neuve-Saint-Pierre, 13. — 1871. 

Faivre, Adolphe, professeur à l'Ecole de médecine, Grande- 
Rue, 76. — 1862. 

Faucourré, chef d’escadron d'artillerie en retraite, lauréat 
de la prime d'honneur au concours régional agricole de 
Besancon en 1865, rue de la Vieille-Monnaie, 16. — 1855. 

Faucowrré, Philippe, professeur d'agriculture du département 
du Doubs, Grande-Rue, 88. — 1868. 

Fernier, Louis, fabricant d'horlogerie, ancien maire de la 
ville, député à l’Assemblée nationale, rue Ronchaux, 3. — 
1859. 

Feuvrier (l'abbé), professeur au collége Saint-Francois-Xa- 
vier, rue des Bains-du-Pontot, 4. — 1856. 

For, agent principal d'assurances, Grande-Rue, 107.— 1865. 

* ForTuxé, Pierre-Félix, employé aux forges de Franche- 
Comté, Grande-Rue, 105. — 1865. 

Fouix, Auguste, mécanicien, rue de l’Arsenal, 9.— 1862. 


4 


Des: + 


— 598 — 


MM. 

* GazcoTrTi, Léon, ancien professeur à l'Ecole d'état-major; 
Paris, rue du Hävre, 9. — 1866. 

Fournier, Louis, employé des ponts et chaussées, rue de la 
Préfecture, 10. — 1872. 

Garrie, Louis, lieutenant d'infanterie, faubourg Rivotte, 14. 
— 1871. 

* Gassuanx, Emile, rédacteur en chef du Courrier franc-comtois, 
rue du Mont-Sainte-Marie, 8. — 1867. 

Gaupor, médecin, membre du conseil d'arrondissement; 
Saint-Ferjeux (banlieue). — 1861. 

GauFFRE, receveur principal des postes en retraite, rue Mo- 
rand, 11, — 1862. 

* GAUTHIER, Jules, archiviste du département du Doubs, rue 
Neuve, 8. — 1866. 

GÉrarD, Elouard, propriétaire , ancien adjoint au maire-de 
Besancon ; Genève, Grande-Riue, 25. — 1854. 

GÉraR», Jules, professeur à la Faculté des lettres, rue Neuve, 
D. — 1865. 


GiGANDET, propriétaire, faubourg Tarragnoz. — 1872. 
Giranpor, Régis, banquier, rue Saint-Vincent, 15. — 1857. 
Girop, Achille, propriétaire; Saint-Claude (banlieue).—1856. 
Girop, avoué, rue Moncey, 5. — 1856. 


Giron, Victor, ancien adjoint au maire, Grande-Rue, 70. — 
1859. 

GLorGEer, Pierre, huissier, Grande-Rue, 58. — 1859. 

GocuEeLy, Charles, propriétaire, rue Saint-Antoine, 4.— 1872. 

GouizzauD, professeur à la Faculté des sciences, rue Saint- 
Vincent, 3. — 1891. 

Gran», Charles, directeur de l'enregistrement et des domaines, 
Grande-Rue, 68. — 1852. 

Granp, Jean-Antoine, greffier de paix du canton sud de Be- 
sançcon, rue Morand, 12. — {868. 

Grenier, Charles, doyen honoraire de la Faculté des sciences 
et professeur honoraire à l'Ecole de médecine. — 1840. 


— 599 — 
MM. 

GRESSET, Félix, colonel d'artillerie, propriétaire, Grande-Rue, 
53. — 1806. 

Grévy, Albert, avocat, député à l’Assemblée nationale. — 
1870. 

Grizuter, Adolphe, fabricant d’horlogerie, Grande-Rue, 124. 
— 1873. 

GROSJEAN, ancien bijoutier, rue des Granges, 21. — 1859. 

GRosricHARD, pharmacien, place de l’Abondanée, 17.— 1870. 

Gscawinp, ancien notaire, rue de Glères, 6. — 1873. 

GuENOT, Auguste, négociant, rue du Chateur, 17.— 1872. 

Guicxarp, Albert, pharmacien, rue d'Anvers, 3. — 1853. 

GuIExET, ingénieur des forges de Gouille. — 1873. 

GUILLEMIN, ingénieur-constructeur; Casamène (banlieue). — 

= 1840. 

Gui, libraire, rue Battant, 3. — 1870.. 

Hazoy, fabricant d'horlogerie, rue Saint-Jean, 3.— 1859. 

HELzz, Thiébaud, négociant, Grande-Rue, 32. — 1872. 

HENRY, Jean, professeur de physique au Lycée, place Saint- 
Amour, 12. — 1857. 

Hory, propriétaire, rue de Glères, 17. — 1854. 

HüarrT, Arthur, substitut du procureur général près la Cour 
d'appel, rue de la Préfecture, 13. — 1870. 

JEANNINGROS, pharmacien, place Saint-Pierre, 6. — 1864. 
JEANNOT-DRroz, Alphonse, fabricant d'horlogerie , consul de 
la Confédération helvétique, Grande-Rue, 103. — 1870. 
JÉGo, contrôleur des bois de la marine; à la Butte (banlieue). 

— 1872. 

DE JOUFFROY (le comte Joseph), membre du conseil général; 
au château d’Abhans-Dessous et à Besançon, rue du Cha- 
pitre 1. — 1853. 

DE JOUFFROY (le vicomte Louis), rue du Chapitre, 1. — 1871. 

KLeix, Auguste, propriétaire, rue Saint-Vincent, 28. — 1858. 

Lacoste, archiviste-adjoint du département du Doubs, rue 
Rivotte, 10. — 1870. 


— 600 — 
MM. 
LamBEerT, Léon, ingénieur en chef des ponts et chaussées en 
retraite, rue Moncey, 12. — 1852. 
Lauper, conducteur des ponts et chaussées, rue Ronchaux, 
18. — 1854. 
LAURENS, Paul, président de la Société d'agriculture du Doubs, 


ancien adjoint au maire, rue de la Préfecture, 15. — 1854. 
* LEBEAU, négociant, place Saint-Amour, ? bis. — 1872. 
LEBRETON, direct. de l'usine à gaz, Grande-Rue, 97. — 1866. 


LEeGenDre, Louis, receveur du bureau de bienfaisance, rue 
du Chateur, 15. — 1866. 

LEGras, Armand, négociant, Grande-Rue, 32. — 1872. 

LÉPAGNOLE, médecin ; Saint-Ferjeux (banlieue). — 1873. 

LrErFRoY, Aimé, propriétaire, rue Neuve, 11. — 1864. 

DE LONGEVILLE (le comte), propriétaire, rue Neuve, 7.— 1855. 

Louvor, Hub.-Nic., notaire, Grande-Rue, 48. — 1860. 

Marre, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue Neuve, 
15. — 1851. 

Marror, Félix, banquier, ancien président du tribunal de 
commerce, rue de la Préfecture, 17. — 1857. 

Marror, Edouard, propriétaire, Grande-Rue, 88. — 1865. 

MaisonnerT, négociant, rue Saint-Pierre, 7-9. — 1869. 

Marion, mécanicien ; Casamène (banlieue). — 1857. 

Marion, Charles, libraire, place Saint-Pierre, 2. — 1868. 

Marzer, Adolphe, secrétaire général de la préfecture de la 
Nièvre. — 1852. 

Marquiser, Léon, ancien magistrat, membre du conseil gé- 
néral de la Haute-Saône, rue Neuve, 28.— 1874. 

MarTin, Jules, manufacturier; Casamène (banlieue).— 1870. 

Marin, Léonce, licencié en droit, ancien avoué, rue Saint- 
Vincent, 13. — 1874. 

Mazoyxie, ancien notaire, rue des Chambrettes, 12. — 1840. 

Micau», Jules, directeur en retraite de la succursale de la 
Banque, ancien juge au tribunal de commerce, place Saint- 
Amour. — 1855. 


— 601 — 
MM. 

Mircxez, Brice, architecte paysager; Fontaine-Ecu (banlieue). 
— 1865. 

Mior, Camille, négociant, Grande-Rue, 62. — 1872. 

Monnier, Paul, correcteur d'imprimerie, rue Saint-Vincent, 
21. — 1860. 

Morez, Ernest, docteur en médecine, rue Moncey, 12.—1863. 

MoscHenros, professeur d'allemand au Lycée, rue Moncey, 
2. — 1874. 

Mourrizze, Alfred, banquier, rue de la Préfecture, 31. — 
1850. 

Musseun, comptable, Grande-Rue, 82. — 1872. 

D'OrIvaz, Léon, propriétaire, rue du Clos, 22. — 1854. 

D'OrIvAL, Paul, conseiller à la Cour d'appel, place Saint-Jean, 
6. — 1852. 

Ouper, Gustave, avocat, maire de la ville, rue Moncey, 2. — 
1855. 

Ourson, Gustave, directeur de la succursale de la Banque, 
rue de la Préfecture, 19. — 1873. 

OUTHENIN - CHALANDRE, fabricant de papier et imprimeur, 
membre et ancien président de la Chambre de commerce, 
rue des Granges, 23. — 1843. 

OUTHENIN-CHALANDRE, Joseph, ancien juge au tribunal de 
commerce, rue des Granges, 38. — 1856. 

ParzLor, Justin, pharmacien; aux Chaprais. — 1857. 

ParGuez (le baron), docteur en médecine, adjoint au maire, 
Grande-Rue, 106. — 1857. 

Pérrar», Alfred, négociant, rue des Granges, 9. — 1870. 

PerNarp, négociant, rue de Chartres, 8. — 1868. 

PÉTey, chirurgien-dentiste, Grande-Rue, 70. — 1842. 

PETITQUENOT, Paul, avoué près la Cour d'appel, Grande-Rue, 
107. — 1869. 

Prcarp, Arthur, banquier, Grande-Rue, 48. — 1867. 

PiGuer, Emm., fabricant d'horlogerie, place Saint-Pierre, 9, 
— 1856. 

où 


— 602 — 
MM. & 
PiNGauD, Léonce, professeur d'histoire à la Faculté des let- 
tres, Grande-Rue, 74. — 1874. 
Porter, Joseph, entrepreneur de plâtrerie, rue Ronchaux, 8. 
— 1870. 
DE Prinsac (le baron), employé des télégraphes, rue des 
Chambrettes, 3. — 1873. | 
Proupxon, Camille, conseiller honoraire à la Cour d'appel, 
rue des Granges, 23. — 1856. 
Race, Louis, négociant, ancien adjoint au maire, rue Bat- 
tant, 7. — 1857. 
Racine, Pierre, négociant, rue Battant, 7. — 1859. 
Ravier, Francois-Joseph, ancien avoué ; Saint-Claude (ban- 
lieue). — 1858. 
ResouLz, doyen de la Faculté des sciences et professeur à l'E- 
cole de médecine, rue Neuve, 8. — 1861. 
* RexauD, Alphonse, docteur en droit, premier commis de la 
direction de l'enregistrement; Lyon. — 1869. 
RenauD, Francois, négociant, abbaye Saint-Paul.— 1859. 
Rexau», Victor, agent comptable de la caisse d'épargne, rue 
de la Préfecture, 15. — 1865. 
RenauDIN, Jules, négociant, Grande-Rue, 42. — 1873. 
Reynaup-Ducreux, professeur à l'Ecole d'artillerie, rue Ron- 
chaux, 22. — 1840. 
Rrazro, prof. de dessin au Lycée, rue du Clos, 16. — 1869. 
RiconnauD, Charles-Gabriel, premier commis de la direction 
des douanes, place Marulaz, 10. — 1873. 
Rires, Paul, architecte, rue Saint-Pierre, 3. — 1873. 
Romanowskt, photographe, rue des Granges, 59, — 1874. 
Rouzer, Louis, ingénieur-voyer de la ville, rue Neuve, 4. 
— 1874. 
SAILLARD, Albin, professeur à l'Ecole de médecine et chirur- 
gien des hospices, Grande-Rue, 136. — 1866. 
SanT-Eve, Charles, entrepreneur de serrurerie, place Gran- 
velie. — 1865. 


“ 


— 603 — 
MM. 

SanT-Givesr, Etienne, architecte du département du Doubs, 
rue de la Préfecture, 18. — 1866. 

DE SAINT-JUAN (le baron Charles), rue des Granges, 4. — 1869. 

SAINT-Lour, Louis, professeur à la Faculté des sciences, 
Grande-Rue, 73. — 1872. 

DE SAINTE-AGATHE, Louis, ancien adjoint au maire, rue d’An- 
vers, |. — 1851. 

* Sancey, Louis, propriétaire, syndic des faillites, rue du 
Clos, 9. — 1855. 

SAVOUREY, Charles-Arthur, fabricant de boîtes de montres 
en or, Grande-Rue, 124. — 1874. 

SIRE, Georges, docteur ès-sciences, essayeur de la garantie, 
rue des Chambrettes, 15. — 1847. 

SOMMEREISEN, Charles, négociant, rue de Gléres, 4. — 1872. 

TAILLEUR, propriétaire, rue d’Arènes, 33. — 1858. 

TAILLEUR, Louis; attaché au secrétariat de l’Académie uni- 
versitaire. rue d'Arènes, 33. — 1867. 

TaréBauD (l'abbé), chanoine, Grande-Rue, 112. — 1855. 

Trssor, économe de l’Asile départemental, rue des Granges, 
23. — 1868. 

Trvier, Henri, professeur de littérature française à la Faculté 
des lettres, Rue du Chapitre, 19. — 1873. 

TRÉMOLIÈRES, Jules, avocat, rue des Martelots, 1. — 1840. 

VaLLuET, imprimeur, rue de Glères, 23. — 1874. 

VALTEFAUGLE, directeur des forges de Gouille. — 1873. 

VAUTHERIN, Jules, membre du conseil général, rue du Cha- 
teur, 20. — 1853. 

Veiz-Picarp, Adolphe, banquier, commandant des sapeurs- 
pompiers, membre du conseil municipal, Grande-Rue, 14. 


— 1859. 
VermorT, Théodore, entrepreneur de maçonnerie; à la Mouil- 
lère (banlieue). — 1873. 


VERNiER, Lucien, docteur en médecine, rue des Granges, 47. 
— 1874. 


— 604 — 


MM. 

DE VEZET (le comte Edouard), rue Neuve, 17 ter. — 1870. 

Vézran, professeur à la Faculté des sciences, rue Neuve, 21. 
— 1860. 

VIENNET, surveillant général au Lycée, rue de la Préfecture‘! 
10. — 1869. 

Voisin, Claude-François, propriétaire et entrepreneur ; Mont- 
rapon (banlieue). — 1869. 

Voisin, Pierre, propriétaire ; Montrapon (banlieue). — 1855. 

VoisiN, Honoré, ingénieur des mines, place Saint-Amour, 
12. — 1874. 

VouzEau, conservateur des forêts en retraite, rue des Granges, 
38. — 1856. 

VuizLerET, Just, juge au tribunal, secrétaire perpétuel de 
l'Académie, rue Saint-Jean, 11. — 1851. 

Waile, professeur de mathématiques spéciales en retraite, 
rue du Lycée, 9. — 1872. 

WERLEIN, Amédée, négociant, rue des Granges, 44. — 1870. 

ZaREMBA, vérificateur de l'enregistrement ; Castellane (Basses- 
Alpes). — 1869. 


Membres correspondants (223). 
MM. 

Baïzzy, pharmacien ; Vauvillers (Haute-Saône). — 1867. 

BaLancHe, Stanislas, ingénieur-chimiste ; provisoirement à 
Besancon. — 1868, 

DE BANCENEL, chef de bataillon du génie en retraite; Liesle 
(Doubs). — 1851. 

Barraz, pharmacien, ancien maire de la ville de Morteau 
(Doubs). — 1864. 

BarTaizLarp, Claude-Joseph, agronome ; Champagney, par 
Audeux (Doubs). — 1857. 

BATAILLE, Paul, ingénieur des ponts et chaussées; Bourges 
(Cher). — 1870. 

BaupraANp, Joseph, sculpteur ; Dole (Jura). — 1874. 


— 608 — 


MM. 

Benorr, Claude-Emile, vérificateur des douanes ; Paris, rue 
du Faubourg-Saint-Martin, 188. — 1854. 

. BENOIT, vérificateur des poids et mesures ; Dole (Jura). — 1870. 

* BerrHauD, professeur de physique au Lycée de Mâcon 
(Saône-et-Loire). — 1860. 

* BErTHoT, ingénieur en chef en retraite ; Chagny (Saône- 
et-Loire). — 1851. 

BERTRAND, Alexandre, conservateur du Musée national de 
Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). — 1866. 

* Besson, ingénieur ; Salins (Jura), rue d'Orgemont, 4. — 
1859. 

BerTen», Abel, imprimeur-lithographe; Lure (Haute-Saône). 
— 1862. 

* BEvQuE, triangulateur au service de la topographie algé- 
rienne ; Constantine, — 1853. 

Bey, Jules, horticulteur ; Marnay (Haute-Saône). — 1871. 

De BiGor, lieutenant-colonel d'état-major ; Toulouse (Haute- 
Garonne). — 1868. 

Brxio, Maurice, agronome; Paris, rue de Rennes, 93. — 1866. 

DE BLONDEAU, Stanislas, membre du conseil général du 
Doubs et maire de Saint-Hippolyte. — 1871. 


BoisseceT, archéologue ; Vesoul (Haute-Saône). — 1866. 

Borssox, Emile, propriétaire ; Moncley (Doubs). — 1865. 

Boupor , Eugène, propriétaire ; Arboïis (Jura). — 1873. 

BouizceroT, Achille, archéologue ; Cintrey {Haute-Saône ). 
— 1874. 


* Bourzzer, Appolon ; Paris, rue de Grenelle-Saint-Honoré, 
18. — 1860. 

BouTHENOT-PEUGEOT, vice-président de la Société d'Emulation 
de Montbéliard ; Valentigney (Doubs). — 1869. 

Bouvor, chef de bataillon du génie en retraite ; Salins (Jura). 
— 1864. 

* Brenin, professeur au Lycée de Vesoul { Haute-Saône). — 
1857. 


— 606 — 


MM. 
BRELET, avocat, membre du conseil général du Doubs, an- 
Cien maire de Baume-les-Dames. — 1872. 


* Brior, docteur en médecine, membre du conseil général 
du Jura; Chaussin (Jura). — 1869. 

* Bucner, Alexandre, propriétaire ; Gray (Haute-Saône). 
— 1859. 
CarpoT DE LA BurRTHE, bibliophile; Paris, boulevard de 
Neuilly, 92 (Batignolles). — 1873. | 
CarLeT, Joseph, ingénieur des ponts-et-chaussées ; Beaune 
{ Côte-d'Or). — 1858. 

CaRME, conducteur de travaux de chemin de fer; Cercy-la- 
Tour { Nièvre). — 1856. 

CaRPENTIER, Louis, propriétaire ; Baume-les-Dames (Doubs). 
— 1874. 

CarTEREAU, doct. en médec.; Bar-sur-Seine (Aube).— 1858. 

CasrTan, Francis, capitaine d'artillerie à la poudrerie du Bou- 
chet (Seine-et-Oise). — 1860. 


* CHamPIN, ancien sous-préfet; Baume-les-Dames. — 1865. 
Caapuis, Louis, pharmacien ; Chaussin (Jura).— 1869. 

CHARMOILLE, Francis, maire d'Oiselay (Hte-Saône). — 1871. 
Carey, Léon, archéologue ; Saint-Amour (Jura). — 1870. 


CHATELET, curé de Cussey-sur-Ognon (Doubs). — 1868. 

* CxazAUD, archiviste du département de l'Allier; Moulins. 
— 1865. 

CHERBONNEAU, directeur du collége arabe, correspondant de 
l'Institut; Alger, Tournant-Rivogo, 74. — 1857. 

Caervin aîné, directeur-fondateur de l'Institution des Bègues, 
Paris, avenue d'Eylau , 90. — 1869. 

* Cuorrar, Paul, géologue; Zurich (Suisse). — 1869. 

CLaupon, Félix, curé de Lods ( Doubs). — 1873. 

* CLoz, Louis, peintre ; Lons-le-Saunier (Jura). — 1863. 

Corarp, Charles, architecte; Lure ( Haute-Saône). — 1864. 

Cozin, Gustave, membre du conseil général; Pontarlier 
(Doubs). — 1864. 


— 607 — 
MM. 

* ConTEJEAN, Charles, professeur à la Faculté des sciences de 
Poitiers { Vienne). — 1851. 

Conpter, Jules-Joseph, vérificateur des douanes ; Villers-le- 
Lac ( Doubs). — 1862. 

Cosre, docteur en médecine et pharmacien de première classe ; 
Salins (Jura). — 1866. | 

* CoTTEAU, juge au tribunal de première instance; Auxerre 
(Yonne). — 1860. 

CourgeT, Ernest, inspecteur des caisses municipales ; Paris, 
rue Boissy-d’Anglas, 19. — 1874. 

* CouTHEeRUT, Aristide, notaire ; Lure (Haute-Saône). — 1862. 

* CRÉBELY, Justin, employé aux forges de Franche-Comté ; 
Moulin-Rouge, près Rochefort (Jura). — 1865. 

CuGnieR, Emile, chef du 5° bataillan de chasseurs à pied ; 
Douai (Nord). — 1873. 

Curé, docteur en médecine; Pierre (Saône-et-Loire). — 1855. 

DarLor, ingénieur-opticien ; Paris, rue Chapon, 14. — 1864. 

Dezracroix, Emile, professeur honoraire à l'Ecole de médecine 
de Besancon, médecin-inspecteur des eaux de Luxeuil. 
— 1840. 

DeraronD , Frédéric, ingénieur des mines ; Mâcon (Saône-et- 
Loire). — 1872. 

DeLEuLE, instituteur ; Jougne ( Doubs). — 1863. 

Déprerres, Auguste, avocat, bibliothécaire de la ville de Lure 
(Haute-Saône). — 1859. 

* DEsseRTINESs, directeur de forges; Saucourt, par Doulain- 
court (Haute-Marne). — 1866. 

DerTzem, ingénieur en chef des ponts et chaussées; Niort 
(Deux-Sèvres). — 1851. 

* DEuzun, Eugène, banquier ; Epernay (Marne). — 1860. 

DEVARENNE , Ulysse, capitaine de frégate de la marine natio- 
nale ; Toulon (Var). — 1867. 

DeEvaux, pharmacien ; Gy (Haute-Saône). — 1860. 

_Déy, conservateur des hypothèques; Laon (Aisne). — 1853. 


— 608 — 


MM. 

Donr, chef de service de la Compagnie des chemins de fer 
de Paris à Lyon ; Paris, boulevard Mazas, 20. — 1857. 

* Dornier, pharmacien ; Morteau (Doubs). — 1873. 

DraPreyron, Ludovic, docteur ès-lettres, professeuf d'histoire 
au Lycée Charlemagne; Paris, rue des Feuillantines, 69. 
— 1866. 

Ducar, Auguste, docteur en médecine, médecin du bureau 
de bienfaisance du 19° arrondissement de Paris. — 1873. 

DumorTier, Eugène, négociant; Lyon, avenue de Saxe, 97. 


— 1857. 

Erms, Léon, inspecteur des forêts ; Bonneville (Haute-Savoie). 
— 1862. 

Farvre, Pierre, apiculteur ; Seurre (Côte-d'Or). — 1865. 


* Fazor fils, architecte ; Montbéliard (Doubs). — 1858. 

* Favre, Alphonse, professeur à l’Académie de Genève 
(Suisse). — 1862. 

Feuvrier (l'abbé), curé de Montbéliard (Doubs). — 1856. 

FozrèTe, (l'abbé), curé de Verne (Doubs). — 1858. 

Francois, Camille, censeur des études au Lycée de Laval 
(Mayenne). — 1873. 

* DE FROMENTEL, docteur en médecine ; Gray (Haute-Saône). 
— 1857. 

GaArFAREL, docteur ès-lettres, professeur d'histoire à la Faculté 
de Dijon. — 1868. 

GARNIER , Georges , avocat ; Bayeux (Calvados). — 1867. 

GARNIER DE FALLETANS, Charles, garde général des forêts ; 
Mouthe (Doubs). — 1874. 

_ Gascox, Edouard, agent voyer d'arrondissement ; Fontaine- 
Française (Côte-d'Or). — 1868. 

GauTiEr, docteur en médecine; Luxeuil ( Haute-Saône) + 
— 1868. 

Gevrey, Alfred, premier substitut du procureur général ; 
Saint-Denis (île de la Réunion). — 1860. 

Ginpre, docteur en médecine; Pontarlier (Doubs). — 1869. 


— 609 — 


MM. 

* GIRARDIER, agent voyer d'arrondissement, Pontarlier 
(Doubs). — 1856. 

Giro, Léon, receveur de l'enregistrement ; Pont-de-Roide 
(Doubs). — 1870. 

* Go», Louis, architecte ; Pontarlier { Doubs). — 1851. 

Giron, Louis, docteur en médecine; Pontarlier (Doubs). — 
1870. 

* Gopron, doyen honoraire de la Faculté des sciences de 
Nancy (Meurthe-et-Moselle). — 1843. 

* GRANDMOUGIN, architecte de la ville et des bains de Luxeuil 
(Haute-Saône). — 1858. 

GRENIER, Edouard, littérateur ; Paris, rue Jacob, 3. — 1870. 

GuiLLzemIN, Louis, attaché au ministère des affaires étran- 
sères, membre du conseil général du Doubs ; Rougemont 
(Doubs). — 1873. 

* Guizzemor, Antoine, entomologiste; Thiers (Puy-de-Dôme). 
— 1854. | 

HorFmanx, imprimeur ; Montbéliard. — 1873. 

Hucox , Charles, littérateur ; Moscou (Russie). — 1866. 

Hucon, Gustave, maire et suppléant du juge de paix de 
Nozeroy (Jura). — 1867. 

* JaccarD, Auguste, professeur de géologie à l’Académie de 
Neuchâtel (Suisse) ; au Locle. — 1860. 

JACQUARD, Albert, propriétaire, ancien adjoint au maire de 
Besancon ; Maussans, par Loulans-les-Forges (Haute- 
Saône). — 1892. 

JEANNENEY, Victor, professeur de dessin au Lycée de Vesoul 
(Haute-Saône). 1858. 

JEannin (l'abbé), curé de Déservillers { Doubs). — 1872. 

Join, Alphonse, avocat; Lons-le-Saunier (Jura). — 1872. 

Jourpy, Emile, lieutenant d'artillerie, licencié ès-sciences 
naturelles, à la direction d'artillerie de Paris: — 1870. 

JuxG; Théodore, capitaine d'état-major ; Paris, rue de Gre- 
nelle-Saint-Germain, 82. — 1872. 


— 610 — 


MM. À 
* JURGENSEN, Jules, littérateur; au Locle (Suisse). — 1872. 
Jussy, Eugène, notaire ; Moissey (Jura). — 1868. 


* KorcHun, Oscar, chimiste ; Dornach (Alsace). — 1858. 
KoxLer, Xavier, président de la Société jurassienne d’Emu- 
lation ; Porrentruy, canton de Berne (Suisse). — 1864. 

* KonLuanw, receveur du timbre ; Angers ( Maine-et-Loire). 
— 1861. . 

* Kozcer, Charles, constructeur ; Jougne (Doubs). — 1856. 

* Lamorre, directeur de hauts-fourneaux ; Ottange, par Au- 
metz ({ Lorraine), — 1859. 

* LanGLois, juge de paix ; Dole (Jura). — 1854. 

LaNTERNIER, chef du dépôt des forges de Larian ; Lyon, rue 
Sainte-Hélène, 14. — 1855. 

* Laurenr, Ch., ingénieur civil; Paris, rue de Chabrol, 35. 
— 1860. 

LE BRuN-DALBANNE, archéologue ; Troyes (Aube). — 1868. 

LecLerc, Francois, archéologue et naturaliste ; Seurre (Côte- 
d'Or). — 1866. 

* Leras, inspecteur d'Académie ; Auxonne {Yonne). — 1857. 

Lomme, Victor, directeur des douanes en retraite; Paris. 


— 1842. 
* Ligier, Arthur, pharmacien ; Salins {Jura). — 1863. 
LonGIN, Emile, avocat ; Oullins, près Lyon. — 1874. 


Lory, professeur de géologie à la Faculté des sciences de 
Grenoble (Isère). — 1857. 

LOURDEL, vétérinaire en premier au 9° régiment d'artillerie. 
— 1874. 

Lumière, photographe ; Lyon, rue de la Barre, près de l'Ecole 
de médecine. — 1865. 

LyauTEey, Claude-Baptiste, professeur de langue française, à 
Odessa (Russie). — 1874. 

Macxarp, Jules, peintre d'histoire x ancien pensionnaire ‘de 
l’Académie de France à Rome. — 1866. 

* MaizLaRp, docteur en médec.; Dijon (Côte-d'Or).— 1855. 

» 


— 611 — 


MM. 
Marey (l'abbé), professeur au séminaire de Vesoul. — 1874. 
MaisonxeT (l'abbé), curé de Chaucenne { Doubs). — 1856. 


* pe Manpror, colonel fédéral ; Neuchâtel (Suisse). — 1866. 


DE Manpror, Bernard, archiviste-paléographe ; Paris, boule- 
vard Haussmann, 148. — 1870. 

Marcou, Jules, géologue ; Paris, boulevard Saint-Michel, 81. 
— 1845. 

DE Maruter (le duc), membre du conseil général de la Haute- 
Saône ; Paris, rue de l'Université, 39. — 1867. 

Marquiser, Gaston, propriétaire, membre du conseil général 
de la Haute-Saône; Fontaine-lez-Luxeuil (Haute-Saône). 


— 1858. 
Marin, docteur en médecine ; Aumessas (Gard). — 1855. 
* Marxey, Charles, pharmacien ; Ornans (Doubs). — 1856. 


Marmreu, Emile, professeur à la Faculté des sciences de 
Nancy. — 1872. 

De MENTHON, René, botaniste; Menthon ( Haute-Savoie). — 
1854. 

Mérn., Georges, agent voyer d'arrondissement; Baume-les- 
Dames (Doubs). — 1868. 

* Mrcuez, Auguste, instituteurcommunal ; Mulhouse (Alsace). 
— 1842. 

MicxELoT , ingénieur en chef des ponts et chaussées ; Paris, 
rue de la Chaise, 24. — 1858. 

MiGnarDp, correspondant du ministère de l’Instruction pu- 
blique; Dijon | Côte-d'Or). — 1868. 

Monnier, Eugène, architecte ; Paris, rue Billault, 19.— 1866. 

Monnier, Louis, principal du collége de Pontarlier. — 1873. 

Moquery, ingénieur des ponts et chaussées ; Dijon )Côte- 
d'Or). — 1873. 

Morez, Eugène, hommedelettres ; Courchaton (Haute-Saône). 
— 1873. 

Morérin, docteur en médecine ; Paris, rue de Rivoli, 68. — 
1857. 


-— 612 — 
MM. 

Mouror, instituteur public ; Saône {Doubs). — 1870. 

DE Mousrier (le marquis) ; Château-Bournel, par Rougemont 
(Doubs).— 1874. 

Muanier, Henri-Auguste, ingénieur-architecte ; Paris, rue du 
Faubourg-Saint-Denis, 176. — 1868. 

Mounier, médecin ; Foncine-le-Haut (Jura). — 1847. 

DE Nervaux, Edmond, directeur général de l’Assistance 
publique ; Paris. — 1856. 

ORDINAIRE DE LACOLONGE, chef d’escadron d'artillerie en re- 
traite ; Bordeaux (Gironde). — 1856. 

* ParanNDIER, inspecteur général des ponts et chaussées en 
retraite ; Paris, rue de Berri, 43. — 1852. 

Paris, docteur en médecine ; Luxeuil (Haute-Saône).— 1866. 

Parisor, Louis, pharmacien et maire de Belfort. — 1855. 

Passrer, Alphonse, lieutenant d'infanterie ; Dole (Jura). — 
1874. 

. Passrer, Henri, bibliophile ; Dole (Jura). — 1874. 

PareL, ancien maire de Quingey (Doubs) — 1866. 

PécHorx, Charles, instituteur public; Glay, par Blamont 
(Doubs). — 1874. 

Pécouz, Auguste, archiviste-paléographe, secrétaire d’ambas- 
sade ; château de Villiers, à Draveil (Seine-et-Oise). — 1865. 

* PERRON, conservateur du musée de la ville de Gray (Haute- 
Saône). — 1857. 

PERRUCHE DE VELNA, procureur de la République à Saint- 
Claude (Jura). — 1870. 

* Pgssières, architecte ; Pontarlier {Doubs}. — 1853. 

Perir, Jean, statuaire ; Paris, rue d'Enfer, 89, — 1866. 

Perir, Jean-Hugues, chef de section du chemin de fer; Ve- 
soul (Haute-Saône). — 1869. 

Peuczor, Constant, ancien membre du conseil général ; Au- 
dincourt ( Doubs). — 1857. 

Prerrey, docteur en médecine; Luxeuil (Haute-Saône). — 
1860. 


— 613 — 


MM. 

Piname, Jules, juge de paix ; Clerval (Doubs). — 1868. 

Porsor, Maurice, avocat; Dijon (Côte-d'Or), rue Buffon, 4. 
— 1870. 

Pory , négociant; Breuches (Haute-Saône). — 1869. 

Pouzaix, chef de bataillon, commandant du génie à Salins 
(Jura). — 18735. 

Prosr, Bernard , archiviste du Jura; Lons-le-Saunier (Jura). 
— 1867. 

Proupxon, Hippolyte , membre du conseil d'arrondissement, 
maire d'Ornans (Doubs). — 1854. 

Proupxon, Léon, ancien maire de la ville de Besançon ; Or- 
nans (Doubs). — 1856. 

* Quécer, Lucien, docteur en médecine ; Hérimoncourt 
(Doubs). — 1862. 

Quiquerez, ancien préfet de Delémont; Bellerive, canton de 
Berne (Suisse). — 1864. 

Racine, P.-J., ancien avoué; Oiselay (Haute-Saône). — 1856. 

* Receveur , Jules, notaire ; Cuse, près Rougemont { Doubs). 
— 1874. . 

REDDET, commis des douanes ; Jougne (Doubs). — 1868. 

* Rexaup, Alphonse, officier princ. d’admin. des hôpitaux 
militaires en retraite; Paris, rue d'Amsterdam, 69. — 1855. 

* RenauD, Edouard, capitaine-ingénieur au régiment des 
sapeurs-pompiers de Paris, boulevard du Palais, 9. — 1868. 

Renaup, doct. en médec.; Goux-lez-Usiers (Doubs). — 1854. 

RENAUDIN, Francois -Justin, instituteur public; Fontain 
(Doubs). — 1874. 

Revow, Pierre, banquier; Gray (Haute-Saône). — 1858. 
RicHarp, Ch., docteur en médecine ; Autrey-lez-Gray (Haute- 
Saône). — 1861. 
RINGUELET, Eusèbe, industriel; Trécourt (Haute-Saône). — 

1873. 
RogerTr, Achille, bibliothécaire de la ville de Valence 
(Drôme ). — 1873. 


— 614 — 


MM. 
DE RocHas D'AIGLUN, capitaine du génie ; Grenoble (Isère). — 
1866. 
Roucer, docteur en médecine ; Arbois { Jura). — 1856. 
Roy, Jules, archiviste-paléographe, répétiteur à l'Ecole des 
hautes études ; Paris, rue de Vaugirard, 70. — 1867. 


Rorrier, architecte ; Dole (Jura). — 1873. 
SAGLI0, Camille, ingénieur aux forges d'Audincourt (Doubs). 
— 1874. 


SARRAZIN, propriétaire de mines; Lons-le-Saunier (Jura). — 
1862. 

* DE SAUSSURE, Henri, naturaliste; château de la Charnéa, 
près Bonne-sur-Ménage { Haute-Savoie). — 1854. 

SAUTIER, Chef de bataillon du génie en retraite; Vesoul (Haute- 
-Saône). — 1848. 

* THénarD (le baron), membre de l’Institut {Académie des 
sciences) ; Talmay ([Oôte-d'Or). — 1851. 

Tarerry, Gilbert, ancien auditeur de 1° classe au Conseil 
d'Etat; Paris, rue St-Dominique-S'-Germain, 76. — 1868. 

Taierry, Jacques, capitaine d'état-major; Clermont-Ferrand. 
— 1873. 

Taurier, Charles, juge de paix; Rougemont (Doubs).—1869. 

Tissor, correspondant de l’Institut, doyen honoraire de Ja 
Faculté des lettres de Dijon { Côte-d'Or). — 1859. 

Tougix, Charles, professeur au collége arabe d'Alger. — 1856. 
TourerT, Félix, percepteur; Nans-sous-Sainte-Anne (Doubs). 
— 1854. 
TourGNoL, principal du collége de Baume-les-Dames (Doubs). 

— 1873. 

* TournieR, Ed., maître de conférences à l'Ecole normale, 
sous-directeur à l'Ecole des hautes études; Paris, rue de 
Vaugirard, 92. — 1854. 

Tournier, Paul, docteur en médec.; Morteau (Doubs).—1866. 

TRavezer, Nicolas, propriétaire, maire de Bourguignon-lez- 
Morey ( Haute-Saône ). — 1857. 


— 615 — 
MM. 

* Travers, Emile, conseill. de préf.; Caen (Calvados).— 1869. 

TrRucHEzuT, photographe; Paris, rue Richelieu, 98. — 1854. 

Tuerey, Alexandre, archiviste aux archives nationales; Paris, 
place Wagram, 4. — 1863. 

VALFREY, Jules, rédacteur au Moniteur universel; Paris, rue 
Treilhard, 3. — 1860. 

VARAIGNE, inspecteur des contributions indirectes Melun; 
(Seine-et-Marne). — 1856. 

VENDRELY, pharmacien ; Champagney (Haute-Saône).—1863. 

VeruoT, Ernest, capitaine de frégate de la marine nationale ; 
Paris, rue de Moscou, 23. — 1873. 

Viarp, Alexandre, notaire et maire, à Hortes (Haute-Marne). 
— 1872. 

VigiLe, Emile, libraire, maison Victor Masson; Paris, rue 
de l’Ecole-de-Médecine, 17. — 1862. 

VrezrarD, Léon, propriétaire et maître de forges; Morvillars 
(Haut-Rhin). — 1872. 

VIviEN DE SAINT-MARTIN, vice-président de la Société de géo- 
graphie: Paris. quai Bourbon, 15. — 1863. 

Wipaz, professeur à la Faculté des lettres de Besancon, 
chargé de l'inspection générale de l’enseignement des lan- 
gues étrangères ; Paris, boulevard St-Michel, 79. — 1868. 

* WILLERME, colonel des sapeurs-pompiers de Paris en retraite. 
— 1869. 

ZeLLER, professeur d'histoire au Lycée de Nancy. — 1871. 


‘ 


— 616 — 


SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES (103). 


Le millésime indique l’année dans laquelle ont commencé les relations. 


FRANCE 


Comité des travaux historiques et des sociétés savantes 
près le Ministère de l'Instruction publique (deux 


ememplaires des Mémoires). dus se sole 1856 
Ain 5 
Société d'Emulation de l’Ain, Bourg............... 1860 
Aisne 


Société académique des sciences, arts, belles-lettres, 


agriculture et industrie de Saint-Quentin.......... 1862 


Allier 


Société des sciences médicales de l’arrondissement de 


Gannate hi, AUTRES DER ECREE SR ENE TS CRE 1851 


Société d'Emulation du département de l'Allier; Mou- 


RAS EE ae ee PERS ANR EN ASE PRE CRE 1860 


Alpes-Maritimes 


Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes ; 


ibn de RO Le des de IS CRE RE PTE 1867 


Ardèche 


Société des sciences naturelles et historiques de l’Ar- 


DÉBIEMPIIVAS PROMIS MR NN AI EEE 1863 


Aube 


Société académique de l'Aube; Troyes.............. 1867 


— 617 — 


Bouches-du-Rhône 


Société de statistique de Marseille............,..... 1867 
Académie des sciences, belles-lettres etarts de Te 1867 
‘Calvados 
Société Linnéenne de Normandie; Caen. ..,........ 1857 
Noadémie der Casn:.:....8. ut TP D CET EN 1868 
Charente-Inféricure 
Société d'agriculture de Rochefort. .............,... 1861 
Côte-d'Or 


Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon.. 1856 
Société d'agriculture et d'industrie agricole du dépar- 


ment dela: Côte-d'Or: Dion sis ie LR ER UE 1861 
Commission des antiquités du département de la Côte- 
OPEN CAF he a RENE LME 1r 3 1869 
Doubs 


Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besan- 


AUD CE ARSDE TRUE SEE RCA ? 1 PT MES PE APN TE 1841 
Société d'agriculture, sciences naturelles et arts du dé- 
partement du Doubs; Besançon. ................ 1841 
Commission archéologique de Besançon............ 1853 
Société d'Emulation de Monthéliard....... LB “74854 
Société de médecine de Besançon........... ...... 1861 
Société de lecture de Besancon..................... 1865 
Eure-et-Loir 
Société Dunoise ; Châteaudun EEE US TT Eee à 1867 
Gard 
A PER QUE A MST RTS 1866 
Société scientifique et littéraire d'Alais....... nie se 1870 


Garonne (Haute-) 


Société archéologique du midi de la France; Toulouse. 1872 
40 


— 618 — 


Gironde 
Commission des monuments de la Gironde; Bordeaux. 
Société des sciences physiques et naturelles de Bor- 
LTÉE ES PRO R AC L T A TT - 
Hérault 
Académie de Montpellier.…...:.%,.,.... 14m 
Société archéologique de Montpellier. ..........,... 
Indre-et-Loire 
Société française d'archéologie; Tours.............. 
Isère 
Société de statistique et d'histoire naturelle du dépar- 
tement de l'Isère ; Grenoble................,.... 
Jura 


Société d'Emulation du département du Jura; Lons- 

le -SAUMIEPE Er LT Re. OS, CREER 

Société d'agriculture, sciences et arts de Poligny..... 
Loire 


Société d'agriculture, industrie, sciences, arts et belles- 


lettres du département de la Loire; Saint-Etienne... 
Loiret 
Société archéologique de l'Orléanais ; Orléans........ 


Maine-et-Loire 
Société industrielle d'Angers et du département de 
Maine-et-Loire :'VAncErSLNICMIR ue LCL 
Société académique de Maine-et-Loire ; Angers...... 


Manche 


Société des sciences naturelles de Cherbourg....,.... 
Marne 


Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du 
département de la Marne; Chälons............ AE 


1866 


1851 


— 619 — 


Marne (Haute-) 
Société archéologique de Langres. ................. 
Mayenne 


Société de l’industrie de la Mayenne; Laval. ........ 

Société d'archéologie, sciences, arts et belles-lettres du 

département de la Mayenne; Mayenne............ 
Mieurthe-et-WHoselle 


Société des sciences de Nancy (ancienne Société des 


séientes naturelles de Strasbonre), 4e. 20e" 
Meuse | 
Société philomathique de Verdun.................. 
Morbihan 
Société polymathique du Morbihan; Vannes...... 
Oise 
Société d'agriculture de Compiègne................. 


; Pyrénées (Basses-) 
Société des sciences, lettres et arts de Pau........... 
Pyrénées (Hautes-) 
Société académique des Hautes-Pyrénées ; Tarbes... 
Pyrénées-Orientales 
Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées- 
Orientales SPETDISHA IE: Lette aise eee à 
Rhin (Haut-) 


Société Belfortamed Emulation. 412% 0 MEME 2 


SOPIÉIE LANnnEeNTe dé EYON.. 1/40 NE à. ve 
Société d'agriculture, d'histoire naturelle et arts utiles 

GDS PEN ERA EN ARRET MERE 
Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon... 


1874 


1857 


1866 


1866 


1851 


186% 


1862 


1856 


1872 


+ — 620 — 


Société d’horticulture pratique du département du 
RD TON: 7e à. 0 rev TT ET ee 1853 
Socrélé litteraire de Lyon, 252922, 1866 
Saône-et-Loire 
Botiete duehne: AUD... 25 RM et COUR 1846 
Société d'archéologie de Chalon-sur-Saône........... 1857 
Aradémie.d6 MACON: 2: rc pan ten a acer: . 1868 


Saône (Iaute-) 


Commission d'archéologie de la Haute-Saône; Vesoul. 1861 


Sarthe 
Société d'agriculture, sciences et arts; le Mans....... 1869 
Savoie 
Académie de Savoie; Chambéry ................... 1869 
Savole (Haute-) 
Société Florimontane; Annecy..................... 1871 
Seine 
Académie des sciences de l’Institut de France. ...... 1872 
Société géologique de France; Paris................ 1847 
Société de secours des amis des sciences; Paris...... 1863 
Association scientifique de France; Paris........... 1866 
Société des antiquaires de France; Paris ............ 1867 


Seine-et-Marne 
Société d'archéologie, sciences, lettres et arts de Seine- 
cMarne: Melun. nr ee eee 1865 
Secinc-Inférieure 
Commission départementale des antiquités de la Seine- 
Imeneure: Rouen 2200 e L NL ER ne DOTE 1869 
somme 


Société des antiquaires de Picardie; Amiens........ 1869 


— 621 — 


Tarn 
Société scientifique et littéraire de Castres........... 


Var 
Société des sciences naturelles, des lettres et des beaux- 
arts de Cannes et de l'arrondissement de Grasse... 
+ 
Vienne (Hautce-) 

Société archéologique et historique du Limousin ; 
LHNOPES RAA MAC D CPR NN RENE R Ta 

Vosges 
Société d'Emulation du département des Vosges; Epi- 
11 2 ESP PORN at MR CT NT Te OA ET ER ARE 

Yonne 
Société des sciences historiques et naturelles de 
PYonné:-ANXÉTre ze te ee fe RÉ PRE LLAS: DPERE En 
Société d'agriculture de Joigny........ FAR TA 2e 


ALSACE-LORRAINE 


ALGÉRIE 


Société de climatologie algérienne; Alger.......... : 
Société historique algérienne; Alger........... AE 


ALLEMAGNE 


Académie royale des sciences de Bavière à Munich 
(Kænigl. bayer. Akademie der Wissenschaften zu 
München), représentée par M. Scheuring, libraire 
ZE) 1615 INA Ritore Pa dre NEA AU a PUESIRRE se 

Société des sciences naturelles de Brême (Naturwis- 
senschaftlicher Verein zu Bremen)............. a 

Société des sciences naturelles et médicales de la 
Haute-Hesse (Oberhessische Gesselschaft für Natur- 


mud'Harleunde): Giessen. (éd ae. ed 
* 


1870 
1852 


1855 


1852 
1865 


1845 
1860 


1867 
1870 


1865 


1866 


1858 


— 622 — 

Société royale physico-économique de Kænigsherg 
(Kænigliche physikalisch-ækonomische Gesellschaft 
zu Kéniésberg) : Prusse. éttuse K ReRees 

AUTRICHE 

Institut impérial et royal de géologie de l’empire d'Au- 
triche (Kaiserlich-kæniglich geologische Reichsan- 
ste Vienne. 6e MR AE SU SES 

AMÉRIQUE 

Société d'histoire naturelle de Boston, représentée par 
MM. Gustave Bossange et Ci°, libraires, quai Vol- 
RES M ATIB EL Le NE CRT nee 27 D 


Institut Smithsonien de Washington, représenté par 
EM Gustave Bossangeiet Ge... ARR 


ANGLETERRE 


Société littéraire et philosophique de Manchester (Li- 
terary and philosophital Society of Manchester)... 


p BELGIQUE 
Académie royale de Belgique ; Bruxelles..........,. 


LUXEMBOURG 


Société des sciences naturelles du grand -duché de 
Luxembourg: Luxemhioquré re RENE 


SUÈDE 


Académie royale des sciences de Stockholm, représen- 
tée par M. Otto Lorenz, libraire, rue des Beaux- 
Ans 00-D1s, PATIS AT NT EE COM RREE 


SUISSE 


Société d'histoire naturelle de Bâle (Naturforschenden 
Gesélisenalt in Basel) 2. CAMLUNLE RADARS 
Société d'histoire naturelle de Berne (Bernerische Na- 
tuxforschenden: Gesellschaft) MR EEE 


1861 


1855 


1865 


1869 


1869 


4698: 


Société Jurassienne d'Emulation de Porrentruy, can- 


toner Berne er ARE Lu) Lie Rial 1861 
Société d'histoire et d'archéologie de Genève ........ 1863 
eau nation de Céneveenr SAT) 2: 1866 
Société vaudoise des sciences naturelles: Lausanne... 1847 
Société d'histoire de la Suisse romande: Lausanne... 1873 
Société neuchâteloise des sciences nalurelles ; Neu- 

NÉE AE MM PRE a QE LA Mae A ANA 2 19 1 RDS 1862 
Société d'histoire et d'archéologie de Neuchâtel... 1865 


Société helvétique des sciences naturelles /Allgemeine 
schweïzerische Gesellschaft für die gesammten Na- 
LULCNVIS RO HSCOMNELT)" AUPTOIDA 2.422 00 ie deu DU 1857 

Société des antiquaires de Zurich... ....,.1...,.: . 1864 


— 624 — 


Bibliothèques publiques (17) 


Ayant droit à un exemplaire des Mémoires. 


Bibliothèque de la ville de Besançon. 


Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 
Id. 


de l'Ecole d'artillerie de Besançon. 

de la ville de Montbéliard. 

de la ville de Pontarlier. 

de la ville de Baume-les-Dames. 

de la ville de Vesoul. 

de la ville de Gray. 

de la ville de Lure. 

de la ville de Luxeuil. 

de la ville de Lons-le-Saunier. 

de la ville de Dole. 

de la ville de Poligny. 

de la ville de Salins. 

de la ville d’'Arbois. 

du Musée national de Saint-Germain-en-Laye. 

Mazarine, à Paris. 

de l'Ecole d'application de l'artillerie et du génie, 
à Fontainebleau. 


TABLE DES MATIÈRES DU VOLUME. 


PROCÈS-VERBAUX. 


Echantillons géologiques et paléontologiques de la grotte de 

Loubeau (Deux-Sèvres), offerts par M. Ernest VEermor et 

ADDLÉCIÉS DA NENN ERNST LR D ODA AV, Ÿ. IX, LP x 
L'Annuaire du Doubs, de M. Paul Laurens, et la Vérité sur 

le masque de fer, de M. Th: June... ,......,....,....... Dp. vet vi 
Réunion des sociétés savantes à la Sorbonne en 1873 : lectures 

faites à cette occasion par MM. CnorarD et CasrTan; prix 

d'archéologie obtenu par la Société....,.,.,. pp. vit, IX, Xv et xvI 
Election de M. Servaux comme membre honoraire; ses re- 

merciments. DS É CfOTE due du Ce RU Gites CDD SANIUEL + DIET TE 
Mort de M. Amede THiERrRY, HAbES honoraire : hommages 

rendus à sa mémoire, au nom de la Société, par MM. Dra- 


- PEYRON et CHOTARD........... Lutte todo obté AE dois JO DDXITTIE LEE 
Mort de M. De ae ete des congrès scientifiques 
GHArCheQlOB QUES MN RE arte ntee ee VEN P. XIV 
Prix offert pour le concours international de la Société de 
MS Bt ne de net LOTS TE Ta0 RoHtonvEe 0 a DD IV XVI OT XXI 
Rapport sur la gestion financière de 1872.. rad eee DD. XVI-XVIIT 
Expérimentation, par M, Desaucxey, d'une roche à segments 
Emobiesiofterte pariM OP APAIVRE MS ae ee de p. XIX 
Mort de M. le général de division vicomte pE BolSLECOMTE, 
Membre COrresDORTANT. ee: de an eueas une à ovos ÉRARQRS DATE 


Séance générale de la Société d'Emulation de Montbéliard : 
lectures faites dans cette réunion par MM. SrrE et TuETEy. pp. xxI et XxX11 
Election de M. Francis Wey comme membre honoraire; letire 
exprimant ses remerciments ..... se aie dec DD: XII 
Entrée à l'Institut de M. Résa, membre honoraire......... 10 / pu 
Fresque du x1v*siècle et diverses pièces d'orfévrerie religieuse, 
reproduites par les soins de M. GAUTHIER. Pp. XXIV,XXV,XXXVITEEXXXVII 
Cuivre gravé représentant l’antiquaire J.-J]. Boissard, offert à 
la ville par M. DemBourG et communiqué par M.CasTax. pp. xxv etxXxvI 


— 626 — 

Rapport de M. Caoraro sur les Æuns el les Champs catalau- 

niques, ouvrage de M. PouLaIN............... dus oO D: XXNT CL EVIL 
Note de M. A. DeLacroix sur une communication de M. Ber- 

THET, maire d'Arc-et-Senans, relativement à deux voies ro- 

maines passant sur le territoire de cette commune... pp. XXVII-XXIX 
Proposition de donner le nom de l'amiral Jean de Vienne à 

une rue nouvelle de Besançon, par M. CASTAN........ Dp. XXIX-XXXI 
Allocation de 500 fr. accordée, à titre d'encouragement, par 

M. le MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE........... , PP. XXXIV-XXXV 
Fragments d'une inscription monumentale de l'époque ro- 

maine, trouvés à Besançon et reproduits par M. CasrTanN 


(AADOIS RE TAVÉS) AMRER Re RE E Eee t . PP. XXXVIL ET XXXIX 
Une circonstance de la vie du musicien Claude Goudimel, si- 

gnalée par M. CAsTAN............ ss ae cote A uterete etals SO P. XXXIX 
BST STAR ee ste ei Dee fe Mate DRAM era ete su + DD ER AIMENT 
Entrée à l'Institut de M. Duruy, membre Ronrana SAC A P. XLII 
Présent de vin d'honneur fait pour le banquet par Le Société 

d'agriculture, sciences et arts de Poligny.........., P. XLHI 
Séance publique de 1873............ RER RS Et PP. XLVII-XLIX 


Banquet de 1873 : discours prononcés au RP par MM. Du- 
cat, président annuel; LE GÉNÉRAL DUC D'AUMALE, 
commandant le 7e corps d'armée; CaAsTAN, secrétaire décen- 
nal; DE Manprot, PARISOT, FAVRE, ROUssEAUX, BAILLE, GAL- 
MICHE, délégués des sociétés savantes ; JURGENSEN, membre 
correspondant; Caorarp, président élu pour 1874.......... PP. L-LXV 


MÉMOIRES. 


Travaux de la Société d'Emulation du Doubs en 1873, 
par M. Alfred Ducar, président annuel......... A 


La Société d'Emulation du Doubs à la réunion des dé- 
légués des sociétés savantes en 1873 : rapports de 
MM. Ducar et CHABOUILLET: 034 204. 204 JE NINRNNS 


À la mémoire d'Amédée TarerrY : discours prononcé 
à ses obsèques par M. L. DrAPEYRON; éloge fait en 
Sorbohne;tpar M:.H. CHoTARD. 450 ua SR pRel 


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— 627 — 
Une Française de la décadence, par M. Jules-F.-U. 
JDADENSEN VE AS CAO PR er AR ct 0 


Note sur les normales à l'ellijse et sur deux cas parti- 
culiers de l’équation du quatrième degré, par M. 
ARE ensete de be chetiele UT ARS à 


Probabilités d'un voyage du roi saint Louis à Besançon 
en 1259, par M. Auguste CASTAN. Lu... 0 


Tableau analytique des familles de la Flore de France, 
DAT MS CR GR ENER Len RE TIO E P 


Découverte. de tombeaux dans l'église primitive de 
Moutier-Grandval, par M. A. Quiquerez (1 pl.).. 


La Vierge des Carondelet, par M. Aug. Casrax (1 pl.). 


Sur un voluménomètre et son application à la mesure 
approchée de la hauteur barométrique, par M. G. 
SRE (IRL) SR An na RPG EE A 


Henri Mouxor : ses voyages dans le royaume de Siam, 
au Cambodge et au Laos, par M. H. CHoTARD..... 


Montjoie et les anciens chateaux du Clos-du-Doubs, par 
DRAC DT UER EAN UE Re RL AA 


De la segmentation dans les végétaux, par M. Fran- 
COS MECLEROM ER UE AURA TR re 


Les Huns et les Champs catalauniques, par M. H. 
ÉOULAN EDEN Ne et) à ha ea ae dede meta ere 


Les traditions populaires de la Franche-Comté, par 
M. Ch. THURIET 


Le Jura franc-comtois ; études géologiques : deuxième 
‘étude, par M. Alexandre VÉézran (10 pl.)......... 
Pipette à capacité variable pour l'essai des matières 
d'argent par la voie humide, par M. G. Srre (1 pl.). 


P- 


#30 


.D2 


a p' 


. 163 


176 


214 


1201 
. 309 


. 329 


529 


— 628 — 
Assainissement des littoraux marécageux avec le con- 
cours des marées, par M. H. PouLain (3 fig. et 


1 pL.). SAW IP) 2/0 0.0 5 CHI tp» P eee LA P: 541 
Faut-il dire Rognon ou Rosemont? note de M. Au- 

guste CASTAN........ à pe de hndioseia ge ta ler te SR sp. 913 

L 

Dons faits àla Société en1873... 40. 2 séa de vatccs 00% o'o0t eee DANS 
Envois des Sociétés correspondantes..... dial MANIERE p. 586 
Membres de la Société au 30 novembre 1873...... does ste D “591 
Sociétés correspondantes, 4230.44 5e 0e SiN Rs se 6022 seu: DSTENS 
Bibliothèques recevant les Mémoires.,.,..,,.,...,..,,....,.. 4 DATE 


———_—_—_—_—— 


BESANCON, IMPKIMERIE DODIVERS ET Ci, GRANDE-RUE, 87. 


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