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Full text of "Mémoires de la Société bourguignonne de géographie et d'histoire"

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MÉMOIRES 

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SOCIETE  BOI]RGI]|fiNONNi 


GÉOGRAPHIE  ET  D'HISTOIRE 


W\A.VS.'V^ 


TOME  XIX 


DIJON 

IMPKIMEHIE    DAKANTIEKE 

65,    RUE    CHABOT-nHARNV,    63 

1903 


MÉMOIRES 

^  de  la 


_* ^ 


SOCIETE  BOURGUIGNONNE 


GÉOGRAPHIE  ET  D'HISTOIRE 


I         33  5ÏH  OOS 

03  53  XL 


MEMOIRES 

do  In 


ITE  BOIlRfillIGNOOE 


GÉOGRAPHIE  ET  D'HISTOIRE 


WN/V-V^W 


TOME  XIX 


DIJON 

IMPRIMERIE     DARANTIERE 

65,    RUE    CHABOT-CHARNY,    65 

1903 


LISTE 

DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ 


COMPOSITION  DU  BUREAU 

POUR  l'annbb  4903 

Présidents  honoraires  :  MM.  Muteau  (Charles),  conseiller  hono- 
raire à  la  Cour  d'appel  de  Paris  ;  Gaffarel^  professeur  à  la  Faculté 
des  lettres  d'Âiz. 

Pi'ésidenl  :  M.  Ouvert,  professeur  au  Lycée  de  Dijon. 

Vice- Présidents  :  MM.  Chabkup,  président  de  I* Académie  de  Dijon 
et  vice-président  de  la  Commission  départementale  des  Anti- 
quités; MocQUBRY,  Ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées, 
élus  pour  trois  ans  le  44  décembre  1900. 

Secrétaire  général:  M.  Cornbreau,  juge  suppléant. 

Secrétaires  :  MM.  Pierre  Hdgdbniii,  avoué  à  la  Cour  d'appel  et 
Drioton,  rue  Saint-Philibert,  23. 

Trésorier  :  M.  Pbrronse,  ancien  Conseiller  de  Préfecture. 

Archiviste-bibliothécaire  :  M.  Mercier,  rue  Jean-Jacques-Rous- 
seau,  78;  tous  élus  pour  un  an,  le  42  décembre  I90i. 

COMITÉ  DE  PUBLICATION 

Ce  comité  est  composé  des  membres  du  bureau  et  de  dix  socié- 

taireâ  élus.  Voici  les  noms  de  ces  derniers  pour  l'année  4903  : 
MM. 

AvouT  (vicomte  Auguste  d*),  ancien  magistrat,  membre  de  l'Aca- 
démie de  Dijon  et  de  la  Commission  départementale  des  Anti- 
quités; 

CuNT,  receveur  principal  des  postes  en  retraite  ; 

DuMAT,  ancien  magistrat,  membre  de  la  Commission  départemen- 
tale des  Antiquités; 

FouRiER  (Guillaume),  dessinateur  au  chemin  de  fer,  associé  résidant 
de  la  Commission  départementale  des  Antiquités  ; 


—    VI    — 

HuGUENiN  (Anatole),  membre  de  rAcadémie  de  Dijon  et  de  )a  Com- 
mission départementale  de.^  Antiquités; 

Jobard,  imprimeur; 

Ladbt  de  Saint-Gehmain; 

LoRY,  ancien  avoué,  membre  de  la  Commission  départementale  des 
Antiquités  ; 

MosER,  négociant  en  vins,  Consul  de  Suisse. 

N. 


MEMBRES  HONORAIRES 

MM. 

Dassot  (Léon),  général  d'état-major  au  service  géographique  de 
Tarmée,  conseiller  général,  à  Paris. 

Binger,  directeur  des  affaires  africaines  au  ministère  des  colonies, 
45,  rue  Prony,  è  Paris. 

Cotteau  (Edmond),  voyageur  et  écrivain. 

Debize  (le  colonel),  secrétaire  de  la  Société  de  géographie  de  Lyon. 

Faucon  (Narcisse),  publiciste,  rue  Saint- André-des- Arts,  Paris. 

Foncin,  inspecteur  général  de  l'enseignement  secondaire. 

Gravier,  président  de  la  Société  de  Géographie  de  Rouen. 

Harmand,  ministre  plénipotentiaire  au  Japon. 

Houben  (le  baron  de),  consul  du  Pérou,  à  Alger. 

Lubawski  (le  comte  de),  à  Saint-Pétersbourg. 

Ly-Chao-pee,  mandarin  de  4e  classe,  7,  rue  Roussin,  Paris- Vau- 
girard. 

De  Mahy,  député  de  la  Réunion,  à  Paris. 

Martel  (E.-A.),  agréé  près  le  Tribunal  de  commerce  de  la  Seine, 
à  Paris. 

Marcou  (Jules),  professeur  à  l'Université  de  Cambridge. 

Moncelon,  délégué  au  Conseil  supérieur  des  colonies,  à  Paris. 

Prudent  (Ferdinand),  lieutenant-colonel  du  génie,  au  service  géo- 
graphique de  l'armée,  à  Paris. 

Suite  (Benjamin),  à  Ottiwa  (Canada). 

Yung  (le  P.),  Supérieur  des  Pionniers  africains. 

Zeppelin  (comte  Eberhardt  de),  au  château  d'Ebersberg,  canton 
de  Thurgovie  (Suisse). 


LISTE 

ALPHABÉTIQUE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

AU    !•«•  AODT  1903 

Nota.  —  La  date  inscrite  en  regard  de  chaque  nom  est  celle  de  l'admission 
dans  la  Société.  La  lettre  F  indique  le  tiire  de  membre  fondateur  de  la  Société 
qui  a  été  conslitaôe  dans  la  séance  du  6  mat  1881. 


48  février  1885. 
14  avril  1899. 

18  novembre  188t. 
14  décembre  1900. 

F.  6  mai  1881. 
14  janvier  1885. 
Udécombre  1894. 

10  mai  4889. 

11  janvier  1895. 
F.  6  mai  1881. 


MM. 

Âbadie  (François),  propriétaire,  boulevard 
Thiers,  25,  à  Dijon. 

Allenbach,  chef  d'exploitation  des  Tram- 
ways départementaux  do  la  Côte-d'Or, 
boulevard  Sévigné,  Dijon. 

Amiot  (Victor)^  maire  de  Sainte-Marie,  à 
Pont-de-Pany  (Côte-d'Or). 

Anot,  sous-intendant  mrlilaire  en  retraite, 
conseiller  municipal,  rue  Jean-Jacques- 
Rousseau,  78^  à  Dijon. 

Arbioet  (Simon),  juge  de  paix,  place  de  la 
République,  2,  à  Dijon. 

Artaud  (Théodore),  greffier  de  justice  de 
paix,  1,  place  du  Palais,  à  Dijon. 

Autume  (Alfred  d')^  rue  Jeannin,  32^  à 
Dijon. 

Avout  (vicomte  Augusto  d'),  ancien  magis- 
trat, membre  de  l'Académie  de  Dijon  et 
de  la  Commission  départementale  des 
Antiquités,  rue  de  Mirande,  14,  à  Dijon. 

Azan  (Paul),  lieutenant  d*état-major,  6> 
place  du  Palais-Bourbon,  à  Paris. 

Bailly  (Ernest),  doyen  de  la  Faculté  de 
Droit,  cours  du  Parc,  8,  à  Dijon. 


VIII    — 


27  décembre  1881. 

9  juin  1893. 

H  juin  1897. 

8  juillet  1885. 

10  juin  1883. 

9  juin  1893. 

12  décembre  1883. 

10  mars  1893. 

9  mars  189i. 

10  février  1886. 

9  mai  1902. 

8  avril  1892. 

12  janvier  1900. 

12  janvier  1900. 
20  avril  1882. 

10  décembre  1897. 

9  février  1894. 
8  juin  1891. 


MM. 

Balland  (M"*),  in>titu(ricc,  à  Meursault 
(r^ôle-d'Or). 

Barthélémy  (Adolphe),  instituteur,  à  ('.ho- 
vigny-Fénay,  par  Gevrey-Chambertin 
(Côle-d'Or). 

Basl  (de),  ancien  magistrat,  rue  James- 
Demontry,  à  Dijon. 

Bauiïremont  (prince  duc  de),  rue  de  Gre- 
nelle-Saint-Germain,  87,  à  Paris. 

Beauvois  (Eugène),  membre  do  plusieurs 
sociétés  savantes,  à  Corberon  (Côte-d'Or). 

Bolime  (Henri),  propriétaire,  rue  Jeannin, 
45,  à  Dijon. 

Bergeret  (Emile),  marbrier-sculpteur,  cor- 
respondant de  la  Commission  départe- 
mentale des  Antiquités,  à  Nuits  (Côle- 
d'Or). 

Bergery,  instituteur,  à  Pouilly-sur- Saône 
(Gôte-d'Or). 

Berlier  (comte),  avocat  à  la  Cour  d'appel, 
boulevard  Carnot,  25,  Dijon. 

Berlin,  docteur  en  médecine,  quai  Saint- 
Esprit,  à  Gray. 

Bertrand,  photographe,  rue  Chabot-Charny. 

Bibliothèque  (La)  populaire  de  Nuits. 

Bibliothèque  (La)  populaire  de  Gevrey- 
Chambertin  (Côle-d'Or). 

Bibliothèque  (La)  populaire  de  Talmay 
.'Côte-d  Or). 

Biltiet,  professeur  à  l'Ecole  normale  pri- 
maire, à  Auxerre  (Yonne). 

Bizouard  (l'abbé),  curé  de  la  cathédrale, 
place  Saint- Bénigne,  à  Dijon. 

Blagny  (Charles),  président  du  tribunal  de 
Libreville  (Congo),  à  Spoy  (Côle-d'Or). 

Blaudin-Valière,  licencié  ès-letlres,  boule- 
vard Carnot.  42,  à  Dijon. 


—    IX   — 


4  3  janvier  1893. 
U  janvier  4898. 
40  mat  1901. 

2  avril  4884. 

44  janvier  4904. 

40  janvier  1896. 
40  juin  4892. 

9  février  4887. 

40  naars  4899. 

44  décembre  4 394. 
49  avril  4904. 

F.  6  mai  4881. 

40  janvier  4896. 

9  janvier  4903. 

42  mai  4899. 

8  décembre  4899. 

43  février  4884. 

44  juin  4884. 

5  février  4897. 


MM. 

Blondel   (Rdouard),  notaire^    rue  Chabot- 

Charny,  32,  à  Dijon. 
Bocquet  (Léonce),  négociant  en  vins  à  Sa- 

vigny-les-Beaune  (Côle-d'Or). 
Bonin^  chef  de  bureau  des  constructions  de 

la  C>e  P.-L.-M.,  98,  rue  d'Alésia,  Paris. 
Bordot  (Jacques),  commis  greffîer  à  la  Cour 

d'appel,    4   bis,    rue    Docteur- Maret,   à 

Dijon. 
Bouillot  (Victor),  instituteur  à  Braux,  par 

Pont-Royal  (Côtc-d'Or).  . 
Bouret,  négociant  à  Plombières- les-Dijon. 
Bourgeot    (François),    instituteur   à  Nuits- 

Saint-Gcorges  (Côte* d'Or). 
Bouriier,  instituteur  à  Marcilly-Ogny,  par 

Pouilly-en-Auxois. 
Bouteltier,  directeur  de  TEcole  des  Beaux- 

Arls,  cour  de  Bar,  Dijon. 
Boyenval  (Charles),  place  Saint- Jean,  4. 
Breton    (Albert],    docteur-médecin,   place 

Darcy,  Dijon. 
Dreuil  (Philippe),  négociant,  rue  de  la  Pré- 
fecture. 3,  à  Dijon. 
Breyne   (de),    colonel,   place    Darcy,    47, 

Dijon. 
Broussolle    (Docteur),    rue  Jean-Jacques- 
Rousseau,  409,  Dijon. 
Bruey,  instituteur,  à  Minot  (Côte-d*Or). 
Bruley,     instituteur,     à     Piombières-les- 

Dijon. 
Buguet  (Alphonse),  meunier,  à  Til-Chfitel 

(Côte-dOr). 
Bulon     (Bernard),    propriétaire,     impasse 

Saint- Michel,  2,  à  Dijon.  * 

Burot,  directeur  de    l'Ecole  normale   des 

instituteurs  de  Dijon,  rue  des  Moulins, 

Dijon. 


MM. 

9  décembre  f  898.         Cagne^  instituteur,  à  Arrans  (Côte-d*Or). 
40  mai  1895.  Carnot  (Ernest),  à  Paris,  64, avenue  dléna. 

8  février  1895.  Carnot  (Sadi),  capitaine  au  39e  de  ligne,  21, 

avenue  de  TAIma,  Paris. 

14  février  1896.  Cazet  (Isidore),  instituteur^  correspondant 

de  la  Commission  des  Antiquités,  à  Beu- 
rizot  (Côte-d'Or). 

15  avril  1898.  CerceuU  (Georges),  ex-agent  de  la  O'  d'as- 

surance «  le  Phénix  »,  rue  Devosge,  60, 
à  Dijon. 

10  février  1886.  Chabeuf  (Henri),  président  de  l'Académie 

de  Dijon  et  vice-président  de  la  Commis- 
sion départementale  des  Antiquités^  rue 
Legouz-Gerland,  5,  à  Dijon. 

20  avril  1887.  Chalmandrier  (J.-E.)^  instituteur^  corres- 

pondant de  la  Commission  départemen- 
tale des  Antiquités,  à  Gilly-les-Vougeot 
(Côte-d'Or). 

9  juin  1893.  Chambellan,   instituteur,  à    Corcelles-les- 

Cïteaux  (Côte-d'Or).    * 

8  mai  1896.  Chamoin  (Albert),  chef  de  bureau  à  la  Pré- 

fecture du  Doubs,  Besançon. 

8  décembre  1886.  Chapuis  (Albert),  négociant,  rue  Saint-Bé- 
nigne, 11,  à  Dijon. 

15  avril  1898.  Charles,  notaire  honoraire,  rue  Vauban,21, 

Dijon. 

11  mars  1898.  Châtain  (François),  instituteur,  à  Monloillot 

(Côte-d'Or). 
F.  6  mai  1881.  Chaudouet  (Arthur),  architecte  du  départe- 

ment, rue  Charrue,  14,  à  Dijon. 

21  février  1883.  Chevalier,  instituteur,  à  Larrey-Dijon. 

12  juin  1896.  Chevalier  (l'abbé),  missionnaire  apostolique, 

à  Fixey  (Côte-d'Or). 
Ii  lAai  1884.  '  Choiset  (Mme  Alice),  née  Gros,  institutrice, 

à  Til-Chûtel  (Côte-d'Or). 
14  mai  1897.  Chomereau  de  Saint-André  (le  général  de), 

rue  Jeannin,  à  Dijon. 


—   XI    — 


41  mars  4898. 

44  juin  1889. 
40  janvier  1896. 

44  avril  1899/ 

42  février  4892. 
9  juin  1893. 

12  janvier  1894. 
40  avril  1891. 
48  février  1885. 

44  janvier  4889. 

44juin  1887. 

13  février  1903. 
40  décembre  1884. 
40  janvier  1890. 


M. M. 

Chomton  (l'abbé),  aumônier  de  l'Hospice 
Sainte-Ânne,  membre  de  la  Commission 
départementale  des  Antiquités,  rue  du 
Tillot,  6,  Dijon. 
Clément-Janin  (Noël),  avocat,  boulevard 
Montparnasse^  23,  à  Paris. 

Clerc,  orthopédiste»  professeur  de  gymnas- 
tique au  Lycée,  rue  Louis- Blanc,  5,  à 
Dijon. 

Collard,  ancien  notaire,  boulevard  Thiers, 
23,  Dijon. 

Collette  (Alexandre),  docteur  en  médecine, 
rue  Chabot-Charny,  71,  à  Dijon. 

Collot  (Louis),  professeur  à  la  Faculté  des 
sciences,  membre  de  l'Académie  de  Di- 
jon et  de  la  Commission  départementale 
des  Antiquités,  rue  du  Tillot,  i,  à  Dijon. 

Collot  (Charlei)^  instituteur^  à  Vesvres-ïes- 
Vitteaui  (Côte-dOr). 

Coquille  (Justin),  instituteur  en  retraite,  à 
Vougeot  (Côle-d'Or). 

Cornereau  (Armand),  juge  suppléant  au 
Tribunal  civil,  membre  de  l'Académie  de 
Dijon  et  de  la  Commission  départemen- 
tale des  Antiquités,  rue  Berbisey^  3,  à 
Dijon. 

Curot  (Henri),  notaire,  correspondant  de  la 
Commission  départementale  des  Antiqui- 
tés, à  Savoisy  (Côte-d'Or). 

Coste,  directeur  régional  d'assurances,  rue 
de  la  Liberté,  1,  à  Dijon. 

Cottin,  docteur  -en  médecine,  rue  Vauban, 
12,  à  Dijon. 

Coulbois,  mstituteur,  à  Piehanges  (Côtc- 
d'Orj. 

Coureau  (Etienne),  propriétaire,  à  Saint- 
Remy,  près  Chalon  (Saôneet-Loire). 


—   XII   — 


40  juin  4892. 

43  mars  4896. 
8  février  4893. 

42  mai  4886. 

43  mal  4892. 

40  mars  4899. 

43  janvier  4893. 
F.  6  mai  4881. 
49  avril  4904. 
40  mai  490t. 

4  4  décembre  4896. 

44  juin  4  839. 
44  juin  4889. 
23  juin  (882. 

8  décembre  4886. 


MM. 

Court  (Paul),  négociant,  associé  résidant  de 

la  Commission  des  Antiquités,  rue  De- 

vosge,  à  Dijon. 
Couturier  (l'abbé  Hippolyte),  curé  de  Sainte- 

Marie-sur-Ouche  (Cô!e-d*Or). 
Couvreux  (Lucien),  conseiller  référendaire 

à  la  Cour  des  comptes,  rue  de  Suresne, 

7,  Paris  et  au  Petit- Versailles,  par  Châ- 

tillon-sur-Seine. 
Cuny,  receveur  principal  des  postes,  en  re- 
traite, rue  Vannerie,  55,  Dijon. 
Daguin  (Fernand),  avocat  à  Ja  Cour  d'appel, 

membre  de  l'Académie  de  Dijon,  rue  de 

l'Université,  29,  à  Paris. 
Damée,  docteur-médecin,  rue  Amiral-Rous- 

sin,  Dijon. 
Darantiere(Paul),  notaire,  place  Saint-Jean, 

47,  à  Dijon. 
Darantiere  (Victor),  imprimeur,  rueChabot- 

Charny,  65,  à  Dijon. 
Darantiere  (Maurice),  étudiant,  65,  rue  Cha- 

bot-Charny,  à  Dijon. 
Debrand,  avocat,  rue  Chabot-Charny,  48,  à 

Dijon. 
Defoug,  directeur  de  l'enregistrement,  des 

domaines   et    du   timbre,  place  Saint- 
Pierre,  Dijon. 
Delimoges  (Jules),  propriétaire,  à  Pagny-lc- 

Châleau  (Côte-d'Or). 
Demandre,  pharmacien,  place  des  Cordeliers, 

à  Dijon. 
Demartinécourt,    place    du    Château,     au 

fort     de    Romainville ,    par    les    Lilas 

(Seine). 
Démoulin,  receveur  principal  des  postes  et 

télégraphes,  en  retraite,  44  bis,  rue  du 

Château,  à  Asuières  (Seine). 


XIII   — 


43  janvier  4886. 
F.  6  mai  4884. 

40  mars  4899. 
40  mars  4893. 
40  décembre  4897. 
9  février  4899.        , 

44  juin  4889. 

44  janvier  4883. 
43  janvier  4899. 
48  novembre  4881. 
42  mars  4884. 

48  mars  4886. 

42  décembre  4883. 
8  mai  4891. 

45  avril  4898. 

43  janvier  4899. 
P.  6  mai  4884. 


MiM. 

Deresse  (Ernest),  ancien  négociant,  rue  Ver- 
rerie, 37,  à  Dijon. 

Deroye  (Albert),  docteur  en  médecine,  di- 
recteur de  l'Ecole  do  médecine  et  de  phar- 
macie, rue  Piron,  47,  à  Dijon. 

Deroye,  compo:$iteur  de  musique,  rue  Lon- 
gepierre,  Dijon. 

Deschamps,  ancien  notaire,  rue  Buiïon,  27, 
à  Dijon. 

Desfontaines,  ingénieur,  à  Saict-Léger-sur- 
Dheune  (Saône-et- Loire). 

Desgranges,  ancien  président  du  Tribunal 
de  commerce,  place  de  la  République,  49, 
à  Dijon 

Desserteaux  (Fernand),  professeur  à  la  Fa- 
culté de  droit,  boulevard  Carnot,  à  Dijon. 

Détourbet  (Edmond),  ancien  avocat-général, 
29>  rue  de  Lubeçk,  à  Paris» 

Dézerville,  agréé  ani  Tribunal  de  commerce, 
65  bis,  rue  Chabot-Charny,  à  Dijon. 

Dhiel  (Ernest),  avocat,  avenue  Matignon,  5, 
à  P.aris. 

Dhuîssier,  ancien  instituteur,  boulevard 
Thiers,  45  bis,  à  Dijon. 

Dorey  (Auguste),  capitaine  en  retraite,  à 
Plombières-les-Dijon. 

Doudin  (Antoine),  ancien  instituteur,  à  Cre- 
cey,  par  Is-sur-Tille  (Côle-d'Or). 

Doyen  (André),  capitaine  au  10^  cuirassiers, 
83,  boulevard  du  Nord,  à  Lyon. 

Drioton  (Clément),  associé  résidant  do  la 
Commission  départementale  des  Antiqui- 
tés, rue  Saint-Philibert,  23,  à  Dijon. 

Drouhot,  banquier,  rue  de  la  Liberté,  83,  à 
Dijon. 

Duban,  colonel  d'infanterie  en  retraite,  à 
Flacey  (Gôte-d'Or). 


<  5  Janvier  1897. 
U  mars  1889. 

13  janvier  1899. 

8  juin  4900. 

41  décembre  1896. 

6  avril  1900. 

9  janvier  1891. 
1i  avril  1899. 

9  juillet  188i. 

10  janvier  1896. 

10  décembre  188i. 
13  avril  1894. 

5  février  1897. 

'27  décembre  1882. 

13  mars  1903. 

12  mars  1884. 

14  avril  188i. 

14  janvier  1385. 
12  mars  1887. 

10  mai  1895. 


MM. 

Dubois  (Hippolyle),  ancien  huissier,  rue 
Jeannin,  à  Dijon. 

Dumay  (Gabriel),  ancien  magistrat,  membre 
de  TAcadémie  de  Dijon  et  de  la  Commis- 
sion départementale  des  Antiquités,  rue 
du  Petil-Potet,  20,  à  Dijon. 

Dupuy,  avoué  à  la  Cour  d*appel,  boulevard 
Carnot,  9,  à  Dijon. 

Durnet,  avocat,  adjoint  au  maire  de  Dijon, 
boulevard  Sévigné,  14,  Dijon. 

Eisenmann,  agrégé  d'histoire,  licencié  en 
droit,  boulevard  Sévigné,  Dijon.  • 

Eugster,  propriétaire,  rueBerlier,  28,  Dijon. 

Faiveley,  propriétaire, rue  de  Melz,  24,  Dijon. 

Farcy  (Louis),  instituteur  à  Noiron-sur- 
Seine  (Côte-d'Or). 

Farkas,  instituteur  à  Talant  (Côte-d'Or). 

Fauvart-Bastoul,  commandant  de  dragons, 
rue  Vauban,  12,  à  Dijon. 

Fernet,  instituteur  à  Lux  (Côte-d'Or). 

Ferret  (l'abbé),  curé  de  Gémeaux  (Côte-d'Or), 
correspondant  de  la  Commission  des  An- 
tiquités. 

Finot  (Nicolas-Hippolyle),  négociant  en 
vins,  rue  du  Petit-Potet,  à  Dijon. 

Flassayer,  ancien  proviseur,  à  Bourg  (Ain  . 

Fonssard,  docteur,  rue  Chancelier-l'Hôpilal, 
Dijon. 

Fontaine  (Denis),  entrepreneur  de  menui- 
serie, rue  des  Roses,  9,  à  Dijon. 

Fontaine  (Honoré),  agréé,  rue  Berbisey,  6, 
à  Dijon. 

Fontaine  (Paul),  négociant,  à  Hanoï  (Tonkin). 

Fontbonne  (Louis),  négociant  on  vins,  bou- 
levard de  Strasbourg,  à  Dijon. 

Fougères,  conseiller  à  la  Cour  d'appel,  bou- 
levard Carnot,  3,  à  Dijon. 


XV   — 


42  mars  1884. 

U  juin  4889. 
10  juin  1898. 
2t  mars  1883. 
10  novembre  1893. 
F.  6  mai  188t. 


14  juin  1889. 
10  janvier  1896. 

8  février  1895. 


13  décembre  1889. 
23  juin  1882. 
10  février  1886. 

15  avril  1885. 

18  février  1898. 
F.  6  mai  1881. 


MM. 

Fourier  (Guillaume),  dessinateur  au  chemin 
de  fer^  associé  résidant  de  la  Commission 
départementale  des  Antiquités,  rue  Le- 
nôtre,  25,  à  Dijon. 

Fournier  (Auguste),  entrepreneur,  mairede 
Dijon,  rue  de  Mirande,  5,  à  Dijon. 

Fournier  (Louis),  homme  de  lettres,  place 
Madeleine,  à  Beaune  (Côte-d'Or). 

Frossard  (Edmond),  directeur  du  Mont-dé- 
Piété,  rue  de  Mulhouse,  à  Dijon. 

Gadeault,  directeur  de  l'école  supérieure  de 
commerce,  rue  Sambin,  27,  à  Dijon. 

Gaffarel  (Paul),  professeur  à  la  Faculté  des 
Lettres  d'Aix,  28,  Traverse  du  Chapitre, 
à  Marseille. 

Galimard,  industriel,  à  Flavigny  (Côte-d'Or). 

Garcenot  (M"e  Julie),  ancienne  institutrice, 
chez  M.  Bolotte,  rue  de  Mirande,  à  Dijon. 

Gareau  (fabbé  Clément),  directeur  de  l'ûlilu- 
vre  de  la  Jeunesse  Ouvrière,  rue  Saint- 
Lazare,  1  9,  à  Dijon. 

Gariod  (Charles),  administrateur  des  ser- 
vices civils  en  Indo-Chine. 

Garnier  (Hippolyte),  avenue  Victor-Hugo, 
49,  à  Dijon. 

Garnier  (Noël),  proviseur  du  Lycée  du 
Havre,  correspondant  de  la  Commission 
des  Antiquités  de  la  Côte-d'Or. 

Gascon  (Richard-Edouard),  conducteur- 
voyer  principal  en  retraite,  correspondant 
de  la  Commission  départementale  des  An- 
tiquités, à  Fontaine-Française  (Côte-d'Or). 

Gascon  (Honoré),  pharmacien,  à  TArba 
fAlgérie). 

Gaulin-Dunoyer  (Ernest),  ancien  Président 
(le  la  Chambre  de  commerce,  rue  Saint- 
Pierre,  14,  à  Dijon. 


—    XVI    — 


12  décembre  1883. 
F.6maH88l. 
44  juin  1884. 
F.  6  mai  4^81. 
43  décembre  4901. 
2  avril  4884. 
43  février  1903. 
43  juin  4883. 
.40  décembre  4884. 
F.  6  mai  4884. 
43  décembre  4895. 

8  mai  4903. 
49  avril  4901. 

43  janvier  4899. 

44  avril  4899. 

9  janvier  4898. 
9  mai  4888. 

8  mars  4889. 


MM. 

Gaulhiot  (Lazare-Claude),  conseiller   à  la 

Cour,  rue  Verrerie,  4,  à  Dijon. 
Geley    (M^'^^),  institutrice,   rue   Saumaisc, 

48,  Dijon. 
Gérault  (Georges],  négociant,    rue   do   la 

Liberté,  55,  à  Dijon. 
Gibaux,  ancien  directeur  de  l'Ecole  nor- 
male, place  d\Armes,  48^  à  Dijon. 
Gilardoni,  conservateur  des  Eaux  et  Fordts, 

boulevard  de  Brosses,  5,  à  Dijon. 
Gillet  (Joseph),  agent  général  du  Phénix, 

22,  rue  de  la  Liberté,  à  Dijon. 
Girardin,  sous-ingénieur  au  chemin  de  fer, 

20,  rue  Metz,  à  Dijon. 
Goiset,    instituteur,  à  Grancey-le-Chdtcau 

(Côte- d'Or). 
Goisset    (Edmond),    rue .  Piron,    47,    à 

Dijon. 
Govin  (Auguste),  professeur,  cour  de  l'An- 

cien-Evéché,  47,  à  Dijon. 
Griess,  inspecteur-adjoint  des  eaux  et  fo- 
rêt.-', à  Bourgoin  (Isère). 
Guichard,  pharmacien,  à  Gray. 
Guillin  d'Avenas  (de),  propriétaire,  place 

Saint- Michel,  35,  Dijon. 
Guénois,  agent  général  d'assurances,   rue 

de  Suzon,  2,  à  Dijon. 
Guéret   [Edouard),  conducteur  de  la  C'^ 

P.-L.-M.,  Dijon. 
Guillot,  ancien  pharmacien,  rue  Jeannin, 

41,  à  Dijon. 
Hamet  (Donatien),  inspecteur  d'assurances, 

boulevard  Thiers,  5^  à  Dijon. 
Iluguenin  (Anatole),  ancien  agréé,  membre 

de  l'Académie  de  Dijon  et  de  la  Commis» 

sion  départementale  des  Antiquités^  rue 

Jean-Jacques- Rousseau,  6i,  à  Dijon. 


XVII 


42  jaDTÎer  1893. 

8  juin  4894. 

'42  janvier  1887. 

43  mars  4903. 

9  décembre  1892. 
45  avril  4898. 

8  décembre  4893. 

9  mai  4902. 

43  février  4903. 
44jain4889. 

43  mars  4891. 

44  février  4902. 
43  décembre  4904. 

5  février  4897. 

47  avril  4896. 

20  avril  4882. 

45  avril  4898. 

24  janvier  4883. 


MM. 

Huguenin  (Pierre),  avoué  d'appel,  boule- 
vard Thiers^  53,  à  Dijon. 

Huguenin  (l'abbé  Henri),  au  collège  Saint- 
François  de  Sales,  à  Dijon. 

Huot  (Césaire),  instituteur  en  retraite,  rue 
Neuve-Bergère,  2,  à  Dijon. 

Hurion,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences, 
rue  Vercingétorix,  Dijon. 

Ignace,  négociant,  rue  Chabot-Cbarny,  64, 
à  Dijon. 

Jacob  (Emile),  industriel,  à  Pouilly-sur- 
Saône  (Côte-d'Or). 

Jacotot,  instituteur,  à  Martrois,  par  PouiU 
ly-en-Auxois  (Côte-d'Or). 

Jacquinot-Lévôque,  47,  place  Saint- Jean,  à 
Dijon.     . 

Jalenques,  procureur  général  près  la  Cour 
d'appel  de  Dijon  JO,  place  de  la  Banque. 

Jamain,  manufacturier,  rue  des  Roses,  a 
Dijon. 

Janin,  avocat,  rue  du  PetitPotet,  21, Dijon. 

Jannot,  étudiant,  49,  rue  Vauban,  à  Dijon. 

Japiot,  ancien  notaire^  rue  Chabot-Charny, 
48,  à  Dijon. 

Jarrot  [Tabbé),  curé  de  Remitly-sur-Tille 
(Côle-d'Or). 

Jeannin  (E>nest),  instituteur,  à  Meloisey, 
par  Beaune  (Côte-d'Or). 

Jeannin  (M"*),  institutrice,  à  Pontailler-sur- 
Saône  (Côle-d'Or). 

Jobard  (Paul),  imprimeur^  membre  de  la 
Commission  départementale  des  Anti- 
quités, place  Darcy,  à  Dijon. 

Joliet  (Albert),  conservateur  du  Musée, 
membre  de  la  Commission  départemen- 
tale des  Antiquités,  rue  Chabot-CharnV, 

64,  à  Dijon. 

Il 


—    XVIII    — 


40  mars  1882. 
43  jaQvier4893. 
12  décembre  4888. 

41  janvier  4895. 

43  juin  4890. 

44  juin  4889. 
40  janvier  4902. 

9  février  4889. 
40  novembre  4884. 

43  janvier  1899. 

44  avril  4902. 

9  janvier  4891. 
46  avril  iS9o. 
40  mars  4894. 
9  juin  4886. 
40  mars  4893. 
2  avril  4884. 
21  juin  4896. 


MM. 

Joliet  (Gaston),  préfet  de  la  Vienne,  à  Poi- 
tiers. 
Joliet  (Pierre),  propriétaire,  à  Tart-l'Ab- 
baye  (Côte-d'Or). 

Kohn,  professeur  de  gymnastique  au  lycée, 
rue  Berbisey,  48,  à  Dijon. 

Ladey  de  Saint-Germain,  propriétaire,  rue 
Buffon,  à  Dijon. 

La  Mouche  (M"«),  directrice  de  l'Ecole  ma- 
ternelle, rue  Devosge,  à  Dijon. 

Lanier,  négociant,  rue  Piron,  4,  à  Dijon. 

Lanneau  (Charles),  directeur  de  la  maison 
Gros  père  et  fils,  rue  Bossuet,  15,  à 
Dijon. 

Lapaiche,  instituteur,  boulevard  Voltaire, 
Dijon. 

Lavirotte,  négociant  en  vins,  à  Beaune 
(Côte-d'Or). 

Leclerc,  brasseur,  rue  des  Moulins,  à 
Dijon. 

Lefebvre  (Francis),  chef  de  comptabilité  à 
la  succursale  de  la  Banque  de  France,  9, 
boulevard  Thiers,  à  Dijon. 

Leflot  (Charles),  rue  des  Moulins,  42,  à 
Dijon. 

Legrand  (le  Dr),  Nuits-Saiot-Georges  (Côte- 
d'Or). 

Lejéas  (le  comte),  propriétaire  à  Aiserey 
(Côle-d'Or). 

Lejeune  (César),  docteur  en  médecine,  à 
Meursault  (Côte-d'Or). 

Le  Mire  (Paul-Noël),  propriétaire^  rue  de 
la  Préfecture,  45,  à  Dijon. 

Leroy  (Arthur),  ancien  député  de  la  Côte- 
d'Or,  rue  de  Rennes,  72,  à  Paris. 

Leschaux  (de),  administrateur  colonial, 
Porlo-Novo  (Dahomey). 


XIX 


p.  6  mai  1881. 


13  décembre  1901. 
13  janvier  1893. 

12juin  1891. 


12  juin  1896. 

10  décembre  1897. 

13  mars  1896. 
F.  6  mai  1881. 

13  mars  1903. 
F.  6  mai  1881. 
10  janvier  1896. 

14  juin  1889. 

10  juin  1885. 

13  décembre  1901. 

11  décembre  1891. 
13  juin  1883. 

S  février  1901. 


MM. 

Lévôque  (Frédéric),  ancien  député,  vice- 
président  du  Conseil  général,  à  Corgo- 
loin  (Côte-d'Or). 

Lévy,  rabbin,  boulevard  Carnot,  43,  à  Dijon. 

Liégeard  (Gaston),  avocat,  rue  de  Mari- 
gnan,  21 .  à  Paris,  el  à  Brochon  (Côte-d'Or). 

Liégeard  (Stéphen),  ancien  député,  mem- 
bre de  TAcadémie  de  Dijon,  rue  de  Ma- 
rignan,  21,  à  Paris,  et  à  Brochon  (Côte- 
d'Or). 

Loiselet  (Henri),  lieutenant  de  vaisseau,  à 
Brest  et  rue  Devosge,  39,  à  Dijon. 

Loiselet,  ancien  négociant,  rue  Devosge,  39, 
à  Dijon. 

Loisy  (Albert  de),  rue  Buffon,  à  Dijon. 

Lory  (Ernest-Léon),  ancien  avoué,  membre 
'  de  la  Commission  départementale  des  An- 
tiquités, rue  du  Petit-Potet,  34,  à  Dijon. 

Lucien  (le  docteur),  39,  boulevard  de  la 
Trémouiile,  Dijon. 

Magnin  (Joseph),  sénateur,  89,  avenue  Vic- 
tor-Hugo, à  Pans. 

Maillard,  conseiller  honoraire,  rue  Chabot- 
Charny,  91,  à  Dijon. 

Mairey,  directeur  des  contributions  indi- 
rectes en  retraite,  cours  du  Parc,  41,  à 
Dijon. 

Maldant  (Louis),  propriétaire  à  Savigny-les- 
Beaune  (Côte-d'Or). 

Malye,  professeur  au  Lycée,  boulevard  Car- 
net, 27,  à  Dijon. 

Marc  (Jules),  professeur  au  lycée  de  Sens 
(Yonne),  et  place  d'Armes,  10,  à  Dijon. 

Marcotte,  licencié  ès-Iettres,  rue  Madame, 
61,  à  Paris. 

Maréchal  (Georges),  120,  rue  de  la  Boôtie. 
Paris* 


—    XX    


20  avril  4882. 

43  janvier  4893. 
40  décembre  4884. 
40  mars  4893. 

F.  6  mai  4884. 

3  décembre  4883. 

42  janvier  4887. 
9  mars  4900. 

44  décembre  4887. 

44  juin  4889. 

40  janvier  4896. 
40  décembre  4897. 
9  mai  4883. 

40  juin  4898. 

41  mars  4898. 
F.  6  mai  4881. 


MM. 

Marinier,  instituteur,   à  Montbard  (Côte- 

d'Or). 
Marland^  économe  du  Lycée^  à  Versailles 

(Seine-el-Oise).  ' 
Martin    instituteur,  à    Sombernon    (Côte- 

d'Or). 
Matry  (Pierre),  instituteur,  à  Chambolle- 

Musigny  (Côte-d'Or). 
Mazeau  (Charles),  premier  président  hono- 
raire de  la  Cour  de  cassation,  à  Quetigny 
(Côte-d'Or). 
Mazerolie  (Fernand),  archiviste  de  la  Mon- 
naie^ membre  correspondant  de  la  Com« 
mission  des  Antiquités  de  la  Côle-d'Or, 
2,  rue  Singer,  Passy-Paris. 
Mercey  (Guillaume  de),  instituteur  à  Queti- 
gny (Côte- d'Or). 
Mercier  (Jean),  rue  Jean-Jacques-Rousseau, 

78,  à  Dijon. 
Michaut,   docteur,    chef  de  physiologie   à 
r  Ecole  de  médecine,  rue  des  Novices,  4, 
à  Dijon. 
Michaud,  chef  d'institution,  rueSambin,  27, 

à  Dijon. 
Michel,  rue  Saint-Philibert,  54,  à  Dijon. 
Millon  (Jules),  rue  Vauban,  42,  à  Dijon. 
Millot  (Mme)^  institutrice,  à  Varanges,  par 

Genlis  (Côte-d'Or). 
Millot  (Lucien),  licencié  ès-lettres,  à  Nuits- 
Saint-Georges  (Côte-d'Or). 
Misserey   (Henri),  notaire,  à    Nuits-Saint- 
Georges  (Côte-d'Or). 
Mocquery  (Charles),  ingénieur  en  chef  des 
ponts  et  chaussées,  vice-président  de  TAca- 
démje  de  Dijon,  membre  de  la  Commission 
départementale  des  Antiquités,  boulevard 
Sévigné^  Q,  à  Dijon. 


—    XXI    — 


U  février  1903. 

limars  188i. 

10  décembre  4897. 

i\  janvier  4901. 

8  décembre  4899. 
43  décembre  4889. 

8  juillet  4885. 

F.  6  mai  4881. 

4i  janvier  4885. 
40  février  4886. 
F.  6  mai  4884. 

F.  6  mai  4884. 
F.  6  mai  4884. 
43  mars  4903. 

43  mai  4892. 

8  décembre  4899. 
8  décembre  4899. 

44  avril  4893. 


MM. 

Monnier  (Hippolyle),  fabricant  de  meubles, 
rue  Charrue,  45,  à  Dijon. 

Monnol  (Henri),  agent  général  de  V Abeille, 
boulevard  de  Brosses,  3,  à  Dijon. 

Montholon  (Prince  de],  449,  rue  de' Gre- 
nelle, à  Paris. 

Moreau  (Paul),  ancion  élève  à  l'Ecole  colo- 
niale, à  Genlis  (Côte-d*Or). 

Morelot  (l'abbé),  à  Divonne-les-Bains  (Ain). 

Morizot  (l'abbé),  curé  de  Pluvault  (Côte*- 
d'Or). 

Moroo,  propriétaire,  place  Darcy,  47,  à 
Dijon. 

Moser  (Rodolphe),  négociant,  consul  de 
Suisse,  rue  Chancelier-L'flôpital>-47  6tJr, 
Dijon. 

Mourgeon  (Alexandre),  receveur  des  hos- 
pices, à  Dijon. 

Mugnier  (Ernest-Pierre),  négouiant,  rue  des 
Troia-Poiits,  è  Dijon. 

Muteau  (Alfred),  ancien  commissaire  de 
la  marine,  député  de  la  Côte-d'Or,  rue 
Lincoln,  3,  à  Paris. 

Muteau  (Charles),  conseiller  honoraire  à  la 
Cour  d'appel,  rue  Beaujon,  4 ,  Paris. 

Muteau  (Jules),  colonel  du  45"  régim.  de 
chasseurs  à  cheval,  à  Châlons-sur-Marne. 

Nicolle,  docteur  en  droit,  25,  rue  Fèvret,  à 
Dijon. 

Nicey  (Mlle),  directrice  d'institution  de  jeu- 
nes fille?,  avenue  Victor-Hugo,  aux  Gé- 
nois, à  Dijon. 

Nourissat,  avocat,  conseiller  général,  bou- 
levard Carnot,  9,  à  Dijon. 

Nourry  (Emile),  libraire,  place  Saint- 
Etienne,  Dijon. 

Obriot^  propriétaire, à  Biaise  (Haute-Marne). 


XXII   — 


40  décembre  4897. 
9  décembre  4885. 

F.  6  mai  4884. 

8  avril  4892. 

8  février  4895. 

9  mars  4900. 

9  mars  4894. 

8  février  4895. 

4  4  mars  4898. 
40  janvier  4896. 

44  décembre  4894. 

7  décembre  4882. 

8  juin  4900. 

9  juin  4893. 

F.  6  mai  1884. 

9  décembre  4  885. 

14  janvier  4885. 
40  janvier  4896. 

2i  novembre  4882. 


MM. 

Octave  (Georges)^  rue  Saint-Bénigne,  Dijon. 

Orième  (Mll<^),  directrice  de  l'école  commu- 
nale, à  BeauncT  (Côle-d'Or), 

Oubert  (Louis),  professeur  au  Lycée,  rue 
deTEgalité,  42,  à  Dijon. 

Oudot,  industriel,  à  Gilly-les-Vougeot  (Côte- 
d'Or). 

Oudotte,  professeur,  boulevard  Carnot,  44, 
à  Dijon. 

Pagot,  instituteur,  à  Montagny-Ies  Beaune 
(Côte-d*Or), 

Pansiot  (Louis),  instituteur,  à  Fizin  (Côte- 
d*Or). 

Parizon,  ancien  notaire,  rue  Montigny,  44, 
à  Dijon. 

Parizot  (M^e)^  institutrice,  à  Talmay. 

Parizot,  percepteur  de  Fontaino-les- Dijon, 
avenue  Victor-Hugo,  B4,  Dijon. 

Pélissonnier  (Fernand),  boulevard  Carnot, 
49,  à  Dijon. 

Pénot  (Frédéric),  percepteur,  à  Poissons 
(Haute-Marne). 

Perdrizet,  ancien  négociant,  rue  de  TEga- 
lité,  Dijon. 

Pérîlle  (Julien),  instituteur,  à  Ouges  (Côte- 
d'Or). 

Pernol-Gilles,  propriétaire,  rue  Vercingéto- 
rix,  à  Dijon. 

Perrenet  (Pierre),  avocat,  rue  du  Palais,  5, 
à  Dijon. 

Perrin,  industriel,  à  Tilchâtel  (Côte-d'Or). 

Perronno,  ancien  conseiller  de  préfecture, 
41,  rue  Devosge,  Dijon. 

Petit  (Ernest),  conseiller  général  de  l'Yonne, 
correspondant  de  TAcadémie  de  Dijon  et 
de  la- Commission  départementale  des  An- 
tiquités, rue  du  Bellay,  8,  à  Paris. 


—   XXIII    — 


25  janvier  4883. 
iS  décembre  4888. 
F.  6  mai  4884. 
9  juin  4893. 
44  juin  4897. 


4  4  révrier  4902. 
A\  mars  4898. 

8  décembre  4899. 


40  mars  4899. 

8  juillet  4885. 

9  juillet  4884. 

44  juin  4904. 

27  janvier  1882. 

F.  6  mai  4884. 

F.  6  mai  1881. 
14  juin  1889. 

44  décembre  4894. 


Petitguillaume,  agent- voyer  principal,  rue 
d'Ahuy,  27,  à  Dijon. 

Pinon  (René),  agrégé  d'histoire,  rue  Berbi- 
sey,  23,  à  Dijon. 

Piot,  sénateur,  avenue  Atphand,  45«  à 
Saint-Mandé  (Seine). 

Planson  (Léon),  instituteur,  à  Bligny-sur- 
Ouche  (Côle-d'Or). 

Poinssot  (Louis),  licencié  és-lettres^  7,  rue 
Nicole,  à  Paris,  et  à  Dijon,  45,  rue  Van- 
nerie. 

Poisot  (Maurice),  rue  BufTon,  4,  à  Dijon. 

Pol  de  Léon  (Prère),  directeur  de  l'Ëcole 
Saint-Joseph,  rue  du  Transvaal,  à  Dijon. 

Potey  (Georges),  propriétaire,  correspon- 
dant de  la  Commission  départementale 
des  Antiquités,  à  Minot,  par  Aignay-le- 
Duc  (Côte-d*Or). 

Poupon  (Henri),  industriel,  rue  du  Cha- 
peau-Rouge, 2,  à  Dijon. 

Prost  (Bernard),  inspecteur  général  des 
bibliothèques,  des  archives  et  des  mu- 
sées historiques,  3,  avenue  du  Trône, 
Paris. 

Quignard,  instituteur,  rue  de  Tivoli,  45,  à 
Dijon. 

Ramir  (frère  Gabriel),  professeur  à  l'Ecole 
Saint-Joseph,  rue  du  Transvaal^  à  Dijon. 

Regnault,  propriétaire,  rue  de  la  Comédie, 
Beaune  (Côte-d'Or). 

Régnier  (Joseph),  négociant  en  vins,  rue 
Chabol-Charny,  74,  Dijon. 

Régnier  (Jules),  place  d'Armes,  46,  Dijon. 

Régnier  (Louis),  distillateur-liquoriste,  rue 
de  Gray^  44,  Dijon. 

Rémond  (Victor),  négociant,  boulevard  de 
Brosses,  Dijon. 


XXIV 


43  janvier  1899. 

iO  janvier  1002. 
13  avril  1892. 
F.  6  mai  1881. 


M  décembre  1885. 
F.  6  mai  1881. 

43  mai  1881. 

12  juin  1896. 

14  mai  1897. 

Il  décembre  1896. 

11  février  1891. 
9  février  1887. 
14  février  1896. 
19  mars  1900. 

13  janvier  1899. 
Il  juin  1897. 


MM. 

Rémondet,  professeur  à  TEcole  primaire 
supérieure,  Dijon. 

Revin  (général),  25^  rue  Berbisey,  à  Dijon. 

Rey,  libraire,  rue  de  la  Liberté,  26,  Dijon. 

Rey  (Ferdinand),  directeur  honoraire  des 
contributions  indirectes,  boulevard  Car- 
net, 1,  à  Dijon. 

Robelin  (Louis),  ancien  maire  de  Dijon,  rue 
du  Faubourg-Raines,  55,  Dijon. 

Robin  (Albert),  membre  de  l'Académie  de 
médecine,  boulevard  de  Courcelles,  53, 
Paris. 

Robit  (Joseph),  percepteur,  à  Fontaine-sur- 
Saône  (Rhône). 

Roquelet  (Claude),  négociant,  à  Laper- 
rière,  par  Saint-Jean-deLosne  (Côte- 
d*Or). 

Rosenthal  (Léon),  agrégé  d'histoire,  pro- 
fesseur au'  Lycée,  rue  de  Mulhouse,  4, 
Dijon. 

Rouget  (Eugène),  percepteur  des  contribu- 
tions directes  en  retraite,  à  Gémeaux 
(Côte-d'Or). 

Rouget,  avoué  d'appel,  cours  du  Parc, 
Dijon. 

Rouget  (Jules),  ingénieur-mécanicien,  route 
de  Plombières,  1,  à  Dijon.  . 

Royer-Hutin,  négociant,  rue  des  Moulins, 
à  Dijon. 

Saint-Seine  [comte  Guillaume  de),  Les  Ri- 
dets,  par  Dampierre-sur-Linotte  (Haute- 
Saône). 

Saint-Seine  (comte  Pierre  de),  à  Lamarche- 
sur-Saône  (Côte-d'Or). 

Saint-Seine   (de),   lieutenant  do  vaisseau,  ' 
chez    son    père,  à  Lamarche-sur-Saône 
(Côle-d'Or). 


—   XXV   — 


MM. 

13  février  1801.  Saleilles  (Raymond),  professeur  à  la  Fa- 

culté de  droit  de  Paris^  correspondant 
de  ia  Commission  départementale  des 
Anliquités  de  la  Côle-d'Dr,  rue  du  Pré- 
aux-Clercs, 10  6t5,  Paris. 

13  février  188i.  Sampré,  instituteur  en  retraite,  à  Til-Chd- 

tel  (Côle-d'Or). 

8  décembre  1886.  Saverot^  instituteur,   correspondant  de  la 

Commission  départementale  des  Anti- 
quités, route  de  Beaune,  à  Dijon. 

^2  juin  1903.  Schmitt,  propriétaire,  rue  Amiral-Rous:iin, 

9,  Dijon. 

13  mars  1903.  Schupbach,  chancelier  du  Consulat  suisse, 

rue  Cbabot-Charny,  71,  Dijon. 

12  janvier  1887.  Seguin,    officier    d'administration    de  \^^ 

classe,  commandant  la  5*  section  de  com- 
mis et  ouvriers  militaires  d'administration, 
à  Bayonne  (Basses-Pyrénées). 

8  février  1895.  Sérésin  (Elisée  Reynold  de),  capitaine  de 

cavalerie  démissionnaire,  place  Saint- 
Pierre,  7,  Dijon. 

8  février  1901.  Seuret  (Cyprien),  propriétaire,  à  Laberge- 

ment-les-Auxonne. 

14  mai  1884.  Sinault,  instituteur,  rue  de  la  Préfecture, 

59,  à  Dijon. 
14  mai  1884.  Sirot  (Adrien),  employé  des  contributions 

indirectes.  Saline  de  Montaigu,  par  Lons- 

le-Saunier  (Jura). 
Il  mars  1885.  Sirot  (Denis-Alfred),  greffier  de  justice  de 

paix,  rue  du  Lycée^  à  Dijon. 
8  février  1889.  Société  de  lecture  (la),  de  Dijon. 

17  juin  1881.  Soret  (Henri),  ancien  professeur  d'histoire 

au  lycée  de  Chaumont,  à  Gevrey-Cham- 

bertin  (Côte-d'Or). 
8  février  1895.  Sorlin  (Simon),  colonel,  rue  Devosge,  25,  à 

Dijon. 


—   XXVI 


42  février  4892. 

43  janvier  t899. 
F.  6  mai  4881. 

8  décembre  4886. 

F.  6  mai  4881. 
F.  6  mai  1881. 

8  février  4895. 

9  juin  4899. 

43  décembre  4901. 
4  3  juin  4888. 
F.  6  mai  4884. 
47  février  4  882. 
9  décembre  1 892. 
9  février  4899. 
40  mai  4901. 
49  avril  4901. 

9  janvier  1891. 


MM. 

Spuller  (Auguste),  ancien  trésorier-payeur- 
général  de  la  COte-d'Or,  à  Sombernon 
(Côle-d'Or). 

Stéhélin,  trésorier-payeur-général,  rue  Buf- 
fon,  Dijon. 

Striffling  (Joseph-Emile),  notaire,  rue  Cba- 
bot-Charny,  22,  Dijon. 

Tagini  (Edmond),  associé  résidant  de  la 
Commission  départementale  des  Anti- 
quités, rue  de  la  Banque,  4,  à  Dijon. 

Taisant  (MH^),  institutrice,  r.  Jacotot,4 ,  Dijon. 

Tailol  (Pierre),  ancien  orfèvre,  rue  Saint- 
Bénigne,  2,  Dijon. 

Talfumier,  notaire,  rue  du  Petit-Polet,  22, 
Dijon. 

Tentrng,  juge  au  tribunal  civil,  conseiller 
général  du  canton  de  Laignes,  rue  Saint- 
Martin,  49,  à  Troyes  (Aube). 

Terrasson,  conseiller  général,  à  Mootigny- 
sur-Aube(Côte-d'Or). 

Terrillon  (Léonce),  instituteur,  à  Planay 
(Gôte-d'Or). 

Theuret-Dameron  (M"«),  directrice  d*écoIe, 
rue  Jeannin,  Dijon. 

Thiolain  (Antoine),  marchand  de  bois,  rue 
de  1* Arquebuse,  27,  Dijon. 

Tirquit,  receveur  municipal,  place  d'Armes, 
à  rhôtel  de  ville,  Dijon. 

Toussaint,  avocat,  rue  Chancelier-rHôpital, 
49,  Dijon. 

Toussaint,  ancien  ingénieur,  7,  boulevard 
de  Brosses,  Dijon. 

Treil  de  Pardailhan  (de),  chAteau  d'Autri- 
court  (Côle-d'Or),  ou  47,  rue  Denfert- 
Rocbereau,  Paris. 

Trivier-Carré  (Emile),  brasseur,  rue  d'As- 
sas,  22,  Dijon. 


—  XXVII    — 


tOjuia  4892. 
40  jaDvier  1896. 

9  décembre  4885. 

4  4  juin  4884. 

48  novembre  4884. 

4  4  décembre  4900. 

44  février  4896. 

8  décembre  4  893. 

9  janvier  4894. 

48  novembre  4884. 
F.  6  mai  4884. 
44  décembre  4894. 
44  avril  4902. 
43  février  4  894. 
36  avril  4895. 

4  3  janvier  4899. 
4  2  mai  4899. 


MM. 

Troubat,  industriel^à  Plombières-les- Dijon. 

Troubat  fils,  négociant,  à  Plombières-les- 
Dijon. 

Vallée  (Jean-Baptiste),  rédacteur  au  Progrès 
de  la  Côte-d'Or,  rue  Brulard,  Dijon. 

Vallerot,  instituteur,  à  Villecorote  (Côte- 
d'Or). 

Valette,  inspecteur  d'Académie  honoraire, 
boulevard  Carnet,  50,  Dijon. 

Vangeon,  docteur,  à  Montbard  (Côte- 
d*Or). 

Vaux  (Louis),  instituteur,  à  Saint-Sympho- 
rien,  par  Saint-Jean-de-Losne  (Côte- 
d'Or). 

Venot,  libraire,  place  d'Armes,  Dijon. 

Vercey  (Charles),  avenue  Victor-Hugo, 
Dijon. 

Vernaux,  négociant,  rueGandelot,?,  Beaune 
(Côle-d'Or). 

Verneau-  (Lazare),  pharmacien,  rue  Vail- 
lant, 7,  Dijon. 

Vialay,  notaire  honoraire,  place  Notre- 
Dame,  Dijon. 

Viard,  capitaine  au  402*  régiment  d'infan- 
terie, Paris. 

Vielle  (E.),  inspecteur  au  chemin  de  fer, 
petite  rue  des  Roses,  40,  Dijon. 

Vienne  (de),  colonel,  directeur  d'artillerie, 
à  Toul,  membre  de  l'Académie  de  Dijon 
et  de  la  Commission  des  Antiquités  de  la 
Côte-d'Or. 
Virieu  (de),  ancien  colonel  du  27*  de  ligne, 
au  château  de  Lantilly  (Côte-d'Or),  et 
boulevard  Carnot,  28,  Dijon. 
Vogué  (le  comte  Arthur  de),  407,  rue  de 
Grenelle,  Paris,  et  au  château  de  Com< 
marin  [Côte-d'Or). 


—  XXVIII  — 

MM. 

M  avril  1889.  Voisard  (Alfred),  rue  de  la  Liberté,  78,  à 

Dijon. 
9  décembre  4898.         Vollot,  ancien  notaire^  rue  d'Alise^  Dijon. 

Nota.  —  Les  membres  de  la  Société  qui  auraient  trouTé  quelques  erreuis  dans 
cette  liste  sont  priés  de  TOu!oir  bien  les  faire  connaître  à  M-.  le  Président  de  la 
Société. 


LISTE  DES  SOCIÉTÉS 

AVEC  LESQUELLES  A  LIEU  L'ÉCHANGE  DES  PUBLICATIONS 


SOCIÉTÉS  CORRESPONDANTES  (en  France) 

Autun.  —  Société  Eduenne. 

Auxerre.  —  Société  des  sciences   historiques  et  Daturelles  de 

ITonne. 
Beaune.  —  Société  d*histoire  et  d'archéologie. 
Besançon.  —  Société  d'émulation  du  Doubs. 
Bourg.  ^  Société  de  géographie  de  l'Ain. 
Bourges.  —  Société  des  antiquaires  du  Centre. 

—         Société  de  géographie  du  Cher. 
Brest.  —  Société  académique  de  Brest. 
Chambéryl  —  Société  savoisienne  d'histoire  et  d'archéologie. 
Ch&tillon.  —  Société  archéologique  et  historique  du  Châtiilonnais. 
Dijon.  —  Chambre  de  commerce. 

—  Bibliothèque  de  la  ville. 

—  .     Académie  des  sciences,  arts'et  belles-lettres  de  Dijon. 

—  Archives  départementales  de  la  Côtè-d'Or. 

—  Commission  départementale  des  antiquités. 

—  Club  alpin  français  (section  de  la  Côte-d'Or  et  du  Morvan). 

—  Revue  bourguignonne  de  l'Enseignement  supérieur. 
Fontainebleau.  —  Société  historique  et  archéologique  duGâtinais. 
Gap.  —  Société  d'études  des  Hàutes-Alpes. 

Gray.  —  Société  grayloise  d'émulation. 
Havre  (Le).  —  Société  de  géographie  commerciale  du  Havre. 
Langres.  —  Société  historique  et  archéologique. 
Lorient.  ~  Société  bretonne  de  géographie. 


XXX   

Lyon.  —  Société  de  géographie  de  Lyon. 

—  Comité  de  publication   des   Annales  de  l'Université  de 

Lyon. 

—  Bulletin  historique  du  diocèse  de  Lyon. 

—  Hevue  de  Thistoire  de  Lyon,  rue  Gentil,  à  Lyon. 
Marseille.  —  Société  de  géographie  de  Marseille. 
Montpellier.  —  Société  languedocienne  de  géographie. 
Nancy.  —  Société  de  géographie  de  TËst. 

Nantes.  —  Société  de  géographie  commerciale. 
Paris.  —  Ministère  des  Colonies. 

—  Société  académique  indo-chinoise  de  Paris. 

—  Société  de  géographie  commerciale. 

—  Société  do  géographie. 

—  Société  de  topographie  de  France. 

—  Société  des  études  coloniales  et  maritimes. 

—  Le  Tour  du  Monde,  librairie  Hachette,  boulevard  Saint- 

Germain,  79,  Paris. 

Rochechouart.  —  Société  des  amis  des  sciences  et  arts. 

Rochefort.  —  Société  de  géographie  de  Bochefort. 

Rouen.  —  Société  normande  de  géographie. 

Semur.  —  Société  des  sciences  historiques  et  naturelles  de  Semur 
(Côte-d'Or). 

Sens.  —  Société  archéologique. 

Toulouse.  —  Société  de  géographie. 

Tours.  —  Société  de  géographie. 

Vesoul.  —  Société  d'agriculture,  des  sciences  et  des  arts  de  la 
Haute-Saône. 

Villefrançhe  (Rhône).  —  Société  des  sciences  et  arts  du  Beaujo- 
lais. 


SOCIETES  CORRESPONDANTES  {dans  les  colonies). 

Algérie.  —  Société  de  géographie- d'Alger,  1,  rue  Mahon. 
Cochinchine  (Saigon).   —   Société  des  études  indo-chinoises  de 

Saigon. 
Tunisie.  —  Institut  de  Carthage,  association  tunisienne  des  lettres, 

sciences  et  arts,  à  Ternis. 


—    XXXI    — 


SOCIÉTÉS  CORRESPONDANTES  ÉTRANGÈRES 

Allemagne  (Stutlgart).  —  Société  de  géographie. 

—  (Hesse).  —  Die  Gesellschaft  furErd  und  Voeikerkunde 

àGiessen. 
ÂDgleterre  (Manchester).  —  Société  de  géographie  de  Manchester. 
Autriche-Hongrie  (Vienne).  —  Nalurhistorischen  hofmuseum. 
Australie  (Queensland).  —  The  Royal  Geographical  Society  of  Aus- 

tralasia,  à  Brisbane. 
Belgique  (Bruxelles).  —  Société  d'Etudes  coloniales,  Hôtel  Ravens- 

tein^  rue  Ravenstein  H. 
Bréjiil  (Rio-Janeiro).  —  Société  de  géographie. 

—  Revue  trimestrielle  de  l'Institut  de  Ceara  [D'  Studart),  rue 

Formoza,  46,  Fortaleza. 
Egypte.  —  Institut  égyptien,  le  Caire. 

—  ,  Société  khédiviaie  de  géographie. 
Espagne  (Madrid).  —  Société  de  géographie. 
Etats-Unis  d'Amérique.  —  Université  de  Montana. 
Finlande  (Helsingfors).  —  Société  de  géographie  de  Finlande. 
Italie    (Florence).  —  Societa  africana  d'Italia. 

—  (Rome).  —  Société  de  géographie. 

—  (Napleii). —  Societa  africana  d'Italia,  919,  via  del  Duomo. 

—  (Milan).  —  La  Société  d'eiploration  commerciale. 
Pérou.  —  Société  de  géographie  de  Lima. 

Portugal  (Lisbonne).  —  Société  de  géographie  de  Lisbonne. 
Suisse  [Neufchâtel).  —  Société  neufchâteloise  de  géographie. 


ACTES  DE  LA  SOCIÉTÉ 


EXTRAITS  DES  PROCES-VERBAUX 


Séance  du  14  novembre  1902. 

PRÉSIDENCE  DE  itf.  ouBERT,  président. 

M.  le  bibliothécaire  donne  la  liste  des  ouvrages 
reçus  depuis  la  dernière  séance  ;  parmi  ces  ouvrages, 
M.  le  Président  signale  : 

L'Avenir  colonial  de  France,  par  E.  Fallot  ; 

VInde  Française  au  win^  siècle,  par  Castonnet  des 
Fossés; 

Conseil  Général,  rapport  du  Préfet,  procès-verbaux  ; 

Questions  d'économie  coloniale,  par  A.  LeChatelier, 
offert  par  M.  Darantiere. 

Des  remerciements  sont  adressés,  aux  donateurs. 

La  Société  des  antiquaires  de  l'Ouest  et  l'Univer- 
sité de  Montana  demandent  l'échange  de  leurs  jwbli- 
calions  avec  les  Mémoires  de  la  Société  Bourgui- 
gnonne de  Géographie  et  d'Histoire.  L'échange  -est 
adopté. 

M.  le  Président  donne  lecture  d'une  lettre  de  M"*  de 


XXXIII    — 

Mayol.au  sujet  d'une  conférence  qu'elle  désire  faire  à 
Dijon, 

Il  communique  ensuite  une  lettre  et  un  manuscrit 
de  M.  Viard,  lieutenant  au  1"  bataillon  d'Afrique,  re- 
latifs à  des  études  sur  la  flore  des  environs  du  Rreider. 

M.  Oubert  fait  Téloge  de  M.  Marius  Idoux,  que  la 
mort  vient  d'enlever  aux  siens  et  à  la  société. 

M.  le  Président  annonce  la  candidature  de  M.  le 
D'  Broussolle,  rue  Jean-Jacques  Rousseau,  présente 
par  MM.  Oubert  et  Rosenthal,  puis  il  donne  lecture 
d'un  travail  de  M.  Maurice  Rivière  sur  ses  souvenirs 
delà  guerre  de  1870. 

M.  Chabeuf  lit  une  notice  sur  M.  d'Hugues,  ancien 
président  et  vice-président  de  la  Société  Bourgui- 
gnonne de  Géographie  et  d'Histoire  : 

Depuis  notre  séparation,  la  Société  a  perdu  l'an  de  ses  mem- 
bres les  plus  considérables,  en  la  personne  de  M.  Gabriel-Gus- 
tave d'Hugues,  professeur  honoraire  à  la  Faculté  des  Lettres  de 
notre  Université,  chevalier  de  la  Légion  d'Honneur,  décédé  à 
Toulouse  dans  sa  soixante-seizième  année. 

Né  à  Bordeaux  le  2i  avril  1827,  de  Pierre-Georges  d'Hugues  et 
deJeanneDeslanques,il  appartenait  à  une  ancienne  famille  noble 
originaire  du  Languedoc,  qui  a  branché  en  Provence,  en  Gas- 
cogne et  dans  le  comtat  Venaissin,  a  de  belles  alliances, et  pour 
armes  :  D'azur  au  lion  (Tor,  à  trois  fasces  de  gueules  brochant 
sur  le  tout,  et  surmonté  de  trois  étoiles  d* or  rangées  en  chef.  Mais 
jamais  notre  confrère  ne  lésa  portées;  très  conservateur  en  re- 
ligion et  en  politique,  il  était  d'ailleurs  un  démocrate  déterminé. 

Il  fit  ses  éludes  au  collège  royal  de  Uordeaux,  dont  la  cha- 
pelle conserve  le  tombeau  avec  efDgie  couchée  de  ce  Michel 
Eyquem  que  la  postérité  connaît  sous  le  nom  de  Michel  de  Mon- 
taigne. Le  15  septembre  18^6,  il  entrait  à  l'Ecole  normale 
supérieure,  dans  la  même  promotion  que  Challemel-Lacour, 
s*y  rencontra  avec  M.  Alfred  Mézicres  qui  était  de  celle  do 

111 


—   XXXIV   — 

1846,  el  y  fat  rejoint,  en  4847,  par  Eugène  Yung  el  J.-J.  Weiss 
que  nous  avons  eu  comme  professeur  d'histoire  à  la  Faculté 
de  Dijon  de  1838  à  1860;  enfln^  en  1848^  par  Hippolyte  Taine, 
Edmond  About  et  Francisque  Sarcey.  Le  17  septembre  1849 
il  était  chargé  du  cours  d'histoire  au  lycée  de  Tours,  mais 
passait  aussitôt  à  Bordeaux  le  18 octobre;  puis  à  Avrgnon»  le 
9  octobre  185i,  à  Strasbourg  le  17  septembre  J8o3,  devenait 
agrégé  en  .1856  el  le  le»*  octobre  de  celte  môme  année  pro- 
fesseur titulaire  à  Périgueux.  Nommé  à  Amiens  le  14  octobre 
1857,  il  était  transféré  le  28  à  Limoges. 

Le  21  août  1856,  il  avaitsoutenu  avec  éclat  ses  thèses  de  docto- 
rat devant  la  Faculté  de  Paris  :  De  M.  TullH  Ciceronis  in  Cilicia 
provincia  proconsulafu,  et  Essai  sur  V administration  de  Turgot 
dans  la  généralité  de  Limoges.  Le  1er  octobre  1860,  il  était  envoyé 
au  lycée  d'Angoulôme;  enfin  le  4  novembre  1861,  il  entraitdans 
l'enseignement  supérieur  comme  chargé  du  cours  de  littérature 
étrangère  k  la  Faculté  de  Douai;  deux  ans  plus  lard,  le  22 
septembre  1863,  il  passait  au  môme  litre  à  Toulouse  et  deve- 
nait titulaire  le  20  août  186.^.  L'année  suivante,  il  était  élu  main- 
teneur  de  l'Académie  des  Jeux  floraux;  à  l'une  des  premières 
séances  où  il  assista,  il  entendit  lire  une  ode  A  l'ombre  de  Dante 
Aligkieriy  inspirée  par  la  célébration  solennelle  k  Florence  du 
sixième  anniversaire  séculaire  de  la  naissance  de  celui  pour  qui 
l'ingrate  et  dure  république  n'avait  eu  qu'exil  el  menaces  de 
mort.  Le  principal  épisode  de  la  cérémonie  expiatoire  autant  que 
triomphale  du  14  mai  1865,avait  été  l'inauguration  d'un  gros  mo- 
nument de  marbre,  devant  celle  église  Sanla-Groce  où  près  des 
tombeaux  de  Machiavel  et  deMiehel  An^e,  un  cénotaphe  porte 
le  nom  du  poète  dont  les  restes  n'ont  pas  quitté  l'exil  de  Ha  venue. 
Les  beaux  vers  lus  à  Toulouse  et  qui  obtinrent  d'acclamation 
le  prix  du  genre,  ['Amarante  d'Or,  étaient  de  M.  Sléphen 
Liégeard  ;  M.  d'Hugues  voulut  connaître  l'auteur,  et  entre  le 
poète  elle  critique  il  s'ensuivit  une  amitié  qui  ne  faiblit  jamais- 
Le  lo  aoûl  186S,  il  recevait  la  croix  de  la  Légion  d'Honneur. 

Il  passa  seize  ans  k  Toulouse,  où  ses  cours  eurent  toujours  le 
plus  nombreux  auditoire  ;  mais  comme  il  avait  pris  part  dans 
les  journaux  k  certaines  polémiques  sur  les  idées  el  les  actes 
universitaires  de  Jules  Ferry>  on  lui  lit  comprendre  qu'un 


XXXV    

déplacement  s'imposait,  et  le  l*r  avril  1879,  il  était  nommé 
professeur  de  Littérature  étrangère  à  la  Faculté  des  Lettres  de 
Dijon,  en  remplacement  de  M.  HalIberR.  Il  retrouva  parmi 
nous  le  môme  succès  qu'à  Toulouse,  moins  toutefois  le  nombre 
des  auditeurs;  nos  villosdu  nord  ne  connaissent  pas  cette  ardeur 
toute  latine  qui  emporte  les  esprits  du  midi  vers  les  plaisirs 
de  II  littérature,  de  la  poésie  et  du  beau  langage.  Ceux  qui 
ont  entendu  celle  parole  s'exerçant  tour  à  tour  sur  Byron, 
Cervantes,  Arioste  et  Shakespeare,  en  conserveront  toujours 
le  souvenir  utile.  M.  d'Hugues  termina  sa  carrière  de  professeur 
par  des  leçons  sur  Ibsen.  Assurément  il  était  un  déterminé 
classique,  mais,  avec  des  réserves.il  fut  heiireux  de  rencontrer 
une  imagination  n'ayant  jamais  servi.  Je  ne  pense  pns  que  Ton 
ait  jamais  mieux  distingué  et  fait  sentir  ce  quMl  y  a  de  capti- 
vant, d'étrange  aussi,  dans  ce  théâtre  d'un  isolé  hautain  en 
qui  se  rencontrent  tant  de  contradictions  apparentes.  Ibsen, 
en  effet,  est-il  un  aristocrate  ou  un  nihiliste,  un  optimiste 
ou  un  désespéré,  un  autoritaire  ou  un  démocrate  ?  Et,  à  bien 
voir  les  choses,  il  y  a  de  tout  cela  dans  Fauteur  de  Maison  de 
Poupée  et  des  Revenants, 

C'est  en  juin  1897  que  M.  d'Hugues  se  fît  entendre  pour  la 
dernière  fois  et  prit  pour  jamais  congé  de  son  auditoire;  il  y 
eut  de  rémotion  et  intense  dans  ces  adieux  du  vieux  professeur, 
mais  sans  attendrissement  sénile;  ce  fut  sur  des  paroles 
graves  et  simples  qu'il  descendit  de  sa  chaire  et  ceux  qui  ont 
recueilli  ces  novissima  verba  ne  les  oublieront  pas.  Le  l**'  novem- 
bre suivant,  M.  d'Hugues  était  misa  la  retraite  après  51  ans 
et  16  jours  de  services  !  Nous  nous  plaisions  tous  à  espérer  qu'il 
continuerait  de  vivre  parmi  nous,  lui-même  le  désirait;  des 
raisons  de  famille  déterminèrent  son  retour  à  Toulouse,  sans 
qu'il  se  dissimulât  combien  il  allait  se  trouver  étranger  dans 
une  ville  qui,  après  tout,  n'était  pas  la  sienne  et  où  il  avait 
vécu  moins  longtemps  qu*à  Dijon. 

II  laissait  ici  un  grand  vide  ;  Tun  des  membres  fondateurs  de 
cette  Société  le  6  mai  1881,  il  en  fut  vice-président  le  14  décem- 
bre 1887,  président  le  11  décembre  1891,  vice-président  le  14 
décembre  1894.  Elu  président  de  nouveau  le  10  décembre  1897, 
il  Qo  put  accepter  à  raison  de  son  prochain  départ  de  Dijon.  Le 


XXXVI    

i7  avril  i889,  il  étaii  ontré  comme  membre  résiJani  à  l'Acadé- 
mie des  Sciences,  Arts  et  Belles-Lettres  de  Dijon. 

Notre  confrère  arriva  à  Toulouse  fatigué  et  souffrant,  mais 
l'intelligence  conservait  toute  sa  verdeur, Tesprit  toute  sa  péné- 
tration et  sa  finesse.  La  mort  de  sa  femme^  ftP*  Marie  Miquo, 
qu'il  avait  épousée  pendant  son  séjour  à  Périgueux,  survenue, 
lei9  octobre  190D,  lui  porta  un  coup  dont  il  ne  se  releva  pas 
et  il  s'éteignit  le  il  juillet  1902. 

Les  cours  de  M.  d'Hugues,  et  c'est  une  véritable  perte  pour 
l'histoire  littéraire,  n'ont  jamais  été  recueillis.  Voici  d'autre 
part  ce  que  je  connais  de  lui  comme  œuvres  imprimées;  en 
1876,  il  publia  chez  Didier,  avec  préface,  la  traduction  en 
français  de  sa  thèse  latine  :  Une  province  romaine  nous  la  Répu" 
blique,  étude  sur  le  proconsulat  de  Cicéron.  Le  volume  est  dédié 
à  M.  Désiré  Nisard,  «  l'homme  excellent  dont  la  constante 
bienveillance  a  été  le  soutien  et  l'honneur  de  ma  vie  studieuse  ». 
Au  revers  du  faux  titre,  avec  V  Essai  sur  l'administration  de  Tur- 
got,  est  annoncé.  «  en  préparation  »,  un  Alfieri,  sa  vie  et  ses 
œuvres,  qui  n'a  point  été  publié.  De  1881  à  1884,  M.  d'Hugues 
fil  paraître  un  La  bruyère  en  deux  volumes,  et  des  traductions 
de  Macbeth^  ^'Othello  et  de  Childe-Harold.  Enfin,  bien  que  très 
universitaire  de  tempérament  et  d'esprit,  il  fut,  pendant  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie  et  jusqu'à  la  fin,  le  collaborateur  du 
Correspondant,  doni\es  idées  conservatrices,  religieuses  et  libé- 
rales étaient  les  siennes. 

Aux  mémoires  de  ['Académie  il  a  donné  trois  morceaux 
importants  inspirés  par  cexvip  siècle  ({u  il  aimait  et  admirait, 
mais  sans  l'ombre  de  fétichisme,  reconnaissant  fort  bien  que 
politiquement  ce  grand  siècle  littéraire  est  surtout  une  belle 
façade.  Ce  sont  :  Bussy-Rabutin  et  3/l'«  de  Scudéry  ;  —  Deu.c 
épisodes  de  la  vie  littéraire  au  xvil^  siècle  :  Bussy  Rabutin  et  Boi- 
leau- Despréaux  ;  Bussy-Rabutin  et  Furetière  ;  enfin  -  (fn  méde- 
cin au  temps  de  Molière,  Claude  Fouet. 

Pour  la  Société  bourguignonne  de  Géographie  et  d* Histoire, 
M.  d'Hugues  a  écrit  une  Etude  sur  Crébillon  le  tragique,  — 
Mémoires,  IV,  1887-1838.  C'était  assurément  beaucoup  d'hon- 
neur pource  brave  homme  de  DIjonnais  si  parfaitement  illisible 
aujourd'hui  et  depuis  longtemps;  notre  confrère  s'en  aperçut 


XXX VJI 

vite  cl  malgré  le  sacramentel  :  A  suivre,  l'article  n*eat  aucane 
suite;  l'auteur  devait  bientôt  nous  dédommager  et  prendre  sa 
revanche  d'un  faux  départ. 

Un  M.  Jacquet,  professeur  agrégé  do  l'Université,  s'étant 
avisé,  sur  le  tard,  de  se  faire  recevoir  docteur  es  Lettres,  avait 
soutenu  en  Sorbonne  une  thèse  française  publiée  chez  Garnier, 
en  1886,  sous  ce  titre  qui  n*est  pas  à  la  lacédémonienne  :  La 
Vie  littéraire  dans  une  ville  de  province  sous  Louis  XJV.  Etude 
sur  la  Société  dijonnaise  pendant  la  seconde  moitié  du  xvn"  sié^ 
de  d'après  des  documents  inédits.  —  Oh,  les  documents  inédits  ! 
La  critique  contemporaine  en  fait  un  singulier  abus,  et  on  en 
arrive  à  ne  plus  tenir  compto  que  de  ce  nouveau  ou  prétendu 
nouveau,  en  négligeant,  en  déclarant  aileint  de  caducité  ce 
qui  est  déjà  connu.  Le  plus  souvent,  pour  le  dire  en  passant, 
l'inédit  est  très  digne  de  te  demeurer,  mais  enfln  c'est  une  for- 
mule obligatoire  sur  les  couvertures.  Le  volume,  assez  gros  et 
bourré  de  notes,  comme  il  convient,  eut  des  lecteurs  à  Dijon  ; 
ils  furent  plutôt  déçus.  L'œuvre  parut,k  tout  prendre, médiocre, 
la  documentation  annoncée  à  grand  bruit  n'olfrait  rien  de 
rare  et  l'on  avait  déjà  amplement  puisé  aux  mêmes  sources. 
«  Monsieur,  disait  un  jour  le  vieux  Patin  à  un  prodocteur,  il  y  a 
dans  votre  thèse  beaucoup  d'idées  nouvelles  et  d'idées  justes; 
seulement  les  premières  sont  fausses  et  les  secondes  ne  sont  pas 
nouvelles.  »  Il  était  bon  d'écrire  à  Paris  un  tel  livre  pour  le 
mettre  au  point  de  vue  perspectif;  mais  à  la  condition  de  l'avoir 
longuement  préparé  sur  place;  or  faute  par  Tauteur  de  satis- 
faireà  cette  dernière  condition,  les  erreurs  matérielles,  les  juge- 
ments faussés  par  une  connaissance  insufOsante  des  choses  et  des 
hommes,  sautaient  aux  yeux  du  lecteur  un  peu  au  fait  du  passé 
dijonnais.  Mais  d'autre  part  le  volume  présentait  certaines  qua- 
litésde  tenue,  il  était  écrit  sinon  avec  personnalité,  du  moins  pu- 
rement etselon  la  meilleure  formule  normalienne;  non,  toutefois, 
sans  un  effort  plutôt  pénible  pour  être  ironique  et  léger.  Aussi, 
comme  tant  d'autres,  mérita-t-il  d'être  couronné  par  l'Académie 
française,  ce  à  quoi  personne  n'aurait  contredit  si,  dans  la  séance 
du  15  novembre  i888,  M.  le  Secrétaire  perpétuel  ne  se  fût  avisé 
d'égayer  la  majesté  de  la  séance  aux  dépens  de  Dijon  et  des  Di- 
jonnais d'il  y  a  deux  siècles.  Ce  Secrétaire  perpétuel,  mort  au- 


—   XXXVIII  — 

Jourd*huidepuisseptans,étaii  M.  Camille  Doucet,  un  trèsaimabie 
homme  au  dire  de  tous  ceux  qui  l'ont  approché,  et  auteur  de 
pièces  de  théâtre  qui,  sur  les  affiches  et  les  couvertures,  étaient 
qualifiées  de  comédies.Gertes  M.  d'Hugues  eût  volontiers  laissé 
dormir  le  livre  couronné  dans  ta  poussière  des  bibliothèques 
et  M.  Jacquet  savourer  en  paix  sa  gloire  académique,  mais 
les  plaisanteries  de  M.  Camille  Doucel  étaient  de  trop. 

La  riposte  ne  se  fit  pas  attendre,  puisque  c'est  à  la  séance  de 
la  Société  bourguignonne  du  9  janvier  1889  —  Mémoires,  t.  V, 
année  1889  —  qu'elle  se  produisit  sous  ce  litre  :  La  Bourgogne 
devant  l* Académie  et  devant  la  5or6onntf.  L'exécution  fut  complète 
e.t  de  celles  qu'il  n'y  a  pas  à  recommencer;  l'auteur  releva  dou- 
cement, non  pas  toutes,  —  un  volume  n'y  eût  pas  suffi  et  il  ne 
s'agissait  qued'un  article,  — mais  quelques-unes  des  omissions 
et  des  erreurs  qui  pullulaient  dans  un  livre  fait  trop  vite  ; 
d'ailleurs  il  avait  hâte  de  s'attaquer  à  un  adversaire  plus  qua- 
lifié, M.  le  Secrétaire  perpétuel,  et  il  y  prit  certainement  un 
certain  plaisir  de  justicier  malicieux.  Ses  preuves  faites,  il  se 
demanda  pourquoi  cet  écrivain  plutôt  tempéré,  a  dont  le  carac- 
tère se  peint  dans  son  nom», avait  eu  l'idée  de  vouloir  faire  une 
fois  dans  sa  vie  rérudit,etau  lieu  du  langage  argréablement com- 
plimenteur que  la  nature  lui  avait  mis  aux  lèvres,  parler  celui 
de  l'ironie  et  de  la  satire  qu'il  connaissait  si  peu  ?  Ce  morceau 
de  quelques  pages  écrit  à  la  volée  comme  un  article  de  journal, 
mais  d'une  documentation  solide  où  se  retrouve  le  professeur 
d'histoire  et  de  littérature, montre  quel  polémiste  redoulabie.dans 
sa  courtoisie  accablante,  savait  ôire  au  besoin  M.  d'Hugues.  La 
guerre  se  fil  chez  M.  Doucel,  à  ses  dépens,  et  c'est  la  première 
fois  que  cet  auleur  de  comédies  eul  la  bonne  fortune  de  faire  rire. 

A  la  Revue  bourguignonne  de  l* Enseignement  supérieur^ 
M.  d'Hugues  a  donné  une  notice  nécrologique  sur  un  homme 
de  haute  valeur,  M.  .\ugusieBougot,  professeur  de  Littérature 
grecque  à  la  Facultéde  Dijon,  mort  doyen  en  exercice,  à  50  ans, 
le  26  août  I89i  (1);  et  :  l'Arioste,   caractères  généraux  de  son 

(4)  Celte  notice  avait  été  lue  à  la  séance  solennelle  de  renirée  de 
rUniversité  du  40  novembre  4892.  M.  Bougot  était  oôà  Saint-Ser- 
van  (ille-et- Vilaine)  le  29  mai  4842. 


—  XXXIX  — 

œuvre,  leçon  d'ouverture  du  cours  commencé  le  9  novembre 
1893.  Il  a  encore  publié  en  brochures  à  part  deux  conférences  : 
sur  V  Utilité  de  l'étude  des  Littératurei  étrangèret,  5  avril  1894, 
et  Messouvenin  de  l* Ecole  normale  en  4848,  1895,  faites  sous  le 
patronage  de  la  Société  des  Amis  de  V Université.  Enfin  on  a  de 
lui  une  troisième  brochure,  une  conférence  faite  au  profit  de 
rinsiitution  des  jeunes  aveugles  et  sourds-muets  de  Dijon, 
donnée  à  THôtel  de  Ville  le  17  mars  1895. 

M.  d'Hugues  avait  une  parole  brillante  et  facile,  mais  le  fond 
était  d'une  rare  solidité;  de  plus,  prose  ou  vers,  il  lisait  en  per- 
fection, enfin  sa  conversation  élincelait.  Sans  doute  la  malice  ne 
manquait  pas  et  parfois  la  patte  de  velours  se  faisait  grifîo, 
mais  de  malveillance,  jamais,  et  encore  moins  de  cet  agaçant 
persiflage  qui  rend  si  aisément  insupportable  le  langage  écrit 
ou  parlé  du  Français.  Il  avait  donc  de  l'esprit,  et  beaucoup  ; 
un  peu  précieux,  avouons-le,  mais  suivant  une  remarque  très 
juste  de  Désiré  Nisard,  Tesprit  Test  toujours  plus  ou  moins.  A 
tout  prendre,  le  fond  de  sa  nature  était  la  bienveillance,  et  il 
méritait  pleinement,  peut-être  trop,  ah  le  Midit  cet  éloge 
que  Montesquieu  fait  de  Fontenelle  :  «  Il  louait  volontiers  les 
autres,  et  sans  peine.  >  G'est.du  reste,  tout  ce  qu'il  y  avait  en 
lui  de  méridional  ;  avec  sa  tournure  un  peu  «  entassée  »,  aurait 
dit  Saint-Simon,  toutefois  sans  lourdeur,  sa  grosse  moustache 
grisonnante,  ses  cheveux  ras,  son  pas  délibéré,  il  avait  plutôt 
l'air  d'un  homme  du  nord  et  ressemblait  moins  à  un  paisible 
professeur  qu*à  un  commandant  de  cavalerie  en  retraite.  El  de 
fait  il  y  avait  en  lui  du  combatif;  mais  qu'il  fût  dans  sa  chaire 
oudansun  salon,  si  l'on  démêlait  chez  lui  un  peu  de  l'accent  pro- 
fessionnel et  professoral,  il  parlait  toujours  avec  la  plus  grande 
simplicité  et  même  sans  gestes  ;  ce  Gascon,  comme  il  lui  plaisait 
de  se  dire,  était  un  Girondin,  c'est-à-dire  presqu'un  Altique. 

M.  d'Hugues  m'honorait  de  son  amitié  et  c'est  pourquoi  je  me 
suis  laissé  aller  à  vous  entretenir  longuement  d'un  lettré  qu'on 
aimait  dans  cette  compagnie  qu'il  aimait  et  où  il  fut  un  ouvrier  de 
la  première  Heure,  un  ouvrier  utile  toujours.  Sa  mémoire  est 
doncde  celles  que  l'on  doit  conserver  précieusement  partout  où  il 
a  laissé  une  trace  de  lui-même,  parce  qu'il  fut  un  homme  de 
haute  intelligence,  et  par  dessus  tout  un  homme  aimable  et  bon. 


XL 


Séance  du  12  décembre  1902. 

PRÉSIDENCE  DE  M.  ouBERT,  président] 

Le  procès-verbal  de  fa  dernière  séance  est  adopté 
sans  observations. 

Parmi  les  ouvrages  reçus  depuis  la  dernière  séance, 
M.  le  Président  appelle  l'attention  sur  un  travail  de 
M.  Paul  Azan  :  Annibal  dans  les  AlpeSj  offert  par  l'au- 
teur. " 

M.  Mocquery  fait  observer  que  ce  travail  de  M.  Paul 
Azan  est  le  texte  même  d'une  thèse  que  cet  officier 
vient  de  soutenir  avec  succès  devant  la  Faculté  des 
lettres  de  Paris. 

A  la  suite  d'un  vole  favorable,  M.  le  D'  BroussoUe 
est  élu  membre  de  la  Société  Bourguignonne  de  Géo- 
graphie et  d'Histoire. 

L'ordre  du  jour  appelle  le  vote  pour  le  renouvelle- 
ment d'une  partie  des  membres  du  bureau  et  du  co- 
mité de  publication. 

Il  est  d'abord  procédé  au  vole  pour  l'élection  d'un 
secrétaire  génère!  et  de  deux  secrétaires. 

MM.  Cornereau,  Huguenin  et  Driolon  sont  réélus 
dans  leurs  fonctions  respectives. 

On  vote  ensuite  pour  l'élection  des  membres  du 
comité  de  publication. 

Au  premier  tour  sont  élus  : 

MM.  d'Avout,  Clerget-Vaucouleur,  Cuny,  Huguenin, 
Dumay,  Fourier,  Ladey  de  Saint-Germain,  Lory, 
Moser. 


—    XLl    


Aucun  des  autres  membres  n'ayant  obtenu  la  majo- 
rité des  voix,  il  est  volé  de  nouveau  pour  rélection 
du  dixième  membre,  qui  est  M.  Paul  Jobard. 

MM.  Cuny,  Bulon  etHuot  sont  désignés  pour  vérifier 
les  comptes  de  la  société  pendant  l'année  1903. 

Sous  le  titre  de  «  Promenades  Valaisannes  »,  M.  le 
vicomte  d'Avout  donne  la  relation  d'un  voyage  qu'il 
vient  défaire  dans  les  Alpes  du  Valais.  Il  a  successi- 
vement visité  Saint-Maurice,  célèbre  par  sa  procession 
annuelle  en  l'honneur  du  saint  martyr,  Sion,  Vay, 
Louèche,  Zermatt,  etc.  Il  a  constaté  partout  la  bien- 
veillance des  habitants  pour  les  voyageurs  français. 

M.  Mocquery  ajoute  quelques  observations  person- 
nelles au  travail  de  M.  le  vicomte  d'Avout.  L'abbaye 
de  Monligny,  dont  le  grand  abbé  mitre  figure  dans  le 
cortège  de  la  procession  de  saint  Maurice,  appartient 
aux  moines  du  grand  Saint-Bernard,  c'est  là  que 
descendent  les  moines  fatigués,  en  attendant  que 
leur  santé  leur  permette  de  remonter  au  couvent 
d'en  haut. 

Ces  mêmes  moines  exercent  aussi  les  fonctions  de 
curés  dans  les  localités  environnantes  et  sont  ainsi  à 
la  fois- séculiers  et  réguliers. 

Quant  à  la  bienveillance  des  habitants  pour  les 
voyageurs  français,  elle  peut  s'expliquer  par  ce  fait 
que  c'est  aux  Français,  à  Napoléon  I«',  qu'ils  doivent 
les  routes  qui  traversent  le  pays,  notamment  la  route 
de  Paris  à  Milan.  Le  percement  du  Simplon,dont  les 
travaux  sont  menés  avec  activité,  donnera  dans 
quelques  années  une  nouvelle  prospérité  au  pays. 


—    XLII   — 

Séance  du  9  janvier  1903. 

PRÉSIDENCE  DE  M.  ouBERT,  président. 

M.  le  Président  donne  lecture  de  la  correspondance. 
A  signaler  une  lettre  du  ministère  de  l'Instruction 
publique  et  des  Beaux-arts,  annonçant  que  le  congrès 
dés  Sociétés  Savantes  se  tiendra  cette  année  à  Bor- 
deaux et  invitant  la  Société  à  s'y  faire  représenter. 

M.   le  Président  dit  qu'il  a  reçu  une  proposition 
de  conférence  qui  serait  faite  sous  les  auspices  de  la* 
société  et  du  Club  Alpin  français,  et  demande  à  la 
réunion  de  donner  mandat  à  son  bureau  pour  la  so- 
lution de  cette  question,  ce  qui  est  adopté. 
M.  le  Président  présente  les  candidatures  suivantes: 
MM.  Jalenques,  Emmanuel,  procureur  général  près 
la  cour,  présenté  par  MM.  Fougères  etOu- 
bert  ; 
le  D'  Cottin,   rue  Vauban,  à  Dijon,  présenté 

par  MM.  Darantiere  et  Oubert  ; 
Monnier,  fabricant  de  meubles,  rue  Charrue, 

présenté  par  MM.  Darantiere  et  Oubert; 
Girardin,   sous-ingénieur  au   P.-L.-M.,    pré- 
senté par  MM.  Oubert  et  Perronne. 
L'ordre  du  jour  appelle  une  lecture  de  M.  Ladeyde 
Saint- Germain  :   Le  Sud  et  rExtréme-Sud  Oranais, 
puis  une  autre  de  M.  Rodolphe  Jannot  :  Un  coin  de  la 
Bavière  et  du  TyroL   M.  le  Président  adresse  à  ces 
messieurs  les  remerciements  de  la  société. 


— •   XLIII   — 

Séance  du  13  février  1903. 

PRÉSIDENCE  DE  M.  ouBERT,  président. 

Le  procès- verbal  de  la  précédente  séance  est  adopté 
sans  observation. 

Parmi  les  ouvrages  reçus,  M.  le  Président  appelle 
l'attention  sur  «  V Archéologie  sur  le  terrain  »,  de 
M.  Paul  Jobard,  offert  par  l'auteur,  et  sur  un  ouvrage 
de  M.  Hubert  Pernot  :  «  En  pays  turc,  Vile  de  Chio  », 
offert  par  M.  Darantiere.  Des  remerciements  sont 
adressés  aux  donateurs. 

M.  le  Président  présente  les  nouvelles  candidatures 
suivantes  : 
MM.  le  D'Fonssard,  rueChancelier-l'Hospilal,  pré- 
senté par  MM.  Maillard  et  Oubert  ; 
Hurion,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences,  rue 
Vercingétorix,  présenté  par  MM.  Bailly  et 
Oubert  ; 
D'  Lucien,  place  Saint  Bernard,  présenté  par 

MM.  Victor  Darantiere  et  Oubert  ; 
Schupbach,  chancelier  du  Consulat  suisse,  rue 
Chabot-Charny,  71,  présenté  par  MM.  Moser 
et  Oqbert  ; 
Marcel  Nicolle,  docteur  en  droit,  25,  rue  Févret, 
présenté  par  MM.  Fai  veley  et  Pierre  Perrenet. 
M.  Guny,  au  nom  de  la  Commission  du  budget,  rend 
compte  de  la  gestion  financière  de  la  Société  pendant 
l'exercice  1902. 
Des   remcrciemenls  sont  votés  aux  membres  de 


—   XLIV   — 

cette  commission   et  au  trésorier  pour  le  zèle  avec 
lequel  ils  se  sont  acquittés  du  travail  qui  leur  avait 
été  confié. 
En  suite  d'un  vote  favorable  : 
MM.  Emmanuel  Jalenques,  Procureur  général  près 
la  Cour  de  Dijon  ; 
Le  docteur  Cottin  ; 

Monnier  (Hippolyte),  fabricant  de  meubles; 
Girardin,  sous-ingénieur  au  chemin  de  fer, 
sont  nommés  membres  de  la  Société  bourguignonne 
de  géographie  et  d'histoire. 

Au  nom  de  M.  Henri  Gascon,  qui  ne  peut  assister 
à  la  séance,  M.  le  Président  donne  lecture  d'une 
intéressante  relation  de  voyage  :  «  Deux  semaines  en 
Espagne  »,  par  M.  Honoré  Gascon. 

Vu  l'heure  avancée,  la  lecture  du  travail  de  M,  Gaf- 
farel,  «  le  Général  de  Gassendi  »,  est  remise  à  la  pro- 
chaine séance. 


Séance  du  13  mars  1903. 

PRÉSIDENCE  DE  M.  ouBERT,  président. 

Le  procès-verbal  de  la  dernière  séance  est  adopté 
sans  observation. 

Parmi  les  ouvrages  reçus  depuis  la  dernière  séance, 
M.  le  Président  appelle  l'attention  sur  le  tome  XHI, 
n®  1,  de  la  Revue  bourguignonne  publiée  par  l'Univer- 
sité de  Dijon. 


XLV    


En  suite  d'un  vote  favorable  : 
MM.  le  D'  Fonssard  ; 

Hurion,  doyen  de  la  Faculté  des  sciences  ; 
D'  Lucien  ; 

Schupbach,  chancelier  du  Consulat  suisse  ; 
Marcel  Nicolle,  docteur  en  droit, 
sont  élus  membres  de  la  Société  bourguignonne  de 
géographie  et  d'histoire. 

M.  le  Président  annonce  la  candidature  de  M.  Louis 
Guichard,  pharmacien  à  Gray,  présenté  par  MM.  Vic- 
tor Darantiere  et  Oubert. 

M.  Oubert  achève  la  lecture  de  la  relation  de  voyage  : 
«  Deux  semaines  en  Espagne  »,  de  M.  Honoré  Gascon, 
puis  il  lit  le  travail  de  M.  Paul  Gaffarel  :  «  le  Général 
de  Gassendi.  » 


Séance  du  17  mars  1903. 

La  Société,  unie  au  Club  alpin  (Section  de  la  Côte- 
d'Or  et  du  Morvan),  invile  ses  membres  à  une  confé- 
rence faite  au  Grand  Théâtre,  par  M.  Henri  Boland. 

Sujet  :  Au  pays  de  la  vendetta.  La  Corse  pillo^ 
resque. 

Projections  électriques  et  cinématographe,  par  la 
maison  Gaumont,  de  Paris. 

Des  remerciments  sont  adressés  par  M.  le  Président 
à  l'éloquent  conférencier. 


—    XLVI    — 


Séance  du  6  avril  1903. 

La  Société  invite  ses  membres  à  une  conférence  au 
Grand  Théâtre,  par  M.  Chailley-Bert. 

Sujet  :  La  Colonisation  des  possessions  françaises. 

La  conférence  a  lieu  sous  le  patronage  de  la  Cham- 
bre de  commerce,  de  la  Société  des  Amis  de  l'Uni- 
versité, de  la  Société  bourguignonne  de  géographie 
et  d'histoire,  de  l'Union  des  Chambres  syndicales  du 
commerce  et  de  l'industrie  et  de  l'Ecole  supérieure 
de  commerce. 


Séance  du  8  mai  1903. 

PRÉSIDENCE  DE  M.  OUBERT,  président. 

M.  le  président  appelle  l'attention  sur  les  ouvrages 
suivants  qui  ont  offerts  à  la  société  depuis  la  précé- 
dente séance  : 

Les  Annales  de  VInslilul  colonial  de  Marseilley  conte- 
nant le  rapport  de  M.  Gaffarel  sur  l'Exposition  d'Ha- 
noï. —  Le  Nouveau  Port  de  Bizerte, 

Le  tome  I®',  série  G.  de  VInventaire  sommaire  des 
archives  départementales  antérieures  kllQOj  rédigépar 
M.  J.  Garnier.  JDes  remerciements  sont  adressés  aux 
donateurs. 


•^    XLVII    — 

M.  Oubert  annonce  aux  membres  présents  que  la 
Société  française  d'archéologie  tiendra  son  Congrès 
annuel  à  Poitiers,  du  16  au  24  août,  et  que  les  membres 
de  la  Société  bourguignonne  de  géographie  et  d'his- 
toire sont  invités  à  y  assister. 

En  suite  d'un  vote  favorable,  M.  Guignard,  dont  la 
candidature  avait  été  présentée  à  la  séance  de  mars 
dernier,  est  proclamé  membre  de  la  Société  bourgui- 
gnonne de  géographie  et  d'histoire. 

M.  Chabeuf  prononce  l'éloge  de  M.  Clerget-Vau- 
couleurs,  récemment  décédé  à  Dijon,  et  s'exprime  en 
ces  termes  : 

La  Société  vient  de  perdre  un  de  ses  membres  fondateurs 
et  Tun  de  ses  anciens  vice-présidents,  en  la  personne  de  M.  Claade- 
Edmond  Clerget-Yaucouleurs,  conseiller  honoraire  à  la  Cour 
d'Appel  de  Dijon,  décédé  en  celte  ville  le  !«'  mai  1903.  U  était 
né  à  Langres  le  7  juillet  1830,  et  eut  pour  père  un  magistrat 
de  haut  mérite,  M.  Charles-Henri  Clerget-Yaucouleurs.  mort 
conseiller  honoraire  à  la  Cour  de  Dijon.  Claude-Edmond  sortit 
du  collège  royal  de  Dijon  pour  faire  son  droit,  fut  reçu  docteur 
en  mai  1853,  et  entra  dans  la  magistrature  en  qualité  do  subs- 
titut à  Wassy  le  1*'  mai  1858;  il  passait  au  même  titre  à 
Langres  le  6  juillet  1860,  devenait  juge  au  tribunal  civil  de 
Dijon,  le  26  octobre  1864,  conseiller  à  la  Cour  le  2  décembre 
1882.  Atteint  par  la  limite  d'âge  le  7  juillet  1900,  il  était  nommé 
conseiller  honoraire  le  2i  août  suivant.  Sa  carrière  fut  celle 
d*un  magistrat  instruit,  dévoué  à  ses  devoirs,  d'une  loyauté  et 
d'une  indépendance  absolues. 

•  Mais  c'est  surtoutdu  membre  de  notre  Société  qu'il  m'appar- 
tient de  parler  ici  ;  il  avait  été  l'un  de  ses  fondateurs,  le  6  mai 
1881,  et  en  fut  vice- président  du  27  décembre  1882  au  U  dé- 
cembre 1887>  puis  du  12  décembre  1888  au  11  décembre  1891, 
et  a  fait  constamment  partie  du  comité  de  publication.  Plu 
sieurs  fuis  appelé  à  présider  les  séances  en  remplacement  du 


—  XL  VI  ri  — 

président  empêché,  il  l*a  fait  avec  le  tact,  Tiaipartialiié  et  la 
bienveillance  qui  étaient  le  fond  de  son  caractère.  Ainsi  se 
montra-t-il  le  3  novembre  1884,  dans  cette  séance  tenue  ex- 
ceptionnellement en  la  salle  des  Actes  de  l'Académie  univer- 
sitaire, anciennement  celle  de  l'Académie  des  Sciences,  Arts 
et  Belles-Lettres  de  Dijon.  Ce  jour-là,  un  célèbre  explorateur 
français,  mort  peu  après  tué  par  ses  fatigues  et  le  climat  du 
continent  noir,  vint,  sur  l'appel  de  la  Société,  faire  une  confé- 
rence géographique  pour  laquelle,  et  l'événement  le  prouva 
bien,  notre  salie  ordinaire  eût  été  trop  étroite.  Les  auditeurs 
de  Paul  Soleillet  ont  conservé  le  plus  noble,  mais  aussi  le  plu^ 
poignant  souvenir  de  cette  soirée;  épuisé  do  flèvre,  la  voix 
expirante,  Paul  Soleillet  n'était  plus  qu'une  ombre,  mais  dans 
ce  corps  exténué  vivaient  toujours  indomptables  l'ardeur  des 
découvertes,  et  l'énergie  de  l'homme  qui  s'est  sacrifié  à  la  civi- 
lisation, à  la  gloire  et  à  l'utilité  de  sa  patrie. 

Sans  phrases,  sobrement  et  avec  un  tact  parfait,  M.  Clorget- 
Vaucouleurs  présenta  le  conférencier  dans  une  allocution  qui 
a  mérité  d'être  conservée  dans  les  mémoires  imprimé  de  la 
Société,  t.  II,  p.  XXIV.  On  doit  regrette r.que  I'oti  n'ait  pas  recueilli 
également  les  paroles  de  remerciement  par  lesquelles  il  a  clos 
la  séance. 

Les  mémoires  ne  contiennent  qu'une  œuvre  de  lui  :  Lettr($ 
inédites  de  Charles  Brifaut,  membre  de  l* Académie  française  à 
M.  F,  M.  Frantin,  communiquées  par  M.  Gabriel  Bourée  et  précédées 
d'une  notice  de  M.  Clerget-Vaucouleurs^  I1I«  année,  1886.  Notre 
confrère  avait  ainsi  *<  procuré  »,  comme  on  disait  au  xvii* 
siècle,  l'édition  de  lettres  intéressantes  mais  qu'il  était  néces- 
saire de  présenter  au  public  avec  un  commentaire. 

Très  écouté  dans  les  séances  générales  et  dans  celles  du 
comité  de  publication,  M.  Clerget-Vaucouleur  savait  beau- 
coup, en  blason  notamment,  et  le  blason  est  une  des  clés  do 
l'ancienne  histoire.  Avec  cela  homme  de  relations  absolument 
sûres,  ne  se  prodiguant  pas,  mais  ami  à  toute  épreuve  quand 
il  s'était  une  fois  donné.  La  Société  fait  donc  une  perte  réelle  eu 
la  personne  de  cet  homme  intelligent  et  de  bon  conseil  dont  le 
souvenir  est  digne  d'être  conservé  dans  les  comptes-rendus 
impriiués  de  nos  séances. 


—   XLIX   


M.  le  Vicomte  d'Avout  présente,  au  nom  de  M.  le 
docteur  Bertin,  un  travail  sur  les  Beaujeu  en  Bour- 
gogne. 

M.  Cornereau  donne  lecture  d'une  étude  sur  l'ingé- 
nieur dijonnais  Antoine  à  qui  Ton  doit  nombre  de 
travaux  :  amélioration  des  routes,  création  d'une 
grande  route  entre  Beaune  et  Semur,  poudrerie  de 
Vonges. 

II  publia  un  mémoire  sur  le  canal  de  Dijon  à  la 
Saône  qui  remit  en  question  la  création  d'un  canal 
pour  réunir  la  Saône  à  l'Yonne  et  établir  ainsi  la 
jonction  des  deux  mers. 

Il  s'occupa  aussi  d'archéologie  et  laissa  plusieurs 
mémoires:  découvertes  des  ruines  d'un  monument 
triomphal  dans  la  très  antique  cité  de  Dijon  ;  mémoire 
sur  la  colonne  de  Cussy,  sur  le  bourg  d'Ogne. 


Séance  du  12  juin  1903. 

PRÉSIDENCE  DE  M.  ouBERT,  président. 

M.  le  président  donne  lecture  d'une  circulaire  de 
M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  informant  la 
Société  qu'en  réponse  à  l'invitation  du  gouvernement 
américain,  il  a  décidé  que  son  déparlement  partici- 
pera à  l'exposition  internationale  de  1904,  à  Saint- 
Louis  (Etats-Unis). 

M   le  Ministre  est  disposé  à  réserver  dans  l'expo- 

IV 


sition  une  place  à  la  Sociéîebourguignonne  de  géo- 
graphie et  d'histoire  au  cas  où  elle  voudrait  prendre 
part  à  cette  manifestation  scientifique  en  envoyant  un 
exemplaire  de  ses  dernières  publications. 

Il  est  décidé  qu'il  sera  envoyé  un  exemplaire  des 
trois  dernières  années  des  Mémoires  et  même  de 
VHistoire  des  Ducs  de  Bourgogne,  par  M.  E.  Petit. 

M.  Oubert  présente  au  nom  de  M.  Chabeut,  qui  ne 
peut  assister  à  la  séance,  une  communication  sur  le 
code  Ilammurabi.  Ce  code,  qui  se  compose  de  182  ar- 
ticles gravés  en  caractères  cunéiformes  sur  une  stèle 
découverte  récemment  à  Suse,  serait  l'œuvre  du  roi 
Hammurabi,  contemporain  d'Abraham.  Ce  serait 
ainsi  le  plus  ancien  monument  de  législation  connu  : 
il  se  rapproche  beaucoup  de  la  loi  mosaïque  et,  chose 
extraordinaire,  offre  de  grandes  analogies  avec  notre 
législation  actuelle,  ce  qui  indique  bien  que  les  rap- 
ports entre  les  hommes  furent  toujours  sensiblement 
les  mêmes  dans  l'espace  et  dans  la  durée. 

M.  Mocquery  fait  observer  qu'à  l'époque  à  laquelle 
on  attribue  le  code  Hammurabi  l'Egypte  était  en 
pleine  civilisation  et  que  c'est  probablement  du  code 
égyptien  qu'[Iammurabi  se  sera  inspiré  pour  établir 
le  sien. 

Le  travail  de  M.  Chabeuf  sera  soumis  au  comité  de 
publication. 

M.  Rosenthal  donne  lecture  d'une  étude  sur  la  pein- 
ture et  le  public  sous  la  monarchie  de  Juillet. 

Il  fait  connaître  les  différentes  causes  qui  donnèrent, 
au  début  de  cette  période,  un  grand  essor  à  l'art  de  la 
peinture  :  la  protection  accordée  par  le  gouvernement 


—    Ll    — 


aux  artisles,  les  nombreuses  commandes  qu'il  leur  fit 
plus  tard,  la  création  d'un  salon  annuel  où  ils  pou- 
vaient exposer  leurs  œuvres.  Il  donne  aussi  un  aperçu 
des  difficultés  que  rencontraient  certains  artistes  pour 
faire  admettre  leurs  tableaux  que  refusait  un  jury 
souvent  impitoyable.  Il  indique  enfin  quels  furent  les 
rapports  des  artistes  av£c  la  bourgeoisie. 

M.  le  Président  remercie  M.  Rosenthal  au  nom  de 
la  Société  et  exprime  l'espoir  de  relire  son  travail  dans 
l'œuvre  plus  complète  dont  l'auteur  prépare  la  publi- 
cation. 


PROMENADES  VALAISANES 

(1902) 


PROMENADES  VALAISANES 

(1902) 


Je  me  trouvais  en  Suisse,  aux  vacances  der- 
nières, près  du  lac  de  Genève,  et  j'allais,  le 
22  septembre,  rendre  visite  à  un  ami  dans  sa 
villégiature  des  Mayens,  au-dessus  de  Sion  et  de 
la  vallée  du  Rhône.  Ce  jour-là  même  était  ins- 
crite au  calendrier  la  fête  de  saint  Maurice,  et 
j'avais  entendu  vaguement  parler  d'une  cérémo- 
nie en  la  cité  valaisane  qui  porte  le  nom  du 
saint.  Je  dis  vaguement,  car  à  Clarens,  en  pays 
protestant,  on  ne  s'émeut  que  difficilement  des 
solennités  catholiques;  on  les  passe  volontiers 
sous  silence,  quelque  suggestives  qu'elles  puis- 
sent être.  A  Bex  seulement,  aux  portes  du  Valais, 
en  vue  de  la  Dent  du  Midi,  quelques  voyageurs 
montent  dans  le  train;  ils  ne  sont  pas  mieux  ren- 
seignés que  moi,  et  vont  un  peu  à  l'aventure 

De  fait,  Tinslant  après,  à  Saint-Maurice  même,, 
tout. est  en  fête;  les  cloches  sonnent  à  pleine 
volée,  la  gare  et  ses  alentours  sont  pavoises  aux 


couleurs  pontificales  et  valaisanes  harmonieuse- 
ment accouplées;  la  foule  s'achemine  compacte 
vers  le  champ  de  VéroUiez,  pour  commémorer 
le  martyre;  pouvons-nous  mieux  faire  que  de  la 
suivre? 

Sans  entrer  dans  les  discussions  de  THagio- 
graphie  et  des  BoUandistes,  en  nous  référant 
simplement  à  Lecoy  de  la  Marche  et  aux  écri- 
vains récents  qui  se  sont  intéressés  à  la  question, 
nous  pouvons  dire  quelques  mots  du  martyr  et 
de  ses  compagnons.  —  UÉgypte  avait  été  de 
bonne   heure    évangélisée;   Marc,    disciple    de 
Pierre,  y  introduisit  la  doctrine  du  Christ.  Ses 
disciples  remontent  le  Nil,  et  portent  la  bonne 
parole  jusque  dans  la  Thébaïde.  Sous  Septime 
Sévère,  en  202,  les  chrétiens  de  la  Haute-Egypte 
subissent  la  première  persécution.  Mais  leur  sang 
engendre  de  nouveaux  fidèles  ;  les  solitudes  du 
désert  se  peuplent  d'anachorètes,  et,  dans  les  ar- 
mées impériales,  ces  mômes  chrétiens  forment 
plusieurs  légions  ;  l'une  d'elles,  plus  spécialement 
nommée  Légion  thêbéenne^  était  commandée  par 
le  primicier  Maurice. 

On  était  en  Tan  302,  —  c'est  du  moins  la  date 
adoptée  par  les  promoteurs  du  Centenaire,  tandis 
que  certains  historiens  proposent  celle  de  286, 
année  en  laquelle  la  Légion  aurait  été  appelée 
d'Italie  en  Gaule,  pour  réprimer  la  révolte  des 
Bagaudes,  —  sous  le  règne  des  deux  Empereurs 


—  5  — 

associés  Dîoclélîen  et  Maximien.  Les  Thébéens 
campaient  sur  le  Rhin,  vers  Cologne,  lorsqu'ils  , 
reçoivent  Tordre  de  gagner  l'Italie  et  de  s'embar- 
quer pour  l'Afrique.  On  fait  route  par  la  Suisse, 
on  doit  franchir  les  Alpes  au  Grand-Saint-Ber- 
nard, passage  toujours  redouté;  aussi  TEmpereur 
ordonne-t-il  à  Tarraée  de  s'arrôler  et  de  sacrifier 
aux  dieux,  afin  de  les  rendre  favorables  à  l'expé- 
dition. C'est  à  Octodurum,  aujourd'hui  Marli- 
gny,  que  les  Thébéens  reçoivent  les  instructions 
impériales;  ils  refusent  de  s'y  soumettre  et  con- 
tinuent jusqu'à  Agaune  (Saint-Maurice).  Là,  de 
nouveaux  ordres  plus  impératifs  les  atteignent; 
ils  refusent  encore,  et,  fidèles  à  leur  Dieu,  obéis- 
sant à  leur  conscience,  ils  se  laissent  sans  résis- 
tance décimer  une  première  fois,  puis  une  se- 
conde, jusqu'à  ce  que  Maximien,  furieux,  ordonne 
de  massacrer  les  survivants.  Tous  périssent,  au 
nombre  de  six  mille.  L'histoire  a  retenu,  avec 
le  nom  de  saint  Maurice  leur  chef,  les  noms  de 
Candide  et  d'Exupère  et  celui  du  vétéran  Victor. 
Puis  l'armée  franchit  la  montagne,  tandis  que, 
dans  le  champ  de  Vérolliez  {vertes  locus)  les  ca- 
davres jonchent  le  sol.  Ils  sont  recueillis  par  les 
chrétiens  d'Agaune,  et  bientôt  s'élève  un  sanc- 
tuaire où  seront  conservés  leurs  restes. 

Soixante  ans  plus  lard,  saint  Martin  traverse 
la  vallée  et  s'arrête  au  monastère  d'Agaune.  Il 
va  prier  sur  le  lieu  du  martyre  ;  avec  un  couteau 


—  6  — 

il  soulève  Therbe  qui  lui  apparaît  imprégnée 
d'une  rosée  rouge;  le  sol  rendait  le  sang  qu'il 

avait  bu De  ce  sang  il  remplit  plusieurs 

fioles  de  verre,  dont  une  est  encore  conservée  au 
Trésor  de  l'abbaye.  —  Telle  est  la  légende,  sé- 
duisante et  respectable,  que  chacun  peut  accepler 
sans  qu'elle  repose  toutefois  sur  des  documents 
absolument  authentiques.  Nous  nous  bornerons 
à  la  signaler  et  ne  la  discuterons  point,  car  nous 
ne  faisons  pas  ici  œuvre  d'érudition  ;  nous  sommes 
de  ceux  d'ailleurs  qui  n'aiment  point  démolir, 
quand  ils  ne  peuvent  rien  mettre  de  mieux  à  la 
place. 

Or,  en  ce  jour  tombait  le  XV!»  centenaire  du 
martyre  de  la  Légion.  La  veille  déjà,  les  fêtes 
avaient  commencé;  elles  se  continuaient  aujour- 
d'hui par  un  temps  splendide.  Les  fidèles,  les 
simples  curieux  sont  accourus  en  foule;  il  en  est 
venu  de  la  rive  française  du  Lac  et  de  la  Savoie; 
le  canton  de  Fribourg  a  envoyé  ses  représen- 
tants; le  Valais  tout  entier  est  là,  depuis  le  gla- 
cier de  la  Furka  et  les  lointains  parages  de  la 
vallée  de  Couches;  les  vallées  latérales  sont  des- 
cendues, avec  leur  diversité  de  costumes.  La 
coiffure  féminine  attire  surtout  l'attention  :  ici, 
le  petit  feutre  noir  valaisan;  là,  le  cylindre 
d'étoffe  noire  plissée  en  forme  de  mitre,' recou- 
vrant une  armature  de  paille,  que  porte  la  mon- 
tagnarde des  Mayens;  ailleurs,  le  gracieux  cha- 


peau  de  paille  de  la  paysanne  d'Evolena.  La 
bergère  du  Val  d'Illiers  a  fait  toilette;  elle  a 
délaissé  le  capulet  rouge  et  le  pantaloh  masculin, 
si  familiers  aux  touristes  de  Champéry.  Au  mi« 
lieu  de  celle  foule  bigarrée,  empressée  mais  point 
bruyante,  les  belles  robes  des  dames  venues  de 
Sion  détonent  quelque  peu  et  courent  risque  d'être 
froissées. 

Sous  un  soleil  étincelant,  dans  Tétroit  chemin 
qui  conduit  au  Champ  des  Martyrs,  la  foule 
s'amoncelle  et  progresse  lentement,  quinze  mille 
personnes  peut-être,  encadrées  par  les  murailles 
basses  qui  clôturent  les  vignes.  Sur  la  pelouse 
moine  de  VéroUiez,  le  cortège  officiel  débouche 
en  ce  moment  :  le  clergé  d'abord,  capucins  en 
robes  brunes,  prêtres  en  surplis,  chanoines  en 
camail  ;  puis  les  reliques,  la  châsse  de  saint  Mau- 
rice en  argent  doré  avec  ses  ornements  repoussés, 
portée  sur  de  robustes  épaules;  un  garde-suisse 
en  costume  mi-partie  jaune  et  rouge,  tel  que 
ceux  de  la  garde  du  Saint-Père,  précédant  le 
groupe  des  évêques;  Tabbé  de  Saint-Maurice, 
évoque  de  Bethléem,  titre  qui,  de  Terre-Sainte, 
fut  transféré  à  Clamecy,  éteint  à  la  Révolution 
et  plus  tard  relevé  au  profit  du  Valais  par  le 
Saint-  Siège.  A  leur  suite,  lesautorités  du  canton. 
Grand  Conseil,  Conseil  d'État,  Cour  d'appel,  tous 
venus  de  Sion;  les  fonctionnaires,  les  délégués 
des  communes,  corrects  avec  leurs  vêtements 


—  8  — 

noirs  et  leurs  chapeaux  à  haute  forme;  les  étu- 
diants suisses,  à  la  casquette  rouge,  en  leurs 
diverses  corporations,  suivant  le  lieu  d'origine  : 
VAgaunia  de  Saint-Maurice,  la  Rhodania  de 
Sion,  la  Brigensis  de  Brîeg,  la  Burgundia^  la 
Sarinia  du  canton  de  Fribourg;  les  cercles,  les 
collèges  avec  leurs  étendards  floUant  au  vent  ; 
les  diverses  sociétés,  précédées  de  leurs  fanfares, 
et,  de  place  en  place  pour  maintenir  Tordre,  des 
sections  de  miliciens  à  Tuniforme  sévère,  et  les 
bons  gendarmes  valaisans  au  plastron  bleu  clair, 
passepoils  rouges  et  blanches  buffleteries,  —  Au 
son  des  instruments  alternés  de  chants,  tout  ce 
monde  défile  dans  un  ordre  parfait  et  vient  s'ali- 
gner sur  la  pelouse,  au  centre  de  laquelle  se 
dresse  Tautel  ;  les  blancs  surplis  se  groupent,  la 
foule  fait  cercle  et  la  messe  commence.  L  évoque 
de  Sion  officie,  puis  il  donne  la  parole  à  un  prélat 
français,  Tévôque  de  Nimes,  qui  va  prononcer  le 
panégyrique  du  saint,  tandis  qu'à  Técart  se 
groupent  les  pèlerins  de  langue  allemande,  pour 
entendre  une  allocution  dans  leur  langage. 

Ce  concours  religieux  de  tout  un  peuple  est 
émouvant  au  plus  haut  degré;  le  cadre  d'ailleurs 
est  merveilleux,  et  l'éclat  de  la  cérémonie  s'en 
trouve  particulièrement  rehaussé.  A  droite,  à 
gauche,  les  montagnes  abruptes  se  dressent 
comme  des  murailles;  les  hautes  cimes,  rocs  et 
champs  de  neige,  apparaissent  dans  le  lointain  ; 


—  9  - 

ici  môme,  la  riche  vallée,  campagne  verdoyante , 
vignes  et  prairies,  sillonnée  par  l'impétueux  tor- 
rent du  Rhône,  au  flot  grisâtre,  souillé  par  les 
boues  du  glacier  qu'il  va,  quelques  lieues  plus 
bas,  déverser  dans  les  eaux  bleues  du  Lac  ;  la 
vieille  petite  cité  monacale  et  ses  clochers,  Téglise, 
Tabbaye  ;  plus  loin,  la  grotte  aux  Fées  et  le  châ- 
teau ruiné  sur  sa  colline  rocheuse,  marquant  un 
étranglement  de  la  vallée  où  le  fleuve  se  fraie 
péniblement  passage;  et,  devant  nous,  surplom- 
bant la  plaine  de  Vérolliez,  le  rocher  perpendi- 
culaire aux  replats  broussailleux,  où  le  sentier 
grimpe  en  lacets  jusqu'à  Termitage  de  Notre- 
Dame- du-Sex.  Le  soleil  en  plein  midi  darde  tous 
ses  rayons,  mettant  toutes  choses  en  valeur, 
donnant  à  la  cérémonie  un  éclat  inoubliable. 

J*aime  ce  beau  pays  du  Valais,  où  se  passe 
chaque  année  la  meilleure  partie  de  mes  va- 
cances. Je  n'y  rencontre  que  sympathies  fran- 
çaises, à  la  différence  de  Genève  et  du  canton  de 
Vaud,  où  Ton  nous  tient  parfois  en  suspicion.  Et 
cependant  ce  pays  n'a  point  toujours  eu  à  se 
louer  de  la  France  ;  en  1797,  à  la  Porte  du  Sex, 
les  Valaisans  luttèrent  héroïquement  contre  l'in- 
vasion des  armées  républicaines;  plus  lard, 
l'Empire  les  annexa  et  les  plia  pendant  quatre 
ans  sous  sa  main  de  fer.  Ils  ne  nous  en  ont  point 
conservé  rancune  :  ils  n'ont  garde  d'oublier  que, 
pendant  trois  cents  ans,  leurs  ancêtres  servirent 


—  10  — 

dans  nos  armées  ;  nombreux  sonl  les  Courlen 
<iui,  au  xviii®  siècle,  se  battaient  sous  le  drapeau 
blanc,  comme  au  xix®  ils  servaient  sous  la  ban*- 
nière  pontificale.  —  Le  Valais  est  un  pays  de 
tradition  ;  la  religion,  les  vieilles  coutumes  y  sont 
en  honneur;  les  anciennes  familles  demeurent 
entourées  de  respect  et  de  considération  ;  les  for- 
lunes  sont  modestes  ;  on  vit  de  peu  et  Ton  reste 
attaché  au  sol  des  ancêtres.  Un  jeune  garçon  de 
dix-sept  ans  qui,  ce  même  jour,  guidait  mon 
mulet  dans  le  chemin  rocailleux  des  Mayens,  n'a 
point  dépassé  Vevey,  et  encore  est-ce  un  grand 
voyageur;  il  a  vu  le  Lac  au  cours  d'une  excursion 
de  vacances  que  le  collège  de  Sion  offrait  à  ses 
élèves;  il  y  faisait  ses  études  pour  suivre  plus 
tard  les  cours  de  TUniversité  de  Fribourg,  mais 
sa  santé  en  souffrait,  il  était  en  mal  de  la  mon- 
tagne; il  a  recouvré  ses  forces  dès  qu'il  a  pu  de 
nouveau  fouler  TAlpe  et  ses  pâturages.  Plus  tard, 
si  Dieu  le  permet,  il  reprendra  ses  études;  il  sera 
géomètre  et  demeurera  au  pays.  —  Le  curé,  le 
vicaire  d'Hérémence  dans  le  Vald'Evolena,  deux 
hommes  instruits,  en  la  force  de  1  âge,  ont  moins 
voyagé  encore  :  vers  le  Lac,  ils  n'ont  pas  dépassé 
Saint-Maurice;  dans  la  haute  vallée,  ils  n'ont 
pas  été  plus  loin  que  Sierre  ;  un  horizon  de  quel- 
ques lieues  leur  suffit,  ils  savent  borner  leurs 
désirs.  0  snncta  simplicifas!  en  sont-ils  moinç 
heureux? 


—  41  — 

Et  cependant,  un  fâcheux  mouvement  de  cen- 
Iralisation  se  dessine  depuis  quelques  années. 
Le  canton  de  Berne,  siège  du  Gouvernement, 
attire  à  lui  la  prépondérance;  l'indépendance  des 
cantons  en  souffre;  bien  des  décisions  importantes 
deviennent  cas  fédéraux,  et  sont  réservées  à  Tad- 
minislration  centrale.  Puis  le  Valais  ne  démeure 
plus  fermé;  les  relations  avec  le  dehors  sont  de- 
venues plus  faciles;  la  ligne  ferrée  sillonne  la 
vallée  jusqu^à  Brieg,  à  la  grande  joie  des  tou- 
ristes, assurément  ;  les  travaux  de  percement  du 
Simplon  attirent  de  ce  côté  de  nombreux  ouvriers, 
population  nomade  et  tapageuse,  qui  dénature 
Tesprit  paisible  du  Valaisan.  Dans  quelques  an- 
nées le  tunnel  sera  praticable,  et  le  flot  des  voya- 
geurs se  précipitera  de  ce  côté,  apportant  peut- 
être  avec  lui  la  richesse,  chassant  plus  sûrement 
le  bonheur. 

Au  delà  de  Saint-Maurice,  en  remontant  le 
cours  du  Rhône,  les  attractions  se  multiplient. 
C'est  Vernayaz,  au  débouché  des  Gorges  du 
Trient,  au  pied  de  la  Cascade  de  Pissevache. 
Une  route  étroite,  sinueuse,  tour  de  force  de 
ringénieur,  enjambe  le  torrent,  s'élève  par  33 
lacets  jusqu'au  village  de  Salvan,  pour  gagner 
de  là  Finhaut,  établissant  la  communication  la 
plus  directe  entre  le  Valais  et  Chamonix.  Les 
tournants  sont  d'une  rapidité  vertigineuse  ;  des 


chars  spéciaux,  à  deux  voyageurs,  peuvent 
seuls  y  circuler  en  sécurité  ;  mais  un  chemin  de 
fer  à  crémaillère  est  amorcé  près  de  là,  et  vien- 
dra bientôt  doubler  la  route. 

Plus  loin,  c'est  Marligny,  au  tournant  de  la 
vallée,  centre  d'excursions  favori  des  touristes. 
Soit  que  par  le  col  de  Balme  ou  la  Tète-Noire  ils 
gagnent  Chamonîx,  ou  que  par  la  vallée  de  la 
Dranse  ils  se  dirigent  vers  le  Saint-Bernard,  soit 
qu'à  proximité  plus  immédiate  ils  visitent  les 
Gorges  du  Durnand,  ou  que  simplement,  la 
longue-vue  en  arrêt,  ils  fouillent  du  regard  les 
cimes  neigeuses  du  Vélan  ou  du  Combin,  de  la 
chaîne  du  Mont-Blanc,  se  dressant  là- bas  comme 
en  une  gigantesque  toile  de  fond  ;  de  tous  côtés 
ce  n'est  que  fête  pour  les  yeux,  fête  pour  les 
poumons  qui  se  dilatent,  pour  les  jambes  qui 
sollicitent  le  voyageur  de  se  laisser  porter  aux 
folles  aventures. 

Suivons  modestement  le  cours  du  Rhône.  Voici 
Sion,  la  vieille  capitale  valaisane,  avec  ses  deux 
châteaux  ruinés  de  Valère  et  de  Tourbillon  sur 
leur  roche  grisâtre,  barrant  la  vallée  ;  en  ces 
murailles  croulantes,  les  Romains,  les  évoques 
de  Sion,  les  seigneurs  féodaux  ont  successive- 
ment marqué  leur  empreinte.  Dans  la  ville  même, 
quelques  vieux  hôtels  aux  portes  basses  cintrées, 
aux  longs  couloirs  sombres,  aux  antiques  boise- 
ries, rappellent  une  époque  de  splendeur  ;  les 


—  43  — 

Supersaxo  et  jes  Riedmalten  à  Sion,  les  Courten 
à  Sierra,  les  Stockalper  à  Brieg  ont  donné  leur 
nom  à  ces  gothiques  demeures,  et  les  possèdent 
encore. 

Un  mulet  m'attend  à  la  gare,  et,  par  des  sen- 
tiers en  pente  rapide,  à  travers  vignes,  vergers 
et  pâturages,  je  me  hisse  jusqu'aux  Mayens,  à 
1300  mètres  au-dessus  de  la  vallée.  Là,  sur  des 
pelouses  herbeuses,  fortement  inclinées,  s'éche- 
lonnent les  chalets  élégants  ou  rustiques,  habi- 
tations d'été  où  les  bourgeois  de  Sion  viennent 
prendre  villégiature.  La  vie  y  est  simple  et  pa- 
triarcale ;  on  voisine,  on  se  promène,  en  par- 
faite simplicité,  loin  du  mouvement  et  des 
agitations  mondaines,  loin  des  bruits  de  la  ville, 
dont  rien,  si  ce  n'est  le  son  des  cloches,  ne 
monte  là-haut.  La  poste  et  le  télégraphe  ratta- 
chent, il  est  vrai,  à  la  civilisation  ces  émigrants 
volontaires  ;  mais  n'est-ce  pas  trop  encore,  et  le 
comble  du  bonheur  ne  serait-il  pas  de  ne  point 
lire  de  journaux,  de  ne  pas  recevoir  de  lettres  ? 

Le  spectacle  est  spendide,  en  eflfet,  du 

haut  de  cet  observatoire  naturel,  et  je  m'y  lais- 
sais absorber  pendant  de  longs  instants,  A  mes 
pieds,  dans  toute  sa  largeur,  la  vallée  du 
Rhône  et  ses  riches  cultures,  le  fleuve  roulant 
son  flot  limoneux,  la  petite  cité  étalant  ses  mai- 
sons blanches  ;  au  delà,  le  sol  se  relevant  insen- 
siblement ;  les  vignes  plantées  sur  le  terrain 


—  44  — 

grisâtre  et  granilique,  mainlenues  par  de  basses 
clôtures  en  pierre  sèche  ;  puis  les  prairies  seuiées 
de  villages,  les  bois,  les  sommets  dénudés,  les 
champs  de  neige,  là- bas,  vers  le  glacier  de  Zan- 
fleuron  et  le  Saanelsch,  par  où  l'on  débouche  sur 
le  haut  canton  de  Berne.  Le  soleil  va  disparaître  ; 
les.  cimes  neigeuses  se  dorent  à  ses  derniers 
rayons,  Thorizon  se  colore  en  rouge  ;  puis  la 
brume  du  soir  tombe,  les  sommets  se  voilent,  la 
nuit  approche  et  s'établit  rapidement  ;  plus  rien 
ne  subsiste  du  magnifique  panorama  contemplé 
quelques  instants  auparavant,  rien  que  les  clar- 
tés tremblotantes  qui  successivement  s'allument 
au  fond  de  la  vallée,  dessinant  d'un  trait  de  feu 
les  rues  de  Sion,  seule  manifestation  de  la  vie 
humaine  dans  cette  nuit  profonde. 

Tout  ce  pays  fut  jadis,  dans  la  période  qui 
suivit  1830,  visité  par  un  homme  d'esprit,  maî- 
tre de  pension  dix  mois  de  Tannée,  touriste  en 
compagnie  de  ses  élèves  pendant  les  deux  mois 
de  surplus,  qui  à  un  joli  brin  de  plume  joi- 
gnait un  coup  de  crayon  délié  ;  il  s'appelait 
Tœpffer.  Peut-être  est-il  bien  oublié  de  nos  jours 

il  méritait  mieux  que  cela.  Ceux  qui 

ont  lu  les  Voyages  en  zigzags,  qui  ont  savouré 
les  Nouvelles  genevoises^  gardent  au  professeur 
de  Genève  un  souvenir  reconnaissant.  Il  était 
protestant^  et  le  laissait  voir  un  peu  trop  dans 
ses  écrits  ;  il  n'aimait  point  les  Jésuites,  et  les 


—  15  — 

caricaturait  volontiers  ;  pour  lui  «  Sion  est  une 
«  petite  Jérusalem  catholique,  où  s^élèyent  de 
«  saints  parvis  incessamment  encombrés  de  fi- 
«  dèles.  »  Ceci  ne  Tempèche  pas  de  noter  les 
vieux  hôtels  dont  nous  avons  parlé,  et  les  ar- 
ceaux en  ogive,  et  la  vieille  salle  peinte,  dorée, 
boisée,  meublée  d'antiques  bahuts,  de  buffets 
richement  sculptés,  que  nous  retrouvons  nous- 
môme  dans  ces  antiques  demeures.  C*est  que 
Tœpffer  est  un  artiste  ;  toute  belle  chose  excite 
son  admiration,  qu'elle  sorte  de  la  main  du 
Créateur,  ou  simplement  de  celle  des  hommes. 
Ses  descriptions  sont  encore  vraies,  et  se  lisent 
avec  plaisir  ;  il  nous  révèle  sans  emphase,  en 
toute  sincérité,  une  Suisse  que  nous  ne  connais- 
sions pas,  que  nous  sommes  heureux  de  décou- 
vrir avec  lui. 

A  ce  point  de  vue,  beaucoup  restait  à  faire. 
Jean-Jacques  avait  pratiqué  la  Savoie  et  le  pays 
de  Vaud  ;  il  nous  a  rendu  avec  une  fraîcheur 
charmante  ses  impressions  de  la  première  jeu-^ 
ncsse  ;  une  seule  *fois  il  s'aventura  dans  les  mon- 
tagnes du  Valais  ;  en  réalité,  il  ne  connaît  la 
Suisse  qu'à  mi-côte.  L'Alpe  véritable  est  décou- 
verte et  signalée  par  Saussure,  à  la  fin  du 
xviir  siècle  dans  ses  descriptions  scientifiques, 
il  en  note  sobrement  la  poésie.  Puis  vient  Cha- 
teaubriand, qui  ne  fait  que  passer,  et  semble 
traiter  le  Mont  Blanc  du  haut  de  sa  grandeur. 


—  46  — 

Byron  séjourne  davantage  ;  il  sent  et  pratique  les 
Alpes  ;  mais  l'auteur  de  Childe-Harold  avait  d'au- 
tres soucis  :  la  montagne  est  lente  à  conquérir, 
elle  ne  se  laisse  pas  brusquer  en  un  jour.  En 
réalité,  la  Suisse  n'était  qu'effleurée  ;  pour  la 
grande  masse  du  vulgaire,  elle  demeurait  un 
affreux  chaos  de  montagnes  et  de  vallées,  de  ci- 
mes inaccessibles  et  de  précipices  insondables, 
ne  pouvant  inspirer  qu'épouvante  et  horreur. 

L'effort  de  Raoul  Rochelle,  dans  ses  Lettres  de 
1820,  fut  des  plus  estimables  ;  mais  ses  descrip- 
tions sont  trop  voulues  ;  c'est  un  cadre  dans  le- 
quel THelvétie  tout  entière  doit  trouver  place, 
soit  une  encyclopédie  qui  a  la  prétention  d'être 
complète,  de  retracer  compendieusement  toutes 
choses,  de  peindre  les  mœurs  et  les-  paysages, 
d'étudier  la  constitution  politique  et  la  belle  na- 
ture; tout  cela  trahit  le  système,  l'intention  du 
maître  qui  voudrait  nous  remettre  à  l'école.  Rien 
de  semblable  chez  Tœpffer;  chez  lui,  rien  de  con- 
venu, rien  de  préparé.  C'est  à  Tâme  de  la  na- 
ture qu'il  s'adresse,  car  il  y  a  dans  tout  paysage 
une  vie  cachée,  un  sentiment  qu'il  s'agit  d'ex- 
traire, défaire  saillir,'de  rendre  par  une  expres- 
sion naïve  et  fidèle.  Donc,  il  note  au  hasard  ses 
impressions,  à  mesure  qu'elles  se  présentent  à 
son  esprit  ou  à  ses  yeux;  tel  incident  inattendu 
fait  naître  chez  lui  des  réflexions  où  il  se  com- 
plaît un  instant,  comme  s'il  se  parlai!  à  lui-même. 


—  17  — 

Notre  enfance  écartait  ces  digressions  comme  trop 
philosophiques  et  trop  sérieuses ,  notre  âge  mûr 
y  revient  volontiers,  et  s'y  attarde  avec  Tauteur. 
Il  nous  semble  avoir  éprouvé  les  mômes  sensa- 
tions  Des  boutades  humoristiques  relèvent  le 

charme  du  style,  et  çà  et  là  viennent  remailler 
quelques  mots  du  vieux  langage,  de  notre  fran- 
çais des  siècles  antérieurs,  dont  nous  avons  perdu 
le  secret,  mais  que  les  riverains  du  Léman  ont 
su  conserver  dans  sa  verdeur  gauloise.  Nous 
avons  visité  Sion  en  compagnie  de  Tœpffer;  avec 
lui  nous  avons  gravi  la  rude  pente  des  Mayens  ; 
avec  lui  encore,  et  sa  bande  joyeuse  d'écoliers, 
nous  allons  remonter  le  Val  d'Evolena. 

Du  chalet  de  notre  ami,  par  des  pentes  herbeu- 
ses, nous  gagnons  Vex,  un  gros  village  dominant 
la  vallée  de  la  Borgne,  torrent  tributaire  du 
Rhône.  Des  chalets  massifs  en  bois  noirci  par  la 
pluie,  par  les  intempéries  de  Thiver  ;  de  misé- 
rables cabanes  servant  de  granges,  un  dédale  de 
ruelles  rocailleuses  ou  embraminées  —  vocable 
de  Tœpffer  pour  peindre  la  boue  noirâtre  qui 
hante  perpétuellement  le  village  valaisan,  et  dans 
laquelle  le  touriste  citadin  s'engage  avec  hor- 
reur, au  risque  d'y  laisser  ses  chaussures  —  telle 
était  la  bourgade  il  y  a  soixante  ans,  telle  elle  se 
présente  encore  aujourd'hui  ;  peut-être  en  plus 
quelques  maisons  de  pierre,  la  poste,  Tauberge, 

2 


—  18  — 

une  modesle  boutique,  et  c'est  lout.  Mais,  hors 
du  village,  il  y  a  assurément  progrès  :  le  sentier 
sinueux,  tortueux,  où  défilait  jadis  la  bande 
joyeuse,  est  devenu  une  route  carrossable,  non 
point  merveilleuse  assurément,  mais  offrant  des 
garanties  de  sécurité.  Au  pied  du  bourg  d'Héré- 
mence,  perdu  là-haut  ami-côte,  la  vallée  se  bi- 
furque; à  droite  le  Val  d'Hérémence,  à  gauche 
celui  d'Hérens  que  nous  suivons  dans  la  direction 
d'Evolena.  Un  contrefort  se  détache  de  la  monta- 
gne et  vient  barrer  la  route  ;  il  est  percé  d'un  tun- 
nel; mais  ce  contrefort  a  la  configuration  la  plus 
bizarre  :  il  est  surmonté,  crénelé  de  cônes  sa- 
blonneux, agglomérés  à  leur  base,  plus  haut  s'i- 
solant  pour  s'élancer  vers  la  nue  en  forme  d'ai- 
guilles. Le  sable  s'est  durci,  solidifié,  d'abord 
sous  des  influences  diluviennes  et  glaciaires,  plus 
tard  au  perpétuel  contact  de  Tair;  il  affecte  une 
consistance  rocheuse,  et  chaque  cône  porte  en 
son  sommet  un  bloc  de  pierre  formant  table, 
campé  en  un  équilibre  d'apparence  instable,  au 
point  d'inquiéter  fortement  le  touriste  qui  va 
s'engager  dans  le  tunnel.  En  fait,  les  chutes  de 
pierres  se  produisent  de  temps  à  autre,  sans  être 
absolument  meurtrières.  Ce  sont  les  Pyramides 
d'Useigne,  et,  dans  ces  fantastiques  blocs  de 
pierre,  affectant  au  clair  de  lune  des  formes  hu- 
maines, plus  d'un  habitant  de  la  vallée  a  pré- 
tendu noter  des  influences  diaboliques. 


—  10  — 

La  route  serpente  au  flanc  do  la  montagne;  à 
nos  pieds,  au  fond  d'une  élpoîle  ravine,  le  torrent 
delà  Borgne  coule  avec  fracas  sur  un  lit  de  ro- 
ches. Une  chapelle  solitaire  domine  le  dernier 
escarpement;  Tœpffer  la  notait  déjà;  Thumble 
péristyle  à  colonnetles  servit  d'asile  à  plus  d'un 
traînard  de  la  bande  surpris  par  une  formidable 
averse.  Bientôt  la  vallée  s'élargit,  la  ravine  se 
comble,  le  site  devient  moins  sauvage  ;  ce  sont 
de  gracieuses  prairies,  et,  en  leur  centre,  une 
importante  agglomération,  le  bourg  d'Evolena. 

Encore  un  village  embraminéy  où  la  boue  se 
durcit  aux  rayons  du  soleil,  pour  reparaître  noi- 
râtre et  gluante  à  la  première  pluie.  Mais  le  temps 
est  superbe,  le  soleil  brille,  l'air  pur  se  respire 
à  pleins  poumons;  le  touriste  se  sent  vivre,  il 
goûte  avec  bonheur  le  plaisir  de  la  promenade 
pédestre,  une  source  de  joie  que  la  voltigeante 
bicyclette,  l'impétueuse  automobile  sont  entrain 
de  tarir.  Jusqu'au  village  desHaudères,  la  vallée 
se  continue,  élargie,  plane,  sillonnée  par  le  tor- 
rent de  la  Borgne  ;  à  droite,  à  gauche,  des  crêtes 
rocheuses  o\\  résonne  de  temps  à  autre  un  coup 
de  carabine  tiré  sur  quelque  chamois.  Dans  les 
prairies  voisines,  les  faneuses  en  leur  pittoresque 
costume,  chapeau  de  paille  coquettement  posé, 
foulard  rouge  autour  du  cou,  comme  une  note 
joyeuse  reflétant  le  voisinage  de  l'Italie.  Dans  le 
langage  également  se  trahit  Tinfluence  italienne, 


—  20  — 

et  mieux  encore  dans  l'ornementation  des  églises, 
à  Hérémence,  à  Evolena,  les  autels  surmontés 
de  baldaquins,  flanqués  de  colonnes  torses,  agré- 
mentés de  guirlandes  et  de  peintures,  du  pur  style 
rococo.  Aux  Haudères,  la  vallée  se  bifurque  de 
nouveau  ;  à  gauche,  elle  monte  au  glacier  de 
Ferpècle,  et  se  ferme  à  la  Dent  d'Hérens,  dont  la 
masse  blanche,  isolée,  se  fait  voir  subitement, 
étincelant  au  soleil  ;  à  droite,  elle  se  prolonge 
jusqu'au  Mont  Gollon,  jusqu'au  Pigno  d'Arolla, 
déjà  un  nom  à  la  résonnanc'e  italienne.  Depuis 
quelques  instants,  de  ce  côté,  les  cimes  neigeu- 
ses se  révélaient  une  à  une,  à  chaque  sinuosité 
de  la  vallée  ;  c'est  maintenant  le  massif  tout  en- 
tier d'Arolla  qui  nous  apparaît,  superbe,  attirant, 
avec  ses  pics  échelonnés  ;  et  Ton  voudrait  pour- 
suivre, toujours  aller  plus  loin,  pour  découvrir 
à  chaque  pas  une  merveille  nouvelle  ;  mais  il 
faut  savoir  se  borner. . . 

Une  autre  excursion  me  conduisit  aux  Bains 
de  Louèche,  et  jusqu'au  sommet  delà  Gemmi.  Ici, 
nous  abordons  le  versant  opposé  du  Valais,  vers 
le  canton  de  Berne.  En  chemin  de  fer  d'abord, 
au-delà  de  Sion  jusqu'à  Sierre  qui  marque  la  li- 
mite des  langues,  le  français  cédant  la  place  à 
l'allemand,  et,  après  Sierre,  jusqu'à  Sousten,  la 
station  de  Louèche.  La  vieille  petite  ville  est  sise 
à  mi-côte,  dominée  par  un  antique  château  et 


—  ai  — 

quelques  tours  de  défense.  Les  barons  féodaux 
ont  laissé  dans  toul  ce  Valais  de  fâcheux  souve- 
nirs ;  à  une  époque  lointaine,  racontent  les  chro- 
niques, tel  personnage  qui,  par  sa  férocité  ou  ses 
exactions,  avait  lassé  la  patience  populaire,  voyait 
se  lever  contre  lui  la  mazza^  masse  de  bois  que 
l'on  promenait  furtivement  le  soir,  chacun  y  en- 
fonçant un  clou  à  sa  guise.  Lorsque  ce  nouvel 
ostracisme  avait  réuni  la  majorité  des  suflFrages, 
la  volonté  du  peuple  était  notifiée  au  banni,  et 
celui-ci  devait  s'y  conformer  par  un  exil  volon- 
taire. Parfois  il  résistait  ;  alors  la  furie  populaire 
se  déchaînait  contre  lui,  son  château  était  pris 
d*assaut,  ruiné  de  fond  en  comble,  et  lui-même 
mis  à  mort.  La  mazza  sévit  pendant  un  siècle  ; 
ainsi  s'expliquent  les  ruines  qui,  tout  le  long  du 
Valais,  se  dressent  au  sommet  de  mainte  colline. 
La  route  remonte  la  vallée  de  la  Dala,  torrent 
impétueux  encaissé  dans  une  profonde  ravine. 
En  face  d^nden,  sur  la  rive  opposée,  un  village 
à  mi-côte  ;  c'est  Albinen,  où  grimpent,  des  Bains 
de  Louèche,  les  fameuses  Echelles.  Le  passage 
est  vertigineux  :  huit  échelles  défectueuses  re- 
posent sur  une  série  de  rochers  formant  paliers 
successifs,  et  conduisent  jusqu'au  sommet  ;  l'as- 
cension est  absolument  perpendiculaire  ;  parfois 
môme  la  verticale  se  déplace,  et  le  touriste  doit 
monter  le  corps  renversé  en  arrière.  Aussi  les 
guides  bien  intentionnés  déconseillent-ils  ce  tour 


22  

de  force  au  voyageur  dont  la  lèle  n'est  pas  com- 
plètement sûre,et  l'on  se  contente  prudemment  de 
regarder  les  paysannes  d'Albinen,  chargées  de 
lourds  fardeaux,  dévalant  le  long  de  ce  terrible 
escalier,  pour  porter  aux  Bains  de  Louèche  leurs 
modestes  provisions. 

Louèche-les-Bains  occupe  exactement  le  fond 
de  la  vallée,  dans  un  entonnoir  dominé  par  de  hau- 
tes parois  rocheuses.  Le  site  est  sévère,  et,  mal- 
gré SOS  hôtels  confortables,  ne  constitue  pas  un 
séjour  de  plaisance.  Le  traitement  médical  est 
absorbant  :  cinq  heures  de  séjour  dans  le  bain, 
telle  est  la  ration  quotidienne.  L'honnête  Raoul 
Rochette,  qui  s*y  arrêtait  vers  1820,  décrit  d'une 
manière  plaisante  cette  promiscuité  des  bains  pris 
en  commun,  les  jeunes  femmes  conversant  entre 
elles,  travaillant  à  quelque  ouvrage  de  couture, 
ou  respirant  le  parfum  des  fleurs  posées  devant 
elles  sur  un  pupitre  ;  les  militaires  se  racontant 
leurs  campagnes,  et  se  montrant  leurs  cicatrices  ; 
les  uns  lisant,  les  autres  chantant,  jusqu'à  ce  que 
rheure  du  repas,  pris  dans  Teau  comme  le  reste, 
réunît  tous  les  baigneurs  en  une  occupation  com- 
mune. La  saison  était  trop  avancée  pour  que  je 
pusse  vérifier  si  la  description  était  encore  fidèle  ; 
toutefois  les  piscines  subsistent,  et  l'usage  du  bain 
en  commun  n'a  point  disparu.  Mais  ce  n'est  pas  là 
ce  qui  m'attirait  :  je  fouillais  ardemment  de  ma 
longue-vue  le  rocher  perpendiculaire  qui  forme 


la  vallée;  je  cherchais  par  quel  miracle  un  che- 
min avail  pu  s'accrocher  à  la  paroi,  et  se  hisser 
jusqu'au  sommet.  Quelques  instants  plus  tard, 
je  me  mettais  en  route,  et  j'atleignais  rapidement 
la  base  du  rocher. 

Il  existe  bien,  ce  chemin,  et  même  il  n'est  pas 
absolument  périlleux  pour  le  touriste  calme, 
exempt  de  vertige,  et  résolu  à  ne  point  commettre 
d'imprudence.  Aménagé  au  milieu  du  xviii^  siècle, 
il  est  suffisamment  entretenu,  el  bordé  do  bar- 
rières à  tous  les  endroits  dangereux.  Les  lacets 
larges  d'un  mètre  cinquante  centimètres,  prati- 
qués dans  le  roc,  aflFectent  la  forme  d'un  escalier 
tournant  et  se  surplombent  les  uns  les  autres  ; 
plus  de  3.000  mètres  de  longueur,  qu'il  est  loisible 
de  gravir  à  cheval,  mais  qu'il  est  prescrit  de  des- 
cendre pédestrement, depuis  l'accident  d'une  dame 
aventureuse  qui,  en  186 1 ,  dégringola  dans  labîme 
pour  ne  plus  se  relever.  De  fait,  la  montée  à  pied 
est  beaucoup  plus  agréable  ;  c'est  une  besogne 
suffisante  de  se  surveiller  soi-même  et  de  se  gar- 
der de  tout  accident,  sans  avoir  de  plus  à  veiller 
sur  un  quadrupède  à  la  merci  duquel  on  se  trouve 
entièrement  livré. 

Le  site  est  effrayant  et  superbe  dans  sa  sévérité  : 
de  sombres  rochers  dénudés,  la  paroi  à  pic,  et,  à 
nos  pieds,  les  Bains  de  Louèche,  éclairés  par  un 
vague  rayon  de  soleil,  groupant  leurs  maisons 
blanches  au  fond   de  rcnlonnoir.  On  en  jouira 


—  24  — 

mieux  à  la  descente  ;  pour  le  moment,  on  évolue 
lentement,  car  la  montée  est  raide.  Au  sommet, 
un  superbe  panorama  se  découvre;  la  vallée  du 
Rliône,et,  par  delà,  les  hautes  cimes,  le  Mont  Rose, 
le  Weisshorn,  le  Cervin.  Mais  la  température  s'est 
considérablement  abaissée  ;  un  froid  pénétrant  se 
fait  sentir,  une  petite  pluie  mêlée  de  neige  tombe 
et  transpercerait  bientôt  le  touriste.  On  fait  quel- 
ques pas  sur  le  plateau,  le  long  du  Dauben-see, 
un  petit  lac  dominé  par  les  hautes  cimes  du  Wild- 
strubel  ;  la  neige  descend  des  sommets  jusqu'à 
peu  de  distance  ;  le  lac  est  gelé  sept  mois  de  Tannée  ; 
c'est  une  affreuse  Sibérie  ;  et  devant  nous,  un  dé- 
sert rocheux,  solitude  d'une  amère  tristesse,  jus- 
qu'au petit  lac  de  Schwarenbach,  jusqu'à  la  fu- 
nèbre auberge  où  Werner  a  placé  sa  scène  dra- 
matîque,?a  Nuit  du  24  février  ;  un  père  meurtrier 
de  son  fils  qu'il  n'a  pas  vu  depuis  longues 
années,  qu'il  reçoit  sous  son  toit  et  qu'il  assassine 
sans  le  reconnaître  pour  lui  dérober  son  modeste 
pécule...  Un  tel  site,  nous  le  comprenons,  ne  pou- 
vait inspirer  que  de  telles  horreurs  ! 

A  Kandersteg  seulement  prend  fin  ce  lugubre 
chaos  ;  là  on  retrouve  visages  humains,  gîte  civi- 
lisé et  bonne  route  vers  les  sites  enchanteurs  du 
lac  de  Thun.  Mais  tel  n'est  point  aujourd'hui  mon 
objectif:  je  regagne  la  Gemmiet  l'hôtel  solitaire 
qui,  à  2.300  mètres  d'altitude,  ne  compte  en  ce 
moment  d'autre  visiteur  que  moi-même  ;  par  ce 


—  25  — 

froid  pénétrant  qui  glace  jusqu'aux  moelles,  un 
verre  de  punch  brûlant  est  le  bienvenu.  La  des- 
cente s'opère  sans  accident  ;  la  pente  est  rapide  ; 
il  convient  de  ne  pas  s'absorber  dans  la  contem- 
plation des  Bains  de  Louèche,  là-bas,  au  fond  de 
Tentonûoir;  défions-nous  des  suggestions  du  ver- 
tige, et  cramponnons-nous  énergiquement  au 
solide  soutien  du  bâton  ferré.  —  Au  bas  de  la  des- 
cente, rhôtel  confortable  et  chauflFéme  séduit  par 
son  bien-être  ;  la  table  est  bien  servie,  et  cepen- 
dant les  hôtes  sont  clairsemés;  un  seul  dîne  près 
de  moi  ;  c'est  un  touriste  intrépide  qui  vient  de 
passer  quelques  jours  dans  la  montagne  ;  sa  chasse 
a  été  heureuse,  ainsi  qu'en  témoigne  un  filet  de 
chamois  auquel  nous  goûtons  incontinent.  Encore 
une  bonne  journée  de  voyage,  qui  ne  laisse  en 
mon  esprit  que  d'agréables  souvenirs. 

Ma  dernière  excursion  valaisane,  la  plus  belle 
de  toutes,  me  conduisit  à  Zermaltet  au  Gœrner- 
grat.  Ici  encore,  nous  allons  retrouver  les  traces 
de  Tœpffer.  —  Pendant  longues  années,  plus 
longtemps  que  Chamonix  découvert  par  Saus- 
sure, Zermatt  demeura  séparé  du  monde  civilisé; 
le  Valais  était  connu,  on  abordait  les  précipices 
de  la  Gemmi,  on  franchissait  le  Saint-Bernard 
et  le  Simplon,  mais  on  ignorait  la  vallée  de  la 
Viège.  Raoul  Rochette  ne  parait  point  la  soup- 
çonner. TœpflFer  la  remonte  en  1842  avec   sa 


—  i>6  — 

bande  ;  à  Stalden,  il  assiste  à  une  représenla- 
lion  théâtrale,  Rosa  de  Tannenbourg ^  dont  le 
curé  du  lieu  s'est  fait  l'imprésario.  Depuis  long- 
temps la  Suisse  avait  le  goût  de  ces  fêtes  popu- 
laires ;  par  elles  se  sont  continués  jusqu'à  nos 
jours  les  Mystères  du  Moyen  âge.  Une  vieille 
liste  de  drames  religieux,  patriotiques  et  moraux 
mentionne  une  de  ces  pièces,  VOmhi^e  de  Stauf- 
fâcher^  jouée  à  Genève  en  1S84,  un  demi-siècle 
avant  qu'Oberammergau  inaugurât  son  Mystère 
de  la  Passion. 

TœpflFer  ne  dépasse  pas  Zermatt.  On  ignorait 
alors  le  Gœrnergrat.  Encore  le  voyage  n'était-il 
pas  facile  :  c'est  à  pied  exclusiveraenf,  et  pour 
cause,  que  cheminait  la  bande  joyeuse  ;  de  voie 
carrossable,  il  n'en  existait  point,  rien  que  des 
sentiers  surplombant  le  torrent.  Plus  tard,  une 
route  fut  établie  à  partir  de  Zermad  ;  mais  pen- 
dant longtemps  elle  ne  parvint  point  jusqu'à  la 
vallée  du  Rhône  ;  il  y  avait  là,  m'a-t-on  dit,  un 
monopole  de  transports  et  de  communications 
que  telle  famille  influente  entendait  se  réserver. 
Nous  sommes  plus  heureux  aujourd'hui  ;  depuis 
1891,  la  voie  ferrée  remonte  la  vallée  de  la 
Viège  ;  elle  est  à  crémaillère  intermittente,  de 
penle  modérée,  éminemment  pittoresque.  — 
Jusqu'à  Stalden,  région  et  cultures  civilisées, 
sites  ravissants.  Mais  la  vallée  se  bifurque,  à 
gauche  vers  Saas,  ravine  sauvage  et  sombre. 


-  27  — 

desservie  par  un  simple  chemia  muletier,  à 
droite  la  vallée  principale  ;  les  montagnes  se 
resserrent,  la  rive  s'escarpe,  la  voie  ferrée  se 
fraie  péniblement  passage.  Le  torrent  devient 
furieux,  se  brisant  contre  les  roches  grisâtres  et 
polies,  formant  xine  série  de  cascades  écumantee^, 
spectacle  superbe  et  terrifiant,  fracas  indescripti- 
ble !  —  La  cime  neigeuse  du  Breilhorn  se  mon- 
tre au  fond  de  la  vallée  ;  celle-ci  s'élargit,  do- 
minée par  les  Mischabels  ;  enfin  Zermatt  appa- 
raît, avec  ses  maisons  blanches  et  ses  chalets 
noircis,  et  à  droite,  en  arrière,  la  colossale  pyra- 
mide du  Cervin,  comme  pour  signaler  au  tou- 
riste le  but  rêvé. 

A  Zermatt  môme,  le  Gervin  disparaît,  caché 
par  un  contrefort  montagneux.  Le  Breithorn  se 
dresse  et  s'étale  devant  nous  ;  à  ses  pieds,  la 
masse  blanchâtre  du  glacier  du  Gœrner,  qui 
descend  en  se  contournant,  et  se  perd  dans  les 
broussailles  pour  donner  naissance  à  la  Viège. 
—  Zermatt,  dans  son  cirque  de  prairies  ver- 
doyantes, offre  un  double  aspect  :  les  magasins, 
les  beaux  hôtels  monopolisés  par  la  famille  Sel- 
ler et  recelant  tout  le  confort  moderne  ;  puis,  à 
deux  pas  plus  loin,  le  modeste  village  valaisan 
et  ses  chalets  rustiques,  les  uns  alignés  le  long 
de  la^grande  rue,  vers  la  petite  église  catholi- 
que, dans  la  direction  du  Gœrner,  les  autres  au 
bas  du  village;  en  une  ruelle  perpendiculaire  au 


—  23  — 

torrent.  La  Viège  coule  impétueuse,  grisâtre,  sur 
un  lit  de  sable  boueux,  vraie  rivière  de  glacier, 
déposant  à  chaque  pas  d'innombrables  molé- 
cules. Mais  combien  pitloresques  sont  tous  ces 
chalets  en  poutres  mal  équarries,  brunis  par  le 
temps,  rongés  par  Thumidité  et  la  vétusté  !  Ils 
s'élèvent  sur  pilotis,  défiant  les  irruptions  du 
torrent  ;  au  sommet  du  pilier  de  bois  ou  de 
pierre,  d'énormes  rondelles  en  pierre  forment 
chapiteau  rustique,  servent  de  base  et  d'assise  à 
la  cabane.  Est-ce  là  un  ornement  à  ces  cons- 
tructions primitives  ?  mais  non,  simplement 
une  mesure  de  précaution  contre  Tinvasion  des 
rats  :  le  rongeur  infatigable,  grimpant  à  Tas- 
saut  de  la  baraque,  vient  se  buter  contre  cet 
obstacle  infranchissable,  et  retombe  découragé. 
Maint  chalet  de  Vex,  d'Evolena,  les  chalets  de 
la  vallée  de  Couches,  battus  par  le  torrent  im- 
pétueux du  haut  Rhône,  portent  de  même  la 
rondelle  préservatrice. 

Une  flânerie  dansZermatt  ne  serait  point  com- 
plète, sans  la  visite  aux  deux  cimetières  ;  elle 
n'est  point  gaie  assurément,  mais  combien  sug- 
gestive !  Le  modeste  cimetière  catholique,  le 
plus  ancien,  conserve  les  tombes  des  ascension- 
nistes morts  à  la  montagne  ;  naturellement 
l'Angleterre  détient  le  record  dans  cette  funèbre 
nomenclature.  —  Ce  sont  les  victimes  de  la  ca- 
tastrophe de  1865.  Jusque-là,  le   Cervin   était 


—  29  — 

demeuré  inviolé  ;  sept  fois  Whymper  en  avait 
tenté  TascensioD,  sept  fois  il  avait  échoué.  Il 
part  une  dernière  fois  avec  le  jeune  lord  Dou- 
glas, les  Anglais  Hadow  ot  Hudson,  les  guides 
Croz  et  Taugwalder  père  et  fils.  Tout  va  bien 
d'abord,  et,  au  prix  de  mille  efibrts,  on  parvient 
au  sommet  ;  il  faut  descendre  :  Croz  et  Hadow 
prennent  la  tête,  puis  Hudson  et  Douglas,  puis 
les  deux  Taugwalder  et  Whymper  demeuré  le 
dernier.  Une  même  corde  les  reliait  les  uns  aux 
autres.  Tout  à  coup  Hadow  fait  un  faux  pas, 
tombe  sur  le  guide  Croz  qui  perd  l'équilibre,  et 
tous  deux  sont  lancés  vers  le  précipice  ;  ils  en- 
traînent après  eux  Hudson  et  Douglas.  Le  vieux 
Taugwalder  qui  les  suit  a  la  présence  d'esprit 
de  s'accrocher  à  un  rocher  ;  un  instant  il  soutient 
le  poids  énorme  des  quatre  infortunés,  mais  la 
corde   se  brise,   et    tous   quatre    dégringolent 
dans  le  gouffre  béant.  On  les  retrouva  le  soir 
même,  affreusement  mutilés,  déchiquetés,  dé- 
pouillés de  leurs  vêtements,  à  l'exception   de 
Douglas,  dont  Tabime  n'a  jamais  rendu  le  ca- 
davre. 

Telle  fut  dans  le  moment  la  version  officielle, 
et  nul  ne  chercha  à  en  faire  prévaloir  une  autre. 
Toutefois,  on  chuchotait  tout  bas,  et  je  recueillis 
moi-même  l'écho  de  ces  bruits  à  Zermatt,  que 
Taugwalder,  se  voyant  irrémédiablement  attiré 
en  avant,  hors  d'état  de  supporter  le  fardeau  qui 


—  30  — 

Tentraînaît,  aurait  coupé  la  corde,  sauvant  ainsi 
et  lui-même,  et  son  fils,  et  Whymper.  «  Que 
«  voulez-vous,  Monsieur  ?  me  disaient  à  voix 
«  basse  ces  braves  gens  ;  il  était  en  légitime 
«  défense  ;  ne  pouvant  les  sauver  tous,  il  a  fait 
«  la  part  du  feu.  C'était  son  droit.  »  Raisonne- 
ment terrible,  mais  que  répondre  à  cela  ?  On 
garde  le  silence,  et  Ton  réfléchit.  Il  y  a  là  de 
quoi  glacer  bien  des  cœurs,  car  la  liste  funèbre 
ne  s'arrête  pas  ainsi  :  elle  se  poursuit  au  cime- 
tière catholique,  et  mieux  encore  au  petit  cime- 
tière anglican,  de  création  récente,  riant  et  orné 
de  fleurs,  mais  renfermant  déjà,  lui  aussi,  son 
ample  moisson  de  cadavres. 

Et  cependant  ces  catastrophes  ne  rebutent  point 
les  courages  ;  chaque  année  la  liste  des  ascensions 
est  plus  nombreuse.  C'est  que  celte  montagne 
du  Gervin  est  singulièrement  attirante  ;  àZermalt 
môme  nous  l'avions  perdue  de  vue  ;  nous  la  re- 
voyons maintenant,  alors  que,  sur  la  voie  ferrée 
à  crémaillère,  à  travers  des  bois  de  mélèzes,  nous 
gravissons  lentement  les  pentes  du  Riffel.  En 
1891  déjà,  je  suivais  une  première  fois  ce  chemin  ; 
la  voie  ferrée  n'existait  pas  alors  ;  c'est  à  pied  ou 
à  dos  de  mulet  qu'on  se  hissait  jusqu'au  Gœrner- 
grat.  L'élape  était  forte,  etmaint  touriste  reculait 
avant  d'arriver  au  but  ;  semblable  mécompte 
n'est  plus  à  craindre  aujourd'hui.  —  Riflelalp, 
première  station,  hôtel Seiler,  dans  une  situation 


-  31  — 

merveilleuse,  dominant  de  très  haut  le  glacier  du 
Gœrner,  de  plus  haut  encore  la  rianle  vallée  de 
Zermalt,  perdue  là-bas,  au  fond.  Et  la  voie  de 
décrire  un  grand  arc  de  cercle,  au-dessus  de 
vastes  éboulis  ;  en  face  de  nous,  sur  la  droite,  le 
majestueux  Cervin,  se  découvrant  jusqu'à  la  base, 
darde  sa  cime  dans  la  nue,  pyramide  triangu- 
laire, aux  arêtes  vives,  d'une  telle  rigidité  que 
la  neige  ne  peut  y  adhérer,  et  que,  sur  les  parties 
saillantes,  la  roche  demeure  à  nu.  Le  colosse 
semble  défier  Tascensionnisle,  et  celui-ci  de  bra- 
quer sa  longue  vue,  de  chercher  par  quel  côté  le 
monstre  serait  plus  facilement  accessible.  C'est 
là-bas,  sur  la  droite,  semble-t-il,  là  où  l'une  des 
arêtes  se  recourbe  quelque  peu,  formant  bosse... 
N'importe;  le  Cervin  attire  et  irrite  tout  à  la  fois, 
et  ce  n'est  pas  seulement  sur  nous,  citadins,  qu'il 
produit  cet  effet  d'exaspéralion  ;  les  gens  du  pays 
eux-mêmes  se  sentent  enlraînés  ;  le  conducteur 
du  train,  un  jeune  armailliàe^  la  Gruyère,  avec 
lequel  nous  échangeons  nos  impressions,  se 
promet  de  tenter  au  premier  jour  l'ascension.  En 
ce  moment  même,  comme  pour  nous  narguer,  la 
cime  recourbée,  le  horn^  s'encapuchonne  de 
nuages,  un  léger  flocon  qui  flotte  et  oscille,  et 
pour  le  reste  de  la  journée  nous  voilera  le  som- 
met. 

Riffelberg,  seconde  station,  nouvel  hôtel  Seiler, 
et  la  voie  de  grimper  toujours,  à  travers  les  ro- 


—  32  - 

cailles,  nature  sombre,  triste,  sans  verdure,  Enfin 
dernier  arrêt,  station  terminus,  à  3020  mètres  d'al- 
titude, soit  la  voie  ferrée  qui  en  Europe  atteint  la 
hauteur  extrême  ;  plus  élevé  qu'au  Rigi,  qu'au 
Stanserhorn,  qu'au  Pilate,  qu'au  Rothhorn  de 
Brienz,le  chemin  de  fer  duGœrnérgrat  ne  le  cé- 
dera qu'à  celui  de  la  Jungfrau,  quand  la  dernière 
section  en  sera  ouverle,  à  savoir  quand  la  che- 
minée perpendiculaire  qui  doit  atteindre  le  som- 
met de  la  Vierge  bernoise  aura  livré  passage  aux 
wagons.  —  Et  les  alpinistes  fougueux  de  se  la- 
menter ;  on  dépoétise  la  montagne,  où  sont  les 

belles  ascensions  d'autrefois  ? D'abord^  la  voie 

pédestre  est  toujours  permise  aux  intrépides,  pour 
qui  le  railway  de  montagne  est  un  instrument 
méprisable  ;  puis  il  reste  encore,  pour  les  satisfaire, 
assez  de  sommets  que  la  vapeur  a  épargnés  ;  enfin, 
pour  tout  dire,  certains  d'entre  nous  considèrent 
comme  un  avantage  précieux  d'arriver  frais  et 
dispos  au  sommet,  prêts  à  admirer  sans  le  souci 
de  prendre  un  immédiat  repos.  Ce  sentiment 
d'admiration  exclusive,  dégagé  de  tous  soins  ac- 
cessoires, j'allais  l'éprouver  d'une  manière  com- 
plète sur  le  plateau  du  Gœrnergrat. 

Une  crête  rocheuse,  légèrement  renflée  à  sa 
naissance,  se  rétrécissant  immédiatement  en  dos 
d'âne  pour  se  continuer,  flanquée  d'éboulis,  sur 
une  longueur  d'un  kilomètre  environ;  les  pre- 
mières neiges  ne  sont  pas  encore  tombées  ;  sur  la 


—  33  — 

pente  qui  incliire  vers  la  gare,  quelques  rares 
plantes  alpestres,  mousses  ou  lichens,  aucune 
fleur;  mais  au  sommet,  rien  que  poussière,  rc- 
cailles  et  gravais  :  tel  se  présente  à  nous  le  grat 
ou  gradin  du  Gœrner,  avec  une  forle bâtisse  carrée 
sur  son  esplanade  initiale,  dernier  hôtel  Seiler, 
ou  plutôt  solide  auberge,  offrant  au  touriste  un 
précieux  asile.  3136  mètres  d'allitude,  peut-être 
la  construction  la  plus  élevée  de  notre  vieille 
Europe,  n'était  TObservatoireJanssenau  sommet 
du  Mont  Blanc  ;  belvédère  à  souhail,  se  dressant 
isolé  en  face  du  plus  magnifique  horizon  alpestre 
qu'il  soit  possible  de  rêver. 

Tout  un  cirque  de  montagnes,  cou  ver  tes  de  neiges 
éternelles,  dont  nous  occupons  le  centre.  Devant 
nous,  si  nous  regardons  vers  le  sud,  le  dos  tourné 
à  Zermalt,  à  gauche  d'abord,  le  Mont  Rose  et  sa 
double  cime,  Nord-Ende,  4612  mètres,  Dufour- 
Spitze,  4636  mètres,  forte  masse,  ne  produisant 
point  assurément  l'effet  gigantesque  du  Cervjn 
avec  sa  pyramide  aigitë,  et  cependant  c'est  le 
géant  de  la  chaîne.  Puis,  en  continuant  vers  la 
droite,  séparés  les  uns  des  autres  par  des  champs 
de  neige,  le  Lyskamm,  4538  mètres,  les  Deux 
Jumeaux  Castor  et  PoUux,  4230  et  4294  mètres, 
la  haute  muraille  du  Breithorn,  4171  mètres,*  et 
les  champs  glacés  duThéôdule,  un  passage  bien 
connu  des  contrebandiers,  par  où  s'insinue  le  col 
donnant  accès  en  Italie.  L'extrême  crête  de  ces 

3 


^  34  - 

montagnes  marque  en  effet  la  frontière  ;  sur  Tau- 
Ire  versant,  c'est  le  Val  Tournanclie,  vallée  ita- 
lienne de  langue  française,  terrain  de  chasse  fa- 
vori de  la  gracieuse  reine  Marguerite.  Et  en 
continuant  toujours  à  droite,  le  Cervin,  4482  mè- 
tres, puis  la  vallée  de  Zermatt  formant  échan- 
crure,  au-delà  de  laquelle  le  cercle  se  conti- 
nue par  les  hautes  cimes  jusqu'à  la  Cima  di 
Jazzi. 

Que  notre  regard  s'abaisse  un  peu.  Eo  avant 
du  Lyskamm  descend  un  énorme  champ  de 
neige,  enserré  à  droite,  à  gauche,  par  deux  masses 
rocheuses  gigantesques,  comme  deux  contreforts 
détachés  du  Mont  Rose  et  des  Jumeaux,  lesdits 
contreforts  arrondis  en  forme  de  chaudière  pu  d  œil 
de  cyclope,  se  terminant  par  des  murailles  à  pic 
où  la  roche  vive  projette  sa  note  sombre.  L*effel 
est  étrange,  terrifiant  en  ce  déclin  du  jour,  au  mo- 
ment où  le  soleil  ne  darde  plus  que  de  faibles 
lueurs.  Immédiatement  à  nos  pieds,  un  immense 
fleuve  de  glace  dévale  du  Mont  Rose,  et,  le  con- 
tournant à  sa  base,  vient  s'allonger  au  pied  du 
Goernergral,  se  continue  sur  la  droite  au  delà  des 
Jumeaux  et  du  Breithorn,  pour  descendre  vers 
Zermatt  :  c'est  le  glacier  du  Gœrner. 

Ici  se  broduit  un  étrange  effet  d'optique,  dû  à  la 
transparence  de  l'air,  et  dont  le  résultat  est  de 
tout  rapprocher  de  nous,  de  diminuer  les  distances, 
de  rapetisser  les  colosses.  La  cime  du  Mont  Rose 


-  35  — 

ne  nous  produit  aucune  impression  d'altitude  ni 
d'éloignement  ;  y  parvenir  en  deux  heures  nous 
paraît  ôlre  un  jeu.  Et  à  nos  pieds,  l'illusion  est 
encore  plus  forte  :  ce  glacier  du  Gœrner,  nous  en 
alleindrions,  croyons-nous,  Taulre  bord  d'un  jet 
de  pierre  ;  à  peine  lui  attribuons-nous  quelques 
centaines  de  mètres  de  largeur,  alors  qu'en  réalite, 
cette  dimension  s'élève  amplement  à  un  kilo- 
mètre et  demi.  Et  nous  suivons  sur  la  neige  une 
ligrie  sombre  qui  nous  parait  être  la  trace  des  ca- 
ravanes d'excursionnistes.  Des  crevasses,  nous 
n'envoyons  point  ;  tout  nous  semble  facile  ;  illu- 
sion étrange,  qui  nous  transformerait  en  alpi- 
nistes fougueux,  prêts  à  tout  oser  sur  les  traces 
deï'artarini..  Calmons-nous,  caria  réalité  n'est 
pas  aussi  facile  ;  elle  ménage,  à  qui  tenterait  la- 
venture,  plus  d'une  déception. 

Cependant  le  soleil  projette  ses  derniers  rayons, 
avant  de  disparaître  derrière  l'horizon.  Les  cimes 
se  colorent  en  rose  ;  bientôt  ce  n'est  plus  qu'une 
faible  lueur  teintant  les  sommets  extrêmes.  La 
nuit  vient  ;  le  ciel  est  bleu  sombre  vers  le  Mont 
Rose,  et  au  delà  sur  l'Italie;  il  conserve  une  colo- 
ration plus  claire  vers  le  Cervin,  du  côté  où  Tastre 
vient  de  s'éclipser.  Un  silence  profond  règne  au- 
tour de  nous  ;  à  peine  un  corbeau,  point  noir  so 
détachant  sur  Tuniforme  blancheur,  effleuré- 
t-il  de  son  aile  la  surface  du  glacier.  Quelle  tris- 
tesse de  la  nature  dans  ce  morne  recueillement  ! 


—  36  — 

Ce  silence  inôme  est  captivant  au  plus  haut  de- 
gré :  jamais  on  n'a  rien  vu,  rien  éprouvé  de  sem- 
blable... Une  heure  plus  lard,  après  le  diner,  on 
revient  sur  la  terrasse  ;  la  nuit  est  close,  rien  que 
le  silence,  et  une  obscurité  compacte  ;  il  faut  son- 
ger au  repos.  Mais  sur  ces  hautes  cimes,  dans 
cette  nuit  sans  lune,  deuil  de  la  nature,  le  silence 
lui-môme  n'est  pas  absolu  ;  les  cloisons  de  Thôlel 
sont  minces,  et  laissent  filtrer  le  moindre  bruit  :. 
c'est  l'avalanche  qui  dégringole  avec  fracas  des 
cimes  voisines,  ce  sont  les  souris  qui  furètent  et 
s'en  donnent  à  cœur  joie. 

Il  est  cinq  heures  et  demie  du  matin.  Vite  au 
dehors,  pour  contempler  le  lever  du  soleil,  s'il 
lui  plait  de  sortir  des  nuages.  Sur  l'esplanade  du 
Gœrner,  dans  la  clarté  douteuse  deTaubè,  règne 
un  froid  glacial  ;  le  thermomètre  exposé  en  plein 
air  marque  zéro.  Le  soleil  surgit,  je  n'ose  dire 
luit^  car  sa  lumière  est  pâle  et  indécise  ;  n'im- 
porte: le  mercure,  d'un  bond, monte  à  IS  degrés 
et  s'y  établit.  L'atmosphère  n'en  est  point  sensi- 
blement réchauffée.  Le  touriste  se  couvre  hâtive- 
ment, admire  et  se  tait. 

Autour  de  lui,  en  effet,  règne  de  nouveau  ce  si- 
lence absolu  noté  la  veille  comme  caractéristique 
du  lieu.  Le  corbeau  isolé,  volant  à  la  surface  du 
glacier,  est,  comme  hier,  le  seul  être  animé  dont 
nous  suivions  les  ébats.  Et  toujours  celle  contem- 
plation dont  on  ne  peut  se  rassasier,  car,  pour  être 


—  37  — 

immuable,  le  spectacle  n'en  esl  pas  moins  splen-^ 
dide.  En  face  de  nous  ces  colosses,  le  Mont  Rose, 
le  Lyskamm,  les  Jumeaux,  et  descendant  des 
hauteurs  neigeuses,  les  deux  contreforls  rocheux,, 
arrondis  en  escarboucles,  qui  semblent  nous  re- 
garder de  leurs  yeux  rébarbatifs  ;  et  à  nos  pieds 
le  glacier  silencieux,  avec  sa  traînée  noirâtre 
dessinant  la  trace  qui  conduirait  au  Mont  Rose. 
En  ce  moment  même,  quelque  chose  semble  s'a- 
giler  àla  surface,comme  undélachement  de  four- 
mis qui  cheminerait  lentement,  avec  précaution  ; 
serait-ce  une  caravane  d'excursionnistes  en  roule 
pour  la  Dufour-Spitze,  ou  quelque  équipe  de  con- 
trebandiers affrontant  le  passage  vers  l'Italie  ?  La 
lunette  est  braquée,  les  suppositions  vpnt  leur 
train. 

Un  instant  encore,  on  évolue  sur  l'arête  rocheuse 
laquelle  se  continue  de  plain  pied  jusqu'au  Hœh- 
ligrat;  encore  faut-il  cheminer  avec  précaution 
dans  la  poussière  et  les  rocailles,  se  garer  des 
éboulis.On  fouille  de  la  longue-vue  les  champs  de 
neige,  on  contemple  une  dernière  fois,  d'un  œil 
d'envie,  les  parois  perpendiculaires  du  Gervin. 
Hélas  !  il  faut  s'arracher  à  ce  spectacle  magique. 
La  cloche  sonne,  le  train  dévale  le  long  des  flancs 
du  Gœrner;  il  nous  ramène  à  Zermatt;  bientôt 
nous  revoyons  la  vallée  du  Rhône. 

C'est  lànolre  dernière  excursion  valaisane;  elle 
nous  a  laissé  des  impressions  inoubliables.  lieu- 


^  38  — 

reux  si  nous  avons  pu  intéresser  quelques  ins- 
tants nos  auditeurs,  faire  naître,  chez  ceux  qui 
ne  le  connaissent  pas,  le  désir  de  parcourir  ce 
beau  pays,  de  faire,  eux  aussi,  moisson  d'atta- 
chants souvenirs  !  . 

Vicomte  À.  d'Avout. 


NOTES 


SUR 


LE  SUD  ET  L'EXTRÊME-SUD  ORANAIS 


Par  LADEY  DE  SAINT-GERMAIN 


NOTES 


LE  SUD  ET  L'EXTRÊME-SUD  ORANAIS 


I.   —  LA  LIMITE  DU   TELL  ORANAIS 

ET    DE  L'ANCIENNE   MAURITANIE  DES    ROMAINS. 

SAÏDA 

Le  chemin  de  fer  Oranais,  dans  sa  course  de 
pénétration  vers  rexlrôme  sud,  stoppe  à  Saïda^ 
ayant  parcouru,  dans  le  Tell,  171  kiK  depuis  le 
port  d'Oran  et  460  kil.  depuis  le  port  d'Alger  ; 
il  n'a  traversé  jusque-là  que  des  régionsd'une  po- 
pulation très  dense  et  d'une  merveilleuse  richesse. 
Longtemps  la  voie  ferrée  ne  dépassa  pas  ce  point 
terminus,  mais,  depuis  quelques  années,  elle 
s'élance  dans  le  sud  comme  une  flèche,  presque 
en  ligne  droite,  etse  trouve  aujourd'hui  construite 
ou  amorcée,  à  plus  de  huit  cents  kilomètres  de 
Saïda^  jusque  dans  le  Sahara.  A  certains  moments 
la  voie  a  progressé  de  mille  mètres  par  jour. 

4 


—  42  — 

Saïda,  ville  française,  date  de  1842,  et  se  trouve 
à  la  limite  du  Tell  et  de  la  région  monlagneuse 
communément  appelée  les  Hauts  Plateaux^  la 
Région  de  VAlfa^  le  petit  Désert^  \d^  Région  de  la 
Soif,  toutes  dénominations  qui  dépeignent  ce 
qui  apparaîtra  lorsque  Ton  aura  sauté  brusque- 
ment de  ra^ltilude  de  ^800  m.  environ  à  celle  do 
1000  à  1300  ni.  qui  est  celle  des  Hauts  Plateaux. 

Il  convient  donc,  à  Saïda,  de  jeter  un  dernier 
regard  sur  les  beautés  et  les  richesses  de  notre 
colonie  algérienne  ;  on  ne  les  rencontrera  plus, 
si  loin  que  Ton  s'enfonce  dans  le  sud.  Les  Romains, 
qui  s'y  entendaient,  faisaient  passer  vers  ce  qui 
est  Saïda,  leur  ligne  de  défense  dite  de  la  «  Prœ- 
tentura  »  qui  s'appuyait  de  distance  en  distance 
sur  des  postes  nailitaires,  et  opposait  une  forte 
barrière  aux  incursions,  dans  le  Tell,  des  Numi- 
des ou  Nomades. 

A  Tépoque  de  notre  conquête  de  T Algérie, 
Saïda  n'était  qu'un  ksar  arabe,  accosté  de  quel- 
ques villages  nègres  ;  mais  Abd-el-Kader,  pour- 
suivi par  nos  colonnes,  en  avait  reconnu  Tim- 
portance  stratégique,  et  avait  créé,  au  flanc  de 
la  montagne,  un  bordj  avec  une  vaste  enceinte 
qui  lui  servait  de  retraite  et  de  centre  d'approvi- 
sionnement. Il  avait  ainsi  le  Tell  à  ses  pieds,  au 
nord,  pour  y  opérer  des  razzias,  et  les  Hauts- 
Plateaux  derrière  lui,  au  sud,  pour  s'y  replier  et 
recruter  ses   guerriers    parmi  les  Assasnas^  les 


—  43  — 

Yayas  hen  Taleh^  les  Djaffras  et  autres  nomades 
insoumis. 

Le  général  Bugeaud  dut  se  résoudre  à  lui  en- 
lever ce  refuge,  et  peu  s'en  fallut  qu'il  ne  réussît 
à  l'y  surprendre,  car  lorsqu'il  arriva  au  col  qui 
domine  le  hordj  (sur  la  route  actuelle  de  Tiaret)^ 
Tëmir  s'enfuyait  à  travers  les  Hauts  Plateaux, 
après  avoir  allumé  un  grand  incendie  et  détruit 
toutes  ses  réserves.  La  nuit  précédente,  Bugeaud 
réveillé  au  bivouac  par  une  attaque  inopinée 
des  cavaliers  de  Témir,  avait  rallié  ses  troupes 
et  marché  au  combat,  coiflfé,  sans  s'en  douter, 
de  son  bonnet  de  coton.  De  là  la  chanson  impro- 
visée par  nos  zouaves,  et  encore  si  connue  : 

As-tu  vu  la  casquene,  la  casquette. 
As-tu  vu  la  casquette  au  père  Bugeaud  ? 

M.  Camille  Roussef,  de  T Académie  Fran- 
çaise (1),  raconte  qu'à  Tun  des  angles  de  l'en- 
ceinte fortifiée  existait  une  habitation  d'un  goût 
exquis  dans  le  style  arabe  ;  elle  était  décorée 
de  bas-reliefs  en  marbre  sculptés  savamment  ; 
les  portes  et  fenêtres  étaient  à  ogives,  et  les  dal- 
lages en  marbre  blanc  ;  plusieurs  rangs  de  colon- 
nes soutenaient  d'élégantes  galeries...  bref  : 
«c'était  une   véritable  bonbonnière  où   l'émir 


(4)  Conquête  de  l'Algérie,  t.  I,  p.  63  et  s.  Paris,  PIod,  4889, 


—  44  — 

«  venait  se  reposer  des  fatigues  de  là  guerre,  en 
«  caressant  mollement  ses  idées  de  grandeur  ou 
«  de  revanche..  » 

11  est  permis  de  remarquer  que  pas  un  seul 
vestige  de  ces  splendeurs  ne  subsiste  ou  n*a  été 
recueilli;  dans  le  pays  môme,  personne  n'en  parle. 
Seules  existent  des  murailles,  en  terre  de  deux  mè- 
tres d'épaisseur,  qui  ont  résisté  à  Tincendie,  à  la 
canonnade  et  aux  influences  des  saisons  ;  il  n'y 
a  pas  trace  du  soi-disant  palais  confortable  et 
môme  luxueux  qu'aurait  occupé  Abd-el-Kader. 

Notre  Saïda  actuelle,  ville  déjà  vieille  de  cin- 
quante ans,  est  un  chef-lieu  de  canton  de  plein 
exercice,  dépendant  de  Tarrondissement  de  Mas- 
cara et  ayant  7800  habitants,  dont  2900  français. 
Son  territoire  comporté  3012  hectares,  et  le  gros 
bourg  de  Nazereg^  à  cinq  kilomètres  au  nord, 
n'en  est  qu'une  annexe.  Les  eaux  sont  partout 
abondantes,  et  des  canalisations  multiples  irri- 
guent savamment  les  terres  dune  admirable  fé- 
condité. Les  arbres  de  toute  nature,  les  fruits, 
les  légumes,  les  céréales,  les  prairies,  les  vigno- 
bles eux-mômes,  tout  bénéficie  de  ces  sources  de 
fertilité,  tandis  que  les  travaux  de  culture  en 
tous  genres  sont  conduits  avec  les  méthodes  et 
les  instruments  les  plus  perfectionnés.  De  belles 
routes  nationales  rayonnent  soit  sur  Tiarety  soit 
surDayaetle  Telagh^  soit  but  Franchetti,  soit 
siup  Gêryville.  Elles  sont  bien  établies  et  bien  en- 


—  45  — 

trelenues,  sur  une  vingtaine  de  kilomètres;  mais 
plus  loin,  c'est  différent  et  quelque  peu  variable  . 
les  améliorations  de  grande  voirie  ne  se  font  pas 
en  un  jour. 

D'aulre  part,  Saïda,  en  tant  que  commune 
mixte,  compte  27,196  habitants,  sur  lesquels 
360  français  seulement;  la  grosse  masse  se  com- 
pose donc  d'indigènes  et  d'Espagnols  ;  ces  der- 
niers sont  du  reste  nos  maîtres  dans  Tart  de  la 
culture  et  des  irrigations,  tandis  que  nous  sommes 
leurs  initiateurs  pour  les  bonnes  méthodes  et  les 
meilleurs  outillages. 

De  la  commune  mixte  qui  comprend  au  total 
496.570  hectares  en  superficie,  dépendent  au 
Nord,  dans  la  direction  de  Mascara  et  de  Sidi^ 
hel-AhèSy  les  villages  de  Charrier^  Franchetti^ 
les  Eauœ^chaicdeSy  El-Beida^  El-may^  Mouleï- 
Abdel-Kader  ;  au  sud,  sur  les  plateaux,  avec 
une  étendue  de  soixante  kilomètres  plus 
loin,  les  villages  de  Tafaroua,  Kralfallah,  et 
Modzhah. 

Les  marchés  quotidiens  sont  abondamment 
pourvus,  et  le  grand  marché  hebdomadaire  du 
dimanche,  pour  les  bœufs,  chevaux,  chèvres  et 
moutons  notamment,  offre  une  vive  animation. 

La  garnison  est  constituée  par  le  deuxième 
régiment  étranger. 


—  46  — 

'•  IL   —  L'ACCÈS  DES  HAUTS  PLATEAUX. 
AIN'EL-HADJAR,  —  LES  MAALIFS 

Pour  sorlip  de  Saïdaet  aborder  les  Hàuts-Pla- 
teaux,  le  chemin  de  1er  s'achemine  par  de  longs 
circuits,  à  flanc  de  monta£çne,  et  ne  s'en  tire 
qu'avec  peu  de  charge",  à  petite  allure  et  avec 
double  locomotive  ;  sur  un  premier  échelon,  il 
fait  station  à  Aïn-eUHadjar  (la  source  déroche), 
riche  village  aux  belles  cultures,  grâce  à  ses 
eaux  bienfaisantes  qui  se  déversent  dans  Voiced 
Saïda  et  coulent  aunord  ;  destroupesde  discipli- 
naires y  sont  cantonnées.  C'est  presque  un  fau- 
bourg de  Saïda,  dont  il  n'est  séparé  que  par  onze 
kilomètres. 

On  aura  encore  à  monter  pour  atteindre  les  pla- 
teaux proprement  dits,  cesimmensesetdésolées  so- 
litudes, sans  arbres,  sans  eaux,  sans  êtres  vivants 
hormis  quelques  flamants  ou  cigognes  à  pro- 
ximité de  chotts  desséchés  dont  les  cristaux  salpê- 
tres brillent  en  mirages  décevanis.  C'est  un  spec- 
tacle eflFroyablement  triste  qui  se  déroule  durant 
des  heures  et  des  heures,  et  on  se  prend  à  admi- 
rer cette  force  impassible  de  la  vapeur,  qui  peut 
vivre  et  agir  pendant  des  centaines  de  kilomètres, 
au  travers  de  ce  Bled  où  rien  ne  vit,  où  rien  ne 
peut  vivre;  et  ainsi  se  poursuivra  la  route  morne 
et  sans  incident,  jusqua  AinSefra,  à  plus  de 


—  47  — 

deux  cent  quarante  kilomètres  au  sud  de  Saïda, 

Qu'importe  le  nom  de  multiples  stations  qui  ne 
correspondent  à  aucun  centre  de  vie,  et  qu'accos- 
tent de  minuscules  jardinets  par  lesquels  on  peut 
constater  rinfructueux  effort  de  Thommer  contre 
le  Simoun,  le  Sirocco,  le  sable  et  la  sécheresse  ! 
Que  penser  des  familles  de  pauvres  diables  qui, 
placides,  sont  confinés  dans  ces  stations  du  petit 
désert!  La  vérité  oblige  à  dire  cependant,  qu'on 
les  voit  entourés  de  nombreux  et  superbes  enfants. 

Parmi  Thorreur  du  Bledj  sur  la  droite  de  la 
voie  ferréeelà  une'quinzaine  de  kilomètres  d'^ïn- 
eUHadjar^  il  existe  toutefois  un  point  élevé  des 
Hauts  Plateaux,  d'une  surface  de  vingt  mille 
hectares  environ,  qui,  en  moins  de  dix  ans, 
vient  de  se  transformer  en  un  riche  centre  de 
•  culture  et  de  colonisation  avancée.  Gomme  on  en 
parle  beaucoup  en  Oranie  et  également  à  Paris, 
il  convient  d'en  donner  l'aperçu. 

Les  Màalifs^  c'est  ainsi  que  se  nomme  cette 
portion  des  Hauts  Plateaux,  étaient  terre  de 
parcours  de  plusieurs  tribus  nomades  de  la 
Yacoubia  ;  les  anciens  cimetières  arabes  y  sont 
toujours  respectés,  et  Ion  y  voit,  de  temps  à 
autre,  apporter  après  cinq  ou  six  jours  de  marche 
dans  la  brousse,  des  cadavres  qui  reçoivent  la 
sépulture  au  champ  de  repos  des  aïeux. 

Il  y  a  unedouzaine  d'années,  les  frères  Zamora, 
maquignons  d'Aïn-el-IIadjar,  enquôtedo  parcours 


-  48  — 

OÙ  reposer  passagèrement  leurs  moutons  achetés 
plus  au  sud,  s'abouchèrent  avec  certains  indigè- 
nes des  Mâalifs  qui  reçurent  leurs  animaux  à 
des  conditions  débattues.  Le  jour  vint  où  ils  ache- 
tèrent un  lot  de  quelques  centaines  d'hectares, 
puis  un  autre,  puis  d'autres  encore,  tant  et  si 
bien  que,  de  proche  en  proche,  ils  s'étendirent  un 
peu  partout.  Ils  louaient  alors  aux  indigènes  ven- 
deurs ou  faisaient  cultiver  par  eux  ;  mais  en  môme 
temps  qu'ils  achetaient,  ils  revendaient  aussi, 
à  des  colons  capitalistes  de  Sidi-Bel-Abès,  de 
Saïda  ou  de  la  métropole,  avec  un  honnête  béné- 
fice :  l'hectare  de  terre  qui  leur  avait  coûté  de 
six  à  douze  francs,  ils  le  cédaient  à  cinquante, 
soixante  ou  même  cent  francs. 

C'est  ainsi  que  celte  surface  du  plateau  des 
Mâalifs,  d'environ  vingt  mille  hectares,  est  de- 
venue une  région  prospère  de  grande  culture,  et 
qu'elle  renferme  plus  de  vingt  exploitations  de 
premier  ordre,  d'où  sortent  chaque  année  des 
milliers  de  quintaux  de  blé  et  d'orge,  sans  comp- 
ter le  vin  et  les  autres  produits.  Tel  gros  proprié- 
taire possède  aux  Mâalifs  plusieurs  domaines 
différents,  d'une  con  lenance  variable  de.trois  cents 
à  deux  mille  hectares.  De  loin  en  loin,  on  voit 
encore  quelques  Nezlas  (1)  d'indigènes  dont  les 

(I)  iV^s/ajgroupede  quelques  tentes  d'une  môme  tribu. —  Smala, 
réuDJon  détentes  plus  nombreuses.  —  Ifouar,  ensemble  d'un  campe- 
ment ou  cercle  de  tentes. 


—  49  — 

terres,  misérablement  traitées,  tranchent  parmi 
les  riches  récoltes  de  nos  colons.  Aussi  les  arabes 
continuent-ils  à  vendre  ou  mieux  à  louer  leurs 
terres  à  leurs  voisins  français,  qui  consentent  à 
amodier  douze  et  quinze  francs  Thectare  par  an, 
prix  payé  pour  Tachât  de  la  propriété,  il  y  a  une 
dizaine  d'années. 

Actuellement,  Tadministration  intervient  ;  le 
Conseil  général  a  aflPecté  une  somme  de  trente- 
cinq  mille  francs  à  rétablissement  d'une  roule 
qui  traversera  les  Mâalifs,  et  reliera  Daya  ou 
peut-être  Ras-el-Ma^  avpc  Marhoum  qu'une  pe- 
tite voie  ferrée  rattache  à  la  grande  ligne  du 
sud  Oranais  (à  Kralfallah),  tandis  que  de  Raz-el- 
Ma  à  Sidi-Bel-Abbès,  existe  déjà  une  section  de  la 
ligne  ferrée  tendant  d'Oran  à  Tlemcem  ;  on  parle 
de  créer  un  Centre  avec  bureau  de  poste,  maison 
d'école,  service  médical,  fonctionnaires  du  fisc 
et  autres...  Le  principal,  c'est-à-dire  la  mise  en 
valeur  par  la  colonisation  privée  et  indépendante 
étant  uiî  fait  acquis,  l'administration  intervient 
pour  seconder  TefiFort  du  colon,  sans  oublier  son 
organisation  fiscale  et  poli  tique  ;  approuvons,  sans 
commentaire  ;  cela  est  mieux  à  tous  égards  que 
les  essais  de  colonisation  administrative  qui  ne 
comptent  guère  que  d'onéreux  insuccès. 

Dépeindre  une  grande  ferme  des  Màalifs,  c'est 
les  dépeindre  toutes  :  un  très  vaste  quadrilatère 
est  formé  par  les  bâtiments  d'habitation  et  les 


^  oO  — 

écuries,  porcheries,  grangeages  et  hangars  ;  de 
nombreux  logements  aménagés  pour  les  ouvriers 
divers,  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  occupent 
une  partie  deTenceinte,  sansouverture  extérieure, 
hors  deux  grandes  portes  charretières,  soigneuse- 
ment fermées  à  la  nuit.  Un  ou  deux  puits,  dans 
la  cour,  fournissent  Teau  nécessaire  que  Ton 
rencontre  à  des  profondeurs  qui  varient  de  dix  à 
quatre-vingts  mètres,  suivant  la  nature  des  sous- 
sols.  L'eau,  claire  et  fraîche,  est  toujours  plus  ou 
moins  salpôtrée  ;  mais  les  animaux  ne  s'en  trou- 
vent pas  mal,  et  les  hommes  la  supportent,  bien 
qu'elle  soit,  pour  certains  tempéraments,  légère- 
ment purgative.  L'amertume  saline  qu'elle  laisse 
aux  lèvres  et  à  Tarrière-gorge  empêche  qu'on  en 
abuse  ;  à  la  vérité  moyennant  cinq  centimes  du 
litre,  au  plus,  on  boit  un  excellent  vin,  succédané 
pratique  et  salutaire  pour  ceux  qui  n'aiment  pas 
Teau. 

Le  sol  est  un  terrain  crétacé,  calcaire,  où  Ton 
rencontre  superficiellement  des  pierres  ou  roches 
friables  qui  se  délitent  rapidement,  du  fait  de  la 
culture.  Quelques  rognons  composés  d'autres  élé- 
ments, résistent  seuls  à  Taction  deTair,  de  Teau 
et  du  soleil.  Mais  le  sous-sol  présente  des  veines 
extrêmement  variables,  passant  de  la  marne  à 
Targile,  des  couches  végétales  profondes  à  des 
blocages  de  cailloux  roulés. 

Tous  les  colons  des  Mdalifs  sont  puissamment 


—  oi  — 

outillés  ;  ils  ont  les  lourdes  charrues  pourdéfon- 
çages  ;  d'autres  à  quatre  ou  six  fers  jumeaux 
pour  les  ensomençures  ;  ils  ont  des  faucheuses, 
des  moisonneuses  lieuses,  dés  batteuses  à  vapeur, 
etc.  Ils  devraient  employer  les  batteuses  à  pétrole 
qui  leur  donneraient,  avec  l'avantage  d'un  poids 
plus  léger,  Téconomie  du  charbon  de  terre  et  de 
l'eau,  choses  rares  et  coûteuses,  difficiles  parfois 
à  se  procurer  au  moment  voulu. 

La  flore  naturelle  au  plateau  des  Màalifs 
montre  principalement,  parmi  une  herbe  courte 
très  favorable  aux  moulons,  quelques  touffes 
d'alfa,  le  thym,  le  serpolet,  le  bouton  d'or,  le 
sainfoin  sauvage,  et  une  sorte  d'artichaut  qui 
vient  au  raz  du  sol  et  constitue  un  bon  comesti- 
ble pour  rhomme.  Les  frères  Zamora  avaient 
sans  doute  jugé  du  sol  d'après  sa  flore  naturelle, 
et  ne  s'étaient  pas  trompés  en  l'estimant  bon  à 
mettre  en  valeur. 

Le  climat  est  salubre  et  en  général  exempt  de 
fièvres  ;  mais  à  raison  de  l'altitude  la  température 
est  plus  basse  en  hiver  que  sur  le  littoral,  bien 
que  l'on  soit  à  près  de  trois  cents  kil.  plus  au  sud 
que  sur  les  côtes  de  la  Méditerranée.  Il  n'est  pas 
rare,  par  les  temps  de  neige,  de  voir  le  thermo- 
mètre accuser  huit  à  dix  degrés  au-dessous  de 
zéro,  ni  en  été,  par  le  sirocco,  de  le  voir  dépas- 
ser quarante-cinq  degrés  de  chaleur.  La  nuit, 
les  soirées  et  les  matinées  sont  toujours  fraîches, 


—  52  — 

grâce  à  l'intensité  du  rayonnement  nocturne  ;  il 
y  a  même  des  rosées  abondantes  qui  suppléent 
au  manque  de  pluies.  Au  mois  de  mai  1902,  on  a 
enregistré,  très  exceptionnellement,  une  gelée  de 
sept  degrés  qui  a  perdu  toutes  les  récolles.  Les 
semailles  se  font  avant  Thiver,  pour  le  blé,  Torge 
et  Tavoine  successivement  ;  tout  est  terminé  au 
cours  de  décembre,  et  la  récolte  se  fait  en  juin. 
Une  tige  de  blé  dur  ou  d'orge  peut  atteindre  et 
dépasser  deux  mètres  de  hauteur. 

Il  conviendrait  d'indiquer  avec  précision  la 
somme  d'eau  de  pluie  qui  tombe  annuellement 
sur  le  plateau  des  Mâalifs  ;  malheureusement 
les  observations  font  défaut  jusqu  a  présent.  A 
Geryville  (autrefois  El-Biod),  presque  à  la  môme 
latitude,  au  sud-est  du  Chott  ech  Cherguiy  le 
pluviomètre  indique  130  millimètres.  On  peut 
en  induire  qu'aux  Mâalifs  situés  un  peu  plus  au 
nord,  un  peu  plus  élevés  et  surtout  sillonnés 
dVuads  et  parsemés  deiï'rf/rA*{l),  le  pluviomètre 
en  accuserait  170  environ. 

Du  reste,  depuis  deux  ans,  on  assiste  aux 
Mâalifs  à  une  évolution  intéressante  dii  régime 
hydrographique.  La  planisphérie  étant  loin  d'être 
absolue,  il  existe,  à  côté  de  points  légèrement  cul- 
minants, des  sinus  ou  des  rides  qui,  dans  la  sai- 
son des  pluies,  permettent  l'écoulement  des  eaux; 

(1  ]  IVdirs,   baâ-fonds  marécageux,  fondrières. 


—  53  — 

en  certains  endroits,  sous  Tinfluence  de  sous-sols 
peu  perméables,  il  se  forme  des  Rdirs,  de  terri- 
bles fondrières,  qui  rendent  les  pistes  impratica- 
bles, et  dans  lesquelles  s'enlisent  mortellement 
les  bêtes  et  lesgens  qui  entreprennent  de  les  fran- 
chir. Nombre  de  carcasses,  après  le  retrait  des 
eaux,  attestent  les  accidents  survenus  dans  l'hiver 
précédent.  Depuis  deux  ans,  il  s'est  môme  formé 
deux  petits  lacs  que  de  mémoire  d'homme,  on 
n'avait  jamais  vus,  et  ces  lacs  conservent  leur 
eau  toute  Tannée,  rendant  pérenne  le  cours  de 
rOued  Torba,  un  des  petits  affluents  de  Toued 
Palette  qui  se  déverse  dans  le  Chott-ech-Gher- 
gui.  (1)  Si  cette  situation  nouvellese  continuaitpar 
la  suite  avec  fixité,  ce  serait,  du  fait  des  cultures 
actuelles,  une  source  nouvelle  de  fécondité  pour 
les  cultures  à  venir. 

(1)  Voici  les  noms  des  divers  oueds  qui  sillonnent  les  Mùalifs,  et 
ceux  des  oueds  plus  importants  qui  portent  leurs  eaux  jusqu'au 
Chotl  du  Kreiderou  Ech-Chergui  ;  Toued  Faid-er-Rechechia,  l'oued 
Oulad-er-Ral,  l'oued  Tourba,  l'oued  Rjella,  l'oued  Ouazèue,  l'oued 
Sidi-ei-Hadj-eUUabibj  l'oued  el-Hamara,  l'oued-el-Hasba  et  d'au- 
tres plus  petits  tousaffluentsde  l'ouedel-Falettelqui  se  jette  dans  le 
Chott-ech-Chorgui,  de  môme  que  l'oued  Meckerreg  qui  reçoit  les 
eaux  des  ouad^  Oum-el-Dou,  oued  abj-el-Razeg,  oued  Smar^  dans 
leurs  apports  temporaires  Un  barrage  aujourd'hui  ruiné  existe,  non 
loin  de  Marhoum,  au-dessous  du  point  de  jonction  de  l'oued  Hasba 
avec  l'oued  Palette,  à  l'altitude  de  4405  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer.  Si  ces  cours  d'eau  nombreux  avaient  ou  reprenaient  par 
la  suite  une  sorte  de  permanence  môme  relative,  il  y  aurait  de  très 
beaux  résultats  à  espérer  encore,  dans  cette  région  des  Hauts- 
Plateaux. 


—  54  — 

IIL  —LA  TRAVERSÉE  DES   HAUTS   PLATEAUX   - 
DE   SA  IDA  A   AIN   SEFRA 

L'ensemble  des  Hauts  Plateaux  s'étendant  du 
Maroc  à  la  Tunisieprésente  la  forme  d'un  parallé- 
logramme, orienté  du  S.  0.  au,N.  E.  et  d'environ 
240  kil.  de  larg.  sur  600  kil.  de  long.  Il  couvre 
une  superficie  de  onze  millions  d'hectares  dont 
les  vingt  mille  hectares  des  Mâalifs  ne  consti- 
tuent qu'une  bien  petite  partie.  L'examen  un  peu 
détaillé  qui  vient  d'être  fait  du  plateau  des  Mâa- 
lifs, a  eu  pour  but  d'abord  de  faire  connaître  lo 
plus  extrême  et  récent  effort  de  la  colonisation 
privée  dans  cette  immense  région  dite  du  petit 
désert  et  aussi  d'affirmer  nettement  que  ce  qui  a 
été  fait  aux  Mâalifs  ne  saurait  permettre  d'in- 
duire qu'on  en  peut  faire  autant  ailleurs  ;  on  l'a 
tenté  par  voie  décolonisation  administrative,  et 
les  exemples  fournis  à  Kralfallahetà  Bou-Ktoub 
notamment  ont  été  désastreux. 

Les  onze  millions  d'hectares  demeureront  long- 
temps, si  ce  n'est  toujours,  sans  autre  affectation 
possible  que  celle  d'un  maigre  parcours  ;  l'alfa  lui- 
môme  a  presque  disparu,  en  quelques  années  d'ex- 
ploitation avide  et  imprévoyante  du  fait  des  mer- 
cantis  et  de  leurs  ouvriers  arabes. 

La  région  des  Hauts  Plateaux  se  délimite  dans 


—  55  — 

les  provinces  d'Oran  et  d'Alger,  au  nord  par  les 
lignes  montagneuses  duDjbel  Djira  (1274*»),  des 
monts  de  Saïda  (HOO)  et  du  Bou-Rached  (1175), 
du  Djebel  Gaâda  (IbOO),  du  Djebel  Harroux  et 
des  montagnes  du  Kersou  ;  la  ligne  bordière,  au 
sud,  est  non  moins  nettement  tracée  par  le  Dje- 
bel Aissa  et  le  Djebel  Mekter,  le  Ras  Ghergui 
(212P),  les  montagnes  des  Ksours  (2130),  le  Dje- 
bel Amour  (1960),  le  Djebel  Antar  (1460)  et  les 
monts  des  Ouled-Naïls  (1350);  mais  dans  la  pro- 
vince de  Gonstantine,  la  ligne  montagneuse  s'at- 
ténue ;  le  Tell  d'un  côté,  le  Sahara  de  Taulre,  se 
succèdent  insensiblement. 

Les  Hauts  Plateaux  forment  donc  une  ligne  de 
démarcation  absolue  pour  le  versant  des  eaux,  et 
Ton  admet  que  c'est  à  Mekalis  (1311"*}  que  se 
trouve  leur  point  culminant.  Au  nord  les  eaux  se 
déversent  dans  la  Méditerranée,  au  sud  elles  fuient 
vers  les  Ghotts  et  de  là  dans  le  Sahara,  disparais- 
sant sous  les  dunes  de  sables,  et  créant  des  nappes 
souterraines  qui  vont,  très  loin,  former  des  ma- 
récages que  l'on  rencontre  entre  Bourroum  et 
Tomboiœtou,  réserve  première  des  eaux  du  Nil  et 
du  Niger. 

Tous  les  explorateurs  du  Sahara  ou  de  TErg 
sont  unanimes  à  reconnaître  que  l'on  peut  par- 
tout obtenir  des  puits  artésiens,  lorsque  Ton  ne 
trouve  pas  de  points  d*eau  naturels.  Des  villes 
abandonnées,  des   oasis  presque  disparues,  du 


—  56  — 

fait  de  la  masse  sans  cesse  remontante  des  sables, 
du  sud-est  au  nord-ouest,  attestent,  qu'avant 
rinvasîon  arabe,  les  anciens  possesseurs  du  sol 
avaient  de  Teau  et  des  cultures. 

Peu  importe  à  TArabe,  qui  vit  de  transhvn 
mancsy  de  détruire  les  forêts  ou  de  négliger  l'en- 
tretien des  puits,  des  sources  ou  des  aqueducs  ; 
il  ne  compte  pas  avec  Tavenir  et,  quand  la  place 
n'est  plus  tenable,  il  va  plus  loin. 

Il  est  certain  que,  môme  en  face  du  désert  afri- 
cain, la  volonté  humaine  peut  dompter  la  nature  : 
la  dune  recule  alors,  bien  loin  de  s'avancer  ;  elle 
se  fixe  et  devient  cultivable  ;  Teau  réapparaît  là 
ou  elle  avait  disparu  ;  soit  au  Kreider,  soit  à  Aïn 
Sefra,  soit  à  Djenien-Bou-Rezg,  soit  môme  plus 
loin  encore,  Texemple  en  est  fourni  par  nos  pos- 
tes militaires  de  TExtrôme  sud. 

Il  convient  encore  de  mentionner,  au  point  de 
vue  hydrographique,  qu'une  certaine  portion  des 
eaux  pluviales  recueillies  par  les  Hauts  Plateaux, 
sur  la  lisière  nord,  principalement,  s'infiltre  dans 
le  sol  et  va  former  d'immenses  réservoirs  souter- 
rains dont  quelques-uns  s'échappent,  grâce  à  des 
fissures  de  la  roche,  du  côté  du  Tell  Oranais. 

Un  de  ces  lacs  intérieurs  peut  ôtre  visité  dans 
le  domaine  d'Aïn-el-Nazereg,  à  cinq  kilomètres 
de  Saïda,  sur  la  route  de  Ttaret,  On  y  accède  par 
un  vaste  entonnoir  naturel,  appelé  le  «  Trou  aux 
pigeons  »  ;  l'eau  s'échappe  ensuite,  à  la  base  de  la 


—  57  — 

monlagiie,  en  sources  puissantes  et  nombreuses, 
qui  fécondent  toute  la  région  (1). 

Ces  eaux  sont  douces  et  fraîches  à  Tinversede 
celles  qui  coulent  à  découvert  sur  les  plateaux, 
ou  qui  proviennent  des  puits  que  Ton  y  creuse, 
car  celles-ci  sont  toutes  plus  ou  moins  saumâtres 
ou  amères  ;  c'est  donc  la  croûte  crétacée  du 
«  Bled  »  qui  renferme  les  principes  de  cette  sa- 
veur magnésienne  peu  agréable,  tandis  que  les 
sous-sols  plus  ou  moins  profonds  Ten  dépouillent. 
La  même  observation  a  été  faite  au  Sahara,  dans 
le  forage  des  puits  artésiens,  où  on  rencontre 
souvent  plusieurs  nappes  d'eau  diflFéren tes  suivant 
les  diverses  profondeurs  que  Ton  atteint  successi- 
vement :  les  premières  sont  chaudes  et  saumâ- 
tres, les  dernières  agréables  et  fraîches. 

On  ne  saurait  trop  faire  ressortir  Timpression 
pénible  qui  élreint  le  cerveau  et  le  cœur,  durant 
cette  traversée  de  24  0  kilomètres,  qui  sépare  Saïda 
du  posle  sud  de  Am^Sefra  (2).  Ces  immensités 
désertes  rebelles  à  toute  existence,  sans  autres 
oiseaux  que  quelques  «  charognards  »  cherchant 
leur  vie  dans  la  région  de  la  mort,  écrasent  d'un 
poids  louM  le  voyageur  favorisé  aujourd'hui 
par  le  confort  des  chemins  de  fer.  Que  devait- 
on  éprouver  naguère  !  quelles  souffrances  n'ont 

(1]  Il  en  est  de   môme  pour  les   cascades  de  Ttgriad  (28  k.  de 
Saida)  et  en  d'autres  lieux. 
(2)  La  source  jaune. 

5 


—  58  — 

pas  supportées  nos  preinières  troupes  en  marches 
par  étapes  1 

C'est  cependant,  au  centre  de  ces  horreurs  du 
Bled  qu'apparaît,  comme  un  sourire  trop  court, 
le  Kreider,  poste  militaire,  occupé  par  le  1^^ Ba- 
taillon d'Afrique.  Ici  les  officiers  avec  leurs 
hommes  (que  Ton  nomme  communément  les 
Joyeux  ou  les  Batts'd'Af)  ont  su,  parleurs  pro- 
pres moyens,  réaliser  des  merveilles.  Ils  ont  méta- 
morphosé la  nature  ;  les  eaux  rares  et  saumâtres 
sontdevenues  douces  et  abondantes:  elles  fournis- 
sent en  permanence  480  litres  à  lamînute  actuelle- 
ment, et,  la  source  (1)  Aïn-el-Kreider  sert  à  tous 
les  besoins  :  à  un  hammam  et  à  une  piscine  pour 
la  baignade  des  hommes,  aux  irrigations  pour  les 
jardins  de  fleurs  et  de  légumes  et  môme  pour 
les  pâturages,  car  il  y  a  des  pâturages,  et  il  y 
aura  des  vaches,  avec  du  iaît  frais,  si  tant  est 
qu'elles  n'y  soient  déjà.  Bien  plus,  les  «  Bats- 
d'Af  »  ont  obtenu  un  bois  de  quarante  hectares 
environ  qu'ils  appellent  «  le  Bois  de  Boulogne  » 
dont  les  allées  ombreuses,  avec  Teau  qui  ruisselle 
partout,  ont,  pour  quelques-unes,  quinze  cents 
mètres  de  longueur  !  Les  Joyeux  sont  fiers  de 
leurs  œuvres,  comme  ils  le  sont  de  leur  glorieux 
Drapeau  de  Mazagran,  loque  admirable,  percée 
par  des  centaines  de  balles  ennemies,  et  qui, 

(\)  Source  verte,  à  cause  desjoocs  qui  reotourent. 


—  59  — 

depuis  1840,  demeure  une  relique  vénérée- 
Au  Kreider,  le  poste  militaire  qui  comprend 
un  eJBfeclif  de  460  hommes  de  troupe  commandés 
par  quatorze  officiers,  constitue  à  vrai  dire  la 
seule  population  ;  il  y  a  bien,  en  dehors  des  re- 
doutes, une  sorte  de  village  renfermant  168  per- 
sonnes de  Télément  civil  ;  soit  80  français,  19 
espagnols  et  69  indigènes  de  race  nègre,  berbère, 
ou  arabe  ;  mais  sur  le  chifi^re  total  il  n'y  à  que 
cinquante-trois  hommes  et  environ  40  femmes  ; 
le  surplus  représente  soixante-quinze  enfants  de 
Tun  ou  l'autre  sexe.  La  natalité  reste  au  profit  des 
Français  surtout,  employés  de  chemin  de  fer  ou 
petits  négociants.  Il  est  évident,  par  ce  dénom- 
brement môme,  que  l'élément  civil  disparai- 
trait  le  jour  où  la  garnison  du  Kreider  viendrait 
à  être  supprimée.  Il  ne  peut  y  avoir  au  Kreider 
aucune  colonisation  dans  le  sens  agricole  ;  or, 
sans  industrie  ou  sans  agriculture,  rien  ne  peut 
fixer  le  colon. 

En  dehors  des  trente  ou  quarante  hectares  de 
sables,  de  joncs  et  d'alfas  transformés  depuis 
vingt  ans  en  jardin  riant  et  vert,  la  solitude  dé- 
sertique se  montre  sans  transition  ;  Tœil  se  lasse 
de  nouveau  à  rechercher  quelque  point  d'eau, 
quelque  verdure.  Une  diversité  nait  au  passage 
du  «  Cholt-ech-Chergui  »  par  le  milieu  duquel 
la  voie  ferrée  s'engage  à  travers  des  lagunes  ; 
mais  ce  Ghott,  qui  s^étale  à  droite  et  à  gauche  sur 


—  GO  — 

une  longueur  de  120  kil.  environ,  est  d'un  aspect 
plus  désolant  peut-àlre  que  celui  des  sables  et 
des  alfas  ;  sa  surface  desséchée,  sauf  quelques 
marigots  sans  importance,  étincelle  au  soleil  et 
crée,  à  certains  jours,  les  mirages  trompeurs  ; 
les  cristaux  de  gypse  et  de  sel  y  forment  une 
couche  si  épaisse  qu'on  peut  les  relever  à  la  pelle. 
Cependant,  aux  approches  de  Mèchêria  (1158°* 
d'allitude),  un  horizon  de  montagnes  apparaît 
dans  le  lointain,  avec  des  lignes  sinueuses  et 
jaunâtres  à  la  base  ;  ce  sont  celles  du  Djebel  An- 
tar  etdu  Djebel  Amour  ;  un  ou  deux  points,  d'un 
vert  d'une  invraisemblable  violence  démontrent 
Texislence  de  petitesoasis.En  môme  temps  des 
troupeaux  démoulons,  des  bandes  de  chameaux  au 
pâturage,  quelques  caravanes  qui  passent,  mar- 
quent une  sorte  d'approche  vers  la  vie  relative, 
possible  en  tous  cas.  C'est  que  la  traversée  des 
Ilauts-plateaux  va  prendre  fin,  et  que  les  trois 
cents  kilomètres  du  petit  Désert  seront  bientôt 
franchis  (1),  c'est  qu'on  est  près  d'Aïn-Se/ra 
(lOTb"  d'altitude).  Ici  va  commencer  une  région  , 

différente,  mais  non  moias  menaçante,  la  région  | 

des  immensités  de  sables  mouvants  et  des  dunes  i 

que  bordent  et  dominent  à  l'ouest  les  montagnes  i 

(I)  Do  Saïda  à  Ain-Sefra,  onze  gares  ou  slations  ont  clé  ren- 
contrées. Voici  leurs  noms  :  Ain-el-Uadjar,  Boa-Rîched,  Tafaroua, 
Krallaliah  Modzbah,  El-Kreider,  Bou-Kloub,  E'.-Biod,  Méchéria, 
Na&ma-Mekalis,  Àlo-Sefra.  Tolal  401  kiloraôtros. 


—  61  — 

volcaniques  de  la  prétendue  frontière  marocaine, 
montagnes  d*aspect  noir  et  sinistre,  mais  plus 
sinistre  encore  par  les  tribus  debandils dont  elles 
sont  le  repaire,  et  qui  ne  viventque  pour  l'assassi- 
nat, le  meurtre  et  la  rapine. 

IV.   —   LA  RÉGION   DES  DUNES. 
AÏN-SEFRA.   DUVEYRIER.    LE  SAHARA. 

Aïn-Sefra  se  présente  donc,  à  la  limite  sud  des 
Hauts-Plateaux  au  milieu  des  dunes  de  sables 
rouges  ou  jaunes;  un  centre  européen  déjà  vaste, 
avec  de  grandes  rues  bordées  d'arbres  et  en  coupe 
géométrique,  une  très  importante  redoute  aux 
murs  crénelés,  aux  angles  bastionnés,  conte- 
nant, avec  les  casernes,  un  hôpital,  des  magasins 
et  des  logements  d'officiers  ;  une  rivière  souvent 
sans  eau  et  parfois  torrentielle;  un  ksar  indi- 
gène et  une  oasis  assez  médiocre,  voilà  de  quoi 
se  compose  la  ville  d' Aïn-Sefra,  créée  depuis 
vingt  ans  et  actuellement  résidence  d'un  général 
commandant  le  cercle  militaire  de  Textrème  sud 
oranais. 

Disons  comment  nous  avons  été  amenés  à  quit- 
ter Saïda,  puis  le  Kreider,  pour  porter  notre  pos- 
session d'avant-postesàcetle limite  du  petildésert, 
au  seuil  du  Sahara. 

Le  trop  célèbre   Bou-Amama,  un   faux  ma- 


—  62  — 

rabout,  d^origine  1res  douteuse,  excitait  depuis 
1875  les  indigènes  des  Ksours  à  spéculer  sur 
notre  apparente  faiblesse.  Sa  Koubba  de  Moghrar^ 
Foiikani  fut  un  centre  d'insurrection,  et,  en  mai 
1881,  après  l'assassinat  impuni  du  lieutenant 
Weinbrenner,  son  audace  le  conduisit  à  entraîner 
ses  partisans  dans  une  course  de  pillage  et  de 
meurtres  jusqu'aux  portes  de  Saïda  ;  il  brûla  les 
chantiers  de  À>a//a?/a/^  massacra  les  al  fatiers  es- 
pagnols,et,  chargé  de  butin,  repassa  le  Chott-ech- 
Chergui ,  p  resque  en  vue  de  nos  soldats  i mpuissan  ts 
du  Kreider,  puis  il  disparut  dans  l'extrême  sud. 
A  sa  poursuite,  nos  colonnes  traversèrent  le  Bled 
et  peu  s'en  fallut  que  nous  fissions,  à  Moghrar^  la 
capture  de  Bou-Amama;  mais  il  réussit  à  s'échap- 
per, et  se  réfugia  à  Figitig  où  il  était  reconnu 
comme  chef  religieux.  De  là  il  continua  à  harce- 
ler nos  tribus  soumisesetnoscaravanes.  Mais  pen- 
dant ce  temps,  notre'chemin  de  fer  progressait  avec 
une  activité  fiévreuse,  à  raison  de  un  kilomètre 
par  jour,  et  venaitbientôtrelier  Aïn-Sefraà  Saïda. 
Puis  nous  allâmes  plus  loin  pour  enserrer  et  sur- 
veiller Figuig  et  les  menées  de  Bou-Amama. 
Aussi,  notre  vieil  ennemi  a  quitté  la  place  ;  tou- 
jours dangereux,  il  s'est  replié  à  cent  (rente 
kilomètres  plus  loin,  dans  le  sud,  aux  alentours 
de  N'Sissa,  où  de  nombreux  .partisans  le  suivent 
encore,  dit-on. 
C'est   do  celte  façon,  et  pour  ainsi  dire  à  la 


—  63  — 

poursuite  de  Bou-Amama,  que  noire  voie  ferrée 
a  quille  peu  à  peu  son  nouveau  point  terminus 
d'Aïn-Sefra  (/i54  kil.d'Oran)  et  qu'il  marche  à  pré- 
sent en  exploitation  régulière  jusqu'à  Duveyrier 
(572  kil.)  après  avoir  franchi  des  dunes  etabordé 
le  flanc  abrupt  des  hautes  montagnes  qui  les  do- 
minent à  l'ouest,  du  côté  du  Maroc,  le  Djebel  Aïssa , 
le  Djebel  MeckteretleRas-Chergui  notamment. 

Le  centre  tout  nouveau  de  Duveyrier  comple 
deux  finnées  d'existence  ;  il  est  situé  en  pleine 
région  des  sables.  Des  constructions  hâtives  sur- 
gissent en  grand  nombre,  qu'occupent  des  mer- 
cantis  cosmopolites  vivant  dans  le  sillage  de  nos 
troupes  ;  une  redoute  spacieuse  renferme  une 
garnison  importante  constituée  par  la  légion 
étrangère  :  il  y  existe  aussi  un  entrepôt  franc 
pour  les  marchandises  destinées  à  Texlrôme  sud 
ou  en  provenant.  Doit-on  penser  que  Duveyrier 
non  plus  que  les  dix  stations  réparties  au  long  de 
la  voie  depuis  Aïn-Sefra deviendront  jamais  des 
centres  de  colonisation  ?  Ce  serait  imprudent  de 
le  croire  ou  de  Tespérer,  bien  que  quelques  oasis 
perdues  dans  les  sables  apparaissent  çà  et  là,  telles 
que  celle  de  Tyoutj  dont  on  peut  visiter  leKsar, 
avec  l'assurance  du  bon  accueil  qu'y  réserve  aux 
Français  l'Agha  Ben-Moulei  ;  celle  de  Moghrar- 
Foukani  et  celle  de  Moghrar-Tatani  (1)  ;  mais 

(\)  Moghrar  le  Haut  et  Moghrar  le  Bas. 


/ 


—  64  — 

Taspect  des  rares  indigènes  révèle  la  misère  ;  la 
malpropreté,  les  infirmités,  les  ophtalmies,  les 
maladies  de  toutes  sortes,  les  rongent.  En  dehors 
du  souci  de  notre  défense,  nous  n'avons  rien  de 
bon,  rien  d'utile,  rien  de  pratique  à  rechercher 
là  bas. 

Il  faut  pourtant  mentionner  les  différences  no- 
tables, au  point  de  vue  géologique,  qui  séparent, 
à  première  vue,  cette  région  encore  bien  désolée, 
de  celle  plus  désolante  encore  que  l'on  nomme  les 
Hauts  Plateaux,  et  qui  a  pris  fin  aux  dunes  de 
sable  d'Aïn-Sefra. 

Les  montagnes  sombres  et  sinistres  que  Ton  cô- 
toie du  côté  du  Maroc  sont  la  suite  du  soulèvement 
volcanique  qui  marque  notre  frontière  depuis 
Owrf;V?a  jusqu'à  Sebdoii  ;  le  gyspe,  le  sel,  y  ap- 
paraissent à  découvert  ;  les  pierres  granitiques 
portent  Tempreinle  de  végétaux  carbonisés,  et 
l'on  sait  que  près  d'AdJardy  dans  un  terrain 
tertiaire  moyen,  d  assez  beaux  dépôts  de  lignite 
se  sont  ainsi  manifestés.  De  môme  les  richesses 
minières  de  cuivre,  de  plomb  argentifère,  de  fer, 
sont  à  peu  près  certaines  ;  mais  nous  ne  somme? 
pas  à  l'heure  où  le  piolet  du  géologue  se  sentira 
à  Taise  pour  des  recherches  scientifiques  ou  in- 
dustrielles dans  une  région  où  règne  Tinsécurité 
la  plus  absolue.  De  même  les  tranchées  pratiquées 
pour  rétablissement  ou  Tassainissement  de  la 
voie   ferrée  montrent  des  terrains  de    culture 


—  65  — 

(lorsqu'ils  exîslenl),  d'une  toute  autre  nature 
que  les  surfaces  du  Bled  ;  des  ouads  nombreux 
ont  sillonné  les  flancs  de  la  montagne  et  se 
poursuivent  assez  loin  dans  les  plaines  de  sable 
pour  donner  une  vigueur  relative  à  la  végélalion  ; 
on  voit  des  ari)res,  des  arbustes  et  même  quelques 
palmiers  venus  d'eux-mêmes  ;  peu  d'alpha,  ce 
qui  implique  un  sol  marneux  à  quelque  profon- 
deur. Bref  la  (erre  que  Ton  voit  témoigne  d'une 
certaine  richesse  et  les  jardins  qui  avoisinentles 
gares,  bien  que  de  toute  récente  création, font  éta- 
lage d'une  splendide  végétation.  Il  n'en  était  pas 
de  môme  dans  le  Bled. 

Quant  à  laspect,  absolument  inédit  d'une 
gare  entre  Aïn-Sefra  et  Duveyrier,  il  est  curieux 
et  mérite  d'être  noté.  Une  gare  est  un  fortin, 
avec  cour  intérieure  qu'enferment  de  hautes 
murailles  crénelées.  Aux  angles  sont  des  échau- 
guettes  avec  mâchicoulis,  tandis  que  des  épaule- 
ments,  avec  chemins  de  ronde,  sont  établis  der- 
rière les  murs  ;  remployé  de  gare  porte  à  la 
ceinture  une  panoplie  sérieuse  de  pistolets  et  de 
coutelas,  et  son  bâton  de  commandement  est 
un  Lebel  armé;  du  reste  lorsque  le  train  est  en 
marche,  on  peut  voir  de  dislance  en  dislance, 
sur  la  droite  et  sur  la  gauche  de  la  ligne,  des 
cavaliers  arabes  de  nos  goums  qui,  fusil  à  la 
main,  sondent  du  regard  les  rochers,  les  ravins 
et  les  touffes  de  lentisques  ;  celle  peinture  som- 


—  66  - 

maire  fait  assez  pressentir  que  la  contrée  n'est 
pas  sûre. 

Et  au  surplus  depuis  le  voyage  de  la  fameuse 
mission  franco -marocaine,  qui  devait  tout  arran- 
ger en  ramenant  la  sécurité  pour  l'avenir,  dans 
ces  régions  maudites,  un  simple  aperçu  des 
«  faits  divers  »  semblera  concluant  :  En  moins 
d'un  mois,  un  travailleur  delà  voie  a  été  tué  ;  un 
spahi  blessé  grièvement;  les  capitaines  Gra- 
tien  et  de  Gressein  assassinés  au  pied  du  Djebel- 
Beni-Smir  par  les  quatre  frères  Ben-Kellouch 
qui  affûtaient  innocemment  la  panthère  en  plein 
midi  1  Le  légionnaire  Shwartz  a  été  assassiné 
également  ;  deux  jours  après,  six  chameaux  ont 
été  volés  nuitamment  dans  le  village  môme  de 
Duveyrîer,  et  trois  ou  quatre  morts  d'hommes 
s'en  sont  suivies  pour  reprendre  aux  bandits  leur 
butin  dans  lequel  on  trouva  les  effets  militaires 
du  malheureux  Schvartz.  Enfin,dans  la  première 
semaine  de  mai,  un  Djich  de  quinze  Marocains 
enleva  un  convoi  de  seize  chameaux  conduit  par 
des  Arabes  du  douar  d' J?/-J/^n/a,  nous  tuantqua- 
tre  hommes,  en  blessant  deux  autres,  et  cinq  cha- 
meaux restés  sur  place. 

C'est  ainsi  que  les  faits  se  succèdent  chaque 
jour  en  face  de'  nos  troupes  immobiles  et  silen- 
cieuses par  ordre. 

Souhaitons  que  cette  série  rouge,  interrompue 
ici  très  volontairement^etsanscommentairesépiso- 


—  67  — 

diques,  soit  effectivement  close ,  mais  il  n'y  a  pas 
lieu  de  l'espérer  (t). 

Au  cours  d'avril  dernier,  M.  Hanotaux,  ancien 
ministre,  et,  après  lui,  M.  Etienne,  député  d'Oran 
et  vice-président  de  la  chambre,  ont  pu  s'appro- 
cher très  près  de  Figuig,  sous  l'escorte  de  deux 
cents  cavaliers  de  nos  spahis  et  de  nos  goums 
qui  formaient,  en  avant  de  ces  voyageurs  de  mar- 
que, un  rideau  protecteur.  Ces  procédés  d'explo- 
ration ne  sont  pas  à  la  portée  de  tous,  et  sont 
môme  rigoureusement  interdits  par  le  comman- 
dement du  cercle  militaire.  Hanotaux  et  Etienne 
y  ont  trouvé,  sans  aucun  doute,  la  sensation 
d'une  promenade  peu  banale  ;  mais  ils  n'y  ont 
rien  appris  d'inédit  (2). 

Le  vulgaire  doit  se  contenter  de  voir  Figuig, 
sa  position  et  ses  oasis  depuis  le  plateau  du  Raz- 
'el-Dib,  qu'on  atteint  de  Duveyrier,  en  moins  de 
vingt  minutes  (3}. 


(I)  Depuis  que  ces  lignes  sont  écrites  bien  d'autres  méfaits  ont 
été  commis. 

(2).  V.  Journal  du  6  mai  4902,  article  de'C.  Hanotaux. 

(3)  Les  vues  photographiques  d'ensemble  et  de  détail  abondent, 
ainsi  que  les  notes  et  plans  de  toute  sorte  sur  l'oasis  et  ses  ksours. 
Parmi  les  meilleures  de  toutes  ces  études  on  doit  citer  la  brochure 
du  comte  Henry  de  Castries^  ancien  capitaine  de  nos  missions  lo- 
pographiques,  brochure  qui  date  de  1892  et  à  laquelle  cependant 
il  a  été  peu  ajouté  par  de  plus  récents  travaux. 


—  68 


V.   —  LE    CHEMIN  DE  FER  TRANSSAHARIEN    OU 

LIGNE  DE  PÉNÉTRATION   DE  L'EXTRÊME  SUD 

ORANAIS.   LA  QUESTION  DE  FIGUIG. 

Ainsi,  nous  pénétrons  chaque  jour  de  plus  en 
plusavecuneacti  vile  fiévreuse,  dansTexlrême  sud 
Oranais  ;  après  avoir  quitté  Saïda,  dernière  sta- 
tion du  Tell,  à  171  kil.  d'Oran,  nous  nous  sommes 
lancés  dans  le  pelit  désert,  et  après  quelques 
arrêts  à  Modzhah^  puis  au  /fr^z'e/^r  (271  kil.)  nous 
avons  gagné  Aïn-Sefra  (/io4  k.)  ayant  traversé, 
dans  leur  largeur,  les  Hauts  plateaux  désertiques 
et  impossibles  à  habiter.  Au  delà  d'Aïn-Sefra, 
dix  stations  nouvelles  (1),  dans  les  dunes  et  dans 
les  sables,  nous  amènent,  par  des  trains  réguliers, 
àDuveyrier  (572  kil.  d'Oran)  ;  mais,  construite  ou. 
amorcée,  la  voie  ferrée  va  bien  plus  loin  ;  elle 
touchait  à  Beni-Ounif  en  mai  1902  et  doit  être, 
en  fin  d'année,  à  Igli  ou  à  Ben-Abbès,  peut-être, 
soit  à  400  kil.  au  sud  de  Duveyrier,  à  mille  ki- 
lomètres du  pofl  d'Oran,  et  à  près  de  quinze  cents 
kilomètres  encore  de  Tinibouctoii^  approximati- 
vement. Faudra- t-il  donc  que  nous  allions  jusque- 
là,  dans  des  régions  semblables  si  ce  n'est  pis,  à 

{\)  Stations  :  Tiout,466  k.;  Aïnel-Hadjadj,  478;  Rouiba,  489  ; 
Dia-esSââ,  500  ;  Moghrar,508  ;Oglats,  518  ;  Dayel-el-  Keich,530  ; 
Djenien  bou-Rezg,  539;  Hudjeral  n'Guil,  554  ;  Duveyrier,  572. 


-  60  - 

celles  qui  se  déroulent  inlerminablement  devant 
nous,  depuis  que  nous  avons  quitté  le  ïW/(lellus) 
à  Saïda  ?  .  • 

Voilà,  posée,  celte  question  du  Transsaharien, 
possible  ou  non,  pratique  ou  non,  utile  ou  insen- 
sée, sur  laquelle  on  fait  silence,  et  qui,  depuis 
longtemps  discutée,  n'est  pas  régulièrement  dé- 
cidée en  principe. 

La  construction  matérielle  n'est  rien...  qu'une 
énorme  question  d'argent,  avec  un  gros  coeffi- 
cient de  vies  humaines  parmi  les  travailleurs  de 
la  voie  et  parmi  nos  corps  de  troupes.  Mais  en- 
suite qu'en  fera-l-on  de  bon?qu'est-ce  que  vaudra 
Vaffaire  ?  diraient  nos  voisins  d'outre-Manche  ? 
Nous  sommes  éclairés  dès  maintenant  sur  les 
misères  de  VErg  et  du  Touat  ;  et  ce  ne  sont  pas 
les  Chotts  marécageux  de  Bourroum  près  de 
Timbouctou  qui  pourront  réaliser  le  rêve  des 
mines  d'or,  des  forêts  d'arbres  rares  hantés  par 
les  éléphants  et  des  terrains  riches  en  troupeaux 
ou  en  splendides  cultures.  Il  y  a  des  emballés  qui 
exaltent  l'idée  du  Transsaharien  ;  d'autres,  sur- 
tout parmi  ceux  qui  connaissent  la  région  autre- 
ment que  par  les  livres,  se  montrent  nettement 
pessimistes.  «  Nous  n'aurions  jamais  dû  aller 
«  jusques  où  nous  sommes,  disent-ils  ;  nous  ne 
«  pouvons  pas  reculer  maintenant,  mais,  pour 
«  Dieu,  arrêtons-nous  !  » 

Il  ne  peut  appartenir  qu'à  une  réunion  d'hommes 


1 


—  70  — 

de  très  variées  et  très  hautes  compétences,  tant 
générales  que  spéciales,  de  résoudre  les  si  gra- 
\a3s  questions  que  soulève  la  marche  progressive 
et  constante  de  notre  chemin  de  fer,  dit  de  pé- 
nétration, au  cœur  des  déserts  africains. 

D'autre  part,  il  y  a  uneautre  question  brûlante, 
en  cet4.e  affaire,  c'est  la  question  des  ksours  de 
Figuigy  foyer  d'insurrections  religieuses  et  indi- 
gènes, repaire  de  malfaiteurs  dangereux,  que 
notre  souci  des  traités  et  l'impuissance  du  Chérif, 
assurent  deVimpunité. 

Notre  voie  ferrée,  entre  Djenien-Bou-Rezg, 
Duveyrier  et  Beni-Ounif,  [a  donc  contourné  Fi- 
guig,  à  quelques  kilomètres  de  distance,  avec 
un  respect  que  les  ksouriens  ont  interprété  comme 
un  aveu  de  notre  faiblesse  ou  de  la  peur  qu'ils 
nous  inspirent.  Delà  la  multiplicité  de  leurs  mé- 
faits, vols,  assassinats,  etc..  Ils  viennent  impuné- 
ment dans  nos  stations,  sur  nos  territoires  recon- 
nus, se  renseigner  sur  les  caravanes  qui  passeront 
ou  les  voyageurs  peu  nombreux  qui  se  hasarde- 
ront ;  ils  préparent  alors  leur  embuscade  à  coup 
sûr,  puis  se  replient  dans  Figuig,  souillés  de 
sang  et  chargés  de  butin  ;  c'est  le  fait  divers  de 
chaque  jour.  Nos  soldats  et  nos  travailleurs  assas- 
sinés ;  nos  goumiers  fidèles  assaillis  avec  nos 
caravanes  ;  les  plus  odieux  forfaits  demeurent 
ainsi  sans  répression  ;  par  ordre  supérieur,  il  ne 
faut  pas  d'incidents. 


—  71  — 

Et  cependant  sur  la  question  de  Figuîg,  il  n'y 
a  qu'une  voix,  il  ne  peut  y  en  avoir  qu'une  :  les 
bandits  de  ces  ksours  sinistres  doivent  être  domp- 
tés, mis  dans  Timpossibilité  de  nuire,  soumis 
pour  toujours  et  soumis  à  la  France  ;  ce  devrait 
être  fait  depuis  longtemps. 

Très  sommairement,  en  voici  les  raisons  : 

La  région  des  ksours  et  oasis  du  Figuig,  autre- 
ment  dit  les  espaces  qui  appartiennent  aux  Ouled- 
Sidi-Cheick  Gharaba,  aux  Zenaga,  aux  Beni- 
Guil,  aux  Ouled-Gottib  et  autres,  n'a  jamais  ap- 
partenu au  Maroc,  avant  le  traité  de  Tanger 
que  nous  avons  imposé  au  sultan  de  Fez,  après 
notre  victoire  dlsly  remportée  par  Bugeaud,  le 
14  août  1844.  Lorsque,  le  18  mars  1845,  on  dé- 
termina, dans  ses  détails,  Tapplicalion  de  l'art.  V 
du  traité  qui  nous  donnait,  comme  frontière  du 
Maroc,  la  ligne  établie  au  temps  de  la  domination 
turque  sur  T Algérie,  une  grosse  erreur  fut 
commise. 

Le  colonel  de  Martimprey,  qui  était  chargé  de 
ce  travail  de  délimitation,  Tavoue  modestement 
dans  ses  mémoires. 

«  Mon  travail  était  facile  pour  le  Telly  écrit- 
ce  il,  mais  pourle  Sahara,  c'était  beaucoup  moins 
(c  clair....  »  Il  s'en  rapporta  donc  au  témoi- 
gnage du  Kaïd  de  Tlemcem  et  à  celui  de  Tagha 
delà  montagne  de  Touest  lesquels  certifièrent  que 
les  Ouled-Sidi-Ghoick-Gharaba    étaient   maro- 


—  72  — 

cains,   à    plus    forte    raison   les    Beni-Guil   et 
autres. 

Voilà  comment,  du  fait  de  noire  propre  erreur, 
les  ksoursfiguiguiens  sont  diplomatiquement  cen- 
sés appartenir  à  TEmpire  du  Maroc,  et  pourquoi, 
d'autre  part,  les  Figuiguiens  n'ont  jamais  ac- 
quiescé à  celte  convention  à  laquelle  ils  n'ont  pas 
été  partie.  Ils  ont  toujours  refusé  de  payer  le  tri- 
but au  sultan  de  Fez  ;  ils  entendent  être  indé- 
pendants, et  spéculent  sur  Téquivoque  de  la  situa- 
lion,  pour  piller  les  caravanes,  razzier  nos  tri- 
bus fidèles,  assassiner  nos  hommes,  se  souciant 
peu  des  menaces  et  des  injonctions  de  leur  pré- 
tendu seigneur  marocain. 

C'était  pour  mettre  fin  à  cette  situation,  que 
Taclion  diplomatique  fit  entrer  en  scène  la  mis- 
sion franco -marocaine  qui  opéra  en  mars  dernier 
(1902). 

Tout  esprit  indépendant  peut  juger  sévèrement 
la  nullité  du  résultat  atteint. 

Et  d'abord  ne  fut-il  pas  ridicule  de  voir  la  mis- 
sion chérifienne  se  transporter  sur  les  lieux  liti- 
gieux par  nos  chemins  de  fer  et  sous  la  protec- 
tion de  nos  troupes?  quand  elle  se  montra  dans 
Figuig  pour  y  lire  les  ordres  du  Sultan,  nos  sol- 
dats et  nos  officiers  étaient  présents  et  lui  don- 
naient du  courage;  mais  elle  en  ressortit  aussitôt 
avec  eux,  trouvant  plus  sûr  de  continuer  la 
diiscussion  à  Alger,  sans  essayer  l'efficacité  de  son 


—  73  — 

autorité  morale  sur  les  Figuiguiens  nettement 
hostiles. 

L'affaire  en  est  toujours  là* 

D'après  les  notes  officielles,  très  laconiques, 
le  but  de  la 'mission  franco-marocaine  était  : 
1°  de  notifier  aux  indigènes  des  ksours  et  aux 
nomades  de  la  région  la  situation  nouvelle  créée 
par  le  protocole  du  20  juillet  1901  ;  —  2**  de  les 
inviter  à  faire  leur  option  entre  la  dépendance 
au  Maroc  ou  la  dépendance  à  la  France  ;  et,  dans 
le  cas  où  elles  n'opteraient  pas  pour  la  France, 
de  les  inviter  àse  replier  hors  de  nos  territoires. 

—  La  proclamation  officielle  a  été  faite,  nous 
avons  dit  comment,  et  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en 
déclarer  satisfait,  ni  au  point  de  vue  du  Maroc, 
ni  à  celui  de  la  France  ;  pour  le  surplus  elle  n*a 
obtenu  aucun  résultat;  on  aurait  pu  s'en  douter, 
car  les  nomades  se  soucient  peu  d'un  protocole. 

—  On  convint  complémentairement  que  deux 
commissaires,  Tun  français,  l'autre  marocain, 
séjourneraient  simultanément  à  Figuig,  pour 
assurer  de  concert  la  police,  et  éviter  la  per- 
manence des  meurtres,  des  assassinats  et  des 
pillages  constants  du  fait  des  Figuiguiens. 

Le  commissaire  marocain  est  installé  dans  les 
ksours,  soi-disant  comme  maître  et  gouverneur 
(amal)  ;  mais  il  n'est  rien  moins  que  rassuré 
sur  sa  sécurité,  et  ne  se  fait  aucune  illusion 
sur  son  autorité.    Quant  à  notre  commissaire 

6 


—  74  — 

français,  lecapilaiiie  Ducloux,  la  prudence  de  ses 
chefs  a  exigé  qu'il  restât  hors  Figuig,  dans  le 
camp  français,  à  trois  kilomètres.  C'est  là  que, 
tous  les  deux  jours,  il  se  rend  dans  les  ksours, 
accompagné  de  deux  spahis.  Il  remplit  aveccrâ- 
neriesa  périlleuse  mission,  et,  un  jour  ou  l'autre 
il  y  trouvera  la  mort. 

En  fait,  cette  comédie  d'une  mission  franco- 
marocaine  n'a  pas  avancé  d*un  pas  vers  une  solu- 
tion pacifique  ;  les  nombreux  et  douloureux 
exemples  rapportés  en  bloc,  tous  postérieurs  à  la 
mission  et  s'échelonnant  sur  un  seul  mois,.sont 
une  réponse  suffisante  à  la  proclamation  du  proto- 
cole. Bien  mieux,  les  derniers  faits  de  pillage  avec 
morts  d'hommes^  ont  fait  ressortir  que  les  Djichs 
marocains  coupables  avaient  reçu  asile,  dans 
Figuig,  chez  Hamon-M'Amed-ben-Darit,  un  chef 
puissant  des  Zenaga,  qui  possède  une  belle  pano- 
plie de  carabines  et  fusils  Lebel  avec  plus  de  cinq 
cents  cartouches,  et  qui  donne  habituellement 
hospitalité  aux  plus  redoutables  bandits  des 
Beni-Guils.  Or,  M'Hamed-ben-Darit  est  le 
grand  ami  de  Tamal  marocain  de  Figuig, 
ce  gouverneur  tremblant  chargé,  depuis  la 
fameuse  mission,  d'assurer,  de  concert  avec 
le  capitaine  Ducloux,  la  sécurité  de  notre  fron- 
tière 1. 

La  conclusion  est  facile  à  tirer  et  si  officiellement 
on  ne  le  fait  pas  encore,  du  moins,  lorsque  Ton 


—  75  — 

a  le  droit  de  parler  librement,  on  la  connaît  et 
on  peut  la  faire  voir. 

Il  ne  manque  pas  d'hommes  éminenls  et  très 
au  courant  des  choses  africaines,  qui  estiment 
qu'il  eût  été,  qu'il  serait  encore  possible  de  trai- 
ter directement  avec  Bou-Amama,  l'instigateur 
principal  de  toutes  ces  résistances  et  de  tous  ces 
méfaits;  des  lettres  de  lui  font  voir  qu'on  ne  Teût 
pas  trouvé  irréductible  en  présence  de  certaines 
conditions  et  de  certains  honneurs.  Beaucoup  de 
grands  chefs,  parmi  les  Ouled-Sidi-Cheick,  nous 
ont  été  acquis  ainsi.  Peut-être  aussi,  Tinsuccès 
si  complet  de  la  mission  franco-marocaine  aura- 
l-il  pour  résultat  de  démontrer  au  gouvernement 
Chérifien  lui-même,  comme  à  la  diplomatie 
européenne  que  les  populations  indigènes  du 
Figuig  ne  se  soucient  à  aucun  degré  des  injonc- 
tions de  qui  que  ce  soit,  et  que  dès  lors  il  appar- 
tient à  la  France,  seule  en  cause,  d'assurer  la 
sécurité  de  ses  frontières  et  de  ses  sujets  contre 
des  tribus  malfaisantes  et  hors  la  loi. 

Alors  la  question  sera  vite  tranchée,  car  nos 
soldats  et  nos  tribus  fidèles  ne  sont  contenus  qu'à 
grand  peine  à  chaque  nouveau  méfait  des  Figui- 
guiens.  Peut-êlre  encore,  à  un  jour  donné,  les 
fusils  partiront  tout  seuls  et  Taffaire  une  fois  en- 
gagée, en  moins  de  deux  heures  de  lutte,  notre 
drapeau  flottera  sur  les  ksours  de  Figuig. 

D'un  avis  unanime,  on  conviendra  alors  que 


—  76  — 

tout  est  pour  le  mieux.  Il  eût  été  désirable,  que, 
depuis  plus  de  cinq  ans  celte  .solution  inéluctable 
fût  un  fait  accompli. 

Ces  dernières  observations  jettent  un  jour  un 
peu  sombre  sur  la  marche  de  notre  expansion 
coloniale  dans  Textrôme  sud  Oranais  ;  mais  c'est 
là  un  eflFet  ordinaire  de  l'examen  de  certains  dé- 
tails, et  nous  ne  devons  pas,  pour  autant,  perdre 
l'ensemble  de  vue. 

En  réalité,  un  immense  empire  français  se 
trouva  créé  et  confirmé,  en  cinquante  ans  à  peine, 
sur  la  rive  africaine  de  notre  grand  lac  méditer- 
ranéen. 

Notre  possession,  d'un  terriloire  cinq  fois  plus 
étendu  que  celui  de  la  France,  s'étale,  depuis  la 
mer  jusqu'au  seuil  des  hauts  plateaux,  et  sur  un 
littoral  de  près  de  deux  mille  kilomètres  de  lon- 
gueur, aussi  beau,  aussi  riche  que  celui  de  cette 
côte  d'Azur  si  merveilleuse  et  si  vantée.  La 
population  indigène  fîère,  difficilement  saisis- 
sable  et  que  sépare  de  nous  l'intransigeance  de 
rislam,  s'achemine  de  plus  en  plus  vers  une 
juxtaposition  loyale  de  notre  race  et  de  la  sienne, 
en  vue  d'une  entente  sincère  et  d'une  meilleure 
constitution  des  lois  qui  règlent  l'efibrt  commun. 

Le  double  but  à  atteindre,  dans  toute  œuvre 
colonisatrice,  est  la  conquête  des  hommes  en 
môme  temps  que  celle  du  sol  et  de  la  nature.  Or, 
si  Ton  envisage  l'ensemble  des  résultats  obtenus 


dans  le  Tell^  notre  œuvre  est  belle  et  forte;  nous 
avons  le  droit  d'en  être  fiers. 

N'étaient. les  menées  ténébreuses  des  «  Kha- 
dryas  (i)  »  marocaines,  les  misérables  ksouriens 
de  rexlrème  Sud,  Oranais  ou  Algériens,  vien- 
draient très  facilement  à  nous. 

Dijon,  le  21  mai  1902. 

Ladey  de  Saint-Germain 

(1)  Sectes  religieuses  de  propagande. 


PROMENADES  DANS  FLORENCE 


PROMENADES  DANS  FLORENCE 


Mesdames, 
Messieurs, 

Florence  a  été  entourée  de  tant  d'hommages, 
elle  a  été  si  souvent  célébrée  par  les  poètes,  si 
profondément  fouillée  par  les  historiens  et  parles 
artistes  qu'il  y  a  une  témérité  que  je  ne  me  dis- 
simule point  à  prétendre  en  évoquer  Timage  dans 
les  limites  étroites  d'une  courte  causerie.  Retracer 
en  quelques  mots  son  histoire  dont  les  plus  insi- 
gnifiants épisodes  ont  été  élucidés,  énumé'rer  avec 
sécheresse  ses  trésors  d'art  dont  les  moindres 
joyaux  ont  été  les  objets  de  minutieux  examens, 
serait,  sans  doute,  un  effort  vain  et  superflu; 
mais  vous  permettrez  à  un  voyageur  de  dire  sim- 
plement sous  quels  traits  s'est  offerte  à  ses  yeux 
une  ville  qu'il  aimait  par  avance  et  qui  lui  est 
devenue  plus  chère  du  jour  où  il  Ta  parcourue. 

Chaque  ville  a  sa  physionomie  banale  ou  Iran- 

7 


—  8^2  — 

chée,  tapageuse  ou  discrète;  celle  de  Florence 
est  singulièrement  captivante  et  je  voudrais  es- 
sayer, en  vous  entraînant  sur  les  bords  de  l'Arno, 
de  la  faire  surgir  devant  vous.  L'heure  est  favo- 
rable à  mon  entreprise.  Il  fut  un  temps  où  Flo- 
rence échappait  à  ses  visiteurs.  Le  Président  de 
Brosses  y  passait,  dédaigneux,  sans  en  soupçonner 
la  beauté.  Le  mouvement  qui,  au  dix-neuvième 
siècle,  nous  a  progressivement  éloignés  des  âges 
de  plénitude  pour  ramener  notre  attention  vers 
Taube  de  la  Renaissance,  a  nui  à  la  faveur  de  plus 
d'une  ville,  mais  a,  par  dessus  tout,  servi  Florence. 
La  décadence  politique  avait  commencé  pour  elle 
dès  le  siècle  de  Léon  X  ;  les  derniers  des  Médicis 
n'étaient  plus  les  prolecteurs  des  arts  qu'avaient 
été  leur  ancêtres,  et  les  ducs  de  Lorraine  qui  leur 
succédèrent  se  montrèrent  plus  indifférents  encore 
au  culte  de  la  beauté.  Nous  n'avons  pas  à  le  re- 
gretter. S'ils  avaient  embelli  la  ville  au  gré  de 
leurs  sujets,  ils  y  auraient  construit  des  édifices 
dont  la  vue  nous  choquerait  aujourd'hui  et  nous 
troublerait  dans  nos  méditations.  Examinez  à 
l'Opéra  du  Dôme  les  projets  qui  furent  conçus  aux 
dix-septième  et  dix-huilième  siècles  pour  la  façade 
de  la  cathédrale  qu'on  rêvait  d'achever  dans  le 
style  jésuite,  et  vous  vous  féliciterez  de  l'indiffé- 
rence qui  empêcha  de  les  réaliser. 

Privée  des  colonnes,  des  pilastres  et  des  volutes 
chers  aux  contemporains  de  Louis  XV,  Florence 


—  83  — 

traversa  ces  âges  emphatiques  sans  s'y  enrichir, 
surtout  sans  s'y  souiller  et  elle  garda  son  cachet 
archaïque  et  son  harmonie.  Nos  contemporains 
Tonl  vengée  amplement  des  dédains  du  passé.  A 
mesure  que  nos  regards  plongeaient  plus  avant 
dans  les  périodes  où  se  constitua  Tart  de  l'Italie, 
à  mesure  que  les  grands  maîtres  du  Quattrocento 
et  du  Trecentomême  sortaient,  un  à  ua,  deToubli 
injuste  et  du  mépris  barbare  dont  on  les  avait 
accablés,  avec  Masaccio,  Ghiberti,  Donalello, 
Ghirlandajo  ou  Brunelleschi,  avec  Giotto  et  Ci- 
mabue,  c'était  Florence  dont  la  physionomie  peu 
à  peu  se  dégageait.  En  môme  temps  reparais- 
saient, sous  le  badigeon  qui  les  avait  seuls  pro- 
tégés contre  une  destruction  totale,  les  trésors 
voilés  par  des  mains  orgueilleuses  et  ignorantes. 
Les  églises  reprenaient  leur  dignité  première  et, 
à  Sanla  Groce,  à  Santa Trinîla,  à  Ognissanti,  les 
fresques  longtemps  ensevelies  se  dégageaient  de 
leurs  suaires  de  plâtre. 

Alors,  dédaigneux  des  routes  banales  qui  me- 
naient à  Bologne,  oublieux  même  des  voies 
romaines,  les  pèlerins  afûuèrent  à  Florence.  Les 
Préraphaélites,  les  Nazaréens  y  placèrent  leur 
patrie  idéale  et,  à  la  suite  des  Esthéticiens  et  des 
Romanciers,  l'univers  intellectuel  s'est  tourné 
vers  la  cité  de  Sainte-Marie  des  Fleurs,  vers  la 
ville  dont  le  lys  rouge  est  Temblème. 

C*est  à  faire  ce  pèlerinage  que  je  voudrais  vous 


—  84  — 

inviter.  Suivons,  si  vous  le  permeltez,  le  courant 
et  mêlons- nous  à  Tadmiration  universelle.  Sans 
cloute  nous  n'éprouverons  pas  les  émotions,  trop 
souvent  décevantes,  que  donnent  Tinédil  et  les 
découvertes;  mais  nous  priverions-nous  d'un 
plaisir  ou  le  trouverions-nous  moins  exquis  parce 
que  nous  le  savons  partagé  ? 

Je  voudrais,  au  moment  de  franchir  le  seuil  de 
la  ville,  vous  préparer  par  quelques  observations, 
préliminaires  à  I21  visite  que  nous  allons  entre- 
prendre ensemble. 

Puis,  après  avoir  reconnu  le  lien  étroit  qui 
réunit  en  un  faisceau  toutes  les  richesses  de  Flo- 
rence, nous  essayerons  d'interpréter  le  langage 
muet  des  monuments  qui  portent  témoignage  sur 
Thistoire  et  sur  la  vie  florentines. 

Nous  nous  attacherons,  ensuite,  à  dégager  l'es 
impressions  générales  que  laisse  la  vue  de  tant 
de  chefs-d'œuvre  et  nous  nous  efforcerons  d'en- 
trevoir ce  que  fut  le  génie  artistique  florentin. 

Entin,  fatigués  par  une  laborieuse  promenade, 
nous  irons  nous  reposer  sur  les  collines  qui  do- 
minent Florence,  à  SanMinialo  et  à  Fiésoles  et 
nous  contemplerons  le  panorama  de  la  ville  avant 
de  nous  en  éloigner. 

Tel  est  le  plan  que  vous  propose  votre  cicérone, 
heureux  si  je  pouvais  raviverchez  quelques-uns 


—  85  — 

d'entre  vous  de  chers  souvenirs  et  rendre  plus 
fort,  chez  d'autres,  le  désir  de  connaître  la  fleur 
toujours  svelleet  pleinede  fraîcheurde  la  Toscane, 
egregia  città  di  Fiorenza  oitre  ad  ogni  ultra 
italica  lellissima^  comme  l'appelait,  avec  une 
fierté  filiale,  Tillustre  Florenlin  Boccace. 


Il  est  des  spectacles  naturels,  des  livres  et  des 
œuvres  d'art  qui  font  sur  l'esprit  une  impres- 
sion si  forte  qu'ils  s'imposent  immédiatement  et 
écrasent,  pour  un  instant,  toute  comparaison  et 
tout  souvenir.  Mais  à  côté  de  ces  objets  qui  nous 
empoignent  et  nous  arrachent  à  nous-mêmes,  il 
en  est  d'autres  dont  le  charme  plus  discret  n'agit 
que  sur  des  esprits  préparés  et  dont  lé  parfum 
s'évapore  si  Ton  ne  le  respire  avec  précaution. 
Si  notre  dessein  était  de  visiter  Grenade  ou  Venise 
nous  ne  songerions  pas  à  mesurer  nos  étapes 
antérieures  et  à  graduer  nos  impressions  ;  mais 
avec  Florence,  il  nous  faudra,  Mesdames  et  Mes- 
sieurs, user  de  quelque  ménagement. 

Sans  doute  il  est  certains  aspects  de  la  ville 
dont  on  ne  saurait  méconnaître  le  caractère  :  la 
place  de  la  Seigneurie  où  s'élèvent  le  Palais 
Vieux  et  la  Loggia  dei  Lanzi  et  d'où  Ton  aperçoit 
le  Palais  des  Offices  ;  la  place  du  Dôme  où,  près 
du  Bigallo,  on  embrasse  d'un  môme  coup  d'oeil 
Sainte-Marie-des-Fleurs,  le  Campanile  et  le  Bap- 
tistère agiront  sur  le  voyageur  le  plus  mal  dis- 
posé. Mais  bien  des  rues  paraîtraient  banales, 
plus  d'un  monument  médiocre  à  celui  qui  aurait 
éprouvé  ailleurs,  les  jours  précédents,  des  im- 
pressions plus  violentes  et  plus  brutales. 


—  87  — 

Pour  moi,  dans  un  récent  voyage,  comme  je 
me  rendais  à  Florence,  j'eus  Timprudence  de 
m'arrôter  à  Parme,  à  Modène  et  à  Bologne  et 
j'arrivai  en  Toscane,  tout  obsédé  par  le  caractère 
accusé  des  villes  de  la  pesante  Emilie,  les  yeux 
pleins  encore  de  ces  cathédrales  aux  portails 
étranges  dont  les  colonnes  grêles  reposent  sur  des 
lions  accroupis,  du  Baptistère  de  Parme  aux  cinq 
colonnades  superposées,  de  ces  palais  aux  lourdes 
arcades.  Aussi  ne  retrouvai-je  pas,  au  premier 
instant,  la  ville  que  j'avais  autrefois  admirée;  si 
je  ne  l'avais  connue  déjà,  j'aurais  éprouvé  une 
déception  véritable  et  il  me  fallut  plusieurs  jours 
pour  redevenir  Florentin. 

Quand  bien  môme,  d'ailleurs,  nous  nous  se- 
rions préservés  de  tout  contact  dangereux,  quand 
nous  aborderions  Florence,  le  cœur  et  les  yeux 
vierges,  séduits  par  avance,  entraînés  par  la  lec- 
ture des  livres  qui  en  facilitent  la  compréhen- 
sion, familiarisés  par  des  images  avec  les  monu- 
ments et  les  points  de  vue,  la  séduction,  à 
laquelle  nous  nous  prêterions  avec  tant  de  com- 
plaisance n'agirait  pas  sur  nous  en  un  instant. 
Il  est  facile,  en  une  promenade  rapide,  de  saluer 
les  merveilles  les  plus  réputées,  mais  celui  qui 
en  userait  ainsi  ne  connaîtrait  qu'une  faible 
partie  des  richesses  de  Florence  et  il  se  forme- 
rait une  idée  imparfaite  des  choses  mômes  qu'il 
aurait  vues  et  de  la  ville  qui  les  renferme.  Venise 


—  88  — 

se  livre  en  quelques  heures;  Florence  se  dérobe 
pendant  des  semaines.  Il  faut  savoir  atlendre 
que  l'impression,  d'abord  confuse,  se  débrouille  : 
il  faut  donner  au  charme  le  temps  d'opérer. 

J'ai  honte,.  Mesdames  et  Messieurs,  de  vous 
retenir  si  longtemps  aux  portes  de  Florence  et 
pourtant,  au  moment  où  votre  promenade  va 
commencer,  j'ai  peur  d'être  obligé  d'intervenir 
une  fois  encore.  De  la  gare,  vous  allez  courir  par 
la  via  dei  Panzani  et  la  via  de  Cerrelani  à  la 
place  du  Dôme,  puis,  sans  prendre  le  temps  de 
vous  arrêter,  parla  via  dei  Calzajoli  vous  irez  à  la 
Seigneurie;  peut-être  même,  dans  votre  précipi- 
tation, franchirez-vous  Je  Ponte Yecchio  et  pous- 
serez-vous  jusqu'au  palais  Pitti.  Dans  cette  pro- 
menade d'orientation  vous  serez,  je  le  crains,, 
déconcertés.  Florence  vous  apparaîtra  trop  ani- 
mée, trop  bruyante  ;  la  foule  que  vous  croiserez 
dans  les  rues,  les  magasins  avec  leurs  étalages 
vous  choqueront.  Les  restaurants  que  vous  ren- 
contrerez à  chaque  pas  vous  paraîtront  insuppor- 
tables et  les  tramways  électriques,  dont  la  station 
est  à  l'angle  du  Dôme,  ne  trouveront  pas  plus 
grâce  à  vos  yeux  que  les  modestes  omnibus 
qui  stationnent  près  de  la  Loggia  dei  Lanzi.  Vous 
aviez  rêvé  une  ville  d'art  recueillie  et  silencieuse, 
un  sanctuaire  propre  à  la  méditation  ;  vous  allez 
regretter  la  paix  que  Ton  goûte  à  Pise  ou  à  Sienne. 
J'espèro  que  vous  reviendrez  vifo  de  ce  premier 


-  89  — 

mouvement  d'humeur.  Sans  doute  le  bruit  d'une 
ville  moderne  trouble  tout  d'abord,  mais  lorsque 
Ton  prolonge  son  séjour,  combien  il  devient  né- 
cessaire. Vous  avez  visité  Pise  entre  deux  trains, 
mais,  si  vous  y  étiez  demeurés  davantage,  vous 
auriez  souffert  de  n'y  pas  trouver  plus  d'anima- 
tion. Un  séjour  à  Sienne,  si  variée  que  soit  la 
ville  aux  yeux  de  l'artiste,  est  intolérable  parce 
qu'elle  n'offre  aucune  distraction  à  celui  qui, 
fatigué  par  des  heures  d'admiration  esthétique, 
désire  un  peu  de  repos.  On  ne  vit  pas  parmi  les 
morts. 

Florence,  au  contraire,  vous  retiendra  par  sa 
vie  et  sa  gaité.  Vous  serez  bien  aises,  le  soir,  de 
la  trouver  animée.  Le  confort  dont  elle  vous  en^ 
toure  ne  vous  restera  pas  indifférent  ef,  si  vous 
vous  passionnez  pour  elle,  le  Chianti,  ce  vin  des 
coteaux  de  Toscane,  savoureux  et  léger,  qui 
égayé  sans  monter  à  la  tête  aura,  sans  doute, 
contribué  à  votre  enthousiasme.  Vous  entendrez, 
avec  plaisir,  la  mélodie  de  celte  langue  toscane, 
si  rude  parfois  dans  la  bouche  des  gens  du  peuple, 
si  harmonieuse  sur  les  lèvres  des  Florentines. 
Vous  sentirez,  enfin,  que  le  passé  se  lie  étroite- 
ment ici  au  présent,  qu'il  ne  reste  pas  étranger 
à  cette  animation  qui  le  pénètre,  le  vivifie  et  le 
rapproche  de  nous.  Le  Ponte  Vecchio,  quia  con- 
servé le  privilège  d'être  couvert  de  boutiques  et 
d'échoppes,  n'aurait  pas  le  même  caractère,  il 


—  90  — 

n'offrirait  pas  le  même  intérêt  si  les  maisons  en 
étaient  désertes  et  si  les  bijoutiers  n'y  vendaient 
pas  les  mosaïques  de  marbre,  les  colliers  de  corail 
ou  les  amulettes  qui  écartent  le  jettalor  et  con- 
jurent le  mauvais  œil.  Reprocherons-nous  aux 
Florentins  d  avoir,  en  1868,  construit,  aux  portes 
de  leur  ville,  une  promenade  magnifique,  le  Viale 
dei  CoUi  d'où  Ton  peut  jouir  du  panorama  de 
Florence? 

Je  le  sais,  la  vie  contemporaine  a  des  exigences 
contre  lesquelles  le  voyageur  se  révolte.  Quand, 
familiarisés  avec  les  monuments  typiques,  vous 
errerez  au  hasard  des  vieilles  rues  pour  y  cher- 
cher des  vestiges  delà  vie  passée,  plus  d'une  fois, 
vous  vous  irriterez  de  voir  les  aspects  anciens 
modifiés  ou  mutilés  par  des  édifices  modernes. 
Les  arcades  dessinées  par  des  pierres  usées  sur 
les  maisons  delà  Via  de  Servi  près  du  Dôme  font 
regretter  les  transformations  qu'ont  subies  les  de- 
meures des  artistes  qui  y  tenaient,  comme  Bene- 
delto  da  Majano,  leur  boutique.  Quelques  rues 
dont  la  physionomie  s'est  maintenue  presque 
intacte  le  long  de  TArno,  non  loin  du  Ponte  Vec- 
chio  évoquent  une  Florence  pour  laquelle  on 
aurait  désiré  un  total  respect. 

Sur  le  fronton  des  galeries  Victor  Emmanuel, 
monument  récent  dénué  de  grâce  et  d'ampleur, 
a  été  gravée  une  inscription  où  la  municipalité 
de  Florence  se  félicite  d'avoir  fait  disparaître  des 


—  94  — 

vestiges  sordides  et  d'avoir  restitué  à  ce  quartier 
une  vie  nouvelle.  J'ai  éprouvé  on  lisant  ces  lignes 
qui  commémorent  la  destruction  du  marché  vieux 
une  impression  de  révolte.  Puis  je  me  suis  ravisé  ; 
j'ai  compris  qu'il  fallait  savoir  limiter  nos  exi- 
gences, qu'un  amateur  était  mal  venu  à  désirer 
qu'un  peuple  vécût  dans  des  rues  sans  air  pour 
lui  laisser  le  plaisir  de  jeter,  en  passant  bien  vite, 
un  regard  de  curiosité.  J'ai  pensé  qu'il  nous  im- 
portait aussi,  à  nous  qui  visitons  Florence,  qu'elle 
fût  saine  et  que  sa  population  fût  de  belle  humeur 
pour  nous  recevoir  et  je  me  suis  consolé  en  son- 
geant que  rien  d'essentiel,  en  somme,  n'avait  été 
supprimé. 


Promenons-nous,  à  présent,  librement  dans 
Florence  et  ne  songeons  tout  d'abord  qu'à  assouvir 
noire  curiosité.  Lorsque  nous  aurons  calmé  notre 
première  ardeur,  nous  reviendrons  plus  à  loisir 
aux  objets  trop  rapidement  salués.  Nous  nous 
rendrons  compte  alors  que  la  ville  est  inépuisable 
et  cette  constatation,  loin  de  nous  décourager, 
nous  réjouira,  car  elle  nous  ouvrira  Tespoir  de 
renouveler  indéfiniment  nos  plaisirs.  Non  seule- 
ment nous  trouverons  dans  les  musées  matière  à 
occuper  plusieurs  existences,  mais  dans  les  rues, 
dans  les  moindres  églises,  nous  ferons  des  dé- 
couvertes dont  nous  jouirons  délicieusement.  Je 
me  rappelle  qu'après  avoir  passé  plusieurs  fois, 
sans  en  franchir  le  seuil,  devant  Téglise des  Saints 
Apôtres,  je  fus  ravi,  le  jour  où  j'y  pénétrai,  d'y 
trouver  un  tabernacle  d'Andréa  délia  Robbîa  qui, 
partout  ailleurs  qu'à  Florence,  aurait  été  célèbre 
et  qui,  submergé  dans  la  mer  des  chefs-d'œuvre, 
restait  là,  ignoré  et  sans  gloire. 

Un  ex-voto  sculpté,  à  peine  effleuré  dans  le 
marbre,  un  écusson  sur  une  vieille  porte,  une 
loggia  de  bois  au  haut  d'une  vieille  maison,  une 
tribune  comme  celle  qui,  via  de  Carpaccio,  près 
du  Marché  Neuf,  porte  les  armes  des  Médicis, 


—  93  — 

tels  àonl  les  menus  profils  de  celui  qui  sait  braver 
la  fatigue  à  Florence. 

Une  autre  remarque,  infiniment  plus  impor- 
tante, s'imposera  peu  à  peu  à  notre  esprit.  Pres- 
que tout  ce  que  nous  verrons  et  admirerons  est 
marqué  du  cachet  florentin.  Je  ne  voudrais  rien 
exagérer;  je  ne  voudrais  oublier  ni  les  merveilles 
du  musée  Egyptien,  ni  les  Titiens  et  les  Raphaéls 
de  la  tribune  des  Offices  ou  du  palais  Pitti;  pour- 
tant, si  haute  que  soit  leur  valeur,  ils  ne  parvien- 
nent pas  à  briser  ce  concert  que  tant  de  voix 
répètent  à  la  gloire  de  Florence.  C'est  Florence 
que  chantent  les  monuments,  c'est  Florence  que 
racontent  les  sculptures  du  Bargello  et  les  ta- 
bleaux de  TAcadémie;  c'est  Florence  dont  Santa 
Maria  Novella,  Santa  Croce  et  Santa  Maria  del 
Carminé  se  renvoient  d'une  rive  à  Tautre  de 
l'Arno  la  louange.  Nulle  ville  n'a  plus  donné  et 
n'a  moins  reçu.  Les  styles  du  dehors  n'ont  pu  la 
pénétrer  et  les  étrangers  qui  ont  travaillé  à  l'en- 
richir se  sont  plies  à  son  génie.  D'autre  part,  si 
elle  a  rayonné  sur  toute  la  péninsule,  si  ses  enfants 
ont  versé  à  pleines  mains  les  chefs-d'œuvre  sur 
toute  ritalie,  si  elle  a,  pendant  deux  siècles,  mené 
le  chœur  de  Tart  italien,  elle  a  gardé  pour  elle 
et  chez  elle,  surtout  dans  l'architecture,  quelque 
chose  de  spécial  qu'elle  n'a  pas  communiqué. 
Elle  respire  son  parfum  propre. 

L'étranger  la  sent  à  la  fois  très  accessible  et 


—  94  — 

1res  différente.  Il  devine,  dans  ses  pierres,  la  per- 
sistance séculaire  d'un  génie  indépendant,  reffort 
continu  d'une  forte  race.  Elle  a  eu  le  privilège 
d'être  un  centre,  la  capitale  d'un  peuple,  de  ne 
dépendre  de  personne  tant  que  sa  sève  a  été  féconde. 
Le  génie  à  la  fois  sombre,  puissant  et  élégant  des 
Etrusques,  ce  génie  que  rappellent  les  souvenirs 
conservés  au  muséearchéologique,  s'est  retrouvé 
chez  les  Toscans,  chez  Dante  et  Michel  Ange.  Les 
démons  de  la  Divine  Comédie,  ceux  de  la  chapelle 
Sixtine  sont  de  la  famille  des  diables  cornus  qu'on 
voit  gravés  sur  les  miroirs  étrusques.  L'élégance 
florentine  se  pressent  sur  tel  bas -relief  de  terre 
cuite  qui,  tout  mutilé  qu'il  est,  a  gardé  ses  séduc- 
tions. L'énergie,  lecaractère,  une  pointe  de  férocité 
ou  d'élrangeté  dissimulée  sous  une  grâce  sédui- 
sante, voilà  les  traits  persistants  du  génie  flo- 
rentin. 

Profitons,  si  vous  le  voulez,  de  la  liberté  que 
donne  le  voyage  idéal  et,  puisqu'il  nous  est 
permis  de  multiplier  les  détours  sans  multiplier 
nos  fatigues,  au  lieu  d'analyser  un  à  un  les 
quartiers  delà  ville,  quartiers  dont  il  serait  d'ail- 
leurs malaisé  de  marquer  Tindividualité,  cher- 
chonsàdéterminer, parmi  tant  dedocumentsépar?, 
quelques  traits  caractéristiques  de  la  vie  historique 
de  Florence  et  de  l'art  florentin. 

Mieux  que  les  chroniqueurs  et  que  les  histo- 
riens quelques  monuments  typiques  nous  diront 


—  95  — 

ce  que  fut  la  vie  violenle,  ardente,  soupçonneuse 
et  exaltée  de  Florence.  Bien  déçu  celui  qui  cher- 
cherait, sur  la  façade  des  édifices  publics  ou  des 
demeures  des  personnages  illustres,  les  signes  de 
la  richesse  et  du  faste  et  qui  s'attendrait  à  y  voir 
les  nobles  ordonnances,  les  statues  et  les  marbres. 
La  Seigneurie,  les  Podestats,  les  banquiers  puis- 
sants n'ont  pas  cherché  à  éblouir;  ils  ont  songé 
d'abord  à  se  défendre  et  ils  se  sont  retranchés 
dans  des  forteresses  ;  forteresses,  le  Palais  Vieux 
et  le  Bargello  ;  forteresses,  le  Palais  Slrozzi  et  le 
Palais  Riccardi;  le  Palais  Pitli  a  Taspect  d'un 
repaire  de  géanls.  Ces  pierres  sombres  évoquent 
ridéo  des  guerres  civiles;  elles  ont  soutenu  des 
sièges.  A  les  voir  on  s'explique  que  Florence 
ait  pu  braver  l'armée  de  Charles  VIII  et  que  le 
roi  de  France  n'ait  pas  relevé  le  défi  de  Pier 
Capponi  qui  lui  avait  dit  :  «  Sonnez  vos  trom- 
pettes, et  nous  sonnerons  nos  cloches  !  » 

Mais,  et  c'est  là,  Mesdames  et  Messieurs,  un  trait 
bien  caractéristique,  il  n'a  pas  suffi  aux  Floren- 
tins que  leurs  palais  fussent  forts  ;  sans  rien  sa- 
crifier de  celte  solidité  nécessaire,  ils  ont  tenu  à 
la  revêtir  d'élégance;  ils  ont  ciselé  Tarme  dont 
ils  se  servaient.  Regardez  le  Palais  Vieux  avec 
ses  bossages,  ses  mâchicoulis,  ses  tours,  la  cloche 
prête  à  sonner  le  tocsin,  son  formidable  appareil  de 
guerre.  Les  fenêtres  bilobées  sont  d'un  dessin 
simple  et  pur,  le  profil  des  créneaux  est  léger,  la 


—  96  — 

tour  carrée  se  dresse  svelte  et  semble  s'élever 
sans  effort.  Les  proportions  de  Tensemble  ont  élé 
admirablement  combinées  et  une  impression 
d'barmonie  qui  exclut  toute  idée  de  tristesse,  se 
dégage  de  cette  forteresse  qui  fait  patte  de  velours. 
Franchissons  la  porte,  et  sans  visiter  les  salles 
riches,  élégantes  ou  colossales,  pénétrons  dans 
la  cour  entourée  d  un  portique.  Plus  de  terreurs, 
plus  de  dangers,  Témeute  n'entrera  pas  jusqu'ici, 
ou  si  elle  y  était  entrée,  il  ne  faudrait  plus  son- 
ger à  se  défendre;  aussi  le  contraste  est-il  com- 
plet avec  l'extérieur  etla  libre  imagination  a  su 
se  donner  jeu  dans  cet  asile  sûr.  Les  colonnes, 
revêtues  avec  profusion  mais  sans  lourdeur  d'or- 
nements délicats,  portent  des  arcades  entre  les- 
quelles sont  sculpté»  des  médaillons  aux  armes 
de  Florence.  Les  voûtes  du  portique  sont  revê- 
tues de  grotesques  et,  au  centre  de  la  cour,  un 
mince  filet  d'eau  jaillit  de  la  fontaine  qui  orne 
l'enfant  au  Dauphin  de  Verrocehio. 

Cette  cour  avenante,  il  est  vrai,  a  été  dessinée 
plus  d'un  siècle  après  la  construction  du  Palais 
et  décorée  plus  tard  encore.  Mais  le  Bargello, 
l'ancien  palais  du  potestat,  dont  les  diverses  par- 
ties sont  à  peu  près  contemporaines,  offre  une  con- 
tradiction semblable.  L'aspect  en  est.plus  farouche 
que  celui  du  Palais  Vieux.  La  façade  porte  les 
traces  des  flammes  qui,  à  plusieurs  reprises, 
Tont  attaquée  et  noircie.  Mais  cette  citadelle 


—  97  — 

rogue  a  une  cour  dont  le  charme  est  exquis.  L'es- 
calier monumental,  le  double  portique  aux  souples 
arcalures,  les  inscriptions  ou  les  blasons  de  mar- 
bre encastrés  dans  la  muraille,  ne  lui  donnent 
pas  seulement  un  caractère  d'élégance  aisée  ;  par 
un  privilège  rare  à  Florence  et  qu'il  est  pres- 
que impossible  d'analyser,  de  ces  pierres  d'un  gris 
bleuté  naît  une  impression  indéfinissable  de  cou- 
leur. Je  connais  peu  de  spectacles  d'un  attrait 
plus  durable. 

Mêmes  impressions  complexes  aux  Palais 
StroMi  et  Riccardi.  Les  fenêtres  du  rez-de-chaus- 
sée en  sont  grillées;  les  pierres  en  bossage  sem- 
blent nsirguer  la  fureur  populaire  ;  mais  les  lan- 
ternes en  fer  forgé  du  Palais  Slrozzi  et  le  profil 
pur  de  la  corniche  du  Palais  Riccardi  témoignent 
du  même  souci  d'art.  Entrons  au  Palais  Riccar- 
di ;  le  style  simple  de  la  cour  dessinée  par  Miche- 
lozzo  nous  fera  oublier  aussitôt  l'aspect  sombre 
de  la  façade.  Montons  ensuite  au  premier  étage 
et  visitons  la  chapelle  où  Benozzo  Gozzoli  traça, 
dans  la  procession  des  Rois  Mages,  un  triomphe 
des  Médicis.  En  contemplant  cette  belle  fresque, 
séduits  par  la  fraîcheur  printanière  qu'elle  res- 
pire, nous  pourrions  oublier  les  calculs  dont  la 
vie  des  Médicis  fut  mêlée,  les  ruses  par  lesquelles 
ils  maintinrent  leur  ascendant  et  les  périls  qu'ils 
traversèrent  avant  d'avoir  assuré  à  leurs  fils  la 
domination  sur  Florence.  Ces  personnages  cou- 

8 


—  08  — 

verts  de  brocard  et  d'or,  velus  avec  un  luxe  si 
fastueux  et  si  distingué,  le  masque  si  calme,  nous 
donnent  l'illusion  d'une  parfaite  sérénité.  C'est 
de  cette  façon,  sans  doute,  que  les  Médicis  ont 
désiré  se  faire  connaître  à  la  postérité  et  tels  ils 
apparaissent  aussi  dans  ce  précieux  tableau  des 
Offices  où  Botticelli,  sous  un  semblable  prétexte, 
les  a  également  glorifiés. 

Gardons-nous,  toutefois,  de  nous  laisser  sur- 
prendre :  songeons  à  celte  sacristie  de  Santa  Maria 
del  Fiore  où,  le  26  avril  1478,  Laurent  de  Médi- 
cis se  réfugia  tandis  que  les  Pazzi  assassinaient 
son  frère  Julien,  et  allons  à  la  nouvelle  sacristie 
de  Téglise  Saint-Laurent  contempler  l'immortelle 
effigie  du  Pensieroso  qui  médite  éternellement 
sa  vengeance;  écoutons  la  plainte  des  quatre 
parties  du  jour,  ce  poème  de  l'accablement  et  du 
désespoir,  dans  lequel  Michel-Ange  a  déploré  la  fin 
politique  de  Florence.  Ce  que  sont  devenus,  par 
la  suite,  Florence  et  les  Médicis,  les  statues  éques- 
tres, emphatiquesot  indifférentes,  élevéespar  Jean 
Bologne  à  la  gloire  de  Cosme  I^^  et  de  Ferdi- 
nand I"  nous  l'apprendront  sans  réticences  en 
confirmant  les  appréhensions  de  Michel- Ange. 
Privée  de  la  liberté,  Florence  s'endormit  sous 
la  domination  de  ses  ducs  :  peu  à  peu  les  pas- 
sions élroites,  les  énergies  âpres  s'éteignirent. 
Le  feu  du  passé  y  est  mort.  Elle  a  pris  une 
part  secondaire  au  Risorgiraento  et  se  contente 


—  99  — 

aujourd'hui  de   jouir   de   sa  gloire   et    de   sa 
beauté. 

Si  les  souvenirs  politiques  ont  profondément 
imprégné  les  pierres  de  Florence,  les  traces  de 
sa  grandeur  économique  sont  demeurées  moins 
directement  manifestes.  Les  banquiers  se  sont 
fait  construire  des  résidences  monumentales,  ils 
ont  contribué  à  embellir  les  églises;  mais  les 
corporations  qui  ont  enrichi  la  ville,  qui  l'ont 
gouvernée  et  qui,  en  y  accumulant  les  richesses, 
en  ont  permis  lessor  artistique,  n'ont  pas  pris 
soin  de  préserver  leur  mémoire.  Les  maisons  de 
corporations  qui  ornent  les  cités  flamandes  et 
dont  on  admire  à  Bruxelles  ou  à  Bruges  les  fa- 
çades sculptées  et  dorées,  n*ont  pas  ici  leur  équi- 
valent. Seule  une  maison  vénérable  par  son  an- 
tiquité plus  que  par  son  caractère,  rappelle  ÏArt 
des  cardeurs  de  laine.  Pourtant  il  existe  au  moins 
un  témoignage  collectif  de  la  prospérité  des  corps 
de  métiers,  c'est  l'église  d'Or  San-Michele  située 
dans  la  via  dei  Calzajoli  entre  la  place  du  Dôme 
et  celle  de  la  Seigneurie  et  qui  fut,  après  1336, 
construite  aux  frais  des  corporations.  Chacune 
de  celles-ci  prit  soin  de  faire  placer  à  l'extérieur 
de  Téglise,  dans  une  niche  sculptée,  la  statue  de 
son  patron,  et  c'est  pour  des  armuriers,  des  dra- 
piers, des  menuisiers  et  des  marchands  que  Dona- 
lello,  Verrocchio  et  Ghiberti  coulèrent  ces  bronzes 
célobres,  le  Christ  et  saint  Thomas ,  saint  Mor 


—  100  — 

tJiieUj  saint  Georges^  fruits  d'une  alliance  mémo- 
rable entre  l'art  et  l'industrio. 

L'exubérance  de  sève,  la  puissance  que  les 
Florentins  apportaient  dansla  vie  politique  et  dans 
Tactivité  économique,  ils  les  manifestèrent  aussi 
parfois  dans  la  vie  religieuse.  Nous  n'en  cher- 
cherons pas  le  témoignage  dans  la  profusion  des 
églises,  puisque  toutes  les  villes  de  l'Italie  ont, 
avec  plus  ou  moins  d'art  et  de  richesse,  multiplié 
chez  elles  les  édifices  sacrés,  et  nous  nuirons  pas 
retrouver  les  échos  de  la  foi  florentine,  dans  les 
sanctuaires  où  les  riches  bourgeois  de  Florence 
ont  laissé  les  preuves  de  leur  faste  plus  que  de 
leur  piété.  Les  églises  de  Florence,  comme  celles 
de  toute  l'Italie,  étrangères  à  cet  élan  du  style 
gothique  qui  est  à  nos  yeux  la  moins  imparfaite 
traduction  de  la  foi  moderne,  ne  nous  prédisposent 
pas  au  recueillement.  Elles  nous  apparaissent  un 
peu  comme  des  musées  et  la  liberté  avec  laquelle 
on  y  circule,  le  zèle  importun  des  sacristains  et 
des  guides  achèvent  de  leur  donner  ce  caractère. 
Mais,  par  un  privilège  presque  unique,  Florence 
a  su,  en  l'un  de  ses  monuments,  nous  commu- 
niquer Timpression  du  sentiment  religieux.  Au 
couvent  San  Marco  la  foi  la  plus  intense  a  laissé 
d'elle-même  des  affirmations  impérissables. 

Là  cessent  les  bruits  du  monde  et,  dans  les  cel- 
lules blanchies  à  la  chaux  que  l'on  a  remaniées 


—  101  — 

sansen  allérerle  cachet  primitif,  le  géniemystiqiie 
de  Fra  Angelicoa,  pour  ainsi  dire,  ouvert  le  ciel. 
Les  fresques  dont  il  a,  avecTaidede  quelques  dis- 
ciples, orné  toutes  les  cellules  et  dans  lesquelles 
il  a  traduit,  en  des  images  suaves  et  simples,  sa 
foi  directe  inaccessible  au  doute,  très  douce  et  très 
pitoyable,  vont  au  cœur,  encore  aujourd'hui.  Elles 
émeuvent  même  ceux  qui,  étrangers  au  catho- 
licisme, s'inclinent  devant  tant  de  sincérité  et 
tant  de  douceur.  De  petits  tableaux  achevés  comme 
des  miniatures,  mais  grands  par  Tinspiration  el 
le  sentiment,  font,  exposés  dans  quelques-unes  de 
ces  cellules,  un  effet  particulièrement  profond. 
Dans  la  Salle  du  Chapitre,  un  grand  Crucifiement 
porte  au  suprême  degré  l'expression  de  celte  con- 
viction intense  et  Ton  oublie,  à  regarde  ries  saints 
et  les  martyrs  que  Fra  Angelico  a  groupés  au 
pied  de  la  croix,  en  leur  prêtant  des  expressions 
si  émues,  que,  parmi  eux,  figurent  saint  Domi- 
nique le  fondateur  de  Tlnquisitionet  saint  Pierre 
Martyr  dont  la  mort  fut  le  signal  de  laguerredes 
Albigeois. 

Combien  il  semble  que  nous  soyons  éloignés 
de  Florence!  Pourtant,  Mesdames  et  Messieurs, 
poursuivons  notre  visite.  A  Texlrémité  d'un  cor- 
ridor, à  la  suite  des  retraites  mystiques  que  nous 
.venons  d'inspecter,  se  trouve  une  dernière  cellule 
qui,  sans  nous  éloigner  delà  pensée  religieuse, 
brusquement  va  nous  rejeter  dans  la  vie  poli  tiqueet 


—  102  - 

dans  la  vie  la  plus  tragique.  C'est  là  que  vécut 
frère  Jérôme  Savonarola,  le  tribun  qui,  un  instant, 
galvanisa  Florence  et  dont  la  parole  embrasée 
voulait  ramener  les  Florentins  à  la  pureté  au  prix 
du  sacrifice  de  leur  gloire  artistique,  Savonarola 
qui  préditTarrivée  vengeresse  des  Barbares,  c'est- 
à-dire  des  Français  appelés  par  Dieu  pour  punir 
l'Italie  de  sa  déchéance  morale.  Sa  courte  popu- 
larité fut  suivie  d'une  fin  terrible.  Sur  le  pavé 
de  la  place  delà  Seigneurie  une  plaque  de  bronze 
signale  l'endroit  môme  où,  le  23  mai  1-498,  se 
dressa  son  bûcher  et  où  il  fut  pendu  et  brûlé. 


Ainsi  se  rappelle  trop  souvent  ànous  la  couleur 
ensanglantée  du  lys  de  Florence  que  la  discorde 
a  rendu  vermeil  ; 

Per  division  fatto  vermiglio  (1). 

L*art,  heureusement,  nous  fera  oublier  ces  im- 
pressions trop  sombres.  Ce  n'estpas  que  les  artistes 
soient  restés  étrangers  aux  passions  politiques  ou 
religieuses  ;  on  connaît  le  patriotisme  ardent  de 
Michel-Ange  et  Ton  se  rappelle  que  Botlicelli  fut 
disciple  de  Savonarola.  Ce  serait  cependant  un 
paradoxe  un  peu  fort  que  de  présenter  Benvenuto 
Cellini  comme  le  lypedeTartiste  florentin,  parce 
qu'il  fut  unspadassin  etdesoufenir  qu'il  a  modelé 
Persée,  que  Botlicelli  et  Donatello  ont  célébré 
Judith  et  que  tant  de  Florentins  illustres  ont  eu 
une  prédilection  pour  David  jeune,  parce  que  ces 
héros  avaient  versé  le  sang.  Tout  au  contraire,  il 
semble  que,  par  une  sorte  de  réaction,  les  artistes 
florentins  aient  été  hantés  par  un  souci  de  grâce 
et,  comme  ils  ont  su  vernir  d'élégance  le  Palais 
Vieux,  ils  ont  versé  une  éternelle  jeunesse  sur  la 

(I)  Dante,  Paradiso.liV]^  ad  fmem. 


—  104  — 

cité  des  Blancs  et  des  Noirs,  des  Guelfes  et  des 
Gibelins. 

Cette  grâce  et  cette  élégance  se  sont,  il  est  vrai, 
manifestées  sous  des  formes  dont  le  caractère 
spécial  étonne  et  parait,  au  premier  contact, 
étrange.  Noua  avons  pu  nous  familiariser  avec  la 
sculpture  et  la  peinture  parce  que  les  œuvres  en 
ont  été  répanduesdans  tous  les  musées  de  TEurope 
et  Ton  sait,  cependant,  les  con Ire-sens  extra- 
vagants que  Ton  a  commis  sur  l'art  des  contem- 
porains de  Botticelli. 

Pour  Tarchitecture,  le  goût  n'en  a  pas  été  ex- 
porté hors  de  la  Toscane;  aussi,  grande  est  la 
surprise  de  ceux  quî,sans  être  prévenus,  foulent, 
pour  la  première  fois,  le  sol  de  la  place  au  Dôme 
et  qui  découvrent  la  cathédrale^  le  Campanile  et 
le  Baptistère,  ces  monuments  dont  la  renommée 
est  universelle  et  dont  Taspect  est  si  particulier. 
Revêtus  de  plaques  de  marbre  blanc,  rouge  et 
noir  verdâtre,  ils  nous  déconcertent  d'autant  que 
celte  polychromie  ne  produit  pas  un  véritable  effet 
de  couleur.  A  Venise  quelques  briques  suffisent 
à  illuminer  le  palais  des  Doges  d'un  sourire  rose  ; 
ici,  par  la  faute  sans  doute  du  ciel  et  par  celle  des 
Florentins,  des  marbres  colorés  se  dégage  une 
harmonie  neutre  et  les  architectes  semblent  avoir 
cherché  uniquement  à  tracer  des  dessins  aux 
combinaisons  géométriques  simples.  La  cathé- 
drale, il  est  vrai,  se  rachète  aux  yeux  de  l'étranger 


—  i03  — 

par  son  ampleur,  la  richesse  de  son  ornementa  lion 
et  avant  tout  par  la  coupole  de  Brunelleschi  dont 
la  masse  imposante  emporte  un  immédiat  suffrage. 
Le  campanile  a  sa  sveltesse,  sa  hardiesse,  les  bas- 
reliefs  de  Giotto  et  les  statues  de  Donatello  qui 
lui  ont  fait  trouver  grâce  devant  les  voyageurs 
les  moins  complaisants  môme  en  plein  dix-hui- 
tième siècle.  Mais  le  Baptistère  n'a  rien  dans  ses 
lignes  qu'une  extrême  simplicité,  point  de  har- 
diesse, point  de  grandeur  et,  quand  on  le  regarde, 
rien  ne  détourne  Tattenlion  de  la  marquetterie  qui 
le  revêt  et  qui  y  est  réduite  au  blanc  et  au  vert 
noirâtre. 

Et  pourtant  c'est  à  ce  monument  presque  mes- 
quin que  les  Florentins  ont,  de  tout  temps,  consa- 
cré une  affection  particulière.  Dante  le  célébrait 
dans  la  DivineComédie  ;  Villani  le^déclarait  le  plus 
beau  temple  du  monde  et  je  me  souviens  de  Tac- 
cent  avec  lequel  une  vieille  florentine,  menacée  de 
quitter  sa  ville  natale,  me  parlait  de  la  douceur 
de  vivre  près  de  son  c<  bel  san  Giovanni  ».  Que 
dire  ?  Faut-il  renoncer  à  comprendre  et  ne  re- 
garder uniquement  dans  le  Baptistère  que  les 
portes  du  paradis  de  Ghiberti  ?  Non,  sans  doute, 
mais  c'est  seulement  après  un  séjour  en  Toscane, 
après  avoir  vu  à  San  Miniato,à  Prato,  à  Pistoia, 
à  Sienne,  des  monuments  du  même  style  qu'on 
finit  par  entrer  un  peu  dans  ce  goût  et  qu'on  en 
devine  la  délicatesse  grêle  et  la  grâce  mesurée. 


—  -106  — 

D'aulres  édifices,  d'une  séduction  plus  immé- 
diate, charment  par  des  traits  si  subtils  qu'ils 
échappent  à  l'analyse.  Expliquera-t-on  ce  qui 
plait  dans  la  petite  loggia  du  Bigallo?  Pourquoi 
la  loggia  dei  Lanzi  produit-elle  une  impression  si 
forte,  pourquoi  ce  portique  fait-il  un  si  grand  ef- 
fet ?  Des  proportions  heureuses,  des  ornements 
discrets  et  appropriés,  la  légèreté  des  colonnes 
dont  les  chapiteaux  collés  n'interrompent  pas  les 
lignes,  contribuent,  sans  doute,  à  cet  air  de  no- 
blesse, mais  en  rendent  un  compte  imparfait  et 
pourtant  il  faut  que  la  loggia  ait  une  valeur  d'art 
bien  élevée  puisque  les  chefs-d'œuvre  qui  la  dé- 
corent, le  Persée  de  Gellini,  la  Judith  de  Dona- 
tello,  r Enlèvement  des  Sabines  et  VHercuIe  de 
Jean  Bologne  n'effacent  pas  le  cadre  dans  lequel 
ils  sont  présentés. 

Pour  la  sculpture  et  la  peinture  notre  effort  est, 
certes,  moindre.  Quand  on  arrive  à  Florence  on 
les  connaît  ou  du  moins  Ton  croit  les  connaître 
par  avance  et  l'on  s'imagine  volontiers  qu'il  ne 
reste  plus  qu'à  achever  sur  place  l'étude  d'un  art 
familier.  Par  avance  on  escompte  le  plaisir  que 
Ton  aura  à  saluer  les  pages  décisives  :  pour  la 
sculpture  les  portes  du  Baptistère  ou  la  chapelle 
des  Médicis  ;  pour  la  peinture,  la  madone  de  Ci- 
mabue,  les  fresques  de  Giotto,  la  chapelle  des 
Brancacci  à  Sanla  Maria  del  Carminé  oii  Masaccio 
a  renouvelé  l'art,  la  chapelle  des  Tornabuoni, 


—  107  — 

TefiFort  décoratif  le  plus  complet  du  Qualtrocenlo. 
Ce  qu'on  n*a  pas  prévu,  ce  sont  les  plaisirs  que 
donneront  ces  investigations  et  les  idées  nouvel- 
les qu'elles  feront  germer  dans  nos  esprits. 

Non  seulement  la  recherche  sera  extrêmement 
variée,  à  travers  les  églises,  les  chapelles,  les  cloî- 
tres, les  palais,  à  Texlérieur,  à  l'intérieur  des  édi- 
fices, mais  nous  trouverons  aux  musées  mômes 
un  cachet,  une  physionomie  propre  qui  les  dis- 
tinguent les  uns  des  autres,  les  associent  aux  ob- 
jets qu'ils  renferment  et  les  délivrent  de  toute 
banalité.  Quel  cadre  plus  approprié  pour  les 
sculptures  du  Quattrocento,  pour  les  œuvres  des 
Délia  Robbia,  pour  les  Irésors  de  lart  industriel 
que  le  Bargello  dont  la  vue  seule,  comme  celle 
de  notre  musée  de  Cluny,  nous  transporte  dans 
le  passé  ?  Les  trois  musées  de  peinture,  l'Acadé- 
mie, les  Offices,  Pitti  ne  sont  pas  trois  fragments 
épars  d'une  galerie  disloquée.  L'Académie  par- 
faitement simple  et  nue  rappelle  les  débuts  de 
l'art,  nous  en  montre  les  balbutiements  puis  les 
progrès  jusqu'au  cœur  du  quinzième  siècle.  Les 
Offices  plus  riches  mais  d'une  richesse  sobre, 
parlent  surtout  du  quinzième  siècle  et  des  débuts 
du  seizième.  Le  palais  Pitti,  enfin,  avec  son  luxe 
insolent,  l'étalage  des  ors,  la  décoration  surabon- 
dante des  plafonds,  serait  insupportable  si  l'on  n'y 
avait  réuni  les  chefs-d'œuvre  de  la  plénitude, 
chefs-d  œuvre  pour  lesquels  aucun  cadre  n'est 


—  108  — 

trop  riche  et  que  le  plus  somptueux  décor  ne  sau- 
rait écraser.  Ainsi  se  renouvellent  et  se  diversifient 
nos  plaisirs  et  c'est  au  milieu  de  ces  enchantements 
que  se  précise  l'idée  que  nous  pouvons  nous  for- 
mer du  génie  artistique  florentin. 

Les  Floren  tins  on t  rarement  recherché  la  beau  lé 
telle  que  nous  l'entendons  quand  nous  la  séparons 
de  l'expression  et  la  réduisons  à  la  régularité  har- 
monieuse des  traits.  Parmi  tant  de  madones  qu'ils 
ont  sculptées  ou  peintes,  il  en  est  bien  peu  qui 
aient  un  profil  de  camée  ou  de  médaille.  C'est 
qu'ils  ont,  par  dessus  tout,  aimé  la  vérité  et  que, 
sans  médire  des  Florentines,  celles-ci  leurofi^raient 
plus  souvent  des  traits  piquants  que  des. masques 
réguliers,  s'il  est  permis,  toutefois,  de  juger  de 
leurs  mérites  d'autrefois  par  ceux  qu'elles  ont 
aujourd'hui. 

La  vérité  dont  ils  étaient  épris,  les  Florentins 
l'ont  poursuivie  dans  les  voies  les  plus  difiléren- 
tes,  les  plus  opposées  et  leurs  prédilections  oflTrent 
un  contraste  analogue  à  celui  que  nous  avons 
noté  entre  la  façade  et  l'intérieur  de  leurs  palais. 
Ils  ont  scruté  avec  passion  la  physionomie  hu- 
maine, avides  d'en  conserver,  sur  leurs  effigies,  le 
caractère,  ne  reculant  devant  aucun  type  si  accen- 
tué qu'il  fût,  etontexprimé  avec  une  hardiesse  et 
un  bonheur  remarquables  la  beauté  de  la  laideur. 
Les  Allemands  mêmes  n'ont  pas  poussé  plus  loin 
la  véracité.  Donalello  s'est  livré  en  ce  genre  à  de 


—  109  - 

véritables  paradoxes.  La  Madeleine  du  Baptistère, 
le  Zucconey  qui,  de  la  niche  du  Campanile,  sem- 
blent narguer  les  Florentins,  sont,  à  coup  sûr,  des 
morceaux  de  bravoure  ou  de  bravade.  Mais  ail- 
leur?,  avec  moins  d'outrance,  il  n'a  guère  été  moins 
hardi  et  la  statue  du  Pogge  au  Dôme  ou  Tîncom- 
parable  buste  polychrome  de  Niccolo  Uzzano  au 
Bargello  ne  sont  pas  moins  scrupuleusement 
fouillés.  Benedettoda  Majano,  Rossellino,  le  suave 
Mino  da  Fiésole  lui-même  ont  fait  des  morceaux 
d'une  pareille  maîtrise:  ils  ont  modelé,  ainsi  que 
leurs  émules,  ainsi  que  l'auteur  inconnu  du  por- 
trait cruel  de  Charles  VIII,  ces  bustes  admirables 
du  Bargello  où  la  ressemblance  et  la  vie  sont  obte- 
nues par  l'accumulation  des  détails  vrais,  série 
dont  on  chercherait  en  vain  l'équivalent  dans  un 
autre  art.  Le  portrait  prétendu  du  portier  des 
chartreux  par  Masaccio  qu'on  voit  aux  Offices  et 
la  tête  de  vieillard  de  Ghirlandajo  que  conserve 
le  Louvre  montrent  que  les  peintres  n'eurent  pas 
plus  de  timidité. 

Mais  ces  mômes  artistes  qui  poursuivaient 
avec  tant  de  témérité  la  lutte  contre  la  nature 
dans  ce  qu'elle  a  de  plus  violent,  ont,  le  plus  sou- 
vent essayé  de  rivaliser  avec  elle  dans  ses  mani- 
festations les  plus  gracieuses  et  les  plus  fraîches, 
ils  ont  chanté  l'enfance  et  la  jeunesse  et  ils  ont 
été  si  heureux  dans  cet  effort,  que,  malgré  les 
impressions  sombres  ou  graves  que  produisent  à 


—  ilO  — 

Florence  monuments  ou  souvenirs  historiques, 
ils  en  ont  fait  la  cité  du  Printemps. 

Nul,  sans  doute,  n'a  poussé  Tamour  de  l'en- 
fance si  loin  que  Fra  Angelico  qui  a  communi- 
qué à  tous  ses  personnages  sa  propre  candeur  et 
leur  a  conservé  l'innocence  du  premier  âge,  mais 
les  anges  qu'il  a  placés  dans  son  célèbre  Paradis 
pourraient,  s'ils  le  voulaient,  entraîner  dans  leur 
chœur  plus  d'un  bambin  florentin  au  regard 
clair  et  aux  chairs  potelées.  L'enfant  au  Dau- 
phin de  Verrocchio,  les  enfants  dont  Desiderio  de 
Sellignano  a  orné  le  tombeau  du  chancelier  Mar- 
suppini,  la  frise  de  la  chapelle  des  Pazzi  dans  le 
cloître  de  Santa  Groce,  les  Enfants  chantants  de 
Lucca  délia  Robbia  et  les  Enfants  dansants  de 
Donatello  qui  sont  conservés  à  TOpéra  du  Dôme, 
pour  ne  point  parler  des  bambini  épars  dans  les 
tableaux  d'autels,  sont  les  fleurs  les  plus  char- 
mantes de  ce  musée  de  l'Enfance.  Rien  n*y  égale 
cependant  la  délicieuse  suite  des  médaillons  de 
la  façade  de  l'Hospice  des  Innocents  où  Andréa 
délia  Robbia  a  exprimé  avec  une  si  parfaite  dou- 
ceur la  pitié  pour  les  tout  petits. 

Que  l'enfant  grandisse,  que  ses  grâces  indé- 
cises se  précisent,  qu'arrivé  à  Tâge  de  la  puberté, 
nerveux  et  souple,  frôle  encore  et  déjà  vigou- 
reux, il  s'imprègne  de  beauté,  d'élégance,  et  son 
corps  harmonieux  sera  le  thème  favori  des  ar- 
tistes florentins.  Ghirlandajo,  Bolticelli,  Filippo 


—  111  — 

Lippi,  ont  donné  à  leurs  vierges,  àleurs  portraits 
déjeunes  filles,  à  leurs  figures  allégoriques,  une 
distinction  exquise  et  ont  chanté  «  la  vertu  ac- 
compagnée du  charme  de  la  jeunesse  »,  la  beauté 
chaste  des  corps  où  circule,  pure,  la  sève  de  la 
vie.  Des  sculpteurs  ont,  ainsi  que  Léonard  de 
Vinci,  préféré  à  la  grâce  féminine  la  force  aisée 
du  jeune  homme  et  ils  se  sont  complu  à  fixer 
cet  âge  heureux  et  fugitif  entre  tous  où  Tadoles- 
cenl  unit  à  la  puissance  le  rythme  nombreux 
des  lignes  et  semble  allier,  un  instant,  des  per- 
fections presque  contradictoires. 

Ce  sont  ces  aspirations  qui  guidaient  Ben  ve- 
nu to  Gellini  quand  il  modelait  son  Persée,  c'est 
dans  cet  esprit  que  tant  de  Florentins  ont  célébré, 
sans  se  lasser,  le  triomphe  de  David.  Verrochio  a 
fait  un  David  de  bronze  que  Ton  admire  au 
Bargello,  et,  dans  une  salle  voisine,  s'opposent 
deux  Davidy  Tun  de  bronze,  l'autre  de  marbre, 
tous  deux  de  Donatello.  Michel-Ange  lui-même, 
qui  se  complut  à  donner  à  ses  créations  une 
vigueur  surhumaine,  a  été  sensible  à  ce  charme. 
Florence  conserve  de  lui  V Adonis  7nourant,  lo 
Bacchus  et  Julien  de  Mèdicis,  trois  statues  de  la 
forme  juvénile  et  a  dressé  sur  une  place  qui 
domine  la  ville  le  moulage  en  bronze  du  David 
colossal  dont  l'original  précieux  est  maintenant 
à  l'Académie.  Mais  Michel-Ange,  môme  quand 
il  s'en  défend,  marque  sur  le  front  de  ses  héros 


—  112  — 

les  préoccupations  de  la  pensée,  il  les  dépouille 
de  la  sérénité  et  de  la  confiance  et  par  là,  invo- 
lontairement, il  les  vieillit.  C'est  aux  maîtres 
moins  complexes,  qui  ont  vécu  avant  lui,  qu'il 
faut  demander  le  type  de  la  jeunesse  virile  telle  que 
l'ont  aimée  les  Florentins.  Il  me  semble  que  Dona- 
tello,  dans  son  Saint  Georges,  s'est  plus  que  per- 
sonne rapproché  de  cet  idéal  maintes  fois  pour- 
suivi. Saint  Georges,  qu'une  piété  délicate  a  retiré 
d'Or  San  Michèle  pour  le  conserver  au  Bargello, 
se  campe  dansune  ferme  et  modeste  attitude  ;  son 
corps  est  nerveux  et  fort,  et  son  regard  droit, 
exempt  de  méditation  et  de  calculs,  est  plein  de 
simplicité  loyale  et  de  dignité. 

Eprise  de  grâce  et  de  souplesse,  Florence,  mal- 
gré l'exemple  de  Michel-Ange,  ne  put  apprendre 
à  célébrer  dignement  la  plénitude  de  l'âge  mur. 
Ses  sculpteurs  échouèrent  en  des  œuvres  infé- 
rieures ou  risibles.  Les  statues  dont  Vincente 
Rossidécorala  salle  des  GinqCentsdu  Palais  Vieux, 
celles  de  Vincente  Danli  qu'on  voit  au  Bargello 
sont  tourmentées  et  médiocres  ;  les  colosses  de 
Bandinelli  sont  presque  ridicules  ;  le  Neptune 
d'Ammanati,  sur  la  place  de  la  Seigneurie,  le 
Bianconey  comme  l'appellent  les  Florentins,  est 
grotesque.  Quant  aux  peintres  qui,  aux  quator- 
zième et  quinzième  siècles  ont  couvert,  avec  tant 
d'abondance,  les  murailles  des  Palais,  des  Eglises 
el  des  Cloîtres,  après  Andréa  del  Sarto  qui  a  décoré 


—  113  — 

le  cloître  de  TAnnuiiziala  et  celui  du  Scaizo  de 
fresques  toutes  pleines  encore  de  fraîcheur  et 
de  légèreté,  il  semble  qu'ils  soient  épuisés  ou 
plutôt  ils  transportent  ailleurs  leur  activité.  Ils 
n'ont  pas  ici  signé  une  seule  page  remarquable 
et  cela  est  fort  heureux  car,  tels  que  nous  con- 
naissons ces  maîtres  présomptueux  et  prolixes, 
ils  n'auraient  pas  hésité  à  détruire,  pour  étaler 
leur  verve  banale,  les  chefs-d'œuvre  de  leurs 
prédécesseurs. 

Ainsi  s'explique  le  silence  de  Florence  après 
les  premières  années  du  seizième  siècle.  Aucun 
de  ses  artistes  n'a  songé  à  célébrer  le  triomphe  dfj 
TEté  et  Y  Allégorie  du  Printemps,  ce  poème  ra- 
dieux et  chaste  où  Botticelli  a  exalté  le  charme  de 
la  jeunesse  et  des  fleurs  : 

La  graa  variazion  de'freschi  mai  (1)» 

demeure  pour  nous  le  symbole  des  aspirations 
esthétiques  de  Florence. 

(4)  Dante,  Purgatorio,  XXVIII,  12. 


Noire  promenade  est  terminée  —  trop  brève  et 
bien  incomplète;  Nous  avons  à  peine  jeté  les  yeux 
sur  les  objets  qui  nous  ont  frappés  et  nous  avons 
laissé  enlièrement  de  côté  des  aspects  essentiels. 
Le  génie  littéraire  de  Florence,  l'ardeur  avec 
laquelle  elle  élabora  la  pensée  antique,  la  gloire 
de  ses  poètesjde ses  platoniciens,  de  seshumanistes 
nous  les  avons  oubliés  et  nous  n'avons  été  chercher 
ni  dans  les  Bibliothèques,  ni  dans  les  Palais  des 
Médicis  les  souvenirs  de  cette  grandeur.  Il  faut 
pourtant  nous  éloigner  ;  comme  tous  les  voya- 
geurs, nouô  aurons  le  regret  de  n'avoir  pas  ac- 
compli le  programme  idéal  et  irréalisable  de  ne 
rien  négliger. 

Sortons  de  Florence,  mais,  avant  de  l'aban- 
donner, cherchons,  après  l'avoir  vue  par  le  détail, 
à  en  saisir  l'ensemble.  De  la  colline  de  Fiésoles 
qui  s'élève  au  nord-est  ou  de  la  plate-forme  de 
San  Miniato  qui  regarde  la  ville  du  sud,  on  peut 
également  jouir  de  ce  spectacle.  A  Fiésoles,  on  est 
plus  haut  et  plus  loin  ;  à  San  Miniato  on  touche 
presque  les  murs  et  l'on  s'élève  à  peine  au-dessus 
des  monuments;  d'un  point  de  vue  on  analyse 
davantage,  Tautre  donne  une  impression  totale 
plus  nette. 

Pour  aller  à  San  Miniato  nous  suivons  le  viale 
dei    Golli  jusqu'au    Piazzale    Michel   Angiolo, 


—  113  ^ 

terrasse  grandiose  d'où  la  vue  s'étend  déjà  au  loin  ; 
puis  nous  moulons  parmi  des  penles  naturelles 
et  des  monlicules  artificiels  près  des  murs  et  des 
remparts,  aujourd'hui  ruinés,  que  Michel-Ange 
improvisa  jadis  pour  défendre  la  liberté  de  sa 
patrie.  Nous  arrivons  ainsi  à  la  plate -forme  sur 
laquelle  fut  édifiée,  en  plein  moyen  âge,  avant 
l'époque  du  grand  développement  de  Florence, 
San  Miniato  al  Monte,  église  simple  et  solennelle 
dont  la  façade  de  marbres  noira  et  blancs  est 
dominée  par  une  vieille  mosaïque  que  le  temps 
n'a  pas  ternie  et  par  un  aigle  de  bronze  tout  chan- 
celant de  vieillesse.  L'église  même  est  une  des 
fleurs  les  plus  odorantes  de  la  Toscane;  toutornéQ 
demosaïquesde  marbre,  elle  conserve  des  fres- 
ques des  premiers  âges  de  la  Renaissance,  une 
chaire  de  Técole  des  Cosmas  et  aussi  des  monu- 
ments d'une  harmonie  achevée  deRossellino,  de 
Baldovineltielde  Lucca  délia  Robbia,  reliquaires 
précieux  de  la  pensée  florentine. 

Devant  le  parvis  de  Téglise  est  un  cimetière, 
blanc  de  pierres  tombales.  Les  Florentins,  dans 
leur  amour  passionné  de  leur  cité,  ont  désiré 
reposer  en  ce  lieu  d'où  l'on  découvre  toute  la  ville. 

El  Florence  s'étend  à  nos  pieds  au  milieu  de  la 
plaine  toscane  où  circule  le  bel  Arno, 

Bel  fîume  d'Arno  (1). 
(I)  Danle.  ïnfei^o,  XXIII,  34. 


—  116  — 

et  que  circonscrivent,  de  toutes  parts,  des  col- 
lines d'altitude  médiocre,  au  relief  et  aux  formes 
adoucis.  Dans  ce  cirque  qui  l'entoure  sans  la 
comprimer  et  sans  Técraser,  elle  s'étend  à  loisir 
et  il  semble  qu'il  y  ait  une  harmonie  véritable 
entre  la  ville  et  la  vallée.  Depuis  le  profil  ondulé 
qui  ferme  l'horizon  jusqu'aux  bords  du  fleuve, 
tout  semble  cohérent  et  sympathique,  et  c'est 
vraiment  un  spectacle  qui  satisfait  l'œil  et  ne 
laisse  rien  désirer  à  l'esprit  que  le  panorama  de 
Florence.  Rien  qui  émeuve  avec  violence,  pas  de 
formes  étranges,  pas  de  symphonie  éclatante 
de  couleurs,  mais,  en  revanche,  le  charme  pai- 
sible et  exquis  des  lignes  souples  dont  laccord 
est  profond,  de  formes  délicates  bien  qu'un  peu 
grises  qui  se  fondent  depuis  les  premiers  plans 
jusqu'aux  fonds  lointains  où  se  perd  la  vue,  d'une 
harmonie  qui,  môme  au  cœur  de  Tété,  donne  la 
sensation  et  l'illusion  du  printemps.  Florence  se 
déploie,  grise,  confuse,  sous  la  protection  des 
deux  monuments  qui  la  dominent  et  forment  les 
notes  capitales  de  sa  physionomie  :  le  Vieux  Pa- 
lais, symbole  de  la  vie  politique  et  le  Dôme,  sym- 
bole religieux  et  plus  encore  artistique.  La  masse 
sévère  et  imposante  de  la  coupole  de  Brunelleschi 
se  détache  en  lignes  pures  et  semble  couvrir  la 
ville  tout  entière  de  sa  protection  et  de  son 
ombre. 
Puis,  quand  Taltention  s'est  détachée  des  deux 


—  117  — 

chefs  du  chœur,  le  regard  se  promène  sur  tous 
les  quartiers  de  Florence,  se  repose  sur  les  Cas- 
éine verdoyantes,  admire  les  quais  de  TArno,  et 
découvre  successivement  les  clochers  ou  les  tours 
qui  permettent  de  saluer  les  édifices  aimés  :  Saint- 
Laurent,  Sainte-Marie-^Nouvelle,  le  Bargello,  la 
Badia,  Santa  Croce,  et  les  souvenirs  surgissent, 
souvenirs  d'histoire  et  d'art,  accordés  par  le  temps 
en  une  symphonie  uniqu<>. 

Ainsi,  du  parvis  de  San  Miniato,  s*oflFre  à  nous 
Florence.  De  la  hauteur  de  Fiésoles  la  vue  est 
moins  distincte,  moins  analytique  ;  elle  est,  peut- 
être,  plus  complète. 

Les  chemins  en  lacet  qui  conduisent  à  Fiésoles 
sont  bordés,  de  figuiers  dont  le  feuillage  d'un 
vert  mat  se  marie  aux  folioles  grises  et  argentées 
des  oliviers  en  un  ton  neutre  et  doux.  Peu  à  peu 
on  s'élève;  on  laisse  derrière  soi  la  ville  qui 
s'éloigne  sans  cesse,  parait  plus  confuse  et,  en 
môme  temps,  se  découvre  plus  complète,  dans 
tous  ses  développements,  dans  ses  boulevards, 
dans   ses   faubourgs. 

El,  quand  on  a  gravi  le  sommet,  quand  on  s'est 
élevé  au-dessus  des  derniers  figuiers  verts  et  des 
derniers  oliviers  gris,  que  le  regard  s'étend  jus- 
qu'aux limites  de  Thorizon  sans  rencontrer  nulle 
part  de  masse  hostile  qui  masque  ou  limite  la 
vue,  alors  on  sent  pleinement  la  beauté  sereine 
de  Florence  et  Ton  voit  combien  ici  Thomme  et 


—  H8  — 

la  nalure  se  sont  élroilement  liés.  Depuis  le  som- 
met de  la  colline  jusqu'au  centre  de  la  ville  tout 
ici  parait  se  répondre  et,  toujours  fier,  imposant, 
immense,  s'élève  comme  la  pointe  centrale  d'un 
bouclier,  le  dôme  de  Bruneileschl  autour  duquel 
rayonnent  les  maisons,  les  monuments  et  les 
ondulations  de  la  terre  toscane. 

Ici  on  est  trop  loin  pour  que  chaque  édifice 
arrête  rœil  et  sollicite  le  souvenir  :  tout  est  con- 
fondu ou  plutôt  tout  est  fondu  et  le  regard  se 
repose  longuement,  satisfait  de  l'impression  se- 
reine que  tout  concourt  à  faire  naître. 

Florence  !  combien  il  est  amer  à  ceux  qui  t'ont 
connue  et  aimée  de  ne  pas  demeurer  dans  ton 
enceinte,  et  comme  on  s'associe  aisément  à  la 
douleur  inguérissable  que  ressentaient  jadis  ceux 
de  tes  citoyens  que  tu  avais,  avec  Dante,  chas- 
sés cruellement  loin  de  leur  beau  bercail, 

Del  bcllo  ovile  (i). 

On  rêve  de  passer  à  Venise  quelques  heures 
enivrantes  dont  le  souvenir  charmera  la  vie  et 
s'associera  à  celui  de  journées  de  bonheur,  mais 
on  a  rarement  souhaité  viyre  près  du  Grand  Canal 
et  du  Lido.  On  sent,  au  contraire,  que  l'exis- 

(1)  Dante,  Paradiso,  XXV,  2. 


—  119  — 

tence  s'écoulerait  à  Florence,  parmi  lant  de  tré- 
sors aimables,  dans  un  épicuréisme  voluptueux 
el  léger;  l'on  regrette  de  ne  pouvoir  y  demeurer, 
lame  bercée  sans  secousses  ni  violences,  et  Ton 
se  dit,  avec  émotion,  quand  on  la  quitte,  qu'il 
serait  très  doux  d'y  vieillir  au  contact  vivifiant 
de  l'Art,  de  la  Jeunesse  et  du  Printemps. 

Léon    ROSENTHAL 


HISTOIRE 

DE  CE  QUI  S'EST  PASSÉ  AU  MOIS  DE  NOVEMBRE  1674 

EN  LA  CURE  DE  MAILLY-L'ÉGLISE 
TOUCHANT    L'APPARITION  D'UN  ESPRIT 

DRESSEE    PAR    MOI,    EDME-EDOUARD    SAIN 

MAITRE    d'école    DUDIT    LIEU 

PAR     l'ordre     du     RÉVÉREND     PERE     LEGRAND 

DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS 


10 


% 


HISTOIRE 

DE  CE  QUI  S'EST  PASSÉ  AU  MOIS  DE  NOVEMBRE  1674 

EN  LA  CURE  DE  MAILLT-L'ÉGLISE  d) 
TOUCHANT    L'APPARITION    D'UN    ESPRIT 

DRESSEE     PAR     MOI,     EDME-BERNaRD     SAIN  . 

MAITRE  d'École  dudit  lieu 

PAR    L*0RDRE    du    révérend    PÈRE    LEGRAND    (2) 
DE   LA   COMPAGNIE    DE   JÉSUS 


Le  premier  jour  de  novembre  1674,  jour  de  la 
fête  de  tous  les  saints,  on  sonna  les  matines  au 
dit  lieu  de  Mailly,  environ  à  cinq  heures  du  ma- 
tin, si  bien  que  le  second  coup  étant  sonné,  je 


(4)  La  commune  des  Maillys,  canton  d' A axonne,  est  formée  de» 
hameaax  do  MailIy-l'Eglise,  Mailly-IeChMeau,  Mailly-le-Port  et 
Mailly-Ia-Ville. 

Le  château  de  M.  de  Berbis,  qui  était  seigneur  des  Maillys  à 
l'époque  où  se  sont  passés  les  faits  rapportés  plus  haut,  fut  construit 
sous  Henri  III  par  M.  de  Rouvray. 

(2)  Etienne  Legrand,  d'une  ancienne  famille  originaire  de  fiai- 
gneux^né  en  1618,  fut  élevé  à  Auxonneet  entra  dans  la  Compagnie 
de  Jésus.  Après  avoir  proche  pendant  25  ans  et  exercé  les  fonctions 
de  recteur  aux  collèges  de  Metz^  d*Autun  et  de  Laogres,  il  fut 
député  à  Rome  en  qualité  de  procureur  de  sa  province  et  mourut 
à  Dijon  le  26  février  468^ 

Les  armes  des  Legrand  étaient  :  vairéd'or  et  de  gueules. 


—  124  — 

m'en  allay  avec  le  marguiller  en  la  cure,  ou  je 
trouvai  Messire  Jean-Bapliste.  Guichard  curé  du 
dit  lieu,  qui  se  levait  et  après  lui  avoir  donné  le 
bon  jour,  il  me  dit  qu'il  croyoit  qu'il  revenoil  des 
esprits  en  sa  maison  eu riale,  et  qu'il  avoit  entendu 
du  bruit  pendant  la  nuit  et  au  même  instant  la 
clef  de  la  porte,  quiétoit  pendue  à  un  clou  derrière 
icelle  fut  prise  et  jettée  au  milieu  de  la  chambre 
avec  quelques  morceaux  de  verre  et  quelques  pe- 
tites briques.  Ensuite  nous  sortîmes  de  la  maison 
pour  aller  dire  les  matines  et  le  reste  du  jour  se 
passa  sans  aucun  bruit. 

Le  2®  novembre,  je  fus  trouver  le  dit  sieur 
curé,  entre  cinq  et  six  heures  du  matin,  pour 
l'accompagner  pour  prier  Dieu  pour  les  trépassés  : 
je  lui  demandai  ce  qu'il  avoit  entendu  pendant 
la  nuit  ;  il  me  dit  qu'il  n'avoit  rien  entendu, 
mais  que  depuis  un  quart  d'heure,  le  dit  Esprit 
avoit  pris  un  fort  gros  charbon  de  feu,  et  l'avoit 
jette  dans  une  autre  chambre  de  la  dite  cure,  qui 
fut  écrasé  par  mon  fils  qui  servoit  le  dit  sieur 
curé,  avec  des  morceaux  déterre  et  de  briques 
de  carreaux  qui  furent  jettes  en  grand  nombre  par 
toute  la  maison  tant  sur  le  lit  du  dit  curé,  sur  la 
table,  que  trois  ou  quatre  qui  tombèrent  tant  sur 
moi  que  sur  le  petit  garçon.  Sur  cela  nous  allâ- 
mes à  l'église  faire  notre  office.  Mais  le  soir  étant 
arrivé  le  dit  sieur  curé  soupa  assès  paisiblement, 
mais  ayant  soupe  et  voulant  compter  quelqu'ar- 


—  125  — . 

gent  pour  faire  venir  la  provision  pour  le  diman- 
che, il  lui  fut  jette  par  quatre  ou  cinq  fois  un  fer 
de  cheval  tout  autour  de  luy  et  avec  une  très 
grande  force. 

Outre  plus,  il  y  avoit  un  réchaud  dans  une 
autre  chambre  qui  fut  pris  et  jette  sous  le  lit  du 
dit  sieur  curé  avec  les  grils  et  généralement  toute 
la  vaiselle  tant  d'étain  que  autre. 

Le  dit  sieur  curé  voyant  qu'il  ne  pouvoit  de- 
meurer en  sa  maison  parmi  tant  de  bruit  et  de 
danger,  fit  prendre  une  lanterne  à  ce  petit  garçon 
et  me  vint  trouver  en  ma  maison,  et  m'ayant 
prié  de  vouloir  aller  à  la  cure  pour  lui  tenir  com- 
pagnie, et  étant  entré,  nous  relevâmes  une  par- 
lie  de  ce  qui  avoit  été  jette  par  la  maison. 

Mais  étant  dans  Tune  des  chambres  tout  se 
renversoit  dans  l'autre,  môme  quinze  ou  seize 
sous  de  deniers  qui  étoient  comptés  sur  la  table, 
comme  est  dit  ci-dessus,  qui  furent  tous  jettes  par 
la  chambre.  Mais  comme  je  voulus  m'opiniâlrer 
à  les  ramasser,  il  y  avoit  un  flambeau  d'étain 
qui  se  montoit  à  vis,  lequel  fut  démonté,  dont  le 
chandelier  me  fut  jette  entre  les  jambes,  et  le 
pied  d'un  autre  côté.  Enfin  le  dit  sieur  curé, 
voyant  tout  ce  désordre,  se  résolut  à  quitter  sa 
maison  pour  aller  coucher  autre  part,  et  pour  cet 
eflTet,  il  serra  ce  qui  lui  plut,  et  entre  autres  cho- 
ses, il  y  avoit  dans  un  sac  de  toile  blanche,  en- 
viron de  8  à  9  francs  de  derniers  qu'il  posa  sur 


_  426  — 

la  dilte  lable,  et  cependant  qu'il  mettoit  ordre  à 
quelque  chose,  il  me  dit  de  fermer  un  cabinet 
avec  un  cadenas, et  en  le  fermant  il  mit  la  main 
sur  le  dit  sac  lequel  fut  tiré  de  dessous  avec  vio- 
lence  et  iceluy  jette  tout  au  travers  de  la  cham- 
bre, mais  rayant  ramassé,  je  le  mis  dans  ma 
poche,  et  après  avoir  regardé  un  peu  de  temps 
pendant  lequel  il  fut  jette  et  renversé  tous  les 
ferrements  servants  au  feu,  comme  les  pelles,  les 
tenailles,  pincettes  et  aulres  choses. 

Enfin  étant  sortis  de  la  maison,  nous  allâmes 
chez  un  nommé  Paul  Pillot  hôte  au  dit  Mailley 
TEglise  chès  lequel  il  se  trouva  plusieurs  person- 
nes qui  ayant  appris  l'afifaire  voulurent  tourner 
le  tout  en  raillerie  et  qu'ils  iroient  en  la  cure  sans 
rien  craindre,  môme  assuroient  leur  dire  avec 
jurements,  notamment  un  nommé  Claude  Jovi- 
net.  Si  bien  que  le  dit  sieur  curé  pour  les  obliger 
à  tenir  leurs  promesses,  et  leurs  paroles,  leur 
donna  la  clef  du  susdit  cabinet  ou  étoit  son  vin 
et  leur  dit  que  s'ils  vouloient  en  aller  tirer,  il  leur 
en  donnoit  tout  ce  qu'ils  en  voudroient  boire.  Et 
prenant  pour  cet  effet  deux  lanternes  et  moi  en 
leur  compagnie,  nous  allâmes  en  la  cure,  dont 
ayant  ouvert  la  porte  j'y  entrai  le  premier  pour 
faire  voir  audit  Jovinet  le  désordre  qui  étoit  en  la 
dite  maison  ;  icelluy  pourtant  demeure  au  bout  de 
la  table,  où  il  ne  fût  pas  sitôt  arrêté,  qu'il  lui  fut 
jette  une  pierre  sur  la  tête  qui  pesoit  pour  le  moins 


—  127  — 

8  à  9  livres,  sans  toutefois  lui  faire  de  mal  du 
moins  fort  peu.  Ce  que  voyanl  nous  sortîmes  tous 
de  la  maison  ou  nous  étions  tant  dans  la  chambre 
que  dans  la  gallerie  pour  le  moins  8  ou  9  person- 
nes, sans  lirer  du  vin  comme  ces  gens  là  Ta  voient 
promis.  Enfm  nous  nous  retirâmes  et  le  curé  cou- 
cha en  la  maison  du  dit  Pillol,  et  laissa  la  maison 
en  garde  à  l'esprit. 

La  nuit  étant  presque  passée,  ledit  sieur  curé 
pensant  retourner  chez  lui  avec  ledit  Jovinet, 
qui  avoit  couché  avec  lui.  fut  bien  surpris,  lors- 
que voulant  entrer,  les  pierres,  les  briques,  les 
mottes  de  terre,  les  pots,  les  aiguières  et  généra- 
lement tout  ce  qui  étoit  dans  la  maison  fut  ren- 
versé, si  bien  que  n'osant  y  entrer,  ils  me  vin- 
rent trouver  de  compagnie,  et  me  dirent  tout  ce 
qui  se  passoit,  et  même  ledit  Jovinet  me  défia 
d'aller  en  ladite  cure.  Je  lui  fis  réponse  que  pour 
gageure  ni  pour  défi  je  n'y  voudrois  pas  aller, 
mais  que  si  ledit  sieur  curé  avoit  quelque  chose 
à  faire,  j'étois  prêt  à  y  aller  ;  lequel,  pour  m'o- 
bliger  à  y  aller  me  pria  de  lui  aller  quérir  une 
chandelle  et  la  clef  de  l'armoire  où  étoit  le  ca- 
lice. Ayant  donc  pris  sa  clef,  je  m'en  allai  à  la 
cure,  ou  je  ne  fus  pas  plutôt  entré  que  je  reçus 
un  coup  de  brique  sur  le  dos  ;  je  m'avance  pour 
prendre  ladite  chandelle,  et  il  m'en  tomba  une 
autre  sur  la  tête.  Prenant  ladite  clef,  je  reçus 
un  autre  coup  sur  l'épaule  droite,  et  enfin  vou- 


—  128  — 

lant  sortir  de  la  maison,  une  autre  me  donna 
sur  Teslomac  et  sur  le  genou.  De  là  étant  retour- 
né auprès  du  curé  et  dudit  Jovinet  qui  avoit 
encore  reçu  deux  ou  trois  coups  étant  sur  le  cime- 
tière, dont  il  se  plaignoil  assez,  nous  allâmes  à 
TEglise,  ou  ledit  sieur  curé  ayant  pris  le  rituel,  il 
lisoit  les  prières  qui  sont  propres  contre  tels  Es- 
prits :  je  tenoisla  chandelle  ledit  sieur  curé  lisoit, 
et  ledit  Jovinet  étoit  auprès  de  nous,  sur  le  nez 
duquel  il  tomba  une  brique  de  pavement  bien 
de  la  grosseur  de  deux  œufs.  De  là  nous  retour- 
nâmes à  la  cure  où  il  se  trouva  plus  de  vingt 
personnes  du  village  qui  virent  jetter  les  pots,  les 
plats  et  les  aiguières  d'une  chambre  à  l'autre,  si 
bien  que  c'éloit  une  horreur  de  voir  tout  cela, 
même  un  pot  de  terre  qui  fut  cassé  tout  à  mes 
pieds.  M.  le  curé  voyant  sa  vaisselle  à  la  veille 
d'être  toute  gâtée,  se  résolut  de  Tôter  et  en  effet 
nous  la  portâmes  toute  à  l'Eglise. 

Tout  cela  se  passa  donc  le  jour  de  saint  Hubert 
3^  de  novembre,  que  ledit  sieur  curé  célébra  la 
sainte  messe,  et  de  là  prit  la  résolution  d'aller 
en  la  ville  d'Auxonne  pour  donner  avis  tant  à 
M.  rOfûcial  dudit  lieu,  que  pour  prier  les  Révé- 
rents  pères  capucins  (1)  de  venir  voir  tout  cela. 
En  effet  il  y  fut  le  môme  jour  :  le  reste  de  la  jour- 

(t)  Les  Capucins  furent  établis  à  Âuxonneen  4648  par  J.B.  Mon- 
richard,  seigneur  de  Flammerans^  dans  la  maison  de  Jean  Mol, 
vendue  750  livres  :  la  première  pierre  fut  posée  le  7  avril  4610. 


—  429  — 

née  on  ne  remarqua  rien,  sinon  qu'on  enlen- 
doit  toujours  du  bruil,  et  la  cure  demeura  aban- 
donnée. Le  curé  n'y  coucha  pas,  d'autant  que 
passant  autour  d'icelle  nous  reçûmes  toujours 
quelques  coups  en  passant. 

Ayant  donc  passé  la  nuit,  le  dimanche  matin, 
la  messe  fut  dite  à  l'ordinaire  et  après  icelle  on 
dinaà  la  cure  ou  M.  Berbis  (1),  seigneur  dudit 
Mailley  dina  sans  voir  ni  entendre  aucune  chose. 
Le  soir  comme  on  fut  prêt  à  souper,  que  mondit 
seigneur  de  Maiiley  et  M.  son  frère  (2),  ma- 
jor des  ville  et  château  d'Auxonne  y  étoient  le 
R.  P.  Emanuel  et  le  frère  Donat  capucins  de  la- 
dite ville  y  entrèrent  et  après  s'être  salué  on  se 
mit  à  la  table  où  on  soupa  bien  au  repos.  Après 
souper  on  devisa  de  plusieurs  choses,  entre  les- 
quelles le  père  Emanuel  raconta  quelques  his- 
toires du  retour  des  Esprits  et  enfin  dit  ;  Dieu 
grâces,  M.  le  curé,  vous  voyez  que  notre  Esprit 
est  bien  sage  et  qu'il  ne  nous  dit  rien.  Tout  aus- 


(4)  Bénigne  Berbis,  seigneur  des  Maillys,  baptisé  à  Beaune  le  17 
septembre  4625^  était  fils  de  Jean  Berbis,  receveur  des  gabelles  à 
Beaune  et  de  Anne  de  la  Marre.  Avocat  au  Parlement  de  Bour- 
gogne, il  épousa  à  Chalon  le  ?6  juin  1694,  Marguerite  Brunet. 

(2)  Jean-Baptiste  Berbis,  seif^neur  de  la  Serve  et  d'Auxey,  frère 
du  précédent,  capitaine  au  régiment  d*UielIes,  puis  major  de  la 
ville  d'Auxonne  en  4673,  épousa,  Ije  9  mai  1660,  Henriette  Lorenchet, 
fille  de  Biaise  Lorenchet,  secrétaire  du  roi,  et  de  AnneLoppin. 

Les  Berbis  portaient  :  dazur  au  chevron  d'or  accompagné  en 
pointé  d'une  brebis  dargent* 

11 


—  130  — 

sitôl  ledit  Esprit  prit  une  branche  d'une  salière 
qui  éloit  rompue,  et  la  jetta  sur  la  table  devant 
toute  la  compagnie.  J'élois  lors  assis  sur  le  coffre 
dudit  curé,  et  il  me  tomba  en  môme  temps  une 
petite  brique  sur  le  genou.  On  vit  encore  un 
grand  clou  sur  la  table,  et  finalement  ce  fer  à 
cheval  dont  j'ai  parlé  ci-devant  qu'on  avoit  caché 
sous  ledit  cofi're  fut  pris  et  jette  sous  ladite  table 
et  qui  toucha  le  pied  dudit  frère  Donat. 

Voilà  ce  qui  se  passa  le  soir.  Ces  messieurs  se 
retirèrent  et  après  avoir  prié  Dieu,  nous  flmes 
bon  feu  et  nous  passâmes  la  nuit  fort  paisiblement 
sans  voir  nientendre  aucune  chose.  Ces  Messieurs 
qui  s'en  allèrent  avec  M.  le  Curé  du  moins 
M.  desMailley,  recul  un  coup  sur  le  chapeau,  et 
M.  le  Curé  aussi  en  passant  sur  le  cimetière, 
mais  comme  ils  éloient  impatiens  de  sçavoir 
comme  ces  bons  religieux  et  moi  avions  passé  la 
nuit,  ils  vinrent  de  grand  matin  nous  demander 
ce  que  nous  avions  veu,  mais  ils  furent  bien 
réjouis,  notamment  M.  le  Curé  lorsqu'ils  SQurenl 
que  nous  avions  passé  la  nuit  aussi  paisiblement 
qu'ils  a  voient  pu  le  faire. 

Enfin  le  P.  Emmanuel  célébra  la  sainte  messe 
et  le  dit  sieur  Curé  aussi,  et  ils  s'en  retournèrent 
tous  au  dit  Auxonne  ou  M.  le  Curé  laissa  de 
l'argent  pour  faire  dire  quantité  de  messes.  Il 
ne  faut  pas  douter  si  nous  étions  bien  en  repos 
de  voir  que  notre  esprit  nous  avoit  traité  si  dour 


—  131   - 

cernent  depuis  24  heures.  Mais  au  retour  de 
M.  le  Curé,  il  nous  fit  bien  voir  qu'il  nous 
avoit  donné  ce  peu  de  relâche  pour  en  prendre 
lui-môme,  car  le  soir  il  jetla  plus  de  briques  qu'il 
n  avoit  fait  de  loulle  passé  :  môme  il  fut  remarqué 
qu'il  sortit  3  ou  4  foîsdes  serviettes  d'une  armoire 
qui  est  auprès  du  feu  et  qui  étoit  fermée  et  les 
jetloil  par  la  chambre  môme,  en  présence  de  7  à  8 
personnes  du  village,  quiétoient  là  par  curiosité, 
et  M.  le  Curé  ayant  eu  la  bonté  de  faire  tirer 
du  vin  pour  le  faire  boire,  il  tomba  plusieurs 
choses  sur  la  table,  sans  casser  aucune  chose  :et 
c'est  une  chose  A  remarquer  qu'il  tomba  une 
brique  sur  un  verre  qui  étoit  plein  de  vin,  fit 
bien  épancher  la  moitié  du  vin  sur  la  table. 

M.  Des  Mailley  et  M.  son  frère  sont  encore 
témoins  d'une  partie  de  ce  qui  se  passa  ce  soir  là, 
d'autant  qu'ils  y  soupèrent  encore:  comnie  de 
môme  il  fut  enlevé  un  fort  fçros  charbon  de  feu 
qui  fut  jette  le  môme  soir  en  présence  de  6  ou  7 
habitans  dudit  lieu,  et  qui  passa  par  dessus  la 
table  sans  toutefois  faire  un  grand  mal  ;  il  jetta 
encore  quelque  chose,  mais  ce  fut  peu  de  chose  ; 
on  enteuidit  quelque  bruit,  mais  jDetit  à  petit,  cela 
s'est  arrêté  tout  à  fait. 

M.  le  Curé  dit  plusieurs  messes,  et  donna 
encore  pour  en  dire,  si  bien  que  je  couchai  encore 
deux  ou  trois  fois  avec  lui,  pendant  lequel  temps 
il  ne  fut  veu,  ni  entendu  aucune   chose.  J'ai 


—  432  — 

oublié  une  remarque  qui  est  de  ces  derniers  qui 
furent  épanchés  le  vendredi  au  soir,  nous  ne 
pûmes  tout  retrouver,  et  nous  n'avions  laissé  au- 
cune chose  sur  la  table,  et  néanmoins  M.  lé 
Curé  le  matin  y  trouva  le  reste  desdits  deniers. 
Voilà  tout  ce  dont  je  me  suis  souvenu,  et  que 
je  proteste  être  la  vérité  môme  pour  avoir  veu  et 
entendu  tout  ce  que  dessus.  En  foy  de  quoi  je  me 
suis  soussigné. 

A  Porlans  ie  7  may  \  695 

Signe:  E.-B.  Sain 


LE  CLIMAT  DE  DIJON 


OBSERTATIO.NS  MÉTÉOItOlOGIQDES 


LE  CLIMAT  DE  DIJON 


OBSERVATIONS  MÉTÉOROLOGIQUES 


Sur  les  propositions  de  la  commission  météoro- 
logique que  j'ai  l'honneur  de  présider,  la  ville 
de  Dijon  a  fait  établir  au  jardin  de  TArquebuse 
un  observatoire  conforme  au  type  du  bureau 
centralmétéorologiquedeFrance.  Lesinslruments 
qu'il  renferme  consistent  en  divers  thermomètres 
(maxima,  minima,  enregistreur,  fronde)  et  en 
psychromètres  (enregistreur  à  cheveu  et  appareil 
à  double  thermomètre,  sec  et  humide). 

Les  observations  sont  faites  par  M.  Roux,  con- 
ducteur des  ponts  et  chaussées,  chef  de  bureau 
de  ringénieur  en  chef  du  département  et  par 
M.  Porte,  commis  des  ponts  et  chaussées,  em- 
ployé dans  mes  bureaux,  qui  le  supplée. 

En  outre  les  mômes  observateurs  notent  la 
direction  du  vent  et  Télat  du  ciel  à  8  heures  du 
matin,  au  moment  où  ils  font  leur  première 


—  136  — 

observation.  Une  deuxième  observation  est  faite 
à  5  heures  du  soir. 

Le  baromètre  est  observé  à  la  Faculté  des 
sciences  par  M.  Roy,  chef  des  travaux  pratiques 
de  physique  à  cette  faculté,  qui  mesure  également 
la  pluie  tombée.  Un  deuxième  udomètre  est 
observé  au  port  du  canal  de  Bourgogne  par  un 
agent  du  service. 

Toutes  les  observations  sont  faites  avec  une 
grande  compétence  et  avec  le  plus  grand  soin. 
Les  observateurs  son  t  d'au  tan  t  plus  dignes  d'éloges 
qu'ils  font  ce  travail  minutieux  et  assujétissant 
absolument  gratuitement.  Le  conseil  municipal 
qui,  au  moment  de  la  création  de  Tobservatoire, 
avait  voté  un  crédit  de  400  francs,  dont  200  fr. 
pour  rémunérer  les  observateurs  de  l'Arquebuse 
et  200  francs  pour  entretenir  les  instruments  et 
imprimer  les  observations.  Ta  supprimé  depuis 
deux  ans  par  raison  d'économie.  Les  membres  de 
la  commission  météorologique,  dont  M,  Roy  fait 
partie,  ne  recevaient  d'ailleurs  aucune  allocation, 
ni  sous  forme  de  jetons  de  présence,  ni  sous  toute 
autre  forme.  Quoi  qu'il  en  soit,  grâce  à  la  bonne 
volonté  de  MM.  Roux  et  Porte,  ces  observations 
si  utiles  et  si  intéressantes  ont  pu  être  continuées 
et  la  série  à  peine  commencée  n'aura  pas  été 
interrompue. 

Il  y  a  actuellement  quatre  années  entières 
d'observations,  savoir  ;  1899, 1900,  1901  et  1902. 


—  137  — 

Chaque  année  commence,  comme  il  est  d'usage 
en  météorologie,  par  le  mois  de  décembre  de 
l'année  précédente;  ainsi  l'année  1899  commence 
au  r*"  décembre  1898  pour  finir  au  30  novembre 
1899  et  ainsi  pour  les  autres.  Uannée  1903, 
commencée  au  1®^  décembre  1902  est  en  cours 
d'observations.  Nous  ne  rendrons  compte  que  des 
quatre  années  achevées. 

Il  n'est  pas  possible  de  publier  ici  les  observa- 
tions in  extenso  en  raison  du  grand  nombre  de 
tableaux  de  chiffres  qu'elles  comportent,  mais 
nous  donnerons  des  tableaux  résumés  plus  faciles 
à  consulter  pour  les  personnes  qui  ne  s'occupent 
pas  de  météorologie  d'une  façon  habituelle  et 
cependant  suffisamment  complets  pour  intéresser 
même  les  professionnels. 

Nous  relaterons  successivement  les  observations 
ayant  trait  ;  1°  à  la  température,  2^  à  la  pression 
atmosphérique,  3°  à  l'humidité  de  l'air,  4"*  à  la 
direction  des  vents  et  b''  à  l'état  du  ciel.  Pour 
chacune  de  ces  catégories  nous  commencerons 
par  l'année  moyenne,  c'est-à-dire  par  une  année 
idéale  dont  les  phénomènes  météorologiques 
seraient  la  moyenne  des  quatre  années  observées. 
Nous  ne  nous  dissimulons  pas  combien  un  laps 
de  temps  aussi  court  est  insuffisant  pour  établir 
une  moyenne  ;  mais  la  comparaison  de  chacune 
des  quatre  années  avec  cette  année  moyennen'en 
sera  pas  moins  fort  intéressante.  Gomme  tous  les 

12 


—  138  - 


ans  une  nouvelle  année  viendra  s'ajouter  à  celles 
écoulées,  Tannée  moyenne  résultant  de  son  addi- 
tion aux  précédentes  se  rapprochera  davantage 
de  la  moyenne  absolue  et  donnera  une  idée  de 
plus  en  plus  juste  du  climat  de  Dijon. 


1«  TEMPERATURE 

ANNÉE  MOYENNE 

L*année  moyenne  est  la  moyenne  des  années 
observées,  au  nombre  de  quatre  actuellement 
(1899  à  1902  inclusivemeni). 

La  température  moyenne  de  Tannée  entière  est 
de  10°  2. 

L'écart  entre  la  température  moyenne  mini- 
mum de  —  1 1°7  et  la  température  moyenne  maxi- 
mum de  35^3  est  de  47".  C'est  là  aussi  un  écart 
moyen  qui  variera  d'une  année  à  Tautre.  Le  mi- 
nimum de  —  11°  7  est,  en  effet,  la  moyenne  des 
minimades  quatre  années  qui  ont  varié  de —  6°7 
(1902)  à  —  lb°6  (1901),  et  il  en  est  de  môme  du 
maximum  3K**3  moyenne  des  maxima  compris 
entre  32^7  (1901)  et  38°4  (1900).  L'écart  total  des 
quatre  années  est  donc  en  réalité  de  b4°.  Si  au  lieu 
de  quaire  années  nous  pouvions  en  considérer  da- 
vantage cet  écart  augmenterait  encore.  Il  ne  doit 
pas  être  éloigné  de  6b°  d'une  façon  absolue,  ce 


-  139  — 

qui  classe  le  climat  de  Dijon  parmi  les  climats 
extrêmes.  Si  nous  ajoutons  que  les  variations  de 
température  se  font  d'une  façon  souvent  fort 
brusque,  on  en  conclura  que  le  climat  de  Dijon 
est  assez  rude.  L'année  moyenne  comporte  68 
jours  de  gelée  et  5  journées  où  le  thermomètre 
descend  à  plus  de  10*»  au-dessous  de  zéro.  Par 
contre  il  y  a  19  jours  où  la  température  dépasse 
30°. 

Uhiver  moyen  a  une  température  moyenne  de 
2*»5.  Le  nombre  de  jours  de  gelée  est  de  44  sur 
90,  soit  à  peu  près  moilié  et  pendant  cinq  jours 
le  thermomètre  descend  au-dessous  de  — 10°.  La 
température  moyenne  minimum  (moyenne  des 
températures  minima)  est  de  —  11**3. 

Le  printemps  moyen  a  une  température 
moyenne  de  9°4.  11  y  gèle  pendant  14  jours.  Le 
thermomètre  ne  descend  pas  au-dessous  de  — 10^ 
et  ne  dépasse  pas  30^ 

Vêlé  moyen  a  une  température  moyenne  de 
IS'^G.  Le  thermomètre  dépasse  30**  pendant  18 
jours.  La  température  moyenne  maximum  est 
de  35«>  3. 

h' automne  moye^ïï  a  une  température  moyenne 
de  10°1,  égale  à  0<»1  près  à  celle  de  l'année  en- 
tière. Il  gèle  pendant  10  jours,  par  contre  on 
compte  une  journée  où  le  thermomètre  dé- 
passe 30°. 


-  140  — 


ANNÉE  1891). 


Vannée  1899  a  élé  relativement  chaude,  sa 
température  moyenne  de  1 1°  0  dépasse  la  moyenne 
de  0^  8.  Le  nombre  de  jours  de  gelée  a  été  de  P8, 
inférieur  de  10  à  la  moyenne  et  le  nombre  de  jours 
où  le  thermomètre  a  dépassé  30°  de  20,  supérieur 
de  1  à  la  moyenne. 

L'/iiverde  1899  a  été  relativement  chaud.  La 
température  moyenne  de  4^4  dépasse  la  moyenne 
de  1°  9.  Il  a  gelé  pendant  32  jours,  soit  12  jours 
de  moins  que  la  moyenne  et  le  thermomètre  n'est 
descendu  au-dessous  de —  1 0'*  que  pendant  3  jours, 
soit  2  jours  de  moins  que  la  moyenne.  Le  jour  le 
plus  froid  a  été  le  23  décembre  1898  avec  une 
températureminimumde — 10°8  supérieure  de  0°o 
à  la  moyenne. 

Le  printemps  de  1899  a  eu  une  température 
moyenne  de  9°8,  supérieure  de  O'*^  à  la  moyenne. 
Il  a  gelé  pendant  14  jours,  exactement  comme  au 
printemps  moyen. 

Uété  de  1899  a  été  moyen.  La  température 
moyenne  de  19»  ne  dépasse  la  moyenne  que  de 
0^4.  Le  nombre  de  jours  où  le  thermomètre  a 
dépassé  30°  est  de  1 8  comme  pou  r  l'année  moyenne. 
Le  jour  le  plus  chaud  a  été  le  5  août  avec  une 
température  maximum  de  347,  inférieure  de 
0*»  6  à  la  moyenne. 


—   141    -T 

V automne  de  1899  a  eu  une  lempéralure  de 
10^  6  supérieure  de  0°  o  à  la  moyenne.  Il  a  gelé 
pendant  12  jours,  soit  2  jours  de  plus  que  la 
moyenne  ;  mais  le  thermomètre  a  dépassé  30*"  pen- 
dant 2  jours  au  lieu  d'un  pour  Tautomne  moyen. 

ANNÉE  1900. 

L'année  1900  a  eu  une  température  moyenne 
de  10^3,  supérieure  de  0°1  seulement  à  la 
moyenne  et  le  nombre  de  jours  où  le  thermo- 
mètre a  dépassé  30°  a  été  de  2b,  supérieur  de  6  à 
la  moyenne. 

L'hiver  de  1900  a  été  moyen,  avec  une  tempo- 
rature  moyenne  de  2°o,  égale  à  la  moyenne.  Il 
a  gelé  pendant  41  jours,  soit  3  jours  de  moins 
que  la  moyenne,  mais  le  thermomètre  est  des- 
cendu au-dessous  de—  10°  pendant  6  jours,  soitl 
jour  de  plus  que  la  moyenne.  La  journée  la  plus 
froide  a  été  le  12  décembre  1899,  le  thermomètre 
est  descendu  à  —  12°o,  température  inférieure 
à  la  moyenne  de  1«4. 

Le  iirintemps  de  1900  a  été  froid.  La  tempéra- 
ture moyenne  de  8'6  est  inférieure  de  0^8  à  la 
moyenne.  Il  a  gelé  pendant  21  jours,  soit 7  jours 
de  plus  que  la  moyenne. 

Vètè  de  1900  a  été  assez  chaud.  La  température 
moyenne  de  19M  dépasse  la  moyenne  de  0°ï). 
Le  nombre  de  jours  où  le  thermomètre  a  dépassé 


—  142  — 

30"  est  de  23,  soit  7  de  plus  que  la  moyenne.  Le 
jour  le  plus  chaud  a  été  le  26  juillet,  le  thermo- 
mètro  s*y  est  élevé  jusqu'à  38°4,  dépassant  la 
moyenne  de  3M . 

Vaulomne  de  1900  a  été  chaud.  Sa  tempéra- 
ture moyenne  de  10'*  8  est  supérieure  de  0°7  à  la 
moyenne.  Il  n'a  gelé  que  3  jours,  soit  7  de  moins 
que  la  moyenne  ;  toutefois  le  thermomètre  n'a 
pas  atteint  30*. 

ANNÉE  1901. 

U année  1901  a  été  froide.  La  température 
moyenne  a  été  de  9°7,  inférieure  de  O^o  à  la 
moyenne.  Le  nombre  de  jours  de  gelée  a  été  de 
84,  supérieur  de  16  à  la  moyenne.  Le  nombre 
de  jours  où  le  thermomètre  a  dépassé  30°  a  été 
de  16,  inférieur  de  3  à  la  moyenne. 

V hiver  àe  1901  a  été  froid.  La  température 
moyenne  n'a  été  que  de  0°9,  inférieure  de  1°6  à 
la  moyenne.  II  a  gelé  pendant  56  jours,  soit  12 
jours  de  plus  que  la  moyenne  et  le  thermomètre 
est  descendu  au- dessous  de  — 10°  pendant  9  jours, 
soit  4  jours  de  plus  que  la  moyenne.  La  journée 
la  plus  froide  a  été  le  22  février  où  le  thermomètre 
est  descendu  à  —  15*3,  température  inférieure  à 
la  moyenne  de  4°. 

Le  printemps  de  1901  a  eu  une  température  de 
9*8,  supérieure  à  la  moyenne   de  0%.  Il  a  gelé 


-  143  — 

pendant  13  jours,  soit  \  jour  de  moins  que  la 
moyenne  et  le  31  mai  le  thermomètre  a  dépassé 
30°  (31°  6). 

Uété  de  1901  a  été  moyen.  Sa  température 
moyenne  de  18°  7  ne  dépasse  la  moyenne  que  de 
0*^1.  Le  nombre  de  jours  où  le  thermomètre  a 
dépassé  30^  est  de  15,  soit  3  de  moins  que  la 
moyenne.  La  journée  la  plus  chaude  a  été  le  19 
juillet  avec  une  température  maximum  de  32<*  7 
inférieure  de  2**  6  à  la  moyenne. 

L'automne  de  1901  a  été  froid.  Sa  température 
moyenne  de  9®  3  est  inférieure  de  0°8  à  la  moyenne. 
Ilagelé  pendant  15  jours,  soit  5  jours  de  plus  que 
la  moyenne  et  le  thermomètre  n'a  jamais  atteint 
30o. 

ANNÉE  1902. 

L'ann^(?1902aété  froide  avec  une  température 
moyenne  de  9"8,  inférieure  de  0^4  à  la  moyenne. 
Le  nombre  de  jours  de  gelée  a  été  de  66,  inférieur 
de  2  à  la  moyenne,  mais  le  thermomètre  n'a  dé- 
passé 30"  que  pendant  14  jours,  soit  5  jours  de 
moins  que  la  moyenne. 

Vhiveràe  1902  a  été  moyen.  La  température 
moyenne  de  2°4  n'est  inférieure  à  la  moyenne 
que  deO°l.  Le  nombre  de  jours  de  gelée  a  été  de 
48,  supérieur  à  la  moyenne  de  4  jours  ;  mais  le 
thermomètre  n'est  jamais  descendu  au-dessous  de 


—  144  — 

—  10^.  Le  3  février,  journée  la  plus  froide,  le  ther- 
momètre n'est  descendu  qu'à  — 6°7,  soit  4^6  au- 
dessus  de  la  moyenne. 

Le  printemps  de  1902  a  été  moyen.  La  tem- 
pérature moyenne  de  9*5  ne  dépasse'  la  moyenne 
que  de  OM.  Il  a  gelé  pendant  8  jours  seulement, 
soit  6  jours  de  moins  que  la  moyenne. 

Vètê  de  1902  a  été  relativement  froid.  La  tem- 
pérature moyenne  17°o  est  inférieure  de  1**1  à  la 
moyenne.  Le  nombre  de  jours  où  le  thermomètre 
a  dépassé  30'  n'a  été  que  de  14,  inférieur  de  4  à 
la  moyenne.  Le  14  juillet,  journée  la  plus  chaude, 
le  thermomètre  a  atteint  3o°4,  dépassant  la 
moyenne  de  0"1  seulement. 

V automne  de  1902  a  été  plulôt  froid.  La  tem- 
pérature moyenne  de  9"6  est  inférieure  do  0*5  à 
la  moyenne.  Il  a  gelé  pendant  10  jours,  comme 
pour  l'année  moyenne,  mais  le  thermomètre  n'a 
pas  atteint  30°,  il  ne  s'en  est  fallu  cependant  que 
de  0°7. 

2^  PRESSION  BAROiMÉTRIQUE 
RAMENÉE  AU  NIVEAU  DE  LA  MER 

ANNÉE  MOYENNE 

Vannée  moyenne  a  une  pression  moyenne 
ramenée  au  niveau  de  la  mer  de  764  mm.  2  qui 


—  145  — 

dépasse  de  4  mm.  2  la  moyenne  admise  au  bord 
de  la  mer  de  760  mm.  Cette  pression  varie  en 
moyenne  de  747  mm.  7  à  778  mm.  9. 

Ù hiver  moyen  a  une  pression  moyenne  de 
764  mm.  8  avec  des  variations  moyennes  allant 
de  747  mm.  7  à  778  mm.  9.  Celle  dernière  est 
la  plus  forte  pression  moyenne. 

Le  p7^intemps  moyen  a  une  pression  moyenne 
de  762  mm.  6.  C'est  la  saison  où  la  pression  est 
la  plus  faible.  Elle  varie  en  moyenne  de  747  mm.  9 
à  773  mm.  9. 

Vètè  moyen  a  une  pression  moyenne  de 
763  mm.  8  variant  en  moyenne  de  754  mm,  1 
à  771  mm.  9. 

Vaulomne  moyen  a  une  pression  moyenne 
de  76b  mm.  2,  c'est  la  plus  forte  moyenne  des 
saisons.  Elle  varie  en  moyenne  de  731  mm.  8  à 
774  mm.  6. 

ANNÉE    1899. 

Vannée  1899  a  eu  une  pression  moyenne  de 
76o  mm.  7  supérieure  do  1  mm.  u  à  la  moyenne. 
L'écart  de  33  mm.o  (de  747  mm.  2  à  780  mm.  7) 
est  supérieur  de  2  mm.  3  à  la  moyenne. 

V hiver  de  1899  a  eu  une  pression  moyenne  de 
767  mm.  3,  supérieure  de  2  mm.  ;j  à  la  moyenne. 
L'écart  de  33  mm.  (2  de  747  mm.  îJ  à 780 mm.  7) 
est  supérieur  de  2  mm.  0  à  l'écart  moyen. 


—  146  - 

Le  printemps  de  1899  a  eu  une  pression 
moyenne  de  76'i  mm.  1  supérieure  de  1  mm.  5  à 
la  moyenne.  L'écart  de  33  mm.  2  (de  747  mm.  2 
à  780  mm.  4)  est  supérieur  de  7  mm.  2  à  la 
moyenne. 

Vêlé  de  1899  a  eu  une  pression  moyenne  de 
764  mm.  7  supérieure  de  0  mm.  9  à  la  moyenne. 
L'écart  de  21  mm.  1  (de  752  mm.  6  à  773  mm.  7) 
est  supérieur  de  3  mm.  3  à  l'écart  moyen. 

V automne  de  1899  a  eu  une  pression  moyenne 
de  766  mm.  8,  supérieure  de  1  mm.  6  à  la 
moyenne.  L'écart  de  26  mm.  0  (de  752  mm.  2 
à  778  mm.  2)  dépasse  la  moyenne  de  3  mm.  2. 

ANNÉE   1900. 

Vannée  1900  a  eu  une  pression  moyenne  de 
763  mm.  1,  inférieure  de  1  mm.  1  à  la  moyenne. 
L'écart  de  35  mm.  9  (de  743  mm.  9  à  779  mm.  8) 
est  supérieur  de  4  mm.  7  à  l'écart  moyen. 

L'hiver  (\e  1900  a  eu  une  pression  moyenne 
de  701  mm.  6  inférieure  de  3  mm.  2  à  Ja  moyenne. 
L'écart  de  35  mm.  9  (de  743  mm.  9  à  779  mm.  8) 
est  supérieur  de  4  mm.  7  à  l'écart  moyen. 

Le  j[?rm^(?m^;5del  900  aeuunepression  moyenne 
de  762  mm.  7  qui  ne  dépasse  la  moyenne  que 
do  0  mm.  1.  L'écart  de  27  mm.  0  (de  749  mm.  7 
à  776  mm.  7)  est  supérieur  de  1  mm.  0  à  la 
moyenne. 


—  147  — 

Uété  de  1900  a  eu  une  pression  moyenne  de 

763  mm.  2  inférieure  de  0  mm.  6  à  la  moyenne. 
L'écart  de  21  mm.  S5  (de  7S0  mm.  3  à  771  mm.  8) 
est  supérieur  de  3  mm.  7  à  la  moyenne. 

Vautomnede  1900  a  eu  une  pression  moyenne 
de76D mm.  0,  inférieure  de  0  mm.  2  à  la  moyenne. 
L'écart  de  28  mm.  2  (de  747  mm.  6  à  773 mm.  1) 
est  supérieur  de  b  mm.  4  à  la  moyenne. 

ANNÉE   1901. 

Vannée  1901  a  eu  une  pression  moyenne  de 

764  mm.  2  précisément  égale  à  la  moyenne. 
L'écartde  37  mm.  4  (de  740  mm.  7  à  778  mm.  8) 
est  supérieur  de  6  mm.  2  à  l'écart  moyen. 

L'hiver  de  1901  a  eu  une  pression  moyenne  de 
767  mm.  2  supérieur  de  2  mm.  4  à  la  moyenne. 
L'écart  de  26  mm.  9  (de  751  mm.  2  à  778  mm.  1) 
est  inférieur  de  4  mm.  3  à  l'écart  moyen. 

Le  printemps  de  1901  a  eu  une  pression 
moyenne  de  761  mm.  2  inférieure  à  la  moyenne 
de  1  mm.  4.  L'écart  de  31  mm.  7  (de  740  mm.  7 
à  772  mm.  4)  dépasse  la  moyenne  de  3  mm.  7. 

L'été  de  1901  a  eu  une  pression  moyenne  de 
764  mm.  2,  supérieure  de  0  mm.  4  à  la  moyenne. 
L'écart  de  16  mm.  o  (de  735,0  à  771,3)  est  infé- 
rieur de  1  mm.  3  à  l'écart  moyen. 

U automne  de  idOl  a  eu  une  pression  moyenne 
de  764  mm.  1,  inférieure  de  1  mm.  l  à  la  moyenne. 


—  i48  — 

L'écart  de  25  mm.  7  (de  751,  o  à  777,2)  est  supé- 
rieur de  2  mm.  9  à  Técart  moyen. 

ANiNiSE  1902. 

Vannée  1902  a  eu  une  pression  moyenne  de 
7G3  mm.  4,  inférieure  à  la  moyenne  de  0  mm.  8. 
L'écart  de  42  mm.  0  (742,3  à  784,3)  est  supérieur 
de  10  mm.  8  à  l'écart  moven. 

V hiver  de  1902  a  une  pression  moyenne  de 
7G3  mm.  0,  inférieure  de  1  mm.  8  à  la  moyenne. 
L'écart  de  42  mm.  0  (de  742,3  à  784,3)  dépasse 
de  10  mm.  8  l'écart  moyen. 

Le  printemps  de  1902  a  eu  une  pression 
moyenne  de  762,4  qui  n'est  inférieure  que  de 
0  mm.  2  à  la  moyenne.  L'écart  de  22  mm.  7  (de 
751,6  à  774,3)  est  inférieur  à  la  moyenne  de  3,3. 

Véfé  de  1902  a  eu  une  pression  moyenne  de 
763  mm  1,  inférieure  à  la  moyenne  de  0  mm.  7. 
Uécart  de  17  mm.  7  (de  754,5  à  772,2)  n'est  in- 
férieur à  la  moyenne  que  de  0  mm.  1. 

L'automne  de  1902  a  eu  une  pression  moyenne 
de  765  mm.  1,  qui  n'est  inférieureque  de  0  mm.  1 
à  la  moyenne.  L'écart  de  30  mm.  0  (de  746,4  à 
776,4)  esl  supérieur  de  7  mm.  2  à  l'écart  moyen. 

Les  saisons  où  la  pression  atmosphérique  se 
maintient  la  plus  élevée  sont  l'automne  et  l'hiver  ; 
c'est  en  été  et  au  printemps  qu'elle  est  la  plus 


—  149  — 

faible.  C'est  dans  ce  semestre  qu'il  passe  le  plus 
de  cyclones  au-dessus  de  la  ManchejCyclonessous 
rinfluence  directe  desquels  nous  nous  trouvons. 
On  peut  remarquer,  en  effet,  que  ceux  qui  passent 
dans  la  Méditerranée  et  qui  causent  des  mauvais 
temps  dans  les  golfes  du  Lion  et  de  Gênes,  no 
nous  influencent  pas  ou  fort  peu.  Les  Alpes  ot  le 
Plateau  Central  paraissent  former  une  barrière 
entre  les  deux  régions  nord  et  sud. 

La  pression  maximum  a  lieu  en  hiver  et  en 
automne,  parce  que  c'est  dans  celle  saison  que 
notre  région  se  trouve  le  plus  souvent  sous  l'in- 
fluence des  anticyclones. 

Toutefois,  ces  remarques  ne  reposent  pas  sur 
une  période  de  durée  suffisante  pour  pouvoir  ôlro 
considérées  comme  ayant  un  caractère  absolu. 
Néanmoins,  comme  l'allure  générale  du  baromètre 
à  Dijon  concorde  avec  les  phénomènes  généraux 
de  Talmosphère  relatés  dans  le  bulletin  du  bureau 
central  météorologique,  cela  donne  à  nos  consta- 
tations une  certaine  probabilité. 

3'  HUMIDITÉ  DE  L'AIR 

L'humidité  ou  Tétat  hygrométrique  de  l'air  se 
cote  de  0  à  100  :  zéro  correspond  à  l'air  absolu- 
ment sec,  état  qui  n'a  jamais  lieu  dans  nos  ré- 
gions et  100  à  l'état  de  saturation  que  l'on  cens- 


—  150  — 

tate  souvent  quand  il  pleut  et  par  le  brouillard. 
Le  poids  de  l'eau  contenue  dans  un  mètre  cube 
d'air  dépend  à  la  fois  de  l'élat  hygrométrique  et 
de  la  température.  Les  tables  calculées  à  cet  effet 
par  les  physiciens  donnent  le  poids  de  Teau  con- 
tenue dans  Tair  saturé  à  chaque  température  ;  il 
suffit  de  multiplier  ce  chiffre  par  celui  qui  repré- 
sente Tétat  hygrométrique  pour  avoir  le  poids  de 
l'eau  que  renferme  un  mètre  cube  d'air  à  Tins- 
tant  considéré.  Mais  au  point  de  vue  du  temps 
probable  Tétat  hygrométrique  est  seul  à  consul- 
ter. Si  Thumidité  est  voisine  de  la  saturation  et 
que  le  thermomètre  baisse,  la  pluie  est  certaine. 
Quand  l'air  est  sec,  le  beau  temps  est  assuré. 

ANNÉE  MOYENNE 

L'année  moyenne  a  pour  état  hygrométrique 
le  nombre  7o,  ce  qui  veut  dire  qu'en  moyenne 
l'air  est  aux  trois  quarts  saturé  d'humidité.  Le 
climat  de  Dijon  est  donc  un  climat  assez  humide 
Le  chiffre  moyen  minimum  est  14,  le  maximum 
est  100.  I 

L'/î/î?(?restpresqueaussi  humide  quel'automne. 
Le  coefficient  moyen  est  82,  le  minimum  29  et  le 
maximum  99. 

heprintemps  est  presque  aussi  sec  que  Tété.  Le 
coefficient  moyen  est  69,  avec  une  variation  de 
14  à  99. 


—  151  — 

Vété  est  la  saison  la  moins  humide,  avec  un 
coefficient  moyen  de  68  et  une  variation  de  17 
à  100. 

V automne  est  au  contraire  la  saison  la  plus 
humide  avec  une  moyenne  de  83  et  une  variation 
deSiàlOO. 

On  voit  par  ce  qui  précède  qu'il  y  a  un  semestre 
humide  (automme  et  hiver)  et  un  semestre  sec 
(printemps  et  été). 

ANNÉE   1899. 

Vannée  1899  a  été  moyenne  au  point  de  vue 
de  Thumidité.  Son  coefficient  74  n'est  inférieur 
que  d'une  unité  à  la  moyenne.  La  variation  a  été 
considérable  :  de  8  à  1 00.  L'écart  (92)  dépasse  l'é- 
cart moyen  de  6. 

L'hiver  de  1899  a  un  coefficient  80  inférieur 
de  2  unités  seulement  à  la  moyenne,  L'écart  de 
81  (de  17  à  98)  dépasse  Técart  moyen  de  11. 

Le  printemps  de  1899  a  un  coefficient  moyen 
de  67,  inférieur  de  2  à  la  moyenne.  L'écart  de  92 
(de  8  à  100)  dépasse  de  7  l'écart  moyen. 

Vété  de  1899  a  également  67  de  coefficient,  il 
ne  diffère  que  d'une  unité  de  la  moyenne.  L'écart 
de  8o  (de  15  à  100)  dépasse  l'écart  moyen  de  2 
seulement. 

Vantomne  de  1899  a  pour  coefficient  81,  soit 


--  152  — 

2  de  moins  que  la  moyenne.  L'écart  de  71  (de  29 
à  100)  dépasse  la  moyenne  de  2  seulement. 

ANNÉE  1900. 

Vannée  1900  a  pour  coefficient  75,  c'est-à-dire 
exactement  le  coefficient  moyen.  L'écart  de  87  (de 
13  à  100)  ne  diflFère  que  de  1  de  Técart  moyen. 
C'est  donc  tout  à  fait  une  année  moyenne. 

Vhiverde  1900  a  pour  coefficient  moyen  81, 
soit  uneunitéde  moins  que  la  moyenne.  L'écart  de 
68  (de 32 à  100)  est  inférieur  de  2  à  Técart  moyen. 

Le  printemps  de  1900  a  pour  coefficient  moyen 
67,  soit  2  de  moins  que  la  moyenne.  L'écart  de 
85  (de  15  à  100)  est  égal  à  la  moyenne. 

•Vètè  de  19U0a  pour  coefficient  moyen  68  qui 
est  précisément  égal  à  la  moyenne.  L'écart  de 
87  (de  13  à  lOOJ  dépasse  de  4  1  écart  moyen. 

L'az^tom/z^de  1900  a  pour  coefficient  moyen  83, 
égal  à  la  moyenne.  L'écart  de  78  (de  22  à  100) 
est  supérieur  de  9  à  la  moyenne. 

ANNÉE  1901. 

Vannée  1901  a  pour  coefficient  moyen  78,  soit 

3  de  plus  que  la  moyenne.  Elle  a  donc  été  rela- 
tivement humide.  L'écart  de  82  (de  18  à  100)  est 
supérieur  de  4  à  la  moyenne. 

Vhiver  de  1901  a  été  très  humide,  il  a  pour 


—  153  — 

coefficient  86,  soit  4  de  plus  que  la  moyenne. 
L'écart  de  70  (de  30  à  100)  est  égal  à  la  moyenne. 

Le  printemps  de  1901  a  été  également  relati- 
vement très  humide.  Son  coefficient  73  dépasse 
aussi  de  4  la  moyenne.  L'écart  de  82  (de  18  à 
100)  est  inférieur  de  3  à  la  moyenne. 

L'été  de  1901  a  un  coefficient  de  70  dépassant 
de  2  la  moyenne.  L'écart  de  80  (de  20  à  100)  est 
inférieur  de  3  à  la  moyenne, 

V automne  de  1901  a  pour  coefficient  83,  soit 
exactement  le  coefficient  moyen.  L'écart  de  64 
(de  33  à  99)  est  inférieur  de  5  à  la  moyenne. 

ANNÉE  1902. 

Vannée  1902  a  pour  coefficient  75,  soit  exac- 
tement la  moyenne.  L'écart  de  84  (dé  16  à  100) 
est  inférieur  de  2  à  la  moyenne.  C'est  une  année 
moyenne. 

ÙJiiver  de  1902  a  pour  coefficient  80,  soit  2 
de  moins  que  la  moyenne.  L'écart  de  62  (de  36 
à  98)  est  faible,  avec  8  de  moins  que  la  moyenne. 

Le  printemps  de  1902  a  pour  coefficient  68, 
soit  1  de  moins  que  la  moyenne.  L'écart  de  79 
(de  16  à  9S)  est  inférieur  de  6  à  la  moyenne. 

Vétéàe  1902  a  pour  coefficient  68  précisément 
égal  au  coefficient  moyen.  L'écart  de  80  (de  20  à 
100)  est  inférieur  de  3  à  la  moyenne. 

L'automne  de  1902  a  pour  coefficient  83,  égal 

13 


-  154  — 

à  la  moyenne.  L'écart  de  64  (de  36  à  100)  est  in- 
férieur de  3  à  la  moyenne. 

Les  ccnsidéralîons  qui  précèdent  montrent 
qu'au  point  de  vue  de  Thumidité  relative  de  l'air, 
les  années,  et  môme  les  saisons,  ont  peu  varié 
pendant  les  quatre  années  observées. 


4-  VENT 

Les  observations  relatives  au  vent  comportent 
généralement  Tobservation  de  sa  direction  et 
celle  de  sa  force.  Malheureusement  nous  n'avons 
aucun  instrument  qui  enregistre  le  vent.  La  di- 
rection est  observée  à  Testime  à  une  girouelte 
ordinaire  et  sa  force  ne  Test  pas.  Cela  est  d'autant 
plus  regrettable  qu'il  serait  très  facile  d'installer 
un  anémomètrographe  sur  la  tour  de  T Hôtel  de 
Ville  qui  domine  tous  les  alentours  et  dont  par 
suite  les  enregistrements  seraient  parfaits  et  cela 
sans  que  la  dépense  fût  considérable. 

Il  y  aurait  même  beaucoup  mieux  à  faire  encore  ; 
ce  serait  d'installer  un  deuxième  enregistreur 
sur  le  mont  Afrique,  au  sommet  duquel  il  existe 
un  fortin  où  Tappareil  serait  très  facile  à  placer. 
Bien  plus,  comme  il  y  a  un  fil  téléphonique  re- 
liant l'ouvrage  à  Dijon,ce  fil  pourrait  servir  à  enre- 
gistrer en  ville  môme  les  constatations  de  Tané- 


-  155  — 

momèirographe.  On  observerait  ainsi  la  direction 
et  la  force  du  vent  qui  souffle  entre  le  bassin  du 
Rhône  et  le  bassin  de  la  Seine  par- dessus  la 
chaîne  de  la  Côte-d'Or.  La  girouette  enregis- 
trante pourrait  être  facilement  installée  au- 
dessus  de  tous  les  obstacles,  le  mont  Afrique  étant 
à  quelques  mètres  près  un  des  plus  hauts  sommets 
de  la  chaîne.  Nous  souhaitons  vivement  que  ces 
installations,  si  utiles  au  point  de  vue  de  la  mé- 
téorologie locale  et  môme  de  la  météorologie  gé- 
nérale, soient  faites  le  plus  tôt  possible. 

Les  observations  dont  nous  rendons  compte  ne 
donnent  donc  que  la  direction  du  vent  à  8  heures 
du  matin  rapportée  aux  huit  octansde  la  rose  des 
vents. 

Outre  les  quatre  années  d'observations  de 
MM.  Roux  et  Porte,  nous  possédons  encore  celles 
faites  antérieurement  au  port  du  canal  à  la  gi- 
rouette de  Tobélisque.  Nous  avons  étudié  anté- 
rieurement la  direction  du  vent  à  Dijon  à  laide 
de  ces  observations  en  nous  servantdes  46années 
de  1833  à  1898  inclusivement.  Les  quatre  années 
dont  les  observations  sont  données  ci-après  font 
suite  à  cette  série  qui  comprend  maintenant  50 
années.  On  trouvera  les  observations  des  4  6  années 
antérieures  dans  notre  mémoire  intitulé  :  les 
Grands  Collecteurs  de  la  ville  de  Dijon  inséré 
dans  les  Annales  des^onts  et  chaussées  (année 
1900, 1^^  semestre,  nM). 


—  156  — 


ANNÉE   MOYENNE 


Dans  ïan?iée  moyenne  les  venls  se  classent  de 
la  manière  suivante  par  ordre  de  fréquence  :  S, 
N,  N.-E,  W,  S.-W,  N.-W,  S.-E,  et  E.  Le  vent  du 
sud  étant  environ  3  fois  1/3  plus  fréquent  que  le 
vent  de  TEst.  Si  au  lieu  d'envisager  les  octants, 
onse  contente  des  quadrants,  les  vents  seclassent 
comme  il  suit  :  N  (109),  S  (Î04),  W  (92),  E  (60). 
Les  nombres  entre  parenthèses  indiquent  les 
nombres  de  jours  pendant  lesquels  le  vent  souffle 
dans  la  direction  indiquée.  Il  en  sera  de  môme 
dans  tout  ce  qui  va  suivre. 

En  hicer  moyen  les  vents  se  classent  par  oc- 
tants, savoir  :  N,  S,  N.-E,  W,  S.-W,  N.-W,  S--E, 
et  E.  Les  quadrants  donnent  le  classement  sui- 
vant: N  (307),  S  (28),  W  (19),  E  (13). 

Au  printemps  moyen  le  classement  est  le  sui- 
vant :  N,  S,  N.-E,  W,  N.-W,  S.-W,  E, S.-E.  Les 
quadrants  se  classent  comme  il  suit  :  N  (30),  S 
(23),  W  (22),  E  (17). 

En  été  moyen  les  vents  se  classent  de  la  ma- 
nière suivante  :  par  octants  :  W,  S,  N.-E,N,  S.-W, 
N.-W,  S.-E,  E  et  par  quadrants  :  W  (29),  S  (25), 
N  (23),  E  (15). 

En  automne  moj^en  les  vents  se  classent  par 
octants,  savoir  :  S,  N,  N.-^,  W,  S.-W,  N.-W,  S.-E, 
E  et  par  quadrants: S  (28),  N  (27),  W(21),  E(15). 


—  157  — 
ANNÉE  1899. 

La  direction  des  vents  n'ayant  pas  été  obser- 
vée en  décembre  1898  et  en  janvier  1899,  nous 
ne  pouvons  rendre  compte  que  des  trois  autres 
saisons  : 

Au  printemps  de  1899  les  vents  se  classent 
comme  il  suit  par  octants  :  N,  W,S.-W,N.-E,  S, 
N.-W,  E,S.-E.  llyaeudeux  jours  de  calme.  Par 
quadrants  ils  se  classent  de  la  manière  suivante  : 
N  (31),  W  (29),  S  (19),  E(ll).  Prédominance  des 
quadrants  N  et  W. 

En  été  de  1899  le  classement  a  été  le  suivant  : 
N.-E,  W,  S.-W,  N,  S,  S.  W,  E,  S.-E,  et  il  y  a  eu  6 
joursde  calme.  Et  par  quadrant  le  classement  est: 
N  (30),  E  (2b),  W  (17),  S  (14).  Prédominance  des 
quadrants  N  et  E. 

En  automne  de  1899  les  vents  se  classent  par 
octants  comme  il  suit  :  N,  N.-E,  S,  N.-W,  W,  S.-E, 
le  vent  d'Est  n'a  pas  donné  une  seule  fois  et  il  y 
a  eu  19  jours  de  calme,  ce  qui  n'a  rien  d'anormal, 
Tautomno  étant  la  saison  des  calmes.  Les  qua- 
drants se  classent,  savoir  :  N  (29),  S  (19),  W  (16), 
E  (8).  Prédominance  des  vents  du  N. 

ANNÉE  1900. 

Pendant  Tannée  1900  les  vents  se  classent  de 
la  façon  suivante  paroctants:  N,  S,  W,  N.-E, 


N.-W,S.-W,  E,  S.-E,  et  il  y  a  eu  81  jours  de 
calme,  ce  qui  est  considérable.  Par  quadrants  les 
vents  se  classent,  savoir  :  N  (92),  W  (83),  S  (76), 
E  (33V  Année  calme. 

En/eîwrdel9001a  direction  des  vents  se  classe 
comme  il  suit  :  S,  N,  S.-W  W.  N.-E  N.-W,  S.-E 
et  pas  de  vent  d'Esl.  Le  nombre  des  journées  de 
calme  a  été  de  13.  Par  quadrants  le  classement  est 
le  suivant  :  S  (27),  N  (26),  W  (20).  E  (4). 

An  printemps  de  1900  le  classement  des  venis 
par  octants  est  le  suivant  :  N,  N.-W,  W,  N.-E,  S, 
S.-W,  et  pas  de  vents  de  TEst  ni  du  S.-E.  Il  y  a 
eu  lOjours  de  calme.  Par  quadrants  les  venls  se 
classent,  savoir:  N  (38),  W  (27),  S  (9),  E  (8). 
Permanence  des  vents  N  et  W. 

En  été  de  1900  les  venls  se  classent  par  octants 
comme  il  suit  :  W,  S,  S.-W,  N.-E,  N.-W.  N,  E, 
S.-E.  Il  y  a  eu  23  jours  de  calme.  Pai  quadrants 
ils  se  classent,  savoir:  W  (26)',  S  (20),  N  (12), 
E  (11).  Prédominance  des  vents  S  et  W. 

En  automne  de  1900  les  vents  se  classent  delà 
manière  suivante  par  octants  :  S,  N,  N.-E,  S.-W, 
W,  N.-W,  E,  S.-E.  Le  nombre  de  journées  de 
calme  a  été  de  3S,  ce  qui  est  considérable.  Les 
venls  se  classent  par  quadrants,  savoir  :  S  (21), 
N(17),  W(10)et  E(8). 


—  159  — 


ANNÉE    1901. 


Pendant  Tann^^  190 1  le  classement  par  octants 
a  été  le  suivant  ;  N,  S,  N.-E,  W,  S.-W,  N.-W, 
S.-E,  et  E.  Le  nombre  de  jours  de  calme  a  été  do 
50,  ce  qui  peut  être  considéré  comme  une  moyenne. 
Par  quadrants  les  vents  se  classent,  savoir  :  N 
(122),  S  (86),  W  (68),  E  (39).  Les  vents  du  nord 
ont  été  dominants. 

En  hiver  1901  les  vents  se  classent  comme  il 
suit  par  octants  :  N,  S,  W,  N.-E,  N.-iV,  S.-W,  S.E, 
E.  Il  y  a  16  journées  calmes.  Par  quadrants  leur 
classement  est  le  suivantrN  (27),  S  (20)  W  (19), 
E  (8). 

k\x printemps  àQ  1 901  le  classement  par  octants 
est,  savoir,  S,  N,  N.-E, S.-W,  W,S.-E,E,N.-W. 
Le  nombre  des  journées  calmes  est  de  9.  Par  qua- 
drants les  vents  se  classent  de  la  manière  sui- 
vante :  S  (31),  N  (26),  W  (14),  E  (12). 

En  ^7^  de  1901,  les  vents  se  classent  par  oc- 
tants, comme  il  suitiN,  W.N.-E,  S,N.-WS.-W, 
S.-E,  E.  11  n'y  a  eu  que  3  journées  calmes.  Le 
classement  par  quadrants  est  le  suivant  :  N  (42), 
W  (22),  S  (17),  E  (8).  Prédominance  des  vents 
duN. 

En  automne  de  1901  le  classement  par  octants 
est,  savoir  :  N,  S,  N.-E,  N.-W,  W,  S.-W,  E,  S.-E. 
Il  y  a  eu  22  journées  calmes.  Les  vents  se  classent 


—  160  — 

comme  il  suit  par  quadrants  :  N  (29),  S  (18),  W 
(12),  E  (10).  Prédominance  des  vents  du  N. 

ANNÉE  1902. 

Pendant  Vannée  1902  le  classement  des  venls 
par  octants  a  été  le  suivant  :  S,  N,  N.-E,  S.-W, 
W.  N.-W,  S.-E.  E.  Il  y  a  eu  23  jours  de  calme 
seulement.  Parquadrantsle  classement  est  le  sui- 
vant :  N  (115),  S  (106),  W  (79),  E  (42).  Année 
venteuse. 

En  hiver  de  1902  les  venls  se  classent  par 
octants  de  la  manière  suivante:  S,N,  N.-E,  N.-W, 
W,  S.-W,  S.-E,  E.  Il  y  a  eu  18  jours  de  calme,  ce 
qui  est  beaucoup  pour  cette  saison.  L'hiver  con- 
traste avec  les  autres  saisons. 

Au  printemps  1902  les  vents  se  classent  comme 
il  suit  par  octants  :  N,  S,  S.-W,  W,  N.-W,  N.-E, 
S.-E,  E.  Il  n'y  a  pas  eu  un  seul  jour  sans  vent. 
Par  quadrants  le  classement  est  le  suivant  :  N 
(37),  W  (23),  S  (23),  E  (7). 

En  ètèàQ  1902  le  classement  par  octants  s'éta- 
blit comme  il  suit  :  S,  N,  W,  N.-E,  S.-W,  W,  E, 
S.-E.  Il  n'y  a  eu  que  3  jours' de  calme.  Par  qua- 
drants les  vents  seclassont,  savoir  :  S  (29),  N  (25), 
W(23),  E(12). 

En  automne  de  1902  les  vents  se  classent  par 
octants  de  la  manière  suivante  :  S,  N,  N.-E,  S.-W, 
W,  S.-E,  E,  N.-W.  Iln*ya  eu  que  deux  jours  sans 


—  464  — 

vent,  ce  qui  est  très  rare  dans  celle  saison.  Le 
classement  par  quadrants  est  le  suivant  :  S  (31), 
N(30),  W(i4),E(12). 

En  résumé  nous  voyons  qu'en  toutes  saisons 
les  vents  dominants  viennent  du  nord  ou  du  midi, 
puis  viennent  les  vents  d'ouest,  ces  derniers 
amènent  presque  toujours  la  pluie,  et  enfin  les 
plus  rares  sont  les  venls  d'Est,  qui  coïncident 
presque  toujours  avec  le  beau  temps.  On  com- 
prend, en  effet,  que  les  vents  d'ouest  venant  de 
Tocéan  soient  humides  et  que  ceux  de  Test  qui 
traversent  le  continent  soient  toujours  secs. 


l)°  LA  PLUIE 

Pour  rendre  compte  de  la  pluie  à  Dijon  nous 
emploierons  les  observations  faites  au  bassin  du 
canal  de  Bourgogne,  parce  que  nous  possédons 
une  série  très  complète  commençant  en  1831  et 
aussi  parce  que  le  pluviomètre  est  mieux  installé 
que  celui  de  la  Faculté  des  Sciences  placé  dans 
une  petite  cour  entourée  de  bâtiments  élevés. 

ANNÉE  MOYENNE 

Les  résultats  que  nous  résumons  ci-dessous 
proviennent  donc  de  72  années  (do  1831  à  1902 
inclusivement).  Celte  série  est  déjà  assez  étendue 


^  162  — 

pour  que  les  moyennes  changent  peu  dorénavant. 
Le  tableau  donne  les  hauteurs  de  pluie  exprimées 
en  dixièmes  de  millimètres. 

En  année  moyenne  la  hauteur  de  pluie  est  do 
0  m.  687,  avec  une  variation  de  0  m.  402  (mi- 
nimum) à  0  m.  93b  (maximum).  Le  nombre 
moyen  de  jours  de  pluie  dans  Tannée  est  de  120, 
ce  qui  indique  qu'il  pleut  à  peu  près  un  jour  sur 
trois.  Ce  nombre  varie  de  79  (minimum)  à  162 
(maximum). 

En  hiver  moyen  la  hauteur  de  pluie  est  de 
0  m.  185,  variant  de  0  m.  0420  (minimum)  à 
0  m.  2290  (maximum).  Le  nombre  de  jours  de 
pluie  est  de  30,  variant  de  H  (minimum)  à  47 
(maximum). 

Au  printemps  moyen  la  hauteur  de  pluie  est 
de  0  m.  1534  variant  de  0  m.  0230  à  0  m.  3830. 
Le  nombre  moyen  de  jours  de  pluie  est  de  28, 
variant  de  13  à  49. 

En  ètè  moyen  la  hauteur  de  pluie  tombée  est 
de  0  m.  1926  variant  d^  0  m.  0420  à  0  m.  3500. 
Le  nombre  moyen  de  jours  de  pluie  est  de  28 
variant  de  14  à  42. 

En  automne  moyen  la  hauteur  de  pluie  est 
de  0  m.  2025  variant  de  0  m.  0730  à  0  m.  5030. 
Le  nombre  moyen  de  jours  de  pluie  est  de  31 
variant  de  18  à  52. 

Au  point  de  vue  de  la  hauteur  moyenne  de 
pluie  tombée  les  saisons  se  classent  de  la  manière 


-   iG3  - 

suivante  en  commençant  par  la  plus  pluvieuse  : 
automne,  été,  printemps,  hiver.  Au  point  de  vue 
du  nombre  de  jours  de  pluie  il  y  a  presque  équi- 
valence entre  les  saisons,  ce  qui  estassez  curieux. 
L'automne  a,  en  effet,  un  jour  de  plus  que  la 
moyenne  (30)  et  Tété  deux  jours  de  moins.  Les 
autres  saisons  ont  précisément  la  moyenne. 

Si  Ton  additionne  les  chutes  du.semestre  au- 
tomne-hiver on  obtient  une  hauteur  de  0  m.  341 
et  si  Ton  fait  de  môme  pour  le  semestre  prin- 
temps-été, on  a  0  m.  346,  ce  qui  prouve  qu'il 
pleut  en  moyenne  autant  dans  un  semestre  que 
dans  l'autre.  C'est  le  premier  semestre  qui  alimenle 
à  peu  près  seul  les  sources.  Il  y  a  donc  en  année 
moyenne  la  moitié  de  l'eau  tombée  perdue  pour 
elles.  En  automne  et  en  hiver  Tévaporation  est 
faible  et  la  végétation  est  arrêtée.  Au  printemps 
et  surtout  en  été  Tévaporation  est  intense  et  la 
végétation  très  active  absorbe  beaucoup  d'eau. 
C'est  la  raison  pour  laquelle  on  ne  peut  compter 
pour  l'alimentation  des  sources  que  sur  la  pluie 
tombée  pendant  le  semestre  automne-hiver. 


ANNÉE    1890. 

Pendant  Vannée  189911  est  tombé  une  hauteur 
do  pluie  de  0  m.  6078,  soit  88  0/0  seulement  de 
la  moyenne.  C'est  .donc  une  ?maée  assez  sèche. 


—  464  — 

Le  nombre  de  jours  de  pluie  a  été  de  106,  soit  14 
de  moins  que  la  moyenne. 

En  hiver  de  1899  il  esl  tombé  une  hauteur  de 
pluie  de  Om.  1411,  soit  0  m.  0026  de  plus  que  la 
moyenne.  Le  nombrede  jours  de pluieaéléde27, 
soit  3  de  moins  que  la  moyenne. 

ka  printemps  de  1899,  la  chute  de  pluie  a  eu 
une  hauteur  de  0  m.  1492,  soit  0  m.  0042  de 
moins  que  la  moyenne.  Le  nombre  de  jours  de 
pluie  a  été  de  28  soit  deux  de  moins  que  la 
moyenne. 

En  été  de  1899,  il  est  tombé  une  hauteur  de 
0  m.  1941  de  pluie,  soit  0  m.  OOIS  de  plus  que 
la  moyenne.  Le  nombre  de  jours  de  pluie  a  été 
de  24,  soit  4  de  moins  que  la  moyenne. 

En  aw^omn^  de  1899,  il  n'est  tombé  que  0°'1234 
de  pluie,  soit  0  m.  0791  de  moins  que  la  moyenne. 
C'est  un  automne  sec.  Le  nombre  de  jours  de 
pluie  a  été  de  27  soit  4  de  moins  que  la  moyenne. 

Le  semestre  automne  1898-hi ver  1899  a  donné 
une  hauteur  d'eau  de  0  m.  291  seulement,  soit 
0  m.  050  de  moins  que  la  moyenne,  aussi  les 
sources  ont-elles  été  peu  abondantes  en  1899. 

ANNÉE    1900. 

Pendant  Vannée  1900  il  est  tombé  0  m.  6931 
de  pluie,  soit  moins  de  1  0/0  de  plus  que  la 
moyenne.   C'est  donc  une  année  moyenne.  Le 


—  165  — 

nombre  de  jours  de  pluie  a  été  de  106,  soit  14  de 
moins  que  la  moyenne. 

En  hiver  1900  la  hauteur  de  pluie  a  été  de 
0  m.  2044  soit  0  m.  0659  de  plus  que  lamoyenne. 
Cet  hiver  a  donc  été  pluvieux.  Le  nombre  de 
jours  de  pluie  a  été  de  47,  soit  17  de  plus  que  la 
moyenne. 

kxi  printemps  de  1900  il  n'est  tombé  qu'une 
hauteur  de  pluie  de  0  m.  0911  soit  0  m.  0623  de 
moins  que  la  moyenne  ;  ce  printemps  a  donc  été 
sec.  L'herbe  a  été  rare.  Le  nombre  do  jours  de 
pluie  a  étéde23,  soit  7  de  moins  que  la  moyenne. 

En  èlê  de  1900  la  hauteur  de  pluie  tombée  a 
été  de  0  m.  2108,  soit  0  m.  0182  de  plus  que  la 
moyenne.  Le  nombre  de  jours  de  pluie  a  été  de 
28,  ce  qui  est  exactement  la  moyenne. 

En  automne  de  1900  il  est  tombé  une  hauteur 
d'eau  de  0  m.  1868,  soit  0  m.  0157  de  moins  que 
la  moyenne.  Le  nombre  de  jours  do  pluie  a  été 
de  33,  soit  2  de  plus  que  la  moyenne. 

Le  semestre  automne  1899-hiver  1900  a  donné 
une  hauteur  d'eau  de  0  m.  328,  inférieure  de 
Om.  013  à  lamoyenne,  aussi  les  sources  ont-elles 
été  plutôt  faibles  en  1900. 

ANNÉE  1901 

Pendant  Vannée  1901  il  est  tombé  une  hauteur 
de  pluie  de  0  m  8808,  soit  28  0/0  de  plus  que  la 
moyenne.  C'est   une   année  très  humide.    Le 


—  166   - 

nombre  de  jours  de  pluie  a  été  de  121 ,  ce  qui  ne 
fait  cependant  qu'un  seul  jour  de  pluie  de  plus 
que  la  moyenne. 

En  hive7*  1901  il  n  est  tombé  que  0  m.  1157 
d'eau,  soit  0  m.  0228  de  moins  que  la  moyenne. 
Cet  hiver  a  donc  été  assez  sec.  Le  nombre  de 
jours  de  pluie  a  été  de  24 ,  soit  6  de  moins  que  la 
moyenne. 

Au  printemps  de  1901  il  est  tombé  0  m.  3006 
d*eau,  soit  0  m.  1472  de  plus  que  la  moyenne. 
Cette  chute  représente  près  du  double  de  la 
moyenne.  Le  printemps  a  donc  été  extraordi- 
nairement  pluvieux.  Le  nombre  de  jours  de  pluie 
a  été  de 4b,  soit  15  de  plus  que  la  moyenne.  Herbe 
abondante,  mais  médiocre. 

En  été  de  1901  il  est  tombé  0  m.  2159  de  pluie, 
soit  0  m.  0233  de  plus  que  la  moyenne.  Cet  été  a 
donc  été  assez  pluvieux.  Le  nombre  de  jours  de 
pluie  a  été  de  24,  soit  4  de  plus  que  la  moyenne. 

En  automne  de  1901  la  hauteur  de  pluie  tom- 
bée a  éléde  0  m.  2486,  soit  Om.  0461  de  plus  que 
la  moyenne.  C'est  un  automne  pluvieux.  Le  nom- 
bre de  jours  de  pluie  a  été  de  28,  soit  3  de 
moins  que  la  moyenne. 

La  hauteur  d'eau  tombée  pendant  le  semestre 
automne  1900-hiver  1901  est  de  0  m.  3025,  soit 
0  m.  0385  de  moins  que  la  moyenne,  aussi  les 
sources  ont-elles  été  faibles,  malgré  les  pluies  du 
printemps  et  de  Télé. 


167  — 


ANNÉE  1902. 


Pendant  Vannée  1902  la  hauteur  de  pluie  tom- 
bée a  été  de  0  m.  7741.  dépassant  la  moyenne  de 
plus  de  12  0/0.  Le  nombre  de  jours  de  pluie 
a  été  de  120.  cest  précisément  la  moyenne. 
L'année  a  été  néanmoins  assez  humide. 

En  hiver  de  1902  la  hauteur  de  pluie  a  été  de 
,0  m.  19'73,. dépassant  la  moyenne  de  0  m.  0588. 
C'est  donc  un  hiver  pluvieux.  Le  nombre  de  jours 
de  pluie  aété  de  «'^2,  soit  2  de  plus  que  la  moyenne. 

Auprintemps  de  1 902  la  hauteur  de  pi  uie  a  élé 
de  0  m*  1 667,  soit  0  m.  0 133  de  plus  que  la  moyenne. 
Le  nombre  de  jours  de  pluie  a  été  de  34,  soit  4  de 
plus  que  la  moyenne. 

En^7^  de  1902  il  est  tombé  0  m.  2606  de  pluie, 
soit  0  m-  0680  de  plus  que  la  moyenne.  L'été  a 
été  pluvieux.  Le  nombre  de  jours  de  pluie  aété 
.  de'3 1  sbit  3  de  plus  que  la  moyenne. 

En  automne  de  1902  la  hauleur  de  pluie  a  été 
de  0  m;  1495,  soit  0  m.  0530  de  moins  que  la 
moyenne.  L'automne  a  donc  été  sec,  le  nombre 
de  jours  de  pluie  a  été  de  23  seulement,  soit  8  de 
moins  que  la  moyenne. 

La  hauteur  d'eau  tombée  pendant  le  semestre 
automne  1901-hiver  1902  a  été  de  0  m.  446,  soit 
0  m.  105  de  plus  que  la  moyenne,  aussi  n'a-t-an 
pas  manqué  d'eau  en  1902.  Les  sources  sont  re- 


—  168  — 

devenues  très  abondantes  après  plusieurs  années 
faibles. 

6°  NÉBULOSITÉ 

Tous  les  jours  à  huit  heures  du  matin  les  nuages 
sont  observés  et  classés  par  catégories  d'après  les 
principes  admis  en  météorologie.  On  note  non 
seulement  les  formes,  mais  même  leur  direction 
et  rétendue  qu'ils  occupent  dans  le  ciel  visible. 
C'est  cette  dernière  constatation  qui  oflFre  le  plus 
d'intérêt,  non  seulement  pour  la  météorologie 
locale  mais  aussi  et  surtout  pour  l'agriculture. 
On  sait,  en  effet,  que  la  pureté  du  ciel,  en  rapport 
direct  avec  l'intensité  delà  lumière  solaire  reçue, 
a  une  action  des  plus  considérables  sur  le  déve- 
loppement  de  la  végétation  et  en  particulier  sur 
la  maturité  des  récoltes  de  toutes  natures.  Pour 
ne  pas  surcharger  ce  mémoire  nous  pourrons  donc 
nous  borner  à  ne  rendre  compte  que  de  la  nébu- 
losité. Mais  auparavant  il  faut  que  nous  donnions 
la  signification  des  chiffres  qui  figurent  dans  le 
tableau  à  Tappui  des  développements  qui  vont 
suivre. 

La  nébulosité  se  cote  à  l'aide  de  chiffres  variant 
de  zéro  à  dix.  Le  zéro  indique  qu'il  n'y  a  aucun 
nuage  visible  et  par  suite  que  le  ciel  est  absolu- 
ment pur.  Le  nombre  10,  au  contraire,  veut  dire 
que  le  ciel   est  absolument  couvert   et  qu'on 


n'aperçoit  aucune  tache  de  bleu  au-dessus  de 
l'horizon.  Les  chiffres  intermédiaires  de  1  à  9 
indiquent  :  le  chiffre  1  que  les  nuages  couvrent 
environ  un  dixième  du  ciel,  le  chiffre  2  les  deux 
dixièmes  et  ainsi  de  suite  jusqu'au  chiffre  9  qui 
exprime  que  les  neuf  dixièmes  du  ciel  sont  cou- 
verts de  nuages.  Ainsi  donc,  plus  le  chiffre  ins- 
crit dans  les  colonnes  est  grand,  plus  le  ciel  est 
couvert. 

Dans  la  première  colonne  de  chaque  année  le 
chiffre  indique  suivant  le  cas  la  nébulosité 
moyenne  du  mois,  de  la  saison  ou  de  l'année  ;  il 
comporte  une  décimale  résultant  du  calcul  des 
moyennes.  Les  5  autres  colonnes  donnent,  la  pre- 
mière le  nombre  de  jours  où  le  ciel  a  été  absolu- 
ment pur  (cote  0),  la  seconde  celui  où  il  y  a  un 
peu  de  nuages  (cotes  1,  2  et  3),  la  troisième  celui 
où  le  ciel  a  été  à  peu  près  couvert  à  moitié  (cotes 
4,  5  et  6),  la  quatrième  celui  où  le  ciel  a  été  très 
couvert  (cotes  7,  8  et  9)  et  enfin  la  cinquième  le 
nombre  de  jours  où  il  a  été  totalement  couvert 
(cote  10). 

ANNÉE  MOYENNE 

Pendant  Vannée  moyenne  le  coefficient  moyen 
de  nébulosité  est  b,6  ce  qui  veut  dire  qu'en 
moyenne  le  ciel  est  plus  qu'à  moitié  couvert  de 
nuages  à  Dijon.  Il  y  a  environ  9S  jours  où  il  est 

14 


—  170   - 

absolument  pur,  SI  où  il  a  peu  de  nuages  29  où 
le  ciel  est  à  moitié  couvert,  57  où  il  y  a  de  nom- 
breux nuages  et  enfin  133  où  le  ciel  est  totalement 
couvert.  On  voit  que  le  ciel  bleu  est  rare  à 
Dijon. 

•  En  hiver  moyen,  le  coefficient  moyen  est  7,2. 
Il  n'y  a  que  16  jours  de  ciel  pur  contre  54  de  ciel 
totalement  couvert;  les  autres  chifi'res  sont  res- 
pectivement 6,5  et  8.  L'hiver  le  ciel  est  donc 
très  couvert. 

hM printemps  moyen,  le  coefficient  moyen  est 
5,4.  11  y  a  24  jours  de  ciel  sans  nuages  et  26 
jours  de  ciel  couvert  entièrement  ;  les  autres 
nombres  sont  13, 10  et  19.  Au  printemps  le  ciel 
est  couvert  sur  un  peu  plus  de  moitié  de  la  sur- 
face, à  peu  près  comme  pour  Tannée  entière. 

En  été  moyen,  le  coefficient  moyen  est  3,8.  Il 
y  a  34  jours  de  ciel  pur  et  14  jours  seulement  de 
ciel  couvert.  Les  autres  nombres  sont  20,9  et  15. 
L'été  est  la  saison  où  le  ciel  est  le  plus  pur  et 
malgré  cela  il  est  en  moyenne  couvert  de  nuages 
sur  un  peu  plus  du  tiers  de  sa  surface. 

En  automne  moyen  ie  coefficient  est  6,0.  Il  y 
a  donc  en  moyenne  les  6  dixièmes  du  ciel  cou- 
verts. Le  nombre  de  jours  où  le  ciel  est  pur  est 
21,  celui  où  il  est  totalement  couvert  38.  Les 
au  Ires  nombres  sont  respectivement  12,5  et  15. 


—  Mi  - 


ANNÉE    1899. 


Pendant  Vannée  1899  la  nébulosité  moyenne 
a  été  de  4,5,  ce  qui  ne  représente  que  les  8 
dixièmes  de  la  moyenne.  C'est  donc  une  année 
où  le  ciel  a  été  relativement  pur.  Le  nombre  de 
jours  sans  nuages  a  été  de  148  au  lieu  de  95, 
moyenne  des  quatre  années,  et  celui  où  le  ciel 
a  été  totalement  couvert  de  58  au  lieu  de  133. 

En  hiver  1899,  le  coefficient  de  nébulosité 
moyen  a  été  de  6,4,  soit  un  peu  moins  des  89 
centièmes  du  coefficient  de  Thiver  moyen.  Le 
nombre  des  jours  sans  nunges  a  été  de  26  au  lieu 
de  16  et  celui  des  jours  où  le  ciel  a  été  totalement 
couvert  de  45  au  lieu  de  55.  C'est  un  hiver  rela- 
tivement clair. 

An  printemps  de  1899  le  coefficient  moyen  a 
été  de  4,2  soit  moins  des  78  centièmes  de  la 
moyenne.  Le  nombre  de  jours  sans  nuages  a  été 
de  33  au  lieu  de  24  et  celui  où  le  ciel  a  été  cou- 
vert de  20  au  lieu  de  26.  C'est  un  printemps  clair. 

En  été  de  1899,  le  coefficient  moyen  a  été  de 
2,9  soit  un  peu  plus  des  76  centièmes  de  la 
moyenne.  Le  nombre  dejours  où  le  ciel  a  été  pur 
a  été  de  53  au  lieu  de  34  et  celui  où  il  a  été  cou- 
vert de  16  au  lieu  de  14.  L'été  a  été  également 
clair. 

En  automne  de  1899,  le  coefficient  moyen  a 


-  172  — 

élé  de  4,8  qui  représente  exactement  les  trois 
quarts  de  la  "moyenne.  Il  y  a  eu  36  jours  de  ciel 
pur  au  lieu  de  21  et  seulement  11  jours  de  ciel 
couvert  au  lieu  de  38.  C'est  celte  saison  qui  a  élé 
relativement  la  plus  lumineuse. 

ANNÉE   1900. 

Pendant  Vannée  1900  le  coefficient  de  nébulo- 
sité moyenne  a  élé  de  b,7,  c'est  à  un  dixième 
près  le  coefficient  moyen.  Le  nombre  de  jours  où 
le  ciel  a  été  pur  a  été  de  77  au  lieu  de  9S  et  celui  où 
il  a  élé  totalement  couvert  de  133,  soit  exacte- 
ment la  moyenne.  Celte  année  représente  assez 
bien  dans  son  ensemble  la  moyenne  des  4  années 
observées. 

En  hive7'  de  1900  le  coefficient  moyen  a  été  de 
7,2,  c'est-à-dire  exactement  la  moyenne.  Le 
nombre  de  jours  où  le  ciel  a  été  pur  a  été  de  10  au 
lieu  de  5S.  C'est  un  hiver  moyen. 

Am  pri7itemps  de  1900  le  coefficient  moyen  a 
été  de  3,0,  soit  un  peu  moins  des  93  centièmes 
de  la  moyenne.  Le  nombre  de  jours  où  le  ciel  a 
été  pur  est  de  29  au  lieu  de  24  et  celui  où  il  a  été 
couvert  de  23  au  lieu  de  26.  Le  printemps,  de 
1900  a  été  un  peu  plus  clair  que  la  moyenne. 

En  été  de  1900,  le  coefficient  moyen  a  été  de 
4,4,  soit  un  peu  plus  de  lo  0/0  de  plus  que  la 
moyenne.  Le  nombre  de  jours  sans  nuages  a  été  de 


—  173  — 

24aulieii  de  34  et  celui  des  jours  couverts  de  18 
au  lieu  de  14.  C'est  un  été  un  peu  brumeux- 

Eu  automne  de  1900  le  coefficient  moyen  a  été 
de  6,2,  soit  3  0/0  de  plus  que  la  moyenne.  Le 
nombre  de  jours  où  le  ciel  a  été  pur  a  été  de  14 
au  lieu  de  21  et  celui  des  jours  à  ciel  couvert  de 
20  au  lieu  de  38-  C'est  un  automne  moyen. 

ANNÉE  1901. 

Pendant  Vannée  1901  la  nébulosité  moyenne 
a  été  de  5,7,  c'est  à  un  dixième  près  la  moyenne 
des  quatre  années.  Le  nombre  de  jours  à  ciel  sans 
nuages  a  été  de  98  au  lieu  de  95  et  celui  où  le 
ciel  a  été  couvert  de  156  au  lieu  de  133.  C'est 
encore  une  année  moyenne. 

En  hiver  de  1901  le  coefficient  moyen  a  été  de 
7,5  soit  4  0/0  de  plus  que  la  moyenne.  Le  ciel 
a  été  pur  pendant  17  jours  au  lieu  de  16  et  cou- 
vert pendant  58  au  lieu  de  55.  C'est  un  hiver 
moyen. 

èlM  printemps  de  1901  le  coefficient  moyen  de 
nébulosité  a  été  de  5,5,  c'est-à-dire  très  légère- 
ment supérieur  à  la  moyenne.  Le  nombre  de 
jours  à  ciel  sans  nuages  a  été  de  25  au  lieu  de  24 
et  celui  à  ciel  couvert  de  37  au  lieu  de  26.  C'est 
un  printemps  moyen. 

En  été  de  1901  le  coefficient  moyen  a  été  de 
4,2,  soit  10  0/0  de  plus  que  la  moyenne.  Le  ciel 


—  174  — 

a  été  pup  pendant  21  jours  au  lieu  de  34  el  cou- 
vert pendant  Ib  jours  au  lieu  de  14.  C'est  un  élé 
un  peu  sombre. 

En  automne  de  1901  le  coefficient  moyen  a 
été  de  6,6,  soit  10  0/0  de  plusque  la  moyenne. 
Le  nombre  de  jours  à  ciel  sans  nuages  a  été  de 
14  au  lieu  de  21  et  celui  où  il  a  été  totalement 
couvert  de  46  au  lieu  de  38.  L'automne  a  eu  la 
môme  allure  que  Tété. 

ANNÉE  1902. 

Pendant  Vannée  1902,  le  coefficient  de  nébu- 
losité moyen  a  élé  de  6,6,  c'esUme augmentation 
de  prê.s  de  18  0/0  sur  la  moyenne.  Le  nombre 
de  jours  sans  nuages  a  été  de  51  au  lieu  de  9b  et 
celui  où  le  ciel  a  été  entièrement  couvert  de  Ibl 
au  lieu  de  133.  C'est  une  année  assez  sombre. 

Pendant  Yhiver  de  1902  le  coefficient  moyen  a 
été  de  7,8,  ce  qui  représente  plus  de  8  0/0  de  plus 
que  la  moyenne.  Il  y  a  eu  11  jours  sans  nuages 
au  lieu  16  et  60  jours  totalement  couverts  au  lieu 
de  ^^.  L'hiver  a  été  plus  obscur  que  la  moyenne. 

k\x printemps  de  1902,  le  coefficient  moyen  de 
nébulosilé  a  élé  de  6,7,  soit  24  0/0  de  plus  que 
la  moyenne.  Le  nombre  de  jours  où  le  ciel  a  été 
pur  a  été  de  9  seulement  au  lieu  de  24  et  celui 
où  il  a  été  couvert  do  30  au  lieu  de  26.  C'est  un 
printemps  nébuleux. 


—  l7o  — 

En  été  de  1902  le  coefficient  moyen  a  été  de 
4,9,  soit  une  augmentation  de  29  0/0  sur  ]a 
moyenne.  Le  nombre  de  jours  où  le  ciel  a  été 
sans  nuages  a  été  de  1 6  au  lieu  de  34  et  celui  où 
il  a  été  entièrement  couvert  de  19  au  lieu  de  14. 
L'été  a  donc  été  encore  relativement  plus  sombre 
que  le  printemps. 

En  automne  de  1902  le  coefficient  moyen  a 
été  de  7,0,  soit  17  0/0  de  plus  que  la  moyenne.  Le 
ciel  a  été  pur  pendant  15  jours  au  lieu  do  21  et 
totalementcouvert  pendant  42  jours  au  lieu  de  38. 
C'est  également  un  automne  assez  nébuleux. 

Lestableauxdétaillésquotidienset  très  complets 
dressés  par  les  observateurs  et  qui  nous  ont  servi 
il  dresser  les  tableaux  résumés  de  notre  mémoire 
sont  conservés  dans  nos  archives, 

Charles  Mogquery, 

Ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées, 
Président  de  la  commission  météorologique  delà  Côte-d'Or. 


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133 

DEUX  SEMAINES  EN  ESPAGNE 


15 


DEUX  SEMAINES  EN  ESPAGNE 


Les  dislraclions  élant  rares  à  l'Arba,  j'avais 
consacré  toutes  mes  soirées  de  l'hiver  dernier  à 
Tétude  de  la  langue  espagnole,  d'après  l'excel- 
lente méthode  du  maître  populaire.  Mais  n'ayant 
pas  autour  démolies  éléments  nécessaires  pour 
mettre  à  profit  mon  bagage  de  linguistique — les 
Espagnols  sont  cependant  nombreux  dans  ma 
région,  mais  ne  parlent  que  le  dialecte  valen- 
cien  —  je  décidai  de  faire  au  printemps  un  petit 
voyage  de  deux  semaines  environ  sur  le  littoral 
méditerranéen  de  l'Espagne,  en  visitant  les  pro- 
vinces d'Alicante,  de  Murcie  et  de  Valence. 

Une  excellente  occasion  se  présenta,  et  j'é- 
prouvai une  grande  joie  de  sentir  que  j'allais 
enfin  pouvoir  émettre  par  les  lèvres  les  beaux 
mots  et  les  belles  phrases  de  l'idiome  castillan, 
qui  sommeillaient  dans  mon  cerveau. 

Le  couronnement  du  jeune  roi  Alphonse  XIII 
était  fixé  au  17  mai.  Des  fêles  splendides  étaient 
annoncées  à  cette  occasion,  qui  devaient  durer 
une  quinzaine  de  jours  et  coïncider  avec  la  fête 
patronale  de  Madrid,  le  15  mai,  Romeria  de 
San  Isidro. 


—  180  — 

La  Compagnie  de  paquebots  Sitgès  frères  et  la 
Compagnie  de  chemin  de  fer  Madrid-Sarragosse- 
Alicanle  (MZA)  s'étaient  entendues  pour  faci- 
liter, dans  la  plus  large  mesure  possible,  le 
voyage  entre  Alger  et  Madrid  :.  30  francs  en 
3*^  classe  et  50  francs  en  seconde,  aller  et  retour 
d'Alger  à  Madrid,  avec  faculté  d'arrêt  dans  toutes 
les  gares  du  parcours  Alicante-Madrid  et  vice- 
versa. 

Désireux,  comme  on  peut  croire,  de  profiter 
de  ces  avantages,  ma  résolution  fut  bientôt  prise 
et  le  dimanche  11  mai,  je  pars  pour  m'embarquer 
sur  le  vapeur  Sitgès-Hermanos. 

Sur  le  quai  d'Alger,  je  change  mon  argent 
français  contre  de  l'argent  espagnol;  pour  200 
francs  le  changeur  me  remet  272  pesetas,  soit  36 
pour  cent. 

Abord,  je  trouve  la  famille  Raymond  Bernard, 
commerçant  de  l'Arba,  qui  doit  suivre  le  même 
itinéraire  que  moi.  Le  bateau  démarre  à  midi  et 
demi.  La  mer  est  houleuse;  au  large  fort  tangage 
qui  durera  toute  la  nuit.  Presque  tous  les  pas- 
sagers, au  nombre  de  200  environ,  sont  malades  ; 
de  ceux  de  seconde  et  de  première,  je  suis  le  seul 
qui  se  mette  à  table. 

Le  lendemain,  12  mai,  la  mer  est  redevenue 
calme.  De  bonne  heure  nous  apercevons  la  Pénin- 
sule Ibérique.  Nous  approchons  d'Alicante  que 
l'on  commence  à  distinguer  au  milieu  de  la 


—  181  — 

brume.  Je  me  fais  dire  par  un  passager  les  noms 
des  villages  que  Ton  aperçoit  sur  la  côte.  A 
gauche  d'Alicante,  Tîlot  de  Tabarca,  le  village 
de  Santa-Iola  avec  son  phare  ;  à  droite  les  villages 
de  Campillo,  Yillajoyosa,  Benidorm,  Altea. 

Nous  entrons  dans  le  port  à  11  heures  et 
demie.  Ue  la  passerelle  du  capitaine,  je  prends 
deux  vues  photographiques  de  la  ville,  assise  au 
pied  d'un  grand  rocher  abrupt  et  nu. 

A  noire  débarquement,  qui  n'a  lieu  qu'à  midi 
et  demi,  nous  avons  à  subir  un  véritable  assaut 
de  la  part  d'une  bande  de  jeunes  Espagnols  se 
disputant  nos  bagages  avec  un  acharnement 
comparable  à  celui  des  Arabes  des  quais  d'Alger. 

Ne  sachant  dans  quel  hôtel  aller,  je  reste  avec 
la  famille  Raymond  Bernard  qui  connaît  le  pays 
et  m'emmène  à  la  Posada  de  la  Balseta^  11 ,  rue 
de  la  Galatrava,  à  proximité  du  port,  entre  lu 
place  Isabelle  II  et  celle  de  la  Constitution.  On 
appelle  Posada  une  sorte  de  remise,  de  fondouk, 
une  auberge  en  somme  où  affluent,  surtout  les 
jours  de  marché,  les  charretiers,  les  maraîchers 
et  les  petits  cultivateurs  des  environs. 

Dans  la  cour  intérieure,  patio,  de  ces  hôtel- 
leries, il  y  a  un  mouvement  surprenant  ;  un 
perpétuel  va  et  vient  de  toutes  les  familles  venues 
de  rin,térieur  et  s'affairant  autour  des  nombreux 
véhicules,  Tartanas,  Garros  qu'elles  ont  ame- 
nés chargés  de  provisions. 


—  182  — 

Les  chambres  ou  appartements  y  sont  loués  à 
raison  de  une  peseta  le  lit.  Si  la  chambre  con- 
tient deux  ou  trois  lits,  le  prix  s'élève  en  pro- 
portion. La  peseta  correspond  à  la  pièce  de  un 
franc. 

Notre  appétit  ayant  été  aiguisé  par  l'air  salin 
de  la  mer,  nous  nous  mettons  à  table  au  milieu 
des  maraîchers  et  des  cultivateurs,  car  les  lundis 
et  les  mardis  sont  les  jours  où  ils  viennent  â  la 
ville.  La  traditionnelle  catalana,  en  castillan, 
porron,  remplie  d'un  vin  noir  très  fort  et  sentant 
la  peau  de  bouc,  préside  au  milieu  des  plats  ;  cette 
sorte  de  bouteille  ressemble  assez  à  un  gobe- 
mouches  en  verre,  d'où  jaillirait  un  cône  servant 
pour  boire  à  la  régalade.  N'ayant  pas  l'habitude 
de  boire  de  cette  façon,  je  me  fais  donner  un 
verre. 

Pendant  tout  le  repas  ma  curiosité  est  vivement 
excitée  par  ces  Espagnols  qui,  rangés  sans  façon 
autour  des  tables,  mangent  dans  le  môme  plat 
avec  des  cuillers  en  bois  et  se  font  passer  à  tour 
de  rôle  la  catalana  qu'ils  manient  avec  beaucoup 
d'habileté  et  d'adresse.  Après  déjeuner,  nous 
allons  visiter  la  ville.  Tout  d'abord  je  me  rends 
au  bureau  des  télégraphes,  calledeGravina,  pour 
lancer  un  télégramme  à  ma  femme.  L'adminis- 
tration n'acceptant  pas  d'argent,  il  faut  coller 
sur  les  libellés  des  timbres  spéciaux,  sellos  de 
franqueo  correspondant  au  mon  tan  t  de  la  dépêche . 


—  183  — 

Puis  nous  voilà  partis  à  travers  la  cité.  Nous  tra- 
versons le  Paseo  de  Mendez^Nunez  dont  le  sol 
est  pavé  de  mosaïques  en  ciment.  Cette  prome- 
nade, située  au  centre  môme  de  la  ville,  est  bor- 
dée d'ormeaux  abritant  des  bancs  en  pierre  d'un 
seul  morceau. 

Nous  voici  au  magnifique  Paseo  de  Gomiz^  où 
affluent  en  grand  nombre  les  promeneurs  ;  on  y 
jouit  de  la  fraîcheur,  car  il  est  situé  sur  la  plage  du 
Postiguet  en  face  des  établissements  de  bains. 
Nous  visitons  ces  derniers,  au  nombre  de  trois, 
bâtis  sur  pilotis  (Diana,  Alianza  et  Esperanza). 

Le  Paseo  de  los  MartireSy  longeant  le  quai, 
nous  plaît  davantage  ;  aussi  nous  y  arrôtoiis-nous 
un  instant,  pour  nous  rafraîchir  dans  une  bu- 
vette. Nous  absorbons  des  boissons  du  pays:  Zar- 
zaparilla^  boisson  sucrée  et  glacée  à  base  de  salse- 
pareille, couleur  de  la  bière  ;  Brea,  boisson  sucrée 
à  base  de  goudron,  limpide  comme  de  Teau.  — 
Cette  délicieuse  promenade,  bien  sablée,  est 
ornée  de  quatre  rangées  de  palmiers  au  centre 
desquels  s'élève  le  kiosque  de  la  musique.  De 
longs  bancs,  en  beau  marbre  rouge,  sont  éche- 
lonnés sous  les  arbres. 

Nous  gagnons  ensuite  une  autre  promenade, 
perpendiculaire  au  port,  appelée  Acenida  del 
doctor  Gadea^  bordée  aussi  de  palmiers.  A  l'ex- 
trémité supérieure  de  celte  promenade,  et  près 
du  Jardin  de  San  Francisco,  s'élève  un  superbe 


—  484  — 

monument  bâli  pour  commémorer  le  nom  de  l'il- 
lustre homme  public  Maisonnar.  Le  Paseo  de 
QuijanOy  situé  en  haut  de  la  ville,  est  un  gra- 
cieux jardin  parsemé  de  fleurs  de  toutes  variétés 
et  planté  d'arbres  et  arbustes  tels  que  tuyas  taillés 
en  fûts/  araucarias,  daluras  ferox,  yuccas,  etc. 
Au  centre  se  dresse  une  colonne  pyramidale,  à 
la  mémoire  de  Quijano,  homme  célèbre.  Au  fond 
un  vieil  ormeau,  dont  on  a  taillé  récemment  les 
branches. 

En  redescendant  vers  la  cité,  nous  visitons  la 
belle  Eglise  de  San  Nicolas  deBariy  qui  est  con- 
sidérée comme  une  des  plus  somptueuses  deTEs- 
pagne.  La  chapelle  de  la  communion  est  très 
jolie  et  le  dôme  qui  recouvre  la  nef  a  de  la  har- 
diesse et  de  la  magnificence.  Arrivés  sur  la  Plaza 
de  A IfonsoXII,  nous  nous  arrêtons  devan  t  VAyun-- 
tamientOy  hôtel  de  ville,  grand  monument  de  47 
mètres  de  façade  et  19  de  hauteur,  construit  sur 
deux  arcades  appelées  Porticos,  qui  donnent  accès 
sur  la  Plaza  del  Progreso  et  à  Calle  Mayor.  Cet 
édifice  est  flanqué  de  deux  tours  quadrilatérales 
qui  mesurent  37  mètres  de  haut  sur  24  de  tour. 
L'ornementation  de  la  façade  est  en  plusieurs 
ordres  d'architecture. 

Avant  de  rentrer  à  la  Posada,  nous  jetons  un 
rapide  coup  d'œil  sur  la P/aja  de  laConstHucion, 
petit  square  au  milieu  duquel  est  un  jet  d'eau  re- 
présentant un  enfant  tenant  un  parapluie;  Teau 


—  185  - 

passe  par  le  manche  du  parapluie  et  vient  retom- 
ber dans  le  bassin  par  les  bords  du  pavillon. 

La  Plaza  de  Isabel  II,  près  de  la  poste  et  du 
casino,  est  un  grand  jardin  entouré  d'une  grille 
el  possédant  un  puissant  jet  d'eau  ;  là  viennent 
jouer  les  enfants  avec  leurs  bonnes  ou  leurs  pa- 
rents. 

Nous  sentant  faligués/tantparla  traversée  que 
par  notre  longue  promenade  à  travers  les  rues 
d'Alicanle,  nous  dînons  rapidement  el  gagnons 
notre  appartement.  Chambres  d'aspect  austère, 
sans  tentures,  ni  tableaux;  les  murs  sont  simple- 
ment blanchis  à  la  chaux,  les  lits  en  fer,  comme 
la  table  de  toilette,  n'ont  pas  de  traversin.  Deux 
petits  oreillers  plats,  que  l'on  superpose  en  tiennent 
lieu.  Fermez  bien  votre  porte  et,  la  nuit,  ne  met- 
tez pas  vos  chaussures  à  la  porte,  elles  auraient 
disparu  le  lendemain. 

Mardi  13  mai.  —  A.près  le  repos  d'une  longue 
nuit  nous  nous  dirigeons  de  bon  matin  vers  la 
fabrique  de  tabacs.  Là,  nous  sautons  dans  un 
tramway  sûr  rails,  traîné  par  deux  mules,  qui 
doit  nous  conduire  à  Muchamiel  pour  la  somme 
de  50  centimes  aller  et  retour.  La  route  très 
étroite  est  poudreuse.  Nous  entrons  dans  un  ter- 
rain blanc,  aride,  dépourvu  de  végétation.  A  en- 
viron 4  kilomètres,  au  lieu  dit  la  Cria  de  Piedra, 
le  paysage  change  ;  nous  découvrons,  dans  un 


—  186  — 

bas-fond  immense,  vers  lequel  descend  la  ligne 
ferrée,  un  lableau  merveilleux  autant  qu'imprévu, 
difficile  à  décrire.  C'est  un  site  d'autant  plus  en- 
chanteur que  le  contraste  est  frappant,  puisque 
entre  la  ville  et  cet  endroit  le  terrain  est  nu, 
ariJeet  triste.  C'est  la  //w^rtod'Alicante,  vergers 
magnifiques,  jardins  paradisiaques,  véritable 
oasis  plus  facile  à  admirer  qu'à  décrire.  De  tous 
côtés  apparaissent  de  belles  fermes,  de  vastes 
domaines,  Haciendas^  où  les  propriétaires  s'a- 
donnent à  la  culture  des  oliviers,  figuiers  et 
surtout  des  amandiers.  Les  céréales,  les  légumes 
et  la  vigne  y  poussent  à  merveille.  Le  blé  surtout 
est  d'une  belle  venue  ;  après  Santa-Fa^y  hameau 
situé  à  7  kilomètres  d'Alicante,  nous  entrons  par 
curiosité  dans  un  champ  où  je  disparais  complè- 
tement, c'est  dire  que  les  tiges  de  blé  mesurent 
près  de  deux  mètres  de  hauteur. 

Nous  traversons  le  village  de  San  Juan,  puis 
nous  arrivons  à  Muchamiel,  tête  de  ligne  de 
la  ligne  ferrée,  à  neuf  kilomètres  d'Alicante. 
Visite  rapide  de  ce  pueblo  dont  les  maisons  lé- 
zardées, même  l'église  tombent  en  ruines.  Achat 
de  quelques  boites  du  fameux  nougat,  Tun-on, 
àeJiJo?iay  bourg  voisin.  Avant  de  reprendre  le 
tram,  nous  nous  arrêtons  devant  une  maison  en 
construction,  bâtie  avec  de  mauvaises  pierres  et 
de  la  terre  en  guise  de  mortier.  Le  contre-mailre 
maçon,  auquel  nous  adressons  la  parole,,  nous 


—  187  — 

dît  qu'il  est  payé  2  pesetas  par  jour  et  ses  ouvriers 
1  peseta  et  demie,  main-d'œuvre  bien  bon  marché 
à  côté  de  celle  de  France  ou  d'Algérie. 

De  retour  à  la  posada,  nous  dévorons  avec 
appélit  un  délicieux  puchero  que,  nous  avions 
commandé  le  matip.  Le  piichero  est  le  pot-au  feu 
espagnol.  Il  se  rapproche  beaucoup  de  la  potée 
bourguignonne.  Les  éléments  qui  le  composent 
sont  :  viande  de  bœuf,  poulet,  saucisson  très 
épicé,  lard,  jambon,  choux  et  gavhanzas,  pois 
chiches.  Dans  l'après-midi  nous  flânons  dans 
les  rues  et  nous  nous  reposons  sur  le  Pasos  de 
los  Martires,  afin  d'être  plus  dispos  pour  le  long 
trajet  que  nous  devons  faire  celte  nuit  et  demain, 
d'Alicante  à  Madrid. 

Avant  de  quitter  Alicante,  que  Ton  me  per- 
mette d*esquisser  une  petite  description  de  cette 
ville  et  de  relater  les  faits  et  choses  qui  m*ont 
le  plus  frappé. 

Alicante  est  une  ville  d'environ  ^0.000  habi- 
tants. Elle  est  située  au  centre  de  la  grande  baie 
formée  par  les  caps  de  Santa  Pola  et  de  la  Huerta, 
sur  le  versant  d'une  montagne  aride  et  pelée. 
Monte  Benicastel,  couronné  d'un  château  fort, 
el  Casti lîo y  eiuq\ie\  on  accède  par  une  longue  file 
d'escaliers.  Le  commerce  y  est  très  animé, 
surtout  celui  des  vins.  Son  pori,  le  port  méditer- 
ranéen le  plus  rapproché  de  Madrid,  est  constam- 
ment, fréquenté  par  des  navires   de  toutes  les 


^  188  — 

nations,  qui  mettent  celte  ville  en  relation  avec  le 
monde  entier  ;  il  a  environ  283.000  mètres 
carrés. 

La  garnison  d'Alicante  est  ainsi  composée  : 
un  bataillon  de  ligne  de  la  Princesa,  de  rartillerie, 
des  gendarmes  à  pied  et  à  cheval,  Gardia  civil, 
des  douaniers  de  terre  et  de  mer,  carabineros, 
des  agents  de  police  à  pied  et  achevai.  Le  soldat 
espagnol  est  très  proprement  vêtu.  Comme 
chaussures,  il  ne  porte  pas  de  nos  larges  et 
lourds  godillots,  mais  des  soulier^  fins.  En  temps 
d'exercices,  de  manœuvres  et  de  guerre,  le  fantas- 
sin chausse  Tespadrille. 

Le  climat  de  cette  région  est  tempéré  et  sain. 
On  y  jouit  d'un  ciel  riant  et  pur.  Aussi  Alicante 
est  une  station  d'hiver  et  comme  ville  d'été  sa 
plage  a  une  renommée  générale  et  populaire. 
La  partie  haute  n'offre  rien  de  particulier  ;  les 
rues  et  les  places  y  sont  amples  et  larges,  mais 
les  consiruclions  manquent  ou  sont  fort  espacées. 
La  ville  basse  renferme  de  belles  maisons,  de 
beaux  magasins,  avec  des  rues  étroites  dont 
plusieurs  sont  pavées  en  bois. 

Beaucoup  d'anciennes  habitations  possèdent 
des  miradores,  balcons  vitrés,  où  la  gracieuse 
Espagnole,  nonchalamment  assise  dans  sumece^ 
dora,  et  parée  de  ses  plus  beaux  atours,  passe 
une  partie  de  sa  journée  à  regarder  dans  la  rue. 

Les  églises,  comme  partout  en  Espagne,  sont 


—  189  — 

ouvertes  seulement  pendant  les  offices  et  généra- 
lement fermées  de  10  heures  du  malin  à  3  heures 
de  l'après-midi. 

Je  dirai  un  mot  des  Tarlanas.  Ces  voilures 
que  nous  voyons  souvent  en  Algérie  conduites 
par  des  Gitanos^  bohémiens  espagnols,  sont  les 
calèches  du  pays.  Comme  au  temps  de  Théophile 
Gautier  c'est  une  caisse  recouverte  de  toile  cirée 
et  posée  sur  deux  roues,  sans  le  moindre  ressort. 
Toutefois  les  tarfanas  contemporaines  sont  capi- 
tonnées à  Tintérieur  ;  quelques-unes  ont  des  gla- 
ces ;  j'en  ai  vu  même  qui  ont  des  ressorts,  et  tout 
de  même  on  n'y  est  pas  trop  mal. 

L'eau  potable  est  distribuée  dans  Alicante  à 
l'aide  de  cruches  en  terre,  d'une  contenance  de 
huit  litres  environ,  que  les  aguadores^  porteurs 
d'eau,  transportent  à  domicile  sur  des  brouettes 
percées  de  deux  à  huit  trous  carrés  où  s'encastre 
le  récipient. 

Neuf  heures  du  soir.  Nous  voilà  installés  dans 
le  train  partant  pour  Madrid.  Mes  compagnons 
de  route  sont  en  troisième  et  moi  tout  seul  dans 
un  compartiment  de  seconde.  Les  trois  coups  de 
cloche  réglementaires  sont  donnés,  le  conduc- 
teur crie  :  todos  los  viajeros  al  Iren  ou  senores 
viajeros  al  tven  et  nous  partons.  Un  beau  clair 
de  lune  permet  de  me  rendre  compte  do  la 
région  parcourue  qui  est  plutôt  montueuse.  On 
y  voit  des  montagnes  assez  élevées  dont  plusieurs 


—  190  — 

portent  des  vignobles  jusqu'au  faîte,  et  des  pro- 
fondeurs remplies  d'une  végétation  exubérante 
qui  contraste  avec  l'aridité  générale. 

Les  gares  se  succèdent  rapidement  :-5an  Vi- 
cente,  Monforte^  Novelda,  Monovar^  Elda^  Sax^ 
Villenaj  Caudete.  Nous  faisons  un  arrêt  d'une 
demi-heure  à  la  Encina^  où  j'avale  un  café  au 
lait  avec  un  hiscochOy  sorte  de  biscuit  de  Savoie, 
peu  sucré.  4  heures  20,  Chinchilla.  Le  jour  com- 
mence à  poindre,  b  heures  20,  Albacete.  La  ville 
est  à  deux  pas  de  la  station.  Elle  n'a  pas  Tair 
d'être  bien  curieuse  à  visiter;  du  reste  le  dicton 
suivant  l'indique  :  Albacete  y  miralo  y  vête.  La 
principale  industrie  de  cette  capitale  de  province, 
qui  compte  21.000  âmes  environ,  est  la  fabrica- 
tion des  couteaux  et  poignards,  qui  a  acquis  une 
grande  importance  :  on  y  reçoit  des  commandes 
de  toutes  les  parties  du  monde,  étant  connue  la 
perfection  irréprochable  avec  laquelle  ces  armes 
sont  fabriquées.  J'achète  aux  camelots  de  la  gare 
plusieurs  7iavajas  et  navajitas  en  souvenir  de  mon 
passage. 

Au  delà  d'Albaoete,  nous  entrons  dans  une 
vaste  plaine,  légèrement  ondulée.  C'est  le  com- 
mencement de  la  célèbre  Ma7îcha,  le  pays  natal 
de  Don  Quichotte  qui  comprend  toute  la  pro- 
vince de  Giudad-Réal  et  en  partie  celles  d'Alba^ 
celé  et  de  Tolède,  20.000  kilomètres  carrés  envi- 
ron. Ce  ne  sont  que  des  landes  dépourvues  com- 


—  191  — 

plètement  d'arbres,  privant  ainsi  d'ombre  son 
sol  embrasé  par  le  soleil  ;  pas  d'eau  pour  l'irriguer 
et  le  fertiliser.  On  y  constate  le  manque  absolu 
de  rochers  et  de  ravins  qui  diversifient  les  pay- 
sages ;  rien  que  des  nuages  de  poussière  au  lieu 
de  nuées  humides  et  bienfaisantes.  D'un  village 
à  l'autre  la  solitude  est  complète,  et,  au  loin,  de 
temps  à  autre,  un  clocher  d'église  se  dresse  comme 
une  blanche  voile  au  milieu  des  mers.  Le  terrain 
est  gris-jaunâtre,  le  sous-sol  blanc.  Le  blé  etl'a- 
voinesont  chétifs,  30  à  40  centimètres  de  hauteur 
environ  ;  quelques  pieds  de  vignes,  des  pois 
chiches.  Les  céréales  poussent  en  ligne  dans  des 
petits  sillons  très  rapprochés  et  tracés  par  la  char- 
rue espagnole  qui  ressemble  à  la  charrue  arabe. 

Après  la  Roda  et  Minaya^  le  paysage  change; 
c'est  toujours  la  môme  plaine,  mais  les  brous- 
sailles et  arbustes  apparaissent  de  plus  en  plus 
abondants  des  deux  côtés  de  la  ligne. 

A  Matas  Ver  des  ^  la  broussaille  a  disparu  pour 
faire  place  à  des  cultures  de  blé.  Un  peu  plus  loin 
je  remarque  de  grands  vignobles  dont  certains 
plants,  assez  âgés,  sont  taillés  presque  à  raz  de 
terre.  Ici,  la  terre,  chargée  d'oxyde  de  fer,  est 
rouge  comme  dans  le  Sahel  d'Alger. 

Villarrohledo.  —  La  culture  est  plus  riche, 
plus  serrée,  mais  les  céréales  sont  toujours 
très  basses.  La  plupart  des  maisons  du  village 
sontconstruites  enterre  rouge,  lesmurs  lézardés 


—  192  — 

et    beaucoup  d'habitations  tombent  en    ruine. 

C'est  à  Villarrobledo  que  Ton  commence  à  ren- 
contrer en  grand  nombre  les  fameux  moulins  à 
vent  que  Cervantes  fait  figurer  dans  son  Don 
Quichotte.  Beaucoup  sont  à  moitié  démolis  ;  je 
me  suis  amusé  à  compter  ceux  qui  sont  encore 
en  activité  dans  les  puehlos  situés  à  proximité 
de  la  voie. 

A  Villarrobledo,  j'en  photographie  un  spéci- 
men qui  se  dresse  à  côté  de  la  gare,  à  environ 
60  mètres  de  la  voie,  à  gauche.  Dans  cette  sta- 
tion, je  remarque  sur  les  quais  de  gigantesques 
vases,  destinés  à  la  conservation  du  vin  et  de 
l'huile  d'olives  ;  ils  sont  en  terre,  à  orifice  rond 
et  se  terminant  en  pointe  aiguë  à  la  partie  infé- 
rieure, comme  les  amphores  romaines.  A  Socuel- 
lamos  les  vignes  abondent,  mais  toujours  aucun 
arbre.  On  fait  en  ce  moment  beaucoup  de  labours 
pour  débarrasser  le  terrain  des  racines  et  le  pré- 
parer pour  les  prochaines  semailles.  J'aperçois 
ici  quelques  norias  servant  à  l'arrosage  des  lé- 
gumes. 

Criptana.  —  Les  céréales  sont  plus  belles.  La 
vigne  est  bien  feuillue. 

Mais  le  paysage  change,  de  petits  coteaux  appa- 
raissent. Des  montagnes  se  profilent  au  loin.  Nous 
sommes  à  Alcazar  de  San  Juan  ;  je  profite  des 
vingt-cinq  minutes  d'arrêt  pour  déjeuner  au 
buflTet. 


—  193  — 

A  Villacarias  et  Romeral,  des  petites  masures 
cintrées  émepgenl  du  sol.  Ce  sont  les  entrées  des 
bodegasy  caves  souterraines  servant  pour  le  vin 
et  les  grains. "Le  terrain  devient  maintenant  plus 
accidenté  sans  être  montagneux,  mais  toujours 
nu  et  quasi  aride. 

Enfin  voici  des  arbres  et  fort  beaux,  peupliers, 
platanes,  acacias,  marronniers  en  fleurs,  etc.  De 
superbes  cultures  maraîchères,  des  arbres  frui- 
tiers, des  canaux  d'irrigation.  Lu  nature  ici  est 
d'un  verdoyant  magnifique.  Nous  traversons  un 
fleuve,  c'est  le  Tage.  Nous  sommes  à  Aranjuez, 
petite  ville  de  9.000  âmes,  assise  au  confluent  du 
ïage  et  du  Jarama,  où  la  famille  royale  possède 
un  château  célèbre  servant  de  résidence  d'été  et 
où  la  ville  de  Madrid  s'approvisionne  de  fruits 
et  de  légumes  de  premier  choix.  Plus  loin,  la 
région  redevient  âpre.  Nous  franchissons  un  val- 
lon, formé  par  deux  petites  collines.  A  Valde- 
morOy  grande  culture  d'oliviers  plantés  par  3  ou 
4.  Nous  approchons  de  Madrid,  où  le  Irain  de 
42  wagons  bondés  de  voyageurs  arrive  à  b  heures 
et  demie,  avec  une  heure  et  demie  de  retard. 

Mais  revenons  à  nos  moulons,  c'est-à-dire  à  mes 
impressions  sur  Madrid. 

Pour  éviter  d'être  escroqués  et  extorqués  par 
les  rateros  (filous)  qui  pullulent  en  ces  jours  de 
fêtes,  nous  prenons  une  calèche,  ici  la  tartane 
n'existe  plus,  et  sous  une  pluie  battante  nous 

16 


—  194  — 

débarqiious  à  Vhôtel  de  la  Vascongaday  16,  Car- 
rera de  San  Jeronimo,  à  environ  cent  mètres  de 
la  Puerta  del  Sol,  centre  de  Madrid.  A  Madrid, 
les  voitures  de  place  portent  sur  le  siège  une 
planchette  où  on  lit  :  Se  Alquila^  se  loue,  fixée 
au  bout  d'une  tige  que  le  cocher  abaisse  quand  la 
voiture  est  occupée. 

La  tenancière  de  rétablissement  nous  demande 
25  pesetas  par  jour;  mais,  en  marchandant  avec 
outrance,  nous  obtenons  le  chiffre  de  10  pesetas 
chacun,  à  condition  que  nous  coucherons  tous  les 
quatre  dans  le  môme  appartement.  Nous  dînons 
à  la  table  d'hôte,  Mesa  redonda.  Nos  commen- 
saux sont  tous  espagnols,  sauf  un  consul  hollan- 
dais et  un  commerçant  de  Paris,  accompagné  de 
sa  femme.  A  notre  entrée  dans  la  salle^  ils  se 
lèvent  tous  et  nous  adressent  un  gracieux  salut 
de  bienvenue. 

Ici  je  remarque  encore  cette  courtoisie  espa- 
gnole, dont  on  m'avait  tant  parlé,  mais  qui  n'e- 
xiste guère  que  sur  le  territoire  national.  Dans 
tous  les  actes  de  sa  vie  privée  et  publique,  mo 
dit  le  consul  hollandais  qui  parle  fort  bien  le  fran- 
çais, l'Espagnol  fait  constamment  preuve  d'une 
extrême  courtoisie.  Ce  sentiment  n'est  pas  aussi 
développé  chez  les  peuples  professant  le  plus  le 
principe  de  l'égalité  civile  ;  mais  chez  celui-ci 
c'est  une  habitude  innée,  inaltérable.  Dansle  train 
je  l'avais  déjà  observée.  Tous  les  voyageurs  qui 


—  195  — 

entraient  dans  mon  compartiment  me  saluaient 
avec  une  politesse  à  laquelle  nous  ne  sommes 
pas  habitués,  surtout  en  Algérie.  Pendant  tout 
le  voyage  ils  m'offraient  à  boire,  à  partager  leurs 
repas,  me  présentaient  leurs  paquets  de  cigarettes 
ou  leurs  étuis  à  cigares. 

Mais  revenons  à  notre  table.  Deux  verres  sont 
devant  chaque  convive  :  un  petit  à  pied  pour  le 
vin  et  un  très  grand  pour  Teau.  La  prédilection 
prononcée  du  peuple  espagnol  pour  l'eau  rappelle 
l'usage  exclusif  que  font  les  Arabes  de  ce  breu- 
vage primitif.  L'eau,  en  effet,  se  vend  partout, 
dans  les  gares,  dans  les  promenades,  dans  les 
lieux  publics,  où  Ton  entend  à  chaque  inslant  les 
cris  de  :  Quien  qiiiere  agua  ?  modulés  par  les 
Aguadores  oxiAguadoras^  porteurs  ou  porteuses 
d'eau.  Dans  les  cafés  môme,  quelle  que  soit  la 
boisson  servie  (café  au  lait,  café,  rhum,  bière,  etc.) 
elle  est  toujours  accompagnée  du  traditionnel 
verre  d'eau.  Le  menu  du  dîner  est  varié.  Les  plats 
sont  excellents  et  arrosés  d'un  bon  petit  vin  de 
ValdepenaSy  cru  de  la  province  de  Ciudad-Réal, 
dont  les  vignes  sont  originaires  delà  Bourgogne. 
En  somme,  la  vie  n'est  pas  trop  chère  dans  cet 
hôtel;  d'autant  plus  que  notre  appartement  aune 
fenêtre  et  un  balcon  donnant  sur  la  Carrera  de 
San  Jeronimo,  une  des  rues  principales  de  la 
ville  et  où  doit  passer  le  cortège  royal  le  jour  du 
couronnement. 


—  196  — 

Jeudi  1b  mai.  —  C'est  aujourd'hui  la  fête  de 
Madrid,  la  San  Isidro.  De  bonne  heure,  dans  les 
rues,  on  n'entend  qu'un  bruit  assourdissant  de 
sifflets.  Ce  sont  \es  pitos^  petits  sifflets  en  verre 
ornés  de  deux  ou  trois  roses  artificielles  de  di- 
verses nuances  que  Ton  achète  aux  enfants  ce 
jour-là.  A  table,  au  dessert,  on  nous  servira  des 
bunuelos,  beignets  ou  pets  de  nonne,  continuation 
d'une  vieille  coutume. 

M.  Raymond  Bernard  étant  tombé  malade  pour 
ne  plus  se  relever,  je  visiterai  la  capitale  de  l'Es- 
pagne tantôt  seul,  tantôt  avec  son  beau-frère. 

La  première  chose  que  Ton  doit  faire  pour  s'o- 
rienter en  arrivant  à  Madrid,  est  de  se  rendre  à 
la  Puer  ta  del  Sol  y  qui  est  la  place  centrale  d'où 
partent  les  principales  artères  et  aussi  le  lieu  in- 
dispensable des  réunions  et  des  rendez- vous. 
C'est  à  tout  prendre  un  point  de  repère  très  utile 
pour  le  voyageur.  Son  nom  provient  d'un  soleil 
qui  était  représenté  au-dessus  de  la  porte  d'un 
château  fort  disparu  aujourd'hui.  Les  maires 
successifs  de  la  ville  y  ont  apporté  beaucoup 
d'améliorations  et  ont  modernisé  ce^  centre  de 
Madrid  qui  en  est  vraiment  le  cœur  et  le  cerveau. 

Cette  place,  d'une  forme  irrégulière,  est  pavéeen 
asphalte.  Dix  rues  viennent  y  aboutir  : 

Calle  de  Alcala^  Carrera  de  San  Jeronimo^ 
Calle  Espozymina,  Calle  de  Carrelas,  Calle  de 
CorreOy  Calle  mayor^  Galle  del  Arenal,  Calle  de 


—  i97  — 

PreciadoSy  Calle  del  Carmen^  et  Calle  de  la 
Montera. 

Je  reviendrai  sur  celle  intéressante  place  à 
l'heure  où  les  madrilènes  s'y  réunissent. 

Je  fais  chez  un  libraire  de  celte  place  Tacqui- 
silion  d'un  plan  de  Madrid,  que  j'éludie  rapide- 
ment et  me  voici  parti  à  pied  dans  la  rue  princi- 
pale de  la  ville,  la  Via  ou  Calle  Alcala^  sur  la 
gauche  je  remarque  ;  Le  Cercle  des  Beaux- Arts  y 
Circulo  de  Sellas  artes,  le  Ministère  des  Finances , 
Ministerio  de  Hacienda  ;  le  Restaurant  FornoSy 
très  renommé,  à  l'entrée  de  la  rue  Peligros;  ÏE- 
.  glîse  de  V Ordre  de  Calatrava\  le  Théâtre  d'A- 
pollon ;  le  Ministère  de  la  guerre^  bel  édifice 
entouré  de  jardins  et  très  bien  situé. 

Voici  \di.  Place  de  Madridy  au  milieu  de  laquelle 
se  dresse  la  slalue  allégorique  de  Cyhèle.  La 
déesse,  assise  sur  un  char  traîné  par  deux  lions, 
est  entourée  d'allribuls  de  belle  exécution,  entre 
aulres  deux  génies  portant  deux  amphores  et  ver- 
sant conslammenl  de  Teau  dans  le  bassin  de  la 
fontaine.  A  gauche  de  celle  place  se  trouvent  le 
Paseode  Recoletos,  V hôtel  du  may^quis  de  Comil" 
lasy  refuge  des  mendiants  ;  à  droile,  le  Paseo  del 
Prado  et  les  jardins  du  Buen-Retiro.  Plus  loin,  la 
PI  ace  de  V  Indépendance  y  avecsonarcde  triomphe 
appelé  Porte  d'Alcala.  Cet  arc,  tout  en  pierre 
de  taille  el  à  trois  porles,  est  d'un  slyle  noble  et 
riche.  Sur  le  fronlon,  on  lil,   des  deux  côlés, 


—  198  — 

l'inscpîption  suivante  :  Rege  Carolo  III,  anno 
MDCCLXXVIIL 

Le  Retira  ou  Parc  de  Madrid.  C'est  un  im- 
mense jardin  avec  de  grandes  avenues  ornées 
de  statues,  de  jolies  fontaines,  des  kiosques  et 
des  allées  ombragées.  Il  y  a  aussi  une  ména- 
gerie et  un  musée  zoologique,  un  vaste  étang 
sur  lequel  je  fais  une  petite  promenade  dans  un 
canot  à  vapeur. 

Après  m'èlre  reposé  un  instant  sur  un  banc, 
dans  une  odorante  allée  de  marronniers  en  fleurs, 
je  quille  ce  beau  lieu  en  sortant  par  une  porte 
située  à  peu  près  en  face  de  la  statue  équestre 
du  maréchal  Espartero,  dans  le  prolongement  de 
la  Via  Alcala. 

Il  est  temps  de  rebrousser  chemin,  car  midi 
approche,  et  je  jette  celte  fois  un  coup  d'œil  sur 
les  monuments  sis  du  côté  droit  de  la  Via  Alcala. 

C'est  d'abord  la  Banque  d'Espagne,  un  des 
plus  beaux  édifices  d'Europe,  qui  a  267  mètres 
de  façade  et  8584  mètres  de  superficie  ;  la  plus 
grande  façade  donne  sur  le  Prado.  L'angle  de  la 
Via  Alcala  et  du  Prado  est  surmonté  d'une  belle 
horloge  qui,  comme  celle  du  Ministère  de  l'in- 
térieur et  du  Palais  de  l'Equitalive,  sert  aux 
passants  pour  régler  leur  montre. 

Ensuite  le  Palais  de  VEquitative,  qui  est  la 
meilleure  conslruclîon  particulière  de  Madrid. 
La  partie  de  ce  bâtiment  très  riche  qui  fait  l'angle 


—  199  — 

de  Via  Alcala  et  de  Galle  de  Sevilla,  est  ornée 
do  la  statue  de  la  Protection  et  est  surmontée 
d'une  belle  coupole  au  bas  de  laquelle  est  en- 
castrée une  grosse  horloge. 

Il  est  midi  moins  cinq  minutes.  Il  me  reste 
juste  le  temp^  nécessaire  pour  me  rendre  à  la 
Puerta  del  Sol,  où  Ton  m'a  recommandé  de  me 
trouver  à  celte  heure. 

En  effet,  à  peine  arrivé  sur  cette  place,  je  vois 
tous  les  promeneurs  et  passants  arrêtés,  la  tête 
levée  et  les  regards  dirigés  vers  le  Ministère  de 
Vintèrieitr  (Ministerio  de  la  Gobernacion). 
Douze  coups  tintent.  Une  grosse  boule  dorée, 
placée  sous  la  petite  coupole  qui  surmonte  Thor- 
loge,  descend  lentement  pendant  que  les  cloches 
carillonnent  ;  à  midi  cinq,  elle  remonle.  G  est 
là  un  des  grands  attraits  pour  les  Madrilènes  et 
surtout  pour  ceux  qui  viennent  à  Madrid  pour 
la  première  fois.  L^heure  du  déjeuner  approche, 
je  m'achemine  vers  Thôtel. 

En  Espagne,  les  repas  ont  lieu  très  tard  :  le 
déjeuner  à  une  heure  de  l'après-midi  elle  dîner, 
à  huit  heures  et  demie  du  soir. 

On  nous  sert  des  œufs  à  la  coque,  mais  sans 
coquetier.  Dans .  beaucoup  de  restaurants  ou 
d'hôtels  en  Espagne,  la  mode  est  de  casser  les 
œufs  et  d'en  verser  le  contenu  dans  un  verre  à 
pied  où  Ton  trempe  les  mouillettes  de  pain. 

Dans  mon  itinéraire  d'aujourd'hui  sont  com- 


—  200  — 

prises  les  Courses  de  taureaux  qui  doivent 
avoir  lieu  cet  après-midi.  Six  taureaux  paraî- 
tront dans  Tarène.  Ne  voulant  pas  manquer  ce 
spectacle  nouveau  pour  moi,  je  prends  d'avance 
au  bureau  de  la  rue  de  Séville,  situé  en  face  de 
mon  hôtel,  une  place  de  grada^  à  Tombre.  Très 
curieux  le  grand  mouvement  qui  existe  aux 
abords  du  guichet.  Les  vendeurs  vous  bouscur 
lent,  vous  pressent  et  vous  mettent  leurs  billets 
dansja  main,  comme  s'ils  voulaient  vous  les 
faire  prendre  de  force.  On  n'entend  que  les  cris 
de  :  Sol  y  Sombra!  Sol  y  Sombra  !  le  spectateur 
ayant  la  faculté  de  choisir  sa  place  dans  le  cir- 
que, soit  au  soleil,  soit  à  l'ombre. 

Je  me  dirige  vers  la  Plaza  de  Toros^  située  à 
droite  de  Textrémité  de  la  rue  Alcala,  derrière  le 
Retire,  au  milieu  d'une  file  de  tramways  élec- 
triques, d'omnibus,  de  calèches,  de  chars  à  bancs, 
de  grandes  voitures  bizarres  et  d'une  vraie 
marée  de  piétons,  le  tout  produisant  un  brouhaha 
indescriptible,  mais  joyeux.  Les  cochers  crient  de 
tous  leurs  poumons  :  A  la  Plaza  !  A  la  Plaza  ! 

La  Plaza  de  Toros  de  Madrid  est  une  im- 
mense rotonde  ou  plutôt  un  grand  polygone  de 
60  côtés,  dont  l'extérieur  n'offre  rien  de  remar- 
quable. Son  style  est  arabe.  Elle  a  été  construite, 
comme  l'indique  l'inscription  gravée  à  l'intérieur 
au-dessus  de  la  porte  du  Corral  (entrée  des  tau- 
reaux dans  l'arène)  de  janvier  1873  à  juin  1874. 


—  201  — 

Elle  peut  contenir  actuellement  12.600  person- 
nes, sans  compter  la  loge  royale.  Toutes  les 
places  sont  numérotées,  et  il  est  rare  qu'elles 
soient  inoccupées  ;  les  courses  de  taureaux  cons- 
tituent en  effet  le  plaisir  par  excellence  du 
peuple  espagnol. 

A  quatre  heures  et  demie  précises,  la  Cuadrilla 
tout  entière  fait  son  entrée  solennelle  dans  la  lice 
et  défile  gravement  devant  Tassis tance,  saluant 
respectueusementlaloge  royale  et  celle  de  VAyun- 
tamiento  (municipalité).  Le  spectacle  commence 
par  le  jeu  des  Picadors  à  cheval,  armés  d'une 
lance.  A  la  vue  du  premier  cheval  éventré,  ma 
première  impression  est  un  sentiment  d'horreur 
qui  ne  fait  qu'augmenter  quand  je  vois  les  valets 
refouler  dans  la  plaie  les  entrailles  pendantes  et 
les  maintenir  avec  des  chifi^ons,  pour  faire  de 
nouveau  travailler  la  bote  qui  ne  tarde  pas  à  s'a- 
battre. 

Puis  les  Banderilleros  y  aidés  par  les  Chiilos 
qui  font  papillonner  devant  le  taureau  un  man- 
teau d'étoffe,  harcèlent  la  bête  avec  les  handeril^ 
las.  Enfin  VEspada  avec  sa  muleta^  drapeau 
rouge,  agace  l'animal,  parvenu  en  ce  moment  à 
un  haut  degré  décolère  et  de  rage,  se  place  fière- 
ment devant  ses  cornes  et  lui  ploni^e  son  épée 
entre  la  nuque  et  les  épaules.  Le  taureau  tombe 
et  un  cachetero  l'achève  à  l'aide  d'un  poignard 
qu'il  enfonce  dans  la  tête,  derrière  les  cornes. 


—  202  - 

Ce  ne  sont  alors,  sur  tous  les  gradins,  dans  les 
balcons,  dans  les  loges,  que  des  cris  d'enthou- 
siasme :  Bravo  torero  !  comme  on  crierait,  pa- 
raît-il :  Bravo  toro  /si  un  toréador  ou  un  picador 
était  blessé  par  la  bêle.  Les  éventails  s'agitent 
au  soleil,  les  chapeaux  à  Tombre.  Un  tonnerre 
d'applaudissements  retentit,  puis  tout  rentre  dans 
le  calme. 

Un  second  taureau  paraîtra  bientôt  dans  Tarène. 

Un  attelage  de  trois  mules  ornées  de  plumets, 
de  pompons  et  de  grelots,  pénètre  au  galop 
dans  la  piste  et  entraîne  rapidement  au  dehors  les 
chevaux  d'abord  et  en  dernier  lieu  le  taureau. 

Les  Espadas  sont  :  Conejito,  Bombita  chico  et 
Machaquilo. 

Onze  chevaux  ont  été  élripés  au  cours  de  cette 
représentation. 

Je  rentre  à  l'hôtel  fortement  impressionné  par 
ce  spectacle  qui  à  nous  Français  du  nord  paraît 
sanguinaire  et  barbare.  Néanmoins,  je  me  pro- 
pose d'y  retourner  demain,  cette  fois  avec  mon 
appareil  photographique. 

Vendredi  16  mai.  —  De  bon  matin,  je  prends 
un  tramway  à  la  Puerta  del  Sol  et  vais  jusqu'au 
quartier  d'ArfftfelleSy  en  passant  par  la  Galle 
Mayor.  Je  reviens  sur  mes  pas,  à  pied  cette  fois, . 
pour  mieux  visiter  la  partie  de  la  ville  que  je 
viens  de  traverser.  Me  voici  au  Palacio  Réaly 


—  203  — 

dont  Ton Iréo  principale  donne  sur  la  rue  de  Bailen . 
Un  mouvement  inaccoutumé  règne  devant  cet 
édifice  immense  et  d'une  architecture  imposante  ; 
c'est  un  va-et-vient  de  militaires  à  pied  ou  à 
cheval  et  de  landaus  pénétrant  dans  le  palais. 
Pour  admirer  plus  à  Taise  et  le  monument  et  les 
beaux  équipages,  je  m'assieds  auprès  d'une  bu- 
vette de  la  Place  d'Orient,  située  en  face.  Cette 
place  est  entourée  d'arbres  entre  lesquels  s'élè- 
vent de  nombreuses  statues  en  pierre.  Au  centre 
se  dresse  la  statue  équestre  de  Philippe  IV.  Je 
me  fais  servir  une  boisson  du  pays,  horchata  de 
chufaSy  sorte  de  sorbet,  dépurée  neigeuse  très  en 
vogue  en  Espagne,  préparé  avec  les  tubercules  du 
souchet  comestible  que  nous  voyons  souvent 
vendre  à  Alger  par  les  marchands  decacaouettes; 
il  paraît  qu'à  Madrid  seulement  on  consomme 
annuellement  près  de  douze  tonnes  de  ces  tuber- 
cules pour  la  fabrication  de  cet  orgeat. 

La  foule,  à  ce  moment,  grossit  insensiblement 
et  se  dirige  vers  un  édifice  attenant  au  Palacio 
réal.  Je  la  suis,  en  passant,  sous  de  belles  ar(»ades 
et  me  trouve  sur  une  vaste  esplanade  entourée 
de  murs  et  d'une  grande  grille.  C'est  la  Plaza  de 
/a  ^rmma,  place  d'Armes.  J'assiste  à  la  parade 
du  changement  des  corps  de  garde  de  la  garnison 
et  du  palais  et  écoute  la  musique  deshallebardiers 
qui  pénètrent  dans  Tintérieur  du  Palais  pour  re- 
lever lagardeintériouredosappartemonls  royaux. 


—  204  — 

De  là,  je  me  dirige  vers  Téglise  de  San  Francisco 
où  sera  chan  té  demain  un  Te  Deum  solennel  après 
le  couronnement  du  roi.  Ce  temple,  qui  est  en 
forme  de  rotonde,  est  le  plus  important  de  Madrid. 
Il  sert  aussi  de  Panthéon  national. 

Revenant  toujours  sur  mes  pas,  je  passe  devant 
le  palais  du  Conseil  d'État,  Palacio  de  los  Con- 
sejos,  la  Préfecture,  Gobierno  civil,  VHôtel  de 
ville,  Ayuntamiento;  le  Conseil  général  de  la 
province^  Deputacion  provincial. 

Je  quitte  la  Galle  Mayor,  passe  sous  des  arcades 
et  arrive  à  la  Plaza  Mayor  au  centre  de  laquelle 
s'élève  la  statue  équestre  de  Philippe  III.  Ayant 
encore  du  temps,  avant  de  déjeuner,  je  vais  visi- 
ter le  Marché  de  la  Cehada,  le  meilleur  de  la 
ville.  L'animation  y  est  encore  1res  grande  mal- 
gré l'heure  tardive,  midi  et  demi. 

Dans  raprès-midi,  comme  je  Tavais  projeté,  je 
retourne  aux  courses  de  taureaux,  après  avoir 
chargé  mon  appareil  photographique,  6,  rue  Alo- 
zaga,  près  du  Paseo  de  Recoletos,  dans  la  chambre 
noire  du  D^  Hans  Leyden,  médecin  d'ambassade 
allemande,  auquel  m'a  recommandé  M.  Lau- 
wenrecht,  consul  des  Pays-Bas,  mon  commensal 
de  l'hôtel. 

Afin  de  pouvoir  prendre  facilement  dos  vues 
dans  l'arène,  je  choisis  une  place  de  tendidOy  à 
l'ombre,  c'est-à-dire  sur  les  gradins  inférieurs. 

Grâce  à  l'obligeance  de  mon  voisin  de  gauche, 


—  205  — 

un  aimable  Espagnol,  parlant  bien  le  français,  et, 
comme  moi,  membre  du  Touring-Glub  de  France 
dont  je  porte  l'insigne  à  mon  chapeau,  je  peux 
manier  très  commodément  mon  appareil.  C'est 
toujours  la  môme  boucherie  qu'hier.  Huit  tau- 
reaux sont  estoquéSy  quatorze  chevaux  èventrès^ 
deux  picadors  et  une  prima  espada  blessés  !  Les 
matadors,  cette  fois,  étaient  :  Quinito,  Bombita 
mayor,  Canejilo  et  Bombita  chico,  celui-ci  blessé. 

Ce  soir  commencent  les  grandes  illuminalions. 
Depuis  hier  déjà  les  rues  sont  pavoisées.  Les  fe- 
nêtres, les  balcons,  les  miradors  sont  ornés  de 
drapeaux  et  de  guirlandes,  drapés  de  tentures  de 
toutes  nuances  :  les  couleurs  nationales,  le  jaune 
et  le  rouge,  dominent. 

A  la  tombée  de  la  nuit,  notre  rue,  la  Carrera 
de  San  Jeronimo,  présente  un  aspect  extraordi- 
naire qui  durera  jusqu'à  deux  heures  du  matin. 
Celte  rue  est  la  rue  CAm^,  viamimada,de  Madrid, 
comme  la  rue  Bab-Azoun,  à  Alger;  c'est  celle 
où  les  loyers  se  paient  à  un  prix  exorbitant. 
Cependant  elle  n'offre  rien  de  particulier  et  n'a 
guère  que  douze  mètres  environ  de  largeur, 
trottoirs  compris.  Le  voyageur  et  môme  le  madri- 
lène y  passeraient  facilement  des  heures  entières 
à  s'arrêter  devant  les  jolies  vitrines  de  bijouterie, 
d*étoffes  et  d'articles  de  bureaux,  sans  oublier 
l'étalage  de  la  Maison  Lhardy^  garni  de  fruits, 
de  légumes,  de  viande  et  de  choses  succulentes 


—  206  — 

qui  le  transforment  en  une  espèce  de  cinémato- 
graphe auquel  le  vulgaire  a  donné  le  nom  de  : 
Alimento  de  pupila^  plais  pour  les  yeux.  Ce 
dernier  magasin  m'avail  frappé  en  arrivant  à 
Madrid  et  j'y  avais  remarqué  des  asperges  et  des 
fraises  phénoménales,  provenant  d'Aranjuez. 
Chaque  asperge  avait  de  40  à  50  centimètres  de 
longueur  sur  4  à  5  de  diamètre  ;  le  diamètre  de 
de  la  botte  était  d'environ  25  centimètres.  Les 
prix  variaient  de  30  à  50  pesetas  la  botte.  Les 
fraises  mesuraient  près  de  8  centimètres  de  long 
et  se  vendaient  d'une  peseta  et  demie  à  2  pesetas 
le  kilog. 

Mais  revenons  aux  illuminations.  Quelle  foule 
compacte  et  serrée  I  Que  de  monde  I  c'est  inouï, 
indescriptible  !  C'est  une  véritable  mer  humaine, 
sur  laquelle  les  lumières  électriques  de  toutes 
sortes,  ballons,  choux,  godets,  ampoules,  pro- 
jettent leurs  rayons  de  féerie.  De  notre  balcon 
jusqu'à  une  heure  fort  avancée  de  la  nuit,  nous 
assistons,  charmés,  à  ce  va-et-vient,  à  ce  spec- 
tacle vraiment  surprenant. 

Samedi  17  mai.  —  Jour  du  couronnement 
du  Roi.  —  Je  passe  ma  matinée  à  flâner  dans  les 
rues  que  Ton  arrose  à  grande  eau  et  sur  les  pro- 
menades où  Ton  respire  les  parfums  des  marron- 
niers en  fleurs. 

Le  Paseo  de  la  Castellana^  où  je  remarque 


—  207  — 

deux  monuments,  céim  à' Isabelle  la  Catholique ^ 
groupe  historique  érigé  en  commémoration  du 
quatrième  centenaire  de  la  découverte  de  TAmé- 
rique.  On  y  voit  la  reine  à  cheval  et,  auprès 
d'elle,  à  pied,  les  statues  de  Gonzalo  de  Cordoba, 
Gonzalve  de  Cordoue,  et  le  grand  cardinal  Xi- 
menes  de  Gisneros;  le  socle  est  en  marbre  de 
différentes  couleurs.  L'autre  monument  est  TO 
hèlisquej  superbe  monolithe  situé  au  centre  d'un 
petit  jardin. 

La  Plaza  de  Colon.  Sur  une  base  gothique, 
ornée  de  médaillons  et  de  bas- reliefs  sculptés  en 
pierre,  relatifs  aux  faits  les  plus  saillants  de  la 
découverte  de  l'Amérique  se  dresse  une  haute 
colonne  guillochée,  au  sommet  de  laquelle  on 
voit  la  statue  de  Christophe  Colomb. 

Le  Paseo  de  Recoletos;  le  Salon  del  Prado; 
la  Plaza  de  Canovas^  où  se  trouve  la  Fontaine 
de  Neptune:  le  Dieu,  armé  de  son  trident,  est  de- 
bout sur  un  char  traîné  par  deux  chevaux  marins. 

La  Plaza  de  las  CorteSy  gentil  square  renfer- 
mant la  statue  de  Michel  Cervantes. 

En  face  de  cette  place  est  le  Congreso  de  los 
Diputados,  chambre  des  Députés,  où  aura  lieu 
ce  soir  le  couronnement  du  roi.  La  façade  princi- 
pale de  cet  édifice  rappelle  celle  du  Corps  légis- 
latif de  Paris.  La  grande  porte  en  bronze  est 
magnifique  ;  deux  lions,  aussi  en  bronze,  gardent 
le  haut  du  perron. 


—  208  — 

Dans  le  cours  de  ma  longue  promenade,  j'ai 
rencontré  beaucoup  de  paysans  venus  de  toutes 
les  parties  de  la  péninsule  et  portant  leurs 
costumes  nationaux  :  des  Basques  avec  leur 
béret,  veste  courte  brune,  gilet  blanc,  un  mou- 
choir de  soie  servant  de  cravate  négligemment 
noué  autour  du  cou,  pantalon  maintenu  par  une 
large  ceinture  de  laine  rouge,  AlpargataSy  espa- 
drilles ornées  de  rubans  de  couleur  ;  des  Anda- 
lous,  remarquables  par  leur  teint  foncé  qu'ils 
doivent  à  l'élément  Arabo-Berbère  ;  des  Gali-- 
ciens,  en  veste  couleur  de  tabac,  culottes  courtes, 
guêtres  noires  et  chapeaux  pointus  ;  des  Valen- 
ciens  avec  leur  caleçon  flottant,  mouchoir  bariolé 
entourant  la  tôle,  leur  ca^a  jetée  sur  l'épaule, 
leurs  alpargalas  bordées  de  bleu.  Ce  dernier  cos- 
tume diffère  peu  du  costume  arabe. 

Aujourd'hui,  on  déjeune  de  bonne  heure,  à 
midi,  afin  de  pouvoir  se  préparer  à  assister  au 
défilé  du  cortège  royal. 

Dès  onze  heures,  la  circulation  des  voitures 
a  cessé  dans  les  rues  où  doit  passer  le  cor- 
tège. 

.  Nous  nous  installons  au  balcon  de  notre  appar- 
tement. La  Carrera  de  San  Jeronimo  est  ornée 
avec  beaucoup  de  goût.  Des  deux  côtés  de  la 
chaussée  se  dressent  des  palmiers  et  des  bana- 
niers artificiels  réunis  par  des  guirlandes  de 
fleurs  supportant  des  milliers  d'ampoules  élec- 


—  209  - 

triques  dissimulées  dans  des  roses  et  des  petits 
choux  en  papier. 

A  une  heure,  les  troupes  de  la  garnison  com- 
mencent à  occuper  leur  poste  et  forment  la  haie 
le  long  de  la  chaussée.  Les  balcons  et  les  Irot- 
toirs  se  remplissent  de  monde.  A  une  heure  et 
demie,  une  longue  file  de  landaux  contenant  les 
princes  étrangers  et  les  ambassadeurs  de  toutes 
les  nations,  en  grands  habits  de  gala,  se  diri- 
gent au  trot  vers  le  Congresos  de  los  Diputados. 
Suivent  les  soldats  du  génie  ;  les  Carabiniers  ; 
la  Guardia  civil  à  cheval  et  à  pied,  avec  leur  joli 
costume,  bicorne,  veston  rouge,  pantalon  blanc 
collant,  longues  guêtres  noires;  les  Lanciers,  au 
costume  entièrement  bleu  marine  avec  le  casque; 
les  Hallebardiers,  même  costume  que  la  Guardia 
civil,  sauf  la  tunique  qui  est  bleu-marin  dont 
Texcellente  musique  joue  un  air  entraînant;  les 
Palefreniers  à  cheval  et  à- pied,  même  costume 
aussi  que  la  Guardia  civil,  sauf  la  tunique  qui 
est  beige  ;  les  Palefreniers  à  pied  ne  portent  pas 
de  guêtres,  mais  des  bas  et  des  chaussures  Riche- 
lieu. 

A  2  heures,  on  entend  des  salves  de  coups  de 
canon.  Le  défilé  va  commencer.  Ce  sont  d'abord 
les  Timbaliers  et  les  Clairons  à  cheval  qui  ou- 
vrent la  marche.  Ensuite  viennent  des  carrosses 
de  couleurs  diflFérentes,  traînés  par  des  chevaux 
empanachés,  portant  les  personnes  de  la  suite 


-  210  — 

du  roi  et  les  gens  du  Palais.  Puis  voici  ua  car- 
rosse majestueux  sur  lequel  se  dessine  la  cou- 
ronne ducale  et  attelé  de  chevaux  empanachés 
de  bleu  et  d'or.  C'est  celui  des  Infantes  dona 
Isabel  et  dona  Eulalia,  que  la  foule  acclame  vive- 
ment. Deux  autres  carrosses  suivent  :  celui  du" 
Prince  et  de  la  Princesse  des  Asturies  et  l'autre 
en  acajou  monté  par  quatre  gardes  du  corps.  Les 
musiques  jouent  la  Marche  Royale.  Le  moment 
sensationnel  est  arrivé. 

Le  carrosse  de  la  couronne  royale  apparaît.  Il 
est  traîné  par  huit  magnifiques  chevaux  gris- 
pommelés,  empanachés  de  blanc  avec  des  tresses 
rouges  et  dorées,  des  harnais  entremêlés  d*or  et 
conduit  par  un  cocher,  un  poslillon,  deux  laquais 
et  six  gentilshommes. 

El  Rey  !  El  Rey!  crient  des  milliers  de  voix. 
Tout  le  monde  se  découvre.  En  eflfet,  c'est  le 
carrosse  royal  qui  passe.  Dans  le  fond  se  trouve 
le  jeune  roi,  Alphonse  XIII,  portant  le  costume 
de  capitaine  général,  la  toison  d'or  et  le  collier 
de  Carlos  III.  Il  est  découvert,  tient  son  casque 
sur  les  genoux,  et  salue  delà  main  par  la  portière 
de  droite.  A  sa  gauche  est  la  reine,  dona  Maria- 
Cristina  et  en  face  Tinfante  dona  Maria  Teresa, 
elles  saluentaussi  de  la  tète.  Par  suite  d'un  ralen- 
tissement de  la  marche  du  défilé,  le  carrosse  s'ar- 
rête juste  devant  nous.  Des  applaudissements 
frénétiques,  des  vivats,  des  cris  de  joie  retentis- 


—  211   — 

senl.  Les  femmes,  des  balcons,  agitent  leurs 
mouchoirs,  leurs  ombrelles,  leurs  éventails, 
lancent  des  fleurs  sur  le  carrosse  en  poussant 
d'interminables  :  Viva  el  Rey  !  Viva  el  Rey  ! 

Le  cortège  a  passé.  Le  roi  va  prononcer  son 
serment  à  la  chambre  des  Députés  pour,  de  là, 
entendre  un  Te  Deum  solennel  à  Téglise  San 
Francisco  et  rentrer  au  Palais.  Les  troupes  se 
portent  dans  d'autres  rues  et  laissent  libre  la 
chaussée,  aussitôt  envahie  par  la  foule. 

Il  est  4  heures.  Je  fais,  avec  M""®  Raymond 
Bernard  et  son  frère,  une  promenade  à  pied  au 
Retire,  dont  nous  faisons  le  tour  complet.  Nous 
prenons  un  rafraîchissement,  Refrescode  Fram- 
huesas^  dans  une  buvette  du  Paseo  de  Recoletos 
qui  est  plein  de  promeneurs  et  nous  rentrons 
dîner.  Le  soir,  je  vais  admirer  les  illuminations 
des  principales  rues  de  Madrid.  Les  rues  cen- 
trales sont  gorgées  de  curieux.  Les  cent  mille 
étrangers  qui  sont  arrivés  dans  la  capitale  et 
les  habitants  envahissent  les  artères  les  mieux 
ornées  et  les  mieux  éclairées.  Comme  décorations 
artistiques  dignes  d'être  relevées,  celles  des  rues 
del  Principe  et  Carrera  de  San  Jeronimo  sont, 
sans  contredit,  les  plus  remarquables,  d'un  goût 
irréprochable  el  d'une  richesse  exceptionnelle. 
Viennent  ensuite  les  rues  Arenal,  Preciados  et 
Carmen. 
Quant  à  la  Puerta  del  Sol,  elle  n'a  rien  d'ex- 


—  212  — 

traordinaire  maïs  la  Puerta  de   Alcala  mérite 
aussi  un  éloge. 

Comme  édifices  ou  maisons  particulières,  je 
citerai  :  la  Chambre  des  députés,  la  Fontaine  de 
Cybèle,  la  Banque  d'Espagne,  le  Palais  de  TE- 
quilative,  la  maison  Lhardy,  la  direction  des 
Postes  et  Télégraphes,  etc....  Madrid  offre  en  ce 
moment  un  caractère  vraiment  fantastique.  La 
ville  entière  est,  pour  ainsi  dire,  embrasée. 

Le  lendemain  malin,  à  11  heures  et  demie, 
je  reconduis  à  la  gare  du  Midi  mes  compagnons 
de  route  et  d'hôtel.  M.  Raymond  Bernard,  tou- 
jours malade,  veut  à  tout  prix  retourner  à  Ali- 
canle  pour  être  au  milieu  de  sa  famille  et  se 
rapprocher  d'Alger.  Je  les  accompagne  jusqu'à 
leur  wagon,  au  moyen  d'un  billet  d'anden  (per- 
mis de  circulation  sur  le  quai  d'embarcadère)  que 
l'on  paie  ici  50  centimes.  M.  Bernard  n'a  pas  eu 
de  chance  ;  il  n'aura  guère  vu  Madrid  que  de 
la  fenêtre. 

Restant  seul,  et  ayant  assez  joui  de  la  vue  du 
balcon,  je  prends  une  simple  chambre  donnant 
sur  une  cour  intérieure  ;  mon  lit  est  composé  de 
deux  gros  tréteaux  sur  lesquels  on  a  étendu  une 
toile  métallique,  deux  légers  matelas  et  un 
traversin. 

Après  déjeuner,  je  vais  charger  mon  appareil 
photographique  chez  le  D'  Leyden.  En  passant 


—  213  — 

dans  la  rue  Alcala,  j'assiste  au  défilé  des  voi- 
tures de  gala*  transporlanl  aux  courses  de  tau- 
reaux la  famille  royale,  les  missions  et  les 
princes  étrangers  en  grand  uniforme. 

Plus  tard,  je  m'offre,  en  tramway,  aller  et 
retour,  une  longue  promenade  à  V Hippodrome, 
situé  à  l'extrémité  dePaseo  de  la  Gastellana.  Puis 
je  rentre  à  Thôtel  pour  me  reposer  et  écrire 
quelques  cartes  postales  illustrées  à  des  parents 
et  amis. 

Après  dîner,  Je  vais  encore  jeter  un  coup 
d'oeil  sur  les  illuminations  du  centre  de  Madrid. 
Môme  animation  qu'hier  ;  le^  illuminations  sont 
toujours  très  réussies. 

Histoire  de  passer  un  moment,  je  déguste, 
dans  un  café  de  la  rue  Alcala,  un  verre  à'ArroZy 
boisson  glacée  et  sucrée  préparée  avec  du  riz 
pilé.  Je  vois,  dans  la  carte  des  consommations, 
une  boisson  nommée  Agraz  ;  elle  se  prépare 
avec  du  verjus  de  raisin,  mais  la  saison  des 
raisins  étant  loin,  je  n'en  puis  goûter.  Je 
regagne  la  Vascongada  pour  me  coucher  de 
bonne  heure,  car,  demain,  je  dois  aller  visiter 
Tolède,  la  ville  des  belles  épées  et  des  dagues 
romantiques. 

Lundi  19  mai.  —  Départ  pour  Tolède  à  8  heures 
15  du  matin,  3  pesetas  et  demie  en  troisième, 
aller  et  retour.  Ce  n'est  pas  cher  !  Il  est  vrai  que 


—  214  - 

c'est  un  prix  spécial  à  l'occasion  des  fêtes.  La 
contrée,  au  sortir  de  Madrid,  n'a  rien  d'at- 
trayant. C'est  une  vaste  plaine  ondulée,  plantée 
en  céréales  et  en  vignes.  Çà  et  là  quelques  pelils 
coteaux  où  j'aperçois  des  oliveraies  ;  des  campa- 
gnards qui  rejoignent  leurs  pénates.,  perchés  sur 
des  mulets,  à  la  façon  des  Arabes,  à  travers  de 
petits  chemins  poussiéreux  et  tordus, 

A  Algodoy*^  on  passe  le  Tage\  puis  on  tra- 
verse une  fertile  campagne,  bien  cultivée.  En 
approchant  de  Tolède,  on  voit  le  fleuve  qui  coulait 
des  eaux  tranquilles,  à  travers  la  plaine,  pour- 
suivre son  cours  parmi  des  rochers  abrupts, 
jusqu'à  ce  qu'il  arrive  au  milieu  d'une  nouvelle 
plaine.  Là,  il  forme  un  large  demi-cercle  au  fond 
duquel  est  enfermée  la  ville  impériale,  construite 
sur  des  éminences  inégales,  comme  une  espèce 
de  presqu'île,  réunie  seulement  à  la  plaine  du 
côté  nord. 

Le  train  arrive  en  gare  à  10  heures  IS.  De 
nombreux  individus  coiffés  d'une  casquette  sur 
laquelle  on  lit  :  Guia  è  Interprète  se  précipitent 
sur  moi  et  me  tendent  leurs  cartes,  derrière  les- 
quelles sont  inscrites  les  principales  curiosités  à 
visiter.  Je  leur  fais  signe  de  modérer  leur  empres- 
sement et  leur  demande  le  nommé  Miguel  San- 
chOj  un  guide  dont  je  possède  la  carte  qui  m'a 
été  donnée  par  le  Français  mangeant  à  notre  table. 
Il  se  présente  de  suite  et  je  conviens  avec  lui  du 


—  215  — 

prix  de  4  peselas.  Il  veut  me  parler  en  français 
maïs  je  le  lui  défends.  De  nombreuses  tar^ 
tanas  stationnent  à  la  gare.  Je  les  évite  afin  de 
mieux  voir  le  spectacle  si  vanté  de  la  vieille  cité. 

Nous  nous  dirigeons  donc  à  pied  vers  la  ville. 
Avant  d'entrer  sur  le  pont  qui  conduit  à  Tolède 
et  sur  une  éminence  à  gauche  de  la  route,  mon 
guide  me  fait  remarquer  les  ruines  du  château 
fort  de  San  Servando. 

Nous  traversons  le  Tage  sur  le  Pont  d'AIcan- 
tara,  à  chaque  extrémité  duquel  se  dresse  une 
porte  fortifiée  de  style  arabe. 

Pour  arriver  plus  vite  dans  la  cité,  nous  lais- 
sons la  route  à  notre  droite  et  prenons  à  gauche 
une  traverse  très  raide  qui  nous  amène  sur  la 
place  de  Zocodover,  point  d'arrêt  des  voitures, 
qui,  vu  la  configuration  de  la  ville,  ne  peuvent 
aller  plus  loin.  Mon  guide,  qui  est  vif  et  alerte, 
me  fait  voir  en  peu  de  temps,  les  curiosités  sui- 
vantes : 

La  Casa  de  Mesa,  dans  la  rue  de  la  Misericor- 
dia,  maison  particulière  dans  laquelle  se  trouve 
une  grande  salle  rectangulaire  de  style  mudejar. 
Le  plafond  est  en  mélèze  sculpté.  Cette  salle  sert 
aujourd'hui  de  lieu  de  réunion  à  la  Socielad  de 
Amigos  del  Pais.  L'Eglise  de  San  Jiiaa  de  las 
ReyeSy  trésor  magnifique  de  Tart  gothique  flam- 
boyant d'Espagne.  L'église  et  le  cloître  sont 
riches  en  sculptures  et  ornementa  mais  ils  sont 


—  218  ~ 

nous  voici  à  Yhàpital  de  SantOr-CruZj  dont  la 
façade  très  riche,  de  style  Renaissance,  est  garnie 
de  nombreuses  statuettes  avec  leurs  dais. 

Regagnant  les  rues  tortueuses  et  étroites  de  la 
ville,  qui  me  rappellent  beaucoup  celles  de  la 
Kasbah  d'Alger,  nous  jetons  un  coup  d'œil  rapide 
sur  un  temple  curieux,  le  Cristo  de  la  Iaiz. 
construit  au  onzième  siècle  et  dans  lequel  on  a 
fait  de  récentes  découvertes.  La  PiieiHa  del  Sol^ 
orgueil  de  Tolède,  située  à  côté  de  ce  monument, 
près  de  la  rampe  des  voitures,  est  une  porte 
fortifiée  datant  du  douzième  siècle,  appartenant 
à  la  troisième  période  de  Tarchitecture  arabe  ; 
elle  est  très  bien  conservée  et  de  la  plus  superbe 
couleur.  Rebroussant  chemin,  irous  arrivons  à 
ÏAyuntamientOy  présentant  une  belle  façade  de 
slyle  classique  et  flanqué  d'une  tour  à  chaque 
extrémité.  En  face,  voici  la  Cathédraley  la  mé- 
tropole de  l'Espagne.  L'entrée  principale  fort 
belle  comprend  3  portes  de  style  ogival.  Les 
vantaux  sont  en  compartiments  géométriques  à 
la  mode  arabe,  ornés  de  délicats  reliefs,  en 
bronze  à  l'extérieur,  en  ^bois  à  l'intérieur.  A  sa 
droite,  s'élève  la  magnifique  tour  de  90  mètres 
de  hauteur,  renfermant  la  célèbre  cloche  Gorda^ 
du  poids  d'environ  18.000  kilogrammes,  et  dans 
laquelle,  dit-on,  peuvent  se  tenir  et  travailler  six 
cordonniers  et  un  tailleur. 

A  l'entrée  et  de  l'autre  côté,  se  trouve  la  Cha-- 


—  2i9  — 

pelle  Mozarabe^  dans  laquelle  nou?  pénétrons. 
Elle  a  élé  fondée  par  le  grand  cardinal  Ximenes 
de  Cisneros,  pour  y  perpétuer  Tancien  rite  chré- 
tien primitif  toléré  par  les  Arabes  à  Tolède. 
Actuellement  encore  le  rite  et  le  culte  mozarabes 
sont  pratiqués  tous  les  jours.  Il  y  a  de  belles 
peintures. 

Ici  mon  guide  prend  courtoisement  congé  de 
moi.  Il  est  4  heures.  Sa  journée  est  finie,  me  dit- 
il.  Je  vais  donc  rester  seul  pendant  une  heure 
pour  admirer  les  beautés  intérieures  de  cette  ca- 
Ihédrale,  une  des  plus  abondantes  en  richesses 
artistiques  du  monde  entier.  Ou  y  rencontre 
d'importants  spécimens  de  tous  les  styles  de 
Tart  national  depuis  le  gothique  jusqu'au  style 
rococo.  Ce  grandiose  monument  gothique  est 
formé  de  cinq  nefs,  soutenues  par  88  piliers  de  16 
colonnes  chacun.  Au  centre  et  clos  par  une  de 
ces  belles  grilles  de  fer  que  Ton  rencontre  partout 
en  Espagne  se  trouve  le  (?/îâ?i^r  renfermant  2  rangs 
de  stalles,  silleria,  en  bois  sculpté,  de  style  Re- 
naissance. C'est  une  des  plus  riches  boiseries 
sculptées  du  monde;  les  dais  sont  en  marbre  blanc 
et  soutenus  par  des  colonnetles  brunes  et  rouges 
de  môme  matière. 

En  face  se  dresse  la  Capilla  Mayor  ou  sanc- 
tuaire fermée  aussi  par  une  grille  immense  et  ma- 
gnifique. Le  rétable,  tout  en  bois  de  mélèze,  est 
divisé  en  cinq  étages  et  chacun  de  ces  étages  en 


—  220  — 

quatre  compartiments  remplis  de  sculptures  et  de 
statuettes.  Je  poursuis  ma  promenade  et  m'ar- 
rête devant  plusieurs  chapelles,  plus  belles  les 
unes  que  les  autres  ;  celle  de  San  Eugenio,  où 
j'aperçois  une  sorte  déniche  style  arabe,  reste  de 
la  mosquée  que  remplace  la  cathédrale;  celle  de 
San  IldefonsOy  prodige  d'art  et  de  richesse  ;  celle 
do  Santiago^  avec  des  tombeaux  en  marbre  ;  celle 
delà  Virgen  del Sagrario^  dont  la  grille  massive 
est  faite,  dit-on,  avec  un  alliage  de  bronze,  de 
plomb,  de  fer,  d'argent  et  d'or;  celle  de  la 
Descente  de  Nuestra  Senora^  une  sorte  d'édicule 
en  marbre  abritant  une  pierre,  où,  dit  la  légende, 
la  Vierge  posa  son  pied  en  descendant  du  ciel; 
on  touche  cette  pierre  à  travers  le  grillage  et  les 
doigts  ont  fini  par  y  faire  des  trous  aussi  profonds 
que  s'ils  étaient  imprimés  dans  la  glaise;  celle  de 
Los  Reyes  Nuevosoù  Ton  voit  une  belle  armure  et 
un  étendard  violet- 

Je  ne  me  lasserais  point  d'admirer  toutes  ces 
merveilles  auxquelles  il  faudrait  consacrer  plu- 
sieurs jours  pour  les  examiner  avec  soin,  mais 
l'heure  du  départ  approche. 

Je  quitte  donc  ce  temple  superbe  et  retourne 
au  café  Suizo  pour  y  prendre  un  bock,  inscrire 
quelques  notes  el  écrire  quelques  caries  postales 
illustrées,  en  attendant  le  train. 

Malgré  le  peu  de  temps  passé  dans  la  cité  to- 
lédane  et  malgré  la  rapidité  avec  laquelle  mon 


—  221  — 

guide  me  faisait  voir  toutes  choses,  cette  ville 
ma  frappé  singulièrement.  Tolède  est  une  de  ces 
villes  mortes  qui  ne  vivent  que  par  le  souvenir 
de  leur  ancienne  opulence  et  par  l'attrait  de  leurs 
monuments.  Elle  ne  compte  guère  actuellement 
qu'une  vingtaine  de  mille  habitants  et  présente 
un  labyrinthe  de  ruelles?  escarpées  larges  de  deux 
à  quatre  mètres,  qui  montent,  descendent,  tour- 
nent, serpentent,  s'enchevêtrent  de  telle  sorte 
qu'il  est  difficile  de  s'y  reconnaître.  Le  pavé  des 
rues  est  composé  de  gros  galets  pointus,  comme 
dans  les  villes  de  Lorraine,  Metz  entre  autres,  ce 
qui  rend  la  marche  assez  pénible.  Mais  il  est 
rayé,  tantôt  longitudinalement,  transversale- 
ment, de  bandes  de  pierres  plates  assez  larges  sur 
lesquelles  on  marche  à  la  file  ;  le  pas  est  toujours 
cédé  courtoisement  aux  femmes  en  cas  de  ren- 
contre- 
Celte  ville,  un  entassement  do  maisons  en 
granilsombre  et  en  briques  groupées  sur  plusieurs 
collines,  est  un  trésor  de  beautés  artistiques. 
Toutes  les  habitations  portent  des  sculptures,  des 
ornements  plus  ou  moins  antiques,  de  tous  les 
styles,  la  plupart,  hélas  !  blanchis  à  la  chaux, 
des  balcons  et  miradors  en  vieux  fer  et  des  portes 
massives  bordées  de  bandes  de  métal  et  d'énormes 
clous  et  garnies  de  marteaux  historiés.  J'ai  eu 
Toccasion,  ce  malin,  d'admirer  une  porte,  peut- 
être  wisigolhe,  admirablement  bien  conservée. 


—  222  — 

Les  maisons  ne  supportent  point  de  terrasses, 
mais  sont  couvertes  en  toits  de  tuiles  creuses  et 
grises.  Il  n'existe  guère  à  Tolède  qu'une  seule 
rue  où  Ton  renconti-e  des  magasins  et  des  bou- 
tiques ;  c'est  la  rue  del  Commercio  qui  aboutit  à 
la  place  Zocodover. 

Mais  autant  une  telle  ville  est  triste»  fatigante 
par  ses  pavés,  ses  montées  et  ses  descentes,  chère 
comme  existence,  autant  elle  mérite  d'être  visitée 
pour  les  riches  curiosités  architecturales  qu'elle 
renferme.  Toutefois  que  les  voyageurs  et  les  tou- 
ristes qui  auront  l'occasion  d'y  aller,  me  permet- 
tent de  leur  donner  un  conseil:  faites  toujours  vos 
prix  d'avance  pour  ne  pas  être  écorchés  par  les 
hôteliers  et  les  guides,  et  emportez  beaucoup  de 
menue  monnaie  pour  ne  pas  dépenser  une  trop 
grosse  somme  en  visitant  les  monuments. 

A  six  heures,  je  quille  la  cité  tolédane  pour 
arriver  à  Madrid  à  9  heures,  c'est-à-dire  avec  une 
heure  de  retard,  trois  heures  pour  eflFectuer  76 
kilomètres. 

Mardi  20  mai.  —  Ma  matinée  est  employée  à 
ranger  les  divers  bibelots  que  j'ai  achetés,  à 
payer  mon  hôtel  et  à  faire  emplette  de  provisions 
de  bouche  pour  mon  voyage  d'aujourd'hui  ;  car 
il  faut  songer  à  me  rapprocher  du  littoral  où  je 
veux  voir  Valence  et  Elche. 

A  la  vitrine  de  la  librairie  A.  de  Sun  Martin,  6, 


—  223  — 

Puepladel  Sol,  mes  yeux  s'arrêtent  sur  un  vo- 
lume dontrauteur  s'appelle  Gascon,  Je  Tacheté 
aussitôt  en  disant  au  libraire  que  je  porte  le 
môme  nom;  à  quoi  il  me  répond  que  le  nom  de 
Gascon  est  très  répandu  en  Espagne.  Il  s'empresse 
de  me  présenter  le  grand  annuaire  de  l'Espagne 
et  me  fait  remarquer  qu'il  existe  16  Gascon  à 
Madrid,  10  à  Sarragosse,  6  à  Valence,  etc.  Mes 
ancêtres  auraient-ils  été  espagnols  ?  Il  n'y  aurait 
rien  d'étonnant,  ma  famille  étant  originaire  de 
la  Franche-Comté,  possession  espagnole,  où  une 
famille  portant  le  nom  de  Gascon  a  pu  se  fixer  et 
faire  souche. 

Mon  père  s'est  bien  occupé  de  la  généalogie  de 
notre  famille  ;  mais  ses  recherches  se  sont  arrêtées 
au  XVII®  siècle,  sur  le  nom  de  Gabriel  Gascon, 
pharmacien  en  chef  et  Tun  des  bienfaiteurs  de 
l'hôpital  de  Besançon,  mort  en  1696,  le  grand 
oncle  de  mon  bisaïeul  paternel. 

En  somme  peu  m'importe  de  descendre  ou  non 
des  Espagnols.  Je  suis  Français  et  tiens  à  honneur 
de  rester  Français  ! 

Cinq  jours  passés  dans  la  capitale  de  TEs- 
paghe  !  Cinq  jours  bien  occupés,  à  visiter  cette 
grande  ville  intéressante  sous  les  rapports  des 
édifices  et  des  promenades,  mais  que  je  trouve 
trop  parisianisée  sous  le  rapport  du  vêtement. 
Les  costumes  nationaux  disparaissent  de  plus  en 
plus.  Les  femmes  quittent  la  mantille  et  l'éven- 


—  224  — 

tail  pour  revêtir  le  costume  cosmopolite.  Quoi  de 
plus  gracieux  cependant  que  celle  mantille  enca- 
drant le  visage  charmant  d*une  brune  ou  d'une 
blonde  madridène,  car  il  ne  faut  pas  croire  qu  il 
n'y  a  que  des  brunes  en  Espagne  !  La  blancheur 
habituelle  de  son  teint  ressort  davantage  sous 
cette  exquise  éloflfe  en  dentelles  noires. 

L'évenlail,  voilà  encore  un  accessoire  de  parure 
qui  ajoutait  à  la  grâce  de  TEspagnole.  On  le 
remplace  aujourd'hui  par  Tombrelle.  Naguère 
une  femme,  de  quelque  qualité  qu'elle  soit,  ne 
serait  jamais  sortie  sans  son  éventail.  On  en 
voyait  môme  qui  portaient  des  souliers  de  satin, 
sans  bas,  mais  avaient  leur  éventail  à  la  main. 
Chez  aucune  autre  nation,  la  femme  ne  manie 
Téventail  avec  autant  de  dextérité  et  de  souplesse. 

Les  fêtes  du  couronnement  du  roi  ont  été 
favorisées  par  un  temps  superbe,  un  soleil 
splendide,  une  température  printanière,  dont  les 
doux  effluves  inspiraient  la  joie  de  vivre.  Les 
nuits,  par  contre,  étaient  très  fraîches,  surtout 
quand  le  vent  venait  de  la  Sierra  Guadarrama, 
dont  les  cimes  sont  couvertes  de  neige. 

N'ayant  vu  les  environs  de  Madrid  qu'en 
chemin  de  fer,  j'ai  pu  cependant  constater  qu'ils 
étaient  assez  tristes,  arides  et  nus.  La  grande 
plaine,  ou  plutôt  le  grand  plateau,  au  centre 
duquel  s'élève  la  capitale  de  l'Espagne,  est  un 
terrain  composé  de  puissants  dépôts  de  sable.  On 


—  225  — 

aperçoit,  çà  et  là,  quelques  villages  très  éloignés 
les  uns  des  autres  que  Ton  reconnaît  à  la  tour 
carrée  de  leur  église,  les  flèches  sont  rares  en 
Espagne  et  les  clochers  ressemblent  à  des  mi- 
narets. Une  rivière,  le  Rio  Manzanarés,  longe 
le  bas  de  la  ville,  du  N.-W  au  S.-E.  La  faible 
quantité  d'eau  qu'elle  charrie  la  fait  ressembler 
à  un  oued  algérien;  c'est,  pendant  la  plus  grande 
partie  de  Tannée,  une  nappe  de  sable  où  Ton 
fait  sécher  le  linge  au  lieu  de  Ty  laver. 

Ali  heures  4o  du  malin,  je  prends  le  train 
d'Alicanle.  Je  déjeune  tranquillement  sur  la 
banquette  de  mon  compartiment,  puis  j'achète,  à 
la  station  d'Aranjuez,  une  castilla  de  fraises, 
petite  corbeille  plate  en  osier  et  à  deux  valves 
dont  la  supérieure  est  un  peu  bombée;  le  tout  est 
de  la  largeur  d'une  assiette;  je  paie  ce  dessert 
une  peseta.  C'est  bien  un  peu  cher,  mais  les 
fraises  sont  délicieuses. 

En  route,  je  revois  la  vaste  et  triste  plaine  de 
la  Mancha  avec  ses  céréales  rabougries,  ses  vil- 
lages d'un  aspect  misérable,  et  ses  moulins  à 
vent.  Dans  mon  compartiment  se  trouvent  trois 
Espagnols  très  complaisants,  dont  un  brave  gen- 
darme, avec  lesquels  je  cause  longuement  en  cas- 
tillan, de  choses  et  d'autres,  m  aidant,  bien  enten- 
du, de  temps  en  temps,  de  mon  dictionnaire  de 
poche. 

Le  soir,  je  dine  encore  dans  le  train, 

18 


—  226  — 

Nous  arrivons  à  la  Encina^  point  de  bifurca- 
tion de  la  ligne  de  Valence,  à  2  heures  25  du 
matin.  La  température  de  cette  nuit  étant  très 
froide,  j'avale  au  buffet  de  la  gare  un  bouillon 
bien  chaud,  puis  une  lasse  de  thé.  A  3  heures 
45,  le  train  part  pour  Valence.  Le  jour  commence 
à  poindre.  La  ligne  ferrée  traverse  un  terrain 
accidenté,  montagneux.  La  première  station  est 
Fuente-la-Higuera^  située  entre  deux  tunnels. 
Comme  l'indique  son  nom,  ce  village  est  entouré 
de  figuiers  et  aussi  d'oliviers,  ceux-ci  plantés  iso- 
lément, enfin  de  caroubiers  par  groupes  de  3  à  5 
arbres,  comme  les  oliviers  de  la  Nouvelle-Castille. 
Il  y  a  aussi  d'assez  belles  cultures  de  blé  et  de 
vigne.  Le  terrain  est  tantôt  blanc,  tantôt  rouge.  A 
-4 /cwrfm,  les  aspects  deviennent  plus  pittoresques. 
Ce  sont  de  verdoyants  jardins  maraîchers,  des 
vergers  d'arbres  fruitiers  de  toutes  sortes,  de  la 
vigne  superbe.  On  arrive  ainsi  à  Jativa^  ville 
très  jolie,  siluée  à  droite  de  la  ligne,  au  pied  d'une 
montagne  sur  laquelle  on  distingue  nettement 
un  Calvaire,  dans  le  genre  de  celui  deFourvières, 
à  Lyon.  Jativa  est  enfouie  dans  les  arbres.  C'est 
un  véritable  Eden,  composé  de  maisons  avenantes 
et  d'agréables  chalets.  Au  milieu  des  palmiers, 
des  orangers,  des  mûriers  et  des  grenadiers,  j'a- 
perçois quelques  néfliers  du  Japon.  Tous  les  vil- 
lages de  cette  région  sont  bien  construits,  élé- 
gants et  ont  un  air  de  propreté,  contrairement  à 


ceux  de  la  Mancha.  Les  roules  y  sont  larges  et 
bien  entrelenues. 

A  Manuel,  les  rizières,  une  culture  nouvelle 
pour  moi,  attirent  mon  a  tien  lion.  Elles  s'étalent  à 
droite  et  à  gauche  de  la  voie.  Les  cultivateurs 
sont  en  train  de  les  couvrir  d'eau.  A  partir  de  ce 
bourg,  on  traverse  des  vergers  et  des  jardins  pit- 
toresques. Les  orangers  portent  encore  des  fruits 
dorés;  ils  sont  plantés  par  groupe  et  forment  des 
touffes  épaisses  dont  les  branches  extérieures  re- 
tombent jusqu'à  terre.  Ces  orangeries  représen- 
tent de  véritables  petites  forêts. 

Me  voici  à  Carcagente^  d'où  part  un  tramway 
à  vapeur  pour  Gandia  et  Dénia,  C'est  un  séjour 
d'été  rendu  très  agréable  par  ses  chalets,  ses  villas 
et  sa  jolie  vallée  d'orangers.  Avant  d'arriver  à 
Alciraj  le  train  traverse  le  fleuve  jiicar  sur  un 
beau  pont  en  fer.  Après  Benifayo^  les  orangeries 
et  jardins  disparaissent  pour  faire  place  à  la  vigne, 
aux  caroubiers,  aux  oliviers  ;  on  aperçoit  encore 
quelques  rizières.  A  Silla^  réapparaissent  les 
vergers  et  lesjardins  maraîchers.  Nous  traversons 
encore  quelques  gares  et  nous  voilà  arrivés  à 
Valence.  Il  est  10  heures. 

Je  prends  une  tartane  qui  me  conduit  à  la 
Fonda  de  Oriente^  84,  rue  San  Vicente.  Je  con- 
viens de  prix  avec  Thôtelier  :  six  pesetas  et  demie 
par  jour,  une  chambre  et  deux  repas.  C'est  bon 
marché  !  Avant  de  déjeuner,  je  me  promène  un 


peu  pour  m'orienter  sans  trop  m'écarter  de  la 
fonda;  j'achète  un  plan  de  la  ville  chez  un  li- 
braire. 

A  une  heure,  je  fais  un  repas  dont  le  menu 
est  excellent.  Le  patron  de  Thôtel  est  très  avenant, 
parle  bien  le  français,  et  a  Tair  de  s'intéresser 
beaucoup  à  moi.  Avant  de  quitter  la  salle  à  man- 
ger, je  lui  demande  la  carte  du  menu  qu'il  s'em- 
presse de  m'offrir;  il  me  promet,  en  outre,  en  sou- 
venir de  mon  passage  chez  lui,  de  me  donner 
celles  de  tous  les  repas  que  je  ferai.  Il  est  3  heures 
quand  je  sors  de  l'hôtel.  Muni  de  mon  plan,  je 
pars  pour  visiter  la  ville  ;  mais,  chemin  faisant, 
je  réfléchis  et  change  d'avis.  Fatigué  par  une 
journée  entière  de  voyage  en  chemin  de  fer,  je 
sens  le  besoin  de  me  reposer.  Je  prends  donc  un 
tratû.  Ici  les  trams  sont  sur  rails  et  traînés  par 
deux  chevaux  ou  deux  mules,  Tétroitesse  des 
rues  ne  permettant  pas  le  passage  des  trams  élec- 
triques. Ces  derniers  existent  seulement  autour 
et  en  dehors  de  la  ville,  sur  les  boulevards  et  les 
voies  larges.  Moyennant  quarante  centimes, 
aller  et  retour,  je  vais  faire  un  tour  au  port,  le 
GraOj  situé  à  environ  2  kilomètres  de  Valence. 
Je  suis  tellement  harassé  que  je  m'endors  sur 
l'impériale  où  je  m'étais  juché  pour  mieux  voir 
et  ne  me  réveille  qu'à  l'arrivée.  En  attendant  la 
correspondance, j'avais  cependant  pu  admirer  en 
route  le  gracieux  square  de  la  Glorieta.  Le  port 


—  229  — 

de  Valence  est  très  animé  ;  les  bateaux  y  sont 
plus  nombreux  que  dans  celui  d^Alicanfe. 

De  retour  dans  la  ville,  histoire  de  me  reposer 
encore  un  peu,  je  fais  une  halte  au-fameux  café 
de  Espana^  sis  Bajada  de  San  Francisco^  où  je 
bois  un  bock  et  avale  une  sandwich.  Il  y  a  une 
telle  foule  que,  pour  me  faire  entendre  et  me  faire 
servir  par  les  garçons,  je  suis  obligé  de  frapper 
fortement  dans  mes  mains,  coutume  du  reste 
répandue  dans  tous  les  cafés  ou  buvettes  d'Espa- 
gne. Ce  café  magnifique  et  luxueux,  un  des 
plus  beaux  de  l'Espagne,  est  composé  de  deux 
grandes  vastes  salles  pour  les  consommateurs, 
d'une  salle  de  billards  qui  en  renferme  17  et 
d'une  salle  de  dominos  ;  les  plafonds  et  les  murs 
sont  sculptés  et  dorés.  Tous  les  soirs,  il  y  a 
musique  de  piano,  d'harmonium  et  autres  ins- 
truments. 

Avant  de  dîner,  je  fais  une  longue  promenade 
dans  les  rues  principales  r  Calle  de  San  Vicente, 
Calle  de  la  Paz^  Calle  San  Fe^mando,  Bajada 
de  San  Francisco.  Il  y  a  foule  sur  les  trottoirs, 
et  la  vie  est  animée  et  très  mouvementée  au 
centre  de  la  ville. 

Jeudi  22  mai.  —  Après  une  nuit  d'un  sommeil 
de  plomb,  je  me  réveille  frais  et  dispos  et  me 
hâte  d'aller  visiter  les  curiosités  que  ma  fatigue 
d'hier  m'avait  empêché  de  voir.  Je  traverse  la 


-  230  — 

place  du  marché,  le  Mercado  Nuevo.  C'est  avec 
peine  que  je  me  fraie  un  passage  au  milieu 
des  ménagères,  des  domestiques  faisant  teurs 
achats.  A  chaque  instant,  je  me  heurte  contre 
les  immenses  paniers,  munis  d'une  anse,  qui 
me  paraissent  bien  embarrassants  et  moins 
commodes  que  nos  couffins  d'Algérie.  Aussi, 
reçois-je  de  temps  à  autre  des  quolibets  accom- 
pagnés de  ces  mots  :  es  un  frangés  !  es  un  in- 
^?^5  /  Je  m'arrête  avec  plaisir  devant  les  bou- 
tiques de  marchandes  vendant  des  herbes  de 
toutes  sortes,  sèches  et  fraîches.  Ce  sont  les  her- 
horistas  om herholarias.  Elles  sont  installées  sous 
des  tentes  tout  le  long  du  trottoir  longeant  la  Lonja. 
La  Lonja  de  la  Seda  est  un  bel  échantillon  du 
style  gothique.  Ce  grand  monument  doit  sa  fon- 
dation à  une  princesse  maure  qui  employa  à  sa 
construction  les  meilleurs  artisans  de  son  époque. 
Il  fut  le  centre  du  commerce  lavantinet  des  tran- 
sactions les  plus  importantes  de  l'Espagne.  La 
grande  salle  qui,  actuellement,  sert  de  Bourse 
pour  les  commerçants,  est  un  vaste  quadrilatère, 
dont  la  voûte  est  appuyée  sur  des  rangées  de 
colonnes  torses  très  élégantes.  La  porte  qui  donne 
accès  à  cette  salle  est  à  arcs  concentriques  et 
divisée  en  deux  par  une  petite  colonne,  comme 
on  en  voit  dans  maintes  églises  gothiques.  En 
face  de  la  Lonja,  toujours  sur  la  place  du  marché, 
se  trouve  V Eglise  Santos  Juanes. 


—  231  — 

Mon  hôtelier  m'ayant  dit  que  le  Jardin  Bota* 
nique  était  digne  d'être  vu,  je  m'y  rends  allè- 
grement en  passant  sous  rimposanle  ancienne 
porte  fortifiée  appelée  Torres  Cuarte.  Ce  jardin, 
très  bien  entretenu,  bien  ombragé  et  renfermant 
de  jolies  serres,  contient  environ  30.000  plantes; 
parmi  les  plus  dignes  d  attention  et  les  plus 
curieuses,  je  remarque  un  laurier-cerise  phéno- 
ménal. 

Rebroussant  chemin,  je  passe  devant  V hospice 
de  la  Misericordiaj  où  je  ne  peux  pénétrer, 
une  permission  spéciale  étant  nécessaire.  Le 
temps  que  j'aurais  mis  à  admirer  Tinlérieur  de 
cet  édifice,  je  vais  le  consacrer  à  la  Cathédrale. 

La  Cathédrale  de  Valence  appelée  aussi  la  Seo 
n'oflTre  rien  de  bien  remarquable  pour  le  voya- 
geur qui  vient  de  visiter  celle  de  Tolède.  Sa 
nef  gothique  a  été  d'ailleurs  absolument  moder- 
nisée et  alourdie.  Toutefois  elle  renferme  des  beau- 
tés et  des  curiosités  artistiques.  Trois  grandes 
portes  y  donnent  accès  ;  leurs  frontispices  offrent 
des  détails  dignes  d'arrêter  les  regards. 

Moyennant  la  modique  somme  de  un  perro 
chico,  5  centimes,  que  l'on  remet  au  sonneur, 
gardien  des  cloches,  je  gravis  les  207  marches 
de  la  Miguelete,  dont  l'entrée  se  trouve  dans  la 
cathédrale  même.  C'est  une  tour  de  52  mètres  de 
hauteur,  octogonale,  surmontée  d'un  campanile 
qui  renferme  la  cloche  de  l'horloge.  Au  moment 


—  232  — 

précis  où  je  mets  le  pied  sur  la  terrasse  de  la  tour, 
onze  heures  sonnent.  Je  renconlre  là  un  jeune 
Espagnol  de  18  ans  qui  m'adresse  courtoisement 
la  parole  en  un  français  plus  ou  moins  clair.  Il 
me  montre  de  la  main  Timmense  panorama  do 
Valence  et  de  la  verdoyante  plaine,  la  Huerta  qui 
l'entoure,  me  désigne,  par  leurs  noms,  tous  les 
édifices  de  la  ville  et  les  villages  environnants. 
Puis,  descendant  de  la  tour,  il  m*oflVe  de  me 
piloter  un  peu,  ce  que  j'accepte  volontiers,  non 
sans  arrière-pensée  cependant,  car  ici  il  faut, 
comme  partout  en  Espagne,  se  méfier  des  ra- 
teros.  —  Il  est,  me  dit-il,  étudiant  en  douane. . 

Il  me  fait  voir  V Eglise  Santa^Catalina  ;  VE- 
glise  San  Ma7^tin  ;  la  Casa  del  Marques  de  dos 
AguaSj  qui  a  une  façade  superbe,  dont  toutes  les 
sculptures  sont  en  beau  marbre  blanc  ;  enfin 
V Université,  où,  en  guise  d'apérilif  ou  de  rafraî- 
chissement, car  il  fait  chaud,  nous  buvons  une 
tasse  d'eau  fraîche  à  la  fontaine  du  patio.  Ce 
dernier  édifice,  qui  comprend  trois  facultés  : 
droit,  médecine  et  philosophie,  est  tout  en  briques 
avec  des  saillies  en  pierres. 

Il  est  une  heure.  Je  prends  congé  de  mon 
jeune  cicérone  et  vais  déjeuner. 

Avant  de  prendre  le  train,  j'inscris  rapidement 
quelques  notes  sur  mon  carnet  et  adresse  encore 
des  cartes-postales  illustrées  à  ma  femme,  afin 
d'augmenter  ma  collection,  car  je  suis  un  peu 


—  233  — 

cartophile,  ou  philocartiste,  comme  Ton  voudra. 

Ma  première  impression  sur  Valencia  n*avait 
pas  été  bonne.  Presque  toutes  les  rues,  à  part 
celles  du  centre,  sont  tortueuses,  à  angles  ren^ 
trantset  sortants,  mal  pavées,  les  trottoirs  étroits 
et  irréguliers,  souvent  il  n'y  en  a  pas.  La  rue 
de  la  Paz  est  la  seule  qui  soit  en  macadam, 
avec  de  larges  trottoirs  en  mosaïques  de  ciment; 
cette  rue  est  la  plus  belle  de  Valence,  dans  une 
moitié  toutefois,  le  reste  étant  en  réparation 
et  en  construction,  bientôt  elle  aboutira  à  la 
Glorieta.  Les  maisons  sont  assez  élevées,  mais 
d'un  aspect  maussade.  Les  curiosités  architectu- 
rales sont  rares  ;  il  faut  les  chercher  dans  les 
angles  obscurs,  au  fond  des  arrière-cours.  Tout 
cela  est  compensé  par  une  gaieté  surprenante, 
par  un  grand  va  et  vient,  surtout  à  la  tombée  de 
la  nuit  et  dans  les  rues  que  j'ai  nommées  plus 
haut. 

A  Valence,  l'eau  potable  est  apportée  de  la 
campagne  sur  des  cat^ros  (sortes  de  grandes 
tartanes)  dans  un  immense  tonneau  muni  d'un 
robinet.  Des  crjiches  pour  distribuer  l'eau  sont 
étalées  de  chaque  côté  du  tonneau,  contre  les 
montants  du  véhicule. 

A  3  heures  me  voilà  dans  le  train.  Je  fais 
voyage  avec  un  jeune  homme  de  2b  ans,  ayant 
habité  Saïda,  en  Algérie,  pendant  un  an,  et 
parlant  un  peu  le  français.  Il  me  dépeint  sincè- 


-  234  -- 

rement  le  mauvais  état  de  l'Espagne,  me  parle 
du  gouvernement  actuel,  du  roî,.des  républicains, 
des  voleurs,  du  pape,  etc. . .  Nueslro  rey,  me  dit-il, 
no  es  el  rey,  es  el  papa.  Il  m'explique  la  culture 
du  riz.  Nous  causons  ensemble  de  choses  d'Es- 
pagne pendant  longtemps. 
.  C'est  avec  plaisir  que  je  revois  les  villages 
riants  et  pittoresques  de  Jativa,  de  Mogente, 
avec  leurs  calvaires.  Je  voudrais  les  photogra- 
phiej,  mais  "il  est  trop  tard.  Avant  d'arriver  à 
Fuente  la  Uiguera^  notre  train  s'arrête  subi- 
tement dans  une  tranchée.  Emoi  des  voyageurs 
qui  se  précipitent  aux  portières  et  sortent  en 
toute  hâte  de  leurs  wagons.  Un  train  de  mar- 
chandises, à  la  machine  duquel  était  survenu  un 
accident,  nous  barrait  le  passage.  Nous  stoppons 
un  quart  d'heure  ;  j'en  profite  pour  cueillir  quel- 
ques plantes  indigènes,  manzanilla,  une  jolie 
variété  de  thym,  etc..  Changement  de  train  à 
la  Encina. 

A  la  gare  de  Villena,  mon  compagnon,  en 
guise  d'adieux,  car  ilne  va  pas  plus  loin,  m'offre 
un  petit  verre  d'un  moscalel  excellent,  contre 
un  perrtto  (un  sou)  qu'il  remet  au  buvelier  ; 
consommation  d'un  prix  bien  modique,  surtout 
dans  une  gare!  Il  est  onze  heures  quand  le  train 
arrive  à  Alicante.  Je  prends  une  tartane  qui  me 
dépose  à  la  Posada  de  la  Balseta  où  il  me  tardait 
d'arriver  pour  revoir  M.  Bernard  que  je  trouve 


—  235  — 

dans    un    état  beaucoup   plus    alarmant   qu'à 
Madrid. 

Avant  de  m'endormir,  je  profite  de  la  nuit  pour 
décharger  et  recharger  mon  appareil  photogra- 
phique. Le  lendemain,  23,  je  passe  mon  temps 
à  flâner  sur  les  quais,  sur  les  paseos,  à  faire  des 
emplettes  pour  mon  retour. 

Samedi  24  mai.  —  A  6  heures  50  du  malin,  je 
monte  dans  le  train  qui  doit  me  conduire  à  Elche, 
sur  la  ligne  de  Murcie. 

La  voie  ferrée  longe  pendant  assez  longtemps 
la  Méditerranée.  Adroite  de  petits  coteaux  arides. 
Plus  loin,  on  perd  de  vue  la  mer  azurée  pour 
entrer  dans  une  grande  plaine,  au  terrain  caillou- 
teux, plantée  en  figuiers,  oliviers,  caroubiers, 
amandiers,  vignes  et  céréales.  La  flore  ici  res- 
semble assez  à  celle  du  littoral  d'Algérie. 

A  la  gare  de  Santa  Pola^  la  plaine  s'élargit, 
mais  reste  toujours  triste;  les  montagnes  s'éloi- 
gnent sur  ladroite.  La  culture  est  ici  très  avancée  ; 
tous  les  blés  sont  fauchés  et  en  gerbes.  Remarqué 
quelques  plantations  de  carthame^  faux  safran, 
cultivé  certainement  en  vue  de  la  fraude.  Sou- 
dain, le  paysage  change.  Ce  ne  sont  que  fourrés 
d'arbres  et  d'arbustes  verdoyants:  oliviers,  gre- 
nadiers en  fleurs,  hampes  d'agave,  aloès,  et  pal- 
miers. Au  loin  apparaît  une  immense  forêt  de 
superbes  palmiers, ayant  toutTaspect  d'uneoasis 


—  236  — 

algérienne.  Un  semblable  tableau  ne  se  présente 
nulle  part  ailleurs  dans  TEurope  entière. 

C'est  au  milieu  de  cette  forêt  que  se  trouve  la 
ville  à'Elchey  où  le  train  arrive  à  7  heures  54. 
L'entrée  de  la  gare  est  merveilleuse.  Les  deux 
côtés  de  la  ligne  sont  bordés  de  gigantesques  dat- 
tiers chargés  de  fruits;  un  superbe  spécimen, que 
je  n'oublie  pas  de  photographier,  se  dresse  seul 
enlre  les  deux  voies  de  la  station. 

N'ayant  guère  de  temps  à  consacrer  à  Elche, 
je  me  hâte  de  gaener  la  ville  par  une  large  ave- 
nue, bordée  de  milliers  de  ces  beaux  arbres.  Les 
rues  sont  étroites  et  sales.  Les  maisons,  de  style 
mauresque,  aux  petites  fenêtres,  donnent  à  la 
ville  un  aspect  arabe.  Les  curiosités  architectu- 
rales sont  rares.  \j  Eglise  de  Santa  Maria,  la 
Casa  Capitular  et  la  Calendura,  prison  très 
ancienne,  sont  les  seules  à  visiter.  De  nombreux 
canaux  d'irrigation,  assez  larges  et  peu  profonds, 
sillonnent  les  abords  de  la  ville,  permettant  d'ar- 
roser facilement  les  palmeraies.  L'eau  provient 
d'un  barrage  situé  à  quelques  kilomètres.  Les 
dajUes  et  les  palmes  forment  le  principal  revenu 
des  habitants  qui  sont  au  nombre  d'environ 
24.000.  Les  dattes  y  parviennt  à  parfaite  matu- 
rité, ce  qui  constitue  un  fait  intéressant  de  géo- 
graphie botanique,  tandis  qu'elles  ne  mûrissent 
point  sur  la  côte  de  l'Algérie.  Les  palmes  sont 
cueillies  sur  les  palmiers  mâles  après  la  floraison 


^  237  — 

et  la  fécondation,  et  sur  quelques  palmiers  fe- 
melles restés  stériles. 

Après  une  promenade  rapide,  je  demande  l'hos- 
pitalité à  un  Boticario,  el  Senor  de  Lara,  afin  de 
pouvoir  écrire  et  envoyer  quelques  cartes  postales 
illustrées  de  ce  charmant  endroit.  Je  cause  un 
bon  moment  avec  mon  confrère,  comparant  les 
pharmacies  d'Espagne  avec  celles  de  France.  En 
France,  les  bocaux,  tiroirs  et  placards  de  l'officine 
sont  garnis  des  produits  dont  oii  se  sert  journel- 
lement ;  les  prescriptions  magistrales  et  beaucoup 
de  médicaments  sont  préparés  sur  le  comptoir, 
devant  le  client  qui  aime  à  voir  peser  et  confec- 
tionner les  potions,  pilules,  cachets,  etc.  En 
Espagne,  l'officine  n'est  qu'une  salle  d'atlente. 
Les  bocaux  qui  la  garnissent,  la  plupart  du  temps 
en  porcelaine,  sont  vides;  3  ou  4  chaises  pour 
faire  asseoir  le  client,  et,  en  guise  de  comptoir, 
un  guéridon  ou  une  table  quelconque  vitrée,  dans 
laquelle  sont  étalés  des  prospectus.  Aucun  flacon 
n'est  rempli,  aucun  paquet  n'est  confectionné, 
aucunepréparation,  soit  magistrale,  soilofficinale, 
n'est  exécutée  dans  l'officine.  Tout  est  préparé 
dans  une  arrière-boutique,  loin  des  regards  cu- 
rieux et  inquisiteurs  du  client. 

Je  quitte  mon  confrère  qui  m'adresse  beaucoup 
de  salutations  et  de  compliments  et  me  dirige 
vers  la  gare,  d'où  le  train  part  à  9  heures  36  (je 
cite  toujours  les  heures  de  Thoraire),  pour  arriver 


—  238  — 

à  Alicante  à  10  heures  42.  Dans  mon  wagon,  je  me 
trouve  au  milieu  d'une  joyeuse  bande  de  jeunes 
filles  accompagnées  de  leurs  novios  ou  fiancés  se 
rendant  à  une  fête  d' Alicante.  Trois  guitares  ac- 
compagnent leurs  chants,  ce  qui  me  fait  trouver 
bien  courte  la  durée  de  mon  retour. 

Comme  j'avais  projeté  de  visiter  en  Espagne 
une  Fabrique  de  tabacs^  je  ne  veux  pas  partir 
sans  voir  celle  d'Alicanle.  Quelle  idée  bizarre 
ai-je  eue  là  ?  Je  devais  m'y  attendre.  Partout  où 
je  passe,  quoique  accompagné  par  un  employé 
de  la  manufacture,  dans  toutes  les  galeries,  dans 
toutes  les  salles,  les  cigarières  me  lancent  les  quo- 
libets les  plus  variés-  C'est  un  brouhaha  épouvan- 
table. Toutes  parlent  et  gesticulent,  me  montrant 
du  doigt,  m'adressant  directement  la  parole,  me 
demandant  si  j'allais  à  la  pèche  et  me  la  sou- 
haitant heureuse,  je  tenais  une  filoche  à  la  main, 
me  demandant  aussi  si  j'aimais  les  brunes  espa- 
gnoles, etc..  Ce  vacarne  m'abasourdit  tellement 
que  je  me  vois  obligé  de  quitter  prestement  les 
ateliers.  C'est  regrettable,  car  il  y  avait  là,  parmi 
les  3.000  cigarières  qui  travaillaient,  de  bien 
beaux  types  de  femmes  à  admirer.  Presque 
toutes  perlaient  un  œillet  dans  leurs  cheveux,  ce 
qui  donnait  à  chaque  salle  Taspect  d'un  par- 
terre de  fleurs. 

Dimanche   2b   mai.  —  Jour  de  mon  départ 


—  239  — 

pour  Alger.  Pendant  la  nuit,  vers  deux  heures 
du  matin,  je  m'étais  levé  afin  d'examiner  Télat 
du  ciel.  Un  sereno^  veilleur  de  nuit,  passait  à  ce 
moment  dans  la  rue  drapé  dans  un  ample  man- 
teau, une  lanterne  allumée  dans  la  main  gauche 
et  une  pique  dans  la  droite,  et  criant  sur  un  ton 
scandé  :  Las  dos  !  Nublado  /Il  est  deux  heures, 
le  temps  est  nuageux.  Partout  où  ils  circulent, 
les  serenos  annoncent  l'heure  et  le  temps  qu'il 
fait.  Dans  les  petites  villes  et  les  villages,  ils 
commencent  leur  complainte  par  une  invocation 
religieuse  :  Ave  Maria  purisima!  et  si  vous 
voulez  être  réveillé  à  telle  heure  de  la  nuit,  vous 
n'avez  qu'à  déposer  une,  deux  ou  trois  grosses 
pierres  à  votre  porte,  vous  entendrez  frapper 
avec  force  à  une,  deux  ou  trois  heures  exac- 
tement. 

Le  temps  nuageux  qu'avait  annoncé  le  se- 
reno  s'est  éclairci  dans  la  matinée  et  la  journée 
promet  d'être  belle.  Après  de  rapides  adieux  faits 
à  M.  Raymond  Bernard  que  je  ne  reverrai  plus, 
la  maladie  devant  l'emporter,  à  sa  femme,  ainsi 
qu'aux  quelques  connaissances  du  quartier  que 
j'habitais  à  Alicante,  je  m'embarque  à  midi,  avec 
le  beau- frère  de  M.  Bernard,  sur  le  SUgès-Her^ 
manos.  Un  chargement  considérable  de  fruits, 
oranges,  abricots,  cerises,  à  destination  d'Algérie, 
retarde  notre  départ  jusqu'à  deux  heures.  La 
mer  est  d'huile  au  large.  Sur  l'avant  du  navire, 


—  240  — 

un  concert  improvisé,  composé  de  guitares,  de 
castagnettes,  chants  et  danses  espagnoles,  se 
prolonge  fort  avant  dans  la  nuit  et  attire  tous 
les  passagers  ;  ce  sont  les  derniers  échos  de  la  pé- 
ninsule ibérique. 

Lundi  2G  mai.  —  La  mer  est  toujours  belle. 
De  grand  malin,  on  aperçoit  les  côtes  d'Algérie. 
Il  est  dix  heures  quand  je  débarque  dans  le  port 
d'Alger,  heureux  d'avoir  fait  un  excellent 
voyage,  vu  beaucoup  •  de  choses  nouvelles  et 
curieuses  et  étudié  les  Espagnols  chez  eux,  dans 
l'Espagne  telle  qu'elle  est. 

Honoré  Gascon, 

Pharmacien-  lauréat. 

Chevalier  du  Mérite  Agricole, 

à  VArba  (près  Alger), 


LES  BEAUJEU  DE  FRÂNCHE-COMTÊ 

DANS   LE    DUCHÉ    DE   BOURGOGNE 
L^AUXERROIS,    LE   TONNERROIS,    LA    CHAMPAGNE,    ETC. 


19 


0. 


LES  BEAUJEU  DE  FRANCHE-COMTÉ 

DANS    LE    DUCHÉ   DE   BOURGOGNE 
l'aUXERROIS,    le   TONNERROIS^    la   CHAMPAGNE,    ETC. 


La  maison  de  Beaujeu  de  Franche- Comté  lirait 
son  nom  du  village  de  Beaujeu  (1),  situé  à  12  ki- 
lomètres N.-E.  de  Grny,  sur  la  rive  gauche  de  la 
Saône,  et  appelé  pour  cette  raison  Beaujeu-sur- 
Saône,  pour  le  distinguer  de  Beaujeu  en  Beaujo- 
lais dans  le  département  du  Rhône. 

La  maison  de  Beaujeu  remontait  certainement 
aux  premiers  temps  de  la  féodalité,  mais  elle 
n'est  connue  que  depuis  la  fin  du  xi*  siècle.  La 
branche  ainée  s'est  éteinte  dans  JoflFroy  de  Beau- 


•  (1)  De  loin,  Beaujeu  apparaît  comme  un  nid  de  verdure  enve- 
loppant le  pied  d*une  colline  escarpée  sur  laquelle  s*élève^  majes- 
tueuse, une  belle  tour  carrée  et  massive  qui  domine  la  contrée. 
Cette  tour,  haute  de  24  mètres,  a  dix  mètres  de  côté  et  ses  murs 
ont  plus  de  deux  mètres  d'épaisseur  à  la  base.  C'est  Tancien  don- 
jon du  château  des  sires  de  Beaujeu,  et  il  a  dû  à  sa  solidité  de  rester 
debout  lorsque  la  forteresse  a  été  détruite,  le  8  juin  1637,  par  les 
Allemands  chargés  de  défendre  la  Franche-Comté  contre  les  trou- 
pes françaises  envoyées  par  Richelieu  pour  la  conquérir. 


—  244  — 

jeu,  lequel  ne  laissait  qu'une  fille,  Jeanne,  mariée 
à  Louis  de  Beaujeu-Forez,  et  qui  épousa  ensuite 
Robert  de  Grancey.  Mais  il  existait  une  brs^nche 
eadelle  qui  est  arrivée  jusqu'à  nos  jours.  Elle 
avait  fourni,  à  la  fin  du  xiv®  siècle,  le  rameau 
de  Monl-Saint-Léger-Monlot  (1). 

Un  demi-siècle  plus  lard,  un  autre  ranaeau, 
détaché  du  môme  tronc,  quittait  le  comté  et  allait 
se  greffer  à  Chazeuil,  dépendant  de  la  baronnie 
de  Thilchâtel  et  véritable  enclave  de  la  Cham- 
pagne dans  le  duché  de  Bourgogne.  Après  soi- 
xante ans,  les  circonstances  le  conduisaient  dans. 
l'Auxerrois  avec  un  de  ses  enfants,  François  de 
Beaujeu,  devenu  abbé  de  Saint-Germain  d'Au- 
xerre;  de  là,  il  devait  envoyer  des  rejets  dans 
toutes  les  directions. 

Chose  singulière,  la  vitalité  de  ce  dernier  venu 
allait  dépasser  celle  de  ses  aînés.  En  effet,  la  lige 
principale  restée  à  Beaujeu  ne  vécut  que  jusqu'en 
1574  (2). 

Le  premier  rameau  parvint  au  commencement 
du  xviii*  siècle  et  finit  dans  Edme-Nicolas-Louis, 
comte  de  Beaujeu,  seigneur  de  Montot  (3). 


(1)  Mont-Saiat-Léger  et  Montot  sont  (ous  les  deux  du  canton  de 
Dampierre-sur-Salon,  arr.  de  Gray,  Haute-Saône,  sur  la  rive  droite 
de  la  Saône. 

(2)  Voir  Histoire  généalogique  de  la  maison  de  BeavjeUf  2* 
partie,  chap.  i,  Vesoul,  1903,  Imp.  L.  Bon. 

(3)  Ibid.,  chap.  ii. 


—  245  — 

Le  rameau  de  Chazeuil,  sorli  le  dernier,  pro- 
longea son  existence  jusqu'au  milieu  du  xix®  siè- 
cle, et  son  importance  comme  son  illustration 
devaient  certainement  égaler  sinon  surpasser 
celles  des  deux  autres.  En  effet,  il  a  donné  un 
évoque  de  Bethléem,  un  abbé  de  Saint- Germain 
d'Auxerre,  un  gouverneur  des  Invalides,  des 
généraux,  des  chambellans  de  l'empereur  d'Al- 
lemagne Charles  VII  et  de  son  fils  l'Electeur 
Maximiliende  Bavière,  etc.,  etc. 


CHAPITRE  PREMIER 
BRANCHE  DE  CHAZEUIL 

JEAN   I*^ 

Jean  de  Beaujeu,  premier  seigneur  de  ce  nom 
pour  Chazeuil,  était  le  second  fils  de  Jean  II  de 
Beaujeu,  mort  en  1419  et  de  Mathiote  de  Queu- 
trey.  C'était  le  frère  cadet  de  Thibaut,  dont  les 
descendants  continuèrent  la  famille  à  Beaujeu, 
et  portèrent  le  titre  de  seigneurs  de  Volor\. 

Les  deux  frères  étaient  encore  dans  l'indivision 
le  8  mars  1428,  à  la  reprise  de  fief  de  Bernard  de 
Ray,  alors  seigneur  de  Beaujeu  el  qui  donne,  dans 
son  dénombrement,  le  détail  de  leurs  biens  et  de 
leurs  droits  (1). 

Jean  de  Beaujeu  est  nommé  pour  la  première 
fois,  le  4  août  1422.  Il  faisait  alors  partie  du  corps 
d'armée  de  Louis  de  Châlon-Arlay,  prince  d'O- 
range et  était  passé  en  revue  à  Avallon,  pour 
aller,  le  12,  à  la  journée  devant  Cosne  et  guer- 
roj^er  contre  le  roi  de  France,  de  concert  avec  les 
Anglais  (2). 

(\)  ArcK.  du  Doubs,  B.  634. 

(2)  À  la  suite  de  l'assassinat  de  Jean  sans  Peur  sur  le  pont  de 
Montereau,  le  40  septembre  U19,  son  fils^  le  duc  Philippe  le  Bon, 
accepta  l'alliance  anglaise.  Cet  état  de  choses  dura  jusqu'à  la  paix 
d'Arras,  le  21  septembre  4435. 


PL.    II. 


ARMOIRIES    DE    L^    BRANCHE    CADETTE 

DE   LA    MAISON    DE    BKAUJEU-SUR-SAÔNE 


—  247  - 

Le  S  octobre  1429,  il  était  de  la  compagnie  de 
Jean  de  Poitiers  passée  en  revue  à  Is  -sur-Tille 
par  le  maréchal  Antoine  de  Toulonjon,  seigneur 
de  Traves,  avant  de  rejoindre  le  duc  sur  les 
marches  de  Champagne.  Avec  lui  se  trouvaient 
Jean  de  Mont-Saint-Léger,  son  cousin  Gérard  le 
Vaillant  et  d'autres  Comtois  qui  allaient,  pour 
ainsi  dire,  faire  campagne  contre  Jeanne 
d'Arc,  prise  le  23  mai  suivant  devant  Com- 
piègne  (1). 

Le  mardi  15  janvier  1437,  il  apposait  son  sceau, 
à  défaut  de  celui  de  Marguerite  de  Lose,  dame 
de  Chazeuil  et  de  Véronnes  (2),  sur  l'acte  par 
lequel  cette  dame  instituait,  pour  son  maire  à 
Véronnes,  Jacob  de  Saulx,  son  homme  et  sujets 
demeurant  audit  lieu. 

Le  9  mars  1440,  avec  son  frère  Thibaut  et  son 
cousin  Pierre,  seigneur  de  Montol,  il  avait  dû  se 


(1)  Les  gendarmeries  bourguignonnes  et  comtoises  ne  firent  pas 
partie  des  troupes  qui  opéraient  au  nord  de  Paris,  contre  Jeanne 
(l*Arc  et  étaient  composées  de  Picards.  «  Septembre  -1429  :  le  duc 
t  de  Bourgogne  était  à  Paris  et  emmena  avec  lui  tous  ses  Picards, 
t  qu'il  avait  amassés,  environ  6000  et  fort  larrons,  qu*il  avait 
«  entrés  à  Paris,  depuis  que  la  malheureuse  guerre  était  commen- 
«  cée  >  (Journal  d'un  bourgeois  de  Paris^  collection  Michaud,  t.  III, 
p.  257).  <  Le  duc  de  Bourgogne  avait  grand  foison  de  Picards,  qui, 
«  dès  lemoisdavril,  avaient  mis  le  siège  devant  Compiègîie,  mais 
«  encore  n'y  avaient  rien  fait  au  mois  d'août  t  (Id.,  p.  259). 
Cette  particularité  n'avait  pas  été  signalée  par  les  historiens  bour- 
guignons et  francs-comtois  et  méritait  de  l'ôtre. 

(2)  Véronnes,  canton  de  Selongey,  arr,  de  Dijon  (Côte- d'Or;. 


—  248  — 

rendre  à  Baissey  (l),près  de  Langres,  contre  les 
Ecorcheurs  (2).  Mais  le  péril  avait  dû  s'éloigner, 
car  on  voit  tous  ces  gentilshommes  faire  partie 
du  cortège  de  Tarchevôque  Quentin  Ménard,  lors 
de  son  entrée  dans  la  ville  de  Besançon  (3). 

Jean  avait  été  marié,  en  1428,  à  Catherine  de 
Charmes,  dont  la  sœurHuguette  avait  épousé  son 
frère  Thibaut.  Il  en  était  veuf  en  1445  et  se  re- 
mariait à  Marguerite  de  Vaites,  fille  d'Odot  de 
Vailes,  seigneur  de  Chazeuil,  et  il  reprenait  de 
fief,  le  28  janvier  1446,  de  Jean  de  Kye,  seigneur 
de  Tilchdtel,  pour  les  biens  qu'elle  lui  apportait 
en  dot. 

La  même  année,  le  mardi  avant  la  Ma- 
deleine (17  juillet),  il  achetait  de  son  beau-frère, 
Gauthier  de  Vaites  et  d'Antoinette  de  Mais- 
sey,  sa  femme,  «  la  tour  de  Chazeuily  les  fonds 
et  trèfonSy  avec  les  fossés ^  allées  et  venues...  » 
pour  54  francs^ et  9  gros  (4),  et  il  en  donnait 

(t)  Baissey,  canton  de  Longeau,  arr.de  Langres  (Haute-Saône). 

(2)  Les  Ecorcheurs  étaient  les  troupes  débandées  à  la  suite  de 
la  paix  d'Arras.  Ils  saccagèrent  les  deux  Bourgogne  (Tubtby  :  Les 
Ecorcheurs  sous  Charles  Vit;  —  de  Frêiiinville  :  les  Ecorcheurs 
en  Bourgogne.  Mon  mémoire  sur  le  Trésor  de  Beaujcu,  p.  30,  35, 
etc.). 

(:))  DuNOD,  t.  Il,  p.  61^612. 

(i)  La  contrée,  après  avoir  été  ravagée  pendant  la  guerre  dos  Châ- 
teauvillain  et  des  Vergy,  on  U3i  et  1435,  au  moment  du  siège  de 
Grancey,  avait  eu  ensuite  la  visite  des  Ecorcheurs  (voir  note  2).  Le 
château  fut  réparé  entièrement»  peu  après,  par  Jean  de  Beaujeu, 
probablement  pendant  la  période  de  calmo  qui  marqua  la  fin  du 


—  249  — 

le  dénombrement  le  21   novembre  suivant  (1). 

Le  10  novembre  1452,  il  obtenait  de  ceux  qui 
pouvaient  avoir  quelques  droits  sur  cette  sei- 
gneurie, confirmation  de  cette  vente,  par  leur 
renonciation  au  retrait  féodal  ou  lignager,  et 
devenait  ainsi  paisible  possesseur  de  la  terre  de 
Chazeuil. 

Jean  avait  conservé  sa  part  de  l'héritage  pa- 
ternel à  Beaujeu  et  dans  le  comté.  C'est  à  cause 
de  cela  qu'en  14S0,  il  avait  é!é  témoin  du  testa- 
ment de  Thibaut  de  Neufchâtel,  seigneur  de  Che- 
milly  et  Conflajis  (2),  qui  le  nommait  son  exécu- 
teur testamentaire. 

De  son  mariage  avec  Catherine  de  Charmes,  il 
n'avait  eu  qu'une  fille,.  Guillemelte,  mariée  à 
Martin  de  Sacquenay,  et  à  laquelle  il  avait  remis 
Fiiéritage  de  sa  mère  qui  comprenait  surtout 
une  rente  de  10  francs,  au  rachat  de  100  francs, 
et  une  autre  de  50  francs  sur  Echevannesf,  près 
de  Tilchàtel.  Le  5  novembre  1451,  Thierry  de 
Charmes,  frère  de  Calherine,  chargé  de  servir 
ces  rentes,  transporta  à  sa  nièce  ses  droits  sur 
Francalmont  (3)  près  de  Conflans,  au  duché  de 

règne  do  Philippe  le  Bon.  Mais  il  est  aujourd'hui  complètement  en 
ruines,  tout  en  ayant  grand  air.  Les  burelles  de  Jean  de  Beaujeii 
se  voient  encore  en  plusieurs  endroits. 

(1)  Archives  de  la  Côte-d'Or,  E.  4  374. 

(2)  Chemilly  est  du  canton  do  Scey-sur-Saône  et  Conflans  du 
canton  de  Saint-Loup. 

(3)  b'rancalmonl,  canton  de  Saint-Loup,  arrT do  Lure(H^<^-Saône). 


—  250  — 

Bar  y  du  fait  de  sa  femme,  Anne  de  Sainl-Loup  (1), 
qui  consentit  d'abord  à  ce  traité,  sous  l'expresse 
condition  de  rachat.  Mais,  le  12  juin  1456,  son 
mari  étant  décédé,  elle  renonça  a  ce  droit  et 
Martin  de  Sacquenay  resta  en  possession  du  gage. 
Jean  de  Beaujeu  avait  paru  pour  abandonner 
toute  prétention  sur  les  biens  en  question. 
Le  22  octobre  1453,  à  la  suite  du  décès,  le 


(4)  Ce  droit  d'Anne  de  Saint-Loup  sur  Francalmont  démontre 
clairement  qu'elle  était  de  la  famille  de  Saint-Loup,  branche  de 
Faucogney,  quoique  son  nom  ne  figure  pas  dans  Dunod  (i,  III, 
p.  64)  et  dans  le  mémoire  de  M.  Finot  (les  sires  de  Faucogney, 
p.  179).  Mais  on  n*y  trouve  pas  non  plus  Catherine  de  Saint-Loup, 
deuxième  femme  de  Pierre  de  BaufTremont,  et  dame,  en  4444, 
d*Auxon  et  de  Vaivre^  fiefs  appartenant  à  la  maison  de  Saint-Loup. 
Voici  encore  d'autres  renseignements  à  ajouter  qui  ne  se  rencon- 
trent pas  chez  ces  deux  auteurs  : 

Girard  de  Saint-Loup,  marié  à  Jeanne  de  Saint-Remy^née  de  Jef- 
frey et  de  Jeannette  de  Dampierre-sur-Salon,  fille  de  Richard,  était 
mort  en  U23,  et  sa  veuve  faisait  hommage  pour  ce  qu'elle  tenait 
à  Spoy  et  Echevannes,  près  de  Tilchâtel,  au  duché  de  Bourgogne 
(Côte-d'Or,  E.  1978).  Girard  laissait  deux  fils,  Etienne  et  Jean;  ce- 
lui-ci seigneur  de  Ronchamp.  Etienne  fut  banni  pour  être  entré  à 
main  armée  dans  l'abbaye  de  Clairefontaine,  voisine  de  Saint-Remy, 
avoir  battu  les  religieux  et  ensuite  mis  le  feu  au  prieuré  de  Fon- 
taine, le  samedi  veille  des  Bordes,  1417.  Dans  ses  biens  confisqués 
se  trouvait  Fontaine,  Vaivre,  Noidans  et  Auxon  (Ârch.  de  la  C6te- 
d'Or,  Recueil  de  Peincedé,  t.  XXV,  p.  527).  Or,  Catherine  de 
Saint-Loup,  deuxième  femme  de  Pierre  de  BaufTremont,  était,  comme 
il  est  dit  plus  haut,  dame  de  Vaivre  et  d' Auxon  (Arch.  du  Doubs, 
B.  632,  f.  238). 

En  U3i,  le  duc  fit  don  à  Anne  de  Saint-Loup,  nièce  de  Girard 
et  femme  de  Thierry  de  Charmes,  des  biens  saisis  sur  Girard  à 
Fresne-sur-Apance  et  estimés  à  13  fr.  de  rente;  mais  elle  devait 
verser  entre  les  mains  de  Jean  de  Chenel,  garde  des  Joyaux,  la 


—  251  — 

23  août,  de  Guillaume  d'Elrabonne,  Claude  de 
Montaigu,  seigneur  de  Couches  et  de  Longvy, 
était  nommé  tuteur  de  Jean  d'Etrabonne,  fils  du 
défunt  et  de  Jeanne  de  Vienne,  et  demeurant  à 
Champagne-sur-Vingeanne.  Il  n'avait  accepté 
ces  fonctions  que  sur  les  instances  des  parents 
et  amis,  et  il  avait  exigé  un  bon  et  loyal  inven- 
taire. Jean  de  Beaujeu  représentait  dans  cette 
circonstance  Guillemette  d'Etrabonne,  fille  du 
défunt  et  dame  à  Remiremont  (1). 

Le  16  mars  1463,  dans  un  terrier  fait  à  Cba- 
zeuil  pour  Jean  d'Igny,  Jean  de  Beaujeu  est 
déclaré  avoir  la  hautejustice,  avec  le  droit  d*ériger 
le  signe  patibulaire  et  un  colombier  à  pied  (2). 

somme  de  60  1.  destinée  à  augmenter  la  vaisselle  d'argent  de  l'hô- 
tel ducal  (PEiKCEDé,  t.  I,  p.  823). 

M.  Finot  fait  arriver  Saint-Loup  aux.Beinach  par  l'mtermédiaire 
de  la  famille  lorraine  de  Gallo.  Mais  Melchior  de  Reinach,  seigneur 
deFlorimont  et  de  Sainte-Marie-en-Chaux  (entre  Luzeuil  et  Fauco- 
gney)  avait  épousé  Claudine  de  Saint-Loup,  avec  laquelle  il  repre- 
nait de'fief  pour  Ronchamp,  le  48  août  4546  (Arch.  du  Doubs,  B. 
639,  f.  255).  Ce  Melchior  de  Reinach  devait  être  proche  parent  de 
Richard  de  Reinach,  fils  de  Jacques,  seigneur  de  Florimont  et  de 
Sainte- Marie-^n-Chaux ,  châtelain  de  Chùtiilon-sous-Malche,  marié 
à  Antoinette  de  Reaujeu,  fille  de  Claude  II  et  veuve  on  4578  de 
Jacques  de  Vy,  dont  elle  avait  eu,  entie  autres  enfants,  Marguerite 
de  Vy,  épouse  de  Simon  de  Saint-Loup  (Arch.  de  la  Haute-Saône, 
B.  6689,  fol.  459,  verso  et  suivants). 

(4]  Remiremont.  chef-lieu  d'arrond.  Vosges,  possédait  une  abbaye 
noble  de  clianoinesses  dont  Tabbessc  était  princesse  d'Empire. 

(2)  Arch.  de  la,Côlo-d'Or,  E.  4374.  Seul,  le  seigneur  haut  justi- 
cier avait  le  droit  d'élever  un  gibet  et  di  posséder  un  colombier  à 
pied. 


—  252  ^ 

Malgré  son  âgo  déjà  avancé,  Jean  priLune  pari 
active  aux  guerres  qui  terminèrent  si  malheu- 
reusement le  règne  de  Charles  le  Téméraire.  Du 
reste,  les  ordres  du  duc  étaient  formels  et,  sous 
peine  des  punitions  les  plus  sévères,  tous  les  vas- 
saux en  état  de  porter  les  armes  devaient  ré- 
pondre à  rappel,  quel  que  fvt  leur  âge.  Le 
12  mars  1472,  il  était  à  la  Gharme-sous-Govrey  (1  ), 
dans  la  dizaine  de  Thierry  de  Charmes,  son  ne- 
veau,  avant  d'aller  au  pays  de  par  delà.  On  voit 
avec  lui  Pierre  de  Rougemont,  Jean  de  Vailes, 
Jean  de  Maisey. 

Le  5  juillet  suivant,  il  était  de  la  compagnie 
de  Jean  de  Neufchâtel,  seigneur  de  Montaigu. 
Après  les  désastreuses  batailles  de  Morat,  de 
Granson  et  de  Nancy,  il  était  en  garnison  pour 
le  roi  de  France  au  château  de  Rouvres  (2)  et  le 
11  septembre  1477,  il  était  passé  en  revue  par 
Guillaume  de  Marbeuf,  écuyer,  commis  à  cet  effet 
par  Jean  de  Blosset,  chevalier,  seigneur  de  Saint- 
Pierre,  grand  sénéchal  de  Normandie  et  gouver- 
neur de  Dijon. 

Jean  de  Beaujeu  mourut  cette  même  année  et 


(1)  Gevrey,  chef-lieu  de  canton,  arr.  de  Dijon,  Côle-d'Or. 

(2)  Rouvres,  château  à  15  kilomèties  de  Dijon,  où  est  mort,  on 
«361,  le  jeune  duc  Philippe,  dit  de  Rouvres,  parce  qu'il  y  était  ne. 
La  duchesse  de  Savoie,  sœur  do  Louis  XI,  y  avait  été  détenue,  au 
commencement  do  celte  année  \  i77,  d'après  les  ordres  de  Charles 
le  Téméraire. 


PL.  III. 


TOMBE  DE  JEAN  I»  DE  BEAUJEU 

SBIONBUK    DB    CHAZBT71L 

(Long,  a  m.,  larg.  o^çS).  Eglise  de  Beaujea-snr-Saône. 


-^  253 — . 

sa  tombe  est  à  Beaujeu,  dans  l'église  (1).  Elle 
porte  l'inscription  suivante  :  Cy  gist  Johan  de 
13eljeu  et  Catherine  de  Charmes  et  Marguerite  de 
Wailes   et  Marguerite  de  Charmes,  jad(is)  ses 

fe(m)mes,  et  Irespassa  le Tan  MCCCC 

L'absence  de  la  dale  de  son  décès  indique  qu'il 
n'a  pas  élé  inhumé  à  côté  de  ses  trois  femmes, 
malgré  son  intention. 

Veuf  pour  la  seconde  fois  après  le  décès  de 
Marguerite  de  Vailes,  il  avait  épousé  Marguerite 
de  Charnâes,  sœur  de  Catherine  et  veuve  elle- 
même  de  Philippe  d'Angoulevent,  seigneur  de 
Renève.  Mais  il  n'en  eut  pas  d'enfant. 

Catherine  lui  avait  donné  une  fille,  Guillemette , 
femme  de  Martin  de  Sacquenay,  avec  lequel  elle 
renonçait,  le  31  mai  1456,  à  la  succession  de  son 
oncle  Thierry  de  Charmes,  en  faveur  de  ses  au- 
tres oncles,  Jean  et  Guillaume  de  Charmes. 

De  Marguerite  de  Vaites,  par  laquelle  il  devint 
seigneur  de  Chazeuil,  il  avait  eu  : 

l"*  Jean  de  Beaujeu  II; 

2<>  François,  d'abord  simple  religieux,  puis 
sacristain,  et  enfin,  en  1488,  chambrier  de  Tab- 

(1)  Planche  II.  Elle  est  dressée  contre  lo  mura  l'entrée  de  la 
chapelle  du  Rosaire  :  mais  elle  est  fortement  endommagée  aujour- 
d'hui par  suite  de  ses  différentes  pérégrinations.  Sortie  de  la  cha- 
pelle en  4854,  elle  fut  placée  dans  l'allée  médiane.  En  1869,  au 
moment  de  la  reconstitution  de  l'église,  elle  fut  reléguée  dans 
l'allée  latérale  gaucho  et  à  moitié  cachée  sous  les  bancs^  comme  celle 
de  son  père  qui  s'y  trouve  encore. 


—  254  — 

baye  de  Saint-Bénigne  de  Dijon,  avant  d'être 
abbé  de  Saint-Germain  d'Auxerre.  Institué  régu- 
lièrement chambrier  par  Tabbé  Claude  de  Char- 
mes, qui  avait  seul  le  droit  de  disposer  des  offices 
claustraux  (1),  il  avait  trouvé  un  concurrent  dans 
Antoine  le  Gaignière  {aliàs  de  Chilly)  nommé 
par  une  bulle  du  Pape  Innocent  VIII,  le  8  juillet 
1489.  Pour  compléter  le  scandale,  la  question 
avait  été  portée  devant  la  justice  civile  et  le  débat 
n'était  pas  terminé  après  huit  ans  de  procédure. 

Voulant  couper  court  à  un  reproche  qui  lui 
avait  été  fait  d'être  né  d*un  père  comtois  (2), 
François  avait  demandé  et  obtenu  des  lettres  de 
naturalisation  française,  et  le  parlement  avait 
confirmé  sa  nomination.  Mais  son  adversaire  avait 
reçu  une  nouvelle  bulle  du  pape,  et  ce  ne  fut 
qu'en  1497  que  François  de  Beaujeu  obtint  défi- 
nitivement gain  de  cause. 

L'importance  des  revenus  de  la  chambrerio 
n'était  certainement  pas  étrangère  à  l'âpreté  de 
la  lutte,  car  c'était  le  temps  où  la  commandise 


(\)  On  nommait  ainsi  les  fonctions  de  chambrier,  aumônier,  sa- 
cristain, chantre,  prévôt,  trésorier,  infirmier,  cellerier,  cuisinier. 
La  dignité  de  grand-prieur  ne  comptait  pas  dans  les  offices  claus- 
traux. Le  grand  prieur,  qui  remplaçait  Tabbo,  était  choisi  par  celui- 
ci,  et  pouvait  être  en  môme  temps,  aumônier,  sacristain,  etc.  L'abbé, 
qui  avait  l'administration,  choisissait  ses  collaborateurs.  \ 

(l)  Après  la  mort  de  Charles  le  Téméraire,  le  duché  fit  retour  à  1 

la  couronne  et  le  comté  resta  à  Marie  de  Bourgogne,  mariée  à  Mazi- 
milien  d'Autriche. 


—  255  — 

envahissait  les  dignités  religieuses  qu'on  confiait 
môme  à  des  laïques  qui  percevaient  les  revenus 
et  laissaient  un  subalterne  s'occuper  des  devoirs 
de  la  charge. 

En  1507,  Tabbé  Claude  de  Charmes,  qui  était 
parent  de  François  de  Beaujeu,  et  qui,  depuis 
1495,  administrait,  en  môme  temps,  les  deux 
monastères  de  Saint-Bénigne  de  Dijon  et  de  Saint- 
Germain  d'Auxerre,  céda  ce  dernier  à  François 
de  Beaujeu,  «  son  parent,  homme  remarquable 
par  son  éducation,  son  savoir  et  la  pureté  de  ses 
mœurs  ».  Le  nouvel  abbé  conservait  le  titre  de 
chambrier,  mais  il  en  abandonnait  les  revenus  à 
Claude  de  Charmes  qui  resta  chargé  de  Tadmi- 
nistralion  et,  en  1510,  remit  sa  crosse  d'abbé  de 
Saint-Bénigne  à  son  neveu  Charles  de  Baissey. 

François  de  Beaujeu  fut  à  la  hauteur  de  ses 
nouvelles  fonctions.  «  Il  fit  restaurer  les  bâtiments 
et  mit  en  ordre  le  trésor.  Il  fut  un  gardien  vigi- 
lant des  droits  et  des  privilèges.  En  1525,  il 
obtenait  du  Parlement  un  arrêt  qui  délivrait 
définitivement  le  monastère  de  la  juridiction  des 
évoques  d'Auxerre.  »  François  avait  commencé 
les  hostilités  en  1514,  le  17  décembre,  lors  de  la 
visite  de  François  de  Dinteville,  nouvellement 
promu  à  l'évèché  d'Auxerre.  «  Habillé  de  sa 
crosse  et  de  sa  mitre,  accompagné  de  tous  ses 
religieux  en  aube  et  chape  vêtice^  il  était  allé  au 
devant  du  prélat,  mais  pour  lui  déclarer  qu'il 


—  256  — 

était  exempt  de  sa  juridiction  et  que  s'il  le  recevait 
dans  Tabbaye,  c'était  seulement  par  honneur  pour 
sa  personne.  Il  Tinvila  ensuite  à  prêter  serment 
de  garder  les  droits  et  de  respecter  les  franchises 
de  l'abbaye,  ce  à  quoi  Tévêque  se  refusa  (1).  » 

Deux  notaires  requis  pour  assister  à  cette  sin- 
gulière réception  en  dressaient  immédiatement 
procès- verbal. 

En  1521,  François  de  Beaujeu  avait  été  député 
par  le  clergé  d'Auxerre  à  la  réunion  des  États, 
pour  la  répartition  des  50.000  livres  accordées  au 
roi  pour  les  francs  fiefs  et  les  nouveaux  acquêt?, 
dans  la  Bourgogne,  le  Maçonnais,  leChâtillonnais, 
l'Auxerrois,  etc. 

François  de  Beaujeu  avait  augmenté  les  biens 
du  monastère  de  plusieurs  bénéfices;  malheureu- 
sement le  roi  François  P%  qui  avait  besoin  d'ar- 
gent pour  continuer  la  guerre  contre  l'empereur 
Charles-Quint  et  essayer  de  prendre  sa  revanche 
de  Pavie,  fit  enlever  les  meilleurs  biens  de  l'ab- 
baye et  l'abbé  eut  la  douleur  de  ne  pouvoir  em- 
pêcher cette  spoliation  (2). 

François  de  Beaujeu  mourut  le  jour  desNones, 
5  novembre  1539,  et  fut  inhumé  dans  le  chœur 
de  l'église  de  l'abbaye  qu'il  avait  embellie.  Son 
éloge  a  été  laissé  par  un  de  ses  religieux,  Pierre 


(1)  Arch.  de  l'Yonne,  H.  999. 

(2)  Gallia  ChrisL,  i.  XII. 


-  257  — 

Pesselièvre,  auteur  d'un  ouvrage  estimé  sur  la 
théologie-  Il  le  donne  «  comme  le  plus  grand  par 
la  noblesse,  la  piété,  la  prudence,  la  charité,  la 
patience^  l'éclat  de  sa  doctrine  et  de  son  éloquence 
qu'il  devait  à  une  lecture  assidue  de  saint  Chry- 
sostome  (1).  » 

3«  Guillaume,  religieux  de  Saint-Bénigne, 
nommé  prévôt  de  Tabbaye,  le  14  juin  1494,  puis 
aumônier,  le  15  septembre  lb02,  après  la  mort 
de  Philibert  de  Charmes.  Il  fut  en  môme  temps 
titulaire  du  prieuré  de  Griselles,  dépendant  de 
Tabbaye  de  Saint-Germain  d'Auxerre,  lorsque 
son  frère  Fran(jois  prit  Tadministralion  de  ce 
monastère. 

Il  n'avait  pu  avoir  la  paisible  possession  de 
son  office  d'aumônier,  et,  plus  encore  que  son 
frère,  il  avait  passe  par  des  tribulations  de  toutes 
sortes. 

Georges.  d'Amboise,  cardinal  de  Rouen,  qui 
était  en  France  le  légat  du  Saint-Siège,  avait 
donné  la  commandise  à  Barthélémy  Magny, 
religieux  augustin,  archidiacre  de  Tarbes,  natif 
de  Màcon  et  dont  le  frère  Philippe  était  conseiller- 
mai  tre  à  la  Chambre  des  comptes  de  Dijon. 

Des  lettres  royaux  avaient  confirmé  la  décision 

(4)  Gallia  Christ.,  t.  XII,  xlix.  Son  successeur  fut  Louis  de  Lor- 
raine, fils  de  Claude  de  Guise  et  d'Antoinette  de  Bourbon,  qui  de- 
vintcardinal.  Il  était  âgé  de  douze  ans  et  prit  possession  de  l'abbaye 
lo  jour  de  Pâques  de  l'année  suivante  1540. 

20 


—  258  — 

du  légat.  Guillaume  fit  alors  appel  à  la  juridiclion 
civile  et  porta  la  cause  devant  leParlemenL  Mais 
son  adversaire  no  craignit  pas  de  s'abaisser  à  des 
dénonciations  calomnieuses  et  adressa  une  requête 
au  Conseil  du  roi  en  disant  «  quil  était  dange- 
reux pour  la  chose  publique  que  Guillaume  de 
Beaujeu,  comtois  de  nation^  possédât  ledit  office, 
attendu  que  par  la  fondation  dudit  hôpital,  Tau- 
mônier  était  tenu  de  loger  et  nourrir  tous  les 
étrangers,  de  quelque  nation  qu'ils  fussent,  en 
allant  ou  revenant  de  pèlerinage  et  que  ledit 
hôpital,  qui  était  hors  des  murs  de  Tabbaye  et 
séparé  par  un  jardin,  était  peu  éloigné  du  chà- 
teaude  Dijon  (1).  » 

Le  procès  suivit  son  cours  avec  la  lenteur  ac- 
coutumée et  Guillaume  finit  par  obtenir  gain  de 
cause  en  1513;  mais  son  concurrent,  pour  se 
venger,  Tavait  fait  dévaliser.  11  fallut  un  moni- 
toire  du  Pape  Léon  X,  en  date  duo  août  1513, 
pour  «  recouvrer  les  biens,  meubles^  rentes  et 
papiers  de  Guillaume  de  Beaujeu,  aumônier  de 
Saint-Bénigne,  qui  lui  avaient  été  pris  et  ca- 
chés (2).  » 

Cependant  il  n'était  pas  au  termede  ses  ennuis, 
et  il  dut  alors  soutenir  des  procès  nombreux  pour 
les  droits  de  l'aumônerie,  par  suite  de  Tempiéle- 
inent  des  voisins  qui  avaient  profilé  de  la  discorde 

(\)  Arch.  delà  COle-d'Or,  H.  G,  Ijyctle  9,  liasse  ^,  cole  2. 
(l)  Ibid. 


-  259  — 

des  compétiteurs.  Il  dut  même,  en  1S22,  de- 
mander au  roi  Tautorisalion  de  faire  dresser  un 
terrier^  avec  la  mention  des  biens,  terres,  cens, 
rentes,  etc.,  qui  pouvaient  lui  appartenir;  néan- 
moins il  était  encore  en  discussion  en  1531. 

Tout  en  surveillant  ses  intérêts  personnels, 
Guillaume  s'occupait  des  afFaires  de  ses  frères 
François  et  Jean.  François  avait  laissé  la  jouis- 
sance des  revenus  de  la  chambrerie  à  Claude  de 
Charmes,  abbé  antique  de  Saint-Bénigne;  mais 
le  grand  âge  de  ce  personnage  lui  avait  fait  re- 
mettre l'administration  à  Guillaume,  qui  avait 
aussi  la  procuration  de  Jean,  retenu  au  loin  pour 
le  service  du  roi.  Cela  n'empêchait  cependant  pas 
Taumônier  de  se  trouver  aux  réunions  du  chapitre 
et  de  participer  à  l'administration  de  l'abbaye. 
«  L'an  mil  cinq  cent  dix-huit,  le  vendredi  vingt 
et  unième  jour  du  mois  de  janvier,  il  assistait  à 
rinvenlaire  des  saintes  reliques,  joyaux  et  meu- 
bles, tant  d'argent,  d'or,  de  pierres  précieuses 
que  de  draps,  de  velours,  soyeet  linge  de  l'église 
du  vénérable  monastère.  »  Dans  la  li^te  des  objets 
figuraient,  sous  le  n°  381,  trois  serviettes,  dont 
deux  imagées  d'un  cœur  lissé  de  fils  d'or,  qu'il 
avait  données  (1). 

(\)  Mémoires  de  la  Société  bourguignonne  de  géographie  et  d'hiS" 
toire,  1894.  Le  Trésor  de  Saint- Bénigne,  par  Bernard  Pbost.  L'in- 
ventaire fut  revu  les  2  janvier  1527  et  8  juin  1528^  et  au  bas  figure 
la  signature  de  Guillaume  de  Beaujeu. 


—  260  — 

Le  14  octobre  1525,  il  comparaissait  avec  le 
chapitre  à  la  prise  de  possession  de  l'abbaye  par 
Perpétue  Henriot,  procureur  de  Frédéric  Fré- 
gose  (1),  archevêque  de  Salerne,  abbé  commen- 
dalaire  nommé  après  la  démission  de  René  de 
Bresches. 

En  1535,  le  13  novembre,  il  était  chargé  de 
faire  un  arrangement  avec  les  religieux  pour  le 
vin.  Ensuite  de  l'accord  intervenu,  chaque  reli- 
gieux avait  droit  à  un  maraut  par  jour,  soit  près 
de  trois  litres,  sans  compter  un  potot  de  vin  blanc 
aux  quatorze  fêtes  et  les  suppléments'  pour  les 
processions  (2). 

Guillaume  résigna  ses  fonctions,  en  1542,  en 
faveur  de  François  de  Saint-Belin,  sans  doute  à 
cause  de  son  grand  âge,  et  mourut  le  17  septembre 
1544.  99  ans  après  le  mariage  de  ses  parents ^ 
qui  eut  lieu  en  1545.  Il  reçut  la  sépulture  dans 
Téglise  de  Saint-Bénigne,  et  François  de  Saint- 
Belin,  son  successeur  et  son  ami,  était  venu  le 


(1)  Frédéric  Frégose,  devenu  cardinal,  mourut  en  1540.  Son  frère 
Oclavien  était  doge  de  Gônes  (Ga//.  C/imr.,t.  IV,  col.  693.  G.  Dc- 
MAT,  Eptg.  Bourg,,  in  Mémoires  de  la  Société  bourguignonne  de 
géographie  et  d'histoire,  1894,  p.  138. 

(2)  Le  maraut  valait  cinq  tiers  de  pinte  (qui  équivalait  à  4 1615), 
et  quarante  marauts  faisaient  une  feuillette,  de  sorte  que  chaque 
religieux  consommait  annuellement  980  litres,  sans  compterle  vin 
blanc  des  fêles  et  le  supplément  des  processions  (Arch.  de  la  Côte- 
d'Or,  H.  8,  réfecturier).  Les  comptes  de  l'abbaye  de  Dèze  donnent 
la  môme  quantité  par  religieux. 


—  261  - 

rejoindre  en  1560.  Leur  tombe  commune  repré- 
sentait deux  religieux  debout  sous  une  double 
arcade  d'architecture  renaissance.  Aux  quatre 
angles  se  trouvaient  quatre  écussons.  A  dextre^ 
en  haut  :  hureîè  d'argent  et  de  gueules  de  dix 
pièces^  qui  est  Beaujeu  ;  en  bas  :  d'or  à  trois 
quintefeuilles  de  gueules^  qui  est  Vaites.  A 
sènestre^  en  haut  :  d'azur  à  trois  têtes  de  bélier 
d'argent  encornées  d'or^  posées  2  et  i,  qui  est 
Sainl-Belin  ;  au  bas  :  de  gueules  à  la  fasce  d'ar- 
gent,  accompagnée  de  3  étoiles  demêmcy  qui  est 
Moreau  (1  ).  Autour  était  écrit  :  Gy  gisent  frères 
GtJiLLE  DE  Beaujeu  et  François  de  Saint- 
B'elin,  tous  deux  jadis  aulmoniers  de  céans; 

LEQUEL  DE  BeAUJEU  TRÉPASSA  LE  XVir  JOUR  DE 
SEPTEMBRE  1544;  ET  LEDIT  DE  SAINT-BELIN  LE 
IV  JOUR  D'AOUST  1560  (2). 

4,  5  et  6%  trois  fils  morts  dans  l'expédition  du 
roi  Charles  VIII  en  Italie,  en  1494-1495,  d'après 
la  déclaration  de  leur  frère  Jean,  en  1511  (3). 


(1)  M.  G.  Dumay  (voir  note  2)  n'avait  pas  reconnu  ces  armoiries 
dont  il  ne  donne  pas  les  émaux.  Mais  comme  il  y  avait,  en  1525,  un 
Jean  de  Moreau,  infirmier  de  Saint-Bénigne  (Arch.  de  la  Côte-d'Or, 
U*)  qui  portait  ces  armes,  il  y  a  tout.  lieu  de  croire  que  la  mère  de 
François  de  Saint-Belin  était  de  la  môme  famille. 

(2)  Ms8.de  la  Bibl.  nat.  Ponds  Clairambaut,  t.  942,  n*  306.  Pu- 
blié, G.  DuMAT  :  Mémoires  de  la  Corn,  des  Antiquités  de  la  Côte- 
d'Or,  t.  X. 

(3)  Arch.  de  la  Côtc-d'Or,  E.  \Z1Ï.  Voir  ci-dessous  à  Jean  H. 


—  262  — 


JEAN  II 


Jean  II,  seigneur  de  Beau  jeu  et  de  Chazeuil, 
d'Échevannes,  de  Véronnes,  capitaine  de  Mous- 
lier-en-Puisaye,  était  encore  mineur  à  la  mort 
de  son  père,  comme  il  le  dit  dans  une  requête  au 
bailli  de  Sens,- du  3  mars  1511,  article  xviii  et 
XXXI  :  «  Quand  le  père  dudil  de  Beaujeu,  tost 
après  les  guerres  du  roi  Louis  onzième  et  de  feu  le 
duc  Charles  fut  allé  de  vie  à  trépas,  sont  deynorès 
ledit  Jehan  et  ses  frères  en  bien  bas  âge  et  mi" 
neurie  dans;  lequel  et  sesdits  frères  sitôt  qu'ils 
sont  venus  en  aige  ont  suyvi  la  guerre  pour 
mons.  le  roy  contre  ses  adversaires,  tant  au 
voyage  de  Naples,  Millau  comme  autres  lieux, 
où  sont  morts  trois  des  frères  diidit  de  Beau^ 
Jeic...  » 

Après  la  brillante  conquête  de  Naples  par 
Charles  VIII,  en  1494-1495,  ce  furent  les  expé- 
dilions  de  Louis  Xll  et  de  François  I«'  en  Italie. 
Jean  de  Beaujeu  paraît  avoir  participé  à  toutes, 
comme  il  le  dit,  car  il  est  presque  toujours  absent 
et  remplacé  par  ses  frères  François  et  Guillaume, 
dans  Tadministralion  de  ses  biens. 

Cette  minorité  et  ces  absences  avaient  eu  des 
conséquences  graves,  d'autant  plus  que  le  duché 
de  Bourgogne  avait  changé  de  maître,  ce  qui  ne 


—  263  — 

s'était  pas  effectué  sans  troubles.  Après  la  mort 
du  duc  Charles  à  Nancy,  le  5  janvier  1477, 
Louis  XI  s'élait  emparé  du  duché,  fief  masculin 
délaché  de  la  couronne  par  le  roi  Jean  le  Bon 
pour  son  fils  Philippe  le  Hardi.  Naturellement, 
Louis  XI  avait  éloigné  les  partisans  de  la  prin- 
cesse Marie  et  modifié  complètement  l'organisa- 
tion de  tous  les  services.  Absorbé  par  ses  devoirs 
militaires,  Jean  de  Beaujeu  avait  délaissé  sa  sei* 
gneurie  de  Chazeuil  qui  était  restée  en  butte  aux 
empiétements  des  autres  seigneurs. 

La  terre  de  Chazeuil,  dépendant  de  la  baronnie 
de  Tilchâtel,  était  alors  divisée  en  trois  parties  : 
La  portion  de  Saint-Seine,  qu'Arnould  de  Saint- 
Seine  possédait  en  1462,  était  passée  aux  de  Thou, 
puis  aux  de  Montigny  et  ne  comprenait  que 
quelques  habitants.  Celle  de  Crecey,  à  peine  plus 
importante,  appartenait,  en  1400,  à  Guyot  de 
Champdivers,  à  cause  de  Guyolte  de  Chàtillon, 
sa  femme.  Jeanne  de  Champdivers,  leur  fille,  la 
porta  à  Jacques  d'Igny,  dont  le  fils  Elyon  la  céda, 
le  9  septembre  1484,  à  Philippe  Baudot,  maître 
des  requêtes  et  gouverneur  de  la  chancellerie  au 
parlement  et  marié  à  Claudine  de  Mailly.  D'après 
un  dénombrement  du  2*3  septembre  1402,  cette 
seigneurie  comprenait  huit  maignies  d'hommes 
qui,  outre  leurs  corvées,  produisaient  deux  émines 
de  blé  et  douze  boisseaux  d'avoine.  Il  y  avait  en 
outre  30  arpents  de  bois.   Le  tout  était  estimé 


—  264  — 

120  livres,  au  rachat  de. 10  livres  de  rente  (1). 
Le  reste  du  territoire,  avec  160  sujets,  consti- 
tuait la  grande  seigneurie,  reste  du  fief  tenu  par 
les  gentilshommes  du  nom  de  Chazeuil,  dont 
Jacques,  le  dernier  représentant,  vivait  en  1372. 
Il  devait  être  fils  de  Guiot  de  Chazeuil,  châtelain 
de  Saulx-le-Duc  et  fondateur  de  Téglise.  Après 
Jacques  de  Chazeuil,  le  fief  arriva  à  Etienne  de 
Vaites,  dont  la  petite  fille,  Marguerite,  avait 
épousé  Jean  I"  de  Beaujeu.  Marguerite  avait  un 
frère,  Gauthier,  qui  vendit  les  restes  du  château 
à  Jean  de  Beaujeu.  Mais  ayant  été  banni  pour 
avoir  assisté  à  un  meurtre  à  Véronnes,  ses  biens 
furent  confisqués  et  achetés  par  Guillaume  de 
Saint-Martin,  en  1460  (2).  En  Ibil,  Guillaume 
do  Saint-Martin  reprit  aussi  la  portion  laissée  à 
Jeanne  de  Vaites,  fille  de  Gauthier  et  veuve  de 
Nicolas  de  Crecey,  et  à  Jean  de  Crecey,  son  fils. 
Jeanne  de  Lenoncourt,  dame  de  Tilchâtel,  lui 
donna,  le  25  mai  1511,  Tautorisation  d'entrer  en 
possession  (3). 

(1)  Ârch.  de  la  Côte-d'Or,  E.  ^74.  Les  renseignements  sur  Cha- 
zeuil, ses  différents  seigneurs  et  sur  leurs  droits  respectifs,  provien- 
nent d*un  dossier  considérable  renfermant  toute  la  procédure,  tous 
les  mémoires  pour  ou  contre  dans  les  procès  interminables  relatifs  à 
la  justice,  aux  droits  dans  la  forôt,  soit  des  seigneurs  entre  eux, 
soit  des  seigneurs  avec  leurs  sujets.  Ce  dossier  autrefois  réuni  sous 
le  no  465,  E.,  est  aujourd'hui  disséminé  dans  les  liasses  E.  ^74, 
1375,  4379,4380,  4380  ter,  4381,  4382,  4823.  4842,  etc. 

(î)  Arch.  de  la  Côte-d*Or,  n<*  103  de  la  bibliothèque,  p.  497. 

(3)  Arch.  delà  Côtc-d'Or,  E.  4374. 


Par  une  coïncidence  assez  singulière,  les  Irois 
branches  existantes  de  la  maison  de  Beaujeu  se 
trouvaient  en  présence  à  Ghazeuil,  avec  des  inté- 
rêts plus  ou  moins  opposés. 

La  seigneurie  de  Saint-Seine,  passée  aux  de 
Thou,  appartenait  pour  moitié  à  Huguenin  de 
Montigny,  mariéà  Guillemette  de  Beaujeu,  fille 
de  Thibaut  de  Beaujeu- Volon  et  de  Huguette  de 
Charmes.  L'autre  moitié  était  restée  à  Marie  de 
Remilly,  veuve  d'Etienne  de  Thou,  mais  remariée 
à  Claude  de  Beaujeu-Volon,  fils  de  Thibaut  et 
frère  de  la  femme  d'Huguenin  de  Montigny,  et 
comme  elle  cousin  germain  de  Jean  II  de  Beaujeu. 

Guillaume  de  Saint-Martin  (1),  bailli  de  la 
baronnie  de  Tilchâtel,  possesseur  de  la  partie  de 
Gauthier  de  Vaites,  était  marié  à  Antoinette 
d'Angoulevent,  née  de  Claudine  de  Beaujeu,  fille 
de  Pierre  de  Beaujeu-Montot,  et  de  Poinçard 
d'Angoulevent,  son  premier  mari.  Cela  n'empêcha 
pas  des  contestations  et  par  suite  des  procès  de 

(4)  Les  Saint-Martin  paraissent  avoir  été  baillis  de  Tilchâtel.  de 
pore  en  fils  pendant  fort  longtemps.  Etienne  de  Saint-Martin,  sei- 
gneur de  Percey-le-Grand  et  de  Minot,  marié  à  Marguerite  de  Lu- 
gny,  est  bailli  le  H  septembre  U76.  Guillaume  l'est  en  4491  :  il 
est  marié  à  Jeanne  de  Mipont.  C'est  lui  qui  acheta  une  partie  de 
Ghazeuil,  en  4460...  Guillaume  il,  son  fils,  bailli  après  lui,  est  dit 
seigneur  de  Mornay-sur-Vingeanne  (Arch.  de  la  Côle-d'Or,  E.  1371). 
Il  est  mort  avant  Noël  4523.  Son  fils  Jean  fut  installé  comme  bail'i 
le  3  mars  1529.  Ses  gages  étaient  de  10  Ib.  tournois  par  an.  Un 
Jean  de  Saint-Martin  était  seigneur  de  Presne-Samt-Mamès  en  4612 
(Arch.  de  la  Côle-d'Or,  E.  4975  et  4981). 


—  266  — 

naître  el  de  se  perpétuer,  comme  on  le  verra 
bientôt. 

Jean  de  Beaujeu  et  Guillaume  de  Saint-Martin 
avaient  seuls -la  haute  justice  et  par  conséquent 
le  droit,  pour  leurs  juges,  de  siéger  en  place  com- 
mune et  sous  forme  (\).  Ils  pouvaient  seuls  avoir 
un  signe  patibulaire.  Ils  l'avaient,  seuls,  fait 
relever,  le  2  janvier  1497,  mais  en  présence,  et 
eux  dûment  convoqués,  de  Claude  de  Beaujeu  et 
de  ses  hommes  qui  prêtèrent  même  la  main  à 
l'érection. 

Seuls,  Jean  de  Beaujeu  et  Guillaume  de  Saint- 
Martin  avaient  le  droit  de  prendre  des  arrêtés  et 
de  faire  des  ordonnances  pour  ce  qui  se  passait 
en  place  publique.  Ils  avaient  seuls  le  droit 
d'avoir  un  colombier  à  pied  (2).  Pour  eux  seuls 
était  le  produit  des  amendes  prononcées  pour 
délit  en  place  commune  et  les  épaves  trouvées 
dans  toute  l'étendue  du  territoire. 

Ils  devaient  être  nommés  les  premiers  dans  les 
prières  publiques. 

Mais  les  officiers  de  justice  des  seigneuries  de 
Thou,  de  Montigny  et  d'Igny,  avaient  essayé  de 

{{)  La  haute  justice  se  rendait  en  plein  air,  à  la  face  du  ciel. 
C'est  ainsi  que  saint  Louis  le  faisait  au  bois  de  Vincennes.  Les 
moyenne  et  basse  justices  se  rendaient  sons  lattes,  c*est-à-dire 
dans  un  endroit  couvert,  comme  les  halles,  le  four,  etc. 

(2)  Le  colombier  à  pied  était  un  bâtiment  spécial  n'ayant  pas 
d'autre  usage.  Les  propriétaires  do  deux  cents  arpents  pouvaient 
avoir  une  volière  dans  leur  habitation. 


—  267  — 

parliciper  à  ces  droits.  En  1507  (1),  ils  avaient 
profité  de  Tabsence  des  représentants  des  sei- 
gneuries de  Beaujeu  et  de  Saint-Martin  pour  agir 
en  leur  nom  et  tenir  des  jours  de  justice  en  place 
publique j  sous  Vorme,  au-devant  de  Téglise,  le 
23  août,  lendemain  de  la  fête  de  saint  Sympho- 
rien,  patron  de  Chazeuil.  Ils  n'avaient  pas  craint 
départager  les  amendes  encourues  pour  les  délits 
en  place  publique,  et  auxquelles  ils  n'avaient 
aucun  droit.  Ils  avaient  poussé  Taudace  jusqu'à 
instituer  un  procureur  commun,  «  puis  ledit 
jour,  par  lesdits  dessus  nommés  a  été  ad  visé 
conclu  et  ordonné  que  chascun  an  à  la  fête  saint 
Symphorien,  patron  de  Téglise  de  Chazeuil,  le 
prix  accoustumê  (2)  à  mettre  par  les  varlels  et 
enfants  de  ladite  feste  sera  mis  assis  et  planté 
en  lieu  de  communautéy  assis  sur  et  sous  ledit 
horme  ou  tout  autre  lieu  de  communauté^  après 
la  licence  qu'ils  sont  tenus  prendre  des  maires 
desdits  seigneurs.  » 

Jean  de  Beaujeu  avait  laissé  à  ses  frères  le  soin 
de  veiller  sur  ses  biens;  mais  François  avait  été 
nommé  cette  année-là  à  Tabbaye  de  Sainl-Ger- 


(1)  En  4507,  les  armées  françaises  étaient  en  Italie  avec  Louis  XII 
qai  avait  eu  à  réprimer  la  révolte  de  Gênes. 

(2)  Il  s'agit  du  tir  à  Toiseau  ou  d'autres  eiercices  du  môme  genre 
alors  en  honneur  dans  les  fêtes  villageoises,  etqui,  déjà  comme  au- 
jourd'hui, étaient  laissés  à  l'initiative  des  jeunes  gens  de  la  com- 
mune. 


—  268  — 

main  d'Auxerreet  Guillaume  élail  absorbé  par  ses 
discussions  relatives  à  ses  fonctions  d'aumônier, 
de  sorte  qu'aucune  protestalion  n'était  venue 
arrêter  les  agissements  des  gens  des  seigneurs  de 
Montigny  et  d'Igny. 

Encouragés  par  ce  silence,  ceux-ci,  le  23  août 
1 508,  avaient  invité  les  maires  de  Jean  de  Beaujeu 
et  de  Guillaume  de  Saint-Martin  à  tenir  la  justice 
avec  eux,  et,  sur  leur  refus,  ils  n'avaient  pas 
craint  d'afficher  nettement  leurs  prétentions.  En 
effet,  le  lendemain,  dans  la  salle  du  chapitre  de 
Saint-Bénigne,  sommation  était  faite  à  Guillaume 
de  Beaujeu,  représentant  de  son  frère,  d'avoir  à 
consentir  à  exercer  la  justice  en  commun.  Protes- 
tation de  Guillaume  qui  déclare  que  «  son  frère 
a  seul  le  droit  de  tenir  des  joursde  justice  en  place 
publique  ».  Les  hostilités  étaient  commencées. 

Le  23  mars  suivant,  Jean  Pelletier,  chanoine 
de  la  Sainte-Chapelle  et  procureur  de  Claudine 
de  Mailly,  dame  de  Crecey  et  de  Chazeuil  en 
partie,  allait  trouver  à  Saint-Bénigne  François 
de  Beaujeu  qui,  quoique  abbé  de  Saint-Germain, 
avait  conservé  les  fonctions  ou  au  moins  le  tilre 
de  chambrier  de  Saint-Bénigne,  et  qu'il  croyait 
sans  doute  devoir  ménager.  Il  lui  proposa  de  ter- 
miner à  lamiable,  et  de  s'en  remettre  complète- 
ment à  des  arbitres  pour  vider  le  différend.  Mais 
il  ne  paraît  pas  qu'on  ait  prêté  l'oreille  à  ses  pro- 
positions, car  le  23  août  suivant  1509,  Guillaume 


—  269  — 

de  Beaujeu  élait  à  Chazeuil,  à  huit  heures  du 
matin,  avec  Jean  Ramet,  bailli  de  Tabbaye  et 
juge  à  Chazeuil,  pour  Jean  de  Beaujeu. 

Pierre  Baudot  et  Thomas  de  Montigny,  père 
d'Huguenin,  s'approchant  de  lui  lui  demandèrent 
de  consentira  tenir  avec  eux  lajustice  commune. 
Guillaume  répondit  qu'il  ne  s'opposait  pas  à  ce 
qu'ils  tinssent  leur  justice  particulière.  Il  reconnut 
môme  qu'antérieurement  il  y  avait  eu  des  jours 
communs,  mais  il  maintint  énergiquement  que 
cela  n'avait  pu  avoir  lieu  que  par  suite  de  cir- 
constances exceptionnelles,  et  que  son  frère  seul 
avait  le  droit  de  le  faire.  Malgré  cette  protestation, 
les  adversaires  «  sous  la  protection  de  quelques 
gens  de  guerre  armés  et  embàtonnéSy  venus  de 
Dijon,  tinrent  leur  audience.  » 

Guillaume  leur  déclara  alors  qu'il  en  appelait 
à  la  justice,  et  leur  fit  aussitôt  signifier  ses  in- 
tentions. Mais,  le  26  octobre,  la  dame  de  Mailly 
formait  opposition  à  «  cet  appel  disant  qu'elle  vou- 
lait pou7'suivre  le  principal  ».  L'affaire  devait 
être  portée  d'abord  devant  le  bailli  de  Sens,  et  des 
conclusions  étaient  déposées  par  Claudine  de 
Mailly,  le  10  février  IblO.  Elles  étaient  signifiées 
à  Jean  de  Beaujeu  alors  à  Auxerre,  où  l'avait 
emmené  son  frère  François,  en  le  faisant  nommer 
capitaine  de  Moustier,  château  dépendant  de 
l'abbaye  de  Saint-Germain. 

Le  3  mars,  en  présence  de  Michel  Armentet  et 


—  270  — 

Robert  Foucbey,  notaires  royaux  à  Auxerre,  Jean 
de  Beaujeu  répondait,  article  par  article^  aux 
conclusions  de  son  adversaire  et  signait  ses  dé- 
clarations. 

La  lutte  ainsi  commencée  se  continua  selon  les 
mœurs  du  temps.  Jean  de  Beaujeu  s'était  ren- 
contré avec  François  de  Rochechouarl  (1),  père 
de  Christophe,  remarié  le  8  octobre  1508,  à 
Madeleine  de  Vienne,  veuve  de  Lazare  Baudot, 
fils  de  Philippe  et  de  Claudine  de  Mailly. 

Des  rixes  avaient  eu  lieu  et  on  en  était  arrivé 
à  des  voies  de  fait,  car  le  18  février  1512,  une 
enquête  était  demandée  par  François  de  Roche- 
chouart  contre  Jean  de  Beaujeu,  capitaine  de  Mous- 
tier  et  autres,  au  sujet  de  siège  et  de  démolition 
de  inaison,  de  port  d*armes,  assemblée  illicite... 
Mais  une  contre-enquête  était  réclamée  sur  le 
même  sujet  par  l'abbé  de  Saint-Germain,  Fran- 
çois de  Beaujeu,  qui  avait  pris  la  défense  de  son 
frère. 

Pendant  que  la  procédure  suivait  son  cours, 
Jean  de  Beaujeu  s'occupait  d'améliorer  la  situation 
de  ses  hommes  de  Chazeuil.  Au  mois  de  mars 

(\)  François  de  Bochechouart,  seigneur  de  Champdenier,  d'une 
maison  du  Poitou,  était  premier  chambellan  du  roi  Louis  XU  et 
fut  fait  gouverneur  de  Gônes  après  la  réduction  de  cette  ville  en 
■1508.  François  V*^  l'envoya  comme  ambassadeur  à  Venise  et  à  Bru- 
xelles. Il  était  marié  à  Blanche  d*Aumont,  dame  de  Saint-Amand- 
en-Puisaye  (non  loin  de  Moustior),  fille  de  Jacques  et  de  Cathe- 
rine d'Etrabonne,  en  Comté. 


1512,  il  oblenail  de  Jeanne  de  Lenoncourt  et  de 
Claude  de  Baissey,  son  ûls,  seigneur  et  dame  de 
Tilchâtel  et  de  Bourberain,  le  droit  d'usage  dans 
la  forêt  de  Velours  avec  le  pacage  pour  le  bétail 
à  r exception  des  chèvres.  Cet  accord  fut  renouvelé 
le  6  novembre  1520. 

Au  mois  de  janvier  IbU,  une  enquête  était 
poursuivie  à  Tilchàlel,  contre  Jean  de  Beaujeu 
à  la  requête  de  Claudine  de  Mailly.  Mais  Jean 
avait  ^owr  ainsi  dircy  à  cette  époque,  abandonné 
Chazeuil,  car,  en  1515,  il  était  inscrit  dans  le 
rôle  des  bourgeois  du  roi,  à  Auxerre,  pour  le  fau- 
bourg de  Saint-Renoberl,  où  il  possédait  une 
maison  qui  fut  occupée  plus  tard  par  les  dames 
de  la  Providence,  et,  le  30  janvier  1516,  il  pre- 
nait à  bail  de  l'abbaye  une  pièce  de  terre  de 
40  arpents  pour  6  deniers  tournois  de  cens  annuel. 

Cependant  le  bailli  de  Sens  avait  prononcé  sa 
sentence  en  faveur  de  Jean  de  Beaujeu  qui  l'avait 
fait  signifier  à  Guy  de  Montigny,  à  son  domicile 
de  Mornay-sur-Vingeanne,  le  23  avril  1517. 
Mais  appel  avait  été  interjeté  aussitôt,  et  Taffaire 
avait  été  portée  au  Parlement  de  Paris,  après  un 
nouveau  Jugement  du  bailli  de  Sens,  en  date  du 
l'*"  avril  1519,  sur  requête  du  3  mars  précédent, 
au  sujet  des  dépens.  Cela  n'était  pus  fait  pour 
arrêter  les  hostilités  extrajudiciaires. 

Le  mardi 21  août  1520,  veille  delà  Saint-Sym- 
phorien,  fêle  de  Chazeuil,  on  avait,  selon  la  cou- 


—  272  — 

tume,  allumé  à  la  nuit,  devant  l'église,  des  feux 
de  joie  appelés  fouillères.  Les  Jiabitants  étaient 
tous  présents,  et  Guillaume  de  Beaujeu,  accom- 
pagné de  Catherine  de  Sain t-Mau ris,  sa  belle- 
sœur,  s'était  mêlé  à  la  foule.  Il  aperçut  alors 
Lamblot  Gachot,  sergent  de  Guy  de  Montigny, 
qui  tenait  ostensiblement  sa  baguette  droite  (1). 
«  Qui  te  fait  porter  cette  verge  ainsi  élevée,  lui 
demanda- t-il  ?  »  L'interpellé  répondit  «  qu'il  ne 
faisait  que  ce  que. le  maire  dudit  sieur  de  Mon- 
tigny lui  commandait  ». 

«  Etledit  aumônier,  publiquement,  patemment, 
et  par  manière  de  courroux,  de  son  autorité  privée 
arracha  ladite  verge  audit  sergent  et  icelle  mit 
en  pièces  deçà  delà,  disant  que  le  sieur  de  Mon- 
tigny n'avait  point  de  droit  pour  ce  faire;  et  la 
demoiselle  (2)  de  Beaujeu  ajouta  que  pourrait 
venir  1(9  temps  qu'il  la  lui  rompy^ait  au  travers 
du  dos.  » 

Quelques  jours  après,  le  27  août,  une  enquête 
était  ouverte,  et  les  dépositions  des  témoins  con- 
firmaient le  fait  qui  dut  amener  de  nouveaux 
incidents.  Ce  qui  n'empêcha  pas  cependant  le 


(1)  Le  sergent  avait  une  baguette  blanche  comme  insigne  de 
sei;  fonctions  ;  mais  il  ne  (levait  la  porter  que  dans  les  endroits 
dépendant  de  la  seigneurie  à  laquelle  il  appartenait. 

(2)  Les  femmes  des  gentilshommes  étaient  qualifiées  de  demoi- 
^ellos  ou  damoiselles.  Le  mot  dame  indiquait  des  droits  seigneu- 
riaux :  ainsi  la  demoiselle  do  Beaujeu  était  dame  de  Chazeuil. 


—  273  — 

bailli  de  Sens  de  prononcer  une  nouvelle  sentence 
en  faveur  de  Jean  de  Beaujeu,  le  8  janvier  1523, 
et  le  ParJemenl  de  Paris  de  rendre  un  arrêt  dans 
le  môme  sens,  le  30  juin. 

Mais  Jean  de  Beaujeu  était  mort  Tannée  pré- 
cédente, et,  auparavant,  le  6  novembre  1520, 
à  la  suite  de  difficultés  survenues  au  sujet  des 
droits  de  ses  hommes  dans  la  forêt  de  Velours, 
il  avait  fait  un  nouvel  arrangement  avec  Jeanne 
de  Lenoncourt  et  Claude  de  Baissey,  son  fils, 
pourbien  spécifier  les  droitsdont  ses  sujets  avaient 
sans  doute  abusé.  Il  fut  accordé  la  faculté  de 
prendre  du  bois  pour  leur  usage,  mais  avec  dé- 
fense de  couper  ni  chêne,  ni  hêtre,  ni  poirier  ni 
pommier  ni  èperonnier  (1),  et  surtout  de  vendre 
ou  céder  aucune  quantité  aux  autres  habitants 
de  Chazeuily  qui  ne  dépendaient  pas  de  la  sei- 
gneurie  de  Beaujeu. 

Jean  de  Beaujeu  II  en  mourant  laissait  veuve 
sa  seconde  femme,  Catherine  de  Saint-Mauris, 
de  la  maison  de  Saint-Mauris-Chastenoj^  en 
Comté,  qu'il  avait  épousée  en  1514  et  qui  se  re- 
maria à  Guillaume  de  Mellingen,  d'une  famille  re- 
levant des  barons  de  Montjoye.  Elle  était  fille  de 
Jean  de  Saint-Mauris,  dit  Berchenet^  capitaine 
et  gouverneur  de  Neufchâtel  et  de  Lisle,  seigneur 


(t)  L'éperonnier  était  une  pièce  de  bois,  qui,  par  sa  forme  natu- 
relle, pouvait  servir  à  faire  uasoc  de  charrue  alors  toute  en  bois. 

21 


274  — 


d'Allenjoye,  Buslal,Roye,  BeaumoUe,  elc,  et  de 
Giletle  d'Orsans  (I).  Elle  n'eut  pas  de  postérité. 
De  sa  première  femme,  N.  de  Montjeu  (2),  Jean 
de  Beau  jeu  II  avait  eu  : 


(1)  Généalogie  de  la  maison  de  Saint-Mauris  par  le  marquis  P. 
de  Saint-Maoris.  L'auteur  a  commis  une  erreur  en  faisant  naUrede 
Catherine  de  S^inl-Mauris  les  enfants  de  Jean  II  de  Beaujeu.  Elle 
n'épousa  celui-ci  qu'en  45U,et  Philibert  de  Beaujeu^  qui  avait  des 
frères  plus  âgés  que  lui,  était  déjà  novice  à  Saint-Bénigne  en  4502. 

(2)  C'est  pour  aillât  (lire  par  hasard  que  j'ai  découvert  le  nom  de 
cette  dame.  Ses  armes  se  trouvent  dans  plusieurs  sceaux  de  son  61s 
Philibert,  évéquede  Bethléem.  On  peut  les  voir  encore  aujourd'hui, 
avec  les  émaux^  au  musée  de  la  Coinmission  des  Antiquités  de  la 
Côte-d'Or,  dans  un  tableau  provenant  de  la  chapelle  du  château  de 
Verrey-sous-Drée  (cant.  de  Sombernon,  arr.  de  Dijon)  qui  avait  été 
consacrée  par  ce  prélat.  Elles  sont  écartelées,  aux  1  et  4  :  burelé 
d'argenlet  de  utieulesde  dixpièces;  aux  i  et  3,  d'azur  au  sautoir 
dor  accompagné  de  quatre  étoiles  de  même.  Philibert  avait,  selon 
la  coutume,  écartelé  les  armes  de  son  père  de  celles  de  sa  mère.  Or, 
en  dehors  de  François  de  Batailler,  évoque  de  Bethléem,  sacré  le 
45  juin  4664j  et  sur  la  famille  duquel  les  renseignements  manquent 
complètement^  on  ne  trouve  dans  les  armoriaux  et  recueils  qu'une 
seule  famille  qui  ait  un  sautoir  et  quatre  étoiles  d'or  sur  champ  d'a- 
zur. C'est  la  famille  d'Ostun  {de  Edud)  qui  a  fourni  quatre  bran- 
ches :  de  Dracy,  de  Chevigny,  d'Ârconcey  et  do  Montjeu.  Juste- 
ment à  cette  époque,  Adrien  de  Mailly,  frère  de  Claudine^  dame  de 
Crecey,  était  marié  à  Claudine  de  Montjeu,  fille  de  Jean.  Comme  on 
l'a  vu,  Claudine  de  Mailly  était  en  procès  avec  Jean  de  Beaujeu,  au 
sujet  de  la  justice  de  Chazeuil,  et  elle  avait  produit  un  mémoire  où 
elle  disait  :  «  Combien  que  par  adventure  Jean  de  Montjed  et  Guil- 
laume de  Saint-Martin  illec  admis  par  ce  dans  la  haute  justice, 
l'auraient  fait  ainsi  sur  l'autre  portion,  que  ce  serait  au-descu  (à 
l'insu)  de  ladite  demoiselle  qui  n'aurait  pas  été  advertie • 

Jean  de  Beaujeu  répondait  aussitôt,  le  3  mai  4640,  «  que  les 
deffendeurs  ne  savent  ce  qu'ils  di{s)ent,  car  il  ne  prétend  pas  le 
droit  à  CAU8B  de  sa  fehxe,  mais  à  cause  de  sa  grand'mère%  femme 


—  275  — 

1°  Jean  IIL 

2°  Claude,  seigneur  de  la  Maisonfopl  eu  Niver- 
nais, par  sa  femme  Marie  des  Ulmes  et  qui  donna 
naissance  à  la  branche  secondaire  de  la  Maisonfort . 

3^  Philibert,  novice  à  Saint-Bénigne  en  1502, 
puis  religieux  dans  cette  abbaye  avant  de  suivre 
à  Saint-Germain  d'Auxerre  son  oncle  François 
qui  lui  confia  la  charge  de  grand-prieur,  en  1522. 
A  celte  époque  il  fut  gouverneur  d'Auxerre  avec 


de  Jean  de  BeaujeUy  son  aïeuL  »  Cela  indique  clairemeni  que  la 
femme  de  Jean  H  de  Beaujeu  était  une  Montjeu,  fîUe  de  Jean  et 
probablement  sœur  de  la  femme  d'Adrien  de  Mailly.  Le  nom  de 
Montjeu  a  été  évidemment  mis  pour  celui  de  Beaujeu.  C'était  là  une 
erreur  du  procureur  de  Claudine  de  Mailly,  ou  de  son  clerc,  mais 
cet  te  erreur  au  rail  passé  inaperçue  et  n'aurait  certainement  pas  été 
relevée  ainsi,  Bi  le  nom  de  Montjeu  avait  été  sans  signification. 

Resterait  à  expliquer  la  présence  dans  les  armes  de  Philibert  de 
Beaujeu  des  étoiles  d'or  qui  ne  fîguient  pas  dans  les  sceaux  des 
Montjeu  que  l'on  possède,  tandis  qu'elles  se  trouvent  dans  ceux 
des  Ostun  de  Dracy  et  de  Chevigny  ;  mais  les  sceaux  des  Montjeu 
sont  tous  du  XIV*  siècle,  c'est-à-dire  pendant  Texistence  des  autres 
branches  d'Oslun,  les  Dracy,  les  Chevigny^  les  Ârconcey.  Les 
Montjeu  ont  pu  reprendre  les  étoiles  qu'ils  avaient  retranchées 
comme  cadets.  On  doit  à  la  vérité  de  dire  que  le  plus  ordinairement 
les  cadets  ajoutaient  une  pièce  aux  armes  delà  famille.  On  pourrait 
encore  trouver  une  autre  explication.  Comme  évoque  de  Bethléem, 
Philibert  était  grand  maître  de  l'ordre  de  V Etoile  fondé  en  souve- 
nir du  guide  des  rois  mages,  et  il  aurait  pu^  pour  celte  raison, 
mettre  des  étoiles  dans  son  écu.  {\ oit  Montjeu  et  ses  seigneurs, 
par  l'abbé  DoHET  et  A.  de  Monard^  Paris;  Autun,  MDCCCLXXXl, 
p.  26-27).  Pour  l'ordre  de  Bethléem  ou  de  l'étoile,  ordre  religieux, 
dont  les  membres  portaient  une  croix  sur  leurcape  et  leur  manteau, 
voir  VEistoire  de  t'évècké  de  Bethléem  de  Clamecy,  par  Louis  Che- 
valier-Lagbmissièrs,  conseiller  à  la  cour  de  Dijon. 


—  276  — 

Edme  Morlon,  licencié  en  droit,  et  Hugues  de  la 
Faye.  Il  était  docteur  en  décret  et  en  théologie,  et 
devint  conseiller,  aumônier  ordinaire  et  maitre 
des  requêtes  de  la  reine  Eléonore  d'Autriche, 
sœurdeCharles-QuintetfemmeduroiFrançoîs^^ 
Abbé  de  Saint-Severin  d'Aire  et  de  la  Fère,  au 
duché  de  Guyenne,  il  fut  désigné  par  Marie 
d'Albret,  duchesse  de  Nevers,  veuve  de  Charles 
de  Clèves,  pour  remplacer  Martin  Dulcis  à  Tévêché 
de  Bethléem  (1).  La  bulle  de  Clément  VII  est  du 
12  septembre  1324.  Il  administra  Téglise  de 
Langres,  en  1526,  pour  le  cardinal  de  Givry,  et 
remplaça  ce  prélat  pour  consacrer  l'église  Saint- 
Michel  de  Dijon,  le  VI  des  Ides  de  décembre  1529. 
Il  était  sufFragant  et  vicaire  général  de  l'évêque 
d'Auxerre,  François  de  Dinlevilleen  1530, 1531 , 
1534, 1535.  Doyen  de  N.-D.  de  Tonnerre,  en  1530, 
il  fut  nommé  par  le  roi  doyen  de  l'église  d'A- 


(1)  Après  la  priso de  Jérusalem  parlés  chréliens, en  4099, Gode, 
froy  de  Bouillon  fut  proclamé  roi,  mais  il  se  contenta  du  titre  de 
baron  du  Saint-Sépulcre,  ne  voulant  pas  porter  une  couronne  d'or 
dans  une  ville  où  Jésus-Christ  avait  porté  une  couronne  d'épines. 
Il  mourut  Tannée  suivante  et  eut  pour  successeur  son  frère  Baudoin, 
qui  fut  couronné  le  jour  de  Noël  '1100,  dans  Téglise  de  Bethléem. 
Ce  fut  en  souvenir  de  son  sacre  que  Baudoin  érigea,  en  1 1 1 0,  Téglise 
de  Bethléem  en  évôché.  En  4224,  Régnier  VH,  évoque  de  Bethléem, 
voyant  l'impossibilitéde  rétablir  le  royaume  de  Jérusalem,  quitta  la 
Palestine  pour  prendre  possession  de  l'église  de  Clamecy,  fondée 
par  Guillaume  11, comte  de  Nevers  et  donnée  par  Guillaume  IV  aux 
évoques  de  Bethléem.  Cette  égli>e  était  siluéo  dans  un  faubourg  de 
la  vil!o. 


—  277  — 

vallon,  le  lOavrillBSG;  il  promulgua,  le  16  avril 
1538,  la  bulle  du  pape  Paul  III  pour  la  séculari- 
salion  de  labbaye  de  Vézelay. 

«  Le  corps  de  saint  Marlin  ayant  élé  brûlé, 
Dieu  permit  que  Philibert  de  Beaujeu  en  conservât 
quelques  reliques  entre  autres  la  mâchoire  et 
une  côte.  Le  dimanche  9  novembre  1539,  il  les 
remît  à  Téglise  de  Clamecy  dédiée  à  ce  saint.  » 
En  1542,  il  fit  don  à  la  môme  église  d'un  morceau 
de  la  vraie  croix,  renfermée  dans  un  caillou  du 
Rhin  (1),  ayant  la  forme  d'une  croix. 

Le  dimanche  3  juillet  1547,  il  consacrait  la 
chapelle  du  château  de  Verrey-sous-Drée,  comme 
l'indique  un  tableau  portant  ses  armoiries  et  con- 
servé maintenant  au  musée  de  la  Commission 
des  antiquités  de  la  Côte-d'Or. 

Le  dimanche  1'^  juillel  1548,  Philibert  de  Beau- 
jeu  assistait  à  Dijon  à  l'entrée  du  roi  Henri  II  et 
était  présent  à  Saint-Bénigne  lorsque  le  roi,  à 
genoux  devant  le  grand  autel,  prêtait  serment 
de  respecter  les  libertés  de  la  ville  (2). 

Suppléant  les  évoques  de  Langre'ï,  d'Autun  et 
d'Auxerre,  l'évêque  de  Bethléem  était  continuel- 


(1)  Cette  relique  exUte  encore.  Elle  fut,  en  i:j50,  placée  sur  une 
croix  de  bronze  doré  qui  porte  cette  inscription  :  «  H.  Pèreen  Dieu 
M'e  Philibert  de  Beaujeu  me  fit  faire  :  in  hoc  signovinces.  Adorez 
tous  la  vraie  croix  par  laquelle  nous  avons  été  rachetés.  » 

(2)  Registre  des  délibérations  de  la  mairie  de  Dijon,  'I5i8,  p. 
330  et  331. 


—  278  — 

leraent  occupé  à  faire  des  ordinalions,  bénir  des 
cimetières,  reconcilier  des  églises  polluées  par 
effusion  du  sang  (1),  etc. 

Il  mourut  à  la  fin  de  Tannée  1553  et  fut  inhumé 
dans  sacalhédrale  (2)  deClamecy.  L'entréedu  ca- 
veau était  surmontée  d'un  ocusson  avec  les  armes 
de  Philibert  de  Beau  jeu. 

Le  11  juillet  1555,  avant  sa  mort,  Philibert 
avait  fondé  un  chapitre  de  chanoines,  composé 
d'un  doyen,  d'un  chantre,  d'un  trésorier  et  de 
trois  prêtres  séculiers.  Les  six  prébendes  furent 
approuvées  le  13  juillet  1556  par  Tévêque  de 
Langres,  au  nom  de  Tabbé  de  Saint-Bénigne, 
parce  que  Philibert  était  toujours  resté  religieux 
de  ce  monastère. 

4°  Antoine,  religieux  de  Saint-Bénigne  et  de 
Saint-Germain  d'Auxerro,  où  il  était  sacristain 
en  1527.  Le  4  septembre  1540,  il  figure  sur  la 
liste  des  religieux  de  Saint-Bénigne,  et  la  même 
année,  après  la  mort  de  son  frère  François,  il 
élait  choisi  comme  vicaire,  par  le  nouvel  abbé, 
Louis  de  Lorraine,  pour  procéder  à  l'inventaire 
des  biens  et  des  droits  de  l'abbaye.  Il  avait  aussi 

(1)  On  trouvera  des  renseignements  plus  complets  sur  Philibert 
de  Beaujeu  dans  V Histoire  del'écêché  de  Bethléem,  par  M.  Louis 
Chbvalibr-Lagsmissière^  conseillera  la  cour  de  Dijon. 

(%)  Cette  cathédrale  était  une  chapelle  de  48  m.  de  long  et  de 
6  m.  90  do  large.  Elle  fut  vendue  le  4  Thermidor  an  IV  (19  juillet 
4796)  pour  4980  fr.  comme  bien  national  et  est  aujourd'hui  une 
annexe  d'auberge. 


PL.   IV. 


SCEAU  DE  PHILIBERT  DE  BEAUJEU 

ivtqVE    DB    BBTHLéBM 


ARMOIRIES   DE   JEAN   UI   DE   BEAUJEU 
Sur  la  cloche  de  réglise  de  Chazeuil. 


—  279  — 

succédé  à  son  frère  dans  Toffico  de  chambrier  de 
Saint-Bénigne,  et  le  15  décembre  1 341,  il  faisait 
en  cette  qualité  un  traité  avec  Paul  Maire,  mar- 
chand à  Dijon,  pour  25  journaux  de  terres  in- 
cultes à  Messigny,  moyennant  deux  deniers  par 
journal,  à  payer  le  jour  de  la  Toussaint. 

JEAN   III. 

Jean  de  Beaujeu  III,  seigneur  de  Ghazeuil,  de 
Jauge  (1),  de  Boissenais  ou  Brissenai  (2),  de 
Vincelotle  (3),  etc.,  chevalier  des  ordres  du  roi, 
était  appelé  Jean  de  Beaujeu,  le  jeune^  avant  le 
décès  de  son  père  Jean  II. 

En  1522,  il  retenait  des  chanoines  d'Auxerre. 
une  maison  rue  de  la  Parchemînerie,  venant  de 
Jean  Lemay,  et  sur  laquelle  le  chantre  en  même 
temps  que  le  chapitre  avait  droit  à  un  cens  de 
six  deniers  tournois.  Il  était  alors  marié  à  Jeanne 
le  Rotier,  veuve  de  Jacques  Lenormand  et  fille 
d'Henri  le  Rotier  (4),  valet  de  chambre  du  >oi 


(4)  Jauge,  caoton  de  Saiot-Florentin,  arr.  de  Tonnerre,  Yonne. 

(2)  Brissenais^  peut-ôtre  Broisserelie,  canton  d*Aillant,  arr.  de 
Joigny. 

(3)  Vincelotle,  canton  de  Goulange-Ia-Vineuse,  arr.  d'Auxerre. 

(4)  Henri  le  Rotier,  seigneur  de  Bouilly,  Jauge  et  Villefargeau, 
gouverneur  d'Auxerre  en  4490,  mourut  en  4493.  (L*abbé  Lkbeuf, 
Histoire  dAuxerresU  lU,  p.  369,  374).  Il  avait  succédé  à  Pierre  de 
Chandio  et  eut  pour  successeur  Hector  de  Saliazart,  frère  de  Tris- 
tan, archevêque  de  Sens,  et  de  Louis,  marié  à  Catherine  de  Beau- 


—  280  — 

Charles  VIII,   el   de  PerneKe   de  Tliiard  (i). 

Par  arrêt  du  Parlement  de  Paris,  en  date  du 
23  mars  1523,  un  bailliage  avait  été  créé  à 
Auxerre  qui  dépendait  auparavant  du  bailliage 
de  Sens  (2).  Dans  la  séance  qui  eut  lieu  à  Saint- 
Fargeau,  le  14  octobre,  à  TefFet  de  fixer  les  limites 
de  la  nouvelle  juridiction  el  de  désigner  les 
communes  qui  devraient  en  faire  partie,  Jean  de 
Beaujeu,  écuyer,  et  Jeanne  le  Rofier,  sa  femme, 
seigneur  et  dame  de  Boissenai,  durent  faire  ^a 
déclaration  de  leur  fief  et  donner  leur  consente- 
ment. 

Cette  année-là,  le  procès  relatif  à  la  justice  de 


jou-Montcoquier  ou  du  Colombier.  Son  fils  EdmeleRotier,  frère  de 
Jeanne,  fut  aussi  bailli  et  gouverneur  d'Auxerre  en  1505  et  4509. 
Il  eut  une  61le,  Edmée,  mariée  à  Louis  d'Etampes,  seigneur  de 
Mont-Saint-Sulpice.  La  mère  était  Marie  du  Lac,  fille  de  Lancelot, 
chevalier,  échanson  du  roi  et  gouverneur  d'Auxerre.  {Société  des 
sciences  de  V  Yonne,  t.  III,  p.  34).  Un  beau  sceau  avec  la  signature 
d'Edme  le  Rotier  existe  aux  archives  de  la  Côte-d*Or,  B.  350, 
cote  97.  H  représente  un  emmanché  de  4  pièces. 

(I)  Remette  de  Thiard  était  fille  de  Jean,  lieutenant  général  du 
bailli,  puis  gouverneur,  en  4474. 

(î)  Le  bailliage  de  Sens  était  un  des  quatre  anciens  bailliages  du 
royaume  avec  Vermandois,  Mâcon,Saint-Pierre  le  Moutiers  (Nevers). 
C'était  le  plus  important  :  il  s'étendait  jusqu'aux  portes  de  Gray, 
puisque  Higny  en  dépendait.  Il  a  été  démembré  pour  former  tout  ou 
partie  des  bailliages  d' Auxerre  (1525),  do  Langres  (1640),  et  une 
partie  de  ceux  de  Châlons  (1637),  Montargis  (1638). 

Sens  avait  la  môme  importance  au  point  de  vue  religieux.  L'ar- 
chevôque  de  Sens  avait,  comme  suffragant,  l'évoque  de  Paris,  qui 
ne  prit  le  titre  d'archevôque  qu'à  la  suite  d'une  bulle  de  Grégoire 
XV,  en  1624.  L'archevôque  de  Sens  était  alors  Primat  des  Gaules. 


—  281  — 

Chazeuil  et  que  le  père  de  Jean  de  Reaiijeu  avait 
intenté  aux  autres  seigneurs  devait  prendre  un 
nouvel  essor.  En  vertu  de  lettres  do  relief,  du 
23  juillet,  Jean  avait  été  assigné,  le  12  août, 
devant  le  Parlement  de  Paris,  de  la  part  de 
Lazare  Baudot,  fils  de  Claudine  de  Mailly,  appe- 
lant du  jugement  du  30  janvier  1522,  qui  avait 
donné  tort  à  sa  mère.  Jean  y  répondît  par  une 
assignation  à  comjt?arot>  devant  le  bailli  de  Sens, 
pour  violation  de  la  sentence  de  ce  magistrat  qui 
avait  défendu  au  sieur  Baudot  de  tenir  jour  de 
justice  à  Chazeuil.  Pendant  que  la  procédure 
suivait  son  cours,  Jean  de  Beaujeu  déjà  seigneur, 
par  sa  femme,  du  tiers  de  la  seigneurie  de  Jauge, 
achetait,  en  1324,  les  deux  autres  tiers,  dépendant 
de  la  succession  de  François  du  Brouillard  (ou 
Brouillard).  Une  rente  de  100  sols,  établie  sur 
cette  terre,  avait  été  donnée  à  l'abbaye  de  Ponli- 
gny  (1),  en  1235  et  août  1240,  par  Gauthier  de 
Pacy,  seigneur  du  lieu  et  de  Saint-Florentin.  Ce 
détail  n'avait  sans  doute  pas  été  mentionné  dans 
la  vente,  car  il  fallut  aller  devant  le  juge  de 
Saint-Florentin  qui,  par  sentence  du  lundi  19  dé- 
cembre 1524,  obligeale  nouvel  acquéreurà  verser 
la  redevance  aux  religieux. 
Le  9  juillet  1525,  Jeanne  le  Rotier  était  morte. 

[\)  Pontigny,  canton  de  Ligny-Ie-Châtel,  arr.  d'Âuxerre,  dans 
une  tie  du  Serein.  L*abbaye,  fondée  en  1  M4,  était  la  2<^des  quatre 
iillesdeCiteaux. 


—  282  — 

Elle  laissait,  de  son  premier  mariage,  une  fille, 
Marie  Lenormand,  qui  entra  au  couvent  deSaint- 
Julien  y  diaprés  les  conseils  de  ses  parents  et  amis. 
Jean  de  Beaujeu,  son  beau-père,  sous  la  caution 
de  François  de  Beaujeu,  abbé  de  Saint-Germain, 
son  oncle,  et  de  Philibert  de  Beaujeu,  évoque  de 
Bethléem,  son  frère,  s'engageait  vis-à-vis  du 
monastère  à  payer  chaque  année  la  somme  de 
seize  livres  tournois,  qu'il  promettait  d'assigner 
sur  la  justice  de  Chevroche  (1).  Il  signait  en  môme 
temps  Tobligation  de  donner  deux  robes,  deux 
cottes  et  un  manteau  fourré  de  'panne  noire, 
douze  aunes  de  toile  de  lin  pour  l'accoutrement 
de  tête,  une  lasse,  une  cuiller  (2),  un  lit  garni 
de  co^fe  (matelas),  coussin,  couverture  et  une 
douzaine  de  linceuls  (draps),  deux  douzaines  de 
nappes,  une  douzaine  de  serviettes,  une  douzaine 
de  feuilles  d^ètain  (assiettes),  six  plais,  une  pinle, 
une  chopine  et  une  aiguière  (pot  à  eau),  plus, 
douze  livres  de  cire  ou  deux  torches  de  six  livres 
chacune  (3). 

Pendant  ce  temps  le  Parlement  de  Paris  qui 
avait,  le  23  janvier  1523,  annulé  la  procédure  et 
les  actes  des  officiers  de  justice  de  Claudine  de 
Mailly  à  Chazeuil,  rendait  un  nouvel  arrêt,  le 

(1)  Chevroche,  canton  de  Clamecy,  Nièvre. 

(2)  Iin*y  avait  pas  de  fourchettes,car  on  ne  connaissait  pas  cet  ins- 
trument à  cette  époque.  Il  n'entra  dans  les  usages  qu'au  x  vu*  siècle. 

(3)  Arch.  de  l'Yonne,  E.  488. 


—  283  - 

20  mars  1327,  pour  confirmer  le  premier  et  fixer 
les  dépens  à  la  somme  de  244  francs. 

Jean  de  Beaujeu  était  alors  lieutenant  du  gou- 
verneur et  bailli  d'Auxerre,  nommé  de  Boîssy  et 
il  venait  d'épouser,  le  19  décembre  1526,Gîlberle 
de  Beaurepaire  (1),  fille  de  Jean,  seigneur  du 
Chesne,  avec  laquelle  il  fut  parrain,  en  1329, 
d'une  cloche  qui  existe  encore  aujourd'hui  dans 
le  clocher  de  Téglise  de  Ghazeuil  (2).  Quelques 
années  après,  le  13  août  1536,  dans  un  acte  signé 
de  son  seing  manuel  et  portant  son  scel  et  contre 
scel  armorié  de  ses  armes,  il  donnait  à  la  cha- 
pelle de  la  Conception,  fondée  dans  l'église, 
7b  sols  de  rente  et  environ  40  journaux  de  terre, 


(1)  llexistait  plusieurs  familles  du  nom  de  Beaurepaire,  maisles 
Beaurepaire,  seigneurs  du  Chesne,  étaient  de  la  Champagne.  H  y 
avait  alors  une  localité  du  nom  de  Beaurepaire  avec  château, 
dépendant  aujourd'hui  de  la  commune  de  Charbuy, canton  d'Aillant, 
arr.  de  Joigny,  Yonne.  Non  loin,  dans  le  môme  canton,  est  le  village 
du  Cbône.  Diaprés  Rietstap,  les  Beaurepaire  de  Champagne  por- 
taient :  d'azur  à  une  bague  chatonnée  d'or,  à  la  bordure  denchée 
de  môme. 

(2)  Cette  cloche  porte   l'inscription  suivante  :  «  f  IHS  :  MA  : 

MKNTBII»  SANCTAM,  SPONTANBAM  HONORKM  DEO  ET  PATRIJi  LIBERATIONBM 
HV«IX1X.  1.  DB  BBADJBO,  Q.  DB  BBADRRPAIRB.  JE  SUIS  FAITE  PAR  LES    HAB1« 

TANTS  DE  GHAZEUIL.  •  Aprèsle  nomdeOilbertede  Beaurepaire  se  trouve 
un  écusson  aux  armes  de  Beaujeu,  supporté  par  deux  sauvages. 
La  môme  inscription  existe  sur  la  cloche  du  beffroi  de  Talmay  qui 
est  beaucoup  plus  ancienne,  car  elle  porte  la  date  MCCCLXXXV. 
On  la  retrouve  à  Ruffey-les^Schirey.  Cela  indique  que  c'était  une 
formule  consacrée;  mais  on  n'en  a  pas  trouvé  la  véritable  signifi- 
cation. 


—  284  — 

sur  lesquels  il  se  réservait  la  justice  et  le  chapon 
avec  un  cens  de  six  deniers,  destiné  à  maintenir 
ses  droits,  dans  le  cas  d'abandon  de  ces  terres. 

La  donation  était  faite  moyennant  l'obligation, 
par  le  chapelain,  dédire  trois  messes  par  semaine, 
les  mercredi,  vendredi  et  samedi  (1). 

Malgré  les  sentences  du  bailli  de  Sens  et  les 
arrêts  du  Parlement  de  Paris,  le  procès  relatif  à 
la  justice  de  Chazeuil  n'était  pas  terminé.  En 
vertu  des  lettres  exécutoires  du  6  juillet  1S27, 
pourrarrètdu20  mars  précédent,  les  héritiers  de 
Philippe  Baudotetde  Claudine  de  Mailly  devaient 
payer,  pour  leur  part  et  portion  des  frais  et  des- 
pens,  la  somme  de  244  francs.  Après  avoir  épuisé 
tous  les  moyens  de  procédure  pour  ne  pas  s'exé- 
cuter, ils  avaient  fini  par  verser  un  acompte 
réduisant  la  dette  à  1 15  fr.  12  sols  6  deniers.  Le 
3  juin  1542,  Jean  de  Beaujeu  obtenait  des  lettres 
depareatis  (2),  pour  pratiquer  la  saisie  des  biens 
de  ses  débiteurs;  et,  le  17  juin  Ligier  Lore,  ser- 
gent royal,  se  transportait  au  château  de  Van- 
toux  (3)  et  déposait  un  brandon  contre  la  porte, 

(<)  Arch.  de  la  Côto-dOr,  E.  59i.  Ces  biens  furent  vendus,  le 
3  août  4793,  pour  la  somme  de  3006  livres  13  sous  4  deniers. 

{'i)  PareatiSt  c'est-à-dire  :  obéissez,  sont  lettres  du  grand  sceau 
par  lesquelles  le  roi  mande  au  pré?m(cr sergent  ou  huissier  d'exécu- 
ter la  sentence  des  juges  dans  une  province  où  le  sceau  de  leur 
chancellerie  n*a  pas  autorité  (C.-J.  de  FeRniÈREs^  doyen  de  la  faculté 
de  droit  de  Paris,  MDCCLVIII.) 

(3)  Vantoux,  canton  et  arr.  de  Dijon. 


—  285  — 

en  assignant  à  Fontaine  (l),  au  prochain  mar- 
ché,  et  de  quinzaine  en  quinzaine  jusqu'aux 
criées,  pour  la  vente,  à  défaut  de  paiement  de  la 
somme  de  ^7  fr.  16  sols  3  deniers. 

Le  surlendemain,  19,  il  se  présentait  au  château 
de  Blaisy  (2),  domicile  de  Jacqueline  Baudot, 
mariée  à  Claude  de  Rochecbouart  et  procédait  aux 
mêmes  formalités. 

La  veille,  Alexandre  de  Saiilx,  seigneur  de 
Vantoux,  mari  de  Philiberle  Baudot,  était  à 
Dijon,  arguant  de  l'ignorance  de  sa  femme  et  de 
la  sienne  propre  et  offrant  caution.  Mais  il  re- 
commençait la  procédure,  en  formant  opposition 
à  l'exécution  de  l'arrêt,  car  le  19  février  1543, 
t'  Jean  de  Beaujeu  recevait  signification  de  Tappel 

et  communiquait  son  dossier  aux  gens  du  roi. 
C'était  le  temps  où  les  discussions  ne  cessaient 
-'  que  pour  renaître  au  moindre  prétexte.  Le  père 

\r  de  Jean  de  Beaujeu  avait  obtenu,  en  1512,  l'usage 

r-  dans  la  forêt  de  Velours  pour  les  habitants  de 

a-  Chazeuil.  En  1520,  il  avait  de  nouveau  fait  dé- 

\t  terminer  ce  droil,  qui  avait  été  reconnu  sous 

certaines  réserves  (3).  Mais  des  difficultés  étaient 
survenues  et  il  fallait  avoir  recours  aux  lumières 
des  gens  de  loi.  Le  l*"""  septembre  1544,  Jean  de 

(I)  Konlaine-ies-Dijon^  iJ.,  sur  une  colline.  Patrie  de  saint  Bcr- 
j  nard  qui  était  de  la  famille  noble  portant  le  nom  de  cette  localité, 

(i)  Blaisy,  canton  do  Sombernon,  arr.  de  Dijon. 
(3)  Voir  paijc  273. 


—  286  — 

Beaujeu  adressait  à  Odot  Gachot,  notaire  à  Cha- 
zeuil,  une  procuration  pour  suivre  en  son  nom 
le  procès  commencé.  En  vertu  d'une  commission 
du  bailli  de  Sens,  en  date  du  25  novembre  1545, 
une  visite  de  la  forêt  était  faite,  le  17  janvier 
1546,  par  un  huissier  du  bailliage  de  Sens,  com- 
mis à  cet  effet,  sur  requête  de  Jean  de  Beaujeu 
el  de  ses  sujets,  auxquels  on  prétendait  enlever 
le  droit  de  pâture. 

Mais  Jean  ne  devait  pas  voir  la  solution  de 
cette  nouvelle  affaire  :  il  mourut  la  même  année, 
laissant  la  tutelle  de  ses  enfants  à  son  frère  Phi- 
libert, évèque  de  Bethléem.  Sa  femme,  Gilberte 
de  Beaurepaire,  lui  survécut  jusqu'en  1585.  Le 
27  juillet  1558,  elle  cédait  au  sieur  Tabouret  de 
Véronnes  quelques  terres  dans  ce  village.  Le 
9  octobre  1560,  elle  lui  cédait  encore  quelques 
héritages.  En  1564,  elle  abandonnait  àe  nouveau 
six  soitures  et  demie  de  pré,  pour  lesquelles  Guy 
Tabouret,  qualifié  de  conseiller  secrétaire  du  roi, 
contrôleur  au  Grand  Conseil,  rendait  son  hom- 
mage h  Anne  de  Marmîer,  veuve  de  Jean  de 
Baissey. 

Par  son  contrat  de  mariage  son  douaire  avait 
été  fixé  à  66  écus,  rachetable  par  833  écus  2/3, 
et  elle  fut  colloquée  pour  cette  somme,  lors  de  la 
vente  de  Chazeuil,  en  1584. 

Elle  avait  donné  à  son  mari  les  enfants  sui- 
vants, tous  nommés  dans  les  pièces  du  procès 


—  287  — 

relatif  à  la  justice  de  Chazeuil,  comme  étant  sous 
la  tutelle  de  leur  oncle  Philibert  : 

1**  François,  Taîné,  seigneur  de  Jauge,  dont  les 
descendants  constituèrent  le  rameau  de  ce  nom  ; 

2°  Jean  IV,  lepuiné,  qui  continua  les  seigneurs 
de  Ghazeuil  ; 

3°  Philibert,  novice  à  Tabbaye  de  Bèze,  en 
1336(1); 

4°  Paul,  seigneur  de  Villiers- Vineux  et  qui 
donna  la  branche  de  Villiers  ; 

5°  Jeanne,  morte  jeune  ; 

6'  Elyon,  mort  sans  postérité  ; 

7^  Claude,  au  leur  de  la  branche  des  seigneurs 
d'Ange  ville,  de  Montréal  et  de  Mézilles  en  Pui* 
saye,  qui  fournira  les  derniers  représentants  de 
la  famille  ; 

8*"  Hardy,  décédé  en  bas  âge  ; 

O*' François,  chevalier  de  Malte,  reçu  en 
1566  (2). 


(I)  Ses  parents  étant  mariés  en  4526.  il  ne  poavait  guère  avoir 
alors  que  6  à  7  ans  au  plus. 

(3)  ViRTOT,  Histoire  de  Vordre  de  Malte,  t.  III.  L'année  précé« 
dente,  avaient  été  reçus  :  Adrien  de  Pontailler  et  Aimé  de  Malain. 
La  môme  année  Alexandre  de  Mailly,  d'Arc- sur-Tille,  et  François 
de  Vienne  avaient  pris  Thabit.En  4569  on  voit  Georges  de  Mandres 
de  Hontureuxef,  en  4570,  Africain  de  Mandres.  Pierre  de  Beaujeu- 
Montot  fit  profession  en  4576. 


—  288  — 


JEAN   IV 


Jean  de  Beaujeu  IV,  chevalier,  seigneur  de 
Chazeuil,  mestre  de  camp  d'infanterie,  maréchal 
des  camps  et  armées  du  roi  Charles  IX,  lieutenant 
au  gouvernement  de  Marseille,  chevalier  de  Tor- 
dre du  roi,  était  le  fils  puiné  de  Jean  III  et  de 
Gilberte  de  Beaurepaire. 

A  la  mort  de  son  père,  en  1547,  il  resta  sous 
la  tutelle  de  sa  mère  et  de  son  oncle  Philibert  de 
Beaujeu,  évoque  de  Bethléem,  mais  il  était  ma- 
jeur le  31  mai  1549,  car  Jean  de  Dinteville,  dans 
le  dénombrement  de  Saint-Bris,  déclare  le  fief  de 
ChouUy-les-Auxerre  tenu  par  Pierre  de  la  Porte, 
conseiller  du  roi  au  Parlement  de  Paris  et  Jean 
de  Beaujeu,  seigneur  de  Chazeuil. 

Il  avait  eu,  comme  puiné,  le  fief  de  Chazeuil 
et,  le  12avriH561,il  faisait  cause  commune  avec 
les  habitants  du  lieu  qui  s'assemblaient  en  sa 
présence  et  avec  sa  permission,  au  son  de  la 
cloche,  pour  passer  un  traité  relatif  à  la  posses- 
sion de  dix-huit  cents  journaux  de  terres  labou- 
rables ayant  fait  partie  de  la  forêt  de  Velours  et 
enclavés  dans  la  pariie  de  la  forêt  située  sur  les 
territoires  de  Fontaine-Française,  Bourberain, 
Sacquenay  et  Chazeuil.  Jean  de  Baissey,  cheva- 
lier, baron  deTilchâtel  et  seigneur  de  Bourberain, 
propriétaire  de  la  forêt,  abandonnait  la  jouissance 


—  289  — 

de  ces  terres  moyennant  la  douzième  des  gerbes 
récoltées  et  un  sol  de  cens  par  arpent,  avec  fa- 
culté, dans  le  délai  de  trois  ans,  de  racheter  cette 
redevance  à  raison  de  25  sols  par  journal. 

L'année  suivante,  Jean  de  Beaujeu,  qui  avait 
embrassé  la  réforme,  était  gouverneur  de  Sisteron 
et  lieutenant  au  gouvernement  de  Marseille.  Le 
gouverneur  était  Claude  deSavoie, comte  deTende, 
fils  d'Anne  de  Lascaris,  dame  de  Tende,  et  de 
René,  grand  bâtard  de  Savoie,  enfant  légitimé 
de  Philibert  de  Savoie,  grand  père  du  roi  Fran- 
çois I".  Claude  de  Tende  avait  été  marié  en  pre- 
mières noces  avec  Marie  de  Chabannes  et  en  avait 
eu  Honorât,  comte  de  Sommerive,  devenu  son 
ennemi  le  plus  acharné. 

Il  avait  contracté  un  second  mariage  avec 
Françoise  de  Foix  de  Ourson,  qui  lui  avait  donné 
un  fils,  Sorrèze,  plus  connu  sous  le  nom  de  baron 
de  Cypières,  et  une  fille,  Anne,  mariée  dans  la 
maison  de  Saluées  (1). 

Cette  Françoise  de  Foix  était  la  fille  de  Jean  de 
Foix,  comte  de  Ourson,  vicomte  de  Meille  et 
d'Anne  de  Villeneuve,  el  sa  sœur,  Marguerite, 
était  mariée  à  Jean  de  Villeneuve,  seigneur  de 
Tourelle,  dont  la  fille  Marthe  épousa  Jean  de 


(I)  Elle  épousa  ensuite  Antoine  de  Clermont  d'Âmboise  dont  la 
nièce,  Françoise  de  CUrtnont,  devint  la  femme  d* Alexandre  de  Beau- 
jeu,  fils  de  Jean. 

22 


—  290  — 

Beau  jeu  (l).  Cette  alliance  jetait  sur  le  nom  de 
Beaujeu  une  illustration  extraordinaire,  puisque 
par  elle  Jean  se  trouvait  apparenté  aux  maisons 
de  France  et  de  Savoie  (2). 
Le  comte  de  Tende  était  devenu  suspect  à  la 

(1)  Les  frères  Haag^  «  la  France  protestante^  •  ont  dit  avec  Bèzb 
et  de  Tbod,  >  Hisl.  universelle,  t.  IV^Iiv.  XXXI,  p.  310  s  que  Jean  de 
Beaujeu  était  le  neveu  de  Claude  de  Savoie,  étant  fils  de  sa  sceur. 
Jean  de  Beaujeu  était  bien  le  neveu  du  comte  de  Tende,  mais  par 
sa  femme,  Marthe  de  Villeneuve^  fille  d'une  sœur  de  la  dernière 
comtesse  de  Tende.  Voici  le  texte  de  de  Thou  :  «  le  comte  de 
Tende  avait  envoyé  onze  enseignes  dont  il  avait  donné  le  cômmao- 
dément  à  Beaujeu,  fils  de  sa  sœui\  d'une  illustre  maison  de  Bour- 
«  gogne,  et  très  brave  capitaine.  * 

(2)  Marthe  de  Villeneuve,  femme  de  Jean  de  Beaujeu,  avait  pour 
mère  Marguerite  de  Foix,  alliée  aux  maisons  de  France  et  de 
Navarre.  Gaston  IV  de  Foix  avait  épousé,  en  1434,  Elépnore,  reine 
de  Navarre,  dont  Gaston  V  marié,  le  14  février  4461,  à  Madeleine 
de  France,  fille  du  roi  Charles  Vil  et  de  Marie  d'Anjou.  Leur  fils, 
François-Phtebus,  roi  de  Navarre,  étant  mort  sans  enfants,  sa  sœur 
Catherine  épousa  Jean  d'Albret,  en  1484.  Jean  d*Albret  et  Cathe- 
rine de  Navarre  eurent,  entre  autres  enfants,  Henri  U  d'Albret,  roi 
de  Navarre,  marié  en  4  527  à  Marguerite  d'Orléans-Angoulôme,sœur 
du  roi  François  I,  etquifutle  père  de  Jeanne  d'Albret,  mère  d'Henri 
IV.  Jean  de  Foix,  fils  de  Gaston IV  et  d'Eléonore,  reine  de  Navarre, 
épousa  Marie  d'Orléans^sœur  do  Louis  Xn,  et  en  eut  Gaston  de  Foix, 
duc  de  Nemours,  tué  à  la  bataille  de  Ravenne,  à  24  ans,  en  4512. 

Le  5»  enfant  de  Gastdn  IV  fut  Marie,  première  femme  du  marquis 
de  Montferrat.  Le  6°,  Jeanne,  devint  la  femme  de  Jean  V,  comte 
d*Armagnac.  Le  7e,  Marguerite,  deuxième  femme  de  François  II, 
duc  de  Bretagne,  mort  en  4  487,  était  la  mère  d'Anne  de  Bretagne, 
reine  de  France,  épouse  de  Charles  VIII  et  ensuite  de  Louis  XII. 
Aussi  Jean  de  Foix,  comte  de  Meille,  comte  de  Gurson,  le  grand- 
père  de  Marthe  de  Villeneuve,  portait,  comme  parent^  un  des 
coins  du  poêle  aux  funérailles  d'Anne  de  Bretagne,  en  1513. 

L'arrière- petit-fils  du  frère  de    Marguerite  de  Foix,  mère   de 


—  291  — 

cour,  sans  qu'on  osdt  toutefois  lui  enlever  son 
gouvernement  de  Provence.  On  craignait  de 
mortifier  un  homme  que  la  maison  royale  recon- 
naissait pour  son  allié.  On  crut  qu'il  suffirait  de 
lui  associer  quelqu'un  dont  le  zèle  pour  la  vraie 
religion  balancerait  se?  sentiments  trop  prononcés 
pour  la  réforme,  et  on  lui  envoya  son  fils  Honorai , 
comte  de  Sommerive.  Mais,  outre  la  différence 
d'opinion  religieuse,  une  inimitié  personnelle 
divisait  le  père  et  le  fils,  et  une  rupture  devait 
fatalement  éclaler.  Sommerive  leva  alors  des 
troupes  et  marcha  contre  son  père  ;  il  le  pour- 
suivit avec  Tacharnement  d'un  ennemi  inconci- 
liable.  Il  le  chassa  de  poste  en  poste  jusqu'à 
Sisteron  (1),  et  le  malheureux  vieillard  se  réfugia 
avec  le  reste  de  sa  famille  dans  ce  dernier  asile 
du  protestantisme  du  côté  des  Alpes.  Il  avait  avec 
lui  4000  hommes  d'infanterie  et  500  cavaliers  et 
des  lieutenants  aguerris  parmi  lesquels  un  Ville- 
neuve (d'Espinouse),  Claude  et  Henri  de  Grasse, 
dont  la  mère  était  de  la  maison  de  Foix  :  alliance 

Marthe  de  Villeneuve,  J.-B.  Gaston  de  Foix^  comte  de  Fleix,  géné- 
ral pour  le  roi  en  Bourgogne  et  gouverneur  de  Mftcon,  avait  épousé 
Marie-ClairedenaufTremont.marquisedeSennecey,  4''^  dame  d'hon- 
neur de  la  reine  Anne  d'Autriche,  mère  de  Louis  XIV.  Elle  élait 
fille  d'Henri  de  BaufTremont  et  de  Marie  de  la  Rochefoucaud,  com- 
tesse de  Randao,  gouvernante  de  Louis  XIV. 

(4)  Sisteron,  chef-lieu  d'arrondissement,  Basses-Alpes.  J'ai  con- 
sulté avec  fruit  VHistoire  de  Sisteron,  par  E.  de  Laplanb,  Digne, 
4843^  que  M.  le  maire  de  la  ville  a  bien  voulu  mettre  À  ma  dispo<- 
itition. 


—  292   - 

qui  peut  servir  à  expliquer  leur  présence  dans 
les  rangs  de  la  réforme. 

Le  comte  de  Tende  ne  jugeant  pas  à  propos  de 
s'enfermer  dans  Sisteron,  sortit  avec  quelques 
troupes  et  laissa  le  dommandement  de  la  ville  à 
Jean  de  Beaujeu.  Le  poste  était  périlleux  car  la 
ville  n'avait  que  de  vieilles  murailles  en  ruines 
et  d'anciennes  tours  sans  bastions,  et  pour  toute 
artillerie  Beaujeu  ne  trouva  qu'une  dizaine  de 
fauconneaux.  Quant  aux  vivres,  ils  étaient  en 
petite  quantité,  car  le  siège  n'avait  pas  été  prévu. 

Sommerive,  arrivé  devant  la  ville,  fit  immé- 
diatement usage  de  son  artilllerie,  et  sur  le  soir 
du  11  juillet,  une  partie  des  remparts  s'étant 
écroulée,  on  résolut  de  tenter  l'assaut.  Mais  aupa- 
ravant, sommation  fut  faite  à  la  garnison  d'avoir 
à  se  rendre  à  composition.  Bravant  la  menace, 
Jean  de  Beaujeu  répondit  que  «  jusqu'à  son  der- 
nier soupir,  il  défendrait  une  ville  confiée  à  son 
honneur.  »  L'assaut  futalors  ordonné,  mais  après 
trois  attaques  infructueuses,  la  nuit  sépara  les 
combattants.  Beaujeu  avait  fait  merveille  (1). 
Electrisés  par  son  exemple,  les  assiégés  se  mirent 
à  l'œuvre,  et  le  lendemain,  les  murs  n'offraient 
plus  trace  des  ravages  de  la  veille  (2). 

(1)  De  Thou,  loc.  cit.,  p.  313. 

(2)  C'est  à  ce  siège  que  Lesdiguières  fil  ses  premières  armes,  à 
19  ans.  ((  Voilà. 'dit  Beaujeu,  un  jeune  gentilhomme  qui  fera  des 
«  merveilles;  s'il  vit,  il  fera  parler  do  lui  •.  — Lesdiguières  devint 
en  effet  maréchal  de  France. 


—  293  — 

Sommerîve,  au  comble  de  la  surprise,  renonça 
alors  à  continuer  les  opéï'alions  et  se  retira  :  ce 
qui  permit  au  comte  de  Tende  de  rentrer  dans  la 
ville.  C'est  alors  qu'on  amena  à  Jean  de  Beaujeu 
un  soldat  catholique  nommé  Bourquenègre,  brave 
mais  perdu  de  réputation  pour  ses  crimes  et  ses 
vices.  Sur  la  plainte  de  plusieurs  femmes  qull 
avait  outragées,  Beaujeu,  qui  ne  tolérait  pas  Tin- 
conduite  et  la  violence  dans  ses  propres  troupes, 
le  fit  étrangler  par  le  valet  qu'on  avait  pris  avec 
lui  (1). 

Sommerive,  ayant  reçu  des  renforts,  revint 
vers  Sisteron  regardé  comme  le  rempart  des  pro- 
testants de  ce  côté.  Mais,  le  19  mars  1563,  parut 
un  édit  de  pacification,  et  Biron  fut  envoyé  en 
Provence.  Jean  de  Beaujeu  fut  désigné  comme 
gouverneur,  mais  il  dut  bientôt  abandonner  son 
poste.  Il  y  revint  en  1567  avec  Cypières,  Vala- 
voire,  René  de  Savoie,  frère  du  comte  de  Somme- 
rive,  devenu  gouverneur  de  Provence  à  la  mort 
de  son  père,  arrivée  le  23  avril  1566,  Cypières 
l'installa  même  comme  gouverneur  de  la  ville, 
mais  appelé  ailleurs  au  bout  de  quelques  jours, 
il  laissa  le  commandement  à  Vala voire. 

L'année  suivante  il  était  revenu  dans  TAuxer- 
rois,  et,  le  24  novembre  1568,  par  devant 
M®  Léonard,  notaire  à  Clamecy,  il  passait  le  bail 

(I)  De  Thou,  t.  III,  p.  239. 


-  294  — 

d'une  maison  au  faubourg  de  Belhléem,  et  pro- 
venant sans  doule  de  son  oncle  Philibert. 

D'après  la  généalogie  dressée  par  dHozier, 
Jean  de  Beaujeu  fut^w^'  en  1572.  Fut-il  une  des 
viclitnes  de  la  Saint- Barthélémy  (1)  ?  Cela  est 
fort  possible  et  môme  probable.  Sa  brillante  con- 
duite dans  la  défense  de  Sisteron,  l'autorité  qu'il 
avait  su  acquérir  dans  le  parti  de  la  réforme  le  dé- 
signaient aux  coups  des  fanatiques,  et  il  avait  dû 
accourir  auprès  de  TamiralGoligny  (2),  lorsqu'il 
fut  blessé,  le  22  août,  d'un  coup  d'arquebuse. 

Jean  de  Beaujeu  avait  épousé  Marthe  de  Ville- 
neuve, fille  de  Jean,  seigneur  do  Tourette  en 
Provence,  et  de  Marguerite  de  Foix  de  Gurson  (3)'. 
Elle  survécut  à  son  mari  jusqu'en  1604. 

Elle  avait  son  douaire  établi  çur  la  seigneurie 

{\)  S'il  avait  été  tué  sur  un  champ  de  bataille,  d'Hozier  n'eût  pas 
manqué  de  citer  le  siège  ou  le  combat  où  il  avait  trouvé  la  mort. 
Faisant  son  travail  en  <670,  sous  Louis  XIV,  il  n'a  pas  voulu  rap- 
peler les  massacres  de  la  Saint-Barthélémy,  alors  que  les  Beaujeu 
étaient  rentrés  dans  ta  religion  catholique,  comme  la  plupart  des 
gentilshommes. 

(2)  On  avait  invité,  de  par  le  roi,  les  seigneurs  protestants  à  se. 
réunir  autour  de  l'amiral,  sous  prétexte  de  le  garder,  mais  en 
réalité  afîn  de  les  avoir  sous  la  main,  pour  le  massacre  projeté, 
qui  eut  lieu  deux  jours  après,  le  dimanche  24. 

(3)  Marguerite  était  le  quatrième  enfantde  Jeande  Foix  et  d'Anne 
de  Villeneuve,  fille  de  Louis  !«',  marquis  de  Trans  et  enterré  à 
Draguignan.  Sa  sœur  Marthe  était  mariée,  par  contrat  du  9  mars 
1535,  à  Claude  de  Grasse,  fille  de  Jacques  et  dcSibille  de  Quique- 
ran-Beaujeu  (ÂNSELMB,  t.  III,  p.  387,  Histoire  généalogique  de  la 
maison  de  France  et  .ks  grands  officiers  de  la  couronne)» 


-  295  — 

de  Qhazeuil,  et  une  sentence  du  bailliage  de 
Langres,  du  15  mai  1584,  avait  fixé  à  un  septième 
et  demi  la  part  réservée  dans  ce  but  et  qui  fut 
distraite  lors  de  Tadjudicaliori  tranchée,  au  mois 
de  décembre  de  cette  année,  au  profit  de  Charles 
d'Escars,  évoque  de  Langres.  Mais  des  difficultés 
étaient  survenues,  et,  le  20  mai  1387,  Marthe  se 
présentait  à  la  maison  épiscopale  à  Langres,  à 
9  heures  du  matin,  pour  transiger  et  arriver  à 
un  accord  avec  Tévêque,  au  sujet  de  leurs  droits 
respectifs  et  notamment  de  l'exercice  commun 
de  la  justice.  Il  fut  alors  convenu  que  les  procu- 
reurs des  deux  parties  opéreraient  simultanément 
«  sans  rien  pouvoir  faire  Tun  sans  Taulre.  Le 
greffe  serait  mis  en  adjudication  et  Marthe  de 
Villeneuve  aurait  la  jouissance  du  septième  et 
demi  du  produit,  comme  de  la  mairie  et  de  toutes 
autres  choses  indivises,  non  comprise  la  maison 
de  Christophe  de  Beaujeu,  fils  de  François  (1)  ». 

Elle  ;ivaitdonné  à  son  mari  les  enfants  suivants  : 

V  Alexandre  ; 

2'  Françoise  de  Beaujeu,  veuve  en  1898  de 
Pons  Nicolaï  de  Soisson  (2),  eldont  la  fille  unique, 
Madeleine  Nicolaï  de  Soisson,  fut  mariée  à  Jean 

(1)  Arch.de  la Côle-d'Or,  E.  4375. 

(2)  Les  Nicolaï  du  Dauphiné  et  de  Provence  portaient  d'azur  à 
la  fasce  d'argent  accompagnée  de  3  étoiles  d*or.  Ils  ne  doivent  pas 
être  confondus  avec  les  Nicola'Uqui  donnèrent  successivement  neuf 
premiers  présidents  à  la  Chambre  des  comptes  do  Paris,  de  150D  à 
4750. 


—  296  — 

de  Brunel  (1),  ?eîgneur  deRhodet,  qui,  le  2  avril 
1629,  vendait  pour  douze  vingt  (240)  livres,  à 
Jean  d'Amanzé,  héritier  de  son  oncle  Charles 
d'Escars,  tous  les  droits  de  sa  femme  dans  la  suc- 
cession de  Marthe  de  Villeneuve,  sa  grand-mère, 
sous  réserve  du  droit  de  retrait  lignager  (2)  en 
faveur  de  Françoise  d'Amboise,  veuve  d'Alexan- 
dre de  Beaujeu  et  des  enfants  nés  de  son  défunt 
fils. 

3**  Anne  de  Beaujeu»  mariée,  par  contrat  du 
25  novembre  1586,  à  Guillaume  de  Vassan  (3), 
seigneur  de  Remimesnil  et  de  Crespy,  homme 
d  armes  de  lacompagnie  du  marquis  de  Pont,  fils 

(4)  Les  Brunel  avaient  des  biens  à  Perrigny-les-Auxerre  (Arch. 
do  TYonne,  H,  H  62);  au  xvu*  siècle,  ils  habitent  Serbonnes^arr.  de 
Sens,  canton  de  Sergine,  et  deviennent  Brunel  de  Serbonnes.  Ils 
étaient  du  Dauphiné  où  ils  possédaient  Saint-Maurice  el  Rhodet 
(La  Cbbsnate-Dbsbois,  t.  UI).  Les  Brunel  portaient  :  d'or  au  lion  de 
sable,  à  la  fasce  de  gueules  chargée  de  cinq  coquilles  d'argent  bro- 
chant sur  le  tout. 

(2)  Le  retrait  lignager  était  le  droit  réservé  aux  membres  de  la 
famille  de  reprendre  les  biens  vendus,  en  remboursant  le  prix  d'a- 
chat :  il  est  bien  dit  dans  le  procès-verbal  de  vente  :  «  et  au  cas 
que  demoiselle  Françoise d'Amboise,  veuve  de  feu  noble  Alexandre 
do  Beaujeu...  voulussent  avoir  le  droit  sus-vendu,  le  dit  sieur  d'Es- 
cars  serait  tenu  de  le  remettre  pour  le  prix  ci-dessus,  sur  la  signi- 
fication à  lui  faite.  »  (Arch.  de  la  Côte-d'Or,  E.  1375.) 

(3).  Vassan,  originaire  du  Soissonnais,  portaient  d'azur  au  che- 
vron d'or,  accompagné  en  chef  de  deux  roses  d'argent  et  en  pointe 
d'une  coquille  de  môme.  (Société À cad.  de  f  Aubây  i,  LWll,  p.  451.) 
Jean  de  Vassan  habitait  Brienne-le-Château  en  1550  :  ses  descen- 
dants devinrent  plus  tard  seigneurs  de  Crespy,  qui  est  dans  Tarr. 
de  Bar-sur-Aube.  (Voir  aussi  d'HoziiB,  t.  Il,  p.  608.) 


—  297  — 

du  duc  de  Lorraine,  en  1563,  puis  gentilhomme 
ordinaire  de  la  chambre  de  M^'  le  duc  d'Or- 
léans, par  lettre  de  retenue  du  27  février  1583. 

4®  Isabelle  deBeaujeu,  morleen  1594,  laissant 
de  N.  de  Larnage  (1)  en  Dauphiné,  son  mari,  une 
fille,  Lucrèce,  épouse  de  Claude  de  Brunel,  frère 
de  Jean,  marié  à  Madeleine  Nicolaï  de  Soisson, 
fille  de  Françoise  de  Beaujeu.  Aussi  vendait-il,  en 
môme  tempsque  Jean  de  Brunel,  à  Jean  d'Amanzé 
d'Escars,  les  droits  de  sa  femme  dans  la  terre  do 
Chazeuil,  du  chef  de  Marthe  de  Villeneuve  (2). 

5**  Scipion  de  Beaujeu,  seigneur  de  la  Tuilerie, 
marié  à  Jeanne  de  Noirefontaine  (3),  fille  de  Jean, 
seigneur  du  Buisson,  et  de  Jeanne  de  Tournebulle, 
et  dont  il  eut  Jean  de  Beaujeu,  chanoine  àToul  et 
Anne  de  Beaujeu  qui  épousait,  le  12  mai  1627, 
Joachim  de  Minelte,  seigneur  de  Bassignan, 
duquel  la  postérité  encore  existante  aujourd'hui 
a  relevé  le  nom  et  les  armes  de  Beaujeu  (4). 


(1)  Larnage,  cant.  de  Tain,  arr.  de  Valence,  Drôme.  La  famille 
est  éteinte  et  n'a  aucun  lien  avec  les  Larnage  d'aujourd'hui  dont  le 
nom  est  Brunier  de  Larnage,  et  qui  habitent  la  Lorraine. 

(2)  Le  douaire  était  la  portion  de  ses  biens  que  le  mari  laissait  à 
sa  femme,  en  cas  de  survivance  de  cette  dernière.  L'article  3  de  la 
coutume  de  Bourgogne  fixe  le  douaire  de  la  femme  à  la  moitié  des 
anciens  héritages  du  mari^  dans  la  noblesse,  et  au  tiers  seulement, 
dans  la  bourgeoisie. 

(3)  La  famille  de  Noirefontaine,  originaire  du  Soissonnais  et 
établie  en  Champagne,  portait  de  gueules  à  3  étriers  d'or. 

(4)  Malgré  plusieurs  tentatives  je  n'ai  pu  savoir  si  cette  famille 
possôdait  doâ  documents  sur  la  maison  de  Beaujeu>sar-Saône. 


—  298  - 

Scipion  était  témoin  avec  son  frère  Alexandre, 
le  12  juin  1606,  à  Villiers- Vineux,  de  la  transac- 
tion survenue  entre  Jean  deBeaujeu,  seigneur  de 
Jauge,  son  cousin,  et  Catherine  de  Saint-Biaise, 
d'une  part,  et  Louis  de  Saïnt-Blaise,  au  sujet  de 
la  dot  de  Catherine. 

Il  était  qualifié  de  seigneur  d'Arentières  dans 
racle  par  lequel,  le  7  avril  1604,  il  cédait  à 
Alexandre  de  Rougemont  la  huitième  partie  du 
septième  et  demi  de  la  seigneurie  de  Chazeuil, 
pour  le  prix  de  600  fr. 

6°  Lucrèce  de  Beaujeu,  mariée  à  Claude  de 
Blosset  (1),  écuyer,  seigneur  de  Rouxy-Fort vieux 
et  demeurant  à  Corvol-rOrgueilleux  en  Niver- 

(1)  Blosset)  famille  du  Nivernais  qui  portait  écartelé  aux  4  et  4  : 
de  gueules  à  3  molettes  d'argent;  aux  2  et  3  :  paie  d'or  et  d'azur  de 
six  pièces,  au  chef  de  gueules  chargé  d'une  fasce  vivrée  d'argent. 
Rogerin  Blosset  était  maître  d'hOtel  de  Louis  XI,  alors  qu'il  n'était 
que  Dauphin  (Tuetbt,/6S  Ecorcheurs  sous  Charles  VII,\\.  158).  Jean 
de  Blosset  était  gouverneur  de  Dijon  en  1477.  Charles  Blosset,  sei- 
gneur de  Saint-Maurice,  était  lieutenant  de  Jean  Rapine,  gouverneur 
d'Auxerre,  en  1477,  pour  le  roi  Louis  XL  Nicolas  Blosset  était,  en 
1507,  seigneur  de  Saint-Maurice  (Lebeijf,  Hist.  d'Auxerre^  t.  111, 
p.  353  et  380).  Louis  Blosset,  dit  le  bègue,  seigneur  de  Fleury 
(Yonne,  cant.  d'Aillant)  avait  embrassé  la  réforme  :  il  défendit  Veze- 
lay  contre  les  catholiques,  en  1572  et  refusa  de  rendre  Clamecy  à 
Mayenne  en  1596  (Challes,  Guerres  de  religion,  t.  I,  p.  329).  En 
1598,  Philippe  de  Blosset,  écuyer,  faisait  hommage  pour  partie  de 
Saint-Verain.  Une  alliance  avait  déjà  eu  lieu  au  commencement  du 
xvie  siècle.  Marie  des  Ulmes,  mariée  à  Claude  de  Beaujeu,  fils  de 
Jean  IL  et  qui  fut  seigneur  de  la  Maisonfort  en  Nivernais,  avait  pour 
mère  Christine  de  Blosset.  Paul  de  Blosset  était  ambassadeur  à  Lon- 
dres en  1744  {Annuairede  l'Yonnej  1852,  page  345). 


-  299  — 

nais,  avec  lequel,  le  10  février  1604,  elle  vendait 
à  Alexandre  de  Rouge  mont,  écuyer,  seigneur  de 
Broindon,  un  septième  {les  huit  faisant  le  toitt) 
d'un  septième  et  demi  de  la  terre  de  Chazeuil, 
et  consistant  en  2S  journaux  de  terre  et  7  ouvrées 
de  vignes,  indépendamment  des  droits  seigneu- 
riaux, pour  le  prix  de  230  fr.  payable  en  ducats, 
testons  et  autres  bonnes  monnaies,  moitié  comp- 
tant, moitié  le  lo  août  suivant.  La  ratification 
par  Lucrèce  eut  lieu  à  Tilchâtel,  le  3  septembre 
1604. 

7°  Marguerite  de  Beau  jeu,  épouse  de  Claude  de 
Dénié,  seigneur  de  Ghanteloup  en  Nivernais,  dont 
elle  était  veuve  en  1604,  car,  le  10  février,  elle 
cédait  aussi  à  A.  de  Rougemont  (i),  avec  l'auto- 
risation de  son  beau -père  Jean  de  Dénié,  sa  part 
de  Chazeuil,  pour  230  francs. 


(1)  Alexandre  de  Rougemont  descendait  d'un  bâtard  des  Rouge- 
mont qui  étaient  arrivés  à  Tilchâtel  au  xiv*  siècle,  par  un  double 
mariage  avec  les  héritières  de  cette  8eigneurie(voir  2*  partie,  p.  25). 
Ses  descendants  possédaient  la  gruerieoM  administration  des  forêts 
de  la  baronnie  de  Tilchâtel.  Alexandre  fit  sa  reprise  de  fief  le  45 
janvier  4605.  Après  avoir  donné  le  détail  de  son  acquisition,  il  se 
déclare  prêt  à  servir  son  seigneur  «  avec  ses  armes  et  ses  chevaux 
toutes  fois  qu'il  aura  besoin  de  lui,  pourvu  que  ce  ne  soit  contre  sa 
majesté  le  Roy...  »  et  ensuite  en  signe  de  grande  reconnaissance, 
i7  baise  la  chaîne  du  pont-levis  du  donjon,  (Arch.  delà  Côte-d'Or, 
K.  1973^  original  sur  parchemin.) 


300  - 


ALEXANDRE 


Alexandre,  comte  de  Beanjeu,  seigneur  de 
Chazeuil  par  son  père,  de  Chambroncourt,  Epizon, 
Grand,  etc.,  par  sa  femme  Françoise  d'Amboise, 
fut  capitaine  d'une  compagnie  de  chevau-légers 
pour  le  service  du  roi  Henri  IV. 

Il  était  fils  aîné  de  Jean  IV  et  de  Marthe  de 
Villeneuve.  Il  paraît,  en  1584,  dans  la  procédure 
relative  à  la  vente  de  Chazeuil,  et  sa  portion, 
comme  celle  de  son  frère  Scipion  et  le  douaire  de 
sa  mère,  est  estimée  à  un  septième  et  demi  de  la 
totalité  de  la  seigneurie  (1),  et  est  réservée  dans 
Tadjudication  prononcée  en  faveur  de  Charles 
d'Escars, évoque  de  Langres,  le  1 2  décembre  1584 . 
On  le  trouve  encore  dans  le  procès  pendant,  au 
sujet  de  la  forêt  de  Velours,  entre  les  seigneurs 
de  Tilchâlel  et  les  habitants  de  Chazeuil  et  des 
villages  voisins,  en  1586. 

Alexandre,  élevé  dans  la  religion  réformée  que 
son  père  et  sa  mère  avaient  embrassée,  était  dans 
les  troupes  protestantes  avec  son  oncle,  Paul  de 
Beaujeu  (2),  seigneur  de  Villiers- Vineux,  qu'il 

(1)  La  portion  dite  do  Beaujeu,  à  Chazeuil,  comprenait  460  ha- 
bitants contre  une  douzaine  pour  les  deux  autres  seigneuries.  Le 
septième  et  demi  représentait  donc  une  valeur  sérieuse,  puisque 
la  part  de  chaque  enfant,  et  ils  étaient  sept,  pouvait  être  vendue 
238  fr.  et  môme  davantage  (voir  p.  298). 

(2)  Dans  les  mémoires  de  la   Huguehib,  t.  UI,  p.  404,  il  est  dit 


—  301  — 

suivait  dans  ses  campagnes.  A  la  lêle  d'une  com- 
pagnie de  chevau-légers,  il  prit  part  à  Texpédilion 
des  réformés  allemands  en  Suisse,  en  Lorraine 
et  dans  TOrléanais,  pendant  Tautomne  de  1587. 
Peu  après,  lors  de  l'invasion  du  comté  de  Mont- 
béliard  par  les  Guises,  en  janvier  1588,  il  com- 
mandait cinquante  lanciers,  sous  les  ordres  de 
son  oncle  qui  Tenvoya  ensuite  en  mission  auprès 
du  duc  Casimir  de  Bavière,  pour  l'engager  à 
reprendre  les  armes  et  à  venir  à  son  aide.  Mais 
il  échoua  dans  son  ambassade. 
-  A  Tavènement  d'Henri IV,  il  fut  naturellement 
en  faveur  et  servit  dans  ses  troupes  comme  capi- 
taine de  chevau-légers. 

Le  5  avril  1598,  par  un  édit  donné  à  Nantes, 
Henri  IV  accordait  aux  prolestants  la  liberté  de 
leur  culte.  Le  12  mai,  la  paix  était  signée  à  Ver- 
vins  entre  la  France  et  l'Espagne.  C'était  la  ces- 
sation des  hostilités  officielles,  mais  cela  n'em- 
pêchait pas  les  aventuriers  des  deux  parlis  de 
courir  sur  le  pays  voisin  et  de  se  livrer  à  des 
pillages,  sous  le  commandement  de  capitaines 
appartenant  le  plus  souvent  à  des  familles  de 
gentilshommes,  mais  cachant  leur  personnalité 
sous  des  noms  de  guerre.  Les  garnisons  françaises 
s'élançaient  de  la  Champagne  et  de  la  Lorraine 

frère  de  Paul,  mais  c'est  une  erreur.  Les  frères  de  Paul  étaient 
morts,  Jean,  père  d'Alexandre,  en  1572  et  François  en  4579.  Du 
reste^  la  Huguerie  l'appollo  :  «  le  jeune  Beaujeu  », 


—  302  — 

sur  le  comté  de  Bourgogne,  comme  celles  de  celle 
province  se  répandaient  dans  leBassigny. 

Le  6  septembre  1590,  le  village  de  Magny- 
d'Anigon  (1)  avait  reçu  la  visite  d'un  parti  de 
catholiques  venu  «  de  Châtillon-sur-Saône  près 
Jouvelle  (2).  Ils  s'étaient  introduits  dans  le  leni- 
ple,  l'épée  à  la  main,  l'arquebuse  au  bras,  en 
criant  :  tue!  tue!...  Après  s'être  saisi  de  Pierre 
Faivre,  le  pasteur  de  Glairegoutte,  et  lui  avoir 
arraché  la  barbe,  ils  lavaient  emmené  prisonnier 
avec  le  maître  d'école  et  treize  autres  habitants, 
qui  ne  furent  élargis  qu'en  payant  une  forte 
rançon  (3).  » 

On  était  alors  en  guerre  :  mais  en  pleine  paix, 
le  23  novembre  160b,  ce  furent  les  calvinistes 
qui  renouvelèrent  celle  scène  de  brigandage,  et 
dans  des  circonslances  plus  extraordinaires  (4). 

(\)  Magny-d*Anigon,  canton  et  arr.  de  Lure.  Frédéric  de  Wur- 
temberg, comte  do  Montbéliard,  en  avait  donné,  en  1588,  la  jouis- 
sance à  Paul  de  Beaujeu,  l'oncle  d'Alexandre,  et  il  y  était  mort  au 
mois  de  mai  précédent. 

(2)  Châtiilon-sur-Saône,  canton  de  Lamarche,  arr.  de  Neufcha- 
teau,  Vosges,  dépendait  alors  de  la  prévôté  de  Jussey. 

(3)  Hist.  du  comté  de  Montbéliard,  par  P.  E.  Tueffert,  Bulletin 
de  la  Société  d'Emulation  de  Montbéliard,  4877,  p.  456. 

(4)  Cette  année-là,  le  désordre  régnait  un  peu  partout.  Sous  l'in- 
fluence du  duc  de  Bouillon,  les  protestants  s^agitaient  au  midi 
comme  au  nord,  car  le  moment  approchait  où  ils  devaient  rendre 
les  places  de  sûreté  qui  leur  avaient  été  données  en  garde.  A  Paris 
môme,  «  il  y  eut  force  meurtres,  assassinats,  excès;  dix-neuf  ont 
n  été  trouvés  avoir  été  tués  dans  le  môme  mois,  don(  on  n*si  pu 
«  découvrir  les  meurtrier?.  »  Journal  de  Pierre  de  TEstoile. 


—  303  — 

Environ  200  cavaliers,  commandés  par  les  comtes 
de  Beaujeu  et  d'Amboise,  vinrent  fondre  du  châ- 
teau de  Rîchecourt  (1)  près  Jussey,  sur  Tabbaye 
de  Luxeuil.  Leur  tentative  contre  la  ville  ayant 
échoué,  car  les  bourgeois  avaient  eu  le  temps  de 
lever  les  ponts-levis  et  de  fermer  les"  portes,  ils 
se  dirigèrent  sur  le  château  de  Baudoncourt  dé- 
pendant du  monastère  et  où  se  trouvait  Tabbé, 
Antoine  de  la  Baume  Saint-Amour,  qui  n'avait 
avec  lui  qu'une  faible  garnison.  Le  prélat  fait 
prisonnier  fut  d'abord  conduit  au  château  de 
Dammartin  (2),  appartenant  à  Marc  de  Coligny, 
fils  de  Gabrielle  de  Dinteviile  et  de  Philibert  de 
Goligny,  cousin  de  Tamiral,  puis  dans  celui 
d'Aigrement  (3).  On  ne  lui  rendit  la  liberté  que 
moyennant  le  versement  de  cinq  mille  écus  d'or 
que  son  intendant,  Claude  Clément,  prêtre  et 
^)rieur  de  Saint-Lothain,  se  procura  en  s'adres- 
sant  aux  villages  dépendant  de  l'abbaye  et  en 
leur  hypothéquant  tous  les  biens  meubles  et  im- 
meubles de  Tabbé  (4). 

Les  archiducs  Albert  et  Isabelle,  souverains  de 
la  Franche-Comté,,  s'étaient  émus  de  cet  attentat, 

(1^  Richecourt,  dépendance  d'Aisey,  canton  de  Jussey,  possédait 
un  château  important  bàli  par  Foulques  de  Rigny  au  xiii®  siècle. 

(2)  Dammartin,  canton  de  Montigny.  arr.  de  Langres,  Haute- 
Marne. 

(3)  Aigremont,  canton  de  Bourmont,  arr.  de  Chaumont. 

(4)  Arch.  de  Luxeuil,  J.  J.  2.  Publié  par  J.  Finot  dans  le  Bulle- 
tin de  la  Société  de  VesuuL  4877,  p.  70. 


—  304  — 

et  le  7  septembre  1606,  «  le  sieur  de  Beaujeu. 
aut7*ement  dit  le  capitaine  Lapierre,  le  sieur  de 
Chazeuil  (1),  son  frère,  le  sieur  d'Amboise,  le 
sieur  de  Lambrey,  le  sieur  de  Salnove  (2),  le 
sieur  de  Lénoncourt,  de  Monlcier  frères  et  le  sieur 
de  Gercey  (3),  défendeurs  contumaces^  étaient 
condamnés  à  quatre  mille,  huit  mille,  seize  mille 
livres,  total  308  mille  livres  d'amende  (4), 

Alexandre,  non  plus  que  ses  complices,  ne 
parut  pas  s'inquiéter  beaucoup  de  cette  condam- 
nation. Le  22  juin  1606,  à  Villiers-Vineux,  il 
assistait  comme  témoin,  avec  son  frère  Scipion, 
à  une  transaction  entre  son  cousin  Jean  de  Beau- 
jeu,  seigneur  de  Jauge  et  Catherine  de  Saint- 
Biaise,  sa  femme,  d'une  part,  et  Louis  de  Saint- 
Biaise,  frère  de  Catherine,  au  sujet  de  la  dot  de 
celle  ci  et  de  l'héritage  dUector  de  Saint-Biaise, 
son  père,  seigneur  de  Pouy. 

Entre  temps,  il  continuait  à  tenir  la  campagne 
sur  la  frontière  de  la  Franche-Comté,  en  faisant 
autant  de  mal  aux  amis  qu'aux  ennemis.  C'est 
ce  qu'il  avouait  lui-môme  dans  une  lettre  écrite 
de  sa  main  et  adressée  en  1615  aux  maire   et 

(1)  Scipion,  qui  avait  encore  sa  part  de  Cbazeuil. 

(2)  Le  comte  de  Salnove  était  issu  de  Simon,  2^  Gis  du  président 
Hugues  Marmier,  et  qui  avait  épousé  N.  de  Montarsier,  en  Savoie. 

(3)  Le  sieur  de  Cercey  était  un  la  Rochette  dont  le  fils  César 
épousa,  en  1617,  Marguerite  de  Beaujeu,  fille  d*Âlexandre  (voir 
p.  309). 

(l)  Arch.  du  DouLs  B.  1301. 


—  305  — 

échevins  de  Langres,  qui  se  plaignaient  du  dom- 
mage causé  par  ses  troupes. 

«  A  messieurs  les  mayres  et  échevins  de  la 
«  ville  de  Langres. 

«  Messieurs,  c  est  à  mon  grand  regret  qu'il 
«  faille  que  je  tienne  la  campaigne  ou  de  vray 
«  nous  ne  faisons  que  du  dommage.  Je  m'en 
«  vas  droit  à  Aygremontou  aulx  envyrons.  De 
«  la  j'allendré  le  commandement  du  roi  par  Mon- 
«  sieur  d'Andelot  (1),  et  pour  les  plaintes  dont 
«  vous  me  parlés  je  seray  fort  ayse  que  vous 
«  soiez  véritablement  informé  quy  les  a  commis 
«  affin  que  vous  en  donniez  le  blâme  à  ceux 
«  qu'il  est  dheu  (dû).  Ce  n'est  pas  que  je  veuille 
«  dire  que  nous  portons  grand  pvoffit  ou  nous 
«  passons,  mais  ce  qui  vient  à  ma  connaissance, 
«  je  puis  dire  y  meltre  assez  bon  ordre.  Je  n'ay 
«  point  approché  voslre  ville  de  trois  lieues 
«  comme  je  l'avais  promis  a  lesné  du  Cerf  qui 
«  m'en  pria  de  vostre  part.  Je  vouldrais,  en 
tf  meilleure  occasion,  vous  donner  des  effects  de 
«  mon  affection  estant 'de  (puis)  longlens  comme 
«  je  suis  encore, 

«  Messieurs,  votre  très  humble  serviteur  (2).  » 

Alexandre  de  Beaujeu  était  en  discussion  avec 

(1)  Charles  de  Coligny,  marquis  d'Andelot,  fils  de  l'amiral  et  de 
Charlotte  de  Laval,  était  lieutenanl-généralen  Champagne.  Il  mou- 
rut en  4636. 

(2)  Arch.  de  Langres, 691.  Scellé  de  deux  petits  sceaux  plaquésde 
Oo>,01â,  en  cire  rouge,  biea  iutocts  et  portant  burellé de  dix  pièces. 

23 


—  306  — 

ses  cohéritiers  pour  la  succession  d'Aaloine  de  Groy, 
oncle  de  sa  femme,  et  un  arrangement  avait  été 
tenté  le  4  novembre  1622,  mais  il  n*eut  pas  de 
suite. 

Alexandre  de  Beaujeu  était  mort  en  1 629,  car,  le 
2  avril,  le  droit  de  retrait  lignager  était  réservé 
pour  sa  veuve  et  ses  enfants,  dans  la  vente  faite 
par  ses  beaux-frères,  à  Charles  d'Amanzé  d'Es- 
cars,  de  leur  part  dans  la  seigneurie  de  Cha- 
zeuii  (1).  Mais  la  veuve  ne  profita  pas  de  ce  droit, 
et  le  25  juin  suivant  elle  abandonnait  elle-même, 
en  son  nom  et  au  nom  de  ses  enfants,  ce  qui 
pouvait  leur  revenir  à  Chazeuil  du  douaire  de 
Marthe  de  Villeneuve,  sa  belle-mère  (2). 

Quoique  élevé  dans  le  calvinisme,  Alexandre 
dut  abjurer  d'assez  bonne  heure,  car  ses  enfants 
furent  de  fervents  catholiques.  Un  de  ses  fils  était 
chevalier  de  Malte  et  cinq  de  ses  filles  devinrent 
religieuses  à  Tabbaye  de  Benoitevaux. 

Il  avait  épousé  Françoise  de  Glermont  d*Am- 
boise,  fille  d'Antoine  le  jeune  ^  baron  de  la  Fauche 
et  de  Charlotte  de  Miremont.  Elle  lui  avait 
apporté  en  dot  les  seigneuries  de  Chambroncourl, 
d'Epizon  et  de  Grand  (3).  Ce  brillant  mariage  fut 

(\)  Voir  page  295. 

(l)  Arch.  de  la  Côte-d'Or,  E.  1973. 

(3)  Chambroncourt,  canton  do  Saint-Belin,  et  Epizon,  canton 
de  Poiâson^arr.  de  Chaumont,  Hauto-Marno,  dcpondaient  du  mar- 
c|uisat  de  Ueynel. 


—  307  — 

sans  doute  facilité  par  la  conformité  cVopinion 
religieuse,  car  Antoine  de  Glermont  était  aussi 
huguenot,  mais  il  dut  être  préparé  par  le  mariage 
d'Anne  de  Savoie,  fille  du  comte  de  Tende  et 
cousin  germain  de  Marthe  de  Villeneuve,  mèro 
d'Alexandre,  avec  Antoine  de  Glermont  lalnê, 
oncle  de  la  future. 

Le  père  de  Françoise  avait  un  frère  consanguin, 
un  frère  germain  et  un  frère  utérin. 

Le  premier,  Thomas  de  Glermont,  né  du  pre- 
mier mariage  de  son  père,  René  de  Glermont, 
avec  Philiberte  de  Goux  (1),  dite  de  RupI,  fille  de 
Jean,  baron  deRupt,  souveymin  de  Delain^ grand 
chambellan  de  l'empereur  Gharles-QuinI,  et  de 
Gatherine  de  Vienne. 

Le  frère  germain.  d'Antoine  de  Glermont, 
Antoine  Vaine,  signala  sa  valeur  dans  le  parti 
prolestant  et  fui  tué,  à  la  Saint-Barlhélemy,  par 
son  cousin  de  Bussy,  son  compétiteur  pour  le 
marquisat  de  Reynel  (2).  Il  était  marié  à  Jeanne 
de  Longuejoue,  dont  Louis  1,  marquis  de  Reynel, 


(1)  La  famille  de  Rupt  était  branche  cadette  de  celle  de  Pesmeft. 
C'est  par  Philiberte  de  Rupt  que  Thomas  de  Glermont  et  après  lui 
Hardouin,  étaient  seigneurs  de  Delain  et  recevaient  Thommage  des 
seigneurs  de  Beaujeu  de  la  branche  de  Montot. 

(2)  Le  marquisat  de  Reynel  avait  été  érigé  pour  Antoine  deCroy, 
et  après  sa  mort  il  arriva  à  Antoine  de  Glermont.  Après  la  Saint- 
Barthélémy  Bussy  se  le  fit  adjuger,  mais  il  retourna  par  la  suite 
aux  héritiers  d'Antoine, 


-  308  — 

bailli  de  Ghaumont,  père  de  Louis  II,  marié  à 
Diane  de  Poulailler  (^1). 

Le  frère  utérin,  Antoine  de  Croy,  élant  mort 
sans  enfants  de  Catherine  de  Clèves(2),sa  succes- 
sion fut  réclamée  en  partie  par  Alexandre  de 
Beaujeu  et  ensuite  par  ses  enfants  et  petits 
enfants. 

Par  son  mariage,  Alexandre  entrait  dans  une 
des  familles  les  plus  illustres  de  France  (3).  Des 
oncles  de  sa  femme,  Georges  d'Amboise  avait 
été    cardinal    archevêque    de    Rouen,      Jean, 

(\)  Diane  do  Pontailler  était  fille  de  Louis  de  Pontailler,  baron 
de  Talmay,  et  d'Anne  de  Vergy,  sœur  deClériadus  de  Vergy,  der- 
nier représentant  de  cette  illustre  famille  et  mort  au  château  de 
Champlitle,  en  novembre  4630.  Le  sixième  enfant  de  Diane  de 
Pontailler  et  de  Louis  11  de  Clermont  d'Amboise,  François,  comte 
de  Reynel  et  de  Champlitte.  fut  marié  à  Anne  de  la  Rochette,  issue 
du  mariage  de  César  de  la  Rochette  et  de  Marguerite  de  Beaujeu, 
fille  d'Alexandre  de  Beaujeu  et  de  Françoise  de  Clermont  d*Am- 
boise.  François  de  Clermont  et  Anne  de  la  Rochette  étaient  par  con- 
séquent cousins  issus  de  germains. 

(2)  Catherine  de  Clèves^  comtesse  d'Eu,  veuve  sans  enfants  d'An- 
toine de  Croy,  épousa  en  secondes  noces  Henri  de  Guise,  le  balafré^ 
de  la  maison  de  Lorraine,  et  lui  donna  quinze  enfants. 

(3)  Les  Clermont  d'Amboise  étaient  alliés  aux  plus  grands  noms 
du  royaume  :  Châlon,  Beaujeu-Forez,  Bourgogne^  Choiseul,  Bauf- 
fremonl,  Pontailler,  Vergy,  Toulonjon,  Harlay,  Chiverny,  Laroche- 
foucaud,  Lévis,  Beauvau,  Albret,  Chevreuse.  Par  Antoine  de  Croy, 
prince  de  Porcien,  des  relations  de  parenté  allaient  s'établir  avec 
les  Clèves,  Lorrainc-Guise,  Chateaubriand,  Ligne,  Aremberg,  etc. 
sans  compter  les  princes  de  Chimay,  les  ducs  d'Aerschot,  et  aussi  les 
maisons  souveraines  de  Brunswick,  Bavière,  Nassau,  Wurtemberg, 
etc.  Les  de  Croy  comptaient  20  chevaliers  de  ia  Toison  d'or.  Char- 
les de  Croy,  créé  prince  do  Chimay  par  l'empereur  Maximilien,  et 


-  309  — 

évêque  de  Langres,  Geoffroy  abbé  de  Cluny. 
Emery  d'Amboise,  40«  grand  maître  de  Rhodes, 
était  mort  le  13  novembre  lbI2. 

Alexandre  de  Beaujeu  avait  eu  de  Françoise  de 
Clermont  d'Amboise  les  enfants  suivants  : 

1«  Antoine  ; 

2°  Scipion,  premier  écuyer  et  maître  d'hôtel 
du  duc  de  Lorraine,  mort  sans  alliance; 

3»  Jean  de  Beaujeu,  reçu  chevalier  de  Malte, 
le  17  mai  1623,  et  tué  capitaine  au  régiment  de 
Gacé,  devant  Sainte-Menehould,  en  1653  ; 

4°  Marguerite  de  Beaujeu,  mariée,  le  8  août 
1617,  à  César  de  la  Rochette   (1),  seigneur  de 

marié  à  Louise  d'Albret,  avait  tenu  Charles-Quint  sur  les  fonts 
baptismaux.  Son  frère  Guilldumo  de  Croy,  duc  de  Soria,  avait  été 
gouverneur  de  ce  prince.  Un  autre  Guillaume  de  Croy  était  cardi- 
nal à  23  an9,  nommé  par  Léon  X  sur  la  prière  de  Charles-Quint  : 
c'était  le  frère  d'Antoine  de  Cro]^.  Adrien  de  Croy,  premier  gen- 
tilhomme et  maître  d'hôtel  de  Charles-Quint,  avait  été  envoyé  par 
ce  prince  auprès  du  connétable  de  Bourbon  pour  le  détacher  de 
Talliance  française  en  1523. 

(I)  La  Rochette  était  une  famille  qui  portait  de  gueules  à  trois 
quinteftuilles  d'argent  (La  Chesnays-Desbois).  Les  Vergy  portaient 
de  gueules  à  trois  quintefeuilles  d'or.  Cela  pourrait  faire  supposer 
une  parenté,  mais  rien  ne  vient  la  démontrer.  Les  La  Rochette 
remontaient  à  Jean  de  la  Rochette  qui  reçut  de  saint  Louis  la  garde 
de  la  châtellenie  de  Nogent-le-Hoi.  11  avait  épousé  Jeanne  de  Se- 
moutier  dont  il  eut  Gérard  qui  lui  succéda.  Roch  l,  fils  de  Gérard, 
laissa  François  qui  fui  marié  à  Charlotte  d'.Anglure  en  4350.  Jean 
de  la  Rochette  était  abbé  de  Bèze  eu  1381.  Rn  1423,  Oudot-Picrru 
de  la  Rochette  tenait  un  fief  à  Saint- Maurice  près  de  Langres,  rele- 
vant de  Thibaut  de  Neufchâtel  et  d'Agnès  de  Montbéliard,  à  cause 
de  leur  seigneurie  du  Fay  (Arch  de  la  Côte-d'Or,  B.  10564).  Au 
commencement  des  guerres   de  religion,  Roch  H  de  la   Rochette 


—  310  - 

Sercey,  donl  ello  eut  deux  filles,  Anne  et  Fran- 
çoise de  la  Rochette,  celle-ci  religieuse  à  Benoite- 
vauK.  Anue  de  la  Rochette,  par  conlrat  passé  à 
Mandres,  devant  Téglise,  le  17  septembre  1674, 
épousait  François  de  Clermont  d'Amboise,  che- 
valier, comte  de  Reynel  et  de  ChampliUe,  sei- 
gneur de  Colomboy-la-Fosse,  etc.  (1),  fils  de  haut 
et  puissant  seigneur  Louis  II  de  Clermont 
d'Amboise,  chevalier,  marquis  de  Reynel,  bailli 
et  gouverneur  de  Chaumont,  et  de  haute  et  puis- 
sante dame,  madame  Diane  de  Pon tailler. 

Cette  année-là,  le  IS  avril,  une  sentence  du 
bailliage  de  Gray  avait  autorisé  Louis  II  de  Cler- 
mont d'Amboise  à  prendre  possession  du  comté 
de  Champlitle  (2).  Il  céda  ses  droits  à  son  fils  ; 

était  gouverneur  de  Chaumont.  bin  1593,  un  capitaine  de  ce  nom 
marchait  avec  le  duc  de  Guise  (Challe,  Guerre  de  religion  dans 
VAuxerrois),  En  1405,  Alexandre  de  Beaujeu  avait  un  la  Kochette 
avec  lui  pour  s'emparer  de  l'abbé  de  Luxeuil.  Si  ce  n'était  César, 
c'était  certainement  son  père.  Le  mariage  de  leurs  enfants  le  dé- 
montre clairement.  Dans  tous  les  cas,  pour  épou&er  un  Clermont 
d'Amboise,  marquis  dQ  Reynel  et  comte  de  Champlitte,  Anne  devait 
être  de  bonne  noblesse. 

(1)  Colombé-la-Fosse,  canton  de  Souluines,  arr.  de  Bar-sur-Âube, 
Aube. 

(2)  Clériadus,  le  dernier  des  Vorgy,  avait  deux  sœurs,  Béatrix. 
mariée  à  V.  Simon  de  Cusance,  et  Anne,  épouse  de  Jean-Louis  de 
Tontailler.  Le  Parlement  de  Dôle  avait  adjugé  le  comté  de  Cham- 
plitte  à  Clériadus  de  («usance,  pctit-fils  de  Béatrix  de  Vcrgy.  Mais 
le  nouveau  comte  étant  mort  empoisonné,  ses  sœurs  restèrent  pro- 
priétaires de  Champlitle  jusqu'au  15  avril  1674,  jour  où  une  sentence 
du  bailliage  de  Gray  autorisa  Louis  de  Clermont  d'Amboise  à  prendre 
possession  du  titre  do  comte  qu'il  céda  aussitôt  à  son  fils  François. 


—  311  — 

aussi  voil-on  celui-ci  prendre  le  lîlre  de  corale 
de  Champlitle  dans  son  contrat,  le  17  septembre 
suivant. 

Du  mariage  de  François  de  Clermont  d*Am- 
boise  avec  Anne  de  la  Rochelle  sont  issus: 
1°  Louis-Jules-François  deClermont,e(  :  2°Maric- 
Françoise-Juçline. 

Louîs-Jules-François  avait  acquis,  les  11  mars 
et  IS  juin  1701,  les  portions  à  Champlitle  de  ses 
coseigneurs,  descendant  des  sœurs  de  Clériadus 
de  Cusance,  c'est-à-dire  de  la  princesse  de  Lille- 
bonne,  de  la  comtesse  de  Berghes  et  du  duc 
d'Aremberg.  Mais  il  ne  joui<  pas  longtemps  de 
son  comté.  Tué  d'un  coup  de  canon  à  la  bataille 
de  Lazaret,  le  11  août  1702,  il  laissa  son  héri- 
tage à  sa  sœur,  mariée,  le  20  février  1700,  au 
châleau  de  Champlilte,  à  Jean-Baptiste  de  Tou- 
lonjon,  fils  de  Léonel  de  Toulonjon,  seigneur  de 
Francourt,  Renaucourt,  etc.,  et  de  feue  dame 
Catherine  de  Grachaut  (1).  C'est  par  ce  mariage 

(1)  Comme  Marie-JostÎDe  de  Clermont,  Jean-Baptiste  de  Toulon- 
jon avait  du  sang  de  Bedujeu  dans  les  veines.  Léonel  de  Toulonjon 
et  Catherine  de  Grachaut  étaient  cousins-germains.  Catherine  était 
fille  de  Melchior  de  Grachaut,  fils  lui-môme  de  François  de  Gra- 
chaut et  de  Barbe  de  Beaujeu-Montot,  mariés  par  contrat  du  H  oc- 
tobre 16U  (voir  Généalogie,  Ile  partie,  page  175).  Léonel  de  Toulon- 
jon était  fîls  de  Marc  et  de  Marguerite  de  Grachaut,  sœur  de  Mel- 
chior, et  née  comme  lui  de  François  de  Grachaut  et  de  Barbe  du 
Beau  jeu. 

Les  Toulonjon  de  Champlitte  qui  suivirent  ssc  trouvèrent  ainsi 
descendre  à  la  fois  des  Beaujeu  de  .Montot  el  des  Beaujeu  de  Clia- 


—  342  — 

que  les  Toulonjon  devinrenl.  seigneurs  de  Chaiii- 
plille. 

Avec  Marguerite  de  Beaujeu,  mariée  à  César 
de  la  Rochette,  Alexandre  eut  de  Françoièed'Am- 
boîse  cinq  aulres  filles. 

5"*  Catherine,  qui  fut  abbesse de  Benoitevaux  (1) 
de  1623  à  1654  ; 

6**  Anne,  prieure  du  même  monastère  ; 

7,  8  et  9,  Françoise,  Madeleine  et  Jeanne,  reli- 
gieuses au  môme  lieu. 

zeuil.  C'est  pourquoi  ils  arrivèrent  à  la  succession  d'Edme-Nicolas- 
Louis,  le  dernier  de  la  branche  de  Montot.  Une  alliance  avait  déjà 
eu  lieu  entre  lesCiermont  et  les  Toulonjon.  Jeanne  de  Toulonjon, 
de  la  branche  de  Traves,  arrière-petite-filledu  maréchal  Antoine  de 
Toulonjon  qui  battit  le  duc  de  Lorraine,  René  d'Anjou,  et  le  fit  pri- 
sonnier à  Bulgné ville,  en  U'il,  était  mariée  à  René  de  Clermont 
d'Anjou,  vice-amiral  de  France  (Dunod,  t.  IIL  p.  ^33.  Moréki,  V. 
Ctermont). 

(1)  Benoitevaux  (en  latin  benedicta  vallis,  val  béni),  aujourd'hui 
ferme  de  la  commune  de  Cusson,  canton  de  Saint-Belin,  arr.  de 
Chaumont,  dans  les  bois,  à  5  kilom.  deReynel.  C'était  une  abbaye 
de  femmes  de  l'ordre  de  CUeaux,  dépendant  du  diocèse  de  Toul, 
fondée  en  119S  par  Wiard,  comte  de  Reynel,  et  sa  femme  Ermen- 
garde  qui  y  fut  iuhumée  en  4  224.  Pendant  les  xv^  et  xvi«  siècles, 
cette  abbaye  fut  plusieurs  fois  dévastée.  En  1636,  elle  fut  complè- 
tement ruinée  par  les  Suédois.  C'était  sous  l'administration  do 
Catherine  de  Beaujeu.  On  a  des  lettres  de  4642,  par  lesquelles  l'abbé 
de  Cileaux  autorise  les  dames  de  la  Rochette  et  d'Epinay  à  rester 
dans  leurs  familles  où  elles  s'étaient  retirées. 

Quelques  années  plus  tard,  les  religieuses  essayèrent  de  reformer 
leur  communauté  à  Chaumont  ;  mais  les  habitants  de  cctto  ville 
s'y  opposèrent.  Elles  s'établirent  à  Rcynol  dans  une  maison  paiti- 
culière  où  elles  sont  restées  jusqu'à  la  Révolution  (Jolibois,  la 
Hanie-Marne,  p.  55;  ^Notice sur  Benoitevaux,  par  l'abbé  Booil- 
LEVAux,  Chaumont,  4851). 


—  313 


ANTOINE 


Antoine  de  Beaujeu,  seigneur  de  Chambron- 
court  et  d'Epizon,  capitaine  de  cavalerie  et  com- 
mandant cinq  compagnies  de  carabins,  sous  le 
maréchal  de  Caumont-La  Force,  était  fils  aîné 
d'Alexandre  de  Beaujeu  et  de  Françoise  de  Cler- 
moht  d'Amboise. 

En  1636,  au  moment  où  Richelieu  se  prépa- 
rait à  envahir  la  Franche-Comté,  Antoine  était 
avec  ses  chevau-légers  dans  les  troupes  prêtes  à 
marcher  au  premfer  signal  pour  aller  faire  le 
siège  de  Dôle.  Il  était  logé  à  Baigneux  et  avec 
lui  se  trouvait  la  compagnie  du  marquis  de 
Tavanes,  celles  de  Vaubrecourt,  du  Châtelet,  etc., 
qui  vécurent  quatre  mois  à  discrétion  sur  les 
habitants  (1).  C'était  dans  les  habitudes  du  temps, 
et  les  armées  faisaient  môme  souvent  plus  de 
mal  aux  amis  qu'aux  ennemis. 

En  1638,  il  était  avec  le  maréchal  de  la  Force 
au  siège  de  Fontarabie,  où  son  cousin  Jacques- 
Paul,  fils  de  Paul-François  de  Beaujeu,  fui  tué 
dans  une  sortie  des  Espagnols. 

En  1642,  pendant  une  période  de  calme,  Antoine 
avait  essayé  d'arriver  à  une  transaction  pour  la 
succession  d'Antoine  de  Croy,  qui  était  entre  les 

(I)  CouRTÉPÉE,  t.  IV,  p.  213.  Baigneux-îes- Juifs,  chef-lieu  de 
canton  do  l'arr.  de  Châlillon-sur-Seine,  Côto-d'Or.  ! 


I 


—  314  — 

mains  des  procureurs,  mais  il  n'arriva  à  aucun 
résultat.   - 

En  1644,  il  accompagnait  encore  le  maréchal 
de  la  Force  au  siège  de  La  Mothe  (1),  petite  forîe- 
resse  qui  commandait  le  Bassîgny  et  qui  appar- 
tenait au  duc  Charles  de  Lorraine,  alors  allié  de 
l'Espagne.  Elle  était  commandée  par  un  Montarby 
et  ne  fut  prise  qu'après  trois  mois  de  siège,  pen- 
dant lesquels  les  assiégeants  perdirent  plus  de 
600  hommes.  C'est  à  ce  siège  queTurenne  fit  ses 
premières  armes. 

L'année  suivante,  le  9  février,  Antoine  de 
Beaujeu  se  trouvait  à  rassemblée  des  trois  ordres 
du  bailliage  de  Chaumont,  sous  la  présidence  de 
Louis  d'Amboise,  marquis  de  Reynel,  et  il  dési- 
gnait le  sieur  de  Vaudrémont  comme  député  aux 
Etats  généraux  d'Orléans,  qui  devaient  ouvrir 
le  Vô  mars  (2). 

A  partir  de  ce  moment,  les  renseignements  font 
complètement  défaut  sur  les  faits  et  gestes  d'An- 
toine de  Beaujeu  jusqu'en  1668,  où  il  habitait 
Chambroncourt  et  tenait  sur  les  fonts  baptismaux 
plusieurs  enfêxnls  du  village. 

(1)  La  ville  fut  investie  le  8  mars  et  le  feu  de  rartillerie  com- 
mença le  \i.  On  comptait  que  la  ville  se  rendraii  aussitôt,  mais 
les  habitants  montrèrent  un  courage  digne  des  temps  antiques.  Les 
femmes  elles-mêmes  prirent  part  à  la  lutte  et  ne  craignirent  môme 
pas  de  faire  des  sorties.  La  Mothe, sur  le  territoire  d'Outremécouit, 
canton  de  Bourmont,  arr.  de  Chaumont,  Haute-Marne. 

(2)  Mémoires  de  la  Société  académique  de  l'Aubej  1882,  p.  326. 


—  315  — 

Il  mourut  le  2S  novembre  1670  et  fut  enterré 
dans  le  chœur  de  la  vieille  église.  Mais,  en  1847, 
une  nouvelle  église  ayant  remplacé  Tancienne, 
sa  tombe  fut  reléguée  sous  la  tour  du  clocher  où 
on  la  voit  encore.  Elle  porte  Tinscriplion  suivante: 
«  Cy  git  Antoine  deBeaujeu,  chevalier,  seigneur 
de  Chambroncourt,  Epizon,  Grand,  Trampot(l), 
qui  trépassa  le  25  novembre  1670.  Priez  Dieu 
pour  son  âme.  Celte  épitaphe  a  été  mise  à  la  di- 
ligence de  messire  Nicolas  de  Beaujeu,  son  fils, 
seigneur  desdits  lieux  et  brigadier  général  des 
armées  du  roi,  capitaine  des  gens  d'armes  de 
M*^  le  duc  d'Anjou.  » 

De  Nicole  de  Dammartin  (2),  appelée  aussi 
Nicole  Martin,  Antoine  de  Beaujeu  avait  eu  : 

Nicolas  ; 

Oclavien,  cornette  dans  le  régiment  de  son 
frère  et  qui  mourut  sans  postérité. 

NICOLAS 

Nicolas, comte  de  Beaujeu,  chevalier,  seigneur 
de  Chambroncourt,  Epizon,  Villiers-le-Sec,  etc., 

(I)  Grand  et  Trampot,  arr.  et  canton  de  Neufchàloau,  Vosges, 
sont  voisins  Tun  de  l'autre. 

[^)  Il  n*a  pas  été  possible  de  déterminer  à  quelle  maison  de 
Dammartin  appartenait  Nicole.  Il  y  a  cependant  lieu  de  croire 
qu'elle  était  de  celle  du  Langrois,  qui  portait  :  écartclé  :  aux  1  et 
4  d'argent  à  la  bande  de  gueules,  aux  2  et  3  losange  d'or  et  d*azur 
(Sl'ciiaux,  Nobiliaire). 


—  316  — 

était  fils  d'Antoine  et  de  Nicole  de  Dammartin. 
Il  était  né  à  Chambroncourt  en  1668.  Il  avait 
d'abord  servi  dans  les  compagnies  d'ordonnan- 
ces (1)  et  était  arrivé  au  grade  de  capitaine.  Ses 
relations  de  famille  l'avaient  mis  en  avant  et  il 
commandait  le  régiment  de  cavalerie  de  M.  du 
Maine  (2),  lorsqu'il  reçut  au  camp  de  Scharzach, 
le  18  août  1690,  la  lieutenance  de  la  compagnie 
du  duc  d'Anjou  (3),  dans  la  gendarmerie  du 
roi  (4). 

Elevé  au  grade  de  brigadier  d'armée  (5),  le 
b  janvier  1696,  en  môme  temps  que  le  duc  de 
Duras,  le  marquis  du  Châtelel,  le  prince  de 
Rohan,  leducdeMontfort,  il  fut  envoyé  à  l'armée 
du  Rhin  avec  le  marquis  de  Villeroi  et  le  marquis 


(i)  Les  compagnies  d'ordonnance,  premier  noyau  d'une  armée 
permanente,  furent  créées  par  Charles  VII  aux  Etats  d'Orléans  en 
4  439.  Elles  étaient  au  nombre  de  15  et  constituèrent  plus  tard  la 
gendarmerie  du  roi,  lorsque  d'autres  corps  de  troupes,  eurent  été 
formés  à  côté  d'elles.  Alors,  pour  être  admis  dans  les  compagnies 
de  gendarmes,  il  fallait  avoir  servi  3  ans  dans  les  compagnies  d'or- 
donnances ou  avoir  été  capitaine  de  ohevau-légers,  mais  surtout 
être  noble. 

(2)  Les  régiments  comme  les  compagnies  appartenaient  le  plus 
souvent  à  des  princes  delà  maison  royale,  mais  étaient  commandés 
par  des  gentilshommes. 

(3)  Le  duc  d'Anjou,  fils  du  dauphin  et  petit-fils  de  Louis  XIV, 
devint  roi  d'Espagne  par  le  testament  de  dom  Carlos,  en  1700,  sous 
la  nom  de  Philippe  V. 

(i)  Mémoires  de  Dangeau,  Paris,  F.  Didot,  1854,  t.  III,  p.  195. 
(5)  [d.,  t.  V,  p.  342.  Le  brigadier  était  un  colonel  commandant 
plu*Ecur>î  régiments. 


—  347  — 

d'Ussel  pour  organiser  la  défense.  De  passage  à 
Vesoul,  la  ville  leur  offrit  un  vin  d'honneur  (1), 

Le  mardi  25  décembre  de  celle  même  année  il 
recevaiMe  lilre  de  capilaine  de  sa  compagnie  de 
gendarmes.  Il  succédait  à  René  Bruslard,  marquis 
de  Genlis,qui  avait  reçu  le  brevet  le  16  décembre 
1669  (2).  Mais  Nicolas  de  Beaujeu  ne  conserva 
cette  charge  que  jusqu'en  1703. 

Il  accompagnait  en  Italie  le  duc  de  Vendôme 
envoyé  pour  remplacer  Câlinât  qui  s'était  laissé 
prendre  parle  prince  Eugène,  en  février  1702. 
Lorsque  Vendôme  eut  baltu  le  prince  Eugène  à 
Luzzara,  le  15  août  de  cette  même  année,  et  l'eut 
rejeté  au  delà  du  Mincio,  un  arrangement  avait 
été  conclu  pour  l'échange  des  prisonniers.  Ce 
fut  Nicolas  de  Beaujeu,  avec  d'Egrigny,  inten- 
dant de  l'armée  d'Italie,  qui  réglèrent  ce  car^tely 
que  le  roi  ratifia  le  7  septembre  (3). 

Au  mois  de  février  suivant,  Nicolas  de  Beaujeu 
fatigué  cherchait  à  remettre  sa  charge  de  capi- 
taine de  la  compagnie  de  gens  d'armes.  Il  trouva 
bientôt  un  amateur  dans  le  marquis  de  la  Tour 
(de  Moustier),  enseigne  des  gendarmes  du  Dau- 
phin, le  plus  âgé  de  son  grade  dans  la  gendar- 
merie, qui  consentit  à  lui  payer  45.000  écus  (4). 

(1)  Arch.  de  la  Haule-Saône,  E.  877,  f.  5  r». 
(%)  Général  Susane,  t.  I.  p.  266. 

(3)  Mémoires  de  Dangbau,  t.  VllI,  p.  495. 

(4)  Id.,  l.  IX,  p.  114  et  160. 


—  318  — 

Le  roi  donna  son  consentement  à  Versailles,  le 
3  avril  (1).  Nicolas  de  Beaujeu  reprenait  en  paie- 
ment, pour  28.060  fr.,  le  gouvernement  de  Sain l- 
Dizier  qui  valait  1000  écus  de  rente  et  qui  se 
trouvait  peu  éloigné  de  ses  terres. 

Deux  ans  après,  en  1703,  il  achetait  Villiers- 
le-Sec  en  Champagne,  de  dame  Jeanne  de  Nettan- 
court,  veuve  de  Jean- Philippe  de  TournebuUe, 
chevalier,  seigneur  de  Bussy  (2),  mais  il  ne 
conserva  pas  cette  seigneurie,  car  son  cousin 
Frédéric  en  est  dit  propriétaire,  lorsqu'il  lui  vend 
ses  meubles,  en  1715. 

Il  n'avait  môme  pas  conservé  Chambroncourt 
où  il  était  né  et  où  son  père  reposait  dans  l'église. 
En  1G98,  le  20  juin,  il  l'avait  cédé  «  à  Louis  III 
«  de  Clermont  d*Amboise,  marquis  de  Reynel, 
«  et  à  André-Louis  de  Clermont  d'Amboise,  abbé 
«  de  Reynel,  ses  cousins,  avec  Epizon  et  la  fo- 
((  rèt  d'Héraude  appartenances  et  dépendances, 
«  moulin,  etc.,  le  tout  provenant  de  la  succes- 
«  sion  d'Antoine  de  Beaujeu,  son  père,  de  damo 
«  Françoise  de  Clermont  d'Amboise,  son  aïeule, 
«  et  de  dame  Jeanne  de  Beaujeu  (religieuse  à 
«  Benoi(evaux),  sa  tante,  et  d'acquîsilion  faite 
«  par  lui-môme  ».  Le  prix  fixé  à  25.000  fr.  de- 

(1)  Mémoires  do  Dangc4U,  t.  IX,  p.  460. 

(2)  Bibl,  Champenoise,  par  Léon  Techrnbr^  Pans,  4886.  Vjl- 
lie''3-lc-Sec,  canton  de  Chaumont.  à  7  kli.,  avait  été  complètement 
détruit  parleti  Suédois  on  463(j-l637  (JoLiiiois,  la  Uaute'ilame), 


—  319  — 

vait  produire  '12S0  fr.  d'intérêt  jusqu'à  complète 
libération  (1). 

Eu  vendant  Chambroncourt  et  Epizon  et  en- 
suite Viliiersle-Sec,  Nicolas  de  Beaujeu  paraît 
avoir  eu  un  plan  bien  arrêté.  Il  voulait  se  débar- 
rasser de  ses  terres  et  du  souci  de  leur  admi- 
nistration, pour  placer  son  argent  et  ne  plus 
avoir  pour  ainsi  dire  que  des  valeurs  mobilières. 
Il  avait,  en  eflFet,  une  rente  de  655  livres  résul- 
tant d'une  obligation,  au  capital  de  13.100  livres, 
que  lui  avaient  souscrite,  le  30  décembre  1706, 
les  jurés  des  vendeurs  de  foin  de  la  ville  de 
Paris.  Il  avait,  sur  la  ville  de  Paris,  une  rente 
de  532  livres  achetée  par  lui,  le  20  avril  1714, 
pour  la  somme  de  13.375.  Le  17  mai  suivant,  il 
avait  acquis  une  rente  viagère  de  3000  livres  sur 
les  aides  de  la  gabelle.  Il  possédait  en  outre  sa 
place  de  gouverneur  de  Saint-Dizier,  qui  repré- 
sentait 10.000  écus,  comme  le  dit  Dangeau  dans 
ses  mémoires  :  «  comme  ce  gouvernement  ne 
«  vaut  guère  plus  de  1000  écus  de  rente,  on 
«  ne  croit  que  personne  le  demande,  y  ayant 
«  10.000  écus  à  donner  »  (2). 

Gomme  on  le  voit,  Nicolas  mettait  ordre  à  ses 
aflFaires.  Reslait  la  queslion  de  la  succession  de 
son  grand  oncle,  Antoine  de  Croy,  prince  de  Por- 


(!)  Arch.  de  la  Haule-Saôno.  E.  650. 
(2)  Dangeai',  t.  XVII,  p.  94. 


—  320  — 

cien,  mort  le  b  mai  1567.  Un  procès  plusieurs 
fois  interrompu  et  repris  avait  été  engagé  entre 
les  parties  représentées,  d'un  côté,  par  Nicolas 
de  Beaujeu  et  les  Glermont  d'Amboise,  et,  de 
l'autre,  par  les  princes  de  Ghimay  (1),  les  ducs 
d'Aremberg  (2),  etc.  Le  23  mars  1688,  Nicolas 
avait  nettement  formulé  ses  réclamations  devant 
une  assemblée  de  famille  convoquée  à  cet  effet. 
Il  avait  fait  valoir  «  que  les  minorités  survenues 
«  dans  sa  branche  avaient  empêché  la  prescrip- 
«  tion,  et  qu'il  avait  contribué  aux  frais  et  même 
«  au  paiement  des  dettes  du  comte  de  Porcien, 
«  de  même  qu'au  douaire  de  M™'  de  Guise  »  (Ga- 
therine  de  Clèves,  veuve  du  comte  et  remariée  à 
Henri  de  Guise  le  balafré). 

Après  des  péripéties  sans  nombre,  le  15  avril 
1710,  un  accord  intervint  entre  Nicolas  et  ses 
cointéressés,  représentés  par  M.  François  (Gathe- 
rinet),  avocat  du  roi  au  parlement,  agissant 
comme  tuteur  onèraire  de  J. -Baptiste-Louis  de 


(1)  Héritiers  de  Charles  de  Croy,  créé  prince  de  Ghimay  par 
Tempereur  Maximilien,  en  K  486.  Voir  la  note  3  de  la  page  308.  Ghi- 
may, ville  de  Belgique  (Hainaut). 

(2)  Âremberg,  sur  fAhr,  non  loin  de  Trêves,  a  donné  son  nom 
à  une  famille  comlale  éteinte  à  la  fin  du  xiii"  siècle  dans  la  maison 
de  la  Marck.  Aremberg  passa  ensuite  à  la  famille  de  Ligne  par  le 
mariage  de  Marguerite  de  la  Marck  avec  Jean  de  Ligne,  qui  releva 
le  nom  d'Aremberg  à  la  fin  du  zv<^  siècle.  Charles,  prince  d'Arem- 
berg, mort  le  46  juin  1616,  avait  épousé  Anne  de  Croy,  fille  de 
Philippe,  duc  d'Aerschot. 


—  321  — 

Clermont  d'Amboise,  fils  mineur  de  Louis  IV, 
marquis  de  Reynel  et  de  Thérèse  Colbert  de 
Croissy,  fille  de  Charles  de  Colbert  de  Croissy, 
ministre  secrétaire  d*Elat,  alors  remariée  à  Fran- 
çois-Marie de  Spinola,  duc  de  Saint-Pierre, 
grand  d'Espagne. 

Il  était  stipulé  que,  «  pour  assoupir  le  trouble 
et  préjudice  qu'auraient  apportés  les  prétentions 
du  seigneur  de  Beaujeu  énoncées  dans  le  dernier 
avis  des  parents,  du  23  mars  1G88,  rendu  entre 
Nicolas  de  Beaujeu  et  ses  cohéritiers  par  béné- 
fice d'inventaire,  du  côté  maternel,  de  M^^  Antoine 
de  Croy,  prince  de  Porcien.cVurie  part,  et  Louis 
d'Alsace,  comte  de  Bossut,  d'autre  part,  les  par- 
ties sont  convenues  de  ce  qui  suit  :  Le  sieur  de 
Beaujeu  restera  intéressé  dans  le  procès  pendant 
relatif  à  l'héritage  du  prince  de  Porcien  et  conti- 
nuera ses  sollicitations  et  ses  soins,  mais  à  la 
condition  qu'il  ne  pourra  prétendre  qu'au  cin- 
quième de  la  succession  pour  lui,  pour  M""®  de 
Reynel  sa  cousine,  avec  laquelle  il  s'arran- 
gera... » 

Celle-ci  approuva  la  convention,  le  25  avril 
suivant,  et  sa  fille  Marie-Justine  de  Clermont, 
veuve  de  Jean-Baptiste  de  Toulonjon,  apposa  ?a 
signature,  le  17  mai.  Mais  les  choses  n'en  avan- 
cèrent pas  beaucoup  pour  cela,  car  à  la  mort 
de  Nicolas,  le  procès  était  toujours  pendant  et  il 
laissait  tous  ses  droits  à  Jean-Baptisle-Louis  do 

24 


—  322  - 

Clermont  d'Amboise,  marquis  do  Roynel,  son  pelit 
cousin  (1). 

Le  24  juillet  1715,  devant  M**  Savigny  et  son 
collègue,  notaires  à  Paris,  et  moyennant  3000 
livres  reçues  comptant,  Nicolas  de  Beaujeu  ven- 
dait le  mobilier  de  Tappartement  qu'il  occupait, 
rue  des  Saints-Pères,  n^  16,  paroisse  Saint-Sul- 
pice,  à  son  cousin  Eugène-Frédéric  de  Beaujeu, 
chevalier,  seigneur  de  Jauge  et  de  Villiers-le- 
Sec,  mestre  de  camp  d'un  régiment  de  cavale- 
rie et  brigadier  des  armées  du  roi,  demeurant  à 
Paris,  cour  de  Rouen,  paroisse  Saint- An dré-des- 
Arts.  Nicolas  devait  conserver  la  jouissance  pen- 
dant sa  vie,  et  un  inventaire  fait  par  les  parties 
donna  le  détail  suivant  : 

Sept  pièces  de  tapisserie  de  Flandre  de  haute 
lice,  à  personnages,  de  deux  aunes  et  demi  de 
haut  et  seize  aunes  de  long,  estimées.      400  fr. 

Un  lit  à  la  duchesse^  de  serge  bleue  doublée 
de  satin  avec  la  courle-pointe  de  môme  éloflFe  et 
rubans  aurore^  estimé 300  fr. 

Six  chaises  et  un  fauteuil  de  tapisserie  de  point 
de  Hongrie,  estimés.     ......       30  fr. 

Une  chaise  de  moquette 8  fr. 

Une  table  de  marqueterie  ....       16  fr. 

Un  miroir  avec  bordure  de  bois  doré,  un  tru- 
meau aussi  de  glace 20  fr. 

(i)  Aixh.  do  la  Ilaule-Saône,  E.  650. 


—  323  — 

Une  armoire  en  noyer,  placage  .     .      20  fr. 

Quatre  portraits  de  famille,  avec  cadres  de  bois 
doré,  non  estimés » 

Un   feu   argenté,    garni    de   pelle    et   pin- 
celte 4  fr. 

Une  douzaine  d'assietles  et  six  plats  d'é- 
tain 2b  fr. 

Quatre  paires  de  draps  de  lits  de  maî- 
tre (1)  48  fr. 

Six  paires  de  draps  de  valet     ...      36  fr. 

Trois  lits  de  valet  avec  les  matelas,  couvertures, 
traversins  et  bois  de  lit 36  fr. 

Quatre  douzaines  de  serviettes  et  cinq  nap- 
pes   34  fr. 

La  batterie  de  cuisine,  etc.,  etc. 

Le  6  mai  1716,  Nicolas  de  Beaujeu  avait  fait 
une  donation  enlre  vifs,  d'une  rente  de  1250  fr. 
au  principal  de  2S00  fr.,  à  ses  petits  cousins 
Alexandre  et  Frédéric-Eugène,  fils  de  Louis- 
Charles  de  Beaujeu,  lieutenant-colonel  au  régi- 
ment de  Flandre,  et  de  dame  Françoise  de  Pal- 
las  (2).  Quelques  mois  après,  le  1''  octobre,  il 
écrivait  lui-même  un  testament  qu'il  déposait 
chez  M«  Leblanc,  notaire  à  Saint-Dizier,  et  le 
b  mai  1717,  il  faisait  à  Paris  un  nouveau  testa- 
ment confirmalif  du  premier  et  qui  renfermait 

(1)  C'était,  il  est  vrai,  un  ménage  de  garçon.  Mais  il  y  a  dispro- 
portion entre  les  objets  luxueux  du  début  et  la  vaisselle  et  le  linge. 
{%)  BibLCkampenoite,  par  Léon  Tkcueneu,  1866. 


—  asi- 
les dispositions  suivantes  :  «  Il  veut,  s'il  décède 
à  Paris,  être  inhumé  dans  l'église  des  Petits  Au- 
gustins,  et  le  plus  modestement  que  fah*e  se 
pourray  avec  une  épitaphe  en  r^^i^/ donnant  son 
nom  et  ses  qualités  avec  ses  armes.  Il  désire  que 
le  lendemain  de  son  enterrement  toutes  les  messes 
du  couvent  soient  retenues  pour  lui,  de  sept  heures 
du  matin  jusqu'à  midi.  Il  devra  en^tre  de  môme 
au  quarantaine  (1)  et  au  boutde  Tan.  Il  demande 
qu'on  fasse  dire  deux  messes  basses  tous  les  jours, 
depuis  son  décès  jusqu'à  la  fin  de  l'année. 

«  Il  nomme  pour  son  exécuteur  testamentaire 
Pierre  de  Largentière,  avocat  au  Conseil  du  roi, 
auquel  il  laisse  comme  souvenir  un  diamant  de 
mille  livres. 

«  Il  lègue  100  livres  aux  capucins  de  Saint- 
Dizier  pour  120  messes;  100  livres  aux  pauvres 
de  Ghambroncourt  et  100  livres  aux  pauvres  de 
Villiers-le-Sec,  à  charge  de  prier  pour  lui.  Il 
donne  diverses  sommes  à  ses  domestiques,  gou- 
vernante, valet  de  chambre,  cocher,  laquais. 

«  Il  laisse  à  Anne  de  la  Rochette,  comtesse  de 
Reynel,  sa  cousine  germaine,  et  à  la  comtesse 
de  Champlitte  (2),  une  somme  de  six  mille  livres. 
Il  abandonne  à  Jean-Baptiste-Louzs  de  Clermont 


(1)  C'est  l'office  ou  service  après  six  semaines,  encore  en  usage. 

(2)  Marie-Justine  de  Clermont  d'Amboise,  fille  d'Anne  do  la  Ho- 
chetle,  veuve  de  J.-B.^de  Toulonjon,  comie  do  Champlitte,  v.  p.  3U . 


—  326  — 

d'ADiboise,  marquis  de  Reynel,  lous  ses  droils 
dans  la  succession  d'Antoine  de  Croy  «  pour 
«  laquelle  ils  ont  tin  procès  en  commun^  contre 
"  son  altesse  royale  mgr  le  duc  d'Orléans  et 
«  MM.  les  princes  de  Chimay  et  d'Aremberg.  » 

«  Il  lègue  à  Alexandre-Nicolas  et  Eugène-Fré- 
déric de  Beaujeu,  son  frère  cadet,  enfants  de  Louis- 
Charles,  lieutenant-colonel  au  régiment  de  Flan- 
dre, tout  ce  qui  sera  existant  en  équipages, 
chevaux  et  argent  monnayé  échu  et  à  échoir, 
après  le  paiement  de  ses  dettes  et  l'acquijtement 
de  ses  legs. 

«  Il  donne  à  M.  de  Beaujeu.  leur  père,  sa  ca- 
saque rouge  à  boutons  d'or  y  six  chemises  de 
dentelles  et  les  cravates  qui  sont  à  Paris,  ainsi 
que  ses  pistolets;  à  M"®  de  Beaujeu,  leur  mère, 
sa  berline  et  ses  chevaux.  Il  veut  que  son  cousin 
Frédéric,  maréchal  de  camp,  ail  son  carrosse  qui. 
se  trouve  à  Paris,  et  il  déclare  que  le  petit  cheval 
alezan  lui  appartient. 

<'  Il  laisse  sa  montre  à  M"™*  de  Beaujeu  de 
Chaumont  (1).  » 

Nicolas  mourut  le  13  mai  1717  et  son  testament 
fut  déposé,  le  15,  chez  M^Guesdon,  notaire  à  Paris. 
En  lui  finissait  la  branche  de  Beaujeu  de  Gha- 
zeuil,  seigneur  de  Chambroncourt  et  d'Epizon. 


(I)  Geneviève  de  Beaujeu,  mariée  à  Charles  de  Buffevenl,  sei- 
î^ueurde  Chaumpnl  (v.  plus  loin). 


CHAPITRE  II 
BRANCHE  DE  JAUGE 

FRANÇOIS 

François  de  Beaujeu,  seigneur  de  Chazeuil  et 
deJaugç,  était  le  fils  aîné  de  JeanlIIet  deGilberte 
de  Beaurepaire.  A  lamort  de  son  père,  en  lo47, 
il  avait  été  placé,  avec  ses  frères  et  sœurs,  sous  la 
tutelle  de  leuroncle  Philibert  de  Beaujéu,  évêque 
de  Belhléem,  qui,  en  cette  qualité  de  tuteur  (1), 
obtint,  le  1*^**  mars  1S48,  un  arrêt  du  Parlement 
pour  forcer  les  héritiers  Baudot  à  payer  les  frais  de 
procédure,  dus  depuis  le  20  mai  1326. 

François  avait  eu,  dans  sa  part  de  l'héritage 
paternel,  la  seigneurie  de  Jauge,  mais  il  avait 
reçu  aussi  des  droits  importants  à  Chazeuil,  carie 
douaire  de  sa  femme  y  fut  établi  en  môme  temps 
que  celui  de  sa  mère,  Gilberte  de  Beaurepaire.  Le 
reste  delà  terre  appartenait  à  ses  frères  et  sœurs, 
et  notamment  à  son  frère  puiné,  Jean,  qui  prit 
le  litre  de  seigneur  de  Chazeuil  que  conservèrent 
ses  descendants. 

(4)  Arch.de  la  Côte-d'Or,  E.  1374.  Original  sur  parchemin. 


—  327  — 

François,  en  ISol,  épousa  Claude  de  Méry  (1), 
fille  d'Itier  de  Méry  et  pelile-fille  de  Jean  et  de 
Jeanne  de  Glermont  (2).  Elle  lui  apportait  des 
droits  sur  la  succession  de  Claude  de  Vaudrey, 
soigneur  de  Marac  (3),  dont  les  biens  se  trou- 
vaient alors  sous  séquestre  par  droit  d'aubaine  (^i). 
De  là,  naturellement,  procès  et  débats  devant  le 
Parlement  de  Paris,  tant  contre  les  gens  du  Roi 
que  contre  les  autresparenls  et  héritiers  de  Claude 
de  Vaudrey.  Pour  sortir  de  ces  diflîcullés,  Fran- 
çois de  Beaujeu,  promettant  la  ratification  de  sa 
femme  à  sa  majorité,  cède  et  vend,  le  16  seiv 
tembre  1552,  à  Anloinetlo  de  Bourbon,  duchesse 
de  Guise,  ses  droits  sur  Marac,  et  à  Guillaume  de 
Chaslenay  (5),  chevalier,  seigneur  de  Lanty,ses 


(\)  Méry-sur- Yonne,  canton  de  Coulanges-sur- Yonne,  arr.  d'Au- 
xerre. 

(2)  Jeanne  de  Glermont  était  fille  et  héritière  de  Catherine  de 
Vaudrey,  sœur  de  Claude,  mariée  à  N.  de  Glermont  (y.  Dunod, 
t.  \\\y  p.  223).  Claude  et  Catherine  étaient  nés  de  Marguerite  de 
GhaufTour,  qui  avait  apporté  à  son  mari,  Antoine  de  Vaudrey,  Ma* 
rac,  Echalot,  Minot  et  Thorey. 

(3)  Marac,  canton  de  Langres,  Haute-Marne. 

(4)  Le  droit  d'aubaine  était  le  droit  du  suzerain  de  s'emparer 
d*un  fief  vacant.  Il  s'exerçait  aussi,  en  cas  de  guerre,  sur  les  biens 
possédés  par  les  habitants  d'une  province  ennemie.  C'était  le  cas, 
alors,  car  Claude  de  Vaudrey  était  un  des  fidèles  de  l'empereur 
Maximilien  et  de  Gharles-Quint. 

(o)  Ghastenay,  canton  de  Gourson,  arr.  d'Auxerre,  Yonne,  a 
donné  son  nom  à  une  famille  qui  a  possédé  la  seigneurie  importante 
de  Lanty,  canton  de  Chûteauvillain,  arr.  de  Ghaumont,  Haute- 
Marne. 


—  328  ^ 

prétentions  supEchalot  (1).  Le  prix,  fixé  à  3500 
livres  tournois,  devait  être  versé,  deux  tiers  par 
Ja  duchesse  et  le  reste  par  Guillaume  de  Chas- 
tenay  qui  se  trouvaient  par  ce  moyen  subrogés 
dans  tous  les  droits  des  vendeurs,  même  au  cas 
où  l'héritage  se  trouverait  plus  considérable  et 
«  ay^riverait  à  la  valeur  de  dix  mille  livres  et 
plus  ». 

Le  17  août  lS5b,  des  lettres  du  roi  Henri  II, 
données  à  Saint-Germain-en-Laye,  commettaient 
Christophe  de  Thou,  président,  Barthélémy  Paye, 
conseiller  et  Gilles  Bourdin,  avocat  royal  au  Par- 
lement de  Paris,  pour  la  rédaction  des  coutumes 
de  Sens.  L'assemblée  des  trois  Etats  du  bailliage 
.eût  lieu  à  Sens,  le  dimanche  3  novembre  1555, 
et  François  de  Beaujeu  y  parut,  comme  seigneur 
de  Chazeuil,  pour  présenter  les  observations  qu'il 
pouvait  avoir  à  faire  (2). 

Le  5  juin  de  Tannée  suivante,  ses  sujets  de 
Chazeuil,  avec  lesquels  il  faisait  cause  commune 
dans  la  circonstance,  obtenaient  un  arrêt  de  la 
Table  de  Marbre  (3)  de  Paris,  qui  maintenait 

(1)  Echalot,  canton  d'Aignay-le-Duc,  arr.  de  GhAtillon,  Côîe-d'Or, 
comme  Minot  et  Thorey. 

(9)  Couiumes  du' bailliage  de  Sens^  par  Jean  Pbbro;*^  avocat. 
Sens,  MDCCXI,  p.  422. 

(3)  C'était  la  jaridiction  qui  décidait  en  dernier  ressort  des  ma- 
tières des  eaux  et  forôts,  ensuite  de  Tédit  de  mars  4558.  Elle  était 
ainsi  appelée  parce  que  les  juges  se  réunissaient  autour  d*une 
grande  table  de  marbre  qui  se  trouvait  au  Palais  de  justice  à  Paris. 


—  329  — 

leurs  droits  dans  la  forêt  de  Velours.  Le  procès- 
verbal  de  Texécution  de  cet  arrêt  est  de  15K7. 

Comme  aîné,  François  était  le  représentant 
de  nom  et  d'armes  de  sa  branche  ;  aussi  Claude  II 
de  Beau  jeu,  seigneur  de  Volon,  par  son  tes- 
tament du  30  novembre  1574,  lui  laissait  tous 
ses  biens,  à  l'exception  du  domaine  de  Delain 
qu'il  léguait  à  Marc  de  Beaujeu,  seigneur  de 
Montot,  son  exécuteur  testamentaire. 

En  dehors  de  l'usufruit  réservé  pour  la  veuve, 
Jeanne  de  Mailly,  la  succession  était  hypothé- 
quée pour  la  somme  de  3333  écus  d'or,  montant 
de  la  dot  de  Charlotte  de  Beaujeu,  sœur  du  tes- 
tateur et  mariée  à  Christophe  de  Choiseul,  sei- 
gneur de  Chamarande,  etc.  Nonobstant,  François 
de  Beaujeu  avait  cédé  Beaujeu  et  ses  dépendances 
à  Frédéric  Perrenot,  fils  du  chancelier  de  Gran- 
velle,  et  qui  était  alors  seigneur  de  Beaujeu,  par 
donation  de  sa  mère  Nicole  Bonvalot. 

D'un  commun  accord,  sans  doute,  l'hypothèque 
de  Charlotte  avait  été  reportée  sur  la  terre  de  Cha- 
zeuil,  et,  à  la  mort  dp  François,  en  1379,  elle  ré- 
clama ses 3333  écus. 

Devant  l'impossibilité  par  la  succession  de 
verser  cette  somme  et  en  présence  d'autres 
créanciers  intervenant,  les  poursuites  aboutirent 
à  des  criées^  c'est-à-dire  à  la  vente  judiciaire  de 
«  la  terre  et  seigneurie  de  Chazeuil,  ensemble  la 
maison  forte  »  qui  étaient  dans  la  famille  de 


—  330  — 

Beaujeu  depuis  140  ans.  Une  sentence  du  5  avril 
1383  avait  distrait  un  septième  et  demi  pour  la 
part  des  enfants  de  Jean  de  Beaujeu,  frère  de 
François,  représenté  par  leur  mère  Marthe  de 
Villeneuve.  Le  reste  fut  adjugé,  le  IS  décembre 
■1584,  à  Charles  d'Escars,  évoque  de  Langres  et 
la  coUocalion  du  prix  fut  faite  dans  Tordre 
suivant  ; 

1°  Gilberte  de  Beaurepaire,  mère  de  François, 
pour  son  douaire,  «  qui  devait  être  évalue  par 
gens  compétents,  »  et  aussi  pour  la  somme  de 
833  écus  1/3,  comme  rachat  de  la  rente  annuelle 
de  66  écus  deux  tiers,  à  elle  accordée  par 
son  défunt  mari,  lors  de  leur  contrat  de  ma- 
riage. 

2**  Claude  de  Méry,  veuve  de  François,  1*  pour 
66  écus  2/3  montant  de  son  douaire  pré- 
fix  (1),  au  rachat  de  800  écus,  à  prendre  sur  lés 
deniers  de  la  vente  et  être  mis  en  mains  stores 
«  tant  que  douaire  aura  lieu.  »  Claude  de  Méry 
était  aussi  inscrite  pour  200  écus,  représentant 
les  bagues  et  joyaux  de  son  contrat  de  mariage. 
Quant  au  remplacement  des  héritages  à  elle  ad- 
venus et  aliénés  par  son  mari,  elle  devait  faire  la 
preuve  dans  le  délai  d'un  mois  sous  peine  d'être 
déboutée  de  sa  demande. 


(1)  D'après  la  coutume,  le  douaire  était  de  la  moitié  dos  biens 
laissés  par  le  mari,  mais  il  pouvait  ôtre  déterminé  à  l'avance. 


-  331  — 

3o  Un  corlaînMouginot,  pour400écus,  suivant 
obligation  du  21  juin  1557  (1). 

4®  Christophe  de  Ghoiseul  et  Charlotte  de  Beau- 
jeu,  pour  3333  écus,  conformément  à  leur  con- 
trat de  mariage. 

Puis  venaient  de  petits  créanciers  pour  200, 
150,  61,  14,  5  écus  et  demi. 

Blaisotte  de  Madiot,  femme  de  Christophe  de 
Beaujeu,  duquel  on  avait  réservé  la  maison  et 
pourpris,  était  déboutée  de  son  opposition  et 
déclarée  forclos  (2),  en  vice  du  certificat  du 
greffier. 

Claude  de  Méry  mourut  ce  jour-là  et  son  pro- 
cureur, en  annonçant  son  décès,  prolesla  «  que 
le  délai  et  jugement  donné  par  ladite  sentence 
ne  puisse  produire py^o fit  à  ses  héritiers.  » 

Elle  avait  donné  à  François  de  Beaujeu  los 
enfants  suivants  : 

1«  Christophe  ; 

2"  Jean,  seigneur  de  Jauge  et  de  la  Tuilerie, 
qui  continuera  la  lignée  après  le  décès  des  enfants 
de  Christophe  ; 

3*  Marie  de  Beaujeu,  épouse  de  Jean  de  Mo- 
reau  (3),  par  contrat  du  28  novembre  1578,  dont 
postérité  ; 

(l)Cette  obligation  précédant  la  venue  de  la  succession  do  Claude  H 
de  Beaujeu- Volon,  primait  les  droils  de  Charlotte. 

(3)  Le  forclos  est  prononcé  lorsqu'on  a  laissé  passer  les  délais  pour 
produire  ses  pièces  en  justice. 

(3)  Cette  famille  était  originaire  de  l'Ile  de  France.  Elle  ajouta  à 


—  332  - 

4<>  Denise  mariée  en  lo86  à  Jean  Duban,  tué 
à  la  bataille  d'Ivry  le  14  mars  1590,  à  côlé 
d'Henri  IV.  Elle  se  reinarîa,  le  12  août  1390,  à 
Jean  deDrouët,  seigneur  de  la  Motte  et  de  Sainte- 
son  nom  celui  d'AvroUes  lorsque  cette  seigneurie  lui  fat  arrivée  par 
le  mariage  de  Claude  de  Moreau  avec  Anne  de  Trotas,  en  4627.  Le 
premier  Moreau  connu,  Etienne,  était  conseiller  au  Parlement  de 
Paris  et  assista,  en  4435,  aux  conférences  qui  précédèrent  la  paix 
d'Arras  entre  le  roi  Charles  Vil  et  le  duc  de  Bourgogne  Philippe  le 
Bon.  Son  fils  Jean  1  épousa  Jeanne  de  Lafontaine.  Thomas,  Qls  de 
Jean,  était  seigneur  de  Vin6t(c»nt.  deRamerupt,  arr.  d*Arcis-sur- 
Aube,  Aube)  et  eut  un  fils  du  môme  nom,  homme  d'armes  dans  la 
compagnie  du  duc  de  Montpensier  et  mort  en  4550,  des  suites  de 
ses  blessures  au  siège  de  Boulogne.  Son  fils,  Jean  II,  fut  confirmé 
dans  sa  noblesse,  le  4  février  1599.  11  avait  été  archer  de  la  compa- 
gnie de  l'amiral  Coligny,  en  4572.  Malgré  son  âge  avancé,  il  était 
avec  le  maréchal  de  Grancey-Fervaques  aux  sièges  d'Amiens,  de 
Houen,  de  la  Rochelle  en  4628. 

Il  avait  épousé,  le  28  novembre  4578,  Marie  deBeaujeu,  fille  de 
François  et  de  Claude  de  Méry,  et  en  avait  eu  3  fils  :  Claude,  sei- 
gneur de  Cheu  et  de  Jauge;  Paul,  seigneur  de  Ciselles;  François, 
seigneur  de  Sainte-Linières,  et  deux  Biles  Jeanne  et  Madeleine. 

Claude  fut  seigneur  de  Cheu  et  de  Jauge  par  sa  première  femme, 
Claudine  du  Brouillard,  qu'il  avait  épousée  le  4  novembre  4603  et 
dont  il  n'out  pas  d'enfant  ;  sa  seconde  femme,  Anne  de  Trotas  lui 
ayant  apporté  AvroUes  (canton  de  Saint-FlorenI in,  arr.  d'Auxerre, 
Yonne),  leur  fils  aîné  se  fit  appeler  Moreau  d'Avrolles,  et  ses  des- 
cendants sont  désignés  de  cette  façon.  Claude  et  Anne  de  Trotas 
avaient  eu  :  4 o  Claude,  né  en  462H,  morten46i7;  2*  Edme, seigneur 
d'Âvrolles,  qui  continuera  la  lignée  ;  3"  Bénigne,  seigneur  de  Cheu, 
sans  postérité  de  son  mariage,  le 26  novembre  1658,  avec  Charlotte 
de  Bellanger;  4'^  Louis,  né  en  1638,  mort  à  l'ennemi;  5*  Louise, 
femme  de  Claude  de  Lacroix,  marraine  de  Charles-Louis  de  Beaujeu  ; 
6*  Marie,  femme  de  Pierre  Lhuit,seigneur  de  Vaumort  ;  7*  Barbe, 
mariée  à  Marc-Antoine  de  Beaujeu,  son  cousin  (v.  plus  loin).  Armes  : 
d'azur  au  chevron  d'or,  accompagné  de  trois  têtes  de  more  de 
sable,  liées  d'argent  (La  Chbsnatb-Desbois,  t.  X,  p.  465). 


—  333  — 

Linières,  capitaine  de  chevau-légers  pour  le 
service  du  roi.  De  son  premier  mariage  elle  avait 
eu  un  fils,  Jean,  marié  1**  à  Edméede  la  Rochelle 
dont  Pierre-François  (1),  lieutenant  général  des 
armées  du  roi,  et  Blaisine  (2)  ;  2°  à  Calherine  de 
Beaujeu,  sa  cousine,  fille  de  Paul-François,  et 
dont  il  eut  une  fille,  Rose  Duban. 

5°  François  de  Beaujeu,  seigneur  de  Jauge, 
encore  mineur  en  1584  et  qui  prit  une  part  active 
aux  guerres  de  la  ligue    dans   TAuxerrois  et 


(4)  Jean  Duban  de  la  Peuillce  descendait  de  Hardi  Duban  qui, 
au  retour  de  la  dernière  croisade  de  saint  Louis,  épousa  Alphonsine 
de  la  Feuillée,  en  4276.  Pierre  fit  ses  premières  armes  en  45i7, 
avec  Claude-Paul  de  Beaujeu,  le  frère  de  sa  belle-mère.  En  4652, 
il  était  à  Barcelone,  comme  major  du  régiment  de  Beaujeu,  alors 
qa'il  envoyait  une  procuration  pour  le  mariage  de  sa  sœur  Blai- 
sine. Il  obtint,  le  31  juillet  4654,  le  régiment  de  cavalerie  de  son 
nom.  Lieutenant  général,  le  28  juin  4678,  grand  Croix  de  Saint- 
Louis  à  l'institution  de  Tordre  en  4693,  Pierre  avait  les  plus  bril- 
lants états  de  service  en  passant  par  tous  les  grades.  Il  mourut  à 
80  ans,  le  4  2  mars  4699.  Il  avait  épousé  Françoise  le  Brétel,  dont 
il  eut  Antoine  et  Louis;  ce  dernier  abbé  du  Mont  Sainte-Marie  en 
Franche-Comté,  en  469 i  (à  la  nomination  du  roi  depuis  4674). 

Après  la  conquête  de  la  Franche-Comté  par  Louis  XI V,  Pierre 
François  fut  gouverneur  de  Gray  et  de  Dôle.  Il  avait  acheté  de 
Brichanteau,  en  4683,  la  terre  de  Frolois  (canton  deFlavigny,  arr. 
de  Semur,  Côte-d'Or]  que  le  roi  érigea  en  comté  Tannée  suivante. 
Dans  les  documents  do  Tépoque,  il  est  désigné  sous  le  nom  de 
comte  de  la  Feuillée.  (V.  Mém,  de  Pinard,  commis  de  la  gutrre, 
t.  IV,  p.  303.  CouiTÉpÉB,  t.  II,  p.  270). 

(2)  Blaisine  Duban  épou'sa  Jean-Baptiste  Pitoizet  d'Obtrée,  gen- 
tilhomme servant  delà  Reine,  dont  un  fils  tué  en  Allemagne  en  4696 
et  une  fille  Marie- Anne,  épouse  de  Louis  le  Bascle  d'ArgentcuiJ 
(Arch.  do  la  Côte-dOr,  E^,  43). 


—  334  — 

mourut  sans  postérité,  maréchal  des  camps  (1)  et 
armées  du  roi. 

Au  commencement  de  la  Ligue,  il  avait  réuni 
quatre  compagnies  d'infanterie  avec  lesquelles 
il  séjournait  quelque  temps  à  Auxerre,  avant  de 
rejoindre  Mayenne.  La  prise  de  Goulanges-la- 
Vineuse  par  les  ennemis  de  la  Ligue  déchaîna  la 
guerre  civile.  On  reprit  Coulanges,  puis  François 
de  Beaujeu  s'empara  de  Mailly-le- Château,  à  la 
tête  de  5  à  6000  hommes.  Il  avait,  en  passant,  pris 
Migé,  et  s'était  ensuite  porté  vers  Leugny  qui 
se  rendit.  Le  dimanche  suivant,  ce  fut  le  leur 
d*  Annay-la-Côte  qui  dut  capituler  après  avoir  vu 
la  brèche  faite  à  ses  remparts,  et  qui  fut  mise  à 
feu  et  à  sang.  François  de  Beaujeu  eut  toute  la 
gloire  de  celte  expédition  et  la  ville  d'Auxerre  le 
gratifia  d'une  somme  d'argent  prise  dans  le  dépôt 
de  la  Ligue  (2). 

Ce  parti  resta  ensuite  tout-puissant,  se  tenant 
sur  le  qui-vive. 

A  rapproche  des  troupes  conduites  par  Ta- 
vannes,  Cypières  et  Paul  de  Beaujeu,  oncle  de 
François,  et  qui  se  dirigeaient  sur  Montbard, 


(1)  Âvani  la  création  des  lieutenants  généraux,  le  maréchal  de 
camp  était  le  seul  officier  supérieur  dans  les  armées  sous  le  comman- 
dant en  chef,  mais  on  n*en  trouve  pas  d'exemple  avant  4552,  et  ce 
ne  fut  qu'en  1610,  que  les  maréchaux  du  camp  conservèrent  leur 
tilrc,  une  fois  la  paix  faite. 

{î)  Lkbsup,  llisl.dWuxcrre,  t.  111,  p.  435-136, 


—  335  — 

François  avait  été  envoyé  pour  défendre  Lamar- 
gelle  ;  mais  il  ne  put  s'y  maintenir.  On  avait  pu 
espérer  la  paix  à  l'ou  verlure  des  Elats  Généraux  au 
mois  de  janvier  1393,  mais  la  Ligue  recommença 
ses  menées  et  François  de  Beaujeu  rejoignit  le 
duc  de  Guise  à  Joigny  avec  son  régiment.  De- 
venu gouverneur  de  Brienon-rArchevèque,  il  dut 
la  rendre,  le  3  mars  1S94,  au  maréchal  de  Biron. 
Joigny  ouvrit  ses  portes  le  26  mars,  et,  dans  les 
articles  de  la  capitulation,  il  était  dit  que  les  offi- 
ciers nommés  par  Mayenne  conserveraient  leur  . 
charge,  en  prenant  provision  (obtenant  brevet) 
du  roi,  mais  sans  rien  payer.  Il  dut  en  être  de 
même  à  Brienon  où  François  commandait  avec 
20  hommes  armés  et  25  arquebusiers  à  cheval 
sans  compter  les  troupes  réunies  dans  le  château 
de  la  Tuilerie,  près  de  Jauge  (1),  qui*  lui  appar- 
tenait. 

CHRISTOPHE 

Christophe,  baron  de  Beaujeu,  seigneur  de 
Jauge,  chevalier,  maréchal  des  camps  et  armées, 
en  1614,  était  le  fils  aîné  de  François  de  Beaujeu 
et  de  Claude  de  Méry.  Il  était  majeur  à  la  mort 

0)  Annuaire  de  fYonne^  1860,  p.  95  et  suiv.  {Le  Duc  de 
Guise  dans  I^Auxerrois,  par  M.  de  Bastaro).  A  Challe^  Hist.  des 
guerres  du  calvinisme  et  de  la  ligue  dans  l'Auxerrois,  1864.  Bib. 
nat.  mss.  do  Mesmcs  n'>  8931/12  :  Les  Capitnines  ligueurs  dans 
VAuxerrois,  p.  116. 


—  336  — 

de  son  père,  p.endant  que  ses  frères  étaient  sous 
la  tutelle  de  leur  mère  et  la  curatelle  de  Guy  de 
Montigny,  leur  parent  (t). 

Il  suivit  la  carrière  des  armes  et  fit,  en  1578, 
la  campagne  de  Flandre  où  il  se  distingua.  La 
France  soutenait  alors  contre  l'Espagne  la  révolte 
des  Provinces-Unies,  et  le  roi  Henri  III,  tout  en 
protestant  de  ses  intentions  pacifiques  auprès  du 
roi  d'Espagne,  Philippe  II,  avait  laissé  son  frère 
François,  duc  d*Alençon,  accepler  la  candidature 
.militaire  qui  lui  avait  été  oflTerte.  Mais  cette  ten- 
tative n'eut  pas  de  suite,  et  le  duc  d'Alençon  fut 
obligé  de  licencier  sa  petite  armée. 

Christophe  de  Beaujeu  revint  alors  en  France 
que  les  querelles  religieuses  divisaient  de  plus 
en  plus.  II. est  qualifié  de  seigneur  de  Jauge  dans 
un  acte  du  notaire  Edme  Poillechat  de  Dijon,  en 
date  du  12  mai  1579,  mais  il  avait  aussi  une  partie 
importante  de  la  seigneurie  de  Chazeuil,  avec  une 
maison  et  des  terres  qui  le  font  intervenir  dans 
le  procès  soutenu  par  les  habitants  de  Chazeuil 
contre  les  seigneurs  de  Tilchâtel,  relativement  à 
leurs  droits  dans  la  forêt  de  Velours.  Comme  ses 
ancêtres,  comme  son  oncle  Jean,  en  1561,  Chris- 
tophe fait  cause  commune  avec,  ses  sujets  pour 
revendiquer  les  concessions  accordées,  en  mars 


(I)  Voir  page  265.  Guy  descendait  de  Huguenio  de  Montigny, 
marié  à  GuillemeUe  de  Beaujeu,  fille  de  Thibaut. 


—  337  — 

1S12,  à  son  bisaïeul  Jean  de  Beaujeu  par  Jeanne 
de  Lenoncourt  et  Claude  deBessey,  son  fils,  alors 
seigneur  et  dame  de  Tilchâlel.  C'est  ainsi  que 
son  nom  figure  dans  les  arrêts  de  la  Table  de 
Marbre  de  Paris,  des  8  juillet  1580,  9  juillet  et 
23  novembre  1581 ,  qui  définissent  ses  droits  et 
ceux  des  habitants  de  Chazeuii,  de  la  portion  de 
Beaujeu.  Mais  il  n'était  plus  là  lors  du  prononcé 
des  derniers  arrêts,  car  il  avait  pris  le  chemin  de 
Texil. 

Le  duc  d'Alençon,  rentré  en  France  après  sa 
campagne  de  Flandre,  avait  ouvertement  donné 
congé  à  ses  troupes,  mais  il  continuait  ses  menées 
et  restait  d'accord  avec  les  protestants.  Il  avait 
conservé  des  relations  avec  la  Ferté-Imbault  (1) 
et  Christophe  de  Beaujeu  qui  n'avaient  pas  licen- 
cié leurs  compagnies.  Il  y  avait  encore,  auprès  de 
Saint-Florentin,  le  régiment  de  M.  de  Montfort 
qui  n'avait  pas  moins  de  1200  hommes,  sans 
compter  les  300  hommes  que  la  Ferté  et  Beaujeu 
pouvaient  rassembler  en  trois  jours  (2).  En  juillet 
1580,  le  roi  qui  voulait  aller  à  Bourbon-Lancy, 
où  la  reine  Louise  de  Lorraine  prenait  les  eaux, 
fît  mander  à  Tavannes  de  marcher  contre  celte 


(\)  Claude  d'Etampea,  baron  de  la  Ferté-Imbault,  seigneur  de 
Mont-Saint-Sulpico  et  de  Villefargeau,  descendait  d'Gdm<^e  le 
Rotier,  fille  d'Edme  le  frère  de  Jeanne,  iro  femme  de  Jean  111  de 
Beaujeu.  Voir  page  279. 

(l)  Mémoires  de  Tavanhes^  liv.  Il,  p.  463. 

25 


—  338  — 

troupe  et  de  la  disperser.  C'est  là  sans  doute  qu'il 
faut  chercher  les  motifs  de  Texil  de  Christophe- 

Pendant  son  absence  se  déroula  le  procès  in- 
tenté par  Christophe  de  Choiseulpour  le  paiement 
de  la  dot  de  Charlotte  de  Beaujeu,  sa  femme,  et 
qui  se  termina  par  la  vente  judiciaire  de  Chazeuil, 
le  IS  décembre  1584,  Mais  il  fut  mis  hors  de 
cause,  et  sa  part  fut  réservée  et  laissée  en  dehors 
de  Tadjudication. 

Le  30  août  1586,  il  était  partie  au  jugement 
de  la  Table  de  Marbre  de  Paris  qui  terminait  le 
procès  relatif  à  la  forêt  de  Velours.  Il  avait  gain 
de  cause,  et  les  habitants  de  Chazeuil,  ses  sujets, 
obtenaient  «  trois  arpens  par  feu,  en  une  pièce 
sur  l'avenue  de  Chazeuil,  au  plus  proche  et  com- 
mode pour  les  habitants,  et  séparée  par  des 
bornes  et  fossés  de  la  portion  du  sire  de  Baissey. 
Les  habitants  étaient  tenus  de  mettre  ces  bois  en 
coupe  à  la  révolution  de  dix  ans,  en  y  laissant 
balivaux  autres  que  ceux  délaissés  aux  précé- 
dentes coupes  (1).  » 

Il  était  encore  parlé  de  sa  maison  et  de  ses 
biens  de  Chazeuil,  le  20  mai  1S87,  dans  laccord 
fait  par  sa  tante,  Marthe  de  Villeneuve,  veuve  de 
Jean  IV  de  Beaujeu,  avec  l'évoque  de  Langres, 
à  propos  de  leurs  droits  respectifs  à  Chazeuil,  et 
où  il  est  entendu  qu'il  n'est  pas  question  de  la 

(U  Arch.  do  la  Côled'Or,  E,  1823. 


—  339  — 

maison  de  Christophe  de  Beaujeu  (1).  Mais  l'an- 
née suivante,  sa  portion  était  cédée  à  Tévèque, 
car,  le  31  août,  il  paraît  comme  ayant  droit  de 
Christophe,  dans  Texécution  de  Tarrèt  du  30  août 
1586. 

Christophe  rentra  en  France  en  1589.  Comme 
il  le  dit  lui-môme  dans  un  sonnet  au  roi  (2),  il 
était  un  des  chefs  des  15.000  Suisses  levés 
par  Sancy  (3)  pour  le  compte  d'Henri  III  et  qui 
arrivèrent  après  son  rapprochement  avec  Henri, 
roi  de  Navarre,  le  30  avril,  à  Plessis-les-Tours. 

Il  était  à  Genève  avec  Chau mont-Guitry  et 
Beauvais,  lorsqu'ils  reçurent  par  Sancy,  à  la  fin 


(\)  Arch.  de  la  Côte-d'Or,  E,  1375. 

{%)  Dans  les  Mémoires  de  la  HuGUERiE,t.  I.  p.  22,  en  note,  Chris- 
tophe est  donné  comme  capitaine  huguenot.  C'est  une  erreur  facile 
à  démontrer.  Dans  ses  poésies,  Christophe  adresse  un  sonnet  au 
roi  et  un  autre  au  duc  de  Guise,  le  plus  terrible  adversaire  de  la 
réforme^  qu'il  nomme  Vhonneur  de  toute  la  terre.  Son  livre  sur  la 
Suisse  est  dédié  au  président  Brisson,  créature  de  Mayenne.  D'un 
autre  côté,  un  capitaine  huguenot  n'aurait  pas  accepté  de  se  ren- 
dre en  exil  ;  il  aurait  rejoint  les  troupes  de  Condé  et  du  roi  de 
Navarre.  Il  est  plus  rationnel  de  penser  que  Christophe^  attaché  au 
duc  d'Alençon,  avec  lequel  il  avait  fait  campagne,  ne  voulut  pas 
suivre  jusqu'au  bout  ce  prince  dans  ses  intrigues,  surtout  lorsqu'il 
le  vit  faire  alliance  avec  les  protestants,  et  qu'il  préféra  aller  en 
exil  plutôt  que  de  porter  les  armes  contre  le  roi. 

(3)  Nicolas  de  Harlay  de  Sancy,  ministre  sous  Henri  iil,  et  Henri 
IV,  né  en  4546,  mort  en  1629.  Successivement  conseiller  au  parle? 
ment,  capitaine  des  cent  Suisses,  ambassadeur  en  Angleterre  et  en 
Allemagne,  surintendant  des  finances,  il  fit  preuve  partout  d'une 
grande  intelligence.  Il  possédait  le  diamant  connu  sous  son  nom, 
et  qui  fut  plus  tard  acheté  par  le  Bégent. 


—  340  — 

de  mars,  comraunicalion  des  ordres  du  roi  qui  le 
relevait  de  son  exil  et  faisait  appel  à  son  dévoue- 
ment. Il  resta  à  Genève  pendant  que  Sancy  trai- 
tait avec  Berne.  Les  cantons  de  Zurich,  Bâie, 
SchaflFouse,  Saint-Gall  et  la  ville  de  Strasbourg 
avaient  consenti  à  une  alliance.  Le  duc  Frédéric 
de  Wurtemberg,  qui  voyait  fumer  encore  dans  son 
petit  état  les  ruines  accumulées  par  les  Guises, 
saisit  l'occasion  de  se  venger  et  promit  son  con- 
cours, sous  rinfluence  de  Paul  de  Beaujeu. 

Les  Suisses  devaient  se  réunir  près  de  Genève, 
pour  passer  la  revue  le  IS  avril.  En  annonçant  à 
Christophe  de  Beaujeu  et  à  ses  compagnons  Theu- 
reux  résultat  de  ses  démarches,  Sancy  leur  en- 
joignait de  se  hâter  et,  au  besoin,  de  ne  pas 
attendre  le  gros  de  l'armée  pour  envahir  les  Etats 
du  duc  de  Savoie  qui  n'était  pas  sur  ses  gardes. 
Six  compagnies  d'infanterie,  comprenant  envi- 
ron 1200  hommes,  traversèrent  rapidement  le 
Faucigny  et  s'emparèrent  du  château  de  Men- 
Ihon,  dans  les  premiers  jours  d'avril  ;  puis  Guitry, 
qui  les  commandait,  rentra  à  Genève.  Là,  Sancy, 
à  qui  les  Suisses  avaient  fourni  cent  mille  écus, 
remit  à  des  marchands  italiens  son  fameux  dia- 
mant contre  d'autres  sommes  d'argent. 

Christophe  de  Beaujeu  suivit  Sancy  à  travers 
la  Franche-Comté  où  on  leur  fournit  des  vivres, 
par  suite  d'une  convention  avec  l'Espagne.  Lors- 
qu'ils eurent  traversé  la  Saône  à  Port-sur-Saône, 


—  341  — 

ils  trouvèrent  ïavannes  que  le  roi  envoyait  à 
leur  rencontre  avec  300  chevaux.  On  se  dirigea 
sur  Langres  dont  les  habitants  tenaient  pour  le 
roi,  mais  demandaient  à  être  débarrassés  des 
postes  de  ligueurs  qui  se  trouvaient  dans  les  en- 
virons. C'est  pourquoi  on  alla  mettre  le  siège 
devant  Châteauvillain  qui  se  rendit  (1).  A  la  fin 
de  juillet,  Christophe  de  Beaujeu  et  l'armée  des 
Suisses  étaient  sous  Paris,  avec  Henri  III  campé 
à  Saint-Cloud  et  le  roi  de  Navarre  à  Meudon. 

Le  l^^'aoïit,  Henri  III  élait  assassiné  par  Jacques 
Clément,  et  Sancy  et  les  Suisses  reconnaissaient 
Henri  IV  ;  mais  il  y  a  lieu  de  croire  que  Chris- 
tophe, sans  penser  à  se  jeter  dans  le  parti  opposé, 
hésita  à  accepter  un  roi  huguenot.  En  effet,  c'est 
en  cette  année  1 389  qu'il  publia  des  poésies  suivies 
d'un  essai  sur  la  Suisse,  chez  Didier  Millot,  rue 
de  la  Petite-Bretonnerie,  à  Paris  :  ce  quïl  n'eût 
pu  faire  s'il  avait  suivi  Henri  IV  à  Arques. 

Il  raconte  dans  une  épltre  au  lecteur,  «  que  la 
fortune  ayant  pris  fort  grand  plaisir  à  se  jouer  de 
lui  dix  ans  entiers,  s'est  lassée  de  ses  tourments, 
estant  appelée  pour  ruiner  d'autres  desquels  elle 
aura  non  plus  d'honneur  mais  plus  de  proffit  et 
le  laissa  en  Suisse  achever  le  reste  de  son  exil 
où  il  a  demeuré  trois  ans,  n'ayant  pour  lors  rien 


(I)    Dr  Thoo,    HisL  unioerseUe,   t.    X,  liv.  XCVI  (Londres, 
MDGGXXXIV),  p.  646,7,  8,650,  3,  8. 


-  342  ".   . 

à  faire  qu'à  soupirer  son  mal  qui  le  lenail  eu  dc- 
dàin  de  sa  patrie...  » 

Il  explique  que  les  premières  années  de  son  exil 
ont  été  passées  en  Italie,  en  Allemagne  et  en  Es- 
pagne et  ont  été  pénibles.  Ses  rapports  avec  les 
Espagnols  n'ont  cependant  pas  été  mauvais,  mais 
il  n'a  pas  eu  à  se  louer  des  Italiens  et  des  Alle- 
mands. En  revanche  il  vante  la  beauté  de  la 
Suisse  et  l'aménité  de  ses  habitants. 

Rappelant  ^a  Franciade^  de  Ronsard  (t),  il  dit 
qu'il  veut  Timiter  et  donner  en  outre  un  livre 
sur  la  Suisse.  La  première  partie  seule  a  paru  et 
ne  fait  pas  regretter  les  autres.  Comme  celui  de 
Ronsard,  son  modèle,  son  style  est  maniéré,  cher- 
ché et  vise  au  néologisme,  mais  il  n'a  pas  les  qua- 
lités qui  font  la  gloire  de  Ronsard.  Voici  du  reste 
son  sonnet  au  roi  : 

Sire,  depuis  que  moy  voire  sujet  espave. 
Chassé  même  du  ciel  fus  hoste  des  Germains, 
Estant  l*unique  horreur  du  reste  des  humains. 
Je  vainquis  ma  fortune  et  en  devins  plus  brave. 
Courageux  du  destin,  je  ne  me  fis  esclave. 
Ains(i),  content  de  venir  avec  Mars  aux  mains, 
De  vos  Suisses  chef  en  France  je  revins, 
Faisant  trembler  les  monts  qu'un  Rosne  toujours  lave. 

(1)  Ronsard,  poète  français  né  en  1524  près  de  Vendôme,  mort 
en  4585,  fut  page  du  duc  d'Orléans,  fils  du  roi  François  II,  puis 
du  prince  Jacques  Stuart.  Il  fut  d'abord  chargé  de  missions  diplomati- 
ques puis,  devenu  sourd,  se  voua  aux  lettres.  Il  fut  le  chef  d'une  nou- 
velle école  qui  avait  pour  but  de  régénérer  la  langue  française. 


-  343  — 

Mais  comme  Phaeton  cl  plus  remply  de  gloire 
Mon  heur  ne  me  laisse  de  lui  que  la  mémoire. 
Et  me  veis  renverser  trop  luing  de  mon  projet. 
Alors,  je  remontai  vainqueur  de  ma  tristesse^ 
Sur  les  monts  mi-déserts  où  se  tient  ma  maîtresse, 
Et  chantay  mes  amours  faute  d'autre  suhjet. 

Entre  ses  poésies  et  son  livre  de  la  Suisse, 
sont  deux  sonnets  :  le  premier,  de  Guillaume 
de  Hautemer,  comte  de  Grancey,  plus  connu 
sous  le  nom  de  Fervaques,  qui  était  gouverneur 
du  duché  de  Bourgogne  sous  la  Ligue  et  devint 
ensuite  le  fidèle  etTami  de  Henri  IV.  Le  second, 
signé  de  Claude  d'Etampes,  seigneur  delà  Ferlé- 
Imbault  (1).  Ils  ne  sont  pas  meilleurs  ni  plus 
mauvais  que  celui  de  Christophe  (2). 

Les  relations  de  Christophe  de  Beaujeu  avec  le 
favori  d'Henri  IV  expliquent  comment  il  reprit 
du  service  à  l'avènement  de  ce  prince.  Il  était 
maréchal  de  camp  en  1614,  mais,  en  1621, 
lorsque  Louis  XIII  était  en  guerre  avec  les  pro- 
lestants du  midi  révoltés,  Christophe  se  trouvait 
dans  les  troupes  du  duc  de  Lorraine  Henri  II, 


(1)  Le  père  de  Jacques  de  la  Ferté-Imbault,  maréchal  de  France, 
et  qui  était  marié  avec  Jeanne  de  Hautemer,  soeur  de  Guillaume, 
comte  de  Grancey  (voir  page  337,  note  1). 

(2)  Dans  les  œuvres  de  Christophe  se  trouvent  des  odes, des  élé- 
gies, des  complaintes  et  ce  que  l'auteur  lui-même  appelle  un  torrent 
de  sonnets,  puisqu'il  y  en  a  cent  vingt  et  undesuite.  Le  volume  se 
termine  par  le  premier  et  unique  chant  sur  la  Suisse.  Le  poème 
devait  en  avoir  douze. 


-  344  — 

avec  le  grade  d'aide  major  de  maréchal  de 
camp  (l). 

Christophe  mourut  en  1636.  Il  avait  épousé 
en  premières  noces  Blaisoltecfe  Madîot(2)  qui  est 
déboutée  de  ses  prétentions  pou  ries  reprises  de  sa 
dot  sur  le  prix  de  la  terre  de  Ghazeuil,  lors  de 
la  vente  du  15  décembre  1884. 

Il  eut  une  seconde  femme,  Diane  de  Comi- 
tin  (3),  fille  de  Louis,  seigneur  de  la  Motte,  et 
de  Diane  de  Saint-Privé.  Elle  le  rendit  père  d'un 
fils.  Pierre,  tué  servant  volontaire  sous  M.  le 
Prince  et  qui  avait  assisté  comme  témoin,  le 
9  avril  1611,  au  paiement  de  la  terre  de  Fontaine 
à  Jean  de  Beau  jeu,  son  oncle.  Après  sa  mort, 
son  héritage  passa  au  fils  de  ce  dernier. 


(t)  Cette  circonstance  pourrait  faire  croire  qu'il  ne  voulait  pas 
combattre  les  protestants,  et  confirmerait  l'opinion  de  la  Hcgubkie. 
Voir  p.  339  note  2. 

(2)  C'est  ainsi  que  le  nom  est  écrit  dans  les  pièces  de  procédure  : 
mais  malgré  les  recherches  les  plus  sérieuses,  il  n'a  pas  été  possible 
de  le  rapporter  à  une  famille  connue. 

(3)  Comitin  portait  d'argent  à  six  yeux  au  naturel  2,  2  et  2. 


CHAPITRE  III 
BRANCHE  DE  LA  TUILERIE 

JEAN   V 

Jean  de  Baujen  V,  seigneur  de  la  Tuilerie, 
Lézinnes,  et  de  Pouy  par  sa  femme,  élait  le 
second  fils  de  François  de  Beaujeu  et  de  Claude 
de  Méry,  et  partagea  la  succession  de  son  père  et 
de  sa  mère  avec  ses  frères  et  sœurs,  le  12  décem- 
bre 1592. 

Il  avait  épousé  Catherine  de  Saint-Biaise  (1), 
fille  d'Hector,  seigneur  de  Pouy  (2)  et  de  Barbe 
de  Monchy  (3),  et  seize  jours  après,  le  30  octobre 

(\)  Saint-Biaise,  commune  de  MesniUSaint-Père,  cant.  de  Lusi- 
gny,  arr.  de  Troyes,  Aube.  La  famille  de  ce  nom  portait  d'azur  à 
la  pointe  d'argent. 

(2)  Pouy,  canton  de  Marcilly-le-Hallier,  arr.  de  Nogent- sur- 
Seine,  Aube. 

(3)  La  maison  de  Monchy  portait  de  gueules  à  3  maillets  d'or. 
Elle  est  originaire  de  la  Picardie,  où  il  existe  cinq  villages  de  ce 
nom  dans  le  Pas-de-Calais  et  la  Somme.  Cette  Barbe  ne  se  trouve 
pas  nommée  dans  les  généalogies  de  la  famille  dressées  par  La  Ches- 
natr-Drsbois  et  Moréri,  mais  il  faut  certainement  ridentifier  avec 
la  6<s  enfant  d'Antoine  qui  est  simplement  désignée  sans  prénom  et 
comme  morte  sans  alliance.  On  en  aura  la  preuve  certaine  plus  loin 
en  voyant  la  femme  et  le  fils  de  Georges  de  Monchy,  frère  de  cette 
6*  enfant,  tenir  sur  les  fonts  baptismaux  Claude-Paul  de  Beaujeu, 
fils  d'Anne  de  Saint-Biaise. 


—  346  — 

1599,  il  servait  de  témoirx  à  Paul-François  de 
Beaujeu ,  seigneur  de  Villiers- Vineux,  son  cousin, 
qui  prenait  pour  femme  Anne  .de  Saint- Biaise, 
sœur  de  Catherine. 

Par  son  contrat,  passé  le  14  octobre  1399  de- 
vant W  Guiboriau,  notaire  royal  à  Sen?,  il  lui 
avait  été  promis,  pour  la  dot  de  Catherine,  une 
rente  de  500  francs  ou,  à  son  choix,  la  terre  de  Lé- 
zinnes,  avec  faculté  de  rachat.  Mais  la  rente  n'a- 
vait pas  été  payée  régulièrement  lorsque  survint 
la  mort  d'Hector  de  Saint-Biaise,  son  beau-père. 

Catherine  réclama  alors  Texécution  de  son 
contrat  et,  sur  le  refus  de  son  mari,  elle  se  fit 
autoriser  par  la  justice  pour  commencer  les 
poursuites.  Mais  les  parents  et  amis  étant  inter- 
venus, un  arrangement  eut  lieu,  à  Villiers- 
Vineux,  le  22  juin  1606,  entre  Louis  de  Sainl- 
Blaise,  héritier  de  son  père,  par  bénéfice  d'in- 
ventaire, et  Catherine  de  Saint-Biaise,  autorisée 
cette  fois  par  son  mari. 

Catherine  s'engageait  à  renoncer  à  la  succes- 
sion de  son  père  et  de  Barbe  de  Monchy ,  sa  mère, 
au  profit  de  Louis  de  Saint-Biaise,  son  frère,  qui 
lui  abandonnait,  en  compensation,  la  terre  de 
Lézinnes  avec  toutes  ses  appartenances  et  dépen- 
dances, libre  et  franche  de  toute  délie.  Il  s'en- 
gageait de  plus  à  remettre  les  titres,  contrats  et 
papiers  concernant  cette  seigneurie,  et  il  renon- 
çait à  la  faculté  de  rachat.  Kt,  comme  Lézinnes 


—  347  — 

n'était  pas  du  revenu  de  800  fr.,  somme  stipulée 
dans  le  contrat  de  mariage  de  sa  sœur,  il  prenait 
rengagement  de  lui  verser  4500  livres  tournois, 
et,  à  défaut  de  versement,  à  payer  les  intérêts 
au  denier  seize  (6  0/0)  avec  hypothèque  sur  la 
terre  de  Fontaine,  primant  celle  de  Colombe 
Boucher,  sa  femme  ;  ce  qui  fut  consenti  par 
ladite  Colombe  et  Edme  de  Boucher,  seigneur 
de  Flogny,  son  père. 

Les  témoins  étaient  Alexandre,  Paul-François 
et  Scipion  de  Beaujeu  (1). 

Louis  de  Saint-Biaise  avait  eu  en  partage  la 
terre  de  Pouy  et  comme  il  mourut  sans  enfant, 
en  1608,  elle  fut  partagée  entre  ses  sœurs.  Mais 
Colombe  était  remariée,  dès  le  23  juillet  1608, 
à  Patrice  le  Bascle,  seigneur  de  Moulins  (2),  et 
avait  des  reprises  à  faire  pour  sa  dot.  Les  pour- 
parlers n'aboutirent  que  le  9  avril  1611.  Ce  jour- 
là,  à  Paris,  avec  Taide  de  deux  notaires  au  Chà- 
telet,  Patrice  le  Bascle,  comme  mari  de  Colombo 
Boucher,  veuve  de  Louis  de  Saint-Biaise  d'une 
part,  et  Jean  de  Beaujeu,  seigneur  de  Jauge, 
tant  en  son  nom  qu'en  celui  de  Catherine  de 
Saint-Biaise,  sa  femme  et  comme  fondé  de  pou- 
voir d'Anne  de  Saint-Biaise,  sa  belle  sœur 
autorisée  de  Paul-François  de  Beaujeu,  seigneur 
de    Villiers- Vineux,  son  mari,  d'autre  part,  fai- 

(S)  Arch.  delà  Côte-d'Or,  E»,  48. 

(2)  Moulins,  canton  de  Noyers,  arr.  de  Tonnerre,  Yonne. 


—  348  — 

saient  le  Iraité  suivant  :  sur  la  somme  de 
17.000  livres  versée  par  Nicolas  Brulart,  chevalier, 
seigneur  de  Sillery,  chancelier  de  France, 
acquéreur  de  la  terre  de  Fontaine,  moyennant 
25.000  livres,  par  acte  du  6  mai  1610,  Patrice 
le  Bascle  recevait  15.000  livres  montant  de  la  dot 
de  Colombe  Boucher,  sa  femme.  Sur  le  reste  il 
était  attribué  à  Jean  de  Beaujeu  1878  livres 
15  sols,  etc. 

Les  témoins  étaient  Pierre  de  la  Roche,  prévôt 
de  Villiers- Vineux,  et  Pierre  de  Beaujeu,  écuyer, 
demeurant  audit  Villiers  (1). 

Le  vendredi  2  septembre  1613,  au  château  de 
Villiers-Vineux,  Patrice  le  Bascle  rachetait  de 
Catherine  et  d*Anne  de  Saint- Biaise  la  terre  de 
Pouy  qu'elles  s'étaient  partagée  après  la  mort 
de  Louis  de  Saint-Biaise,  leur  frère,  premier 
mari  de  la  femme  de  Patrice,  Colombe  Boucher, 
à  laquelle  il  était  dû  un  douaire  de  4000  livres. 
Pour  devenir  seuls  propriétaires  de  la  seigneurie 
de  Pouy,  les  époux  le  Bascle  renonçaient  à  toute 
réclamation  pour  le  douaire  et  les  arrérages  qui 
pouvaient  être  dus,  et  cédaient  une  rente  de 
500  livres,  rachetablede  8000  livres,  et  une  autre 
de  168  livres,  au  rachat  de  2700  livres,  due  par 
Melchior  de  Chaugy,  seigneur  de  Vézinnes  (2). 

Jean  de  Beaujeu  fit  son  testament  à  Cheu,  dans 

(t)  Pierre  était  le  fils  de  Christophe  (voir  p.  3U). 
(2)  Arch.  de  la  Côle-d'Or,  E,  H  03*. 


—  349  — 

la  maison  de  Claude  de  Moreaii,  son  cousin,  le 
28  janvier  1626.  Dans  cet  acte  il  demande  à  être 
inhumé  dans  l'église  de  Jauge,  à  côté  de  ses  pré- 
décesseurs ii  sous  une  tombe  en  pierre  de  Ton- 
nerre  qu'il  avait  fait  préparer  d'avance.  Il 
désire  que  le  jour  de  son  décès  ou  le  lendemain, 
il  soit  célébré  un  service  solennel  à  6*  ou  0  leconSy 
et  quatre  autres  messes  avec  salut  ordinaire  de 
la  Vierge,  comme  c'est  la  coutume  pour  personnes 
de  sa  qualité  ;  et  chaque  prêtre  recevra  la  somme 
de  dix  sous.  » 

«  Son  corps  sera  porté  par  six  personnes  choi- 
sies par  son  exécuteur  testamentaire. 

«  Le  luminaire  pourra  aller  jusqu'à  vingt 
livres  de  cire,  pour  les  cierges,  torches  et  cha- 
pelles. 

«  Les  pauvres  de  Jauge  seront  aumônes  jus- 
qu'à 30  livres. 

«  Un  nouveau  service  devra  être  célébré  après 
40  jours  et  au  bout  de  Tan,  comme  il  est  ordinaire 
et  sans  préjudice  d'une  messe  chantée  chaque 
jour  de  l'année. 

((  Il  sera  donné  trente  livres  à  la  fabrique  de 
l'église  pour  être  employées  aux  réparations  né- 
cessaires. 

«  Jean  de  Beaujeu  donne  ensuite  le  nom  de 
ses  dix  enfants,  et  déclare  que  Charles,  l'un  d'eux, 
est  entièrement  porté  à  des  actions  déréglées, 
dérogeant  à  sa  qualité  et  cela  depuis  son  jeune 


—  350  — 

âge,  et  malgré  les  remontrances  qui  lui  ont  été 
faites  par  plusieurs  notables  seigneurs,  leurs  pa- 
rents et  amis,  après  son  père  et  sa  mère.  Mis  en 
pension  à  Tabbaye  de  Pontigny,  sur  Tavis  de  la 
famille,  il  en  est  sorti  depuis  trois  ans,  et  clan- 
destinement lors  du  décès  de  l'abbé  ;  et  depuis  ce 
temps  il  s'est  mal  gouverne  y  blasphémant  le  saint 
nom  de  Dieu,  fréquentant  les  jeux  et  tavernes 
a,vec  gens  de  mauvaise  vie  et  voleurs^  se  pre- 
nant ordinairement  de  vin  et  a  plusieurs  fois 
dérobé  des  chevaux  et  de  l'argent  dépensé  avec 
ceux  qu'il  fréquente.  Il  s'est  porté  à  des  voies  de 
fait  contre  sa  mère  qui  lui  faisait  des  remon- 
trances, rinjuriant  et  lui  disant  des  paroles  mal- 
sonnantes et  indignes  à  réciter.  Il  est  mémo 
allé  trouver  Tennemi  capital  de  son  père  et  lui  a 
offert  ses  services  contre  les  siens. . .  C'est  pourquoi 
il  le  déshérite  et  l'exclut  de  pouvoir,  après  son 
décès,  avoir  ni  prendre  aucune  chose  en  ses 
biens  tant  meubles  qu'immeubles  DE  fief  ou  de 
ROTURE,  sans  aucune  espérance  ni  retour^  re- 
commandant à  Texécuteur  testamentaire  de  faire 
enregistrer  aux  sièges  et  présidiaux  de  Sens, 
Troyes  et  autres  lieux  où  besoin  sera,  pour  en- 
suite signifier  ce  que  dessus  audit  Charles  afin 
qu'il  ne  puisse  en  ignorer.  Il  nomme  enfin,  pour 
exécuteur  leslamenlaire,  Catherine  de  Saint- 
Biaise,  sa  femme,  qu'il  supplie  d'accepter  (!)•  » 

(I)  Arch.  de  la Côted'Or,  E,  73. 


—  331  — 

Catherine  avait  fait  le  même  testament  le  30 
décembre  1620,  avec  cette  différence  qu'elle  ne 
nomme  que  huit  enfants,  sans  parler  de  Catherine 
et  de  Marianne,  sans  doute  déjà  mariées  (I). 

Les  voici  dans  l'ordre  donné  par  le  testament 
de  son  mari  : 

1**  Edme  ; 

2**  Catherine,  femme  de  Lazare  de  Grandry  (2), 
major  (3)  du  régiment  de  Langerou  ; 

3"*  Charles,  déshérité  par  ses  parents  ; 

4^  François,  mort  jeune  ; 

5°  Louis,  sans  alliance  ; 

G°  Jean,  sans  postérité; 

7°  Marie-Anne,  épouse  de  Jacques  de  Ville- 
braillon  (4),  seigneur  d'Arbelel,  dont  elle  était 
veuve  en  1675; 

8'  Jacques  ;    * 


(1)  Arch.  de  l'Yonne,  B.  288,  ('^  62  "•«. 

(2)  Cette  famille  (irait  son  nom  du  village  de  Grandry  (canton  de 
Moulin-Eogilbert,  arr.  de  Château-Chinon,  Nièvre).  Elle  parait 
dès  le  xiii^  siècle  et  existait  encore  au  xviiie.  En  1274,  Pierre  de 
Grandry  se  reconnaît  vassal  du  comte  de  Nevers  et  ses  succ6sseurâ 
paraissent  dans  les  montres  d'armes  et  sont  qualifiés  de  chevaliers 
des  ordres  du  roi.  Les  Grandry  portaient  d'argent  à  trois  trèfles  de 
sinople  (vert).  (Voir  l'Inventaire  des  titres  de  Nevers  de  l'abbé 
de  Marolles). 

(3)  Le  majur  était  le  plus  ancien  capitaine  du  régiment.  11  com- 
mandait le  deuxième  escadron,  le  premier  étant  .«ous  les  ordres  du 
mestre  de  camp  ou  colonel  ou  du  capitaine -lieutenant. 

(i)  Ce  nom  donné  ainsi  dans  la  généalogie  dressée  par  d'IIozisa 
ce  se  trouve  pas  dans  les  armoriaux. 


—  352  — 

9^  Marie,  connue  seulement  par  le  testament 
de  ses  parents  ; 

10°  Marc-Antoine,  seigneur  de  Pouy,  lieutenant 
de  chevau-légers  du  duc  d'Enghien  sous  lequel 
il  servait  au  siège  deMardick(l),  avec  son  neveu 
Claude-Paul,  en  1646,  fut  capitaine  au  régiment 
de  Beaujeu.  Marié  à  Barbe  de  Moreau,  sa  cousine, 
fille  de  Claude,  seigneur  de  Cheu  et  petite-fille  de 
Jean  de  Moreau,  seigneur  de  Vinet  et  de  Marie 
de  Beaujeu  (2),  il  en  eut  deux  filles  :  1°  Edmée- 
Eléonore,  baptisée  à  Jauge,  le  2  décembre  1662  ; 
2°  Marie,  baptisée  à  Jauge,  le  Ai  octobre  1665  et 
ayant  pour  marraine  Marie  de  Boucher,  femme 
d'Henri  de  Boulard  (3),  écuyer,  seigneur  de  la 
Brûlerie. 


(1)  Mardick,  village  à  40  kil.  de  DuDkerquB,  sur  la  mer.  Le  43 
août,  Marc-Antoine  dînait  derrière  un  épaulement,  invité  avec  deux 
autres  compagnons  par  Hussy-Babutin  qui  avait  demandé  les  six 
petits  violons  du  duc.  On  n'en  était  encore  qu'au  potage  quand  la 
fôte  fut  interrompue  par  les  ennemis  qui  avaient  fait  irruption  dans 
la  tranchée.  Bussy  fit  mettre  sa  compagnie  à  cheval  et  Beaujeu  le 
suivit.  Il  se  mit  à  la  tête  de  la  compagnie  qu'il  voulait  mener  à  la 
charge.  Bussy  ayant  refusé,  Beaujeu  s'avança  seul  à  dix  pas  de 
l'ennemi  pour  tirer  son  pistolet,  mais  son  cheval  ayant  été  tué,  il 
aurait  été  pris  si  Bussy  n'avait  fait  avancer  ses  hommes  (Mémoires 
de  BussT,  1. 1,  p.  444,  147). 

(2)  Marie  était  fille  de  François  de  Beaujeu  (v.  p.  334,  note  3). 

(3)  On  trouvera  plus  tard  une  alliance  avec  les  Boulard,  dans 
le  rameau  d'Àngeville  et  de  Mézilles. 


—  353  — 


EDME 


Edmo  de  Beaujeu,  fils  aine  de  Jean  V  et  de 
Calherine  de  Saînt-Blaise,  élait  soigneur  de  la 
Tuilerie  et  de  Jauge,  en  parlie,  après  la  mort  de 
sou  père.  Il  hérila  d'une  autre  parlie  au  décès  du 
fils  de  Christophe  qui  avait  eu  le  fief  principal. 

Comme  tous  les  gentilshommes,  Edme  avait 
pris  du  service  pendant  la  guerre  de  trente  ans, 
ot  quoiqu'il  ne  soit  pas  arrivé  à  un  grade  élevé, 
c'était  un  personnage  d'une  certaine  importance, 
puisqu'il  épousait,  en  1644,  Geneviève-Françoise 
de  Baugy,  fille  de  Nicolas  de  Baugy,  ambassa- 
deur pour  le  roi  en  Hollande,  et  d'Anne  Parfait  (1). 
A  ce  moment,  ce  poste  ne  pouvait  être  confié 
qu'à  un  homme  d'une  grande  valeur  et  môme 
d'une  haute  position,  par  suite  des  circonstances 
particulièrement  difficiles  où  se  trouvait  la  Hol- 
lande, sollicitée  d'un  côté  par  l'Espagne  qui 
voulait  reprendre  son  influence  chez  elle,  et,  de 
l'autre,  par  la  France  qui  cherchait  à  l'attirer  dans 
son  alliance  et  fit  reconnaître  son  indépendance 
par  le  traité  de  Weslphalie,  en  1648  (2). 


(t)  Honoré  Parfait,  seigneur  Je  Garancière,  était  un  peu  plus 
tard  contrôleur  de  la  maison  du  roi  (La  Chesnaye- Desbuis,  v.  Mes- 

grigny)- 

(i)  Voir  Mémoires  de  Richelieu,  collection  Petitot,  t.  XXVI, 
p.  21 

26 


^  354  _ 

Par  obligation  du  28  janvier  1650,  Edme  de 
Beaujeu  avait  prêté  3000  francs  à  Catherine  de 
Beaujeu,  sa  cousine,  veuve  de  Jean  Duban,  sei- 
gneur de  Vannai re.  Catherine  étant  décédée  elle- 
même,  Edme  dut  s'adresser  à  sa  fille,  Rose 
Duban,  alors  sous  la  curatelle  de  Jean  Robin, 
bourgeois  de  Paris,  et,  par  exploit  du  28  sep- 
tembre 1655,  il  réclamait  le  mon  tant  de  sa  créance. 
Le  10  janvier  1656,  il  obtenait  un  arrêt  qui 
condamnait  sa  débitrice  à  lui  rembourser  ladite 
somme  de  3000  francs,  avec  les  intérêts  du  jour 
de  la  demande  en  Justice. 

Rose  s'était  mariée  le  19  juillet  suivant;  elle 
interjeta  appel.  Mais  la  cour,  par  un  nouvel 
^rrôt  du  30  août  1657,  rejetait  sa  demande  et 
Edme  obtenaitjugementexécutoire,le5aoùt  1658. 
Cependant  les  relations  n'avaient  pas,  pour  cela, 
été  refroidies  entre  les  plaideurs,  car  Edme 
était  parrain,  le  20  septembre  1657,  du  fils  de  ses 
adversaires. 

Edme  était  mort  le  10  février  1672,  lors- 
qu'on baptisait  l'enfant  de  sa  fille  Louise  qui 
était  sous  la  tutelle  de  son  oncle  Eugène  de 
Baugy. 

De  son  mariage  avec  Geneviève  de  Baugy, 
Edme  avait  eu  neuf  enfants  : 

1"  Anne-Louise,  marraine  à  Jauge  les  1"  et 
29  novembre  1648,  mariée  le  6  novembre  1675, 
à  la  paroisse  de  Saint-Symphorien  de  Sens,  avec 


—  355  — 

Louis  le  Vuyt  (1),  écuyer,  seigneur  de  la  Molle 
de  Rosoy,  dont  elle  avait  un  enfant,  comme  Tin- 
dique  Tinscriplion  suivante  recueillie  sur  les 
registres  paroissiaux  de  Jauge  :  a  le  dixième  de 
février  1692,  a  été  baptisé  un  garçon  né  du  8, 
d'entre  LoysLuylh,  seigneurdela  Motte-Mayron 
et  Anne-Loyse  de  Beaujeu,  dame  en  partie  de 
Jauge,  qui  ne  sont  point  encore  mariés  ;  qui 
a  été  nommé  Eugène  Loys  par  M.  Eugène  de 
Baugy,  chevalier,  seigneur  du  Buisson,  oncle  et 
tuteur  de  ladite  demoiselle  et  parrain,  et  par 
Colombe  Martin,  w  Suivent  les  signatures  du  père 
et  du  parrain. 

2*»  Marie-Marguerite,  baptisée  à  Jauge,  le 
4  janvier  1647  et  ayant  pour  parrain  Guillaume 
de  Baugy,  seigneur  du  Fay  et  pour  marraine 
Marguerite  de  Quelain,  femme  de  Pierre  de 
Boucher  (2),  seigneur  de  Flogny.  Elle  épousa,  le 

(OUoe  parenté  devait  exister  entre  les  époux.  UnLuyt^  seigneur 
de  Vaumort^  était  marié  à  Marie  de  Moreau^  fille  de  Claude,  sei- 
gneur  de  Cheu  et  de  Jauge,  et  de  Marie  de  Beaujeu,  G  lie  de  François 
(v.  p.  331).  Les  Luyt  étaient  des  gens  de  robe.  Fierre  Luyt,  fils  de 
noble  Pierre  Luyt,  avocat  du  roi  à  Sens,  est  baptisé  le  47  décem- 
bre 4632  (Arch.  de  l'Yonne,  ville  de  Sens,  G.  G.  paroisse  Samte- 
Colombo).  David  Luyt  était  bailli  d'Epineul  et  exécuteur  testamen- 
taire d'Ëléonore  de  Beaujeu  en  4704.  Le  30  juin  4712  on  baptisait 
à  Gheu  Françoise-Henrie'te  de  Luyi,  fille  de  François,  écuyer,  sei- 
gneur de  Cheu,  capitaine  de  grenadiers  au  régiment  de  la  Boche- 
foucaud.  La  marraine  était  Henriette,  veuve  de  Charles  de  Moreau, 
et  fille  de  Jacques  de  Fourviére,  marquis  de  Coudray  et  de  Jeanne- 
Elisabeth  de  Grandry. 

(2)  Los  Boucher  de  Flogny  étaient  pourainsi  dire  parents  (v.  p.  347). 


—  356  — 

3  oclobre  1673,  Sébastien  de  Gilliers,  écuyer, 
seigneur  de  Berre,  fils  de  Pierre  de  Gilliers, 
écuyer,  seigneur  de  Sainl-Tarl,  et  de  Marie  Le- 
inercier.  Le  futur,  veuf  de  Charlotte  du  Vignan, 
est  dit  âgé  de  83  ans  et  la  future  de  26  ans.  Le 
24  juin  1674,  il  leur  arrivait  un  fils,  Charles- 
Louis,  baptisé  à  Jauge  le  26,  mort  le  30  décembre 
1675;  et  le  25  novembre  1675,  ils  avaient  une 
tille,  nommée  Louise-Marie  par  sa  tan  le,  Marie- 
Anne  de  Beaujeu. 

3^  Edme-François,  baplisé  à. Jauge,  le  l*'"  juil- 
let 1648,  ayant  Paul-François  de  Beaujeu,  sei- 
gneur de  Villiers-Vineux,  son  grand-oncle,  pour 
parrain,  et  pour  marraine  Eléonorede  Tusseau, 
femme  de  Claude-Paul  de  Beaujeu,  son  oncle  à 
la  mode  de  Bretagne  ou  de  Bourgogne.  Edme- 
François  fut  tué  le  4  avril  1667,  à  19  ans  (I). 

4*  Nicolas-Jacques,  né  le  5  septembre  et  bap- 
tisé le  28  novembre  1649.  Son  parrain  était 
Jacques  de  Breuillard  ou  du  Brouillard,  cheva- 
lier, seigneur  de  Sainl-Cyr  et  sa  marraine  Mar- 
guerite Tabourel.  Il  est  mort  jeune  après  avoir 
élé  élevé  comme  page  chez  M"®  de  Monipensier, 
qui,  après  la  Fronde,  avait  reçu  Tordre  de  se 
retirer  dans  son  château  de  Saint-Fargeau  (2). 


(1)  Dans  la  campagne  de  Flandre  qui  se  termina  par  la  prise  de 
Lille,  le  11  août. 

(2)  Mlle  de  Montpensicr  joua  un   rôle  très  actif  dans  la  Fronde. 


•  357  — 

o^  Paul-Nicolas,  raorl  en  bas  âge,  baptisé  à 
Jauge,  le  10  décembre  1652.  Son  parrain  élail 
Nicolas  de  Thélys,  seigneur  de  Roffey  ;  sa  mar- 
raine était  Catherine  le  Bascle,  veuve  de  Paul- 
François  de  Beaujeu. 

6''  Eugène-Frédéric,  gouverneur  des  Invalides, 
qui  suivra; 

7^  Geneviève-Françoise,  née  en  1657,  mariée  à 
Charles  de  Buffevanl(l),  seigneur  dePercey  (2), 
fils  de  Louis  et  d'Anne  de  Bretagne  et  décédé  en 
1686.  De  ce  mariage  naquit  René  de  Baffevant, 
baplisé  à  Percey,  le  4  octobre  1683,  marié  à 
Marie-Françoise  de  Mesgrigny  qui  mourait  à 
Percey  le  13  août  1714.  Lui-môme  est  décédé  le 
8  octobre  1730. 

Elle  fît  môme  tirer  le  canon  sur  les  troupes  royales  depuis  la  Bas- 
tille, le  ^juillet  1652,  pour  sauver  le  grand  Condé  pris  entre  deux  feux. 

(\)  La  famille  de  BufTevant  était  de  la  meilleure  noblesse.  Louis 
de  Buiïevant,  seigneur  de  Chaumont  (canton  de  Pont-sur- Yonne, 
arr.  de  Sens)  avait  été  capitaine  et  gouverneur  d'Auxerre  pour  le 
roi^  par  lettre  donnée  à  Paris  le  45  août  4572.  Son  petit-fils  René 
fut  aussi  gouverneur  d*Auxerre  (Lzb%vf,  Histoire  d A  uxerre^  t.  HI, 
p.  449  et  569). 

Les  Mesgrigny  ne  le  cédaient  en  rien  aux  BufTevant  pour  la  no- 
blesse et  les  honneurs.  Françoise  de  Mesgrigny,  la  femmo  de  Hené 
de  BufTevant,  était  fille  de  Jacques-Louis,  comte  d'Aunay  et  de 
Charlotte,  fille  ainée  de  Tillustre  Vauban  et  de  Jeanne  d'Aunay  (La 
Chesnate-Desbois,  MoRéRi).  BufTovant  portait  de  gueules  à  trois 
lances  d'or  passées  dans  3  anneaux  d'argent  aussi  en  triangle.  (Abbé 
do  Marolles,  Inv.  de  Neoer$),  Mesgrigny  avait  pour  armes  un  lion 
de  sable  sur  champ  d'argent. 

(2)  Percey,  canton  de  Flogny,  arr.  de  Tonnerre,  n'est  qu'à  3  ou 

4  kil.  de  Villers-Vineux  et  de  Jauge.  | 

I 
I 


—  358  — 

Geneviève  es(  morle  au  château  de  la  Tuilerie, 
le  1«' juillet  1737,  à  80  ans.  Dans  son  testament 
du  5  mai  1717,  Nicolas  de  Beau  jeu,  son  cousin, 
gouverneur  de  Saint-Dizier,  lui  avait  légué  sa 
montre.  Elle  avait  hérité  de  son  frère  Eugène- 
Frédéric,  gouverneur  des  Invalides  et  élait  en 
procès,  à  ce  sujet,  avec  les  Duret  de  Villiers(l), 
auxquels  elle  réclamait  40.000  francs  prêtés  par 
son  frère  au  Président  Durel.  Ceux-ci,  de  leur  côté, 
demandaient  le  remboursement  de  51.000  francs 
touchés  par  Eugène-Frédéric,  le  1 7  décembre  1724 . 

8*  Charles-Louis,  né  à  Jauge  le  3  août  1660,  et 
qui  continua  la  lignée. 

9*  Julienne-Françoise,  marraine  à  Cheu,  le 
11  décembre  1687  et  le  20  janvier  1709.  Elle 
avait  été  marraine  à  Vézanne,  le  10  mai  1689, 
de  François  de  Chaugy,  fils  de  Michel  et  de 
Jeanne  de  Moreau. 

EUGÈNE-FRÉDÉRIC 

Eugène-Frédéric  de  Beaujeu,  chevalier,  comte 
deBeaujeu,  seigneur  de  Villiers-le-Sec,  Donjeu 
et  Maupas,  maréchal  des  camps  et  armées  du  roi, 
commandeur  de  Tordre  militaire  de  Saint-Louis, 


(1)  Les  Duret  de  Villiers  étaient  les  descendants  de  Rose  Duban, 
sœur  consanguine  de  Pierre-François  et  dont  il  sera  parlé  plus 
loin.  (Voir  p.  333,  note  4). 


—  359  — 

gouverneur  de  l'hôtel  royal  des  Invalides,  élaît 
fils  d'EdmedeBeaujeu,  seigneur  de  Jauge  et  de  la 
Tuilerie,  et  de  Geneviève-Françoise  deBaugy. 

Il  servait  déjà  on  1676  (1),  et  avait  été  blessé, 
en  1677,  au  siège  de  Valenciennes  qui  fut  pris  le 
17  mars.  A  la  paix  de  Nimègue  il  demanda  un 
congé. 

La  paix  ayant  été  signée  le  H  août  1678  avec 
la  Hollande,  puis  avec  TEspagne,  le  17  sep- 
tembre, et  successivement  avec  l'Allemagne  et 
le  Danemark  dans  le  courant  de  l'année  sui- 
vante, «  le  roi  commença  à  renvoyer  les  troupes 


(4)  D'après  Pihard  (Chro.  hist.  militaire,  i-  VU,  p.  48)  il  avait 
64  ans  lorsqu'il  mourut,  le  26  mai  1730,  co  qui  mettrait  sa  nais- 
sance en  4666. 

Selon  les  documents  du  ministère  de  la  guerre^  il  était  au  ser- 
vice en  4676.  II  aurait  alors  eu  dix  ans,  ce  qui  est  admissible  à  la 
rigueur,  puisque  son  neveu  Âlexandre-Nicolas-Joseph  était  réguliè- 
rement inscrit  sur  les  rôles  du  régiment  à  5  ans  ;  mais  il  y  a  des 
raisons  sérieuses  de  croire  qu'il  faut  reporter  sa  naissance  au  moins 
à  4636  et  lui  donner  par  conséquent  40  ans  de  plus.  En  effet,  il 
est  parti  pour  la  Pologne  en  4678  et  les  mémoires  qu'il  a  publiés 
à  la  suite  de  ce  voyage  ne  sont  pas  d'un  jeune  homme,  presqu'un 
enfant,  mais  d'un  homme  déjà  mûr  et  qui  a  beaucoup  vu.  11  devait 
donc  avoir  au  moins  22  ans  et  non  4  2.  Malheureusement  les  registres 
paroissiaux  de  Jauge,  où  j'ai  relevé  la  naissance  de  ses  frères  et 
sœurs,ne  contiennent  pas  celle  de  Frédéric.  Il  y  a  des  lacunes  dans 
les  feuillets,  mais  il  a  pu  aussi  venir  au  monde  ailleurs.  De  plus,  son 
frère  Paul-Nicolas  est  né  en  4652  et  sa  sœur  Geneviève  en  4657  ou 
4658,  d'après  son  acte  de  décès,  car  sa  naissance  ne  figure  pas  non 
plus  sur  les  registres.  Or,  cet  intervalle  de  5  ans  n'existe  pas  d'or- 
dinaire entre  la  venue  des  autres  enfants,  espacés  de  deux  ans  au 
plus  les  uns  des  autres. 


—  360  — 

élpangères  et  cassa  en  môme  lemps  douze  mille 
chevaux  de  celles  du  royaume.  L'Europe  n'avait 
plus  de  sujet  de  guerres  et  tout  le  monde  avait 
les  yeux  tournés  vers  le  roi  dePologne  qui  son- 
geait à  la  faire  aux  ennemis  communs  de  l'Eu- 
rope et  à  délivrer  son  pays  du  fâcheux  voisinage 
des  Turcs  et  des  Tartares,  peuples  toujours  à 
craindre  s'ils  ne  craignent.  Pendant  ces  négo- 
ciations et  ces  apprêts  de  guerre,  quelques  of- 
ficiers français  passèrent  en  Pologne  pour  y  re- 
trouver une  occupation  que  la  paix  verîaitde  leur 
ôter  partout  ailleurs  ;  et,  comme  nous  savions 
que  ce  voyage  était  prémédité  par  beaucoup 
d'autres,  .nous  songeâmes  à  le  faire  de  bonne 
heure  pour  n'être  pas  prévenus  dans  l'emploi,  s'il 
y  en  avait  à  espérer,  ou  du  moins  dans  le  dessein 
de  témoigner  le  zèle  empressé  que  nous  avions 
pour  une  expédition  dont  la  cause  doit  en  ins- 
pirer à  tout  le  monde  »  (1). 

Une  circonstance  dont  il  ne  parle  pas  et  qui 
n'était  sans  doute  pas  étrangère  à  sa  détermi- 
nation, c'est  que  des  relations  existaient  entre  ses 
parents  et  la  famille  de  la  reine  de  Pologne,  fille 
d'Henri  de  la  Grange,  comte  d'Arquien,  d'une 
maison  originaire  du  Berry,  maisa'iors  établie  dans 
TAuxerrois.  Geneviève  de  Baugy,  sa  mère,  avait 


(I)  Mémoires  du  chev.  de  Beaujbd,  Amsterdam,  MDCO,  p.  9 
et  10. 


—  361  — 

été  marraine  à  Méré(l),  le  15  février  1G49,  aveo 
Achille  de  la  Grange,  comte  de  Maligny,  frère 
d'Henri,  le  père  de  la  Reine. 

Eugène-Frédéric  fut  absent  près  de  dix  ans, 
parcourant  la  Hollande,  T Allemagne,  la  Pologne, 
la  Russie,  TAutriche.  Il  visita  Venise  mais  il  la 
trouva  inférieure  à  x\ms(erdam.  Les  détails  de 
Tarchipel  de  la  mer  Egée  lui  devinrent  familiers. 

En  1683,  il  était  de  Texpédition  de  Vienne, 
dirigée  par  le  roi  de  Pologne  qui  sauva  alors  TEm- 
pire  et  la  chrétienté  de  Tinvasion  des  Turcs  (2). 

Il  quitta  Paris,  le  T""  septembre  1679  et  gagna 
Hambourg  par  la  Seine  et  la  mer  du  Nord.  Il 
prit  ce  chemin  par  suite  du  peu  de  sûreté  des 
routes  de  T Allemagne,  résultat  de  la  querelle  de 
TElecleur  de  Brandebourg  avec  la  ville  de  Ham- 
bourg. Il  se  rendit  par  la  voie  de  terre  de  Ham- 
bourg à  Lubeck,  d'où  il  partit  en  bateau  pour 
Dantzick.  De  là  il  se  dirigea  sur  Varsovie.  Mais 
la  cour  étant  sur  la  frontière  de  Russie,  dans  les 
propriétés  privées  du  roi,  il  alla  la  trouver,  ce  qui 
paraîtrait  extraordinaire  s'il  n'avait  eu  des  lettres 
d'introduction. 

Il  revint  à  Paris  Tannée  suivante,  chargé 
d'une  mission  de  confiance,  et  w  afin  de  terminer 

(1)  Méré»  canton  de  Ligny,  arr.  d'Auxerre. 

(2)  Eugène-Frédéric  avait  préparé  une  relation  de  cette  mémo- 
rable campagne  pour  faire  la  seconde  partie  de  son  ouvrage.  II 
est  regrettable  qu'il  ne  Tait  pas  publiée. 


—  362  — 

cer laines  affaires  de  famille  entre  M.  le  duc  de 
Bélhune,  ambassadeur  de  France  à  Varsovie  et 
M.  le  marquis  d'Arquîen,  son  beau-père  (1).  » 

Parti  de  Varsovie,  le  7  septembre  1680,  il  fit 
le  voyage  par  mer  jusqu'à  Hambourg  et  gagna 
Paris  par  la  Hollande,  Amsterdam,  Rotterdam, 
Anvers  et  Bruxelles. 

Il  avait,  en  passant,  déposé  à  Copenhague  des 
paquets  et  dépêches  dont  il  était  chargé  pour  la 
cour  de  Danemark.  Arrivé  à  Paris  le  31  octobre, 
«  des  affaires  dont  il  est  inutile  de  donner  le 
détail  Tarrôtèrent  quatre  mois  entiers  ».  Il  en 
repartit  le  2  mars  1681  «  avec  quelques  officiers 
qu'on  lui  donna  à  conduire  pour  leurs  majestés 
polonaises  ». 

«  Il  était  tnouive'poviQMvàQ  papier  s  importants 
et  de  pierreries  pour  la  reine,  ce  qui  lui  fit 
prendre  la  route  de  mer,  comme  plus  sûre,  quoi- 
qu'elle ne  fût  pas  toujours  infaillible.  » 

«  A  Varsovie,  il  apprit  du  roi  lui-même  (2) 


(1)  Le  marquis  de  Bétbune  avait  épousé  la  sœur  de  la  reine  de 
Pologne.  Il  descendait  de  François,  frère  de  Sully,  le  ministre 
d'Henri  IV. 

(2)  Le  roi  de  Pologne  était  alors  Jean  Sobieski.  un  héros  popu- 
laire, d'une  ancienne  famille  qui  avait  déjà  auparavant  fourni  de 
grands  citoyens.  Il  avait,  par  ses  victoires,  porté  la  gloire  de  son 
pays  au  plus  haut  degré.  Nommé  par  le  roi  Casimir  porte-enseigne 
de  la  couronne,  puis  grand  maréchal,  il  venait  de  battre  les  Turcs 
à  Choczim  en  1673,  lorsque  le  roi  Michel  mourut.  Il  fut  alors  élu 
à  sa  place  sous  le  nom  de  Jean  III.  Il  fit  la  guerre  à  la  Russie  et 


—  363  — 

certains  détails  secrets  au  sujet  de  V expédition 
projetée  contre  les  Turcs.  » 

En  somme,  Eugène-Frédéric  de  Beaujeu,  qui 
ne  quittait  pour  ainsi  dire  paslacourde  Pologne, 
élait  un  véritable  courrier  de  cabinet,  prudent, 
réservé  et  discret.  Les  détails  qu'il  donne  sur  les 
pays  qu'il  traverse,  les  mœurs,  des  habitants  qu'il 
décrit,  les  anecdotes  qu'il  raconte,  tout  en  étant 
très  intéressantes,  ne  servent  qu'à  masquer  le 
véritable  but  de  ses  voyages  (1). 

Le  17  octobre  1685,  avait  lieu  la  révocation  de 
TEdit  de  Nantes  (2).  Ce  fut  le  signal  d'une  ligue 
entre  les  protestants  d'Allemagne,  Tempire,  l'Es- 
pagne, la  Suède,  et  qui  fut  signée  à  Augsbourg  le 
9  juillet  1686.  Bientôt  l'Angleterre  donnait  son 
adhésion,  et  Louis  XIV  allait  avoir  à  lutter  contre 
l'Europe  entière. 

Eugène-Frédéric  était  rentré  en  France  au 
premier   bruit  de  guerre.  Par  commission  du 


sauva  en  1683  Vienne  et  l'Autriche  menacées  parles  armées  mu- 
sulmanes. Il  mourut  en  4696. 

Il  avait  épousé  une  Française,  Marie-Casimire  de  la  Grange  d'Âr- 
quien,  veuve  de  Jean  Radzivil,  comte  de  Zamosk  et  ancienne 
fille  d'honneur  de  la  reine  Louise,  femme  de  Casimir  II.  Elle 
exerça  sur  son  mari  un  empire  absolu  et  souvent  funeste. 

(4)  On  pourrait  s  étonner  que,  petit-fils  de  Nicolas  de  Baugy, 
ambassadeur  en  Hollande,  il  ne  soit  pas  entré  dans  la  carrière  di- 
plomatique. 

(2)  L'édit  de  Nantes  rendu  par  Henri  IV,  en  4398,  accordait  aux 
protestants  la  liberté  de  leur  culte. 


—  364  — 

20  août  1688,  il  levait  une  compagnie  pour  le 
rêgimeni  de  Plossis-Praslin,  el  était  ainsi  tout 
prêt  lorsque  l'armée  française  envahit  le  Palali- 
nat,  le  30  septembre  suivant.  Il  commanda  celle 
compagnie  à  Tarmée  d'Allemagne,  en  1689  et 
1690.  Major  du  régiment  de  Plessis,  par  brevet 
du  25  avril  1691,  il  servit  celle  même  année  à 
Tarmée  d'Italie,  à  celle  de  la  Moselle  en  1692,  sur 
les  côtes  de  Bretagne  en  1693  et  1694,  au  pays 
d'Aunis,  par  lettre  du  22  mai  1695,  sur  la  Mo- 
selle, en  1696  et  1697. 

Son  régiment  ayant  été  réformé,  le  8  mai  1698, 
et  rétabli  par  ordonnîmce  du  10  février  1701,  il 
en  fut  remis  major,  le  \^^  mars  suivant.  Il  servit 
avec  ce  régiment  (appelé  alors  Mérinville,  du 
nom  de  son  chef)  en  Allemagne,  en  1702,  et  se 
distingua  à  la  bataille  de  Friedlingen,  au  mois 
d'octobre.  Il  était  au  siège  de  Kehl,  au  combat  de 
Munderkingen,  à  la  première  bataille  de  Hochs- 
ledl,  en  1703. 

Il  obtenait,  le  14  mars  1704,  une  commission 
pour  tenir  rang  de  mestre  de  camp  et  le  6  juin 
suivant  il  était  mis  à  la  suite  du  régiment  Royal- 
Cavalerie,  et  servait  à  l'armée  de  Bavière  en  qua- 
lité de  maréchal  général  des  logis  de  la  cavalerie, 
pour  se  distinguer  particulièrement  à  la  bataille 
de  Ilochstedt. 

Il  remplit  les  mômes  fonctions  à  Tarmée  de  la 
Moselle  sous  le  maréchal  de  Villars,  en  1705,  à 


—  365  — 

Tarraée  du  Rhin  où  il  se  trouvait  à  la  prise  de 
Drusenheim,  de  Laulerbourg,  etc. 

Le  4  juillet  il  obtenait  un  régiment  de  cavalerie 
de  son  nom(l)  et  continuait  néanmoins  los  fonc- 
tions de  maréchal  général  des  logis  à  l'armée  du 
Rhin,  sous  le  maréchal  de  Villars.  Il  prit  ains^i 
part  à  toutes  les  affaires  en  Franconie  et  en  Souabe , 
en  1707.  11  était  sur  le  Rhin  avec  le  maréchal  de 
Brunsvick,  en  1708. 

Brigadier  par  brevet  du  29  janvier  1709,  il 
continua  les  fonctions  de  maréchal  général  des 
logis  à  l'armée  de  Flandre  jusqu'en  1712.  Hélait 
à  Malplaquet  en  1709,  à  l'attaque  d'Arleux  en 
1711,  à  celle  de  Denain,  aux  sièges  de  Douai, 
du  Quesnoy  et  de  Bouchain,  en  1712.  Passé 
en  la  même  qualité  à  l'armée  du  Rhin  en 
1713,  il  servit  aux  sièges  de  Landoau  et  de  Fri- 
bourg. 

Il  eut  à  ce  dernier  le  talon  emporté  par  un 
boulet  de  canon,  et  dut  subir  Tamputation  de  la 
jambe  (2).  Malgré  cela  il  voulut  rester  sur  les 
cadres  et,  son  régiment  ayant  été  réformé  le 
20  novembre  1713,  il  fut  incorporé  avec  sa  com- 
pagnie dans  le  régiment  de  Lénoncourt.  Mais  il 

(1)  C'était  le  régiment  du  nom  de  Marivault,  levéje  7  mars  1676, 
par  Hardouin  de  Lisie,  marquis  de  Marivauit.  Régiment  réformé 
en  i»98,  rétabli  en  1701  et  enfin  donné  à  Eug. -Frédéric  do  Beau- 
jeu  on  1706  (Général  Sjisank,  Cavalerie^  t.  III,  p.  267). 

(î)  Mém,  de  Dawjbau,  t.  XV,  p.  5. 


—  366  — 

comprit  enfin  que  Theure  de  la  retraîle  était 
sonnée  et  il  se  retira  à  Paris. 

Le  roi  lui  accorda  une  place  de  commandeur  de 
Tordre  de  Saint-Louis,  par  provision  du  30  juil- 
let 1715,  et  lui  remit  lui-même  les  insignes  à 
Marly,  le  lundi  29  (1).  La  lieutenancedu  gouver- 
neur des  Invalides,  avec  promesse  de  la  survi- 
vance, lui  fut  donnée  le  27  avril  1721  (2).  Il 
entra  en  possession  du  gouvernement  de  Thôlel 
le  11  février  1724,  à  la  mort  de  M.  de  Boyvau, 
et  y  resla  jusqu'à  son  décès,  arrivé  le  26  mai 
1730  (2). 

Eugène-Frédéric  de  Beaujeu,  avant  d'entrer 
aux  Invalides,  habitait  à  Paris,  cour  de  Rouen, 
paroisse  Saint-André-des-Arts.  Le  24  juillet  1715, 
-son  cousin  Nicolas  de  Beaujeu,  seigneur  de 
Gharabroncourt  et  d'Epizon,  et  gouverneur  de 
Saint-Dizier,  lui  avait  vendu,  moyennant 
3000  francs  payés  comptant,  le  mobilier  qui 
garnissait  son  appartement  du  n^  16  de  la  rue 
des  Saints-Pères  (3). 

L'année  suivante,  Nicolas,  dans  son  testament 


(\)  Ibid.,  p.  460.  Recueil  des  édits,  déclarations,  ordonnances^ 
arrêts,  etc.,  concernant  l'hôtel  royal  des  Invalides,  4781,  t.  l, 
p.  263,  300,  30i. 

(2)  Ibid.  La  nomination  de  son  successeur,  lechev.  de  Ganges, 
est  du  29  mai  et  ii  eut  pour  successeur,  la  môme  année,  le  colonel 
de  Bauiïremont. 

(3)  Voir  page  322, 


—  367  — 

du  !«'  octobre  1716,  lui  léguait  son  carrosse  qui 
était  à  Paris  et  un  petit  cheval  alezan. 

Il  avait  été  aussi  mentionné  dans  le  testament 
de  sa  cousine  Eléonore  de  Beaujeu,  marquise  de 
Belva4,  qui  reconnaissait  lui  devoir  200  livres. 

Rentré  dans  le  calme  après  une  existence 
aussi  agitée,  Eugène-Frédéric  cultivait  ses  rela- 
tions de  famille.  Le  13  août  1719  il  était  parrain, 
à  Percey,  avec  Françoise  de  Mesgrigny,  femme 
de  René  de  Buflfevant,  fils  de  sa  sœur  Geneviève. 

Le  9  décembre  1721,  il  faisait  partie  du  con- 
seil de  famille  assemblé  pour  la  tutelle  de 
Louise- Armande  Duret,  et  signait  une  procura- 
lion  dans  laquelle  il  disait  demeurer  rue  Guéne- 
gaud,  paroisse  Saint- André-des-Arts,  à  Paris. 

Dans  une  seconde  procuration,  en  date  du 
26  juin  1722,  pour  Témancipation  de  ladite 
Louise-Armande  Duret,  il  est  dit  gouverneur  en 
survivance  de  Thôtel  royal  des  Invalides,  y 
demeurant. 

Eugène-Frédéric  de  Beaujeu  possédait  une 
fortune  mobilière  sérieuse,  dont  le  détail  *est 
fourni  par  l'inventaire  fait  après  sa  mort  à  l'hôtel 
des  Invalides  (1).  Parmi  les  titres  figurait  Tobli- 
galion  souscrite  par  le  comte  Otto  de  Kœnigs- 
marck  à  Eléonore  de  Beaujeu,  marquise  de  Bel- 
val,  dont  il  était  héritier  du  côté  paternel.  Le 

(I)  Arch.  de  la  Côle-d'Or,  E.  73. 


—  368  — 

plus  grand  nombre  des  créances  était  sur  les 
enfants  d'André  Duret  et  de  Rose  Duban,  ses 
cousins  et  môme  sur  le  Président  Duret,  frère 
d'André,  qui  était  débiteur  de  40.000  francs. 

Avec  une  quantité  d'autres  sommes  plus 
petites  (1),  cela  constituait  une  succession 
importante  qui  fut  partagée  entre  les  enfants  de 
Louis-Charles  de  Beaujeu,  frère  de  Frédéric,  et 
Geneviève  de  Beaujeu  mariée  à  Charles  de  Buf- 
fevant,  sa  sœur,  laquelle,  en  1735,  était  encore 
en  procès  devant  le  parlement  de  Paris,  au  sujet 
de  rhéritage  de  son  frère  (2). 

CHARLES-LOUIS 

Charles-Louis  de  Beaujeu,  chevalier,  seigneur 
de  Jauge  et  de  Saint-Hubert,  lieutenant-colonel 


(I;  Le  7  février  1719,  Edrae-François  et  Marc- Antoine  Durel  lui 
avaient  emprunté  3955  fr.  9  soL<  6  deniers,  pour  payer  la  veuve 
d'un  marchand  de  chevaux.  Le  47  avril  il  avait  payé  pour  Marc- 
Antoine  Duret  9890  liv.  10  s.  à  Charles  Duverger  de  la  Grange.  Le 
Si  août  de  la  môme  année,  il  remet  encore  à  Marc-Antoine,  alors 
capitaine  au  régiment  de  Chartres,  une  somme  de  2000  fr.  (Arcb. 
de  la  Côte-d'Or,  E.  7.3). 

(i)  Elle  réclamait  aux  Duret  les  40.000  dus  par  le  Président,  leur 
oncle,  et  empruntés  sans  doute  pour  payer  sa  charge.  Mais  les 
Duret  prétendaient  que  la  succession  leur  devait  51.000  livres, 
touchées  indûment  par  Eug- Frédéric  de  Beaujeu,  le  17  décembre 
4726,  de  Madame  Loui.<;e  de  Mailly,  veuve  de  Louis  Phélippeaux, 
marquis  de  la  Vrillière,  comlo  de  Saint-Florentin  (Arch.  de  la  Côte- 
dOr,  E.  734. 


—  369  — 

du  régiment  de  Flandre,  puis  brigadier  des 
arméesJu  roi,  comraandantàMarsal(l),  chevalier 
de  Saint-Louis,  était  le  huitième  enfant  d'Edme 
de  Beaujeuetde  Geneviève  de  Baugy.  Ses  frères 
Edme-François,  Nicolas-Jacques  et  Paul-Nicolas 
élant  morts  jeunes,  et  Eugène-Frédéric  plus  âgé 
que  lui  n'ayant  pas  contracté  d'alliance,  il  finit 
par  se  trouver  le  chef  de  la  famille  et  continua 
la  lignée. 

Il  naquit  à  Jauge,  le  3  août  1660  et  fut  bap- 
tisé le  23  du  môme  mois.  Il  eut  pour  parrain 
M.  Charles  Dubourg,  chevalier,  seigneur  de 
Maloiches  ot  autres  lieux  ;  sa  marraine  était 
Louise  de  Moreau,  épouse  de  Claude  de  Lacroix, 
chevalier,  vicomte  de  Lemoyne  (2). 

Dès  le  30  octobre  1673,  après  la  mort  de  son 
père,  il  était  qualifié  écuyer,  au  mariage  de  sa 
sœur,  Marie-Marguerite,  avec  Sébastien  de  Gil- 
liers.On  lui  donnait  encore  ce  li  Ire  àrinhumation 
de  son  neveu  Louis  de  Gilliers,  le  30  décembre  1 675, 
dans  la  chapelle  du  Rosaire  de  l'église  de  Jauge. 

Charles-Louis  de  Beaujeu  avait  eu  une 
jeunesse  quelque  peu  turbulente,  comme  presque 
tous  les  gentilshommes  de  ce  temps.  En  1678, 
lorsqu^il  était  mousquetaire  dans  la  compagnie 

(1)  Marsal,  canton  de  Vie,  arr.  de  Château-Salins,  ancien  dépar- 
tement de  la  Meurthe,  ayait  été  conservé  par  la  France  à  la  paix 
de  Ryswick,  le  20  septembre  1697. 

(2)  Voir  page  333,  note. 

27 


—  370  — 

(le  M.  de  Jonvelle,  il  avait  fait  du  scandale  dans 
l'église  de  Jauge  avec  un  certain  de  Gilliers  qui 
devait  èlre  le  fils  de  Sébastien  de  Gilliers,  son 
beau-frère.  Les  deux  complices  avaient  été  con- 
damnés à  la  prison  par  le  Parlement  de  Paris 
et  mis  à  la  Bastille,  le  29  janvier  1679,  Comme 
un  autre  mousquetaire  du  nom  de  Beaujeu  (1) 
et  de  la  môme  compagnie  avait  déserté,  Colbert 
invita  le  procureur  général  à  ouvrir  une  enquête. 
Elle  n'amena  aucune  charge  nouvelle  contre 
Charles-Louis,  car  il  fut  mis  en  liberté  le 
1 1  mars,  sur  un  ordre  du  roi,  mais  avec  défense 
de  rentrer  dans  Paris  (2). 

Il  fit  un  nouveau  séjour  à  la  célèbre  prison  en 
1700,  et  fut  inscrit  sur  le  livre  d'écrou  le  mercre- 
di 21  juillet.  C'était  encore  à  la  suite  de  tapage 
et  de  violences,  mais  cette  fois  chez  un  baigneur, 
avec  de  la  Rivière,  mousquetaire,  du  Mesnil,  ca- 
pitaine de  dragons,  de  Caffaro,  elc...  Il  est  alors 
qualifié  comte  de  Beaujeu,  capitaine  d'infanterie 
et  Comtois  (3).  Il  avait  en  effet  quitté  les  mousque- 


(1)  La  famille  du  Mesnil-Simon  Beaujeu,  d'origine  champenoise, 
était  très  en  Yue  et  ses  membres  étaient  le  plus  souvent  désignés 
simplement  sous  le  nom  de  Beaujeu^  ce  qui  pouvait  amener  une 
confusion. 

(2)  Arch.  nat.,  0»  23,  p.  10,  3i,  6i.  Uavaisson',  Arch,  de  la 
BasliUe,  t.  VIII. 

(:))  Le  seul  et  dernier  représentant  de  la  maison  de  Beaujeu  en 
Comté,  à  cette  époque,  était  Edme-Louis-Nicolas,  qui  depuis  1690 
était  lieutenant-colonel  du  réi^imcnt  de  dragons-Fallon  (v,  II*  par- 


—  371  — 

laires  lorsque  le  séjour  de  Paris  lui  avait  été  in- 
terdit, etil  était  capitaine  au  régiment  de  Flandre- 
Infanterie  depuis  un  certain  nombre  d'années, 
car,  le  8  décembre  1694,  il  est  désigné  ainsi  sur 
les  registres  paroissiaux  de  Jauge,  lorsqu'il  fut 
parrain,  avec  sa  sœur,  M™®  de  Buflfevant,  de 
l'enfant  du  cocher  de  celle-ci. 

Le  22  février  1709,  Charles-Louis  de  Beaujeu 
épousait  Françoise  de  Pallas  (1),  fille  de  Joseph 
de  Pallas,  chevalier  de  Saint-Louis,  capitaine  de 
vaisseau  attaché  au  port  de  Toulon  et  de  Claire 
Terras. 

En  1716,  Charles-Louis  était  lieutenant-colo^ 
nel  au  régiment  de  Flandre.  11  avait  alors  plu- 
sieurs filles,  mais  il  n'avait  que  deux  fils, 
Alexandre-Nicolas-Joseph  et  Eugène-Frédéric,  le 
puiné,  tous  deux  légataires  de  Nicolas  de  Beau- 
jeu,  seigneur  de  Chambroncourl  et  d'Epizon, 
dans  son  testament  du  5  mai  1716.  Lui-même 
héritait  d'une  casaque  rouge  à  boulon  d'or,  de 
six  chemises  de  dentelles,  des  cravates  et  des  pis- 
tolets de  son  cousin.  FrançoisedePallas,  sa  femme, 

tie,  p.  218).  il  ne  pouvait  donc  y  avoir  de  confusion,  mais  Charles- 
Louis,  par  cette  distinction  qui  indiquait  Toiigine  de  ses  ancôtres, 
se  trouvait  différencié  des  Mesnii-Simon-Beaujeu  (v.  note  4). 

(1)  Famille  d'origine  espagnole.  Dans  un  baptômo  à  Jauge,  Fran- 
çoise est  dite  de  PaWdisd' A ligre.  En  4573,  Jean  de  Pallasseesi  curé 
de  Maiziéres-sur-Amance, après  avoir  été  curé  d'Anrosay.  Ën1584, 
Nicolas  do  Pallasse  est  prieur  de  Coublans  et  devient  prieur  de 
Fouvciit  (abbé  UouàSbi,  Uiocèse  de  Langns^  t.  II,  p.  iSi  et  iiOi 


—  372  - 

recevait  la  berline  et  les  chevaux.  Mais,  par  ex- 
ploit du  20  avril  1718,  il  était  assigné  à  la  requêle 
d'Anne  de  la  Rochelle  et  de  sa  fille,  Marie-Jus- 
tine de  Glermontd'Amboise,  cousine  germaine  (1) 
et  nièce  de  Nicolas  et  ses  héritières  naturelles.  Elles 
se  prétendaient  lésées  parle  testament  et  Charles- 
Louis  fut  obligé  de  remettre  entre  les  mains  de 
son  procureur  ses  inférêls  et  ceux  de  ses  fils.  Il 
est  dit  alors  brigadier  des  armées  du  roi,  et  comme 
tel  il  devint  gouverneur  de  Marsal,  où  il  mourut 
en  1727.  Françoise  de  Pallas  était  morle  le  16  oc- 
tobre 1724,  laissant  les  enfants  suivants,  tous  gra- 
tifiés d'une  pension  de  cent  dix-huit  livres  par  le 
roi,  en  1727,  en  considération  des  services  rendus 
par  leur  père,  brigadier  des  armées  du  roi  et 
commandayit  pour  Sa  Majesté^  à  Marsal  (2)  : 

1°  Claire-Françoise,  élevée  à  Saint-Cyr,  née  en 
1710,  encore  vivante  le  21  avril  1790,  d'après 
la  liste  des  pensions  du  trésor; 

2°  Alexandre-Nicolas-Joseph,  né  en  1711  ; 

3*"  Eugène-Frédéric,  né  en  1712  et  destiné  à 
l'église,  mais  mort  jeune,  après  1716; 

4°  Madeleine-Charlotte,  élevée  à  Saint-Cyr,  née 


(1)  Anne  de  la  Rochelle  était  fille  de  Marguerite  de  Beaujeu, 
sœur  d'Antoine,  père  de  Nicolas.  Voir  page  3M. 

(2)  La  liste  des  pensions  a  été  publiée  dans  lei  Archioes  Parle- 
mentaires, t.  XIII,  XiV  et  XV.  M.  St.  Leroy  a  donné  les  pension- 
nés franc-comtois  dans  le  Dulleliu  de  la  Société  grayloise  d'EmU' 
lation  de  1899. 


—  373  — 

en  1713,  encore  vivante  en  1790  et  religieuse 
professe  à  l'abbaye  royale  de  Notre-Dame  de 
Jouarre  (1)  ; 

5"  Marie-Anne-Ursule,  élevée  à  Sainl-Cyr,  née 
en  1715,  religieuse  aux  Ursulines  de  Dieppe, 
en  1790,  morte  à  Ghamplitte,  le  25  vendémiaire 
an  XIII  (16  octobre  1799). 

6^  Louis-Nicolas-François,  comte  de  Beaujeu, 
chambellan  et  capitaine  des  gardes  de  l'Empe- 
reur d'Allemagne  Charles  VII,  né  en  1717,  fut 
d'abord  lieutenant  puis  capitaine  au  régiment  de 
Flandre.  Il  fit  partie  du  corps  d'armée  envoyé 
par  la  France,  en  1 74 1 ,  après  la  mort  de  Charles  VI, 
pour  soutenir  la  candidature  de  l'électeur  de  Ba- 
vière à  l'empire.  A  la  suite  du  couronnement  de 
ce  prince  à  Francfort,  le  24  janvier  1742,  sous  le 
nom  de  Charles  VII,  Louîs-Ni colas-François  fut 
nommé  chambellan  par  lettres  données  au  camp 
devant  Francfort,  le  25  décembre  1742.  Il  reçut 
le  titre  de  capitaine  aux  gardes  du  corps  par  bre- 
vet donné  à  Munich,  le  28  avril  1743,  et  qui 
constate  «  qu'il  s'est  toujours  comporté  avec  hon- 
neur et  d'une  manière  digne  d'un  officier.  » 

Après  la  mort  de  l'Empereur  en  1745,  il  con- 
tinua ses  fonctions  auprès  de  son  fils  l'électeur 
Maximilien  de  Bavière,  qui,  à  son  départ  pour 


(1)  Jouarre,  à  I9kil.de  Meaux,  canton  de  La  Porté -sous- Jouarre. 
L'abbayo  a  été  fondée  en  630,  par  Adon^  frère  de  saint  Ouen. 


-  374  - 

la.  France  après  la  mort  de  sa  femme,  lui  donna 
des  certificats  et  passeports  élogieux,  le  12  mai 
1749  (1). 

Il  avait  épousé  une  Kinski  (2),  famille  prin- 
cière  qui  existe  encore,  mais  il  n'en  eut  pas  d'en- 
fant. Il  se  fixa  à  Ghamplitte,  et  le  24  mai  1753, 
il  représentait  Télecteur  de  Bavière,  qui  avait 
accepté  d'èlre  parrain  du  fils  de  son  frère,  Charles- 
Raymond. 

A  68  ans,  le  10  janvier  1785,  Louis -Nicolas- 
François  épousait  demoiselle  Claude- Louise  Le- 
grand,  fille  de  Clément  Legrand,  docteur  en 
médecine  et  d'Edmée  Loyauté  (3).  En  vue  de  ce 
mariage  une  donation  entre  vifs  servant  de  con- 
trat avait  eu  lieu  le  8,  devant  ^P  Champion, 
notaire  à  Champlilte.  Elle  laissait  au  survivant 
la  propriété  de  tous  les  meubles,  bijoux,  vaisselle, 
argent  monnayé,  billet^,  cédules,  obligations, 
sans  préjudice  d'une  somme  de  3000  francs  don- 
née pour  joyaux  à  la  future  (4). 

De  ce  mariage  était  née  une  fille,  ainsi  inscrite 
sur  les  registres  paroissiaux  de  la  ville  de  Cham- 
plitte  :  «  L'an  1786,  le  11  janvier  a  été  baptisée 

(!)  Ces  différents  documents  sont  aux  Arch.  delà  Côle-d'Or, 
E.  73. 

fè)  Les  Kinski  portaient  de  gueules  à  trois  dents  de  loup  d'ar- 
gent^ la  pointe  en  bas. 

(3)  Edmée  Loyauté  était  fille  de  M.  Loyauté,  conseiller  du  roi  et 
receveur  des  traites  foraines  à  Saint-Maurice-sur-Vingeanne. 

(i)  Arch.  delà  Haute-Saône,  B.  4293. 


—  375  — 

Louise-Anloinelte-Appoline  de  Beaujeu,  fille  de 
messire  Louis-Nicolas-François,  coinle  de  Beau- 
jeu,  ancien  chambellan  de  Tempereur  Charles  VII 
et  son  capilaine  aux  gardes,  et  de  dame  madame 
Claude-Louise  Legrand,  épouse  dudil  seigneur 
comte  de  Beaujeu.  Elle  a  pour  parrain  haut  et 
puissant  seigneur  Claude- Jean- Antoine  d'Ambly, 
chevalier,  marquis  d'Ambly,  et  pour  marraine 
M'"*'  Anne-Appoline  de  Berman,  douairière  de  mes- 
sire Charles-Raymond,  comte  de  Beaujeu,  etc.  »> 

Louise-Antoinetle-Appoline  de  Beaujeu  mou- 
rut Tannée  suivante,  le  18  octobre,  à  21  mois. 
Au  moment  de  la  Révolution,  Louis-Nicolas-Fran- 
çois, abandonnant  la  particule,  devint  le  citoyen 
Beaujeu  et  continua  d'habiler  Champlitte  où  il 
décéda  à  81  ans,  le  29  pluviôse  an  VI  (17  février 
1798).  Sa  tombe  est  au  cimetière  de  la  ville. 
M'"*  de  Beaujeu  est  morte  le  18  brumaire  an  XI 
(8  novembre  1802). 

7°  Charles -Raymond,  comte  de  Beaujeu,  sei- 
gneur de  Morleau  (1),  chambellan  de  Tempereur 
Charles  VII,  chevalier  de  Tordre  de  la  clef  d'or, 
né  en  1720,  fut  d'abord  lieutenant  au  régiment 
de  Flandre,  puis  capitaine  au  régiment  de  la 
Marze  (?)  infanterie.  Il  suivit  son  frère  en  Alle- 
magne, en  1741,  et  devint  comme  lui  chambel- 
lan de  Tempereur  Charles  VII,  et,  ensuite  de  son 

(I)  Morteau,  canton  d'AnJelot,  arr.  de  Chaumont. 


—  376  — 

fils  l'électeur  Maximilien  de  Bavière,  puis  il  ren- 
tra aussi  en  France, 'en  1749,  pour  se  fixer  à 
Champlilte.  En  1751,  il  épousait  Appoline  de 
Berman,  fille  de  Nicolas  de  Berman,  seigneur 
d'Uzemain  (i)  etdeMorteau,  lieutenant  de  com- 
mandant de  dragons  dans  la  compagnie  franche 


(i)  Uzemaio,  canton  de  Xertigny^  an*.  d'Epinal.  Morteau,  can- 
ton d*Andelot,  arr.  deChaumont,  Haute-Marne.  Nicolas  de  Berman 
était  fils  de  Louis  et  de  Louise  d*Uzemain.  11  mourut  à  Brottes, 
le  17  janvier  4730  et  était  venu  s'établir  dans  ce  village  à  la 
suite  de  son  mariage  avec  Marie-Barbe  Tugnot,  dont  la  famille  était 
originaire  de  Brottes.  Les  Berman  étaient  d'origine  alsacienne  et 
de  bonne  noblesse,  on  les  trouve  en  Lorraine  dès  le  xiv*  siècle  ;do 
là  ils  arrivent  en  Champagne  où  ils  avaient  acquis  la  baronnio  de 
Lanques  (cant.  de  Nogent,  arr.  de  Chaumont)  à  la  suite  d'une  al- 
liance avec  lesChoiseuly  auxquels  Lanques  appartenait  alors.  Hanus 
de  Berman,  seigneur  d'Uzemain  et  d'Isches  avait  eu  deux  femmes  : 
4»  Jeanne  Le  Galland,  dont  Françoise,  femme  de  Simon  de  Pouillv, 
comte  de  Loupy^  etc.,  conseiller  d'Etat,  maréchal  de  Lorraine. 
Tliècle  de  Cboiseut,  sa  deuxième  femme,  était  fille  de  Nicolas  et -de 
Henée  de  Lutzelb3urg,  et  il  l'avait  épousée  le  1<>'' janvier  4587.  II 
en  eut  un  fils,  Louis-Claude,  mariée  en  4621,  à  Elisabeth  de  Se- 
raucourt,  dont  une  fille,  alliée  à  Claudc-Godefroy  de  Chandon  de 
Brialle,  qui  fut  ainsi  baron  de  Lanques  (La  Cbbsnatk-Desbois, 
t.  XII,  Rennel).  Hanus  avait  un  frère,  Antoine,  qui  donna  naissance 
à  une  autre  branche.  Il  était  aussi  seigneur  d'Uzemain  et  marié  à 
Christine  de  Chastenois.  Ses  descendants  étaient  dans  la  magistra- 
ture. Une  autre  branche  était  attachée  par  ses  fonctions  à  la  cour 
du  duc  de  Lorraine.  Le  3  juin  4575,  Jean  de  Berman,  valet  de 
chambre  du  duc  Charles  III,  obtenait  d'ériger  ur  signe  patibulaire 
à  Uzemain.  Sa  femme  était  Béatrix  du  Bourg,  fille  de  Jacques.  En 
4  635,  Jean  de  Berman  II  était  gruyer  du  comte  de  Vaudémont 
(Arch.  de  Meurthe-et-Moselle,  B.  40.167).  Les  Berman  portaient  : 
d'or  à  une  bande  de  gueules,  accompagnée  do  deux  ours  de  sable 
(le  mot  allemand  bœr  signifie  ours). 


—  377  — 

de  M.  de  Brialle,  demeurant  à  BroUe-les-Ray  et 
de  Marie-Barbe  Tugnot  (1).  Il  en  eut  : 

a)  Louis-Charles- Marie,  baptisé  le  3  i  mars  1752, 
et  ayant  pour  parrain  son  oncle  Louis-Nicolas- 
François  et  pour  marraine  sa  grand'mère  de 
Berman. 

b)  Maximilien-Joseph,  né  le  3  avril  1753.  Il 
eut  pour  parrain  et  marraine  rélecteur  Maximi- 
lien  de  Bavière,  et  Marie-Anne,  princesse  de 
Saxe,  électrice  de  Bavière,  épouse  de  Maximilien, 
remplacés  par  Louis-Nicolas-François  de  Beaujeu, 
et  Jeanne-Françoise-Gabrielle  de  Berman,  oncle 
el  tante  du  nouveau  né.  Maximilicn-Joseph  de 
Beaujeu  mourut  le  26  mai  1753. 

c)  Nicole-Marie-Anloinette-Appoline,  baptisée 
le  30  août  1 754 .  Son  parrain  était  An  toine,  marquis 
cleBuffevanl  (2),  chevalier,  seigneur  dePerceyetla 
marraine  la  marquise  deBuflFevant.  Elle  était  née 
poslhume,  et  ne  vécut  que  jusqu'au  13  avril  1755. 

Charles-Raymond  était  mort  à  34  ans,  le  15 
juillet  1754,  et  avait  été  inhumé  au  cimetière.  Sa 
femme,  Anne-Appoline  de  Berman  trépassa  le 
22  messidor  an  Vit  (10  juillet  1799),  à  82  ans.  Le 


(1)  Les  Tugnot  étaient  originaires  de  Brotte-les-Ray,  canton  de 
Dampierre-sur-Salon,  arr.  de  Gray.  Etant  simples  marchands,  ils 
avaient  obtenu  la  permission  de  posséder  des  biens  de  noblesse. 
Barbe  était  fille  de  Jean  Tugnot,  docteur  en  droite  avocat  au  Par- 
lement, jugea  Champlitte,  et  de  Christine  Arvisenet. 

(2)  Voir  page  357. 


—  378  — 

13  février  1773,  elle  avait,  ainsi  que  sa  sœur 
Françoise- Gabrielle.de  Berman,fait  donation  de 
ses  droits  surMorleau  à  Alexandre-Nicolas  Joseph, 
frère  de  son  mari,  qui  prit  possession  le  2  mars 
suivant. 

8^  Geneviève,  née  en  1721,  et  qui  trouva  la 
mort,  à  6  ans  et  demi,  dans  un  incendie  au  châ- 
teau de  la  Tuilerie,  en  1728. 

ALEXANDRE-NIGOLÀS-JOSEPH 

Alexandre-Nicolas-Joseph,  comte  de  Beaujeu, 
inspecteur  général  des  côtes  maritimes  des  pro- 
vinces de  Poitou,  Aunis,  Saintonge,  Guyenne, 
Roussillon,  Languedoc  et  Provence,  maréchal  des 
camps  etarmées  du  roi,  chambellan  de  l'Empereur 
d'Allemagne  Charles  VII,  était  le  fils  aine  (1) 
de  Charles-Louis  de  Beaujeu,  lieutenant-colonel 
au  régiment  de  Flandre  et  de  Françoise  de  Pallas 


(1)  La  Chesnaye-Dbsbois  et  le  Dictionnaire  héraldique,  histo^ 
rique  et  chronologique,  p,  M.  D.  L.  G.  D.  B.,  1761,  donnent  comme 
aine  François,  seigneur  de  Jauge,  capitaine  au  régiment  de  Flan- 
dre, qui  ne  doit  ôtre  que  le  n^  4,  lequel  portait  le  nom  de  Louis- 
Nico\aiS' François.  C-'est  une  erreur  démontrée  par  le  testament  de 
Nicolas  de  Beaujeu,  gouverneur  de  Saint-Dizier  (voir  p.  323),  qui 
laisse  la  plus  grande  partie  de  son  héritage  aux  fils  de  Charles- 
Louis  et  les  nomme  dans  cette  pièce,  en  date  du  4^r  octobre  4  746. 
Il  n'y  avait  alors  qu'Alexandre-Nicolas-Joseph  et  Eugène-Frédéric. 
Louis-Nicolas-François  vint  au  monde  en  4717,  car  il  est  Agé  de 
81  ans  lorsqu'il  meurt,  le  1  ventôse  an  VI,  v.  p.  375. 


—  379  — 

d'Aligre.  Enfré  au  service  comme  enfant  de 
troupe,  il  était  inscrit,  en  1714,  à  peine  âgé  de 
5  ans  (I),  comme  enseigne  dans  le  régiment  de 
Flandre.  Porté  comme  lieutenant  en  second 
en  1718,  à  huit  ans,  il  servit  aux  sièges  de  Fon- 
tarabie  et  de  Caslellione,  en  1719.  Lieutenant 
en  1722,  il  passa  lieutenant  do  la  colonelle  avec 
rang  de  capitaine,  le  22  juillet  1723,  servit  au 
siège  de  Gerra  d'Adda,  de  Pizzighelone,  du  chà- 
teaude  Milan  en  1733,deïortone,  de  Novare,  àla 
bataille  de  Parme,  en  1734.  Pourvu  d'une  com- 
pagnie le  28  juillet,  il  la  commandait  à  la  bataille 
de  Guastalla  et  au  siège  de  la  Mirandole,  la 
même  année  ;  à  ceux  deReggio,  de  Revero  et  de 
Gonzague,  en  1735. 

Il  rentra  en  France  au  mois  d'août  1736,  passa 
en  Corse  au  mois  de  janvier  1739  et  quitta  la 
compagnie  et  le  service  en  1740,  pour  se  rendre 
en  Allemagne.  L'Empereur  Charles  VI  était  mort 
le  2U  octobre  etTElectéur  de  Bavière  se  portait 


(t)  Les  états  de  service  d*AIexandre-NicoIas -Joseph  sont  donnés 
par  Pinard,  commis  de  la  guerre,  qui  les  a  recueillis  dans  les  ar- 
chives du  ministère  et  ne  peuvent  par  conséquent  pas  être  contes- 
tés. Le  chevalier  de  Giignan,  frère  du  gendre  do  M'""  de  Sévigné, 
eut  pour  successeur  son  neveu  qui  avait  18  ans  lorsqu'il  fut  fait 
meslre  de  camp  (colonel),  et  il  était  depuis  un  an  capitaine  (Général 
SusANE,  Cavalerie,  t.  Il,  p.  H 7).  Claude-Henri-Eugène,  marquis 
de  Vaudrey,  était  aide-de-camp  du  prince  de  Conti,  à  15  ans,  lors- 
qu'il mourut,  le  10  septembre  4741  (Arch.  de  l'Yonne,  G>,  com- 
mune de  Sormery,  canl.  de  Noyers). 


-«  380  — 

prélendanl  à  sa  succession  avec  Tappui  de  la 
France,  dont  son  père  avait  été  Tallié  fidèle. 
Alexandre-Nicolas-Joseph  fut  alors  autorisé  à 
prendre  du  service  dans  ses  troupes  avec  d'au- 
tres gentilshommes  français,  et  l'année  sui- 
vante, Louis  XV  lui  envoyait  une  armée  de 
40.000  hommes  qui  contribua  puisamment  à  le 
faire  couronner  à  Francfort,  le  24  janvier  1742, 
sous  le  nom  de  Charles  VII.  Nommé  chambellan 
par  ce  prince,  en  même  temps  que  ses  frères 
Charles-Raymond  et  Louis-Nicolas-François  qui 
devint  môme  capitaine  des  gardes  du  corps, 
Alexandre-Nicolas-Joseph  se  maria  en  Bavière 
avec  Marie-Jeanne,  baronne  de  Franken,  dont  il 
eut  plusieursenfants.  Mais  l'Empereur  Charles  Vil 
étant  mort  en  1745,  et  son  fils  Maximilien  ayant 
été  forcé  de  renoncer  à  toute  prétention  à  la  cou- 
ronne impériale,  Alexandre-Nicolas-Joseph  rentra 
en  France  et  reprit  du  service  en  1747.  Le  21  juil- 
let, il  obtenait  une  commission  de  colonel  ré- 
formé à  la  suite  du  régiment  de  laMarck.  Il  eut, 
le  l^*"  août  suivant,  une  compagnie  dans  le  ré- 
giment d'infanterie  allemande  de  Madame  la  Dau- 
phine  (1),  qu'il  commanda  au  siège  de  Maës- 
Iricht.  Ayant  quitté  celte  compagnie  au  mois  de 


(i)  Les  régiments  comme  les  compagnies  de  mousquetaires 
avaient  quelquefois  pour  chef  honoraire  les  membres  de  la  famille 
royale  :  la  reine,  le  dauphin,  etc. 


—  381  — 

janvier  1749,  il  fut  remis  colonel  réformé  à  la 
suite  du  régiment  de  la  Marck,  par  ordre  du 
20  du  même  mois.  Il  se  trouva  avec  ce  régiment 
à  la  bataille  d'Hastenbeck  et  à  celle  de  Rosbach 
en  1757  et  fut  employé  comme  colonel  en  Nor- 
mandie, en  juin  1758. 

Brigadier  par  brevet  du  10  février  1759,  il  fut 
nommé,  au  mois  de  mars,  inspecteur  général  et 
directeur  des  côtes  maritimes  de  Poitou,  Aunis, 
Saintonge,  Guyenne,  Roussillon,  Languedoc  et 
Provence,  et  servit  en  cette  qualité  pendant  le 
reste  de  la  guerre.  Il  fut  employé  en  Guyenne  en 
1760  et  reçut,  le  25  juillet  1762,  le  brevet  de 
maréchal  de  camp  (1). 

Le  traité  de  Paris,  du  10  février  1763,  en  aban- 
donnant nos  colonies  à  l'Angleterre,  mettait  fin 
à  la  guerre,  et  Alexandre-Nicolas- Joseph  de  Beau- 
jeu  prenait  sa  retraite  avec  une  pension  de  3000 
livres  réversible  sur  sa  fille. 

Charles-Raymond  de  Beaujeu,  le  frère  d'A- 
lexandre-Nicolas-Joseph et  de  Louis-Nicolas- 
François,  était  mort  le  15  juillet  1754  et  sa  fille 
posthume  ne  vécut  que  jusqu'au  13  avril  1755. 
Elle  laissait  à  ses  oncles,  ses  héritiers  pour  la 
ligne  paternelle,  une  partie  de  la  seigneurie  de 
Morteau  qui  aivait  été  donnée  à  son  père,  le  24 
mars  1753,  par  sa  tante  Gabrielle-Elisabelh  de 

(\)  Chronique  histonque  et  militaire,  par  Pinard,  commis  au 
bureau  de  la  guerre,  t.  Vli^  p.  54i  :  maréchaux  de  camp. 


—  382  — 

Bennan,  veuve  de  François-André-Joseph  de 
Maillard.  Le  13  février  1773,  Alexandre-Nicolas- 
Joseph  devenait  seul  propriétaire  de  toute  la  terre 
par  une  cession  de  sa  belle-sœur  et  de  Gabrielle- 
Françoise,  célibataire  majeure,  autre  sœur  de 
M"*®  de  Beaujèu.  Son  fondé  de  pouvoir  pre- 
nait possession  le  2  mars  et,  le  18  mai,  il  se  faisait 
donner  une  déclaration  parTancien  fermier  (1). 

Il  fit  alors  réparer  le  château  où  ses  armes  (2) 
se  voient  encore  sur  la  façade  et  sur  les  plaques 
des  cheminées,  et  il  y  vécut  jusqu'à  sa  mort. 

Dans  son  testament  daté  de  Morteau,  le  27  mars 
1776,  il  lègue  ses  vêlements  et  une  rente  à  Mar- 
guerite Chauffeur,  sa  gouvernante,  «  en  récom- 
pense des  services  qu'elle  lui  a  rendus  dans 
l'abandon  où  il  était  dans  ce  désert  et  qu'il  aurait 
été  en  droit  d'attendre  de  sa  famille;  et  comme 
le  roi  a  bien  voulu  lui  accorder  une  pension  de 
trois  mille  livres  réversible  sur  Charlotte-Louise, 

(1)  Arch.  du  château  de  Morteau. 

(2)  Ces  armes,  écartelées,  poitent  aux  1  et  4  :burellé  dedix  piè- 
ces ;  aux  2  et  3  :  un  lion  avec  un  lambel  de  cinq  pendant;:.  De 
môme  qu'Eduie- Nicolas- Louis,  le  dernier  des  Beaujeu  delà  branche 
de  Montot,  Alexandre- Nicolas-Joseph  avait  ajouté  à  ses  armes  le 
lion  des  Beaujeu-Porez,  lorsque  d'Hozier  eut  dressé  la  généalogie 
de  la  maison  de  Beaujeu,  en  1676.  D'Hozier  avait  fait  desrendre 
cette  maison  d'Humbert  III  marié  à  Auxilie  de  Savoie.  Mais  c'est 
une  erreur  que  rien  ne  justifie  etquiest  absolument  démontrée  par 
les  documents  que  j*ai  recueillis.  On  a  du  resto  souvent  reproché  à 
d'flozicr  des  erreurs  de  ce  genre  et  qui  étaient  destinées  à  fldtter 
l'orgueil  do  ses  clients. 


—  383  — 

comtesse  de  Beaujeu,  sa  fille,  il  veut  que  la  rente 
de  sa  gouvernante  soit  payée  sur  ces  3000  livres.  » 
Une  note  imprimée  (1)  qui  accompagnait  le 
testament  est  ainsi  conçue  :  «  D  0  M.  Ici  choisit 
sa  sépulture  très  haut  et  très  puissant  seigneur 
M'""  Alexandre-Nicolas-Joseph,  comte  de  A.  R... 
Morteau,  etc.  En  lui  et  très  haut  et  très  puissant 
seigneur  M*"^  Louis-Nicolas-François,  comte  de 
Beaujeu,  son  frère,  lequel  n'a  point  eu  de  posté- 
rité de  feue  très  H.  et  T.  P.  Dame  madame  la 
comtesse  de  Beaujeu,  née  princesse  de  Kinsky, 
son  épouse,  finit  (2)  Tancienne  et  illustre  maison 
de  Beaujeu,  qui  depuis  lex®  siècle  auquel  remonte 
ses  filiations  par  titres  originaux,  déposés  dans 
les  archives  du  château  de  Marteau  (3),  s'est 
alliée  successivement  avec  la  maison  royale  de 
France,  les  anciens  empereurs  de  Souabe  (4),  etc. . . 
De  son  mariage  avec  feue  T.  H.  et  T.  P.  dame 
madame  Marie-Jeanne,  comtesse  de  Beaujeu,  née 

(4)  Cette  note  était  destinée  à  compléter  les  documents  généalo- 
giques de  la  maison  de  Beaujeu  qui  se  trouvaient  alors  à  Morteau. 

(3)  Alexandre-Nicolas-Joseph  oubliait  les  Beaujeu  de  Mézilles 
que  sa  fille  devait  reconnaître  comme  de  sa  famille,  puisqu'elle 
était  marraine  le  8  octobre  1783,  de  Charlotte-Louise-Henrietto, 
fille  de  Jacques-Henri  et  de  Louise-Marie  Aymon  de  Montépin. 

(3)  Malheureusement  ces  titres  n'existent  plus  à  Morteau  :  ils 
ont  dû  être  emportés  par  Charlotte-Louise,  lorsqu'elle  a  vendu  la 
terre. 

(4)  Il  fait  allusion  au  mariage  de  Thibaut  de  la  branche  ainée 
avec  Catherine  de  Vienne,  fille  d'Agnès  de  Bourgogne,  par  laquelle 
elle  descendait  de  l'empereur  Frédéric  Barberousse  (voir  1'"  partie 
de  lllist.  géuéalocfique  de  la  maison  de  Beaujeu), 


—  384  — 

baronne  de  Franken  et  du  Saint-Empire,  il  ne 
lui  reste  de  ses  enfants  que  T.  H.  et  T.  P.  dame 
madame  Charlotte-Louise,  comtesse  de  Beau  jeu, 
sa  fille,  aujourd'hui  chanoinesse  du  chapitre  royal 
et  séculier  de  Saint-Louis  de  Metz. 

H.  M.  P. 

D  M. 

An.  MDCGLXXiV.  » 

Charlotte-Louise,  après  la  mort  de  son  père, 
épousa  Henri  des  Granges-Surgères(l).  Elle  avait 
aliéné  une  partie  de  Morteau,  le  5  février  1778, 
mais  elleavait  conservé  le  reste  et  fut  maintenue 
en  possession  pendant  la  période  révolutionnaire, 
ensuite  d'une  requête  du  30  nivôse  an  11(19  jan- 
vier 1794),  dans  laquelle  elle  demandait  cette 
faveur.  Elle  céda  tousses  droits,  le  5  janvier  1802 
(16  nivôse  an  IX)  à  Jacques  Paillette,  et  son 
mari  donna  son  approbation,  le  25  nivôse  (14 
janvier)  suivant. 

Dans  une  procuration  qu'elle  signa  le  4  ger- 
minal an  XII  (24  mars  1804),  elle  se  dit  veuve. 
Elle  dut  mourir  en  180S. 

J.  Bertin. 

(A  suivre.) 

(4)  Arch.  du  château  de  Morteau.  Les  des  Granges  de  Surgères, 
marquis  de  la  Flacelière  et  de  Puiguyon^  étaient  du  Poitou.  Ils 
avaient  pour  armes  :  de  gueules frelté de vair, et  pour  devise:  Post 

TENEBRAS  SPERO  LUGEM. 


LE 

GÉNÉRAL   DE  GASSENDI 


28 


LE 

GÉNÉRAL    DE   GASSENDI 


I 


Gassendi  (1)  (Jean  Jacques  Basilien)  naquit  à 
Digne,  le  18  décembre  1748.  Son  père,  Jean 
François  Gassendi,  né  en  1771,  était  avocat  au 
Parlement  de  Provence.  Sa  mère  se  nommait 
AnneFrancoul.  Il  était  neveu  au  septième  degré 
du  fameux  Gassendi,  du  philosophe  ami  de  Des- 
caries qui  honora  son  pays  par  ses  travaux,  mais 
que  ses  opinions  condamnèrent  à  un  discrédit 
immérité.  On  ne  sait  rien  de  son  enfance,  sinon 
qu'il  passait  une  grande  "  partie  de  son  temps 
dans  le  domaine  de  sa  famille,  à  Varages  (2).  Il 
conserva  de  ce  séjour  un  reconnaissant  souvenir. 
Lorsque  plus  tard  il  chercha  à  traduire  en  vers 
ses  impressions  de  jeunesse,  il  parla  avec  émotion 
des  fôtes  de  campagne  dont  il  avait  été  témoin, 

(1)  L'orthographe  Gassendy  est  celle  de  l'acte  de  baptême  déposé 
aux  archives  municipales  de  Digne,  mais  le  général  signait  habi- 
tuellement Gassendi. 

(2)  Département  du  Var,  arrondissement  de  Brignoles,  à  6  ki- 
lomètres N.  0.  de  Barjols. 

28 


—  388  — 

(les  vendanges,  de  la  moisson.  Il  décrivit  quel- 
ques-uns des  sites  pittoresques  du  pays  natal.  Il 
se  rappela  même  la  compagne  de  ses  jeux,  celle 
qui  la  première  fit  battre  son  cœur,  une  jeune 
paysanne,  qu'il  nomme  quelque  part  la  tendre 
Clérille.  Une  fois  admis  à  la  retraite  et  plus  libre 
de  son  temps,  il  aimait  à  revenir  à  Varages,  à  se 
retremper  dans  ses  vieux  souvenirs,  et  à  causer 
avec  ses  contemporains  qu'il  réunissait  à  sa  table, 
et  qu'il  aidait  de  ses  conseils,  souvent  môme  de 
sa  bourse  ;  car  il  avait  été  comme  pénétré  par  le 
charme  discret  de  nos  campagnes  provençales  et 
garda  toute  sa  vie  cet  amour  du  terroir  et  cette  ori- 
ginalité de  tempérament  qui  ont  toujours  dis- 
tingué ses  compatriotes. 

On  ne  sait  rien  non  plus  de  ses  premières  études, 
mais,  si  Ton  en  juge  par  laculture  de  son  esprit, 
elles  durent  être  complètes.  Ce  ne  sont  pas  seu- 
lement les  auteurs  classiques,  grecs  ou  latins, 
qu'il  paraît  avoir  pratiqués,  mais  aussi  les  grands 
écrivains  étrangers,  le  Dante,  le  Tasse,  Guarini, 
le  Gamoens,  Gessner,  Ossian,  et  beaucoup  d'autres, 
dont  il  a  traduit  de  nombreux  passages,  ce  qui 
implique  une  connaissance  assez  étendue  des 
langues  étrangères.  Les  sciences  ne  furent  pas 
non  plus  négligées,  ou  du  moins  les  éléments  des 
mathémathiques,  ce  dont  on  avait  besoin  pour 
entrer  dans  les  écoles  militaires  auxquelles  sa  fa- 
mille le  destinait.  En  résumé,  môme  en  dehors 


—  389  — 

de  ce  qu'on  pourrait  appeler  les  connaissances 
professionnelles,  son  inslruclion  fut  solide  et  va- 
riée. Ce  n'était  pas  seulement  à  l'armée,  mais 
aussi  dans  les  salons  que,  grâce  à  celle  instruc- 
tion, Gassendi  était  desliné  à  ne  point  passer  ina- 
perçu. 

Lé  dossier  de  Gassendi  a  été  conservé  aux  ar- 
chives du  ministère  de  la  guerre.  Nous  avons  pu 
le  consulter  et  môme  en  prendre  copie,  grâce  à 
Textrême  complaisance  de  MM.  les  commandants 
de  Revierset  A.  Louvol,  auxquels  nous  sommes 
heureux  dé  transmettre  ici  l'expression  de  nos 
remercîments.  Quatre  des  pièces  insérées  dans  ce 
dossier  sont  relatives  aux  états  de  service  du  gé- 
néral Gassendi,  à  diverses  dates.  Il  y  est  dit  qu'il 
fut  admis  comme  aspirant  aux  écoles  d'artillerie, 
le  24  février  1767,  et  nommé  élève  de  l'école  de 
Bapaume  au  corps  royal  de  Tartillerie,  lo  6  no- 
vembre 1767.  Il  obtenait  sa  première  épaulette 
quelques  mois  plus  tard,  et  arrivait  en  qualité  de 
lieutenant  au  régiment  de  la  Fère,  alors  en  gar- 
nison à  Douai,  le  9  mai  1768.  Onze  ans  plus  tard, 
Tavancemont  était  alors  bien  lent,  il  était  nommé 
lieutenant  en  premier  (3  juin  1779)  et  capitaine 
en  second  seulement  le  19  avril  1782,  toujours 
au  môme  régiment.  Détaché  une  première  fois  à 
l'arsenal  de  Metz  (19  avril  1782)  et  une  seconde 
fois  aux  forges  des  Trois-Evôchés  (février  178o), 
capitaine  do  bombardiers  le  2o  décembre  1788  et 


—  390  — 

(le  canonnîers  le  V^  mai  1789,  il  rentrait  au  ré- 
giment de  la  Fère,  réorganisé  en  1791  sous  le 
nom  de  4*  régiment  d'artillerie,  et  était  inscrit 
sur  ses  rôles  à  partir  du  1"  avril  1791.  Malgré 
son  mérite  attesté  par  divers  travaux  dont  nous 
aurons  à  dire  un  mot,  malgré  les  événements  qui 
auraient  pu,  en  le  jetant  brusquement  en  pleine 
lumière,  hâter  son  avancement,  il  avait  donc 
parcouru,  avec  une  lenteur  relative,  les  divers 
échelons  de  la  hiérarchie  militaire.  Si  à  Tâge  de 
quarante-trois  ans  il  n^était  encore  que  capitaine, 
on  ne  saurait  Taccuser  d'avoir  profité  des  cir- 
constances pour  faire  son  chemin.  D'un  carac- 
tère froid  et  réservé,  strictement  appliqué  à  ses 
devoirs,  il  est  probable  qu'il  s'était  attaché  à 
l'exercice  de  sa  profession  sans  vouloir  se  départir 
du  calme  et  de  la  neutralité  que  lui  imposaient 
ses  fonctions.  C'était  un  officier,  ce  ne  fut  jamais 
un  politicien.  Alors  qu'autour  de  lui  grandis- 
saient et  montaient  en  grade  tels  ou  tels  de  ses 
camarades  qui  n'avaient,  certainement,  ni  sa 
capacité,  ni  ses  services,  il  sacrifia  ses  intérêts  à 
ses  devoirs,  et  se  contenta  de  servir  obscurément 
la  patrie. 

Gassendi  avait  pourtant  cherché  à  se  rendre 
utile  en  composant,  à  Tusage  de  ses  collègues,  un 
Aide  Mémoire  à  l'usage  des  officiers  de  V artille- 
rie de  France  attachés  au  service  de  terrCyMetZj 
1789.  On  s'occupait  alors  beaucoup  de  la  réorga- 


—  391  — 

nisalioli  de  Tarlillerie.  Divers  projets  avaient  élé 
présentés,  entre  autres  par  le  colonel  Augustin 
Lespinasse,  qui,  de  concert  avec  Monlbéliard, 
avait  donné  à  Tinfanterie  le  modèle  de  fusil  dit 
(le  1777,  et  contribué  à  améliorer  le  travail  de  la 
manufacture  de  Saint-Etienne.  D'Arçon,  Monla- 
lembert,  d'Urlubie  et  Saint-Remy  avaient  égale- 
mentagité  Topinion  par  leurs  théories  divergentes. 
Le  livre  de  Gassendi  arriva  donc  à  l'heure  pré- 
cise où  son  utilité  s'imposait.  Il  ne  nous  appartient 
pas  de  trancher  le  débat,  car  la  compétence  nous 
fait  défaut  :  il  nous  suffira  de  constater  que  le 
travail  de  Gassendi  fut  bien  reçu  (1).  Les  éditions 
en  furent  nombreuses.  La  cinquième  parut  à 
Paris  en  1819.  Une  sixième  fut  donnée  en  1836, 
et  avec  l'estampille  officielle,  car  le  général  Do- 
guereau,  qui  avait  signé  la  préface,  recommando 
très  fort  l'ouvrage  de  son  prédécesseur.  Une  de 
ses  théories  nous  paraît  cependant  bien  contes- 
table. Il  ne  croyait  pas  à  l'utilité  de  Tarlillerio 
légère,  qu'il  jugeait  dispendieuse,  et,  dans  un 
autre  travail  publié  en  Tan  VIII,  Aperçu  sur  V or- 
ganisation deVartilleriey  tout  en  admettant  huit 
régiments  d'artillerie  à  cheval,  «  ce  n'est  pas, 
ajoutait-il,  que  Ion  pense  qu'il  faille  à  la  France 
cette  quantité  d'arlillerioà  cheval,  mais  c'est  que 
toutes  les  armées,  tous  les  généraux  en  veulent 

(I)  GiaoD  DB  L*Aiif,  Grands  Artilleurs. 


—  392  — 

et  en  veulent  beaucoup.  On  sacrifie  à  la  mode, 
en  attendant  qu'un  jour,  qui  n'est  peut-être  pas 
loin,  une  artillerie  à  pied  bien  organisée  ait 
prouvé  aux  généraux  qui  voudront  se  résoudre 
à  la  manier,  a  remployer,  qu'aussi  légère  dans 
l'occasion  que  Tartillerie  à  cheval,  plus  soigneuse 
de  son  arme,  moins  incommode  dans  ses  consom- 
mations, moins  coûteuse  à  la  République,  elle 
produit  des  effets  égaux,  mais  rapides,  peut-être 
même  plus  certains,  sacrifie  le  vain  bruit  qui 
éblouit  le  vulgaire  aune  gloire  solide  et  n'expose 
pas  une  armée  à  se  trouver  au  dépourvu  de  mu- 
nitions précieuses  par  une  consommation  stérile 
et  sans  bornes.  Alors  on  la  réduira  à  ce  qu'elle 
doit  être,  à  une  conipagnieaupluspar  régiment.  » 
Encore  une  fois,  nous  n'avons  pas  à  apprécier  : 
nous  nous  contentons  de  citer. 

-  Au  moment  où  éclate  la  Révolution,  Gassendi 
était  donc  connu  et  apprécié  comme  un  officie^ 
modeste  et  travailleur,  amoureux  de  son  métier, 
et  très  en  état  de  rendre  d'importants  services. 
S'il  avait  cherché  à  se  faire  valoir,  si  surtout  il 
avait  essayé  de  jouer  un  rôle  politique  en  s'atta- 
chant  à  la  fortune  de  quelqu'un  des  hommes 
nouveaux  qui,  subitement,  furent  appelés  à  la 
direction  des  affaires,  il  se  serait  facilement  haussé 
aux  premiers  rangs;  mais  ce  n'était  pas  un  am- 
bitieux. Les  idées  et  les  principesde  1789  l'avaient 
pourtant  enthousiasmé.  11  les  avait  chantés  et 


—  393  — 

célébrés  dans  ces  poésies  intimes  par  lesquelles 
il  aimait  à  traduire  ses  sentiments.  Ses  convictions 
auraient  été  d'accord  avec  ses  intérêts  :  mais  il 
venait  de  se  marier  et  songeait  surtout  à  plaire 
à  sa  jeune  femme.  Une  partie  du  régiment  de 
LaFère,  autrement  dit  le  4*  d'artillerie,  avait  été, 
dès  1788,  désignée  comme  devant  tenir  garnison 
à  Auxonne.  Le  6  août  1789  un  détachement  avait 
été  envoyé  dans  le  voisinage,  à  Nuits.  Il  était 
commandé  par  Gassendi.  C'est  dans  cette  jolie 
petite  ville  qu'il  fit  la  connaissance  de  la  fille 
unique  d'un  médecin,  Reine  Soucelyer,  et  de- 
manda sa  main.  On  conserve  au  ministère  de  la 
guerre  les  pièces  relatives  à  ce  mariage,  le  mé- 
moire de  Gassendi  pour  demander  lautorisation 
de  se  marier  et  les  réponses  de  ses  chefs.  Le 
commandant  Quentin  affirme  «  que  le  mariage 
que  demande  à  contracter  M.  de  Gassendi  réunit 
à  l'advantage  d'une  famille  honneste  une  fortune 
très  convenable  à  son  cas.  »  Le  colonel,  chevalier 
de  Lance,  n'hésite  pas  à  déclarer  (La  Fère,  10 
avril  1790)  que  «  le  mariage  que  M.  de  Gassendi 
demande  à  contracter  avec  M'*'  Reine  Soucelyer 
lui  est  très  avantageux,  estant  fille  unique,  d'une 
famille  très  honneste,  luy  seront  au  moins  cinq 
mille  livres  de  rente  en  fonds  de  terres,  de  plus 
un  mobylié.  Vu  ces  advantages  je  réclame  pour 
lui  la  permission  qull demande  ».  Le  général  de 
la  Morlière  confirme  ces  déclarations  et  enfin  le 


—  394  — 

ministre  de  la  guerre  lui  envoie,  au  nom  du  roi, 
Taulorisalion  (23  août  1790). 

Le  mariage  fut  célébré  à  Nuits  le  4  mai  1790. 
H  ne  serait  pas  impossible  que  Bonaparte  y  ait 
assisté,  car^,  depuis  le  1*^  juin  1788,  il  était  en 
garnison  à  Auxonne  et  sous  les  ordres  directs  de 
Gassendi.  En  tout  cas,  d'après  une  tradition  dont 
rien  n'infirme  Tauthenticité,  il  aurait  pris  part 
aux  cérémonies  du  mariage,  et  môme  il  lui  serait 
arrivé  une  assez  plaisante  aventure.  Présenté 
dans  un  des  salons  bien  pensants  de  la  ville, 
celui  de  M"'*'  Marey,  il  aurait  été  obligé  d'y  subir 
des  propos  ultra-réactionnaires,  car  on  le  suppo- 
sait, à  cause  de  sa  particule,  acquis  à  la  contre- 
révolution.  Bien  malgré  lui,  et  pour  ne  pas  faire 
de  scandale,  il  aurait,  sans  prolester,  écouté  les 
divagations  et  feint  de  partager  les  espérances 
de  ces  partisans  déterminés  de  l'ancien  régime. 
On  ne  sait  si  Gassendi  fut  aussi  réservé  et 
aussi  prudent  que  son  jeune  collègue.  Il  est  pro- 
bable que,  dans  Tintimité,  les  deux  officiers 
durent  s*amuser  du  rôle  qu'ils  avaient  consenti 
à  jouer.  Au  fond  Tun  et  l'autre  étaient  partisans 
déterminés  de  la  Révolution  et  résolus  à  se- 
conder les  réformes  plutôt  qu'à  les  enrayer. 
Voici  du  reste  le  texte  du  serment  que  prêta 
Gassendi  en  1790,  et  dont  la  minute,  écrite  de 
sa  main,  a  été  conservée  aux  archives  du  mi- 
nistère de  la  guerre:  «Je  jure  d'employer  les 


-  395  — 

armes  remises  entre  mes  mains  à  la  défense  de 
la  patrie,  et  à  maintenir  contre  tous  les  ennemis 
du  dedans  et  du  dehors  la  Constitution  décrétée 
par  l'Assemblée  Nationale,  de  mourir  plutôt 
que  de  souffrir  Tinvasion  du  territoire  français 
par  des  troupes  étrangères,  et  de  n'obéir  qu'aux 
ordres  qui  seront  donnés  en  conséquence  des 
décrets  de  l'Assemblée  Nationale.  »  N'est-ce  pas 
une  profession  de  foi,  certes,  peu  royaliste  et 
ne  dénote-t-elle  pas,  de  la  part  de  celui  qui  la 
rédigea,  des  sentiments  qu'on  pourrait  presque 
qualifier  de  républicains?  Quant  au  lieutenant 
d'artillerie  Bonaparte  personne  n'ignore  quelles 
furent,  quelles  étaient  déjà  ses  opinions  poli- 
tiques. 

Bien  que  l'émigration  ait  enlevé  au  4*  d'artil- 
lerie bon  nombre  de  ses  officiers,  et  qu'il  y  eut 
de  nombreuses  places  à  pourvoir,  Gassendi  sem- 
blait confiné  dans  les  rangs  inférieurs  et  sans 
grand  espoir  d'en  sortir.  Se  croyait-il  lésé  dans 
ses  droits,  ou  bien  se  dégoûtait-il  d'une  profes- 
sion où,  jusqu'alors,  il  avait  récolté  surlout  des 
déboires,  toujours  est-il  qu'il  forma  le  projet  de 
se  retirer.  Sous  prétexte  d'une  maladie  d'yeux 
qui  menaçait  de  lui  enlever  la  vue,  il  envoya 
sa  démission,  avec  prièro  de  la  transmettre  au 
ministre,  au  commandant  mililaire  de  la  place 
de  Sedan  où  il  venaitd'être  transféré.  Cet  officier 
supérieur  avait  apprécié  Gassendi  à  sa  valeur.  Il 


—  396  — 

ne  voulut  pas  priver  rarmée  de  ses  services.  Il 
envoya  donc  sa  lellre  au  ministre  (1)  (28  octobre 
1792),  en  raccompagnant  du  certificat  des 
médecins  et  de  Tapostille  du  maréchal  de  camp 
commandant  l'arrondissement  des  Ardennes, 
«  mais,  ajoutait-il,  il  ne  faut  pas  accepter  cette 
démission,  parce  que  on  peut  accorder  a  cet 
officier  un  congé  de  six  mois  pour  lui  procurer 
le  calme  et  le  repos  dont  il  a  besoin  afin  de  réta- 
blir sa  santé  » .  Il  réclamait  ce  congé  «  avec 
d'autant  plus  d'instance  qu'il  est  important  de 
conserver  au  service  de  la  République  cet  officier 
plein  de  civisme  et  de  talent  ».  Il  demandait 
même  qu'on  lui  accordât  ce  congé  en  lui  conser- 
vant ses  appointements.  Gassendi  ne  pouvait 
que  s'incliner  devant  cette  flatteuse  démarche. 
Il  accepta  donc  le  congé  qu'on  lui  proposait,  et 
alla  le  passer  à  Nuits,  auprès  de  sa  nouvelle 
famille. 

On  lui  sut  gré  en  haut  lieu  de  cette  détermi- 
nation, car  il  était  nommé,  le  8  mars  1793,  chef 
de  bataillon  d'artillerie,  et  quelques  jours  plus 
tard  sous-directeur  de  l'arsenal  de  Lyon  (2).  Il  se 
rendait  aussitôt  à  son  poste  et  y  était  installé  le  1 6 
avril  de  la  môme  année,  très  occupé  à  réorg'aniser 
tous  les  services  et  à  pourvoir  aux  besoins  des 


(1)  Ministère  de  la  guorre^  Dossier  Gassendi^  n^  4. 

(2)  Archives  du  miniatôre.  Pièce  n°  5. 


—  397  — 

armées.  Ace  momentrEuropeentièreétaitcoalisée 
conlrô  la  France,  et  à  l'intérieur  la  guerre  civile 
était  menaçante.  Gassendi  se  trouva  fort  embar- 
rassé. Il  aimait  les  nouveaux  principes,  mais  en 
goûtait  peuTapplication,  et  commençait  à  trouver 
que  les  membres  de  la  Convention  allaient  beau- 
coup trop  vite  en  besogne.  Il  avaitélé  fort  attristé 
par  l'exil  ou  la  dispersion  de  quelques-uns  de 
ses  collègues,  auxquels  le  rattachaient  les  liens 
d'une  vieille  amitié.  Quand  il  apprit  que  plusieurs 
d'entre  eux  avaient  payé  de  leur  tête  ou  leurs 
convictions,  ou  leurs  imprudences,  il  se  demanda 
sérieusement  si,  dans  ces  conditions,  il  lui  con- 
venait de  continuer  à  servir  un  pareil  gouverne- 
ment. Fort  heureusement  pour  lui  il  eut  la 
sagesse  de  dissimuler  ou  toutaumoins  de  contenir 
ses  regrels.  Il  se  contenta  de  les  épancher  dans 
ces  pages  intimes,  dans  ces  poésies,  qu'il  se  ré- 
servait de  publier  plus  tard,  et  qui,  pensait-il, 
garderaient  son  secret. 

0  Céleste  amitié,  qui  me  rendra  tes  charmes? 

Que  sont-ils  devenus  tous  mes  compagnons  d'armes t 

Par  de  lâches  bourreaux  les  uns  assassinés, 

Sur  des  bords  étrangers  les  autres  entraînés, 

Je  les  ai  tous  perdus,  et  jusqu'à  l'espérance 

De  voir  jamais  finir  leurs  mau\  et  leur  absence. 

Ce  qui  le  froissait  plus  encore  que  la  dispersion 
ou    l'exécution   de  ses    compagnons    d'armes, 


—  398  — 

c'étaient  les  avancements  scandaleux  de  géné- 
raux, improvisés  par  les  circonstances,  et  qui, 
franchissant  d'un  bond  tous  les  degrés  de  la 
hiérarchie,  devenaient  du  jour  au  lendemain  les 
supérieurs  d'officiers  régulièrement  investis  de 
leurs  mandats.  Il  se  moque,  non  sans  amertume, 
de  ces  conducteurs  d'armées,  qu'il  représente 

Les  cheveux  courts  et  gras,  le  ton  rogue  et  brutal. 
Pantalon  bien  tendu,  botte  courte  et  luisante. 
Nez  au  vent,  œil  hagard,  moustache  bien  pendante. 
Sabre  long  et  traînant, 

Et,  par  un  douloureux  retour  sur  lui-même, 
il  ne  peut  s'empêcher  de  constater  que 

Trente  ans  pour  mon  pays  j'ai  servi  dans  les  camps. 
Et  trente  ans  mon  pays  me  laisse  aux  derniers  rangs. 
Lorsque  mon  perruquier  et  mon  maître  de  danse 
Ignorants,  méprisés  même  des  ignorants, 
Deviennent  généraux  à  force  d*impudence. 

Avec  de  pareilles  dispositions  il  est  surprenant 
que  Gassendi  n'ait  pas  émigré,  ou  tout  au  moins 
n'ait  pas  persisté  dans  son  intention  de  prendre 
une  retraite  définitive  ;  mais  l'ennemi  nous  atta- 
quait sur  toutes  nos  frontières,  les  deux  tiers  de 
la  Fcance  étaient  en  insurrection  ;  jamais  notre 
pauvre  pays  n'avait  été  acculé  à  de  pareils  dan- 
gers. Gassendi  était  avant  tout  l'homme  du  devoir. 
S'il  se  retirait,  n'avait-on  pas  le  droit  de  l'accuser 


—  399  — 

de  désertion  en  face  deTennemi?  Il  fit  donc  taire 
ses  répugnances  et  resta  à  son  poste,  bien  résolu 
à  ne  pas  cesser  d'être  avant  tout  le  défenseur  de 
la  patrie  menacée.  L'occasion  allait  en  effet  se 
présenter  pour  lui  de  rendre  dlnappréciables 
services  et  de  prouver  une  fois  de  plus  que  les 
officiers  de  l'ancienne  armée  n'étaient  dépourvus 
ni  de  talent,  ni  de  patriotisme. 


II 


A  ce  moment,  c'est-à-dire  dans  Tété  de  Tannée 
1793,  la  situation  était  critique,  surlout  dans  le 
Midi.  Presque  toutes  les  villes  s'étaient  soulevées 
contre  la  dictalure  Jacobine.  Toulon  avait  ouvert 
ses  portes  aux  coalisés  qui  s'étaient  précipités 
sur  cette  riche  proie.  Les  Anglais,  dans  leur 
hâte  de  s'établir  dans  une  aussi  importante  cita- 
delle, y  avaient  jeté  toutes  les  troupes  disponi- 
bles sur  les  côtes  de  la  Méditerranée,  Espagnols, 
Portugais,  Sardes,  Napolitains.  Ils  espéraient  y 
installer  un  nouveau  Gibraltar.  La  Convention 
avait  aussitôt  commencé  le  siège  de  la  place 
rebelle.  Deux  corps  d'armée,  séparés  par  le 
mont  Faron,  s'étaient  portés  contre  Toulon,  les 
uns  accourus  de  Marseille,  les  autres  détachés 
de  Tarmée  des  Alpes.  Ces  troupes  effaraient  un 
mélange  inouï  d'inexpérience  et  de  vaillance. 


—  400  — 

Sans  chefs,  sans  matériel,  sans  organisation, 
mais  résolues  à  vaincre  ou  à  mourir.  De  simples 
soldats  étaient  devenus  officiers  supérieurs.  Des 
sergents  d'artillerie  dirigeaient  des  batteries. 
Le  peintre  Carteaux  avait  le  commandement  en 
chef,  mais  il  était  dépourvu  de  connaissances 
spéciales.  Il  ne  connaissait  pas,  même  approxi- 
mativement, la  portée  d  une  pièce  d'artillerie. 
Aucun  service  n'était  organisé.  On  ne  possé- 
dait même  pas  Toulillage  indispensable  à  réta- 
blissement d'une  batterie,  et,  ce  qui  donne  la 
note  de  l'époque,  les  sociétés  populaires  avaient 
mis  au  concours  un  plan  pourla  prise  de  Toulon 
Au-dessus  de  cet  immense  désordre  et  investît 
d'une  autorité  illimitée,  s'agitaient  les  repré- 
sentants du  peuple  Saliceti,  Albitte,  Gasparin, 
Fréron,  Barras.  Les  opérations  flottaient  donc  au 
hasard  et  sans  direction.  C'est  dans  ce  désarroi 
qu'arriva  Bonaparte. 

Le  capitaine  Bonaparte  se  rendait  alors  d'Avi- 
gnon à  Nice.  Il  s'arrêta  à  Toulon  pour  y  voir  son 
compatriote  Saliceti  qui  le  présenta  à  Carteaux. 
Ce  dernier  lui  fit  visiter  les  travaux  du  siège. 
Bonaparte  contint  à  peine  l'expression  de  son 
mépris,  mais  ses  observations  étaient  si  justes  et 
les  conseils  qu'il  donna  montraient  une  telle 
entente  des  choses  de  la  guerre  que  les  Repré- 
sentants le  mirent  aussitôt  en  réquisition  pour  le 
service  de  son  arme   (septembre  1793).  Dès  ce 


—  401  — 

moment  Bonaparte  prit  le  commandement  effectif 
de  Tartillerie,  et,  de  fait,  dirigea  le  siège.  Il  se 
montra  digne  de  la  faveur  que  lui  accordait  la 
fortune.  En  peu  de  jours  il  réorganisa  tous  les 
services.  Il  fit  venir  de  Lyon,  de  Grenoble,  de 
Marseille  tout  ce  qui  manquait  en  officiers,  en 
canons,  en  munitions,  bref  il  devint  si  bien 
l'homme  indispensable  que  le  général  du  Theil, 
envoyé  à  Toulon  pour  y  commander  Tartillerie, 
ne  songea  pas  un  instant  à  lui  disputer  Tespèce 
de  dictature  qu'il  s'était  arrogée  (1). 

Gassendi  fut  un  de  ceux  qui  aidèrent  Bonaparte 
dans  ce  travail  de  réorganisation.  Il  avait  élé 
délaché  de  l'arsenal  de  Lyon  et  envoyé  à  Nice, 
sans  doute  pour  inspecter  les  services  de  l'artille- 
rie, au  mois  d'août  1793.  On  a  conservé  de  lui, 
aux  archives  du  ministère  de  la  guerre  (2),  une 
lettre  datée  de  Nice,  18  août  1793,  adressée  à  son 
collègue,  le  chef  de  bataillon  Dupin,  adjoint  au  mi-, 
nistre  de  la  guerre.  Elle  est  ainsi  connue  :  «  Je  me 
suis  rendu  à  Nice,  conformément  à  vos  ordres. 
N'ayant  pu  suivre  la  grande  route,  parce  que  la 
plupart  des  bacs  étaient  coupés,  j'ai  élé  obligé  de 
remonter  la Durance  j usqu'à  Manosque pou r  la  pas- 
ser. N'ayantpu  trouverde  montures,  j'ai  étéobligé 
de  faire  deux  fortes  journées  à  pied,  après  lesquel- 


(I)  CHVQvn,  Jeunesse  de  Napoléon^  t.  III^  p.  469-252. 
{l)  Dossier,  pièce  qo  6. 

29 


_  402  _ 

les  j'ai  eu  deux  accès  de  fièvre,  ce  qui  m'a  obligé 
à  quelque  relard.  »  Il  se  trouvait  encore  à  Nice 
lorsque  Bonaparte,  qui  connaissait  son  activité, 
le  fit  désigner  pour  aller  prendre  à  Marseille  la 
direction  de  Tarsenal.  Il  lui  adressa  à  ce  propos 
une  lettre  que  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de 
retrouver  dans  les  archives  municipales  d'Au- 
xonne  (1),  et  qui  est  datée  d'OUioules,  près  de 
Beausset,  le  8  septembre  1793.  La  voici  ; 

a  Le  géoérai  vient  de  donner  les  ordres,  mon  cher  cama- 
rade, pour  que  vous  vous  portiez  en  toute  diligence  à 
Marseilles,  afin  de  travailler  à  la  formation  de  léquipagede 
siège.  Notre  camarade  M^yrion  qui  y  est  me  fait  des  envoys 
si  mal  réglé  que  je  n'y  puis  mettre  ordre  des  qu'ils  sont  ar- 
rivés. Je  vous  prie  de  me  porter  tous  les  effets  que  j'ai 
laissé  à  Nice.  Ce  ne  doit  pas  être  grand  chose.  Je  serai  bien 
aise  de  vous  voir  et  d'avoir  occasion  de  travailler  avec  vous. 
Pelgrin  doit  venir  aussi.  Vous  pourrez  prendre  la  poste  en- 
semble. Si  vous  pouvez  procurer  un  bon  garde  magazin  et 
un  bon  conducteur  de  charoi,  fait  leur  prendre  la  poste, 
qu'ils  viennent  icy,  ils  seront  employés  avantageusement. 
Je  vous  prie  de  ne  pas  m'oublier  auprès  de  Dugard.  Dit  lui 
que  j'ai  écrit  à  Paris  par  un  courrier  que  les  représentants 
ont  envoyé  enfin  d'avoir,  lelat  qu'il  désire.  Je  lui  ai  écrit 
longuement  il  y  a  deux  jours.  Mes  comp.  à  Fautrier.  Ma 
compagnie  doit  être  partie.  » 

Gassendi  aurait  peut-être  préféré  rester  à  son 
poste  de  Nice,  mais  il  ne  pouvait  qu'obéir  à  la 

(1  )  Nous  avons  publié  cette  lettre  dans  les  Mémoires  de  la  Société 
Bourguignonne  de  géographie  et  d'histoire,  Dijon,  4904. 


—  403  — 

réquisition  des  représentants  du  peuple.  Il  se 
rendit  donc  aussitôt  à  Marseille,  tout  disposé  à 
diriger  sur  Toulon  ce  qu'il  trouverait  de  dispo- 
nible à  l'arsenal  comme  pièces  de  siège  et  comme 
munitions  ;  mais  il  se  heurta  non  pas  précisément 
contre  une  mauvaisevolonlédéclarée  mais  contre 
une  impuissance  absolue.  Rien  n'élait  prêt  et  on 
ne  paraissait  pas  vouloir  se  plier  aux  circons- 
tances. En  outre,  depuis  que  Carleaux  avait  com- 
primé rinsurrection  du  Midi,  et  vaincu  la  résis- 
tance de  Marseille,  une  nuée  de  préfendus 
sauveurs  de  la  patrie  s'était  abattue  sur  la  cité 
rebelle,  et  la  traitait  en  pays  conquis.  Gassendi 
avait  encore  la  rancœur  de  ses  déceptions.  Il  eut 
le  tort  de  ne  pas  ménager  l'expression  de  son 
mépris  et  de  trop  se  souvenir,  en  présence  des 
sans  culottes  maîtres  de  la  situation,  qu'il  avait 
fait  partie  de  l'ancienne  armée. 

Despropos  violents  furent  échangés.  Une  alter- 
cation, une  scène,  comme  il  est  dit  dans  une  let- 
tre de  Bonaparte,  eut  lieu,  et  le  conflit  passa  si 
rapidement  à  l'état  aigu,  que  Bonaparte  fut  obligé 
de  venir  en  personne  à  Marseille  pour  trancher 
la  difficulté.  Voici  la  lettre  qu'il  écrivit  à  ce  pro- 
pos, le  16  octobre  1793,  aux  représentants  du 
peuple  (1)  : 


(I)  CncQUETj  ouv.  cilé,  t.  lU,  p.  315. 


—  404  — 

«  J'ai  trouvé  dans  Tarsenal  de  Marseille  le  plus  granddé- 
sordre  ;  j'ai,  autant  qu'il  a  été  possible,  remis  en  train  les 
différents  ateliers  ;  mais  vous  sentez  que  cela  ne  peut  pas 
être  ropération  d'une  demi-journée,  et  les  opérations  mili- 
taires Éne  rappellent  au  camp.  Je  laisse  le  commandement 
de  l'arsenal  au  citoyen  Perrier,  capitaine  d'artillerie  ;  mais, 
comme  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  le  dire  hier,  il  est  peu 
d'officiers  aujourd'hui  dans  l'artillerie.  Le  citoyen  Gassendi 
pouvait  seul,  avec  votre  assistance  et  celle  des  sans  culottes 
de  Marseille,  soutirer  de  cette  ville  tous  les  matériaux  qui 
nous  sont  nécessaires.  Il  vous  eût  indiqué  les  choses  qui 
étaient  nécessaires,  l'endroit  où  elles  se  trouvaient,  et  vous 
les  eussiez  fait  fournir  en  les  payant  aux  propriétaires.  Ce- 
pendant s'il  n'y  a  pas  moyen  de  faire  revenir  le  citoyen 
Gassendi,  il  faudra  bien  que  je  me  partage  entre  l'armée  et 
l'arsenal.  » 


II  était  difficile  après  cet  éclat  de  maintenir 
Gassendi  à  Marseille.  D'un  autre  côté,  étant  don- 
née la  pénurie  des  officiers  d'artillerie,  il* était 
dangereux  de  se  priver  du  concours  d'un  spécia- 
liste, qui,  à  maintes  reprises,  avait  donné  des 
preuves  de  sa  capacité.  Le  premier  soin  de  Bona- 
parte, dès  qu'il  rentra  au  camp  de  Toulon,  fut 
d'expliquer  la  situation  aux  représentants.  Il  leur 
démontra  la  nécessité  de  ne  pas  se  séparer  de 
Gassendi,  tout  en  donnant  satisfaction  aux  ran- 
cunes de  ses  ennemis  politiques,  et  obtint  d'eux 
qu'il  serait  envoyé  en  mission  dans  toutes  les 
villes  où  il  croirait  pouvoir  trouver  les  moyens  de 
pourvoir  à  un  équipage  de  siège.  Voici  en  efTet 


—  405  — 

les  instructions  et  les  pouvoirs  dont  fut  investi 
Gassendi  : 

«  Sur  la  proposition  du  commandant  de  Tartil- 
lerie  (1)  qui  leur  expose  la  nécessité  d'envoyer 
un  officier  intelligent  dans  les  villes  où  pourront 
se  trouver  les  moyens  de  pourvoir  à  un  équipage 
de  siège,  devenu  nécessaire  pour  réduire  Toulon, 
les  représentant sarrêtent  que  le  citoyen  Gassendi, 
chef  de  bataillon,  est  autorisé  à  voyager  dans  les 
différentes  villes  où  il  croira  pouvoir  trouver  des 
approvisionnements  nécessaires  pour  l'équipage 
de  siège,  nécessaire  à  la  réduction  de  Toulon.  Il 
se  concertera  à  cet  effet  avec  le  commandant 
d'artillerie  de  Tarmée  campée  devant  Toulon  et 
tiendra  avec  lui  une  correspondance  suivie  pour 
cet  objet.  Fait  à  Ollioules,  le  1 8  octobre  1793,  Gas- 
parin,  Saliceti.  » 

C'était  une  mission  de  confiance  dont  Gassendi 
venait  d'être  investi.  Néanmoins  il  aurait  pu  se 
trouver  froissé  de  son  exclusion  de  Tarsenal  de 
Marseille.  Bonaparte,  qui  pourtant  n'était  pas 
coutumier  de  ces  ménagements,  trouva  le  temps 
de  lui  éckre  (2)  pour  lui  annoncer  sa  nomination, 
et  lui  en  expliquer  les  raisons. 

«  OUioules,  18  octobre  1793.  J'ai  appris  avec  déplaisir  la 
scène  qui  vous  est  arrivée  à  Marseille.  Je  vous  veux  du  mal 

(1)  Chuquet^  ouv.  cité,  t.  III>  p.  348. 

(2)  CuuQUBT.,  ouv.  cité,  t.  in,  p.  315. 


—  406  — 

de  ne  pas  m'en  avoir  écrit  à  temps.  Il  eût  été  facile  de  re- 
médier à  tout.  Je  me  suis  porté  à  Marseille  croyant  vous  y 
trouver.  J'ai  parlé  aux  représentants.  Ils  ne  sont  point  du 
tout  mécontents  de  vous.  Ils  croient  seulement  avoir  dû 
céder  à  la  politique.  C'est  une  aiïaire  finie  :  n'en  parlons 
plus.  Vous  trouverez  ci-joint  la  copie  de  la  délibération  des 
représentants  du  peuple  à  votre  égard.  J'ai  rendu  compte 
au  ministre  de  Taffaire  de  Marseille,  afin  que  le  bruit  ne  lui 
parvint  pas  par  une  autre  voie,  et  que  cela  ne  Ht  un  mau- 
vais efTet.  La  conduite  que  vous  avez  tenue  à  Marseille  est 
très  louable  et  fait  Téloge  de  vos  principes.  J'ai  laissé 
Perrier  à  Tarsenal  à  Marseille.  J'ai  rappelé  Constantin.  Si 
vous  vouliez  venir  àOUioules,  il  faut  que  nous  travaillions 
tout  un  jour  ensemble.  Si  vous  avez  de  la  répugnance  à  y 
venir,  Vous  pourriez  m*indiquer  un  endroit  intermédiaire  ; 
mais  vous  savez  combien  je  suis  nécessaire  ici.  Je  vous 
envoie  un  exprès.  Il  faut  qu'il  passe  par  Marseille  afin  de 
prendre  votre  adresse  que  je  n'ai  pas.  Je  vous  remettrai  ici 
l'original  de  la  déclaration  des  représentants  du  peuple. 
Ne  perdez  pas  un  quart  d'beure.  Envoyez*moi  votre  con- 
ducteur de  charrois.  Je  suis  content  de  voire  garde-ma- 
gasins, mais  j'en  voudrais  encore  un  autre.  Envoyez-moi 
votre  conducteur,  à  moins  que  vous  ne  veuilliez  l'emmener 
avec  vous.  Les  choses  sont  ici  dans  le  môme  état.  Je  vous 
embrasse.  » 

Celte  lettre  dénote,  de  la  part  de  Bonaparte,  une 
grande  estime  et  presque  de  Taffection  pour  son 
collègue.  Il  lui  parle  avec  un  véritable  ton  d'ami- 
lié.  Il  le  prend  presque  pour  confident.  De  pa- 
reilles lettres  honorent  et  ceux  qui  les  écrivent, 
et  ceux  qui  les  reçoivent. 

Gassendi  s'acquitta  de  sa  mission  avec  zèle  et 


—  407  — 

intelligence.  Il  parcourut,  ainsi  que  le  lui  prescri- 
vaient ses  instructions,  toutes  les  villes  où  il 
avait  quelque  espoir  de  trouver  soit  des  pièces  de 
siège,  soit  des  effets  d'équipement,  soit  des  muni- 
tions. Il  est  difficile  de  le  suivre  dans  ces  courses 
multiples  à  Avignon,  Valence,  Grenoble,  Saint- 
Etienne,  Lyon,  Metz,  Auxonne,dont  là  trace  s'est 
d'ailleurs  perdue,  mais  on  retrouve  dans  la  cor- 
respondance de  Napoléon  les  preuves  de  Tacli vite 
déployée  par  son  collègue.  Deux  de  ces  lettres, 
en  date  du  4  novembre  et  du  7  décembre  1793, 
lui  sont  en  effet  adressées,  et  elles  ont  trait  à  la 
mission  spéciale  dont  Gassendi  avait  été  in- 
vesti. 
Voici  la  première  (1)  : 

«  Je  n'ai  point  reçu  de  vos  lettres  d'Avignon,  comme 
nous  en  étions  convenus.  Vous  êtes,  à  ce  que  je  crois,  au- 
jourd'hui à  Grenoble.  Un  des  objets  qui  nous  sont  le  plus 
nécessaires  seraient  huit  ou  dix  mille  pièces  de  rechange 
pour  fusils.  Vous  devez  passer  près  de  Saint-Etienne  ;  ainsi 
vous  pourrez  facilement  nous  faire  cet  envoi.  Nous  avons 
reçu  huit  mortiers,  dont  deux  de  dix  pouces.  On  nous  a 
envoyé  près  de  mille  bombes,  mais  presque  toutes  de  douze 
pouces.  Ainsi  voyez  s'il  ne  vous  serait  pas  possible  de  nous 
en  faire  passer  de  dix  pouces  sans  retard.  Nous  avons  à 
Marseille  six  mortiers  de  huit  et  pas  une  bombe.  Je  n'ai  pu 
me  procurer  d'outils  à  pionniers  que  j'avais  espérés.  Voyez 
un  peu  s'il  ne  vous  serait  pas  possible  de  nous  en  faire 
passer  de  Grenoble  et  de  Valence.  Ce  qui  nous  manque 

(1)  Correspondance  de  Napoléon  /,  1. 1,  p.  42. 


—  408  — 

principalement  sont  des  haches  et  des  pioches.  Je  ne  vois 
aucun  inconvénient  à  ce  que  vous  nous  fassiez  passer  un 
petit  équipage  de  pontons.  Je  ne  vous  en  marque  pas  po- 
sitivement le  nombre  parce  qu'ils  ne  nous  serviront  que 
pour  quelques  passages  de  marais  qui  se  forment  dans  les 
temps  pluvieux.  Je  ne  vous  envoie  pas  l*original  de  l'arrêté 
des  représentants  du  peuple  à  votre  égard,  en  ayant  en- 
voyé la  copie  légah'sée  au  ministre.  Il  faut  aujourd'hui  que 
je  conserve  par  devers  moi  Toriginal.  Vous  trouverez  à 
Lyon  beaucoup  plus  de  ressources  queje  ne  pensais,  surtout 
en  ce  qui  concerne  le  charronnage.  Si  vous  trouviez  des 
fusées  de  signaux  toutes  faites,  faites  m'en  passer.  Userait 
aussi  nécessaire  d'avoir  des  boulets  incendiaires  et  de  la 
roche.  Je  fais  faire  de  tout  cela,  mais  cela  va  lentement. 
Vous  devez  en  trouver  à  Lyon.  » 

Voici  la  seconde  : 

OUioules,  le  7  décembre  1793.  J'ai  reçu  toutes  les  dif- 
férentes lettres  que  vous  m'avez  écrites.  J'ai  vu  avec  regret 
les  persécutions  que  vous  craignez.  Je  vous  enverrai,  par 
le  prochain  courrier,  une  attestation  des  représeiftants  du 
peuple  et  une  espèce  de  recommandation  générale.  Gas- 
parin  est  mort.  Vous  ne  me  parlez  pas  de  ce  que  vous  pré- 
tendez faire  après  votre  retour  à  Nuits.  Ici  nous  sommes 
toujours  à  peu  près  dans  la  même  position.  L'armée  est 
forte  de  trente  mille  hommes.  Nous  avons  onze  batteries 
contre  le  fort  de  Malbousquet  et  le  camp  de  l'Eguillette. 
Les  ennemis  ont  tenté,  il  y  a  quelques  jours,  de  s'emparer 
de  la  batterie  de  la  Convention, composée  de  7  pièces  de  24. 
Cette  batterie  est  à  mille  toises  de  Toulon,  et  bat  Mal- 
bousquet par  la  droite  ;  ils  se  sont  emparés  de  la  batterie, 
ont  cloué  nos  pièces,  mais  la  réaction  leur  a  été  funeste. 
Nous  leur  avons  fait  deux  cents  prisonniers,  parmi  lesquels 


—  409  — 

le  général  en  chef,  gouverneur  de  Toulon,  nommé  0*Hara, 
un  colonel  espagnol,  un  major  anglais  et  une  vingtaine 
d*orficîers.  Plus  de  quatre  cents,  presque  tous  Anglais,  ont 
été  tués.  Nos  troupes  alors  se  sont  jetées  sur  Malbousquet, 
et  sont  arrivées  jusqu'aux  chevaux  de  frise.  Il  y  avait  sept 
heures  que  nous  nous  battions,  et  il  était  midi.  Nous  avons 
eu  cent  cinquante  blessés  e(  une  cinquantaine  de  morts. 
Vous  feriez  bien  de  passer  à  Saint-Etienne  pour  nous  pro- 
curer des  pièces  de  rechange,  des  tire-bourres,  des  sabres 
et  toute  espèce  d'outils  pour  notre  atelier  de  salle  d*armes.  » 

D'un  aulre  côté  on  conserve  aux  archives  du 
ministère  de  la  guerre  une  lettre  de  Gassendi  (i) 
au  chef  de  bataillon  Dupin,  datée  d'Auxonne,  le 
22  nivôse  an  II  (16  janvier  1794),  par  laquelle  il 
lui  apprend  qu'il  a  pu  réunir  à  l'arsenal  d'Au- 
xonne,  afin  de  les  envoyer  à  Toulon,  7  affûts  de 
16  venant  de  Verdun,  7  affûts  à  mortiers  de  12 
pouces  venant  de  Metz,  6  affûts  à  mortiers  de  8 
pouces  venant  de  Metz,  5  charrettes  à  munitions 
venant  de  Metz,  9  chariots  à  munitions  et  2  cais- 
sons de  parc  faits  à  Auxonne,20  essieux  de  char- 
rettes venant  de  Metz,  plus  424  bombes  de  12 
pouces,  430  bombes  de  8  pouces,  et  bOOO  boulets 
de  24.  Il  est  vrai  qu'il  a  suspendu  cet  envoi  et 
prié  le  directeur  de  l'arsenal  d'Auxonne  de  gar- 
der tous  ces  objets  jusqu'à  nouvel  ordre.  «  Aussi- 
tôt que  j'ai  appris  par  les  papiers  publics  que 
Toulon  était  pris,  j'ai  arrêté  à  Auxonne  le  départ 

(I)  Dossier  Gassendi ,  pièce  d9  7. 


—  410  — 

des  attirails  d^artillerie.  Une  lellre  que  j'ai  reçue 
depuis  du  citoyen  Bonaparte,  général  d'artillerie 
dans  l'armée  du  Midi,  m'a  confirmé  dans  cette 
mesure,  car  elle  me  la  prescrivait  à  l'exception 
seulement  de  la  prendre;  mais  tu  as  vu  par  Tar- 
rôté  du  conseil  de  guerre  de  Metz  qu'on  ne  comp- 
tait accorder  de  la  poudre  qu'après  la  délivrance 
de  Landau,  qui  a  été  postérieure  à  la  prise  de 
Toulon;  en  sorte  que,  maintenant  que  ma  mission 
•est  finie,  je  n'ai  plus  de  litres  pour  demander 
cette  poudre,  et  tu  prononceras  sur  cet  objet.  Je 
pars  demain  pour  le  Port  de  la  Montagne  où  le 
citoyen  Bonaparte  m'invite  de  me  rendre,  me 
disant  que  j'y  trouverai  assez  de  besogne.  Je  ne 
sais  si  c'est  loi  ou  les  représentants  qui  ont  décidé 
que  j'y  serais  employé,  ou  si  je  dois  retourner  à 
Tarmée  d'Italie,  à  mon  premier  poste.  A  mon 
arrivée  je  saurai  positivement  ma  destination. 
Salut  et  fraternité.  »     • 

Bonaparte  u'avait  pas  oublié  Gassendi.  Non 
seulement,  comme  on  Ta  vu  dans  la  lettre  précé- 
dente, il  le  rappelait  à  Toulon  près  de  lui,  mais 
encore  il  demandait  en  sa  faveur  une  nomination 
de  chef  de  brigade.  Voici  la  très  curieuse  lettre, 
conservée  dans  les  papiers  de  la  famille  Gassendi, 
et  que  nous  croyons  inédite,  qu'adressait  lejeune 
général  d'artillerie  à  son  ancien  collègue  (1)  : 

(\)  Lettre  communiquée  par  M.  Misserey,  notaire  à  Nuits. 


—  4il  — 

«  Au  quartier  général  de  Port  de  la  Montagne,  le  22  plu- 
viôse de  la  3^  année  de  la  République  Française,  une  et 
indivisible.  Le  général  commandant  en  chef  Tartillerie  de 
Tarmée  d'Italie  au  citoyen  Gassendi  :  J'ai  demandé  pour 
toi  à  la  commission  le  grade  de  chef  de  brigade.  Le  repré- 
sentant du  peuple  Tureau  l'a  demandé  également.  J'attends 
le  résultat  de  cette  demande  avant  de  consentir  à  ce  que  tu 
prennes  ta  retraite.  Tu  as  servi  avec  trop  de  zèle  et  de  dis- 
tinction pour  que  tu  n'obtiennes  pas  cet  avancement.  Je 
crois  que  tu  as  tort  de  te  retirer  absolument  d'un  service 
où  tu  es  si  utile  et  où  tu  as  l'habitude.  Tes  yeux  ont  besoin 
d'un  repos  momentané,  mais  non  pas  perpétuel.  11  y  a  une 
place  de  directeur  à  Marseille  qui  pourrait  t'élre  agréable, 
et,  dans  tous  les  cas,  il  faudra  te  donner  un  congé  de  plu- 
sieurs mois.  Tes  yeux  se  rétabliront.  J'écris  au  général 
Dujard  pour  qu'il  te  permette  de  te  rendre  chez  toi,  et  tes 
yeux  se  rétabliront.  Tu  rédigeras  ton  aide-mémoire.  Si  tu 
réQéchis  bien  sur  ce  que  je  le  dis,  tu  verras  que  c'est  la 
seule  chose  qui  te  convienne  à  tous  les  points  de  vue.  J'ai 
ordonné  à  Faultrier  qu'il  t'envoie  le  tableau  de  notre  em- 
barquement afin  que  lu  le  puisses  [dacer  dans  ton  aide- 
mémoire,  dont  je  crois  que  tu  dois  ôter  les  manœuvres  de 
pièces.  Tu  y  parleras  de  notre  équipage  de  montagne.  Tu 
préféreras  sans  doute  les  pièces  de  3  piémonlaises  à  celles 
à  la  Rostain.  Tu  parleras  de  nos  fours  à  réverbères  et  des 
grils  en  caisse.  J'ordonne  à  la  Chaste  de  te  faire  un  profil 
(!e  ces  derniers  et  de  te  l'envoyer.  Je  t'engage  à  t  étendre 
davantage  sur  les  fusils.  La  balle  de  18  à  la  livre  est  trop 
forte.  11  est  reconnu  aujourd'hui,  qu'il  nous  en  faut  de  20  à 
la  livre.  Je  désire  fort  l'envoyer  un  ouvrage  que  j'ai  reçu 
de  Monge  sur  la  fonderie.  Je  crois  que  tu  dois  faire  sentir 
les  avantages  du  système  actuel  de  l'artillerie,  et  des  incon- 
vénients résultant  des  constructions  négligées,  je  voudrais 
que  tu  y  joignis  (sic)  un  traité  en  forme  d'aide-mémoire  des 


—  412  — 

di'fTérents  systèmes  de  fortîQcatîon,  ainsi  que  l'évaluation 
(les  matériaux  nécessaires  pour  une  attaque  destinée  à  une 
tranchée,  place  d'armes,  etc.  Buonaparte.  » 

Il  estdonc  prouvé  par  celle  letlre  que  Boiiâparle 
s'intéressait  à  Tavenircie  son  ami.Ilaurait  voulu 
lui  donner  une  posilion  sédentaire,  à  Marseille 
par  exemple,  où  il  pourrait,  tout  en  soignant  ses 
yeux,  selivreràces  travaux  de  cabinet  où  il  excel- 
lait, et  au  besoin  continuer  ses  études  sur  les  pro- 
grés et  les  principales  applications  de  l'artillerie  ; 
mais  il  avait  compté  sans  les  haines  politiques  et 
les  rancunes  qui  poursuivirent  Tancien  directeur 
de  Tarsenal  de  Marseille.  Gassendi  avait  été  dé- 
noncé comme  réactionnaire  et  partisan  déclaré  de 
l'ancien  régime.  On  ne  lui  pardonnait  ni  sa  fran- 
chise, ni  peut-être  la  brutalité  de  son  accueil.  On 
demanda  sa  suspension  au  ministre  delà  guerre, 
et,  comme  les  opinions  Jacobines  étaient  alors 
prédominantes,  ses  ennemis  furent  écoutés. 

Gassendi,  qui  ne  se  doutait  pas  des  démarches 
essayées  contre  lui,  ou  qui  peut-être  dédaignait 
les  attaques  dont  il  se  savait  Tobjet,  avait  rejoint 
son  poste  à  l'armée  d'Ilalie.  Une  lettre  de  lui, 
datée  de  Nice  le23  pluviôse  an  III  (1 1  février  1794), 
et  adressée  au  chef  de  bataillon  Dupin  (1),  adjoint 
au  ministre  de  la  guerre,  est  conservée  aux 
archives  de  la  guerre  :  «  Le  représentant  Saliceti 

(t)  Dossier  Gassendi,  pièce  n""  9. 


—  413  — 

m*a  ordonné  de  me  rendre  à  mon  poste  de  directeur 
du  parc  de  Tarmée d'Italie,  et  je  me  suis  rendu  à 
Nice  tout  de  suite.  »  En  marge  de  cette  lettre  est 
l'annotation  suivante  :  «  lui  mander  que  le  conseil 
exécutif  Ta  suspendu  et  remplacé.  »  Aussi  bien 
le  décret  de  suspension  avait  été  envoyé  quelques 
jours  auparavant,  le  30  nivôse  (19  janvier  1794), 
et  ilest  probable  que  les  courriers  s'étaient  croisés. 
Voici  comment  il  était  conçu  (1)  :  <»  Au  citoyen 
Gassendi,  chef  de  bataillon,  sous-directeur  d'ar- 
tillerie à  Commune  Affranchie.  Le  conseil  exé- 
cutif provisoire  ayant,  citoyen,  jugé  à  propos  de 
te  suspendre  provisoirement  des  fonctions  que  tu 
exerces  en  qualité  dechefdebataillon,  sous-direc- 
teur d'artillerie  à  Commune  Affranchie,  tu  voudras 
bien  les  cesser  à  Tépoque  de  la  réception  de  celte 
lettre  et  te  conformer  aux  dispositions  des  décrets 
de  la  Convention  nationale  des  b,  6,  11  et  20  du 
mois  de  septembre  dernier,  en  t'éloignant  immé- 
diatement des  armées  de  la  République  et  des 
frontières.  Tu  voudras  bien  m'accuser  le  reçu  de 
cette  lettre  et  me  marquer  le  lieu  où  tu  te  proposes 
de  faire  ta  résidence,  afin  que  je  puisse  en  rendre 
compte  au  conseil  exécutif.  » 

Celte  brutale  mesure,  que  rien  ne  justifiait, 
frappait  en  pleine  activité  un  officier  dans  la  force 
de  Tâge,  plein  d  avenir,  et  qui  aurait  pu  rendre 

(\)  Dossier  Gassendi^  pièce  n*  8. 


—  414  — 

de  grands  services.  Gassendi  n'en  fut  pas  autre- 
ment surpris.  A  vrai  dire  il  s'attendait  presque 
à  ce  déni  de  justice,  et  avait  prisses  précautions 
à  Tavance,  car,  dès  le  1*'  pluviôse  de  Tan  III 
(20  janvier  1794),  c'est-à-dire  aussitôt  après  son 
arrivée  à  Nice,  il  avait  demandé  un  congé  sous 
prétexte  de  soigner  ses  yeux.  Voîci  môme  le  certi  - 
ficatquilui  fut  délivré  à  celte  occasion  par  rofficier 
de  santé  Jaubert  et  approuvé  parle  chirurgien  en 
chef  de  l'armée  (1). 

Certificat  dHnfirmité. 

Je  soussigné  officier  de  santé  allaché  aux  équipages  d'ar- 
tillerie, atteste  que  le  citoyen  Jean-Jacques-Basilien  Gas- 
sendi, chef  de  bataillon  d'artillerie  et  directeur  des  parcs 
d'artillerie  de  Tarniée  dltalie,  est  attaquéd'une  diminution 
considérable  de  la  vision  par  suite  de  ses  travaux  et  de  plu- 
sieurs maladies  des  yeux  dont  il  a  été  affecté  en  différents 
tenis,  et  pour  lesquelles,  selon  son  rapport,  il  a  été  soumis 
à  des  traitements  longs  et  méthodiques.  Les  maladies  qui 
paraissent  maintenant  affecter  le  globe  de  Tceil  et  les  par- 
ties qui  le  composent  sont  des  ophtalmies  qui  renaissent 
souvent,  la  miopie,  une  grande  dilatation  delà  pupille  l'é- 
paississement  des  humeurs  des  yeux.  L'œil  droit  parait 
annoncer  un  principe  de  cataracte  et  l'œil  gauche  un  com- 
mencement de  goutte  sereine.  Nous  estimons  en  consé- 
quence, vu  les  incommodités  cy-dessus,  que  le  citoyen 
Gassendi  ne  peut  continuer  son  service  sans  agraver  ses 
maux  ;  nous  regardons  le  repos,  le  régime  et  remèdes  con- 

(1)  Papiers  delà  famille  Misserey,  do  Nuits. 


—  415  — 

venables  comme  1res  urgents  pour  remédier  aux  incom- 
modilés  dont  il  est  attaqué. 

Nice,  le  \^'  pluviôse  de  l'an  3  républicain 

Jaubf.rt 
Officier  de  santé. 

Vu  le  certificat  ci-dessus,  après  avoir  examiné  le  citoyen 
Gassendi,  nous  estimons  que  son  état  nécessite  le  repos  et 
un  traitement  pressant. 

Le  chirurgien  en  chef  de  V armée, 

BOURGINE 

Je  certifie  que  la  signature  apposée  au  visa  du  certificat 
cy-dessus  est  celle  du  citoyen  Bourgine,  chirurgien  en  chef 
de  l'armée. 

Le  Général  de  Division,  chef  de  Vétat  major  de  Varmée, 

P.  Gaultier 

(De  la  main  de  Bonaparte).  Vu  le  certificat  ci-dessus  il  est 
permis  au  citoyen  Gassendi  de  se  retirer  chez  lui  et  d'y  rester 
5  décades  pour  faire  les  remède  (sic)  nécessaire  (sic).  Il 
sera  tenu  à  cet  (sic)  époque  de  rejoindre  son  poste. 

Bonaparte 

Cachet  oblong  avec  Griffe  avec  «  général  commandant 

général  d'artillerie.  l'artillerie  de  l'armée  d'Italie  ». 


Gassendi  ne  réclama  donc  pas  contre  la  mesure 
arbitraire  donlilétait  viclime.  Il  se  reliraà  Nuits, 
dans  le  pays  de  sa  femme,  et,  avec  beaucoup  de 
philosophie,  s'occupa  de  gérer  ses  propriétés.  Il 
consacra  môme  ses  moments  de  loisir  à  la  Muse 


—  416  — 

qu'il  avait  un  peu  délaissée  dans  le  tumulte  des 
affaires.  Une  première  satisfaction  lui  fut  cepen- 
dant accordée.  On  reconnut  le  mal  fondé  des  ac- 
cusations portées  contre  lui.  Il  fut  réintégré  dans 
son  grade,  et,  comme  il  persistait  dans  sa  réso- 
lution de  retraite,  proposé  pour  la  retraite  par 
décision  du  comité  de  salut  public  (ventôse  an  III 
—  février  1794). 

Ce  repos  ne  devait  être  que  provisoire.  Bona- 
parte n'avait  pas  vu  sans  peine  un  officier  de  la 
valeur  de  Gassendi  quitter  Tarmée.  Il  se  rendait 
compte  de  la  nécessité  de  conserver  au  service 
des  hommes  rompus  au  métier,  et  n'ignorait  pas 
que,  surtout  dans  Tartillerie,  nul  ne  peut,  du  jour 
au  lendemain,  être  initié  aux  exercices  et  aux 
manœuvres  de  cette  arme  savante.  A  l'armée 
d'Italie,  sur  ces  âpres  montagnes  du  Piémont,  où 
il  luttait  alors  si  péniblement  contre  les  vétérans 
de  TAulriche  et  de  la  Sardaigne,  il  aurait  eu  be- 
soin d'aides  éprouvés.  Il  est  probable  qu'il  se 
plaignit  aux  représentants  de  la  révocation  de 
Gassendi,  et  demanda  son  rappel,  mais  alors  il  était 
lui-môme  suspect  et  avait  de  la  peine  à  conserver 
sa  situation.  Les  circonstances  le  servirent.  Brus- 
quement replacé  en  pleine  lumière  après  la  répres- 
sion de  l'insurrection  royaliste  du  treize  vendé- 
miaire, et  nommé  général  en  chef  de  l'armée  de 
l'intérieur,  un  de  ses  premiers  actes  fut  de  faire 
rentrer  dans  les  cadres  la  victime  des  malpropres 


—  417  — 

dénonciations  du  temps  passé.  Voici  la  belle  lettre 
qu'il  lui  écrivit  à  cette  occasion  (1).  Elle  aurait 
mérité  les  honneurs  de  la  publication  dans  la  Cor- 
respondance de  Napoléon^  mais  on  sait  avec 
quelle  hâte  et  quel  parti  pris  a  été  mené  ce  tra- 
vail, qu'il  faudra  bien  reprendre  quelque  jour, 
quand  on  voudra  élever  un  monument  durable  à 
rhomme  qui,  pendant  vingt-deux  ans,  de  près 
ou  de  loin,  gouverna  la  France.  On  remarquera 
le  ton  lyrique,  et  le  respect  presque  religieux 
avec  lequel  parle  de  Tartillerie,  ce  premier  de 
tous  les  arts,  Thomme  qui  lui  dut  la  plupart  de 
ses  succès, 

Bonaparte,  général  en  chef  de  L'armée  de  Vintérieur  au 
citoyen  Gassendi,  chef  de  bataillon  d'artillerie,  Bri^ 
gnolles. 

Quartier  général,  Paris,  23  frimaire  an  IV. 
Le  Directoire  exécutif  désirant  s'entourer  d*hommes  de 
mérite  est  dans  l'intention,  mon  cher  camarade,  de  te  nom- 
mer chef  de  brigade  d'artillerie  et  de  t'appeler  pour  tra- 
vailler auprès  du  ministre  de  la  guerre.  Je  me  suis  chargé 
de  rengager  à  accepter  celle  marque  de  confiance  et  à 
vaincre  ta  résolution  pour  la  retraite.  Viens  donc  prompte- 
ment  aider  de  ta  lumière  à  la  restauration  de  Tartillerie. 
Veux-tu  donc,  après  avoir  passé  plus  de  vingt  années  à  ac- 
quérir les  connaissances  que  tuas,  les  rendre  inutiles  au 
premier  de  tous  les  arts,  à  celui  qui  bouleverse  et  établit  les 

(I)  Papiers  de  famille  communiqués  par  M.  Misserey,  de  Nuits. 

30 


—  418  — 

empires,  et  au  succès  duquel  est  attachée  la  splendeur  de 
la  patrie  et  de  la  liberté. 

BUONAPARTE 

P.-S.  —  Ce  sera  une  occasion  pour  faire  voir  Paris  à  fa 
femme. 

(Sur  Tenveloppe.)  Au  citoyen  Gassendi,  actuellement  en 
Bourgogne^  à  Nuits,  département  de  la  Cotte  (sic)  d*Or. 

Le  général  en  chef  de  Tarmée  de  rintérieur  ne 
se  contenta  pas  de  cette  invitation.  Afin  de  forcer 
dans  ses  derniers  retranchemen  ts  l'opposition  pos- 
sible de  Gassendi,  et  pour  ôler  tout  prétexte  à 
une  revendication  de  sa  part,  il  lui  fit  donner  le 
grade  de  chef  de  brigade,  ou  colonel  d'artillerie 
(ventôse  an  IV,  3  mars  1796),  et  lui  annonça 
qu'il  allait  bientôt  rentrer  dans  le  service  actif. 
Hésiter  plus  longtemps  était  impossible.  Gassendi 
déclara  qu'il  était  prêt  à  partir  et  le  fit  savoir  à 
son  puissant  prolecteur.  Ce  dernier  aimait  déjà 
à  ne  pas  rencontrer  de  résistance.  Il  sut  gré  à 
Gassendi  de  sa  résolution,  et,  pour  mieux  lui 
prouver  combien  il  tenait  à  lui,  chercha  à  l'at- 
tacher à  sa  fortune.  Il  venait  d'être  nommé  gé- 
néral en  chef  de  l'armée  d'Italie,  et  se  disposait 
à  revenir  sur  le  théâtre  de  ses  anciens  exploits. 
Il  fit  donc  nommer  Gassendi  directeur  du  parc 
d'artillerie  de  l'armée  d'Italie,  et  lui  écrivit  di- 
rectement, en  termes  très  flatteurs,  pour  lui  an- 
noncer sa  nomination.  Il  poussa  môme  l'ama- 


—  419  — 

bilité  jusqu'à  lui  proposer  de  le  prendre  avec  lui 
dans  sa  voiture  jusqu'à  Nice.  Voici  du  reste  sa 
lettre  (1)  : 

Au  quartier  général  à  Paris,  le  43  ventôse  an  IV  de 
la  République  une  et  indivisible. 

Bonaparte,  général  en  chef  de  Vannée  de  Vintérieur  au 
citoyen  Gassendi,  à  Nuits,  déparlement  de  la  Côte 
d'Or. 

y&i  élé  nommé  au  commandement  de  l'armée  d*ItaHe. 
Je  pars  sous  peu  de  jours  pour  m'y  rendre. 

Le  Directoire  vous  a  nommé  à  la  place  de  chef  de  brigade 
directeur  du  parc  d'artillerie  de  Tarmée  d'Italie. 

Je  vous  expédie  un  courrier  extraordinaire  qui  va  jusqu'à 
Chalon-sur-Saône  et  prendra  au  retour  votre  réponse. 

Je  vous  prie  de  m'instruire  de  vos  intentions  afin  que  je 
porte  avec  moi  votre  brevet  et  votre  commission. 

Je  vous  oiïre  une  place  dans  ma  voiture  jusqu'à  Nice.  Je 
viendrai  vous  prendre  en  passant. 

Rien  n'égale  le  plaisir  que  j'aurai  à  restituer  à  l'artil- 
lerie un  officier  aussi  distingué  et  d'être  à  môme  de  pro- 
filer de  ses  lumières  dans  la  campagne  que  nous  allons 
faire. 

BUONAPARTB 

(Adresse).  Le  général  en  chef  de  l'armée  de  l'intérieur  au 
citoyen  Gassendi,  chef  de  brigade  d'artillerie,  à  Nuits, 
département  de  la  Côle  d'Or. 

Cette  lettre  ne  fut  pas  remise  à  lemps  à  Gassendi^ 
car  elle  porte  en  marge  l'annotation  suivante  : 

(I)  Papiers  de  famille^  communiqués  par  M.  Misserey>de  Nuits. 


—  420  — 

«  Je  soussigné,  directeur  des  postes,  certifie  que 
la  présente  lettre  n'est  arrivée  que  le  vingt  ven- 
tôse an  IV.  Le  directeur  des  postes  de  Nuits,  Gil- 
lolte.  »  On  a  dit  qu'il  n'5^  avait  dans  la  vie  que 
des  hasards  ou  des  circonstances.  Si  cette  lettre 
était  arrivée  à  son  adresse,  il  est  probable  que 
Gassendi  n'aurait  pas  manqué  le  rendez-vous  de 
Chalon.  Il  aurait  par  conséquent  été  le  compagnon 
d'armes  et  sans  doute  le  confident  de  Bonaparle. 
Il  l'aurait  suivi  dans  cette  prodigieuse  campagne 
qui  devait  fonder  sa  réputation.  Ayant  été  à  la 
peine,  il  aurait  été  à  Thonneur  ;  mais  les  événe- 
ments se  précipitèrent.  Gassendi  était  absent.  Il 
fut  oublié  et  confiné  dans  des  attributions  secon- 
daires. Il  venait  de  manquer  sa  fortune,  car  il 
n'est  pas  douteux  que  Bonaparte,  qui  l'avait  en 
haute  estime,  lui  aurait  ménagé  les  occasions  de 
se  distinguer,  et  l'aurait  poussé  aux  plus  hauts 
degrés  de  la  hiérarchie  militaire. 

Gassendi,  dans  la  campagne  d'Italie,  resta  tou- 
jours au  second  plan.  Nous  n'avons  retrouvé  son 
nom  dans  aucune  des  grandes  actions  où  s'illus- 
trèrent d'autres  officiers  plus  jeunes  et  moins 
méritants.  Ni  dans  la  correspondance,  ni  dans  les 
archives  du  ministère  de  la  guerre,  ni  dans  ses 
papiers  de  famille  ne  figure  à  son  actif  aucune 
mention  de  service  exceptionnel.  On  est  môme  à 
se  demander  s'il  a  accepté  les  ofi*res  de  Bonaparte, 
et  pris  part  aux  opérations  de  la  campagne.  Il  n'y 


—  421  — 

a  dans  tous  les  cas  joué  qu'un  rôle  secondaire. 
Chef  de  brigade  il  était  en  1796,  chef  de  brigade 
il  était  encore  quand  il  fut  nommé  membre  du 
comité  central  de  Tartillerie^etil  occupa  ces  fonc- 
tions, puremen  t  administratives,  du  1'' août  1798 
au  6  avril  1800.  Cette  fois  encore  Bonaparte  allait 
lui  fournir  Toccasion  de  rendre  de  nouveaux  ser- 
vices, et  d'arriver  enfin  à  ces  grades  supérieurs, 
dont  Taccès  lui  semblait  interdit- 


III 


Une  première  fois  déjà,  dans  les  premiers  mois 
de  Tannée  1800,  Bonaparte  avait  songé  à  accor- 
der à  son  ancien  compagnon  d'armes  le  grade  de 
général  de  brigade.  On  conserve  aux  archives 
du  ministère  une  note  (1),  très  probablement 
émanée  du  cabinet  consulaire,  et  qui  est  ainsi 
conçue  :  «  faire  un  rapport  aux  consuls  pour 
accorder  au  citoyen  Gassendi  le  grade  de  général 
de  brigade.  »  Ce  rapport  (2)  fut  aussitôt  rédigé  et 
expédié  (nivôse  an  Vil)  : 

«  Je  propose  aux  consuls  d'accorder  le  grade  de  général 
de  brigade,  conformément  à  la  loi  du  15  vendémiaire  an  IV, 
au  ciloyen  Gassendi,  chef  de  brigade  d'artillerie,  membre 


(1)  Dossier  Gassendi,  pièce,  n^  3. 

(2)  Id.,n<»  41,  piôceG. 


—  422  — 

da  Comîlé  central  de  celte  arme.  Indépendamment  des  ser- 
vices de  cet  otQcîer,  qui  datent  de  1767,  il  en  est  peu  qui 
réunissent  autant  de  zèle  et  autant  de  connaissances,  et  qui 
les  aient  constamment  mieux  employées  pour  l'intérêt  du  ser- 
vice et  les  progrès  des  différentes  parties  essentielles  de  la 
science  de  Tartillerie,  ce  qui  le  rend,  sous  tous  les  rapports, 
bien  digne  d*une  récompense  distinguée.  » 

Bonaparte  n'eut  pas  le  loisir  de  revêtir  de  sa 
signature  le  projet  d'arrêté  que,  sans  doute,  lui 
présenta  le  ministre  de  la  guerre.  D'autres  soins 
occupaient  alors  sa  pensée.  Il  avait  pris  la  réso- 
lution, pour  légitimer  en  quelque  sorte  sa  prise 
de  possession  du  pouvoir,  d'engager  avec  les 
Autrichiens  une  lutte  définitive  en  essayant  de 
leur  reprendre  Tltalie.  Il  venait  de  décréter  la 
formation  à  Dijon  d'une  armée  dite  de  réserve, 
et  il  dirigeait  sur  celle  ville  toutes  les  troupes  et 
toutes  les  ressources  disponibles.  Gassendi  dans 
sa  pensée  était  tellement  l'homme  qui  convenait 
le  mieux  à  cette  concentration  que,  dans  le  pre- 
mier des  décrets  relatifs  à  la  formation  de  cette 
armée  de  réserve,  il  est  cité  parmi  les  quatre  offi- 
ciers supérieurs  qui,  dès  la  première  heure,  tra- 
vailleront à  organiser  cette  armée.  Décret  du  17 
ventôse  an  VIII  (8  mars  1800)  :  «  Lesconsuls  de 
la  république  arrêtent  :  1^  Il  sera  créé  une  armée 
de  réserve  forte  de  60.000  hommes.  2^  Elle  sera 
directement  commandée  par  le  premier  consul.  3"* 
L'artillerie  sera  commandée  par  le  général  Saint- 


-  423  — 

Rémy,  le  parc  par  le  chef  de  brigade  Gassendi,  le 
génie  par  le  premier  inspecteur  du  génie Mares- 
cot.  4°  L'ordonnateur  Dubreton  remplira  les 
fonctions  d'ordonnateur  en  chef...  etc.  » 

Gassendi  ne  fui  pas  long:  dans  ses  préparatifs  de 
départ.  Nommé  le  8  mars  1800,  il  adressait  dès 
le  lendemain  au  ministre  une  demande  d'indem- 
nité pour  entrée  en  campagne  (1)  :  «  Ayant  reçu 
Tordre  de  me  rendre  à  Tarméederéserve,  je*  vous 
prie  de  vouloir  bien  m'accorder  la  gratification 
d'entrée  en  campagne  qui  me  revient  comme  chef 
de  brigade  d'artillerie.  »  Il  partait  aussitôt  pour 
se  rendre  à  son  nouveau  poste,  mais,  comme  il  ne 
trouvait  pas  à  Dijon  les  ressources  nécessaires, 
il  se  transportait  dans  le  voisinage,  à  Auxonne, 
et,  avec  son  activité  ordinaire,  s'occupait  aussitôt 
d'organiser  le  parc  d'artillerie  dont  avait  besoin  le 
premier  consul.  Il  se  trouvait  encore  à  Auxonne 
lorsqu'il  y  reçut  une  lettre. de  Bonaparte  lui 
annonçant  sa  visite.  Le  premier  consul  venait 
d'arriver  à  Dijon  et  se  rendait  à  Genève,  mais  il 
tenait  à  se  rendre  compte  par  lui-même  de  la 
besogne  exécutée  et  des  espérances  permises. 
Voici  ce  billet  (2)  :  «  Au  citoyen  Gassendi,  direc- , 
teur  du  parc  d'artillerie  de  l'armée  de  réserve  à 
Auxonne.  Dijon,  17  floréal  an  VIII.  Je  passerai 


(f)  Dossier  Gassendi,  no  40. 

(l)  F^apiersde  famille  communiqués  par  M  Misserey^de  Nuits. 


—  424  — 

demain,  citoyen  commandant,  à  5  heures  du 
matinà  Auxonne.  Je  m'arrêterai  un  quart  d'heure 
chez  vous  pour  prendre  une  lasse  de  café  à  la 
crôme,  et  pour  jeter  un  coup  d'oeil  sur  notre 
situation  en  artillerie.  Je  vous  salue,  Bonaparte.  » 
Gassendi  fut  donc  un  des  artisans  de  la  prodi- 
gieuse fortune  de  son  ancien  collègue.  Bien  qu'il 
n'ait  pas  assisté  à  la  bataille  de  Marengo,  il  fut 
un  des  vainqueurs  de  cette  grande  journée,  puis- 
qu'il la  prépara  et  la  rendit  possible.  D'ailleurs 
Bonaparte  se  montra  reconnaissant  envers  ceux 
qui  furent  les  instruments  de  son  triomphe.  II 
n'oublia  pas  Gassendi  dans  la  distribution  des 
récompenses,  et  fit  connaître  son  intention  de  le 
nommer  général  de  brigade.  Le  ministre  de  la 
guerre  fut  invité  à  rédiger  une  nouvelle  propo- 
sition (1)  :  «  Citoyens  consuls,  je  vous  propose 
d'élever  au  grade  de  général  de  brigade  d'artil- 
lerie le  citoyen  Jean  Jacques  Basilien  Gassendi, 
chef  de  brigade  dans  cette  arme.  Cette  proposition 
est  motivée  sur  la  durée  et  la  distinction  des 
services  de  cet  officier,  les  campagnes  qu'il  a 
faites,  sur  son  expérience  et  ses  lumières  qui  le 
rendent  à  tous  égards  digne  de  cet  avancement. 
Le  citoyen  Gassendi  mérite  encore  par  ses  écrits. 
Il  est  l'auteur  de  l'aide-mémoire  à  l'usage  des 
officiers  d'artillerie,  ouvrage  fort  estimé  et  très 

{\)  Dossier  Gassendi,  n*  H,  pièce  1. 


—  425  — 

utile.  Si  les  Consuls  adoptent  celle  proposition,  je 
vous  prie  de  vouloir  bien  signer  Tarrèté  dont  je 
joins  ici  le  projet.  »  Suivent  les  étals  de  service 
du  colonel  et  la  minute  d'arrêté  dénomination,  en 
date  du  27  fructidor  an  VIII(14  septembre  1800). 
A  ces  diverses  pièces  est  jointe  une  lettre  de  féli- 
citations du  ministre  de  la  guerre  en  date  du  29 
fructidor  (1).  «  Je  vous  envoie  ampliation  d*un 
arrêté  du  premier  consul  qui  vous  nomme  au 
grade  de  général  de  brigade  dans  Tarme  de  Tar- 
Jillerie.  Je  vous  transmets  avec  grand  plaisir  ce 
témoignage  d'une  justice  aussi  bien  méritée  tant 
par  vos  services  que  par  votre  zèle,  vos  talents  et 
l'emploi  utile  que  vous  n'avez  cessé  et  que  vous 
continuerez  d'en  faire.  » 

Quelques  joursplus  tard  (2),  et  comme  nouveau 
témoignage  de  faveur,  Gassendi  recevait  une  lettre 
par  laquelle  le  ministre  de  la  guerre  Tinformait 
qu'il  était  nommé  membre  du  conseil  de  perfec- 
tionnement de  TEcole  Polytechnique  (20  sep- 
tembre 1800). 

Il  serait  difficile  de  suivre  dans  ses  multiples 
occupations  le  nouveau  général  d'artillerie.  Nous 
avons  déjà  vu  qu'il  avait  été  nommé  directeur 
du  parc  d'artillerie  de  Tarmée  d'Italie.  Un  arrêté 
consulaire,  en  date  du  19  mars  1800,  Tavaiten 


{Vf  Dossier  Gassendi,  n^  44,  pièce  8. 
(2)  Id.,  n»  42,  pièce  4. 


_  426  — 

môme  temps  désigné  comme  directeur  général 
des  forges  de  la  République  affectées  au  service  de 
l'artillerie,  mais  il  ne  parait  pas  avoir  jamais 
rempli  ces  fondions,  car  nous  le  retrouvons,  au 
mois  d'août  1800,  c'est-à-dire  après  la  campagne 
d'Kalie,  adjoint  au  premier  inspecteur  général  de 
Tarlillerie  dont  les  bureaux  avaient  été  réunis, 
le  21  avril  1800,  à  ceux  de  la  guerre,  en  rem- 
placement du  général  de  division  Andréossy, 
nommé  directeur  du  dépôt  de  la  guerre.  Il  est 
nommé  en  môme  temçs  commandan  tdu  quatrième 
arrondissement  d'artillerie,  mais  il  continue  ses 
fonctions  d'adjoint  au  premier  inspecteur  général 
jusqu'à  la  nouvelle  séparation  des  bureaux  décidée 
le  19  avril  1801.  A  cette  date  il  est  nommé  chef 
de  la  division  d'artillerie  et  du  génie  au  ministère 
de  la  guerre,  et  en  môme  temps  commandant  de 
l'école  d'artillerie  d'Auxonne.  Son  activité  trouvait 
donc  l'occasion  de  s'exercer  non  seulement  à  Paris 
dans  les  bureaux  du  ministère,  mais  aussi  dans 
toute  la  France,  et  spécialement  à  Auxonne  où  il 
aimait  à  revenir,  non  pas  seulement  parce  qu'il 
y  retrouvait  ses  souvenirs  de  jeunesse,  mais  aussi 
parce  qu'il  se  rapprochait  de  Nuits,  où  l'appelaient 
des  intérêts  de  famille. 

A  ces  mulliples  occupations  Gassendi,  qui 
jamais  ne  connut  l'art  de  se  ménager,  pas  plus 
que  celui  de  se  faire  valoir,  gagna  un  affaiblisse- 
ment général  de  ses  forces  qui  devint  inquiétant. 


—  427  — 

Sa  vue  surtout  avait  baissé,  et  il  ne  pouvait  con- 
tinuer qu'avec  peine  son  travail  de  bureau.  La 
paix  venait  d'être  signée  avec  l'Autriche  et  la 
Russie.  L'Angleterre  elle-même  avait  déposé  les 
'armes.  Gassendi  se  crut  autorisé  à  demander  sa 
mise  à  la  retraite.  Voici  la  lettre  qu'il  adressait  à 
ce  propos  (1),  le  28  fructidor  an  X(1S  septembre 
1802),  au  général  Berthier,  ministre  de  la  guerre  : 

«  Ma  vue  ne  pouvant  plus  suffire  au  travail  de  ma  place 
de  chef  de  la  section  d'artillerie,  mes  affaires  négligées  trop 
longtemps  et  des  considérations  personnelles,  inutiles  à 
vous  exposer,  ne  permettant  plus  de  faire  un  autre  service 
militaire,  je  vous  prie  de  me  faire  accorder  ma  retraite,  et 
de  me  permettre  de  partir  le  dernier  complémentaire  an  X, 
ainsi  que  je  vous  Tai  demandé  avec  instance.  Daignez 
agréer  mes  justes  regrets  de  cesser  d*étre  immédiatement 
sous  vos  ordres.  Le  souvenir  ineffaçable  de  votre  bonté  et 
de  votre  confiance,  en  redoublant  ces  regrets,  ne  fera 
qu'affermir  toute  ma  vie  mes  sentiments  pour  vous  d'atta- 
chement, de  reconnaissance  et  de  respect.  » 

Berthier  avait,  entre  autres  qualités,  celle 
de  rendre  justice  à  ses  subordonnés.  Il  savait 
combien  Gassendi  lui  était  utile  au  ministère  pour 
la  préparation  et  l'exécution  de  ses  projets.  Il 
ne  voulut  pas  accepter  sa  demande,  et  le  pria 
d'attendre  quelque  temps  encore  avant  de  pren- 


(!)  Dossier  Gassendi,  pièce  n^  13. 


—  428  - 

dre  une  détermination  décisive.  Il  lui  accorda 
pourtant  «  un  congé  de  trois  mois  avec  jouissance 
deses  appointements  (1)  pour  vaquer  a  ses  aflfai- 
res  personnelles.  »  Cette  insistance  était  flatteuse; 
Gassendi  se  résigna,  mais  avec  l'arrière-pensée' 
de  ne  pas  laisser  dépasser  le  délai. 

Kn  effet  le  28  thermidor  an  XI  (16  août  1803), 
le  général  adressait  à  Berthier  la  demande  sui- 
vante (2)  : 

€  J'ai  demandé  ma  retraite  Tan  passé,  le  5  germinal,  le 
lendemain  de  la  publication  de  la  paix.  Vous  ajournâtes  ma 
demande  pour  le  moment.  L'ayant  renouvelée  en  brumaire 
an  Xî,  vous  parûtes  désirer  que  je  finisse  Tannée  au  poste 
où  j'étais.  J'eus  l'honneur  de  vous  le  promettre  et  me 
voilà  arrivé  au  terme  du  délai.  Je  prie  donc  Votre  Excel- 
lence de  vouloir  bien  me  faire  accorder  cette  retraite 
qu'exigent  ma  santé  et  mes  affaires,  conformément  à  mon 
grade  et  à  mes  services  pour  le  i^'  vendémiaire  an  XIl,  et 
de  me  faire  remplacer  dans  la  septième  division  de  la  guerre, 
afin  que  je  puisse  partir  à  cette  époque.  » 

A.  cette  demande  était  annexé  le  détail  des 
services.  Ils  étaient  de  43  années  et  28  jours, 
dont  38  ans  7  mois  et  28  jours  de  services  effec- 
tifs, et  3  ans  b  mois  de  campagnes. 

Il  n'y  avait  plus  cette  fois  à  hésiter.  Lademande 


(\)  Dossier  Gassendi,  n^  14. 
(2)  Id.,  no45. 


-  429  — 

était  formelle.  Gassendi  élaît  dans  son  droit  strict. 
On  n^était  plus  en  étal  de  guerre  et  il  avait  assez 
travaillé  pour  obtenir  un  repos  mérité.  Le  minis- 
tre de  la  guerre  de  son  côté  avait  fait  son  devoir 
en  essayant  de  le  retenir  au  service.  De  part  et 
d'autre  on  était  en  règle.  Il  n'y  avait  plus  qu'à 
exécuter  la  loi.  Le  6  fructidor  de  Tan  XI  (24  août 
1803)  fut  donc  rendu  à  Saint-Cloud  le  décret  sui- 
vant (1)  :  0  Le  gouvernement  de  la  République, 
sur  le  rapport  du  ministre  de  la  guerre,  arrête  : 
1«  le  général  de  brigade  Gassendi  (Jean  Jacques 
Basilien)  est  admis  à  une  solde  de  retraite  de 
trois  mille  trois  cent  sept  francs  soixante-dix-sept 
centimes,  qui  courra  du  jour  qu'il  a  cessé  de  tou- 
cher un  traitement  d'activité.  2°  Les  ministres  de 
la  guerre  et  du  trésor  public  sont  chargés,  chacun 
en  ce  qui  les  concerne,  de  Texéculion  du  présent 
arrêté.  Ont  signé  :  Bonaparte,  Hugues  Maret, 
Alexandre  Berthier.  » 

Tout  était  donc  terminé.  IL  semblait  que  Gas- 
sendi n'eût  plus  qu'à  retourner  à  ses  chères  étu- 
des, et  qu'à  passer  tranquillement  le  reste  de  sa 
vie,  soit  à  ce  Nuits,  qui  était  devenu  pour  lui 
comme  une  patrie  d'adoption,  soit  dans  ses  domai- 
nes patrimoniaux  de  Provence,  mais  l'impérieux 
personnage  qui  présidait  alors  aux  destinées  de 
la  France  en  décida  autrement.  Il  avait  signé, 

(1]  Dossier  Gassendi,  n°  15,  pièce  2. 


—  430  — 

probablement  sans  le  lire,  le  décret  de  mise  à  la 
retraite  de  Gassendi,  mais,  quand  il  apprit  le 
départ  de  son  ancien  collègue,  il  déclara,  de  son 
propre  mouvement,  qu'il  ne  l'acceptait  pas,  et, 
en  effet,  sur  la  minute  même  de  la  feuille  de  ser- 
vice qui  règle  la  retraite  du  général  et  qui  etrt 
conservée  aux  archives  de  la  guerre,  figure,  au 
dos  de  la  pièce,  la  note  suivante  :  «  le  ministre  a 
ordonné  que  Ton  suspendît  Tordre  de  paiement  de 
la  solde  de  retraite  du  citoyen  Gassendi,  qui  con- 
serve son  activité.  J'ai  la  décision  dans  mon  car- 
ton des  arrêtés.  Signé  :  Cotte.  » 

Que  s'était-il  donc  passé?  Il  est  probable  que 
Bonaparte  intervint  en  personne  auprès  de  Ga?- 
sendi/et  le  pria,  au  nom  des  intérêts  supérieurs  de 
l'armée,  de  conserver  son  poste.  Il  est  mômepro- 
bablequilfitmiroiter  à  sesyeaxla  promesse  d'un 
grade  plus  élevé.  Gassendi  avait  l'âme  trop  bien 
située  pour  être  accessible  à  des  considérations  de 
cette  nature.  Si  Bonaparte  réussit  à  Tébranler 
dans  sa  détermination,  c'est  sans  doute  qu'il 
trouva  ces  accents  émus  et  ces  mots  partis  du 
cœur  qui  emportent  les  décisions.  En  souvenir  de 
Tancienne  amitié  et  des  périls  communs  d'autre- 
fois, à  la  pensée  des  services  qu'il  pouvait  rendre 
encore,  et  contre  l'ennemi  héréditaire,  car  les 
Anglais  venaient  de  rompre  la  paix  d'Amiens, 
Gassendi  se  laissa  persuader.  Il  retira  sa  demande 
et  conserva  sa  situation  au  ministère, 


—  431  — 


IV 


Le  premier  Consul,  devenu  bientôt  Empereur, 
ne  se  montra  pas  oublieux.  La  première  place 
d'inspecteur  général  de  Tarlillerie  vacante  fut  at- 
tribuée à  Gassendi.  Voici  la  lettre  que  le  ministre 
de  la  guerre  adressait,  le  23  ventôse  an  XIII, 
(mars  180b)  au  premier  inspecteur  général  de 
Tar  tille  rie  (1): 

«  Je  vous  préviens,  Monsieur  le  Général,  que,  d'après 
vos  propositions  du  2  de  ce  mois,  le  général  de  brigade 
Gassendi  est  nommé  à  la  place  d*fnspec(eur  général,  va- 
cante dans  le  corps  impérial  de  Tartilierie.  J'ai  voulu  par 
là  lui  témoigner  que  j'étais  satisfait  des  soins  qu*il  met  à 
remplir  les  devoirs  de  la  place  qu'il  occupe.  » 

Et  voici  en  quels  termes,  à  la  môme  date,  il 
informe  Gassendi  de  sa  promotion  (2)  : 

c(  Je  vous  annonce  avec  grand  plaisir,  Monsieur  le  Général, 
que,  par  décision  du  H  de  ce  mois,  vous  éles  nommé  à  une 
place  d'inspecteur  général,  vacante  dans  le  corps  impérial 
de  l'artillerie.  J*ai  voulu  par  là  vous  témoigner  que  j'étais 
satisfait  des  soins  que  vous  mettez  à  bien  remplir  les  de- 
voirs de  la  place  que  vous  occupez.  » 

(I)  Dossier  Gassendi,  n^  46,  pièce  4. 
(2)Id.,n«  16,  pièco2. 


—  432  — 

Les  importantes  fonctions  d'inspecteur  général 
étaient  d'ordinaire  attribuées  à  des  généraux  de 
division.  Gassendi  n'attendit  pas  longtemps  cette 
nouvelle  promotion  (1).  Le  21  septembre  1805 
(4*  complémentaire  an  XIII)  il  recevait  du  mi- 
nistre de  la  guerre  amplialion  du  décret  sui- 
vant : 

«  Par  décret  impérial  du  3^  jour  coroplémen taire  an  XIII, 
Sa  Majesté  vous  a  nommé  au  grade  de  général  de  division 
dans  l'arme  de  Tartillerie.  Je  vous  annonce  avec  bien  de  la 
satisfaction  cette  nouvelle  marque  de  saconGance  dans  vos 
talents  militaires  et  dans  votre  dévouement  à  son  service. 
Celle  lettre  vous  servira  de  titre  en  attendant  l'expédition 
de  votre  brevet.  > 


Une  marque  de  faveur  plus  sensible  encore, 
et  qui  suivitde  près,  fut  la  nomination  de  Gassendi 
en  qualité  de  membre  du  Conseil  d'Etat  (1806). 
On  sait  queTEmpereur  n'admettait  dans  cette  as- 
semblée que  des  fonctionnaires  signalés  par  leur 
compétence  et  leur  spécialité  dans  les  diverses 
branches  de  Tadministration.  C'est  au  conseil 
d'Etat,  et  souvent  sous  la  présidence  eflfective  de 
Napoléon,  que  se  préparaient  et  se  traitaient 
toutes  les  grandes  affaires.  Faire  partie  de  cette 
assemblée  était  un  grand  honneur,  mais  non  pas 

(1)  Dossier  Gassendi,  n*  48. 


—  433  — 

précisément  une  sinécure  ;  il  est  vrai  que  Gas- 
sendi avait  déjà  donné  tant  de  preuves  de  patiente 
endurance  et  de  labeur  continu  que  l'Empereur 
n'hésita  pas  à  faire  appel  à  son  dévouement.  Sa 
confiance  était  bien  placée. 

Gassendi  était  donc  arrivé  au  sommet  de  la 
hiérarchie  militaire.  Sans  doute  il  aurait  pu, 
comme  tant  d'autres,  acquérir  la  dignité  do  ma- 
réchal, mais  il  n'avait  jamais  commandé  en  chef, 
et  la  faiblesse  de  sa  vue  lui  interdisait  le  service 
actif.  C'était  un  administrateur  éminent,  ce  ne 
fut  jamais  un  tacticien.  La  théorie  lui  convenait, 
mieux  que  laction.  Aussi  bien,  dans  ce  travail 
effraj^ant  d'organisation  que  rendaient  néces- 
saire les  expéditions  entreprises  à  travers  toute 
l'Europe,  l'œuvre  des  bureaux  n'élait  certes  pas 
à  dédaigner.  Pour  ne  pas  laisser  dans  Thistoire 
une  trace  éblouissante  comme  celle  de  leurs  col- 
lègues, les  généraux  retenus  à  Paris  par  les  ser- 
vices administratifs  n'en  méritent  pas  moins  la 
reconnaissance  des  contemporains.  Gassendi  fut 
un  de  ces  grands  travailleurs  comme  Napoléon 
aimait  à  en  trouver  autour  de  lui.  Il  ne  faut  pas 
chercher  son  nom  dans  les  bulletins  de  la  grande 
armée,  ni  dans  le  recueil  des  victoires  et  con- 
quêtes, mais  dans  le  prodigieux  amas  de  dé- 
pêches, de  rapports  et  de  documenls  conservés 
dans  nos  archives  militaires  de  Paris  et  de  toutes 
nos  places  fortes.  Nous  ne  pouvons  entreprendre 

31 


—  434  — 

un  pareil  travail  qui  d'ailleurs  risquerait  d'être 
monotone,  et  qui  exige  une  compétence  que 
nous  ne  possédons  pas.  Un  seul  point  nous 
étonne,  c'est  que  Gassendi,  pas  plus  que  ses  col- 
lègues, n'ait  pas  cherché  à  innover,  tout  au 
moinsà  perfectionner,  et  se  soit  contenté  du  lourd 
et  encombrant  matériel  d'arlillerie,  qui  datait  du 
siècle  passé.  Alors  que  tout  se  renouvelait  dans 
la  tactique,  il  est  singulier  qu'on  n'ait  pas  songé 
k  transformer  Tarmement.  On  avait  bien  essayé 
de  le  faire  au  temps  du  Comité  de  Salut  Public, 
et  on  n'avait  pas  encore  perdu  le  souvenir  des 
tentatives  répétées  de  Prieur  de  la  Côte-d'Or, 
mais  ces  tentatives  n'avaient  pas  réussi,  Ilsemble 
qu'emportés  par  le  torrent  des  événements  les 
lieutenants  de  l'Empereur,  pas  plus  que  l'Em- 
pereur lui-môme,  ne  tournèrent  jamais  leurs 
pensées  vers  l'idée  de  modifier  l'artillerie.  Quels 
succès  pourtant  n'aurait-on  pas  remportés,  si  on 
eût,  dès  cette  époque,  connu  les  canons  à  longue 
portée,  elles  canons  se  chargeant  par  la  culasse  ! 
Personne  n'y  pensa.  Personne  n'eut  le  temps 
d'y  penser. 

Gassendi  se  surmena  tellement  dans  ce  gigan- 
tesque travail  de  la  préparation  des  campagnes 
de  l'Empire  qu'il  fut,  à  diverses  reprises,  forcé 
par  la  maladie  d'interrompre  ses  occupations  (1). 

(I)  Dossier  Gassendi,  pièce  n'  H. 


—  435  — 

En  juîlletlSOS  il  sollicitait  et  obtenait  un  congé 
de  six  mois  (1).  En  avril  1806,  il  demandait,  pour 
raison  de  santé,  un  nouveau  congé  d'égale  durée, 
mais  TEmpereup  ne  lui  accordait  que  deux  mois, 
prolongés  (2)  plus  tard  de  deux  autres  mois.  En 
avril  1809,  la  crise  fut  plus  grave.  Il  fut  obligé 
de  demander  un  nouveau  congé  ;  mais  c'é- 
tait le  moment  où  l'Autriche  s'apprêtait  à  re- 
commencer la  guerre.  Les  hostilités  étaient 
même  déjà  commencées.  On  ne  put  lui  accor- 
der (3)  que  quelques  semaines  de  repos,  du 
20  avril  à  la  fin  de  mai.  Son  absence  ne  fut  donc 
pas  de  longue  durée,  et,  quand  il  rentra  au  mi- 
nistère, ce  fut  pour  préparer  de  longue  mainTa- 
gression  contre  la  Russie,  et  inaugurer  la  série 
de  ces  campagnes  glorieuses  mais  néfastes  qui 
bientôt  conduiront  Tennemi  jusque  sous  les  murs 
de  Paris.  Au  moins  ne  faillit-il  pas  à  sa  lâche, 
car  on  sait  le  rôle  prépondérant  de  Tartillerie 
pendant  toute  cette  période  de  TEmpire,  et  cer- 
tainement Gassendi  fut  pour  beaucoup  dans  les 
efibrts  qui  permirent  aux  généraux  de  cette  arme 
de  soutenir  avec  honneur  la  lutte  contre  les 
coalisés  sur  tous  les  champs  de  bataille  de  l'Eu- 
rope. 


(1)  Dossier  Gassendi,  no|9. 

(2)  Id.,  n-  20. 

(3)  Id.,  n-21. 


-  436  - 

Napoléon  savait  récompenser  ses  amis.  Dès  le 
9  novembre  1809  il  avait  une  première  fois  té- 
moigné sa  satisfaction  à  Gassendi  en  le  nommant 
comte  de  TEmpire  (l).  Le  nouveau  noble  prit 
son  titre  très  au  sérieux.  Il  le  célébra  môme  par 
quelques  vers  de  circonstance  spirituels  et  bien 
tournés  : 

Les  comies  blancs,  les  comtes  bleus, 
Par  des  fails  vrais,  non  par  des  contes, 
Aux  yeux  des  Français  valeureux 
Doivent  être  également  comtes. 
Les  comtes  blancs  par  leurs  aïeux, 
Ont  dès  longtemps  soldé  leurs  comptes. 
Les  comtes  bleus  pour  leurs  neveux 
Ont  donné  d'assez  forts  à  comptes. 

Gassendi  trouvait  môme  l'a  compte  tellement 
sérieux  que,  dans  un  esprit  d'économie  peut-ôlre 
exagéré,  il  ne  paraissait  nullement  disposé  à  faire 
honneur  à  son  nouveau  titre.  On  raconte  que 
Napoléon  lui  donna  une  assez  plaisante  leçon  de 
convenance  politique.  L'Empereur,  qui  donnait 
beaucoup,  voulait  qu'autour  de  lui  tous  ceux  qui 
profitaient  de  sa  générosité  fussent  larges  dans 
leurs  dépenses.  C'était,  ainsi  qu'il  le  disait,  sa 
méthode  pour  faire  aller  le  commerce.  Or  Gassen- 
di lui  avait  été  signalé  comme  trop  économe  do 
ses  deniers.  Napoléon  commanda  pour  lui,  sans 

(I)  Campabdom,  Noblesse  impériale,  p.  82. 


—  437  — 

le  prévenir,  une  magnifique  voilure,  allelée  de 
chevaux  superbes,  et  la  lui  envoya.  Le  général 
se  rendit  aux  Tuileries  pour  remercier  TEmpe- 
reur  de  ce  qu'il  croj^ail  être  un  cadeau,  mais  il 
trouva  dans  l'antichambre  le  fournisseur  qui  lui 
présenta  la  noie  à  payer.  Gassendi  comprit  la 
leçon  et  s'exécula  sans  mol  dire.  ' 

Il  est  vrai  que  l'Empereur  avait  pris  soin  de 
lui  donner  de  belles  compensations.  Membre  de 
la  Légion  d'honneur  le  11  décembre  1803,  coni- 
mandant  le  14  juin  1804,  il  reçut  la  plaque  de 
grand  officier  le  30  juin  1811.  Il  fut  en  oulre 
nommé  grand  croix  de  l'ordre  de  la  Réunion  le 
30  avril  1813.  Gassendi  n'avait  donc  rien  à  en- 
vier à  ses  collègues  et  ses  services  n*avaient  pas 
élé  méconnus.  Aussi  en  gardait-il  une  profonde 
reconnaissance  à  son  ancien  collègue,  e  t  s'i  nclinai  t- 
il  volontiers  devant  sa  supériorité.  Il  le  défen- 
dait même  contre  ses  adversaires  (1).  «  On  a 
beaucoup  blâmé  Texpédilion  d'Espagne,  écrivait 
le  général  Foy  à  un  de  ses  amis,  le  18  décembre 
1810.  Cependant,  comme  l'observait  très  judi- 
cieusement le  spirituel  général  Gassendi,  il  ne 
faut  pas  se  hâter  de  blâmer  les  opérations  de  notre 
gouvernement.  L'Empereur  y  voit  plus  loin  que 
nous  tous.  Nous  ne  savons  pas  ses  projets.  On 
juge  mal  un  ensemble   quand  on  n'en  (revoit 

(t)  Girod  de  TAin,  Les  Grands  Artilleurs, 


—  438  — 

qu'une  portion  isolée.  »  Celle  admiration  de  Gas- 
sendi était  d'autant  plus  sincère  qu'il  ne  la  ré- 
pandait pas  en  protestations  extérieures.  D'ordi- 
naire il  choisissait  pour  confidents  dé  sa  pensée 
intime  les  pages  sur  lesquelles  il  aimait  à  traduire 
ses  sentiments  en  alexandrins  légèrement  pom- 
peux, dans  le  goût  de  l'époque.  Voici  comment, 
dès  l'année  1798'  il  parlait  du  vainqueur  de 
l'Italie  (1)  : 

Les  récits  d*Ossian  plaisent  à  ton  courage  ;   * 

Des  héros  qu'il  vanta  tu  rassembles  les  traits. 

Ils  aimaient  les  combats,  et  le  calme,  et  l'orage, 

£t  les  bardes  chantant  leur  gloire  et  leurs  hauts  faits. 

Jeune  Buonaparte,  brillant  de  renommée,    . 

Tu  mets  un  terme  heureui  à  tes  heureux  succès. 

Le  tonnerre  s'éteint  dans  ta  main  désarmée. 

De  vingt  peuples  rivaux  tu  cimentes  la  paix. 

Et,  répandant  au  loin  tes  tranquilles  bienfaits, 

Dans  les  climats  divers  où  ta  gloire  est  semée, 

Tu  revient  présenter  la  palme  accoutumée 

Aux  beaux-arts  rassurés,  pour  hâler  leurs  progrès. 

Plus  lard,  et  sans  doute  ébloui  par  la  victoire, 
Gassendi  vante  la  dictature  mililaire,  et  s'iucline 
volontiers  devant  le  nouveau  maître  de  la  France. 

Qu'alors  vienne  un  César  choisi  par  la  victoire, 
Qui  lui  présente  un  joug  tout  rayonnant  de  gloire, 
£t  le  peuple  aussitôt  Tacclame  avec  transport. 


[h)  Gai36endl  Oisivetés,  p.  293. 


—  439  — 

Gassendi  était  donc  un  partisan  déterminé  du 
régime  impérial.  Il  n'a  que  des  paroles  amères 
pour  les  opposants,  pour  le  général  Moreau,  pour 
M™*  de  Staël  surtout,  qu'il  poursuit  de  ses  sar- 
casmes. 

L'inconsé(|aenie  Slaêl  des  faveurs  romantiques 

Passe  subitement  aux  rêves  politiques. 

Disant  tout,  jugeant  tout,  et  se  trompant  sur  tout, 

Fatigue  ses  lecteurs  et  lasse  ses  critiques. 

...Sitôt  qu'à  Coppet  son  père  se  retire. 

Sa  fougue  s'exallant  est  changée  eu  fureur. 

Elle  seule  l'éclairé;  elle  seule  Tinspire. 

Les  Français  à  ses  yeux  sont  un  objet  d'horreur. 

Aussitôt  que  sur  eux  on  annonce  un  malheur 

Prêt  à  fondre,  elle  accourt,  elle  trame  et  conspire. 

Sa  rage  a  redoublé  son  insigne  laideur; 

Sa  laideur  ce  fléau  de  l'amoureux  délire, 

Qui  dévore  son  àme  et  ne  touche  aucun  cœur.  • 

A  ne  plus  intriguer  ne  pouvant  la  réduire. 

Napoléon  enfin  la  chasse  de  l'Empire. 

Londres  la  vit  alors  dans  ses  murs  arriver, 

Et  toujours  de  vengeance  et  de  hain«  animée. 

Faire  de  nos  malheurs  l'histoire  envenimée... 


Tout  en  restant  le  partisan  déterminé  du  régime 
napoléonien,  Gassendi  n'était  cependant  pas  sans 
inquiétude  sur  l'avenir  du  pays.  Il  redoutait  les 
exagérations  et  l'ambition  sans  mesure  de  l'Em- 
pereur Tépouvantait.  Avec  ses  amis  intimes,  mais 
discrètement,  et  sans  jamais  verser  dans  une  op- 
position que  rien  n'aurait  justifiée,  il  aimait  à 
s'entretenir  des  affaires  politiques.  Un  de  ses 


—  440  — 

amis  les  plus  dévoués  fut  le  général  Eblé,  celui 
qui  devait  s'immortaliser  au  passage  de  la  Béré- 
sina.  On  a  perdu  la  correspondance  échangée 
entre  les  deux  généraux,  et  celte  perte  est  regret- 
table, car  ils  parlaient  à  cœur  ouvert,  comme  on 
peut  en  juger  par  quelques  lettres  qui  ont  été 
conservées  par  hasard  et  qui  nous  ont  été  com- 
muniquées par  la  famille.  Ce  sont  d'abord  trois 
lettres  d'affaires  adressées  à  Gassendi  le  12  dé- 
cembre 1807,  le  22  et  le  24  février  1808,  de  Mag- 
debourg.  Il  s'agit  d'une  procuration  pour  achat 
de  terrains  à  Villars-Fontaine.  Rien  à  signaler 
dans  ces  lettres  sauf  le  passage  suivant  (1)  : 
«  On  me  tire  enfin  d'ici  d'où  les  rapports  que 
j'aurais  eu  avec  les  nouvelles  autorités  n'auraient 
rien  eu  d'agréable.  »  La  lettre  datée  de  Kœnigs- 
berg,  24  décembre  1812,  est  plus  importante. 
Elle  présente  môme  la  valeur  d'un  document  his- 
torique, car  Eblé  y  parle  à  cœur  ouvert  de  la 
situation,  et  ne  ménage  pas  Texpression  de  ses 
angoisses  patriotiques  : 

((  Je  ne  suis  pas  mort,  mon  cher  général  et  mon  amîlîé 
pour  vous  est  toujours  la  même.  Tout  changera  excepté 
elle.  Depuis  le  9  de  ce  mois,  à  Vilna,  on  m'a  chargé  du 
commandement  de  la  T",  commandement  illusoire,  car  il 
ne  reste  rien.  J'en  ai  le  cœur  navré.  L'Empereur  payent 


(1)  Lettre  du  22  février  1808,  communiquée  par  M.  Missercy,  à 
Nuits. 


-  441  — 

récompense  des  gens  qui  le  servent  bien  mal.  Je  vous  écri- 
rai plus  au  long  au  premier  moment.  En  attendant  je  vous 
embrasse  de  cœur  et  d'âme.  » 


Celle  lellre  parvient  à  son  adresse.  Elle  frappa 
vivement  Gassendi  et  Tatlrisla.  Il  recourut  aus- 
sitôt à  son  grand  remède,  et  s'adressa  à  la  Muse 
pour  lui  demander  des  consolalions.  Sur  la  lellre 
même  de  son  collègue,  ii  commença  un  pièce  de 
vers,  donl  il  n'eul  le  temps  de  composer  que  le 
débul. 

Revenant  de  Moscou  tu  gémissais  de  voir 
Des  Français,  sous  le  poids  de  revers  lamentables, 
Ne  s'occupanl  que  d'eux,  négliger  leur  devoir. 
Ëblél  d'après  ton  cœur,  lu  les  jugeais  coupables. 
ClierÉblél  d'après  toi— 

Regrets  superflus  !  Vaines  récriminalions  !  Les 
événements  se  précipitèrent  et  nos  régiments  ra- 
menés de  Moscou  à  Vilna,  puis  de  Berlin  à  Dresde, 
bientôt  sur  le  Rhin,  s'efforcèrent  de  soutenir  l'hon- 
neur du  drapeau.  Gassendi  crut  de  son  devoir  et 
de  sa  dignité  de  rester  fidèle  à  son  posle,  et  en 
effet,  il  demeura  chargé  des  fonctions  de  direc- 
teur de  la  sixième  division  (artillerie  et  génie) 
pendant  ces  terribles  années  1812  et  1813,  où  il 
lui  fallut,  avec  des  ressources  nulles  et  un  maté- 
riel hors  d'usage,  donnera  l'Empereur  les  moyens 
de  lutter  sans  trop  de  désavantage  sur  les  champs 


—  442  — 

de  balaille  Prussiens  ou  Saxons.  A  ce  métier  Gas- 
sendi s'épuisa  et  ne  tarda  pas  à  comprendre  que 
le  temps  était  passé  pour  lui  déjouer  un  rôle  ac- 
tif. Napoléon  de  son  côté,  sentait  la  nécessité 
de  rajeunir  les  cadres,  et  de  donner  à  des  soldats 
jeunes  dés  officiers  jeunes  aussi  et  pleins  d'ardeur. 
Si  même  il  avait  appliqué  en  grand  ces  principes 
de  stratégie  morale,  il  aurait  évité  bien  des  trahi- 
sons et  surtout  bien  des  défaillances.  Il  n'insista 
donc  plus  cette  fois  auprès  de  son  vieux  compa- 
gnon d'armes  pour  le  retenir  au  service,  et  le  2 
juin  1813  ladmit  à  jouir  d'une  solde  de  retraite 
de  6000  francs. 

En  février  1812  Gassendi  avait  déjà  été  désigné 
comme  candidat  au  Sénat  par  le  cellège  électo- 
ral du  Var.  Napoléon  sanctionna  cette  désigna- 
tion de  Topinion  publique,  en  le  nommant  membre 
du  Sénat  Conservateur  (3  avril  1813).  C'était  en 
quelque  sorte  la  récompense  suprême  de  ses  ser- 
vices. 

Gassendi  devait  encore  être  utile  à  son  pays. 
Lorsque  les  alliés  envahirent  la  France  et  mena- 
cèrent la  capitale,  l'Empereur  constitua  un  co- 
mité de  défense,  dont  le  président  fut  le  général 
comte  Dejean,  inspecteur  général  du  génie.  Par 
décision  en  date  du  12  janvier  1814  (1),  Gassen- 
di fut  nommé  membre  de  ce  comité,  en  même 

(I)  Dossier  Gassendi,  n**  23.     . 


—  443  — 

temps  que  le  comte  Sorbier,  premier  inspecteur 
général  de  Tarlillerie,  et  il  reçut  l'invitation  de 
se  rendre  aux  séances.  Les  membres  de  ce  comité 
étaient  assurément  pleins  de  bonnes  intentions, 
mais  ou  bien  ils  n'eurent  pas  le  temps  de  les  réa- 
liser, ou  bien  ils  eurent  parfoijs  de  singulières 
imaginations.  D'après  une  tradition  du  ministère 
delà  guerre,  tradition  que  nous  aimons  à  croire 
légèrement  fantaisiste,  mais  qui  pourtant  n'a 
jamais  été  contestée,  un  des  membres  de  ce 
Comité  aurait  proposé  de  réunir  tous  les  pompiers 
de  TEmpire  et  de  charger  leurs  pompes  avec  de 
Teau  de  savon  pour  aveugler  les  Russes  et  les 
Allemands.  Les  procès-verbaux  des  séances  du 
Comité  existent  encore.  Peut-être  retrouverait-on 
l'auteur  de  cette  proposition  à  tout  le  moins  sau- 
grenue. 

Ce  n'était  certes  pas  avec  de  l'eau  de  savon, 
ni  môme  avec  des  balles  et  des  boulets  qu'on  pou- 
vait arrêter  les  alliés.  «  Ils  sont  trop  !  »  disaient 
nos  soldats  en  dérfendant  contre  eux  les  hauteurs 
de  Paris  dans  la  bataille  suprême  qui  décida  du 
sort  de  la  France.  Que  pouvaient-ils,  épuisés  par 
vingt-cinq  ans  de  luttes  ininterrompues  contre 
l'Europe  entière!  Ils  tombèrent  vaillamment  au 
champ  d'honneur  et  avec  eux  tomba  celui  qui  si 
souvent  les  avait  conduits  à  la  victoire. 

Gassendi  avait  été  comblé  de  faveurs  par  l'Em- 
pire, mais,  d'un  autre  côté,  il  avaithonorablement 


—  444  — 

payé  sa  delte  à  la  pairie.  Il  pouvait  donc  se  re- 
lirer,  et  jouir  d'un  repos  depuis  longtemps  désiré. 
La  Restauration  ne  lui  en  laissa  pas  le  loisir,  car 
le  roi  Louis  XVIII  rendit  hommage  à  ce  loyal 
serviteur  du  pays  on  l'appelant  à  la  Chambre  des 
Pairs  par  ordonnance  du  4  juin  1814,  Gassendi 
accepta  cet  honneur  plutôt  avec  résignation 
qu'avec  joie,  mais  c'était  avant  tout  l'homme  du 
devoir.  Il  prit  donc  part  aux  travaux  de  la  haute 
assemblée,  où  sa  compétence  rendait  son  concours 
si  utile,  mais  il  se  renferma  strictement  dans  ses 
attributions,  et  ne  se  signala  ni  par  ses  pa- 
linodies vis-à-vis  du  nouveau  pouvoir,  ni  par  ses 
compromissions  avec  le  souverain  de  l'Ile  d'Elbe. 
Il  resta  le  serviteur  zélé  et  désintéresssé  du 
pays. 

Lorsque  Napoléon  ressaisit  le  pouvoir  pour 
quelques  mois,  il  tint  compte  à  Gassendi  de  la 
correction  de  son  attitude,  et  le  maintint  à  la 
Chambre  des  Pairs  qu'il  institua  par  l'Acte  ad- 
ditionnel. Gassendi  accepta  cette  nomination, 
qu'il  n'avait  pas  sollicitée,  mais  il  n'eut  pas  le 
temps  de  jouer  un  rôle  dans  celte  assemblée,  qui 
fut  bientôt  balayée  par  les  événements.  La  seconde 
Restauration  lui  tint  rigueur  de  cette  acceptation, 
et  il  ne  fit  point  partie  de  la  seconde  Chambre 
des  Pairs  instituée  au  retour  de  Louis  XVIII.  Le 
gouvernement  eut  même  la  petitesse  de  lui  re- 
fuser la  croix  de  Saint-Louis  qu'il  croyait  avoir 


—  445  — 

méritéepapseslongsservices,  et  voici  la  lettre  (1 
ou  plutôt  la  note  froidement  administrative  que 
lui  adressait  à  ce  propos,  le  29  juin  1824,  le  ma- 
réchal de  camp,  son  sucesseur  au  ministère  : 

«  L*orJonnance  du  9  août  1820  relalive  a  Tadmission  des 
officiers  do  troupes  de  terre  et  de  mer  dans  Tordre  royal  et 
militaire  de  Saint-Louis,  porte  i*'  que  lorsque  la  croix  de 
Saint-Louis  n'est  pas  accordée  pour  des  actions  d'éclat,  olle 
ne  peut  être  donnée  aux  officiers  de  tout  grade  qu'après 
vingt-quatre  années  de  service  comptées  d*aprùs  les  règles 
prescrites;  2^  que  les  services  rendus  dans  les  administra- 
tions civiles  ne  sont  pas  comptés  pour  cetle  récompense; 
3**  que  les  officiers  qui  seront  admis  a  la  retraite  à  dater  de 
la  présente  ordonnance  ne  seront  plus  susceptibles  d'obtenir 
la  croix  de  Saint-Louis,  lorsqu'ils  n'auront  pas  été  propo- 
sés pour  cetle  récompense  dans  le  courant  de  Tannée  qui 
suivra  leur  admission  à  la  pension  de  retraite;  4^  il  ne  peut 
être  fait  d'exception  à  cette  règle  qu'en  faveur  des  officiers 
émigrés  qui  ayant  quitté  les  corps  dont  ils  faisaient  parlie 
par  suite  d'un  licenciement,  sont  admis  à  ajouter  dix  ans  à  » 
leurs  services.  » 

Gassendi  n'avait  jamais  émigré.  Il  n'avait  . 
donc  pas  droit  à  cetre  décoration  !  Ainsi  l'avait 
décidé  un  bureaucrate  inconnu,  qui  peut-être 
soldait  une  vieille  rancune  par  cedéni  do  justice. 
Le  roi  et  le  ministère  furent  autrement  mieux 
inspirés  lorsque,  en  1821,  en  vertu  de  l'ordon- 
nance du  21    novembre,  Gassendi  fut  appelé  à 

(I)  Dossier  Gassendi^  n"  24.  * 


—  446  — 

siéger  de  nouveau  dans  la  Chambre  des  Pairs. 
Decazes  essayait  alors  d'engager  la  monarchie 
dans  les  voies  constilulionnelles,  et  il  espérait 
que  Gassendi  le  soutiendrait  dans  celte  lâche 
ardue.  Le  rôle  du  général  fut  assez  effacé  dans 
la  Haute  Chambre.  Il  ne  prit  la  parole  dans  aucune 
de  ces  retentissantes  discussions  dont  Técho  nous 
est  parvenu.  C'était  un  homme  de  cabinet  plutôt 
que  de  tribune.  On  le  consultait  souvent,  et  on 
avait  recours  à  son  expérience,  surtout  en  ma- 
tière militaire.  Le  maréchal  Gouvion  Saint-Cyr, 
l'auteur  de  la  fameuse  loi  sur  Torganisation  de 
l'armée,  parait  avoir  eu  pour  lui  une  estime  toute 
particulière  ;  mais  Gassendi  n'était  plus  jeune. 
Il  avait  beaucoup  travaillé.  Il  avait  besoin  de 
repos.  Toutes  les  fois  qu'il  pouvait  s'éloigner  du 
Luxembourg  il  retournait  en  toute  haie,  soit  à 
Nuits,  soit  à  Varages.  On  a  conservé  dans  cette 
dernière  localité  le  souvenir  de  ses  visites,  trop 
rares  au  gré  des  habitants.  Il  n'y  paraissait  que 
tous  les  quatre  ou  cinq  ans,  mais  y  passait  alors 
quelques  mois,  recevant  et  rendant  de  nom- 
breuses visites,  réunissant  à  sa  table  les  plus  ho- 
norables habitants  du  village  et  les  notables  des 
environs.  Il  aimait  à  se  promener  à  travers  les 
campagnes,  les  poches  bourrées  d'amandes  et  de 
noisettes  qu'il  distribuait  aux  enfants.  Chaque 
hiver  il  envoyait  aux  pauvres  des  vêtements, 
des  secours  en  nature,  et  d'abondantes  charités. 


—  447  — 

Toutes  les  fois  qu'on  s'adressait  à  lui  pour  un 
service  qu'il  pouvait  rendre  dans  sa  situation,  il 
le  faisait  sans  se  faire  prier,  mais  à  la  condition 
qu'on  ne  lui  demandât  rien  de  contraire  aux 
règlements.  Ainsi,  quand  on  le  priait  d'intervenir 
dans  une  affaire  de  recrutement  militaire,  il  s'y 
refusait,  mais  ne  négligeait  pas  d'envoyer  une 
somme  d'argent  qui  devait  aider  à  procurer  un 
remplaçant. 


Gassendi  avait  ramassé  à  Varages  une  belle 
bibliothèque  qui  fut  dispersée  après  sa  mort.  11 
avait  surtout  réuni  beaucoup  de  livres  de  sciences 
et  d'agriculture,  car,  sur  la  fin  de  sa  vie,  il  s'occupa 
beaucoup  des  questions  agricoles.  Il  trouvait,  non 
sans  raison  d'ailleurs,  que  les  cultivateurs  Pro- 
vençaux s'attachaient  trop  à  la  routine.  Il  aurait 
voulu  introduire  des  méthodes  et  même  des  cul- 
tures nouvelles.  Il  avait  composé  divers  mémoires 
sur  ces  sujets.  Les  manuscrits  en  ont  été  con- 
servés. Ils  ont  été  communiqués  par  le  pro- 
priétaire actuel  de  Varages  à  M.  Bérenguier, 
professeur  départemental  d'agriculture  dans  les 
Basses- Alpes,  qui  les  a  étudiés  avec  soin,  et  en  a 
donné  une  analyse  sommaire  (l\  On  peut  les  di- 

(\)  Arsoux.  Bulletin  fie  la  Société  scientifique  et  littéraire  des 
Basses- Alpes,  i.  V,  4  891 --1892.  Le  général  Gassendi  (1 748-1 8î8). 


—  448  — 

viser  en  cinq  séries.  1°  Notes  sur  le  corps  complet 
d'agriculture.  Toutes  les  questions  agricoles  y 
sont  passées  en  revue.  Gassendi  préconise  l'usage 
de  la  marne  et  de  la  chaux  pour  amender  le  sol. 
C'était  alors  une  nouveauté,  mais  il  ne  réussit  pas 
à  triompher  de  Tentôtement  des  indigènes,  et. 
malgré  l'exemple  qu'il  donnait  en  amendant  ses 
terres,  on  ne  chercha  pas  à  l'imiter.  2°  Plan  d'un 
ouvrage.  Le  général  avait  recueilli  tout  un  trésor 
de  notes,  d^observations  personnelles  et  d'expé- 
riences. Il  avait  essayé  de  démontrer  l'utilité  do 
ce  qu'on  pourrait  appeler  la  mécanique  agricole. 
Il  an  rait  voulu  qu'on  s ubstituât  à  Tensemencemen  t 
à  la  volée  l'ensemencement  par  des  semences  ar- 
tificielles, mais  il  ne  réussit  pas  dans  sa  propa- 
gande, pas  plus  que  lorsqu'il  préconisa  les  avan- 
tages de  la  herse  et  du  rouleau  substitués  à  la 
charrue  locale.  Il  se  heurtait  à  des  habitudes 
plusieurs  fois  séculaires,  et  les  paysans  n'es- 
sayaient môme  pas  de  comprendre  l'utilité  de  ces 
innovations.  Ils  restaient  fidèles  à  leurs  vieifles 
pratiques  et  traitaient  volontiers  le  général  de 
visionnaire.  3°  Mémoires  divers.  Gassendi  était 
grand  partisan  des  prairies  artificielles.  Il  les 
recommandait  à  un  triplo  point  de  vue,  d^abord 
parce  que  le  fourrage  était  plus  abondant,  en  se- 
cond lieu  parce  que  les  animaux  y  trouvaient  une 
nourriture  plus  fortifiante,  et  enfin  parce  que 
les  terres  s'amendaient.  Il  vantait  surtout  l'usage 


—  449  — 

du  sainfoin.  Là  encore  il  ne  réussit  à  récolter 
que  des  railleries.  Bien  du  temps  encore  devait 
s'écouler  avant  que  les  paysans  de  Provence 
comprissent  Tulilité  de  ces  prairies.  4^'  Nouvelle 
méthode.  A  vrai  dire  sur  ce  point  tout  était  à  re- 
faire. On  donnait  trop  d'importance  à  la  culture 
des  grains,  et  ces  grains  étaient  en  général  mal 
choisis  comme  semences.  Les  sarclages  étaient 
insuffisants,  les  instruments  de  labour  défec- 
tueux. Il  n'y  avait  presque  qu'à  prendre  le 
conlrepied  de  tout  ce  qu'on  faisait.  Gassendi 
essaya  de  le  dire  et  de  le  démontrer,  mais  il  ne 
rencontra  que  des  incrédules.  En  agriculture  les 
progrès  sont  toujours  lents,  et  le  temps  n'avait 
pas  encore  fait  son  œuvre.  Au  moins  peut-on  le 
considérer  comme  un  précurseur,  par  exemple 
quand  il  recommande  la  multiplicité  des  labours, 
et  les  semis  en  ligne  qui  permettent  le  sarclage 
et  le  binage. 

5°  La  cinquième  partie  est  relative  aux  expé- 
riences. Le  général  a  le  grand  mérite  d'avouer 
ingénuement  ses  erreurs  et  le  mérite  plus  grand 
encore  d'essayer  de  les  réparer  en  cherchant  de 
nouvelles  combinaisons.  Il  ne  parait  pas  s'être 
douté  de  Timporlance  des  engrais;  maison  s'en 
souciait  alors  bien  peu.  On  laissait  faire  la  nature. 

Tout  en  ne  le  suivant  pas  dans  la  voie  des  ré- 
formes oii  il  voulait  les  engager,  les  paysans  de 
Varages  savaient  gré  au  général  de  l'intérêt  qu'il 

32 


—  450  — 

portait  à  leurs  travaux.  Ils  récoulaîent  avec  res- 
pect, s'ils  ne  rimitaient  pas.  Ils  ont  gardé  un 
souvenir  persistant  de  sa  bonté,  de  son  esprit  d'i- 
nitiative, et  ils  ont  cherché  à  lui  témoigner  leur 
reconnaissance.  Par  délibération  du  conseil  mu- 
nicipal en  date  du  10  août  1847,  ils  ont  donné  son 
nom  à  la  place  principale  du  village,  et  érigé  une 
fontaine  en  son  honneur.  Depuis  1857  cette  fon- 
taine est  surmontée  d'un  buste  en  bronze  du 
général,  qui  a  été  donné  par  sa  famille.  Il  semble 
ainsi  toujours  présider  auxdestinées  de  ce  village 
qu'il  aimait,  et  où  son  souvenir  est  resté  popu- 
laire. 

Nuits,  plus  encore  que  Varages,  fat  son  séjour 
de  prédilection.  C'est  à  Nuits  qu'était  née  son 
unique  enfant,  Anne-Garoline-Henriette-Rénée- 
Sophie  ;  à  Nuits  que  cette  jeune  fille  épousa  Jo- 
seph Marey,  de  cette  illustre  famille  qui  a  donné 
tant  de  bons  serviteurs  à  la  France.  C'est  à  Nuits 
enfin  qu'il  se  donna  tout  entier  à  son  œuvre  do 
prédilection,  à  ses  Heures  de  Loisir,  comme  il  in- 
titule ses  poésies. 

Gassendi  ne  se  contenta  pas  en  effet  d'être  un 
grand  artilleur  et  un  agronome  distingué.  La 
gloire  poétique  le  tenta;  mais  il  nous  semble 
avoir  eu  plus  de  bonne  volonté  que  d'inspiration 
réelle.  Au  moins  faut-il  lui  savoir  gré  de-  ses  in- 
tentions. Ce  ne  fut  jamais  un  poète  mais  plutôt 
un  versificateur  ingénieux,  parfois  avec  un  ton 


—  451  — 

de  préciosité  qui  était  dans  la  noie  de  son  époque. 
Il  a  cultivé  tous  les  genres,  sauf  la  poésie  drama- 
tique. Les  traductions  excitèrent  d'abord  sa 
verve.  Il  donna  daas  les  Etrennes  du  Parnasse^ 
en  1778-1779  et  1780,  les  chants  1 1,  4  et  7  de  la 
Jérusalem  délivrée  du  Tasse,  et  publia  plus  tard 
quatre  autres  chants  du  même  poème.  Il  avait  à 
ce  propos  des  principes  tout  particuliers,  et  n'ai- 
mait aucun  de  ceux  qui  l'avaient  précédé  dans 
ce  travail,  ni  Laharpe,  ni  surtout  Baour-Lormian. 
Il  reprochait  à  ce  dernier  de  n'avoir  pas  traduit, 
mais  d'avoir  délayé,  et  pourtant  il  tomba  dans 
les  mômes  errements.  «  J*ai  ajouté  quelques  vers 
à  l'épisode  d'Olindeet  deSophronie,  écrit-il  quel- 
que part,  d'après  les  observations  de  Voltaire.  Je 
me  suis  permis  aussi  d'étendre  la  description  de 
la  ceinture  d'Armide,  copiéed'après celle  de  Vénus 
dans  Homère,  la  trouvant  trop  concise,  et  voulant 
me  conformer  au  grand  principe  déjà  énoncé  de 
tout  traducteur,  de  chercher  à  plaire  dans  sa 
langue,  comme  le  poète  qu'on  traduit  plail  dans 
la  sienne.  »  Cette  méthode  de  traduction  nous 
paraîtra  singulière  à  nous  qui,  dans  la  traduc- 
tion, nous  piquons  aujourd'hui  d'une  exactitude 
scrupuleuse  et  sacrifions  les  prétendues  grâces 
du  style  à  la  couleur  locale.  Ce  qui  nous  paraîtra 
tout  aussi  étrange  ce  sont  les  mots  dont  Gassendi 
ne  veut  pas  se  servir  «  comme  impropres  à  la 
poésie  épique  »,  et  il  cite  ces  mots  :  escalade, 


—  452  — 

bravade,  nièce,  tenace,  tanière,  tombe,  brode- 
quins, moustache,  poitrail,  spadassin,  langou- 
reux, etc.  On  se  demande  vraiment  ce  qui  peut 
justifier  cette  proscription  ! 

Malgré  ces  imperfections,  ou  plutôt  malgré  ces 
théories  qui  nous  semblent  bien  surannées,  mal- 
gré l'abus  des  épithètes  et  Tamour  des  périphrases, 
on  rencontre  néanmoins  dans  les  traductions  de 
Gassendi  d'assez  beaux  vers  de  grand  style  el 
de  haute  envolée.  En  outre  son  œuvre  est  fort 
variée,-  car  il  s'est  essayé  à  d'autres  poètes  qu'au 
Tasse.  Il  a  encore  traduit  l'épisode  d'Ugoliudans 
V Enfer  du  Dante,  Texorde  des  Lusiades  de  Ca- 
moens,  V Invention  des  jardins  de  Gessner,  quel- 
ques madrigaux  de  Guarini,  la  quatrième  des  nuits 
d'Young,  quelques  élégies  d'Ovide.  Il  y  a  même 
joint  des  imitations  des  Heures  d'une  Péru- 
vienne^  par  M™®  de  Graffigny  et  des  Incas  de 
Marmontel. 

Nous  ne  citerons  que  pour  mémoire  diverses 
pièces  de  circonstance,  une  épitre  sur  la  mort 
de  Louis  XV,  une  épître  au  comte  d'Artois  quand 
il  visita,  en  1783,  les  places  fortes  de  l'Est,  une 
autre  épitre  à  Voltaire;  ce  sont  là  des  œuvres  ou 
plutôt  des  péchés  de  jeunesse  que  Gassendi  n'a 
gardés  dans  ses  Heures  de  Loisir  que  parce  que, 
sans  doute,  il  y  rallachail  des  souvenirs  intimes. 
Elles  sont,  comme  d'ordinaire  les  morceaux  de  ce 
genre,  d'une  honnête  médiocrité.  Nous  passerons 


—  453  — 

ëgalement  condamnation  sur  ce  que  le  général 
qualifiait  lui-même  de  poésies  erotiques,  imita- 
tions assez  libres  des  Baisers  de  Jean  Second,  et 
quelques  contes  assez  grivois,  dans  le  genre  de 
ceux  de  La  Fontaine,  la  Chemise  relevée,  le  Man- 
chot, etc.  Gassendi  n'est  réellement  lui-môme  et 
n'a  de  valeur  réelle  que  dans  la  poésie  légère  et 
dans  Tépigramme.  Il  a  composé  de  vrais  mor- 
ceaux d'anthologie,  gracieux  et  d'un  ton  badin, 
mais  spirituels  plutôt  qu'animés  d'un  véritable 
souffle  poétique.  Voici  par  exemple  l'épitre  à  Pe- 
tit-Chat, chienne  de  M™*  la  baronne  d'O. 

Petit  Chat,  comme  être  charmant 
Ta  mérites  bien  une  épUre, 
Et  de  plus  ton  attachement 
Pour  ta  maltresse  est  un  vrai  titr(3 
Pour  t'adresser  un  compliment. 
...Quelle  touche  assez  divine 
Pourrait  rendre  dans  un  tableau 
Ta  figure  et  vive  et  lutine, 
Ton  œil  étincelant  et  beau? 
De  ton  rront  Tétoile  argentine. 
Le  brun  obscur  de  ton  manteau, 
Le  svelte  de  ta  taille  fine 
Et  Tagrément  de  ton  museau  ? 
Tes  oreilles,  si  bien  placées, 
Qui  légèrement  avancées, 
Accompagnent  ton  air  charmant. 
Ta  queue  enfin  dont  tu  déploies 
Les  longues  et  flottantes  soies 
Qui  viennent  caresser  ton  flanc? 
Tu  surpasses,  je  le  confesse. 
L'écureuil  en  vivacité. 


—  454  — 

Le  singe  dans  ses  tours  d'adresse, 
Même  les  chattes  en  finesse, 
Et  les  chiens  en  fidélité. 
Que  sans  toi  ta  maîtresse  sortf", 
C'est  un  éternel  hurlement. 
Te  ferme-ton  l'appartement, 
Tu  grattes  sans  cesse  à  la  porte. 
Mais  retourne-t-elle?  à  l'instant, 
Le  plus  vif  plaisir  te  transporte. 
Tu  l'aimes  bien  :  on  l'aime  autant. 
Quoi  !  cela  te  met  en  furie, 
Petit  chat,  tu  montres  les  dents. 
Je  me  ris  de  ta  ialousie 
Et  tous  tes  cris  sont  impuissants. 
Il  faut  pourtant  qu'on  te  console. 
Calme  ton  esprit  irrité. 
Entre  nous  voici  le  traité  : 
De  l'amitié  sois  le  symbole  ; 
J'en  serai  la  réalité. 

Finesse,  élégance  un  peu  précieuse,  sensibilité 
légèrement  factice,  tels  semblent  être  les  traits 
caractéristiques  de  cette  poésie  de  salon  ou  plutôt 
d'almanach  des  Muses. 

Gassendi  nous  semble  meilleur  dans  l'épi- 
gramme.  Il  a  le  trait  mordant,  soit  qu'il  s'em- 
porte contre  un  général  de  Napoléon,  on  ne  sait 
trop  lequel, 

Quel  est  ce  marmouset  blafard. 
Qui  joint  à  l'humeur  rogue  et  fière 
Un  courage  si  débonnaire. 
Et  prend  le  pas  avant  César  ? 

Soit  qu'il  tourne  en  ridicule  deux  membres  de 


^  455  — 

rinslitut  qui  avaient  refusé  la  Légion  d'honneur, 
Ducis  et  Lemercier  : 

C'est  du  Corneille  anglais  le  pâle  imitateur, 
£t  le  dur  Lemercier,  dont  la  verve  inégale 
Ressuscite  le  goût  du  Welclie  et  du  Vandale. 

Gassendi  excelle  dans  ce  qu'on  pourrait  ap- 
peler les  poésies  de  famille,  célébration  de  fêtes, 
d'anniversaires,  envois  de  cadeaux,  etc.  Il  trouve 
aussi  le  ton  qui  convient  pour  narrer  une  anec- 
dote, par  exemple  ce  qu'il  intitule  la  confession 
de  Gaspard  M.  (Monge). 

L'abbé  Niger,  grand  dévot,  grand  casuisle, 
A  bien  remplir  les  devoirs  de  chrétien. 
Exhortait  M...  en  un  saint  entretien. 
M...  combat.  Il  raisonne,  il  résiste. 
L*abbé  dévot  lui  réplique^  il  insiste 
Eu  rappelant  incrédule,  payen. 
Iconoclaste,  illuminé,  déiste, 
Et  philosophe,  et  matérialiste. 
Sceptique  obscur,  ardent  VoUairien. 
Pour  couper  court  à  cette  longue  liste 
M...  repart  :  Va,  je  te  dirai  bien 
Ce  que  je  suis,  mais  au  moins  n'en  dis  rien. 
Je  suis  athée  et  de  plus  Janséniste. 

Comme  le  général  s'est  essayé  à  peu  près  dans 
tous  les  genres,  il  a  fait  aussi  de  la  poésie  des- 
criptive. Il  a  chanté  la  fontaine  de  Vaucluse  et 
décrit  les  beautés  pittoresques  de  la  Sainte-Baume, 
mais  sans  beaucoup  de  naturel. 


—  456  — 

Au  sein  de  la  Provence,  et  loin  de  ces  vergers 
Oîi  croissent  pleins  d'orgueil  déodorants  orangers. 
D'une  chaîne  de  rocs  les  masses  escarpées, 
D'aplomb  par  la  nature  en  cent  lieux  recoupées, 
D'un  diadème  horrible  entourent  les  sommets 
D'une  montagne  aride  et  peu  chère  à  Gérés. 


Nous  ne  parlons  que  pour  mémoire  de  ses  can- 
tiques.à  saint  Pothin,  le  patron  de  Varages,  et 
de  ses  poésies  provençales.  En  résumé,  s*il  n^avait 
eu  pour  le  recommander  à  la  postérité  que  son 
talent  poétique,  il  serait  depuis  longtemps  oublié. 
Ses  contemporains  d'ailleurs  paraissent  ne  l'avoir 
goûté  que  médiocrement,  car  nous  avons  retrouvé 
dans  les  réserves  d'une  librairie  dijonnaise  l'é- 
dition presque  tout  entière  de  ses  Heures  de  loisir. 
Au  moins  le  général  dut-il  à  son  commerce  avec 
la  Muse  la  tranquillité  de  ses  derniers  jours,  et 
quand  il  mourut  à  Nuits,  le  14  décembre  1828, 
il  s'éteignit  paisiblement,  entouré  de  ses  parents 
et  de  ses  amis,  et  le  sourire  aux  lèvres. 

Une  suprême  injustice  était  réservée  à  sa  mé- 
moire. Son  nom  fut  oublié  parmi  ceux  des  dé- 
fenseurs de  la  France  qui  furent  inscrits  sur  l'arc 
de  triomphe  de  l'Etoile.  Etait-ce  oubli  ou  mala- 
dresse ?  Etait-ce  plutôt  rancune  persistante  de 
quelque  bureaucrate  ?  On  ne  sait,  mais  Gassendi 
méritait  un  autre  traitement.  Voici  la  belle  lettre 
qu'écrivit  à  ce  sujet,  le  10  janvier  1843,  au  mi- 


—  457  — 

nislre  de  la  guerre,  maréchal  SouU,  le  gendre  de 
Gassendi,  Marey(l)  : 

«  Parmi  les  noms  des  ofûciers  généraux  dont  8*honore  la 
France  et  que  la  reconnaissance  publique  a  gravés  sur  Tare 
de  triomphe  de  TEtoile,  il  en  est  un  qui  a  été  omis  eî  qu'il 
me  sufGra  de  rappeler  à  Votre  Excellence  pour  obtenir 
la  réparation  de  cet  oubli.  C'est  celui  du  comte  de  Gassendi, 
pair  de  France,  lieutenant-général  des  armées  du  roi,  mort 
depuis  quatorze  ans,  chargé  pendant  les  glorieuses  cam- 
pagnes de  l'Empire  de  la  direction  de  l'artillerie  au  minis- 
tère de  la  guerre.  Le  souvenir  des  grands  services  qu'il  a 
rendus  est  encore  présent  à  tous,  et  un  de  ses  ouvrages  est 
resté  jusqu'à  ce  jour  le  guide  indispensable  de  tous  les  offi- 
ciers de  son  arme.  Gendre  du  général  Gassendi  dont  j'ai 
épousé  la  fille  unique,  je  croirais  manquer  à  un  devoir 
sacré  si  je  tardais  davantage  à  revendiquer  pour  un  nom 
associé  à  toutes  les  gloires  de  la  France  l'honneur  qui  lui 
appartient  à  tant  de  titres  de  prendre  place  parmi  ceux  de 
ses  compagnons  d'armes.  Je  ne  doute  pas  que  Votre  Excel- 
lence ne  prenne  en  considération  la  réclamation  que  j'ai 
l'honneur  de  lui  adresser  et  ne  donne  les  ordres  nécessaires 
pour  qu'il  y  soit  fait  droit.  » 

La  réclamalion  était  juste,  et  la  lettre  parvint 
à  son  adresse  caria  mention  ci-après  a  été  écrite 
en  travers  et  en  tôle  de  la  lettre  de  Marey  :  «  Le 
nom  du  général  Gassendi  aurait  dû  être  écrit  Tun 
des  premiers  sur  Tare  de  triomphe  de  l'Etoile,  et  je 
regrette  vivement  l'oubli  qui  en  a  été  fait-  Exa- 
minez de  nouveau  s'il  n'y  aurait  pas  moyen  de 
réparer  cette  omission.  » 

(I)  Dossier  Gassendi,  q<>  Î&,  pièce  1 . 


—  458  — 

L'examen  ne  fui  pas  favorable,  ou  plutôt  la 
routine  bureaucratique  remporta  une  nouvelle 
victoire.  Certes  rien  n'était  plus  facile  que  de 
trouver  une  place  sur  cette  immense  page  de 
pierre  pour  y  inscrire  le  nom  glorieux  de  Gas- 
sendi, mais  il  aurait  fallu  que  quelque  chef  de 
bureau  reconnût  son  erreur  :  ce  qui  eût  été  per- 
dre la  France.  Il  est  regrettable  que  de  son  côté 
Soult  ne  soit  pas  directement  intervenu  pour  im- 
poser sa  volonté,  et  faire  rendre  justice  à  son  an- 
cien compagnon  d'armes.  Voici  en  effet  la  lettre 
qu'il  adressa  à  Marey,  et  que,  nous  aimons  à  le 
croire  pour  sa  bonne  renommée,  il  signa  sans  la 
lire  (1)  : 

Paris,  21  janvier  1843,  Monsieur,  vous  m'avez  fait  l'hon- 
neur de  m'écrire  le  10  de  ce  mois,  dans  le  but  d'obtenir  que 
le  nom  de  M.  le  Lieutenant-Général,  comte  de  Gassendi, 
votre  beau-père,  soit  inscrit  sur  l'arc  de  triomphe  de  l'Etoile. 
La  Commission  que  j'avais  instituée,  pour  examiner,  sous  la 
présidence  de  M.  le  Maréchal,  duc  de  Reggio,  toutes  les  ré- 
clamations de  la  nature  de  la  vôtre  ayant  depuis  longtemps 
terminé  son  travail,  et  la  liste  d'inscription  ayant  été  close 
par  défaut  d'espace  sans  que  le  nom  de  M.  votre  beau-père 
y  fût  compris,  je  me  trouve  maintenant,  à  raison  de  cette 
circonstance,  dans  l'impossibilité  absolue  d'accueillir  votre 
demande.  J'éprouve  d'autant  plus  de  regrets  à  cet  étal  de 
choses  que  les  brillants  états  de  service  de  M.  le  Lieutenant- 
Général  comte  de  Gassendi  donnent  à  cette  réclamation  un 
intérêt  tout  particulier.  » 

(I)  Dossier  Gassendi,  n^  25,  pièce  2. 


—  459  — 

Inscrit  ou  non  sur  Tare  de  triomphe  de  l'Etoile, 
lo  nom  de  Gassendi,  espérons-le,  ne  sera  pas  ou- 
blié par  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  Thisloire  de 
leur  pays,  et  savent  rendre  à  ses  serviteurs  la 
justice  que  parfois  refusent  les  contemporains. 

Paul  Gaffarel. 


LE  CODE  HAMMOURABI 


LE  GODE  HAMMOURABI 


On  sait  quels  trésors  d*art,  d'archéologie  et 
d'hisloire  a  livrés  Tancienne  capitale  de  la  mo- 
narchie perse,  Suse,  si  bien  fouillée  par  M,  et 
M°^*  Dieulafoy,  puis  par  M.  Morgan  ;  c'est  là  une 
conquête  toute  française  et  comme  produits  de  la 
civilisation  archéménide,  les  plus  riches  musées 
européens  réunis  ne  pourraient  rien  montrer  de 
comparable  à  cette  frise  en  briques  émai liées 
qui  fait  revivre  au  Louvre  les  archers  mèdes 
vaincus  par  les  Hellènes  à  Marathon,  à  Platées, 
à  Issus  et  à  A  rbelles.  Ajoutons  que  la  mise  au  jour 
des  ruines  ensevelies  de  ce  que  fut  T  Acropole  de 
Suse,  a  permis  aux  explorateurs  de  constater 
l'exactitude  parfaite  du  cadre  où  se  passent  les 
événements  du  Livre  d'Esther.  Pendant  long- 
temps les  exégètes  avaient  fait  assez  bon  marché 
de  celui-ci  au  point  de  vue  de  la  couleur  locale  ; 
eh  bien,  tout  au  contraire,  d'après  M.  Dieulafoy, 
V Acropole  de  Suse^  ch.  xiii.  p.  359,  et  M"®  Jane 
Dieulafoy  — A  propos  d^une  ville  détruite  —  Re- 
vue  Blette,  4°  série,  tome  XIII,  9  août  1902, 
le  récit,  la  Meghillah  d'Esther,  présente  un  ta- 


—  464  — 

bleau  parfaitement  exact  delà  cour  des  Grands 
Rois,  telle  qu'on  la  peut  restituer  d'après  les 
preuves  formelles  fournies  par  le  sol. 

Mon  objet,  d'ailleurs,  n'est  pas  de  traiter  ici  cet 
épisode  dont  la  poésie  et  l'art  ont  si  souvent  tiré 
parti,  mais  puisque  j'en  ai  dit  un  mot,  je  rappel- 
lerai que  l'histoire  de  la  juive  Hadassah  (Myrlhe), 
qui,  selon  l'usage  immémorial  de  TOrient,  recevra, 
en  témoignage  de  la  faveur  royale,  le  nom  d'Es- 
ther  ou  Etoile,  se  doit  placer  au  retour  de  la  se- 
conde guerre  médique.  Ainsi  l'Assuerus  de  la 
Bible  est  Xerxès  ;  la  démonstration  faite  depuis 
longtemps  déjà  par  M.  Oppert  ne  rencontre  plus 
aujourd'hui  de  contradicteurs.  Et  puisque  le 
nom  du  vaincu  de  Salamine  se  rencontre  sous  ma 
plume,  je  dirai  que  Xerxès  ne  rentra  certai- 
nement pas  à  Suse  dans  l'état  de  désarroi  éperdu 
et  ridicule  que  nous  montre  Eschyle  dans  sa  tra- 
gédie des  Perses^  revanche  poétique  d'Athènes 
et  de  la  Grèce,  et  vraie  comme  une  pièce  de  cir- 
constance. Des  mois  s'étaient  écoulés  depuis  la 
grande  défaite  du  19  octobre  480  avant  Jésus- 
Christ,  et  dans  la  lente  traversée  de  son  empire 
Xerxès  eut  le  temps  d  oublier  ses  revers  ;  n'avail- 
il  pas  pris  et  brûlé  Athènes,  la  ville  coupable  ? 
n'en  rapportait-il  pas  comme  trophées  de  vic- 
toire les  images  des  Dieux  et  les  statues  d'Har- 
modius  et  d'Aristogiton  ?  Son  voyage  se  trans- 
forma bientôt  en  un  long  triomphe  et  c'est  en 


—    465    -r 

vainqueur,  en  invincible  qu'il  rentra  dans  son 
harem  de  Suse. 

Mais  Xerxès  est  presqu'un  personnage  mo- 
derne si  nous  le  rapprochons  du  souverain  à 
qui  est  dû  le  monument  dont  je  vais  entretenir 
l{ji  Société  bourguignonne  de  géographie  et 
d'histoire.  Il  s'agit,  en  effet,  d'un  roi  contem- 
porain d'Abraham,  c'est-à-dire  ayant  vécu  plus 
de  2000  ans  avant  l'ère  chrétienne,  en  vérité  ce 
passé  lointain  est  presque  aussi  imprécis  que  celui 
des  périodes  géologiques  ;  il  se  nommait  Ham- 
mourabi,  que  plusieurs,  enlreautresleD'Johannes 
Jérémias,  dont  je  vais  avoir  à  parler,  identifient 
volontiers  avec  le  Amraphel  cité  comme  un  roi 
de  Sennaar  dans  la  Genèse,  ch.  xiv,  verset  1. 
Plusieurs  inscriptions  babyloniennes  déjà  déchif- 
frées montrent  en  lui  un  prince  prudent  et  sage 
qui  réunit  dans  un  grand  empire  le  nord  elle  sud 
de  la  Babylonie,  c'est-à-dire  le  bassin  entier  de 
TEuphrate  et  du  Tigre.  Il  avait  promulgué  un 
code  de  lois  civiles  et  pénales  dont  le  texte  ori- 
ginal et  officiel  gravé  sur  une  stèle  était  con- 
servé dans  la  ville  sainte  de  Sippar,  aujourd'hui 
Abou-Hadda.  Mais  à  la  suite  d'une  invasion  vic- 
torieuse des  Elamites  ou  Perses,  probablement 
celle  qui  amena  la  conquête  de  la  Babylonie 
par  Cyrus,  538  avant  Jésus-Christ,  la  pierre 
fut  transportée  comme  un  trophée  de  guerre  à 
Suse,  où  vient  de  la  retrouver  la  mission  Morgan. 

33 


—  466  — 

Cette  stèle  présente  sar  deux  colonnes  el  en 
182  articles  gravés  en  caractères  cunéifonnes,  le 
texte  du  code  promulgué  par  Hammourabî  ;  dans 
la  partie  supérieure,  un  bas-relief  de  ce  travail 
à  la  fois  vrai  et  stylisé  que  nous  ont  rendu  fa- 
milier les  morceaux  exhumés  de  Ninive,  montre 
le  roi  debout  et  recevant  ses  lois  du  dieu  Samas 
assis.  C'est  là  sans  aucun  doute  une  des  plus  an- 
ciennes sculptures  dues  à  l'art  non  égyptien. 
Elle  est  reproduite  par  les  procédés  rigoureux 
dérivés  de  la  photographie  dans  V Illustration  al- 
lemandey  lllustrirte  Zeitung^  n°  du  26  fé- 
vrier 1903,  p.  311,  pour  accompagner  un  article 
signé  D^  Johannes  Jeremias,  intitulé  :  Der  ha- 
hylonische  MoseSj  le  Moïse  babylonien. 

J'ai  le  regret  de  constater  que  pas  un  journal 
illustré  français  n'a  encore  révélé  au  grand 
public,  par  la  plume,  le  crayon  ou  la  photo- 
graphie, le  documentde  premier  ordre  découvert 
parla  science  française.  Seules  des  revues  scien- 
tifiques l'ont  signalé  à  Tattention  des  érudits  et 
au  point  de  vue  de  la  vulgarisation,  ce  n'est  pas 
assez  ;  ainsi  c'est  à  une  publication  étrangère 
el  en  langue  étrangère,  qu'il  a  fallu  demander  le 
premier  renseignement  populaire  sur  un  fait  tout 
à  l'honneur  de  la  France.  Et  si  je  suis  en  mesure 
d'en  parler  aujourd'hui,  je  le  dois  à  M.  Alexandre 
Ribot,  professeur  honoraire  de  mathématiques 
spéciales  au  lycée  Carnet,  qui,  après  m'avoir  in- 


—  467  — 

diqué  Tarticle  de  VlUustrirte  Zeitung,  a  bien, 
voulu  m'en  donner  une  traduction  ;  je  le  résume 
ici  en  le  complétant  par  quelques  références  à 
des  sources  françaises  et  étrangères. 

La  découverte  a  eu,  en  effet,  un  grand  reten- 
tissement dans  le  monde  européen  de  l'érudition. 
Le  P.  Scheil  a  publié  et  traduit  le  code  Hammou- 
rabi  dans  les  Mémoires  de  la  Délégation  en  Perse ^ 
t.  IV,  Textes  élamites-sémitiques.  M.  Dareste 
l'a  commenté  avec  sa  science  ordinaire  dans  le 
Journal  des  Sat^an/^,  octobre-novembre  1902; 
enfin  le  R.  P.  Lagrange  Ta  étudié  dans  la  Revue 
biblique  internationale  y  nP  de  janvier  1903.  A 
l'étranger,  outre  Tarticle  du  D'^  Johannes  Jere- 
mias,  M.  Hugo  Winckler  Ta  traduit  en  alle- 
mand dans  la  revue  Vieil  Orient.  Die  Gesetze 
Hammurabis  Konigs  von  Babylon  um  2250 
V.  Cfir.  Das  aelteste  Gesetzbuch  der  Welty  Leip- 
zig, Heinrichs.  On  voit  que  M.  Winckler  vieillit 
plutôt  le  code  babylonien  ;  mais  quoiqu'il  en  soit 
des  incertitudes  de  la  chronologie,  il  est  incon- 
testablement antérieur  à  Moïse  de  plusieurs  cen- 
taines d'années.  Aussi  Fauteur  allemand  consi- 
dère-t-il  la  législation  de  Hammourabi  comme 
le  texte  le  plus  ancien  que  nous  connaissions 
jusqu'aujourd'hui  en  ce  genre,  et  ajoute  que  c'est 
un  des  monuments  les  plus  importants  pour  l'his- 
toire de  la  plus  lointaine  humanité  historique. 
Cette  opinion  est  aussi  celle  de  M.  Salomon  Rei- 


-   468  — 

nach,  Revue  archéologique,  IV  série,  1. 1,  p.  30îî  : 
«  Les  analogies  avec  la  législation  mosaïque  sont 
frappantes,  d'autres  rapprochements  avec  les  lois 
de  Manou,  celles  de  Gortyne,  etc.,  ont  été  signa- 
lés par  M.  Daresle.  On  peut  prédire  que  toute 
une  littérature  se  développera  autour  de  cette 
trouvaille  qui  à  elle  seule  suffirait  à  la  gloire  de 
notre  mission  archéologique  en  Perse.  » 

Le  D^  Johannes  Jeremias  constate  lui  aussi  ces 
analogies  avec  la  loi  mosaïque,  notamment  avec 
le  groupe  de  celles  qui  ont  été  rassemblées  dans 
VExodey  ch.  xxi  et  suivants.  Ainsi  la  loi  du  ta- 
lion, qui  est  formulée  dans  les  versets  24  et  25, 
se  retrouve  presque  mot  pour  mot  dans  le  texte 
babylonien  :  «  Si  quelqu'un  arrache  un  œil  à 
son  prochain,  on  doit  en  punition  lui  arracher 
un  œil.  Si  quelqu'un  brise  un  os  à  quelqu'un, 
on  doit  aussi  lui  rompre  un  os;  si  quelqu'un  a 
brisé  une  dent,  on  doit  lui  en  casser  une.  »  N'est- 
ce  pas  exactement  V  «  œil  pour  œil,  dent  pour 
«  dent,  main  pour  main,  pied  pour  pied  »,  du 
verset  24  ? 

Mais  il  y  a  autre  chose  dans  le  code  Hammou- 
rabi  que  la  consécration  du  principe  sauvage  et 
primitif  du  talion,  si  justement  reproché  à  Moïse. 
Tous  ceux  qui  ont  étudié  le  documeift  découvert 
ont  admiré,  le  mot  n'est  pas  trop  fort,  la  profon- 
deur et  la  justesse  des  idées,  l'accord  entre  les 
principes  généraux   et  les  dispositions  parlicu- 


—  469  ^ 

lières  qui  en  découlent  logiquement,  la  concision, 
enfin,  et  la  netteté  du  style.  Dans  sa  rédaction 
concentrée,  ce  code  embrasse  vraiment  le  domaine 
entier  de  Tactivité  humaine,  le  commerce,  les 
échanges,  le  droit  privé  et  le  droit  pénal;  on  y 
rencontre,  formulées  au  nom  de  la  divinité,  les 
plus  terribles  menaces  conire  les  criminels  de 
toute  sorte,  les  voleurs,  les  calomniateurs;  puis 
ce  sont  des  articles  relatifs  aux  champs,  aux  fer- 
mages, aux  habitations,  au  louage,  aux  forêts,  à 
la  navigation  très  intensive  à  cette  époque  sur 
les  deux  grands  fleuves  asiatiques  et  les  canaux 
créés  par  les  mains  de  l'homme  qui  sillonnaient 
en  tous  sens  une  plaine  aussi  féconde  que  le  delta 
du  Nil.  Enfin,  voici  des  dispositions  relatives 
au  droit  des  vierges,  des  filles,  des  femmes,  môme 
des  esclaves.  Nous  avons  donc  là  révocation  en- 
tière, vivante,  d'une  société  active,  très  civilisée, 
très  complexe  dans  son  organisation  et  vieille  de 
plus  de  quatre  mille  ans.  Il  est  bien  évident 
qu'une  législation  aussi  parfaite  n'est  pas  Tœuvre 
d'un  seul  homme  ni  môme  d'une  seule  période, 
mais  l'addition  d'un  grand  nombre  de  faits  accu- 
mulés et  de  conquêtes  lentement  faites  sur  le  ter- 
rain du  droit.  Le  conseil  d'Etat  de  Hammourabi 
no  fit  donc  que  codifier  ce  qui  existait  à  l'état 
d'usages,  en  l'améliorant  sans  aucun  doute  par 
l'efTet  des  deux  grands  facteurs  qui  agissent  sur 
les  choses  humaines,  la  raison  et  l'expérience, 


~  470  — 

en  y  meltant  aussi  le  sceau  de  l'unité  et  de 
l'harmonie.  Pour  rendre  enfin  son  œuvre  plus 
respectable,  le  roi  lui  donna  une  origine  sacrée. 

Ceux  qui  ont  étudié  le  code  Hammourabi  en 
ses  détails  constatent  que  dans  leurs  principes, 
ces  lois  édictées  par  un  souverain  régnant  à  Ba- 
bylone  au  temps  du  premier  des  patriarches 
bibliques,  présententdesingulières  analogiesavec 
les  nôtres.  Ne  nous  en  étonnons  pas.  Un  peuple 
qui  avait  exécuté  dans  le  bassin  de  TEuphrale 
et  du  Tigre  les  immenses  travaux  d'architecture, 
d'irrigation  et  d'agriculture  qui  y  ont  subsisté 
pendant  une  longue  suite  de  siècles,  était  arrivé 
nécessairement  à  un  niveau  supérieur  de  civili- 
sation générale  et  dont  l'expression  la  plus  haute, 
la  plus  sensible  fut  un  art  achevé  qui  égale  celui 
de  TEgypte.  Or,  Tétat  de  société  comporte  des 
contacts,  des  rapports  nécessaires  des  hommes 
entre  eux  et  avec  les  choses,  qui  peuvent  bien 
varier  sur  certains  points  d'application,  surtout 
à  raison  des  modalités  du  travail,  mais  n'en  de- 
meurent pas  moins  sensiblement  identiques  dans 
le  cours  des  siècles,  parce  qu'ils  reposent  sur  les 
conditions  mômes  où  s'exercent  les  facultés  de 
l'homme.  C'est  pour  cela  que  dans  l'espace  et  la 
durée  se  reproduiront  sans  cesse  et  partout  des 
faits  aussi  semblables  que  Test  la  constitution 
physique  et  morale  de   l'homme. 

Maintenant  quelle  part  faut-il  faire  à  la  filia- 


-  471  — 

lion  des  idées  ?  Quelle  autre  à  cette  loi  de  paral- 
lélisme, qui,  dans  les  milieux  les  plus  divers, 
fait  éclore  des  phénomènes  sociaux  de  même 
ordre  et  de  même  présentation  historique  ?  Ce 
sont  là  de  ces  questions  sur  lesquelles  on  aura 
sans  doute  le  plaisir  de  discuter  longtemps^  si  ce 
n'est  toujours.  On  a  appelé  le  droit  romain,  le 
«  droit  humain  »;  n'en  concluons  pas  pour  cela 
qu'il  fut  une  création  spontanée,  proies  sine 
maire  creata,  du  génie  pratique  et  fort  peu 
idéaliste  de  Tancienne  Rome.  Derrière  celle-ci, 
nous  apercevions  déjà  Athènes  et  la  philosophie 
grecque,  et  plus  loin  soupçonnions  la  vieille 
Egypte  et  la  Phénicie.  Mais  voici  que  dans  le  re- 
cul infini  de  l'espace  et  du  temps,  apparaît,  au- 
jourd'hui reconnaissable  dans  ses  contours  précis, 
cette  abstraction  éternelle  qui  est  le  droit  d'hier, 
celui  d'aujourd'hui,  celui  de  toujours,  attestant 
ainsi  qu'il  n'y  a  pas  plus  deux  droits  qu'il  n'y  a 
deux  morales  et  deux  justices. 

Henri  Chabeuf. 

Mai  1903. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Lîsle  des  Membres  de  la  Sociélé v 

Actes  de  la  Sociélé.  Extraits  des  procès- verbaux     .    xxxii 

Promenades  valaisanes  (1902),  par  M.  le  vicomte 
A.  d*Avout 1 

Notes  sur  le  sud  et  l'extrême  Sud  Oranais,  par 
M.  Ladey  de  Saint-Germain 39 

Promenades  dans  Florence,  par  M.  Rosen thaï     .     .         79 

Histoire  de  ce  qui  s'est  passé,  au  mois  de  novembre 
1674,  en  lacuredeMailly-rEglise,  touchant  Tappa- 
rition  d'un  esprit,  dressée  par  moi  Edme-£douard 
Sain,  maître  d  école  dudit  lieu,  par  Tordre  du 
révérend  père  Legrand,  de  la  compagnie  de  Jésus.       121 

Le  climat  de  Dijon ^  Observations  météorologiques,  . 
par  M.  Charles  Mocquery 133 

Deux  semaines  en  Espagne,  par  M.  Honoré  Gascon.       177 

Les  Beaujeu  de  Franche- Go  m  lé,  dans  le  duché  de 
Bourgogne,  TAuxerrois,  le  Tonnerrois,  la  Cham- 
pagne, etc.,  par  M.  le  docteur  J.  Berlin.     .     .     .       2il 

Le  général  de  Gassendi,  par  M.  Paul  Gafifarel     .     .       385 

Le  Code  Hammourabi,  par  M.  Henri  Chabeuf    .     .       461 


DIJON,  IMPRIMBRIB  DABANTIERB 


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STANFORD  UNIVERSITY  LIBRARIES 
STANFORD,  CAUFORNIA    94305