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MÉMOIRES
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SOCIETE BOI]RGI]|fiNONNi
GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE
W\A.VS.'V^
TOME XIX
DIJON
IMPKIMEHIE DAKANTIEKE
65, RUE CHABOT-nHARNV, 63
1903
MÉMOIRES
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SOCIETE BOURGUIGNONNE
GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE
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MEMOIRES
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GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE
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TOME XIX
DIJON
IMPRIMERIE DARANTIERE
65, RUE CHABOT-CHARNY, 65
1903
LISTE
DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
COMPOSITION DU BUREAU
POUR l'annbb 4903
Présidents honoraires : MM. Muteau (Charles), conseiller hono-
raire à la Cour d'appel de Paris ; Gaffarel^ professeur à la Faculté
des lettres d'Âiz.
Pi'ésidenl : M. Ouvert, professeur au Lycée de Dijon.
Vice- Présidents : MM. Chabkup, président de I* Académie de Dijon
et vice-président de la Commission départementale des Anti-
quités; MocQUBRY, Ingénieur en chef des ponts et chaussées,
élus pour trois ans le 44 décembre 1900.
Secrétaire général: M. Cornbreau, juge suppléant.
Secrétaires : MM. Pierre Hdgdbniii, avoué à la Cour d'appel et
Drioton, rue Saint-Philibert, 23.
Trésorier : M. Pbrronse, ancien Conseiller de Préfecture.
Archiviste-bibliothécaire : M. Mercier, rue Jean-Jacques-Rous-
seau, 78; tous élus pour un an, le 42 décembre I90i.
COMITÉ DE PUBLICATION
Ce comité est composé des membres du bureau et de dix socié-
taireâ élus. Voici les noms de ces derniers pour l'année 4903 :
MM.
AvouT (vicomte Auguste d*), ancien magistrat, membre de l'Aca-
démie de Dijon et de la Commission départementale des Anti-
quités;
CuNT, receveur principal des postes en retraite ;
DuMAT, ancien magistrat, membre de la Commission départemen-
tale des Antiquités;
FouRiER (Guillaume), dessinateur au chemin de fer, associé résidant
de la Commission départementale des Antiquités ;
— VI —
HuGUENiN (Anatole), membre de rAcadémie de Dijon et de )a Com-
mission départementale de.^ Antiquités;
Jobard, imprimeur;
Ladbt de Saint-Gehmain;
LoRY, ancien avoué, membre de la Commission départementale des
Antiquités ;
MosER, négociant en vins, Consul de Suisse.
N.
MEMBRES HONORAIRES
MM.
Dassot (Léon), général d'état-major au service géographique de
Tarmée, conseiller général, à Paris.
Binger, directeur des affaires africaines au ministère des colonies,
45, rue Prony, è Paris.
Cotteau (Edmond), voyageur et écrivain.
Debize (le colonel), secrétaire de la Société de géographie de Lyon.
Faucon (Narcisse), publiciste, rue Saint- André-des- Arts, Paris.
Foncin, inspecteur général de l'enseignement secondaire.
Gravier, président de la Société de Géographie de Rouen.
Harmand, ministre plénipotentiaire au Japon.
Houben (le baron de), consul du Pérou, à Alger.
Lubawski (le comte de), à Saint-Pétersbourg.
Ly-Chao-pee, mandarin de 4e classe, 7, rue Roussin, Paris- Vau-
girard.
De Mahy, député de la Réunion, à Paris.
Martel (E.-A.), agréé près le Tribunal de commerce de la Seine,
à Paris.
Marcou (Jules), professeur à l'Université de Cambridge.
Moncelon, délégué au Conseil supérieur des colonies, à Paris.
Prudent (Ferdinand), lieutenant-colonel du génie, au service géo-
graphique de l'armée, à Paris.
Suite (Benjamin), à Ottiwa (Canada).
Yung (le P.), Supérieur des Pionniers africains.
Zeppelin (comte Eberhardt de), au château d'Ebersberg, canton
de Thurgovie (Suisse).
LISTE
ALPHABÉTIQUE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ
AU !•«• AODT 1903
Nota. — La date inscrite en regard de chaque nom est celle de l'admission
dans la Société. La lettre F indique le tiire de membre fondateur de la Société
qui a été conslitaôe dans la séance du 6 mat 1881.
48 février 1885.
14 avril 1899.
18 novembre 188t.
14 décembre 1900.
F. 6 mai 1881.
14 janvier 1885.
Udécombre 1894.
10 mai 4889.
11 janvier 1895.
F. 6 mai 1881.
MM.
Âbadie (François), propriétaire, boulevard
Thiers, 25, à Dijon.
Allenbach, chef d'exploitation des Tram-
ways départementaux do la Côte-d'Or,
boulevard Sévigné, Dijon.
Amiot (Victor)^ maire de Sainte-Marie, à
Pont-de-Pany (Côte-d'Or).
Anot, sous-intendant mrlilaire en retraite,
conseiller municipal, rue Jean-Jacques-
Rousseau, 78^ à Dijon.
Arbioet (Simon), juge de paix, place de la
République, 2, à Dijon.
Artaud (Théodore), greffier de justice de
paix, 1, place du Palais, à Dijon.
Autume (Alfred d')^ rue Jeannin, 32^ à
Dijon.
Avout (vicomte Augusto d'), ancien magis-
trat, membre de l'Académie de Dijon et
de la Commission départementale des
Antiquités, rue de Mirande, 14, à Dijon.
Azan (Paul), lieutenant d*état-major, 6>
place du Palais-Bourbon, à Paris.
Bailly (Ernest), doyen de la Faculté de
Droit, cours du Parc, 8, à Dijon.
VIII —
27 décembre 1881.
9 juin 1893.
H juin 1897.
8 juillet 1885.
10 juin 1883.
9 juin 1893.
12 décembre 1883.
10 mars 1893.
9 mars 189i.
10 février 1886.
9 mai 1902.
8 avril 1892.
12 janvier 1900.
12 janvier 1900.
20 avril 1882.
10 décembre 1897.
9 février 1894.
8 juin 1891.
MM.
Balland (M"*), in>titu(ricc, à Meursault
(r^ôle-d'Or).
Barthélémy (Adolphe), instituteur, à ('.ho-
vigny-Fénay, par Gevrey-Chambertin
(Côle-d'Or).
Basl (de), ancien magistrat, rue James-
Demontry, à Dijon.
Bauiïremont (prince duc de), rue de Gre-
nelle-Saint-Germain, 87, à Paris.
Beauvois (Eugène), membre do plusieurs
sociétés savantes, à Corberon (Côte-d'Or).
Bolime (Henri), propriétaire, rue Jeannin,
45, à Dijon.
Bergeret (Emile), marbrier-sculpteur, cor-
respondant de la Commission départe-
mentale des Antiquités, à Nuits (Côle-
d'Or).
Bergery, instituteur, à Pouilly-sur- Saône
(Gôte-d'Or).
Berlier (comte), avocat à la Cour d'appel,
boulevard Carnot, 25, Dijon.
Berlin, docteur en médecine, quai Saint-
Esprit, à Gray.
Bertrand, photographe, rue Chabot-Charny.
Bibliothèque (La) populaire de Nuits.
Bibliothèque (La) populaire de Gevrey-
Chambertin (Côle-d'Or).
Bibliothèque (La) populaire de Talmay
.'Côte-d Or).
Biltiet, professeur à l'Ecole normale pri-
maire, à Auxerre (Yonne).
Bizouard (l'abbé), curé de la cathédrale,
place Saint- Bénigne, à Dijon.
Blagny (Charles), président du tribunal de
Libreville (Congo), à Spoy (Côle-d'Or).
Blaudin-Valière, licencié ès-letlres, boule-
vard Carnot. 42, à Dijon.
— IX —
4 3 janvier 1893.
U janvier 4898.
40 mat 1901.
2 avril 4884.
44 janvier 4904.
40 janvier 1896.
40 juin 4892.
9 février 4887.
40 naars 4899.
44 décembre 4 394.
49 avril 4904.
F. 6 mai 4881.
40 janvier 4896.
9 janvier 4903.
42 mai 4899.
8 décembre 4899.
43 février 4884.
44 juin 4884.
5 février 4897.
MM.
Blondel (Rdouard), notaire^ rue Chabot-
Charny, 32, à Dijon.
Bocquet (Léonce), négociant en vins à Sa-
vigny-les-Beaune (Côle-d'Or).
Bonin^ chef de bureau des constructions de
la C>e P.-L.-M., 98, rue d'Alésia, Paris.
Bordot (Jacques), commis greffîer à la Cour
d'appel, 4 bis, rue Docteur- Maret, à
Dijon.
Bouillot (Victor), instituteur à Braux, par
Pont-Royal (Côtc-d'Or). .
Bouret, négociant à Plombières- les-Dijon.
Bourgeot (François), instituteur à Nuits-
Saint-Gcorges (Côte* d'Or).
Bouriier, instituteur à Marcilly-Ogny, par
Pouilly-en-Auxois.
Bouteltier, directeur de TEcole des Beaux-
Arls, cour de Bar, Dijon.
Boyenval (Charles), place Saint- Jean, 4.
Breton (Albert], docteur-médecin, place
Darcy, Dijon.
Dreuil (Philippe), négociant, rue de la Pré-
fecture. 3, à Dijon.
Breyne (de), colonel, place Darcy, 47,
Dijon.
Broussolle (Docteur), rue Jean-Jacques-
Rousseau, 409, Dijon.
Bruey, instituteur, à Minot (Côte-d*Or).
Bruley, instituteur, à Piombières-les-
Dijon.
Buguet (Alphonse), meunier, à Til-Chfitel
(Côte-dOr).
Bulon (Bernard), propriétaire, impasse
Saint- Michel, 2, à Dijon. *
Burot, directeur de l'Ecole normale des
instituteurs de Dijon, rue des Moulins,
Dijon.
MM.
9 décembre f 898. Cagne^ instituteur, à Arrans (Côte-d*Or).
40 mai 1895. Carnot (Ernest), à Paris, 64, avenue dléna.
8 février 1895. Carnot (Sadi), capitaine au 39e de ligne, 21,
avenue de TAIma, Paris.
14 février 1896. Cazet (Isidore), instituteur^ correspondant
de la Commission des Antiquités, à Beu-
rizot (Côte-d'Or).
15 avril 1898. CerceuU (Georges), ex-agent de la O' d'as-
surance « le Phénix », rue Devosge, 60,
à Dijon.
10 février 1886. Chabeuf (Henri), président de l'Académie
de Dijon et vice-président de la Commis-
sion départementale des Antiquités^ rue
Legouz-Gerland, 5, à Dijon.
20 avril 1887. Chalmandrier (J.-E.)^ instituteur^ corres-
pondant de la Commission départemen-
tale des Antiquités, à Gilly-les-Vougeot
(Côte-d'Or).
9 juin 1893. Chambellan, instituteur, à Corcelles-les-
Cïteaux (Côte-d'Or). *
8 mai 1896. Chamoin (Albert), chef de bureau à la Pré-
fecture du Doubs, Besançon.
8 décembre 1886. Chapuis (Albert), négociant, rue Saint-Bé-
nigne, 11, à Dijon.
15 avril 1898. Charles, notaire honoraire, rue Vauban,21,
Dijon.
11 mars 1898. Châtain (François), instituteur, à Monloillot
(Côte-d'Or).
F. 6 mai 1881. Chaudouet (Arthur), architecte du départe-
ment, rue Charrue, 14, à Dijon.
21 février 1883. Chevalier, instituteur, à Larrey-Dijon.
12 juin 1896. Chevalier (l'abbé), missionnaire apostolique,
à Fixey (Côte-d'Or).
Ii lAai 1884. ' Choiset (Mme Alice), née Gros, institutrice,
à Til-Chûtel (Côte-d'Or).
14 mai 1897. Chomereau de Saint-André (le général de),
rue Jeannin, à Dijon.
— XI —
41 mars 4898.
44 juin 1889.
40 janvier 1896.
44 avril 1899/
42 février 4892.
9 juin 1893.
12 janvier 1894.
40 avril 1891.
48 février 1885.
44 janvier 4889.
44juin 1887.
13 février 1903.
40 décembre 1884.
40 janvier 1890.
M. M.
Chomton (l'abbé), aumônier de l'Hospice
Sainte-Ânne, membre de la Commission
départementale des Antiquités, rue du
Tillot, 6, Dijon.
Clément-Janin (Noël), avocat, boulevard
Montparnasse^ 23, à Paris.
Clerc, orthopédiste» professeur de gymnas-
tique au Lycée, rue Louis- Blanc, 5, à
Dijon.
Collard, ancien notaire, boulevard Thiers,
23, Dijon.
Collette (Alexandre), docteur en médecine,
rue Chabot-Charny, 71, à Dijon.
Collot (Louis), professeur à la Faculté des
sciences, membre de l'Académie de Di-
jon et de la Commission départementale
des Antiquités, rue du Tillot, i, à Dijon.
Collot (Charlei)^ instituteur^ à Vesvres-ïes-
Vitteaui (Côte-dOr).
Coquille (Justin), instituteur en retraite, à
Vougeot (Côle-d'Or).
Cornereau (Armand), juge suppléant au
Tribunal civil, membre de l'Académie de
Dijon et de la Commission départemen-
tale des Antiquités, rue Berbisey^ 3, à
Dijon.
Curot (Henri), notaire, correspondant de la
Commission départementale des Antiqui-
tés, à Savoisy (Côte-d'Or).
Coste, directeur régional d'assurances, rue
de la Liberté, 1, à Dijon.
Cottin, docteur -en médecine, rue Vauban,
12, à Dijon.
Coulbois, mstituteur, à Piehanges (Côtc-
d'Orj.
Coureau (Etienne), propriétaire, à Saint-
Remy, près Chalon (Saôneet-Loire).
— XII —
40 juin 4892.
43 mars 4896.
8 février 4893.
42 mai 4886.
43 mal 4892.
40 mars 4899.
43 janvier 4893.
F. 6 mai 4881.
49 avril 4904.
40 mai 490t.
4 4 décembre 4896.
44 juin 4 839.
44 juin 4889.
23 juin (882.
8 décembre 4886.
MM.
Court (Paul), négociant, associé résidant de
la Commission des Antiquités, rue De-
vosge, à Dijon.
Couturier (l'abbé Hippolyte), curé de Sainte-
Marie-sur-Ouche (Cô!e-d*Or).
Couvreux (Lucien), conseiller référendaire
à la Cour des comptes, rue de Suresne,
7, Paris et au Petit- Versailles, par Châ-
tillon-sur-Seine.
Cuny, receveur principal des postes, en re-
traite, rue Vannerie, 55, Dijon.
Daguin (Fernand), avocat à Ja Cour d'appel,
membre de l'Académie de Dijon, rue de
l'Université, 29, à Paris.
Damée, docteur-médecin, rue Amiral-Rous-
sin, Dijon.
Darantiere(Paul), notaire, place Saint-Jean,
47, à Dijon.
Darantiere (Victor), imprimeur, rueChabot-
Charny, 65, à Dijon.
Darantiere (Maurice), étudiant, 65, rue Cha-
bot-Charny, à Dijon.
Debrand, avocat, rue Chabot-Charny, 48, à
Dijon.
Defoug, directeur de l'enregistrement, des
domaines et du timbre, place Saint-
Pierre, Dijon.
Delimoges (Jules), propriétaire, à Pagny-lc-
Châleau (Côte-d'Or).
Demandre, pharmacien, place des Cordeliers,
à Dijon.
Demartinécourt, place du Château, au
fort de Romainville , par les Lilas
(Seine).
Démoulin, receveur principal des postes et
télégraphes, en retraite, 44 bis, rue du
Château, à Asuières (Seine).
XIII —
43 janvier 4886.
F. 6 mai 4884.
40 mars 4899.
40 mars 4893.
40 décembre 4897.
9 février 4899. ,
44 juin 4889.
44 janvier 4883.
43 janvier 4899.
48 novembre 4881.
42 mars 4884.
48 mars 4886.
42 décembre 4883.
8 mai 4891.
45 avril 4898.
43 janvier 4899.
P. 6 mai 4884.
MiM.
Deresse (Ernest), ancien négociant, rue Ver-
rerie, 37, à Dijon.
Deroye (Albert), docteur en médecine, di-
recteur de l'Ecole do médecine et de phar-
macie, rue Piron, 47, à Dijon.
Deroye, compo:$iteur de musique, rue Lon-
gepierre, Dijon.
Deschamps, ancien notaire, rue Buiïon, 27,
à Dijon.
Desfontaines, ingénieur, à Saict-Léger-sur-
Dheune (Saône-et- Loire).
Desgranges, ancien président du Tribunal
de commerce, place de la République, 49,
à Dijon
Desserteaux (Fernand), professeur à la Fa-
culté de droit, boulevard Carnot, à Dijon.
Détourbet (Edmond), ancien avocat-général,
29> rue de Lubeçk, à Paris»
Dézerville, agréé ani Tribunal de commerce,
65 bis, rue Chabot-Charny, à Dijon.
Dhiel (Ernest), avocat, avenue Matignon, 5,
à P.aris.
Dhuîssier, ancien instituteur, boulevard
Thiers, 45 bis, à Dijon.
Dorey (Auguste), capitaine en retraite, à
Plombières-les-Dijon.
Doudin (Antoine), ancien instituteur, à Cre-
cey, par Is-sur-Tille (Côle-d'Or).
Doyen (André), capitaine au 10^ cuirassiers,
83, boulevard du Nord, à Lyon.
Drioton (Clément), associé résidant do la
Commission départementale des Antiqui-
tés, rue Saint-Philibert, 23, à Dijon.
Drouhot, banquier, rue de la Liberté, 83, à
Dijon.
Duban, colonel d'infanterie en retraite, à
Flacey (Gôte-d'Or).
< 5 Janvier 1897.
U mars 1889.
13 janvier 1899.
8 juin 4900.
41 décembre 1896.
6 avril 1900.
9 janvier 1891.
1i avril 1899.
9 juillet 188i.
10 janvier 1896.
10 décembre 188i.
13 avril 1894.
5 février 1897.
'27 décembre 1882.
13 mars 1903.
12 mars 1884.
14 avril 188i.
14 janvier 1385.
12 mars 1887.
10 mai 1895.
MM.
Dubois (Hippolyle), ancien huissier, rue
Jeannin, à Dijon.
Dumay (Gabriel), ancien magistrat, membre
de TAcadémie de Dijon et de la Commis-
sion départementale des Antiquités, rue
du Petil-Potet, 20, à Dijon.
Dupuy, avoué à la Cour d*appel, boulevard
Carnot, 9, à Dijon.
Durnet, avocat, adjoint au maire de Dijon,
boulevard Sévigné, 14, Dijon.
Eisenmann, agrégé d'histoire, licencié en
droit, boulevard Sévigné, Dijon. •
Eugster, propriétaire, rueBerlier, 28, Dijon.
Faiveley, propriétaire, rue de Melz, 24, Dijon.
Farcy (Louis), instituteur à Noiron-sur-
Seine (Côte-d'Or).
Farkas, instituteur à Talant (Côte-d'Or).
Fauvart-Bastoul, commandant de dragons,
rue Vauban, 12, à Dijon.
Fernet, instituteur à Lux (Côte-d'Or).
Ferret (l'abbé), curé de Gémeaux (Côte-d'Or),
correspondant de la Commission des An-
tiquités.
Finot (Nicolas-Hippolyle), négociant en
vins, rue du Petit-Potet, à Dijon.
Flassayer, ancien proviseur, à Bourg (Ain .
Fonssard, docteur, rue Chancelier-l'Hôpilal,
Dijon.
Fontaine (Denis), entrepreneur de menui-
serie, rue des Roses, 9, à Dijon.
Fontaine (Honoré), agréé, rue Berbisey, 6,
à Dijon.
Fontaine (Paul), négociant, à Hanoï (Tonkin).
Fontbonne (Louis), négociant on vins, bou-
levard de Strasbourg, à Dijon.
Fougères, conseiller à la Cour d'appel, bou-
levard Carnot, 3, à Dijon.
XV —
42 mars 1884.
U juin 4889.
10 juin 1898.
2t mars 1883.
10 novembre 1893.
F. 6 mai 188t.
14 juin 1889.
10 janvier 1896.
8 février 1895.
13 décembre 1889.
23 juin 1882.
10 février 1886.
15 avril 1885.
18 février 1898.
F. 6 mai 1881.
MM.
Fourier (Guillaume), dessinateur au chemin
de fer^ associé résidant de la Commission
départementale des Antiquités, rue Le-
nôtre, 25, à Dijon.
Fournier (Auguste), entrepreneur, mairede
Dijon, rue de Mirande, 5, à Dijon.
Fournier (Louis), homme de lettres, place
Madeleine, à Beaune (Côte-d'Or).
Frossard (Edmond), directeur du Mont-dé-
Piété, rue de Mulhouse, à Dijon.
Gadeault, directeur de l'école supérieure de
commerce, rue Sambin, 27, à Dijon.
Gaffarel (Paul), professeur à la Faculté des
Lettres d'Aix, 28, Traverse du Chapitre,
à Marseille.
Galimard, industriel, à Flavigny (Côte-d'Or).
Garcenot (M"e Julie), ancienne institutrice,
chez M. Bolotte, rue de Mirande, à Dijon.
Gareau (fabbé Clément), directeur de l'ûlilu-
vre de la Jeunesse Ouvrière, rue Saint-
Lazare, 1 9, à Dijon.
Gariod (Charles), administrateur des ser-
vices civils en Indo-Chine.
Garnier (Hippolyte), avenue Victor-Hugo,
49, à Dijon.
Garnier (Noël), proviseur du Lycée du
Havre, correspondant de la Commission
des Antiquités de la Côte-d'Or.
Gascon (Richard-Edouard), conducteur-
voyer principal en retraite, correspondant
de la Commission départementale des An-
tiquités, à Fontaine-Française (Côte-d'Or).
Gascon (Honoré), pharmacien, à TArba
fAlgérie).
Gaulin-Dunoyer (Ernest), ancien Président
(le la Chambre de commerce, rue Saint-
Pierre, 14, à Dijon.
— XVI —
12 décembre 1883.
F.6maH88l.
44 juin 1884.
F. 6 mai 4^81.
43 décembre 4901.
2 avril 4884.
43 février 1903.
43 juin 4883.
.40 décembre 4884.
F. 6 mai 4884.
43 décembre 4895.
8 mai 4903.
49 avril 4901.
43 janvier 4899.
44 avril 4899.
9 janvier 4898.
9 mai 4888.
8 mars 4889.
MM.
Gaulhiot (Lazare-Claude), conseiller à la
Cour, rue Verrerie, 4, à Dijon.
Geley (M^'^^), institutrice, rue Saumaisc,
48, Dijon.
Gérault (Georges], négociant, rue do la
Liberté, 55, à Dijon.
Gibaux, ancien directeur de l'Ecole nor-
male, place d\Armes, 48^ à Dijon.
Gilardoni, conservateur des Eaux et Fordts,
boulevard de Brosses, 5, à Dijon.
Gillet (Joseph), agent général du Phénix,
22, rue de la Liberté, à Dijon.
Girardin, sous-ingénieur au chemin de fer,
20, rue Metz, à Dijon.
Goiset, instituteur, à Grancey-le-Chdtcau
(Côte- d'Or).
Goisset (Edmond), rue . Piron, 47, à
Dijon.
Govin (Auguste), professeur, cour de l'An-
cien-Evéché, 47, à Dijon.
Griess, inspecteur-adjoint des eaux et fo-
rêt.-', à Bourgoin (Isère).
Guichard, pharmacien, à Gray.
Guillin d'Avenas (de), propriétaire, place
Saint- Michel, 35, Dijon.
Guénois, agent général d'assurances, rue
de Suzon, 2, à Dijon.
Guéret [Edouard), conducteur de la C'^
P.-L.-M., Dijon.
Guillot, ancien pharmacien, rue Jeannin,
41, à Dijon.
Hamet (Donatien), inspecteur d'assurances,
boulevard Thiers, 5^ à Dijon.
Iluguenin (Anatole), ancien agréé, membre
de l'Académie de Dijon et de la Commis»
sion départementale des Antiquités^ rue
Jean-Jacques- Rousseau, 6i, à Dijon.
XVII
42 jaDTÎer 1893.
8 juin 4894.
'42 janvier 1887.
43 mars 4903.
9 décembre 1892.
45 avril 4898.
8 décembre 4893.
9 mai 4902.
43 février 4903.
44jain4889.
43 mars 4891.
44 février 4902.
43 décembre 4904.
5 février 4897.
47 avril 4896.
20 avril 4882.
45 avril 4898.
24 janvier 4883.
MM.
Huguenin (Pierre), avoué d'appel, boule-
vard Thiers^ 53, à Dijon.
Huguenin (l'abbé Henri), au collège Saint-
François de Sales, à Dijon.
Huot (Césaire), instituteur en retraite, rue
Neuve-Bergère, 2, à Dijon.
Hurion, doyen de la Faculté des sciences,
rue Vercingétorix, Dijon.
Ignace, négociant, rue Chabot-Cbarny, 64,
à Dijon.
Jacob (Emile), industriel, à Pouilly-sur-
Saône (Côte-d'Or).
Jacotot, instituteur, à Martrois, par PouiU
ly-en-Auxois (Côte-d'Or).
Jacquinot-Lévôque, 47, place Saint- Jean, à
Dijon. .
Jalenques, procureur général près la Cour
d'appel de Dijon JO, place de la Banque.
Jamain, manufacturier, rue des Roses, a
Dijon.
Janin, avocat, rue du PetitPotet, 21, Dijon.
Jannot, étudiant, 49, rue Vauban, à Dijon.
Japiot, ancien notaire^ rue Chabot-Charny,
48, à Dijon.
Jarrot [Tabbé), curé de Remitly-sur-Tille
(Côle-d'Or).
Jeannin (E>nest), instituteur, à Meloisey,
par Beaune (Côte-d'Or).
Jeannin (M"*), institutrice, à Pontailler-sur-
Saône (Côle-d'Or).
Jobard (Paul), imprimeur^ membre de la
Commission départementale des Anti-
quités, place Darcy, à Dijon.
Joliet (Albert), conservateur du Musée,
membre de la Commission départemen-
tale des Antiquités, rue Chabot-CharnV,
64, à Dijon.
Il
— XVIII —
40 mars 1882.
43 jaQvier4893.
12 décembre 4888.
41 janvier 4895.
43 juin 4890.
44 juin 4889.
40 janvier 4902.
9 février 4889.
40 novembre 4884.
43 janvier 1899.
44 avril 4902.
9 janvier 4891.
46 avril iS9o.
40 mars 4894.
9 juin 4886.
40 mars 4893.
2 avril 4884.
21 juin 4896.
MM.
Joliet (Gaston), préfet de la Vienne, à Poi-
tiers.
Joliet (Pierre), propriétaire, à Tart-l'Ab-
baye (Côte-d'Or).
Kohn, professeur de gymnastique au lycée,
rue Berbisey, 48, à Dijon.
Ladey de Saint-Germain, propriétaire, rue
Buffon, à Dijon.
La Mouche (M"«), directrice de l'Ecole ma-
ternelle, rue Devosge, à Dijon.
Lanier, négociant, rue Piron, 4, à Dijon.
Lanneau (Charles), directeur de la maison
Gros père et fils, rue Bossuet, 15, à
Dijon.
Lapaiche, instituteur, boulevard Voltaire,
Dijon.
Lavirotte, négociant en vins, à Beaune
(Côte-d'Or).
Leclerc, brasseur, rue des Moulins, à
Dijon.
Lefebvre (Francis), chef de comptabilité à
la succursale de la Banque de France, 9,
boulevard Thiers, à Dijon.
Leflot (Charles), rue des Moulins, 42, à
Dijon.
Legrand (le Dr), Nuits-Saiot-Georges (Côte-
d'Or).
Lejéas (le comte), propriétaire à Aiserey
(Côle-d'Or).
Lejeune (César), docteur en médecine, à
Meursault (Côte-d'Or).
Le Mire (Paul-Noël), propriétaire^ rue de
la Préfecture, 45, à Dijon.
Leroy (Arthur), ancien député de la Côte-
d'Or, rue de Rennes, 72, à Paris.
Leschaux (de), administrateur colonial,
Porlo-Novo (Dahomey).
XIX
p. 6 mai 1881.
13 décembre 1901.
13 janvier 1893.
12juin 1891.
12 juin 1896.
10 décembre 1897.
13 mars 1896.
F. 6 mai 1881.
13 mars 1903.
F. 6 mai 1881.
10 janvier 1896.
14 juin 1889.
10 juin 1885.
13 décembre 1901.
11 décembre 1891.
13 juin 1883.
S février 1901.
MM.
Lévôque (Frédéric), ancien député, vice-
président du Conseil général, à Corgo-
loin (Côte-d'Or).
Lévy, rabbin, boulevard Carnot, 43, à Dijon.
Liégeard (Gaston), avocat, rue de Mari-
gnan, 21 . à Paris, el à Brochon (Côte-d'Or).
Liégeard (Stéphen), ancien député, mem-
bre de TAcadémie de Dijon, rue de Ma-
rignan, 21, à Paris, et à Brochon (Côte-
d'Or).
Loiselet (Henri), lieutenant de vaisseau, à
Brest et rue Devosge, 39, à Dijon.
Loiselet, ancien négociant, rue Devosge, 39,
à Dijon.
Loisy (Albert de), rue Buffon, à Dijon.
Lory (Ernest-Léon), ancien avoué, membre
' de la Commission départementale des An-
tiquités, rue du Petit-Potet, 34, à Dijon.
Lucien (le docteur), 39, boulevard de la
Trémouiile, Dijon.
Magnin (Joseph), sénateur, 89, avenue Vic-
tor-Hugo, à Pans.
Maillard, conseiller honoraire, rue Chabot-
Charny, 91, à Dijon.
Mairey, directeur des contributions indi-
rectes en retraite, cours du Parc, 41, à
Dijon.
Maldant (Louis), propriétaire à Savigny-les-
Beaune (Côte-d'Or).
Malye, professeur au Lycée, boulevard Car-
net, 27, à Dijon.
Marc (Jules), professeur au lycée de Sens
(Yonne), et place d'Armes, 10, à Dijon.
Marcotte, licencié ès-Iettres, rue Madame,
61, à Paris.
Maréchal (Georges), 120, rue de la Boôtie.
Paris*
— XX
20 avril 4882.
43 janvier 4893.
40 décembre 4884.
40 mars 4893.
F. 6 mai 4884.
3 décembre 4883.
42 janvier 4887.
9 mars 4900.
44 décembre 4887.
44 juin 4889.
40 janvier 4896.
40 décembre 4897.
9 mai 4883.
40 juin 4898.
41 mars 4898.
F. 6 mai 4881.
MM.
Marinier, instituteur, à Montbard (Côte-
d'Or).
Marland^ économe du Lycée^ à Versailles
(Seine-el-Oise). '
Martin instituteur, à Sombernon (Côte-
d'Or).
Matry (Pierre), instituteur, à Chambolle-
Musigny (Côte-d'Or).
Mazeau (Charles), premier président hono-
raire de la Cour de cassation, à Quetigny
(Côte-d'Or).
Mazerolie (Fernand), archiviste de la Mon-
naie^ membre correspondant de la Com«
mission des Antiquités de la Côle-d'Or,
2, rue Singer, Passy-Paris.
Mercey (Guillaume de), instituteur à Queti-
gny (Côte- d'Or).
Mercier (Jean), rue Jean-Jacques-Rousseau,
78, à Dijon.
Michaut, docteur, chef de physiologie à
r Ecole de médecine, rue des Novices, 4,
à Dijon.
Michaud, chef d'institution, rueSambin, 27,
à Dijon.
Michel, rue Saint-Philibert, 54, à Dijon.
Millon (Jules), rue Vauban, 42, à Dijon.
Millot (Mme)^ institutrice, à Varanges, par
Genlis (Côte-d'Or).
Millot (Lucien), licencié ès-lettres, à Nuits-
Saint-Georges (Côte-d'Or).
Misserey (Henri), notaire, à Nuits-Saint-
Georges (Côte-d'Or).
Mocquery (Charles), ingénieur en chef des
ponts et chaussées, vice-président de TAca-
démje de Dijon, membre de la Commission
départementale des Antiquités, boulevard
Sévigné^ Q, à Dijon.
— XXI —
U février 1903.
limars 188i.
10 décembre 4897.
i\ janvier 4901.
8 décembre 4899.
43 décembre 4889.
8 juillet 4885.
F. 6 mai 4881.
4i janvier 4885.
40 février 4886.
F. 6 mai 4884.
F. 6 mai 4884.
F. 6 mai 4884.
43 mars 4903.
43 mai 4892.
8 décembre 4899.
8 décembre 4899.
44 avril 4893.
MM.
Monnier (Hippolyle), fabricant de meubles,
rue Charrue, 45, à Dijon.
Monnol (Henri), agent général de V Abeille,
boulevard de Brosses, 3, à Dijon.
Montholon (Prince de], 449, rue de' Gre-
nelle, à Paris.
Moreau (Paul), ancion élève à l'Ecole colo-
niale, à Genlis (Côte-d*Or).
Morelot (l'abbé), à Divonne-les-Bains (Ain).
Morizot (l'abbé), curé de Pluvault (Côte*-
d'Or).
Moroo, propriétaire, place Darcy, 47, à
Dijon.
Moser (Rodolphe), négociant, consul de
Suisse, rue Chancelier-L'flôpital>-47 6tJr,
Dijon.
Mourgeon (Alexandre), receveur des hos-
pices, à Dijon.
Mugnier (Ernest-Pierre), négouiant, rue des
Troia-Poiits, è Dijon.
Muteau (Alfred), ancien commissaire de
la marine, député de la Côte-d'Or, rue
Lincoln, 3, à Paris.
Muteau (Charles), conseiller honoraire à la
Cour d'appel, rue Beaujon, 4 , Paris.
Muteau (Jules), colonel du 45" régim. de
chasseurs à cheval, à Châlons-sur-Marne.
Nicolle, docteur en droit, 25, rue Fèvret, à
Dijon.
Nicey (Mlle), directrice d'institution de jeu-
nes fille?, avenue Victor-Hugo, aux Gé-
nois, à Dijon.
Nourissat, avocat, conseiller général, bou-
levard Carnot, 9, à Dijon.
Nourry (Emile), libraire, place Saint-
Etienne, Dijon.
Obriot^ propriétaire, à Biaise (Haute-Marne).
XXII —
40 décembre 4897.
9 décembre 4885.
F. 6 mai 4884.
8 avril 4892.
8 février 4895.
9 mars 4900.
9 mars 4894.
8 février 4895.
4 4 mars 4898.
40 janvier 4896.
44 décembre 4894.
7 décembre 4882.
8 juin 4900.
9 juin 4893.
F. 6 mai 1884.
9 décembre 4 885.
14 janvier 4885.
40 janvier 4896.
2i novembre 4882.
MM.
Octave (Georges)^ rue Saint-Bénigne, Dijon.
Orième (Mll<^), directrice de l'école commu-
nale, à BeauncT (Côle-d'Or),
Oubert (Louis), professeur au Lycée, rue
deTEgalité, 42, à Dijon.
Oudot, industriel, à Gilly-les-Vougeot (Côte-
d'Or).
Oudotte, professeur, boulevard Carnot, 44,
à Dijon.
Pagot, instituteur, à Montagny-Ies Beaune
(Côte-d*Or),
Pansiot (Louis), instituteur, à Fizin (Côte-
d*Or).
Parizon, ancien notaire, rue Montigny, 44,
à Dijon.
Parizot (M^e)^ institutrice, à Talmay.
Parizot, percepteur de Fontaino-les- Dijon,
avenue Victor-Hugo, B4, Dijon.
Pélissonnier (Fernand), boulevard Carnot,
49, à Dijon.
Pénot (Frédéric), percepteur, à Poissons
(Haute-Marne).
Perdrizet, ancien négociant, rue de TEga-
lité, Dijon.
Pérîlle (Julien), instituteur, à Ouges (Côte-
d'Or).
Pernol-Gilles, propriétaire, rue Vercingéto-
rix, à Dijon.
Perrenet (Pierre), avocat, rue du Palais, 5,
à Dijon.
Perrin, industriel, à Tilchâtel (Côte-d'Or).
Perronno, ancien conseiller de préfecture,
41, rue Devosge, Dijon.
Petit (Ernest), conseiller général de l'Yonne,
correspondant de TAcadémie de Dijon et
de la- Commission départementale des An-
tiquités, rue du Bellay, 8, à Paris.
— XXIII —
25 janvier 4883.
iS décembre 4888.
F. 6 mai 4884.
9 juin 4893.
44 juin 4897.
4 4 révrier 4902.
A\ mars 4898.
8 décembre 4899.
40 mars 4899.
8 juillet 4885.
9 juillet 4884.
44 juin 4904.
27 janvier 1882.
F. 6 mai 4884.
F. 6 mai 1881.
14 juin 1889.
44 décembre 4894.
Petitguillaume, agent- voyer principal, rue
d'Ahuy, 27, à Dijon.
Pinon (René), agrégé d'histoire, rue Berbi-
sey, 23, à Dijon.
Piot, sénateur, avenue Atphand, 45« à
Saint-Mandé (Seine).
Planson (Léon), instituteur, à Bligny-sur-
Ouche (Côle-d'Or).
Poinssot (Louis), licencié és-lettres^ 7, rue
Nicole, à Paris, et à Dijon, 45, rue Van-
nerie.
Poisot (Maurice), rue BufTon, 4, à Dijon.
Pol de Léon (Prère), directeur de l'Ëcole
Saint-Joseph, rue du Transvaal, à Dijon.
Potey (Georges), propriétaire, correspon-
dant de la Commission départementale
des Antiquités, à Minot, par Aignay-le-
Duc (Côte-d*Or).
Poupon (Henri), industriel, rue du Cha-
peau-Rouge, 2, à Dijon.
Prost (Bernard), inspecteur général des
bibliothèques, des archives et des mu-
sées historiques, 3, avenue du Trône,
Paris.
Quignard, instituteur, rue de Tivoli, 45, à
Dijon.
Ramir (frère Gabriel), professeur à l'Ecole
Saint-Joseph, rue du Transvaal^ à Dijon.
Regnault, propriétaire, rue de la Comédie,
Beaune (Côte-d'Or).
Régnier (Joseph), négociant en vins, rue
Chabol-Charny, 74, Dijon.
Régnier (Jules), place d'Armes, 46, Dijon.
Régnier (Louis), distillateur-liquoriste, rue
de Gray^ 44, Dijon.
Rémond (Victor), négociant, boulevard de
Brosses, Dijon.
XXIV
43 janvier 1899.
iO janvier 1002.
13 avril 1892.
F. 6 mai 1881.
M décembre 1885.
F. 6 mai 1881.
43 mai 1881.
12 juin 1896.
14 mai 1897.
Il décembre 1896.
11 février 1891.
9 février 1887.
14 février 1896.
19 mars 1900.
13 janvier 1899.
Il juin 1897.
MM.
Rémondet, professeur à TEcole primaire
supérieure, Dijon.
Revin (général), 25^ rue Berbisey, à Dijon.
Rey, libraire, rue de la Liberté, 26, Dijon.
Rey (Ferdinand), directeur honoraire des
contributions indirectes, boulevard Car-
net, 1, à Dijon.
Robelin (Louis), ancien maire de Dijon, rue
du Faubourg-Raines, 55, Dijon.
Robin (Albert), membre de l'Académie de
médecine, boulevard de Courcelles, 53,
Paris.
Robit (Joseph), percepteur, à Fontaine-sur-
Saône (Rhône).
Roquelet (Claude), négociant, à Laper-
rière, par Saint-Jean-deLosne (Côte-
d*Or).
Rosenthal (Léon), agrégé d'histoire, pro-
fesseur au' Lycée, rue de Mulhouse, 4,
Dijon.
Rouget (Eugène), percepteur des contribu-
tions directes en retraite, à Gémeaux
(Côte-d'Or).
Rouget, avoué d'appel, cours du Parc,
Dijon.
Rouget (Jules), ingénieur-mécanicien, route
de Plombières, 1, à Dijon. .
Royer-Hutin, négociant, rue des Moulins,
à Dijon.
Saint-Seine [comte Guillaume de), Les Ri-
dets, par Dampierre-sur-Linotte (Haute-
Saône).
Saint-Seine (comte Pierre de), à Lamarche-
sur-Saône (Côte-d'Or).
Saint-Seine (de), lieutenant do vaisseau, '
chez son père, à Lamarche-sur-Saône
(Côle-d'Or).
— XXV —
MM.
13 février 1801. Saleilles (Raymond), professeur à la Fa-
culté de droit de Paris^ correspondant
de ia Commission départementale des
Anliquités de la Côle-d'Dr, rue du Pré-
aux-Clercs, 10 6t5, Paris.
13 février 188i. Sampré, instituteur en retraite, à Til-Chd-
tel (Côle-d'Or).
8 décembre 1886. Saverot^ instituteur, correspondant de la
Commission départementale des Anti-
quités, route de Beaune, à Dijon.
^2 juin 1903. Schmitt, propriétaire, rue Amiral-Rous:iin,
9, Dijon.
13 mars 1903. Schupbach, chancelier du Consulat suisse,
rue Cbabot-Charny, 71, Dijon.
12 janvier 1887. Seguin, officier d'administration de \^^
classe, commandant la 5* section de com-
mis et ouvriers militaires d'administration,
à Bayonne (Basses-Pyrénées).
8 février 1895. Sérésin (Elisée Reynold de), capitaine de
cavalerie démissionnaire, place Saint-
Pierre, 7, Dijon.
8 février 1901. Seuret (Cyprien), propriétaire, à Laberge-
ment-les-Auxonne.
14 mai 1884. Sinault, instituteur, rue de la Préfecture,
59, à Dijon.
14 mai 1884. Sirot (Adrien), employé des contributions
indirectes. Saline de Montaigu, par Lons-
le-Saunier (Jura).
Il mars 1885. Sirot (Denis-Alfred), greffier de justice de
paix, rue du Lycée^ à Dijon.
8 février 1889. Société de lecture (la), de Dijon.
17 juin 1881. Soret (Henri), ancien professeur d'histoire
au lycée de Chaumont, à Gevrey-Cham-
bertin (Côte-d'Or).
8 février 1895. Sorlin (Simon), colonel, rue Devosge, 25, à
Dijon.
— XXVI
42 février 4892.
43 janvier t899.
F. 6 mai 4881.
8 décembre 4886.
F. 6 mai 4881.
F. 6 mai 1881.
8 février 4895.
9 juin 4899.
43 décembre 4901.
4 3 juin 4888.
F. 6 mai 4884.
47 février 4 882.
9 décembre 1 892.
9 février 4899.
40 mai 4901.
49 avril 4901.
9 janvier 1891.
MM.
Spuller (Auguste), ancien trésorier-payeur-
général de la COte-d'Or, à Sombernon
(Côle-d'Or).
Stéhélin, trésorier-payeur-général, rue Buf-
fon, Dijon.
Striffling (Joseph-Emile), notaire, rue Cba-
bot-Charny, 22, Dijon.
Tagini (Edmond), associé résidant de la
Commission départementale des Anti-
quités, rue de la Banque, 4, à Dijon.
Taisant (MH^), institutrice, r. Jacotot,4 , Dijon.
Tailol (Pierre), ancien orfèvre, rue Saint-
Bénigne, 2, Dijon.
Talfumier, notaire, rue du Petit-Polet, 22,
Dijon.
Tentrng, juge au tribunal civil, conseiller
général du canton de Laignes, rue Saint-
Martin, 49, à Troyes (Aube).
Terrasson, conseiller général, à Mootigny-
sur-Aube(Côte-d'Or).
Terrillon (Léonce), instituteur, à Planay
(Gôte-d'Or).
Theuret-Dameron (M"«), directrice d*écoIe,
rue Jeannin, Dijon.
Thiolain (Antoine), marchand de bois, rue
de 1* Arquebuse, 27, Dijon.
Tirquit, receveur municipal, place d'Armes,
à rhôtel de ville, Dijon.
Toussaint, avocat, rue Chancelier-rHôpital,
49, Dijon.
Toussaint, ancien ingénieur, 7, boulevard
de Brosses, Dijon.
Treil de Pardailhan (de), chAteau d'Autri-
court (Côle-d'Or), ou 47, rue Denfert-
Rocbereau, Paris.
Trivier-Carré (Emile), brasseur, rue d'As-
sas, 22, Dijon.
— XXVII —
tOjuia 4892.
40 jaDvier 1896.
9 décembre 4885.
4 4 juin 4884.
48 novembre 4884.
4 4 décembre 4900.
44 février 4896.
8 décembre 4 893.
9 janvier 4894.
48 novembre 4884.
F. 6 mai 4884.
44 décembre 4894.
44 avril 4902.
43 février 4 894.
36 avril 4895.
4 3 janvier 4899.
4 2 mai 4899.
MM.
Troubat, industriel^à Plombières-les- Dijon.
Troubat fils, négociant, à Plombières-les-
Dijon.
Vallée (Jean-Baptiste), rédacteur au Progrès
de la Côte-d'Or, rue Brulard, Dijon.
Vallerot, instituteur, à Villecorote (Côte-
d'Or).
Valette, inspecteur d'Académie honoraire,
boulevard Carnet, 50, Dijon.
Vangeon, docteur, à Montbard (Côte-
d*Or).
Vaux (Louis), instituteur, à Saint-Sympho-
rien, par Saint-Jean-de-Losne (Côte-
d'Or).
Venot, libraire, place d'Armes, Dijon.
Vercey (Charles), avenue Victor-Hugo,
Dijon.
Vernaux, négociant, rueGandelot,?, Beaune
(Côle-d'Or).
Verneau- (Lazare), pharmacien, rue Vail-
lant, 7, Dijon.
Vialay, notaire honoraire, place Notre-
Dame, Dijon.
Viard, capitaine au 402* régiment d'infan-
terie, Paris.
Vielle (E.), inspecteur au chemin de fer,
petite rue des Roses, 40, Dijon.
Vienne (de), colonel, directeur d'artillerie,
à Toul, membre de l'Académie de Dijon
et de la Commission des Antiquités de la
Côte-d'Or.
Virieu (de), ancien colonel du 27* de ligne,
au château de Lantilly (Côte-d'Or), et
boulevard Carnot, 28, Dijon.
Vogué (le comte Arthur de), 407, rue de
Grenelle, Paris, et au château de Com<
marin [Côte-d'Or).
— XXVIII —
MM.
M avril 1889. Voisard (Alfred), rue de la Liberté, 78, à
Dijon.
9 décembre 4898. Vollot, ancien notaire^ rue d'Alise^ Dijon.
Nota. — Les membres de la Société qui auraient trouTé quelques erreuis dans
cette liste sont priés de TOu!oir bien les faire connaître à M-. le Président de la
Société.
LISTE DES SOCIÉTÉS
AVEC LESQUELLES A LIEU L'ÉCHANGE DES PUBLICATIONS
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES (en France)
Autun. — Société Eduenne.
Auxerre. — Société des sciences historiques et Daturelles de
ITonne.
Beaune. — Société d*histoire et d'archéologie.
Besançon. — Société d'émulation du Doubs.
Bourg. ^ Société de géographie de l'Ain.
Bourges. — Société des antiquaires du Centre.
— Société de géographie du Cher.
Brest. — Société académique de Brest.
Chambéryl — Société savoisienne d'histoire et d'archéologie.
Ch&tillon. — Société archéologique et historique du Châtiilonnais.
Dijon. — Chambre de commerce.
— Bibliothèque de la ville.
— . Académie des sciences, arts'et belles-lettres de Dijon.
— Archives départementales de la Côtè-d'Or.
— Commission départementale des antiquités.
— Club alpin français (section de la Côte-d'Or et du Morvan).
— Revue bourguignonne de l'Enseignement supérieur.
Fontainebleau. — Société historique et archéologique duGâtinais.
Gap. — Société d'études des Hàutes-Alpes.
Gray. — Société grayloise d'émulation.
Havre (Le). — Société de géographie commerciale du Havre.
Langres. — Société historique et archéologique.
Lorient. ~ Société bretonne de géographie.
XXX
Lyon. — Société de géographie de Lyon.
— Comité de publication des Annales de l'Université de
Lyon.
— Bulletin historique du diocèse de Lyon.
— Hevue de Thistoire de Lyon, rue Gentil, à Lyon.
Marseille. — Société de géographie de Marseille.
Montpellier. — Société languedocienne de géographie.
Nancy. — Société de géographie de TËst.
Nantes. — Société de géographie commerciale.
Paris. — Ministère des Colonies.
— Société académique indo-chinoise de Paris.
— Société de géographie commerciale.
— Société do géographie.
— Société de topographie de France.
— Société des études coloniales et maritimes.
— Le Tour du Monde, librairie Hachette, boulevard Saint-
Germain, 79, Paris.
Rochechouart. — Société des amis des sciences et arts.
Rochefort. — Société de géographie de Bochefort.
Rouen. — Société normande de géographie.
Semur. — Société des sciences historiques et naturelles de Semur
(Côte-d'Or).
Sens. — Société archéologique.
Toulouse. — Société de géographie.
Tours. — Société de géographie.
Vesoul. — Société d'agriculture, des sciences et des arts de la
Haute-Saône.
Villefrançhe (Rhône). — Société des sciences et arts du Beaujo-
lais.
SOCIETES CORRESPONDANTES {dans les colonies).
Algérie. — Société de géographie- d'Alger, 1, rue Mahon.
Cochinchine (Saigon). — Société des études indo-chinoises de
Saigon.
Tunisie. — Institut de Carthage, association tunisienne des lettres,
sciences et arts, à Ternis.
— XXXI —
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES ÉTRANGÈRES
Allemagne (Stutlgart). — Société de géographie.
— (Hesse). — Die Gesellschaft furErd und Voeikerkunde
àGiessen.
ÂDgleterre (Manchester). — Société de géographie de Manchester.
Autriche-Hongrie (Vienne). — Nalurhistorischen hofmuseum.
Australie (Queensland). — The Royal Geographical Society of Aus-
tralasia, à Brisbane.
Belgique (Bruxelles). — Société d'Etudes coloniales, Hôtel Ravens-
tein^ rue Ravenstein H.
Bréjiil (Rio-Janeiro). — Société de géographie.
— Revue trimestrielle de l'Institut de Ceara [D' Studart), rue
Formoza, 46, Fortaleza.
Egypte. — Institut égyptien, le Caire.
— , Société khédiviaie de géographie.
Espagne (Madrid). — Société de géographie.
Etats-Unis d'Amérique. — Université de Montana.
Finlande (Helsingfors). — Société de géographie de Finlande.
Italie (Florence). — Societa africana d'Italia.
— (Rome). — Société de géographie.
— (Napleii). — Societa africana d'Italia, 919, via del Duomo.
— (Milan). — La Société d'eiploration commerciale.
Pérou. — Société de géographie de Lima.
Portugal (Lisbonne). — Société de géographie de Lisbonne.
Suisse [Neufchâtel). — Société neufchâteloise de géographie.
ACTES DE LA SOCIÉTÉ
EXTRAITS DES PROCES-VERBAUX
Séance du 14 novembre 1902.
PRÉSIDENCE DE itf. ouBERT, président.
M. le bibliothécaire donne la liste des ouvrages
reçus depuis la dernière séance ; parmi ces ouvrages,
M. le Président signale :
L'Avenir colonial de France, par E. Fallot ;
VInde Française au win^ siècle, par Castonnet des
Fossés;
Conseil Général, rapport du Préfet, procès-verbaux ;
Questions d'économie coloniale, par A. LeChatelier,
offert par M. Darantiere.
Des remerciements sont adressés, aux donateurs.
La Société des antiquaires de l'Ouest et l'Univer-
sité de Montana demandent l'échange de leurs jwbli-
calions avec les Mémoires de la Société Bourgui-
gnonne de Géographie et d'Histoire. L'échange -est
adopté.
M. le Président donne lecture d'une lettre de M"* de
XXXIII —
Mayol.au sujet d'une conférence qu'elle désire faire à
Dijon,
Il communique ensuite une lettre et un manuscrit
de M. Viard, lieutenant au 1" bataillon d'Afrique, re-
latifs à des études sur la flore des environs du Rreider.
M. Oubert fait Téloge de M. Marius Idoux, que la
mort vient d'enlever aux siens et à la société.
M. le Président annonce la candidature de M. le
D' Broussolle, rue Jean-Jacques Rousseau, présente
par MM. Oubert et Rosenthal, puis il donne lecture
d'un travail de M. Maurice Rivière sur ses souvenirs
delà guerre de 1870.
M. Chabeuf lit une notice sur M. d'Hugues, ancien
président et vice-président de la Société Bourgui-
gnonne de Géographie et d'Histoire :
Depuis notre séparation, la Société a perdu l'an de ses mem-
bres les plus considérables, en la personne de M. Gabriel-Gus-
tave d'Hugues, professeur honoraire à la Faculté des Lettres de
notre Université, chevalier de la Légion d'Honneur, décédé à
Toulouse dans sa soixante-seizième année.
Né à Bordeaux le 2i avril 1827, de Pierre-Georges d'Hugues et
deJeanneDeslanques,il appartenait à une ancienne famille noble
originaire du Languedoc, qui a branché en Provence, en Gas-
cogne et dans le comtat Venaissin, a de belles alliances, et pour
armes : D'azur au lion (Tor, à trois fasces de gueules brochant
sur le tout, et surmonté de trois étoiles d* or rangées en chef. Mais
jamais notre confrère ne lésa portées; très conservateur en re-
ligion et en politique, il était d'ailleurs un démocrate déterminé.
Il fit ses éludes au collège royal de Uordeaux, dont la cha-
pelle conserve le tombeau avec efDgie couchée de ce Michel
Eyquem que la postérité connaît sous le nom de Michel de Mon-
taigne. Le 15 septembre 18^6, il entrait à l'Ecole normale
supérieure, dans la même promotion que Challemel-Lacour,
s*y rencontra avec M. Alfred Mézicres qui était de celle do
111
— XXXIV —
1846, el y fat rejoint, en 4847, par Eugène Yung el J.-J. Weiss
que nous avons eu comme professeur d'histoire à la Faculté
de Dijon de 1838 à 1860; enfln^ en 1848^ par Hippolyte Taine,
Edmond About et Francisque Sarcey. Le 17 septembre 1849
il était chargé du cours d'histoire au lycée de Tours, mais
passait aussitôt à Bordeaux le 18 octobre; puis à Avrgnon» le
9 octobre 185i, à Strasbourg le 17 septembre J8o3, devenait
agrégé en .1856 el le le»* octobre de celte môme année pro-
fesseur titulaire à Périgueux. Nommé à Amiens le 14 octobre
1857, il était transféré le 28 à Limoges.
Le 21 août 1856, il avaitsoutenu avec éclat ses thèses de docto-
rat devant la Faculté de Paris : De M. TullH Ciceronis in Cilicia
provincia proconsulafu, et Essai sur V administration de Turgot
dans la généralité de Limoges. Le 1er octobre 1860, il était envoyé
au lycée d'Angoulôme; enfin le 4 novembre 1861, il entraitdans
l'enseignement supérieur comme chargé du cours de littérature
étrangère k la Faculté de Douai; deux ans plus lard, le 22
septembre 1863, il passait au môme litre à Toulouse et deve-
nait titulaire le 20 août 186.^. L'année suivante, il était élu main-
teneur de l'Académie des Jeux floraux; à l'une des premières
séances où il assista, il entendit lire une ode A l'ombre de Dante
Aligkieriy inspirée par la célébration solennelle k Florence du
sixième anniversaire séculaire de la naissance de celui pour qui
l'ingrate et dure république n'avait eu qu'exil el menaces de
mort. Le principal épisode de la cérémonie expiatoire autant que
triomphale du 14 mai 1865,avait été l'inauguration d'un gros mo-
nument de marbre, devant celle église Sanla-Groce où près des
tombeaux de Machiavel et deMiehel An^e, un cénotaphe porte
le nom du poète dont les restes n'ont pas quitté l'exil de Ha venue.
Les beaux vers lus à Toulouse et qui obtinrent d'acclamation
le prix du genre, ['Amarante d'Or, étaient de M. Sléphen
Liégeard ; M. d'Hugues voulut connaître l'auteur, et entre le
poète elle critique il s'ensuivit une amitié qui ne faiblit jamais-
Le lo aoûl 186S, il recevait la croix de la Légion d'Honneur.
Il passa seize ans k Toulouse, où ses cours eurent toujours le
plus nombreux auditoire ; mais comme il avait pris part dans
les journaux k certaines polémiques sur les idées el les actes
universitaires de Jules Ferry> on lui lit comprendre qu'un
XXXV
déplacement s'imposait, et le l*r avril 1879, il était nommé
professeur de Littérature étrangère à la Faculté des Lettres de
Dijon, en remplacement de M. HalIberR. Il retrouva parmi
nous le môme succès qu'à Toulouse, moins toutefois le nombre
des auditeurs; nos villosdu nord ne connaissent pas cette ardeur
toute latine qui emporte les esprits du midi vers les plaisirs
de II littérature, de la poésie et du beau langage. Ceux qui
ont entendu celle parole s'exerçant tour à tour sur Byron,
Cervantes, Arioste et Shakespeare, en conserveront toujours
le souvenir utile. M. d'Hugues termina sa carrière de professeur
par des leçons sur Ibsen. Assurément il était un déterminé
classique, mais, avec des réserves.il fut heiireux de rencontrer
une imagination n'ayant jamais servi. Je ne pense pns que Ton
ait jamais mieux distingué et fait sentir ce quMl y a de capti-
vant, d'étrange aussi, dans ce théâtre d'un isolé hautain en
qui se rencontrent tant de contradictions apparentes. Ibsen,
en effet, est-il un aristocrate ou un nihiliste, un optimiste
ou un désespéré, un autoritaire ou un démocrate ? Et, à bien
voir les choses, il y a de tout cela dans Fauteur de Maison de
Poupée et des Revenants,
C'est en juin 1897 que M. d'Hugues se fît entendre pour la
dernière fois et prit pour jamais congé de son auditoire; il y
eut de rémotion et intense dans ces adieux du vieux professeur,
mais sans attendrissement sénile; ce fut sur des paroles
graves et simples qu'il descendit de sa chaire et ceux qui ont
recueilli ces novissima verba ne les oublieront pas. Le l**' novem-
bre suivant, M. d'Hugues était misa la retraite après 51 ans
et 16 jours de services ! Nous nous plaisions tous à espérer qu'il
continuerait de vivre parmi nous, lui-même le désirait; des
raisons de famille déterminèrent son retour à Toulouse, sans
qu'il se dissimulât combien il allait se trouver étranger dans
une ville qui, après tout, n'était pas la sienne et où il avait
vécu moins longtemps qu*à Dijon.
II laissait ici un grand vide ; Tun des membres fondateurs de
cette Société le 6 mai 1881, il en fut vice-président le 14 décem-
bre 1887, président le 11 décembre 1891, vice-président le 14
décembre 1894. Elu président de nouveau le 10 décembre 1897,
il Qo put accepter à raison de son prochain départ de Dijon. Le
XXXVI
i7 avril i889, il étaii ontré comme membre résiJani à l'Acadé-
mie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon.
Notre confrère arriva à Toulouse fatigué et souffrant, mais
l'intelligence conservait toute sa verdeur, Tesprit toute sa péné-
tration et sa finesse. La mort de sa femme^ ftP* Marie Miquo,
qu'il avait épousée pendant son séjour à Périgueux, survenue,
lei9 octobre 190D, lui porta un coup dont il ne se releva pas
et il s'éteignit le il juillet 1902.
Les cours de M. d'Hugues, et c'est une véritable perte pour
l'histoire littéraire, n'ont jamais été recueillis. Voici d'autre
part ce que je connais de lui comme œuvres imprimées; en
1876, il publia chez Didier, avec préface, la traduction en
français de sa thèse latine : Une province romaine nous la Répu"
blique, étude sur le proconsulat de Cicéron. Le volume est dédié
à M. Désiré Nisard, « l'homme excellent dont la constante
bienveillance a été le soutien et l'honneur de ma vie studieuse ».
Au revers du faux titre, avec V Essai sur l'administration de Tur-
got, est annoncé. « en préparation », un Alfieri, sa vie et ses
œuvres, qui n'a point été publié. De 1881 à 1884, M. d'Hugues
fil paraître un La bruyère en deux volumes, et des traductions
de Macbeth^ ^'Othello et de Childe-Harold. Enfin, bien que très
universitaire de tempérament et d'esprit, il fut, pendant la plus
grande partie de sa vie et jusqu'à la fin, le collaborateur du
Correspondant, doni\es idées conservatrices, religieuses et libé-
rales étaient les siennes.
Aux mémoires de ['Académie il a donné trois morceaux
importants inspirés par cexvip siècle ({u il aimait et admirait,
mais sans l'ombre de fétichisme, reconnaissant fort bien que
politiquement ce grand siècle littéraire est surtout une belle
façade. Ce sont : Bussy-Rabutin et 3/l'« de Scudéry ; — Deu.c
épisodes de la vie littéraire au xvil^ siècle : Bussy Rabutin et Boi-
leau- Despréaux ; Bussy-Rabutin et Furetière ; enfin - (fn méde-
cin au temps de Molière, Claude Fouet.
Pour la Société bourguignonne de Géographie et d* Histoire,
M. d'Hugues a écrit une Etude sur Crébillon le tragique, —
Mémoires, IV, 1887-1838. C'était assurément beaucoup d'hon-
neur pource brave homme de DIjonnais si parfaitement illisible
aujourd'hui et depuis longtemps; notre confrère s'en aperçut
XXX VJI
vite cl malgré le sacramentel : A suivre, l'article n*eat aucane
suite; l'auteur devait bientôt nous dédommager et prendre sa
revanche d'un faux départ.
Un M. Jacquet, professeur agrégé do l'Université, s'étant
avisé, sur le tard, de se faire recevoir docteur es Lettres, avait
soutenu en Sorbonne une thèse française publiée chez Garnier,
en 1886, sous ce titre qui n*est pas à la lacédémonienne : La
Vie littéraire dans une ville de province sous Louis XJV. Etude
sur la Société dijonnaise pendant la seconde moitié du xvn" sié^
de d'après des documents inédits. — Oh, les documents inédits !
La critique contemporaine en fait un singulier abus, et on en
arrive à ne plus tenir compto que de ce nouveau ou prétendu
nouveau, en négligeant, en déclarant aileint de caducité ce
qui est déjà connu. Le plus souvent, pour le dire en passant,
l'inédit est très digne de te demeurer, mais enfln c'est une for-
mule obligatoire sur les couvertures. Le volume, assez gros et
bourré de notes, comme il convient, eut des lecteurs à Dijon ;
ils furent plutôt déçus. L'œuvre parut,k tout prendre, médiocre,
la documentation annoncée à grand bruit n'olfrait rien de
rare et l'on avait déjà amplement puisé aux mêmes sources.
« Monsieur, disait un jour le vieux Patin à un prodocteur, il y a
dans votre thèse beaucoup d'idées nouvelles et d'idées justes;
seulement les premières sont fausses et les secondes ne sont pas
nouvelles. » Il était bon d'écrire à Paris un tel livre pour le
mettre au point de vue perspectif; mais à la condition de l'avoir
longuement préparé sur place; or faute par Tauteur de satis-
faireà cette dernière condition, les erreurs matérielles, les juge-
ments faussés par une connaissance insufOsante des choses et des
hommes, sautaient aux yeux du lecteur un peu au fait du passé
dijonnais. Mais d'autre part le volume présentait certaines qua-
litésde tenue, il était écrit sinon avec personnalité, du moins pu-
rement etselon la meilleure formule normalienne; non, toutefois,
sans un effort plutôt pénible pour être ironique et léger. Aussi,
comme tant d'autres, mérita-t-il d'être couronné par l'Académie
française, ce à quoi personne n'aurait contredit si, dans la séance
du 15 novembre i888, M. le Secrétaire perpétuel ne se fût avisé
d'égayer la majesté de la séance aux dépens de Dijon et des Di-
jonnais d'il y a deux siècles. Ce Secrétaire perpétuel, mort au-
— XXXVIII —
Jourd*huidepuisseptans,étaii M. Camille Doucet, un trèsaimabie
homme au dire de tous ceux qui l'ont approché, et auteur de
pièces de théâtre qui, sur les affiches et les couvertures, étaient
qualifiées de comédies.Gertes M. d'Hugues eût volontiers laissé
dormir le livre couronné dans ta poussière des bibliothèques
et M. Jacquet savourer en paix sa gloire académique, mais
les plaisanteries de M. Camille Doucel étaient de trop.
La riposte ne se fit pas attendre, puisque c'est à la séance de
la Société bourguignonne du 9 janvier 1889 — Mémoires, t. V,
année 1889 — qu'elle se produisit sous ce litre : La Bourgogne
devant l* Académie et devant la 5or6onntf. L'exécution fut complète
e.t de celles qu'il n'y a pas à recommencer; l'auteur releva dou-
cement, non pas toutes, — un volume n'y eût pas suffi et il ne
s'agissait qued'un article, — mais quelques-unes des omissions
et des erreurs qui pullulaient dans un livre fait trop vite ;
d'ailleurs il avait hâte de s'attaquer à un adversaire plus qua-
lifié, M. le Secrétaire perpétuel, et il y prit certainement un
certain plaisir de justicier malicieux. Ses preuves faites, il se
demanda pourquoi cet écrivain plutôt tempéré, a dont le carac-
tère se peint dans son nom», avait eu l'idée de vouloir faire une
fois dans sa vie rérudit,etau lieu du langage argréablement com-
plimenteur que la nature lui avait mis aux lèvres, parler celui
de l'ironie et de la satire qu'il connaissait si peu ? Ce morceau
de quelques pages écrit à la volée comme un article de journal,
mais d'une documentation solide où se retrouve le professeur
d'histoire et de littérature, montre quel polémiste redoulabie.dans
sa courtoisie accablante, savait ôire au besoin M. d'Hugues. La
guerre se fil chez M. Doucel, à ses dépens, et c'est la première
fois que cet auleur de comédies eul la bonne fortune de faire rire.
A la Revue bourguignonne de l* Enseignement supérieur^
M. d'Hugues a donné une notice nécrologique sur un homme
de haute valeur, M. .\ugusieBougot, professeur de Littérature
grecque à la Facultéde Dijon, mort doyen en exercice, à 50 ans,
le 26 août I89i (1); et : l'Arioste, caractères généraux de son
(4) Celte notice avait été lue à la séance solennelle de renirée de
rUniversité du 40 novembre 4892. M. Bougot était oôà Saint-Ser-
van (ille-et- Vilaine) le 29 mai 4842.
— XXXIX —
œuvre, leçon d'ouverture du cours commencé le 9 novembre
1893. Il a encore publié en brochures à part deux conférences :
sur V Utilité de l'étude des Littératurei étrangèret, 5 avril 1894,
et Messouvenin de l* Ecole normale en 4848, 1895, faites sous le
patronage de la Société des Amis de V Université. Enfin on a de
lui une troisième brochure, une conférence faite au profit de
rinsiitution des jeunes aveugles et sourds-muets de Dijon,
donnée à THôtel de Ville le 17 mars 1895.
M. d'Hugues avait une parole brillante et facile, mais le fond
était d'une rare solidité; de plus, prose ou vers, il lisait en per-
fection, enfin sa conversation élincelait. Sans doute la malice ne
manquait pas et parfois la patte de velours se faisait grifîo,
mais de malveillance, jamais, et encore moins de cet agaçant
persiflage qui rend si aisément insupportable le langage écrit
ou parlé du Français. Il avait donc de l'esprit, et beaucoup ;
un peu précieux, avouons-le, mais suivant une remarque très
juste de Désiré Nisard, Tesprit Test toujours plus ou moins. A
tout prendre, le fond de sa nature était la bienveillance, et il
méritait pleinement, peut-être trop, ah le Midit cet éloge
que Montesquieu fait de Fontenelle : « Il louait volontiers les
autres, et sans peine. > G'est.du reste, tout ce qu'il y avait en
lui de méridional ; avec sa tournure un peu « entassée », aurait
dit Saint-Simon, toutefois sans lourdeur, sa grosse moustache
grisonnante, ses cheveux ras, son pas délibéré, il avait plutôt
l'air d'un homme du nord et ressemblait moins à un paisible
professeur qu*à un commandant de cavalerie en retraite. El de
fait il y avait en lui du combatif; mais qu'il fût dans sa chaire
oudansun salon, si l'on démêlait chez lui un peu de l'accent pro-
fessionnel et professoral, il parlait toujours avec la plus grande
simplicité et même sans gestes ; ce Gascon, comme il lui plaisait
de se dire, était un Girondin, c'est-à-dire presqu'un Altique.
M. d'Hugues m'honorait de son amitié et c'est pourquoi je me
suis laissé aller à vous entretenir longuement d'un lettré qu'on
aimait dans cette compagnie qu'il aimait et où il fut un ouvrier de
la première Heure, un ouvrier utile toujours. Sa mémoire est
doncde celles que l'on doit conserver précieusement partout où il
a laissé une trace de lui-même, parce qu'il fut un homme de
haute intelligence, et par dessus tout un homme aimable et bon.
XL
Séance du 12 décembre 1902.
PRÉSIDENCE DE M. ouBERT, président]
Le procès-verbal de fa dernière séance est adopté
sans observations.
Parmi les ouvrages reçus depuis la dernière séance,
M. le Président appelle l'attention sur un travail de
M. Paul Azan : Annibal dans les AlpeSj offert par l'au-
teur. "
M. Mocquery fait observer que ce travail de M. Paul
Azan est le texte même d'une thèse que cet officier
vient de soutenir avec succès devant la Faculté des
lettres de Paris.
A la suite d'un vole favorable, M. le D' BroussoUe
est élu membre de la Société Bourguignonne de Géo-
graphie et d'Histoire.
L'ordre du jour appelle le vote pour le renouvelle-
ment d'une partie des membres du bureau et du co-
mité de publication.
Il est d'abord procédé au vole pour l'élection d'un
secrétaire génère! et de deux secrétaires.
MM. Cornereau, Huguenin et Driolon sont réélus
dans leurs fonctions respectives.
On vote ensuite pour l'élection des membres du
comité de publication.
Au premier tour sont élus :
MM. d'Avout, Clerget-Vaucouleur, Cuny, Huguenin,
Dumay, Fourier, Ladey de Saint-Germain, Lory,
Moser.
— XLl
Aucun des autres membres n'ayant obtenu la majo-
rité des voix, il est volé de nouveau pour rélection
du dixième membre, qui est M. Paul Jobard.
MM. Cuny, Bulon etHuot sont désignés pour vérifier
les comptes de la société pendant l'année 1903.
Sous le titre de « Promenades Valaisannes », M. le
vicomte d'Avout donne la relation d'un voyage qu'il
vient défaire dans les Alpes du Valais. Il a successi-
vement visité Saint-Maurice, célèbre par sa procession
annuelle en l'honneur du saint martyr, Sion, Vay,
Louèche, Zermatt, etc. Il a constaté partout la bien-
veillance des habitants pour les voyageurs français.
M. Mocquery ajoute quelques observations person-
nelles au travail de M. le vicomte d'Avout. L'abbaye
de Monligny, dont le grand abbé mitre figure dans le
cortège de la procession de saint Maurice, appartient
aux moines du grand Saint-Bernard, c'est là que
descendent les moines fatigués, en attendant que
leur santé leur permette de remonter au couvent
d'en haut.
Ces mêmes moines exercent aussi les fonctions de
curés dans les localités environnantes et sont ainsi à
la fois- séculiers et réguliers.
Quant à la bienveillance des habitants pour les
voyageurs français, elle peut s'expliquer par ce fait
que c'est aux Français, à Napoléon I«', qu'ils doivent
les routes qui traversent le pays, notamment la route
de Paris à Milan. Le percement du Simplon,dont les
travaux sont menés avec activité, donnera dans
quelques années une nouvelle prospérité au pays.
— XLII —
Séance du 9 janvier 1903.
PRÉSIDENCE DE M. ouBERT, président.
M. le Président donne lecture de la correspondance.
A signaler une lettre du ministère de l'Instruction
publique et des Beaux-arts, annonçant que le congrès
dés Sociétés Savantes se tiendra cette année à Bor-
deaux et invitant la Société à s'y faire représenter.
M. le Président dit qu'il a reçu une proposition
de conférence qui serait faite sous les auspices de la*
société et du Club Alpin français, et demande à la
réunion de donner mandat à son bureau pour la so-
lution de cette question, ce qui est adopté.
M. le Président présente les candidatures suivantes:
MM. Jalenques, Emmanuel, procureur général près
la cour, présenté par MM. Fougères etOu-
bert ;
le D' Cottin, rue Vauban, à Dijon, présenté
par MM. Darantiere et Oubert ;
Monnier, fabricant de meubles, rue Charrue,
présenté par MM. Darantiere et Oubert;
Girardin, sous-ingénieur au P.-L.-M., pré-
senté par MM. Oubert et Perronne.
L'ordre du jour appelle une lecture de M. Ladeyde
Saint- Germain : Le Sud et rExtréme-Sud Oranais,
puis une autre de M. Rodolphe Jannot : Un coin de la
Bavière et du TyroL M. le Président adresse à ces
messieurs les remerciements de la société.
— • XLIII —
Séance du 13 février 1903.
PRÉSIDENCE DE M. ouBERT, président.
Le procès- verbal de la précédente séance est adopté
sans observation.
Parmi les ouvrages reçus, M. le Président appelle
l'attention sur « V Archéologie sur le terrain », de
M. Paul Jobard, offert par l'auteur, et sur un ouvrage
de M. Hubert Pernot : « En pays turc, Vile de Chio »,
offert par M. Darantiere. Des remerciements sont
adressés aux donateurs.
M. le Président présente les nouvelles candidatures
suivantes :
MM. le D'Fonssard, rueChancelier-l'Hospilal, pré-
senté par MM. Maillard et Oubert ;
Hurion, doyen de la Faculté des sciences, rue
Vercingétorix, présenté par MM. Bailly et
Oubert ;
D' Lucien, place Saint Bernard, présenté par
MM. Victor Darantiere et Oubert ;
Schupbach, chancelier du Consulat suisse, rue
Chabot-Charny, 71, présenté par MM. Moser
et Oqbert ;
Marcel Nicolle, docteur en droit, 25, rue Févret,
présenté par MM. Fai veley et Pierre Perrenet.
M. Guny, au nom de la Commission du budget, rend
compte de la gestion financière de la Société pendant
l'exercice 1902.
Des remcrciemenls sont votés aux membres de
— XLIV —
cette commission et au trésorier pour le zèle avec
lequel ils se sont acquittés du travail qui leur avait
été confié.
En suite d'un vote favorable :
MM. Emmanuel Jalenques, Procureur général près
la Cour de Dijon ;
Le docteur Cottin ;
Monnier (Hippolyte), fabricant de meubles;
Girardin, sous-ingénieur au chemin de fer,
sont nommés membres de la Société bourguignonne
de géographie et d'histoire.
Au nom de M. Henri Gascon, qui ne peut assister
à la séance, M. le Président donne lecture d'une
intéressante relation de voyage : « Deux semaines en
Espagne », par M. Honoré Gascon.
Vu l'heure avancée, la lecture du travail de M, Gaf-
farel, « le Général de Gassendi », est remise à la pro-
chaine séance.
Séance du 13 mars 1903.
PRÉSIDENCE DE M. ouBERT, président.
Le procès-verbal de la dernière séance est adopté
sans observation.
Parmi les ouvrages reçus depuis la dernière séance,
M. le Président appelle l'attention sur le tome XHI,
n® 1, de la Revue bourguignonne publiée par l'Univer-
sité de Dijon.
XLV
En suite d'un vote favorable :
MM. le D' Fonssard ;
Hurion, doyen de la Faculté des sciences ;
D' Lucien ;
Schupbach, chancelier du Consulat suisse ;
Marcel Nicolle, docteur en droit,
sont élus membres de la Société bourguignonne de
géographie et d'histoire.
M. le Président annonce la candidature de M. Louis
Guichard, pharmacien à Gray, présenté par MM. Vic-
tor Darantiere et Oubert.
M. Oubert achève la lecture de la relation de voyage :
« Deux semaines en Espagne », de M. Honoré Gascon,
puis il lit le travail de M. Paul Gaffarel : « le Général
de Gassendi. »
Séance du 17 mars 1903.
La Société, unie au Club alpin (Section de la Côte-
d'Or et du Morvan), invile ses membres à une confé-
rence faite au Grand Théâtre, par M. Henri Boland.
Sujet : Au pays de la vendetta. La Corse pillo^
resque.
Projections électriques et cinématographe, par la
maison Gaumont, de Paris.
Des remerciments sont adressés par M. le Président
à l'éloquent conférencier.
— XLVI —
Séance du 6 avril 1903.
La Société invite ses membres à une conférence au
Grand Théâtre, par M. Chailley-Bert.
Sujet : La Colonisation des possessions françaises.
La conférence a lieu sous le patronage de la Cham-
bre de commerce, de la Société des Amis de l'Uni-
versité, de la Société bourguignonne de géographie
et d'histoire, de l'Union des Chambres syndicales du
commerce et de l'industrie et de l'Ecole supérieure
de commerce.
Séance du 8 mai 1903.
PRÉSIDENCE DE M. OUBERT, président.
M. le président appelle l'attention sur les ouvrages
suivants qui ont offerts à la société depuis la précé-
dente séance :
Les Annales de VInslilul colonial de Marseilley conte-
nant le rapport de M. Gaffarel sur l'Exposition d'Ha-
noï. — Le Nouveau Port de Bizerte,
Le tome I®', série G. de VInventaire sommaire des
archives départementales antérieures kllQOj rédigépar
M. J. Garnier. JDes remerciements sont adressés aux
donateurs.
•^ XLVII —
M. Oubert annonce aux membres présents que la
Société française d'archéologie tiendra son Congrès
annuel à Poitiers, du 16 au 24 août, et que les membres
de la Société bourguignonne de géographie et d'his-
toire sont invités à y assister.
En suite d'un vote favorable, M. Guignard, dont la
candidature avait été présentée à la séance de mars
dernier, est proclamé membre de la Société bourgui-
gnonne de géographie et d'histoire.
M. Chabeuf prononce l'éloge de M. Clerget-Vau-
couleurs, récemment décédé à Dijon, et s'exprime en
ces termes :
La Société vient de perdre un de ses membres fondateurs
et Tun de ses anciens vice-présidents, en la personne de M. Claade-
Edmond Clerget-Yaucouleurs, conseiller honoraire à la Cour
d'Appel de Dijon, décédé en celte ville le !«' mai 1903. U était
né à Langres le 7 juillet 1830, et eut pour père un magistrat
de haut mérite, M. Charles-Henri Clerget-Yaucouleurs. mort
conseiller honoraire à la Cour de Dijon. Claude-Edmond sortit
du collège royal de Dijon pour faire son droit, fut reçu docteur
en mai 1853, et entra dans la magistrature en qualité do subs-
titut à Wassy le 1*' mai 1858; il passait au même titre à
Langres le 6 juillet 1860, devenait juge au tribunal civil de
Dijon, le 26 octobre 1864, conseiller à la Cour le 2 décembre
1882. Atteint par la limite d'âge le 7 juillet 1900, il était nommé
conseiller honoraire le 2i août suivant. Sa carrière fut celle
d*un magistrat instruit, dévoué à ses devoirs, d'une loyauté et
d'une indépendance absolues.
• Mais c'est surtoutdu membre de notre Société qu'il m'appar-
tient de parler ici ; il avait été l'un de ses fondateurs, le 6 mai
1881, et en fut vice- président du 27 décembre 1882 au U dé-
cembre 1887> puis du 12 décembre 1888 au 11 décembre 1891,
et a fait constamment partie du comité de publication. Plu
sieurs fuis appelé à présider les séances en remplacement du
— XL VI ri —
président empêché, il l*a fait avec le tact, Tiaipartialiié et la
bienveillance qui étaient le fond de son caractère. Ainsi se
montra-t-il le 3 novembre 1884, dans cette séance tenue ex-
ceptionnellement en la salle des Actes de l'Académie univer-
sitaire, anciennement celle de l'Académie des Sciences, Arts
et Belles-Lettres de Dijon. Ce jour-là, un célèbre explorateur
français, mort peu après tué par ses fatigues et le climat du
continent noir, vint, sur l'appel de la Société, faire une confé-
rence géographique pour laquelle, et l'événement le prouva
bien, notre salie ordinaire eût été trop étroite. Les auditeurs
de Paul Soleillet ont conservé le plus noble, mais aussi le plu^
poignant souvenir de cette soirée; épuisé do flèvre, la voix
expirante, Paul Soleillet n'était plus qu'une ombre, mais dans
ce corps exténué vivaient toujours indomptables l'ardeur des
découvertes, et l'énergie de l'homme qui s'est sacrifié à la civi-
lisation, à la gloire et à l'utilité de sa patrie.
Sans phrases, sobrement et avec un tact parfait, M. Clorget-
Vaucouleurs présenta le conférencier dans une allocution qui
a mérité d'être conservée dans les mémoires imprimé de la
Société, t. II, p. XXIV. On doit regrette r.que I'oti n'ait pas recueilli
également les paroles de remerciement par lesquelles il a clos
la séance.
Les mémoires ne contiennent qu'une œuvre de lui : Lettr($
inédites de Charles Brifaut, membre de l* Académie française à
M. F, M. Frantin, communiquées par M. Gabriel Bourée et précédées
d'une notice de M. Clerget-Vaucouleurs^ I1I« année, 1886. Notre
confrère avait ainsi *< procuré », comme on disait au xvii*
siècle, l'édition de lettres intéressantes mais qu'il était néces-
saire de présenter au public avec un commentaire.
Très écouté dans les séances générales et dans celles du
comité de publication, M. Clerget-Vaucouleur savait beau-
coup, en blason notamment, et le blason est une des clés do
l'ancienne histoire. Avec cela homme de relations absolument
sûres, ne se prodiguant pas, mais ami à toute épreuve quand
il s'était une fois donné. La Société fait donc une perte réelle eu
la personne de cet homme intelligent et de bon conseil dont le
souvenir est digne d'être conservé dans les comptes-rendus
impriiués de nos séances.
— XLIX
M. le Vicomte d'Avout présente, au nom de M. le
docteur Bertin, un travail sur les Beaujeu en Bour-
gogne.
M. Cornereau donne lecture d'une étude sur l'ingé-
nieur dijonnais Antoine à qui Ton doit nombre de
travaux : amélioration des routes, création d'une
grande route entre Beaune et Semur, poudrerie de
Vonges.
II publia un mémoire sur le canal de Dijon à la
Saône qui remit en question la création d'un canal
pour réunir la Saône à l'Yonne et établir ainsi la
jonction des deux mers.
Il s'occupa aussi d'archéologie et laissa plusieurs
mémoires: découvertes des ruines d'un monument
triomphal dans la très antique cité de Dijon ; mémoire
sur la colonne de Cussy, sur le bourg d'Ogne.
Séance du 12 juin 1903.
PRÉSIDENCE DE M. ouBERT, président.
M. le président donne lecture d'une circulaire de
M. le Ministre de l'Instruction publique informant la
Société qu'en réponse à l'invitation du gouvernement
américain, il a décidé que son déparlement partici-
pera à l'exposition internationale de 1904, à Saint-
Louis (Etats-Unis).
M le Ministre est disposé à réserver dans l'expo-
IV
sition une place à la Sociéîebourguignonne de géo-
graphie et d'histoire au cas où elle voudrait prendre
part à cette manifestation scientifique en envoyant un
exemplaire de ses dernières publications.
Il est décidé qu'il sera envoyé un exemplaire des
trois dernières années des Mémoires et même de
VHistoire des Ducs de Bourgogne, par M. E. Petit.
M. Oubert présente au nom de M. Chabeut, qui ne
peut assister à la séance, une communication sur le
code Ilammurabi. Ce code, qui se compose de 182 ar-
ticles gravés en caractères cunéiformes sur une stèle
découverte récemment à Suse, serait l'œuvre du roi
Hammurabi, contemporain d'Abraham. Ce serait
ainsi le plus ancien monument de législation connu :
il se rapproche beaucoup de la loi mosaïque et, chose
extraordinaire, offre de grandes analogies avec notre
législation actuelle, ce qui indique bien que les rap-
ports entre les hommes furent toujours sensiblement
les mêmes dans l'espace et dans la durée.
M. Mocquery fait observer qu'à l'époque à laquelle
on attribue le code Hammurabi l'Egypte était en
pleine civilisation et que c'est probablement du code
égyptien qu'[Iammurabi se sera inspiré pour établir
le sien.
Le travail de M. Chabeuf sera soumis au comité de
publication.
M. Rosenthal donne lecture d'une étude sur la pein-
ture et le public sous la monarchie de Juillet.
Il fait connaître les différentes causes qui donnèrent,
au début de cette période, un grand essor à l'art de la
peinture : la protection accordée par le gouvernement
— Ll —
aux artisles, les nombreuses commandes qu'il leur fit
plus tard, la création d'un salon annuel où ils pou-
vaient exposer leurs œuvres. Il donne aussi un aperçu
des difficultés que rencontraient certains artistes pour
faire admettre leurs tableaux que refusait un jury
souvent impitoyable. Il indique enfin quels furent les
rapports des artistes av£c la bourgeoisie.
M. le Président remercie M. Rosenthal au nom de
la Société et exprime l'espoir de relire son travail dans
l'œuvre plus complète dont l'auteur prépare la publi-
cation.
PROMENADES VALAISANES
(1902)
PROMENADES VALAISANES
(1902)
Je me trouvais en Suisse, aux vacances der-
nières, près du lac de Genève, et j'allais, le
22 septembre, rendre visite à un ami dans sa
villégiature des Mayens, au-dessus de Sion et de
la vallée du Rhône. Ce jour-là même était ins-
crite au calendrier la fête de saint Maurice, et
j'avais entendu vaguement parler d'une cérémo-
nie en la cité valaisane qui porte le nom du
saint. Je dis vaguement, car à Clarens, en pays
protestant, on ne s'émeut que difficilement des
solennités catholiques; on les passe volontiers
sous silence, quelque suggestives qu'elles puis-
sent être. A Bex seulement, aux portes du Valais,
en vue de la Dent du Midi, quelques voyageurs
montent dans le train; ils ne sont pas mieux ren-
seignés que moi, et vont un peu à l'aventure
De fait, Tinslant après, à Saint-Maurice même,,
tout. est en fête; les cloches sonnent à pleine
volée, la gare et ses alentours sont pavoises aux
couleurs pontificales et valaisanes harmonieuse-
ment accouplées; la foule s'achemine compacte
vers le champ de VéroUiez, pour commémorer
le martyre; pouvons-nous mieux faire que de la
suivre?
Sans entrer dans les discussions de THagio-
graphie et des BoUandistes, en nous référant
simplement à Lecoy de la Marche et aux écri-
vains récents qui se sont intéressés à la question,
nous pouvons dire quelques mots du martyr et
de ses compagnons. — UÉgypte avait été de
bonne heure évangélisée; Marc, disciple de
Pierre, y introduisit la doctrine du Christ. Ses
disciples remontent le Nil, et portent la bonne
parole jusque dans la Thébaïde. Sous Septime
Sévère, en 202, les chrétiens de la Haute-Egypte
subissent la première persécution. Mais leur sang
engendre de nouveaux fidèles ; les solitudes du
désert se peuplent d'anachorètes, et, dans les ar-
mées impériales, ces mômes chrétiens forment
plusieurs légions ; l'une d'elles, plus spécialement
nommée Légion thêbéenne^ était commandée par
le primicier Maurice.
On était en Tan 302, — c'est du moins la date
adoptée par les promoteurs du Centenaire, tandis
que certains historiens proposent celle de 286,
année en laquelle la Légion aurait été appelée
d'Italie en Gaule, pour réprimer la révolte des
Bagaudes, — sous le règne des deux Empereurs
— 5 —
associés Dîoclélîen et Maximien. Les Thébéens
campaient sur le Rhin, vers Cologne, lorsqu'ils ,
reçoivent Tordre de gagner l'Italie et de s'embar-
quer pour l'Afrique. On fait route par la Suisse,
on doit franchir les Alpes au Grand-Saint-Ber-
nard, passage toujours redouté; aussi TEmpereur
ordonne-t-il à Tarraée de s'arrôler et de sacrifier
aux dieux, afin de les rendre favorables à l'expé-
dition. C'est à Octodurum, aujourd'hui Marli-
gny, que les Thébéens reçoivent les instructions
impériales; ils refusent de s'y soumettre et con-
tinuent jusqu'à Agaune (Saint-Maurice). Là, de
nouveaux ordres plus impératifs les atteignent;
ils refusent encore, et, fidèles à leur Dieu, obéis-
sant à leur conscience, ils se laissent sans résis-
tance décimer une première fois, puis une se-
conde, jusqu'à ce que Maximien, furieux, ordonne
de massacrer les survivants. Tous périssent, au
nombre de six mille. L'histoire a retenu, avec
le nom de saint Maurice leur chef, les noms de
Candide et d'Exupère et celui du vétéran Victor.
Puis l'armée franchit la montagne, tandis que,
dans le champ de Vérolliez {vertes locus) les ca-
davres jonchent le sol. Ils sont recueillis par les
chrétiens d'Agaune, et bientôt s'élève un sanc-
tuaire où seront conservés leurs restes.
Soixante ans plus lard, saint Martin traverse
la vallée et s'arrête au monastère d'Agaune. Il
va prier sur le lieu du martyre ; avec un couteau
— 6 —
il soulève Therbe qui lui apparaît imprégnée
d'une rosée rouge; le sol rendait le sang qu'il
avait bu De ce sang il remplit plusieurs
fioles de verre, dont une est encore conservée au
Trésor de l'abbaye. — Telle est la légende, sé-
duisante et respectable, que chacun peut accepler
sans qu'elle repose toutefois sur des documents
absolument authentiques. Nous nous bornerons
à la signaler et ne la discuterons point, car nous
ne faisons pas ici œuvre d'érudition ; nous sommes
de ceux d'ailleurs qui n'aiment point démolir,
quand ils ne peuvent rien mettre de mieux à la
place.
Or, en ce jour tombait le XV!» centenaire du
martyre de la Légion. La veille déjà, les fêtes
avaient commencé; elles se continuaient aujour-
d'hui par un temps splendide. Les fidèles, les
simples curieux sont accourus en foule; il en est
venu de la rive française du Lac et de la Savoie;
le canton de Fribourg a envoyé ses représen-
tants; le Valais tout entier est là, depuis le gla-
cier de la Furka et les lointains parages de la
vallée de Couches; les vallées latérales sont des-
cendues, avec leur diversité de costumes. La
coiffure féminine attire surtout l'attention : ici,
le petit feutre noir valaisan; là, le cylindre
d'étoffe noire plissée en forme de mitre,' recou-
vrant une armature de paille, que porte la mon-
tagnarde des Mayens; ailleurs, le gracieux cha-
peau de paille de la paysanne d'Evolena. La
bergère du Val d'Illiers a fait toilette; elle a
délaissé le capulet rouge et le pantaloh masculin,
si familiers aux touristes de Champéry. Au mi«
lieu de celle foule bigarrée, empressée mais point
bruyante, les belles robes des dames venues de
Sion détonent quelque peu et courent risque d'être
froissées.
Sous un soleil étincelant, dans Tétroit chemin
qui conduit au Champ des Martyrs, la foule
s'amoncelle et progresse lentement, quinze mille
personnes peut-être, encadrées par les murailles
basses qui clôturent les vignes. Sur la pelouse
moine de VéroUiez, le cortège officiel débouche
en ce moment : le clergé d'abord, capucins en
robes brunes, prêtres en surplis, chanoines en
camail ; puis les reliques, la châsse de saint Mau-
rice en argent doré avec ses ornements repoussés,
portée sur de robustes épaules; un garde-suisse
en costume mi-partie jaune et rouge, tel que
ceux de la garde du Saint-Père, précédant le
groupe des évêques; Tabbé de Saint-Maurice,
évoque de Bethléem, titre qui, de Terre-Sainte,
fut transféré à Clamecy, éteint à la Révolution
et plus tard relevé au profit du Valais par le
Saint- Siège. A leur suite, lesautorités du canton.
Grand Conseil, Conseil d'État, Cour d'appel, tous
venus de Sion; les fonctionnaires, les délégués
des communes, corrects avec leurs vêtements
— 8 —
noirs et leurs chapeaux à haute forme; les étu-
diants suisses, à la casquette rouge, en leurs
diverses corporations, suivant le lieu d'origine :
VAgaunia de Saint-Maurice, la Rhodania de
Sion, la Brigensis de Brîeg, la Burgundia^ la
Sarinia du canton de Fribourg; les cercles, les
collèges avec leurs étendards floUant au vent ;
les diverses sociétés, précédées de leurs fanfares,
et, de place en place pour maintenir Tordre, des
sections de miliciens à Tuniforme sévère, et les
bons gendarmes valaisans au plastron bleu clair,
passepoils rouges et blanches buffleteries, — Au
son des instruments alternés de chants, tout ce
monde défile dans un ordre parfait et vient s'ali-
gner sur la pelouse, au centre de laquelle se
dresse Tautel ; les blancs surplis se groupent, la
foule fait cercle et la messe commence. L évoque
de Sion officie, puis il donne la parole à un prélat
français, Tévôque de Nimes, qui va prononcer le
panégyrique du saint, tandis qu'à Técart se
groupent les pèlerins de langue allemande, pour
entendre une allocution dans leur langage.
Ce concours religieux de tout un peuple est
émouvant au plus haut degré; le cadre d'ailleurs
est merveilleux, et l'éclat de la cérémonie s'en
trouve particulièrement rehaussé. A droite, à
gauche, les montagnes abruptes se dressent
comme des murailles; les hautes cimes, rocs et
champs de neige, apparaissent dans le lointain ;
— 9 -
ici môme, la riche vallée, campagne verdoyante ,
vignes et prairies, sillonnée par l'impétueux tor-
rent du Rhône, au flot grisâtre, souillé par les
boues du glacier qu'il va, quelques lieues plus
bas, déverser dans les eaux bleues du Lac ; la
vieille petite cité monacale et ses clochers, Téglise,
Tabbaye ; plus loin, la grotte aux Fées et le châ-
teau ruiné sur sa colline rocheuse, marquant un
étranglement de la vallée où le fleuve se fraie
péniblement passage; et, devant nous, surplom-
bant la plaine de Vérolliez, le rocher perpendi-
culaire aux replats broussailleux, où le sentier
grimpe en lacets jusqu'à Termitage de Notre-
Dame- du-Sex. Le soleil en plein midi darde tous
ses rayons, mettant toutes choses en valeur,
donnant à la cérémonie un éclat inoubliable.
J*aime ce beau pays du Valais, où se passe
chaque année la meilleure partie de mes va-
cances. Je n'y rencontre que sympathies fran-
çaises, à la différence de Genève et du canton de
Vaud, où Ton nous tient parfois en suspicion. Et
cependant ce pays n'a point toujours eu à se
louer de la France ; en 1797, à la Porte du Sex,
les Valaisans luttèrent héroïquement contre l'in-
vasion des armées républicaines; plus lard,
l'Empire les annexa et les plia pendant quatre
ans sous sa main de fer. Ils ne nous en ont point
conservé rancune : ils n'ont garde d'oublier que,
pendant trois cents ans, leurs ancêtres servirent
— 10 —
dans nos armées ; nombreux sonl les Courlen
<iui, au xviii® siècle, se battaient sous le drapeau
blanc, comme au xix® ils servaient sous la ban*-
nière pontificale. — Le Valais est un pays de
tradition ; la religion, les vieilles coutumes y sont
en honneur; les anciennes familles demeurent
entourées de respect et de considération ; les for-
lunes sont modestes ; on vit de peu et Ton reste
attaché au sol des ancêtres. Un jeune garçon de
dix-sept ans qui, ce même jour, guidait mon
mulet dans le chemin rocailleux des Mayens, n'a
point dépassé Vevey, et encore est-ce un grand
voyageur; il a vu le Lac au cours d'une excursion
de vacances que le collège de Sion offrait à ses
élèves; il y faisait ses études pour suivre plus
tard les cours de TUniversité de Fribourg, mais
sa santé en souffrait, il était en mal de la mon-
tagne; il a recouvré ses forces dès qu'il a pu de
nouveau fouler TAlpe et ses pâturages. Plus tard,
si Dieu le permet, il reprendra ses études; il sera
géomètre et demeurera au pays. — Le curé, le
vicaire d'Hérémence dans le Vald'Evolena, deux
hommes instruits, en la force de 1 âge, ont moins
voyagé encore : vers le Lac, ils n'ont pas dépassé
Saint-Maurice; dans la haute vallée, ils n'ont
pas été plus loin que Sierre ; un horizon de quel-
ques lieues leur suffit, ils savent borner leurs
désirs. 0 snncta simplicifas! en sont-ils moinç
heureux?
— 41 —
Et cependant, un fâcheux mouvement de cen-
Iralisation se dessine depuis quelques années.
Le canton de Berne, siège du Gouvernement,
attire à lui la prépondérance; l'indépendance des
cantons en souffre; bien des décisions importantes
deviennent cas fédéraux, et sont réservées à Tad-
minislration centrale. Puis le Valais ne démeure
plus fermé; les relations avec le dehors sont de-
venues plus faciles; la ligne ferrée sillonne la
vallée jusqu^à Brieg, à la grande joie des tou-
ristes, assurément ; les travaux de percement du
Simplon attirent de ce côté de nombreux ouvriers,
population nomade et tapageuse, qui dénature
Tesprit paisible du Valaisan. Dans quelques an-
nées le tunnel sera praticable, et le flot des voya-
geurs se précipitera de ce côté, apportant peut-
être avec lui la richesse, chassant plus sûrement
le bonheur.
Au delà de Saint-Maurice, en remontant le
cours du Rhône, les attractions se multiplient.
C'est Vernayaz, au débouché des Gorges du
Trient, au pied de la Cascade de Pissevache.
Une route étroite, sinueuse, tour de force de
ringénieur, enjambe le torrent, s'élève par 33
lacets jusqu'au village de Salvan, pour gagner
de là Finhaut, établissant la communication la
plus directe entre le Valais et Chamonix. Les
tournants sont d'une rapidité vertigineuse ; des
chars spéciaux, à deux voyageurs, peuvent
seuls y circuler en sécurité ; mais un chemin de
fer à crémaillère est amorcé près de là, et vien-
dra bientôt doubler la route.
Plus loin, c'est Marligny, au tournant de la
vallée, centre d'excursions favori des touristes.
Soit que par le col de Balme ou la Tète-Noire ils
gagnent Chamonîx, ou que par la vallée de la
Dranse ils se dirigent vers le Saint-Bernard, soit
qu'à proximité plus immédiate ils visitent les
Gorges du Durnand, ou que simplement, la
longue-vue en arrêt, ils fouillent du regard les
cimes neigeuses du Vélan ou du Combin, de la
chaîne du Mont-Blanc, se dressant là- bas comme
en une gigantesque toile de fond ; de tous côtés
ce n'est que fête pour les yeux, fête pour les
poumons qui se dilatent, pour les jambes qui
sollicitent le voyageur de se laisser porter aux
folles aventures.
Suivons modestement le cours du Rhône. Voici
Sion, la vieille capitale valaisane, avec ses deux
châteaux ruinés de Valère et de Tourbillon sur
leur roche grisâtre, barrant la vallée ; en ces
murailles croulantes, les Romains, les évoques
de Sion, les seigneurs féodaux ont successive-
ment marqué leur empreinte. Dans la ville même,
quelques vieux hôtels aux portes basses cintrées,
aux longs couloirs sombres, aux antiques boise-
ries, rappellent une époque de splendeur ; les
— 43 —
Supersaxo et jes Riedmalten à Sion, les Courten
à Sierra, les Stockalper à Brieg ont donné leur
nom à ces gothiques demeures, et les possèdent
encore.
Un mulet m'attend à la gare, et, par des sen-
tiers en pente rapide, à travers vignes, vergers
et pâturages, je me hisse jusqu'aux Mayens, à
1300 mètres au-dessus de la vallée. Là, sur des
pelouses herbeuses, fortement inclinées, s'éche-
lonnent les chalets élégants ou rustiques, habi-
tations d'été où les bourgeois de Sion viennent
prendre villégiature. La vie y est simple et pa-
triarcale ; on voisine, on se promène, en par-
faite simplicité, loin du mouvement et des
agitations mondaines, loin des bruits de la ville,
dont rien, si ce n'est le son des cloches, ne
monte là-haut. La poste et le télégraphe ratta-
chent, il est vrai, à la civilisation ces émigrants
volontaires ; mais n'est-ce pas trop encore, et le
comble du bonheur ne serait-il pas de ne point
lire de journaux, de ne pas recevoir de lettres ?
Le spectacle est spendide, en eflfet, du
haut de cet observatoire naturel, et je m'y lais-
sais absorber pendant de longs instants, A mes
pieds, dans toute sa largeur, la vallée du
Rhône et ses riches cultures, le fleuve roulant
son flot limoneux, la petite cité étalant ses mai-
sons blanches ; au delà, le sol se relevant insen-
siblement ; les vignes plantées sur le terrain
— 44 —
grisâtre et granilique, mainlenues par de basses
clôtures en pierre sèche ; puis les prairies seuiées
de villages, les bois, les sommets dénudés, les
champs de neige, là- bas, vers le glacier de Zan-
fleuron et le Saanelsch, par où l'on débouche sur
le haut canton de Berne. Le soleil va disparaître ;
les. cimes neigeuses se dorent à ses derniers
rayons, Thorizon se colore en rouge ; puis la
brume du soir tombe, les sommets se voilent, la
nuit approche et s'établit rapidement ; plus rien
ne subsiste du magnifique panorama contemplé
quelques instants auparavant, rien que les clar-
tés tremblotantes qui successivement s'allument
au fond de la vallée, dessinant d'un trait de feu
les rues de Sion, seule manifestation de la vie
humaine dans cette nuit profonde.
Tout ce pays fut jadis, dans la période qui
suivit 1830, visité par un homme d'esprit, maî-
tre de pension dix mois de Tannée, touriste en
compagnie de ses élèves pendant les deux mois
de surplus, qui à un joli brin de plume joi-
gnait un coup de crayon délié ; il s'appelait
Tœpffer. Peut-être est-il bien oublié de nos jours
il méritait mieux que cela. Ceux qui
ont lu les Voyages en zigzags, qui ont savouré
les Nouvelles genevoises^ gardent au professeur
de Genève un souvenir reconnaissant. Il était
protestant^ et le laissait voir un peu trop dans
ses écrits ; il n'aimait point les Jésuites, et les
— 15 —
caricaturait volontiers ; pour lui « Sion est une
« petite Jérusalem catholique, où s^élèyent de
« saints parvis incessamment encombrés de fi-
« dèles. » Ceci ne Tempèche pas de noter les
vieux hôtels dont nous avons parlé, et les ar-
ceaux en ogive, et la vieille salle peinte, dorée,
boisée, meublée d'antiques bahuts, de buffets
richement sculptés, que nous retrouvons nous-
môme dans ces antiques demeures. C*est que
Tœpffer est un artiste ; toute belle chose excite
son admiration, qu'elle sorte de la main du
Créateur, ou simplement de celle des hommes.
Ses descriptions sont encore vraies, et se lisent
avec plaisir ; il nous révèle sans emphase, en
toute sincérité, une Suisse que nous ne connais-
sions pas, que nous sommes heureux de décou-
vrir avec lui.
A ce point de vue, beaucoup restait à faire.
Jean-Jacques avait pratiqué la Savoie et le pays
de Vaud ; il nous a rendu avec une fraîcheur
charmante ses impressions de la première jeu-^
ncsse ; une seule *fois il s'aventura dans les mon-
tagnes du Valais ; en réalité, il ne connaît la
Suisse qu'à mi-côte. L'Alpe véritable est décou-
verte et signalée par Saussure, à la fin du
xviir siècle dans ses descriptions scientifiques,
il en note sobrement la poésie. Puis vient Cha-
teaubriand, qui ne fait que passer, et semble
traiter le Mont Blanc du haut de sa grandeur.
— 46 —
Byron séjourne davantage ; il sent et pratique les
Alpes ; mais l'auteur de Childe-Harold avait d'au-
tres soucis : la montagne est lente à conquérir,
elle ne se laisse pas brusquer en un jour. En
réalité, la Suisse n'était qu'effleurée ; pour la
grande masse du vulgaire, elle demeurait un
affreux chaos de montagnes et de vallées, de ci-
mes inaccessibles et de précipices insondables,
ne pouvant inspirer qu'épouvante et horreur.
L'effort de Raoul Rochelle, dans ses Lettres de
1820, fut des plus estimables ; mais ses descrip-
tions sont trop voulues ; c'est un cadre dans le-
quel THelvétie tout entière doit trouver place,
soit une encyclopédie qui a la prétention d'être
complète, de retracer compendieusement toutes
choses, de peindre les mœurs et les- paysages,
d'étudier la constitution politique et la belle na-
ture; tout cela trahit le système, l'intention du
maître qui voudrait nous remettre à l'école. Rien
de semblable chez Tœpffer; chez lui, rien de con-
venu, rien de préparé. C'est à Tâme de la na-
ture qu'il s'adresse, car il y a dans tout paysage
une vie cachée, un sentiment qu'il s'agit d'ex-
traire, défaire saillir,'de rendre par une expres-
sion naïve et fidèle. Donc, il note au hasard ses
impressions, à mesure qu'elles se présentent à
son esprit ou à ses yeux; tel incident inattendu
fait naître chez lui des réflexions où il se com-
plaît un instant, comme s'il se parlai! à lui-même.
— 17 —
Notre enfance écartait ces digressions comme trop
philosophiques et trop sérieuses , notre âge mûr
y revient volontiers, et s'y attarde avec Tauteur.
Il nous semble avoir éprouvé les mômes sensa-
tions Des boutades humoristiques relèvent le
charme du style, et çà et là viennent remailler
quelques mots du vieux langage, de notre fran-
çais des siècles antérieurs, dont nous avons perdu
le secret, mais que les riverains du Léman ont
su conserver dans sa verdeur gauloise. Nous
avons visité Sion en compagnie de Tœpffer; avec
lui nous avons gravi la rude pente des Mayens ;
avec lui encore, et sa bande joyeuse d'écoliers,
nous allons remonter le Val d'Evolena.
Du chalet de notre ami, par des pentes herbeu-
ses, nous gagnons Vex, un gros village dominant
la vallée de la Borgne, torrent tributaire du
Rhône. Des chalets massifs en bois noirci par la
pluie, par les intempéries de Thiver ; de misé-
rables cabanes servant de granges, un dédale de
ruelles rocailleuses ou embraminées — vocable
de Tœpffer pour peindre la boue noirâtre qui
hante perpétuellement le village valaisan, et dans
laquelle le touriste citadin s'engage avec hor-
reur, au risque d'y laisser ses chaussures — telle
était la bourgade il y a soixante ans, telle elle se
présente encore aujourd'hui ; peut-être en plus
quelques maisons de pierre, la poste, Tauberge,
2
— 18 —
une modesle boutique, et c'est lout. Mais, hors
du village, il y a assurément progrès : le sentier
sinueux, tortueux, où défilait jadis la bande
joyeuse, est devenu une route carrossable, non
point merveilleuse assurément, mais offrant des
garanties de sécurité. Au pied du bourg d'Héré-
mence, perdu là-haut ami-côte, la vallée se bi-
furque; à droite le Val d'Hérémence, à gauche
celui d'Hérens que nous suivons dans la direction
d'Evolena. Un contrefort se détache de la monta-
gne et vient barrer la route ; il est percé d'un tun-
nel; mais ce contrefort a la configuration la plus
bizarre : il est surmonté, crénelé de cônes sa-
blonneux, agglomérés à leur base, plus haut s'i-
solant pour s'élancer vers la nue en forme d'ai-
guilles. Le sable s'est durci, solidifié, d'abord
sous des influences diluviennes et glaciaires, plus
tard au perpétuel contact de Tair; il affecte une
consistance rocheuse, et chaque cône porte en
son sommet un bloc de pierre formant table,
campé en un équilibre d'apparence instable, au
point d'inquiéter fortement le touriste qui va
s'engager dans le tunnel. En fait, les chutes de
pierres se produisent de temps à autre, sans être
absolument meurtrières. Ce sont les Pyramides
d'Useigne, et, dans ces fantastiques blocs de
pierre, affectant au clair de lune des formes hu-
maines, plus d'un habitant de la vallée a pré-
tendu noter des influences diaboliques.
— 10 —
La route serpente au flanc do la montagne; à
nos pieds, au fond d'une élpoîle ravine, le torrent
delà Borgne coule avec fracas sur un lit de ro-
ches. Une chapelle solitaire domine le dernier
escarpement; Tœpffer la notait déjà; Thumble
péristyle à colonnetles servit d'asile à plus d'un
traînard de la bande surpris par une formidable
averse. Bientôt la vallée s'élargit, la ravine se
comble, le site devient moins sauvage ; ce sont
de gracieuses prairies, et, en leur centre, une
importante agglomération, le bourg d'Evolena.
Encore un village embraminéy où la boue se
durcit aux rayons du soleil, pour reparaître noi-
râtre et gluante à la première pluie. Mais le temps
est superbe, le soleil brille, l'air pur se respire
à pleins poumons; le touriste se sent vivre, il
goûte avec bonheur le plaisir de la promenade
pédestre, une source de joie que la voltigeante
bicyclette, l'impétueuse automobile sont entrain
de tarir. Jusqu'au village desHaudères, la vallée
se continue, élargie, plane, sillonnée par le tor-
rent de la Borgne ; à droite, à gauche, des crêtes
rocheuses o\\ résonne de temps à autre un coup
de carabine tiré sur quelque chamois. Dans les
prairies voisines, les faneuses en leur pittoresque
costume, chapeau de paille coquettement posé,
foulard rouge autour du cou, comme une note
joyeuse reflétant le voisinage de l'Italie. Dans le
langage également se trahit Tinfluence italienne,
— 20 —
et mieux encore dans l'ornementation des églises,
à Hérémence, à Evolena, les autels surmontés
de baldaquins, flanqués de colonnes torses, agré-
mentés de guirlandes et de peintures, du pur style
rococo. Aux Haudères, la vallée se bifurque de
nouveau ; à gauche, elle monte au glacier de
Ferpècle, et se ferme à la Dent d'Hérens, dont la
masse blanche, isolée, se fait voir subitement,
étincelant au soleil ; à droite, elle se prolonge
jusqu'au Mont Gollon, jusqu'au Pigno d'Arolla,
déjà un nom à la résonnanc'e italienne. Depuis
quelques instants, de ce côté, les cimes neigeu-
ses se révélaient une à une, à chaque sinuosité
de la vallée ; c'est maintenant le massif tout en-
tier d'Arolla qui nous apparaît, superbe, attirant,
avec ses pics échelonnés ; et Ton voudrait pour-
suivre, toujours aller plus loin, pour découvrir
à chaque pas une merveille nouvelle ; mais il
faut savoir se borner. . .
Une autre excursion me conduisit aux Bains
de Louèche, et jusqu'au sommet delà Gemmi. Ici,
nous abordons le versant opposé du Valais, vers
le canton de Berne. En chemin de fer d'abord,
au-delà de Sion jusqu'à Sierre qui marque la li-
mite des langues, le français cédant la place à
l'allemand, et, après Sierre, jusqu'à Sousten, la
station de Louèche. La vieille petite ville est sise
à mi-côte, dominée par un antique château et
— ai —
quelques tours de défense. Les barons féodaux
ont laissé dans toul ce Valais de fâcheux souve-
nirs ; à une époque lointaine, racontent les chro-
niques, tel personnage qui, par sa férocité ou ses
exactions, avait lassé la patience populaire, voyait
se lever contre lui la mazza^ masse de bois que
l'on promenait furtivement le soir, chacun y en-
fonçant un clou à sa guise. Lorsque ce nouvel
ostracisme avait réuni la majorité des suflFrages,
la volonté du peuple était notifiée au banni, et
celui-ci devait s'y conformer par un exil volon-
taire. Parfois il résistait ; alors la furie populaire
se déchaînait contre lui, son château était pris
d*assaut, ruiné de fond en comble, et lui-même
mis à mort. La mazza sévit pendant un siècle ;
ainsi s'expliquent les ruines qui, tout le long du
Valais, se dressent au sommet de mainte colline.
La route remonte la vallée de la Dala, torrent
impétueux encaissé dans une profonde ravine.
En face d^nden, sur la rive opposée, un village
à mi-côte ; c'est Albinen, où grimpent, des Bains
de Louèche, les fameuses Echelles. Le passage
est vertigineux : huit échelles défectueuses re-
posent sur une série de rochers formant paliers
successifs, et conduisent jusqu'au sommet ; l'as-
cension est absolument perpendiculaire ; parfois
môme la verticale se déplace, et le touriste doit
monter le corps renversé en arrière. Aussi les
guides bien intentionnés déconseillent-ils ce tour
22
de force au voyageur dont la lèle n'est pas com-
plètement sûre,et l'on se contente prudemment de
regarder les paysannes d'Albinen, chargées de
lourds fardeaux, dévalant le long de ce terrible
escalier, pour porter aux Bains de Louèche leurs
modestes provisions.
Louèche-les-Bains occupe exactement le fond
de la vallée, dans un entonnoir dominé par de hau-
tes parois rocheuses. Le site est sévère, et, mal-
gré SOS hôtels confortables, ne constitue pas un
séjour de plaisance. Le traitement médical est
absorbant : cinq heures de séjour dans le bain,
telle est la ration quotidienne. L'honnête Raoul
Rochette, qui s*y arrêtait vers 1820, décrit d'une
manière plaisante cette promiscuité des bains pris
en commun, les jeunes femmes conversant entre
elles, travaillant à quelque ouvrage de couture,
ou respirant le parfum des fleurs posées devant
elles sur un pupitre ; les militaires se racontant
leurs campagnes, et se montrant leurs cicatrices ;
les uns lisant, les autres chantant, jusqu'à ce que
rheure du repas, pris dans Teau comme le reste,
réunît tous les baigneurs en une occupation com-
mune. La saison était trop avancée pour que je
pusse vérifier si la description était encore fidèle ;
toutefois les piscines subsistent, et l'usage du bain
en commun n'a point disparu. Mais ce n'est pas là
ce qui m'attirait : je fouillais ardemment de ma
longue-vue le rocher perpendiculaire qui forme
la vallée; je cherchais par quel miracle un che-
min avail pu s'accrocher à la paroi, et se hisser
jusqu'au sommet. Quelques instants plus tard,
je me mettais en route, et j'atleignais rapidement
la base du rocher.
Il existe bien, ce chemin, et même il n'est pas
absolument périlleux pour le touriste calme,
exempt de vertige, et résolu à ne point commettre
d'imprudence. Aménagé au milieu du xviii^ siècle,
il est suffisamment entretenu, el bordé do bar-
rières à tous les endroits dangereux. Les lacets
larges d'un mètre cinquante centimètres, prati-
qués dans le roc, aflFectent la forme d'un escalier
tournant et se surplombent les uns les autres ;
plus de 3.000 mètres de longueur, qu'il est loisible
de gravir à cheval, mais qu'il est prescrit de des-
cendre pédestrement, depuis l'accident d'une dame
aventureuse qui, en 186 1 , dégringola dans labîme
pour ne plus se relever. De fait, la montée à pied
est beaucoup plus agréable ; c'est une besogne
suffisante de se surveiller soi-même et de se gar-
der de tout accident, sans avoir de plus à veiller
sur un quadrupède à la merci duquel on se trouve
entièrement livré.
Le site est effrayant et superbe dans sa sévérité :
de sombres rochers dénudés, la paroi à pic, et, à
nos pieds, les Bains de Louèche, éclairés par un
vague rayon de soleil, groupant leurs maisons
blanches au fond de rcnlonnoir. On en jouira
— 24 —
mieux à la descente ; pour le moment, on évolue
lentement, car la montée est raide. Au sommet,
un superbe panorama se découvre; la vallée du
Rliône,et, par delà, les hautes cimes, le Mont Rose,
le Weisshorn, le Cervin. Mais la température s'est
considérablement abaissée ; un froid pénétrant se
fait sentir, une petite pluie mêlée de neige tombe
et transpercerait bientôt le touriste. On fait quel-
ques pas sur le plateau, le long du Dauben-see,
un petit lac dominé par les hautes cimes du Wild-
strubel ; la neige descend des sommets jusqu'à
peu de distance ; le lac est gelé sept mois de Tannée ;
c'est une affreuse Sibérie ; et devant nous, un dé-
sert rocheux, solitude d'une amère tristesse, jus-
qu'au petit lac de Schwarenbach, jusqu'à la fu-
nèbre auberge où Werner a placé sa scène dra-
matîque,?a Nuit du 24 février ; un père meurtrier
de son fils qu'il n'a pas vu depuis longues
années, qu'il reçoit sous son toit et qu'il assassine
sans le reconnaître pour lui dérober son modeste
pécule... Un tel site, nous le comprenons, ne pou-
vait inspirer que de telles horreurs !
A Kandersteg seulement prend fin ce lugubre
chaos ; là on retrouve visages humains, gîte civi-
lisé et bonne route vers les sites enchanteurs du
lac de Thun. Mais tel n'est point aujourd'hui mon
objectif: je regagne la Gemmiet l'hôtel solitaire
qui, à 2.300 mètres d'altitude, ne compte en ce
moment d'autre visiteur que moi-même ; par ce
— 25 —
froid pénétrant qui glace jusqu'aux moelles, un
verre de punch brûlant est le bienvenu. La des-
cente s'opère sans accident ; la pente est rapide ;
il convient de ne pas s'absorber dans la contem-
plation des Bains de Louèche, là-bas, au fond de
Tentonûoir; défions-nous des suggestions du ver-
tige, et cramponnons-nous énergiquement au
solide soutien du bâton ferré. — Au bas de la des-
cente, rhôtel confortable et chauflFéme séduit par
son bien-être ; la table est bien servie, et cepen-
dant les hôtes sont clairsemés; un seul dîne près
de moi ; c'est un touriste intrépide qui vient de
passer quelques jours dans la montagne ; sa chasse
a été heureuse, ainsi qu'en témoigne un filet de
chamois auquel nous goûtons incontinent. Encore
une bonne journée de voyage, qui ne laisse en
mon esprit que d'agréables souvenirs.
Ma dernière excursion valaisane, la plus belle
de toutes, me conduisit à Zermaltet au Gœrner-
grat. Ici encore, nous allons retrouver les traces
de Tœpffer. — Pendant longues années, plus
longtemps que Chamonix découvert par Saus-
sure, Zermatt demeura séparé du monde civilisé;
le Valais était connu, on abordait les précipices
de la Gemmi, on franchissait le Saint-Bernard
et le Simplon, mais on ignorait la vallée de la
Viège. Raoul Rochette ne parait point la soup-
çonner. TœpflFer la remonte en 1842 avec sa
— i>6 —
bande ; à Stalden, il assiste à une représenla-
lion théâtrale, Rosa de Tannenbourg ^ dont le
curé du lieu s'est fait l'imprésario. Depuis long-
temps la Suisse avait le goût de ces fêtes popu-
laires ; par elles se sont continués jusqu'à nos
jours les Mystères du Moyen âge. Une vieille
liste de drames religieux, patriotiques et moraux
mentionne une de ces pièces, VOmhi^e de Stauf-
fâcher^ jouée à Genève en 1S84, un demi-siècle
avant qu'Oberammergau inaugurât son Mystère
de la Passion.
TœpflFer ne dépasse pas Zermatt. On ignorait
alors le Gœrnergrat. Encore le voyage n'était-il
pas facile : c'est à pied exclusiveraenf, et pour
cause, que cheminait la bande joyeuse ; de voie
carrossable, il n'en existait point, rien que des
sentiers surplombant le torrent. Plus tard, une
route fut établie à partir de Zermad ; mais pen-
dant longtemps elle ne parvint point jusqu'à la
vallée du Rhône ; il y avait là, m'a-t-on dit, un
monopole de transports et de communications
que telle famille influente entendait se réserver.
Nous sommes plus heureux aujourd'hui ; depuis
1891, la voie ferrée remonte la vallée de la
Viège ; elle est à crémaillère intermittente, de
penle modérée, éminemment pittoresque. —
Jusqu'à Stalden, région et cultures civilisées,
sites ravissants. Mais la vallée se bifurque, à
gauche vers Saas, ravine sauvage et sombre.
- 27 —
desservie par un simple chemia muletier, à
droite la vallée principale ; les montagnes se
resserrent, la rive s'escarpe, la voie ferrée se
fraie péniblement passage. Le torrent devient
furieux, se brisant contre les roches grisâtres et
polies, formant xine série de cascades écumantee^,
spectacle superbe et terrifiant, fracas indescripti-
ble ! — La cime neigeuse du Breilhorn se mon-
tre au fond de la vallée ; celle-ci s'élargit, do-
minée par les Mischabels ; enfin Zermatt appa-
raît, avec ses maisons blanches et ses chalets
noircis, et à droite, en arrière, la colossale pyra-
mide du Cervin, comme pour signaler au tou-
riste le but rêvé.
A Zermatt môme, le Gervin disparaît, caché
par un contrefort montagneux. Le Breithorn se
dresse et s'étale devant nous ; à ses pieds, la
masse blanchâtre du glacier du Gœrner, qui
descend en se contournant, et se perd dans les
broussailles pour donner naissance à la Viège.
— Zermatt, dans son cirque de prairies ver-
doyantes, offre un double aspect : les magasins,
les beaux hôtels monopolisés par la famille Sel-
ler et recelant tout le confort moderne ; puis, à
deux pas plus loin, le modeste village valaisan
et ses chalets rustiques, les uns alignés le long
de la^grande rue, vers la petite église catholi-
que, dans la direction du Gœrner, les autres au
bas du village; en une ruelle perpendiculaire au
— 23 —
torrent. La Viège coule impétueuse, grisâtre, sur
un lit de sable boueux, vraie rivière de glacier,
déposant à chaque pas d'innombrables molé-
cules. Mais combien pitloresques sont tous ces
chalets en poutres mal équarries, brunis par le
temps, rongés par Thumidité et la vétusté ! Ils
s'élèvent sur pilotis, défiant les irruptions du
torrent ; au sommet du pilier de bois ou de
pierre, d'énormes rondelles en pierre forment
chapiteau rustique, servent de base et d'assise à
la cabane. Est-ce là un ornement à ces cons-
tructions primitives ? mais non, simplement
une mesure de précaution contre Tinvasion des
rats : le rongeur infatigable, grimpant à Tas-
saut de la baraque, vient se buter contre cet
obstacle infranchissable, et retombe découragé.
Maint chalet de Vex, d'Evolena, les chalets de
la vallée de Couches, battus par le torrent im-
pétueux du haut Rhône, portent de même la
rondelle préservatrice.
Une flânerie dansZermatt ne serait point com-
plète, sans la visite aux deux cimetières ; elle
n'est point gaie assurément, mais combien sug-
gestive ! Le modeste cimetière catholique, le
plus ancien, conserve les tombes des ascension-
nistes morts à la montagne ; naturellement
l'Angleterre détient le record dans cette funèbre
nomenclature. — Ce sont les victimes de la ca-
tastrophe de 1865. Jusque-là, le Cervin était
— 29 —
demeuré inviolé ; sept fois Whymper en avait
tenté TascensioD, sept fois il avait échoué. Il
part une dernière fois avec le jeune lord Dou-
glas, les Anglais Hadow ot Hudson, les guides
Croz et Taugwalder père et fils. Tout va bien
d'abord, et, au prix de mille efibrts, on parvient
au sommet ; il faut descendre : Croz et Hadow
prennent la tête, puis Hudson et Douglas, puis
les deux Taugwalder et Whymper demeuré le
dernier. Une même corde les reliait les uns aux
autres. Tout à coup Hadow fait un faux pas,
tombe sur le guide Croz qui perd l'équilibre, et
tous deux sont lancés vers le précipice ; ils en-
traînent après eux Hudson et Douglas. Le vieux
Taugwalder qui les suit a la présence d'esprit
de s'accrocher à un rocher ; un instant il soutient
le poids énorme des quatre infortunés, mais la
corde se brise, et tous quatre dégringolent
dans le gouffre béant. On les retrouva le soir
même, affreusement mutilés, déchiquetés, dé-
pouillés de leurs vêtements, à l'exception de
Douglas, dont Tabime n'a jamais rendu le ca-
davre.
Telle fut dans le moment la version officielle,
et nul ne chercha à en faire prévaloir une autre.
Toutefois, on chuchotait tout bas, et je recueillis
moi-même l'écho de ces bruits à Zermatt, que
Taugwalder, se voyant irrémédiablement attiré
en avant, hors d'état de supporter le fardeau qui
— 30 —
Tentraînaît, aurait coupé la corde, sauvant ainsi
et lui-même, et son fils, et Whymper. « Que
« voulez-vous, Monsieur ? me disaient à voix
« basse ces braves gens ; il était en légitime
« défense ; ne pouvant les sauver tous, il a fait
« la part du feu. C'était son droit. » Raisonne-
ment terrible, mais que répondre à cela ? On
garde le silence, et Ton réfléchit. Il y a là de
quoi glacer bien des cœurs, car la liste funèbre
ne s'arrête pas ainsi : elle se poursuit au cime-
tière catholique, et mieux encore au petit cime-
tière anglican, de création récente, riant et orné
de fleurs, mais renfermant déjà, lui aussi, son
ample moisson de cadavres.
Et cependant ces catastrophes ne rebutent point
les courages ; chaque année la liste des ascensions
est plus nombreuse. C'est que celte montagne
du Gervin est singulièrement attirante ; àZermalt
môme nous l'avions perdue de vue ; nous la re-
voyons maintenant, alors que, sur la voie ferrée
à crémaillère, à travers des bois de mélèzes, nous
gravissons lentement les pentes du Riffel. En
1891 déjà, je suivais une première fois ce chemin ;
la voie ferrée n'existait pas alors ; c'est à pied ou
à dos de mulet qu'on se hissait jusqu'au Gœrner-
grat. L'élape était forte, etmaint touriste reculait
avant d'arriver au but ; semblable mécompte
n'est plus à craindre aujourd'hui. — Riflelalp,
première station, hôtel Seiler, dans une situation
- 31 —
merveilleuse, dominant de très haut le glacier du
Gœrner, de plus haut encore la rianle vallée de
Zermalt, perdue là-bas, au fond. Et la voie de
décrire un grand arc de cercle, au-dessus de
vastes éboulis ; en face de nous, sur la droite, le
majestueux Cervin, se découvrant jusqu'à la base,
darde sa cime dans la nue, pyramide triangu-
laire, aux arêtes vives, d'une telle rigidité que
la neige ne peut y adhérer, et que, sur les parties
saillantes, la roche demeure à nu. Le colosse
semble défier Tascensionnisle, et celui-ci de bra-
quer sa longue vue, de chercher par quel côté le
monstre serait plus facilement accessible. C'est
là-bas, sur la droite, semble-t-il, là où l'une des
arêtes se recourbe quelque peu, formant bosse...
N'importe; le Cervin attire et irrite tout à la fois,
et ce n'est pas seulement sur nous, citadins, qu'il
produit cet effet d'exaspéralion ; les gens du pays
eux-mêmes se sentent enlraînés ; le conducteur
du train, un jeune armailliàe^ la Gruyère, avec
lequel nous échangeons nos impressions, se
promet de tenter au premier jour l'ascension. En
ce moment même, comme pour nous narguer, la
cime recourbée, le horn^ s'encapuchonne de
nuages, un léger flocon qui flotte et oscille, et
pour le reste de la journée nous voilera le som-
met.
Riffelberg, seconde station, nouvel hôtel Seiler,
et la voie de grimper toujours, à travers les ro-
— 32 -
cailles, nature sombre, triste, sans verdure, Enfin
dernier arrêt, station terminus, à 3020 mètres d'al-
titude, soit la voie ferrée qui en Europe atteint la
hauteur extrême ; plus élevé qu'au Rigi, qu'au
Stanserhorn, qu'au Pilate, qu'au Rothhorn de
Brienz,le chemin de fer duGœrnérgrat ne le cé-
dera qu'à celui de la Jungfrau, quand la dernière
section en sera ouverle, à savoir quand la che-
minée perpendiculaire qui doit atteindre le som-
met de la Vierge bernoise aura livré passage aux
wagons. — Et les alpinistes fougueux de se la-
menter ; on dépoétise la montagne, où sont les
belles ascensions d'autrefois ? D'abord^ la voie
pédestre est toujours permise aux intrépides, pour
qui le railway de montagne est un instrument
méprisable ; puis il reste encore, pour les satisfaire,
assez de sommets que la vapeur a épargnés ; enfin,
pour tout dire, certains d'entre nous considèrent
comme un avantage précieux d'arriver frais et
dispos au sommet, prêts à admirer sans le souci
de prendre un immédiat repos. Ce sentiment
d'admiration exclusive, dégagé de tous soins ac-
cessoires, j'allais l'éprouver d'une manière com-
plète sur le plateau du Gœrnergrat.
Une crête rocheuse, légèrement renflée à sa
naissance, se rétrécissant immédiatement en dos
d'âne pour se continuer, flanquée d'éboulis, sur
une longueur d'un kilomètre environ; les pre-
mières neiges ne sont pas encore tombées ; sur la
— 33 —
pente qui incliire vers la gare, quelques rares
plantes alpestres, mousses ou lichens, aucune
fleur; mais au sommet, rien que poussière, rc-
cailles et gravais : tel se présente à nous le grat
ou gradin du Gœrner, avec une forle bâtisse carrée
sur son esplanade initiale, dernier hôtel Seiler,
ou plutôt solide auberge, offrant au touriste un
précieux asile. 3136 mètres d'allitude, peut-être
la construction la plus élevée de notre vieille
Europe, n'était TObservatoireJanssenau sommet
du Mont Blanc ; belvédère à souhail, se dressant
isolé en face du plus magnifique horizon alpestre
qu'il soit possible de rêver.
Tout un cirque de montagnes, cou ver tes de neiges
éternelles, dont nous occupons le centre. Devant
nous, si nous regardons vers le sud, le dos tourné
à Zermalt, à gauche d'abord, le Mont Rose et sa
double cime, Nord-Ende, 4612 mètres, Dufour-
Spitze, 4636 mètres, forte masse, ne produisant
point assurément l'effet gigantesque du Cervjn
avec sa pyramide aigitë, et cependant c'est le
géant de la chaîne. Puis, en continuant vers la
droite, séparés les uns des autres par des champs
de neige, le Lyskamm, 4538 mètres, les Deux
Jumeaux Castor et PoUux, 4230 et 4294 mètres,
la haute muraille du Breithorn, 4171 mètres,* et
les champs glacés duThéôdule, un passage bien
connu des contrebandiers, par où s'insinue le col
donnant accès en Italie. L'extrême crête de ces
3
^ 34 -
montagnes marque en effet la frontière ; sur Tau-
Ire versant, c'est le Val Tournanclie, vallée ita-
lienne de langue française, terrain de chasse fa-
vori de la gracieuse reine Marguerite. Et en
continuant toujours à droite, le Cervin, 4482 mè-
tres, puis la vallée de Zermatt formant échan-
crure, au-delà de laquelle le cercle se conti-
nue par les hautes cimes jusqu'à la Cima di
Jazzi.
Que notre regard s'abaisse un peu. Eo avant
du Lyskamm descend un énorme champ de
neige, enserré à droite, à gauche, par deux masses
rocheuses gigantesques, comme deux contreforts
détachés du Mont Rose et des Jumeaux, lesdits
contreforts arrondis en forme de chaudière pu d œil
de cyclope, se terminant par des murailles à pic
où la roche vive projette sa note sombre. L*effel
est étrange, terrifiant en ce déclin du jour, au mo-
ment où le soleil ne darde plus que de faibles
lueurs. Immédiatement à nos pieds, un immense
fleuve de glace dévale du Mont Rose, et, le con-
tournant à sa base, vient s'allonger au pied du
Goernergral, se continue sur la droite au delà des
Jumeaux et du Breithorn, pour descendre vers
Zermatt : c'est le glacier du Gœrner.
Ici se broduit un étrange effet d'optique, dû à la
transparence de l'air, et dont le résultat est de
tout rapprocher de nous, de diminuer les distances,
de rapetisser les colosses. La cime du Mont Rose
- 35 —
ne nous produit aucune impression d'altitude ni
d'éloignement ; y parvenir en deux heures nous
paraît ôlre un jeu. Et à nos pieds, l'illusion est
encore plus forte : ce glacier du Gœrner, nous en
alleindrions, croyons-nous, Taulre bord d'un jet
de pierre ; à peine lui attribuons-nous quelques
centaines de mètres de largeur, alors qu'en réalite,
cette dimension s'élève amplement à un kilo-
mètre et demi. Et nous suivons sur la neige une
ligrie sombre qui nous parait être la trace des ca-
ravanes d'excursionnistes. Des crevasses, nous
n'envoyons point ; tout nous semble facile ; illu-
sion étrange, qui nous transformerait en alpi-
nistes fougueux, prêts à tout oser sur les traces
deï'artarini.. Calmons-nous, caria réalité n'est
pas aussi facile ; elle ménage, à qui tenterait la-
venture, plus d'une déception.
Cependant le soleil projette ses derniers rayons,
avant de disparaître derrière l'horizon. Les cimes
se colorent en rose ; bientôt ce n'est plus qu'une
faible lueur teintant les sommets extrêmes. La
nuit vient ; le ciel est bleu sombre vers le Mont
Rose, et au delà sur l'Italie; il conserve une colo-
ration plus claire vers le Cervin, du côté où Tastre
vient de s'éclipser. Un silence profond règne au-
tour de nous ; à peine un corbeau, point noir so
détachant sur Tuniforme blancheur, effleuré-
t-il de son aile la surface du glacier. Quelle tris-
tesse de la nature dans ce morne recueillement !
— 36 —
Ce silence inôme est captivant au plus haut de-
gré : jamais on n'a rien vu, rien éprouvé de sem-
blable... Une heure plus lard, après le diner, on
revient sur la terrasse ; la nuit est close, rien que
le silence, et une obscurité compacte ; il faut son-
ger au repos. Mais sur ces hautes cimes, dans
cette nuit sans lune, deuil de la nature, le silence
lui-môme n'est pas absolu ; les cloisons de Thôlel
sont minces, et laissent filtrer le moindre bruit :.
c'est l'avalanche qui dégringole avec fracas des
cimes voisines, ce sont les souris qui furètent et
s'en donnent à cœur joie.
Il est cinq heures et demie du matin. Vite au
dehors, pour contempler le lever du soleil, s'il
lui plait de sortir des nuages. Sur l'esplanade du
Gœrner, dans la clarté douteuse deTaubè, règne
un froid glacial ; le thermomètre exposé en plein
air marque zéro. Le soleil surgit, je n'ose dire
luit^ car sa lumière est pâle et indécise ; n'im-
porte: le mercure, d'un bond, monte à IS degrés
et s'y établit. L'atmosphère n'en est point sensi-
blement réchauffée. Le touriste se couvre hâtive-
ment, admire et se tait.
Autour de lui, en effet, règne de nouveau ce si-
lence absolu noté la veille comme caractéristique
du lieu. Le corbeau isolé, volant à la surface du
glacier, est, comme hier, le seul être animé dont
nous suivions les ébats. Et toujours celle contem-
plation dont on ne peut se rassasier, car, pour être
— 37 —
immuable, le spectacle n'en esl pas moins splen-^
dide. En face de nous ces colosses, le Mont Rose,
le Lyskamm, les Jumeaux, et descendant des
hauteurs neigeuses, les deux contreforls rocheux,,
arrondis en escarboucles, qui semblent nous re-
garder de leurs yeux rébarbatifs ; et à nos pieds
le glacier silencieux, avec sa traînée noirâtre
dessinant la trace qui conduirait au Mont Rose.
En ce moment même, quelque chose semble s'a-
giler àla surface,comme undélachement de four-
mis qui cheminerait lentement, avec précaution ;
serait-ce une caravane d'excursionnistes en roule
pour la Dufour-Spitze, ou quelque équipe de con-
trebandiers affrontant le passage vers l'Italie ? La
lunette est braquée, les suppositions vpnt leur
train.
Un instant encore, on évolue sur l'arête rocheuse
laquelle se continue de plain pied jusqu'au Hœh-
ligrat; encore faut-il cheminer avec précaution
dans la poussière et les rocailles, se garer des
éboulis.On fouille de la longue-vue les champs de
neige, on contemple une dernière fois, d'un œil
d'envie, les parois perpendiculaires du Gervin.
Hélas ! il faut s'arracher à ce spectacle magique.
La cloche sonne, le train dévale le long des flancs
du Gœrner; il nous ramène à Zermatt; bientôt
nous revoyons la vallée du Rhône.
C'est lànolre dernière excursion valaisane; elle
nous a laissé des impressions inoubliables. lieu-
^ 38 —
reux si nous avons pu intéresser quelques ins-
tants nos auditeurs, faire naître, chez ceux qui
ne le connaissent pas, le désir de parcourir ce
beau pays, de faire, eux aussi, moisson d'atta-
chants souvenirs ! .
Vicomte À. d'Avout.
NOTES
SUR
LE SUD ET L'EXTRÊME-SUD ORANAIS
Par LADEY DE SAINT-GERMAIN
NOTES
LE SUD ET L'EXTRÊME-SUD ORANAIS
I. — LA LIMITE DU TELL ORANAIS
ET DE L'ANCIENNE MAURITANIE DES ROMAINS.
SAÏDA
Le chemin de fer Oranais, dans sa course de
pénétration vers rexlrôme sud, stoppe à Saïda^
ayant parcouru, dans le Tell, 171 kiK depuis le
port d'Oran et 460 kil. depuis le port d'Alger ;
il n'a traversé jusque-là que des régionsd'une po-
pulation très dense et d'une merveilleuse richesse.
Longtemps la voie ferrée ne dépassa pas ce point
terminus, mais, depuis quelques années, elle
s'élance dans le sud comme une flèche, presque
en ligne droite, etse trouve aujourd'hui construite
ou amorcée, à plus de huit cents kilomètres de
Saïda^ jusque dans le Sahara. A certains moments
la voie a progressé de mille mètres par jour.
4
— 42 —
Saïda, ville française, date de 1842, et se trouve
à la limite du Tell et de la région monlagneuse
communément appelée les Hauts Plateaux^ la
Région de VAlfa^ le petit Désert^ \d^ Région de la
Soif, toutes dénominations qui dépeignent ce
qui apparaîtra lorsque Ton aura sauté brusque-
ment de ra^ltilude de ^800 m. environ à celle do
1000 à 1300 ni. qui est celle des Hauts Plateaux.
Il convient donc, à Saïda, de jeter un dernier
regard sur les beautés et les richesses de notre
colonie algérienne ; on ne les rencontrera plus,
si loin que Ton s'enfonce dans le sud. Les Romains,
qui s'y entendaient, faisaient passer vers ce qui
est Saïda, leur ligne de défense dite de la « Prœ-
tentura » qui s'appuyait de distance en distance
sur des postes nailitaires, et opposait une forte
barrière aux incursions, dans le Tell, des Numi-
des ou Nomades.
A Tépoque de notre conquête de T Algérie,
Saïda n'était qu'un ksar arabe, accosté de quel-
ques villages nègres ; mais Abd-el-Kader, pour-
suivi par nos colonnes, en avait reconnu Tim-
portance stratégique, et avait créé, au flanc de
la montagne, un bordj avec une vaste enceinte
qui lui servait de retraite et de centre d'approvi-
sionnement. Il avait ainsi le Tell à ses pieds, au
nord, pour y opérer des razzias, et les Hauts-
Plateaux derrière lui, au sud, pour s'y replier et
recruter ses guerriers parmi les Assasnas^ les
— 43 —
Yayas hen Taleh^ les Djaffras et autres nomades
insoumis.
Le général Bugeaud dut se résoudre à lui en-
lever ce refuge, et peu s'en fallut qu'il ne réussît
à l'y surprendre, car lorsqu'il arriva au col qui
domine le hordj (sur la route actuelle de Tiaret)^
Tëmir s'enfuyait à travers les Hauts Plateaux,
après avoir allumé un grand incendie et détruit
toutes ses réserves. La nuit précédente, Bugeaud
réveillé au bivouac par une attaque inopinée
des cavaliers de Témir, avait rallié ses troupes
et marché au combat, coiflfé, sans s'en douter,
de son bonnet de coton. De là la chanson impro-
visée par nos zouaves, et encore si connue :
As-tu vu la casquene, la casquette.
As-tu vu la casquette au père Bugeaud ?
M. Camille Roussef, de T Académie Fran-
çaise (1), raconte qu'à Tun des angles de l'en-
ceinte fortifiée existait une habitation d'un goût
exquis dans le style arabe ; elle était décorée
de bas-reliefs en marbre sculptés savamment ;
les portes et fenêtres étaient à ogives, et les dal-
lages en marbre blanc ; plusieurs rangs de colon-
nes soutenaient d'élégantes galeries... bref :
«c'était une véritable bonbonnière où l'émir
(4) Conquête de l'Algérie, t. I, p. 63 et s. Paris, PIod, 4889,
— 44 —
« venait se reposer des fatigues de là guerre, en
« caressant mollement ses idées de grandeur ou
« de revanche.. »
11 est permis de remarquer que pas un seul
vestige de ces splendeurs ne subsiste ou n*a été
recueilli; dans le pays môme, personne n'en parle.
Seules existent des murailles, en terre de deux mè-
tres d'épaisseur, qui ont résisté à Tincendie, à la
canonnade et aux influences des saisons ; il n'y
a pas trace du soi-disant palais confortable et
môme luxueux qu'aurait occupé Abd-el-Kader.
Notre Saïda actuelle, ville déjà vieille de cin-
quante ans, est un chef-lieu de canton de plein
exercice, dépendant de Tarrondissement de Mas-
cara et ayant 7800 habitants, dont 2900 français.
Son territoire comporté 3012 hectares, et le gros
bourg de Nazereg^ à cinq kilomètres au nord,
n'en est qu'une annexe. Les eaux sont partout
abondantes, et des canalisations multiples irri-
guent savamment les terres dune admirable fé-
condité. Les arbres de toute nature, les fruits,
les légumes, les céréales, les prairies, les vigno-
bles eux-mômes, tout bénéficie de ces sources de
fertilité, tandis que les travaux de culture en
tous genres sont conduits avec les méthodes et
les instruments les plus perfectionnés. De belles
routes nationales rayonnent soit sur Tiarety soit
surDayaetle Telagh^ soit but Franchetti, soit
siup Gêryville. Elles sont bien établies et bien en-
— 45 —
trelenues, sur une vingtaine de kilomètres; mais
plus loin, c'est différent et quelque peu variable .
les améliorations de grande voirie ne se font pas
en un jour.
D'aulre part, Saïda, en tant que commune
mixte, compte 27,196 habitants, sur lesquels
360 français seulement; la grosse masse se com-
pose donc d'indigènes et d'Espagnols ; ces der-
niers sont du reste nos maîtres dans Tart de la
culture et des irrigations, tandis que nous sommes
leurs initiateurs pour les bonnes méthodes et les
meilleurs outillages.
De la commune mixte qui comprend au total
496.570 hectares en superficie, dépendent au
Nord, dans la direction de Mascara et de Sidi^
hel-AhèSy les villages de Charrier^ Franchetti^
les Eauœ^chaicdeSy El-Beida^ El-may^ Mouleï-
Abdel-Kader ; au sud, sur les plateaux, avec
une étendue de soixante kilomètres plus
loin, les villages de Tafaroua, Kralfallah, et
Modzhah.
Les marchés quotidiens sont abondamment
pourvus, et le grand marché hebdomadaire du
dimanche, pour les bœufs, chevaux, chèvres et
moutons notamment, offre une vive animation.
La garnison est constituée par le deuxième
régiment étranger.
— 46 —
'• IL — L'ACCÈS DES HAUTS PLATEAUX.
AIN'EL-HADJAR, — LES MAALIFS
Pour sorlip de Saïdaet aborder les Hàuts-Pla-
teaux, le chemin de 1er s'achemine par de longs
circuits, à flanc de monta£çne, et ne s'en tire
qu'avec peu de charge", à petite allure et avec
double locomotive ; sur un premier échelon, il
fait station à Aïn-eUHadjar (la source déroche),
riche village aux belles cultures, grâce à ses
eaux bienfaisantes qui se déversent dans Voiced
Saïda et coulent aunord ; destroupesde discipli-
naires y sont cantonnées. C'est presque un fau-
bourg de Saïda, dont il n'est séparé que par onze
kilomètres.
On aura encore à monter pour atteindre les pla-
teaux proprement dits, cesimmensesetdésolées so-
litudes, sans arbres, sans eaux, sans êtres vivants
hormis quelques flamants ou cigognes à pro-
ximité de chotts desséchés dont les cristaux salpê-
tres brillent en mirages décevanis. C'est un spec-
tacle eflFroyablement triste qui se déroule durant
des heures et des heures, et on se prend à admi-
rer cette force impassible de la vapeur, qui peut
vivre et agir pendant des centaines de kilomètres,
au travers de ce Bled où rien ne vit, où rien ne
peut vivre; et ainsi se poursuivra la route morne
et sans incident, jusqua AinSefra, à plus de
— 47 —
deux cent quarante kilomètres au sud de Saïda,
Qu'importe le nom de multiples stations qui ne
correspondent à aucun centre de vie, et qu'accos-
tent de minuscules jardinets par lesquels on peut
constater rinfructueux effort de Thommer contre
le Simoun, le Sirocco, le sable et la sécheresse !
Que penser des familles de pauvres diables qui,
placides, sont confinés dans ces stations du petit
désert! La vérité oblige à dire cependant, qu'on
les voit entourés de nombreux et superbes enfants.
Parmi Thorreur du Bledj sur la droite de la
voie ferréeelà une'quinzaine de kilomètres d'^ïn-
eUHadjar^ il existe toutefois un point élevé des
Hauts Plateaux, d'une surface de vingt mille
hectares environ, qui, en moins de dix ans,
vient de se transformer en un riche centre de
• culture et de colonisation avancée. Gomme on en
parle beaucoup en Oranie et également à Paris,
il convient d'en donner l'aperçu.
Les Màalifs^ c'est ainsi que se nomme cette
portion des Hauts Plateaux, étaient terre de
parcours de plusieurs tribus nomades de la
Yacoubia ; les anciens cimetières arabes y sont
toujours respectés, et Ion y voit, de temps à
autre, apporter après cinq ou six jours de marche
dans la brousse, des cadavres qui reçoivent la
sépulture au champ de repos des aïeux.
Il y a unedouzaine d'années, les frères Zamora,
maquignons d'Aïn-el-IIadjar, enquôtedo parcours
- 48 —
OÙ reposer passagèrement leurs moutons achetés
plus au sud, s'abouchèrent avec certains indigè-
nes des Mâalifs qui reçurent leurs animaux à
des conditions débattues. Le jour vint où ils ache-
tèrent un lot de quelques centaines d'hectares,
puis un autre, puis d'autres encore, tant et si
bien que, de proche en proche, ils s'étendirent un
peu partout. Ils louaient alors aux indigènes ven-
deurs ou faisaient cultiver par eux ; mais en môme
temps qu'ils achetaient, ils revendaient aussi,
à des colons capitalistes de Sidi-Bel-Abès, de
Saïda ou de la métropole, avec un honnête béné-
fice : l'hectare de terre qui leur avait coûté de
six à douze francs, ils le cédaient à cinquante,
soixante ou même cent francs.
C'est ainsi que celte surface du plateau des
Mâalifs, d'environ vingt mille hectares, est de-
venue une région prospère de grande culture, et
qu'elle renferme plus de vingt exploitations de
premier ordre, d'où sortent chaque année des
milliers de quintaux de blé et d'orge, sans comp-
ter le vin et les autres produits. Tel gros proprié-
taire possède aux Mâalifs plusieurs domaines
différents, d'une con lenance variable de.trois cents
à deux mille hectares. De loin en loin, on voit
encore quelques Nezlas (1) d'indigènes dont les
(I) iV^s/ajgroupede quelques tentes d'une môme tribu. — Smala,
réuDJon détentes plus nombreuses. — Ifouar, ensemble d'un campe-
ment ou cercle de tentes.
— 49 —
terres, misérablement traitées, tranchent parmi
les riches récoltes de nos colons. Aussi les arabes
continuent-ils à vendre ou mieux à louer leurs
terres à leurs voisins français, qui consentent à
amodier douze et quinze francs Thectare par an,
prix payé pour Tachât de la propriété, il y a une
dizaine d'années.
Actuellement, Tadministration intervient ; le
Conseil général a aflPecté une somme de trente-
cinq mille francs à rétablissement d'une roule
qui traversera les Mâalifs, et reliera Daya ou
peut-être Ras-el-Ma^ avpc Marhoum qu'une pe-
tite voie ferrée rattache à la grande ligne du
sud Oranais (à Kralfallah), tandis que de Raz-el-
Ma à Sidi-Bel-Abbès, existe déjà une section de la
ligne ferrée tendant d'Oran à Tlemcem ; on parle
de créer un Centre avec bureau de poste, maison
d'école, service médical, fonctionnaires du fisc
et autres... Le principal, c'est-à-dire la mise en
valeur par la colonisation privée et indépendante
étant uiî fait acquis, l'administration intervient
pour seconder TefiFort du colon, sans oublier son
organisation fiscale et poli tique ; approuvons, sans
commentaire ; cela est mieux à tous égards que
les essais de colonisation administrative qui ne
comptent guère que d'onéreux insuccès.
Dépeindre une grande ferme des Màalifs, c'est
les dépeindre toutes : un très vaste quadrilatère
est formé par les bâtiments d'habitation et les
^ oO —
écuries, porcheries, grangeages et hangars ; de
nombreux logements aménagés pour les ouvriers
divers, leurs femmes et leurs enfants, occupent
une partie deTenceinte, sansouverture extérieure,
hors deux grandes portes charretières, soigneuse-
ment fermées à la nuit. Un ou deux puits, dans
la cour, fournissent Teau nécessaire que Ton
rencontre à des profondeurs qui varient de dix à
quatre-vingts mètres, suivant la nature des sous-
sols. L'eau, claire et fraîche, est toujours plus ou
moins salpôtrée ; mais les animaux ne s'en trou-
vent pas mal, et les hommes la supportent, bien
qu'elle soit, pour certains tempéraments, légère-
ment purgative. L'amertume saline qu'elle laisse
aux lèvres et à Tarrière-gorge empêche qu'on en
abuse ; à la vérité moyennant cinq centimes du
litre, au plus, on boit un excellent vin, succédané
pratique et salutaire pour ceux qui n'aiment pas
Teau.
Le sol est un terrain crétacé, calcaire, où Ton
rencontre superficiellement des pierres ou roches
friables qui se délitent rapidement, du fait de la
culture. Quelques rognons composés d'autres élé-
ments, résistent seuls à Taction deTair, de Teau
et du soleil. Mais le sous-sol présente des veines
extrêmement variables, passant de la marne à
Targile, des couches végétales profondes à des
blocages de cailloux roulés.
Tous les colons des Mdalifs sont puissamment
— oi —
outillés ; ils ont les lourdes charrues pourdéfon-
çages ; d'autres à quatre ou six fers jumeaux
pour les ensomençures ; ils ont des faucheuses,
des moisonneuses lieuses, dés batteuses à vapeur,
etc. Ils devraient employer les batteuses à pétrole
qui leur donneraient, avec l'avantage d'un poids
plus léger, Téconomie du charbon de terre et de
l'eau, choses rares et coûteuses, difficiles parfois
à se procurer au moment voulu.
La flore naturelle au plateau des Màalifs
montre principalement, parmi une herbe courte
très favorable aux moulons, quelques touffes
d'alfa, le thym, le serpolet, le bouton d'or, le
sainfoin sauvage, et une sorte d'artichaut qui
vient au raz du sol et constitue un bon comesti-
ble pour rhomme. Les frères Zamora avaient
sans doute jugé du sol d'après sa flore naturelle,
et ne s'étaient pas trompés en l'estimant bon à
mettre en valeur.
Le climat est salubre et en général exempt de
fièvres ; mais à raison de l'altitude la température
est plus basse en hiver que sur le littoral, bien
que l'on soit à près de trois cents kil. plus au sud
que sur les côtes de la Méditerranée. Il n'est pas
rare, par les temps de neige, de voir le thermo-
mètre accuser huit à dix degrés au-dessous de
zéro, ni en été, par le sirocco, de le voir dépas-
ser quarante-cinq degrés de chaleur. La nuit,
les soirées et les matinées sont toujours fraîches,
— 52 —
grâce à l'intensité du rayonnement nocturne ; il
y a même des rosées abondantes qui suppléent
au manque de pluies. Au mois de mai 1902, on a
enregistré, très exceptionnellement, une gelée de
sept degrés qui a perdu toutes les récolles. Les
semailles se font avant Thiver, pour le blé, Torge
et Tavoine successivement ; tout est terminé au
cours de décembre, et la récolte se fait en juin.
Une tige de blé dur ou d'orge peut atteindre et
dépasser deux mètres de hauteur.
Il conviendrait d'indiquer avec précision la
somme d'eau de pluie qui tombe annuellement
sur le plateau des Mâalifs ; malheureusement
les observations font défaut jusqu a présent. A
Geryville (autrefois El-Biod), presque à la môme
latitude, au sud-est du Chott ech Cherguiy le
pluviomètre indique 130 millimètres. On peut
en induire qu'aux Mâalifs situés un peu plus au
nord, un peu plus élevés et surtout sillonnés
dVuads et parsemés deiï'rf/rA*{l), le pluviomètre
en accuserait 170 environ.
Du reste, depuis deux ans, on assiste aux
Mâalifs à une évolution intéressante dii régime
hydrographique. La planisphérie étant loin d'être
absolue, il existe, à côté de points légèrement cul-
minants, des sinus ou des rides qui, dans la sai-
son des pluies, permettent l'écoulement des eaux;
(1 ] IVdirs, baâ-fonds marécageux, fondrières.
— 53 —
en certains endroits, sous Tinfluence de sous-sols
peu perméables, il se forme des Rdirs, de terri-
bles fondrières, qui rendent les pistes impratica-
bles, et dans lesquelles s'enlisent mortellement
les bêtes et lesgens qui entreprennent de les fran-
chir. Nombre de carcasses, après le retrait des
eaux, attestent les accidents survenus dans l'hiver
précédent. Depuis deux ans, il s'est môme formé
deux petits lacs que de mémoire d'homme, on
n'avait jamais vus, et ces lacs conservent leur
eau toute Tannée, rendant pérenne le cours de
rOued Torba, un des petits affluents de Toued
Palette qui se déverse dans le Chott-ech-Gher-
gui. (1) Si cette situation nouvellese continuaitpar
la suite avec fixité, ce serait, du fait des cultures
actuelles, une source nouvelle de fécondité pour
les cultures à venir.
(1) Voici les noms des divers oueds qui sillonnent les Mùalifs, et
ceux des oueds plus importants qui portent leurs eaux jusqu'au
Chotl du Kreiderou Ech-Chergui ; Toued Faid-er-Rechechia, l'oued
Oulad-er-Ral, l'oued Tourba, l'oued Rjella, l'oued Ouazèue, l'oued
Sidi-ei-Hadj-eUUabibj l'oued el-Hamara, l'oued-el-Hasba et d'au-
tres plus petits tousaffluentsde l'ouedel-Falettelqui se jette dans le
Chott-ech-Chorgui, de môme que l'oued Meckerreg qui reçoit les
eaux des ouad^ Oum-el-Dou, oued abj-el-Razeg, oued Smar^ dans
leurs apports temporaires Un barrage aujourd'hui ruiné existe, non
loin de Marhoum, au-dessous du point de jonction de l'oued Hasba
avec l'oued Palette, à l'altitude de 4405 mètres au-dessus du niveau
de la mer. Si ces cours d'eau nombreux avaient ou reprenaient par
la suite une sorte de permanence môme relative, il y aurait de très
beaux résultats à espérer encore, dans cette région des Hauts-
Plateaux.
— 54 —
IIL —LA TRAVERSÉE DES HAUTS PLATEAUX -
DE SA IDA A AIN SEFRA
L'ensemble des Hauts Plateaux s'étendant du
Maroc à la Tunisieprésente la forme d'un parallé-
logramme, orienté du S. 0. au,N. E. et d'environ
240 kil. de larg. sur 600 kil. de long. Il couvre
une superficie de onze millions d'hectares dont
les vingt mille hectares des Mâalifs ne consti-
tuent qu'une bien petite partie. L'examen un peu
détaillé qui vient d'être fait du plateau des Mâa-
lifs, a eu pour but d'abord de faire connaître lo
plus extrême et récent effort de la colonisation
privée dans cette immense région dite du petit
désert et aussi d'affirmer nettement que ce qui a
été fait aux Mâalifs ne saurait permettre d'in-
duire qu'on en peut faire autant ailleurs ; on l'a
tenté par voie décolonisation administrative, et
les exemples fournis à Kralfallahetà Bou-Ktoub
notamment ont été désastreux.
Les onze millions d'hectares demeureront long-
temps, si ce n'est toujours, sans autre affectation
possible que celle d'un maigre parcours ; l'alfa lui-
môme a presque disparu, en quelques années d'ex-
ploitation avide et imprévoyante du fait des mer-
cantis et de leurs ouvriers arabes.
La région des Hauts Plateaux se délimite dans
— 55 —
les provinces d'Oran et d'Alger, au nord par les
lignes montagneuses duDjbel Djira (1274*»), des
monts de Saïda (HOO) et du Bou-Rached (1175),
du Djebel Gaâda (IbOO), du Djebel Harroux et
des montagnes du Kersou ; la ligne bordière, au
sud, est non moins nettement tracée par le Dje-
bel Aissa et le Djebel Mekter, le Ras Ghergui
(212P), les montagnes des Ksours (2130), le Dje-
bel Amour (1960), le Djebel Antar (1460) et les
monts des Ouled-Naïls (1350); mais dans la pro-
vince de Gonstantine, la ligne montagneuse s'at-
ténue ; le Tell d'un côté, le Sahara de Taulre, se
succèdent insensiblement.
Les Hauts Plateaux forment donc une ligne de
démarcation absolue pour le versant des eaux, et
Ton admet que c'est à Mekalis (1311"*} que se
trouve leur point culminant. Au nord les eaux se
déversent dans la Méditerranée, au sud elles fuient
vers les Ghotts et de là dans le Sahara, disparais-
sant sous les dunes de sables, et créant des nappes
souterraines qui vont, très loin, former des ma-
récages que l'on rencontre entre Bourroum et
Tomboiœtou, réserve première des eaux du Nil et
du Niger.
Tous les explorateurs du Sahara ou de TErg
sont unanimes à reconnaître que l'on peut par-
tout obtenir des puits artésiens, lorsque Ton ne
trouve pas de points d*eau naturels. Des villes
abandonnées, des oasis presque disparues, du
— 56 —
fait de la masse sans cesse remontante des sables,
du sud-est au nord-ouest, attestent, qu'avant
rinvasîon arabe, les anciens possesseurs du sol
avaient de Teau et des cultures.
Peu importe à TArabe, qui vit de transhvn
mancsy de détruire les forêts ou de négliger l'en-
tretien des puits, des sources ou des aqueducs ;
il ne compte pas avec Tavenir et, quand la place
n'est plus tenable, il va plus loin.
Il est certain que, môme en face du désert afri-
cain, la volonté humaine peut dompter la nature :
la dune recule alors, bien loin de s'avancer ; elle
se fixe et devient cultivable ; Teau réapparaît là
ou elle avait disparu ; soit au Kreider, soit à Aïn
Sefra, soit à Djenien-Bou-Rezg, soit môme plus
loin encore, Texemple en est fourni par nos pos-
tes militaires de TExtrôme sud.
Il convient encore de mentionner, au point de
vue hydrographique, qu'une certaine portion des
eaux pluviales recueillies par les Hauts Plateaux,
sur la lisière nord, principalement, s'infiltre dans
le sol et va former d'immenses réservoirs souter-
rains dont quelques-uns s'échappent, grâce à des
fissures de la roche, du côté du Tell Oranais.
Un de ces lacs intérieurs peut ôtre visité dans
le domaine d'Aïn-el-Nazereg, à cinq kilomètres
de Saïda, sur la route de Ttaret, On y accède par
un vaste entonnoir naturel, appelé le « Trou aux
pigeons » ; l'eau s'échappe ensuite, à la base de la
— 57 —
monlagiie, en sources puissantes et nombreuses,
qui fécondent toute la région (1).
Ces eaux sont douces et fraîches à Tinversede
celles qui coulent à découvert sur les plateaux,
ou qui proviennent des puits que Ton y creuse,
car celles-ci sont toutes plus ou moins saumâtres
ou amères ; c'est donc la croûte crétacée du
« Bled » qui renferme les principes de cette sa-
veur magnésienne peu agréable, tandis que les
sous-sols plus ou moins profonds Ten dépouillent.
La même observation a été faite au Sahara, dans
le forage des puits artésiens, où on rencontre
souvent plusieurs nappes d'eau diflFéren tes suivant
les diverses profondeurs que Ton atteint successi-
vement : les premières sont chaudes et saumâ-
tres, les dernières agréables et fraîches.
On ne saurait trop faire ressortir Timpression
pénible qui élreint le cerveau et le cœur, durant
cette traversée de 24 0 kilomètres, qui sépare Saïda
du posle sud de Am^Sefra (2). Ces immensités
désertes rebelles à toute existence, sans autres
oiseaux que quelques « charognards » cherchant
leur vie dans la région de la mort, écrasent d'un
poids louM le voyageur favorisé aujourd'hui
par le confort des chemins de fer. Que devait-
on éprouver naguère ! quelles souffrances n'ont
(1] Il en est de môme pour les cascades de Ttgriad (28 k. de
Saida) et en d'autres lieux.
(2) La source jaune.
5
— 58 —
pas supportées nos preinières troupes en marches
par étapes 1
C'est cependant, au centre de ces horreurs du
Bled qu'apparaît, comme un sourire trop court,
le Kreider, poste militaire, occupé par le 1^^ Ba-
taillon d'Afrique. Ici les officiers avec leurs
hommes (que Ton nomme communément les
Joyeux ou les Batts'd'Af) ont su, parleurs pro-
pres moyens, réaliser des merveilles. Ils ont méta-
morphosé la nature ; les eaux rares et saumâtres
sontdevenues douces et abondantes: elles fournis-
sent en permanence 480 litres à lamînute actuelle-
ment, et, la source (1) Aïn-el-Kreider sert à tous
les besoins : à un hammam et à une piscine pour
la baignade des hommes, aux irrigations pour les
jardins de fleurs et de légumes et môme pour
les pâturages, car il y a des pâturages, et il y
aura des vaches, avec du iaît frais, si tant est
qu'elles n'y soient déjà. Bien plus, les « Bats-
d'Af » ont obtenu un bois de quarante hectares
environ qu'ils appellent « le Bois de Boulogne »
dont les allées ombreuses, avec Teau qui ruisselle
partout, ont, pour quelques-unes, quinze cents
mètres de longueur ! Les Joyeux sont fiers de
leurs œuvres, comme ils le sont de leur glorieux
Drapeau de Mazagran, loque admirable, percée
par des centaines de balles ennemies, et qui,
(\) Source verte, à cause desjoocs qui reotourent.
— 59 —
depuis 1840, demeure une relique vénérée-
Au Kreider, le poste militaire qui comprend
un eJBfeclif de 460 hommes de troupe commandés
par quatorze officiers, constitue à vrai dire la
seule population ; il y a bien, en dehors des re-
doutes, une sorte de village renfermant 168 per-
sonnes de Télément civil ; soit 80 français, 19
espagnols et 69 indigènes de race nègre, berbère,
ou arabe ; mais sur le chifi^re total il n'y à que
cinquante-trois hommes et environ 40 femmes ;
le surplus représente soixante-quinze enfants de
Tun ou l'autre sexe. La natalité reste au profit des
Français surtout, employés de chemin de fer ou
petits négociants. Il est évident, par ce dénom-
brement môme, que l'élément civil disparai-
trait le jour où la garnison du Kreider viendrait
à être supprimée. Il ne peut y avoir au Kreider
aucune colonisation dans le sens agricole ; or,
sans industrie ou sans agriculture, rien ne peut
fixer le colon.
En dehors des trente ou quarante hectares de
sables, de joncs et d'alfas transformés depuis
vingt ans en jardin riant et vert, la solitude dé-
sertique se montre sans transition ; Tœil se lasse
de nouveau à rechercher quelque point d'eau,
quelque verdure. Une diversité nait au passage
du « Cholt-ech-Chergui » par le milieu duquel
la voie ferrée s'engage à travers des lagunes ;
mais ce Ghott, qui s^étale à droite et à gauche sur
— GO —
une longueur de 120 kil. environ, est d'un aspect
plus désolant peut-àlre que celui des sables et
des alfas ; sa surface desséchée, sauf quelques
marigots sans importance, étincelle au soleil et
crée, à certains jours, les mirages trompeurs ;
les cristaux de gypse et de sel y forment une
couche si épaisse qu'on peut les relever à la pelle.
Cependant, aux approches de Mèchêria (1158°*
d'allitude), un horizon de montagnes apparaît
dans le lointain, avec des lignes sinueuses et
jaunâtres à la base ; ce sont celles du Djebel An-
tar etdu Djebel Amour ; un ou deux points, d'un
vert d'une invraisemblable violence démontrent
Texislence de petitesoasis.En môme temps des
troupeaux démoulons, des bandes de chameaux au
pâturage, quelques caravanes qui passent, mar-
quent une sorte d'approche vers la vie relative,
possible en tous cas. C'est que la traversée des
Ilauts-plateaux va prendre fin, et que les trois
cents kilomètres du petit Désert seront bientôt
franchis (1), c'est qu'on est près d'Aïn-Se/ra
(lOTb" d'altitude). Ici va commencer une région ,
différente, mais non moias menaçante, la région |
des immensités de sables mouvants et des dunes i
que bordent et dominent à l'ouest les montagnes i
(I) Do Saïda à Ain-Sefra, onze gares ou slations ont clé ren-
contrées. Voici leurs noms : Ain-el-Uadjar, Boa-Rîched, Tafaroua,
Krallaliah Modzbah, El-Kreider, Bou-Kloub, E'.-Biod, Méchéria,
Na&ma-Mekalis, Àlo-Sefra. Tolal 401 kiloraôtros.
— 61 —
volcaniques de la prétendue frontière marocaine,
montagnes d*aspect noir et sinistre, mais plus
sinistre encore par les tribus debandils dont elles
sont le repaire, et qui ne viventque pour l'assassi-
nat, le meurtre et la rapine.
IV. — LA RÉGION DES DUNES.
AÏN-SEFRA. DUVEYRIER. LE SAHARA.
Aïn-Sefra se présente donc, à la limite sud des
Hauts-Plateaux au milieu des dunes de sables
rouges ou jaunes; un centre européen déjà vaste,
avec de grandes rues bordées d'arbres et en coupe
géométrique, une très importante redoute aux
murs crénelés, aux angles bastionnés, conte-
nant, avec les casernes, un hôpital, des magasins
et des logements d'officiers ; une rivière souvent
sans eau et parfois torrentielle; un ksar indi-
gène et une oasis assez médiocre, voilà de quoi
se compose la ville d' Aïn-Sefra, créée depuis
vingt ans et actuellement résidence d'un général
commandant le cercle militaire de Textrème sud
oranais.
Disons comment nous avons été amenés à quit-
ter Saïda, puis le Kreider, pour porter notre pos-
session d'avant-postesàcetle limite du petildésert,
au seuil du Sahara.
Le trop célèbre Bou-Amama, un faux ma-
— 62 —
rabout, d^origine 1res douteuse, excitait depuis
1875 les indigènes des Ksours à spéculer sur
notre apparente faiblesse. Sa Koubba de Moghrar^
Foiikani fut un centre d'insurrection, et, en mai
1881, après l'assassinat impuni du lieutenant
Weinbrenner, son audace le conduisit à entraîner
ses partisans dans une course de pillage et de
meurtres jusqu'aux portes de Saïda ; il brûla les
chantiers de À>a//a?/a/^ massacra les al fatiers es-
pagnols,et, chargé de butin, repassa le Chott-ech-
Chergui , p resque en vue de nos soldats i mpuissan ts
du Kreider, puis il disparut dans l'extrême sud.
A sa poursuite, nos colonnes traversèrent le Bled
et peu s'en fallut que nous fissions, à Moghrar^ la
capture de Bou-Amama; mais il réussit à s'échap-
per, et se réfugia à Figitig où il était reconnu
comme chef religieux. De là il continua à harce-
ler nos tribus soumisesetnoscaravanes. Mais pen-
dant ce temps, notre'chemin de fer progressait avec
une activité fiévreuse, à raison de un kilomètre
par jour, et venaitbientôtrelier Aïn-Sefraà Saïda.
Puis nous allâmes plus loin pour enserrer et sur-
veiller Figuig et les menées de Bou-Amama.
Aussi, notre vieil ennemi a quitté la place ; tou-
jours dangereux, il s'est replié à cent (rente
kilomètres plus loin, dans le sud, aux alentours
de N'Sissa, où de nombreux .partisans le suivent
encore, dit-on.
C'est do celte façon, et pour ainsi dire à la
— 63 —
poursuite de Bou-Amama, que noire voie ferrée
a quille peu à peu son nouveau point terminus
d'Aïn-Sefra (/i54 kil.d'Oran) et qu'il marche à pré-
sent en exploitation régulière jusqu'à Duveyrier
(572 kil.) après avoir franchi des dunes etabordé
le flanc abrupt des hautes montagnes qui les do-
minent à l'ouest, du côté du Maroc, le Djebel Aïssa ,
le Djebel MeckteretleRas-Chergui notamment.
Le centre tout nouveau de Duveyrier comple
deux finnées d'existence ; il est situé en pleine
région des sables. Des constructions hâtives sur-
gissent en grand nombre, qu'occupent des mer-
cantis cosmopolites vivant dans le sillage de nos
troupes ; une redoute spacieuse renferme une
garnison importante constituée par la légion
étrangère : il y existe aussi un entrepôt franc
pour les marchandises destinées à Texlrôme sud
ou en provenant. Doit-on penser que Duveyrier
non plus que les dix stations réparties au long de
la voie depuis Aïn-Sefra deviendront jamais des
centres de colonisation ? Ce serait imprudent de
le croire ou de Tespérer, bien que quelques oasis
perdues dans les sables apparaissent çà et là, telles
que celle de Tyoutj dont on peut visiter leKsar,
avec l'assurance du bon accueil qu'y réserve aux
Français l'Agha Ben-Moulei ; celle de Moghrar-
Foukani et celle de Moghrar-Tatani (1) ; mais
(\) Moghrar le Haut et Moghrar le Bas.
/
— 64 —
Taspect des rares indigènes révèle la misère ; la
malpropreté, les infirmités, les ophtalmies, les
maladies de toutes sortes, les rongent. En dehors
du souci de notre défense, nous n'avons rien de
bon, rien d'utile, rien de pratique à rechercher
là bas.
Il faut pourtant mentionner les différences no-
tables, au point de vue géologique, qui séparent,
à première vue, cette région encore bien désolée,
de celle plus désolante encore que l'on nomme les
Hauts Plateaux, et qui a pris fin aux dunes de
sable d'Aïn-Sefra.
Les montagnes sombres et sinistres que Ton cô-
toie du côté du Maroc sont la suite du soulèvement
volcanique qui marque notre frontière depuis
Owrf;V?a jusqu'à Sebdoii ; le gyspe, le sel, y ap-
paraissent à découvert ; les pierres granitiques
portent Tempreinle de végétaux carbonisés, et
l'on sait que près d'AdJardy dans un terrain
tertiaire moyen, d assez beaux dépôts de lignite
se sont ainsi manifestés. De môme les richesses
minières de cuivre, de plomb argentifère, de fer,
sont à peu près certaines ; mais nous ne somme?
pas à l'heure où le piolet du géologue se sentira
à Taise pour des recherches scientifiques ou in-
dustrielles dans une région où règne Tinsécurité
la plus absolue. De même les tranchées pratiquées
pour rétablissement ou Tassainissement de la
voie ferrée montrent des terrains de culture
— 65 —
(lorsqu'ils exîslenl), d'une toute autre nature
que les surfaces du Bled ; des ouads nombreux
ont sillonné les flancs de la montagne et se
poursuivent assez loin dans les plaines de sable
pour donner une vigueur relative à la végélalion ;
on voit des ari)res, des arbustes et même quelques
palmiers venus d'eux-mêmes ; peu d'alpha, ce
qui implique un sol marneux à quelque profon-
deur. Bref la (erre que Ton voit témoigne d'une
certaine richesse et les jardins qui avoisinentles
gares, bien que de toute récente création, font éta-
lage d'une splendide végétation. Il n'en était pas
de môme dans le Bled.
Quant à laspect, absolument inédit d'une
gare entre Aïn-Sefra et Duveyrier, il est curieux
et mérite d'être noté. Une gare est un fortin,
avec cour intérieure qu'enferment de hautes
murailles crénelées. Aux angles sont des échau-
guettes avec mâchicoulis, tandis que des épaule-
ments, avec chemins de ronde, sont établis der-
rière les murs ; remployé de gare porte à la
ceinture une panoplie sérieuse de pistolets et de
coutelas, et son bâton de commandement est
un Lebel armé; du reste lorsque le train est en
marche, on peut voir de dislance en dislance,
sur la droite et sur la gauche de la ligne, des
cavaliers arabes de nos goums qui, fusil à la
main, sondent du regard les rochers, les ravins
et les touffes de lentisques ; celle peinture som-
— 66 -
maire fait assez pressentir que la contrée n'est
pas sûre.
Et au surplus depuis le voyage de la fameuse
mission franco -marocaine, qui devait tout arran-
ger en ramenant la sécurité pour l'avenir, dans
ces régions maudites, un simple aperçu des
« faits divers » semblera concluant : En moins
d'un mois, un travailleur delà voie a été tué ; un
spahi blessé grièvement; les capitaines Gra-
tien et de Gressein assassinés au pied du Djebel-
Beni-Smir par les quatre frères Ben-Kellouch
qui affûtaient innocemment la panthère en plein
midi 1 Le légionnaire Shwartz a été assassiné
également ; deux jours après, six chameaux ont
été volés nuitamment dans le village môme de
Duveyrîer, et trois ou quatre morts d'hommes
s'en sont suivies pour reprendre aux bandits leur
butin dans lequel on trouva les effets militaires
du malheureux Schvartz. Enfin,dans la première
semaine de mai, un Djich de quinze Marocains
enleva un convoi de seize chameaux conduit par
des Arabes du douar d' J?/-J/^n/a, nous tuantqua-
tre hommes, en blessant deux autres, et cinq cha-
meaux restés sur place.
C'est ainsi que les faits se succèdent chaque
jour en face de' nos troupes immobiles et silen-
cieuses par ordre.
Souhaitons que cette série rouge, interrompue
ici très volontairement^etsanscommentairesépiso-
— 67 —
diques, soit effectivement close , mais il n'y a pas
lieu de l'espérer (t).
Au cours d'avril dernier, M. Hanotaux, ancien
ministre, et, après lui, M. Etienne, député d'Oran
et vice-président de la chambre, ont pu s'appro-
cher très près de Figuig, sous l'escorte de deux
cents cavaliers de nos spahis et de nos goums
qui formaient, en avant de ces voyageurs de mar-
que, un rideau protecteur. Ces procédés d'explo-
ration ne sont pas à la portée de tous, et sont
môme rigoureusement interdits par le comman-
dement du cercle militaire. Hanotaux et Etienne
y ont trouvé, sans aucun doute, la sensation
d'une promenade peu banale ; mais ils n'y ont
rien appris d'inédit (2).
Le vulgaire doit se contenter de voir Figuig,
sa position et ses oasis depuis le plateau du Raz-
'el-Dib, qu'on atteint de Duveyrier, en moins de
vingt minutes (3}.
(I) Depuis que ces lignes sont écrites bien d'autres méfaits ont
été commis.
(2). V. Journal du 6 mai 4902, article de'C. Hanotaux.
(3) Les vues photographiques d'ensemble et de détail abondent,
ainsi que les notes et plans de toute sorte sur l'oasis et ses ksours.
Parmi les meilleures de toutes ces études on doit citer la brochure
du comte Henry de Castries^ ancien capitaine de nos missions lo-
pographiques, brochure qui date de 1892 et à laquelle cependant
il a été peu ajouté par de plus récents travaux.
— 68
V. — LE CHEMIN DE FER TRANSSAHARIEN OU
LIGNE DE PÉNÉTRATION DE L'EXTRÊME SUD
ORANAIS. LA QUESTION DE FIGUIG.
Ainsi, nous pénétrons chaque jour de plus en
plusavecuneacti vile fiévreuse, dansTexlrême sud
Oranais ; après avoir quitté Saïda, dernière sta-
tion du Tell, à 171 kil. d'Oran, nous nous sommes
lancés dans le pelit désert, et après quelques
arrêts à Modzhah^ puis au /fr^z'e/^r (271 kil.) nous
avons gagné Aïn-Sefra (/io4 k.) ayant traversé,
dans leur largeur, les Hauts plateaux désertiques
et impossibles à habiter. Au delà d'Aïn-Sefra,
dix stations nouvelles (1), dans les dunes et dans
les sables, nous amènent, par des trains réguliers,
àDuveyrier (572 kil. d'Oran) ; mais, construite ou.
amorcée, la voie ferrée va bien plus loin ; elle
touchait à Beni-Ounif en mai 1902 et doit être,
en fin d'année, à Igli ou à Ben-Abbès, peut-être,
soit à 400 kil. au sud de Duveyrier, à mille ki-
lomètres du pofl d'Oran, et à près de quinze cents
kilomètres encore de Tinibouctoii^ approximati-
vement. Faudra- t-il donc que nous allions jusque-
là, dans des régions semblables si ce n'est pis, à
{\) Stations : Tiout,466 k.; Aïnel-Hadjadj, 478; Rouiba, 489 ;
Dia-esSââ, 500 ; Moghrar,508 ;Oglats, 518 ; Dayel-el- Keich,530 ;
Djenien bou-Rezg, 539; Hudjeral n'Guil, 554 ; Duveyrier, 572.
- 60 -
celles qui se déroulent inlerminablement devant
nous, depuis que nous avons quitté le ïW/(lellus)
à Saïda ? . •
Voilà, posée, celte question du Transsaharien,
possible ou non, pratique ou non, utile ou insen-
sée, sur laquelle on fait silence, et qui, depuis
longtemps discutée, n'est pas régulièrement dé-
cidée en principe.
La construction matérielle n'est rien... qu'une
énorme question d'argent, avec un gros coeffi-
cient de vies humaines parmi les travailleurs de
la voie et parmi nos corps de troupes. Mais en-
suite qu'en fera-l-on de bon?qu'est-ce que vaudra
Vaffaire ? diraient nos voisins d'outre-Manche ?
Nous sommes éclairés dès maintenant sur les
misères de VErg et du Touat ; et ce ne sont pas
les Chotts marécageux de Bourroum près de
Timbouctou qui pourront réaliser le rêve des
mines d'or, des forêts d'arbres rares hantés par
les éléphants et des terrains riches en troupeaux
ou en splendides cultures. Il y a des emballés qui
exaltent l'idée du Transsaharien ; d'autres, sur-
tout parmi ceux qui connaissent la région autre-
ment que par les livres, se montrent nettement
pessimistes. « Nous n'aurions jamais dû aller
« jusques où nous sommes, disent-ils ; nous ne
« pouvons pas reculer maintenant, mais, pour
« Dieu, arrêtons-nous ! »
Il ne peut appartenir qu'à une réunion d'hommes
1
— 70 —
de très variées et très hautes compétences, tant
générales que spéciales, de résoudre les si gra-
\a3s questions que soulève la marche progressive
et constante de notre chemin de fer, dit de pé-
nétration, au cœur des déserts africains.
D'autre part, il y a uneautre question brûlante,
en cet4.e affaire, c'est la question des ksours de
Figuigy foyer d'insurrections religieuses et indi-
gènes, repaire de malfaiteurs dangereux, que
notre souci des traités et l'impuissance du Chérif,
assurent deVimpunité.
Notre voie ferrée, entre Djenien-Bou-Rezg,
Duveyrier et Beni-Ounif, [a donc contourné Fi-
guig, à quelques kilomètres de distance, avec
un respect que les ksouriens ont interprété comme
un aveu de notre faiblesse ou de la peur qu'ils
nous inspirent. Delà la multiplicité de leurs mé-
faits, vols, assassinats, etc.. Ils viennent impuné-
ment dans nos stations, sur nos territoires recon-
nus, se renseigner sur les caravanes qui passeront
ou les voyageurs peu nombreux qui se hasarde-
ront ; ils préparent alors leur embuscade à coup
sûr, puis se replient dans Figuig, souillés de
sang et chargés de butin ; c'est le fait divers de
chaque jour. Nos soldats et nos travailleurs assas-
sinés ; nos goumiers fidèles assaillis avec nos
caravanes ; les plus odieux forfaits demeurent
ainsi sans répression ; par ordre supérieur, il ne
faut pas d'incidents.
— 71 —
Et cependant sur la question de Figuîg, il n'y
a qu'une voix, il ne peut y en avoir qu'une : les
bandits de ces ksours sinistres doivent être domp-
tés, mis dans Timpossibilité de nuire, soumis
pour toujours et soumis à la France ; ce devrait
être fait depuis longtemps.
Très sommairement, en voici les raisons :
La région des ksours et oasis du Figuig, autre-
ment dit les espaces qui appartiennent aux Ouled-
Sidi-Cheick Gharaba, aux Zenaga, aux Beni-
Guil, aux Ouled-Gottib et autres, n'a jamais ap-
partenu au Maroc, avant le traité de Tanger
que nous avons imposé au sultan de Fez, après
notre victoire dlsly remportée par Bugeaud, le
14 août 1844. Lorsque, le 18 mars 1845, on dé-
termina, dans ses détails, Tapplicalion de l'art. V
du traité qui nous donnait, comme frontière du
Maroc, la ligne établie au temps de la domination
turque sur T Algérie, une grosse erreur fut
commise.
Le colonel de Martimprey, qui était chargé de
ce travail de délimitation, Tavoue modestement
dans ses mémoires.
« Mon travail était facile pour le Telly écrit-
ce il, mais pourle Sahara, c'était beaucoup moins
(c clair.... » Il s'en rapporta donc au témoi-
gnage du Kaïd de Tlemcem et à celui de Tagha
delà montagne de Touest lesquels certifièrent que
les Ouled-Sidi-Ghoick-Gharaba étaient maro-
— 72 —
cains, à plus forte raison les Beni-Guil et
autres.
Voilà comment, du fait de noire propre erreur,
les ksoursfiguiguiens sont diplomatiquement cen-
sés appartenir à TEmpire du Maroc, et pourquoi,
d'autre part, les Figuiguiens n'ont jamais ac-
quiescé à celte convention à laquelle ils n'ont pas
été partie. Ils ont toujours refusé de payer le tri-
but au sultan de Fez ; ils entendent être indé-
pendants, et spéculent sur Téquivoque de la situa-
lion, pour piller les caravanes, razzier nos tri-
bus fidèles, assassiner nos hommes, se souciant
peu des menaces et des injonctions de leur pré-
tendu seigneur marocain.
C'était pour mettre fin à cette situation, que
Taclion diplomatique fit entrer en scène la mis-
sion franco -marocaine qui opéra en mars dernier
(1902).
Tout esprit indépendant peut juger sévèrement
la nullité du résultat atteint.
Et d'abord ne fut-il pas ridicule de voir la mis-
sion chérifienne se transporter sur les lieux liti-
gieux par nos chemins de fer et sous la protec-
tion de nos troupes? quand elle se montra dans
Figuig pour y lire les ordres du Sultan, nos sol-
dats et nos officiers étaient présents et lui don-
naient du courage; mais elle en ressortit aussitôt
avec eux, trouvant plus sûr de continuer la
diiscussion à Alger, sans essayer l'efficacité de son
— 73 —
autorité morale sur les Figuiguiens nettement
hostiles.
L'affaire en est toujours là*
D'après les notes officielles, très laconiques,
le but de la 'mission franco-marocaine était :
1° de notifier aux indigènes des ksours et aux
nomades de la région la situation nouvelle créée
par le protocole du 20 juillet 1901 ; — 2** de les
inviter à faire leur option entre la dépendance
au Maroc ou la dépendance à la France ; et, dans
le cas où elles n'opteraient pas pour la France,
de les inviter àse replier hors de nos territoires.
— La proclamation officielle a été faite, nous
avons dit comment, et il n'y a pas lieu de s'en
déclarer satisfait, ni au point de vue du Maroc,
ni à celui de la France ; pour le surplus elle n*a
obtenu aucun résultat; on aurait pu s'en douter,
car les nomades se soucient peu d'un protocole.
— On convint complémentairement que deux
commissaires, Tun français, l'autre marocain,
séjourneraient simultanément à Figuig, pour
assurer de concert la police, et éviter la per-
manence des meurtres, des assassinats et des
pillages constants du fait des Figuiguiens.
Le commissaire marocain est installé dans les
ksours, soi-disant comme maître et gouverneur
(amal) ; mais il n'est rien moins que rassuré
sur sa sécurité, et ne se fait aucune illusion
sur son autorité. Quant à notre commissaire
6
— 74 —
français, lecapilaiiie Ducloux, la prudence de ses
chefs a exigé qu'il restât hors Figuig, dans le
camp français, à trois kilomètres. C'est là que,
tous les deux jours, il se rend dans les ksours,
accompagné de deux spahis. Il remplit aveccrâ-
neriesa périlleuse mission, et, un jour ou l'autre
il y trouvera la mort.
En fait, cette comédie d'une mission franco-
marocaine n'a pas avancé d*un pas vers une solu-
tion pacifique ; les nombreux et douloureux
exemples rapportés en bloc, tous postérieurs à la
mission et s'échelonnant sur un seul mois,.sont
une réponse suffisante à la proclamation du proto-
cole. Bien mieux, les derniers faits de pillage avec
morts d'hommes^ ont fait ressortir que les Djichs
marocains coupables avaient reçu asile, dans
Figuig, chez Hamon-M'Amed-ben-Darit, un chef
puissant des Zenaga, qui possède une belle pano-
plie de carabines et fusils Lebel avec plus de cinq
cents cartouches, et qui donne habituellement
hospitalité aux plus redoutables bandits des
Beni-Guils. Or, M'Hamed-ben-Darit est le
grand ami de Tamal marocain de Figuig,
ce gouverneur tremblant chargé, depuis la
fameuse mission, d'assurer, de concert avec
le capitaine Ducloux, la sécurité de notre fron-
tière 1.
La conclusion est facile à tirer et si officiellement
on ne le fait pas encore, du moins, lorsque Ton
— 75 —
a le droit de parler librement, on la connaît et
on peut la faire voir.
Il ne manque pas d'hommes éminenls et très
au courant des choses africaines, qui estiment
qu'il eût été, qu'il serait encore possible de trai-
ter directement avec Bou-Amama, l'instigateur
principal de toutes ces résistances et de tous ces
méfaits; des lettres de lui font voir qu'on ne Teût
pas trouvé irréductible en présence de certaines
conditions et de certains honneurs. Beaucoup de
grands chefs, parmi les Ouled-Sidi-Cheick, nous
ont été acquis ainsi. Peut-être aussi, Tinsuccès
si complet de la mission franco-marocaine aura-
l-il pour résultat de démontrer au gouvernement
Chérifien lui-même, comme à la diplomatie
européenne que les populations indigènes du
Figuig ne se soucient à aucun degré des injonc-
tions de qui que ce soit, et que dès lors il appar-
tient à la France, seule en cause, d'assurer la
sécurité de ses frontières et de ses sujets contre
des tribus malfaisantes et hors la loi.
Alors la question sera vite tranchée, car nos
soldats et nos tribus fidèles ne sont contenus qu'à
grand peine à chaque nouveau méfait des Figui-
guiens. Peut-êlre encore, à un jour donné, les
fusils partiront tout seuls et Taffaire une fois en-
gagée, en moins de deux heures de lutte, notre
drapeau flottera sur les ksours de Figuig.
D'un avis unanime, on conviendra alors que
— 76 —
tout est pour le mieux. Il eût été désirable, que,
depuis plus de cinq ans celte .solution inéluctable
fût un fait accompli.
Ces dernières observations jettent un jour un
peu sombre sur la marche de notre expansion
coloniale dans Textrôme sud Oranais ; mais c'est
là un eflFet ordinaire de l'examen de certains dé-
tails, et nous ne devons pas, pour autant, perdre
l'ensemble de vue.
En réalité, un immense empire français se
trouva créé et confirmé, en cinquante ans à peine,
sur la rive africaine de notre grand lac méditer-
ranéen.
Notre possession, d'un terriloire cinq fois plus
étendu que celui de la France, s'étale, depuis la
mer jusqu'au seuil des hauts plateaux, et sur un
littoral de près de deux mille kilomètres de lon-
gueur, aussi beau, aussi riche que celui de cette
côte d'Azur si merveilleuse et si vantée. La
population indigène fîère, difficilement saisis-
sable et que sépare de nous l'intransigeance de
rislam, s'achemine de plus en plus vers une
juxtaposition loyale de notre race et de la sienne,
en vue d'une entente sincère et d'une meilleure
constitution des lois qui règlent l'efibrt commun.
Le double but à atteindre, dans toute œuvre
colonisatrice, est la conquête des hommes en
môme temps que celle du sol et de la nature. Or,
si Ton envisage l'ensemble des résultats obtenus
dans le Tell^ notre œuvre est belle et forte; nous
avons le droit d'en être fiers.
N'étaient. les menées ténébreuses des « Kha-
dryas (i) » marocaines, les misérables ksouriens
de rexlrème Sud, Oranais ou Algériens, vien-
draient très facilement à nous.
Dijon, le 21 mai 1902.
Ladey de Saint-Germain
(1) Sectes religieuses de propagande.
PROMENADES DANS FLORENCE
PROMENADES DANS FLORENCE
Mesdames,
Messieurs,
Florence a été entourée de tant d'hommages,
elle a été si souvent célébrée par les poètes, si
profondément fouillée par les historiens et parles
artistes qu'il y a une témérité que je ne me dis-
simule point à prétendre en évoquer Timage dans
les limites étroites d'une courte causerie. Retracer
en quelques mots son histoire dont les plus insi-
gnifiants épisodes ont été élucidés, énumé'rer avec
sécheresse ses trésors d'art dont les moindres
joyaux ont été les objets de minutieux examens,
serait, sans doute, un effort vain et superflu;
mais vous permettrez à un voyageur de dire sim-
plement sous quels traits s'est offerte à ses yeux
une ville qu'il aimait par avance et qui lui est
devenue plus chère du jour où il Ta parcourue.
Chaque ville a sa physionomie banale ou Iran-
7
— 8^2 —
chée, tapageuse ou discrète; celle de Florence
est singulièrement captivante et je voudrais es-
sayer, en vous entraînant sur les bords de l'Arno,
de la faire surgir devant vous. L'heure est favo-
rable à mon entreprise. Il fut un temps où Flo-
rence échappait à ses visiteurs. Le Président de
Brosses y passait, dédaigneux, sans en soupçonner
la beauté. Le mouvement qui, au dix-neuvième
siècle, nous a progressivement éloignés des âges
de plénitude pour ramener notre attention vers
Taube de la Renaissance, a nui à la faveur de plus
d'une ville, mais a, par dessus tout, servi Florence.
La décadence politique avait commencé pour elle
dès le siècle de Léon X ; les derniers des Médicis
n'étaient plus les prolecteurs des arts qu'avaient
été leur ancêtres, et les ducs de Lorraine qui leur
succédèrent se montrèrent plus indifférents encore
au culte de la beauté. Nous n'avons pas à le re-
gretter. S'ils avaient embelli la ville au gré de
leurs sujets, ils y auraient construit des édifices
dont la vue nous choquerait aujourd'hui et nous
troublerait dans nos méditations. Examinez à
l'Opéra du Dôme les projets qui furent conçus aux
dix-septième et dix-huilième siècles pour la façade
de la cathédrale qu'on rêvait d'achever dans le
style jésuite, et vous vous féliciterez de l'indiffé-
rence qui empêcha de les réaliser.
Privée des colonnes, des pilastres et des volutes
chers aux contemporains de Louis XV, Florence
— 83 —
traversa ces âges emphatiques sans s'y enrichir,
surtout sans s'y souiller et elle garda son cachet
archaïque et son harmonie. Nos contemporains
Tonl vengée amplement des dédains du passé. A
mesure que nos regards plongeaient plus avant
dans les périodes où se constitua Tart de l'Italie,
à mesure que les grands maîtres du Quattrocento
et du Trecentomême sortaient, un à ua, deToubli
injuste et du mépris barbare dont on les avait
accablés, avec Masaccio, Ghiberti, Donalello,
Ghirlandajo ou Brunelleschi, avec Giotto et Ci-
mabue, c'était Florence dont la physionomie peu
à peu se dégageait. En môme temps reparais-
saient, sous le badigeon qui les avait seuls pro-
tégés contre une destruction totale, les trésors
voilés par des mains orgueilleuses et ignorantes.
Les églises reprenaient leur dignité première et,
à Sanla Groce, à Santa Trinîla, à Ognissanti, les
fresques longtemps ensevelies se dégageaient de
leurs suaires de plâtre.
Alors, dédaigneux des routes banales qui me-
naient à Bologne, oublieux même des voies
romaines, les pèlerins afûuèrent à Florence. Les
Préraphaélites, les Nazaréens y placèrent leur
patrie idéale et, à la suite des Esthéticiens et des
Romanciers, l'univers intellectuel s'est tourné
vers la cité de Sainte-Marie des Fleurs, vers la
ville dont le lys rouge est Temblème.
C*est à faire ce pèlerinage que je voudrais vous
— 84 —
inviter. Suivons, si vous le permeltez, le courant
et mêlons- nous à Tadmiration universelle. Sans
cloute nous n'éprouverons pas les émotions, trop
souvent décevantes, que donnent Tinédil et les
découvertes; mais nous priverions-nous d'un
plaisir ou le trouverions-nous moins exquis parce
que nous le savons partagé ?
Je voudrais, au moment de franchir le seuil de
la ville, vous préparer par quelques observations,
préliminaires à I21 visite que nous allons entre-
prendre ensemble.
Puis, après avoir reconnu le lien étroit qui
réunit en un faisceau toutes les richesses de Flo-
rence, nous essayerons d'interpréter le langage
muet des monuments qui portent témoignage sur
Thistoire et sur la vie florentines.
Nous nous attacherons, ensuite, à dégager l'es
impressions générales que laisse la vue de tant
de chefs-d'œuvre et nous nous efforcerons d'en-
trevoir ce que fut le génie artistique florentin.
Entin, fatigués par une laborieuse promenade,
nous irons nous reposer sur les collines qui do-
minent Florence, à SanMinialo et à Fiésoles et
nous contemplerons le panorama de la ville avant
de nous en éloigner.
Tel est le plan que vous propose votre cicérone,
heureux si je pouvais raviverchez quelques-uns
— 85 —
d'entre vous de chers souvenirs et rendre plus
fort, chez d'autres, le désir de connaître la fleur
toujours svelleet pleinede fraîcheurde la Toscane,
egregia città di Fiorenza oitre ad ogni ultra
italica lellissima^ comme l'appelait, avec une
fierté filiale, Tillustre Florenlin Boccace.
Il est des spectacles naturels, des livres et des
œuvres d'art qui font sur l'esprit une impres-
sion si forte qu'ils s'imposent immédiatement et
écrasent, pour un instant, toute comparaison et
tout souvenir. Mais à côté de ces objets qui nous
empoignent et nous arrachent à nous-mêmes, il
en est d'autres dont le charme plus discret n'agit
que sur des esprits préparés et dont lé parfum
s'évapore si Ton ne le respire avec précaution.
Si notre dessein était de visiter Grenade ou Venise
nous ne songerions pas à mesurer nos étapes
antérieures et à graduer nos impressions ; mais
avec Florence, il nous faudra, Mesdames et Mes-
sieurs, user de quelque ménagement.
Sans doute il est certains aspects de la ville
dont on ne saurait méconnaître le caractère : la
place de la Seigneurie où s'élèvent le Palais
Vieux et la Loggia dei Lanzi et d'où Ton aperçoit
le Palais des Offices ; la place du Dôme où, près
du Bigallo, on embrasse d'un môme coup d'oeil
Sainte-Marie-des-Fleurs, le Campanile et le Bap-
tistère agiront sur le voyageur le plus mal dis-
posé. Mais bien des rues paraîtraient banales,
plus d'un monument médiocre à celui qui aurait
éprouvé ailleurs, les jours précédents, des im-
pressions plus violentes et plus brutales.
— 87 —
Pour moi, dans un récent voyage, comme je
me rendais à Florence, j'eus Timprudence de
m'arrôter à Parme, à Modène et à Bologne et
j'arrivai en Toscane, tout obsédé par le caractère
accusé des villes de la pesante Emilie, les yeux
pleins encore de ces cathédrales aux portails
étranges dont les colonnes grêles reposent sur des
lions accroupis, du Baptistère de Parme aux cinq
colonnades superposées, de ces palais aux lourdes
arcades. Aussi ne retrouvai-je pas, au premier
instant, la ville que j'avais autrefois admirée; si
je ne l'avais connue déjà, j'aurais éprouvé une
déception véritable et il me fallut plusieurs jours
pour redevenir Florentin.
Quand bien môme, d'ailleurs, nous nous se-
rions préservés de tout contact dangereux, quand
nous aborderions Florence, le cœur et les yeux
vierges, séduits par avance, entraînés par la lec-
ture des livres qui en facilitent la compréhen-
sion, familiarisés par des images avec les monu-
ments et les points de vue, la séduction, à
laquelle nous nous prêterions avec tant de com-
plaisance n'agirait pas sur nous en un instant.
Il est facile, en une promenade rapide, de saluer
les merveilles les plus réputées, mais celui qui
en userait ainsi ne connaîtrait qu'une faible
partie des richesses de Florence et il se forme-
rait une idée imparfaite des choses mômes qu'il
aurait vues et de la ville qui les renferme. Venise
— 88 —
se livre en quelques heures; Florence se dérobe
pendant des semaines. Il faut savoir atlendre
que l'impression, d'abord confuse, se débrouille :
il faut donner au charme le temps d'opérer.
J'ai honte,. Mesdames et Messieurs, de vous
retenir si longtemps aux portes de Florence et
pourtant, au moment où votre promenade va
commencer, j'ai peur d'être obligé d'intervenir
une fois encore. De la gare, vous allez courir par
la via dei Panzani et la via de Cerrelani à la
place du Dôme, puis, sans prendre le temps de
vous arrêter, parla via dei Calzajoli vous irez à la
Seigneurie; peut-être même, dans votre précipi-
tation, franchirez-vous Je Ponte Yecchio et pous-
serez-vous jusqu'au palais Pitti. Dans cette pro-
menade d'orientation vous serez, je le crains,,
déconcertés. Florence vous apparaîtra trop ani-
mée, trop bruyante ; la foule que vous croiserez
dans les rues, les magasins avec leurs étalages
vous choqueront. Les restaurants que vous ren-
contrerez à chaque pas vous paraîtront insuppor-
tables et les tramways électriques, dont la station
est à l'angle du Dôme, ne trouveront pas plus
grâce à vos yeux que les modestes omnibus
qui stationnent près de la Loggia dei Lanzi. Vous
aviez rêvé une ville d'art recueillie et silencieuse,
un sanctuaire propre à la méditation ; vous allez
regretter la paix que Ton goûte à Pise ou à Sienne.
J'espèro que vous reviendrez vifo de ce premier
- 89 —
mouvement d'humeur. Sans doute le bruit d'une
ville moderne trouble tout d'abord, mais lorsque
Ton prolonge son séjour, combien il devient né-
cessaire. Vous avez visité Pise entre deux trains,
mais, si vous y étiez demeurés davantage, vous
auriez souffert de n'y pas trouver plus d'anima-
tion. Un séjour à Sienne, si variée que soit la
ville aux yeux de l'artiste, est intolérable parce
qu'elle n'offre aucune distraction à celui qui,
fatigué par des heures d'admiration esthétique,
désire un peu de repos. On ne vit pas parmi les
morts.
Florence, au contraire, vous retiendra par sa
vie et sa gaité. Vous serez bien aises, le soir, de
la trouver animée. Le confort dont elle vous en^
toure ne vous restera pas indifférent ef, si vous
vous passionnez pour elle, le Chianti, ce vin des
coteaux de Toscane, savoureux et léger, qui
égayé sans monter à la tête aura, sans doute,
contribué à votre enthousiasme. Vous entendrez,
avec plaisir, la mélodie de celte langue toscane,
si rude parfois dans la bouche des gens du peuple,
si harmonieuse sur les lèvres des Florentines.
Vous sentirez, enfin, que le passé se lie étroite-
ment ici au présent, qu'il ne reste pas étranger
à cette animation qui le pénètre, le vivifie et le
rapproche de nous. Le Ponte Vecchio, quia con-
servé le privilège d'être couvert de boutiques et
d'échoppes, n'aurait pas le même caractère, il
— 90 —
n'offrirait pas le même intérêt si les maisons en
étaient désertes et si les bijoutiers n'y vendaient
pas les mosaïques de marbre, les colliers de corail
ou les amulettes qui écartent le jettalor et con-
jurent le mauvais œil. Reprocherons-nous aux
Florentins d avoir, en 1868, construit, aux portes
de leur ville, une promenade magnifique, le Viale
dei CoUi d'où Ton peut jouir du panorama de
Florence?
Je le sais, la vie contemporaine a des exigences
contre lesquelles le voyageur se révolte. Quand,
familiarisés avec les monuments typiques, vous
errerez au hasard des vieilles rues pour y cher-
cher des vestiges delà vie passée, plus d'une fois,
vous vous irriterez de voir les aspects anciens
modifiés ou mutilés par des édifices modernes.
Les arcades dessinées par des pierres usées sur
les maisons delà Via de Servi près du Dôme font
regretter les transformations qu'ont subies les de-
meures des artistes qui y tenaient, comme Bene-
delto da Majano, leur boutique. Quelques rues
dont la physionomie s'est maintenue presque
intacte le long de TArno, non loin du Ponte Vec-
chio évoquent une Florence pour laquelle on
aurait désiré un total respect.
Sur le fronton des galeries Victor Emmanuel,
monument récent dénué de grâce et d'ampleur,
a été gravée une inscription où la municipalité
de Florence se félicite d'avoir fait disparaître des
— 94 —
vestiges sordides et d'avoir restitué à ce quartier
une vie nouvelle. J'ai éprouvé on lisant ces lignes
qui commémorent la destruction du marché vieux
une impression de révolte. Puis je me suis ravisé ;
j'ai compris qu'il fallait savoir limiter nos exi-
gences, qu'un amateur était mal venu à désirer
qu'un peuple vécût dans des rues sans air pour
lui laisser le plaisir de jeter, en passant bien vite,
un regard de curiosité. J'ai pensé qu'il nous im-
portait aussi, à nous qui visitons Florence, qu'elle
fût saine et que sa population fût de belle humeur
pour nous recevoir et je me suis consolé en son-
geant que rien d'essentiel, en somme, n'avait été
supprimé.
Promenons-nous, à présent, librement dans
Florence et ne songeons tout d'abord qu'à assouvir
noire curiosité. Lorsque nous aurons calmé notre
première ardeur, nous reviendrons plus à loisir
aux objets trop rapidement salués. Nous nous
rendrons compte alors que la ville est inépuisable
et cette constatation, loin de nous décourager,
nous réjouira, car elle nous ouvrira Tespoir de
renouveler indéfiniment nos plaisirs. Non seule-
ment nous trouverons dans les musées matière à
occuper plusieurs existences, mais dans les rues,
dans les moindres églises, nous ferons des dé-
couvertes dont nous jouirons délicieusement. Je
me rappelle qu'après avoir passé plusieurs fois,
sans en franchir le seuil, devant Téglise des Saints
Apôtres, je fus ravi, le jour où j'y pénétrai, d'y
trouver un tabernacle d'Andréa délia Robbîa qui,
partout ailleurs qu'à Florence, aurait été célèbre
et qui, submergé dans la mer des chefs-d'œuvre,
restait là, ignoré et sans gloire.
Un ex-voto sculpté, à peine effleuré dans le
marbre, un écusson sur une vieille porte, une
loggia de bois au haut d'une vieille maison, une
tribune comme celle qui, via de Carpaccio, près
du Marché Neuf, porte les armes des Médicis,
— 93 —
tels àonl les menus profils de celui qui sait braver
la fatigue à Florence.
Une autre remarque, infiniment plus impor-
tante, s'imposera peu à peu à notre esprit. Pres-
que tout ce que nous verrons et admirerons est
marqué du cachet florentin. Je ne voudrais rien
exagérer; je ne voudrais oublier ni les merveilles
du musée Egyptien, ni les Titiens et les Raphaéls
de la tribune des Offices ou du palais Pitti; pour-
tant, si haute que soit leur valeur, ils ne parvien-
nent pas à briser ce concert que tant de voix
répètent à la gloire de Florence. C'est Florence
que chantent les monuments, c'est Florence que
racontent les sculptures du Bargello et les ta-
bleaux de TAcadémie; c'est Florence dont Santa
Maria Novella, Santa Croce et Santa Maria del
Carminé se renvoient d'une rive à Tautre de
l'Arno la louange. Nulle ville n'a plus donné et
n'a moins reçu. Les styles du dehors n'ont pu la
pénétrer et les étrangers qui ont travaillé à l'en-
richir se sont plies à son génie. D'autre part, si
elle a rayonné sur toute la péninsule, si ses enfants
ont versé à pleines mains les chefs-d'œuvre sur
toute ritalie, si elle a, pendant deux siècles, mené
le chœur de Tart italien, elle a gardé pour elle
et chez elle, surtout dans l'architecture, quelque
chose de spécial qu'elle n'a pas communiqué.
Elle respire son parfum propre.
L'étranger la sent à la fois très accessible et
— 94 —
1res différente. Il devine, dans ses pierres, la per-
sistance séculaire d'un génie indépendant, reffort
continu d'une forte race. Elle a eu le privilège
d'être un centre, la capitale d'un peuple, de ne
dépendre de personne tant que sa sève a été féconde.
Le génie à la fois sombre, puissant et élégant des
Etrusques, ce génie que rappellent les souvenirs
conservés au muséearchéologique, s'est retrouvé
chez les Toscans, chez Dante et Michel Ange. Les
démons de la Divine Comédie, ceux de la chapelle
Sixtine sont de la famille des diables cornus qu'on
voit gravés sur les miroirs étrusques. L'élégance
florentine se pressent sur tel bas -relief de terre
cuite qui, tout mutilé qu'il est, a gardé ses séduc-
tions. L'énergie, lecaractère, une pointe de férocité
ou d'élrangeté dissimulée sous une grâce sédui-
sante, voilà les traits persistants du génie flo-
rentin.
Profitons, si vous le voulez, de la liberté que
donne le voyage idéal et, puisqu'il nous est
permis de multiplier les détours sans multiplier
nos fatigues, au lieu d'analyser un à un les
quartiers delà ville, quartiers dont il serait d'ail-
leurs malaisé de marquer Tindividualité, cher-
chonsàdéterminer, parmi tant dedocumentsépar?,
quelques traits caractéristiques de la vie historique
de Florence et de l'art florentin.
Mieux que les chroniqueurs et que les histo-
riens quelques monuments typiques nous diront
— 95 —
ce que fut la vie violenle, ardente, soupçonneuse
et exaltée de Florence. Bien déçu celui qui cher-
cherait, sur la façade des édifices publics ou des
demeures des personnages illustres, les signes de
la richesse et du faste et qui s'attendrait à y voir
les nobles ordonnances, les statues et les marbres.
La Seigneurie, les Podestats, les banquiers puis-
sants n'ont pas cherché à éblouir; ils ont songé
d'abord à se défendre et ils se sont retranchés
dans des forteresses ; forteresses, le Palais Vieux
et le Bargello ; forteresses, le Palais Slrozzi et le
Palais Riccardi; le Palais Pitli a Taspect d'un
repaire de géanls. Ces pierres sombres évoquent
ridéo des guerres civiles; elles ont soutenu des
sièges. A les voir on s'explique que Florence
ait pu braver l'armée de Charles VIII et que le
roi de France n'ait pas relevé le défi de Pier
Capponi qui lui avait dit : « Sonnez vos trom-
pettes, et nous sonnerons nos cloches ! »
Mais, et c'est là, Mesdames et Messieurs, un trait
bien caractéristique, il n'a pas suffi aux Floren-
tins que leurs palais fussent forts ; sans rien sa-
crifier de celte solidité nécessaire, ils ont tenu à
la revêtir d'élégance; ils ont ciselé Tarme dont
ils se servaient. Regardez le Palais Vieux avec
ses bossages, ses mâchicoulis, ses tours, la cloche
prête à sonner le tocsin, son formidable appareil de
guerre. Les fenêtres bilobées sont d'un dessin
simple et pur, le profil des créneaux est léger, la
— 96 —
tour carrée se dresse svelte et semble s'élever
sans effort. Les proportions de Tensemble ont élé
admirablement combinées et une impression
d'barmonie qui exclut toute idée de tristesse, se
dégage de cette forteresse qui fait patte de velours.
Franchissons la porte, et sans visiter les salles
riches, élégantes ou colossales, pénétrons dans
la cour entourée d un portique. Plus de terreurs,
plus de dangers, Témeute n'entrera pas jusqu'ici,
ou si elle y était entrée, il ne faudrait plus son-
ger à se défendre; aussi le contraste est-il com-
plet avec l'extérieur etla libre imagination a su
se donner jeu dans cet asile sûr. Les colonnes,
revêtues avec profusion mais sans lourdeur d'or-
nements délicats, portent des arcades entre les-
quelles sont sculpté» des médaillons aux armes
de Florence. Les voûtes du portique sont revê-
tues de grotesques et, au centre de la cour, un
mince filet d'eau jaillit de la fontaine qui orne
l'enfant au Dauphin de Verrocehio.
Cette cour avenante, il est vrai, a été dessinée
plus d'un siècle après la construction du Palais
et décorée plus tard encore. Mais le Bargello,
l'ancien palais du potestat, dont les diverses par-
ties sont à peu près contemporaines, offre une con-
tradiction semblable. L'aspect en est.plus farouche
que celui du Palais Vieux. La façade porte les
traces des flammes qui, à plusieurs reprises,
Tont attaquée et noircie. Mais cette citadelle
— 97 —
rogue a une cour dont le charme est exquis. L'es-
calier monumental, le double portique aux souples
arcalures, les inscriptions ou les blasons de mar-
bre encastrés dans la muraille, ne lui donnent
pas seulement un caractère d'élégance aisée ; par
un privilège rare à Florence et qu'il est pres-
que impossible d'analyser, de ces pierres d'un gris
bleuté naît une impression indéfinissable de cou-
leur. Je connais peu de spectacles d'un attrait
plus durable.
Mêmes impressions complexes aux Palais
StroMi et Riccardi. Les fenêtres du rez-de-chaus-
sée en sont grillées; les pierres en bossage sem-
blent nsirguer la fureur populaire ; mais les lan-
ternes en fer forgé du Palais Slrozzi et le profil
pur de la corniche du Palais Riccardi témoignent
du même souci d'art. Entrons au Palais Riccar-
di ; le style simple de la cour dessinée par Miche-
lozzo nous fera oublier aussitôt l'aspect sombre
de la façade. Montons ensuite au premier étage
et visitons la chapelle où Benozzo Gozzoli traça,
dans la procession des Rois Mages, un triomphe
des Médicis. En contemplant cette belle fresque,
séduits par la fraîcheur printanière qu'elle res-
pire, nous pourrions oublier les calculs dont la
vie des Médicis fut mêlée, les ruses par lesquelles
ils maintinrent leur ascendant et les périls qu'ils
traversèrent avant d'avoir assuré à leurs fils la
domination sur Florence. Ces personnages cou-
8
— 08 —
verts de brocard et d'or, velus avec un luxe si
fastueux et si distingué, le masque si calme, nous
donnent l'illusion d'une parfaite sérénité. C'est
de cette façon, sans doute, que les Médicis ont
désiré se faire connaître à la postérité et tels ils
apparaissent aussi dans ce précieux tableau des
Offices où Botticelli, sous un semblable prétexte,
les a également glorifiés.
Gardons-nous, toutefois, de nous laisser sur-
prendre : songeons à celte sacristie de Santa Maria
del Fiore où, le 26 avril 1478, Laurent de Médi-
cis se réfugia tandis que les Pazzi assassinaient
son frère Julien, et allons à la nouvelle sacristie
de Téglise Saint-Laurent contempler l'immortelle
effigie du Pensieroso qui médite éternellement
sa vengeance; écoutons la plainte des quatre
parties du jour, ce poème de l'accablement et du
désespoir, dans lequel Michel-Ange a déploré la fin
politique de Florence. Ce que sont devenus, par
la suite, Florence et les Médicis, les statues éques-
tres, emphatiquesot indifférentes, élevéespar Jean
Bologne à la gloire de Cosme I^^ et de Ferdi-
nand I" nous l'apprendront sans réticences en
confirmant les appréhensions de Michel- Ange.
Privée de la liberté, Florence s'endormit sous
la domination de ses ducs : peu à peu les pas-
sions élroites, les énergies âpres s'éteignirent.
Le feu du passé y est mort. Elle a pris une
part secondaire au Risorgiraento et se contente
— 99 —
aujourd'hui de jouir de sa gloire et de sa
beauté.
Si les souvenirs politiques ont profondément
imprégné les pierres de Florence, les traces de
sa grandeur économique sont demeurées moins
directement manifestes. Les banquiers se sont
fait construire des résidences monumentales, ils
ont contribué à embellir les églises; mais les
corporations qui ont enrichi la ville, qui l'ont
gouvernée et qui, en y accumulant les richesses,
en ont permis lessor artistique, n'ont pas pris
soin de préserver leur mémoire. Les maisons de
corporations qui ornent les cités flamandes et
dont on admire à Bruxelles ou à Bruges les fa-
çades sculptées et dorées, n*ont pas ici leur équi-
valent. Seule une maison vénérable par son an-
tiquité plus que par son caractère, rappelle ÏArt
des cardeurs de laine. Pourtant il existe au moins
un témoignage collectif de la prospérité des corps
de métiers, c'est l'église d'Or San-Michele située
dans la via dei Calzajoli entre la place du Dôme
et celle de la Seigneurie et qui fut, après 1336,
construite aux frais des corporations. Chacune
de celles-ci prit soin de faire placer à l'extérieur
de Téglise, dans une niche sculptée, la statue de
son patron, et c'est pour des armuriers, des dra-
piers, des menuisiers et des marchands que Dona-
lello, Verrocchio et Ghiberti coulèrent ces bronzes
célobres, le Christ et saint Thomas , saint Mor
— 100 —
tJiieUj saint Georges^ fruits d'une alliance mémo-
rable entre l'art et l'industrio.
L'exubérance de sève, la puissance que les
Florentins apportaient dansla vie politique et dans
Tactivité économique, ils les manifestèrent aussi
parfois dans la vie religieuse. Nous n'en cher-
cherons pas le témoignage dans la profusion des
églises, puisque toutes les villes de l'Italie ont,
avec plus ou moins d'art et de richesse, multiplié
chez elles les édifices sacrés, et nous nuirons pas
retrouver les échos de la foi florentine, dans les
sanctuaires où les riches bourgeois de Florence
ont laissé les preuves de leur faste plus que de
leur piété. Les églises de Florence, comme celles
de toute l'Italie, étrangères à cet élan du style
gothique qui est à nos yeux la moins imparfaite
traduction de la foi moderne, ne nous prédisposent
pas au recueillement. Elles nous apparaissent un
peu comme des musées et la liberté avec laquelle
on y circule, le zèle importun des sacristains et
des guides achèvent de leur donner ce caractère.
Mais, par un privilège presque unique, Florence
a su, en l'un de ses monuments, nous commu-
niquer Timpression du sentiment religieux. Au
couvent San Marco la foi la plus intense a laissé
d'elle-même des affirmations impérissables.
Là cessent les bruits du monde et, dans les cel-
lules blanchies à la chaux que l'on a remaniées
— 101 —
sansen allérerle cachet primitif, le géniemystiqiie
de Fra Angelicoa, pour ainsi dire, ouvert le ciel.
Les fresques dont il a, avecTaidede quelques dis-
ciples, orné toutes les cellules et dans lesquelles
il a traduit, en des images suaves et simples, sa
foi directe inaccessible au doute, très douce et très
pitoyable, vont au cœur, encore aujourd'hui. Elles
émeuvent même ceux qui, étrangers au catho-
licisme, s'inclinent devant tant de sincérité et
tant de douceur. De petits tableaux achevés comme
des miniatures, mais grands par Tinspiration el
le sentiment, font, exposés dans quelques-unes de
ces cellules, un effet particulièrement profond.
Dans la Salle du Chapitre, un grand Crucifiement
porte au suprême degré l'expression de celte con-
viction intense et Ton oublie, à regarde ries saints
et les martyrs que Fra Angelico a groupés au
pied de la croix, en leur prêtant des expressions
si émues, que, parmi eux, figurent saint Domi-
nique le fondateur de Tlnquisitionet saint Pierre
Martyr dont la mort fut le signal de laguerredes
Albigeois.
Combien il semble que nous soyons éloignés
de Florence! Pourtant, Mesdames et Messieurs,
poursuivons notre visite. A Texlrémité d'un cor-
ridor, à la suite des retraites mystiques que nous
.venons d'inspecter, se trouve une dernière cellule
qui, sans nous éloigner delà pensée religieuse,
brusquement va nous rejeter dans la vie poli tiqueet
— 102 -
dans la vie la plus tragique. C'est là que vécut
frère Jérôme Savonarola, le tribun qui, un instant,
galvanisa Florence et dont la parole embrasée
voulait ramener les Florentins à la pureté au prix
du sacrifice de leur gloire artistique, Savonarola
qui préditTarrivée vengeresse des Barbares, c'est-
à-dire des Français appelés par Dieu pour punir
l'Italie de sa déchéance morale. Sa courte popu-
larité fut suivie d'une fin terrible. Sur le pavé
de la place delà Seigneurie une plaque de bronze
signale l'endroit môme où, le 23 mai 1-498, se
dressa son bûcher et où il fut pendu et brûlé.
Ainsi se rappelle trop souvent ànous la couleur
ensanglantée du lys de Florence que la discorde
a rendu vermeil ;
Per division fatto vermiglio (1).
L*art, heureusement, nous fera oublier ces im-
pressions trop sombres. Ce n'estpas que les artistes
soient restés étrangers aux passions politiques ou
religieuses ; on connaît le patriotisme ardent de
Michel-Ange et Ton se rappelle que Botlicelli fut
disciple de Savonarola. Ce serait cependant un
paradoxe un peu fort que de présenter Benvenuto
Cellini comme le lypedeTartiste florentin, parce
qu'il fut unspadassin etdesoufenir qu'il a modelé
Persée, que Botlicelli et Donatello ont célébré
Judith et que tant de Florentins illustres ont eu
une prédilection pour David jeune, parce que ces
héros avaient versé le sang. Tout au contraire, il
semble que, par une sorte de réaction, les artistes
florentins aient été hantés par un souci de grâce
et, comme ils ont su vernir d'élégance le Palais
Vieux, ils ont versé une éternelle jeunesse sur la
(I) Dante, Paradiso.liV]^ ad fmem.
— 104 —
cité des Blancs et des Noirs, des Guelfes et des
Gibelins.
Cette grâce et cette élégance se sont, il est vrai,
manifestées sous des formes dont le caractère
spécial étonne et parait, au premier contact,
étrange. Noua avons pu nous familiariser avec la
sculpture et la peinture parce que les œuvres en
ont été répanduesdans tous les musées de TEurope
et Ton sait, cependant, les con Ire-sens extra-
vagants que Ton a commis sur l'art des contem-
porains de Botticelli.
Pour Tarchitecture, le goût n'en a pas été ex-
porté hors de la Toscane; aussi, grande est la
surprise de ceux quî,sans être prévenus, foulent,
pour la première fois, le sol de la place au Dôme
et qui découvrent la cathédrale^ le Campanile et
le Baptistère, ces monuments dont la renommée
est universelle et dont Taspect est si particulier.
Revêtus de plaques de marbre blanc, rouge et
noir verdâtre, ils nous déconcertent d'autant que
celte polychromie ne produit pas un véritable effet
de couleur. A Venise quelques briques suffisent
à illuminer le palais des Doges d'un sourire rose ;
ici, par la faute sans doute du ciel et par celle des
Florentins, des marbres colorés se dégage une
harmonie neutre et les architectes semblent avoir
cherché uniquement à tracer des dessins aux
combinaisons géométriques simples. La cathé-
drale, il est vrai, se rachète aux yeux de l'étranger
— i03 —
par son ampleur, la richesse de son ornementa lion
et avant tout par la coupole de Brunelleschi dont
la masse imposante emporte un immédiat suffrage.
Le campanile a sa sveltesse, sa hardiesse, les bas-
reliefs de Giotto et les statues de Donatello qui
lui ont fait trouver grâce devant les voyageurs
les moins complaisants môme en plein dix-hui-
tième siècle. Mais le Baptistère n'a rien dans ses
lignes qu'une extrême simplicité, point de har-
diesse, point de grandeur et, quand on le regarde,
rien ne détourne Tattenlion de la marquetterie qui
le revêt et qui y est réduite au blanc et au vert
noirâtre.
Et pourtant c'est à ce monument presque mes-
quin que les Florentins ont, de tout temps, consa-
cré une affection particulière. Dante le célébrait
dans la DivineComédie ; Villani le^déclarait le plus
beau temple du monde et je me souviens de Tac-
cent avec lequel une vieille florentine, menacée de
quitter sa ville natale, me parlait de la douceur
de vivre près de son c< bel san Giovanni ». Que
dire ? Faut-il renoncer à comprendre et ne re-
garder uniquement dans le Baptistère que les
portes du paradis de Ghiberti ? Non, sans doute,
mais c'est seulement après un séjour en Toscane,
après avoir vu à San Miniato,à Prato, à Pistoia,
à Sienne, des monuments du même style qu'on
finit par entrer un peu dans ce goût et qu'on en
devine la délicatesse grêle et la grâce mesurée.
— -106 —
D'aulres édifices, d'une séduction plus immé-
diate, charment par des traits si subtils qu'ils
échappent à l'analyse. Expliquera-t-on ce qui
plait dans la petite loggia du Bigallo? Pourquoi
la loggia dei Lanzi produit-elle une impression si
forte, pourquoi ce portique fait-il un si grand ef-
fet ? Des proportions heureuses, des ornements
discrets et appropriés, la légèreté des colonnes
dont les chapiteaux collés n'interrompent pas les
lignes, contribuent, sans doute, à cet air de no-
blesse, mais en rendent un compte imparfait et
pourtant il faut que la loggia ait une valeur d'art
bien élevée puisque les chefs-d'œuvre qui la dé-
corent, le Persée de Gellini, la Judith de Dona-
tello, r Enlèvement des Sabines et VHercuIe de
Jean Bologne n'effacent pas le cadre dans lequel
ils sont présentés.
Pour la sculpture et la peinture notre effort est,
certes, moindre. Quand on arrive à Florence on
les connaît ou du moins Ton croit les connaître
par avance et l'on s'imagine volontiers qu'il ne
reste plus qu'à achever sur place l'étude d'un art
familier. Par avance on escompte le plaisir que
Ton aura à saluer les pages décisives : pour la
sculpture les portes du Baptistère ou la chapelle
des Médicis ; pour la peinture, la madone de Ci-
mabue, les fresques de Giotto, la chapelle des
Brancacci à Sanla Maria del Carminé oii Masaccio
a renouvelé l'art, la chapelle des Tornabuoni,
— 107 —
TefiFort décoratif le plus complet du Qualtrocenlo.
Ce qu'on n*a pas prévu, ce sont les plaisirs que
donneront ces investigations et les idées nouvel-
les qu'elles feront germer dans nos esprits.
Non seulement la recherche sera extrêmement
variée, à travers les églises, les chapelles, les cloî-
tres, les palais, à Texlérieur, à l'intérieur des édi-
fices, mais nous trouverons aux musées mômes
un cachet, une physionomie propre qui les dis-
tinguent les uns des autres, les associent aux ob-
jets qu'ils renferment et les délivrent de toute
banalité. Quel cadre plus approprié pour les
sculptures du Quattrocento, pour les œuvres des
Délia Robbia, pour les Irésors de lart industriel
que le Bargello dont la vue seule, comme celle
de notre musée de Cluny, nous transporte dans
le passé ? Les trois musées de peinture, l'Acadé-
mie, les Offices, Pitti ne sont pas trois fragments
épars d'une galerie disloquée. L'Académie par-
faitement simple et nue rappelle les débuts de
l'art, nous en montre les balbutiements puis les
progrès jusqu'au cœur du quinzième siècle. Les
Offices plus riches mais d'une richesse sobre,
parlent surtout du quinzième siècle et des débuts
du seizième. Le palais Pitti, enfin, avec son luxe
insolent, l'étalage des ors, la décoration surabon-
dante des plafonds, serait insupportable si l'on n'y
avait réuni les chefs-d'œuvre de la plénitude,
chefs-d œuvre pour lesquels aucun cadre n'est
— 108 —
trop riche et que le plus somptueux décor ne sau-
rait écraser. Ainsi se renouvellent et se diversifient
nos plaisirs et c'est au milieu de ces enchantements
que se précise l'idée que nous pouvons nous for-
mer du génie artistique florentin.
Les Floren tins on t rarement recherché la beau lé
telle que nous l'entendons quand nous la séparons
de l'expression et la réduisons à la régularité har-
monieuse des traits. Parmi tant de madones qu'ils
ont sculptées ou peintes, il en est bien peu qui
aient un profil de camée ou de médaille. C'est
qu'ils ont, par dessus tout, aimé la vérité et que,
sans médire des Florentines, celles-ci leurofi^raient
plus souvent des traits piquants que des. masques
réguliers, s'il est permis, toutefois, de juger de
leurs mérites d'autrefois par ceux qu'elles ont
aujourd'hui.
La vérité dont ils étaient épris, les Florentins
l'ont poursuivie dans les voies les plus difiléren-
tes, les plus opposées et leurs prédilections oflTrent
un contraste analogue à celui que nous avons
noté entre la façade et l'intérieur de leurs palais.
Ils ont scruté avec passion la physionomie hu-
maine, avides d'en conserver, sur leurs effigies, le
caractère, ne reculant devant aucun type si accen-
tué qu'il fût, etontexprimé avec une hardiesse et
un bonheur remarquables la beauté de la laideur.
Les Allemands mêmes n'ont pas poussé plus loin
la véracité. Donalello s'est livré en ce genre à de
— 109 -
véritables paradoxes. La Madeleine du Baptistère,
le Zucconey qui, de la niche du Campanile, sem-
blent narguer les Florentins, sont, à coup sûr, des
morceaux de bravoure ou de bravade. Mais ail-
leur?, avec moins d'outrance, il n'a guère été moins
hardi et la statue du Pogge au Dôme ou Tîncom-
parable buste polychrome de Niccolo Uzzano au
Bargello ne sont pas moins scrupuleusement
fouillés. Benedettoda Majano, Rossellino, le suave
Mino da Fiésole lui-même ont fait des morceaux
d'une pareille maîtrise: ils ont modelé, ainsi que
leurs émules, ainsi que l'auteur inconnu du por-
trait cruel de Charles VIII, ces bustes admirables
du Bargello où la ressemblance et la vie sont obte-
nues par l'accumulation des détails vrais, série
dont on chercherait en vain l'équivalent dans un
autre art. Le portrait prétendu du portier des
chartreux par Masaccio qu'on voit aux Offices et
la tête de vieillard de Ghirlandajo que conserve
le Louvre montrent que les peintres n'eurent pas
plus de timidité.
Mais ces mômes artistes qui poursuivaient
avec tant de témérité la lutte contre la nature
dans ce qu'elle a de plus violent, ont, le plus sou-
vent essayé de rivaliser avec elle dans ses mani-
festations les plus gracieuses et les plus fraîches,
ils ont chanté l'enfance et la jeunesse et ils ont
été si heureux dans cet effort, que, malgré les
impressions sombres ou graves que produisent à
— ilO —
Florence monuments ou souvenirs historiques,
ils en ont fait la cité du Printemps.
Nul, sans doute, n'a poussé Tamour de l'en-
fance si loin que Fra Angelico qui a communi-
qué à tous ses personnages sa propre candeur et
leur a conservé l'innocence du premier âge, mais
les anges qu'il a placés dans son célèbre Paradis
pourraient, s'ils le voulaient, entraîner dans leur
chœur plus d'un bambin florentin au regard
clair et aux chairs potelées. L'enfant au Dau-
phin de Verrocchio, les enfants dont Desiderio de
Sellignano a orné le tombeau du chancelier Mar-
suppini, la frise de la chapelle des Pazzi dans le
cloître de Santa Groce, les Enfants chantants de
Lucca délia Robbia et les Enfants dansants de
Donatello qui sont conservés à TOpéra du Dôme,
pour ne point parler des bambini épars dans les
tableaux d'autels, sont les fleurs les plus char-
mantes de ce musée de l'Enfance. Rien n*y égale
cependant la délicieuse suite des médaillons de
la façade de l'Hospice des Innocents où Andréa
délia Robbia a exprimé avec une si parfaite dou-
ceur la pitié pour les tout petits.
Que l'enfant grandisse, que ses grâces indé-
cises se précisent, qu'arrivé à Tâge de la puberté,
nerveux et souple, frôle encore et déjà vigou-
reux, il s'imprègne de beauté, d'élégance, et son
corps harmonieux sera le thème favori des ar-
tistes florentins. Ghirlandajo, Bolticelli, Filippo
— 111 —
Lippi, ont donné à leurs vierges, àleurs portraits
déjeunes filles, à leurs figures allégoriques, une
distinction exquise et ont chanté « la vertu ac-
compagnée du charme de la jeunesse », la beauté
chaste des corps où circule, pure, la sève de la
vie. Des sculpteurs ont, ainsi que Léonard de
Vinci, préféré à la grâce féminine la force aisée
du jeune homme et ils se sont complu à fixer
cet âge heureux et fugitif entre tous où Tadoles-
cenl unit à la puissance le rythme nombreux
des lignes et semble allier, un instant, des per-
fections presque contradictoires.
Ce sont ces aspirations qui guidaient Ben ve-
nu to Gellini quand il modelait son Persée, c'est
dans cet esprit que tant de Florentins ont célébré,
sans se lasser, le triomphe de David. Verrochio a
fait un David de bronze que Ton admire au
Bargello, et, dans une salle voisine, s'opposent
deux Davidy Tun de bronze, l'autre de marbre,
tous deux de Donatello. Michel-Ange lui-même,
qui se complut à donner à ses créations une
vigueur surhumaine, a été sensible à ce charme.
Florence conserve de lui V Adonis 7nourant, lo
Bacchus et Julien de Mèdicis, trois statues de la
forme juvénile et a dressé sur une place qui
domine la ville le moulage en bronze du David
colossal dont l'original précieux est maintenant
à l'Académie. Mais Michel-Ange, môme quand
il s'en défend, marque sur le front de ses héros
— 112 —
les préoccupations de la pensée, il les dépouille
de la sérénité et de la confiance et par là, invo-
lontairement, il les vieillit. C'est aux maîtres
moins complexes, qui ont vécu avant lui, qu'il
faut demander le type de la jeunesse virile telle que
l'ont aimée les Florentins. Il me semble que Dona-
tello, dans son Saint Georges, s'est plus que per-
sonne rapproché de cet idéal maintes fois pour-
suivi. Saint Georges, qu'une piété délicate a retiré
d'Or San Michèle pour le conserver au Bargello,
se campe dansune ferme et modeste attitude ; son
corps est nerveux et fort, et son regard droit,
exempt de méditation et de calculs, est plein de
simplicité loyale et de dignité.
Eprise de grâce et de souplesse, Florence, mal-
gré l'exemple de Michel-Ange, ne put apprendre
à célébrer dignement la plénitude de l'âge mur.
Ses sculpteurs échouèrent en des œuvres infé-
rieures ou risibles. Les statues dont Vincente
Rossidécorala salle des GinqCentsdu Palais Vieux,
celles de Vincente Danli qu'on voit au Bargello
sont tourmentées et médiocres ; les colosses de
Bandinelli sont presque ridicules ; le Neptune
d'Ammanati, sur la place de la Seigneurie, le
Bianconey comme l'appellent les Florentins, est
grotesque. Quant aux peintres qui, aux quator-
zième et quinzième siècles ont couvert, avec tant
d'abondance, les murailles des Palais, des Eglises
el des Cloîtres, après Andréa del Sarto qui a décoré
— 113 —
le cloître de TAnnuiiziala et celui du Scaizo de
fresques toutes pleines encore de fraîcheur et
de légèreté, il semble qu'ils soient épuisés ou
plutôt ils transportent ailleurs leur activité. Ils
n'ont pas ici signé une seule page remarquable
et cela est fort heureux car, tels que nous con-
naissons ces maîtres présomptueux et prolixes,
ils n'auraient pas hésité à détruire, pour étaler
leur verve banale, les chefs-d'œuvre de leurs
prédécesseurs.
Ainsi s'explique le silence de Florence après
les premières années du seizième siècle. Aucun
de ses artistes n'a songé à célébrer le triomphe dfj
TEté et Y Allégorie du Printemps, ce poème ra-
dieux et chaste où Botticelli a exalté le charme de
la jeunesse et des fleurs :
La graa variazion de'freschi mai (1)»
demeure pour nous le symbole des aspirations
esthétiques de Florence.
(4) Dante, Purgatorio, XXVIII, 12.
Noire promenade est terminée — trop brève et
bien incomplète; Nous avons à peine jeté les yeux
sur les objets qui nous ont frappés et nous avons
laissé enlièrement de côté des aspects essentiels.
Le génie littéraire de Florence, l'ardeur avec
laquelle elle élabora la pensée antique, la gloire
de ses poètesjde ses platoniciens, de seshumanistes
nous les avons oubliés et nous n'avons été chercher
ni dans les Bibliothèques, ni dans les Palais des
Médicis les souvenirs de cette grandeur. Il faut
pourtant nous éloigner ; comme tous les voya-
geurs, nouô aurons le regret de n'avoir pas ac-
compli le programme idéal et irréalisable de ne
rien négliger.
Sortons de Florence, mais, avant de l'aban-
donner, cherchons, après l'avoir vue par le détail,
à en saisir l'ensemble. De la colline de Fiésoles
qui s'élève au nord-est ou de la plate-forme de
San Miniato qui regarde la ville du sud, on peut
également jouir de ce spectacle. A Fiésoles, on est
plus haut et plus loin ; à San Miniato on touche
presque les murs et l'on s'élève à peine au-dessus
des monuments; d'un point de vue on analyse
davantage, Tautre donne une impression totale
plus nette.
Pour aller à San Miniato nous suivons le viale
dei Golli jusqu'au Piazzale Michel Angiolo,
— 113 ^
terrasse grandiose d'où la vue s'étend déjà au loin ;
puis nous moulons parmi des penles naturelles
et des monlicules artificiels près des murs et des
remparts, aujourd'hui ruinés, que Michel-Ange
improvisa jadis pour défendre la liberté de sa
patrie. Nous arrivons ainsi à la plate -forme sur
laquelle fut édifiée, en plein moyen âge, avant
l'époque du grand développement de Florence,
San Miniato al Monte, église simple et solennelle
dont la façade de marbres noira et blancs est
dominée par une vieille mosaïque que le temps
n'a pas ternie et par un aigle de bronze tout chan-
celant de vieillesse. L'église même est une des
fleurs les plus odorantes de la Toscane; toutornéQ
demosaïquesde marbre, elle conserve des fres-
ques des premiers âges de la Renaissance, une
chaire de Técole des Cosmas et aussi des monu-
ments d'une harmonie achevée deRossellino, de
Baldovineltielde Lucca délia Robbia, reliquaires
précieux de la pensée florentine.
Devant le parvis de Téglise est un cimetière,
blanc de pierres tombales. Les Florentins, dans
leur amour passionné de leur cité, ont désiré
reposer en ce lieu d'où l'on découvre toute la ville.
El Florence s'étend à nos pieds au milieu de la
plaine toscane où circule le bel Arno,
Bel fîume d'Arno (1).
(I) Danle. ïnfei^o, XXIII, 34.
— 116 —
et que circonscrivent, de toutes parts, des col-
lines d'altitude médiocre, au relief et aux formes
adoucis. Dans ce cirque qui l'entoure sans la
comprimer et sans Técraser, elle s'étend à loisir
et il semble qu'il y ait une harmonie véritable
entre la ville et la vallée. Depuis le profil ondulé
qui ferme l'horizon jusqu'aux bords du fleuve,
tout semble cohérent et sympathique, et c'est
vraiment un spectacle qui satisfait l'œil et ne
laisse rien désirer à l'esprit que le panorama de
Florence. Rien qui émeuve avec violence, pas de
formes étranges, pas de symphonie éclatante
de couleurs, mais, en revanche, le charme pai-
sible et exquis des lignes souples dont laccord
est profond, de formes délicates bien qu'un peu
grises qui se fondent depuis les premiers plans
jusqu'aux fonds lointains où se perd la vue, d'une
harmonie qui, môme au cœur de Tété, donne la
sensation et l'illusion du printemps. Florence se
déploie, grise, confuse, sous la protection des
deux monuments qui la dominent et forment les
notes capitales de sa physionomie : le Vieux Pa-
lais, symbole de la vie politique et le Dôme, sym-
bole religieux et plus encore artistique. La masse
sévère et imposante de la coupole de Brunelleschi
se détache en lignes pures et semble couvrir la
ville tout entière de sa protection et de son
ombre.
Puis, quand Taltention s'est détachée des deux
— 117 —
chefs du chœur, le regard se promène sur tous
les quartiers de Florence, se repose sur les Cas-
éine verdoyantes, admire les quais de TArno, et
découvre successivement les clochers ou les tours
qui permettent de saluer les édifices aimés : Saint-
Laurent, Sainte-Marie-^Nouvelle, le Bargello, la
Badia, Santa Croce, et les souvenirs surgissent,
souvenirs d'histoire et d'art, accordés par le temps
en une symphonie uniqu<>.
Ainsi, du parvis de San Miniato, s*oflFre à nous
Florence. De la hauteur de Fiésoles la vue est
moins distincte, moins analytique ; elle est, peut-
être, plus complète.
Les chemins en lacet qui conduisent à Fiésoles
sont bordés, de figuiers dont le feuillage d'un
vert mat se marie aux folioles grises et argentées
des oliviers en un ton neutre et doux. Peu à peu
on s'élève; on laisse derrière soi la ville qui
s'éloigne sans cesse, parait plus confuse et, en
môme temps, se découvre plus complète, dans
tous ses développements, dans ses boulevards,
dans ses faubourgs.
El, quand on a gravi le sommet, quand on s'est
élevé au-dessus des derniers figuiers verts et des
derniers oliviers gris, que le regard s'étend jus-
qu'aux limites de Thorizon sans rencontrer nulle
part de masse hostile qui masque ou limite la
vue, alors on sent pleinement la beauté sereine
de Florence et Ton voit combien ici Thomme et
— H8 —
la nalure se sont élroilement liés. Depuis le som-
met de la colline jusqu'au centre de la ville tout
ici parait se répondre et, toujours fier, imposant,
immense, s'élève comme la pointe centrale d'un
bouclier, le dôme de Bruneileschl autour duquel
rayonnent les maisons, les monuments et les
ondulations de la terre toscane.
Ici on est trop loin pour que chaque édifice
arrête rœil et sollicite le souvenir : tout est con-
fondu ou plutôt tout est fondu et le regard se
repose longuement, satisfait de l'impression se-
reine que tout concourt à faire naître.
Florence ! combien il est amer à ceux qui t'ont
connue et aimée de ne pas demeurer dans ton
enceinte, et comme on s'associe aisément à la
douleur inguérissable que ressentaient jadis ceux
de tes citoyens que tu avais, avec Dante, chas-
sés cruellement loin de leur beau bercail,
Del bcllo ovile (i).
On rêve de passer à Venise quelques heures
enivrantes dont le souvenir charmera la vie et
s'associera à celui de journées de bonheur, mais
on a rarement souhaité viyre près du Grand Canal
et du Lido. On sent, au contraire, que l'exis-
(1) Dante, Paradiso, XXV, 2.
— 119 —
tence s'écoulerait à Florence, parmi lant de tré-
sors aimables, dans un épicuréisme voluptueux
el léger; l'on regrette de ne pouvoir y demeurer,
lame bercée sans secousses ni violences, et Ton
se dit, avec émotion, quand on la quitte, qu'il
serait très doux d'y vieillir au contact vivifiant
de l'Art, de la Jeunesse et du Printemps.
Léon ROSENTHAL
HISTOIRE
DE CE QUI S'EST PASSÉ AU MOIS DE NOVEMBRE 1674
EN LA CURE DE MAILLY-L'ÉGLISE
TOUCHANT L'APPARITION D'UN ESPRIT
DRESSEE PAR MOI, EDME-EDOUARD SAIN
MAITRE d'école DUDIT LIEU
PAR l'ordre du RÉVÉREND PERE LEGRAND
DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS
10
%
HISTOIRE
DE CE QUI S'EST PASSÉ AU MOIS DE NOVEMBRE 1674
EN LA CURE DE MAILLT-L'ÉGLISE d)
TOUCHANT L'APPARITION D'UN ESPRIT
DRESSEE PAR MOI, EDME-BERNaRD SAIN .
MAITRE d'École dudit lieu
PAR L*0RDRE du révérend PÈRE LEGRAND (2)
DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS
Le premier jour de novembre 1674, jour de la
fête de tous les saints, on sonna les matines au
dit lieu de Mailly, environ à cinq heures du ma-
tin, si bien que le second coup étant sonné, je
(4) La commune des Maillys, canton d' A axonne, est formée de»
hameaax do MailIy-l'Eglise, Mailly-IeChMeau, Mailly-le-Port et
Mailly-Ia-Ville.
Le château de M. de Berbis, qui était seigneur des Maillys à
l'époque où se sont passés les faits rapportés plus haut, fut construit
sous Henri III par M. de Rouvray.
(2) Etienne Legrand, d'une ancienne famille originaire de fiai-
gneux^né en 1618, fut élevé à Auxonneet entra dans la Compagnie
de Jésus. Après avoir proche pendant 25 ans et exercé les fonctions
de recteur aux collèges de Metz^ d*Autun et de Laogres, il fut
député à Rome en qualité de procureur de sa province et mourut
à Dijon le 26 février 468^
Les armes des Legrand étaient : vairéd'or et de gueules.
— 124 —
m'en allay avec le marguiller en la cure, ou je
trouvai Messire Jean-Bapliste. Guichard curé du
dit lieu, qui se levait et après lui avoir donné le
bon jour, il me dit qu'il croyoit qu'il revenoil des
esprits en sa maison eu riale, et qu'il avoit entendu
du bruit pendant la nuit et au même instant la
clef de la porte, quiétoit pendue à un clou derrière
icelle fut prise et jettée au milieu de la chambre
avec quelques morceaux de verre et quelques pe-
tites briques. Ensuite nous sortîmes de la maison
pour aller dire les matines et le reste du jour se
passa sans aucun bruit.
Le 2® novembre, je fus trouver le dit sieur
curé, entre cinq et six heures du matin, pour
l'accompagner pour prier Dieu pour les trépassés :
je lui demandai ce qu'il avoit entendu pendant
la nuit ; il me dit qu'il n'avoit rien entendu,
mais que depuis un quart d'heure, le dit Esprit
avoit pris un fort gros charbon de feu, et l'avoit
jette dans une autre chambre de la dite cure, qui
fut écrasé par mon fils qui servoit le dit sieur
curé, avec des morceaux déterre et de briques
de carreaux qui furent jettes en grand nombre par
toute la maison tant sur le lit du dit curé, sur la
table, que trois ou quatre qui tombèrent tant sur
moi que sur le petit garçon. Sur cela nous allâ-
mes à l'église faire notre office. Mais le soir étant
arrivé le dit sieur curé soupa assès paisiblement,
mais ayant soupe et voulant compter quelqu'ar-
— 125 — .
gent pour faire venir la provision pour le diman-
che, il lui fut jette par quatre ou cinq fois un fer
de cheval tout autour de luy et avec une très
grande force.
Outre plus, il y avoit un réchaud dans une
autre chambre qui fut pris et jette sous le lit du
dit sieur curé avec les grils et généralement toute
la vaiselle tant d'étain que autre.
Le dit sieur curé voyant qu'il ne pouvoit de-
meurer en sa maison parmi tant de bruit et de
danger, fit prendre une lanterne à ce petit garçon
et me vint trouver en ma maison, et m'ayant
prié de vouloir aller à la cure pour lui tenir com-
pagnie, et étant entré, nous relevâmes une par-
lie de ce qui avoit été jette par la maison.
Mais étant dans Tune des chambres tout se
renversoit dans l'autre, môme quinze ou seize
sous de deniers qui étoient comptés sur la table,
comme est dit ci-dessus, qui furent tous jettes par
la chambre. Mais comme je voulus m'opiniâlrer
à les ramasser, il y avoit un flambeau d'étain
qui se montoit à vis, lequel fut démonté, dont le
chandelier me fut jette entre les jambes, et le
pied d'un autre côté. Enfin le dit sieur curé,
voyant tout ce désordre, se résolut à quitter sa
maison pour aller coucher autre part, et pour cet
eflTet, il serra ce qui lui plut, et entre autres cho-
ses, il y avoit dans un sac de toile blanche, en-
viron de 8 à 9 francs de derniers qu'il posa sur
_ 426 —
la dilte lable, et cependant qu'il mettoit ordre à
quelque chose, il me dit de fermer un cabinet
avec un cadenas, et en le fermant il mit la main
sur le dit sac lequel fut tiré de dessous avec vio-
lence et iceluy jette tout au travers de la cham-
bre, mais rayant ramassé, je le mis dans ma
poche, et après avoir regardé un peu de temps
pendant lequel il fut jette et renversé tous les
ferrements servants au feu, comme les pelles, les
tenailles, pincettes et aulres choses.
Enfin étant sortis de la maison, nous allâmes
chez un nommé Paul Pillot hôte au dit Mailley
TEglise chès lequel il se trouva plusieurs person-
nes qui ayant appris l'afifaire voulurent tourner
le tout en raillerie et qu'ils iroient en la cure sans
rien craindre, môme assuroient leur dire avec
jurements, notamment un nommé Claude Jovi-
net. Si bien que le dit sieur curé pour les obliger
à tenir leurs promesses, et leurs paroles, leur
donna la clef du susdit cabinet ou étoit son vin
et leur dit que s'ils vouloient en aller tirer, il leur
en donnoit tout ce qu'ils en voudroient boire. Et
prenant pour cet effet deux lanternes et moi en
leur compagnie, nous allâmes en la cure, dont
ayant ouvert la porte j'y entrai le premier pour
faire voir audit Jovinet le désordre qui étoit en la
dite maison ; icelluy pourtant demeure au bout de
la table, où il ne fût pas sitôt arrêté, qu'il lui fut
jette une pierre sur la tête qui pesoit pour le moins
— 127 —
8 à 9 livres, sans toutefois lui faire de mal du
moins fort peu. Ce que voyanl nous sortîmes tous
de la maison ou nous étions tant dans la chambre
que dans la gallerie pour le moins 8 ou 9 person-
nes, sans lirer du vin comme ces gens là Ta voient
promis. Enfm nous nous retirâmes et le curé cou-
cha en la maison du dit Pillol, et laissa la maison
en garde à l'esprit.
La nuit étant presque passée, ledit sieur curé
pensant retourner chez lui avec ledit Jovinet,
qui avoit couché avec lui. fut bien surpris, lors-
que voulant entrer, les pierres, les briques, les
mottes de terre, les pots, les aiguières et généra-
lement tout ce qui étoit dans la maison fut ren-
versé, si bien que n'osant y entrer, ils me vin-
rent trouver de compagnie, et me dirent tout ce
qui se passoit, et même ledit Jovinet me défia
d'aller en ladite cure. Je lui fis réponse que pour
gageure ni pour défi je n'y voudrois pas aller,
mais que si ledit sieur curé avoit quelque chose
à faire, j'étois prêt à y aller ; lequel, pour m'o-
bliger à y aller me pria de lui aller quérir une
chandelle et la clef de l'armoire où étoit le ca-
lice. Ayant donc pris sa clef, je m'en allai à la
cure, ou je ne fus pas plutôt entré que je reçus
un coup de brique sur le dos ; je m'avance pour
prendre ladite chandelle, et il m'en tomba une
autre sur la tête. Prenant ladite clef, je reçus
un autre coup sur l'épaule droite, et enfin vou-
— 128 —
lant sortir de la maison, une autre me donna
sur Teslomac et sur le genou. De là étant retour-
né auprès du curé et dudit Jovinet qui avoit
encore reçu deux ou trois coups étant sur le cime-
tière, dont il se plaignoil assez, nous allâmes à
TEglise, ou ledit sieur curé ayant pris le rituel, il
lisoit les prières qui sont propres contre tels Es-
prits : je tenoisla chandelle ledit sieur curé lisoit,
et ledit Jovinet étoit auprès de nous, sur le nez
duquel il tomba une brique de pavement bien
de la grosseur de deux œufs. De là nous retour-
nâmes à la cure où il se trouva plus de vingt
personnes du village qui virent jetter les pots, les
plats et les aiguières d'une chambre à l'autre, si
bien que c'éloit une horreur de voir tout cela,
même un pot de terre qui fut cassé tout à mes
pieds. M. le curé voyant sa vaisselle à la veille
d'être toute gâtée, se résolut de Tôter et en effet
nous la portâmes toute à l'Eglise.
Tout cela se passa donc le jour de saint Hubert
3^ de novembre, que ledit sieur curé célébra la
sainte messe, et de là prit la résolution d'aller
en la ville d'Auxonne pour donner avis tant à
M. rOfûcial dudit lieu, que pour prier les Révé-
rents pères capucins (1) de venir voir tout cela.
En effet il y fut le môme jour : le reste de la jour-
(t) Les Capucins furent établis à Âuxonneen 4648 par J.B. Mon-
richard, seigneur de Flammerans^ dans la maison de Jean Mol,
vendue 750 livres : la première pierre fut posée le 7 avril 4610.
— 429 —
née on ne remarqua rien, sinon qu'on enlen-
doit toujours du bruil, et la cure demeura aban-
donnée. Le curé n'y coucha pas, d'autant que
passant autour d'icelle nous reçûmes toujours
quelques coups en passant.
Ayant donc passé la nuit, le dimanche matin,
la messe fut dite à l'ordinaire et après icelle on
dinaà la cure ou M. Berbis (1), seigneur dudit
Mailley dina sans voir ni entendre aucune chose.
Le soir comme on fut prêt à souper, que mondit
seigneur de Maiiley et M. son frère (2), ma-
jor des ville et château d'Auxonne y étoient le
R. P. Emanuel et le frère Donat capucins de la-
dite ville y entrèrent et après s'être salué on se
mit à la table où on soupa bien au repos. Après
souper on devisa de plusieurs choses, entre les-
quelles le père Emanuel raconta quelques his-
toires du retour des Esprits et enfin dit ; Dieu
grâces, M. le curé, vous voyez que notre Esprit
est bien sage et qu'il ne nous dit rien. Tout aus-
(4) Bénigne Berbis, seigneur des Maillys, baptisé à Beaune le 17
septembre 4625^ était fils de Jean Berbis, receveur des gabelles à
Beaune et de Anne de la Marre. Avocat au Parlement de Bour-
gogne, il épousa à Chalon le ?6 juin 1694, Marguerite Brunet.
(2) Jean-Baptiste Berbis, seif^neur de la Serve et d'Auxey, frère
du précédent, capitaine au régiment d*UielIes, puis major de la
ville d'Auxonne en 4673, épousa, Ije 9 mai 1660, Henriette Lorenchet,
fille de Biaise Lorenchet, secrétaire du roi, et de AnneLoppin.
Les Berbis portaient : dazur au chevron d'or accompagné en
pointé d'une brebis dargent*
11
— 130 —
sitôl ledit Esprit prit une branche d'une salière
qui éloit rompue, et la jetta sur la table devant
toute la compagnie. J'élois lors assis sur le coffre
dudit curé, et il me tomba en môme temps une
petite brique sur le genou. On vit encore un
grand clou sur la table, et finalement ce fer à
cheval dont j'ai parlé ci-devant qu'on avoit caché
sous ledit cofi're fut pris et jette sous ladite table
et qui toucha le pied dudit frère Donat.
Voilà ce qui se passa le soir. Ces messieurs se
retirèrent et après avoir prié Dieu, nous flmes
bon feu et nous passâmes la nuit fort paisiblement
sans voir nientendre aucune chose. Ces Messieurs
qui s'en allèrent avec M. le Curé du moins
M. desMailley, recul un coup sur le chapeau, et
M. le Curé aussi en passant sur le cimetière,
mais comme ils éloient impatiens de sçavoir
comme ces bons religieux et moi avions passé la
nuit, ils vinrent de grand matin nous demander
ce que nous avions veu, mais ils furent bien
réjouis, notamment M. le Curé lorsqu'ils SQurenl
que nous avions passé la nuit aussi paisiblement
qu'ils a voient pu le faire.
Enfin le P. Emmanuel célébra la sainte messe
et le dit sieur Curé aussi, et ils s'en retournèrent
tous au dit Auxonne ou M. le Curé laissa de
l'argent pour faire dire quantité de messes. Il
ne faut pas douter si nous étions bien en repos
de voir que notre esprit nous avoit traité si dour
— 131 -
cernent depuis 24 heures. Mais au retour de
M. le Curé, il nous fit bien voir qu'il nous
avoit donné ce peu de relâche pour en prendre
lui-môme, car le soir il jetla plus de briques qu'il
n avoit fait de loulle passé : môme il fut remarqué
qu'il sortit 3 ou 4 foîsdes serviettes d'une armoire
qui est auprès du feu et qui étoit fermée et les
jetloil par la chambre môme, en présence de 7 à 8
personnes du village, quiétoient là par curiosité,
et M. le Curé ayant eu la bonté de faire tirer
du vin pour le faire boire, il tomba plusieurs
choses sur la table, sans casser aucune chose :et
c'est une chose A remarquer qu'il tomba une
brique sur un verre qui étoit plein de vin, fit
bien épancher la moitié du vin sur la table.
M. Des Mailley et M. son frère sont encore
témoins d'une partie de ce qui se passa ce soir là,
d'autant qu'ils y soupèrent encore: comnie de
môme il fut enlevé un fort fçros charbon de feu
qui fut jette le môme soir en présence de 6 ou 7
habitans dudit lieu, et qui passa par dessus la
table sans toutefois faire un grand mal ; il jetta
encore quelque chose, mais ce fut peu de chose ;
on enteuidit quelque bruit, mais jDetit à petit, cela
s'est arrêté tout à fait.
M. le Curé dit plusieurs messes, et donna
encore pour en dire, si bien que je couchai encore
deux ou trois fois avec lui, pendant lequel temps
il ne fut veu, ni entendu aucune chose. J'ai
— 432 —
oublié une remarque qui est de ces derniers qui
furent épanchés le vendredi au soir, nous ne
pûmes tout retrouver, et nous n'avions laissé au-
cune chose sur la table, et néanmoins M. lé
Curé le matin y trouva le reste desdits deniers.
Voilà tout ce dont je me suis souvenu, et que
je proteste être la vérité môme pour avoir veu et
entendu tout ce que dessus. En foy de quoi je me
suis soussigné.
A Porlans ie 7 may \ 695
Signe: E.-B. Sain
LE CLIMAT DE DIJON
OBSERTATIO.NS MÉTÉOItOlOGIQDES
LE CLIMAT DE DIJON
OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES
Sur les propositions de la commission météoro-
logique que j'ai l'honneur de présider, la ville
de Dijon a fait établir au jardin de TArquebuse
un observatoire conforme au type du bureau
centralmétéorologiquedeFrance. Lesinslruments
qu'il renferme consistent en divers thermomètres
(maxima, minima, enregistreur, fronde) et en
psychromètres (enregistreur à cheveu et appareil
à double thermomètre, sec et humide).
Les observations sont faites par M. Roux, con-
ducteur des ponts et chaussées, chef de bureau
de ringénieur en chef du département et par
M. Porte, commis des ponts et chaussées, em-
ployé dans mes bureaux, qui le supplée.
En outre les mômes observateurs notent la
direction du vent et Télat du ciel à 8 heures du
matin, au moment où ils font leur première
— 136 —
observation. Une deuxième observation est faite
à 5 heures du soir.
Le baromètre est observé à la Faculté des
sciences par M. Roy, chef des travaux pratiques
de physique à cette faculté, qui mesure également
la pluie tombée. Un deuxième udomètre est
observé au port du canal de Bourgogne par un
agent du service.
Toutes les observations sont faites avec une
grande compétence et avec le plus grand soin.
Les observateurs son t d'au tan t plus dignes d'éloges
qu'ils font ce travail minutieux et assujétissant
absolument gratuitement. Le conseil municipal
qui, au moment de la création de Tobservatoire,
avait voté un crédit de 400 francs, dont 200 fr.
pour rémunérer les observateurs de l'Arquebuse
et 200 francs pour entretenir les instruments et
imprimer les observations. Ta supprimé depuis
deux ans par raison d'économie. Les membres de
la commission météorologique, dont M, Roy fait
partie, ne recevaient d'ailleurs aucune allocation,
ni sous forme de jetons de présence, ni sous toute
autre forme. Quoi qu'il en soit, grâce à la bonne
volonté de MM. Roux et Porte, ces observations
si utiles et si intéressantes ont pu être continuées
et la série à peine commencée n'aura pas été
interrompue.
Il y a actuellement quatre années entières
d'observations, savoir ; 1899, 1900, 1901 et 1902.
— 137 —
Chaque année commence, comme il est d'usage
en météorologie, par le mois de décembre de
l'année précédente; ainsi l'année 1899 commence
au r*" décembre 1898 pour finir au 30 novembre
1899 et ainsi pour les autres. Uannée 1903,
commencée au 1®^ décembre 1902 est en cours
d'observations. Nous ne rendrons compte que des
quatre années achevées.
Il n'est pas possible de publier ici les observa-
tions in extenso en raison du grand nombre de
tableaux de chiffres qu'elles comportent, mais
nous donnerons des tableaux résumés plus faciles
à consulter pour les personnes qui ne s'occupent
pas de météorologie d'une façon habituelle et
cependant suffisamment complets pour intéresser
même les professionnels.
Nous relaterons successivement les observations
ayant trait ; 1° à la température, 2^ à la pression
atmosphérique, 3° à l'humidité de l'air, 4"* à la
direction des vents et b'' à l'état du ciel. Pour
chacune de ces catégories nous commencerons
par l'année moyenne, c'est-à-dire par une année
idéale dont les phénomènes météorologiques
seraient la moyenne des quatre années observées.
Nous ne nous dissimulons pas combien un laps
de temps aussi court est insuffisant pour établir
une moyenne ; mais la comparaison de chacune
des quatre années avec cette année moyennen'en
sera pas moins fort intéressante. Gomme tous les
12
— 138 -
ans une nouvelle année viendra s'ajouter à celles
écoulées, Tannée moyenne résultant de son addi-
tion aux précédentes se rapprochera davantage
de la moyenne absolue et donnera une idée de
plus en plus juste du climat de Dijon.
1« TEMPERATURE
ANNÉE MOYENNE
L*année moyenne est la moyenne des années
observées, au nombre de quatre actuellement
(1899 à 1902 inclusivemeni).
La température moyenne de Tannée entière est
de 10° 2.
L'écart entre la température moyenne mini-
mum de — 1 1°7 et la température moyenne maxi-
mum de 35^3 est de 47". C'est là aussi un écart
moyen qui variera d'une année à Tautre. Le mi-
nimum de — 11° 7 est, en effet, la moyenne des
minimades quatre années qui ont varié de — 6°7
(1902) à — lb°6 (1901), et il en est de môme du
maximum 3K**3 moyenne des maxima compris
entre 32^7 (1901) et 38°4 (1900). L'écart total des
quatre années est donc en réalité de b4°. Si au lieu
de quaire années nous pouvions en considérer da-
vantage cet écart augmenterait encore. Il ne doit
pas être éloigné de 6b° d'une façon absolue, ce
- 139 —
qui classe le climat de Dijon parmi les climats
extrêmes. Si nous ajoutons que les variations de
température se font d'une façon souvent fort
brusque, on en conclura que le climat de Dijon
est assez rude. L'année moyenne comporte 68
jours de gelée et 5 journées où le thermomètre
descend à plus de 10*» au-dessous de zéro. Par
contre il y a 19 jours où la température dépasse
30°.
Uhiver moyen a une température moyenne de
2*»5. Le nombre de jours de gelée est de 44 sur
90, soit à peu près moilié et pendant cinq jours
le thermomètre descend au-dessous de — 10°. La
température moyenne minimum (moyenne des
températures minima) est de — 11**3.
Le printemps moyen a une température
moyenne de 9°4. 11 y gèle pendant 14 jours. Le
thermomètre ne descend pas au-dessous de — 10^
et ne dépasse pas 30^
Vêlé moyen a une température moyenne de
IS'^G. Le thermomètre dépasse 30** pendant 18
jours. La température moyenne maximum est
de 35«> 3.
h' automne moye^ïï a une température moyenne
de 10°1, égale à 0<»1 près à celle de l'année en-
tière. Il gèle pendant 10 jours, par contre on
compte une journée où le thermomètre dé-
passe 30°.
- 140 —
ANNÉE 1891).
Vannée 1899 a élé relativement chaude, sa
température moyenne de 1 1° 0 dépasse la moyenne
de 0^ 8. Le nombre de jours de gelée a été de P8,
inférieur de 10 à la moyenne et le nombre de jours
où le thermomètre a dépassé 30° de 20, supérieur
de 1 à la moyenne.
L'/iiverde 1899 a été relativement chaud. La
température moyenne de 4^4 dépasse la moyenne
de 1° 9. Il a gelé pendant 32 jours, soit 12 jours
de moins que la moyenne et le thermomètre n'est
descendu au-dessous de — 1 0'* que pendant 3 jours,
soit 2 jours de moins que la moyenne. Le jour le
plus froid a été le 23 décembre 1898 avec une
températureminimumde — 10°8 supérieure de 0°o
à la moyenne.
Le printemps de 1899 a eu une température
moyenne de 9°8, supérieure de O'*^ à la moyenne.
Il a gelé pendant 14 jours, exactement comme au
printemps moyen.
Uété de 1899 a été moyen. La température
moyenne de 19» ne dépasse la moyenne que de
0^4. Le nombre de jours où le thermomètre a
dépassé 30° est de 1 8 comme pou r l'année moyenne.
Le jour le plus chaud a été le 5 août avec une
température maximum de 347, inférieure de
0*» 6 à la moyenne.
— 141 -T
V automne de 1899 a eu une lempéralure de
10^ 6 supérieure de 0° o à la moyenne. Il a gelé
pendant 12 jours, soit 2 jours de plus que la
moyenne ; mais le thermomètre a dépassé 30*" pen-
dant 2 jours au lieu d'un pour Tautomne moyen.
ANNÉE 1900.
L'année 1900 a eu une température moyenne
de 10^3, supérieure de 0°1 seulement à la
moyenne et le nombre de jours où le thermo-
mètre a dépassé 30° a été de 2b, supérieur de 6 à
la moyenne.
L'hiver de 1900 a été moyen, avec une tempo-
rature moyenne de 2°o, égale à la moyenne. Il
a gelé pendant 41 jours, soit 3 jours de moins
que la moyenne, mais le thermomètre est des-
cendu au-dessous de— 10° pendant 6 jours, soitl
jour de plus que la moyenne. La journée la plus
froide a été le 12 décembre 1899, le thermomètre
est descendu à — 12°o, température inférieure
à la moyenne de 1«4.
Le iirintemps de 1900 a été froid. La tempéra-
ture moyenne de 8'6 est inférieure de 0^8 à la
moyenne. Il a gelé pendant 21 jours, soit 7 jours
de plus que la moyenne.
Vètè de 1900 a été assez chaud. La température
moyenne de 19M dépasse la moyenne de 0°ï).
Le nombre de jours où le thermomètre a dépassé
— 142 —
30" est de 23, soit 7 de plus que la moyenne. Le
jour le plus chaud a été le 26 juillet, le thermo-
mètro s*y est élevé jusqu'à 38°4, dépassant la
moyenne de 3M .
Vaulomne de 1900 a été chaud. Sa tempéra-
ture moyenne de 10'* 8 est supérieure de 0°7 à la
moyenne. Il n'a gelé que 3 jours, soit 7 de moins
que la moyenne ; toutefois le thermomètre n'a
pas atteint 30*.
ANNÉE 1901.
U année 1901 a été froide. La température
moyenne a été de 9°7, inférieure de O^o à la
moyenne. Le nombre de jours de gelée a été de
84, supérieur de 16 à la moyenne. Le nombre
de jours où le thermomètre a dépassé 30° a été
de 16, inférieur de 3 à la moyenne.
V hiver àe 1901 a été froid. La température
moyenne n'a été que de 0°9, inférieure de 1°6 à
la moyenne. II a gelé pendant 56 jours, soit 12
jours de plus que la moyenne et le thermomètre
est descendu au- dessous de — 10° pendant 9 jours,
soit 4 jours de plus que la moyenne. La journée
la plus froide a été le 22 février où le thermomètre
est descendu à — 15*3, température inférieure à
la moyenne de 4°.
Le printemps de 1901 a eu une température de
9*8, supérieure à la moyenne de 0%. Il a gelé
- 143 —
pendant 13 jours, soit \ jour de moins que la
moyenne et le 31 mai le thermomètre a dépassé
30° (31° 6).
Uété de 1901 a été moyen. Sa température
moyenne de 18° 7 ne dépasse la moyenne que de
0*^1. Le nombre de jours où le thermomètre a
dépassé 30^ est de 15, soit 3 de moins que la
moyenne. La journée la plus chaude a été le 19
juillet avec une température maximum de 32<* 7
inférieure de 2** 6 à la moyenne.
L'automne de 1901 a été froid. Sa température
moyenne de 9® 3 est inférieure de 0°8 à la moyenne.
Ilagelé pendant 15 jours, soit 5 jours de plus que
la moyenne et le thermomètre n'a jamais atteint
30o.
ANNÉE 1902.
L'ann^(?1902aété froide avec une température
moyenne de 9"8, inférieure de 0^4 à la moyenne.
Le nombre de jours de gelée a été de 66, inférieur
de 2 à la moyenne, mais le thermomètre n'a dé-
passé 30" que pendant 14 jours, soit 5 jours de
moins que la moyenne.
Vhiveràe 1902 a été moyen. La température
moyenne de 2°4 n'est inférieure à la moyenne
que deO°l. Le nombre de jours de gelée a été de
48, supérieur à la moyenne de 4 jours ; mais le
thermomètre n'est jamais descendu au-dessous de
— 144 —
— 10^. Le 3 février, journée la plus froide, le ther-
momètre n'est descendu qu'à — 6°7, soit 4^6 au-
dessus de la moyenne.
Le printemps de 1902 a été moyen. La tem-
pérature moyenne de 9*5 ne dépasse' la moyenne
que de OM. Il a gelé pendant 8 jours seulement,
soit 6 jours de moins que la moyenne.
Vètê de 1902 a été relativement froid. La tem-
pérature moyenne 17°o est inférieure de 1**1 à la
moyenne. Le nombre de jours où le thermomètre
a dépassé 30' n'a été que de 14, inférieur de 4 à
la moyenne. Le 14 juillet, journée la plus chaude,
le thermomètre a atteint 3o°4, dépassant la
moyenne de 0"1 seulement.
V automne de 1902 a été plulôt froid. La tem-
pérature moyenne de 9"6 est inférieure do 0*5 à
la moyenne. Il a gelé pendant 10 jours, comme
pour l'année moyenne, mais le thermomètre n'a
pas atteint 30°, il ne s'en est fallu cependant que
de 0°7.
2^ PRESSION BAROiMÉTRIQUE
RAMENÉE AU NIVEAU DE LA MER
ANNÉE MOYENNE
Vannée moyenne a une pression moyenne
ramenée au niveau de la mer de 764 mm. 2 qui
— 145 —
dépasse de 4 mm. 2 la moyenne admise au bord
de la mer de 760 mm. Cette pression varie en
moyenne de 747 mm. 7 à 778 mm. 9.
Ù hiver moyen a une pression moyenne de
764 mm. 8 avec des variations moyennes allant
de 747 mm. 7 à 778 mm. 9. Celle dernière est
la plus forte pression moyenne.
Le p7^intemps moyen a une pression moyenne
de 762 mm. 6. C'est la saison où la pression est
la plus faible. Elle varie en moyenne de 747 mm. 9
à 773 mm. 9.
Vètè moyen a une pression moyenne de
763 mm. 8 variant en moyenne de 754 mm, 1
à 771 mm. 9.
Vaulomne moyen a une pression moyenne
de 76b mm. 2, c'est la plus forte moyenne des
saisons. Elle varie en moyenne de 731 mm. 8 à
774 mm. 6.
ANNÉE 1899.
Vannée 1899 a eu une pression moyenne de
76o mm. 7 supérieure do 1 mm. u à la moyenne.
L'écart de 33 mm.o (de 747 mm. 2 à 780 mm. 7)
est supérieur de 2 mm. 3 à la moyenne.
V hiver de 1899 a eu une pression moyenne de
767 mm. 3, supérieure de 2 mm. ;j à la moyenne.
L'écart de 33 mm. (2 de 747 mm. îJ à 780 mm. 7)
est supérieur de 2 mm. 0 à l'écart moyen.
— 146 -
Le printemps de 1899 a eu une pression
moyenne de 76'i mm. 1 supérieure de 1 mm. 5 à
la moyenne. L'écart de 33 mm. 2 (de 747 mm. 2
à 780 mm. 4) est supérieur de 7 mm. 2 à la
moyenne.
Vêlé de 1899 a eu une pression moyenne de
764 mm. 7 supérieure de 0 mm. 9 à la moyenne.
L'écart de 21 mm. 1 (de 752 mm. 6 à 773 mm. 7)
est supérieur de 3 mm. 3 à l'écart moyen.
V automne de 1899 a eu une pression moyenne
de 766 mm. 8, supérieure de 1 mm. 6 à la
moyenne. L'écart de 26 mm. 0 (de 752 mm. 2
à 778 mm. 2) dépasse la moyenne de 3 mm. 2.
ANNÉE 1900.
Vannée 1900 a eu une pression moyenne de
763 mm. 1, inférieure de 1 mm. 1 à la moyenne.
L'écart de 35 mm. 9 (de 743 mm. 9 à 779 mm. 8)
est supérieur de 4 mm. 7 à l'écart moyen.
L'hiver (\e 1900 a eu une pression moyenne
de 701 mm. 6 inférieure de 3 mm. 2 à Ja moyenne.
L'écart de 35 mm. 9 (de 743 mm. 9 à 779 mm. 8)
est supérieur de 4 mm. 7 à l'écart moyen.
Le j[?rm^(?m^;5del 900 aeuunepression moyenne
de 762 mm. 7 qui ne dépasse la moyenne que
do 0 mm. 1. L'écart de 27 mm. 0 (de 749 mm. 7
à 776 mm. 7) est supérieur de 1 mm. 0 à la
moyenne.
— 147 —
Uété de 1900 a eu une pression moyenne de
763 mm. 2 inférieure de 0 mm. 6 à la moyenne.
L'écart de 21 mm. S5 (de 7S0 mm. 3 à 771 mm. 8)
est supérieur de 3 mm. 7 à la moyenne.
Vautomnede 1900 a eu une pression moyenne
de76D mm. 0, inférieure de 0 mm. 2 à la moyenne.
L'écart de 28 mm. 2 (de 747 mm. 6 à 773 mm. 1)
est supérieur de b mm. 4 à la moyenne.
ANNÉE 1901.
Vannée 1901 a eu une pression moyenne de
764 mm. 2 précisément égale à la moyenne.
L'écartde 37 mm. 4 (de 740 mm. 7 à 778 mm. 8)
est supérieur de 6 mm. 2 à l'écart moyen.
L'hiver de 1901 a eu une pression moyenne de
767 mm. 2 supérieur de 2 mm. 4 à la moyenne.
L'écart de 26 mm. 9 (de 751 mm. 2 à 778 mm. 1)
est inférieur de 4 mm. 3 à l'écart moyen.
Le printemps de 1901 a eu une pression
moyenne de 761 mm. 2 inférieure à la moyenne
de 1 mm. 4. L'écart de 31 mm. 7 (de 740 mm. 7
à 772 mm. 4) dépasse la moyenne de 3 mm. 7.
L'été de 1901 a eu une pression moyenne de
764 mm. 2, supérieure de 0 mm. 4 à la moyenne.
L'écart de 16 mm. o (de 735,0 à 771,3) est infé-
rieur de 1 mm. 3 à l'écart moyen.
U automne de idOl a eu une pression moyenne
de 764 mm. 1, inférieure de 1 mm. l à la moyenne.
— i48 —
L'écart de 25 mm. 7 (de 751, o à 777,2) est supé-
rieur de 2 mm. 9 à Técart moyen.
ANiNiSE 1902.
Vannée 1902 a eu une pression moyenne de
7G3 mm. 4, inférieure à la moyenne de 0 mm. 8.
L'écart de 42 mm. 0 (742,3 à 784,3) est supérieur
de 10 mm. 8 à l'écart moven.
V hiver de 1902 a une pression moyenne de
7G3 mm. 0, inférieure de 1 mm. 8 à la moyenne.
L'écart de 42 mm. 0 (de 742,3 à 784,3) dépasse
de 10 mm. 8 l'écart moyen.
Le printemps de 1902 a eu une pression
moyenne de 762,4 qui n'est inférieure que de
0 mm. 2 à la moyenne. L'écart de 22 mm. 7 (de
751,6 à 774,3) est inférieur à la moyenne de 3,3.
Véfé de 1902 a eu une pression moyenne de
763 mm 1, inférieure à la moyenne de 0 mm. 7.
Uécart de 17 mm. 7 (de 754,5 à 772,2) n'est in-
férieur à la moyenne que de 0 mm. 1.
L'automne de 1902 a eu une pression moyenne
de 765 mm. 1, qui n'est inférieureque de 0 mm. 1
à la moyenne. L'écart de 30 mm. 0 (de 746,4 à
776,4) esl supérieur de 7 mm. 2 à l'écart moyen.
Les saisons où la pression atmosphérique se
maintient la plus élevée sont l'automne et l'hiver ;
c'est en été et au printemps qu'elle est la plus
— 149 —
faible. C'est dans ce semestre qu'il passe le plus
de cyclones au-dessus de la ManchejCyclonessous
rinfluence directe desquels nous nous trouvons.
On peut remarquer, en effet, que ceux qui passent
dans la Méditerranée et qui causent des mauvais
temps dans les golfes du Lion et de Gênes, no
nous influencent pas ou fort peu. Les Alpes ot le
Plateau Central paraissent former une barrière
entre les deux régions nord et sud.
La pression maximum a lieu en hiver et en
automne, parce que c'est dans celle saison que
notre région se trouve le plus souvent sous l'in-
fluence des anticyclones.
Toutefois, ces remarques ne reposent pas sur
une période de durée suffisante pour pouvoir ôlro
considérées comme ayant un caractère absolu.
Néanmoins, comme l'allure générale du baromètre
à Dijon concorde avec les phénomènes généraux
de Talmosphère relatés dans le bulletin du bureau
central météorologique, cela donne à nos consta-
tations une certaine probabilité.
3' HUMIDITÉ DE L'AIR
L'humidité ou Tétat hygrométrique de l'air se
cote de 0 à 100 : zéro correspond à l'air absolu-
ment sec, état qui n'a jamais lieu dans nos ré-
gions et 100 à l'état de saturation que l'on cens-
— 150 —
tate souvent quand il pleut et par le brouillard.
Le poids de l'eau contenue dans un mètre cube
d'air dépend à la fois de l'élat hygrométrique et
de la température. Les tables calculées à cet effet
par les physiciens donnent le poids de Teau con-
tenue dans Tair saturé à chaque température ; il
suffit de multiplier ce chiffre par celui qui repré-
sente Tétat hygrométrique pour avoir le poids de
l'eau que renferme un mètre cube d'air à Tins-
tant considéré. Mais au point de vue du temps
probable Tétat hygrométrique est seul à consul-
ter. Si Thumidité est voisine de la saturation et
que le thermomètre baisse, la pluie est certaine.
Quand l'air est sec, le beau temps est assuré.
ANNÉE MOYENNE
L'année moyenne a pour état hygrométrique
le nombre 7o, ce qui veut dire qu'en moyenne
l'air est aux trois quarts saturé d'humidité. Le
climat de Dijon est donc un climat assez humide
Le chiffre moyen minimum est 14, le maximum
est 100. I
L'/î/î?(?restpresqueaussi humide quel'automne.
Le coefficient moyen est 82, le minimum 29 et le
maximum 99.
heprintemps est presque aussi sec que Tété. Le
coefficient moyen est 69, avec une variation de
14 à 99.
— 151 —
Vété est la saison la moins humide, avec un
coefficient moyen de 68 et une variation de 17
à 100.
V automne est au contraire la saison la plus
humide avec une moyenne de 83 et une variation
deSiàlOO.
On voit par ce qui précède qu'il y a un semestre
humide (automme et hiver) et un semestre sec
(printemps et été).
ANNÉE 1899.
Vannée 1899 a été moyenne au point de vue
de Thumidité. Son coefficient 74 n'est inférieur
que d'une unité à la moyenne. La variation a été
considérable : de 8 à 1 00. L'écart (92) dépasse l'é-
cart moyen de 6.
L'hiver de 1899 a un coefficient 80 inférieur
de 2 unités seulement à la moyenne, L'écart de
81 (de 17 à 98) dépasse Técart moyen de 11.
Le printemps de 1899 a un coefficient moyen
de 67, inférieur de 2 à la moyenne. L'écart de 92
(de 8 à 100) dépasse de 7 l'écart moyen.
Vété de 1899 a également 67 de coefficient, il
ne diffère que d'une unité de la moyenne. L'écart
de 8o (de 15 à 100) dépasse l'écart moyen de 2
seulement.
Vantomne de 1899 a pour coefficient 81, soit
-- 152 —
2 de moins que la moyenne. L'écart de 71 (de 29
à 100) dépasse la moyenne de 2 seulement.
ANNÉE 1900.
Vannée 1900 a pour coefficient 75, c'est-à-dire
exactement le coefficient moyen. L'écart de 87 (de
13 à 100) ne diflFère que de 1 de Técart moyen.
C'est donc tout à fait une année moyenne.
Vhiverde 1900 a pour coefficient moyen 81,
soit uneunitéde moins que la moyenne. L'écart de
68 (de 32 à 100) est inférieur de 2 à Técart moyen.
Le printemps de 1900 a pour coefficient moyen
67, soit 2 de moins que la moyenne. L'écart de
85 (de 15 à 100) est égal à la moyenne.
•Vètè de 19U0a pour coefficient moyen 68 qui
est précisément égal à la moyenne. L'écart de
87 (de 13 à lOOJ dépasse de 4 1 écart moyen.
L'az^tom/z^de 1900 a pour coefficient moyen 83,
égal à la moyenne. L'écart de 78 (de 22 à 100)
est supérieur de 9 à la moyenne.
ANNÉE 1901.
Vannée 1901 a pour coefficient moyen 78, soit
3 de plus que la moyenne. Elle a donc été rela-
tivement humide. L'écart de 82 (de 18 à 100) est
supérieur de 4 à la moyenne.
Vhiver de 1901 a été très humide, il a pour
— 153 —
coefficient 86, soit 4 de plus que la moyenne.
L'écart de 70 (de 30 à 100) est égal à la moyenne.
Le printemps de 1901 a été également relati-
vement très humide. Son coefficient 73 dépasse
aussi de 4 la moyenne. L'écart de 82 (de 18 à
100) est inférieur de 3 à la moyenne.
L'été de 1901 a un coefficient de 70 dépassant
de 2 la moyenne. L'écart de 80 (de 20 à 100) est
inférieur de 3 à la moyenne,
V automne de 1901 a pour coefficient 83, soit
exactement le coefficient moyen. L'écart de 64
(de 33 à 99) est inférieur de 5 à la moyenne.
ANNÉE 1902.
Vannée 1902 a pour coefficient 75, soit exac-
tement la moyenne. L'écart de 84 (dé 16 à 100)
est inférieur de 2 à la moyenne. C'est une année
moyenne.
ÙJiiver de 1902 a pour coefficient 80, soit 2
de moins que la moyenne. L'écart de 62 (de 36
à 98) est faible, avec 8 de moins que la moyenne.
Le printemps de 1902 a pour coefficient 68,
soit 1 de moins que la moyenne. L'écart de 79
(de 16 à 9S) est inférieur de 6 à la moyenne.
Vétéàe 1902 a pour coefficient 68 précisément
égal au coefficient moyen. L'écart de 80 (de 20 à
100) est inférieur de 3 à la moyenne.
L'automne de 1902 a pour coefficient 83, égal
13
- 154 —
à la moyenne. L'écart de 64 (de 36 à 100) est in-
férieur de 3 à la moyenne.
Les ccnsidéralîons qui précèdent montrent
qu'au point de vue de Thumidité relative de l'air,
les années, et môme les saisons, ont peu varié
pendant les quatre années observées.
4- VENT
Les observations relatives au vent comportent
généralement Tobservation de sa direction et
celle de sa force. Malheureusement nous n'avons
aucun instrument qui enregistre le vent. La di-
rection est observée à Testime à une girouelte
ordinaire et sa force ne Test pas. Cela est d'autant
plus regrettable qu'il serait très facile d'installer
un anémomètrographe sur la tour de T Hôtel de
Ville qui domine tous les alentours et dont par
suite les enregistrements seraient parfaits et cela
sans que la dépense fût considérable.
Il y aurait même beaucoup mieux à faire encore ;
ce serait d'installer un deuxième enregistreur
sur le mont Afrique, au sommet duquel il existe
un fortin où Tappareil serait très facile à placer.
Bien plus, comme il y a un fil téléphonique re-
liant l'ouvrage à Dijon,ce fil pourrait servir à enre-
gistrer en ville môme les constatations de Tané-
- 155 —
momèirographe. On observerait ainsi la direction
et la force du vent qui souffle entre le bassin du
Rhône et le bassin de la Seine par- dessus la
chaîne de la Côte-d'Or. La girouette enregis-
trante pourrait être facilement installée au-
dessus de tous les obstacles, le mont Afrique étant
à quelques mètres près un des plus hauts sommets
de la chaîne. Nous souhaitons vivement que ces
installations, si utiles au point de vue de la mé-
téorologie locale et môme de la météorologie gé-
nérale, soient faites le plus tôt possible.
Les observations dont nous rendons compte ne
donnent donc que la direction du vent à 8 heures
du matin rapportée aux huit octansde la rose des
vents.
Outre les quatre années d'observations de
MM. Roux et Porte, nous possédons encore celles
faites antérieurement au port du canal à la gi-
rouette de Tobélisque. Nous avons étudié anté-
rieurement la direction du vent à Dijon à laide
de ces observations en nous servantdes 46années
de 1833 à 1898 inclusivement. Les quatre années
dont les observations sont données ci-après font
suite à cette série qui comprend maintenant 50
années. On trouvera les observations des 4 6 années
antérieures dans notre mémoire intitulé : les
Grands Collecteurs de la ville de Dijon inséré
dans les Annales des^onts et chaussées (année
1900, 1^^ semestre, nM).
— 156 —
ANNÉE MOYENNE
Dans ïan?iée moyenne les venls se classent de
la manière suivante par ordre de fréquence : S,
N, N.-E, W, S.-W, N.-W, S.-E, et E. Le vent du
sud étant environ 3 fois 1/3 plus fréquent que le
vent de TEst. Si au lieu d'envisager les octants,
onse contente des quadrants, les vents seclassent
comme il suit : N (109), S (Î04), W (92), E (60).
Les nombres entre parenthèses indiquent les
nombres de jours pendant lesquels le vent souffle
dans la direction indiquée. Il en sera de môme
dans tout ce qui va suivre.
En hicer moyen les vents se classent par oc-
tants, savoir : N, S, N.-E, W, S.-W, N.-W, S--E,
et E. Les quadrants donnent le classement sui-
vant: N (307), S (28), W (19), E (13).
Au printemps moyen le classement est le sui-
vant : N, S, N.-E, W, N.-W, S.-W, E, S.-E. Les
quadrants se classent comme il suit : N (30), S
(23), W (22), E (17).
En été moyen les vents se classent de la ma-
nière suivante : par octants : W, S, N.-E,N, S.-W,
N.-W, S.-E, E et par quadrants : W (29), S (25),
N (23), E (15).
En automne moj^en les vents se classent par
octants, savoir : S, N, N.-^, W, S.-W, N.-W, S.-E,
E et par quadrants: S (28), N (27), W(21), E(15).
— 157 —
ANNÉE 1899.
La direction des vents n'ayant pas été obser-
vée en décembre 1898 et en janvier 1899, nous
ne pouvons rendre compte que des trois autres
saisons :
Au printemps de 1899 les vents se classent
comme il suit par octants : N, W,S.-W,N.-E, S,
N.-W, E,S.-E. llyaeudeux jours de calme. Par
quadrants ils se classent de la manière suivante :
N (31), W (29), S (19), E(ll). Prédominance des
quadrants N et W.
En été de 1899 le classement a été le suivant :
N.-E, W, S.-W, N, S, S. W, E, S.-E, et il y a eu 6
joursde calme. Et par quadrant le classement est:
N (30), E (2b), W (17), S (14). Prédominance des
quadrants N et E.
En automne de 1899 les vents se classent par
octants comme il suit : N, N.-E, S, N.-W, W, S.-E,
le vent d'Est n'a pas donné une seule fois et il y
a eu 19 jours de calme, ce qui n'a rien d'anormal,
Tautomno étant la saison des calmes. Les qua-
drants se classent, savoir : N (29), S (19), W (16),
E (8). Prédominance des vents du N.
ANNÉE 1900.
Pendant Tannée 1900 les vents se classent de
la façon suivante paroctants: N, S, W, N.-E,
N.-W,S.-W, E, S.-E, et il y a eu 81 jours de
calme, ce qui est considérable. Par quadrants les
vents se classent, savoir : N (92), W (83), S (76),
E (33V Année calme.
En/eîwrdel9001a direction des vents se classe
comme il suit : S, N, S.-W W. N.-E N.-W, S.-E
et pas de vent d'Esl. Le nombre des journées de
calme a été de 13. Par quadrants le classement est
le suivant : S (27), N (26), W (20). E (4).
An printemps de 1900 le classement des venis
par octants est le suivant : N, N.-W, W, N.-E, S,
S.-W, et pas de vents de TEst ni du S.-E. Il y a
eu lOjours de calme. Par quadrants les venls se
classent, savoir: N (38), W (27), S (9), E (8).
Permanence des vents N et W.
En été de 1900 les venls se classent par octants
comme il suit : W, S, S.-W, N.-E, N.-W. N, E,
S.-E. Il y a eu 23 jours de calme. Pai quadrants
ils se classent, savoir: W (26)', S (20), N (12),
E (11). Prédominance des vents S et W.
En automne de 1900 les vents se classent delà
manière suivante par octants : S, N, N.-E, S.-W,
W, N.-W, E, S.-E. Le nombre de journées de
calme a été de 3S, ce qui est considérable. Les
venls se classent par quadrants, savoir : S (21),
N(17), W(10)et E(8).
— 159 —
ANNÉE 1901.
Pendant Tann^^ 190 1 le classement par octants
a été le suivant ; N, S, N.-E, W, S.-W, N.-W,
S.-E, et E. Le nombre de jours de calme a été do
50, ce qui peut être considéré comme une moyenne.
Par quadrants les vents se classent, savoir : N
(122), S (86), W (68), E (39). Les vents du nord
ont été dominants.
En hiver 1901 les vents se classent comme il
suit par octants : N, S, W, N.-E, N.-iV, S.-W, S.E,
E. Il y a 16 journées calmes. Par quadrants leur
classement est le suivantrN (27), S (20) W (19),
E (8).
k\x printemps àQ 1 901 le classement par octants
est, savoir, S, N, N.-E, S.-W, W,S.-E,E,N.-W.
Le nombre des journées calmes est de 9. Par qua-
drants les vents se classent de la manière sui-
vante : S (31), N (26), W (14), E (12).
En ^7^ de 1901, les vents se classent par oc-
tants, comme il suitiN, W.N.-E, S,N.-WS.-W,
S.-E, E. 11 n'y a eu que 3 journées calmes. Le
classement par quadrants est le suivant : N (42),
W (22), S (17), E (8). Prédominance des vents
duN.
En automne de 1901 le classement par octants
est, savoir : N, S, N.-E, N.-W, W, S.-W, E, S.-E.
Il y a eu 22 journées calmes. Les vents se classent
— 160 —
comme il suit par quadrants : N (29), S (18), W
(12), E (10). Prédominance des vents du N.
ANNÉE 1902.
Pendant Vannée 1902 le classement des venls
par octants a été le suivant : S, N, N.-E, S.-W,
W. N.-W, S.-E. E. Il y a eu 23 jours de calme
seulement. Parquadrantsle classement est le sui-
vant : N (115), S (106), W (79), E (42). Année
venteuse.
En hiver de 1902 les venls se classent par
octants de la manière suivante: S,N, N.-E, N.-W,
W, S.-W, S.-E, E. Il y a eu 18 jours de calme, ce
qui est beaucoup pour cette saison. L'hiver con-
traste avec les autres saisons.
Au printemps 1902 les vents se classent comme
il suit par octants : N, S, S.-W, W, N.-W, N.-E,
S.-E, E. Il n'y a pas eu un seul jour sans vent.
Par quadrants le classement est le suivant : N
(37), W (23), S (23), E (7).
En ètèàQ 1902 le classement par octants s'éta-
blit comme il suit : S, N, W, N.-E, S.-W, W, E,
S.-E. Il n'y a eu que 3 jours' de calme. Par qua-
drants les vents seclassont, savoir : S (29), N (25),
W(23), E(12).
En automne de 1902 les vents se classent par
octants de la manière suivante : S, N, N.-E, S.-W,
W, S.-E, E, N.-W. Iln*ya eu que deux jours sans
— 464 —
vent, ce qui est très rare dans celle saison. Le
classement par quadrants est le suivant : S (31),
N(30), W(i4),E(12).
En résumé nous voyons qu'en toutes saisons
les vents dominants viennent du nord ou du midi,
puis viennent les vents d'ouest, ces derniers
amènent presque toujours la pluie, et enfin les
plus rares sont les venls d'Est, qui coïncident
presque toujours avec le beau temps. On com-
prend, en effet, que les vents d'ouest venant de
Tocéan soient humides et que ceux de Test qui
traversent le continent soient toujours secs.
l)° LA PLUIE
Pour rendre compte de la pluie à Dijon nous
emploierons les observations faites au bassin du
canal de Bourgogne, parce que nous possédons
une série très complète commençant en 1831 et
aussi parce que le pluviomètre est mieux installé
que celui de la Faculté des Sciences placé dans
une petite cour entourée de bâtiments élevés.
ANNÉE MOYENNE
Les résultats que nous résumons ci-dessous
proviennent donc de 72 années (do 1831 à 1902
inclusivement). Celte série est déjà assez étendue
^ 162 —
pour que les moyennes changent peu dorénavant.
Le tableau donne les hauteurs de pluie exprimées
en dixièmes de millimètres.
En année moyenne la hauteur de pluie est do
0 m. 687, avec une variation de 0 m. 402 (mi-
nimum) à 0 m. 93b (maximum). Le nombre
moyen de jours de pluie dans Tannée est de 120,
ce qui indique qu'il pleut à peu près un jour sur
trois. Ce nombre varie de 79 (minimum) à 162
(maximum).
En hiver moyen la hauteur de pluie est de
0 m. 185, variant de 0 m. 0420 (minimum) à
0 m. 2290 (maximum). Le nombre de jours de
pluie est de 30, variant de H (minimum) à 47
(maximum).
Au printemps moyen la hauteur de pluie est
de 0 m. 1534 variant de 0 m. 0230 à 0 m. 3830.
Le nombre moyen de jours de pluie est de 28,
variant de 13 à 49.
En ètè moyen la hauteur de pluie tombée est
de 0 m. 1926 variant d^ 0 m. 0420 à 0 m. 3500.
Le nombre moyen de jours de pluie est de 28
variant de 14 à 42.
En automne moyen la hauteur de pluie est
de 0 m. 2025 variant de 0 m. 0730 à 0 m. 5030.
Le nombre moyen de jours de pluie est de 31
variant de 18 à 52.
Au point de vue de la hauteur moyenne de
pluie tombée les saisons se classent de la manière
- iG3 -
suivante en commençant par la plus pluvieuse :
automne, été, printemps, hiver. Au point de vue
du nombre de jours de pluie il y a presque équi-
valence entre les saisons, ce qui estassez curieux.
L'automne a, en effet, un jour de plus que la
moyenne (30) et Tété deux jours de moins. Les
autres saisons ont précisément la moyenne.
Si Ton additionne les chutes du.semestre au-
tomne-hiver on obtient une hauteur de 0 m. 341
et si Ton fait de môme pour le semestre prin-
temps-été, on a 0 m. 346, ce qui prouve qu'il
pleut en moyenne autant dans un semestre que
dans l'autre. C'est le premier semestre qui alimenle
à peu près seul les sources. Il y a donc en année
moyenne la moitié de l'eau tombée perdue pour
elles. En automne et en hiver Tévaporation est
faible et la végétation est arrêtée. Au printemps
et surtout en été Tévaporation est intense et la
végétation très active absorbe beaucoup d'eau.
C'est la raison pour laquelle on ne peut compter
pour l'alimentation des sources que sur la pluie
tombée pendant le semestre automne-hiver.
ANNÉE 1890.
Pendant Vannée 189911 est tombé une hauteur
do pluie de 0 m. 6078, soit 88 0/0 seulement de
la moyenne. C'est .donc une ?maée assez sèche.
— 464 —
Le nombre de jours de pluie a été de 106, soit 14
de moins que la moyenne.
En hiver de 1899 il esl tombé une hauteur de
pluie de Om. 1411, soit 0 m. 0026 de plus que la
moyenne. Le nombrede jours de pluieaéléde27,
soit 3 de moins que la moyenne.
ka printemps de 1899, la chute de pluie a eu
une hauteur de 0 m. 1492, soit 0 m. 0042 de
moins que la moyenne. Le nombre de jours de
pluie a été de 28 soit deux de moins que la
moyenne.
En été de 1899, il est tombé une hauteur de
0 m. 1941 de pluie, soit 0 m. OOIS de plus que
la moyenne. Le nombre de jours de pluie a été
de 24, soit 4 de moins que la moyenne.
En aw^omn^ de 1899, il n'est tombé que 0°'1234
de pluie, soit 0 m. 0791 de moins que la moyenne.
C'est un automne sec. Le nombre de jours de
pluie a été de 27 soit 4 de moins que la moyenne.
Le semestre automne 1898-hi ver 1899 a donné
une hauteur d'eau de 0 m. 291 seulement, soit
0 m. 050 de moins que la moyenne, aussi les
sources ont-elles été peu abondantes en 1899.
ANNÉE 1900.
Pendant Vannée 1900 il est tombé 0 m. 6931
de pluie, soit moins de 1 0/0 de plus que la
moyenne. C'est donc une année moyenne. Le
— 165 —
nombre de jours de pluie a été de 106, soit 14 de
moins que la moyenne.
En hiver 1900 la hauteur de pluie a été de
0 m. 2044 soit 0 m. 0659 de plus que lamoyenne.
Cet hiver a donc été pluvieux. Le nombre de
jours de pluie a été de 47, soit 17 de plus que la
moyenne.
kxi printemps de 1900 il n'est tombé qu'une
hauteur de pluie de 0 m. 0911 soit 0 m. 0623 de
moins que la moyenne ; ce printemps a donc été
sec. L'herbe a été rare. Le nombre do jours de
pluie a étéde23, soit 7 de moins que la moyenne.
En èlê de 1900 la hauteur de pluie tombée a
été de 0 m. 2108, soit 0 m. 0182 de plus que la
moyenne. Le nombre de jours de pluie a été de
28, ce qui est exactement la moyenne.
En automne de 1900 il est tombé une hauteur
d'eau de 0 m. 1868, soit 0 m. 0157 de moins que
la moyenne. Le nombre de jours do pluie a été
de 33, soit 2 de plus que la moyenne.
Le semestre automne 1899-hiver 1900 a donné
une hauteur d'eau de 0 m. 328, inférieure de
Om. 013 à lamoyenne, aussi les sources ont-elles
été plutôt faibles en 1900.
ANNÉE 1901
Pendant Vannée 1901 il est tombé une hauteur
de pluie de 0 m 8808, soit 28 0/0 de plus que la
moyenne. C'est une année très humide. Le
— 166 -
nombre de jours de pluie a été de 121 , ce qui ne
fait cependant qu'un seul jour de pluie de plus
que la moyenne.
En hive7* 1901 il n est tombé que 0 m. 1157
d'eau, soit 0 m. 0228 de moins que la moyenne.
Cet hiver a donc été assez sec. Le nombre de
jours de pluie a été de 24 , soit 6 de moins que la
moyenne.
Au printemps de 1901 il est tombé 0 m. 3006
d*eau, soit 0 m. 1472 de plus que la moyenne.
Cette chute représente près du double de la
moyenne. Le printemps a donc été extraordi-
nairement pluvieux. Le nombre de jours de pluie
a été de 4b, soit 15 de plus que la moyenne. Herbe
abondante, mais médiocre.
En été de 1901 il est tombé 0 m. 2159 de pluie,
soit 0 m. 0233 de plus que la moyenne. Cet été a
donc été assez pluvieux. Le nombre de jours de
pluie a été de 24, soit 4 de plus que la moyenne.
En automne de 1901 la hauteur de pluie tom-
bée a éléde 0 m. 2486, soit Om. 0461 de plus que
la moyenne. C'est un automne pluvieux. Le nom-
bre de jours de pluie a été de 28, soit 3 de
moins que la moyenne.
La hauteur d'eau tombée pendant le semestre
automne 1900-hiver 1901 est de 0 m. 3025, soit
0 m. 0385 de moins que la moyenne, aussi les
sources ont-elles été faibles, malgré les pluies du
printemps et de Télé.
167 —
ANNÉE 1902.
Pendant Vannée 1902 la hauteur de pluie tom-
bée a été de 0 m. 7741. dépassant la moyenne de
plus de 12 0/0. Le nombre de jours de pluie
a été de 120. cest précisément la moyenne.
L'année a été néanmoins assez humide.
En hiver de 1902 la hauteur de pluie a été de
,0 m. 19'73,. dépassant la moyenne de 0 m. 0588.
C'est donc un hiver pluvieux. Le nombre de jours
de pluie aété de «'^2, soit 2 de plus que la moyenne.
Auprintemps de 1 902 la hauteur de pi uie a élé
de 0 m* 1 667, soit 0 m. 0 133 de plus que la moyenne.
Le nombre de jours de pluie a été de 34, soit 4 de
plus que la moyenne.
En^7^ de 1902 il est tombé 0 m. 2606 de pluie,
soit 0 m- 0680 de plus que la moyenne. L'été a
été pluvieux. Le nombre de jours de pluie aété
. de'3 1 sbit 3 de plus que la moyenne.
En automne de 1902 la hauleur de pluie a été
de 0 m; 1495, soit 0 m. 0530 de moins que la
moyenne. L'automne a donc été sec, le nombre
de jours de pluie a été de 23 seulement, soit 8 de
moins que la moyenne.
La hauteur d'eau tombée pendant le semestre
automne 1901-hiver 1902 a été de 0 m. 446, soit
0 m. 105 de plus que la moyenne, aussi n'a-t-an
pas manqué d'eau en 1902. Les sources sont re-
— 168 —
devenues très abondantes après plusieurs années
faibles.
6° NÉBULOSITÉ
Tous les jours à huit heures du matin les nuages
sont observés et classés par catégories d'après les
principes admis en météorologie. On note non
seulement les formes, mais même leur direction
et rétendue qu'ils occupent dans le ciel visible.
C'est cette dernière constatation qui oflFre le plus
d'intérêt, non seulement pour la météorologie
locale mais aussi et surtout pour l'agriculture.
On sait, en effet, que la pureté du ciel, en rapport
direct avec l'intensité delà lumière solaire reçue,
a une action des plus considérables sur le déve-
loppement de la végétation et en particulier sur
la maturité des récoltes de toutes natures. Pour
ne pas surcharger ce mémoire nous pourrons donc
nous borner à ne rendre compte que de la nébu-
losité. Mais auparavant il faut que nous donnions
la signification des chiffres qui figurent dans le
tableau à Tappui des développements qui vont
suivre.
La nébulosité se cote à l'aide de chiffres variant
de zéro à dix. Le zéro indique qu'il n'y a aucun
nuage visible et par suite que le ciel est absolu-
ment pur. Le nombre 10, au contraire, veut dire
que le ciel est absolument couvert et qu'on
n'aperçoit aucune tache de bleu au-dessus de
l'horizon. Les chiffres intermédiaires de 1 à 9
indiquent : le chiffre 1 que les nuages couvrent
environ un dixième du ciel, le chiffre 2 les deux
dixièmes et ainsi de suite jusqu'au chiffre 9 qui
exprime que les neuf dixièmes du ciel sont cou-
verts de nuages. Ainsi donc, plus le chiffre ins-
crit dans les colonnes est grand, plus le ciel est
couvert.
Dans la première colonne de chaque année le
chiffre indique suivant le cas la nébulosité
moyenne du mois, de la saison ou de l'année ; il
comporte une décimale résultant du calcul des
moyennes. Les 5 autres colonnes donnent, la pre-
mière le nombre de jours où le ciel a été absolu-
ment pur (cote 0), la seconde celui où il y a un
peu de nuages (cotes 1, 2 et 3), la troisième celui
où le ciel a été à peu près couvert à moitié (cotes
4, 5 et 6), la quatrième celui où le ciel a été très
couvert (cotes 7, 8 et 9) et enfin la cinquième le
nombre de jours où il a été totalement couvert
(cote 10).
ANNÉE MOYENNE
Pendant Vannée moyenne le coefficient moyen
de nébulosité est b,6 ce qui veut dire qu'en
moyenne le ciel est plus qu'à moitié couvert de
nuages à Dijon. Il y a environ 9S jours où il est
14
— 170 -
absolument pur, SI où il a peu de nuages 29 où
le ciel est à moitié couvert, 57 où il y a de nom-
breux nuages et enfin 133 où le ciel est totalement
couvert. On voit que le ciel bleu est rare à
Dijon.
• En hiver moyen, le coefficient moyen est 7,2.
Il n'y a que 16 jours de ciel pur contre 54 de ciel
totalement couvert; les autres chifi'res sont res-
pectivement 6,5 et 8. L'hiver le ciel est donc
très couvert.
hM printemps moyen, le coefficient moyen est
5,4. 11 y a 24 jours de ciel sans nuages et 26
jours de ciel couvert entièrement ; les autres
nombres sont 13, 10 et 19. Au printemps le ciel
est couvert sur un peu plus de moitié de la sur-
face, à peu près comme pour Tannée entière.
En été moyen, le coefficient moyen est 3,8. Il
y a 34 jours de ciel pur et 14 jours seulement de
ciel couvert. Les autres nombres sont 20,9 et 15.
L'été est la saison où le ciel est le plus pur et
malgré cela il est en moyenne couvert de nuages
sur un peu plus du tiers de sa surface.
En automne moyen ie coefficient est 6,0. Il y
a donc en moyenne les 6 dixièmes du ciel cou-
verts. Le nombre de jours où le ciel est pur est
21, celui où il est totalement couvert 38. Les
au Ires nombres sont respectivement 12,5 et 15.
— Mi -
ANNÉE 1899.
Pendant Vannée 1899 la nébulosité moyenne
a été de 4,5, ce qui ne représente que les 8
dixièmes de la moyenne. C'est donc une année
où le ciel a été relativement pur. Le nombre de
jours sans nuages a été de 148 au lieu de 95,
moyenne des quatre années, et celui où le ciel
a été totalement couvert de 58 au lieu de 133.
En hiver 1899, le coefficient de nébulosité
moyen a été de 6,4, soit un peu moins des 89
centièmes du coefficient de Thiver moyen. Le
nombre des jours sans nunges a été de 26 au lieu
de 16 et celui des jours où le ciel a été totalement
couvert de 45 au lieu de 55. C'est un hiver rela-
tivement clair.
An printemps de 1899 le coefficient moyen a
été de 4,2 soit moins des 78 centièmes de la
moyenne. Le nombre de jours sans nuages a été
de 33 au lieu de 24 et celui où le ciel a été cou-
vert de 20 au lieu de 26. C'est un printemps clair.
En été de 1899, le coefficient moyen a été de
2,9 soit un peu plus des 76 centièmes de la
moyenne. Le nombre dejours où le ciel a été pur
a été de 53 au lieu de 34 et celui où il a été cou-
vert de 16 au lieu de 14. L'été a été également
clair.
En automne de 1899, le coefficient moyen a
- 172 —
élé de 4,8 qui représente exactement les trois
quarts de la "moyenne. Il y a eu 36 jours de ciel
pur au lieu de 21 et seulement 11 jours de ciel
couvert au lieu de 38. C'est celte saison qui a élé
relativement la plus lumineuse.
ANNÉE 1900.
Pendant Vannée 1900 le coefficient de nébulo-
sité moyenne a élé de b,7, c'est à un dixième
près le coefficient moyen. Le nombre de jours où
le ciel a été pur a été de 77 au lieu de 9S et celui où
il a élé totalement couvert de 133, soit exacte-
ment la moyenne. Celte année représente assez
bien dans son ensemble la moyenne des 4 années
observées.
En hive7' de 1900 le coefficient moyen a été de
7,2, c'est-à-dire exactement la moyenne. Le
nombre de jours où le ciel a été pur a été de 10 au
lieu de 5S. C'est un hiver moyen.
Am pri7itemps de 1900 le coefficient moyen a
été de 3,0, soit un peu moins des 93 centièmes
de la moyenne. Le nombre de jours où le ciel a
été pur est de 29 au lieu de 24 et celui où il a été
couvert de 23 au lieu de 26. Le printemps, de
1900 a été un peu plus clair que la moyenne.
En été de 1900, le coefficient moyen a été de
4,4, soit un peu plus de lo 0/0 de plus que la
moyenne. Le nombre de jours sans nuages a été de
— 173 —
24aulieii de 34 et celui des jours couverts de 18
au lieu de 14. C'est un été un peu brumeux-
Eu automne de 1900 le coefficient moyen a été
de 6,2, soit 3 0/0 de plus que la moyenne. Le
nombre de jours où le ciel a été pur a été de 14
au lieu de 21 et celui des jours à ciel couvert de
20 au lieu de 38- C'est un automne moyen.
ANNÉE 1901.
Pendant Vannée 1901 la nébulosité moyenne
a été de 5,7, c'est à un dixième près la moyenne
des quatre années. Le nombre de jours à ciel sans
nuages a été de 98 au lieu de 95 et celui où le
ciel a été couvert de 156 au lieu de 133. C'est
encore une année moyenne.
En hiver de 1901 le coefficient moyen a été de
7,5 soit 4 0/0 de plus que la moyenne. Le ciel
a été pur pendant 17 jours au lieu de 16 et cou-
vert pendant 58 au lieu de 55. C'est un hiver
moyen.
èlM printemps de 1901 le coefficient moyen de
nébulosité a été de 5,5, c'est-à-dire très légère-
ment supérieur à la moyenne. Le nombre de
jours à ciel sans nuages a été de 25 au lieu de 24
et celui à ciel couvert de 37 au lieu de 26. C'est
un printemps moyen.
En été de 1901 le coefficient moyen a été de
4,2, soit 10 0/0 de plus que la moyenne. Le ciel
— 174 —
a été pup pendant 21 jours au lieu de 34 el cou-
vert pendant Ib jours au lieu de 14. C'est un élé
un peu sombre.
En automne de 1901 le coefficient moyen a
été de 6,6, soit 10 0/0 de plusque la moyenne.
Le nombre de jours à ciel sans nuages a été de
14 au lieu de 21 et celui où il a été totalement
couvert de 46 au lieu de 38. L'automne a eu la
môme allure que Tété.
ANNÉE 1902.
Pendant Vannée 1902, le coefficient de nébu-
losité moyen a élé de 6,6, c'esUme augmentation
de prê.s de 18 0/0 sur la moyenne. Le nombre
de jours sans nuages a été de 51 au lieu de 9b et
celui où le ciel a été entièrement couvert de Ibl
au lieu de 133. C'est une année assez sombre.
Pendant Yhiver de 1902 le coefficient moyen a
été de 7,8, ce qui représente plus de 8 0/0 de plus
que la moyenne. Il y a eu 11 jours sans nuages
au lieu 16 et 60 jours totalement couverts au lieu
de ^^. L'hiver a été plus obscur que la moyenne.
k\x printemps de 1902, le coefficient moyen de
nébulosilé a élé de 6,7, soit 24 0/0 de plus que
la moyenne. Le nombre de jours où le ciel a été
pur a été de 9 seulement au lieu de 24 et celui
où il a été couvert do 30 au lieu de 26. C'est un
printemps nébuleux.
— l7o —
En été de 1902 le coefficient moyen a été de
4,9, soit une augmentation de 29 0/0 sur ]a
moyenne. Le nombre de jours où le ciel a été
sans nuages a été de 1 6 au lieu de 34 et celui où
il a été entièrement couvert de 19 au lieu de 14.
L'été a donc été encore relativement plus sombre
que le printemps.
En automne de 1902 le coefficient moyen a
été de 7,0, soit 17 0/0 de plus que la moyenne. Le
ciel a été pur pendant 15 jours au lieu do 21 et
totalementcouvert pendant 42 jours au lieu de 38.
C'est également un automne assez nébuleux.
Lestableauxdétaillésquotidienset très complets
dressés par les observateurs et qui nous ont servi
il dresser les tableaux résumés de notre mémoire
sont conservés dans nos archives,
Charles Mogquery,
Ingénieur en chef des ponts et chaussées,
Président de la commission météorologique delà Côte-d'Or.
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133
DEUX SEMAINES EN ESPAGNE
15
DEUX SEMAINES EN ESPAGNE
Les dislraclions élant rares à l'Arba, j'avais
consacré toutes mes soirées de l'hiver dernier à
Tétude de la langue espagnole, d'après l'excel-
lente méthode du maître populaire. Mais n'ayant
pas autour démolies éléments nécessaires pour
mettre à profit mon bagage de linguistique — les
Espagnols sont cependant nombreux dans ma
région, mais ne parlent que le dialecte valen-
cien — je décidai de faire au printemps un petit
voyage de deux semaines environ sur le littoral
méditerranéen de l'Espagne, en visitant les pro-
vinces d'Alicante, de Murcie et de Valence.
Une excellente occasion se présenta, et j'é-
prouvai une grande joie de sentir que j'allais
enfin pouvoir émettre par les lèvres les beaux
mots et les belles phrases de l'idiome castillan,
qui sommeillaient dans mon cerveau.
Le couronnement du jeune roi Alphonse XIII
était fixé au 17 mai. Des fêles splendides étaient
annoncées à cette occasion, qui devaient durer
une quinzaine de jours et coïncider avec la fête
patronale de Madrid, le 15 mai, Romeria de
San Isidro.
— 180 —
La Compagnie de paquebots Sitgès frères et la
Compagnie de chemin de fer Madrid-Sarragosse-
Alicanle (MZA) s'étaient entendues pour faci-
liter, dans la plus large mesure possible, le
voyage entre Alger et Madrid :. 30 francs en
3*^ classe et 50 francs en seconde, aller et retour
d'Alger à Madrid, avec faculté d'arrêt dans toutes
les gares du parcours Alicante-Madrid et vice-
versa.
Désireux, comme on peut croire, de profiter
de ces avantages, ma résolution fut bientôt prise
et le dimanche 11 mai, je pars pour m'embarquer
sur le vapeur Sitgès-Hermanos.
Sur le quai d'Alger, je change mon argent
français contre de l'argent espagnol; pour 200
francs le changeur me remet 272 pesetas, soit 36
pour cent.
Abord, je trouve la famille Raymond Bernard,
commerçant de l'Arba, qui doit suivre le même
itinéraire que moi. Le bateau démarre à midi et
demi. La mer est houleuse; au large fort tangage
qui durera toute la nuit. Presque tous les pas-
sagers, au nombre de 200 environ, sont malades ;
de ceux de seconde et de première, je suis le seul
qui se mette à table.
Le lendemain, 12 mai, la mer est redevenue
calme. De bonne heure nous apercevons la Pénin-
sule Ibérique. Nous approchons d'Alicante que
l'on commence à distinguer au milieu de la
— 181 —
brume. Je me fais dire par un passager les noms
des villages que Ton aperçoit sur la côte. A
gauche d'Alicante, Tîlot de Tabarca, le village
de Santa-Iola avec son phare ; à droite les villages
de Campillo, Yillajoyosa, Benidorm, Altea.
Nous entrons dans le port à 11 heures et
demie. Ue la passerelle du capitaine, je prends
deux vues photographiques de la ville, assise au
pied d'un grand rocher abrupt et nu.
A noire débarquement, qui n'a lieu qu'à midi
et demi, nous avons à subir un véritable assaut
de la part d'une bande de jeunes Espagnols se
disputant nos bagages avec un acharnement
comparable à celui des Arabes des quais d'Alger.
Ne sachant dans quel hôtel aller, je reste avec
la famille Raymond Bernard qui connaît le pays
et m'emmène à la Posada de la Balseta^ 11 , rue
de la Galatrava, à proximité du port, entre lu
place Isabelle II et celle de la Constitution. On
appelle Posada une sorte de remise, de fondouk,
une auberge en somme où affluent, surtout les
jours de marché, les charretiers, les maraîchers
et les petits cultivateurs des environs.
Dans la cour intérieure, patio, de ces hôtel-
leries, il y a un mouvement surprenant ; un
perpétuel va et vient de toutes les familles venues
de rin,térieur et s'affairant autour des nombreux
véhicules, Tartanas, Garros qu'elles ont ame-
nés chargés de provisions.
— 182 —
Les chambres ou appartements y sont loués à
raison de une peseta le lit. Si la chambre con-
tient deux ou trois lits, le prix s'élève en pro-
portion. La peseta correspond à la pièce de un
franc.
Notre appétit ayant été aiguisé par l'air salin
de la mer, nous nous mettons à table au milieu
des maraîchers et des cultivateurs, car les lundis
et les mardis sont les jours où ils viennent â la
ville. La traditionnelle catalana, en castillan,
porron, remplie d'un vin noir très fort et sentant
la peau de bouc, préside au milieu des plats ; cette
sorte de bouteille ressemble assez à un gobe-
mouches en verre, d'où jaillirait un cône servant
pour boire à la régalade. N'ayant pas l'habitude
de boire de cette façon, je me fais donner un
verre.
Pendant tout le repas ma curiosité est vivement
excitée par ces Espagnols qui, rangés sans façon
autour des tables, mangent dans le môme plat
avec des cuillers en bois et se font passer à tour
de rôle la catalana qu'ils manient avec beaucoup
d'habileté et d'adresse. Après déjeuner, nous
allons visiter la ville. Tout d'abord je me rends
au bureau des télégraphes, calledeGravina, pour
lancer un télégramme à ma femme. L'adminis-
tration n'acceptant pas d'argent, il faut coller
sur les libellés des timbres spéciaux, sellos de
franqueo correspondant au mon tan t de la dépêche .
— 183 —
Puis nous voilà partis à travers la cité. Nous tra-
versons le Paseo de Mendez^Nunez dont le sol
est pavé de mosaïques en ciment. Cette prome-
nade, située au centre môme de la ville, est bor-
dée d'ormeaux abritant des bancs en pierre d'un
seul morceau.
Nous voici au magnifique Paseo de Gomiz^ où
affluent en grand nombre les promeneurs ; on y
jouit de la fraîcheur, car il est situé sur la plage du
Postiguet en face des établissements de bains.
Nous visitons ces derniers, au nombre de trois,
bâtis sur pilotis (Diana, Alianza et Esperanza).
Le Paseo de los MartireSy longeant le quai,
nous plaît davantage ; aussi nous y arrôtoiis-nous
un instant, pour nous rafraîchir dans une bu-
vette. Nous absorbons des boissons du pays: Zar-
zaparilla^ boisson sucrée et glacée à base de salse-
pareille, couleur de la bière ; Brea, boisson sucrée
à base de goudron, limpide comme de Teau. —
Cette délicieuse promenade, bien sablée, est
ornée de quatre rangées de palmiers au centre
desquels s'élève le kiosque de la musique. De
longs bancs, en beau marbre rouge, sont éche-
lonnés sous les arbres.
Nous gagnons ensuite une autre promenade,
perpendiculaire au port, appelée Acenida del
doctor Gadea^ bordée aussi de palmiers. A l'ex-
trémité supérieure de celte promenade, et près
du Jardin de San Francisco, s'élève un superbe
— 484 —
monument bâli pour commémorer le nom de l'il-
lustre homme public Maisonnar. Le Paseo de
QuijanOy situé en haut de la ville, est un gra-
cieux jardin parsemé de fleurs de toutes variétés
et planté d'arbres et arbustes tels que tuyas taillés
en fûts/ araucarias, daluras ferox, yuccas, etc.
Au centre se dresse une colonne pyramidale, à
la mémoire de Quijano, homme célèbre. Au fond
un vieil ormeau, dont on a taillé récemment les
branches.
En redescendant vers la cité, nous visitons la
belle Eglise de San Nicolas deBariy qui est con-
sidérée comme une des plus somptueuses deTEs-
pagne. La chapelle de la communion est très
jolie et le dôme qui recouvre la nef a de la har-
diesse et de la magnificence. Arrivés sur la Plaza
de A IfonsoXII, nous nous arrêtons devan t VAyun--
tamientOy hôtel de ville, grand monument de 47
mètres de façade et 19 de hauteur, construit sur
deux arcades appelées Porticos, qui donnent accès
sur la Plaza del Progreso et à Calle Mayor. Cet
édifice est flanqué de deux tours quadrilatérales
qui mesurent 37 mètres de haut sur 24 de tour.
L'ornementation de la façade est en plusieurs
ordres d'architecture.
Avant de rentrer à la Posada, nous jetons un
rapide coup d'œil sur la P/aja de laConstHucion,
petit square au milieu duquel est un jet d'eau re-
présentant un enfant tenant un parapluie; Teau
— 185 -
passe par le manche du parapluie et vient retom-
ber dans le bassin par les bords du pavillon.
La Plaza de Isabel II, près de la poste et du
casino, est un grand jardin entouré d'une grille
el possédant un puissant jet d'eau ; là viennent
jouer les enfants avec leurs bonnes ou leurs pa-
rents.
Nous sentant faligués/tantparla traversée que
par notre longue promenade à travers les rues
d'Alicanle, nous dînons rapidement el gagnons
notre appartement. Chambres d'aspect austère,
sans tentures, ni tableaux; les murs sont simple-
ment blanchis à la chaux, les lits en fer, comme
la table de toilette, n'ont pas de traversin. Deux
petits oreillers plats, que l'on superpose en tiennent
lieu. Fermez bien votre porte et, la nuit, ne met-
tez pas vos chaussures à la porte, elles auraient
disparu le lendemain.
Mardi 13 mai. — A.près le repos d'une longue
nuit nous nous dirigeons de bon matin vers la
fabrique de tabacs. Là, nous sautons dans un
tramway sûr rails, traîné par deux mules, qui
doit nous conduire à Muchamiel pour la somme
de 50 centimes aller et retour. La route très
étroite est poudreuse. Nous entrons dans un ter-
rain blanc, aride, dépourvu de végétation. A en-
viron 4 kilomètres, au lieu dit la Cria de Piedra,
le paysage change ; nous découvrons, dans un
— 186 —
bas-fond immense, vers lequel descend la ligne
ferrée, un lableau merveilleux autant qu'imprévu,
difficile à décrire. C'est un site d'autant plus en-
chanteur que le contraste est frappant, puisque
entre la ville et cet endroit le terrain est nu,
ariJeet triste. C'est la //w^rtod'Alicante, vergers
magnifiques, jardins paradisiaques, véritable
oasis plus facile à admirer qu'à décrire. De tous
côtés apparaissent de belles fermes, de vastes
domaines, Haciendas^ où les propriétaires s'a-
donnent à la culture des oliviers, figuiers et
surtout des amandiers. Les céréales, les légumes
et la vigne y poussent à merveille. Le blé surtout
est d'une belle venue ; après Santa-Fa^y hameau
situé à 7 kilomètres d'Alicante, nous entrons par
curiosité dans un champ où je disparais complè-
tement, c'est dire que les tiges de blé mesurent
près de deux mètres de hauteur.
Nous traversons le village de San Juan, puis
nous arrivons à Muchamiel, tête de ligne de
la ligne ferrée, à neuf kilomètres d'Alicante.
Visite rapide de ce pueblo dont les maisons lé-
zardées, même l'église tombent en ruines. Achat
de quelques boites du fameux nougat, Tun-on,
àeJiJo?iay bourg voisin. Avant de reprendre le
tram, nous nous arrêtons devant une maison en
construction, bâtie avec de mauvaises pierres et
de la terre en guise de mortier. Le contre-mailre
maçon, auquel nous adressons la parole,, nous
— 187 —
dît qu'il est payé 2 pesetas par jour et ses ouvriers
1 peseta et demie, main-d'œuvre bien bon marché
à côté de celle de France ou d'Algérie.
De retour à la posada, nous dévorons avec
appélit un délicieux puchero que, nous avions
commandé le matip. Le piichero est le pot-au feu
espagnol. Il se rapproche beaucoup de la potée
bourguignonne. Les éléments qui le composent
sont : viande de bœuf, poulet, saucisson très
épicé, lard, jambon, choux et gavhanzas, pois
chiches. Dans l'après-midi nous flânons dans
les rues et nous nous reposons sur le Pasos de
los Martires, afin d'être plus dispos pour le long
trajet que nous devons faire celte nuit et demain,
d'Alicante à Madrid.
Avant de quitter Alicante, que Ton me per-
mette d*esquisser une petite description de cette
ville et de relater les faits et choses qui m*ont
le plus frappé.
Alicante est une ville d'environ ^0.000 habi-
tants. Elle est située au centre de la grande baie
formée par les caps de Santa Pola et de la Huerta,
sur le versant d'une montagne aride et pelée.
Monte Benicastel, couronné d'un château fort,
el Casti lîo y eiuq\ie\ on accède par une longue file
d'escaliers. Le commerce y est très animé,
surtout celui des vins. Son pori, le port méditer-
ranéen le plus rapproché de Madrid, est constam-
ment, fréquenté par des navires de toutes les
^ 188 —
nations, qui mettent celte ville en relation avec le
monde entier ; il a environ 283.000 mètres
carrés.
La garnison d'Alicante est ainsi composée :
un bataillon de ligne de la Princesa, de rartillerie,
des gendarmes à pied et à cheval, Gardia civil,
des douaniers de terre et de mer, carabineros,
des agents de police à pied et achevai. Le soldat
espagnol est très proprement vêtu. Comme
chaussures, il ne porte pas de nos larges et
lourds godillots, mais des soulier^ fins. En temps
d'exercices, de manœuvres et de guerre, le fantas-
sin chausse Tespadrille.
Le climat de cette région est tempéré et sain.
On y jouit d'un ciel riant et pur. Aussi Alicante
est une station d'hiver et comme ville d'été sa
plage a une renommée générale et populaire.
La partie haute n'offre rien de particulier ; les
rues et les places y sont amples et larges, mais
les consiruclions manquent ou sont fort espacées.
La ville basse renferme de belles maisons, de
beaux magasins, avec des rues étroites dont
plusieurs sont pavées en bois.
Beaucoup d'anciennes habitations possèdent
des miradores, balcons vitrés, où la gracieuse
Espagnole, nonchalamment assise dans sumece^
dora, et parée de ses plus beaux atours, passe
une partie de sa journée à regarder dans la rue.
Les églises, comme partout en Espagne, sont
— 189 —
ouvertes seulement pendant les offices et généra-
lement fermées de 10 heures du malin à 3 heures
de l'après-midi.
Je dirai un mot des Tarlanas. Ces voilures
que nous voyons souvent en Algérie conduites
par des Gitanos^ bohémiens espagnols, sont les
calèches du pays. Comme au temps de Théophile
Gautier c'est une caisse recouverte de toile cirée
et posée sur deux roues, sans le moindre ressort.
Toutefois les tarfanas contemporaines sont capi-
tonnées à Tintérieur ; quelques-unes ont des gla-
ces ; j'en ai vu même qui ont des ressorts, et tout
de même on n'y est pas trop mal.
L'eau potable est distribuée dans Alicante à
l'aide de cruches en terre, d'une contenance de
huit litres environ, que les aguadores^ porteurs
d'eau, transportent à domicile sur des brouettes
percées de deux à huit trous carrés où s'encastre
le récipient.
Neuf heures du soir. Nous voilà installés dans
le train partant pour Madrid. Mes compagnons
de route sont en troisième et moi tout seul dans
un compartiment de seconde. Les trois coups de
cloche réglementaires sont donnés, le conduc-
teur crie : todos los viajeros al Iren ou senores
viajeros al tven et nous partons. Un beau clair
de lune permet de me rendre compte do la
région parcourue qui est plutôt montueuse. On
y voit des montagnes assez élevées dont plusieurs
— 190 —
portent des vignobles jusqu'au faîte, et des pro-
fondeurs remplies d'une végétation exubérante
qui contraste avec l'aridité générale.
Les gares se succèdent rapidement :-5an Vi-
cente, Monforte^ Novelda, Monovar^ Elda^ Sax^
Villenaj Caudete. Nous faisons un arrêt d'une
demi-heure à la Encina^ où j'avale un café au
lait avec un hiscochOy sorte de biscuit de Savoie,
peu sucré. 4 heures 20, Chinchilla. Le jour com-
mence à poindre, b heures 20, Albacete. La ville
est à deux pas de la station. Elle n'a pas Tair
d'être bien curieuse à visiter; du reste le dicton
suivant l'indique : Albacete y miralo y vête. La
principale industrie de cette capitale de province,
qui compte 21.000 âmes environ, est la fabrica-
tion des couteaux et poignards, qui a acquis une
grande importance : on y reçoit des commandes
de toutes les parties du monde, étant connue la
perfection irréprochable avec laquelle ces armes
sont fabriquées. J'achète aux camelots de la gare
plusieurs 7iavajas et navajitas en souvenir de mon
passage.
Au delà d'Albaoete, nous entrons dans une
vaste plaine, légèrement ondulée. C'est le com-
mencement de la célèbre Ma7îcha, le pays natal
de Don Quichotte qui comprend toute la pro-
vince de Giudad-Réal et en partie celles d'Alba^
celé et de Tolède, 20.000 kilomètres carrés envi-
ron. Ce ne sont que des landes dépourvues com-
— 191 —
plètement d'arbres, privant ainsi d'ombre son
sol embrasé par le soleil ; pas d'eau pour l'irriguer
et le fertiliser. On y constate le manque absolu
de rochers et de ravins qui diversifient les pay-
sages ; rien que des nuages de poussière au lieu
de nuées humides et bienfaisantes. D'un village
à l'autre la solitude est complète, et, au loin, de
temps à autre, un clocher d'église se dresse comme
une blanche voile au milieu des mers. Le terrain
est gris-jaunâtre, le sous-sol blanc. Le blé etl'a-
voinesont chétifs, 30 à 40 centimètres de hauteur
environ ; quelques pieds de vignes, des pois
chiches. Les céréales poussent en ligne dans des
petits sillons très rapprochés et tracés par la char-
rue espagnole qui ressemble à la charrue arabe.
Après la Roda et Minaya^ le paysage change;
c'est toujours la môme plaine, mais les brous-
sailles et arbustes apparaissent de plus en plus
abondants des deux côtés de la ligne.
A Matas Ver des ^ la broussaille a disparu pour
faire place à des cultures de blé. Un peu plus loin
je remarque de grands vignobles dont certains
plants, assez âgés, sont taillés presque à raz de
terre. Ici, la terre, chargée d'oxyde de fer, est
rouge comme dans le Sahel d'Alger.
Villarrohledo. — La culture est plus riche,
plus serrée, mais les céréales sont toujours
très basses. La plupart des maisons du village
sontconstruites enterre rouge, lesmurs lézardés
— 192 —
et beaucoup d'habitations tombent en ruine.
C'est à Villarrobledo que Ton commence à ren-
contrer en grand nombre les fameux moulins à
vent que Cervantes fait figurer dans son Don
Quichotte. Beaucoup sont à moitié démolis ; je
me suis amusé à compter ceux qui sont encore
en activité dans les puehlos situés à proximité
de la voie.
A Villarrobledo, j'en photographie un spéci-
men qui se dresse à côté de la gare, à environ
60 mètres de la voie, à gauche. Dans cette sta-
tion, je remarque sur les quais de gigantesques
vases, destinés à la conservation du vin et de
l'huile d'olives ; ils sont en terre, à orifice rond
et se terminant en pointe aiguë à la partie infé-
rieure, comme les amphores romaines. A Socuel-
lamos les vignes abondent, mais toujours aucun
arbre. On fait en ce moment beaucoup de labours
pour débarrasser le terrain des racines et le pré-
parer pour les prochaines semailles. J'aperçois
ici quelques norias servant à l'arrosage des lé-
gumes.
Criptana. — Les céréales sont plus belles. La
vigne est bien feuillue.
Mais le paysage change, de petits coteaux appa-
raissent. Des montagnes se profilent au loin. Nous
sommes à Alcazar de San Juan ; je profite des
vingt-cinq minutes d'arrêt pour déjeuner au
buflTet.
— 193 —
A Villacarias et Romeral, des petites masures
cintrées émepgenl du sol. Ce sont les entrées des
bodegasy caves souterraines servant pour le vin
et les grains. "Le terrain devient maintenant plus
accidenté sans être montagneux, mais toujours
nu et quasi aride.
Enfin voici des arbres et fort beaux, peupliers,
platanes, acacias, marronniers en fleurs, etc. De
superbes cultures maraîchères, des arbres frui-
tiers, des canaux d'irrigation. Lu nature ici est
d'un verdoyant magnifique. Nous traversons un
fleuve, c'est le Tage. Nous sommes à Aranjuez,
petite ville de 9.000 âmes, assise au confluent du
ïage et du Jarama, où la famille royale possède
un château célèbre servant de résidence d'été et
où la ville de Madrid s'approvisionne de fruits
et de légumes de premier choix. Plus loin, la
région redevient âpre. Nous franchissons un val-
lon, formé par deux petites collines. A Valde-
morOy grande culture d'oliviers plantés par 3 ou
4. Nous approchons de Madrid, où le Irain de
42 wagons bondés de voyageurs arrive à b heures
et demie, avec une heure et demie de retard.
Mais revenons à nos moulons, c'est-à-dire à mes
impressions sur Madrid.
Pour éviter d'être escroqués et extorqués par
les rateros (filous) qui pullulent en ces jours de
fêtes, nous prenons une calèche, ici la tartane
n'existe plus, et sous une pluie battante nous
16
— 194 —
débarqiious à Vhôtel de la Vascongaday 16, Car-
rera de San Jeronimo, à environ cent mètres de
la Puerta del Sol, centre de Madrid. A Madrid,
les voitures de place portent sur le siège une
planchette où on lit : Se Alquila^ se loue, fixée
au bout d'une tige que le cocher abaisse quand la
voiture est occupée.
La tenancière de rétablissement nous demande
25 pesetas par jour; mais, en marchandant avec
outrance, nous obtenons le chiffre de 10 pesetas
chacun, à condition que nous coucherons tous les
quatre dans le môme appartement. Nous dînons
à la table d'hôte, Mesa redonda. Nos commen-
saux sont tous espagnols, sauf un consul hollan-
dais et un commerçant de Paris, accompagné de
sa femme. A notre entrée dans la salle^ ils se
lèvent tous et nous adressent un gracieux salut
de bienvenue.
Ici je remarque encore cette courtoisie espa-
gnole, dont on m'avait tant parlé, mais qui n'e-
xiste guère que sur le territoire national. Dans
tous les actes de sa vie privée et publique, mo
dit le consul hollandais qui parle fort bien le fran-
çais, l'Espagnol fait constamment preuve d'une
extrême courtoisie. Ce sentiment n'est pas aussi
développé chez les peuples professant le plus le
principe de l'égalité civile ; mais chez celui-ci
c'est une habitude innée, inaltérable. Dansle train
je l'avais déjà observée. Tous les voyageurs qui
— 195 —
entraient dans mon compartiment me saluaient
avec une politesse à laquelle nous ne sommes
pas habitués, surtout en Algérie. Pendant tout
le voyage ils m'offraient à boire, à partager leurs
repas, me présentaient leurs paquets de cigarettes
ou leurs étuis à cigares.
Mais revenons à notre table. Deux verres sont
devant chaque convive : un petit à pied pour le
vin et un très grand pour Teau. La prédilection
prononcée du peuple espagnol pour l'eau rappelle
l'usage exclusif que font les Arabes de ce breu-
vage primitif. L'eau, en effet, se vend partout,
dans les gares, dans les promenades, dans les
lieux publics, où Ton entend à chaque inslant les
cris de : Quien qiiiere agua ? modulés par les
Aguadores oxiAguadoras^ porteurs ou porteuses
d'eau. Dans les cafés môme, quelle que soit la
boisson servie (café au lait, café, rhum, bière, etc.)
elle est toujours accompagnée du traditionnel
verre d'eau. Le menu du dîner est varié. Les plats
sont excellents et arrosés d'un bon petit vin de
ValdepenaSy cru de la province de Ciudad-Réal,
dont les vignes sont originaires delà Bourgogne.
En somme, la vie n'est pas trop chère dans cet
hôtel; d'autant plus que notre appartement aune
fenêtre et un balcon donnant sur la Carrera de
San Jeronimo, une des rues principales de la
ville et où doit passer le cortège royal le jour du
couronnement.
— 196 —
Jeudi 1b mai. — C'est aujourd'hui la fête de
Madrid, la San Isidro. De bonne heure, dans les
rues, on n'entend qu'un bruit assourdissant de
sifflets. Ce sont \es pitos^ petits sifflets en verre
ornés de deux ou trois roses artificielles de di-
verses nuances que Ton achète aux enfants ce
jour-là. A table, au dessert, on nous servira des
bunuelos, beignets ou pets de nonne, continuation
d'une vieille coutume.
M. Raymond Bernard étant tombé malade pour
ne plus se relever, je visiterai la capitale de l'Es-
pagne tantôt seul, tantôt avec son beau-frère.
La première chose que Ton doit faire pour s'o-
rienter en arrivant à Madrid, est de se rendre à
la Puer ta del Sol y qui est la place centrale d'où
partent les principales artères et aussi le lieu in-
dispensable des réunions et des rendez- vous.
C'est à tout prendre un point de repère très utile
pour le voyageur. Son nom provient d'un soleil
qui était représenté au-dessus de la porte d'un
château fort disparu aujourd'hui. Les maires
successifs de la ville y ont apporté beaucoup
d'améliorations et ont modernisé ce^ centre de
Madrid qui en est vraiment le cœur et le cerveau.
Cette place, d'une forme irrégulière, est pavéeen
asphalte. Dix rues viennent y aboutir :
Calle de Alcala^ Carrera de San Jeronimo^
Calle Espozymina, Calle de Carrelas, Calle de
CorreOy Calle mayor^ Galle del Arenal, Calle de
— i97 —
PreciadoSy Calle del Carmen^ et Calle de la
Montera.
Je reviendrai sur celle intéressante place à
l'heure où les madrilènes s'y réunissent.
Je fais chez un libraire de celte place Tacqui-
silion d'un plan de Madrid, que j'éludie rapide-
ment et me voici parti à pied dans la rue princi-
pale de la ville, la Via ou Calle Alcala^ sur la
gauche je remarque ; Le Cercle des Beaux- Arts y
Circulo de Sellas artes, le Ministère des Finances ,
Ministerio de Hacienda ; le Restaurant FornoSy
très renommé, à l'entrée de la rue Peligros; ÏE-
. glîse de V Ordre de Calatrava\ le Théâtre d'A-
pollon ; le Ministère de la guerre^ bel édifice
entouré de jardins et très bien situé.
Voici \di. Place de Madridy au milieu de laquelle
se dresse la slalue allégorique de Cyhèle. La
déesse, assise sur un char traîné par deux lions,
est entourée d'allribuls de belle exécution, entre
aulres deux génies portant deux amphores et ver-
sant conslammenl de Teau dans le bassin de la
fontaine. A gauche de celle place se trouvent le
Paseode Recoletos, V hôtel du may^quis de Comil"
lasy refuge des mendiants ; à droile, le Paseo del
Prado et les jardins du Buen-Retiro. Plus loin, la
PI ace de V Indépendance y avecsonarcde triomphe
appelé Porte d'Alcala. Cet arc, tout en pierre
de taille el à trois porles, est d'un slyle noble et
riche. Sur le fronlon, on lil, des deux côlés,
— 198 —
l'inscpîption suivante : Rege Carolo III, anno
MDCCLXXVIIL
Le Retira ou Parc de Madrid. C'est un im-
mense jardin avec de grandes avenues ornées
de statues, de jolies fontaines, des kiosques et
des allées ombragées. Il y a aussi une ména-
gerie et un musée zoologique, un vaste étang
sur lequel je fais une petite promenade dans un
canot à vapeur.
Après m'èlre reposé un instant sur un banc,
dans une odorante allée de marronniers en fleurs,
je quille ce beau lieu en sortant par une porte
située à peu près en face de la statue équestre
du maréchal Espartero, dans le prolongement de
la Via Alcala.
Il est temps de rebrousser chemin, car midi
approche, et je jette celte fois un coup d'œil sur
les monuments sis du côté droit de la Via Alcala.
C'est d'abord la Banque d'Espagne, un des
plus beaux édifices d'Europe, qui a 267 mètres
de façade et 8584 mètres de superficie ; la plus
grande façade donne sur le Prado. L'angle de la
Via Alcala et du Prado est surmonté d'une belle
horloge qui, comme celle du Ministère de l'in-
térieur et du Palais de l'Equitalive, sert aux
passants pour régler leur montre.
Ensuite le Palais de VEquitative, qui est la
meilleure conslruclîon particulière de Madrid.
La partie de ce bâtiment très riche qui fait l'angle
— 199 —
de Via Alcala et de Galle de Sevilla, est ornée
do la statue de la Protection et est surmontée
d'une belle coupole au bas de laquelle est en-
castrée une grosse horloge.
Il est midi moins cinq minutes. Il me reste
juste le temp^ nécessaire pour me rendre à la
Puerta del Sol, où Ton m'a recommandé de me
trouver à celte heure.
En effet, à peine arrivé sur cette place, je vois
tous les promeneurs et passants arrêtés, la tête
levée et les regards dirigés vers le Ministère de
Vintèrieitr (Ministerio de la Gobernacion).
Douze coups tintent. Une grosse boule dorée,
placée sous la petite coupole qui surmonte Thor-
loge, descend lentement pendant que les cloches
carillonnent ; à midi cinq, elle remonle. G est
là un des grands attraits pour les Madrilènes et
surtout pour ceux qui viennent à Madrid pour
la première fois. L^heure du déjeuner approche,
je m'achemine vers Thôtel.
En Espagne, les repas ont lieu très tard : le
déjeuner à une heure de l'après-midi elle dîner,
à huit heures et demie du soir.
On nous sert des œufs à la coque, mais sans
coquetier. Dans . beaucoup de restaurants ou
d'hôtels en Espagne, la mode est de casser les
œufs et d'en verser le contenu dans un verre à
pied où Ton trempe les mouillettes de pain.
Dans mon itinéraire d'aujourd'hui sont com-
— 200 —
prises les Courses de taureaux qui doivent
avoir lieu cet après-midi. Six taureaux paraî-
tront dans Tarène. Ne voulant pas manquer ce
spectacle nouveau pour moi, je prends d'avance
au bureau de la rue de Séville, situé en face de
mon hôtel, une place de grada^ à Tombre. Très
curieux le grand mouvement qui existe aux
abords du guichet. Les vendeurs vous bouscur
lent, vous pressent et vous mettent leurs billets
dansja main, comme s'ils voulaient vous les
faire prendre de force. On n'entend que les cris
de : Sol y Sombra! Sol y Sombra ! le spectateur
ayant la faculté de choisir sa place dans le cir-
que, soit au soleil, soit à l'ombre.
Je me dirige vers la Plaza de Toros^ située à
droite de Textrémité de la rue Alcala, derrière le
Retire, au milieu d'une file de tramways élec-
triques, d'omnibus, de calèches, de chars à bancs,
de grandes voitures bizarres et d'une vraie
marée de piétons, le tout produisant un brouhaha
indescriptible, mais joyeux. Les cochers crient de
tous leurs poumons : A la Plaza ! A la Plaza !
La Plaza de Toros de Madrid est une im-
mense rotonde ou plutôt un grand polygone de
60 côtés, dont l'extérieur n'offre rien de remar-
quable. Son style est arabe. Elle a été construite,
comme l'indique l'inscription gravée à l'intérieur
au-dessus de la porte du Corral (entrée des tau-
reaux dans l'arène) de janvier 1873 à juin 1874.
— 201 —
Elle peut contenir actuellement 12.600 person-
nes, sans compter la loge royale. Toutes les
places sont numérotées, et il est rare qu'elles
soient inoccupées ; les courses de taureaux cons-
tituent en effet le plaisir par excellence du
peuple espagnol.
A quatre heures et demie précises, la Cuadrilla
tout entière fait son entrée solennelle dans la lice
et défile gravement devant Tassis tance, saluant
respectueusementlaloge royale et celle de VAyun-
tamiento (municipalité). Le spectacle commence
par le jeu des Picadors à cheval, armés d'une
lance. A la vue du premier cheval éventré, ma
première impression est un sentiment d'horreur
qui ne fait qu'augmenter quand je vois les valets
refouler dans la plaie les entrailles pendantes et
les maintenir avec des chifi^ons, pour faire de
nouveau travailler la bote qui ne tarde pas à s'a-
battre.
Puis les Banderilleros y aidés par les Chiilos
qui font papillonner devant le taureau un man-
teau d'étoffe, harcèlent la bête avec les handeril^
las. Enfin VEspada avec sa muleta^ drapeau
rouge, agace l'animal, parvenu en ce moment à
un haut degré décolère et de rage, se place fière-
ment devant ses cornes et lui ploni^e son épée
entre la nuque et les épaules. Le taureau tombe
et un cachetero l'achève à l'aide d'un poignard
qu'il enfonce dans la tête, derrière les cornes.
— 202 -
Ce ne sont alors, sur tous les gradins, dans les
balcons, dans les loges, que des cris d'enthou-
siasme : Bravo torero ! comme on crierait, pa-
raît-il : Bravo toro /si un toréador ou un picador
était blessé par la bêle. Les éventails s'agitent
au soleil, les chapeaux à Tombre. Un tonnerre
d'applaudissements retentit, puis tout rentre dans
le calme.
Un second taureau paraîtra bientôt dans Tarène.
Un attelage de trois mules ornées de plumets,
de pompons et de grelots, pénètre au galop
dans la piste et entraîne rapidement au dehors les
chevaux d'abord et en dernier lieu le taureau.
Les Espadas sont : Conejito, Bombita chico et
Machaquilo.
Onze chevaux ont été élripés au cours de cette
représentation.
Je rentre à l'hôtel fortement impressionné par
ce spectacle qui à nous Français du nord paraît
sanguinaire et barbare. Néanmoins, je me pro-
pose d'y retourner demain, cette fois avec mon
appareil photographique.
Vendredi 16 mai. — De bon matin, je prends
un tramway à la Puerta del Sol et vais jusqu'au
quartier d'ArfftfelleSy en passant par la Galle
Mayor. Je reviens sur mes pas, à pied cette fois, .
pour mieux visiter la partie de la ville que je
viens de traverser. Me voici au Palacio Réaly
— 203 —
dont Ton Iréo principale donne sur la rue de Bailen .
Un mouvement inaccoutumé règne devant cet
édifice immense et d'une architecture imposante ;
c'est un va-et-vient de militaires à pied ou à
cheval et de landaus pénétrant dans le palais.
Pour admirer plus à Taise et le monument et les
beaux équipages, je m'assieds auprès d'une bu-
vette de la Place d'Orient, située en face. Cette
place est entourée d'arbres entre lesquels s'élè-
vent de nombreuses statues en pierre. Au centre
se dresse la statue équestre de Philippe IV. Je
me fais servir une boisson du pays, horchata de
chufaSy sorte de sorbet, dépurée neigeuse très en
vogue en Espagne, préparé avec les tubercules du
souchet comestible que nous voyons souvent
vendre à Alger par les marchands decacaouettes;
il paraît qu'à Madrid seulement on consomme
annuellement près de douze tonnes de ces tuber-
cules pour la fabrication de cet orgeat.
La foule, à ce moment, grossit insensiblement
et se dirige vers un édifice attenant au Palacio
réal. Je la suis, en passant, sous de belles ar(»ades
et me trouve sur une vaste esplanade entourée
de murs et d'une grande grille. C'est la Plaza de
/a ^rmma, place d'Armes. J'assiste à la parade
du changement des corps de garde de la garnison
et du palais et écoute la musique deshallebardiers
qui pénètrent dans Tintérieur du Palais pour re-
lever lagardeintériouredosappartemonls royaux.
— 204 —
De là, je me dirige vers Téglise de San Francisco
où sera chan té demain un Te Deum solennel après
le couronnement du roi. Ce temple, qui est en
forme de rotonde, est le plus important de Madrid.
Il sert aussi de Panthéon national.
Revenant toujours sur mes pas, je passe devant
le palais du Conseil d'État, Palacio de los Con-
sejos, la Préfecture, Gobierno civil, VHôtel de
ville, Ayuntamiento; le Conseil général de la
province^ Deputacion provincial.
Je quitte la Galle Mayor, passe sous des arcades
et arrive à la Plaza Mayor au centre de laquelle
s'élève la statue équestre de Philippe III. Ayant
encore du temps, avant de déjeuner, je vais visi-
ter le Marché de la Cehada, le meilleur de la
ville. L'animation y est encore 1res grande mal-
gré l'heure tardive, midi et demi.
Dans raprès-midi, comme je Tavais projeté, je
retourne aux courses de taureaux, après avoir
chargé mon appareil photographique, 6, rue Alo-
zaga, près du Paseo de Recoletos, dans la chambre
noire du D^ Hans Leyden, médecin d'ambassade
allemande, auquel m'a recommandé M. Lau-
wenrecht, consul des Pays-Bas, mon commensal
de l'hôtel.
Afin de pouvoir prendre facilement dos vues
dans l'arène, je choisis une place de tendidOy à
l'ombre, c'est-à-dire sur les gradins inférieurs.
Grâce à l'obligeance de mon voisin de gauche,
— 205 —
un aimable Espagnol, parlant bien le français, et,
comme moi, membre du Touring-Glub de France
dont je porte l'insigne à mon chapeau, je peux
manier très commodément mon appareil. C'est
toujours la môme boucherie qu'hier. Huit tau-
reaux sont estoquéSy quatorze chevaux èventrès^
deux picadors et une prima espada blessés ! Les
matadors, cette fois, étaient : Quinito, Bombita
mayor, Canejilo et Bombita chico, celui-ci blessé.
Ce soir commencent les grandes illuminalions.
Depuis hier déjà les rues sont pavoisées. Les fe-
nêtres, les balcons, les miradors sont ornés de
drapeaux et de guirlandes, drapés de tentures de
toutes nuances : les couleurs nationales, le jaune
et le rouge, dominent.
A la tombée de la nuit, notre rue, la Carrera
de San Jeronimo, présente un aspect extraordi-
naire qui durera jusqu'à deux heures du matin.
Celte rue est la rue CAm^, viamimada,de Madrid,
comme la rue Bab-Azoun, à Alger; c'est celle
où les loyers se paient à un prix exorbitant.
Cependant elle n'offre rien de particulier et n'a
guère que douze mètres environ de largeur,
trottoirs compris. Le voyageur et môme le madri-
lène y passeraient facilement des heures entières
à s'arrêter devant les jolies vitrines de bijouterie,
d*étoffes et d'articles de bureaux, sans oublier
l'étalage de la Maison Lhardy^ garni de fruits,
de légumes, de viande et de choses succulentes
— 206 —
qui le transforment en une espèce de cinémato-
graphe auquel le vulgaire a donné le nom de :
Alimento de pupila^ plais pour les yeux. Ce
dernier magasin m'avail frappé en arrivant à
Madrid et j'y avais remarqué des asperges et des
fraises phénoménales, provenant d'Aranjuez.
Chaque asperge avait de 40 à 50 centimètres de
longueur sur 4 à 5 de diamètre ; le diamètre de
de la botte était d'environ 25 centimètres. Les
prix variaient de 30 à 50 pesetas la botte. Les
fraises mesuraient près de 8 centimètres de long
et se vendaient d'une peseta et demie à 2 pesetas
le kilog.
Mais revenons aux illuminations. Quelle foule
compacte et serrée I Que de monde I c'est inouï,
indescriptible ! C'est une véritable mer humaine,
sur laquelle les lumières électriques de toutes
sortes, ballons, choux, godets, ampoules, pro-
jettent leurs rayons de féerie. De notre balcon
jusqu'à une heure fort avancée de la nuit, nous
assistons, charmés, à ce va-et-vient, à ce spec-
tacle vraiment surprenant.
Samedi 17 mai. — Jour du couronnement
du Roi. — Je passe ma matinée à flâner dans les
rues que Ton arrose à grande eau et sur les pro-
menades où Ton respire les parfums des marron-
niers en fleurs.
Le Paseo de la Castellana^ où je remarque
— 207 —
deux monuments, céim à' Isabelle la Catholique ^
groupe historique érigé en commémoration du
quatrième centenaire de la découverte de TAmé-
rique. On y voit la reine à cheval et, auprès
d'elle, à pied, les statues de Gonzalo de Cordoba,
Gonzalve de Cordoue, et le grand cardinal Xi-
menes de Gisneros; le socle est en marbre de
différentes couleurs. L'autre monument est TO
hèlisquej superbe monolithe situé au centre d'un
petit jardin.
La Plaza de Colon. Sur une base gothique,
ornée de médaillons et de bas- reliefs sculptés en
pierre, relatifs aux faits les plus saillants de la
découverte de l'Amérique se dresse une haute
colonne guillochée, au sommet de laquelle on
voit la statue de Christophe Colomb.
Le Paseo de Recoletos; le Salon del Prado;
la Plaza de Canovas^ où se trouve la Fontaine
de Neptune: le Dieu, armé de son trident, est de-
bout sur un char traîné par deux chevaux marins.
La Plaza de las CorteSy gentil square renfer-
mant la statue de Michel Cervantes.
En face de cette place est le Congreso de los
Diputados, chambre des Députés, où aura lieu
ce soir le couronnement du roi. La façade princi-
pale de cet édifice rappelle celle du Corps légis-
latif de Paris. La grande porte en bronze est
magnifique ; deux lions, aussi en bronze, gardent
le haut du perron.
— 208 —
Dans le cours de ma longue promenade, j'ai
rencontré beaucoup de paysans venus de toutes
les parties de la péninsule et portant leurs
costumes nationaux : des Basques avec leur
béret, veste courte brune, gilet blanc, un mou-
choir de soie servant de cravate négligemment
noué autour du cou, pantalon maintenu par une
large ceinture de laine rouge, AlpargataSy espa-
drilles ornées de rubans de couleur ; des Anda-
lous, remarquables par leur teint foncé qu'ils
doivent à l'élément Arabo-Berbère ; des Gali--
ciens, en veste couleur de tabac, culottes courtes,
guêtres noires et chapeaux pointus ; des Valen-
ciens avec leur caleçon flottant, mouchoir bariolé
entourant la tôle, leur ca^a jetée sur l'épaule,
leurs alpargalas bordées de bleu. Ce dernier cos-
tume diffère peu du costume arabe.
Aujourd'hui, on déjeune de bonne heure, à
midi, afin de pouvoir se préparer à assister au
défilé du cortège royal.
Dès onze heures, la circulation des voitures
a cessé dans les rues où doit passer le cor-
tège.
. Nous nous installons au balcon de notre appar-
tement. La Carrera de San Jeronimo est ornée
avec beaucoup de goût. Des deux côtés de la
chaussée se dressent des palmiers et des bana-
niers artificiels réunis par des guirlandes de
fleurs supportant des milliers d'ampoules élec-
— 209 -
triques dissimulées dans des roses et des petits
choux en papier.
A une heure, les troupes de la garnison com-
mencent à occuper leur poste et forment la haie
le long de la chaussée. Les balcons et les Irot-
toirs se remplissent de monde. A une heure et
demie, une longue file de landaux contenant les
princes étrangers et les ambassadeurs de toutes
les nations, en grands habits de gala, se diri-
gent au trot vers le Congresos de los Diputados.
Suivent les soldats du génie ; les Carabiniers ;
la Guardia civil à cheval et à pied, avec leur joli
costume, bicorne, veston rouge, pantalon blanc
collant, longues guêtres noires; les Lanciers, au
costume entièrement bleu marine avec le casque;
les Hallebardiers, même costume que la Guardia
civil, sauf la tunique qui est bleu-marin dont
Texcellente musique joue un air entraînant; les
Palefreniers à cheval et à- pied, même costume
aussi que la Guardia civil, sauf la tunique qui
est beige ; les Palefreniers à pied ne portent pas
de guêtres, mais des bas et des chaussures Riche-
lieu.
A 2 heures, on entend des salves de coups de
canon. Le défilé va commencer. Ce sont d'abord
les Timbaliers et les Clairons à cheval qui ou-
vrent la marche. Ensuite viennent des carrosses
de couleurs diflFérentes, traînés par des chevaux
empanachés, portant les personnes de la suite
- 210 —
du roi et les gens du Palais. Puis voici ua car-
rosse majestueux sur lequel se dessine la cou-
ronne ducale et attelé de chevaux empanachés
de bleu et d'or. C'est celui des Infantes dona
Isabel et dona Eulalia, que la foule acclame vive-
ment. Deux autres carrosses suivent : celui du"
Prince et de la Princesse des Asturies et l'autre
en acajou monté par quatre gardes du corps. Les
musiques jouent la Marche Royale. Le moment
sensationnel est arrivé.
Le carrosse de la couronne royale apparaît. Il
est traîné par huit magnifiques chevaux gris-
pommelés, empanachés de blanc avec des tresses
rouges et dorées, des harnais entremêlés d*or et
conduit par un cocher, un poslillon, deux laquais
et six gentilshommes.
El Rey ! El Rey! crient des milliers de voix.
Tout le monde se découvre. En eflfet, c'est le
carrosse royal qui passe. Dans le fond se trouve
le jeune roi, Alphonse XIII, portant le costume
de capitaine général, la toison d'or et le collier
de Carlos III. Il est découvert, tient son casque
sur les genoux, et salue delà main par la portière
de droite. A sa gauche est la reine, dona Maria-
Cristina et en face Tinfante dona Maria Teresa,
elles saluentaussi de la tète. Par suite d'un ralen-
tissement de la marche du défilé, le carrosse s'ar-
rête juste devant nous. Des applaudissements
frénétiques, des vivats, des cris de joie retentis-
— 211 —
senl. Les femmes, des balcons, agitent leurs
mouchoirs, leurs ombrelles, leurs éventails,
lancent des fleurs sur le carrosse en poussant
d'interminables : Viva el Rey ! Viva el Rey !
Le cortège a passé. Le roi va prononcer son
serment à la chambre des Députés pour, de là,
entendre un Te Deum solennel à Téglise San
Francisco et rentrer au Palais. Les troupes se
portent dans d'autres rues et laissent libre la
chaussée, aussitôt envahie par la foule.
Il est 4 heures. Je fais, avec M""® Raymond
Bernard et son frère, une promenade à pied au
Retire, dont nous faisons le tour complet. Nous
prenons un rafraîchissement, Refrescode Fram-
huesas^ dans une buvette du Paseo de Recoletos
qui est plein de promeneurs et nous rentrons
dîner. Le soir, je vais admirer les illuminations
des principales rues de Madrid. Les rues cen-
trales sont gorgées de curieux. Les cent mille
étrangers qui sont arrivés dans la capitale et
les habitants envahissent les artères les mieux
ornées et les mieux éclairées. Comme décorations
artistiques dignes d'être relevées, celles des rues
del Principe et Carrera de San Jeronimo sont,
sans contredit, les plus remarquables, d'un goût
irréprochable el d'une richesse exceptionnelle.
Viennent ensuite les rues Arenal, Preciados et
Carmen.
Quant à la Puerta del Sol, elle n'a rien d'ex-
— 212 —
traordinaire maïs la Puerta de Alcala mérite
aussi un éloge.
Comme édifices ou maisons particulières, je
citerai : la Chambre des députés, la Fontaine de
Cybèle, la Banque d'Espagne, le Palais de TE-
quilative, la maison Lhardy, la direction des
Postes et Télégraphes, etc.... Madrid offre en ce
moment un caractère vraiment fantastique. La
ville entière est, pour ainsi dire, embrasée.
Le lendemain malin, à 11 heures et demie,
je reconduis à la gare du Midi mes compagnons
de route et d'hôtel. M. Raymond Bernard, tou-
jours malade, veut à tout prix retourner à Ali-
canle pour être au milieu de sa famille et se
rapprocher d'Alger. Je les accompagne jusqu'à
leur wagon, au moyen d'un billet d'anden (per-
mis de circulation sur le quai d'embarcadère) que
l'on paie ici 50 centimes. M. Bernard n'a pas eu
de chance ; il n'aura guère vu Madrid que de
la fenêtre.
Restant seul, et ayant assez joui de la vue du
balcon, je prends une simple chambre donnant
sur une cour intérieure ; mon lit est composé de
deux gros tréteaux sur lesquels on a étendu une
toile métallique, deux légers matelas et un
traversin.
Après déjeuner, je vais charger mon appareil
photographique chez le D' Leyden. En passant
— 213 —
dans la rue Alcala, j'assiste au défilé des voi-
tures de gala* transporlanl aux courses de tau-
reaux la famille royale, les missions et les
princes étrangers en grand uniforme.
Plus tard, je m'offre, en tramway, aller et
retour, une longue promenade à V Hippodrome,
situé à l'extrémité dePaseo de la Gastellana. Puis
je rentre à Thôtel pour me reposer et écrire
quelques cartes postales illustrées à des parents
et amis.
Après dîner, Je vais encore jeter un coup
d'oeil sur les illuminations du centre de Madrid.
Môme animation qu'hier ; le^ illuminations sont
toujours très réussies.
Histoire de passer un moment, je déguste,
dans un café de la rue Alcala, un verre à'ArroZy
boisson glacée et sucrée préparée avec du riz
pilé. Je vois, dans la carte des consommations,
une boisson nommée Agraz ; elle se prépare
avec du verjus de raisin, mais la saison des
raisins étant loin, je n'en puis goûter. Je
regagne la Vascongada pour me coucher de
bonne heure, car, demain, je dois aller visiter
Tolède, la ville des belles épées et des dagues
romantiques.
Lundi 19 mai. — Départ pour Tolède à 8 heures
15 du matin, 3 pesetas et demie en troisième,
aller et retour. Ce n'est pas cher ! Il est vrai que
— 214 -
c'est un prix spécial à l'occasion des fêtes. La
contrée, au sortir de Madrid, n'a rien d'at-
trayant. C'est une vaste plaine ondulée, plantée
en céréales et en vignes. Çà et là quelques pelils
coteaux où j'aperçois des oliveraies ; des campa-
gnards qui rejoignent leurs pénates., perchés sur
des mulets, à la façon des Arabes, à travers de
petits chemins poussiéreux et tordus,
A Algodoy*^ on passe le Tage\ puis on tra-
verse une fertile campagne, bien cultivée. En
approchant de Tolède, on voit le fleuve qui coulait
des eaux tranquilles, à travers la plaine, pour-
suivre son cours parmi des rochers abrupts,
jusqu'à ce qu'il arrive au milieu d'une nouvelle
plaine. Là, il forme un large demi-cercle au fond
duquel est enfermée la ville impériale, construite
sur des éminences inégales, comme une espèce
de presqu'île, réunie seulement à la plaine du
côté nord.
Le train arrive en gare à 10 heures IS. De
nombreux individus coiffés d'une casquette sur
laquelle on lit : Guia è Interprète se précipitent
sur moi et me tendent leurs cartes, derrière les-
quelles sont inscrites les principales curiosités à
visiter. Je leur fais signe de modérer leur empres-
sement et leur demande le nommé Miguel San-
chOj un guide dont je possède la carte qui m'a
été donnée par le Français mangeant à notre table.
Il se présente de suite et je conviens avec lui du
— 215 —
prix de 4 peselas. Il veut me parler en français
maïs je le lui défends. De nombreuses tar^
tanas stationnent à la gare. Je les évite afin de
mieux voir le spectacle si vanté de la vieille cité.
Nous nous dirigeons donc à pied vers la ville.
Avant d'entrer sur le pont qui conduit à Tolède
et sur une éminence à gauche de la route, mon
guide me fait remarquer les ruines du château
fort de San Servando.
Nous traversons le Tage sur le Pont d'AIcan-
tara, à chaque extrémité duquel se dresse une
porte fortifiée de style arabe.
Pour arriver plus vite dans la cité, nous lais-
sons la route à notre droite et prenons à gauche
une traverse très raide qui nous amène sur la
place de Zocodover, point d'arrêt des voitures,
qui, vu la configuration de la ville, ne peuvent
aller plus loin. Mon guide, qui est vif et alerte,
me fait voir en peu de temps, les curiosités sui-
vantes :
La Casa de Mesa, dans la rue de la Misericor-
dia, maison particulière dans laquelle se trouve
une grande salle rectangulaire de style mudejar.
Le plafond est en mélèze sculpté. Cette salle sert
aujourd'hui de lieu de réunion à la Socielad de
Amigos del Pais. L'Eglise de San Jiiaa de las
ReyeSy trésor magnifique de Tart gothique flam-
boyant d'Espagne. L'église et le cloître sont
riches en sculptures et ornementa mais ils sont
— 218 ~
nous voici à Yhàpital de SantOr-CruZj dont la
façade très riche, de style Renaissance, est garnie
de nombreuses statuettes avec leurs dais.
Regagnant les rues tortueuses et étroites de la
ville, qui me rappellent beaucoup celles de la
Kasbah d'Alger, nous jetons un coup d'œil rapide
sur un temple curieux, le Cristo de la Iaiz.
construit au onzième siècle et dans lequel on a
fait de récentes découvertes. La PiieiHa del Sol^
orgueil de Tolède, située à côté de ce monument,
près de la rampe des voitures, est une porte
fortifiée datant du douzième siècle, appartenant
à la troisième période de Tarchitecture arabe ;
elle est très bien conservée et de la plus superbe
couleur. Rebroussant chemin, irous arrivons à
ÏAyuntamientOy présentant une belle façade de
slyle classique et flanqué d'une tour à chaque
extrémité. En face, voici la Cathédraley la mé-
tropole de l'Espagne. L'entrée principale fort
belle comprend 3 portes de style ogival. Les
vantaux sont en compartiments géométriques à
la mode arabe, ornés de délicats reliefs, en
bronze à l'extérieur, en ^bois à l'intérieur. A sa
droite, s'élève la magnifique tour de 90 mètres
de hauteur, renfermant la célèbre cloche Gorda^
du poids d'environ 18.000 kilogrammes, et dans
laquelle, dit-on, peuvent se tenir et travailler six
cordonniers et un tailleur.
A l'entrée et de l'autre côté, se trouve la Cha--
— 2i9 —
pelle Mozarabe^ dans laquelle nou? pénétrons.
Elle a élé fondée par le grand cardinal Ximenes
de Cisneros, pour y perpétuer Tancien rite chré-
tien primitif toléré par les Arabes à Tolède.
Actuellement encore le rite et le culte mozarabes
sont pratiqués tous les jours. Il y a de belles
peintures.
Ici mon guide prend courtoisement congé de
moi. Il est 4 heures. Sa journée est finie, me dit-
il. Je vais donc rester seul pendant une heure
pour admirer les beautés intérieures de cette ca-
Ihédrale, une des plus abondantes en richesses
artistiques du monde entier. Ou y rencontre
d'importants spécimens de tous les styles de
Tart national depuis le gothique jusqu'au style
rococo. Ce grandiose monument gothique est
formé de cinq nefs, soutenues par 88 piliers de 16
colonnes chacun. Au centre et clos par une de
ces belles grilles de fer que Ton rencontre partout
en Espagne se trouve le (?/îâ?i^r renfermant 2 rangs
de stalles, silleria, en bois sculpté, de style Re-
naissance. C'est une des plus riches boiseries
sculptées du monde; les dais sont en marbre blanc
et soutenus par des colonnetles brunes et rouges
de môme matière.
En face se dresse la Capilla Mayor ou sanc-
tuaire fermée aussi par une grille immense et ma-
gnifique. Le rétable, tout en bois de mélèze, est
divisé en cinq étages et chacun de ces étages en
— 220 —
quatre compartiments remplis de sculptures et de
statuettes. Je poursuis ma promenade et m'ar-
rête devant plusieurs chapelles, plus belles les
unes que les autres ; celle de San Eugenio, où
j'aperçois une sorte déniche style arabe, reste de
la mosquée que remplace la cathédrale; celle de
San IldefonsOy prodige d'art et de richesse ; celle
do Santiago^ avec des tombeaux en marbre ; celle
delà Virgen del Sagrario^ dont la grille massive
est faite, dit-on, avec un alliage de bronze, de
plomb, de fer, d'argent et d'or; celle de la
Descente de Nuestra Senora^ une sorte d'édicule
en marbre abritant une pierre, où, dit la légende,
la Vierge posa son pied en descendant du ciel;
on touche cette pierre à travers le grillage et les
doigts ont fini par y faire des trous aussi profonds
que s'ils étaient imprimés dans la glaise; celle de
Los Reyes Nuevosoù Ton voit une belle armure et
un étendard violet-
Je ne me lasserais point d'admirer toutes ces
merveilles auxquelles il faudrait consacrer plu-
sieurs jours pour les examiner avec soin, mais
l'heure du départ approche.
Je quitte donc ce temple superbe et retourne
au café Suizo pour y prendre un bock, inscrire
quelques notes el écrire quelques caries postales
illustrées, en attendant le train.
Malgré le peu de temps passé dans la cité to-
lédane et malgré la rapidité avec laquelle mon
— 221 —
guide me faisait voir toutes choses, cette ville
ma frappé singulièrement. Tolède est une de ces
villes mortes qui ne vivent que par le souvenir
de leur ancienne opulence et par l'attrait de leurs
monuments. Elle ne compte guère actuellement
qu'une vingtaine de mille habitants et présente
un labyrinthe de ruelles? escarpées larges de deux
à quatre mètres, qui montent, descendent, tour-
nent, serpentent, s'enchevêtrent de telle sorte
qu'il est difficile de s'y reconnaître. Le pavé des
rues est composé de gros galets pointus, comme
dans les villes de Lorraine, Metz entre autres, ce
qui rend la marche assez pénible. Mais il est
rayé, tantôt longitudinalement, transversale-
ment, de bandes de pierres plates assez larges sur
lesquelles on marche à la file ; le pas est toujours
cédé courtoisement aux femmes en cas de ren-
contre-
Celte ville, un entassement do maisons en
granilsombre et en briques groupées sur plusieurs
collines, est un trésor de beautés artistiques.
Toutes les habitations portent des sculptures, des
ornements plus ou moins antiques, de tous les
styles, la plupart, hélas ! blanchis à la chaux,
des balcons et miradors en vieux fer et des portes
massives bordées de bandes de métal et d'énormes
clous et garnies de marteaux historiés. J'ai eu
Toccasion, ce malin, d'admirer une porte, peut-
être wisigolhe, admirablement bien conservée.
— 222 —
Les maisons ne supportent point de terrasses,
mais sont couvertes en toits de tuiles creuses et
grises. Il n'existe guère à Tolède qu'une seule
rue où Ton renconti-e des magasins et des bou-
tiques ; c'est la rue del Commercio qui aboutit à
la place Zocodover.
Mais autant une telle ville est triste» fatigante
par ses pavés, ses montées et ses descentes, chère
comme existence, autant elle mérite d'être visitée
pour les riches curiosités architecturales qu'elle
renferme. Toutefois que les voyageurs et les tou-
ristes qui auront l'occasion d'y aller, me permet-
tent de leur donner un conseil: faites toujours vos
prix d'avance pour ne pas être écorchés par les
hôteliers et les guides, et emportez beaucoup de
menue monnaie pour ne pas dépenser une trop
grosse somme en visitant les monuments.
A six heures, je quille la cité tolédane pour
arriver à Madrid à 9 heures, c'est-à-dire avec une
heure de retard, trois heures pour eflFectuer 76
kilomètres.
Mardi 20 mai. — Ma matinée est employée à
ranger les divers bibelots que j'ai achetés, à
payer mon hôtel et à faire emplette de provisions
de bouche pour mon voyage d'aujourd'hui ; car
il faut songer à me rapprocher du littoral où je
veux voir Valence et Elche.
A la vitrine de la librairie A. de Sun Martin, 6,
— 223 —
Puepladel Sol, mes yeux s'arrêtent sur un vo-
lume dontrauteur s'appelle Gascon, Je Tacheté
aussitôt en disant au libraire que je porte le
môme nom; à quoi il me répond que le nom de
Gascon est très répandu en Espagne. Il s'empresse
de me présenter le grand annuaire de l'Espagne
et me fait remarquer qu'il existe 16 Gascon à
Madrid, 10 à Sarragosse, 6 à Valence, etc. Mes
ancêtres auraient-ils été espagnols ? Il n'y aurait
rien d'étonnant, ma famille étant originaire de
la Franche-Comté, possession espagnole, où une
famille portant le nom de Gascon a pu se fixer et
faire souche.
Mon père s'est bien occupé de la généalogie de
notre famille ; mais ses recherches se sont arrêtées
au XVII® siècle, sur le nom de Gabriel Gascon,
pharmacien en chef et Tun des bienfaiteurs de
l'hôpital de Besançon, mort en 1696, le grand
oncle de mon bisaïeul paternel.
En somme peu m'importe de descendre ou non
des Espagnols. Je suis Français et tiens à honneur
de rester Français !
Cinq jours passés dans la capitale de TEs-
paghe ! Cinq jours bien occupés, à visiter cette
grande ville intéressante sous les rapports des
édifices et des promenades, mais que je trouve
trop parisianisée sous le rapport du vêtement.
Les costumes nationaux disparaissent de plus en
plus. Les femmes quittent la mantille et l'éven-
— 224 —
tail pour revêtir le costume cosmopolite. Quoi de
plus gracieux cependant que celle mantille enca-
drant le visage charmant d*une brune ou d'une
blonde madridène, car il ne faut pas croire qu il
n'y a que des brunes en Espagne ! La blancheur
habituelle de son teint ressort davantage sous
cette exquise éloflfe en dentelles noires.
L'évenlail, voilà encore un accessoire de parure
qui ajoutait à la grâce de TEspagnole. On le
remplace aujourd'hui par Tombrelle. Naguère
une femme, de quelque qualité qu'elle soit, ne
serait jamais sortie sans son éventail. On en
voyait môme qui portaient des souliers de satin,
sans bas, mais avaient leur éventail à la main.
Chez aucune autre nation, la femme ne manie
Téventail avec autant de dextérité et de souplesse.
Les fêtes du couronnement du roi ont été
favorisées par un temps superbe, un soleil
splendide, une température printanière, dont les
doux effluves inspiraient la joie de vivre. Les
nuits, par contre, étaient très fraîches, surtout
quand le vent venait de la Sierra Guadarrama,
dont les cimes sont couvertes de neige.
N'ayant vu les environs de Madrid qu'en
chemin de fer, j'ai pu cependant constater qu'ils
étaient assez tristes, arides et nus. La grande
plaine, ou plutôt le grand plateau, au centre
duquel s'élève la capitale de l'Espagne, est un
terrain composé de puissants dépôts de sable. On
— 225 —
aperçoit, çà et là, quelques villages très éloignés
les uns des autres que Ton reconnaît à la tour
carrée de leur église, les flèches sont rares en
Espagne et les clochers ressemblent à des mi-
narets. Une rivière, le Rio Manzanarés, longe
le bas de la ville, du N.-W au S.-E. La faible
quantité d'eau qu'elle charrie la fait ressembler
à un oued algérien; c'est, pendant la plus grande
partie de Tannée, une nappe de sable où Ton
fait sécher le linge au lieu de Ty laver.
Ali heures 4o du malin, je prends le train
d'Alicanle. Je déjeune tranquillement sur la
banquette de mon compartiment, puis j'achète, à
la station d'Aranjuez, une castilla de fraises,
petite corbeille plate en osier et à deux valves
dont la supérieure est un peu bombée; le tout est
de la largeur d'une assiette; je paie ce dessert
une peseta. C'est bien un peu cher, mais les
fraises sont délicieuses.
En route, je revois la vaste et triste plaine de
la Mancha avec ses céréales rabougries, ses vil-
lages d'un aspect misérable, et ses moulins à
vent. Dans mon compartiment se trouvent trois
Espagnols très complaisants, dont un brave gen-
darme, avec lesquels je cause longuement en cas-
tillan, de choses et d'autres, m aidant, bien enten-
du, de temps en temps, de mon dictionnaire de
poche.
Le soir, je dine encore dans le train,
18
— 226 —
Nous arrivons à la Encina^ point de bifurca-
tion de la ligne de Valence, à 2 heures 25 du
matin. La température de cette nuit étant très
froide, j'avale au buffet de la gare un bouillon
bien chaud, puis une lasse de thé. A 3 heures
45, le train part pour Valence. Le jour commence
à poindre. La ligne ferrée traverse un terrain
accidenté, montagneux. La première station est
Fuente-la-Higuera^ située entre deux tunnels.
Comme l'indique son nom, ce village est entouré
de figuiers et aussi d'oliviers, ceux-ci plantés iso-
lément, enfin de caroubiers par groupes de 3 à 5
arbres, comme les oliviers de la Nouvelle-Castille.
Il y a aussi d'assez belles cultures de blé et de
vigne. Le terrain est tantôt blanc, tantôt rouge. A
-4 /cwrfm, les aspects deviennent plus pittoresques.
Ce sont de verdoyants jardins maraîchers, des
vergers d'arbres fruitiers de toutes sortes, de la
vigne superbe. On arrive ainsi à Jativa^ ville
très jolie, siluée à droite de la ligne, au pied d'une
montagne sur laquelle on distingue nettement
un Calvaire, dans le genre de celui deFourvières,
à Lyon. Jativa est enfouie dans les arbres. C'est
un véritable Eden, composé de maisons avenantes
et d'agréables chalets. Au milieu des palmiers,
des orangers, des mûriers et des grenadiers, j'a-
perçois quelques néfliers du Japon. Tous les vil-
lages de cette région sont bien construits, élé-
gants et ont un air de propreté, contrairement à
ceux de la Mancha. Les roules y sont larges et
bien entrelenues.
A Manuel, les rizières, une culture nouvelle
pour moi, attirent mon a tien lion. Elles s'étalent à
droite et à gauche de la voie. Les cultivateurs
sont en train de les couvrir d'eau. A partir de ce
bourg, on traverse des vergers et des jardins pit-
toresques. Les orangers portent encore des fruits
dorés; ils sont plantés par groupe et forment des
touffes épaisses dont les branches extérieures re-
tombent jusqu'à terre. Ces orangeries représen-
tent de véritables petites forêts.
Me voici à Carcagente^ d'où part un tramway
à vapeur pour Gandia et Dénia, C'est un séjour
d'été rendu très agréable par ses chalets, ses villas
et sa jolie vallée d'orangers. Avant d'arriver à
Alciraj le train traverse le fleuve jiicar sur un
beau pont en fer. Après Benifayo^ les orangeries
et jardins disparaissent pour faire place à la vigne,
aux caroubiers, aux oliviers ; on aperçoit encore
quelques rizières. A Silla^ réapparaissent les
vergers et lesjardins maraîchers. Nous traversons
encore quelques gares et nous voilà arrivés à
Valence. Il est 10 heures.
Je prends une tartane qui me conduit à la
Fonda de Oriente^ 84, rue San Vicente. Je con-
viens de prix avec Thôtelier : six pesetas et demie
par jour, une chambre et deux repas. C'est bon
marché ! Avant de déjeuner, je me promène un
peu pour m'orienter sans trop m'écarter de la
fonda; j'achète un plan de la ville chez un li-
braire.
A une heure, je fais un repas dont le menu
est excellent. Le patron de Thôtel est très avenant,
parle bien le français, et a Tair de s'intéresser
beaucoup à moi. Avant de quitter la salle à man-
ger, je lui demande la carte du menu qu'il s'em-
presse de m'offrir; il me promet, en outre, en sou-
venir de mon passage chez lui, de me donner
celles de tous les repas que je ferai. Il est 3 heures
quand je sors de l'hôtel. Muni de mon plan, je
pars pour visiter la ville ; mais, chemin faisant,
je réfléchis et change d'avis. Fatigué par une
journée entière de voyage en chemin de fer, je
sens le besoin de me reposer. Je prends donc un
tratû. Ici les trams sont sur rails et traînés par
deux chevaux ou deux mules, Tétroitesse des
rues ne permettant pas le passage des trams élec-
triques. Ces derniers existent seulement autour
et en dehors de la ville, sur les boulevards et les
voies larges. Moyennant quarante centimes,
aller et retour, je vais faire un tour au port, le
GraOj situé à environ 2 kilomètres de Valence.
Je suis tellement harassé que je m'endors sur
l'impériale où je m'étais juché pour mieux voir
et ne me réveille qu'à l'arrivée. En attendant la
correspondance, j'avais cependant pu admirer en
route le gracieux square de la Glorieta. Le port
— 229 —
de Valence est très animé ; les bateaux y sont
plus nombreux que dans celui d^Alicanfe.
De retour dans la ville, histoire de me reposer
encore un peu, je fais une halte au-fameux café
de Espana^ sis Bajada de San Francisco^ où je
bois un bock et avale une sandwich. Il y a une
telle foule que, pour me faire entendre et me faire
servir par les garçons, je suis obligé de frapper
fortement dans mes mains, coutume du reste
répandue dans tous les cafés ou buvettes d'Espa-
gne. Ce café magnifique et luxueux, un des
plus beaux de l'Espagne, est composé de deux
grandes vastes salles pour les consommateurs,
d'une salle de billards qui en renferme 17 et
d'une salle de dominos ; les plafonds et les murs
sont sculptés et dorés. Tous les soirs, il y a
musique de piano, d'harmonium et autres ins-
truments.
Avant de dîner, je fais une longue promenade
dans les rues principales r Calle de San Vicente,
Calle de la Paz^ Calle San Fe^mando, Bajada
de San Francisco. Il y a foule sur les trottoirs,
et la vie est animée et très mouvementée au
centre de la ville.
Jeudi 22 mai. — Après une nuit d'un sommeil
de plomb, je me réveille frais et dispos et me
hâte d'aller visiter les curiosités que ma fatigue
d'hier m'avait empêché de voir. Je traverse la
- 230 —
place du marché, le Mercado Nuevo. C'est avec
peine que je me fraie un passage au milieu
des ménagères, des domestiques faisant teurs
achats. A chaque instant, je me heurte contre
les immenses paniers, munis d'une anse, qui
me paraissent bien embarrassants et moins
commodes que nos couffins d'Algérie. Aussi,
reçois-je de temps à autre des quolibets accom-
pagnés de ces mots : es un frangés ! es un in-
^?^5 / Je m'arrête avec plaisir devant les bou-
tiques de marchandes vendant des herbes de
toutes sortes, sèches et fraîches. Ce sont les her-
horistas om herholarias. Elles sont installées sous
des tentes tout le long du trottoir longeant la Lonja.
La Lonja de la Seda est un bel échantillon du
style gothique. Ce grand monument doit sa fon-
dation à une princesse maure qui employa à sa
construction les meilleurs artisans de son époque.
Il fut le centre du commerce lavantinet des tran-
sactions les plus importantes de l'Espagne. La
grande salle qui, actuellement, sert de Bourse
pour les commerçants, est un vaste quadrilatère,
dont la voûte est appuyée sur des rangées de
colonnes torses très élégantes. La porte qui donne
accès à cette salle est à arcs concentriques et
divisée en deux par une petite colonne, comme
on en voit dans maintes églises gothiques. En
face de la Lonja, toujours sur la place du marché,
se trouve V Eglise Santos Juanes.
— 231 —
Mon hôtelier m'ayant dit que le Jardin Bota*
nique était digne d'être vu, je m'y rends allè-
grement en passant sous rimposanle ancienne
porte fortifiée appelée Torres Cuarte. Ce jardin,
très bien entretenu, bien ombragé et renfermant
de jolies serres, contient environ 30.000 plantes;
parmi les plus dignes d attention et les plus
curieuses, je remarque un laurier-cerise phéno-
ménal.
Rebroussant chemin, je passe devant V hospice
de la Misericordiaj où je ne peux pénétrer,
une permission spéciale étant nécessaire. Le
temps que j'aurais mis à admirer Tinlérieur de
cet édifice, je vais le consacrer à la Cathédrale.
La Cathédrale de Valence appelée aussi la Seo
n'oflTre rien de bien remarquable pour le voya-
geur qui vient de visiter celle de Tolède. Sa
nef gothique a été d'ailleurs absolument moder-
nisée et alourdie. Toutefois elle renferme des beau-
tés et des curiosités artistiques. Trois grandes
portes y donnent accès ; leurs frontispices offrent
des détails dignes d'arrêter les regards.
Moyennant la modique somme de un perro
chico, 5 centimes, que l'on remet au sonneur,
gardien des cloches, je gravis les 207 marches
de la Miguelete, dont l'entrée se trouve dans la
cathédrale même. C'est une tour de 52 mètres de
hauteur, octogonale, surmontée d'un campanile
qui renferme la cloche de l'horloge. Au moment
— 232 —
précis où je mets le pied sur la terrasse de la tour,
onze heures sonnent. Je renconlre là un jeune
Espagnol de 18 ans qui m'adresse courtoisement
la parole en un français plus ou moins clair. Il
me montre de la main Timmense panorama do
Valence et de la verdoyante plaine, la Huerta qui
l'entoure, me désigne, par leurs noms, tous les
édifices de la ville et les villages environnants.
Puis, descendant de la tour, il m*oflVe de me
piloter un peu, ce que j'accepte volontiers, non
sans arrière-pensée cependant, car ici il faut,
comme partout en Espagne, se méfier des ra-
teros. — Il est, me dit-il, étudiant en douane. .
Il me fait voir V Eglise Santa^Catalina ; VE-
glise San Ma7^tin ; la Casa del Marques de dos
AguaSj qui a une façade superbe, dont toutes les
sculptures sont en beau marbre blanc ; enfin
V Université, où, en guise d'apérilif ou de rafraî-
chissement, car il fait chaud, nous buvons une
tasse d'eau fraîche à la fontaine du patio. Ce
dernier édifice, qui comprend trois facultés :
droit, médecine et philosophie, est tout en briques
avec des saillies en pierres.
Il est une heure. Je prends congé de mon
jeune cicérone et vais déjeuner.
Avant de prendre le train, j'inscris rapidement
quelques notes sur mon carnet et adresse encore
des cartes-postales illustrées à ma femme, afin
d'augmenter ma collection, car je suis un peu
— 233 —
cartophile, ou philocartiste, comme Ton voudra.
Ma première impression sur Valencia n*avait
pas été bonne. Presque toutes les rues, à part
celles du centre, sont tortueuses, à angles ren^
trantset sortants, mal pavées, les trottoirs étroits
et irréguliers, souvent il n'y en a pas. La rue
de la Paz est la seule qui soit en macadam,
avec de larges trottoirs en mosaïques de ciment;
cette rue est la plus belle de Valence, dans une
moitié toutefois, le reste étant en réparation
et en construction, bientôt elle aboutira à la
Glorieta. Les maisons sont assez élevées, mais
d'un aspect maussade. Les curiosités architectu-
rales sont rares ; il faut les chercher dans les
angles obscurs, au fond des arrière-cours. Tout
cela est compensé par une gaieté surprenante,
par un grand va et vient, surtout à la tombée de
la nuit et dans les rues que j'ai nommées plus
haut.
A Valence, l'eau potable est apportée de la
campagne sur des cat^ros (sortes de grandes
tartanes) dans un immense tonneau muni d'un
robinet. Des crjiches pour distribuer l'eau sont
étalées de chaque côté du tonneau, contre les
montants du véhicule.
A 3 heures me voilà dans le train. Je fais
voyage avec un jeune homme de 2b ans, ayant
habité Saïda, en Algérie, pendant un an, et
parlant un peu le français. Il me dépeint sincè-
- 234 --
rement le mauvais état de l'Espagne, me parle
du gouvernement actuel, du roî,.des républicains,
des voleurs, du pape, etc. . . Nueslro rey, me dit-il,
no es el rey, es el papa. Il m'explique la culture
du riz. Nous causons ensemble de choses d'Es-
pagne pendant longtemps.
. C'est avec plaisir que je revois les villages
riants et pittoresques de Jativa, de Mogente,
avec leurs calvaires. Je voudrais les photogra-
phiej, mais "il est trop tard. Avant d'arriver à
Fuente la Uiguera^ notre train s'arrête subi-
tement dans une tranchée. Emoi des voyageurs
qui se précipitent aux portières et sortent en
toute hâte de leurs wagons. Un train de mar-
chandises, à la machine duquel était survenu un
accident, nous barrait le passage. Nous stoppons
un quart d'heure ; j'en profite pour cueillir quel-
ques plantes indigènes, manzanilla, une jolie
variété de thym, etc.. Changement de train à
la Encina.
A la gare de Villena, mon compagnon, en
guise d'adieux, car ilne va pas plus loin, m'offre
un petit verre d'un moscalel excellent, contre
un perrtto (un sou) qu'il remet au buvelier ;
consommation d'un prix bien modique, surtout
dans une gare! Il est onze heures quand le train
arrive à Alicante. Je prends une tartane qui me
dépose à la Posada de la Balseta où il me tardait
d'arriver pour revoir M. Bernard que je trouve
— 235 —
dans un état beaucoup plus alarmant qu'à
Madrid.
Avant de m'endormir, je profite de la nuit pour
décharger et recharger mon appareil photogra-
phique. Le lendemain, 23, je passe mon temps
à flâner sur les quais, sur les paseos, à faire des
emplettes pour mon retour.
Samedi 24 mai. — A 6 heures 50 du malin, je
monte dans le train qui doit me conduire à Elche,
sur la ligne de Murcie.
La voie ferrée longe pendant assez longtemps
la Méditerranée. Adroite de petits coteaux arides.
Plus loin, on perd de vue la mer azurée pour
entrer dans une grande plaine, au terrain caillou-
teux, plantée en figuiers, oliviers, caroubiers,
amandiers, vignes et céréales. La flore ici res-
semble assez à celle du littoral d'Algérie.
A la gare de Santa Pola^ la plaine s'élargit,
mais reste toujours triste; les montagnes s'éloi-
gnent sur ladroite. La culture est ici très avancée ;
tous les blés sont fauchés et en gerbes. Remarqué
quelques plantations de carthame^ faux safran,
cultivé certainement en vue de la fraude. Sou-
dain, le paysage change. Ce ne sont que fourrés
d'arbres et d'arbustes verdoyants: oliviers, gre-
nadiers en fleurs, hampes d'agave, aloès, et pal-
miers. Au loin apparaît une immense forêt de
superbes palmiers, ayant toutTaspect d'uneoasis
— 236 —
algérienne. Un semblable tableau ne se présente
nulle part ailleurs dans TEurope entière.
C'est au milieu de cette forêt que se trouve la
ville à'Elchey où le train arrive à 7 heures 54.
L'entrée de la gare est merveilleuse. Les deux
côtés de la ligne sont bordés de gigantesques dat-
tiers chargés de fruits; un superbe spécimen, que
je n'oublie pas de photographier, se dresse seul
enlre les deux voies de la station.
N'ayant guère de temps à consacrer à Elche,
je me hâte de gaener la ville par une large ave-
nue, bordée de milliers de ces beaux arbres. Les
rues sont étroites et sales. Les maisons, de style
mauresque, aux petites fenêtres, donnent à la
ville un aspect arabe. Les curiosités architectu-
rales sont rares. \j Eglise de Santa Maria, la
Casa Capitular et la Calendura, prison très
ancienne, sont les seules à visiter. De nombreux
canaux d'irrigation, assez larges et peu profonds,
sillonnent les abords de la ville, permettant d'ar-
roser facilement les palmeraies. L'eau provient
d'un barrage situé à quelques kilomètres. Les
dajUes et les palmes forment le principal revenu
des habitants qui sont au nombre d'environ
24.000. Les dattes y parviennt à parfaite matu-
rité, ce qui constitue un fait intéressant de géo-
graphie botanique, tandis qu'elles ne mûrissent
point sur la côte de l'Algérie. Les palmes sont
cueillies sur les palmiers mâles après la floraison
^ 237 —
et la fécondation, et sur quelques palmiers fe-
melles restés stériles.
Après une promenade rapide, je demande l'hos-
pitalité à un Boticario, el Senor de Lara, afin de
pouvoir écrire et envoyer quelques cartes postales
illustrées de ce charmant endroit. Je cause un
bon moment avec mon confrère, comparant les
pharmacies d'Espagne avec celles de France. En
France, les bocaux, tiroirs et placards de l'officine
sont garnis des produits dont oii se sert journel-
lement ; les prescriptions magistrales et beaucoup
de médicaments sont préparés sur le comptoir,
devant le client qui aime à voir peser et confec-
tionner les potions, pilules, cachets, etc. En
Espagne, l'officine n'est qu'une salle d'atlente.
Les bocaux qui la garnissent, la plupart du temps
en porcelaine, sont vides; 3 ou 4 chaises pour
faire asseoir le client, et, en guise de comptoir,
un guéridon ou une table quelconque vitrée, dans
laquelle sont étalés des prospectus. Aucun flacon
n'est rempli, aucun paquet n'est confectionné,
aucunepréparation, soit magistrale, soilofficinale,
n'est exécutée dans l'officine. Tout est préparé
dans une arrière-boutique, loin des regards cu-
rieux et inquisiteurs du client.
Je quitte mon confrère qui m'adresse beaucoup
de salutations et de compliments et me dirige
vers la gare, d'où le train part à 9 heures 36 (je
cite toujours les heures de Thoraire), pour arriver
— 238 —
à Alicante à 10 heures 42. Dans mon wagon, je me
trouve au milieu d'une joyeuse bande de jeunes
filles accompagnées de leurs novios ou fiancés se
rendant à une fête d' Alicante. Trois guitares ac-
compagnent leurs chants, ce qui me fait trouver
bien courte la durée de mon retour.
Comme j'avais projeté de visiter en Espagne
une Fabrique de tabacs^ je ne veux pas partir
sans voir celle d'Alicanle. Quelle idée bizarre
ai-je eue là ? Je devais m'y attendre. Partout où
je passe, quoique accompagné par un employé
de la manufacture, dans toutes les galeries, dans
toutes les salles, les cigarières me lancent les quo-
libets les plus variés- C'est un brouhaha épouvan-
table. Toutes parlent et gesticulent, me montrant
du doigt, m'adressant directement la parole, me
demandant si j'allais à la pèche et me la sou-
haitant heureuse, je tenais une filoche à la main,
me demandant aussi si j'aimais les brunes espa-
gnoles, etc.. Ce vacarne m'abasourdit tellement
que je me vois obligé de quitter prestement les
ateliers. C'est regrettable, car il y avait là, parmi
les 3.000 cigarières qui travaillaient, de bien
beaux types de femmes à admirer. Presque
toutes perlaient un œillet dans leurs cheveux, ce
qui donnait à chaque salle Taspect d'un par-
terre de fleurs.
Dimanche 2b mai. — Jour de mon départ
— 239 —
pour Alger. Pendant la nuit, vers deux heures
du matin, je m'étais levé afin d'examiner Télat
du ciel. Un sereno^ veilleur de nuit, passait à ce
moment dans la rue drapé dans un ample man-
teau, une lanterne allumée dans la main gauche
et une pique dans la droite, et criant sur un ton
scandé : Las dos ! Nublado /Il est deux heures,
le temps est nuageux. Partout où ils circulent,
les serenos annoncent l'heure et le temps qu'il
fait. Dans les petites villes et les villages, ils
commencent leur complainte par une invocation
religieuse : Ave Maria purisima! et si vous
voulez être réveillé à telle heure de la nuit, vous
n'avez qu'à déposer une, deux ou trois grosses
pierres à votre porte, vous entendrez frapper
avec force à une, deux ou trois heures exac-
tement.
Le temps nuageux qu'avait annoncé le se-
reno s'est éclairci dans la matinée et la journée
promet d'être belle. Après de rapides adieux faits
à M. Raymond Bernard que je ne reverrai plus,
la maladie devant l'emporter, à sa femme, ainsi
qu'aux quelques connaissances du quartier que
j'habitais à Alicante, je m'embarque à midi, avec
le beau- frère de M. Bernard, sur le SUgès-Her^
manos. Un chargement considérable de fruits,
oranges, abricots, cerises, à destination d'Algérie,
retarde notre départ jusqu'à deux heures. La
mer est d'huile au large. Sur l'avant du navire,
— 240 —
un concert improvisé, composé de guitares, de
castagnettes, chants et danses espagnoles, se
prolonge fort avant dans la nuit et attire tous
les passagers ; ce sont les derniers échos de la pé-
ninsule ibérique.
Lundi 2G mai. — La mer est toujours belle.
De grand malin, on aperçoit les côtes d'Algérie.
Il est dix heures quand je débarque dans le port
d'Alger, heureux d'avoir fait un excellent
voyage, vu beaucoup • de choses nouvelles et
curieuses et étudié les Espagnols chez eux, dans
l'Espagne telle qu'elle est.
Honoré Gascon,
Pharmacien- lauréat.
Chevalier du Mérite Agricole,
à VArba (près Alger),
LES BEAUJEU DE FRÂNCHE-COMTÊ
DANS LE DUCHÉ DE BOURGOGNE
L^AUXERROIS, LE TONNERROIS, LA CHAMPAGNE, ETC.
19
0.
LES BEAUJEU DE FRANCHE-COMTÉ
DANS LE DUCHÉ DE BOURGOGNE
l'aUXERROIS, le TONNERROIS^ la CHAMPAGNE, ETC.
La maison de Beaujeu de Franche- Comté lirait
son nom du village de Beaujeu (1), situé à 12 ki-
lomètres N.-E. de Grny, sur la rive gauche de la
Saône, et appelé pour cette raison Beaujeu-sur-
Saône, pour le distinguer de Beaujeu en Beaujo-
lais dans le département du Rhône.
La maison de Beaujeu remontait certainement
aux premiers temps de la féodalité, mais elle
n'est connue que depuis la fin du xi* siècle. La
branche ainée s'est éteinte dans JoflFroy de Beau-
• (1) De loin, Beaujeu apparaît comme un nid de verdure enve-
loppant le pied d*une colline escarpée sur laquelle s*élève^ majes-
tueuse, une belle tour carrée et massive qui domine la contrée.
Cette tour, haute de 24 mètres, a dix mètres de côté et ses murs
ont plus de deux mètres d'épaisseur à la base. C'est Tancien don-
jon du château des sires de Beaujeu, et il a dû à sa solidité de rester
debout lorsque la forteresse a été détruite, le 8 juin 1637, par les
Allemands chargés de défendre la Franche-Comté contre les trou-
pes françaises envoyées par Richelieu pour la conquérir.
— 244 —
jeu, lequel ne laissait qu'une fille, Jeanne, mariée
à Louis de Beaujeu-Forez, et qui épousa ensuite
Robert de Grancey. Mais il existait une brs^nche
eadelle qui est arrivée jusqu'à nos jours. Elle
avait fourni, à la fin du xiv® siècle, le rameau
de Monl-Saint-Léger-Monlot (1).
Un demi-siècle plus lard, un autre ranaeau,
détaché du môme tronc, quittait le comté et allait
se greffer à Chazeuil, dépendant de la baronnie
de Thilchâtel et véritable enclave de la Cham-
pagne dans le duché de Bourgogne. Après soi-
xante ans, les circonstances le conduisaient dans.
l'Auxerrois avec un de ses enfants, François de
Beaujeu, devenu abbé de Saint-Germain d'Au-
xerre; de là, il devait envoyer des rejets dans
toutes les directions.
Chose singulière, la vitalité de ce dernier venu
allait dépasser celle de ses aînés. En effet, la lige
principale restée à Beaujeu ne vécut que jusqu'en
1574 (2).
Le premier rameau parvint au commencement
du xviii* siècle et finit dans Edme-Nicolas-Louis,
comte de Beaujeu, seigneur de Montot (3).
(1) Mont-Saiat-Léger et Montot sont (ous les deux du canton de
Dampierre-sur-Salon, arr. de Gray, Haute-Saône, sur la rive droite
de la Saône.
(2) Voir Histoire généalogique de la maison de BeavjeUf 2*
partie, chap. i, Vesoul, 1903, Imp. L. Bon.
(3) Ibid., chap. ii.
— 245 —
Le rameau de Chazeuil, sorli le dernier, pro-
longea son existence jusqu'au milieu du xix® siè-
cle, et son importance comme son illustration
devaient certainement égaler sinon surpasser
celles des deux autres. En effet, il a donné un
évoque de Bethléem, un abbé de Saint- Germain
d'Auxerre, un gouverneur des Invalides, des
généraux, des chambellans de l'empereur d'Al-
lemagne Charles VII et de son fils l'Electeur
Maximiliende Bavière, etc., etc.
CHAPITRE PREMIER
BRANCHE DE CHAZEUIL
JEAN I*^
Jean de Beaujeu, premier seigneur de ce nom
pour Chazeuil, était le second fils de Jean II de
Beaujeu, mort en 1419 et de Mathiote de Queu-
trey. C'était le frère cadet de Thibaut, dont les
descendants continuèrent la famille à Beaujeu,
et portèrent le titre de seigneurs de Volor\.
Les deux frères étaient encore dans l'indivision
le 8 mars 1428, à la reprise de fief de Bernard de
Ray, alors seigneur de Beaujeu el qui donne, dans
son dénombrement, le détail de leurs biens et de
leurs droits (1).
Jean de Beaujeu est nommé pour la première
fois, le 4 août 1422. Il faisait alors partie du corps
d'armée de Louis de Châlon-Arlay, prince d'O-
range et était passé en revue à Avallon, pour
aller, le 12, à la journée devant Cosne et guer-
roj^er contre le roi de France, de concert avec les
Anglais (2).
(\) ArcK. du Doubs, B. 634.
(2) À la suite de l'assassinat de Jean sans Peur sur le pont de
Montereau, le 40 septembre U19, son fils^ le duc Philippe le Bon,
accepta l'alliance anglaise. Cet état de choses dura jusqu'à la paix
d'Arras, le 21 septembre 4435.
PL. II.
ARMOIRIES DE L^ BRANCHE CADETTE
DE LA MAISON DE BKAUJEU-SUR-SAÔNE
— 247 -
Le S octobre 1429, il était de la compagnie de
Jean de Poitiers passée en revue à Is -sur-Tille
par le maréchal Antoine de Toulonjon, seigneur
de Traves, avant de rejoindre le duc sur les
marches de Champagne. Avec lui se trouvaient
Jean de Mont-Saint-Léger, son cousin Gérard le
Vaillant et d'autres Comtois qui allaient, pour
ainsi dire, faire campagne contre Jeanne
d'Arc, prise le 23 mai suivant devant Com-
piègne (1).
Le mardi 15 janvier 1437, il apposait son sceau,
à défaut de celui de Marguerite de Lose, dame
de Chazeuil et de Véronnes (2), sur l'acte par
lequel cette dame instituait, pour son maire à
Véronnes, Jacob de Saulx, son homme et sujets
demeurant audit lieu.
Le 9 mars 1440, avec son frère Thibaut et son
cousin Pierre, seigneur de Montol, il avait dû se
(1) Les gendarmeries bourguignonnes et comtoises ne firent pas
partie des troupes qui opéraient au nord de Paris, contre Jeanne
(l*Arc et étaient composées de Picards. « Septembre -1429 : le duc
t de Bourgogne était à Paris et emmena avec lui tous ses Picards,
t qu'il avait amassés, environ 6000 et fort larrons, qu*il avait
« entrés à Paris, depuis que la malheureuse guerre était commen-
« cée > (Journal d'un bourgeois de Paris^ collection Michaud, t. III,
p. 257). < Le duc de Bourgogne avait grand foison de Picards, qui,
« dès lemoisdavril, avaient mis le siège devant Compiègîie, mais
« encore n'y avaient rien fait au mois d'août t (Id., p. 259).
Cette particularité n'avait pas été signalée par les historiens bour-
guignons et francs-comtois et méritait de l'ôtre.
(2) Véronnes, canton de Selongey, arr, de Dijon (Côte- d'Or;.
— 248 —
rendre à Baissey (l),près de Langres, contre les
Ecorcheurs (2). Mais le péril avait dû s'éloigner,
car on voit tous ces gentilshommes faire partie
du cortège de Tarchevôque Quentin Ménard, lors
de son entrée dans la ville de Besançon (3).
Jean avait été marié, en 1428, à Catherine de
Charmes, dont la sœurHuguette avait épousé son
frère Thibaut. Il en était veuf en 1445 et se re-
mariait à Marguerite de Vaites, fille d'Odot de
Vailes, seigneur de Chazeuil, et il reprenait de
fief, le 28 janvier 1446, de Jean de Kye, seigneur
de Tilchdtel, pour les biens qu'elle lui apportait
en dot.
La même année, le mardi avant la Ma-
deleine (17 juillet), il achetait de son beau-frère,
Gauthier de Vaites et d'Antoinette de Mais-
sey, sa femme, « la tour de Chazeuily les fonds
et trèfonSy avec les fossés ^ allées et venues... »
pour 54 francs^ et 9 gros (4), et il en donnait
(t) Baissey, canton de Longeau, arr.de Langres (Haute-Saône).
(2) Les Ecorcheurs étaient les troupes débandées à la suite de
la paix d'Arras. Ils saccagèrent les deux Bourgogne (Tubtby : Les
Ecorcheurs sous Charles Vit; — de Frêiiinville : les Ecorcheurs
en Bourgogne. Mon mémoire sur le Trésor de Beaujcu, p. 30, 35,
etc.).
(:)) DuNOD, t. Il, p. 61^612.
(i) La contrée, après avoir été ravagée pendant la guerre dos Châ-
teauvillain et des Vergy, on U3i et 1435, au moment du siège de
Grancey, avait eu ensuite la visite des Ecorcheurs (voir note 2). Le
château fut réparé entièrement» peu après, par Jean de Beaujeu,
probablement pendant la période de calmo qui marqua la fin du
— 249 —
le dénombrement le 21 novembre suivant (1).
Le 10 novembre 1452, il obtenait de ceux qui
pouvaient avoir quelques droits sur cette sei-
gneurie, confirmation de cette vente, par leur
renonciation au retrait féodal ou lignager, et
devenait ainsi paisible possesseur de la terre de
Chazeuil.
Jean avait conservé sa part de l'héritage pa-
ternel à Beaujeu et dans le comté. C'est à cause
de cela qu'en 14S0, il avait é!é témoin du testa-
ment de Thibaut de Neufchâtel, seigneur de Che-
milly et Conflajis (2), qui le nommait son exécu-
teur testamentaire.
De son mariage avec Catherine de Charmes, il
n'avait eu qu'une fille,. Guillemelte, mariée à
Martin de Sacquenay, et à laquelle il avait remis
Fiiéritage de sa mère qui comprenait surtout
une rente de 10 francs, au rachat de 100 francs,
et une autre de 50 francs sur Echevannesf, près
de Tilchàtel. Le 5 novembre 1451, Thierry de
Charmes, frère de Calherine, chargé de servir
ces rentes, transporta à sa nièce ses droits sur
Francalmont (3) près de Conflans, au duché de
règne do Philippe le Bon. Mais il est aujourd'hui complètement en
ruines, tout en ayant grand air. Les burelles de Jean de Beaujeii
se voient encore en plusieurs endroits.
(1) Archives de la Côte-d'Or, E. 4 374.
(2) Chemilly est du canton do Scey-sur-Saône et Conflans du
canton de Saint-Loup.
(3) b'rancalmonl, canton de Saint-Loup, arrT do Lure(H^<^-Saône).
— 250 —
Bar y du fait de sa femme, Anne de Sainl-Loup (1),
qui consentit d'abord à ce traité, sous l'expresse
condition de rachat. Mais, le 12 juin 1456, son
mari étant décédé, elle renonça a ce droit et
Martin de Sacquenay resta en possession du gage.
Jean de Beaujeu avait paru pour abandonner
toute prétention sur les biens en question.
Le 22 octobre 1453, à la suite du décès, le
(4) Ce droit d'Anne de Saint-Loup sur Francalmont démontre
clairement qu'elle était de la famille de Saint-Loup, branche de
Faucogney, quoique son nom ne figure pas dans Dunod (i, III,
p. 64) et dans le mémoire de M. Finot (les sires de Faucogney,
p. 179). Mais on n*y trouve pas non plus Catherine de Saint-Loup,
deuxième femme de Pierre de BaufTremont, et dame, en 4444,
d*Auxon et de Vaivre^ fiefs appartenant à la maison de Saint-Loup.
Voici encore d'autres renseignements à ajouter qui ne se rencon-
trent pas chez ces deux auteurs :
Girard de Saint-Loup, marié à Jeanne de Saint-Remy^née de Jef-
frey et de Jeannette de Dampierre-sur-Salon, fille de Richard, était
mort en U23, et sa veuve faisait hommage pour ce qu'elle tenait
à Spoy et Echevannes, près de Tilchâtel, au duché de Bourgogne
(Côte-d'Or, E. 1978). Girard laissait deux fils, Etienne et Jean; ce-
lui-ci seigneur de Ronchamp. Etienne fut banni pour être entré à
main armée dans l'abbaye de Clairefontaine, voisine de Saint-Remy,
avoir battu les religieux et ensuite mis le feu au prieuré de Fon-
taine, le samedi veille des Bordes, 1417. Dans ses biens confisqués
se trouvait Fontaine, Vaivre, Noidans et Auxon (Ârch. de la C6te-
d'Or, Recueil de Peincedé, t. XXV, p. 527). Or, Catherine de
Saint-Loup, deuxième femme de Pierre de BaufTremont, était, comme
il est dit plus haut, dame de Vaivre et d' Auxon (Arch. du Doubs,
B. 632, f. 238).
En U3i, le duc fit don à Anne de Saint-Loup, nièce de Girard
et femme de Thierry de Charmes, des biens saisis sur Girard à
Fresne-sur-Apance et estimés à 13 fr. de rente; mais elle devait
verser entre les mains de Jean de Chenel, garde des Joyaux, la
— 251 —
23 août, de Guillaume d'Elrabonne, Claude de
Montaigu, seigneur de Couches et de Longvy,
était nommé tuteur de Jean d'Etrabonne, fils du
défunt et de Jeanne de Vienne, et demeurant à
Champagne-sur-Vingeanne. Il n'avait accepté
ces fonctions que sur les instances des parents
et amis, et il avait exigé un bon et loyal inven-
taire. Jean de Beaujeu représentait dans cette
circonstance Guillemette d'Etrabonne, fille du
défunt et dame à Remiremont (1).
Le 16 mars 1463, dans un terrier fait à Cba-
zeuil pour Jean d'Igny, Jean de Beaujeu est
déclaré avoir la hautejustice, avec le droit d*ériger
le signe patibulaire et un colombier à pied (2).
somme de 60 1. destinée à augmenter la vaisselle d'argent de l'hô-
tel ducal (PEiKCEDé, t. I, p. 823).
M. Finot fait arriver Saint-Loup aux.Beinach par l'mtermédiaire
de la famille lorraine de Gallo. Mais Melchior de Reinach, seigneur
deFlorimont et de Sainte-Marie-en-Chaux (entre Luzeuil et Fauco-
gney) avait épousé Claudine de Saint-Loup, avec laquelle il repre-
nait de'fief pour Ronchamp, le 48 août 4546 (Arch. du Doubs, B.
639, f. 255). Ce Melchior de Reinach devait être proche parent de
Richard de Reinach, fils de Jacques, seigneur de Florimont et de
Sainte- Marie-^n-Chaux , châtelain de Chùtiilon-sous-Malche, marié
à Antoinette de Reaujeu, fille de Claude II et veuve on 4578 de
Jacques de Vy, dont elle avait eu, entie autres enfants, Marguerite
de Vy, épouse de Simon de Saint-Loup (Arch. de la Haute-Saône,
B. 6689, fol. 459, verso et suivants).
(4] Remiremont. chef-lieu d'arrond. Vosges, possédait une abbaye
noble de clianoinesses dont Tabbessc était princesse d'Empire.
(2) Arch. de la,Côlo-d'Or, E. 4374. Seul, le seigneur haut justi-
cier avait le droit d'élever un gibet et di posséder un colombier à
pied.
— 252 ^
Malgré son âgo déjà avancé, Jean priLune pari
active aux guerres qui terminèrent si malheu-
reusement le règne de Charles le Téméraire. Du
reste, les ordres du duc étaient formels et, sous
peine des punitions les plus sévères, tous les vas-
saux en état de porter les armes devaient ré-
pondre à rappel, quel que fvt leur âge. Le
12 mars 1472, il était à la Gharme-sous-Govrey (1 ),
dans la dizaine de Thierry de Charmes, son ne-
veau, avant d'aller au pays de par delà. On voit
avec lui Pierre de Rougemont, Jean de Vailes,
Jean de Maisey.
Le 5 juillet suivant, il était de la compagnie
de Jean de Neufchâtel, seigneur de Montaigu.
Après les désastreuses batailles de Morat, de
Granson et de Nancy, il était en garnison pour
le roi de France au château de Rouvres (2) et le
11 septembre 1477, il était passé en revue par
Guillaume de Marbeuf, écuyer, commis à cet effet
par Jean de Blosset, chevalier, seigneur de Saint-
Pierre, grand sénéchal de Normandie et gouver-
neur de Dijon.
Jean de Beaujeu mourut cette même année et
(1) Gevrey, chef-lieu de canton, arr. de Dijon, Côle-d'Or.
(2) Rouvres, château à 15 kilomèties de Dijon, où est mort, on
«361, le jeune duc Philippe, dit de Rouvres, parce qu'il y était ne.
La duchesse de Savoie, sœur do Louis XI, y avait été détenue, au
commencement do celte année \ i77, d'après les ordres de Charles
le Téméraire.
PL. III.
TOMBE DE JEAN I» DE BEAUJEU
SBIONBUK DB CHAZBT71L
(Long, a m., larg. o^çS). Eglise de Beaujea-snr-Saône.
-^ 253 — .
sa tombe est à Beaujeu, dans l'église (1). Elle
porte l'inscription suivante : Cy gist Johan de
13eljeu et Catherine de Charmes et Marguerite de
Wailes et Marguerite de Charmes, jad(is) ses
fe(m)mes, et Irespassa le Tan MCCCC
L'absence de la dale de son décès indique qu'il
n'a pas élé inhumé à côté de ses trois femmes,
malgré son intention.
Veuf pour la seconde fois après le décès de
Marguerite de Vailes, il avait épousé Marguerite
de Charnâes, sœur de Catherine et veuve elle-
même de Philippe d'Angoulevent, seigneur de
Renève. Mais il n'en eut pas d'enfant.
Catherine lui avait donné une fille, Guillemette ,
femme de Martin de Sacquenay, avec lequel elle
renonçait, le 31 mai 1456, à la succession de son
oncle Thierry de Charmes, en faveur de ses au-
tres oncles, Jean et Guillaume de Charmes.
De Marguerite de Vaites, par laquelle il devint
seigneur de Chazeuil, il avait eu :
l"* Jean de Beaujeu II;
2<> François, d'abord simple religieux, puis
sacristain, et enfin, en 1488, chambrier de Tab-
(1) Planche II. Elle est dressée contre lo mura l'entrée de la
chapelle du Rosaire : mais elle est fortement endommagée aujour-
d'hui par suite de ses différentes pérégrinations. Sortie de la cha-
pelle en 4854, elle fut placée dans l'allée médiane. En 1869, au
moment de la reconstitution de l'église, elle fut reléguée dans
l'allée latérale gaucho et à moitié cachée sous les bancs^ comme celle
de son père qui s'y trouve encore.
— 254 —
baye de Saint-Bénigne de Dijon, avant d'être
abbé de Saint-Germain d'Auxerre. Institué régu-
lièrement chambrier par Tabbé Claude de Char-
mes, qui avait seul le droit de disposer des offices
claustraux (1), il avait trouvé un concurrent dans
Antoine le Gaignière {aliàs de Chilly) nommé
par une bulle du Pape Innocent VIII, le 8 juillet
1489. Pour compléter le scandale, la question
avait été portée devant la justice civile et le débat
n'était pas terminé après huit ans de procédure.
Voulant couper court à un reproche qui lui
avait été fait d'être né d*un père comtois (2),
François avait demandé et obtenu des lettres de
naturalisation française, et le parlement avait
confirmé sa nomination. Mais son adversaire avait
reçu une nouvelle bulle du pape, et ce ne fut
qu'en 1497 que François de Beaujeu obtint défi-
nitivement gain de cause.
L'importance des revenus de la chambrerio
n'était certainement pas étrangère à l'âpreté de
la lutte, car c'était le temps où la commandise
(\) On nommait ainsi les fonctions de chambrier, aumônier, sa-
cristain, chantre, prévôt, trésorier, infirmier, cellerier, cuisinier.
La dignité de grand-prieur ne comptait pas dans les offices claus-
traux. Le grand prieur, qui remplaçait Tabbo, était choisi par celui-
ci, et pouvait être en môme temps, aumônier, sacristain, etc. L'abbé,
qui avait l'administration, choisissait ses collaborateurs. \
(l) Après la mort de Charles le Téméraire, le duché fit retour à 1
la couronne et le comté resta à Marie de Bourgogne, mariée à Mazi-
milien d'Autriche.
— 255 —
envahissait les dignités religieuses qu'on confiait
môme à des laïques qui percevaient les revenus
et laissaient un subalterne s'occuper des devoirs
de la charge.
En 1507, Tabbé Claude de Charmes, qui était
parent de François de Beaujeu, et qui, depuis
1495, administrait, en môme temps, les deux
monastères de Saint-Bénigne de Dijon et de Saint-
Germain d'Auxerre, céda ce dernier à François
de Beaujeu, « son parent, homme remarquable
par son éducation, son savoir et la pureté de ses
mœurs ». Le nouvel abbé conservait le titre de
chambrier, mais il en abandonnait les revenus à
Claude de Charmes qui resta chargé de Tadmi-
nistralion et, en 1510, remit sa crosse d'abbé de
Saint-Bénigne à son neveu Charles de Baissey.
François de Beaujeu fut à la hauteur de ses
nouvelles fonctions. « Il fit restaurer les bâtiments
et mit en ordre le trésor. Il fut un gardien vigi-
lant des droits et des privilèges. En 1525, il
obtenait du Parlement un arrêt qui délivrait
définitivement le monastère de la juridiction des
évoques d'Auxerre. » François avait commencé
les hostilités en 1514, le 17 décembre, lors de la
visite de François de Dinteville, nouvellement
promu à l'évèché d'Auxerre. « Habillé de sa
crosse et de sa mitre, accompagné de tous ses
religieux en aube et chape vêtice^ il était allé au
devant du prélat, mais pour lui déclarer qu'il
— 256 —
était exempt de sa juridiction et que s'il le recevait
dans Tabbaye, c'était seulement par honneur pour
sa personne. Il Tinvila ensuite à prêter serment
de garder les droits et de respecter les franchises
de l'abbaye, ce à quoi Tévêque se refusa (1). »
Deux notaires requis pour assister à cette sin-
gulière réception en dressaient immédiatement
procès- verbal.
En 1521, François de Beaujeu avait été député
par le clergé d'Auxerre à la réunion des États,
pour la répartition des 50.000 livres accordées au
roi pour les francs fiefs et les nouveaux acquêt?,
dans la Bourgogne, le Maçonnais, leChâtillonnais,
l'Auxerrois, etc.
François de Beaujeu avait augmenté les biens
du monastère de plusieurs bénéfices; malheureu-
sement le roi François P% qui avait besoin d'ar-
gent pour continuer la guerre contre l'empereur
Charles-Quint et essayer de prendre sa revanche
de Pavie, fit enlever les meilleurs biens de l'ab-
baye et l'abbé eut la douleur de ne pouvoir em-
pêcher cette spoliation (2).
François de Beaujeu mourut le jour desNones,
5 novembre 1539, et fut inhumé dans le chœur
de l'église de l'abbaye qu'il avait embellie. Son
éloge a été laissé par un de ses religieux, Pierre
(1) Arch. de l'Yonne, H. 999.
(2) Gallia ChrisL, i. XII.
- 257 —
Pesselièvre, auteur d'un ouvrage estimé sur la
théologie- Il le donne « comme le plus grand par
la noblesse, la piété, la prudence, la charité, la
patience^ l'éclat de sa doctrine et de son éloquence
qu'il devait à une lecture assidue de saint Chry-
sostome (1). »
3« Guillaume, religieux de Saint-Bénigne,
nommé prévôt de Tabbaye, le 14 juin 1494, puis
aumônier, le 15 septembre lb02, après la mort
de Philibert de Charmes. Il fut en môme temps
titulaire du prieuré de Griselles, dépendant de
Tabbaye de Saint-Germain d'Auxerre, lorsque
son frère Fran(jois prit Tadministralion de ce
monastère.
Il n'avait pu avoir la paisible possession de
son office d'aumônier, et, plus encore que son
frère, il avait passe par des tribulations de toutes
sortes.
Georges. d'Amboise, cardinal de Rouen, qui
était en France le légat du Saint-Siège, avait
donné la commandise à Barthélémy Magny,
religieux augustin, archidiacre de Tarbes, natif
de Màcon et dont le frère Philippe était conseiller-
mai tre à la Chambre des comptes de Dijon.
Des lettres royaux avaient confirmé la décision
(4) Gallia Christ., t. XII, xlix. Son successeur fut Louis de Lor-
raine, fils de Claude de Guise et d'Antoinette de Bourbon, qui de-
vintcardinal. Il était âgé de douze ans et prit possession de l'abbaye
lo jour de Pâques de l'année suivante 1540.
20
— 258 —
du légat. Guillaume fit alors appel à la juridiclion
civile et porta la cause devant leParlemenL Mais
son adversaire no craignit pas de s'abaisser à des
dénonciations calomnieuses et adressa une requête
au Conseil du roi en disant « quil était dange-
reux pour la chose publique que Guillaume de
Beaujeu, comtois de nation^ possédât ledit office,
attendu que par la fondation dudit hôpital, Tau-
mônier était tenu de loger et nourrir tous les
étrangers, de quelque nation qu'ils fussent, en
allant ou revenant de pèlerinage et que ledit
hôpital, qui était hors des murs de Tabbaye et
séparé par un jardin, était peu éloigné du chà-
teaude Dijon (1). »
Le procès suivit son cours avec la lenteur ac-
coutumée et Guillaume finit par obtenir gain de
cause en 1513; mais son concurrent, pour se
venger, Tavait fait dévaliser. 11 fallut un moni-
toire du Pape Léon X, en date duo août 1513,
pour « recouvrer les biens, meubles^ rentes et
papiers de Guillaume de Beaujeu, aumônier de
Saint-Bénigne, qui lui avaient été pris et ca-
chés (2). »
Cependant il n'était pas au termede ses ennuis,
et il dut alors soutenir des procès nombreux pour
les droits de l'aumônerie, par suite de Tempiéle-
inent des voisins qui avaient profilé de la discorde
(\) Arch. delà COle-d'Or, H. G, Ijyctle 9, liasse ^, cole 2.
(l) Ibid.
- 259 —
des compétiteurs. Il dut même, en 1S22, de-
mander au roi Tautorisalion de faire dresser un
terrier^ avec la mention des biens, terres, cens,
rentes, etc., qui pouvaient lui appartenir; néan-
moins il était encore en discussion en 1531.
Tout en surveillant ses intérêts personnels,
Guillaume s'occupait des afFaires de ses frères
François et Jean. François avait laissé la jouis-
sance des revenus de la chambrerie à Claude de
Charmes, abbé antique de Saint-Bénigne; mais
le grand âge de ce personnage lui avait fait re-
mettre l'administration à Guillaume, qui avait
aussi la procuration de Jean, retenu au loin pour
le service du roi. Cela n'empêchait cependant pas
Taumônier de se trouver aux réunions du chapitre
et de participer à l'administration de l'abbaye.
« L'an mil cinq cent dix-huit, le vendredi vingt
et unième jour du mois de janvier, il assistait à
rinvenlaire des saintes reliques, joyaux et meu-
bles, tant d'argent, d'or, de pierres précieuses
que de draps, de velours, soyeet linge de l'église
du vénérable monastère. » Dans la li^te des objets
figuraient, sous le n° 381, trois serviettes, dont
deux imagées d'un cœur lissé de fils d'or, qu'il
avait données (1).
(\) Mémoires de la Société bourguignonne de géographie et d'hiS"
toire, 1894. Le Trésor de Saint- Bénigne, par Bernard Pbost. L'in-
ventaire fut revu les 2 janvier 1527 et 8 juin 1528^ et au bas figure
la signature de Guillaume de Beaujeu.
— 260 —
Le 14 octobre 1525, il comparaissait avec le
chapitre à la prise de possession de l'abbaye par
Perpétue Henriot, procureur de Frédéric Fré-
gose (1), archevêque de Salerne, abbé commen-
dalaire nommé après la démission de René de
Bresches.
En 1535, le 13 novembre, il était chargé de
faire un arrangement avec les religieux pour le
vin. Ensuite de l'accord intervenu, chaque reli-
gieux avait droit à un maraut par jour, soit près
de trois litres, sans compter un potot de vin blanc
aux quatorze fêtes et les suppléments' pour les
processions (2).
Guillaume résigna ses fonctions, en 1542, en
faveur de François de Saint-Belin, sans doute à
cause de son grand âge, et mourut le 17 septembre
1544. 99 ans après le mariage de ses parents ^
qui eut lieu en 1545. Il reçut la sépulture dans
Téglise de Saint-Bénigne, et François de Saint-
Belin, son successeur et son ami, était venu le
(1) Frédéric Frégose, devenu cardinal, mourut en 1540. Son frère
Oclavien était doge de Gônes (Ga//. C/imr.,t. IV, col. 693. G. Dc-
MAT, Eptg. Bourg,, in Mémoires de la Société bourguignonne de
géographie et d'histoire, 1894, p. 138.
(2) Le maraut valait cinq tiers de pinte (qui équivalait à 4 1615),
et quarante marauts faisaient une feuillette, de sorte que chaque
religieux consommait annuellement 980 litres, sans compterle vin
blanc des fêles et le supplément des processions (Arch. de la Côte-
d'Or, H. 8, réfecturier). Les comptes de l'abbaye de Dèze donnent
la môme quantité par religieux.
— 261 -
rejoindre en 1560. Leur tombe commune repré-
sentait deux religieux debout sous une double
arcade d'architecture renaissance. Aux quatre
angles se trouvaient quatre écussons. A dextre^
en haut : hureîè d'argent et de gueules de dix
pièces^ qui est Beaujeu ; en bas : d'or à trois
quintefeuilles de gueules^ qui est Vaites. A
sènestre^ en haut : d'azur à trois têtes de bélier
d'argent encornées d'or^ posées 2 et i, qui est
Sainl-Belin ; au bas : de gueules à la fasce d'ar-
gent, accompagnée de 3 étoiles demêmcy qui est
Moreau (1 ). Autour était écrit : Gy gisent frères
GtJiLLE DE Beaujeu et François de Saint-
B'elin, tous deux jadis aulmoniers de céans;
LEQUEL DE BeAUJEU TRÉPASSA LE XVir JOUR DE
SEPTEMBRE 1544; ET LEDIT DE SAINT-BELIN LE
IV JOUR D'AOUST 1560 (2).
4, 5 et 6% trois fils morts dans l'expédition du
roi Charles VIII en Italie, en 1494-1495, d'après
la déclaration de leur frère Jean, en 1511 (3).
(1) M. G. Dumay (voir note 2) n'avait pas reconnu ces armoiries
dont il ne donne pas les émaux. Mais comme il y avait, en 1525, un
Jean de Moreau, infirmier de Saint-Bénigne (Arch. de la Côte-d'Or,
U*) qui portait ces armes, il y a tout. lieu de croire que la mère de
François de Saint-Belin était de la môme famille.
(2) Ms8.de la Bibl. nat. Ponds Clairambaut, t. 942, n* 306. Pu-
blié, G. DuMAT : Mémoires de la Corn, des Antiquités de la Côte-
d'Or, t. X.
(3) Arch. de la Côtc-d'Or, E. \Z1Ï. Voir ci-dessous à Jean H.
— 262 —
JEAN II
Jean II, seigneur de Beau jeu et de Chazeuil,
d'Échevannes, de Véronnes, capitaine de Mous-
lier-en-Puisaye, était encore mineur à la mort
de son père, comme il le dit dans une requête au
bailli de Sens,- du 3 mars 1511, article xviii et
XXXI : « Quand le père dudil de Beaujeu, tost
après les guerres du roi Louis onzième et de feu le
duc Charles fut allé de vie à trépas, sont deynorès
ledit Jehan et ses frères en bien bas âge et mi"
neurie dans; lequel et sesdits frères sitôt qu'ils
sont venus en aige ont suyvi la guerre pour
mons. le roy contre ses adversaires, tant au
voyage de Naples, Millau comme autres lieux,
où sont morts trois des frères diidit de Beau^
Jeic... »
Après la brillante conquête de Naples par
Charles VIII, en 1494-1495, ce furent les expé-
dilions de Louis Xll et de François I«' en Italie.
Jean de Beaujeu paraît avoir participé à toutes,
comme il le dit, car il est presque toujours absent
et remplacé par ses frères François et Guillaume,
dans Tadministralion de ses biens.
Cette minorité et ces absences avaient eu des
conséquences graves, d'autant plus que le duché
de Bourgogne avait changé de maître, ce qui ne
— 263 —
s'était pas effectué sans troubles. Après la mort
du duc Charles à Nancy, le 5 janvier 1477,
Louis XI s'élait emparé du duché, fief masculin
délaché de la couronne par le roi Jean le Bon
pour son fils Philippe le Hardi. Naturellement,
Louis XI avait éloigné les partisans de la prin-
cesse Marie et modifié complètement l'organisa-
tion de tous les services. Absorbé par ses devoirs
militaires, Jean de Beaujeu avait délaissé sa sei*
gneurie de Chazeuil qui était restée en butte aux
empiétements des autres seigneurs.
La terre de Chazeuil, dépendant de la baronnie
de Tilchâtel, était alors divisée en trois parties :
La portion de Saint-Seine, qu'Arnould de Saint-
Seine possédait en 1462, était passée aux de Thou,
puis aux de Montigny et ne comprenait que
quelques habitants. Celle de Crecey, à peine plus
importante, appartenait, en 1400, à Guyot de
Champdivers, à cause de Guyolte de Chàtillon,
sa femme. Jeanne de Champdivers, leur fille, la
porta à Jacques d'Igny, dont le fils Elyon la céda,
le 9 septembre 1484, à Philippe Baudot, maître
des requêtes et gouverneur de la chancellerie au
parlement et marié à Claudine de Mailly. D'après
un dénombrement du 2*3 septembre 1402, cette
seigneurie comprenait huit maignies d'hommes
qui, outre leurs corvées, produisaient deux émines
de blé et douze boisseaux d'avoine. Il y avait en
outre 30 arpents de bois. Le tout était estimé
— 264 —
120 livres, au rachat de. 10 livres de rente (1).
Le reste du territoire, avec 160 sujets, consti-
tuait la grande seigneurie, reste du fief tenu par
les gentilshommes du nom de Chazeuil, dont
Jacques, le dernier représentant, vivait en 1372.
Il devait être fils de Guiot de Chazeuil, châtelain
de Saulx-le-Duc et fondateur de Téglise. Après
Jacques de Chazeuil, le fief arriva à Etienne de
Vaites, dont la petite fille, Marguerite, avait
épousé Jean I" de Beaujeu. Marguerite avait un
frère, Gauthier, qui vendit les restes du château
à Jean de Beaujeu. Mais ayant été banni pour
avoir assisté à un meurtre à Véronnes, ses biens
furent confisqués et achetés par Guillaume de
Saint-Martin, en 1460 (2). En Ibil, Guillaume
do Saint-Martin reprit aussi la portion laissée à
Jeanne de Vaites, fille de Gauthier et veuve de
Nicolas de Crecey, et à Jean de Crecey, son fils.
Jeanne de Lenoncourt, dame de Tilchâtel, lui
donna, le 25 mai 1511, Tautorisation d'entrer en
possession (3).
(1) Ârch. de la Côte-d'Or, E. ^74. Les renseignements sur Cha-
zeuil, ses différents seigneurs et sur leurs droits respectifs, provien-
nent d*un dossier considérable renfermant toute la procédure, tous
les mémoires pour ou contre dans les procès interminables relatifs à
la justice, aux droits dans la forôt, soit des seigneurs entre eux,
soit des seigneurs avec leurs sujets. Ce dossier autrefois réuni sous
le no 465, E., est aujourd'hui disséminé dans les liasses E. ^74,
1375, 4379,4380, 4380 ter, 4381, 4382, 4823. 4842, etc.
(î) Arch. de la Côte-d*Or, n<* 103 de la bibliothèque, p. 497.
(3) Arch. delà Côtc-d'Or, E. 4374.
Par une coïncidence assez singulière, les Irois
branches existantes de la maison de Beaujeu se
trouvaient en présence à Ghazeuil, avec des inté-
rêts plus ou moins opposés.
La seigneurie de Saint-Seine, passée aux de
Thou, appartenait pour moitié à Huguenin de
Montigny, mariéà Guillemette de Beaujeu, fille
de Thibaut de Beaujeu- Volon et de Huguette de
Charmes. L'autre moitié était restée à Marie de
Remilly, veuve d'Etienne de Thou, mais remariée
à Claude de Beaujeu-Volon, fils de Thibaut et
frère de la femme d'Huguenin de Montigny, et
comme elle cousin germain de Jean II de Beaujeu.
Guillaume de Saint-Martin (1), bailli de la
baronnie de Tilchâtel, possesseur de la partie de
Gauthier de Vaites, était marié à Antoinette
d'Angoulevent, née de Claudine de Beaujeu, fille
de Pierre de Beaujeu-Montot, et de Poinçard
d'Angoulevent, son premier mari. Cela n'empêcha
pas des contestations et par suite des procès de
(4) Les Saint-Martin paraissent avoir été baillis de Tilchâtel. de
pore en fils pendant fort longtemps. Etienne de Saint-Martin, sei-
gneur de Percey-le-Grand et de Minot, marié à Marguerite de Lu-
gny, est bailli le H septembre U76. Guillaume l'est en 4491 : il
est marié à Jeanne de Mipont. C'est lui qui acheta une partie de
Ghazeuil, en 4460... Guillaume il, son fils, bailli après lui, est dit
seigneur de Mornay-sur-Vingeanne (Arch. de la Côle-d'Or, E. 1371).
Il est mort avant Noël 4523. Son fils Jean fut installé comme bail'i
le 3 mars 1529. Ses gages étaient de 10 Ib. tournois par an. Un
Jean de Saint-Martin était seigneur de Presne-Samt-Mamès en 4612
(Arch. de la Côle-d'Or, E. 4975 et 4981).
— 266 —
naître el de se perpétuer, comme on le verra
bientôt.
Jean de Beaujeu et Guillaume de Saint-Martin
avaient seuls -la haute justice et par conséquent
le droit, pour leurs juges, de siéger en place com-
mune et sous forme (\). Ils pouvaient seuls avoir
un signe patibulaire. Ils l'avaient, seuls, fait
relever, le 2 janvier 1497, mais en présence, et
eux dûment convoqués, de Claude de Beaujeu et
de ses hommes qui prêtèrent même la main à
l'érection.
Seuls, Jean de Beaujeu et Guillaume de Saint-
Martin avaient le droit de prendre des arrêtés et
de faire des ordonnances pour ce qui se passait
en place publique. Ils avaient seuls le droit
d'avoir un colombier à pied (2). Pour eux seuls
était le produit des amendes prononcées pour
délit en place commune et les épaves trouvées
dans toute l'étendue du territoire.
Ils devaient être nommés les premiers dans les
prières publiques.
Mais les officiers de justice des seigneuries de
Thou, de Montigny et d'Igny, avaient essayé de
{{) La haute justice se rendait en plein air, à la face du ciel.
C'est ainsi que saint Louis le faisait au bois de Vincennes. Les
moyenne et basse justices se rendaient sons lattes, c*est-à-dire
dans un endroit couvert, comme les halles, le four, etc.
(2) Le colombier à pied était un bâtiment spécial n'ayant pas
d'autre usage. Les propriétaires do deux cents arpents pouvaient
avoir une volière dans leur habitation.
— 267 —
parliciper à ces droits. En 1507 (1), ils avaient
profité de Tabsence des représentants des sei-
gneuries de Beaujeu et de Saint-Martin pour agir
en leur nom et tenir des jours de justice en place
publique j sous Vorme, au-devant de Téglise, le
23 août, lendemain de la fête de saint Sympho-
rien, patron de Chazeuil. Ils n'avaient pas craint
départager les amendes encourues pour les délits
en place publique, et auxquelles ils n'avaient
aucun droit. Ils avaient poussé Taudace jusqu'à
instituer un procureur commun, « puis ledit
jour, par lesdits dessus nommés a été ad visé
conclu et ordonné que chascun an à la fête saint
Symphorien, patron de Téglise de Chazeuil, le
prix accoustumê (2) à mettre par les varlels et
enfants de ladite feste sera mis assis et planté
en lieu de communautéy assis sur et sous ledit
horme ou tout autre lieu de communauté^ après
la licence qu'ils sont tenus prendre des maires
desdits seigneurs. »
Jean de Beaujeu avait laissé à ses frères le soin
de veiller sur ses biens; mais François avait été
nommé cette année-là à Tabbaye de Sainl-Ger-
(1) En 4507, les armées françaises étaient en Italie avec Louis XII
qai avait eu à réprimer la révolte de Gênes.
(2) Il s'agit du tir à Toiseau ou d'autres eiercices du môme genre
alors en honneur dans les fêtes villageoises, etqui, déjà comme au-
jourd'hui, étaient laissés à l'initiative des jeunes gens de la com-
mune.
— 268 —
main d'Auxerreet Guillaume élail absorbé par ses
discussions relatives à ses fonctions d'aumônier,
de sorte qu'aucune protestalion n'était venue
arrêter les agissements des gens des seigneurs de
Montigny et d'Igny.
Encouragés par ce silence, ceux-ci, le 23 août
1 508, avaient invité les maires de Jean de Beaujeu
et de Guillaume de Saint-Martin à tenir la justice
avec eux, et, sur leur refus, ils n'avaient pas
craint d'afficher nettement leurs prétentions. En
effet, le lendemain, dans la salle du chapitre de
Saint-Bénigne, sommation était faite à Guillaume
de Beaujeu, représentant de son frère, d'avoir à
consentir à exercer la justice en commun. Protes-
tation de Guillaume qui déclare que « son frère
a seul le droit de tenir des joursde justice en place
publique ». Les hostilités étaient commencées.
Le 23 mars suivant, Jean Pelletier, chanoine
de la Sainte-Chapelle et procureur de Claudine
de Mailly, dame de Crecey et de Chazeuil en
partie, allait trouver à Saint-Bénigne François
de Beaujeu qui, quoique abbé de Saint-Germain,
avait conservé les fonctions ou au moins le tilre
de chambrier de Saint-Bénigne, et qu'il croyait
sans doute devoir ménager. Il lui proposa de ter-
miner à lamiable, et de s'en remettre complète-
ment à des arbitres pour vider le différend. Mais
il ne paraît pas qu'on ait prêté l'oreille à ses pro-
positions, car le 23 août suivant 1509, Guillaume
— 269 —
de Beaujeu élait à Chazeuil, à huit heures du
matin, avec Jean Ramet, bailli de Tabbaye et
juge à Chazeuil, pour Jean de Beaujeu.
Pierre Baudot et Thomas de Montigny, père
d'Huguenin, s'approchant de lui lui demandèrent
de consentira tenir avec eux lajustice commune.
Guillaume répondit qu'il ne s'opposait pas à ce
qu'ils tinssent leur justice particulière. Il reconnut
môme qu'antérieurement il y avait eu des jours
communs, mais il maintint énergiquement que
cela n'avait pu avoir lieu que par suite de cir-
constances exceptionnelles, et que son frère seul
avait le droit de le faire. Malgré cette protestation,
les adversaires « sous la protection de quelques
gens de guerre armés et embàtonnéSy venus de
Dijon, tinrent leur audience. »
Guillaume leur déclara alors qu'il en appelait
à la justice, et leur fit aussitôt signifier ses in-
tentions. Mais, le 26 octobre, la dame de Mailly
formait opposition à « cet appel disant qu'elle vou-
lait pou7'suivre le principal ». L'affaire devait
être portée d'abord devant le bailli de Sens, et des
conclusions étaient déposées par Claudine de
Mailly, le 10 février IblO. Elles étaient signifiées
à Jean de Beaujeu alors à Auxerre, où l'avait
emmené son frère François, en le faisant nommer
capitaine de Moustier, château dépendant de
l'abbaye de Saint-Germain.
Le 3 mars, en présence de Michel Armentet et
— 270 —
Robert Foucbey, notaires royaux à Auxerre, Jean
de Beaujeu répondait, article par article^ aux
conclusions de son adversaire et signait ses dé-
clarations.
La lutte ainsi commencée se continua selon les
mœurs du temps. Jean de Beaujeu s'était ren-
contré avec François de Rochechouarl (1), père
de Christophe, remarié le 8 octobre 1508, à
Madeleine de Vienne, veuve de Lazare Baudot,
fils de Philippe et de Claudine de Mailly.
Des rixes avaient eu lieu et on en était arrivé
à des voies de fait, car le 18 février 1512, une
enquête était demandée par François de Roche-
chouart contre Jean de Beaujeu, capitaine de Mous-
tier et autres, au sujet de siège et de démolition
de inaison, de port d*armes, assemblée illicite...
Mais une contre-enquête était réclamée sur le
même sujet par l'abbé de Saint-Germain, Fran-
çois de Beaujeu, qui avait pris la défense de son
frère.
Pendant que la procédure suivait son cours,
Jean de Beaujeu s'occupait d'améliorer la situation
de ses hommes de Chazeuil. Au mois de mars
(\) François de Bochechouart, seigneur de Champdenier, d'une
maison du Poitou, était premier chambellan du roi Louis XU et
fut fait gouverneur de Gônes après la réduction de cette ville en
■1508. François V*^ l'envoya comme ambassadeur à Venise et à Bru-
xelles. Il était marié à Blanche d*Aumont, dame de Saint-Amand-
en-Puisaye (non loin de Moustior), fille de Jacques et de Cathe-
rine d'Etrabonne, en Comté.
1512, il oblenail de Jeanne de Lenoncourt et de
Claude de Baissey, son ûls, seigneur et dame de
Tilchâtel et de Bourberain, le droit d'usage dans
la forêt de Velours avec le pacage pour le bétail
à r exception des chèvres. Cet accord fut renouvelé
le 6 novembre 1520.
Au mois de janvier IbU, une enquête était
poursuivie à Tilchàlel, contre Jean de Beaujeu
à la requête de Claudine de Mailly. Mais Jean
avait ^owr ainsi dircy à cette époque, abandonné
Chazeuil, car, en 1515, il était inscrit dans le
rôle des bourgeois du roi, à Auxerre, pour le fau-
bourg de Saint-Renoberl, où il possédait une
maison qui fut occupée plus tard par les dames
de la Providence, et, le 30 janvier 1516, il pre-
nait à bail de l'abbaye une pièce de terre de
40 arpents pour 6 deniers tournois de cens annuel.
Cependant le bailli de Sens avait prononcé sa
sentence en faveur de Jean de Beaujeu qui l'avait
fait signifier à Guy de Montigny, à son domicile
de Mornay-sur-Vingeanne, le 23 avril 1517.
Mais appel avait été interjeté aussitôt, et Taffaire
avait été portée au Parlement de Paris, après un
nouveau Jugement du bailli de Sens, en date du
l'*" avril 1519, sur requête du 3 mars précédent,
au sujet des dépens. Cela n'était pus fait pour
arrêter les hostilités extrajudiciaires.
Le mardi 21 août 1520, veille delà Saint-Sym-
phorien, fêle de Chazeuil, on avait, selon la cou-
— 272 —
tume, allumé à la nuit, devant l'église, des feux
de joie appelés fouillères. Les Jiabitants étaient
tous présents, et Guillaume de Beaujeu, accom-
pagné de Catherine de Sain t-Mau ris, sa belle-
sœur, s'était mêlé à la foule. Il aperçut alors
Lamblot Gachot, sergent de Guy de Montigny,
qui tenait ostensiblement sa baguette droite (1).
« Qui te fait porter cette verge ainsi élevée, lui
demanda- t-il ? » L'interpellé répondit « qu'il ne
faisait que ce que. le maire dudit sieur de Mon-
tigny lui commandait ».
« Etledit aumônier, publiquement, patemment,
et par manière de courroux, de son autorité privée
arracha ladite verge audit sergent et icelle mit
en pièces deçà delà, disant que le sieur de Mon-
tigny n'avait point de droit pour ce faire; et la
demoiselle (2) de Beaujeu ajouta que pourrait
venir 1(9 temps qu'il la lui rompy^ait au travers
du dos. »
Quelques jours après, le 27 août, une enquête
était ouverte, et les dépositions des témoins con-
firmaient le fait qui dut amener de nouveaux
incidents. Ce qui n'empêcha pas cependant le
(1) Le sergent avait une baguette blanche comme insigne de
sei; fonctions ; mais il ne (levait la porter que dans les endroits
dépendant de la seigneurie à laquelle il appartenait.
(2) Les femmes des gentilshommes étaient qualifiées de demoi-
^ellos ou damoiselles. Le mot dame indiquait des droits seigneu-
riaux : ainsi la demoiselle do Beaujeu était dame de Chazeuil.
— 273 —
bailli de Sens de prononcer une nouvelle sentence
en faveur de Jean de Beaujeu, le 8 janvier 1523,
et le ParJemenl de Paris de rendre un arrêt dans
le môme sens, le 30 juin.
Mais Jean de Beaujeu était mort Tannée pré-
cédente, et, auparavant, le 6 novembre 1520,
à la suite de difficultés survenues au sujet des
droits de ses hommes dans la forêt de Velours,
il avait fait un nouvel arrangement avec Jeanne
de Lenoncourt et Claude de Baissey, son fils,
pourbien spécifier les droitsdont ses sujets avaient
sans doute abusé. Il fut accordé la faculté de
prendre du bois pour leur usage, mais avec dé-
fense de couper ni chêne, ni hêtre, ni poirier ni
pommier ni èperonnier (1), et surtout de vendre
ou céder aucune quantité aux autres habitants
de Chazeuily qui ne dépendaient pas de la sei-
gneurie de Beaujeu.
Jean de Beaujeu II en mourant laissait veuve
sa seconde femme, Catherine de Saint-Mauris,
de la maison de Saint-Mauris-Chastenoj^ en
Comté, qu'il avait épousée en 1514 et qui se re-
maria à Guillaume de Mellingen, d'une famille re-
levant des barons de Montjoye. Elle était fille de
Jean de Saint-Mauris, dit Berchenet^ capitaine
et gouverneur de Neufchâtel et de Lisle, seigneur
(t) L'éperonnier était une pièce de bois, qui, par sa forme natu-
relle, pouvait servir à faire uasoc de charrue alors toute en bois.
21
274 —
d'Allenjoye, Buslal,Roye, BeaumoUe, elc, et de
Giletle d'Orsans (I). Elle n'eut pas de postérité.
De sa première femme, N. de Montjeu (2), Jean
de Beau jeu II avait eu :
(1) Généalogie de la maison de Saint-Mauris par le marquis P.
de Saint-Maoris. L'auteur a commis une erreur en faisant naUrede
Catherine de S^inl-Mauris les enfants de Jean II de Beaujeu. Elle
n'épousa celui-ci qu'en 45U,et Philibert de Beaujeu^ qui avait des
frères plus âgés que lui, était déjà novice à Saint-Bénigne en 4502.
(2) C'est pour aillât (lire par hasard que j'ai découvert le nom de
cette dame. Ses armes se trouvent dans plusieurs sceaux de son 61s
Philibert, évéquede Bethléem. On peut les voir encore aujourd'hui,
avec les émaux^ au musée de la Coinmission des Antiquités de la
Côte-d'Or, dans un tableau provenant de la chapelle du château de
Verrey-sous-Drée (cant. de Sombernon, arr. de Dijon) qui avait été
consacrée par ce prélat. Elles sont écartelées, aux 1 et 4 : burelé
d'argenlet de utieulesde dixpièces; aux i et 3, d'azur au sautoir
dor accompagné de quatre étoiles de même. Philibert avait, selon
la coutume, écartelé les armes de son père de celles de sa mère. Or,
en dehors de François de Batailler, évoque de Bethléem, sacré le
45 juin 4664j et sur la famille duquel les renseignements manquent
complètement^ on ne trouve dans les armoriaux et recueils qu'une
seule famille qui ait un sautoir et quatre étoiles d'or sur champ d'a-
zur. C'est la famille d'Ostun {de Edud) qui a fourni quatre bran-
ches : de Dracy, de Chevigny, d'Ârconcey et do Montjeu. Juste-
ment à cette époque, Adrien de Mailly, frère de Claudine^ dame de
Crecey, était marié à Claudine de Montjeu, fille de Jean. Comme on
l'a vu, Claudine de Mailly était en procès avec Jean de Beaujeu, au
sujet de la justice de Chazeuil, et elle avait produit un mémoire où
elle disait : « Combien que par adventure Jean de Montjed et Guil-
laume de Saint-Martin illec admis par ce dans la haute justice,
l'auraient fait ainsi sur l'autre portion, que ce serait au-descu (à
l'insu) de ladite demoiselle qui n'aurait pas été advertie •
Jean de Beaujeu répondait aussitôt, le 3 mai 4640, « que les
deffendeurs ne savent ce qu'ils di{s)ent, car il ne prétend pas le
droit à CAU8B de sa fehxe, mais à cause de sa grand'mère% femme
— 275 —
1° Jean IIL
2° Claude, seigneur de la Maisonfopl eu Niver-
nais, par sa femme Marie des Ulmes et qui donna
naissance à la branche secondaire de la Maisonfort .
3^ Philibert, novice à Saint-Bénigne en 1502,
puis religieux dans cette abbaye avant de suivre
à Saint-Germain d'Auxerre son oncle François
qui lui confia la charge de grand-prieur, en 1522.
A celte époque il fut gouverneur d'Auxerre avec
de Jean de BeaujeUy son aïeuL » Cela indique clairemeni que la
femme de Jean H de Beaujeu était une Montjeu, fîUe de Jean et
probablement sœur de la femme d'Adrien de Mailly. Le nom de
Montjeu a été évidemment mis pour celui de Beaujeu. C'était là une
erreur du procureur de Claudine de Mailly, ou de son clerc, mais
cet te erreur au rail passé inaperçue et n'aurait certainement pas été
relevée ainsi, Bi le nom de Montjeu avait été sans signification.
Resterait à expliquer la présence dans les armes de Philibert de
Beaujeu des étoiles d'or qui ne fîguient pas dans les sceaux des
Montjeu que l'on possède, tandis qu'elles se trouvent dans ceux
des Ostun de Dracy et de Chevigny ; mais les sceaux des Montjeu
sont tous du XIV* siècle, c'est-à-dire pendant Texistence des autres
branches d'Oslun, les Dracy, les Chevigny^ les Ârconcey. Les
Montjeu ont pu reprendre les étoiles qu'ils avaient retranchées
comme cadets. On doit à la vérité de dire que le plus ordinairement
les cadets ajoutaient une pièce aux armes delà famille. On pourrait
encore trouver une autre explication. Comme évoque de Bethléem,
Philibert était grand maître de l'ordre de V Etoile fondé en souve-
nir du guide des rois mages, et il aurait pu^ pour celte raison,
mettre des étoiles dans son écu. {\ oit Montjeu et ses seigneurs,
par l'abbé DoHET et A. de Monard^ Paris; Autun, MDCCCLXXXl,
p. 26-27). Pour l'ordre de Bethléem ou de l'étoile, ordre religieux,
dont les membres portaient une croix sur leurcape et leur manteau,
voir VEistoire de t'évècké de Bethléem de Clamecy, par Louis Che-
valier-Lagbmissièrs, conseiller à la cour de Dijon.
— 276 —
Edme Morlon, licencié en droit, et Hugues de la
Faye. Il était docteur en décret et en théologie, et
devint conseiller, aumônier ordinaire et maitre
des requêtes de la reine Eléonore d'Autriche,
sœurdeCharles-QuintetfemmeduroiFrançoîs^^
Abbé de Saint-Severin d'Aire et de la Fère, au
duché de Guyenne, il fut désigné par Marie
d'Albret, duchesse de Nevers, veuve de Charles
de Clèves, pour remplacer Martin Dulcis à Tévêché
de Bethléem (1). La bulle de Clément VII est du
12 septembre 1324. Il administra Téglise de
Langres, en 1526, pour le cardinal de Givry, et
remplaça ce prélat pour consacrer l'église Saint-
Michel de Dijon, le VI des Ides de décembre 1529.
Il était sufFragant et vicaire général de l'évêque
d'Auxerre, François de Dinlevilleen 1530, 1531 ,
1534, 1535. Doyen de N.-D. de Tonnerre, en 1530,
il fut nommé par le roi doyen de l'église d'A-
(1) Après la priso de Jérusalem parlés chréliens, en 4099, Gode,
froy de Bouillon fut proclamé roi, mais il se contenta du titre de
baron du Saint-Sépulcre, ne voulant pas porter une couronne d'or
dans une ville où Jésus-Christ avait porté une couronne d'épines.
Il mourut Tannée suivante et eut pour successeur son frère Baudoin,
qui fut couronné le jour de Noël '1100, dans Téglise de Bethléem.
Ce fut en souvenir de son sacre que Baudoin érigea, en 1 1 1 0, Téglise
de Bethléem en évôché. En 4224, Régnier VH, évoque de Bethléem,
voyant l'impossibilitéde rétablir le royaume de Jérusalem, quitta la
Palestine pour prendre possession de l'église de Clamecy, fondée
par Guillaume 11, comte de Nevers et donnée par Guillaume IV aux
évoques de Bethléem. Cette égli>e était siluéo dans un faubourg de
la vil!o.
— 277 —
vallon, le lOavrillBSG; il promulgua, le 16 avril
1538, la bulle du pape Paul III pour la séculari-
salion de labbaye de Vézelay.
« Le corps de saint Marlin ayant élé brûlé,
Dieu permit que Philibert de Beaujeu en conservât
quelques reliques entre autres la mâchoire et
une côte. Le dimanche 9 novembre 1539, il les
remît à Téglise de Clamecy dédiée à ce saint. »
En 1542, il fit don à la môme église d'un morceau
de la vraie croix, renfermée dans un caillou du
Rhin (1), ayant la forme d'une croix.
Le dimanche 3 juillet 1547, il consacrait la
chapelle du château de Verrey-sous-Drée, comme
l'indique un tableau portant ses armoiries et con-
servé maintenant au musée de la Commission
des antiquités de la Côte-d'Or.
Le dimanche 1'^ juillel 1548, Philibert de Beau-
jeu assistait à Dijon à l'entrée du roi Henri II et
était présent à Saint-Bénigne lorsque le roi, à
genoux devant le grand autel, prêtait serment
de respecter les libertés de la ville (2).
Suppléant les évoques de Langre'ï, d'Autun et
d'Auxerre, l'évêque de Bethléem était continuel-
(1) Cette relique exUte encore. Elle fut, en i:j50, placée sur une
croix de bronze doré qui porte cette inscription : « H. Pèreen Dieu
M'e Philibert de Beaujeu me fit faire : in hoc signovinces. Adorez
tous la vraie croix par laquelle nous avons été rachetés. »
(2) Registre des délibérations de la mairie de Dijon, 'I5i8, p.
330 et 331.
— 278 —
leraent occupé à faire des ordinalions, bénir des
cimetières, reconcilier des églises polluées par
effusion du sang (1), etc.
Il mourut à la fin de Tannée 1553 et fut inhumé
dans sacalhédrale (2) deClamecy. L'entréedu ca-
veau était surmontée d'un ocusson avec les armes
de Philibert de Beau jeu.
Le 11 juillet 1555, avant sa mort, Philibert
avait fondé un chapitre de chanoines, composé
d'un doyen, d'un chantre, d'un trésorier et de
trois prêtres séculiers. Les six prébendes furent
approuvées le 13 juillet 1556 par Tévêque de
Langres, au nom de Tabbé de Saint-Bénigne,
parce que Philibert était toujours resté religieux
de ce monastère.
4° Antoine, religieux de Saint-Bénigne et de
Saint-Germain d'Auxerro, où il était sacristain
en 1527. Le 4 septembre 1540, il figure sur la
liste des religieux de Saint-Bénigne, et la même
année, après la mort de son frère François, il
élait choisi comme vicaire, par le nouvel abbé,
Louis de Lorraine, pour procéder à l'inventaire
des biens et des droits de l'abbaye. Il avait aussi
(1) On trouvera des renseignements plus complets sur Philibert
de Beaujeu dans V Histoire del'écêché de Bethléem, par M. Louis
Chbvalibr-Lagsmissière^ conseillera la cour de Dijon.
(%) Cette cathédrale était une chapelle de 48 m. de long et de
6 m. 90 do large. Elle fut vendue le 4 Thermidor an IV (19 juillet
4796) pour 4980 fr. comme bien national et est aujourd'hui une
annexe d'auberge.
PL. IV.
SCEAU DE PHILIBERT DE BEAUJEU
ivtqVE DB BBTHLéBM
ARMOIRIES DE JEAN UI DE BEAUJEU
Sur la cloche de réglise de Chazeuil.
— 279 —
succédé à son frère dans Toffico de chambrier de
Saint-Bénigne, et le 15 décembre 1 341, il faisait
en cette qualité un traité avec Paul Maire, mar-
chand à Dijon, pour 25 journaux de terres in-
cultes à Messigny, moyennant deux deniers par
journal, à payer le jour de la Toussaint.
JEAN III.
Jean de Beaujeu III, seigneur de Ghazeuil, de
Jauge (1), de Boissenais ou Brissenai (2), de
Vincelotle (3), etc., chevalier des ordres du roi,
était appelé Jean de Beaujeu, le jeune^ avant le
décès de son père Jean II.
En 1522, il retenait des chanoines d'Auxerre.
une maison rue de la Parchemînerie, venant de
Jean Lemay, et sur laquelle le chantre en même
temps que le chapitre avait droit à un cens de
six deniers tournois. Il était alors marié à Jeanne
le Rotier, veuve de Jacques Lenormand et fille
d'Henri le Rotier (4), valet de chambre du >oi
(4) Jauge, caoton de Saiot-Florentin, arr. de Tonnerre, Yonne.
(2) Brissenais^ peut-ôtre Broisserelie, canton d*Aillant, arr. de
Joigny.
(3) Vincelotle, canton de Goulange-Ia-Vineuse, arr. d'Auxerre.
(4) Henri le Rotier, seigneur de Bouilly, Jauge et Villefargeau,
gouverneur d'Auxerre en 4490, mourut en 4493. (L*abbé Lkbeuf,
Histoire dAuxerresU lU, p. 369, 374). Il avait succédé à Pierre de
Chandio et eut pour successeur Hector de Saliazart, frère de Tris-
tan, archevêque de Sens, et de Louis, marié à Catherine de Beau-
— 280 —
Charles VIII, el de PerneKe de Tliiard (i).
Par arrêt du Parlement de Paris, en date du
23 mars 1523, un bailliage avait été créé à
Auxerre qui dépendait auparavant du bailliage
de Sens (2). Dans la séance qui eut lieu à Saint-
Fargeau, le 14 octobre, à TefFet de fixer les limites
de la nouvelle juridiction el de désigner les
communes qui devraient en faire partie, Jean de
Beaujeu, écuyer, et Jeanne le Rofier, sa femme,
seigneur et dame de Boissenai, durent faire ^a
déclaration de leur fief et donner leur consente-
ment.
Cette année-là, le procès relatif à la justice de
jou-Montcoquier ou du Colombier. Son fils EdmeleRotier, frère de
Jeanne, fut aussi bailli et gouverneur d'Auxerre en 1505 et 4509.
Il eut une 61le, Edmée, mariée à Louis d'Etampes, seigneur de
Mont-Saint-Sulpice. La mère était Marie du Lac, fille de Lancelot,
chevalier, échanson du roi et gouverneur d'Auxerre. {Société des
sciences de V Yonne, t. III, p. 34). Un beau sceau avec la signature
d'Edme le Rotier existe aux archives de la Côte-d*Or, B. 350,
cote 97. H représente un emmanché de 4 pièces.
(I) Remette de Thiard était fille de Jean, lieutenant général du
bailli, puis gouverneur, en 4474.
(î) Le bailliage de Sens était un des quatre anciens bailliages du
royaume avec Vermandois, Mâcon,Saint-Pierre le Moutiers (Nevers).
C'était le plus important : il s'étendait jusqu'aux portes de Gray,
puisque Higny en dépendait. Il a été démembré pour former tout ou
partie des bailliages d' Auxerre (1525), do Langres (1640), et une
partie de ceux de Châlons (1637), Montargis (1638).
Sens avait la môme importance au point de vue religieux. L'ar-
chevôque de Sens avait, comme suffragant, l'évoque de Paris, qui
ne prit le titre d'archevôque qu'à la suite d'une bulle de Grégoire
XV, en 1624. L'archevôque de Sens était alors Primat des Gaules.
— 281 —
Chazeuil et que le père de Jean de Reaiijeu avait
intenté aux autres seigneurs devait prendre un
nouvel essor. En vertu de lettres do relief, du
23 juillet, Jean avait été assigné, le 12 août,
devant le Parlement de Paris, de la part de
Lazare Baudot, fils de Claudine de Mailly, appe-
lant du jugement du 30 janvier 1522, qui avait
donné tort à sa mère. Jean y répondît par une
assignation à comjt?arot> devant le bailli de Sens,
pour violation de la sentence de ce magistrat qui
avait défendu au sieur Baudot de tenir jour de
justice à Chazeuil. Pendant que la procédure
suivait son cours, Jean de Beaujeu déjà seigneur,
par sa femme, du tiers de la seigneurie de Jauge,
achetait, en 1324, les deux autres tiers, dépendant
de la succession de François du Brouillard (ou
Brouillard). Une rente de 100 sols, établie sur
cette terre, avait été donnée à l'abbaye de Ponli-
gny (1), en 1235 et août 1240, par Gauthier de
Pacy, seigneur du lieu et de Saint-Florentin. Ce
détail n'avait sans doute pas été mentionné dans
la vente, car il fallut aller devant le juge de
Saint-Florentin qui, par sentence du lundi 19 dé-
cembre 1524, obligeale nouvel acquéreurà verser
la redevance aux religieux.
Le 9 juillet 1525, Jeanne le Rotier était morte.
[\) Pontigny, canton de Ligny-Ie-Châtel, arr. d'Âuxerre, dans
une tie du Serein. L*abbaye, fondée en 1 M4, était la 2<^des quatre
iillesdeCiteaux.
— 282 —
Elle laissait, de son premier mariage, une fille,
Marie Lenormand, qui entra au couvent deSaint-
Julien y diaprés les conseils de ses parents et amis.
Jean de Beaujeu, son beau-père, sous la caution
de François de Beaujeu, abbé de Saint-Germain,
son oncle, et de Philibert de Beaujeu, évoque de
Bethléem, son frère, s'engageait vis-à-vis du
monastère à payer chaque année la somme de
seize livres tournois, qu'il promettait d'assigner
sur la justice de Chevroche (1). Il signait en môme
temps Tobligation de donner deux robes, deux
cottes et un manteau fourré de 'panne noire,
douze aunes de toile de lin pour l'accoutrement
de tête, une lasse, une cuiller (2), un lit garni
de co^fe (matelas), coussin, couverture et une
douzaine de linceuls (draps), deux douzaines de
nappes, une douzaine de serviettes, une douzaine
de feuilles d^ètain (assiettes), six plais, une pinle,
une chopine et une aiguière (pot à eau), plus,
douze livres de cire ou deux torches de six livres
chacune (3).
Pendant ce temps le Parlement de Paris qui
avait, le 23 janvier 1523, annulé la procédure et
les actes des officiers de justice de Claudine de
Mailly à Chazeuil, rendait un nouvel arrêt, le
(1) Chevroche, canton de Clamecy, Nièvre.
(2) Iin*y avait pas de fourchettes,car on ne connaissait pas cet ins-
trument à cette époque. Il n'entra dans les usages qu'au x vu* siècle.
(3) Arch. de l'Yonne, E. 488.
— 283 -
20 mars 1327, pour confirmer le premier et fixer
les dépens à la somme de 244 francs.
Jean de Beaujeu était alors lieutenant du gou-
verneur et bailli d'Auxerre, nommé de Boîssy et
il venait d'épouser, le 19 décembre 1526,Gîlberle
de Beaurepaire (1), fille de Jean, seigneur du
Chesne, avec laquelle il fut parrain, en 1329,
d'une cloche qui existe encore aujourd'hui dans
le clocher de Téglise de Ghazeuil (2). Quelques
années après, le 13 août 1536, dans un acte signé
de son seing manuel et portant son scel et contre
scel armorié de ses armes, il donnait à la cha-
pelle de la Conception, fondée dans l'église,
7b sols de rente et environ 40 journaux de terre,
(1) llexistait plusieurs familles du nom de Beaurepaire, maisles
Beaurepaire, seigneurs du Chesne, étaient de la Champagne. H y
avait alors une localité du nom de Beaurepaire avec château,
dépendant aujourd'hui de la commune de Charbuy, canton d'Aillant,
arr. de Joigny, Yonne. Non loin, dans le môme canton, est le village
du Cbône. Diaprés Rietstap, les Beaurepaire de Champagne por-
taient : d'azur à une bague chatonnée d'or, à la bordure denchée
de môme.
(2) Cette cloche porte l'inscription suivante : « f IHS : MA :
MKNTBII» SANCTAM, SPONTANBAM HONORKM DEO ET PATRIJi LIBERATIONBM
HV«IX1X. 1. DB BBADJBO, Q. DB BBADRRPAIRB. JE SUIS FAITE PAR LES HAB1«
TANTS DE GHAZEUIL. • Aprèsle nomdeOilbertede Beaurepaire se trouve
un écusson aux armes de Beaujeu, supporté par deux sauvages.
La môme inscription existe sur la cloche du beffroi de Talmay qui
est beaucoup plus ancienne, car elle porte la date MCCCLXXXV.
On la retrouve à Ruffey-les^Schirey. Cela indique que c'était une
formule consacrée; mais on n'en a pas trouvé la véritable signifi-
cation.
— 284 —
sur lesquels il se réservait la justice et le chapon
avec un cens de six deniers, destiné à maintenir
ses droits, dans le cas d'abandon de ces terres.
La donation était faite moyennant l'obligation,
par le chapelain, dédire trois messes par semaine,
les mercredi, vendredi et samedi (1).
Malgré les sentences du bailli de Sens et les
arrêts du Parlement de Paris, le procès relatif à
la justice de Chazeuil n'était pas terminé. En
vertu des lettres exécutoires du 6 juillet 1S27,
pourrarrètdu20 mars précédent, les héritiers de
Philippe Baudotetde Claudine de Mailly devaient
payer, pour leur part et portion des frais et des-
pens, la somme de 244 francs. Après avoir épuisé
tous les moyens de procédure pour ne pas s'exé-
cuter, ils avaient fini par verser un acompte
réduisant la dette à 1 15 fr. 12 sols 6 deniers. Le
3 juin 1542, Jean de Beaujeu obtenait des lettres
depareatis (2), pour pratiquer la saisie des biens
de ses débiteurs; et, le 17 juin Ligier Lore, ser-
gent royal, se transportait au château de Van-
toux (3) et déposait un brandon contre la porte,
(<) Arch. de la Côto-dOr, E. 59i. Ces biens furent vendus, le
3 août 4793, pour la somme de 3006 livres 13 sous 4 deniers.
{'i) PareatiSt c'est-à-dire : obéissez, sont lettres du grand sceau
par lesquelles le roi mande au pré?m(cr sergent ou huissier d'exécu-
ter la sentence des juges dans une province où le sceau de leur
chancellerie n*a pas autorité (C.-J. de FeRniÈREs^ doyen de la faculté
de droit de Paris, MDCCLVIII.)
(3) Vantoux, canton et arr. de Dijon.
— 285 —
en assignant à Fontaine (l), au prochain mar-
ché, et de quinzaine en quinzaine jusqu'aux
criées, pour la vente, à défaut de paiement de la
somme de ^7 fr. 16 sols 3 deniers.
Le surlendemain, 19, il se présentait au château
de Blaisy (2), domicile de Jacqueline Baudot,
mariée à Claude de Rochecbouart et procédait aux
mêmes formalités.
La veille, Alexandre de Saiilx, seigneur de
Vantoux, mari de Philiberle Baudot, était à
Dijon, arguant de l'ignorance de sa femme et de
la sienne propre et offrant caution. Mais il re-
commençait la procédure, en formant opposition
à l'exécution de l'arrêt, car le 19 février 1543,
t' Jean de Beaujeu recevait signification de Tappel
et communiquait son dossier aux gens du roi.
C'était le temps où les discussions ne cessaient
-' que pour renaître au moindre prétexte. Le père
\r de Jean de Beaujeu avait obtenu, en 1512, l'usage
r- dans la forêt de Velours pour les habitants de
a- Chazeuil. En 1520, il avait de nouveau fait dé-
\t terminer ce droil, qui avait été reconnu sous
certaines réserves (3). Mais des difficultés étaient
survenues et il fallait avoir recours aux lumières
des gens de loi. Le l*""" septembre 1544, Jean de
(I) Konlaine-ies-Dijon^ iJ., sur une colline. Patrie de saint Bcr-
j nard qui était de la famille noble portant le nom de cette localité,
(i) Blaisy, canton do Sombernon, arr. de Dijon.
(3) Voir paijc 273.
— 286 —
Beaujeu adressait à Odot Gachot, notaire à Cha-
zeuil, une procuration pour suivre en son nom
le procès commencé. En vertu d'une commission
du bailli de Sens, en date du 25 novembre 1545,
une visite de la forêt était faite, le 17 janvier
1546, par un huissier du bailliage de Sens, com-
mis à cet effet, sur requête de Jean de Beaujeu
el de ses sujets, auxquels on prétendait enlever
le droit de pâture.
Mais Jean ne devait pas voir la solution de
cette nouvelle affaire : il mourut la même année,
laissant la tutelle de ses enfants à son frère Phi-
libert, évèque de Bethléem. Sa femme, Gilberte
de Beaurepaire, lui survécut jusqu'en 1585. Le
27 juillet 1558, elle cédait au sieur Tabouret de
Véronnes quelques terres dans ce village. Le
9 octobre 1560, elle lui cédait encore quelques
héritages. En 1564, elle abandonnait àe nouveau
six soitures et demie de pré, pour lesquelles Guy
Tabouret, qualifié de conseiller secrétaire du roi,
contrôleur au Grand Conseil, rendait son hom-
mage h Anne de Marmîer, veuve de Jean de
Baissey.
Par son contrat de mariage son douaire avait
été fixé à 66 écus, rachetable par 833 écus 2/3,
et elle fut colloquée pour cette somme, lors de la
vente de Chazeuil, en 1584.
Elle avait donné à son mari les enfants sui-
vants, tous nommés dans les pièces du procès
— 287 —
relatif à la justice de Chazeuil, comme étant sous
la tutelle de leur oncle Philibert :
1** François, Taîné, seigneur de Jauge, dont les
descendants constituèrent le rameau de ce nom ;
2° Jean IV, lepuiné, qui continua les seigneurs
de Ghazeuil ;
3° Philibert, novice à Tabbaye de Bèze, en
1336(1);
4° Paul, seigneur de Villiers- Vineux et qui
donna la branche de Villiers ;
5° Jeanne, morte jeune ;
6' Elyon, mort sans postérité ;
7^ Claude, au leur de la branche des seigneurs
d'Ange ville, de Montréal et de Mézilles en Pui*
saye, qui fournira les derniers représentants de
la famille ;
8*" Hardy, décédé en bas âge ;
O*' François, chevalier de Malte, reçu en
1566 (2).
(I) Ses parents étant mariés en 4526. il ne poavait guère avoir
alors que 6 à 7 ans au plus.
(3) ViRTOT, Histoire de Vordre de Malte, t. III. L'année précé«
dente, avaient été reçus : Adrien de Pontailler et Aimé de Malain.
La môme année Alexandre de Mailly, d'Arc- sur-Tille, et François
de Vienne avaient pris Thabit.En 4569 on voit Georges de Mandres
de Hontureuxef, en 4570, Africain de Mandres. Pierre de Beaujeu-
Montot fit profession en 4576.
— 288 —
JEAN IV
Jean de Beaujeu IV, chevalier, seigneur de
Chazeuil, mestre de camp d'infanterie, maréchal
des camps et armées du roi Charles IX, lieutenant
au gouvernement de Marseille, chevalier de Tor-
dre du roi, était le fils puiné de Jean III et de
Gilberte de Beaurepaire.
A la mort de son père, en 1547, il resta sous
la tutelle de sa mère et de son oncle Philibert de
Beaujeu, évoque de Bethléem, mais il était ma-
jeur le 31 mai 1549, car Jean de Dinteville, dans
le dénombrement de Saint-Bris, déclare le fief de
ChouUy-les-Auxerre tenu par Pierre de la Porte,
conseiller du roi au Parlement de Paris et Jean
de Beaujeu, seigneur de Chazeuil.
Il avait eu, comme puiné, le fief de Chazeuil
et, le 12avriH561,il faisait cause commune avec
les habitants du lieu qui s'assemblaient en sa
présence et avec sa permission, au son de la
cloche, pour passer un traité relatif à la posses-
sion de dix-huit cents journaux de terres labou-
rables ayant fait partie de la forêt de Velours et
enclavés dans la pariie de la forêt située sur les
territoires de Fontaine-Française, Bourberain,
Sacquenay et Chazeuil. Jean de Baissey, cheva-
lier, baron deTilchâtel et seigneur de Bourberain,
propriétaire de la forêt, abandonnait la jouissance
— 289 —
de ces terres moyennant la douzième des gerbes
récoltées et un sol de cens par arpent, avec fa-
culté, dans le délai de trois ans, de racheter cette
redevance à raison de 25 sols par journal.
L'année suivante, Jean de Beaujeu, qui avait
embrassé la réforme, était gouverneur de Sisteron
et lieutenant au gouvernement de Marseille. Le
gouverneur était Claude deSavoie, comte deTende,
fils d'Anne de Lascaris, dame de Tende, et de
René, grand bâtard de Savoie, enfant légitimé
de Philibert de Savoie, grand père du roi Fran-
çois I". Claude de Tende avait été marié en pre-
mières noces avec Marie de Chabannes et en avait
eu Honorât, comte de Sommerive, devenu son
ennemi le plus acharné.
Il avait contracté un second mariage avec
Françoise de Foix de Ourson, qui lui avait donné
un fils, Sorrèze, plus connu sous le nom de baron
de Cypières, et une fille, Anne, mariée dans la
maison de Saluées (1).
Cette Françoise de Foix était la fille de Jean de
Foix, comte de Ourson, vicomte de Meille et
d'Anne de Villeneuve, el sa sœur, Marguerite,
était mariée à Jean de Villeneuve, seigneur de
Tourelle, dont la fille Marthe épousa Jean de
(I) Elle épousa ensuite Antoine de Clermont d'Âmboise dont la
nièce, Françoise de CUrtnont, devint la femme d* Alexandre de Beau-
jeu, fils de Jean.
22
— 290 —
Beau jeu (l). Cette alliance jetait sur le nom de
Beaujeu une illustration extraordinaire, puisque
par elle Jean se trouvait apparenté aux maisons
de France et de Savoie (2).
Le comte de Tende était devenu suspect à la
(1) Les frères Haag^ « la France protestante^ • ont dit avec Bèzb
et de Tbod, > Hisl. universelle, t. IV^Iiv. XXXI, p. 310 s que Jean de
Beaujeu était le neveu de Claude de Savoie, étant fils de sa sceur.
Jean de Beaujeu était bien le neveu du comte de Tende, mais par
sa femme, Marthe de Villeneuve^ fille d'une sœur de la dernière
comtesse de Tende. Voici le texte de de Thou : « le comte de
Tende avait envoyé onze enseignes dont il avait donné le cômmao-
dément à Beaujeu, fils de sa sœui\ d'une illustre maison de Bour-
« gogne, et très brave capitaine. *
(2) Marthe de Villeneuve, femme de Jean de Beaujeu, avait pour
mère Marguerite de Foix, alliée aux maisons de France et de
Navarre. Gaston IV de Foix avait épousé, en 1434, Elépnore, reine
de Navarre, dont Gaston V marié, le 14 février 4461, à Madeleine
de France, fille du roi Charles Vil et de Marie d'Anjou. Leur fils,
François-Phtebus, roi de Navarre, étant mort sans enfants, sa sœur
Catherine épousa Jean d'Albret, en 1484. Jean d*Albret et Cathe-
rine de Navarre eurent, entre autres enfants, Henri U d'Albret, roi
de Navarre, marié en 4 527 à Marguerite d'Orléans-Angoulôme,sœur
du roi François I, etquifutle père de Jeanne d'Albret, mère d'Henri
IV. Jean de Foix, fils de Gaston IV et d'Eléonore, reine de Navarre,
épousa Marie d'Orléans^sœur do Louis Xn, et en eut Gaston de Foix,
duc de Nemours, tué à la bataille de Ravenne, à 24 ans, en 4512.
Le 5» enfant de Gastdn IV fut Marie, première femme du marquis
de Montferrat. Le 6°, Jeanne, devint la femme de Jean V, comte
d*Armagnac. Le 7e, Marguerite, deuxième femme de François II,
duc de Bretagne, mort en 4 487, était la mère d'Anne de Bretagne,
reine de France, épouse de Charles VIII et ensuite de Louis XII.
Aussi Jean de Foix, comte de Meille, comte de Gurson, le grand-
père de Marthe de Villeneuve, portait, comme parent^ un des
coins du poêle aux funérailles d'Anne de Bretagne, en 1513.
L'arrière- petit-fils du frère de Marguerite de Foix, mère de
— 291 —
cour, sans qu'on osdt toutefois lui enlever son
gouvernement de Provence. On craignait de
mortifier un homme que la maison royale recon-
naissait pour son allié. On crut qu'il suffirait de
lui associer quelqu'un dont le zèle pour la vraie
religion balancerait se? sentiments trop prononcés
pour la réforme, et on lui envoya son fils Honorai ,
comte de Sommerive. Mais, outre la différence
d'opinion religieuse, une inimitié personnelle
divisait le père et le fils, et une rupture devait
fatalement éclaler. Sommerive leva alors des
troupes et marcha contre son père ; il le pour-
suivit avec Tacharnement d'un ennemi inconci-
liable. Il le chassa de poste en poste jusqu'à
Sisteron (1), et le malheureux vieillard se réfugia
avec le reste de sa famille dans ce dernier asile
du protestantisme du côté des Alpes. Il avait avec
lui 4000 hommes d'infanterie et 500 cavaliers et
des lieutenants aguerris parmi lesquels un Ville-
neuve (d'Espinouse), Claude et Henri de Grasse,
dont la mère était de la maison de Foix : alliance
Marthe de Villeneuve, J.-B. Gaston de Foix^ comte de Fleix, géné-
ral pour le roi en Bourgogne et gouverneur de Mftcon, avait épousé
Marie-ClairedenaufTremont.marquisedeSennecey, 4''^ dame d'hon-
neur de la reine Anne d'Autriche, mère de Louis XIV. Elle élait
fille d'Henri de BaufTremont et de Marie de la Rochefoucaud, com-
tesse de Randao, gouvernante de Louis XIV.
(4) Sisteron, chef-lieu d'arrondissement, Basses-Alpes. J'ai con-
sulté avec fruit VHistoire de Sisteron, par E. de Laplanb, Digne,
4843^ que M. le maire de la ville a bien voulu mettre À ma dispo<-
itition.
— 292 -
qui peut servir à expliquer leur présence dans
les rangs de la réforme.
Le comte de Tende ne jugeant pas à propos de
s'enfermer dans Sisteron, sortit avec quelques
troupes et laissa le dommandement de la ville à
Jean de Beaujeu. Le poste était périlleux car la
ville n'avait que de vieilles murailles en ruines
et d'anciennes tours sans bastions, et pour toute
artillerie Beaujeu ne trouva qu'une dizaine de
fauconneaux. Quant aux vivres, ils étaient en
petite quantité, car le siège n'avait pas été prévu.
Sommerive, arrivé devant la ville, fit immé-
diatement usage de son artilllerie, et sur le soir
du 11 juillet, une partie des remparts s'étant
écroulée, on résolut de tenter l'assaut. Mais aupa-
ravant, sommation fut faite à la garnison d'avoir
à se rendre à composition. Bravant la menace,
Jean de Beaujeu répondit que « jusqu'à son der-
nier soupir, il défendrait une ville confiée à son
honneur. » L'assaut futalors ordonné, mais après
trois attaques infructueuses, la nuit sépara les
combattants. Beaujeu avait fait merveille (1).
Electrisés par son exemple, les assiégés se mirent
à l'œuvre, et le lendemain, les murs n'offraient
plus trace des ravages de la veille (2).
(1) De Thou, loc. cit., p. 313.
(2) C'est à ce siège que Lesdiguières fil ses premières armes, à
19 ans. (( Voilà. 'dit Beaujeu, un jeune gentilhomme qui fera des
« merveilles; s'il vit, il fera parler do lui •. — Lesdiguières devint
en effet maréchal de France.
— 293 —
Sommerîve, au comble de la surprise, renonça
alors à continuer les opéï'alions et se retira : ce
qui permit au comte de Tende de rentrer dans la
ville. C'est alors qu'on amena à Jean de Beaujeu
un soldat catholique nommé Bourquenègre, brave
mais perdu de réputation pour ses crimes et ses
vices. Sur la plainte de plusieurs femmes qull
avait outragées, Beaujeu, qui ne tolérait pas Tin-
conduite et la violence dans ses propres troupes,
le fit étrangler par le valet qu'on avait pris avec
lui (1).
Sommerive, ayant reçu des renforts, revint
vers Sisteron regardé comme le rempart des pro-
testants de ce côté. Mais, le 19 mars 1563, parut
un édit de pacification, et Biron fut envoyé en
Provence. Jean de Beaujeu fut désigné comme
gouverneur, mais il dut bientôt abandonner son
poste. Il y revint en 1567 avec Cypières, Vala-
voire, René de Savoie, frère du comte de Somme-
rive, devenu gouverneur de Provence à la mort
de son père, arrivée le 23 avril 1566, Cypières
l'installa même comme gouverneur de la ville,
mais appelé ailleurs au bout de quelques jours,
il laissa le commandement à Vala voire.
L'année suivante il était revenu dans TAuxer-
rois, et, le 24 novembre 1568, par devant
M® Léonard, notaire à Clamecy, il passait le bail
(I) De Thou, t. III, p. 239.
- 294 —
d'une maison au faubourg de Belhléem, et pro-
venant sans doule de son oncle Philibert.
D'après la généalogie dressée par dHozier,
Jean de Beaujeu fut^w^' en 1572. Fut-il une des
viclitnes de la Saint- Barthélémy (1) ? Cela est
fort possible et môme probable. Sa brillante con-
duite dans la défense de Sisteron, l'autorité qu'il
avait su acquérir dans le parti de la réforme le dé-
signaient aux coups des fanatiques, et il avait dû
accourir auprès de TamiralGoligny (2), lorsqu'il
fut blessé, le 22 août, d'un coup d'arquebuse.
Jean de Beaujeu avait épousé Marthe de Ville-
neuve, fille de Jean, seigneur do Tourette en
Provence, et de Marguerite de Foix de Gurson (3)'.
Elle survécut à son mari jusqu'en 1604.
Elle avait son douaire établi çur la seigneurie
{\) S'il avait été tué sur un champ de bataille, d'Hozier n'eût pas
manqué de citer le siège ou le combat où il avait trouvé la mort.
Faisant son travail en <670, sous Louis XIV, il n'a pas voulu rap-
peler les massacres de la Saint-Barthélémy, alors que les Beaujeu
étaient rentrés dans ta religion catholique, comme la plupart des
gentilshommes.
(2) On avait invité, de par le roi, les seigneurs protestants à se.
réunir autour de l'amiral, sous prétexte de le garder, mais en
réalité afîn de les avoir sous la main, pour le massacre projeté,
qui eut lieu deux jours après, le dimanche 24.
(3) Marguerite était le quatrième enfantde Jeande Foix et d'Anne
de Villeneuve, fille de Louis !«', marquis de Trans et enterré à
Draguignan. Sa sœur Marthe était mariée, par contrat du 9 mars
1535, à Claude de Grasse, fille de Jacques et dcSibille de Quique-
ran-Beaujeu (ÂNSELMB, t. III, p. 387, Histoire généalogique de la
maison de France et .ks grands officiers de la couronne)»
- 295 —
de Qhazeuil, et une sentence du bailliage de
Langres, du 15 mai 1584, avait fixé à un septième
et demi la part réservée dans ce but et qui fut
distraite lors de Tadjudicaliori tranchée, au mois
de décembre de cette année, au profit de Charles
d'Escars, évoque de Langres. Mais des difficultés
étaient survenues, et, le 20 mai 1387, Marthe se
présentait à la maison épiscopale à Langres, à
9 heures du matin, pour transiger et arriver à
un accord avec Tévêque, au sujet de leurs droits
respectifs et notamment de l'exercice commun
de la justice. Il fut alors convenu que les procu-
reurs des deux parties opéreraient simultanément
« sans rien pouvoir faire Tun sans Taulre. Le
greffe serait mis en adjudication et Marthe de
Villeneuve aurait la jouissance du septième et
demi du produit, comme de la mairie et de toutes
autres choses indivises, non comprise la maison
de Christophe de Beaujeu, fils de François (1) ».
Elle ;ivaitdonné à son mari les enfants suivants :
V Alexandre ;
2' Françoise de Beaujeu, veuve en 1898 de
Pons Nicolaï de Soisson (2), eldont la fille unique,
Madeleine Nicolaï de Soisson, fut mariée à Jean
(1) Arch.de la Côle-d'Or, E. 4375.
(2) Les Nicolaï du Dauphiné et de Provence portaient d'azur à
la fasce d'argent accompagnée de 3 étoiles d*or. Ils ne doivent pas
être confondus avec les Nicola'Uqui donnèrent successivement neuf
premiers présidents à la Chambre des comptes do Paris, de 150D à
4750.
— 296 —
de Brunel (1), ?eîgneur deRhodet, qui, le 2 avril
1629, vendait pour douze vingt (240) livres, à
Jean d'Amanzé, héritier de son oncle Charles
d'Escars, tous les droits de sa femme dans la suc-
cession de Marthe de Villeneuve, sa grand-mère,
sous réserve du droit de retrait lignager (2) en
faveur de Françoise d'Amboise, veuve d'Alexan-
dre de Beaujeu et des enfants nés de son défunt
fils.
3** Anne de Beaujeu» mariée, par contrat du
25 novembre 1586, à Guillaume de Vassan (3),
seigneur de Remimesnil et de Crespy, homme
d armes de lacompagnie du marquis de Pont, fils
(4) Les Brunel avaient des biens à Perrigny-les-Auxerre (Arch.
do TYonne, H, H 62); au xvu* siècle, ils habitent Serbonnes^arr. de
Sens, canton de Sergine, et deviennent Brunel de Serbonnes. Ils
étaient du Dauphiné où ils possédaient Saint-Maurice el Rhodet
(La Cbbsnate-Dbsbois, t. UI). Les Brunel portaient : d'or au lion de
sable, à la fasce de gueules chargée de cinq coquilles d'argent bro-
chant sur le tout.
(2) Le retrait lignager était le droit réservé aux membres de la
famille de reprendre les biens vendus, en remboursant le prix d'a-
chat : il est bien dit dans le procès-verbal de vente : « et au cas
que demoiselle Françoise d'Amboise, veuve de feu noble Alexandre
do Beaujeu... voulussent avoir le droit sus-vendu, le dit sieur d'Es-
cars serait tenu de le remettre pour le prix ci-dessus, sur la signi-
fication à lui faite. » (Arch. de la Côte-d'Or, E. 1375.)
(3). Vassan, originaire du Soissonnais, portaient d'azur au che-
vron d'or, accompagné en chef de deux roses d'argent et en pointe
d'une coquille de môme. (Société À cad. de f Aubây i, LWll, p. 451.)
Jean de Vassan habitait Brienne-le-Château en 1550 : ses descen-
dants devinrent plus tard seigneurs de Crespy, qui est dans Tarr.
de Bar-sur-Aube. (Voir aussi d'HoziiB, t. Il, p. 608.)
— 297 —
du duc de Lorraine, en 1563, puis gentilhomme
ordinaire de la chambre de M^' le duc d'Or-
léans, par lettre de retenue du 27 février 1583.
4® Isabelle deBeaujeu, morleen 1594, laissant
de N. de Larnage (1) en Dauphiné, son mari, une
fille, Lucrèce, épouse de Claude de Brunel, frère
de Jean, marié à Madeleine Nicolaï de Soisson,
fille de Françoise de Beaujeu. Aussi vendait-il, en
môme tempsque Jean de Brunel, à Jean d'Amanzé
d'Escars, les droits de sa femme dans la terre do
Chazeuil, du chef de Marthe de Villeneuve (2).
5** Scipion de Beaujeu, seigneur de la Tuilerie,
marié à Jeanne de Noirefontaine (3), fille de Jean,
seigneur du Buisson, et de Jeanne de Tournebulle,
et dont il eut Jean de Beaujeu, chanoine àToul et
Anne de Beaujeu qui épousait, le 12 mai 1627,
Joachim de Minelte, seigneur de Bassignan,
duquel la postérité encore existante aujourd'hui
a relevé le nom et les armes de Beaujeu (4).
(1) Larnage, cant. de Tain, arr. de Valence, Drôme. La famille
est éteinte et n'a aucun lien avec les Larnage d'aujourd'hui dont le
nom est Brunier de Larnage, et qui habitent la Lorraine.
(2) Le douaire était la portion de ses biens que le mari laissait à
sa femme, en cas de survivance de cette dernière. L'article 3 de la
coutume de Bourgogne fixe le douaire de la femme à la moitié des
anciens héritages du mari^ dans la noblesse, et au tiers seulement,
dans la bourgeoisie.
(3) La famille de Noirefontaine, originaire du Soissonnais et
établie en Champagne, portait de gueules à 3 étriers d'or.
(4) Malgré plusieurs tentatives je n'ai pu savoir si cette famille
possôdait doâ documents sur la maison de Beaujeu>sar-Saône.
— 298 -
Scipion était témoin avec son frère Alexandre,
le 12 juin 1606, à Villiers- Vineux, de la transac-
tion survenue entre Jean deBeaujeu, seigneur de
Jauge, son cousin, et Catherine de Saint-Biaise,
d'une part, et Louis de Saïnt-Blaise, au sujet de
la dot de Catherine.
Il était qualifié de seigneur d'Arentières dans
racle par lequel, le 7 avril 1604, il cédait à
Alexandre de Rougemont la huitième partie du
septième et demi de la seigneurie de Chazeuil,
pour le prix de 600 fr.
6° Lucrèce de Beaujeu, mariée à Claude de
Blosset (1), écuyer, seigneur de Rouxy-Fort vieux
et demeurant à Corvol-rOrgueilleux en Niver-
(1) Blosset) famille du Nivernais qui portait écartelé aux 4 et 4 :
de gueules à 3 molettes d'argent; aux 2 et 3 : paie d'or et d'azur de
six pièces, au chef de gueules chargé d'une fasce vivrée d'argent.
Rogerin Blosset était maître d'hOtel de Louis XI, alors qu'il n'était
que Dauphin (Tuetbt,/6S Ecorcheurs sous Charles VII,\\. 158). Jean
de Blosset était gouverneur de Dijon en 1477. Charles Blosset, sei-
gneur de Saint-Maurice, était lieutenant de Jean Rapine, gouverneur
d'Auxerre, en 1477, pour le roi Louis XL Nicolas Blosset était, en
1507, seigneur de Saint-Maurice (Lebeijf, Hist. d'Auxerre^ t. 111,
p. 353 et 380). Louis Blosset, dit le bègue, seigneur de Fleury
(Yonne, cant. d'Aillant) avait embrassé la réforme : il défendit Veze-
lay contre les catholiques, en 1572 et refusa de rendre Clamecy à
Mayenne en 1596 (Challes, Guerres de religion, t. I, p. 329). En
1598, Philippe de Blosset, écuyer, faisait hommage pour partie de
Saint-Verain. Une alliance avait déjà eu lieu au commencement du
xvie siècle. Marie des Ulmes, mariée à Claude de Beaujeu, fils de
Jean IL et qui fut seigneur de la Maisonfort en Nivernais, avait pour
mère Christine de Blosset. Paul de Blosset était ambassadeur à Lon-
dres en 1744 {Annuairede l'Yonnej 1852, page 345).
- 299 —
nais, avec lequel, le 10 février 1604, elle vendait
à Alexandre de Rouge mont, écuyer, seigneur de
Broindon, un septième {les huit faisant le toitt)
d'un septième et demi de la terre de Chazeuil,
et consistant en 2S journaux de terre et 7 ouvrées
de vignes, indépendamment des droits seigneu-
riaux, pour le prix de 230 fr. payable en ducats,
testons et autres bonnes monnaies, moitié comp-
tant, moitié le lo août suivant. La ratification
par Lucrèce eut lieu à Tilchâtel, le 3 septembre
1604.
7° Marguerite de Beau jeu, épouse de Claude de
Dénié, seigneur de Ghanteloup en Nivernais, dont
elle était veuve en 1604, car, le 10 février, elle
cédait aussi à A. de Rougemont (i), avec l'auto-
risation de son beau -père Jean de Dénié, sa part
de Chazeuil, pour 230 francs.
(1) Alexandre de Rougemont descendait d'un bâtard des Rouge-
mont qui étaient arrivés à Tilchâtel au xiv* siècle, par un double
mariage avec les héritières de cette 8eigneurie(voir 2* partie, p. 25).
Ses descendants possédaient la gruerieoM administration des forêts
de la baronnie de Tilchâtel. Alexandre fit sa reprise de fief le 45
janvier 4605. Après avoir donné le détail de son acquisition, il se
déclare prêt à servir son seigneur « avec ses armes et ses chevaux
toutes fois qu'il aura besoin de lui, pourvu que ce ne soit contre sa
majesté le Roy... » et ensuite en signe de grande reconnaissance,
i7 baise la chaîne du pont-levis du donjon, (Arch. delà Côte-d'Or,
K. 1973^ original sur parchemin.)
300 -
ALEXANDRE
Alexandre, comte de Beanjeu, seigneur de
Chazeuil par son père, de Chambroncourt, Epizon,
Grand, etc., par sa femme Françoise d'Amboise,
fut capitaine d'une compagnie de chevau-légers
pour le service du roi Henri IV.
Il était fils aîné de Jean IV et de Marthe de
Villeneuve. Il paraît, en 1584, dans la procédure
relative à la vente de Chazeuil, et sa portion,
comme celle de son frère Scipion et le douaire de
sa mère, est estimée à un septième et demi de la
totalité de la seigneurie (1), et est réservée dans
Tadjudication prononcée en faveur de Charles
d'Escars, évoque de Langres, le 1 2 décembre 1584 .
On le trouve encore dans le procès pendant, au
sujet de la forêt de Velours, entre les seigneurs
de Tilchâlel et les habitants de Chazeuil et des
villages voisins, en 1586.
Alexandre, élevé dans la religion réformée que
son père et sa mère avaient embrassée, était dans
les troupes protestantes avec son oncle, Paul de
Beaujeu (2), seigneur de Villiers- Vineux, qu'il
(1) La portion dite do Beaujeu, à Chazeuil, comprenait 460 ha-
bitants contre une douzaine pour les deux autres seigneuries. Le
septième et demi représentait donc une valeur sérieuse, puisque
la part de chaque enfant, et ils étaient sept, pouvait être vendue
238 fr. et môme davantage (voir p. 298).
(2) Dans les mémoires de la Huguehib, t. UI, p. 404, il est dit
— 301 —
suivait dans ses campagnes. A la lêle d'une com-
pagnie de chevau-légers, il prit part à Texpédilion
des réformés allemands en Suisse, en Lorraine
et dans TOrléanais, pendant Tautomne de 1587.
Peu après, lors de l'invasion du comté de Mont-
béliard par les Guises, en janvier 1588, il com-
mandait cinquante lanciers, sous les ordres de
son oncle qui Tenvoya ensuite en mission auprès
du duc Casimir de Bavière, pour l'engager à
reprendre les armes et à venir à son aide. Mais
il échoua dans son ambassade.
- A Tavènement d'Henri IV, il fut naturellement
en faveur et servit dans ses troupes comme capi-
taine de chevau-légers.
Le 5 avril 1598, par un édit donné à Nantes,
Henri IV accordait aux prolestants la liberté de
leur culte. Le 12 mai, la paix était signée à Ver-
vins entre la France et l'Espagne. C'était la ces-
sation des hostilités officielles, mais cela n'em-
pêchait pas les aventuriers des deux parlis de
courir sur le pays voisin et de se livrer à des
pillages, sous le commandement de capitaines
appartenant le plus souvent à des familles de
gentilshommes, mais cachant leur personnalité
sous des noms de guerre. Les garnisons françaises
s'élançaient de la Champagne et de la Lorraine
frère de Paul, mais c'est une erreur. Les frères de Paul étaient
morts, Jean, père d'Alexandre, en 1572 et François en 4579. Du
reste^ la Huguerie l'appollo : « le jeune Beaujeu »,
— 302 —
sur le comté de Bourgogne, comme celles de celle
province se répandaient dans leBassigny.
Le 6 septembre 1590, le village de Magny-
d'Anigon (1) avait reçu la visite d'un parti de
catholiques venu « de Châtillon-sur-Saône près
Jouvelle (2). Ils s'étaient introduits dans le leni-
ple, l'épée à la main, l'arquebuse au bras, en
criant : tue! tue!... Après s'être saisi de Pierre
Faivre, le pasteur de Glairegoutte, et lui avoir
arraché la barbe, ils lavaient emmené prisonnier
avec le maître d'école et treize autres habitants,
qui ne furent élargis qu'en payant une forte
rançon (3). »
On était alors en guerre : mais en pleine paix,
le 23 novembre 160b, ce furent les calvinistes
qui renouvelèrent celle scène de brigandage, et
dans des circonslances plus extraordinaires (4).
(\) Magny-d*Anigon, canton et arr. de Lure. Frédéric de Wur-
temberg, comte do Montbéliard, en avait donné, en 1588, la jouis-
sance à Paul de Beaujeu, l'oncle d'Alexandre, et il y était mort au
mois de mai précédent.
(2) Châtiilon-sur-Saône, canton de Lamarche, arr. de Neufcha-
teau, Vosges, dépendait alors de la prévôté de Jussey.
(3) Hist. du comté de Montbéliard, par P. E. Tueffert, Bulletin
de la Société d'Emulation de Montbéliard, 4877, p. 456.
(4) Cette année-là, le désordre régnait un peu partout. Sous l'in-
fluence du duc de Bouillon, les protestants s^agitaient au midi
comme au nord, car le moment approchait où ils devaient rendre
les places de sûreté qui leur avaient été données en garde. A Paris
môme, « il y eut force meurtres, assassinats, excès; dix-neuf ont
n été trouvés avoir été tués dans le môme mois, don( on n*si pu
« découvrir les meurtrier?. » Journal de Pierre de TEstoile.
— 303 —
Environ 200 cavaliers, commandés par les comtes
de Beaujeu et d'Amboise, vinrent fondre du châ-
teau de Rîchecourt (1) près Jussey, sur Tabbaye
de Luxeuil. Leur tentative contre la ville ayant
échoué, car les bourgeois avaient eu le temps de
lever les ponts-levis et de fermer les" portes, ils
se dirigèrent sur le château de Baudoncourt dé-
pendant du monastère et où se trouvait Tabbé,
Antoine de la Baume Saint-Amour, qui n'avait
avec lui qu'une faible garnison. Le prélat fait
prisonnier fut d'abord conduit au château de
Dammartin (2), appartenant à Marc de Coligny,
fils de Gabrielle de Dinteviile et de Philibert de
Goligny, cousin de Tamiral, puis dans celui
d'Aigrement (3). On ne lui rendit la liberté que
moyennant le versement de cinq mille écus d'or
que son intendant, Claude Clément, prêtre et
^)rieur de Saint-Lothain, se procura en s'adres-
sant aux villages dépendant de l'abbaye et en
leur hypothéquant tous les biens meubles et im-
meubles de Tabbé (4).
Les archiducs Albert et Isabelle, souverains de
la Franche-Comté,, s'étaient émus de cet attentat,
(1^ Richecourt, dépendance d'Aisey, canton de Jussey, possédait
un château important bàli par Foulques de Rigny au xiii® siècle.
(2) Dammartin, canton de Montigny. arr. de Langres, Haute-
Marne.
(3) Aigremont, canton de Bourmont, arr. de Chaumont.
(4) Arch. de Luxeuil, J. J. 2. Publié par J. Finot dans le Bulle-
tin de la Société de VesuuL 4877, p. 70.
— 304 —
et le 7 septembre 1606, « le sieur de Beaujeu.
aut7*ement dit le capitaine Lapierre, le sieur de
Chazeuil (1), son frère, le sieur d'Amboise, le
sieur de Lambrey, le sieur de Salnove (2), le
sieur de Lénoncourt, de Monlcier frères et le sieur
de Gercey (3), défendeurs contumaces^ étaient
condamnés à quatre mille, huit mille, seize mille
livres, total 308 mille livres d'amende (4),
Alexandre, non plus que ses complices, ne
parut pas s'inquiéter beaucoup de cette condam-
nation. Le 22 juin 1606, à Villiers-Vineux, il
assistait comme témoin, avec son frère Scipion,
à une transaction entre son cousin Jean de Beau-
jeu, seigneur de Jauge et Catherine de Saint-
Biaise, sa femme, d'une part, et Louis de Saint-
Biaise, frère de Catherine, au sujet de la dot de
celle ci et de l'héritage dUector de Saint-Biaise,
son père, seigneur de Pouy.
Entre temps, il continuait à tenir la campagne
sur la frontière de la Franche-Comté, en faisant
autant de mal aux amis qu'aux ennemis. C'est
ce qu'il avouait lui-môme dans une lettre écrite
de sa main et adressée en 1615 aux maire et
(1) Scipion, qui avait encore sa part de Cbazeuil.
(2) Le comte de Salnove était issu de Simon, 2^ Gis du président
Hugues Marmier, et qui avait épousé N. de Montarsier, en Savoie.
(3) Le sieur de Cercey était un la Rochette dont le fils César
épousa, en 1617, Marguerite de Beaujeu, fille d*Âlexandre (voir
p. 309).
(l) Arch. du DouLs B. 1301.
— 305 —
échevins de Langres, qui se plaignaient du dom-
mage causé par ses troupes.
« A messieurs les mayres et échevins de la
« ville de Langres.
« Messieurs, c est à mon grand regret qu'il
« faille que je tienne la campaigne ou de vray
« nous ne faisons que du dommage. Je m'en
« vas droit à Aygremontou aulx envyrons. De
« la j'allendré le commandement du roi par Mon-
« sieur d'Andelot (1), et pour les plaintes dont
« vous me parlés je seray fort ayse que vous
« soiez véritablement informé quy les a commis
« affin que vous en donniez le blâme à ceux
« qu'il est dheu (dû). Ce n'est pas que je veuille
« dire que nous portons grand pvoffit ou nous
« passons, mais ce qui vient à ma connaissance,
« je puis dire y meltre assez bon ordre. Je n'ay
« point approché voslre ville de trois lieues
« comme je l'avais promis a lesné du Cerf qui
« m'en pria de vostre part. Je vouldrais, en
tf meilleure occasion, vous donner des effects de
« mon affection estant 'de (puis) longlens comme
« je suis encore,
« Messieurs, votre très humble serviteur (2). »
Alexandre de Beaujeu était en discussion avec
(1) Charles de Coligny, marquis d'Andelot, fils de l'amiral et de
Charlotte de Laval, était lieutenanl-généralen Champagne. Il mou-
rut en 4636.
(2) Arch. de Langres, 691. Scellé de deux petits sceaux plaquésde
Oo>,01â, en cire rouge, biea iutocts et portant burellé de dix pièces.
23
— 306 —
ses cohéritiers pour la succession d'Aaloine de Groy,
oncle de sa femme, et un arrangement avait été
tenté le 4 novembre 1622, mais il n*eut pas de
suite.
Alexandre de Beaujeu était mort en 1 629, car, le
2 avril, le droit de retrait lignager était réservé
pour sa veuve et ses enfants, dans la vente faite
par ses beaux-frères, à Charles d'Amanzé d'Es-
cars, de leur part dans la seigneurie de Cha-
zeuii (1). Mais la veuve ne profita pas de ce droit,
et le 25 juin suivant elle abandonnait elle-même,
en son nom et au nom de ses enfants, ce qui
pouvait leur revenir à Chazeuil du douaire de
Marthe de Villeneuve, sa belle-mère (2).
Quoique élevé dans le calvinisme, Alexandre
dut abjurer d'assez bonne heure, car ses enfants
furent de fervents catholiques. Un de ses fils était
chevalier de Malte et cinq de ses filles devinrent
religieuses à Tabbaye de Benoitevaux.
Il avait épousé Françoise de Glermont d*Am-
boise, fille d'Antoine le jeune ^ baron de la Fauche
et de Charlotte de Miremont. Elle lui avait
apporté en dot les seigneuries de Chambroncourl,
d'Epizon et de Grand (3). Ce brillant mariage fut
(\) Voir page 295.
(l) Arch. de la Côte-d'Or, E. 1973.
(3) Chambroncourt, canton do Saint-Belin, et Epizon, canton
de Poiâson^arr. de Chaumont, Hauto-Marno, dcpondaient du mar-
c|uisat de Ueynel.
— 307 —
sans doute facilité par la conformité cVopinion
religieuse, car Antoine de Glermont était aussi
huguenot, mais il dut être préparé par le mariage
d'Anne de Savoie, fille du comte de Tende et
cousin germain de Marthe de Villeneuve, mèro
d'Alexandre, avec Antoine de Glermont lalnê,
oncle de la future.
Le père de Françoise avait un frère consanguin,
un frère germain et un frère utérin.
Le premier, Thomas de Glermont, né du pre-
mier mariage de son père, René de Glermont,
avec Philiberte de Goux (1), dite de RupI, fille de
Jean, baron deRupt, souveymin de Delain^ grand
chambellan de l'empereur Gharles-QuinI, et de
Gatherine de Vienne.
Le frère germain. d'Antoine de Glermont,
Antoine Vaine, signala sa valeur dans le parti
prolestant et fui tué, à la Saint-Barlhélemy, par
son cousin de Bussy, son compétiteur pour le
marquisat de Reynel (2). Il était marié à Jeanne
de Longuejoue, dont Louis 1, marquis de Reynel,
(1) La famille de Rupt était branche cadette de celle de Pesmeft.
C'est par Philiberte de Rupt que Thomas de Glermont et après lui
Hardouin, étaient seigneurs de Delain et recevaient Thommage des
seigneurs de Beaujeu de la branche de Montot.
(2) Le marquisat de Reynel avait été érigé pour Antoine deCroy,
et après sa mort il arriva à Antoine de Glermont. Après la Saint-
Barthélémy Bussy se le fit adjuger, mais il retourna par la suite
aux héritiers d'Antoine,
- 308 —
bailli de Ghaumont, père de Louis II, marié à
Diane de Poulailler (^1).
Le frère utérin, Antoine de Croy, élant mort
sans enfants de Catherine de Clèves(2),sa succes-
sion fut réclamée en partie par Alexandre de
Beaujeu et ensuite par ses enfants et petits
enfants.
Par son mariage, Alexandre entrait dans une
des familles les plus illustres de France (3). Des
oncles de sa femme, Georges d'Amboise avait
été cardinal archevêque de Rouen, Jean,
(\) Diane do Pontailler était fille de Louis de Pontailler, baron
de Talmay, et d'Anne de Vergy, sœur deClériadus de Vergy, der-
nier représentant de cette illustre famille et mort au château de
Champlitle, en novembre 4630. Le sixième enfant de Diane de
Pontailler et de Louis 11 de Clermont d'Amboise, François, comte
de Reynel et de Champlitte. fut marié à Anne de la Rochette, issue
du mariage de César de la Rochette et de Marguerite de Beaujeu,
fille d'Alexandre de Beaujeu et de Françoise de Clermont d*Am-
boise. François de Clermont et Anne de la Rochette étaient par con-
séquent cousins issus de germains.
(2) Catherine de Clèves^ comtesse d'Eu, veuve sans enfants d'An-
toine de Croy, épousa en secondes noces Henri de Guise, le balafré^
de la maison de Lorraine, et lui donna quinze enfants.
(3) Les Clermont d'Amboise étaient alliés aux plus grands noms
du royaume : Châlon, Beaujeu-Forez, Bourgogne^ Choiseul, Bauf-
fremonl, Pontailler, Vergy, Toulonjon, Harlay, Chiverny, Laroche-
foucaud, Lévis, Beauvau, Albret, Chevreuse. Par Antoine de Croy,
prince de Porcien, des relations de parenté allaient s'établir avec
les Clèves, Lorrainc-Guise, Chateaubriand, Ligne, Aremberg, etc.
sans compter les princes de Chimay, les ducs d'Aerschot, et aussi les
maisons souveraines de Brunswick, Bavière, Nassau, Wurtemberg,
etc. Les de Croy comptaient 20 chevaliers de ia Toison d'or. Char-
les de Croy, créé prince do Chimay par l'empereur Maximilien, et
- 309 —
évêque de Langres, Geoffroy abbé de Cluny.
Emery d'Amboise, 40« grand maître de Rhodes,
était mort le 13 novembre lbI2.
Alexandre de Beaujeu avait eu de Françoise de
Clermont d'Amboise les enfants suivants :
1« Antoine ;
2° Scipion, premier écuyer et maître d'hôtel
du duc de Lorraine, mort sans alliance;
3» Jean de Beaujeu, reçu chevalier de Malte,
le 17 mai 1623, et tué capitaine au régiment de
Gacé, devant Sainte-Menehould, en 1653 ;
4° Marguerite de Beaujeu, mariée, le 8 août
1617, à César de la Rochette (1), seigneur de
marié à Louise d'Albret, avait tenu Charles-Quint sur les fonts
baptismaux. Son frère Guilldumo de Croy, duc de Soria, avait été
gouverneur de ce prince. Un autre Guillaume de Croy était cardi-
nal à 23 an9, nommé par Léon X sur la prière de Charles-Quint :
c'était le frère d'Antoine de Cro]^. Adrien de Croy, premier gen-
tilhomme et maître d'hôtel de Charles-Quint, avait été envoyé par
ce prince auprès du connétable de Bourbon pour le détacher de
Talliance française en 1523.
(I) La Rochette était une famille qui portait de gueules à trois
quinteftuilles d'argent (La Chesnays-Desbois). Les Vergy portaient
de gueules à trois quintefeuilles d'or. Cela pourrait faire supposer
une parenté, mais rien ne vient la démontrer. Les La Rochette
remontaient à Jean de la Rochette qui reçut de saint Louis la garde
de la châtellenie de Nogent-le-Hoi. 11 avait épousé Jeanne de Se-
moutier dont il eut Gérard qui lui succéda. Roch l, fils de Gérard,
laissa François qui fui marié à Charlotte d'.Anglure en 4350. Jean
de la Rochette était abbé de Bèze eu 1381. Rn 1423, Oudot-Picrru
de la Rochette tenait un fief à Saint- Maurice près de Langres, rele-
vant de Thibaut de Neufchâtel et d'Agnès de Montbéliard, à cause
de leur seigneurie du Fay (Arch de la Côte-d'Or, B. 10564). Au
commencement des guerres de religion, Roch H de la Rochette
— 310 -
Sercey, donl ello eut deux filles, Anne et Fran-
çoise de la Rochette, celle-ci religieuse à Benoite-
vauK. Anue de la Rochette, par conlrat passé à
Mandres, devant Téglise, le 17 septembre 1674,
épousait François de Clermont d'Amboise, che-
valier, comte de Reynel et de ChampliUe, sei-
gneur de Colomboy-la-Fosse, etc. (1), fils de haut
et puissant seigneur Louis II de Clermont
d'Amboise, chevalier, marquis de Reynel, bailli
et gouverneur de Chaumont, et de haute et puis-
sante dame, madame Diane de Pon tailler.
Cette année-là, le IS avril, une sentence du
bailliage de Gray avait autorisé Louis II de Cler-
mont d'Amboise à prendre possession du comté
de Champlitle (2). Il céda ses droits à son fils ;
était gouverneur de Chaumont. bin 1593, un capitaine de ce nom
marchait avec le duc de Guise (Challe, Guerre de religion dans
VAuxerrois), En 1405, Alexandre de Beaujeu avait un la Kochette
avec lui pour s'emparer de l'abbé de Luxeuil. Si ce n'était César,
c'était certainement son père. Le mariage de leurs enfants le dé-
montre clairement. Dans tous les cas, pour épou&er un Clermont
d'Amboise, marquis dQ Reynel et comte de Champlitte, Anne devait
être de bonne noblesse.
(1) Colombé-la-Fosse, canton de Souluines, arr. de Bar-sur-Âube,
Aube.
(2) Clériadus, le dernier des Vorgy, avait deux sœurs, Béatrix.
mariée à V. Simon de Cusance, et Anne, épouse de Jean-Louis de
Tontailler. Le Parlement de Dôle avait adjugé le comté de Cham-
plitte à Clériadus de («usance, pctit-fils de Béatrix de Vcrgy. Mais
le nouveau comte étant mort empoisonné, ses sœurs restèrent pro-
priétaires de Champlitle jusqu'au 15 avril 1674, jour où une sentence
du bailliage de Gray autorisa Louis de Clermont d'Amboise à prendre
possession du titre do comte qu'il céda aussitôt à son fils François.
— 311 —
aussi voil-on celui-ci prendre le lîlre de corale
de Champlitle dans son contrat, le 17 septembre
suivant.
Du mariage de François de Clermont d*Am-
boise avec Anne de la Rochelle sont issus:
1° Louis-Jules-François deClermont,e( : 2°Maric-
Françoise-Juçline.
Louîs-Jules-François avait acquis, les 11 mars
et IS juin 1701, les portions à Champlitle de ses
coseigneurs, descendant des sœurs de Clériadus
de Cusance, c'est-à-dire de la princesse de Lille-
bonne, de la comtesse de Berghes et du duc
d'Aremberg. Mais il ne joui< pas longtemps de
son comté. Tué d'un coup de canon à la bataille
de Lazaret, le 11 août 1702, il laissa son héri-
tage à sa sœur, mariée, le 20 février 1700, au
châleau de Champlilte, à Jean-Baptiste de Tou-
lonjon, fils de Léonel de Toulonjon, seigneur de
Francourt, Renaucourt, etc., et de feue dame
Catherine de Grachaut (1). C'est par ce mariage
(1) Comme Marie-JostÎDe de Clermont, Jean-Baptiste de Toulon-
jon avait du sang de Bedujeu dans les veines. Léonel de Toulonjon
et Catherine de Grachaut étaient cousins-germains. Catherine était
fille de Melchior de Grachaut, fils lui-môme de François de Gra-
chaut et de Barbe de Beaujeu-Montot, mariés par contrat du H oc-
tobre 16U (voir Généalogie, Ile partie, page 175). Léonel de Toulon-
jon était fîls de Marc et de Marguerite de Grachaut, sœur de Mel-
chior, et née comme lui de François de Grachaut et de Barbe du
Beau jeu.
Les Toulonjon de Champlitte qui suivirent ssc trouvèrent ainsi
descendre à la fois des Beaujeu de .Montot el des Beaujeu de Clia-
— 342 —
que les Toulonjon devinrenl. seigneurs de Chaiii-
plille.
Avec Marguerite de Beaujeu, mariée à César
de la Rochette, Alexandre eut de Françoièed'Am-
boîse cinq aulres filles.
5"* Catherine, qui fut abbesse de Benoitevaux (1)
de 1623 à 1654 ;
6** Anne, prieure du même monastère ;
7, 8 et 9, Françoise, Madeleine et Jeanne, reli-
gieuses au môme lieu.
zeuil. C'est pourquoi ils arrivèrent à la succession d'Edme-Nicolas-
Louis, le dernier de la branche de Montot. Une alliance avait déjà
eu lieu entre lesCiermont et les Toulonjon. Jeanne de Toulonjon,
de la branche de Traves, arrière-petite-filledu maréchal Antoine de
Toulonjon qui battit le duc de Lorraine, René d'Anjou, et le fit pri-
sonnier à Bulgné ville, en U'il, était mariée à René de Clermont
d'Anjou, vice-amiral de France (Dunod, t. IIL p. ^33. Moréki, V.
Ctermont).
(1) Benoitevaux (en latin benedicta vallis, val béni), aujourd'hui
ferme de la commune de Cusson, canton de Saint-Belin, arr. de
Chaumont, dans les bois, à 5 kilom. deReynel. C'était une abbaye
de femmes de l'ordre de CUeaux, dépendant du diocèse de Toul,
fondée en 119S par Wiard, comte de Reynel, et sa femme Ermen-
garde qui y fut iuhumée en 4 224. Pendant les xv^ et xvi« siècles,
cette abbaye fut plusieurs fois dévastée. En 1636, elle fut complè-
tement ruinée par les Suédois. C'était sous l'administration do
Catherine de Beaujeu. On a des lettres de 4642, par lesquelles l'abbé
de Cileaux autorise les dames de la Rochette et d'Epinay à rester
dans leurs familles où elles s'étaient retirées.
Quelques années plus tard, les religieuses essayèrent de reformer
leur communauté à Chaumont ; mais les habitants de cctto ville
s'y opposèrent. Elles s'établirent à Rcynol dans une maison paiti-
culière où elles sont restées jusqu'à la Révolution (Jolibois, la
Hanie-Marne, p. 55; ^Notice sur Benoitevaux, par l'abbé Booil-
LEVAux, Chaumont, 4851).
— 313
ANTOINE
Antoine de Beaujeu, seigneur de Chambron-
court et d'Epizon, capitaine de cavalerie et com-
mandant cinq compagnies de carabins, sous le
maréchal de Caumont-La Force, était fils aîné
d'Alexandre de Beaujeu et de Françoise de Cler-
moht d'Amboise.
En 1636, au moment où Richelieu se prépa-
rait à envahir la Franche-Comté, Antoine était
avec ses chevau-légers dans les troupes prêtes à
marcher au premfer signal pour aller faire le
siège de Dôle. Il était logé à Baigneux et avec
lui se trouvait la compagnie du marquis de
Tavanes, celles de Vaubrecourt, du Châtelet, etc.,
qui vécurent quatre mois à discrétion sur les
habitants (1). C'était dans les habitudes du temps,
et les armées faisaient môme souvent plus de
mal aux amis qu'aux ennemis.
En 1638, il était avec le maréchal de la Force
au siège de Fontarabie, où son cousin Jacques-
Paul, fils de Paul-François de Beaujeu, fui tué
dans une sortie des Espagnols.
En 1642, pendant une période de calme, Antoine
avait essayé d'arriver à une transaction pour la
succession d'Antoine de Croy, qui était entre les
(I) CouRTÉPÉE, t. IV, p. 213. Baigneux-îes- Juifs, chef-lieu de
canton do l'arr. de Châlillon-sur-Seine, Côto-d'Or. !
I
— 314 —
mains des procureurs, mais il n'arriva à aucun
résultat. -
En 1644, il accompagnait encore le maréchal
de la Force au siège de La Mothe (1), petite forîe-
resse qui commandait le Bassîgny et qui appar-
tenait au duc Charles de Lorraine, alors allié de
l'Espagne. Elle était commandée par un Montarby
et ne fut prise qu'après trois mois de siège, pen-
dant lesquels les assiégeants perdirent plus de
600 hommes. C'est à ce siège queTurenne fit ses
premières armes.
L'année suivante, le 9 février, Antoine de
Beaujeu se trouvait à rassemblée des trois ordres
du bailliage de Chaumont, sous la présidence de
Louis d'Amboise, marquis de Reynel, et il dési-
gnait le sieur de Vaudrémont comme député aux
Etats généraux d'Orléans, qui devaient ouvrir
le Vô mars (2).
A partir de ce moment, les renseignements font
complètement défaut sur les faits et gestes d'An-
toine de Beaujeu jusqu'en 1668, où il habitait
Chambroncourt et tenait sur les fonts baptismaux
plusieurs enfêxnls du village.
(1) La ville fut investie le 8 mars et le feu de rartillerie com-
mença le \i. On comptait que la ville se rendraii aussitôt, mais
les habitants montrèrent un courage digne des temps antiques. Les
femmes elles-mêmes prirent part à la lutte et ne craignirent môme
pas de faire des sorties. La Mothe, sur le territoire d'Outremécouit,
canton de Bourmont, arr. de Chaumont, Haute-Marne.
(2) Mémoires de la Société académique de l'Aubej 1882, p. 326.
— 315 —
Il mourut le 2S novembre 1670 et fut enterré
dans le chœur de la vieille église. Mais, en 1847,
une nouvelle église ayant remplacé Tancienne,
sa tombe fut reléguée sous la tour du clocher où
on la voit encore. Elle porte Tinscriplion suivante:
« Cy git Antoine deBeaujeu, chevalier, seigneur
de Chambroncourt, Epizon, Grand, Trampot(l),
qui trépassa le 25 novembre 1670. Priez Dieu
pour son âme. Celte épitaphe a été mise à la di-
ligence de messire Nicolas de Beaujeu, son fils,
seigneur desdits lieux et brigadier général des
armées du roi, capitaine des gens d'armes de
M*^ le duc d'Anjou. »
De Nicole de Dammartin (2), appelée aussi
Nicole Martin, Antoine de Beaujeu avait eu :
Nicolas ;
Oclavien, cornette dans le régiment de son
frère et qui mourut sans postérité.
NICOLAS
Nicolas, comte de Beaujeu, chevalier, seigneur
de Chambroncourt, Epizon, Villiers-le-Sec, etc.,
(I) Grand et Trampot, arr. et canton de Neufchàloau, Vosges,
sont voisins Tun de l'autre.
[^) Il n*a pas été possible de déterminer à quelle maison de
Dammartin appartenait Nicole. Il y a cependant lieu de croire
qu'elle était de celle du Langrois, qui portait : écartclé : aux 1 et
4 d'argent à la bande de gueules, aux 2 et 3 losange d'or et d*azur
(Sl'ciiaux, Nobiliaire).
— 316 —
était fils d'Antoine et de Nicole de Dammartin.
Il était né à Chambroncourt en 1668. Il avait
d'abord servi dans les compagnies d'ordonnan-
ces (1) et était arrivé au grade de capitaine. Ses
relations de famille l'avaient mis en avant et il
commandait le régiment de cavalerie de M. du
Maine (2), lorsqu'il reçut au camp de Scharzach,
le 18 août 1690, la lieutenance de la compagnie
du duc d'Anjou (3), dans la gendarmerie du
roi (4).
Elevé au grade de brigadier d'armée (5), le
b janvier 1696, en môme temps que le duc de
Duras, le marquis du Châtelel, le prince de
Rohan, leducdeMontfort, il fut envoyé à l'armée
du Rhin avec le marquis de Villeroi et le marquis
(i) Les compagnies d'ordonnance, premier noyau d'une armée
permanente, furent créées par Charles VII aux Etats d'Orléans en
4 439. Elles étaient au nombre de 15 et constituèrent plus tard la
gendarmerie du roi, lorsque d'autres corps de troupes, eurent été
formés à côté d'elles. Alors, pour être admis dans les compagnies
de gendarmes, il fallait avoir servi 3 ans dans les compagnies d'or-
donnances ou avoir été capitaine de ohevau-légers, mais surtout
être noble.
(2) Les régiments comme les compagnies appartenaient le plus
souvent à des princes delà maison royale, mais étaient commandés
par des gentilshommes.
(3) Le duc d'Anjou, fils du dauphin et petit-fils de Louis XIV,
devint roi d'Espagne par le testament de dom Carlos, en 1700, sous
la nom de Philippe V.
(i) Mémoires de Dangeau, Paris, F. Didot, 1854, t. III, p. 195.
(5) [d., t. V, p. 342. Le brigadier était un colonel commandant
plu*Ecur>î régiments.
— 347 —
d'Ussel pour organiser la défense. De passage à
Vesoul, la ville leur offrit un vin d'honneur (1),
Le mardi 25 décembre de celle même année il
recevaiMe lilre de capilaine de sa compagnie de
gendarmes. Il succédait à René Bruslard, marquis
de Genlis,qui avait reçu le brevet le 16 décembre
1669 (2). Mais Nicolas de Beaujeu ne conserva
cette charge que jusqu'en 1703.
Il accompagnait en Italie le duc de Vendôme
envoyé pour remplacer Câlinât qui s'était laissé
prendre parle prince Eugène, en février 1702.
Lorsque Vendôme eut baltu le prince Eugène à
Luzzara, le 15 août de cette même année, et l'eut
rejeté au delà du Mincio, un arrangement avait
été conclu pour l'échange des prisonniers. Ce
fut Nicolas de Beaujeu, avec d'Egrigny, inten-
dant de l'armée d'Italie, qui réglèrent ce car^tely
que le roi ratifia le 7 septembre (3).
Au mois de février suivant, Nicolas de Beaujeu
fatigué cherchait à remettre sa charge de capi-
taine de la compagnie de gens d'armes. Il trouva
bientôt un amateur dans le marquis de la Tour
(de Moustier), enseigne des gendarmes du Dau-
phin, le plus âgé de son grade dans la gendar-
merie, qui consentit à lui payer 45.000 écus (4).
(1) Arch. de la Haule-Saône, E. 877, f. 5 r».
(%) Général Susane, t. I. p. 266.
(3) Mémoires de Dangbau, t. VllI, p. 495.
(4) Id., l. IX, p. 114 et 160.
— 318 —
Le roi donna son consentement à Versailles, le
3 avril (1). Nicolas de Beaujeu reprenait en paie-
ment, pour 28.060 fr., le gouvernement de Sain l-
Dizier qui valait 1000 écus de rente et qui se
trouvait peu éloigné de ses terres.
Deux ans après, en 1703, il achetait Villiers-
le-Sec en Champagne, de dame Jeanne de Nettan-
court, veuve de Jean- Philippe de TournebuUe,
chevalier, seigneur de Bussy (2), mais il ne
conserva pas cette seigneurie, car son cousin
Frédéric en est dit propriétaire, lorsqu'il lui vend
ses meubles, en 1715.
Il n'avait môme pas conservé Chambroncourt
où il était né et où son père reposait dans l'église.
En 1G98, le 20 juin, il l'avait cédé « à Louis III
« de Clermont d*Amboise, marquis de Reynel,
« et à André-Louis de Clermont d'Amboise, abbé
« de Reynel, ses cousins, avec Epizon et la fo-
(( rèt d'Héraude appartenances et dépendances,
« moulin, etc., le tout provenant de la succes-
« sion d'Antoine de Beaujeu, son père, de damo
« Françoise de Clermont d'Amboise, son aïeule,
« et de dame Jeanne de Beaujeu (religieuse à
« Benoi(evaux), sa tante, et d'acquîsilion faite
« par lui-môme ». Le prix fixé à 25.000 fr. de-
(1) Mémoires do Dangc4U, t. IX, p. 460.
(2) Bibl, Champenoise, par Léon Techrnbr^ Pans, 4886. Vjl-
lie''3-lc-Sec, canton de Chaumont. à 7 kli., avait été complètement
détruit parleti Suédois on 463(j-l637 (JoLiiiois, la Uaute'ilame),
— 319 —
vait produire '12S0 fr. d'intérêt jusqu'à complète
libération (1).
Eu vendant Chambroncourt et Epizon et en-
suite Viliiersle-Sec, Nicolas de Beaujeu paraît
avoir eu un plan bien arrêté. Il voulait se débar-
rasser de ses terres et du souci de leur admi-
nistration, pour placer son argent et ne plus
avoir pour ainsi dire que des valeurs mobilières.
Il avait, en eflFet, une rente de 655 livres résul-
tant d'une obligation, au capital de 13.100 livres,
que lui avaient souscrite, le 30 décembre 1706,
les jurés des vendeurs de foin de la ville de
Paris. Il avait, sur la ville de Paris, une rente
de 532 livres achetée par lui, le 20 avril 1714,
pour la somme de 13.375. Le 17 mai suivant, il
avait acquis une rente viagère de 3000 livres sur
les aides de la gabelle. Il possédait en outre sa
place de gouverneur de Saint-Dizier, qui repré-
sentait 10.000 écus, comme le dit Dangeau dans
ses mémoires : « comme ce gouvernement ne
« vaut guère plus de 1000 écus de rente, on
« ne croit que personne le demande, y ayant
« 10.000 écus à donner » (2).
Gomme on le voit, Nicolas mettait ordre à ses
aflFaires. Reslait la queslion de la succession de
son grand oncle, Antoine de Croy, prince de Por-
(!) Arch. de la Haule-Saôno. E. 650.
(2) Dangeai', t. XVII, p. 94.
— 320 —
cien, mort le b mai 1567. Un procès plusieurs
fois interrompu et repris avait été engagé entre
les parties représentées, d'un côté, par Nicolas
de Beaujeu et les Glermont d'Amboise, et, de
l'autre, par les princes de Ghimay (1), les ducs
d'Aremberg (2), etc. Le 23 mars 1688, Nicolas
avait nettement formulé ses réclamations devant
une assemblée de famille convoquée à cet effet.
Il avait fait valoir « que les minorités survenues
« dans sa branche avaient empêché la prescrip-
« tion, et qu'il avait contribué aux frais et même
« au paiement des dettes du comte de Porcien,
« de même qu'au douaire de M™' de Guise » (Ga-
therine de Clèves, veuve du comte et remariée à
Henri de Guise le balafré).
Après des péripéties sans nombre, le 15 avril
1710, un accord intervint entre Nicolas et ses
cointéressés, représentés par M. François (Gathe-
rinet), avocat du roi au parlement, agissant
comme tuteur onèraire de J. -Baptiste-Louis de
(1) Héritiers de Charles de Croy, créé prince de Ghimay par
Tempereur Maximilien, en K 486. Voir la note 3 de la page 308. Ghi-
may, ville de Belgique (Hainaut).
(2) Âremberg, sur fAhr, non loin de Trêves, a donné son nom
à une famille comlale éteinte à la fin du xiii" siècle dans la maison
de la Marck. Aremberg passa ensuite à la famille de Ligne par le
mariage de Marguerite de la Marck avec Jean de Ligne, qui releva
le nom d'Aremberg à la fin du zv<^ siècle. Charles, prince d'Arem-
berg, mort le 46 juin 1616, avait épousé Anne de Croy, fille de
Philippe, duc d'Aerschot.
— 321 —
Clermont d'Amboise, fils mineur de Louis IV,
marquis de Reynel et de Thérèse Colbert de
Croissy, fille de Charles de Colbert de Croissy,
ministre secrétaire d*Elat, alors remariée à Fran-
çois-Marie de Spinola, duc de Saint-Pierre,
grand d'Espagne.
Il était stipulé que, « pour assoupir le trouble
et préjudice qu'auraient apportés les prétentions
du seigneur de Beaujeu énoncées dans le dernier
avis des parents, du 23 mars 1G88, rendu entre
Nicolas de Beaujeu et ses cohéritiers par béné-
fice d'inventaire, du côté maternel, de M^^ Antoine
de Croy, prince de Porcien.cVurie part, et Louis
d'Alsace, comte de Bossut, d'autre part, les par-
ties sont convenues de ce qui suit : Le sieur de
Beaujeu restera intéressé dans le procès pendant
relatif à l'héritage du prince de Porcien et conti-
nuera ses sollicitations et ses soins, mais à la
condition qu'il ne pourra prétendre qu'au cin-
quième de la succession pour lui, pour M""® de
Reynel sa cousine, avec laquelle il s'arran-
gera... »
Celle-ci approuva la convention, le 25 avril
suivant, et sa fille Marie-Justine de Clermont,
veuve de Jean-Baptiste de Toulonjon, apposa ?a
signature, le 17 mai. Mais les choses n'en avan-
cèrent pas beaucoup pour cela, car à la mort
de Nicolas, le procès était toujours pendant et il
laissait tous ses droits à Jean-Baptisle-Louis do
24
— 322 -
Clermont d'Amboise, marquis do Roynel, son pelit
cousin (1).
Le 24 juillet 1715, devant M** Savigny et son
collègue, notaires à Paris, et moyennant 3000
livres reçues comptant, Nicolas de Beaujeu ven-
dait le mobilier de Tappartement qu'il occupait,
rue des Saints-Pères, n^ 16, paroisse Saint-Sul-
pice, à son cousin Eugène-Frédéric de Beaujeu,
chevalier, seigneur de Jauge et de Villiers-le-
Sec, mestre de camp d'un régiment de cavale-
rie et brigadier des armées du roi, demeurant à
Paris, cour de Rouen, paroisse Saint- An dré-des-
Arts. Nicolas devait conserver la jouissance pen-
dant sa vie, et un inventaire fait par les parties
donna le détail suivant :
Sept pièces de tapisserie de Flandre de haute
lice, à personnages, de deux aunes et demi de
haut et seize aunes de long, estimées. 400 fr.
Un lit à la duchesse^ de serge bleue doublée
de satin avec la courle-pointe de môme éloflFe et
rubans aurore^ estimé 300 fr.
Six chaises et un fauteuil de tapisserie de point
de Hongrie, estimés. ...... 30 fr.
Une chaise de moquette 8 fr.
Une table de marqueterie .... 16 fr.
Un miroir avec bordure de bois doré, un tru-
meau aussi de glace 20 fr.
(i) Aixh. do la Ilaule-Saône, E. 650.
— 323 —
Une armoire en noyer, placage . . 20 fr.
Quatre portraits de famille, avec cadres de bois
doré, non estimés »
Un feu argenté, garni de pelle et pin-
celte 4 fr.
Une douzaine d'assietles et six plats d'é-
tain 2b fr.
Quatre paires de draps de lits de maî-
tre (1) 48 fr.
Six paires de draps de valet ... 36 fr.
Trois lits de valet avec les matelas, couvertures,
traversins et bois de lit 36 fr.
Quatre douzaines de serviettes et cinq nap-
pes 34 fr.
La batterie de cuisine, etc., etc.
Le 6 mai 1716, Nicolas de Beaujeu avait fait
une donation enlre vifs, d'une rente de 1250 fr.
au principal de 2S00 fr., à ses petits cousins
Alexandre et Frédéric-Eugène, fils de Louis-
Charles de Beaujeu, lieutenant-colonel au régi-
ment de Flandre, et de dame Françoise de Pal-
las (2). Quelques mois après, le 1'' octobre, il
écrivait lui-même un testament qu'il déposait
chez M« Leblanc, notaire à Saint-Dizier, et le
b mai 1717, il faisait à Paris un nouveau testa-
ment confirmalif du premier et qui renfermait
(1) C'était, il est vrai, un ménage de garçon. Mais il y a dispro-
portion entre les objets luxueux du début et la vaisselle et le linge.
{%) BibLCkampenoite, par Léon Tkcueneu, 1866.
— asi-
les dispositions suivantes : « Il veut, s'il décède
à Paris, être inhumé dans l'église des Petits Au-
gustins, et le plus modestement que fah*e se
pourray avec une épitaphe en r^^i^/ donnant son
nom et ses qualités avec ses armes. Il désire que
le lendemain de son enterrement toutes les messes
du couvent soient retenues pour lui, de sept heures
du matin jusqu'à midi. Il devra en^tre de môme
au quarantaine (1) et au boutde Tan. Il demande
qu'on fasse dire deux messes basses tous les jours,
depuis son décès jusqu'à la fin de l'année.
« Il nomme pour son exécuteur testamentaire
Pierre de Largentière, avocat au Conseil du roi,
auquel il laisse comme souvenir un diamant de
mille livres.
« Il lègue 100 livres aux capucins de Saint-
Dizier pour 120 messes; 100 livres aux pauvres
de Ghambroncourt et 100 livres aux pauvres de
Villiers-le-Sec, à charge de prier pour lui. Il
donne diverses sommes à ses domestiques, gou-
vernante, valet de chambre, cocher, laquais.
« Il laisse à Anne de la Rochette, comtesse de
Reynel, sa cousine germaine, et à la comtesse
de Champlitte (2), une somme de six mille livres.
Il abandonne à Jean-Baptiste-Louzs de Clermont
(1) C'est l'office ou service après six semaines, encore en usage.
(2) Marie-Justine de Clermont d'Amboise, fille d'Anne do la Ho-
chetle, veuve de J.-B.^de Toulonjon, comie do Champlitte, v. p. 3U .
— 326 —
d'ADiboise, marquis de Reynel, lous ses droils
dans la succession d'Antoine de Croy « pour
« laquelle ils ont tin procès en commun^ contre
" son altesse royale mgr le duc d'Orléans et
« MM. les princes de Chimay et d'Aremberg. »
« Il lègue à Alexandre-Nicolas et Eugène-Fré-
déric de Beaujeu, son frère cadet, enfants de Louis-
Charles, lieutenant-colonel au régiment de Flan-
dre, tout ce qui sera existant en équipages,
chevaux et argent monnayé échu et à échoir,
après le paiement de ses dettes et l'acquijtement
de ses legs.
« Il donne à M. de Beaujeu. leur père, sa ca-
saque rouge à boutons d'or y six chemises de
dentelles et les cravates qui sont à Paris, ainsi
que ses pistolets; à M"® de Beaujeu, leur mère,
sa berline et ses chevaux. Il veut que son cousin
Frédéric, maréchal de camp, ail son carrosse qui.
se trouve à Paris, et il déclare que le petit cheval
alezan lui appartient.
<' Il laisse sa montre à M"™* de Beaujeu de
Chaumont (1). »
Nicolas mourut le 13 mai 1717 et son testament
fut déposé, le 15, chez M^Guesdon, notaire à Paris.
En lui finissait la branche de Beaujeu de Gha-
zeuil, seigneur de Chambroncourt et d'Epizon.
(I) Geneviève de Beaujeu, mariée à Charles de Buffevenl, sei-
î^ueurde Chaumpnl (v. plus loin).
CHAPITRE II
BRANCHE DE JAUGE
FRANÇOIS
François de Beaujeu, seigneur de Chazeuil et
deJaugç, était le fils aîné de JeanlIIet deGilberte
de Beaurepaire. A lamort de son père, en lo47,
il avait été placé, avec ses frères et sœurs, sous la
tutelle de leuroncle Philibert de Beaujéu, évêque
de Belhléem, qui, en cette qualité de tuteur (1),
obtint, le 1*^** mars 1S48, un arrêt du Parlement
pour forcer les héritiers Baudot à payer les frais de
procédure, dus depuis le 20 mai 1326.
François avait eu, dans sa part de l'héritage
paternel, la seigneurie de Jauge, mais il avait
reçu aussi des droits importants à Chazeuil, carie
douaire de sa femme y fut établi en môme temps
que celui de sa mère, Gilberte de Beaurepaire. Le
reste delà terre appartenait à ses frères et sœurs,
et notamment à son frère puiné, Jean, qui prit
le litre de seigneur de Chazeuil que conservèrent
ses descendants.
(4) Arch.de la Côte-d'Or, E. 1374. Original sur parchemin.
— 327 —
François, en ISol, épousa Claude de Méry (1),
fille d'Itier de Méry et pelile-fille de Jean et de
Jeanne de Glermont (2). Elle lui apportait des
droits sur la succession de Claude de Vaudrey,
soigneur de Marac (3), dont les biens se trou-
vaient alors sous séquestre par droit d'aubaine (^i).
De là, naturellement, procès et débats devant le
Parlement de Paris, tant contre les gens du Roi
que contre les autresparenls et héritiers de Claude
de Vaudrey. Pour sortir de ces diflîcullés, Fran-
çois de Beaujeu, promettant la ratification de sa
femme à sa majorité, cède et vend, le 16 seiv
tembre 1552, à Anloinetlo de Bourbon, duchesse
de Guise, ses droits sur Marac, et à Guillaume de
Chaslenay (5), chevalier, seigneur de Lanty,ses
(\) Méry-sur- Yonne, canton de Coulanges-sur- Yonne, arr. d'Au-
xerre.
(2) Jeanne de Glermont était fille et héritière de Catherine de
Vaudrey, sœur de Claude, mariée à N. de Glermont (y. Dunod,
t. \\\y p. 223). Claude et Catherine étaient nés de Marguerite de
GhaufTour, qui avait apporté à son mari, Antoine de Vaudrey, Ma*
rac, Echalot, Minot et Thorey.
(3) Marac, canton de Langres, Haute-Marne.
(4) Le droit d'aubaine était le droit du suzerain de s'emparer
d*un fief vacant. Il s'exerçait aussi, en cas de guerre, sur les biens
possédés par les habitants d'une province ennemie. C'était le cas,
alors, car Claude de Vaudrey était un des fidèles de l'empereur
Maximilien et de Gharles-Quint.
(o) Ghastenay, canton de Gourson, arr. d'Auxerre, Yonne, a
donné son nom à une famille qui a possédé la seigneurie importante
de Lanty, canton de Chûteauvillain, arr. de Ghaumont, Haute-
Marne.
— 328 ^
prétentions supEchalot (1). Le prix, fixé à 3500
livres tournois, devait être versé, deux tiers par
Ja duchesse et le reste par Guillaume de Chas-
tenay qui se trouvaient par ce moyen subrogés
dans tous les droits des vendeurs, même au cas
où l'héritage se trouverait plus considérable et
« ay^riverait à la valeur de dix mille livres et
plus ».
Le 17 août lS5b, des lettres du roi Henri II,
données à Saint-Germain-en-Laye, commettaient
Christophe de Thou, président, Barthélémy Paye,
conseiller et Gilles Bourdin, avocat royal au Par-
lement de Paris, pour la rédaction des coutumes
de Sens. L'assemblée des trois Etats du bailliage
.eût lieu à Sens, le dimanche 3 novembre 1555,
et François de Beaujeu y parut, comme seigneur
de Chazeuil, pour présenter les observations qu'il
pouvait avoir à faire (2).
Le 5 juin de Tannée suivante, ses sujets de
Chazeuil, avec lesquels il faisait cause commune
dans la circonstance, obtenaient un arrêt de la
Table de Marbre (3) de Paris, qui maintenait
(1) Echalot, canton d'Aignay-le-Duc, arr. de GhAtillon, Côîe-d'Or,
comme Minot et Thorey.
(9) Couiumes du' bailliage de Sens^ par Jean Pbbro;*^ avocat.
Sens, MDCCXI, p. 422.
(3) C'était la jaridiction qui décidait en dernier ressort des ma-
tières des eaux et forôts, ensuite de Tédit de mars 4558. Elle était
ainsi appelée parce que les juges se réunissaient autour d*une
grande table de marbre qui se trouvait au Palais de justice à Paris.
— 329 —
leurs droits dans la forêt de Velours. Le procès-
verbal de Texécution de cet arrêt est de 15K7.
Comme aîné, François était le représentant
de nom et d'armes de sa branche ; aussi Claude II
de Beau jeu, seigneur de Volon, par son tes-
tament du 30 novembre 1574, lui laissait tous
ses biens, à l'exception du domaine de Delain
qu'il léguait à Marc de Beaujeu, seigneur de
Montot, son exécuteur testamentaire.
En dehors de l'usufruit réservé pour la veuve,
Jeanne de Mailly, la succession était hypothé-
quée pour la somme de 3333 écus d'or, montant
de la dot de Charlotte de Beaujeu, sœur du tes-
tateur et mariée à Christophe de Choiseul, sei-
gneur de Chamarande, etc. Nonobstant, François
de Beaujeu avait cédé Beaujeu et ses dépendances
à Frédéric Perrenot, fils du chancelier de Gran-
velle, et qui était alors seigneur de Beaujeu, par
donation de sa mère Nicole Bonvalot.
D'un commun accord, sans doute, l'hypothèque
de Charlotte avait été reportée sur la terre de Cha-
zeuil, et, à la mort dp François, en 1379, elle ré-
clama ses 3333 écus.
Devant l'impossibilité par la succession de
verser cette somme et en présence d'autres
créanciers intervenant, les poursuites aboutirent
à des criées^ c'est-à-dire à la vente judiciaire de
« la terre et seigneurie de Chazeuil, ensemble la
maison forte » qui étaient dans la famille de
— 330 —
Beaujeu depuis 140 ans. Une sentence du 5 avril
1383 avait distrait un septième et demi pour la
part des enfants de Jean de Beaujeu, frère de
François, représenté par leur mère Marthe de
Villeneuve. Le reste fut adjugé, le IS décembre
■1584, à Charles d'Escars, évoque de Langres et
la coUocalion du prix fut faite dans Tordre
suivant ;
1° Gilberte de Beaurepaire, mère de François,
pour son douaire, « qui devait être évalue par
gens compétents, » et aussi pour la somme de
833 écus 1/3, comme rachat de la rente annuelle
de 66 écus deux tiers, à elle accordée par
son défunt mari, lors de leur contrat de ma-
riage.
2** Claude de Méry, veuve de François, 1* pour
66 écus 2/3 montant de son douaire pré-
fix (1), au rachat de 800 écus, à prendre sur lés
deniers de la vente et être mis en mains stores
« tant que douaire aura lieu. » Claude de Méry
était aussi inscrite pour 200 écus, représentant
les bagues et joyaux de son contrat de mariage.
Quant au remplacement des héritages à elle ad-
venus et aliénés par son mari, elle devait faire la
preuve dans le délai d'un mois sous peine d'être
déboutée de sa demande.
(1) D'après la coutume, le douaire était de la moitié dos biens
laissés par le mari, mais il pouvait ôtre déterminé à l'avance.
- 331 —
3o Un corlaînMouginot, pour400écus, suivant
obligation du 21 juin 1557 (1).
4® Christophe de Ghoiseul et Charlotte de Beau-
jeu, pour 3333 écus, conformément à leur con-
trat de mariage.
Puis venaient de petits créanciers pour 200,
150, 61, 14, 5 écus et demi.
Blaisotte de Madiot, femme de Christophe de
Beaujeu, duquel on avait réservé la maison et
pourpris, était déboutée de son opposition et
déclarée forclos (2), en vice du certificat du
greffier.
Claude de Méry mourut ce jour-là et son pro-
cureur, en annonçant son décès, prolesla « que
le délai et jugement donné par ladite sentence
ne puisse produire py^o fit à ses héritiers. »
Elle avait donné à François de Beaujeu los
enfants suivants :
1« Christophe ;
2" Jean, seigneur de Jauge et de la Tuilerie,
qui continuera la lignée après le décès des enfants
de Christophe ;
3* Marie de Beaujeu, épouse de Jean de Mo-
reau (3), par contrat du 28 novembre 1578, dont
postérité ;
(l)Cette obligation précédant la venue de la succession do Claude H
de Beaujeu- Volon, primait les droils de Charlotte.
(3) Le forclos est prononcé lorsqu'on a laissé passer les délais pour
produire ses pièces en justice.
(3) Cette famille était originaire de l'Ile de France. Elle ajouta à
— 332 -
4<> Denise mariée en lo86 à Jean Duban, tué
à la bataille d'Ivry le 14 mars 1590, à côlé
d'Henri IV. Elle se reinarîa, le 12 août 1390, à
Jean deDrouët, seigneur de la Motte et de Sainte-
son nom celui d'AvroUes lorsque cette seigneurie lui fat arrivée par
le mariage de Claude de Moreau avec Anne de Trotas, en 4627. Le
premier Moreau connu, Etienne, était conseiller au Parlement de
Paris et assista, en 4435, aux conférences qui précédèrent la paix
d'Arras entre le roi Charles Vil et le duc de Bourgogne Philippe le
Bon. Son fils Jean 1 épousa Jeanne de Lafontaine. Thomas, Qls de
Jean, était seigneur de Vin6t(c»nt. deRamerupt, arr. d*Arcis-sur-
Aube, Aube) et eut un fils du môme nom, homme d'armes dans la
compagnie du duc de Montpensier et mort en 4550, des suites de
ses blessures au siège de Boulogne. Son fils, Jean II, fut confirmé
dans sa noblesse, le 4 février 1599. 11 avait été archer de la compa-
gnie de l'amiral Coligny, en 4572. Malgré son âge avancé, il était
avec le maréchal de Grancey-Fervaques aux sièges d'Amiens, de
Houen, de la Rochelle en 4628.
Il avait épousé, le 28 novembre 4578, Marie deBeaujeu, fille de
François et de Claude de Méry, et en avait eu 3 fils : Claude, sei-
gneur de Cheu et de Jauge; Paul, seigneur de Ciselles; François,
seigneur de Sainte-Linières, et deux Biles Jeanne et Madeleine.
Claude fut seigneur de Cheu et de Jauge par sa première femme,
Claudine du Brouillard, qu'il avait épousée le 4 novembre 4603 et
dont il n'out pas d'enfant ; sa seconde femme, Anne de Trotas lui
ayant apporté AvroUes (canton de Saint-FlorenI in, arr. d'Auxerre,
Yonne), leur fils aîné se fit appeler Moreau d'Avrolles, et ses des-
cendants sont désignés de cette façon. Claude et Anne de Trotas
avaient eu : 4 o Claude, né en 462H, morten46i7; 2* Edme, seigneur
d'Âvrolles, qui continuera la lignée ; 3" Bénigne, seigneur de Cheu,
sans postérité de son mariage, le 26 novembre 1658, avec Charlotte
de Bellanger; 4'^ Louis, né en 1638, mort à l'ennemi; 5* Louise,
femme de Claude de Lacroix, marraine de Charles-Louis de Beaujeu ;
6* Marie, femme de Pierre Lhuit,seigneur de Vaumort ; 7* Barbe,
mariée à Marc-Antoine de Beaujeu, son cousin (v. plus loin). Armes :
d'azur au chevron d'or, accompagné de trois têtes de more de
sable, liées d'argent (La Chbsnatb-Desbois, t. X, p. 465).
— 333 —
Linières, capitaine de chevau-légers pour le
service du roi. De son premier mariage elle avait
eu un fils, Jean, marié 1** à Edméede la Rochelle
dont Pierre-François (1), lieutenant général des
armées du roi, et Blaisine (2) ; 2° à Calherine de
Beaujeu, sa cousine, fille de Paul-François, et
dont il eut une fille, Rose Duban.
5° François de Beaujeu, seigneur de Jauge,
encore mineur en 1584 et qui prit une part active
aux guerres de la ligue dans TAuxerrois et
(4) Jean Duban de la Peuillce descendait de Hardi Duban qui,
au retour de la dernière croisade de saint Louis, épousa Alphonsine
de la Feuillée, en 4276. Pierre fit ses premières armes en 45i7,
avec Claude-Paul de Beaujeu, le frère de sa belle-mère. En 4652,
il était à Barcelone, comme major du régiment de Beaujeu, alors
qa'il envoyait une procuration pour le mariage de sa sœur Blai-
sine. Il obtint, le 31 juillet 4654, le régiment de cavalerie de son
nom. Lieutenant général, le 28 juin 4678, grand Croix de Saint-
Louis à l'institution de Tordre en 4693, Pierre avait les plus bril-
lants états de service en passant par tous les grades. Il mourut à
80 ans, le 4 2 mars 4699. Il avait épousé Françoise le Brétel, dont
il eut Antoine et Louis; ce dernier abbé du Mont Sainte-Marie en
Franche-Comté, en 469 i (à la nomination du roi depuis 4674).
Après la conquête de la Franche-Comté par Louis XI V, Pierre
François fut gouverneur de Gray et de Dôle. Il avait acheté de
Brichanteau, en 4683, la terre de Frolois (canton deFlavigny, arr.
de Semur, Côte-d'Or] que le roi érigea en comté Tannée suivante.
Dans les documents do Tépoque, il est désigné sous le nom de
comte de la Feuillée. (V. Mém, de Pinard, commis de la gutrre,
t. IV, p. 303. CouiTÉpÉB, t. II, p. 270).
(2) Blaisine Duban épou'sa Jean-Baptiste Pitoizet d'Obtrée, gen-
tilhomme servant delà Reine, dont un fils tué en Allemagne en 4696
et une fille Marie- Anne, épouse de Louis le Bascle d'ArgentcuiJ
(Arch. do la Côte-dOr, E^, 43).
— 334 —
mourut sans postérité, maréchal des camps (1) et
armées du roi.
Au commencement de la Ligue, il avait réuni
quatre compagnies d'infanterie avec lesquelles
il séjournait quelque temps à Auxerre, avant de
rejoindre Mayenne. La prise de Goulanges-la-
Vineuse par les ennemis de la Ligue déchaîna la
guerre civile. On reprit Coulanges, puis François
de Beaujeu s'empara de Mailly-le- Château, à la
tête de 5 à 6000 hommes. Il avait, en passant, pris
Migé, et s'était ensuite porté vers Leugny qui
se rendit. Le dimanche suivant, ce fut le leur
d* Annay-la-Côte qui dut capituler après avoir vu
la brèche faite à ses remparts, et qui fut mise à
feu et à sang. François de Beaujeu eut toute la
gloire de celte expédition et la ville d'Auxerre le
gratifia d'une somme d'argent prise dans le dépôt
de la Ligue (2).
Ce parti resta ensuite tout-puissant, se tenant
sur le qui-vive.
A rapproche des troupes conduites par Ta-
vannes, Cypières et Paul de Beaujeu, oncle de
François, et qui se dirigeaient sur Montbard,
(1) Âvani la création des lieutenants généraux, le maréchal de
camp était le seul officier supérieur dans les armées sous le comman-
dant en chef, mais on n*en trouve pas d'exemple avant 4552, et ce
ne fut qu'en 1610, que les maréchaux du camp conservèrent leur
tilrc, une fois la paix faite.
{î) Lkbsup, llisl.dWuxcrre, t. 111, p. 435-136,
— 335 —
François avait été envoyé pour défendre Lamar-
gelle ; mais il ne put s'y maintenir. On avait pu
espérer la paix à l'ou verlure des Elats Généraux au
mois de janvier 1393, mais la Ligue recommença
ses menées et François de Beaujeu rejoignit le
duc de Guise à Joigny avec son régiment. De-
venu gouverneur de Brienon-rArchevèque, il dut
la rendre, le 3 mars 1S94, au maréchal de Biron.
Joigny ouvrit ses portes le 26 mars, et, dans les
articles de la capitulation, il était dit que les offi-
ciers nommés par Mayenne conserveraient leur .
charge, en prenant provision (obtenant brevet)
du roi, mais sans rien payer. Il dut en être de
même à Brienon où François commandait avec
20 hommes armés et 25 arquebusiers à cheval
sans compter les troupes réunies dans le château
de la Tuilerie, près de Jauge (1), qui* lui appar-
tenait.
CHRISTOPHE
Christophe, baron de Beaujeu, seigneur de
Jauge, chevalier, maréchal des camps et armées,
en 1614, était le fils aîné de François de Beaujeu
et de Claude de Méry. Il était majeur à la mort
0) Annuaire de fYonne^ 1860, p. 95 et suiv. {Le Duc de
Guise dans I^Auxerrois, par M. de Bastaro). A Challe^ Hist. des
guerres du calvinisme et de la ligue dans l'Auxerrois, 1864. Bib.
nat. mss. do Mesmcs n'> 8931/12 : Les Capitnines ligueurs dans
VAuxerrois, p. 116.
— 336 —
de son père, p.endant que ses frères étaient sous
la tutelle de leur mère et la curatelle de Guy de
Montigny, leur parent (t).
Il suivit la carrière des armes et fit, en 1578,
la campagne de Flandre où il se distingua. La
France soutenait alors contre l'Espagne la révolte
des Provinces-Unies, et le roi Henri III, tout en
protestant de ses intentions pacifiques auprès du
roi d'Espagne, Philippe II, avait laissé son frère
François, duc d*Alençon, accepler la candidature
.militaire qui lui avait été oflTerte. Mais cette ten-
tative n'eut pas de suite, et le duc d'Alençon fut
obligé de licencier sa petite armée.
Christophe de Beaujeu revint alors en France
que les querelles religieuses divisaient de plus
en plus. II. est qualifié de seigneur de Jauge dans
un acte du notaire Edme Poillechat de Dijon, en
date du 12 mai 1579, mais il avait aussi une partie
importante de la seigneurie de Chazeuil, avec une
maison et des terres qui le font intervenir dans
le procès soutenu par les habitants de Chazeuil
contre les seigneurs de Tilchâtel, relativement à
leurs droits dans la forêt de Velours. Comme ses
ancêtres, comme son oncle Jean, en 1561, Chris-
tophe fait cause commune avec, ses sujets pour
revendiquer les concessions accordées, en mars
(I) Voir page 265. Guy descendait de Huguenio de Montigny,
marié à GuillemeUe de Beaujeu, fille de Thibaut.
— 337 —
1S12, à son bisaïeul Jean de Beaujeu par Jeanne
de Lenoncourt et Claude deBessey, son fils, alors
seigneur et dame de Tilchâlel. C'est ainsi que
son nom figure dans les arrêts de la Table de
Marbre de Paris, des 8 juillet 1580, 9 juillet et
23 novembre 1581 , qui définissent ses droits et
ceux des habitants de Chazeuii, de la portion de
Beaujeu. Mais il n'était plus là lors du prononcé
des derniers arrêts, car il avait pris le chemin de
Texil.
Le duc d'Alençon, rentré en France après sa
campagne de Flandre, avait ouvertement donné
congé à ses troupes, mais il continuait ses menées
et restait d'accord avec les protestants. Il avait
conservé des relations avec la Ferté-Imbault (1)
et Christophe de Beaujeu qui n'avaient pas licen-
cié leurs compagnies. Il y avait encore, auprès de
Saint-Florentin, le régiment de M. de Montfort
qui n'avait pas moins de 1200 hommes, sans
compter les 300 hommes que la Ferté et Beaujeu
pouvaient rassembler en trois jours (2). En juillet
1580, le roi qui voulait aller à Bourbon-Lancy,
où la reine Louise de Lorraine prenait les eaux,
fît mander à Tavannes de marcher contre celte
(\) Claude d'Etampea, baron de la Ferté-Imbault, seigneur de
Mont-Saint-Sulpico et de Villefargeau, descendait d'Gdm<^e le
Rotier, fille d'Edme le frère de Jeanne, iro femme de Jean 111 de
Beaujeu. Voir page 279.
(l) Mémoires de Tavanhes^ liv. Il, p. 463.
25
— 338 —
troupe et de la disperser. C'est là sans doute qu'il
faut chercher les motifs de Texil de Christophe-
Pendant son absence se déroula le procès in-
tenté par Christophe de Choiseulpour le paiement
de la dot de Charlotte de Beaujeu, sa femme, et
qui se termina par la vente judiciaire de Chazeuil,
le IS décembre 1584, Mais il fut mis hors de
cause, et sa part fut réservée et laissée en dehors
de Tadjudication.
Le 30 août 1586, il était partie au jugement
de la Table de Marbre de Paris qui terminait le
procès relatif à la forêt de Velours. Il avait gain
de cause, et les habitants de Chazeuil, ses sujets,
obtenaient « trois arpens par feu, en une pièce
sur l'avenue de Chazeuil, au plus proche et com-
mode pour les habitants, et séparée par des
bornes et fossés de la portion du sire de Baissey.
Les habitants étaient tenus de mettre ces bois en
coupe à la révolution de dix ans, en y laissant
balivaux autres que ceux délaissés aux précé-
dentes coupes (1). »
Il était encore parlé de sa maison et de ses
biens de Chazeuil, le 20 mai 1S87, dans laccord
fait par sa tante, Marthe de Villeneuve, veuve de
Jean IV de Beaujeu, avec l'évoque de Langres,
à propos de leurs droits respectifs à Chazeuil, et
où il est entendu qu'il n'est pas question de la
(U Arch. do la Côled'Or, E, 1823.
— 339 —
maison de Christophe de Beaujeu (1). Mais l'an-
née suivante, sa portion était cédée à Tévèque,
car, le 31 août, il paraît comme ayant droit de
Christophe, dans Texécution de Tarrèt du 30 août
1586.
Christophe rentra en France en 1589. Comme
il le dit lui-môme dans un sonnet au roi (2), il
était un des chefs des 15.000 Suisses levés
par Sancy (3) pour le compte d'Henri III et qui
arrivèrent après son rapprochement avec Henri,
roi de Navarre, le 30 avril, à Plessis-les-Tours.
Il était à Genève avec Chau mont-Guitry et
Beauvais, lorsqu'ils reçurent par Sancy, à la fin
(\) Arch. de la Côte-d'Or, E, 1375.
{%) Dans les Mémoires de la HuGUERiE,t. I. p. 22, en note, Chris-
tophe est donné comme capitaine huguenot. C'est une erreur facile
à démontrer. Dans ses poésies, Christophe adresse un sonnet au
roi et un autre au duc de Guise, le plus terrible adversaire de la
réforme^ qu'il nomme Vhonneur de toute la terre. Son livre sur la
Suisse est dédié au président Brisson, créature de Mayenne. D'un
autre côté, un capitaine huguenot n'aurait pas accepté de se ren-
dre en exil ; il aurait rejoint les troupes de Condé et du roi de
Navarre. Il est plus rationnel de penser que Christophe^ attaché au
duc d'Alençon, avec lequel il avait fait campagne, ne voulut pas
suivre jusqu'au bout ce prince dans ses intrigues, surtout lorsqu'il
le vit faire alliance avec les protestants, et qu'il préféra aller en
exil plutôt que de porter les armes contre le roi.
(3) Nicolas de Harlay de Sancy, ministre sous Henri iil, et Henri
IV, né en 4546, mort en 1629. Successivement conseiller au parle?
ment, capitaine des cent Suisses, ambassadeur en Angleterre et en
Allemagne, surintendant des finances, il fit preuve partout d'une
grande intelligence. Il possédait le diamant connu sous son nom,
et qui fut plus tard acheté par le Bégent.
— 340 —
de mars, comraunicalion des ordres du roi qui le
relevait de son exil et faisait appel à son dévoue-
ment. Il resta à Genève pendant que Sancy trai-
tait avec Berne. Les cantons de Zurich, Bâie,
SchaflFouse, Saint-Gall et la ville de Strasbourg
avaient consenti à une alliance. Le duc Frédéric
de Wurtemberg, qui voyait fumer encore dans son
petit état les ruines accumulées par les Guises,
saisit l'occasion de se venger et promit son con-
cours, sous rinfluence de Paul de Beaujeu.
Les Suisses devaient se réunir près de Genève,
pour passer la revue le IS avril. En annonçant à
Christophe de Beaujeu et à ses compagnons Theu-
reux résultat de ses démarches, Sancy leur en-
joignait de se hâter et, au besoin, de ne pas
attendre le gros de l'armée pour envahir les Etats
du duc de Savoie qui n'était pas sur ses gardes.
Six compagnies d'infanterie, comprenant envi-
ron 1200 hommes, traversèrent rapidement le
Faucigny et s'emparèrent du château de Men-
Ihon, dans les premiers jours d'avril ; puis Guitry,
qui les commandait, rentra à Genève. Là, Sancy,
à qui les Suisses avaient fourni cent mille écus,
remit à des marchands italiens son fameux dia-
mant contre d'autres sommes d'argent.
Christophe de Beaujeu suivit Sancy à travers
la Franche-Comté où on leur fournit des vivres,
par suite d'une convention avec l'Espagne. Lors-
qu'ils eurent traversé la Saône à Port-sur-Saône,
— 341 —
ils trouvèrent ïavannes que le roi envoyait à
leur rencontre avec 300 chevaux. On se dirigea
sur Langres dont les habitants tenaient pour le
roi, mais demandaient à être débarrassés des
postes de ligueurs qui se trouvaient dans les en-
virons. C'est pourquoi on alla mettre le siège
devant Châteauvillain qui se rendit (1). A la fin
de juillet, Christophe de Beaujeu et l'armée des
Suisses étaient sous Paris, avec Henri III campé
à Saint-Cloud et le roi de Navarre à Meudon.
Le l^^'aoïit, Henri III élait assassiné par Jacques
Clément, et Sancy et les Suisses reconnaissaient
Henri IV ; mais il y a lieu de croire que Chris-
tophe, sans penser à se jeter dans le parti opposé,
hésita à accepter un roi huguenot. En effet, c'est
en cette année 1 389 qu'il publia des poésies suivies
d'un essai sur la Suisse, chez Didier Millot, rue
de la Petite-Bretonnerie, à Paris : ce quïl n'eût
pu faire s'il avait suivi Henri IV à Arques.
Il raconte dans une épltre au lecteur, « que la
fortune ayant pris fort grand plaisir à se jouer de
lui dix ans entiers, s'est lassée de ses tourments,
estant appelée pour ruiner d'autres desquels elle
aura non plus d'honneur mais plus de proffit et
le laissa en Suisse achever le reste de son exil
où il a demeuré trois ans, n'ayant pour lors rien
(I) Dr Thoo, HisL unioerseUe, t. X, liv. XCVI (Londres,
MDGGXXXIV), p. 646,7, 8,650, 3, 8.
- 342 ". .
à faire qu'à soupirer son mal qui le lenail eu dc-
dàin de sa patrie... »
Il explique que les premières années de son exil
ont été passées en Italie, en Allemagne et en Es-
pagne et ont été pénibles. Ses rapports avec les
Espagnols n'ont cependant pas été mauvais, mais
il n'a pas eu à se louer des Italiens et des Alle-
mands. En revanche il vante la beauté de la
Suisse et l'aménité de ses habitants.
Rappelant ^a Franciade^ de Ronsard (t), il dit
qu'il veut Timiter et donner en outre un livre
sur la Suisse. La première partie seule a paru et
ne fait pas regretter les autres. Comme celui de
Ronsard, son modèle, son style est maniéré, cher-
ché et vise au néologisme, mais il n'a pas les qua-
lités qui font la gloire de Ronsard. Voici du reste
son sonnet au roi :
Sire, depuis que moy voire sujet espave.
Chassé même du ciel fus hoste des Germains,
Estant l*unique horreur du reste des humains.
Je vainquis ma fortune et en devins plus brave.
Courageux du destin, je ne me fis esclave.
Ains(i), content de venir avec Mars aux mains,
De vos Suisses chef en France je revins,
Faisant trembler les monts qu'un Rosne toujours lave.
(1) Ronsard, poète français né en 1524 près de Vendôme, mort
en 4585, fut page du duc d'Orléans, fils du roi François II, puis
du prince Jacques Stuart. Il fut d'abord chargé de missions diplomati-
ques puis, devenu sourd, se voua aux lettres. Il fut le chef d'une nou-
velle école qui avait pour but de régénérer la langue française.
- 343 —
Mais comme Phaeton cl plus remply de gloire
Mon heur ne me laisse de lui que la mémoire.
Et me veis renverser trop luing de mon projet.
Alors, je remontai vainqueur de ma tristesse^
Sur les monts mi-déserts où se tient ma maîtresse,
Et chantay mes amours faute d'autre suhjet.
Entre ses poésies et son livre de la Suisse,
sont deux sonnets : le premier, de Guillaume
de Hautemer, comte de Grancey, plus connu
sous le nom de Fervaques, qui était gouverneur
du duché de Bourgogne sous la Ligue et devint
ensuite le fidèle etTami de Henri IV. Le second,
signé de Claude d'Etampes, seigneur delà Ferlé-
Imbault (1). Ils ne sont pas meilleurs ni plus
mauvais que celui de Christophe (2).
Les relations de Christophe de Beaujeu avec le
favori d'Henri IV expliquent comment il reprit
du service à l'avènement de ce prince. Il était
maréchal de camp en 1614, mais, en 1621,
lorsque Louis XIII était en guerre avec les pro-
lestants du midi révoltés, Christophe se trouvait
dans les troupes du duc de Lorraine Henri II,
(1) Le père de Jacques de la Ferté-Imbault, maréchal de France,
et qui était marié avec Jeanne de Hautemer, soeur de Guillaume,
comte de Grancey (voir page 337, note 1).
(2) Dans les œuvres de Christophe se trouvent des odes, des élé-
gies, des complaintes et ce que l'auteur lui-même appelle un torrent
de sonnets, puisqu'il y en a cent vingt et undesuite. Le volume se
termine par le premier et unique chant sur la Suisse. Le poème
devait en avoir douze.
- 344 —
avec le grade d'aide major de maréchal de
camp (l).
Christophe mourut en 1636. Il avait épousé
en premières noces Blaisoltecfe Madîot(2) qui est
déboutée de ses prétentions pou ries reprises de sa
dot sur le prix de la terre de Ghazeuil, lors de
la vente du 15 décembre 1884.
Il eut une seconde femme, Diane de Comi-
tin (3), fille de Louis, seigneur de la Motte, et
de Diane de Saint-Privé. Elle le rendit père d'un
fils. Pierre, tué servant volontaire sous M. le
Prince et qui avait assisté comme témoin, le
9 avril 1611, au paiement de la terre de Fontaine
à Jean de Beau jeu, son oncle. Après sa mort,
son héritage passa au fils de ce dernier.
(t) Cette circonstance pourrait faire croire qu'il ne voulait pas
combattre les protestants, et confirmerait l'opinion de la Hcgubkie.
Voir p. 339 note 2.
(2) C'est ainsi que le nom est écrit dans les pièces de procédure :
mais malgré les recherches les plus sérieuses, il n'a pas été possible
de le rapporter à une famille connue.
(3) Comitin portait d'argent à six yeux au naturel 2, 2 et 2.
CHAPITRE III
BRANCHE DE LA TUILERIE
JEAN V
Jean de Baujen V, seigneur de la Tuilerie,
Lézinnes, et de Pouy par sa femme, élait le
second fils de François de Beaujeu et de Claude
de Méry, et partagea la succession de son père et
de sa mère avec ses frères et sœurs, le 12 décem-
bre 1592.
Il avait épousé Catherine de Saint-Biaise (1),
fille d'Hector, seigneur de Pouy (2) et de Barbe
de Monchy (3), et seize jours après, le 30 octobre
(\) Saint-Biaise, commune de MesniUSaint-Père, cant. de Lusi-
gny, arr. de Troyes, Aube. La famille de ce nom portait d'azur à
la pointe d'argent.
(2) Pouy, canton de Marcilly-le-Hallier, arr. de Nogent- sur-
Seine, Aube.
(3) La maison de Monchy portait de gueules à 3 maillets d'or.
Elle est originaire de la Picardie, où il existe cinq villages de ce
nom dans le Pas-de-Calais et la Somme. Cette Barbe ne se trouve
pas nommée dans les généalogies de la famille dressées par La Ches-
natr-Drsbois et Moréri, mais il faut certainement ridentifier avec
la 6<s enfant d'Antoine qui est simplement désignée sans prénom et
comme morte sans alliance. On en aura la preuve certaine plus loin
en voyant la femme et le fils de Georges de Monchy, frère de cette
6* enfant, tenir sur les fonts baptismaux Claude-Paul de Beaujeu,
fils d'Anne de Saint-Biaise.
— 346 —
1599, il servait de témoirx à Paul-François de
Beaujeu , seigneur de Villiers- Vineux, son cousin,
qui prenait pour femme Anne .de Saint- Biaise,
sœur de Catherine.
Par son contrat, passé le 14 octobre 1399 de-
vant W Guiboriau, notaire royal à Sen?, il lui
avait été promis, pour la dot de Catherine, une
rente de 500 francs ou, à son choix, la terre de Lé-
zinnes, avec faculté de rachat. Mais la rente n'a-
vait pas été payée régulièrement lorsque survint
la mort d'Hector de Saint-Biaise, son beau-père.
Catherine réclama alors Texécution de son
contrat et, sur le refus de son mari, elle se fit
autoriser par la justice pour commencer les
poursuites. Mais les parents et amis étant inter-
venus, un arrangement eut lieu, à Villiers-
Vineux, le 22 juin 1606, entre Louis de Sainl-
Blaise, héritier de son père, par bénéfice d'in-
ventaire, et Catherine de Saint-Biaise, autorisée
cette fois par son mari.
Catherine s'engageait à renoncer à la succes-
sion de son père et de Barbe de Monchy , sa mère,
au profit de Louis de Saint-Biaise, son frère, qui
lui abandonnait, en compensation, la terre de
Lézinnes avec toutes ses appartenances et dépen-
dances, libre et franche de toute délie. Il s'en-
gageait de plus à remettre les titres, contrats et
papiers concernant cette seigneurie, et il renon-
çait à la faculté de rachat. Kt, comme Lézinnes
— 347 —
n'était pas du revenu de 800 fr., somme stipulée
dans le contrat de mariage de sa sœur, il prenait
rengagement de lui verser 4500 livres tournois,
et, à défaut de versement, à payer les intérêts
au denier seize (6 0/0) avec hypothèque sur la
terre de Fontaine, primant celle de Colombe
Boucher, sa femme ; ce qui fut consenti par
ladite Colombe et Edme de Boucher, seigneur
de Flogny, son père.
Les témoins étaient Alexandre, Paul-François
et Scipion de Beaujeu (1).
Louis de Saint-Biaise avait eu en partage la
terre de Pouy et comme il mourut sans enfant,
en 1608, elle fut partagée entre ses sœurs. Mais
Colombe était remariée, dès le 23 juillet 1608,
à Patrice le Bascle, seigneur de Moulins (2), et
avait des reprises à faire pour sa dot. Les pour-
parlers n'aboutirent que le 9 avril 1611. Ce jour-
là, à Paris, avec Taide de deux notaires au Chà-
telet, Patrice le Bascle, comme mari de Colombo
Boucher, veuve de Louis de Saint-Biaise d'une
part, et Jean de Beaujeu, seigneur de Jauge,
tant en son nom qu'en celui de Catherine de
Saint-Biaise, sa femme et comme fondé de pou-
voir d'Anne de Saint-Biaise, sa belle sœur
autorisée de Paul-François de Beaujeu, seigneur
de Villiers- Vineux, son mari, d'autre part, fai-
(S) Arch. delà Côte-d'Or, E», 48.
(2) Moulins, canton de Noyers, arr. de Tonnerre, Yonne.
— 348 —
saient le Iraité suivant : sur la somme de
17.000 livres versée par Nicolas Brulart, chevalier,
seigneur de Sillery, chancelier de France,
acquéreur de la terre de Fontaine, moyennant
25.000 livres, par acte du 6 mai 1610, Patrice
le Bascle recevait 15.000 livres montant de la dot
de Colombe Boucher, sa femme. Sur le reste il
était attribué à Jean de Beaujeu 1878 livres
15 sols, etc.
Les témoins étaient Pierre de la Roche, prévôt
de Villiers- Vineux, et Pierre de Beaujeu, écuyer,
demeurant audit Villiers (1).
Le vendredi 2 septembre 1613, au château de
Villiers-Vineux, Patrice le Bascle rachetait de
Catherine et d*Anne de Saint- Biaise la terre de
Pouy qu'elles s'étaient partagée après la mort
de Louis de Saint-Biaise, leur frère, premier
mari de la femme de Patrice, Colombe Boucher,
à laquelle il était dû un douaire de 4000 livres.
Pour devenir seuls propriétaires de la seigneurie
de Pouy, les époux le Bascle renonçaient à toute
réclamation pour le douaire et les arrérages qui
pouvaient être dus, et cédaient une rente de
500 livres, rachetablede 8000 livres, et une autre
de 168 livres, au rachat de 2700 livres, due par
Melchior de Chaugy, seigneur de Vézinnes (2).
Jean de Beaujeu fit son testament à Cheu, dans
(t) Pierre était le fils de Christophe (voir p. 3U).
(2) Arch. de la Côle-d'Or, E, H 03*.
— 349 —
la maison de Claude de Moreaii, son cousin, le
28 janvier 1626. Dans cet acte il demande à être
inhumé dans l'église de Jauge, à côté de ses pré-
décesseurs ii sous une tombe en pierre de Ton-
nerre qu'il avait fait préparer d'avance. Il
désire que le jour de son décès ou le lendemain,
il soit célébré un service solennel à 6* ou 0 leconSy
et quatre autres messes avec salut ordinaire de
la Vierge, comme c'est la coutume pour personnes
de sa qualité ; et chaque prêtre recevra la somme
de dix sous. »
« Son corps sera porté par six personnes choi-
sies par son exécuteur testamentaire.
« Le luminaire pourra aller jusqu'à vingt
livres de cire, pour les cierges, torches et cha-
pelles.
« Les pauvres de Jauge seront aumônes jus-
qu'à 30 livres.
« Un nouveau service devra être célébré après
40 jours et au bout de Tan, comme il est ordinaire
et sans préjudice d'une messe chantée chaque
jour de l'année.
(( Il sera donné trente livres à la fabrique de
l'église pour être employées aux réparations né-
cessaires.
« Jean de Beaujeu donne ensuite le nom de
ses dix enfants, et déclare que Charles, l'un d'eux,
est entièrement porté à des actions déréglées,
dérogeant à sa qualité et cela depuis son jeune
— 350 —
âge, et malgré les remontrances qui lui ont été
faites par plusieurs notables seigneurs, leurs pa-
rents et amis, après son père et sa mère. Mis en
pension à Tabbaye de Pontigny, sur Tavis de la
famille, il en est sorti depuis trois ans, et clan-
destinement lors du décès de l'abbé ; et depuis ce
temps il s'est mal gouverne y blasphémant le saint
nom de Dieu, fréquentant les jeux et tavernes
a,vec gens de mauvaise vie et voleurs^ se pre-
nant ordinairement de vin et a plusieurs fois
dérobé des chevaux et de l'argent dépensé avec
ceux qu'il fréquente. Il s'est porté à des voies de
fait contre sa mère qui lui faisait des remon-
trances, rinjuriant et lui disant des paroles mal-
sonnantes et indignes à réciter. Il est mémo
allé trouver Tennemi capital de son père et lui a
offert ses services contre les siens. . . C'est pourquoi
il le déshérite et l'exclut de pouvoir, après son
décès, avoir ni prendre aucune chose en ses
biens tant meubles qu'immeubles DE fief ou de
ROTURE, sans aucune espérance ni retour^ re-
commandant à Texécuteur testamentaire de faire
enregistrer aux sièges et présidiaux de Sens,
Troyes et autres lieux où besoin sera, pour en-
suite signifier ce que dessus audit Charles afin
qu'il ne puisse en ignorer. Il nomme enfin, pour
exécuteur leslamenlaire, Catherine de Saint-
Biaise, sa femme, qu'il supplie d'accepter (!)• »
(I) Arch. de la Côted'Or, E, 73.
— 331 —
Catherine avait fait le même testament le 30
décembre 1620, avec cette différence qu'elle ne
nomme que huit enfants, sans parler de Catherine
et de Marianne, sans doute déjà mariées (I).
Les voici dans l'ordre donné par le testament
de son mari :
1** Edme ;
2** Catherine, femme de Lazare de Grandry (2),
major (3) du régiment de Langerou ;
3"* Charles, déshérité par ses parents ;
4^ François, mort jeune ;
5° Louis, sans alliance ;
G° Jean, sans postérité;
7° Marie-Anne, épouse de Jacques de Ville-
braillon (4), seigneur d'Arbelel, dont elle était
veuve en 1675;
8' Jacques ; *
(1) Arch. de l'Yonne, B. 288, ('^ 62 "•«.
(2) Cette famille (irait son nom du village de Grandry (canton de
Moulin-Eogilbert, arr. de Château-Chinon, Nièvre). Elle parait
dès le xiii^ siècle et existait encore au xviiie. En 1274, Pierre de
Grandry se reconnaît vassal du comte de Nevers et ses succ6sseurâ
paraissent dans les montres d'armes et sont qualifiés de chevaliers
des ordres du roi. Les Grandry portaient d'argent à trois trèfles de
sinople (vert). (Voir l'Inventaire des titres de Nevers de l'abbé
de Marolles).
(3) Le majur était le plus ancien capitaine du régiment. 11 com-
mandait le deuxième escadron, le premier étant .«ous les ordres du
mestre de camp ou colonel ou du capitaine -lieutenant.
(i) Ce nom donné ainsi dans la généalogie dressée par d'IIozisa
ce se trouve pas dans les armoriaux.
— 352 —
9^ Marie, connue seulement par le testament
de ses parents ;
10° Marc-Antoine, seigneur de Pouy, lieutenant
de chevau-légers du duc d'Enghien sous lequel
il servait au siège deMardick(l), avec son neveu
Claude-Paul, en 1646, fut capitaine au régiment
de Beaujeu. Marié à Barbe de Moreau, sa cousine,
fille de Claude, seigneur de Cheu et petite-fille de
Jean de Moreau, seigneur de Vinet et de Marie
de Beaujeu (2), il en eut deux filles : 1° Edmée-
Eléonore, baptisée à Jauge, le 2 décembre 1662 ;
2° Marie, baptisée à Jauge, le Ai octobre 1665 et
ayant pour marraine Marie de Boucher, femme
d'Henri de Boulard (3), écuyer, seigneur de la
Brûlerie.
(1) Mardick, village à 40 kil. de DuDkerquB, sur la mer. Le 43
août, Marc-Antoine dînait derrière un épaulement, invité avec deux
autres compagnons par Hussy-Babutin qui avait demandé les six
petits violons du duc. On n'en était encore qu'au potage quand la
fôte fut interrompue par les ennemis qui avaient fait irruption dans
la tranchée. Bussy fit mettre sa compagnie à cheval et Beaujeu le
suivit. Il se mit à la tête de la compagnie qu'il voulait mener à la
charge. Bussy ayant refusé, Beaujeu s'avança seul à dix pas de
l'ennemi pour tirer son pistolet, mais son cheval ayant été tué, il
aurait été pris si Bussy n'avait fait avancer ses hommes (Mémoires
de BussT, 1. 1, p. 444, 147).
(2) Marie était fille de François de Beaujeu (v. p. 334, note 3).
(3) On trouvera plus tard une alliance avec les Boulard, dans
le rameau d'Àngeville et de Mézilles.
— 353 —
EDME
Edmo de Beaujeu, fils aine de Jean V et de
Calherine de Saînt-Blaise, élait soigneur de la
Tuilerie et de Jauge, en parlie, après la mort de
sou père. Il hérila d'une autre parlie au décès du
fils de Christophe qui avait eu le fief principal.
Comme tous les gentilshommes, Edme avait
pris du service pendant la guerre de trente ans,
ot quoiqu'il ne soit pas arrivé à un grade élevé,
c'était un personnage d'une certaine importance,
puisqu'il épousait, en 1644, Geneviève-Françoise
de Baugy, fille de Nicolas de Baugy, ambassa-
deur pour le roi en Hollande, et d'Anne Parfait (1).
A ce moment, ce poste ne pouvait être confié
qu'à un homme d'une grande valeur et môme
d'une haute position, par suite des circonstances
particulièrement difficiles où se trouvait la Hol-
lande, sollicitée d'un côté par l'Espagne qui
voulait reprendre son influence chez elle, et, de
l'autre, par la France qui cherchait à l'attirer dans
son alliance et fit reconnaître son indépendance
par le traité de Weslphalie, en 1648 (2).
(t) Honoré Parfait, seigneur Je Garancière, était un peu plus
tard contrôleur de la maison du roi (La Chesnaye- Desbuis, v. Mes-
grigny)-
(i) Voir Mémoires de Richelieu, collection Petitot, t. XXVI,
p. 21
26
^ 354 _
Par obligation du 28 janvier 1650, Edme de
Beaujeu avait prêté 3000 francs à Catherine de
Beaujeu, sa cousine, veuve de Jean Duban, sei-
gneur de Vannai re. Catherine étant décédée elle-
même, Edme dut s'adresser à sa fille, Rose
Duban, alors sous la curatelle de Jean Robin,
bourgeois de Paris, et, par exploit du 28 sep-
tembre 1655, il réclamait le mon tant de sa créance.
Le 10 janvier 1656, il obtenait un arrêt qui
condamnait sa débitrice à lui rembourser ladite
somme de 3000 francs, avec les intérêts du jour
de la demande en Justice.
Rose s'était mariée le 19 juillet suivant; elle
interjeta appel. Mais la cour, par un nouvel
^rrôt du 30 août 1657, rejetait sa demande et
Edme obtenaitjugementexécutoire,le5aoùt 1658.
Cependant les relations n'avaient pas, pour cela,
été refroidies entre les plaideurs, car Edme
était parrain, le 20 septembre 1657, du fils de ses
adversaires.
Edme était mort le 10 février 1672, lors-
qu'on baptisait l'enfant de sa fille Louise qui
était sous la tutelle de son oncle Eugène de
Baugy.
De son mariage avec Geneviève de Baugy,
Edme avait eu neuf enfants :
1" Anne-Louise, marraine à Jauge les 1" et
29 novembre 1648, mariée le 6 novembre 1675,
à la paroisse de Saint-Symphorien de Sens, avec
— 355 —
Louis le Vuyt (1), écuyer, seigneur de la Molle
de Rosoy, dont elle avait un enfant, comme Tin-
dique Tinscriplion suivante recueillie sur les
registres paroissiaux de Jauge : a le dixième de
février 1692, a été baptisé un garçon né du 8,
d'entre LoysLuylh, seigneurdela Motte-Mayron
et Anne-Loyse de Beaujeu, dame en partie de
Jauge, qui ne sont point encore mariés ; qui
a été nommé Eugène Loys par M. Eugène de
Baugy, chevalier, seigneur du Buisson, oncle et
tuteur de ladite demoiselle et parrain, et par
Colombe Martin, w Suivent les signatures du père
et du parrain.
2*» Marie-Marguerite, baptisée à Jauge, le
4 janvier 1647 et ayant pour parrain Guillaume
de Baugy, seigneur du Fay et pour marraine
Marguerite de Quelain, femme de Pierre de
Boucher (2), seigneur de Flogny. Elle épousa, le
(OUoe parenté devait exister entre les époux. UnLuyt^ seigneur
de Vaumort^ était marié à Marie de Moreau^ fille de Claude, sei-
gneur de Cheu et de Jauge, et de Marie de Beaujeu, G lie de François
(v. p. 331). Les Luyt étaient des gens de robe. Fierre Luyt, fils de
noble Pierre Luyt, avocat du roi à Sens, est baptisé le 47 décem-
bre 4632 (Arch. de l'Yonne, ville de Sens, G. G. paroisse Samte-
Colombo). David Luyt était bailli d'Epineul et exécuteur testamen-
taire d'Ëléonore de Beaujeu en 4704. Le 30 juin 4712 on baptisait
à Gheu Françoise-Henrie'te de Luyi, fille de François, écuyer, sei-
gneur de Cheu, capitaine de grenadiers au régiment de la Boche-
foucaud. La marraine était Henriette, veuve de Charles de Moreau,
et fille de Jacques de Fourviére, marquis de Coudray et de Jeanne-
Elisabeth de Grandry.
(2) Los Boucher de Flogny étaient pourainsi dire parents (v. p. 347).
— 356 —
3 oclobre 1673, Sébastien de Gilliers, écuyer,
seigneur de Berre, fils de Pierre de Gilliers,
écuyer, seigneur de Sainl-Tarl, et de Marie Le-
inercier. Le futur, veuf de Charlotte du Vignan,
est dit âgé de 83 ans et la future de 26 ans. Le
24 juin 1674, il leur arrivait un fils, Charles-
Louis, baptisé à Jauge le 26, mort le 30 décembre
1675; et le 25 novembre 1675, ils avaient une
tille, nommée Louise-Marie par sa tan le, Marie-
Anne de Beaujeu.
3^ Edme-François, baplisé à. Jauge, le l*'" juil-
let 1648, ayant Paul-François de Beaujeu, sei-
gneur de Villiers-Vineux, son grand-oncle, pour
parrain, et pour marraine Eléonorede Tusseau,
femme de Claude-Paul de Beaujeu, son oncle à
la mode de Bretagne ou de Bourgogne. Edme-
François fut tué le 4 avril 1667, à 19 ans (I).
4* Nicolas-Jacques, né le 5 septembre et bap-
tisé le 28 novembre 1649. Son parrain était
Jacques de Breuillard ou du Brouillard, cheva-
lier, seigneur de Sainl-Cyr et sa marraine Mar-
guerite Tabourel. Il est mort jeune après avoir
élé élevé comme page chez M"® de Monipensier,
qui, après la Fronde, avait reçu Tordre de se
retirer dans son château de Saint-Fargeau (2).
(1) Dans la campagne de Flandre qui se termina par la prise de
Lille, le 11 août.
(2) Mlle de Montpensicr joua un rôle très actif dans la Fronde.
• 357 —
o^ Paul-Nicolas, raorl en bas âge, baptisé à
Jauge, le 10 décembre 1652. Son parrain élail
Nicolas de Thélys, seigneur de Roffey ; sa mar-
raine était Catherine le Bascle, veuve de Paul-
François de Beaujeu.
6'' Eugène-Frédéric, gouverneur des Invalides,
qui suivra;
7^ Geneviève-Françoise, née en 1657, mariée à
Charles de Buffevanl(l), seigneur dePercey (2),
fils de Louis et d'Anne de Bretagne et décédé en
1686. De ce mariage naquit René de Baffevant,
baplisé à Percey, le 4 octobre 1683, marié à
Marie-Françoise de Mesgrigny qui mourait à
Percey le 13 août 1714. Lui-môme est décédé le
8 octobre 1730.
Elle fît môme tirer le canon sur les troupes royales depuis la Bas-
tille, le ^juillet 1652, pour sauver le grand Condé pris entre deux feux.
(\) La famille de BufTevant était de la meilleure noblesse. Louis
de Buiïevant, seigneur de Chaumont (canton de Pont-sur- Yonne,
arr. de Sens) avait été capitaine et gouverneur d'Auxerre pour le
roi^ par lettre donnée à Paris le 45 août 4572. Son petit-fils René
fut aussi gouverneur d*Auxerre (Lzb%vf, Histoire d A uxerre^ t. HI,
p. 449 et 569).
Les Mesgrigny ne le cédaient en rien aux BufTevant pour la no-
blesse et les honneurs. Françoise de Mesgrigny, la femmo de Hené
de BufTevant, était fille de Jacques-Louis, comte d'Aunay et de
Charlotte, fille ainée de Tillustre Vauban et de Jeanne d'Aunay (La
Chesnate-Desbois, MoRéRi). BufTovant portait de gueules à trois
lances d'or passées dans 3 anneaux d'argent aussi en triangle. (Abbé
do Marolles, Inv. de Neoer$), Mesgrigny avait pour armes un lion
de sable sur champ d'argent.
(2) Percey, canton de Flogny, arr. de Tonnerre, n'est qu'à 3 ou
4 kil. de Villers-Vineux et de Jauge. |
I
I
— 358 —
Geneviève es( morle au château de la Tuilerie,
le 1«' juillet 1737, à 80 ans. Dans son testament
du 5 mai 1717, Nicolas de Beau jeu, son cousin,
gouverneur de Saint-Dizier, lui avait légué sa
montre. Elle avait hérité de son frère Eugène-
Frédéric, gouverneur des Invalides et élait en
procès, à ce sujet, avec les Duret de Villiers(l),
auxquels elle réclamait 40.000 francs prêtés par
son frère au Président Durel. Ceux-ci, de leur côté,
demandaient le remboursement de 51.000 francs
touchés par Eugène-Frédéric, le 1 7 décembre 1724 .
8* Charles-Louis, né à Jauge le 3 août 1660, et
qui continua la lignée.
9* Julienne-Françoise, marraine à Cheu, le
11 décembre 1687 et le 20 janvier 1709. Elle
avait été marraine à Vézanne, le 10 mai 1689,
de François de Chaugy, fils de Michel et de
Jeanne de Moreau.
EUGÈNE-FRÉDÉRIC
Eugène-Frédéric de Beaujeu, chevalier, comte
deBeaujeu, seigneur de Villiers-le-Sec, Donjeu
et Maupas, maréchal des camps et armées du roi,
commandeur de Tordre militaire de Saint-Louis,
(1) Les Duret de Villiers étaient les descendants de Rose Duban,
sœur consanguine de Pierre-François et dont il sera parlé plus
loin. (Voir p. 333, note 4).
— 359 —
gouverneur de l'hôtel royal des Invalides, élaît
fils d'EdmedeBeaujeu, seigneur de Jauge et de la
Tuilerie, et de Geneviève-Françoise deBaugy.
Il servait déjà on 1676 (1), et avait été blessé,
en 1677, au siège de Valenciennes qui fut pris le
17 mars. A la paix de Nimègue il demanda un
congé.
La paix ayant été signée le H août 1678 avec
la Hollande, puis avec TEspagne, le 17 sep-
tembre, et successivement avec l'Allemagne et
le Danemark dans le courant de l'année sui-
vante, « le roi commença à renvoyer les troupes
(4) D'après Pihard (Chro. hist. militaire, i- VU, p. 48) il avait
64 ans lorsqu'il mourut, le 26 mai 1730, co qui mettrait sa nais-
sance en 4666.
Selon les documents du ministère de la guerre^ il était au ser-
vice en 4676. II aurait alors eu dix ans, ce qui est admissible à la
rigueur, puisque son neveu Âlexandre-Nicolas-Joseph était réguliè-
rement inscrit sur les rôles du régiment à 5 ans ; mais il y a des
raisons sérieuses de croire qu'il faut reporter sa naissance au moins
à 4636 et lui donner par conséquent 40 ans de plus. En effet, il
est parti pour la Pologne en 4678 et les mémoires qu'il a publiés
à la suite de ce voyage ne sont pas d'un jeune homme, presqu'un
enfant, mais d'un homme déjà mûr et qui a beaucoup vu. 11 devait
donc avoir au moins 22 ans et non 4 2. Malheureusement les registres
paroissiaux de Jauge, où j'ai relevé la naissance de ses frères et
sœurs,ne contiennent pas celle de Frédéric. Il y a des lacunes dans
les feuillets, mais il a pu aussi venir au monde ailleurs. De plus, son
frère Paul-Nicolas est né en 4652 et sa sœur Geneviève en 4657 ou
4658, d'après son acte de décès, car sa naissance ne figure pas non
plus sur les registres. Or, cet intervalle de 5 ans n'existe pas d'or-
dinaire entre la venue des autres enfants, espacés de deux ans au
plus les uns des autres.
— 360 —
élpangères et cassa en môme lemps douze mille
chevaux de celles du royaume. L'Europe n'avait
plus de sujet de guerres et tout le monde avait
les yeux tournés vers le roi dePologne qui son-
geait à la faire aux ennemis communs de l'Eu-
rope et à délivrer son pays du fâcheux voisinage
des Turcs et des Tartares, peuples toujours à
craindre s'ils ne craignent. Pendant ces négo-
ciations et ces apprêts de guerre, quelques of-
ficiers français passèrent en Pologne pour y re-
trouver une occupation que la paix verîaitde leur
ôter partout ailleurs ; et, comme nous savions
que ce voyage était prémédité par beaucoup
d'autres, .nous songeâmes à le faire de bonne
heure pour n'être pas prévenus dans l'emploi, s'il
y en avait à espérer, ou du moins dans le dessein
de témoigner le zèle empressé que nous avions
pour une expédition dont la cause doit en ins-
pirer à tout le monde » (1).
Une circonstance dont il ne parle pas et qui
n'était sans doute pas étrangère à sa détermi-
nation, c'est que des relations existaient entre ses
parents et la famille de la reine de Pologne, fille
d'Henri de la Grange, comte d'Arquien, d'une
maison originaire du Berry, maisa'iors établie dans
TAuxerrois. Geneviève de Baugy, sa mère, avait
(I) Mémoires du chev. de Beaujbd, Amsterdam, MDCO, p. 9
et 10.
— 361 —
été marraine à Méré(l), le 15 février 1G49, aveo
Achille de la Grange, comte de Maligny, frère
d'Henri, le père de la Reine.
Eugène-Frédéric fut absent près de dix ans,
parcourant la Hollande, T Allemagne, la Pologne,
la Russie, TAutriche. Il visita Venise mais il la
trouva inférieure à x\ms(erdam. Les détails de
Tarchipel de la mer Egée lui devinrent familiers.
En 1683, il était de Texpédition de Vienne,
dirigée par le roi de Pologne qui sauva alors TEm-
pire et la chrétienté de Tinvasion des Turcs (2).
Il quitta Paris, le T"" septembre 1679 et gagna
Hambourg par la Seine et la mer du Nord. Il
prit ce chemin par suite du peu de sûreté des
routes de T Allemagne, résultat de la querelle de
TElecleur de Brandebourg avec la ville de Ham-
bourg. Il se rendit par la voie de terre de Ham-
bourg à Lubeck, d'où il partit en bateau pour
Dantzick. De là il se dirigea sur Varsovie. Mais
la cour étant sur la frontière de Russie, dans les
propriétés privées du roi, il alla la trouver, ce qui
paraîtrait extraordinaire s'il n'avait eu des lettres
d'introduction.
Il revint à Paris Tannée suivante, chargé
d'une mission de confiance, et w afin de terminer
(1) Méré» canton de Ligny, arr. d'Auxerre.
(2) Eugène-Frédéric avait préparé une relation de cette mémo-
rable campagne pour faire la seconde partie de son ouvrage. II
est regrettable qu'il ne Tait pas publiée.
— 362 —
cer laines affaires de famille entre M. le duc de
Bélhune, ambassadeur de France à Varsovie et
M. le marquis d'Arquîen, son beau-père (1). »
Parti de Varsovie, le 7 septembre 1680, il fit
le voyage par mer jusqu'à Hambourg et gagna
Paris par la Hollande, Amsterdam, Rotterdam,
Anvers et Bruxelles.
Il avait, en passant, déposé à Copenhague des
paquets et dépêches dont il était chargé pour la
cour de Danemark. Arrivé à Paris le 31 octobre,
« des affaires dont il est inutile de donner le
détail Tarrôtèrent quatre mois entiers ». Il en
repartit le 2 mars 1681 « avec quelques officiers
qu'on lui donna à conduire pour leurs majestés
polonaises ».
« Il était tnouive'poviQMvàQ papier s importants
et de pierreries pour la reine, ce qui lui fit
prendre la route de mer, comme plus sûre, quoi-
qu'elle ne fût pas toujours infaillible. »
« A Varsovie, il apprit du roi lui-même (2)
(1) Le marquis de Bétbune avait épousé la sœur de la reine de
Pologne. Il descendait de François, frère de Sully, le ministre
d'Henri IV.
(2) Le roi de Pologne était alors Jean Sobieski. un héros popu-
laire, d'une ancienne famille qui avait déjà auparavant fourni de
grands citoyens. Il avait, par ses victoires, porté la gloire de son
pays au plus haut degré. Nommé par le roi Casimir porte-enseigne
de la couronne, puis grand maréchal, il venait de battre les Turcs
à Choczim en 1673, lorsque le roi Michel mourut. Il fut alors élu
à sa place sous le nom de Jean III. Il fit la guerre à la Russie et
— 363 —
certains détails secrets au sujet de V expédition
projetée contre les Turcs. »
En somme, Eugène-Frédéric de Beaujeu, qui
ne quittait pour ainsi dire paslacourde Pologne,
élait un véritable courrier de cabinet, prudent,
réservé et discret. Les détails qu'il donne sur les
pays qu'il traverse, les mœurs, des habitants qu'il
décrit, les anecdotes qu'il raconte, tout en étant
très intéressantes, ne servent qu'à masquer le
véritable but de ses voyages (1).
Le 17 octobre 1685, avait lieu la révocation de
TEdit de Nantes (2). Ce fut le signal d'une ligue
entre les protestants d'Allemagne, Tempire, l'Es-
pagne, la Suède, et qui fut signée à Augsbourg le
9 juillet 1686. Bientôt l'Angleterre donnait son
adhésion, et Louis XIV allait avoir à lutter contre
l'Europe entière.
Eugène-Frédéric était rentré en France au
premier bruit de guerre. Par commission du
sauva en 1683 Vienne et l'Autriche menacées parles armées mu-
sulmanes. Il mourut en 4696.
Il avait épousé une Française, Marie-Casimire de la Grange d'Âr-
quien, veuve de Jean Radzivil, comte de Zamosk et ancienne
fille d'honneur de la reine Louise, femme de Casimir II. Elle
exerça sur son mari un empire absolu et souvent funeste.
(4) On pourrait s étonner que, petit-fils de Nicolas de Baugy,
ambassadeur en Hollande, il ne soit pas entré dans la carrière di-
plomatique.
(2) L'édit de Nantes rendu par Henri IV, en 4398, accordait aux
protestants la liberté de leur culte.
— 364 —
20 août 1688, il levait une compagnie pour le
rêgimeni de Plossis-Praslin, el était ainsi tout
prêt lorsque l'armée française envahit le Palali-
nat, le 30 septembre suivant. Il commanda celle
compagnie à Tarmée d'Allemagne, en 1689 et
1690. Major du régiment de Plessis, par brevet
du 25 avril 1691, il servit celle même année à
Tarmée d'Italie, à celle de la Moselle en 1692, sur
les côtes de Bretagne en 1693 et 1694, au pays
d'Aunis, par lettre du 22 mai 1695, sur la Mo-
selle, en 1696 et 1697.
Son régiment ayant été réformé, le 8 mai 1698,
et rétabli par ordonnîmce du 10 février 1701, il
en fut remis major, le \^^ mars suivant. Il servit
avec ce régiment (appelé alors Mérinville, du
nom de son chef) en Allemagne, en 1702, et se
distingua à la bataille de Friedlingen, au mois
d'octobre. Il était au siège de Kehl, au combat de
Munderkingen, à la première bataille de Hochs-
ledl, en 1703.
Il obtenait, le 14 mars 1704, une commission
pour tenir rang de mestre de camp et le 6 juin
suivant il était mis à la suite du régiment Royal-
Cavalerie, et servait à l'armée de Bavière en qua-
lité de maréchal général des logis de la cavalerie,
pour se distinguer particulièrement à la bataille
de Ilochstedt.
Il remplit les mômes fonctions à Tarmée de la
Moselle sous le maréchal de Villars, en 1705, à
— 365 —
Tarraée du Rhin où il se trouvait à la prise de
Drusenheim, de Laulerbourg, etc.
Le 4 juillet il obtenait un régiment de cavalerie
de son nom(l) et continuait néanmoins los fonc-
tions de maréchal général des logis à l'armée du
Rhin, sous le maréchal de Villars. Il prit ains^i
part à toutes les affaires en Franconie et en Souabe ,
en 1707. 11 était sur le Rhin avec le maréchal de
Brunsvick, en 1708.
Brigadier par brevet du 29 janvier 1709, il
continua les fonctions de maréchal général des
logis à l'armée de Flandre jusqu'en 1712. Hélait
à Malplaquet en 1709, à l'attaque d'Arleux en
1711, à celle de Denain, aux sièges de Douai,
du Quesnoy et de Bouchain, en 1712. Passé
en la même qualité à l'armée du Rhin en
1713, il servit aux sièges de Landoau et de Fri-
bourg.
Il eut à ce dernier le talon emporté par un
boulet de canon, et dut subir Tamputation de la
jambe (2). Malgré cela il voulut rester sur les
cadres et, son régiment ayant été réformé le
20 novembre 1713, il fut incorporé avec sa com-
pagnie dans le régiment de Lénoncourt. Mais il
(1) C'était le régiment du nom de Marivault, levéje 7 mars 1676,
par Hardouin de Lisie, marquis de Marivauit. Régiment réformé
en i»98, rétabli en 1701 et enfin donné à Eug. -Frédéric do Beau-
jeu on 1706 (Général Sjisank, Cavalerie^ t. III, p. 267).
(î) Mém, de Dawjbau, t. XV, p. 5.
— 366 —
comprit enfin que Theure de la retraîle était
sonnée et il se retira à Paris.
Le roi lui accorda une place de commandeur de
Tordre de Saint-Louis, par provision du 30 juil-
let 1715, et lui remit lui-même les insignes à
Marly, le lundi 29 (1). La lieutenancedu gouver-
neur des Invalides, avec promesse de la survi-
vance, lui fut donnée le 27 avril 1721 (2). Il
entra en possession du gouvernement de Thôlel
le 11 février 1724, à la mort de M. de Boyvau,
et y resla jusqu'à son décès, arrivé le 26 mai
1730 (2).
Eugène-Frédéric de Beaujeu, avant d'entrer
aux Invalides, habitait à Paris, cour de Rouen,
paroisse Saint-André-des-Arts. Le 24 juillet 1715,
-son cousin Nicolas de Beaujeu, seigneur de
Gharabroncourt et d'Epizon, et gouverneur de
Saint-Dizier, lui avait vendu, moyennant
3000 francs payés comptant, le mobilier qui
garnissait son appartement du n^ 16 de la rue
des Saints-Pères (3).
L'année suivante, Nicolas, dans son testament
(\) Ibid., p. 460. Recueil des édits, déclarations, ordonnances^
arrêts, etc., concernant l'hôtel royal des Invalides, 4781, t. l,
p. 263, 300, 30i.
(2) Ibid. La nomination de son successeur, lechev. de Ganges,
est du 29 mai et ii eut pour successeur, la môme année, le colonel
de Bauiïremont.
(3) Voir page 322,
— 367 —
du !«' octobre 1716, lui léguait son carrosse qui
était à Paris et un petit cheval alezan.
Il avait été aussi mentionné dans le testament
de sa cousine Eléonore de Beaujeu, marquise de
Belva4, qui reconnaissait lui devoir 200 livres.
Rentré dans le calme après une existence
aussi agitée, Eugène-Frédéric cultivait ses rela-
tions de famille. Le 13 août 1719 il était parrain,
à Percey, avec Françoise de Mesgrigny, femme
de René de Buflfevant, fils de sa sœur Geneviève.
Le 9 décembre 1721, il faisait partie du con-
seil de famille assemblé pour la tutelle de
Louise- Armande Duret, et signait une procura-
lion dans laquelle il disait demeurer rue Guéne-
gaud, paroisse Saint- André-des-Arts, à Paris.
Dans une seconde procuration, en date du
26 juin 1722, pour Témancipation de ladite
Louise-Armande Duret, il est dit gouverneur en
survivance de Thôtel royal des Invalides, y
demeurant.
Eugène-Frédéric de Beaujeu possédait une
fortune mobilière sérieuse, dont le détail *est
fourni par l'inventaire fait après sa mort à l'hôtel
des Invalides (1). Parmi les titres figurait Tobli-
galion souscrite par le comte Otto de Kœnigs-
marck à Eléonore de Beaujeu, marquise de Bel-
val, dont il était héritier du côté paternel. Le
(I) Arch. de la Côle-d'Or, E. 73.
— 368 —
plus grand nombre des créances était sur les
enfants d'André Duret et de Rose Duban, ses
cousins et môme sur le Président Duret, frère
d'André, qui était débiteur de 40.000 francs.
Avec une quantité d'autres sommes plus
petites (1), cela constituait une succession
importante qui fut partagée entre les enfants de
Louis-Charles de Beaujeu, frère de Frédéric, et
Geneviève de Beaujeu mariée à Charles de Buf-
fevant, sa sœur, laquelle, en 1735, était encore
en procès devant le parlement de Paris, au sujet
de rhéritage de son frère (2).
CHARLES-LOUIS
Charles-Louis de Beaujeu, chevalier, seigneur
de Jauge et de Saint-Hubert, lieutenant-colonel
(I; Le 7 février 1719, Edrae-François et Marc- Antoine Durel lui
avaient emprunté 3955 fr. 9 soL< 6 deniers, pour payer la veuve
d'un marchand de chevaux. Le 47 avril il avait payé pour Marc-
Antoine Duret 9890 liv. 10 s. à Charles Duverger de la Grange. Le
Si août de la môme année, il remet encore à Marc-Antoine, alors
capitaine au régiment de Chartres, une somme de 2000 fr. (Arcb.
de la Côte-d'Or, E. 7.3).
(i) Elle réclamait aux Duret les 40.000 dus par le Président, leur
oncle, et empruntés sans doute pour payer sa charge. Mais les
Duret prétendaient que la succession leur devait 51.000 livres,
touchées indûment par Eug- Frédéric de Beaujeu, le 17 décembre
4726, de Madame Loui.<;e de Mailly, veuve de Louis Phélippeaux,
marquis de la Vrillière, comlo de Saint-Florentin (Arch. de la Côte-
dOr, E. 734.
— 369 —
du régiment de Flandre, puis brigadier des
arméesJu roi, comraandantàMarsal(l), chevalier
de Saint-Louis, était le huitième enfant d'Edme
de Beaujeuetde Geneviève de Baugy. Ses frères
Edme-François, Nicolas-Jacques et Paul-Nicolas
élant morts jeunes, et Eugène-Frédéric plus âgé
que lui n'ayant pas contracté d'alliance, il finit
par se trouver le chef de la famille et continua
la lignée.
Il naquit à Jauge, le 3 août 1660 et fut bap-
tisé le 23 du môme mois. Il eut pour parrain
M. Charles Dubourg, chevalier, seigneur de
Maloiches ot autres lieux ; sa marraine était
Louise de Moreau, épouse de Claude de Lacroix,
chevalier, vicomte de Lemoyne (2).
Dès le 30 octobre 1673, après la mort de son
père, il était qualifié écuyer, au mariage de sa
sœur, Marie-Marguerite, avec Sébastien de Gil-
liers.On lui donnait encore ce li Ire àrinhumation
de son neveu Louis de Gilliers, le 30 décembre 1 675,
dans la chapelle du Rosaire de l'église de Jauge.
Charles-Louis de Beaujeu avait eu une
jeunesse quelque peu turbulente, comme presque
tous les gentilshommes de ce temps. En 1678,
lorsqu^il était mousquetaire dans la compagnie
(1) Marsal, canton de Vie, arr. de Château-Salins, ancien dépar-
tement de la Meurthe, ayait été conservé par la France à la paix
de Ryswick, le 20 septembre 1697.
(2) Voir page 333, note.
27
— 370 —
(le M. de Jonvelle, il avait fait du scandale dans
l'église de Jauge avec un certain de Gilliers qui
devait èlre le fils de Sébastien de Gilliers, son
beau-frère. Les deux complices avaient été con-
damnés à la prison par le Parlement de Paris
et mis à la Bastille, le 29 janvier 1679, Comme
un autre mousquetaire du nom de Beaujeu (1)
et de la môme compagnie avait déserté, Colbert
invita le procureur général à ouvrir une enquête.
Elle n'amena aucune charge nouvelle contre
Charles-Louis, car il fut mis en liberté le
1 1 mars, sur un ordre du roi, mais avec défense
de rentrer dans Paris (2).
Il fit un nouveau séjour à la célèbre prison en
1700, et fut inscrit sur le livre d'écrou le mercre-
di 21 juillet. C'était encore à la suite de tapage
et de violences, mais cette fois chez un baigneur,
avec de la Rivière, mousquetaire, du Mesnil, ca-
pitaine de dragons, de Caffaro, elc... Il est alors
qualifié comte de Beaujeu, capitaine d'infanterie
et Comtois (3). Il avait en effet quitté les mousque-
(1) La famille du Mesnil-Simon Beaujeu, d'origine champenoise,
était très en Yue et ses membres étaient le plus souvent désignés
simplement sous le nom de Beaujeu^ ce qui pouvait amener une
confusion.
(2) Arch. nat., 0» 23, p. 10, 3i, 6i. Uavaisson', Arch, de la
BasliUe, t. VIII.
(:)) Le seul et dernier représentant de la maison de Beaujeu en
Comté, à cette époque, était Edme-Louis-Nicolas, qui depuis 1690
était lieutenant-colonel du réi^imcnt de dragons-Fallon (v, II* par-
— 371 —
laires lorsque le séjour de Paris lui avait été in-
terdit, etil était capitaine au régiment de Flandre-
Infanterie depuis un certain nombre d'années,
car, le 8 décembre 1694, il est désigné ainsi sur
les registres paroissiaux de Jauge, lorsqu'il fut
parrain, avec sa sœur, M™® de Buflfevant, de
l'enfant du cocher de celle-ci.
Le 22 février 1709, Charles-Louis de Beaujeu
épousait Françoise de Pallas (1), fille de Joseph
de Pallas, chevalier de Saint-Louis, capitaine de
vaisseau attaché au port de Toulon et de Claire
Terras.
En 1716, Charles-Louis était lieutenant-colo^
nel au régiment de Flandre. 11 avait alors plu-
sieurs filles, mais il n'avait que deux fils,
Alexandre-Nicolas-Joseph et Eugène-Frédéric, le
puiné, tous deux légataires de Nicolas de Beau-
jeu, seigneur de Chambroncourl et d'Epizon,
dans son testament du 5 mai 1716. Lui-même
héritait d'une casaque rouge à boulon d'or, de
six chemises de dentelles, des cravates et des pis-
tolets de son cousin. FrançoisedePallas, sa femme,
tie, p. 218). il ne pouvait donc y avoir de confusion, mais Charles-
Louis, par cette distinction qui indiquait Toiigine de ses ancôtres,
se trouvait différencié des Mesnii-Simon-Beaujeu (v. note 4).
(1) Famille d'origine espagnole. Dans un baptômo à Jauge, Fran-
çoise est dite de PaWdisd' A ligre. En 4573, Jean de Pallasseesi curé
de Maiziéres-sur-Amance, après avoir été curé d'Anrosay. Ën1584,
Nicolas do Pallasse est prieur de Coublans et devient prieur de
Fouvciit (abbé UouàSbi, Uiocèse de Langns^ t. II, p. iSi et iiOi
— 372 -
recevait la berline et les chevaux. Mais, par ex-
ploit du 20 avril 1718, il était assigné à la requêle
d'Anne de la Rochelle et de sa fille, Marie-Jus-
tine de Glermontd'Amboise, cousine germaine (1)
et nièce de Nicolas et ses héritières naturelles. Elles
se prétendaient lésées parle testament et Charles-
Louis fut obligé de remettre entre les mains de
son procureur ses inférêls et ceux de ses fils. Il
est dit alors brigadier des armées du roi, et comme
tel il devint gouverneur de Marsal, où il mourut
en 1727. Françoise de Pallas était morle le 16 oc-
tobre 1724, laissant les enfants suivants, tous gra-
tifiés d'une pension de cent dix-huit livres par le
roi, en 1727, en considération des services rendus
par leur père, brigadier des armées du roi et
commandayit pour Sa Majesté^ à Marsal (2) :
1° Claire-Françoise, élevée à Saint-Cyr, née en
1710, encore vivante le 21 avril 1790, d'après
la liste des pensions du trésor;
2° Alexandre-Nicolas-Joseph, né en 1711 ;
3*" Eugène-Frédéric, né en 1712 et destiné à
l'église, mais mort jeune, après 1716;
4° Madeleine-Charlotte, élevée à Saint-Cyr, née
(1) Anne de la Rochelle était fille de Marguerite de Beaujeu,
sœur d'Antoine, père de Nicolas. Voir page 3M.
(2) La liste des pensions a été publiée dans lei Archioes Parle-
mentaires, t. XIII, XiV et XV. M. St. Leroy a donné les pension-
nés franc-comtois dans le Dulleliu de la Société grayloise d'EmU'
lation de 1899.
— 373 —
en 1713, encore vivante en 1790 et religieuse
professe à l'abbaye royale de Notre-Dame de
Jouarre (1) ;
5" Marie-Anne-Ursule, élevée à Sainl-Cyr, née
en 1715, religieuse aux Ursulines de Dieppe,
en 1790, morte à Ghamplitte, le 25 vendémiaire
an XIII (16 octobre 1799).
6^ Louis-Nicolas-François, comte de Beaujeu,
chambellan et capitaine des gardes de l'Empe-
reur d'Allemagne Charles VII, né en 1717, fut
d'abord lieutenant puis capitaine au régiment de
Flandre. Il fit partie du corps d'armée envoyé
par la France, en 1 74 1 , après la mort de Charles VI,
pour soutenir la candidature de l'électeur de Ba-
vière à l'empire. A la suite du couronnement de
ce prince à Francfort, le 24 janvier 1742, sous le
nom de Charles VII, Louîs-Ni colas-François fut
nommé chambellan par lettres données au camp
devant Francfort, le 25 décembre 1742. Il reçut
le titre de capitaine aux gardes du corps par bre-
vet donné à Munich, le 28 avril 1743, et qui
constate « qu'il s'est toujours comporté avec hon-
neur et d'une manière digne d'un officier. »
Après la mort de l'Empereur en 1745, il con-
tinua ses fonctions auprès de son fils l'électeur
Maximilien de Bavière, qui, à son départ pour
(1) Jouarre, à I9kil.de Meaux, canton de La Porté -sous- Jouarre.
L'abbayo a été fondée en 630, par Adon^ frère de saint Ouen.
- 374 -
la. France après la mort de sa femme, lui donna
des certificats et passeports élogieux, le 12 mai
1749 (1).
Il avait épousé une Kinski (2), famille prin-
cière qui existe encore, mais il n'en eut pas d'en-
fant. Il se fixa à Ghamplitte, et le 24 mai 1753,
il représentait Télecteur de Bavière, qui avait
accepté d'èlre parrain du fils de son frère, Charles-
Raymond.
A 68 ans, le 10 janvier 1785, Louis -Nicolas-
François épousait demoiselle Claude- Louise Le-
grand, fille de Clément Legrand, docteur en
médecine et d'Edmée Loyauté (3). En vue de ce
mariage une donation entre vifs servant de con-
trat avait eu lieu le 8, devant ^P Champion,
notaire à Champlilte. Elle laissait au survivant
la propriété de tous les meubles, bijoux, vaisselle,
argent monnayé, billet^, cédules, obligations,
sans préjudice d'une somme de 3000 francs don-
née pour joyaux à la future (4).
De ce mariage était née une fille, ainsi inscrite
sur les registres paroissiaux de la ville de Cham-
plitte : « L'an 1786, le 11 janvier a été baptisée
(!) Ces différents documents sont aux Arch. delà Côle-d'Or,
E. 73.
fè) Les Kinski portaient de gueules à trois dents de loup d'ar-
gent^ la pointe en bas.
(3) Edmée Loyauté était fille de M. Loyauté, conseiller du roi et
receveur des traites foraines à Saint-Maurice-sur-Vingeanne.
(i) Arch. delà Haute-Saône, B. 4293.
— 375 —
Louise-Anloinelte-Appoline de Beaujeu, fille de
messire Louis-Nicolas-François, coinle de Beau-
jeu, ancien chambellan de Tempereur Charles VII
et son capilaine aux gardes, et de dame madame
Claude-Louise Legrand, épouse dudil seigneur
comte de Beaujeu. Elle a pour parrain haut et
puissant seigneur Claude- Jean- Antoine d'Ambly,
chevalier, marquis d'Ambly, et pour marraine
M'"*' Anne-Appoline de Berman, douairière de mes-
sire Charles-Raymond, comte de Beaujeu, etc. »>
Louise-Antoinetle-Appoline de Beaujeu mou-
rut Tannée suivante, le 18 octobre, à 21 mois.
Au moment de la Révolution, Louis-Nicolas-Fran-
çois, abandonnant la particule, devint le citoyen
Beaujeu et continua d'habiler Champlitte où il
décéda à 81 ans, le 29 pluviôse an VI (17 février
1798). Sa tombe est au cimetière de la ville.
M'"* de Beaujeu est morte le 18 brumaire an XI
(8 novembre 1802).
7° Charles -Raymond, comte de Beaujeu, sei-
gneur de Morleau (1), chambellan de Tempereur
Charles VII, chevalier de Tordre de la clef d'or,
né en 1720, fut d'abord lieutenant au régiment
de Flandre, puis capitaine au régiment de la
Marze (?) infanterie. Il suivit son frère en Alle-
magne, en 1741, et devint comme lui chambel-
lan de Tempereur Charles VII, et, ensuite de son
(I) Morteau, canton d'AnJelot, arr. de Chaumont.
— 376 —
fils l'électeur Maximilien de Bavière, puis il ren-
tra aussi en France, 'en 1749, pour se fixer à
Champlilte. En 1751, il épousait Appoline de
Berman, fille de Nicolas de Berman, seigneur
d'Uzemain (i) etdeMorteau, lieutenant de com-
mandant de dragons dans la compagnie franche
(i) Uzemaio, canton de Xertigny^ an*. d'Epinal. Morteau, can-
ton d*Andelot, arr. deChaumont, Haute-Marne. Nicolas de Berman
était fils de Louis et de Louise d*Uzemain. 11 mourut à Brottes,
le 17 janvier 4730 et était venu s'établir dans ce village à la
suite de son mariage avec Marie-Barbe Tugnot, dont la famille était
originaire de Brottes. Les Berman étaient d'origine alsacienne et
de bonne noblesse, on les trouve en Lorraine dès le xiv* siècle ;do
là ils arrivent en Champagne où ils avaient acquis la baronnio de
Lanques (cant. de Nogent, arr. de Chaumont) à la suite d'une al-
liance avec lesChoiseuly auxquels Lanques appartenait alors. Hanus
de Berman, seigneur d'Uzemain et d'Isches avait eu deux femmes :
4» Jeanne Le Galland, dont Françoise, femme de Simon de Pouillv,
comte de Loupy^ etc., conseiller d'Etat, maréchal de Lorraine.
Tliècle de Cboiseut, sa deuxième femme, était fille de Nicolas et -de
Henée de Lutzelb3urg, et il l'avait épousée le 1<>'' janvier 4587. II
en eut un fils, Louis-Claude, mariée en 4621, à Elisabeth de Se-
raucourt, dont une fille, alliée à Claudc-Godefroy de Chandon de
Brialle, qui fut ainsi baron de Lanques (La Cbbsnatk-Desbois,
t. XII, Rennel). Hanus avait un frère, Antoine, qui donna naissance
à une autre branche. Il était aussi seigneur d'Uzemain et marié à
Christine de Chastenois. Ses descendants étaient dans la magistra-
ture. Une autre branche était attachée par ses fonctions à la cour
du duc de Lorraine. Le 3 juin 4575, Jean de Berman, valet de
chambre du duc Charles III, obtenait d'ériger ur signe patibulaire
à Uzemain. Sa femme était Béatrix du Bourg, fille de Jacques. En
4 635, Jean de Berman II était gruyer du comte de Vaudémont
(Arch. de Meurthe-et-Moselle, B. 40.167). Les Berman portaient :
d'or à une bande de gueules, accompagnée do deux ours de sable
(le mot allemand bœr signifie ours).
— 377 —
de M. de Brialle, demeurant à BroUe-les-Ray et
de Marie-Barbe Tugnot (1). Il en eut :
a) Louis-Charles- Marie, baptisé le 3 i mars 1752,
et ayant pour parrain son oncle Louis-Nicolas-
François et pour marraine sa grand'mère de
Berman.
b) Maximilien-Joseph, né le 3 avril 1753. Il
eut pour parrain et marraine rélecteur Maximi-
lien de Bavière, et Marie-Anne, princesse de
Saxe, électrice de Bavière, épouse de Maximilien,
remplacés par Louis-Nicolas-François de Beaujeu,
et Jeanne-Françoise-Gabrielle de Berman, oncle
el tante du nouveau né. Maximilicn-Joseph de
Beaujeu mourut le 26 mai 1753.
c) Nicole-Marie-Anloinette-Appoline, baptisée
le 30 août 1 754 . Son parrain était An toine, marquis
cleBuffevanl (2), chevalier, seigneur dePerceyetla
marraine la marquise deBuflFevant. Elle était née
poslhume, et ne vécut que jusqu'au 13 avril 1755.
Charles-Raymond était mort à 34 ans, le 15
juillet 1754, et avait été inhumé au cimetière. Sa
femme, Anne-Appoline de Berman trépassa le
22 messidor an Vit (10 juillet 1799), à 82 ans. Le
(1) Les Tugnot étaient originaires de Brotte-les-Ray, canton de
Dampierre-sur-Salon, arr. de Gray. Etant simples marchands, ils
avaient obtenu la permission de posséder des biens de noblesse.
Barbe était fille de Jean Tugnot, docteur en droite avocat au Par-
lement, jugea Champlitte, et de Christine Arvisenet.
(2) Voir page 357.
— 378 —
13 février 1773, elle avait, ainsi que sa sœur
Françoise- Gabrielle.de Berman,fait donation de
ses droits surMorleau à Alexandre-Nicolas Joseph,
frère de son mari, qui prit possession le 2 mars
suivant.
8^ Geneviève, née en 1721, et qui trouva la
mort, à 6 ans et demi, dans un incendie au châ-
teau de la Tuilerie, en 1728.
ALEXANDRE-NIGOLÀS-JOSEPH
Alexandre-Nicolas-Joseph, comte de Beaujeu,
inspecteur général des côtes maritimes des pro-
vinces de Poitou, Aunis, Saintonge, Guyenne,
Roussillon, Languedoc et Provence, maréchal des
camps etarmées du roi, chambellan de l'Empereur
d'Allemagne Charles VII, était le fils aine (1)
de Charles-Louis de Beaujeu, lieutenant-colonel
au régiment de Flandre et de Françoise de Pallas
(1) La Chesnaye-Dbsbois et le Dictionnaire héraldique, histo^
rique et chronologique, p, M. D. L. G. D. B., 1761, donnent comme
aine François, seigneur de Jauge, capitaine au régiment de Flan-
dre, qui ne doit ôtre que le n^ 4, lequel portait le nom de Louis-
Nico\aiS' François. C-'est une erreur démontrée par le testament de
Nicolas de Beaujeu, gouverneur de Saint-Dizier (voir p. 323), qui
laisse la plus grande partie de son héritage aux fils de Charles-
Louis et les nomme dans cette pièce, en date du 4^r octobre 4 746.
Il n'y avait alors qu'Alexandre-Nicolas-Joseph et Eugène-Frédéric.
Louis-Nicolas-François vint au monde en 4717, car il est Agé de
81 ans lorsqu'il meurt, le 1 ventôse an VI, v. p. 375.
— 379 —
d'Aligre. Enfré au service comme enfant de
troupe, il était inscrit, en 1714, à peine âgé de
5 ans (I), comme enseigne dans le régiment de
Flandre. Porté comme lieutenant en second
en 1718, à huit ans, il servit aux sièges de Fon-
tarabie et de Caslellione, en 1719. Lieutenant
en 1722, il passa lieutenant do la colonelle avec
rang de capitaine, le 22 juillet 1723, servit au
siège de Gerra d'Adda, de Pizzighelone, du chà-
teaude Milan en 1733,deïortone, de Novare, àla
bataille de Parme, en 1734. Pourvu d'une com-
pagnie le 28 juillet, il la commandait à la bataille
de Guastalla et au siège de la Mirandole, la
même année ; à ceux deReggio, de Revero et de
Gonzague, en 1735.
Il rentra en France au mois d'août 1736, passa
en Corse au mois de janvier 1739 et quitta la
compagnie et le service en 1740, pour se rendre
en Allemagne. L'Empereur Charles VI était mort
le 2U octobre etTElectéur de Bavière se portait
(t) Les états de service d*AIexandre-NicoIas -Joseph sont donnés
par Pinard, commis de la guerre, qui les a recueillis dans les ar-
chives du ministère et ne peuvent par conséquent pas être contes-
tés. Le chevalier de Giignan, frère du gendre do M'"" de Sévigné,
eut pour successeur son neveu qui avait 18 ans lorsqu'il fut fait
meslre de camp (colonel), et il était depuis un an capitaine (Général
SusANE, Cavalerie, t. Il, p. H 7). Claude-Henri-Eugène, marquis
de Vaudrey, était aide-de-camp du prince de Conti, à 15 ans, lors-
qu'il mourut, le 10 septembre 4741 (Arch. de l'Yonne, G>, com-
mune de Sormery, canl. de Noyers).
-« 380 —
prélendanl à sa succession avec Tappui de la
France, dont son père avait été Tallié fidèle.
Alexandre-Nicolas-Joseph fut alors autorisé à
prendre du service dans ses troupes avec d'au-
tres gentilshommes français, et l'année sui-
vante, Louis XV lui envoyait une armée de
40.000 hommes qui contribua puisamment à le
faire couronner à Francfort, le 24 janvier 1742,
sous le nom de Charles VII. Nommé chambellan
par ce prince, en même temps que ses frères
Charles-Raymond et Louis-Nicolas-François qui
devint môme capitaine des gardes du corps,
Alexandre-Nicolas-Joseph se maria en Bavière
avec Marie-Jeanne, baronne de Franken, dont il
eut plusieursenfants. Mais l'Empereur Charles Vil
étant mort en 1745, et son fils Maximilien ayant
été forcé de renoncer à toute prétention à la cou-
ronne impériale, Alexandre-Nicolas-Joseph rentra
en France et reprit du service en 1747. Le 21 juil-
let, il obtenait une commission de colonel ré-
formé à la suite du régiment de laMarck. Il eut,
le l^*" août suivant, une compagnie dans le ré-
giment d'infanterie allemande de Madame la Dau-
phine (1), qu'il commanda au siège de Maës-
Iricht. Ayant quitté celte compagnie au mois de
(i) Les régiments comme les compagnies de mousquetaires
avaient quelquefois pour chef honoraire les membres de la famille
royale : la reine, le dauphin, etc.
— 381 —
janvier 1749, il fut remis colonel réformé à la
suite du régiment de la Marck, par ordre du
20 du même mois. Il se trouva avec ce régiment
à la bataille d'Hastenbeck et à celle de Rosbach
en 1757 et fut employé comme colonel en Nor-
mandie, en juin 1758.
Brigadier par brevet du 10 février 1759, il fut
nommé, au mois de mars, inspecteur général et
directeur des côtes maritimes de Poitou, Aunis,
Saintonge, Guyenne, Roussillon, Languedoc et
Provence, et servit en cette qualité pendant le
reste de la guerre. Il fut employé en Guyenne en
1760 et reçut, le 25 juillet 1762, le brevet de
maréchal de camp (1).
Le traité de Paris, du 10 février 1763, en aban-
donnant nos colonies à l'Angleterre, mettait fin
à la guerre, et Alexandre-Nicolas- Joseph de Beau-
jeu prenait sa retraite avec une pension de 3000
livres réversible sur sa fille.
Charles-Raymond de Beaujeu, le frère d'A-
lexandre-Nicolas-Joseph et de Louis-Nicolas-
François, était mort le 15 juillet 1754 et sa fille
posthume ne vécut que jusqu'au 13 avril 1755.
Elle laissait à ses oncles, ses héritiers pour la
ligne paternelle, une partie de la seigneurie de
Morteau qui aivait été donnée à son père, le 24
mars 1753, par sa tante Gabrielle-Elisabelh de
(\) Chronique histonque et militaire, par Pinard, commis au
bureau de la guerre, t. Vli^ p. 54i : maréchaux de camp.
— 382 —
Bennan, veuve de François-André-Joseph de
Maillard. Le 13 février 1773, Alexandre-Nicolas-
Joseph devenait seul propriétaire de toute la terre
par une cession de sa belle-sœur et de Gabrielle-
Françoise, célibataire majeure, autre sœur de
M"*® de Beaujèu. Son fondé de pouvoir pre-
nait possession le 2 mars et, le 18 mai, il se faisait
donner une déclaration parTancien fermier (1).
Il fit alors réparer le château où ses armes (2)
se voient encore sur la façade et sur les plaques
des cheminées, et il y vécut jusqu'à sa mort.
Dans son testament daté de Morteau, le 27 mars
1776, il lègue ses vêlements et une rente à Mar-
guerite Chauffeur, sa gouvernante, « en récom-
pense des services qu'elle lui a rendus dans
l'abandon où il était dans ce désert et qu'il aurait
été en droit d'attendre de sa famille; et comme
le roi a bien voulu lui accorder une pension de
trois mille livres réversible sur Charlotte-Louise,
(1) Arch. du château de Morteau.
(2) Ces armes, écartelées, poitent aux 1 et 4 :burellé dedix piè-
ces ; aux 2 et 3 : un lion avec un lambel de cinq pendant;:. De
môme qu'Eduie- Nicolas- Louis, le dernier des Beaujeu delà branche
de Montot, Alexandre- Nicolas-Joseph avait ajouté à ses armes le
lion des Beaujeu-Porez, lorsque d'Hozier eut dressé la généalogie
de la maison de Beaujeu, en 1676. D'Hozier avait fait desrendre
cette maison d'Humbert III marié à Auxilie de Savoie. Mais c'est
une erreur que rien ne justifie etquiest absolument démontrée par
les documents que j*ai recueillis. On a du resto souvent reproché à
d'flozicr des erreurs de ce genre et qui étaient destinées à fldtter
l'orgueil do ses clients.
— 383 —
comtesse de Beaujeu, sa fille, il veut que la rente
de sa gouvernante soit payée sur ces 3000 livres. »
Une note imprimée (1) qui accompagnait le
testament est ainsi conçue : « D 0 M. Ici choisit
sa sépulture très haut et très puissant seigneur
M'"" Alexandre-Nicolas-Joseph, comte de A. R...
Morteau, etc. En lui et très haut et très puissant
seigneur M*"^ Louis-Nicolas-François, comte de
Beaujeu, son frère, lequel n'a point eu de posté-
rité de feue très H. et T. P. Dame madame la
comtesse de Beaujeu, née princesse de Kinsky,
son épouse, finit (2) Tancienne et illustre maison
de Beaujeu, qui depuis lex® siècle auquel remonte
ses filiations par titres originaux, déposés dans
les archives du château de Marteau (3), s'est
alliée successivement avec la maison royale de
France, les anciens empereurs de Souabe (4), etc. . .
De son mariage avec feue T. H. et T. P. dame
madame Marie-Jeanne, comtesse de Beaujeu, née
(4) Cette note était destinée à compléter les documents généalo-
giques de la maison de Beaujeu qui se trouvaient alors à Morteau.
(3) Alexandre-Nicolas-Joseph oubliait les Beaujeu de Mézilles
que sa fille devait reconnaître comme de sa famille, puisqu'elle
était marraine le 8 octobre 1783, de Charlotte-Louise-Henrietto,
fille de Jacques-Henri et de Louise-Marie Aymon de Montépin.
(3) Malheureusement ces titres n'existent plus à Morteau : ils
ont dû être emportés par Charlotte-Louise, lorsqu'elle a vendu la
terre.
(4) Il fait allusion au mariage de Thibaut de la branche ainée
avec Catherine de Vienne, fille d'Agnès de Bourgogne, par laquelle
elle descendait de l'empereur Frédéric Barberousse (voir 1'" partie
de lllist. géuéalocfique de la maison de Beaujeu),
— 384 —
baronne de Franken et du Saint-Empire, il ne
lui reste de ses enfants que T. H. et T. P. dame
madame Charlotte-Louise, comtesse de Beau jeu,
sa fille, aujourd'hui chanoinesse du chapitre royal
et séculier de Saint-Louis de Metz.
H. M. P.
D M.
An. MDCGLXXiV. »
Charlotte-Louise, après la mort de son père,
épousa Henri des Granges-Surgères(l). Elle avait
aliéné une partie de Morteau, le 5 février 1778,
mais elleavait conservé le reste et fut maintenue
en possession pendant la période révolutionnaire,
ensuite d'une requête du 30 nivôse an 11(19 jan-
vier 1794), dans laquelle elle demandait cette
faveur. Elle céda tousses droits, le 5 janvier 1802
(16 nivôse an IX) à Jacques Paillette, et son
mari donna son approbation, le 25 nivôse (14
janvier) suivant.
Dans une procuration qu'elle signa le 4 ger-
minal an XII (24 mars 1804), elle se dit veuve.
Elle dut mourir en 180S.
J. Bertin.
(A suivre.)
(4) Arch. du château de Morteau. Les des Granges de Surgères,
marquis de la Flacelière et de Puiguyon^ étaient du Poitou. Ils
avaient pour armes : de gueules frelté de vair, et pour devise: Post
TENEBRAS SPERO LUGEM.
LE
GÉNÉRAL DE GASSENDI
28
LE
GÉNÉRAL DE GASSENDI
I
Gassendi (1) (Jean Jacques Basilien) naquit à
Digne, le 18 décembre 1748. Son père, Jean
François Gassendi, né en 1771, était avocat au
Parlement de Provence. Sa mère se nommait
AnneFrancoul. Il était neveu au septième degré
du fameux Gassendi, du philosophe ami de Des-
caries qui honora son pays par ses travaux, mais
que ses opinions condamnèrent à un discrédit
immérité. On ne sait rien de son enfance, sinon
qu'il passait une grande " partie de son temps
dans le domaine de sa famille, à Varages (2). Il
conserva de ce séjour un reconnaissant souvenir.
Lorsque plus tard il chercha à traduire en vers
ses impressions de jeunesse, il parla avec émotion
des fôtes de campagne dont il avait été témoin,
(1) L'orthographe Gassendy est celle de l'acte de baptême déposé
aux archives municipales de Digne, mais le général signait habi-
tuellement Gassendi.
(2) Département du Var, arrondissement de Brignoles, à 6 ki-
lomètres N. 0. de Barjols.
28
— 388 —
(les vendanges, de la moisson. Il décrivit quel-
ques-uns des sites pittoresques du pays natal. Il
se rappela même la compagne de ses jeux, celle
qui la première fit battre son cœur, une jeune
paysanne, qu'il nomme quelque part la tendre
Clérille. Une fois admis à la retraite et plus libre
de son temps, il aimait à revenir à Varages, à se
retremper dans ses vieux souvenirs, et à causer
avec ses contemporains qu'il réunissait à sa table,
et qu'il aidait de ses conseils, souvent môme de
sa bourse ; car il avait été comme pénétré par le
charme discret de nos campagnes provençales et
garda toute sa vie cet amour du terroir et cette ori-
ginalité de tempérament qui ont toujours dis-
tingué ses compatriotes.
On ne sait rien non plus de ses premières études,
mais, si Ton en juge par laculture de son esprit,
elles durent être complètes. Ce ne sont pas seu-
lement les auteurs classiques, grecs ou latins,
qu'il paraît avoir pratiqués, mais aussi les grands
écrivains étrangers, le Dante, le Tasse, Guarini,
le Gamoens, Gessner, Ossian, et beaucoup d'autres,
dont il a traduit de nombreux passages, ce qui
implique une connaissance assez étendue des
langues étrangères. Les sciences ne furent pas
non plus négligées, ou du moins les éléments des
mathémathiques, ce dont on avait besoin pour
entrer dans les écoles militaires auxquelles sa fa-
mille le destinait. En résumé, môme en dehors
— 389 —
de ce qu'on pourrait appeler les connaissances
professionnelles, son inslruclion fut solide et va-
riée. Ce n'était pas seulement à l'armée, mais
aussi dans les salons que, grâce à celle instruc-
tion, Gassendi était desliné à ne point passer ina-
perçu.
Lé dossier de Gassendi a été conservé aux ar-
chives du ministère de la guerre. Nous avons pu
le consulter et môme en prendre copie, grâce à
Textrême complaisance de MM. les commandants
de Revierset A. Louvol, auxquels nous sommes
heureux dé transmettre ici l'expression de nos
remercîments. Quatre des pièces insérées dans ce
dossier sont relatives aux états de service du gé-
néral Gassendi, à diverses dates. Il y est dit qu'il
fut admis comme aspirant aux écoles d'artillerie,
le 24 février 1767, et nommé élève de l'école de
Bapaume au corps royal de Tartillerie, lo 6 no-
vembre 1767. Il obtenait sa première épaulette
quelques mois plus tard, et arrivait en qualité de
lieutenant au régiment de la Fère, alors en gar-
nison à Douai, le 9 mai 1768. Onze ans plus tard,
Tavancemont était alors bien lent, il était nommé
lieutenant en premier (3 juin 1779) et capitaine
en second seulement le 19 avril 1782, toujours
au môme régiment. Détaché une première fois à
l'arsenal de Metz (19 avril 1782) et une seconde
fois aux forges des Trois-Evôchés (février 178o),
capitaine do bombardiers le 2o décembre 1788 et
— 390 —
(le canonnîers le V^ mai 1789, il rentrait au ré-
giment de la Fère, réorganisé en 1791 sous le
nom de 4* régiment d'artillerie, et était inscrit
sur ses rôles à partir du 1" avril 1791. Malgré
son mérite attesté par divers travaux dont nous
aurons à dire un mot, malgré les événements qui
auraient pu, en le jetant brusquement en pleine
lumière, hâter son avancement, il avait donc
parcouru, avec une lenteur relative, les divers
échelons de la hiérarchie militaire. Si à Tâge de
quarante-trois ans il n^était encore que capitaine,
on ne saurait Taccuser d'avoir profité des cir-
constances pour faire son chemin. D'un carac-
tère froid et réservé, strictement appliqué à ses
devoirs, il est probable qu'il s'était attaché à
l'exercice de sa profession sans vouloir se départir
du calme et de la neutralité que lui imposaient
ses fonctions. C'était un officier, ce ne fut jamais
un politicien. Alors qu'autour de lui grandis-
saient et montaient en grade tels ou tels de ses
camarades qui n'avaient, certainement, ni sa
capacité, ni ses services, il sacrifia ses intérêts à
ses devoirs, et se contenta de servir obscurément
la patrie.
Gassendi avait pourtant cherché à se rendre
utile en composant, à Tusage de ses collègues, un
Aide Mémoire à l'usage des officiers de V artille-
rie de France attachés au service de terrCyMetZj
1789. On s'occupait alors beaucoup de la réorga-
— 391 —
nisalioli de Tarlillerie. Divers projets avaient élé
présentés, entre autres par le colonel Augustin
Lespinasse, qui, de concert avec Monlbéliard,
avait donné à Tinfanterie le modèle de fusil dit
(le 1777, et contribué à améliorer le travail de la
manufacture de Saint-Etienne. D'Arçon, Monla-
lembert, d'Urlubie et Saint-Remy avaient égale-
mentagité Topinion par leurs théories divergentes.
Le livre de Gassendi arriva donc à l'heure pré-
cise où son utilité s'imposait. Il ne nous appartient
pas de trancher le débat, car la compétence nous
fait défaut : il nous suffira de constater que le
travail de Gassendi fut bien reçu (1). Les éditions
en furent nombreuses. La cinquième parut à
Paris en 1819. Une sixième fut donnée en 1836,
et avec l'estampille officielle, car le général Do-
guereau, qui avait signé la préface, recommando
très fort l'ouvrage de son prédécesseur. Une de
ses théories nous paraît cependant bien contes-
table. Il ne croyait pas à l'utilité de Tarlillerio
légère, qu'il jugeait dispendieuse, et, dans un
autre travail publié en Tan VIII, Aperçu sur V or-
ganisation deVartilleriey tout en admettant huit
régiments d'artillerie à cheval, « ce n'est pas,
ajoutait-il, que Ion pense qu'il faille à la France
cette quantité d'arlillerioà cheval, mais c'est que
toutes les armées, tous les généraux en veulent
(I) GiaoD DB L*Aiif, Grands Artilleurs.
— 392 —
et en veulent beaucoup. On sacrifie à la mode,
en attendant qu'un jour, qui n'est peut-être pas
loin, une artillerie à pied bien organisée ait
prouvé aux généraux qui voudront se résoudre
à la manier, a remployer, qu'aussi légère dans
l'occasion que Tartillerie à cheval, plus soigneuse
de son arme, moins incommode dans ses consom-
mations, moins coûteuse à la République, elle
produit des effets égaux, mais rapides, peut-être
même plus certains, sacrifie le vain bruit qui
éblouit le vulgaire aune gloire solide et n'expose
pas une armée à se trouver au dépourvu de mu-
nitions précieuses par une consommation stérile
et sans bornes. Alors on la réduira à ce qu'elle
doit être, à une conipagnieaupluspar régiment. »
Encore une fois, nous n'avons pas à apprécier :
nous nous contentons de citer.
- Au moment où éclate la Révolution, Gassendi
était donc connu et apprécié comme un officie^
modeste et travailleur, amoureux de son métier,
et très en état de rendre d'importants services.
S'il avait cherché à se faire valoir, si surtout il
avait essayé de jouer un rôle politique en s'atta-
chant à la fortune de quelqu'un des hommes
nouveaux qui, subitement, furent appelés à la
direction des affaires, il se serait facilement haussé
aux premiers rangs; mais ce n'était pas un am-
bitieux. Les idées et les principesde 1789 l'avaient
pourtant enthousiasmé. 11 les avait chantés et
— 393 —
célébrés dans ces poésies intimes par lesquelles
il aimait à traduire ses sentiments. Ses convictions
auraient été d'accord avec ses intérêts : mais il
venait de se marier et songeait surtout à plaire
à sa jeune femme. Une partie du régiment de
LaFère, autrement dit le 4* d'artillerie, avait été,
dès 1788, désignée comme devant tenir garnison
à Auxonne. Le 6 août 1789 un détachement avait
été envoyé dans le voisinage, à Nuits. Il était
commandé par Gassendi. C'est dans cette jolie
petite ville qu'il fit la connaissance de la fille
unique d'un médecin, Reine Soucelyer, et de-
manda sa main. On conserve au ministère de la
guerre les pièces relatives à ce mariage, le mé-
moire de Gassendi pour demander lautorisation
de se marier et les réponses de ses chefs. Le
commandant Quentin affirme « que le mariage
que demande à contracter M. de Gassendi réunit
à l'advantage d'une famille honneste une fortune
très convenable à son cas. » Le colonel, chevalier
de Lance, n'hésite pas à déclarer (La Fère, 10
avril 1790) que « le mariage que M. de Gassendi
demande à contracter avec M'*' Reine Soucelyer
lui est très avantageux, estant fille unique, d'une
famille très honneste, luy seront au moins cinq
mille livres de rente en fonds de terres, de plus
un mobylié. Vu ces advantages je réclame pour
lui la permission qull demande ». Le général de
la Morlière confirme ces déclarations et enfin le
— 394 —
ministre de la guerre lui envoie, au nom du roi,
Taulorisalion (23 août 1790).
Le mariage fut célébré à Nuits le 4 mai 1790.
H ne serait pas impossible que Bonaparte y ait
assisté, car^, depuis le 1*^ juin 1788, il était en
garnison à Auxonne et sous les ordres directs de
Gassendi. En tout cas, d'après une tradition dont
rien n'infirme Tauthenticité, il aurait pris part
aux cérémonies du mariage, et môme il lui serait
arrivé une assez plaisante aventure. Présenté
dans un des salons bien pensants de la ville,
celui de M"'*' Marey, il aurait été obligé d'y subir
des propos ultra-réactionnaires, car on le suppo-
sait, à cause de sa particule, acquis à la contre-
révolution. Bien malgré lui, et pour ne pas faire
de scandale, il aurait, sans prolester, écouté les
divagations et feint de partager les espérances
de ces partisans déterminés de l'ancien régime.
On ne sait si Gassendi fut aussi réservé et
aussi prudent que son jeune collègue. Il est pro-
bable que, dans Tintimité, les deux officiers
durent s*amuser du rôle qu'ils avaient consenti
à jouer. Au fond Tun et l'autre étaient partisans
déterminés de la Révolution et résolus à se-
conder les réformes plutôt qu'à les enrayer.
Voici du reste le texte du serment que prêta
Gassendi en 1790, et dont la minute, écrite de
sa main, a été conservée aux archives du mi-
nistère de la guerre: «Je jure d'employer les
- 395 —
armes remises entre mes mains à la défense de
la patrie, et à maintenir contre tous les ennemis
du dedans et du dehors la Constitution décrétée
par l'Assemblée Nationale, de mourir plutôt
que de souffrir Tinvasion du territoire français
par des troupes étrangères, et de n'obéir qu'aux
ordres qui seront donnés en conséquence des
décrets de l'Assemblée Nationale. » N'est-ce pas
une profession de foi, certes, peu royaliste et
ne dénote-t-elle pas, de la part de celui qui la
rédigea, des sentiments qu'on pourrait presque
qualifier de républicains? Quant au lieutenant
d'artillerie Bonaparte personne n'ignore quelles
furent, quelles étaient déjà ses opinions poli-
tiques.
Bien que l'émigration ait enlevé au 4* d'artil-
lerie bon nombre de ses officiers, et qu'il y eut
de nombreuses places à pourvoir, Gassendi sem-
blait confiné dans les rangs inférieurs et sans
grand espoir d'en sortir. Se croyait-il lésé dans
ses droits, ou bien se dégoûtait-il d'une profes-
sion où, jusqu'alors, il avait récolté surlout des
déboires, toujours est-il qu'il forma le projet de
se retirer. Sous prétexte d'une maladie d'yeux
qui menaçait de lui enlever la vue, il envoya
sa démission, avec prièro de la transmettre au
ministre, au commandant mililaire de la place
de Sedan où il venaitd'être transféré. Cet officier
supérieur avait apprécié Gassendi à sa valeur. Il
— 396 —
ne voulut pas priver rarmée de ses services. Il
envoya donc sa lellre au ministre (1) (28 octobre
1792), en raccompagnant du certificat des
médecins et de Tapostille du maréchal de camp
commandant l'arrondissement des Ardennes,
« mais, ajoutait-il, il ne faut pas accepter cette
démission, parce que on peut accorder a cet
officier un congé de six mois pour lui procurer
le calme et le repos dont il a besoin afin de réta-
blir sa santé » . Il réclamait ce congé « avec
d'autant plus d'instance qu'il est important de
conserver au service de la République cet officier
plein de civisme et de talent ». Il demandait
même qu'on lui accordât ce congé en lui conser-
vant ses appointements. Gassendi ne pouvait
que s'incliner devant cette flatteuse démarche.
Il accepta donc le congé qu'on lui proposait, et
alla le passer à Nuits, auprès de sa nouvelle
famille.
On lui sut gré en haut lieu de cette détermi-
nation, car il était nommé, le 8 mars 1793, chef
de bataillon d'artillerie, et quelques jours plus
tard sous-directeur de l'arsenal de Lyon (2). Il se
rendait aussitôt à son poste et y était installé le 1 6
avril de la môme année, très occupé à réorg'aniser
tous les services et à pourvoir aux besoins des
(1) Ministère de la guorre^ Dossier Gassendi^ n^ 4.
(2) Archives du miniatôre. Pièce n° 5.
— 397 —
armées. Ace momentrEuropeentièreétaitcoalisée
conlrô la France, et à l'intérieur la guerre civile
était menaçante. Gassendi se trouva fort embar-
rassé. Il aimait les nouveaux principes, mais en
goûtait peuTapplication, et commençait à trouver
que les membres de la Convention allaient beau-
coup trop vite en besogne. Il avaitélé fort attristé
par l'exil ou la dispersion de quelques-uns de
ses collègues, auxquels le rattachaient les liens
d'une vieille amitié. Quand il apprit que plusieurs
d'entre eux avaient payé de leur tête ou leurs
convictions, ou leurs imprudences, il se demanda
sérieusement si, dans ces conditions, il lui con-
venait de continuer à servir un pareil gouverne-
ment. Fort heureusement pour lui il eut la
sagesse de dissimuler ou toutaumoins de contenir
ses regrels. Il se contenta de les épancher dans
ces pages intimes, dans ces poésies, qu'il se ré-
servait de publier plus tard, et qui, pensait-il,
garderaient son secret.
0 Céleste amitié, qui me rendra tes charmes?
Que sont-ils devenus tous mes compagnons d'armes t
Par de lâches bourreaux les uns assassinés,
Sur des bords étrangers les autres entraînés,
Je les ai tous perdus, et jusqu'à l'espérance
De voir jamais finir leurs mau\ et leur absence.
Ce qui le froissait plus encore que la dispersion
ou l'exécution de ses compagnons d'armes,
— 398 —
c'étaient les avancements scandaleux de géné-
raux, improvisés par les circonstances, et qui,
franchissant d'un bond tous les degrés de la
hiérarchie, devenaient du jour au lendemain les
supérieurs d'officiers régulièrement investis de
leurs mandats. Il se moque, non sans amertume,
de ces conducteurs d'armées, qu'il représente
Les cheveux courts et gras, le ton rogue et brutal.
Pantalon bien tendu, botte courte et luisante.
Nez au vent, œil hagard, moustache bien pendante.
Sabre long et traînant,
Et, par un douloureux retour sur lui-même,
il ne peut s'empêcher de constater que
Trente ans pour mon pays j'ai servi dans les camps.
Et trente ans mon pays me laisse aux derniers rangs.
Lorsque mon perruquier et mon maître de danse
Ignorants, méprisés même des ignorants,
Deviennent généraux à force d*impudence.
Avec de pareilles dispositions il est surprenant
que Gassendi n'ait pas émigré, ou tout au moins
n'ait pas persisté dans son intention de prendre
une retraite définitive ; mais l'ennemi nous atta-
quait sur toutes nos frontières, les deux tiers de
la Fcance étaient en insurrection ; jamais notre
pauvre pays n'avait été acculé à de pareils dan-
gers. Gassendi était avant tout l'homme du devoir.
S'il se retirait, n'avait-on pas le droit de l'accuser
— 399 —
de désertion en face deTennemi? Il fit donc taire
ses répugnances et resta à son poste, bien résolu
à ne pas cesser d'être avant tout le défenseur de
la patrie menacée. L'occasion allait en effet se
présenter pour lui de rendre dlnappréciables
services et de prouver une fois de plus que les
officiers de l'ancienne armée n'étaient dépourvus
ni de talent, ni de patriotisme.
II
A ce moment, c'est-à-dire dans Tété de Tannée
1793, la situation était critique, surlout dans le
Midi. Presque toutes les villes s'étaient soulevées
contre la dictalure Jacobine. Toulon avait ouvert
ses portes aux coalisés qui s'étaient précipités
sur cette riche proie. Les Anglais, dans leur
hâte de s'établir dans une aussi importante cita-
delle, y avaient jeté toutes les troupes disponi-
bles sur les côtes de la Méditerranée, Espagnols,
Portugais, Sardes, Napolitains. Ils espéraient y
installer un nouveau Gibraltar. La Convention
avait aussitôt commencé le siège de la place
rebelle. Deux corps d'armée, séparés par le
mont Faron, s'étaient portés contre Toulon, les
uns accourus de Marseille, les autres détachés
de Tarmée des Alpes. Ces troupes effaraient un
mélange inouï d'inexpérience et de vaillance.
— 400 —
Sans chefs, sans matériel, sans organisation,
mais résolues à vaincre ou à mourir. De simples
soldats étaient devenus officiers supérieurs. Des
sergents d'artillerie dirigeaient des batteries.
Le peintre Carteaux avait le commandement en
chef, mais il était dépourvu de connaissances
spéciales. Il ne connaissait pas, même approxi-
mativement, la portée d une pièce d'artillerie.
Aucun service n'était organisé. On ne possé-
dait même pas Toulillage indispensable à réta-
blissement d'une batterie, et, ce qui donne la
note de l'époque, les sociétés populaires avaient
mis au concours un plan pourla prise de Toulon
Au-dessus de cet immense désordre et investît
d'une autorité illimitée, s'agitaient les repré-
sentants du peuple Saliceti, Albitte, Gasparin,
Fréron, Barras. Les opérations flottaient donc au
hasard et sans direction. C'est dans ce désarroi
qu'arriva Bonaparte.
Le capitaine Bonaparte se rendait alors d'Avi-
gnon à Nice. Il s'arrêta à Toulon pour y voir son
compatriote Saliceti qui le présenta à Carteaux.
Ce dernier lui fit visiter les travaux du siège.
Bonaparte contint à peine l'expression de son
mépris, mais ses observations étaient si justes et
les conseils qu'il donna montraient une telle
entente des choses de la guerre que les Repré-
sentants le mirent aussitôt en réquisition pour le
service de son arme (septembre 1793). Dès ce
— 401 —
moment Bonaparte prit le commandement effectif
de Tartillerie, et, de fait, dirigea le siège. Il se
montra digne de la faveur que lui accordait la
fortune. En peu de jours il réorganisa tous les
services. Il fit venir de Lyon, de Grenoble, de
Marseille tout ce qui manquait en officiers, en
canons, en munitions, bref il devint si bien
l'homme indispensable que le général du Theil,
envoyé à Toulon pour y commander Tartillerie,
ne songea pas un instant à lui disputer Tespèce
de dictature qu'il s'était arrogée (1).
Gassendi fut un de ceux qui aidèrent Bonaparte
dans ce travail de réorganisation. Il avait élé
délaché de l'arsenal de Lyon et envoyé à Nice,
sans doute pour inspecter les services de l'artille-
rie, au mois d'août 1793. On a conservé de lui,
aux archives du ministère de la guerre (2), une
lettre datée de Nice, 18 août 1793, adressée à son
collègue, le chef de bataillon Dupin, adjoint au mi-,
nistre de la guerre. Elle est ainsi connue : « Je me
suis rendu à Nice, conformément à vos ordres.
N'ayant pu suivre la grande route, parce que la
plupart des bacs étaient coupés, j'ai élé obligé de
remonter la Durance j usqu'à Manosque pou r la pas-
ser. N'ayantpu trouverde montures, j'ai étéobligé
de faire deux fortes journées à pied, après lesquel-
(I) CHVQvn, Jeunesse de Napoléon^ t. III^ p. 469-252.
{l) Dossier, pièce qo 6.
29
_ 402 _
les j'ai eu deux accès de fièvre, ce qui m'a obligé
à quelque relard. » Il se trouvait encore à Nice
lorsque Bonaparte, qui connaissait son activité,
le fit désigner pour aller prendre à Marseille la
direction de Tarsenal. Il lui adressa à ce propos
une lettre que nous avons eu la bonne fortune de
retrouver dans les archives municipales d'Au-
xonne (1), et qui est datée d'OUioules, près de
Beausset, le 8 septembre 1793. La voici ;
a Le géoérai vient de donner les ordres, mon cher cama-
rade, pour que vous vous portiez en toute diligence à
Marseilles, afin de travailler à la formation de léquipagede
siège. Notre camarade M^yrion qui y est me fait des envoys
si mal réglé que je n'y puis mettre ordre des qu'ils sont ar-
rivés. Je vous prie de me porter tous les effets que j'ai
laissé à Nice. Ce ne doit pas être grand chose. Je serai bien
aise de vous voir et d'avoir occasion de travailler avec vous.
Pelgrin doit venir aussi. Vous pourrez prendre la poste en-
semble. Si vous pouvez procurer un bon garde magazin et
un bon conducteur de charoi, fait leur prendre la poste,
qu'ils viennent icy, ils seront employés avantageusement.
Je vous prie de ne pas m'oublier auprès de Dugard. Dit lui
que j'ai écrit à Paris par un courrier que les représentants
ont envoyé enfin d'avoir, lelat qu'il désire. Je lui ai écrit
longuement il y a deux jours. Mes comp. à Fautrier. Ma
compagnie doit être partie. »
Gassendi aurait peut-être préféré rester à son
poste de Nice, mais il ne pouvait qu'obéir à la
(1 ) Nous avons publié cette lettre dans les Mémoires de la Société
Bourguignonne de géographie et d'histoire, Dijon, 4904.
— 403 —
réquisition des représentants du peuple. Il se
rendit donc aussitôt à Marseille, tout disposé à
diriger sur Toulon ce qu'il trouverait de dispo-
nible à l'arsenal comme pièces de siège et comme
munitions ; mais il se heurta non pas précisément
contre une mauvaisevolonlédéclarée mais contre
une impuissance absolue. Rien n'élait prêt et on
ne paraissait pas vouloir se plier aux circons-
tances. En outre, depuis que Carleaux avait com-
primé rinsurrection du Midi, et vaincu la résis-
tance de Marseille, une nuée de préfendus
sauveurs de la patrie s'était abattue sur la cité
rebelle, et la traitait en pays conquis. Gassendi
avait encore la rancœur de ses déceptions. Il eut
le tort de ne pas ménager l'expression de son
mépris et de trop se souvenir, en présence des
sans culottes maîtres de la situation, qu'il avait
fait partie de l'ancienne armée.
Despropos violents furent échangés. Une alter-
cation, une scène, comme il est dit dans une let-
tre de Bonaparte, eut lieu, et le conflit passa si
rapidement à l'état aigu, que Bonaparte fut obligé
de venir en personne à Marseille pour trancher
la difficulté. Voici la lettre qu'il écrivit à ce pro-
pos, le 16 octobre 1793, aux représentants du
peuple (1) :
(I) CncQUETj ouv. cilé, t. lU, p. 315.
— 404 —
« J'ai trouvé dans Tarsenal de Marseille le plus granddé-
sordre ; j'ai, autant qu'il a été possible, remis en train les
différents ateliers ; mais vous sentez que cela ne peut pas
être ropération d'une demi-journée, et les opérations mili-
taires Éne rappellent au camp. Je laisse le commandement
de l'arsenal au citoyen Perrier, capitaine d'artillerie ; mais,
comme j'ai eu l'honneur de vous le dire hier, il est peu
d'officiers aujourd'hui dans l'artillerie. Le citoyen Gassendi
pouvait seul, avec votre assistance et celle des sans culottes
de Marseille, soutirer de cette ville tous les matériaux qui
nous sont nécessaires. Il vous eût indiqué les choses qui
étaient nécessaires, l'endroit où elles se trouvaient, et vous
les eussiez fait fournir en les payant aux propriétaires. Ce-
pendant s'il n'y a pas moyen de faire revenir le citoyen
Gassendi, il faudra bien que je me partage entre l'armée et
l'arsenal. »
II était difficile après cet éclat de maintenir
Gassendi à Marseille. D'un autre côté, étant don-
née la pénurie des officiers d'artillerie, il* était
dangereux de se priver du concours d'un spécia-
liste, qui, à maintes reprises, avait donné des
preuves de sa capacité. Le premier soin de Bona-
parte, dès qu'il rentra au camp de Toulon, fut
d'expliquer la situation aux représentants. Il leur
démontra la nécessité de ne pas se séparer de
Gassendi, tout en donnant satisfaction aux ran-
cunes de ses ennemis politiques, et obtint d'eux
qu'il serait envoyé en mission dans toutes les
villes où il croirait pouvoir trouver les moyens de
pourvoir à un équipage de siège. Voici en efTet
— 405 —
les instructions et les pouvoirs dont fut investi
Gassendi :
« Sur la proposition du commandant de Tartil-
lerie (1) qui leur expose la nécessité d'envoyer
un officier intelligent dans les villes où pourront
se trouver les moyens de pourvoir à un équipage
de siège, devenu nécessaire pour réduire Toulon,
les représentant sarrêtent que le citoyen Gassendi,
chef de bataillon, est autorisé à voyager dans les
différentes villes où il croira pouvoir trouver des
approvisionnements nécessaires pour l'équipage
de siège, nécessaire à la réduction de Toulon. Il
se concertera à cet effet avec le commandant
d'artillerie de Tarmée campée devant Toulon et
tiendra avec lui une correspondance suivie pour
cet objet. Fait à Ollioules, le 1 8 octobre 1793, Gas-
parin, Saliceti. »
C'était une mission de confiance dont Gassendi
venait d'être investi. Néanmoins il aurait pu se
trouver froissé de son exclusion de Tarsenal de
Marseille. Bonaparte, qui pourtant n'était pas
coutumier de ces ménagements, trouva le temps
de lui éckre (2) pour lui annoncer sa nomination,
et lui en expliquer les raisons.
« OUioules, 18 octobre 1793. J'ai appris avec déplaisir la
scène qui vous est arrivée à Marseille. Je vous veux du mal
(1) Chuquet^ ouv. cité, t. III> p. 348.
(2) CuuQUBT., ouv. cité, t. in, p. 315.
— 406 —
de ne pas m'en avoir écrit à temps. Il eût été facile de re-
médier à tout. Je me suis porté à Marseille croyant vous y
trouver. J'ai parlé aux représentants. Ils ne sont point du
tout mécontents de vous. Ils croient seulement avoir dû
céder à la politique. C'est une aiïaire finie : n'en parlons
plus. Vous trouverez ci-joint la copie de la délibération des
représentants du peuple à votre égard. J'ai rendu compte
au ministre de Taffaire de Marseille, afin que le bruit ne lui
parvint pas par une autre voie, et que cela ne Ht un mau-
vais efTet. La conduite que vous avez tenue à Marseille est
très louable et fait Téloge de vos principes. J'ai laissé
Perrier à Tarsenal à Marseille. J'ai rappelé Constantin. Si
vous vouliez venir àOUioules, il faut que nous travaillions
tout un jour ensemble. Si vous avez de la répugnance à y
venir, Vous pourriez m*indiquer un endroit intermédiaire ;
mais vous savez combien je suis nécessaire ici. Je vous
envoie un exprès. Il faut qu'il passe par Marseille afin de
prendre votre adresse que je n'ai pas. Je vous remettrai ici
l'original de la déclaration des représentants du peuple.
Ne perdez pas un quart d'beure. Envoyez*moi votre con-
ducteur de charrois. Je suis content de voire garde-ma-
gasins, mais j'en voudrais encore un autre. Envoyez-moi
votre conducteur, à moins que vous ne veuilliez l'emmener
avec vous. Les choses sont ici dans le môme état. Je vous
embrasse. »
Celte lettre dénote, de la part de Bonaparte, une
grande estime et presque de Taffection pour son
collègue. Il lui parle avec un véritable ton d'ami-
lié. Il le prend presque pour confident. De pa-
reilles lettres honorent et ceux qui les écrivent,
et ceux qui les reçoivent.
Gassendi s'acquitta de sa mission avec zèle et
— 407 —
intelligence. Il parcourut, ainsi que le lui prescri-
vaient ses instructions, toutes les villes où il
avait quelque espoir de trouver soit des pièces de
siège, soit des effets d'équipement, soit des muni-
tions. Il est difficile de le suivre dans ces courses
multiples à Avignon, Valence, Grenoble, Saint-
Etienne, Lyon, Metz, Auxonne,dont là trace s'est
d'ailleurs perdue, mais on retrouve dans la cor-
respondance de Napoléon les preuves de Tacli vite
déployée par son collègue. Deux de ces lettres,
en date du 4 novembre et du 7 décembre 1793,
lui sont en effet adressées, et elles ont trait à la
mission spéciale dont Gassendi avait été in-
vesti.
Voici la première (1) :
« Je n'ai point reçu de vos lettres d'Avignon, comme
nous en étions convenus. Vous êtes, à ce que je crois, au-
jourd'hui à Grenoble. Un des objets qui nous sont le plus
nécessaires seraient huit ou dix mille pièces de rechange
pour fusils. Vous devez passer près de Saint-Etienne ; ainsi
vous pourrez facilement nous faire cet envoi. Nous avons
reçu huit mortiers, dont deux de dix pouces. On nous a
envoyé près de mille bombes, mais presque toutes de douze
pouces. Ainsi voyez s'il ne vous serait pas possible de nous
en faire passer de dix pouces sans retard. Nous avons à
Marseille six mortiers de huit et pas une bombe. Je n'ai pu
me procurer d'outils à pionniers que j'avais espérés. Voyez
un peu s'il ne vous serait pas possible de nous en faire
passer de Grenoble et de Valence. Ce qui nous manque
(1) Correspondance de Napoléon /, 1. 1, p. 42.
— 408 —
principalement sont des haches et des pioches. Je ne vois
aucun inconvénient à ce que vous nous fassiez passer un
petit équipage de pontons. Je ne vous en marque pas po-
sitivement le nombre parce qu'ils ne nous serviront que
pour quelques passages de marais qui se forment dans les
temps pluvieux. Je ne vous envoie pas l*original de l'arrêté
des représentants du peuple à votre égard, en ayant en-
voyé la copie légah'sée au ministre. Il faut aujourd'hui que
je conserve par devers moi Toriginal. Vous trouverez à
Lyon beaucoup plus de ressources queje ne pensais, surtout
en ce qui concerne le charronnage. Si vous trouviez des
fusées de signaux toutes faites, faites m'en passer. Userait
aussi nécessaire d'avoir des boulets incendiaires et de la
roche. Je fais faire de tout cela, mais cela va lentement.
Vous devez en trouver à Lyon. »
Voici la seconde :
OUioules, le 7 décembre 1793. J'ai reçu toutes les dif-
férentes lettres que vous m'avez écrites. J'ai vu avec regret
les persécutions que vous craignez. Je vous enverrai, par
le prochain courrier, une attestation des représeiftants du
peuple et une espèce de recommandation générale. Gas-
parin est mort. Vous ne me parlez pas de ce que vous pré-
tendez faire après votre retour à Nuits. Ici nous sommes
toujours à peu près dans la même position. L'armée est
forte de trente mille hommes. Nous avons onze batteries
contre le fort de Malbousquet et le camp de l'Eguillette.
Les ennemis ont tenté, il y a quelques jours, de s'emparer
de la batterie de la Convention, composée de 7 pièces de 24.
Cette batterie est à mille toises de Toulon, et bat Mal-
bousquet par la droite ; ils se sont emparés de la batterie,
ont cloué nos pièces, mais la réaction leur a été funeste.
Nous leur avons fait deux cents prisonniers, parmi lesquels
— 409 —
le général en chef, gouverneur de Toulon, nommé 0*Hara,
un colonel espagnol, un major anglais et une vingtaine
d*orficîers. Plus de quatre cents, presque tous Anglais, ont
été tués. Nos troupes alors se sont jetées sur Malbousquet,
et sont arrivées jusqu'aux chevaux de frise. Il y avait sept
heures que nous nous battions, et il était midi. Nous avons
eu cent cinquante blessés e( une cinquantaine de morts.
Vous feriez bien de passer à Saint-Etienne pour nous pro-
curer des pièces de rechange, des tire-bourres, des sabres
et toute espèce d'outils pour notre atelier de salle d*armes. »
D'un aulre côté on conserve aux archives du
ministère de la guerre une lettre de Gassendi (i)
au chef de bataillon Dupin, datée d'Auxonne, le
22 nivôse an II (16 janvier 1794), par laquelle il
lui apprend qu'il a pu réunir à l'arsenal d'Au-
xonne, afin de les envoyer à Toulon, 7 affûts de
16 venant de Verdun, 7 affûts à mortiers de 12
pouces venant de Metz, 6 affûts à mortiers de 8
pouces venant de Metz, 5 charrettes à munitions
venant de Metz, 9 chariots à munitions et 2 cais-
sons de parc faits à Auxonne,20 essieux de char-
rettes venant de Metz, plus 424 bombes de 12
pouces, 430 bombes de 8 pouces, et bOOO boulets
de 24. Il est vrai qu'il a suspendu cet envoi et
prié le directeur de l'arsenal d'Auxonne de gar-
der tous ces objets jusqu'à nouvel ordre. « Aussi-
tôt que j'ai appris par les papiers publics que
Toulon était pris, j'ai arrêté à Auxonne le départ
(I) Dossier Gassendi , pièce d9 7.
— 410 —
des attirails d^artillerie. Une lellre que j'ai reçue
depuis du citoyen Bonaparte, général d'artillerie
dans l'armée du Midi, m'a confirmé dans cette
mesure, car elle me la prescrivait à l'exception
seulement de la prendre; mais tu as vu par Tar-
rôté du conseil de guerre de Metz qu'on ne comp-
tait accorder de la poudre qu'après la délivrance
de Landau, qui a été postérieure à la prise de
Toulon; en sorte que, maintenant que ma mission
•est finie, je n'ai plus de litres pour demander
cette poudre, et tu prononceras sur cet objet. Je
pars demain pour le Port de la Montagne où le
citoyen Bonaparte m'invite de me rendre, me
disant que j'y trouverai assez de besogne. Je ne
sais si c'est loi ou les représentants qui ont décidé
que j'y serais employé, ou si je dois retourner à
Tarmée d'Italie, à mon premier poste. A mon
arrivée je saurai positivement ma destination.
Salut et fraternité. » •
Bonaparte u'avait pas oublié Gassendi. Non
seulement, comme on Ta vu dans la lettre précé-
dente, il le rappelait à Toulon près de lui, mais
encore il demandait en sa faveur une nomination
de chef de brigade. Voici la très curieuse lettre,
conservée dans les papiers de la famille Gassendi,
et que nous croyons inédite, qu'adressait lejeune
général d'artillerie à son ancien collègue (1) :
(\) Lettre communiquée par M. Misserey, notaire à Nuits.
— 4il —
« Au quartier général de Port de la Montagne, le 22 plu-
viôse de la 3^ année de la République Française, une et
indivisible. Le général commandant en chef Tartillerie de
Tarmée d'Italie au citoyen Gassendi : J'ai demandé pour
toi à la commission le grade de chef de brigade. Le repré-
sentant du peuple Tureau l'a demandé également. J'attends
le résultat de cette demande avant de consentir à ce que tu
prennes ta retraite. Tu as servi avec trop de zèle et de dis-
tinction pour que tu n'obtiennes pas cet avancement. Je
crois que tu as tort de te retirer absolument d'un service
où tu es si utile et où tu as l'habitude. Tes yeux ont besoin
d'un repos momentané, mais non pas perpétuel. 11 y a une
place de directeur à Marseille qui pourrait t'élre agréable,
et, dans tous les cas, il faudra te donner un congé de plu-
sieurs mois. Tes yeux se rétabliront. J'écris au général
Dujard pour qu'il te permette de te rendre chez toi, et tes
yeux se rétabliront. Tu rédigeras ton aide-mémoire. Si tu
réQéchis bien sur ce que je le dis, tu verras que c'est la
seule chose qui te convienne à tous les points de vue. J'ai
ordonné à Faultrier qu'il t'envoie le tableau de notre em-
barquement afin que lu le puisses [dacer dans ton aide-
mémoire, dont je crois que tu dois ôter les manœuvres de
pièces. Tu y parleras de notre équipage de montagne. Tu
préféreras sans doute les pièces de 3 piémonlaises à celles
à la Rostain. Tu parleras de nos fours à réverbères et des
grils en caisse. J'ordonne à la Chaste de te faire un profil
(!e ces derniers et de te l'envoyer. Je t'engage à t étendre
davantage sur les fusils. La balle de 18 à la livre est trop
forte. 11 est reconnu aujourd'hui, qu'il nous en faut de 20 à
la livre. Je désire fort l'envoyer un ouvrage que j'ai reçu
de Monge sur la fonderie. Je crois que tu dois faire sentir
les avantages du système actuel de l'artillerie, et des incon-
vénients résultant des constructions négligées, je voudrais
que tu y joignis (sic) un traité en forme d'aide-mémoire des
— 412 —
di'fTérents systèmes de fortîQcatîon, ainsi que l'évaluation
(les matériaux nécessaires pour une attaque destinée à une
tranchée, place d'armes, etc. Buonaparte. »
Il estdonc prouvé par celle letlre que Boiiâparle
s'intéressait à Tavenircie son ami.Ilaurait voulu
lui donner une posilion sédentaire, à Marseille
par exemple, où il pourrait, tout en soignant ses
yeux, selivreràces travaux de cabinet où il excel-
lait, et au besoin continuer ses études sur les pro-
grés et les principales applications de l'artillerie ;
mais il avait compté sans les haines politiques et
les rancunes qui poursuivirent Tancien directeur
de Tarsenal de Marseille. Gassendi avait été dé-
noncé comme réactionnaire et partisan déclaré de
l'ancien régime. On ne lui pardonnait ni sa fran-
chise, ni peut-être la brutalité de son accueil. On
demanda sa suspension au ministre delà guerre,
et, comme les opinions Jacobines étaient alors
prédominantes, ses ennemis furent écoutés.
Gassendi, qui ne se doutait pas des démarches
essayées contre lui, ou qui peut-être dédaignait
les attaques dont il se savait Tobjet, avait rejoint
son poste à l'armée d'Ilalie. Une lettre de lui,
datée de Nice le23 pluviôse an III (1 1 février 1794),
et adressée au chef de bataillon Dupin (1), adjoint
au ministre de la guerre, est conservée aux
archives de la guerre : « Le représentant Saliceti
(t) Dossier Gassendi, pièce n"" 9.
— 413 —
m*a ordonné de me rendre à mon poste de directeur
du parc de Tarmée d'Italie, et je me suis rendu à
Nice tout de suite. » En marge de cette lettre est
l'annotation suivante : « lui mander que le conseil
exécutif Ta suspendu et remplacé. » Aussi bien
le décret de suspension avait été envoyé quelques
jours auparavant, le 30 nivôse (19 janvier 1794),
et ilest probable que les courriers s'étaient croisés.
Voici comment il était conçu (1) : <» Au citoyen
Gassendi, chef de bataillon, sous-directeur d'ar-
tillerie à Commune Affranchie. Le conseil exé-
cutif provisoire ayant, citoyen, jugé à propos de
te suspendre provisoirement des fonctions que tu
exerces en qualité dechefdebataillon, sous-direc-
teur d'artillerie à Commune Affranchie, tu voudras
bien les cesser à Tépoque de la réception de celte
lettre et te conformer aux dispositions des décrets
de la Convention nationale des b, 6, 11 et 20 du
mois de septembre dernier, en t'éloignant immé-
diatement des armées de la République et des
frontières. Tu voudras bien m'accuser le reçu de
cette lettre et me marquer le lieu où tu te proposes
de faire ta résidence, afin que je puisse en rendre
compte au conseil exécutif. »
Celte brutale mesure, que rien ne justifiait,
frappait en pleine activité un officier dans la force
de Tâge, plein d avenir, et qui aurait pu rendre
(\) Dossier Gassendi^ pièce n* 8.
— 414 —
de grands services. Gassendi n'en fut pas autre-
ment surpris. A vrai dire il s'attendait presque
à ce déni de justice, et avait prisses précautions
à Tavance, car, dès le 1*' pluviôse de Tan III
(20 janvier 1794), c'est-à-dire aussitôt après son
arrivée à Nice, il avait demandé un congé sous
prétexte de soigner ses yeux. Voîci môme le certi -
ficatquilui fut délivré à celte occasion par rofficier
de santé Jaubert et approuvé parle chirurgien en
chef de l'armée (1).
Certificat dHnfirmité.
Je soussigné officier de santé allaché aux équipages d'ar-
tillerie, atteste que le citoyen Jean-Jacques-Basilien Gas-
sendi, chef de bataillon d'artillerie et directeur des parcs
d'artillerie de Tarniée dltalie, est attaquéd'une diminution
considérable de la vision par suite de ses travaux et de plu-
sieurs maladies des yeux dont il a été affecté en différents
tenis, et pour lesquelles, selon son rapport, il a été soumis
à des traitements longs et méthodiques. Les maladies qui
paraissent maintenant affecter le globe de Tceil et les par-
ties qui le composent sont des ophtalmies qui renaissent
souvent, la miopie, une grande dilatation delà pupille l'é-
paississement des humeurs des yeux. L'œil droit parait
annoncer un principe de cataracte et l'œil gauche un com-
mencement de goutte sereine. Nous estimons en consé-
quence, vu les incommodités cy-dessus, que le citoyen
Gassendi ne peut continuer son service sans agraver ses
maux ; nous regardons le repos, le régime et remèdes con-
(1) Papiers delà famille Misserey, do Nuits.
— 415 —
venables comme 1res urgents pour remédier aux incom-
modilés dont il est attaqué.
Nice, le \^' pluviôse de l'an 3 républicain
Jaubf.rt
Officier de santé.
Vu le certificat ci-dessus, après avoir examiné le citoyen
Gassendi, nous estimons que son état nécessite le repos et
un traitement pressant.
Le chirurgien en chef de V armée,
BOURGINE
Je certifie que la signature apposée au visa du certificat
cy-dessus est celle du citoyen Bourgine, chirurgien en chef
de l'armée.
Le Général de Division, chef de Vétat major de Varmée,
P. Gaultier
(De la main de Bonaparte). Vu le certificat ci-dessus il est
permis au citoyen Gassendi de se retirer chez lui et d'y rester
5 décades pour faire les remède (sic) nécessaire (sic). Il
sera tenu à cet (sic) époque de rejoindre son poste.
Bonaparte
Cachet oblong avec Griffe avec « général commandant
général d'artillerie. l'artillerie de l'armée d'Italie ».
Gassendi ne réclama donc pas contre la mesure
arbitraire donlilétait viclime. Il se reliraà Nuits,
dans le pays de sa femme, et, avec beaucoup de
philosophie, s'occupa de gérer ses propriétés. Il
consacra môme ses moments de loisir à la Muse
— 416 —
qu'il avait un peu délaissée dans le tumulte des
affaires. Une première satisfaction lui fut cepen-
dant accordée. On reconnut le mal fondé des ac-
cusations portées contre lui. Il fut réintégré dans
son grade, et, comme il persistait dans sa réso-
lution de retraite, proposé pour la retraite par
décision du comité de salut public (ventôse an III
— février 1794).
Ce repos ne devait être que provisoire. Bona-
parte n'avait pas vu sans peine un officier de la
valeur de Gassendi quitter Tarmée. Il se rendait
compte de la nécessité de conserver au service
des hommes rompus au métier, et n'ignorait pas
que, surtout dans Tartillerie, nul ne peut, du jour
au lendemain, être initié aux exercices et aux
manœuvres de cette arme savante. A l'armée
d'Italie, sur ces âpres montagnes du Piémont, où
il luttait alors si péniblement contre les vétérans
de TAulriche et de la Sardaigne, il aurait eu be-
soin d'aides éprouvés. Il est probable qu'il se
plaignit aux représentants de la révocation de
Gassendi, et demanda son rappel, mais alors il était
lui-môme suspect et avait de la peine à conserver
sa situation. Les circonstances le servirent. Brus-
quement replacé en pleine lumière après la répres-
sion de l'insurrection royaliste du treize vendé-
miaire, et nommé général en chef de l'armée de
l'intérieur, un de ses premiers actes fut de faire
rentrer dans les cadres la victime des malpropres
— 417 —
dénonciations du temps passé. Voici la belle lettre
qu'il lui écrivit à cette occasion (1). Elle aurait
mérité les honneurs de la publication dans la Cor-
respondance de Napoléon^ mais on sait avec
quelle hâte et quel parti pris a été mené ce tra-
vail, qu'il faudra bien reprendre quelque jour,
quand on voudra élever un monument durable à
rhomme qui, pendant vingt-deux ans, de près
ou de loin, gouverna la France. On remarquera
le ton lyrique, et le respect presque religieux
avec lequel parle de Tartillerie, ce premier de
tous les arts, Thomme qui lui dut la plupart de
ses succès,
Bonaparte, général en chef de L'armée de Vintérieur au
citoyen Gassendi, chef de bataillon d'artillerie, Bri^
gnolles.
Quartier général, Paris, 23 frimaire an IV.
Le Directoire exécutif désirant s'entourer d*hommes de
mérite est dans l'intention, mon cher camarade, de te nom-
mer chef de brigade d'artillerie et de t'appeler pour tra-
vailler auprès du ministre de la guerre. Je me suis chargé
de rengager à accepter celle marque de confiance et à
vaincre ta résolution pour la retraite. Viens donc prompte-
ment aider de ta lumière à la restauration de Tartillerie.
Veux-tu donc, après avoir passé plus de vingt années à ac-
quérir les connaissances que tuas, les rendre inutiles au
premier de tous les arts, à celui qui bouleverse et établit les
(I) Papiers de famille communiqués par M. Misserey, de Nuits.
30
— 418 —
empires, et au succès duquel est attachée la splendeur de
la patrie et de la liberté.
BUONAPARTE
P.-S. — Ce sera une occasion pour faire voir Paris à fa
femme.
(Sur Tenveloppe.) Au citoyen Gassendi, actuellement en
Bourgogne^ à Nuits, département de la Cotte (sic) d*Or.
Le général en chef de Tarmée de rintérieur ne
se contenta pas de cette invitation. Afin de forcer
dans ses derniers retranchemen ts l'opposition pos-
sible de Gassendi, et pour ôler tout prétexte à
une revendication de sa part, il lui fit donner le
grade de chef de brigade, ou colonel d'artillerie
(ventôse an IV, 3 mars 1796), et lui annonça
qu'il allait bientôt rentrer dans le service actif.
Hésiter plus longtemps était impossible. Gassendi
déclara qu'il était prêt à partir et le fit savoir à
son puissant prolecteur. Ce dernier aimait déjà
à ne pas rencontrer de résistance. Il sut gré à
Gassendi de sa résolution, et, pour mieux lui
prouver combien il tenait à lui, chercha à l'at-
tacher à sa fortune. Il venait d'être nommé gé-
néral en chef de l'armée d'Italie, et se disposait
à revenir sur le théâtre de ses anciens exploits.
Il fit donc nommer Gassendi directeur du parc
d'artillerie de l'armée d'Italie, et lui écrivit di-
rectement, en termes très flatteurs, pour lui an-
noncer sa nomination. Il poussa môme l'ama-
— 419 —
bilité jusqu'à lui proposer de le prendre avec lui
dans sa voiture jusqu'à Nice. Voici du reste sa
lettre (1) :
Au quartier général à Paris, le 43 ventôse an IV de
la République une et indivisible.
Bonaparte, général en chef de Vannée de Vintérieur au
citoyen Gassendi, à Nuits, déparlement de la Côte
d'Or.
y&i élé nommé au commandement de l'armée d*ItaHe.
Je pars sous peu de jours pour m'y rendre.
Le Directoire vous a nommé à la place de chef de brigade
directeur du parc d'artillerie de Tarmée d'Italie.
Je vous expédie un courrier extraordinaire qui va jusqu'à
Chalon-sur-Saône et prendra au retour votre réponse.
Je vous prie de m'instruire de vos intentions afin que je
porte avec moi votre brevet et votre commission.
Je vous oiïre une place dans ma voiture jusqu'à Nice. Je
viendrai vous prendre en passant.
Rien n'égale le plaisir que j'aurai à restituer à l'artil-
lerie un officier aussi distingué et d'être à môme de pro-
filer de ses lumières dans la campagne que nous allons
faire.
BUONAPARTB
(Adresse). Le général en chef de l'armée de l'intérieur au
citoyen Gassendi, chef de brigade d'artillerie, à Nuits,
département de la Côle d'Or.
Cette lettre ne fut pas remise à lemps à Gassendi^
car elle porte en marge l'annotation suivante :
(I) Papiers de famille^ communiqués par M. Misserey>de Nuits.
— 420 —
« Je soussigné, directeur des postes, certifie que
la présente lettre n'est arrivée que le vingt ven-
tôse an IV. Le directeur des postes de Nuits, Gil-
lolte. » On a dit qu'il n'5^ avait dans la vie que
des hasards ou des circonstances. Si cette lettre
était arrivée à son adresse, il est probable que
Gassendi n'aurait pas manqué le rendez-vous de
Chalon. Il aurait par conséquent été le compagnon
d'armes et sans doute le confident de Bonaparle.
Il l'aurait suivi dans cette prodigieuse campagne
qui devait fonder sa réputation. Ayant été à la
peine, il aurait été à Thonneur ; mais les événe-
ments se précipitèrent. Gassendi était absent. Il
fut oublié et confiné dans des attributions secon-
daires. Il venait de manquer sa fortune, car il
n'est pas douteux que Bonaparte, qui l'avait en
haute estime, lui aurait ménagé les occasions de
se distinguer, et l'aurait poussé aux plus hauts
degrés de la hiérarchie militaire.
Gassendi, dans la campagne d'Italie, resta tou-
jours au second plan. Nous n'avons retrouvé son
nom dans aucune des grandes actions où s'illus-
trèrent d'autres officiers plus jeunes et moins
méritants. Ni dans la correspondance, ni dans les
archives du ministère de la guerre, ni dans ses
papiers de famille ne figure à son actif aucune
mention de service exceptionnel. On est môme à
se demander s'il a accepté les ofi*res de Bonaparte,
et pris part aux opérations de la campagne. Il n'y
— 421 —
a dans tous les cas joué qu'un rôle secondaire.
Chef de brigade il était en 1796, chef de brigade
il était encore quand il fut nommé membre du
comité central de Tartillerie^etil occupa ces fonc-
tions, puremen t administratives, du 1'' août 1798
au 6 avril 1800. Cette fois encore Bonaparte allait
lui fournir Toccasion de rendre de nouveaux ser-
vices, et d'arriver enfin à ces grades supérieurs,
dont Taccès lui semblait interdit-
III
Une première fois déjà, dans les premiers mois
de Tannée 1800, Bonaparte avait songé à accor-
der à son ancien compagnon d'armes le grade de
général de brigade. On conserve aux archives
du ministère une note (1), très probablement
émanée du cabinet consulaire, et qui est ainsi
conçue : « faire un rapport aux consuls pour
accorder au citoyen Gassendi le grade de général
de brigade. » Ce rapport (2) fut aussitôt rédigé et
expédié (nivôse an Vil) :
« Je propose aux consuls d'accorder le grade de général
de brigade, conformément à la loi du 15 vendémiaire an IV,
au ciloyen Gassendi, chef de brigade d'artillerie, membre
(1) Dossier Gassendi, pièce, n^ 3.
(2) Id.,n<» 41, piôceG.
— 422 —
da Comîlé central de celte arme. Indépendamment des ser-
vices de cet otQcîer, qui datent de 1767, il en est peu qui
réunissent autant de zèle et autant de connaissances, et qui
les aient constamment mieux employées pour l'intérêt du ser-
vice et les progrès des différentes parties essentielles de la
science de Tartillerie, ce qui le rend, sous tous les rapports,
bien digne d*une récompense distinguée. »
Bonaparte n'eut pas le loisir de revêtir de sa
signature le projet d'arrêté que, sans doute, lui
présenta le ministre de la guerre. D'autres soins
occupaient alors sa pensée. Il avait pris la réso-
lution, pour légitimer en quelque sorte sa prise
de possession du pouvoir, d'engager avec les
Autrichiens une lutte définitive en essayant de
leur reprendre Tltalie. Il venait de décréter la
formation à Dijon d'une armée dite de réserve,
et il dirigeait sur celle ville toutes les troupes et
toutes les ressources disponibles. Gassendi dans
sa pensée était tellement l'homme qui convenait
le mieux à cette concentration que, dans le pre-
mier des décrets relatifs à la formation de cette
armée de réserve, il est cité parmi les quatre offi-
ciers supérieurs qui, dès la première heure, tra-
vailleront à organiser cette armée. Décret du 17
ventôse an VIII (8 mars 1800) : « Lesconsuls de
la république arrêtent : 1^ Il sera créé une armée
de réserve forte de 60.000 hommes. 2^ Elle sera
directement commandée par le premier consul. 3"*
L'artillerie sera commandée par le général Saint-
- 423 —
Rémy, le parc par le chef de brigade Gassendi, le
génie par le premier inspecteur du génie Mares-
cot. 4° L'ordonnateur Dubreton remplira les
fonctions d'ordonnateur en chef... etc. »
Gassendi ne fui pas long: dans ses préparatifs de
départ. Nommé le 8 mars 1800, il adressait dès
le lendemain au ministre une demande d'indem-
nité pour entrée en campagne (1) : « Ayant reçu
Tordre de me rendre à Tarméederéserve, je* vous
prie de vouloir bien m'accorder la gratification
d'entrée en campagne qui me revient comme chef
de brigade d'artillerie. » Il partait aussitôt pour
se rendre à son nouveau poste, mais, comme il ne
trouvait pas à Dijon les ressources nécessaires,
il se transportait dans le voisinage, à Auxonne,
et, avec son activité ordinaire, s'occupait aussitôt
d'organiser le parc d'artillerie dont avait besoin le
premier consul. Il se trouvait encore à Auxonne
lorsqu'il y reçut une lettre. de Bonaparte lui
annonçant sa visite. Le premier consul venait
d'arriver à Dijon et se rendait à Genève, mais il
tenait à se rendre compte par lui-même de la
besogne exécutée et des espérances permises.
Voici ce billet (2) : « Au citoyen Gassendi, direc- ,
teur du parc d'artillerie de l'armée de réserve à
Auxonne. Dijon, 17 floréal an VIII. Je passerai
(f) Dossier Gassendi, no 40.
(l) F^apiersde famille communiqués par M Misserey^de Nuits.
— 424 —
demain, citoyen commandant, à 5 heures du
matinà Auxonne. Je m'arrêterai un quart d'heure
chez vous pour prendre une lasse de café à la
crôme, et pour jeter un coup d'oeil sur notre
situation en artillerie. Je vous salue, Bonaparte. »
Gassendi fut donc un des artisans de la prodi-
gieuse fortune de son ancien collègue. Bien qu'il
n'ait pas assisté à la bataille de Marengo, il fut
un des vainqueurs de cette grande journée, puis-
qu'il la prépara et la rendit possible. D'ailleurs
Bonaparte se montra reconnaissant envers ceux
qui furent les instruments de son triomphe. II
n'oublia pas Gassendi dans la distribution des
récompenses, et fit connaître son intention de le
nommer général de brigade. Le ministre de la
guerre fut invité à rédiger une nouvelle propo-
sition (1) : « Citoyens consuls, je vous propose
d'élever au grade de général de brigade d'artil-
lerie le citoyen Jean Jacques Basilien Gassendi,
chef de brigade dans cette arme. Cette proposition
est motivée sur la durée et la distinction des
services de cet officier, les campagnes qu'il a
faites, sur son expérience et ses lumières qui le
rendent à tous égards digne de cet avancement.
Le citoyen Gassendi mérite encore par ses écrits.
Il est l'auteur de l'aide-mémoire à l'usage des
officiers d'artillerie, ouvrage fort estimé et très
{\) Dossier Gassendi, n* H, pièce 1.
— 425 —
utile. Si les Consuls adoptent celle proposition, je
vous prie de vouloir bien signer Tarrèté dont je
joins ici le projet. » Suivent les étals de service
du colonel et la minute d'arrêté dénomination, en
date du 27 fructidor an VIII(14 septembre 1800).
A ces diverses pièces est jointe une lettre de féli-
citations du ministre de la guerre en date du 29
fructidor (1). « Je vous envoie ampliation d*un
arrêté du premier consul qui vous nomme au
grade de général de brigade dans Tarme de Tar-
Jillerie. Je vous transmets avec grand plaisir ce
témoignage d'une justice aussi bien méritée tant
par vos services que par votre zèle, vos talents et
l'emploi utile que vous n'avez cessé et que vous
continuerez d'en faire. »
Quelques joursplus tard (2), et comme nouveau
témoignage de faveur, Gassendi recevait une lettre
par laquelle le ministre de la guerre Tinformait
qu'il était nommé membre du conseil de perfec-
tionnement de TEcole Polytechnique (20 sep-
tembre 1800).
Il serait difficile de suivre dans ses multiples
occupations le nouveau général d'artillerie. Nous
avons déjà vu qu'il avait été nommé directeur
du parc d'artillerie de Tarmée d'Italie. Un arrêté
consulaire, en date du 19 mars 1800, Tavaiten
{Vf Dossier Gassendi, n^ 44, pièce 8.
(2) Id., n» 42, pièce 4.
_ 426 —
môme temps désigné comme directeur général
des forges de la République affectées au service de
l'artillerie, mais il ne parait pas avoir jamais
rempli ces fondions, car nous le retrouvons, au
mois d'août 1800, c'est-à-dire après la campagne
d'Kalie, adjoint au premier inspecteur général de
Tarlillerie dont les bureaux avaient été réunis,
le 21 avril 1800, à ceux de la guerre, en rem-
placement du général de division Andréossy,
nommé directeur du dépôt de la guerre. Il est
nommé en môme temçs commandan tdu quatrième
arrondissement d'artillerie, mais il continue ses
fonctions d'adjoint au premier inspecteur général
jusqu'à la nouvelle séparation des bureaux décidée
le 19 avril 1801. A cette date il est nommé chef
de la division d'artillerie et du génie au ministère
de la guerre, et en môme temps commandant de
l'école d'artillerie d'Auxonne. Son activité trouvait
donc l'occasion de s'exercer non seulement à Paris
dans les bureaux du ministère, mais aussi dans
toute la France, et spécialement à Auxonne où il
aimait à revenir, non pas seulement parce qu'il
y retrouvait ses souvenirs de jeunesse, mais aussi
parce qu'il se rapprochait de Nuits, où l'appelaient
des intérêts de famille.
A ces mulliples occupations Gassendi, qui
jamais ne connut l'art de se ménager, pas plus
que celui de se faire valoir, gagna un affaiblisse-
ment général de ses forces qui devint inquiétant.
— 427 —
Sa vue surtout avait baissé, et il ne pouvait con-
tinuer qu'avec peine son travail de bureau. La
paix venait d'être signée avec l'Autriche et la
Russie. L'Angleterre elle-même avait déposé les
'armes. Gassendi se crut autorisé à demander sa
mise à la retraite. Voici la lettre qu'il adressait à
ce propos (1), le 28 fructidor an X(1S septembre
1802), au général Berthier, ministre de la guerre :
« Ma vue ne pouvant plus suffire au travail de ma place
de chef de la section d'artillerie, mes affaires négligées trop
longtemps et des considérations personnelles, inutiles à
vous exposer, ne permettant plus de faire un autre service
militaire, je vous prie de me faire accorder ma retraite, et
de me permettre de partir le dernier complémentaire an X,
ainsi que je vous Tai demandé avec instance. Daignez
agréer mes justes regrets de cesser d*étre immédiatement
sous vos ordres. Le souvenir ineffaçable de votre bonté et
de votre confiance, en redoublant ces regrets, ne fera
qu'affermir toute ma vie mes sentiments pour vous d'atta-
chement, de reconnaissance et de respect. »
Berthier avait, entre autres qualités, celle
de rendre justice à ses subordonnés. Il savait
combien Gassendi lui était utile au ministère pour
la préparation et l'exécution de ses projets. Il
ne voulut pas accepter sa demande, et le pria
d'attendre quelque temps encore avant de pren-
(!) Dossier Gassendi, pièce n^ 13.
— 428 -
dre une détermination décisive. Il lui accorda
pourtant « un congé de trois mois avec jouissance
deses appointements (1) pour vaquer a ses aflfai-
res personnelles. » Cette insistance était flatteuse;
Gassendi se résigna, mais avec l'arrière-pensée'
de ne pas laisser dépasser le délai.
Kn effet le 28 thermidor an XI (16 août 1803),
le général adressait à Berthier la demande sui-
vante (2) :
€ J'ai demandé ma retraite Tan passé, le 5 germinal, le
lendemain de la publication de la paix. Vous ajournâtes ma
demande pour le moment. L'ayant renouvelée en brumaire
an Xî, vous parûtes désirer que je finisse Tannée au poste
où j'étais. J'eus l'honneur de vous le promettre et me
voilà arrivé au terme du délai. Je prie donc Votre Excel-
lence de vouloir bien me faire accorder cette retraite
qu'exigent ma santé et mes affaires, conformément à mon
grade et à mes services pour le i^' vendémiaire an XIl, et
de me faire remplacer dans la septième division de la guerre,
afin que je puisse partir à cette époque. »
A. cette demande était annexé le détail des
services. Ils étaient de 43 années et 28 jours,
dont 38 ans 7 mois et 28 jours de services effec-
tifs, et 3 ans b mois de campagnes.
Il n'y avait plus cette fois à hésiter. Lademande
(\) Dossier Gassendi, n^ 14.
(2) Id., no45.
- 429 —
était formelle. Gassendi élaît dans son droit strict.
On n^était plus en étal de guerre et il avait assez
travaillé pour obtenir un repos mérité. Le minis-
tre de la guerre de son côté avait fait son devoir
en essayant de le retenir au service. De part et
d'autre on était en règle. Il n'y avait plus qu'à
exécuter la loi. Le 6 fructidor de Tan XI (24 août
1803) fut donc rendu à Saint-Cloud le décret sui-
vant (1) : 0 Le gouvernement de la République,
sur le rapport du ministre de la guerre, arrête :
1« le général de brigade Gassendi (Jean Jacques
Basilien) est admis à une solde de retraite de
trois mille trois cent sept francs soixante-dix-sept
centimes, qui courra du jour qu'il a cessé de tou-
cher un traitement d'activité. 2° Les ministres de
la guerre et du trésor public sont chargés, chacun
en ce qui les concerne, de Texéculion du présent
arrêté. Ont signé : Bonaparte, Hugues Maret,
Alexandre Berthier. »
Tout était donc terminé. IL semblait que Gas-
sendi n'eût plus qu'à retourner à ses chères étu-
des, et qu'à passer tranquillement le reste de sa
vie, soit à ce Nuits, qui était devenu pour lui
comme une patrie d'adoption, soit dans ses domai-
nes patrimoniaux de Provence, mais l'impérieux
personnage qui présidait alors aux destinées de
la France en décida autrement. Il avait signé,
(1] Dossier Gassendi, n° 15, pièce 2.
— 430 —
probablement sans le lire, le décret de mise à la
retraite de Gassendi, mais, quand il apprit le
départ de son ancien collègue, il déclara, de son
propre mouvement, qu'il ne l'acceptait pas, et,
en effet, sur la minute même de la feuille de ser-
vice qui règle la retraite du général et qui etrt
conservée aux archives de la guerre, figure, au
dos de la pièce, la note suivante : « le ministre a
ordonné que Ton suspendît Tordre de paiement de
la solde de retraite du citoyen Gassendi, qui con-
serve son activité. J'ai la décision dans mon car-
ton des arrêtés. Signé : Cotte. »
Que s'était-il donc passé? Il est probable que
Bonaparte intervint en personne auprès de Ga?-
sendi/et le pria, au nom des intérêts supérieurs de
l'armée, de conserver son poste. Il est mômepro-
bablequilfitmiroiter à sesyeaxla promesse d'un
grade plus élevé. Gassendi avait l'âme trop bien
située pour être accessible à des considérations de
cette nature. Si Bonaparte réussit à Tébranler
dans sa détermination, c'est sans doute qu'il
trouva ces accents émus et ces mots partis du
cœur qui emportent les décisions. En souvenir de
Tancienne amitié et des périls communs d'autre-
fois, à la pensée des services qu'il pouvait rendre
encore, et contre l'ennemi héréditaire, car les
Anglais venaient de rompre la paix d'Amiens,
Gassendi se laissa persuader. Il retira sa demande
et conserva sa situation au ministère,
— 431 —
IV
Le premier Consul, devenu bientôt Empereur,
ne se montra pas oublieux. La première place
d'inspecteur général de Tarlillerie vacante fut at-
tribuée à Gassendi. Voici la lettre que le ministre
de la guerre adressait, le 23 ventôse an XIII,
(mars 180b) au premier inspecteur général de
Tar tille rie (1):
« Je vous préviens, Monsieur le Général, que, d'après
vos propositions du 2 de ce mois, le général de brigade
Gassendi est nommé à la place d*fnspec(eur général, va-
cante dans le corps impérial de Tartilierie. J'ai voulu par
là lui témoigner que j'étais satisfait des soins qu*il met à
remplir les devoirs de la place qu'il occupe. »
Et voici en quels termes, à la môme date, il
informe Gassendi de sa promotion (2) :
c( Je vous annonce avec grand plaisir, Monsieur le Général,
que, par décision du H de ce mois, vous éles nommé à une
place d'inspecteur général, vacante dans le corps impérial
de l'artillerie. J*ai voulu par là vous témoigner que j'étais
satisfait des soins que vous mettez à bien remplir les de-
voirs de la place que vous occupez. »
(I) Dossier Gassendi, n^ 46, pièce 4.
(2)Id.,n« 16, pièco2.
— 432 —
Les importantes fonctions d'inspecteur général
étaient d'ordinaire attribuées à des généraux de
division. Gassendi n'attendit pas longtemps cette
nouvelle promotion (1). Le 21 septembre 1805
(4* complémentaire an XIII) il recevait du mi-
nistre de la guerre amplialion du décret sui-
vant :
« Par décret impérial du 3^ jour coroplémen taire an XIII,
Sa Majesté vous a nommé au grade de général de division
dans l'arme de Tartillerie. Je vous annonce avec bien de la
satisfaction cette nouvelle marque de saconGance dans vos
talents militaires et dans votre dévouement à son service.
Celle lettre vous servira de titre en attendant l'expédition
de votre brevet. >
Une marque de faveur plus sensible encore,
et qui suivitde près, fut la nomination de Gassendi
en qualité de membre du Conseil d'Etat (1806).
On sait queTEmpereur n'admettait dans cette as-
semblée que des fonctionnaires signalés par leur
compétence et leur spécialité dans les diverses
branches de Tadministration. C'est au conseil
d'Etat, et souvent sous la présidence eflfective de
Napoléon, que se préparaient et se traitaient
toutes les grandes affaires. Faire partie de cette
assemblée était un grand honneur, mais non pas
(1) Dossier Gassendi, n* 48.
— 433 —
précisément une sinécure ; il est vrai que Gas-
sendi avait déjà donné tant de preuves de patiente
endurance et de labeur continu que l'Empereur
n'hésita pas à faire appel à son dévouement. Sa
confiance était bien placée.
Gassendi était donc arrivé au sommet de la
hiérarchie militaire. Sans doute il aurait pu,
comme tant d'autres, acquérir la dignité do ma-
réchal, mais il n'avait jamais commandé en chef,
et la faiblesse de sa vue lui interdisait le service
actif. C'était un administrateur éminent, ce ne
fut jamais un tacticien. La théorie lui convenait,
mieux que laction. Aussi bien, dans ce travail
effraj^ant d'organisation que rendaient néces-
saire les expéditions entreprises à travers toute
l'Europe, l'œuvre des bureaux n'élait certes pas
à dédaigner. Pour ne pas laisser dans Thistoire
une trace éblouissante comme celle de leurs col-
lègues, les généraux retenus à Paris par les ser-
vices administratifs n'en méritent pas moins la
reconnaissance des contemporains. Gassendi fut
un de ces grands travailleurs comme Napoléon
aimait à en trouver autour de lui. Il ne faut pas
chercher son nom dans les bulletins de la grande
armée, ni dans le recueil des victoires et con-
quêtes, mais dans le prodigieux amas de dé-
pêches, de rapports et de documenls conservés
dans nos archives militaires de Paris et de toutes
nos places fortes. Nous ne pouvons entreprendre
31
— 434 —
un pareil travail qui d'ailleurs risquerait d'être
monotone, et qui exige une compétence que
nous ne possédons pas. Un seul point nous
étonne, c'est que Gassendi, pas plus que ses col-
lègues, n'ait pas cherché à innover, tout au
moinsà perfectionner, et se soit contenté du lourd
et encombrant matériel d'arlillerie, qui datait du
siècle passé. Alors que tout se renouvelait dans
la tactique, il est singulier qu'on n'ait pas songé
k transformer Tarmement. On avait bien essayé
de le faire au temps du Comité de Salut Public,
et on n'avait pas encore perdu le souvenir des
tentatives répétées de Prieur de la Côte-d'Or,
mais ces tentatives n'avaient pas réussi, Ilsemble
qu'emportés par le torrent des événements les
lieutenants de l'Empereur, pas plus que l'Em-
pereur lui-môme, ne tournèrent jamais leurs
pensées vers l'idée de modifier l'artillerie. Quels
succès pourtant n'aurait-on pas remportés, si on
eût, dès cette époque, connu les canons à longue
portée, elles canons se chargeant par la culasse !
Personne n'y pensa. Personne n'eut le temps
d'y penser.
Gassendi se surmena tellement dans ce gigan-
tesque travail de la préparation des campagnes
de l'Empire qu'il fut, à diverses reprises, forcé
par la maladie d'interrompre ses occupations (1).
(I) Dossier Gassendi, pièce n' H.
— 435 —
En juîlletlSOS il sollicitait et obtenait un congé
de six mois (1). En avril 1806, il demandait, pour
raison de santé, un nouveau congé d'égale durée,
mais TEmpereup ne lui accordait que deux mois,
prolongés (2) plus tard de deux autres mois. En
avril 1809, la crise fut plus grave. Il fut obligé
de demander un nouveau congé ; mais c'é-
tait le moment où l'Autriche s'apprêtait à re-
commencer la guerre. Les hostilités étaient
même déjà commencées. On ne put lui accor-
der (3) que quelques semaines de repos, du
20 avril à la fin de mai. Son absence ne fut donc
pas de longue durée, et, quand il rentra au mi-
nistère, ce fut pour préparer de longue mainTa-
gression contre la Russie, et inaugurer la série
de ces campagnes glorieuses mais néfastes qui
bientôt conduiront Tennemi jusque sous les murs
de Paris. Au moins ne faillit-il pas à sa lâche,
car on sait le rôle prépondérant de Tartillerie
pendant toute cette période de TEmpire, et cer-
tainement Gassendi fut pour beaucoup dans les
efibrts qui permirent aux généraux de cette arme
de soutenir avec honneur la lutte contre les
coalisés sur tous les champs de bataille de l'Eu-
rope.
(1) Dossier Gassendi, no|9.
(2) Id., n- 20.
(3) Id., n-21.
- 436 -
Napoléon savait récompenser ses amis. Dès le
9 novembre 1809 il avait une première fois té-
moigné sa satisfaction à Gassendi en le nommant
comte de TEmpire (l). Le nouveau noble prit
son titre très au sérieux. Il le célébra môme par
quelques vers de circonstance spirituels et bien
tournés :
Les comies blancs, les comtes bleus,
Par des fails vrais, non par des contes,
Aux yeux des Français valeureux
Doivent être également comtes.
Les comtes blancs par leurs aïeux,
Ont dès longtemps soldé leurs comptes.
Les comtes bleus pour leurs neveux
Ont donné d'assez forts à comptes.
Gassendi trouvait môme l'a compte tellement
sérieux que, dans un esprit d'économie peut-ôlre
exagéré, il ne paraissait nullement disposé à faire
honneur à son nouveau titre. On raconte que
Napoléon lui donna une assez plaisante leçon de
convenance politique. L'Empereur, qui donnait
beaucoup, voulait qu'autour de lui tous ceux qui
profitaient de sa générosité fussent larges dans
leurs dépenses. C'était, ainsi qu'il le disait, sa
méthode pour faire aller le commerce. Or Gassen-
di lui avait été signalé comme trop économe do
ses deniers. Napoléon commanda pour lui, sans
(I) Campabdom, Noblesse impériale, p. 82.
— 437 —
le prévenir, une magnifique voilure, allelée de
chevaux superbes, et la lui envoya. Le général
se rendit aux Tuileries pour remercier TEmpe-
reur de ce qu'il croj^ail être un cadeau, mais il
trouva dans l'antichambre le fournisseur qui lui
présenta la noie à payer. Gassendi comprit la
leçon et s'exécula sans mol dire. '
Il est vrai que l'Empereur avait pris soin de
lui donner de belles compensations. Membre de
la Légion d'honneur le 11 décembre 1803, coni-
mandant le 14 juin 1804, il reçut la plaque de
grand officier le 30 juin 1811. Il fut en oulre
nommé grand croix de l'ordre de la Réunion le
30 avril 1813. Gassendi n'avait donc rien à en-
vier à ses collègues et ses services n*avaient pas
élé méconnus. Aussi en gardait-il une profonde
reconnaissance à son ancien collègue, e t s'i nclinai t-
il volontiers devant sa supériorité. Il le défen-
dait même contre ses adversaires (1). « On a
beaucoup blâmé Texpédilion d'Espagne, écrivait
le général Foy à un de ses amis, le 18 décembre
1810. Cependant, comme l'observait très judi-
cieusement le spirituel général Gassendi, il ne
faut pas se hâter de blâmer les opérations de notre
gouvernement. L'Empereur y voit plus loin que
nous tous. Nous ne savons pas ses projets. On
juge mal un ensemble quand on n'en (revoit
(t) Girod de TAin, Les Grands Artilleurs,
— 438 —
qu'une portion isolée. » Celle admiration de Gas-
sendi était d'autant plus sincère qu'il ne la ré-
pandait pas en protestations extérieures. D'ordi-
naire il choisissait pour confidents dé sa pensée
intime les pages sur lesquelles il aimait à traduire
ses sentiments en alexandrins légèrement pom-
peux, dans le goût de l'époque. Voici comment,
dès l'année 1798' il parlait du vainqueur de
l'Italie (1) :
Les récits d*Ossian plaisent à ton courage ; *
Des héros qu'il vanta tu rassembles les traits.
Ils aimaient les combats, et le calme, et l'orage,
£t les bardes chantant leur gloire et leurs hauts faits.
Jeune Buonaparte, brillant de renommée, .
Tu mets un terme heureui à tes heureux succès.
Le tonnerre s'éteint dans ta main désarmée.
De vingt peuples rivaux tu cimentes la paix.
Et, répandant au loin tes tranquilles bienfaits,
Dans les climats divers où ta gloire est semée,
Tu revient présenter la palme accoutumée
Aux beaux-arts rassurés, pour hâler leurs progrès.
Plus lard, et sans doute ébloui par la victoire,
Gassendi vante la dictature mililaire, et s'iucline
volontiers devant le nouveau maître de la France.
Qu'alors vienne un César choisi par la victoire,
Qui lui présente un joug tout rayonnant de gloire,
£t le peuple aussitôt Tacclame avec transport.
[h) Gai36endl Oisivetés, p. 293.
— 439 —
Gassendi était donc un partisan déterminé du
régime impérial. Il n'a que des paroles amères
pour les opposants, pour le général Moreau, pour
M™* de Staël surtout, qu'il poursuit de ses sar-
casmes.
L'inconsé(|aenie Slaêl des faveurs romantiques
Passe subitement aux rêves politiques.
Disant tout, jugeant tout, et se trompant sur tout,
Fatigue ses lecteurs et lasse ses critiques.
...Sitôt qu'à Coppet son père se retire.
Sa fougue s'exallant est changée eu fureur.
Elle seule l'éclairé; elle seule Tinspire.
Les Français à ses yeux sont un objet d'horreur.
Aussitôt que sur eux on annonce un malheur
Prêt à fondre, elle accourt, elle trame et conspire.
Sa rage a redoublé son insigne laideur;
Sa laideur ce fléau de l'amoureux délire,
Qui dévore son àme et ne touche aucun cœur. •
A ne plus intriguer ne pouvant la réduire.
Napoléon enfin la chasse de l'Empire.
Londres la vit alors dans ses murs arriver,
Et toujours de vengeance et de hain« animée.
Faire de nos malheurs l'histoire envenimée...
Tout en restant le partisan déterminé du régime
napoléonien, Gassendi n'était cependant pas sans
inquiétude sur l'avenir du pays. Il redoutait les
exagérations et l'ambition sans mesure de l'Em-
pereur Tépouvantait. Avec ses amis intimes, mais
discrètement, et sans jamais verser dans une op-
position que rien n'aurait justifiée, il aimait à
s'entretenir des affaires politiques. Un de ses
— 440 —
amis les plus dévoués fut le général Eblé, celui
qui devait s'immortaliser au passage de la Béré-
sina. On a perdu la correspondance échangée
entre les deux généraux, et celte perte est regret-
table, car ils parlaient à cœur ouvert, comme on
peut en juger par quelques lettres qui ont été
conservées par hasard et qui nous ont été com-
muniquées par la famille. Ce sont d'abord trois
lettres d'affaires adressées à Gassendi le 12 dé-
cembre 1807, le 22 et le 24 février 1808, de Mag-
debourg. Il s'agit d'une procuration pour achat
de terrains à Villars-Fontaine. Rien à signaler
dans ces lettres sauf le passage suivant (1) :
« On me tire enfin d'ici d'où les rapports que
j'aurais eu avec les nouvelles autorités n'auraient
rien eu d'agréable. » La lettre datée de Kœnigs-
berg, 24 décembre 1812, est plus importante.
Elle présente môme la valeur d'un document his-
torique, car Eblé y parle à cœur ouvert de la
situation, et ne ménage pas Texpression de ses
angoisses patriotiques :
(( Je ne suis pas mort, mon cher général et mon amîlîé
pour vous est toujours la même. Tout changera excepté
elle. Depuis le 9 de ce mois, à Vilna, on m'a chargé du
commandement de la T", commandement illusoire, car il
ne reste rien. J'en ai le cœur navré. L'Empereur payent
(1) Lettre du 22 février 1808, communiquée par M. Missercy, à
Nuits.
- 441 —
récompense des gens qui le servent bien mal. Je vous écri-
rai plus au long au premier moment. En attendant je vous
embrasse de cœur et d'âme. »
Celle lellre parvient à son adresse. Elle frappa
vivement Gassendi et Tatlrisla. Il recourut aus-
sitôt à son grand remède, et s'adressa à la Muse
pour lui demander des consolalions. Sur la lellre
même de son collègue, ii commença un pièce de
vers, donl il n'eul le temps de composer que le
débul.
Revenant de Moscou tu gémissais de voir
Des Français, sous le poids de revers lamentables,
Ne s'occupanl que d'eux, négliger leur devoir.
Ëblél d'après ton cœur, lu les jugeais coupables.
ClierÉblél d'après toi—
Regrets superflus ! Vaines récriminalions ! Les
événements se précipitèrent et nos régiments ra-
menés de Moscou à Vilna, puis de Berlin à Dresde,
bientôt sur le Rhin, s'efforcèrent de soutenir l'hon-
neur du drapeau. Gassendi crut de son devoir et
de sa dignité de rester fidèle à son posle, et en
effet, il demeura chargé des fonctions de direc-
teur de la sixième division (artillerie et génie)
pendant ces terribles années 1812 et 1813, où il
lui fallut, avec des ressources nulles et un maté-
riel hors d'usage, donnera l'Empereur les moyens
de lutter sans trop de désavantage sur les champs
— 442 —
de balaille Prussiens ou Saxons. A ce métier Gas-
sendi s'épuisa et ne tarda pas à comprendre que
le temps était passé pour lui déjouer un rôle ac-
tif. Napoléon de son côté, sentait la nécessité
de rajeunir les cadres, et de donner à des soldats
jeunes dés officiers jeunes aussi et pleins d'ardeur.
Si même il avait appliqué en grand ces principes
de stratégie morale, il aurait évité bien des trahi-
sons et surtout bien des défaillances. Il n'insista
donc plus cette fois auprès de son vieux compa-
gnon d'armes pour le retenir au service, et le 2
juin 1813 ladmit à jouir d'une solde de retraite
de 6000 francs.
En février 1812 Gassendi avait déjà été désigné
comme candidat au Sénat par le cellège électo-
ral du Var. Napoléon sanctionna cette désigna-
tion de Topinion publique, en le nommant membre
du Sénat Conservateur (3 avril 1813). C'était en
quelque sorte la récompense suprême de ses ser-
vices.
Gassendi devait encore être utile à son pays.
Lorsque les alliés envahirent la France et mena-
cèrent la capitale, l'Empereur constitua un co-
mité de défense, dont le président fut le général
comte Dejean, inspecteur général du génie. Par
décision en date du 12 janvier 1814 (1), Gassen-
di fut nommé membre de ce comité, en même
(I) Dossier Gassendi, n** 23. .
— 443 —
temps que le comte Sorbier, premier inspecteur
général de Tarlillerie, et il reçut l'invitation de
se rendre aux séances. Les membres de ce comité
étaient assurément pleins de bonnes intentions,
mais ou bien ils n'eurent pas le temps de les réa-
liser, ou bien ils eurent parfoijs de singulières
imaginations. D'après une tradition du ministère
delà guerre, tradition que nous aimons à croire
légèrement fantaisiste, mais qui pourtant n'a
jamais été contestée, un des membres de ce
Comité aurait proposé de réunir tous les pompiers
de TEmpire et de charger leurs pompes avec de
Teau de savon pour aveugler les Russes et les
Allemands. Les procès-verbaux des séances du
Comité existent encore. Peut-être retrouverait-on
l'auteur de cette proposition à tout le moins sau-
grenue.
Ce n'était certes pas avec de l'eau de savon,
ni môme avec des balles et des boulets qu'on pou-
vait arrêter les alliés. « Ils sont trop ! » disaient
nos soldats en dérfendant contre eux les hauteurs
de Paris dans la bataille suprême qui décida du
sort de la France. Que pouvaient-ils, épuisés par
vingt-cinq ans de luttes ininterrompues contre
l'Europe entière! Ils tombèrent vaillamment au
champ d'honneur et avec eux tomba celui qui si
souvent les avait conduits à la victoire.
Gassendi avait été comblé de faveurs par l'Em-
pire, mais, d'un autre côté, il avaithonorablement
— 444 —
payé sa delte à la pairie. Il pouvait donc se re-
lirer, et jouir d'un repos depuis longtemps désiré.
La Restauration ne lui en laissa pas le loisir, car
le roi Louis XVIII rendit hommage à ce loyal
serviteur du pays on l'appelant à la Chambre des
Pairs par ordonnance du 4 juin 1814, Gassendi
accepta cet honneur plutôt avec résignation
qu'avec joie, mais c'était avant tout l'homme du
devoir. Il prit donc part aux travaux de la haute
assemblée, où sa compétence rendait son concours
si utile, mais il se renferma strictement dans ses
attributions, et ne se signala ni par ses pa-
linodies vis-à-vis du nouveau pouvoir, ni par ses
compromissions avec le souverain de l'Ile d'Elbe.
Il resta le serviteur zélé et désintéresssé du
pays.
Lorsque Napoléon ressaisit le pouvoir pour
quelques mois, il tint compte à Gassendi de la
correction de son attitude, et le maintint à la
Chambre des Pairs qu'il institua par l'Acte ad-
ditionnel. Gassendi accepta cette nomination,
qu'il n'avait pas sollicitée, mais il n'eut pas le
temps de jouer un rôle dans celte assemblée, qui
fut bientôt balayée par les événements. La seconde
Restauration lui tint rigueur de cette acceptation,
et il ne fit point partie de la seconde Chambre
des Pairs instituée au retour de Louis XVIII. Le
gouvernement eut même la petitesse de lui re-
fuser la croix de Saint-Louis qu'il croyait avoir
— 445 —
méritéepapseslongsservices, et voici la lettre (1
ou plutôt la note froidement administrative que
lui adressait à ce propos, le 29 juin 1824, le ma-
réchal de camp, son sucesseur au ministère :
« L*orJonnance du 9 août 1820 relalive a Tadmission des
officiers do troupes de terre et de mer dans Tordre royal et
militaire de Saint-Louis, porte i*' que lorsque la croix de
Saint-Louis n'est pas accordée pour des actions d'éclat, olle
ne peut être donnée aux officiers de tout grade qu'après
vingt-quatre années de service comptées d*aprùs les règles
prescrites; 2^ que les services rendus dans les administra-
tions civiles ne sont pas comptés pour cetle récompense;
3** que les officiers qui seront admis a la retraite à dater de
la présente ordonnance ne seront plus susceptibles d'obtenir
la croix de Saint-Louis, lorsqu'ils n'auront pas été propo-
sés pour cetle récompense dans le courant de Tannée qui
suivra leur admission à la pension de retraite; 4^ il ne peut
être fait d'exception à cette règle qu'en faveur des officiers
émigrés qui ayant quitté les corps dont ils faisaient parlie
par suite d'un licenciement, sont admis à ajouter dix ans à »
leurs services. »
Gassendi n'avait jamais émigré. Il n'avait .
donc pas droit à cetre décoration ! Ainsi l'avait
décidé un bureaucrate inconnu, qui peut-être
soldait une vieille rancune par cedéni do justice.
Le roi et le ministère furent autrement mieux
inspirés lorsque, en 1821, en vertu de l'ordon-
nance du 21 novembre, Gassendi fut appelé à
(I) Dossier Gassendi^ n" 24. *
— 446 —
siéger de nouveau dans la Chambre des Pairs.
Decazes essayait alors d'engager la monarchie
dans les voies constilulionnelles, et il espérait
que Gassendi le soutiendrait dans celte lâche
ardue. Le rôle du général fut assez effacé dans
la Haute Chambre. Il ne prit la parole dans aucune
de ces retentissantes discussions dont Técho nous
est parvenu. C'était un homme de cabinet plutôt
que de tribune. On le consultait souvent, et on
avait recours à son expérience, surtout en ma-
tière militaire. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr,
l'auteur de la fameuse loi sur Torganisation de
l'armée, parait avoir eu pour lui une estime toute
particulière ; mais Gassendi n'était plus jeune.
Il avait beaucoup travaillé. Il avait besoin de
repos. Toutes les fois qu'il pouvait s'éloigner du
Luxembourg il retournait en toute haie, soit à
Nuits, soit à Varages. On a conservé dans cette
dernière localité le souvenir de ses visites, trop
rares au gré des habitants. Il n'y paraissait que
tous les quatre ou cinq ans, mais y passait alors
quelques mois, recevant et rendant de nom-
breuses visites, réunissant à sa table les plus ho-
norables habitants du village et les notables des
environs. Il aimait à se promener à travers les
campagnes, les poches bourrées d'amandes et de
noisettes qu'il distribuait aux enfants. Chaque
hiver il envoyait aux pauvres des vêtements,
des secours en nature, et d'abondantes charités.
— 447 —
Toutes les fois qu'on s'adressait à lui pour un
service qu'il pouvait rendre dans sa situation, il
le faisait sans se faire prier, mais à la condition
qu'on ne lui demandât rien de contraire aux
règlements. Ainsi, quand on le priait d'intervenir
dans une affaire de recrutement militaire, il s'y
refusait, mais ne négligeait pas d'envoyer une
somme d'argent qui devait aider à procurer un
remplaçant.
Gassendi avait ramassé à Varages une belle
bibliothèque qui fut dispersée après sa mort. 11
avait surtout réuni beaucoup de livres de sciences
et d'agriculture, car, sur la fin de sa vie, il s'occupa
beaucoup des questions agricoles. Il trouvait, non
sans raison d'ailleurs, que les cultivateurs Pro-
vençaux s'attachaient trop à la routine. Il aurait
voulu introduire des méthodes et même des cul-
tures nouvelles. Il avait composé divers mémoires
sur ces sujets. Les manuscrits en ont été con-
servés. Ils ont été communiqués par le pro-
priétaire actuel de Varages à M. Bérenguier,
professeur départemental d'agriculture dans les
Basses- Alpes, qui les a étudiés avec soin, et en a
donné une analyse sommaire (l\ On peut les di-
(\) Arsoux. Bulletin fie la Société scientifique et littéraire des
Basses- Alpes, i. V, 4 891 --1892. Le général Gassendi (1 748-1 8î8).
— 448 —
viser en cinq séries. 1° Notes sur le corps complet
d'agriculture. Toutes les questions agricoles y
sont passées en revue. Gassendi préconise l'usage
de la marne et de la chaux pour amender le sol.
C'était alors une nouveauté, mais il ne réussit pas
à triompher de Tentôtement des indigènes, et.
malgré l'exemple qu'il donnait en amendant ses
terres, on ne chercha pas à l'imiter. 2° Plan d'un
ouvrage. Le général avait recueilli tout un trésor
de notes, d^observations personnelles et d'expé-
riences. Il avait essayé de démontrer l'utilité do
ce qu'on pourrait appeler la mécanique agricole.
Il an rait voulu qu'on s ubstituât à Tensemencemen t
à la volée l'ensemencement par des semences ar-
tificielles, mais il ne réussit pas dans sa propa-
gande, pas plus que lorsqu'il préconisa les avan-
tages de la herse et du rouleau substitués à la
charrue locale. Il se heurtait à des habitudes
plusieurs fois séculaires, et les paysans n'es-
sayaient môme pas de comprendre l'utilité de ces
innovations. Ils restaient fidèles à leurs vieifles
pratiques et traitaient volontiers le général de
visionnaire. 3° Mémoires divers. Gassendi était
grand partisan des prairies artificielles. Il les
recommandait à un triplo point de vue, d^abord
parce que le fourrage était plus abondant, en se-
cond lieu parce que les animaux y trouvaient une
nourriture plus fortifiante, et enfin parce que
les terres s'amendaient. Il vantait surtout l'usage
— 449 —
du sainfoin. Là encore il ne réussit à récolter
que des railleries. Bien du temps encore devait
s'écouler avant que les paysans de Provence
comprissent Tulilité de ces prairies. 4^' Nouvelle
méthode. A vrai dire sur ce point tout était à re-
faire. On donnait trop d'importance à la culture
des grains, et ces grains étaient en général mal
choisis comme semences. Les sarclages étaient
insuffisants, les instruments de labour défec-
tueux. Il n'y avait presque qu'à prendre le
conlrepied de tout ce qu'on faisait. Gassendi
essaya de le dire et de le démontrer, mais il ne
rencontra que des incrédules. En agriculture les
progrès sont toujours lents, et le temps n'avait
pas encore fait son œuvre. Au moins peut-on le
considérer comme un précurseur, par exemple
quand il recommande la multiplicité des labours,
et les semis en ligne qui permettent le sarclage
et le binage.
5° La cinquième partie est relative aux expé-
riences. Le général a le grand mérite d'avouer
ingénuement ses erreurs et le mérite plus grand
encore d'essayer de les réparer en cherchant de
nouvelles combinaisons. Il ne parait pas s'être
douté de Timporlance des engrais; maison s'en
souciait alors bien peu. On laissait faire la nature.
Tout en ne le suivant pas dans la voie des ré-
formes oii il voulait les engager, les paysans de
Varages savaient gré au général de l'intérêt qu'il
32
— 450 —
portait à leurs travaux. Ils récoulaîent avec res-
pect, s'ils ne rimitaient pas. Ils ont gardé un
souvenir persistant de sa bonté, de son esprit d'i-
nitiative, et ils ont cherché à lui témoigner leur
reconnaissance. Par délibération du conseil mu-
nicipal en date du 10 août 1847, ils ont donné son
nom à la place principale du village, et érigé une
fontaine en son honneur. Depuis 1857 cette fon-
taine est surmontée d'un buste en bronze du
général, qui a été donné par sa famille. Il semble
ainsi toujours présider auxdestinées de ce village
qu'il aimait, et où son souvenir est resté popu-
laire.
Nuits, plus encore que Varages, fat son séjour
de prédilection. C'est à Nuits qu'était née son
unique enfant, Anne-Garoline-Henriette-Rénée-
Sophie ; à Nuits que cette jeune fille épousa Jo-
seph Marey, de cette illustre famille qui a donné
tant de bons serviteurs à la France. C'est à Nuits
enfin qu'il se donna tout entier à son œuvre do
prédilection, à ses Heures de Loisir, comme il in-
titule ses poésies.
Gassendi ne se contenta pas en effet d'être un
grand artilleur et un agronome distingué. La
gloire poétique le tenta; mais il nous semble
avoir eu plus de bonne volonté que d'inspiration
réelle. Au moins faut-il lui savoir gré de- ses in-
tentions. Ce ne fut jamais un poète mais plutôt
un versificateur ingénieux, parfois avec un ton
— 451 —
de préciosité qui était dans la noie de son époque.
Il a cultivé tous les genres, sauf la poésie drama-
tique. Les traductions excitèrent d'abord sa
verve. Il donna daas les Etrennes du Parnasse^
en 1778-1779 et 1780, les chants 1 1, 4 et 7 de la
Jérusalem délivrée du Tasse, et publia plus tard
quatre autres chants du même poème. Il avait à
ce propos des principes tout particuliers, et n'ai-
mait aucun de ceux qui l'avaient précédé dans
ce travail, ni Laharpe, ni surtout Baour-Lormian.
Il reprochait à ce dernier de n'avoir pas traduit,
mais d'avoir délayé, et pourtant il tomba dans
les mômes errements. « J*ai ajouté quelques vers
à l'épisode d'Olindeet deSophronie, écrit-il quel-
que part, d'après les observations de Voltaire. Je
me suis permis aussi d'étendre la description de
la ceinture d'Armide, copiéed'après celle de Vénus
dans Homère, la trouvant trop concise, et voulant
me conformer au grand principe déjà énoncé de
tout traducteur, de chercher à plaire dans sa
langue, comme le poète qu'on traduit plail dans
la sienne. » Cette méthode de traduction nous
paraîtra singulière à nous qui, dans la traduc-
tion, nous piquons aujourd'hui d'une exactitude
scrupuleuse et sacrifions les prétendues grâces
du style à la couleur locale. Ce qui nous paraîtra
tout aussi étrange ce sont les mots dont Gassendi
ne veut pas se servir « comme impropres à la
poésie épique », et il cite ces mots : escalade,
— 452 —
bravade, nièce, tenace, tanière, tombe, brode-
quins, moustache, poitrail, spadassin, langou-
reux, etc. On se demande vraiment ce qui peut
justifier cette proscription !
Malgré ces imperfections, ou plutôt malgré ces
théories qui nous semblent bien surannées, mal-
gré l'abus des épithètes et Tamour des périphrases,
on rencontre néanmoins dans les traductions de
Gassendi d'assez beaux vers de grand style el
de haute envolée. En outre son œuvre est fort
variée,- car il s'est essayé à d'autres poètes qu'au
Tasse. Il a encore traduit l'épisode d'Ugoliudans
V Enfer du Dante, Texorde des Lusiades de Ca-
moens, V Invention des jardins de Gessner, quel-
ques madrigaux de Guarini, la quatrième des nuits
d'Young, quelques élégies d'Ovide. Il y a même
joint des imitations des Heures d'une Péru-
vienne^ par M™® de Graffigny et des Incas de
Marmontel.
Nous ne citerons que pour mémoire diverses
pièces de circonstance, une épitre sur la mort
de Louis XV, une épître au comte d'Artois quand
il visita, en 1783, les places fortes de l'Est, une
autre épitre à Voltaire; ce sont là des œuvres ou
plutôt des péchés de jeunesse que Gassendi n'a
gardés dans ses Heures de Loisir que parce que,
sans doute, il y rallachail des souvenirs intimes.
Elles sont, comme d'ordinaire les morceaux de ce
genre, d'une honnête médiocrité. Nous passerons
— 453 —
ëgalement condamnation sur ce que le général
qualifiait lui-même de poésies erotiques, imita-
tions assez libres des Baisers de Jean Second, et
quelques contes assez grivois, dans le genre de
ceux de La Fontaine, la Chemise relevée, le Man-
chot, etc. Gassendi n'est réellement lui-môme et
n'a de valeur réelle que dans la poésie légère et
dans Tépigramme. Il a composé de vrais mor-
ceaux d'anthologie, gracieux et d'un ton badin,
mais spirituels plutôt qu'animés d'un véritable
souffle poétique. Voici par exemple l'épitre à Pe-
tit-Chat, chienne de M™* la baronne d'O.
Petit Chat, comme être charmant
Ta mérites bien une épUre,
Et de plus ton attachement
Pour ta maltresse est un vrai titr(3
Pour t'adresser un compliment.
...Quelle touche assez divine
Pourrait rendre dans un tableau
Ta figure et vive et lutine,
Ton œil étincelant et beau?
De ton rront Tétoile argentine.
Le brun obscur de ton manteau,
Le svelte de ta taille fine
Et Tagrément de ton museau ?
Tes oreilles, si bien placées,
Qui légèrement avancées,
Accompagnent ton air charmant.
Ta queue enfin dont tu déploies
Les longues et flottantes soies
Qui viennent caresser ton flanc?
Tu surpasses, je le confesse.
L'écureuil en vivacité.
— 454 —
Le singe dans ses tours d'adresse,
Même les chattes en finesse,
Et les chiens en fidélité.
Que sans toi ta maîtresse sortf",
C'est un éternel hurlement.
Te ferme-ton l'appartement,
Tu grattes sans cesse à la porte.
Mais retourne-t-elle? à l'instant,
Le plus vif plaisir te transporte.
Tu l'aimes bien : on l'aime autant.
Quoi ! cela te met en furie,
Petit chat, tu montres les dents.
Je me ris de ta ialousie
Et tous tes cris sont impuissants.
Il faut pourtant qu'on te console.
Calme ton esprit irrité.
Entre nous voici le traité :
De l'amitié sois le symbole ;
J'en serai la réalité.
Finesse, élégance un peu précieuse, sensibilité
légèrement factice, tels semblent être les traits
caractéristiques de cette poésie de salon ou plutôt
d'almanach des Muses.
Gassendi nous semble meilleur dans l'épi-
gramme. Il a le trait mordant, soit qu'il s'em-
porte contre un général de Napoléon, on ne sait
trop lequel,
Quel est ce marmouset blafard.
Qui joint à l'humeur rogue et fière
Un courage si débonnaire.
Et prend le pas avant César ?
Soit qu'il tourne en ridicule deux membres de
^ 455 —
rinslitut qui avaient refusé la Légion d'honneur,
Ducis et Lemercier :
C'est du Corneille anglais le pâle imitateur,
£t le dur Lemercier, dont la verve inégale
Ressuscite le goût du Welclie et du Vandale.
Gassendi excelle dans ce qu'on pourrait ap-
peler les poésies de famille, célébration de fêtes,
d'anniversaires, envois de cadeaux, etc. Il trouve
aussi le ton qui convient pour narrer une anec-
dote, par exemple ce qu'il intitule la confession
de Gaspard M. (Monge).
L'abbé Niger, grand dévot, grand casuisle,
A bien remplir les devoirs de chrétien.
Exhortait M... en un saint entretien.
M... combat. Il raisonne, il résiste.
L*abbé dévot lui réplique^ il insiste
Eu rappelant incrédule, payen.
Iconoclaste, illuminé, déiste,
Et philosophe, et matérialiste.
Sceptique obscur, ardent VoUairien.
Pour couper court à cette longue liste
M... repart : Va, je te dirai bien
Ce que je suis, mais au moins n'en dis rien.
Je suis athée et de plus Janséniste.
Comme le général s'est essayé à peu près dans
tous les genres, il a fait aussi de la poésie des-
criptive. Il a chanté la fontaine de Vaucluse et
décrit les beautés pittoresques de la Sainte-Baume,
mais sans beaucoup de naturel.
— 456 —
Au sein de la Provence, et loin de ces vergers
Oîi croissent pleins d'orgueil déodorants orangers.
D'une chaîne de rocs les masses escarpées,
D'aplomb par la nature en cent lieux recoupées,
D'un diadème horrible entourent les sommets
D'une montagne aride et peu chère à Gérés.
Nous ne parlons que pour mémoire de ses can-
tiques.à saint Pothin, le patron de Varages, et
de ses poésies provençales. En résumé, s*il n^avait
eu pour le recommander à la postérité que son
talent poétique, il serait depuis longtemps oublié.
Ses contemporains d'ailleurs paraissent ne l'avoir
goûté que médiocrement, car nous avons retrouvé
dans les réserves d'une librairie dijonnaise l'é-
dition presque tout entière de ses Heures de loisir.
Au moins le général dut-il à son commerce avec
la Muse la tranquillité de ses derniers jours, et
quand il mourut à Nuits, le 14 décembre 1828,
il s'éteignit paisiblement, entouré de ses parents
et de ses amis, et le sourire aux lèvres.
Une suprême injustice était réservée à sa mé-
moire. Son nom fut oublié parmi ceux des dé-
fenseurs de la France qui furent inscrits sur l'arc
de triomphe de l'Etoile. Etait-ce oubli ou mala-
dresse ? Etait-ce plutôt rancune persistante de
quelque bureaucrate ? On ne sait, mais Gassendi
méritait un autre traitement. Voici la belle lettre
qu'écrivit à ce sujet, le 10 janvier 1843, au mi-
— 457 —
nislre de la guerre, maréchal SouU, le gendre de
Gassendi, Marey(l) :
« Parmi les noms des ofûciers généraux dont 8*honore la
France et que la reconnaissance publique a gravés sur Tare
de triomphe de TEtoile, il en est un qui a été omis eî qu'il
me sufGra de rappeler à Votre Excellence pour obtenir
la réparation de cet oubli. C'est celui du comte de Gassendi,
pair de France, lieutenant-général des armées du roi, mort
depuis quatorze ans, chargé pendant les glorieuses cam-
pagnes de l'Empire de la direction de l'artillerie au minis-
tère de la guerre. Le souvenir des grands services qu'il a
rendus est encore présent à tous, et un de ses ouvrages est
resté jusqu'à ce jour le guide indispensable de tous les offi-
ciers de son arme. Gendre du général Gassendi dont j'ai
épousé la fille unique, je croirais manquer à un devoir
sacré si je tardais davantage à revendiquer pour un nom
associé à toutes les gloires de la France l'honneur qui lui
appartient à tant de titres de prendre place parmi ceux de
ses compagnons d'armes. Je ne doute pas que Votre Excel-
lence ne prenne en considération la réclamation que j'ai
l'honneur de lui adresser et ne donne les ordres nécessaires
pour qu'il y soit fait droit. »
La réclamalion était juste, et la lettre parvint
à son adresse caria mention ci-après a été écrite
en travers et en tôle de la lettre de Marey : « Le
nom du général Gassendi aurait dû être écrit Tun
des premiers sur Tare de triomphe de l'Etoile, et je
regrette vivement l'oubli qui en a été fait- Exa-
minez de nouveau s'il n'y aurait pas moyen de
réparer cette omission. »
(I) Dossier Gassendi, q<> Î&, pièce 1 .
— 458 —
L'examen ne fui pas favorable, ou plutôt la
routine bureaucratique remporta une nouvelle
victoire. Certes rien n'était plus facile que de
trouver une place sur cette immense page de
pierre pour y inscrire le nom glorieux de Gas-
sendi, mais il aurait fallu que quelque chef de
bureau reconnût son erreur : ce qui eût été per-
dre la France. Il est regrettable que de son côté
Soult ne soit pas directement intervenu pour im-
poser sa volonté, et faire rendre justice à son an-
cien compagnon d'armes. Voici en effet la lettre
qu'il adressa à Marey, et que, nous aimons à le
croire pour sa bonne renommée, il signa sans la
lire (1) :
Paris, 21 janvier 1843, Monsieur, vous m'avez fait l'hon-
neur de m'écrire le 10 de ce mois, dans le but d'obtenir que
le nom de M. le Lieutenant-Général, comte de Gassendi,
votre beau-père, soit inscrit sur l'arc de triomphe de l'Etoile.
La Commission que j'avais instituée, pour examiner, sous la
présidence de M. le Maréchal, duc de Reggio, toutes les ré-
clamations de la nature de la vôtre ayant depuis longtemps
terminé son travail, et la liste d'inscription ayant été close
par défaut d'espace sans que le nom de M. votre beau-père
y fût compris, je me trouve maintenant, à raison de cette
circonstance, dans l'impossibilité absolue d'accueillir votre
demande. J'éprouve d'autant plus de regrets à cet étal de
choses que les brillants états de service de M. le Lieutenant-
Général comte de Gassendi donnent à cette réclamation un
intérêt tout particulier. »
(I) Dossier Gassendi, n^ 25, pièce 2.
— 459 —
Inscrit ou non sur Tare de triomphe de l'Etoile,
lo nom de Gassendi, espérons-le, ne sera pas ou-
blié par tous ceux qui s'intéressent à Thisloire de
leur pays, et savent rendre à ses serviteurs la
justice que parfois refusent les contemporains.
Paul Gaffarel.
LE CODE HAMMOURABI
LE GODE HAMMOURABI
On sait quels trésors d*art, d'archéologie et
d'hisloire a livrés Tancienne capitale de la mo-
narchie perse, Suse, si bien fouillée par M, et
M°^* Dieulafoy, puis par M. Morgan ; c'est là une
conquête toute française et comme produits de la
civilisation archéménide, les plus riches musées
européens réunis ne pourraient rien montrer de
comparable à cette frise en briques émai liées
qui fait revivre au Louvre les archers mèdes
vaincus par les Hellènes à Marathon, à Platées,
à Issus et à A rbelles. Ajoutons que la mise au jour
des ruines ensevelies de ce que fut T Acropole de
Suse, a permis aux explorateurs de constater
l'exactitude parfaite du cadre où se passent les
événements du Livre d'Esther. Pendant long-
temps les exégètes avaient fait assez bon marché
de celui-ci au point de vue de la couleur locale ;
eh bien, tout au contraire, d'après M. Dieulafoy,
V Acropole de Suse^ ch. xiii. p. 359, et M"® Jane
Dieulafoy — A propos d^une ville détruite — Re-
vue Blette, 4° série, tome XIII, 9 août 1902,
le récit, la Meghillah d'Esther, présente un ta-
— 464 —
bleau parfaitement exact delà cour des Grands
Rois, telle qu'on la peut restituer d'après les
preuves formelles fournies par le sol.
Mon objet, d'ailleurs, n'est pas de traiter ici cet
épisode dont la poésie et l'art ont si souvent tiré
parti, mais puisque j'en ai dit un mot, je rappel-
lerai que l'histoire de la juive Hadassah (Myrlhe),
qui, selon l'usage immémorial de TOrient, recevra,
en témoignage de la faveur royale, le nom d'Es-
ther ou Etoile, se doit placer au retour de la se-
conde guerre médique. Ainsi l'Assuerus de la
Bible est Xerxès ; la démonstration faite depuis
longtemps déjà par M. Oppert ne rencontre plus
aujourd'hui de contradicteurs. Et puisque le
nom du vaincu de Salamine se rencontre sous ma
plume, je dirai que Xerxès ne rentra certai-
nement pas à Suse dans l'état de désarroi éperdu
et ridicule que nous montre Eschyle dans sa tra-
gédie des Perses^ revanche poétique d'Athènes
et de la Grèce, et vraie comme une pièce de cir-
constance. Des mois s'étaient écoulés depuis la
grande défaite du 19 octobre 480 avant Jésus-
Christ, et dans la lente traversée de son empire
Xerxès eut le temps d oublier ses revers ; n'avail-
il pas pris et brûlé Athènes, la ville coupable ?
n'en rapportait-il pas comme trophées de vic-
toire les images des Dieux et les statues d'Har-
modius et d'Aristogiton ? Son voyage se trans-
forma bientôt en un long triomphe et c'est en
— 465 -r
vainqueur, en invincible qu'il rentra dans son
harem de Suse.
Mais Xerxès est presqu'un personnage mo-
derne si nous le rapprochons du souverain à
qui est dû le monument dont je vais entretenir
l{ji Société bourguignonne de géographie et
d'histoire. Il s'agit, en effet, d'un roi contem-
porain d'Abraham, c'est-à-dire ayant vécu plus
de 2000 ans avant l'ère chrétienne, en vérité ce
passé lointain est presque aussi imprécis que celui
des périodes géologiques ; il se nommait Ham-
mourabi, que plusieurs, enlreautresleD'Johannes
Jérémias, dont je vais avoir à parler, identifient
volontiers avec le Amraphel cité comme un roi
de Sennaar dans la Genèse, ch. xiv, verset 1.
Plusieurs inscriptions babyloniennes déjà déchif-
frées montrent en lui un prince prudent et sage
qui réunit dans un grand empire le nord elle sud
de la Babylonie, c'est-à-dire le bassin entier de
TEuphrate et du Tigre. Il avait promulgué un
code de lois civiles et pénales dont le texte ori-
ginal et officiel gravé sur une stèle était con-
servé dans la ville sainte de Sippar, aujourd'hui
Abou-Hadda. Mais à la suite d'une invasion vic-
torieuse des Elamites ou Perses, probablement
celle qui amena la conquête de la Babylonie
par Cyrus, 538 avant Jésus-Christ, la pierre
fut transportée comme un trophée de guerre à
Suse, où vient de la retrouver la mission Morgan.
33
— 466 —
Cette stèle présente sar deux colonnes el en
182 articles gravés en caractères cunéifonnes, le
texte du code promulgué par Hammourabî ; dans
la partie supérieure, un bas-relief de ce travail
à la fois vrai et stylisé que nous ont rendu fa-
milier les morceaux exhumés de Ninive, montre
le roi debout et recevant ses lois du dieu Samas
assis. C'est là sans aucun doute une des plus an-
ciennes sculptures dues à l'art non égyptien.
Elle est reproduite par les procédés rigoureux
dérivés de la photographie dans V Illustration al-
lemandey lllustrirte Zeitung^ n° du 26 fé-
vrier 1903, p. 311, pour accompagner un article
signé D^ Johannes Jeremias, intitulé : Der ha-
hylonische MoseSj le Moïse babylonien.
J'ai le regret de constater que pas un journal
illustré français n'a encore révélé au grand
public, par la plume, le crayon ou la photo-
graphie, le documentde premier ordre découvert
parla science française. Seules des revues scien-
tifiques l'ont signalé à Tattention des érudits et
au point de vue de la vulgarisation, ce n'est pas
assez ; ainsi c'est à une publication étrangère
el en langue étrangère, qu'il a fallu demander le
premier renseignement populaire sur un fait tout
à l'honneur de la France. Et si je suis en mesure
d'en parler aujourd'hui, je le dois à M. Alexandre
Ribot, professeur honoraire de mathématiques
spéciales au lycée Carnet, qui, après m'avoir in-
— 467 —
diqué Tarticle de VlUustrirte Zeitung, a bien,
voulu m'en donner une traduction ; je le résume
ici en le complétant par quelques références à
des sources françaises et étrangères.
La découverte a eu, en effet, un grand reten-
tissement dans le monde européen de l'érudition.
Le P. Scheil a publié et traduit le code Hammou-
rabi dans les Mémoires de la Délégation en Perse ^
t. IV, Textes élamites-sémitiques. M. Dareste
l'a commenté avec sa science ordinaire dans le
Journal des Sat^an/^, octobre-novembre 1902;
enfin le R. P. Lagrange Ta étudié dans la Revue
biblique internationale y nP de janvier 1903. A
l'étranger, outre Tarticle du D'^ Johannes Jere-
mias, M. Hugo Winckler Ta traduit en alle-
mand dans la revue Vieil Orient. Die Gesetze
Hammurabis Konigs von Babylon um 2250
V. Cfir. Das aelteste Gesetzbuch der Welty Leip-
zig, Heinrichs. On voit que M. Winckler vieillit
plutôt le code babylonien ; mais quoiqu'il en soit
des incertitudes de la chronologie, il est incon-
testablement antérieur à Moïse de plusieurs cen-
taines d'années. Aussi Fauteur allemand consi-
dère-t-il la législation de Hammourabi comme
le texte le plus ancien que nous connaissions
jusqu'aujourd'hui en ce genre, et ajoute que c'est
un des monuments les plus importants pour l'his-
toire de la plus lointaine humanité historique.
Cette opinion est aussi celle de M. Salomon Rei-
- 468 —
nach, Revue archéologique, IV série, 1. 1, p. 30îî :
« Les analogies avec la législation mosaïque sont
frappantes, d'autres rapprochements avec les lois
de Manou, celles de Gortyne, etc., ont été signa-
lés par M. Daresle. On peut prédire que toute
une littérature se développera autour de cette
trouvaille qui à elle seule suffirait à la gloire de
notre mission archéologique en Perse. »
Le D^ Johannes Jeremias constate lui aussi ces
analogies avec la loi mosaïque, notamment avec
le groupe de celles qui ont été rassemblées dans
VExodey ch. xxi et suivants. Ainsi la loi du ta-
lion, qui est formulée dans les versets 24 et 25,
se retrouve presque mot pour mot dans le texte
babylonien : « Si quelqu'un arrache un œil à
son prochain, on doit en punition lui arracher
un œil. Si quelqu'un brise un os à quelqu'un,
on doit aussi lui rompre un os; si quelqu'un a
brisé une dent, on doit lui en casser une. » N'est-
ce pas exactement V « œil pour œil, dent pour
« dent, main pour main, pied pour pied », du
verset 24 ?
Mais il y a autre chose dans le code Hammou-
rabi que la consécration du principe sauvage et
primitif du talion, si justement reproché à Moïse.
Tous ceux qui ont étudié le documeift découvert
ont admiré, le mot n'est pas trop fort, la profon-
deur et la justesse des idées, l'accord entre les
principes généraux et les dispositions parlicu-
— 469 ^
lières qui en découlent logiquement, la concision,
enfin, et la netteté du style. Dans sa rédaction
concentrée, ce code embrasse vraiment le domaine
entier de Tactivité humaine, le commerce, les
échanges, le droit privé et le droit pénal; on y
rencontre, formulées au nom de la divinité, les
plus terribles menaces conire les criminels de
toute sorte, les voleurs, les calomniateurs; puis
ce sont des articles relatifs aux champs, aux fer-
mages, aux habitations, au louage, aux forêts, à
la navigation très intensive à cette époque sur
les deux grands fleuves asiatiques et les canaux
créés par les mains de l'homme qui sillonnaient
en tous sens une plaine aussi féconde que le delta
du Nil. Enfin, voici des dispositions relatives
au droit des vierges, des filles, des femmes, môme
des esclaves. Nous avons donc là révocation en-
tière, vivante, d'une société active, très civilisée,
très complexe dans son organisation et vieille de
plus de quatre mille ans. Il est bien évident
qu'une législation aussi parfaite n'est pas Tœuvre
d'un seul homme ni môme d'une seule période,
mais l'addition d'un grand nombre de faits accu-
mulés et de conquêtes lentement faites sur le ter-
rain du droit. Le conseil d'Etat de Hammourabi
no fit donc que codifier ce qui existait à l'état
d'usages, en l'améliorant sans aucun doute par
l'efTet des deux grands facteurs qui agissent sur
les choses humaines, la raison et l'expérience,
~ 470 —
en y meltant aussi le sceau de l'unité et de
l'harmonie. Pour rendre enfin son œuvre plus
respectable, le roi lui donna une origine sacrée.
Ceux qui ont étudié le code Hammourabi en
ses détails constatent que dans leurs principes,
ces lois édictées par un souverain régnant à Ba-
bylone au temps du premier des patriarches
bibliques, présententdesingulières analogiesavec
les nôtres. Ne nous en étonnons pas. Un peuple
qui avait exécuté dans le bassin de TEuphrale
et du Tigre les immenses travaux d'architecture,
d'irrigation et d'agriculture qui y ont subsisté
pendant une longue suite de siècles, était arrivé
nécessairement à un niveau supérieur de civili-
sation générale et dont l'expression la plus haute,
la plus sensible fut un art achevé qui égale celui
de TEgypte. Or, Tétat de société comporte des
contacts, des rapports nécessaires des hommes
entre eux et avec les choses, qui peuvent bien
varier sur certains points d'application, surtout
à raison des modalités du travail, mais n'en de-
meurent pas moins sensiblement identiques dans
le cours des siècles, parce qu'ils reposent sur les
conditions mômes où s'exercent les facultés de
l'homme. C'est pour cela que dans l'espace et la
durée se reproduiront sans cesse et partout des
faits aussi semblables que Test la constitution
physique et morale de l'homme.
Maintenant quelle part faut-il faire à la filia-
- 471 —
lion des idées ? Quelle autre à cette loi de paral-
lélisme, qui, dans les milieux les plus divers,
fait éclore des phénomènes sociaux de même
ordre et de même présentation historique ? Ce
sont là de ces questions sur lesquelles on aura
sans doute le plaisir de discuter longtemps^ si ce
n'est toujours. On a appelé le droit romain, le
« droit humain »; n'en concluons pas pour cela
qu'il fut une création spontanée, proies sine
maire creata, du génie pratique et fort peu
idéaliste de Tancienne Rome. Derrière celle-ci,
nous apercevions déjà Athènes et la philosophie
grecque, et plus loin soupçonnions la vieille
Egypte et la Phénicie. Mais voici que dans le re-
cul infini de l'espace et du temps, apparaît, au-
jourd'hui reconnaissable dans ses contours précis,
cette abstraction éternelle qui est le droit d'hier,
celui d'aujourd'hui, celui de toujours, attestant
ainsi qu'il n'y a pas plus deux droits qu'il n'y a
deux morales et deux justices.
Henri Chabeuf.
Mai 1903.
TABLE DES MATIÈRES
Lîsle des Membres de la Sociélé v
Actes de la Sociélé. Extraits des procès- verbaux . xxxii
Promenades valaisanes (1902), par M. le vicomte
A. d*Avout 1
Notes sur le sud et l'extrême Sud Oranais, par
M. Ladey de Saint-Germain 39
Promenades dans Florence, par M. Rosen thaï . . 79
Histoire de ce qui s'est passé, au mois de novembre
1674, en lacuredeMailly-rEglise, touchant Tappa-
rition d'un esprit, dressée par moi Edme-£douard
Sain, maître d école dudit lieu, par Tordre du
révérend père Legrand, de la compagnie de Jésus. 121
Le climat de Dijon ^ Observations météorologiques, .
par M. Charles Mocquery 133
Deux semaines en Espagne, par M. Honoré Gascon. 177
Les Beaujeu de Franche- Go m lé, dans le duché de
Bourgogne, TAuxerrois, le Tonnerrois, la Cham-
pagne, etc., par M. le docteur J. Berlin. . . . 2il
Le général de Gassendi, par M. Paul Gafifarel . . 385
Le Code Hammourabi, par M. Henri Chabeuf . . 461
DIJON, IMPRIMBRIB DABANTIERB
4>
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DATEDUE r
STANFORD UNIVERSITY LIBRARIES
STANFORD, CAUFORNIA 94305