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Full text of "Mémoires de l'Institut national de France"

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MEMOIRES 

DE 

L'INSTITUT    ROYAL 

DE    FRANCE, 

ACADÉMIE 

DES    INSCRIPTIONS   ET  BELLES-LETTRES. 


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MÉMOIRES 


DE 


L'INSTITUT  ROYAL 

DE    FRANCE, 

ACADÉMIE 

DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES. 


TOME  SIXIEME. 


DE    L'IMPRIMERIE     ROYALE. 

A     PARIS, 

Chez  "FiRMiN  DiDOT,  Libraire,  Imprimeur  de  l'Institut, 
rue  Jacob,  n.°  24. 

1822. 


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TABLE  DES  MÉMOIRES 

Contenus  dans  le  Tome  VI. 


yVlÉMOIRE  sur  l'Optique  de  Ptoléméc,  et  sur  le  projet 
de  faire  imprimer  cet  ouvrasse  d après  les  deux  ma- 
nuscrits qui  existent  à  la  Bibliothèque  du  Roi.  Par 
M.    Caussin Paiie         i. 

Recherches  sur  le  principe,  les  hases  et  l'évaluation  des 
diffi'rens  systèmes  métriques  linéaires  de  l'antiquité. 
Par  M.  GossEi.i.iN 44. 

Appendice  au  Mémoire  précédent \6o. 

Mémoire  sur  la  population  de  l'Attiqae  pendant  l'in- 
tervalle de  temps  compris  entre  le  commencement  de 
la  guerre  du  Péloponnèse  et  la  bataille  de  Chéronée. 
Par  M.  Letronne k^j. 

Eclaircissemens  sur  les  fonctions  des  magistrats  appelés 
Mnémons,  Hiéromnémons,  Promnémons,  et  sur 
la  composition  de  l'assemblée  amphictyoniquc.  Par 
le  même 221. 

Mémoire  sur  cette  question  :  Les  anciens  ont-ifs  exé- 
cuté une  mesure  Je  la  terre  postérieurement  à 
l'établissement  de  l'école  d'Alexandrie?  Par  le 
même 2(ji. 


^,  lABLL. 

Aîemoire  sur  les  origines  des  plus  iincieniies  villes  de 
l'Espiigne.  Par  M.  L,  Petit-Radel.  .  .  .".  .Pag.   324- 

Aîemoire  sur  la  situation  des  Raiidii  Gain  pi ,  on  Alarius 
défit  les  Cinibres ,  et  sur  la  route  suivie  par  ces  peuples 
pour  se  rendre  en  Italie.    Par  M.  Walckenaer.  .    361. 

iVfe'moire  sur  les  c/ian^emens  (jui  se  sont  opérés  dans  le 
cours  de  la  Loire  entre  Tours  et  Angers ,  et  sur  la 
position  du  lieu  nommé  Murus  dans  les  actes  de  la 
vie  de  S.  Florent.  Par  ie  mcme 373. 

Mémoires  sur  les  relations  politirjues  des  princes  chré- 
tiens .  et  particulièrement  des  rois  de  France ,  avec 
les  empereurs  Mongols.  Par  M.  Abel-Rémusat.  .    396. 

Premier  Mémoire.  Raj^ports  dts  princes  c In i  tiens 
avec  le  grand  cnyire  des  Afun^uls,  depuis  sa  fonda- 
tion sous  Tchinggis-khan,  jusqu'à  sa  division  sous 
Khoubildt 19^- 

Mémoire  sur  une  correspondance  inédite  de  Tamerlau 
avec  Charles  VI.  Par  Al.  le  baron  Silvestre 
DE  Sacy 470- 

Mémoire  sur  les    médailles    de  Afarinus  frappées   e\ 

Philippopoln.    Par  M.  TÔCHON  d'.Annec? 523. 

Notice  sur  une  nicd,iillc  de  l'empereur  Jotapianus.  Par 

le   mcme 552. 

Exiimen  crititjue  des  historiens  tjui  ont  parlé  du  différent 
survenu  .  l'an  11  ^1 ,  entre  le  roi  Louis-le- Jeune  et 
le  pape  Innocent   II.    Par  M.  Brial 560. 

Mémoire  sur  le  procci  de  Guichard ,  évcijue  de  Troycs, 


TABLE.  vi} 

en   ijo^  et  années  suivantes.    Par   M.    le  comte 
BoissY  d'Anglas 603. 

Essai  historique  et  statistique  sur  les  accroissemens  et 
les  pertes  qu'a  successivement  éprouves  la  maison 
d Autriche,  depuis  l'avènement  de  Rodolphe  de 
Habsbourg^  l'empire,  jusques  et  y  compris  les  traités 
<yePresbourgf//Aiisterlitz.  Par  M.  Mentelle.    620. 


FIN    DE    LA    TACI.E. 


MEMOIRES 


MEMOIRES 

DE 

L'INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE, 

ACADÉMIE 
DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES. 

M  É  M  O  I  RE 

SUR 

L'OPTIQUE    DE    PTOLÉMÉE, 

Et  sur  le  Projet  de  faire  imprimer  cet  Ouvrage  d'après 
les  deux  Manuscrits  qui  existent  à  la  Bibliothèque 
du  Roi. 

Par  m.  CAUSSIN. 

U  N  ouvrage  ancien  et  intéressant ,  portant  un  nom  ce-     Lu  le  18  Sep. 
lèbre,  cité  à  différentes  époques  et  pendant  plus  de  douze   "^"^'"^  '*''"• 
siècles  par  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  l'objet  dont 
il  traite  ,  oublié  tout-à-coup,  et  regardé  long-temps  comme 
perdu,  retrouvé  enfin  depuis  quelques  années,  est  im  phé- 

TOME  VI.  ,  A 


2  MF.MOIRLS  DE  LACADF..MIE 

noniciie  iittcraire  dont  les  circonstances  m'ont   paru   nic- 
riter  d "être  recherchées  avec  exactitude  et  dtveloppces  avec 
une  certaine  ctendue.  Je  veux  parler  de  {Optiijiie  <\ii  Ptoic- 
mce.  Les  auteurs  les  plus  anciens  dans  lesquels  cet  ouvrage 
'r.'re.Bi^i.^:i.   cst  cîtc,  scHt  Hcliodore  de  Larisse  et  Simplicius*.  Hclio- 
'T'   '  '   dore,  dont  on  ignore  l'âge  '',  mais  qui  doit  avoir  vccu  dans 
*'jj.ifu.t.i[,   les  premiers  siècles  de  l'ère  vulgaire,  et  long-temps  après 
i^  ■'9^-  ribère*^,  dit,  dans  l'ouvrage  intitule  KÊipaLAxix  t^^'OttIi- 

trn.  »7. /..-yy.  x,n4,  que  Ptoicmce,  dans  son  1  riiite  doptn/iie  [c/v  m  o-vrcv 
ôvrwxfî  '^sfA.ffJLBLTiicL]  ,  Il  dcmontrc,  au  moyen  d'un  instru- 
ment [efj'  ôpyciyv  ]  .  que  la  vue  se  porte  en  ligne  droite. 
Siniplicius,  qui  vivoit  dans  le  M.'  siècle  (vers  5  50  de  l'ère 
vulgaire),  cite,  dans  le  premier  livre  de  son  Commentaire 
fMc.   nu.  sur   l'ouvrage   d'Aristote  intitule  J^   Qilo ,  l'Opticjue  de 

liim.   f'JU.ntg.     n      ,  ,       ,  ,  ,  , 

6.V.  rtoicmce,  et  uu   autre  ouvrage  du   mcme  auteur  sur  les 

l'fohe,    tfi'..  Voilà  tout  ce  que  les  auteurs  anciens  nous    fournissent 

ll-f.ll.'.     Jol.j  _  * 

ffr.e.  iiftt  r.-.     sur  l'Optique  de  Ptoicmce. 

Parmi  les  modernes  (|ui  ont  écrit  sur  celie  science,  le 

premier  qui  paroisse  avoir  connu  l'ouvrage  de  Ptolémée, 

invia.   ,.>   est  Vitellon.  Q.uoique  cet  auteur,  (jui  vivoit  en  1252,  ne 

"""  *"*•  '■  cite  pas  Ptolémée,  il  est  évident  qu'il  en  a  fait  usage,  ainsi 
que  d'Euclide  et  d'Alhazen,  qu'il  ne  cite  pas  davantage. 
On  a  quelquefois  fait  un  reproche  de  ce  silence  à  Vitellon; 
mais  il  faut  remarquer  que,  s'il  ne  nomme  pas  les  auteurs 
que  je  viens  de  citer  ,  il  indique  d'une  manière  générale 
les  anciens  et  en  particulier  les  Grecs  et  les  Arabes  qui  ont 
(îcrit  sur  ropti<jue ,  et  il  fait  la  rriti(jue  des  uns  et  des  autres. 
C'est  dans  la  préface  adressée  à  Guillaume  de  Morbeca, 
pénitencier  du  pape,  (|ue  se  trouve  ce  passage,  au(juel  on 


jif. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  3 

n'a  pas  fait  assez  d'attention  :  Lihros  iuujue  veteritm  tihi  super 
hoc  negotio  per^uirenti  occurrit  Uedium  verhositûîis  Arabica, 
iwplicûtioiiis  Graca ,  paucitas  (]iiO(jiie  exarationis  Latiiia  .  .  . 
La  critique  que  Vitellon  fait  ici  des  auteurs  Arabes  et  Grecs 
dcisigne  assez  clairement  Alhazen  et  Ptolcmce  ;  car  on 
peut,  à  juste  titre,  reprocher  au  premier  sa  prolixité,  et 
au  second  son  obscurité  (i). 


(  I  )  Dansun  Mémoire  %\.\x l'Optique 
de  Ptolémée  comparée  à  celle  qui  porte 
le  nom  d'Euclitle,  et .;  celles  cT Alha- 
zen et  de  Vitellon,  mémoire  dont  je 
parlerai  bientôt,. on  dit  que  Vitetlon, 
a  après  avoir  assuré  qu'il  n'avoit  eu 
»  aucune  coniioissancedu  livre  d'Al- 
»hazen,  avoit  enfin  cédé  au  cri  de 
»  sa  conscience  ,  et  s'étoit  reconnu 
vfîisciple  de  l'auteur  Arabe.  ■>■>  Le 
passage  de  Vitellon  que  j'ai  rapporté, 
sur  les  auteurs  Grecs  et  Arabes  qui 
avoient  traité  avant  lui  de  l'optique, 
prouve  peut-être  qu'il  n'a  pas  rendu 
à  ces  auteurs,  et  à  Alhazen  en  par- 
tîculrer,  toute  la  justice  qu'il  leur 
Sevoit  :  mais  autre  chose  est  de  dis- 
simuler les  obligations  qu'on  peut 
avoir  à  un  auteur  ,  ou  d'a\ancer 
(fu'on  n'a  aucune  connoissance  du 
livre^  de  cet  auteur. 

J'ai  recherciié  sur  quel  fondement 
pouvoit  être  appu\ée  cette  dénéga- 
tion formelle  prêtée  à  Vitellon  par 
l'auteur  du  Mémoire  dont  je  parle. 
Voici  l'origine  de  cette  accusation. 
Risner,  éditeur  de  l'Optique  d'Alha- 
zen  et  de  celle  de  Vitellon  ,  après 
avoir  mis ,  comme  il  étoit  naturel,  à 
la  têtede3on  recueil  intitulé  Thésau- 
rus vpiicœ ,  l'ouvrage  d'Alhazen,  et 


l'avoir  offert  à  la  reine  Catherine  de 
Médicis,  fait  suivre  cet  ouvrage  de  ce- 
lui de  Vitelhm,  dont  il  fait  également 
hommage  à  la  même  reine.  Cette 
circonstance  a  donné  à  Risner  l'idée 
d'une  espèce  de  tiction  dramatique, 
d'après  laquelle  il  représente  dans  sa 
dédicace  Vitellon  venant  modeste- 
ment à  la  suite  d'Alhazen  ,  et  offrant 
son  ouvrage  à  Catherine.  Vitellon, 
cette  fois,  ne  fait  pas  diiîicuhé  de 
suivre  Alhazen  et  de  marcher  sur  ses 
traces.  Cette  idée,  développée  d'une 


d'un  style  ampoulé,  selon  l'usage  des 
dédicaces ,  a  suggéré  à  Risner  lei 
phrases  suivantes,  adressées  à  Cathe- 
rine : 

Allia zenus  opticas  suas  ope;,  Regina 
illustrissima,  ni  s  tri  s  lal.'oribus  vigiliis- 
que  expUcatas,  tihi  nuncupavit,  Vitello 
Alhazenum  dacem ,  quamvis  aiitea 
sibi  pro  ignoio  tacitoque  prœteritum , 
attamen  veluti  conscientiâ  prœeuntis 
in  eo  virtritis  pcrrnotus ,  consfquitur , 
seque  Alluf^eni  discipulum  esse  confi- 
tetiir.  Etenini ,  ciim  Opticorum  longé 
maximum  nobilissiniamque  partem  , 
quam  ex  Alha'^eno  desuinpsisset ,  tibi 
devotam  dicataiiique  cerneret ,  quâ 
tandem  coloris  specie  purpuram  eam- 
Aij 


i€ini.  mmh 
"e. 

Fehif.  Di.-liùih 
mrj  tt  itf.  Litiii 
Il/Il.  Il',  p.  îjy. 


4  MÉMOICES   Dn  L- ACADEMIE 

Un  auteur  contemporain  de  Vitcllon,  et  c|ui  a  ccrif, 
comme  lui,  surl'optitjue,  nous  lournitia  preuve  qu'AIIiazen 
et  Ptoicmc'e  ctoient  alors  bien  connus.  Roger  Bacon,  moine 
Anglais,  de  i'orJre  de  Saint-François,  qui  mourut  en  i  2S.J, 
cite  en  plusieurs  endroits  ces  àtxxx  auteurs,  et  nous  a  con- 
•i'  serve  deux  traits  remarquables  de  l'Optique  de  Ptoicmce, 
doni  j'aurai  occasion  de  parler  bientôt. 

Regiomontanus  ,  vers  le  milieu  du  xv.*'  siècle,  avoit 
revu  l'Optique  de  Ptoicmce,  et  se  proposoitde  la  publier 
WtiJUr,  Hitt.  avec  le  traite  sur  la  musique  du  même  auteur. 

eitrvrt.  p.  }il.  _  _  _      ' 

Frcdûic  Risner  ,  éditeur  de  l'ouvrage  intitule  Opticx 
hfri.  Da,ic,  Thesiiurus ,  cov\noisso\i  aussi  l'Optiiiue  de  Ptolémce:  car, 
en  parlant  de  l'ouvrage  d'Alhaz^en,  il  dit  que  cet  auteur 
paroît  devoir  peu  de  chose  aux  écrivains  Grecs  qui  ont 
traité  de  l'optique  ,  et  il  cite  aussitôt  Euclide  et  Ptolémée. 
Je  vais  rapporter  ici  le  passage  en  entier  de  Risner ,  pour 
faire  voir  que  l'Optique  de  Ptolémée  étoit  encore  connue 
des  savans  en  1572,  époque  à  laquelle  parut  l'ouvrage 
intitulé  Opt'u/t  Tlu'Siiurus  :  Diligcntiiun  sdiic  et  doctiiiuini 
hi  Arabe  linmiiie  mirûbilem  dcprchciidi ,  nec  âdiuodum ,  quoâ 
aiùmadvertcre  poiuerim ,  à  veter'ihus  Gr<tà(t  opticis  ndjutam. 
Praffal.iy.'  EucUdcum  /ilc  vei  Ptolcnitûcum  iiihil  ferè  est.  Le  même 
Risner,  dans  sa  préface  à  la  tête  de  l'ouvrage  de  Vitellon, 
cite  encore  Ptolémée,  Euclide  et  Alhazen,  comme  étant. 


titm   aiit  ijiio  aëris  situ  perw.utatam 
al'iis  pro  sua  vindharet!   ■ 

C'c5(  ici,  je  crois,  que  l'-liifcur  du 
Mémoire  a  piiin-  le  reproche  qu'il 
fiit  i  Vitellon  ,  en  disant  qtic  cet 
auteur  a  cidi  tiu  cri  de  sa  conscience, 
^u  il  s'est  reconnu  disciple  de  l'auteur 


Arahe  ;  ce  snvant  a  pris  trop  à  la 
lettre  les  expressions  qu'on  vient 
fl'cntendre,  qui  ne  sont  qu'une  suite 
de  la  fiction  de  Risner  :  Attiimcn 
vcluti  conscientià  pr.reuntis  in  ro  vir- 
tuiis  permotus  ,  consfquiiur,  setjiif  .41- 
lia^cni  discipulum  esse  confiietur 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  LETTRES.  5 

<Ie  tous  les  auteurs  qui  ont  ccrit  sur  l'optique,  ceux  dont 
Vitellon  a  le  plus  profité.  "^ 

Risner  paroît  être  le  dernier  des  auteurs  modernes  qui 
aient  connu  l'Optique  de  Ptolcmée.  Le  célèbre  Kepler,  au- 
teur de  plusieurs  ouvrages  sur  la  même  matière ,  qui  pa-       iWaliyemfmi 

'  ^  .  ad     VitelLnem  ; 

rurent  sur  la 'fin  du  xvj.^  siècle  et  au  commencement  fj„sAtmOftkuet 
du  xvii.S  ne  parle  pas  de  l'Optique  de  Ptolémée.Cet  ou-  ^'''^"■'"'• 
vrage  n'étoit  cependant  pas  encore  entièrement  tombé 
dans  l'oubli.  Un  professeur  au  Collège  de  France  ,  nommé 
Saint -Clair,  citoit  encore,  en  1608,  Ptolcmée  dans  les 
leçons  sur  l'optique  qu'il  dictoit  à  ses  élèves  ;  j'en  trouve 
'a  preuve  dans  un  manuscrit  Latin  de  la  Bibliothèque 
royale,  n."  7377.  qui  renferme  les  leçons  de  ce  profes- 
seur, recueillies  par  un  de  ses  auditeurs.  Bientôt  après, 
l'ouvrage  de  Ptolémée,  n'étant  pas  imprimé,  fut  regardé 
comme  perdu,  et  proclamé  tel  par  les  bibliographes. 

Cette  erreur  dut  sur-tout  se  répandre  et  se  fortifier  lors- 
qu'elle eut  été  adoptée  par  Fabricius,  auteur  en  général 
assez  exact ,  et  qui  sert  de  guide  à  ceux  qui  n'ont  pas  le 
temps  de  faire  eux-mêmes  des  recherches  sur  la  bibliogra- 
phie. De  l'ouvrage  de  Fabricius,  cette  erreur  a  passé  dans 
['Histoire  des  nuithémati^jues  de  Montucla  (  i  .''''édit.  ),  et  <îe  • 
là  dans  les  ouvrages  de  MM.  Bailiy  et  de  Lalahde.  Telle 
ctoit  enfin  l'opinion  générale,  lorsque  j'eus  le  bonheur 
de  retrouver  une  traduction  Latine  de  l'Optique  de  Pto- 
lémée parmi  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  royale.  La 
chose,  il  est  vrai,  n'étoit  pas  difficile,  puisqu'il  ne  s'agis- 
soitque  de  parcourir  le  Catalogue  imprimé  des  manuscrits 
Latins  de  celte  bibliothèque,  dans  lequel  l'Optique  de  Pto- 
lcmée est  annoncée  sous  le  n."  73  10  ;  mais  enfin  l'ouvrage 


Nul.  .'t     T W. 

».'  idit.  ttix.l , 


6  MÉMOIRES   UL  LACADl.MiF. 

avoit  t'chappc  long-temps  à  tous  les  yeux.  Son  titre  frappa 
heureusement  les  miens,  et  je  dus  m'npplaudir  tle  pouvoir 
annoncer  aux  savans  l'existence  d'un  traite  dont  ils  regret- 
toient  la  perte.  J'en  parlai  dans  le  temps  à  plusieurs  per- 
sonnes,  particulièrement  à  notre  illustre  confrère  Al.  de 
Lalande,  que  cette  nouvelle  ne  ponvoit  mantjuer  il'intc- 
resser(i):  il  l'apprit  avec  plaisir,  et  ne  tarda  pas  à  me 
demander  la  copie  de  deux  passages  qui  intcressoient 
l'astronomie  ;  passages  que  Roger  Bacon  avoit  dcjà  tait 
connoître  ,  et  qui  sont  rclatils  à  la  rctraciion  asironc- 
mique  ,  et  à  la  grandeur  apparente  des  astres  prcs  de 
l'horizon. 

Vers  ce  temps-la  parut  la  secomle  édition  de  {'Histoire' 
des  miithénuitifjues.  L'auteur,  ayant  fait  de  nouvelles  re- 
cherches surrOptit|ue  de  Ptolémce,  indique  un  manuscrit 
de  cet  ouvrage  (jui  se  trouve  parmi  ceux  de  la  bibliothccjue 
Bodievenne à  Oxford.  Mais,  n'ayant  point  vu  ce  manuscrit. 
et  craignant  apparemment  de  se  laisser  tromper  par  un  faux 
titre,  comme  cela  est  souvent  arrive,  l'auteur  ne  parle 
encore  de  l'Optique  de  Ptoicmce  que  d'une  manicre  dou- 
teuse,  et  comme  d'un  ouvrage  dont  l'existcnte  n'e-^t  pas 
bien  certaine.  Apres  avoir  rapporte,  d'aprè^Rcgcr  bacon, 
les  deux  traits  de  l'Optitiue  de  Ptoicmce  dont  j'ai  dcjà 
parle,  il  ajoute  :  •■  Remarquons,  enfin,  que  ce  livre  n'est 

de  l'Optique  de  Ptolénu-c  qtie  l'on 
croyoit  perdue.  C'est  une  traduction 
Latine  d'aprcs  l'.Trahe.  Il  se  propose 
de  (aire  connoitrc  ce  précieux  ma- 
nuscrit. Nous  avons  vu  avec  plaisir, 
que  Ptoleniëc  connoissoit  dcj.i  la  rc- 
fraciinn  a^ironomiquc,  et  q»u  l'.Ar.ibe 
Alhazen  l'avoit  prise  dan»  Ptolémée. 


(i)  M.  de  Lalande  crut  même 
devnir  consigner  cette  espèce  do  dé- 
couverte dans  son  Histoire  aliréfri  e 
(]e|*',.tr.^r.,..Mie  pour  1799  (à  la  suite 
àc  •    '  rphif  astronom'tijvf ,  Pa- 

ris ,  an  XI  1 1803  ),  in-4..' ,  pag.  8ia): 

AI.  (;auj»in,  dit-il,  trouva  .i  la  Bi- 
blioihcque    du    Roi    un    manuscrit 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  7 

«•  probablement  pas  enlièrement  perdu  ;  car  on  lit  dans 
»  le  Catalogue  de  la  bibliothèque  Bodleyenne,  parmi  les      r^g.  ;oo. 
»  titres  des  livres  Latins,  celui-ci  :  Ptoleniai  Opttcorum  ser- 
>■>  moues  j  ex  arahico  latine  versi.  »  M.  de  Montucla  avoit 
dit  plus  haut,  en  parlant  du  mcme  ouvrage  :  «Quoiqu'il     2.' jdk. an.  j. 

Il       '79^'  '799'  VS- 

»  ne  nous  soit  pas  parvenu,  quelques  auteurs,  dans  le  ^,2. 
"  temps  desquels  il  subsistoit,  nous  en  ont  transmis  divers 
»  traits  fort  remarquables.»  On  voit,  par  ces  deux  pas- 
sages, que  M.  de  Montucla  n'étoit  pas  encore  bien  certain 
de  l'existence  de  l'Optique  de  Ptolémée,etconséquemment 
qu'il  ne  connoissoit  pas  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
royale,  qui  étoit  cependant  plus  près  de  lui  que  celui  d'Ox- 
ford :  s'il  l'eût  connu,  il  n'auroit  pas  manqué  de  le  citer; 
il  l'auroit  même  vraisemblablement  consulté.  Le  plus  léger 
examen  eût  alors  dissipé  ses  doutes  ;  il  eût  puisé  dans 
l'ouvrage  et  donné  d'une  manière  plus  étendue  les  deux 
passages  qu'il  cite  d'après  Bacon  ,  et  auroit  évité  des  erreurs 
dans  lesquelles  on  ne  manque  jamais  de  tomber  quand 
on  parle  du  contenu  d'un  ouvrage  seulement  par  con- 
jecture. 

Non -seulement  l'existence  de  l'Optique  de  Ptolémée 
n'est  plus  aujourd'hui  un  problème;  mais  on  connoît  main- 
tenant ce  que  cet  ouvrage  renferme  de  plus  intéressant, 
du  moins  pour  la  science.  M.  Delambre  a  lu,  sur  la  fin  de 
l'année  dernière,  à  la  Classe  des  sciences  physiques  et  ma- 
thématiques, un  Mémoire  sur  l'Optique  de  Ptolémée ,  com- 
parée a  celle  qui  porte  le  nom  d'Euclide ,  et  a  celles  d'Alliaien 
et  de  Vitellon.  Le  savant  astronome  ,  informé  que  je  m'oc- 
cupois  depuis  long-temps  d'un  travail  sur  le  même  ouvrage, 
a  bien  voulu  l'annoncer  au  public,  et  témoigner  le  dtsir 


8  MLMOIRIIS  DE  LACADÉMir. 

de  le  voir  par()ître(i).  La  inanicre  dont  il  parle  de  ce  tra- 
vail et  des  didiciiites  qu'il  présente,  montre  un  sa\ant  plus 
en  ctat  que.personne  de  donner  une  bonne  édition  de  lOp- 
tique  de  Ptoléiiice,  et  fait  regretter  que  des  occupations 
d'un  autre  genre  ne  lui  permettent  pas  de  se  livrer  à  celle- 
ci  :  mais,  s'il  n'a  pas  manitestc  l'intention  de  pul)lier  en 
entier  l'Optique  de  Ptoicmce,  il  a  toujours  le  mérite  de 
Kavoir  tait  connoître  le  premier.  Je  dois  ajouter  que  son 
exemple,  la  lumière  qu'il  a  répandue  sur  plusieurs  endroits, 
ies  éloges  qu'il  a  donnés  à  quelques  parties  de  l'ouvraoe, 
m'ont  engage  à  reprendre  un  travail  interrom|Hi  depuis 
long-temps.  J'avois  lieu  de  craindre  (]u'une  simple  notice 
ne  devînt  inutile  après  celle  de  M.  Delambre  :  mais,  si 
nous  avons  travaillé  sur  le  même  sujet,  nous  l'avons  en- 
visagé d'une  manière  différente;  et  je  crois  que  l'idée  que 
je  vais  donner  de  j'Optique  de  Ptolémée,  les  recherches  de 
divers  genres  que  j'ai  recueillies  dans  ce  Mémoire,  forment 
un  tout  qui  pourra  paroître  neuf  à  ceux  même  qui  auroieiu 
lu  le  mémoire  dont  je  viens  de  parler.  En  effet,  l'objet  de 
ce  mémoire  n'est  point  de  faire  connoître  l'ouvrage  entier, 
mais  seulement  ce  qu'il  renferme  de  plus  intéressant  pour 
la  science  :  l'extrait  qu'il  contient  devoit  être,  par  consé- 
quent, fort  court,  et  il  l'est  en  effet  (î).  La  plupart  des 
propositions,  présentées  toutes  nues  et  sans  développe- 

(i)  l.'ol>ict  de  mon  travail  n'est 
pas  prcciicmcnt,  comme  on  l'a  dit  à 
Al.  Dclanihrc ,  de  donner  tinc  tra- 


duction de  rOpiitjdc  de  Ptoiciuée, 
mais  de  publier  le  texte  Latin  qui 
nous  reste,  avec  les  notes  nécessaires 
pour  Tt-il.!  fiir. 

^i)  1  r  livre, qui  renferme 


dans  le  manuscrit  plus  de  soixante 
pages  /((  -Jhlio  (Jol.  j  -jj) ,  est  ici 
rijscrrc  en  quatre  ou  cinq  pages  in-if.,' 
Les  deux  livres sulvans, qui  occupent 
plut  de  cent  pages  in-folio  (fol.  j;- 
po  } ,  n'en  occupent  guère  que  quatre 
»/i-^.' il.mt  1.1  NotiiC. 

ment, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  9 

ment,  sont  presque  inintelligibles.  Notre  confrère  l'a  senti 
liii-mtme.  Il  termine  ainsi  son  extrait  du  premier  des 
livres  qui  nous  restent  :  "  Nous  en  avons  tiré  ce  qui  nous  a 
»  paru  le  plus  curieux  et  le  plus  clair,  sans  nous  flatter  pour- 
»  tant  d'entendre  tout  ce  que  nous  avons  extrait.  »  Cette 
notice  ne  peut  donc  tenir  entièrement  lieu  de  l'ouvrage, 
et  les  amateurs  de  l'antiquité  doivent  désirer  de  le  voir 
paroître  en  entier.  Regiomontanus ,  dans  le  xiii.'^  siècle, 
avoit  conçu  le  projet  de  le  publier.  Il  est  malheureux 
qu'il  ne  l'ait  pas  exécuté  :  l'Optique  de  Ptolémée  eût  été 
alors  accueillie  avec  transport.  Les  grands  progrès  que  les 
sciences,  et  particulièrement  l'optique,  ont  faits  depuis 
cette  époque,  ont  sans  doute  beaucoup  diminué  du  mé- 
rite de  cet  ouvrage;  cependant  il  est  toujours  également 
intéressant  pour  l'histoire  de  la  science.  Mais  peut-être, 
en  désirant  de  le  voir  paroître  en  entier,  on  croira  qu'il 
ne  peut  être  publié  que  par  un  géomètre.  Q.uelques  obser- 
vations sur  la  nature  de  l'ouvrage  et  sur  l'état  dans  le- 
quel il  se  trouve ,  serviront  à  faire  connoître  ce  qu'on  doit 
penser  de  cette  idée. 

I .°  L'Optique  de  Ptolémée  n'est  point  un  ouvrage  dont 
l'intelligence  exige  de  grandes  connoissancesen  géométrie  : 
les  plus  simples  notions  de  cette  science  suffisent  pour 
l'entendre.  Je  citerai,  pour  le  prouver,  le  témoignage  de 
M.  Delambre  lui-même.  «  Les  démonstrations,  dit-il,  en 
"  sont  toutes  élémentaires,  et  fondées  uniquement  sur  la 
"  trigonométrie  rectiligne,  et  sur  ce  principe  bien  connu 
»  de  Ptolémée,  que  l'angle  de  réflexion  est  toujours  égal 
»  à  l'angle  d'incidence.  » 

2."  Les  difficultés  que  la  lecture  de  cet  ouvrage  pré- 
TOME  VI.  3 


fo  MÉMOIRES  DL  L'ACADtMlE 

seule,  viennent  le  plus  souvent  des  fautes  des  copistes: 
par  conscijuent ,  c'est  un  texte  à  corriger,  à  rétablir;  et 
dcs-Iors  ce  travail  est  enticrementdu  ressort  de  la  critique, 
et  rentre  dans  les  attributions  de  la  Classe  des  langues  et 
de  la  littérature  anciennes.  Une  circonstance  particulière 
vient  encore  ici  à  l'appui  de  cette  raison.  La  traduction 
Latine  de  l'Optique  de  Ptolémée,  faite  sur  une  trailuctinn 
Arabe,  renferme  encore  des  tours  particuliers  à  cette  der- 
nière langue,  qui  ne  peuvent  être  bien  compris  que  par 
ceux  qui  en  ont  quelque  connoissance.  En  voici  quelques 

FA.  j9  vtTM,  exemples  :  Opus  visil>i/is  njJii ,  pour  visUnlis  ratlius ;  le  tra- 
ducteur,  par  le  mot  opus,  a  voulu  rendre  le  mot  Arabe 

f.v.  ivmo.  timr  j»'  ,  qui  est  souvent  redondant.  ly^HJ/Z'/Vù  motus  visas 
pour  seiisiùilis  actio  visas  ;  motus .  employé  parle  traducteur, 
est  la  traduction  littérale  du  mot  liarakii  àS=»j:^  ,  qui  si- 
gnifie communément  mouvement ,   mais  doit  quelquefois 

'*'/?'  se  rendre  par  action.  Quod  est  super  caput  visiis ,  pour  ce 

ûui  est  lidns  Ici  direction  de  l'œil  ;  le  traducteur  a  été  ici,  je 
crois ,  un  peu  induit  en  erreur  par  le  mot  mosamit  ilhvoL.»-*, 
qui  étoit  vraisemblablement  dans  l'original,  et  (jiii  a  du 
rapport  au  mot  scnit ,  dont  on  se  sert  pour  exprimer  le 
point  qui  est  au-dessus  de  la  tète,  ou  le  zénith.  Quod  est 
in  fine  diiiphiinitiitis ,  pour  ce  <jui  est  extrcnicnient  diaphane , 
rappelle  l'expression  Arabe  ji  nchayet  '^^  vj  *'  "<ituralis 
creatio  visi'u  pour  naturalis  forma  visas. 

3.°  Pour  entendre  et  pouvoir  corriger  plusieurs  pas- 
sages de  rOptitjue  de  Ptolémée,  il  faut  les  rapprocher, 
soit  des  citations  de  ces  mêmes  passages  qui  se  trouvent 
dans  des  auteurs  qui  ont  connu  cette  Ojitique,  soit  des 
passages  d'autres  auteurs,  relatifs  à  cette  science,  qui  se 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  ii 
trouvent  épars  dans  diffcrens  écrivains  :  or  la  recherche 
de  tous  ces  passages,  et  leur  rapprochement,  sont  essen- 
tiellement du  ressort  de  la  critique  et  de  la  philologie. 

4.°  Enfin  l'ouvrage  de  Ptolcmce  est  de  nature  à  inte'- 
resser  un  amateur  de  l'antiquité  plus  qu'un  savant  géomètre. 
L'homme  profondément  versé  dans  la  science  de  l'optique, 
qui  connoît  toutes  les  découvertes  faites  parles  modernes, 
ne  trouvera  rien  à  apprendre  dans  l'ouvrage  de  Ptolémée, 
rien  qui  l'excite  à  surmonter  les  difficultés  qu'offi-e  la  lec- 
ture de  l'ouvrage,  et  à  percer  l'obscurité  qui  enveloppe 
le  plus  souvent  les  pensées  de  l'auteur.  Pour  l'amateur  de 
l'antiquité,  au  contraire,  la  restitution  d'un  ancien  texte 
a  toujours  quelque  chose  de  piquant  ,  sur-tout  quand 
l'ouvrage  présente  dans  son  ensemble  un  grand  intérêt: 
or  on  ne  peut  nier  que  l'ouvrage  de  Ptolémée,  malgré 
les  imperfections  et  les  défauts  de  la  doctrine  qu'il  ren- 
ferme, ne  soit  très-précieux  pour  l'histoire  de  la  science. 
Aux  deux  morceaux  cités,  d'après  Bacon,  par  M.  de  Mon- 
tucla,  morceaux  que  ce  dernier  appelle  assez  agréable-  Tcm.i.pag.ij. 
ment  deux  traits  de  lumière  écluippés  de  l'Optique  de  Ptolémée , 
vient  se  joindre  aujourd'hui  le  témoignage  avantageux 
de  M.  Delambre  ,  qu'on  ne  soupçonnera  pas  d'une  trop 
grande  prévention  en  faveur  des  anciens.  Voici  ce  qu'il 
dit  en  parlant  du  cinquième  livre  :  «  Ce  dernier  livre 
"  est  sans  comparaison,  le  plus  curieux  de  tous.  On  y 
»  voit  des  expériences  de  physique  bien  faites;  ce  qui  est 
»  sans  exemple  chez  les  anciens.  " 

J'en  ai  dit  assez,  je  crois  ,  pour  faire  connoître  les  rai- 
sons qui  m'engagent  à  ne  pas  renoncer  au  projet  que  j'ai 
conçu  depuis  long-temps  de  publier  l'Optique  de  Ptolémée. 

Bij 


7i 


«s  Ali.MOlULS  DL  L'ACADEMIE 

Je  vais  maiiucnant  donner  une  idcedu  contenu  de  l'ouvraife, 
de  mon  travail  pour  corriger  le  texte,  et  des  recherches 
que  j'ai  faites  pour  parvenir  à  entendre  les  endroits  les 
plus  difficiles  et  les  plus  corrompus.  Pour  ne  pas  répeter 
ce  qu'a  dit  M.  Delambre,  je  me  bornerai  à  l'extrait  ren- 
fermé dans  la  préface  du  traducteur;  ce  (]ui  me  conduira 
à  rechercher  quel  étoit  ce  traducteur,  et  dans  quel  temps 
il  a  vécu  :  j'examinerai  ensuite  si  l'ouvrage  est  de  Piolé- 
mée  l'astronome  ;  je  parlerai  de  son  authenticité,  et,  pour 
Cela,  je  le  comparerai  avec  les  citations  qui  se  trouvent 
dans  Bacon;  je  hnirai  par  un  tableau  des  idées  des  anciens 
sur  l'optique,  et  je  m'attacherai  sur-tout  à  développer  celles 
qui  ont  été  suivies  par  Ptolémée. 

L'Optique  de  Ptolémée  est  divisée  en  cinq  livres  , 
appelés  dans  la  traduction  sermones.  Le  mot  Arabe,  ainsi 
rendu  par  le  traducteur  Latin,  étoit  vraisemblablement  le 
mot  ttidCiihi  4)lft>»  ,  qui  répondoit  au  mot  (iiZxiav  de 
l'original  Grec.  C'est  ainsi  que  l'Almageste,  divisé  dans 
le  texte  Grec  en  treize  livres,  /3iC\Icl,  est  divisé  dans  la 
traduction  Arabe  en  treize  mociihi ,  iermoiics ,  ou  discours. 
Dans  l'ancienne  traduction  Latine  de  l'Almageste,  faite 
sur  l'arabe  ,  le  mot  nuicdlii  est  rendu  par  dictio.  Le  Quiidri- 
pdrtite  attribué  à  Ptolémée,  en  grec  Tti^tiCAo^,  est  pa- 
reillement appelé    en    arabe  les   cjuatre  WtUtilii ,   ou' dis- 

Mxljrh    ^!g,    cours   (  C>\Â>  '*«*Jj^^   ). 

Des  cin(j  livres  (|ue  renferme  rOpti(|ue  de  Ptolémée, 
on  n'en  trouve  ici  que  quatre;  le  premier  livre  numcjuoit 
dans  les  deirx  manuscrits  Arabes  que  le  traducteur  Latin 
avoit  sous  les  yeux.  Le  premier  livre,  d(Mit  le  contenu  est 
rappelé   sommairement   au    commencement   du   second. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        ij 

traîtoit  de  la  vue  ,  de  la  lumière ,  et  de  leurs  rapports 
mutuels  :  le  second  traite  des  objets  et  de  la  manière  dont 
on  les  voit;  le  troisième,  des  choses  qu'on  voit  par  ré- 
flexion sur  des  surfaces  planes  et  convexes;  le  quatrième, 
des  miroirs  concaves  ;  le  cinquième,  qui  est  imparfait, 
traite  de  la  réfraction.  On  voit  par  ce  court  exposé  que  les 
deux  premiers  livres  se  rapportent  à  la  lumière  directe,  ou 
à  l'optique  proprement  dite  ;  les  deux  suivans,  à  la  lumière 
réfléchie,  ou  à  la  cûtopîrique ;  et  le  dernier,  à  la  lumière 
réfractée ,  ou  à  la  dioptrhjue. 

Mais  écoutons  le  traducteur  lui-même  ;  sa  préface  ren- 
ferme une  analyse  plus  étendue  de  l'ouvrage,  et  servira  à 
donner  une  idée  de  son  style  : 

Incipit  liber  Ptolemei  de  opticis  sive  aspectihus ,  trûnsJatus  ab 
Avimiraco  Eiigenio  SicuJo  de  ambico  in  îatinum. 

Cùm  consîderarem    Optka  Ptolemei  necessaria  utique  fore  scien- 

tiain  diligcntibus   et    rerum  perscrutantibus    naturas illa  in 

prœsenti  libro  latine  intirpretari  non  recusavi,  Verumtamen,  quia 
untversa  (ingunrum  gênera  pioprium  habent  idioma,  et  alterius  in 
alterum  translatio  jideli  maxime  interpreti  non  est  facilis ,  et  prœ- 
sertim  arabicam  in  latinam  transferre  volenti  tanto  diffcilius  est 
quanti)  major  diversitas  inter  illas  tam  in  verbis  et  nominibus  quàni 
in  litterali  composltione  reperitur ,  unde ,  quia  in  hoc  opère  quœ- 
dam  forte  non  manifeste  apparent ,  dignum  duxi  intentionem  autoris 
ab  arabica  libro  intellectam  breviter  exponerc ,  ut  lectoribus  via  brcvior 
efficiatur. 

In  primo  quidem  sermone ,  quamvis  non  sît  inventus ,  tamcn ,  sicut 
in  principio  exprimitur ,  continetur  quomodo  visus  et  lumen  communicant 
et  ad  invicem  assimilantur ,  et  quomodo  differunt  in  virtutibus  et  mo- 
tibus  ,  necnon  differentiœ  eorum  et  accidentia. 


%4  Ml.MOIRES  DE  LACADOUE 

In  secundo  autcm  strmont  contintntur  qux  sunt  rts  vulcndo  tt  qunVis 
àahitus  sit  in  uniujuiique  larum  ,  et  qu'od nih'il  tx  tis  per  visurn  dignos- 
titur  sine  quolibet  lucido  et  quolibet  prohibente  penetrationem ,  et  qu'od 
tx  ipsis  rébus  vidaidis ,  a  lia   videntur  ver'e ,  et  a/ia  primo,  et  tilia 
sequenter.   Et  juin   [\'i%{:z  etiam  i   contindur  qttod  tactus  tantùm  com- 
munie a  t  visui  in  dignosceniis  prccdictis  rébus  vidcndis ,  excepte  colore, 
qui  solo  visu  dignoscitur.  Conlinentur  et'iam  cet  qu/v  vi  lentur  mugis  et 
minus ,  et  quàd  res  quce  ver'e  et  quœ  primo  videntur ,  et  apparent  per 
a.tionem  accidentium   in  visu,  cujtis  passionis  alin  est  Colorado,  alia 
fractio ,  et  alia  revolutio  :  quœ  vero  sequenttr  videntur ,  quœ  iuisum  et 
q'iœ  deorsum ,  quœ  à  dextris  et  quœ  à  sinistris ,  quœ  propinqua  et  quœ 
remota.  Cominetur  etiam  quomodo  uno   oculo  viditur  similitir,  quo- 
modo  in  uno   loco   viJctur  quod  curn   utrisque  oculis  aspicitur,  dnm- 
modo  simul  aspiciant  per  radios  ordinate  consimiles ,  vide  lice  t  hahentcs 
in  unaquaque  visibilium  pyramidum  similem  positionem  respectu  pro- 
prii  axis ,  quod Jic  citm  axes  pyramidum  suptr  unam  et  eamdem  rem 
ftàdtrint,  sicut  consuetum  est  aspicicnti  :  sed ,  si  visus  cogatur  exce- 
dere  consuctudinem  suam  quolibet  modo  et  transfcratur  peius  aliam 
rem,  et   radii  oculi  insimul  ceciderint  super  illam    ordine  dissimili, 
apparebit  nrique  res  ipsa  unain  divcrsis  locis ,  apparehunt  etiam  duœ 
in  tribus  locis  et  in  quatuor,  sicut  os tenditur  per  régulant  et  cylindros 
quos  docet  fieri.  Item  continetur  divcrsitas   magnitudinum  ex  angulis 
tt  distantia  et  positione ,   et  qualitcr  sumuntur  lineœ  rectœ   et   cir- 
tu laies,  superficies  etiam  aspcra ,   plana,   curva  et  concava.  Etiam 
continent, ir  species  motùs  et  deceptionum  quarum  aliœ  sint   in   visu, 
et  aliœ   in  mente ,  et  aliœ  in   ipsis  rébus  vidcndis ,  necnon  fallacia 
tt  errores  qui  accidunt  visui  in  rébus   vidcndis. 

In  tertio  scrmone  conlinentur  ea  quœ  apparent  per  reverberatio- 
nem  eorum  in  jpeculis  plants  et  curvis  ,  prœtaxato  prias  per  plantam 
ttream  quâ  prob.itur  quàd  omnes  reverberatitnes  in  tribus  specicbus 
speculorum,  piano  videlicet,  curvo  et  concivo  .  ftunt  ad  œquales  angit- 
los ,  et  plsl  expérimenta  tabulœ  tinctœ,  per  qu.im  prubalur  wam  rem 
vidcri  in  divcrsis  Iccis  et  du.u  !"  «•">.  "<'  'juam  etiam  ipsa  loca 
pafefiunt. 

In  quarto  sermont  conlinentur  ta  quœ  apparent  in  speculis  cencavis. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        15 

tt  (a  quœ  apparent  in  speculis  composais ,  et  quœ  viJcntur  per  duo  aut 
plura  spécula. 

In  quinto  sermone ,  quanquam  sit  impetfectus ,  loquitur  Ptokmeus 
dt  fiexione  visilnlium  radiorum,  quœ  s  imper  fit  ad  angulos  aquales , 
tt  de  iis  quœ  inde  apparent  cîim  duo  corpora  dissimilia  cxistunt  inter 
aspicientem  et  res  videndas ,  quia  alterum  sit  groisius  altero  ;  et  quod 
viJetur  de  subtiliori  corpore  in  illo  quod  est  grossius ,  semper  apparet 
majus  quàm  ipsa  res ,  videlicet  id  quod  videtur  ah  aëre  in  aqua  ;  et 
quanta  magis  spissius  cotpus  fuerit  profundius ,  res  apparet  major; 
et  quod  de  grossiori  videtur  in  subtiliori  apparet  minus ,  et  quanta  sub- 
ti/ius  magis  fuerit  profundius,  apparebit  minus.  Et  bœc  per  diversa 
expérimenta,  quorum  alterum  est  vas  quod  vocatur  foscyr,  alterum 
verb,  semicylindrus  vitreus  in  ipsa  planta  fixus ,  et  per  cubum  et 
tylindrum,  et  per  cubo-concavum ,  ex  vitro  composita.  In  prœdictis 
autem  rébus  quœ  per  reflexionem  videntur.,  quamvis  Ptokmeus  non 
exprimât,  iis  quà  inventa  sunt,  de  quinto  sermone  intclligendum  est, 
quod  debeat  recte  aspici,  et  non  ex  obliqua.  Res  quœ  tota  infra  aquam 
stans  ex  obliqua  ab  aère  aspicitur ,  non  utique  major,  verum  necessarib 
minor  apparet, 

TRADUCTION. 

Considérant  que  FOptique  de  Ptolémée  est  un  ouvrage 
nécessaire  à  ceux  qui  aiment  ia  science  et  désirent  connoître 
à  fond  la  nature  des  choses  ,  j'ai  entrepris ,  dans  ce  livre  ,  de 
la  traduire  en  latin.  Mais  ,  comme  toutes  les  langues  ont  un 
idiome  qui  leur  est  propre,  qu'il  n'est  pas  facile,  sur-tout  à  un 
traducteur  fidèle,  de  rendre  un  idiome  par  un  autre,  et  qu'il 
est  d'autant  plus  difficile  de  traduire  de  l'arabe  en  latin  qu'il 
y  a  plus  de  différence  entre  ces  deux  langues  tant  dans  les 
mots  que  dans  la  syntaxe,  ce  qui  fera  peut-être  que  certaines 
choses  ,  dans  cet  ouvrage  ,  ne  paroîtront  pas  bien  claires  ,  j'ai 
jugé  convenable  d'exposer  ici  brièvement  l'intention  de  l'auteur 
d'après  la  traduction  Arabe,  pour  rendre  le  chemin  plus  court 
au  lecteur. 


,^  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Le  premier  livre  ne  s'est  pas  trouvé;  mais  il  contenoit,  comme 
en  le  voit  par  le  commencement  du  second  ,  de  quelle  manière 
la  vue  et  la  lumière  communiquent  et  sont  assimilées  l'une  b. 
l'iiutre;  comment  elles  diffèrent  dans  leurs  propriétés  et  leurs 
inouvemens  ,  leurs  différences  et  leurs  accidens. 

Le  second  livre  traite  des  choses  qu'on  ]>eut  voir,  et  de  (a 
manière  d'être  de  chacune.  Rieri  ne  s'aperçoit  sans  un  lucide 
et  sans  quelque  chose  qui  empêche  la  pénétration.  Parmi  les 
choses  qu'on  peut  voir,  les  unes  sont  vues  vcritablement; 
d'autres  sont  vues  d'abord ,  d'autres  par  suite.  Le  tact  seul  juge 
des  mêmes  choses  que  la  vue,  excepté  des  couleurs ,  qui  ne  sont 
perçues  que  par  la  vue.  Le  livre  traite  aussi  des  choses  qu'on 
voit  plus  ou  moins  distinctement.  Les  choses  qu'on  voit  véritable- 
ment ou  d'abord ,  sont  vues  par  l'effet  d'une  passion  ou  affection 
de  la  vue  :  cette  passion  est  la  coloration ,  ou  la  fraction  ,  nu 
la  révolution. 

On  distingue  par  suite  1er,  choses  qui  sont  en  haut,  en  bas, 
^  droite,  h  gauche  ;  celles  qui  sont  près  ou  loin.  Ce  livre  traite 
encore  de  la  manière  dont  on  voit  avec  un  ail,  et  comment 
l'objet  paroît  dans  un  seul  endroit  quand  on  regarde  avec  les 
deux  yeux ,  pourvu  qu'ils  regardent  par  des  rayons  disposés  de 
même,  c'est-à-dire,  ayant  dans  chaque  pyramide  visuelle  la  même 
position  par  rapport  à  l'axe  ;  ce  qui  arrive  quand  les  axes  des 
pyramides  toinbent  sur  un  seul  et  même  objet,  selon  la  coutume 
de  celui  qui  regarde  :  mais ,  si  la  vue  est  forcée  de  s'écarter  de  sa 
coutume,  de  quelque  manière  que  ce  soit,  et  de  se  porter  sur 
un  autre  objet,  et  si  les  rayons  ne  sont  pas  dirigés  d'une  manifTc 
unif>rnie  .  un  même  objet  sera  vu  en  deux  endroits  diflerens, 
deux  objets  dans  trois  et  dans  quatre  endroits  ,  comme  on  le 
prouvera  par  le  moyen  d'une  règle  et  de  cylindres  que  l'auteur 
enseigne  i»  faire.  Ce  livre  traite  encore  de  la  différence  de  gran- 
deur qui  dépend  des  angles,  de  la  distance  et  de  la  position, 
de  la  manière  dont  on  perçoit  les  lignes  droites  et  les  lignes 
circulaires,  les  surfaces  planes,  convexes  ou  concaves.  Il  traite 
encore  des  diverses  espèces  de  moavcmens  et  des  erreurs  de  la 


vue 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  17 
vue,  dont. les  unes  dcpendent  de  l'^-il ,  les  autres  de  l'esprit,  et 
les  autres  des  objets  eux-mêmes. 

Le  troisième  livre  traite  des  objets  qu'on  voit  par  réflexion  dans 
les  miroirs  planes  et  convexes.  L'auteur  prouve  ,  par  le  moyen 
d'une  lame  de  cuivre,  que  la  réflexion  dans  les  miroirs  planes  , 
convexes  et  concaves ,  se  fait  k  angles  égaux  ;  ensuite  par  l'ex- 
périence d'une  table  de  diverses  couleurs  ,  par  laquelle  on  prouve 
que  l'objet  est  vu  en  differens  endroits,  et  deux  objets  en  un  seul. 
Cette  table  sert  encore  à  déterminer  le  lieu  des  images. 

Le  quatrième  livre  traite  des  choses  qu'on  voit  dans  des  miroirs 
concaves  et  composés  ,  et  de  celles  qu'on  voit  au  moyen  de  deux 
ou  plusieurs  miroirs. 

Dans  le  cinquième  livre,  qui  est  imparfait,  Ptolémée  parie  de 
la  réfraction  des  rayons  visuels  ,  qui  se  fait  toujours  à  angles 
égaux ,  et  des  choses  qu'on  voit  lorsque  deux  corps  differens 
existent  entre  l'œil  et  l'objet ,  et  que  l'un  est  plus  dense  que 
l'autre.  Si  l'œil  est  placé  dans  le  milieu  plus  rare,  et  l'objet  dans 
■le  milieu  plus  dense,  l'objet  paroit  plus  grand  qu'il  n'est  réelle- 
ment, comme  il  arrive  quand  on  regarde  de  l'air  dans  l'eau. 
Plus  le  corps  dense  est  profond  ,  plus  l'objet  paroît  grand  ;  au 
contraire,  lorsque  l'œil  regarde  d'un  milieu  plus  dense  dans  un 
milieu  plus  rare,  l'objet  paroît  plus  petit,  et  d'autant  plus  petit 
que  le  milieu  plus  rare  est  plus  profond.  Tout  cela  est  prouvé 
par  diverses  expériences.  Dans  l'une,  on-  se  sert  d'un  vase  appelé 
foicyr;  et  dans  l'autre,  on  se  sert  d'un  demi-cylindre  de  verre  fixé 
sur  la  table;  dans  l'autre,  d'un  cube,  d'un  cylindre  et  d'un  corps 
cubp-concave,  aussi  de  verre. 

Avant  d'aller  plus  loin,  je  dois  avertir  que  j'ai  été 
obligé  de  faire  dans  le  texte  de  ce  morceau  plusieurs  cor- 
rections. On  sentira  facilement  que  je  ne  pourrois  les 
faire  toutes  connoître  ici  :  un  travail  de  cette  nature  ne 
peut  être  lu  en  public  ,  et  il  faut  avoir  l'ouvrage  sous 
les  yeux  pour  le  juger.  Je  parlerai  seulement  ici  de  celle 
Tome  VI.  C 


iR  MKMOIHtS  DE  L'ACADKMIE 

que  j'iii  faite  Jaiis  la  prcniicre  phrase,  qu'on  lit  ainsi  dans 
le  manuscrit  : 

Cùm  cons\d(rarem  Opùca  Ptolcmt''  ncccssnr'ia  utique  fort sc'tcnt'uim 
dlliin^tnùbus  et  rcrum  perscrutantibtis  naturas  hum/mus  subire ,  et  illa 
in  pnrsent'i  llbro  latine  inlcrpretari  non  recusavi. 

On  voit  sans  peine,  et  à  la  simple  lecture,  que  les 
mots  Immcinas  sub'ire  sont  ici  déplacés  et  qu'ils  troublent 
le  sens.  Je  proposerai  donc  ,  ou  de  les  retrancher,  comme 
j'ai  fait  dans  la  traduction  ,  ou  de  lire  à  la  place  hoc  otius 
subire. 

Le  mot  planta  dont  l'auteur  se  sert  en  faisant  l'analyse 

du  troisième  livre  ,   et    qu'on   lit  aussi  dans  ce   troisième 

VoytileSnp-  livre,  se  trouve  employé,  dans   les   auteurs  de  la  basse 

«•'"lî/w^  Ai   latinité,  dans  le  sens  d<i phinclic  :  ainsi  planta  itrea  ne  peut 

mcyennt  ti  h^i><  sitMiifief  Qii'une  planche  ou  lame  de  cuivre ,  comme  je  l'ai' 

(.ilmilt     de     dit         f^  i  '  ' 

Catgt.parCir-   traduit  (l). 

Le  mot  prataxarc ,  dont  l'auteur  se  sert  dans  le  même 
endroit,  et  qui  est  employé  plusieurs  fois  dans  le  cours 
de  sa  traduction  ,  se  trouve  aussi ,  dans  les  auteurs  du 
même  temps,  dans  le  sens  à'assii(ner ,  déterminer. 

En  faisant  l'analyse  du  cinquième  et  dernier  livre  , 
l'autfMir  parle  d'un  vase  appelé  ici  Joscyr ;  ce  mot  est  cor- 


ftmitr. 


V't>yei  It  Dur 
dt  du  Cangi. 


(i)  Le  moi  planta  qni  se  trouve 
dan5  le  livre  it,  paroît  avoir  cm- 
i>arra5sc  l'auteur  du  Mémoire  »ur 
l'Optique  de  Ptolcmcc ,  dont  j'ai 
drjà  parle.  Ce  savant,  j'attachant  , 
comme  il  lui  convenoit ,  plus  aux 
chose»  qvi'aux  mois,  a  rendu  par  un 
c'jiiivalent  et  d'une  manière  assez 
heureuse  le   mot    qu'il    n'cniendoii 


p.is  hicn.  Plolcmée  suppose  que  l'on 
décrit  sur  la  planchette  ou  tabieite 
de  cuivre,  dont  il  se  sert  dans  ses 
expériences  ,  un  cercle  divise  en 
360  degré».  M.  Delaïuhre  a  rendu 
le  mox planta  par  cercle,  en  ajoutant  : 
L'duteur  désigne,  je  ne  sais  pour(juoi , 
ce  cercle  par  le  met  dt  planta. 


y 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  19 
rompu  :  le  même  vase  est  appelé,  dans  le  corps  de  l'ouvrage, 
baplisis ,  mot  Grec  que  le  traducteur  Latin  paroît  employer  tel.  ^o  vcno. 
pour  désigner  un  grand  vase  à  mettre  de  l'eau,  lavacrum; 
peut-être  aussi  faut-il  lire  dans  les  deux  endroits  haptis- 
îerium,  qui  a  le  même  sens  ,  et  qu'on  trouve  dans  Pline  le     Voyez/.  Tn- 

1  ^  ior  de  tu   uinu^iir 

jeune  et  dans  Vitruve.  Greiq.de  Henn 

A  la  fin  de  l'analyse  du  même  livre ,  j'ai  suppléé  plu- 
sieurs mots  qui  sont  en  blanc  dans  les  manuscrits  ;  je 
les  ai  rétablis  à  l'aide  du  texte  même,  et  en  recourant  à 
l'endroit  dont  le  traducteur  a  donné  ici  l'extrait. 

Après  cette  préface  ,  commence  le  second  livre  ,  dont 
le  titre,  que  je  vais  lire,  renferme  quelques  particularités 
remarquables  : 

Incip'U  sermo  secundus  Ptolomci  de  opticis.  "  Sermo  secunduj 
«  Optïcorum  Ptolomei,  olim  de  Grœca  lingua  in  Arabicam ,  nunc  autem 
»  de  Arabica  in  Latinam  translatus  ab  ammiralo  Eugcnio  Siculo ,  ex 
'^  duobus  exemplaribus ,  quorum  novissimum ,  unde  prœsens  transUiîia 
>'  facta  fuit ,  veracius  est.  Primus  vero  sermo  non  est  invcntus.  » 

On  voit  par-là  que  le  traducteur  Latin  possédoit  deux 
manuscrits  de  l'Optique  de  Ptolémée,  traduite  en  arabe, 
et  que  l'un  de  ces  manuscrits,  auquel  il  s  est  principale- 
ment attaché ,  cloit  plus  exact  que  l'autre.  Cette  circons- 
tance donne  une  idée  avantageuse  de  la  critique  et  du 
travail  de  ce  traducteur  ;  mais  on  regrette  qu'il  ne  nous 
ait  pas  fait  connoître  l'auteur  de  la  traduction  Arabe. 
Qiiant  à  l'époque  de  cette  traduction,  il  est  vraisemblable 
qu'elle  a  été  faite  sous  le  règne  d'Almamon ,  c'est-à-dire,  '"/y-.'yy,  /•  '. 
vers  le  commencement  du  neuvième  siècle  de  l'ère  vul- 
gaire. Ce  fut  alors,  et  par  une  suite  du  goût  d'Almamon 
pour  les   sciences  ,   que   parurent  en   arabe  les  ouvrages 

Cij 


30  MKMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

J'EiicIi  Je  ,  de  Piolcmce  et  d'autres  auteurs  Grecs.  Ce  qu'on 
peut  assurer,  c'est  que  la  traduction  Arabe  de  l'Optique 
de  PtolcnK-c  est  antérieure  à  Alhazen  ,  auteur  Arabe  ,  dont 
nous  avons  en  latin  un  ouvrage  célèbre  sur  I  optique. 
Alhazen  connoissoit  l'Optique  de  Ptoicmce,  comme  je  le 
ferai  voir  par  la  suite;  ce  n'est  donc  pas  m'cloigner  de 
mon  sujet  que  de  rechercher  le  temps  où  parut  chez  les 
Arabes  l'Optitjue  J'Alhazen.  Risner,  qui  a  public  le  pre- 
mier la  traduction  Latine  de  cet  ouvrage  ,  conjecture  que 
l'auteur  vivoit  vers  l'an  i  loo  de  notre  cre,  et  qu'il  ctoit 
contemporain  d'Avicenne,  d'Averroès  et  autres  savans 
Vpu.Jtsàtni.   Arabes.  Selon  X'ossius,  l'cpoque   où   vivoit  Alha/en  est 

mjlh.fKlg.  loç         .  ,  ,  ... 

incertaine  ;  quelques  auteurs  placent  Alhazen  avant  i  loo. 

S- j^j-  M.  de  Lalande  dit,  dans  un  endroit,  qu'il  vivoit  en  Es- 

S.  3r64         pagne,  vers  l'an    i  loo;   ailleurs   il   le  fait  vivre  dans  le 

/.  jjt.         dixième  siècle;  Snellius,  cité  par  M.  de  Lalande,  le  croit 

plus   ancien  qu'Almamon.   Les   auteurs  Arabes   peuvent 

seuls  dissiper  ces  incertitudes  :  en  les  consultant ,  on  re- 

connoît  facilement  que  l'auteur  connu  parmi  nous  sous  le 

nom  à'Al/iiiien  est  le  même  que  Abou  Afy  Alhassan  ebn 

Albassan  ebn  Alhaïthcm,  surnommé  Almohciuless  Alhasry , 

Ci.m.nm  ,     j; _Aâ^' ^^j.~)J>>^i' ,   le  géomètre  de  Basra ,   sur  letjuel  on 

^^    '■*  trouve  des  détails  curieux  dans  l'Histoire  des  Dynasties 

r^r  .  d'AbuIpharage  et  dans  le  Catalogue  des  manuscrits  .Arabes 

de  la  bibliothèque  de  l'Escurial.  Parmi  les  ouvrages  de  cet 

auteur,  dont  la  liste  se  trouve  dans  leCatalogueque  je  viens 

de  citer,  on  en  remarque  un  intitidé  Je  Pcrspcctivii.  Si  ce 

^,v„  titre  étoit  fidèlement  traduit,  l'identitéque  je  veux;  établir  ici 

seroii suffisamment  prouvée;  car  on  a  souvent  donné,  dans 

ni  ' 

■>  .y.'..»..       le  moyen  âge,  le  titre  de /'fr.f/'ff//i'i' aux  ouvrages  d'optique. 


2  » 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES. 

Mais  le  titre  Arabe  peut  faire  naître  quelques  doutes;  ce 
titre  Ikhîïlaf  ahnauatlnr .  jAaui^  i^^'Xi^  ,  signifie  litté- 
ralement différence  des  aspects  :  or  IklitiLif  almautJmr ,  ou 
diversité  d'aspect ,  est  le  nom  que  les  Arabes  donnent  à  la 
parallaxe  ,  comme  on  le  voit  par  les  titres  des  cha- 
pitres LX  et  LXlil  de  l'Astronomie  d'Ibn  lounis.  Dans  la    ,'^'°y-    '"^"/'f/ 

'  ,    _  rff.t  man.  t.   VU, 

liste  des  ouvrages  d'Alhazen,  rapportée  par  Casiri ,  on  en  y^s-9^- 
trouve  un  (c'est  le  dixième)  intitulé  Ikhtilaf  manthar  al- 
camar,  qu'il  faut  traduire  par  de  la  parallaxe  de  la  lune , 
et  non  de  vario  liina  aspectu ,  avec  Casiri.  il  seroit  donc 
possible  qu'il  fût  ici  question  ,  non  d'un  ouvrage  d'optique , 
mais  d'un  traité  sur  la  parallaxe  de  la  lune  et  du  soleil.  Au 
reste,  le  traité  d'optique  que  nous  cherchons  se  trouve,  je 
crois,  clairement  indiqué  au  commencement  de  la  liste  des 
ouvrages  d'Alhassan,  rapportée  par  Casiri  :  mais,  comme 
ce  bibliographe  a  mal  rendu  cet  endroit,  et  que  l'explica- 
tion que  j'en  donne  pourroit  ne  pas  paroître  certaine  à 
tout  le  monde,  je  renvoie  cette  preuve  dans  une  note  (i), 


(i)  Casiri  a  rendu  tout  ce  morceau 
d'une  manière  -=i  peu  exacte,  que  je 
suis  obligé  de  reprendre  le  titre  du 
premier  ouvrage  pour  arriver  à  celui 
qui  nous  intéresse  davantage. 

Le  premier  de  ces  ouvrages ,  intitulé 
Telii^îb  alinagesti ,  i^\  ....-rfil  i_>JiNgJ', 
est,  selon  la  traduction  de  Casici ,  un 
commentaire  sur  l'AImageste.  Le  mot 
Arabe  rf/i^/^  signifie  plutôt  a/Wg^i?  que 
cominentuire.  C'est  proprement  une 
édition  revue,  corrigée  avec  soin  ,  et 
dans  laquelle  on  a  retranché  quelque 
choie  d'inutile.  Nassir-eddin  ,  dans 
la  préface  de  son  édition  d'Euclide, 
se  sert  de  ce  mot,  auquel  il  joint  celui 


i  de  tertib ,  <_>-y^',  airaiigernent ,  dis- 
position, en  parlant  de  l'édiiion  des 
Elémens  de  géométrie,  donnée  par 
Euclide,  édition  dans  laquelle,  selon 
Nassir-eddin  ,  Euclitle  réduisit  les 
quinze  livres  des  Elémens  à  treize  , 
en  retranchant  les  deux  derniers, qui 
furent  ensuite  ajoutés  de  nouveau  par 
Hypsiclès. 

Le  second  ouvrage  d'Alhazen  men- 
tionné dans  le  Catalogue  des  ma- 
nuscrits Arabes  de  la  bibliothèque  de 
l'Escurial,  est  inliinn:  Almanathir , 
jijLm  ;  c'est, selon  moi,  l'ouvrageque 
nous  cherchons  ,  l'Optique  d'Alha- 
zen. Le  titre  Almanathir  [asptclusj 


3! 


MÉMOIRES  DE  L'ACADF.MTE 


et  je  nrc'seiuerai  ici  un  tL-moignage  plus  incontestable. 
Parmi  les  manuscrits  de  la  bihiiotlicque  de  Leyde ,  on  en 
A'.-  '«•'/. /v.;.  trouve  un  dont  voici  le  titre  :  Comnienttiria  in  libros  opticos 
HtiSiJiii  beti  Hiiiicm  Hiisrcilsis,  qui  vu/t^ô  Elhassan  dicitur ,  cum 
Jtffg.eospnlanti/ms.  La  mcme  bibliothccjue  posscde  plusieurs 
autres  ouvrages  du  mOme  auteur,  dont  le  nom  paroît  tout 
entier  à  la  tète  d'un  de  ses  ouvrages,  et  tel  que  je  l'ai 
donné  plus  haut.  Au  reste,  l'auteur  Arabe,  jusqu'ici  mal 
connu,  et  que  je  cherche  à  faire  mieux  connoître  ,  est 
appelé,  à  la  ttte  de  la  trinlucti<wi  Latine  de  son  Traité  d'op- 
tique ,  Allhiien  filius  Alhiiiien  :  or.  d'après  ce  que  je  viens 


4si- 


N.'  106^. 


est  celui  que  les  Ar.ihcs  donnent  or- 
dinairement aux  traiiis  d'optique. 
Celui  d'Euclide  e.<t  appelé  h'itab  <;/- 
manaihir  li  Odides,  j— i?^'  <_jL.^^ 


j-ji-Jb,V  (vp^t^Ahn\\i\\.p.^,  Liit.). 
D'Herbelot  ,  qui  rapporte,  .lu  moi 
Kitab(r)-^) ,  le  titre  Arabe  de  \'0]> 
tiqucd'i'.uc!idc,n'a  pas  ("ait  connoitre 
juffisamnient  cet  ouvrage  eu  disant 
en  général  que  c'est  un  livre  de 
géométrie.  Casiri  a  cru  vraisembla- 
blement que  ce  litre  app^rtcnoit  ex- 
cluMvcm.  nt  à  l'Optique  d'Euclide  , 
00  bien  il  l'a  joint  au  titre  qui  suit, 
dans  lequel  il  s'agit  d'Euclide  ,  et 
il  a  cru  qu'il  étoit  ici  question  d'un 
commentaire  sur  l'Optique  de  cet 
auteur. 

Les  ouvrages  suivans  d'Albazrn 
sont  étrangers  à  la  discussion  pré- 
sente; j'en  donne  ici  les  titres  tra- 
duits plus  exactement  qu'd*  ne  l'ont 
été  parCasiri  ,cn  taveurdes  amateurs 
de  la  littérature  Orientale. 

Le  troisième  ouvrage  est  intitulé: 


Uu)t  oit  jy^'j  (j-'-vï^j'  tjtj.>Lt.. 

Demandes  ou  suppositions  d'Euclide, 
cC figures  ( di-monstr^tions )  du  mcme 
auuur.  Les  demandes  ou  suppositions 
dont  il  est  ici  question  se  trouvent 
à  la  tête  des  Élémens  d'Euclide,  et 
sont  a])pelésen  grec  <ti'ii]iMt.T» ,  en  latin 
p,  iiuLita  ou  petiticnes.  Casiri  traduit 
Ccmnu-nttiriui  in  rjusdcm  Euclidis 
EUmenta  geomcrrica  cum  sclwliis- 

Le  titre  de  l'ouvrage  suivant, 
jUdtl    fL&i\    ia,L-»,  doit  se  rendre 

par  De  diinensirnc  sclidi  piJr.il'plici , 
mesure  du  solide  ou  du  conoïde 
parabolique;  tr.iduction  qui  est  bien 
éloignée  de  celle  de  Casiri  :  Di  sol  - 
dorum  tr.piulium  et  similium  ditninu- 
li  ne. 

L'ouvr.ige  d'Alhazen  mentionné 
cnMiite  e>t  un  traité  drs  lunules  ou 
ligiiris'iuiont  la  ("ormed'un  croissant, 

JX^'  JLCii  ;  Casiri  traduit  De  va- 

riit  lun,r  novtr  figutis. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTTES.  25 
de  dire  ,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnoître  dans  ces 
noms   propres  altères   les  noms  iïAlhassdii  ehn  AJIiûssûii  , 

ou  ebn  Alluuthem.  Ce  qui  précède ,   me  servira  à  corriger  ' 

une  autre  erreur  relative  au  même  auteur,  dont  on  a  fait 
jusqu'à  présent  deux  personnages.  M.  de  Montucla,  dans 
{'Histoire  des  mathématiciues ,  en  parlant  des  auteurs  Arabes  ^ '''/"•  ««•  /, 
qui  ont  écrit  sur  i  optique  ,  nomme  Ibii  Haitem  Syrien, 
qui  écrivit  sur  la  vision  directe,  réfléchie  et  rompue,  et 
sur  les  miroirs  ardens  ;  il  ajoute  ensuite  :  «  Mais  ,  de  tous 
»  ces  opticiens,  le  plus  célèbre  est  Alhazen.  »  Bailly  dis-     H,^i.dci\inr. 

r  '  ■»  •'  iun\  t.  Il ,  I.  it, 

tingfue  aussi  Alhazen  et  Ibn  Haïtem.  Mais  on  voit  par  ce  que  i'"b'-  <'''4- 
je  viens  de  dire,  que  Ibn  Haïtem  et  Alhazen  ne  sont  qu'un 
seul  et  même  auteur,  dont  le  nom  entier  ,  un  peu  long, 
a  donné  lieu  à  l'erreur;  car,   pour  abréger,  on  l'appelle 
souvent  Abou  Aly  ehn  Hdithem ,  comme  Abulpharage  et     P^s-^-J- 
d'Herbelot.  M.  de  Montucla,  en  disant  qu'Ibn  Haïtem  a  a^,  pag.42/.' 
écrit  sur  la  vision  directe,  réfléchie  et  rompue  ,  a  fait,  sans 

s'en  apercevoir,  l'analyse  de  l'ouvrage  d' Alhazen.  Quant  1 

au  second  ouvrage  d'Ebn  Haïtem   dont   parle  ici   M.  de  ' 

Montucla,  sur  les  miroirs  ardens,  il  est  cité  dans  le  cata- 
logue des  ouvrages d'Alhazen  ,  ou  Alhassan,  qui  se  trouve  j 
dans  Casiri.  Le  titre  Arabe  est  ,  Âi|^<^'  bj  i> ,  De  speculis  P^g-  4'j- 
comburentibus.  Le  même  ouvrage  se  trouve  dans  la  biblio- 
thèque  de  Leyde  (n."  1074).  L'identité  d'Alhazen  avec 
Alhassan  ebn  Alhassan  ebn  Haïtem  étant  bien  prouvée, 
il  ne  peut  plus  y  avoir  de  doute  sur  le  temps  où  cet  auteur 
vivoit.  Abulpharage  et  l'auteur  de  la  notice  qui  se  trouve 
dans  Casiri,  nous  apprennent  qu'Alhasàan  ,  né  à  Dasra  , 
fut  appelé  en  Egypte  par  Hakem  ,  un  des  califes  fathi- 
mites  ,  qui  régna  depuis   ^^6  jusqu'en   1021  ,   et  qu'il  y 


a4  Mi.MOIRES  Cf.  L'ACADEMIE 

mourut  l'an  4^^  ^^  l'Iicgire,  1038  de  l'ère  vulgaire.  Cet 
auteur  ayant  eu  connoissance  ,  comme  je  le  ferai  voir 
par  la  suite,  de  l'Optique  de  Plolcmée ,  il  s'ensuit  que  la 
traduction  Arabe  de  l'Optique  doit  ttre  antérieure  à 
l'an  1000.  Qiiant  àl'cpoque  de  la  traduction  Latine,  je 
crois  pouvoir  la  fixer  avec  plus  d'exactitude. 

Les  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi  où  elle 
se  trouve,  sont  très- modernes  :  ils  paroissent  ctre  du 
XVII.'  siècle,  et  avoir  ctc  copies  tous  les  deux  en  Italie, 
ou  du  moins  par  une  main  Italienne;  mais  il  paroît  évi- 
dent qu'ils  ont  été  copiés  sur  un  manuscrit  beaucoup  plus 
ancien,  (jui  vraisemblablement  étoit  très  -  dilïicile  à  lire 
et  rentermoit  beaucoup  d'abréviations.  C'est  pour  cela 
qu'il  y  a  dans  les  deux  manuscrits  tant  de  fautes  et  de 
mots  omis  ou  laissés  en   blanc. 

Le  nom  du  traducteur  Eugcnius  Ammiriilus ,  inconnu  à 
tous  les  bibliographes  ,  donne  lieu  à  quelques  incertitudes. 
Il  est  écrit  a  la  tcte  de  l'ouvrage,  dans  les  deux  manus- 
crits, Ammiracus  EugeniusSicuIns.  Au  commencement  du 
second  livre,  qui  est  le  premier  de  ceux  qui  nous  restent, 
ce  nom  est  écrit  dans  un  des  manuscrits,  Amiiiiratus  Euge- 
niiis  Siculus.  Cette  dernière  leçon  est,  je  crois,  la  meilleure. 
On  connoît  sous  le  nom  de  Sci/ùone  A/iiiiiirtiio  un  savant 
Italien,  auteur  d'une  Histoire  de  Florence  qui  parut  sur 
la  fin  ilu  XVI. "^  siècle  ,  de  plusieurs  discours  sur  Tacite,  et 

y  .'.'t  V,-.  d'autres  ouvrages.  Ce  savant  étoit,  à  ce  qu'il  paroît,  àum: 
I  imille  ancienne  ,  à  laquelle  notre  traducteur  Eugcniiij 
Animinitus  peut  avoir   appartenu.    Une  autre   raison  me 

''•"  fait  préférer  la  leçon  Ammir,itus.  Le  Catalogue  de  la  Biblio- 

thèque cfu  Roi  fait  mention  d'un  ouvrage  traduit  du  grec 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.        25 

en  latin,   qui   paroît   être   du   mtme  auteur,   nomme  ici 

Eugetiius  regfii  Sicil'ui:  aminirûtus  (i).  Beaucoup  de  circons-  AJnnusc.  Lu. 

tances  et  de  rapprochemens  me  portent  a  croire  que  ce  fol.   04,    i.' : 

dernier  auteur  n'est  pas  différent  du  traducteur  de  l'Optique  "°7^^9'fi}-  9^' 

de  Ptolémce.    Les  noms  admiratus  et  ammiratus  sont  les  r"g-  }?■ 

mêmes ,  et  désignent  une  dignité  établie  en  Sicile  par  le  tkmnahe  'de  'du 

roi  Roger  ,  fils  de  celui  qui  s'empara  de  cette  île  vers  la  ^"^è"'- 

fin  du  XI. ^  siècle  ,  dignité  empruntée,  des  Arabes,  et  qui  , '^°^"  "•  "" 

'01  i  le  loi  Roger. 

a  vraisemblablement  donné  naissance  à  celle  d'amiral  en 
France. 

Si  le  rapprochement  que  je  présente  ici ,  et  l'identité 
que  je  crois  apercevoir  entre  Eugetiius  aminirûtus  ou 
ammiracus,  traducteur  de  l'Optique  de  Ptolémée,  et  Euge- 
iiius  admiratus  regiii  Sici/ia ,  auteur  d'une  autre  traduc- 
tion du  grec  en  latin,  paroissent  certains  ou  du  moins 
fort  probables,  nous  pouvons  en  déduire  d'une  manière 
assez  précise  l'époque  à  laquelle  vivoit  notre  traducteur  : 
car,  i.°  le  titre  à'admiratiis  nous  indique,  comme  on 
vient  de  le  voir,  le  règne  du  roi  Roger,  ou  de  ses  suc-  ir;o-ii;2. 
cesseurs  ,  c'est-à-dire,  le  commencement  ou  le  milieu 
du  XII.*  siècle  ;  2.°  le 'titre  de  l'ouvrage  traduit  du  grec  1, 
en    latin  par  Eugcnius  admiratus  ou   ammiratus  fait  men- 


{1)1  Cet  ouvrage  est  une  espèce  de 
prophétie  attribuée  à  la  sibylle  Éry- 
thréen  ne  ou  Babylonienne,  dont  voici 
le  titre  :   Extractuin  de  libro  qui   di- 


citur  Vasilographia ,  id  est  imperialis 
scriprura  ,  qiicd  sibylla  Eritliea  (  iege 
Erythriea)  Babiloiiica  (alit.  Enthea 
Batybnica),  adpetitioiietn  Gnrccriiin, 
teinpore'Priami  régis  edidit,  quodque 
de  Chaldeo  sennone  in  Grœcum  Daxo- 
^tïrr/(alit.  Doxapater ,  Iege  Doxapa- 

TOM  E    VI.  D 


trius  )  peritissiinus  transtuUt  ;  tan- 
dem de  œrario  Eminamielis  impera- 
toris  ediictum  Eugenius  regni  Siciliae 
admiratus  de  grœco  tram  tu  lit  in 
latimim.  Liber  Eritheœ  sihilLv  in- 
cipit  (cod.  6^62)} 

JViliis  arcliiinandrita  Doxapatrius 
scribebat  sub  Rogerio  in  Sicilia  ao  di 
ii^j.  (  Fabricius,  Bibl.  Gr.  toin.  V , 
de  Nilis  Diatriba,  ^^(Vg'.  jr/.  ) 


;<;  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

tion  de  l'empereur  Manuel.   D'après  ce  que  j'ai  dit  jus- 
qu'ici, ce  doit  ctre  Manuel  Comnène  ,  qui  rcgna  depuis 
''43   jiisquà    iiSo  ,  et   fit  la    guerre    à   Rt)gfr    roi   de 
Sicile.  On  peut  donc  croire  avec  assez  de  vraisemblance 
au  Eugciiitts  (immiratus    vivoit  vers   le    milieu    ou    la    lin 
114)  1180.     du  XII. "^  siccle.   Les  traductions  Arabes  étoient  fort   en 
vogue  à  celte   époque.   Jean   de   Sc'ville  avoit  achevé  sa 
Vo) Ci  /?/<«..  traduction   d'Allragaji  en    114^;  et,   moins   d'un  siccle 
Lknaman.         apfcs  ,   vers    1230,   l empereur    rrcdcric   11    ht  traduire 
WtUler.Asîm-   i'Almageste.   Les    ouvrages  Grecs   ou   Arabes    pouvoieiit 
ntm.fug.j^.     j^Q^iy^.^  jç5  traducteurs   parmi  les   habitans  de  la  Sicile, 
d'autant  plus  facilement  c|ue  cette  île  étoil  alors  peuplée 
d'Arabes,  de  Grecs,   d'Italiens,  comme  le  remarque   le 
r^.46.  Novairi  dans  son  Histoire  de  Sicile,  que  j'ai  donnée  au 

public. 

Revenons  à  l'Optique  de  Ptolcmée  ,  et  examinons 
d'abord  deux  questions  qui  se  présentent  ici  naturelle- 
ment :  la  première  est  de  savoir  si  cet  ouvrage  est  de 
Ptolémée  l'astronome;  la  seconde,  si  c'est  celui  que  Roger 
Bacon  cite  en  plusieurs  endroits. 

Les  raisons  qui  peuvent  faire  croire  que  l'Opticjue  est 
de  Ptolémée  l'astronome,  sont  celles-ci:  Les  divers  auteurs 
qui  ont  porté  le  nom  de  Ptolémée,  sont  ordinairement 
distingués  par  différcns  prénoms  ou  surnoms.  Le  nom 
entier  de  l'auteur  de  l'Almageste  est  Chwdius  Ptolenuius ; 
mais  on  omet  souvent  le  prénom  ChiuMus.  Or  les  auteurs 
anciens  dont  nous  avons  parlé  au  commencement  de  ce 
Mémoire,  en  citant  l'Optique  de  Ptolémée,  ne  donnent 
à  l'auteur  aucun  surnom  ,  et  par-là  semblent  le  confondre 
avec  le  célèbre  astronome.  Simplicius  nicme,  en  ilonnant 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  27 
à  l'auteur  de  l'Optique  l'épithète  d\idimrûhle  [Sctt^/^oio^j, 
semble  indiquer  clairement  l'auteur  de  l'ouvrage  intitulé, 
Grande  Collection  mathématique  ;  ouvrage  qui  a  excité  l'ad- 
miration de  tous  les  siècles, 

Ptolémée  l'astronome  réunlssoit  d'ailleurs  à  l'astro- 
nomie beaucoup  d'autres  connoissances,  comme  le  prouve 
son  ouvrage  sur  la  géographie.  Suidas  cite  encore  du 
-  même  Ptolémée  un  Traité  de  mécanique  en  trois  livres, 
qui  est  mentionné  par  Pappus,  Ptolémée  avoit  encore 
composé,  selon  les  anciens,  des  Traités  sur  les  dimen- 
sions [vnd^  f^eT^Y^ma:;]  ,  sur  les  élémens  [çvi-^eïci,],  sur 
l'équilibre  ["Tnei  /'ottoi'].  Le  Traité  du  planisphère  que  lui 
attribue  Suidas,  et  qui  est  généralement  reconnu  pour  lui 
appartenir,  tient  à  une  branche  de  l'optique.  Ce  traité 
et  l'ouvrage  qui  nous  occupe,  ont  mcme  une  conformité 
singulière  ;  tous  les  deux  ne  sont  connus  que  par  une 
traduction  faite  sur  l'arabe.  L'original  Grec  est  vraisem- 
blablement perdu  pour  toujours. 

La  traduction   Latine  du   Planisphère  a  été  fiiite   en    Fah.itjd.t.iii, 

pjg.  449- 
II 44;  c'est  à  peu  près  vers   ce   temps,   d'après  les  re- 
cherches que  j'ai  exposées,  que  l'Optique  auroit  été  tra- 
duite en  latin. 

Voici  les  raisons  qui  pourrolent  faire  douter  que  l'Op- 
tique qui   nous  occupe  fût  de  Ptolémée  l'astronome. 

L'Almageste  ne  fait  aucune  mention  de  l'Optique  ; 
aucun  passage  de  ce  dernier  ouvrage  ne  renvoie  à  l'Al- 
mageste,  ni  aux  autres  ouvrages  du  même  auteur.  M.  De- 
lambre,  en  réfutant  cette  objection  ,  dit  qu'aucun  des  ou- 
vrages de  Ptolémée  n'en  rappelle  un  autre;  cette  assertion 
n'est  pas  exacte.  L'Almageste  fait  mention  de  la  G<;ogra- 

D.j 


28  ML.MOIULS  DE  I.ACADLAUE 

plue.  Voici  le  passage,  qui  se  trouve  à  la  lui  du  second 

livre  de  l'Alniageste  : 

"  Après  avoir  terminé  ce  (]ui  concerne  les  angles  ,  il 
"  me  reste  à  considérer,  pour  ie  calcul  des  pliénomènes, 
»  la  position,  en  longitude  et  en  latitude,  des  villes  les 
"  plus  remarquables  dans  chaque  province.  Nous  traite- 
"  rcns  à  part  de  cet  objet ,  qui  est  séparé  et  appartient  à  la 
«  géographie;  nous  suivrons  les  témoignages  de  ceux  qui 
»  ont  traité  particulièrement  cette  partie;  nous  marque- 
»  rons  de  combien  de  degrés  du  méridien  chaque  ville 
»  est  éloignée  de  l'équateur,  et  de  combien  de  degrés  de 
»  l'équateur  le  méridien  de  chaque  ville  est  éloigné  ,  à 
»  l'orient  ou  à  l'occident,  de  celui  d'Alexandrie,  pour 
»  lequel  nous  avons  calculé  les  temps.  » 

Il  est  évident  que  Ptolémée,  dans  ce  passage,  veut 
parler  de  sa  Géographie;  et  le  CQ\chve  Niisir  EJJiii ,  dans 
son  Commentaire  sur  l'Almageste,  dit  positivement  que 
l'ouvrage  que  Ptolémée  promet  ici ,  est  la  Géographie. 

On  ne  peut  donc  pas  dire,  avec  M. Delambre,  qu'aucun 
des  ouvrages  de  Ptolémée  n'en  rappelje  \.in  autre.  Au 
reste  ,  quoiqu'il  soit  question  de  la  Géographie  de  Pto- 
lémée dans  l'Almageste,  ce  n'est  point  une  raison  de  ne 
pas  reconnoître  comme  étant  du  même  auteur  les  ou- 
vrages dont  l'Almageste  ne  parle  pas;  car  il  faudroit  , 
par  la  même  raison  ,  rayer  de  la  liste  des  ouvrages  de 
Ptolémée  ses  Traités  sur  la  mécanique  et  sur  le  planis- 
phère ,  que  Suidas  reconnoit  lui  appartenir.  Mais  une 
considération  plus  importante  vient  ici  fortiher  les  doutes. 
L'auteur  de  l'Optique  a  bien  connu  le  phénomène  de 
la  réfraction  astronomique.  L'auteur  de   l'Almageste,  au 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELi-ES- LETTRES.        29 

contraire  ,  ignoroit  absolument  l'effet  de  ce  phénomène. 
M.  Delambre,  qui  s'est  fait  cette  objection  ,  ne  l'a  pas  , 
je  crois ,  réfutée  complètement. 

«•L'Optique,  dit  ce  savant,  est  postérieure  à  l'Alma- 
»  geste.  En  composant  son  Traité  d'astronomie,  Ptolémée 
»  n'àvoit  pas  encore  réfléchi  sur  la  réfraction  ,  il  n'en  avoit 
»  encore  aucune  connoissance.  »  Cette  raison  explique 
fort  bien  pourquoi  Ptolémée  ne  parle  pas  de  la  réfraction 
astronomique  dans  l'Almageste  ;  mais  on  demandera  toit- 
jours  pourquoi  ,  dans  son  Optique,  il  n'a  pas  corrigé  ce 
qu'il  avoit  dit  dans  l'Almageste ,  par  l'effet  de  l'ignorance 
où  il  étoit  alors  du  phénomène  de  la  réfraction.  Peut-on 
croire  que  l'auteur  de  l'Optique,  s'il  eût  été  aussi  grand 
astronome  qu'il  étoit  bon  physicien  ,  n'eût  pas  senti  que 
l'effet  nécessaire  de  ia  réfraction  étoit  d'accélérer  le  lever 
et  de  retarder  le  coucher  des  astres!  Peut-on  croire  qu'il 
n'ait  pas  cherché  à  déterminer  la  quantité  de  la  réhac- 
tion  astronomique,  et  qu'un  astronome  aussi  habile  que 
Ptolémée,  connoissant  l'effet  de  la  réfraction,  qui  est, 
comme  il  le  dit  positivement  ,  de  rapprocher  les  astres 
du  zénith,  n'ait  pas  eu  l'idée  d'en  conclure  que  toutes  les  Extmir  dt  M. 
hauteurs,  prises  du  moins  dans  le  voisinage  de  l'horizon,  u\^"°' '  '  '"' 
demandoient  une  correction  l  Mais  je  laisse  aux  astro-  \oyez  AUnt. 
nomes  l'examen  de  cette  question.  Les  doutes  qu'elle  fait  ,„m  i  mJ-l'i'i 
naître  pourroient  encore  être  fortifiés  par  le  silence  des 
auteurs  qui  donnent  la  liste  des  ouvrages  de  Ftolémée 
l'astronome  ;  mais  ces  listes  paroissent  faites  avec  peu 
d'exactitude,  et  cet  argument  négatif  n'auroit  pas  une  très- 
grande  force. 

Qiioi  qu'il  en  soit  de  l'auteur  de  l'Optique  renfermée 


fOTi.  ,u  !•!  rtrsp. 


50  iMJ.MOiRES  DE  L' ACADEMIE 

Jans  les  dfii\  iiiamiscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  on 
ne  peiil  douter  de  i'authenticitc  de  cet  ouvrage  :  t'est  ce 
que  je  vais  faire  voir,  en  montrant  que  tous  les  passages 
cites  par  Bacon  ,  dans  sa  Perspective,  sous  le  nom  de  Pto- 
k^mce,  se  trouvent  dans  l'ouvrage  dont  je  donne  ici  la 
notice. 
Clip.  tu.  I"        Sacon ,  avant  d'expliquer  ce  qui  concerne  particulicre- 

Mri.  ,tt  sa  Persp.  ,  .    .  .  ,  /      -      1  1  •      • 

ment  la  vision  ,  traite  des  sens  en  gcncral ,  et  distingue 
les  choses  sensibles  [ sensibilia ]  en  choses  sensibles  com- 
munes et  en  choses  sensibles  propres  à  chaque  sens  [scn- 
sibiliii  propriii  sui.f  sensi/iuij.  Ces  dernières  choses  sont  au 
nombre  de  neuf.  La  saveur  est  propre  et  appartient  au 
goût,  les  odeurs  à  l'odorat,  le  son  à  l'ouïe;  le  tact  juge 
du  chaud  et  du  Iroid  ,  du  sec  et  de  l'humide;  enfin  la 
vue  juge  de  la  lumière  et  des  couleurs.  Bacon  fait  ensuite 
l'cnumération  de  vingt  choses  principales  visibles;  comme, 
l'cloignement  /  remotio] ,  la  situation  [ situs ] .  Peu  après  il 
dit  que  toutes  ces  choses  sont  e,\pli(juces  par  Piolcmce 
dans  le  premier  livre  de  son  Optique  :  Et  hac  omnia  pa- 
tent l'A  primo  Ptolouuti  de  Optiez  s .  .  .  Bacon  ,  par  le  premier 
livre  de  Ptoicmce,  entend  ici  le  premier  de  ceux  qui  nous 
restent,  qui  est  réellement  le  second  de  l'ouvrage.  On 
trouve  efTectivement  dans  ce  second  livre  plusieurs  pas- 
sages qui  ont  rapport  à  cette  doctrine  :  O'ti/euiffue  sciistitim 
prnpriiim  sensiliile  eoiiveniens ,  ut  speeies  repellere  niiinûs  in 
Uietu ,  et  hiimor  (je  crois  qu'il  faut  lire  humoris)  i/i  gi/.uu , 
et  vocis  in  iiuditu ,  et  odorum  in  odoratti.  Bacon  ajoute,  quel- 
ques lignes  plus  bas  :  Scnsihili.i  eommuniti  non  sic  dieuntur 
quia  sentiuntur  à  sensu  comniuni ,  sed  quia  communltcr  au 
omnibus  sensibus  partieularibus  vel  à  pluribus  detenninantur , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.         ji 

et  maxime  à  visu  et  tdctu  ,  quïa  Plolommis  dicit  in  secundo      Png.  6  a  7. 
Perspective  qubd  tactus  et  visus   communicant  in  omnibus  his 
viginti.  Bacon  ,  revenant  ailleurs  sur  les  mêmes  principes,       i\,g.  77. 
dit   que  ,   selon  Ptolcmce    dans   le   second  livre  de    son 
ouvrage  ,   le  tact  discerne  tout  ce  qui  est  perçu  par  la 
vue,  excepté  la  lumière  et  les  couleurs.  Nam  Ptolomaus 
dicit  in  secundo  libro  :  Omnia  qua  visus  percipit,  tactus  discernit, 
pmter  lucem  et  colorent.   Le   passage  de  Ptolcmce  indiqué      P''e  77- 
ici  par  Bacon  se  trouve  immédiatement  après  celui  que 
je  viens  de  citer;   mais  il  est  évidemment  altéré.  Le  voici 
tel  qu'on  le  lit  dans  les  deux  manuscrits  :  //;  omnibus  vero     M,inuicrits.f.' 
quœ,  secunditm  principium  nervorum,  communia  sunt  sensibus , 
et  visus  participât  sibi ,  excepta  in  colore;  color  enim  nuUo  sen- 
suum  dignoscitur ,  nisi  secunditm  visum  :  débet  ergo  color  esse 
sensibile  pro'prium  visui.  Il  est  évident ,  par  le  passage  de 
Bacon  que  j'ai  cité,  qu'il  faut  lire  dans  Ptolémée  :  Tactus     P'^g- f- 
et  visus  participant  sibi ,  au   lieu  de  et  visus  participât  sibi. 
Cette  correction  est  encore  confirmée  par  ce  passage  de 
la  préface  du  traducteur,   qui  dit,  en  faisant  l'analyse  du 
second  livre  :  Eiiant  continetur  quod  tactus  tantitin  coinmu- 
nicat  visui  in  dignoscendis  pradictis  rébus  videndis ,  cxcepto  co- 
lore,  qui  solo  visu  dignoscitur. 

Bc^con ,  dans  le  second  passage  que  j'ai  cité,  appelle 
le  second  livre  de  Ptolémée  celui  qu'il  avoit  plus  haut 
appelé  le  premier  :  ainsi  nulle  difficulté  à  cet  égard.  Et 
de  ce  que  Bacon  a  cité  dans  un  endroit  le  premier  livre 
de  Ptolémée  ,  on  ne  peut  en  conclure  qu'il  connoissoit 
ce  premier  livre,  et  que  l'ouvrage  qu'il  cite  est  différent 
de  celui  que  renferment  les  deux  manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi ,  dans  lesquels  le  premier  livre  manque.. 


31  .MI MOIRES  DE  L'ACADI.Mir 

L'extrait  Je  M.  Dclambre  ne  fait  aucune  mention  de 
la  doctrine  à  laquelle  se  rapportent  les  deux  passages  que 
je  viens  de  citer.  On  ne  doit  point  en  cHre étonne,  puisque 
ces  deux  passages,  tels  qu'on  les  lit  dans  les  manuscrits  , 
ne  prcseiUcnt  aucun  sens.  Il  en  est  de  nitme  liu  passage 
suivant,  que  je  rapporte  ici  à  cause  de  sa  liaison  avec 
ce  qui  précède.  Ptoléniée  classe  ainsi  les  choses  que  nous 
apercevons  :  Rcs  ali<€  vidciitur  vcrè  ,  dlia  primo ,  alitv  se- 
quciHcr.  Vcrc  viiientur  liicida  spissa.  Dans  les  deux  manus- 
crits, vcrè  est  toujours  écrit  par  un  a;  mais  je  crois  qu'il 
faut  l'écrire  par  un  c  simple.  Les  deux  adverbes /t/'w/c  et 
serjueitter  qui  suivent,  prouvent  qu'il  faut  ici  un  adverbe. 
Al.  Delambre  ,  faute  d'avoir  fait  attention  à  cela  ,  dit 
dans  son  extrait  :  «<Ptolémée  distingue  les  choses  qu'on 
»  voit  vraies  ou  non  vraies.  Les  premières  sont  les  corps 
•  lumineux.  »  Cette  traduction  ne  présente  pas  l'idée  de 
Piolémée;  elle  est  même,  je  crois,  inintelligible.  L'épi- 
thète  spissa  ,  jointe  à  lucida  ,  omise  par  M.  Delambre, 
étoit  essentielle  à  rendre;  etliiciJa  ne  peut  signifier  ici  /es 
corps  lumineux ,  comme  on  le  voit  par  le  passage  <jui  suit 
immédiateineiu  :  Rcs  enim  visiii  subjecta  ticbciil  esse  tjuo- 
cumtjiie  modo  lucida,  aut  ex  se  mit  aîiunde ,  cùm  hoc  sit  pro- 
prium  visibili  sensui ,  et  spissa  (  les  manuscrits  portent  spissi/m  ) 
///  sulisttintia ,  ad  rctinendum  visu  m  .... 

Le  passage  suivant  renferme  une  application  de  la  doc- 
trine de  Ptolémée  ,  et  pourra  servir  à  l'éclaircir  : /4<t  «c/'ù 
prnpin(]uus  non  videtur ,  scd  a'cr  conùmtus  illi  vidctur ,  tjuo- 
niam  color ,  in  mulla  profunditate ,  factus  adinvicem  continu  us  , 
lit  magis  corporatus  et  cvidentior.  la  maniîye  dont  Bacon 
exprime  la  même  doctrine,  est  curieuse,  et  fait  voir  «jue 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  LETTRES.  35 
cet  auteur,  en  citant  Ptolémée,  s'attache  quelquefois  moins 
aux  mots  qu'aux  choses  :  Sed  tameii  scieiidiini  est  quoi  Pto-  ^''S-  ^■/■ 
loma:us  dicit  in  secundo  libro  Perspectiva ,  quod  nos  vïdemus  nërem 
vel pcrspicuutn  cœleste  à  longé ,  et  in  superfiia  distontia  ,  quamvis 
non  in  propinqua.  Multhm  enim  de  perspicuo  cimndatur  in  magna 
distantia ,  et  se  hahet  ad  visum  sicut  illiid  quod  est  pcrfectè 
densum,  in  parva  distantia. 

Le  même  auteur,  voulant  expliquer  pourquoi  l'on  ne  ^''g- f^' 
voit  rien  sans  la  présence  de  la  lumière,  rapporte  les  rai- 
sons proposées  par  ditFérens  auteurs.  Selon  la  première,  les 
couleurs  n'existeroient  pas  véa'itablement  dans  les  ténèbres. 
Cette  raison  ,  selon  Bacon,  est  détruite  par  Ptolémée,  dans 
son  second  livre  de  la  Perspective  :  Principiuni  destruit 
Ptolomaus  in  secundo  Perspective ,  dicens  :  Si  cniin  sic  esset , 
etiani  qualibet  res  duœ ,  hahentes  situm  eunidem  rcspectu  lucis 
et  visûs  ,  viderentur  similis  coloris  :  ci/Jus  contrarium  videmus  in 
diversis  rébus ,  quasi  universaliter  et  in  eadem  re  in  diversis 
temporibus  ;  ut  in  chanmleone ,  qui  mutât  colorem  secundum  di- 
versitatem  rerum  qua  appropinquant  ei ,  et  in  eo  qui  rubescit  ex 
verecundia  et  pallescit  in  timoré,  quamvis  eunidem  situm  habeat 
res  semper  respectu  lucis. 

Le  passage  de  Ptolémée  dont  parle  ici  Bacon  ,  paroît  Folio  /  i 
être  celui-ci  :  Unde  apparet  quod  res  non  ita  se  liabct  sicut  ^^ 
plures  astimarunt ,  dicentes  quod  color  sit  res  accidens  visui  et 
lumini ,  nec  habeat  propriam  substantiam.  Ptolémée  parle  dans 
le  même  endroit  du  caméléon ,  et  du  changement  de  cou- 
leur produit  par  les  diverses  affections  de  l'ame  :  Utpote  in 
animali  quod  vocatur  chamœleon ,  et  veluti  rubedo  quœ  quibus- 
dam  accidit  ex  verecundia ,  et  pallor  qui  aliis  accidit  ex  pavore. 
Hoc  autem  accidit  in  iis  sensibili  mutatione ,  ex  ipsis  vel  rchus 

T  O  JI  E   V  I .  E 


^i  .MK.MOIRFS  DE  L'ACADÉMIE 

exteriorihiis  apparente  iiis'i  (je  lis  visui)  ex  imitatione  (oloris. 
Alan'ifestum  est  ergo ,  per  ea  qu(î  d'ix'tmus ,  qubd  color  verè  inest 
eis  .  .  .  . 

P(T,f.p.,g.  Sf.  Bacon  dit  que  ceux  qui  onf  les  yeux  enfonces  voient 
mieux  les  objets  éloignons  que  ceux  qui  les  ont  sailluns. 
Il  cite  à  ce  sujet  l'autorité  de  Ptoicmce  ,  dans  le  second 
livre  de  son  Optique  :<2"/  vcro  liabent  oculos  profunJos ,  ne- 
cesse  est  ex  hac  causa ,  tjuoJ  possitit  vidcre  ma^is  remota ,  /jitani 

f'ig  i'4-  habentes  oculos  prominciites ;  et   quelques  lignes  plus  bas: 

Et  hoc  dicit  Ptolonuvus  expresse  in  secundo  Opticorum  siih  /lis 
verbis  :  lUi  qui  liabcnt  concnvos  oculos  vident  à  rcnwtiori. 

Le  passage  de  Ptoicmce  cite  ici  par  Bacon  doit  se  lire 
ainsi  :  ////  autem  qui  liabent  oculos  concavos ,  vident  à  majori 
distantia  quant  illi  qui  talcs  oculos  non  liabcnt. 

Dans  l'extrait  de  l'Optique  de  Ptoicmce  lu  à  la  pre- 
mière Classe,  ce  passage  est  ainsi  rendu  :  «  Ceux  qui  ont 
"  les  yeux  concaves,  voient  d'une  moindre  distance  que 

F»t.f.  '>  ceux  qui  n'ont  pas  de  tels  yeux.  "  L'auteur  de  cet  extrait 

a  lu  ici ,  vident  û  minori distantia  ;  c'est  effectivement  la  leçon 
du  manuscrit  73  lo  :  mais  l'autre  manuscrit  porte  ,  à  majori 
distantia  ;  et  le  passage  de  Bacon  que  j'ai  cite,  plusieurs 
autres  que  je  pourrois  y  ajouter,  prouvent  que  cette  der- 
nière leçon  est  la  véritable.  M.  Delambre  ajoute,  après 
avoir  donné  la  traduction  de  ce  passage  :  «  J'ai  souligné 
"  concaves ,  pour  qu'on  ne  m'attribue  pas  cette  faute  de 
"  copie.  "  Concavos  n'est  point  uwl'  faute  :  le  sens  de  ce  mot 
su  présente  naturellement;  et  celui  de  profundos ,  que  lui 
substitue  Bacon  ,  peut  servir  à  l'expliquer.  La  raison  que 
les  deux  auteurs  donnent  de  cette  particularité,  ne  laisse 
aucun  doute  sur  le  sens  de  ce  mot.  Voici  cette  raison. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.         35 

selon  Bacon  :  Cujus  causa  est  virtus  visibilis  qua  fit  proptcr 
cohabitatioiiem  ,  id  est ,  cotigregationem  et  aJu/iatio/iein ,  et 
pr opter  loci  aiigiistiam.  Cnm  enim  processio  Juerit  ex  atigustis 
lacis  ,  protenditur  visiis  et  elongatur.  Ptolémée  s'exprime  prc-     iMm.n.'yjw, 

^  .  fol.  22,  lin.  ^. 

cisément  dans  les  mêmes  termes:  Lujus  causa  est  vu  lus  vi- 
sibilis qua  ftpropter  cohabitatioiiem.  Cnm  ciiiin  processio  fuerit 
ex  a/igustis  locis ,  protenditur  visus  et  elongatur. 

Bacon,  peu  après,  examine  pourquoi  les  vieillards  ^'^S-^i- 
éloignent  d'eux  les  objets  qu'ils  veulent  voir,  et  il  en 
donne  la  raison  d'après  Ptolcmée  :  Et  liujus  causam  duccl 
Ptolomaus  fin  secundo  Persp.)  ;  nam  niulta  humiditas  in  oculis 
eorum  est  in  causa  :  seues  enim  muhas  humiditates  accidentalcs 
superfluas  liabent .  .  .  . 

Le  passage  de  Ptolémée  cité  ici  par  Bacon  paroît  être 
celui  qui  finit  par  ces  inots  :  (2_iii  volncrit  indubitanter  videre,  ^''^-  -'-'■  %'" 
necesse  est  ei  aspicere  a  longe.  Le  commencement  de  ce  pas- 
sage ,  dans  Ptolémée,  doit  être  fort  altéré;  car  il  ne  paroît 
pas  qu'il  y  soit  question  des  vieillards.  M.  Delambre  a 
donné  à  cet  endroit  un  sens  tout  différent ,  et  en  tire 
cette  proposition  :  «  L'humidité  rapproche  en  apparence 
»  les  objets.  " 

L'autorité  de  Bacon,  qui  avoit  sous  les  yeux  des  ma- 
nuscrits plus  anciens  et  par  conséquent  plus  exacts  que 
les  copies  qui  sont  parvenues  juscju'à  nous,  doit  être  d'un 
grand  poids  pour  déterminer  le  sens  de  ce  passag'e.  Mais 
cette  discussion  est  étrangère  à  l'objet  que  je  me  propose 
ici ,  qui  est  de  rassembler  quelques  passages  dont  le  rap- 
prochement ne  peut  donner  lieu  à  aucun  doute. 

Ceux  que  je  viens  de  présenter  prouvent  l'authenticité 
de  l'ouvrage  dont  ;e  donne  la  notice.  Je  pourrois   tlonc 

E.j 


3^  Mli.MOIRLS  DE  L'ACADEMIE 

ne  pas  pousser  plus  avant  cette  comparaison  ;  je  crois  ce- 
pendant devoir  joindre  ici  les  deux  morceaux,  si  intcressans 
pour  l'astronomie,  dont  j'ai  déjà  parlé  au  commencement 
de  cette  Notice,  qui  concernent  la  réfraction  ei  la  gran- 
deur apparente  des  astres  à  l'horizon.  Le  passage  de  Bacon 
relatif  à  la  réfraction  astronomique  se  trouve  dans  l'ou- 
Ptg.jjJ.  '■:-.   vra^e  de  cet  auteur  intitulé,  Spécula  mothenitUicii  :  Nam  si 
tjuis  per  iiistrumenhi  <juihus  expert  mur  ai^ua  suiit  in  cœlestilnts . 
cujusmotii  vocantur  nrmilhe  vel  tiliti ,  iiccipint  loaim  olicujus 
stelliE  circa  aquinoctiitlem  in  ortu  suo ,  cl  JeinJc  ciccipiat  hcum 
ejusdem  quando  venitad  lineam  meridiei ,  invenictin  loco  meridiei 
distiire  CiWi  sensibililer  plus  a  polo  mundi  septentrionali ,  quàm 
quando  fuit  in  ortu;  et  quelques  lignes  plus  bas:  Sic  autem 
/«  Ith.  V,  de   Ptolomaus  docet,   et  Alliaiçn ,  et  ego  consideravi  instrumenta 
Lit.  vil.         ^^^  ''^^'"  '  ''  certuni  est.  Le  passage  de  Ptolémée  cité  ici  est 
Làf.v.fol.çf  ainsi  conçu  :  Invenimus  rcs  qua  oriuntur  et  occidunt  nuigis 

dumaa.jjio.  ...  .  .....  ,       . 

déclinantes  ad  septentnoncm  cum  Jucrint  prope  noriipntem 
et  metita  fuerint  per  iiistrumentuin  quo  mcnsurantiir  sidcra , 
et  cum  fuerint  orientes  vel  accidentés  ;  circuit  utiquc  aqui- 
distantes  aquinoctiali  qui  describuntur  super  illas ,  propiii- 
quiores  surit  ad  scptentrionem  quàm  circuli  qui  describuntur 
super  illas  cian  fuerint  in  medio  cœli.  Bacon  s'étend  peu 
ici  sur  la  réfraction.  Son  objet  principal,  en  parlant  de 
ce  phénomène ,  est  de  faire  voir  que  le  monde  n  est  pas 
un  seul  et  même  corps;  il  dit  que  la  preuve  qui  résulte 
de  la  réfraction  n'est  pas  connue  des  naturalistes  ,  et 
n'est  pas  rapportée  par  Aristote  et  ses  commentateurs. 
Ptolémée  s'étend  au  contraire  beaucoup  sur  ce  phéno- 
mène; mais  je  ne  rapporterai  point  tout  ce  qui  est  relatif 
à  cet  objet,  pour  ne  pas  répéter  te  que  M.  Delambre  a 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  -  LETTRES.  j/ 
dit  sur  cela.  li  faut  voir  tout  ce  morceau  dans  son  extrait  ; 
c'est  un  des  plus  curieux.  J'ajouterai  seulement  ici  une 
remarque  sur  la  réfraction  astronomique.  M.  de  Monlucla 
croyoit  que  Ptolt'mée  étoit  le  seul  auteur  ancien  qui  en 
eût  parlé.  M.  de  Montucla  ignoroit  qu'il  en  est  question 
dans  Sextus  Empiricus.  M.  Delambre  cite  cet  auteur  d'une 
manière  générale.  Je  vais  rapporter  le  passage  même,  que 
l'on  ne  sera  pas  fâché,  je  crois,  de  trouver  ici  ;  il  est 
tiré  du  Traité  de  Sextus  Empiricus  contre  les  mathéma- 
ticiens. «Un  signe  qui  est  encore  sous  l'horizon,  dit-il,  Pr.g.  m  de 
»  paroît  déjà  au-dessus,  par  Tetîet  de  la  réfraction.  «Ktxlct  """  ''^"'"'■■ 
d^dytXcLaw  rri^  o-]^eci>c,  lè  vid  yiiv  en  >t3cG£ç&)4  ^cûSXov  ahxeî)/ 
vS\i  vTrèf  yijç  Tvy^aL\eiv. 

Ce  passage  est  clair  ,  et  l'on  ne  peut  exprimer  d'une 
manière  plus  juste  l'effet  de  la  réfraction  astronomique. 

Voici  le  passage  de  Bacon  relatif  à  la  grandeur  des  astres 
à  l'horizon  :  Quoci  aiitem  Stella  ex  causa  perpétua  videantur  ma- 
jores in  oriente  et  occidei.te  quàm  in  medio  cœli ,  dicit  Ptoiowmis 
in  tertio  et  quarto ,  et  Alhaien  in  septimo.  On  trouve  dans  le 
troisième  livre  de  l'Optique  de  Ptolémée  le  passage  suivant  : 
Videretur  autem  hac  de  causa ,  qiiod  de  rébus  qua.  sunt  in  cœlo ,  Fol.  46  mz», 
et  subtendunt  aquales  angulos  inter  radios  visibiles ,  i/Ia  quapro-  '^'  *' 
pinqua  sunt  puncto  quod  supra  caput  nostrum  est ,  apparent  mi' 
nores;  qua  verà  sunt  prope  horiipntem ,  videntur  diverso  modo 
et  secundùm  consuetudinem.  Res  autem  sublimes  videntur-  parva 
extra  consuetudinem ,  et  cum  difficultate  actionis ,  secundùm  id 
quod prataxavimus .  .  .  .La  raison  de  la  grandeur  des  astres 
vus  à  l'horizon ,  donnée  par  Ptolémée  dans  le  passage  du 
troisième  livre  que  j'ai  rapporté ,  est  bien  différente  de  celle 
que  lui  attribue  M.  de  Montucla  d'après  Bacon.  tom"i,plg"p/. 


3 s  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Il  faut  remarcjiier  que  Bacon  ,  en  traitant  cette  ques- 
tion ,  et  donnant  pour  raison  la  multitude  des  objets 
interposes,  cite  tout-à-la-fois  Ptolt'mce  et  Alhazen.  M.  de 
Montucla  a  mieux  aimé  attribuer  une  explication  ingé- 
nieuse à  Ptolémée  qu'à  Alhazen.  C'est  une  suite  de  sa 
prévention  contre  cet  auteur  ,  et  de  la  persuasion  dans 
laquelle  il  étoit  qu'Alhazen  avoit  pris  dans  Ptolcmée  ce 
qu'il  y  a  de  meilleur  dans  son  Oj>tique.  M.  Delambre 
a  déjà  vengé  l'auteur  Arabe,  cl  lui  a  rendu  la  solution 
ilun  prublème  assez  dilHcile.  Il  faut  encore  lui  rendre  la 
raison  intrénieuse  de  la  grandeur  des  astres  vus  à  l'horizon  , 
puisque  celte  explication  ne  se  trouve  pas  dans  l'Optique 
de  Ptoliimée. 

Je  ne  vois  rien  dans  le  quatrième  livre  de  Ptolémée, 
cité  ici  par  Bacon,  qui  soit  relatif  à  la  grandeur  des  astres 
vus  à  l'horizon.  On  peut  supposer,  ou  qu'il  y  u  erreur 
dans  la  citation  de  Bacon,  ou  que  les  manuscrits  de 
Ptolémée  dont  il  i>e  servoit,  étoient  plus  complets  que 
les  copies  (jui  nous  sont  parvenues.  Ce]iendant  la  con- 
formité exacte  que  nous  avons  trouvée  jusqu'à  présent 
entre  les  citations  de  Bacon  et  nos  manuscrits  de  l'Op- 
tique de  Ptolémée,  me  porte  à  croire  qu'il  y  a  ici  une 
légère  erreur  dans  la  citation  de  Bacon  ,  et  qu'il  faut  lire 
les  livres  //  et  ///  ,  au  lieu  de  lire  ;//  et  iv.  On  trouve  en 

Fol.  ,4,-  effet  dans  ie  second  livre  le  passage  suivant,  que  Bacon 
peut  avoir  eu  en  vue:  Sol  cutcm  et  liiiin  putj/itur  esse  pro- 
piftijuii  proptcr  cluritiitem.  Qjiioique  ce  passage  ne  soit  pas 
précisément  relatif  à  lu  grandeur  des  astres  à  l'horizon  , 

p„^    .  il  est   cependant  cité  peu  après  par  Bacon  dans  la  dis- 

i-ussion  relative  au  m<?me  objet. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  39 
Il  meresteroit,  pour  rempiir  le  plan  que  j'ai  tracé  plus 
haut  ,  à  exposer  les  opinions  des  anciens  sur  diverses 
questions  d'optique,  et  à  faire  voir  combien  la  connois- 
sance  de  ces  opinions ,  quelque  fausses  et  même  ridicules 
qu'elles  puissent  paroître  aujourd'hui  ,  peut  jeter  de  jour 
sur  les  passages  les  plus  obscurs  de  l'Optique  de  Pto- 
lémée  ;  mais  ce  tableau  fera  i'objet  d'un  Mémoire  parti- 
culier ,  qui  pourra  faire  suite  à  celui-ci. 


4o  MEMOIRES  DE  L'ACVDKMIE 

NOTE 

DU 

MÉMOIRE  SUR   LOPTIQUE   DE   PTOLÉMEE. 


LjA  trdiluction  Latine  Ht  t' Alm<igcste,  faite  sur  l'arabe,  a  donné  lieu 
h  une  erreur  sur  la  patrie  de  Ptolcmée,  que  je  crois  devoir  réfuter 
ici.  Cette  traduction  est  ainsi  intitulée  ;  Almagestum  Cl.  Plolemœi 
Phdwiientis  AlexanJrini,  astronomorum  principii ,  &c. 

Le  mol  Pluluditnsis  3.  ÎM  croire  que  Ptolémée  étoit  originaire  de 
Peiuse  ;  mais  les  divers  noms  ethniques  dérivés  de  cette  ville  sont , 
PelusioUs,  Pdusius  et  Pelus'iacus ,  comme  on  le  voit  par  Etienne  de 
Byzance. 

Indépendamment  de  la  terminaison  rnsis  du  mot  Plicluilurtsis, 
terminaison  qu'on  ne  voit  pas  dans  les  dérivés  de  Pelusiurn,  le  d 
de  la  troisième  syllabe  prouve  que  cet  ethnique  ne  peut  venir 
de  Pelusiurn,  d'où  l'on  dérive  bien  Pelusius,  mais  non  Peludius 
ou  Pheludiensis.  On  pourroit  dire  que  les  Arabes  ont  altéré  le 
mot  Grec,  et  l'ont  rendu  j)ar  Plidudi,  que  le  traducteur  Latin 
pourroit  avoir  exprimé  par  Pheludiensis  ;  mais  les  Arabes  ne 
changent  pas  ordinairement  les  consonnes  dans  les  noms  propres 
étrangers,  et  l'on  ne  voit  pas  pourquoi  ils  n'auroient  pas  écrit 
Pelusios  par  Phe!<msi. 

Thomas  de  Pinedo,  dans  ses  notes  sur  Etienne  de  Byzance, 
Ttm.lll.fuf;.  au  mot  n»i>.«(ni)c ,  et  Eabricius ,  dans  sa  Bibliothèque  Grecfjue, 
disent  que  Ptolémée  est  surnommé  par  les  Arabes ,  Aljciusi, 
Ces  sa  vans  ont  corrigé,  peut-être  sans  y  penser,  le  surnom 
donné  h  Ptolémée  par  l'ancien  traducteur  Latin  de  l'Almageste, 
et  ont  présenté  ce  surnom  tel  qu'il  devoit  être  pour  désigner 
un  homme  natif  ou  originaire  de  Peiuse  :   mais  la  leçon  admise 

par 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        4i 

par  ces  savans  est  sans  autorité;  et  ce  n'est  pas  ainsi,  comme 
on  le  verra  tout-à-I'heure,   qu'il  faut  corriger  le  mot  Phdudien- 
sis.    Mais   comme,  avant  de  proposer  une  correction,   il    faut, 
selon  les  règles  de   la   saine  critique  ,  en   montrer  la  nécessité  , 
je  crois  devoir  m'attacher   k  faire  voir   de   plus  en  plus  que   le 
mot  Pheludiensïs  ne  peut  signifier  originaire  de  la  ville  de  Péluse. 
Le  mot  Grec  OhXbojoç  ,   dérivé  de  otiAoî,  qui  signifie  boue,  a  été, 
selon  les  Grecs  ,  donné  ;\  la  ville  de  Péluse,  à  cause  de  sa  situa- 
tion à  l'une  des  embouchures  du   Nil,  et  parce  qu'elle  est  en- 
tourée de  marais  ;  le  témoignage  de  Strabon  sur  cela  est  précis.     Stmi.l.xvii, 
La  vérité  est  que  le  mot  nM^amof  n'est  que  la  traduction  du  mot  P"S-  ^^S- 
Oriental  sin,  po  ,   qui  signifie  l>oue  en  syriaque  et  en  chaldéen. 
C'est  sous  le  nom  de  Sin  que  Péluse  est  désignée  dans  Ezéchiel,       c\ijj.    xxx. 
Et  effundam  iram  meam  super  Sin ,  robur  j£gypti ,  que  la  Vulgate  a    ''•  '/• 
rendu    par  EJfunda/n  indignationem  meam   super   Pelusium ,   robur 
yEgypti  ;  et  dans  d'autres  passages.  Les  Arabes  ont  donné  à  cette 
ville,  par  la  même  raison,  le  nom  de  Tineh,  dérivé  de  tin,  tj^ , 
boue;   et  c'est  sous  ce  nom  qu'elle  est  mentionnée  dans  la  Géo- 
graphie d'Abulféda.  Il  suit  de  là  que  le  traducteur  Arabe  de  l'Ai-     Dacriyt.  /Eg. 
mageste,  pour  désigner  un  homme  originaire  de  Péluse,  se  seroit  ^%'  f'      (~ 
servi  du  mot  Tini  ou  Tinioun ,  dérivé  de   Tineh,  nom  Arabe  de   gmphia    sacra, 

la  ville  de  Péluse.  '"':  '///  '^'''"'- 

ad  Aljcyg.  }\ig. 

Une  dernière  raison  de  rejeter  le  surnom  de  Pheludiensïs  et   /./<'.,  d'Anviiie, 
l'explication  qu'on  en  adonnée,  c'est  qu'aucun  auteur  Grec  ne    ^)V"'f"S-9'>- 
dit  que  Ptolémée  fût  originaire  de  Péluse.  Suidas  ,  qui  parle  de 
cet  auteur  et  de    plusieurs  autres  qui  ont  porté  le   mêiue  nom 
et  sont  distingués  par  le  nom  de  leur  patrie,  dit  seulement  que 
notre' astronome  étoit  d'Alexandrie. 

Mais  il  est  temps  de  découvrir  la  cause  de  l'erreur.  Le  mot 
Arabe  qu'il  a  plu  au  traducteur  de  i'Almageste  de  lire  Pheludi , 
et  qu'il  a  rendu  par  Pheludiensis ,  devoit  se  lire  Keludi  ;  et  le  mot 
ainsi  lu  n'est  que  le  surnom  de  Claudius  donné  à  Ptolémée  par 
tous  les  auteurs  Grecs  et  Latins  ,  surnom  que  les  Arabes  ont  dû 
lui  conserver. 

On  trouve  effectivement  ce  surnom    clairement  énoncé  dans 
Tome  VI.  F 


4î  MÉMOIRES  DE  I.ACADLMIE 

ffii.JaPj-n.    Abulpharage,  RtttAfamious  al-Kdudi,  et  dans  la  Notice  sur  Ptolé- 
Ar.p^ig.  ui.       ip^e ,  extraite  de  la  Bibliothèque  Arabe  des  philosophes  et  rnppor- 
Tom.  I.  f'.ig.    tée  par  Casiri.  Les  lettres  phe  ei  k  aj  sonx  figurées,  dans  l'ccriiure 
i^  Arabe  ,  de  la  même  manière  ,  et  ne  se  distinguent  (|ue  parce  que 

la  première  est  surmontée  d'un  point,  et  que  la  seconde  en  porte 
deux.  Le  traducteur  Latin  peut  avoir  pris  facilement  l'une  de  ces 
lettres  pour  l'autre.  Peut-être  aussi  ce  surnom  étciit-ii  mal  écrit 
dans  le  manuscrit  dont  il  se  servoit,  ainsi  qu'il  l'est  dans  le  ma- 
nuscrit Arabe  de  l'.Mmagcste  delà  Bibliothèque  du  Roi  (n."  i  107), 
^H-  '9J-  et  dans  la  Bibliothèque  Orientale  de  d'Ucrbeloi,  où  on  lit  Bnthal- 

mius  {il-Feloudh'i.  Au  reste,  les  manuscrits  Arabes  méritent  ici 
peu  d'égard  ,  puisqu'il  s'agit  d'un  mot  étranger  à  la  langue 
Arabe  ,  et  qu'il  n'est  pas  étonnant  de  voir  dans  un  pareil  mot 
une  lettre  substituée  à  une  autre.  Je  n'en  citerai  qu'un  exemple. 
La  constellation  à  laquelle  les  Grecs  ont  donné  le  nom  de  Cq>li((, 
Kii?»ùï,  est  appelée  en  arabe  K'uaous ,  ,j-j^  ;  et  l'o"  ne  peut 
douter  que  ce  mot  ne  soit  le  mot  Grec  même  Kh^iÙç  ,  qui  devroit 
être  écrit  en  arabe  Kiphnous  et   non    Kicaous. 

L'identité  du  mot  corrompu  Alfdoud't  avec  le  vrai  surnom  de 
Ptolémée  ,  Ktloudï  ou  CLiudius ,  est  si  évidente  ,  qu'il  semble  inu  • 
tile  de  m'étendre  ici  davantage.  Je  dois  cependant  repousser 
encore  une  objection  qu'on  pourroit  faire.  L'auteur  de  la  traduc- 
tion de  l'Almageste  Arabe  a  mis  \  la  tête  de  son  ouvrage  une 
notice  sur  Piolémée ,  dans  laquelle  on  lit  ce  passage  :  Hic  niiiem 
ortus  et  eduûitus  fuit  in  A/fxandria,  majori  terra  .■E^pti,  cu'jus  tamen 
propage  de  terra  Sem  et  de  provincia  quœ  dicilur  Plieludia.  L'auteur 
a  voulu  ,  dans  ce  passage  ,  donner  l'explication  du  surnom  Phe- 
loudi ;  mais  celte  province  Plieludia  est  absolument  inconnue, 
et  ne  ressemble  guère  à  Pelusium.  Ce  passage  s'explique  f:icile- 
ment ,  si  on  lit  Keloudia  au  lieu  de  Pheludia.  Les  mots  de  terra. 
Sem  répondent  évidemment  aux  mots  Arabes  min  belad  Elsham, 
*LJI  >X  yj»  ,  que  l'auteur  eût  dû  traduire  jiar  de  tirra  Syria.  Il 
s'agit  donc  de  chercher  en  Syrie  quelle  est  la  ville  que  l'auteur 
Arabe  a  pu  désigner  par  le  mol  de  KelouJta  :  or   cela  ne  iera 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.        43 
pas  difficife.  L'ancienne  géographie  uous  fait  connoître  une  ville 
de  Claudias  ou    Claudiopolis ,  située   au  couchant  et  sur  la  rive 
droite  de  i'Euphrate ,  au-dessus  de  Samosate  ;  c'est  vraisemblable- 
ment de  cette  ville  ,  appelée  Cloudieh  ])ar  d'Anville ,  qu'il  s'agit     Gâgraph.  axe. 
ici.  Ibn  Haukal,  cité  par  Golius ,  étend  la  Syrie  [hclad  Elsham;    """■Il,r-'S7- 
terra  Sen? ,  selon   le   traducteur   de  l'Alningeste   Arabe)    jusqu'à 
Malathia    [Mélitène]  ,  et    Abulféda   comprend  dans  la   Syrie   la        Tai.  S_yria. 
petite  Arménie  ou  le  pays  de  ôts.  •'  " 

Ainsi ,  selon  l'auteur  Arabe  suivi  par  le  premier  traducteur 
Latin  de  l'AImageste  dans  sa  Notice  sur  Ptolémée,  notre  astro- 
nome étoit  surnommé  Keloudi,  parce  que  ses  ancêtres  étoient 
originaires  de  la  ville  de  KIoudieh  ou  Claudiopolis.  D'autres 
auteurs  Arabes,  en  confirmant  la  leçon  Keloudi,  donnent  une 
autre  raison  de  ce  surnom  ,  qu'ils  rapportent  à  l'empereur  Claude, 
en  arabe  Cloudious ,  et  ils  ont  cru  que  Ptolémée  descendoit  de 
cet  empereur.  On  trouve  cette  opinion  dans  l'ouvrage  de  Ma-  Kotkesdesmt- 
soudi  ,  dont  M.  de  Sacy  a  donné  une    notice  étendue  et    très-    nuscrits.t.VJlI, 

I"'S-  '('9- 
intéressante. 


Fij 


,,  ,  MK.MOIRFS  DF   L'ACADEMIE 

RECHERCHES 

SUR  I  C  PRINCIPE,  LES  BASES  ET  L'ÉVALUATION 

DES 

DIFFÉRENS    SYSTÈMES    MÉTRIQUES 

LINÉAIRES 

DE    L'ANTIQ.U!TÉ, 
Par  m.  GOSSELLIN, 

LufejiOc-  0,L'AND  j'ai  public  ma  Mctiiode  pour  i'cvaliiation  des 
tokrei8i7.  mesures  itîncraires  employées  par  les  Grecs  et  les  Ro- 
mains (i),  je  me  suis  borne  à  ce  qui  concernoit  la  géo- 
graphie de  ces  peuples.  J'aurois  craint  de  trop  compliquer 
une  question  déjà  assez  épineuse  par  elle-même,  si  je 
i'avois  entremêlée  de  discussions  qui  auroient  eu  un  rapport 
moins  direct  avec  l'objet  que  je  m'étois  proposé  :  il  nie 
sufiisoit  de  montrer  que  la  diversité  des  mesures  géodé- 
siques  recueillies  par  les  Grecs  dérivoit  de  celle  des 
modules  dans  lesquels  ,  depuis  un  temps  immémorial, 
étoit  exprimée  léiendue  de  la  circonférence  de  la  terre. 


(')  K<'_>'f^  le  Mémoire  intitule  £>€" 
l'évaluation  €t  Je  l'emploi  detAlesurcs 
itinéraires  grecques  et  romaines  ,  dan^ 
le  tome  IV  de  mes  Recherches  sur  la 


Cérc^raphie  systéwatiijue  et  positive 
des  anciens,  ou  l'Extrait  de  ce  Mé- 
moire dans  l'Histoire  de  l'Acadé- 
mie, tcm.  XLVIl ,  p'ig.  2/2-  22 f. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  4j 
Aujourd'hui  j'examinerai  d'où  provenoit  la  différence 
de  ces  modules  ,  et  je  ferai  voir  comment  il  est  possible 
de  déduire  d'un  clément  unique  la  valeur  de  toutes  les 
mesures  qui  composent  les  divers  systèmes  métriques  de 
l'antiquité. 

Je  diviserai  ces  Recherches  en  trois  parties  :  dans  la 
première,  je  parlerai  des  systèmes  métriques  réguliers,  c'est- 
à-dire  de  ceux  dont  toutes  les  subdivisions  découlent  d'un 
même  élément;  dans  la  seconde,  je  m'occuperai  des  sys- 
tèmes irréguliers,  ou  de  ceux  qui  renferment  des  mesures 
étrangères  les  unes  aux  autres;  dans  la  troisième,  j'exami- 
nerai les  systèmes  métriques  employés  par  les  Arabes  du 
moyen  âge  et  par  quelques  autres  peuples. 

Ces  différens  systèmes  présentent  la  nomenclature  cfes 
principales  mesures  usuelles  ,  telles  que  le  doigt,  le  palme, 
le  pied,  la  coudée  ,  le  pas,  l'orgyie,  le  stade,  le  mille,  &c., 
avec  leurs  proportions  relatives.  Mais  ,  parmi  ces  mesures, 
celles  qui  précèdent  le  stade,  n'ayant  pas  de  type  constant 
dans  la  nature ,  ne  peuvent  être  évaluées  isolément  :  le 
stade  ,  au  contraire  ,  étant  donné,  par  les  astronomes 
et  les  géographes  de  l'antiquité,  pour  une  partie  aliquote- 
de  la  circonférence  de  la  terre ,  offre  un  moyen  sûr  de  re- 
trouver la  longueur  qu'on  lui  attribuoit,  en  la  déduisant 
de  celle  du  degré  terrestre.  Alors  le  stade  devient  néces- 
sairement le  module  d'après  lequel  toutes  les  autres  me- 
sures doivent  se  conclure;  mais,  ce  module  différant  dans 
chaque  système,  il  faut  commencer  par  rechercher  quelle 
peut  être  la  cause  de  ces  variations,  et  sur  quelle  base 
«lies  se  trouvent  établies. 


4< 


MLMOIRrS  DE  L'ACADFMir 


PREMIERE    PARTIE. 


SYSTÈMES   MÉTRIQ.UES   RÉGULIERS. 


Si  l'on  rassemble  les  diffl'rentes  évaluations  du  pcri- 
mctie  de  la  terre  que  les  anciens  nous  ont  transmises  ou 
indiquées  ,  on  en  trouvera  neuf;  et  je  les  range  dans 
l'ordre  suivant  : 

400000  stades  (1).         240000  stades  (4).         270000  stades  ....  (7). 


ÎCOOOO , 


(2)- 


180000 (5).    225000. 


(8). 


j6scoo (3).         216000 (6).         250000  ou  252000  (9). 

En  voyant  des  évaluations  si  dissemblables  ,  on  peut 
demander  si  elles  sont  les  résultais  de  plusieurs  opéra- 
tions distinctes,  ou   si   l'on   doit  croire  qu'une  première 


(1)  Aristot.  Dt  Coilo ,  Ut.  il, 
cap.  14,  pjg.472. 

(2)  Archimed. /rt>4r«ijr;o,  j».  277 
et  stijuent. 

{})  L'Edrisi,  Geogr.  Nubiens,  in 
prolog.  pjg.  2.  —  Le  texte  porte 
56000  milles.  On  verra  bientôt  que 
les  milles  itinéraires  étoient  compo- 
tes de  10  stades:  ainsi  la  mesure  attri- 
buée par  l'Ldrisi  à  Hernies,  c'cst-.i- 
dire  aux  Egyptiens ,  donnoit  au  péri- 
mètre de  la  terre  360000  stades. 

(4)  Pojidon.a^uJ  Cleomed./;/'. /, 
e,tp.  10  ,  pag.  f2. 

{5)  Posidon.  api/d  Strab.  lil'.  li , 


pjg.g^.  — Ptolcm.  Geogr.iph.  lih.J, 
cjp.y,  II. 

(6)  C'est  le  stade  olympique  com- 
pris huit  fois  dans  le  mille  romain  ,  et 
dont  parlent  Polybe.Strabon.Colu- 
mcllc  ,  Pline,  Krontin  ,  Ceniorin, 
Isidore  de  Séville,  &c. 

(-)  C'en  le  siadc  italique  de  10 
au  mille  romain. 

(8)  C'est  le  stade  du  doliqnc  sy- 
rien ,  dont  la  valeur  sera  établie  dans 
le  cours  de  ce  .Mémoire. 

(9)  Eratoith.  <j^r/(/  CIcomed.  //A.  /, 
Clip.  10,  pag.  fj,  —  et  apiid  Hipparch. 
Gemin.  Vitruv.  Strab.  Plin.  Ccnso- 
rin.  Macrob.  Martian.  Capcll.  <5cc. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LE  I  TRES.  47 
mesure  de  la  terre,  modifiée  dans  la  suite,  aura  suffi  pour 
produire  les  variations  que  je  viens  d'exposer. 

M.  Bailly  est  le  seul,  je  crois,  qui  ait  cherché  à  ré- 
soudre une  partie  de  ces  questions.  Trouvant  ,  dans  les 
systèmes  métriques  des  anciens,  deux  coudées  dont  les  lon- 
gueurs étoient  entre  elles  comme  3  est  à  4  ,  il  en  a  conclu 
que  ces  coudées  avoient  servi  jadis  de  modules  pour 
former  les  stades  de  4oocoo  et  de  300000  à  la  circonfé- 
rence de  la  terre.  Il  suppose  ensuite  que  d'autres  cou- 
dées, plus  grandes  de  deux  tiers  que  les  précédentes,  et 
différant  aussi  entre  elles  dans  la  proportion  de  }  ^  4  , 
avoient  servi  également  à  fixer  la  longueur  des  stades  de 
z4oooo  et  de  180000  (i). 

Ainsi,  dans  l'hypothèse  de  cet  astronome  ,  il  faudroit 
croire  que  quatre  petites  mesures,  arbitrairement  établies, 
se  sont  trouvées,  par  un  hasard  fort  étrange,  être  des 
parties  aliquotes  les  unes  des  autres,  et,  ce  qui  seroit 
plus  étonnant  encore,  que  les  muhiples  de  chacune  de 
ces  mesures  isolées  auroient  donné,  en  nombres  ronds, 
la  circonférence  de  la   terre. 

Le  concours  de  ces  circonstances  est  sans  doute  bien 
difficile  à  admettre.  De  plus,  dans  l'hypothèse  des  400000 
stades  ,  il  faudroit  supposer  que  le  degré  terrestre  auroit 
été  reconnu  pour  être  précisément  de  444444>  444-  •  •  . 
coudées;  et,  dans  l'hypothèse  des  300000  stades,  dé 
3^33  33'  3!3'  •  •  •  coudées.  Des  séries  semblables,  toujours 
composées  des  mêmes  chiffres,  seroient  encore  un  motif 


(1)  Bailly,  Histoire  de  l'Astrono- 
mie modi'rne,  tom.  I ,  liv.IV,pag,  i^j 
ti  iuivantes.  Eclaircissenienf,  liv.  IIJ, 


pag.  joj-  et  suiv.  —  Cet  auteur  n'a 
point  parlé  des  stades  de  360000,  de 
216000,  de  270000  et  de  225000. 


4S  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

puissant  pour  ne  pas  permettre  de  croire  que  le  hasard 

eut  produit  de  pareils  résultats. 

L'application  de  ces  stades  à  la  mesure  du  degré  ac- 
tuel otfriroit  des  dilluultés  d'un  autre  genre  :  400000 
ou  300000  stades,  divisés  par  ^60,  feroient  croire  que 
le  degré  auroit  été  trouvé  de  1  i  i  i ,  1 1 1 .  .  ou  de  8  3  3 ,  ;  -.  ;  •  • 
stades;  or,  pour  qu'on  se  crut  obligé  de  tenir  compte  de 
la  première  fraction  ,  il  auroit  fallu  cju'on  lut  certain 
d'avoir  la  mesure  du  degré  à  un  dix-millième  près,  c'est- 
à-dire  à  moins  de  six  toises,  et  l'on  sait  qu  une  pareille 
certitude  est  presque  impossible  à  obtenir. 

Tant  d'invraisemblances  me  portent  à  penser  que  ces 
nombres  bi/arres  de  i  i  1  i,  1 1 1  et  de  83  3,  r. ;  t  que  nous 
employons  aujourd  hui ,  ne  sont  plus  ceux  qui  expri- 
moient,  dans  les  stades  dont  il  est  question,  l'étendue 
<jue  les  anciens  donnoient  originairement  au  degré  ter- 
restre ;  et  que  si,  dans  la  suite,  ces  nombres  ont  repré- 
senté la  valeur  du  degré,  c'est  parce  qu'ils  sont  devenus 
les  résultats  de  combinaisons  nouvelles  et  différentes  de 
celles  pour  lesquelles  les  stades  de  400000  et  de  300000 
avoient  été  créés. 

Mais  comment  ces  nouvelles  combinaisons  ont -elles 
été  amenées?  et  comment,  en  dernière  analyse  ,  les  dil- 
férens  stades  (ju'cllcs  ont  produits  se  trouveni-ils  com- 
posés de  parties  aliquotes  les  uns  des  autres! 

Celle  circonstance  très-remarquable,  et  à  laquelle  on 
n'a  pas  fait  assez  d'attention  ,  laisse  entrevoir  «jue  les 
neuf  stades  précédens  sorioient  d'une  même  source  ,  et 
proveneient  d'un  même  tvpe  présenté  sous  divers  aspects; 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  49 
et,  quoique  les  anciens  ne  nous  aient  rien  appris  à  ce 
sujet,  il  m'a  paru  que  leur  silence  pouvoit  être  supple'c 
par  les  faits  qui  naissent  de  l'examen  et  de  la  compa- 
raison des  mesures  qu'ils  nous  ont  transmises.  En  effet, 
si  la  théorie  qui  en  résulte  conserve  les  rapports  que  les 
différens  stades  doivent  garder  entre  eux;  si  elle  conduit 
à  découvrir  à-la-fois  l'unité  de  mesure  d'où  ils  découlent, 
et  l'origine  de  leurs  diverses  longueurs;  si  elle  sert  à  ex- 
pliquer comment  toutes  les  mesures  partielles  se  rat- 
tachent aux  mesures  générales,  et  celles-ci  à  une  base 
unique;  si  enfin  elle  produit,  par  des  moyens  simples, 
les  mêmes  résultats  que  les  anciens  avoient  obtenus,  la 
question  ne  sera-t-elle  pas  à-peu-près  décidée! 

Les  moyens  dont  je  parle  consistent  à  reconnoître  une 
première  mesure  de  la  terre  ,  et  à  admettre  des  différences 
dans  la  méthode  de  graduer  sa  circonférence  et  d'en  sub- 
diviser les  degrés. 

Dès  l'instant  où  les  Grecs  se  sont  occupés  de  géogra- 
phie astronomique,  on  les  voit  rapporter  et  comparer  la 
valeur  de  toutes  les  distances  itinéraires  qu'ils  recueil- 
loient,  à  l'étendue  de  la  circonférence  du  globe;  et  cet 
usage  atteste  que  ,  d'après  une  tradition  constante  ,  les 
modules  des  stades  et  ceux  des  milles  étoient  regardés 
comme  des  parties  aliquotes  de  cette  circonférence  ,  et 
par  conséquent  comme  des  résultats  positifs  d'une  me- 
sure de  la  terre. 

Ornant  à  la  division  du  cercle  en  plusieurs  parties, 
cette  division  étant  arbitraire,  on  conçoit  que  l'on  a  pu 
varier  sur  le  nombre  des  degrés  dans  lesquels  sa  circon- 
férence devoit  être  partagée.  Si,  dès  l'origine,  les  cercles 
Tome  VI.  G 


5  0  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

de  la  sphcre  avoient  cté  divisés  en  360  degrés,  serolt- 
il  présiimable  que  les  astronomes  ei  les  géographes  se 
iiissent  réunis  pour  diviser  l'étjiiateiir  et  les  méridiens  ter- 
restres en  400000  ou  300000  parties,  et  qu'ils  eussent 
compliqué,  par  cet  étrange  moyen,  toutes  les  opérations 
et  les  calculs  qui  dévoient  soumettre  la  description  de  la 
(eire  aux  observations  astronomiques? 

Je  ne  puis  ie  penser.  Les  nombres  de  400000  ,  de 
300000  et  de  360000  stades,  donnés  au  périm-c'tre  de 
la  terre  ,  me  paroissent  rappeler  trois  méthodes, ou  plutôt 
trois  essais,  successivement  appliqués  à  la  division  du 
cercle  en  4oo  ,  en  300  et  en  360  degrés.  C'est  de  là,  en 
effet,  et  des  différentes  subdivisions  de  ces  degré-s  ,  qu'on 
verra  sortir  les  divers  stades,  les  milles  itinéraires  et  les 
autres  mesures  dont  j'ai  à  parler. 

DfS    STADES    ET    DES    MILLES    ITINERilRES 
PR  l  M  ITI  FS. 

La  im,us  simple  des  divisions  du  globe  de  la  terre  , 
celle  qui  le  partageoit  en  quatre  par  l'écjuateur  et  par  un 
méridien,  a  dû  être  la  première  employée,  de  même  que 
la  division  décimale  de  chacune  de  ces  quatre  parties 
en  cent  degrés,  'puis  du  degré  en  cent  minutes,  et  de  la 
minute  en  d\\  parties.  Alors  les  centièmes  de  degré  ter- 
restre furent  pris,  comme  on  le  verra,  pour  former  les 
milles  itinéraires  ,  et  les  millièmes  de  degré  pour  former 
les  stades  :  de  sorte  que  la  circonférence  de  la  terre  se 
trouva  partagée  en  4oo  degrés  et  en  400000  stades. 

Ce  mode   de  division  ,    (pii    ne   permettoit  d'avoir  en 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  51 
nombres  ejitiers  que  la  moitié  ,  le  quart  du  cercle  ,  le 
cinquième,  et  leurs  sous-multiples  ,  fit  imaginer  ensuite 
de  partager  le  cercle  en  300  degrés,  pour  qu'il  fût  en 
outre  divisible  par  tiers,  sixièpies ,  douzièmes,  &c.  Ces 
degrés,  d'un  tiers  plus  grands  que  les  premiers,  furent 
divisés  ,  comme  eux  ,  en  cent  et  en  mille  parties  ;  et 
l'on  ne  compta  plus  ,  au  périmètre  du  globe,  que  300000 
staues. 

Enfin,  le  nombre  360  offrant  vingt- quatre  diviseurs, 
et  par  conséquent  encore  plus  de  facilité  dans  les  opé- 
rations, on  fut  porté  définitivement  à  partager  le  cercle 
en  ^60  degrés;  on  les  divisa  comme  on  avoit  fait  jus- 
qu'alors ,  et  la  circonférence  de  l'équateur  eut  360000 
stades. 

Telles  durent  être  les  origines  successives  des  trois  plus 
anciens  systèmes  métriques  dont  les  élémens  nous  sont 
parvenus.  Pour  s'en  assurer  ,  il  suffit  de  soumettre  aux 
trois  divisions  précédentes  les  4ooo  myriamètres  attri- 
bués par  nos  astronomes  à  la  circonférence  de  la  terre  , 
et  d'en  extraire  les  différens  résultats,  sauf  à  justifier  en- 
suite les  valeurs  qu'ils  présenteront. 

Squs   ces  divers  aspects, 

4000  myriamètres ,  divisés  par  4^0,  auroient  donné," 

Mèlr. 

Pour  chaque  degré looooo,  000. 

Pour  chaque  centième  de  degré,  on  pour  le  mille  itinéraire.        1000,  000. 
Pour  chaque  millième  de  degré,  ou  pour  le  stade lOO,  000. 

4000c  milles. 

Gij      - 


Pour  la  circonférence  de  la  terre,   1    ,  , 

'   40C000  stades. 


5  2  Mt.MOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

4000  myriamètres ,  divises  par  300,  auioiciu  proiluit, 

M  cet. 

Pour  chaque  degrt- '33353/   3«- 

Pour  chaque  ccnticnic  de  dogrc,  ou  pour  le  mille  itinér;iirc.        '333i   jH- 
Pour  chaque  millième  de  degré,  ou  pour  le  stade 133,  jjj. 

Tj         ,       .         f.  j     ,  i      30000  niiilt-s. 

Four  la  circonférence  de  la  terre,   {     ■'  , 

(    300000  stades. 

4000  myriamètres,  divises  par  360,  auroient  fait 
compter, 

M.it. 

Pour  chaque  degré 1 1  1  1 1 1,   1 1 1. 

Pour  chaque  centième  de  degré  ,ou  pour  le  mille  itinéraire.        1  1  11,   1 1 1. 
Pour  chaque  millième  de  di-gré,  ou  pour  le  stade 1 1 1,   nr. 

P,       ■         c'  j     I  I      36000  milles. 

our  la  circonférence  de  la  terre,  l      ,  , 

I    360000  stades. 

Les  résultats  de  ces  réductions  en  mètres  vont  conti- 
nuer de  servir  de  bases  pour  l'évaluation  des  mesures, 
dans  tous  les  systèmes  métriques  suivans. 


DES    STADES    ET    DES    MILLES    SECONDAIRES. 

Lls  longueurs  des  mesures  précédentes  restèrent  fixes 
et  indépendantes  des  trois  ditfcrL'ntes  divisions  du  cercle; 
et  quand,  par  la  suite,  le  partage  du  degré  centésimal 
en  soixante  minutes  eut  prévalu  sur  .l'ancien  partage  en 
cent  minutes,  il  ne  dérangea  rien  à  ces  mesu/es  dé')k 
consacrées  par  l'usage  ;  mais  il  en  fit  naître  d'autres ,  de 
deux  tiers  plus  grandes  ,  que  les  écrivains  de  l'antiquité 
Suprà , jK:g.  46.   nous  ont  aussi   transmises. 

On  vient  de  voir  que  le  degré  de  400  à  la  tirconfé- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  jj 
rence  de  la  terre  dut  être  de  looooo  mètres;  si  l'on  di- 
vise cette  somme  par  60,  on  aura, 

Pour  chaque  soixantième,  ou  pour  le  mille  itinéraire.  .  .    1666"",  66y. 
Pour  la  dixième  partie  du  mille,  ou  pour  le  stade i66  ,  667. 

D         I       •         r'  j    I  (      24000  milles. 

Pour  la  circonférence  de  la  terre,  {      , 

(   240000  stades. 

De  même  le  degré  de  300  ou  de  i  33333'",  jj; ,  divisé 
par  60 ,  donnera, 

Pour  le  mille  itinéraire 2222"",  m. 

Pour  le  stade 2.22       izi. 

n         I       ■  r'  j     I  (1 8000   milles. 

Pour  la  circonférence  de  la  terre,   l     „ 

(   1 00000  stades. 

Et  le  degré  de  3  60  ou  de  1 1  1 1 1 1  '",  , , , ,  divisé  par  60 , 
produira , 

Pour  le  mille  itinéraire 185  i",  852. 

Pour  le  stade i8j    ,   .S; 

DIT'  J    I  J      21600  milles, 

rour  la  circonférence  de  la  terre,   i       ^  ",  ^ 

(   216000  stades.  • 

Enfin  ,  lorsque  la  division  du  cercle  en  3  60  degrés  de 
60  minutes  chacun  eut  été  généralement  adoptée  ,  il  fallut 
proportionner  le  nombre  des  milles  et  des  stades  précé- 
dens  à  la  division  sexagésimale  ,  sans  rien  changer  à  leur 
valeur;  et  c'est  alors  que  l'on  eut,  pour  chaque  degré, 

1 1 1   milles  r' 


iiii  stades  i 

83  milles  f 

833  stades  |. 

100  milles.  .  , 

Jooo  stades. . . 

66  milles   J. 

666  stades  4. 


du  stade  de  4000CO  à  la  circonférence  de  la  terre, 
du  stade  de  300000. 
du  stade  de  360000. 
du  stade  de  240000, 


j4  A'.É MOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

50  milles )    j       .    1     1      w  I  r-  j   1 

.  du  Jt.iiie  de  iboooo  a  la  circonfcrcnceaclaicrif. 
joo  stades. ...    j 


60  milles. 
600  5(adcs . 


du   Jtadc  tfc  2i^)000. 


On  voit  donc ,  comme  je  l'avois  soupçonne,  (jue  les 
nombres  rompus  et  les  fractîojis  qui  expriment  mainte- 
nant en  milles  et  en  stades  la  valeur  du  degré  terrestre, 
proviennent  des  seules  moJiiîcations  d'une  mesure  pri- 
mitive donnée  en  nombres  ronds,  et  transportée  ensuite 
dans  les  différens  modes  employés  pour  la  division  du 
cercle  et  la  subdivision  de  ses  dei^rcs. 

DE    LA     CO.MPOSITION    DIS    SYSTEMES    MLT1UQ,UES 

ANCIENS, 

Le  plus  ancien  des  systèmes  métriques  dont  je  viens 
de  parler  ,  avoit  sans  doute  été  précédé  par  des   mesures 
de  convention   prises  dans   les  proportions  du  corps  hu- 
main ,  comme  l'indiquent  les  noms  de  doigt  ,  de  palme, 
de  pieil,  de  coudée,  d'orgyic,  qui  se  sont  conservés  jusqu'à 
nous.  Mais  le  Tableau  général  qui  termine  ces  Recherches, 
fait  voir  que  les  auteurs  de  la  mesure  de  la  terre,  ceux 
qui  en  ont  modilié  les  résultats,  et  ceux  qui  en  ont  com- 
posé des  systèmes  métriques  ,  n'ont  eu  aucun  égard  à  ces 
modules  incertains  et  variables.  Ils  s'en  inijuiétèrenl  si  peu, 
qu'ils   les  remplacèrent  successivement  par  d'autres  mo- 
dules auxquels  ils  donnèrent  les  mêmes  noms,  mais  qui, 
devenus  ou  plus  grands  ou  plus  petits,  n'oHrirent  bieiiiôt 
que  des  rapports  éloignés  avec   les  objets  (jii'ils  avoicnt 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        55 

désignes  auparavant.  C'est  ainsi  que  la  coudée  varia  chez 
les  anciens  ,  depuis  250  millimètres  jusqu'au-delà  de  5  5  5  , 
et  l'orgyie  depuis  i  mètre  jusqu'à  2"\  îî2,<|uoique  l'orgyie 
semble  avoir  été  calquée  originairement  sur  la  taille  com- 
mune de  l'homme. 

Les  différens  milles  et  les  diflcrens  stades  dont  il  vient 
d'être  question  ,  paroissent  avoir  été  long-temps  les 
moindres  mesures  astronomiques  employées  par  les  an- 
ciens ,  pour  exprimer  l'étendue  des  pays  ,  des  continens  ,  et 
celle  du  globe  entier.  Mais,  ces  mêmes  mesures  étant  trop 
grandes  pour  les  usages  ordinaires  de  la  vie,  il  fallut  les 
subdiviser  en  différentes  parties,  pour  les  rendre  appli- 
cables à  l'aoriculture ,  aux  arts  et  au  commerce.  Le  inode 
suivi  pour  ces  premières  divisions  a  dû  être  analogue  à 
celui  qu'on  avoit  employé  dans  l'ancien  partage  du  cercle, 
c'est-à-dire  que  le  stade  a  dû  commencer  par  être  divisé 
en  parties  décimales  ;  et,  autant  qu'il  est  possible  d'en 
juger  d'après  l'ensemble  et  la  forme  des  systèmes  mé- 
triques qui  nous  sont  parvenus  ,  on  fit , 

De  la  dixième  partie  du   stade,  la  mesure  nommée  amma; 
Et  de  la  centième  partie  du  stade,  la  mesure  nommée  or|yie. 

Ensuite  , 

La  moitié  de  l'orgyie  donna  la  double  coudée,  que  j'appellerai  verge  ; 
Le  quart  donna  la  coudée  commune  ou  ordinaire  ; 
Le  huitième,  la  spithame  ; 

Et,  dans  cette  hypothèse,  le  dixièn^e  de  la  spithame  forma  le  doigt 
décimal. 

Alors , 

La  spithame  étant  de 10  doigts  décimaun,. 

La  coudée  ordinaire  fut  de 20  ; 

La  verge ,  de 40  ; 


j6  MÉMOIRES  DF.  LACADÉ.MIE 

L'orgyic,  de fc'o  doigts  décimaux  ; 

L'amnu.de 800; 

Le  stade,  de 8000; 

Le  mille,  de 80000. 

Q,UAND,  par  l.'i  suite,  on  \()iilut  substituer  à  i;i<.ii\  isioii 
dcàmalc  du  stade  une  division  diiodecinuilc  ,  telle  cju'elle 
nous  est  parvenue,  sans  toucher  aux  mesures  dont  l'u- 
sage s'ctoit  établi  ,  on  ne  fit  que  réduire  d'un  sixicme  la 
longueur  du  doigt  dccinidl ,  pour  le  transformer  en  doigt 
duodécinitil ;  et  les  mesures  précédentes,  sans  changer  de 
valeur,  se  trouvèrent  composées,   savoir: 

La  spithame  ,  de 12  doigts  duodécimaux  ; 

L.?i  coudée  ordinaire,  de z\; 

La  verge,  de ^'i; 

L'orgyie,  de 96; 

L'anima,  de 960; 

Le  stade,  de 9600; 

Le  mille,  de 96000. 

Cependant,  en  faisant  disparoître  les  doigts  décimaux, 
on  ne  renonça  pas  à  suivre  la  progression  décimale  dans 
l'emploi  du  doigt  duodécimal;  mais,  ses  produits  ne  pou- 
vant s'appli(juer  aux  mesures  précédentes,  on  en  créa  de 
nouvelles ,  et  lOn  lorma 

Le  demi-pygon  (1),  de 10  doigts  duodéciuutux ; 

Le  pygon ,    de 20  ; 

Le  pas  simple,  de )c; 

Le  pat  double,   de...' bo, 

La  calanie.de 160; 

Le  pléthre ,  de 1 600, 

Ces  dernières  mesures ,   intercalées   parmi   les   prccé- 

(1)  Cette  mesure  manque  aujour-  1  C'en  peut-cire  le  dichas,  quoiqu'on  le 
d'hiil   dan»    la  plupart  de»  auteur».  1  trouve  plu»  souvent  ivalu(  à  8  doigts. 


DES  LVSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        57 

Jentes ,  donnent  la  plus  grande  partie  de  celles  que  les 
anciens  nous  ont  transmises.  Les  autres  mesures  n'entrent 
point  dans  ces  séries  :  le  condyle,  le  palme,  le  dichas , 
représentent  le  sixième ,  le  tiers  et  les  deux  tiers  de  la 
spithame;  la  pygme  vaut  une  spithame  et  demie;  et  le 
xylon  ,  six  spithames. 

Néanmoins,  pour  compléter  les  mesures,  il  faut  réta- 
blir, dans  chaque  système,  le  doïgi  décimal ,  qu'on  en  a 
fait  disparoître  depuis  que  la  division  duodécimale  a  été 
généralement  préférée.  La  proportion  du  doigt  de'cimal 
au  doigt  duodécimal  est  de  six  à  cinq;  et  l'on  verra  que  le 
premier  a  servi  aussi  à  composer  des  mesures  dont  je 
parlerai   dans  la  suite. 

Je  rétablis  également  une  autre  mesure  nommée  Grand  DmcorUl  De 
doigt  par  les  Grecs,  Once  et  Pouce  par  les  Romains.  Elle  llf.'""!]/ ''''ct'p. 
devoit  son  origine  au  passage  du  doigt  décimal ,  de  la  di-  ^%-f%L~^^'y 
vision  du  cercle  en  4oo  parties,  dans  la  division  du  cercle  c-^C-.l.xxvn, 
en  3  60  degrés  ;  de  sorte  que  le  grand  doigt  excédoit  le  doigt 
décimal  d'un  neuvième,  et  le  doigt  ^///o<^m/;/<:7/ d'un  tiers. 

La  propriété  du  grand  doigt,  qui  le  faisoit  admettre 
dans  les  systèmes  métriques,  étoit  d'y  offrir  un  point  de 
comparaison ,  un  élément  commun  ,  qui  servoit  à  con- 
vertir réciproquement  les  mesures  de  l'un  de  ces  sys- 
tèmes en  mesures  des  deux  autres  ;  parce  que  le  grand 
doigt  du  stade  de  400000,  par  exemple  ,  se  trouvoit  être 
en  même  temps  le  doigt  décimal  du  stade  de  360000 
et  le  doigt  duodécimal  du  stade  de  300000.  Le  grand 
doigt  offroit   un    pareil   avantage    pour    comparer   entre 


Mais  Edouard  Bernard  ( De  mensur. 
et  ponderib. ,  pag.  ipjj  cite  des  ma- 


nuscrits où  le   dichas  est  fixé  à   10 

doigts. 


Tome  VJ,  H 


jS  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

eux   les  stades  de   i.joooo,   de  216000  et  de   180000. 

D'ailleurs,  les  multiples  duodécimaux  du  grand  doigt 
produisirent  deux  mesures  très-usuelles,  dont  l'origine  ne 
s'explicjueroit  pas  ,  si  on  ne  la  puisoit  dans  ce  inodule  : 

L'une  est  le  pied  ,  compose  de  douze  grands  doigts  ou  de 
douze  pouces,  qui  répondent  à  seize  doigts  duodécimaux. 

L'autre  est  la  grande  coudée,  de  vingt-quatre  grands 
doigts,  valant  trente-deux  doigts  duodécimaux. 

Toutes  les  mesures  précédentes,  et  celles  que  fourni- 
ront les  trois  stades  dont  je  vais  parler ,  se  trouvent  réu- 
nies dans  le  Tableau  général ,  ainsi  que  leurs  valeurs  dans 
chacun  des  systèmes  qu'il  renferme. 

DES    STADES    ET    DES    MILLES     TF KTI  ^I RES. 

Recherchons  maintenant  d'où  provenoient  les  stades 

de  270000,  de  225000,  de  250000  ou  252000,  à  la 

circonférence  de  la  terre,  que  je  désignerai  sous  les  noms 

de  stade  itnli^ue ,  de  stade  du  doihjuc  syrien  ,  de  stade  dit 

CdtMTiH.DfAïc  d'Erûtosthàic;  et  voyons  si  les  élémens  dont  ils  se  com- 

"•"■'''^^•'r-x'"-   posent,  permettent  de  r^jttacher  leur  origine  à  celle  des 

r/in.  tif.   Il,   stades    primitifs. 

OI/I.  21. 

f"'  STADE    ITALIQUE. 

)o.  .'("  •ym.  p. 

jj_'-^  m.Cv         Parmi  les  anciens  dont  nous  possédons  les  ouvrages  , 
Coiymtii. Dt rc  Ccpsorin  est  le  seul  qui  ait  nommé  le  stade  italique  ,  en 

msik.t,  lit.    V.      ,.  ,  •     •  •     I  I  II 

iipi. p. ),'<•■      disant  que  ce  stade  contenoit  025  pieds,  et  le  stadeoiym- 

f'><^  /A        i>ique  600  pieds.  Ce  passage,  r.ipprochéde  ceux  de  Pline, 

xy.Mf.i;.       de  Frontin,  de  Columclle  ,  d'Isidore  de  Séville,  qui  tous 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.         59 

donnent  625  pieds  ou  125  pas  au  stade  de  huit  au  mille 
romain,  a  fait  croire  à  plusieurs  critiques  que  Censorin 
ne  s'est  pas  aperçu  qu'il  parloit  d'un  même  stade  dont 
la  valeur  lui  ctoit  donnée  sous  deux  aspects,  en  pieds 
romains  par  les  auteurs  romains ,  en  pieds  grecs  par  les 
écrivains  grecs  ;  et  qu'il  assignoit  précisément  la  même 
longueur  aux  deux  stades  dont  il  fait  mention.  En  effet, 
la  différence  du  pied  romain  au  pied  grec  étant  de  24 
à  25,  les  625  pieds  romains  valoient  600  pieds  grecs 
ou   un  stade  olympique. 

Cette  opinion  ,  toute  plausible  qu'elle  ait  paru ,  n'ex- 
plique point  la  difficulté  que  présente  ce  passage,  et  y 
laisse  une  autre  erreur  qui  sert  encore  à  prouver  que 
Censorin  ne  s'étoit  pas  fait  une  idée  nette  de  la  valeur 
des  stades  dont  il  vouloit  parler  :  c'est  lorsque ,  donnant 
mille  pieds  de  longueur  au  stade  pythique  ,  il  semble  le 
présenter  comme  le  plus  grand  de  tous  ceux  que  les 
Grecs  ont  connus  ;   ce  qui  seroit   notoirement  faux. 

Les  méprises  de  Censorin  me  paroissent  venir  de  ce  qu'il 
a  appliqué  aux  stades  les  différences  qui  appartenoient  aux 
pieds  dont  il  les  compose.  Ainsi ,  au  lieu  de  donner 

600  pieds  au  stade  olympique, 
62')  pieds  au  stade  italique, 
,    1000  pieds  au  stade  pythique, 

il  me  semble  qu'il  auroit  dû  s'exprimer  de  la  manière 
suivante  :  Le  stade.  .  .  .  employé  par  Pytliagore ,  pour  indi- 
quer  la  distance  de  la  terre  à  chacune  des  planètes .  ...  est 
celui  qui  confient 

600  pieds  du  stade  olympique , 
62J  pieds  du  stade  italique , 
1000  pieds  du  stade  pythique.  ^ 

Hij 


6o  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

On  voit  en  effet ,  J'aprcs  mon  Tableau  gcncral,  que 

600  picdsdti  stadede  216000  donnent  le  stadeolynipique  de    iSj",  lïr 

625  pifds   du  stade  de  225000,  mêmes  pieds  que  ceux  du 

lufra,pitr.ti,  mille  romain,  qui  est,  comme  on  le  verra,  le  mille 

Si,Sj,Sj.  du  stade  ;7<j/;<^H^,  ou  de  270000,  donnent  également    185    ,185. 

1000  pieds  du  stade  de  360000  produisent  aussi 'i^J  1  '8;. 

Et  il  en  rcbiilte,  sans  incertitude ,  que  le  stade  employé 
par  Pyiluigore  t'toit  le  stade  olympique.  Aussi  trouve- 
vin//- Cf//..\Wr  t-on  dans  Aulu-Gelle  que,  selon  Plutarque,  le  plus 
w  •*,'}?''"  '  grand  des  stades  connus  dans  la  Grèce,  au  temps  de 
Pythagore  ,  ctoit  le  stade  olympicjue,  et  <jiie  ce  philo- 
sophe s'ctoit  servi  du  pied  de  ce  même  stade  pour  éva- 
luer  la  taille  d'Hercule. 

On   reconnoitra,  en   mîme   temps  ,   que  le  stade   py- 

thique  ,  loin  d'avoir  été  l'un  des  plus  grands  stades,  comme 

Censorin  paroît  l'avoir  cru,  étoit  au  contraire  l'un  des  plus 

petits,  c'est-à-dire  celui  de  360000  a  la  circonférence  de 

Païuat.Phwrii.   la  terre;  et  ce  fait  s'accorde  avec  le  passage  de  Pausanias 

csp.vn.p.Si^.  ^^^  jj  ^.jj  jj(  ^^,^.^  d'après  un  décret  des  amphictyons,  les 

enfans  seuls  pouvoient  disputer  à  Delphes  le  prix  de  la 
course  ,  soit  du  dolique,  soit  du  diaule  ou  stade  doublé. 

Au  RESTE,  ces  méprises  n'empcchent  pas  que  Censorin 
n'ait  eu  au  moins  une  idée  confuse  de  l'existence  d'un  stade 
litfra.p^.it;.  appelé  itûliijue:  et  comme  on  trouve  dans  Héron  un  pied 
italiijue ,  il  n'est  guère  possible  de  douter  qu'il  n'y  ait  eu, 
sous  la  dénomination  de  ce  stade,  un  s)sttme  métrique 
quelconque. 

Mais  la  difficulté  est  de  savoir  quel  pouvoit  être  ce 
stade.  Il  me  semble  que  le  surnom  qu'on  lui  donnoit ,  in- 
dique clairement  qu'il  étoit  employé  en  Italie;  et  en  effet, 


/«y 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        6i 

quoique  les  Romains  eussent  divisé  leurs  grands  chemins 
en  milles  itinéraires  ,  on  trouve  des  exemples  qui  annon- 
cent que  l'usage  du  stade  s'est  conserve'  en  Italie  jusque 
sous  le  Bas-Empire. 

Strabon ,  qui  avoit  séjourné  à  Rome ,  donne ,  pour  la    Stmt.  iik.  v, 
distance  de  cette  ville  à  celle  âiAricia,  \6q  stades,  tandis  '"f"'^'. 

'  Anlonmt    Aii- 

que  les  Itinéraires  la  fixent  à  i  6  milles.  g"^'-  ii'ncrar.  p. 

i-ii  /       \t   A     1         \      T  T     I  I  "'^'       hincrar. 

iLX.  la  traversée  d/îtf/o//  a  Hydniiitiim  est  marquée,  dans   Hierosoijmiuw. 
l'Itinéraire  de  Jérusalem,  à  looo  stades,  nui  font,  dit  l'au-  ''"'?•  "''  u- 

teur,   100  milles.  îolymimn.p.éo^. 

Ainsi  le  stade  dont  parlent  ces  écrivains ,  étoit  de  dix 
au  niijie  romain.  J'ai  évalué  ce  mille,  dans  mon  premier 
Mémoire,  à  760  toises  7  pouces  8,  i^o  lignes,  qui  re- 
présentent 148  i'",  481  :  le  stade  italique  étoit  donc  de 
148'",  ,48,  ou  de  750  au  degré,  ou  de  270000  à  la  cir- 
conférence de  la  terre;  et  c'est  sous  cette  dernière  indi- 
cation qu'on  le  trouvera  dans  le  Tableau  général. 

Néanmoins,  pour  que  l'exactitude  de  ce  stade  ne  soit 
pas  contestée,  il  faut  qu'il  puisse  se  rattacher  par  ses  élé- 
mens  à  l'un  des  stades  primitifs  ;  et  il  s'y  rattache  en  effet, 
puisque,  d'après  le  Tableau  général,  on  voit  que  c'est  en 
prenant  le  grand  doigt  du  stade  de  3(5oooo,  pour  en 
former  le  doigt  duodécimal  du  stade  de  270000,  ou,  ce  / 

qui  revient  au  même ,  en  prenant  la  grande  coudée  de 
32  doigts  du  premier,  pour  en  faire  la  coudée  commune 
de  24  doigts  du  second,  que  l'on  a  composé  ce  dernier 
système. 

D'un  autre  côté  ,  tous  les  anciens  ayant  comparé  le 
mille  romain  à  huit  stades  olympiques  de  216000,  il 
falloit  que  ces  stades  fussent  plus  longs  d'un  quart  que  le 


Vovf/  /.  r  I 


t  i:i 


61  MIMOIRES  DL  L'ACADÉMIE 

statle  italique:  or,  si  aux  148'",  ,4s  prcccdens  on  ajout? 
un  quart,  ou  aura  juste  185'",  ,?;,  qui,  dans  le  Tableau 
gcnc^ral,  représentent  la  valeur  du  stade  olympique.  Ainsi 
tout  concourt  à  prouver  que  le  stade  italique  et  le  mille 
romain  avoient  aussi  pour  base  ime  partie  ali({uoie  de  l.i 
circonférence  de  la  terre. 

STADE   DU    DOL/QUE   SYRIEy. 

Jlsql'À  présent  les  modernes  qui  ont  parie  des  doli- 
ques,  les  ont  considères  simplement  comme  désignant  des 
carrières  de  difiérentes  longueurs,  qu'on  avoit  à  parcourir 
dans  les  jeux  publics  de  la  Grèce;  mais  on  verra  dans  la 
suite  que  les  doliques  étoient  de  véritables  milles  itiné- 
raires. 

Je  ne  parlerai  ici  que  du  dolique  syrien  donné  par 
Saint  Épiphane  pour  être  de  douze  stades;  et  quand  il 
sera  question  des  systèmes  métri([ues  rapportés  par  cet 
auteur,  je  montrerai  que  le  stade  dont  il  compose  le 
dolique,  étoit  le  stade  italique.  Or  je  viens  de  dire  que  ce 
stade  étoit  de  148'",  148  :  si  on  le  multiplie  par  douze, 
on  a  1777""!  778  pour  le  dolique  syrien;  et  si  on  le  divise 
par  dix,  comme  tous  les  autres  milles,  pour  en  extraire 
la  valeur  du  stade  qui  lui  est  propre,  on  aura  1  77'",  778  :  ce 
stade  sera  contenu  625  fois  dans  le  degré,  ou  225000  lois 
dans  la  circonférence  du  globe. 

De  plus,  le  doigt  duodécimal,  ou,  si  l'on  \c'ui,  la 
petite  coudée  de  ce  stade,  ayant  respectiveineni  la  même 
vîileur  que  le  grand  doigt  ou  la  grande  coudée  de  celui 
lie  j 00000  ,  on  voit  que  le  stade  du  dolique  syrien  étoit 
une  simple  modification  de  cet  -ancien  système  ,  et  que 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  6t, 
tous  ses  élémens  offroient  des  parties  aliqiiotes  du  degré 
terrestre. 

Mais  on  demandera  des  preuves  de  i'existence  de  ce 
stade ,  qu'aucun  auteur  moderne  ne  paroît  avoir  aperçu  ; 
elles  se  présenteront  dans  la  suite  :  je  me  borne  ici  à  un 
seul  exemple  tiré  d'un  passage  de  Strabon  ,  qui  n'a  pas 
encore  été  bien  expliqué. 

Ce  géographe,  en  parlant  de  la  \o\e  Egtuitia,  qui  se 
prolongeoit  dans  la  Macédoine  et  dans  la  Thrace  ,  dit: 
«Cette  route  est  mesurée  par  des  pierres  milliaires  ,  et  Strak/iki^//.. 
»  comprend  un  espace  de  5  3  5  milles.  Si,  comme  on  le  ^  "' ^~^' 
»  fait  ordinairement,  on  évalue  le  mille  à  huit  stades, 
»  on  aura  4^80  stades;  mais,  si  l'on  suit  le  calcul  de 
"  Polybe,  qui  ajoute  deux  plèthres  ou  un  tiers  de  stade 
»  pour  chaque  mille,  il  faudra  compter  178  stades  de 
"  plus.  " 

Le  stade  de  huit  au  mille  ,  dont  parle  Strabon ,  est  le 
stade  olympique  ;  et  l'évaluation  du  mille  à  huit  stades 
et  un  tiers,  donnée  par  Polybe,  est  d'autant  plus  remar- 
quable, qu'en  décrivant  la  route  suivie  par  Annibal  , 
depuis  la  Nouvelle-Carthage  jusqu'au  Rhône,  l'historien 
grec  observe  que  cette  route  est  bordée  de  pierres  mil- 
liaires p/acees  de  huit  stades  eu  huit  stades.  Ainsi  Polybe  Polyi/ Histêr.. 
connoissoit  la  proportion  du  mille  romain  au  stade  olym-  '"^'".i  yy 
pique;  il  n'est  donc  pas  possible  de  prendre  son  autre 
évaluation  pour  une  méprise  ,  et  il  faut  reconnoître  que 
le  stade  de  huit  au  mille  romain  et  celui  de  huit  et  un 
tiers  étoient  des  stades  difFérens. 

En  effet,  le  mille  romain  étant  de  148  i"",  481  ,  si  on     Suprà.pag.6,,. 
le  divise   par  huit  et  un   tiers,    on  aura,  pour  le  stade  "-"f"^-f^>- 


^4  MF.MOIRE5  DE  L'ACADEMIE 

indiqué  par  Polybe,  177'",  778,  et  tcsi  prcciscment  celui 
du  doliijue  syrien. 

Je  reviendrai  d'ailleurs  sur  cet  objet  ;  et  je  montrerai 
des  traces  multipliées  de  l'emploi  de  ce  stade  à  des  épo- 
ques ircs-difTcrentes ,  avant  et  après  le  siècle  de  cet  his- 
torien. 

STADE     DIT     D  ÉRATOS  THÈSE. 

Il  me  reste  à  parler  du  stade  qu'on  attribue  ordinai- 
rement à  Ératosthène;  et,  sans  m'arrcter  à  faire  voir  que 

CUomtJ.  AU-  l'opération  décrite  par  Cléomède  ,  et  tiu'il  semble  prêter 
TJ-Mg.  2'ss'  ^  ^^^  ancien,  pour  obtenir  une  mesure  de  la  terre,  n'of- 
friroit,  dans  ses  bases,  que  des  suppositions  fausses,  je 
me  borne  à  chercher  si  ce  stade  de  250000  ou  de 
152000  à  la  circonférence  du  globe  peut  se  rattacher  par 
quehju'une  de  ses  parties  à  l'un  des  stades  primitifs. 

Le  stade  de  252000  ne  présente  rien  dans  ses  sub- 
divisions dont  on  puisse  se  servir  pour  le  comparer  à  ces 
anciens  stades.  Mais,  d'après  le  Tableau  général,  le  doigt 
duodécimal  de  celui  de  250000  se  trouvant  égal  au  doigt 
décimal  du  stade  de  300000,  on  voit  que  c'est  avec  les 
multiples  de  ce  dernier  élément  qu'on  a  lormé  le  nouveau 
stade  de  160  mètres,  ou  de  694  "7  'i"  d^g'é.  II  est  pro- 
bable, d'ailleurs,  que  c'est  pour  éviter  ce  nombre  fraction- 
naire qu'on  a  ensuite  supposé  ce  stade  de  700  au  degré, 
ou  de  252000  à  la  circonférence  de  l'équateur. 

En  prenant  le  doigt  décimal  du  stade  de  300000  pour 
en  faire  un  doigt  duodécimal ,  et  en  le  multipliant  5)600 

Sffri.fttg.jh.  fois  au  lieu  de  8000  fois,  il  en  e^t  résulté  un  stade  plus 
grand  d'un  cinquième  que  celui  de  ^00000,   et  qui    ne 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  65 
se  trouvoit  pins  compris  que  250000  fois  dans  le  péri- 
mètre de  la  terre.  Ce  nouveau  stade,  employé  isolément, 
pouvoit  offrir  des  résultats  exacts  dans  la  réduction  des 
mesures  en  degrés,  ou  des  mesures  prises  avec  d'autres 
stades,  pourvu  que  l'on  tînt  compte  de  la  différence  des 
modules.  Mais  Ératosthène  ne  s'est  point  douté  de  l'iné- 
galité de  ces  stades;  il  les  a  confondus,  et  cette  méprise 
est  la  cause  des  erreurs  qu'il  a  commises  dans  la  déter- 
mination de  ses  longitudes,  en  publiant  son  système  géo- 
graphique. Il   est  facile  de  s'en  assurer. 


Lorsque  j'ai  réuni  les  mesures  employées  par  cet  ancien,  sous  le 
trente-sixième  parallèle,  pour  établir  la  longueur  du  continent,  de-     Voyez  mes Rt- 
puis  le  cap  Sacré  de  l'Ibérie  jusqu'à  Thivœ ,  j'ai  fait  voir  qu'il  évaluoit      J  "'  ''      ' 
cet  intervalle  à  7 1 600  stades  de  700  au  degré  d'un  grand  cercle  de 
la  terre;  qu'il  en  concluoit  i  26°  25'  57"  de  différence  en  longitude, 
et  qu'il  se  trompoit  en  plus  d'environ  vingt  degrés. 

J'ai  montré  aussi  que  ces  71(^00  stades  étoient  de  300000  à  la 
circonférence  du  globe ,  ou  de  8  3  3  j  au  degré  ,  et  que  ,  réduits  au 
parallèle  précédent,  ils  bornoient  la  distance  de  ces  lieux,  comme 
le  font  nos  observations  modernes  ,  à 1 06°    i  2'      6" 

En  substituant  au  stade  de  8  3  3  j  celui  de  (î<;4  f  > 
Eratosthène  auroit  augmenté  cet  intervalle  d'un  cin- 
quième ou, de 21.    1 4.    3  2. 

_  / 

et  il  auroit  fixé   Thince  à 1 27.   26.    3  8. 

Mais ,  pour  éviter  la  fraction  et  pour  arrondir  le 
nombre  de  ce  dernier  stade ,  il  l'a  porté  à  700 ,  en 
raccourcissant  de  -~  :  il  faut  donc  soustraire  de  cette 
graduation i .      o.   4 1 . 

II  restera 126.   25.    57. 

Et  c'est,  comme  je  viens  de  le  dire,  la  distance  que  cet  ancien 
Tome    Vi.  I 


66  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

supposolt  entre  le  méridien  du  c;iji  Sjcn'  et  celui  de  T/iintp.  D'où  il 
suit  que  le  stade  employé  parEratosihène  n'étoit  pas  le  résultat  d'une 
nouvelle  mesure  de  la  terre,  mais  seulement  une  comliinaison  par- 
ticulière aux  Egyi)tiens,  d'une  portion  du  stade  de  300CCO,  dont  il 
n'a  j)as  su  distinguer  la  valeur  ;  ce  qui  montre  encore  que,  chez  ces 
peuj)lcs ,  l'usage  du  stade  de  2  j  2000  avoit  précédé  ré})oque  de  la 
conquête  des  Macédoniens. 

Je  place  néanmoins  le  stade  de  252000  avec  celui 
de  250000  dans  le  Tableau  général ,  parce  qu'il  est  quel- 
quefois utile  de  les  consulter  I  un  et  l'autre  ,  pour  se 
rendre  cojnpte  des  mesures  employées  par  les  géographes 
de  l'Lcule  d  Alexandrie. 

PREUVES   DES   ÉVALUATIONS   PRÉCÉDENTES. 

Voilà  donc  neuf  stades  et  neuf  milles  itinéraires  qui 
ont  incontestablement  pour  base  un  seul  et  nuine  type 
primitif,  combiné,  modifié  de  différentes  manières.  Dcs- 
lors  on  conv'oit  que,  si  l'on  parvient  à  connoître  exac- 
tement la  valeur  de  l'un  de  ces  stades  ou  de  l'un  de 
ces  milles  ,  ou  seidcment  de  l'une  des  portions  dans  les- 
quelles ils  se  subdivisoient  ,  on  aura  la  valeur  de  tous 
les  autres  avec  une  égale  précision  ;  et  la  recherche  des 
mesures  de  longueur  employées  par  les  anciens  se  trou- 
vera considérablement  simplifiée. 

Pour  justifier  les  évaluations  que  j'ai  données  jusqu'à 
présent ,  et  pour  montrer  que  les  inesures  contenues  dans 
mon  Tableau  sont  conformes  à  celles  que  les  anciens  ont 
employées,  je  croîs  jiouvoir  rappeler  avec  confiance  les 
résultats  des   travaux  qu'ils  ont   exécutés  bien   avant  lé- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        67 

pDque  de  la  fondation  de  l'Ecole  d'Alexandrie,  pour  fixer, 
dans  le  sens  des  longitudes  ,  la  distance  des  principaux 
lieux  de  la  terre  :  opération  si  difficile  ,  que  c'est  depuis 
un  siècle  seulement  que  les  nations  les  plus  instruites  de 
l'Eurc^e  ont  pu  commencer  à  s'en  assurer;  encore  est-il 
douteux  que,  pour  certaines  positions,  elles  aient  mieux 
réussi  que  les  anciens.  Q.uoi  qu'il  en  soit ,  pour  épargner 
au  lecteur  la  peine  de  recourir  à  mon  premier  Mémoire, 
je  répéterai  ici   le   tableau    de   ces  distances. 


Principaux  Points  dont  Us  distances  en  Longitude 
ont  été  observées  par  les  Anciens, 


DENOMINATION 


DES     LIEUX. 


Du  cap  Sacré  au  détroit  dcb  Colonnes  d'Hercule. 

Du  cap  Siicri  au  détroit  de  Sicile.  . .    .  * 

Du  détroit  des  Cohnnet  à  Hliodcs 

Du  caj>  ^afré  à  Ijjui 

Du  cap  Sacré  aux  Portes  Caspienncs 

Du  détroit  des  Colonnes  aux  sources  de  V Indus. . . 
Du  cap  Saeri  à  Thina 


DISTANCES 


STADES 

de 


Degré. 


2000 
16300 
22300 
30300 
41600 
52600 
71600 


DEGRES 
SOUS    le     36.' 

parallèle. 


(/.  m. 

ï-  57-  5!) 

24.  10.  37 

^■)■  t-  )> 

61.  42.  13 

78.  1.  10 

106.  12.  6 


en 

DEGRÉS 

selon 

les 

Modernes. 


3.    10. 

33-   '■>■  i-, 
44-  40. 
6..     î. 
77.  42. 
io6.  27.    o 


DIFFERENCES 


O.  12 

—  O.  26. 

O.  1  I 

•4-0.  16. 

+  °-  37 

+  o.  19 

—  o.  14. 


5* 


Et  l'on  voit  à  quelle  précision  les  anciens  étoient  par- 
venus ,  puisque  la  distance  qu'ils  avoient  fixée  entre  le 
méridien  du  cap  Sacré  ou  de  Saint-Vincent  du  Portugal ,  et 


6^  MÉMOIRES  DF,  L'ACADEMIE 

le  mL-ricIIen  de  Tliiiut  ou  Tana-scrim  ,  dans  le  royaume  de 
Sian  ,  diffcre  seiileiiiem  de  14  minutes  54  secondes  de 
nos  observations  modernes  ,  c'est-à-dire  de  quatre  lieues 
sur  I  J2  2  lieues  marines  prises  en  ligne  droite;  tandis  qu'à 
des  époques  trcs-postcrieures  Eratosthcne  s'est  trompe  en 
plus  de  327  lieues;  Ptoicmce  ,  de  iipo  lieues;  et  que 
toute  l'Europe  se  trompoit  encore,  au  commencement  du 
siècle  dernier,  de  plus  de  400  lieues  sur  le  même  in- 
tervalle. 

Il  me  paroît  donc  impossible  de  nier  l'exactitude  du 
stade  de  S33  y  au  degré,  ou  de  300000  à  la  circonfé- 
rence du  globe;  et,  par  une  conséquence  nécessaire, 
l'exactitude  des  autres  stades  ne  peut  être  contestée,  puis- 
qu'ils reposent  tous  ,  comme  celui-ci ,  sur  une  mcme  base 
astronomique. 

Maintenant  je  dois  montrer  que  les  mesures  usuelles 
des  anciens  dérivoientde  la  longueur  des  stades,  et  qu'elles 
en  offroient  des  subdivisions  plus  ou  moins  grandes.  Pour 
s'en  assurer,  il  suffira  d'examiner  le  petit  nombre  de  mo- 
niimens  authentiques  qui  présentent  iminédiafement  le 
module  d'une  mesure  ancienne. 
XojnmfiKe  J'ai  dit  (juc  If  milieu  entre  dix  mesures  6u  pied  ro- 
main   donnoit    131     lignes  \^   de   notre    pied    de    roi, 

ou     O*",   ly'iSiijo. 

Si  l'on  multiplie  ce  nombre  par  5000,  on  aura,  pour 
le  mille  romain  composé  de  5000  pieds,  i  48  1  ■",  4017,0  , 
et  pour  sa  dixième  partie  ou  le  stade  italique  i4'^'".  'i^r;  ; 
ce  qui  nt-  ditrère  de  l'évaluation  présentée  dans  mon 
Tableau    général  ,    pour  le    stade    de    270000,    que   de 


(h/nka ,  t.  I\ 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.        69 

o"",  007573  ,  ou  3  lignes  ~  ,  sur  une  longueur  d'environ 
y  6  toises. 

J'ai  dit  aussi  que  le  frontispice  du  Parthcnon  d'Athènes, 
surnomme  Hecatowpedon ,  parce  que  sa  longueur  étoit  de 
cent  pieds  grecs,  avoit  été  mesuré,  et  trouvé  de  c)^  pieds 
de  roi  juste,  ou  de  ^o"^,  8^^743. 

Ce  nombre  multiplié  par  six  pour  compléter  la  va- 
leur du  stade,    toujours  composé  de    600  pieds,  donne    AuU-Gdl.Noa. 

8  ,  ,  ,  .  ,  ^  attic.lih.  l,c,:v.!, 

5™,  153458  pour  le  stade  olympique,  ou  de  216000,  et  /«^'. ,/. 

diffère  d'avec   mon  Tableau  ,  seulement  de  o'",  016717  ,  ou 

de  moins  d'un  pouce  siy  pj  toises  de  longueur. 

Dans  le  même  Tableau  ,  le  pied  de  ce  stade  est 
de  o"",  308(142  :  selon  la  mesure  prise  sur  les  lieux,  il  seroit 
de  o™,  3o<îsr,7  ,  c'est-à-dire,  plus  court  de  o"",  000045  ou  d'un 
cinquantième  de  ligne. 

Ces  différences  sont  trop  légères  pour  qu'elles  puissent 
faire  naître  des  difficultés  ,  sur-tout  si  l'on  se  rappelle  ce 
que  j'ai  dit   sur  les  incertitudes  que  laissera  toujours  la     Voye?.  «vç /?.•- 
méthode  de  conclure  de  grandes  mesures  d'après  l'agré-  l'^V/<:s%/.  ' 
gation  d'une  multitude  de  petits  élémens  problématiques. 

Mais  une   découverte  qu'on   doit  à  M.   Girard  ,  celle  y 

de  la  coudée  du  nilomètre  d'Eléphantine,  dont  il  se  sert 
pour  composer  des  mesures  qui  ne  s'accordent  pas  avec 
les  miennes  ,  demande  que  je  m'y  arrête  un  instant. 

Cet  habile  ingénieur  a  vu  ,  sur  les  murs  de  ce  monu-     Gimrd.    au 

j-li  Jl'  I  '  •  I  •!     "loire  sur  /e  nilo- 

ment,  les  traces  de  plusieurs  coudées  anciennes,  dont  il   mitredtVned'È- 
a  déduit  une  coudée  moyenne  de   527   millimètres:   il  la  ^'T^Minc ,  dans 

■^  '       I  '  l.i  Uescriytion  de 

multiplie  4oo  fois  pour  en  former  un  stade  de  210"",  7^3  ,   l'i gypte.nm.l, 
et  il  évalue  d'après  cette  base  toutes  les  mesures  indiquées  i^/';>4.'* 


70  .MrMOIRES  DE  L'ACADEMIII 

par  Héron.  Ce  stade  auroit  ctc  comcnu  environ  jiy  fois 
dans  le  degré,  et  ib'c>';'5  5  fois  dans  la  circonférence  de 
la  terre. 

Je  ne  trouve  dans  l'antiquité  rien  tjui  rappelle  un  stade 
semblable;  et  comi.ieses  élémens  ne  le  rattachent  àaucun 
des  stades  dont  j'ai  parlé,  je  soupçonne  quelque  méprise 
dans  l'emploi  qu'a  fait  M.  Girard  de  la  coudée  d'tlé- 
plianiine. 

Lerreur  consisieroit  à  avoir  pris  cette   mesure  pour  lu 

coudée  de  vingt-quatre  doigts  d'un  stade  incoiuiu ,  tandis 

que  la  coudée  d'tlépliantine  oHroit  celle  de  trente-deux 

doigts  dn  stade  égyptien  de  700  au  degré  ou  de  252000 

au   périmètre  du   globe  ;  et  dès-lors  les   527    millimètres 

dévoient  être  multipliés  par  300  et  non  par  400»  pour 

produire  la  valeur  du  stade. 

\'oseiJi*'lt        Dans  mon   Tableau,   la  coudée  de  32  doigts,  ou  de 

J0t!,7('' ^l'x',".-'.   3°°  ^"  stade  dont  je  parle,  est  de  o"",  ii,.oi  :  elle  diffère 

la gT,i«Jt nnJfç  seulement  de   deu.\   millimètres  de  celle  de   M.  Girard; 

di3i2Q0P.         et  cette  différence,  en  la  supposant  réelle,  ne  produiroii 

(jue  o"",  t,o  ,  ou  un  pied  onze  pouces  trois  lignes,  de  plus 

ou  de  moins,  sur  la  longueur  du  stade. 

Une  autre  mesure  fort  importante  confirme  inon  opi- 
nion sur  la  coudée  d'Elépliantine. 

Pim.'xxxyi,  Pline,  d'après  les  renscignemens  qu'il  a\(>ii  recueillis, 
donne  à  la  base  de  la  grande  pyramide  S8j  pieds. 

Mrm.  ,f(  a;         mm.  Le  Pcre  et  Coutelle  ont   retrouvé   les  mortaises 

Cirtrtif,        ,  ,111  •      I  ■  I     • 

creusées  dans  le  rocher  pour  retenir  les  pierres  angulaires 
du  revêtement  de  celte  pyramide  :  ils  ont  mesuré  l'inter- 
valle des  angles,  et  l'ont  reconnu  de  232'",  '  -;. 


"P 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.        71 

Dans  mon  Tableau  général  ,  le  pied  du  stade  de 
252000  est  de  o"",  i«4;io  ;  si  on  le  multiplie  par  88j,  on 
a  2^^*",  597«so  ,  et  c'est,  à  moins  d'un  mètre  près,  la  me- 
sure précédente.  Ainsi  le  pied  indiqué  par  Pline  est  bien 
le  pied  de  seize  doigts  ou  la  six-centième  partie  du  stade 
de  2  5  2000 ,  et  non  une  spithame  de  douze  doigts,  comme 
le  veut  M.  Girard;  et  ce  pied  se  trouvant  être  en  mcme 
temps  la  demi-coudée  d'Éléphantine ,  il  s'ensuit  que  cette 
coudée  est  celle  de  3  2  doigts. 

La  mesure  de  Pline  et  Tévahiation  que  j'en  déduis  se 
trouvent  encore  fortifiées  par  le  témoignage  de  Philon  de     riuio  Bjz.mi. 
Byzauce,  qui  donne  six  stades  de  circonférence  à  cette  rao?"'lJ,d""j 
pyramide.  Cronov.UThe- 

oa  base ,  comme  on  vient  de  le  voir»  étant  de  2  î  2"",  ccts  ,  inùquitat.  wm. 
si  on  la  quadruple  ,  on  a  ^30™,  67,2,  pour  la  circonférence; 
et  cette  somme ,  divisée  par  six  ,  porte  le  stade  indiqué 
par  Philon  à  i  5  5"",  1,19  :  c'est,  à  trois  mètres  et  demi  près, 
le  stade  égyptien  de  252000,  tel  qu'on  le  trouve  dans  le 
Tableau   général. 

Je  mets  donc  au  nombre  des  preuves  qui  justifient  mes 
évaluations  la  mesure  prise  par  M.  Girard,  quoique  nous 
en  tirions  chacun  des  résultats  fort  différens.  Je  dirai  dans 
la  suite  pourquoi  la  coudée  de  3  2  doigts  a  été  employée 
dans  le  nilomètre  d'Eléphantine;  j'expliquerai  l'usage  des 
divisions  que  M. -Girard  y  a  trouvées,  et  qui  lui  ont  fait 
croire  que  les  anciens  avoient  eu  des  coudées  de  sept 
palmes. 


VIII, l'ag.  2669^ 


72  MF.WOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Je  ne  conn'ois  pas  d'auires  mesures  positives  dont  la 
comparaison  puisse  servir  dans  cet  examen.  Mais,  comme 
on  a  vu  tous  les  stades  dont  j'ai  parle  sortir  d'un  module 
commun  ,  il  sufîlsoit  d'un  seul  exemple  pour  constater, 

I ."  Q.u'il  y  eut  une  époque  dans  l'antiquité  où  l'étendue 
de  la  circonférence  de  la  terre  et  la  valeur  de  ses  degrés 
ont  été  connues  avec  une  trcs-grande  précision  ; 

2.°  Que  les  différens  systèmes  métriques  que  les  an- 
ciens nous  ont  transmis  ,  ont  eu  pour  base  une  des 
parties   aliquotes  de  cette  circonférence  ; 

3."  Q.ue  le  système  de  division  du  cercle  en  4 o"  de- 
grés ,  renouvelé  par  nos  astronomes ,  et  les  opérations 
qu'ils  ont  faites  pour  déterminer  la  valeur  du  degré  moyen 
de  la  terre,  confirment  l'exactitude  des  mesures  anciennes, 
et  achèvent  de  prouver  qu'il  est  possible  de  les  ramener 
à  un  tvpe  primitif 


SECONDE 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.        73 


SECONDE    PARTIE. 


SYSTEMES    MÉTRIQ.UES    IRRÉGULIERS. 

Je  viens  de  considérer  les  principaux  systèmes  mé- 
triques anciens  dans  leur  ensemble  et  dans  leur  première  ,] 
régularité  ;  je  parlerai  maintenant  de  ceux  qui,  d'après  le  1 
mélange  des  mesures  dont  ils  sont  composés,  annoncent 
une  origine  postérieure.  C'est  dans  la.  comparaison  des 
milles  itinéraires,  des  parasanges  ou  des  schœnes ,  avec 
les  stades ,  que  l'irrégularité  de  ces  nouveaux  systèmes  se 
fait  sur-tout  remarquer  ;  mais  on  reconnoît  bientôt  que 
ces  mesures  hétérogènes  se  rattachent  toutes  aux  bases 
que  j'ai  indiquées.  I 

On  a  vu   les  milles  avoir  une  origine  commune  avec      S„i<rà .  p,:g,  ■ 

celle  des  stades,  et  dériver,  comme  eux,  des  différentes  '^'  '^'  ' 

modifications  d'une  seule  mesure  de  la  terre.  Les  milles 
contenoient  toujours  dix  stades  des  systèmes  auxquels  ils  y 

appartenoient;  chaque  stade  étoit  composé  de  cent  or- 
gyies:  ainsi  mille  orgyies  formoient  le  mille  itinéraire, 
et  lui  ont  fait  donner  le  nom  qu'il  a  porté  dans  la  suite. 
L'usage  de  cette  mesure  paroît  aussi  ancien  que  celui  du 

J  I  I         '  I  1  iT  /i  *K limer,    cap. 

Stade  :  on  la  trouve  employée  chez  les  Hcbreux^  des  le   xxxv.,m./i. 
temps  de  Moyse  ;    on    l'aperçoit   chez   les   Grecs  dès  le  '^' 

l'i  I  '        I  N  I      M       '       I  I  !•  ^Hcrodo'.l.  IV, 

temps  d  Hérodote"  ,   quand    il    évalue    les   distances  en   f.4t,pag.:ipS; 
milliers  d'orgyies ,  et  principalement  lorsqu'il  compare        ^;oo!'J''.'  '"'"' 
Tome   VI.  K 


7/i  .MEMOIRES  DE  I. ACADEMIE 

iccoro  orgyics  à icoo  sindes , 

I  I  I  r  :'rr  o'i;\  it's  à i  i  loo  siadcs  , 

3  ",  yici  ù 3300  stades  ; 

car  il  est  facile  de  reconnoître  que  le  mille  ilincraiic  de 
dix  stades,  ou  de  mille  oigyies,  se  trou\e  implicitement 
c^noncc  dans  ces  mesures,  puisque  c'est  comme  si  l'auteur 
avoit  dit  que 

La  première  étoit    de ico  milles  ; 

La  seconde,   de 1  110  milles  ; 

La  troisicm».' ,   de 330  milles. 


Il  a  donc  pu  exister  autant  d'espèces  de  milles  (jue  de 
stades  diffcrens  ;  et  si  les  Grecs  nous  ont  transmis  moins 
de  distances  dans  l'une  de  ces  mesures  que  dans  l'autre, 
c'est  sans  doute  parce  que  le  peu  d'étendue  de  leur  terri- 
toire leur  avoit  fait  préférer ,  dès  les  premiers  temps, 
l'usage  des  petites  mesures  à  celui  des  plus  grandes. 

Le  blsoin  d'exprimer  les  distances  par  le  temps  qu'on 
employoit  à  les  parcourir,  paroît  avoir  fait  imaginer  le 
schœne  ou  la  parasange ,  qui  me  semblent  être  la  même 
mesure  énoncée  quelquefois  en  stailes  ou  en  milles  de 
modules  difFérens  (1),  comme  on  le  verra  bientôt.  Cette 
mesure  ,  selon  toute  apparence,  indiquoit  l'espace  qu'un 
homme,   dans    une  marche  ordinaire,    pouvoit  franchir 


Vojrei  Htn^i. 
lit.  II.  J".  6. 

Sirai.  m.  XI , 
pjg.  !iS.  /yo^ 
lit.  Xt'll ,  p/ig. 

PIn.l.V.c  il. 
lit.  XII,  (itp.  fo. 

Pifiltm.  Cffgr 
lit.  I ,  tap.  II. 


(1)  On  trouve  le  schœne  évalue 

à  }0  stades  par  Artémidore  , 
Pline,  l'tolém«fc et  Héron; 

à  40  stade»  par  Eratosthcne  , 
Théopliane  et  Strahon  ; 

à  60  stades  par  Hérodote,  Ar- 
témidore et  Strabon. 


La  parasange  est  également  évaluée 

à  30  stades  par  Hérodote,  Artémi- 
dore, Strabon  et  Héron; 
à  40  stades  par  Strabon  ; 

à  60  stades  par   Strabon. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  75 
pendant  la  durée  d'une  heure.  La  parasange  fut  coinposce 
originairement  de  30  stades  ou  île  trois  milles  itinéraires; 
et  il  est  possible  qu'il  y  ait  eu  autant  de  paa'asanges  di- 
verses que  d'espèces  de  stades  et  de   milles. 

Tant  que  les  systèmes  métriques  ne  furent  pas  mé- 
langés, la  réduction  des  stades  en  milles  et  des  milles  en 
stades,  ou  de  ces  mesures  en  parasanges,  n'offrit  aucune 
difficulté.  Mais  lorsque,  par  des  émigrations  successives, 
par  des  conquêtes ,  ou  par  d'autres  événemens  ,  les  mesures 
d'une  contrée  furent  transportées  dans  une  autre;  quand 
un  peuple  qui  se  servoit  d'un  stade  quelconque ,  vint 
habiter  un  pays  où  les  distances  étoient  comptées  en 
milles  composés  d'un  autre  stade,  l'emploi  simultané  de 
ces  mesures  hétérogènes  obligea  d'en  déterminer  les  rap- 
ports ,  et  de  là  sont  venuesles  distinctions,  si  embarras- 
santes aujourd'hui ,  de  ces  milles  comparés.,  tantôt  à  sept 
stades ,  tantôt  à  sept  stades  et  demi ,  à  huit  stades  ,  à  huit 
stades  et  un  tiers,  à  dix  stades  ,  à  douze  stades ,  &c.  (i) 

Pour  reconnoître  ces  mesures  et  apprécier  leurs  valeurs, 


(i)  On  trouve  le  mille  évalué 

à  7  stades  dans  Procope,  Saint 
Epiphane,  Moyse  de  Cho- 
rène,Hésychius,Suidas,&c. 
Le  Scholiastede  Lucien  (ad 
lairomen.  J.  i ,  toin.  Il , 
P'^ë'  75' ) >  ''près  avoir  dit 
que  le  mille  est  de  y  stades , 
ajoute  :  quelqms  auteurs  plus 
anciens  veulent  qu'il  soit  de 
dix  stades  ; 

à  7  stades  j  dans  Pluiarque, 
Dion-Cassius ,   Saint  Epi- 


phane ,  Jtilien  d'Ascalon  ,  Hé- 
ron d'Alexandrie,  Photius,  Sui- 
das, le  Périple  du  Pont-Euxin , 
le  Scholiastede  Lucien,  &c.; 

à  8  stades  dans  Polybe  ,  Strabon  , 
Vitruve,  Columelle,  Frontin, 
Pline,  Suidas,  (Sec.  ; 

à  8  stades  j  dans  Polybe  et  Julien 
d'Ascalon  ; 

à  10  stades  dans  Strabon,  l'Itiné- 
raire de  Jérusalem  ,  le  Scho- 
liaste  de  Lucien  ( l.  l.J  ; 

à  I  2  stades  dans  Saint  Epiphane. 
Kij 


76  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

il  faut  observer  que  les  difFcrens  milles  dont  il  est  question 

étoient  composés  de  dix  stades,   comme  tous  les  autres, 

et  <|ue,  s'ils  paroisseiit  en  contenir  iilus  cm   iiK.ins,  cest 

qu'ils  se    trouvent  compares  à  des  stades  ou  plus  petits 

ou  plus  grands  que   ceux  des   systèmes  auxquels  ils  ap- 

partcnoient. 

Ainsi,  par  exemple,  dan,^  le  mille  Je  sept  stades,  la 
différence  numérique  des  stades  du  mille  aux  stades  indi- 
qués étant  de  lo  à  7  ,  la  différence  des  longueurs  devient 
comme  7  à  10;  et  cette  proportion  étant  celle  du  stade 
de  360000  au  stade  de  252000,  il  s'ensuit,  d'après  le 
Tableau  général,  que  le  mille  composé  de  sept  stades  du 
second  système  doit  être  de  i  i  i  i'",  ..,  ,  qui  présentent 
exclusivement  la  valeur  de  dix  stades  du  premier. 

Les  dix  stades  contenus  dans  ce  Tableau  pourroient 
fournir  quarante  combinaisons  de  ce  genre,  sans  les  addi- 
tionner autrement  que  de  demi-stade  en  demi-stade,  et 
sans  augmenter  le  nombre  des  Tnilles  que  présente  le 
même  Tableau.  Mais,  comme  il  est  très-vraisemblable 
qu'on  n'a  pas  fait  usage  de  toutes  ces  variétés ,  je  me 
bornerai  à  offrir  celles  qui  se  rapportent  aux  passages  des 
auteurs  que  nous  possédons.   Ainsi  , 


7  stades  de....     252000  valent  un  mille  ou  10  stades  de  360000. 
7  stades  ;  de. . 


300000  400000. 

270000  360000. 

225000  300000. 

I 80000  240000. 


!  240000  300000. 
216000  270000. 
1 80CCO   225000. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.        -77 

300000  360000. 

.   ,  250000  300000. 

8  stades  i  de. . .(  ^^^^^^ _ ,^0000. 

180000  216000. 

360000  300000 

12  stades  de 


-,00000  2500C0. 


270000  225000. 

216000  180000. 

Ou  ,  si  l'on  veut, 

Un  mille    du    stade  de...    360000  vaut  7    stades  de....   252000. 

!  400000  vaut  7  stades  \  de. . .  300000. 

360C00   270000. 

300000     22)000. 

240000     1 80000. 

!  300000  vaut  8  stades  de....  240000. 
270000  2160C0. 
225000   I 80000. 

360000  vaut  8  stades -J- de ,. .    300000. 

,-,         -Il     j  j      j        ]   300000    2^0000. 

Un   mdle  des  stades  de..  <    -"  •'  . 

270000  225000. 

21 6000  1 80000. 

300000  vaut   12  stades  de...    360000. 

,,  Il      J  J       J        )    250C00    ÎOOOOO. 

Un  mille  des  stades  de..<      '  3^^^^^^. 

225000  2700C0. 

I 80000  21 6000. 

D'après  ces  rapprochemens  ,  les  milles  composés  de 
7  stades  4-,  de  8  stades,  de  8  stades -f  et  de  12  stades, 
pouvant  appartenir  à  difFcrens  systèmes,  laissent  de  l'in- 
certitude dans  le  choix  de  celui  où  l'on  devra  les  placer; 
mais  des  circonstances  accessoires ,  dont  je  produirai  des 
exemples,  aideront  à  lever  ces  incertitudes. 

J'ai  annoncé  que  les  dolicjues  e'toient  aussi  des  milles    SuprA.f.'iz.. 


rS  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

itiiic'raires.  Pour  sVn   convaincre,   il  sufTit  de  consiJcrer 
que  les  dilfcrens  cloliques  dont  hi  longueur  nous  est  don- 
née par  les   anciens  ,    sont   tous   composes  d Un  nombre 
fixe  de  stades,  et   que  ce  nombre  est  quelquefois  pareil 
à  celui  des  stades  qui  forment  ies  milles  du  tableau  pré- 
cèdent; de  sorte  que  le  nom  de  dolique  et  celui  ilc  mille 
semblent  avoir  une  signification  identi(|ue.  On  trouve  en 
effet  le  dolique  évalue,  par  quelques  auteurs,  à  7  stades; 
par  d'autres,   à    12  stades,   à   20»  stades  et   même  à  24 
stades  (1).  Les  deux  premiers  doliques  offrent  visil)lement 
les  mêmes  valeurs  que  les  milles  de  7  et  de    i  2  stades 
dont   il  vient    d'être  question;    et,    en    suivant  l.i  même 
méthode  d'évaluation  ,   je   trouve  que  le  dolique  de  20 
stades  devoitêtre  composé  de  20  stades  de  360000,  qu'il 
valoit  2222'",  î;î,   et  qu'il   représentoit   le   mille    de  dix 
\' oyez  If  T.,-   stades    de    180000.    Quant    au   dolique  de    24   stades, 
t.w gi»^,, .       ^-Q,|,rne  il  surpasseroit  en  longueur  tous  les  milles  connus, 
il  est  vraisemblable  qu'il  contenoit  24  stades  olympiques 
de  2  1  6000  ou  4444'"»  4'«  »  <^'  ^^'  "  «Jésignoit  la  parasange 
Voyei  UT.:    de  îo  stades  de  270000  ou  trois   milles  romains.  Cette 
mesure  paroîtra  dans  plusieurs  des  systèmes  suivans. 


Il  faut  attribuer  encore  au  mélange  îles  mesures,  causé 
par  celui   des  peuples  ,   l'évaluation    de    la   parasange    à 


(1)  Le  dolique  est  évalué 

à  7  stades  dans  le  Scholiajtu 
d'Aristophane  ,  dans  un 
Scholiatie  de  Xénophon 
et  dans   Suidns; 

à  12  stadt-j  dam  Saint  Epi- 
p'r.ine  ; 


à  xo  srarics  dans  le  Scholiaste 
d'Liiripide  ,  dans  celui  de 
Lucien  et  dans  le  Lexique 
di*  Zonaras; 

•^    2.j  siaJcs  dans  Suidas. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       79 

quarante  stades  ou  quatre  milles  ,  celle  qui  la  porte  à 
soixante  stades  ou  six  milles  ,  et  celle  qui  la  compose  de 
stades  et  de  milles  étrangers  les  uns  aux  autres.  Chaque 
système  métrique  n'ayant  eu  d'abord  qu'une  seule  pani- 
sange  de  30  stades,  la  plupart  des  autres  combinaisons 
ont  eu  pour  objet  d'indiquer  une  mesure  au  moyen  de 
laquelle  des  systèmes  difFérens  pouvoient  se  comparer  et 
s'assimiler,  en  permettant  d'introduire  dans  l'un  la  para- 
sange  de  l'autre.  Ces  intercalations  n'offrent  souvent  que 
la  répétition  d'une  même  mesure  qui  passe  dans  deux  ou 
dans  trois  systèmes,  sans  changer  de  valeur,  quoiqu'elle 
y  paroisse  composée  d'un  nombre  de  stades  ou  de  milles 
plus  considérable  qu'auparavant.  C'est  ainsi 

Que  les  parasanges  de  30  stades  ou   de  3  milles  des     Voy-t?.  ir  Ta^ 
systèmes  de  300000,  de  270000  et  de  225000,  furent   ^^'''"' S""'"^- 
également  celles  de    4°  stades  ou    de  4  milles  des  sys- 
tèmes de  4ooooo.de  360000  et  de  300000; 

Que  la  parasange  de  4o  stades  de  i  80000  devint  celle 
de  60  stades  de  270000; 

Et  que  la  parasange  de  30  stades  de  j  80000  fut  à-la- 
fois  celle  de  4o  stades  de  240000  et  celle  de  60  stades 
de  360000, 

En  multipliant  ainsi  les  parasanges  ou  les  schœnes  dans 
plusieurs  systèmes,  on  paroît  avoir  été  conduit  à  les  mul- 
tiplier dans  les  autres  ,  et  à  donner  à  chacun  trois  para- 
sanges régulièrement  composées  de  30,  de  4o  et  de 
60  stades ,  ou  de  3  ,  de  4  et  de  6   milles  itinéraires. 

Enfin  c'est  en  voulant  amalgamer  ensemble  des  stades 
et  des  milles  pris  dans  des  systèmes  difFérens  ,  que  la 
parasange  s'est  trouvée  répondre  quelquefois  à  30  stades 


M/.  jC. 


Po  MEMOIRES  on  L'ACADÉMIE 

d'un  système  et  à  4  niilles  d'un  autre;  et  aussi  à  45  stades 
et  à  6  milles  ,  comme  on  en  verra  des  exemples  dans 
fa  suite. 
Plin.  lit.  XII.  On  trouve  dans  Pline  une  combinaison  dw  nicme  genre, 
qu'il  importe  d'cclaircir;  c'est  lorsqu'il  tlit  :  "  Le  schocne, 
"  selon  Eratosthcne ,  est  de  quarante  stades  ,  c'est-à-dire 
>'  de  cinq  milles  :  quelques-uns  donnent  à  chaque  schœne 
■  trente-deux  stades,  » 

J'observerai  d'aboril  que  l'cvaluation  du  schœne  à  cinq 
milles  itinéraires  ne  se  rencontre  nulle  part  ailleurs  que 
dans  ce  passage  de  Pline,  et  que  l'habitude  où  t^toit  cet 
historien  de  prendre  indistinctement  tous  les  stades  pour  la 
huitième  partie  du  mille  romain,  est  la  cause  i]ui  lui  a  fait 
croire  que  les  quarante  stades  dont  il  est  question  dévoient 
représenter  cinq  milles.  Aussi  paroît-il  penser  que  les  deux 
évaluations  de  \o  et  de  32  stades  se  contrarioient ,  ou 
qu'elles  se  rapportoient  à  deux  schanes  dirfcrens. 

Mais  il  s'agit  d'un  même  schocne  ,  et  il  n'y  a  point  de 
contradiction  dans  la  valeur  (jui  lui  est  donnée.  Seulement 
Pline  ne  s'est  pas  aperçu  que  cette  valeur  se  trouvoit  ex- 
primée en  deux  modules  diffcrcns  :  d'abord  en  stades  de 
270000,  qui,  dès  le  temps  d'Ératosthène,  paroissent avoir 
été  en  usage  dans  quelques  cantons  de  la  Basse- tgypte , 
et  ensuite  en  stades  f>lvmpi(jucs  de  2 1  <5ooo ,  que  les 
Grecs  y  avoient  récemment  apportés.  (Quarante  de  ces 
premiers  stades  et  trente-deux  des  seconds  représentoient 
également  5925"",  i»*  ,  et  répondoient  juste  àtiualre  milles 
romains.   Or  on  trouve,  d.ins   l'Itinéraire  d'Antonin  (i), 

(1)   Anionini    Aug.    Itinrmr'iuin ,    pug.    iji.    —    La    disiance    de    clir 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        8i 

que  quatre  milles  romains  égaloient  le  schœne  employé 

dans  la  Basse-Egypte.  Ce  schœne  reparoîtra  par  la  suite  hfrâ.pag.i^;. 

sous  le  nom  de  parasange. 

Je  dois  encore  ajouter  que ,  selon  Artémidore ,  le  Ammidor.iipud 
schœne,  entre  Memp/iis  et  la  1  nebaide ,  ctoit  de  120  png.So4. 
stades.  Mais  cette  cvaluation  ,  qui  sembleroit  porter  le 
schœne  au  double  de  sa  plus  grande  longueur,  s'éloigne 
trop  de  l'opinion  et  de  l'usage  des  anciens ,  pour  ne  pas 
autoriser  à  croire  qu'il  est  ici  question  d'un  stade  de 
moitié  moins  long  qu'Artémidore  ne  le  pensoit.  Il  me 
paroît  très-vraisemblable  que  les  120  stades  dont  on  lui 
a  parlé  étoient  de  360000  à  la  circonférence  de  la  terre, 
et  qu'ils  représentoient  60  stades  de  180000.  Sous  cet 
aspect ,  le  grand  schœne  égyptien  rentroit  dans  la  série 
de  tous  les  autres  schœnes ,  et  n'excédoit  pas  les  propor- 
tions dont  on  étoit  convenu. 

On  voit  donc  que  toutes  ces  mesures,  si  dissemblables 
en  apparence,  se  rattachent  les  unes  aux  autres,  et  qu'elles 
n'ont  point  d'autres  élémens  que  ceux  que  j'ai  indiqués. 
C'est  ce  que  va  confirmer  l'examen  de  quelques  systèmes 
métriques  anciens  qui  diffèrent  de  ceux  du  Tableau  gé- 
néral par  le  mélange  des  stades,  des  milles  et  des  para- 
sanges  de  diverses  espèces ,  que  l'on  y  a  intercalés. 


schœnes  entre  le  mont  Casius  et 
Péluse,  indiquée,  dans  ce  passage, 
par  ia  position  intermédiaire  de  Pcn- 
tcschœnon ,  y  est  évaluée  à  4°  milles 
romains.  Svir  la  grande  carte  d'E- 
gypte ,  levée  par  les  Français ,  la 
distance  des  ruines  de  Péluse  au  Ras 


el-Kasarcun,  l'ancien  Casius,  en  sui- 
vant le  tracé  de  la  route,  est  d'un 
peu  plus  de  59OCO  mètres,  qui  re- 
présentent 4°  milles  romains  ,  ou 
10  schœnes  de  40  stades  de  270000, 
ou  10  schœnes  de  52  stades  de 
216000. 


Tome  VI.  L 


8î  MEMOIRES  DE  L'AC.VDEMIE 


SYSTEME     MÉTRIdU  E    DES     ROMAINS. 

Je  commence  par  le  pins  connu  des  systèmes  anciens, 
celui  des  Romains  ;  et  je  le  mets  au  nombre  des  systèmes 
mixtes  ou  mélanges,  parce  que  le  mille  s'y  trouve  comparé 

Suprj.p.ig.ji  à  huit  stades  ,  au  lieu  Je  dix  (ui'il  devroit  avoir.  J'ai 
rapporte  des  témoignages  qui  prouvent  que  1  usage  d  un 

S»j>rà.p.6/.  stade  de  dix  au  mille  romain  étoit  connu  en  Italie;  et 
ces  autorités  suffisent  pour  faire  voir  que  le  stade  olym- 
pique, ou  de  216000,  contenu  huit  fois  dans  le  mille 
dont  je  parle,  étoit  un  stade  d'emprunt,  étranger  au  sys- 
tème auquel  les  Romains  l'associèrent. 

Mais  ce  système    présente  une   autre   irrégularité.  Le 

mille  romain,    reconnu    aujourd'hui  pour   Cire  de  75  au 

degré,  est  visiblement  le  mille  du  stade  de  270000  ou  de 

750  au  degré  :  ses  subdivisions  devroient  donc  avoir  les 

marnes  valeurs  que  celles  de  ce  stade.  Cependant,  d'après 

\ofei  f'.Sj.     le  tableau  joint  à  cet  article,  les   valeurs  de  toutes  les 

Comparw  le  subdivisions  du  mille  romain  se  trouvent  être  les  m<}mes 

mit  In   Vin.'  que  celles  du  stade  de  225000. 

€»!.  du   Talltju 
gttérjl. 

Cette  singularité  annonce  que  les  premières  mesures 
employées  parles  Romains  dérivoient  de  ce  dernier  stade  , 
et  que  le  mille  de  14^ '"".•;''.  qui  nous  est  connu,  étoit 
encore  une  mesure  d'emprunt  qu'ils  ont  substituée  au 
mille  ou  dolique  syrien  de  1777'".  77».  dont  ils  s'étoient 
servis  jusqu'alors. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        fij 

Ce  changement  t'toit  d'autant  plus  facile  à  introduire, 
qu'il  ne  dcrangeoit  rien  aux  mesures  établies  ,  ni  par  con- 
séquent aux  habitudes  du  peuple  ;  parce  que  ,  le  pas  double 
du  stade  de  225000  se  trouvant  égal  à  l'orgyie  du  stade 
de  270000  ,  il  suffisoit  de  convenir  (jue  dorénavant  le 
mille  seroit  censé  composé  de  Jooo  pas  doubles  du  premier 
de  ces  systèmes,  au  lieu  de  1000  orgyies  du  second;  et 
c'est  pourquoi  l'orgyie  ,  si  essentielle  dans  tous  les  sys- 
tèmes ,  ne  paroît  point  parmi  les  mesures  romaines.  De 
])lus,  comme  le  pas  double  étoit  de  cinq  pieds,  tandis 
que  l'orgyie  en  avoit  six,. la  permutation  de  ces  mesures 
fit  qu'on  ne  compta  plus,  dans  le  nouveau  mille,  que 
5000  pieds  au  lieu  de  6000,  et  80000  doigts  au  lieu 
de  96000  que  contenoient  tous  les  milles  réguliers.  Suprà.pag.^e. 


I^fràipag.  1/j.o. 


Les  raisons  qui  peuvent  avoir  engagé  les  Romains  à 
changer  leur  premier  mille,  paroissent  tenir  à  leurs  rela- 
tions avec  les  Grecs.  On  sait  que  les  Romains  emprun- 
tèrent de  ces  peuples  presque  toutes  leurs  connoissances 
géographiques ,  et  qu'ils  se  persuadèrent  que  toutes  les 
distances  indiquées  par  les  écrivains  grecs  se  trouvoient 
exprimées  en  stades  olympiques  ou  de  216000.  Il  im- 
portoit  donc  de  chercher  un  moyen  simple  pour  convertir 
ces  distances  en  mesures  romaines  :  l'ancien  mille  de 
'y??'"»  773  contenoit  p  stades  y  olympiques;  et  c'est  pro- 
bablement pour  éviter  les  embarras  qu'entraînoit  cette 
fraction  ,  que  les  Romains  ont  remplacé  ce  mille  par  celui 
du  stade  italique  de  270000;  c'est-à-dire,  par  le  mille 
de  l48  i*",  481  ,  qui  se  divisoit  juste  en  huit  stades  olym- 
piques, et  en    1000  pas  doubles   du  stade  de  225000. 

Li/ 


84  MEMOIRES  DE  EACADEMIE 

Mais  le  stade  itali(]iie,  n'offrant  tjue  les  quatre  cin- 
quicmesdu  stade  olympique,  prcsentoit  d'autres  dillicuhcs 
dans  la  rcduclion  des  distances;  c'est  ce  qui  paroît  avoir 
décide  les  Romains  à  rejeter  aussi  le  stade  de  270000, 
et  à  introduire  le  stade  olympique  dans  la  scrie  de  leurs 
mesures  ,  quoiqu'il  n'eût  aucun  rapport  avec  le  reste  de 
leur  système  nu'tricjue. 

L'époque  de  ces  changemens  me  paroît  répondre  à- 
peu-prcs  à  la  seconde  guerre  de  Macédoine  ,  puisqu'au 
Siipr,i,iMg.6j.  temps  de  Polybe  ,  qui  écrivoit  quelques  années  après, 
on  comparoit  encore  le  nouveau  mille  romain  ,  tantôt 
à  8  stades  j  (de  22jOOO  ou  de  l'iiiuien  système)  ,  comme 
il  le  fait  lorsqu'il  parle  de  la  voie  Egnatienne  ,  et  tantôt 
à  8  stades  (olympi/jues  ou  de  216000) ,  quand  il  décrit  la 
route  qui  traversoit  la   Gaule  et  une  partie  de  l'Espagne. 

Qiioi  qu'il  en  soit  de  ces  rapprochemens,  le  mille  ro- 
main, le  même  que  celui  du  stade  italique  ou  de  270000, 
est  fixé,  dans    la  \'II.*    colonne    du    Tableau    générai, 
à  148 1'",  48.;  et,  d'après    les    proportions    données   par 
F'CHim.E*p^-  Frontin,  je  trouve  pour  les  autres  mesures  romaines  les 

sù.firmiir.p.jo,  , 

CciUft.  CkiH.    valeurs  suivantes  : 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES. 


8J 


EVALUATION    DES    MESURES    ROMAINES. 


Mcir. 

Doigt o.  oi8;,8. 

Ctit  le  tloigt  dvodécimaî  du  itadt  de   22fOCO. 

Once  ou  Pouce  ,  =  i  doigt  j o,  01465, ,. 

c'est  le  grand  doigt  du  stade  de  22^00Q. 

Palme,  ^=-  4  doigts,   ou  3  onces o,  o-Ao-7.1. 

C  eit  le  ftlme  du  stade  de  22^000. 

SexTANS   ou  DoDRANS,  =  12  doigts,   ou  9   onces o,  ^iim. 

C'est   la  jptthame  du  stade  de   22^000. 

Pied,  =  i6  doigts,  ou    i  2   onces O^  io6zy6. 

C'est  le  pied  du  sude  de   22^000. 

Coudée,  =  18  onces,  ou  6  palmes,  ou  2  sextans,  ou   i  pied  f o^  444441. 

c'est  la  coudée    de   2jf.   do'igts  du   stade   de  22JPP0. 

Gradus  [  ou  Pas  simple  ] ,  =  2  pieds  '- , q  7A0-1 . 

C'est   le  pas  simple  du    stade  de  22$Q00. 

PaSSUS  [  ou  Pas  double  ] ,  =   j   pieds ,    xg  ^ s  , 

C'est    le  pas  dêuHe    du  suide  de   22)01)0;  t'arg/ie   du  stade   de   2JOOO(1. 

Decempeda  ou  Perche,  =  lo  pieds 2,  piîzpiîj 

C'est  la  calatnl  ou  atane  du  stade  de  22)000. 

Stade,  =  62^   pieds,  ou   nj  pas   doubles  ^ Ju  stade  de  22jooo ) 185,  '8i>8j. 

C  est  le  stade  de  216000,  ou   de   600  p'ieds  cl/mpi^uts ,  el  de  S  au   mille  roma'in. 

Mille, =  5000  pieds  ou    looo  pas  doubles  (^^/a  iW^  ^/ir  .22/cco y l48l,4Si48i. 

C'est  le  mille  de  6000  pieds ,  eu  de   JOOQ  orgyiis ,    ou  de  10  stades  di  j-pooet. 

(Stade  du   dolique  syrien,  ou  de  22J000 ,  ou  de  S  -,   au  initie  romain i-y",  77777s- J 

(Stade  italique,   ou  de  2/0000,  ou  de  10  au  mille  romain 14$  ,  ,aSi^3.  ) 


U  Ml-MOlRES  DE  LACAD1..M1E 

La  VAi.tUR  des  mesures  romaines,  une  fois  clctennince, 
sert  à  faire  reconnoître  icb  quatre  suivantes. 

ff^gm.Dtllmi-        On  trouve  Jaus  Hygin  cjuc  (es  Tongres,  peuples  de 

iit.     ivnjtitufJtJ.     1/-  .  .  ,.  .,  ■    r^ 

fiag,2io,CJ/fif.  1^  Cjermanie,  se  servoient  d  un  pied  nomme  Urusieii ,  qui 
avoir  une  once  et  demie  de  plus  que  le  pied  romain. 

Le  pied   romain   étant   de o"',  1^^6196. 

L'once,  de o   ,  01^1. 

La  demi-once  ,  de o    ,  oni^d. 

Le  pied  drus'tcn   dcvoit  être  de o    ,  nnii- 

Cette  mesure  r<?pond  juste  à  la  coudée  de   24  doigts 
yoyet/tTa-   J^,   ^tade  de    îooooo,   et  décèle    une   origine  asiatique. 

Ht.y»  gtntral.iii-  •'  o  i 

kaacii.  Les  Romains,  en  l'appelant  Pes  drusianus ,  n'ont  sûrement 

pas  voulu  dirp  que  Drusus  en  avoii  introduit  1  usage  chez 
les  Tongres,  mais  seulement,  qu'ayant  trouve  cette  coudée 
ou  ce  pied  établi  parmi  ces  peuples,  il  en  avoit  ordonné 
l'emploi  pour  régler  le  partage  des  terres.  Si  Drusus  avoit 
porté  chez  les  Tongres  une  mesure  nouvelle,  c'eût  été  le 
pied  romain  :  il  ne  devoit  pas  en  connoître  d'autre. 


Selon  Hygin  (i)  ,  le  pied  ptoléma'i'que  ilont  on  se 
servoit  dans  la  Cyrénaïque,  étoit  d'un  pied  romain,  plus 
une  demi-once. 

Le  pied   romain  étant   de C",  »96a96. 

La  demi-once,  de o  ,  oiJi+«. 

Le  pied  ptolémaïquc  des  Cyréncens  étoit  de.  .  .   o  ,  jofc^.». 

(1)   Hy%\n. Dtlimitib.comt'itufnd.  \Ac%    Cyrcnéeni    cioit    au    pied    ro- 
jag.  ne,    —  Le  pied   ptolémaM|ue  |  main::  aj  :  ^4-   ^"  verra,  dans  la 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        87 

Dans  mon  Tableau  ,  ce  pied  est  celui  du  stade  olym- 
pique de  2  I  6000,  dont  les  Grecs  avoient  introduit  l'usage 
à  Cyrène,  l'une  de  leurs  plus  anciennes  colonies. 


Le  mille  romain  sert  aussi  à  faire  connoître  l'étendue 
de  la  lieue  gauloise,  fixée  à  quinze  cents  pas  dans  les 
Itinéraires  ,  et  dans  les  auteurs  du  moyen  âge.  Anmini  Àug. 

hinertirium.pug. 
Le  mille  romain  étant  de 1481'",  4.81431.    })6 ,  //^ 

Les  500  pas  ou   le  demi-mille,  de 740   ,  7+07^1.     Ammiau.  Mar- 

tell.  Rcriim  ges- 

La  lieue  gauloise  valoit 2222   ,  222221.   ''""•       ■   ^^' ■ 

__________   "V-  '->p-  '-io. 

Joniandes,  De 

Et  le  Tableau  générai  fait  voir  que  cette  lieue  est  pré-  ^^''"^Ceiids,  y. 
cisément  le   mille   de  dix   stades   de    500  au    degré,   ou 
de  180000  à  la  circonférence  de  la  terre  (i). 


On  retrouve  de  même  la  valeur  d'une  mesure  itinéraire 
que  toute  la  Germanie,   selon  Saint  Jérôme,  employoit     S.  HùrDujm. 
autrefois.  Cette  mesure  portoit  le  nom  de  Rûste:  on  sait,  2^"'!'Z'm.' in, 
par  divers  témoignages  ,  qu'elle  répondoit  à  trois  milles  ^"^^  '^"7- 
romains,  ou  a  deux  lieues   gauloises.  Ainsi,   d après   ce  Ckisanum  \,d 
qui  précède,  la  raste  valoit  iWr,  444;  c'est  la  parasange   -jr-Ji,; 
de  trente  stades  de  270000,  et  notre   lieue  commune  ^"'^'>^'""'' 
de  2  5  au  degré. 

suite,  un  autre  pied  ptoléniaïque  em- 
ployé par  les  Alexandrins  ,  et  qui 
étoit  au  pied  romain  ::  24  :  20, 
ou  :  :  6:5. 

( I  )  D'Anville,yi/«ur« itinéraires j 
pag./o2,  cite  la  Vie  de  Saint  Ré- 
macle,  dans  laquelle  la  lieue  gauloise 


est  aussi  fixée,  dit-il,  «  /jco  pas,  c'est- 
à-dire  à  12  stades.  J'observerai  qu'il 
est  ici  question  du  itade  olympique, 
et  non  du  dolique, comme  d'Anviile 
l'a  cru.  En  effet,  12  stades  de  600  au 
degré,  =  lo  stadei  de  500. 


88 


MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 


Motit  CkoK 
mrniL  Crfogr.i- 
pfiit ,  nj  oili  em 
Hiittria  Arme- 
n:,iCiX .  pag,  jfS. 


.D'A-f.lU 
Traite  dri  mt- 
tarti  ii/H/rjiiej, 
pag  6f,  66. 


SYSTEME    METRIQUE    DES    ARMÉNIENS, 
o'ai'RÈs  moyse    de   chorène. 

MoYSE  DE  Chorène  nous  a  transmis  un  système  mc- 
tri(]ue  lire,  en  grande  partie,  des  ouvrages  de  Pappus 
d'Alexandrie,  et  que  l'on  avoir  adapte  à  (juelques  usages 
arméniens.  Le  mclange  des  mesures,  dans  ce  système , 
est  assez  remarquable;   l'auteur  dit  : 

Le  degré  est  de  500  asparez  ; 
L'asparez,  de   100  pas; 
Le  pas ,  de  6  pieds  ; 
Le  pied  ,  de  6  mates  ou  doigts  ; 
L'asparez  des  asparez,  de  143  pas; 
Le  mille,  de  7  asparez  ou  de   1000  pas; 
La  parasangc,  de  3   milles; 

Le  degré ,  mesuré  en  ligne  droite  ,  est  de  joo  asparez ....  de  soric 
que  le  degré  contient  71  milles. 

Les  erreurs  qu'on  a  cru  voir  dans  le  rapprochement  de 
ces  mesures,  viennent  de  ce  qu'on  n"a  pas  fait  attention 
que  l'auteur,  pour  présenter  ses  résultats  en  nombres  ronds, 
s'est  permis  de  négliger  quelques  petites  fractions  qu'il  est 
facile  de  rétablir  ;  et  ,  comme  il  dit  que  l'asparez  est 
contenu  500  fois  dans  le  degré,  que  d'ailleurs  il  fixe  la 
latitude  de  Thule  à  63  degrés  de  ceux  qui  sont  contenus 
^6q  fois  dans  la  circonférence  de  la  terre ,  et  qu'il  évalue  ces 
6j  degrés  à  jijoo  asparei,  il  n'est  pas  possible  de  douter 
que  l'asparez  dont  parle  Moyse  de  Chorène,  ne  soit  une 
mesure  égale  au  stade  de  500  au  degré,  ou  de  180000 
au  périmètre  du  globe,  et  qu'une  grande  partie  du  sys- 
tème (]ii  il  expose,  ne  doive  se  rapporter  a  la  valeur  de 
ce  stade.  Jinsisie  sur  ces  évaluations,  parce  qu'on  verra 

bientôt , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  89 
bientôt,  chez  les  Arméniens,  l'emploi  tl'iin  degré  et  d'un 
asparez  fort  difFcrens  de  ceux-ci. 

11  n'y  a  donc  que  l'asparez  des  asparez,  et  le  mille, 
donné  par  l'auteur  pour  ctre  à-la-fois  de  y  asparez,  de 
1000  pas,  et  de  7  I  au  degré,  qui  présentent  quelques 
difficultés.  !''  ■ 

L'asparez  des  asparez ,  composé  de  i43  pas  arméniens, 
chacun  de  6  pieds  du  stade  de  1  80000  ,  seroit  de  3  1 7"\  77s  ; 
et ,  si  l'on  observe  que  cette  somme  excède  seulement 
d'un  millième  celle  de  317",  i<^° ,  qui  ,  dans  le  Tableau 
général,  forme  le  diaule  du  stade  de  252000,  on  re- 
connoîtra  que  ce  diaule  étoit  le  grand  asparei  des  Armé- 
niens ,  et  qu'il  contenoit  \/^z  |-  pas  arméniens,  au  lieu, 
de  I 43-  ' 

Sept  asparez  des  asparez  valoient  donc  2222'",  ixz  ;  et 
c'est  le  mille  que  Moyse  de  Choi-ène  dit  être  composé 
de  1000  pas  arméniens,  c'est-à-dire  de  1000  orgyies 
du  stade  de   i  80000. 

Mais  ce  mille  seroit  de  50  au  degré,  et  non  de  7  i  , 
comine  le  dit  cet  auteur;  il  faut  donc  qu'il  soit  ici  question 
d'un  autre  mille  aussi  en  usage  dans  l'Arménie,  et  qu'il 
n'a  point  distingué ,  ou  qu'il  aura  confondu  avec  ie 
premier.  '; 

Le  mille  qui  répondroit  à  sept  asparez  ,  vaudroit 
I  555'".  !S5  ,  et  seroit  compris  environ  71  fois  -f  dans  le 
degré;  mais  il  n'appartiendroit  à  aucun  système  connu. 
Je  pense  que,  pour  rendre  au  mille  dont  il  est  question 
sa  valeur  réelle,  il  faut  le  composer  de  7  asparez  -:  alors 
il  sera  de  1587'",  30^;  il  représentera  juste  le  mille  de 
dix  stades  de  252000,  et  le  degré  en  contiendra  70,- 
Tome  VI.  M 


90  MEMOIRLS  DE  L'ACADEMIE 

au  lieu  lie   7  i   que   la  fraction  ncgligce  a    fait  trouver  à 
l'auteur. 

Au  moyen  de  ces  icgcres  corrections,  le  système  armé- 
nien devient  très-juste;  il  se  trouve  combine  d'après  les 
stades  de  180000  et  de  252000,  et  la  valeur  primitive 
des  mesures  cju'il  renferme,  se  rétablit  ainsi  : 


EVALUATION    DES    MESL'FES    ARMENIENNES. 


Mtir 

Mate,  ou  Doigt _ o,aC\yx-;. 

C'tit  U  daulle  gratta  da'tn  ou  U  Jjkttt  f^ytt  Jm  ilâJi  dt  iSoooc. 

Pied  ,  =i  6  mates o,  )7o  j?». 

Crst  U  pitd  du  itdàt  Jt  tSoooo. 

PAS,=  (>  ptcdi ......'. 2,  liiiii. 

Ctn  [cr0ii  du  iiéJt  di  iSoeoe. 

AsPAREZ  de  joo  au  degr#,  =  loo  pas,  ou  6iio  pitds 22i.  miii. 

Ciit  II  itddt  di  tSoeoc 

AiPAREZ    DES   ASPAREZ,  =   141    pas  J 3I7.4*"'J'7- 

Cm  tt  dismie  dm  ttadr  de  i^iooc. 

Mille  de  7  asparcz  '-,  ou  de  70  au  degré 15871  )»' 587. 

Cm  U  mûllt  dt  lû  iitJti  di  ifioea. 

Mille  de  7  asparez  de*  osparcz,  ou  de  1000  pu 2222,  mm. 

Cm  le  mtlU  dt  10  tudti  di  tSocoo. 

PahASANCE  de    )ooo   pas 6666,  6f>(-C67. 

Cm  h  p^rjtjmft  dt  }  millet,  tu  de  ja  ludei  dt  iSoooa. 


AUTRE  SYSTÈME  MÉTRIdlE  DES  ARMÉNIENS. 


Depitis   qlf  ces  Recherches  ont  été  communiquées  à 
l'Académie,  M.  Saint-Martin  a  publié,  à  la  suite  de  ses 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.        91 

Mémoires  historiques  et  géographiques  sur  l'Arménie ,  une 
traduction  française  de  la  Géographie  attribuée  à  Moyse 
de  Chorène.  Parmi  les  notes  qui  accompagnent  cet  ou- 
vrage,  M.  Saint-Martin  a  inséré  un  système  métrique  Tom.ii,iuig. 
arménien  qu'il  a  découvert  dans  un  auteur  anonyme  qui  ''79'}^"- 
lui  paroît  avoir  vécu  dans  le  xv.*^  siècle.  Ce  système  me 
semble  offrir  des  traces  d'une  haute  antiquité  :  d'ailleurs 
il  présente  dans  ses  bases  et  dans  ses  subdivisions  trop  de 
différences  d'avec  celui  de  Moyse  de  Chorène ,  pour  ne 
pas  chercher  à  connoître  les  résultats  qu'il  peut  offrir  ; 
et  quoique  l'exposition  que  l'anonyme  en  a  faite,  soit  un 
peu  longue  ,  comme  elle  n'est  pas  toujours  très-claire, 
je  crois  devoir  la  transcrire   en  entier  : 

L'année  est  de  12  mois  et  5  jours  ;  de  52  semaines  et  un  jour; 

Le  mois  est  de  30  jours;  la  semaine ,  de  7  jours; 

Le  jour,  de  24  heures,  pour  le  jour  et  la  nuit; 

L'hieure  est  de  30  minutes; 

Dans  le  mois  il  y  a  720  heures  ,  et  dans  les  24  heures  du  jour, 
720  minutes; 

L'année  comprend  8760  heures,  ou  262800  minutes  ; 

Une  minute  équi\aut  à  500  asparez,  et  l'asparez  à  la  longueur  du 
védavan ; 

Une  révolution  du  soleil  est  aussi  de  500  asparez; 

Un  asparez  vaut  joo  nédadsik; 

Le  nédadsik  vaut  150  pas;- 

Le  pas  vaut  6  pieds; 

Le  "pied,  16  doigts; 

Le  mille  vaut  5  asparez; 

En  multipliant  par  30  les  heures  du  jour,  on  a  un  nombre  qui  égale 
une  révolution  du  soleil;  et  en  multipliant  cette  révolution  par  500, 
on  a  le  nombre  d'asparez  qu'il  parcourt. 

Ainsi,  quand  le  jour   est  de    12  heures,  ce  qui  fait   360  révo- 
lutions, le  soleil  parcourt  iSoooo  asparez. 

Une  heure  vaut  30  minutes; 

Une  minute  est  un  degré; 


Un  degré  est  de  500  asparez; 


Mi) 


92  MLMOIRES  DL  LACADli.MlE 

L'aiparcr  csi  de  500  coudccs; 

Un  pas  est  de   14  poings; 

Une  coudce  est  de  ç  poings; 

Un  pas  vaut  j  pieds; 

L  .    i  icd  vaut   16  grains  d'orge; 

Uff  iiille  vaut  5   asparcz  ,  ou  48  khcraskh  ; 

Un  khtfraskh  éqaivaut  à  22  pas,  ou  44  coudées; 

Un   mille  est  de   1050  pas,  ou  de  600  coudées; 

10  asparez  valent   1500   pas;    20  asparcz,  3000   pas;   40  asparcz, 

6000  pas  ; 
100  asparez  valent  30000  coudées; 
joo  asparez  valent  yj   milles  ; 
Un  degré  est  de  82  milles; 
Le  diamètre  du  soleil  est  de  500  aspnre/  ,  ou  de  1 50  mille  coudées. 

On  voit  que,  dans  ce  système  ,  on  a  cherché  à  com- 
biner la  cnvision  du  temps  et  la  division  de  l'espace,  de 
manière  à  trouver  dans  l'une  et  dans  l'autre  un  nombre 
égal  de  fractions;  et  que  ces  fractions  ,  de  diverses  valeurs, 
y  portent  le  nom  de   minutes. 

Pour  le  temps,  l'heure  est  divisée  en  30  minutes,  et  les 
2.j  heures  du  jour  et  de  la  nuit  en  720  minutes.  Ainsi 
la  minute  arméiiienne  ^f  temps  répond  ici  à  deux  de  nos 
minutes  Je  temps. 

Pour  l'espace  ,  il  est  dit  qu'une  minute  est  un  degré, 
que  le  degré  vaut  500  asparez,  et  qu'en  multipliant 
par  30  les  heures  du  jour,  on  obtient  un  nombre  égal  à 
une  révolution  du  soleil.  On  conçoit  qu'il  est  ici  question 
de  la  course  journalière  de  cet  astre  :  or  le  produit  de 
24  multiplié  par  30  ,  étant  720,  fait  connoître  f|ue,  dans 
ce  système,  le  cercle  se  divise  en   720    degrés  (r),    et  la 


(1)  .^l.  Leironne  pense  que  la  divi- 
lion  du  cercle  en  720  parties  a  éic 
employée  par  les  Chaldéens,  qu'elle 


fut  adopti-e  par  les  premiers  astro- 
nomes de  l'tcole  d'Alexandrie,  et 
que  les  Grecs  ne  paroissent  pu  avoir 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  93 
circonlérence  de  l'cquateur  terrestre  en  360000  asparez. 

Mais,  quand  l'auteur  ajoute  que  le  diamètre  (apparent) 
du  soleil  est  de  500  asparez,  que  cet  astre  fait  360 
r/vo/tf//o/.'^  dans  la  durce  de  12  heures,  il  est  visible  qu'il 
ne  peut  plus  ctre  question  de  la  révolution  précédente  ;  et 
il  iaut  entendre  que  ,  dans  sa  marche  progressive  autour 
de  la  terre ,  ie  diamètre  entier  du  soleil  se  déplace  3  60 
fois  en  12  heures,  et  720  fois  en  24  heures.  Alors, 
chaque  révolution,  ou  chaque  déplacement,  répondant 
sur  l'équateur  à  500  asparez,  leur  ensemble  donne 
encore  pour  la  circonférence  de  ce  cercle  720  degrés,  ou 
3(30000  asparez. 

lien  résulte  donc  que  la  minute  d'espace,  ou  le  degré 
arménien,  égal  au  diamètre  du  soleil,  vaut  ici  30  de  nos 
minutes  de  degré';  que  l'asparez  y  représente  le  stade  de 
3(30000  ,  et  que  cette  mesure  itinéraire  s'y  trouve  réduite 
à  la  moitié  de  l'asparez  employé  par  Moyse  de  Chorène.       Supr,',,}mg.FS, 

Les  bases  de  ce  système  étant  établies ,  je  vais  faire 
remarquer  quelques  méprises  introduites  par  les  copistes 
dans  renonciation  des  mesures  qui  le  composent. 

Ils  disent  que  le  degré  est  de  500  asparez;  l'asparez, 
de  500  nédadsik;  et  ie  nédadsik,  de  150  pas:  ce  qui 
donneroit  au  degré  arménien  37500000  pas,  tandis  que 
ce  degré  est  fixé  plus  bas,  et  à  plusieurs  reprises,  à  500 
asparez  de  i  50  pas  chacun,  et  en  tout  à  75000  pas.  Il  y 
a  donc  évidemment  erreur  :  le  nédadsik  paroît  ici  con- 
fondu avec  l'asparez;  s'il  en  étoit  la  500.^^  partie,  il  seroit 
la  spithamedu  stade  de  225000  ;  et  s'il  étoit  la  70.'  partie 

fait  usage  de  la  division  en  360  de-     Savam ,  décembre  i8iy,  pag.  738  et! 
grés,  avant  Hipparque.  Journal  des    suivantes. 


,J0. 


.l/if.Wf/n-j  sur 
l'ArwuKÙ.  t.  Il, 


94  .MÉMOIRES  DK  L'ACADÉMIF. 

de  l'asparez,  comme  le  veut  Ananias  de  Schirae;  (i),  il 
rcprcscnteroit  l'orgyie  du  stade  de  252000.  Dans  plusieurs 
itiiicraires  armcnieiis,  recueillis  et  publics  par  M.  Saint- 
Martin  ,  le  nédadsik.  est  une  grande  mesure  qui  s'y  trouve 
constamment  évaluée  à  4  rnilles ,  ou  20  asparez. 

Lt'  pas  est  fixé  ,  tantôt  à  5  ,  tantôt  à  6  pieds.  J'ai 
prJléré  la  première  de  ces  déterminations  ,  parce  qu'elle 
fait  àv\  pied  une  partie  aliquote  du  stade  de  225000,  dont 
les  petites  subdivisions  dominent  dans  ,ce  système. 

La  lontjueurdu  pied  est  donnée  pour  être  de  i  6  doigts, 
ou  de  \(i  urains  d'orge  ;  il  ne  paroit  pas  douteux  qu  il  ne 
faille  s'en  tenir  aux  \6  doigts,  puisqu'ils  forment,  dans 
tous  les  systèmes,  la  division  commune  des  pieds. 

La  coudée  est  estimée  à  5  poings  ,  et  le  pas  à  1  4  poings. 
Cette  proportion  ne  se  trouve  rigoureusement  juste  dans 
aucune  combinaison  :  celle  qui  en  approcheroit  le  plus, 
seroit  le  poing  ou  palme  du  stade  de  252000,  qui,  mul- 
tiplié par  5 ,  donneroit ,  à  très-peu  près,  la  grande  coudée 
du  stade  de  4^0000;  et  qui,  multiplié  par  i  4  .  pr"Juiroit 
juste  le  pas  double  tlu  stade  de  360000. 

F(nir  le  khéraskh,  si  l'on  comptoit  22  pas  simples  du 
stade  de  225000,  <ni  44  grandes  coudées  du  stade  de 


(  I  )  Mamiic.  armén.  de  la  JBiHiot/i. 
du  Roi ,  n.'  ii4  .fol.^^C.  —  M.Sainl- 
Martin  m'a  anssi  commun!  [mc  un 
autre  pnsMge  de  cet  Ananiai.  auteur 
du  VII.'  siècle,  qui  explique  d'une 
manière  fort  bi/arreTorif^îne  du  stade 
de  225000.  Voici  ce  qn'il  dit  : 

«  Quand  le  jour  est  de  12  heures, 
n\c  «oieil  parcourt  360  degrés,  ou 
M  iScooo   asparez  ;  quand  le    i,our 


»  est  de  ij  heures,  il  parcourt  450 
"degrés  ou  225000  asparez.  C'est 
>i  pour  cela  que  plusieurs  de  ceux  qui 
•>  ont  mesuré  la  terre ,  diient  qu'elle  a 
»  en  latitude  et  en  longitude  1 8cooo 
»  asparez  ,  tandis  que  d'autres  lui  en 
>•  donnent  225000.  »> 

C'est  une  nouvelle  autorité  en 
favetir  de  l'existence  du  »tade  de 
22\ooO.   Vcyei  ci-dessus,  pag.  62. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  9^ 
îéoooo,  cette  mesure  seroit  de  16'",  lyc.  Si  l'on  prennit 
22  pas  simples  du  stade  de  250000,  ou  44  gr;nides  cou- 
dées du  stade  de  400000,  le  khcraskh  auroit  i4'".  '■^'-^ 

Par  la  première  combinaison,  le  klicraskh  se  trouveroit 
compris  un  peu  plus  de  34  fois  dans  le  mille  de  5  asparcz; 
par  la  seconde ,  un  peu  moins  de  3  8  fois ,  au  lieu  de 
4S  fois  que  porte  le  texte.  Peut-être  y  a-t-il  erreur  dans 
ce  dernier  nombre.  Si  on  lisoit  38,  le  khcraskh  de 
i4'",  (^^j  représenteroit ,  à  très-peu  près,  l'amma  du  stade 
de  270000, 

Le  mille  de  5  asparez  est  évalué  à  1050  pas,  ou  à  ^00 
coudées.  Je  crois  que  les  dénominations  de  ces  dernières 
mesures  se  trouvent  interverties,  et  qu'il  faut  lire  10^0  cou- 
dées (du  stade  de  2  5  2000 ) ,  ou  600 pas  (  doubles  du  stade  de 
3^0000);  alors  les  proportions  deviennent  exactes. 

Après  avoir  dit  que  le  mille  est  de  5  asparez ,  l'asparez , 
de  1  50  pas,  le  degré,  de  500  asparez,  et  que  500  asparez 
valent  75  milles  (pas),  ce  qui  est  juste,  le  texte  ajoute: 
h  degré  est  de  82  milles.  Pour  expliquer  cette  contra- 
diction ,  il  faudroit  admettre  qu'il  est  ici  question  <Xv\\\ 
nouveau  mille  contenu  83  y  fois,  au  lieu  de  82  fois,  dans 
le  degré  arménien;  alors  on  auroit  un  mille  de  66(5'",  «-, 
qui  seroit  le  demi-mille,  ou  5  stades  de  300000,  comme 
le  mille  de  5  asparez  est  le  demi-mille,  ou  5  stades  de 
3  60000.  Je  me  borne  à  indiquer  ce  moyen  de  conciliation  , 
sans  en  faire  usage. 

On  peut  observer  que  ces  différentes  erreurs  n'influent 
ni  sur  les  bases  ni  sur  l'ensemble  du  système  dont  je 
parie;  que  ce  système  est  principalement  établi  sur  le 
stade  de  360000,  et  que  les  nombres  inusités  de  i  50  pas 


ç6  .M1..M01RLS  DL  LACADÉMIL 

pour  le  stade,  de  1050  coudées  pour  le  mille  itinéraire  ,  de 
5  pieds  pour  le  pas  simple,  de  5  palmes  pour  la  coudée, 
sont  les  résultats  des  combinaisons  que  l'on  a  faites  pour 
introduire  (juelques  mesures  étrangères  parmi  celles  qui 
dérivoient  du  stade  de   3<!)OOO0. 

Au  surplus,  pour  éviter  toute  incertitude  dans  les  éva- 
luations suivantes,  j'ai  abandonné,  comme  inexactement 
transmises  par  les  copistes,  les  mesures  peu  importantes, 
dont  les  élémens  ne  m'ont  point  paru  rigoureusement 
cgauv  à  ceux  (jue  renferme  mon  Tableau  général. 


AUTRE   EVALUATION    DES    MESURES    ARMENIENNES. 


M  tu. 

DoK.T,  de  ICI  au  pied ^  a O. 

Cm  II  Jtml-iUift  ^usJéthn»t  Ju  ttêit  et  23^090. 

Poing  ou  Palme,  de  y  à  I»  coudée  Je  l'asparci. o, 

C'ttt  tt  pélmt  dm  stéJi   Jl  ii^ooc 

Pied  ,  de   ;  au  pas  de  l'.isparcz O, 

Ctn  U  lU<ni-p>ié  rrinjii,  «•  h  iltktl  im  lUit  et  lifeot. 

CoL'OÉE,  de  }oo  à  l'asparci O, 

Ciii  là  granit  tnéét  */w  r.adt  et  jiftooo. 

CouoiE ,  de  I o;o  au  mille .  :  i'.. . , . .  .r. ; o, 

C  tu  /d  grjnJr  t^kJtt  du  tude  dt  i$iooe. 
Pas,  de  I  fo  ik  l'asparei O, 

c  tu  te  p^i  itmfU  dm  Êl^dt  dt  ajfcca. 

Pas,  de  £00  au  mille .  O. 

c  ttt  II  féi  JûmHi  dm  iu.ti  dt  j6eooù. 

AiiPAREZide  (00  au  degré /le  7^0  à  U  circonférence  de  la  terre.        111, 
Ctit  It  ludt  dt  ^6cù9ç. 

Mille, de  y  asparci,  de  Cno  pu,  de  lojo  coudte 5^5, 

Ctit  f  itsJij .   »»  tt  dtmi-milU  dm  mdi  di  y69coc. 

N£dad<IK  des  itincrairet,  ou  de  4  milles Z222. 

Cm  II  nillt  dt  I»  atdti  dt  ittM» .  «•  It  dtmth  mlllt  dm  ludt  db  jfec»t. 


ooyl ;  p. 

14814H. 

JX^lol. 
74»-4'- 

I  I  I  I  I  I . 

n  11 ,  i. 


.sn  I  t.ME 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.        Ç)^ 


SYSTEME    MÉTRICLUE    DES    SYRIENS, 

d'après  saint  épiphane. 

Parmi  les  frogmens  tires  des  œuvres  attribuées  à  Saint 
Epiphane,  on  trouve  l'exposition  des  mesures  e'tablies  de 
son  temps  dans  la  Syrie.  Cette  exposition  se  divise  en 
deux  parties  :  dans  l'une,  le  mille  est  évalué  à  sept  stades; 
dans  l'autre ,  à  sept  stades  et  demi.  Occupons-nous  d'abord 
de  la  première. 

Le  mille  de  dix  stades  de  3(^0000  à  la  circonférence 
de  la  terre  étant  le  seul ,-  comme  je  l'ai  dit,  qui  réponde 
}uste  à  sept  stades  d'un  autre  système,  celui  de  252000, 
il  en  résulfe  que  le  mille  dont  parle  ici  Saint  Epiphane, 
ne  peut  être  que  celui  du  stade  de  360000  ,  et  que  les 
autres  mesures  comprises  dans  la  première  partie  des  ex- 
traits de  cet  auteur  doivent  être  toutes  évaluées  comme 
celles  du  stade  de  2  5  2000  ,  et  de  la  manière  suivante  : 


Frdgm.  ex  Epi- 
phanio  Cjprio  c 
De  quantiidt- 
mensur.  huer  Vu 
n'a  sucra  Sicph. 
Le  Aloine ,  t.  I , 
pag.  4'J9-S°}- 


Suprcï.pag.  j^u 
77- 


EVALUATION    DES    AIESURES    SYRIENNES. 


Mitr. 

Oo\CT  (  du  staJe  de  2^2000,  oude  y  00  au  degré ) 0,oi'î;;4. 

Palme,  =  4  doigts  (  du  même  stade ) O,  a(>Ci]%. 

SpiTHAME,=  12  doigts,  ou  3    palmes  (du  même  stade  j o,  '9S413. 

Pied,  =116  doigts,  ou  4  Y^\mes  ( du  même  stade ) o,  î^4}jo. 

Coudée,  =  24  doigts,  ou  6  palmes,  &c.  (du  même  stade  J .  .  .  o,  39!!82;. 

Pas,  =  40  doigts,  ou   10  palmes,  &c.  (  di/ même  stade  J o,<i'!i37^. 

Oui,YlE,=96   doigts,  24  palmes.  Sic.  (  du  même  stade  J ...  .  i,  JS7302. 

AC/ENE,  =  160  doigts  ,   10  pieds,  &c.  (du  même  stade  J 2,  1545  j  03  ■ 

PlÈtHBE,  =  10  acaenes,  &c.  (du  même  stade ) -.  26,  45jo2(). 

Stade,  =  600  pieds,  400  coudées,  100  orgyies,  &c I58.73oi;9- 

C'fSt   le  siûdf  Jf  2^2000 ,  ou   de  yoo  au  degré. 

Mille,  4-00  pieds,   léSo  pas,  700  orgyies  ,  7  stades,  &c..  .  .  1111,111111. 

C'en  le  mille  de  lOoo  i'r^yit! .  eu   Je  lo  iddei  de  ^60000. 

Tome  VI.  N 


\'oyez  les  co. 
III  et  IX ,  2  ,  du 
Tahleau  général. 


98 


MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 


Fragm.  txEpi- 
fLia.   ire.  [Kig. 


AUTRE    SYSTEME    METRIQUE    DES    SYRIENS, 
d'après     saint     tl'IPHANE. 

ApiiÈs  avoir  donne  les  dctails  du  systcnie  prcccdent , 
Saint  tpipliane  ajoute  : 


Quelques  personnes  assurent  que  le  mille  contient  sept  stades  et  demi. 

Le  diaule  est  de  deux  stades. 

Le  doliqiie  est  de   12  stades. 

La  parasange,  qui  est  une  mesure  persique,  est  de  30  stades  ou  de 

4  milles. 
Les  relais  pour  le  service  public  sont  estimés  parmi  nous  à  6  milles, 

ou  45  stades. 

Ainsi,  dans  ces  mesures,  le  mille  se  trouve  évalue  à 
Suprà.ptg  y6.    sept  stades  et  demi.   On  a  vu   tjue  cette  sorte  de  mille 
''^'  pouvoit  cHre  composée  de  quatre  stades  difFcrèns;  inais , 

comme  on  vient  de  reconnoître  le  mille  employé  par  Saint 
Épipliane  dans  celui  du  stade  de  360000,  il  doit  paroître 
certain  que  cet  auteur  veut  maintenant  parler  du  stade 
de  270000  ,  le  seul  qui  soit  contenu  7  fois  ^  dans  le  mille 
précédent.  Dès-lors  ,  les  mesures  dont  il  est  question 
doivent  s'évaluer  comme  il  suit  : 


AUTRE    FVAIVATION    DES    MESURES    SYRIENNES. 

Mclr. 

Stade  (Jt  pjo  au  Aegri,  ou  de  rjoooo  à  Ai  circenfir.  Je  la  tern),       148,  148148. 
DiAL'LE  (ou  JouHe  itoAt ) 296.  «yCiyÉ. 

.Mille  ,  de  7  stjilc\  \  [  de  270000  ] 1 1 1 1  ■  <  •  ■  1  ■  ■ . 

Ctll  II    m, Ut  <U  It  nmJtl  Jt  jioet» 

DoLIQLE  ,  de   1 1   stades  [de  lyoooo  ] '777>  77777^- 

Cm  U  miUt  d*  10  itédti  il  iii*0fi 

Parasange,  de  )o  stjdcs,  ou  de  4  millet 44'ii'  441444- 

CtJt  Urjr^té^gr  et  jo   tuiti  it  iyoco0 ,    ta  J4  ^    miUti  du    iltdt 
et  }fc»O0. 

Relais,  de  6  milles ,  ou  de  4;  sudes 6600,  '•'<(>(-67. 

C'ttI  u  f^rtidnit  et  é  mttirt,  tm  60  ludti  il  f  60000  ,  f  fti  talinl  ^f  Itâitt 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.        99 

DOUBLE   SYSTÈME    MÉTRJdUE   DES   SYRIENS, 
d'après  julien   d'ascalon. 

Quelques-unes  des  mesures  données  par  Saint  Épi- 
phane  reparoissent ,  mais  sous  un  autre  aspect,  dans  les 
extraits  de  Julien  d'Ascalon  ,  qu'Harménopule  nous  a  con- 
servés. En  voici  les  détails  tels  qu'ils  nous  sont  parycnus:     Julian.  Asafo- 

vit.apudHarme- 

Le  pied  est  de   4  palmes i-6  doigts.    ""/""'•  f  ''.''"'"P' 

Le  palme,  de  4  doigts 4.                lit.  11 ,  tind.  4, 

La  coudée  ,  de  8   palmes 32.                jkig.  144,  /4,-. 

Le  doigt  est  la  première   des  mesures,  comme  l'unité 

est  le  premier  des  nombres;  de  sorte  que 

Le  palme  est  de  4  doigts 4- 

La  coudée,  d'un  pied  et  demi,  ou  de  6  palmes..,.  24. 

Le  pas,  de  2  coudées ,  ou  3  pieds,  ou  12  palmes 4^. 

L'orgyie,  de  2  pas,  ou  4  coudées,  ou  6  pieds (  96. 

ou  de  9   spithames  et  4   doigts (  1 12. 

L'acJene,  d'une  orgyie  et   demie,  ou   6  coudées,  ou 

9  pieds ,  ou   36  palmes 1^4. 

Le  pléthre,  de   10  acanes,  ou  15  orgyies,  ou  30  pas, 

ou  60  coudées,  ou  90   pieds i44o. 

Le  stade  ,  de  6  plèthres,  ou  60  acaenes,  ou  100 orgyies,  j  8640. 

ou  240  pas,  ou  400  coudées,  ou  600  pieds I  9600. 

Le  mille,  selon  Eratosthène   et    Strabon,   contient  8  stades  i,  ou 

836  orgyies. 
Ma-is,  selon  l'usage  actuel,  le  mille  est  de  7  stades^,  ou  de  750  orgyies, 

ou  de  1500  pas,  ou  de  3000  coudées  (1). 
II  importe  de   bien  savoir  que  le  mille  dont  on  se  sert  aujourd'hui, 

et  qui    est  de    7   stades},    contient,   comme  nous    l'avons    dit, 

750  orgyies  géométriques  ou  840  orgyies  simples. 
De  sorte  que  100  orgyies  géométriques  valent   112  orgyies  simples. 

Ce  système  présente  des  particularités  qu'on  ne  ren- 


(i)  Nos  éditions  portent  ^'^iç  ç' 
[6  coudées  J  :  c'est  visiblement  une 
faute.  Dans  le   manuscrit  du    Roi, 


"•'  W  >fi^-  447  ^^^^0 ^  il  y  a  ■^^'<  ,r 
fjoQo  coudées] ,  et  c'est  ainsi  que 
l'on  doit  lire. 

Nij 


ICO  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

contre  dans  aucun  autre.  Pour  les  faire  mieux  aperce- 
voir, jai  cru  devoir  ajouter  le  nombre  des  doigts  qui, 
d'après  les  indications  du  texte  ,  entroient  dans  la  com- 
position de  chaque  mesure.  On  y  renKu\]ue  deux  orgyies, 
l'une  de  c)6  doigts,  l'autre  de  112;  une  aca?ne  de  i44 
doigts,  au  lieu  de  160  qu'elle  devroit  avoir  ;  un  picthre 
de  144°  doigts,  au  lieu  de  1600;  un  stade  de  8640 
doigte,  un  autre  de  c)6oo  doigts;  deux  milles  itinéraires , 
l'un  de  8  stades  y,  l'autre  de  7  stades  ^ '.  ^t  quelques  irrcgu- 
laritcs  apparentes  ou  rcelles,  dont  je  parlerai  dans  la  suite. 
Le  TRADUCTEUR  d'Harménopule ,  Jean  Mercier,  ne 
s'ctant  pas  aperçu  que  la  plupart  de  ces  évaluations  inusitées 
pouvoient  venir  des  divers  élémens  dont  ce  systcine  se 
trouvoit  composé  ,  a  cru  le  texte  de  Julien  fort  altéré  :  les 
corrections  qu'il  propose  sont  insullîsantes  pour  éclaircir 
les  dinicultés  qu'il  entrevoyoit  ;  et  d'ailleurs  elles  boule- 
verseroient  le  système  dont  il  est  question. 

L'auteur,  pour  mieux  distinguer  les  deux  milles  dont 
il  parle,  donne  au  premier  le  nom  de  mille  d'Ératosthène 
et  de  Strabon  ,  en  le  faisant  de  8  stades  -f.  Cette  indica- 
tion rappelle  le  passage  du  seconti  de  ces  géographes, 
Smfrù.ntg.t;  quc  j'ai  cité  plus  haut.  Seulement  ,  il  paroît  que,  dans 
le  texte  de  Julien,  le  nom  d'Ératosthène  doit  ctre  rem- 
placé par  celui  de  Polybe,  puisque  c'est  cet  historien 
qui  avoit  annoncé  l'existence  d'un  stade  contenu  8  fois  y 
dans  le  mille  romain  (1);  et  son  assertion,  confirmée 
long  -  temps    après    l'époque    où    il    vivoit  ,    ne  permet 

(1)  Ccpemlam  on  vcrrn,  pitg.  107,  I  stade  de  2  2JOOO,  ou  de  8  -y  au  nulle 
qu'Hérodote  et  Lratoithcne  •cnil>Ient  J  romain, 
avoir  trouvé  en  ligyptc  l'usage  du  j 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       jo. 
plus  de  supposer  une  méprise  dans  le  passage  de  Strabon. 

On  a  vu ,  dans  le  second  extrait  de  Saint  Epiphane ,     Suprà,p,ig.,^s. 
qu'en  Palestine,   sa  patrie  et  celle  de  Julien  ,  le  dolique 
étoit  compte  au  nombre  des  mesures  itinéraires,   et  qu'il 
égaloit  douze  stades   italiques,   ou  de    270000.  C'étoit , 
comme  je  l'ai  dit,  un  mille  dont  la  longueur  répondoit     Suprà,pag.62, 
à  l'j'j'j"^,  77S,  et  qui,  divisé  par  dix,  comme  tous  les  autres    ^' ^  ' 
milles,   produisoit  un  stade  de    177"",  77^.   Or   ce  stade, 
multiplié  par  huit  et  un  tiers,   donjie   i4Bi"\4Si:  c'est 
précisément  la  longueur  du  mille  romain  ;  et  l'on  ne  peut 
douter  que  ce   stade    et   ce   mille   ne  soient  ceux   dont 
Polybe  et  Julien  d'Ascalon  connoissoient  l'usage. 

De  plus  ,  ce  même  stade,  multiplié  sept  fois  et  demie, 
donnera  i  333"\  333,  ou  le  mille  de  dix  stades  de  300000, 
pour  celui  que  Julien  indique  comme  étant  le  plus  usuel 
à  l'époque  et  dans  la  contrée  où  il  écrivoit. 

Voilà  donc  les  deux  milles  itinéraires  désignés  par 
cet  auteur,  avec  les  proportions  exactes  qu'il  leur  donne. 
Il  parle  aussi  de  deux  orgyies,  l'une  qu'il  appelle  orgyie 
simple,  l'autre,  orgyie  geoiiietritjiie ,  et  qui  difFéroient  entre 
elles  comme  les  nombres  750  et  840,  ou  comme  100 
et  I  I  2  :  l'emploi  d'une  seconde  orgyie  supposant  celui  d'un 
second  stade ,  il  faut  chercher  ce  stade  pour  compléter 
les  bases  du  système  qui  nous  est  transmis  par  Julien. 

En  partant  du  stade  de  177"' 778,  dont  l'auteur  vient 
de  composer  les  deux  milles  précédens ,  la  proportion 
de  100  à  112  donne,  pour  le  second  stade,  celui  de 
15^""'  7}°,  ou  de  252000,  que  l'on  a  vu  paroitre  dans  l'un 
des  deux  systèmes  syriens  rapportés  par  Saint  Epiphane,  et  SrJ.png.^^. 
dont  l'emploi  ne  pouvoit  pas  être  oublié  au  temps  de  Julien. 


* 


!Oî  Mf.MOinCS  DF.  L'ACADF.MIE 

La  comparaison  des  mesures  dcdiiites  de  ces  deux 
systèmes  ne  pouvant  se  faire  sans  employer  de  ircs-petites 
fractions  ,  l'auteur  les  a  ncgiigces  dans  l'exposition  de 
quelques-unes  de  ces  mesures,  afin  d'exprimer  en  nombres 
ronds,  et  en  parties  aliquotes  du  stade  do  225000,  les 
valeurs  approximatives  de  l'aca^ne,  du  picthre  et  du  stade 
de  252000.  C'est  ainsi  qu'au  lieu  de  comparer  l'acane  de 
ce  dernier  stade  à  une  orgyie -rr^  .  ou  à  35  palmes  y  du 
premier,  il  a  porte  cette  acîcne  à  une  orgyie  et  demie, 
ou  à  3<)  palmes  ;  et  le  picthrc,  ainsi  que  le  stade,  ont  été 
augmentés  proportionnellement  :  de  sorte  cjue  ces  mesures, 
ainsi  présentées,  sembleroient  appartenir  plutôt  au  stade 
de  250000  qu'à  celui  de  252000.  Mais,  pour  admettre 
cette  hypothèse,  il  faudroit  changer  les  proportions  géné- 
rales données  de  100  à  112,  en  celles  de  100  à  i  i  i  -f , 
et  compliquer   toutes  les  opérations  pour  une  diflércnce 

Supfi.p.ig.ç-.  presque  insensible  dans  les  usages  de  la  vie.  On  a  vu 
d'ailleurs  que  c'est  du  stade  de  252000  qu'on  se  servoit 
en  S)  rie  ;  et  ce  stade  n'étant  qu'une  altération  légère  de 

J"*r;;  ',  celui  de  250000,  on  croyoit  sans  doute  qu'il  imporloit 
peu  d'employer  les  subdivisions  de  l'un  ou  de  l'autre. 

Une  des  particularités  de  ce  système,  en  le  supposant 
complet  ,  est  de  n'offiir  (ju'une  seule  acxne  et  un  seul 
plèthre,  quoique  les  autres  mesures  fussent  doubles.  L'au- 
teur me  semble  mcme  inili(|uer  une  troisième  orgyie,  qu'il 
dit  être  de  neuf  spith  imes  et  quatre  doigts  ,  ou  de  112 
doigts;  et  ce  n'est  pas  une  erreur,  comme  on  l'a  ima- 
giné. Cette  orgyie  reparoîtra  dans  les  extraits  d'Hérou 
d'Alexandrie.  Je  la  distingue  de  l'orgyie  simple  cl  de 
i'orgyie   géométrique   dont    parle  Julien  ,    parce  que  ces 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  103 
deux  dernières  dirtcroient  entre  elles  comme  les  nombres 
100  et  112,  tandis  que  i'orgyie  dont  il  est  maintenant 
question  ,  diffcroit  de  celle  du  stade  de  252000  ,  dans 
la  proportion  de  i  i  2  à  p6.  La  preuve  en  est,  que,  si  on 
la  compose  de  112  doigts  du  stade  précédent,  on  a 
juste  I'orgyie  du  stade  olympique  de  216000,  et  un 
moyen  très-simple  de  convertir  les  mesures  syriennes  et 
égyptiennes  en  mesures  grecques. 

Les  erreurs  qu'on  a  cru  apercevoir  dans  ces  extraits 
de  l'ouvrage  de  Julien ,  sont  donc  en  petit  nombre. 

Il  faut  rétablir  dans  son  système  la  spithame,  que  les 
copistes  paroissent  avoir  oubliée  ;  il  en  est  question  à 
l'article  de  I'orgyie. 

Je  rétablis  également  le  pas  simple,  que  l'auteur  dit 
être  contenu  i^o  fois  dans  le  stade;  ce  qui  est  exact. 

Qiiant  au  pas  de  deux  coudées,  c'est  sans  doute  une 
transposition  de  nom  occasionnée  par  l'omission  du  pas 
simple.  Deux  coudées  ou  48  doigts  forment  la  vertje  ; 
et  c'est  ce  mot  qu'il  faut  substituer  à  celui  du  pas,  dans 
les  articles  de  I'orgyie  ,  du  plèthre,  et  du  mille  de  sept 
stades  et  demi  ,  où  cette  mesure  est  rappelée. 

D'après  le  texte  ,  le  mille  de  8  stades  j-  paroîtroit  com- 
posé de  836  orgyies  ;  c'est  visiblement  une  faute  de 
copiste.  Le  stade  étant  toujours  de  cent  orgyies  ,  les 
8  stades  f  font  nécessairement  833  orgyies  -f;  et  c'est 
ainsi  qu'il  faut  lire. 

Je  conserve  dans  le  texte  la  coudée  de  huit  palmes  que 
l'auteur  cite  séparément  de  la  coudée  de  six  palmes.  Je 
ne  vois  pas  de  raison  pour  changer  la  première  indica- 
tion ,  comme  le  vouloit  le  traducteur. 


io4  MÉMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

Au  MOYEN  de  ces  diverses  observations,  les  mesures 
dont  je  viens  de  parier  se  rétablissent  et  s'évaluent  de  la 
manière  suivante  ,  dans  le  double  système  qu'elles  em- 
brassent : 


EVATl  .iTUW  nu  DOUBLE  SYSTEME  METRIQUE  DES  SYRIENS. 


DoiCT , 

I'almf-,  =  4  doigts 

Spitha.me ,  =  1 1  doigts 

Pied,  ^4  palmes 

Coudée  ,  ^  6  palmes  ,0024  doigts 

Coudée  ,  =  S  palmes  ou  j  2  doigts 

Pas  simple,  :^  40  doigts 

Vl.Kc::,  =  I  2  palmes,  ou  3  pieds,  ou  1  coudées  de  24  doigts.  .  . 
Orgvie  SIMPLE,  =  6  pieds,  ou  96  doigts  du  stade  de  ijiooo.. 
OBGriECÉOMÉTRlQUE,  =  6picds,ou96doigtsdu  stade  de  225000 
.         .     (   de     142  doigts  f  du  stade  de.  ..  .    225000 

'{   de      i<>o  doigts  du  stade  de 252000 

P  i   HnvI    ^^   '"1*^  doigts  \  du  5tadc  de 22JOD0 

(   de    I i^oo  doigts  du  stade  de 252000 

ç        r     I    "^^  8571  doigts  ;  du  stade  de.. .  .    225000 

1   de  9600  doigts  du  stade  de 252000 

Stade  de  1 00  orgyics  géom<tr.,ou  de  9600  doigt<du  sudc  de  2 15000. 

Cm  U  ludt  Jt  If  u  ii/ifMM  mllItQrin,  n  Jt  I  'î  <•  nillt  rfméh. 


STADE 

de 

225000. 


Mcit. 
O,  o  I  K  (  I  S . 

O,  ''r4'>74- 
o,  222122. 
o,  196196. 
o.  444444- 
O,  5?2i9J. 
O,  74''74'- 
O,  88S8«9. 


1.77-778. 


^n, 77777*- 


STADE 

de 
252COO. 


,N',clr. 

O,  oi«j}4. 
O,  ofiCt  )8. 
O,  '?S4ij. 
G,  2C4!|o. 
O,  Js'-Si}. 
G,  j  2  9  I  o  I . 

0,  Éiîl  J76. 
C,7'J^6■,^. 

1,  i87J0i. 

2,  '^lîl'M. 
26,  4,  i«l«. 

"58,7)»'J?- 


MiLtE  de  Polybe,  de  83  )  '-  orgyies  gioméiriqiies,  ou  de  8  stades  '-  de  125000. .  . 

<■«<  Il  tiuil   tit   /»  lléJri  A  i7C»et ,    If    II   -r.ilU   remiih. 

Mille  en  usage  au  temp.  de  Julien  ,  :^  -50  orj^yic*  gcomctri<|ues,  ou  7  stades  7 
de  225000.  ou  840  orjjyic»  «impie;  du  stade  'ic  251000 

C  en   u  mtllt  d*  to  luitt  <ii  joacte 

100  orgyic<  géométriques  de    I",  77777*  I  _   ,-^0,^777-78. 

1 1 1  orgyics  simples  de I   ,s*7>"*' 

[■  ;'  r  '      •  ,   ij  de  1 1  2  doigts,  du  stade  de  251000,  re- 

•jlympiqucde  ii'joncctvaut  i"",*;!»)!. 


M.i- 

I48i,4'i'4><'- 


Si  srtMt. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      105 

SYSTÈME  MÉTRIQUE   DES  GRECS  D' ALEXANDRIE, 
ANTÉRIEUR   À    l'ÉpOQUE   D'hÉRON. 

Le  SYSTEME  métrique  le  plus  complet  de  ceux  que  les 
Grecs  nous  ont  transmis ,  est  celui  qui  se  trouve  dans  les 
fragmens  d'Héron  d'Alexandrie.  Cet  auteur  y  présente  deux     Excerptacx He- 
séries   de  mesures;  l'une  qu'il  dit  être  en  usage  de  son   "'""^^"f "•'j' '^f 
temps ,  l'autre  qu'il  annonce  avoir  été  employée  auparavant,   ^""lecta  Gnu.i. 
Dans  la  première,  il  donne  la  valeur  relative  des  mesures,  jij. 
depuis  le  doigt  jusqu'au  pas  double  seulement  ;  dans  la 
seconde,  il  prolonge  ces  détails  jusqu'à  la  parasange. 

C'est  dans  cette  dernière  partie  qu'Héron  compare  le 
mille  à  sept  stades  et  demi ,  en  ajoutant  que  ce  mille 
contient  4500  pieds  phileiéréens  ,  ou  5400  pieds  iùi/h/ucs  : 
ainsi  ces  pieds  étoient  entre  eux  dans  la  proportion  de 
6  à  y 

Cette  proportion  se  trouve  quatre  fois  parmi  les  diffé- 
rens  stades  dont  j'ai  parlé;  et  pour  reconnoître  celui 
qu'Héron  a  voulu  désigner,  il  faut  déterminer  ce  qu'il  a 
pu  entendre  par  les  dénominations  de  pied  philétéréen  et 
de  pied  italique  ,  qu'on  ne  rencontre  dans  aucun  autre 
écrivain. 

M.  Girard,  ayant  trouvé  la  coudée  du  nilomètre  d'Elé- 
phantine  de  527  millimètres,  en  fait  la  coudée  de  24  Suprà.pagj^, 
doigts  de  l'ancien  système  rapporté  par  Héron  :  il  pense  ^°' 
que  ce  système  étoit  celui  des  Égyptiens  sous  les  Ptolé- 
mées  ;  que  les  deux  tiers  de  cette  coudée  donnoient  pour 
le  pied  philétéréen  o"",  35,53,  et  pour  le  pied  italique, 
d'après  la  proportion  précédente  ,  o"",  2927.  De  plus,  comme 
ce  dernier  nombre  approche  de  la  valeur  du  pied  du  mille 
Tome  VI.  O 


ic6  MÉMOIRES  DE  LWCADEMIE 

romain,,  Al  Girard  veut  cjue,  sous  le  nom  de  pied  italique, 
Hcron  ait  indiqué  le  pied  roniiiin  ;  il  évalue  d'après  ces 
bases  toutes  les  mesures  dont  paile  cet  ancien,  et  fixe  le 
stade  alexandrin,  composé  de  600  pieds  philétéréens,  ou 
de  400  coudées,  à  a  10'",  r^*- 

Suprà.pag.jo.  J'ai  dit  que  les  anciens  n'avoient  fait  aucune  mention 
d'un  stade  semWaMe  ,  malgré  les  relations  continuelles 
(jue  les  Grecs  et  les  Romains  entretenoicnt  avec  rf!,gypte; 
et  d'ailleurs  ce  stade  ne  se  rattacheroit  à  aucun  des  stades 
primitifs.  J'ai  montré  aussi  que  la  coudée  d'Eléphantine 
étoit  la  grande  coudée  de   3  2  doigts  du  stade  égyptien 

Syp.p.  70.  -,  de  2  5  2000  ;  et  l'on  ne  trouve  nulle  part  que  cette  coudée, 
multipliée  4oo  fois  au  lieu  de  300  fois,  ait  été  employée 
pour  former  une  mesure  itinéraire.  Ces  considérations 
peuvent  donc  faire  douter  que  les  évaluations  données 
par  M.  Girard  soient  celles  cju'il  convient  d'applicjuer  au 
système  dont  je  m'occupe;  et  si ,  parmi  les  mesures  prises 
stir  les  monumens  de  l'F.gypte,  on  en  trouve  (jui  peuvent 
^tre  rapportées  à  un  pied  analogue  à  celui  du  mille  ro- 
main ,  je  pense  qu'il  faut  chercher  l'origine  de  ce  pied 
ailleurs  que  dans  les  divisions  du  nilomètre  d'Eléphantine. 

-^"r  r-'S- »?•        ^"  ^   ^^' '  ^"^"^  '^^  systèmes  transmis  par  Saint  F.pi- 

V.',  iti.  104.     pfijpjç  pt  p^^r  Julien  d'Ascalon ,  <]ue  le  stade  de  270000 

et  celui  de  225000   étoient  employés  dans  la  Syrie  :  la 

proximité  de  l'I^gypte  ,  limitrophe  de  cette  contrée  ,    ne 

permet  guère  de  croire  que  les  mesures  syriennes  fussent 

étrangères  aux  Egyptiens  ,  sur-tout  après  la  concpicte  des 

,    Romains;  d'autant  mieux  que,   les  subdivisions  du  stade 

/•'*'   de  225000  ayant  les  mt'mes  valeurs  que  celles  du  mille 

br\gf,"p.        romain,  le  doigt,    le   palme,  la   spithame  ,  le    pied,    la 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  107 
covjdce,  le  pas  et  la  calame  de  ce  stade,  répondoient  exac- 
tement au  doigt,  au  palme,  au  dodrans ,  au  pied,  à  la 
coudée  ,  au  gradus  et  au  dcccmpeda  de  ce  mille  :  de  sorte 
que,  sans  rien  dérangera  leurs  systèmes  métriques,  les 
Romains,  les  Syriens  et  les  Égyptiens  y  trouvoient  des 
points  de  comparaison  auxquels  toutes  leurs  autres  me- 
sures pouvoient  se  rattacher;  objet  fort  important  pour 
la  répartition  des  impôts  chez  les  nations  vaincues. 

Mais  il  y  a  plus  ;  un  passage  d'Hérodote  semble  an-  Hcrodot.i.n. 
noncer  que  le  stade  de  225000  étoit  connu  en  Egypte  i^g'jf^^Jf''' 
bien  avant  l'arrivée  des  Romains.  .Cet  auteur  dit  avoir 
mesuré  la  base  de  la  grande  pyramide  ,  et  l'avoir  trouvée 
de  huit  plèthres.  Cette  base  étant  de  2yz^,6(>jS,  si  on  la  Suprà.pag.yo. 
divise  par  huit ,  on  a  29"", 08;;  ;  et  c'est,  à  un  demi-mètre  Voyez  k  Tn- 
prç5,  le  plèthre  du  stade  dont  je  parle.  tkau^s-'ér.  col. 

H- est. même  fort  vraisemblable  qu'Eratosthène  avait  em- 
ployé, dans  quelques  circonstances,  le  stade  de  225000, 
et  que  c'est  à  ce  sujet  qu'Hipparque  aura  dit  qu'il  falloit 
ajouter  au  nombre  précédent  environ  25000  stades  pour 
compléter  le  périmètre  de  la  terre  en  stades  égyptiens 
de  250000  ou  252000.  Pline  paroît  avoir  mal  compris      /'//«.  aa  //, 

H,  ,.,       ,.  ...  cap.    112. 

ipparque,  lorsqu  il  dit  que  cet  ancien  ajoutoit  un  peu 

lîioins  de  25000  stades  aux  252000  qu'Eratosthène.  don- 
noit  à  la  circonférence  du  globe,  puisqu'il  en  seroit  résulté 
UHiStade  d'environ  iyyooo,  dont  il  ne  reste  aucun  sou- 
venir. Il  est  certain   d'ailleurs  <ju'Hipparque   a   toujours     Voyez i\,yiicU 
employé,  dans  ses  discussions  géographiques,  et  sur-tout  ,/„,„  /^  j^emiJy 
pour  former  sa  Table  des  climats,  le  stade  de  252000,  [-'l^J/,1^ 
ou  de  700  au  degré, 

Q,uoi  qu'il  en  soit,  je  me  bornerai  à  observer  que  les 

Oij 


io8  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

deux  staJcs  prc'ccJens  de  2yoooo  et  de  225000  difTcrent 
entre  eux  comme  les  nombres  5  ci  Cs ,  et  se  trouvent  dans 
les  mOnies  proportions  que  le  pied  italicjue  et  le  pied  philc- 
tcrcen  dHcrtm.  J'ai  fait  voir  que  le  premier  de  ces  stades 
Suprà.fkig.  [S,  ctoit  appelé  italique  par  Censorin  ;  et  il  n'y  a  aucune  raison 
^'  pour  douter  que  le  pied  italique  d'Hcron  ne  soit  le  pied 

du  même  stade.  Sa  longueur  est  fixée,  dans  la  VII.*  co- 
lonne du  Tableau   général,  à    o'",'  liôgn  ;   le  pied   piiilé- 
tcréen,  plus  grand  d'un  cinquième,  étoitdoncde  o'",  i./î,*  , 
et   c'est  précisément   le  pied    romain,   celui  du  stade  de 
.Skpra.p.i^.^;.    22  5000,  coHtenu  6000  lois  dans  l'ancien  mille  romain, 
col.  VII  ti  vm  OU  5000  fois  dans  le  nouveau,  c'est-à-dire  dans  le  mille 
la&J"^'''" '^'    ^"   stade    italique   de   270000,   comme  je   l'ai   expliqué 
ailleurs. 

On  ne  doit  pas  s'étonner  de  rencontrer  en  Syrie  et  en 
Égvpte  les  élémens  des  mêmes  mesures  dont  on  se  servoit 
en  Italie  :  seulement,  il  ne  faut  pas  en  conclure  que  les 
Romains  eussent  substitué  leur  système  métricjue  à  ceux 
que  les  Syriens  et  les  Kgvptiens  employoient  auparavant; 
il  faut  reconnoitre  au  contraire  que  ces  mesures  asiatiques 
furent  portées  en  Italie  par  les  anciennes  colonies  qui 
peuplèrent  l'Étrurie,  et  que  c'est  de  là  que  les  Romains 
empruntèrent  leurs  mesures,  comme  ils  en  avoient  em- 
prunté leurs  arts. 

Ainsi  je  prends  pour  le  pied  philctcrecn  celui  du  stade 
de  225000  ;  pour  le  pied  itiilitjue,  celui  du  stade  de 
270000  ;  et  ces  bases  me  servent  à  rétablir  la  seconde 
série  des  mesures,  ou  l'ancien  système  présenté  par  Héron. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES. 

ÉVALUATION   DES   MESURES   EMPLOYEES   PAR    LES    GRECS 
D'ALEXANDRIE,    AVANT    L'ÊpOQUE   Z)'hÉRON. 


Aut,. 

Doigt o,  »  >  " j  >  s. 

Ceit  le   tlot£t  du    lude  de  32;ooo ,    et  le  doigt  du  mille  romain. 

Palme,  =  4  doigts o,  '>74°74- 

C'eJt  le  pjlme    du  ttade  de  22^000 ,   et  le  ffllme  du  mille    romain. 

DlCHAs,  =  8  doigts,  OU  2  palmes O,  14S148. 

C'ejt  le  Jicliiij  du  stade  de  2.2^000. 

SpithAME,  =  12  doigts,  ou  5  palmes O,  21^111. 

Cest  la  ipilliame  du  stade  de   22J000 ,  et  le  sextans  ou   doJranj   du  mille  romain. 

Pied  italique,  =  i  j  doigts  -, o,  ^V'S'i- 

c'est  le  fied   de    16  doigts    du  stade  îtalique ,    ou   de  2-/0000. 

Pied  royal  ou  philêtékéen ,■=:  \6  doigts,  ou  4  palmes o,  z<j(,iy6. 

C'est  le  pied  du  stade  de  22^000,   et   le  pied  du  mille  romain. 

PvGON  ,  =  20  doigts,  OU  y  palmes O,  57057''. 

C'est  le  pygon    du  stade  de  22jûûO. 

Coudée  xylopristique,  ==  24  doigts,  ou  6  palmes , o,  4.t4t44. 

Cest    la  petite  coudée  du  stade    de  22^000 ,    et   lu  coudée  du  mille  romain. 

Pas,  =  40  doigts,  ou  lo  palmes O,  740-41. 

C'est   le  pas  simple  du  st.ide  de  22^000  ,   et  le  gradus  du   mille  romain. 

XyloN,  =  72  doigts,  ou  18  palmes,  ou  4  pieds  '- philétéréens ,  ou  3  coudées j,  îj;;;;. 

Cest  le  xylon   du  srade  de   22f0(?û,  et   l'or^jie  du  stade  de  ^ooooo. 

OrCYIE,  =  6  ^\eàs jihilétéréens ,  ou  7  pieds  7  italiques,  ou  4  coudées I,  77777S. 

C'est   l'orgyie  du  stade  de  22JOOO. 

CalAME  OU  Ac.'ENE,=  160  doigts,  ou  10  pieds ^)/;;7f'/t'm'w,  ou  i  2  Tp'jedi  iia/iijiics.  2,  s'îiji^J. 

C'est  la  calame  du    stade  de  zzjooo ,    et  le  decempeda  ou  la  perche  de  lo  pieds  romains. 

AmmA,  =  60  Y^eàs philétéréens ,  ou  72  pieds  italiques,  ou  40  coudées 17,  77777S. 

Cest  t'atnma  du   stade   de  22fOOO. 

PlÈTHRE,=  100  pieds  ^'^//lYi'Hvni,  ou  1  2  o  pieds /wAV^wm  ,  ou  localamcs 2g,6ij(jjo. 

C'est  le  plètltre   du  stade  de  22JOOO. 

Stade,  =  600  pieds ^)^//t>ir.,  ou  720  pieds  italiq,,  ou  400  coudées,  ou  100  orgyies;        177,  77777S. 

c'est  le  stade  de  22^000  à  la  circonférence  ,  ou  de  62^  au  degré  ;  c'est  le  stade  du  dohque syrien. 

DlAULE,=  1  200  pieds /jAZ/rt/r.,  ou  144°  pieds  ;W/i^.,  ou  800  coud. ,  ou  2  st,ides.        355,55;;j;. 

Mille,  =  4JOO  pieds /Ji^/Z/fcVirBi,  ou  f4"°  P'^"^*  italiques,  ou  5000  coudées,   ou 

1800  pas,  ou  750  orgyies,  ou  4J  plèthres,  ou  450  acœnes,  ou  7  stades  7.  .  .       Ij35i  535355. 

Cest    le  mille  de  10   stades    de  ^OûOOû ,    ou  de  y   stades    -  de  22^000. 

ScH(i;neouParASANGEPEBS]QUE,=  30  stades,  ou  4  milles 5333»  >J33i3• 
C>J;  la  parasange   de  jo  stades   de  22$ooo ,  ou  de  ^  milles  du    stade   de  jooooo. 


110  M1..MOIRLS  DL  L'ACAUtMIE 

SY^rÈME  MÉri</(2L'E   DES  GRECS  d'aLEXANDRIE, 
AU  TEAtrs  d'héron. 

Les  mesures  en  usage  à  Alexandrie,  nu  temps  d'Héron, 
Fxcerj^., ,M f f,-   t'toient,  selon  cet  auteur, 

■'mm.   ./<■ 

yo..    ,  "  Lt  doigt; 

Le  condyle,  de  2  doigts; 

Le  palme,  de  4  doigts; 

Le  diclias,  de   8  doigts; 

La  spiiliamc,   do  12  doigts; 

Le  pied ,  de  16  doigts  ; 

La  coudée  lithiqce,  de  24  doigts,  semblable  a  la  coudée  xylopristique; 

La  coudée,  de  32  doigts; 

Le  pas  simple,  de  4°  doigts; 

Le  pas  double,  de  80  doigts. 

L'orgyie,   employée  à  la   mesure    de»   terres    labourables  ,   ctoii  de 
9  spithamcs  royales  ^. 

Cette  nomenclature,  comparée  à  celle  du  système  pré- 
cédent, fait  voir  qu'on  avoit  intercalé,  parmi  ses  autres 
subdivisions,  le  condyle,  la  coudée  de  3  2  doigts,  et  le 
pas  double  ;  en  y  supprimant  le  pied  itiil'hjue,  le  pygon 
et  le  xylon.  Mais,  l'auteur  ne  donnant  ni  le  mille,  ni  le 
stade,  ni  mc^me  l'orgyie  de  ce  nouveau  système,  il  seroit 
impossible  de  fixer  la  valeur  de  ces  mesures,  s'il  n'avoit 
ajouté  que  la  coudée  lilh'ique  de  2^  doigts  étoit  seinhUible 
n  la  coude'e  xylopristit/ue.  Il  parle  de  cette  coudée  dans  l'ex- 
position de  l'ancien  système,  en  lui  donnant  aussi  24  doigts; 
et,  de  ce  rapprochement,  il  résulte  que  la  série  des  me- 
sures dont  il  est  maintenant  question,  avoit  les  mêmes 
élémens  et  devoit  avoir  les  mùnes  valeurs  que  les  me» 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  .  i  i 
sures  correspondantes  de  l'ancien  système,  l.e  pas  simple, 
par  exemple,  y  étant  de  o'",  74"74'  ,  le  pas  double  de  celui- 
ci  devoit  être  de   i"\  48,481. 

Cependant,  comme  l'auteur  distingue  formellement  ces 
deux  systèmes,  il  n'est  pas  possible  de  douter  qu'ils  n'ol- 
frissent  quelque  différence  essentielle  ;  et  si  on  ne  la  dé- 
couvre pas  au  premier  aspect,  c'est  qu'il  faut  la  chercher 
dans  les  multiples  de  l'une  des  nouvelles  mesures  qu'il 
indique.  Or,  trouvant  ici  le  pas  double  substituée  l'orgyie, 
comme  dans  le  système  romain,  tout  annonce  que  son  Suf.jhig.Si.^^j. 
usage  devoit  y  être  le  même,  et  que,  multiplié  mille  fois, 
il  produisoit  un  mille  itinéraire  de  1481'",  4S1.  Dès-lors 
on  voit  en  quoi  consistoit  la  différence  des  deux  systèmes  : 
dans  l'ancien,  le  mille  étoit  composé  de  45°°  pieds /^//i- 
letereens  ;  dans  le  nouveau,  le  mille  contenoit  5000  pieds 
semblables,  c'est-à-dire  que  les  Alexandrins  avoient  aban- 
donné le  mille  du  stade  de  300000,  pour  adopter  celui 
du  stade  de  270000  dont  se  servoient  les  Romains,  en 
conservant  de  même  à  ce  dernier  mille  les  subdivisions 
du  stade  de   225000,   qu'ils  employoient  auparavant. 

Quan,t  à  i'orgyie  citée  par  Héron,  il  est  facile  de  re- 
connoître  qu'elle  n'appartient  point  au  système  des  me- 
sures qui  la  précèdent,  puisque  l'auteur  la  compose  de 
neuf  spithames  royales  et  un  quart,  tandis  qu'elle  n'au- 
roit  pu  être  que  de  huit  spithames,  si  elle  avoit  appar- 
tenu à  la  série  de  ces  mesures  :  aussi  prévient-il  qu'elle 
servoit  spécialement  à  mesurer  les  terres  labourables.  Cette 
orgyie  isolée,  que  l'habitude  des  Égyptiens  leur  avoit  fait 


iM  MEMOIRES  DF.  L"ACAD£.\UE 

conserver,  tualiirc  le  chançîeinciit  de  domination,  a  déjà 
paru  isolément  aussi  parmi  les  mesures  syriennes  rappor- 
tées par  Julien  d'Ascal<Mi,  cjui  donne  sa  valeur  plus  exac- 
tement, en  la  lixant  à  neiil  spiihames  et  un  tiers  ;  et  j'ai 
Sup.  p.ig.  lo.'  dit  tjue  cette  orgyie  éloit  celle  du  stade  grec  ou  olym- 
pique de  216000,  exprimée  en  spithames  égyptiennes 
du  stade  de  2  5  2000, 

Le   nom   de  royjl ,  donné  par  Héron  au   pied  philété- 
»  réen  et  à  la  spithame  dont   il  est  question,  ainsi  que  la 

conversion  de  9  y  de  ces  spithames  en  une  orgyie  olym- 
pique, pourroient  faire  penser  que  le  système  métrique 
des  Alexandrins  se  trouvoit  établi  sur  la  combinaison  du 
stade  de  216000  avec  celui  de  252000,  dont  l'usage 
Imfrà.pag.n-;.  simultané  a  existé  en  Egypte,  comme  on  le  verra  bientôt. 
Mais,  pour  le  système  décrit  par  Héron,  et  au  temps  de 
ce  géomètre,  cet  arrangement  ne  pouvoit  avoir  lieu, 
puisque,  indépendamment  de  ce  qu'il  faudroit  prendre 
le  pied  ph'ilétcrccn  pour  celui  du  stade  olympique  de 
216000,  et  le  pied  ïlolique  pour  celui  du  stade  égyp- 
tien de  252600,  ces  pieds  se  trouveroient  entre  eux 
dans  la  proportion  de  7  à  6,  tandis  que  la  différence 
doit  ctre  de  6  à  5  ,  comme  l'auteur  le  répèle  jusqu'à  huit 
fois. 

Je  crois  donc  que  les  mesures  employées  à  Alexan- 
drie, au  temps  d'Héron,  doivent  être  évaluées  comme 
on  le  voit  dans  le  Tableau  suivant  : 


hVALV  ATION 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES. 


1 1 


EVALUATION    DES   MESURES    EMPLOYEES    PAR    LES    GRECS 
d' ALEXANDRIE ,    AU    TEMPS    D'hÉRON. 


Mclr. 

Doigt o,  oi8;iS. 

Ceit  te  doigt  du   stade  dt   Z2J0Û0 ,  et   le  doigt  du    mille  romain. 

CONDYLE,  =  î  doigts. O,  o37o37- 

C'est  le  eondfle  du  stade  de  22;ooo. 

Palme  ,  =  4  doigts o,  074074. 

C'est  le  palme  du  stade  de  22^000 ,   et  celui  du  mille  romain. 
DlCHAS,^  8  doigts,  ou  4  condyles,  ou  2  palmes O,  14S14S. 

C'est  le  dichas  du  stade  de  22fffûff. 

SpithAME,=  12  doigts,  OU  6  condyfes,  ou  3  palmes O,  122122. 

C'est  la  sjfilhame  du  stade  de   22^000 ,  et   le  sextans  ou  àodrans  du  mille  romain. 

Pied,  =  i6  doigts,  ou  8  condyles,  ou  4  palmes,  ou    i   spithame   |^ O,  2j(;25(;. 

C'est  le  pied  du  stade  de  22^000 ,  ou  le  pied phUétérien ,  et  le  pied  du  mille  romain. 

Coudée  UTHIQUE,  =  24  doigts  &c.  :  la  même  que  la  coudée  xylopristique.  .  o,  444444. 

C'est  la  petite  <oudée  du  stade  de  22^000 ,    et  la   coudée  du  mille  romain. 

Coudée,  =  32  doigts,  ou   \6  condyles,  ou  8  palmes,  ou  2  pieds O,  jpijjj. 

Cest  la  grande  coudée  du  stade  de  22J000. 

Pas  SI.MPLE,  =  4o  doigts,  ou  10  palmes,  ou  5  spithames  j,ou  2  pieds  ; o,  74074r. 

C'est  le  pas  simple  du  stade  de  22^000 ,   le  graàus  du    mille  romain. 

Pas  double,  =  80  doigts,  ou  20  palmes,  ou  6  spithamesy,  ou  5  pieds i,  4814S1. 

C'est  le  pas  double  du  stade  de  22  j  000  ,  l'orgy'ie  du  stade  de  2^0000 ,  et  le  pastutdu  mille  rom. 

(  Mille,  =  looo  pas  doubles,  ou  5000  pieds  ) 1481.4S14S1. 

Cest  le  mille  de  lO  stades ,  ou  de  1000  orgyies  du  stade  de  2yoooo:  c'est  le  mille  romain. 

L'ORGYlE,  employée  à  la  mesure  des  terres  labourables,  contient  9}  spithames 
royales,  ou   112  doigts  du  stade  de  2J2000,  et  vaut  1'",  8;i8;2. 

C'est  forg/ie  du  stade  ol}mpique  de  216000. 


Tome  VL 


ii4  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

AUTRES  MESURES  EMPLOYÉES  PAR  LES  GRECS 
D' ALEXANDRIE,  SELOX   DJDV.ME. 

ManKx.rrcc.        Dans   un   maiiuscrit  de  ia  Bibliothèque   du   Roi,  on 
jj.  trouve,  parmi  plusieurs  traites  d  Héron,  un  petit  ouvrage 

sur  la  mesure  des  pierres  et  des  bois,  attribue  à  Didyme 
d'Alexandrie,  et  qui  offre  les  rapprochemens  suivans: 

La  couHée  esc  de   6  palmes  ,  ou   de  24   doigt»  ,  ou  de  1   \    pied 

pioltniaïque ,  ou  de  1  *  pied  romain; 
Le  pied  ptoK'maïque  est  de   16  doigts,  ou  4  palmes; 
Le  pied  romain  est  de   13  -j-  doigts,  ou  de  3  palmes  i   \\ 
Le  pied    pcoléniaj'que   est   à  la   coudée    royale  dans   la    proportion 

de   2  à  3  ; 
Le  pied  romain  est  à  la  coudée  royale  dans  la  proportion  de  5  à  9; 
Cent  coudées  valent  180  pieds  romains. 

La  différence  du  pied  ptolémaique  au  pied  romain  étant 
Supr  pag.  loj.  ici  de  6  à  5  ,  et  pareille  à  ia  différence  indiquée  par  Héron 
Cirad.  Mtm.   entre  le  pied  p/iiU'teWen  et  le  pied  ildlit/ue ,  on  a  cru  pou- 

ur    1rs    mesures  .  ,  1  •      j         i  •!  -.  '     '  '.     '^     1  » 

tgrairef  Jts  an-   voir  cn   conclurc  que  le  pied   phiiclcrccn  etoit  le  mcine 
tu<u.  E^ùtm,   jjuç  ^  pjpj  ptoicmaïque,  et  le  pied  itali(jue  le  même  que 
le  pied  romain. 

Mais  je  ne  pense  pas  que  cette  espèce  d'analogie ,  qui 
d'ailleurs  se  présente  et  se  répète  quatre  fois  parmi  les 
stades  dont  j'ai  parlé,  puisse  autoriser  à  croire  que  des 
auteurs  qui  écrivoient  dans  la  même  ville,  et,  selon  toutes 
les  apparences,  à  des  époques  peu  éloignées,  aient  aflecté 
de  donner  à  des  mesures  semblables  des  dénominations 
différentes.  Ces  sortes  de  suppositions  n'ont  de  proba- 
bilité que  quand  la  méprise  des  auteurs  est  évidente.  Dans 
le  manuscrit  du  Roi,  le  système  des  mesures  d'Héron  est 
donné  immédiatement  après  celui  de  Didyme,  sans  qu'il 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  1 1  j 
soit  dit  que  le  pied  philétcréen  fût  le  même  que  le  pied 
ptolémaïque,  ni  que  le  pied  italique  fût  cgal  au  pied  ro- 
main. N'est-ce  pas  une  preuve  que  la  différence  des  noms 
suffisoit  pour  indiquer  la  différence  des  longueurs  !  et 
peut-on  changer  les  dénominations  techniques  employées 
par  les  anciens,  sans  risquer  de  leur  faire  dire  autre  chose 
que  ce  qu'ils  ont  voulu  exprimer  !  On  a  vu  Saint  Épi- 
phane  décrire  deux  systèmes  métriques  reçus  de  son  temps 
dans  la  Syrie,  et  Julien  d'Ascalon  en  présenter  un  troi- 
sième. Héron  parle  également  de  deux  systèmes  alexan- 
drins ;  et  celui  de  Didyme  pouvoit  différer  de  ceux  d'Hé- 
ron, ou  appartenir  à  quelque  canton  de  la  Basse-Egypte, 
sans  que  cette  variété,  dans  un  pays  où  l'abord  fréquent 
des  nations  étrangères  entremêloit  tous  les  usages,  doive 
paroître  extraordinaire. 

Je  crois  donc  qu'on  ne  peut  se  dispenser  d  avoir  égard 
aux  distinctions  clairement  énoncées  par  ces  auteurs,  dans 
les  mesures  qu'ils  nous  ont  transmises. 

Or  ,  selon  Didyme,  la  proportion  du  pied  romain   au 
pied  ptolémaïque  est  de  13  y  à  16,  ou  de  5  à  6  ;  et  le 
pied  romain  étant,  comme  je  l'ai  dit,  de  o-",   a/.,6  ,  le    Sui^.yag.Ss. 
pied  ptolémaïque  de  cet  auteur  devoit  être  de  o'",  jijjss  (i). 

De  plus,  la  différence  du  pied  romain  à  la  coudée 
royale  étant  de  5  à  p,  et  la  différence  du  pied  ptolé- 
maïque à  la  même  coudée,  de  2  à  3  ,  il  s'ensuit  que 
cette  coudée  étoit  de  o'",  ^jjj^.   On  peut  voir,  dans  le 


(  I  )  Le  pied  ptolémaïque  des 
Alexandrins  ne  doit  pas  être  con- 
fondu avec  le  pied  du  même  nom 
que  les  Cyréncens  employoient  de- 


puis long-temps.  Ce  dernier,  selon 
Hygin  ,  suprà,  pag.  86,  87 ,  étoit  au 
pied  romain  ::  25  :  24.    Celui  dont 
parle  Didyme  étoit  :  :  24  :  20. 
Pij 


11^  MÉiMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Tableau  gcncral,  cjue  cette  grande  coudée  ctoit  celle  de 
32  doigts  du  stade  égyptien  de  250000  à  la  ciiconfé- 
reiice  de  la   terre  (1). 

Ici,  la  grande  coudée  se  trouvant  divisée  en  24  doigts, 
ces  doigts  deviennent  de  grands  doigts  du  stade  précédent. 
Seize  de  ces  doigts  formoient  le  pied  ptolémaïque  ;  et  il 
ne  paroît  pas  que  cette  combinaison  particulière  ait  jamais 
été  portée  plus  loin  que  la  coudée. 

Voici  donc  la  valeur  de  chacune  de   ces  mesures: 


EVALUATION    DES    MESURES    INDIQUEES 
PAR    DIDYME    d'aLEXANDRIE. 


Doigt o,  onm 

Cm  h  gr^nd  J.'igl  du  ttadt  Jt  Jfff^ûO. 

Palme,  =  4  doigu o,  ossissy 

Pied  romain,  =  1  j  doigts  7,  ou  j  palmes  7 o,  îjÉiy* 

cm  U  pitJ  du  iiéJt  dt  iiscec,  «  //  fiiJ  dm  m'ilU  nmuhi. 

Pied  ptolémaique,  =  i(5 doigts, ou  4  pjlmcj o,  assiS 

Coudée  roïale,  =  14  doigB,ou  1  ^  pied  romain,  ou  i  ;  pied 

ptuicmaïquc O,  )))))} 

C«f  fd  grmmdt  tçhdit  df  J3  dtifti  du  ttjdr  de  jfPOffff. 

Le  pied  piolémaique  de  o^,  j  (  !  I J 1  :  ^  '*  coudée  royale  de  o",-  j  j  H  U  :  :  »  :  J  • 
Le  pied  romain..  .  .  de  o    ,  lyCiyC  :  à  la  coudée  roy.ilc  de  o  .  j  j  )  )  )  J  :  •'  5  ^  9- 

loo  roudécj  royales  de  o",   JJ)))} 

iSo  pieds  romains.,    de  o  ,   iy6iy6 


=  îî"".  jnuj- 


(i)  Scion  M.  Girard,  pag.  f^, 
la  coudée  moyenne  conclue  de  la 
mesure  des  8  coudées  inférieures  du 
niloniétredc  Roudah.cstdco",  i+ii;; 
et  la  coudée  moyenne  de»  8  coudées 
iupérieurc5,deo'",ij9)7.  Il  me  semble 


qu'on  doit  rcconnoitrc,  dans  ces  cou- 
dées inégales,  des  copies  altérées  de 
la  coudée  royale  de.»  Alexandrins  , 
dont  parle  Uidymc,  et  que  les  Arabe» 
ont  inconsidérément  prolongée  de  6 
à  lO  millimétrés. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      117 
DE   LA    COUDÉE    d'ÉLÉPHANTINE. 

J'ai  annoncé  que  le  système  du  stade  de  252000  et  SupYà.iui^.  m. 
celui  du  stade  de  216000  avoient  été  siinuitanément  en 
usage  dans  i'Égypte  ;  les  divisions   de  la  coudée  du  nilo- 
mètre  d'ÉIéphantine,  construit  sous    les  Ptoiémées  ,  m'en 
offrent  la  preuve. 

M.  Girard  a  mesuré  six  de  ces  coudées  :  il  a  évalué  la 
longueur  woy£'///;^  de  chacune  à  527  millimètres,  etles  trou-     Girard,  AUm. 
vantaivjsees  en  quatorze  parties,  qu  il  suppose  des  demi-   de  l'de   d'Eli'- 
palmes  égyptiens,  il  en  a  conclu  que  ces  coudées  se  par-  ^j'|,"j',%'^"'°  ■^' 
tageoient  en   sept  palmes. 

Mais  l'antiquité  n'a  point  connu  de  coudée  de  sept 
palmes.  Les  auteurs  donnent  six  palmes  ou  24  doigts  à  la 
petite  coudée,  et  huit  palmes  ou  32  doigts  à  la  grande. 
Ainsi  les  divisions  inusitées  des  coudées  d'EIéphantine 
doivent  avoir  eu  un  objet  particulier  :  c'est,  je  crois,  celui 
de  faire  connoître  en  même  temps  ,  lors  des  crues  du  Nil, 
la  hauteur  du  fleuve  en  mesures  égyptiennes  prises  du  stade 
de  252000,  et  sa  hauteur  en  mesures  grecques  prises  du 
stade  olympique  de  216000. 

Dans  mon  Tableau  général ,  la  coudée  de  3  2  doigts  dn 
stade  de  252000  est  de  520^  millimètres,  ou  seulement 
de  deux  millimètres  plus  grande  que  celle  d'ÉIéphantine, 
et  cette  différence  est  nulle  pour  l'objet  dont  il  est  question. 
Ainsi  les  coudées  mesurées  par  M.  Girard  sont  bien  des 
coudées  égyptiennes  de    huit  palrnes  (i);  et  il  est  visible 


(i)  Siiprà,p.yo ,yi.  —  Cettecou- 
dée  de 32  doigts  du  stade  de  252000 
dilïeroit  seulement  de  o"^,  00^.232  de 


la  coudée  de  32  doigts  du  stade  de 
450000  dont  il  a  été  question  dans 
l'aiticle  de   Didyme;   et   il   paroît,, 


iiR  MrMoiRLS  DE  i;ac.\dé.mie 

cjiic  les  c|iiatorzL-  parues  Juiis  lesquelles  elles  se  trouvent 
divisées,  ne  peuvent  pas  ttre  des  demi-palmes  cVvptieiis  : 
elles  doivent,  comme  on  va  le  voir,  appartenir  au  stade 
de  2  16000, 

En  effet,  pour  que  ce  nilomètre  pût  remplir  le  double 
objet  que  je  viens  d'indiquer,  il  a  fallu  ,  après  avoir  tracé 
dans  toute  sa  longueur  la  grande  coudée  égyptienne  de 
huit  palmes,  la  diviser  en  palmes  grecs.  Mais,  comme  les 
six  palmes  de  la  coudée  grecque  ordinaire  ne  répondoient 
qu'aux  sept  huitièmes  ,  c'est-à-dire  à  sept  palmes  de  la 
coudée  égyptienne,  le  surplus  delà  longueur  de  cette 
dernière  coudée,  à  quatre  ou  cinq  lignes  près,  égal  à 
chacun  des  six  palmes  grecs  précédens,  est  ce  qu'on  a  pris 
par  mégarde  pour  un  septième  palme  de  la  coudée  égyp- 
tienne,  tandis  qu'il  en  étoit  juste  le  huitième  ;  et  l'on  voit 
comment  la  longueur  de  cette  coudée  a  pu  se  prêter  à  ^tre 
divisée  en  quatorze  condyles  ou  demi-palmes  c)lympii|ues 
presque  égaux. 

Ceci  deviendra  plus  sensible  et  plus  exact  par  l'exemple 
suivant,  qui  donnera  d'ailleurs  une  méthode  très-simple 
pour  convertir  les  mesures  égyptiennes  en  mesures  grecques, 
et    réciproquement  celles-ci  en    mesures  égyptiennes. 

D'après    le  Tableau   géiu'ral ,  la  coudée   égyptienne   de 

32  doigts  ou  de  8  palmes  du  stade  de  252OCO,  étant  de.O",  (>-iai. 
Si  l'on  ôtc  un  palme  de  la  même  coudée  ,  ou O   ,  o'^'SiiS. 

Il  reste  la  coudée  grecque  de  24  doigt»,  on  de  6  palmes 

du  stade  de  216000 o  ,  ^x>6i. 


d'après  ce  que  j'ai  dit  png.  ro2 ,  que 
l'on  cniployoit  inditTcrcmmcnt ,  et 
que  l'on  coofoodoit  mcmc,  pour  les 


petite»  mesures  usuelles,  les  subdi- 
visions de  cet  deux  svstcme». 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      119 
Oa ,  si  l'on  veut , 

La  coudée   grecque  de    24  doigts,   ou   de  6  palmes  du 

stade  de   216000,  étant  de C",  ^ôipSj. 

Si  l'on  ajoute  un  palrfie  égyptien  du   stade  de  252000.  .  .    o   ,  066118. 

On  a  la  coudée  égyptienne  de  32  doigts,  ou  de  8  palmes 

du  stade  de  252000 o  ,  529101. 


Mais  H  faut  observer  qu'en  ôtant  un  palme  de  la 
coudée  égyptienne  de  huit  palmes,  ou  en  ajoutant  un 
palme  égyptien  à  la  coudée  grecque  de  six  palmes  ,  il  n'en 
résulte  pas  une  coudée  de  sept  palmes  proprement  dite, 
mais  toujours  une  coudée  de  six  palmes ,  ou  une  coudée 
de  huit  palmes,  d'un  système  différent  de  celui  sur  lequel 
on  a  opéré  ;  d'oij  il  résulte  évidemment  que  les  anciens 
n'ont  pas  eu  de  coudée  de  sept  palmes  pris  dans  le 
système  métrique  qu'ils   adoptoient. 

DE  LA    COMPARAISON    DES  MESURES  ÉGYPTIENNES 
AVEC  LES  MESURES  BABYLONIENNES. 

Les   observations   précédentes    me  conduisent  à 
l'examen  d'un  passage  d'Ézéchiel ,  sur  lequel  on  s'appuie     Ginud.Aicm. 
pour  dire  que  les  Hébreux  avoient  aussi  une  coudée  de  'd^  inI"'d'Eil 

Sept  palmes.  phamke,  p.,z- 

C'est  lorsque  le   prophète,  en   rapportant  les  mesures 
du  Temple ,  ajoute  qu'elles  avoient  été  prises   avec  une 
cciiine  longue  de  six  coudées ,  dont  chacune  étoït  d'une  coudée     EzeMd.  cap. 
et  un  palme.  V',;T'''"^' 

J'observerai,  sur  ce  passage,  que,  la  coudée  ordinaire 
étant  de  six  palmes,  si  la  coudée  augmentée  d'un  palme  ,, 


I20  ME^\0!RES  DE  L'ACADÉMIE 

dont  parle  Ézc'chiel ,  avoit  ctc  composée  de  sept  palmes 
(.•gaiix,  le  proplictc ,  pour  éviter  toute  éc|uivo(jue,  auroit 
dit  simplement  que  la  canne  dont  on  s'étoit  servi  étoit 
longue  iie  sept  couJt'cs,  c'est-à-dire  de  4  i  palmes,  au  lieu 
de  3(î.  S'il  a  cru  devoir  s'expliquer  autrement,  c'est  quil 
a  voulu  faire  entendre  que  les  six  palmes  ajoutés  aux  ^6 
autres  dévoient  en  être  distingués,  parce  qu'iU  n'avoient 
pas  la  même  longueur,  et  qu'ils  provenoient  d'un  système 
métrique  difiérent  de  celui  auquel  apparteiioient  les  3^ 
premiers  palmes. 

Les  interprètes  conviennent  que  les  expressions  d'Ezé- 
chiel  indiquent  la  différence  qui  existoit  entre  les  mesures 
égyptiennes  et  les  mesures  babyloniennes;  et  comme  ils 
pensent  que  les  Juifs,  dans  la  construction  du  Temple, 
s'étoient  servis  des  mesures  égyptiennes  prises  du  stade  de 
180000,  ils  ont  conclu  que  les  mesures  babyloniennes, 
étant  plus  courtes  d'un  sixième,  provenoient  du  stade  de 
216000.  Ce  raisonnement  est  juste  dans  l'hypothèse  qu'ils 
ont  embrassée;  en  effet, 

La  coudJe  i-gypiit-nnc-  Ae  z\  doigts  ou  de   6    palmes  du 

tiadc  de    180000,  étant  de O",  u  •-• 

Si   l'on   Ole  un   palnu-  de  la  même  coudée,  ou O    ,  o.^aj^j. 

Il   restera  la    coudée   babylonienne    de   24   doigts   ou    de 

6  palmes  du  stade  dt  216000 o   ,  ,': ,-  . 

Ou  . 

Si  l'on  prend  la  coudée  !)aliylonienne  du  si.idc  de  216000.    O",  ♦<i»«i. 
Et  qu'on  y  ajoute  un  palme  du  stade  de  180000 O  ,  09119a. 

On    aura    la  coudée   égyptienne  du   stade  de   iScooo...    «^    ,  :. 

Ainsi  rien   ne  s'oppose    au  mode  de  réduction  que  je 

viens 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  121 
viens  de  présenter,  puisqu'il  s'accorde  dans  des  combi- 
naisons différentes  ;  et  l'on  voit  qu'il  n'est  pas  plus  question 
ici  d'une  coudée  de  sept  palmes  égaux  que  dans  l'exemple 
rapporté  pag.  118,  Jip. 

NÉANMOINS  toutes  les  difficultés  ne  me  paroissent  pas 
résolues;  et  je  me  permettrai  de  demander  s'il  est  bien 
sûr,  comme  le  veulent  les  interprètes,  qu'aux  époques 
dont  je  parle ,  les  Égyptiens  et  les  Babyloniens  se  ser- 
vissent des  mesures  dont  il  vient  d'ctre  question,  et  s'il 
est  certain  aussi  que  les  Hébreux,  après  leur  sortie  de 
l'Egypte ,  aient  conservé  l'usage  des  mesures  de  cette 
contrée. 

Ces  doutes  s'élèvent  avec  d'autant  plus  de  force ,  que 
plusieurs  des  interprètes  conviennent  que  les  dimensions 
des  édifices  et  des  autres  objets  dont  il  est  parlé  dans  la 
Bible,  deviennent  colossales,  si  on  les  évalue  d'après  les 
mesures  données  par  les  stades  précédens. 

Il  est  donc  très-probable  que,  dans  ces  temps  reculés, 
les  stades  secondaires  n'avoient  encore  été  introduits,  ni 
dans  l'Egypte,  ni  dans  laBabylonie,  et  qu'il  faut  employer 
ici  des  mesures  prises  parmi  les  stades  primitifs  que  la 
tradition  annonce  avoir  été  en  usage  dans  ces  contrées. 

Chez  les  Egyptiens ,  Hermès  passoit  pour  avoir  divisé    Suprà.pag.46, 
le  périmètre  de  la  terre  en  360000  stades. 

Et  l'on  a  vu  que  les  opérations  faites   par   les  anciens,     Sup.  jug.  oy. 

pour  déterminer  l'emplacement  des  principaux  lieux  de  la 

terre,  dans  le  sens  des  longitudes,  sous  le  36/  parallèle, 

opérations  qu'on  ne  peut  guère  attribuer   qu'aux   Baby- 

Tome  VI.  Q 


lii  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Ioniens    ou    plutôt  aux   Chaldcens  leurs  prddccesseurs, 

avoieiit  cic  combinées  en  stades  de  300000. 

C'est  donc  dans  les  subdivisions  de  ces  stades  qu'il  con- 
vient de  chercher  et  qu'on  peut  espérer  de  trouver  les 
mesures  qui  doivent  ctre  ap]iliquces  aux  objets  dont  je 
vais  parler. 

Il  faut  observer  d'abord  que  rien  ne  constate  qu'après 
leur  sortie  de  l'Egypte,  les  Juiib  aient  conserve  l'usage 
exclusif  des  mesures  employées  dans  ce  pays.  Au  con- 
traire, des  qu'ils  eurent  secoué  le  joug  des  Egyptiens,  on 
voit  Moyse  rappeler,  parmi  les  institutions  qu'il  donne 
aux  Hébreux,  les  élémens  d'un  système  métrique  difTé- 
reiit  de  celui  auquel  la  plus  grande  partie  de  ce  peuple 
avoit  pu  s'accoutumer  pendant  la  durée  de  son  esclavage, 
mais  que,  selon  toute  apparence,  les  anciens,  les  chefs 
de  la  nation,  n'avoient  jamais  adopté.  C'est  du  moins  le 
sens  que  me  paroît  présenter  l'expression  de  PoiJs  du 
Exoj.c.xxx,  Saiictuiiirc ,  si  souvent  répétée  dan^  l'Exode,  le  Lévitique, 
i.v.  vcn.  1;:   les  INombres  ,   puisque   la  distinction  des   pouls  eut  ctc 

i.  XXVII,  vers.     •  .1  -iiii  -!••  !.•  I  >  •. 

;,  -V   Nêimer.   '"Utile,  SI  Ics  Htbroux,  a  1  cpoque  dont  je  parle,  n  avoient 
up.111.vm.47.   connu   qu'un  seul    système  métrique.   On  sait  d'ailleurs 

;».    cap.     VII.  1  J  1 

"fn.i}, ip,2s ,  que,  dans   les   métroloyies  anciennes   ou   modernes,    le 

Sf  ,61,67,^}.  système  des  poids,  comme  celui  des  mesures  de  capacité, 

fap.xvi'ii.vm.   dérivent  des  mesures  de  longueur. 

'*■  Ces  mesures  du  Siinclii{iire  ne  pouvoient  ctre  que  des 

mesures  consacrées  par  l'ancienneté  de  leur  usage,  et  les 
premières  dont  les  Juifs  s'étoient  servis.  On  voit,  dans 
leurs  livres,  qu'avant  de  se  fixer  en  Egypte,  ils  avoient 
erré  pendant  plus  de  quatre  siècles  dans  la  Mésopotamie, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      123 

la  Syrie,  la  Palestine  ,  où  les  mesures  babyloniennes 
ctoient  nécessairement  établies  :  ainsi  ils  les  avoient  em- 
ployées durant  ce  long  intervalle  de  temps.  Lorsqu'en- 
suite  ils  trouvèrent  d'autres  mesures  en  Egypte,  elles 
durent  leur  paroître  nouvelles  ;  celles  de  la  Babylonie 
devinrent  pour  eux  <!^ anciennes  mesures  :  et  c'est  sous  cette 
acception  ,  je  crois ,  qu'il  faut  entendre  le  passage  des 
Paralipomènes  où  il  est  dit  que  les  dimensions  du  Temple  Paraiipom.  u. 
avoient  été  données  selon  l'ancienne  mesure.  mp. ^ ,  vers . s- 

Il  est  donc  aussi  questioi  de  mesures  babyloniennes 
dans  le  passage  d'Ézéchiel,  puisque  ce  prophète  n'a  fait 
que  répéter  celles  de  l'ancien  Temple  ;  et  comme  ces 
mesures  se  trouvoient  plus  grandes  d'un  sixième  que 
celles  de  l'Egypte,  il  s'ensuit  qu'elles  appartenoient  au 
premier  système  babylonien,  c'est-à-dire  au  stade  de 
300000,  et  que  c'est  avec  le  petit  stade  égyptien  de 
360000   qu'elles  doivent  être  comparées. 

Alors, en  employant  la  méthode  que  j'ai  donnée,  et  en  pre- 
nant, dans  le  Tableau  général,  la  coudée  de  24  doigts 
du  stade  de  3  60000 o",  2-7777S. 

Si  l'on  y  ajoute  un  palme  du  stade  de  300000 o   ,  05^5;-. 

On  aura   l'ancienne   coudée    babylonienne  du    stade  de 

300000 n      ,, 


qui  sera  en  même  temps  la  coudée  du  Sanctuaire,  la  coudée  légale 
des  Juifs. 

Cette  évaluation  me  semble  justffiée  par  les  rappro- 
chemens  suivans. 

Le  mille  hébraïque,  ou  le  chemin  Sabbatique,  c'est- 
à-dire  l'espace  que  l'usage  permettoit  aux  Juifs  de  par-    .^"''""^;  ''"^'"- 

1         .  ,  ,  ,  '  ti/t.tom.l  Jii.iJ, 

courir  les  jours  de  sabbat,  étoit,   selon  les -rabbins,  de  '''!•■ ''P^s-jp?. 


'il4  Mi,AlOIRES  DE  L'ACADEMIE 

deux  mille  coudces  légales,  et  seroit,  d'après  l'cvaiiiation 
préccdente,  de   GG6  nictres  -f. 
S.    EphLin.        Selon   Saint  Epipliane,   né   en    Palestine,    le   chemin 

Ailvtn,     ijro.    c    i  i        •  /      •        i         •  i 

Lxyt.  f.  Sj,  îïaubatKjiie  ctoit  de  six  stades. 

nn.  l.p.yo;.         £j^  parlant  des  mesures  transmises  par  cet  auteur,  j'ai 

9S.  faii   voir  que,   de  son  temps,  on  ciiiployoit  deux  stades 

dillJrens  en  Syrie,  celui  de  252000  et  celui  de  270000; 
mais  que  le  mille  itinéraire  de  dix  stades  de  360000, 
ou  de  111  i"\  .n,  s'y  étoit  maintenu  malgré  les  chan- 
gemens  qu'avoient  éprouvés  les  autres  mesures.  Il  est 
donc  très-vraiscinblahie  que  ce  mille,  ou  le  stade  dont 
il  se  composoit,  avoit  continué  d'ctre  la  mesure  la  plus 
habituelle  du  peuple,  et  que  c'est  avec  le  stade  de 
I  I  1'",  ...  que  Saint  Epiphane  comp;ue.le  chemin  Sabba- 
tique. Or  six  de  ces  stades  valent  précisément  666  mètres  7, 
que  donnent  les  deux  mille  coudées  de  3  3  3  millimètres -f 
du  stade  de  300000  ;  et  cet  espace,  à  très-peu  près  égal 
à  la  longueur  du  jardin  des  Tuileries,  doit  paroiire  suf- 
fisant pour  une  promenade  qui  n'étoit  que  tolérée,  puisque 

Exod.cap.xvi,  la  loi  délendoit  aux  Juifs  de  sortir  du  lieu  oiî  ils  se  trou- 
voient  le  jour  du  Sabbat. 


Vfn. 


29, 


Prenons  un  autre  exemple. 

Parmi  les  objets  destinés  au  culte  des  iu\[->,  il  en  est 

Ejod.  cap.      tiojjt  la  mesure  est  donnc-e.  On  trouve,  dans  l'Exode  et  dans 
xxxviii,v.  i     r  i.  I    I  r 

Eztch.    01p.  EzéchicI ,  que  l'autel  des  holocaustes  et  I  autel  des  parfums 

xu.t-en.ii.      avoient  trois  coudées   de  hauteur.  Ces  autels  sont  distin 
guc^  de  ceux  où  l'on   montoit  par  des  degrés  ;  ainsi  ils 
étoient  placés  immédiatement  sur  le  pave  du  Temple. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  125 
Or,  s'il  étoit  question,  comme  on  le  croit  communc- 
ment ,  de  la  coudée  égyptienne  du  stade  de  180000, 
ces  autels  auroient  eu  un  mctre  et  deux  tiers,  ou  cinq  pieds 
un  pouce  et  demi,  de  haut  ;  ils  auroient  égaie  la  taille 
ordinaire  des  hommes,  et  n'auroient  pu  servir. 

Si  on  les  suppose  de  trois  coudées  babyloniennes  du 
stade  de  216000,  ces  autels  auroient  eu  plus  d'un  mètre 
et  un  tiers,  ou  quatre  pieds  trois  pouces  et  un  quart,  et 
se   seroient  encore  trouvés  trop  élevés. 

Mais,  si  l'on  y  emploie  l'ancienne  coudée  babylonienne 
du  stade  de  300000,  celle  de  333  millimètres  ~,  dont 
je  viens  de  parler,  on  aura  un  mètre,  ou  trois  pieds  onze 
lignes  ;  et  cette  hauteur,  qui  est  celle  de  nos  autels  mo- 
dernes, est  la  seule  convenable. 

Je  retrouve  les  proportions  des  deux  anciennes  coudées 
babylonienne  et  égyptienne  dans  Hérodote,  lorsque,  par-     HtroJoi.  m.i, 
iant  de  Baby  lone ,  il  dit  :  La  coudée  de  roi  est  de  trois  doisrts  plus  ^  '^f-  P-  H' 

J  O      C  l  raductwn      de 

grande  que  la  coudée  moyenne.  J'observerai  seulement  qu'il  est  ^^-  Lnrchcr,t.  1, 
ici  question  du  grand  doigt,  dont  j'ai  fait  connoître  i'ori-  s'uprà.pag.jy. 
gine,  et  que  trois  de  ces  doigts  formoient  le  palme. 

Maintenant,  si  l'on  prend  pour  la  coudée  royale  celle 
du  stiide  babylonien  de  300000,  le  plus  grand  des  trois 
stades  primitifs,  et  les  doigts  pour  de  grands  doigts  du 
même  stade,  on  aura, 

Pour  la  coudée  royale o™,  îîjj-s- 

Otèz  trois  grands  doigts  ou  un  palme  de  cette  coudée.  .  .   o   ,  055555. 

II  restera  pour  la  coudée  moyenne o     ^77773. 

Et  cette  dernière  coudée  est  encore  celle  du  petit  sUide 


12^  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Sufrà.p-if.  /. 7  éi^vPtien  indique  par  Ezcchiel  ;  de  sorte  que  les  deux 
exemples,  quoique  pris  en  sens  inverse,  se  confirment 
réciproquement. 

Si  au  contraire  on  vouloit  chercher,  parmi  les  stades 
secondaires,  les  proportions  données  par  Hérodote,  on 
seroil  force  de  prendre. 

Pour  la  coudi'e  moyennt ,  celle  du  stade  de  2160CO O"',  ^1961. 

D'y  ajouter  trois  grands  doigts  du  stade  de   180000....   o   ,  «x^itçi. 

Et  l'on  auroit   pour   la   coudéi:  royal< o   ,  ,;ts>s- 


Mais,  dans  cette  hypothèse,  la  coudt.'e  royale  de  Baby- 
ione  deviendroit  la  coudée  du  grand  stade  égyptien  de 
180000;  et  ce  résultat  seroit  hors  de  toute  vraisem- 
blance, puisqu'il  faudroit  supposer  gratuitement  que  les 
Babyloniens  avoient  abandonné  leur  système  métrique 
pour  prendre  celui  des  Egyptiens. 

Il  p.-vroît  donc  qu'au  temps  de  Moyse ,  d'Ézéchiel ,  d'Hé- 
rodote, peut-être  même  à  des  époques  moins  reculées,  le 
système  métrique  des  Babyloniens  étoit  établi  sur  leur  petit 
stade  de  3  oooop ,  et  non  sur  leur  grand  stade  de  2 1  ^000. 

Voici  d'autres  rapprochemcns  qui  fortifient  cette  opi- 
nion. 
C/«*«i.  cifui       Selon  Ctéslas  et  selon  Hérodote,  les  murs  de  Babylone 
fô!^//'.  s'^7,  avoient  cinquante  orgyies,  ou  deux  cents  coudées  royales, 
p.,g.  /.«..  jç  huuteur.  En  évaluant  ces  mesures  d'après  le  grand  stade 

S.i7i>,p.S4  babylonien,  elles  vaudroient  plus  de  92  mètres  t.  o" 
285  T  ^'^-  "OS  pieds  de  roi.  Mais,  quoique  la  seule-  idée 
d'admettre  de^  murs  de  ville  plus  hauts  de  80  pieds  que 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  117 
les  tours  de  la  cathédrale  de  Paris  n'ait  pas  effrayé  le  savant 
Fréret,  il  me  semble  que  de  pareilles  murailles,  du  haut      Fréra,  Bsai 

,,  ,  .  ,  >  •  /^j!  ^    sur   les    mcsiins 

desquelles  les  assiégeans  eussent  a  peine  cté  apeiçus,  et  /o„gues  des 


an- 


d'où  il  auroit  été  si  difficile  de  les  atteindre,  sont  de  pures  g^,^f;™-^^; 
illusions.  Aussi  Diodore  de  Sicile  rapporte-t-il  que  des  hscrif>th,:s,tom. 
écrivains  postérieurs  à  Ctésias  bornoient  la  hauteur  de  ^.^^^^_  ^,..^^_ 
ces  murs  à  cinquante  coudées,  et  c'est  l'opinion  suivie  '• /, /. //, /■  7. 
par  Strabon.  Or  cinquante  coudées  du  grand  stade  baby-  StraLm.xvi. 
Ionien  vaudroient  environ  23  mètres,  ou  7  1  de  nos  pieds;  }'-'S-7}S. 
et  cinquante  coudées  du  petit  stade  égaleroient  i  6  mètres  f 
ou  5  I   pieds  3  pouces. 

Mais,  puisqu'il  est  impossible  de  ne  pas  reconnoître, 
dans  la  grande  dissemblance  des  mesures  précédentes  et 
de  celles  qui  ont  été  rapprochées  ailleurs,  au  moins  une      Tmduc.fran- 

.^  I  ^  •     ^     J  i  çaise  de  Stmhn , 

méprise  de  nomenclature,  on  peut,  sans  crainte  de  se  trom-  tom.  v.-pag.ibz, 

per,  prendre  pour  des  palmes  les  200  coudées  d'Hérodote,   '""'■ 

ou  les  200  pieds  que  Pline  leur  substitue  ;  et  pour  des  ^l^'"':J'^'  ^'' 

coudées,  comme  le  disent  Diodore  et  Strabon,  les  50  or- 

gyies  de  Ctésias.  Alors  on  trouvera  que  200  palmes  du 

grand  stade  babylonien  représenteroient  i  5  mètres  ^;  que 

50  coudées  du  petit  stade  vaudroient  i  6  mètres  y,  comme 

je  l'ai  dit  ;  et  toutes  ces  mesures,  si  disproportionnées  au 

premier  aspect,   ne  différeroient  plus  que  d'environ  un 

mètre,  ou  de  trois  pieds  et  demi. 

Quant  à  la  hauteur  à  laquelle  je  réduis  les  murs  de  Ba- 
bylone,   comme  elle  surpasse  encore  celle  des  remparts     Le  Blond,  ku- 

,  .       .        I  . , ,  I  "îf'"  dcfonifica- 

de   nos   principales  villes  de  guerre,   en  y    comprenant   tim.fdg. ^,,2. 
même  la  profondeur  des  fossés,  elle  paroîtra  sans  doute 
suffisante  pour  justifier  la  célébrité  que  ces  murs  ont  eue 
chez  les  anciens. 


,2!!  MKMOTRES  DF   L'ACADEMIE 


TROISIEME   PARTIE. 


DES    MESURES    ARABES,    PERSANES, 
INDIENNES,    CHINOISES,  &c. 

El  s  MESURES  employces  jxir  les  géographes  aràbe$ 
dans  la  <Iescription  Jun  grand  nombre  de  contrées  qui 
nous  sont  encore  peu  connues,  présentent  trop  d'intérêt 
pour  qu'il  ne  soit  pas  utile  de  chercher  à  découvrir  la 
valeur  de  ces  mesures  par  des  movens  j>lus  exacts  que 
ceux  dont  on  s'est  servi  jusqu'à  présent. 

En  trouvantchez  ces  peuples  l'usage  du  doigj,  du  palme, 
de  la  coudée,  du  mille,  de  la  parasojige,  on  ne  |ieut  douter 
que  leurs  systèmes  métriques  n'aient  été  puisés  dans  les 
mêmes  sources  que  ceux  des  Grecs;  et,  sous  cet  aspect, 
les  mesures  des  Arabes  du  moyen  âge,  c'est-à-dire  des 
Écoles  de  Bagdad  et  de  Samarkand,  appartiennent  encore 
à  l'antiquité,  et  doivent  se  rattacher  aux  systèmes  précé- 
dens.  Mais  quelques  changemens  introduits  dans  les  sub- 
divisions de  ces  mesures  ont  fait  méconnoître  leur  origine 
immédiate  ;  et  une  nouvelle  évaluation  du  degré  terrestre, 
proposée  par  des  astroiiomes  arabes,  a  contribué  encore 
à  jeter  de  l'obscurité  sur  la  valeur  des  mesures  dont  ils 
parlent. 

On  vojt,  dans  les  auteurs  arabes,  que  le  khalife  Al- 
Mamaun,  qui  rcgncjit   à   Bagdad   au  commencement  du 


lU'Uv  icnie 


ment,    astronom. 
png.S'. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  129 
neuvième  siècle  de  l'ère  chrétienne,  ordonna  de  mesurer 
plusieurs  degre's  de  la  terre  sous  différens  méridiens,  et 
que  ses  astronomes  se  divisèrent  en  plusieurs  bandes  pour 
exécuter  ses  ordres. 

Les  uns,  selon  Ebn  lounis,  se  rendirent  entre  Wamia     Bnlounis.No- 
et  ladmor,  ou,  suivant  Mcsoudi,  entre  Racca  et  Tadmor;  duRoi.tom.vii. 
ils  y  mesurèrent  séparément  deux  degrés,  et  trouvèrent  'J/f^,^/  \t 
à  chacun  57  milles.  Les  autres  se  portèrent  dans  les  plaines  "'""  '^"  '"a»"^'-- 

JC••^I       r         /r  '     j  /■        ..r  du  Roi,  lom.  1, 

de  binjar,  ou  le  degré  lut  trouve  de  56  milles  :^  ;  mais,  yg-s',  r^. 
selon  Abulféda,  on  mesura,  dans  les  plaines  de  Siniar,     Atuifeda,Pr»- 

d' j  ,  .  i  ,  ...  kgomen.  ad  Cco- 

eux  degrés  contigus  du  nord  au   midi  :  on  trouva  l'un  #w/.A.  /«  Bus- 

de  56  milles,  l'autre  de  56  f  ;  on  adopta  la  plus  forte  Zm^iv.'ltijl' 
estimation,  et  la  circonférence  de  la  terre  fut  évaluée  à  Aifcrgmd.Ek- 
20400  milles. 

Voilà  donc,  d'après  ces  différens  auteurs,  quatre  me- 
sures qui  donnoient  aij  degré  du  méridien  56,  56-^, 
56  y,  ou  57  milles,  composés  chacun  de  4ooo  coudées     Ehnhunh,No- 

•  j  ,  k  \    -KK  i>  '"-^^ des  mattusc. 

nôtres  adoptées   par  Al-Mamoun  ;  et  1  on  ne  peut  juger  du  Roi,  t.  vu, 
quelle  est  ia  mesure  la  plus  exacte,  qu'après  avoir  reconnu  ^''tf'   .  r-, 
la  valeur  de  la   coudée  dont  ces  milles  se  composoient.   '"""■■  '""■"""'"• 
En  cherchant  cette  valeur   d'après  la   méthode  que  j'ai  ^^^' '"' 
suivie  dans  mes  deux  Mémoires,  je  trouve  que 

Le  m'iUa  de  j6  au  degré  )       „  ,^  (  et  sa  iooo.'  partie,  ) 

■  Le  mile  de  56  ^  ,  de, .     1975  ,  30S64» .,  fU. .,,.,,....; o   ,  ,538.7. 

Le  mille  de  56  4,  de.,     i960  V.s^.* .  .V.'.^!)V^. o  ,  «o.,6. 

Le  mille  de  57  ,  de.. . .      1949  ,  3.7739  .^iy^•p.  .Q 0.0 i. .....   o   ,  ^873.9. 

Quoique  ces  mesures,  prises  isolément,  semblent  ré- 
clamer la  même  confiance,  si  cependant  l'une  des  quatre 
coudées  qu'elles  produisent  se  trou voi^- légale  à  une  autre 
Tome  Vi.  K 


ijo  .MFMOIRFS  DE  L'ACADÉMIE 

coiidce  dc)à  conmie  pour  être  exacte,  ne  seroit-on  pas 
autorise  à  considérer  la  coudée  noire  des  Arabes  comme 
une  simple  copie  d'une  coudée  plus  ancienne? 

Or,    la   coudée   du   mille  de   56  ^  au  degré  étant  de 

o"",  4vj3i7.  et  rigoureusement  égale  à  la  coudée  de  32  doigts 

Voyei  It  T.i-   du  stade  de  270000 ,  on  doit  en  inférer  que  cette  ancienne 

ho'ii  Vil.  coudce  est  celle  qu  Al-Mamoun  avoit  choisie  pour  établir 

le  système  métrique  de  ses  états  ,  et  qu'il  (ît  employer  en- 

sin'te  dans  la  mesure  de  la  terre. 

Il  seroit  sans  doute  difiicile  de  se  persuader  que  les 
moyens  employés  par  les  astronomes  arabes  aient  pu  les 
amener  à  une  semblable  précision  :  mais  on  peut  croire 
qu'ils  auront  arrangé  les  résultats  de  leurs  opérations  de 
manière  à  s'approcher  le  plus  près  possible  du  rapport 
qui  étoit  supposé  exister  entre  la  grande  coudée  du  stade 
de  270000  et  les  degrés  qu'ils  avoient  à  mesurer  ;  et 
l'on  ne  doit  attribuer  le  choix  qu'ils  ont  fait  du  mille 
de  56  y  au  lieu  de  celui  de  56  -^,  qu'à  l'incertitutie  où 
ils  étoicnt  eux-mêmes  sur  la  longueur  positive  de  la  cou- 
dée dont  il  est  question. 

Les  changemens  qu'entraînoit  cette  méprise,  produi- 
sirent le  nouveau  système  adopté  par  Al-Mamoun.  Les 
mesures  correspondantes  aux  subdivisions  du  stade  de 
270000,  telles  que  le  doigt,  le  palme,  la  grande  cou- 
dée, y  furent  réduites  d'un  cent  trente-sixième;  et  le  mille 
ordinaire  de  4ooo  coudées  de  24  doigts  y  fui  remplacé 
par  un  mille  composé  île  4000  coudées  de  3  2  des  nou- 
veaux doigts. 

Un  passage  d'un  auteur  arabe  cité  par  Gofius  semble- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  131 
roit  donner  aussi  un  moyen  pour  évaluer  la  coudée  noire; 
et  il  fait  connoître  en  même  temps  le  système  des  mesures 
employées  par  les  Perses,  dans  le  septième  siècle  de  l'ère 
chrétienne.  Mais  ce  passage  renferme  une  méprise  qu'on 
ne  paroit  pas  avoir  aperçue,  et  cju'il  importe  de  signaler, 
pour  éviter  à  l'avenir  les  erreurs  qu'elle  a  fait  commettre. 
Après  avoir  dit  que  la  coudée  hachémique  portoit  aussi 
le  nom  de  coudée  royale,  parce  qu'elle  avoit  été  établie 
d'abord  par  les  rois  de  Perse,  et  adoptée  ensuite  par  les 
khalifes  hachémides,  l'auteur  ajoute:  Amnym.  npud 

Goliiim ,    Nota. 
La  coudée  hachémique  vaut  i  ^i  coudée  commune.  inAlprgan.pag. 

74  >  7S- 
La  coudée  commune  contient  6  pahnies,  et  le  palme  4  doigts:  ainsi 
cette  coudée  est  composée  de  24  doigts.   Le  doigt  vaut  6  grains 
d'orge,  et  le  grain  d'orge,  6  crins  de  cheval. 

E>e  sorte  que  la  coudée  hachémique  est  de  8  palmes,  ou  de  32  doigts. 

Quant  à  la  coudée  noire  dont  on  se  sert  à  Bagdad  pour  mesurer 
les  étoffes  de  lin  et  les  autres  marchandises  précieuses,  elle  fut 
établie  par  Al-Manioun,  d'après  la  coudée  de  l'un  de  ses  esclaves 
nègres  qui  se  trouvoit  avoir  l'avant-bras  plus  long  que  tous  les 
autres  ;  elle  contient  6  palmes  et  3  doigts  ,  c'est-à-dire  27  doigts. 

La  canne  ou  perche,  appelée  Bah ,  est  de  6  coudées  hachémiques  (i), 
qui  valent  8  coudées  communes  ,  ou  7  coudées  noires  et  f. 

La  chaîne  ou  le  cordeau  ,  mesure  dont  on  se  servoit  au  temps  des 
Perses,  étoit  de  60  coudées  hachémiques. 

Sans  s'arrêter  à  l'origine  fabuleuse  donnée  à  la  coudée 
noire,  on  voit  qu'au  temps  d'Al-Mamoun,  et  après  lui, 
on  a  employé,  dans  ses  états,  trois  coudées  dont  les  lon- 
gueurs étoient  entre  elles  comme  les  nombres  32,  27 
et  24. 


(1)  Dans  la  traduction  latine  il 
y  a  vil  coudées:  c'est  une  faute 
d'impression  ;  le  texte  arabe  porte 
SIX  coudées.  Fréret ,   ne  s'ctant  pas 


aperçu  de  cette  faute,  a  créé  une 
seconde  coudée  hachémique,  qui  n'a 
point  existé.  Mémoires  de  l'Académie 
des  Inscriptiojis,  tom.  XXIV, p. }j^. 


i3i  MF.MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Dans  mon  Tableau  gcncral,  la  proportion  de  32  à  27 
n'existe  qu'entre  la  grande  coiuice  du  stade  de  270000 
et  la  petite  coudée  du  stade  de  2J0000  ;  d'où  il  semble- 
roit  que 

La  coiidcc  haclicniique  devroii  être  celle  de  32  doigts  du 

stade   de  270000,    et    valoir o"",  «jSj?. 

La  coudée  commune,  celle  de  24  doigts  du  même  stade, 

ou    de O    ,  )7037». 

Et  la  coudée  noire,  celle  de  24  doigts  du  stade  de  240000, 

qui  valent  27  doigts  du  stade  de  270000,  ou o  ,  416647. 

Mais,  dans  cette  hypothèse,  la  coudée  noire,  multi- 
pliée 4ooo  fois,  donneroit  un  mille  itinérairetle  1666"^,  667, 
qui  se  trouveroit  compris  66  fois  y  dans  le  degré,  au  lieu 
de  56  fois  y,  comme  le  vouloient  les  astronomes  d'AI- 
Mamoun  ;  et  une  erreur  d'environ  \\n  tiiKjuicme  ne  peut 
pas  leur  ctre  imputée. 

Il  est  donc  visible  que  l'auteur  cité  par  Golius  a  con- 
fondu la  coudée  noire  avec  la  petite  coudée  du  stade  de 
240000  (i). 


(i)  Plusieurs  écrivains  arabes  ont 
commis  la  même  erreur.  II  y  a  plus: 
Ahulfcda,  Mésoudi ,  E!)iial-Ounrdi , 
et  autres,  disent  que  Ptoléiuée,  dans 
son  Almagcste,  a  donné  à  la  cir- 
conférence de  la  terre  24000  milles, 
ou  66  milles  i  au  degré,  quoiqu'on 
ne  trouve  rien  de  semblable  dans 
les  ouvrages  de  cet  ancien  ,  qui  a 
constamment  employé  le  stade  de 
180000 au  périniétredu  globe,  ou  de 
500  au  degré,  et  dont  le  mille  itiné- 
raire ne  pouvoit  être  que  de  jo  au 
degré. 

Vcri  le  temps  où  les  Arabes  ont 


commencé  à  cultiver  les  sciences  et 
à  consulter  les  ouvrages  des  Grecs, 
les  Syriens  se  servoicnt  d'un  mille 
composé  de  7  stades  7  (siiprà ,  pag, 
^S,  104.)  :  cest  probablement  ce  qui 
aura  fait  croire  aux  Arabes  que, 
pour  convertir  en  milles  itinéraires 
les  1 80000  stades  de  Ptolémée ,  il 
sufTisoit  de  les  diviser  par  7  ~;  et  ils 
en  ont  concluque, dans  son  opinion, 
la  circonférence  de  la  terre  dcvoit 
tire  de  24000  milles,  et  chaque  degré 
de  66  i. 

C'est    la   troisième  fois  qu'il    est 
question ,  dans  ce  Mémoire,  du  mille 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  135 
Peut-être,  de  son  temps,  l'exacte  proportion  de  la  cou- 
dée hachcinique  à  la  coudée  noire  n'étoit-elie  plus  connue 
à  Bagdad.;  peut-être  encore,  pour  simplifier  les  opéra- 
tions ,  étoit-on  convenu  de  négliger  la  fraction  de  -jj- 
dans  le  rapport  de  ces  coudées  (1),  Je  pense  donc  que, 
pour  retrouver  leur  vraie  longueur,  il  faut  en  fixer  la  pro- 
portion de  32  à  26  f,  c'est-à-dire  de  6  à  5  ,  qui  est  la 
différence  du  stade  de  225000  au  stade  de  270000. 

Alors,  la  coudée  hachémique  sera  celle  de  32  doigts  du 

stade   de  225000,  et    vaudra O",  jj^jg;. 

La  coudée  commune,  celle  de  24  doigts  du  même  stade, 

ou  de. o  ,  +«M4. 

La  coudée  noire,  celle  de  32  doigts  du  stade  de  270000, 

ou  de  26  doigts  j  du  stade  de  225000,  qui  valent.  . . .   o  ,  io^Siy. 

Et  cette  dernière  coudée,  multipliée  4000  fois,  don- 
nera, comme  on  l'a  vu  pag.  i2p ,  le  mille  de  1^75"^,  303^4^, 
contenu  '^6  fois  \  dans  le  degré  d'un  grand  cercle  de  fa 
terre. 

On  peut  donc,  d'après  ces  bases,  rétablir  de  la  manière 
suivante  le  système  métrique  dont  les  Perses  se  servoient 
immédiatement  avant  la  domination  des  Arabes,  et  celui 
qu'Al-Mamoun  y  avoit  substitué: 


de  7  stades  ^.  J'ai  exposé  à  chaque 
article  les  raisons  qui  ont  déterminé 
les  différentes  valeurs  que  j'attribue 
à  ces  milles  et  à  ces  stades. 

(i)  Cette    fraction    négligée   fait 


que  la  canne  ou  perche  hachémique, 
appelée  Bab ,  est  fixée,  par  l'auteur 
anonyme ,  À7  f  coudées  noires ,  tan- 
dis qu'elle  devoit  en  contenir  7  -5. 


ni 


MK.\lOirU.S  DF.  LACADK.Mir 


srsre^uE  metiuque  des  perses  et  des  arabes, 
d'aprks  [.a  coudée  royale  ou  hachémique. 


ï 


M.  Cl. 
Crin  de  la  queue  d'un  cheval O.  oooj  14. 

Grain  d'orge, :=  6crins o.  003086. 

Doigt ,  ^  6  gntins  d'orge O,  o  1 8  s  r  s. 

Cm  II  itlp  i»  tudi  il  jj/otf». 

Palme,  =  4  doigts o,  «74°74- 

Cttl  h  fitme  A   jiiJe  dt  ijjo&e. 

Coupée  COMMUNE,  =  14  doij;t5,  ou  6  plmei o. 444444- 

Cttl  U  pttiu  (iudtl  du    Itidl   dt  22foec. 

COL'DÉE  ROYALE  ou  HACHÉMIQUE  ,  ^  31  doigts,  OU  1   '-  coudée 

cotnmuac o>  ;9- S9)- 

Cttl  II  gnmdt  tsmJét  d»  tiade  <ft  2i;aaa. 

Canne  ou  Perche,  =6  coudées  hachémicpcs ,  ou  8  coudées 

communes,  ou  7  J  coudées  noires 3<  JlJil}- 

Cm   U  iriMiimt  dt  u   (cnftUDT  dt   l'dtlU   Jtl  Kimiinl. 

Chaîne  OU  Cordeau,  =  60  coudées  hachémiqucs 35.  ss'JSj- 

Cm  II  Inf*"  dt  rutu  dfl  Fimilni. 

f  MiLLF,  =  jooo  coudées  hachémiqucs) \~T]>77777^- 

irti  It  mllli  dt  10  tiidii  di  iifcce.  1-  Il  dclifui  />'"•• 

i  Pahasange ,  =  3  mille*  ) 5333'  J  J " H- 

t,ti  !.t  rar.iimtf  Je  }c  ttéiftt  •'.t  22;oaa. 


VoK  I  inaiiitenant  Icvaliiaiion  des  mesures  attribuées 
à  Al-Mamoun,  et  celle  des  mêmes  mesures  ramenées  à 
leurs  valeurs  réelles: 


DES  LNSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTr. ES. 


Î5 


SYSTÈME   MÉTRIQUE  ARABE» 

SYSTÈME  MÉTRIQUE 

ARABE 

ÉTABLI  SUR  LE  MILLE  DE  56  7  AU  DEGKÉ. 

KECTiFlà , 

ÉTABLI  SUR  LE  MILLE  DE  56  , 

AU  DEGRÉ 

Mai. 
Crin  de  la  queue  d'un  cheval 0,  000^25. 

Crin  de  la  queue  d'un  cheval 

Mè.i. 
0,  000^29 

Ghain  d'ohce,  rz  6  crins 0,002553. 

Grain  d'okce,=:  6  crins 

0,  002572. 

Doigt,  :=  6  grains  d'orge 0,015318. 

Doigt,  =:  6  grains  d'orge, 

Cest  ledoigt  du  smdede  zyoooo. 

,  0,015452 

0,  06172s. 

Cest  le  palme  duitadede  lyoooo. 

Coudée  noire,  ~  32  d«ist$ 0,  4.90196. 

Coudée        jaôi  doigts  de  225000 
NOIRE,    ""(32  doigts  de  270000 

0,  493S27 

MiLLB  de  ^000  coudées  noires,  ou 

de  lo^oo  »  la  circonf  de  la  lerrc.   i960,  784.3 14.. 

Mille  de  4000  coudies  noires,  ou 
de  20250  à  la  circonf.  de  la  terre. 

1975.  308642. 

(  PABASANCEdc^  mlIlcS  ) ^882,  352912. 

(ParaSange  de  3  milles  ) 

C'est  lii  par^sange  de  ^0  siudes  de 
zyoooo.ou  de  ^mit/es  T0'ni:int. 
Voyez pû^es  So ,  Si. 

S925,92592f. 

Xes  réglemens  d'AI-Mamoun  ne  paraissent  pas  avoir 
été  long-temps  exécutés.  Les  Arabes  des  divers  cantons 
reprirent  leurs  anciennes  mesures  ou  en  adoptèrent  de 
nouvelles  :  du  moins  les  écrivains  postérieurs  qui  parlent 
de  la  coudée  noire,  semblent-ils  la  citer  isolément ,  comme 
une  mesure  qui  ne  se  rattachoit  plus  à  celles  dont  on  se 
servoit  de  leur  temps;  et  les  milles  itinéraires,  ainsi  que 
les  parasanges  dont  ils  établissent  la  valeur,  n'ont  plus 
aucun  rapport  avec  le  mille  que  les  astronomes  d'AI- 
Mamoun  disoient  avoir  employé. 

Les  auteurs  arabes  qui  nous  ont  transmis  des  systèmes 
métriques,  commencent  ordinairement  par  une  évalua- 
tion   générale  de    la     circonférence   du    globe  ;    et    c'est 


ijtf  .Ml.MOlRnS  DL  LACADtMIE 

Stfi.r-ig  4'}.  encore  une  preuve  de  la  tradition  non  interrompue  qui 
rappeloii  le  inoJuie  de  toutes  les  mesures  à  la  valeur  du 
deL;rc  terrestre.  Ils  donnent  ensuite  la  série  de  celles  qui, 
de  leur  temps,  ctoient  employées  dans  la  contrée  qu'ils 
habitoient  ;  et  souvent  ils  s'inquiètent  peu  si  ces  dernières 
ineoures  se  trouvent  composées  des  mêmes  éiémens  que 
les  premières,  ou  si  elles  peuvent  s'accorder  entre  elles: 
de  sorte  qu'il  est  quelquefois  difficile  de  distinguer  les 
mesures  qui  appartiennent  au  système  qu'ils  embrassent, 
de  celles  qui  lui  sont  étrangères.  En  voici  wn  exemple; 

Mèuadi,  A.'-        Environ  un  siècle  après  Al-Mamoun,  Mésoudi,  dans 
<{u  Roi ,  icm.  I ,  un   ouvrage   historique  et  géographique  trcs- estime  des 
p^8-49Si-       Orientaux,  parle  de  la  mesure  de  la  terre  entreprise  sous 
ce  kiialife  :  il  dit  que  le  mille  est  composé  de  4ooo  cou- 
Suprà,  /•.  ip,   dées  noires,  et  attribue  à  Ptoléinée  l'évaluation  de  la  cir- 
conférence du  globe  à  24000  milles;  néanmoins  il  ajoute: 

La  circontcrence  de  l'équatcur  est  de  j6  degrés ,  ou  de  9000  para- 
,       santés  ; 
Le  fii'^ré,  de  ij    parasanges; 
La  para<ange,  de  raooo  dliéraa  ou  coudées; 
La  coudée,  de  ^3.  doigis; 
Le  doigt,  de  7  grains  i  rangés  à  côté  l'un  de  l'autre. 

Le  texte  de  Mésoudi,  consulté  par  M.  de  Guignes,  est 
ioi;t  altéré.  Les  jé  degrés  donnés  au  périmètre  de  la  terre 
sont  une  erreur  évidente  de  copiste.  Les  (?ooo  parasanges 
divisées  par  ^5  font  voir  que  Mésoudi  avoit  compté 
360  degrés  à  la  circonférence  de  l'équateur. 

La  coudée  de  4^  doigts  est  inconnue.  Il  me  paroît  que 
l'ordre  des  chirires  qui  composent  ce  nombre  aura  été  int«f- 
verii,  et  qu'au  lipu  dç  42  l'auteur  avoit  écrit  24»  puisque 

2^ 


n»:.  I. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.       i  37 

i4  doigts  sont  la  valeur  constante  de  la  petite  coudée. 

Il  parle  aussi  d'une  coudée  de  i  20  doigts,  dont  la  lon- 
gueur seroit  excessive,  puisqu'elle  approcheroit  de  six  de 
nos  pieds  de  roi.  Peut-être  faut-il  lire  120  grains.  On  verra, 
dans  l'article  d'Ebn  al-Ouardi,  le  grain  d'orge  valoir 
o'",  00308e  ;  si  on  le  multiplie  par  120,  on  aura  o'",  37037". 
<jui  est  la  coudée  du  système  actuel  de  Mésoudi.  II  se 
pourroit  encore  qu'il  y  eût  erreur  dans  le  mot  coudée ,  et 
que  les  120  doigts  fussent  une  mesure  dont  le  copiste 
auroit  dénaturé  le  nom  :  120  doigts  du  système  dont  il 
est  question,  vaudroient  1'",  8;i3j2,  et  représenteroient 
juste  l'orgyie  du  stade  de  216000  (i). 

Dans  le  détail  des  mesures,  le  mille  de  la  parasange 
paroît  oublié;  car  il  n'est  pas  possible  de  le  confondre  ni 
avec  le  mille  de  la  coudée  noire,  dont  la  parasange  seroit 
contenue  6800  fois  dans  la  circonférence  de  la  terre,  ni 
avec  le  mille  compris  24000  fois  dans  la  même  circonfé- 
rence, et  dont  la  parasange  ne  s'y  trouveroit  encore  que 
8000  fois,  au  lieu  de  pooo,  comme  le  veut  Mésoudi. 

De  là  il  résulte  que  les  deux  premières  mesures  qu'il 
indique  n'ont  aucun  rapport  avec  celles  dont  il  parle  dans 
la  suite,  et  qu'il  les  rappelle  simplement  comme  des  me- 
sures particulières,  étrangères  au  système  qu'il  adoptoit. 
Celui-ci  avoit  pour  base  la  parasange  de  25  au  degré, 
c'est-à-dire  le  mille  contenu  75  fois  dans  le  même  esjîace, 
etdontlaquatre-millième  partie  étoit  la  coudéede  24  doigts 
du  stade  de  270000.  C'est  donc  précisément  l'ancien 
mille  régulier  de  ce  stade,  qu'Al-Mamoun  avoit  cherché 

(i)  Voyez,  aux  pages  10^  et  iij,  cette  mcme  orgyie  conservée  djiis 
d'autres  systèmes. 

Tome  VI.  S 


158  Mt.MOlHES  DE  L'ACADEMIE 

à  remplacer  par  celui  de  4ooo  coudées  de  32  doigts  du 
nième  stade  ;  et  consâjuemmeiU  les  mesures  présentées 
par  l'auteur  dont  je  m'occupe,  doivent  être  évaluées  de 
la  manière  suivante  : 


SYSTL^UE    METRIQUE    DES    ARAIIES 
d'après  MÉSOUDI. 


Mtii. 

Grain  d'orge o.oonji. 

Doigt,  =  7  grains  d'orge  '- o,  o  i  i4  !  j. 

C'rJt  U  dffilt  du  tudi  dt  ayOOOO. 

Coudée  ou  Dh£RAA,=  24  doigu o.  j"»)?». 

Cm  U  fii'iit  ciudtt  du  stade  dt  3'^oooc. 

(  Mille,  =:  4000  coudées  ) 1481, 4*"  !*>'• 

Cttt  u  mille  de  to  tiiidei  de  ijocco ,  eu   te  milte  nirtalu. 

ParasANGE  de  ïj  au  degré,  =  1 2000  coudées 4444'  444444- 

Cut  h  i^araunfe  dejû  Jtjdet  de  3-^9»O0  ,eu  dt  J  millet  rcm^imt;  t'tu    U 
rjite  dei  Germains,   le  djul'le  de  U  lieut  laulaise ,  et  notre  lieue  dt  Jf 

*w    drfre. 


LUr,i,,Cfo-        On  trouve  dans  l'Édrisi  un  système  A  très-peu  près 

gr.ipA.   NisHens.  i  ■    i  i  r     '  i  i  -M     I 

i» l'roUgo . p. ;.   semblable  au  prcccdcnt,  lorsqii  il  donne, 

A  la  circonférence  de  la  terre,  360  degrés; 

Au  degré,  25  lieues; 

A  la  licuc,   12000  coudées  ; 

A   la  coudée  ,  24   doifiti  ; 

Au  doigt,  6  grain»  d'orge; 

De    sorte  que  la    circonférence  de  la    terre,   ajoute   ce  géographe, 

est  de    132  millions  de   coudées,  on   de    iioco    lieues,  selon  la 

supputation  des  Indiens. 
Hernies  a  aussi  mesuré  la   circonférence  de  la  terre  ;  il   a  donné  k 

chaque  degré  100  milles,  et  au  périmètre  du  globe  36000  milles, 

ou  120CO  iicuei. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.       139 
Ainsi  les  quatre  premières  mesures  doivent  s'évaluer, 
savoir  : 


SYSTEME   METRiqUE   DES   ARABES, 

d'après  l'édrisi. 


Méir. 

Grain  d'orge o,  ooij7.. 

Doigt, :^  6  grains  d'orge o,  o'MJ-- 

Cest  le  doi§t  du  itade  de  lyoooo. 

Coudée,  =  24  doigu o,  570370. 

Ctit  h  pttitt  ccudtt  du  Itadt  di  zyocoo. 

LlEUE  de  ij  au  degré,  =  1 3000  coudées 4444>  444444- 

(Ten  la  parasangi  de  JO  stades  de  zyoûoo ,  ou  de  J   milles  romains,  ite. 


La^iiie  différence  de  ce  système  ,  comparé  à  celui  de 
Mésoudi,  est  dans  la  valeur  du  grain  d'orge.  On  remar- 
quera d'ailleurs  qu'au  temps  de  l'Edrisi ,  qui  écrivoit  en 
Sicile  vers  l'an  1150,  la  parasange  syrienne  avoit  pris  , 
chez  les  peuples  de  l'Europe,  le  nom  de  lieue. 

Ce  qu'il  rapporte  de  l'opinion  des  Indiens  n'étant  pas 
très-clair,  je  me  contenterai  de  dire  que  la  coudée  pré- 
cédente de  G*",  370570,  multipliée  132  millions  de  fois,  et 
ensuite  divisée  par  i  1000,  donne  également  la  lieue  ou 
la  parasange  de  25  au  degré.  Mais  1 1000  lieues,  divisées 
par  360,  donneroient,  pour  chaque  degré,  30  lieues  y. 

Quant  à  la  mesure  attribuée    à  Hermès  ,   c'est-à-dire 

Sij 


»kV. 


J-  F-'S-  '-•■ 


i4o  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Suprj.fKig.  it:  aux  Ktryptiens,  on  voit  une,  Jaiis  cette  cvaluation  ,  les 
milles  ctoient  de  i  i  i  i '",...,  ou  de  dix  stades  de  3<^oooo; 
Jes  lieues  ,  de  m}"^t^n\  et  cjue  ces  lieues  ,  comprises 
1  2000  fois  dans  le  pcrlmttre  de  la  terre,  ttoient  des  pa- 
rasaiiges  de  trente  de  ces  mêmes  stades  ,  ou  de  trois  de 
ces  mêmes  milles. 


Dei'X  siècles  après  l'Édrisi  ,  le  système  métrique  des 
Arabes  de  la  Syrie  se  trouvoitctahlisurle  stade  de  240000; 
mais  ils  ne  s'accordoient  pas  tous  sur  la  coudée  de  ce  stade 
qu'ils  dévoient  prclcrer.  Les  uns  employoiciit  la  petite 
coudée  de  24  doigts  ,  les  autres  la  grande  coudée  de  j  2 
doigts  ;  et  il  paroît  que  l'emploi  simultané  de  ces  deux 
mesures  jetoit  (jueUjue  embarras  dans  les  opérations  du 
commerce.  Des  auteurs  s'attachèrent  à  faire  voir  que  la 
différence  existoit  seulement  dans  l'expression  de  la  va- 
leur des  coudées,  et  que  leurs  élémens  et  leurs  multiples 
ne  cessoient  pas  d'être  les  mêmes.  • 

Mut/Ui.  m  •'  Chez  les  anciens,  dit  Abidféda,  la  coudée  ctoit  de 
Pro/rgumtn.  .,,/  ^  doiiits ,  et  le  mille  de  îooo  coudées;  chez  les  mo- 
BuukingMaga-   „  demcs  ,  la  coudée  est  de  24  doicts ,  et  le  mille  de  4000 

zin.     tom.    iV,  •    i  •-  i 

/w/  i)(>,  ij?.     "  coudées.  Mais ,  quelle  que  soit  la  manière  dont  vous  in- 

-  terprétiez    ces  mesures  ,    vous    aurez  toujours   p(jooo 

«  doigts   dans  le    mille  ,   puisque  ,  si  vous  divisez   cette 

»»  somme  par  32,  vous  aurez  3000  coudées,   et  si  vous 
»  la  divisez  par  24  .  vous  aurez  4000  coudées.   La  pa- 

"  rasange,  chez  les  anciens  et  chez  les  modernes,  est  de 

•  trois  milles:  si  vous  la  réduisez  en  coudées,  elle  sera, 

■•  chez  les  premiers,  de  pooo  coudées;  chez  les  seconds, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  i/n 
»  (le  12000  coudées  ;  et  c'est  absolument  la  nicme 
»  chose.  " 

En  effet,  si  l'on  donne,  comme  Abulféda,  24000 
milles  à  la  circonférence  du  globe,  et  qu'on  établisse  les 
mesures  dont  il  parle,  sur  les  deux  coudées  du  stade  de 
2,40000,  on  aura  les  évaluations  suivantes  : 


POUR   LES  ANCIENS. 


Le  doigt e 

La  coudée  de  32  doigts.  o 
Le  mille  de  3  000  coudées, 

ou  de  9^000  doigts.  .  ..  1^66 
La  PARASANGEde  ;  milles, 

ou  de  9000  coudées.. . .  jooo    ,  000000 


,  0:7361- 
.  JÎ555!- 

,  C66667. 


POUR  LES  MODERNES. 

Le  doigt o™,  017)61. 

La  coudée  de  24  doigts.  o  ,  ^16667. 
Le  MILLEde4ooo  coudées, 

ou  de  96000  doigts.  ..  .  \666  ,  Cù066y. 
La  PARASANGE  de  j  milles, 

ou  de  12000  coudées.  ,  5000   ,  000000. 


Et  l'on  voit  que  les  coudées  seules  changeoient  de  va- 
leur ,  tandis  que  les  autres  mesures  n'en  changeoient  point. 

On  reconnoît  de  plus  que,  sous  le  nom  de  modernes , 
Abulféda  entend  ceu.v  qui  se  servoient  de  la  petite  coudée 
du  stade  de  240000  ;  et  comme  il  suivoit  l'opinion  des 
anciens,  il  a  employé  la  coudée  de  32  doigts.  Cet  usage 
paroît  s'être  conservé  jusque  dans  le  quinzième  siècle, 
où  l'on  voit  Ali-Koshgi  présenter  un  système  métrique  au  k'ushg;. 
conforme  à  celui  d'Abulféda.  fudln^^c^td 

Selon  ces  auteurs,  la  circonférence  delà  terre  se  par-  '^"/^""'pms,.^!- 
tage  en '300  degrés,  et  s'évalue  à  24000  milles,  ou  à  dameKtraditUme 
8000  parasanges. 


Shah        Cholpi 
Pirsa ,  p.ig.  ^^. 


Le  degré  vaut  66  milles  |  ; 

La  parasange,  3  milles; 

Le  mille,  5000  coudées; 

La  coudée,  32  doigts; 

Le  doigt,  6  grains  d'orge; 

Le  grain  d'orge,  6  crins  de  la  queue  d'un  chevaL 


i4i  AU. MOIRES  DL    LACADh.MIE 

Et  j'en  ckMiiis  les  valeurs  qui  suivent": 


SYSTEME   METRIQUE   DES   ARABES, 
d'après    ABULFÉDA     et     Al.l-KOSMGl. 


Mci.. 
Crin  de  la  tiucuc  n  un  -  ncvii O,  ooo^Si. 

Grain  d'okce,  =  6  crins o,  «»iSj>3. 

Doigt,  ^  6  grains  d'orge o.aiy^Ci. 

Ctjt  II  itti^t  Jm  iladi  àt  i^ooit 

Coudée  ,  selon  les  modernes,^  24  doigts O,  416.07. 

Ctn  U  ftllte  efutl/f  Ju  îtJdi  Ji  2^ooùo. 

Coudée,  selon  les  anciens,  =^31  doigts O,  j  ji  js  ;. 

Ctit  U  grandi  e^'Milt  du  iiêdi  Ji  i^eocc 

Mille,  ^   3000   coudées   de   ji   doigts,  ou  4000   cuudccs  de 

14  doigts , lOiiO,  '.',o6«-. 

Cm  h  mille  dt  10  iitdti  àt  jfoot». 

PARASANCE,  =  3  mille* JCXX).  000008. 

C/ït  u  pûtAUmgl  df  jO  stidtt  df  Z^OOM. 


Ehmti-fluitrJi,        Ie  l'LUS  IRRLGULIER  (Jcs  SYstcmes  métriques  arabes  cjul 

Noiicti  dfi  ma-  .     ,  ,  ^.  \  r\  I  • 

nuicriti  Ju  Rti,   me  sont  connus,  est  celui  que  présente  Ll)n  al-Uuardi. 
•  r-'ess-         Il  j^jjg  l'Almagesie  de  Ptoicmte  pour  ilire  que  ,  selon 
cet  ancien,    la   circonfcrence  tie   la  terre  est  de  180000 
Vo)ci/jH,w/,   stades;   l'auteur  arabe  les  évalue  à  240°°  milles,    ou  à 
8000  parasanges ,  et  il  ajoute  : 

La  parasange  vaut  3  milles; 
Le  nulle,  3000  coudée»  royales; 
La  coudée,  3  asclihar  [«^ithanics], 


F'S  <)'■ 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      i  i3 

La  spiihame  (en  arabe  schibr,  pluriel  aschbnr),  12  doigts  (i); 

Le  doigt,  5  grains  d'orge; 

Le  grain  d'orge, .6  poils  de  chameau. 

Le  stade  vaut  I^oo  coudées. 

Ce  système  offre  des  combinaisons  qu'on  ne  trouve 
dans  aucun  autre  :  elles  annoncent  un  mélange  de  me- 
sures hctérogènes ,  auxquelles  il  faut  chercher  un  élément 
commun  dont  elles  puissent  toutes  se  composer. 

Cet.  élément  me  paroît  être  la  coudée  que  l'auteur 
nomme  royale ,  qu'il  forme  de  trois  spithames ,  contre 
l'usage  ordinaire  ,  et  sur  laquelle  on  ne  trouve  d'ailleurs 
aucun  renseignement.  Mais  si  l'on  observe, 

1.°  Qu'après  avoir  parlé  du  stade  de  iSccoo,  il  lui  donne 
400  coudées,  ce  qui  fait  reconnoitre  la  petite  coudée 
de  ce  stade,  de o"",  îjjjjj, 

2.°  Qu'après  avoir  cité  le  mille  de  24000,  il  fait  le  mille 
itinéraire  de  jcoo  coudées,  ce  qui  montre  qu'il 
désigne  la  grande  coudée  du  stade  de  24°°°°  >  égale- 
ment de.  .  i o    ,;■,:■-.■}, 

3.°  Que  l'auteur  compose  sa  coudée  royale  de  trois  ûJcA^tzr^ 
ou  de  36  doigts,  et  que  36  doigts  du  stade  de  270CCO 
valent  aussi o  ,  jjjsîj, 

on  jugera  sans  doute  que  la  coudée  qui  se  prêtoit  à  ces 
trois  combinaisons  ,  et  qui  offroit  un  moyen  simple  de 
comparer  entre  eux  trois  systèmes  différens ,  est  celle  que 
l'auteur  aura  distinguée  par  une  épithète  particulière.  Je 
crois  donc  devoir  employer  cette  coudée  pour  en  tirer 
les  valeurs  suivantes  ,  et  les  appliquer  aux  mesures  in- 
diquées par  Ebn  al-Ouardi. 


(i)  M.  de  Guignes  traduit  le  mot 
aschbar  par  celui  de  palint^Sj  mais  le 


schibr,  étant  de    12   doigts,    est    la 
spithame  des  Grecs. 


144 


.MJ.MOlRrS  DC  L'ACADi;.\llF. 


SYSTEME    METRIQUE   DES    AfiASES , 
d'après   EBN    AI-OUARDI. 


Mclr. 

Poil  de  chameau O,  oooj  14. 

GkAIN  d'orge,  ^  <j  poils  de  chameau O,  00  joSt. 

Doigt, ^  j  grains  d'orge O,  <>';43»- 

SCHIBR  OU   SpITHAME  ,  ^  i  î  doijJU 0,18(181. 

C'tn  td  ifitKdmt  Jm  ifûd*  ù  370000. 

Coudée  royale^  =  3  spithamcs o,  jjjjj;. 

!3^  daigit  du  lude  de  tSoooO- 
J2  dtigil  du  jtddt  de  340000. 
jâ  d^lgtJ  du  jude  de  3^0000. 

Stade,  :=4oo  coudies ;ii,  :»j:  ji 

CetX  le  lude  4t  tSoooo  «  tt  t'menftrtnte  de  U  ttrrt. 

Mn.LE,  =  5000  coudées  royales 1666,  ''.ocr. 

Ceit  le  mille  de  10  jljdti  de  j^^^oo .  eu  de  7  tudeJ  et  demi  de  tStooo. 

PAPASANGt,  =  J  milles.  .     5000.  000000. 

Ceti  td i^rsiêu^e  de ^P  /tadti  de  340000 


SYSTÈMES    MÉTRIQUES    DES    INDIENS. 

Dans  une  contrée  aussi  vaste  que  l'InJe,  on  conçoit 
que  les  mesures  itinéraires  ont  dû  varier  selon  les  temps 
et  selon  les  peuples  qui  dominoient  ses  diffcreiites  par- 
ties. Je  me  bornerai  à  parler  des  mesures  les  plus  gtnc- 
ralenuiit  adoptées. 

Celles  que  les  Grecs  y  trouvèrent  établies  lors  des 
conqvKies  d'Alexandre  ,    étoient  exprimées  en  stades  de 

400c  00 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      i45 
4ooooo   à.  la   circonférence  Je    la  terre.   C'est  clans  ce     yoyez mes Re- 

^  _  clicrchcs,  t.  lu , 

module  que  les  marches  du  conquérant  macédonien  ,  p.ig.  173- '7^- 
celles  de  sa  flotte  conduite  par  Néarque  ,  et  celles  de 
Scleucus  Nicator,  nous  ont  été  transmises  par  les  histo- 
riens ;  et  c'est  aussi  d'après  ce  module  que  les  premières 
descriptions  de  l'Inde  et  ses  dimensions  générales  ont  été 
apportées  aux  Grecs  par  Mégasthène  et  par  Déimaque. 

C'est  d'après  le  même  stade  que ,  dans  le  sixième  siècle  de  Cosmas  hS- 
1ère  chrétienne,  lesBrachmanes  determmoient,  a  un  degré  Christian,  pag. 
près  ,  la  vraie  distance  en  longitude  du  méridien  de  Tana-  '^f''^  '     „ 

■I  D  Voyez  mes  Rc- 

sérim  à  celui  de  Cadiz  ;  et  le  souvenir  de  ce  stade  se  retrouve  cherches,  t.  ///, 

l'i      •     I  I  !•  ^     M  J"  I       P-  -74'  ^7^- 

encore  aujourd  hui  dans  leurs  livres,  ou  il  est  dit  que  la     Code  des  lois  des 
longueur  ainsi  que  la  largeur  de  la  terre  est  de  iooooo  coss.   Cemoux.rag.y. 

~  10  \  oyez  aussi  mes 

L'emploi  de  cette  antique  mesure  paroît  avoir  continué  Recherches , pjg. 
dans  l'Inde  jusqu'à  l'époque  où  les  conquêtes  des  Mahomé-  ^  ^  ' 
tans  soumirent  les  Indiens  à  de  nouvelles  lois  et  à  de  nou- 
veaux usages.  Alors  les  mesures  employées  dans  laPerse,  la 
Babylonie,  la  Syrie,  l'Egypte,  furent  portées  dans  l'Inde, 
et  substituées  successivement  aux  mesures  propres  à  cette 
contrée. 

Je  crois  apercevoir,  dans  les/«j//7«/.yd'Akbar,  les  vestiges 
des  premiers  essais  que  l'on  fit  pour  amalgamer  les  mesures 
indiennes  avec  celles  des  Arabes,  quand  il  est  dit  que  les 
astronomes  hindous  donnent  à  la  circonférence  de  la  terre, 

5059  jowjuns  ,  2  coss  et   11  54  dunds  (i)j 

et  au  degré  terrestre  , 

14  jowjuns,  436  dunds,  2   dusts  et  4  pouces.  ^y""  AUeiy, 

tom.  Il,  p.  j49- 


(i)  AytenAkhery,roiii.I/,p.j^(<. 
■  J  ccris  les   noms  de  ces  mesvires, 


tels  que  les  donne  'a  traduction  an- 
glaise de  l'Ayeen  Akbery.   AJais,  ces 


Tome  VI.  T 


.4y.vn  Akhty , 
itm.  Il,  p.  1S7. 


i46  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Les  valeurs  relatives  de   ces  mesures   sont  présentées 
comme  il  suit  : 

8  grains  d'orge.  ..  .  zi:    i  pouce; 

24  pouces =:   I  dust  ou  coudée; 

.j  duits 1=    I  dund  ; 

2000  dunds =:   I  crouh  ou  coss; 

4  coss =   I  jowjun. 

Pour  trouver  les  valeurs  réelles  de  ces  mesures,  il  faut 
chercher  quel  peut  tire  le  rapport  de  l'une  d'elles  avec 
une  mesure  analogue,  prise  dans  l'un  des  anciens  systèmes 
métriques  dont  j'ai  parlé  ;  et  le  dust,  ou  la  coudée,  me 
paroît  propre  à  servir  de  module  commun. 

Or,  d'après  les  proportions  précédentes, 


50J9  jowjuns. 

2  coss 

1154    dunds., 


=   161888000  coudées; 
=:  1 6000  ; 

=r  4616; 


Circonfirence  de  la  terre....   =   161908616    coudées;    et    cette 
somme,  divisée  par  360,  donne  pour  chaque  degré  44974^  coudées  ^. 

Dans  l'évaluation  particulière  du  degré , 


14  jowjuns. 
436  dunds. 
2,  dusis.  .  .  . 
4  pouces. . . 


=  I07Î20CX)  pouces; 
=         41856; 

=  48; 

=  4- 


Total =   10793908  pouces,    lesquels,   divisés  par  24, 

donnent  aussi  44974^  coudées  |  pour  le  degré. 

Maintenant,  si  l'on  divise  les  i  i  myriamètres  j  de  la 


noms  s'y  trouvent  tellement  altérés, 
que  je  crois  devoir  rappeler  ici  leur 
véritable  orthographe  sanskrite  : 
Dust ,   Uia. Huu. 


Dund ,  //ht Danda. 

Crouh  (Cost) Krocha. 

Juwjun Vodjana. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES,  i47 
valeur  connue  du  degré  terrestre ,  par  44974^»  on  aura, 
pour  la  longueur  du  dust,  ou  de  la  coudée,  o"",  247"53.  et 
pour  celle  des  autres  mesures  indiquées  ,  les  valeurs  qui 
suivent  : 


SYSTÈME   METRIQUE   DES   INDIENS, 
APRÈS    l'invasion    DES    MAHOMÉTANS. 


Mclr. 

Grain  d'orge o,  001287 

Pouce,  =  8  grains  d'orge O,  oioi;»^ 

Dl'st  ou  Coudée,  =  24  pouces o,  247°!  i 

DUND  ,  =4dustS,. G, ->S8ii2 

COSS  ou  Crouh  ,  =  2000  dunds I976,  4^34v' 

Cest,   à    un   mètre  prij ,   U  mille  iirabe  de  j6  un  quart  au   degré. 

JowjuN ,  =  4  COSS 790î>  (•^^'/'■> 

c'est ,   à  4  mètres  et  demi  prit,  ta  parasan^e  de  ^  milles  de  ^6  un  quart 
au  degré. 


Ce  tableau  offrant  un  coss  de  15)70  mètres,  pareil,  à 
un  mètre  près,  au  mille  arabe  de  56  -^  au  degré,  annonce 
que  cette  mesure  itinéraire  avoit  été  introduite  dans  l'Inde 
par  les  Mahométans,  et  que  les  astronomes  de  cette  con- 
trée, chargés  d'adapter  ce  mille  au  système  métrique  des 
Hindous  sans  trop  contrarier  leurs  habitudes  ,  avoient 
combiné  les  subdivisions  de  ce  mille  de  manière  à  les 
faire  correspondre  le  plus  près  possible  à  quelques-unes 
des  subdivisions  du  stade  de  400000  ,  dont  les  Indiens 
se  servoient  depuis   si   long-temps.   Ils  y  parvinrent  en 

Tij 


Suprà ,  p.  izi), 
'3S- 


i48  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

siibstiliiaiit  à  la  coudce  noire  d'AI-Mamoiin  la  coudce  du 
stade  de  400000,  diniiiua'e  d'un  qiiatre-vingt-quatricme, 
c'est-à-dire,  d'une  quantité  presque  imperceptible  dans 
les  usages  ordinaires  de  la  vie. 

Il  est  donc  trcs-vraisemblable  que  le  coss  le  plus  gc- 
ncralement  employé  dans  l'Inde ,  à  l'époque  de  l'arrivée 
des  Mahométans  ,  au  treizième  et  au  quatorzième  sicde, 
étoit  d'un  quatre-vingt-quatrième  plus  grand  que  le  mille 
de  ^6 -^  au  degré,  c'est-à-dire  cjuil  étoit  de  5  5 -^^  au 
degré  ou  de  2000  mètres  ,  et  que  les  mesures  précé- 
dentes, réglées  d'après  ce  module,  offroient  les  valeurs 
suivantes  : 


SrST£ME    METRIQUE   DES    INDIENS    AU    X 1 1 1 .'    SIECLE, 
AVANT    l'invasion    DES    MAHOMÉTANS. 


Mcir. 

Grain  d'orge aoorjoi. 

Pouce, ^  8  grains  d'orge O.  •'  o4>7- 

C'fit  le  ^fti.1  au  luJe  tff  ^ffccoû. 

DUST  ou  CoL'DÉE,  =  14  pouces O,  ijoooo. 

Ctlt  té  fflitr  nutîu  JiÊ   $t*iU  de  ^ffctoo. 

DUND,=4  tlu5U I.  oooooo. 

Cm  rtrfjfit  i/ii  iiJJt  -'t  ^cûetf. 

Coss  OU  CnoUH.=  loooclunds .2000,  000000. 

Cm  h  démhlt  milU  Ja  mit  ilt  ^otctir 

JOWJUN,  =  4  COU 80:0,  000000. 

t  ,/;  U   Jii.Hi  pjrjln'ff  Ji  4  millti .  .-«  Ji  4»  luJii  <<'   4<>ffOO' 


Le  règne  d'Akbar.  vers  le  milieu  du  seizième  siècle  , 
devint  célèbre  dans   l'Inde  par  les   changemens  que  ce 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  i49 
souverain  fît  dans  la  division  des  provinces  de  son  empire 
et  dans  toutes  les  parties  de  l'administration.  H  changea 
jusqu'aux  mesures  itinéraires;  et  le  coss  qu'il  établit,  est 
encore  employé  dans  quelques  parties  du  Penj-ab.  Le 
capitaine  Kirkpatrick  a  reconnu  que  ce  coss  est  d'environ 
3  I  -j^  au  degré  (i),  et  le  major  Renneli,  dans  ses  cartes, 
le  fixe  à  3  I  ^.  Cette  dernière  détermination  porte  le  même 
coss  à  3  5  5  5"",  5jj.  Akbar  voulut  qu'il  fût  divisé  en 

jooo  alaiy  guz  ; 

400  bambous,  chacun  de  12  guz  ~; 

100  téiiabs,  chacun  de  50  guz. 

Dès-lors  ces  mesures  s'évaluent  ainsi  : 


À}ce«  ÀÂiery, 
tom.  II,  p.  1S6. 


SYSTEME    METRIQUE    DES    INDIENS, 
ÉTABLI    PAR    AKBAR. 


I\lclr. 

Alaiy  guz,  =  7;^  du  coss 0,71  ni  t. 

Bambou,  =  12  guz  {,  ou  -^  du  coss 8, 8S8S89. 

Cest  10   doubtts  coudées  de  ^^^  doi^ti  du  stade  de  22^000. 

TÉNAB,  ^  jo  guz,  OU  4  bambous,  ou  ~  du  coss 3î,;;>i;5- 

Cest  ie  doutle  nmma  du  stade  de  Z2JO0O. 

COSS,  =  î,    jaU  degré       .  .  35^5,   y,y,y,. 

C  esc  te  dcubie  mille  au  itcde  de   zi^ooo. 


Ces  deux  derniers  systèmes  montrent  que  les  Indiens , 
après  avoir  abandonné  l'usage  du  stade ,  ont  remplacé 
cette  mesure  parcelle  du  double  mille  itinéraire,  de  même 
que  d'autres  peuples  se  sei-voient  du  diaule  ou  du  double 


(1)  Renneli,  Descript.  histeriq. 
et  géograph.  de  l'Indostan,  tom.  Il, 
pag.  6 S.   —  Carte  des    pays   situés 


entre  la  source  du  Gange  et  la  mer 
Caspienne. 


15©  MEMOIIÎLS  DE  L'ACADÉMIE 

Supri,p.ig. ^S.  stiule.  Et  quoique  les  successeurs  d'Akbar  n'aient  pas  con- 
'"^'  serve  ilans  toutes  leurs  fK)ssessions  le  coss  dont  il  avoit 

ordonne  l'emploi,  les  exemples  suivans  font  voir  qu'on 
n'a  pas  cesse  jusqu'aujourd'hui  de  composer  cette  mesure 
de  deux  milles  itinéraires,  ou  du  double  mille  de  l'un  des 
systèmes  compris  dans  mon  Tableau  général. 

R^HHtii,  Des-        Le  major  Rennell  dit  avoir  reconnu  sur  les  lieux  ,  et 

cripiicit  kisiar.  a      t,         -       i  i  i  i  i 

rÂgr.iph.iijui  de  *^  aprcs  dc  nombreux  exemples  ,  que  les  coss  en  usage  dans 
J'^Ti"'  '''  '^  ^î^lwa  ,  le  Carnate  et  l'Hindoustan,  ctoient,  les  uns  de 
3  5  au  degré,  les  autres  de  37-7»  et  d'autres  de  40  à  4  2. 

Le  co?s  de  35  au  degré  est  de 3  '74"!  «o)'?*- 

C'eit  pr/ch/ntnt  le  Jt>uHt  mille  du  teaJe  Je  a^jocc. 

Le  C05S  du  Carnate  ,  de  3  7  -,  a\i  degré ,  vaut 2962   ,  v<>'9«). 

C'en  nusii  le  JouHe  mille  du   stade  de  tjoeoo. 

L'incertitude  où  l'on  est  encore  sur  la  vraie  valeur  du 
coss  de  l'Hindoustan  ,  estimé  de  4o  à  4^  au  degré ,  permet 
de  lui  chercher  une  évaluation  qui  le  place  dans  la  m^me 
catégorie  que  les  précédens. 

En    fixant  ce  coss  à  4'  j  a"  degré,  il  sera  de ^666",  6*7. 

C'eti  le  Joutli  mille  du  stjde  di  jomoo. 

RtHHeU.fm.il.  Un  coss  établi  par  Shah  Jehan ,  et  dont  l'usage  existe 
encore  dans  le  haut  Penj-ab,  est  évalué,  par  le  capitaine 
Kirkpatrick,  à  29  ,Vo ,  et,  dans  les  cartes  de  Rennell,  à 
2p  ~  au  dtgré  :  il  seroii  d'environ  3734  nictres. 

Si  on  le  suppose  légèrement  altéré,  et  qu'on  le  porte  à  30 

par  degré,  il  vaudra 3703"'>  7»»- 

Cett  le  diuHi  mdU  du  mêle  de  titat*. 

Ainsi  les  mesures  itinéraires  des  Indiejis,  du  moins 
celles  qui  nous  sont  le  mieux  connues ,  se  trouvent  encore 
aujourd'hui  établies  sur  les  bases  qui  avoient  réglé  les 
mesures  de  toute  l'antiquité. 


pelg.  f>7.  oS. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      151 
Il  en  est  de  mcine  chez  les  Chinois  et  les  Japonois,  quoi- 
que leurs  mesures  aient  aussi  varie  à  différentes  époques. 

Selon  le  P.  Martini  et  le  P.  Noël ,  la  mesure  itinéraire,     Mmun.  M.n- 

I        r  >    ■  I  /     /      I  I         '  I        /^I  •        •         tinii Novus Atlas 

OU  le  Li  le  plus  gcnéraiement  employé  par  les  l^hmois,  Sincn^h,  Prafat. 
est  contenu  cjoooo  fois  dans  la  circonférence  de  la  terre,  ^"^^J^'qJ^^^^ 
ou  250  fois  dans  le  degré.  "'"wî  m.uhimat. 

t       ,  ,  ,>  ,  j///m  ^J'^       et  }ih)sicœ  in  In- 

La  longueur  de  ce  ii  est  donc  de  444   >  444;  et ,  d  après  ,//„   „    c/ura 
mon  Tableau  générai,  il  représenteroit  ,  ou  le  diaule  du  >'"""  '"^^■""^■ 
stade  de    180000  ,   ou   trois   stades   de   lyoooo.   C'est 
dans  les  élémens  qui  composent  ce  li ,  qu'il  faut  chercher 
auquel  de  ces  stades  il  doit  être  rapporté  ;  et  l'on  va  voir 
que  c'est  à  celui  de  2yoooo. 

Les  divisions  et  les  multiples  de  ce  II,  donnés  par  ie 
P.  Martini ,  sont  les  mesures  suivantes  ;  j'y  ajoute  leurs 
valeurs  : 


SYSTEME   METRIQUE    DES    CHINOIS, 
ÉTABLI   SUR  LE  LI  DE  ÇCOOO  À   LA  CIRCONFÉRENCE    DE    LA   TERRE 

Mctr. 

Lî ,  ou  GuAlN  de  mil O,  oooio6. 

FeN  ,  =  10  lî O,  ooiojS. 

Thsun  ou  Doigt,  =  10  fèn o,  020; 76. 

C'til  le  gr^nd  tl^igt   du   st^ide  ilt  2yoooo. 

TcHHÏoiï  Coudée,  =  10  thsûn o,  ^ojyCi. 

PÔU  ou  Pas,  =  6  tchhï I,  i345«8. 

C'tst  le  pat  double  du  itade  de  2yoooo. 

TcHANGou  Perche,  =  10  tchhï 2,  0)71513. 

Li,=  360  pou 444, 444444. 

C'ett  J  iledes   de  3yoooo. 

PÔU  ,  =  10  ii 4444, 444444- 

Cttt  la  parasange  de  ^0  itada  de  zyoooo. 

THSAN,=i  8  pou ,  ou  80  Ii 3S55505îi  î5- 

C'est  2^0  itadei ,  uu  S  parasa-ngej  de ^o stade:  de  zyoooo. 


,5î  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Ce  système  mltrique  paroît  avoir  c'ic  introJuit  dans 
1.1  CIiiiK'  par  IcmpcTcur  Wou-wang,  de  la  dynastie  des 
Tcheou.  Ce  souverain  a  commencé  à  régner  l'an  i  122 
avant  l'ère  chrétienne,  et  il  est  mort  en  i  1  1 5.  Antérieu- 
rement à  cette  époque,  les  mesures  chinoises  étoicnt  d'un 
(juart  plus  grandes;  et  il  lailut  ensuite  12^  li  nouveaux 
pour  représenter  100  li  anciens  (i). 

La  différence  des  longueurs,  étant  de  4  à  5  ,  fait  con- 
noitre  que  le  11  employé  avant  l'époque  de  Wou-wang 
répondoit  à  555'".  js;.  et  qu'il  éloit  contenu  72000  fois 
dans  le  périmètre  de  la  le-rre,  ou   200  fois  dans  le  degré. 

Cette  ancienne  mesure  itinéraire  n'a  pas  cessé  d'être 
connue  dans  la  Chine  et  dans  quelques  contrées  envi- 
ronnantes, quoique  le  li  de  250  au  degré  y  soit  d'un 
usage  plus  habituel. 

Dans  les  détails    d'un   voyage  fait  en   17  12,   p>n-  un 

prince   mongol,  depuis  Pékin  jusqu'à  Tobolsk,    les  tlis- 

CéuhLOhtr    tances   données    en   lî    sont   évaluées    par   le   P,    Gaubil 

mai.àrc.tom.l.   à  lo  II  pouT  uiie  liciie  de  20  au  dogrc,  cest-a-dirt-  en  lj 

p.is    ,{o-iif.   jç  _^QQ  ^^  deuré  ;  tandis  qu'en    publiant  le  journal  des 

tOfn    II,  r4ig.  J7.  t?  1  '  ' 

mandarins  chinois  qui  ont  été  à  Lassa  ,  le  même  auteur 
Id.  lom  I .  ,v.s.  prévient  que  les  lî  y  sont  comptés  à  250  au  degré  de 
"'*■  ré(]iiateur. 

Mais  il  y  a  plus,  lorsque  l'empereur  Khang-hi  fit  lever  par 


( I )  Le  P.  Noël  (pag.  10^)  Ah,  au 
contraire,  que  100  li  modernes  valent 
lif  ri  anciens,  et  il  cite  en  preuve 
le  grand  Dictionnaire  Tching  tteu 
tlioiing.  C'est  \inc  méprise:  M.  Abcl- 
Rémuiat,  profc?$eur  de  cliinoi<  au 
Colli-ge  royal  de  France ,  a  bien 
toulii  ,  à   nu  prier*,  coniulter  le» 


deux  éditions  de  ce  dictionnaire  qui 
existent  à  la  Bii>lioilK'(|UL-  du  Roi, 
et  il  y  a  trouve  que  100  li  anciens 
Ti-fondoieni  à  i2j  li  modernes.  Le 
texte  porte  :  Kcii-tche ,pe  l)  t.ing  kiit 
vc  eul  chi  on  li.  La  traduction  litté- 
rale c«t  :  Veieres  ctntum  li  conveniunf 
nunc  <tntum  viginti'tjiiinque  H. 

Ici 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  ijj 
les  Jésuites  ,  au  commencement  du  siècle  dernier,  la  carte 
de  la  Chine,  il  ordonna  que  toutes  les  distances  seroient 
comptées  en  li  de  200  au  degré,  chaque  li  composé  de  i  80 
toises  ou  cannes,  et  chaque  canne  de  dix  des  pieds  que  l'on 
employoit  pour  les  bâtimens  et  les  ouvrages  du  palais. 
Au  moyen  de  ces  renseignemens  donnés  par  le  P.  Régis  (i), 
on  trouve,  pour  ces  mesures,  les  valeurs  suivantes: 


SYSTEME    METRIQUE   DES    CHINOIS, 
ÉTABLI   SUR  LE  LI  DE  72OOO  X   LA  CIRCONFÉRENCE  DE  LA  TERRE, 


Mctr. 

Pied  du  palais o,  308642. 

C'est  h  pied  tfu  judt  dt  iiSooo. 

Pas,  =  6  pieds I,  8;i8ji. 

Ceit  t'or^'it  dit  stade  de  216000. 

Canne  ,  =  i o  pieds 3,  086420. 

Ctit  la  e^hme  du  stade  de  ziôooo. 

Lr ,  =   180  cannes,  ou  300  pas,  ou  i8oo  pieds ÇS5».î;iï55* 

Ceit j  siaJet  eljmfiques ,  ou  de  216000 


Le  p.  Gaubil  nous  apprend  que  ,  vers  l'an  72  i  de  l'ère    yii^i-delA^tra- 

hf-  ,   ir  ,  J      ^  .  ,         vomie    chinuiit , 

retienne,    un  astronome   nomme  Y-hang  ht   faire  des  yg.77. 

observations   dans    plusieurs    villes  de    la   Chine  ,   de  la 

(1)   Note  du  p.  Régis,  insérée  par  I  l'Astronomie  chinoise  du  P.  Gaub.l, 
le  P.  du  Halde  dans  la  préface  de  sa    pag.  yy ,    et   set  Observations  &c.. 
Description  de  la  Chine,  jjag.  xliij ,  j  pag.  i^z. 
xliv.  —   Voyez  aussi    l'Histoire  de  | 

Tome  VI.  y 


154  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Cochinchine  ,  du  Tonkin  ,  &c.  ,  et  qu'iiprès  avoir  fait 
nu'surcr  les  disiiiiices  de  ces  vilks  ,  il  coiuiiiL  que  3  5 1  li 
et  Ho  pas  rcpondoient  sur  la  terre  à  un  degré  de  la- 
titude. 

Pour  apprécier  cette  évaluation,  il  faut  se  rappeler  que 
les  Chinois  divisoient  et  divisent  encore  le  cercle  en  365 
degrés  ■^:  ainsi  ce  degré  est  à  celui  de  360  dans  la  pro- 
portion de  144^  à.  1461  ;  et  sa  valeur,  comparée  à  celle 
de  notre  degré  moyen  de  i  r  i  1  1  1'",  n.u.,  se  trouve  ré- 
duite à   io(j5 1  4"\  ojiiSi. 

De  plus,  à  l'époque  d'Y-hang ,  le  li  étant  de  3«jo  pas, 
les  3  5  I  li  et  80  pas  de  cet  astronome  représentent  1  2644® 
pas;  alors,  divisant  par  cette  somme  la  valeur  du  <legrc 
chinois,  on  a  pour  celle  du  pas  o'",  s^.^i j,,  qui,  multi- 
pliée par  360,  donne,  pour  le  li  déterminé  par  Y-hang, 

311      ,  8oSi(o. 

Maintenant,  si  l'on  veut  savoir  quels  peuvent  être  le 
mérite  et  l'authenticité  de  l'opération  de  cet  astronome  , 
il  faut  diviser  la  valeur  du  degré  moyen  par  les  i  26440 
pas  qu'il  assigne  au  degré  chinois  :  on  aura  ,  pour  la  valeur 
du  pas  dans  le  degré  moyen,  o'",  «787(15-^;  et  ce  nombre  , 
multiplié  par  360  ,  formera  un  11  de  316'",  jujso,  qui, 
Voyci /<•  r«.V.  à  un   mètre  près  ,  i>e    trouve    cire  le  Jiaule   du    stade  de 

Ces  rappn)i.lK-mens  n'indiqueroient-ils  pas  qu'Y-liang, 
avant  eu  connoissance  de  cette  ancienne  mesure  égyp- 
tienne, aura  cherché  à  se  l'approprier  en  l'adaptant  au 
degré  chinois  par  une  opération  inverse  de  celle  que  je 
viens  de   présenter  ' 


DES  INSCRIPTIONS   ET  BI'-LLFS- LETTRES.       in 
Les  Japonois   ont  adopte  le  li  moderne  des  Chinois 
depooooà  la  circontcrencedelaterre(i),  ou  de  444"'.  444- 
Kœmpfer   et   d'autres    voyageurs  avoient  déjà  remarqué     Kamyfcr.Hhi. 

,  'f  ,      .        j  J  '     /^        du  Japon,  wm.ll, 

que  le  mille  itinéraire  au  Japon  etoit  de  2  5  au  degré.  *^e   /,v  y^  ,f,.ip.  -, 
mille  vaut  donc  4444'",  444  :  c'est  la  parasange  de  30  stades  fs-  '^^■ 
de  270000  ,  et  le  pou  dés  Chinois,  compose  de  dix  des 

i\  '     'j  Suprà.pag.  111. 

Il  precedens.  /'•/«.    ^ 

Les  peuples  de  l'Asie  ne  sont  pas  les  seuls  qui ,  à  travers 
les  siècles  et  les  révolutions  ,  ont  su  conserver  dans  leur 
intégrité  quelques-uns  des  types  originaux  qui  avoient  été 
puisés  jadis  dans  la  source  commune  à  toutes  les  autres 
mesures. 

Si  l'on  passe  chez  les  nations  modernes  de  l'Europe, 
on  trouve  : 

En  Norwège,  la  lieue  de   10  au  degré,  ou  de i  1 1 1 1'",  m.      X'pytzltTraiii 

-,       ,  j    1:      .  j      j       n  dci  mesurts  iiini- 

C  est  la  partîsangi  de  60  stcdes  de  210000.  .         ,      ,>  * 

raires  de  d  An- 

viUe. 
En  Suède,  la  lieue  d'un  peu  plus  de  lo^au  degré  (lisez 

10-^),=. 10666    ,667. 

C'est  Ja  pnrasaîige  de  60  stades  de  22^000. 

En  Pologne,  en  Lithuanie,  la  lieue  commune  de  20  au 

degré,  =r 5555    ,  )(S- 

C'est  la  parasange  de  ^0  stai/es  de  216000. 

En  Prusse, en  Ba\iére,en  Saxe  ,  en  Silésie  ,  en  Souabe, 

en  Scanie  ,  la  lieue  de    i  j   au  degré  .  = 7407  ,  ^o-. 

C'est  la  partsange  de  40  stades  de  316010. 


(i)  Wa  Kan  tsan  tsai  tsou  ye . 
7cm.  II ,  pag.  I  ;  011  De.-:cr'}pticn  figurée 
de  l'univers  [du  ciel ,  de  la  terre  ei  de 
l'homme J ,  en  japonois  et  tn  chinois. 


C'est  une  Encyclopédie  en  cent  cinq 
volumes,  outre  les  Tables,  et  ui> 
volume  d  introduction. 

Vij 


ij(?  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

En  Alieniagne.la  lieue  germanique  de  12  j  au  degré,  =  .      SSS8",  8J9. 

C'ftt  la  par.ijjnjt  •//  6j  sl.iJis  At  3^ccfv. 

Dans  le  Pitfniont,  le  millede  50  au  degri-,  = 2^22  ,  m 

Cut  It  millt  il  10  stu.lts  Jt  iSoooa. 

Dans  le  Milanais  ci  les  États  de  Venise,  le  mille  de  (6 

à  6y  au  degré  (  lisez  66  4  ) ,  =   1 666  ,  ««7. 

C'ist  II  milli  Ji  to  itjJit  di  240000. 

En  Espagne,  la  lieue  commune  de  177  au  degré,  ou 

de  4   milles,  = 6349  ,  «6. 

Cm  la  parasangt  dt  4  mil  ht  ou  di  40  stajtt  di  ijioo». 

Autre  lieue  de  3  milles,  = 4761    ,  ««). 

C'tsi  la  paratangt  di   /  millit  eu  di  jo  iiadis  di  3jjt>re. 

Le  mille  ordinaire,  le  quart  de  la  lieue  de  17   ',  au 

degré,  = 1587  ,  )"• 

c'est  If  mille  de  lo  stades  de    2^2000, 

En  France,  la  lieue  commune  de  25  au  degré,  =r. .  .      4444   >  ♦+»• 

C'est  la  parasangt  de  jo  stades  de  3JO000. 

La  lieue  marine  de  20  au  degré,  = 55J5    »iJ>- 

C'est  la  paratangt  de  jo  stadts  de  316000. 

Le  mille  marin  ,  ou  le  mille  géographique,  de  60 

au  degré,  = 1851    ,  <|i. 

Cest  le  mille  de   iq  stades  chmpi^uts ,  ou  de  316000. 


Il  seroit  facile  de  multiplier  ces  exemples  ;  mais  je 
crois  avoir  réuni,  dans  mes  deux  Alcmoires  ,  plus  de  témoi- 
gnages (ju'il  n'en  faut  pour  montrer  que  les  hases  de  tous 
les  systèmes  métriques  linéaires  que  j'ai  pu  découvrir, 
soit  chez  les  Grecs  et  les  Romains,  soit  chez  les  Ger- 
mains ,  les  Gaulois  ,  les  Arméniens  ,  les  Syriens  ,  les 
Hébreux,   les  Égyptiens,  les  Arabes,  les  Perses,  les  In- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  157 
<iiens,  les  Chinois ,  ies  Japonois,  se  rattachent  à  la  mesure 
de  la  terre,  à  i\n  seul  type  primitif  diversement  modifié, 
et  toujours  conserve  avec  exactitude  dans  les  variations 
qu'il  a  éprouvées.  Cette  unité  de  module  peut  seule  expli- 
quer la  liaison  ,  les  rapports  constans  que  présentent  les 
différentes  mesures  anciennes  ,  quand  on  cherche  à  les 
comparer ,  à  les  combiner  entre  elles  ;  et  c'est  en  les  rap- 
prochant toutes,  que  les  développemens  d'une  théorie  très- 
simple  m'ont  conduit  à  des  résultats  confirmés  à- la-fois 
par  les  observations  astronomiques ,  par  des  monumens 
qui  existent  encore,  par  de  nombreuses  applications  des 
anciennes  mesures  itinéraires ,  enfin  par  l'emploi  de  ces 
mêmes  mesures ,  continué  jusqu'aujourd'hui  chez  différens 
peuples  et  dans  de  vastes  contrées  ,  depuis  les  confins 
occidentaux  de  l'Europe  jusqu'aux  extrémités  orientales 
de  l'Asie. 


Tableau  général. 


(   «5«  ) 


TABLEAi'  GÉNÉRAL  DfS  ANC 


D  L  N  O  MINAI  ION 


IJL>     »t!:9URti 


JuaJrc 

ifU 

) 

1 

I    ' 
t    [ 

1 

'  ; 

1 
1 

1 

1 

-* 

4 



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a 

12 

10 

1 

lO 

1 

i6 

1^      1 

i8 

1 
1 

iO 

^ 

^0 



2  ■» 

^ 

40 

,lS 

40 

56    j 

••  > 

So 

60 

./. 

Fo 

7-î 

Ko 

120 

«o 



800 

720 

tfoz 

1203 

/<x 

^OQO 

7200 

I  '   c 

16OCC 

i4ioo 

/->:cj 

lOOOO 

-20X> 

Doigt  duodccirnal 

Duigt  décimal 

Cr.in<l  do!j;l,  (^ncc  ,  P<i 

Coiidylc 

Palme 

Dichu 

f  Demi-pygon  ) 

Spiihamr,  Svona  stade. 
i'icd  ,  bvi)  an  .'I  Je 

Pygmc 

Pygon 


Coudée  commune,  4oo  au  si.i.k 

Grande  roudce,  )oo  ou  n.vle. . .  . 

Vu  simple,  i.f  ''"  "'''^ 

EX>uhtc  coudcc  commuoe  ou  \  crgc  ,  ioo. 

Xylon 

Pas  double ,  uo  tju  sMiit 

Org)'ie ,  100  nu  slaJt 

Calame  ou  Ara-ne  ,  dottu  tiade 

Amma,  10  au  <Milt 

Plithre  ,  t  au  u.ule 

Stade 


Diaule 

Mille  ,  dt  10  tiadci 


■t- 


]o  st'.det,  ou  ]  milles . 
^(.hocnes  ou  Paritangc^  de, ...  ^   40  stadet,  ou  4  mille; . 

I    6u  sudcs,  nu  6  niilles . 


STADES    PRIMITrF 


<  IRl  ONFtRENCK 

nnCONFEUtNCK 

de  !;. 

Terre, 

de  la 

T  cri  0 . 

400000 

300000 

si: 

des. 

stado. 

IJogré 

1  1  1  1  ;■ 

Dcjjrc 

.>^'.3:- 

M,u, 

Mflr. 

0, 

01 041  - 

0, 

«1  jSs:^ 

0, 

01 i ;oo 

0, 

<,\6C(,- 

0, 

0.1 SSv 

o, 

018)18 

0, 

oaoS  1  j 

0, 

•177-8 

c, 

0.^1  <;■.- 

0, 

0  .  J  !  i  i 

0. 

««lin 

c. 

1  1  1  1  1  1 

c. 

I  04  r  ''■- 

0, 

IjSfi'i.; 

0, 

1  :  J  0  0  0 

0, 

%6(,<,i,- 

0, 

t  (.1,1,  .  - 

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1 11111 

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■  s-  .o>. 

0, 

1  ;  0  0  0  n 

0. 

loSili 

0, 

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0. 

J  i  i.  i.  0  0 

0. 

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0. 

J 1  î  i  •■  i 

c. 

414444 

c. 

41     Cf.- 

0. 

iun! 

0, 

f  0  0  0  0  c 

0. 

iCCi'jy 

0, 

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1, 

0  0  0 1)  0  (1 

0, 

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1. 

1  1  r  1  1  1 

1. 

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1. 

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2, 

1 1 1  ;  1  ■ 

10. 

ooc  00c 

n- 

\\\))^ 

16. 

«11666- 

J  '. 

11 1 tii 

iro. 

•3?. 

illll) 

_CO. 

0  0  0  0  c  1- 

2Ô(J, 

t6f.r.c~ 

ICOO. 

«OOWOO 

i'^3. 

iun> 

;o:o. 

egooon 

liCOO, 

eouooo 

.|0œ. 

5333. 

nuii 

^>co-. 

8coc. 

•  JDO.tO 

MES  MÉTRIQUES  RÉGULIERS. 


(   M9  ) 


>E 

S    SECOND 
V. 

A  1RES. 
VI. 

STADES    TERTIAIRE^ 

Vil. 

VIII. 

i: 

<. 

:e 

flRCONFtRENCE 
(Je  l.i  Terre, 

CIKCONFÉRENCE 
de  la  Terre, 

CIRCONFÉRENCE 
de  la  Terre , 

CIRCONFÉRENCt 
de  la  Terre, 

1. 

ClUCONFÉBENCE 
de  la  Terre, 

2. 

Cirr  ONFLKEN'CE 
de  lii   Terre,      | 

I 80000 

21  6000 

270000 

225000 

250000 
stades. 

252 

s;.i 

000 

stade  j. 

stades. 

st.ides. 

stades. 

des. 

Degré,  500. 

Degré,  6cO. 

Degré,  750. 

Dcgié,  625. 

De^ré,  694  V- 

«£!?'! 

,  7CO. 

Mctr. 

lN;ar. 

Mé.r. 

Mctr. 

M.lr. 

h\clT. 

, 

0,   oiji^S 

0,    019-90 

0,    o.;432 

0,    0  .  S  ;  1  8 

0,    0.6667 

0, 

0.65)4 

\ 

0,   027778 

0,  023.48 

0,    0  1  S  j  .  8 

0,    022222 

0,    020000 

0, 

0  .  9  8 .  j  I 

s 

0,  o3o8<;4 

0,  023720 

0.    020376 

0,    02469. 

0,    022222 

0, 

022046 

•_ 

0,    046296 

0,  058380 

0,    030S64 

C,    0  j  -  0  ;  7 

0,    033353 

0, 

«530C9 

\ 

0,   o?^i95 

0,    o""l6u 

0,    06.72S 

0,    074074 

0,    o6«««7 

0, 

066.58 

'j 

0,    i3;iS; 

0,    154521 

0,  113437 

0,  .4SI4S 

0,    133333 

0. 

'31^:; 

, 

0,    i3r48i 

0,    192901 

0,    1345-' 

0,    1  8  i  . 8  ; 

0,    166667 

0, 

,6;;44 

\ 

0,    177778 

0,   2314s, 

0,    183183 

0,    222222 

0,    200000 

0, 

.984.3 

8 

0,   }7o37'> 

0,    308642 

0,  246914 

0,    296296 

0,    266667 

0, 

164530 

0 

0,   l^\(>(>(>- 

0,  34:^^- 

0,    277778 

0,    533333 

0,    500000 

c. 

2976 1 9 

I 

C,   462963 

C,    3S3802 

0,  308642 

0,    370370 

0.    335H3 

0, 

35068S 

- 

0,  SSÎÎ5; 

0,  462963 

0,  37037» 

0,  444444 

0,  4°°°°® 

0, 

396823 

; 

0,  74"-4' 

0,  6172S4 

0,  4938^7 

0,    !9i;?3 

0,   ;J3333 

0, 

519.0. 

h4 

0,    92^926 

0,  77160; 

0,    «17284 

0,  74074' 

0,    C6666J 

0, 

661376 

> 

I,   Il  1 1  ■  1 

0,  92)926 

0,  740741 

0,  S8S889 

0,    800000 

0, 

793651 

o 

I,  £66667 

I,  5SSS89 

I,    1  1 I  1  1  r 

I.    33iîî5 

1 ,    200000 

1, 

.90476 

'9 

I.   8i.Sj2 

1,  345-'° 

I,    2)4)68 

I,    48r.|S. 

1.  353333 

I, 

321751 

- 

2,     2  2222Z 

I,  83.832 

I,   481481 

I.   777778 

1 ,    6uuoûo 

1. 

587302 

■s 

3.  7°57''4 

2,     cS6^2.o 

2,   4691 }6 

2,   yCzyCi 

2,    Ù6C66- 

2, 

645 3°3 

'7 

22,     212222 

,         48,   3183.8 

14,    8. 4s. 3 

17'  777778 

I (),    000000 

1). 

8730,6 

-S 

5?.  0370Î- 

30,  864197 

24,    69.538 

29,  629630 

26,    66666-; 

a6, 

453026 

5" 

222,     222222 

l8î,     .Sj.8; 

148,    .4S148 

177.  777778 

160,    000000 

15S, 

73013? 

>î 

444-   4444+4 

370.    37037° 

296,    296:96 

355.  ;j;555 

'?T.O,    000000 

3'7- 

460317    i 

1^- 

2222,    222222 

185I,    85.832 

1481,  4S'45" 

1777'  777778 

1 0OO#    000000 

1587. 

30.587 

00 

6666,  «66667 

ÎSSS.    Hi5!3 

4444.  444444 

5333'    333333 

4800,    000000 

.r6!. 

90476s 

«l? 

8888.  8S8889 

7407.   407407 

5925,  925926 

711  I,    i  1.1  II 

6400,   000000 

6349. 

206349 

00 

13353.  înHi 

IIIII,    . 1111 > 

8888,  888SS9 

10666,   «66667 

9600,   000000 

9)^3- 

809514 

160  MEMOIRES  DE  LACADI MIE 


APPENDICE  AU   MÉMOIRE  PRÉCÉDENT. 

JL'iiri'iii  I  impression  Je  mon  Mcmoire  ,  qiielcjues  per- 
sonnes m'ont  témoigne  tks  demies  sur  l'un  tks  moyens 
que  j'ai  employés  pour  faire  voir  que  les  mesures  itiné- 
raires et  les  mesures  usuelles  des  peuples  de  l'antiquité 
offroient  constamment  des  parties  aliquotes  de  la  circon- 
férence de  la  terre  ,  et  qu'elles  se  rattachoient  toutes  à 
une  seule  et  même  détermination  de  l'étendue  de  cette 
circonférence. 

Le  moyen  que  l'on  me  conteste  est  celui  de-  la  division 
du  cercle  en  300  degrés,  parce  que,  dit-on,  cette  division 
n'est  clairement  énoncée  nulle  part.  J'avois  pensé  que  dans 
un  sujet  d'érudition  ,  lorsqu'on  ne  trouve  chez  les  anciens 
aucun  guide,  aucun  renseignement  qui  puisse  conduire 
à  une  découverte  que  l'on  entrevoit,  on  pouvoit  cliercher 
à  suppléer  au  silence  des  auteurs  par  un  moyen  plausible; 
et  quand  ce  moyen  est  semblable  à  ceux  que  l'on  admet 
sans  objection  ,  je  ne  vois  pas  par  quel  motii  on  le  re- 
jetteroit. 

Nos  astronomes  et  nos  géographes  divisent  aujourd'hui 
le  cercle  en  ^do  et  en  \oo  degrés;  et  l'on  ne  doute  plus 
que  les  anciens  n'aient  employé  ces  deux  divisions  :  pour 
quoi  n'en  auroienl-ils  pas  imaginé  d'autres  ,  s'ils  y  avoient 
été  conduits  par  cjuchjues  usages,  ou  seulement  par(jucl- 
ques  idées  pariii  uiières? 

Ptolkmie.  dans  son  Al inagestc,  divise  le  cercle  en  360 

et 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  i<îi 
et  en  720  parties;  et  par  le  soin  qu'il  prend  très-souvent 
d'exprimer  les  résultats  de  ses  combinaisons  dans  ces 
deux  modes  de  graduation,  n'annonce-t-il  pas  que,  de  son 
temps,  tous  deux  étoient  en  usage,  et  qu'aucun  des  deux 
n'étoit  généralement  adopté!  En  effet,  jusque  vers  cette 
époque  ,  les  astronomes  d'Alexandrie  avoient  conservé 
l'ancienne  habitude  de  diviser  arbitrairement  le  cercle  en 
parties  plus  ou  moins  grandes ,  selon  le  besoin  qu'ils  en 
avoient. 

Eratosthène  disoit  avoir   observé  que   la  distance  des      ÀpuJ  Pukm. 
deux  tropiques,    ou  la   double  obliquité  de  l'écliptique,   ,1^"^T'' '''''' 
étoit  de  onie  qUiitre-vin§t-troisièincs  de  la  circonférence  d'un 
méridien. 

Il  disoit  aussi  que  la  différence  en  latitude  ,  entre  Syéné     Âp.  cuomed. 
et  Alexandrie,  étoit  de  la  cinquantième  partie  du  cerclç.      i'^',.. '//"■''  ^' 

Posidonius  vouloit  que  le  parallèle  de  Rhodes  fût  éloigné     "^P-  Ctiomed. 
de  celui  d'Alexandrie   de  la   quarante -huitième  partie  du  ^''''^'' 
cercle. 

Strabon  parle  d'une  division  de  l'équateur  en  soixante    ULi.pag.,,,. 
parties. 

Et  l'on  rencontre,  dans  les  ouvrages  des  anciens,  des 
expressions  qui  annoncent  clairement  que,  chez  eux,  la 
division  du  cercle  varioit  au  gré  des  astronomes  et  des 
géomètres. 

Je  crois  donc  ne  m'être  pas  écarté  des  règles  de  la 
très-grande  probabilité  ,  en  admettant  chez  les  anciens 
les  trois  divisions  du  cercle  en  /|oo,  en  360  et  en  300 
degrés.  Si  cependant  cette  opinion  paroissoit  encore  ha- 
sardée ,  je  pourrois  abandonner  la  dernière  de  ces  gradua- 

T  O  M  E    V  I.  Jf 


i6i  MEMOIRES  DE  L ACADEMIE 

lipiis  ,  et,  par  un  moyen  simple  et  iinitjime  ,  extraire 
tpys  les  stades  ,  des  deux  seules  divisions  du  cercle  en 
400  et  en  360  degrés.    Voici  comment: 

ê 

Sa^a.jsig.st.  ■,)Lf\  évaluant  à  4000  myriamètres  la  circonférence  de 
la  terre,  j'ai  dit  que  le  degré  de  4oo  à  cette  circonlérence 
étoit  de  I  00000  mètres,  et  que  la  dixième  partie  de  la 
minute  centésimale,  ou  la  millième  partie  de  ce  degré, 
donnoit  100  mètres  pour  la  valeur  ilu  stade  de  4oc)000. 

Si  à  cette  valeur  vous  ajoutez  un  tiers  ,  vous  aurez 
^l'i"^^  ni  I  qui  donnent  le  stade  de  300000. 

Et  si  vous  augmentez  d'un  tiers  ce  dernier  stade ,  vous 
trouverez   177"",  773,  ou  le  stade  de  225000. 

Sfrj.pag.^2.  Il  en  sera  de  même  pour  le  degré  de  360,  dont  la 
valeur  est  de  i  i  i  i  1  i'",  n.  ;  sa  millième  partie  est  de 
I  I  1*",  -Il  ,  et  c'est  le  stade  de  360000. 

Ajoutez-y  un  tiers,  et  vous  aurez  i4H'".  '+3.  ou  le  stade 
de  270000. 

Smprj,fAg.  ..■  J'ai  montré  aussi  que  le  changement  de  la  minute 
centésimale  des  deux  degrés  précédens  en  minute  sexa- 
gésimale avoit  produit  de  nouveaux  stades  qui  ,  au  lieu 
d'être  la'millicme  partie  du  degré  terrestre .  en  ont  été 
la  six-centième  partie. 

Alors,  la  six -centième  partie  du  degrc  de  400,  ou 
des  1 00000  mètres  qu'il  renferme,  a  produit  un  stade 
de    i<$6'",  667,  qui  est  celui  de  240000. 

F.t  si  l'on  y  ajoute  un  tiers,  on  aura  222'",  w.  ,  ou  le 
titude  de  1  80000. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELL  ES- LETTRES,      tô^ 

Enfin  ,  la  six-centième  partie  du  Jegré  de  3  (jo  ,  ou  de 
I  I  I  1  I  i*",  iM  ,  a  compose  le  stade  de  185'",  .s; ,  ou  de 
1 1 6000  ;  et  je  ne  trouve  point  que  les  anciens  aient 
cherché  à  augmenter  celui-ci. 

On  demandera,  sans  doute,  ce  qui  peut  avoir  conduit 
des  peuples  difFcrens  à  suivre,  avec  tant  de  régularité, 
une  même  méthode  pour  augmenter,  toujours  d'un  tiers, 
les  mesures  qui  leur  avoient  été  transmises.  Je  crois  qu'il 
faut  en  chercher  la  raison  dans  le  choix  qu'ils  ont  fait , 
parmi  les  types  élémentaires  qui  leur  étoient  déjà  connus  , 
de  celui  dont  les  multiples  dévoient  composer  dorénavant 
toutes  leurs  nouvelles  mesures. 

Le  doigt-,  dit  Julien  d'Ascalon  ,  est  la  premi'èrc  des  me-     >*/""/  Harme- 

,,        .     ,  ,  ,  ,  SA     •      ■'     I  nopul.     lii>.     Il, 

sures ,  connue  I  uinîe  est  le  premier  des  nombres.  Mais  j  observe  titul.  4. 

que  les  anciens  ont   connu   et  employé   deux   sortes   de 

doigts,    le  doigt  silapJe  ou  ordinaire,  et  ie' gfâtid  dûîgt  ou  Dmcorid.  i,t. 

\e  pouce,  auquel  ils  d'onnoient  un  tiers  dé  plus  qu'au' pré-  pih^^ut.^xy 

mier.  Ils  cnt  aussi  connb  deux'  coudées,  ih  coudée  comtjtuiie-'^"/''  ^^^'>J'^- 

XX  y  II ,  c.  4^. 

de  24  doigts ,  et  là  grande  coude'e  de  24'pouc'és  ou  de  ' 
ri  doigtii,  qtii  avoit  par' conséquent  un  tiers  de  plus  que"' 
la  précédente.  ' 

Cette  .proportion  étant  la  mcme  que  celle  qui  vietff^ 
défaire  sortir,  des  stades  de  400000,  de  240000  ,  de- 
360000,  ceux  de  jooooo,  de  180000,  de  .2/0000 ,  et  du 
stade  de  300000  celui  de  .2^:^000  montre  que  ces  quatre 
nouveaux  stades  ont  été  formés  en  substituant  un  nombre 
cgal  de  pouces ,  ou  de  grands  doigts,  au  nombre  des  doigts 
simples  ^ui  régloient  la  valeur  de  toutes  les  mesures  dont 
les  quatre  autres  stades  plus  anciens  se  composoient. 

Xi; 


i6i  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Deux  exemples  vont  justifier  cette  assertion. 
S,pràp.,g.  i[S.        Dans  mon  Tableau  gênerai,  le  doigt  duotleciina!,  ou 
le  i/oi^t  simple  du  stade   de  400000,  vaut  o'",  0,0.1,7,  et 
p6oo   de  ces  doigts   donnent   au    stade   dont  je   parle, 
100  mètres. 

Prenez  le  grand  doipt  ou  \q  pouce  du  mt^me  stade,  qui 
est  de  o"",  o,,3S9  .  multipliez-le  neuf  mille  six  cents  fois, 
et  vous  aurez  'jj"",  ju.  ou  le  stade  de  300000,  d'un 
tiers  plus  grand  que  celui  de  400000. 

Si  l'on  veut  employer  les  coud(:es,  on  verra  que  24  doigts 
simples  forment  la  coudée  commune  de  o"",  ijo,  et  4oo  de 
ces  coudées,  le  stade  de  100  mètres;  comme  24  grands 
doigts  donnent  la  grande  coudée  de  o'",  j,j,  qui ,  niultiplids 
par  4oo,  produisent  également  les  133*",  m  Ju  stade  de 
300000  ;  et  ainsi  des  autres. 

D'après  ces  aperçus,  on  pourroit  peut-être  classer  les 
divers  stades  autrement  cjue  je  ne  l'ai  -fait  dans  la  première 
partie  de  mon  Mémoire.  Mais  ces  changemens  n'en  appor- 
tcroient  aucun  dans  la  valeur  des  mesures  que  j'ai  déter- 
minées; ils  ne  feroient  même  que  montrer,  sous  un  aspect 
un  peu  différent,  leur  commune  extraction  d'un  seul  mo- 
dule primitif;  et  ces  nouvelles  combinaisons  des  élémens 
dont  je  m'étois  servi ,  me  semblent  confirmer  encore  les 
résultats  que  j'avois  obtenus. 


Pdg.  Il  iJt  a  ivlumt ,  ligne  10.  irn  Utu  Ai .  Le  |>icd  ruin-iin  est        ou  de  |  pïliiie»  i  |, 
Ijut.  \jc  pied  romain  cM.  .  .  .ou  de  \  palmci  '-, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.       i(îj 

■  ■■    I     .        .   .  Il  -  ■■■   — ^■^— ^— — ^— ^ 

MÉMOIRE 

SUR 

LA  POPULATION  DE  L'ATTIQUE, 

Pendant  l'intervalle  de  temps  compris  entre  le  commen 
cément  de  la  guerre  du  Péloponnèse  et  la  bataille  Ji 
Chéronée. 

Par   m.   LETRONNE. 


EXPOSÉ. 


iSiâ. 


1  L  est  indispensable  Je  connoître  la  population  d'un  pays ,  i.u  fe  7  Jum 
quand  on  veut  saisir  complètement  tous  les  détails  de  son  '*' 
histoire,  suivre  le  développement  de  son  industrie  et  de 
son  commerce ,  et  découvrir ,  dans  l'équilibre  ou  dans  la 
disproportion  de  ses  ressources  et  de  ses  efforts,  quelques- 
unes  des  causes  de  sa  prospérité  ou  de  sa  décadence. 
Privés  de  ces  renseignemens  précieux ,  nous  ne  pourrions 
avoir  que  des  idées  vagues  sur  une  foule  de  faits  im- 
portans;  et  quelques-uns  de  ceux  qui  intéressent  le  plus 
l'histoire  de  la  société  ,  resteroient  sans  explication  satis- 
faisante. 

Malheureusement  les  historiens  et  les  philosophes  de 
fantiquité  ne  nous  offrent,  à  cet  égard,  que  des  notions 
insuffisantes  ou  tout-à-fait  suspectes.   Les  premiers,  plus 


i6^  MEMOIPJ.S  DE  L'ACXDf.MIE 

occupes  d  intéresser  que  d'instruire,  ont  trop  souvent  minix 
aime  peindredes  tabicauxd'un  efkt  harmonieux  ou  brillant, 
que  remonter  péniblement,  par  des  observations  sur  les 
ressources  respectives  des  peuples,  jus(ju'aux  secrètes  et 
véritables  causes  des  cvcnemens.  D'un  autre  côté,  les  phi- 
losophes et  les  moralistes  anciens  se  sont  moins  attachés  à 
nous  transmettre  fidèlement  les  observations  qu'ils  avoient 
laites  et  les  renscignemens  qu'ils  avoient  recueillis,  qu'à 
choisir  parmi  ces  renseignemcns  ceux  qui  s'accordoient  le 
mieux  avec  leurs  idées  sur  l'existence  et  l'organisatioiî  d'un 
état  social  purement  imaginaire. 

11  se  peut  cependant  que  le  petit  nombre  et  l'insuf- 
fisance des  notions  de  ce  genre  tiennent  encore  à  une 
autre  Ciiuse.  La  statistique,  qui  expose  l'état  des  produc- 
tions, des  consommations,  des  ressources  d'un  Etat,  à 
une  époque  donnée,  est  une  science  toute  nouvelle.  Sans 
doute  les  gouvernemens  anciens  ont  dû  s'occuper  de  tous 
ces  (  bjets,  puisqu'il  est  impossible  d'imaginer  que  les  con- 
tributions et  les  levées  d'hommes  ne  fussent  pas  réglées  sur 
un  cadastre  et  des  recensemens  faits  avec  quelque  exacti- 
tude :  mais  les  résultats  de  ces  opérations  imlispensables 
ont  été  assez  constamment  renfermés  dans  le  secret  de 
l'aiiministration  et  pour  son  usage  particulier  ,  excepté 
peut-être  dans  les  états  républicains  de  la  Grèce,  où 
le  peuple  assistoit  et  prenoit  part  aux  délibérations  pu- 
bliijues.  C'est  ainsi  <]u'à  Athènes,  par  exemple,  on  voit  , 
.v./f.  Mfm  d'après  l'entretien  de  Socrate  et  de  Glaucon  ,  (jue  tous 
■'   '■  !(.•!»  citoyens  pouvoient  se  procurer  des  renseignemens  si  r 

la  popul.ition  ,  les  finances,  le  commerce,  enfin  sur 
lc»uc  ce  qui  comlituoit  la  statistique  du  piys  ;  ce  qui  sup- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      167 

pose,  outre  i;i  laciiité  de  s'en  instruire  dans  les  discus- 
sions de  Wii^oni ,  ia  liberté  de  conjpuiser  les  registres 
publics.  Mais  il  paroît  que  cette  liberté,  de  même,  que 
le  droit  d'assister  à  l'assemblée ,  n'étoit  accordée  qu'aux 
citoyens.  On  peut  donc  regarder  comme  un  fait  extrê- 
mement probable,  qu'aucun  peuple  de  l'antiquité  n'a 
laissé  pénétrer  au-dehors  le  secret  de  ses  forces  et  de  ses 
ressources,  avec  cette  noble  confiance  dont  les  gouver- 
nemens  modernes  font  profession,  et  qui  peut  seule  donner 
lieu  à  la  multitude  de  comparaisons  et  de  rapprochemens 
nécessaires  pour  préparer  les  élémens  d'une  science. 

Aussi,  quand  même  les  écrivains  de  l'antiquité  auroiejit 
été  moins  spéculatifs  et  plus  généralement  doués  de  cet  es- 
prit de  recherche  qui  leur  a  souvent  manqué,  il  est  dou- 
teux qu'ils  eussent  pu  parvenir  à  rassembler  des  données 
exactes  sur  la  population  des  pays  dont  ils  faisoient  l'his- 
toire. On  ne  doit  donc  pas  être  surpris  de  ce  que  les  no- 
tions qu'ils  nous  ont  conservées  sont  rares,  parfois  peu 
vraisemblables,  et  presque  toujours  très-incertaines;  car 
elles  se  bornent  le  plus  souvent  à  quelques  renseignemens 
vagues  sur  le  nombre  des  combattans  qui  se  sont  trouvés 
à  telle  ou  telle  bataille.  Encore  ces  renseignemens  sont- 
ils  d'autant  plus  suspects,  que  chaque  peuple,  vainqueur 
ou  vaincu  ,  exagéroit  toujours  le  nombre  de  ses  ennemis  : 
vainqueur,  pour  relever  l'éclat  de  sa  victoire;  vaincu, 
pour  diminuer  la  honte  de  sa  défaite. 

Dans  une  si  grande  incertitude  ,  on  ne  sauroit  donc 
s'étonner  de  voir  les  critiques  modernes  résoudre  de  deux 
manières  opposées ,  mais  également  probables,  la  question 
de  savoir  si  la  terre  étoit  autrefois  plus  peuplée  que  de  nos 


•  68  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

•  i>jw  (I,  )  jours.  Isaac  Vossius",  dont  tout  le  moiule  connoît  les  ex- 

Oitfnat.  Viir.  p.  i         i  «  «  I 

tr-ti\    UttJ.  travagans  calculs  ;  Jnoiitesquieu '' ,   duns  l'Esprit  Jes  /ois , 

\  '..         r     et  sur- tout  dans  les  Lettres  Persanes  :  Wallace'  ,  de  la  so- 

frit  ,tt,  Ion.  li».  cictc  d'Edimbourt; ,  ont  soutenu  cette  opinion.   L'illustre 

XXIII, c.  xvii   I  .         .        r\      •  1  u  II 

fixxinUiirn  iiistonen  Uavid  Hume    ,  dans  un  de  ses  ini^cnicux  Lsstùs 

lIu'i"  '     "  p<^lifi<]iies ,  a  pris  ,  avec  un  grand  avantage  ,  la  défense  des 

•  Diyer,.  /i,<i.  temps  modernes.  Peut-être,  à  raison  de  l'incertitude  d'une 

fi  polit.    ""''■/-,,,, 

pep    jfi  umps  roule  de  données  dont  on  est  oblige  de  se  servir,  est-il 

tntirm ,  in-8.*,     .  -i   I         i       i  i  ^  i   i 

i-">ç.irjj.Fr     luipossible  de  la  traiter  dans  son  ensemble. 

rr,athc^^'cii'"'tt         ^^"^  prétendre  soumettre  la  question  en  général  à  un 

wrT.,i    su^jtas;  nouvel  examen,   j'ai  cru  utile  d'en  examiner  une  partie; 

IX  ••■  ti^ijf  et  cette  partie,  quoique  circonscrite  en  apparence,  n'en 
est  pas  une  des  moins  importantes  ,  parce  qu'elle  a 
pour  objet  un  pays  célèbre  que  la  réunion  des  circons- 
tances les  plus  heureuses  a  placé  presque  seul  hors  de 
cette  sphère  d'incertitude  dans  laquelle  tous  les  autres 
sont  renfermés.  Ce  pays  est  l'Attique  :  son  étendue,  dé- 
terminée de  tous  cotés  par  la  mer  et  par  une  chaîne  de 
montagnes  élevées,  n'a  varié  dans  aucun  temps  ;  habité 
par  le  peuple  le  plus  policé  du  monde  ancien  ,  il  a 
produit  les  historiens  les  plus  exacts  et  les  orateurs  les 
plus  éloquens,  dont  les  écrits  fournissent  uiu'  multitude 
de  détails  précieux  sur  son  gouvernement,  sa  population, 
son  commerce  et  ses  richesses. 

Une  contrée  placée  si  favorablement  ne  pouvoit  tîtrc 
oubliée  dans  les  recherches  ,  soit  générales,  soit  partielles, 
qu'on  a  faites  sur  la  population  des  anciens  temps  ;  mais 
une  lecture  attentive  des  auteurs  Attiques  m'a  persuadé 
qu'on  navoit  pas  tiré  \\i\  assez  grand  parti  des  docu- 
mcns  qu'ils  contiennent  ,  et  que  la    population    de    cette 

contirc. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      1(^9 

contrée,  à  l'époque  de  sa  plus  grande  splendeur,  n'avoit 
j>as  été  suffisamment  établie.  Je  vais  rappeler  sommaire- 
ment les  faits  sur  lesquels  on  s'est  appuyé  jusqu'ici. 

Les   habitans  de  l'Attique   se  divisoient,  comme   on     c.  B.irihéicmy. 

.  l 'ojdgc  du  jeune 

sait,  en   trois   classes:  Amich.c.vt. 

i.°  Les  Athéniens  proprement  dits,  les  seuls  qui  eussent 
le  droit  de  prendre  part  au  gouvernement; 

2.°  Les  méièques  [/uéi^iiKci'^,  ou   étrangers  domiciliés  à     Saimc-Créx, 

A    1   >  I  /•        •  1 1         /  •  I      /       •  /     ^  I  sur  les  me'tîques , 

Athènes  avec  leurs  ramilles  (us  etoient  protèges  par  le  gou-  Aaid.  des  imcr. 
vernement,  sans  y  participer);  tem.xniii. 

3.°  Les  esclaves,  distingués  en  deux  sortes,  les  uns 
Grecs  d'origine,  les  autres  étrangers.  Les  premiers étoient 
ceux  que  le  sort  des  armes  avoit  privés  de  la  liberté;  les 
seconds  étoient  achetés  dans  la  Thrace  et  dans  les  autres 
pays  habités  par  les  barbares. 

Le  témoignage  le  plus  circonstancié  sur  le  nombre  des- 
individus  compris  dans  chacune  de  ces  classes ,  est  celui 
de  Ctésiclès ,  auteur  inconnu,  cité  par  Athénée  :  il  nous       c.ie>icles,  ap. 
apprend  que,  dans  un  dénombrement  fait  par  ordre  de  yng"2-;2,'D.'' 
Démétrius  de  Phalère,  on  trouva  vingt-un  mille  citoyens  , 
dix  mille  métèques,   et  quatre  cent  mille  esclaves. 

D'après  ce  témoignage,   dont  il  ne  suspecte  en    rien 
l'exactitude,  Wallace  ,    multipliant    par  4   le  nombre  de     U'allace.pag. 
3  1,000  hommes  libres  ,  établit  que  l'Attique  contenoit^ 

I.*   D'hommes  libres 124,000. 

2."  D'esclaves 4oo,ooo. 

Total 524,000. 

Mais ,   comme  si  cette  population   n'étoit  pas  déjà  assez 
Tome  VL  Y 


6 


i7«  MEMOIRES  DE  LACADÉMIE 

considcrable  ,  il  pense  qu'on  peut  multiplier  par  6  le 
nombre  des  citoyens  et  des  nutccjues  ,  et    il  en    résulte, 

I ."   Pour  les  hommes  libres i  86,000. 

1."  Pour  les  esclaves,  toujours 400,000, 

Total 586,000. 

'V  44i  Hume,  dans  son  xi.' Essai ,  discute  en  deux  pages  ce  qui 

a  rapport  à  l'Atticjue,  et  se  déclare  contre  le  témoignage 
d'Athénée.  Il  retranche  un  zéro  au  nombre  400.000,  et 
le  réduit  à  40,000  (1).  Cette  correction  est  tout-à-fait  ar- 
bitraire; ce  profond  écrivain  apporte  quelques  raisons  qui 
font  entrevoir  que  le  nombre  est  exagéré  ,  t-aus  prouver 
que  l'erreur  soit  telle  qu'il  le  prétend.  '• 

Ensuite  il  multiplie  le  nombre  des  citoyens  métèques 
par  4.  de  mcme  que  Wallace,  et  il  trouve  que  le  nombre- 
des  hommes  libres  s'élevoit  à i  24,000. 

Supposant  ensuite  (contre  les  principes  qu'il 
a  lui-même  posés)  que  ces  esclaves  formoient 
des  familles,  de  mtmeque  les  hommes  libres, 
il  admet  qu'il  y  avoit  parmi  eux  autant  de 
femmes  et  d'enfans;  il  muliii>lie  le  nombre 
de  40,000,  que  donne  Athénée,  également 
par  4.  et  fait  monter  les  esclaves  en  tout  à.  .     1  60,000. 

Total  de  la  population  de  l'Atlique. .  .  .     284,000. 
Mais  il  est  (évident  que  ses  calculs   n'ont  absolument 

(  I  )  Koliin,  avanl  Himio,  avoil  fait  le  mcnic  rctranclicmciit.  {/Jisr.anc. 
Irv.  X,  chap.  I  ,  art.  2  ,  S-  X.  ) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  171 
rien  de  fondé,  i."  Hume  s'est  trompé,  comme  Wallace, 
en  croyant  qu'il  faut  multiplier  par  4  '^  nombre  des 
citoyens,  pour  avoir  la  population  totale,  ainsi  que  je 
le  ferai  voir  bientôt.  2.°  Tout  s'oppose  à  l'idée  que  les 
esclaves  étoient  autant  de  chefs  de  famille:  Hume  a  lui- 
même  avancé,  ce  que  je  prouverai  par  la  suite  ,  que  les 
femmes  et  les  enfans  dévoient  être  en  très -petit  nombre. 
Ainsi  ,  d'une  part  ,  la  correction  qu'il  fait  au  passage 
d'Athénée  est  arbitraire;  et,  de  l'autre,  la  manière  dont 
il  conclut  la  totalité  des  esclaves,  de  ce  nombre  ainsi 
corrigé  ,  n'est  pas  moins  arbitraire  que  la  correction  elle- 
même. 

Cet  ingénieux   et  profond  écrivain  est ,   je  pense  ,  le 
seul  qui  ait  mis  en  doute  le  témoignage  d'Athénée.  Bo- 
namy,   dans   son   Mémoire  sur   Démétrius  de  Phalère^;     '^Academkdti 
Barthélémy'',  dont  l'ouvrage  ne  comportoit  pas  une  dis-   'p!,T ,yo 
cussion  à  cet  égard;  de  Pauw,  dans  ses  Recherches  sur  ^Voygdujcmt 

A»       I    /  f=-         I  Attnclt.  ch.    VI. 

les  Grecs;  M.  Lcvesque*^,  qui,   dans  ses  Etudes  sur   la      '  Tim.   IV 
Grèce,  s'est  contenté  de  rappeler  légèrement  ce  fait,  &c.  ^"''''"^' 
tous  ont  adopté  ce  témoignage. 

Avant  ces  trois  derniers  auteurs,  M.  de  Sainte-Croix 
l'avoit  également  adopté  ,  dans  une  dissertation  spéciale 
sur  ce  sujet    .  Cette  dissertation  ,  beaucoup  plus  étendue  ^Mem.Jei'Aïa- 

.1  .  .        ,    ,     ,      .  . ,  dimw tics  inscrip. 

que  tout  ce  qui  avoit   ete  écrit  sur  cette  matière,  repose  ttm.XLViu 
entièrement, quant  au  nombre  des  esclaves,  sur  le  passage 
d'Athénée.  L'auteur,  en  s'attachant  à  cette  autorité  unique, 

a  développé  les  idées  de  Wallace,  contre  celles  de  Hume,  ^«'X-L^''^ 

que  Wallace  avoit  déjà  essayé  de  réfuter.               ■  1!' sUtTde  u 

M.  de  Sainte-Croix,  admettant  que  chacun  des  vingt-un  'ji^f'-'i'  "''/- 

«iille  citoyens  étoit  chef  de  famille,  en  multiplie  le  nombre  suiv. 

Yij 


•  7^  Mt.MOrRES  DE  L' ACADÉMIE 

par  4  plus-^,  selon  uue  règle  qu'il  se  fait  à  lui  inùne,  et 

conclut  que  les  AthcJiiens  de  tout  âge  et  des  deux  sexes 

scit'voient  à 5^4,500'"'"' 

Il  f.iit  la  nicme  supposition  pour  les  mc- 
tiques,  et  il  en  trouve  en 'conséquence |  5,000. 


Total  des  hommes  libres i  3(^,500. 

ou   cent  quarante  mille. 

Il  admet  cgaleinent<|ue le nombredesquatre 
cent  mille  esclaves  ne  comprend  que  les  indi- 
vidus des  deux  sexes  en  état  de  travailler,  et, 
ajoutant  un  cin(juième  pour  les  enfans  et  les 
vieillards  caducs,   il  en  trouve  en  tout 500,000. 


Total  de  la  population  de  l'Attique.  .   639,500. 


ou  six  cent  quarante  mille  âmes. 
SciHit-Crta,        On  doit  remarquer  que  iusquici  le  nombre  des  indi- 

Acéid.det  mur,        .  ,  .  .  -/r 

tom.  XLV/if,  vidus  libres,  admis  par  les  dinérens  critiques,  ne  diffère 
pas  sensiblement  :  cest  cent  vingt -quatre  mille,  selon 
Wallace  et  Hume,  et  cent  quarante  mille,  selon  Al.  de 
Sainte-Croix.  Le  nombre  que  je  substituerai  plus  bas,  n  en 
sera  pas  non  plus  trts-«loigné.  La  dilTérencc  importante, 
radicale  ,  consiste  dans  celui  des  esclaves. 

D'après  le  passage  d'Athénée  ,  ce  nombre  devoit  être 
beaucoirp  plus  fort  que  ne  l'ont  supposé  Wallace  et  M.  de 
Sainte-Croix,  qui  suivent  sans  restriction  le  témoignage 
de  cet  auteur.  Or,  du  moment  qu'on  s'appuie  de  ce  té- 
moignage ,  il  faut  en  admettre  toutes  les  conséquences 
immédiates.  Athénée  ne  comprenil  pas  dans  ce  nombre 
tous  les  esclaves  de  l'.Aitique;   il  dit  formellement,  et  c'est 


DIS  INSCRIPTIOiNS  ET  BELLES -LETTRES.      173 

à  quoi  personne  n'a  fait  attention  ,  que  ces  quatre  cent 
mille  esclaves  ctoient  ceux  qu'on  occupoit  au  Innuiil  des 
mines  [i]  ;  et  comme  on  sait  que  les  travaux  de  l'agriculture 
et  de  l'industrie  étoient  exécutés  par  les  esclaves,  c'est 
accorder  beaucoup  si  l'on  admet  que  les  mines  aient  em- 
ployé plus  des  deux  tiers  de  tous  les  esclaves  de  l'Attique. 
Cette  considération  porteroit  à  six  cent  mille  au  moins  le 
nombre  de  ceux  qui  étoient  en  état  de  travailler ,  dans 
le  cas  même  où  l'on  supposeroit,  ce  qui  est  cependant 
bien  peu  probable  ,  que  les  femmes  fussent  aussi  occu- 
pées à  l'exploitation  des  mines  ;  ajoutant  donc  un  cin- 
quième pour  les  enfans  et  les  vieillards  ,  on  auroit  au 
moins  sept  cent  vingt  mille  esclaves  ;  la  population  totale 
s  éleveroit  donc  à  huit  cent  cinquante  -  neuf  mille  cinq 
cents  ou  huit  cent  soixante  mille  âmes  :  voilà  ce  qu'il  faut 
conclure  du  passage  d'Athénée. 

L'Attique  forme  une  presqu'île  entourée  par  la  mer  , 
et  séparée  de  la  Béotie  par  la  chaîne  du  Ciihéron.  Sa 
superficie,  selon  les  calculs  de  M.  Barbie  du  Bocage,  a^uJ  s.i.u 
est  de  soixante-seize  lieues  carrées;  et  avec  Salamine,  de  '^''''"•* - /*• '-^z - 
quatre-vingts  lieues  carrées  à  peu  près.  C'est  seulement 
environ  trois  fois  plus  que  le  département  de  la  Seine, 
qui  n'a  que  vingt -quatre  lieues  carrées.  Les  huit  cent 
soixante  Inille  âmes  réparties  sur  cette  surface  donnent  dix 
mille  sept  cent  cinquante  ou  près  de  onze  mille  habitan;S 
par  lieue  carrée. 

Mais  remarquons  que  l'Attique  n'est  pas  une  de  ces 
contrées  dont  le  sol ,   fertile  dans  toutes  ses   parties ,  se 

Mi-niN^a  (p.  2.yz,  E). 


i7i  MÉMOIRF5  DE  L'ACADÉMIE 

prf-te  a\'antageiisemcnt  à  tous  les  genres  de  culture.  C'est 
un  pays  sec  comme  la  Provence  ,  sablonneux  et  slcrile  en 
beaucoup  d'endroits  ,    selon    le    témoignasse  des  anciens 
eux-îTicmes,    et   nulle   part    très  -  fertile.    Il    est   traversé 
Xnopk.  -nti  en  tout  sens   par   plusieurs  chaînes    de   montagnes  :  au 
^^'   '/'        nord,  le  Cilhcron  le  sépare  de  la  Bcotie ,  et  ses  collines 
iU  DÛÀtr.         dfscendcnt  bien  avant  dans  la  plaine  :  le  Parnès  et  le 
Hrilessus  sont  au  nord-est;  leCorydalus,  au  nord-ouest: 
le  Pentrlicjue  ,  le  mont  Hymette,  en  occupent  le  centre; 
et  le  mont  Laurium  le  termine  au  sud.  Dans  unç  pareille 
contrée,  il  faut  retrancher  de  la  surface  habitable  et  culti- 
vable environ  un  (juart  :  n'en  retranchons  cju'un  sixième; 
les  quatre-vingts  lieues  carrc-es  seront  réduites  à  soixante- 
six;  et,  comme  la  population  est  de  huit  cent  soixante  mille 
âmes,  on  a  treize  mille  individus  par  lieue  carrée,  et  c'est 
HfT^m.  Siitr.   treize  fois  la  population  moyenne  de  la  France. 
franct.iom.i.",        Au  reste,  ce  rapprochement  prouve  seulement  coml)ien 
f^''"  est  élevée  la   proportion   de    1^,000  individus  par  lieue 

carrée  :  mais  je  ne  prétends  point  t\u  tout  en  conclurequ'elle 
soit  d'une  impossibilité  physique.  A  considérer  le  fait  en 
théorie,  on  ne  peut  lixerde  limite  à  la  popidation  relative, 
parce  qu'elle  doit  être  toujours  en  raison  des  ressources:  ainsi 
la({uestion  revient,  en  dernière  analyse,  à  savoir  quels  soct 
les  moyens  que  possède  un  pays  pour  entretenir  ses  liabi- 
tans.  Je  n'ai  donc  voulu  montrer  autre  chose,  sinon  que  la 
population  de  l'Altique,  telle  qu'il  faut  la  conclure  du 
passage  d'Athénée,  s'éloigne  de  tous  les  exemples  les  plus 
favorables  qui  «roient  à  noire  disposition,  et  faire  voir  par- 
là  combien  il  importe  de  s'assurer  de  l'existence  d'un  phé- 
nomène dont   rien    n'approche  dans   l'Europe  modenie. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.       17, 

avant  de  se  livrer  à  des  recherches,  peut-être  inutiles,  sur 
les  causes  cjui  en  expliqueroicnt  la  possibilité. 

Voyons  d'abord  sur  quelle  garantie  repose  un  tel  fait: 
cette  garantie  est  le  témoignage  d'un  compilateur  du  troi- 
sième siècle ,  d'Athénée,  qui  cite  un  auteur  inconnu. 

A  la  vérité,  ce  qui  milite  en  faveur  de  son  témoignage, 
c'est  que  le  nombre  des  citoyens  et  des  métèques  cadre 
assez  bien  avec  ce  que  nous  apprennent  d'autres  écrivains; 
et  l'on  a  pu  voir,  dans  cet  accord,  un  motif  suffisant  pour 
ajouter  également  foi  à  ce  que  le  même  auteur  dit  des 
esclaves. 

Cependant,  lorsqu'on  lit  avec  quelque  attention  la  dé- 
clamation tout  entière  qu'Athénée  met  en  cette  occasion 
dans  la  bouche  de  ses  interlocuteurs,  on  aperçoit  des  exa- 
gérations si  extravagantes,  qu'on  ne  peut  se  dispenser  d'y 
reconnoître  un  parti  pris  d'augmenter  à  l'excès  le  nombre 
des  esclaves. 

Il  prétend,  d'après  Timée,  qu'il  y  avoit,  dans  la  seule 
ville  de  Corinthe,  quatre  cent  soixante  mille  esclaves, 
ou  un  septième  de  plus  que  dans  l'Attique. 

L'exagération  est  bien  plus  sensible  dans  ce  qu'il  rap- 
porte de  la  seconde  révolte  des  esclaves  en  Sicile ,  qui 
eut  lieu  vers  i  3  5  avant  J.  C.  :  il  y  périt,  selon  lui,  plus 
d'un  miliioti  d'esclaves;  ce  qui  est  déjà  fort  difficile  à  croire. 
Mais  on  doit  retrancher  au  moins  les  neuf  dixièmes  de 
ce  nombre  exorbitant  ;  car,  selon  Diodore  de  Sicile,  les 
esclaves  révoltés  en  cette  circonstance  ne  s'élevèrent  pas 
à  plus  de  deux  cent  mille,  et  l'on  ne  sauroit  supposer 
qu'il  ait  péri  plus  de  la  moitié  des  rebelles.  Dioi.Sic.Echg. 

Al"  I  /      I  r>  ''^-  ^xxvi,  », 

1  époque  de  cette  révolte  en  Sicile,  il  y  en  eut  une  dans  /-•>".  '>'<^4- 


iVto"  MFMOIRIS  DE  L'ACADI.MIF. 

PAttiquc.  Allic'nce,  en  s'appuvant  du  tcmnignagc  de  Posr- 
donius,  prétend  que  vingt  mille  esclaves,  dans  les  mines,' 
c'gorgcrcnt  leurs  gardiens,  s'emparcrcnt  de  la  forteresse  de 
Sunium,  et  ravagèrent  pendant  long-temps  le  pays.  Le 
fait  est  vrai  ;  mais  on  ne  risque  rien  de  retrancher  les  dix- 
neuf  vingtièmes  des  esclaves  révoltés.  Diodore  de  Sicile 
rapporte  que  le  nombre  ne  fut  pas  de  plus  de  /;;///(•;  et 
cela  est  très-conforme  à  la  vraisemblance ,  parce  qu'à  cette 
époque  les  mines  ctoient  presque  entièrement  épuisées, 
comme  Je  le  dirai  plus  bas.  Ainsi  Athénée  est  à  peu  près 
convaincu  davoir  exagéré  le  nombre  qu'il  a  trouvé  dans 
Posidonius. 

Mais  ce  qvii  passe  toute  croyance,  c'est  le  fait  relatif 
à  l'Ile  d'Fgine,.et  pour  lequel  il  ose  s'appuyer  de  l'impo- 
sante autorité  d'Aristotc.  On  }  comptoit,  dit-il,  quatre 
cent  soixante-dix  mille  esclaves  ,  ou  soixante-dix  niilli- 
de  plus  que  dans  l'Attique  ;  ce  qui  suppose  une  popu- 
lation d'au  moins  sept  cent  mille  âmes  réparties  sur  le  ter- 
rain montagneux,  rocailleux  et  infertile  (i)  d'un  état  qui 
n"a  pas  plus  de  quatre  lieues  carrées  de  surface  :  c'est  cent 
(juaire-vingt  mille  habitans  par  lieue  carrée;  c'est-à-dire 
(juc  la  population  y  auroit  été  aussi  pressée  que  dans 
Paris.  Voilà  ,  pour  cette  fois,  une  absurdité  palpable  ,  qui 
ne  peut  être  attribuée  ni  à  Aristote  ni  à  aucun  homme 
de  sens;  mais,  comme  si  ce  nombre  n'étoit  pas  déjà 
assez  merveilleux  ,  un  des  interlocuteurs  reprend  qu'à 
Rome  il  y  avoit  bien   plus  d'esclaves  encore.   "  Clui/jue 


(  I  )    Voyez   conimf-  Démotthcne 
parle  de  cette  ile  :  ÎXÙt  j5?  lix  «jj^g^'r , 


fç^r«?r  litùç  n'r ,  «.  7.  ^.  (Dcniosth.  f«/l- 
rra  Aristoctjt.  p.  6po ,  I.  2-r.) 

»  Foma'm , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  177 
»  Romûiu ,  dit  Lan reii tins,  en  possède  autant:  beaucoup 
»  en  ont  dix  mille,  vingt  mille  et  davantage;  non  pas, 
"  comme  le  riche  Nicias  ,  pour  s'en  faire  un  revenu  , 
•'  mais  ,  la  plupart,  pour  avoir  un  nombreux  cortège  (i  ).  » 
Ailleurs,  si  l'on  en  croit  un  autre  convive,  Alcibiade, 
ayant  remporté  le  prix  du  char  aux  jeux  Olympiques, 
donna  un  repas  à  toute  la  Grèce  assemblée  pour  la  cé- 
lébration des  jeux  (2).  On  s'étonne  peu  de  ces  exagé- 
rations quand  on  connoît  la  manière  d'Athénée  :  on  sait 
qu'assez  ordinairement  un  de  ses  interlocuteurs  avance 
une  proposition  paradoxale  qu'il  soutient  à  tort  ou  à  rai- 
son ;  un  autre  l'attaque  et  renchérit  encore  ,  au  moyen 
d'assertions  les  moins  croyables  ;  et,  dans  ce  cas,  les  cita- 
tions d'auteurs  graves  ne  lui  manquent  jamais. 

Les  rapprochemens  que  je  viens  de  faire,  en  montrant 
combien  Athénée  a  par-tout  exagéré  le  nombre  des  esclaves , 
doivent  nous  tenir  en  défiance  sur  le  témoignage  quil 
allègue  relativement  à  ceux  de  l'Attique  :  car,  s'il  n'a  pas 
craint  de  citer  évidemment  à  faux  des  auteurs  tels  qu'Aris- 
tote  et  Posidonius,  on  ne  voit  pas  pourquoi  il  se  seroit 
fait  scrupule  d'en  user  de  même  avec  un  auteur  aussi  peu 
connu  que  Ctésiclès. 

Il  est  étonnant  qu'aucun  de  ceux  qui  ont  parlé  de  la 
population  de  l'Attique  n'ait  fait  ces  rapprochemens  , 
et  ne  se  soit  convaincu  du  peu  de  confiance  que  mérite 


(  I  )  Athen.   VI ,    pas,,    lyz  ,   E. 

VufJUUU}/    iKCLÇdÇ    TT^H'^^Ç    IXI'éÇ   X.txIl'/itl'Of 

'Ot>'"'<ft"f  Si,  atrTTip  0   '^''  EMKKai'  fa- 


/Mtiaiv  avu'zt^i'iviai  iy^nn  Tiff  îj^t/ruf. 
(2)  Athen.  7,  j  ,  p.  j ,  £.  Af^iuCa- 

Suç  Si  OK<Jfj.7na.  iimoTt;  o-puA-n  'orpaitç  1^ 


Tome  VI.  Z 


1-3  MEMOIIÎES  DE  L'ACADEMIE 

Athcncfe  sur  cette  matière.  Ces  rapprochemens  nous  in- 
diquent assez  qu'il  ne  sufHt  pas  de  cliaiiL,fer,  de  modifier 
ou  mt^me  de  corriger  le  passage;  il  laut  abandonner  tout- 
à-fait  un  témoignage  aussi  suspect  sur  le  nombre  des  es- 
claves, et  recourir  particulièrement  aux  auteurs  Atticjues, 
dont  l'autoritc'  en  cette  occasion  doit  l'emporter  bur  celle 
de  tous  les  autres.  J'espère  prouver  que  tous  ces  écrivains 
tournissent  les  argimiens  les  plus  forts  contre  l'existence 
d'un  nombre  si  prodigieux  d'esclaves  dans  l'Attique  ;  en 
sorte  (jue  l'assertion  du  compilateur  reste  seule  et  sans 
appui,  avec  toute  son   invraisemblance. 

Dans  une  question  du  genre  de  celle-ci ,  où  il  s'agit 
d'un  objet  variable  par  sa  nature  et  soumis  à  des  (jscil- 
iations  continuelles,  je  dois  embrasser  un  intervalle  assez 
grand.  Je  choisirai  la  période  pendant  laquelle  la  nation 
Athénienne  s'est  élevée  au  plus  haut  point  de  splendeur, 
et  où,  conséquemment ,  sa  population  a  été  le  plus  nom- 
breuse :  je  la  renlermerai  donc  entre  les  premières  années 
de  la  guerre  du  Péloponnèse  et  la  bataille  de  Chéronée. 
Ce  Mémoire  comprendra  deux  parties  :  dans  la  première, 
j'établirai  la  population  des  hommes  libres  ;  dans  la  se- 
conde, j'établirai  celle  th.s  esclaves,  et  je  ferai  voir  par 
les  circonstances  de  l'histoire  intérieure  d'Athènes  ,  que 
la  population  totale  n'a  jamais  pu  y  ^tre  beaucoup  au- 
delà  du  terme  (jue  j'aurai  fixé. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      179 

PREMIÈRE    PARTIE. 

NOMBRE    DES    INDIVIDUS    LIBRES. 


S.    I.'^   Athéniens. 

J'ai  déjà  eu  occasion  de  remarquer  que  les  résultats 
auxquels  les  diffcrens  critiques  soi^f  arrivés  ,  relative- 
ment à  la  population  de  la  classe  libre,  ne  diffèrent  pas 
sensiblement  entre  eux,  parce  que  les  données  sur  les- 
quelles ils  les  ont  établis  sont  peu  nombreuses  et  assez 
claires.  Celui  que  je  présenterai  ici ,  appuyé  de  quel- 
ques rapprochemens  nouveaux  ,  offrira  cjuelques  diffé- 
rences. 

Les  Athéniens  étoient  enrôlés  dans  la  milice  à  dix- 
huit  ans  ;  ils  servoient  deux  ans  dans  l'intérieur  du  pays: 
à  vingt  ans  révolus,  ils  prêtoient  serment  dans  la  chapelle 
d'Aglaure,  et  ils  commençoient  dès-lors  à  jouir  de  tous 
les  droits  de  citoyen. 

D'après  cela,  on  conçoit  que  quand  les  auteurs  Attiques 
évaluent  le  nombre  des  citoyens,  il  ne  s'agit  pas  seule- 
ment des  hommes  en  état  de  porter  les  armes,  ou  des 
chefs  de  famille  ,  ainsi  que  l'ont  supposé  Wallace,  Hume  et 
AA.de  Sainte-Croix:  ce  nombre  comprend  nécessairement 
tous  les  individus  qui  ont  vingt  ans  ou  plus.  Pour  avoir 
lu  totalité  des  individus  mâles,  il  faut  recourir  aux  tables 

Zij 


iSo  jMKMOlRES  DE  L'ACADI-MIE 

de  population  qui  in(.Ii<|ucnt  la  proportion  de  la  quantiiii 
d'individus  entre  un  âge  donné,  pur  rapport  à  la  popu- 
lation totale.  Si  1  on  ohjectoit  que  la  loi  de  population 
a  |ni  cire  vn  peu  ditfc'rente  dans  l'Attique,  on  rcpondroit 
que  cette  différence  ,  quand  elle  iroit  à  u\t  dixième,  ce  qui 
est  considcrahie,  n'aftecteroit  pas  très-sensiblement  le 
résultat,  parce  qu'on  n'opère  que  sur  un  pciii  nombre 
d'individus,  et  cjue  d'ailleurs,  dans  des  calculs  de  ce  genre, 
on  ne  peut  prétendre  qu'à  des  approximations.  On  com- 
pensera facilement  le  dclicit  présumé,  en  laissant  toujours 
une  certaine  latitude  en  plus.  ♦ 

La  population  mâle  une  fois  connue,  on  en  conclura 

aisément  celle  des  personnes  du  sexe.  Des  observations 

r^pUir.  Esi.>i  faites  en   diverses  parties  de   l'Europe  ont  prouve  que  le 

i«r  lejprohUii-  i  i         i  i  •  i  -       i   i 

ifs:  iniruj.  p.,g.   nombre  des  hommes  est  par-tout  plus  considérable  que 

^*''  celui  des  femmes,  dans  le  rapport  de  22  à  21.  Pour  ne 

pas  risquer  de  se  trouver  au-delà,  on  n'a  qu'à  supposer 

égal  le  nombre  des -personnes  des  deux  sexes  ,  et  iloubler 

celui  des  mâles. 

Cela  posé  ,    cherchons   le   nombre  des   citoyens   dans 
l'intervalle  de  temps  que  j'embrasse. 
Sieitio.ii rki         Sous  l'archontat  de  Léotvchide,  en  44-  avant  J.  C.  , 
/ugit  It?  roi  d  t.gypte  nt  présent  aux  Athéniens  de  (juarante  mille 

médimnesde  blé.  Lorsqu'il  fut  question  d'en  faire  la  répar- 
tition, léi  Athéniens,  qui  ne  man<juoient  jamais  de  bonnes 
raisons  pour  se  tourmenter  les  uns  les  autres,  firent  des 
recherches  sur  l'origine  et  la  naissance  d'un  grand  nombre 
d'entre  eux,  et  trouvèrent  le  moyen  de  les  exclure  (i)  du 


(1)  Piiit.  in  Pericl.  J.  j;r.  Au  lieu 
de  iT;^?n(Ttf,jc  lis,  avec  deux  manus- 


crits, i9a.rr.mj,  ou  ,  avec  M.  Coray, 


DFS  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.       iSi 

partage,  sous  prctexte  qu'ils  n'avoient  pas  été  inscrits  lé- 
galement sur  le  rôle  des  citoyens.  Selon- Plutarque,  les 
Athéniens  exclus  furent  moins  de  cinq  mille  ;  les  autres 
se  trouvèrent  au  nombre  de  quatorze  mille  deux  cent  qua- 
rante (i)  :  la  totalité  montoit  donc  à  environ  dix-neuf  mille. 
C'est  ce  qui  résulte  du  témoignage  précis  de  Philochorus.      Piùlodi.    np, 

dj,  ,    ,  .    .        ,  I         •■  '•!  ScM.  Ariiwph, 

ont  1  autorité  est  ici  très-grande  :  il  compte  qu  il  y  eut  en    Vcsp.v.yié. 

cette  occasion  quatre  mille  sept  cent  soixante  Athéniens 
exclus,  et  quatorze  mille  deux  cent  quarante  qui  partici- 
pèrent à  la  distribution  ;  total,  dix-neuf  mille. 

Le  mcme  nombre  se  retrouve  encore  à  une  époque  qui 
ne  peut  être  fort  éloignée  de  celle  de  la  bataille  de  Ché- 
ronée.  Au  témoignage  de  l'auteur  des  Vies  des  Orateurs, 
attribuées  à  Plutarque,  le  démagogue  Lycurgue  fit  confis- 
quer les  biens  de  Diphilus,  qui  montoientàcent  soixante  ta- 
lens  :  répartition  faite  entre  les  citoyens,  il  revint  cin- 
quante drachmes  à  chacun  d'eux.  Or,  comme  cinquante  i\tu<i<-i'ii,t.  lu 
drachmes  sont  comprises  dix-neuf  mille  deux  cents  fois  ^om'.Jx^.  ^^" 
dans  cent  soixante  talens,  valant  neuf  cent  soixante  mille     (V-  Tuylor  .•,{ 

j         t  -1       >  •  J  A    I    '     •  /       ■  I  Din;ostli.i!!  Ap- 

drachmes  ,   il  s  ensuit  que  les  Athéniens  etoient  alors  au  parât,  cm.  1. 1 . 
nombre  d'environ  dix- neuf  mille.  ^Kfùke.^^' 

Ce  calcul  est  confirmé  par  Démosthène,  contre  Aris- 
togiton.  Cet  orateur  dit  que  tous  les  Athéniens  sont  près  de     P^g-yS^ 
vingt  mille  :  E/o-li/  OyU.S'  S\crfx\içj.rii  ol  ■nrâ.v.e^  'A^rwaÂoi  (2).   On 
sent  que  ces  expressions,   près  de  vingt  mille,  employées 


(i)  Le  texte  porte, /xt/'/s/o/iau  Tiifa- 
wjyXfo/  /yj  Ttaiagjtiaii'la.  Il  faut  lire, 
avec  Meursius  f  Fort.  An. p.  26 ,  A. 
0pp.  t.  I ) ,  /Mjtioi  y^  "nifaKi^Kioi  icj 
iftaxâojo;  4  Tiajtt^stxoi'la,  comme  dans 
Philochorus. 


(2)  '0|U.oi/ signifie  îyytjç,  selon  toiu 
les  anciens  grammairiens.  Conf.  Va- 
Ifs.  ad  HarpocT.  voce  'O/uov,-  Lamb. 
Bas.  Ainrnadv.  c.  IV  et  Vlli  ;  Henu- 
tcrh.  ad  Ltician,  t.  I ,  p.  443  '■>  ■iurrz  , 
Lexic.  Xenoph.  1,  p.  286,  &c- 


->• 


•  ï^'2  MF.MÔIRIS  DE  l.'ACADf.Vill:: 

d;i!is  un  mouvement  oratoire,  reviennent  aux  liix-neuf 
mille  que  j'ai  trouves  plus  haut.  La  même  approxima- 
tion se  retrouve  encore  au  vers  7  1  G  des  Gucpcs  d'Aristo- 
phane. 

Ainsi,  dans  rintcrvalle  de  temps  écoule  depuis  Pcriclès 
juicju'a  Dcmosthène,  le  nombre  des  citoyens  avoit  très- 
piii  varié. 

Prenons  donc  la  moyenne  entre  dix-neuf  mille  et  vingt 
mille,  c'est-à-dire  dix-neut  mille  cinq  cents,  et  appli- 
quons à  cette  moyenne  les  tables  dressées  par  Al.  Du- 
\ illard.  Elles  établissent  ([ue  les  indi\idus  au-dessous  de 
\  ingt  ans  sont  à  ceux  (jui  oiu  passé  cet  âge  :  :  2  :  j  ,  ou 
plus  exactement  :  :  4°  i  8  :  5^8  1 .  Il  s'ensuit  qu'à  Athènes 
les  premiers  étoient  au  nombre  de  douze  mille  luiii 
cents;  ce  qui,  joint  aux  dix-ncii(  mille  deux  cents  ,  porte 
la  population  mâle  de  tout  âge  à  trente- tieux  mille  si\ 
cents. 

Un  rajiprochement  tiré  de  I  luicydide  m'a  paru  conln- 
mer  d'une  manière  satisfaisante  ce  calcul ,  dont  les  bases 
ne  peuvent  offrir  (|u  une  incertitude  assez  légère.  Dans  la 
seconde  année  de  la  guerre  du  Péloponnèse,   les  Lacéilé- 
moniens  et  leurs  alliés  ,  sous  la  conduite  d'Archidamus, 
firent  leur  première  invasion  dans  l'Attique.  Pcriclès,  pour 
rassurer  les  Athéniens,  leur  expoce  en  détail  toutes  leurs 
ressources  :  il  dit,  entre  autres  choses,  que  les  forces  de  la 
république  montent  à  irei/x  mille  hoplites,  douze  cenis 
cavaliers,  seize  cenu  archers  ;  en  tout,  quinze  mille  huit 
cents  hommes,  sans  compter  les  vieillanls,  les  jeunes  gens 
/  u.^rf.  //,  qui  n'avoient  p  -int  l'âge,  et  tous  les  métèques  hoplites. 
.Mai»;,  parmi  ces  quiiize  mille  huit  centb  hommes,  il 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  1S3 
faut  en  retrancher  un  certain  ncîmhre  f|ul  n'ctoient  point 
Athéniens. 

i."   Il  faut  retrancher  six  cents  archers  Scythes,  que    /Lidin.defa's. 
les  Athéniens  avolent  dès-lors  à  leur  solde.  H^"'-  f'S-  //• 

2."  Quelques  chapitres  pius.bas,  Thucydide  parle  d'un  rhu.jd.  u . 
engagement  de  la  cavalerie  Thessalienne  contre  les  Lacé-  ''• 
démoniens  ;  et  il  observe,  à  cette  occasion,  qu'en  consé- 
quence d'une  alliance  entre  la  Thessalie  et  Athènes ,  sept 
villes  de  la  Thessalie  avoient  envoyé  des  troupes  comman- 
dées en  chef  par  Polymcde,  Aristonoiis  et  Ménon,  outre 
les  commandans  particuliers  pour  les  troupes  de  chaque 
ville.  En  évaluant  le  total  des  troupes  des  sept  villes  à 
mille  hommes,  on  est  certain  d'être  en-deçà  plutôt  qu'au- 
delà  de  la  vérité;  c'est  donc  un  total  de  seize  cents  hommes 
à  retrancher  de  quinze  mille  huit  cents  :  il  reste  quatorze 
mille  deux  cents   hommes  de  troupes  Athéniennes. 

On  doit  se  rappeler  maintenant  que  ces  quatorze  mille 
deux  cents  soldats  ne  comprenoient  que  les  individus  entre 
vingt  et  cinquante  ans  ,  puisque  les  plus  âgés  et  les  plus 
jeunes  furent  exclus.  Or  la  loi  de  population  établit  que 
les  hommes  entre  vingt  et  cinquante  ans  sont  à  la  totalité 
des  individus  mâles,  dans  le  rapport  de  4^  à  100,  ou  \\\\ 
peu  plus  que  les  deux  cinquièmes.  Il  en  résulte  que  cette 
toialité  Revoit  être  à  Athènes  de  '4^°°"  ■°°— ^ ,  goo  ;  et 
ce  nombre  est  bien  peu  éloigné  de  cefui  de  32,600  que 
j'ai  trouvé  ci -dessus  par  des  moyens  tout  différens  :  on 
peut  même  dire  que,  comme  la  quantité  variable  des 
Thessaliens  est  sans  doute  trop  foible  à  mille  ,  les  pro- 
babilités sont  pour  un  résultat  encore  plus  approché  du 
nombre  3  2,600. 


.84  MÉ.MOIRLS  DE  LACADJ.MIE 

Cet  accord,  auquel  j'ai  ctc  conduit  par  l'application  des 
tables  dressces  en  France,  tend  à  montrer  que  la  loi  de 
population  n'ctoit  pas  trcs-diffcrente  dans  l'Attique  ;  m.tis 
il  clahlit  sur-tout,  a\ec  une  sorte  de  certitude,  ijne  les 
Athc'niens  mâles  de  tout  âge,  pendant  l'intorvalk' df  temps 
que  j'ai  choisi,  ont  ctc  au  nombre  de  trente-deux  a  trente- 
trois  mille. 

Ce    résultat    explique    le     passage    des    Conciciuitrucs 

y.i  2^         d'Arisiopliane,  où   la    servante  dit  à  son    maître    «  qu'il 

••  est  le  plus   heureux  des   hommes,   puisque  seul  entre 

>'  les  TDAn-o»,  qui  sont  plus  de  trente  mille,  il  n'a  pus  en- 

"  core  dinc.  •> 

T/f  )^  yiton'  <u  juûLMot  ÔAf/ûrrtgjf, 
Ont,  •nxiitÊ»  ■nt.iîcr  i\  Tififf/ut/CA'''» 
OtTUiy  *  ^.iï9of,  »  iflJliwrnKa.(  /bùtof. 

1.  -,-  Dans  /es  Guêpes ,  le  poète  fait  entendre  que  les  citoyens, 

en  se  servant  de  la  même  expression  ( -tdAitcu  )  ,  sont 
au  nombre  d'environ  vingt  mille.  11  est  donc  évident  que, 
dans  le  premier  passage,  les  trente  mille  citoyens,  et  plus, 
sont  les  Athéniens  de  tout  âge,  que  le  poète  a  réunis  pour 
rendre   l'opposition   plus  frappante. 

iirrj.  r,^7.  la  même  explication  convient  à  un  passage  d'Hérodote 
qu'on  a  cru  altéré  :  c'est  celui  où  l'historien  rapporte  «ju'Aris- 
tagoras  de  Milet  parvint  à  persuader  aux  Athéniens  de 
se  déclarer  contre  les  Perses.  Il  ajoute  qu'Aristagoras,  qui 
n'avoit  pu  entraîner  qu'un  seul  honuue,  savoir,  Cléomcde 
roi  de  Sparte,  vint  a  bout  de  trois  myriades  d'Athéniens. 
\  alckenaer  trouvoit  ce  nombre  exagéré.   Al.  Larcher  dit: 

7\>'n.n',{<if.  ,.  Est-ce  une  faute  de  copiste,  ou  bien  Athènes  étoit-clle 
••  plus  peuplée  avant  la  guerre  des  Perses  :  Je  le  croiroii 

»>  voioiuieri.  >• 


I  i- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  185 
«  volontiers.»  M,  de  Sainte-Croix  s'est  approché  davan-  Scinu-Cr,!»  . 
tage  de  la  solution,  selon  moi,  en  disant:  «Peut-être  Hé- 
»  rodote  n'a-t-il  ainsi  multiplie  les  citoyens  d'Athènes  que 
"  pour  mieux  mettre  en  opposition  leur  condescendance 
»  avec  la  résistance  du  seul  Cléomède ,  ressource  oratoire 
»  qui  n'est  pas  sans  exemple  chez  les  anciens  historiens.  » 
Je  me  rangerai  de  ce  sentiment,  sauf  une  modification 
essentielle;  c'est  que  le  nombre  30,000  n'est  point  une 
exagération  sans  motif.  Il  y  a  ici,  comme  dans  le  vers 
d'Aristophane,  une  figure  qui  transporte  à  tous  les  indi- 
vidus mâles  ce  qui  ne  convient  qu'aux  seuls  Athéniens 
investis  du  droit  de  voter.  C'est  par  une  figure  semblable 
que  nous  disons  tous  les  jours,  en  parlant  de  la  France, 
le  vœu  de  trente  millions  d'hommes. 

La  place  où  se  trouvent  ces  deux  indications,  et  les 
circonstances  qui  les  accompagnent,  prouvent  que  l'his- 
torien et  le  poète  n'ont  voulu  donner  qu'une  approxima- 
tion :  ainsi  ces  textes  n'empêchent  pas  de  croire  que  la 
population  ne  soit  restée  la  même  entre  l'époque  d'Héro- 
dote et  celle  d'Aristophane,  c'est-à-dire,  pendant  un  siècle; 
et  cela  n'est  pas  plus  étonnant  que  de  la  voir  se  soutenir 
pendant  le  siècle  suivant,  malgré  la  peste,  le#guerres  con- 
tinuelles et  les  nombreuses  colonies  fondées  par  les  Athé- 
niens après  la  guerre  des  Perses. 

On  ne  peut  expliquer  que  la  population  ait  été  station- 
naire  au  milieu  de  tant  de  causes  de  diminution  ,  qu'en 
admettant  qu'il  y  ait  eu  plusieurs  fusions  des  métèques 
avec  les  citoyens  ,  semblables  à  celle  qui  eut  lieu  sous 
(>aliias,  la  troisième  année  de  la  xciii.''  olympiade,  vers 

,  .  .         .  L)iod.  Su.    liD. 

la  fin  de  la  guerre  du  Péloponnèse.  C'est  ce  qui  arrivoit   xui.f.^y. 
Tome  VI.  A» 


i86  Mf.MOlRFS  DF.  LAC AOLNUF, 

principalement  en  temps  Je  guerre,   où    l'on  avoit  plus 
besoin  tle   ces  étrangers;  et  l'on   sait  que  le  droit  de  cite 
cloii  la  plus  grande  récompense  des  services  qu'en  dételles 
circonstances  ils  rendoient  à  la  républicjue.  Mais  ce  qui 
est  fort  remarquable,  c'est  que,  malgré  ces  fréquentes  in- 
corporations, le  nombre  des  citoyens  suit  resté  constam- 
ment d'environ  dix -neuf  mille.    Ceci   n'a  pu  avoir  lieu, 
ce  me  semble  ,  que  dans  le  cas  où  ce  nombre  auroii  ùc 
fixé  par  une  loi  de  l'Etat  ;  loi  qui  paroît ,  du  reste,  avoir 
tait  la  base  des    gouvernemens  de  la  Grtce  ,  et  particu- 
lièrement des  gouvernemens  ripublicains.   Il  s'ensuivroit 
rirtt.  Ftp  !\' .    que  l'opinion  émise  par  Platon  et  Aristote  ,  sur  la  néces- 
Ariu.PtUt.vii.  site    de  limiter  le   nombre   des   citoyens  dans    les   répu- 
^'  '  bliques  ,  n'appartient  pas  à  ces  philosophes  ,  mais  qu'ils 

l'avoient  puisée  dans  quelque  règlement  particulier,  qui 

Dtrjiin:  t. /,    nous  est  inconnu.  H  est  vraisemblable  (lue  ce  règlement 
r  'S*  ,  .         ,  .  .        . 

lut  établi  par  quelqu'un  des  anciens  législateurs  qui  avoient 

bien  réfléchi  sur  la  nature  et  les  inconvéniens  des  gou\er 
nemens  démocraticjues ,  où  il  est  d'autant  plus  dillicile  de 
gouverner  que  le  peuple  est  plus  nombreux.  Miis,  conime 
la  restriction  qui  paroissoit  nécessaire  au  maintien  de  lu 
tranquillité  ^d)lic]ue,  auroit  opposé  des  obstacles  au  dé- 
veloppement de  l'industrie  et  du  commerce,  on  y  remé- 
dia en  permettant  ruix  étrangers  de  venir  s'établir  dans 
l'Attique,  avec  la  condition  de  participer  aux  avantages 


du  pays,  mais  de  rester  étranger  sau  gouvernement.  !< 
Dfmoiih..!'Htr  est,  selon  moi  ,  l'esprit  de  la  mélêcie  i\u\i\\  trouve  établi 
ihoJSn.iik    presque  par- tout  dans  la  Grèce,  a  Alhcnes  ,  a  Kgine,  a 

'•:''•  i  "      1  htM>e5.  en  Crète  .  &c. 

//«./.  Lorsqu'une  guerre   prolongée,   une   colonie,    ou   tout 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      187 

autre  événement,  avoit  diminué  le  nombre  des  citoyens, 
c'ctoit  dans  les  rangs  des  métèques  qu'on  choisissoit  les 
individus  qui  dévoient  remplir  le  vide  ;  et  c'est  ainsi  que 
la  population  Athénienne  dut  se  conserver  long-temps 
au  même  i>iveau ,  jusqu'à  ce  que  le  règlement  qu'on  avoit 
exactement  suivi,  fût  tombé  en  désuétude. 

C'est  ce  qui  paroîtêtre  arrivé  pendant  le  règne  d'Alexan- 
dre. Dans  la  seconde  année  de  la  cxiv.^ olympiade,  un  an 
après  la  mort  d'Alexandre,  quinze  ans  après  la  bataille  de 
Chéronée,  Antipater,  pour  mettre  fin  aux  troubles  con- 
tinuels causés  par   une  populace  inquiète  et  turbulente, 
exclut  du  droit  de  citoyen  tous  ceux  qui  ne  possédoient  pas 
au-dessus   de    deux   mille  drachmes.    Selon    Plutarque,       /«    photion. 
douze  mille  deux  cents  personnes  en  furent  privées  ,  et,  t'"^-''^^- 
selon  Diodore,  neuf  mille  le  conservèrent.  Total  des  ci-    DioJ.  Sk.  //.< 
toyens,  vingt-un  mille  deux  cents:  c'est  environ  deux  mille  ^^"''  ■'•  ''' 
de  plus  qu'avant  la  bataille  de  Chéronée.  Ces  douze  mille 
deux  cents  personnes  bannies  d'Athènes  se  retirèrent  en 
Macédoine;  et  cinq  ans  après  elles  revinrent  à  Athènes, 
sous  la  protection   d'Alexandre  fils  de    Polysp^rchon.    Il     Dhd.  Sn.iik. 
n'y  a  donc  rien  que  de  très-vraisemblable  dans  le  résultat  du  ^^'"•■^' 
dénombrement  fait  par  Démétrius  de  Phalère,  la  première 
année  de  la  cxviii.^  olympiade,  où  l'on  trouva  vingt-un 
mille  citoyens,  selon  Ctésiclès.  En  partant  de  ce  nombre, 
on  obtient  par  le  calcul  trente-cinq  mille  individus  mâles, 
ou  deux  à  trois  mille  de  plus  qu'auparavant. 

Mais  ,  pendant  l'intervalle  de  temps  que  j'embrasse  et 
qui  finit  à  la  bataille  de  Chéronée,  le  nombre  des  ci- 
toyens fut  d'environ  dix- neuf  mille  ;  celui  de  tous  les 
mâles,  de  trente-deux  mille  six  cents  à  trente-trois  mille; 

A-ij 


i^i!  MKMOIRES  DF.  L'ACADEMIE 

ei  l;i  |iopiilation  ioiAa  Atlicnicnne ,  de  soixante-sept  nulle 
ou  de  soixante-dix  mille  âmes. 

S.   il.   Des  Aie  te,]  lies. 

Il  y  a  peu  d'espoir  d'arriver  à  connoître  le  nombre 
des  métèques  avec  autant  de  certitude  ijuc  celui  des  ci- 
toyens ;  car,  à. l'exception  du  passage  d'Athcnce,  il  n'existe 
aucun  témoignage  positif  à  cet  égard.  Voici  toutefois  un 
rapprochement  qui  doit  nous  conduire  assez  près  de  la 
vérité. 

On  a  vu  que  Thucydide  évalue  les  forces  de  la  république 
à  quatorze  mille  deux  cents  hommes  tire's  d'entre  les  citoyens  : 
il  ajoute  que  les  forts  de  l'Attique  et  les  murailles  d'Athènes 
ctoient  gardés  par  un  corps  de  seize  mille  personnes, 
composé  des  très-jeunes  gens  [tov  vta)TO7Ci)V  j ,  des  hommes 
ThuçféJ.  II.    ^g^^  [tuv  'ZDféo^uTaT&v  ]  ,  et  des  hoplites  métèques. 

J'ai  dit  (jue  ces  Athéniens  dévoient  être  au-dessous  de 
vingt  ans  et  au-dessus  de  cinquante  ;  et  comme  le  service 
qu'on  ex-rgeoit  d'eux  étoii  en  grande  partie  île  pure  sur- 
veillance ,  il  est  très-probable  que,  dans  une  circonstance 
aussi  critique,  on  avoit  pris  les  hommes  de  quinze  à  vingt 
ans  et  de  cin(juante-cinq  à  soixante-dix.  Les  jeunes  gens  de 
dix-huit  a  vingt,  et  ceux  des  métèques  sur  lesquels  on  pou- 
voit  le  plus  compter,  formoient  la  garnison  des  forteresses. 
Les  jeunes  gens  de  quinze  à  dix-huit,  les  vieillards  les 
plus  avancés  en  âge,  et  le  reste  des  métèques,  veilloient  à 
la  garde  des  murailles  de  la  ville.  Les  individus  compris 
dans  les  intervalles  fixés  sont  les  o.iôySdu  tout ,  ou  un  peu 
plus  du  quart:  les  0.2678  de  33, 000  équivalent  à  884°:  *' 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       189 

reste  donc  pour  le  nombre  des  hoplites  métèques  environ 
y  200.  M.  de  Sainte-Croix  a  remarque  ,  dans  son  Mémoire,  p„g,  ,^y_ 
que  les  métèques  étoient  enrôlés  de  préférence  parmi  les 
Iioplites.  On  peut  donc  admettre  que  la  proportion  entre 
le  nombre  des  hoplites  et  la  population  mâle  étoit  lu 
même  que  pour  les  citoyens.  Or,  sur  dix-neuf  mille  cinq 
cents  Athéniens,  on  comptoit,  selon  Thucydide,  treize 
mille  hoplites  ;  et  comme  13000: 15)5 00::  7200: 10800, 
il  s'ensuit  que  le  nombre  des  métèques  mâles  entre  vingt 
et  soixante  ans  étoit  de  onze  mille  ;  celui  des  individus 
mâles  de  tout  âge,  de  vingt  mille  ;  et  la  population  to- 
tale des  métèques,  de  quarante  mille  environ,  au  commen- 
cement de  la  guerre  du  Péloponnèse. 

Ce  nombre  paroît  avoir  diminué  par  la  suite.  J'ai  déjà 
montré  que,  lors  des  changemens  arrivés  sous  Anti- 
pater,  on  avoit  compté  vingt-un  mille  citoyens,  nombre 
qui  se  retrouva  sous  Démétrius  de  Phalère ,  peu  de  temps 
après.  Dans  le  recensement  fait  par  ce  dernier,  on  trouva 
dix  mille  métèques  ;  ce  nombre  existoit  également  dès  le 
temps  d'Antipater  :  c'est  du  moiiis  ce  que  je  conclus  d'un 
passage  de  Diodore. 

Cet  historien  dit,  en  effet  ,  que,  lors  de  l'exclusion 
des  personnes  qui  ne  possédoient  pas  plus  de  deux  mille 
drachmes',  il  s'en  trouva  vingt-deux  mille  dans  ce  cas,  et 
seulement  neuf  mille  riches  au-delà  de  la  somme  fixée. 
Au  lieu  de  vingt  deux  tiii/Ic ,  Plutarque  dit  douie  mille  ;  ce 
qui  est  très-exact. 

Bonamy  et  Wesseling  ont  voulu  lire  également  douie     A,<r,i.Jes ms,r 
mille  dans   le    texte  de   Uiodore.    Je  croîs   que   la   leçon    ;-„. 
vingt-deux  mille  doit  rester,  parce  que,  selon  toute  appa- 


190  MÉMOIRES  DF.  i;  \c:Ani',\\ir. 

rcnce,  c'est  une  erreur  de  l'historion  lui  iiicrne.  Reniarqucz 
que  lunit  mille  cl  %ingt-deu\  niilk'  Kuit  prccisc'ment  les 
trente-un  mille,  tant  citoyens  que  métèques,  qui  se  sont 
trouves  dans  le  dc'noml)rement  de  Dcmétriusdc  Phalcrc. 
Sous  Antipater.on  avoii  c(Mnpté  vingt-un  mille  citoyens  : 
ainsi  il  reste  également  dix  mille  pour  les  métèques.  Je  pense 
donc  que  Diodore  ,  sachant  ,  d'une  part,  que  le  nombre 
lies  Athéniens  qui  ne  turent  point  exclus,  étoit  de  neul 
mille,  et,  de  l'autre, que  le  nombre  total  des  hommes  libres 
alioit  a  ti.-nie-iin  mille,  n'aura  pas  lait  attention  que  dans 
ce  dernier  éfoient  également  compris  les  métèques  :  il 
n'aura  tait  (jue  soustraire  neut  mille  de  trente  un  mille  ,  et 
il  aura  trouvé  vingt-deux  mille  pour  celui  des  personnes 
exclues  i\n  gouvernement. 

Il  résulte  de  là  que  du  temps  d'Antipater  et  de  Dcmé- 
trius  il  y  avoit  également  vingt- un  mille  citoyens  et  dix 
mille  métèques.  Mais,  avant  la  bataille  de  Chéronée,  nous 
avons  trouvé dix-neut  mille  cinq  cents  Athéniens,  et  onze 
mille  métèques  ;conséquemment./'/wj  de  iliétèques  et  nioitis 
d'.Atbéniens.  On  ne  doit  donc  pas  négliger  d'observer  que 
les  variations  ou  la  stabilité  de  la  population  de  ces  deux 
classes  paroissent  se  suivre  et  se  correspondre  assez  cons- 
tamment. Si  l'une  est  stationnaire,  l'autre  l'est  également; 
quand  l'une  augmente,  l'autre  diminue:  de  manière  qu'au 
milieu  des  oscillations  dont  chacune  d'elles  a  dû  être  afîec 
ter,  le  nombre  total  des  hommes  libres  semble  être  reste 
à  peu  près  le  même  depuis  la  guerre  des  Perses  juscju'à 
l'époijue  do  Démétrius  de  Phalèrc,  au-delà  de  laquelle  il 
n  est  plus  possible  d'en  suivre  l.i  marche  et  les  mouvemens. 

On  voit  d  )nc  que  la  population  libre  de  rAtticfue entre 


DES  INSCUIPTIONS  ET  BELLES- LE'Jl  HES.      191 

les  années  430  et  34°  avant  J.  C.  se  composoit  ainsi  (i)  : 

I .°  Athéniens  de  tout  âge  et  des  deux  sexes .      70,000. 

2."   Métèques  de  tout  âge  et  des  deux  sexes.      40'00Ci- 

Total 11 0,000. 


(1)  Un  critique  anonyme  qui  a 
rendu  compte,  dans  le  A'iiiseiim  cri- 
licum  (  loni.  I ,  p.  54-)  i  ^^  l'ouvrage 
de  M.  Douglas  sur  la  Grèce  nio- 
dernf ,  en  relevant  des  erreurs  pal- 
pables de  cet  atiteur  relativement 
à  la  population  de  l'Aitique,  tombe 
lui-même  dans  une  erreur  que  je 
dois  faire  remarquer.  11  ajoute  au 
nombre  d'hommes  qui  résulte  du 
texte  précis  de  Thucycide,  le  nom- 
bre présumé  nécessaire  pour  former 
l'équipage  des  300  trirèmes  en  état 
de  tenir  la  mer  [3?iû)j^»f  ]  dont  parle 
cet  historien  dans  la  même  occa- 
sion. Toutefois,  comme  ce  nombre 
de  300  trirèmes  lui  paroit  trop  con- 
sidérable, il  le  réduit  à  130;  et,  cal- 
culant l'équipage  sur  le  pied  de  i  50 
hommes,  il  en  conclut  19,500  hom- 
mes pour  les  130  galères,  ce  qui  , 
joint  au  reste  des  troupes  ,  forme  m 
total  de  5  1,300 hommes.  Ce  nombre, 
multiplié  par  3  (pour  avoir  celui  des 
femmes  ei  des  vieillards),  donne  une 
population  totale  de  153,900  indivi- 
dus Athéniens  de  tout  âge  et  des  deux 
sexes. 

Ces  calculs  n'ont  aucune  base. 
Puisqu'on  vouloit  faire  uVi  tel  usage  du 
passage  de  Thucydide,  pourquoi  ré- 
duire arbitrairement  à  130  le  nombre 
de  300  galères!  Dans  l'hypothèse 
adoptée, l'équipage  des  300  vaisseaux 


auroit  été  de  45>ooo  hommes  ;  ce  qui 
auroit  porté  la  force  militaire  des 
Athéniens  à  77,400  hommes. 

Mais  1  hucydide  n'a  voulu  parler 
que  des  hÀnmens  tout  équipés  ,  tout 
prêts  à  rece\oir  les  hoplites  qu'on 
voudroit  y  faire  monter.  Combien 
il  est  peu  probable  qu'en  énume- 
rant  avec  soin  ,  comme  il  le  fait, 
toutes  les  forces  delà  république, 
les  hoplites  ,  les  jeunes  gens,  les 
vieillards,  les  archers ,  les  cavaliers , 
cet  historien  n'eût  pas  parlé  des 
troupes  de  mer,  s'il  les  avoit  comp- 
tées à  parti  Ces  troupe;,  en  erilt, 
n'étoient  autre  chose  que  les  troupes 
de  terre  elles-mêmes,  réparties  m 
très-petite  quantité  sur  les  vaisseaux 
Athéniens.  La  majeure  partie  de 
l'équipage  ttoit  formée  par  les  alliés. 
En  veut-on  une  preuve  entre  mille  ! 
on  la  trouve  un  peu  plus  bas  ,  au 
chap.  XXIII,  où  Thucydide  témoigne 
que  les  Athéniens,  assiégés  par  les 
Lacédémoniens ,  envoyèrent  cepen- 
dant une  expédition  navale  sur  les 
côies  du  Péloponnèse  :  elle  se  com- 
posoit de  100  trirèmes  montées  de 
1000  hoplites  Athéniens  et  de  400 
a; chers;  c'est  10  hoplites  et  4  ar- 
chers par  trirème,  pris  parmi  les 
troupes  dont  l'historien  a  donné  plui 
haut  rénumération. 


Kjî  MF.MOIRF.S  DE  LACAOrMIF 

SECONDE     PAF^TIE. 

DES     ESCLAVES. 


SECTION  PREMITRE. 

Détcrrninaiion  de  leur  nombrt. 

Me  voici  arrivé  au  point  le  plus  difficile  de  I.i  (jiicstion. 

On  se  rappelle  que,  d'après  le  passage  d'Athcnce,  les 
esclaves  de  tout  âge  et  des  deux  sexes  dévoient  ()tre  au 
nombre  de  plus  de  sept  cent  mille.  Je  laisserai  de  côté, 
d'après  les  motifs  établis  ci -dessus,  le  témoignage  si  sus- 
pect de  ce  compilateur,  et  je  m'en  rapporterai  unic]nemfnt 
à  celui  des  auteurs  Attiques. 

Il  existe,  dans  le  Traité  des  revenus  par  Xcnophon , 
un  passage  qui  me  paroît  d'un  très-grand  poids,  (juoiqu'on 
n'en  ait  point  encore  fait  usage  dans  la  question  qui  m'oc- 
cupe. 

"  Si  l'on  exécute  le  plan  que  je  me  propose,  dit  cet 
■•  écrivain  judicieux,  le  seul  changement  qui  en  résultera, 
»  c'est  qu'à  l'exemple  des  particuliers  qui,  en  achetant  des 
••  esclaves,  se  procurent  un  revenu  perpétuel.  1 1  tat  en 
«  achètera  aussi  pour  son  compte,  juscpi'à  ce  qu  il  y  en  ait 
••  trois  contre  un  Athénien.  »  Outbj  xof  rî -ttoA/^  x.to7b  i\- 

""'  Ce  passage  offre  deux  dillicullés,  (ju'il  faut  lever  avant 

de  pouvoir  en  tirer  un  sens  clair  et  positif. 

D'abord , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      193 

D'abord,  qu'est-ce  que  Xénophou  entend  ici  par  y4r//<f- 
«/r/;j/ comprend-il  sous  ce  mot  toute  la  population  libre, 
ou  bien  n'entend-il  parler  que  des  Athéniens  proprement 
dits,  à  l'exclusion  des  mctècjues!  et,  dans  ce  dernier  cas, 
a-t-il  eu  en  vue  seulement  les  citoyens,  ou  comprend-il 
aussi  les  femmes  et  les  enfans! 

M.  de  Sainte-Croix,  dans  son  Mémoire  sur  les  mé-     Acad.des ixscr. 
teques,  a  remarque,  d  après  un  passage  de   Ineopnraste,   j^g.  iS^. 
que  les  auteurs  Attiques  ne  les  ont  jamais  appelés  Atlié-      De  sign.  pluf. 

^_  .  .  V  vcntor.  &c.fag. 

mens.  Cette  remarque  trouve  son  application  à  chaque  page   4i<j- 
de  ces  auteurs  :  cela  est  prouvé  sur-tout  par  les  expres- 
sions ,  tous  les  Athéniens  [  i'vnxWgç  'A^\cl\oi\  ,  qui  reviennent 
souvent  dans  leurs  écrits,  et  qui  ne  signihent  jamais  que 
les  Athéniens  à  l'exclusion  des  métèques.  Tel  est  ce  texte  déjà 
cité   de  Démosthène  :  L/a-lv  o/jxv  Jicrfxvçjioi  ol  Ti^'vieç'A^- 
vauoi.   On    le    voit  encore  dans   ce  passage  d'Andocide,     Avdodit.  meÀ 
'Hpé^(r\/j  S'li(jc  m'é^èc,  g^  dim.v'mv  'A^vctiav  ^éaCeiç  Tinp]   "P^^- P--"^'  "■ 
eipyi\iinç,  oLVTDKfoLTtpeç,,  et  dans  cette  loi  d'Aristide,  citée  par 
Plutarque,   Koivvv  €Îvctf  Ttiv  -rniAmiaiV   kclj  -touç  cIWovtzkç  g|     Ap.S.tm.Pent, 
'A^voLim  aL7râ,Ç]uv.  Au  Traité  des  revenus,  Xénophon  dit,     'f°'   "f'^^\ 
TreMoi  J\'  Aâ^vaLioi  tï  !6,   çê'vo/  ,  et  par  îjvoi  il  entend  les    ■^pùx,  iv,  u. 
métèques.  La  même  observation   peut    s'appliquer   à   ce 
passage  des  Helléniques  :  Qç^ov^oç  Si  k^^ctjxtyàv  'kSpi-      W-  Hdten.i. 

VcLlk^i,  KOLf  TtVÇ  à.}^OVii   T«i;    Q/J    1^    imXil    HaCTDiKCVV77X.(;  l    tOUT-       '     '' " 

mire  qu'on  retrouve  dans  ce  décret  de  Lycurgue ,  f^riSin       Apud  r^mJ. 
tt,iivaui    A^vcc/wv,   i/.y\ài  T  o/yj)wm)v    Ky\\y\(n.   Au   lieu   du    a,rg.  wm.  ix, 
mot  ^êvo(,  ou  de  la  périphrase  qu'offrent   les  deux  textes  P"ê'J^^- 
précédens,  Thucydide,  dans  les  mêmes  circonstances,  ne 
manque  jamais  d'indiquer   nominativement    les   métèques 
comme  n'étant  point  compris  parmi  les  Athéniens.  Ainsi, 
Tome  VL  B' 


Id.  /y.    çj 


194  MÉMOIRES  DE  L'\CADF.MIE 

Ti»çr,{/i,{,    'A^i%7ot    TT^p^uti,   clOtdJ  yuLj{   01  /ui-niMi   èffiCai?sv  kc,  t>» 
M.  III.  ,„       Nîe^rtOi^cc  :   ailleurs,  ' k^'îOLAoi — èaCai^TH,  auv-ni  t(  »ca}  oi 

/UiTTixoi  :  ou    bien,  'O  h  'iTTsm^fairn^,  oi\aiçri<m.t;  'AS>iiaitVi 

t\u  k.  r.  A.  Philochorus,  autre  ccrivain  Attique,  donne 
le  intime  sens  au  mot  'X^vctToi,  lorsqu'il  dit ,  dans  le  texte 
rapporte  plus  haut,  qu'il  revint  cinq  nicdimnes  à  chatpie 
Athénien,  é^ç-a  'A-^vct/cii,  passage  tout-à-fait  semblable 
à  celui  de  Xcnophon  où  nous  lisons  ins^q''^  'A^va./«»; 
or,  dans  le  passat^e  de  Philochorus,  il  n'est  question  que 
des  citoyens .  dont  nous  avons  vu  que  le  nombre  ctoit  de 
dix-neuf  à  vingt  mille. 

Ces  exemples,  que  je  pourrois  multiplier,  suffisent 
pour  démontrer  non -seulement  (jue  par  'A-b^vctToi  les 
auteurs  Atliques  n'entendoient  point  les  métèques,  mais 
encorequ'ils  ne  désignoient  que  les  dix-neuf  à  vingt  tniiio 
citoyens,  c'est-à-dire,  les  individus  au-dessus  de  vingt  ans 
et  inscrits  sur  les  rôles,  les  seuls  qui  comptassent  réelle- 
ment dans  la  réj)ublique  (t). 

Il  est  donc  certain  que  par  le  mot  'A'^va.îoi  (dans 
le  membre  de  phrase  ivJ.c^Of  'A^nct/o»)  Xénophon  n'a 
voulu  parler,  comme  tous  les  autres  auteurs,  que  des 
dix-neuf  à  vingt  mille  citoyens  ;  et  (|u.uul  il  conseille  a 
la  république  d'acheter  des  esclaves,  jusquà  ce  qu'il  y  en 

prix  di-Ia  cagôdie,  fit  prcseniin-Aijy//* 
Athén'itn  [titaVûi  tû)»  A9>ira«*r]  d'une 
crache  de  vin  de  Chio  (  pag.  3  ,  F), 
il  ne  vcul  cvidi'ninicnt  p.irlcrcuie  de» 
citoyens.  Il  en  est  de  iiunie  d'Har- 
pocration,  qui  donne  aux  mots  Wmr 
Apurait/  le  mcnic  sens  que  les  aiiteuri 
Attiquei  (.crr  Wwtaumufjukti^iti). 


(  I  )  C'est  par  suite  de  cet  usage  des 
Attiqties  ,  que  les  autres  écrivains 
donnent  au  mot  ' h%falti  la  même 
■  ccrptinn.  Ainsi  Lihani'is  ,  dans  ce 
texte,  «■»  7»;n/r,  nf  «x  ciJt»,  e#f  A^t- 
><uc<r  i)ifM)tiuf  crTUt[£)filatnal.  XVI , 
p.  444  1  ^  )•  Lorsqu'Athi-nec  dit  que 
If  pyete  Ion ,  «pr(}$  avoir  remporte  le 


DES  INSCRIPTIONS  ET  liELLLS- LETTRES.  195 
ait  trois  contre  un  Athénien,  c'est  comme  s'il  disoit,  •<  jusqu'à 
><  ce  qu'il  y  en  ait  environ  soixante  mille.  » 

La  seconde  difficulté  consiste  à  savoir  si  Xénophon 
conseille  d'acheter  soixante  mille  esclaves  en  sus  de  ceux 
qui  se  trouvoient  dejà'dans  l'État,  ce  qui  ne  nous  appren- 
droit  rien  sur  le  nombre  de  ces  derniers,  ou  s'il  veut  dire 
que  la  quantité  à  acheter,  jointe  à  celle  qui  existoit  dans  le 
pays,  doit  compléter  le  rapport  de  trois  à  un  dont  if 
parle.  Dans  ce  dernier  cas,  il  faudroit  conclure  que  les 
esclaves  de  i'Attique  étoient  au  nombre  d'environ  soixante 
mille,  moins  la  quantité  que  Xénophon  vouloit  y  ajouter. 

II  me  semble  que  l'auteur  prend  lui-même  le  soin  de 
lever  l'incertitude  par  ces  paroles  qu'on  lit  une  page  plus 
loin  :  "  Que  si  l'État  se  procure  d'abord  douze  cents  es- 
>•  claves  ,  avec  le  produit  qu'il  en  retirera  il  pourra,  en 

»  cinq  ou  six  ans,  en  avoir  plus  de  six  mille Et 

»  lorsque  le  nombre  de  dix  mille  sera  complété,  on  se 
•  sera  procuré  un  revenu  de  cent  talens.  »  'OtA/j  J^e  y^ 
ijiVPJieL  cu/oL'TrKvpcù')^,  g»(5c;oy  7âP\gLvldU  rî  (Zij^avàùc,  êçrt/.  Ici  Xen.-m^inf. 
Xénophon  s'arrête,  et  il  est  évident  que  le  nombre  de  '^■^^•-'^■ 
dix  mille  esclaves  complète  l'achat  qu'il  conseille  à  la 
république  de  faire.  Or  il  vouloit  qu'on  en  achetât  jusqu'à 
ce  qu'il  y  en  eût  soixante  mille,  ou  trois  contre  un  Athé- 
nien ;  nous  voyons  que  le  nombre  à  acheter  est  de  dix  mille  : 
donc ,  à  l'époque  où  Xénophon  a  écrit  le  Traité  des  re- 
venus ,  les  esclaves  de  I'Attique  ne  s'élevoient  pas  au-delà 
de  cinquante  mille. 

Mais  il  est  clair  que,  dans  ce  nombre,  Xénophon  n'a 
voulu  parler  que  des  individus  d'un  âge  fait,  capables  de 
supporter  les  travaux  dont  ils  étoient  chargés.  Il  est  clair 


196  MÉMOIRES  DF.  L'ACADlMIt 

également  qu'il  ne  parloit  que  des  esclaves  du  sexe  mas- 
culin, les  seuls  qui  soient  désignes  toutes  les  fois  qu'il  est 
question  d'en  tirer  profit.  D'après  ces  données,  cherchons 
quel  peut  avoir  été  le  total  de  la  population  esclave;  et 
pour  y  parvenir,  il  est  nécessaire  de  H.ver  les  idées  sur  des 
faits  peu  connus. 

Les  femmes  et  les  enfans  esclaves  n'étoicnt  point  en 
grand  nombre  dans  l'Attique  ,  comme  on  le  voit  par  les 
plaidoyers  des  orateurs  et  par  les  testamens  <|ue  nous  a 
conservés  Diogène  de  Laërte. 

En  effet,  il  ne  paroît  pas  qu'il  y  eût  des  femmes  parmi 

les  cinquante-deux  esclaves  employés  dans  lesMabriques 

'  Pfm.   rontr.  de  Déuiosthcne  ".   Timarque,  au   rapport  d'Eschine  ,  ne 

y'EuhiK  contr    possédoit  qu'une   femme   sur  douze  esclaves''.    Dans    le 

rinuirch.  pag.  testament  de   Tliéonliraste  ,    sur   quatorze  esclaves  ,   on 

•4.1- J  H-  }  r.  .   I  •  .  I 

•  Diog.  Latri.  ne  trouve  pas  une  femme '^.  Parmi  les  seize  esclaves  dont 
.tittuq.  j^  testament  de  Lycon  fait  mention,  on  ne  voit  que 
'Id.  V.  731,  deux  femmes  et  un  enfant'',  et  il  semble  certain  que  le 
service  des  femmes  se  bornoit  à  l'intérieur  des  maisons  et 
particulièrement  des  gynécées  ;  elles  étoient  étrangères 
aux  travaux  de  l'agriculture,  des  fabriques  et  sur -tout 
des  mines  :  aussi  Démosthtne  considère- t-il  comme  une 
marque  de  richesse  et  de  grande  magnificence  la  pos- 
session de  beaucouji  d'esclaves  femelles  (  i  )  ;  et,  vu  le 
peu  d'utilité  dont  elles  étoient  aux  propriétaires  ,  on  a 
tout  lieu  de  présumer  que  l'Etat  en  achetoit  rarement  , 
et  que  celles  que  possédoit   l'Attique  ,  étoient  nées  dans 


"V 


(1)  Ou />(  /<?&'  'Ziaùta  iutçtn  rtf^t 


n  OErAnAINAÏ  xnc7»(704  ■^MaV.  .  .  . 
ctM  V(  X.  T.  X.  Ucmosth.  contra  Mid. 
pag.  566,8- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      197 
l'esclavage,  ou  avoient  été  privées  de  la  liberté  à  la  suite       Thucyd.  in, 
de  quelques   guerres,   selon    l'usage  dont   l'histoire  offre  \'', p,  ,,b,pn. 
plusieurs  exemples. 

Le  petit  nombre  des  femmes  et  des  enfans  esclaves 
une  fois  constaté  par  des  rapprochemens  qui  ne  laissent  j 
ce  me  semble,  aucun  doute  ,  nous  trouverons  l'expiica- 
tion  d'un  fait  important  qu'il  convient  de  signaler  ici.  11 
est  certain  que  la  population  des  esclaves  étoit  toujours 
rétrograde  dans  l'Attique,  et  probablement  aussi  dans  plu- 
sieurs autres  parties  de  la  Grèce.  Ce  qui  le  prouve,  c'est 
que,  malgré  l'accroissement  de  leur  nombre,  résultat  né- 
cessaire des  ventes  d'hommes  à  la  suite  des  batailles  ou 
des  prises  de  villes ,  on  fut  toujours  obligé  d'en  faire 
venir  des  contrées  barbares.  Si  les  femmes  avoient  été  à 
peu  près  aussi  nombreuses  que  les  hommes,  la  popula- 
tion esclave  se  seroit  non-seulement  soutenue,  mais  aug- 
mentée rapidement,  à  cause  de  l'exemption  de  service  à  la 
guerre;  et  les  Athéniens,  au  lieu  d'ctre  dans  la  nécessité 
continuelle  de  recruter  des  esclaves  par  divers  moyens , 
auroient  été  forcés  souvent  d'en  former  des  espèces  de 
colonies. 

Deux  passages  de  Démosthène,  dont  l'un  a  été  cité  Comm  Everg. 
et  commenté  par  Samuel  Petit ,  montrent  que  le  mariage  ^'p.'Ubi,  ].%'." 
n'étoit  permis  aux  esclaves  qu'après  leur  affranchissement;      ^'^ss-    ^«"■ 

C     I  I  n  t.  J).4/i^,ed.i6bj. 

et,  quoique  iolon  leur  eut  permis  d avoir  commerce  avec     phtanh.  Mo- 
des   femmes,  il  est  certain,  d'après  Xénophon ,   que  les  '''";/"■ /^'-f; 

A  •  I  I       V    I  ^  enoph.  Œta- 

maîtres  mettoient  obstacle  a  la  reunion  des  deux  sexes,  ou   ««m.  jx,  {. 
du  moins  ne  la  toléroient  qu'en  faveur  de  ceux  dont  ils 
étoient  contens  ou  dont  l'affection  leur  étoit  connue. 
Cet  éloignement  que  les   Athéniens  montrèrent  pour 


r9^  MEMOIRES  DE  LACADLMIL 

encourager  la  multiplication  Jes  esclaves,  s'expli(jiie  très- 

HymesEsuY^   facilement.  Il  n'est  pas  même  besoin  de  recourir  à  cette 

Uilierftne's  maxime,  générale  parmi  les  planteurs  des  colonies,  ciu'un 

lit.  of  the  sLit  esclave  coûte   beaucoup   plus  quand    il  a  ctc   cle\é  a   la 

n^ù  pag.nS.   maison     que  si  on  l'achète  tout  élevé. 

En  effet,  dans  les  républiques  Grecques,  tout  reposoit 
sur  les  citoyens  et  les  métèques;  seuls  ils  supportoient  les 
charges  de  la  guerre.  Si  parfois  on  enrôloit  avec  eux  les  es- 
claves ,  ce  n'étoit  que  dans  des  occasions  fort  périlleuses; 
et  la  liberté  devenolt  aussitôt  la  récompense  de  leurs  ser- 
vices :  mais  ces  cas  étoient  d'autant  plus  rares,  qu'ils  poii- 
voient  compromettre  davantage  la  dignité  de  citoyen. 
Dès- lors  on  voit  que  la  population  libre  étoit  soumise  à 
une  foule  de  causes  de  dépérissement  dont  celle  des  es- 
claves se  trouvoit  exempte.  Pour  maintenir  l'équilibre,  il 
importoit  d'empcVher  leur  trop  grande  multiplication.  Sans 
cela,  comme  le  nombre  des  hommes  libres  auroit  diminué 
par  l'effet  des  guerres,  des  expéditions  marilimes,  &c. , 
tandis  que  celui  des  esclaves  auroit  éprouvé  un  accrois- 
sement continuel ,  il  est  clair  que  ceux-ci,  liés  de  plus  en 
plus  les  uns  aux  autres,  et  portés  par  l'intért^t  de  famille 
a  se  protéger  mutuellement,  auroient  formé  des  associa- 
tions d'abord  partielles,  bientôt  plus  étendues  ,  et  auroient 
fini  immanquablement  par  renverser  la  constitution  de 
l'F.tat.  Ce  résultat  étoit  tellement  inévitable,  qu'il  n'est 
pas  étonnant  que  les  législateurs  l'aient  prévu.  Pour  s'en 
garantir,  ils  durent  limiter  le  nombre  des  femmes  es- 
claves, et  en  m<}me  temps  mettre  des  obstacles  à  l'union 
des  deux  sexes.  Alors  le  ville  <|ue  la  mortalité  faisoit 
dans  les  rangs  des  esclaves,  se  remplissoit  soit  au  moyen 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  i^^j 
des  prisonniers  de  guerre,  dont  on  étoit  toujours  maître 
d'arrêter  ou  de  borner  l'introduction  ,  soit  par  les  achats 
d'esclaves  étrangers  ;  et  l'on  n'avoit  pas  à  craindre  que  le 
nombre  de  ceux-ci  s'élevât  jamais  de  manière  à  compro- 
mettre la  sûreté  publique,  puisqu'ils  se  trouvoient  ainsi 
réduits  à  la  condition  d'une  marchandise  dont  la  demande 
est  toujours  proportionnée  au  besoin  qui  rend  cette  mar- 
chandise nécessaire. 

D'après  celte  observation  ,  je  pense  qu'il  faut  bien 
se  garder  de  considérer,  comme  l'a  fait  Hume  ,  chaque 
esclave  en  âge  de  travailler  comme  un  chef  de  famille ,  ayant 
une  femme  et  deux  enfans.  Il  est  évident  que,  si  l'on  double 
le  nombre  50,000  qui  résulte  du  texte  de  Xénophon,  pour 
avoir  les  femmes  ,  enfans  et  vieillards  ,  on  atteindra  le 
maximum  de  la  population  esclave.  En  admettant  que  le 
total  des  esclaves  de  tout  âge  et  des  deux  sexes  montoit 
à  environ  cent  dix  ou  cent  vingt  mille,  je  me  crois  plutôt 
au-delà  qu'en- deçà  de  la  vérité. 

Ainsi ,  d'une  part  ,  les  esclaves  mâles  en  âge  de  tra- 
vailler étoient  au  nombre  de  cinquante  à  soixante  mille , 
c'est-à-dire,  trois  contre  un  citoyen  Athe'iiien ,  ou  deux  contre 
un  individu  libre,  Athénien  ou  métèque;  de  l'autre,  la 
population  esclave  de  tout  âge  et  des  deux  sexes  étoit  à 
peu  près  égale  à  la  population  totale  des  individus  libres. 
11  y  avoit  donc  dans  l'Attique,  proportionnellement,  dix 
fois  plus  d'esclaves  qu'il  n'y  a  de  domestiques  dans  nos 
grandes  villes,  où  le  rapport  est  à  peu  près  de  i  à  10. 

Cette  proportion  répond ,  sans  l'excéder  ,  à  l'idée  que 
l'on  pourroit  se  faire  ,  d'après  les  seules  probabilités  , 
du  nombre  des  esclaves.  Avant  d'administrer  les  preuves 


îo«  MEMOIRES  DF.  i;AC.VDL\nE 

que  ce  nombre  n'a  jamais  pu  ctre  plus  considcrable ,  je 
dois  examiner  un  passage  de  Xcnophon  dont  on  pour- 
roit  ctre  tenté  de  tirer  un  résultat  contraire.  Cet  auteur 
s'exprime  ainsi   dans  le   Traite   des  revenus  :    «  Ce   qui 

-  niVtonne  le  plus  dans  l'ttat ,  c'est  (juil  voie  un  grand 
»  nombre  de  particuliers  s'enricliir  ,  et   (ju'il  ne  cherche 

-  pas  à  les  imiter.  Parmi  ceux  qui  jadis  s'occupèrent 
»  de    cet   objet  ,    nous   avons    entendu   parler   de   Nicias 

-  fds  de  Niccratc,  qui  possédoit  dans  les  mines  d'argent 
■•  mille  esclaves  qu'il  louoit  à  Sosias  le  1  hrace ,  avec  la 

-  condition  qu'on  lui  paieroitune  obole  net  pour  chaque 

-  homme  par  jour,  et  qu'on  lui  rendroit  toujours  le 
••  même  nombre  d'hommes.  Hipponicus  en  posscdoii  six 
»  cents  qu'il  louoit  aux  mcmes  conditions,  et  dont  il  tiroit 

"  une  mine  par  jour Mais  pourquoi  rappeler  d'an- 

"  ciens  exemples,  puisqu'à  présent  nous   avons  dans  les 

-J>»«/.A<.«.»,ei    >.  mines  beaucoup  d'esclaves  loues  de  la  même  manière?» 
fy.  ,4  Un  pourroit  conclure  de  ce  passage  que,  si  des  parti- 

culiers ont  possédé  mille,  six  cents,  trois  cents  esclaves , 
il  n'est  pas  étonnant  qu'il  y  en  ait  eu  cinq  ou  six  cent  mille 
dans  tout  le  pays. 

Mais  ,  quand  on  lit  avec  attention  les  auteurs  Attiques , 
on  s'aperçoit  facilement  que  ,  dans  le  système  écono- 
mique d'Athènes ,  et  probablement  de  toute  la  Grèce,  les 
esclaves  n'étoient  considérés  que  comme  une  marchan- 
dise sur  laquelle  on  spéculoit  de  même  que  sur  toute  autre. 
On  rmployoit  des  capitaux  en  esclaves,  aussi  bien  qu'en 
terres,  denrées,  bestiaux  ;  et  l'on  tâchoit  de  tirer  de  cette 
marchandise  le  meilleur  parti  possible.  Des  particuliers 
n'avoient  ni  terres,  ni  fabriques  ,  ni  mines;  mais  ils  pos- 

ï  iidoicni 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      201 

séJoient  beaucoup   d'esclaves  qu'ils  louoient  à  tant  par 

jour  :  d'autres  avoient  des  fabriques ,   des  terres ,  et   peu 

d'esclaves  ;   ils   trouvolent  plus  de  profit  à  se  faire  louer 

pendant  un  temps  ceux  qui  leur  ctoient  nécessaires.  C'est 

ainsi  que  nous  voyons  des  citoyens  assez  riches  engager  des 

esclaves  à  loyer,  //.icOainl  "  ou  owt/loctTra  Jet  ^a/oSc^ofôvTa  ^,    ^Theoph.Cha- 

seulement  pour  la  moisson  ,  ou  pour  des  travaux  agricoles'^.   T'/'     '  ^^"' 

'  '         r  o  "Jsauj,  p.  72, 

Il  en  étoit  de  même  d'un  grand  nombre  de  propriétaires  de   ''■  '^"-  -^'"Vf'- 

mines,  soit  mctèques ,  soit  Athéniens  :  beaucoup  d'entre    'hcmostLcintr: 

eux  ne  possédoient  pas  d'esclaves  ,   comme  le  prouvent   ^'"^"^""f-  jP"ë- 

'  '  '    ^'SS'  '■  '4- 

le  passage  de  Xénophon  rapporté  ci -dessus,  et  d'autres 

encore  (i).  II  résulte  de  plusieurs  plaidoyers  d'Isée  que  des 

particuliers  dans  l'aisance  n'en   possédoient  pas  un  seul. 

Cela  est   très-évident  sur- tout  par  le  plaidoyer   pour  la 

succession  d'Agnias ,  riche  de  plus  de  huit  talens.  Dans     ham.p.  :i,j2, 

i'énumération  de  ses  biens,  on  trouve  une  terre,  soixante   '^'' 

moutons,  cent  chèvres,  un  cheval,  &c,  ;  mais  il  n'y  est 

point  question  d'esclaves  :   ainsi  Agnias  n'avoit  que  des 

esclaves  à  loyer;  tandis  que,  dans  la  succession  beaucoup 

moins  riche  de   Ciron  ,  on  trouve  comptés  des  esclaves 

dont  le  maître  tiroit  profit,  cw^xTrsJ^A  /wjodrxpopivTZi,  jj.^ 

On  voit  donc  que,  chez  les  Athéniens  ,  les  esclaves  se   '• '^''■ 
trouvoient  répartis,   non  pas  en  raison  de  la  fortune  des 
particuliers ,  mais  d'après  la  direction  qu'il  plaisoit  à  chacun 
de  donner  à  ses  capitaux. 

Ainsi  l'on  n'a  pas  lieu  d'être  surpris  de  ce  que  Nicias 
et  Hipponicus  possédoient.,  l'un  mille,  l'autre  six  cents 
esclaves.  On  sait  que  les  richesses  de  Nicias  étoient  cé- 
lèbres dans  toute  la  Grèce,  et  qu'Hipponicus  est  appelé 

(i)   Aenoph.  {-nzi  -ofon^.  iv,  ^)  :  oi  «uxIti^tK);  «•  -mç  fAJc-mfAoïç cu/iS^â-mSti. 
TOAIE    VI.  Qi. 


îtaCTM.dt  Big. 

S-  /;. 

/"",  lin.  16. 


P^mjviA.  nntm 
Sfuâijm  .  fug. 
></foJ.  IJ. 

U.  i*atTii  Ni- 
cottnii.  p.  it-ft, 


zot  MEMOIRES  DE  LA.CADEA11E 

par  Isocrate  et  par  Aiidocide  le  plus  riche  des  Grecs.  J)e  ces 
deux  exemples  on  ne  peut  donc  rien  conclure  ,  sinon  cjue 
Niciaset  Hipponicus  s'cloienL  {aws  loueurs d' esclaves,  commç 
on  est  ailleurs  loueur  de  clicvnux  (i).  Ce  métier,  sans  avoir 
à  Athènes  rien  de  déshonorant  ,  étoil  tort  hicratit.  il 
parort  en  effet  que  le  prix  des  esclaves  raanouvriers  ctoit 
de  deux  cents  ou  deux  cent  cinquante  drachmes  :  prenons 
ce  dernier  comme  taux  moyen,  pour  qu'on  ne  nous  soup- 
çonne point  d'abaisser  le  prix  des  esclaves;  ajoutons-y  l'in- 
térêt à  dix  pour  cent,  parce  que  le  capital  est  viager:  une 
tête  d'esclave  représentoit  donc  deux  cent  soixante-quinze 
drachmes  ,  ou  seize  cent  cinquante  oboles.  Les  divers 
calculs  de  Xénophon  prouvent  que  le  locataire  de  1  es- 
clave payoit  également  l'obole  au  propriétaire  tt)us  les 
jours  de  l'année  indistinctement  (2)  :  le  produit  net  par 
an  des  seize  cent  cinquante  oboles  est  donc  de  trois  cent 
soixante  oboles;  c'est  vingt-deux  pour  cent  du  capital.  Ce 
profit  est  considérable  :  car  l'intérêt  moyen  de  l'argent 
n'étoit  que  d'environ  douze   pour  c«nt  ;    celui   de  l'usure 


(1)  D'après  Arijiopliane  {Nub. 
V.  24  et  1227),  un  chc\nl  coutoit 
/2  mines.  Je  retrouve  la  même  éva- 
luation co  rappinchant  deux  textes 
de  Déiii(jsihi.ni:  ti  de  Lysias.  Selon 
le  premier  (f<//Kr.  Aphoh.  pag.  816, 
9;  822,  4  I  'fj.  )  ,  Me-riade  .ivoit  cm- 
'imintc  ^  mines  au  père  de  Pcinos- 
vhinc,  et  lui  avoit  donné  en  n.inii»- 
«enu-nt  vingt  esclaves  :  c'est  2  mines 
par  lèie.  On  voit  dans  Lpias  (  pag. 
J06,  tom.  V,  Orar.  Gr.)  qu'un  che- 
val CM  donné  en  g.igc  pour  12  mines: 
c'est  six  îw  plus,  lien  résulte  qu'à 


Athènes  un  cheval  vaioit  générale- 
ment cinq  on  six  homnies,  12  mines 
ou'jde  talent,  c'est-à-dire,  916  ft., 
qui  représentent,  dan»  Je  numéraire 
.ictiiil ,  3600  francs.  (~e  prix  considé- 
ralile  prouve  combien  les  cheva\ix 
éioient  rares  dans  rAtti(|ue;  ce  qui 
explique  pourquoi  la  cavalerie  Athé- 
nienne étoif  si  peu  noml'rcuse  [conf. 
Larchcr  sur  Mrror/orr  ,X.  IV, p.  328). 
(2)  il  dit,  en  eSct,  que  six  mille 
esclaves,  loues  a  une  obole  p.ir  jour, 
produisent  par  an  60  t.ilens  (i  v,  24)  , 
et  du  mille  CKlavcs ,    100  talent: 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  20? 
montoit  àseize,  et,  au  plus  haut,  à  vingt-deux  pour  cent. 
A  raison  de  deux  cent  soixante-quinze  drachmes  par  tête 
d'esclave,  Nicias  posscdoit  donc  un  capital  de  deux  cent 
soixante-quinze  mille  drachmes ,  ou  de  quarante-six  talens , 
qui  lui  rapportoientplus  de  dix  talens.  Ce  profit  étoit  d'au- 
tant mieux  assuré,  que  le  locataire,  au  témoignage  de 
Xénophon  ,  étoit  tenu  de  rendre  au  propriétaire  le  même 
nombre  d'esclaves  qu'il  en  avoit  reçu  ,  en  sorte  que  les 
morts  et  les  maladies  se  trouvoient  à  sa  charge.  Cet  ar- 
rangement étoit  du  moins  un  bien,  dans  cet  horrible  trafic 
de  l'espèce  humaine  ,  parce  que  le  locataire  se  trouvoit 
forcé  de  ne  point  accabler  de  travail  ces  malheureux  es- 
claves ,  de  les  soigner  autant  que  l'auroit  fait  ie  proprié- 
taire ,  c'est-à-dire ,  de  les  bien  nourrir ,  et  d'appeler  les  Xenoph.  Me- 
méJecins  dans  leurs  maladies.  ,0,',. 

Le  passage  de  Xénophon  s'explique  donc  parfaitement, 
ce  me  semble;  et  l'on  n'en  peut  nullement  conclure  que 
le  nombre  des  esclaves  s'élevât  au-dessus  du  terme  que 
j'ai  fixé. 


or  60  talens  valent  2,160,000  oboles; 
ce  nombre  ,  divisé  par  les  360  jouis 
de  l'année ,  donne  6000  ,  et  de 
même    lOO  talens   eu 


l^6oo.oe£  _  10  000.  Ainsi  l'obole 
étoit  payée  pour  tous  les  jours  de 
l'année,  sans  distinction  des  jours 
de  fête  et  de  repos. 


C'ij 


2c4  AU.MOIRLS  DE  L'ACADEMIE 

SECTION   SECONDE. 
Prcincs  que  le  nombre  des  Esclaves  n  'a  pas  excédé  ioo,coo 

ou  120,000. 

Dans  la  section  prcccdente  ,  j'ai  fixe  le  nombre  des 
esclaves  dans  l'Attique,  d'après  un  passage  deXcnophon  : 
je  vais  maintenant  rapprocher  ce  résultat  des  divers  points 
relatifs  à  l'Iiistoire  intérieure  de  l'Attique  ,  et  montrer 
qu'ils  sont  inexplicables  si  l'on  admet  le  texte  d'Athénée, 
et  qu'au  contraire  ils  s'expliquent  avec  la  plus  grande  fa- 
cilité d'après  celui  de  Xénophon  ,  dont  l'autorité  est  d'ail- 
leurs d'un  si  grand  poids  dans  cette  question. 

S.    I.""    Invasions  de  l'Atti^juc  par   les    Lace'Jémouiens , 
et  Re'vohcs  des  Esclaves. 

D'après  le  système  de  l'esclavage  admis  en  Grèce,  il 
est  assez  difficile  d'expliquer  comment  on  empcthoit  les 
désertions  des  esclaves.  Ces  désertions  dévoient  être  d'au- 
tant plus  fréquentes,  qu'une  grande  partie  des  esclaves  se 
composoit  de  Grecs  pris  à  la  guerre,  et  vendus  selon  un 
droit  reconnu  comme  légitime  ,  et  même  parmi  les  phi- 
losophes les  plus  éclairés  (i):  ces  esclaves  avoicnt  diuic 
peu  de  chemin  à  faire  et  de  dilhcultés  à  franchir,  jniLir 
regagner  leur  patrie  et  recouvrer  leur  liberté.  Il  me  paroît 
que,   pour  remédier  à  cet  inconvénient  commun  à  toute 


(i)X'<noph.,1/<'W.//,  J, /.  Soc  rate 
/  rcconnoit  qu'il  e»t  juste  de  réduire 
les  ennan'u  en  esclavage,  CUinf  •»'  o»- 


iiu7,TV(  Ji  «tM/MVt  AIKAIUN,  ¥71* 

«.  T.    A. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      20  j 

la  Grèce,  les  difFérens  Etats  s'engageoient  mutuellemein, 
en  temps  de  paix,  à  arrêter  les  esclaves  déserteurs.  C'est 
ce  que  je  conclus,  i .°  d'un  passage  de  Thucydide  où 
les  Athéniens  représentent  comme  un  des  plus  grands 
griefs  qu'ils  eussent  contre  les  Mégariens,  celui  de  donner 
asile  à  leurs  esclaves  fugitifs  (i);  z."  d'un  article  du  traité 
conclu  entre  les  Lacédémoniens  et  les  Athéniens,  la  neu- 
vième année  de  la  guerre  du  Péloponnèse,  par  lequel  les 
parties  contractantes  s'engagent  à  ne  point  recevoir  les 
esclaves  déserteurs,  pendant  toute  la  durée  de  la  trêve  (2).  Il 
résulte  de  cette  clause,  que,  hors  le  temps  de  trêve,  cet 
article  important  cessoit  d'être  mis  à  exécution.  Les  es- 
claves ,  en  tout  considérés  comme  des  bestiaux,  étoient, 
pendant  la  guerre ,  recherchés  par  l'ennemi ,  pris  et  vendus , 
ainsi  que  le  reste  du  butin  :  on  encourageoit  leur  défec- 
tion par  l'espérance  de  leur  liberté  ,  ou  tout  au  moins  Thuc)d,i,;s: 
d'une  condition  meilleure  ;  et  il  paroît  en  effet  que  les  '^x!^!/,'  ''hm. 
esclaves  Grecs  appartoiant  à  la  nation  qui  faisoit  la  guerre ,  '/  ^:  '^"'  '"' 
étoient  alors  mis  en  liberté.  t'.b.irc 

D'après  cet  état  de  choses,  on  conçoit  que ,  lors  d'une  ^J'""-^'''  ^'' 
invasion  étrangère,  les  esclaves  dévoient  être  renfermés 
avec  soin  dans  l'intérieur  des  villes  et  des  forteresses; 
sinon,  une  grande  partie  se  seroit  échappée  à  l'ennemi. 
Mais,  en  ce  cas,  comment  contenir  ces  esclaves  dans 
les  forteresses  ,  s'ils  avoient  été  quinze  ou  seize  contre 
un  homme  libre  !  Appliquons  à  l'Attique  les  réflexions 
précédentes. 


(i)  Thucyd.  I,  /jp  :   -tg} 'cuiSfaTm- 
{2)  Thucyd.  JV,  118:  -rii  Si  oJti- 


20(5  MÉMomns  OF  i;acade.mie 

Pendant  l'intervalle  de  temps  que  j'embrasse,  et  qui  est 
le  plus  haut  période  de  la  grandeur  Athénienne,  il  n'est 
fait  mention  d'aucune  révolte  parmi  les  esclaves.  Or  on 
sent  que  ,  si  l'Attique  avoir  possédé  cinq  à  six  cent  mille 
esclaves  d'un  âge  fait,  c'est-à-dire,  vingt  contre  un  homme 
libre  (en  ne  comptant  que  les  hommes  libres  en  état  de 
porter  les  armes),  il  y  auroit  eu  parmi  eux  îles  révoltes 
fréquentes  et  terribles  ,  dont  on  ne  peut  concevoir  com- 
ment les  Athéniens  auroient  pu  triompher,  principalement 
lors  de  chacune  îles  six  invasions  que  les  Lacédcinoniens 
firent  dans  l'Attique. 
TkucyJ.  III.  ï-a  seconde  de  ces  invasions  fut  désastreuse,  à  cause  de 
la  longue  durée  du  séjour  de  l'ennemi.  Les  Athéniens, 
décimés  par  un  peste  affreuse,  laissoient  les  Lacédémoniens 
parcourir  librement  l'Attique,  la  ravager  dans  toutes  ses 
parties,  et  pénétrer  jusqu'au  mont  Ldurium ,  oli  étoient 
U  II.  ,,.  les  mines.  Qjie  devinrent  en  celte  circonstance  les  quatre 
cent  mille  esclaves  (jui  ,  selon  Athénée,  travailloienr  aux 
mines!  ils  restèrent  apparemment  fort  tranquilles,  sup- 
portèrent tous  feurs  mauv  avec  patience  ,  et  restèrent  de 
leur  plein  gré  dans  l'esclavage,  malgré  les  sollicitations 
d'Archidamiis  ,  empressé ,  dit  Thucyditle  ,  à  favoriser  la 
défection  des  eic/tJves  [\),  qui  faisoient  le  fondement  de  la 


26. 


(1)  Thiicyd.  Vl,  pi  :  Oi(  -n  jS 
w'  ^îJt  >LX-n«tv<xr<if  ,  tÛ  «wa  •aç^f 
u^r,  la  fi,  AD^Sinac,  m  /l'  ai/-nna.vi 
iTçw.  Dans  cette  phrase,  tu /ai»  ax^- 
9i''»a  («Tit^Tii) désigne  Ifs  r//<W;  m  ^' 
autifjtaTa,  les  ftciives.  Le  verbe  lutTa- 
euMO^m  s'applique  ici  à-l.i-fcis  .H'x 
effets  ti  aux  «ci«\r».  C'est  ainsi  <nic 
le  niot  Ka-mtK&jtt  paroit  comprendre 


ailleurs  les  frintnrs ,  les  fnfiins  cl  Ici 
etclitvrs  :  tn^uifùltm  éW  '^fTeiyfr.'r  wa7- 
J m  xft  yuuiK'K  i)  w  AAAHN  kclto- 
ffxA/H»  (  'riuic)il.  JJ,i^).  Et  ailleurs: 

AmufM^et-n iajifk(  tsfj  yjieutuu 

X9J  fil  Tttt^inu  lutiSfui/rV  {/</.  I  ,  89). 
Le  mot  iHfiiam.  paroif  synoiijme  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.     207 
richesse  d'Athènes.  J'en  dois  dire  autant  de  ia  quatrième  in-       ThucjJ.  m, 
vasion ,  qui  fut  presque  aussi  désastreuse  que  la  seconde.   "  ' 

On  pourroit  dire,  à  la  vérité,  que  les  esclaves  furent 
renfermes  dans  la  ville  même  d'Athènes,  à  J'époque  de 
ces  invasions.  Cette  objection  pourroit  être  fondée  sur 
les  deux  faits  suivans  :  i ."  lorsqu'Archidamus  entra  dans 
l'Attique ,  Thucydide  nous  peint  les  habitans  delà  cam-  i.t.  11,14. 
pagne  se  retirant  dans  l'enceinte  des  murs,  avec  leurs 
femmes  ,  leurs  enfans  et  leurs  effets  ;  2."  après  la  ba- 
taille de  Chcronée ,  les  habitans  de  la  campagne  se  réfu- 
gièrent dans  Athènes,  emportant  tout  avec  eux,  en  sorte, 
dit  l'orateur  Démade  ,  que  le  pays  fut  enfermé  dans  la  ville, 
et  qu'elle  ressemblait  à  une  éiable  (i).  De  ces  deux  faits  on 
pourroit  donc  être  tenté  de  conclure  qu'une  grande  partie 
des  esclaves  fut  renfermée  dans  la  ville,  lors  de  l'invasion. 
Mais,  indépendamment  de  la  difficulté  de  rassembler  pen- 
dant si  long-temps  une  population  de  cinq  à  six  cent  mille 
âmes  dans  une  ville  dont  la  surface  totale  ,  y  compris 
toutes  les  dépendances,  n'étoit  que  la  septième  partie  de 
Paiis,  il  existe  un  texte  formel  qui  prouve  qu'en  cas  d'inva- 
sion les  esclaves  n'étoient  point  renfermés  dans  la  ville. 
«Je  prétends,  dit  Xénophon  ,  que,  pendant  la  guerre,  Xawph.  -^ti 
»  il  sera  possible  de  ne  point  abandonner  les  mines.  Nous  J^'^'^'^"'>^'^r 
»  avons  près  des  mines  la  forteresse  d'Anaphlyste ,  sur 
»  la  mer  au  midi,  et  celle  de  Thorique,  sur  la  mer  du 
*  côté  du  nord  ;  elles  ne  sont  éloignées  l'une  de  l'autre 
»  que  d'environ  soixante  stades.  Si ,  à  égaie  distance  de 


(l)  H  ;^'ej£.  Ka.TitQ.iifa  «f  7>)V  ■mMy. 
Ici  le  mot  j^'ejc  désigne,  non  toute 
l'Attique,niaislacam/'ûg/7f  d'Athènes, 


ainsi  qu'on  l'a  déjà  remarqué  pour  une 
foule  de  passages  analogues  (  Demad, 
Frûgin.  inter  Otui.  Cr.t.  IV,  p.  17  j. 


2g8  mkmoihls  de  lacadkmie 

»  chacune  d'elles  ,  nous  en  construisons  une  troisième  sur 
»  la  montagne  la  plus  élevée  ,  tous  les  travailleurs  pour- 
•»  font  se  réunir  de  toutes  les  forteresses  dans  une  seule, 
>•  tt ,  à  la  moindre  attaque,  chacun  se  retirera  en  lieu  de 
»  sûreté.  »  Ce  passage  prouve  que  ,  lors  des  invasions  étran- 
gères, les  esclaves  des  mines  ne  se  retiroient  point  dans 
Athènes,  mais  dans  les  forteresses  d'Anaphlyste  et  de  Tho- 
rique.  Xénophon  propose  d'en  construire  une  troisième, 
où  tous  ces  escla\  es  pourroient  être  renfermés  à-la-lois.  Ce 
passage  concourt  donc,  avec  l'autre  texte  du  mcnie  auteur 
discuté  plus  haut ,  à  prouver  que  les  esclaves  des  mines 
ctoient  peu  nombreux.  S'il  y  en  eut  eu  quatre  cent  mille, 
comme  le  veut  Athénée,  concevra-t-on  qu'ils  aient  pu  être 
renfermés  dans  deux  misérables  fortins,  tels  que  Thorique 
et  Anaphlyste,  et  sur-tout  dans  [e  fort  unitjue  où  Xénophon 
propose  de  les  réunir!  Quelle  puissance  pouvoit  les  con- 
traindre à  se  renfermerdans  ces  forts?  Quelles  forces  eussent 
été  nécessaires  pour  les  y  maintenir,  en  présence  d'armées 
ennemies  qui  les  encourageoient  a  la  révolte! 

On  est  conduit  à  un  résultat  semblable  par  Iç  décret  de 
Caltisthcne  de  Phalère,  rendu  après  la  bataille  de  Chéronée. 

nfn.i!k.4ifCo    II  y  est  dit  que  «<  tous  les  Athéniens  doivent  promptement 
fflii.  p.if.  .-yy,  .  ,.,  ,  , 

/. /,.  »»  quitter  la   campagne,   avec   tout   ce   quifs    possèdent: 

•»  ceux  qui  demeurent  près  d'Athènes,  à  la  distance  de 
••  cent  vingt  stades ,  se  retireront  dans  la  ville  ou  au 
•»  Pirée;  les  autres  iront  dans  Eleusis,  Phyïc ,  Apliidiui , 
"  Rhiwitius  et  Suriiuiu.^'  De  ces  cinq  lieux  ,  les  quatre  pre- 
miers sont  tous  au  nord  d'Athènes;  il  n'y  a  pour  le  midi 
que  la  seule  forteresse  île  Suniuiii.  Il  falloil  donc  que  tous  les 
luihitttns  de  la  partie  méridionale  pussent  tenir,  avec  les 

rsilavfi 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  209 
esclaves  et  les  bestiaux ,  dans  cette  forteresse  unique  :  car 
il  paroît  bien  que  les  forts  de  Thorique  et  d'Anaphlyste 
étoient  alors  ou  en  mauvais  état  ou  démantelés  ;  autre- 
ment le  décret  en  auroit  fait  mention. 

Il  me  semble  que,  sous  peine  de  tomber  dans  des  invrai- 
semblances tout-à-fait  inexplicables,  on  ne  peut  admettre 
que  les  esclaves  occupés  aux  mines  du  Laurium  fussent 
plus  de  dix  à  douze  mille  ,  ou  excédassent  le  cinquième 
de  tous  ceux  de  l'Attique  ,  nombre  qui  suffit  et  au-delà  pour 
expliquer  la  production  des  mines  de  l'Attique,  comme  je 
le  dirai  tout-à-l'heure. 

Aux  cinq  et  six  cent  mille  esclaves  substituons  le  nombre 
conclu  du  texte  de  Xénophon  ,  et  tous  ces  faits  vont  s'ex- 
pliquer sans  peine. 

I ."  Sur  les  soixante  mille  esclaves ,  douze  mille  environ 
étoient  employés  aux  mines. 

2.°  Sur  les  quarante-huit  mille  restans ,  les  trois  quarts , 
ou  trente-six  mille  environ,  habitoient  la  ville ,  le  Pirée, 
le  pedion  dans  un  rayon  de  cent  vingt  stades  :  à  l'approche 
du  danger,  comme  nous  l'apprennent  Thucydide,  Démos-      Thucyd.  £>.- 
thène,  Lysias ,  Démade ,  les  habitans  de  la  plaine,  avec  lociscimis. 
leurs  esclaves ,  leurs  bestiaux ,  et  ce  qu'ils  avoient  de  plus   ,  ■^'"'"  ^""/ff 

...  Leocrat.tom.n  , 

précieux,  se  renfermoient  dans  la  ville,  qui  sembloit  alors  ,  y^g.  i.jt. 
selon  l'expression  de  Démade,  transformée  en  une  étable. 

3 .°  Il  ne  reste  donc  plus  qu'environ  douze  mille  esclaves, 
dispersés  dans  la  partie  septentrionale  de  l'Attique,  et  qui 
se  renfermoient,  avec  leurs  maîtres,  dans  Eleusis,  Phylé , 
Aphidna  et  Rhamnus. 

Voilà  comment  on  peut  concevoir  que  l'Attique,  dans 
les  circonstances  critiques  d'une  invasion ,  pouvoit  con- 
TOME  VI.  D» 


X 


2  10  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

server  ses  esclaves,  sur  lesquels  se  fonJoit  une  partie  de 

ThHçyd.ii.j~.  SCS  richesses;  saut  les  dcsertioiis  partielles,  qu'il  ctoit  im- 
possible d'arrcter  entièrement. 

Une  dc^scrtion  consiilcrable  eut  lieu  lors  delà  sixième 
et  dernière  invasion  des  Lacédcmoniens,  dans  la  dix- 
neuvième  année  de  la  guerre  du    Péloponnèse.  A  peine 

/,/.  ►'//.  /y.  le  printemps  ctoit-il  commencé,  dit  Thucydide,  que  les 
Lacédcmoniens  entrèrent  dans  TAttique  avec  leurs  alliés. 
Les  expressions  de  l'historien  font  suflisamment  entendre 
que  l'invasion  fut  subite  et  imprévue.  Aussi  les  Athéniens 

/•/.  yii.i-.  n'eurent  pas  le  temps  de  faire  rentrer  leurs  bestiaux,  cjni 
tombèrent  tons  au  pouvoir  de  l'ennemi  ;  en  outre,  vingt 
mille  esclaves,  ouvriers  pour  la  plupart,  désertèrent  et 
furent  perdus  pour  les  Athéniens.  Cette  dernière  perte 
fut  immense  :  on  en  juge  par  ces  paroles  de  Xénophon  , 
écrites  cin(juante-cinq  ans  après  cet  événement  :  «•  Invo- 
»  quons  le  témoignage  de  ceux  qui  se  souviennent,  si  toii- 
>•  tefois  il  en  existe  encore,  du  profit  que  la  républic)ue 
(xoi'k  ,nti  »  tiroitde  ses  esclaves  avant  la  guerre  de  Decélie.  >•  El  ici 
Xénophon  fait  évidemment  allusion  à  la  perte  des  vingt 
mille  esclaves. 

Dans  la  supposition  des  cinq  à  six  cent  mille  esclaves 
en  état  de  travailler  ,  ces  vingt  mille  déserteurs  en  auroient 
été  seulement  la  vingt-cinquième  ou  trentième  partie. 
Etoit-ce  donc  là  une  perte  si  considérable,  pour  que 
Xénophon,  cin(]uantc-cin(j  ans  après',  regrettât  encore  la 
prospérité  dont  jouissoit  la  républi(jue  avant  cette  foible 
désertion  !  Mais  souvenons-nous ,  au  contraire,  que ,  d'après 
les  textes  du  même  Xénophon  ,  les  esclaves  en  état  de  tra- 
vailler n'étoient  qu'au   nombre  de  cinquante  à  soixante 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      2.1 

mille;  et  nous  concevrons  alors  comment  la  perte  du  tiers 
de  ces  esclaves,  la  plupart  ouvriers,  a  pu  faire  à  la  répu- 
blique une  blessure  aussi  profonde  et  aussi  durable. 

L'examen  des  faits  relatifs  à  l'histoire  intà'ieure  dei'At- 
tique  prouve  donc  invinciblement  que  les  esclaves  n'ctoient 
pas  plus  nombreux  que  ne  le  donne  à  entendre  Xcînophon. 
Si  l'on  s'attache  à  ce  témoignage,  tout  s'explique,  tout  de- 
vient probable;  des  le  moment  qu'on  s'en  écarte,  on  tombe 
dans  des  invraisemblances  souvent  voisines  de  l'absurdité. 

J'en  vais  donner  d'autres  preuves  en  examinant  le  pro- 
duit des  mines  et  la  consommation  du  blé. 

S.   II.   Du  Produit  des  Mines  d argent. 

Pour  se  faire  une  idée  des  frais  d'exploitation  de  ces 
mines  et  arriver  à  une  évaluation  probable  de  leur  produit, 
on  peut  prendre  comme  terme  de  comparaison  la  spécula- 
tion du  Thrace  Sosias  ,  auquel  Nicias  louoit  mille  esclaves. 
Nous  supposerons  que  les  charges  ont  dû.  être  les  mêmes 
pour  tous  les  autres  entrepreneurs. 

i.°  II  pàyoit  une  obole  par  jour  au  pro- 
priétaire pendant  toute  l'année,  sans  distinc- 
tion des  jours  de  fête  et  de  repos;  ci,  pour  aboies 
l'année , 360,000. 

X.-  II  s'engageok  ,  ainsi  que  tous  les  lo- 
cataires d'esclaves  ,  à  représenter  toujours 
le  rnême  nombre  :  les  morts  et  les  frais  ^ç 
maladies  étoient  à  son  conipte.  En  évaluant 

A  reporter 360,000. 

D»  ij 


MÉMOIRES  DE  LACADKMIE 


Obolei. 


De  l'autre  part 360,000 

à  3  pour  0/0  du  capital  la  perte  causce  par 

les  maladies  et  les   morts  dans  des  lieux  si 

^eiteph.  Me-   malsains,  au  dire  de  Xciiophon  ,  on  ne  peut 

mot.  m ,  6,  12.  ,  '  I 

être  qu  en-deçà  de  la  perte  réelle,  qui  est 
Humt'i  Ess,iy,  de  5  pour  o/o  daiis  nos  colonies  :  c'est  pour 

/^-  4"/"-  I  • 

les   mille  esclaves  environ 50,000. 

3."  On  ne  peut  compter  moins  d'une 
obole  par  jour  ,  pour  la  nourriture  d'un 
homme  occupé  à  de  si  rudes  travaux;  il  est 
même  trcs-vraisemblable  que  Sosias  n'en  étoit 
pas  quitte  à  si  bon  marche  ;  ci 3  60,000. 

4.°  Enfin  l'on  ne  peut  compter  moins 
de  25  pour  0/0  de  toutes  les  dépenses,  pour 
faire  face  à  la  redevance  annuelle  du  24.' 
du  produit  net ,  à  l'achat  des  combustibles 
et  des  substances  nécessaires  pour  l'affinage  , 
à  l'entretien  des  outils  et  ateliers  ;  ci  environ        200,000. 

(^70,000, 

ou  environ  162,000  drachmes. 

Voilà  les  dépenses  de  Sosias  évaluées  au  plus  bas. 
Maintenant  quel  peut  avoir  été  son  bénéfice? 

Dans  les  fabricjues  de  Dcmosthcne ,  trente-trois  es- 
claves rapportoient  de  produit  net  3000  drachmes  par 
an  ;  c'est  90  drachmes  par  esclave  :  vingt  autres  esclaves 
du  plus  bas  prix  en  rapportoient  chacun  60  :  terme 
moyen,  75  drachmes.  Dans  la  fabriijue  de  Timar(jue  , 
les  uns  rapportoient  3  oboles  par  jour,  ou  150  drachmes 
par  an  (seulement  de   300   jours  de  travail)  ;    d'autres. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      213 

siin{51es  corroyeurs  ,  rapportoient  2  oboles  par  jour  ou 
100  drachmes  par  an  :  terme  moyen  ,  125  drachmes  ; 
terme  moyen  entre  les  quatre  produits,  100  drachmes. 
n  n'est  pas  possibie  de  supposer  que  l'exploitation  des 
mines  rapportât  à  l'entrepreneur  moins  que  ce  terme 
moyen  :  en  sorte  qu'en  mettant  le  produit  net  du  travail 
de  l'esclave  mineur  à  100  drachmes  par  an  ,  on  trouve 
qu'il  faut  ajouter  100,000  drachmes  à  la  somme  précé- 
dente pour  avoir  le  produit  brut  d'une  mine  exploitée  par 
mille  esclaves;  il  montoit  donc  à  262,000  drachmes ,  ou 
1 147  kilogrammes,  ce  qui  équivaut  k/^666  marcs.  Le  tra- 
vail annuel  d'un  esclave  devoit  donc  extraire  de  la  mine, 
et  amener  à  l'état  de  pureté  nécessaire  à  la  circulation , 
4  marcs  y,  et  c'est  le  minimum  de  la  production.  Nos  mines 
rapportent  trois  fois  et  demie  davantage,  puisque  celle  de 
Himmelsturst  en  Saxe,  exploitée  par  sept  cents  ouvriers  ,      D'Antitmon, 

uit  10,000  marcs,  ou  i  4  7  marcs  par  homme.  Amsi    (,.,^r 
je  puis  encore  être  certain  d'être  plutôt  en-deçà  qu'au-delà     HumMdt,  Es- 

.  sai  f'olit.  sur   la 

de  la  \enie.  Nouv.  Esp,ig>ic, 

Rappelons -nous  que,   selon  Athénée,  les  mines  oc-   ''""'    •  P' "^' 
cupoient  quatre  cent  mille  esclaves  :  à  4  y  marcs  d'argent 
par  esclave  ,   ils  dévoient    tirer  ,  par   an  ,    de    la    mine 
1,866,000  marcs.   (Quelques  rapprochemens  prouveront 
l'extravagance  d'un  tel  résultat.  Selon  M.  de  Humboldt , 
les  fameuses  mines    d'argent  du    Potosi    n'ont   produit, 
année  commune,  entre  1779  et  i  789,  que  406,7  50  de  nos 
marcs:  ce  seroit  seulement  le  (juart  du  produit  des  mines     HumtoUt.wn-. 
de  l'Attique.  Le  produit  total  des   mines   du  Mexique  ,       '^'"^'  ^" 
depuis  le  commencement  du  dix-huitième  siècle,  n'a  été 
que  de  600,000  marcs  ,  tant  d'or  que  d'argent.  Toutes  les     u.  p,g.4,^c,. 


2i4  ML.MC)IRES  DE  L'ACADEMIE 

mines  du  nouveau  monde  ne  produisent  annuellement, 
depuis  le  commencement  du  dix-neuvième  siècle,  que 
5,250,000  marcs;  c'est  moins  que  le  double  des  mines  de 
l'Atiique.  Enhn ,  selon  M.  Héron  de  Villefosse,  on  ne  tire 
annuellement  de  toutes  les  mines  d'argent  de  l'Europe  que 
Htrc» J{ \'iiL-   215,000  marcs,  ou  le  huitième  du  produit  des  mines  de 

hise,  .ijK  Hum-     I  I         .       •  11     r  II 

Mdi.f.i  la    seule  Attique.  Il   taut  remarquer  que  ces  calculs  sont 

ciablis  sur  le  minimum  du  travail  de  l'esclave  :  si  les 
mines  de  l'Attique  avoient  rapporte  si  peu  ,  il  est  fo^ 
douteux  que  les  Athéniens  eussent  attaché  tant  de  prix 
à  cette  exploitation,  dont  tous  les  auteurs  Attiques  s'ac- 
cordent à  vanter  les  immenses  profits.  On  peut  admettre, 
sauh  aucune  exagération,  que  ces  mines  si  riches  rappor- 
toient  au  moins  autant  que  rapportent  de  nos  jours  les 
mines  d'Himmelsfurst  en  Saxe  ,  lesquelles  fournissent  à 
raison  de  \\  marcs  -^  par  tête  d'ouvrier  :  ainsi  il  faudroit 
multiplier  tous  les  nombres  précédens  par  3  tt- 

Hâtons- nous  de  quitter  cette  région  de  merveilles,  et 
laissons-nous  guider  encore  une  fois  par  l'analogie  et  par 
l'autorité  de  Xénophon.  J'ai  déjà  dit  que,  sur  les  cinquante 
ou  soixante  mille  esclaves  de  l'Attique,  on  ne  pouvoii 
loutre  en  supposer  plus  de  dix  à  douze  mille  occupés  du 
travail  des  mines  :  à  raison  de  147  marcs  par  tète  ,  on 
trouve  que  ces  mines  dévoient  fournir  171,400  marcs 
tous  les  ans  ,  ou  environ  les  trois  quarts  de  tout  ce  qu'on 
exploite  maintenant  dans  les  mines  de  l'Europe  entière. 

S.    III.    De  1,1  Cousommaliou  des  Grains  (Lins  l' Attique. 
V.K  dernière  cpieuve  a   laquelle   je    dois   soumettre  le 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      215 

résultat  que  j'ai  obtenu  ,   sera  celle  de  la  consommation 
des  grains. 

Le  médimne  ou  boisseau  Attique  contenoit,  à  peu  de 
chose  près  ,  3  boisseaux  -f  de  Paris  :  on  le  divisoit  en 
48  chénices. 

Le  blc  du  Pont,   qui  faisoit  la  majeure  partie  de   la 
consommation  d'Athènes,  étoit    fort  Icger ,  selon  Théo- 
phraste  ,  puisque  les  athlètes ,  qui  ne  consommoient  par 
jour  que  i   chcnice  ^  en   Béotie  ,  en  consommoient  2  ~         Thcophrast. 
quand  ils  demeuroient  à  Athènes  :  on  pourroit  conclure    vni,c.'4,'t.ff', 
de  ce  passage  que  le  blé  de  l'Attique  pesoit  y  de  moins  '(^f'^/^^j;.  '^'^'' 
que  celui  de  Béotie.  Le  maximum  du  poids  du  blé  est  de 
22  livres  par  boisseau  :  il  s'ensuivroit  qu'en  prenant  le 
blé  de  Béotie  pour  le  plus  lourd  possible,  le  boisseau  de 
blé  dans  l'Attique  ne  devoit  peser  que    1 3  livres  ;  et  le 
médimne,  46  livres  :  mais  portons-le  à  50  livres,  pour  nous 
maintenir  au  taux  le  plus  vraisemblable;  le  poids  de  la 
chénice  sera  de  16  onces  y,  que  nous  élèverons  à  17  onces 
en  nombre  rond. 

Lors  du  siège  de  Sphactérie,  les  Lacédémoniens  obtinrent 
de  faire  passer  à  leurs  soldats  deux  chénices  de  farine  par 
jour.  On  peut  d'autant  moins  douter  que  ce  fût  la  ration 
journalière  du  soldat ,   que  les  Athéniens  veilloient  à  ce       tanq^l  iv, 
qu'on  ne  leur  fît  point  passer  d'autres 'vivres  ,  pour  empê-   '''■ 
cher  qu'ils  ne  pussent  amasser  des  provisions.  Um,  iv  ,26. 

Les  prisonniers  Athéniens  ,  dans  les  carrières  de  Syra- 
cuse, mouroient  de  faim  avec  une  demi-chénice  par  jour.      /</.  vm,  Sj. 

D'après  ces  deux  exemples ,  il  paroît  que  la  chénice     Hcndot.  vu. 
étoit  regardée  en  Grèce  comme  la  mesure  journalière  de   '^''' 
la  consommation   par  tête.   Hérodote  l'indique  positive- 


ijtn. 


116  MEMOIRES  DE  LACADEMIE 

meut  en  parlant  de  l'armée  de  Xerxès  :  c'est  pourquoi 
Con('."s»,J.'^,'.  «He  est  appelée  par  Diogcne  de  Lacrte*,  rwtp'jio;  r^^r, 
nuT^yçn  td  j-e  qui  revient  au  mot  tluoo.pqoIc,  par  lequel  Alexar- 
.A,«j.mYX.-  chus,  dans  Athénée*,  désigne  la  chénice,  et  c'est  ainsi 
'^'*""  qu'on   explique  l'adage  de   Pythagore"^  ,   'Eth  p^o/v<W4  jlcii 

AlntH.  lit.  /// ,  ^  I  y  ,  f    '    •  •  .        I  • 

pjg.yS.E.        vji-yiÇ,e'v,   ne  pas  s  en  reposer  sur  une  chenice ,  cest-a-dire, 
'Piturch.Sym-   jQurrer  ûu  lendenidin.  Dans  une  inscription  très-fruste  trou- 

poi.     Iii.     >/  Il ,  (^  • 

p.ig.-o4.Jclii.   vée  à  Ilium,  il  est  question  d'une  chénïce  et  de  deux  oboles 

fdtiL  .  p.   i  2. 

Athcn.  li^.  X.  données  par  jour,  soit  à  des  soldats,  soit  à  des  ouvriers. 
/•«/•  ^<j.f-  C'est  pourquoi  des  soldats  mangeant  à  la  même  table 
OJ^ss.  p.iSj4.   sont  appelés  éfxc^ohtxiç. 

PUtarch  Sun  ^"  Comptant  pour  la  nourriture  une  chenice  par  jour, 
fcs.p.bi}.  on  a  par  an  7  médimnes  -f,  lesquels  pèsent  380  livres. 
En  France  ,  suivant  M.  Dupré  de  Saint-Maur,  il  faut 
compter  3  setiers  environ  ou  yoo  livres  de  grains  par  tête  : 
il  s'ensuivroit  que  la  consommation  du  blé  n'étoit  chez 
les  Grecs  que  les  quatre  septièmes  de  celle  qui  se  fait 
chez  nous. 

Quoi  qu'il  en  soit,  comme  nous  avons  à  comprendre 
dans  le  calcul  qui  nous  occupe  ici,  les  femmes  et  les  en- 
fans,  la  chénice  seroit  une  mesure  trop  forte  :  n'en  prenons 
que  les  trois  quarts,  ou  12  onces  environ. 

Ces  préliminaires  posés,  voyons  quelle  est  la  quantité 
de  grains  consommée  dans  l'Altique. 

Aucune  nation,  dit  Démosihène,  ne  consomme  autant 
de  blés  étrangers  que  les  Athéniens  (1).  Cet  orateur  nous 
apprend  ensuite  qu'ils  en  tiroient  annuellement  4oo,oco 
médimnes  du  Bosphore  :  il  ajoute  que  cette  quantité  est 


(i)  Demoith. cent.  Lfpiin.  p.  46a, 
12  ■  'ici  J%  yb  Jtinu  T»9' ,  in  ■wfiiirùt  'fi,' 


égale 


DE5  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  217 
égale  à  celle  que  l'on  tiroit  de  tous  les  autres  marchés 
ensemble  (i).  Il  s'ensuit  que  le  blé  importé  montoit  à 
800,000  médimnes,  valant  38,400,000  chénices  ;  cette 
quantité,  à  4-  de  chénice  par  jour,  a  dû  fournir  la  nour- 
riture annuelle  à  cent  quarante  mille  individus. 

Maintenant  il  faudroit  y  joindre  la  quantité  de  grains 
produite  par  le  sol  de  l'Attique;  mais  comment  parve- 
nir à  la  connoître  !  Tout  ce  que  nous  en  savons ,  c'est 
que  l'Attique  est  un  pays  sablonneux  et  sec  ,  peu  propre 
à  la  culture  des  grains.  Vers  l'an  170  avant  J.  C,  des 
députés  Athéniens  déclarèrent  à  Rome  que  l'Attique  n'en 
produisoit  pas  assez  pour  nourrir  les  gens  de  la  cam- 
pagne ;  et  cependant ,  à  cette  époque  ,  la  population  devoit      Tit.-Liv.  lie. 

,,.,,.  ,..,  .  •!'  I  .     X  LUI.  cap.  b. 

ctre  déjà  bien  dimmuee.  Avec  son  indépendance ,  cet 
état  avoit  perdu  une  grande  partie  de  ses  ressources.  Ses 
mines  ,  dont  le  produit  diminuoit  déjà  au  temps  de  Xéno-  Xeupph.Mm. 
phon,  dévoient,  à  l'époque  dont  parle  Tite-Live,  com- 
mencer à  rapporter  peu,  et  occupoient  nécessairement  un 
petit  nombre  d'esclaves,  puisque,  cent  quarante  ans  après, 
elles  étoient  totalement  épuisées.  Ainsi,  dans  la  révolte 
des  esclaves  des  mines  ,  qui  eut  lieu  vers  ce  même  temps, 
en  I  3  5  avant  J.  C. ,  nous  ne  voyons  figurer  que  mille 
esclaves  environ.  Suprà.p.176 

Plus  tard,  et  quand  Athènes,  presque  saiw  ressource, 
sans  mines  d'argent  ,  n'attiroit  plus  les  regards  que  par 
les  souvenirs  de  sa  gloire  passée  et  par  les  facilités  qu'elle 


(l)  Vl^t  Tt.vxjT  aTmt'oir  i*.  ^f' a.?>.ccr 

eir)i>.iat  6çjr(466,  24  ).  Vialiacc  ima- 
.^oe  qu'il  ne  s'agit  que.  du  blé  ven,u 
par  r,i.-r;  mais  le  grec  ne xlit  point  ^ 
Tome  VL 


cela.  IfiL-râcthr  s'entend  aussi  bien  d'un 
marche  de  terre;que  d'un  port;ainfi: 


Jéiliam.inUuJ, 


2.8  MFMOIRFS  DE  L-ACADF.MIE 

offroit  à  la  culture  des  lettres  ,  l'Atticjue  ne  cessa  point 
d'avoir  recours  aux  hit's  étrangers  pour  entretenir  sa  popu- 
rMotr.  lu.  latio,,  affoiblie.  Selon  Philostrate,  elle  en  f'aisoit  venir, 
entre  autres  contrées,  de  la  Thessalie  ;  et  telle  ctoit,  à 
cet  égard,  l'urgence  de  ses  besoins  ,  que  Constantin  ,  au 
témoignage  de  l'empereur  Julien,  ne  crut  pouvoir  mieux 
rt  •'.  i^  reconnoitre  le  titre  de  stratège  que  les  Athéniens  venoient 

de  lui  conférer,  qu'en  leur  envoyant    par  an  un  nombre 
considérable  de  médimnes  de  blé.  Enfin  ,    lorsque   l'em- 
pereur Constance  ,  se  trouvant  à  Athènes  ,   offrit  à  F^roé- 
résius  de  lui  donner  ce   qu'il  demanderoit  ,  celui-ci  de- 
manda des  îles  nombreuses  et  considérables  ,  afin  d'en  tirer 
un  tribut  en  blé  pour  Athènes  (i)  :  nouvelle  et  forte  preuve 
que  l'Attique  ne  pouvoit  produire  assez  de   grains  pour 
nourrir  ses  habitans  ,  bien  que  le  nombre  en  fiJt  si  diminué. 
A 'l'époque  dont  parle  Tite-Live  ,  et  dans  l'état  de  dé- 
gradation où  étoit  l'Attique,    c'est  ne  rien   hasarder  que 
d'avancer  que  l'Attique  avoit  dû  perdreau  moins  un  tiers 
de  sa  population  ,  et  qu'il  nedevoit  lui  rester  que  cent  qua- 
rante mille  habitans  environ  ,  dont  au  moins  cinquante 
mille  dans  la  ville  :  restent  pour  la  campagne  quatre-vingt- 
dix  mille  habitans,  auxcjuels  le  sol  ne  pouvoit  fournir  une 
nourriture  suffisante. 

Il  est  digne  de  remarque  qu'on    arrive    à  peu    près  à 

ce  résultat    par    un    rapprochement   qui    mérite  (|uelque 

attention. 

Pag.  1040, l.t  :        Dans    le  plaidoyer  de  Démosthène  contre   l'hcnippe, 

il  est  fait  mention  il'ime  terre  qui  avoit  .\o  stades  de  tour, 


^  i)    l-.iin.i[i.  ;n  l'roirrrs  .  p.  tîj,'Sive 
p.  y«  tJ.  licissonilii.  :  »nn    mn\i(  a. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  219 
c'est-à-Jire ,  presque  autant  que  la  ville  propre  d'Athènes. 
En  considérant  cette  terre  comme  un  carré  de  10  stades 
de  côté  ,  on  auroit  100  stades  de  surface;  mais  la  super- 
ficie peut  avoir  été  moindre.  Représentons  cette  terre  par 
un  parallélogramme  de  15  stades  dans  un  sens,  et  de  5 
dans  l'autre  ;  la  surface  sera  de  7  5  stades  carrés  :  c'est, 
je  crois  ,  l'estimation  la  plus  foible  qu'on  en  puisse  faire. 
La  surface  cultivable  et  habitable  de  l'Attique  n'est  que 
de  66  lieues  carrées  ou  de  4iy°o°  stades  :  ainsi  la  pro- 
priété de  Phénippe  en  étoit  la  cinq  cent  quatre-vingt- 
sixième  partie.  Cette  terre,  cultivée  avec  soin,  ne  produi- 
soit  que  du  blé  et  du  vin;  il  n'y  avoit  point  d'oliviers,  les- 
quels formoient,  comme  on  sait,  la  production  principale 
dv  l'Attique.  La  terre  de  Phénippe  me  semble  donc  dans 
la  condition  la  plus  favorable  pour  servir  de  point  de  com- 
paraison ;  en  sorte  que,  si,  raisonnant  par  analogie,  on 
juge  de  la  production  en  grains  de  tout  le  pays  par  celle 
de  cette  propriété  ,  on  pourra  être  certain  de  ne  point 
obtenir  un  résultat  trop  fort. 

Or  cette  propriété,  nous  dit  Démosthène ,  produit  P^'g- io4;,l.). 
1000  médimnes  de  grains  :  ce  seroit  donc  sur  le  pied  de 
58(5,000  médimnes  ou  environ  600,000  pour  toute  l'At- 
tique; et  cette  quantité,  d'après  l'évaluation  ci-dessus  pro- 
posée, suffisoit  à  nourrir  cent  mille  âmes  à  peu  près  :  ce 
qui  s'cloigne  bien  peu  des  quatre-vingt-dix  mille  qui  résul- 
teroient  du  passage  de  Tite-Live.  Tel  est  donc  le  iiujxi- 
tnumde  population  que  l'Attique  pouvoit  nourrir  en  grains. 
Joignant  donc  ces  cent  mille  avec  les  cent  quarante  mille 
que  pouvoit  nourrir  la  quantité  des  blés  importés,  nous  trou- 
vons ,  pour  la  population  totale  de  l'Attique  ,  deux  cent 

E'.j 


iio  .\\i MOIRLS  DE  L'ACADIMIE 

quarante  mille  habitans.  C'est  environ  vingt  mille  «Je  plus 
(jue  nous  n'avons  imliquc  plus  haut  ;  mais  il  faut  faire 
attention  que  nous  n'avons  pu  comprendre  les  étrangers  , 
attires  par  la  curiosité,  ou  par  des  affaires,  soit  commer- 
ciales,  soit  litigieuses,  dans  une  ville  où  se  jugeoienl  tous 
les  procès  des  peuples  alliés.  Ces  étrangers  ont  bien  pu  être 
au  nombre  de  (juinze  à  vingt  mille  :  ainsi  le  rapproche- 
ment tiré  de  la  consommation  des  grains  nous  amène  bien 
près  du  noml)re  fixé  par  des  moyens  si  différens. 

CONCLUSION. 

Les  habitans  du  l'Aiticiue  ,  de  tout  âge  et  de  toute  con- 
dition, depuis  le  commencement  de  la  guerre  du  Pélopon- 
nèse jusqu'à  la  bataille  de  Chéronée,  ont  été  au  nombre 
de  deux  cent  dix  mille  à  deux  cent  vingt  mille  individus; 
ce  qui  fait  trois  mille  habitans  par  lieue  carrée.  Ils  étoient 
divisés  ainsi  qu'il  suit  : 

Athéniens  proprement  dits 70,000. 

Métèques 4°. 000. 

Esclaves i  i  0,000. 

ToTAi 220,00c. 

Sans  compter  les  étrangers  non  inscrits  sur  les  rôles,  et 
dont  le  nombre  a  pu  s'élever  à  vingt  mille  et  plus. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      221 

ÉCLAIRCISSEMENS 

SUR 

LES   FONCTIONS   DES   MAGISTRATS 

APPELÉS 

MNÉMONS,    HIÉROMNÉMONS,    PROMNÉMONS, 

ET  SUR  LA  COMPOSITION   DE  L'ASSEMBLÉE  AMPHICTYONIQUE. 

Par  m.  LETRONNE. 


1  L  existe  dans  la  langue  Grecque  un  grand  nombre  de  Lu  le  8  No- 
mots  dont  il  est  maintenant  très -difficile  de  de'terminer  le 
sens  :  ce  sont  principalement  ceux  qui  se  rapportent,  soit 
à  des  usages  dont  il  ne  reste  plus  de  traces  ,  soit  à  des 
fonctions  civiles,  religieuses  ou  militaires,  dont  la  nature 
n'est  pas  clairement  indiquée  par  les  témoignages  des  au- 
teurs anciens. 

Cette  difficulté  est  d'autant  plus  grande,  qu'outre  le 
défaut  de  renseignemens  positifs,  i'étymologie  elle-même 
est  d'un  foible  secours  ,  parce  que  ces  mots  ont  été  pris 
souvent  par  excellence  ou  par  extension,  dans  une  accep- 
tion détournée  de  celle  qu'indique  leur  formation  gramma- 
ticale ;  en  sorte  que,  si  l'on  se  contentoit  du  sens  indiqué 


vembrc  1816. 


jor 


111  Ml.MDIIlLS   Dl    IACAD1..M1E 

par  leur  ciyinologie  seule,  on  poiirroit  avoir  une  idc'e  irès- 
iiiexacte  de  leur  signification  vcTitahle. 

D'un  aune  côte,  dans  les  diffcrens   Etats  de  la  Grèce, 

on  ne  se  scrvoit  pas  toujours  des  mêmes  noms  pour  tlcsi- 

gner  des  dignités  civiles  et  religieuses  de  même  nature: 

ainsi  ,   par  exemple  .   les  magistratures  supr()mes  ,  dans  la 

plupart  des  villes  Greccpics  autonomes,  étoienr  désignées 

sous  des  noms  très-difFc-rens  les  uns  des  autres.  Athènes, 

'('«riini.  h.ui.   Dèlos  ,  Delphes"* ,  &c.  avoient  des  dnliontcs  ou  gou veriians  ; 

^T  III   p'^s    Hcraclée  d'Italie  ^' ,  Laccdcmone,  Messène*^ ,  des  epliores  ou 

./''-•  surveillans  ;  les  villes  de  Crète'',  desfojwfjou  ordonnateurs, 

^^uShitiJ  '^"'"   ''^   fonction,  nous  disent  Aristoie  *^  et  Strabon*^ ,  ré- 

T.tt.  Herjcl.  i>.   pondoit  àcelle  des  cphores;  Ephèse»,  Pergame'',  et  d'autres 

' PêM.iih.iv,   villes  de  l'Asie  mineure,  avoient  dus prytiines ;  il  y  avoit  à 

i- !■}'•-        l\'os  ,  à   Amycles  et  en  Cephallcnie,  des  asymnitcs^ :  en 

urtat.  IX,  .'.     ^lclle,  ues/Tfl^/^i/orrf;  en  Acarname,  dcs/iroitirwrnons ,i:i)iun\c 

'  Ari..0r.  Poli,      ■      1^   Jj^.,j       1^,5   j^^^ 

»Str»K  1.  X.         Il  paroit  ()u'une  diversité  a  peu  près  semblable  existoit 

«Vf.  AS2 ,  ASA-  i  I  II  I  •     ■ 

J>        L  pour  les  noms  des  ministres  de  la  rebyion  ;  on  trouve  (jue 

Anu.li.  p,ig  des  dignitaires  exerçant  des  fonctions  du   même  genre, 

*'ld.  II.  l'.i^.  dans  le  collège  des  prêtres  de  divinités  différentes,  por- 

^i^-  toient  des    noms  qui    n'avoieiit    entre    eux   qu'une   trcs- 

>Ch„hyil.An,.  ,  ,  n  ,       i  i  ,  J 

Aiiit  !■  ■/S.  foible  ressemblance,  il  en  resuite  un  grand  embarras  dans 
l'explication  des  termes  de  ce  genre  ;  car  on  est  exposé, 
si  l'on  ne  consulte  que  la  grammaire,  à  chercher  des  diffé- 
rences entre  des  mots  que  l'usage  avoit  rendus  s)  nonymcs, 
ou  à  regarder  comme  synonymes  d'autres  mots  entre  les- 
quels l'usage  avoit  établi  des  nuances  très-marquées.  Ainsi, 
par  exemple,  qui  ne  scroit  tenté  de  mettre  une  différence 
entre  les  mots  /eço/lcTitJ-jyLAoi,  J€ggyoV«/,  (f^^t>Act>a<,  ieç^- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  22? 
(I>cunaj\  ,  kçy^rifxcvec,  l  et  cependant  il  faut  bien  que  ces 
mots  fussent  devenus  à  peu  près  synonymes  ,  puisque 
Denys  d'Halicarnasse  les  regarde  comme  presque  égale- 
ment propres  à  rendre  le  pontifces  des  Latins  (i). 

Ces  considérations  montrent  combien  il  est  difficile  de 
connoître  le  vrai  sens  de  ces  mots  :  autant  il  est  facile 
d'en  donner  une  explication  conjecturale  qui  ne  s'applique 
à  aucun  cas  particulier,  autant  il  l'est  peu  d'en  suivre  les 
diverses  significations  à  travers  toutes  les  circonstances 
qui  les  accompagnent  dans  les  textes  anciens. 

Quand  même  l'explication  de  ces  mots  n'auroit  pour 
résultat  que  d'en  fixer  précisément  le  sens ,  et  d'éclaircir 
les  passages  où  ils  se  trouvent,  elle  ne  paroîtroit  point 
sans  utilité  aux  yeux  du  critique  qui  ne  dédaigne  pas  de 
glaner,  après  la  moisson ,  dans  les  champs  de  l'antiquité  ; 
mais  elle  acquerra  une  certaine  importance,  si  elle  peut 
servir  en  outre  à  éclaircir  des  usages  ou  quelque  point 
d'histoire. 

Il  m'a  paru  que  les  noms  de  magistratures  dont  je  vais 
m'occuper,  sont  en  général  dans  ce  cas  ;  et  c'est  même 
l'intérêt  historique  qui  s'attache  à  l'un  d'eux,  qui  m'a  en- 
gagé à  me  livrer  aux  recherches  que  je  soumets  à  l'Aca- 
démie. 

Les  deux  premiers  de  ces  mots  ,  savoir  ,  mnémon  et 
hie'romtiémon ,  se  rencontrent  dans  plusieurs  auteurs  an- 
ciens :  mais  ils  s'y  trouvent  environnés  de  circonstances  si 
diiFérentes,  et  les  explications  qu'en  ont  données  les  scho- 


(1)  Tliti^y  'riflipfU'V  -mvSl,  t'î-n  fi\i- 


TiLi   n  aAnSïf.    (Dion.    Halic.   A/i:. 
Rom.  p.  tj^ ,  l,  y,  éd.  Sylb.) 


ni  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

liasies  et  les  lexicographes  ,  soiu  en  apparence  si  contra- 
dictoires ,  <jue  l'abttndance  même  des  reiiseignemt us  est 
un  obstacle  à  ce  nu  on  puisse  s'en  laire  une  iilc'e  nette  et 
arrêtée. 

Le  contraire  a  lieu  pour  le  dernier  nom,  celui  âe  pro~ 
CnnMtnutu.1.1  tfi II àito II  ;  car .  excepte'  l'inscription  d'Actiiiiii,  rapportce  par 

imuripi.    A^  ii.it       ,.T-»  .Il  1'  !•'  \n      11     • 

ad cLtm co!!c.<.    M.  Poucqueville  ,  et  complctemcnt  expliquée  par  iVl.  iiois- 
'"'"■    sonade,  aucun  monument  connu  n'en  o tire  de  trace. 

Avant  de  me  livrer  aux  recherches  qui  doivent  faire 
connoître  le  genre  de  magistratures  désigne  par  ces  mots, 
il  convient  d'en  fixer  l'étymologie,  afin  de  déterminer  exac- 
tement jusqu'à  quel  point  l'usage  en  avoit  conserve  ou  dt^ 
tourné  le  sens   primitif  et  grammatical. 

Je  diviserai  donc  cette  dissertation  en  trois  sections: 

I.a  première  aura  pour  objet  l'étymologie  de  ces  mots; 

La  seconde  traitera  de  la  nature  des  lonciions  qu'ils 
servoient  à   désigner; 

Dans  la  troisième,  je  réunirai  tout  ce  que  j'ai  pu  recueillir 
sur  les  hiéromnémons  que  les  Ktats  de  la  Grèce  en- 
voyoient  à  l'assemblée  des  amphictyons ,  et  en  général 
8ur  la  composition  de  cette  assemblée  célèbre.  Je  n'ai 
pas  besoin  de  pré^'enir  qu'à  cet  égard  je  ne  m'attacherai 
qu'aux  points  qui  restent  encore  ou  inconnus  ou  incer- 
tains. 


PRtMirRE 


DES  INSCRIPTIONS  ET  HELLES- LETTRES.      225 
PREMIÈRE  SECTION. 

De  l'Etymo/ogie  des  mots  Mncmons,  Hicromnémons , 

Promnémons. 

Ces  recherches  étymologiques  auront  principalement 
pour  objet  de  montrer  que  le  radical  /x^n'/^wv  n'est  en 
aucune  manière  dérivé  de  /W-^îj/x-ct ,  womauent ,  ofratide ,  et, 
conséquemment ,  qu'il  n'a  rien  de  commun  en  lui-même 
avec  l'idée  de  gardien  des  mouumens  dans  les  temples ,  ainsi 
que  l'avoit  pensé  un  membre  de  l'Académie  :  c'est  ce  qu'il 
importe  de  bien  établir;  sinon  tous  les  textes  n'offriroient 
qu'une  discordance  continuelle,  et  il  seroit  impossible  d'y 
rien  comprendre. 

On  trouve  dans  ces  trois  termes  les  trois  espèces  de 
formation  que  présentent  les  .substantifs ,  ou  adjectifs  pris 
substantivement ,  qui  indiquent  en  grec  qu'une  personne 
est  chargée  d'un  emploi  quelconque.  En  pareil  cas,  ou  le 
mot  est  simple,  comme  mnémon ,  ou  il  est  composé,  soit 
avec  une  préposition  ,  comme  promnémons ,  soit  sans  pré- 
position, comme  Iiic'romne'nions. 

Les  mots  simples  sont  toujours  des  adjectifs  immédiate- 
ment dérivés  du  verbe  qui  exprime  la  nature  de  la  fonc- 
tion :  ainsi  <^f>X'^^  ^^t  formé  de  ^f%«  ;  ctp/M:<p)t;,  de  oip/M^œ  ; 
dvTnc,de  ')vco;  's^aLK.'mf ,  de  'Zif  dosai;  ?^ytqri'i,  de  Aoyt^u),8cc. 

II  résulte  de  cette  loi  constante  que  /Lwn;M4)v  est,  de  toute 
nécessité,  un  adjectif  verbal  dérivé  immédiatement  de 
fJ-vcLCà,  dont  le  sens  propre  est  celui  de  Jaire  souvenir, 
en  sorte  que  ce  mot  doit  signifier,  par  son  étymologie , 
celui  <jui  fait  souvenir,  cjui  mentionne,  (jui  prend  note,  et, 
Tome  VI.  F' 


22<î  MEMOIRES  DE  LACADIMIE 

par  extension,  <]iti  fiiit  ottention ,  (jui  veille  sur;  et  l'on  va 
voir  qu'en  effet  il  présente  le  double  sens  de  iiodirius . 
tdlmliiritu ,  scri/'J ,  et  celui  de  curutor ,  i/ispcctor. 
ihm.  Ojjsi.  Homère  emploie  l'adjectif  /^vn'/xwv  tout  seul ,  prcccdc 
•  P' '  i-  jç  5Q,^  ijgiiTie  ou  attribut,  dans  le  vers  de  l'Odyssëe  où  il 
donne  au  commandant  d'un   navire   l'cpitlicte  de   ÇopTzv 

Le  pseudo-Didyme  explique  ces  deux  mots  par  ê-TOug- 

AK;U,gk04  T   (popiici»! ,  «  /M,v)i/xûVÉoa)V  €)ijLçov ,  7n>avv  *iv    et^iov , 

c'est-à-dire,  "qui  a  soin  de  la  cargaison,  ou  (|ui  tient  note 

»  de  la  valeur  de  chacjue  objet.  >• 

Êuitath.    ad        Eubtalhe  les  interprète  à   peu   près  en  ce   sens  :  <I>op7Bu 

r  KoLf  à-'Mci)^  Aoytqr(;,  é7n/ueAnTv<;  ,  c'est-à-dire,  "  celui  qui 

•»  enregistre,  qui  indique  par  écrit  ;  autrement,   l'énumé- 

"  rateur,  le  curateur  [de  la. cargaison ].  ■> 

£/)W.  magx.        Le  Grand  Etvmolosiste  et  le  Lexique  de  Zonaras  les 

Zonjr.  LtxU.  expliquent  par  'jn/'oeço/^ ,  >taf  ÊTn/UÉAe/o»  7n)/V«i»oç  ÇopTou, 

'    '^  c'est-à-dire  ,  «  le  préposé  ,  celui  qui  a  soin  de  la  cargaison.  >• 

On  voit  clairement  par  le  texte  mthne  d'Homère,  et 

par  les  explications  de  ses  scholiastes,  que  le  mot  fivriawv 

est  l'adjectit  verbal  de  fcvoLo),  et  emporte,  comme  son  éty- 

moiogie  seule  me  l'avoit  fait  supposer,  le  double  sens  de 

Ao>«îii«  ou  y^a.fxfj.a.TiV';  et  de  gTn/OtArrti^ ,  cunitor :  mais, 

sur-tout,  qu'il  n'a  aucun  rapport  avec  l'idée  de  monttiuciit 

ou  ii'offr.in^c.  Or  cette  observation  est  importante,  parce 

qu'il  s'ensuit  qu'a  moins  que  l'antécédent  if£?v,  ou  quelque 

autre  mot  semblable,  ne  vienne  y  ajouter  l'idée  de  sr/cre , 

ce  mot  pourra  s'entendre  aussi  bien  d'une  dignité  civile 

que  d'une  dignité  religieuse  ;  et  c'est  précisément   le  «as 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      227 
du  mnémon  dont  parie  Aristote  ,  dans  un  passage  que  je 
citerai  tout- à-i'iieure  ,   et  du  promnemon  de  l'inscription  , 
d'Actium. 

Le  sens  du  radical  itme/non  une  fois  déterminé,  nous 
conduit  directement  à  celui  des  deux  autres. 

En  effet,  dans  promnemon,  on  trouve  ce  radical  précédé 
de  la  préposition  'zsfô,  qui  ne  fait  autre  chose  qu'y  ajouter 
une  idée  de  prééminence  ou  de  supériorité  :  or ,  comme 
le  radical  présente  le  double  sens  de  scriba  et  de  curator , 
le  composé  sera  naturellement  susceptible  de  ceux  de  pra- 
scriba ,  de  pracurator  (qu'on  me  passe  ces  termes),  et  dé- 
signera une  dignité  assez  considérable  ,  qui  pourra  appar- 
tenir à  l'ordre  civil  ,  puisque  le  composé  promnemon  n'a 
par  lui-même  aucun  rapport  avec  la  religion.  On  remar- 
quera que,  de  cette  manière,  il  se  trouve  formé  selon 
l'usage  propre  aux  termes  indiquant  une  dignité,  et  com- 
posé de  deux  mots,  dont  l'un  est  une  préposition  :  or, 
dans  ce  cas,  le  radical  est  toujours  un  adjectif  verbal.  Tels 
sont,  pour  nous  borner  aux  mots  où  se  trouve  la  même  pré- 
position, 'ZtTgcCi^Aoç,  'nr^SvKûc,,  'sr^e^oç,  'Z!!fooL'p^(;,^û- 
(xdLV.ic,,  6cc.  dans  lesquels  le  Ts-çj  ajoute  aux  adjectifs  ver- 
baux précisément  la  même  nuance  que  dans  'SjfofA.vrifxuv. 

Le  sens  étymologique  de  hiéromne'nion  ne  paroîtra  pas 
moins  évident,  puisque  c'est  tout  simplement  lidéede  sacré 
jointe  à  l'adjectif  verbal  fx\7\ixcù\  :  or  c'est  ainsi  que,  par 
une  règle  également  constante,  se  forment  tous  les  mots 
de  ce  genre  :  ils  présentent  toujours,  dans  l'un  des  deux 
termes,  l'objet  ;  dans  l'autre,  l'exercice  de  la  fonction. 
Tels  sont,  en  nous  bornant  encore  aux  mots  analogues  à 
celui  qui  nous  occupe,  lio^ixS'cLa-nsL^o^ ,  c'est-à-dire  'aç^ 

F  Mi 


22  3  MÉMOIRES  DE  LACADEXUE 

ixS'dia-xoi')  ;  le^y^a./ufA.aLTivç  (i),  c'est-à-dire  /e,f^  ;)^et<^uv; 
iiç^xrpvç,  ie^JvTtii,  leçy^c-niti,  l'eg^v/x-wç, /eg^7ro/o^,  l'e^^j-xo- 
tnç,  i€Q^<rvAù<; ,  le^^cpoov.ri^,  itç^^oç^i,  (e^vo/xo^,  leçoxo/M)^: 
en  sorte  que  (f£9«.v>iuov ,  pris  uniquement  dans  la  lorma- 
lion  grammaticale,  et  indépendamment  des  autorités  his- 
toriques qui  seront  rassemblées  plus  bas,  doit  cire  décom- 
pose, comme  le  (popinv  /hvyiixciiv  d'Homère,  en  Upuy  'Wfa,- 
yfxâ.Tuv  ix\ir\u.(fùv,  et  est  susceptible  de  deux  sens,  savoir: 
I.  de  TOv  lepwv  -ar^yj-d-Ttùv  Aoytçn^  ou  •^-ça./ufj.ct'nv';,  et, 
conséquemment ,  de  kç^yça.fxfxA.'nxje,  ;  2."  de  t  l'epav  êto- 
/uiXidrtç,  c'est-à-dire  sdcrorum  curotor ,  ou  ,  plus  clairement, 
rel/gionis  ciinmi  gereris  :  or  ces  deux  acceptions  vont  s'ap- 
pliquer à  tous  les  exemples. 

Je  dois,  avant  d'entrer  dans  les  détails,  montrer,  par 
quelques  rapprochemens  ,  que  le  sens  général  du  mot 
hiéromne'mon  est  tel  que  je  viens  de  le  dire. 

Denys  d'Halicarnasse,  qui  écrivoit  à  une  époque  où  les 
pratiques  et  la  hiérarchie  du  paganisme  n'avoient  subi  aucun 
changement  essentiel,  devoit  bien  connoître  la  significa- 
tion des  mots  Grecs  relatifs  à  la  relicion  par  lesquels  il 
traduisoit  les  mots  Latins  corrcspondans  ;  or,  en  deux  en- 
droits de  ses  Antiquius  Romaines,  il  emploie  le  mot  ifç^- 
jM.»»i,u/jve4,  pour  rendre  le  poiiiijiccs  des  Romains  (2). 


(1)  Ou  simplement  itçj(  ^a^ufxa- 
tA<  ,  ce  qni  revient  au  même  ^  on 
le  trouve  ainsi  décomposé  dans  Llicn 
(  Histnr.  an'nn.  XI,  lo } ,  Lucien 
(  Atacrob.  4) ,  &c. 

(i)    H  juiriti  â»Aii  rJ^i  i  <fiue(  a'-n 

■n  ani9iF  ta^lttôiiÔBJ  yi  5»u  /^  o»  airrû 


-jUtTOif  in/fnMaStirai ,  avatar  ti  'S)C<jaj4- 
(004  /tiue-nMÎ.  (Dionys.  H.ilic.  ,4nn./. 
Horn.  VIII ,  p.  ^2)  ,  12,  sq.  td.  Syth.) 
—  ETw'ct  T  J^Lut  ixxLMmi  jTi  7)rr  Kt- 

çut ,  IL  'Tfi  aM&'r  itciuit  ^a^iTur   tju  iB 

Jtar  T»(C  \c^-yiç  TOf  -Itl^Vf.  (  Id.  X  , 
p.  6S1 ,  l.  IJ.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  229 
II  en  est  de  nicme  d'un  passage  de  Strabon  ,  que  les 
textes  de  Denys  d'Halicarnasse  servent  à  expliquer.  Au 
cinquième  livre,  cet  auteur  raconte  que,  chaque  année , 
par  l'ordre  des  hiéromuénioiis ,  on  cclcbroit  les  sacrifices 
amburhium  sur  tous  les  points  qui  marquoient  la  limite 
du  territoire  romain  (i).  11  est  évident  que  ces  hiéromne- 
mons  par  l'ordre  desquels  on  'célébroit  des  sacrifices ,  ne 
peuvent  être  que  les  pontifes  :  or  on  sait  que  la  fonction 
des  pontifes  à  Rome  étoit  ,  non  de  garder  les  temples 
et  les  offrandes  qu'ils  renfermoient ,  mais  de  veiller  à  tout 
ce  qui  concernoit  le  culte  ,  à  l'observance  des  rites  ,  au 
maintien  des  usages  religieux  ;  c'étoient  les  inspecteurs  , 
les  curateurs  ,  les  conservateurs  de  la  religion,  sacroruni 
cunitores  {2)  ;  ce  qui  est  précisément  l'un  des  deux  sens  que 
présente  le  mot  leç^fAvrifA-ccv.  Le  choix  que  Denys  d'Hali- 
carnasse et  Strabon  ont  fait  de  ce  mot  en  cette  occasion  , 
confirme  à-la-fois  l'étymologie  et  l'explication  gramma- 
ticale que  j'en  avois  données. 


(l)   Oj   9    ii^/j.yn'iucyiç  Svaicu  irrm- 
AÎnr  ' Af^SofvaMa*.  (Strab.  Ceogr.  V , 


p.  2J0.)  Je  donne  à  iTn'liMlr  un  sens 
transitif. 

(2)   Sacrorum  curator  est  dans  Mu- 
ratori,  CLXXVi ,  ^. 


230  MLMOIRLS  DE  L'ACADKMIE 

SECONDE   SECTION. 

Dci  Fonctions  attribuées  aux  Aincmons ,  aux  Promné 
nions  et  tins  Hïéromnénions. 


S.    I."   Des  Ai  né  mon  s. 

L'antiquité  ne  m'a  paru  offrir  que  Jeux  espèces  Je 
mnémons ,  les  uns  civils,  les  autres   religieux. 

Les  premiers  sont  mentionnes  par  Aristote  Jans  ce 
passage  Je  la  Politique  011,  après  avoir  parle  Je  Jiffcrentes 
magistratures  civiles,  il  continue  en  ces  termes  : 

"  Il  existe  une  autre  espèce  Je  fonctionnaires  près 
"  Jesquels  il  faut  aller  faire  enregistrer  les  contrats  Jes 
•'  particuliers  et  les  sentences  Jes  tribunaux;  ce  sont  eii- 
'»  core  eux  qui  se  chargent  Jes  accusations,  Jes  citations 
'«  par-Jevant  les  juges  :  quoique  ces  Jiverses  attributions 
"  n'en  composent  réellement  (ju'une  seule,  cepciulant  on 
"  les  jurjage  quelquefois  entre  plusieurs  oliicier;. ,  que 
»  l'on  Jésigne  sous  les  noms  Je  liic'romnc'mons ,  cpist,ites , 
"  wnémons ,*o\x  sous  J'autres  semblables  (ij.  » 

Ce  passage  important  nous  montre  les  mots  ntncnions  et 
liiéromiiemoiis  employcs  pour  Jcsigner  Jes  officiers  Jont 
la  fonction  réponJ  à  celle  Jes  notaires ,  (ivoués  ,  greffiers. 
Il  sembleroit  au  premier  abord  que  ces  Jeux  expressions 


f  f  «Sby  Jki  73  71  léia  cv/jiCi\aua  (S  i(  Kfi- 
ttiç  iK  'K'  JlKOiçnciut  •  va^  j  -mf  au- 
7ii(  TWToïc  1^  ràf  y^afàc  tH"  Jtutt  jm- 


■mr    tîiMa    inuaia     cittyfvt.     (  Ariji, 
Polir-  y  I ,  j,  ^ ,  tJ.  Si  finiider.  ) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES,      nj. 

ont  ctc  employées  par  Aristote  comme  synonymes  ;  et 
c'est  probablement  à  une  fausse  interprétation  de  ce 
passage  que  nous  devons  un  article  d'Hésychius  et  une 
schoiie  (i)  où  le  sens  des  deux  mots  est  confondu;  mais 
la  différence  qui  existe  entre  i'un  et  l'autre,  est  suiîîsam- 
ment  indiquée   par  i'ensembie  du  texte  d'Aristote. 

Comme  ce  philosophe  dit  que  l'office  public  dont  il 
parle  se  divisoit  entre  plusieurs  fonctionnaires,  on  peut 
en  conclure  que  chacun  de  ces  fonctionnaires  étoit  chargé 
en  particulier  d'une  des  attributions  de  cet  office.  Il  est 
donc  très-probable ,  d'après  l'étymologie  et  l'ensemble  du 
texte,  que  les  muémons  étoient  chargés  des  affaires  entre 
les  personnes  de  l'ordre  civil;  tandis  que  tout  ce  qui  con- 
cernoit  les  procès  relatifs  à  la  religion  ou  à  ses  ministres, 
étoit  du  ressort  des  hiéromnémons.  Je  reviendrai  sur  ces 
derniers  par  la  suite  :  quant  à  présent,  pour  m'en  tenir 
aux  mnémons  d'Aristote,  on  voit  clairement  que  c'étoient 
des  espèces  de  greffiers ,  y^juLfj.a.TiK,  ;  et  c'est,  comme  je 
l'ai  dit,  l'un  des  deux  sens  que  présente  l'étymologie  de 
leur  nom. 

Un  article  d'Hésychius  nous  apprend  qu'on  entendoit 
aussi  par  m/ic'mo/is,  des  femmes,  probablement  des  prê- 
tresses, chargées  de  veillera  l'entretien  des  victimes  :  c'est 
du  moins  ce  qui  résulte  du  texte  rétabli  ;  car  il  est  évidem- 


Siiprà  p,  -Jû. 


(i)  Hesych.  voce  'hUà/ucov.  'ijg^//!'»- 
/iii/,  M  ij.m/Mviç,  «  Stf  Svnof  â.7ivf/.vK- 
fMvêliovTiç.  —  SchoI.Aristoph.iii/7V(,7'. 
V.  62J  :  Iipoiu.ti]ucyiç  —  y^a/j-uaiitç  — 
fniifiovat  3S  TKTBf  ÎKa.h>iy.  Au  reste,  on 
peut  encore  expliquer  ces  deux  scho- 
Ues,  en  disant  que,  selon  l'usage  des 


Grecs,  qui  eniployoient  souvent  le 
simple  pour  le  composé,  les  hiéro- 
mnémons étoient  quelquefois  appelés 
mnémons.  Cette  explication  est  con- 
firmée par  l'autre  passage  où  Hcsy- 
chius  désigne  des  prétresses  sous  le 
même  nom. 


23;  MÉMOIRES  DE  LACADf.MIE 

ment  corrompu.  Le  voici  :  Mvr^ve^,  dp-^n  yj\cLi)ca'\  i-n-n- 
Aovu.é^uv  -mTy  iepeiu\i.  Il  me  paroît  impossible  de  donner 
à  cette  phrase  un  sens  raisonnable,  et  mcme  d'en  trouver 
la  syntaxe  grammaticale.  Saumaise  l'avoit  senti,  puisque, 
dans  les  prolcgoinènes  de  son  Commentaire  sur  Solin, 
Sa/Hi.u.Fjfnit    il    ajoute    un    mot  ,    et    lit  :   ct-^vri  yjVettKcôv  'yvjiuv  g7n.€- 

FliM.Prolfg.p.:.  I  r^    ,  ,  ...  !•      I  !•    •  i      r\         — 

Ax,vcevw»  T  lepeicûw  Mais,  outre  (jue  1  addition  de  yvaxu)!  est 
gratuite,  il  n'est  pas  fiicile  de  deviner  le  sens  que  Sau- 
maise donnoit  à  la  phrase  ainsi  rétablie.  M.  Schneider, 
SihnfiJ.  ni  dans  SCS  notes  sur  la  Po/iti/jue  d'Ar'i^tole ,  se  contente  de 
./l'""  ""''  dire,  ^ua  Siiiiii  non  su/it.  Il  est  singulier  qu'on  n'ait  pas  vu 
que,  pour  rendre  à  ce  passage  toute  son  intégrité,  il  Miftit 
de  changer  une  seule  lettre  ,  et  de  lire  i7aut\ovfÀ.ivu)\ , 
au  lieu  de  è7nTtAoi»ju.gvov  :  le  sens  devient  alors,  femmes 
chiirs^ées  de  prendre  soin  des  vieiimes  ;  et  l'on  doit  se  rappeler 
en  effet  que  fxwjj.où't  a  précisément  le  sens  deeTn^cÉAtfUÉi'cç, 
f-nu.fXy  Yc,    curdtor. 

S.    II.    Des  Promncmons. 

J'ai  dit  (juc  le  nom  de  ces  magistrats  ne  nous  est 
connu  que  par  ta  seule  inscription  d'Actium.  Ce  n'est 
donc  point  par  des  rapprochemens  tirés  d'auteurs  anciens, 
qu'on  peut  s'en  former  une  iili'e  juste;  il  faut  recourir  a 
une  méthode  différente. 
.v*/"j  /-  -jj.  On  a  vu  que  les  noms  des  magistrats  e,\er(,-ant  des  fonc- 
tions analogues  ou  semblables  dans  les  villes  Grecques 
autonomes  n'éloient  point  par-tout  les  mêmes,  et  j'en  ai 
cite  des  exemples  dont  j'aurois  pu  facilement  augmenter 
le  nombre  :  il  s'ensuit  que,  quoique  le  mot  promnemon  ne 
paroisse  qu'une  fois  à  nos  yeux  dans  l'antiquité,  il  se  peut 

que 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  133 
que  la  dignité  qu'il  représente  soit  tout-à-fait  semblable 
à  d'autres  dont  les  noms  et  la  nature  nous  sont  connus  ; 
et  dcs-Iors  on  entrevoit  la  possibilité  de  parvenir  à  fixer 
le  sens  de  ce  mot,  au  moyen  d'un  parallèle  entre  le  décret 
d'Actium  et  les  autres  monumens  du  même  genre. 

J'ai  donc  recherché  toutes  les  inscriptions  analogues  à 
celle  d'Actium;  j'ai  examiné  les  formules  qui  sont  en 
tcée ,  et  je  me  suis  assuré  que  toutes  ces  formules  sont 
conçues  de  la  même  manière  et  offrent  la  même  grada- 
tion dans  les  dignités  des  personnages  qui  y  figurent: 
comme  les  noms  de  ces  dignités  nous  sont  connus  par 
des  textes  d'auteurs  anciens,  on  s'assure  que,  quoiqu'ils 
soient  différens  ,  leur  sens  est  le  même. 

Ce  fait  une  fois  constaté,  j'ai  comparé  la  formule  du 
décret  d'Actium  avec  celle  des  autres  décrets ,  et  ce  pa- 
rallèle m'a  mis  en  état  de  déterminer  par  analogie  de  quelle 
nature  étoit  la  dignité  du  promnémon  en  Acarnanie. 

11  faut  commencer  par  rappeler  la  formule  de  l'ins- 
cription d'Actium  : 

'Evr  ' /£,^7ra Ax  rS  'K-m»^cù\i   tS  'Aycrici  $/Ar^vo4, 

1éVix'Z!fofJLVA.iMi\u\  S^è  Nocooi/o'^K  TV  'Ae/çDx-AgVç  'Açax-V, 

Tç^/j.fxa.'zioç,  <^è  Ta.  GowAcc  Ilgpiroo  roî;  Aiovai^eot; 
Msc/g^TroA/Ta  .... 

"EJ^^e.  ra.  (iovXoL  KeLJ  TW  xjna  t  'A\^p\civcûv  ,  k.  t.  A. 

C'est-à-dire  : 

Philéinon  étant  hiérapole  d'Apollon  Actiique, 

Tome  VL  G» 


1J4  AIKMOIRLS  DL  L- ACADEMIE 

Agotarochus  d'AKzie,  fils  de  Nicias,  étant  proinncinon  , 
Nausiinacjue  d'Astacus  ,    fils  d  Arisiocics  ,   et    Philoxèin.',    fils 

d'Heraclite  de  Phœtia,  étant  sympromnémons, 
Pratus,  fils  de  Diopiihe,  étant  grefiîer  du  sénat, 
Il  a  plu  au  sénat  &c. 

Ce  prc'ambule  offre  Jonc  successivement,  i."  l'IiiciM- 
pole,  2,°  le  proinncinon  ,  3.°  les  sympromnémons  ,  4»"  le 
grefiîer  du  sénat. 

J'ai  peu  de  chose  à  dire  de  l'Iiiérapole ,  après  les  éclair- 
'BoUion.Cm-  cissemens  qu'a  donnes  à  ce  sujet  M.  lioissonade".  Ce  savant 

mfHt.p.ig.  i2o.  1-  <  I        •  •  •       •  C-      l-  I. 

^CtufW.Jjss.  '1  reconnu,  d  après  plusieurs  inscnptiojis  bicilienng>  ,  ijue 
*DViiill  Si-  ^^  "°'"  "^^'^'y"^  ""  pontife  dont  la  fonction  éloit  annuelfe. 
cia.p.jji.  Je  me  contenterai  donc  de  remarquer  que  la  formule 

Cautlli ,   i/jjj.  "  I  .... 

Ht,  2,  commence,  comme  toutes  les  autres  inscriptions  de  ce  genre, 

DOnnli.Stcul.  pj^  jg  i^om  du  souveraiii  pontife,  du  Siicwriim  cuiiiivr ;  t-t 
p-ig.  j/>~.  •  » 

qucle  titre  de  cette  dignité  varie  de  ville  à  ville,  autant  que 
'AhrmtrOio-  celui  du  magistrat  suprême  :  ainsi  les  décrets  de  Smvrne' 
'^7r„  et  de  Délos  '^  commencent  par  êth  iepéu^  i  ceux  de  Maiiné- 

A.aJ.  iiti  im-  sie',  par  Èth  çi<pctv>'{po/)i^;  ceux  d'Ephcse    ,  par  èrn  Àpyie- 

crtpi.Mtm.tcm.       ,  '  ,  ,  ,      '  /  I       ri  a 

.\/ 17/. p.j^r  P^^^  o"    ct-p^iepeu^   le^TiVovizn  ;  ceux  de  Isyzance»,  par 

' ALirmor.  Ox^  £70  iepçuva.uùVOi  ;  ceux  de  Malte  et  d'A<>riL'cnte ,  par  èyà 

*  Cotsini .Fan.  if^j^UTa  ;  cnfiu  celui  de  Gela,   par  î^7^  'ie^'Tr9\'t< ,  comme 

/,_  '*  le  décret  dActium. 

iinfrà.p.jio.        On  nesauroit  douter  que  ces  divers  titres,  lepet/ç,  "ii-f»- 

ne  désignassent  dans  les  différentes  villes  la  mt?me  dignité: 

c'ctoit  incontestablement  celle  du  souverain  pontife,  dont 

le  nom  paroissoit  en  tcte  des  décrets  et  des  traités.  Tous  les 

(KLi.p.jij.       critiques,  et ,  entreautres,  Prideaux,  Van-Dalc,  d'Orville, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  235 
ont  reconnu  dans  ces  pontifes  des  magistrats  épouymes  (i). 
Je  soupçonne  quils  ctoient  choisis  parmi  les  prêtres  de  la 
divinité  principale  adore'e  dans  chaque  ville  ;  cette  con- 
jecture, d'ailleurs  naturelle,  me  semble  confirme'e  par  l'ins- 
cription d'Actium,  qui  nous  montre  dans  l'hiérapole  le 
grand  prêtre  d'Apollon  Actiaque,  dont  le  culte  acquit  une 
nouvelle  importance  en  Acarnanie  après  la  bataille  d'Ac- 
tium. 

Pour  faire  mieux  sentir  la  justesse  du  parallèle  qui  va 
suivre,  il  ctoit  utile  d'établir  l'identité  de  l'hiérapolat  avec 
les  autres  dignités  religieuses  dont  on  trouve  les  noms  eji 
tête  des  inscriptions  du  même  genre. 

Immédiatement  après  l'hiérapole,  cette  inscription  offre 
le  titre  du  promnémon  et  des  sympromnémous ,  puis  celui  du 
greffier  du  sénat. 

Or  il  faut  remarquer  que,  dans  toutes  les  inscriptions 
Grecques  qui  contiennent  fies  décrets,  quand  le  nom  du 
pontife  est  suivi  de  celui  d'un  autre  magistrat,  ce  dernier 
est  toujours  le  magistrat  suprême,  l'archonte  de  la  ville; 
c'est  une  règle  à  laquelle  je  ne  connois  point  d'exception. 
Or,  dans  celle  d'Actium  ,  le  promnémon  vient  après  l'hié- 
rapole :  ainsi  ce  promnémon  ne  peut  être  également  que  le 
premier  magistrat,  l'archonte  des  Acarnanes. 

Je  me.  contenterai  de  rapporter  trois  décrets  de  trois 
villes  différentes,  Athènes,  Malte  et  Agrigente  ;  les  deux 
derniers   m'ont  paru    d'autant   plus   propres   à  servir   de 


(1)  Il  y  a,  sur  ces  prêtres  éponymes, 
un  passage  curieux  de'  Platon  :  Xo- 
^ipicL  3,  ira,   KsLr'  à/ntuiiv,  T  rsrçymy 


àiauTir,  OTraçcu/  ji'^imt)  f^iTfov  a  iS-f^v 
Tov  ^ôrov,  iû>ç  ew  «'/TOX/f  oixÂiTa^.  [  Plat. 
Legg.  XII,  p.  947,  ^-  ) 

G'ij 


i>,6  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

points  de  comparaison,  qu'ils  contiennent,  comme  celui 
d'Actium,  la  concession  des  titres  de  proxcnes  et  de  bien- 
faiteurs. 

La  première  inscription  est  de  Malte ,  et  ainsi  conçue  : 

Crtier.cccc,       'Eth  Iiç^'^vtV  'ixéro.  'Ix«ri<, 

•*-'.  ire  "E^^e  -vi  avyjQjnzj  ij  tS  S^ixu  t  MeA/7a/ù)v ,  k.  t.  A. 

C'est-à-dire  : 

Icétas,  fils  d'Icctas,  étant  hiéroihyte, 

Héréus  et  Cétès  étant  archontes, 

H  a  plu  au  sénat  et  au  peuple  des  Mélitéens  ,   &c. 

Ainsi  la  principale  dignité  civile,  celle  d'archonte,  se 
prcsente ,  comme  le  promtic'mou  dans  le  décret  d'Actium  , 
immédiatement  après  la  première  dignité  religieuse. 

Le  décret  d'Athènes,  rapporté  par  Josèphe,  est  dans 
le  même  cas  : 

iifS.fiM  Erra    AytJnx^eV^  a^px^v-nr., 

EtJxA>ï«  Mevâ*</)o5<  'AAf/*i<Jio4  i^a-f^^i^Tivin,  k.  t.  A. 

Denys  étant  pryiane  et  grand  prêtre, 

Agathocle  étant  archonte, 

Eudes  d'Alimûs,  fils  de  Ménandre  ,  étant  greffier,  Ac. 

Ici,  l'archonte,  de  mcme  que  le  promnémon  d'Actium, 
est  placé  entre  le  grand  prêtre  et  le  grcfïïer. 

Voici  la  troisième  inscription,  qui  est  d'Agrigente  ; 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      237 

"Ej^^t  Toi  oùAiaL  KOf  Ta.  {myyQs.i'm ,  x..  r.  A, 
C'est-à-dire  : 

Nyinphodore ,  fils  de  Philon ,  étant  hiérothyte  , 
Diodes,  fils  de  Diodes,  étant  proagore, 
Adranion,  fils  d'Alexandre,  étant  greffier, 
II  a  plu  &c. 

Cette  formule,  tout-à-fait  analogue  à  celfe  du  décret 
d'Actium ,  nous  ofîre  après  l'hiérothyte ,  ou  pontife  épo- 
nyme ,  le  proagore,  qui  tient  la  même  place  que  l'archonte 
dans  l'inscription  de  Gela  et  d'Athènes,  que  le  proninémon 
dans  celle  d'Actium  ;  et  il  est  également  placé  entre  le 
pontife  et  le  greffier. 

Dès-lors  il  me  paroit  impossible  de  douter  que  le 
promnémon ,  en  Acarnanie,  ne  fût  ie  magistrat  dont  la 
dignité  correspondoit  à  celle  de  proagore  à  Agrigente,  et 
que  CQ  proagore  ne  fût  lui-même  une  espèce  d'archonte.  Ce 
que  la  simple  analogie  fait  soupçonner,  est  confirmé  par 
des  textes  précis  de  Ciccron  ,  qui  nous  apprennent  que  le 
premier  magistrat  civil  de  plusieurs  villes  de  Sicile,  comme 
Catane  et  Tyndaris,  portoit  le  nom  de  proagore  (i). 

Or,  cojnme  il  est  constant  que  ïhie'rapole  d'Actium  es: 
ie  souverain  pontife  éponyme  ,  aussi  bien  que  Vhiereus, 
ïarc/iiereus ,  ï hiérothyte ,  &c.  des  autres  villes,  le  promné- 
mon, dont  ie  nom  se  montre  ensuite,  ne  sauroit  être  que  le 


Crtiler,  CCCCI, 
I. 

Ccrsini,  F.  A. 
Jl,p.4£i. 

CmuH.  ikiiS. 
VIII,  t. 


(i)  Catanam  cùm  venîsset(  Verres), 
0ppiduTn  Iccuplei  j  homstuin  ,  ccpio- 
sumj-Dionj/siarcfwm  ad  seproagoram, 


hoc  ast,  summum  magistratvm,  vccari 
juket.  (Cic.  Verr.  ly ,  f.  zj.  Conf, 
SS-  SP  f'  ■#"•  ) 


z^Z  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

premier  magistrat  civil  des  Acarnanes,  ainsi  que  l'archonte 
et  le  proagore  de  ces  mêmes  villes  ;  et  l'on  a  vu  ,  par  l'cty- 
niologie  du  mot  proiunémon ,  cpie  sa  si^nilîcation  propre 
ctoit  celle  de  ainiteiir,  inspecteur ,  lu/ministnjuur  supicme, 

Quant  aux  syitipromticnions  qui  paroissent  en  troisième 
ligne  dans  le  décret ,  on  voit  clairement  que  ce  sont  les 
collègues  du  promne'mon ,  qui  ctoit  en  quelque  sorte  le 
premier  archonte.  Cette  manière  dedcsignerjes  magistrats 
ilont  les  fonctions  sont  semblables ,  mais  dont  l'autorité 
est  un  peu  inférieure  à  celle  tl'un  autre,  n'est  point  sans 
exemple  en  grec  ;  on  la  retrouve  dans  cette  inscription 
de  Rhégium  : 

'  K.  r.   A. 

•Les  symprytanes9,ow\.Q\Vi<.\.^w\tni ,  comme  kssyniprflume'mons , 

les  collègues  du  premier  magistrat  ;  ce  sont  les  "afvreiveut; 

7nt/!6</Joo/,, comme  les  autres  sont  les  "Sfo/xvtL/juûvoç  7ivif)6c/]pci. 

On  trouve  de  même  dans-Eschine,  et  dans  un  décret  des 

Ajchit.  Fuit.   Athéniens,    rapporté  par  Josèphe  ,  le  moi  cmixtifôe^oi , 

JoM  I'à/iZ    po^""  tli-'''g"c''  'es  collègues  de  celui  qui  étoit  le  premier 

Juj.  xiy.  t.   jj(,s  pro(Jris  à  Athènes,  tov  'Zirfoécfpm  i-xiçairni,. 

§.    III.   Des   Hieromiihions. 

Jusqu'ici  nous  ne  savons  rien  de  ces  magistrats,  si  ce 
n'est  (jue  leur  fonction  doit  avoir  un  rapport  quelconque 
avec  la  religion.  On  a  seulement  pu  entrevoir  qu'il  y  avoit 
en  Grèce  plusieurs  espèces  d'/iieromnenions  :  je  vais  main- 
tenant en  donner  la  classification.  Comme  les  lexicographes 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  239 
et  les  scholiastes  ont  tout  confondu ,  selon  leur  habitude , 
je  m'efforcerai  de  distinguer,  dans  les  détails  qu'ils  nous 
ont  transmis  ,  les  traits  qui  conviennent  à  chaque  espèce 
en  particulier. 

Je  commencerai  par  les  hiéromncmons  d'Aristote. 

D'après  le  passage  que  jai  rapporté  plus  haut,  on  a  i'uvr.i.pug.^^o. 
vu  que  ce  sont  de  simples  grçfliers  ou  notaires,  chargés 
d'enregistrer  tous  les  actes  qui  avoient  un  rapport  quel- 
conque avec  la  religion  ou  ses  ministres.  Si  ces  officiers 
€xistoient  à  Athènes  ,  ce  qu'Aristote  ne  dit  point,  ils  dé- 
voient dépendre  de  l'archotite-roi,  qui  avoit  sous  sa  direc- 
tion tout  ce  qui  concernoit  la  i-eligion. 

Il  y  avoit  à  Mégare  une  autre  espèce  d'hiéi'omnémons, 
au  témoignage  de  Plutarqae  dans '-ses  Questions  sJynipo- 
siaques ;  il  fait  ainsi  parler  un  Mégarien  ./.ài'.pcapos/  de 
l'usage  dt:  ne  point  mangende  poisson  :  «Vous  ne  parlez 
«  pas  de  mes  concitoyens,  et  cependant  vous  m'avez 
«  souvent  entendu  dire  .que  ceux  d'entre  les  prêtres"'  de 
"'Neptune  que  nous  appelojis  ./ii/ro/w/i/mo/zj,  ne  mangent  ■ 
■•  jamais  de  poisson  (i).  >>  Voilà  tout  ce  que  Plutarqae  en 
dit:  mais  l'observance  particulière  à  laquelierfjes  hiéro- 
ranéinons  paroîtroient  avoir  été, seuls,  astreints  .entre  les 
autres  prêtres  de  Neptune,  la  divinité'  princjj^lejià  Mé- 
gare, anrtonce  qu'ils  étoient  liés  au  sacerdoce  par  des 
obligations  plus  étroites;  je- soupçonne  en  conséquence 
qu'ils  étoient  chargés  de  veillera  tout  ce  qui  concernoit  la 
religion.  Il  est  probable  qu'ilsi.remplissQient  à  Mégareie 
iTiôrneoffice  que  les  pontifesi  à   Rome,  Selon  toute, --ippar 

(')  '^J" «'■  tS  ncfff/J^Kjf  kpCi;  I  tarch.  Sympos.    l>^ïii ,    S,  t.   VIIT, 

■iç  iiptfXit(/Mtaf  KCLhi/Mt,  K.T.  A.  (Plu-  1;-.  ^/^,   éd.  ReiskA.) 


ï4o  MF.MOÎRF5  DE  LACADKMIE 

reiice,  ils  ctoient  les  dépositaires  des  archives  du  temple  , 
et  des  livres  sacres  :  cette  charge  se  retrouve  encore  sous 
la  mcme  dcsignatioii  dans  l'cgiise  Grecque,  dont  la  hié- 
rarchie a  conservé  pkisieurs  titres  empruntés  au  paga- 
nisme. L hicromnéiHon  des  Grecs  modernes  tient  sous  sa 
garde  le  contacium  (c'est-à-dire  ,  la  légende  abrégée  de  la  vie 
du  saint  dans  chaque  église ,  et  le  registre  des  ordinations  : 
CoJim.d'of-  0  Jt^Tf/  -n  KovTay.iov  kolj  liv  kcJSxyjl  t  yHP^izMciv ,  selon 
lU^.fMf./.  b.    1'^  ucrinition  de  Codmus  Luropalatas. 

On  a  également  lieu  de  présumer  qu'ils  étoient  les  /«- 

tcndiiHs  ou  administrateurs  des  Wens  sacrés ,  izt/jLictf  r  kpuf 

yjr fjja.TU^ ,  fonction  clairement  indiquée  dans  une  inscrip- 

Af.  Chmril,   tjon  de  Tliasos ,  où  il  est  dit  que  les  tlieores  feront  /sraver  le 

P*f.  10;  décret  dans  le  temple  de  Minerve ,  et  que  l  hie'romncmon  Journira 

aux  frais  nécessaires. 

La  dignité  d'Iiiéromnémon  étoit  à  Byzance  une  des  pre- 
mières de  l'État. 
DfmMth    it        Démosthtne  nous  a  conservé  un  décret  des  Byzantins 
1. 10 ,  Rtiikt.      41J'  c()mmence  par   la   formule  i7n    iiç^ix\aL.iMi^t^  Bo<r7i»- 
f^X^-  Cette   même  formule  se   retrouve   dans    un    autre 
P»i/ivi.;2.  décret  rapporte  par  Polybe,  tm  K&3Ti/vo4  iv  KctMiyemvo^ 
ie^u-^-Ajujoviiilot;  <iA/  Bw^ix*7ia  ;  et  lorsque  l'on  compare  cette 
formule   à  celle  des  autres  décrets  qui  commencent  par 
£7rî  iepéaç,  eip-^iepéuç,  Itfi^-rnMxj,  leQ^Bviu. ,  &c.  noms  qui 
désignent  tous   le  souverain  pontife,  on  ne  peut  douter 
que  ['hiéromnétnon  ne  fût   à  peu    près  chez    les  Byzantins 
ce  qu'étoit  l'archonte-roi  à  Athènes:  c'est  en  leur  qualité 
de  pontifes  (pie  ces  magistrats  plaçoient  leur  nom  en  tcte 
de  tous  kà  traités  d'alliance  et  de  paix,  de  tous  les  décrets 
du  gouvernement. 

Une 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      241 

Une  médaille  de  Byzance,  moyen  bronze  ,  dont  le 
savant  P.  Corsini  a  le  premier  fort  bien  lu  la  légende,  S.iggi.  diCo,- 
porte  lEPOMNA  AILI.  CEOTIIPOC.  BTZANTIOIC  :  elle  '^"^.4"!'  ^"' 
atteste  que  la  dignité  d'hiéromnémon  subsistoit  encore 
sous  le  règne  de  Lucius  Veriis ,  puisque  les  Byzantins  en 
avoient  donné  le  titre  à  cet  empereur.  On  peut  voir  à  ce 
sujet  Eckhel  et  Sestini. 

Enfin  le  marbre  de  Chalcédoine,  expliqué  par  Belley      Cnybs,  Rccuâ 
et  publié  par  Caylus,  montre  que  dans  cette  ville  il  y  avoit  jt"'pul''"yT'' 
un  liiéromnémon   dont  le   nom,  dans  les  décrets  publics, 
suivoit  immédiatement  celui  du  roi  ;  et  l'on    ne  sauroit 
douter  que  la  fonction  de  ce  magistrat  ne  fût  la  même 
qu'à  Byzance. 

II  résulte  de  ce  paragraphe,  que  chez  les  Grecs  le  mot 
hiéromnémon  a  désigné , 

I .°  Une  sorte  d'officiers  ou  notaires   chargés  d'enre- 
gistrer les  actes  relatifs  à  la  religion  ; 

2."  Des  prêtres  gardiens  des  archives  sacrées; 

3."   L'intendant  du  temple; 

4."  Le  grand  prêtre,  dans  certaines  villes. 

II  nous  reste  à  rechercher  quelles  fiu-ent  les  attributions 
de  ï/iieromnenio/i  amphictyonique. 


Tome  VI.  Hi 


2ii  MEMOIRES    DE    L'ACADEMIE 

TROISIÈME    SECTION. 

De-  i'Hicroninémon  amph'ictyomque ,   et ,   en  gctiéfûl ,  des 
Députes  composant  le  Conseil  des  Ampliictyons. 

HuMPHRYD  Prioeaux  dans  ses  notes  sur  les  Marbres 
de  Paros ,  Van-Dale  dans  sa  dissertation  de  Coiisilio  <wipliie- 
tyovico ,  Charles  de  Valois  dans  les  Mémoires  de  i'Aca- 
dcmie  ,  M.  de  Sainte-Croix  dans  son  excellent  ouvrage 
sur  les  Gouvernemens  icdcratifs,  semblent  avoir  rcimi 
tout  ce  qu'il  est  possible  de  savoir  sur  [ hieroniticmoiiic  tim- 
phietyonitjue :  cependant  leurs  recherches  sont  loin  d'avoir 
levé  toutes  les  dillicullrc's  relatives  à  la  composition  de 
l'assemblée  des  amphictyons,  aux  fonctions  et  aux  préro- 
gatives de  chacune  des  trois  classes  de  députés  qui  y  sic- 
geoieiit.  Cela  vit-nt  de  ce  que  les  textes  sont  en  très-petit 
nombre,  et  n'offrent  que  des  renseignemens  épars  ,  dont 
il  est  difficile  de  retrouver  la  liaison  ;  quand  on  veut  les 
rapprocher  les  uns  des  autres  ,  ils  paroissent  contradic- 
toires,  parce  que  lesdonnées  intermcdiairesqui  pourroient 
faire  disparoitre  la  contradiction  ,  semblent  man<jiier. 
Aussi  M.  de  Sainte-Croix  avoue-t-il  plusieurs  fois  l'em- 
barras que  lui  causent  toutes  ces  difficultés  ;  il  se  contente, 
pour  tout  ce  qui  regarde  les  députés,  de  proposer  des 
conjectures  qui  lui  paroissent  à  lui-nume  avoir  peu  de 
fondement. 

Je  vais  essayer  de  lever  (juehjues-unes  de  ces  contradic- 
tions ,  en  me  servant  de  plusieurs  textes  dont  on  n'.ivnit 
point  saisi  le  sens, 

Quoicjue  l'hiéromnémonie  soit   la  seule  magistrature 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRE"^.  243 
dont  j'aie  à  m'occupcr,  elle  est  tellement  liée  aux  autres 
classes  des  députes  amphictyoniques ,  qu'il  m'a  fallu  ,  pour 
établir  les  fonctions  de  la  première,  déterminer  aussi  celles 
des  autres.    • 

La  manière  dont  étoit  composée  l'assemblée  des  ani- 
phictyons,  n'est  nulle  part  mieux  exprimée  que  dans  ce 
passage  d'Eschine  : 

'<  Le  lendemain,  nous  nous  rendîmes,  dès  le  lever  de 
»  l'aurore,  au  lieu  prescrit;  de  là  nous  descendîmes  dans 
»  la  plaine  Cirrhéenne ,  et,  après  avoir  détruit  le  port  et 
»  mis  le  feu  aux  maisons  ,  nous  nous  retirâmes.  Nous 
"  n'avions  point  encore  fini,  que  les  Locriensd'Amphissa, 
"  qui  habitent  à  soixante  stades  de  Delphes  ,  s'avancèrent 
"  contre  nous  en  masse ,  les  armes  à  la  main  ;  et  si  nous 
«  n'eussions  en  toute  hâte  regagné  la  ville  de  Delphes  , 
»  nous  courions  risque  de  périr. 

»Le  jour  suivant,  Cottyphus,  celui  qui  compte  les  suf- 
»  frages  ,  convoqua  l'assemblée  des  amphictyons.  Or  on 
••  appelle  assemblée  la  réunion  non -seulement  des  py- 
»  iagores  et  des  hiéromnémons ,  mais  encore  de  ceux 
»  qui  prennent  part  aux  sacrifices  et  qui  consultent  l'o- 
'»  racle  (1).  » 

■  L'assemblée,  ètcy.^Yiaia, ,  se  compose  donc  de  la  réunion 
des  pylagores ,  des  hiéromnémons,  et  d'une  troisième  classe 
de  députés  qu'Eschine  ne  désigne  que  par  une  périphrase, 
mais  qui  ne  peuvent  être  que  les  théores  ,  comme  on  le 
verra  par  la  suite. 


raf  v^y^ULhimunt ,  «Mot  yjfj\  7VÇ  niv^vey- 


■jw;   x.tti  ^upjivuç  Tû>   9it^>.   (  yîlschin. 
contr.  Ctesiph.  p.  yi ,  l.  y  sq.  ) 

H'ij 


i44  .Ml MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Je    m'attacherai    principalement   aux   deux    premières 

classes ,  parce  qu'il  y  a  peu  de  chose  à  dire  de  la  troisicme. 

Le  nombre  des  hicromncmonset  des  pylagorcs  est  assez 

facile  à  dcterminer. 

*  .■Euhin.Ftili         On  sait  par  plusieurs  passages  d'Eschine"  ,  par  un  Irag- 

4f:Ç!foJ.'~]   ment  des  T/tcsnio/Ziories  d'Aristophane^,  et  par  le  serment 

p.  71. /■ -'/■       Jes   hc'liastes  dans   Dcmosthcne'^  ,    ciu'Athcncs  nonnnoit 

^■ApuJBrunck.  ^  '      ^ 

in    ArUwph.t7,.  au  sort   un  seul  hicromncmon. 

eJit.    wm.   m ,  r\  1  i  ■  1 1  1  i  /         • 

p.2i0.  (^uant  aux  pylagores,    chaque  ville,  selon  le   tcmoi- 

•Demosth.coK-  gnage  de  Strahon  ,    n'en   envovoit  qu'un   à   l'assemblée  : 

7,^7,/.;.  cependant  il  résulte   clairement  d  un   passage  d  Lschine  , 

Smit.  m.  IX.  que    le    nombre   des  pylagores  Athéniens   montoit  quel- 

png.if^o,  txao<  r    •       '     ^       •  »•!  III  '-Il  •.  1.  J 

fT-_     ^         (lueiois  a  trois,  et  il  est  probable  qu  il  devoit  en  être  de 
AajpVjtr.  même  des  autres  peuples  qui  avoieiu   le  droit  d'envoyer 

C^Jph'!'p^"c9.  ^^s  députes  à  l'assemblée  des  amphictyons.  Cette  contra- 
'•  4"-  diction    me  semble  s'expliquer   d'une   manière  naturelle. 

On  sait,  à  n  en  pouvoir  douter,  que  chaque  peuple  am- 
phictyonique  n'avoit  que  deux  sufhagcs  ,  dont  un  pour 
l'hiéromnémon  ,  l'autre  pour  les  pyl.igores  :  on  C()n(,oit 
donc  que,  (juand  Athènes  ainsi  que  les  autres  villes  en- 
voyoient  A  l'assemblée  trois  pylagores  (sans  doute  dans 
les  occasions  où  les  affaires  ctoient  nombreuses  ou  impor- 
tantes) ,  il  étoit  impossible  que  chacun  des  pylagores  eût 
un  suffrage  particulier  ;  il  est  certain  au  contraire  qu'a- 
près avoir  délibéré  à  égalité  de  droit  ,  ils  s'arrctoient  à 
l'opinion  qui  avoit  l'assentiment  de  deux  il'entre  eux,  et 
la  manifestoient  j^ar  un  sulîrage  collectif,  (jui  ,  avec  celui 
de  l'Iiiéromnémon  ,  lormoit  les  deux  suffrages  accordés  à 
chaque  nation.  Ainsi,  quel  que  fût  le  nombre  des  pyla- 
gores ,  ils  ne  comptoient  que  pour  un  seul  ,  et  c'est  pro- 


Aiiifl.  insirifit. 
Aient,  lom.  III , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      245 

jbablement  là  ce  que  Strabon  a  voulu  dire  ;  mais  il  auroit 
dû  s'exprimer  plus  clairement. 

Avant  de  rechercher  quelles  ctoient  les  fonctions  par- 
ticulières à  chacune  de  ces  deux  classes  ,  J'essaierai  d'é- 
ciaircir  les  textes  relatifs  au  rang  et  aux  prérogatives  de 
chacune  d'elles  dans  l'assemblée. 

Charles  de  Valois  a  fait  voir,  et  tous  les  savans  ont 
reconnu  après  lui ,  que  l'assemblée  ctoit  présidée  par  un 
hiéromnénwii ,  qui  comptoit  les  suffrages  et  qui  convoquoit 
l'assemblée. 

Un  texte  d'Hésychiuset  du  Grand  Étymologiste  semble 
ici  faire  difficulté  :  'sniAct-ppctf ,  oî  'wfoiqSnn';  tyic,  tw^c/lUç  ,     Heychms,vocc 
disent  ces  lexicographes.  Ce  sont  deux  témoignages  qu'il    ni>Aa5^/!a<.£y> 

01  c>       o  X.  m, 'li'i^.magn.  ca- 

ne faut  pas  mettre  de  côté,  comme  l'a  fait  Charles  de   'à»i  ,vce. 

Valois  ;  car  ils  sont  d'accord  avec  celui  d'Eschine,  qui, 
ïiommant  les  députés  ampiiictyoniques,  place  les  pylagores 
en  tête  et  les  hiéromnémons  à  la  suite. 

Une  difficulté  du  même  genre,  mais  plus  grande  en- 
core, est  celle  que  présente  le  texte  de  deux  décrets  am- 
phictyoniques  rapportés  par  Démosthène.  Le  premier  est 
ainsi   conçu  :  'Eth  lipéuiç,  KAsiVit'pp'i^ ,    iac/pmc,   Tn^Xcaion  ,   '^"["g'^^'li^'' 

c'est-à-dire:  "  Sous  la  prêtrise  de  Clinagoras,  l'assemblée 

>'  étant  celle  du  printemps,  il  a  plu  aux  pylagores  et  aux 

»  synèdres  des  amphictyons .  ...»  La  teneur  du  second 

est  à  peu  près  la  même ,  excepté  qu'après  les  synèdres  des     '-i-^'".  p-  -7-'^. 

tutiphictyotis ,  on  lit,  Kctj   to  jouvw  t  ût/^'Cpix.Tt/ovwv  (i). 


.^iiprii,  y.  24 j. 


Dcnwsih.    de 


.  uli.Ct  ZJ'j^l.  I. 


(1)  Reiske  et  Harles  ont  placé 
également  ces  mots  dans  le  texte  du 
premier  décret;  je  pense  qu'ils  ont  eu 


tort.  J'explique  plus  bas  (ydg.  2^8) 
d'où  vient  cette  différence  dans  te 
protocole  des  deux  décrets. 


2.i(i  Mr.MOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Dans  ces  deux  Jccreis  ,  il  n'est  luillement  question  des 
///Vn)/«/;mo//^;  or  n'est-il  pas  tout-à  fait  extraordinaire  tjiic 
l'une  des  deux  principales  classes  ne  paroisse  point ,  tandis 
(ju'on  y  trouve  nommée  la  troisième  classe  des  dcpiitcs  cjui 
n'avoient  pas  droit  desurfrage,  comme  je  le  dirai  liientôtî 
SaiHir- Croix.    Les  conjectures  que  tait  ici  M.  de  Sainte-Croix ,   ne  me 

Cour./tJtr.tlih.  .  .  •    r  •  /-»       i  i   •  '  ' 

f>ag./f.  paroissent  point  satisfaisantes  :  «  Ou  les  nicromncmons, 

"  dit-il ,  n'avoient  point  de  voix,  ou  ils  se  retiroient  après 
»  avoir  fait  leur  dénonciation  ,  ou  enfin  ils  n'ctoient  plus 
"  comptes  que  parmi  les  pylagores  ,  lorsqu'on  se  trouvoit 
»  aujuomenlde  délibérer.  >»  Il  seroit  trop  long  de  montrer 
toutes  les  raisons  qui  empêchent  d'admettre  aucune  de  ces 
conjectures:  j'aime  mieux  exposer  l'opinion  qui  m'a  paru 
ressortir  naturellement  de  la  comparaison  de  tous  les  laits. 
Les  deux  difficultés  à  lever  sont  celles-ci  : 
I  ."•  L'hiéromnémon  présidoit  l'assemblée,  et  cepen- 
dant les  pylagores  sont  qualifiés  de  c/re/s  de  cette  tissemblée, 

'Ofoiq^Tii    T7)4    7rV/\ef.laLi. 

1  **  Les  liiéromnémons  ne  paroissent  pour  rien  dans  les 
délibérations  ,  et  cependant  c'étoit  l'une  des  deux  classes 
principales. 

La  solution  repose  sur  un  seul  fait  (ju'il  s'agit  de  bien 
établir  :  c'est  que  le  corps  des  hiéromnémons,  ainsi  que 
l'hiéromnémon  président,  sont  nommés  dans  le  texte  de 
ces  décrets,  mais  sous  un  autre  nom;  ce  (]ui  a  empcclié 
de  les  rec^nnnître. 

Je  commence  par  la  formule  èvri  tepéui<i  KAgivct^/)». 

Humpliryd  Frideaux  croit  que  \*ar  lepivç.  il  faut  entendre 
le  pontife  de  Delphes  ;  Van-Dale  et  Charles  de  Valois 
pensent  que  ce  titre  désigne  l'hiéromnémon  :  ce  dernier 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      247 

voudroit  même  corriger  le  texte,  et  lire  leç^fA-VYi/uovot^aii  lieu 
de  kficoç,  ,  correction  bien  difficile  à  admettre  ,  parce 
qu'il  faiidroit  la  faire  subir  à  deux  passages  à-la-fois.  Ces    Acad.  immpi. 

I  .      .  .  ^        j-     ,     ■  '""■    /^/.     V'S- 

deux  opinions,  quoique  contradictoires  en  apparence,  cofi-  j,, 
duisent  cependant   par  leur  réunion  à  la  solution  de  la 
difficulté. 

Celle  de  Van-Dale  et  de  Charles  de  Valois  est  fondée 
sur  d'autres  passages,  où  le  décret  amphictyonique  porte 
le  nom  de  i'hiéromnéinon  en  charge;  et,  dans  ce  cas,  on 
voit  que  gvn  'lepéa/;  est  synonyme  <le  éva  h^fA-vri/ucvoi. 

L'opinion  d'Humphryd  Prideaux  est  appuyée  sur  ce  que 
le  mot  lepeut;  ne  peut,  dit- il,  s'appliquer  qu'au  prêtre  de 
Delphes. 

11  est  singulier  que  Prideaux  n'ait  pas  fait  le  dernier 
pas,  qui  l'auroit  conduit  à  une  explication  complète  :  il 
suffisoit  d'imaginer  que  le  pontife  de  Delphes  étoit  alors 
hiéromnémon,  et  présldoit  l'assemblée. 

En  effet,  selon  les  lexicographes  Suidas  ,  Photius  et 
Zonaras,  tout  peuple  amphictyonique  envoyoit  un  hiéro- 
mnémon à  rassemblée(i),  et  nous  savons  que  cette  assem- 
blée étoit  présidée  par  v\n  de  ces  hiéromnémons  :  il  est 
donc  naturel  d'admettre  que  chaque  peuple  avoit  à  son  tour 
l'honneur  de  la  présidence  ;  aucun  texte  ne  s'y  oppose  ,  et 
cela  est  entièrement  de  l'essence  de  l'assemblée  amphic- 
tyonique,  où,  selon  le  témoignage  d'Eschine  ,  les  droits  de 
la  plus  foible  nation  étoient  égaux  à  ceux  de  la  plus  puis- 
sante (2).  C'est  d'ailleurs  ce  qui  résulte  d'une  inscription 
rapportée  par  Cyriaqued'Ancône  et  reproduite  par  Gruter , 


JlÀ.i-n^)STCilV. 


.UtyiÇlV  Tû)  i\aTovi. 


xà-Po 


24S  MKMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Reinesius,  Van-Dale,  Marsham,  Muratori,  Taylor,  Corsini, 
n.'J»ill.Tour  F.ckhel,  Sestini,  &c. ,  gravée  sur  un  excJre  à  Delphes,  et 
!«/./.;.. /y.v      dont  le  commencement  des  deux   premières  lignes  sub- 
siste encore.  Au  temps  de  Cyriaijue  d'Ancône,  elle  ctoit 
entière  ;  voici  comment  il  l'a  donnée: 

J»scri}M.  f.  .V.-.       ^        ,  ,  .  -^  '  j  J'  '        /      \ 

Actu.f*'vo$. 

C'est-à-dire: 

[Cet  édifice  a  été  construit]  Aristngoras  étant  archonte  à 
Delphes,  l'assemblée  étant  celle  du  printemps  ,  les  Etoliens  exer- 
çant l'hiéromnémonie;  Alexamène,  fils  de  Damon  ,  étant  polé- 
marque. 

M,  de  Sainte -Croix  rapporte  cette  inscription  à  fa 
première  année  de  la  CLX,*^  olympiade,  i4o  ans  avant 
SMutt-Crvix,  J.  C.  ;  et  il  en  conclut  que  les  Etoliens  s'étoient  arrogé 
riiiéromnémonie  à  Delphes  :  cette  opinion  me  paroît 
fort  vraisemblable.  J  ajoute  que,  par  les  mots  A/twASv 
ieç^u.vrfjU)vvÇ]ci>v ,  les  Etoliens  ont  probablement  fait  allu- 
sion à  la  formule  consacrée  parmi  les  nations  amphic- 
tyoniques,  et  qui  consistoit  sans  doute  à  indicjiier,  dans  les 
décrets  de  chaque'année  ,  le  nom  du  peuple  dont  l'hiéro- 
mnémon  présidoit  l'assemblée;  de  même  (jue  l'o»  mettoit 
dans  ces  décrets,  par  exemple,  Boio-rai ,  ou  Aut^eav,  vu 
'lûvciii  l'e^M.vr^vw'y'îwy.  Ainsi  les  Ktoliens  ,  pendant  le 
temps  de  leur  usurpation  ,  auront  voulu,  à  l'exemple  des 
autres  Grecs,  employer  inie  formule  qui  attestoit  l'honneur 
dont  ils  jouissoient  à    leur  tour. 

(i)  Au  lieude  Am^c^'iv,  M.  Dodwcll  a  lu   AM^iu/f^. 

Ainsi 


f>^.6f. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      249 

Ainsi ,  dans  l'annce  à  laquelle  se  rapportent  les  décrets 
cités  par  Démosthène,  il  a  pu  se  faire  que  ce  fût  au  tour 
des  Deiphiens  à  jouir  de  l'hiéromnéinonie,  et  que  le  choix 
fût  tombé  sur  le  pontife  du  temple.  ^ 

De  cette  manière  s'expliqueroil  naturellement  la  formule 
g7n /epéa>^  KAsii/ct^g^iii  ;  et  l'on  conçoit  en  effet  que  l'emploi , 
par  excellence,  d'une  semblable  formule,  qui  ne  pouvoit 
s'appliquer  qu'au  pontife  de  Delphes,  rendoit  tout-à-fait 
inutiles  les  mots  AeAcpwv  jg^yM.vn^cis'V/wv,  dont  on  seseroit 
probablement  servi  dans  tout  autre  cas,  comme  on  est  en 
droit  de  le  conclure  de  l'inscription  rapportée  plus  haut. 

Cette  explication  de  la  formule  èvr\  lepéac,  fait  déjàdis- 
paroîtreune  des  principales  difficultés;  car  on  voit  qu'il  est 
réellement  question  de  \' hiéromnémon  en  tête  du  décret. 

II  ne  reste  plus  qu'à  savoir  pourquoi  le  corps  des  hié- 
romnémons  n'y  paroît  point. 

Charles  de  Valois  soupçonnoit  que  les  hiéromnémons  Aù-j.  inuript. 
y  étoient  désignés  par  le  mot  de  synèdres.  La  raison  qu'il  "l"^'  '  '"'"' 
donne-de  cette  idée  est  si  peu  naturelle  ,  qu'elle  a  empêché 
M.  de  Sainte-Croix  de  l'adopter  :  en  mettant  de  côté  l'ex- 
plication ,et  en  ne  considérant  que  l'opinion  en  elle-même, 
je  trouve  qu'elle  est  très-fondée,  et,  à  vrai  dire,  la  seule 
capable  de  rendre  compte  de  plusieurs  difficultés  à-la-fois. 

Pour  s'en  convaincre,  il  faut  rapprocher  le  texte  du 
décret  d'un  passage  d'Eschine  déjà  cité.  Selon  cet  auteur, 
l'assemblée  [  o«.KA«cnct,  ]  des  amphictyons  se  composoit,  et 
remarquons  bien  l'ordre,  i  ."^  des  pylagores  ;  z."  des  hié- 
romnémons ;  3.°  des  théores ,  qu'Eschine  désigne  ainsi  : 
01  cn/v^vovTîi;  tcct^   ■^ujULîvoi   tS  déco. 

Maintenant  voici  le  décret  :  «  Il  a  plu  aux  pylagores, 
Tome  VI.  I' 


25 o  Ml, MOIRES  Dr  i:\CADi..\UE 

•»  aiix"synctlres ,  et  au  commun  Jes  ainphictyons,  Je  &c.  >> 

11  'faut  observer, 

I.''  Q.iie  le^  liiéroinncinnns  iic  soin  point  nK-iiti-'unc-s 
dans  ce  ^décret  ; 

2."  Que  les  syncdres  du  décret  correspondent  précisé- 
ment, dans  l'ordre,  aux  hicromnémons  du  passage  d'Es- 
cliine; 

j."  Qiie  les  espressinns  t£  jwivoï  t  eLixÇiit,xjovcù\  ré- 
pondent à  la  troisième  classe  de  députés  ,  savoir,  aux 
tliéores,  qu'Esciiine  appelle  «ruvSuov/eç  ,  c'est-à-dire,  co- 
sdcrifitins  (et  M.  de  Sainte-Croix  lui-mcme  reconnoît 
ailleurs  les  théores  dans  cette  troisième  classe); 

4."  Qu'en  conséquence,  si  l'on  N'eut  faire  des  synèdres 
une  classe  à  part,  il  en  résultera  quatre  classes  de  députés,  ce 
qui  met  les  deux  textes  en  contradiction  l'un  avec  l'autre; 

5."  Que  si,  au  contraire,  on  admet  l'identité  des  hiéro- 
mnémons  et  des  synèdres ,  tout  s'explique:  or  il  est  à  remar- 
quer que  le  mot  syncdres.  qui  signifie  ceux  ijiii  sic'i^cnt  en- 
semble (avec  égalité  de  droit],  est  entièrement  propre  à 
désigner  les  hiéromnémons ,  n.  l'exclusion  de  la  troisième 
classe,  puisque  seuls  ils  Jouissoient,  avec  les  pylagores , 
ilii  droit-de  suffrage,  et  qu'en  conséquence  le  mot  £rvve</)oO( 
ne  pouvoit  convenir  tju'à  eux  seuls,  La  seconde  classe  de 
députés  étnit  ilonc  désignée  par  un  double  nom,  hiéromné- 
mons et  svnèdres .  comme  la  troisième  l'étoit  par  trois  noms 
ditfércns,,  jw/vov  atatpix  t^onoiv ,  dsu'çQi  et  coivCoovg^  ;  et  ce 
«ni  .icliève  de  dissiper  à  cet  é^artl  tous  les  doutes,  c'est 
T/  uti  passage  de  I.ibanius,  aucjuel  on  n'a  point  fait  attention, 
f  ,  .,    et  qui  est  ainsi  con(,u  :  'O  le^uvruui  i\i-)<'Tt  ô  •ntu.'7n[/.(\oc, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LET  1RES.       251 
On  fait  ainsi  disparoître  la  seconde  difficulté,  qui  con- 
sistoit  en  ce  que  les  hiéromnémons  sembloient  n'avoir  été 
pour  rien  dans  les  délibérations. 

Il  s  ensuit  que  ,  dans  le  décret,  dansEschine,  Hcsychius 
et  le  Grand  Etymoiogiste  ,  que  par- tout  enfin  les  hiéro- 
mnémons, comme  je  l'ai  dit,  ne  passent  qu'après  les  py- 
lagores ,  quoique  ce  fût  un  hiéromnémon  qui  présidât 
l'assemblée.  Ce  fait  nous  révèle  une  disposition  remar- 
quable. 

D'une  part,  les  pylagores  avoient  la  prééminence  sur 
les  hiéromnémons. 

De  l'autre,  c'étoit  parmi  les  hiéromnémons ,  placés  au 
second  rang,  que  l'on  choisissoit  le  président  de  l'as- 
semblée. Ainsi  les  avantages  ét'oient  compensés  :  par  ce 
moyen  ,  on  ne  laissoit  aux  pylagores  qu'une  partie  de  leur 
prééminence,  on  empcchéS't  l'influence  trop  grande  qu'ils 
auroient  pu  prendre ,  et  l'on  rendoit  en  mcme  temps 
hommage  au  ministère  sacré  dont  les  hiéromnémons 
étoient  investis. 

Dès -lors  il  convient  de  changer  la  classification  des 
députés  donnée  par  M.  de  Sainte-Croix  :  au  lieu  des 
pylagores,  des  hiéromnémons  et  des  synèclres,  il  faudra 
dire  \es  pylagores ,  les  hiéromnémons  ou  synèdres ,  les  théores 
ou  cosûcrifiiVis ,  le  commun  des  timphictyons. 

Je  vais  maintenant  déterminer  les  attributions  parti- 
culières à  chacune  de  ces  trois  classes.  Pour  prouver  que 
ce  travail  n'est  point  inutile,  et  qive  la  matière  est  encore 
for^t  obscure,  il  me  suffira  de   dire  que  M.  Larcher,  même     /'"•'/'    "-ad. 
après  la  publica-tion   de  I  ouvrage  de  M.  de  Sainte-Croix,  pag.  272. 
regardoit  encore  les  fonctions.  des;pylagores   comme  les 


2,2  MK.MOIRnS  DE  I.'ACADEMIE 

nitmes  que  celles  des  hitroinncinons,  et  cependant  elles 
ctolent  bien  différentes. 

M.  Je  Sainte-Croix  a  distingue  les  deux  attributions 
de  l'assemblée  am|iliiityonique  :  l'une  étoit  l'ailministration 
du  temple  et  des  trésors  de  Delphes;  et  l'autre,  le  maintien 
de  tout  ce  (jm'  concernoit  le  droit  public  de  la  Grèce.  Elles 
sont  en  effet  clairement  indiquées  toutes  deux  dans  le 
serment  (|ue  faisoient  les  membres  de  l'assemblée. 

Or  des  autorités  positives  me  paroissent  établir  que  cette 
distinction   peut  s'appliquer  aux  fonctions  des  deux  pre- 
mières classes  de  députés;  c'est-à-dire,  que  l'une  étoit  char- 
gée des  affaires  politiques,  l'autre  des  affaires  religieuses. 
Ainsi  les  pylagores  s'occiipoient  exclusivement  de  toutes 
les  questions  de  droit  public  ;  ils  récompensoient  les  ser- 
vices rendus,  à  la  Grèce,    condamnoient  à  des  amendes 
les  peuples  qui  violoient  le  droit   des  gens.  Les  auteurs 
distinguent  assez  rarement  les  opérations  de  chaque  classe 
en  particulier,  et  les  reprébcntent  en  général  comme  celles 
de  l'assemblée  tout  entière  ;  cependant  la  distinction  cjuc 
j'établis  ici  ne  dérive  pas  simplement,  par  voie  d'exclusion, 
de  ce  que  je  dirai  des  hiéromnémons  :  il  existe  un  passage 
d'Hérbdotc,  qui  me  semble  à  cet  égard  décisil  ;  on  le  trouve 
à  l'endroit  où  l'historien  raconte  les  poursuites  que  les  am- 
phictyons  firent  contre  P.phialtès  ,  qui  avoii  indiqué  aux 
Perses  le  sentier  de  montagne  par  lequel  ils  tournèrent  les 
Grecs  î»iix  Thermopyles.  Hérodote  dit  que  la  tête  du  perfide 
Hrr»./    Il/,  fut  mise  à  prix  par  [gs  pyLignres  :KeLf  oi  (^u^vTj.ÛTre  t  7rt/;\gt- 

CAov  èTTiKupvydr^  :  c'est-à-dire ,  "  Les  amphictyons  s'étant  for- 
»  mes  en  assemblée  générale,  les  pylagores  mirent  h  prix 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  255 
>>  la  tète  d'Éphialtès,  qui  s'étoit  enfui.  »  Remarquons  cette 
distinction  entre  les  amphictyons  et  les  pyla^ores  :  l'intention 
de  l'historien  est  d'autant  plus  évidente,  qu'il  pouvoit  se 
e  mettre  y-cuf  01  (pvp^Tl,  utto  t  (XM.^/>ciwov«v  £iç 
TJ)!/  TrvP^icvi  av^e-p/uivciv,  "^yvpiov  è7nKnpv^9v.  Dans  un 
autre  passage,  au  chapitre  suivant,  il  s'exprime  de  la 
même  manière  :  otî  0/ t 'EMvivwv  7W?\g.')3ç^[  i7nxripv^J\»j —  f.,^^^j  ^.,,_ 
"^yjpiov  —  Ê7n 'EthocAt);  TO  Tpp^/v/o).  Ces  passages  prou-  -'^■ 
vent  que  ,  quoiqu'en  générai  les  opérations  du  conseil , 
quelle  qu'en  fût  la  nature  ,  fussent  censées  émanées  de 
l'assemblée  entière,  sans  distinction  de  classes,  cependant 
il  arrivoit  que,  dans  des  circonstances  fort  importantes, 
on  voyoit  paroître  isolément  la  classe ,  soit  des  pyla- 
gores  ,  soit  des  hiéromnémons,  qui  avoit  dû  particulière- 
ment dénoncer ,  poursuivre  l'affaire  ,  et  en  presser  la 
décision. 

C'est  ce  qui  deviendra  évident  par  les  textes  que  je 
vais  rassembler  pour  prouver  que  les  hiéromnémons 
ctoient  chargés  spécialement  des  affaires  religieuses. 

Lorsque  les  amphictyons  décidèrent  que  l'on  devoit 
s'emparer  du  territoire  de  Cirrha  ,  regardé  comme  consacré 
à  Apollon ,  et  que  les  Locriens  d'Amphissa  avoient  mis 
en  culture,  ce  furent  les  hiéromnémons  qui  proposèrent  le 
décret:  Tot;^   leç^f^)iyi/j.o)ioiç    Tnidei   'J^vcpiaztodtxj   7n.ç^U/\.^è7i      AvnosM.    rfir 

\  /  Coioiia,  V.  -'77, 

En  parlant  d'un  fait  analogue,  Diodore  s'exprime 
comme  Déniosthène.  Les  Phocéens ,  condamnés  à  une 
amende  au  profit  du  trésor  de  Delphes,  ne  consentoient 
pas  à  la  payer.  Les  hiéromnémons  ,  dit  cet  historien  ,  accu- 
sèrent les  Phocéens,  dans  l'assemblée   des  amphictyons, 


2;4  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

el  se  dccidcrent  à  confisquer  leur  territoire  au  profit 
d'Apollon  ,  si  ce  peuple  persistoit  à  ne  point  payer 
l'amende  qu'il  devoit  au  temple  (i).  On  peut  citer  encore, 

//ij.T/.f    -I/.W  à  ce  sujet ,  une  inscription  du  temps  des  empereurs  ,  où  il 
/W...//././/.  '    .  '      ,.,  ■,,,..  ... 

pag.s'i.  est  question  (autant  qu  il  est  possible   d  en  jugtr  dapics 

l'état  de  la  pierre)  d'un  différend  entre  les  Anticyréens  et 

les  Delpliiens,  relatif  à  une  fixation  de  limites.  On  v  voit 

que  la  décision  qui  tend  à  fixer   les   droits  respi-ctits  des 

i\K:\.\\   peuples,  1  un  avec    l'autre,   par  rapport    au   terrain 

sacré,  consecrata  regio ,  est  rendue  par  les  liicromnémoiis. 

il  résulte  de  ces  passages  que  les  hiéromnémons  fai- 
soient,  en  ce  qui  concernoit  la  religion,  ce  que  les  pyla- 
gores  Idisoient  pour  les  affaires  de  droit  public,  c'est-à- 
dire,  qu'ils  dénonçoient  les  délits,  et  proposoient  les  dé- 
crets qui  en  ordonnoient  la  punition. 

il  existe  un  passage  d'Eschine  fort  curieux  ,  et  qui  nous 
amène  au  même  point  ,  en  ce  qu'il  fait  \oir  que  ,  quand 
l'assemblée  jugeoit  un  décret  nécessaire  sur  une  matière 
religieuse,  elle  arrctoit  (juc  les  hiéromnémons  seroient 
requis  de  le  lui  présenter.  «>  Les  amphictyons,  ilit  cet 
»  orateur,  arrêtent  que  les  hiéromnémons  doivent  se 
»  rendre  à  la  pvlée  suivante,  et  au  temps  prescrit,  en 
"  apportant  un  décret  qui  déclare  que  les  Amphissiens 
'■  doivent  payer  la  peine  des  délits  dont  ils  se  sont  rendus 
"  coupables  envers  le  dieu  et  les  amphictyons  {2)." 
•   C'est  enfin  de  cette  manière  qu'il  faut  interpréter  un 


(l)    'Ou«    ônmiit']û>t    </l'   ai/T&'r    in 
i/^ior  nÇiVr,  i<u  fjui  m  ^rfÀola  V/f  diâ< 


(ytM  à-mçtfv/.ut  T   ^loc.   (  Diod.   Sic. 
■VI /,  Jj^) 

Tn/fiaiajÇ  c»  ^»iT4»  ^^*(f,  t;>|«»'nw  /«j^a, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      255     -^ 
autre  passage  du  même   orateur,  dont  Charles  de  Valois 
me  paroît  avoir   fait  une  fausse  application.  «Sous  l'ar-       â^sMu.  de 
»  chontat  de  Thcophraste,  dit  Eschine,  Diognète  d'Ana-  /'^^'  '^  ''  '■'' 
»  phiyste  étant  hicromnémon ,  vous  choisîtes  pour  pyla- 

»  gores  Midias.  .  .  .  ,  Thrasiciès et  moi.  A  peine 

»  étions-nous  arrivés  à  Delphes,  que  l'hiéromnémon  tomba 
»  malade  de  la  fièvre ....  ce  qui  n'empêcha  pas  les  autres 
»  amphictyons  de  s'assembler.  Quelques-uns  d'entre  eux, 
»  voulant  témoigner  leur  affection  pour  Athènes  ,  nous 
»  apprirent  que  les  Amphissiens  ,  livrés  alors  et  tout-à- 
»  fait  dévoués  aux  Thébains,  avoient  proposé  un  décret 
'»  tendant  à  faire  condamner  notre  ville  à  payer  cinquante 
"  talens  ,  parce  que  nous  avions  appendu  les  boucliers 
»  d'or  dans  le  nouveau  temple  ,  avant  qu'il  eût   été  con- 

»  sacré  par  les  cérémonies  d'usage L'hiéro- 

»  mnémon  me  fit  venir,  et  me  dit  qu'il  jugeoit  à  propos 
»  que  j'entrasse  dans  le  conseil  pour  prendre  la  défense 
»  d'Athènes  (i). '»  Le  sujet  sur  Jequel  il  convenoit  de  parler 
avoit  trait  à  la  religion  ;  conséquemment  c'étoit  Thiéro- 
mnémon  qui  devoit  prendre  la  parole  :  mais  la  fièvre  l'em- 
pêchoit  de  participer  aux  délibérations  ;  il  fit  venir  l'un 
des  pylagores,  et  lui  donna  l'autorisation  de  parler  pour 
lui  :  sans  cela,  le  pylagore  n'iiuroit  probablement  pas  osé 
empiéter , sur  les  prérogatives  de  l'hiéromnémonie  en  se 
mêlant  d'une  affaire  religieuse  qui  n'étoit  point  dans  ses 
attributions. 


«'  iiç  T  Sitv,  É  Tvy  ym  rny  kççiiv  i.  T6ç 
aupDiivovou;  î^vi/juLp-nv .  (/Eschin.  </,• 
Fais.  Leg.  Tp.  yi ,  l.  12.) 

(1)  MnaTnfA.-l.a,ukyoç  Si  /uui  o  !i^- 


■TvKio'ç.  (.-tschin.  Fais.  Leg. pag.yo , 
L    6,    ,q.  ) 


2^6  MEMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

Cle  passage,  joint  aux  prcccJens,  met  hors  de  cloute  la 
nature  des  fonctions  des  hicromnt'inons  et  des  pylai^ores. 

On  voit  que  les  Iiicroninc'monsctoient  proprement,  dans 
le  conseil,  les  Siicwruni  cunitores ;  et  ce  titre  convient  à 
toutes  les  attributions  données  à  l'hicromncmon  par  les 
sclioliastes  :  chacun  d'eux  rappelle  une  de  celles  dont  ce 
magistrat  suprême  rcunissoit  la  totalité. 

Ainsi  c'est  avec  raison  que  le  scholiaste  d'Aristophane 
,Si!.oi  ArUiopi,.  dit  qu'il  examinoit  les  dépenses  du  temple  de  Delphes  ; 
que  le  même  scholiaste  assure  qu'il  régloit  le  temps  et 
l'ordre  des  sacrifices  (  i  )  ">  ^t  je  ne  doute  point,  quant  à 
moi,  qu'il  ne  fi.u  chargé  d'examiner,  à  chaque  session,  la 
gestion  des  intendans,  de  garder  le  temple  de  Delphes  et 
les  objets  sacrés  qu'il  renfermoit  :  nous  savons  en  effet,  par 
Strabon,  que  c'étoit  là  un  des  devoirs  de  l'assemblée  des 
amphictyons  (2), 

Une  qualification  donnée  à  ces  magistrats  suprêmes  par 
Hésvchius,  le  Lexique  de  Timée,  Suidas,  Zonaras,  Photius, 
a  beaucoup  embarrassé  les  critiques:  c'est  celle  de  ')^a.fxua.- 
TÎ14  ou  iiç^y^(Ltjiima.TCic,.  M.  de  Sainte-Croix,  qui  eniciul 
par  ces  mots  les  greniers  de  l\isscmblée .  trouve  cette  fonc- 
tion incompatible  avec  le  caractère  des  hiéromnémons. 
Corid. Stpos ,  Mais   il    falloit   remarquer  que,  chez  les  Grecs,   le   mot 

in  Ekmm.  i.j  ,        ,  '  i-       •.'     c  ■ 

yfa.fA.^Tivç  sentendoit  souvent   dune   dignité    tort   im- 
portante :  on  le  trouve-  sur  des  médailles;  et  une  inscrip- 


nu  ^tu' r uif.ùt  ri  .S».  (Scliol.  ArlJIoph. 

(2)   Kdf  Jn   tjii    71   ajttit'vttitùr    «v 
mua  >»  T»T*  »vnTn;ç>i,  inti  n  r  ui- 


tùr  livK&jnutnt ,  Ktu  n  itfi  Wr  1 7f/u*  - 
M/a*  i^cr   iir;ie»ca>  '  a  tx   i.  ^ruAtat 

Aamr    Koi    a><n«U    JUfJUkfut   f**yt>^r(. 
(  Strab.  IX ,.  pa^.  420.  ) 

tion 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      257 

tl.m  rapportée  par  Miiratori  nous  offre  un  personnage 
qualifié  de  y^ct/ujucL'nvt;  x.<xf  daia-pyri.  On  conçoit,  d'après  Alur.vor.inscr. 
cette  seule  observation,  que  les  lexicographes  ont  pu  ne 
pas  regarder  ce  titre  comme  au-dessous  de  ia  dignité  de 
l'hiéromnémonie  ;  mais  on  peut  trouver  à  cette  qualification 
une  origine  plus  appropriée  à  l'opinion  que  noiis  devons 
nous  fiiire  de  l'hiéromnémonie  amphictyonique.  Je  crois 
que  ces  lexicographes,  ou  du  moins  les  auteurs  où  ils  ont 
puisé,  ont  prétendu  désigner  par  le  mot  leçyyi^/ufxciTiTç 
une  haute  dignité  sacerdotale.  Voici  de  quelle  manière. 
Dès  le  troisième  siècle  avant  J.  C.  ,  plusieurs  expres- 
sions détournées  à  Alexandrie  de  leur  sens  naturel  avoient 
passé  dans  la  langue  Grecque  ;  quelques-unes  dévoient 
provenir  sur-tout  du  mélange  des  usages  et  des  religioiis; 
elles  dévoient  se  rencontrer  souvent  sous  la  plume  des 
grammairiens  et  des  scholiastes,  dont  un  si  grand  nombre 
écrivirent  à  Alexandrie.  Or  nous  savons  que  les  auteurs 
Alexandrins  ont  employé  le  mot  /êg^^ct/x^ctTîuç  ou 
■^oL/ujudLTivç  pour  désigner  l'hiérophante,  le  grand-prêtre, 
parce  qu'en  effet  ce  titre  appartenoit  au  premier  rang 
dans  la  hiérarchie  Égyptienne.  Ainsi  Manéthon  s'inti-  /i.'<vu-rh.  uA 
tule  ^}^iepevi  Kctj  y^a.fxjxa.^m)^  r  y^r  Kiyj'rr'u»)  lepav  ap.  Syncdi.  pag. 
à,S\jitù^.  Josèphe  donne  également  le  nom  de  leQ^-^ct/A,-  '''''•^' 
fxaL.erjç  à  u'n  grand-prctre;  il  en  est  de  même  d'Eusèbe  de     -''«'7'/'-  '"«"'' 

C/      /    \      1  •  ^  I      I  I  '  Avion,   l,     cnp. 

esaree  (i).  La  raison  en  est  probablement  que  par  a^-    xxxii. 

yç.cLfj.jxa.'Wjc,  les  Egyptiens  entendoient,  jion-seulement  le 

dcpositaire  des  écritures  sacrées  ,  comme  on  le  voit  dans     CUmnit.  Sm- 

Ciément  d'Alexandrie  ,  mais  encore  celui  qui  avoit  fait  4;y\'up!,'tin%' 


(l)    O  oVouauSt/f  /srap'  eunc7ç  (scil. 


-^c^x/juiLTcvc.  (  Euseb.  Prœpar.  n-ang. 
p.  ^i,  C.) 


Tome  VI.  K' 


2}S  MF.VIOIIŒS  DE  LACADKMIE 

une  étude  approfondie  de  tout  ce  (jue  contenoicnt  ces  écri- 
tures ;  et  celte  coiinoissance  devojt  être  sur-tout  le  j>artage 
du  grand -prêtre  :  c'est  peut-être  pour  cette  raison  (jue 
Diodore  de  Sicile  donne  le  titre  de  kçy^a.fÀ./A.x'nv^  à 
Hermès  Trismégiste  (  i  ). 

Après  avoir  explicjuc  la  nature  de  l'hicromnémonie 
ainpiiictyonicjue ,  je  passe  à  la  troisième  et  tlernière  classe 
des  députes  :  la  solution  des  diflîcultés  que  j'ai  rencontrées 
jusqu'ici,  me  servira  pour  celles  que  je  dois  rencontrer 
encore. 

M.  de  Sainte-Croix  pense  qu'ils  n'avoient  point  voix 
délibérative ,  et  cpiils  ne  jouissoient  point  des  mêmes 
droits  que  les  autres.  Cette  opinion  est  vraie  dans  un  sens  ; 
mais  elle  a  besoin  d'être  modifiée,  comme  on  va  le  voir. 

li  faut  se  rappeler  la  formule  des  deux  décrets  rapportés 
plus  haut. 

Le  premier  porte  : 

••  Il  a  plu  aux  pylagores  et  aux  synèdres  (c'est-à-dire, 
"  aux  hiéromnémons)  de .  .  .  » 

On  lit  dans  le  second  : 
Supr., . ,,  j.j  ^         ■■    il  a  plu  aux  pylagores,  aux  synèdres,  et  au  com- 
"  mun  des  ampliictyons  (c'est-ià-dire,  aux //;/orrj),  de.  .  . - 

Ces  deux  formules  annoncent  l'existence  de  tletix  es- 
pèces d'assemblées  :  l'une  composée  des  pylagores  et  des 
hiéromnémons  seulement;  l'autre  composée  en  outre  des 
théores ,  (jui  prenoient  part  à  la  délibération,  puisque  la 
formule  des  arrêts  rendus  portoit,  //  </  plu  <nix  thcorcs.  Ils 
avoient  donc  voix  délibérative  dans  certains  cas. 

(l)    K«9ba«  3  T»f  «le»  WF  'On(A*  I  'ounuaviiri'aaj ,  lu»  fuiSK^a.  p^^  th 
tÎtcf  I>«r70<  npvjft^jifxa\atiinu"amû  \  T\n}i  nfiÇtyia.  {Uiod.  OlC.  /,  J.  i6.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      259 

Cette  observation,  qvii  résulte  de   la  comparaison  des 
deux  formules  ,  se  trouve  appuyée  par  le  passage  d'Eschine    .V^h  />.  2j;- 
cité  plus  haut:  "  On  dit  qu'il  y  a  nssemblée  [fx-z^rtna]  , 
»  lorsque    non -seulement  les    pylagores  et  les   hiéromné- 
»  mons,  mais  en  outre  les  théores ,  sont  réunis.  »  De  ce 
passage  on  infère  qu'il  y  avoit  une  réunion  composée  seu- 
lement des  pylagores  et  des  hiéromnémons.  Icf  s'applique 
une  distinction  ingénieuse,  proposée  par  Adrien  de  Valois, 
et  qui  ressort  tout  naturellement  des  rapprochemens  qui 
précèdent  :  ce  savant  distingue  i'eccle'sie,  formée  de  la  réu- 
nion des  trois  classes,  et  le  synedriuni ,  composé  seulement 
des  deux  premières.  Cette  opinion  s'appuie  encore  de  la 
dénomination  caractéristique  de  synèdres ,  donnée  aux  hié- 
romnémons ,  à  l'exclusion  des  théores. 

Dès-lors  on  conçoit  que  le  premier  des  décrets  que  je 
viens  de  citer,  étoit  émané  d'un  synedriuni,  et  que  le  se- 
cond avoit  été  rendu  par  une  ecde'sie;  il  ne  s'agit  plus  que 
de  reconnoître  en  quoi  consiste  la  différence  des  attribu- 
tions de  ces  deux  espèces  d'assemblées. 

Il  est  d'abord  naturel  de  penser  que  tous  les  objets  dont 
les  amp/iictyons  avoient  à  s'occuper,  n'avoient  pas  la  même 
importance  ;  il  en  étoit  sans  doute  sur  lesquels  la  délibéra- 
tion devoit  être  tenue  plus  secrète.  Dans  ce  cas,  on  conçoit 
que  les  théores  ,  dont  le  nombre  non  limité  devoit  être 
fort  considérable  ,  fussent  exclus  de  l'assemblée  ;  les  deux 
premières  classes  seules  prenoient  part  à  la  délibération  : 
il  y  avoit  alors  synedriuni.  Dans  les  autres  cas,  les  théores 
étoient  appelés  à  délibérer  comme  les  autres  ,  c'est-à-dire 
que  r///VVo/«/;//7/o/;  président  convoquoit  ïccc/esie.  Mais  quels 
etoient  ces  cas! 

K'  ij 


z6o  MEMOIRES  DL  L ACADEMIE 

Piiitarqiie  nous  apprenJ  (jut-  les  thcores  qu'Athènes 
et  probablement  les  autres  villes  envoyoient  à  Delphes  et 
à  Olympie,  étoient  charges  de  faire  aux  dieux  des  sacri- 
lîces  pour  leurs  villes  respectives  :  leur  ministère  c'toit 
donc  purement  religieux.  Ce  témoignage  est  conlirmc 
par  les  expressions  qu'Eschine  emploie  pour  les  designer, 
crvvjûoyle^  ^  ■^ûfjLevoi  TO  Ôeî.  Il  s'ensuit  (|ue  les  assem- 
blées où  ils  ctoient  admis,  dévoient  avoir  uniquement 
p. )ur  objet  des  questions  de  police  religieuse,  pour  les- 
quelles ils  ctoient  compctens,  comme  les  hicromncmons; 
et  nous  voyons,  en  effet,  que,  dans  la  circonstance,  où  il 
y  eut  ecclcsic ,  selon  Eschine  ,  l'objet  de  la  délibération 
étoit  de  prendre  une  détermination  sur  le  compte  des 
Amphissiens,  qui  n'avoient  pas  respecté  le  terrain  consacré 
à  Apollon.  Cet  exemple  nous  montre  dans  quels  cas  17//V- 
romiicmon  convoquoit  i'eccle'sic  ;  car  on  a  tout  lieu  de  pré- 
sumer que  c'étoit  à  lui  qu'appartenoit  le  droit  de  décider 
laquelle  des  deux  assemblées  il  étoit  convenable  de  con- 
voquer,  dans  telle  ou   telle  circonstance. 

Cet  exanien  des  textes  relatifs  à  la  mission  des  thcores 
nous  fait  reconnoître  une  disposition  remarquable  dans 
l'assemblée  des  amphictyons,  en  même  temps  qu'il  achève 
de  déterminer  les  attributions  de  chacune  des  trois  classes 
de  députés,  avec  autant  de  précision  que  permet  de  le  faire 
le  petit  nombre  des  renseignemens  qui  nous  restent. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      -6x 

MÉMOIRE 

SUR    CETTE    QUESTION: 

Les  Anciens  ont -Us  exécuté  une  Mesure  de  la 
Terre  postérieurement  à  rétablissement  de  l'Ecole 
d'A  lexandrie  / 

Par   m.   LETRONNE. 

«  J_y  u  moment  où  l'homme  eut  reconnu  la  sphéricité  du     i.u  ic  50  Mai 

-^  globe,  sa  curiosité  dut  le  porter  à  en  mesurer  les  dimen-    '^''^" 

»  sions.  Les   rapports  que   plusieurs  mesures  de  la  plus 

»  haute  antiquité  ont  entre  elles  et  avec  la  circonférence  de 

»  la  terre,  semblent  indiquer  non-seulement  que,   dans 

»  des  temps  fort  anciens ,  cette  mesure  a  été  exactement 

»  connue,   mais   qu'elle   a   servi   de   base   à   un    système 

»  complet  de  mesures  dont  on   retrouve  des  vestiges  en 

"  Egypte  ^t  dans  l'Asie.  » 

Ainsi  s'exprime  l'auteur  de  la  Mécanique  céleste,  dans     Tom.  v,  pag. 
ses  Leçons  à  l'école  normale.  L'Académie  a  entendu  ré-  -"^''«'''^"'■''•^ 
cemmentja  lecture  du    Mémoire  où  M.   Gossellin  s'est    hn^n-mé  ./,„» 
attaché  à  rassembler  les  preuves  qui  lui  paroissent  établir  "'"'""" '^'•'^^• 
qu'en  effet  les  systèmes  métriques  des  principaux  peuples 
de  l'antiquité  étoient  fondés  sur  ces  grandes  mesures  de 
la  terre,  lesquelles  même,  selon  lui,  doivent  se  rattacher 
a  une  mesure  unique  ,  dont  elles  ne  sont  que  des  modifi- 
cations diverses. 


202  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Je  ne  viens  point  reprendre  une  question  dont  ce  profond 
géographe  a  rattaclic  les  ramifications  nombreuses  à  une 
tige  commune  :  je  ne  me  propose  que  de  soumettre  à  un 
examen  nouveau  quelques-uns  des  faits  positifs  qui  doivent 
en  constituer  les  tlcmens  ;  et,  par  exemple  ,  de  reciiercher 
et  de  discuter  toutes  les  circonstances  du  récit  que  les  au- 
teurs anciens  ont  fait  de  certaines  opérations,  d'où  il  a  paru 
résulter  que  les  astronomes  de  l'école  d'Alexandrie  avoient, 
à  plusieurs  reprises,  tenté  une  mesure  d'un  arc  du  méri- 
ilien  pour  en  conclure  la  grandeur  du  globe. 

L'objet  qui  fixera  principalement  mon  attention  ,  est 
la  mesure  de  la  terre  attribuée  à  Eratosthcne,  parce  que 
c'est  celle  qui  nous  est  connue  avec  le  plus  de  détails,  et 
qui  forme  la  base  des  systèmes  géographiques  d'Eratos- 
thène  et  dHipparque.  Cette  mesure  a  été  bien  souvent 
discutée  par  les  modernes  ,  depuis  Riccioli  jusqu  à  M.  De- 
jamhre  :  ils  se  sont  attachés  presque  tous  à  prouver  qu'elle 
avoit  dû  être  prodigieusement  inexacte;  et,  à  cet  égard, 
ils  ont  eu  pleinement  raison.  De  la  Nau/.c  ,  le  digne 
émule  de  Fréret  ,  et  d'Anville,  entre  autres,  ont  consi- 
déré celte  mesure  principalement  dans  son  rapport  avec 
la  géographie  de  i'L.gyptc;  mais ,  comme  on  ignoroit  alors 
la  position  exacte  de  Syéné  et  d'Alexandrie  ,  les  deux 
points  extrêmes  de  cette  contrée,  il  étoit  diliiciie  (]ue  les 
recherches  de  ces  savans  eussent,  dès  cette  épn(|ue ,  une 
base  bien  solide. 

Mes  observations  sut  cette  matière  seront  entièrement 
dirtlrentes  de  celles  qu'on  a  faites  juscju'ici  :  car  ce  ne  sont 
pas  iti»  résultats  prol)ables  de  l'opération  d'Ératosthène 
dont  je  prétends  m'occuper;  à  cet  égard,  il  reste  trop  peu 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  265 
de  choses  à  dire  :  c'est  l'opération  en  elle-même,  ce  sont 
les  élémens  dont  elle  se  compose,  que  j'ai  cru  devoir  sou- 
mettre à  l'analyse  d'une  critique  rigoureuse,  pour  tâcher 
de  décider  si  elle  a  été  réellement  exécutée  ,  ou  si  ce 
n'est  qu'une  ancienne  mesure ,  dont  Eratosthène  et  ses 
successeurs  ont  fait  un  usage  plus  ou  moins  judicieux. 
Je  me  permettrai  de  le  dire  ici  :  en  cette  question ,  comme 
en  beaucoup  d'autres,  on  a  peut-être  admis  les  faits  trop 
sur  parole  ;  le  témoignage  de  Cléomède ,  le  seul  auteur 
qui  nous  fournisse  les  renseignemens  dont  nous  puissions 
nous  servir  ,  a  été  adopté  sans  avoir  été  soumis  à  un 
examen  suffisant;  et  l'on  n'a  point  senti  ,  autant  qu'on 
l'auroit  dû,  combien  il  importoit  de  constater  la  pureté 
de  la  source  unique  où  l'on  devoit  puiser.  Dans  l'état  actuel 
de  cette  question  délicate ,  c'est  une  discussion  sévère  de 
ce  témoignage  qui  peut  seule  conduire  à  quelque  résultat 
positif:  car,  s'il  est  démontré  que  Cléomède  s'est  trompé 
presque  sur  tous  les  points ,  si  l'analyse  même  de  son 
texte  fait  voir  quelle  a  été  l'origine  de  son  erreur,  enfin 
si  la  connoissance  exacte  que  nous  avons  de  la  position 
des  principaux  points  de  l'Egypte,  nous  met  en  état  de 
reconnoître  que  les  philosophes  de  l'école  d'Alexandrie , 
et,  en  particulier,  Eratosthène,  n'ont  pu  conclure  des  opé- 
rations qu'on  leur  prête,  les  mesures  qu'on  leur  attribue, 
il  faudra  bien  convenir,  ou  que  ces  opérations  n'ont  point 
été  faites,  ou  que  les  résultats  en  ont  été  supposés;  et,  dans 
ies  deux  cas,  que  les  mesures  données  comme  en  étant 
déduites,  ou  comme  devant  s'y  rattacher,  sont  d'une  époque 
antérieure  à  l'établissement  de  cette  école  fameuse. 


2<54  MKMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

SECTION    FREMII  RE. 
De   Cléomcde  et  de  son  Ouvrage. 

J  Al  Jit  que  Clcomcclc  est  le  seul  auteur  tjui  nous  four- 
nisse des  reiiseignemens  précis  et  Jctaillts  sur  la  mesure 
de  la  terre  par  Lratnsihcne  :  on  lui  doit  encore  tout  ce 
qu'on  sait  d'une  autre  mesure  attribuée  à  Posidonius  ,  et 
d'une  troisième,  dont  je  parlerai  plus  bas.  C'est  donc  sur 
son  témoignage  unique  que  reposent  les  principaux  élé- 
mens  de  la  (juestion  que  je  vais  discuter  :  il  importe, 
en  conséquence,  de  se  faire  une  idée  juste  de  lépoque  à 
laquelle  il  a  vécu,  et  du  pays  où  il  écrivoit.  Il  seroit 
difficile  ,  autrement,  de  savoir  quelles  chances  d'erreur 
peut  offrir  son  tciiioignage.  C'est  ce  dont  je  vais  m'occu- 
per  d'abord. 

Les  biographes  ont  déjà  beaucoup  parlé  de  cet  écrivain. 
M.  Delambre  est  toutefois  celui  (jui  a  rassemblé  a  cet 
égard  le  plus  de  renseignemens ,  dans  un  très-bon  article 
de  la  Biographie  universelle  et  dans  son  Histoire  de  l'iistro- 
iioniie  ancienne.  Je  ne  répéterai  point  ce  qu'il  a  dit  :  je 
dirai  seidement  ce  que  je  n'ai  trouvé  nulle  part,  ailleurs 
i;, „„,""'" '.;^,    que  dans   l'ouvrage   même  de  Cléomètle  ;   et  encore   nie 


m. 11. 


/:  ■  ■ 


III.    .,.    bornerai-je  à  ce  qui  va  directement  à  mon  but.  Cléomède, 

auteur  île  l'ouvrage  intitule  KintAixw  0é«/)/oc  ^mûpu\ ,  est 

un  compilateur  dont  du  a  ignoré  jusqu'ici  le  pjiyset  l'é- 

fj.Hiri-         poque.  Les  uns,  comme  Gaspar  Peucer  et.Vossius"  ,  le 

'•  Om.im.j;!  lift,     i-  .  ■  ,  I       !•■  I       '    •  •       •! 

lom.t.p  -04.  '""t  descendre  jusqu  en  4^7  de  I  cre  chrciienne  ;  majs  ils 
./"^ ..',":','  ne  disent  point  par  quelle  raison  ,  et  il  n'est  pas  facile  de 
r'f-  le  deviner:  d'autre^  ,  tels  (|ue  Saxius''  et  Sainte-Croix'  , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      265 

le  placent  au  second  siècle  de  J.  C.  ;  j'ignore  également  sur 

quelle  autorité. 

Selon  l'opinion  la  plus  généralement  adoptée,  l'époque     naiily.Asnou. 

,  ,    .     .      ,   .  .         ,         .^   /      I)  A  mod.Lil.  II ,  r. 

de  cet  écrivain  doit  remonter  jusqu  au  siccle  a  Auguste.    j,,-[M,:mhY, 

La  raison  sur  laquelle  on  se   fonde  pour  le  placer  avant   [j'^^'  ^,l._  ' f\ 

Ptolémée,  c'est   qu'il  n'a  point  parlé  de  cet  astronome.  r"g- -'^,  •/''"'''■ 

,  '  *  ^  _  CItomede,  Bh- 

Cette  raison  est  plus  spécieuse  que  solide  :  en  effet,  dans  gnifLunir.wm. 
le  cas  où  Cléomcde  n'auroit  jamais  été  à  Alexandrie,  il  ,^/ ,.  »•  •^'' 
se  pourroit  fort  bien  qu'il  n'eût  point  eu  connoissance  de 
Ptolémée,  quoiqu'il  eût  vécu  long-temps  après  lui.  C'est 
ainsi  que  l'auteur  du  Poëtico/i ûstrono/nicou,  attribué kHy^in  , 
parle  beaucoup  d'Eratosthène  ,  et  ne  dit  pas  un  motd'Hip- 
parque  :  en  conclura- 1- on  qu'il  a  vécu  avant  cet  astro- 
nome? La  conclusion  seroit  fausse.  De  mêmeProclus,  qui 
a  composé  un  commentaire  sur  le  iv.^  livre  d'Euclide, 
donne  une  liste  des  principaux  mathématiciens  ;  il  n'y  a 
point  compris  Tliéon  de  Smyrne  ,  le  plus  célèbre  des 
commentateurs  d'Euclide  :  dira-t-on  aussi  que  Théon  de       %'/w/  s„r 

Sr»         I         ,     i-n  /     /      I  V  l'LucUik  de  Pey- 

myrne   vivoit  avant  Proclus  •   En  gênerai,  cette  espèce   rard,  m  thecU 

d'argument  négatif  a  bien  peu  de  force,  sur-tout  quand  ';' "l'^f  "^"' 
on  l'applique  à  des  époques  antérieures  à  l'invention  de 
l'imprimerie;  car  alors  les  noms  et  les  écrits  des  hommes 
les  plus  distingués  se  transmettoient  quelquefois  avec  beau- 
coup de  Jenteur.  II  en  est  de  Cléomède  comme  de  tous 
ceux  qui  ont  écrit  des  traités  de  cosmographie  :  on  peut 
juger  de  leur  antiquité  par  celle  des  faits  astronomiques 
qu'ils  rapportent  ;  on  est  alors  sûr  qu'ils  sont  d'une  époque 
postérieure  au  plus  récent  de  ces  faits  :  voilà  tout  ce  qu'on 
peut  savoir. 

Un  passage  de  Cléomède,  auquel  personne  ne  me  paroît 
Tome  VI.  L  = 


zC6  MI,MOIR.ES  OL  l.AC:\PÉMIi: 

avoir  fait  attention  ,  prouve  que  cet  auteur  n'est  pi>int  aussi 
ancien  qu'on  1';!  cru.  Dans  un  endroit  où  il  veut  prouver 
que  la  terre  n'est  qu'un  point  niathcmatique  par  r;ipport 
à   la  sphère  des  étoiles,  Cicomcde   dit; 

CLvmt.LI.  j.        Il  y  a  deux  astres  seinhiables         Aiio    f/in\   à.<^pê^,    fccLi  twv 

W  '?■  par  la  grandeur  et  la  couleur,  et    ^^i^  Kiof  ra  ^ejt'Ôn  -m^^- 

.      diamctralement  opposés   Tun  à    ^^„,^ ^  Slct/ueT^Qvleç  ctM>i- 

l'autrt  :  ils  occupent  le  quinzicine     ^         c      -        v         ~  — 

,    „  L        .        ,.  A9{^'  ù  juiv  yap,  •nvZi-x.opTnov 

degré  ,  I  un  du  hcorpion  ,  I  autre     ,  .       ^  ,  •'  ' 

du  taureau,  ou  il  tnit  partie  des     •       ,        ,     ,  '  _  , 

Uyades.  «rE>(^'n)ve7rï;^ei^i^v,^e£54 

De  ces  deux  astres,  l'un  tst  Antcirès ,   place,  selon  le 
Pioi.  Aim.,f.   catalogue  île  Ptolciiice  ,  à  i  2"  y  du  Scorpion  ;  le  second 
ff.H.tlm.t.        ^st  cvideinment  celui  que  les  astronomes  anciens   appe- 
loient  ?^tx^ùç  tov  'TctiTav ,  /</  hrilliinte  Jcs  Hyiidcs ,  c'est- 
U.  I.  II.  p.  jo.   à-dire,  AUchtinm ,  situe ,  selon  le  même  catalogue ,  à  i  2°  5  o' 
du  Taureau.  CIcomcde  en  fixe  la  position  au   i  5.'  degrc 
de  ces  constellations.  Prenons  le  milieu  entre  14  et  i  5  de- 
grés, c'est-à-dire,  i4°  30  ;  nous  aurons  ,  pour  la  différence 
entre  les  positions,  données  par  Cléomttle  et  Ptolémée, 
d'Antarès  et  tl'Aldébaran,  2°  10' ou  seulement  i°.|o'.  Ce 
seul  fait  montre  que  cet  écrivain  est  nécessairement  posté- 
rieur à  Ptolémée:   mais  de  combien  de  temps,   c'est  ce 
qu'il  faut  chercher. 

Un  fait  de  ce  genre  peut  avoir  été  connu  de  i\e\\\  ma- 
nières, ou  par  une  observation  directe,  ou  par  un  calcul 
déduit  i\\\  catalogue  d'Hipparque. 

Dan'>  le  premier  cas,  il  sulHroit  de  remonter  jusqu'à 
l'cpoque  où   Aldébaran  étoit   à   i  4"  jo'  du  Taureau,  en 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETIRLS.      --6j 

partant  de  ia  rctrogradation  moyenne.  En    1786,  Aldc- 

baran  e'toit  à  6*^  4 7' <ies  Gémeaux,  c'est-à-dire,  à  22"  17'     ,    Ahnvgnot. 

y->  I  ,  ,1  T^.  XI  /  •  Etat    des  fixc^ , 

du  point  ou  le  place  Cieomcde.  D  après  la  precession  pag.,jo-ij^. 
annuelle,  qui  est  de  50"! ,  l'étoile  a  dû  employer  environ 
1600  ans  à  rétrograder  de  celte  quantité.  Ce  résultat  n'est 
qu'approximatif,  parce  que  je  n'y  fais  point  entrer  le  mou- 
vement propre  d'Aldébaran  ;  mais  un  calcul  plus  rigou- 
reux seroit  ici  tout-à-fait  inutile.  Si  l'on  retranche  donc 
1600  de  1786,  on  trouve  qu'Aldébaran  étoit  à  i4"  30' du 
Taureau  en  l'année  186  de  l'ère  chrétienne. 

Dans  le  second  cas,  l'époque  seroit  plus  récente  encore. 
Afin  qu'on  me  comprenne  bien  ,  je  rappellerai  qu'Hip- 
parque ,   en   comparant  les  observations   de   Timocharis     Hijfnrch.  np. 

^       ^    .  .  '  .  ,  ■  ,  .  ,      .       l'ioiem.   m   Al- 

avec  les  siennes,  avoit  soupçonne  que  ia  precession  etoit   mag.  n , -,  rom. 
d'un  degré  en    100  ans.  Les  astronomes  anciens,   mar-      >  l'^'ë- 'S- 
chant  avec  une  entière  confiance  sur  les  pas  de  ce  grand 
observateur,  ne  paroissent  avoir  fait  pendant  long-temps, 
pour  déterminer  la  position  des  fixes  en  longitude,  que 
diviser   par    100   le   nombre   quelconque  d'années  qu'ils 
savoient  s'être  écoulées   entre   le    temps   d'Hipparque   et 
le  leur  ,  et  ajouter  la  quantité  de  degrés  ou  de  portions 
de  degré  résultant  de  cette  opération,  à  celle  qui  étoit 
marquée  dans  son  catalogue.  Ptolémée  lui-même,  quoi- 
qu'il prétende  .avoir  dressé  ce  catalogue  d'après  ses  propres 
observations,  n'a  pas  fait  autre  chose,  d'après  l'opinion 
très  -  formellement    exprimée    par    M.    Delambre  ,    juge     DeLmhe,As- 
compétent  en  toutes  ces  matières.  Selon  ce  savant  astro-   'ZlXùe'.'tom'.î. 
nome,  Ptolémée  n'a  fait  au  catalogue  d'Hipn'arque  d'autre  r'jg-^sS-'H'it. 

"  111  ([(  l  astron.  anc. 

changement  que  d'ajouter  uniformément,  pour  la  longi-   '-m.  n. 
tude  de  toutes  les  étoiles  ,  2°  ^o  .   Un  illustre  géomètre 

L-  I, 


2(^8  AUMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

prend,  à  la  vcriic,  la  dcfcnsc  de  Ptoicmée,  et  clierche  à 
Pr,\h..'.rit,i-   le  jiistilier   d'avoir  altère  les   observations    d'Hipnarque. 

tjirt  lie  l'.iura-     /^         .  ,.,  ■  f  i  •  i 

nomif.p.ya.fj.  V2.1IOI  qii  li  en  soit,  on  a  tout  lien  de  croire  cjue  les  cosmo- 
graphes  qni  sont  venus  après  l'astronome  de  Ptolcinaïs, 
ont  tait  à  son  égard  ce  qu'on  lui  reproclie  d'avoir  lait  à 
l'égard  d'Hipparque.  Dans  cette  hypothèse,  il  faudroit  nuil- 
liplier  par  loo  la  différence  de  i°  4o'  entre  les  deux  posi- 
tions d'Aldéharan  :  il  en  rcsulteroit  250  ans  pour  la  diffé- 
rence des  époques;  c'est-à-dire  que  le  lait  d'où  nous  tirons 
cette  différence,  ne  sauroit  être  antérieur  à  l'an  2cp6  de 
J.  C.  Cette  dernière  méthode  est  conforme  aux  habitudes 
du  temps;  et  le  résultat  en  est  pciit-ctre  plus  voisin  de  la 
vérité. 

Si  l'on  songe  que  Cléomède,  comme  je  vais  le  dire,  est 
un  compilateur  ignorant ,  incapable  d'avoir  fait  par  lui- 
mcme  aucune  observation  ,  et  qui  d'ailleurs  ,  selon  son 
propre  aveu,  a  pris  chez  les  autres  tout  ce  que  contient 
son  livre,  on  sera  convaincu  que  ce  fait  astronomique  ne 
sauroit  lui  appartenir,  ([u'il  l'a  tiré  île  quelque  astronome, 
et  conséquemment  qu'il  a  vécu  postérieurement  à  l'époque 
à  laquelle  ce  fait  appartient,  c'est-à-dire,  à  l'an  i  86,  dans 
le  premier  cas  ,  et  à  l'an  2p6  ,  dans  le  second.  On  ne  sau- 
roit donc  le  porter  plus  haut  que  le  commencement  ou 
le  milieu  du  troisième  siècle  ;  et  il  nu'  paroît  difficile 
de  le  faire  descendre  plus  bas  que  le  commencement  du 
quatrième. 

Il  resteroit  à  découvrir  dans  quel  pays  il  florissoit:  mais 
comment  y  parvenir!  J'ai  dit  combien  il  est  diflicilede  con- 
noitre  l'époque  de  tous  ces  compilateurs.  En  effet,  comme 
ils  puisent  dans  des  auteurs  de  siècles  et  de  pays  difîérens, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      i6ç, 

il  s'ensuit  que  les  fiiirs  qu'ils  rassemblent  n'appartiennent  Ccmmus.f./,, 

ni  au  même  temps,  ni  au  mcme  pays.   C'est  ainsi  que  ^î'u 'peraJ''"""^' 

Géminus  semble  avoir  écrit,   tantôt  sous  le  parallèle  de  w.  j.^, /...v. 

Rhodes,  tantôt  sous  celui  d'Athènes,    tantôt  enfin  sous  ,\,^V',,  iJ-^' 

celui  de  l'Hellespont,  quand  il  copie  Aratus,  qui  écrivoit,  •'"''/"• 

•  <    ,  I.  A        •  II  T  Hilfauh.    ad 

comme  on  sait,   a  la  cour  d  Antigone.  11  en  est  de  même   Amc.y.j.fuig. 
de  Clcomèdc.   Une  seule  chose   est  certaine  ,  c'est   qu'il 
n'écrivoit  point  à  Alexandrie,  et  qu'il  n'avoit  jamais  visite- 
cette  ville  :  autrement,  comment  concevoir  qu'il  n'auroJt 
eu  nulle  connoissance  de  Ptolémée,  qui  vivoit  au  moins 
deux  siècles   auparavant  ?   D'autres  raisons  viennent  en- 
core à  l'appui.    Cléomède  cite   Ératosthène  à  l'occasion 
de  la  mesure  de  la  terre,  mais  très- certainement  d'après 
oui-dire  :  il  n'a  jamais  eu  sous  les  yeux  les  ouvrages  de  ce 
géographe.  Ce  qui  le  prouve,    c'est  qu'il  prétend  qu'Éra- 
tosthène  a  fait  ses  observations  à  Syéné  et  à  Alexandrie     h/m,  1^276. 
avec  [e  scaphé ,  instrument  qui  se  composoit  d'un  gnomoii 
élevé  au  fond  d'un  hémisphère  concave  ;  mais  il  est  im-    ^'"^'"/'•■'''"'"g- 
possible,  comme  l'a  fait  voir  en  plusieurs  circonstances   '•'>• 
M.  Delambre,  qu'Eratosthène,  qui  avoit  à  Alexandrie  ses     Ddamhe,  As- 
grandes  armilles,  et  qui  d'ailleurs  pouvoit  se  servir  d'un  y^^gJoT^!'/' 
gnomon  d'une  assez  considérable  dimension,  se  soit  servi 
d'un  instrument  aussi  petitque  l'étoit  le  Jcv//?/'/,  dont  l'usage     ld.it. eu.  m. 
a  toujours  dû  ctre  borné  à  la  gnomonique.  Cette  seule  cir-  ^iT^'àot'r!!^éie 
constance  ,  répétée  d'ailleurs  par  un  autre  compilateur  du   '"""•  ""«•/'^'' 
cinquième  siècle,  Marcien  Capella,  prouve  à-la-fois  que     AUn.  c^hU. 
Cléomède  étoit  fort  ignorant  en  astronomie  ;  qu'il  a  altéré,   fj;  ^'j/'  '^''  ' 
par  suite  de  cette  ignorance  ,  les  faits  qui  lui  ont  été  trans- 
mis, ou  qu'il  n'a  pas  su  voir  qu'ils  étoient  altérés;  enfin, 
qu'il  n'a  point  vu  l'ouvrage  oià  Eratosthène  avoit  décrit  son 


270  MIAIOIRILS  DE  L'ACADf.MIE 

opciation,  puisque,  l)ieii  certainement,  il  n'y  cloit  pf)int 
question  du  sûjp/ie.J'en  dirai  autant  à  l'cgard  d'Hipparque. 
Cicoincdene  le  cite  qu'une  seule  fois;  encore  est-ce  d'après 
C/amrJ. fi. ." ;  le  rapport  de  quelque  auteur.  «  On  prétend  ,  dit-il ,  cju'Hip- 
"  parque  a  montre  que  le  soleil  est  1050  lois  plus  gros 
»  que  la  terre.  »>  Tô>  <ît  ''l'srTrccp-^ôv  Çclci  ,  kcu  ^tÀioy^i- 
"TTiv 'YMVTzt'TrXxffioVA.  T^ç  ^îj'ç  ôVct  olÙtbv  ÊTniEiK^iivcM.  11  est 
certain  que,  si  Clcomèdeuvoit  vécu  ou  nicme  avoit  voyagé 
à  Alexandrie  ,  il  auroit  pu  consulter  les  ouvrages  d'tra- 
losthèneet  d'Hipp.irque,  et  sur-tout  il  n'auroit  point  ignore- 
le  nom  de  Ptolcniée.  Ow  doit  conclure  de  te  silence,  (ju  il 
florissoit  soit  à  Constantinople,  soit  plutôt  dans  quelque 
lieu  obscur  de  la  Grèce  ou  de  l'Asie  mineure  ,  et  qu'il 
n'avoir  à  sa  disposition  qu'ini  très-petit  nombre  de  livres. 
11  me  reste  à  dire  quelques  mots  des  connoissances 
astronomiques  de  Cléomède,  et  des  sources  où  il  a  puisé. 
^«. Cliomcd.  M.  Delambre  prononce  que  son  ouvrage  n'est  qu'un 
L\.  pag.  f4.  traite  élémentaire,  compose  par  un  ignorant  pour  le  com- 
111.2.  tr..  i^^^ij^  jp^  lecteurs.  En  effet,  Cléomède  copie  d'autres  écri- 
vains; mais  le  plus  souvent  il  ne  comprend  pas  un  mot 
de  ce  qu'il  leur  emprunte.  Il  est  d'ailleurs  rempli  de  con- 
tradictions manjfestes,  dont  il  ne  s'aperçoit  pas,  selon  l'u- 
sage ordinaire  des  compilateurs.  Du  reste  ,  il  ne  donne 
que  des  à -peu- près,  quelquefois  très-grossiers  :  c'est  ainsi 
<]u  il  lait  par-tout  le  diamètre  égal  au  tiers  de  la  circon- 
férence ,  parce  qu'il  confond  le  diamètre  dont  la  lon- 
gueur est  rapportée  à  la  circonférence  ,  avec  le  diamètre 
considéré  comme  égal  à  deux  fois  le  côté  de  l'hexagone 
régulier,  dont  chacini  sous-tend  le  sixième  du  cercle.  C'est 
encore  ainsi  qu'il  suppose  la  révolution  périodiijue  de  la 


Clcomcdt. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  271 
lune  (Je  27  jours  y  ;  et  la  révolution  synodique  ,  de  30  jours 
en  nombre  rond.  Les  méprises  qu'il  fait  ou  qu'il  copie  sans  cieomed.p.17, 
les  apercevoir,  sont  des  plus  singulières,  comme  lorsqu'il  -  "' 
prend  la  mesure  de  l'arc  du  méridien  compris  entre  Syéné 
et  Lvsimachia,  pour  prouver  la  rondeur  de  la  terre  (j'en 
parlerai  plus  bas)  ,  et  lorsqu'il  imagine  que  le  zodiaque 
coupe  l'équateur  à  angles  droits.  On  ne  peut  donc  que  ix-i.imh,-.  .m. 
souscrire  au  jugement  que  porte  de  Cléomède,  Jean  Pe- 
diasimus,  son  commentateur:  «  On  reconnoît,  dit-il,  que 
"  Cléomède  débite,  en  beaucoup  d'endroits  de  cet  ouvrage, 
«  des  choses  absurdes,  fausses  et  inintelligibles.»  ^Ev  àl^on; 
fxev  ttoMoiç  necTti.  T>)v  OT^st<£/x^v  '^/MTHv  (ieupiciv ,  0  KAeo^Ti'<^n$ 
evp((nceTcti  a.Tdrrou  Xéycvv,  -^^evS^i  tî  kolj  (lS\è\vw,dL,   (i)  . 

Cet  auteur,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  paroît  avoir  eu  fort 
peu  de  livres  sous  les  yeux  :  les  seuls  écrivains  dont  il  cite 
les  noms,  sont  Aristote,  Eratosthène,  Hipparque,  Épicure 
et  Posidonius.  11  ne  parie  d'Aristote  qu'une  seule  fois, 
pour  réfuter  son  opinion  et  celle  de  la  secte  péripaté- 
ticienne sur  le  vide  ;  et  tout  permet  de  penser  qu'une 
pareille  citation  n'est  pas  de  la  première  main.  J'en  dirai 
autant  d'Epicure,  dont  il  critique  amèrement  et  à  plu- 
sieurs reprises  quelques  idées  sur  la  physique,  qui  réelle- 
ment sont  absurdes.  Il  est  on  ne  peut  plus  vraisemblable 
queCléoipède,  quiétoitun  stoïcien  outré,  a  pris  toutes  ces 
critiques  dans  des  ouvrages  de  stoïciens  :  on  sait  que  ces 
philosophes  ne  tarissoient  pas  quand  il  s'agissoitde  tourner 
en  ridicule  l'épicurisme.  Quant  à  Eratosthène  et  à  Hip- 


( I  )   Comment,  ht  Cleomed.  cujus  est 
tltulus ,  Tv  (TrxpcovtTu  ^aL^-n(fvhayuiç  thc 


i:'ç  -nva.  t»  KMo(A.K'S^iS(  aucfmilax  SiifjiAïa. 
(In  Cod.  n.'  2jS;,  fol.  3^  r.\  t.  y) 


z-2  MiMOiRES  ni"  i;AC\nr..Mir: 

pai\|iie,  j'ai  fait  voir  qu'il  n'a  point  consulte  leurs  ouvrages. 
Reste  donc  PosiJonius.  Pour  ce  Jernier,  Clconicde  a  bien 
évidemment  connu  la  plus  grande  partie  de  ses  écrits;  et 
même,  selon  toute  apparence,  les  ouvrages  de  ce  philo- 
sophe et  de  quelques- uns  de  ses  disciples  etoient  à  peu 
près  les  seuls  livres  qu  il  eut  à  sa  disposition  :  ce  qui  me 
confirme  dans  l'opinion  qu'il  habitoit  quelque  lieu  obscur 
et  relire.  Là  ,  tout  entier  aux  objets  de  son  admiration 
exclusive,  il  laisoit  encore,  au  troisième  ou  au  quatrième 
siècle  ,  sa  lecture  unique  des  ouvrages  des  stoïciens  ;  il 
dèdaignoit  de  s'instruire  des  vérités  qui  n'avoient  point  été 
découvertes  par  les  philosophes  de  cette  secte ,  ou  tout 
au  moins  consignées  dans  leurs  écrits,  et  proclamées  dans 
leur  enseignement.  Long-temps  après  que  l'épicurisnie  eut 
perdu  son  crédit  et  son  autorité,  Cléomède  copioit  encore 
avec  respect  et  soumission  les  longues  diatribes,  désormais 
sans  intérêt  et  sans  but,  dans  les(juelles  la  gravité sto'icienne 
s'efforçoit  de  descendre  jusqu'à  lu  plaisanterie;  et  c'est  ce 
que  les  sectes  religieuses  ou  philosophiques  ont  rarement 
dédaigné  de  faire  quand  elles  ont  trouvé  l'occasion  de  se 
moquer  les  unes  des  autres,  il  ne  dissimule  pas,  il  dit 
même  formellement ,  qu'il  a  pris  la  plus  grande  partie  de 
son  livre  dans  les  ouvrages  de  Posidonius  :  Tct  TraMa.  itiiy 
èlfT.fxiiuy,  dit -il  en  finissant,  êx.  t  XloatiS^viov  eiM'Trla^. 
D'après  le  titre  de  KvxKiy.»  Otapiet  fj.e'ncôpuv  i\ue  porte  sa 
compilation,  je  présume  t|u*il  en  a  puisé  la  majeure  partie 
dans  le  traité  de  Posidonius.  intitule  Uip]  ^fnupuv,  dont 

Dhg.UtTi.iH  parle  Diogène  de  Lacrte,  probablement  le  même  traité 
^('Ti,'.  tu'.''   que  Diogène  appelle  ailleurs  MeTta'e^Ao><x,«  Z-nt^eiucn^;  et 

Util. 1.1,^.   remarquons  bien  ici  le  mot  çï/p;^e/w<n^,  f7fW//j.  qui  convient 

parfaitcmeiu 


'iS  .  '49  <  ')}  < 
'S4- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      273 
paifaitement  bien  au  plan  de  Cléomède.  II  a  dû  consulter    s,mpi. in Arh- 

I  .    ,  .  .  •  .r.  ^      k  '  .lot.  Ph^'ska,pag. 

encore  le  traite  qui  avoit  pour  titre  ^vcimç,  A.o'pr,  :  ce  qui  o/jeticq.ed.Ald. 
ajoute  encore  beaucoup  de  force  à  cette  présomption  ,  iL  pJstdon  vl^r 
c'est  un  passage  de   Géminus  ,   conservé  par  Simplicius  S9"^'-'i- 

I  •  in/-  i>  A     •  y-'  i^'"S-    Liicrt. 

dans  son  commentaire  sur   les   Physiques  d  Aristote.   Ce   vji ,  .f.   ///; 

passage  n'est  lui-mcme  qu'un  fragment  des  Météorologiques 

de  Posidonius,  où  ce  philosophe  donne  la  distinction  qui 

existe  entre  la  physique  et  l'astronomie  :  il  dit  quels  sont 

les  objets  dont  s'occupe  cette  dernière  science  ;  et  ces  objets 

sont  précisément  tous  ceux  qu'on  trouve  traités,  selon  le 

même  ordre ,  dans  l'ouvrage  de  Cléomède. 

Il  résulte  principalement  de  cette  première  section  les 
faits  suivans,  sur  lesquels  j'insiste  de  préférence,  comme 
pouvant  me  servir  dans  la  suite  : 

1 .°  Cléomède  écrivoit  au  plus  tôt  dans  le  troisième 
siècle. 

2."  Il  n'a  point  été  à  Alexandrie  ;  il  n'a  cité  Ératos- 
thène  et  Hipparque  que  sur  parole,  et  ne  paroît  avoir 
connu  aucun  ouvrage  sorti  de  l'école  d'Alexandrie, 

3.°  II  ignoroit  l'astronomie  ;  et  la  plupart  des  faits  qu'il 
rapporte  ont  été  altérés  par  lui ,  ou  l'avoient  été  àé]k  par 
les  auteurs  qu'il  a  copiés. 


Tome  VI.  ^, 


2-4  M.  Lb   DL  LACADi„M.L 

SECTION   SLCONDE. 


't^ 


'.■pci'jiii.n    a  £jri2X:'iLiunc  f    Un.    de 
CUomede. 


I.  f  . . 


V-îîc?  f»  -  ^n  iîtt-frde  du  ya6fA^<t  oà  Cléomcde 

.e  a  Éraio^thcnc  : 

Tus  TI«   XVT5*    «i«3tt'    ^"^ 

c^  Ipjifl^^P 

U£tdt  pias.et  cela  e*t  Tfai,  ♦rci    7b/>'j»,   ic^   ip<e<    wiw^, 

qne  Syene  e»t  sîtoée  %m%  le  tro-  7»,  2.^jr,i-n  vtr  to  ^ée>t»î  1Ç»- 

pîqoe  «fêté-   Aussi ,   lorsque  le  ^^^  xûe3aj  tut^^jf  'Ont-rép 

ceaerjaieeu  ,  --    if?  «^t^?  ^r*-'^  puai» ai  tÎ< 

yMiM^-K-.. 

Ztn   Tw    (j  ajout»-  xvT^) 


- 

.-1 

\ 

ém  tahâce. 

'^, 

ie 

nmt 

i  v 

"  . 

tau  «emcak 

DES  INSCRIPTIONS  ET  ULLL!  S-LF:i  TKLS.      275 

cr<j)  xvKAca  TTroAfoJV  xfi/ui\!Coy,  cercle,  si  nous  dcciivons  un  nrc, 

a*  7npl(tyaLycùiu.ev  7npt<pép€laLV  àpaninle  IVxtrciiiilcck'  l'onihie, 

À-jn  tÔv  a.Kf'ii  TyiçVivyfUjuoH^  jusqu'h  la  hase   méiiu' tin  giio- 

crKiai';,  ÊTn  Tvv  /SatVjv  oLV-TViv  rov  ""^"  du  cadiaii  Ji  Alexandrie,  cet 

'/V(J/M)\ioii  -mi  G^  'AAe|^<V</)oÊ/ût  ■'"■^'    ■"•"-'''"  ""^'  P'^ni'^'i    «lu  plus 

ù^\oyiix,  cLÙ-ryi  n'  vnpKpépeia.  grand  cercle  du  sc<ii>ln\  puiscjuc 

•).i\fr<ma.i  rixias-  tbC  /utyiçov  '^  -rtv/yy/;*'  (ou  la  partie  concave 

T  ci/  T?  o-><3t(pvi  xJjtAa'V  •  ÎTn]  ^^^  l'insiruineiu)  correspond  au 

/Uiyîq^Of    kÔkÀco    VTnxedoLi     »î  I*'"''  ë^-''^^  *-'*^''«^'<^  c»:'leste. 

]Li  o'uv  é^ri^  \iOY\(T7X.ifxev ,  eu-  Dont  ,  si  nous  imaginons  des 

Oeiatç   «fjoC   T>)^   V»!^    CxCccMo-  droites  menées  à  pariirdecliacpie 

fJ^lcLc,  cl<p'  én^Tipav  T    ytu-  gnomon  h  travers  la  terre,  elles 

^tovct)V,   rarÇ^c,  TU    x^vtÇci»  ttjç  se  rencontreront  au  centre  ;  et , 

7?!^   avfxts'iamVTTX.i.   EtteI   oSf  puisque  le  cadran ,  h  Syénd',  est 

Tti  C/fT»  SK«vnci5g^Ao5-«jûH(«,7a  précisénieni   au-dissous  du  so- 

VJ/iAèTTiV  VTzixfUOJI  TU  «A/cd  ,   O*  '*^'' >  '''  droite    (|Uc  nous    sup])o- 

îynvrAmufxiv    iv^uàjj    rtTTO   To'tj  ''""'*    menée    du    soli-il    sur    la 

»ÎA/ot>  rtxûKiT^U  èvr'  ol'x^ov  TDO  i'"''ilt'    du    gnomon,    ne    fera 

Ù^Myilov  -j'fcofxovoL,  fA.ioiy<.-  'I"'"'ie    même  ligne  avec    celle 

V)n<n.eLf  eOGeFct  ri  oL-rn  t9  «A/v  ^I"'   '*'•''■•'   ""-"«^^e  du  gnomon   au 

vx^ovim.. 

'Ei^  oux)  é'Tf.^v  evdéîow  vor-  ^^^  P'"'* >  ■su[)|)osons  une  autre 

atdf^ev  oLTriTou  Ôlxj>ov  rUt;  cDCioLii  droite  menée  au  soleil,  h  partir 

IV   7>'<i)'/x<JV04 ,   Èvri    TOV    îiAiov,  derextrémitedel'omhredu  gno- 

cu>xy>/xinv  ocvrc  tt?^  (M'  'AAé-  mon,  du  .r<v//;//(' placé  h  Alexan- 

Ça.Vc/)o£l£t  ayj,(py\e,^  oLini  KolI  rî  drie  :  cette  dr.iilc    cl    la    |)récé- 

'BTCJgtpn^ÉVn    ÊÛÔÊicc  vra^ojt'A-  dente   seront     ji:iiallèles,   étant 

A)iAo»  ;^4v»î<7Z)v';Ét^,  À-m  S\aL<pl-  abaissées  de  diflérens  joints  du 

pmyi-n^r^Xiov^ipoiVi-mSXai-  soleil    sur    divers    points    de    f;. 

M  •  ,i 


a-6  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

surface  terrestre.  La  droite  qui,  ipoP^  ^«pn  -nJ^  y^'>  cTlrjtoyaa/. 

partant  du   centre  de  la  terre,  £,'ç  ■'(gjjTa.^  ocu)  7m(f^a-AA»i- 

vient    aijoutir     au    gnomon    à  p^ç  ytilc,  èfULTn'Trlei   êv^eût  « 

Alexandrie  ,  tombe  sur  ces  pa-  d-nô-nv  «viÇou  -njç  yri'i  èywnv 

ralicies  ;  il  en  résulte  des  angles  (^^  '\AilAvcPf>etoL  7  yu/MVa,  «tw- 

afternes  internes  égaux, formés,  j^  ,   c«i<ft   f^-;  hai^A-t,  yi/Vw 

l'un  ,  au  centre  de  la  terre,  par  ][^a.ç  -mièiv  «v  >î  /U€V  êçï  'TTçJi 

les  deux  lignes  menées  des  deux  ^  xfVlÇ'îi'  T^4  VÎ!?  >L«-7k  o^,"-- 

gnomonsb  ce  centre, l'autre  par  r^iccctv  revdnu)/,  ai)  ct-ru)  TU'V 

l'interseciion    de    la    pointe    du  ^ o <:,?s')û(jiV    v\-^^v(T^   i^à   "ni 

gnomon   à  Alexandrie  avec   la  x-éviÇov  T^^   y»i^ ,   ^ivo/Uevn  •  r 

Jigne  menée  au  soleil  ,  à  pardr  ^^  y^TÙ  cnJiX'Triaxnv  Xxfti  Tiv 

de    l'extrémité  de  l'ombre    pro-  |y '^;^g^a>»c/)o€/6t  VM/x«vo4,>tA( 

jetée   par    ce    même    gnomon.  .^^^^7^' ctX/:*5  aÛttiu  TÎ)Ço-t«3t4 

L'arc  de   cercle  compris   entre  >^   ^^   '^^^^^^  ^^    ^^  ^çj^ 

l'extrémité  de  l'ombre  et  la  base  ^^^^    \<i.(>(ncù^    à.sa,-xpi\<rr^<. 

du  gnomon  sera  égal  h  l'arc  in-  ,^g^gy„y,g'y„.  Kof'  Ith  /x.èv  '^li- 

tercepté  entre  Syéné  et  Alexan-  ^^  ^^-j-^^^  -^np^^épeict  lî  octt' 

drie.  En  effet,  ces  arcs  doivent  ^          ^^  ^^^^^  ^^  ;^*«>vû$ 

être  semblables,    puisqu'.ls   de-  ,^  ^^  ^^^^  ^^^5  mf/ot^- 

lermineni    Fouverture   d'angles  ^^-^  •   !,„  ^  ^,  ^gi"^   "^ 

égaux.  Donc  l'arc  de  la   partie  ^           -^.y^c,,  lî'^Tnl  Si;r,Vç 

concave  du  .r«/.A^  sera  au  cercle  ^^^^^     ^.^     'AAef<i.^Éi<V^. 

de  ce  scavhî  comme  lare  entre  ,           ,            «•  ,     ' 

Syéné  et  Alexandne  est  au  me-  ,  '^  7  ,  .               •    >>   •'     , 

ridien    qu.  passe   par   ces  deux  ~     nf       '          Ou    ^'.«. 

villes.  Or  il  est  In  cinquantième  y*""*    ^^        .     V      ~          -Z 

partie  du  cercle  du  jm/jA.- ••  donc  '^'^>''    *'<■  .    ^ 

la  distance  de  Sycne  i  Alexan-  i*  {:;/•»                       ,   ,   ,    .         , 

drie  est  nécessairement  la  cm-  ^X*^              r^ ,                 ., 

quantième    partie    d'un     grand  vr,  ,h  'AAÉ^a*</>Ê,<\.   .xot..a. 

cerclede  la  terre.  Mais  celle  dis-  'H  At  V^  C^.'  -H»  *rH<,c?»i  mvPr- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       277 

X.OÇVV  fteg^4  èvcia-Kelcu  tcC  ol-  tance  est  de  cinq  mille  stades; 
xé;V  icvkAqv  ■  S^7  oux)  ctvcty-  donc  le  cercle  entier  est  de  vingt- 
XSiicdç  Koùj  -n  ccTra  ^vmrn;  de,  cinq  myriades  de  stades.  Telle 
'AAe^ctVc/]oe/4o    iXdiqw/u^.    TTtv-    est  la  méthode  d'Eratosthène. 

TTi  yrtc,  yjjttXw.  Kof  kç\  tS'td 

avf/.7W.e,  vjJytXoc,  yivelcLf  fxv- 
pta.S^]/  eiKocn  vrivTi.  Kctf  »î  />i£v 
'E.ç^o<^)in^   eCpoi^^   Tî/cttJTT). 

Ainsi,  d'après  ces  paroles  de  Cléomède,  Ératosthène 
partoit  de  ces  Jeux  suppositions  : 

î  ."QiieSyénc  et  Alexandrie  sont  sous  lemêineme'ridien  ; 

2."  Qiie  Syéné  est  sous  le  tropique  du  Cancer. 

C'est  à  ces  deuxfausses  suppositions  qu'il  rapporte  deux 
observations  de  latitude  faites  au  moyen  du  scaplié.  11  en 
résulte,  dit-il,  que  l'arc  intercepté  entre  les  deux  villes 
s'est  trouvé  égal  à  la  50.''  partie  du  méridien,  ou  de  7°  i  2': 
la  distance  itinéraire  lui  étoit  donnée  de  5000  stades; 
comme  Eratosthène  crut  devoir  multiplier  50  par  5000  , 
il  eut  250,000  stades  pour  la  circonférence  du  méridien. 

Cette  opération  se  compose  donc, 

I .°  De  deux  observations  astronomiques  plus  ou  moins 
exactes,  te  qui  ne  nous  importe  pas  ici; 

2."  D'une  supposition  décidément  fausse,  car  Alexan- 
drie et  Syéné  ne  sont  point  sous  le  même  méridien  ; 

3.°  D'une  donnée  incertaine,  savoir,  la  distance  itiné- 
raire de  5000  stades  entre  Alexandrie  et  Syéné  :  car  nous 
ne  voyons  pasqu'Eratosthène  ait  pris  aucune  peine  pour  la 
vérifier,  à  nous  en  tenir  mcme  aux  paroles  de  Cléomcde. 


278  MÉ MOIRES  DE  L'ACADKMIE 

Sans  rapporter  ici  le  résultat  de  toutes  les  discussions 
auxquelles  a  donne  lieu  ie  récit  de  Clcomcde,  et  sans 
résumer  les  objections  de  Riccioli,  de  Biiilly,  de  d'An- 
ville,  &c.  ni  les  explications  diverses  qu'on  a  proposées, 
je  me  contenterai  de  dire  que  le  plus  léger  examen  des 
faits  démontre  sans  réplique  qu'il  n'a  pu  résulter  de  l'opé- 
ration, telle  que  la  ra|iporte  Cléomcde,  qu'une  mesure 
extrêmement  inexacte. 

En  effet,  Eratosihène  s'est  considérablement  trompe 
en  stippoSiUit  Alexandrie  et  Syéné  sous  le  même  méridien, 
puisque  la  dilFéience  en  longitude  est  d'environ  t,  degrés. 
Cette  erreur  en  a  entraîné  une  autre  ;  on  a  \  u  qu'il  sup- 
pose 5000»  stades  de  distance  itinéraire  entre  les  deux 
points  :  dès -lors  cette  distance  répondoit  réellement  sur 
le  terrain  à  un  plus  long  intervalle  qu'il  ne  le  pensoit; 
car  il  Ta  prise  dans  le  sens  du  méridien,  comme  rcprc- 
sentajit  un  arc  de  7"  12',  tandis  qu'en  réalité  c'est  l'hy- 
poténuse d'un  triangle  rectangle  spliériquc,  dont  l'un  des 
côtésavoity"  i  2' (en  siqiposant  juste  l'observation  gnomo- 
nique),  et  l'autre,  3°environ.  Cet  intervalle  étoit  donc  de 
7''4i^';  savoir,  de  3 6' ou  de  4  de  degré  plus  grand  que  l'arc 
intercepté  entre  les  parallèles  de  Syéné  et  d'Alexandrie. 

Voilà  l'erreur  principale  qui  seroit  résultée  de  l'opéra- 
tion :  cette  erreur  e^t  énorme,  et  telle,  qu'Eralosthcne 
n'auroit  pu  se  faire  qu'une  idée  extrêmement  inexacte  de 
la  grandeur  de  la  terre.  En  voici  la  preuve.  A  nous  en 
tenir  au  texte  de  Cléomède,  il  est  clair  (jue  cette  opération 
n'auroit  produit  d'autre  résultat  que  de  faire  connoître  le 
rapport  qui  existoit  entre  la  circonférence  du  globe  et  le 
stade  quelconque  dans  lequel  étoit  exprimée  la  distance  ili- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  2-9 
ncraire  de  5  000  stades,  qu'Eratosthène  a  prise  pour  hase  de 
son  calcul  sans  la  vérifier  il  s'ensuit  nécessairement  que 
ce  stade  étoit  une  mesure  tinéraire  employée  en  Egypte  ; 
c'est  assez  dire  qu'on  en  connoissoit  la  longueur  absolue  : 
dans  ce  cas,  il  est  évident  que  la  justesse  du  rapport  cher- 
ché de  ce  stade  avec  le  degré  dépendoit  de  l'exactitude  des 
procédés  de  l'astronome.  Or  quels  procédés  !  D'une  part, 
les  5000  stades  répondoient,  sur  le  terrain,  à  un  arc  de 
y°  48',  et  non  de  7°  i  2'  :  première  erreur.  De  plus,  comme 
les  5000  stades  étoient  la  mesure  d'une  distance  itiné- 
raire, il  faut  ajouter  au  moins-^  pour  tous  les  détours  de  la 
vallée  du  Nil  ;  ainsi  ils  représentent  8°  3  5',  et  non  7°  i  2', 
c'est-à-dire,  une  distance  plus  longue  d'environ  ~  :  se- 
conde erreur.  En  admettant  donc  que  cette  distance  de 
5  000  stades  ait  été  mesurée  exactement,  on  voit  que  le  stade 
employé  pour  cette  mesure  auroit  été  de  582  -f  au  degré 

("F^  =  582  -Î-)  ,  ou  d'environ  ipo  """'",  ,88,  le  degré 
moyen,  en  Egypte,  étant  de  110785  mètres,  d'après  les 
tables  de  M.  Delambre.  Mais  Ératosthène,  par  suite  de 
toutes  ces  erreurs  ,  croyoit  que  ce  stade  étoit  compris 
700  fois  environ  dans  un  degré;  il  se  trompoit  donc,  sur 
la  grandeur  absolue  du  degré,  de  22340  mètres,  c'est-à- 
dire  ,  d'un  cinquième  environ.  En  outre  ,  on  est  forcé 
d'admettr'e  qu'il  n'auroit  jamais  existé  de  mesure  contenue 
réellement  700  fois  dans  un  degré,  puisque  ce  rapport 
seroit  entièrement  fictif,  et  uniquement  le  produit  des 
énormes  méprises  qu'auroit  faites  Ératosthène. 

Mais  combien  de  telles  conséquences  sont  opposées  à 
plusieurs  faits  avérés!  Non-seulement  un  stade  assez  exac- 
tement contenu  700  fois  dans  un  degré  terrestre  existe  avec 


2Ro  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

tousses  cicmens  dans  le  système  métrique  de  l'Egypte,  fait 
sur  lequel  je  ne  peux  pas  insister  ici  (i);  mais  encore  l'éva- 
luation d'un  grand  nombre  de  distances  géographiques, 
données  par  les  anciens  ,  principalement  dans  la  basse 
Ésïypie,  se  retrouve  exactement  exprimée  dans  ce  stade: 
ce  qui  prouve  qu'un  stade  de  700  au  degré  a  été  reconnu  et 
employé  comme  mesure  usuelle  en  Egypte  ,  long-temps 
avant  qu'Ératosthcne  exécutât  l'opération  qui  lui  est  attri- 
buée. Comment  donc  ne  pas  soupçonner  dans  le  récit  de 
cette  opération  quelque  imposture  ou  quelque  méprise,  et 
ne  se  pas  sentir  disposé  à  croire,  ou  qu'Eratosthcne  a  cher- 
ché, mais  bien  maladroitement,  à  déguiser  un  plagiat,  en 
se  donnant  pour  avoir  exécuté  une  mesure  faite  long-temps 
avant  lui;  ou  plutôt,  que  Cléomcde  ,  mêlant  ensemble  des 
ilonnées  différentes,  les  aura  confondues  par  ignorance  et 
par  défaut  de  jugement,  et  en  aura  tiré  des  conséquences 
entièrement  fausses! 

Ce  qui  fait  pencher  pour  cette  dernière  opinion,  in- 
dépendamment des  preuves  qui  tout- à- l'heure  vont  la 
mettre  hors  de  doute,  c'est,  en  premier  lieu,  que  Cléo- 
mcde, (jui  ajoute  la  circonstance  de  l'emploi  Au  sciiphé . 
laquelle  est  d'une  fausseté  évidente  ,  a  bien  pu  ajouter 
d'autres  circonstances  beaucoup  moins  importantes,  dont 
la  réunion  suffit  néanmoins  pour  dénaturer  entièrement 
l'opération  attribuée  à  Ératosthène  ;  en  second  lieu  ,  et 
cet  argument,  quoique  négatif,  est  cependant  assez  fort, 
c'est  qu'aucun  auteur  ancien  ,  entre  ceux  du  moins  qui  , 
à  n'en  pouvoir  douter,  ont  eu  sous  les  yeux  les  ouvrages 

(1)  11  est  développe  dans  un  ou-  I  systruc  métrique  Et^'pticn ,  depuis  les 
vrage  inédit  ,  intitulé  :  Histoire  du  \  Pharaons  jusqu'aux  Arabes. 

d'Eratosthènc, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      28. 

d'Eratosthène ,  ne  parle  de  cette  opération.  Strahon,  qui 
avoit  lu  ces  écrits,  qui  les  avoit  discutés,  critiqués,  ex- 
traits ,  qui  parie  en  plusieurs  occasions  de  ce  stade  de 
700  au  degré,  ne  dit  nulle  part  qu'il  eût  été  conclu  d'une 
opération  faite  par  Ératosthène  ;  seulement,  dans  un  en- 
droit, il  dit  :  "  Nous  supposons,  comme  Hipparque,  que  Stmi:  Hk  n , 
"  la  grandeur  de  la  terre  est  de  252,000  stades,  mesure  ''"'  ''" 
»  cju'Eratosthène  donne  aussi.  »  'TTreGe^t-gi'o/ç,  '  a-vrif  éxi7\oc, 
("iTTTrct^yoç)  ,  ehoui  td  fxiyi^c,  -vrtc,  yyji  çxSiav  eÏKOin  tte^te 
fxvpia,S)i)v  KûLf  S\j-^iaIu>\i ,  de,  KoLjj  'E^/oo3ïV)i$  'Ano^'iAnsiN. 
Une  telle  manière  de  s'exprimer  se  concevroit-elle  dans 
l'hypothèse  où  cette  mesure  auroit  été  trouvée  par  Erato- 
sthène lui-même,  si  Eratosthène  eût  réellement  fait  cette 
opération,  dont  le  résultat,  savoir,  le  stade  de  700,  a  joué 
un  si  grand  rôle  dans  toute  la  géographie  ancienne!  c'étoit 
bien  là  le  cas  d'en  dire  quelques  mots.  Ptolémée  n'en  fait 
mention  ni  dans  ÏA/inageste ,  ni  dans  la  Géographie  ;  et 
néanmoins,  au  chapitre  Jli  de  ses  prolégomènes,  il  traite  ruLm.  Gco^r. 
de  la  mesure  de  la  terre.  On  n'en  trouve  non  plus  nul  ves-  '"  ^' 
tige  dans  les  écrits  de  Théon ,  son  commentateur,  de  Pro- 
clus  ni  des  autres  mathématiciens  qui  ont  vécu  à  Alexan- 
drie, ni  dans  le  passage  où  Macrobe  parle  du  stade  de 
700  au  degré;  et  cependant  il  cite  l'ouvrage  d'Ératosthène, 
Ilgp/  ojictfxi'xîrsinoùi,,  où  cet  astronome  avoit  sans  doute  ex- 
pliquéce  qui  concernoit  l'origine  de  ce  stade.  A  tout  prendre, 
ce  ne  sont  là  que  des  argumens  négatifs,  et  je  ne  les  donne 
pas  pour  autre  chose  :  toutefois  ce  silence  absolu  est  étrange; 
et  les  difficultés  singulières  que  présente  d'ailleurs  le  récit 
de  Cléomède,  laissent  bien  des  doutes  dans  l'esprit.  J'ar- 
rive maintenant  à  la  discussion  des  faits  positifs. 
Tome  VL  N« 


2;î2  AUIMOIRES  DE  LACADÉMIE 

SECTION    TROISIEME. 
Eti  ijiioi  consiste  i Opération  dite  d'Eratostluni'. 


S.    l/""   Que  /il  distiuue  tic  cin<j  mille  stiides  n'est  point  une 

mesure  ge'odésique. 

Du  milieu  de  ces  difficultés  de  tous  les  genres,  il  sort 
nJaninoins  un  fait  qu'on  pourroit  difficilement  contester, 
f  i  qui  doit  par  la  suite  acquérir  plus  de  force  :  c'est  qu'Èra- 
tosthciie,  bien  qu'il  n'ait  pu  exécuter  l'opération  rapportée 
par  Cléomcde  ,  est  certainement  le  premier  d'entre  les 
Grecs  qui  ait  fait  du  stade  de  700  au  degré  une  appli- 
cation quelconque  dans  .la  détermination  d'un  arc  du 
méridien. 

J'ai  dit  plus  haut  qu'en  dégageant  le  texte  de  Cléomcde 
des  circonstances  étrangères  à  l'objet  principal,  on  en  tire 
du  moins  ces  deux  données  :  i."  une  observation  de  lati- 
tude à  Syéné  et  à  Alexandrie  auroit  fait  connoitre  à  Era- 
tosthcne  la  grandeur  de  l'arc  du  méridien  entre  ces  Aqwx 
lieux;  2.°  une  distance  itinéraire  de  5000  stades  auroit 
été  censée  exister  entre  les  deux  villes.  De  ces  deux  don- 
nées, la  première  semble  appartenir  à  Eratosthcne  ;  la 
seconde,  au  contraire,  ne  seroit  qu'un  fait  connu  indépen- 
damment de  son  opération  ,  et  admis  par  lui  comme  exact: 
car,  je  le  répète,  on  ne  voit  luilie  part  qu'Eratosthènc  ait 
fait  la  moindre  tentative  pour  le  constater. 

Cette  distance  de  5000  stades,  prise  dans  le  sens  du 
méridien,  entra  dans  la  distribution  des  latitudes  laite  par 
cet  auteur  :  elle  lut  adoptée  par  Hipparque  et  par  Sirabon  , 


DES  LNSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  283 
cu.i  employoient  le  mcme  stade  qu'L.ratosthène ,  savoir, 
celui  de  700  nu  degré;  elle  fut  considérée  par  eux  comme 
érant  l'expression  de  la  différence  en  latitude  de  Syéné  et 
Alexandrie.  Dès-lors ,  pour  savoir  la  mesure  de  l'arc  du 
méridien  qu'elle  représentoit,  dans  leur  opinion,  il  ne  faut 
<jue  diviser  le  nombre  5000  par  700,  et  l'on  a  7°  8'  34  "  : 
c'est  évidemment  l'intervalle  qu'ils  supposoient  exister 
entre  les  deux  points. 

Les  observations  des  modernes  mettent  e]i  état  d'ap- 
précier l'exactitude  de  cette  estimation,  et  de  connoître 
la  nature  de  cette  prétendue  mesure  itinéraire. 

Selon  M.  Nouet,  la  latitude  d'Alexandrie  au  Phare  est 
de  3  1  °  13' 5";  mais,  comme  les  Alexandrins  observoient 
sur  la  rive  méridionale  du  grand  port,  où  étoit  la  ville, 
et  non  pas  au  Phare  (i),  il  faut  retrancher  i  500  mètres  ou 

48",  ce  qui  réduit  la  latitude  à 31°    12'    17". 

Latitude  de  Syéné 24"      5'   23". 

Différence  en  latitude 7°      6'   54  • 

Selon    les  Alexandrins  ,    cette   différence 

étoit  de 7°      8'   34". 

Ils  ne  se  trompoient  donc  que  de i     4°  • 

Encore  cptte  erreur  doit-elle  être  diminuée,  parce  que  le 
nombre  rond  5000  est  un  peu  trop  fort,  comme  on  va 
le  voir  bientôt. 

Chose  remarquable  !  voilà  donc  cette  mesure  de  5000 
stades  entre  deux  lieux  situés  sous  des  méridiens  différens  ; 

(1)    Voyei  mon  article  sur  la  traduction   de  l'Almageste,   Journal  des 
Savans ,  avril  t8i8 ,  pag.  201. 

N'  ij 


284  MF.MOIRLS  DL  LACADi-MIE 

cette  mesure,  qui ,  d'aprcs  Clconicde,  auroit  ctc  nppliqiice 
avec  tant  «Je  maladresse  et  diiiexactiliide  ,  et  auroit  «lu 
conduire  si  loin  de  la  v«;ritc  ,  la  voilà,  dis-je  ,  «jui  se 
trouve  «}tre  assez  précisément  l'expression  de  l'arc  de  lati- 
tude compris  entre  ces  deux  numes  lieux.  Une  telle  coïn- 
cidence ,  qui  ne  peut  avoir  été  l'elfet  du  hasard  ,  nous 
découvre  tout-à-coup  ce  qu'est  cette  prétendue  distance 
itifu'r.iire,  prise  gc'odésiejuement  le  long  du  Nil ,  comme  on  l'a 
cru  d'après  Cléomtde  ,  et  nous  démontre  que  c'est  tout 
simplement  l'estimation  de  la  dirtcrcnce  en  latitude  des 
parallèles  de  Syéné  et  d'Alexandrie,  faite  par  Éralosthèiie, 
dans  un  stade  dont  le  rapport  au  degré  étoit  déjà  connu 
auparavant. 

Ce  fait  positif  vient  confirmer  toutes  les  présomptions 
qui  s'étoient  élevées  jusqu'ici;  il  change  l'état  de  la  ques- 
tion ,  et  jette  un  trait  de  lumière  a  travers  tous  les  nuages 
dont  noiib  étions  environnés. 

Avant  de  suivre  ce  fait  dansses  conséquences  ultérieures, 
il  convient  de  rechercher  comment  les  philosophes  dy 
l'école  d'Alexandrie  étoient  parvenus  à  connoître  une  dif- 
férence de  latitude  à  la  précision  de  i'  7  ;  car  ceci  est  lié 
à  la  discussion  de  deux  des  points  les  plus  délicats  et  cer- 
tainement les  moins  approfondis  de  l'astronomie  pratique 
des  anciens  :  je  veux  parler  de  la  détermination  des  la- 
titudes de  S\â\6  et  d'Alexandrie,  et  de  l'ohlitjuité  de 
l'éclipiique. 

S-    n.    A-  /./   LilituJc  d'. Alexandrie. 

Un  fait  dont  il  est  impossible  de  «louter,  c'est  «jue  les 
Alexandrins  n'ont  jamais  su  prendre  une  latitude  absolue 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      285 

avec  exactitude,  et  cela  ,  par  la  raison  que  les  procèdes 
qu'ils  employoient,  indépendamment  de  plusieurs  autres 
causes  d'incertitude ,  ne  leur  permettoient  point  de  tenir 
compte  de  la  pénombre  :  ils  ne  se  sont  donc  jamais  aperçus 
que  leurs  instrumens  leur  donnoient,  non  pas  la  distance 
du  centre  du  soleil  au  zénith,  mais  seulement  celle  du 
limbe  boréal  ;  en  sorte  que  toutes  les  latitudes  observées 
par  eux  doivent  être  trop  foibles  de  i4'  à  i  5'.  Ce  fait  ré- 
sulte de  l'examen  des  latitudes  des  trois  points  de  l'Egypte 
dont  ils  se  sont  le  plus  fréquemment  servis,  et  dont  ils 
avoient  dû  déterminer  la  position  par  des  observations 
qui  leur  étoient  propres  :  ces  points  sont,  Canope,  Heroo- 
po/is  et  Alexandrie. 

Les  tables  de  Ptolémée,  selon  le  texte  Grec,  portent 
Canope  à  la  latitude  de  31°  5'.  Selon  M.  Nouet,  le 
rocher  d'Aboukir  est  par  31°  rcj'  44  •  mais,  pour  at- 
teindre le  milieu  des  ruines  de  Canope,  il  faut,  d'après  la 
carte  à  grand  point,  retrancher  900  mètres  ou  7  minute; 
il  reste  donc  pour  la  latitude  de  Canope ,  31°  19'  i^"- 
selon  les  anciens 31°      c'. 

Différence  £"«  moins,  14'  i4  •  c'est,  à  environ  l'près, 
le  demi-diamètre  du  soleil. 

Jieroopqlis ,  située  au  fond  du  bras  occidental  de  la  mer 
Rouge,  est  une  des  positions  les  plus  importantes  dans  la 
géographie  des  Alexandrins:  les  tables  de  Ptolémée,  se- 
lon la  version  Latine  et  le  manuscrit  Coislin  ,  la  placent 
à  29°  50',  position  qui  se  retrouve  en  deux  autres  en- 
droits de  ces  tables  où  il  est  question  du  fond  [f^^X''-'^] 
de  la  mer  Rouge  ;  or  ce  fond  et  Heroopclis  sont  deux 


2B6  AU  MOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

points  maiiueiiant  reconnus  pour  iilcMitiques.  II  existe  à 
2600  mètres  au  N.  E.  de  Sue/,  dans  l'alignement  de 
i'exircmitc  Ju  poHe ,  des  ruines  d'une  ville,  (|ui  ,  il'aprcs 
sa  position  géographique ,  ne  sauroient  apjiartenir  à  au- 
cune autre  qu'à  Hcroopolis.  La  htitude  de  ces  ruines  est 

de 30°      4     30  • 

Celle d'/ytT()()/Jo//j.  selon  Ptoicmée,  ctoit de    29"    50' 

DifFcrence  tii  nioi/is i4     50". 

Mùne  {juantitc  que  ci-dessus. 

Alniag.  I.  y.        Enini   Alexandrie   est  mise  par   Ptoicmce  à  3  1  "  juste 
fa.                  dans  sa  uengnip/nc;  mais  ce  n  est  qu  une  approximation: 

dans  ['Aliiiiigeste ,    où   il    met   plus  de  rigueur,  il  donne 

prcciscment   30"  58'.    Or  de 31"  12'    1-7". 

retranchez 50  ^S. 

il  reste  de  diiïcrence  en  moins 14     17", 

c'est-à-dire,  presque  la  même  quantité  que  pour  les  deux 
autres  positions,  ou  à  peu  près  le  ilemi  -  diamètre  tlu 
soleil. 

Ces  trois  faits,  rapproches  ici  pour  la  première  fois,  ce 
me  semble,  et  auxquels  j'en  pourrois  joindre  d'autres, 
mettent  hors  de  doute  Terreur  commise  par  les  Alexan- 
drins dans  leurs  observations  de  latitude. 

Au  reste,  Ptoicmce,  en  portant  la  latitude  d'Alexandrie 
331°  en  nombre  rond  dans  sa  Gcognipliie ,  n'a  fait  que 
suivre  l'exemple  d'fcralosthène  et  d'Hipparcjue,  en  ceci 
comme  en  bien  d'autres  choses.  L.n  etic(,  selon  ces  deux 
astronomes,  le  tropique  et  Sycnc  ètoient  à  23"  51'  20, 
lis  metioient  de  plus,  en  nombre  rond, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  2S7 

D'outre  pan 23°    5  i'  20". 

5000  stades  entre  Syéné  et  Alexandrie", 

ou 7°      8'  ^i". 

Latitude  d'Alexandrie 30°    55?'    54  , 

ou   31°. 

Mais  il  est  probable  que  ces  deux  astronomes  avoient  re- 
connu ,  ainsi  que  Ptolémée  ,  que  la  latitude  d'Alexandrie 
étoit  exactement  de  ^0°  s  8';  et  M.  Delambre  en  donne  la     Astronom.,wc. 

,  .  t.  I ,  pag.  bS. 

raison  :  «  Comme  Ptolémée ,  dit  ce  savant  astronome,  adopte 
"  l'obliquité  d'Eratosthène,  il  est  naturel  de  supposer  qu'il 
»  a  pris  aussi  la  latitude  qui  se  déduisoit  de  ses  observa- 
»  tions  ,  et  qui  sans  doute  avoit  servi  à  placer  l'armille 
»  équatoriale  à  la  hauteur  qu'on  croyoit  exacte.  » 

Eratosthène  et'Hipparque  dévoient  donc  mettre  égale- 
ment entre  ces  deux  points  30°  58' — 23°  51'  20", 
c'est-à-dire,  7°  6'  /{o" ,  valant  ^c)'j'j,'j  stades  de  700  au 
degré.  Ce  nombre  étoit  si  embarrassant  dans  la  pratique, 
qu'ils  ont  dû  le  porter  à  5000  ,  en  négligeant  -rrj  dont 
ils  n'avoient  que  faire.  En  omettant  cette  insignifiante 
fraction,  ils  avoient  juste  21,700  stades  pour  l'intervalle 
de  Téquateur  à  Alexandrie. 

On  voit  donc  que  toute  l'école  d'Alexandrie  s'est  accor- 
dée, depuis  Eratosthène  jusqu'à  Ptolémée  inclusivement, 
à  compter  entre  Syéné  et  Alexandrie  au  moins  7°  6'  ^o" , 
ou  4978  stades,  puisque  les  5000  stades  ne  sont  qu'un 
jiombre  rond;  ou  tout  au  plus  7"  8'  34",  valeur  de  ces 
5000  stades. 

J'ai  dit  que  les  modernes  comptent  entre  ces ï^lieiix  mêmes 
lieux -j"      6'    54  ". 


2RS  MF..MOIRES  DE  L'ACADKMIE 

D'autre  pan 7"      C    54". 

Les  anciens  coirifftoieni -  '      6'  \o  . 

Lerreiir  n'est  donc  que  de o'      o'    \\' . 

ou  de-^de  minute,  au  lieu  Je  l'z  5  qui  icbulic  des  7°  8'  34  '• 
Cette  exactitude  est  sans  doute  fort  grande  :  toutefois 
elle  n'a  rien  d'étonnant,  parce  que  la  quantité  dont  il  s'agit 
est  !a  moyenne  entre  deux  erreurs  qui  se  coinpensent;  on 
le  concevra  facilement.  Comme  les  astronomes  se  trom- 
'  poient  également  dans  toutes  leurs  latituties  prises  avec  le 

gnomon  ,  on  sent  qu'en  observant  aux  deux  extrémités  d'un 
arc  du  méridien  avec  des  instrumens  semblalîles  ,  et  en 
répétant  les  observations  un  grand  nombre  de  fois  ,  la 
moyenne  des  observations  en  chacun  dc^s  deux  lieux  se 
trouvoit  affectée,  à  peu  de  chose  près,  d|  la  mùiie  erreur; 
tellement  que,  quoique  chaque  moyenne  fût  trop  foible, 
et  conséquemment  inexacte,  prise  à  part  ,  cependant  l'arc 
compris  entre  les  deux  points  pou  voit  être  connu  avec 
iMie  assez  grande  exactitude. 

S.  m.    De  ÏObliquhé  de  l'Écliptique  selon  les  Alexandrins. 

On   sait  qu'Ératosthcne  supposoit  cette  obliquité  égale 

rtoirm. .4imag.   aux    tV?   ^"   mériilien,  (]ui    \alent     zj""    51'   20'.    Il    se 

'  V  lUtlire     fompoil  de  6'  environ  ;  car,  au  temps  de  cet  astronome, 

T.ihUtJmoltil.    vers  le  milieu  du  troisième  siècle  avant  J.  C,  l'oldiquité, 

d'après  la  variation  séculaire  de  50   ,  ne  devoit  ttre  (|ue 

de  2?"  45'  20   :  mais,  comme  il  croyoit  Syéné  sous  le  tro- 

pi(juf,  il  s'ensuit  (|u'il  plaçoit  cette  ville  20' 6  trop  bas. 

Hipparque„  selon  Ptolémée,  s'est  servi  de  cette  mesure 
•^ans  y  rien  changer  ('#  ^  P  "l'TfmLfi-^oc,  avnyjrartio),  soit 

qu'il 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      289 

qu'il  l'ait  vérifiée  et  qu'il  ait  trouvé  le  même  résultat,  ce 
qui  seroit  bien  singulier,  soit  plutôt  qu'il  l'ait  adoptée  sans 
examen  ;  et   cela  est  d'autant  plus  probable,  que,  selon 
toute  apparence,  Hipparque  n'a  jamais  mesuré  la  latitude 
d'Alexandrie  ,  ainsi  que  je   le  ferai   voir   plus   bas.   Dans 
sa  géographie  ,  il  admet  que  le  tropique  est  juste  à  24"  ; 
mais   c'est  parce  qu'il  a  voulu  avoir  un   nombre   rond  , 
comme  M.  Gossellin  l'a  dit,  et  comme  je  l'ai  moi-même         Rcdenks, 
explique  ailleurs  plus  en  détail,  en  prouvant  que  la  ditie-       journal  ds 
rence    entre   le    nombre   rond  24°    et   le   nombre   précis  ''''■;"'''"■  -     '""'/ 
23°  51    20    a  produit  celle  qu'on  remai-que  dans  les  iati-  ^y.-?. 
tudes  d'Alexandrie  selon  Ératosthcne  et  selon  Hipparque. 
Enfin   Ptolémée  prétend  aussi  avoir   trouvé  la   même 
quantité    par   des   observations   de    hauteurs   solsticiales. 
De  son  temps,  l'obliquité  n'étoit  plus  que  de  23°  4^'  7"" 
l'intervalle  des  deux  tropiques  étoit  donc  de  ^'j°  22'  14". 
Selon  lui,  cet  intervalle  eût  été  de  47°  4-'  4°"  •  erreur, 
environ  20'  ou  y  de  degré.  Mais  en  tout  ceci  que  de  choses 
suspectes  I  Et  d'abord,  n'est-il  pas  bien  étrange,  selon  la 
remarque  de  M.  Delambre ,  qu'environ  quatre  siècles  après 
Eratosthène,  Ptolémée  trouve  y wj-re  ce  qu'avoit  trouvé  cet 
astronome  !  De  telles  coïncidence^  (et  Ptolémée  en  offre 
bien  d'autres  exemples)  ne  sont-elles  pas  presque  impos- 
sibles, et'conséquemment  très-invraisemblables  î  II  faut 
donc  convenir,  comme  l'a  déjà  pensé  M.  Delambre,  que         Asmnomie 
l'obliquité  de  23°  5,'  20"  remonte,  en  dernière  analyse,  j^V/Ç.''/;;; 
à  Eratosthène.  lyS.a  hote.sur 

Ptolém.  tom.  l , 

Voyons  par  quels  moyens  on  y  étoit  arrivé.  Ptolémée  i'-'^' "■ '■• 
prétend  l'avoir  trouvée  par  des  hauteurs  solsticiales,  plu- 
sieurs fois  répétées  :  cela  est  bien  difficile  à  croire. 
Tome  VI.  q. 


290  MKMOIRES  DE  L' ACADEMIE 

£11  effl't,  au  temps  de  Piolemce,  le  tropicjiie  ctoit, 
toniine  je  l'ai  dit,  à  23°  4''  7  ;  la  double  obliquité  foi- 
inoit  un  arc  de  .j-'^  22'  14  :  l'errein-  de  20'  seioii  lout- 
à-lait  inconcevable.  On  a  vu  que  cet  astronome  et 
ceux  qui  l'ont  prcccdé,  ne  se  irompoient  sur  la  hauteur 
solsticiale  du  soleil  en  été,  à  Alexandrie,  que  de  i  à  2', 
outre  l'erreur  du  demi-diamètre,  que  nous  ne  devons  point 
compter  ici,  puisqu'elle  se  compensoit  par  l'observation 
correspondante;  il  devoit  se  tromper  de  même  sur  la  hau- 
teur solsticiale  en  hiver  :  ainsi  la  double  oblicjuité  ne  pou- 
voit  être  en  erreur  que  de  i  ou  2',  et  non  pas  de  20.  il 
Y  a  plirs  même,  c'est  qu'en  admettant  comme  vrai  tout 
ce  que  dit  Ptolémée  ,  il  auroit  dû  se  tromper  en  moins; 
et  la  raison  est  simple  :  au  solstice  d'été,  le  soleil,  n'étant 
alors  qu'à  y"  ji'  10"  du  zénith  d'Alexandrie,  n'éprou- 
voii  par  la  réfraction  aucun  dérangement  sensible  ;  au 
contraire,  lors  du  solstice  d'hiver,  le  soleil  tioit  à  7° 
3  l'  10  -H  47"  22'  i4  =  54°  5  3  ^4  <J"  zénith  ;  la 
réfraction  le  dérangeoit  de  1'  22"  à  peu  prés,  et  l'inter- 
valle des  tropi([ues  ne  devoit  plus  paroître  que  de  47° 
20    52   ,   et  non  de  4?'   4^'  4°  • 

Il  est  donc  certain  que  Ptolémée  n'a  point  trouvé  l'obli- 
quité de  réclipti(jue  par  des  observations  <]ui  lui  fussent 
projires,  ainsi  qu'il  le  prétend  :  il  n'a  pu  la  prendre  que 
dans  les  écrits  d'Hipparque  ,  lecjuel  la  tenoit  d'Lrato- 
sihcne. 

Ce  que  je  viens  de  dire  pour  prouver  (jue  l'obliquité 
n'avoit  pu  être  découverte  par  l'observation  de  hauteurs 
solsticiales  au  temps  de  Ptolémée,  peut  s*appli(juer  en 
grande  partie  au  temps  d'traiosthcne  ;  car,  bien  (]u'alc)rs 


XXV , y. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  29. 
la  double  obliquité  fût  de  if  30'  3/1'  .  l'erreur  de  12' 
est  encore  trop  forte,  eu  égard  à  la  précision  avec  laquelle 
on  a  vu  qu'Éralosthène  et  les  autres  savoient  prendre  des 
différences  en  latitude.  Cette  donnée  a  dû  être  fournie  par 
\\\\  autre  moyen;  et  ce  moyen,  le  voici  : 

On  sait  qu'une  opinion   généralement  répandue  dans    Plntarch.dcAcf. 

^  i  °  I  .  oracul.  lom.  Il, 

l'antiquité  plaçoit  Syéné  précisément  sous  le  tropique,  j^g,  4,,,  A; 
c'est-à-dire,  à  23°  5 1'  20"  de  l'équateur:  et  en  ceci,  toute  ';>;";/ ^^''""^' 
l'antiquité  se  trompoit.  ^     Pausa^.  l.  i,c. 

Au  temps  d'Ératosthcne,  l'obliquité  étant  de  23°  45'  .W;f'/".  s^, 
19",  et  Syéné  étant,  selon  Nouet ,  à  24°  5'  23"  de  '''^-.^.^  !,„iu. 
l'équateur,  il  s'ensuit  que  le  tropique  se  trouvoit  à  20' 
4"  du  zénith  de  cette  ville  ;  si  l'on  retranche  le  demi- 
diamèlre  1  5'  45'  (la  réfraction  et  la  parallaxe  étant  nulles 
au  zénith) ,  il  reste  4'  ly  pou^  la  distance  du  limbe  bo- 
réal au  zénith. 

Sans  parler  du  temps  d'Hipparque,  parce  qu'il  est  trop 
rapproché  de  celui  d'Ératosthène,  nous  passerons  à  Pto- 
iémée.  En  130  de  l'ère  vulgaire,  le  limbe  boréal  étoit  à 
24°  5  23  —  23°  41  7-4-15  45  =831  du  zé- 
nith de  Syéné  ;  alors  l'ombre  des  gnomons  devoit  être 
déjà  sensible,  puisque,  sur  un  gnomon  de  dix  pieds  en- 
viron, elle  auroit  été  d'à  peu  près  3',  581,  Si  Ptolémée 
a  contini^é  de  suivre-  l'opinion  vulgaire,  et  de  dire  expres- 
sément que  les  gnomons  ne  projetoient  point  d'ombre 
à  Syéné  ,  c'est  qu'il  n'a  point  fait  d'observation  à  cet 
égard. 

Tous  ces  rapprochemens  nous  amènent  à  l'idée  que,  si 
l'obliquité  de  23"  5  i'  20"  remonte  à  Ératosthène ,  l'opi- 
nion qui  plaçoit  le  tropique  au  zénith  de  Syéné,  remonte 

0=  \] 


292  MtMOlRLS  DE  L"ACAUI..\11£ 

encore  plus  haut;  car  il  suffit  de  réfléchir  à  roiigiiie  pro- 
bable d'une  telle  opinion,  pour  être  sûr  qu'elle  est  anté- 
rieure à  Eratostiùne.  J'ai  dit  que  ,  de  son  temps,  le  limbe 
boréal  du  soleil  étoit  à  4'  environ  du  /cniih  de  Syéné  ; 
et,  d'après  la  diminution  séculaire  de  l'obliquité,  on  voit 
(ju'il  atteignoit  ce  zénith  vers  790  ans  avant  J.  C.  A  cette 
épocjue,  le  pied  des  gnomons  à  Syéné  se  trouvoit  encore 
'  Arr!.!^.  hâk.  entièrement  dans  la  lumière,  et  Syéné  pouvoit  être  regar- 
XXV.  7.  j^;^  comme  placée  verticalement  sous  le  tropique.  Mais, 

à  plus  forte  raison,  cette  opinion  étoit-elle  fondée  dans  les 
siècles  antérieurs,  puisqu'en  remontant  au-delà  de  ypo  on 
trouve  que  le  centre  du  soleil  n'a  atteint  le  zénith  de  Syéné 
que  vers  2600  ans  avant  J.  C. ,  et  qu'on  devroit  se  repor- 
ter à  6000  ans,  et  peut-être  plus  loin  encore,  avant  d'arriver 
à  \\\\ç  époque  où  les  gnomons  auroient  fait  sensiblement 
ombre  de  l'autre  côté.  H  est  donc  évident  que,  depuis  l'ori- 
gine probable  de  la  société  en  Egypte  jusqu'en  790  avant 
notre  ère,  Syéné  n'a  point  cessé  d'être  sous  le  tropique,  ou 
tout  au  moins  au -dessous  d'une  portion  quelconque  du 
disque  solaire.  C'est  pendant  ce  long  intervalle  que  les  gno- 
mons n'ont  point  fait  ombre  à  Syéné  le  jour  du  solstice.  A 
partir  de  cette  époque,  le  soleil  s'est  éloigné  insensible- 
ment du  zénith;  d'abord  de  i',  en  630;  puis  de  2',  en  520; 
puis  de  3',  en  4oo  ;  puis  enfin  de  4'.  vers  le  temps  d'Lrato- 
sihène.  Mais,  dans  les  quatre  siècles  qui  précédèrent  cet 
astronome,  et  même  de  son  temps,  d'aussi  foibles  dévia- 
ticnis  pouvoient-elles  suffire  pour  faire  douterd'une  opinion 
qui  avoit  pour  elle  la  sanction  du  temps?  Qiiand  même  les 
gnomons  auroient  été  dans  un  plan  bien  vertical ,  on  con- 
çoit que,  pour  peu  que  leur  face  eut  eu  d'inclinaison,  elle 


.,•: 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      295 

auroit  absorbé  l'ombre  ;  car  on  trouve  qu'un  gnomon  de 
cinquante  pieds  n'auroit  fait  qu'une  ombre  de  8'  :  ceux  dont 
on  pouvoit  se  servir  à  Syénc  pour  les  usages  ordinaires  de 
la  vie,  en  les  supposant  d'un  pied  de  baut,  n'auroient  fait 
alors  qu'une  ombre  de  o',  1 67  ou  de  o'", 000 24- Si,  au  lieu 
de  gnomons,  on  se  servoit  réellement  de  ce  puits  vertical 
dont   Strabon ,  Pline  et  Arrien  ont   parle,  il  ne  pouvoii     SmiLl.xvn, 
non  plus  fournir  une  i-aison  propre  à  ébranler  l'opinion  ^"^punJ ut.  n, 
ancienne  :  supposons  que  ce  puits  eût  cinquante  pieds  de    "4„!;^,f' /';^,v 
profondeur,  et  que  ses  parois  fussent  bien  verticales  ;  la    vjrK. /.  7. 
paroi   australe  auroit   projeté  sur  le  fond   une  ombre  de 
8  lignes  seulement  ;  le  reste  eût  été  en  pleine  lumière,  et 
Ja  réverbération  de  la  paroi  boréale  eût  fait  paroître  éclai- 
rée toute  la  circonférence  du  puits. 

Il  est  donc  évident  qu'au  temps  même  d'Eratosthène 
on  n'avoit  point  de  raison  sufîîsante  pour  renoncer  à  l'an- 
tique opinion  sur  la  position  de  Syéné.  Comment  uuroit- 
onpudouter  d'un  fait  reconnu  pendant  un  si  grand  nombre 
de  siècles  ,  consacré  sans  doute  par  la  religion  ,  et  qu'on 
devoit  croire  immuable! 

Ainsi,  bien  loin  que  ce  soit  Ératosthène  qui  ait  le  pre- 
mier répandu  cette  opinion  en  Egypte  ,  il  n'a  fait  que 
s'y  conformer  en  l'introduisant  comme  élément  principal 
dans  toutes  les  opérations  qu'il  a  exécutées.  Qiioi  qu'en 
ait  dit  Bailly  en  s'appuyant  sur  des  passages  vagues  ou 
mal  interprétés,  la  variation  de  l'obliquité  de  l'écliptique 
a  été  inconnue  aux  anciens;  ils  ont  toujours  cru  que  Syéné 
étoit  précisément  sous  le  tropique.  L'antiquité  est  formelle 
à  cet  égard.  Il  est  vrai  qu'un  passage  de  Plutarque  a  paru 
à  Casaubon  indiquer,  chez  les  anciens,   l'opinion  que  le 


2i)i  Mi,.UOJRLS  DE  L'ACADFMIE 

tropique  avoii  éprouve  un  dcplaceineiit  d'où  il  icsultoit  que 
les  gnomons  commençoicnt  à  faire  ombre  à  Syc'nc  lors  du 
solstice:  et  ce  passage,  s'il  prcsentoit  un  pareil  sens,  sernit 
d'une  impjrtance  extrcme  :  mais  j'ai  tait  voir  que  ce  grand 
Tr.,j.JtSt'it-  critique,  en  s'arrctant  à  une  phrase  isoice,  n'a  pas  vu  que 
iMg4lb.M.;.  1  ensemble  du  te\tc  de  Plularque  présente  l'idée  prccisc- 
inenl  contraire. 

Je  remarque  (jue  la  latitude  de  Syénc  selon  les  anciens 
est,  comme  celle  d'Alexandrie  et  d'autres  villes,  la  vraie 
latitude,  moins  le  demi- diamètre  du  soleil,  ou  plutôt 
moins  14'  environ,  conformément  à  l'erreur  que  j'ai  si- 
gnalée plus  haut. 

Car  Syéné  est,  selon  Nouet,  à 24°       5'    23'. 

Elle  est,  selon  Eratosthène  et  les  autres, 

à 23"     51'     20. 

Suyra.p.  iSj   La  différence  en  moins  est  de o"     i^        3  . 

-•  C'est  la   incme  que  j'ai  remarquée  pour  les   latitudes  de 

Canope  ,  d'Alexandrie  et  d'Hcroopolis  ;  et,  comme  l'obli- 
<juité  de  l'écliptique  éloit  supposée  égale  à  la  latitude  de 
Syéné,  selon  l'antique  préjugé,  il  s'ensuit  que  cette  obli- 
quité doit  se  trouver  de  même  c(juivalente  à  la  vraie  lati- 
tude de  Syénc,  moins  le  demi-diamètre.  Comment  tout 
cela  est-il  arrivé!  ce  qui  vient  d'être  dit  lexplique. 

Ératosthcne  trouvoit  qu'à  Alexandrie,  au  moment  du 
solstice  d'été,  le  soleil  étoit  éloigné  du  zénith,  d'un  arc 
du  méridien,  qui  répond  à  7°  6' 4o  ,  ou  à  7°  8'  34  de 
notre  graduation  :  mais  cette  observation  n'étoit  pas  suffi- 
.sante  pour  déterminer  la  latitude  tl'Alexandrie,  ou  la  dis- 
lance de  cette  ville  a  l'équateur;  il  falloit  connoître  encore 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  29^ 
l'arc  de  la  plus  grande  déclinaison  du  soleil,  c'est-à-dire, 
l'obliquité  de  i'écliptique.  Or  il  y  avoit  deux  moyens  à 
prendre  pour  y  parvenir  :  le  premier  ctoit  d'observer  à 
Alexandrie  les  distances  méridiennes  du  soleil  au  zénith 
dans  les  deux  solstices  ,  en  prenant  la  moitié  de  la  diffé- 
rence ;  et  ce  moyen  si  simple  a  dû  être  employé  :  toutefois 
ce  n'est  pas  celui  dont  on  a  jugé  à  propos  de  suivre  le  ré- 
sultat ;  la  preuve  en  est,  qu'au  lieu  d'une  erreur  de  2  ou  3' 
en  moins,  dont  il  étoit  susceptible,  il  en  a  été  commis  une 
de  I  2'  en  plus.  Le  second  étoit  de  prendre  la  latitude  de 
Syéné;  mais,  pour  avoir  une  ombre  appréciable,  il  falloit 
choisir,  soit  l'un  des  deux  équinoxes,soit  le  solstice  d'hiver. 
Vitruve,quiditun  mot  de  l'observation  gnomoniqued'Era- 
tosthène,  ne  parle  î]ue  de  l'équinoxe:  Si  autem  animodverte- 
rint  orbis  term  circuitionem  per  solis  cursum  et  pwmoiiis  aqui- 
noctialis  umhras  est  inclinatione  cœli  &c.  D'après  ce  passage , 
on  a  lieu  de  croirequedes  deux  momens  de  l'année  ce  fut 
l'équinoxe  qu'on  choisit  pour  l'opération.  Comme  Syéné 
passoit  pour  être  sous  le  tropique,  la  distance  méridienne 
du  soleil  au  zénith  de  cette  ville  donnoit  celle  du  tro- 
pique à  l'équateur.  Mais,  en  prenant  la  latitude  de  Syéné, 
on  devoit  se  tromper  comme  pour  toutes  les  autres  lati- 
tudes ;  c'est-à-dire  qu'au  lieu  de  trouver  la  hauteur  mé- 
ridienne>de  24°  5',  ou  à  peu  près,  on  devoit  la  troLiver 
de  23°  50  à  5  i'  :  et  en  effet,  telles  étoient  précisément,  et 
l'obliquité  de  I'écliptique,  et  la  latitude  de  Syéné,  selon 
Ératosthène.  Ajoutant  donc  23°  5  1'  20"  avec  7°  8'  34. 
distance  méridienne  du  soleil  à* Alexandrie,  on  eut  31" 
pour  la  latitude  de  cette  ville.  Ce  résultat,  obtenu  par  des 
observations  gnomoniques  ,  fut  employé  lorsqu'il  s'agit  de 


296  MF.MOIRtS  DE  I/ACADl  NUF 

D<Limh^,Hoi,i  placer  les  grandes  armilies:  elles  se  irouvnieiit,  dit  M.  De- 
".'  "'■'.•  ^  lambre,  alfectces,  dès  l'origine,  de  la  mcme  erreur,  et  ne 
purent  plus  servir  à  la  rectifier;  \o\\k  pounjuoi,  dans  la 
suite,  les  astronomes,  quoiqu'ils  n'eniplo\assent  plus  le 
gnomon  ,  ne  s'aperçurent  jamais  qu'ils  faisoient  la  hauteur 
^.\u  pôle,  à  Alexandrie,  de  ^  de  degré  trop  foible. 

Hipparque  ne  fit  qu'adopter  ces  diverses  quantités; 
car,  outre  qu'il  seroit  étrange  cjuil  eut  trouvé  précisé- 
ment les  mêmes  résultats  en  recommen(;ant  l'opération, 
'in  a  tout  lieu  de  ilouter  qu'il  ait  été  en  position  de  le  l.iire. 
M.  Delambre  a  trcs-hien  prouvé  qu'Hipparque,  observant 
à  Rhodes,  n'a  jamais  fait  un  long  séjour  à  Alexandrie,  et 
ji'a  point  eu  le  loisir  de  se  livrer  à  des  observations  solsti- 
ciales  répétées  ,  comme  cela  eût  été  nt*tessaire  pour  obte- 
nir un  résultat  d  une  certaine  précision  ;  et  je  ferai  voir, 
plus  bas,  qu'il  connoissoit  la  latitude  d'Alexandrie  de  3  i" 
avant  d'avoir  été  en  Egypte.  Q^iiant  à  Piolémée,  ce  résultat, 
qu'il  prétend  avoir  tiré  de  ses  propres  observations,  étant 
identicjue  avec  la  mesure  de  l'obliquité  donnée  par  Kra- 
losthène,  malgré  toutes  les  causes  qui  dévoient  nécessaire- 
ment en  fournir  une  différente,  il  est  hors  de  doute  qu'il 
a  simplement  copié  cet  astronome.  Tout  ui  plus  pourroit- 
CnnoiMitccMi  on  tlire,  avec  M.  Delambre  ,  que  Ptolémée  aura  essayé  de 
'xv'i.^Ziil  vérifier  grossièrement  la  mesure,  afin  d'avoir  quelque  drf)it 
Aitr.n.mittkk    de  prétendre  à  la  découverte  d'une  obliquité  connue  long- 

riJue .  <Ti .  t.  III,  I     . 

yug.  u^i  temps  avant  lui. 

C'est  ainsi  que  l'examen  rigoureux  des  laits  conduit  à  ex- 
pliquer pourquoi  l'école  H'Alexandrie  a  cru  (jue  l'obliquité 
étoit  de  23"  51'  20'  ;  pourquoi  elle  l'a  supposée  égale  a  la 
latitude  de  Syéné  ;  d'où  vient  (|ue  cette  obliquité  et  cette 

latitude 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  297 
latitude  ne  sont  autre  chose  cjuela  vraie  latitude  de  Syéiic, 
diminuée  du  demi-diamètre  du  soleil;  enfin  comment  l'arc 
du  méridien  compris  entre  Syéné  et  Alexandrie  a  été  me- 
suré si  exactement,  bien  que  la  position  absolue  de  chacun 
des  deux  points  fût  imparfaitement  déterminée. 

Le  tableau  suivant  présentera  le  fait  dans  toute  son 
évidence  : 


LATITUDE 

,    ANCIENS, 

S   SELON    LES 
MODERNES. 

DIFFÉRENCE. 

Alexandrie 

Syéné 

30°    jS'. 

25°   5 1'     20". 

31°    12'    17". 
z4°      J'    25". 

—  c"    14'    17". 

—  0"   .4'      5". 

Arc  intercepté . . . 

En  stades  de -00. 

-]"     6'    40". 

7°     6'  54". 

4<^So  '-. 

—  0°    0'  14". 

§.  Vf.  Le  Stade  dont  ÉratostJiène  a  fait  usage,  e'toit-il  censé 
contenu  2^0,000  ou  2^2,000  fois  dans  la  circonférence  du 
me'ridien  ! 

J'ai  maintenant  tous  les  élémens  qui  peuvent  me  mettre 
en  état  de  décider  cette  question.  Qiioique  d'un  intérêt 
secondaire  en  apparence,  elle  importe  au  fond  du  sujet 
plus  qu'on  ne  le  penseroit  d'abord,  en  ce  qu'elle  se  rattache 
à  la  mesure  de  l'arc  du  méridien  compris  ,  selon  Érato- 
sthène,  entre  les  parallèles  de  Syéné  et  d'Alexandrie. 

Il  est  certain  que  Cléomède  est  le  seul  auteur  qui  porte 
ie  nombre  des  stades  à  250,000.  Toute  l'antiquité  s'accorde 
au  contraire  sur  le  nombre  plus  précis  252,000  :  c'est 
l'opinion  d'Hipparque  dans  le  commentaire  sur  Aratus;  de 
$trabon ,  qui  avoit  tant  étudié  les  écrits  d'Ératosthène  :  c'est 
Tome  VI.  P» 


i^S  MKMOIRES  DE  L'ACADi-.MlE 

celle  de  Gcmimis,  de  VitriixT,  de  Pline,  de  Ceiisoriii,  de 
Marcien  Capella  (i),  d'Acliilles  Tatiiis  (2)  :  enfin,  et  cela 
est  décisif ,  on  a  la  certitude  qii'Ératosthcne  et  Hippanjne 
n'ont  emplovc  que  ce  rapport  dans  l'usage  qu'ils  ont  fait 
de  ce  stade  pour  l'estimation  de  toutes  leurs  latitudes. 

Voilà  donc  Cléomède  tout  seul  en  opposition  avec  le 
témoignage  unanime  des  autres  écrivains  de  l'antiquité, 
parmi  lesquels  on  compte  Ératosthéne  et  Hipparque  eux- 
mêmes. 

Il  paroissoit  bien  difficile  de  mettre  en  balance  le  té- 
moignage isolé  de  Cléomède  avec  de  si  graves  autorités; 
cependant  l'opinion  où  l'on  étoit  que  Cléomède  nous 
a  conservé  intacts  les  détails  de  l'opération  d'Eratosthcne, 
faisoit  penser  que  lui  tout  seul  donnoit  le  vrai  rapport  du 
stade  censé  conclu  de  cette  opération.  Je  ne  vois  même 
que  M.  Gosseflin  qui,  dans  sa  Géographie  des  Grecs  aiui- 
lysée ,  se  soit  écarté  de  l'opinion  commune,  et  n'ait  point 
tenu  compte  du  passage  de  Cléomède. 

Pour  tout  concilier,  on  supposoit,  avec  beaucoup  de 
vraisemblance,  que  le  résultat  réellement  trouvé  par  Éra- 
tosthène  étoit  le  rapport  de  i  à  250,000  entre  le  stade 
et  le  méridien  ,  mais  que  cet  astronome  avoit  légèrement 
altéré  ce  rapport  primitif,  et^porté  le  nombre  à  252,000, 


(i)  Voye:.  les  citations  dans  M. 
Gosscllii) ,  Cfo^aphit  des  Grecsana- 
lysée.yag.^. 

(2)  Achill.  Taiini,  Jsagng.  J.2pj 
pûg.  Sp.  La  trace  de  cette  mesure 
de  152,000  stades  le  trouve  encore 
dans  la  prctcnduc  lettre  de  Diony- 
siodorc,  lequel  donnoit  42,000  stades 
au  rayon  de  la  terre,  et  84,000  au 


diamètre.  Le  texte  de  Pline  ^/ib.  Il , 
pag.  rcg)  est  précis.  Il  est  singulier 
que  ni  Riccioli  ( Abnag.  nnv.  Ji ,  ^ , 
ichol.fij,  ni  Bailly  (Astron.  mod.  l , 
2j-^,  n'aient  vu  que  CCS  nombres  prove- 
noientdu  rapport  de  6. i  1  (Geniinus, 
/.  ij,  pag.  jo)  entre  le  rayon  et  la 
circonférence,  et  qu'en  multipliant 
42,000  par6  onavoit  2;2,ooo  stades. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  299 
afin  de  se  procurer  juste  700  stades  pour  un  degré,  au 
lieu  que  la  360.*  partie  de  250,000  est  6()4,  nombre 
fort  embarrassant  dans  la  pratique. 

Quoique  cette  explication  ait  été  adoptée  générale- 
ment, je  me  permettrai  de  la  combattre.  D'abord,  je  crois 
avoir  complètement  prouvé  que  Cléomcde  ne  mérite  point 
en  tout  ceci  la  confiance  qu'on  lui  avoit  accordée  :  on 
n'a  donc  plus  les  mêmes  raisons  pour  opposer  son  témoi- 
gnage à  celui  d'Ératosthène  lui-même.  En  second  lieu, 
dire  que  cet  astronome  a  voulu  se  procurer  un  nombre 
rond  de  stades  pour  chaque  degré,  c'est  faire  une  hypo- 
thèse gratuite  ;  car  j'ai  prouvé,  dans  un  Mémoire  lu  à 
l'Académie,  que  la  division  du  cercle  en  360  parties  étoit, 
sinon  inconnue  des  Grecs  au  temps  d'Eratosthène,  du 
moins  très-rarement  employée  par  eux ,  et  que  cet  astro- 
nome ,  en  particulier,  ne  s'en  est  jamais  servi.  Ce  fait, 
établi  sur  des  données  positives,  détruit  l'explication  pro- 
posée ;  car  ne  seroit-il  pas  étrange  de  supposer  qu'Era- 
tosthène  eût  altéré  le  rapport  du  stade  à  la  circonférence, 
uniquement  pour  l'accommoder  à  ime  division  du  cercle 
que  peut-être  il  n'a  pas  connue,  mais  dont,  bien  certaine- 
ment, il  n'a  jamais  fait  usage! 

Ces  considérations  nous  replacent  dans  le  vrai  point 
de  vue  pour  juger  le  fait  qui  nous  occupe  :en  le  dégageant 
donc  de  toute  hypothèse  et  de  toute  prévention ,  il  se  réduit 
en  dernière  analyse  à  ceci  :  Cleomede  est ,  a  cet  égard,  en 
opposition  formelle  avec  tous  les  auteurs. 

Dès-lors,  au  lieu  de  persister  à  prendre  le  texte  de  Cléo- 
mède  pour  base  unique,  il  est  naturel  de  rechercher  si  ce 
texte  n  offriroit  pas  la  preuve  que  Cléomède  lui-même  a 

PMI 


300  .MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

altcrc  le  rapport  rcel ,  au  moyen  d'un  de  ces  à-peu-prcs 

dont  il  se  contente  si  souvent. 

Rappelons  les  paroles  de  Clc'omcde,  déjà  citées  plus 
haut  :  <■  L'arc  de  la  partie  concave  du  saip/ie  sera  uu  cercle 
»  lie  ce  si(i/)/ie  comme  l'arc  compris  entre  Syéné  et  Alexan- 
»  drie  sera  au  méridien  qui  passe  par  ces  deux  villes.  Or 
»  cet  arc  est  la  50.'^  partie  du  cercle  dix  sciip/ie:  donc  la 
•>  distance  de  Syéné  à  Alexandrie  est  nécessairement  la 
»  50.*^  partie  d'un  grand  cercle  de  la  terre.  Mais  la  dis- 
»  tance  itinéraire  est  de  5000  stades  :  donc  le  cercle 
»  entier  sera  de  250,000  stades.  " 

Dans  ce  raisonnement,  la  première  proposition  est  in- 
contestablement vraie  en  théorie  :  la  consécjuence  repose 
sur  cette  proposition  et  sur  deux  autres  données  intermé- 
diaires, dont  l'une  est  que  l'arc  intercepté  égale  la  50.*^  par- 
tie du  méridien  ;  l'autre,  que  le  nombre  de  5000  stades 
exprime  l'intervalle  des  deux  villes  :  de  ces  deux  données 
la  dernière  est  sûre,  puisqu'elle  est  fournie  également  par 
l'ensemble  des  systèmes  géographi(]ues  d'Ératosthène  et 
d'Hipparque  ;  l'autre  seule  est  douteuse,  attendu  qu'elle 
est  appuyée  sur  le  témoignage  unique  de  Cléomède.  Or 
on  conçoit  que  si  cet  auteur  n'avoit  donné  qu'une  approxi- 
mation, au  litii  li'iin  nombre  exact,  la  conséquence  qu'il 
en  a  tirée  se  sentiroit  de  cette  approximation.  C'est  prcci- 
sément  ce  qui  a  lieu. 

Cléomède  prétend  qu'Eratosthène  croyoit  (|ue  I  arc  in- 
tercepté étoit  égal  à  la  50."^  partie  du  méridien;  ce  qui  re- 
présente 7"  12'.  Mais  j'ai  montré  qu'Eratosthène,  qui 
inettoit  Alexandrie  à  30"  58',  ou  a  3  r  au  plus,  et  Syénc 
à  23°  5  1'  20"  de  l'équateur ,  n'a  jamais  compté  entre  les 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  301 
deux  villes  plus  de  7°  8'  34",  valeur  de  5000  stades, 
c'est-à-dire,  au  plus  -jVî .  et  non  j^,  du  méridien.  11  est 
donc  évident  que  Cléomède ,  selon  son  usage ,  a  légère- 
ment altéré  une  fraction  très -compliquée,  en  donnant 
seulement -j^„-,  et  que  les  250,000  stades  qu'il  a  conclus 
en  multipliant  5000  par  50,  au  lieu  de  multiplier  5000 
par  50*,  ne  sont  également  qu'une  approximation,  et  non 
pas,  comme  on  i'avoit  cru ,  le  rapport  exact  de  la  circon- 
férence du  globe  avec  le  stade  dit  d'Eratosthène. 

Ce  résultat  est  d'une  certitude  telle,  qu'il  peut  paroîire 
assez  inutile  de  montrer  qu'une  circonstance  tirée  du  texte 
même  de  Cléomède  semble  ie  confirmer  encore  :  je  la 
rapporterai  toutefois,  parce  qu'elle  est  curieuse. 

J'ai  dit,  et  M.  Delambre  I'avoit  observé  avant  moi,  que 
Cléomède,  comme  la  plupart  des  compilateurs,  se  con- 
tredit fréquemment.  En  voici  un  nouvel  exemple,  en 
attendant  ceux  que  je  rapporterai  bientôt. 

Dans  le  cours  de  son  livre,  Cléomède  a  plusieurs  fois        cuomed.  1, 
occasion  de  rappeler  cette  mesure  de   250,000  stades,   ii,cap.i.piig. 
sans  faire  de  nouveau  mention  d'Eratosthène.  En  un  seul  ^'''  '-"'■ 
endroit,  il  rappelle  le  nom   de  cet  astronome;   et  voici     Id.  11 ,  p.  f,j. 
comment  il  s'exprime ,  d'après  toutes  les  éditions  anté- 
rieures à  celle  de  Balfour  :  'ETrïl  §v  11  yii  tte'vtî  ■h.ojj  eÏMoi      Paris,  i/j^, 
f^veAdiSïûV  y-aùf  çaSicùv  tessapa'konta  k^to  ryjv'E^iocdiv'iii  'bZ"l^}6'i!^^ ' 
gCpoi^v ,  K.  T.  A.  «  Donc  ,  puisque  la  terre  a  vingt- cinq  my- 
»  riades  de  stades,  et  quarante  ,  selon  la  méthode  d'Éra- 
»  tosthène ,  &c,  »  Balfour,  ne  sachant  que  faire  du  mot     Cod.i/foj.fil. 

'^r  ^11'  i^i  /!•■  ,    s       10  recto.  Un.  y,'. 

Tïcua^jwvict  [quarante]  ,  la  retranche  de  son  édition  (i). 


(i)  M.  Bake,  dans  son  excellente 
édition  de  Cléomède,  publiée  depuis 


peu ,    n'a    fait    aucune   observation 
sur  ce  passage;  il  s'est  contenté  de 


302  Mt.MOIRLS  DE  L'ACADEMIE 

Il  ne  ma  pas  ctc  difficile  Je  ileviner  d'où  pouvoir  venir 
cette  leçon,  et  j'ai  consulte  les  manuscrits  pour  m'assiuer 
de  ma  conjecture.  Ces  deux  mots  manquent  dans  tous 
les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi  ,  excepte  dans 
un  seul,  qui  est  du  xiii/  siècle,  et  le  plus  ancien  de  tous; 
at.mtJ.p.S'e,  on  y  lit  :  'EtteI  îiv  «  yîî  mvn  ttctf  eUaai  fA.vpiaiS^v  KoJj 
^''"'  çaJi'av    fx.   Cette  leçon  fx    [4o]  ne  signifie  rien  ;  mais, 

quand  on  réfléchit  que,  dans  les  manuscrits  antérieurs  au 
XIV. ^  siècle ,  le  ^^  et  le  /3  sont  tellement  semblables 
entre  eux,  que  le  sens  seul  peut  décider  le  lecteur,  on 
conçoit  que,  toutes  les  fois  que  cette  lettre  s'est  présentée 
aux  copistes  isolément  et  dégagée  de  toute  circonstance 
qui  pouvoit  déterminer  leur  choix,  il  n'y  a  pas  eu  de  raison 
pour  qu'ils  lussent  plutôt  ft  que  3,  et  réciproquement  ;  d'oii 
il  rcsulte  que  ie  ^t ,  dans  notre  manuscrit  du  xiii.*  siècle, 
peut  provenir  tout  aussi  bien  iSww  /3  qui  étoit  dans  le  ma- 
nuscrit original  ,  puisque  le  choix  du  copiste  a  dû  être 
tout-afait  arbitraire  :  il  est  facile  de  voir,  d'après  cela,  que 
ie  passage  revient  à  tteW  xa»  titutox  /xvptit^v  ko»  çztéiav  /3  , 
c'esi-a-dire  Si<ryjAiuv,  ce  (jui  signifie  vingt-cinq  myriades 
et  deux  mille  ,  ou  25  2,000  stades.  Les  copistes  postérieurs 
ne  comprenant  pas  le  l3  ,  dont  on  avoit  fait  arbitraire- 
ment'naja.(Çj«;)«>v1a,  ont  supprimé  cette  lettre;  mais  la  leçon 
du  plus  ancien  manuscrit  et  de  toutes  les  anciennes  édi- 
tions est  d'autant  moins  à  dédaigner,  qu'elle  n'est  point  de 
la  nature  de  celles  que  ks  copistes  ajoutent  au  texte.  Elle 
prouveroit  que  Cléomède  n'ignoroit  pas  qu'Éraiosthène 
comptoit    252.000  stades  à  la   circonférence  du  globe; 

reproduire  la  note  et  d'adopter  la  le-  1  crits  qui  portent  ^  iicjrtisLufla  (p.  99 
<jon  de  Balfour.  Il  cite  deux  manus-  I  dt  son  édition). 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      303 

et  que,  si  ,  en  décrivant  sa  prétendue  opération  ,  il  s'est 
arrêté  au  nombre  250,000,  c'est  parce  qu'ii  l'a  conclu 
de  la  fraction  approchée  -y^  et  du  nombre  de  5000 
stades. 

Mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  leçon  et  de  l'induction 
qu'on  est  en  droit  d'en  tirer,  il  n'est  pas  moins  certain, 
par  l'analyse  même  du  texte  de  Cléomède,  comparée  à 
l'opinion  bien  connue  d'Eratosthène  , 

I."  Que  Cléomède  est  le  seul  auteur  qui  parle  d'un 
stade  contenu  250,000  fois  dans  le  contour  du  méridien; 

2,°  Que  ce  nombre  est  uniquement  le  produit  de  la 
multiplication  que  Cléomède  a  faite  du  nombre  5000 
par  50=1:7°  12'  ; 

3.°  Que  le  nombre  252,000,  le  seul  cfont  Ératosthène, 
Hipparque  et  Strabon  ont  fait  exclusivement  usage,  n'a 
souffert  aucune  altération,  et  est  bien  le  nombre  primitif. 

Une  conséquence  naturelle  des  faits  présentés  dans  cette 
dernière  section,  c'est  que  l'école  d'Alexandrie  n'a  jamais 
possédé,  à  proprement  parler,  une  mesure  de  l'obliquité 
de  l'écliptique  ,  puisque  le  nombre  de  23°  51'  20',  qui 
a  toujours  passé  pour  en  être  l'expression  depuis  Érato- 
sthène jusqu'à  Ptolémée  et  plus  tard  encore ,  n'étoit  que 
la  latitude  de  Syéné  ,  d'après  la  fausse  supposition  que 
cette  ville  étoit  précisément  sous  le  tropique. 

Pour  trouver  l'obliquité  qui  résulte  de  l'observation 
gnomonique  d'Eratosthène  ,  il  ne  faut  donc  partir  ni  de 
cette  mesure  de  l'obliquité,  ni  de  celle  de  l'arc  de  7"  i  2' 
donnée  par  Cléomède ,  entre  Syéné  et  Alexandrie ,  parce 
qu'elle  est  fausse  :  on  doit  prendre  les  résultats  de  l'obser- 
vation ,  en  les  corrigeant  des  erreurs  probables. 


3o4  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Ératosthcne  avoit  trouve  à  Alexandrie  la  distance  mcri- 
dienne  du  soleil  lors  du  solstice  d'ctd,  de.      7°       6'    4°  • 

En  la  corrigeant  du  demi-diamctre  et 
de  la  réfraction  moins  la  parallaxe.  ...  15      58  , 

il  reste  pour  l'arc  compris -"     22'     38". 

Cet  arc,  retranche  de  la  vraie  latitude 

d'Alexandrie .    31"     12'     17", 

donne  pour  i'ohliquitt- 23°     4p      39  J 

ce  qui  est ,  à  ip"  près,  la  quantité  fournie  par  l'observa- 
tion de  Pythéas  cent  ans  auparavant  ,  selon  le  calcul  de 
C'n»A-s,ini<  M.  de  la  Place.  Cette  différence  tient,  sans  doute,  en 
iSii,/'.  i,'^.  partie  a  quelque  erreur  d  observation  sur  la  distance  mé- 
ridienne du  soleil;  du  moins  est-il  assez  remarquable, 
d'après  les  recherches  de  l'illustre  géomètre,  que  les  obser- 
vations avant  l'ère  chrétienne  donnent  toujours'  un  excès 
quelconque  sur  les  quantités  déduites  de  la  théorie. 

il  n'est  pas  difficile  maintenant  de  déterminer  en  quoi 
a  consisté  l'opération  d'Eratosthène,  et  de  s'assurer  cjuelle 
ne  constitue  point  une  mesure  de  la  terre,  piiiscp.i'il  au- 
roit  fallu  pour  cela  que  cet  astronome  eût  pris  une  mesure 
astronomique  d'un  arc  du  méridien  et  une  mesure  géo- 
désique  de  ce  même  arc,  tandis  que  de  ces  deux  choses 
il  n  en  a  fait  qu'une  :  car, 

I ."  Ilamesuréladistance  méridienne  du  soleil  à  Alexan- 
drie lors  du  solstice,  et  l'a  trouvée  de  7"  ^   4°  • 

2.°  Il  a  mesuré  lui-même  .  nu  fait  mesurer  par  d'autres, 
la  distance  méridienne  du  soleil  à  Syéné,  le  jourde  l'équi- 
noxe  :  il  en  a  conclu  l'obliquité  de  l'écliptique  d'après  les 
idées  reçues  sur  la  position  de  Syéné  ;  il  la  trouvée  égale 
aux  ~/-  du  méridien  =:  23°  5  r'  -f. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      305 
3.°  li  a  donc  obtenu,  pour  la  latitude  d'Alexandrie, 
environ  30°  58'. 

4.°  Ensuite  ,  traduisant  cet  arc  de  7°  6'  4°'  <Jans  un 
nombre  de  stades  censés  contenus  700  fois  dans  un  degré, 
il  a  obtenu  pour  la  distance  des  deux  zéniths,  en  nombre 
rond,  5000  stades;  et  voilà  comment  cette  mesure  se  trouve 
être  maintenant,  à  une  demi -minute  près,  l'expression  de 
l'arc  du  méridien  compris  entre  les  deux  points  :  ce  qui 
seroit  de  toute  impossibilité  ,  si  l'opération  eût  été  faite 
comme  Cléomède  l'a  rapportée.  Il  s'ejisuit  donc  qu'Erato- 
sthène  n'a  point  conclu  le  module  du  stade  de  252,000 
à  la  circonférence ,  de  la  prétendue  mesure  itinéraire  de 
5000  stades,  mais  qu'au  contraire  cette  mesure  est  la  con- 
séquence des  données  qu'il  a  mises  en  oeuvre  :  savoir,  une 
différence  en  latitude  observée,  et  un  rapport  connu  entre 
un  stade  réel  et  la  grandeur  de  la  terre. 

Il  a  donc  opéré,  pour  connoître  l'intervalle  de  Syéné 
et  d'Alexandrie,  comme  il  l'a  fait  pour  celui  d'Alexandrie 
et  de  Rhodes.  Strabon  rapporte  que  cet  astronome  avoit 
trouvé,  par  des  observations  gnomoniques  {Sid  r  axioBr- 
pijojiv  yi/ccfMivuv  ) ,  que  l'arc  compris  entre  Alexandrie  et 
Rhodes  étoit  égal  à  3750  stades  (i),  lesquels  valent,  à  700 
par  degré,  5°  21'  24";  ce  qui  est  à  très-peu  près  l'arc  de 
latitude  compris  réellement  entre  les  lieux.  Il  est  de  toute 
évidence  que  l'observation  gnomonique  n'a  pu  lui  donner 
autre  chose,  sinon  le  rapport  de  l'ombre  à  son  gnomon  : 
Eratosthène  a  dû  ensuite,  au  moyen  du  calcul,  ou,  si  l'on 
veut ,  d'une  opération  graphique  faite  avec  soin ,  chercher 

(l)   Au-nç  éi  iia  w  cyuo^eiK^r  yvcii/uôvuv  w^êjfiùv  Tf /«•;^^^/i(f  i-TnaKomvi  -mt- 
■n-'(i>fivi.(Sir2.h.lib,  Il ,pag.  iz6,) 

Tome  VI.  Qt 


3o6  MIMOIRLS  DL  LACADKMIE 

quelle  ttoit  la  grandeur  d'un  angle  dont  le  sinus  cioit  au 
rayon  dans  le  rapport  (ju'il  trouvoit  entre  l'ombre  et  le  gno- 
mon ;  et  c'est  après  avoir  connu  la  grandeur  de  cet  angle 
qu'il  l'a  convertie  en  3750  stades,  eJi  taisant  cette  propor- 
tion :La  circonfcrenceest  à  l'angle  trouvé  comme  252,000 
est  à  X  ;  c'est-à-dire  qu'il  a  fait  nécessairement  la  nicme 
opération  qui  l'avoit  conduit  à  évaluera  5000  stades  les 
TïT  ^"  méridien  ,  mesure  de  l'arc  compris  entre  Syéné  et 
Alexandrie.  Dans  les  deux  cas,  il  a  procédé  comme  (juel- 
(ju'un  (jui ,  trouvant  la  différence  de  latitude  entre  Paris  et 
Alarseille  de  5°  i  2'  30'  ,  la  tratluiroit  en  i  30  lieues  de  2  5 
au  degré  ,  selon  l'usage  ordinaire  des  géographes  Français  : 
opération  qui  suppose  nécessairement  l'existence  anté- 
rieure de  cette  espèce  de  lieue. 

Sans  pousser  plus  loin  cette  conséquence,  f]ui  peut,  dts 
à  présent,  être  regardée  comme  rigoureuse,  je  terminerai 
ici  ce  que  j'avois  à  dire  de  la  mesure  d'Eratosthène.  Je  me 
contente  d'avoir,  par  l'analyse  des  données  qui  s'y  rat- 
tachent, déplacé  le  point  de  la  question,  en  prouvant  que 
ce  qu'on  avoit  pris  pour  un  principe  n'est  réellement  qu  une 
conséquence,  et  d'avoir  montré qu'Eratosthène  a  fait  seule- 
ment l'une  des  deux  opérations  nécessaires  pour  constituer 
une  mesure  d'un  arc  du  méridien. 

Je  vais  poursuivre  l'analyse  de  deux  autres  textes  de 
Cléomède  relatifs  à  la  mesure  de  la  terre,  et  qui  méritent 
également  un  examen  très-attentit. 


.    DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      3C7 
SECTION   QUATRIEME. 

De  la  Mesure  de  la  Terre  estimée   à  ^00,000   stades , 
et  qu  'oTi  a  cru  retrouver  dans  Cléomède. 

Il  est  assez  remarquable  que  l'erreur  faite  par  Cicomède , 
ou  par  celui  qu'il  a  copie,  en  expliquant  l'opération  d'Éra- 
tosthène,  se  retrouve  dans  une  autre  opération ,  à  laquelle, 
très-certainement ,  il  n'a  rien  compris. 

Je  dois  commencer  par  rappeler  que  la  mesure  de 
300,000  stades,  dont  il  va  être  question,  est  donnée  par 
Archimède  dans  l'Arénaire  :  ainsi  elle  n'appartient  ni  à 
Eratosthène,  ni  à  ceux  qui  l'ont  suivi.  J'ai  fait  voir  aussi, 
dans  un  Mémoire  lu  à  l'Académie,  que  cette  mesure  vient 
des  Chaldéens,  comme  il  résulte  d'un  passage  d'Achiiles 
Tatius,  et  qu'Archimède  en  a  dû  prendre  la  connoissance 
dans  un  écrit  d'Aristarque  de  Samos,  qu'il  a  cité.  Après 
ces  renseignemens  préliminaires,  qui  établissent  déjà  que 
cette  mesure  ne  sauroit  être  attribuée  à  l'école  d'Alexan- 
drie, je  passe  au  texte  de  Cléomède,  où  il  n'est  nullement 
question  d'une  mesure  delà  terre,  comme  on  s'est  accordé 
à  le  croire. 

KcqVrv  e/  'TfKctrvii  ^ci\  èvn-         Si  la  terre  étoit  plate,  dit-il,     CkcmeJ.  p,g. 

7riS^a>6x.é^v]oTSa-^v^i^Tl-r  a  s'ensuivroit   que  le  diamètre   ■^^"■î^> 

yr,  SiK9^  fxvpiÂS^av  V  'oAr  av  de   tout  l'univers    nauroit  que 

-mi  y.ô(7fj.ov  «ficcVeiÇoç  yiv.  100,000  stades.  En  voici  la  rai- 

Toîtifxev yipzv  Avin^xa.^iaç,  son  :  la  tête  du  Dragon  est  au 

yjLTO.  jwpuîpyiv  gçj  r   iw  A^-  zénith  de  Lysimachia  ;  le  Cancer 

ja)i7î4  xe^ctAn  •  t  i'e  c^  ^vrw  atteint  celui  de  Syéné.  On  s'est 

Q  '  i; 


3o8  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

assuré  par  des  observations  gno-  tbtt&jv  ,  VTrépxthaj  o  Kctpjcîvoç  • 
inoniques,  que  Tare  intercepte  "nv  ai  S)a  Avai/uayiaç  ^"Lvr)- 
entre  Syéné  et  Lysimachia  est  v*"^  riwv.oi;  /A.ecrrfA,Ç,pt\« ,  ttev- 
égal  à  la  I  5.*  partie  du  méridien.    TEX-Ofi^K^CTCV    /xeg^ç   éa-Tlv  ,  rî 

ûvov  Tnpt^épetau,  a^  ye  «floc  t 

Or  la    I  j.'  partie  du  cercle  <rKioâvçjiKCù)i  hiKvvraji.  To  Si 

est  ia  5.'  du  diamètre.  Si  donc,  ""W    oA«   Xf'xAot;   Tniienst-'Sî- 

en   supposant   la    terre    plate,  KS^T^v,  -Tré/x-Tr-niv  rHi   Sxct^t- 

nous  abaissons  deux  verticales  '^^^  ylvera^.  'Av  TtnuvjTnTn- 

h  partir  de  chacune  des  extré-  ^^  VTndéfxevot   ttv^  7ÎÏV,  yjc- 

mités  de  l'arc  céleste,  qui   se  ^^-^^^  évr'  <lCt^i  d;^y^fA.ev, 

terminent  au  Dragon  et  au  Can-  c^"^   ^i/  ciy«v    t^ç    Tnp.^Ê- 

,,        .         ,  .  V    c     -     '      .     Pe/ct$,Tr$   CtTH)   TLD    A/OaxûVTB^ 

cer,  elles  tomberont  a  byene  et  ',    ,     '      ^         ^      ,      <-^  , 

^    .      .        ,.        T.-            II      j  Ê"^   Kctp)t<VûV    JÎxoi/trr;,    e^et- 

à    Lysimachia.     L  intervalle    de  ,    ^         ~      r        -            •>   r. 

.    ,                  ,  -J/ovjûL)  m;  diAUÊifûti,  n  dicc- 

ces    deux    verticales     sera    de  '         ~    '     rv  v  _    ■ 

/XÉTPet  TDV  dlot  il/JIVr^  KOf  At>- 

20,000  stades ,  parce  que  telle  ,  ^       ,     ,. 

en  L(jf.ytaci   fA.etTinfA.'o^yo\i.    Eçrt/ 
est  la  distance  qui  sépare  Syené     /?-        ,  ►.     ^         ^^ , 

de  Lysimachia.  Puisque  cet  in-  '  (\  cv  '      a  ^  ' 

tervalie  équivaut  Ji  la  j.'  partie  ^^  ^^v  j;,.»,'»).^  e,^  AtJJi/.(5C- 
du  diamètre,  le  diamètre  du  mé-  ^j^  ç^'/lo/.  'Em)  .^lït;  mé- 
ridien aura  donc  (  20,000 x  5  )  ^^^  ^^  '^^^^  SloLutliV  TiZ-n) 
100,000  stades; le  monde  ayant  ^  SiÂçnuau,  Sins^.  fUje^tocJ^wv 
100,000  stades  de  diamètre,  ^oArt  viv  fJierti/JiCpivôrJ  J\a.ut- 
le  plus  grand  cercle  en  aura  ^^^  yev^TeTOf.  Aéxji  ii  /xt/- 
300,000.  p«x!/a>i'   rriv    Jidixe'T^ov    'i^uv 

ô    ■/Mcrjj.'ic, ,    T))'   fA.éyiçr)v    e^ei 

)ci/'x.Aov   /xvptciS^ctv    'rÇi<t>w>7a. 

Or   la  terre,  qui  n'est  qu'un    FI^;   0»   "    7^  /"if    Ç7>ft«(.(et, 

point  relativement  au  monde,  a    ^ja,  -yêVTE   koh  etKoa  f/.vpia.- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      309 

S'uv   ça.Sici]/  Içf.  'O  J^è  5iA(o$  2  5  0,000  stades  de  circonférence; 

^vr^    'jnÀ.V'Trkcunuv     Içiv  ,  et  le  soleil ,  beaucoup  plus  gros 

è?^yiçr)V   fJié^i    tou    ov^vov  qu'elle,  n'occupe  qu'une  très-pe- 

C7m.f>YUV.   nSç   oux)   »^J  »tct<  titepartiedu  ciel; n'est-il  pas  évi- 

ctTTO  7t)t;7tyv    tpstvgg^'v,  oTi    ft»  dent, d'après  cela:  que  la  terre  ne 

ofo';/  t'  èTUTTiShv  ùvcLj  TTjv  ^V;  pgut  être  une  surface  plane  '. 

On  voit  que,  dans  ce  passage,  les  500,000  stades; 
loin  d'exprimer  une  mesure  de  la  terre  ,  ne  sont  que  ia 
conséquence  d'un  raisonnement  que  fait  Ciéomède  (ou 
qu'il  a  trouvé  quelque  part),  afin  de  pousser  à  l'absurde 
les  gens  qui  soutenoient  que  la  terre  est  plate  ;  et  pour 
cela  il  pose  des  prémisses  qu'il  regarde  comme  prouvées: 
car  voici  son  raisonnement,  présenté  sous  une  forme  plus 
claire  :  «  Syéné  est  placée  sous  le  tropique  ,  et  Lysima- 
»  chia  sous  le  Dragon  :  si  la  terre  étoit  plate  ,  les  deux 
»  verticales  abaissées  des  deux  zéniths  seroient  des  paral- 
»  lèles  ;  or ,  les  deux  villes  étant  éloignées  l'une  de  l'autre 
»  de  20,000  stades,  et  leurs  zéniths  étant  séparés  par  un 
»  arc  de  24**»  o**  '^^  ^^  quinzième  partie  de  la  circonfé- 
»  rence ,  il  est  clair  que  l'éloignement  du  Dragon  et  du 
»  Cancer,  dans  le  ciel,  seroit  également  de  20,000  stades: 
»  il  en  résulte  que  la  circonférence  du  ciel  seroit  de  20,000 
»  stades  x  15  =  300,000  stades  ;  mais  cela  ne  sauroit 
'»  être,  puisque  la  terre,  qui  n'est  qu'un  point  dans  le  ciel, 
»  a  250,000  stades  de  tour  à  elle  seule.» 

D'après  cela ,  il  est  certain  que  la  seule  mesure  de  la 
terre  dont  il  soit  ici  question  ,  est  celle  de  2  5  0,000  stades  ; 
l'autre,  celle  de  300,000,  n'exprime  que  la  grandeur  qu'il 
faudroit  supposer  au   ciel ,  dans  le  cas  où  la  terre  seroit 


3IO  MÉMOIRLS  DE  LACADÉMIE 

plate,  les  donntes  indiijuces  par  Cicoinèdeciant  d'ailleurs 
supposées  exactes.  C'est  un  nombre  amène  par  le  hasard  : 
car  de  toutes  ces  données  il  n'en  est  qu'une  seule  de  juste; 
encore  en  a-t-on  fait  un  usage  étrange.  Ces  données,  les 
voici  : 

I ."  Lysimachiaet  Syénésont  situées  soi»  le  mîme  méri- 
dien; 2."  la  tîte  du  Dragon  est  au  zénith  de  la  première  de 
ces  deux  villes;  3."  le  Cancer  est  au  zénith  de  la  deuxième; 
4.''  le  Cancer  et  la  tète  du  Dragon  sont  éloignes  l'un  de 
l'autre  de  la  quinzième  partie  de  la  circonférence,  ou  de 
z4°  ',  y"  Lysimachia  et  Syénésont  à  20,000  stades  l'une 
de  l'autre.  Examinons  toutes  ces  données  l'une  après  l'autre: 
nous  verrons , 

I .    Que  Lysimachia  et  Syéné  ne  sont  pas  sous  le  même 
méridien  ;  l'écart  de  longitude  est  de  plus  de  6  degrés  : 
mais  cette  erreur  appartient  encore  à  Eratosthène  et  à 
Hipparque,  qui  pla(,oient  sous  le  même  méridien  Syéné, 
Ci^»///«, o.'    Alexandrie  et  l'Hellespont. 
'!I°alj]<f!  tM         -''''  Qi'e  1^  i<^te  du  Dragon  n'est  pas  au  zénith  de  Ly- 
^'''  simachia.  Cléomède  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  ebt  en  contra- 

diction avec  lui-même,  puisqu'il  a  dit  ailleurs,  d'après 
Àrjii  Phana  Aratus  ,  que  ,  pour  le  climat  de  la  Grèce,  la  tète  du 
"""Î'M.  '  "^  Dragon  limite  le  cercle  arcticjue  (i)  en  touchant  à  l'ho- 
rizon, ce  qui  est  très-juste;  car,  au  temps  d'Aratus,  y 
du  Dragon  avoit  51°  48'  ^o"  de  déclinaison  boréale: 
cette  étoile  ne  se  couchoit  donc  point  pour  les  lieux  situés 
à  38°  II'  20",  ni  même  pour  ceux  dont  la  latitude  n'ctoit 


(.'; 


(1)  Ka<  au  TÎrer  itr  Tfn'ni  a-ti  fjJk- 
nuCi^aU  T^(  OfKTtt  lctt,ù(  li    Evrn«r 


(Cleomcd.  pag.  22.) 


Jiokg. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  31. 
que  de  3  7°  28',  à  cause  de  la  réfraction  ;  et  c'est  sans  doute 
pour  cela  qu'Hipparque  ne  l'a  placc'e,  dans  son  commen- 
taire sur  Aratus  ,  qu'à  ^7°  du  pôle.  Quand  Cléomède  Hippsnh.  ad 
dit  ensuite  que  y  du  Dragon  passe  au  zénith  de  Lysima-  p^?.  102  Vr 
chia,  il  tombe  dans  une  e'vidente  contradiction,  et  tait 
une  lourde  bcxiie;  il  faudroit  pour  cela  que  la  latitude 
de  Lysimachia  fut  de  51°  environ. 

3.°  L'inter\'alle  entre  y  du  Dragon  et  le  Cancer,  cest- 
à-dire,  le  tropique,  n'est  point  de  24°,  ou  de  la  quinzième 
partie  de  la  circonférence,  comme  il  le  prétend  :  cet  in- 
tervalle est  de  27°  57'  20',  ou  de  28",  en  partant  de 
l'obliquité  supposée  de  23°  51'  20". 

4.°  Enfin  la  distance  de  Syéné  à  Lysimachia  est,  non 
pas  de  24°,  mais  de  \6°  4°'  environ.  Elle  n'est  pas  non 
plus  de  20,000  stades  ;  Cléomède  se  contredit  encore: 
dans  un  autre  endroit,  il  met  10,000  stades  entre  IHel- 
lespont  et  Alexandrie  (i)  ;  en  ajoutant  5000  stades  pour 
la  distance  de  Syéné  à  Alexandrie,  on  a  i  5,000  stades,  et 
non  pas  20,000,  entre  Syéné  et  l'Hellespont. 

Y  a-t-il  rien  de  plus  étrange  que  l'assemblage  de  tant 
de  données  fausses  et  contradictoires!  J'ai  dit  qu'une  seule 
de  ces  données  est  exacte  ;  c'est  la  prétendue  mesure  iti- 
néraire de  20,000  stades  entre  Lvsimachia  et  Svéné, 
villes  supposées  placées,  l'une  sous  le  Cancer,  l'autre  sous 
la  tête  du  Dragon.  On  voit  encore  ici  une  trace  des  idées 
d'Eratosthène. 

L'étoile  y  du  Dragon  avoit,  comme  je  l'ai  dit,  51°  48' 
40  de  déclinaison  boréale.  Cette  étoile  s'élevoit  donc  au 

(l)  i.-xfi  Tn  ■miaïu^taoi  iinr  ârnAti-  '  lav^xici  tîç  'E»,«Vaiî"a/.   (  Cieomed. 


312  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

•Zenith  d'un  lieu  situe  vers  5 1''4^  4o  ^e  latitude,  consc- 
quemment  situe  à  28*^  environ  de  Syéné.  Cet  arc  étoit 
évalué  à  20,000  stades  :  or  20,000  stades  de  700  au 
degré  représentent  28°  34';  ou  bien  28°  valent  ip,6oo 
de  ces  stades;  en  nombre  rond,  20,000  stades. 

Jl  resuite  de  ce  rapprochement,  que  les  20,000  stades 
de  Cléomède  (ou  plus  exactement  19,600)  ne  sont  autre 
chose  que  la  traduction  en  stades  de  700,  de  l'arc  de 
latitude  compris  entre  le  tropique  et  le  zénith  de  5  i"  4^ 
de  latitude. 

C'est  cette  traduction  que  Cléomède,  ou  plutôt  le  cos- 
mologue  qu'il  a  copié,  prend  pour  une  distance  itinéraire: 
erreur  analogue  à  celle  qu'il  a  faite  en  parlant  de  la  me- 
sure d'Eratosthèiie. 

Au  reste,  les  conclusions  que  je  tire  de  l'examen  du 
second  passage  de  Cléomède,  se  réduisent  à  ceci  :  i."  il 
n'y  est  nullement  question  d'une  mesure  de  la  terre,  comme 
on  l'avoit  cru  ;  2."  le  nombre  de  300,000  stades,  dont 
parle  ici  Cléomède,  n'a  rien  de  commun  avec  la  mesure 
dont  parle  Archimède  avant  Ératosthène ,  que  les  Chal- 
déens  connoissoient  ,  qui  a  été  employée  par  les  anciens 
dans  des  évalutions  de  distances  auxquelles  Eratosthène 
lui-mcîme  n'arien  compris.  Conséquemment,  cette  mesure, 
comme  la  précédente,  n'est  point  le  résultat  d'opérations 
quelconques  qui  auroient  été  faites  dans  l'école  d'Alexan- 
drie. 


SECTION 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      313 
SECTION    CINQ,UIÈME. 
Des  deux  A'îeswes  de  la   Terre  attribuées  à  Pos'idimïus. 

Ces  deux  mesures  nous  sont  connues ,  l'une  par 
CIcomède  ,  l'autre  par  Strabon.  Voici  comment  s'exprime 
le  premier  : 

^y\a\^    (nooT/J^a'noç^    i^Tra         Posiclonius  dit  que  Rhodes  et      Ckomcd.p.si 

TU  ctwTO  fxi(nnfA.Ç,fii\Où    xeTcÔa^  Alexandrie  sont  placées  sous  fe   "  '^' 

'PÔShv  JCûtf  'AAe^co/jyeicu!  ....  même  méridien.  L'intervalle  des 

KaJj  Tt  S)aiçy\/uoi  to    /^evaçù  t  deux  villes  passe  pour  être  de 

TTOÀgav ,    7nV7a.K-«ryiXiUV    çw.-  5000   stades  ;  supposons    que 

Sicùv    elvctf   J^oxfr  KOf  virvx.ei-  cela  soit  ainsi.    Les   méridiens 

c3a  »7W$  è'^Ê/V.  E/jJ  J^e  :0)  TTOV-  sont  de  grands  cercles ,  puisque, 

T^ç    01  fJiia-riiJiÇ,fii\o\  tS'v  ixîyi-  décrits  par  les  pôles  du  monde, 

ç&iy  cà' JcooyUû)  jcu'x-Aav,  ël<;  Svo  iis  le  coupent  en  deux  parties 

iW  Tî/;W0VTEç  cLViiv,  Koùf  Sloi  T  égales, 

T»7Zi)V    Tî/vDV    ifTWç    ê';)(^£Ji'  Cela  posé ,  Posidonius  divise 

tjTTBJa/^VùJV,  éçri^  ô  XIofTElcf  «'-  ensuite  le  zodiaque  en  4^  par- 

vioç    JUOV  'oVTZt  Tî'v  ^ùJcTlctJWV  TOi^  ties ,  dont  4  dans  chaque  signe  : 

IJi,e(rTnfxQpivo7i,  gTTEi  x-o^   cttJTî^i;  or  le  zodiaque  est  égal  au  mé- 

etç  ^0  ïaa.  Ti^fi  Ti]/ Mojxov ,  ridien  ,  puisqu'il  partage    aussi 

6/4    OX.TO'  icoLf     TiojiLcc/iyjiWcx.  le  monde  en  deux  parts  égales. 

"Av  -ntvvv  xa]  0  SU  'Po  J^y  Si  donc  on  divise  le  méridien 

)tûL(  'AM^cLvJ^sico;  fXta-t\u.Ç,ÇJ--  qui  passe  par  Syéné  et  Alexan- 

*04,  tic,  TO  a.d'm.  to  («<fictx2;  drie  en  48  parties,    comme  le 

Tome  VI.  R» 


3'4 


MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 


zodiaque  ,  chacune  sera  égale  h  noJztç^MVTO.  Kctf  ox.Tto  ^«pn 

celles  qui  divisent    ce   dernier  cflst//)gc5f,  îW  y/vÊ.fiti  «tûr»  va 

cercle.  T/jLr.pi^rcx.  TDK  fnrC^eipy^évoH 

TBU  ^cùSioLy.'S  TfÂ.ri/jjxciv. 

Posidonius    continue.    Il   dit  'E^rç  CpJioîv  o   HomS^uiioç 

que  Canope  est  une  étoile  très-  OTt  Kct'vwCoç  JtacAtf^uevo^  ctçitp 

f  f  y  ^ 

brillante,  située  au  midi ,  vers  le  .;\3tu.(i3TC97a'n)4   êçi  'ûTÇ^'i  /aê- 

tiinon  du  vaisseau  Argo  ;  que  ce  (pt /jlQçJloui  ,  càc,  èva  to  tttjJccA/Cij 

n'est  qu'à  Rhodes  que  l'on  com-    tw4  'i^p'îJç '^PX^^   "^^ 

mence  à    l'apercevoir:    elle   s'y  of^crjzu  iy'PoS'ùf    ;\aii/xQa.v£l, 

montre  h.  l'horizon  ,  et  se  couche  ko^  o(p3eU  êttï  Ttv  o'^i^oi'TOç, 

tout  aussitôt,   emportée  par  la  evdéo)^  xjltk  T)Jv  ç-^(pnv  Too 

révolution  du  monde.  xSffjxov  ){si7a.S\}el ctf  (i)- 

Lorsqu'après  avoir  navigué ,  'O-rroTa.}/  Si  tbu^  ctTra  'PôSbv 

à  partir  de  Rhodes,   l'espace  de  dç' AAè^di\$fiiaui  -Tavnx.y.ia-^i- 

5000   stades,    on  est  arrivé   à  a/ok$ ça cTj ou<; /jcc 'TrXewo^'nç, 

Alexandrie,on  trouve  que  l'étoile  cvc    'AAe^c(.Vc/)oe/ût,   ^vùJ//«^, 

de  Canope,  parvenue  juste  au  mi-  evcia-xPict^  0  olçti/'    WT7)4  o^j/o^ 

lieu  du  ciel,  s'élève  au-dessus  de  eL7rÊ;^c«)V  T? ôp/^cvTBç,  ÊTrtiJ^àv 

l'horizon,  du  quart  d'un  signe  ou  ^x/^jf^^f^ /x,e<rf£5tv>;cnf, -nrct^- 


de  la  quarante-huitième  partie  du 
zodiaque.  Nécessairement  l'arc 
du  méridien  céleste,  correspon- 
dant h  la  distance  des  deux  villes, 
est  aussi  la  quarante-huitième 
partie  de  ce  même  méridien  ;  car 
cet  arc  est  la  mesure  de  i'inter 


çcv  oyShoy  T'Ai  ZfiùSXmiC^.  'Avct- 
•yx»  TcAtiv  KOf  7B  v7npxf(/Jie)/ov 
Too  cLiJTT/U  /xecrrfxQpivov  T/x-îï- 

TK^O  'PoJ^ot;  >^  'AAE^(^o<y)oe/*ç, 


valle  qui  existe  entre  l'horizon  de    -nora^xoçôv   »ta^  iy^ov   ixé- 
Rhodes  et  celui  d'Alexandrie.         d^^  «-«^"^«^  elvcq  •  /ict  7^,  iw-n 


(  I  )  KiK  Tir  KcaoCer  fxmwn  ^eunSeii , 
â^yLT^ioM   /*    u-irip   TU  (Je/^cfTB    •rzDtfm. 


/l'  o»  'Véiu  iraçfL^ùfm  -nr  o'et'^orw, 
Ka'ht-np  >>«y(  ncffinfaVicf.  (  l'roclus,  /« 
Tiiiuvum  j  p.  2/y' ,  cd  liiisil.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      315 

KA(  7BV  ÔPlloVm  T   'PoJ^WV,  TOI» 

'EtteI  cSv  T^roi  Tixr.y.cL-n  -ni  Or,  puisque  l'arc  correspou- 
tyTnJXÉ/Vevov  t?^  >^$  y^ee^^,  dant  du  méridien  terrestre  ;;<2jje 
mV7ay.<<r;:^iA/'a)v    çrt«fi«v    gTvct^    pour  être  de  5000  stades, le  plus 

ibx^r K^^  «TO$  0  ^aeVç'^  ê"'^^  "'"'^^^  '^'^  ''''  '^^''''^  '^'■'''  "^^ 

KtiicAoç  T^^  yîÏ4  gt5/)/<r3CÉr«^  }xm-  ^40,000  stades  ,  si  toutefois  la 

çj.lS^m   rnaJvipo>v  ko]   ihcaiv,  distance  est  bien  de  5000  stades; 

lA^  Zaïv  0/  ctT^  'Po>K  TTiVTa-  s'^o"  J'-'  circonférence  sera  pro- 

„,'i,.,   .    ^,'    A^    .,J     ,^«oV  portionnée    à    cette    distance, 

^  '         _  '^    t\.       '  auelle  qu'elle  soit. 

D'après  ces  détails,  il  seroit  évident  que  le  stade  de 
240,000  à  la  circonférence  a  été  conclu  par  Posidonius 
d'une  combinaison  dont  il  étoit  l'auteur  :  dès -lors  ce 
stade  ne  sauroit  être  plus  ancien  que  cet  auteur.  Cepen- 
dant M.  Gossellin  a  fait  voir  que  trois  des  principales  Recherches, 
mesures  de  l'Inde,  selon  Patrocie,  sont  exprimées  dans  ce  ,^\_ 
module. 

Et,  comme  il  est  impossible  qu'un  stade  employé  deux  GossflUn,  Me- 
cent  trente  ans  avant  Posidonius  soit  de  iinventionde  ce  j,_2i; -ctcùim 
philosophe,  il  est  naturel  de  douter  du  récit  de  Cléomède.   "  ''"-f'^S-   '• 

II  est  assez  remarquable  que  parmi  les  faits  rapportés 
par  ce  .compilateur  on  ne  trouve  qu'une  notion  juste, 
combinée  avec  plusieurs  données  que  Posidonius  savoit 
être  fausses. 

Il  suppose,  d'après  Cléomède,  que  la  différence  entre 
les  parallèles  de  Rhodes  et  d'Alexandrie  est  de  la  quarante- 
huitième  partie  du  méridien  ,  ou  de  7°  30';  tandis  que  la 
différence  réelle  n'est  que  de  5°   16',  ou  de  la  soixante- 


51(5  MK.MOlKLi)  L)L  L' ACADEMIE 

luiiticine  p;irtie  du  cercle  entier.  Les  latitudes  de  Rhodes 
et  d'Alexandrie  ttoient  alors  parfaitement  connues  parles 
travaux  d'tratosthcne  et  d'Hipparque  :  il  est  donc  im- 
possible (jue  Posidonius  ,  qui  vivoit  à  Rhodes  ,  ait  cru 
l'intervalle  en  latitude  des  i.\uu\  lieux  plus  grand  de  2"  -j- 
qu'il  ne  l'est  réellement.  Sur  quoi  Posidonius  établissoit- 
il  cette  opinion  !  sur  ce  (juc  l'ctoile  de  Canope  parois- 
soit  à  Rhodes  précisément  dans  l'horizon  ,  et  s'élevoit  à 
Alexandrie  de  la  quarante-huitième  partie  du  méridien: 
or  cette  donnée  est  tort  exacte.  L'étoile  de  Canope  avoit, 
du  temps  de  Posidonius,  51°  i  8' de  déclinaison  australe; 
elle  ctoit  donc  visible  jusqu'à  38°  4^'  <Je  latitude  nord  : 
ainsi  sa  hauteur  vraie,  au  méridien  d'Alexandrie,  ctoit  de 
(  3  8°  4- — 3  '°  12)  7"^  30';  en  y  ajoutant  la  réfraction,  on 
a,  pour  la  hauteur  apparente  de  Canope,  7°  j6'  40  .  Posi- 
donius la  supposoitde  7"  30';  détermination  assez  juste,  et 
d'autant  plus  remarquable,  qu'elle  donnoit  la  position  de 
l'ctoile,  corrii^ée  de  la  rétraction  :  mais  c'est  sans  doute  un 
pur  effet  du  hasard,  puisque  les  anciens,  avant  Ptolcmée, 
ne  paroissent  jamais  avoir  soupçonné  l'effet  de  la  refrac- 
tion sur  la  hauteur  des  astres.  Cette  détermination  est  plus 
ancienne  que  Posidonius  :  non-seulement  elle  existe  dans 

c<mix.  y.  z ,  Géminus,qui  vivoit  quelque  temps  auparavant,  maison  la 
trouve  dans  le  commentaire  d'Hipparque  sur  Aratus.  Cet 

l'(i.u>.  Uraiio-  astronome  dit«iue  l'étoile  de  Canope  est  à  38"  30  ilu  pôle 

teg.  .mctar.  Il,  i   i       •      «     i    ^ 

t.>p.  II.  p.  yy,  austral,  et  (|uelle  ctoit  trcs-visibie  a  Atncncs  et  sur-tout 
'"i/.     .    ,       à  Rhodes.  Or,  si  de  î8°   îo'  vous  retranchez  la  latitude 

Hifp.  tu  Ar/it.  J  ■> 

/,  1. -•'■• />. /;6  d'Alexandrie  selon  les  anciens,  savoir,  31",  vous  aurez, 
pour  la  hauteur  de  Canope  au  méridien  de  cette  ville,  juste 
•j"  30'  :  d'où  l'on  voit  clairement  que  cette  observation, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  317 
dans  le  commentaire  d'Hipparqiie  ,  n'est  autre  chose  que 
le  résultat  de  l'addition  de  3  i  ° ,  latitude  d'Alexandrie ,  avec 
7°  30',  hauteur  vraie  de  Canope  au  parallèle  de  cette 
ville.  Mais,  comme  on  s'accorde  à  dire  que  le  commen- 
taire sur  Aratus  est  de  la  jeunesse  d'Hipparque,  et  qu'il  fut 
rédige  avant  que  cet  astronome  vînt  s'établir  à  Rhodes 
et  se  rendît  à  Alexandrie  ,  il  s'ensuit  que  ces  deux  don- 
nées, savoir,  la  hauteur  de  Canope,  de  7°  30',  et  la  lati- 
tude d'Alexandrie,  sont  des  déterminations  plus  anciennes 
qu'Hipparque,  et  remontent,  soit  à  Ératosthène,  soit  à 
quelque  autre  astronome.  Cette  conséquence,  à  laquelle 
il  paroît  difficile  de  se  soustraire,  nous  amène  encore  une 
fois,  par  une  route  différente,  mais  sûre,  à  l'idée  qui  a 
déjà  résulté  des  faits  rapportés  précédemment,  c'est-à-dire 
qu'Hipparque,  qui  a  fait  extrêmement  peu  d'observations 
à  Alexandrie,  n'a  point  observé  la  latitude  de  cette  ville, 
et  s'est  conformé,  siu-  ce  point  comme  sur  la  mesure  de 
l'obliquité,  à  l'opinion  reçue  long-temps  avant  lui. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  on  voit  que  des  deux  données  sur  les- 
quelles repose  le  calcul  qu'on  attribue  à  Posidonius,  l'une 
est  assez  juste,  savoir,  la  hauteur  de  Canope  à  Alexandrie; 
l'autre  est  fausse  ,  savoir,  la  hauteur  de  la  même  étoile  à 
Rliodes.  En  effet,  la  ville  de  Rhodes  est  à  36°  26'  de  lati- 
tude ;  Canope  s'élevoit  donc  à  l'horizon  de  cette  ville  de 
2"  50  ,  ou  d'environ  3",  et  elle  devoit  rester  sur  l'horizon 
plus  de  quatre  heures.  Mais  à  qui  persuîidera-t-on  que  Po- 
sidonius ,  qui  séjournoit  et  observoit  à  Rhodes  ,  ait  cru, 
comme  le  prétend  Cléomède,  que  la  hauteur  de  Canope  y 
étoit  nulle ,  et  que  cette  étoile  ne  restoit  sur  l'horizon  qu'un 
instant!  c'est  néanmoins  cette  donnée,  dont  le  philosophe 


^i8  MKMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

stoïcien  devoit  coniioître  toute  la  fausseté,  qui  constitiie 
la  base  principale  du  calcul  cjue  lui  attribue  Clcomède. 
Faites-y  le  moindre  chani:fement ,  et  le  rc'sultat  ne  sera 
plus  le  mcme  :  on  ne  trouvera  plus,  pour  la  circonfcrence 
du  globe,  240'000  stades,  c'est-à-dire  le  produit  de  5000 
par  48. 

Dès- lors  il  n'y  a  plus  qite  trois  suppositions  à  former 
sur  l'origine  de  cette  donnée,  fondement  unique  du  calcul: 
ou  c'est  une  erreur,  ou  c'est  un  mensonge,  ou  c'est  une 
hypothèse  que  Posidonius  a  faite  sans  prétendre  tromper 
personne. 

i.°  Ce  n'est  point  une  erreur,  puisqu'il  est  de  toute  im- 
possibilité que  Posidonius  ait  vu  l'étoile  de  Canope  juste 
à  l'horizon  de  Rhodes,  et  qu'il  ait  cru  que  son  apparition 
n'étoit  qu'instantanée  ,  comme  le  dit  Cléomède  ,  tandis 
que  cette  étoile  s'élevoit  réellement  à  une  hauteur  égale 
à  cinq  fois  le  diamètre  du  soleil,  et  restoit  visible  pendant 
quatre  heures  vingt  minutes  ou  quatre  heures  et  demie, 
à  cause  de  la  réfraction. 

2.°  Ce  seroit  donc  un  mensonge,  à  l'aide  ducjiul  il  au- 

roit  arrangé  les  faits  de  manière  à  retrouver  une  ancienne 

mesure  de  la  terre  ,  dont  il  se  seroit  attribué  faussement 

Oier.  Tutcui.   l'honneur  :  mais  cette  idée  répugne  au  caractère  de  Posi- 

Quttitifn.     III,  , 

f.ùi.  donius,  stoïcien  outre. 

3."  Reste  donc  la  troisième  supposition  :  plusieurs  faits 
vont  établir  que  c'est  la  seule  vraie. 

Il  faut  rappeler  ici,  i ."  que,  selon  Ératosthène,  cité 
par  Strabon,  on  connoissoit  trois  estimations  de  la  distance 
d'Alexandrie  à  Rhodes  :  deux  nautiques,  c'est-à-dire,  re- 
posant sur  l'estime  des  marins  ,   et  conséquemment  fort 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  319 
incertaines  ;  l'une  de  4000  ,  l'autre  dei5a>:ob  stades.  Cette 
dernière  est  précisément  celle  dont  s'est  servi  Posidonius; 
et,  d'après  les  paroles  de  CJéoraède,  ce  philosophe  savoit 
bien  que  c'étoit  une  évaluation  donnée  par  les  marins.  La 
troisième,  celle  de  3750  stades,  résultoit  d'observations 
gnomoniques  faites  à  Rhodes,  et  dont  Ératosthène  avoit 
conclu  un  arc  de  5°  21'  17",  traduit  par  lui  dans  un 
nombre  de  3750  stades  ,  de  même  qu'il  avoit  traduit  en 
stades  l'arc  de  latitude  entre  Alexandrie  et  Syéné. 

2.°'  Que  Posidonius,  selon  Strabon ,  supposoit  à  la 
circonférence  du  globe  180,000  stades  ;  ce  qui  est  bien 
différent  des  240,000  stades  qui  résultent  de  l'opération 
décrite  par  Ciéomède.  M.  Gossellin  a  fait  voir  que  l'une  et 
l'autre  proviennent  de  la  combinaison  de  la  même  donnée 
astronomique  avec  les  deux  mesures  itinéraires  de  5000 
et  de  3750  stades  :  cette  donnée  est,  comme  on  l'a  vu, 
que  l'arc  intercepté  entre  Alexandi'ie  et  Rhodes  est  de  ^p^- 
du  méridien  iir:  7"  30'.  Si  l'on  prend  les  5000  stades  de 
distance  itinéraire,  la  circonférence  devient  5000  x  48, 
:=: 240,000  stades  :  si  l'on  pfend,  au  contraire,  celle  de 
3750  stades,  on  a,  pour  la  circonférence,  3750  x  48::=: 
180,000  stades. 

En  combinant  donc  Strabon  avec  Ciéomède,  on  voit 
que  Posidonius,  par  le  seul  changement  de  la  mesure  de 
l'intervall»  terrestre,  étoit  arrivé  à  deux  déterminations 
de  la  grandeur  de  la  terre,  très-différentes  l'une  de  l'autre. 
Mais  ce  seroit  supposer  Posidonius  bien  ignorant  et  bien 
mauvais  raisonneur  ,  que  de  croire  qu'il  ait  pu  faire  le 
moindre  fond  sur  deux  résultats  contradictoires,  variables 
avec  les  mesures  hypothétiques  d'où  ils  étoient  conclus  ,  et 


3ïq  MÉMOIRES  DE  LACADÉMIE 

fondes  sur  un  fait  nitronomicjue  qu'il  savoit  ctre  inexact. 
Ce  qui  contribue  encore  à  le  prouver,  ce  sont  les  ex- 
pressions mcines  de  Cltomède,  qui  annoncent  par-tout  le 
doute  et  l'incertitude.  «L'intervalle  des  deux  villes  passe , 
n  dit-il  ►  pour  être  de  5000'stades:  supposons  que  cela  soit 
•»  ainsi.  Alors  &c.  »  Dans  un  autre  endroit  :  «  Puisque  la 
"  distance  passe  pour  être  de  5000  stades,  »  Enfin  ,  en 
terminant,  il  dit:  «Le  grand  cercle  sera  donc  de  240.00° 
"  stades,  si  toute/ois  il  y  ii  bien  réellcmcut  5000  stades  jusr 
"  qu'à  Rhodes;  autrement  la  circonicrence du  grand  cercle 
»  sera  proportionnée  à  la  distance  quelconque  qui  sépare 
"  Rhodes  d'Alexandrie.  » 

Si  Cléomcde,  qui  n'avoit  point  d'idées  à  lui,  et  qui, 
dans  toutes  ces  matières,  ne  voyoit  que  par  les  yeux  des 
autres,  a  employé  de  semblables  tournures,  c'est  que  les 
résultats  qu'il  rapporte  étoient  présentés  sous  forme  d'hy- 
pothèse par  Posidonius.  D'après  les  expressions  dont  il 
se  sert,  on  voit  clairement  que  Posidonius  donnoit  tout 
cela  comme  des  suppositions,  d'où  résultoit  une  consé- 
quence hypothétique,  variole  selon  la  mesure  itinéraire 
qu'on  vouloit  employer  :  choisissoit-on  celle  de  5000  stades, 
on  avoit  240,000  stades  pcnir  la  circonférence  ;  prenoit- 
on  celle  de   3750.  on  avoit  180,000  stades. 

En  pesant  donc  bien  ces  trois  faits,  1 ."  Posidonius  s*èst 
servi  d'une  donnée  astronomique  qu'il  savoit  fausse  ;  2.'  il 
a  employé  deux  mesures  itinéraires,  qu'il  donne  pour  in- 
certaines et  hypothéti(jues  ;  3.°  il  a  trouvé  par  ce  moyen 
deux  mesures  de  la  terre,  dont  l'une  se  retrouve  dans  des 
évaluations  de  distances  données  par  des  auteurs  plus  an- 
ciens que  ce  philosophe,  et  l'autre  a  été  employée  exclu- 


sivement 


DFS  INSCRIPTIONS  ET  BELLIS-LETTRES.      311 
sivement  par  le   géographe  Marin  de  Tyr,  comme   une 
mesure  gcncralement   placée  parmi  les  plus  exactes  ;  et 
Marin  en  auroit  jugé  autrement,  si  elle  ne  lui  avoit  été 
connue  que  par  la  prétendue  opération  de  Posidonius  : 
en  pesant,  dis-je,  ces  trois  faits,  on  est  conduit  à  penser 
que  Posidonius  n'a  point  du  tout  prétendu  donner  deux 
mesures  de  la  terre  ;  qu'il  a  voulu  simplement  expliquer 
le  moyen  de  connoître  la  grandeur  de  la  terre  ;  et  qu'il 
a  pris  des  exemples  hypothétiques  ,   afin  de  rendre  son 
explication  plus  claire  :  de  sorte  qu'en  conservant  toutes 
les  données  que   nous  a  transmises   Cléomède  ,    sans  en 
saisir  ni  l'esprit  ni  l'ensemble ,  en  y  intercalant  les  idées 
intermédiaires  qui  servoient  à  les  lier ,   d'après  la  nature 
même  de  ces  données,  on  voit  que  Posidonius  a  dû  pré- 
senter ainsi  son  explication  :  »  Pour  se  faire  une  idée  de 
»  la  grandeur  de  la  terre,  il  faudroit  mesurer  un  arc  du 
»  méridien,  et  multiplier  cet  arc  autant  de  fois  qu'il  seroit 
»  contenu  dans  le  cercle  entier;  et  c'est  ainsi  qu'on  a  trouvé 
»>  deux  mesures  de  la  terre,  dont  il  est  souvent  question: 
»  l'une  donne  au  globe  240,000  stades  de  tour  ;  l'autre 
>'  lui  en  donne  180,000.  Montrons  comment  on  pourroit 
»  arriver  au  même  résultat  par  diverses  hypothèses.  L'étoile 
»  de  Canope  s'élève  de  :^  de  la  circonférence  à  l'horizon 
»  d'Alexandrie  :  supposons,  ce  qui  n'est  pas  vrai,  mais 
»  PEU  IMPORTE,  qu'elle  soit  juste  dans  l'horizon  à  Rhodes; 
•■■>  nous  en  conclurons  qu'il  y  a  ^  du  méridien  compris 
»  entre  les  deux  villes.  Maintenant,  la  distance  itinéraire 
»  de  ces  villes  est,  selon  les  uns,  de  5000  stades  ;  selon 
»  d'autres,  de  4ooo  ;  selon  Eratosthène,  de  3750  :  pre- 
"  NONS  PAU  HYPOTHÈSE  la  première  et  la  dernière  ;  mul- 

TOME  VI.  S^ 


312  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

»•  tiplions  l'une  et  l'autre  par  le  incnie  nombre  48  .  et  nous 
•»  aurons  240,000  et  i  80,000  stades  :  mais  il  est  clair  que 
■>  ces  nombres  seroieiit  dilfcrens,  si  nous  changions  les 
•>  données  hypothltiques  que  nous  avons  choisies.  >» 
Telle  est  la  manicre  dont  Posidonius  a  dû,  selon  nous, 
présenter  ses  idées.  Si  l'on  se  refusoit  à  admettre  notre  ex- 
plication, (jui  présente  l'avantage  de  rendre  raison  de  tous 
les  faits  ,  sans  compromettre  le  caractère  de  Posidonius, 
cela  ne  feroit  rien  au  fond  de  la  question  :  car  on  seroit 
alors  contraint  de  revenir  à  la  deuxième  supposition  ,  et 
de  dire  que  ce  philosoplie  a  exprès  arrangé  le  fait  astio- 
noniique  pour  s'attribuer  l'honneur  de  la  mesure  ;  et  , 
dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas,  il  faudra  bien  admettre 
que  les  deux  mesures  de  240,000  et  de  180,000  stades 
sont  d'une  époque  antérieure  à  cet  arrangement  ,  quel 
qu'ait  été  le  motif  de  Posidonius. 

Dans  le  cours  du  Mémoire  ,  j  ai  présenté  le  résultat  île 
chaque  section  en  particidier  :  il  ne  me  reste  donc  pluscju'à 
présenter  les  conclusions  générales  qui  se  tirent  de  l'en- 
semble. Les  anciens  nous  ont  conservé  le  souvenir  de 
cinq  estimations  de  la  grandeur  de  la  terre,  explicitement 
intliquées  :  i."  celle  de  4oO|000  stades,  transmise  par 
Aristote;  2.°  celle  de  300,000  stades ,  dont  parle  Archi- 
>ncde  ,  et  que  les  Chaldéens  connoissoient  (ces  deux  pre- 
mières n'ont  évidemment  rien  de  commun  avec  l'école 
d'Alevandrie)  ;  3.''  la  mesure  de  252,000  stades,  attri- 
buée à  Eratoslhène,  mais  (jui  existoit  avant  lui  ;  4-"  celles 
de  240,000  et  de  i  So.ooo  stades  attribuées  à  Posidonius, 
et  dont  il  fiait  porter  le  même  jugement. 


"5  *>  ■» 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES. 

D'une  autre  part,  il  est  prouvé  que,  depuis  l'établisse- 
ment  de  l'école  d'Alexandrie,  on  n'a  rien  fait  qui  ressemble 
à  une  mesure  d'un  arc  du  méridien  ,  laquelle  se  compose 
nécessairement  de  deux  opérations,  l'une  astronomique, 
l'autre  géodésique  ;  car  Ératosthène  n'a  fait  que  l'une  des 
deux ,  et  Posidonius  n'a  fait  ni  l'une  ni  l'autre. 

Les  diverses  déterminations  de  la  grandeur  de  la  terre, 
justes  ou  non  ,  ce  qui  n'importe  en  rien  à  la  question 
que  je  traite,  sont  donc  plus  anciennes  que  cette  école 
fameuse  :  elle  en  a  adopté  quelques-unes  dans  le  dévelop- 
pement de  divers  systèmes  géographiques  ,  mais  sans 
prendre  aucun  soin  pour  en  vérifier  l'exactitude.  Or, 
comme  une  opinion  quelconque  sur  la  grandeur  de  la  terre 
suppose  nécessairement  aussi  une  opération  quelconque  qui 
lui  sert  de  fondement  ,  il  est  clair  qu'antérieurement  à 
l'école  d'Alexandrie  il  avoit  été  fait  une  ou  plusieurs  ten- 
tatives ,  plus  ou  moins  heureuses  ,  soit  en  Asie,  soit  en 
Egypte,  pour  connoître  la  grandeur  du  globe. 


SMj 


5  24  MÎ.MOIRrS  DE  L'ACADi.MIE 

MÉMOIRE 

SUR    LLS   ORIGINES 

PLUS  ANCIENNES  VILLES   DE   L'ESPAGNE: 
Par  m.'  L.  PETIT-RADEL. 


Lu  le  »i  Juin   L,  A  domination  des  Carthaginois  et  des  Romains  a-t-elle 
'^'^'  anéanti  tout  moyen  de  leconnoître  distinctement  les  ori- 

gines des  villes  fondées  par  les  Ibères  ou  par  les  Celtes , 
prédécesseurs  des  Carthaginois  dans  la  possession  de  l'Es- 
pagne !  et  cette  contrée  n'auroit-elle  conservé  d'autres 
traces  de  ces  origines  que  les  dénominations  générales  de 
Cclli<]iie ,  (Mhc'ric  et  de  Ccltiln'rlc ,  dont  la  première  ne  se 
lit  plus  qu'à  l'extrémité  occidentale  de  cette  contrée,  dans 
/Î''t't5^!;  "OS  cartes  de  géographie  ancienne  ! 
'•;"r-'  ^'-  i'        On  nourroit  croire,  en  effet,  que  toute  autre  marque 

;.;  :  /  :p.ign,is.  En  '  '  l        1 1   < 

/.  /   •.  //y/,  distinctive  des  établissemens  des  Celtes  et  des  ibcres  seroit 

.'i^Tu/w-  abolie  sur  ces  cartes,  quand  on  voit  que,  dans  les  recherches 

\„J'JZJ',ja,  qui  ont  précédé  ou  suivi  celles-ci,  les  savans  n'ont  tire  de 

0-c.    MiAfid.  t,-i„t  tl'anciens  noms  comparés  que  des  inductions  vagues 

/:,■''■.■,•,  Dni-  ou  purcinent  étymologiques,  et  qu'ils  ont  négligé  tous  de 

.,'  relever  les  rapports  historiques  que  ces  noms,  considérés 

f    -,    dhalut.  séparément,  doivent  avoir  eus  avec  les  deux  peuples  (jui 

aiiiq.  mtntiortt.  ont  été  les  auteurs  d'une  civilisation  antérieure  aux  con- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  325 
quêtes  des  Carthaginois  et  des  Romains.  On  s'est  égaré  sur- 
tout en  cherchant  ce  que  pouvoient  signifier  les  noms  de 
lieux,  quand  il  ne  s'agissoit  que  de  constater  littéralement 
les  homonymies  ,  et  de  remonter  par  d'autres  moyens  à 
leur  origine  distincte. 

Je  ne  me  suis  pas  dissimulé  qu'une  tentative  en  ce  genre 
est  difficile  :  car  à  quel  caractère  croira-t-on  pouvc  ir  dis- 
tinguer les  établissemens  des  Celtes  en  Espagne  d'avec 
ceux  des  Ibères  î  et  comment  ces  caractères  peuvent -ils 
indiquer  les  contrées  originaires  de  ces  deux  peuples  !  On 
n'efi  a  point  encore  assigné  qui  ressortent  de  l'histoire,  et 
j'ai  cru  en  rencontrer  quelques-uns  de  ce  genre  dans  l'exa- 
men des  dénominations  locales,  et  particulièrement  dans 
le  rapport  de  leurs  homonymies  avec  le  petit  nombre  de 
témoignages  historiques  qui  me  paroissent  devoir  en  diri- 
ger les  conséquences. 

Strabon  donne  l'exemple  de  ce  moyen  de  prouver  les     Strahjii.ix. 
origines  ,  et  justifie  l'usage  que  les  modernes  peuvent  en   ^2y,'i/z,4s4: 
faire,  parce  que,  de  son  temps  comme  du  nôtre,  il  étoit   ''  ■^''''I'j?"- 
reconnu  que  les  colonies  avoient  la  coutume  de  transpor- 
ter sur  les  terres  les  plus  éloignées  les  noms  des  régions , 
des  fleuves  ,  des   peuples  et  des  villes  d'où  elles  étoient 
parties.  N'avons-nous  pas  de  même  aussi  couvert  les  côtes 
du  nouveau  monde  de  dénominations  locales  des  diverses 
régions  de  la  France,  de  l'Espagne  et  de  l'Angleterre  ! 

Appu}é  de  l'autorité  de  Strabon  et  des  exemples  les 
plus  modernes  ,  je  vais  commencer  par  l'examen  des  noms 
des  villes  Celtiques,  et  par  discuter  le  caractère  particulier 
qui  dévoile  leur  origine  Thrace  ou  lllyrienne.  J'indiquerai 
ensuite  les  autres  moyens  de  distingr.er  l'origine  Italique 


3  2^  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

ilim  granJ  nombre  d'anciennes  villes  de  l'Ibcrie  propre- 
ment dite.  Mais,  avant  de  me  livrera  ces  deux  branchesde 
recherches,  je  dois  les  commencer  chacune  en  rassemblant 
les  vestiges  interrompus  des  plus  anciennes  histoires,  dont 
Aj</.  Jisins-  j*ai,  je  crois,  assez  justifie  ailleurs  l'authenticité,  et  tâcher 
^^'. I iTri '•">'■  ^'y  découvrir  les  deux  époques  du  passage  des  deux  piiii- 
Ju  •fouy,:m  Rc-   q\^^\ç^  colonics  qui  out  apporté  ces  noms  de  lieux  dans 
nos  contrées.  Tels  sont  l'objet  et  les  deux  divisions  de  ce 
Mémoire. 

PREMIÈRE    SECTION. 

Origines    Cciriijtics. 

La  carte  de  l'ancienne  Espagne,  dégagée  de  tout  ce  qui 
ne  paroît  point  appartenir  aux  premiers  temps  historiques 
de  cette  contrée,  présente  un  grand  nombre  de  dénomi- 
nations dans  lesquelles  tout  lecteur  attentif  peut  recon- 
noître,  à  des  caractères  plus  ou  moins  apparens,  quelles 
ont  été  les  cités  ou  les  villes  fondées  par  les  Celtes,  et 
comment  elles  se  distinguent  de  celles  qui  paroissent  avoir 
eu  pour  auteurs  d'autres  peuples  d'origine  plus  immédiate- 
ment Grecque. 

N'ayant  jamais  été   cités   parmi   les   navigateurs ,    les 

Celtes  ne  doivent  être  arrivés  en  Espagne  que  par  terre. 

Strat.  hi.iv.   Strabon  indique  dans  la  Gaule  Narbonnaise  celui  de  leurs 

r^i".  >7F.     j^p^-jç^j   chefs-lieux  qu'il  fait  considérer  comme  l'origine 

du   nom  de  Celt'ujue .  que  les  Grecs  étendirent  sur  toute 

A/./;.',   yii,    la  Gaule.  Il  fait  aussi  remarquer  d'autres  Celtes  dont  le 

mélange  avec  les  Thraces  et  les  Illyriens  nous  explique 

comment  la  langue  Celtique  a  dû  garder  un  caractère  de 


p^.  foi 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  327 
conformité  avec  celle  des  Thraces,  dans  les  dénomina- 
tions génériques  de  leurs  villes.  C'étoient  là  sans  doute  les 
Celtes  de  l'Adriatique ,  qui  députèrent  des  ambassadeurs 
à  Alexandre-Ie-Grand  ,  et  qui ,  probablement ,  n'étoient  'Smik  m.  iv, 
qu'une  division  des  autres  Celtes  qui  habitoient  la  Thés-  P''^-^"-- 
protie  sous  le  nom  de  Y^i?^iJoi ,  suivant  Rhianus  de  Bénée,     Ap.   Stq>iuvi. 

I  I       TA    ^       ^         ■    ■         j        /^/  Bj'Z.   hoc  ueri. 

et  auxquels  auront  aj^partenu  les  KgATOf  voisnisues  Lluioues, 
suivant  Antoninus  Liberalis.  Pahl.  iv. 

L'accord  d'un  des  deux  passages  de  Strabon  que  je 
viens  de  citer,  et  du  fragment  de  généalogie  que  je  rap- 
porterai bientôt,  montre  que  la  Thrace  est  la  région 
originaire  de  toutes  les  divisions  des  Celtes,  dont  l'une 
parvint  très-anciennement  jusqu'au  cap  Domes-ness  de 
la  Courlande.  Ce  cap   est  d'autant  plus   judicieusement     m.  CosicUm, 

.  T  ,    ,  I  r  '  (       Ccosr.  syst.  a  vu- 

considère,  par   un   de    nos  savans  confrères,  comme  le  shivedaandais. 
promontoire  Celtique  dont  parle  Pline,   qu'au  commen-   ':,!^' f',"f  "/• 

I  1  r  1  i^i^,  tabttl.  XI. 

cernent  du  xvi/  siècle  encore  ,  un  historien  de  ce  pays     AlmihiaàAU- 
y  faisoit  remarquer  les  usages  païens  d'une  tribu  barbare  ^^^^'  /.^/^^r»-! 
qui  prenoit  le  nom  de  Celthini.  J'ai  cru  devoir  consigner  rcr.^<ript.  1. 1, 
ici    cette    remarque  importante ,   et  cependant  échappée 
dans  les  recherches  nombreuses  qui  ont  été  faites  sur  les 
antiquités   Celtiques. 

Quand  on  voit  Hérodote  assigner  pour  situation  aux  ut-.  11,  cup. 
Celtes  de  son  temps  les  environs  du  lac  de  Constance, 
alors  nommé  lacus  Brii^aiitinus ,  et  en  même  temps  l'extré-  w.  w  iv , 
mité  des  côtes  occidentales  de  l'Europe  ,  ce  qui  indique 
l'Espagne,  on  conçoit  aussi  comment  une  division  de  ces 
peuples  partant  de  l'IUyrie  aura  pu  fixer  sa  première  de- 
meure en  Italie,  passer  de  là  dans  la  Gaule  Narbonnaise  , 
et  fonder  ensuite,  à  l'entrée  de  l'Espagne  supérieure,  les 


528  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

colonies  Celtiques  (jiii  se  seront  propai^tîes  sur  ses  côtes 

septentrionales  et  occidentales. 

Fcstiis  ,  en  nous  conservant  l'origine  Ilivricnne  des  Pe- 

SiTiit.  lik  I.  liiTiii ,   Strabon  ,  en   parlant  des  mim-citions  lointaines  des 
jMg.fi:  XIII.    ™      .  ,.  ,  .    ,"    ,.         .         ,         ,, 

p.!^'.  /.»>.  J  rcri,  nous  disposent  a  concevoir  la  direction  de  celles  qui 

auront  fait  arriver,  sousdiffcrcns  noms  spéciaux,  plusieurs 
peuples  Thraces dans  nos  contrées,  et  peut-^tre  en  Italie 
idtm ,  h!:  y.  ces  Treii  moines,  si  l'on  en  jugeoit  d'après  le  nom  ilu  fleuve 
Trcriis ,  qui  se  réunit  au  Liris  après  avoir  reçu  la  rivière 
de  la  CflSii.  Parmi  les  migrations  ultérieures  de  ces  peuples, 
on  doit  en  remarquer  une  dont  la  date  est  assez  positive- 
ment déterminée  dans  l'histoire. 

Les  Ombriens ,  nation  des  plus  anciennes  et  des  plus 

Pim.Hi>i.n.ii.  considérables,  étoient  un  peuple  Gaulois,  c'est-à-dire, 
ta.  III .  p.  iji ,    ^   ,  ,  .  ,  ,  •    '       \        I       r^ 

rtiii.  ihrjuw.    Celtique,  suivant  la  nomenclature  nsitce  chez  les  Orecs. 

Ayant  passé  en  Italie  à  wnç  époque  inconnue,  ce  peuple 

étoit  en  guerre  contre  les  Aborigènes  ses  voisins,  dès  l'ar- 

Dui)i..hUk.  rivée  de  la  seconde  colonie  Pélasgique,  qui  eut  lieu  vers  la 

Aniui.     Kom.m.    ,,.,  ,,.  1  l'-r-lllil 

liki .  p.fg.,i.     huitième  génération  avant  la  guerre  de  1  roie.  il  dut  donc 

exister  une  liaison  nécessaire  de  causes  et  d'effets  entre  la 

migration  des  Ombriens  chassés  de  leur  territoire  par  les  Pé- 

lasges ,  et  les  progrès  par  lesquels  ces  mîmes  Pélasges ,  après 

A/. /'<;/.  /'.//.  avoir  pris  toutes  leurs  bourgades  et  Cortoiui  leur  capitale, 

parvinrent  aux  rivages  occidentaux  de  l'Ombrie  d'alors, 

pour  y  fonder,  entre  autres  ,  Sdturn'iii ,  dont  les  remparts 

primitifs  subsistent  encore,  ainsi  (pic  ceux  de  Co.ui ,  sous 

les  mêmes  noms.  Que  sera  donc  devenu  le  peuple  expulsé! 

Aucune  autre  migration  d'un  peuple  Celte  ne  se  trou- 

r/M.  /.*.  ;//,  vant  datée  dans  l'histoire,  il  doit  paroitre  que  ceux  qu'on 

^  '^''  n'avoit  surnommés  Onihricns  que  par  épithète  ,  furent  aussi 

le 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  329 
le  même  peuple  qui  s'ctoit  établi  sur  le  territoire  de  Nar- 
bonne  sous  la  dcnomination  spéciale  d'Uiiibranici ,  et  le 
même,  par  conséquent,  que  les  Grecs  dont  parle Strabon  , 
désignèrent  dans  la  suite  sous  le  simple  nom  générique 
de  Celtes,  puisque  deux  traditions  différentes  ont  fait  coïn- 
cider au  même  territoire  deux  noms  qui  s'identifient  par 
leur  rapport.  II  est  donc  très -vraisemblable  que  les  colo- 
nies de  ces  Celtes,  parties  de  ce  premier  chef-lieu  connu, 
et  pénétrant  dans  les  terres ,  auront  laissé  par  toutes  les 
Gaules,  l'Espagne,  l'Angleterre,  ces  témoignages  plus  ou 
moins  uniformes  de  nomenclature  locale,  qui  rappellent 
encore  leur  origine  et  leur  langue  Thrace,  et  qui  nous 
sont  restés  ,  pour  ainsi  dire,  comme  les  monumens  de 
notre  plus  ancienne  topographie. 

Dans  rénumération  des  peuples  qui  entrèrent  les  pre- 
miers en  Espagne,   Varron   nomme    successivement  les     ApudPUn.dK 
Ibères,  les  Persa ,  les  Phéniciens,  les  Celtes,  les  Cartha-  "''P"S'J7- 
ginois.  On  ne  sait  si  Varron  a  voulu  observer  l'ordre  exact 
des  temps  dans  cette  énumération.  L'origine  des  Ibères  et 
des  Pers^  est  l'objet  d'une  opinion    qu'il   n'est  pas  en- 
core à  propos  de  produire  :  les  Phéniciens  ont  dû  com- 
mercer  de   tout  temps   avec    Gades;  et   leur  origine  est 
d'ailleurs  si  bien  connue,  que  je  dois  ici  me  borner  à  dé- 
velopper, celle  des  Celtes,  qu'Appien  firt  remonter  à  la     myric.f.i. 
Thrace  par  le  témoignage  d'un  fragment  des  généalogies 
royales  de  cette  contrée ,  que  cqX.  auteur  nous  a  conservé. 

L'Illyrie,  dit-il,  reçut  son  nom  d'Illyrius  ,  fils  de  Poly- 

phème  ,  Cyclope  ,  et  de   Galatée  ,   qui  avoient  eu  deux 

autres  fils,   Celta  et  Gala.   Appien  ajoute  que  ces  trois 

conducteurs  de  colonies  étoient  partis  d'une  région  qu'on 

Tome  VI.  X» 


3}o  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

appelolt  Sict'lie ,  et  qu'ils  clonncrent  leurs  noms  aux  Ilfy- 
Ut.x[^.p  il.  riens,  aux  Galates  et  aux  Celtes.  Ammien  Marcellin  con- 
lirme  indirectement  cette  gcnculogie,  en  citant  une  tradition 
analogue  à  la  prcccdeiite,  et  qu'on  lisoit  dans  les  Extraits 
de  Timagcne,  auteur  estime  pour  avoir  rassemble  avec 
discernement  beaucoup  de  traditions  cparses  dans  les  an- 
ciennes histoires.  Ces  laits  sont  d'accord  avec  d'autres 
exemples  de  la  plus  haute  antiquité. 

La  région  appelée  Sicéiic  par  Appien  ne  peut  avoir  été 
la  Sicile  île  nos  temps  :  car  il  faudroit  alors  comprendre 
les  Celtes  parmi  les  anciens  peuples  navigateurs;  ce  que 
ne  permet  pas  le  silence  absolu  de  l'antiquité,  qui  ne  leur 
attribue  aucun  trajet  de  mer.  11  laut  donc  que  la  région  d'où 
partirent  les  trois  conducteurs  de  colonies  dont  Appien 
Cl.  PtoUm.    parle ,  ait  été  cette  partie  de  l'Illyrie  où  Ptolémée  plaçoit 
fj  AÏÀ^M. ''^'   i"i  peuple  nommé  Siculiota.  C'est  de  là,  suivant  la  judi- 
cieuse conjecture  de  Fréret ,  qu'étoient  partis  les  Sicules 
Acéid.^t  ins-   qui  se  fixèrent  d'abord  en  Italie  ,  et  (lui  ,   s'étanl  ensuite 

tnrl.t.XrjlI,      '  1        -T  ■         1     ■    •  .1 

Hia.pag.p^.      traifsportcs  dans  1  île  de   jrt/huriû,  lui  imposèrent  le  nom 
de  Sici/t'  qu'elle  a  toujours  gardé. 

Les  Ombriens  ayant  été  obligés  de  passer  aussi  d'Italie 
sur  d'autres  terres  à  l'époque  de  la  huitième  génération  avant 
la  guerre  de  Troie,  s'il  est  probable  qu'ils  se  soient  fixés 
d'abord  dans  la  Gaule  Narbonnaise  ,  et  qu'ils  aient  étendu 
de  là,  comme  je  l'ai  dit,  leurs  colonies  sur  toute  la  côte 
septentrionale  de  l'Espagne  ,  leur  origine  Thrace  étant 
prouvée  par  celle  du  conducteur  des  premiers  Celtes  cités, 
c'est  donc  dans  leurs  rapports  avec  la  langue  Thrace  que 
l'on  doit  chercher  à  discerner  quelles  sont  les  dénomina- 
tions Celti(juesdes  villes  de  l'Espagne. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  331 
Il  est  d'abord  très-vraisemblahle  que  l'uniformité  qui 
rè^ne  dans  l'affixe  terminal  des  noms  de  la  plupart  des 
villes  des  régions  Celtiques  de  cette  contrée,  appartient  à 
la  période  ancienne  des  colonies  successives  qu'elle  a  re- 
çues; car,  à  l'exception  de  Segobrigû ,  ville  de  la  Celtibérie ,  PioUm.i'ag./i^. 
dont  le  nom  paroît  indiquer  la  réunion  effectuée  des  Celtes 
et  des  Ibères ,  toutes  les  villes  dont  le  nom  est  terminé  par 
l'affixe  hrigû ,  sont  rangées  suivant  la  direction  naturelle 
du  progrès  des  colonies  Celtiques ,  et  aucune  autre  que 
Segohriga  ne  se  trouve  dans  la  région  maritime  qui  cons- 
titue ribérie  proprement  dite ,  d'après  le  témoignage  des 
auteurs  qui  l'étendent  depuis  la  pointe  orientale  des  Py- 
rénées jusqu'à  Gades. 

L'uniformité  qui  rè^ne  dans  ces  affixes  nominaux,  est  %'/./«.  Hh 
nécessairement  tres-ancienne  en  hspagne ,  puisque  Nerto-  j-.  4s. 
briga  étoh  citée  par  Appien  comme  une  ville  bien  fortifiée, 
avant  que  les  Romains  en  eussent  fait  le  siège.  Qiie  pouvoit 
donc  signifier  l'affixe  ùrigû,  sinon  ce  que  les  Thraces,  dont 
on  a  vu  que  les  Celtes  n'étoient  qu'une  division  ,  avoient 
coutume  d'exprimer  par  brici ,  affixe  semblable  qu'ils  ajou-      ^;W  f/f;-,^. 

II  .11  .       .  i>  -NT-       Bj^'z.  vcrb.  VLi- 

toient  aux  noms  de  leurs  villes,  ainsi  que  [attestent  INi-  ^fj^Q^a.. 
colas  de  Damas  et  Strabon  !  Les  Daces  ,  suivant  un  même     Sfat.  i.vni, 
usage  ,    terminoient    leurs   noms  de  ville    en   dava ;  les     p'Jem'lit.in, 
exemple^  en  sont  très-nombreux  dans  les  Tables  de  Pto-   '^'V-  ^"'-  -*"■ 
lémée ,  et  il  paroît  que  l'invasion  de  ce  peuple  a  fait  dis- 
paroître  les  dénominations  terminées  en  brin,  qui  ne  sont 
plus  restées  marquées,  dans  nos  cartes  ,  que  sur  les  rivages 
du  Pont-Euxin  et  de  la  Propontide. 

Il  étoit  bien  reconnu  des  savans  que   brigti   signifioit       Am.  Om. 

■  Il       i  r^i       •  /  ■•  £C  •      li!'- I,  c.vil. 

ville ,  lorsque  Cluvier  prétendit  que  cet  amxe  ne  pouvoit 


332  .Mj-.MOlKLS  DE  L'ACADEMIE 

signifier  tju  un  poiu  ,  parce  cjue  ,  disoit-il,  les  mots  bridge 
et  bnuk  n'ont  point  d'autre  sens  dans  les  langues  Anglaise 
et  Germanique.  C'est  d'après  cette  opinion ,  adoptée  par 
AntcH.m  Au-   Wesseling,  que  se  fixent  communément ,  mais  à  tort ,  les 

>iam,  tJ.  M'es,   interprétations  du  mot  briga  dans  les  cas  particuliers  ou  il 

'''^'"j/vi'"''  P^"f  ^^^^  "^''^  d'avoir  égard  au  sens  de  cet  affixe  en  ma- 
tière d'antiquités  topograpiiiques.  On  ne  peut  disconvenir 
que  les  mots  comparés  par  Cluvier,  lorsqu'il  veut  établir 
sa  règle  prétendue,  n'aient  entre  eux  une  très-grande  ana- 
logie; mais  on  auroit  bien  plutôt  remarqué  l'erreur  de  ce 
savant ,  si  l'on  avoit  observé  sur  la  carte  de  l'Espagne  que 
la  situation  de  plusieurs  villes  dont  le  nom  est  terminé  par 
l'afî'ixe  briga  ,y\ç  peut  s'accorder  avec  la  circonstance  locale 
de  l'existence  d'une  sorte  d'édifice,  d'ailleurs  très-peu  con- 
nue des  plus  anciens  peuples. 

La  fausseté  du   principe  avancé  par  Cluvier  se  décèle 

hi<i.pj^.  4:i.  d'abord  dans  l'examen  du  nom  de  la  ville  d'Hicniùrig^i. 
Il  est  évident  qu'il  s'agit  ici  d'une  ville  sacrée,  et  non  pas 
d'un  pont  sacré  ;  car  la  situation  d'Hicmbriga  est  marquée, 
dans  la  carte  de  d'Anville,  à  cinq  lieues  du  Tage  et  de 

rtclem  i>.ig.j(;  toute  autre  rivière.  La  ville  de  Nertobriga  fournit  un  autre 
exemple  de  l'incohérence  du  même  système,  puiscjue, 
dans  ses  rapports  apparens  avec  la  langue  Grecque,  ce 
nom  n'auroit  pu  signifier  autre  chose  que  vïUc  basse ,  et 
par  conséquent  n'exprimer  qu'une  circonstance  relative 
de  position  :  or,  si  l'affixe  terminal  n'avoit  eu  d'autre 
signification  que  celle  de  pont ,  quel  sens  raisonnable 
pourroit-on  attribuer  au  composé  d'un  nom  qui  ne  de- 
vroit  £-tre  traduit  que  par  cette  expression  ,  le  pont  d  en  bas  ! 
Pour  opposer  ces  exemples  à  la  règle  tirée  des  étymo- 


■>-'• 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      333 
logies   Germaniques  ,   j'ai  comparé  les  meilleurs  rensei- 
gnemens  ;  mais  ,  craignant  d'ctre  trompé  par  des  cartes  où 
toutes  les  rivières  n'auroient  pas  été  marquées,   j'ai  con- 
sulté des  savans  du  pays  ,  et  il  résulte  de  leur  témoignage 
que  plusieurs  villes  dont  le  nom  appartient  à  la  discus- 
sion actuelle,  sont  éloignées  de  toute  rivière.  Telles  sont    r10km.ihig.41. 
Lûcobrigû  ,  aujourd'hui  Lagos ,  en  Algarve  ;  Co/iiinùrigd ,     Antvnhi.lnner. 
aujourd'hui  Condeixa  ;  Cetobrigû,  aujourd'hui  Cesimbra'^;  r"g--i-'- 
Abobriga^ ,  Villa  de  Conde  ;  Arcobriga^ ,  Val  de  l'Aula.   dms!  Auntjuir. 
es  Villes  sont  situées,  pour  la  plupart,   dans  les  sables     ^^ pj-^^  ^j^  ^^^ 
maritimes;  et  Nerlobnga,  qu'on  croit  avoir  été  la  Mertola  r"S-  --'■ 
actuelle,  dominoit  une  hauteur  tellement  éloignée  des  eaux   ner.'j''^"."4jy."' 
courantes ,  que  les  habitans  n'ont  que  des  puits  pour  toute 
ressource.  Enfin  Laiigobriga ,  dont  Plutarque  nommoit  les       pim.nch.    in 
habitans  Actypj'êeirotç ,   étoit  tellement  éloignée  des   ri-   fj"'jlcùkf' '^' 
vières,  que  cet  auteur  ne  parle  que  des  ruisseaux  des  en- 
virons de  cette  ville. 

Ces  exemples  font  voir  combien  Cluvier  se  hasardoit 
en  avançant  qu'il  n'avoit  embrassé  cette  opinion  comme 
un  principe,  que  parce  que  tous  les  lieux  dont  le  nom  se 
terminoit  en  br'iga ,  étoient  situés  sur  les  bords  des  fleuves.  Clmur.  a 
Cette  opinion  est  encore  d'autant  plus  mal  fondée,  qu'il 
n'existe  en  Espagne  aucun  pont  antique  dont  la  construc- 
tion puisse  être  réputée  plus  ancienne  que  les  conquêtes  des 
Romains;  et  cependant  les  noms  terminés  en  briga  datent, 
comme  on  l'a  vu  par  l'exemple  de  Ncrtobriga ,  des  temps 
antérieurs  à  ces  conquêtes.  Ajoutez  sur-tout  qu'aucune  des 
villes  Espagnoles  où  l'on  remarque  des  ponts  Romains  , 
ne  se  trouve  comprise  dans  la  liste  nombreuse  des  noms 
terminés  par  l'affixe  brigd ,  et  que  la   situation  d'aucun.e 


rm. 
iint.l.  l  ,c.  y  II , 
r"ë-  S'- 


5î4  M1.MOIRF.S  DL  LACADÉMIE 

des  villes  nctucllement  dénommées  }wnte  ou  puciitc  n'oc- 
cupe l'emplacement  non  contesté  des  anciennes  que  l'af- 
fixe  briga  faisoit  autrefois  distinguer. 

Comment   donc  se   pourroil-il    faire  que  de  tant  de 
lieuv  dont  le  nom  se  seroit  complété  par  le  mot  potit ,  il 
ne  s'en  retrouve  pas  un  seul  qui  ait  retenu  cette  signifi- 
cation traduite  en  espagnol  ou  en  portugais ,  et  que  l'élé- 
ment   principal  de    l'aifixe  hriga  ait  néanmoins  subsisté, 
comme  dans  Cesimhra  ,  &c.  ?  Le  témoignage  des  faits  doit 
donc  ici   l'emporter  sur   l'analogie  apparente  que  l'afFixe 
comparé  peut  avoir  avec   les  étymologies  Germaniques, 
Ctnn.ant.i.i,  et  siir-tout  lorsque  Cluvier  avoue,  comme  bien  reconnu 
■  vii.p.tg.4.;.    jg  gQi^  temps,  que  briga  et  bria  ne  signifient  (ni'uiie  seule 
Ani.  Lmit.  lik  et  même  chose.  En  parlant  de  Cctobrign ,  Resendius  ,  an- 
iy.r->g.3op      tiquaire  Portugais,  cité  avec  estime  par  Ortelius,  s'e.xpri- 
moit  ainsi  :  Cnusa  nominis  à  cetis  et  briga  ortn  est;  briga  si- 
rjuiJ.cm  vctcri  Hispûnorum  /ingit,i  urbem  sigiiifcat,  ut  Arabriga , 
hp  ■  '       /   Conimbriga,  Cetobriga,  Lacobriga  ,  f/ w/h/^^t  rt//^.  C'étoit 
''•  ■  aussi  le  sentiment  de  Jérôme  Surita  dans  ses  notes  sur  l'Iti- 

'bc--  néraire  d'Antonin*,  de  Balthasar  de  Echave  '',  et  de  Fernao 

'Atn.BiH.Rrg.  j    Olivevra'',  auteur  d'une  Histoire  inédite  du  Portugal. 

n*  loou.fel.ii.  •  ^ 

Les  lexiques  Portugais  décident  tous  dans  le  même  sens; 
Df .ignif.ftrt.  et^  d^s  la  fin  du  iv.^  siècle  de  notre  ère,  Festus  s'en  ex- 

/.  X .   reri.   U-  .         .        .  ,  ,  ,      . 

cobrigi.  pliquoit  ainsi  :  Lacobrigd ,  iionicn  composituw  o  lacu  et  briga, 

HmpiVÙit  opp'tdo.  On  sait  qu'il  faut  lire  liispniiicè  oppidum, 

Antcnin.ltm^r.  Conformément  à  la  remarcjue  judicieuse  de  W'esscling. 

'"^ty/r  *,  Strabon  a  donc  fixe  la  seule  règle  à  suivre  pour  toutes 

j'9-         '       les  interprétations  de  ce  genre,  en  disant  que  les  Thraces 

avoient  coutume  de  terminer  leurs  noms  de  ville  par  l'af- 

fixe  bri,i;et  il  en  cite  pour  exemples ,  Sclymbrid ,  Mesendniû, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  335 
Poltyohria,  c'est-à-dire,  ainsi  que  l'explique  ce  géographe, 
villes  de  Selym,  de  Mesem,  de  Poltys. 

On  pourroit  observer  ici  que  le  gamma  n'entre  pas  dans 
l'orthographe  des  noms  des  villes  Thraces  que  Strabon 
a  citées;  mais  je  remarquerois,  à  mon  tour,  que  Nicolas  Suph.  Bjz.  ,■. 
de  Damas,  auteur  non  moins  ancien  ,  suppnmoit  aussi 
le  gamma  en  parlant  d'une  ville  de  la  Bétique  ,  et  qu'il 
nommoit  Brutohria  celle  que  les  gens  du  pays  auront 
appelée  Brutobr'tga.  Les  exemples  de  suppressions  sem- 
blables étoient  communs  dans  le  dialecte  Ionien,  où  l'on 
éçrivoit  ccTo,  au  lieu  de  ytïdu,  pour  dire  terre;  et  même, 
pour  l'euphonie  seulement,  on  supprimoit  le  lambda,  sui- 
vant la  remarque  d'Etienne  de  Byzance  et  l'exemple  qu'il  ''^-  ">'^-  ''"^^■ 
en  rapporte.  11  est  donc  à  croire  que  Ptolémée ,  à  qui  nous 
devons  la  connoissance  du  plus  grand  nombre  des  villes 
distinctement  Celtiques  de  l'Espagne,  n'aura  conservé  la 
lettre  gutturale  dans  leur  affixe  terminal  qu'à  raison  de 
ce  qu'il  aura  copié  ce  mot  tel  qu'il  se  lisoit  dans  les  cartes; 
et  il  résulte  d'ailleurs  de  ses  tables,  comparées  avec  d'autres 
documens  géographiques,  que  les  deux  terminaisons,  di- 
verses en  apparence,  furent  indifféremment  employées  par 
les  anciens. 

Ptolémée  cite  en  effet  Flavia  Lambris,  ville  de  la  Cal-     P"£- 4o. 
laïcie,  que  Mêla  nomme  Lambriaca  ;  il  cite  encore  LacO'     Pompon. McL, 
^n^^7,  ville  des  K^rc^/",  que  l'Itinéraire  d'Antonin  comprend 
sous  le  nom  de  Lacobria ,  suivant  le  manuscrit  portant    Ptoicm.pagj,i. 
cette  leçon,  qu'aura  consulté  Mercator,  La  ville  d'Amiens      u.  p„g.  /,;. 
est  nommée  Samarobriga  dans  l'Itinéraire  cité  par  Orte-     id.p.,g.4<). 
lius,  Samarobriva  dans  les  Tables  de  Ptolémée,  et  Samaro-     Clm-cr.  c-erm. 

^         ^  ant.  1. 1 ,  c.  VII , 

bria  dans  un  manuscrit   de   l'Itinéraire  cité  par  Cluvier.  r"g-J°- 


}}6  MJ.MOIkLS  DE  LACADL.MIL 

Lnfin  ne  supprimons-nous  pas  nous-mêmes  \e  i(<!mni,i.en 
P'<S-  (h  appelant  Bri.i/iço/i  la  même  ville  que  Plolcmce  nomme 
Brii^iiiit'iii  !  Il  est  donc  évident  que  ces  différences  ne  dé- 
pendent que  de  celles  des  dialectesf  et  que  hri^.i .  htiwi , 
briti.  et  même  l>ric<i ,  signifioient  constamment  ville ,  cite, 
chjtcdu  fort.  La  synonymie  de  ces  quatre  affixes  avertit 
de  plus  qu'on  peut  soupçonner  l'existence  caciiée  de  beau- 
coup d'origines  Tliraces  dans  les  noms  modernes  de  plu- 
sieurs lieux  des  Gaules  et  de  la  Grande-Bretasine. 

On  a  dû   remarquer  déjà  que  l'affixe  hriga  se  trouve 

précédé  assez  souvent  d'un  mot  Grec;  et  cela  n'a  rien  de 

surprenant,  vu  le  rapport  de  ces  noms  avec  les   idiomes 

de  la  Thrace  ,  et  d'après  le  fait  même  de  l'origine  éloignée 

des  C"^///V/ d'Espagne.  Je  n'en  citerai  d'autres  exemples  que 

^hoU,n.r.,s.s'.    les  noms  des  Alïobrygcs\  d'A»u,lloirip<i  ^  d'Anobrig.i^.de 

K4n,o„m.!,i„cr.   Mo/ioùr/gii'^ ,  iï Hienibriga^ ,  Tiihibrig<i\  Tiirobriga^ ,  Nerto- 

'  l\>!(m:  p.  4^ ,   brigii^.   L'élément  même  de  brigj ,  fifi ,  est  grec,  et  équi- 

^l„icrip,.,mu.f.   valoir  à  /Betotg^;  dans  Hésiode  cité  par  Strabon". 

:^^^Wotic^        Les   origines  Thraces  de  la  plupart  des   villes  de   la 

Mwn.  /tiacr.   Celtique  Espagnole  se  déduisent  encore  d'une  tradition 

nnj p.  421.    qu'Elien ''    avoit  trouvée  dans  un  ouvrage  d'Aristote,  et 

*rim  lit.iii.   suivant  laquelle  les  colonnes  d'Hercule  s'anpeloient  co- 
p.fg.  140.  •  'I 

"Pwlm.p.fô.  loiincs  tic  Briarcc ,  avant  qu'on  eût  substitué  à  ce  nom  celui 

*/.;>.  vtti,  p.  d'Hercule  après  les  exploits  de  ce  héros.  Eustathe  '  ajoute , 

^jf-lui».  liiii.  suivant   \\y\^   autre  tradition  ,    que    ces   mêmes  colonnes 

^T.'.^'L'.'"'  avoient  porté  plus   anciennement  encore  le  nom  de  Sa- 

'  Ad     L'i'^Hj/i.  ^  '  '        _ 

PtTifg  vert.  b4.   turnc.  Celte  tradition  est  appuyée  d'ailleurs  ;  et  d'abord,  un 
fragment  de  Sanchoniaton  nous  apprend  (ju'Uranus,  père 

Ap.Euui.Prj        I        C  •  I  •  I       !•• 

ptrM.tf.tng.i.i,   tle  >aturne,  passoit  pour  le  premier  auteur  dal  invention 
'"''■'  '  mécanique  de  ces  énormes  pierres  posées  en  équilibre,  et 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      337 
qui  étoient  coninies  dans  l'antiquité  sons  le  nom  debaty/es. 
Strabon  confirme  bien  l'opinion  de  cette  origine  reculée,     Uh.in.p.,jS. 
en  disant  qu'Artcmidore  avoit  observé  au-delà  du  Bâtis 
des  monumens  de  pierres  tournantes,  et  du  genre,  sans 
doute,  de  ceux  dont  l'invention  étoit  attribuée  au  père  de 
Saturne.  On  en  connoît  un  semblable  et  qui  existe  encore       j.  Nor.k,,. 
en  Angleterre,  sous  le  nom  de  Pender-stone.  11  serojt  donc 
difficile  de  taxer,  avec  justice,  de  mythologie   purement 
imaginaire,  des  traditions  auxquelles  des  monumens  aussi        cf.   Strab. 
bien  caractérisés  ,  et  éclaires  peut-être  ici  pour  la  première   lom.j.y^g.jS;. 
fois,  rendent  encore  aujourd'hui  témoignage.  "'"■^■ 

L'origine  Thrace  des  colonies  qui  durent  donner  le  nom     Pcmctrius  d- 
de  Briarée  aux  colonnes  de  Gades ,  est  dévoilée  dans  les  Sch"iThZ"m. 
traditions  qui  désignoient  ce  héros  comme  Cyclope  de  na-  '"i'é'!-'- 
tien;  et  l'auteur  De Mirahilibus  ciio'ii ,  comme  existant  en        j.  ,j,,  ej. 
Thrace ,  un  peuple  de   Cyclopes   que ,  dans  un  dialecte 
diflerent  ,    d'autres  auront  nommé   KvxfoTnc,.   Us  étoient     cf.  cjusd.  ad- 

i>  II  .  •  i>  -ni  A  net.  pag.  26p. 

d excellens  artistes,  suivant  1  auteur  ,  Lphore  peut-être, 
que  le   scholiaste  d'Euripide   aura  consulté  touchant    la    inOnst.v.çùj. 
migration   de  ce  peuple  dans  la  Curétide.  Le  scholiaste 
rapporte  que  ce  fut  à  la  suite  d'une  guerre  civile  qui  par- 
tagea cette  nation  en  deux  partis,  dont  l'un  continua  de 
demeurer  dans    la  Thrace    sous    le  nom   qu'il  tenoit  de 
Cyclops,  ancien  roi  de  la  contrée.  On  sait  que  lesPélasges 
tenoient  aussi  le  leur  de  Pélasgus.  Il  n'y  a  donc  rien  d'in- 
croyable dans  l'opinion  qui  feroit  parvenir  jusqu'au  fond 
de  l'Espagne  un  ancien  conducteur  de  colonies  Thraces, 
quand  ,  sur-tout,  nous  lisons  dans  Strabon  que  cette  con-     Lib.  vu,  fmg. 
trée  comprenoit  un  peuple   à   qui  le  nom  de  jondaîeur ,   ^^'' 
KTia-TMi,  étoit  donné  par  excellence. 

Tome  VI.  V' 


3j8  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

On  peut  donc  croire  qu'à  une  époque  bien  plus  ancienne 
que  les  exploits  d'Hercule,  des  colonies  de  peuples  Thraces 
seront  parties  des  contrées  voisines  de  la  Macédoine,  dont 
l'auteur  De  Mirah'tlïhus  parle  à  l'endroit  cité  plus  haut  et 
dont  un  canton  étoit  nommé  Z?rw«/w/7;;  que  de  l'Ulyrie,  dans 
Ai  Arpn.m.  laquelle  le  scholiaste  d'Apollonius  de  Rhodes  place  des 
bnges,  ces  peuples  seront  parvenus  sur  les  hords  du  lac 
Brigtiiitinus ,  où  ils  auront  établi  les  cités  de  Brigiiiiliiini  et 
de  Brii^olmiiiie;  qu'un  de  leurs  détachemeiis  se  sera  établi 
Polyh.    e.L   entre  le  Rhône  et  l'Isère  sous  le  nom  iX Allobroges ,  que 

Sehvfigh.l.tll,     r>    1    I  a  }i    î  i  •       •  i 

y. 4p.  rolybe  nomme  Aiwbr)-gcs,  et  que  ce  peuple,  ainsi  que  les 

UK  ni .  fMg.  Umbrûiiici  de  la  Gaule  Narbonnaise  ,  cités  par  Pline  ,  aura 
pénétré  en  Espagne  par  les  passages  des  Pyrénées. 

Les  établissemens  successifs  de  ces  Briges  nous  seront 
alors  marqués,  le  longde  la  côte  septentrionalede  l'Espagne, 
par  toutes  les  villes  dont  la  terminaison  nominale  est  ana- 
logue à  leur  nom  générique  :  en  conséquence,  ils  auront 
fondé  toutes  celles  dont  la  dénomination  se  termine  par 
l'afiixe  briga ,  et  qui  sont  rangées  sur  toute  la  ligne  qui 
contourne  l'Espagne,  à  partir  des  sources  de  l'Ebre  jus- 
qu'au cap  Sacré.  C'est  ainsi,  je  crois,  que,  parvenus  aux 
colonnes  de  Saturne  ,  ils  leur  auront  donné  le  Jiom  de 
Briarc'c.  Si  l'on  peut  en  juger  d'après  la  dénomination  du 
AvUni  Ora    mont  SHiiri/s  en  Béticjue,  c'est  de  là  que  seroient  partis 

""ÀpUo/'iap    cc^Silitri  de  l'Angleterre  que  Tacite  tait  considérer  comme 

^'  une  colonie  d'Ibères.  Ce  fait  paroît  du  moins  appuyé  par 

ApuJ  Strah.   la  conformité  des  monijmens  de  pierres  mobiles  qu'Artémi- 

,  .iiL/ugif  .  jp^gj^yQJj  observés  dans  la  Bétique,  et  si  près  des  colonnes 
de  Saturne,  fils  de  l'inventeur  de  ce  genre  étonnant  de 
mécanique  ,  et  dont  j'ai  cité  plus  haut  un  exemple  encore 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      339 
existant  au  comté  de  Cornouailles.  Ajoutez  à  l'appui  de  ces 
rapprochemens ,  que  le  nom  des  Brigcwtes  de  l'Ajigleterre, 
est  semblable  à  celui  de  Bngtuitiiim  ,  promontoire  qui  re-     Piol.  pog.si. 
garde  les  îles  Britanniques;  que  le  nom  de  la  capitale  des 
Brii^diites ,  Eboramim ,  est  le  premier  clément  du  nom  d'Eùu-     Amiq.  inuripr. 

,  ,      ,      ,^         ■  ,       r       i>    rr  •  .     .         X  à  l'ar.erio  duir. 

rohritiitni  de  la  betique;  et  qu  enfin  lathxequi  se  joint  a  ce 
dernier  est  le  hriga  des  Celtes,  ou  le  hria  des  Thraces. 

11  est  vrai  que  toutes  ces  analogies  seroient  décréditées 
d'avance  aux  yeux  de   ceux  qui  demanderoient ,  comme     Ckarr.  Ccrm. 

^-,,        .  T-i       1       1.  1       i-Ti  ^    IT'  cint.lik.  I,  cil. 

Cluvier  et  Berkelius  ,  ce  que  la  Thrace  et  i  hspagne  pou-     ^.^^^^  ^^^ ^^^ 
voient  avoir  eu  de  commun.  Mais  je  crois  que  la  proba-  r'"^"-    ^^J","'- 
bilitéde  ces  rapports  se  confirme  encore  assez  clairement  adnoi.  jo. 
par  l'identité  du  plus  ancien  nom  de  la  Thrace  et  du  plus 
ancien  nom  du  fleuve  Bâtis. 

Un  passage  d'Arrien  apprend  que  cette  contrée  avoit      Apud Eusuuh. 

_      ,  ,  ,.,  In.  Dionys.   Pe- 

eu  pour  premier  nom  Fcrke ;  et  dans  un  auteur  qu  11  ne   rU-g.vm.pj. 
nomme  pas,  Etienne  de  Byzance  avoit  lu  que  le  plus  an-     rw.  -Rai-Tiç. 
cien  nom  du  Battis  avoit  été  Perkes.  L'Itinéraire  d'Antonin     Pcjg.  4p. 
confirme  bien  cette  ancienne  tradition,  en  indiquant  entre 
le  Bâtis  et  \'Ana  une  ville  dont  le  nom  étoit  Percej-Aim; 
Velasquez  en  cite  une  médaille.  Ces  faits  comparés  nous     Emayosohchi 
expliquent  ce  qu'étoient  probablement  les  Persie  que  Var-   Vàg'^  "Z' tahl. 
ron  nomme  parmi  les  plus  anciens  peuples  Espagnols,  et   ^^'''  "■'  '■ 
que  Salluste,  sur  la  foi  des  ancieniTes  traditions  conservées     Be//.  .hgunh. 
dans  les  archives  Carthaginoises',  fait  .passer  en  Afrique 
après  ia  mort  d'Hercule,  dont  ils  avoient  partagé  les  ex- 
ploits en  Espagne.  ,t 
Il  ne  me  reste  plus  qu'à  exposer  la  partie  de  mes  re- 
cherches qui  concerne  les  Ibères ,  et  qui  prouvera ,  j'ose 
l'espérer,  que  les  côtes  méridionales  de  leur  région  ont  été 

V'ij 


34o  MÉMOIRES  DE  L' ACADEMIE 

très-anciennement  occiipces  par  des  peuples  partis  des  plus 
ccicbrcs  villes  Pclasgiques  et  Tyrrhcnieniies  de  l'Italie. 

SECONDE    SECTION. 

Origines  Ib  cric  une  s. 

L'examen  le  plus  attentif  des  cartesdei'ancienneGaule 
ne  fait  remarquer  dans  son  intérieur  aucune  ville  homo- 
nyme de  celles  de  la  partie  de  l'Ibcrie  que  je  vais  compa- 
rer, li  s'en  trouve  seulement  quelques-unes  aux  frontières  de 
l'Aquitaine  et  de  l'Espagne;  ce  qu'expliquent  aisément  le 
mélange  probablement  très-ancien  dequelques  peuples  limi- 
trophes ,  et  la  raison  pour  laquelle  lesAf/itiicJiii  du  temps  de 
Commeni.ir.t.i  S.  Jérôme  sc  vantoient  d'avoir  une  origine  Grecque.  Si  l'on 
(of.  m .  Pnlfg.   conclut ,  avec  moi ,  d  aprcs  ces  observations ,  que  les  cotes 
de  l'Ibcrie  furent  anciennement  envahies  par  des  peuples 
navigateurs,  il  doit  s'ensuivre  que,  de  tous  les  rivages  de 
la  Méditerranée,  celui  qui  reprotluit  des  noms  semblables  à 
ceux  de  la  côte  de  l'Ibérie,  aura  été  peuplé  par  des  colonies 
probablement  de  même  origine  que  celles  de  cette  partie  de 
l'EspaL'ne.  Il  reste  seulement  à  savoir  de  quel  côté  doivent 
se  trouver  les  métropoles  immédiates  et  le  point  de  départ. 
La  décision  de  ce  doute  appartient  aux  mêmes  traditions 
anciennes  cjui  nous  ont  conservé  l'époque  de  la  fuite  des 
Ombriens  à  l'arrivée  des  Pélasges  sur  leurs  terres,  et  l'époque 
de  la  fuite  de  ces  mêmes  Pélasges  lorsqu'ils  lurent  con- 
traints de  se  réfugier  à  leur  tour  sur  d'autres  terres.  11  faut 
donc  examiner  d'abord  quelles  furent,  entre  les  peuples  des 
deux  rivages  opposés  ,   les  relations   plus   anciennes  (jue 
l'époque  de  cette  dernière  fuite.  Cet  examen  est  ici  d'au- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      341 

tant  plus  important,  qu'il  peut  changer  en  conséquences 
historiques  des  résultats  qui  pourroient  être  d'avance  taxés 
de  rapports  purement  systématiques. 

La  plupart  des  anciennes  migrations  ne  sont  considé- 
rées comme  des  courses  vagabondes  que  par  ceux  qui 
n'ont  pas  étudié  leurs  causes,  leur  direction,  et  leurs  rap- 
ports avec  les  autres  parties  de  l'histoire  ancienne.  Or  la 
fertilité  des  régions  occidentales  de  l'jispagne  ,  la  richesse 
de  ses  anciennes  mines ,  la  facilité  du  trajet  des  mers  qui 
la  séparent  de  l'Italie,  de  la  Grèce  et  de  l'Asie,  durent 
exciter  de  tout  temps  l'ambition  et  la  rivalité  des  peuples 
navigateurs  de  toutes  les  côtes  de  la  Méditerranée. 

Comment,  en  effet,  pourroit-on  supposer  que  des  na- 
tions aussi  célèbres ,    à  raison  de  leurs  expéditions   loin- 
taines ,  que  le  furent  les  Pélasges  et  les  Tyrrhéniens  ,  n'au- 
roient  pris  aucune  part  à  cette  rivalité!  Dans  quel  dessein  des 
Pélasges  Thessaliens  auroient-ils  traversé  l'Epire,  l'Adria- 
tique, et  pris  possession  de  l'Ombrie ,  pour  venir  fonder 
des  villes  fortifiées  ,  et  aujourd'hui  bien  reconnues  pour 
telles,  sur  les  bords  de  la  Méditerranée,  et  à  proximité  du 
port  encore  appelé  aujourd'hui  du  nom  d'Hercule,  Porto-     Smé.  iil  y, 
Ercole!  Pourquoi,  deux  siècles  plus  tard,  les  Tyrrhéniens  ,  ^"^'  '"^' 
qui  avoient  passé  directement  de  l'Asie  mineure  en  Italie, 
seroient-ils  venus  fonder  Populonïum ,  la  seule  ville  qu'ils     /,/.  ,v,v/.  p^g. 
eussent  bâtie  sur  le  rivage ,  si  de  telles  entreprises  n'avoient  ^^'" 
eu  pour  objet  ultérieur  les  productions  de  l'Espagne? 

Ces  questions  ne  peuvent  être  éclaircies  que  par  la 
comparaison  des  faits  que  les  débris  de  l'histoire  ont  con- 
servés, relativement  aux  alliances  qu'un  intérêt  commun 
a  dû  former  entre  ces  peuples. 


342  Mi.MOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

AKtiiRm.l.i,        Denys  d'H.ilicarnasse  rapporte,  tlaprcs  les  anciennes 
^'^'  '"■  histoires  ,  qu'après   avoir  tliassc  les   Ombriens  de  leurs 

villes  et  de  tout  leur  territoire  maritime,  les  Pclasges  y 
fondèrent ,  entre  autres  ,  Sdturiiin,  et  Aiiyllii  nommée  depuis 
Ciirc ,  et  qu'après  y  avoir  joui  de  beaucoup  de  prospérité 
pendant  cinq  générations ,  ces  colonies  éprouvèrent  de 
grandes  calamités  territoriales ,   qui  causèrent  entre  elles 

lJ.ii;.i.p.  /y.  des  dissensions  politiques.  Alors,  pour  se  délivrer  d'une 
jeunesse  inquiète  et  turbulente,  ces  colonies  recoururent 

U.mJ.p.ao.  à  des  migrations  qui,  sous  le  titre  de  jeunesse  consacrée, 
transportoient  sur  d'autVes  terres  un  excès  de  population 
que  la  stérilité  accidentelle  de  ces  côtes  ne  permetloit  plus 
de  nourrir.  Cette  stérilité  hit  telle,  suivant  les  anciennes 
histoires  analysées  par  Denys  d'Halicarnasse ,  que  les  villes 
Pélasgiques,  réduites  à  un  très-petit  nombre  d'habitans, 

iJ.iHJ.p.ji.  furent  occupées  par  les  Tyrrhéniens  nouvellement  arrivés 
des  côtes  de  l'Asie  mineure  ,  et ,  ce  qui  est  très-remar- 
quable, en  ce  qu'on  voit  coïncider  à  la  même  époque  des 
faits  de  mime  nature  ,  les  Tyrrhéniens  étoient  partis  de 

Simt.  m.  y.  ces  côtes  d'Asie  à  cause  d'une  stérilité  semblable. 
r-'S-^'f-  Il  ^.^i  Jit  aussi  Jans  l'histoire  qu'une  partie  des  Pélasgcs 

émigrés  de  la  côte  d'Italie  se  dirigea  vers  la  Grèce,  où  ils 
Axi.Rim.r- 22.   bâtirent  le  mur  Pélasgique  d'Athènes, et  que  l'autre  se  di- 
rigea vers  des  contrées  barbares.  Les  historiens  ont  fixé 
l'époque  de  la  décadence  de  ces  Pélasges  en  Italie  à  la 

ld.iiiJ.p.ic    deuxième  génération  qui  précéda  la  guerre  de  Troie. 

En  indiquant  ainsi  généralement,  et  par  opposition 
avec  la  Grèce,  les  régions  barbares  vers  lesquelles  les  Pc- 
lasges de  la  côte  de  C'tre  et  de  Cosa  s'éloient  réfugiés, 
de  quelle  autre  contrée  étrangère  aux  Hellènes  les  histo- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  345 
riens  ont-ils  voulu  parler,  si  ce  n'est  des  côtes  de  i'Ibcrie 
et  dans  toute  l'extension  quEschyle"  et  Strabon'' leur  don-  \4puj.Pim.m. 

I  .         /  I'  I  L  XXXVI,     p.lg. 

noient,  c'est-à-dire,  les  terres  situces  entre  1  embouchure  yoy. 
du  Rhône  et  Gades!  Philistus  de  Syracuse''  assignoit  à  la     ^' Ut. m ,}'.,£. 
quatre-vingtieme  année  avant  la  guerre  de  1  roie  une  emi-    , ^^,,^^^   p.^,^ 
gration  de  Ligures,  qui  avoit  été  causée  par  l'invasion  des  /M"'"' --^«'V- 

o  b  '    i  1  _  Rom.  lit.  I,  pdg. 

Ombriens  et  des  Pélasges;  et  cette  date  coïncide  parfaite-  'S,  Un.  „j. 
ment  avec  la  deuxième  génération  avant  la  guerre  de  Troie,     W.  iti,/.  p.  2,, , 
que  Denys  d'Halicarnasse  assigne  a  la  décadence  et  aux 
migrations  de  ces  Pélasges  vers  les  terres  barbares.  Or,  en 
indiquant  des  Ligures  chassés  par  des  Pélasges  et  des  Om- 
briens réunis,  ce  trait  d'histoire  ne  marque-t-il  pas  le  point 
de  cette  côte  opposée  d'où  les  Ligures  avoient  chassé  an- 
térieurement les  Sicaniens,  et  les  régions  barbares  vers  les-     Tiu,rj:jid.  l^i. 
quelles  les  Pélasges  dirigèrent  leur  naigration!  Leur  alliance  ^''■^■■'• 
avec  les  Ombriens,  suivant  le  même  Philistus  de  Syracuse, 
désigne  assez  clairement  les  Umbranici  du  territoire  de  Nar- 
bonne  :  car,  il  faut  bien  le  remarquer,  il  n'existoit  plus 
d'Ombriens  voisins  des  Pélasges  de  Care  en  Italie;  Pline    Lr.ui,p.i;o. 
dit  formellement  qu'ils  en  avoient  été  chassés.   Ainsi  la 
direction  de  cette  migration  Pélasgique  ,  que  Denys  d']-fali- 
carnasse  n'avoit  indiquée  d'abord  que  vaguement,  seroit 
positivement  déterminée  par  la  seule  indication   des  Li- 
gures çt  probablement  du  territoire  mcme  qu'ils  avoient 
usurpé  en  Espagne  sur  les  Sicaniens. 

li  est  d'ailleurs  essentiel  de  remarquer  aussi  qu'à  l'époque 
assignée  à  ces  migrations  les  Tyrrhéniens  s'étoient  déjà 
incorporé  les  Pélasges  déchus  de  leur.ancienne  prospérité, 
qui  étoient  demeurés  en  Italie  ,  et  qu'ainsi  réunis  ces  deux 
peuples  étoient  devenus  maîtres  de  toute  la  côte  qui  va 


344  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

.r/r...<.  m.  V,  fournir  l'un  des  deux  points  de  comparaison.  Elle  s'clendoit 
^V-'''  depuis  Pi  s<i  jusqu'à  Afiirciiui,  ville   Tyrrhcnienne  et  voi- 

sine de  Pttstiim ,  ville  Pclasgique  ;  et  comme  il  est  formelle- 
U.,Hdp.24j.  ment  dit  que  iesTyrrhcniens  occupèrent,  avec  les  Pclasges, 
Pompcid,  originairement  fondée  par  les  Osqucs,  il  devient 
par-là  même  très-vraisemblable  que  ces  trois  peuples  con- 
tribuèrent aux  colonies  parties  de  la  côte  de  l'Iialie  pour 
aller  se  réunir  aux  Ombriens  vers  les  côtes  de  la  Ligurie, 
où  les  appeloient,  sans  doute,  d'anciens  rapports  avec  la 
colonie  Pélasgiqued'Arcadiens  qui  avoit  fondé,  un  siècle 
auparavant,  une  ville  célèbre  sur  les  côtes  de  l'Espagne. 

Pour  saisir  plus  complètement  ces  rapports  ,  il  faut 
comparer  ce  qu'ont  clii  les  auteurs  relativement  aux  fon- 
dations des  villes  de  Soturiud ,  de  Cord ,  à'Anieii,  de  Sa- 
gonte,  et  l'on  verra  sous  quel  nouveau  point  de  vue  les 
migrations  Pélasgiques  et  Tyrrhéniennes  peuvent  servir 
à  recomposer  quelques  pages  de  l'Iiistoirc. 

L'auteur  ancien  de  la  Vie  d'Homère,  attribuée  à  Héro- 

C«p  VII.        dote,  n'aura  pas  fait  naviguer  Mélésigène  vers  la  Tyrrhé- 

nie  et  l'ibérie  ,  sans  qu'il  ait  été  avoué  de  son  temps  qu'au 

siècle  mcmc  d'Homère  les  Grecs  aient  pratiqué  les  côtes 

'  Ui.xiv.pag.  d'Espagiie.  Aussi  étoit-il  reconnu,  suivant  Strabon,  que 

''^-  l;i  ville  de  R/ioiLi ,  aujourd'Iiiii  Ro/es ,  avoit  été  fondée  au 

^    ,.    ,.,    pied  des  Pyrénées   orientales    bien    auparavant    l'institu- 

xxi.utp.yn.    tion  des  olympiades  ;  mais  la  fondation  Greccjue  de  oa- 

p.,g'7!p.'' '"  '   gonte  étoit  encore   plus  ancienne,  et  d'une  époque  bien 

•  riit.  I.  xri,   mieux  déterminée. 

'^'^s!L  /miic  Cette  fondation  est  attestée  par  les  historiens  les  plus 
/,.«. /.  ym.^SS.  célèbres;  Tite-Live\  Strabon\  Bocchus  et  PlineS  Silius 
^M.j  7.  Italicus'*,  Appien'.  Les  circonstances  mêmes  en  ctoient 

marqucci; 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      3.15 
marquées  ;  car  on  savoit  que  les  habitans  d'Ardce  ctoient      rit.-Lh.hct 
partis  de  la  côte  d'Italie  pour  se  joindre  à  la  colonie  nais-  ''!",m.^'^'/"''' 
santé ,  et  seconder  les  Zacynthiens  qui  l'avoient  inaugurée. 
On  connoissoit  jusqu'à  la  généalogie  du  héros  dont  elle  por- 
toit  le  nom.  Corn.  Bocchus ,  historien  Latin  cité  par  Pline  ,     Uco  hwdaio. 
avoit  vu  à  Sagonte,  dans  un  temple  de  Diane  qu'Annibal 
avoit  épargné  par  respect,  une  chapelle  construite  en  bois 
de  genièvre,  qui  subsistoit  encore  au  temps  de  cet  auteur, 
et  qui  avoit  été  apportée  et  construite  par  les  Zacynthiens 
fondateurs,  deux  cents  ans  avant  la  guerre  de  Troie.  Si- 
lius  Italiens  ajoute  à  toutes  ces  circonstances  ,  que  l'on  con- 
servoit  aussi  dans  ce  temple  les  dieux  pénates  d'Ardée. 

Pausanias  rapporte  que  Zacynthus ,  fils  de  Dardanus  ,        An^d.  lik 
partit  de  Psop/iis  pour  aller  fonder  ,   dans   l'île  appelée  ^^'^'•P-  '^■>- 
depuis  Zacynthus,  une  ville  homonyme  de  la  métropole  d'où 
il  étoit  arrivé.  Appuyé  sur  le  témoignage  des  monumens 
que  les  Arcadiens  avoient  conservés  de  la  suite  de  leurs 
rois  ,  Pausanias  ajoute  que  le   héros  Psophis  descendoit     n/d.jmg.  644. 
de  Nyctime,  fils  de  Lycaon  ,  à  la  septième  génération  :  or 
ii  résulte  des  tableaux   de   généalogies  que   j'ai   discutés 
ailleurs  pour  coordonner  les  synchronismes  de  cette  haute     Mémoire  /«  à 
période  de  l'histoire,  que  ,  comme  fils  de  Dardanus,  fon-   '^^^aarTU-J' 
dateur  de  la  ville  de  Cora,  celui  de  Zacynthe  et  peut  être 
aussi  de 'Sagonte,  car  c'est  le  même  nom  ,  devoit  être  an- 
térieur de  six  générations  à  la  guerre  de   Troie;  ce  qui 
équivaut  juste  aux  deux  cents  ans  que  Bocchus  comptoit 
entre  cette  guerre  et  la  fondation   de  Sagonte.  Il  résulte 
encore  des  généalogies  comparées,  que  ce  dut, être  dans  la 
génération  qui  précéda  l'époque  de  la  fondation  de  cette 
ville,  que  les  Pélasges  de  la  seconde  expédition  en  Italie 
Tome  VI.  X* 


34<î  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

fondèrent ,  sur  la  côte  dont  ils  avoient  chasse  les  Ombriens, 
les   villes  de  Siituriiia ,  de  Cttre  et  de  Cos<i ,  sans  doute, 
Att.Romj.i.   suivant  les  textes  confronttfs  de  Dcnys  d'Huiicarnasse  et 

In'luK  y.   Je  Strabon. 

p.  iijttizb  II  règne  donc  le  plus  grand  accord  dans  le  concours  de 

tous  ces  faits  ;  et,  quand  le  tcmoignage  de  Bocchus,  et  les 
calculs  comparés  des  généalogies  extraites  des  monumens 
que  Pausanias  dit  avoir  connus  ,  présentent  séparément 
des  résultats  parfaitement  semblables,  il  devient  bien  cer- 
tain que  la  date  assignée  en  années  par  Pline  n'a  pu  être 
tirée  que  des  documens  les  plus  authentiques,  et  probable- 
ment des  archives  de  Sagonte. 

En  considérant  des  témoignages  aussi  complets  d'au- 
thenticité, pourra-t-on  encore  hésiter  sur  la  certitude  des 
rapports  continuels  qui  durent  exister  entre  la  colonie  Ar- 
cadienne  de  cette  ville  Espagnole,  les  Arcadiens  de  Cora, 
et  les  Argiens  fondateurs  d'Ardée,  ville  maritime  du  terri- 
toire de  Cora,  qui  avoient  contribué  aux  premiers  progrès 
de  la  colonie  de  Sagonte!  La  consanguinité  de  ces  peuples 
avec  les  Thcssaliens,  fondateurs  de  Citre ,  de  Saiurma  et 
de  Cosa,  sur  la  mtîme  côte  ,  et  Arcadiens  d'origine  ulté- 
Afui  Sn-.u':  rieure,  suivant  les  témoignages  combinés  d'I-phore  et  de 

m  y. p.  )2o      f)  d'Halicarnasse,  auroit-elle  pu  exister  sans  des  rap- 

Am.Rim.l.ii,  /  î  a  ii     '   •  i 

p.>g.,4.li^.,.-  ports  habituels  avec  Sagonte  et  les  cotes  Ibcricnnes  de 
l'Espagne!  et,  indépendamment  du  fait  et  de  l'époque  à 
laquelle  nous  avons  vu  que  les  Pélasges  chassèrent  de  là 
des  Liguriens,  ces  Pélasges  ne  durent-ils  pas  préférer  à 
toute  autre,  dans  leur  migration  ,  cette  côte  d'Esp.igne  où 
une  colonie  de  mc^me  origine  et  de  m^me  langue  flnrissoit 
déjà  depuis  si  long-temps  à  l'époque  de  leur  départ  ! 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  347 
L'importance  que  Sagonte  avoit  acquise  dès  sa  nais- 
sance, se  vérifie  encore  ,  de  nos  jours,  au  seul  aspect  de 
ses  remparts  primitifs.  On  y  reconnoît  un  caractère  de 
haute  antiquité,  en  voyant  leur  construction  massive  et 
rude  ,  surmontée  des  ouvrages  réguliers  des  Romains.  Ces 
remparts  sont  aujourd'hui  bien  caractérisés  par  les  re- 
cherches nouvelles  qui  ont  démontré  leur  parflUte  con- 
formité avec  la  description  que,  par  hasard,  Tite-Live  a  Ui.xxt.t.n. 
donnée  de  leur  construction  inusitée  de  son  temps.  Il 
faisoit  reconnoître  dès-lors  leur  haute  antiquité  à  cela  seul 
que  les  blocs  n'en  étoient  ni  taillés  ,  cameiitû,  ni  consolidés 
avec  du  ciment,  tiec  calce  ditrata ,  et  que  les  interstices  des 
blocs  étoient  garnis  d'argile  ,  sed  interlita  luto  structura  an- 
riQUyE  génère.  Or  la  fidélité  de  cette  description  a  été  vé- 
rifiée tout  récemment  par  nos  soins. 

Les  remparts  de  Tarragone  ont  présenté  les  mêmes  dé- 
tails, avec  des  différences  qu'il  seroit  superflu  d'expliquer 
ici  en  termes  techniques.  Il  résulte,  d'après  l'examen  des 
portes  terminées  par  des  architraves  rectilignes ,  comme 
celles  de  toutes  les  plus  anciennes  villes  Grecques,  et  de  la 
construction  primitive,  qui  est  surmontée  par  des  ouvrages 
Romains,  que  les  Scipions  n'ont  pas  fondé  primitivement      /'/,„.  m,,  //;, 
Tarragone ,'  comme  l'ont  avancé  Pline  et  Solin  ;  mais  qu'ils  P"^'  'f'- 
ont  seulement  réduit  à  moitié  et  restauré  cette  partie  de  son   Poly/iisr.     ap. 
enceinte  origmaire  dont  les  ruines  se  prolongent  beaucoup 
plus   loin  vers  la  mer.  Ces  monumens  témoignent  donc 
décidément  en  faveur  de  l'origine  Tyrrhénienne  qui  leur 
est  clairement  attribuée  par  ce  vers  d'Ausone  : 


Cœsareœ  Auoustœque  domûs  Tyrrhenïca  propter 
Tarraco, 


Atisou.    L'ri, 
XII,  vers.  6. 


X' 


348  MKMOIRES  DE  LACADI-MIE 

La  incine  origine  n'ebielle  pas  encore  confirmée  dans  ce 

vers  d'une  inscription  Latine, 

Cnifr  littcrimt  Stagna  sub  Oicnni  Tagus  et  Tyrrlicnicn  Iberiis! 

fdg.VCXC.j. 

Enfin,  lorsqu'une  autre  inscription  réunit  et  soumet  Tar- 
u.iiij.  ragone  aux  Cosetiini ,  Tarraco  vrbs  Cositanorum,  n'en 

CCCI.XCIX,  10.   résulte-t-il  pas  une  conséquence  éloignée ,  mais  favorable 
Ant.Rom.t.r,   au  témoignage  rendu  par  Denys  d'Halicarnasse  à  l'alliance 
^^  -''  originaire  des  Pclasges  et  des  Tyrrhéniens,  dans  les  mi- 

grations de  ces  peuples  vers  les  contrées  barbares? 

La  région  d'Italie  que  je  dois  comparer  maintenant  avec 

ribérie,    comprend  les  côtes  de  l'Étrurie  et  de  l'aïuien 

Latium,  c'est-à-dire  ,  les  cantons  habités  autrefois  par  les 

Tyrrhéniens  ,  les  Pélasges,  les  Volsques,  les  Ausones,  les 

Plin.l.xxxii'.   Osques,  ou,  plus  généralement,  tout  ce  que  Pline  a  com- 

r<g<'4!  pfjg  jQ^j  la  dénomination  de  Ldtiiii  vctercs ,  Denys  d'Hali- 

*Ant.Rom.i.i.   carnasse^  sous  celle  de  Fle/xai,  Ennius  et  Varron'' sous  celle 

''kf,'^^    ,  ,.       de  Cnsci ,  qui  a  la  même  siiinifîcation,  et  dont  Suidas  aura 

•  Varro,  de  ling.  1  ° 

J^atin.lii.  VI,   parlé,  d'après  quelque  ancien  auteur^,  sous  la  dénomina- 
' Suijjs  viri    ^'°"  '^''-'  ^^'^''''  >   ^Ji'i  paroît  exprimer  le    nom  des   Latins 
Aavrei.  habitaus  de    la  ville   de   Sct'ui ,   forteresse  Pélasgicjue  et 

voisine  de  Norha,  d'une  égale  antiquité. 

Après  le  peuple  Ombri ,  on  trouve,  à  plus  oti  moins  de 

'Piw.u.  tir.   distance  de  cette  cote,  les  Vcttoiieiiscs'' ,  [es  Spo/elini^\  les 

'"bu'^i'j  villes  de  Cortona'^ ,  ô'HispcI/tim'^  et  de  Tiider,  ou  Turdc,  par 

'^Am.Rom.l.i,    métallicse ,  selon  les  variantes  des  manuscrits  de  Ptolémée. 

^''^,'      ,      Suivent  les  sources  du  fleuve /l/^/Jwrwj'^,  et ,  au  voisinage 

'PlmfMg.ijS.   il'Antone,  la  ville  d'/4w.v///////H '.  Cette  nomenclature,  rnp- 

jPluMuh.  in   procbée  du  rccit  de   Denys  d'Halicarnasse,  indique  bien 

les  villes  des  Ombriens  dont  les  Pclasges  s  emparèrent  a\  ant 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  349 
d'avoir  pris  leur  capitale  Cortotni ,  et  fonde  les  villes  ma- 
ritimes dont  l'origine  leur  est  attribuée. 

Sur  le  rivage  d'Étrurie ,  plus  ou  moins  avant  dans  les 
terres,  on  trouve  un  fleuve  qui  porte  encore  actuellement 
le  nom  à'Osa,  et  que  Ptolcmée  nomme   Ossa ,  comme  il     Pig.  <». 
écrivoit  Cossa  pour  Cosa  ,  qui  succède  sur  le  mcme  rivage, 
avec  son  annexe  v^wZitojw ''.  On  trouve  ensuite  Visenûum ,    ^Fuiy.irsin.^x 
Tarquiiiiiim  ,  Voh'mhm.  Tite-Live''  attribuoit  à  ce  territoire  'îl^ll'y"^^,^^ 
une  ville  nommée  Coiitenebra.  Immédiatement  après,  on     'Ptol.pag.6i. 
trouve  Gravisca^,  le  fleuve  Miuiui^ ,   dont  le  nom  s'est  /'^^^-^S!' 
conservé  jusqu'à  nous  dans  celui  de  Afignone;  les  C^rites    ^rim.Ut.  ///, 
et  leur  ville  Care^ ;  le  fleuve  Tiher'is.  !'■'§■ 'J-'- 

Tout  ce  littoral  étoit  célèbre  chez  les   anciens,   parce 
qu'il  réunissoit  des  monumens  d'une   origine  Pélasgique 
bien  reconnue.   Strabon  y  nomme  la  villa  deMalaeotus,     Ltkv,  p.  22;, 
roi  Pélasge  ,  et  Virgile  a  chanté  l'origine  Pélasgique  du       .4:;;.,,/.   »  /, 
Castrum  I/iui ,  consacré  au  dieu  Pan  sur  ce  rivage.   Son  ""■  ^7  • 
enceinte,  ruinée  au  temps  de  Rutilius,  conservoit  encore     hincr.  m.  i, 
intacte  une  porte  sur  laquelle  on  voyoit  sculptée  en  relief  ''  '' 
l'image  du  dieu  Pan  ,  et  dont  ia  description,  donnée  par  le     Mânoire^  lu  à 

,  .  >r-i  l'-LlA  l'Acailiniie     des 

poète  navigateur,  m  a  iourni  les  moyens  d  attribuer  la  mtme   i„scr;j>i.  u i^fi- 
antiquité  au  bas-relief  représentant   un  Pan  Ks^mxncoTnç,   "nen.^ji. 

T)  'I         •  "Aiiiiij.    Rom. 

qui  subsiste  encore  sur  un  des  blocs  du  mur  relasgique  m./ .j>,ig.;j. 
de  ia  porte  d'Alatri ,  ville  des  Herniques.  c^"''xxxix'.' 

Au-delà  du  Tibre ,  on  citoit  une  forêt  nommée  îuciis    ^pim.  m.  m, 
Jovis  IiiJigetis'^.hes  Fo/c^,  plus  éloignés  de  la  mer,  avoient  ^"'U.'i\ui. 
les  villes  de  Corbio,  Norba,  Setia  ^  ;  Antïum  étoit  leur  port  '^.   ^  Tn.-Uv. l.ix, 

^  ,        cap.  XXV. 

Succédoit  le. territoire  des /^«jowf'j,  des  y^Krawa,  des  Ojr/    ,    '■id.m.  vm. 
qui  comprenoit  les  villes  ^ Ausona ,  Suessa,  Vescia^ ;  enfin   "-''■,.    '- 
le  fleuve  Clanius^ ,  nommé  ensuite  Liris.  ii.v.zz;. 


3  5»  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Pour  compléter  ces   moyens   de   comparaison  ,  on  rc- 

liK  III ,  p.tg.   marquera    la  ville  des    Tutienses ,   dont  Pline  disoit   cju  il 

''  '  ne  restoit  plus  de  vestiges,  et  d'autres  anciennes  et  dé- 

AfuJ  Dhnjs.  truites,  que  Varron  citoit  sous  les  noms  île  Pcihttium  ou 

f^l  II .  11.    '   Piilhintium ,  Biit/ii.i  ,    Tribohi.   Voilà  les  principales  villes 

dont  l'origine  remonte  incontestablement  aux  temps  les 

plus  recules  de  l'histoire  d'Italie,    et   dont   j'ai    recf)nnu 

par  moi-même  la  plupart  des  monumens.  Aucun  indice 

historique   ne   peut  en    faire  attribuer   la    fondation  aux 

Romains,  puisque  V'arron  i'attribuoit  aux  Pclasges. 

On  va  retrouver  tous  ces  noms  légèrement  modifiés 
quelquefois  ,  suiNcinl  la  différence  des  idiomes.  Dans  les 
cartes  de  l'ancienne  Espagne,  ils  sont  groupés,  pour  ainsi 
dire  ,  le  long  du  cours  de  l'Ebre  et  de  la  chaîne  des  Pyré- 
nées; ce  qui  favorise  l'idée  du  rapport  immédiat  de  cette 
région  avec  la  côte  Tyrrhénienne  de  fltalie.  Plusieurs  de 
ces  noms  se  retrouvent  dans  la  Bétique  ;  mais,  dans  celle 
situation  ,  ils  ne  sont  point  accompagnés  du  nom  de  peuple 
qu'on  voit  souvent  réuni  à  celui  de  la  ville,  sur  les  bords 
de  l'Ebre  et  au  pied  des  Pyrénées.  La  raison  de  cette  diffé- 
rence seroit-elle  que  les  villes  de  la  Bétique  n'auroient 
été  que  les  colonies  des  autres  villes  des  bords  de  l'Ebre, 
et  que  celles-ci ,  comme  chefs-lieux ,  auroient  réuni  à  celui 
de  la  ville  le  nom  générique  du  peuple  î 

En  gardant,  pour  les  confronter  avec  ceux  d'Italie,  l'ordre 

que  j'ai  suivi  dans  la  première  énumération  de  ces  noms  ,  je 

•  riw.  m.  III .   trouve  d'abord  en  Celtibérie  les  Corloncnscs^ .  Les  Vcttoncs^. 

'"ffLutt.  n;.  que  partageoit  le  cours  du  Tage ,  reproduisent  le  nom  du 

^'i":''       ^    peuple  ItalifUic    Vcttoncnses ,  commç  Spolctimim"  celui  de 

*!</.  au.         Spolitium,  et  comme  les  TurAiluni'^  reproduisent  le  nom  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      551 

Tor^/^,  ville  (J'Oinbrie.  Les  Ausetatii'^  d'Espagne ,  dont  la     ^pun.m,  m ,. 

principale  ville  étoit  Aus<i^ ,  rcnctent,  à  la  différence  près  ''''"'; 'f'      .^ 
ri  I  _  '  ''  rioi.pti^.144. 

de  la  diphthongue,  le  nom  du  fleuve  Osa,  qui  débouche 

sur  le  point  de  la  côte  anciennement  nommé  Télamou.  Les 

Cusetani,  limitrophes  en  Espagne  des  Aiisetani ,  portoient  le     Pwl.  v'S-^^. 

même  nom  que  les  Pélasges  fondateurs  de  Cosa<à\.\x  la  côte 

Pélasgique  d'Italie.  On  retrouve  dans  le  Visenùo  des  Pehn-     lJ.p.4^ 

doues  le  Visentium  des  bords  du  lac  de  Bolsena  ;  et  Vehica 

des  mêmes  Pelendones ,  dont  le  nom  s'est  conservé,  sous 

celui  de   Vole  a ,   dans  les  archives  de  la  ville  Espagnole 

qui  correspond  à  la  même  situation  ,  représente  les  Vuhi, 

voisinsdes  Cosctûtiï  de  l'Italie.  L'ancien  nom  de  Tarragone, 

Taraco  ,  retrace  la  Tûrcunia  de  la  côte  Tvrrhénienne.  Nous     Strai^.  lih.  m, 

avons  vu  qu  il  existoit  sur  son  territoire  une  ville  nommée 

Conteiiebrû  par  Tite-Live  ;  et  Ptolémée  nomme  au  voisinage     Piokm. ;k ^^. 

de  Tarragone  le  promontoire  et  la  ville  de  Tenebrhmi ,  avec 

le  portus  Tcnebra. 

Les  GraviscéE  de  la  côte  Tyrrhénienne  de  l'Italie  se  re- 
trouvent, sous  le  nom  de  Gravii ,  sur  la  côte  occidentale      FHh.  lih.iv, 
d'Espagne,  où  Justin  faisoit  aborder  Teucer,  fils  de  Téla-   i°i,xLjv,oip. 
mon,  dont  le  port  des  Graviscœ  d'Italie   portoit  le   nom.   '"• 
Ceux  d'Espagne  étoicnl  voisins  d'une  Antiiim  qui  fut  l'an-     Hen'^z,  Cata- 
cien  nom  de  Falvatiera.  Chez  les  Cûllaici  co\\\o\i  le  fleuve    "^f^_  v,'pj/."f;. 
MeUirm,  qui  rappelle  le  Metaiirus  des  Celtes  Ombriens     Ptol.jmg.  ;^'. 
d'Italie.  A  la  différence  près  de  quelques  lettres,  les  Carites  ^^^'f^'^  /'/p*' 
d'Italie  et  leur  ville  Gare  se  retrouvent,  sur  le  revers  méri- 
dional des  Pyrénées  ,  dans  le  nom  des  Cerretani  et  de  leur    Strak  m.  m , 
ville  Sierra ,  que  d'Anville  marque  sur  sa  carte ,  et  qui  est ,      °' 
je  crois,  la  Ceressus  ou  KAscerris  de  Ptolémée.  Suivent  les      P«g.  41 
Occhani ,  dont  la  capitale  Vicus  étoit  plus  anciennement 


3  5^  MIMOIKES  DF.  L'ACADJ.MIE 

Jm».  Af.irg,t-   noniince  Ausoiiiii  ;  ces  noms  retracent  clairement  les /4wjo- 

rw/  intrr  flisp.         .  ■     t       i       /-^  •  i  mi  a 

illuiir.   Siripta-  n"  Ut  la  Campanic  et  leur  ville  Ausoiui. 

rf>,i.l.pag.ij.        Y^^^  /fiJi<^e(es  iic  la  côte  du  Latium  ,   c'est-à-dire,  les 

liabitans  des   environs  du  /liais  Jovis  Indigetis ,   semblent 

Ptolp.  jp.       reparoître,  sous  le  nom  simple  iï Indi^ctcs ,  entre  les  Cerre- 

ttiiii et  les  Coscttini;  euf\n  les  Castelltini  paroissent  avoir  ctc 

les  liabitans  du  Cdstrum  dont  Virgile  et  Rutiliusattribuoient 

la  fondation  aux  Pclasges,  les  plus  voisins  sans  doute,  et 

par  conséquent  ceux  de  Cosn  et  de  Care.  Je  confirmerai 

plus  loin  ce  rapprochement  par  des  raisons  que  je  crois 

assez  prc'pondcrantes  pour  obvier  au  doute  que   pourroit 

causer  ici  la  trop  grande  gcncralitc  de  la  synonymie  de 

Cdsirum  et  de  Castelhitii. 

Lit.'xxxix,        Tite-Live  indiquoit  au  revers  méridional  des  Pyrénées 

"'''■  l'homonyme  de  cette  Corbio  des  Volsques  du  Latium,  qui 

fut  le   sujet  d'un   ancien  triomphe  inscrit  aux  fastes  Ro- 

riolem.p.4,.     mains.  La  Set'ui  àçs  mcmes  Volsques  se  retrouvoit,  avec 

U.  p.ig.jF.      i,ne  Ciiscantum,  chez  les  y<isioncs ,  comme  leur  Norba  chez 

Ptol.p<ig.)6.^    les  Liisitiiiii.  Les /4//r////t-/de  la  Campanie  se  reconnoissent 

Srr.d.  m.  m,   en  Bétique  snus  le  nom  d'Arriuci ,  comme  les   Osci  duus 

'"rim  'lit  III.   '^  "^'"  ^'Osoj;  comme  la    l^esiia  Campanienne,  dans  le 

r-ig  '4--  nom  des    Vescitani ,  voisins  de  Timbre;  dans  ceux  de  la 

Fiol  pig.}6      Vescis  des  Turdiili .  de  la  Vcsi'ui  îles  Turdet'vii ;  \>e\it-ciïe 

encore,  si  cette  leçon  doit  être  préférée ,  dans   la    Vesci- 

riin.tJii.Rtm    veai  que  la   précieuse  édition  /irinceps  de  Vli\^e ,  qu'Har- 

"'''^'  douin  n'a   pas  connue,   attribue  aux   ^j/z/r^J  d'Espagne  , 

nom  qui  retrace  i'Astiirdes  rivages  du  Latium.  Tiitid ,  ville 

Fhr.   tpiiom.   disparue  des  marais  Pontins,  reparoît  en  Cellibérie,  sui- 

lih.lll.i.KXII.  j,,  ^      ■  1  •       I-  /      N       I        I 

vaut   riorus,  avec  Orcia,  dont   un   petit  lieu  (ij  de  la 

(i)  Santi,  yiaggio  di  iMcntainiat.t ,  tom.  1",  pag.  339, 

Toscane 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  353 
Toscane  porte  le  nom.  Ce  dernier  est  d'ailleurs  fortifie 
de  murs  antiques  et  d'une  construction  qui  paroît  avoir  le 
caractère  de  celle  des  Etrusques. 

Au  voisinacre  de  la  Tutia  Espagnole  étoient  Atixiiiia  et        r/cms.  h^o 
Oscû  ,  dont  la  première  est  homonyme  de  1  Auximum  a  Ita- 
lie,  et  la  seconde  porte  le  nom  des  Osci.  La  ville  actuelle 
de  Sûiigiicssa,  Siiessa  dans  les  archives  citées  par  Ortclius,        LcxU-.  ven» 
cest-a-dire,   \ -^nciQWWQ  Suestasium ,  se   trouve  jointe  aux 
Suessitani ,  dont  Tite-Live  a  fixé  le  territoire  sur  le  revers     lu.  xxxix  , 

.     .     ^-~,  .  .  ain.  XLl. 

méridional  des  Pyrénées.  La  1  rebula  L>ampanienne ,  ou  plu- 
tôt la  Tribola  plus  ancienne  des  aborigènes  de  la  Sabine, 
est  retracée  par  le  nom  de  la  ville  de  Tribola  qu'Appien     Hùpan.l.y/, 
assigne  à  la  Turdétanie,  et  près  de  laquelle  étoient  les 
deux  autres  nommées  Arnicci  vêtus  et  Arrucci  novum,  mar- 
quées dans   la  carte  de  d'Anville,   et  qui  rappellent  les 
Aurunci.  Suivant  Vaière-Maxime,  une  ville  située  sur  le     Li^.iit,c.vii. 
fleuve  Alla  portoit  le  nom  de  Bathia  :  c'est  le  même  que 
celui  d'une   des   plus  anciennes  villes   Pélasgiqucs  de   la 
Sabine.  Enfin  le  nom  de   Païlantia,  de  la  même  origine     Appian.   His- 
et   de   la  même  antiquité,   existoit  chez    les   yaccai  en    y.jj. 
Espagne. 

En  examinant  les  noms  de  tous  ces  peuples,  on  pourra 
observer,  que  dans  cette  contrée,  la  situation  de  plusieurs 
ctoit  proche  de  ceux  qu'ils  avoient  eus  aussi  pour  voisins 
en  Italie.  C'est  ce  qu'on  peut  vérifier  sur  les  noms  des  Aiise- 
taiii ,  des  Cerretaiii ,  des  Cosetani ,  placés  au  revers  des  Py- 
rénées, et  plus  haut,  des  Vescitani ,  (XOsca,  dont  les  colo- 
nies détachées  ne  pouvoient  être  éloignées  l'une  de  l'autre 
dans  la  Bctique.  Les  Gravii  ',  qui  s'étoient  établis  chez  les 
CaUdici ,  bien  loin  des  peuples  passés  en  Espagne  et  qu'ils 
Tome  VI,  V 


5î4  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

avoient  eus  pour  voisins  en  Italie,  ctoient  au  moins  liml- 

'Ihn.ii.  Cl-  trophes  d'une  Antium*  et  d'un  peuple   Teihur'i^,  qui  sont 

t.  ag.  LKo  j»  .    j    1^  noms  du  Latium.   Ils  avoient  donne  au  fleuve  d'Es- 

*f^-  pagne  sur  les    bords  duquel  ils  s'ctoient  lixés ,   le  même 

Pui  r<g- p-    nom   de  Aiiiiius  que  portoit  un  fleuve  de   leur  côte  en 

Italie.  Enfin  un  même  aflîxe  indiquoit,  en  Espagne  comme 

L',yg.44.      en  Italie,  une  situation  relative  dans  les  noms  de  Cosa  et 

de  Succosa. 

J'ai  annonce  plus  haut  que  j'expliquerois  les  raisons  qui 
me  font  considérer  les  Castelhini  de  la  pointe  orientale  des 
Pyrcnées  comme  le  mcfme  peuple  qui,  voisin  des  CerrcUini 
en  Italie,  habitoit  le  Costrum  Jiiui  consacre  au  dieu  Pan.  A 
défaut  de  l'autorité  positive  des  anciens  auteurs,  j'ai  con- 
sulté des  cartes  manuscrites  et  très-détaillées  de  cette  fron- 
Ét^i  du  Rou^   tière,  que  Louis  XVI  fit  lever  dès  la  première  année  de  son 
'RÔl'fnjtil  règne;  et  voici  les  résultats  que  j'en  ai  recueillis.  Sur  le  ter- 
%tin"'  ^"   '■'^oire  qui  correspond  précisément  à  la  situation  des  anciens 
peuples  Cerretiini  et  Castelhini ,  le  lieu  appelé  de  nos  jours 
Ciistiglionc  n'est  séparé  cfe  Kozcs  ,  l'anrifMine  RhoAa ,  que 
M^iTc.x  il,,-  par  \\w  étang  situé  au  pied  d'une  colline  qui  porte  le  nom 
mîlumt"ciZ  àe  Pan.  Il  en  est  fait  mention,  sons  le  nom  de  A//;/^wr, 
<ien,mm  .    cap   j^^g   l'histoire  modeme  .   où   il  est  rapporté  que    Pierre 
S)8  tt  uq.        d'Aragon  s'y  retrancha  en   1287. 

On  ne  peut  guère  supposer  d'autre  origine  au  nom  de 
cette  colline  ,  que  la  pratique  très-ancienne  du  culte  de  Pan 
sur  le  lieu  même  ;  et  comme  on  a  déterré  tout  près ,  sur  le 
terrain  de  Castiglione,  une  inscription  Romaine  portant  le 
nom  de  OiUttlo,  il  est  par-là  bien  prouvé  que  ce  territoire 
étoit  celui  des  CaUclliini ,  cites  par  Ptolémée,  et  il  devient 
bien  prob.nble  que  ce  peuple,  voisin   des  CerrcLini,  que 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      355 

les  autorités  classiques  attribuent  à  ce  territoire ,  étoit  le 
même  que  celui  d'Italie  qui  tiroit  son  nom  du  Castriim  Itiui, 
où  le  culte  de  Pan  étoit  exercé  de  toute  antiquité. 

C'est  probablement  à  dater  des  premiers  temps  de  ce 
culte  transporté  en  Espagne,  que  ce  pays  aura  été  connu 
des  anciens  sous  le  nom  de  Pa/iia ,  sulvinn  la  leçon  reçue      Àd_  Stq>ha». 
dans  le  texte  d'Etienne  de  Byzance  d  après  la  remarque  de 
BerJvelius.  Sosthène  de  Cnide ,  dans  son  xiii."  livre  des/^/-    '«'^'['"^f- 

Oj'cr.ltb.de  rlu- 

riaues,  en  assiijnoit  pour  cause  les  exploits  de  Dionysus  et  mm.  tom.X.  y. 

de  Pan  ,  qu  il  étendoit  jusqu  en  Iberie  ;  mais ,  a  1  appui  des  ^^ 

observations  que  j'ai  précédemment  confrontées,  je  crois 

devoir  préférer  l'indication  comprise  dans  les  deux  leçons 

de  ce  vers  de  Silius  Italiens:  ^''•''  "■''h- 

Ultra  Pyrenen  Laurentia  num'ina  vexit.  E^"'  ''^''"'■ 

Ultra  Pyrenen  Laurentia  nomina  duxi.  ESi.    Romnn. 

1471  .      et    cd:t. 
rr  >  r  I  Eincsli. 

Ejii  effet  ,  quelque  leçon  qu  on  adopte ,  il  ne  peut  rester 
que  l'alternative  de  supposer,  ou  que  le  poète  historien 
et  scrutateur  de  l'antiquité  a  voulu  faire  allusion  à  la  mi- 
gration en  Espagne  des  dieux  du  Latium ,  ou  qu'il  avoit 
comparé  les  rapports  des  homonymies  locales  des  deux 
contrées,  ainsi  que  je  les  ai  présentés  dans  ce  Mémoire. 

Je  ne  dissimulerai  point  l'objection  ,  en  apparence  bien 
fondée,, qu'on  peut  faire  en  prétendant  que  tous  ces  noms 
ne  seroient  passés  en  Espagne  qu'à  la  suite  des  colonies 
Romaines  ;  mais  les  dates  des  faits  et  des  auteurs  qui  ont 
cité  ces  villes,  vont  résoudre  cette  difficulté. 

Eratosthène  ,  qui  florissoit  quarante-un  ans  avant  la 
première  entrée  des  Romains  en  Espagne ,   citoit  la  ville      .  ^^  . 
de  Tarragone  ;  ce  qui  prouve  de  nouveau  que  les  Scipions  pag.  i;f. 

Y-ij 


3  56  MÔIOIRES  DE  L'ACADKMIE 

ne  l'ont  pas  fondcc.  Qiiamf  Polyhe  écrivit  l'histoire,  les 
Romains  ne  faisoient  encore  la  guerre  que  clans  la  partie 
mcridion;iJe  de  l'Espagne,  et  ils  ctoient  encore  bien  loin 
d'avoir   acquis    assez  de    consistance  dans  le  pavs   pour 
U.iii.  .(.,•/.  s'occuper  à  bâtir  des  villes  :  or  Polybe  citoit,  au  revers  des 
Upiia.tjSç.      lyrcnces,  des  ^//ir/j///,  que  Tite-Live  cite  aussi  pour  le 
\x'i''(^\x'ni    "^'^■'"^  '''''^'  ^^  Casaubon   aura  cic  guide  par  cela  dans  la 
correction  du  texte  où  ce  nom  est  altcrc.  Le  mcme  savant 
auroit  pu  trouver  dans  l'autre  nom  ,  également  corrompu  , 
les  Cerrettiiii ,  dont  il   n'a  pas  propose  la  leçon  ,  non  plus 
^  que  le  savant  et  dernier  éditeur  de  Polybe.  Je  conjecture 

qu'il  y  faut  lire  Kct/peiavK^,  au  lieu  d'A//>n'o€iK4  que  porte  le 
texte  corrompu  ,  et  de  Acc-pyrcnoi»;  proposé  par  Gronovius. 
/.i/. /// .  p.,v         En  parlant   des  Ccrrctdiii ,  Strabon  les   lait  considérer 
comme  un  peuple  Espagnol,  et  non  comme  une  de  ces 
colonies  Romaines  qu'il  fait  ailleurs  soigneusement  distin- 
guer. Qiiand  il  dit  que  les  Romains  ont  employé  deux  cents 
ansàlaire  la  guerre  ,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre,  il  ne 
prétend  pas  donner  à  eiiieiidre  qu'ik  aient  employé  leurs 
troupes  à  fonder,  <^7/>Wfl,  suivant  la  langue  des  inscriptions, 
des  murs  de  villes  sur  des  lieux  où  il  n'en  existoit  pas.  Leur 
Ttstui.ittom    première  colonie  établie   en    Espagne,  Gracchur'is ,  avoit 
iTrfc iiiurcis.      substitue  ce  noui   a  celui  ailliircis  que  portoit   une  plus 
Lii.ii.  f.tf.  ancienne  ville.  On  sait  d'ailleurs,  et  Velleïus  Paterculus 
l'atteste,  que  la  première  de  toutes  les  colonies  que  les  Ro- 
mains aient  envoyées  hors  d'Italie  ,  étoit  celle  de  Carthage 
en  A(ii(]ue ,  et  qu'en  Espagne  les  colonies  Romaines  ne  se 
multiplicrent  (jue  vers  le  temps  d'Auguste. 

Silius  Ilalicus  est  reconnu  trop  exact  pour  qu'on  piiisse 
supposer  qu'il  ail  exagéré  l'anticjuiié  des  peuples  et  des 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       357 
villes   qu'il  nomme  ,    relativement   à  des  faits  antérieurs 
à  rétablissement  des  Romains  en  Espagne.   Il   citoit   les 
Gravit  comme  un  des  peuples  qui  existoient   dans   cette     Sil.h.il.lit.  i, 
contrée   avant  qu'Annibal  eût   passé  i'Ebre.   A  l'époque  '"-'■ 
à  laquelle  le  poète  suppose  que  les  Pyrénées  furent  fran- 
chies par  Hercule,  il  fait  trouver  les  Cenetani  sur  son  pas-     1,1.  ui:  m ,  , 
sage,  et  fait  intervenir  les  Vectones  k  celui  d'Annibal ,  qui  ^^i^[^.^,  ,,,,. 
ravagea  le  territoire  des  Volca ,  dont  l'homonyme  existoit     l!-id.v.44;. 
en  Italie.  La  guerre  de  Viriathe  appartient  à  l'an  1 4^  avant 
notre  ère,  et  la  ville  de  Tribola  est  nommée  dans  la  reh^ 
tion  qu'Appien  a  faite  de  cette  guerre.  Pûllantia  figure      //«/mb.   loa-> 
dans  celle  de  Numance,  qui  eut  lieu  vers  l'an  136  avant 
notre  ère,  et  bien  avant  que  la  première  colonie  Romaine 
ait  été  envoyée  hors  d'Italie.  Enfin  ÏOsca  Espagnole  exis- 
toit vers  la  même  époque,  puisque  Sertorius  y  avoit  fondé       l'iut.mh.  ix 

r         ,       ,        ^^  1        .  Sertor.  wm.  III , 

des  études  Grecques  et  Latines.  yg-jjs- 

Ces  exemples  prouvent  donc  que  la  concordance  des 
homonymies  locales  de  l'ancien  Latium  et  de  l'Espagne 
ne  doit  pas  son  origine  aux  colonies  Romaines,  mais  qu'il 
faut,  pour  l'expliquer,  se  reporter  aux  plus  anciens  temps 
de  l'Italie,  et  particulièrement  en  ce  qui  concerne  la  côte 
Étrusque  et  Pélasgique.  Autrement,  comment  seroit-il 
arrivé  que  l'ancien  état  de  l'ibérie  ,  dressé  par  M.  Agrippa, 
copié  par  Pline,  et  les  tables  de  Ptolémée,  n'auroient 
répété  sur  la  côte  méridionale  de  l'Espagne  que  des 
villes  nommées  sur  celle  du  plus  ancien  Latium  ?  Pour- 
quoi Pline  auroit-il  désigné  dix-huit  peuples  sous  la  dé-  LU.  xxxiv, 
nommation  de  Laîiin  veteres  !  et  a  quelle  cause  ce  titre 
remonteroit-il  ,  si  ce  n'est  à  celle  de  la  commune  origine 
Arcadienue  de  Sagonte  et  de  Rome  \  C'est  ce  que  Silius 


35^  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

entenJoit  sans  Joute  ,  lorsqu'il  disoit ,  en  parlant  des  cl(5- 
putes  de  Sagonte  : 

l.il.  I , V.  6<>S.  Hinc  consangu'inea  subeunt  jam  mctnia  Borna. 

Les  Ardcates  ,  d'ailleurs ,  qui  avoient  concouru  à  la  fon- 
dation de  Sagonte  ,  étoient  compris  de  droit  au  noinbre 
de  ces  Liilini  vcteres ,  à  l'occasion  desquels  Tite-Live  fait 

Tn.-Ui-.lih.i,  parler  Tarquin  en  ces  termes  :  Passe  <]ii'ulem  se  vetusto  jure 
agere,  quod,  cîim  omncs  Latini  ah  Alhn  oriutiiii  sitit,  in  eo  fœdere 
teneantur  quo  oh  Tullo  tes  omiiis  Albtiua  cum  colouis  suis  in 
Romatnim  cessent  impcrium.  Ainsi,  lorsque  Sagonte  avoit 
recours  à  Rome  pour  pacifier  des  troubles  qui  s'ctoient 
élevés  dans  son  sein  bien  avant  l'envoi  des  colonies  Ro- 
maines ,  ce  ne  pouvoit  ctre  qu'en  vertu  du  droit  d'an- 
ciens Latins  dont  elle  jouissoit  dès-lors,  et  des  principes 

Lit.  III,  f..'-.  du  traité  rapporté  par  Polybe,  où  il  est  question ,  relati- 
vement à  la  date  de  cinq  cent  neuf  ans  avant  notre  ère , 
de  Latins  établis  hors  de  la  domination  Romaine;  ce  qui 
ne  pouvoit  s'entendre,  je  crois,  à  cette  époque,  que  de 
peuples  anciennement  passés  en  Espagne  et  dont  l'ori- 
gine Latine  étoit  dès-lors  reconnue. 

Je  n  ignore  pas  combien  il  peut  paroître  hasardeux 
de  tenter,  ainsi  que  je  l'ai  fait  dans  ce  Mémoire,  de 
restituer  à  l'histoire  des  rapports  qu'elle  n'a  positivement 
établis  nulle  part;  mais  il  faut  cependant  que  quelque 
auteur  ancien   ait  parlé  de  l'origine  Italifjue  des  Ibères, 

(^M.r.i.onnlh    puisque  S.  Jérôme  ,  après  avoir  rapporté  les  noms  de  quel- 

hrtica  in   Crue-  •  i  il-  ,  .  .         .       . 

sim  fJit.  V'm-  ques  anciens  conducteurs  de  colonies,  scxprimoit  ainsi: 
//"j"^/ '  T'  Thuhol  Ihcri ,  qui  et  Hispani ,  licèt  quidam  Italos  iiuspicentur. 
)i'  H  est  très -probable  qu'il  aura  voulu  indiquer  ici  Servius, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  359 
commentateur  de  Virgile ,  et  dont  on  prétend  qu'il  avoit  été 
disciple  :  Servius  lisoit  les  Origines,  aujourd'hui  perdues, 
que  Caton  avoit  écrites. 

(Quelques  observations  encore  sur  les  homonymies  to- 
pographiques indiqueront  peut-être  les  traces  de  l'ancienne 
origine  Grecque  à  laquelle  les  Aquitains  prctendoient.  Les 
noms  Pélasgiques  des  Pyrénées  Espagnoles  se  retrouvent 
en  Aquitaine,  soit  littéralement,  soit  modifiés  par  une  syl- 
labe initiale,  dans  les  dénominations  locales  de  Cosa  ^,  Cos-    *  T,é.  Thtoda. 
sio° ,  Cocosa^,  Losa,  Scs,osa ,  Ausci^ ,  Oscinéium^.  J'en  in-    ^^"•'''"■r-i''- 
duiroisque  les  Cosetaiii  et  les  Ausetaiii  d'Espagne  auroient   24. 
envoyé  des  colonies  en  Aquitaine,  et  (]uOscd,  Vescia  ,  Es-  „(r.pag.'4;6." 
cua,  en  Turdétanie ,  ne  seroient ,  de  même ,  que  des  noms     '^PH"-  m-  '^, 
transportés  par  des  colonies  parties  des  sources  de  l'Ebre,  ou     ,";„„  Hierosol. 
se  retrouvent  ces  mêmes  noms  ,  entre  lesquels  on  distingue  /"»■/'"'• 
celui  à'Osca ,  synonyme  des  appellatifs  Aiisci  et  Oscineium 
d'Aquitaine,  que  le  nom  local  à' Es(juies  représente. 

Les  savans  qui  admettent  difficilement  les  inductions 
tirées  des  indices  couverts  du  voile  de  la  plus  haute  anti- 
quité,  réfléchiront ,  sans  doute,  sur  les  faits  suivans  que 
rapporte  l'antiquaire  Basque,  Andres  de  Poça.  On  lit  dans 
son  ouvrage  sur  les  Antiquités  de  la  hvigue  et  des  peuples  de 
r Espagne,  imprimé  à  Bilbao  en  1587,  que  les  seigneurs 
de  Biscaye  juroient  encore  alors  de  garder  les  coutumes  et 
les  privilèges  du  pays,  un  pied  chaussé  et  l'autre  nu;  que 
le  roi  Ferdinand -le- Catholique,  ainsi  que  ses  prédéces- 
seurs, fit  ce  serment  dans  ce  même  costume,  et  que  le  nom 
de  la  ville  où  cet  acte  public  avoit  lieu  ,  se  nommoit  Guer- 
nica,  Andres  de  Poça  n'hésite  point  de  considérer  l'origine 
de  cette  coutume  comme  Pélasgique ,  et  de  citer  à  l'appui 


3éJo  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

de  son  opinion  ces  deux  vers  où  Virgile  s'exprime  ainsi, 
en  pariant  des  Herniqiies  : 

AjieiJ.   VI! ,  J'esrigia  nuda  sin'istri 

""■   ■  "■  Institue)  (  pedis  ;  crudus  tegit  <i liera  peio. 

On  lit  encore  dans  l'ouvrage  de  M.  Herva/  ,  que  le  Giii- 

puscoa  comprend  une  montagne  appelée //r////^/,  dont  les 

habitans  s'appellent  Hcniicoa ;  ei  l'on  sait  que  le  mot  licrna 

ffiit.1.  rer/^'   siguifioit  moiitiigiie  en  langue   Sabine.  Je  ne  ferai  aucune 

Hcmici.  .'n       •  ..... 

Stnius  ad  ''^nexion  sur  ces  rapports  ;  mais  j  ajouterai  ,  pour  terminer 
A'nrid.Uh.vii,   ce  Mémoire,  quelques    faits  qui   prouvent  combien  cer- 
taines coutumes  anciennes  sont  ilurables  chez  les  peuples 
modernes. 
Bcirnnj^rcy-        ^^^  Hougrois  ,   nation  bien   reconnue  pour  Scytbique 
rm, .  Tnwe  Jr>   J'ori^ine,  sont  cites  comme  avant  coutume  d'attacher  à  leur 

marquti     natio-  o  .' 

/tj/r.  ,/>  //.  bonnet  de  guerre  autant  de  lames  d'or  qu'ils  tuent  d'enne- 
mis dans  les  combats.  Nous  lisons  dans  les  fragmens  de 
Htnr.  y:,k)ù   Nicolasde Damas,  que  les  J///<//,  peuple  Scythe  et  voisin  des 

M.^'j>"j26.  Palus  Ma?otides,  avoient  l'usage  d'inhumer  avec  leurs  guer- 
riers autant  de  pois<;nn'i  qu'ils  avoient  tué  d'ennemis  dans 
les  guerres.  Lors(ju'en  1436  Joseph  Barbaro  lut  envoyé 
RmcoIio  Ji R,:-  en  Perse,  le  fragment  cité  de  Nicolas  de  Damas  n'étoit  pas 

i'«g  fj.  découvert:  anisi  l  ambassadeur  Vénitien  a  verilic,  sans  le 

savoir  ,  le  fait  avancé  jiar  l'auteur  Grec  ,  lorsque  ,  faisant 
fouiller  un  tomljeau  de  la  région  des  J^fW/,  il  y  trouva  ren- 
fermés dans  une  urne  de  pierre  beaucoup  de  squelettes 
de  poissons  dont  il  ne  pouvoit  s'expliijuer  le  rit  funéraire. 
Henri  de  Valois  n'a  lait  aucune  remarque  sur  ces  rapports. 

A'oM.  Coimiltti  l'mivragc  érrit  en  allemand  p,ir  M.  Guillaume HcHiimboldl,  »oui 
le  titre  6'[jtimcn  Jts  re^hinha  faiui  mr  In  firemirrs  haHum  dt  l'Ejpiignt ,  &c.  Bcrim , 
1811. 

MÉMOIRE 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      3^1 

MÉMOIRE 

SUR 

LA  SITUATION  DES  RAUDII  CAMPI, 

où    MARIUS   DÉFIT   LES   CIMBRES, 

ET  SUR  LA  ROUTE 

suivie  par  ces  peuples  pour  se  rendre  en  italie. 

Par  m.  WALCKENAER. 


J_iA  victoire  que  Marins  remporta  sur  les  Ciinbres  en  Luieijjan- 
Italie ,  est  un  des  événeinens  les  plus  importans  de  l'his-  ^'*''''''7- 
toire  ancienne.  C'en  ctoit  fait  de  l'empire  Romain,  si  ces 
barbares  eussent  été  vainqueurs  :  la  civilisation  eût  été 
retardée  pendant  neuf  ou  dix  siècles,  comme  elle  le  fut 
quatre  cents  ans  après  par  la  même  cause;  et,  ainsi  que 
le  dit  Quintilien,  le  monde  entier  eût  parlé  cimbre  au 
lieu  de  parler  latin. 

On  s'est  divisé  sur  le  lieu  de  cette  célèbre  bataille,  et 
sur  la  route  qu'ont  tenue  les  Cimbres  pour  pénétrer  en 
Italie.  Personne,  que  je  sache,  n'a  fait  de  cela  l'objet 
d'une  dissertation  spéciale  :  celle-ci,  qui  sera  courte,  est 
destinée  à  éclaircir  ce  point  d'histoire. 

Tome  VL  Z» 


3^2  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Panvini,  Pighius ,  Sigonius,  Maffei,  veulent  que  cette 
bataille  ait  ctc  livrée  près  Je  Vérone  ;  d'Anville,  près 
de  Milan;  Cluvier,  et,  d'après  lui,  Cellarius,  entre  \'er- 
ceil,  Novare  et  Lomello;  enfin  un  poète  ancien,  Chiu- 
dien,la  place  plus  à  l'ouest,  sur  les  bords  du  Tanaro,dans 
les  environs  de  PoIIeiit'ui  :  de  sorte  que  l'incertitude,  rela- 
tivement à  la  position  de  ce  champ  de  carnage  ,  s'étend 
presque  sur  toute  la  largeur  de  l'Italie  septentrionale  et 
dans  la  partie  de  l'Italie  qui  a  le  plus  de  largeur. 

Cependant  je  ne  connois  aucun  auteur  moderne  qui 
se  soit  laissé  induire  en  erreur  par  l'assertion  de  Clau- 
dien  :  elle  étoit  trop  directement  contraire  à  celle  de  tous 
les  historiens,  et  l'on  s'aperçoit  facilement  que  le  poète  a 
choisi  l'opinion  la  plus  favorable  au  désir  qu'il  avoit  de 
flatter  Stilicon.  Je  dirai  néanmoins  ce  qui  pouvoit  accré- 
diter cette  erreur  au  temps  de  Claudien  ,  et  pourquoi  quel- 
ques modernes  se  sont  égarés  dans  l'examen  d'un  problème 
historique  dont  la  solution  paroissoit  peu  difhcile. 

Il  ne  reste  rien  de  la  partie  des  ouvrages  de  Tite-Live 
où  il  étoit  question  de  cette  bataille,  et  l'on  n'en  trouve 
le  récit  détaillé  que  dans  Plutarque.  Cet  écrivain  ,  dont 
la  lecture  a'*\ant  d'attrait  ,  a  cependant  mérité  de  grands 
reproches.  Rarement  il  cherche  à  concilier  entre  eux 
les  nombreux  écrivains  (ju'il  met  à  contribution;  il  les 
copie  alternativement  ,  et  souvent  avec  si  peu  d'atlcn- 
tion  pour  le  fond  des  faits  et  l'exactitude  des  détails, 
qu'il  contredit  quelquefois  d'après  un  auteur  ce  qu'il  a 
avancé  d'après  un  autre.  Mais  ,  pour  le  sujet  qui  nous 
occupe,  Plutarque  mérite  toute  confiance,  parce  qu'il 
ccrivoit  ,    ainsi  qu'il   nous  l'apprend   lui-mOme,  d'après 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  363 
les  mémoires  de  Sylla,  alors  lieutenant  clans  l'armée  de 
Marins  ,  et  présent  à  cette  bataille.  Pkitarqiie  nous  dit 
qu'elle  fut  livrée  dans  la  plaine  de  Verceil ,  -are/JJ  Bep- 

D'un  autre  côté,  Velleïus  Paterculus,  Florus ,  Aure- 
lius  Victor,  disent  que  ce  fut  dans  les  dimpi  Raudii: 
ces  Campi  Rmidii  étoient  donc  près  de  Verceil,  et  il  ne 
falloit  pas  les  chercher  ailleurs. 

Effectivement,  à  l'orient  de  Verceil,  précisément  du 
côté  d'oii  venoient  les  barbares ,  dans  le  district  de  Bian- 
drate,  sont  les  champs  et  les  prés  qui  portent  encore  au- 
jourd'hui les  noms  de  Campi  ou  Prati  di  Ro  ou  di  Rau; 
et,  ce  que  personne,  je  crois,  n'a  encore  remarqué,  ces 
champs  sont  traversés  par  trois  petites  rivières  qui  se 
nomment  toutes  Rauggia  ;  savoir,  Raugia  Birago ,  Roggia 
Rillû ,  Rûugia  Busca.  C'est  donc  dans  ces  vastes  plaines, 
en  tirant  vers  le  Pô,  que  s'est  livrée  cette  célèbre  bataille. 
Ces  plaines  sont  très-unies  :  elles  ont  vingt  milles  de  lon- 
gueur; ce  qui  répond  bien  à  la  description  de  Plutarque 
et  au  patenûssïmus  campus  de  Florus. 

M.  Durandi  étoit  trop  instruit  dans  la  topographie  an- 
tique de  son  pays  pour  ne  pas  faire  quelques-uns  de  ces 
rapprochemens  qui  avoient  été  déjà  indiqués  en  partie 
par  Clqvier  ;  mais  ce  sont  ces  indications  mêmes  qui 
ont  fait  tomber  M.  Durandi  dans  une  erreur  bien  grave, 
et  bien  surprenante  de  la  part  d'un  homme  ordinairement 
si  rempli  de  sagacité.  Il  veut  que,  hors  le  seul  Plutarque,  Dur.mdi.  Alpi 
tous  les  anciens  qui  ont  parlé  de  cet  événement  se  soient  ^''''''' 
trompés  lorsqu'ils  ont  avancé  que  les  Cimbres  étoient 
descendus  par  les  Alpes  Tridentines ,  ou  le  col  de  Trente, 

Z'ij 


364  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

et  avoiciil  traverse  i'AJige  ,  parce  que  les  Ctinipi  Riiudii , 
dans  le  lieu  où  nous  les  pla<,()ns  et  où  les  plate  aussi 
AI.  DuranJi,  sont  loin  Je  ce  fleuve  et  Je  cette  partie  Jes 
Alpes. 

Florus  dit  que  les  Cimbres  se  laissèrent  amollir  par 
le  climat  et  les  délices  de  la  Véiu'tie ;  et  comme,  dans  le 
système  de  M.  Durand!,  les  Cimbres  n'ont  pas  dû  passer 
par  la  Vénetic ,  il  trouve  cette  idée  de  Florus  romanesque, 
et  son  récit  contraire  à  l'bistoire.  11  veut  que  ÏAtiso  de 
Plutarque  ne  soit  pas  le  mcme  que  i'Al/icsis  de  Florus  et 
des  autres  bistoriens  ;  et,  au  lieu  de  rapporter  le  nom  de 
ce  fleuve  à  [' Adige ,  il  en  fait  l'application  à  une  petite 
rivière  obscure  qui  coule  sur  les  bauts  sommets  des  Alpes, 
et  qui  se  rend,  après  un  cours  très-borné,  dans  le  lac  Ma- 
jeur :  mais  cette  rivière  se  nomme,  sur  nos  cartes,  Toce , 
nom  que  M.Durandi  cbajige,  avec  le  secours  d'un  article, 
en  celui  de  l'Atos ,  ou  lAtoxo,  ou  l'Atoce,  sans  pouvoir, 
malgré  toutes  ces  transmutations,  le  rendre  encore  bien 
semblable  au  nom  anticjue  Atiso.  C'est  d'après  ces  idées 
que  M.  Durandi  conclut  que  les  Ciml)res  sont  descendus 
par  le  Simplon  et  la  vallée  d'Ossola ,  voisins  des  Cnmpi 
Rnudii ,  et  non  par  les  Alpes  Tr'uientincs ,  qui  en  sont,  ù 
la  vérité,  fort  éloignées.  Il  faut  donc  prouver  que  le  récit 
de  Plutarque  s'accorde  parfaitement  avec  celui  ile  Florus 
ei  des  autres  bistoriens,  et  que  M.  Durandi  a  eu  tort  de 
les  contredire.  Pour  cela,  nous  n'aurons  qu'à  citer  les 
passages  où  se  trouvent  consignées  les  principales  cir- 
constances de  cette  bataille,  à  en  bien  tléterminer  le  sens, 
et  à  montrer  clairement  la  liaison  qu'ils  ont  entre  eux. 

<•  Les  barbares,  dit  Plutarque,  se  divisèrent  en  deux 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      365 

»  armées  pour  passer  en  Italie  :  l'une,  qui  ctoit  celle  des 
»  Cimbres,  alla  par  le  pays  des  Noriqucs,  afin  de  forcer  le 
»  passage  que  dcfendoit  Catulus  ;  et  l'autre,  qui  ctoit 
»  celle  des  Teutons  et  des  Ambrons  ,  passa  par  la  Li- 
»  gur'ie ,  le  long  de  la  mer,  contre  Marins. 

«  Catulus,  qui  avoit  ordre  de  faire  tête  aux  Cimbres, 
»  jugea  qu'il  ne  falloit  pas  perdre  de  temps  à  garder  les 
»  passages  des  montagnes  pour  empêcher  les  barbares 
»  de  pénétrer.  Il  se  retira  donc  en  arrière  des  Alpes,  dans 
»  l'intérieur  de  l'Italie,  et  il  se  couvrit  de  la  rivière  Aîiso , 
»  sur  laquelle  il  bâtit  un  pont.  » 

On  voit  déjà  l'opinion  de  M.  Durandi  renversée  dès 
les  premiers  mots  :  les  Cimbres  étant  dans  la  Norique, 
leur  plus  court  chemin  étoit  de  descendre  par  les  vallées 
de  i'AJige  ou  les  Alpes  Tr'uîetitities.  Dans  l'impuissance  de 
défendre  les  défilés  des  Alpes,  Catulus  voulut  empêcher 
les  barbares  de  passer  ÏAdige  :  il  se  fortifia  donc  sur  les 
bords  de  ce  fleuve.  Alors  les  Cimbres  se  répandirent  dans 
la  Vénétie,  qu'il  avoit  abandonnée,  et  la  dévastèrent. 
L'/4/iiode  Plutarqueest  donc  la  même  rivière  que  XAîhesis 
des  auteurs  Latins  .  c'est-à-dire,  ÏAdige.  Si  ïAiiso  de  Piu- 
tarque  étoit  la  Toce  et  non  pas  ÏAdige,  Catulus  et  son 
armée  se  seroient  trouvés,  non  pas  au-dedans  de  l'Italie; 
mais  dans  les  Alpes  ;  non  pas  en  arrière  des  Alpes ,  mais 
près  de  leurs  sommets  les  plus  élevés,  près  des  cimes  du 
Saint-Gothard.  Enfin  l'auteur  n'auroit  pas  dit  que  Catulus 
ne  voulut  pas  perdre  le  temps  à  garder  les  passages  des 
Alpes  ;  car  il  est  évident  qu'il  n'auroit  fait  gravir  les  som- 
mets des  montagnes  à  son  armée  que  pour  en  garder 
les  passages. 


j^6  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Catiiliis,  après  sVtre  fortifie  derrière  ['AJi^e,  reste  Jans 
SCS  positions.  Les  barbares  e*itrepreiinent  de  le  contraindre 
à  les  abandonner  :  pour  y  parvenir,  ils  obstruent  le  cours 
du  lleuve,  en  abattant  presque  toute  une  foret.  Cette  des- 
cription, qui  est  la  nicine  dans  Plutnrque  et  dans  Florus, 
ne  convient  nullement  à  une  rivière  comme  lu  Toce ,  mais 
s'applique  parfaitement  à  un  grand  fleuve  comme  ÏAJige. 

Les  Romains  s'effraient  ;  le  fort  sur  ['Atiso  est  pris. 

«<  Alors,  dit  Plutarque,  les  barbares,  trouvant  le  pays 
»»  ouvert  et  sans  défense,  se  répandirent  çà  et  là,  et  le 
»  saccadèrent  :  c'est  pourquoi  l'on  ordonna  à  Marins  de 
»»  se  rendre  à  Rome  pour  leur  faire  tète.» 

Je  ne  sais  par  quelles  raisons  M.  Durandi  s'est  imaginé 
que  les  Cimbres  se  rendirent  en  trois  jours  sur  le  champ 
de  bataille,  après  avoir  passé  \' Atiso.  Nous  ne  lisons  rien 
de  semblable  dans  Plutarque,  ni  dans  aucun  autre  auteur; 
nous  voyons  au  contraire  l'armée  Romaine  battre  en  re- 
traite, et  les  barbares  se  répandre  dans  un  pays  où  ils 
desiroient  s'établir,  sans  qu'il  y  ait  aucun  temps  spécifié: 
et  même  Plutarque  nous  dit  ensuite  qu'à  cette  occasion 
on  rappela  Marius  à  Rome  ;  que  ce  consul  assembla  le 
sénat  et  le  peuple,  et  les  harangua  sur  ce  qu'il  avoit  à 
faire  ;  qu'enfin  il  donna  des  ordres  pour  le  retour  de  son 

armée. 

.<  Celte  armée ,  dit  Plutarque,  étoit  encore  dans  la  Gaule, 
-  au-delà  des  monts:  aussitôt  qu'elle  fut  arrivée,  Marius 
»  passa  avec  elle  le  Pô,  pour  empêcher  les  barbares  d'en- 
»  dommager  l'Italie  qui  est  en-de<,à  du  Pô.  •» 

Mais,  dira-t-on  ,  si  les  barbares  venoicnt  de  la  V'éné- 
tie  et  avoient  passé  i'AJigc ,  pourquoi  donc  se  dirigeoient- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  36^ 
ils  du  côté  de  Verceil ,  au  lieu  de  traverser  le  Pô,  et  d'aller, 
avant  l'arrivce  de  Marins,  droit  à  Rome  en  marchant  sur 
Modène  [Mutina]  ! 

Plutarque  a  pris  soin  de  nous  en  donner  la  raison. 

"  Qjiiant  aux  barbares,  dit-il,  ils  différoient  toujours  à 
»  livrer  bataille,  parce  qu'ils  attendoient  les  Teutons;  et 
»  ils  s'ctonnoient  beaucoup  de  leur  retard.  » 

L'historien  parle  ici  de  l'autre  armée  ,  composée  de 
Cimbres ,  d'Ambrons  et  de  Teutons  ,  qui  avoit  fait  son 
irruption  dans  la  Gaule  Transalpine,  et  que  Marius  avoit 
défaite  près  d'Aix,  Tous  ces  peuples  barbares,  tant  ceux 
qui  avoient  fait  leur  irruption  dans  les  Gaules,  que  ceux 
qui  étoient  descendus  en  Italie,  se  croyant  certains  de  la 
victoire,  étoient  convenus  entre  eux  qu'aussitôt  après  avoir 
triomphé  des  armées  qu'on  avoit  envoyées  pour  s'opposer 
à  leur  passage,  ils  feroient  leur  jonction  et  s'avanceroient 
ensuite  sur  Rome  avec  leurs  forces  réunies.  On  ne  peut 
disconvenir  que  ce  plan  ne  ïui  parfaitement  bien  conçu, 
puisque,  par  ce  moyen  ,  les  barbares  contraignoient  les  Ro- 
mains à  diviser  leurs  forces  ;  qu'après  avoir  triomphé  de 
chaque  armée  Romaine  séparément,  ils  ne  pouvoient  plus 
être  inquiétés  sur  leur  arrière-garde ,  et  qu'ils  se  trouvoient, 
malgré  les  combats  sanglans  qu'ils  avoient  livrés  dans  le 
cœur  de  d'Italie  ,  avoir  une  armée  plus  forte  qu'au  mo- 
ment de  leur  irruption.  Mais  la  première  condition  dans 
toutes  les  combinaisons  de  la  guerre ,  c'est  de  vaincre. 
L'armée  des  Cimbres  qui  avoit  fait  son  irruption  dans  la 
Gaule  Transalpine,  avoit  été  vaincue;  et  celle  qui  étoit 
descendue  par  les  Alpes  Tridentines  et  qui  avoit  passé 
ÏAdi^e,  ignoroit  cette  défaite  :  c'est  par  cette  raison  qu'elle 


3^8  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

s'avançoit  du  côte  Je  Verceil,  dans  i'espdrance  d'op<^rer 
sa  jonction  avec  l'armée  de  ses  compatriotes,  qu'elle  pré- 
sumoit  devoir  descendre  par  les  Alpes  Grecques  ou  les 
Alpes  CottJe/i/ies.. 

Lorsque  les  Cimbres  d'Italie  surent  que  la  puissante 
armée  des  Gaules  avoit  été  détruite,  ils  suspendirent  leur 
marche  et  devinrent  moins  menaçans  :  car  les  plus  braves 
nn'me  ne  sont  arrogans  .que  tant  qu'ils  croient  ctre  les 
plus  forts. 

Les  Cimbres  envovèrent  donc  alors  des  ambassadeurs 
à  Marius  pour  lui  demander  des  terres  à  cultiver.  Marius 
leur  fit  uneréponse  insultante,  et,  pour  qu'ils  ne  doutassent 
point  du  carnage  de  leurs  compatriotes  des  Gaules,  il 
montra  à  leurs  ambassadeurs  les  rois  des  Teutons  liés  et 
enchaînés. 

«<  Alors,  dit  Plutarque,  Béorix,  roi  des  Cimbres,  en- 
•>  voya  défier  Marius,  et  convenir  du  jour  et  du  lieu  de 
"  la  bataille  ,  afin  de  décider  (}ui  resteroit  le  maître  du 

-  pays  ([). 

»  A  quoi,  continue  Plutarcjue,  Marius  répondit  que  ce 
"  n'étoit  p;Ls  l'usage  des  Romains  de  prendre  conseil  de 
••  leurs  ennemis  pour  savoir  (juand  et  dans  cjuci  lieu  ils 
"  dévoient  livrer  bataille,  mais  que  néanmoins  il  vouloit 
»  bieji  donner  aux  Cimbres  cette  satisfaction. 

'»  On    convint   donc   mutuellement   que   ce    seroit   le 

-  troisième  jour  suivant,  dans  la  phiine  de   Verceil  :  cette 


(i)  Remarquons, en  passant, qne, 
plu»  de  cinq  sircics  après,  Clovis, 
originaire  de  la  même  contrée  que 
ces  Cimbres, fit  exactement  le  même 


dcfi  et  la  même  demande  à  Sya- 
grius,  qui,  dans  les  (vailles,  con>- 
ninndoit  ,  pour  les  Romains,  aux 
tristes  restes  de  la  seconde  Belgique. 

»  plaine 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  3(^9 
»  plaine  convenoit  aux  Romains  pour  ieur  cavalerie ,  et 
"  aux  barbares  pouf  déployer  facilement  leurs  nombreux 
»  bataillons.  Les  deux  partis  se  montrèrent  fidèles  à  la 
»  convention,  et  parurent  en  bataille  rangée.  » 

On  voit  clairement  que  les  trois  jours  dont  il  est  ici 
question  doivent  être  comptés  depuis  le  jour  de  la  con- 
vention entre  les  deux  généraux,  et  non  pas  depuis  le 
passage  de  ïAdige,  comme  le  veut  M.  Durandi  ;  et, 
quoique  j'aie  été  obligé  d'abréger  ce  récit  et  de  le  donner 
par  extrait,  on  s'aperçoit  qu'il  est  clair,  raisonné,  et  tel 
enfin  qu'on  devoit  l'attendre  d'un  militaire  aussi  instruit 
que  Sylla  ,  dans  les  mémoires  duquel  Plutarque  a  puisé, 
et  qu'il  cite. 

M.  Durandi  prétend  qu'il  ne  s'étoit  pas  écoulé  assez 
de  temps  entre  l'époque  du  passage  des  Alpes  par  les  bar- 
bares et  le  jour  de  la  bataille,  pour  qu'ils  pussent  s'amollir 
dans  la  Vénétie ,  ainsi  que  l'avance  Florus.  Je  remar- 
querai d'abord  qu'il  n'en  est  pas  d'une  armée  bien  disci- 
plinée chez  les  peuples  civilisés  ,  comme  de  troupes  de 
barbares  tels  qu'étoientles  Cimbres:  il  ne  faut  que  quelques 
jours  de  résidence  dans  un  pays  riche  et  abondant,  pour 
que  de  tels  hommes  se  livrent  à  la  débauche  et  à  une  folle 
confiance  ;  alors  on  voit  aussitôt  la  discipline  se  relâcher, 
et  leur  fureur  guerrière  s'amortir.  D'ailleurs,  ainsi  que  je 
l'ai  déjà  dit,  Plutarque  ne  nous  donne  pas  l'époque  pré- 
cise du  passage  des  Cimbres  en  Italie;  et  nous  voyons, 
dans  son  récit,  qu'il  a  dû  s'écouler  un  temps  assez  long 
depuis  le  moment  où  Catulus  se  fortifia  sur  ÏAJige,  jus- 
qu'à celui  où  Marins,  pour  le  joindre,  fit  revenir  son 
armée  des  Gaules. 

Tome  VI.  A' 


Til.-  Uv  S.^m- 
mjirc  du  lirrt 
LXVIII,  t.  17, 

>  'tlleiui  r.uer- 
I  klki ,  lii.  Il ,  c. 
XII ,  ».«/,  (. /, 

^<f.    ICÇ  (t.  II. 

P^S  7i-:  <""(i)- 

Fhrut,  lii.  III, 
(ap.  III,  tom.  II, 

r^g-449"4;i- 

Aureliui  Victor, 
Pt  viril  illuslri- 
hi.cip.LXVIl, 
F''i-  -/  i 

Orotiut,  lit.  y, 
c.ip.XVI. 

Euirop.  lii.  V. 


370  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Je  crois  avoir  siifTisammeiit  justilic  Floriis  du  reproche 
d'écrivain  romaiiesijue  que  lui  tait  M.  Duraiuli  ;  je  crois 
avoir  prouve  que  Plutarque  s'accorde  avec  tous  les  autres 
historiens  :  par  conséquent ,  on  peut  regarder,  suivant  moi, 
comme  un  fait  démontré,  que  les  Cimbres  descendirent 
en  Italie  par  les  Alpes  Tridentines ,  ou  le  col  de  Trente; 
qu'ils  s'avancèrent  ensuite  à  l'ouest  vers  la  Giiulc  Trdiisdk 
pinc ,  pour  tâcher  de  rejoindre  l'armée  de  leurs  compa- 
triotes, qui  avoient  fait  une  irruption  dans  cette  dernière 
contrée,  et  qu'ils  furent  délaits  dans  la  plaine  dite  dimpi 
di  Ro  ou  de  Riiudjii ,  entre  Novare  et  Verceil ,  entre  Bian- 
drate  ,  au  nord,  et  Kandia,  près  de  Cozzo,  au  sud;  enfin  au 
nord  du  Pô,  et  à  peu  de  distance  des  rives  de  ce  fleuve. 

D'après  ce  que  nous  avons  dit,  il  n'est  pas  difficile  de 
découvrir  la  cause  de  l'erreur  de  ceux  qui,  avec  Sigonius 
et  Maffei ,  veulent  que  cette  bataille  se  soit  livrée  dans 
les  environs  de  Vérone  et  dans  la  Vctictie ;  ils  ne  s'atta- 
choient  qu'au  seul  récit  de  Florus,  qui  dit  que  les  Cimbres 
descendirent  en  Italie  par  les  Alpes  TriJcntincs ,  et  qu'ils 
se  laissèrent  amollir  par  les  douceurs  du  cliinai  de  la 
Véiie'tie  (i).  D'après  ce  passage  seul,  et  sans  faire  atten- 
tion au  besoin  (]u'avoient  ces  barbares  de  marcher  à  la 
rencontre  de  leurs  compatriotes  ,  ils  vouloient  trouver 
dans  la  Vénétie  un  lieu  que  le  récit  de  Plutarque,  la  suite 
des  événement  et  la  marche  des  armées,  démontroient 
devoir  ctrc  beaucoup  plus  ;\  l'ouest. 


(  I  )  Ciml'ri  per  hytmnn,  quar  altiùs 
Alpes  levât,  Tridentinis  jiigis  in  ItJ- 
liiiinprovoliili  ruina  Jtscenderant.  .  .  . 
tfii  in  YenetUi ,  quo  fcri  tract u  Itaiia 


mollissima  est ,  ipsâ  soli  caTujiie  cle- 
im-ntiJ  rol'Ur  eltinguit.  (  Florin,  I.  III, 
cap.  III.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  571 
C'est  par  la  même  raison  aussi ,  et  parce  qu'il  n'a  pas 
bien  compris  tous  les  mouvemens  des  armées  pendant 
cette  célèbre  campagne,  que  M.  Durandi,  ne  s'attachant 
qu'à  une  circonstance  du  récit  de  Plutarque,  et  ayant 
bien  déterminé  le  lieu  de  la  bataille,  veut  fliire  descendre 
les  Cimbres  des  sommets  des  Alpes  qui  sont  au  nord  de 
la  Vénétie  :  ce  qui  est  contraire  aux  récits  de  tous  les  his- 
toriens,  et  particulièrement  à  celui   de  Plutarque. 

D'Anville  trouva  ,  sur  ce  point  de  géographie,  les  opi- 
nions des  savans  divisées  :  d'une  part,  considérant  que  la 
Vénétie  étoit  trop  loin  de  la  ville  de  Verceil  ,  aux  en- 
virons de  laquelle  Plutarque  plaçoit  cette  bataille  ;  que, 
d'un  autre  côté  ,  Verceil  paroissoit  bien  loin  des  Alpes 
Tridentines ,  d'où  Florus  faisoit  descendre  les  Cimbres, 
il  crut  devoir  adopter  une  opinion  mixte,  et  il  plaça  D'AmUk.C/v- 
les  Cûiupi  Raudii  près  de  Milan.  11  a  étayé  son  opinion  ^'^f  "'"■■ 
du  nom  d'un  petit  hameau  nommé  Rho ,  qui  est  près  de 
cette  ville. 

Une  rencontre  de  nom  semblable  pouvoit  avoir  donné 
naissance  à  l'erreur  ou  à  la  supposition  du  poète  Claudien. 
Un  peu  à  l'est  des  ruines  de  l'ancienne  PoUentia ,  ou  du 
castel  moderne  de  Polletiip ,  entre  ce  lieu  et  Alba ,  est 
le  lieu  nomme  Rodi ,  qui  est  fort  ancien  :  il  est  fait  men- 
tion de  ce  lieu,  sous  le  nom  de  Raudium ,  dans  un  di- 
plôme de  l'an  10  i  4-  Nous  lisons  dans  la  Chronique  de 
Novalese ,  que  cette  terre  fut  donnée,  dans  le  x.^  siècle,       Ub.  r,  ay. 

XX  X  lll. 

à  l'abbaye  de  Brème,  avec  celles  de Serralu/igû ,  Verdunum  ,     ciucv.ir  Du- 
Grejam  et  Griinan.  L'empereur  Conrad,  dans  le  diplôme   ^'^'i' •  J'""")»" 

^  *'  '  '  Cisfhxdana     an- 

dont  nous  venons  de  parler,  confirme  cette  donation,  et  '"-".r^'g-ipy- 
s'exprime  en  ces  termes  :  Celhim  unamin  honoremS.  Stephani 

A  '  ij 


57i  Mr.MOIRES  DE  L'ACADKMir 

sacmum  ciiin  cjstro  quod  vocdtur  RauJum,  et  /iliiul  iiomine 

Verdiiiuim,  &c.  ,  tisijiie  iui pmtuiti  t/iioJ  dicitiir  Striixca. 

Ne  peut-on  pas  conjecturer  que  ce  lieu  nomme  Rdii- 
dum  ou  Riiudiitm,  où  fut  livrée  la  bataille  Je  Stilicon  contre 
les  Gètes,  aura,  par  l'identité  Ju  nom,  causé  l'erreur  de 
Claudien  ;  ou  que  ce  poète  aura  supposé,  à  dessein,  que 
les  Ruudii  Ccimpi  de  Marins  étoient  les  mêmes  que  les 
Riuuiii  Campi  de  Stilicon,  ailn  de  rattacher  aux  actions 
de  celui  qu'il  vouloit  célébrer,  et  un  grand  nom,  et  Je 
grands  souvenirs! 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      575 


MÉMOIRE 

SUR    LES    CHANGE  MENS 

QUI  SE  SONT  OPÉRÉS 

DANS    LE    COURS   DE   LA   LOIRE, 
ENTRE    TOURS    ET    ANGERS, 

Et  sur  la  Position  du   lieu   nommé  Murus    dans 
les  Actes  de  la  vie  de  S.  Florent. 

Par  m.  WALCKENAER. 

iVIénage,  se  promenant  en  Anjou,  sur  les  bords  de  Lu  le  17  No- 
la  Loire,  avec  Hadrien  de  Valois,  fit  observer  à  ce  savant  '^"  '^^  '  '-" 
(qui  travaiiioit  alors  à  sa  Notice  des  Gaules)  que  la  Vienne 
couloit  autrefois  jusqu'à  Saumur,  où  elle  se  réunissoit  à 
la  Loire  ;  et  il  chercha  à  prouver  historiquement  ce  point 
de  géographie,  en  citant  ces  trois  vers  du  poème  de  Guil- 
laume le  Breton  : 

Qu'iqui  suos  posuit  muros  prope  Jlum'ma  Salinur, 
Al'ixtus  ubi  L'iacrï  fluvio  résinante  Vi^enna 
Amittit  nomen  ferrugineumque  colorem, 

Valois,  dans  sa  Notice,  au  mot  CondateTuronum ,  n'oublie 
pas  de  rapporter  les  trois  vers  de  Guillaume  le  Breton  : 
il  combat  l'opinion  q^u'ils  semblent  autoriser,  et  il  soutient, 


374  MLMOIRES  DE  L'AC.ADÎMIE 

au  contraire,  que  le  confluent  de  la  Loire  et  de  la  Vienne 
a  toujours  ctc  où  il  est  aujourd'hui,  c'est-à-dire,  à  Candes, 
(jui  est  le  Condate  Turonum,  ou  le  ConJuta  viens  de  Sulpice- 
Scvcre,  de  Grégoire  de  Tours,  et  des  autres  auteurs  du 
moyen  âge.  Valois  rapporte,  coinmo  ilcci.^il  à  cet  égard, 
un  passage  de  Grégoire  de  Tours,  que  nous  aurons  occa- 
sion de  citer  et  d'expliquer  dans  ce  Mémoire,  et  il  en  tire 
une  conséquence  qu'il  exprime  en  ces  termes  :  Qitiire  fal- 
luntuT  hciuddubic  <]ui ,  veterihus  Uibulis  iiescio  ^uilmsfrcti,  Vin- 
geinuz  et  Ligeris  confiucntes  ohm  ad  Scilmurum  fuisse,  et  Sal- 
miirum  ipsiim  <id  Vingeniia  ripom  exstitisse  eontendunt. 

Ménage,  qui,  dans  son  Histoire  de  Sablé ,  nous  a  rap- 
porté la  conversation  qu'il  avoit  eue  avec  Valois  sur  ce 
sujet,  fortifie  dans  cet  ouvrage  son  opinion  par  de  nou- 
velles preuves.  Cette  opinion  a  depuis  été  celle  de  La 
Sauvagcre,  de  Robin  ,  de  M.  Bodin  ,  cjui  a  publié  en  i  8  i  2 
des  recherches  intéressantes  sur  Saumur,  et  enfin  de  tous 
ceux  qui  ont  écrit  dans  le  pays  et  qui  ont  été  à  portée  d'exa- 
miner l'aspect  des  lieux,  quoique  plusieurs  aient  ignoré 
les  recherches  de  Ménage,  ou  ne  les  aient  point  citc^s: 
tandis  qu'au  contraire  Delisle,  d'Anville,  et  les  autres  géo- 
graphes qui  les  ont  suivis,  n'en  ont  tenu  aucun  compte; 
et,  adoptant  le  sentiment  de  Valois,  ils  ont  tracé  sur 
leurs  cartes  de  la  Gaule  les  cours  de  la  Loire  et  de  la 
Vienne  tels  qu'ils  existent  aujourd'hui.  Soumettons  ceci 
à  \\w  nouvel  examen  :  essayons  de  prouver  que,  si  les 
géographes  n'avoient  pas  entièrement  tort  de  ne  point 
céder  aux  raisons  des  anticjuairesdu  pays,  ceux-ci  étoient 
encore  mieux  fondes  à  ne  point  se  rendre  aux  tlécisions 
des  géographes. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  37$ 
En  effet,  les  antiquaires  du  pays  soutenoient  que  la 
Loire  avoit  changé  son  cours,  sans  expliquer  comment 
ce  changement  avoit  eu  lieu ,  et  il  étolt  bien  difficile  aux 
géographes  d'admettre  le  changement  de  lit  d'un  grand 
fleuve  sur  une  longueur  de  quarante  mille  toises.  D'un 
autre  côté,  des  débris  d'amphithéâtres  Romains  trouves  à 
Doué  ,  le  camp  Romain  découvert  près  de  Chènehutte, 
ont  égaré  les  antiquaires  dans  leurs  recherches,  et  ils  ont 
voulu  placer  au  midi  de  la  Loire,  et  bien  loin  de  sa  vé- 
ritable position,  une  station  Romaine  nommée  /?o^r/V(7, 
qui  se  trouvoit  au  nord  de  la  Loire,  sur  la  route  de 
Casarodunum  [Tours]  à  Juliomûgus  [Angers],  route  dont 
il  reste  encore  des  vestiges.  Cette  faute  étoit  d'autant  plus 
grave,  que  les  mesures  des  itinéraires  Romains  donnés 
par  la  Table,  relativement  à  la  station  de  Robricci,  sont 
très-exactes  ,  et  que  M.  d'Anville  avoit  très-bien  déter- 
miné cette  position,  quoiqu'il  se  fût  égaré  avec  Valois, 
relativement  au  véritable  cours  de  la  Loire  dans  les  temps 
antiques. 

Enfin  les  auteurs  du  pays,  en  adoptant  la  coïijecture 
de  Valois,  relativement  à  la  position  du  lieu  nommé  Munis 
dans  les  Actes  de  la  vie  de  S.  Florent,  se  mettoient  dans 
l'impossibilité  d'expliquer  d'une  manière  satisfaisante  un 
passage  de  la  Vie  de  ce  saint;  et  ils  fournissoient  ainsi 
aux  géographes  une  objection  qu'il  étoit  impossible  de 
résoudre. 

Je  commencerai  par  tracer  l'histoire  des  changemens 
qui  se  sont  opérés  relativement  au  cours  de  la  Loire,  et 
j'expliquerai  aussi  les  causes  qui  les  ont  produits.  Je  pas- 
serai ensuite  aux  preuves  détaillées  des  faits  que  j'aurai 


37^  MÉMOIRES  DE  L'ACADf.MIE 

avances;  ce  qui  me  donnera  occasion  d'cclaircir  les  points 

de  gcograpliie  ancienne  et  du  moyen  âge  qui  se  rattachent 

le  mieux  à  mon  sujet,   et  dont  quelques-uns  jettent  un 

nouveau  jour  sur  certains  cvénemens  de  notre  histoire, 

et  nous    montrent   l'origine    de    plusieurs    lieux   encore 

existans. 

Si  l'on  considère  le  cours  des  •rivières  de  l'Indre  et  du 
Cher,  qui  se  jettent  dans  la  Loire  à  l'ouest  de  Tours, 
on  verra  qu'elles  ne  s'y  versent  pas  par  une  seule  em- 
bouchure, mais  qu'elles  communiquent  leurs  eaux  au 
fleuve  principal  par  plusieurs  bras,  qu'elles  s'enlacent  en 
quelque  sorte  avec  lui  en  lormant  diverses  îles  :  celles 
qu'entoure  le  Cher  sont  sur-tout  très -considérables ,  et 
les  deux  plus  grandes  prennent  les  noms  dlle  de  Bretlie- 
riioiit  et  dî/e  Je  Bcrlhcnay.  Avant  les  travaux  qui  ont,  à 
l'ouest  de  ces  îles,  restreint  dans  un  seul  lit  les  cours  de 
la  Loire  et  des  rivières  qui  se  joignent  à  ce  fleuve  ,  ce 
cours,  depuis  Saint-Patrice  jusqu'à  Candes ,  ctoit  celui 
de  l'Indre;  la  Loire  passoit  au  pied  du  coteau  où  se 
trouvent  Restignc  et  Bourgueil  ;  et  la  rivière  qui  depuis  a 
pris  le  nom  de  Unie ,  marque  aujourd'hui  l'ancien  thalweg 
ou  le  profond  du  fleuve.  La  \'ienne  ,  après  avoir  reçu 
à  Candes  les  eaux  de  l'Indre,  de  la  Loire  et  du  Cher 
réunis,  en  continuant  son  cours,  avoit  à  Candes  une 
première  communication  directe  avec  la  Loire ,  et  elle 
formoit  une  première  grande  île,  où  se  trouvent  actuelle- 
ment Varenne,  Chouzé  et  Chapelle-Blanche.  Cependant 
la  Vienne,  en  continuant  à  couler  vers  l'ouest,  recevoit  le 
Thouet  près  de  Saumyr;  et  la  Vienne  se  joignoit  aussi  à  la 
Loire  par  plusieurs  bras  dont  des  marais  nous  montrent 

encore 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      377 

encore  aujourd'hui  la  trace.  La  Loire  couloit  alors  dans  le  i 

lit  actuel  de  l'Autliion,  mot  qui,  dans  le  langage  du  pays,  1 

signifie  nuirais;  elle  recevoit ,   près  de  Longue,  la  petite 

rivière  de  Latan.  Ces  îles  ainsi  formées  par  l'Indre  et  la 

Loire,  et  sur-tout  par  la  Vienne  et  la  Loire,  étoient  trop 

considérables  pour  n'être  point  cultivées  ;  elles  faisoient 

partie  d'un  canton 'particulier  fort  célèbre,  et  dont  il  est 

souvent  fait  mention  dans  l'histoire  du  moyen  âge ,  sous 

le  nom   de    Vcillica   ou    Valhigia,    qui,  dans    nos   temps 

modernes  ,  a  conservé  le  nom  de  vallée  d'Anjou. 

Mais,  dans  tous  les  temps,  la  Loire  a  été  assujettie  à 
des  débordemens  considérables.  «  La  Loire,  dit  Coquille,  j-ihtoircdc Ni- 
»  fait  grand  dommage  par  son  inconstance;  car,  étant  ^'""'"'■ 
»  sablonneuse ,  et  ses  rives  étant  de  terre  légère  ,  elle 
»  change  souvent  son. cours  et  son  profond  ,  jetant  grande 
»  quantité  de  sable  es  lieux  où  souloit  être  le  profond, 
»  et  faisant  profond  les  lieux  où  souloit  être  le  sable.  »  ^ 

Nos  annales  ont  souvent  occasion  de  rappeler  les  désastres     Ménage,  Hh- 
^  euve  a  laits  a  dinerentes  époques,  et  un  capitu-  ^ag.zp. 

laire  de  Louis-ie-Débonnaire  nous  apprend  que  dès-lors 
on   s'occupoit  de  grands    travaux  pour   les    prévenir:   il     Cd^kuLu-m  re- 

onnoit  que  1  on  lit  choix ,  pour  cet  objet ,  d  un  homme  eJ.  Stepkw.  Ba- 
habile  et  expérimenté,  ut  bonus  tnissus  de  aggerihus  juxta  ''^^■^"""■'•i"'g- 
Ligerim  facicndis  eidem  operi  praponatur. 

Les  habitans  de  la  vallée  furent  donc  obligés  de  cons- 
truire des  digues  et  des  levées  pour  se  défendre  contre 
les  invasions  des  fleuves  qui  arrosoient  leurs  possessions; 
mais  ,  à  l'ouest  de  Bourgueil  ou  BurguUum  ,  divers  motifs 
portoient  ces  habitans  à  diriger  principalement  leurs  efforts 
contre  les  cours  d'eau  qui  entouroient  au  midi  les  grandes 
Tome  VI.  B  » 


578  MIMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

îles  qui  formoiciit  pour  eux  d'importantes  possessions, 
depuis  Candes  jusqu'à  Angers.  En  efff t ,  c'titoient  l'Indre, 
la  Vienne  et  le  Thouet,  réunis  dans  le  cours  mcridional, 
qui  augmentoient  le  plus  la  masse  des  eaux  et  coniri- 
buoient  le  plus  aux  inondations;  il  ctoit  donc  nécessaire 
de  les  contenir.  Du  côte  du  nord,  la  Loire  ne  recevoit 
en  quelque  sorte  que  des  ruisseaux*  et  pas  une  seule 
rivière  considcrable.  A  cette  raison  physique  s'en  joignoit 
une  toute  politique  :  les  comtes  d'Anjou  ,  possesseurs  de 
/</  vdlléc ,  et  souvent  en  guerre  avec  les  comtes  deSaumur 
et  de  Poitou,  avoient  un  grand  inicrct  à  fortifier  le  bras 
mcridional  des  rivières  qui  entouroient  les  îles  de  cette 
vallée,  et  qui  formoieiit  la  limite  de  leurs  possessions  de 
ce  côté.  Ils  construisirent  des  forts  et  des  châteaux  le  long 
des  rivages  de  la  Vienne  et  de  l'Indre  ;  ils  donnoient  de 
grands  encouragemens  à  ceux  qui  s'établissoient  sur  les 
levées.  Un  d'eux,  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  en  \  i6o  , 
alla  m<}me  jusqu*à  exempter  d'impôts  et  du  service  mili- 
taire ceux  qui  résidoient  sur  les  jetées  ,  et  il  ordonna 
des  travaux  considérables  pour  contenir  le  fleuve.  C'est 
de  cette  époque  que  datent  les  grands  changemens  qui  se 
firent  alors  dans  le  cours  de  la  Loire. 

Néanmoins,  dans  le  Mv.*"  siècle,  depuis  l'an  1328  jus- 
qu'à l'an  1350,  il  s'en  lit  encore  de  plus  considérables, 
et  ce  sont  ceux-là  qui  ont  déterminé  l'état  actuel.  A  cette 
épo(}ue,  Philippe  de  Valois  réunit  l'Anjou  à  la  couronne. 
Ce  roi  fit  abattre  la  foret  de  Bcaufort ,  et  ordonna  l'ouver- 
ture des  tranchées  nécessaires  pour  l'écoulement  des  eaux; 
les  marais  entre  la  levée  nouvellement  faite  et  l'Authion 
furent  desséchés.  Une  maladie  contagieuse  ayant  régné  en 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  379 
même  temps  à  Baiigé,  à  Mouiiherne,  un  peu  au  nord  de 
Beaufort,  et  dans  d'autres  lieux  voisins,  beaucoup  d'ha- 
bitans  cmigrèrent  dans  la  vallée,  et  s'en  trouvèrent  bien. 
Elle  se  couvrit  d'habitations ,  et  l'on  n'épargna  plus  rien 
pour  protéger  des  richesses  agricoles  qui  s'augmentoient 
chaque  jour.  On  bâlit  deux  rangs  de  pilotis  réunis  par 
de  fortes  pièces  de  charpente.  Cette  construction  a  duré 
près  de  quatre  cents  ans,,  puisque  ce  n'est  qu'à  la  fin  du 
xvil.^  siècle  que  l'on  a  commencé  à  substituer  à  ces  murs 
des  empatemens  en  forme  de  glacis  ,  auxquels  on  tra- 
vailloit  encore  en   1740  et  en   lyii- 

On  voit,  d'après  cet  exposé,  ce  qu'une  longue  suite  de     v<,ycz  Endin, 
tmvaux,  toujours  diriges  dans  le  mcme  but,  a  du  produire.    „-^„„  sur  Snu- 
Peu  à  peu  l'Indre  et  la  Vienne,   contenus  par  de  fortes   '1'^^:^'; ""-' ' 
digues,   n'ont  plus  versé  leurs  eaux  dans  la  vallée;  les 
bras  par  où  ces  rivières  communiquoient  avec  la  Loire, 
au  nord,  ont  disparu;  et  le  cours  qui  s'appeloit  la  Loire, 
ne  recevant  plus  les  eaux  de  l'Indre  et  de  la  Vienne  réunis, 
s'est  affoibli,  jusqu'à  ce  qu'enfin  la  communication  même 
de  ce  cours  septentrional  avec  le  cours  méridional  a  été 
coupée  près  de  Saint-Patrice  :  alors  les  rivières  de  Loire 
et  de  Latan  ont  continué  de  couler  dans  l'ancien   lit  de 
la  Loire,  et  ont  formé  l'Authion;  les  eaux  de  la  Loire 
se  sont  écpulées  dans  le  lit  formé  par  l'Indre  et  la  Vienne  , 
qui,  se  trouvant  alors  non-seulement  le  cours  le  plus  con- 
sidérable ,  mais  même  le  seul,  a  dû  prendre  le  nom  de 
Loire.  La  Vienne  alors  a  perdu  son  nom  à  Candes,  et  s'est 
réunie  dans   cet   endroit   à   la  Loire,  Ensuite,  la  levée , 
fortifiée    d'un    mur,    étant   devenue  un   chemin  public, 
l'ancienne  voie  Romaine  s'est  détériorée  entre  Tours  et 

B'ij 


3So  .Ml.MOlRtS  DE  L'ACADÉMIE 

Angers;  la  mute  qui  tormoit  la  communication  entre  ces 
deux  villes,  fut  transportée  plus  au  midi,  décrivit  un  plus 
grand  circuit ,  et  suivit  l'ancien  cours  de  hi  Vienne,  désor- 
mais nommée  Loire. 

Ce  résumé  historique,  lorsqu'on  a  devant  les  yeux  un 
levé  topographique  de  ce  pays  ,  suffit  pour  démontrer 
ce  que  nous  avançons  ici  sur  les  changemens  de  cours  et 
de  dénominations  qu'ont  éprouvés  la  Loire  et  la  Vienne  : 
mais  nous  allons  l'appuyer  par  des  preuves  encore  plus 
positives. 

Candes  [Conddte] ,  au  confluent  de  la  Vienne  et  de  la 
Loire,  s'étend  davantage  sur  les  rives  de  ce  dernier  fleuve, 
et  cette  ville  est  réputée  située  sur  la  Loire.  A  l;i  lui  cki 
iv.'=  siècle,  ce  lieu  passoit  pour  être  situé  sur  la  Vienne.  En 
effet,  nous  lisons  dans  Grégoire  de  Tours  que,  S.  Martin 
de  Tours  étant  mort  à  Conddte  [Candes],  les  Touran- 
geaux et  les  Poitevins  [Turonici  et  PicUivi]  se  disputèrent 
son  corps.  Les  Turonici,  s'étant  emparés  de  ConJûte ,  pla- 
cèrent le  corps  du  saint  dans  un  bateau  ,  et  descendirent 
la  Vienne,    dit   l'historien;    ils    entrèrent  ensuite   dans 
la   Loire  ,  et  remontèrent  jusqu'à  Tours.  I^itur  Turonici 
ddprchcnscvn  corporis  glcb<wi ,  posiUiniquc  in  udvi ,   ciini  omni 
populo,  per  Vingemiiim  jîuviuni  descenJunt  ;  ingressicjue  Lii^cris 
iiheum ,  ad  urbeni    Turonicam  cum  nugiiis  Liudibus  psallen- 
tioijuc  dirigunt  copioso  (i).    Il  est  évident  que  les  Touran- 
1   Grrpon,   geaux  descendirent  dans  la  Loire  par  le  bras  de  la  Vienne 
KZJ^Z-   qui,  vis-à-vis  Candes,  conduisoit  dans  ce  fleuve,  et  qui, 
rxm.m.i.  cap.   aujourd'hui  Considérablement    affoibli  ,    n'est  plus   qu'un 
Hm.  df  Fr.   petit  ruisseau  nomme  le  Bict ,   qui  communique  avec   un 

ttm.  Il ,  p.  I  i-- 

*i  ijj-  (i)   Li  date  de  cet  événement  est  de  l'an    395. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      581 

autre  ruisseau  nomme  le  Lane ,  foible  reste  du  magnifiqu^ 
fleuve  qu'il  représente.  Ce  passage  de  Grégoire  de  Tours 
est  celui-là  même  dont  Hadrien  de  Valois  s'autorise  pour 
prononcer  le  jugement  que  nous  avons  rapporté  plus  haut. 
Il  est  bien  difficile  de  comprendre  quelque  chose  à  son 
raisonnement;  car  ce  passage  démontre  bien  certainement 
que,  dans  le  iv.^  siècle,  la  Vienne  conservoit  son  nom  à 
Candes. 

La  Vienne  conservoit  encore  son  nom  à  Saumur  vers 
le  milieu  de  ce  même  siècle ,  puisqu'une  histoire  manuscrite 
de  S.  Florent,  citée  par  La  Sauvasère  (i),  d'accord  en  cela    J-^  S.mvgire , 
avec  la  chronique  du  monastère  et  d'autres  monumens   nqms.irc.  yg. 
de  temps  postérieurs,  que  nous  citerons,  fait  mention  du 
château  de  Saumur  situé  sur  la  Vienne. 

La  Vienne ,  dans  le  x.*  siècle ,  conservoit  son  nom  à 
Saint- Martin  de  Saint -Maur,  à  cinq  lieues  ou  dix  mille 
toises  à  l'ouest  de  Saumur,  puisqu'un  titre  de  l'an  1090, 
rapporté  par  Ménage,  nous  apprend  que  Foulques  comte 
d'Anjou  restitua,  en  950,  aux  moines  du  monastère  de 
Saint-Maur,  une  île  entre  la  Loire  et  la  Vienne.  Reddidit 
ipsis  insulam  iiiter  Ligermi  jiuvium  et  Vigeimam.  Qudtenus 
monasterio  ipsorum  insulam  non  longé  ab  eodem  loco  inter 
Ligerini  fuviuni  et  Vigennam  existe/item  redderem ,  ac  proprio 
viutiere  red^iitam  corrohorarem.  Ainsi  donc  Saint-Martin  de 
Saint-Maur  étoit  situé  sur  la  Vienne  ,  et  non  sur  la  Loire, 
comme  aujourd'hui. 

D'un  autre  côté,  nous  avons  des  preuves  que,  même 
encore  dans  le  xi.^  siècle,  la  Loire  couloit  dans  la  direction 
de  l'Authion.  En  effet,   il   existe  un  titre   concernant  la 

(1)  licite  \e  folio  j8  de  la  Vie  manuscrite. 


'^ 


^Sî  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

M(mie(.lii<    tomlafioM  d'un    prieuré,   du  temps  de  Geoffroi   Martel, 
ru.  ^;4.  comte  d'Anjou  ,  de  l'an  1040,  où  il  est  parle  du  bourg  de 

1.1  j;/(.r,ij..-r, ,  yp/t^ie  comme  étant  situé  sur  la  Loire  :  Ilem  ex  nlterd  ripa 

Re^hen-hti  Aisti'-  n      n 

ri^ucs  ei  criii^.   ejus  jiuminis  Ligeris  ecclesiam  Mtisidci  in  Iwiwrcm  S.  Pétri. 

fig.  /<v.  j^^  bourg  de  Mazc,  situé  sur  les  bords  de  l'Authion  et  à 

près  de  trois  mille  toises  de  la  Loire  actuelle,  étoit  donc 
sur  les  bords  mêmes  de  la  Loire,  et  à  près  de  trois  mille 
toises  de  la  Vienne  d'alors. 

Les  détails  de  la  guerre  entre  Foulques  comte  d'Anjou, 
et  Geldiiin,  commandant  de  Saumur,  en  1025  ,  prouvent 
aussi  invinciblement  que  la  Loire  coulnit  alors  dans  le 
lit  actuel  de  l'Authion  ;  et  il  est  d'autant  plus  nécessaire 
de  donner  quelque  développement  à  cette  preuve,  qu'elle 
n'a  été  aperçue  par  aucun  de  ceux  qui,  d'après  l'aspect 
des  lieux,  ont  su  discerner  quel  étoit  l'ancien  cours  de 
la  Loire. 

Je  tire  le  récit  que  je  vais  faire,  de  l'Histoire  du  mo- 
nastère de  Saint-Florent  près  de  Saumur,  écrite  dans 
le  xii.'  siècle  par  un  moine  anonyme,  et  insérée  dans 
le  tome  V  de  la  collection  de  D,  Martène,  col.  i  i  i  3  ,  et 
dans  le  tome  X,  pag.  265,  de  |a  collection  des  Historiens 
de  France. 

Gelduin  ,  jeune  Danois,  auquel  Eudes  II  avoit  confié 
le  commandement  du  château  de  Saumur,  s'étoit  rendu  re- 
doutable à  Foulques  comte  d'Anjou  par  ses  incursions  répe- 
lées. Fouhjut'S  lève  une  armée  considérable,  et  marche  sur 
Saumur.  Gelduin  envoie  demander  une  trêve  à.  Foulques: 
celui-ci  l'accorde  ;  mais,  craignant  que  cette  demande  ne 
cachât  quelque  ruse,  il  fit  construire,  près  de  l'endroit 
nommé  Clcmcntinum  ,wn  lieu  nommé  Trevas :  i^Wt  est  l'ori- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  383 
gine  du  lieu  nommé  Trêves ,  qui  existe  encore  aujourd'hui 
sur  Ja  rive  méridionale  de  la  Loire  actuelle ,  et  vis-à-vis 
Saint- Clément ,  qui  est  le  Clemetitiiiitm  ou  Cleineiitiniaaim 
hcumde  l'historien  du  monastère  de  Saint-Florent  (i).  Cet 
historien  a  soin  de  nous  instruire  en  même  temps  que, 
sous  les  anciens  rois  de  France,  la  région  Angevine  et 
Neustrienne  étoit  limitrophe  de  la  viguerie  de  Saumur. 
Nd/n,  â  priscis  Fraiicia  regum  temporibus ,  Andegavam  atqiie 
Neustriam  rcgionem  libéré  tencntiurn  à  castro  Salmuro ,  poli- 
tissimûm  domitiationeTU  vidgariter  Vicariam  dictam  terminabat 
Gegitiû  vicus.  Par-là  nous  apprenons  que  le  ruisseau  ou 
le  torrent  assez  large  qui  est  près  de  Saint-Vétérin  de 
Genne,  le  GeaÀim  vicus  de  l'historien  de  Saint-Florent, 
formoit  la  limite  du  Saumurois  et  de  l'Anjou.  Ce  torrent 
est  tracé  sur  la  carte  de  Cassini  ;  mais  on  a  oublié  d'écrire 
son  nom  :  il  ne  se  trouve  ni  dans  le  volumineux  voca- 
bulaire de  d'Expilly ,  ni  dans  celui  de  Prudhomme  ;  mais 
Guillaume  Delisle  ne  l'a  point  oublié  sur  sa  carte  spé- 
ciale :  il  nous  apprend  que  ce  ruisseau  se  nomme  Avor. 
Ceci  justifie  l'observation  que  nous  avons  faite  ci-dessus , 
que,  sous  les  rapports  politiques  et  guerriers,  la  partie  du 
fleuve  qui  entouroit  la  vallée  au   midi ,  avoit  plus  d'im- 


(i)  Il  est  remarquable  que  Trêves 
et  Saint-Clément  ne  sont  qu'à  mille 
toises  au  nord  de  Chènehutte,  où  les 
Romains  avoient  construit  une  sta- 
tion et  un  camp.  (  Koytrj  La  Sauva- 
gère,  Recherches  sur  un  camp  Ro- 
main, dans  le  Recueil  de  dissertations 
ou  recherches  historiques  et  critiques , 
de  87  à  126.  Bodin,  Recherches  sur 
lu  ville  de  Saumur,  chap.  VI ,  pag.  6  i , 


et  pi.  2,  et  pag.  4--)  On  a  trouvé 
aus#des  vestiges  de  construction  Ro- 
maine prés  de  l'église  de  Saint-Vété- 
rin (tom.  I ,  pag.  4  '  )•  ïï  £5t  question 
de  Clioy.acum  ,  de  Sancti-A'Iartini  et 
de  Sancd-  Lamberti-de-  Platea  dans 
les  titres  du  XI.'  siècle  (La  Sauva- 
gère,  pag.  103).  licite  le  cartulaire 
violet  de  l'église  cathédrale  d'An- 
gers, fol.  81)8. 


c 


3  84  MÉMOIRES  DE  LACADKMIE 

portancc  que  celle   qui  arrosoit  sa  parlie  septentrionale. 
Mais  continuons  le  rccit  des  expcdilions  Je  Foulques. 

Ce  comte,  cinq  ans  après  la  trêve  dont  il  vient  d'ctre 
question  ,  avoit  construit,  du  côté  de  Tours,  un  fort  sur 
le  sommet  du  Mont-Budel  (i).  Odo,  comte  de  Tours  ,  en 
fil  If  sicge.  Foulques  marcha  contre  lui.  Odo  appela  à  son 
secours  les  habitans  de  Saumur  et  de  Chinon.  Foulques, 
parvenu  avec  son  armée  </^  v'tlLwi  Brcnoldem ,  qui  eslBnii/i- 
sur-Alloiine ,  apprend  que  Saumur  est  dégarni  de  troupes; 
alors  il  se  décide  sur-le-champ  à  retourner  sur  ses  pas, 
et,  dit  l'historien  ,  traversant  à  gué  la  Loire  et  la  Vienne, 
il  assiège  inopinément  le  château  de  Saumur,  le  livre  aux 
tlainines,  et  enlève  le  corps  de  S.  Florent. 
ColUcihn  dt>  Ciiinqtie  Fitlco  jam  villam  BrcnoUcm  lUtigissct ,  obvium 
iv'm..\  .p^îb's'.  qucmdam  Inibitit  <]ui  Fniticos  irtult'ipliciores  et  tuulto  mimcro- 
siores  iiumeravit,  Tnm  Fulco,  Siilrriiiruin  vûcuum  esse  solum 
cogitans ,  retrogressitm  dirigit,  Ligcriqiie  oc  Vigcimâ  trans- 
vadaùs ,  cum  gravi  exenilu  iiisperatè  cdstcllum  obsidens  vi 
iiccepit ,  et  à  Ciislro  ruiihim  incendii  fuiiditus  perpcssuro  reve- 
rendiim  pntris  Florentis  glcbiim  cxtnixit. 

Pour  que  Foulques,  qui  se  trouvoit  à  Brain-sur-Allonne, 
et  (]ui,  ncisaiU  aucun  obstacle  à  redouter,  marchoit  droit 
sur  Saumur,  eût  la  Loire  et  la  Vienne  à  traverser,  il  falloit. 


(i)  Valois,  dans  sa  Notic^Sdes 
Gaules  ,  au  mot  Sierra ,  traduit 
Mont-Biidd  par  Mrmbtclco»  Mont- 
brole ;  mais  Ménage,  dans  son  Hit- 
tflire  de  Sul'lé ,  pag.  i28  ,  réfute  très- 
bien  celte  opinion.  Mcn.ige  dit  que  , 
dans  une  ancienne  version  Fran(;aisc 
des  Gestes  des  comtes  d'Anjou, 
AIoiis-BudtUi  est  traduit  par  Alont- 


Filtrai/.  On  ne  sait  pas  où  ëtoit  ce 
lieu.  Maan,  dans  la  Vie  de  Hugues  de 
Châteaudun,  archevêque  de  Tours, 
l'a  appelé  liiirdluin.  M.  Carreau  ,  dit 
Ménage,  prétend  que  c'est  Mont- 
Boyau  ,  terre  qui  appartenoit  aux  cha- 
noines de  Tours,  et  qui  étoit  située 
dans  le  lieu  appelé  Poni-dc-la-Moiif. 


ainii 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      385 

ainsi  que  nous  l'avons  démontré,  que  l'Aiithion  fût  la 
Loire,  et  que  le  bras  de  rivière  qui  se  trouvoit  devant 
Saumur,  se  nommât  A;  Vienne,  et  non  lu  Loire,  comme 
aujourd'hui. 

Nous  avons  donné  des  preuves  multipliées  que  hi  Loire 
couloit  autrefois  dans  le  lit  de  l'Authion,  et  que  Ja  Loire 
actuelle,  à  l'ouest  de  Candes,  portoit  jusque  près  d'An- 
gers le  nom  de  Vienne;  il  s'agit  actuellement  de  suivre 
ces  changemens  de  dénomination  à  travers  les  siècles. 

J'ai  dit  précédemment  qu'après  l'ordonnance  rendue 
en  1160  {i)  par  Henri  II,  roi  d'Angleterre  et  comte 
d'Anjou  ,  les  travaux  pour  contenir  cette  partie  du  cours 
du  fleuve  alors  nommé  Vienne  et  qui  depuis  a  pris  le  nom 
de  Loire,  se  multiplièrent  :  cependant  les  levées  qui  furent 
faites  alors,  n'étoient  point  par-tout.praticables  vers  la  fin 
du  XIII. *"  siècle,  puisque  Guillaume  Le  Maire,  nommé 
alors  à  l'évéché  d'Angers ,  en  allant  faire  confirmer  son 
élection  à  Tours,  passa  parBrion  etBourgueil,  c'est-à-dire, 
par  l'ancienne  route,  ou  la  voie  Romaine,  dont  il  reste 
encore  des  vestiges.  Cependant ,  dès  le  xil.^  siècle ,  les 
vers  de  Guillaume  le  Breton  que  nous  avons  déjà  cités,  Ci-desm.iwg. 
démontrent  que  la  Vienne  perdoit  son  nom  à  Saumur:  ^^'' 
par  conséquent,  toute  la  partie  du  cours  de  la  Vienne  qui 
se  trouvoit  à  l'ouest  de  Saumur,  étoit  assez  considérable      CoUamn  des 

c ,        ,  r      j-     •  T  •  r       R  /(  Hiit.  dt  France, 

pour  prendre  le  nom  aç^  Loire.  Jean,  moine  de  Marmou-  wm.x.v.  24s. 

tier,  qui  a  écrit  une  chronique  des  comtes  d'Anjou  [ex  ^Afdcmraurl'm. 

gestis  consulumA  ndegavensium]  xevs  le  milieu  du  xii.^ siècle,  "/""'"  ^^''  ^' 
dit,  en  parlant  du  Thouet,  que  cette  rivière  coule  entre 

(i)  Le  texte  de  cette  charte  importante  se  trouve   dans  l'Histoire  de 
Sablé,  pag.  376. 

Tome  VI.  C? 


î86  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

le  clià(t;ui  de  Saiimur  et  l'abbaye  de  Saint-Florent,  et  se 

dcchurge  dans  la  Loire.  Secundo  jurtivit  quod  coiiiitiitus  du- 

rabat  ôh  oc  ci  dente  à  jhivio  Toëdo  nomi/ie,  qui  in  ter  Siilmurum 

ctjstrum  et  idéatiani  Snncti  Florentii  tiff/uil.  et  sic  in  Li^crim 

ûffluit.  Nous  voyons,  par  ce  passage,  que  l'embouchiire  du 

Bo.i,n.  Reih.   Thouet  n'a  c'prouvc  aut.  u II  chanL'ement,  et  que  M.  Bodin 

l'tg.  si,.  th,ii>.  a  tort  de  supposer  des  sinuosités  A  ce  neuve  pour  reprc- 

'         senter  son  ctat  ancien;  il  ne  faut ,  pour  expliquer  cet  ctat, 

que  rendre  le  nom  de  Vienne  à  cette  partie  ^\y\  cours  de  la 

Loire  où  il  se  jette. 

Mais,  si  toute  la  partie  du  cours  de  ce  fleuve  qui  est  à 
l'ouest  de  Saumur,  a,  de  bonne  heure  et  dès  lexii.'  siècle, 
pris  le  nom  de  Z.o/>f  qu'il  porte  aujourd'hui,  l'autre  partie 
qui,   à  l'est   de   Saumur,    se   nomme  aujourd'hui   Loin , 
a  ,  pendant  bien  plus  long-temps ,  conservé  jusqu'à  cette 
ville  le  nom  de  Vienne.  Ainsi,  au  xili.'^  siècle,  du  temps 
de  S.  Louis,  la  Vienne  conservoit  encore  son  nom  jus- 
qu'à Saumur,  puisqu'un  titre  de  l'abbaye  de  Saint-Florent 
Je  Saumur  fait  mention  d'un   pré    situé  en  Offiirt  sur  la 
\oyciUXiu-  Vienne:  or  l'île  qui  porte  le  nom  d'Cj^lirt,  aboutit  au  bout 
'7'/"^)  des   ponts  des   faubourgs    de  Saumur.  Enfin   l'usage  de 
l'V  f/'        ■   conserver  à  la  Vienne  son   nom  jusqu'à  Saumur  subsista 

uf  .l.J.Vf    /:  2J2.  '  1 

long-temps  après  que  le  bras  nord  de  la  Loire,  où  elle 
se  réunissoit  avec  ce  fleuve,  eut  disparu,  et  eut  été  dé- 
tourné et  desséché.  Un  nommé  Hourneiiu ,  dans  un  livre 
imprimé  à  Saumur  en  i  6  i  S  ,  intitulé  le  Deluxe  de  Sduniur, 
•  Piig.  fS.  dit':  »  La  Vienne  entre  en  Loire  à  Candes,  et  ne  perd 
'•flo,/»,,  Rt,i,.   ^  ^j,^  qu'au-dessous  de  Saumur''.  »  Ménage,  dans  son 

•<-  Histoire  de  Stf/de,  imprimée  en  1683,  nous  dit  que,  de  son 

temps,  les  mariniers  de  la  Loire,  en  parlant  du  cours  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  387 
ce  fleuve  entre  Candes  et  Saunuir ,  l'appellent  encore  la 
rivière  de  Vienne.  -   a^-:  .-■  ->■ 

Il  semble  que  nous  devrions  terminer  ici  cette  discus- 
sion ,  et  qu'il  n'y  a  plus  aucun  doute  sur  l'objet  que  nous 
nous  sommes  proposé  d'cclaircir  :  cependant  il  reste  en- 
core une  grande  difficulté  à  résoudre,  et  qui  jusqu'ici  est 
restée  sans  réponse.  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Florent 
rapporte  que  ce  pieux  ermite  reçut,  vers  l'an  370,  d'un 
ange,  l'ordre  de  se  fixer  dans  la  grotte  de  Mont-Glonne.,  où. 
l'on  a  depuis  bâti  Saint- F/ore/a- le- Vieil ,  au  sud-ouest 
d'Angers.  S.  Florent  avoit  counime  d'aller  visiter  tous  les 
ans  l'évcque  de  Tours,  depuis  si  célèbre  sous  le  nom  de 
S.  Alartin.  Dans  un  de  ces  voyages,  l'ermite  Florent  fit  un 
miracle  fameux  en  détruisant  un  serpent,  la  terreur  de  la 
ville  de  Murus ,  située  sur  la  Loire,  Florentins  venit  ad  Vm  s.Fioren^ 
locum  (jui  viilgo  voaUiir  murus,  super pivium  Ligens  sitiim;  viu ,  Hadriani 
tter  auteni  agens ,  vemt  ad  fiunien  Vtgennani ,  ad  locum  rjui  „,„_^,.  ^^7. 
^/V//ttr  Condata.  Valois  est,  je  crois,  le  premier  qui  ait 
avancé  que  ce  lieu  nommé  Murus  dans  les  Actes  de  la 
vie  de  S.  Florent  étoit  Saunîur  ou  Salniurus ;  et  cette  con- 
jecture a  été  adoptée  universellement  par  les  historiens 
d'Anjou,  et  de  Saumur  en  particulier.  Mais  si,  dans  le 
IV. ^siècle,  Murus  étoit  le  ïï^èmçiïsu  c[ue  Sahnurus ,  puis- 
qu'il est  dit,  dans  l'historien  cité  plus  haut,  que  ce  der- 
nier lieu  etoit  situé'sur  la  Loire  (super fuvium  Ligeris  siru/nj-, 
il  n'est  donc  pas  vrai  que,  tout  le  cours  actuel  de  la  Loire, 
à  l'ouest  de  Candes,. se  nommât  la  Vienne,  ainsi  que  j'ai 
prétendu  le  prouver  par  les  monumens  de  siècle  en  siècle 
que  j'ai  rapportés'  Ménage  ne  sait  comment  répondre  à  Ajénage .  Hist. 
ce  passage,  et  il  s'embarrasse  dans  se&jaisonnemens  pour       "*  ''y-^^"- 

C'ij 
/ 


388  Mh.MOIl^CS  DE  L'ACADLMIE 

licmoiitrer  que  Saiiimir  pouvoit  ctre  à-ia-fois  situe  sur  la 
\  ieiine  et  sur  la  Loire.  1!  y  avoit  cepenJant  une  réponse 
facile  et  pcremptoire  à  faire  à  cette  objection.  La  voici  : 
L'identité  du  lieu  nommé  Murus  et  de  la  ville  de  Siilmurus 
est  non-seulement  une  assertion  dénuée  de  preuve,  mais 
on  peut  démontrer  qu  elle  est  fausse. 

Les  Actes  mêmes  de  la  vie  de  S.  Florent  nous  font  voir 
que  Aiurus  n'est  point  Salmuriis  :  et  ils  nous  apprennent 
aussi  que  ce  lieu  ,  dès  son  origine,  fut  réputé  situé  sur  la 
Vienne  et  non  sur  la  Loire  ;  ce  qui  confirme  tout  ce  que 
nous  avons  dit  jusqu'ici.  •*' 

Enfin  le  lieu  nommé  Murus  se  retrouve  encore  aujour- 
dluii ,  avec  le  nom  qu'il  portoii  du  temps  du  saint,  dans 
celui  qui  est  nommé  Murs  au  midi  d'Angers,  et  qui, 
dans  tous  les  temps,  a  été  situé  sur  la  Loire,  ainsi  que 
i'indi(]ue  la  Vie  du  saint.  Ce  lieu  est  nommé  A/rz/rj  dans  le 
grand  Dictionnaire  de  la  France  ded'Expiily,  et  dans  plu- 
sieurs ouvrages.  En  erfet,  le  lieu  nommé  Murus,  étant 
mentionné  dans  les  Actes  de  la  vie  de  S.  Florent,  existoit 
au  temps  de  ce  saint,  c'est-à-dire,  au  iv.*^  siècle,  et  il 
n'est  question  de  Saumur  dans  aucun  monument  antc- 
rieur  à  la  fin  du  vi.*  siècle ,  ou  même  au  commencement 
du  vu.'  siècle.  Dans  aucun  monument  Snlmurum  aistruni 
ou  Sdlmurus  ne  se  trouve  nommé  Alurus ,  et  l'on  ne  cite 
pas  même  une  seule  variante  qui  puisse  autoriser  cette 
dénomination  (i).  On  sait,  au  contraire,  que  Saumur  a 
dû  sa  première  origine  à  l'abbaye  de  Saint-Florent,  qui 
étoit  à   mille  toises  de   cette   ville   à  l'ouest,  ainsi  qu'au 

(i)  Dan»  un  des  titres  de  l'alibaye  I  Ménage  :   D.i  .;,/  sacrosanctàm  te 
de  Saint- Florent j  il  est  dit,  suivant  I  c/fj/wm  \i\    hononin    beati   Flonnrii 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  389 
château  nommé  Truncum  ,  situé  près  de  l'emplacement  où 
se  trouve  Saumur.  Ceux  qui  se  sont  occupés  de  l'histoire 
de  Saumur,  n'ont  point  ignoré  ces  faits;  mais  le  désir  de 
reculer  autant  que  possible  l'antiquité  d'un  lieu  devenu  le 
plus  illustre  et  le  plus  remarquable  de  ce  canton,  et  la 
manie  des  étymologies,  leur  ont  fait  adopter  sans  examen 
la  conjecture  de  Valois,  qui  veut  faire  dériver  le  nom  de 
Sahnurus  de  sahnts  munis,  et  rattacher  l'origine  de  cette 
ville  à  celle  du  lieu  nommé  Murus  des  Actes  de  la  vie 
de  S.  Florent.  II  est  assez  étrange  cependant  qu'on  ne 
se  soit  point  aperçu  que  cette  conjecture  se  trouvoit  en 
contradiction  non -seulement  avec  tous  les  monumens 
antérieurs  au  Xii.*  siècle,  mais  même  avec  les  Actes  de 
la  vie  de  S.  Florent  ,  le  seul  où  l'on  trouve  qu'il  soit 
fait  mention  du  lieu  nommé  Murus.  Il  est  dit  dans  ces 
actes  qu'Absalon  ,  moine  de  Saint-Florent-le-Vieil,  chassé 
de  son  couvent,  ainsi  que  ses  compagnons,  par  les  in- 
cursions des  Normands,  se  mit  en  devoir  de  transporter 
ailleurs  les  reliques  de  S.  Florent.  Il  s'arrêta  dans  un  lieu 
qui  appartenoit  au  monastère  de  Mont-Glonne  ou  de 
Saint- Florent.  Ce  lieu,  qui  est  celui-là  même  où  l'on 
a  construit  la  nouvelle  abbaye  de  Saint-Florent,  avoit 
à  l'est  la  Vienne,  et  à  l'ouest  le  château  nommé  Trun- 
cum. Habebûl  autem  locus  isîe  ab  occidente  (i)  castrum  nomine  Mrnngt , Hisi. 
Truncum';^/»  oriente  vero  memoraWn  Vigenn^jiuvium.  Nous  '  ''  '■f'-^'- 
voyons  dans  ce  passage  que  Saumur  n'est  pas  encore  désigné 


constructam  prope  imiruin,  in  loco  qui 
nuriciipiitur  Vadum  ,  super  Toarium 
fiumeii.  Ceci  prouve  seulement  que, 
dans  l'endroit  nommé  Vadum,  il  y 
avoit  un  mur  ou  une  digue  construite 


pour  retenir  les  eaux  du  Thouet  dans 
les  inondations.  Voye^l^énage, His- 
toire de  Sablé ,  liv.  Vlll ,  pag.  286. 

(i)   Plusieurs  corrigent  ici  le  texte, 
et   lisent  ab  oriente  Truncum  :  ils  se 


399  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

sous  son  nom  actuel,  et  que  la  partie  du  cours  Ju  fleuve 
qui  est  à   l'est  de  l'abbaye  de  Saint -Florent ,  qu'occupe 
ia  ville  de  Sauimir,   ctoit  nommce   Vienne  et  non  Loire: 
par  conséquent,  Sauniur  ne  peut  ciïQ  Murus ,  puisque  le 
mcme  auteur  dit  positivement  que  ce  dernier  lieu  ctoit 
situe  sur  la  Loire.  Florentius  venit  ud  locum  <]ui  viilgà  voctitur 
Murus,  super Jiuviiiiri  Ligeris sitttm.  Si,  au  contraire,  nous  pla- 
çons Alurus  à  Murs  au  midi  d'Angers  ,  dans  tous  les  temps 
sur  la  Loire  et  sur  le  chemin  du  saint  ermite  Florent ,  cjui 
se  rendoit  ,  en  suivant  ia  rive  mcridionaîc  du  fleuve  ,  à 
Conddtd  [Candes],  et  que  nous  nous  rappelions  en  même 
temps  qu'à  l't'poque  où  voyageoit  ce  saint,  et  mcme  long- 
temps après  ,  toute  cette  partie  du  fleuve  dont  il  suivoit 
les  rives,  entre  Angers  et  Candes,  se  nommoit  Vienne  et 
non  Loire  ,  comme  aujourd'hui ,  alors  nous  comprendrons 
pourquoi  l'auteur  de  la  Vie  du  saint  nous  dit  qu'après 
avoir  passe   Murus,  le  saint  arriva  sur  les  bords  de  la 
Vienne  [iter  autem  eigens,  venit  ad  Jhanen  Vigenmwi].  J'ai 
dit  que  le  lieu   Murs,  sur  nos  cartes  actuelles,  ctt)it  aussi 
appelc  Meurs  àims  plusieurs  ouvrages  et  sur  d'anciennes 
cartes;  et  ceci  me  donne  lieu  de  penser  que  si  l'identité 
du  lieu  Murus  et  Murs,  au  midi  d'Angers,  a  ctc  ignorée 
de  Valois  et  des  savans  des  xvii/  et  xvui.''  siècles,  elle 
étoit  connue  des   moines  de   l'abbaye  de  Saint-Florent 
dans  le  xvi.'  siècle.    L'antic|ue   église  de   cette  abbaye, 
dont  la  construction    fut  terminée  en    io4ii   et  qui  (ut 


Ibnilcnt  sur  ce  que  Truncum  est  l'.irc 
cicn  nom  de  Saumur  :  cependant  c't- 
loii  d'aprcs  ce  passage  que  D.  Hiiyncs, 
sans  y  rien  changer,  prciendoit  que 


la  tour  nomniéc  Truncum  n'cioit 
pas  dans  le  même  cniplaccnunt  que 
Saumur;  il  lapla^oit  presdeGrosley, 
qui  est  à  l'ouest  de  Saint- Florent. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      591 

démolie  en  1806,  rentermoit  une  grande  tenture  en  ta- 
pisserie où  l'on  avoit  représenté  S.  Florent  racontant  à 
l'évêqne  de  Tours  le  miracle  qu'il  avoit  opéré  dans  le 
lieu  nommé  Miiriis.  Au  bas  de  ce  tableau  on  avoit  brodé 
ces  quatre  vers  : 

A  Saint  Martin  ,  en  la  ville  de  Tours, 

Du  vil  serpent  repairant  près  de  Meur 

Fait  le  récit  par  parler  doux  et  meur, 

Puis  au  retour  Fe  chasse  en  long  détour- 
Cette  tapisserie,  qu'on  a  depuis  transportée  dans  l'église 
paroissiale  de  Saint-Pierre  à  Saumur ,  où  on  la  voit  encore  ,  vWez  DoMn. 
a  été  achevée  en  1524»  comme  ie  prouvent  les  registres 
de  l'abbaye  :  ainsi  donc,  à  cette  époque,  les  moines  de 
Saint-Florent  n'ignoroient  pas  que  le  lieu  nommé  Munis 
n'étoit  point  J'^wwwr,  mais  étoit  Meurs  ou  Murs,  au  midi 
d'Angers,  et  à  environ  dix  lieues  à  l'est  de  Mont-Glonne 
ou  de  Saint-Florent-le- Vieil. 

J'ai  cru  devoir  ne  rien  négliger  de  tout  ce  qui  pouvoit 
mettre  dans  son  jour  un  sujet  qui  concerne  un  chaniie- 
ment  important  que  les  travaux  des  hommes  ont  produit 
dans  la  géographie  naturelle  de  la  France  ;  qui  éclaircit 
plusieurs  pages  de  nos  annales,  jusqu'ici  restées  inintelli- 
gibles; qui  intéresse  l'histoire  de  deux  grandes  provinces, 
et  sur  lequel  repose  celle  d'une  ville  populeuse,  d'un 
grand  nombre  de  villages  et  de  paroisses,  ainsi  que  l'in- 
telligence des  titres  mêmes  des  propriétés  de  ceux  qui  les 
habitent  aujourd'hui.  Je  serai  beaucoup  plus  court  sur 'ce 
qui  concerne  la  voie  Romaine  ou  l'ancienne  route  de 
Tours  à  Angers. 


3<>i  .MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

J';ii  dit  qu'elle  s'cioit  dctruite,  et  que  ia  levée  construite 
le  loni;  des  bords  de  la  \'ienne  l'avoit  remplacée  ,  mais 
que  cependant  elle  existoit  encore  au  xiii.*^  siècle  :  aussi 
il  en  reste  des  vestiges  suflisans  pour  pouvoir  en  suivre  ia 
trace.  Elle  filoit  le  long  de  la  Loire  d'alors,  comme  la 
route  moderne  file  le  lone  de  la  Loire  actuelle.  On  la  con- 
noissoit  du  temps  de  Ménage,  qui  en  fait  mention,  sous 
le  nom  <y ancienne  levée  ruinée  :  mais  M,  Bodin  est  celui 
qui  s'en  est  occupé  avec  le  plus  de  zèle  et  de  succès; 
et  c'est  en  partie  d'après  ses  recherches  et  celles  de  La 
Sauvagère,  que  nous  allons  la  décrire. 

Entre   Tours  et   Saint -Patrice,  elle  étoit  à  peu   près 

la  même  que  la  route  actuelle,   parce  qu'en  effet    il    ne 

s'est  opéré  aucun  changement  dans  cette  partie  du  cours 

de  la  Loire;  seulement  elle  passoit  par  Luines,  tandis  que 

la  route  actuelle  laisse  Luines  un  peu  au  nord.  La  route 

ancienne  passoit  par  Langeais ,  qui  est  ['Alingiiviensis  vicus 

'Tfm.ilAx.   de  Grégoire  de   Tours".    La    route   passoit  ensuite   par 

'wiL.v«»    Rcstii^uiiicus  [Restigné],  dont  il  est  fait  mention  dans  une 

v.jgêrr.  RuueU  charte  de  Charles-le-Chauve ,  en  862.  Cette   route  an- 

i-n rerhenha cH-  cieune  étoit  après   dirigée   par   un  petit  lieu   nommé  Lm 

plg.  ic!fS- Spi    Clinussee  sur  Allonne  ,  dont  il   est  fait  mention,  en  lan 

yAchnj.u'n.    1000,  dans  un  cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Florent. 

f>i.2)2.  On  suit  encore  la  trace  de  cette    route  par  Pont  de  la 

p,ig.  1^"^'^' '   Tronne,  au    midi   de  Longue.   Au-delà  il    en  reste  des 

n    Bctiqur,.   vestiges   considérables,  et   l'on   voit  qu'elle  se  dirige  du 

HwcinfHi  lii  Fr.  o  ,,,.., 

lom.  tw.pog.  Gué-d'Arcis  sur  Beaufort ,  qu'elle  passe  a  la  métairie  de 
la  Chesnaie  ,  canton  de  Fourcelles  ,  à  la  métairie  de  la 
Butte;  elle  traverse  les  marais  de  la  Chappe,  les  ma- 
rais du  bois  du  Long,  la    prairie  des  bois;  elle  se  dirige 

dan» 


i7?i- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  393 
dans  la  cour  et  dans  les  champs  de  la  métairie  de  la 
Touche -Bruneaa  ,  et  de  là  elle  conduit  dans  les  com- 
munaux de  Beaufort  ;  au-delà,  on  la  perd  vers  l'endroit 
iiominé  la  Grande- Boire ,•  à  douze  cents  toises  au  midi 
de  Beaufort.  «  C'est  ainsi,  dit  M.  Eodin,  que  je  l'ai  sui- 
>'  vie,  en  faisant  fouiller  la  terre  en  trente  ou  quarante 
»  endroits.  »  Eu  effet ,  cet  auteur  donne  un  détail  très- 
exact  des  matériaux  dont  cette  route  se  compose ,  et  qui 
prouve  indubitablement  qu'elle  étoit  de  construction  Ro- 
maine. Cette  voie,  ajoute  M.  Bodin  ,  ne  se  montre  à 
la  surface  que  vers  les  métairies  de  la  Butte  et  de  la 
Touche-Bruneau  ;  ailleurs  elle  est  couverte  de  terre  et  de 
sable  déposés  par  les  inondations  successives  de  la  Loire 
et  de  l'Authion.  Il  faut  creuser  à  vingt,  à  trente,  à  qua- 
rante centimètres  [environ  un  pied],  pour  la  trouver 
dans  les  marais  et  dans  les  prairies.  On  peut  cepejidant  en 
suivre  la  trace  en  été,  en  remarquant  que  l'herbe  mûrit     Boulin,  Rakr- 

I     ^  A  ^  >    .  1 1  II-  ,11  i  lus ,    sur  SiiU~ 

plutôt  qu  ailleurs  sur  la  hgne  qu  elle  parcourt.  mur,  p.  fi: 

Si  l'on  mesure  l'ancienne  voie  Romaine  en  passant  par 
tous  les  lieux  dont  nous  venons  de .  faire  mention  ,  on 
trouve  qu'entre  Tours  et  Angers  elle  avoit  cinquante- 
trois  mille  toises  de  long.  La  route  Romaine  tracée  par  la 
Table  de  Peutinger,  entre  Casaroilnmim  [Tours] et  Jitlio- 
wwif«j  [Angers],  compte  quarante-six  lieues  Gauloises , 
qui  valent  soixante-neuf  milles  Romains,  ou  cinquante- 
deux  mille  quatre  cent  quarante-sept  toises.  La  Table  n'in- 
dique dans  cet  intervalle  qu'une  station  nommée  Robrkû , 
à  vingt-neuf  lieues  Gauloises  ou  quarante-trois  milles  et 
demi  Romains  de  Ctvsarodummi  [Tours],  et  à  dix-sept 
lieues  Gauloises  ou  vingt-cinq  milles  et  demi  Romains 
Tome  VI.  j). 


3y4  .MÉMOIRES  DE  I/ACADÉMIE 

(Je  Juliomiipis  [Angers].    Ces  distances   placent  Robricci 

au  lieu  nomme  Poiil  de  Li  Trotinc  ,  au  midi  de  Beaufoit; 

et  il  est  connu  cjut-  la  terminaison  bricd ,  hriva ,  dans  les 

noms  de  lieu  des  Gaules,  indicjue  soit  une  ville  antique, 

soit  un  lieu  habite  ,  très-ancien  ,  au  passage  d'une  rivière. 

Un   accord   si    parfait  entre  nos  cartes   modernes    et   les 

itinéraires  anciens  me  dispense  de  toute  discussion,   et 

est  une  réfutation  suffisante  des  erreurs  que  M.  de  la  Sau- 

vagère,  et  d'autres  auteurs  peu  familiarisés  avec  les  monu- 

mens  géograpliiques ,  ont  commises  relativement  à  cette 

station   de   Ro/irio;.    J'ai    déjà  dit  que  d'Anville   ne    s'y 

étoit  pas  trompé  :  il  place  aussi  Robrioi  aux  Ponts  près  de 

Longue;  seulement  il  trouve  dans  la  répartition  des  deux 

distances  une  erreur  d'un  mille,  (jui  n'existe  pas.  Par-là 

nous  voyons  que  ia  carte  topographique  qu'il  avoit  sous 

les  yeux,  étoit  moins  parfaite  que  celle  que  nous  possédons 

aujourd'hui,  et  ne  lui  donnoit  pas  exactement  la  position 

des    Ponts-Longué  ;   et  ,    à   ce   sujet  ,    nous   rappellerons 

les  réflexions  que  fait  ce  grand  géographe  dans  son  A/iti- 

lyse  Je  l'Iidlic .   relativement  à  l'exactitude  des  itinéraires 

anciens  : 

r-ii;.  9.  «  C'est  ordinairement  sans  examen  (qu'il  me  soit  per- 

»  mis  de  le  dire),  et  uniquement  sur  la    manière  vague 

"  et  indéterminée  dont  nous  estimons  aujourd'hui  les  dis- 

»  tances,  que  l'on  juge  des  mesures  itinéraires  que  l'anti- 

Pag.i^.  >'  quité  nous  fournit;  mais  il  est  constant  que  les  anciens 

^'g-  ■?)■        "  y  mettoient  de   l'exactitude.  On    ne   peut  se  dispenser 

»  d'observer  en  général  qu'à  proportion  de  ce  que  la  géo- 

»  graphie  acquiert  de  perfection  ,    sur-tout    par  rapport 

»  à  l'étendue  des  espaces,   on  remarque  plus  de  justesse 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  395 
»  dans  les  itinéraires  anciens;  et  ce  n'est  point  le  désir 
"  du  géographe,  ajoute-t-il ,  qui  fait  que  les  mesures  qui 
»  ont  leur  évaluation  propre  et  spéciale,  indépendante  de 
»  tout  rapport  avec  la  géographie  actuelle,  se  trouvent 
»  néanmoins  en  correspondance  d'autant  plus  intime  avec 
»  les  cartes,  que  celles-ci  marquent  plus  de  justesse  et 
»  de  précision.  « 

Dans  les  Mémoires  que  j'ai  déjà  lus ,  j'ai  eu  occasion 
de  fournir  de  fréquens  exemples  de  cette  vérité;  et,  dans 
ceux  qu'il  me  reste  à  vous  lire ,  vous  vous  convaincrez , 
je  l'espère  ,  qu'elle  est  aussi  féconde  en  résultats  certains 
sur  les  bords  de  l'Indus  et  du  Gange  que  sur  ceux  du  Nil, 
du  Tibre  ou  de  la  Loire. 


D' ij 


3!;^  MEMOIKLS  DE  L'ACADEMIE 


MEMOIRES 

SUR 
LES   RELATIONS    POLITIQUES 

DES    PRINCES    CHRÉTIENS, 

ET    l'ARTlCULlÈREMENT 

DES    ROIS    DE    FRANCE, 
AVEC  LES  EMPEREURS  MONGOLS. 

Pak  m.  auel-rémusat. 


l.u  le  1  j  Sep    Les  relations   politiques   ciue   les  princes  chrétiens,   et 

tembrc  i^iC.  ,.,  ,  .        i        r-  i  i 

particulièrement  les  rois  de  rrance  ,  ont  eues  dans  le 
XIII,'  siècle  avec  les  successeurs  de  Tchinggis-khan,  ne 
bont  indiquées  qu'en  passant  par  nos  historiens.  Aucun 
d'eux  ne  s'est  occupe  d'en  reciiercher  les  motifs ,  d'en  mar- 
(juer  les  circonstances,  ou  d'en  rassembler  les  monumens. 
Ceux-ci  sont  demeurés  épars  dans  des  collections  peu  ré- 
pandues ;  plusieurs  même,  encore  inédits,  ont  été  oubliés 
dans  les  archives  où  on  les  avoit  déposés  d'abord.  Je  me 
propose  de  déterminer  la  série  des  faits  qui  mirent  la 
plupart  des  princes  de  l'Asie  occitleiitale ,  et  mcme  ceux 
de  l'Europe,  en  rapport  avec  fes  Mongols,  et  d'examiner. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  397 
dans  ce  but,  les  pièces  diplomatiques,  en  insistant  davan- 
tage sur  celles  qui  sont  inédites  et  dont  j'ai  pu  me  procurer 
les  originaux.  C'est  en  étudiant  ces  matériaux  authentiques 
qu'on  peut  espérer  de  jeter  quelque  jour  sur  des  négocia- 
tions maintenant  perdues  de  vue,  et  dont  les  effets  bien 
rcels  ,  quoique  généralement  peu  appréciés  ,  ont  inHué 
d'une  manière  indirecte,  mais  très-puissante,  sur  les  pro- 
grès de  la  civilisation  Européenne. 

Je  diviserai  en  deux  mémoires  le  travail  que  j'ai  en- 
trepris sur  ce  point  d'histoire.  Dans  le  premier ,  j'exami- 
nerai les  rapports  que  les  chrétiens  ont  eus  avec  le 
grand  empire  des  Mongols  ,  depuis  sa  fondation  par 
Tchinggis-khan ,  jusqu'à  sa  division  sous  Khoubiiaï 
[  1206-  1262].  Dans  le  second,  je  traiterai  des  ambas- 
sades que  les  rois  Mongols  de  Perse  et  les  rois  de  France 
se  sont  réciproquement  envoyées,  depuis  le  règne  d'Hou- 
lagou  ,  jusqu'au  temps  où  ces  négociations  furent  tout- 
à-fait  interrompues  paj*  les  troubles  qui  précédèrent  et 
amenèrent  le  renversement  de  la  puissance  Mongole  en 
Occident. 


598  Ml'.MOIRES  DE  L'ACADK.MIE 


PREMIER    MÉMOIRE. 

Rapports  des  Princes  chrcùcus  avec  le  gnnul  Empire 
(les  Alojigols ,  depuis  sa  fondation  sous  Tchin^ts- 
kliun ,  jusqu  'à  sa  division  sous  Khoubilài. 

jLes  cvciiemens  qui  rapprochèrent,  au  xiii.'  siècle,  des 
peuples  jusque-là  sépares  par  i'ctendue  entière  de  notre 
continent,  n'ont  point  d'exemple  dans  les  annales  du  genre 
humain.  La  grandeur  Mongole  ,  qui  faillit  emhrasser  le 
monde  entier,  tut  créée  en  moins  de  temps  qu'il  n'en  faut 
d'ordinaire  pour  fonder  et  peupler  une  seule  cité.  Jamais 
plus  foihies  commencemens  ne  furent  munjs  aussi  rapide- 
inent  d'une  puissance  aussi  gigantesque.  Le  chef  d'une 
tribu  que  les  Jou-tchi  (i)  distinguoient  à  peine  parmi  leurs 
tributaires,  résiste  avec  courage  aux  attaques  de  quelques 
voisins  aussi  foibles  que  lui.  II  s'essaie,  en  combattant 
contre  eux  ,  aux  coups  qu'il  va  bientôt  porter  à  ses  maîtres. 
Son  ardeur  infatigable  fait  de  son  orâe  le  rendez-vous  de 
tout  ce  que  la  Tartarie  contient  d'esprits  remuans  et  belli- 
queux. Il  abaisse  ses  rivaux,  et  détruit  ses  ennemis.  Les 


(i)  Ou  A/iu-tc/ii.  La  première  syl- 
labe de  ce  nom  s'écrit  en  chinois 
avec  un  ciracicre  qui  peut  se  pro- 
noncer indifféremment  niu  ou  jou  ,■ 
mais  la  prononciation  en  est  fixée 
par  la  transcription  qu'on  en  a  laite 
en  lettres  Arabi-sel  Mongoles  :  *^jj> 
fijcurdjé ,  et  - '■ '-■r,.-.r  tchârlchog. 


Je  remarque  que  M.  Langlès,  en 
chercliant,  dans  son  Alphabet  Man- 
tchou ,  à  rapprocher  ce  nom  de  tchâr- 
tchog  de  celui  des  Mandchous,  que  le$ 
Knsses  nomment  Alandjours,  l'a  lu 
tclwuucliour ,  prenant  le  ^^,  g  final, 
pour  un  ^,  r- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  399 
sources  de  l'Onon ,  du  Keroulen  et  de  la  Toula,  sont  le 
premier  thcâtre  de  rcvolutions  qui  vont  bientôt  s'ctendre 
sur  toute  l'Asie  et  sur  une  partie  de  l'Europe.  Enfin  , 
l'an  1206,  le  prince  des  Mongols  prend,  en  présence  des 
chefs  de  cent  tribus,  le  titre  de  Tchinggis-khakan,  et  il  établit 
le  centre  de  sa  domination  à  Karîi-koroum,  ancienne  ville 
des  Turks  Hoéi-hou ,  située  entre  la  Toula,  l'Orgon  et  la 
Silinga,  à  peu  près  sous  la  même  latitude  que  Paris. 

De  cette  époque  date  la  série  non  interrompue  des 
conquêtes  des  Mongols.  Chaque  année  vit  ajouter  un 
royaume  à  leur  empire.  D'immenses  armées,  parties  de  la 
Mongolie,  s'avancèrent  en  même  temps  à  l'occident  et 
au  midi.  Les  Turks  orientaux  furent  subjugués  en  1208. 
Le  Tangout  se  sçumit  vers  la  même  époque.  Tout  le 
nord  de  la  Chine,  qui  formoit  les  états  des  Altoim-kluin , 
fut  envahi,  et  Pe-king,  ville  des  Joii-îchi  dans  le  Liao- 
toiing,  pris  d'assaut  en  1215.  Des  ambassadeurs  Mongols 
ayant  été  massacrés  dans  le  Kharisme,  Tchinggis  s'avança 
contre  ce  puissant  royaume  avec  sept  cent  mille  hommes. 
Tout  l'Occident  fut  menacé.  Après  avoir  ravagé  les  prin- 
cipales villes  du  Kharisme,  Touli,  fils  de  Tchinggis, 
pénétra  dans  le  Khorasan.  En  i  22  i  ,  deux  généraux  Tau- 
tares  ,  Sabiidd-hdhadoiir  tt  Tchoupe-nouyan ,  reçurent  ordre 
d'aller  faire  la  conquête  de  la  Médie.  Prenant  ensuite 
leur  route  par  le  Caucase ,  ib  attaquèrent  en  passant  les 
Géorgiens,  sur  lesquels  ils  ne  remportèrent  que  des  avan- 
tages peu  décisifs.  C'est  dans  cette  circonstance  que  les 
chrétiens  virent  les  Mongols  pour  la  première  fois  ,  et 
combattirent  contre  eux. 

De  toutes   les    contrées  d'Orient  qui    étoient  restées 


4oo  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

soumises  à  des  princes  clirtlieiis,  la  Géorgie  cloit  alors  la 
plus  puissante.  Détendue  par  sa  situation  au  milieu  des 
niontai^nes  ,  elle  n'avoit  jamais  vu  interrompre  la  strie  de 
ses  rois.  Les  généraux  des  khalifes  n'y  avoient  fait  que  des 
incursions  momentanées,  ou  des  établissemens  précaires. 
Les  Seidjoucides  exercèrent  sur  la  Géorgie  un  pouvoir  plus 
direct  et  plus  durable.  Mais,  à  la  lin  tlu  Xl.*^  siècle  et  au 
commencement  du  xii.' ,  David  II,  surnommé  A'  Réptira- 
tetir.  sut  proliter  de  la  division  qui  régnoit  entre  les  princes 
Turks,  reprit  Téflis,  sa  capitale,  qu'ils  avoient  occupée, 
et  les  poursuivit  jusqu'à  l'Araxe.  Ses  successeurs  accrurent 
encore  sa  puissance,  et  comptèrent  aii  nombre  de  leurs 
vassaux  tous  les  princes  Arméniens  au  nord  de  l'Araxe, 
qu'ils  avoient  délivrés  du  joug  des  musulmans.  La  famille 
d'Iwané  ou  Jean  ,  connétable  de  Géorgie,  qui  possédoit  la 
plus  grande  partie  du  pays  situé  entre  le  Kour  et  l'Araxe, 
les  princes  de    Schamkor  ,    de    Khatchen  ,   et   beaucoup 
d'autres,  reconnoissoient  la  suzeraineté  des  rois  de  Géor- 
gie ,   qui   se   trouvoient  ainsi  ,  au    xiii."^  siècle  ,  dominer 
depuis  les  bords  de  la  mer  Noire,  entre  Trébizonde  et  la 
Crimée,  jusqu'aux  passages  de  Derbend,  et  au  confluent 
de  l'Araxe  et  du  Kour,   c'est-à-dire,  sur  la  Colchide,  la 
Mingrélie,   le  pays  des  Abklias,  la  Géorgie  proprement 
dite,  et  l'Arménie  septentrionale,  sans  compter  plusieurs 
autres  petits  cantons  limitrT)|ihes. 

Une  telle  nation  ,  aguerrie  et  enorgueillie  par  les  avan- 
tages qu'elle  avoit  remportés  sur  les  musulmans ,  n'avoit 
pu  rester  indifférente  aux  expéditions  des  Francs  en  Syrie; 
et  si  la  distance  des  lieux  l'avoit  emptchée  d'y  prendre 
wnc  part  active  .  il  ne  s'en  étoit  pas  moins  établi ,  entre 

l.s 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      4oi 
les  Gc'ortriens  et  les  Francs,  des  relations  d'amitié,  fruit 
ordinaire  de  la  communauté  de  croyance  et  d'intérêts.  Au 
rapport  de  Saïuit,  quand  la  nouvelle  de  la  prise  de  Da-    uv.  m,  vau. 
miette  fut  connue  des  Géorgiens,  ils  écrivirent  aux  vain-  ^''P"ë-^<>9- 
queurs  pour  les  féliciter ,  leur  reprochant  en  même  temps 
de  n'avoir  pas  encore  réduit  Damas  ou  quelque  autre  place 
d'importance.  Leurs  dispositions  étoient  bien  connues  des 
papes,  qui  avoient  appelé  George  Lascha,  roi  de  Géorgie, 
à  concourir  avec  les  autres  princes  chrétiens  à  la  déli- 
vrance de  fâ  Terre-sainte  ;  et  ce  prince  se  préparoit  à  se 
rendre  à  l'invitation  du  pontife,  quand  les  Tartares ,  fon- 
dant sur  ses  états ,   l'obligèrent   de   songer  à  sa  propre 
défense.  Dans  cette  circonstance  ,  la  Géorgie  se  trouva 
former,  si  j'ose  ainsi  parler,  les  avant-postes  de  la  chré- 
tienté. L'attaque  dirigée  contre  elle,   ses  efforts  pour  y 
résister,  les  précautions  qu'elle  dut  prendre  pour  s'en  préser- 
ver à  l'avenir  ,  tout  cela  dut  intéresser  les  Francs  d'Orient 
et  même  les  Occidentaux.  Nous  verrons  par  la  suite  que 
ce  fut  là,  en  effet,  la  première  cause  des  négociations  que 
les  Tartares  entamèrent  avec  les  princes  chrétiens. 

Roussoudan  ,  devenue  reine  de  Géorgie  par  la  mort  de 
son  frère  George,  avoit  vu,  depuis  quelques  années,  appro- 
cher et  grossir  l'orage  :  elle  fut  la  première  à  en  donner 
avis  au  pape  Honorius  III  par  une  lettre  qui  iious  a  été 
conservée.  D'après  le  récit  d'un  historien  Arménien  (i),  Oder.Rayn.xhi 
les  Mongols ,  par  une  ruse  dont  les  Géorgiens  avoient  '"'  """■  '''^' 
été  dupes,  s'étoient  présentés  comme  chrétiens,  menant 


(i)  Les  extraits  des  historiens 
Arméniens  dont  j'ai  fait  usage  pour 
toute  la  première  partie  de  ce  Mé- 


moire, ont  été  tirés,  à  ma  prière,  de 
l'ouvrage  de  Michel  Tchamtchcan  , 
moine  de  Saint-Lazare,  par  M.  Saint- 


TOME  VI.  E» 


4o2  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

avec  eux  des  prcUres  qu'ils  avoient  pris  dans  les  pays  où 
ils  avoient  passe,  et  portant  devant  leurs  bataillons  la 
croix  pour  étendard.  Les  historiens  de  Pologne  rapportent 
aussi  qu'à  la  bataille  de  Waldstadt  les  Mongols  portoient 
un  grand  étendard  sur  lequel  étoit  la  figure  de  la  lettre  X: 
nuiximum  vexillum  in  quo  dcpicta  crat  Gmca  lïticra  X.  11  est 
assez  probable  que  les  Tartares  n'avoient  sur  leurs  éten- 
dards ni  la  croix,  ni  la  lettre  X,  mais  peut-être  quelque 
signe  analogue  ,   qui  lut  la  soiuce  de  l'erreur  des  Géor- 
giens. Quoi  qu'il  en  soit,  trompés  par  ces  a])parences, les 
Géorgiens  s'étoient   laissé  surprendre,   et  avoient   perdu 
six  mille   hommes.   "  Mais,   dit   la  reine  dans   sa   lettre 
»  au   pape  ,   dès  que    nous   nous   sommes  aper(,us   qu'ils 
"  n'étoient  pas  véritablement  chrétiens, nous  nous  sommes 
>'  levés  contre  eux,  nous  en  avons  tué  vingt  mille,  nous 
»  avons  fait  beaucoup  de  prisonniers  et  mis  le  reste  en 
•>  déroute.  •>  Roussoudan  ajoute  qu'elle  vient  d'apprendre 
que  l'empereur  doit,  par  ordre  du  pape ,  passer  en  Syrie. 
Elle  s'en  réjouit,  et   annonce  qu'elle  enverra  à  son  se- 
cours le  connétable  Jean  avec  toutes  ses  troupes,  et  un 
grand  nombre  de  personnages  distingués  de  son  royaume 
qui  ont  pris  la  croix  et  n'attendent  que  des  ordres  pour 
voler   à   la  défense  du   saint- sépulcre.    Cette   lettre  fut 


Martin.  Plusieurs  des  faits  qui  y  sont 
rapportés,  ont  trouve  place, depuis  la 
conipusitionde  ce  Mémoire,  dans  les 
notes  sur  Y  Histoire  d(s  Orpélians , 
toni.  II  des  Alémoires  sur  l'Annénif , 
pag.  260  et  suiv. 

Les  auteurs  que  le  compilateur 
Arménien  a  suivis  pour  le  M  il.' et  li' 
XIV.'  siècle,  sont,  Vartan  de  Gan- 


dsak  ,  mort  vers  1280;  Giragos  et 
Malachia  ,  écrivains  de  la  même 
époque;  et  Valuam  ,  historien  du 
XIV.'  siècle.  Tout  ce  qui  concerne 
les  Orbélicns  est  pris  de  Stephaniis 
S)iiensis,  c'est- à-dire  ,  plus  exac- 
tement, d'Ltienne  archevêque  de 
Siounie. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LET  1  RES.  4o} 
apportée  au  pape  par  David  ,  cvéque  d'Ani.  La  mort  du  roi 
George,  qui  y  est  rappelée  comme  un  événement  récent, 
en  fixe  la  date  vers  l'an  1224,  au  moment  où  les  Mon- 
gols ,  traversant  les  défilés  du  Caucase  ,  passoient  dans 
le  Kaptchak  pour  y  attendre  Touchi ,  fils  de  Tchinggis, 
qui  étoit  chargé  d'en  fiiire  la  conquête. 

Comme  l'apparition  des  Tartares  n'avoit  été  que  pas- 
sagère en  Géorgie,  et  que  la  reine  annonçoit  qu'on  avoit 
repoussé  leur  attaque ,  on  fit  alors  peu  d'attention  à  une 
nou\elie  qui  ne  sembloit  pas  être  d'une  grande  impor- 
tance. D'ailleurs  Tchinggis  avoit  tourné  ses  regards  vers 
un  autre  point  de  ses  immenses, conquêtes.  Sa  mort  vint 
ensuite  changer,  pour  un  moment,  la  direction  des  événe- 
mens,  et  les  chrétiens  eurent  encore  quelque  temps  pour 
respirer.  Cependant  il  semble  que  les  Géorgiens  se  tinrent 
en  garde  contre  une  nouvelle  invasion,  dont  ils  se  savoient 
menacés ,  puisque  Roussoudan  n'envoya  pas  en  Syrie  le 
secours  qu'elle  avoit  promis  au  souverain  pontife. 

Mais,  quand  Ogodaï  ,  successeur  de  Tchinggis ,  eut 
achevé  de  soumettre  les  Jou-tc/ii ,  et  réuni  à  l'empire  Mon- 
gol toute  la  partie  de  la  Chine  qui  s'étend  jusqu'au  grand 
fleuve  Kiaiig ,  il  leva  une  armée  de  quinze  cent  mille 
hommes,  destinée  à  agir  en  même  temps  aux  deux  ex- 
trémités de  l'Asie  ,  en  Corée  ,  et  au-delà  de  la  mer  Cas- 
pienne. Ainsi,  comme  l'observe  Deguignes  ,  la  paix  qui  i  Ha.  Aa  Hum, 
régnoit  en  apparence  dans  le  fiDnd  de  l'Orient,  devint 
funeste  à  l'Europe.  Batou ,  fils  de  Touchi,  fut  nommé  le 
principal  chef  de  cette  formidable  expédition  ,  pour  la- 
quelle on  lui  associa  plusieurs  autres  généraux  et  princes 
du  sang  de  Tchinggis,  L'armée  des  Mongols,  après  avoir 

E3ij 


hmi.  JII ,  p.  pj. 


4o4  MÉMOIRES  DE  LACADE.MIE 

soumis  les  Coiiniaiis  et  les  Bulgares  ,  entra  dans  le  pays 
des  Baschkirs,  et  pcnctra  en  Russie,  où  elle  prit  Aloscoii 
et  les  principales  villes  des  gouvernemens  actuels  de 
Vladiinir  et  de  Jeroslaw.  Les  grands  ducs  de  Russie  de- 
vinrent alors  tributaires  du  grand  khan. 

En  même  temps,  une  autre  armée  de  Mongols,  accom- 
pagnes de  leurs  lemmes  et  de  leurs  enfans,  s'avança  vers 
la  Géorgie  et  l'Arménie  ,  sous  la  conduite  deTcliarmagan 
et  de  dix-sept  autres  généraux  (i) ,  parmi  lesquels  on  re- 
marque Batchou ,  depuis  célèbre  en  Europe  sous  le  nom 
de  Bayotliiio'i ,  à  cause  de  ses  rapports  avec  le  pape.  D'après 
les  lois  établies  par  Fchwiggis ,  ils  avoient  ordre  de  bien 
traiter  les  princes  et  les  peuples  qui  se  soumettroient , 
qui  livreroient  leurs  villes  et  consentiroient  à  payer  le 
tribut.  Les  autres  étoient  abandonnés  à  la  fureur  du 
soldat;  les  habitans  des  villes  étoient  massacrés  sans  dis- 
tinction d'âge  ni  de  sexe,  et  souvent  les  animaux  mêmes 
ii'étoient  pas  épargnés.  Dans  ces  premiers  momens ,  au- 
cune négociation  n'étoit  possible  avec  les  Tartares  ;  il 
falloir  reconnoître  leur  empire  ou  mourir.  Le  danger  de 
la  résistance  étoit  attesté  par  les  innombrables  pyramides 
d'ossemens  Iiumains  qu'ils  élevoient  à  la  place  des  villes 
ruinées,  et  que,  bien  long-temps  après,  nos  voyageurs  con- 
temploient  avec  effroi,  en  parcourant  les  régions,  devenues 
désertes,  qui  leur  avoient  servi  de  passage. 


(i)  Les  Arméniens  nomment  lei 
deux  principaux  ,  Paul-noi/yan  et 
AlouUr-tiouydn.  Les  quinze  autres 
»ont ,  Gadap^an ,  Tchiikhala ,  Toii- 
Ui.ita  ,  Sotiit/ui ,  Dchola  ,  Asouthou, 


Batchou,  Tlionthou  ,  KIwuttlwu, 
As,lr  ou  Arslan  ,  Ohliota  ,  Khoya , 
Khourj^oumdj'i ,  Khounan  et  Kara- 
botiga. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  4c5 
C'est  ainsi  qu'en  1235  et  i^S^^  ^es  Mongols  brûlèrent 
et  ravagèrent  beaucoup  de  villes  de  l'Albanie ,  de  la 
Ge'orgie  et  de  la  grande  Arménie.  Les  princes  épouvantes 
et  la  plus  grande  partie  des  habitans  se  réfugièrent  dans 
les  montagnes.  La  reine  Roussoudan  se  retira  dans  une 
forteresse  inexpugnable  (  i).  Deux  ans  après,  Dchola,  frère 
de  Tcharmagan,  entra  dans  le  pays  d'Artsakh ,  et  prit  le 
fort  de  Khatchen.  Dchalai  ,  neveu  de  Jean,  connétable 
de  Géorgie  ,  qui  en  étoit  prince ,  se  réfugia  dans  le  fort 
de  Khalakh  ,  devant  Kandsasar.  Les  Mongols  lui  en- 
voyèrent des  messagers  pour  l'engager  à  se  soumettre, 
Dchalai,  voyant  que  la  résistance  étoit  inutile,  se  rendit 
aux  Mongols ,  leur  prêta  serment  de  fidélité,  et  s'engagea 
à  leur  payer  un  tribut  et  à  les  servir  à  la  guerre.  Pour 
cimenter  cette  alliance  ,  le  prince  Géorgien  donna  sa  fille 
Rhouian  à  Poughan ,  fils  du  générai  Tartare.  C'est  là,  si 
je  ne  me  trompe  ,  le  premier  traité  qui  ait  été  conclu 
entre  les  Tartares  et  les  chrétiens. 

L'exemple  de  Dchalai  ne  tarda  pas  à  être  suivi  par 
d'autres  princes  de  ces  contrées.  Les  Mongols  ayant  pé- 
nétré en  Géorgie,  pris  Téfîis  et  beaucoup  d'autres  villes, 
Avag,  fils  du  connétable  Jean,  s'enferma  d'abord  dans 
le  fort  de  Gayen  ;  mais  ,  quand  il  s'y  vit  assiégé  par  le 
général  Mongol  Toukhata,  il  se  hâta  de  faire  ses  soumis- 
sions,  et  vint,  avec  Grégoire  son  neveu,  trouver  Tchar- 
magan. Vahram  ,  prince  de  Schamkor,  et  Eligoum  ,  de  la 
famille  des  Orbéliens,  se  soumirent  pareillement  en  1239. 
La  même  année,  Tcharmagan  vint,  accompagné  de  ses 
nouveaux  auxiliaires ,  Avag  et  Vahram  ,  mettre  le  siège 

(1)  Cette  forteresse  se  nommoit  Ousaneth^ 


4o5  MEMOIRES  DE  LACADKMIE 

devant  la  ville  d'Ani,  qui  fut  prise,  ei  dont  tous  les  habltans 
fureiil  passes  au  iil  de  l'cpce  :  premicre  et  terrible  con- 
dition de  lalliance  avec  les  Tartares,  par  laquelle  leurs 
vassaux  étoient  contraints  de  contiiinier  avec  eux  à  la 
ruine  de  leurs  concitoyens  ;  car  le  prince  d'Ani ,  Schahan- 
scliah  ,  cousin  d'Avag ,  ctoit  dans  l'armée  des  Tartares. 
Ceux-ci  revinrent  ensuite  passer  l'hiver  dans  la  |ilaine  de 
Mouglian  ,  lieu  où  ils  avoient  coutume  de  prendre  leurs 

Hist.  Armcn.  Quaitiers.  ils   y  mencrejit  avec  eux  le  prince  Avag  ,  et 
\«uu,.i.  III.   ?r        .  ,-  ,  ■  .   '\ , 

f.irt.  X.  c.  IX.  Kara-Douga  lut  nomme  gouverneur  des  pays  conquis.  L  an- 

F-v-  ^"-  njig  suivante,  Avag  se  rendit,  avec  sa  sœur  Thamtlia  ,  à  la 

^^courd'Ogoda'ï,  qui  les  reçut  fort  bien  ,  et  leur  donna  m^me 
une  lettre  pour  que  Tcliarmagan  leur  rendît  leurs  états,  et 
traitât  de  même  les  autres  princes  Arméniens.  Cet  exemple 
encouragea  depuis  beaucoup  de  princes  de  I  Occident  à 
faire  le  voyage  de  Kara-rkoroum  ,  et  à  demander  au  khakan 
lui-mcme  la  réparation  des  injustices  de  ses  généraux.  Plu- 
sieurs obtinrent,  en  effet,  par  ce  moyen,  la  restitution 
de  leurs  états;  et  l'orde  impériale  devint,  comme  Rome 
autrefois,  le  tribunal  suprême  où  se  jugeoient  les  récla- 
mations des  rois. 

Le  génie  altier  de  Roussoudan  ne  lui  avoit  pas  permis 
de  suivre  l'exemple  de  ses  vassaux  :  au  lieu  de  se  rendre 
aux  Tartares,  elle  ne  cessoit  d'écrire  en  Occident  pour 
demander  des  secours.  Une  de  ses  lettres  nous  a  été  con- 
servée ;  elle  est  adressée  à  Grégoire  IX.  La  reine  demande 
au  pontife  une  armée  clxrétienne  pour  repousser  les  attaques 
des  Mongols ,  et,  afin  d'intéresser  davantage  le  pape  ,  elle 
fait  profession  d'une  soumission  entière  à  l'église  Romaine. 
Mais  cette  démarche,  dictée  parla  crainte,  ne  lui  valut,  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      407 
la  part  du  pape  ,  que  de  vains  complimens  sur  son  retour 
à  la  foi  catholique.  La  lettre  de  Grégoire  n'apporta  que    Latnjtc  Cré- 
de  foibles  consolations  à  Roussoudan.  La  suite  nt  voir  ,^„j^,„ ,    j„„, 
que  cette  princesse  attachoit  peu  de  prix  aux  secours  spi-  ^f^;Jf"^'^f; 
rituels  de  l'Église  ,  et  que  l'espoir  d'en  obtenir  de  plus  effi- 
caces avoit  été  le  seul  motif  de  sa  soumission  (i). 

Dans  le  Nord ,  les  Mongols  s'annonçoient  d'une  ma- 
nière encore  plus  alarmante  pour  les  chrétiens.  En  1240, 
Batou  s'empara  de  Kiew,  puis  de  Kaminieck,  et  envoya 
un  de  ses  généraux  faire  une  invasion  en  Pologne.  L'armée 
de  ce  dernier,  divisée  elle-même  en  plusieurs  corps,  passa 
ia  Vistule,  s'avança  jusqu'à  Cracovie ,  prit  et  brûla  cette 
ville  célèbre,  fit  un  butin  immense,  et  jeta  l'alarme  dans 
tous  les  pays  voisins.  Par-tout  les  habitans  fuyoient,  aban- 
donnant les  villes  et  brûlant  les  villages.  Les  troupes 
de  la  Pologne,  de  la  Moravie  et  de  la  Silésie,  placées  à 
Waldstadt,  à  un  mille  en  avant  de  Lignitz ,  perdirent  J.«>/.  n-n<m 
une  grande  bataille  ,  a  l  issue  de  laquelle  les  1  artares  rejoi-  /_^„^.  ^^y. 
gnirent  Batou  en  Hongrie.  Ce  prince  ,  avec  cinq  cent 
mille  hommes,  avoit  battu  le  comte  palatin  de  Saxe  ,  et , 
parcourant  librement  tout  le  pays,  y  avoit  mis  tout  à  feu 
et  à  sang  (2). 

Le  roi  de  Bohème ,  Venceslas ,  écrivit  alors  à  tous  les 
princes  se^  voisins  pour  leur  demander  du  secours ,  et  le 
palatin  de  Saxe  adressa  à  son  beau-père,  le  duc  de  Bra- 
bant,  une  lettre  dans  laquelle  il  peint  avec  les  plus  vives 
couleurs  les  ravages  exercés  par  les  Tartares  dans  les  pays 


(i)  Elle  renonçaau  christianisme, 
et  se  fit  musulmane.  (  Aboulfaradje, 
Chron.-pag.  515.) 


(2)  La  bataille  eut  lieu  le  9  avril 
1241. 


4o8  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

voisins  de  ses  t'tats  ;  il  prie  avec  instance  son  beau-pcre 
de  lui  envoyer  promptement  des  troupes  ,  parce  qu'il  a  c^tc 
informe  cju'aux  prochaines  fêtes  de  Pàcjues  (  i  2.j  '  )  '^s 
Tartares  doivent  entrer  en  Bohème  :  sa  lettre  lut  fiivoyce 
par  le  duc  de  lîrabant  à  l'cvcque  de  Paris. 

Pour  juger  de  l'importance  cju'on  dut  attacher  aux  pre- 
mières négociations  avec  les  Mongols  ,  il  est  bon  de  recher- 
cher dans  k'S  histoires  du  temps  les  traces  de  l'effroi  qu'ils 
inspiroient.  Mathieu  Paris  rapporte  qu'aux  effrayantes  nou- 
velles annoncées  par  le  palatin  de  Saxe,  la  reine  Blanche 
ne  put  cacher  ses  craintes  à  S.  Louis.  «  Q,ue  faut-il  faire, 
'»  dit-elle,  dans  de  si  tristes  conjonctures!  Quels  bruits 
••  sinistres  se  sont  répandus  sur  nos  frontières  !  Limpé- 
»  tueuse  irruption  de  ces  Tartares  semble  nous  menacer 
«»  d'une  ruine  totale,  nous  et  notre  sainte  église.  »  Le  roi 
lui  répondit  d'une  voix  altérée  par  la  douleur  ,  et  pourtant 
fortifiée  par  quelque  chose  de  divin  ;  <•  Ma  mère,  soyons 
»  soutenus  par  cette  consolation  qui  nous  vient  du  ciel  : 
>»  s'ils  arrivent,  ces  Tartares,  ou  nous  les  ferons  rentrer 
»  dans  le  Tartarc^olx  ils  sont  sortis,  ou  bien  ils  nous  en- 
•■  verront  nous-mêmes  jouir  dans  le  ciel  du  bonheur 
»  promis  aux  élus  (i).  » 

Le  jeu  de  mots  qu'on  prête  ici  à  S.  Louis,  se  retrouve 
dans  presque  tous  les  écrits  de  cette  époq'ue  ;  et  c'est  peut- 
être  là,  pour  le  dire  en  passant,  la  véritable  cause  de  l'al- 
tération  que   les  Occidentaux  ont  apportée  au  nom  des 

(  I  )  Qiio  auii'ito,  rnt  vnceflebili,  std 
non  sine  divino  spirainine ,  respondit  : 
"  Erii^at  nos,  maier,cielestt solatiuvi , 
•>  iiuia,  si  yervrnianl  ipsi,  vil  nos  ipsos 
"  quosvocamus  Tartaros ,  ad  suas  tar- 


»  tiireas  scdfs  uirde  exierunt  retrude- 
»  mus ,  Vit  ipsi  nos  nnines  ad  cœlum 
"  subveheni.  »  (  Matth.  Paris.  Lon- 
dini,  1571  ,  pag.  747.) 


Tata 


rs. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      4^9 
Tdtars.  On  trouve  ces  peuples  nommés  Tatari  dans  ies 
chroniques  Russes,  Tattari  dans  Christophorus  Manlius ,     Chon.dtNi- 
et  Tatari  ou   Tattari  dans  une  lettre  d  Ives  de  JNarbonne  ^^^j ,  seq.  s.'- 
à  Giraud  ,  archevêque  de  Bordeaux  :  mais,  en  gencial,  on  ^/^^j,„\,,J„, 
les  voit  désignes  sous  le  nom  de  Tartares  des  les  premiers  fj^^jX^^""^; 
momens   de   leur  apparition;  et   Tartari ,    iiiio    Tartarei ,  p.  ^-S. 
comme  les  appeloit  i  empereur  Frédéric,  est  une  expies-  ^,„g  <;,„, 
sion  qui  prit  faveur.  En  effet,  l'opinion  s'étoit  assez  gêné-   /fisiM  fn- 

1         '  I  •  J  I  '  airu.  imper,  ad 

ralement  répandue,  que  les  Mongols  étoient  des  démons  ngcm  Edwar- 
envoyés  pour  châtier  les  hommes,  ou,  du  moins,  quils  ^^^., 
avoient  commerce  avec  les  démons  ;  et  ce  dernier  senti- 
ment s'étoit  accrédité  par  les  feux  et  les  tourbillons  de 
fumée  qu'ils  avoient,  disoit-on  ,  l'art  d'exciter  dans  les  ba- 
tailles (i).  En  conséquence,  on  chercha  par-tout  à  éloigner 
<:e  fléau  par  des  prières  solennelles ,  par  des  jeûnes  gé- 
néraux. On  déploya  l'étendard  de  la  croix,  et  tous  les 
peuples  furent  appelés  àse  réunir  pour  la  défense  du  nom 
chrétien. 

Cependant  les  envoyés  des  Tartares  étoient  venus  par 
deux  fois  sommer  le  roi  de  Hongrie  de  se  soumettre  à  leur 
merci.  Du  nombre  de  ces  envoyés  étoit  un  Anglais  qui, 
banni  à  perfJétuité  d'Angleterre  ,  avoit  voyagé  en  Asie,  et 
y  avoit  été  pris  par  les  Tartares  pour  leur  servir  d'inter- 
prète. Cet  homme  annonça  vainement  à  Bêla  les  malheurs     /v;«'-   ^""»" 

Il  '  i\tnkinens!s,  ap. 

Mntlh.  pnrif.p. 

facile  aux  chrétiens  de  reconnoître  •''-''• 
ia  cause  de  ces  incendies.  II  est  plus 
probable  qu'il  s'agit  là  de  pièces  d'ar- 
tillerie et  de  poudres  inflammables  , 
dont  il  est  certain,  par  l'histoire 
Chinoise  ,  que  les  Mongols  se  ser- 
voient  à  cette  époque. 


(i)  On  a  coutume  d'expliquer  ce 
fait,  généralement  rapporté  par  les 
historiens,  en  supposant  que  les  Tar- 
tares allumoient  les  herbes  sèches  et 
les  broussailles  des  forêts,  comme  le 
font  les  habitans  de  la  Nouvelle-Hol- 
lande. Mais,  dans  ce  cas,  il  eut  été 


Tome  VI.  F' 


4io  MÉMOIRES  DE  LACADKMIE 

auxquels  il  s'exposoit  par  sa  résistance.  Ce  prince  s'obstina 
à  vouloir  arrêter  le  torrent  sur  ses  frontières,  et  ,  pour 
comble  de  malheur,  il  ne  prit  i->fls,  en  refusant  hommage 
aux  Mongols,  les  précautions  que  cette  contluiie  rendoit 

Efiit.  FrU(r  nécessaires.  Au  milieu  du  mois  de  mars  1241  ,  les  Tar- 
tares  mirent  en  tuile  le  peu  de  troupes  qu  on  avoit  pu  leur 
opposer.  Sur  le  récit  de  leurs  ravat^es,  le  pape  s'empressa 
d'écrire  à  Bêla  pour  le  consoler  et  l'encourager  d  combattre 

OJfr.RjymtJ.  Vaillamment.  En  m(}me  temps  il  ordonna  une  croisade, 
et  accorda  a  ceux  qui  sarmeroient ,  les  mêmes  indulgences 
qu'obtenoient  ceux  qui  entreprenoient  le  voyage  de  la 
Terre-sainte;  genre  de  secours  très-puissant  alors  à  cause 
de  l'esprit  du  temps,  mais  qui  produisit  peu  d'effet  en  cette 
circonstance,  tant  étoit  grande  la  terreur  qu'imprimoit  le 
^  nom  des  Tartares.  Gréiroire  IX  écrivit  encore  aux  autres 

rois  chrétiens,  aux  princes,  comtes,  magistrats,  aux  ar- 
chevtVjues  et  aux  évèques ,  ordonnant  à  ces  derniers  de 
prêcher  la  croisade,  de  donner  des  indulgences,  de  rele- 
ver des  censures  ecclésiastiques;  en  un  mot,  d'employer 
tous  les  moyens  possibles  pour  animer  les  peuples  à 
prendre  les  armes  et  à  repousser  les  Tartares. 

Bcla,  fuyant  toujours  devant  les  Mongols  ,  s'étoit  retire 
en  Dalmatie,  puis  dans  une  île  de  la  mer  Adriatique,  le 
seul  lieu  où  il  pût  trouver  un  asile.  C'est  là  que  Grégoire 
lui  adressa  encore  une  lettre  pour  lui  exprimer  le  désir 
qu'il  avoit  de  le  secourir  :  «  desic  tel ,  dit  le  pontife  ,  que, 
"  si  l'empereur  Frédéric  consentoit  à  prendre  un  véritable 
»esprit  de  pénitence,  ii  le  recevroitdans  le  sein  de  l'Eglise, 
*•  «pour  pouvoir  donner  à  la  Hongrie  des  secours  plus  efîi- 
"caces.  "  Malheureusement  i^nur  ce  royaume,  la  mésintel- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES,  i^i 
ligence  du  pape  et  de  l'empereur,  loin  de  s'iipaiser,  devint 
plus  forte  que  jamais.  Les  partisans  du  premier  repro- 
choient  à  Frédéric  les  calamités  qui  affligeoient  les  chré- 
tiens. Qj.ielques-uns  alloient  morne  jusqu'à  l'accuser  d'avoif 
appelé  les  Tartares  en  Europe.  D'autres ,  moins  aveuglés 
par  la  haine,  le  blâmoient  seulement  de  ce  qu'au  lieu  de 
marcher  en  personne  contre  les  Mongols,  il  se  contentoit 
d'exhorter  dans  ses  lettres  les  princes  chrétiens  à  prendre 
les  armes.  II  est  vrai  qu'il  s'exprimoit,  à  ce  sujet,  en  des 
termes  si  recherchés  et  avec  une  telle  affectation  d'élo- 
quence ,  qu'il  justitîoit  jusqu'à  un  certain  point  le  re- 
proche que  lui  adressoit  Grégoire  :  Juctath inaiiibus  verborum 
lenocitiiis  oratorem  qucim  rapto  contra  Tartaros  exercitu  chris- 
tianum  imperatorem  agere  malebat.  Cependant  d'autres  au- 
teurs veulent  qu'il  ait,  en  effet,  levé  une  armée  contre 
les  Tartares,  et  que  la  Hongrie  lui  ait  dû  sa  délivrance  ; 
mais  il  est  certain  que  la  crainte  seule  de  la  lamine  chassa  ^^"'i'-  ^'"'"• 
les  1  artares  de  ce  royaume,  qu  ils  avoient  change  en  un 
vaste  désert. 

Au  reste ,  il  ne  paroît  pas  qu'à  cette  époque  on  ait  enr 
tamé  aucune  négociation  avec  les  Tartaies  en  Occident. 
Par-tout  où  ils  portoient  leurs  armes,  ils  se  faisoient  pré- 
céder d'envoyés  qui  sommoient  les  princes  et  les  peuples 
de  se  soumettre  au  grand  khgn.  Un  refus  attiroit  infailli- 
blement une  invasion  et  les  désastres  qui  en  étoient  la  suite. 
Si  l'on  prenoit  le  parti  de  la  soumission,  il  falloit  tjue  le 
prince  devenu  tributaire  se  rendît  à  Kara-koroum ,  pour 
y  faire  hommage  au  khakan.  Une  proposition  de  cette 
espèce  fut  faite  à  l'empereur  Frédéric,  au  nom  du  roi  des 
Tartares.  On  lui  demanda  qu'il  rendît  hommage  pour  ses 

F3ij 


4i2  MKMOll^LS  DE  L'ACADEMIE 

ctats ,  lui  offrant,  en  récompense,  telle  charge  qu'il  vou- 
droit  choisir  à  la  cour  du  khakan.  C'cloit,  dans  les  idées 
Chinoises,  qui  dominoient  chez  les  Tartares,  une  offre  ho- 
norable et  proportionnée  à  ladignitédu  premier  des  princes 
chrétiens.  Frédéric  la  reçut  en  plaisantant,  tt  dit  au\  en- 
voyés qu'en  effet  il  se  connoissoit  assez  bien  en  oiseaux 
de  proie  pour  avoir  l'office  de  fauconnier  (  i  ).  La  retraite 
spontanée  des  Mongols  empêcha  cette  affaire  d'avoir  au- 
cune suite. 

En  Orient,  la  trancjuillité  qu'une  prompte  soumission 
avoit  procurée  aux  chrétiens,  fut  troublée  par  la  mort  du 
grand  général  Tcharmagan  (  2  ).  L'espcce  d'anarchie  dans 
lacjuelle  tombèrent  les  armées  Mongoles  en  l'absence  d\\n 
chef  suprême,  causa  des  maux  infinis  aux  contrées  où  elles 
se  trouvoient.  Les  moindres  commandans  se  croyoient 
tout  permis.  Un  petit  officier,  nomme  Dchodilihougd ,  étant 
allé  visiter  le  prince  Avag,  trouva  que  celui-ci  ne  se  hâ- 
toit  pas  assez  en  venant  au-devant  de  lui ,  et  s'oublia  jusqu'à 
le  frapper  de  son  étrier.  Les  domestiques  d'Avag,  indignés, 
se  jetèrent  sur  Dclwdihbougci ,  et  le  maltraitèrent,  malgré 
les  efforts  que  fit  leur  maître  pour  les  en  empêcher.  Cette 
petite  affaire  pouvoit  avoir  de  grandes  conséquences.  L'offi- 
cier Mongol  rassembla  un  nombre  considérable  de  ses  com- 
patriotes, et  revint  sur  ses  pas  pour  se  venger;  mais  Avag 
prit  la  fuite,  et  se  retira  près  de  Roussoudan,  dans  la  place 
forte  où  cette  reine  se  tenoit  renfermée.  Vainement  les 


(1)  litx  Tiiriaroruin  imperatorl 
Friderico  tnanJavit  vt  sibi  in  ■  hoc 
comiiUrti,  quiittnùs  ojfuiiim  all^ucd 
in  sua  ciiria  rligerfl ,  et  Je  st  ttrrivn 
tenrrrt.  Adqtiod  nspondint  imperator 


Jî-rtur,  qiiaJ  sat'is  scit  de  av'iius ,  et 
l/tne er'it  faUonarius.  {Chron.  Albcric. 
in  Scriptcr.  hislor.  Ccnn.  tom.  11, 
pag.  56-.  ) 

(i)  tllc  arriva  en  I2<10' 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  4' 3 
généraux  Mongols ,  affliges  de  ce  qui  s'étoit  passé,  firent 
^unir  Dchodchboiiga,  et  écrivirent  au  prince  Géorgien  pour 
l'inviter  à  revenir  chez  lui  :  celui-ci ,  se  fiant  peu  à  leurs 
promesses,  aima  mieux  envoyer  de  nouveaux  messagers 
au  grand  khan,  pour  lui  faire  connoître  toute  l'affaire.  II 
vint  alors  un  yarlik,  ou  ordre  suprême,  adressé  aux  gé- 
néraux Mongols  ,  pour  leur  enjoindre  de  bien  traiter  Avag 
et  les  autres  princes  Arméniens  et  Géorgiens,  de  ne  rien 
exiger  d'eux  par  force  ,  mais  de  recevoir  seulement  les  tri- 
buts qui  leur  étoient  imposés. 

Cet  ordre  procura  un  peu  de  repos,  non-seulement  à 
Avag  ,  mais  encore  à  la  reine  de  Géorgie ,  qui ,  par  l'en- 
tremise de  ce  dernier,  avoit  aussi  fait  la  paix  avec  les  Tar- 
tares ,  sans  néanmoins  sortir  de  son  asile.  Les  chrétiens 
avoient  pourtant  beaucoup  à  souffrir  des  instigations  des 
Persans  musulmans  ,  qui  poussoient  les  Tartares  à  les  per- 
sécuter ;  les  choses  en  vinrent  mcme  au  point  ,  que  les 
Syriens  ,  les  Arméniens  et  les  Albaniens  avoient  à  peine 
la  liberté  de  faire  ouvertement  leurs  pratiques  de  religion. 
Ainsi  les  musulmans  furent  les  premiers  à  donner  l'idée  de 
ces  luttes  sanglantes  où  les  Tartares,  instrumens  aveugles 
et  indifférens  ,  tourmentoient  un  parti  sans  prendre  intérêt 
à  l'autre.  Nous  verrons  par  la  suite  que  l'exemple  des  mu- 
sulmans fut  plus  d'une  fois  suivi  par  les  chrétiens. 

Il  y  avoit  alors  à  la  cour  du  grand  khan  un  docteur 
Syrien,  x\omxx\é  Siméon  ,  homme  instruit  et  zélé,  qui  étoit 
allé  prêcher  l'évangile  aux  extrémités  de  l'Asie.  Son  mé- 
rite lui  avoit  ouvert  un  accès  près  d'Ogodaï,  qui  le  nom- 
moïi  Aîa  [père,  en  turc];  les  autres  le  nommoient  Rabban 
[nwître,  en  syrien].  Informé  de  tout  ce  que  souffroient 


4i4  MEMOIRES  DE  LACAOEMIE 

les  chrctiens  d'Arnicnie,^'All)aiiie  el  Je  Géorgie,  il  saisit 
ujie  occasion  favorable  pour  en  parler  au  khakan  ,  et  lui 
reprcseiita  que  les  persécutions  exercées  contre  des  sujets 
fiticles,  (jui  ne  lui  avoient  jamais  opposé  de  résistance,  cjui 
le  servoient  avec  ztle  et  payoient  exactement  les  tributs, 
tournoient  à  la  honte  plutôt  qu'à  la  gloire  de  son  empire. 
Ces  remontrances  furent  bien  reçues  du  khakan ,  qui  en- 
voya,  en  1241,  Siméon  lui-même  en  Armciiie ,  comme 
administrateur  chargé  de  tout  ce  qui  concernoit  les  chré- 
tiens ,  avec  des  patentes  pour  le  faire  reconnoître  des  géné- 
raux qui  occupoient  ces  contrées.  Son  arrivée  mit  hn  aux 
souffrances  des  chrétiens  :  le  libre  exercice  de  la  religion 
fut  rétabli  dans  tous  les  pays  soumis  aux  Mongols;  beau- 
coup de  ceux-ci  se  convertirent,  et  reçurent  le  bajncme. 
De  là  vint  lopinion  qui  se  répandit  assez  généralement 
dans  le  Levant ,  que  les  Tartares  avoient  embrassé  le 
christianisme,  et  que  leurs  chefs  étnient  baptisés. 

D'après  un  ordre  venu  de  Kara-koroum  ,  les  généraux 
Mongols  s'assemblèrent,  et  choisirent,  pour  remplacer 
Tcharmagan  ,  l'un  d'entre  eux,  nommé  Biitcliou-ttouyiW. 
Celui-ci  réunit  des  troupes  ,  y  joignit ,  comme  auxiliaires, 
des  Arméniens,  des  Géorgic-ns  et  des  Syriens,  et  marcha 
contre  le  sultan  d'Iconium.  Il  le  battit  ,  prit  Arzroum  . 
Sébaste,  Césarée ,  et  plusieurs  autres  villes.  La  mère,  la 
temme  et  la  fille  du  sultan  se  réfugièrent  près  d'Hayton  , 
roi  de  la  petite  Arménie.  Celui-ci ,  qui  voyoit  les  Mongols 
s'approcher  de  ses  états,  commença  à  craindre  pour  lui- 
même.  H  avoitsous  les  yeux  l'exemple  des  princesses  com- 
patriotes à  qui  leur  soumission  valoii  tous  les  jours  de 
nouvelles  grâces.  Thamtha,  soeur  d'Avag,  vcnoit  d'obte- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  4>î 
nir,  par  la  protection  de  l'impératrice  des  Mongols,  t|u'ûa 
iui  rendît  la  ville  de  Khelath  ,  qui  lui  appartenoit ,  comme 
faisant  partie  de  l'hcritage  de  Malek-Aschraf,  son  mari. 
D'autres  veulent  que  le  roi  d'Arménie  ait  saisi  cette  occa- 
sion de  se  délivrer  du  joug  du  sultan  d'Iconium  (  i  ).  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  résolut  de  se  soumettre  aux  Mongols, et, 
au  commencement  du  printemps  de  l'an  1244  »  "  ^^"'" 
envoya  des  ambassadeurs  avec  des  présens,  se  reconnois- 
sant  tributaire  du  grand  khan.  Ses  envoyés  allèrent  d'a- 
bord trouver  le  prince  Arménien  Dchalal  ,  et  ce  fut  par 
son  entremise  qu'ils  furent  présentés  à  Batchou  ,  à  Eltina, 
veuve  de  Tcharmagan ,  et  aux  autres  généraux  Mongols. 
Mais  la  première  chose  qu'on  exigea  d'Hayton  ,  fut  qu'il 
livrât  la  mère  et  la  femme  de  Ghayath-eddin  ,  sultan  d'Ico- 
nium. Les  ambassadeurs  revinrent  donc  près  de  leur  maître, 
accompagnés  d'envoyés  Tartares  pour  recevoir  les  prin- 
cesses. Hayton,  malgré  sa  répugnance,  se  vit  forcé  à  les 
abandonner  (2  ).  Il  fit  de  grands  présens  aux  Tartares, 
leur  en  remit  encore  pour  ceux  qui  les  avoient  envoyés, 
et  députa  de  nouveaux  ambassadeurs  à  Batchou.  Ce  prince 
les  reçut  avec  joie,  et  conclut  avec  eux  un  ti'aité  d  al- 
liance. Il  les  garda  près  de  lui  pendant  l'hiver,  et  les  ren- 
voya au  printemps  à  Hayton, 


(i)  Le'roi  d'Ermenie,  pour  li  dé- 
livrer du  servage  au  soudane  du 
Coine  ,  en  ala  au  roi  des  Tartarins , 
et  se  mist  en  leur  servage  pour  avoir 
leur  aide,  et  amena  si  gram  foison 
de  gens  d'armes,  que  il  or  pooir  de 
combattre  au  soudane  du  Coyne.  Et 
dura  grant  pièce  la  bataille,  et  li 
tuèrent  les  Tartarins  tant  de  sa  gent 


que  l'en  n'oy  puis  nouvelles  de  li. 
(Joinville,  éd.  du  Louvre, pag.  31.) 
(2)  Simili  ac  legaii  venerunt ,  tra- 
dita  est  in  maïuis  Tatarorum,  Quod 
quidem  factum  injustum  odio  et  vitu- 
perio  dignum  visum  est  omnibus 
nobilibus  et  ignobilibus.  (Bar-Hebr. 
Cliroiu  pag.  521.) 


fliatih.    Farit. 
P'S-  9>7- 


4  1(5  .MKMOIKLS  DF.  L'ACADl.MIE 

Let>  Mongols,  maîtres  de  la  Géorgie,   Je  l'Albanie  et 
de  l'Armcnie,  vouliifent  y  joindre  la  Syrie,  où  ils  ctoient 
appelcs  par  les  vœux  des  chrétiens,  empresses  de  voir  bri- 
ser le  joug  des  nuisiilinans.  Vers  la  lui  lie  I'cIl-  (  1244)» 
Batchoii  envoya  par  deux  fois  diflcrens  députes  au  prince 
d'Antioche ,  et  le  fit  menacer  de  la  plus  terrible  vengeance, 
s'il  ne  s'empressoit  de  remplir  trois  ordres  qu'il  lui  sii^ni- 
fiolt  :  le  premier  ctoit  d'abattre  les  murailles  de  ses  villes 
et" de  ses  châteaux;  le  second,  de  lui  faire  ^passer  la  tota- 
lité des  revenus  de  sa  principauté  en  or  et  en  argent;  et 
le  troisième,  de  faire  choix   de  trois  mille  jeunes  filles, 
et  de  les  envoyer  au   camp  des   Tartares  (  i  ).  A   de  si 
cruelles   propositions  ,    Boémond    protesta   d'abord   cjii'il 
aimoit  mieux  mourir  que  de  remplir  une  seule  des  condi- 
tions qu'on  vouloit  lui  imposer  (2).  Les  envoyés  Tartares 
se  retirèrent  en  fiiisant  beaucoup  de  menaces.  Mais,  l'année 
suivante  (  1245).  quand  il  eut  appris  la  soumission  du  roi 
d'Arménie  et    la   marche  triomphante  des  Mongols  dans 
la  Mésopotamie,  sa  résolution  fut  ébranlée,  et  il  se  soumit 
au  tribut,  ainsi  c]ue  plusieurs  autres  princes  chrétiens  et 
musulmans. 


(i)  EoAcmaimo,  ctstatt  dcclinan- 
U  .praeàpuusrex  Tartaronim  signift- 
cavit  bis  per  diverses  nuncios  principi 
Antlochiar ,  ut  tria  sibi  compifret 
mandata;  tin  autem ,  solus  gladiiis 
criitntalus  iiltioncin  exerceret  :  pri- 
mum ,  ut  humiliartt  muros  civiiatum 
siiarum  ac  castrorum  ;  secundum  ,  ut 
mitttrtt  ri  reddiluin  totum  auri  tl  ar- 
"inti  ex  principutu  siio  provenientmt  ; 
irrtiuin ,   ut  tria    inillia    vir^inum   ii 


dfstinarft.  (  Matth.  Paris,  pag.  876.) 
(-)  Quod  cùm  princcps  intellexissel, 
ab  iino  traitais  suspiria  ,  ait  ;  a  Vixii 
«  Dominus  et  vivunt  sancti  ejus  ,quia 
»  nunnuam  alicui  mandatorum  suo- 
»  rum  conscntiam.  Opto  pnliùs  ut  res 
»  iigafur  pro  capitihis,  ttde  vullu  Do- 
»  mini  Jitdicium  Iwrum  prcdeat.  »  Et 
sic  nuncii  comminantts  ad  dominum 
suorum  sunt  reveni.  (  Id.  ibid.  ) 

L'un 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  417 
L'un  des  premiers  résultats  de  cette  expédition  de  Ba- 
tchoii  fut  la  prise  de  Khelath ,  que,  d'après  l'ordre  du 
grand  khan,  on  remit  à  la  princesse  Thamtha.  Les  Mon- 
gols se  rendirent  ensuite  maîtres  d'Amid  ,  de  Nisibe  ,  d'E- 
desse  ,  et  de  beaucoup  d'autres  places  de  la  Mésopotamie. 
Un  auteur  du  temps  va  jusqu'à  dire  qu'ils  s'emparèrent 
de  Jérusalem,  et  qu'ils  remirent  cette  ville  entre  les  mains 
des  chrétiens  ,  cjui  s'étoient  unis  à  eux  par.i'entremise  du 
roi  d'Arménie  (i).  Je  n'ai  pas  besoin  de  réfuter  cette  asser- 
tion évidemment  erronée.  L'expédition  s'étant  faite  en 
été  ,  les  Tartares,  peu  accoutumés  aux  grandes  chaleurs, 
perdirent  beaucoup  d'hommes  et  de  chevaux,  et  se  trou- 
vèrent tellement  affoiblis  ,  qu'ils  furent  forcés  de  se  reti- 
rer. Mais  ils  avoient  semé  une  grande  terreur  sur  leur 
route  ;  les  habitans  s'enfuyoient  à  leur  approche ,  et  iais- 
soient  leurs  villes  désertes.  Au  seul  nom  des  Tartares  , 
comme  autrefois  à  la  vue  des  Euménides  d'Eschyle,  les 
femmes  enceintes  avortoient  de  frayeur  (2).  Par-tout,  sur 
leur  passage ,  ils  massacroient  les  habitans  de  tout  âge 
et  des  deux  sexes,  n'épargnant  que  les  chrétiens,  à  cause 
de  leur  alliance  avec  les  princes  d'Arménie  (^). 

Ainsi  cette  expédition  ,  qui ,  d'abord  ,  avoit  paru  devoir 
ajouter  aux  maux  des  chrétiens ,  devint  au  contraire  la 


(i)  Tartres...  occupèrent  toute  la 
Turquie  à  !a  cité  de  Gazam  ,  et  pris- 
trent  Iherusalem ,  et  la  rendirent  aux 
chrétiens  qui  aus  Tartars  s'estoient 
alliez  par  procuracion  du  roi  d'Erme- 
nie.  ( Pereor'macion  du  frère  Bieult  j 
manusc.fr.  n.°  8932, fol.  281  verso.) 

(2)  Toutes  les  gens  de  Orient  en 
eurent  si  grant  paour  et  sigrant  hide, 


que  le  seul  nom  des  Tartres  ,  et  la 
hideur  de  les  oyr  nommer  par  les 
villes  et  les  chasteaulx,  faisoit  les 
dames  enchaintes  abortir  de  peur  et 
de  hide.  ( Peregrinacion  ,  ubi  siiprà.J 
(3)  Tout  meinent  à  l'espée  ,  fors 
seulement  les  chrestiens  qui  avec  eux 
s'estoient  alliez,  comme  dessus  est  dit. 
f/d.  ibid.) 


Tome  VI.  G» 


4i8  Mà.MOlRLS  DE  L'ACADl.MIE 

source  des  négociations  qu'ils  entamcrent  avec  les  Tar- 
tares.  A\ant  d'arriver  aux  Francs ,  les  Tartares  avoient  à 
combattre  les  restes  des  Seidjoucides  d'iconiuui ,  les  rois 
de  la  race  de  Saladin,  et  les  autres  princes  musulmans, 
avec  lesquels  les  Francs  étoient  aussi  en  guerre.  Les  Francs 
et  les  Mongols  ctoient  donc  alliés  naturels,  et  dévoient 
unir  leurs  efforts  contre  les  musulmans.  A  cet  intérêt 
commun  dont. on  se  hâta  de  se  prévaloir,  les  papes  ten- 
tèrent d'en  ajouter  un  autre  ,  celui  de  la  religion  :  ils  dépu- 
tèrent vers  les  généraux  Mongols,  des  missionnaires  char- 
gés de  leur  faire  connoitre  la  foi.  L'entreprise  étoit  grande, 
et  présentoit  pourtant  quelques  chances  de  succès.  Le  bruit 
s'étoit  répandu  que  les  Tartares  avoient  parmi  eux  un 
grand  nombre  de  chrétiens.  La  fable  du  Prêtre  Jean  , 
fondée  sur  les  récits  mal  interprétés  des  Syriens  qui  voya- 
geoient  dans  la  Tartarie  ,  étoit  alors  en  faveur  en  Europe. 
D'ailleurs,  les  Mongols  ne  reconnoissoient  pas  Mahomet, 
et  poursuivoient  avec  acharnement  les  musulmans  :  c'en 
etoit  assez,  dans  ces  siècles  peu  éclairés ,  pour  être  regarde 
comme  ayant  lait  un  grand  pas  vers  le  christianisme.  En- 
,  fin  les  Tartares  avoient  d'abord  été  pris  pour  des  magi- 
ciens ou  des  démons  incarnés,  quand  ils  avoient  altaijué 
les  chrétiens-  de  Pologne  et  de  Hongrie  ;  peu  s'en  fallut 
tju'oii  ne  les  crût  toul-à-fait  convertis,  quand  on  vit  qu'ils 
faisoient  la  guerre  aux  Turk.s  et  aux  Sarrasins. 

Les  iilées  religieuses  des  Mongols  ctoient  telles,  à  cette 
époque,  qu'on  pouvoit  les  souhaiter  pour  favoriser  leur 
conversion.  On  savoit  qu'admettant  un  dieu  uni(jue  et 
tout-puissant,  cju'ils  nommoient  Tcigri  [  le  ciel  ]  ,  ils  n'ajou- 
toient  à  cette  idée  fondamentale  aucune  notion  accessoire 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  4^9 
bien  précise  ,  et  presque  point  de  pratiques  supersti- 
tieuses (i).  Tchinggis,  en  leur  donnant  des  lois,  s'étoit , 
à  dessein ,  contente  d'établir  dans  leur  esprit  la  base  de 
toute  législation  ,  laissant  an  temps  et  aux  localités  à  y 
ajouter  ce  que  les  circonstances  rendroient  nécessaire.  Il 
semble  qu'il  craignît  qu'une  croyance  exclusive  n'apportât 
obstacle  à  ses  conquêtes,  qu'une  croyance  simple,  et,  pour 
ainsi  dire  ,  abstraite  ,  pouvoit  au  contraire  rendre  plus 
faciles.  En  effet ,  les  Mongols  ,  indifférèns  à  toutes  les  reli- 
gions ,  étoient  préparés  à  les  adopter  toutes  également, 
et  pou^'oient  se  faire  de  leur  conversion  un  titre  aux  yeux 
des  peuples  qu'ils  avoient  soumis.  Par-tout  où  les  succes- 
seurs de  Tchinggis  ont  établi  des  souverainetés,  ils  ont 
pris  le  culte  dominant  :  ils  sont  devenus  bouddhistes  à  la 
Chine  ,  musulmans  en  Perse.  En  AHemagiie  ou  en  Italie  , 
ils  eussent  sans  doute  embrassé  le  christianisme,  et,  une 
seconde  fois ,  l'Europe  eût  désarmé  et  policé  par  la  reli- 
gion les  barbares  qu'elle  n'eût  pas  su  repousser  par  les 
armes. 

Innocent  IV  résolut  donc  d'envoyer  à-la-fois  vers  Ba- 
tou ,  général  de  l'armée  du  nord,  qui  campoit  alors  sur  les 
bords  du  Wolga ,  et  vers  Batchou  ,  qui   commandoit  en 


(i)  C'est  ce  que  témoigne  Pierre 
archevêquede  Russie,  chez  Mathieu 
Paris, p. 875.  —  Tartarî  uniiin  Deuui 
colunt jfactorem  omnium  bonoruin,  et 
pœnaruvi  in  hoc  inundo\datoreni,  (iVlar. 
Sanut.  I.iii,part.Xlll,c.9,p.  240.)  — 
En  manière  de  vivre  et  de  créance, 
different-il  de  toutes  autres  nations 
du  monde  ;  car  il  ne  se  vantent  point 
d'avoir  loy  baillie  de  Dieu,  comme 


plusieursautres  nations  mentent,  mais 
croient  un  Dieu,  et  ce  bien  tenu- 
ment  et  bien  simplement,  parne  sçay 
quel  mouvement  de  nature,  que  na- 
ture leur  monstre,  que,  sur  toutes 
choses  du  monde  ,  est  une  chose  sou- 
veraine qui  est  Dieu.  [Peregrinacion 
de  frère  Bieult ,  fol.  2,76  verso.  Voy. 
aussi  Rubruquis,  Plan-carpin,Marc- 
Pol,  et  autres.) 

G  '  ij 


420  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Perse  et  en  Armciiie.  Il  choisit  pour  la  premi«^re  ambas- 
sade Laurent  Je  Portugal ,  Jean  du  Flan-carpin  et  Benoît, 
tous  trois  frères  de  l'ordre  de  Saint-François,  et  il  leur  re- 
commanda fortement  tie  prendre  sur  les  coutumes  des  Tar- 
tares  toutes  les  informations  qu'il  leur  seroit  possible  (t). 
II  envoya  en  Perse  quatre  religieux  de  l'ordre  des  frères 
prêcheurs,  Ascelin  ,  Simon  de  Saiiit-Q^iienlin  ,  Alexandre 
et  Albert,  auxquels  se  joignirent  en  route  Guichard  de 
Cr<5mone  et  André  de  Lonjumel.  Il  chargea  ces  deux 
ambassadeurs  de  deux  lettres  écrites  de  Lyon ,  le  5 
mars  1245. 

Comme  les  circonstances  de  leur  voyage  nous  sont 
bien  connues  par  les  relations  que  nous  en  ont  laissées 
Jean  ihi  Pian-carpin  et  Simon  de  Saint-Q.uen(in  ,  nous 
ji'en  placerons  ici  qu'un  résumé  rapide  ,  seulement  pour 
ne  pas  laisser  de  lacune  dans  l'histoire  de  ces  négociations, 
et  pour  qu'on  puisse  prendre  une  juste  idée  de  l'esprit 
général  dans  lequel  elles  furent  entreprises.  Les  deux- 
lettres  i.\u  pape  n'ont  rien  de  remarquable.  La  première 
Oder.  n,iy„.  ne  contient  guère  que  des  exhortations  aux  Tartares 
"*■  "*''  ^'  '  pour  les  engager  à  embrasser  le  christianisme  ,  un  expose 
de  la  foi ,  et  ])articulièrement  de  la  puissance  du  souve- 
rain pontife  sur  terre  ,  et  la  recommandation  des  hommes 
prudens  et  éclairés  (ju'il  leur  envoie  (2).  Dans  l'autre,  le 


(1)  Lour  enjonist,  en  remission  de 
loiir  pechics,  que  il  enqucsissent  cli- 
ligaument  de  l'estrc  et  dou  cous- 
in mes  des  Tartaircs,  selon  leur  pooir. 
[Cliron.  de  France ,  nian.  de  la  BiM. 
roy.  n.''939,  fol.  384  reclo.) 

(2)  Verùiit ,  >]iiia,  humano!  condi- 


fionis  reni rente  nûtiirâ,  uiio  eodemqut 
tanpore  diversis  loch  pr.vsentialiier 
adcise  i\e~]uiinus,ne  ullatenùs  negUgert 
videamur  absentes ,  ad  ecs  viros  pro- 
vidos  et  discrètes  transm'ittimus  vice 
nostrà,  ifc. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      4^« 

pape  emploie  tour-à-tour  la  prière  ,  ie  reproche,  et  nicme 
les  menaces;  il  cherche  à  apaiser,  à  attendrir  et  en  même 
temps  à  intimider  les  Tartares ,  et  leur  demande  de  lui 
faire  savoir  la  cause  qui  les  anime  à  détruire  toutes  les 
autres  nations. 

Les  dominicains  arrivèrent,  au  mois  d'août  1247,  nu     l'inantpcih,,. 

.Sf'CiUl.  Iintor.  l. 

campement  de  Biitilwa-nouyau,  que,  dans  leur  orthographe  xxxii.  c.  xx. 
h-régulière,  les  écrivains  du  temps  appellent,  tantôt  Ba- 
c/ion, et  tantôt  Bayothnoi.  Par  le  récit  naïf  qu'ils  nous  ont 
laissé  de  la  réception  qui  leur  fut  faite ,  on  voit  que 
cette  première  négociation  offrit  de  grands  dangers,  et 
pensa  mcme  toûter  la  vie  à  ceux  qui  s'en  étoient  chargés. 
Les  Tartares  furent  très-surpris  quand  Ascelîn  leur  dit 
qu'il  étoit  ambassadeur  du  pape,  le  plus  grand  de  tous 
les  hommes  en  dignité.  Ils  lui  demandèrent  s'il  ne  savoit 
pas  que  le  khakan  étoltfls  du  ciel ,  titre  Chinois  qui  veut 
dire  empereur ,  et  que  nos  historiens  ont  rendu  par  fils 
de  Dieu.  Ils  parurent  très -choqués  quand  Ascelin  répon- 
dit que  le  pape  ne  savoit  ce  que  c' étoit  que  le  khakan. 
Leur  étonnement  redoubla  quand  ils  virent  que,  contre 
l'usage  constant  des  ambassadeurs  en  Asie ,  ceux-ci  n'ap- 
portoient  aucun  présent  (i),,  et,  sur-tout,  quand  les  reli- 


(i)  Au  sujet  des  présens  que  les 
JVlongols  «jxigeoient  des  ambassa- 
deurs qui  venoient  à  eux ,  on  rapporte 
i'anecdote  suivante  :  «  Ung  Franco)  s 
»  vint  au  grand  caan  des  Tartres , 
i>  et  li  empereur  lui  demanda  quel 
«  chose  cilx  lui  avoit  apportée.  Ly 
«Françoys  respondy,  et  dist:  Sire, je 
»  ne  vous  ai  riens  apporté ,  car  je  ne 
n  Savoie  mie  vostre  grant  piiiiSiince. 


"  Comment ,  dist  l'empereur,  lez  oy- 
»  seaulx  qui  veulent  par  les  pai-^  ne  te 
i>  dirent-il  riens  de  iiostre  puissance , 
u  quand  tu  entras  en  ce  pays  !  Ly 
»  Françoys  respondy:  Sire,  dit-il, 
ti peust  bien  estre  que  il  tm  dirent; 
jj  mais  je  n'entendy  point  leur  parole. 
»  Et  par  ainsi  fut  l'empereur  apaissé.» 
{ Peregrin.  de  Fr.  Bieult ,  fol.  276 
recto.  J 


i" 


ME.MOIRllS  DL  LACAU1..MIE 

gieux  réinsèrent  de  se  prosterner  tlexant  Batchoii ,  sorte 
d'homn.age  cjiie  ce  général  avoit  droit  d'exiger,  comme 
lieutenant  du  fils  du  ciel.  Mais  ils  entrèrent  en  turcnir  , 
quand,  après  en  avoir  délibéré  entre  eux,  les  frères  se 
furent  offerts  à  rendre  à  Batchou  les  honneurs  qu'on  de- 
niandoit,  sous  la  condition  qu'il  se  leroit  chrétien.  On  les 
accabla  d'injures  à  cette  proposition  ;  Batchou  voulut  les 
faire  mettre  à  mort.  Qiielques-uns  de  ses  olliciers  ouvrirent 
l'alfreux  avis  d'écorcher  le  chet  de  l'ambassade,  de  remplir 
sa  peau  de  paille,  et  de  la  renvoyer  au  pape  par  ses  compa- 
Wy.  J'.-txi-  gnons (i);  mais  la  plus  ancienne  des  lemmes  de  Batchou, 
.L-.ns  ViHctnt  Je  ct  1  ollicier  chargc  des  anaires  des  ambassades,  soppo- 
"  '  scrent  à  cet  acte  de  barbarie,  en  représentant  au  prince 
qu'on  pourroit  exercer  des  représailles  sur  ses  propres  en- 
voyés,  et  que  le  khakan  avoit  déjà  manifesté  son  mécon- 
tentement de  ce  que,  dans  une  occasion  semblable,  on 
avoit  arraché  le  coeur  à  un  ambassadeur  (2).  Batchou  con- 


Bedia'iiis 


(  I  )  Auchun  i  oc  qui  disent  que  il  ne 
iooient  pas  que  on  les  ochcsist  fous , 
mais  ly  principaux  messagers  l'apos- 
tolle  liist  Cjchorchii-'s ,  et  la  piau  lust 
cnipiic  de  paille  ct  envo)cc  à  l'apos- 
tolle  par  tes  compaignons.  (  Chron. 
man.  frani,-.  n.°  939,  toi-  393  recto.) 
(z)  Une  des  six  fenies  Bayonoy,  ki 
«toit  li  plus  anchyene  dis  autres  , 
et  uns  ki  avoit  la  cure  des  messages 
qui  venoicnt  à  court,  se  tenoient 
contre  ces  scntenscs.  L.i  dame  dist  à 
Bayonoya|Cir  tu  fais  ochirre  cesinesui- 
giers ,  III  amriis  la  haine  dt  tous  cfiiaus 
qui  orront  Jirt  ijtie  tu  avtr.is  fait  tel 
cruauté.    Et   par  cbe  ptrdras-tn  les 


grans  dons  et  les  grans  presens  qut 
on  te  seul  envoyer  de  diverses  terres,  et 
des  tiens  tnessiiç,ers  le  ftra  au  contre- 
tel.  Et  cil  qui  avoit  la  cure  des  mes- 
sagers ,  dist  à  Bayonoy  :  Te  scuvieni-il 
comment  Cliam  fut  iadis  courechie^ 
i7  moi  pour  un  message  que  tu  mefesit 
ochirre  que  je  li  esrachai  le  cuer  don 
ventre,  et  puis  le  pendi  i  mon  poitral 
et  portai  par  l'ost.  Saiches ,  se  lu  me 
commandes  ces  messages  à  ochire ,  )e 
ne  le  ferai  pas ,  ains  m'en  irai  plus- 
tost  que  je  porai  à  Cham  et  l'ancu- 
serai  coume  faus  et  desloial  des  œures 
lie  tu  veuls  faire.  Par  ces  parolles  for 
Bayonoy  ratrencs,  &c.(/tid.  verso.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  423 
sentit  donc  à'^es  laisser  vivre  :  mais  il  vouloit  qu'ils  se  ren- 
dissent à  la  cour  du  grand  khan;  ce  qu'Ascelin  refusa  ab- 
solument. 

Dans  les  pourparlers  qui  eurent  lieu  à  cette  occasion  , 
les  Tartares  s'informèrent  adroitement  si  les  Francs  avoient 
de  nouveau  passé  en  Syrie  ;  car  ils  les  connoissoient  déjà 
de  réputation.  Leur  bravoure  ,  la  supériorité  de  leurs 
arm^s  et  de  leur  discipline  ,  la  continuité  des  guerres 
qu'ils  faisoient  aux  Turks  et  aux  Arabes,  les  avoient  de- 
puis long-temps  rendus  redoutables  en  Turquie,  en  Egypte 
et  en  Syrie.  Il  se  faisoit  peu  d'expéditions  dans  ces  con- 
trées où  les  Francs  ne  se  trouvassent  comme  auxiliaires. 
Ala-eddin  ,  sultan  d'Iconium  ,  en  avoit  à  sa  solde,  ainsi 
que  son  fils  Ghayath-eddin. 

Il  se  trouva  dans  la  ville  d'Arzendjan  ,  quand  elle  fut  j,'^ 
prise  par  les  Mongols,  deux  Francs  qui  augmentèrent, 
par  une  bravoure  portée  jusqu'à  l'extravagance,  la  haute 
idée  que  les  Tartares  s'étoient  formée  des  gens  de  leur 
pays(i),  et  Guillaume  de  Nangis  fait  remonter  à  ce  siège 


(1)  Contioii  autem  ut  in  ilLi  civi- 
tate  capti  essent  duo  Franci  christiani, 
Cuinque  tenerentur  captivi ,  quidam 
Tartararum,  qui  audierant  quhd  Fran- 
ci fortes  tillatins  essent,  suggesserunt 
cœteris  majoribus ,  ul  illi  duo  pugna- 
rent  inter  se ,  quia  modum  pugnandi 
eoTum  libenter  aspicerent ,  congau- 
dentes  urique  eorum  interficticni ,  sicut 
vutabanti  manibus  ipsvrumfaciendœ. 
Itaqiie,  de  coinmuni  inajorum  assensUj 
armaturis  et  eqiiis ,  proutjieri  ineliùs 
potuit,  cojnpetenttr  prœparatîs ,  non 
tnseipsos,  ut  Tartari  putabant ,  sed 
in    Tarlaros  illico   irrudrunt.   Prima 


Bar  -  H(^r. 
Chron.  i>.  jtj. 


quidem  lanceis ,  posteà  gladiis  ecsper- 
cutientes ,  ex  ipsis  XV  occiderunt,  et 
alios  XX  X  graviter  vulneratos ,  ante- 
quam  à  Tartaris  interfecti  fuissent, 
reliquerunt.  Propter  quod  extunc  ti- 
muerunt  Francos  Tartari.  (  Guill.  de 
Nangiaco  ,  Cfsta  S.  Ludovici ,  in 
collect.  Andr.  Duchesne,  toni.  V. 
pag.  340.  ) 

Vincent  de  Beauvais  nomme  ces 
deux  Francs,  Guillerin  de  Brindes 
et  Raymond  de  Gascogne.  (Vincent. 
Bellovac.  Specul.  liistor.  lib.  XXXI, 
cap.  CXLI.) 


424  MÉMOIRES  DE  L'ACAOrMTF 

la  cause  de  la  crainte  cjue  les  Francs,  suivunt  lui,  inspi- 
roicnt  aux  Mongols.  Il  est  au  moins  certain  cjuc  ces  der- 
niers défendirent  à  tous  leurs  tributaires  de  prendre  à  l'a- 
T/vm/  kùior.  venir  des  Francs  dans  leurs  armées.  Il  n'est  donc  pas  sur- 

lii.XXX,  (,w.  ...  .  .    /■  ,  ..,,,.,. 

Lxxxiu.         prenant  c[u  ils  se  soient  iniormcs  avec  curiosité,  d  jAscelin 

et  de  ses  compagnons,  de  ce  qui  concernoit  leurs  com- 
patriotes. 

Après  de  longs  délais,  dont  la  principale  cause  tftoit, 
rt<yjgt,rÀsce-  suivant  l'aveu   mt^me   des   reliiiieux,  le  mépris   que   les 
gen,n.  J  artares  avoient  pour  eux,  les  lettres  du  pape  ayant  ctc 

traduites  en  persan  par  les  interprètes  Turks  et  Grecs  , 
puis  du  persan  en  tartare  par  ceux  de  Batchou ,  on  se 
prépara  à  les  renvoyer.  Ogoda,  général  Mongol,  qui  ve- 
noit  prendre  le  commantlement  de  la  Géorgie,  arriva  sur 
ces  entrefaites  ,  et  remit  à  Batchou  de  nouveaux  ordres 
du  grand  khan  pour  tous  les  lieux  de  sa  domination.  Les 
Tartares  envoyèrent  au  pape  une  expcditio/ide  ces  ordres, 
quils  nommoient,  suivant  les  relations  du  temps,  lettres 
de  Dieu  ;  c'est  l'expression  Chinoise  de  lettres  du  ciel,  par 
laquelle  on  désigne,  en  effet,  tous  les  ordres  émanés  de 
l'empereur,  La  traduction  de  cette  pièce,  et  celle  delà 
lettre  qu'y  joignit  Batchou  ,  nous  ont  été  conservées  par 
Sitcul.  hbioT.   Vincent  de  Beauvais ,  et  je  ne  désespère  pas  qu'on  n'en 

I.  XXXII .  C.LI.  .  ...  T         ^  I' 

puisse  un  jour  retrouver  les  originaux.  Le  ton  d  arrogance 
et  de  mépris  qu'on  y  remarcpie,  est  le  véritable  cachet 
de  leur  authenticité.  Le  kliakan  y  parle  en  maître  du 
monde,  et  traite  de  rebelles  dignes  de  mort  les  princes 
qui  méconnoitront  ses  ordres.  Ces  idées  sont  encore  la  base 
du  droit  public  des  Chinois ,  qui ,  ne  reconnoissant  d'autre 
souverain  daps  l'univers  que  le  jds  du  ciel ,  qualifient  de 

rcvolic 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  Az^ 
révolte  toute  tentative  d'indépendance  ,  et  de  brigands 
tous  les  peuples  qui  osent  faire  la  guerre  à  l'empire.  Les 
pièces  dont  il  s'agit  offrent  encore  d'autres  particularités 
évidemment  empruntées  du  style  de  la  chancellerie  Chi- 
noise ,  et  qu'il  est  aisé  de  reconnoître  à  travers  les  alté- 
rations que  les  traducteurs  leur  ont  fait  subir.  C'est  là  le 
moyen  de  critique  dont  j'ai  fait  usage ,  à  défaut  des  ori- 
ginaux ,  pour  rectifier  les  traductions  que  je  donnerai,  à  la 
suite  de  ces  Mémoires,  dans  le  recueil  des  lettres  adressées 
aux  princes  chrétiens  par  les  Mongols. 

Il  est  un  fait  qui  ne  résulte  pas  bien  clairement  du  récit 
de  Simon  de  Saint  -  Q.uentin ,  tel  que  nous  l'a  transmis 
Vincent  de  Beauvais  :  c'est  l'envoi  d'ambassadeurs  Tar- 
tares  ,  qui  accompagnèrent ,  à  leur  retour  en  Europe , 
Ascelinetses  compagnons.  Batchou  avoit  d'abord  désigné 
des  ambassadeurs  pour  aller  avec  les  religieux  :  mais  il 
changea  d'avis  en  apprenant  la  prochaine  arrivée  d'Ogo- 
da,  envoyé  par  le  khakan.  On  fit  pourtant  ensuite  prépa- 
rer les  ambassadeurs  pour  être  les  porteurs  des  lettres  de 
Batchou  (i) ,  et,  quelque  temps  après,  les  Tartares  accor- 
dèrent enfin  aux  religieux  la  permission  de  s'en  aller  avec 
les  leurs;  Batchou  lui-même,  en  terminant  sa  lettre,  dit 
qu'il  la  remet  à  deux  messagers  nommés  Ay-bek  et  Sargis. 
Mais,  comme  le  récit  du  frère  Simon  est  tronqué,  et 
qu'il  n'y  a  aucun  détail  sur  le  retour  de  ses  compagnons, 
il  faut  recourir  à  d'autres  sources  pour  y  suppléer.  Un  his-  Aiatth.  l\im. 
torien  nous  apprend  que,  dans  l'été  de  1248  ,  époque  du  '"'»■■"""• 
retour  d'Ascelin  ,  deux  envoyés  des  Tartares  vinrent  trou- 


(1)  Adaerrains  furent  lettres  faites 
pour  porter  à  l'apostoile  et  message 


ordi^ne  pour  aler  avec  les  frères ,  et  leur 
dona  ou  congie  de  râler. 


Tome  VI.  Hs 


ii6  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

ver  le  pape,  de  la  part  de  leur  prince:  il  n'y  a  guère  de 
doute  que  ces  envoyés  ne  fussent  ceux  que  Balchou  avoit 
choisis  pour  porter  sa  réponse  aux  lettres  du  pape.  La 
lettre  qu'ils  présentèrent  avoit  été  traduite  trois  fois ,  de 
langages  inconnus  en  d'autres  plus  connus,  à  mesure  que 
les  ambassadeurs  approchoient  de  nos  contrées  occiden- 
tales. Le  pape  les  reçut  avec  les  marques  de  la  plus  haute 
distinction  ;  il  leur  donna  des  robes  d'écarlate  ornées  de 
fourrures  précieuses,  et  souvent  il  s'entretenoit  avec  eux 
par  interprètes  :  mais  le  sujet  de  leur  venue  demeura  un 
mystère  ,  même  pour  les  clercs  ,  les  notaires  et  les  familiers 
les  plus  intimes.  On  remarqua  seulement  que,  dans  les 
fréquentes  entrevues  que  le  pontife  avoit  avec  eux,  il  leur 
faisoit  en  secret  des  présens  considérables  en  or  et  en  ar- 
gent, et  l'on  imagina  que  la  lettre  dont  ils  étoient  chargés 
avoit  pour  objet  une  expédition  contre  Vatace,  empereur 
de  Nicée,  que  le  pape  avoit  en  aversion,  comme  schisma- 
lique  et  allié  de  l'empereur  Frédéric  (i).  Mais  on  ne  sera 
guère  satisfait  d'une  pareille  conjecture,  si  l'on  remarque 


(  I  )  Eàdem  xstate  (  124^)  vriierunt 
duo  nuncii  Tartarcrum ,  à  principe 
eoriiin  ad  domintim  papam  destinati. 
Causa  autem  nuncii  eorum  adeo  ciinc- 
tos  latuii  in  curia ,  ut  nec  cUricis , 
notariis,  nec  aliis  licit  familiaribus , 
claruit  patffictum.  Chdrta  autem  eo- 
rum ijuitm  pjpcc  detuUrunt ,  ter  (uii 
de  idiomate  ignoioad notius  translata, 
prcut  nuncii  partitus  occidentalihus 
ttpprcpinquaverunt.  Suspicabatur  au- 
tem à  inullis,  per  quivdam  argumtn- 
lorum  indicia,  quôd  in  c/iarta  con- 
tineb.ttur    proprsiium    et    ccnsilium 


Tartarorum  fuisse  movere  bellum  in 
proximo  contra  Uattacium  generum 
Frederici,  Grcecum  schismaticum ,  et 
RomaniS  curiœ  inobedientem  ;  quod 
domino  pap.v  non  crcdciatur  displi- 
cuisse.  Dédit  eniin  eis  vestes  pretio- 
sissimas  quas  robas  vulgariter  appel- 
lamus,  de  scaritto  pra-electo ,  cum 
penulis  ri  furiiriis  de  peUihus  variis 
citimcrum  ,  it  libenter  confahulahatur 
ac  favorabiliter  et crebri)  per  interpretn 
cum  eisdcm ,  et  munera  cnniulit  in 
aura  et  argento  clanculo  pretiosa. 
(iMatth.  Paris,  pag.  1001.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      4^7 

qu'à  cette  c'poque  les  Tartares  n'avoicnt  rien  à  ddmcier 
avec  le  prince  de  Nicce  ,  i'iin  des  plus  éloignés  et  des  moins 
redoutables  de  tous  ceux  qu'ils  pouvoient  avoir  à  com- 
battre en  Asie  ,  et  que,  s'ils  avoient  voulu  l'attaquer,  ils 
n'auroient  pas  eu  besoin  de  venir  si  loin  chercher  des 
allies.  Ce  ne  fut  que  plus  tard  que  le  secours  des  Planes 
leur  parut  nécessaire  ;  et  la  manière  dont  ils  venoient 
tout  récemment  encore  de  traiter  les  envoyés  d'Innocent, 
prouvoit  qu'ils  n'avoient  pas  besoin  de  ce  secours  ,  ou 
qu'ils  ne  croyoient  pas  le  pape  en  état  de  le  leur  procu- 
rer. Il  me  paroît  bien  plus  naturel  d'imaginer  que  ces 
envoyés  arrivés  avec  Ascelin,  ou  peu  de  temps  après  lui, 
venoient,  conformément  aux  ordres  du  khakan  ,  sommer 
le  pape  de  se  soumettre  ,  et  lui  imposer  un  tribut.  Le  si- 
lence absolu  qu'on  garda  sur  leur  mission  ,  leurs  fré- 
quentes entrevues  avec  Innocent ,  les  présens  qu'il  leur 
fit  en  secret,  me  semblent  autant  de  circonstances  qui 
favorisent  cette  supposition  ;  et  les  lettres  qu'ils  appor- 
tèrent ,  si  on  les  retrouvoit  ,  la  changeroient  peut-être 
en  démonstration. 

Nous  devons  maintenant  revenir  sur  nos  pas,  et  rappe- 
ler les  principales  circonstances  de  l'ambassade  de  Laurent 
de  Portugal,  en  abrégeant,  comme  nous  l'avons  fait  pour 
celle  d'Ascelin  ,  le  récit  qu'en  a  laissé  l'un  des  ambassa- 
deurs. Ceux-ci  trouvèrent  Batou  sur  les  bords  du  Wolga, 
et  lui  remirent  les  lettres  du  souverain  pontife.  Quand 
elles  eurent  été  traduites  en  esclavon  ,  en  tartare  et  en 
arabe,  et  que  le  prince  Mongol  en  eut  pris  connoissance , 
les  envoyés  eurent  ordre  de  se  rendre  à  la  cour.  Us  par- 
tirent du  campement  de  Batou  le  jour  de  Pâques  1246, 

HJij 


428  MÉMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

et  mirent  quatre  mois  pour  arriver  à  l'orde  impériale, 
nommt-e  par  les  Mongols  Sir.i  OrJou ,  ou  la  lente  jaune. 
Ils  assistèrent  à  l'inauguration  de  Gayouk  ,  où  se  trou- 
voient  aussi  quatre  mille  ambassadeurs,  deux  rois  de 
Géorgie,  Jeroslaw ,  duc  de  Sousdal ,  et  une  foule  dcmirs 
de  la  Perse,  de  la  Transoxane,  de  l'Irak  ,  &c.  Après  les 
cérémonies  auxquelles  cet  événement  donna  lieu  ,  les  en- 
voyés du  pape  lurent  admis  avec  les  autres  à  l'audience 
de  Gayouk.  On  les  ût  venir  deux  autres  fois  en  présence 
du  grand  khan,  et,  au  mois  de  novembre  i  247  ,  on  leur 
remit,  pour  le  pape,  des  lettres  dont  on  eut  soin  de  leur 
dicter  le  contenu  par  la  bouche  des  interprètes.  Ils  les 
rapportèrent  en  trois  langues,  en  tartare,  en  latin,  et  en 
langue  Sarrasine,  c'est-à-dire  en  arabe  ou  en  persan. 

Plan-carpin  n'a  point  inséré  les  lettres  de  Gayouk  dans 

la  relation  de  son  voyage  ;  mais,  par  la  manière  dont  il 

parle  de  ce  prince  ,  on  a  lieu  de  croire  que  sa  réponse  ne 

lut  pas  conlorme  aux  vues   d'Innocent.   Suivant  Aboul- 

Chron.  B.ir    taradje  ,  Gayouk ,  à  son  avènement,  s'étoit  répandu    en 

Heh.  par.  esc.       .    ,  i       t^  •         •  »        i        r 

'  "  Violentes  menaces  contre  les  Géorgiens  ,  contre  les  rrancs 

Epiit.const.ih.  et  contre  le  khalife.  Selon  d'autres,  les  envoyés  du  pape 

AnntH.  ajrrsrm  .  ,  , 

Cypri.  in  à  A-  demandèrent  au  klian  pourquoi  ses  armées  ravageoient 
\-!urum^'',llLluot  'e  monde  ,  et  il  kur  répondit  que  Dieu  avoit  ordonné  A 
'cripi.iom.lll.  j^j     j  ^  g  g   aïeux  de  punir  les  nations  criminelles;  et, 

p.ig.  6^4-  ' 

Vinc.  BMw.  comme  ils  ajoutèrent  que  le  pontife  desiroit  savoir  si  le 

lii.XXXll.oip.     ,   ,      ,  ,       .         ,       ,   .  .,     ,  i.  TA-  I 

xcii.  khakan  etoit  chrétien,  il  leur  dit  que  Uieu  le  savoit,  et 

Dri?J!'r?^rJf  qi'e,  si  le  pape  vouloit  le  savoir,  il  n'avoit  qu'à  venir 
S.Lfui,.  iiuip.  l'apprendre  (1).    On   avoit,  en  effet,  annoncé  aux   reli- 

(1)  Super  hoc  qucd  itiandavit  utTÙm  j  scicl'tir,rtsi,(i.utiinus  papavellel  scire, 
et  set  christiatius,  respondit  quod  Deus  \  veniret,  et  vidtret  et  sciret. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      4^9 
gieux  que   Gayouk  avoit  embrassé  le  christianisme  ;  le 
bruit  de  cette  conversion  s'étoit  répandu  ,  et  Aboulfaradje     Chion.y.  /j;, 
la  donne  comme  un  lait  positif.  Tous  nos  auteurs  s'ac- 
cordent à  dire  que  la  célèbre  Tourakina,  mère  de  Gayouk, 
qui  étoit  née  chez  les  Kéraïtes  ,  professoit  la  religion  chré- 
tienne.  Les  ambassadeurs   du  pape   étoient   arrivés  avec    CuHi.de.Wtng. 
l'idée  que  le  khakan  protégeoit  les  chrétiens  :  mais  ils  ne   2j/.  "'    ' 
tardèrent  pas  ,  dit  Plan-carpin  ,  à  s'apercevoir  que  cet  em-    ...  Camipratais. 
pereur,   avec  tous  ses  vassaux,  avoit  levé  son- étendard   n.°  i4- 
contre  1  église  Romaine  et  contre  tous  les  rois  et  princes  Hh.xxxu.cap. 
chrétiens.  Son  dessein  étoit ,  en  effet ,  de  porter  ses  armes      ^'i^,  odonis 
dans  l'Occident,  et  la  mort  seule  l'empêcha  de  le  mettre  à  '^d '"""fntium, 

'  m  a  Acliery  jpi- 

exécution.  On  eût  vu  alors  que  l'attachement  prétendu  de  cilfg.uHsNi-yù. 
Gayouk  au  christianisme  n'auroit  exercé  aucune  influence 
sur  sa  politique.  Au  reste,  les  successeurs  de  Tchinggis 
n'avoient  point  encore  de  système  religieux  bien  arrêté. 
Ils  n'en  eurent  point  jusqu'au  temps  de  Khoubilaï ,  qui 
adopta  le  bouddhisme  ,  et  le  fit  embrasser  à  ses  sujets. 
Il  n'y  avoit  donc  pas  lieu  d'être  surpris  si  les  chrétiens 
étoient  bien  venus  près  de  Gayouk.  Ce  prince,  comme 
depuis  Mangou  son  successeur  faisoit  sans  doute  le 
même  accueil  aux  musulmans  et  aux  lamas.  C'est  là  un 
elTet  ordinaire  de  l'indifférence  absolue  qu'on  a,  dans  ces 
contrées,  pour  les  dogmes  de  toute  espèce.  On  voit  encore 
tous  les  jours  les  empereurs  Mandchous  faire,  comme  pa- 
triarches de  la  secte  des  lettrés,  les  cérémonies  civiles  au 
ciel ,  à  la  terre  et  à  Confucius,  adresser  des  prières  aux 
esprits  qu'honorent  les  Tao-sse,  et  adorer  Bouddha  in- 
carné dans  la  personne  des  lamas  supérieurs,  sans  trouver 
aucune  opposition  dans  ces  trois  cultes  contradictoires. 


■ijo  MEMOIRES  DE  I.ACADKMIK 

I.e  mauvais  succès  de  ces  premîcres  ncgociations 
n'empi'cha  point  les  musulmans  d'en  concevoir  beau- 
coup d'ombrage.  Il  étoit  d'un  iiaut  intérêt  pour  eux  de 
prévenir  une  alliance  qui  eût  pu  leur  devenir  fatale  ,  si 
les  ennemis  qu'ils  avoient  à  l'Orient  avoient  combiné 
leurs  efforts  avec  ceux  qui  les  attaquoient  en  Occident  : 
aussi  commencèrent- ils  de  bonne  heure  à  entraver  la 
marche  des  ambassadeurs  ,  sans  trop  chercher  à  cacher 
leurs  motifs  à  ceux  qui  les  envovoient  (i).  Le  pape  avoit 
adressé  à   dilfcrens    princes    mahométans  des   frères  pr<^- 

o.<.R.:'n  .tan.  cheurs  pour  les  engager  à  embrasser  le  christianisme. 
Ceux  de  ces  missionnaires  qui  avoient  ete  a  la  cour  de 
Malek.-el-Mansour-Ibrahiin  ,  prince  d'Emesse,  deman- 
dèrent à  passer  de  là  chez  les  Tartares.  Le  prince  s'y 
opposa  pour  plusieurs  raisons,  dont  la  jirincipale,  dit-il , 
étoit  la  certitude  que  ces  religieux  ne  vouloient  aller 
trouver  les  Mongols  que  pour  les  animer  contre  les  mu- 

/./.  Lx\'.  In  sulmans.  Il  ajoute  un  fait  dont  il  est  permis  de  douter  ; 
"^'c^r/r'''^'  ^'^^^  ^V^^  '  ^^^  envoyés  Tartares  étant  venus,  cette  année 
même  {12^6),  à  la  cour  du  grand  sultan,  c'est-à-dire, 
de  Saieh  l'Ayoubite,  sultan  d'Lgypte,  pv)ur  se  soumettre 
à  lui,  et  lui  demander  la  paix,  ce  grand  prince  ne  les 
avoit  pas  laissé  approcher  de  sa  porte,  et  ne  leur  avoit 
pas  même  accordé  la  grâce  qu'ils  demandoient,  de  pou- 
voir baiser  la  poussière  de  ses  pieds.  A  travers  cette  jac- 
tance, on  aperçoit  trop  à  découvert  l'intention  d'Ibrahim, 


;/  trt-//. 


(1)  Le  gouverneur  d'Arsanga  ,  qui 
étoit  musulman  ,  disoit ,  selon  Ru- 
b-uquis,  avoir  exprès  coiiiiiutndement 
df  ne  donner  aucuns  vivres  ni  provi- 


sions à  ceux  qui  venaient  des  parties 
de  France,  ny  aux  ambassadeurs  du 
rpy  S  Arménie  et  de  Vastac.  (Ru- 
bruq.  ch.  XLIX.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      431 

qui  ne  représente  les  Tartares  comme  un  ennemi  mépri- 
sable que  pour  dégoûter  les  Francs  de  leur  alliance  :  mais 
ceux-ci  étoient  trop  bien  instruits  de  l'état  des  choses 
pour  se  laisser  tromper  par  un  artifice  aussi  grossier. 

Vers  cette  époque,  il  s'étoit  passé  en  Géorgie  des  évé* 
neinens  qui  nous  font  connoître  toute  l'étendue  de  l'in- 
fluence politique  des  Mongols  en  Occident,  et  que  nous 
devons  d'autant  moins  passer  sous  silence,  que  nous  y 
trouverons  les  moyens  d'expliquer  et  même  de  lectifier 
certaines  parties  du  récit  de  Plan-carpin.  Nous  avons  vu 
que  la  reine  Roussoudan ,  réfugiée  dans  une  des  forte- 
resses de  son  royaume  ,  s'obstinoit  à  n'en  point  sortir,  et 
refusoit  absolument  de  se  livrer  aux  mains  des  Mongols. 
Vainement  Batchou  renouvela  ses  instances  pour  l'en- 
gager à  venir  le  trouver ,  et  lui  envoya  même  des  présens 
pour  la  disposer  à  l'obéissance.  Dans  le  même  temps , 
Batou ,  dont  les  conquêtes  touchoient  au  nord  de  la 
Géorgie  ,  comme  celles  de  Batchou  la  bornoient  au  midi , 
lui  fit,  de  son  côté,  faire  des  offres  avantageuses.  Rous- 
soudan ,  s'imaginant  que  le  bruit  de  sa  beauté  étoit  le 
véritable  motif  de  l'empressement  que  lui  témoignoient 
les  généraux  Tartares  ,  persista  dans  ses  refus  ,  et  ne 
voulut  aller  trouver  ni  Batchou  ni  Batou  ;  mais  elle  leur 
envoya  des  ambassadeurs,  et  consentit  même,  par  l'en- 
tremise d'Avag,  à  remettre  à  Batou  son  fils  David  comme 
otarie. 

Batchou  et  les  autres  généraux  de  l'armée  du  midi, 
irrités  de  cette  conduite,  voulurent  se  venger  de  Roussou- 
dan en  élisant  un  autre  roi  de  Géorgie.  Ils  jetèrent  les 
yeux  sur   un   prince   aussi   nommé  David ,    jicveu  de    la 


f    XI' 


432  MKMOIRES  DE  LACADlr.MIE 

reine,  fils  naturel  Je  George  Lascha,  et  Icgilime  Iicritier 
de  la  couronne.   Roussoudan  avoit  éloigne  ce  David  ,  et 
lavoit  nume  livre  au  sultan  d'Icoiiium  ,  cjui  le   retenoit 
prisonnier  à  Césarce.  Batchou  chargea  Vahrani ,   prince 
de  Scliamkor,  d'aller  en  Asie  mineure  chcrciur  le  jeune 
prince;  et,  quand  celui-ci  lut  arrivé,  le  général  Mongol 
l'envoya  au    khakan ,  en    ayant   soin  Je   laire  valoir  ses 
droits.  Batou,  l'ayant  appris,  fit  partir  pour  Kara-koroum 
l'autre    David  ,    fils  de   Roussoudan ,   et    écrivit   à    l'em- 
pereur pour  que    son  protégé  hit   préfiJré  à  David  his  de 
George.  Ces  deux  princes  étoient  en  Tartarie  au  moment 
du  couronnement  de  Gayouk,  et  Plan-carpin  dit  les  y 
avoir  vus.   Mais  ce   voyageur   se  trompe   en   les   faisant 
rLm-u,rpiH.   tous  deux  fils  du  roi  de  Géorgie  ,  l'un  légitime  et  l'autre 
U  f  vit        l'àtard.  Aboulfaradje  paroît  avoir  commis  la  même  erreur, 
quoiqu'il  s'énonce  moins  positivement  (1).  Il  est  certain  que 
les  deux  princes  David  étoient  cousins,  et  non  pas  (réres  : 
mais   cette  méprise  n'a  rien   d'étonnant ,  à  de  si  grandes 
distances,  et  de  la  part  de  gens  qui  n'entendoient  pas  la 
langue  des  peuples  au  milieu  desquels  ils  se  trouvoient. 

David  fils  de  George  |L-tant  arrive  le  premier  avec  les 
recommandations  de  Batchou  ,  le  khakan  le  nomma  roi 
de  Géorgie.  Quand  ensuite  le  fils  de  Roussoudan  fit 
valoir  près  de  l'emiiereur  l'appui  de  Batou,  Gayouk  lui 
accorda  aussi  le  titre  de  roi ,  mais  en  réglant  qu'il  demeu- 
reroit  subordonné  au  premier,  et  qu'il  régneroit  dans  la 
fi)rteresse  d'Ousaneth.  David  fils  de  George  fiu  conduit 
à  Medzkhila,   sacré  dans  cette   ville  sacerdotale  par  les 

(1)  Ex  Iteria  David  major  cum  Davidt  minori (Bar.-Hebr.  Chron. 

pag.  045.) 

loint 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      43  3 

soins  Je  Valirain  ,  et  prit,  par  reconnoissance ,  le  titre 
de  Vd/im/noit/.  La  plupart  des  princes  Arméniens  et  Géor- 
giens s'attachèrent  à  lui.  Dans  le  même  temps  ,  Roiissou- 
dan ,  toujours  en  butte  aux  persécutions  des  Tartares  ,  mit 
fin  à  leurs  importunités  en  s'empoisonnant.  Avant  de 
mourir  ,  elle  laissa  au  prince  Avag  la  tutèle  de  son  fils 
David.  Telles  sont  les  circonstances  qui  placèrent ,  pour 
un  demi-siècle ,  la  Géorwie  sous  la  domination  de  deux 
rois,  au  grand  détriment  des  peuples,  qui  furent  accablés 

de  vexations  et  de  tributs.  Deguignes ,  qui  a  dit  un   mot    Hist. des  Huns, 

I  >  •  I  I'  '■"'"■  ''/'•  4}7- 

de  ce  partage,  n  en  a  point  connu  les  causes,  et  Ion  ne 

trouve  non  plus  rien  de  bien  satisfiiisant  à  ce  sujet  dans 

les  chroniques  Géorgiennes  extraites  par  Giildenstaedt  et     Ràsen.'  dunh 

»*       i-i  I  •      I  II  I        !•         I  •  j    •         T-         '       Riissland.iom.I, 

M.   Klaproth  ,   ni   dans  celles  de   l archimandrite  Luge-  jmg.^j^. 
nius(i).  On  vient  de  voir  qu'on  doit  en  rapporter  l'origine    rf^^'J  J"  f"^i 
aux  intrigues   et   à  la   mésintelligence   des  généraux  des   ""ch  Ccorgim, 
deux  principaux  corps  d  armée   1  artares  qui  pesoient  en 
ce  moment  sur  l'Occident. 

Deguignes  nomme  encore,  parmi  les  princes  chré-  Hia.dLiHum, 
tiens  qui  assistèrent  au  couronnement  de  Gayouk,  le 
connétable  d'Arménie,  et,  en  cela,  ii  a  suivi  Aboulfa-  Chm./' j-24. 
radje,  mais  en  le  réfi^rmant  :  car  cet  auteur  nomme  , 
parmi  ceux  qui  fiwent  présens  à  cette  cérémonie  ,  Hay- 
ton  ,  roi  de  Cilicie  ;  et  il  est  certain  que  ce  prince  ne 
se  rendit  en  Tartarie  que  sous  le  règne  de  Mangou , 
et  après   le  retour   de  son    fi-ère   le    connétable,   qui   lut 


(i)  An  Jer  Theilung  a  ter  war  die 
Zarin  ielbst  scintld ;  denn  gan^  Gru- 
s'ien  theiltesie  in  ^H-ey  Fiirstentlniiner. 
Das  fine  er/iiell    David    Soslan  i/ir 


Neffe ,  und  das  andere  ihr  Sohn  Da» 
vid  Narin.  (Géorgien,  oder  histo- 
risches  Gem.ïlde  von  Grusien,  von 
Fr.  Schmidt;  Riga,  iSo^;  pag.  2^.  ) 


Tome  VI.  1> 


4j4  MKMOIULS  DE  L'ACADÉMIE 

11.1)1.  HtMT.  quatre  ans  entiers  clans  son   voyage.   L'auteur  de   \His- 

Or.  c.   XXIII.  III  •  \  I    '       ^  -111 

toire  lies  Huns  aurojt  plus  complctcment  encore  rL-tahli  la 
veritc  historique  ,  s'il  eût  fait  attention  à  la  lettre  écrite 
au  roi  «Je  Chypre  par  le  connétable  lui-même,  de  Saure- 
quant  [Samarkand  ],  ville  située,  dit-il ,  à  une  égale  dis- 
tance du  lieu  d'où  il  est  parti  ,  et  de  celui  oii  il  doit 
aller  trouver  le  grand  khan  (i).  Si  donc  cette  lettre, 
comme  il  n'est  pas  possible  d'en  douter,  a  été  écrite 
par  le  connétable  quand  il  se  rendoit  près  de  Gayouk  , 
comme  il  y  parle  de  la  réception  laite  par  le  khan  aux 
ambassadeurs  du  pape,  il  est  certain  qu'il  ne  s'étoit  pas 
rencontré  avec  ces  derniers.  Le  silence  de  Plan-carpin 
confirmeroit,  s'il  en  étoit  besoin  ,  cette  observation,  qui 
s'accorde  d'ailleurs  très-bien  avec  les  motifs  connus  du 
voyage  de  Sempad. 

A  la  mort  d'Ogodaï  ,  on  avoit  envoyé  de  Tartarie , 
pour  percevoir  les  tributs  de  l'Armcnie  et  de  la  Géorgie, 
un  homme  fort  dur,  nommé  Ar^oiai ,  qui  avoit  pour  ad- 
joint Kara-bouga.  Celui-ci  persécuta  cruellement  les 
princes  chrétiens,  fît  mettre  en  prison  Dchalal  ,  prince 
de  Khatchen  ,  ci  dévasta  la  plus  grande  partie  de  ses 
possessions  ,  parce  que  Dchalal  ne  pouvoit  payer  les 
sommes  énormes  qu'on  exigeoit  de  lui.  Kara-bouga  vou- 
loit  traiter  de  même  Avag  :  mais  celui-ci,  d'après  le 
conseil  mcme  des  autres  généraux  Tartares  ,  eut  toujours 
soin  de  s'environner  d'un  corps  considérable  de  troupes  ; 
ce   qui    fit   qu'on    n'osa    pas    l'attaquer.    Néanmoins    ces 


(i)  ...Cenjuxit  me  Jrsut-C/iristiis 
ad  qua<i\datn  villam  qii.r  voctiiur 
Siureirai et  tnodà  diciiur  nebii 


qiiod  sumus  ad  tnejhim  arrryli  itinerit 
umr  Chiin  ,  hoc  tst  innjorii  domini 
Taitaroruin. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  4;5 
vexations  exercées  sur  les  princes  Arméniens,  et  la  sou- 
mission presque  entière  des  états  des  Scidjoiicides  ,  déter- 
minèrent Hayton  à  envoyer  son  frère  Sempad  ,  connétable 
d'Arménie,  à  la  cour  du  khakan.  Sempad  partit  peu  de 
temps  après  qu'on  eut  appris  la  nouvelle  de  l'inauguration 
de  Gayouk.  II  étoit  charge  de  demander  à  ce  prince  la 
restitution  de  quelques  villes  qui  avoient  été  enlevées  aux 
Arnj^'niens  par  le  sultan  d'Iconium.  Après  avoir  obtenu 
un  ordre  de  Gayouk,  Sempad  revint  près  de  Batchou 
pour  le  faire  mettre  à  exécution.  Le  général  Mongol  le 
reçut  avec  honneur,  et  s'empressa  de  le  satisfaire. 

Nous  arrivons  au  temps  où  les  relations  des  Francs 
avec  les  Mongols  devinrent  plus  fréquentes,  et  où  ceux- 
ci  commencèrent  à  entrer  dans  les  vues  des  premiers. 
L'expédition  de  S.  Louis  en  Egypte  est  l'époque  et  la 
cause  de  cette  révolution  dans  les  idées  des  Tartares. 
Dès  le  commencement  de  l'an  i  247  .  au  moment  où  le 
roi  de  France  tenoit  une  assemblée  des  grands  du  royaume 
et  se  préparoit  à  son  départ  ,  il  étoit  arrivé  un  ordre  du 
roi  des  Tartares,  qui  lui  enjoignoit  de  se  feconnoître  son 
sujet.  Dans  sa  lettre,  leTartare  disoit  insolemment  que  lui 
et  les  siens  étoient  ceux  dont  il  est  écrit,  que  le  Seigneur 
a  livre'  hi  terre  à  leur  domination.  S.  Louis  ne  fit  pas  grande 
attention  à  cette  affaire  ,  et  en  abandonna  les  suites  à  la 
disposition  divine  (i).  Je  n'ai  qu'un  seul  historien  pour 


(1)  Eodunanno  fi247)j  chxaqiia- 
dragesunam,  doimnus  rex  Francontm, 
pariiamento  magiw .  .  .  acceperat  quo- 
qiie ,  ut  dicebiitiir ,  mandannn  régis 
Tartarorum,    ut  ei  foret    subjictus , 


qui  ore  ternerario  atque  profana  se  in 
epistola  sua  asserit  immortalem ,  et  se 
suosque  affirmât  esse  eos  de  quibus 
scriptvm  est ,  quôd  terram  dédit  Do- 
niinus  filiis  hominum;   quod  taineii 

13  ij 


BiH.    Or.    ,w 
mat  E<ljni. 


436  MF. MOIRES  DE  L" ACADÉMIE 

garaiil  Je  te  faii,  qui  ,  d'après  les  idées  des  Tartares ,  n'a 
rien  d'iiivraisemhlable.  Si  on  le  troiivoit  conlinné  par  quel- 
que auire  écrivain  contemporain  ,  on  pourroit  attribuer  ce 
message  plein  d'arrogance  au  général  Batchou-nouyan  ,  et 
il  ne  faudroit  pas  s'embarrasser  di\  um  si  dificrent  que  nous 
remarquerons  bientôt  dans  les  lettres  qui  vinrent  l'année 
suivante  à  S.  Louis,  de  la  part  d'ilchi-khata'i,  quand  même 
on  les  attribueroit  effectivement  à  ce  général ,  qui ,  cette 
aiyiée  même  ,  rempla(,a  Batchou  dans  le  commandement 
des  armées  du  midi. 

Suivant  dHerbelot  ,  les  musulmans  regardent  l'année 
613  de  l'hégire  comme  leur  ayant  été  fatale,  à  cause  de 
la  prise  de  Damiette  par  les  Francs,  et  de  l'invasion  de 
la  Perse  par  les  armées  de  Tchinggis-khan.  C'en  étoit 
lait  de  l'islamisme  ,  disent-ils  ,  si  ces  deux  puissances 
ennemies  eussent  combiné  leurs  efforts.  L'état  de  l'Asie, 
en  124H.  <?iit  été  peut-être  encore  plus  favorable  aux 
chrétiens.  La  guerre  cruelle  que  les  Tartares  faisoient 
depuis  plusieurs  années  aux  sultans  d'Iconium,  avoit  telle- 
ment atfoibli  ceux-ci,  qu'on  croyoitque,  si  le  roi  de 
France  les  eût  attaqués  directement ,  au  lieu  de  s'exposer 
aux  dangers  que  lui  présentoit  l'Egypte,  le  pays  des 
Turks  lui  auroit  offert  une  conquête  facile  (i).  C'est  l'opi- 
nion d'un  contemporain.  Mais,  s'il  est  permis,  après  six 


dom'inus  rtx  Francorum  dispositirni 
divin  j'  ulinijuens ,  ifc.  (  Matih  Paris, 
pag.  963.) 

(  I  )  Turci  vero ,  poslquam  h  Tar- 
tans fiirrunt  -jiutati  eis./ue  sulyecti , 
adfo  tllorum  jupo  deprtssi  suni  ac  dt- 
bilituli,  ui,  liai  adhuc  citent  m  nu- 


méro multi ,  tainen  quasi  nuHi  fuerunt 
in  vigore  ;  iiiiJe  ,i  iniiltis  cnditiir  qu'od, 
si  rex  Franàat  Ludovicus,  mare  trans- 
iens ,  recto  tramitt  venisset  in  Tur- 
quiam ,  lihcri  et  absque  ulla  conira- 
diclione  rfddidissent  ri  terrain  :  natn 
et  y£f^pii  terra,  quam  primo  aggressus 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  -  LETTRES.      437 

siècles,  de  hasarder  une  conjecture  en  pareille  matière, 
je  doute  que  les  affaires  des  chrétiens  en  eussent  tiré 
de  solides  avantages.  Sans  doute  on  peut  croire  que 
les  Tartares  auroient  d'abord  aidé  S.  Louis  dans  cette 
conquête  :  mais  son  succès  même  eût  rapproché  deux 
peuples  belliqueux,  que,  suivant  la  remarque  d'Hay- 
ton  (1),  une  nation  intermédiaire  à  combattre  pouvoit 
seule  rendre  amis.  Au  lieu  des  relations  amicales  que 
leur  éloignement  fit  naître  entre  les  Francs  et  les  Mon- 
gols ,  une  prompte  guerre  eût  infailliblement  éclaté, 
dans  un  moment  où  ceux-ci  ,  disposant  des  forces  du 
monde  entier  ,  ne  pouvoient  encore  éprouver  nulle  part 
une  véritable  résistance;  et  elle  eût  probablement  attiré 
lei*rs  armes  en  Europe.  Les  états  des  musulmans  sem- 
blèrent donc  comme  une  barrière  opposée  aux  Tartares 
pour  briser  leurs  premiers  efforts;  et  peut-être  est-il  heu- 
reux qu'on  n'ait  pas  réussi  à  lever,  comme  on  le  desi- 
roit ,  un  obstacle  dont  on  ne  pouvoit  alors  apprécier 
l'utilité. 

Il  n'y  avoit  pas  long-temps  que  S.  Louis  étoit  arrivé 
dans  l'île  de  Chypre  ,  quand  il  y  vint  des  ambassadeurs 
qui  se  disoient  envoyés  par  Ilchi-khataï ,  commandant 
Mongol  de  la  Perse  et  de  l'Arménie.  Nous  savons,  par  Ha^t.  iihtor 
Aboulfar£^dje  ,  que  ce  général  fut  chargé  par  Gayouk 
du  gouvernement  de  la  Turquie  ,  de  la  Géorgie,  de 
l'Irak,  de  la   Syrie  et    de  la  Cilicie   (2)  :    mais   presque 


Or.  c.  II. 


est ,  est  muliîim  per'iculosa,  (  Guill.  de 
Nang.  in  collect.  Andr.  Duchesne, 
toni.  V,  pag.  340.) 

(1)   Ititer  Christlanos  et    Tartares 
concors  amic'tt'ut  per  utrortnnqiic  d':s- 


tantiam  servarctur.  (Hist.  Or.  c.  LX.) 
(2)  Rmnœam,  Iberiam,  Assy- 
riam ,  Syriam  et  Ciliciam  coiiunisit 
duci  ciiidarn  riomine  Ilcliichatai. 
(  Chron.   pag.   535.) 


n-.  Jt  rnura/iiui. 

Hit  ri .   ffistcr. 
Or.  f   II 


Ht  II.  ./<•/  Huns, 
um.  III, p.  126. 


4j8  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

tous  nos  histnriciis  se  sont  nicpris  sur  son  titre,  et  liir 
joniilU: Emies.  ont  donne  celui  de  roi  des  Tartares.  La  chronique  de 
Sainl-Dcnis  le  nomme  roi  des  Tarses,  par  wn^  corrup- 
tion c|ui  peut  venir  tiu  nom  de  Tarsa ,  qui  désigne  le 
pays  des  Ouïgours ,  mais  à  laquelle  il  ne  laut  peut  être 
pas  chercher  d'autre  cause  que  l'h.ibitude  qu'on  avoit , 
dans  ce  temps  ,  d'altérer  et  de  défigurer  tous  les  noms 
étrangers. 

Quant  aux  ambassadeurs  ,  Deguignes  s'est  fortement 
prononcé  contre  eux.  Il  les  traite  d'imposteurs  qui  ap- 
portèrent à  S.  Louis  des  lettres  supposées.  Moslicini 
en  juge  plus  favorablement  :  il  pense  que  ces  ambassa- 
deurs racontèrent  beaucoup  de  choses  fabuleuses  par 
rapport  au  grand  khan  ;  mais  il  croit  cjuils  étoient  en- 
voyés par  Ilchi-khataï  (i).  Il  est  évident,  sans  qu'il  en 
convienne,  que  Deguignes  se  fonde  uniquement  sur  la 
lettre  de  Mangou-khan  à  S.  Louis,  où  ce  prince  désa- 
voue la  mission  dont  il  s'agit  ;  témoignage  imposant  , 
mais  susceptible,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  d'une 
interprétation  moins  désavantageuse  à  lambassade.  Pour 
Alobheim  ,  il  suii,  en  celte  occasion,  le  système  cjui  l'a 
diri>ré  dans  tout  son  ouvrage  ,  et  qui  consiste  à  accueillir 
avec  empressement  ,  et  quelquefois  même  avec  légèreté , 
tout  ce  qui  semble  indiquer  chez  les  Tartares  la  moindre 
inclination  au  christianisme.  Ce  qu'il  ajoute  ici,  que 
les  personnes  envoyées  par  S.  Louis  en  Tarlarie  confir- 
mèrent la  vérité  de  la  mission  des  Tartares,  est  avancé 


(1)  AJulta  eum  Je  mutine  cliano 
fuisse  eineiilitiiiit  faciU  cri'ilimiis  ;  sed 
legatum  duc'is  Lrchaliay  rêvera  fuisse, 


ivsi  ijiios  Luilcviciis  in  Tartariam 
misit ,  legati  rettilêre.  {  Hist.  1  arlar. 
cccicsiatt.  pag.  52.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      439 

sans  preuve ,  et  peu  conforme  à  ce  que  nous  appre- 
nons par  leur  récit  mcnie.  Nous  ne  pouvons  donc  nous 
en  rapporter  ici,  ni  à  Deguignes  ,  ni  à  Mosheim  ;  mais 
nous  devons  examiner  les  témoignages  des  contemporains, 
pour  savoir  à  quoi  nous  en  tenir  sur  l'ambassade  dont 
il  s'agit. 

Joinviile  n'entre  pas  danj^  de  grands  détails  sur  les  en- 
voyés Tartares  ;  mais  il  n'élève  aucun  doute  sur  leur 
mission.  Il  dit  que  ces  ambassadeurs  vinrent  de  la  part 
du  grand  roi  des  Tartares,  pour  annoncer  au  roi  de 
France  que  leur  maître  étoit  prêt  à  l'aider  dans  la  con- 
quête de  la  Terre- sainte  et  de  Jérusalem,  S.  Louis, 
dit-il,  reçut  les  ambassadeurs  avec  beaucoup  de  bonté, 
et  fit  partir  les  siens  avec  eux  (1). 

Un  autre  témoin    oculaire,  Odon  ou   Eudes,  évéque      Epia,  o.ion. 

ii-n  I  1/  i.  /-ii/i  »     '^'l-  l'inocctii. 

de  1  usculum  et  légat  apostolique  ,  fixe  le  débarquement 
des  ambassadeurs  au  icj  décembre  1248.  Suivant  lui, 
ils  arrivèrent  à  Nicosie  le  samedi  avant  Noël ,  et  le  len- 
demain ils  présentèrent  au  roi  des  lettres  écrites  en 
langue  Persane  et  en  caractères  Arabes.  Le  roi  se  les 
fit  interpréter,  et  le  légat  en  rapporte  le  contenu  d'après 
la  traduction  qui  en  fijt  fixité  en  cette  occasion. 

Vincent  de  Beauvais  et  Guillaume  de  Nangis  racontent      Spec    hhwr. 

,  ^  I  A  I  •  •  .  lih.  XXXII,  ùip. 

a  peu  près  ra  même  chose ,  mais  en  ajoutant  une  parti-  xc. 
cularité  digne  de  remarque:  c'est  que  le  principal  ambassa-       ^  **/  "'/"''' 
deur,  qui  se  nommoit  David,  fiit  reconnu  par  le  fi-ère 


(i)  En  ce  point  que  le  roi  se- 
fournoit  en  Cypre,envoia  le  grand 
roi  des  Tartarins  ses  messagers  a  li, 
et  li  manda  que  il  estoit  prest  de 
IL  aidiera  conq^uerre  la  Terre  sainte, 


et  de  délivrer  Iherusalem  de  la  main 
aus  Sarrazins.  Le  roy  reçut  moult 
debonnairement  ses  messagers,  et  li 
rinvoia  les  siens.  .  .  .&c.  [Hist.  de 
S.  Louis,  éd.  du  Louvre,  pag.  zg.). 


4io  AU.MOIRF.S  DL   LACAOi.MIE 

Aiulrc   Je   Loiijiiniel  ,    qui  l'nvoit  vu    die/  les  Tartarcs, 

ChrcM.ms.H:    quand  il  accompagna  Ascelin,  Une  iroisicme  chronique 

iT.'r.,'." r  ;'.■    <-i'i  ^'<-'  P'^'S   tjue   ce  David  etoit  graiit  sires  entre  les    l\ir- 

"'  tiiires  ;  et  une  quatricme  ,  confornir  ,  dans  la  plus  grande 

partie  de  ce  récit,  à  ^'incent  de   Beauvais ,   que  ce    fut 

le   frère  André    lui-mcme  qui    traduisit  d'arabe  en    latin 

les   lettres  que  S.  Louis  fit   oasser  en  France  à  la  reine 

Blanche   sa  mère   (i). 

Outre  la  lettre  du  roi  des  Tartares  ,  qui  se  retrouve  avec 
de  légères  ditlcrences  dans  la  chronique  de  Saint -Denis 
et  dans  d'autres  chroniques  imprimées  ou    manuscrites , 
i'évcque    Odon    nous    a    conservé  ,   sur    i'entielien    que 
S.   Louis  eut  avec   les  envoyés,  des   détails   curieux,  et 
qui  peuvent  contribuer  à  fixer  notre  opinion.  Le  roi  de- 
manda d'abord  comment  leur  maître  avoit  eu  connois- 
sance  de  son    arrivée.    Us  répondirent  que  le  sultan  de 
Moussoul  avoit  fait  passera  llchi-khataï  des  lettres  qu'il 
avoit  reçues  du  sultan  de  Babylone,  c'est-à-dire,  du  roi 
d'Egypte,  par  lesquelles  ce  prince  annonçoit  l'arrivée  du 
roi    des   Francs,   en  ajoutant  faussement  que  lui,   sultan 
d'Egypte,  avoit  pris  nu  lui  de  France  soixante  vaisseaux, 
qu'il  avoit  emmenés  dans  son  royaume.  Mais  Ilchi-khata'i, 
apprenant  le   prochain   débarquement  des  Francs ,  avoit 
envoyé  des  ambassadeurs  à  leur  prince,  pour  lui  annon- 
cer que  l'intention  des  Tartares  étoit  d'attaquer,  l'été  sui- 
vant ,  le  khalife  de  Bagdad  ,  et  pour  le  prier  d'agir  dans 


(i)  Le  roy  Loys  quant  il  ot  receu 
Ici  lettres  qui  cstoicnt  en  arabic  es- 
criptes,  si  Ici  fit  nuiirc  en  latin  par 
frerc   Andrieu ,    et    les    envoya    en 


France,  scelêes  de  son  contrescri,  k 
la  roy  ne  Blanche  sa  merc.  (Chroii. 
imn.  n.»  9648 ,  fol.  20  verso.  J 


l« 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.     44 1 

le  même  temps  contre  les  Égyptiens,  afin  de  les  empc- 
cher  de  fournir  des  secours  au  khalife.  La  lettre  dont 
S.  Louis  avoit  vu  la  traduction,  présentoit  le  grand  khan 
comme  zélé  converti  ,  disposé  à  tout  faire  en  faveur  des 
chrétiens.  Le  roi  s'informa  des  circonstances  qui  l'avoient 
déterminé  à  embrasser  la  foi  :  les  envoyés  répondirent 
que  Gayouk  étoit  fils  d'une  mère  chrétienne,  et  que  c'é- 
toit  d'après  ses  exhortations  ,  et  celles  d'un  saint  évêque 
nommé  Malassiûs ,  qu'il  avoit  reçu  le  baptême  le  jour 
de  l'Epiphanie,  avec  dix-huit  fils  de  rois  et  beaucoup 
d'autres  seigneurs  de  sa  cour.  Ils  convinrent  pourtant 
que,  parmi  les  Tartares  ,  il  y  en  avoit  encore  beaucoup 
qui  n'étoient  point  baptisés  :  mais  ils  assurèrent  qu'Ilchi- 
khataï  l'étoit  depuis  plusieurs  années,  ajoutant  qu'il  avoit 
beaucoup  de  pouvoir,  quoiqu'il  ne  ïixt  pas  du  sang  royal. 
S.  Louis  leur  ayant  demandé  les  motifs  des  mauvais  trai- 
temens  que  Batchou  avoit  fait  souffrir  aux  ambassadeurs 
du  saint-siége  ,  ils  lui  dirent  que  Batchou  n'étoit  point 
chrétien,  mais  païen,  et  entouré  de  conseillers  musul- 
mans ;  mais  que  sa  puissance  étoit  beaucoup  réduite  , 
parce  qu'il  venoit  d'être  mis  sous  la  dépendance  d'ilchi- 
khata'i.  Telle  est  la  substance  des  réponses  que  firent 
les  ambassadeurs  :  elles  présentent  un  tissu  singulier  de 
faussetés  insignes  et  de  particularités  dignes  de  confiance 
et  dont  il  est  bien  difficile  que  des  imposteurs  aient  eu 
connoissance. 

Maintenant  il   se  présente  plusieurs  questions.  L'am- 
bassade d'IIchi-khataï  n'étoit-elle  ,  comme  l'avance  De- 
guignes  ,   qu'une  entreprise  hardie  de  quelques  aventu- 
riers î  ou  venoit-elle  réellement  trouver  le  roi  de  France 
Tome  VI.  K» 


442  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

(Je  la  part  di\  commandant  Mongol  de  l'Armcnie  î  Dans 
cette  dernière  supposition,  la  lettre  dont  elle  ctoit  char- 
gce  ,  peut-elle  ctre  regardée  comme  une  pièce  authen- 
tique? Doit-on  enfin  ajouter  quelque  foi  à  cette  conver- 
sion du  grand  khan  ,  des  rois  ses  tributaires  ,  d'ilchi- 
khataï  lui-niL^me  !  ou  tout  cela  ne  fut-il,  de  la  part  des 
ambassadeurs  ,  qu'un  amas  de  fables  et  d'exagérations, 
dans  id  vue  d'obtenir  d'un  prince  chrétien  un  accueil 
plus  favorable!  Voilà  les  principaux  points  sur  lesquels 
nous  avons   à  prononcer. 

Ceux  qui  veulent  ne  voir  dans  cette  ambassade  que  la 
fraude  de  quelques  imposteurs  ,  peuvent  alléguer  la  lettre 
même  qu'elle  avoit  apportée.  Le  style  ,  en  effet,  en  est 
bien  différent  de  l'orgueilleux  laconisme  qu'affectoient  les 
Tartares.  On  y  trouve  des  formules  remplies  de  respect 
et  d'humilité,  et  telles  que  le  plus  puissant  roi  de  la  terre 
ne  les  eût  pas  obtenues  à  cette  époque  du  plus  petit 
commandant  Tartare.  On  peut  encore  objecter  qu'elle  ne 
contient  presque  rien  de  ce  qui  pouvoit  intéresser  les 
Mongols,  tandis  qu'elle  insiste  sur  des  objets  dont  à  peine 
ils  pouvoient  avoir  connoissance ,  tels  que  la  distinction 
des  sectes  chrétiennes  ,  des  Latins,  des  Grecs,  des  Armé- 
niens, des  Nestoriens  et  des  Jacobites.  L'invitation  qu'on 
y  fait  au  roi  des  Francs,  de  ne  mettre  aucune  difîérence 
entre  les  catholicjues  Romains  et  les  hérétiques  ou  schis- 
maticjues  Orientaux,  a  bien  plutôt  l'air  de  venir  de  ces 
schisftiatlques' eux-mêmes,  que  d'un  général  qui  ,  en  le 
supposant  même  converti  ,  ne  pouvoit  ctre  au  fait  des  dis- 
sensions qui  déchiroient  l'Kglise.ou  n'ydevoitpas  prendre 
un  grand  intérêt. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  44? 
Tout  en  défendant  l'ambassade  elle-même  ,  et  en 
soutenant  qu'elle  ctoit  effectivement  envoyée  par  un 
général  Mongol  ,  il  est  difficile  de  ne  pas  abandonner 
la  lettre,  qui  porte,  au  moins  dans  la  traduction  que 
nous  en  avons ,  un  caractère  bien  prononcé  de  fausseté 
et  de  supposition  :  a  peine  y  trouve-t-on  quelques  ex- 
pressions Tartares  et  une  imitation  éloignée  du  style 
usité  dans  ces  circonstances.  Il  faut  néanmoins  conve- 
nir de  l'exactitude  de  quelques-uns  des  faits  qui  y  sont 
rappelés,  comme  de  ceux  qui  sont  relatifs  aux  exemp- 
tions accordées  aux  chrétiens  par  les  Mongols.  D'un 
autre  côté,  le  motif  de  l'ambassade,  exprimé  de  vive 
voix  à  S.  Louis  ,  n'offre  aucune  invraisemblance  ,  et. 
il  s'accorde  parfaitement  bien  avec  le  système  politique 
que  dévoient  naturellement  suivre  les  Mongols  par 
rapport  aux  Francs  et  aux  musulmans  ;  système  que 
nous  verrons  bien  manifestement  embrassé  par  eux  un 
peu  plus  tard.  La  diversion  qu'ils  desiroient  de  la,  part 
du  roi  des  Francs,  entroit  dans  leurs  vues  et  dans  leurs 
intérêts.  Q.uant  au  christianisme  prétendu  des  princes 
Tartares ,  ce  pouvoit  être  une  fable  imaginée  par  les 
envoyés  pour  se  faire  valoir  ;  et  il  ne  paroît  pas  que 
S.  Louis  et  son  conseil  en  aient  été  pleinement  dupes, 
puisque  de  roi  mit,  parmi  les  présens  qu'il  adressa  au 
khan  ,  une  chapelle  où  étoient  représentés  les  princi- 
paux mystères  du  christianisme, /?OHr  veoir,  dit  Joinville  , 
se  il  les  pourroit  attraire  à  nostre  créance  ,  et  puisque  les 
frères  prêcheurs  qui  furent  envoyés  à  la  cour  des  princes 
Mongols,  avoient  mission  pour  eid.x  vionstrer  et  enseigner 
comment  ils  dévoient  croire.  Enfin  le  chef  de  cette  ambassade 

Kj  ij 


444  MEMomr.s  de  l'académie 

ctoit  lin  iioiiime  connu ,  qii'Aiulrc  Je  Lonjiimel  avoit  vu 
chez,  le  gcncral  Tartare.  Il  n'est  guère  probable  que  cet 
hoiiiiiie,  qui  occupoit  un  certain  rang,  eût  eu  i'ellronterie 
de  venir ,  sans  aucune  mission  ,  en  imposer  aux  princes 
des  Francs,  et  risquer,  si  sa  fraude  ctoit  Jccouverte,  de 
ne  plus  trouver  d'asile,  ni  chez  les  Francs,  après  les  avoir 
insultes,  ni  chez  les  Mongols,  après  avoir  abusé  de  leur 
nom. 

Ces  contradictions  apparentes  peuvent  se  concilier 
par  une  supposition  très -simple  :  on  peut  croire  que 
David  et  ses  compagnons  ctoient  en  efîet  envoyés  par 
Ilchi-khataï ,  pour  concerter  avec  les  Francs  des  mesures 
contre  les  musulmans;  mais  on  ne  leur  avoit  remis  au- 
cune pièce  écrite ,  ou  bien  on  s'étoit  contenté  de  leur 
donner  un  de  ces  ordres  fastueux  que  les  lieutenans  du 
grand  khan  dévoient  faire  passer  à  tous  les  princes  avec 
qui  ils  étoient  en  relation.  Une  pareille  pièce  ne  pro- 
mettoit  pas  un  grand  succès  à  leur  négociation  :  les 
envoyés  en  forgèrent  une  autre  ,  où  ils  glissèrent  toutes 
les  assurances  qui  convoient  séduire  les  chrétiens  et  les 
prévenir  en  laveur  des  Tartares.  Nous  verrons  bien- 
tôt le  khakan  lui-même  autoriser  formellement  une 
infidélité  de  ce  genre.  Les  envoyés  n'osèrent  pourtant 
pas  mettre  en  écrit  la  conversion  du  grand  khan ,  qu'ils 
se  contentèrent  de  raconter  de  vive  voix.  Si  les  choses 
s'étoient  passées  de  celte  manière,  nous  ne  verrions  là 
qu'un  premier  exemple  de  la  marche  suivie  depuis  dans 
toutes  les  négociations  avec  les  princes  Mongols.  Les 
lettres  dont  les  ambassadeurs  ctoient  chargés  ne  leur  pa- 
roissant  i>ab    propres   à  leur  assurer  la  bienveillance  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  -  LETTRES.  44^ 
ceux  à  qui  iis  étoient  adresses,  ils  les  falsifioient,  les  éten- 
(Joient,  les  interprctoient  à  leur  guise.  De  ià  vient  que 
les  traductions  de  ces  lettres  ne  sont  jamais  en  rapport 
avec  les  originaux  ,  et  qu'elles  ne  contiennent  souvent 
que  la  substance  de  ceux-ci,  amplifiée,  embellie,  ornée 
de  tout  ce  qui  paroissoit  capable  de  plaire  aux  princes 
Européens.  M.  de  Sacy  a  déjà  fait  remarquer  cette  espèce 
d'inexactitude  volontaire  dans  la  traduction  des  lettres  de 
Tamerlan  à  Charles  VI.  Nous  trouverons  sa  remarque 
applicable  à  celles  des  pièces  émanées  de  la  cour  Mon- 
gole dont  on  nous  a  conservé  les  originaux.  Tmiaé  des 
Quoi  qu'il  en  soit,  S.  Louis  voulut  répondre  à  la  cour-   '^"'"'"^•'"-^°- 

^  P"?-  77- 

toisie  réelle  ou  prétendue  du  prince  Tartare.  Ce  fut  l'objet  Hht.  Tarmr. 
de  l'ambassade  de  frère  André.  Bergeron  et  Mosheim  n'en  ^'^'r?.'""' ^iJ'' 
ont  dit  qu'un  mot  en  passant,  et  Deguignes  a  tout-à-fait  tom.  lll,p.,zo. 
négligé  d'en  parler,  plaçant  le  voyage  de  Pxubruquis  im-  i.  xx'xn  !  aqi. 
inédiatement  à  la   suite  de   l'affaire   des   envoyés  d'ilchi-  '^"^■ 

T  I  ••     TVT  r  .      .  ^  ^Bern.  GuiJ. 

kUatai.  INous  reparerons  cette  omission  en  réunissant  les  vu.  înmcmiii. 
détails  relatifs  à  la  mission  de  frère  André ,  tels  qu'on  '"^flu, 
les  trouve  épars  dans  différens  ouvrages.  Ce  religieux  fut  ■"""""^-  r""-  }•■ 
établi  chef  de  l'ambassade'",  et  on  lui  adjoignit  Jean  Am<iir.  Auger. 
de  Carcassonne,  français  de  nation";  Odon  en  nomme  r^g.  400. 
un  troisième,   Guillaume'^.   Joinville    ne    fait    mention    '^/'"'■"^^«- 

r  V  I  A  nocent'wm ,       in 

que  de  deux  frères  prêcheurs"^:  Thomas  de  Cantimpré  d'Ackrj  Spidi. 
parle  de  deux  frères  prêcheurs  et  de  deux  mineurs  ^  et  s^iJuhtr.^. 
Vincent  de  Beauvais*^,  de  trois  frères  prêcheurs,  de  deux  'Bomm  um- 
clercs  séculiers  et  de  deux  officiers  du  roi.  J.  Columna  "nui,  Tuv. 
s'accorde  avec  ce  dernier,  et  ajoute  qu'il  a  connu,  dans  "i'^f^.;^^-^ 
une  extrême  vieillesse,  l'un  de  ces  clercs,  nommé  Robert,     ^-W-   hhtor. 

■      r  ■      1  ,      rr^  .  ...  ai:  XXXII.Cdv. 

qui  avoit  tait  le  voyage  de   Tartane,  et   qui  etoit  sous-  xcn^. 


ni:  suprj. 


^C  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

chantre  cli^  l'Jglise  de  Chartres  (i).  Les  prcsens  que 
S.  Louis  envoyoit  aux  Tartares,  se  composoient ,  outre 
la  chapelle  J'ccarlate  qu'on  lui  avoit  dit  devoir  être  très- 
agrcable  au  khakan  ,  de  tous  les  ornemens  nécessaires 
au  culte  divin,  d'un  morceau  de  bois  de  la  vraie  croix 
pour  le  grand  khan,  et  d'un  autre  pour  lichi-kliataï. 
Le  roi  y  joignit  des  lettres  qui  avoient  pour  objet,  sui- 
\ant  les  uns  (2),  d'inviter  le  khan,  jusque-là  païen,  à 
suivre  l'exemple  de  sa  mère  et  de  son'aïeid  ,  et  à  em- 
brasser la  foi.  Suivant  d'autres  ,  elles  supposoient  sa 
conversion  ilcjà  opérée  ,  et  l'exhortoient ,  ainsi  qu'Ilchi- 
khata'ï ,  à  persévérer  dans  leur  amour  pour  celui  qui, 
par  sa  grâce,  les  avoit  appelés  à  la  connoissance  de  son 
nom  (3).  Aux  lettres  du  roi  ,  le  légat  joignit  les  siennes  : 
il  ccrivii  au  kliakan  ,  à  sa  belle-mère ,  à  Ikhi-khataï,  et 
aux  évcques  qui  se  trouvoient  près  d'eux,  leur  annon- 
çant que  la  sainte  église  Romaine  les  recevroit  volontiers 
comme  des  fils  bien-aimés,  et  apprendroit  avec  joie  leur 


(  I  )  AJjiinct'i  fueriitit  duo  cUrici 
SiVcuLires ,  quorum  unvm  adituc  viveii- 
lem  (go  vHi ,  il'tùte  valdc  jam  decre- 
j'ituin,  qui  erat  suhcanicr  in  eccUiia 
Canwtensi,  Hoberius  noinine.  (Mare 
historiarum  ,  man.  lat.  n."  49'  5  >  'o'- 
max.  /.  412.) 

( 2 )  A udi fit  ( Lud^^vicus )  qu'vd  rex 
TartJrorum  matrem  christidnam  hii- 
trrei,  et,  lic'd  filius  gaiiilis  esset,  cliris- 
rian.f  tamen  fuUi  diligtret scctiitores. . . 
Sptrans  tri^o  puis  rex  f'r,inci-r  quôd 
regem  TartJrorum  ,  causa  matris ,aut 
avi gr.itiJ,  inovere  posset  itd  clirislidrur 
Jîdei  pietatcm ,    misii  ad    rum  duos 


frdirts,  Ù'c.  (Thoni.  Cantiprat.  iilii 
suprà.  )  —  Afisir.  .  .ut  invitiiret  mm 
ad  fidan  Christi ,  quoniaut  crcdtluuur 
quod diclus  rex  adjîdem  iioslnim  suuiii 
ànimum  Imlinaluit.  (Aiiialr.  Augi-r. 
et  Birn.  Ciuid.  apud  Mnraior.  uWi 
suprà.  ) 

(3)  Alisit  tiim  eidern  rei^i  qui'iin 
Ercluilthay  ptr  nuncios  suas  cum  lit- 
tiris iid  utrumquc  directis ,  Iwrtantilnis 
ul  fuiii  qui ,  pcr  ^rdliiiin  suatn,  ad  cu- 
gnitionnn  sui  ncininis  ros  vocaverat , 
dibitù  venerationt  calèrent ,  et  in  tjus 
amore  jugiter  permanerent .  (  Spcc. 
hist.  ubi  suprà.) 


Bcllov. 


Epis:. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  44/ 
conversion  à  la  foi  catholique,  pourvu  qu'ils  gardassent 
avec  fermeté  des  sentimens  orthodoxes ,  qu'ils  reconnussent 
Rome  pour  la  mère  de  toutes  les  églises,  et  le  vicaire  de 
Jésus -Christ  pour  son  chef,  à  qui  doivent  obéir  tous 
ceux  qui  font  profession  du  christianisme.  Munis  de  ces 
lettres  ,  dont  on  ne  peut  se  dissimuler  que  le  contenu 
ne  dût  étonner  beaucoup  la  cour  de  Kara-koroum  ,  les 
frères  partirent  de  Nicosie  avec  les  envoyés  Tartares ,  le 
27  janvier  i  248. 

L'ambassade  traversa  fa  Perse,  apparemment  pour  s'en-  fï»^. 
tendre  avec  Ilchi-khatai  ;  et  ce  lut  sans  doute  après  avoir  (4«. 
vu  ce  général ,  que  frère  André  écrivit  à  S.  Louis  une  '"''""'"""• 
lettre  dont  le  roi  envoya  la  copie  en  France ,  avec  la  xxxv. 
traduction  de  celle  d'iichi-khataï  (i).  Il  est  fâcheux  que 
cette  lettre  ne  se  soit  pas  retrouvée;  car  son  contenu 
leveroit  tous  les  doutes  qui  peuvent  nous  rester  sur  la 
négociation  de  David.  Du  campement  d'Ilchi-khataï  , 
les  frères  se  rendirent  à  la  cour  Mongole,  où  ils  arrivèrent 
vers  la  fin  de  1248  ,  ou  au  commencement  de  124p. 
Gayouk,  qui  venoit  de  mourir  ,  n'étoit  pas  encore  rem- 
placé ,  et  ce  fut  la  régente,  Ogoul-gannisch,  qui  reçut 
les  envoyés.  Cette  princesse  et  son  fils  ,  ayant  vu  les 
présens  du  roi ,  reçurent  les  frères  avec  distinction ,  et 
leur  reiT^irent  d'autres  présens ,  parmi  lesquels  se  trou- 
voit ,  conformément  aux  usages  Chinois,  une  pièce  de 
drap  de  soie.  La  reine  y  joignit  des   lettres  ;  mais,  peu     Rx^ruquis ,  c. 


Ban. 

/oc.  lit. 


LitiiJ. 


(i)  Non  muho  -post  ad  eumdem 
regem  Ihterjs  misit  (fr.  Andréas), 
quanim  transcripCi/rn  d'tctus  rex  matri 
sux  re^,htce    Blanchx  m   FnmcL'.m. 


vnà  cum  transcripto  litterarum  Er- 
chalthay,  transnûs'n.  (  Vinc.Bellovac. 
lib.  XXXI I,  cap.  xciv.) 


448  MI  MOIRES  DL  LAC  \DI.M1E 

nu  fait   cfe  ce  qui  se  passoit  dans  la   partie  occidentale 
/././.'/./.         de   l'empire   qu'elle   rcgissoit ,   elle    ne    put  rien   décider 
relativement  à  la  paix  ou  à  la  guerre.  Les  envoyés  turent 
ensuite  congédiés  avec  honneur,  mais  sans  avoir  rien  ob- 
tenu il'effectif  par  rapport  au  Init  principal  de  leur  voyage, 
c'est-à-dire  ,  à  la  conversion  des  princes  Mongols  (i). 
Hhimi    d<        Suivant  .li)in\ille,  <<  quant  le  grant  roy  des  Tariarins 
IV2  7       "  '   •>  ot  receu  les  messages  et  les  presens  ,  il  envola  querrc  par 
"  asseuremcnt  plusieurs  roys   qui   n'estoient  pas  encore 
"  venus   à  sa   merci  ,   et   leur   fist  tendre  la  chapelle ,  et 
»  leur  dit  en  tel  manière  :  Seigneurs,  le   roy  de  Fniiice  est 
»  vc/tu  en  notre  sujestion  ,  et  veiçi  le  trcu  que  il  nous  envoie. 
»  Et  se  vous  ne  venei  en  nostre  merci ,  nous  l'envoyerons  querre 
»  pour  vous  confondre.  »  L'historien  de  S.  Louis  ajoute  que 
la  peur  du  roi  de  France  engagea  effectivement  plusieurs 
princes  à  se  soumettre  au  roi  des  Tartares  (2).  il  rapporte 
ensuite  une  lettre  écrite  à  S.  Louis,  par  laquelle  le  khan 
demande  à  ce  monarque  de  lui  envoyer  un  tribut  annuel 
en  or  et  en  argent,   le  menaçant,  en   cas  de  relus,  de 
le  mettre  n  l'c'pcc ,   comme  il  a  fait  pour  plusieurs  autres 
rois,  et  de  détruire  luy  et  sa  gent.  «  Et  sachiez  »,  dit  en 
finissant  Joinville,  «  que  il  (S.  Louis)  se  repenti    fort 
»  quant  il  y  envoya.  » 

Joinville  est  le  seul  écrivain  (jui  raconte  de  cette  ma- 


(1)  Bern.  Guid.  ioc.  cit.  CùmytT- 
venissfnt  d'uti fralrfs  ctim  multis  la- 
ioriius  ad  capiit  extrcltùs  Tartaro- 
riim  ,  invenerunt  esse  defunctum.  Ve- 
rumtamen  rfgina  et  filins  fjusj  visis 
et  accq^lis  exenniis  eccles'usiicis ,  Iw- 
noravenint   nuncios ,    et     munera    et 


exennia  tribuerunt,-  sicque  reinissi  re- 
i^TiSsi  sunt  Cl/m  honore,  nulle  tawen 
ejffctu  iilio  siibsccuto,  qui  pr'incipalitrr 
iju.vrebaiur. 

(2)  Assez  en  y  ot  de  cculz  qui 
pour  la  poour  du  roy  de  France  te 
mistrent  en  la  merci  de  celi  roy. 


niere 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      449 

nière  l'ambassade  de  frère  André,  et  qui  nous  fasse 
connoître  la  réponse  dont  ce  religieux  fut  chargé.  II  y 
a  dans  son  récit  une  inexactitude  et  un  anachronisme 
faciles  à  relever.  Le  roi  des  Tartares,  Gayouk,  mourut 
à  la  troisième  lune  de  l'an  1248,  c'est-à-dire,  au  mois 
d'avril.  André  ne  partit  de  Chypre  qu'à  la  fin  de  janvier 
de  la  même  année  ,  et  demeura  certainement  plus  de 
trois  mois  en  route  ,  sur-tout  s'il  s'arrêta  ,  comme  on  a 
tout  lieu  de  le  penser,  au  campement  d'Ilchi-khataï. 
Tous  les  auteurs  s'arcorJent  d'ailleurs  à  dire  que  les  re- 
ligieux ,  à  leur  arrivée  à  l'orde  ,  trouvèrent  l'empereur 
mort.  Mais  on  peut  supposer  qu  Ogou/-g(û mise /i ,  ou  le 
prince  Clii-lici-meti  [Schiramoun] ,  auquel ,  sous  la  régence, 
il  ne  manqua  que  le  titre  d'empereur ,  tinrent  le  langage 
que  Joinville  prête  ici  au  roi  des  Tartares.  A  cela  près,  le 
récit  de  l'historien  n'offre  aucune  invraisemblance  ,  et 
s'accorde  au  contraire  fort  bien  avec  ce  que  nous  voyons 
encore  aujourd'hui  chez  les  Chinois.  S.  Louis  envoie 
un  ambassadeur,  donc  il  se  reconnoît  tributaire;  ses  pré- 
sens sont  un  treu ,  par  lequel  il  témoigne  sa  soumission 
aux  Tartares.  Telle  a  toujours  été  ,  telle  sera  toujours 
ia  manière  de  raisonner  à  la  cour  d'un  fils  du  ciel ,  et  les 
Mongols  n'en  avoient  certainement  pas  d'autre.  La  lettre 
pleine  de  menaces  que  l'historien  de  S.  Louis  nous  donne 
pour  celle  du  khan,  est  en  effet  conçue  dans  le  style  ac- 
coutumé de  l'orde  de  Kara-koroum  ,  et  elle  contribue  à 
donner  au  récit  de  Joinville  un  grand  air  de  vérité. 

Les  ambassadeurs  revinrent,  deux  ans  après  leur  dé-     Jcint-nie,  lu-u 
part ,  trouver  le  roi  dans  la  ville  d'Acre ,  où  il  étoit  alors. 
Ce   prince  ,    malgré  le  déplaisir  que  lui  avoit  causé  la 
Tome  VI.  L' 


450  MKMOJRIS  DE  L'ACADEMIE 

mauvaise  imerprctaiion  doiince  par  les  Tartares  à  sa 
première  Jciiiarciie,  résolut  de  (aire  une  seconde  tenta- 
tive. Il  choisit  un  moine  franciscain  appelé  Cuilhiunie 
Ruysbrotk,  et  plus  connu  sous  le  nom  de  Rubru/]uis.C,(:\\i[- 
ci  partit  de  Constantinople  le  y  mai  1253  ,  accompagne 
d'un  autre  moine  nommé  Bartheleuii  de  Crcmoite,  et  tie 
quelques  autres  personnes ,  avec  de  nouveaux  présens 
Xuhu^ui's.c.t.  pour  les  princes  Tartares.  Nous  trouvons  dans  le  récit 
de  Joinville  rapporté  ci-dessus,  l'explication  de  certaines 
particularités  du  voyage  de  Hubruquis  ,  dont ,  sans  ce 
secours,  il  seroit  difliciie  de' se  rendre  raison.  Cet  ambas- 
sadeur raconte  (jue ,  prêchant  à  Constantinople  dans  l'é- 
glise de  Sainte-Sophie,  il  avoit  eu  grand  soin  d'assurer 
qu'il  n'étoit  envoyé,  ni  par  le  roi  de  France  ,  ni  par  au- 
cun autre  souverain  ,  mais  qu'il  alloit ,  selon  les  statuts  de 
son  ordre,  prêcher  l'évangile  aux  infidèles,  et  c'est-là  l'idée 
que  ,  dans  tout  son  voyage,  il  s'efforça  de  donner  de  sa 
mission.  Arrivé  à  Soldaya ,  il  trouva  que  des  marchands 
de  Constantinople,  qui  s'y  étoient  rendus  avant  lui,  avoient, 
malgré  ses  précautions,  annoncé  son  arrivée  avec  sa  qua- 
U.  iHJ.  lité  d'ambassadeur.  Il  tâcha,  par  un  langage  ambigu,  de 
faire  prendre  le  change  aux  principaux  de  la  ville  sur 
l'objet  de  sa  venue.  En  entrant  sur  les  terres  des  Mon- 
gols ,  la  première  question  qu'on  lui  adressa  fut  pour 
savoir  s'il  alloit  trouver  les  princes  Tartares  de  son  propre 
mouvement,  ou  s'il  y  étoit  envoyé  par  quelqu'un  :  sur 
quoi  Rubruquis  évita  de  s'expliquer  catégorit|uement. 
"Je  répondis  »,  écrit-il  à  S.  Louis,  <•  (jue  personne  ne 
»  m'avoit  contraint  d'y  aller  ,  et  que  je  n'y  fusse  pas  venu 
•»  si  je  n'eusse  voulu  ;  tellement  que  c'étoit  de  moi-mêine, 


DFS  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      451 

»  et  de  ia  volonté  et  permission  Je  nion  supe'rieur  :  car 
»  je  me  giirddi  bien  de  dire  que  je  fusse  envoyé'  par  votre  ma- 
»  jesté.  »  Par  ce  passage  et  par  quelques  autres  de  la  rela-  id-  <•  ■*'/ 
tion  de  Rubruquis,  il  est  clair  que  S.  Louis  ne  vouloit  pas 
avouer  la  nouvelle  négociation  qu'il  faisoit  entreprendre , 
de  peur  que  les  Tartares  ne  la  prissent  ,  comme  celle  de 
frère  André,  pour  un  témoignage  de  sa  soumission  au 
grand  khan.  On  voit  que  la  narration  de  Joinville  et 
celle  de  Rubruquis  «'expliquent  ici  l'une  par  l'autre  ,  et 
que  nous  n'avons  pas  été  mal  fondés  à  admettre  l'authen- 
ticité de  la  lettre  rapportée  par  le  premier. 

La  relation  du  voyage  de  Rubruquis,  que  lui-même 
composa  pour  le  roi  de  France,  et  qui  a  été  publiée  dans 
difFérens  recueils  ,  nous  dispense  d'entrer  dans  aucun  dé- 
tail :  seulement,  pour  ne  pas  interrompre  la  série  des 
événemens,  nous  rappellerons  en  j)eu  de  mots  la  route  que 
suivirent  les  envoyés  ,  et  le  résultat  de  leurs  négociations. 
De  Soidaya  ils  passèrent  dans  les  steppes  qui  séparent  le 
Dnieper  du  Tariaïs  :  là  ils  trouvèrent  un  khan  nommé 
Scacatay ,  peut-être  Tchakhata'i  ,  pour  qui  l'empereur  de 
Constantinople  leur  avoit  donné  des  lettres  de  recom- 
mandation, lis  traversèrent  ensuite  le  Tanaïs  pour  aller 
au  campement  de  Sartak,  fils  de  Batou  ,  à  trois  journées 
en  deçà  ,du  Wolga.  Ils  remirent  à  ce  prince  des  lettres 
du  roi  de  France ,  traduites  en  arabe  et  en  syriac.  Le 
bruit  s'étoit  répandu  dans  l'Occident  que  Sartak  étoit  chré- 
tien :  les  missionnaires  s'assurèrent  par  eux-mêmes  qu'il 
n'en  étoit  rien.  Prenant  le  nom  de  chrétien  pour  celui  A'*.'™?.  ch,tp. 
d'un  peuple  ,  les  Tartares  répondirent  avec  chaleur  à  leurs 
questions    que  leur    maître    n'étoit    pas   Chrétien  ,  mais 

L3  ij 


XV  II. 


4j2  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Mongol,  et  Jcfendirent  aux  envoyés  de  donner  à  Sartuk. 
cette  qualification.  Ce  fait,  dont  Mosheim  convient,  ne 
l'einpcclie  pas  de  croire  à  la  conversion  du  fils  de  Batou  : 
nous  verrons  bientôt  que  les  raisons  sur  lesquelles  il  se 
fiiiide  ,  ne  sauroient  satisfiiire  une  personne  moins  pré- 
venue que  cet  auteur,  et  moins  disposée  à  trouver  des 
chrétiens  dans  toute  la  Tartarie. 

Rubruquis  et  ses  compagnons  vinrent  ensuite  trouver 
Batou  ,  dont  Moulons  ou  le  campem«it  étoit  alors  sur  les 
bords  du  Wolga.  A  l'audience  où  ils  lui  fi.irent  présentés, 
Batou  s'informa  du  nom  du  roi  de  France,  et  de  la  raison 
qui  l'avoit  fait  sortir  de  ses  états  avec  une  armée.  Du 
reste,  il  ne  voulut  pas  prendre  sur  lui  d'accorder  la  per- 
mission que  demandoit  S.  Louis  pour  Rubruquis  et  ses 
compagnons  ,  de  demeurer  en  Tartarie  pour  y  prêcher  la 
foi.  Rubruquis  se  vit  donc  obligé  de  faire  le  voyage  de 
Kara-koroum ,  où  il  parvint,  après  mille  fatigues,  le  27 
décembre  1252.  Il  faut  lire  dans  sa  relation  le  détail  des 
audiences  qu'il  eut  de  Mangou-khan  (i).  La  lettre  que 
ce  prince  écrivit  à  S.  Louis  ,  par  le  ton  orgueilleux  et 
menaçant  dans  lequel  elle  est  écrite  ,  ne  dément  point 
le  caractère  Mongol,  C'est  un  ordre  que  Mangou  envoie 
Ui.xLvni.  à  Louis,  roi  de  France,  à  tous  les  seigneurs  et  peuples 
du  pays  des  Francs.  Le  khakan  y  désavoue  la  mission 
de  David,   faite  avant  son  règne,  et  à  une  distance  qui 


U  c.  XXI. 


(1)  Dans  un  endroit  de  sa  rela- 
tion ,  Rubruquis  racontequ'un  inter- 
prète de  Mangou  s'informa  avec 
soin  de  ce  qui  regardoii  la  France, 
et  s'il  y  .ivoit  beaucoup  de  bœufs, 
de  moutons  et  de  chevaux.  Il  sem- 


hloit ,  dit-il ,  qu'ils  fussent  tout  prcti 
d'y  venir,  et  d'emmener  tout.  Plu- 
sieurs fois  je  fus  contraint  de  dissi- 
muler ma  colère  et  mon  indignation 
(Hubruq.  chap.  XXXI.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  453 
ne  lui  permettoit  pas  d'en  apprécier  les  motifs.  Il  seml:)le 
même  qu'il  regrette  la  bonne  réception  faite  par  la  régente 
Ogoul-gaïmisch  à  frère  André.  Il  s'emporte  en  injures  en 
parlant  de  cette  princesse,  contre  laquelle  il  nourrissoit 
beaucoup  de  ressentiment  ,  parce  qu'elle  s'étoit  opposée 
à  son  avènement,  et  il  annuUe  tout  ce  qu'elle  a  pu  faire 
et  dire  relativement  aux  affaires  de  l'Etat. 

Ainsi  congédié,  Rubruquis  partit  de  la  cour  de  Man- 
gou,  et  mit  plus  de  deux  mors  à  revenir  au  campement 
de  Batou.  Ce  prince  le  fit  venir  en  sa  présence,  et  or- 
donna qu'on  lui  interprétât  les  ordres  du  khakan  :  car 
celui-ci  lui  avoit  mandé  d'y  ajouter  ,  d'y  ôter  ou  d'y 
changer  tout  ce  que  bon  lui  sembleroit  ;  sorte  de  liberté 
que  l'immensité  des  états  Mongols  rendoit  nécessaire  , 
et  qu'on  ne  doit  pas  perdre  de  vue  en  examinant  les 
pièces  relatives  à  ces  négociations.  Rubruquis  revint  par 
le  Caucase,  l'Arménie,  et  la  Syrie,  où  il  croyoit  trouver 
encore  S.  Louis  ,  et  ce  fut  de  la  ville  d'Acre  qu'il  lui 
adressa  la  relation  de  son  voyage,  à  laquelle  il  joignit 
sans  doute  la  lettre  de  Mangou  ,  écrite,  suivant  Rubruquis,  id. 
en  langue  Mongole  et  en  caractères  Ouïtrours.  Cette  lettre 
importante  ne  s'est  pas  retrouvée  dans  les  archives,  où  il 
étoit  naturel  de  la  croire  déposée. 

Penda^nt  son  séjour  à  Kara-koroum  ,  Rubruquis  y  vit 
les  ambassadeurs  de  Valace ,  empereur  de  Nicée  :  il  ne 
fait  point  connoître  l'objet  de  leur  voyage,  et  nous  ne 
trouvons  aucun  éclaircissement  à  ce  sujet  chez  les  histo- 
riens de  Constantinople.  On.  est  surpris  du  silence  que 
gardent  ces  écrivains  au  sujet  des  Tartares,  qui  ne  lais- 
soient  pourtant  pas  d'avoir  de  fréquens  rapports  avec  les 


C.  XKVIl. 


4;4  MK.MOIRLS  Df,  L'ACVDi.MlE 

princes  J>)iit  ils  nous  ont  transmis  la  vie  :  à  peine  en 
trouve- t-on  chez  eux  de  loin  à  loin  quelque  mention, 
et  le  plus  souvent  pour  ties  faits  moins  importans  que 
l'envoi  d'ambassadeurs  au  fond  de  la  Tartarie. 

Pendant  que  Rubruquis  parcouroit  ainsi  toute  l'Asie 
pour  s'assurer  par  ses  yeux  de  ce  qu'on  devoit  penser  de 
la  conversion  des  princes  Tartares ,  un  prêtre  nomme 
Juin  ,  prenant  le  titre  de  chapelain  du  prince  Sartak , 
vint  trouver  le  pape,  et  lui  annoncer  que  son  maître  ve- 
noit  de  se  faire  baptiser.  Jean  avoit  clc  pris  en  route 
par  Conrad  ,  et  retenu  prisonnier  en  Sicile  jusqu'à  la 
mort  de  ce  prince,  c'est  à-dire,  jus(ju'en  1254-  "  s'échappa 
alors  de  sa  prison  ,  et  se  rendit  à  Rome,  où  il  fut  accueilli 
avec  joie  par  Innocent.  Q.uoique  l'on  eût  pu  élever  quel- 
ques doutes  sur  la  qualité  que  prenoit  cet  envoyé,  tout  ce 
qu'il  possédoit ,  et  les  lettres  mêmes  du  général  Tartare, 
lui  ayant  été  enlevés  pendant  sa  captivité,  le  pape  n'ap- 
profondit pas  cette  affaire,  et  crut  facilement  ce  qu'il 
desiroit  avec  ardeur.  Il  s'empressa  de  répondre  à  Sartak. 
par  une  lettre  où  il  s'épuise  en  complimens  et  en  exhor- 
tations. C'est  par  cette  lettre  seulement  que  nous  avons 
connoissance  de  l'ambassade  de  Jean.  Cela  suffit  à  Mos- 
heim  pour  en  reconnoître  l'authenticité.  Pour  nous,  qui 
ne  trouvons  pas  ici  les  mêmes  motifs  de  politique  qui 
nous  ont  paru  rendre  raison  de  la  négociation  d'Ikhi- 
khataï,  nous  ne  fermons  pas  les  yeux  sur  les  diflicultés 
<jue  nous  paroît  présenter  celle-ci. 

La  lettre  d'Innocent  IV  ipii  répond  a  l'ambassade 
de  Jean,  est  datée  du  29  septembre  125.4.  Quelque 
courte  qu'ait   pu   être  sa   captivité,  et  quelque  diligence 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.     455 

qu'il  ait  faite  dans  son  voyage  ,  on  ne  peut  guère  supposer 
qu'il  se  soit  écoulé  moins  de  dix  mois  entre  son  départ  du 
campement  de  Sartak,  à  trois  journées  du  Wolga,  et  son 
arrivée  à  Rome.  Il  seroit  donc  parti  au  plus  tard  vers. la 
fin  de  I  2  5  j .  Il  n'y  avoit  pas  alors  cinq  mois  que  Rubruquis 
avoit  quitté  Sartak,  ce  prince  nouvellement  converti,  qui 
ne  savoit  pas  même  ce  que  signifioit  le  nom  de  chrétien , 
et  qui  le  prenoit  pour  une  insulte.  Au  mois  d'août  1254  > 
à  l'époque  précise  où  Jean  venoit  à  Rome  ,  ou  étoit  sur 
lepoint  d'y  arriver,  Rubruquis,  revenant  de  Kara-koroum  , 
rencontra  Sartak  qui  s'y  rendoit.  II  eut  occasion  de  véri- 
fier de  nouveau  si  ce  prince  avoit  embrassé  la  foi  ;  il  avoit 
commission  expresse  de  faire  cet  examen.  C'est  pourtant 
ce  voyageur  véridique  qui  déclare,  dans  sa  relation  à 
S.  Louis ,  qu'il  ne  sait  si  Sartak  est  chrétien  ou  non  ,  mais 
qu'il  lui  semble  bien  plutôt  que  ce  prince  se  moque  des  Ruhuq.i.xx. 
chrétiens  et  les  méprise.  Qii'on  juge  donc  s'il  est  vraisem- 
blable que  ce  général  ait  eu  un  chapelain  ,  qu'il  l'ait  en- 
voyé au  pape  ,  et  qu'il  ait  reconnu  la  suprématie  du  vicaire 
de  Jésus -Christ  sur  terre.  Concluons  que  le  chapelain 
Jean  ,  arrivant  à  Rome  sans  aucune  lettre  de  celui  qui 
l'avoit  député,  n'ayant  que  lui-même  pour  garantir  le  fait 
extraordinaire  qu'il  annonçoit,  auroit  pu  ,  à  plus  juste  titre 
que  le  Syrien  David,  êti'e  pris  pour  un  imposteur,  si  l'on 
eût  été  mieux  informé  des  affaires  des  Tartares ,  ou  si, 
dès  cette  époque,  on  eût  connu  le  résultat  du  long  voyage 
de  Rubruquis. 

On  auroit  peine  à  déterminer  sur  quel  fondement  re- 
posoit  cette  fable  de  la  conversion  de  Sartak;  mais  il  est 
certain  qu'elle  avoit  cours  chez  les  chrétiens  Orientaux, 


^  456  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

qui  pourroient  bien,  au  reste,  en  avoir  été  les  auteurs. 
Les  Arincniens  racontent  que  Sartak  avoil  été  nourri  par 
des  Russes,  qu'il  étoit  baplisé,  et  vivoit  chrétiennement. 
Si^ivant  ces  auteurs,  Batou  ne  s'opposa  point  à  la  con- 
duite de  son  fils,  qui  favorisa  beaucoup  le  christianisme, 
et  délendit  même  d'imposer  des  tributs  sur  les  églises.  Ce 
qui  paroît  certain,  c'est  qu'il  accorda  sa  protection  à 
Dchalal  et  aux  autres  princes  Arméniens  et  Géorgiens, 
et  qu'elle  épargna  beaucoup  de  vexations  à  ceux  qui  étoient 
~  restés  soumis  à  Batchou. 

Le  voyage  de  Sempad  l'Orbélien  à  la  cour  de  Mangoii 
n'est  pas  un  événement  d'une  grande  importance;  mais, 
comme  il  se    trouve  indiqué  dans  l'extrait  que  nous  a 
donné  LaCrozede  l'Histoire  des  Orùelic/is  d'hlùenne  arche- 
Tkfiaur.  enist.   vcque  de  Siounie  (i) ,  il  ne  sera  pas  inutile  d'en  marquer 
pâg'T^.  ''      '   ici  l'objet  en  peu  de  mots.  Il  y  avoit  un  petit  prince  Ar- 
ménien ,  du  pays  même  de  Siounie,  qui  se  nommoitZ)w»'/V/, 
c.i.S.'iniAJar-  et  qui    habitoit   dans  un    canton  (2)  non    encore  soumis 
sur  fArménù.   3"^  Mongois.  Batcliou  lit  pnsoniuer  ce  Uavid,  qui  vint  a 
't"'ui' 'nftrs'7ii'r  ^o"^>  quelques  jours  après,  de  s'échapper  avec  plusieurs 
le    ch.tp.    vu  des  siens.  Il  se  réfugia  chez  un  seigneur,  vassal  tlu  prince 

d'Etienne,  pag.      ,         ^   ,    ,,.  /    \  .  / 

3yf>etsHiy.  des  Orbcliens  (3),  n  ayant  pour  tout  trésor  qu  une  pierre 
précieuse  d'une  valeur  inestimable  et  un  morceau  de  bois 
de  la  vraie  croix.  Il  vint  à  mourir  peu  de  temps  après, 
et  Sempad  réclama  la  pierre  précieuse  pour  en  faire  un 
présent  à  Batchou  :  mais  celui-ci  chargea  Sempad  de  la 
porter  au   khakan.  Mangou  combla  de  faveurs  le  prince 


(i)  M.  Klaproth  n  rcimprinié  ce 
morceau  dan»  son  Arcliiv.  fur  Asia- 
riscfie    Litteratur ,     Gesc/iic/ite    und 


Sprach/<uii,/e ,  pag.  114  et  suiv. 
(2)   Le  canton  d'Apnni. 
(})  Il  se  nonimoit  Tungrfgoul. 

Orbiflicn, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.     457 

Orbélicn  ,  lui  accorda  le  titre  d'entclioii,  qu'on  croit  une 
corruption  ilu   mot  edcluui ,  seigneur  en  mongol,   et   lui     Thcsmir.  qùst. 
donna  à  son  retour  \m  yarlik ,  ou  ordre  par  écrit,  adressé  '"j\iém.surl'Ar- 
au  général  Batchou  ,  pour  conférer  à  Sempad  la  souverai-   '"'"""/,!!"'■  "' 
neté  de  quelques  cantons  du  pays  de  Siounie. 

Q.uand  Rubruquis  avoit  quitté  la  cour  de  Alangou  ,  Ruhuq.  cimp. 
on  y  annonçoit  l'arrivée  prochaine  du  roi  d'Arménie.  En 
effet,  dès  que  ce  prince  avoit  appris  la  mort  de  Gayouk 
et  l'avènement  de  Mangou ,  il  avoit  formé  le  projet  de 
se  rendre  à  Kara-koroum.  II  s'étoit  d'abord  adressé  à 
Batou  pour  lui  demander  sa  médiation,  et  il  avoit  chargé 
un  prêtre  nommé  Basile  d'aller  traiter  cette  affaire.  Batou  nj;. 
étoit  d'avis  qu'Hayton  partît  sans  différer;  mais  celui-ci, 
également  effrayé  de  la  longueur  du  voyage  et  de  l'état 
où  il  lui  falloit  laisser  son  royaume ,  avoit  peine  à  se  dé- 
cider. Sur  ces  entrefaites,  Mangou  ordonna  qu'on  fit  la  1254. 
description  générale  de  l'empire  et  le  dénombrement  des 
individus  sujets  au  tribut  :  les  femmes ,  les  vieillards ,  les 
enfans  au-dessous  de  dix  ans,  et  les  prêtres  de  toute  reli- 
gion, en  étoient  exempts.  Celui  qui  fut  chargé  de  la  partie 
de  cette  grande  opération  relative  à  l'Arménie,  étoit  ce 
même  Argoun  déjà  célèbre  par  les  vexations  sans  nombre 
qu'il  avoit  exercées  sur  les  chrétiens  d'Orient.  Son  approche 
décida  Hayton  à  partir  sans  délai ,  pour  essayer  de  faire 
affranchir  ses  états  du  tribut.  Il  laissa  le  pouvoir  entre  les 
mains  de  Constantin  ,  son  frère,  et  de  ses  fils  Léon  et 
Théodore  ,  et  traversa  déguisé  le  pays  du  sultan  d'Iconiuin.  Ahuif.ir.jHjc , 
Les  personnes  de  sa  suite  étoient  parties  séparément  :  elles 
le  rejoignirent  près  de  Batchou.  Du  campement  de  ce 
général,  il  se  rendit  à  celui  de  Batou,  qui  le  reçut  fort 
Tome  VI.  M? 


r^g-  )>->'■ 


45  8  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

bien,   et  lui  iloiina  une  escorte  pour  l'accompagner  à  la 
cour  (Ju  grand  roi. 

Si  l'on  s'en  rapportoit  au  récit  du  moine  Hayton  , 
l'arrivce  du  roi  son  parent  à  la  cour  Mongole  auroit  cause 
la  plus  grande  joie  au  khak.aii  ,  et  ce  prince  se  seroit 
empressé  d'acquiescer  à  sept  demandes,  dont  la  première 
étoit  que  l'empereur  et  toute  sa  nation  se  convertissent 
et  se  fissent  baptiser  (i).  Les  six  autres,  toutes  faites  dans 
l'intérct  unique  d'Hay  ton,  ne  durent  pas  sembler  moins  in- 
discrètes aux  Mongols,  et  une  seide  eût  suffi  pour  attirer  le 
plus  terrible  châtiment  sur  la  tcte  du  tcmcraire  qui  auroit 
ose  en  faire  la  proposition  au  khakan.  Toutes  furent,  au 
contraire ,  accueillies  avec  bonté  et  accordées  sans  diffi- 
culté, si  l'on  en  croit  le  moine  Arménien.  C'est  pourtant 
sur  cette  partie  de  sa  narration  ,  la  moins  digne  de  con- 
fiance ,  parce  qu'elle  porte  l'empreinte  la  plus  marquée  de 
l'esprit  d'exagération  qui    a  guidé   l'auteur  ,   c'est  sur  cet 


(i)  Rtx  i laque  septein  pelitiones 
ctiin  deliberalicne  fonnavit.  Primo 
énim  rofijvic  ut  imperatcr  cuin  gtnle 
sua  converterftur  ad  fiJun  Christi , 
sect'is  alïis  omnibus  dcrilictis ,  et  se 
faccTtnt  baptr^ari.  Secundo petiir  ijuod 
pax  et  amicitia  perpétua  inter  chris- 
lianos  et  Tariaros  firmaretur.  Tertio 
re.julsivitquàd,  in  omnibus  terris  quas 
Tartari  acquisiverant  et  quas  acqui- 
rtrent,  omnrs  ecclesiœ  christiancrum 
et  clerici  illarum,  sive  lai  ci ,  sive  reli- 
giosi,  ab  omni  servitute  d  datia  essent 
liheri  et  txempii.  Quarto  requisivit 
ut  Terram  •  Sanctam  et  sanclum  se- 
pulcrum  Dhi  de  manibiis  Siirracenv- 
r\nn  auftrref  et  restituerei  christiuiiis  ; 


quintô ,  ut  intenderet  ad  destructio- 
nem  caliphi  de  Baldacli ,  quï'erat caput 
et  doctor  seciJr  perfiJi  Alalwmeti. 
Sexto  requisivit  ut  sibi  concederetur 
priviU'^ium  spéciale ,  qiiôd ,  à  quibus- 
cumque  Ttirtaris  ,  pr^cipuè  regni 
Armeni<x  propinquioribus ,  auxilium 
imploraret ,  sibi  dare  omni  mcrà post- 
positâ  tenerentur.  Seprimô  requisivit 
i/uod  ntnnes  tirr.r  Jurisdlctionis  regni 
Armcni  jf  quasSarraceni  occupiivcrant, 
et  in  manus  Tartarorum  postmodum 
redierant,  regiArmeni.r  restiruerentur  : 
illas  omnes  quijt  rex  acquirere  possel 
contra  Sarratenos  illos,  h.ibvret  et 
teneret pacific'c et qiiictè.  (  Hist.  Orient, 
op.  XXIII.  ) 


Tar.ar.  ji.  j4'- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  LETTRI  S.      459 

unique  témoignage  si  suspect  c^ue  se  fonde  Mosheim 
pour  illire  de  Mantiou-khan  un  chrciien  ze'ic.  Il  est  vrai  ff'st-  «<■/«• 
qu'il  augmente  l'autorité  du  religieux  ,  quand  il  en  fait  un 
témoin  oculaire,  auquel,  dit-il,  on  ne  peut  sans  injus- 
tice refuser  d'ajouter  foi  (i).  Mais  c'est  ici  une  nouvelle 
méprise  de  sa  part,  puisqu'Haylon  déclare  lui-même 
qu'il  n'a  vu  les  événemens  qu'il  raconte  qu'à  partir  du 
règne  d'Abaga  ,  et  qu'il  doit  la  connoissance  des  faits 
antérieurs  à  son  oncle,  chargé  de  les  écrire  par  le  roi 
Hayton  (2). 

Au  reste  ,  je  ne  prétends  ici  que  réduire  à  une  juste 
valeur  l'idée  exagérée  qu'Hayton  a  voulu  nous  donner  de 
l'influence  de  ses  compatriotes  à  la  cour  des  Mongols,  et 
nullement  révoquer  en  doute  les  avantages  réels  que  le 
roi  d'Arménie  tira  de  son  voyage.  Il  est  certain  que  Man- 
gou  lui  accorda  le  titre  de  prince,  sous  la  condition  que 
lui  et  ses  successeurs  seroient  fidèles  sujets  des  Tartares. 
Il  lui  donna  aussi  une  patente  pour  l'affranchissement  des 
églises  et  la  réduction  des  tributs  qui  pesoient  sur  les 
Arméniens  orientaux.  Les  lettres  du  khakan  dont  il  étoit 
porteur,  lui  valurent  à  son  retour  une  réception  très-hono 
rable  de  la  part  de  Batchou,  qui  lui  donna  une  escorte 


(1)  Sed ,  qiium  oçulato  testi ,  nisi 
apertè  malus  aiit  stultus  sic,  neino 
tonus  fidem  liabere  reciiset ,  neqtie  nos 
Haythoni  teslbnonium  in  duhhirn  vo- 
care  audemus ,  qui  Alan^u-cbani  ad 
Christuin  conversionein  tanquam  rem 
cerlissimam  narrât,  cui  ipse  interfiierit, 
(Mosh.  pag.  55.) 

(2)  A  Mango-can  verà  usque  ad 
mortem  Haoloni,    ea  qux  narrât  et 


scribit ,  scivit  et  audivit  per  domina  m 
avunculum  suum ,  quod  (leg.  quein) 
dominum  Haythonum  regem  { leg.  d.""' 
Haythonus  rex)  Armenice  rescribere 
fecit ,  qui  prœsens  fuit  illis  tempori- 
bus.  .  .  .Ab  initia  quidem  Abaga-can 
usque  ad  fincm  tertiœ  partis  liujus 
librij  vbi  Jinem  capiunt  liistoriœ  Tar- 
tarorum ,  scivit  ipse  tanquam  ille  qui 
prœsens  fuit.  (Hist.  Orient.  c.XLVI.J 
Mîij 


4^o  MÉAiOIKES  DE  L'ACADLMIE 

pour  l'accompagner  dans  ses  états  (i).  Beaucoup  Je  princes 
et  J'(.-vci|ues  Arniciiiens  vinrent  lui  faire  leur  cour,  et  le 
reconnurent  pour  leur  souverain.  Depuis  ce  temps,  les 
Mongols  n'eurent  pas  de  vassaux  plus  fidèles,  les  Francs 
d'alliés  plus  zélés,  et  les  musulmans  d'ennemis  plus  achar- 
nés,  ijue  les  rois  d'Arménie.  Ces  princes  ne  cessèrent, 
pendant  un  demi-siècle,  d'employer  tous  leurs  efforts  à 
ménager  des  alliances  entre  les  Tartares  et  les  Occiden- 
taux ,  à  solliciter  des  secours  près  des  papes  et  des  autres 
souverains  de  l'Europe  ,  à  leur  offrir  la  coopération  des 
Mongols,  à  provocjuer  enfin  des  croisades,  qu'ils  souhai- 
toicnt  plus  ardemment  que  les  pontifes  eux-mêmes  :  aussi 
les  voit-on,  à  cette  époque,  prendre  part  à  toutes  les 
affaires  du  temps,  et  servir  Jl'  principal  intermédiaire 
entre  les  Tartares  et   les  chrétiens. 

Comme  cet  intermédiaire  manquoit  en  Europe,  il  ne 
faut  pas  s'étonner  si  les  relations  qu'on  y  avoit  avec  les 
Mongols  ,  conservoient  le  caractère  d'hostilité  cju'elles 
avoient  eu  d'abord  :  ceux  mêmes  d'entre  les  princes  chré- 
tiens qui  s'étoient  vus  forcés  de  se  soumettre  à  eux,  étoient 
enveloppés  dans  l'horreur  qu'on  avoit  pour  les  Tartares  ; 
et,  pendant  qu'on  cherchoit  à  profiter  des  alliances  que 
les  princes  du  Midi  avoient  su  se  ménager  avec  les  géné- 
raux Mongols,  on  considéroit  comme  déserteurs  du  nom 
chrétien  ceux  du  Nord,  qui  n'avoient  cerlainenunt  pas 
eu  ,  en  contractant  celles  qui  les  lioient  à  13aiou  ,  d'autres 
vues  que   de  sauver  à  leurs  peuples  les  malheurs  d'une 


(i)  Hayton  fut  al)scnt  pendant  <in 
an  et  t|iiatrc  mois,  scion  Giragos  et 
Vartan  ;  pendant  deux  ans  et  demi , 


suivant  l'Iiistoricn  Haytnn  ;  pendant 
trois  anset  demi, selon  Aboulfaradjc; 
et  pendant  quatre  ans,  selon  Vahrani. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.       46  i 

lutte  inégale  et  sans  espoir.  C'est  que,  dans  le  Nord,  les 
corps  de  troupes  auxiliaires  que  les  Mongols  exigeoient 
de  leurs  tributaires,  ne  trouvant  point  de  musulmans  à 
combattre ,  dévoient  infailliblement  tourner  leurs  armes 
contre  leurs  compatriotes.  Ainsi,  en  12^4  >  ^^  Livonie, 
la  Prusse  et  l'Esthonie  ayant  paru  menacées  ,  le  pape 
voulut  garantir  d'une  invasion  ces  contrées,  où  l'établisse- 
ment du  christianisme  avoit  été  si  difficile  et  avoit  coûté 
tant  de  sang.  Pour  cet  objet,  il  écrivit  aux  évéques  du 
pays  ,  et  leur  enjoignit  de  prêcher  une  croisade  contre  les 
Tartares  et  leurs  complices,  et  par  ces  mots  il  entendoit 
les  Russes,  dont  les  troupes  faisoient  partie  de  l'armée  de 
Batou. 

L'éloignement  des  Occidentaux  pour  les  alliances  avec  Odcr. R.iynM. 
les  Tartares  du  Kaptchak  se  montre  bien  plus  fortement  'xxv'w.' '  "' 
encore  dans  une  lettre  d'Alexandre  IV  à  Bêla ,  roi  de 
Hongrie  ,  à  l'occasion  d'une  proposition  qui  avoit  été  faite 
à  ce  dernier  par  Bereke,  successeur  de  Batou.  Des  am- 
bassadeurs étoient  venus  de  la  part  de  ce  khan  ,  pour 
offrir  à  Bêla  une  alliance  qui  seroit  scellée  par  le  mariage 
de  leurs  enfans.  Le  fils  du  roi  devoit,  en  conséquence  de 
cette  union  ,  marcher  avec  le  quart  des  Hongrois  ,  comme 
auxiliaire  des  Mongols,  et  recevoir  le  cinquième  de  tout 
le  butin  qui  seroit  fait  dans  la  guerre.  A  ces  conditions, 
la  Hongrie  devoit  être  exempte  de  tout  tribut,  et  les 
Tartares  promettoient^de  respecter  ses  frontières.  Mais 
ces  offres  étoient  accompagnées  des  menaces,  en  cas  de 
refus,  d'une  guerre  cruelle,  et  de  la  destruction  entière 
de  la  Hongrie,  Bêla,  qui,  à  la  première  irruption  des 
Mongols,  n'avoit  su  faire  que  de  trop  foibles  efforts  pour 


4<îi  MÔIOIRES  DE  L'ACADr.MIE 

leur  résister,  et  qui  depuis  n'avoit  tlii  (jii'à  leur  retraite 
spontanée  la  possibilité  de  remonter  sur  son  trône,  eut  re- 
cours, da!is  ce  nouvel  ein[)arras,  à  son  refuge  ordinaire.  Il 
écrivit  à  Rome  pour  demander  des  secours  et  des  conseils, 
et  n'oublia  pas  de  rappeler  que,  dans  une  circonstance 
pareille,  Grégoire  IX  l'avoit  abandonné  à.  la  fureur  des 
Mongols.  Alexandre  I\'  répondit  par  unv  longue  lettre 
à  cette  demande  et  à  ces  plaintes.  Il  cherche  à  justifier 
son  prédécesseur,  en  attribuant  à  la  guerre  qu'il  avoit  eue 
à  soutenir  contre  Frédéric  ,  l'abandon  forcé  où  il  avoit 
laissé  la  Hongrie.  Quant  aux  comlitions  offertes  par 
Bereke,  un  roi  de  Hongrie,  un  roi  chrétien,  devoit,  sui- 
vant le  pontife,  avoir  horreur  de  tenir,  à  des  conditions 
aussi  cruelles  et  aussi  humiliantes,  non-seulement  tous  les 
royaumes  du  monde,  mais  la  vie  même  et  celle  de  tous 
les  siens.  «  A  quelle  infamie,  s'écrie  le  pape,  ne  s'expose- 
»  roit  pas  un  prince  qui  romproit  avec  le  corps  des  fidèles, 
»  pour  se  lier  à  des  nations  païennes,  et  marcher  avec 
"  elles  contre  les  souverains  chrétiens  et  contre  leurs 
»  peuples!  Quelle  confiance,  d'ailleurs,  pourroit-il  avoir 
»  dans  une  alliance  qui  n'assureroit  pas  son  salut,  mais 
»  pounoit  tout  au  plus  reculer  sa  perte!  Ne  sait-on  pas 
•>  que  les  Tartares  ont  séduit  plusieurs  nations  sous  l'ap- 
••  parence  de  traités  insidieux,  et  que,  n'ayant  pas  la 
»  véritable  foi,  on  ne  peut  tenir  aucun  compte  de  leurs 
>'  sermens!  L'union  d'une  princesse  Hongroise  avec  le  fils 
••  de  Bereke,  ou  de  la  fille  de  ce  dernier  avec  le  prince 
••  de  Hongrie  ,  ne  scroit  point  un  mariage,  mais  un  adul- 
'•  tère  infâme,  puisque  des  personnes  chrétiennes  ne 
■•  peuvent  s'unir,  dans  le  Seigneur,  avec  les  païens.  "  Tel 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  463 
est  le  sommaire  des  raisons  que  le  pape  fait  valoir  avec 
beaucoup  de  force  et  d'étendue  contre  l'alliance  proposée 
par  les  Mongols  au  roi  Bêla. 

Mais ,  quand  il  en  vient  aux  moyens  de  repousser  les 
attaques  qu'un  refus  ne  sauroit  manquer  d'attirer  sur  la 
Hongrie,  son  éloquence  foiblit  ,  et  ne  lui  fournit  plus 
que  de  vaines  exhortations,  des  promesses  vagues,  et  les 
assurances  multipliées  d'un  intérêt  sincère,  mais  peu  effi- 
cace. Il  s'excuse  même  de  lui  envoyer  mille  archers  [ba- 
listûrii]  que  le  roi  demandoit ,  sur  les  dépenses  extraor- 
dinaires et  tes  soins  de  toute  espèce  dont  le  saint-siége  est 
déjà  surchargé.  Heureusement  pour  la  Hongrie  ,  Bêla 
trouva  des  secours  plus  puissans  dans  l'alliance  de  la 
Bohème,  qu'un  même  intérêt  obligeoit  de  songer  à  sa 
défense;  et,  plus  heureusement  encore, Bereke,  après  avoir 
ravagé  la  Pologne,  tourna  ses  armes  du  côté  de  la  Perse. 
Le  musulmanisme  ,  que  ce  prince  et  une  partie  de  ses 
peuples  embrassèrent  vers  cette  époque ,  en  le  rendant 
pour  toujours  l'ennemi  des  chrétiens ,  l'anima  contre  les 
princes  de  son  sang  qui  commandoient  dans  le  midi  et 
qui  suivoient  l'ancienne  croyance  des  Tartares,  et  le  dis- 
posa, malgré  l'éloignement  des  lieux,  à  faire  avec  le  sultan 
d'Egypte  uns  alliance  dont  nous  aurons  occasion  de  parler 
dans  la  suite  de  ce  Mémoire. 

Dans  les  sept  demandes  qu'Hayton  avoit  faites  à  Man- 
gou ,  ce  prince  n'avoit  pas  oublié  d'engager  le  khakan  à 
venir  faire  la  conquête  de  la  Terre -sainte  et  tirer  Jéru- 
salem du  pouvoir  des  musulmans  pour  les  donner  aux 
chrétiens.  Mangou,  n'ayant  pu  faire  lui-même  le  voyage 
qu'on  lur  demandoit ,   chargea  Houlagou  de  satisfaire  en 


46i  .MEMOIRES  DE  LACADKMIE 

cela  le  roi  d'Armcnie.  C'est  de  cette  maiiicre  que  l'histo- 
rien Ha)  ton  prcscntc  l'expL-dition  de  i  2  5  5  ,  txpcdition 
dont  le  résultat  lut  de  (ondcr  un  empire  pour  l'un  des 
petits-fils  de  Tchinggis,  et  d'ctablir  en  Perse  un  centre 
de  goiiverjiement  à  peu  près  indépendant  de  celui  du 
khakan.  Houlagou  il-khan  arriva  dans  l'Occidenc  avec 
soixante-dix  mille  cavaliers:  dès  son  entrée  en  Médie,  il 
e'ivoya  à  Batchou  et  aux  autres  généraux  qui  comman- 
doienten  Arménie  et  en  Géorgie,  l'ordre  de  se  porter  plus 
loin  avec  leurs  familles.  Ce  déplacement  obligea  Batchou 
à  entrer  sur  les  terres  du  sultan  d'Iconium  ,  qui  fut  forcé 
ALwh.Piiris.  de  se  retirer  dans  une  île  avec  ses  enfans.  Ce  fut  lors  de  cette 
/■<«r.  /j/w  expédition,  pour  ainsi  dire,  involontaire  ,  qj.ie  lesTartares 
proposèrent  aux  Templiers  et  aux  Hospitaliers  de  se  sou- 
mettre à  ctix.  Ceux-ci  rejetèrent  cette  demande  avec  indi- 
gnation. Pour  Hayton  ,  effrayé  de  l'approche  des  Tartares, 
il  se  hâta  d'envoyer  des  présens  à  Batchou  pour  l'empêcher 
d'entrer  sur  ses  terres.  Le  général  Mongol,  pour  lui  en  té- 
moigner sa  rcconnoissance  ,  écrivit  au  grand  khan  et  à 
Houlagou  en  faveur  du  roi  d'Arménie  :  démarche  super- 
flue, si  ce  prince  eût  été  dès-lors  si  bien  dans  les  bonnes 
grâces  de  Mangou. 

Pour  Houlagou  ,  les  premières  années  d«  son  séjour 
en  Perse  furent  signalées  par  la  destruction  des  Ismaéliens 
et  de  (juelques  autres  états  musulmans  de  l'Irak  et  de  la 
Perse  méridionale.  Les  princes  Géorgiens  et  Arméniens 
surent  se  ménager  près  de  lui  la  même  faveur  dont  ils 
avoient  joui  sous  les  généraux  (jui  l'avoient  précédé.  H 
combla  tic  distinctions  Daviil  Vahramoul  et  les  autres 
chrétiens,  en   considération  de  sa  femme  Doghou/.-Kha- 

toun , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  4^5 
toun,  qui  étoit,  disoit-on  ,  chrétienne  Jiestorienne.  II  avoit 
même  fait  dresser  dans  son  oulous  de  la  plaine  de  Mou- 
ghan  un  oratoire,  où  les  Arméniens  ,  les  Géorgiens  et  les 
Syriens  faisoient  leurs  pratiques  de  religion.  Les  princes 
qui  résidoient  le  plus  habituellement  près  de  lui,  étoient 
Zacharie ,  fils  de  Schahan-schah  ;  Sempad  l'Orbélien  ,, 
fils  d'Eligoum  ;  Sevad  et  Taliatin  ,  de  la  famille  des  Pa- 
cratides. 

Enfin  ce  que  tous  les  chrétiens  d'Orient  souhaitoient 
si  ardemment,  arriva  en  1258.  Houlagou  prit  Bagdad,  et 
mit  fin  à  la  puissance  des  khalifes.  Il  entra  ensuite  dans 
la  Mésopotamie  ,  s'empara  de  Merdin,  de  Harran,  passa 
l'Euphrate  ,  et  se  rendit  maître  d'Alep  et  de  Damas. 
Toutes  les  fois  que  les  Tartares  approchoient  des  états 
d'Hayton  ,  ce  roi  ,  qui  eût  dû  avoir  tant  de  confiance 
dans  les  bonnes  dispositions  des  princes  Mongols  à  son 
égard  ,  n'en  prenoit  pas  moins  de  précautions  pour  les 
empêcher  d'entrer  en  Cilicie.  II  s'empressa  donc,  ainsi 
que  le  patriarche  Constantin  ,  d'envoyer  à  Houlagou  des 
députés  chargés  de  lui  offrir  des  présens  considérables. 
Le  prince  les  reçut  avec  bonté ,  et  manda  au  rôi  d'Armé- 
nie de  venir  avec  une  armée  pour  l'aider  à  conquérir  la 
Terre-sainte.  Effectivement,  les  Arméniens  unis  aux  Mon- 
gols occupèrent  momentanément  le  royaume  de  Syrie.  La 
mort  de  Mangou-khan  ayant  obligé  Houlagou  de  s'éloi- 
gner, il  chargea  de  la  conquête  de  Jérusalem  un  général 
nommé  Koui-bouga ,  qui  passoit  pour  avoir  une  grande 
affection  pour  les  chrétiens  :  mais,  le  neveu  de  ce  général 
ayant  été  tué  dans  une  rixe  par  les  habitans  de  Sidon, 
Koui-bouga  se  hâta  de  le  venger,  et  il  s'empara  de  la  ville, 

Tome  VI.  N? 


466  MEMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

qu'il  dcinaiitela.  La  bonne  intelligence  qui  avoit  subsiste 
jusque-là  entre  les  chrctiens  et  les  Mongols,  fit  place  à 
une  animositc  et   à  une  dchance  réciproques  (i). 

Les  bonnes  dispositions  d'Houlagou  en  fa\eur  de  la 
religion,  dispositions  exagérées  sans  doute  par  les  Armé- 
niens, comme  tous  les  autres  faits  du  même  genre;  lu 
résolution  qu'on  lui  attribuoit  de  recevoir  le  baptême  , 
furent  annoncées   à  la   cour  de   Rome  par  un  Hongrois 

nur.  Surit.!,  nommé  Jeati ,  qui  se  donna  pour  envoyé  d'Houlagou.  11 
,  /-./.,  .  JeiimpjQij^  Je  j^  p^rt  de  ce  prince,  un  prêtre  recomman- 
dable  par  sa  science  et  la  pureté  de  sa  vie,  cjui  put  venir 
en  Perse  mettre  le  sceau  à  la  conversion  du  gouverneur 
d'Occident.  Malgré  la  confiance  que  ces  sortes  de  nou- 
velles hispiroient  d'ordinaire >  l'expérience  avoit  appris  à 
ne  pas  trop  compter  sur  la  véracité  de  ceux  qui  les  appor- 
toient;  et,  comme  l'envoyé  n'avoit  point  de  lettres  d'Hou- 
lagou ,  ni  d'autre  signe  qui  constatât  sa  mission  ,  tout 
en   écrivant  au   prince  Tartare  pour   le   complimenter  , 

OMr.  /?,y..f.  Alexandre  IV  chargea  le  patriarche  de  Jérusalem  de  vé- 

l.x\:x  ,i.'io.  ,  Cl  1 

riher  le  fait  sur  lequel  portoient  ses  félicitations.  Dans  sa 
lettre  à  HOulagou  ,  le  pape-  recommande  ce  patriarche, 
comme  étant  l'un  des  personnages  les  plus  recomman- 
dables  de  l'Église  ,  et  celui  qu'il  a  choisi  pour  s'assurei' 
des  véritables  intentions  du  prince;  et  il  prie  ce  dernier 
de  les  lui  faire  promptement  connoître,  afin  de  pouvoir 
agir  en  conséquence. 

11  étoit  effectivement  bien  urgent  de  savoir  à  quoi  s'en 
tenir  sur  les  intentions  des  Tartares  :  la  barrière  qui  les 


(  I  )    Niiiitjiiam   tamen  postea   de 


christianis   Syriar    Tartari  Jiduciam.    sunt  conjtsi.  (Hajt.  cap.  X,\X.) 


liabtifTvnt ,  nfi/ue  clirist'iani  Turuir'u 


DES  INSCRIPIIONS  ET  BELLES- LE'I  TRES.      i^Gj 

séparoit  des  croisés,  venoit  d'ctre  rompue.  Alep,  Damas, 
la  Syrie  presque  entière ,  leur  étoient  soumises.  La  prise 
de  Sidoii  ,  amenée  par  la  querelle  qu'on  avoit  eue  avec 
Koul-bouga,  étoit  jusqu'alors  le  seul  mal  réel  que  les  Mon- 
gols eussent  fait  aux  Francs  :  mais  elle  sembloit  annon- 
cer à  ceux-ci  qu'ils  alloient  avoir  à  repousser  eux-mêmes 
les  armes  qu'ils  avoient  voulu  diriger  contre  les  Sarrasins; 
et  le  rapprochement  que  la  destruction  tant  souhaitée  des 
musulmans  alloit  opérer  ,  ne  paroissoit  plus  si  désirable. 
Les  habitans  d'Acre  se  hâtèrent  de  couper  tous  les  jar- 
dins autour  de  leur  ville.  De  tous  côtés  on  écrivit  en  Eu- 
rope ,  et  on  envoya  des  députés  pour  demander  du  secours 
aux  rois  d'Occident.  Le  bruit  s'étoit  répandu  qu'Antioche 
et  Tripoli  étoient  tombées  entre  les  mains  des  Tartares. 
Un  envoyé  vint  jusqu'en  Angleterre,  et  y  provoqua  un 
concile  où  l'on  engagea  les  peuples  à  faire  des  prières, 
à  garder  des  jeûnes  ,  et  à  mériter  par  leurs  larmes  l'éloi- 
gnement  du  fléau  qui  sembloit  menacer  de  nouveau  la 
chrétienté.  D'après  les  nouvelles  que  le  pape  lui  transmit, 
S.  Louis  tint  à  Paris  une  assemblée  d'évêques  et  de  sei- 
gneurs ,  pour  aviser  aux  moyens  de  prévenir  les  malheurs 
qui  paroissoient  imminens.  Il  y  fut  décidé  qu'on  aug- 
menteroit  le  nombre  des  prières,  qu'on  fèroit  des  pro- 
cessions ,'  que  les  blasphémateurs  seroient  punis  ,  qu'on 
retrancheroit  toute  superfluité  dans  les  repas,  que  pendant 
deux  ans  on  ne  donneroit  point  de  tournois  ,  et  qu'il 
seroit  défendu  de  s'exercer  à  aucun  jeu ,  si  ce  n'est  à  tirer 
de  l'arc  et  de  l'arbalète.  L'année  suivante  (1261),  le 
pape  renouvela  ses  exhortations,  et  tâcha  de  soidever 
tous  les  princes  chrétiens  ,  non-seulement  contre  les  Tar- 

NJJj 


468  MK.MOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

tares  Je  Perse  et  de  Syrie,  mais  encore  contre  ceux  cjiii 
menaçoient  la  Hongrie,  en  conséquence  du  refus  de  trai- 
ter que  le  saint -siège  avoit  suggère  au  roi  Delà.  Les  pays 
les  plus  recules  de  l'Europe  eurent  à  fournir  un  contingent 
en  hommes  et  en  argent.  Des  envoyés  de  l'archevêque 
de  Drontheim  vinrent,  en  1162,  annoncer  au  pape  que 
celui  de  la  Norvège  étoit  prêt.  En  les  renvoyant,  Urbain  IV 
leur  remit,  pour  l'archevêque  et  pour  les  évcques  de  Ber- 
gen ,  des  Orcades  et  de  Stavanger  ,  une  lettre  où  il  les 
engage  à  ne  rien  relâcher  des  soins  qu'ils  ont  pris  jusque- 
là  ,  les  secours  qu'on  attend  d'eux  devenant  de  jour  en 
jour  plus  nécessaires. 

Mais  ,  pendant  ces  préparatifs ,  il  se  passoit  des  événe- 
mens  qui  alloient  les  rendre  inutiles,  ou,  du  moins,  en 
changer  l'objet.  Les  Tartares  fuyoient  à  leur  tour  devant 
les  Égyptiens.  C'étoit,  dans  ces  contrées,  une  chose  inouie 
qu'une  victoire  remportée  sur  les  Mongols  :  aussi  celle 
que  le  sultan  d'Egypte  obtint  contre  Koui-bouga  suliit- 
elle  pour  ranimer  les  espérances  des  musulmans.  Elle  eut 
des  sm'tes  fâcheuses  pour  les  chrétiens  de  Syrie  et  (.l'Ar- 
ménie. Au  reste,  il  n'étoit  pas  étonnant  que  les  Tartares 
commençassent  à  s'alToiblir  :  leurs  armées  ne  se  recni- 
toient  plus  sur  la  face  presque  entière  de  l'ancien  conti- 
nent. Le  démembrement  de  l'empire  étoit  consommé:  ses 
divisions  formoient  encore  des  états  puissans,  mais  dé- 
sormais soumis  aux  chances  ordinaires  de  la  guerre  et  de 
la  politique.  Aussi  verrons-nous  bientôt  ces  mêmes  Tar- 
tares (]ui  daignoient  à  peine  recevoir  les  ambassadeurs 
des  autres  peuples,  et(]ui  nelcur  lais^^ient  que  l'alternative 
de  la  soumission  ou  de  la  destruction  ,  descendre  à  faire 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  469 
eux-mêmes  les  premières  avances  aux  princes  clirctiens , 
et  sur-tout  à  nos  rois  ,  qu'on  ctoit  accoutume,  dans  l'Orient, 
à  regarder  comme  les  plus  puissans  de  tous. 

Des  deux  royaumes  Mongols  qui  se  formèrent  vers  cette 
époque  dans  des  régions  rapprochées  de  l'Eiu-ope  ,  il  n'y 
a  que  celui  de  Perse  qui,  à  cause  des  croisades,  ait  con- 
servé quelque  communauté  d'intérêts  avec  la  France.  Le 
Kaptchak  continua  bien  d'avoir  avec  les  Russes ,  les  Hon- 
grois et  les  Polonais,  des  rapports  fréquens  qui  mérite- 
roient  d'être  étudiés  séparément  ;  mais  nous  devons  laisser 
le  soin  de  tracer  les  détails  de  ces  négociations  particu- 
lières à  des  personnes  plus  à  portée  que  nous  d'en  recher- 
cher les  monumens  originaux  ,  et  nous  nous  bornerons , 
dans  un  second  Mémoire  ,  à  examiner  les  relations  diplo- 
matiques des  successeurs  d'Houlagou  sur  le  trône  de  Perse 
avec  les  papes  ,  les  rois  de  France  ,  et  les  princes  des 
autres  états  dont  l'histoire  a  une  connexion  phis  étroite 
avec  celle  de  notre  patrie. 


y 


470  .MKMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 


■  8i 


MEMOIRE 

SUR 

UNE    CORRESPONDANCE    INÉDITE 
DE    TAAIERLAN   AVEC    CHARLES    VI. 

Pah  m.  le  baron  SILVESTRE  DE  SACY. 

Lu  le  j  Avril  iVl.  DE  Fi.ASSAN ,  dans  son  Histoirc  générale  et  raisonncc 
de  Li  diplonuitie  Française,  a  donne  une  courte  notice 
d'une  correspondance  qui  eut  lieu,  en  i  403 1  entre  Timour, 
que  nous  nommons  communément  Ttimcrhin ,  et  le  roi  de 
France  Charles  VI,  M.  de  Flassan  a  fait  connoître,  autant 
qu'il  ctoit  nécessaire  pour  son  objet,  la  lettre  de  l'empe- 
reur Mogol ,  écrite  peu  de  temps  après  la  victoire  rempor- 
tée par  ce  conquérant  sur  Bajazet ,  ainsi  que  la  réponse  de 
Charles  VI  ;  et  il  a  eu  soin  d'avertir  cjuc  les  originaux  de 
cette  correspondance  existoient  au  Trésor  des  chartres. 
Ce^Ê  indication  ayant  piqué  ina  curiosité,  j'ai  pris  com- 
miti^ration  de  ces  originaux,  et  ils  m'fint  paru  mériter 
d'ctrel'objetd'un  travail  particulier.  Qiioique  les  recherches 
auxquelles  ces  monumens  historiques  ont  donné  lieu,  ne 
soient  pas  d'une  grande  importance ,  j'espère  cependant 
qu'elles  ne  paroitront  pas  entièrement  superflues. 

Je  commencerai    par  décrire    les    j^ièces  originales  de 
cette  correspondance. 


DES   INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      471 

La  première,  écrite  sur  une  feuille  de  papier  longue  et 
étroite,  est  en  langue  Persane  ;  elle  ne  contient  que  qua- 
torze lignes  d'écriture.  Du  côté  où  commencent  les  lignes, 
on  a  laissé  une  marge  d'un  peu  plus  du  quart  de  la  largeur 
du  papier.  Le  papier  est  assez  épais  et  sans  aucune  marque 
de  fabrique  ;  il  n'est  décoré  d'aucun  ornement.  Les  noms 
de  Tamerlan  qui  forment  la  première  ligne,  et  les  mots 
qui  désignent  le  roi  de  France  et  qui  sont  écrits  sur  la 
marge  de  la  seconde  ligne,  paroissent  avoir  été  tracés  en 
encre  rouge,  et  ensuite  en  encre  d'or.  A  la  fin  de  la  se- 
conde ligne  est  un  renvoi  de  la  forme  d'un  v,  aussi  tracé 
en  encre  rouge  et  en  or,  qui  indique  que  c'est  là  qu'il  faut 
rapporter  les  noms  de  Tamerlan ,  qui  occupent  par  hon- 
neur la  première  ligne.  Ces  détails  peuvent  sembler  minu- 
tieux; mais  ils  sont  essentiels,  parce  qu'ils  montrent  que 
l'empereur  Mogol  se  formoit  une  très- petite  idée  du  roi 
de  France  :  autrement  il  auroit  employé  un  papier  plus 
grand  et  parsemé  d'ornemens  d'or  ;  il  auroit  laissé  une 
marge  plus  large,  et  un  grand  espace  vide  au  haut  de  la 
lettre;  enfin  il  n'auroit  pas  mis  son  nom  au  haut  de  la 
lettre,  au-dessus  de  celui  du  roi.  Mirkhond ,  racontant 
la  vie  du  khalife  Mamoun  ,  rapporte  que,  l'empereur  Grec 
lui  ayant  demandé  la  paix ,  il  n'acquiesça  point  à  cette 
demande  ,  et  il  ajoute  :  «  On  dit  que  son  refus  vint  de  ce 
»  que  l'empereur  Grec,  dans  sa  lettre,  avoit  écrit  son 
"  propre  nom  plus  haut  que  celui  du  khalife.  »  A  l'extré- 
mité de  la  dernière  ligne  de  la  lettre  est  le  cachet  de 
Tamerlan  :  il  est  de  la  grandeur  d'une  pièce  d'un  franc. 
Au  dos  ,  tout  au  bas  du  papier  ,  est  l'empreinte  d'un  autre 
cachet  un  peu  plus  petit.   On  lit  sur  le  bord  du  papier, 


472  MEMOIRES  DE  L'ACADl MIE 

et  au  dds ,  ces  mots  en  caractères  gothiques,  la  Ire  du 
Tiimhurhm ,  avec  le  chiffre  romain  vj ,  et  cl  une  écriture 
moderne,  ix ,  Turàco  char. 

La  seconde  pièce,  qui  contient  deux  lettres,  l'une  de 
Tamerlan  ,  l'autre  de  Mirzu  Miranschah ,  l'un  des  fils  de 
Tamerlan  ,  toutes  deux  écrites  en  latin  ,  est  un  parchemin 
carré,  de  onze  pouces  huit  lignes  de  long  sur  une  égale  lar- 
geur. On  lit  en  haut,  sur  la  marge,  et  d'une  écriture  très-mo- 
derne ,  mai  1^0^  :  mais  cette  pièce  est  ainsi  cotée  au  dos ,  en 
caractères  gothiques  :  v//.  copia  Ire  Tlicmur  hcy  Kurancan 
Sosumus  misse  domino  tiostro  rcgi  me/ise  maji  ariiio  Domiiii  ni." 
quadringcntcsimo  tertio. 

La  troisième  pièce,  écrite  sur  un  parchemin  haut  seu- 
lement de  sept  pouces  six  lignes  et  large  de  dix  pouces 
dix  lignes  ,  est  intitulée  sur  la  marge  :  ij  juin  /^oj.  Co- 
pie de  la  lettre  envoyée  par  le  roi  Charles  VI  à  Themur  hey , 
dit  CamhuUant.  Cet  intitulé  est  très-moderne,  et  il  y  a 
une  faute  dans  le  dernier  mot.  Au  dos,  on  lit  en  carac- 
tères gothiques  :  Copia  Ire  misse  p  dum  nrum  rcgc  Thcmirbeo 
dco  Tambullant ,  anno  dni  m."  cccc."  iij."  VIII  [i). 

Après  cette  description  matérielle  des  pièces  dont  il 
s'agit,  je  vais  les  transcrire  ici  en  entier  ,  afin  qu'on  en- 
tende mieux'  ce  que  je  devrai  en  dire  par  la  suite.  Je 
joindrai  à  la  lettre  Persane  de  Tamerlan  une  traduction 
littérale. 

Je  traduirai  cette  lettre  en  latin,  afin  de  pouvoir  être 
plus  littéral  ,  et  pour  que  les  lecteurs  soient  plus  à  portée 


(i)  Ces  trois  lettres  sorfl  les  seules 
pièces  relatives  à  cette  négociation, 
qu'indique  l'invCntaire  du  Trésor  des 


ciiartrcs  ,  conserve  à  la  Bi!)liothcqiie 
du  Roi,  et  dont  j'ai  pris  la  commu- 
nication. 

de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  47Î 
de  comparer  la  lettre  Persane  avec  la  prctendue  traduc- 
tion Latine  présentée  au  roi  Charles  VI, 


J>\c  ^^  ^  ''^'h'^'  ?*■•^'^■'  J    •^-*'.     j^:-*^  ^"^'Dj    U^4^   r 

^u  c^^_ >j  5^*^  J  jjlSsLo  o— >lSv«j  ->^-^*^  ^r^  ^■■'^■ 

-j-ftj  tl^voj;^  ^_£^  J^   «jIaavJ    t2-^^,Xji2  ^JUaix»/  Ia,u«.^j\/« 
^j>i  -v^  jM'  (j' j'  7^^  0_y^^^  ""^"^  ?^l?  "^.^"-^  jJ«.£=sa 

A^=s»    Job   e^^^jSsJS  Jjj   (JvA^W  jis\».  ,J-M/  U    JoU  jl»  J1AÊ=» 

^^mé5   (j^-i>»->J  j^»  Jâyjui  fJjS*^  Sr*^  -^  /r*^*^-     J^>_)^.«*  ç^^ 
Tome  VI.  O» 


474  .Wf. MOIRES  DF.  LACADIMIF. 

Em'irus  niagtitis  Ternir  Coaran-,-  au^tatur  vit/i  rjus  .' 
Centies  mille  salutationum  et  votoium  au  hoc  suo  amico  acciperc 
vclit  rex  Hei>IFRaNSa  ,  cum  multis  hujus  mundi  desideriis  ( i.  e. 
votis  nd  hujuscc  mundi  felicitntcm  pertincntibus ) ,  Votis  oblatis ,  notum 
fat  menti  excelsœ  hujus  magni  emi'ri ,  qucd  quo  ttmpore  fratcr  Frjn- 
ciscus  piadicator  ( i.e.  c  fratrum  prccdicatorum  familia)  ad  has  partes 
venlt,  lîtterasque  regias  attulit ,  et  exposuit  iottam  famàm ,  magnilu- 
diuem  tt  potentiam  hujus  magni  emiri ,  vehtmenter  gàvis'i  sumus.  Nolùs 
quoquc  narravil  quod ( hic  cmirus )  cum  magno  exercitu  profectns  fuetit , 
adjuvante  Creatort  excelso ,  et  hostes  nostros  vcJtrosque  vicerit  et  pro- 
flig<iverit.  Posiea  frater  Joanncs ,  MAR  HASIA  (i.  e.  cpiscopus)  Sul- 
taniensis,-àd  vos  missus  fuit  :  ifise  vobis  exponet  qujicumque  evenerunt. 
Nunc  autcm  ah  illo  magno  emiro  speramus ,  ipsum  nobis  indesinentcr 
litteras  augustas  inissurum  ,  et  de  sua  salute  nos  certiorcs  facturuni , 
ut  inde  solatium  nostrœ  menti  obveniat.  Oportet  prœterea  mcrcatores 
vestfos^d'has' partes  miiti  ,Mt  qutmadmodum  il  lis  honorent  haberi  et 
rtverentiam  curabimus ,  iia  quoque  mercatores  nostri  ad  illas  partes 
ccmifleenf,  et  illis  honOr  ac  reverentia  habeatur ,  ntc  quisquam  \im  aui 
Augfnentufli  j(^i,  e.  gravdmen  ultra  id  quod  solvcre  tenentur  )  eis  facial , 
quia  mundvS  pef  niercatores  prospcratur.  At  quid  juvat  titteris  me 
longioribuj  u(i ,''  Cclsifuda  (  vestra)  pcr  multos  annos  felUitate  utatur'. 
VaU: 

Scripta  elt  ( hxc  tplstoU)  initia  mtnsis  moharram  venerandi ,  anno 
octingentesimo  qu/nlo  hegirœ. 
-I      —  ;!    r^ 
Il  est  nécessaire  de  faire  qucKjiies  observations  sur  divers 
endroits  de  cette  k'ttrc. 

■-  1 ."  Si  le  nom  de  Timour  on  Tainerlau  v  est  écrit  Ternir , 
cela  ne  doit  point  surprendre.  £n  effet,  Ebn-Arabschali , 
dans  son  Histoire-de  Tiinur/iin ,  après  avoir  dît  que  le  nom 


/ 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  47  5 
de  ce  prince  s'écrit  et  se  prononce  ordinairement  Tïmour, 
observe  que  quelques-uns  écrivent  et  prononcent  Témour , 
et  d'autres ,  Témir  Icnk,  sans  qu'on  puisse  leur  reprocher  en 
cela  aucune  faute  ;  il  ajoute  qu'en  langue  Turque  ternir 
veut  dire  du  fer.  On  écrit,  il  est  vrai ,  communément  en 
turc  j^/^'> ,  démir;  mais  on  voit  dans  le  Dictionnaire  de 
Meninski  ,  que  quelques  Tartares  écrivent  ce  mot  par  un 
<— > ,  et  prononcent_^,///7/«r.  Ruy  Gonçales  de  Clavijo, 
chambellan  du  roi  Henri  III,  qui  avoit  été  envoyé  en  am- 
bassade vers  Tamerlan  ,  et  qui  a  écrit  la  relation  de  cette 
ambassade,  publiée  en  1582  par  Gonçalo  Argote  de  iMo- 
lina  à  Séville,  dit  positivement  que  Tûmur-bec  est  un  nom 
composé  de  tamur,  fer,  et  bec,  seigneur;  mais  il  en  conclut 
mal-à-propos  que  Tamur-bec  \ewt  dire  seigneur  du  fer  (i). 
2 ."  Au  nom  de  Ternir  est  ajouté  le  mot  courait ,  ^^V|^^=  : 
c'est  une  faute  de  celui  qui  a  mis  cette  lettre  par  écrit  ; 
il  devoit  écrire  <j\Sj^^=» ,  courcan.  Dans  les  lettres  La- 
tines, on  lit  effectivement  curancan.  Ebn-Arabschah,  que 
j'ai  déjà  cité,  dit  :  «  Lorsque  Timour  se  fut  rendu  maître 
•»  du  Mawaralnahr  et  eut  pris  le  dessus  sur  ses  égaux, 
«  il  épousa  les  filles  des  rois ,  et  l'on  ajouta  à  ses  titres 


(i)  E  oircs'i  el  Tamiirbec  es  su 
rombre proprio  este,  e  non  Tamorlan, 
corne  lo  nos  Uamamos ,  ca  Tamurbec 
quiere  df^ir  en  su  propria  lengua  senor 
de  fierro,  ca  por  senor  di-^en  ellos 
bec,  e  por  fierro  tamur,  e  Tamerlan  es 
bien  contralto  del  su  senor,  ca  es 
nombre  que  le  llaman  Endennesto  ; 
porque  Tamorlan  quiere  de^ir  tollido  , 
corne  lo  quai  elloera  tollldo  de  la  ma- 
no  dereclia ,  e  de  los  dedos  pequehos 


de  la  maho  derecha ,  deheridas  que  le 
fueron  dadas,  robando  caméras  una 
noche. 

Voy.  Historia  del  gran  Tamorlan, 
e  Itinerario  y  Enarracion  del  viage 
y  Relacion  de  la  embaxada  que 
Ruy  Gonçales  de  Clavijo  le  liizo, 
por  mandado  del  muy  poderoso  se- 
nor rey  Don  Henriqueel  tercero  de 
Castilla.  En  Sevilla,  i^Sz;  fol.  27 
recto, 

O'ij 


47<5  MIMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

-  celui  de  courain  ,  mot  qui,  dans  la  langue  des  Mo- 
•'  gols,  signifie  getiJre ,  parce  qu'il  avoit  contracte  des  affi- 
»  nitcs  avec  les  rois,  et  avoit  acquis  le  droit  d'agir  et  de  se 
»>  reposer  dans  leurs  maisons.  >» 

3.°  Charles  VI  n'est  point  nomme  dans  cette  lettre; 
il  est  appelé  RcJifniiisa  ,  et  ce  mot  est  prcccdc  du  mot 
caJ^,  ;•()/■;  ce  qui  prouve  que  l'auteur  de  la  lettre  a  pris 
les  mots  Rc'Jifrdiisa  pour  un  nom  propre.  C'est  ainsi  que 
les  liistoriens  Orientaux  qui  ont  écrit  l'histoire  des  croi- 
sades, appellent  S.  Louis  Reidafraiis  ,    j*Jji'j-)» .  Abou'l- 

féda  ,  parlant  de  S.  Louis,  dit  cpie  le  Reidafrans  est  \\w 
des  plus  grands  rois  des  Francs  ou  Européens  ;  qu'en  leur 
langue  re'id  signifie  roi,  et  c^Afrans  est  le  nom  d'une 
grande  nation  des  Francs  ,  en  sorte  que  Re'id  Afrans  est  la 
Ainai.Moiiem.  mcme  chose  que  ,y^J^  <-^^  ^'i  arabe.  Abou'lfaradje  , 
moins  instruit  sans  doute  ,  prend  si  bien  Rcidafrtvis  pour 
\\\\  nom   propre,  qu'il  écrit  :  Rcidafraus ,  roi  de  Firûndja , 

liiit.  <fyt,,tii.  Ai. ,5  (JàLû  ,  ^^^y  .  Dans  sa  Chroninuc  Syrianue ,  il  le 
^9--  nomme  de  m<}me. 

Bar-Hàr. 

Chnn.Sj/r.iixi.        À />  Les  mots  tiiûr  lidsya ,  que  j'ai  traduits  par  enrscopus , 

Sir.p.jg.sn.  ^  c      •  •   V  j 

ne  sont  pas  rersans;  ils  sont  byriaques  :  aussi  1  auteur  de 
la  lettre,  du  moins  celui  qui  l'a  mise  par  écrit,  et  qui , 
en  général  ,  a  omis  tous  les  points  diacritiques  ,  ce  qui 
*  en  rend  la  lecture  assez  difficile,  n'a-t-il  négligé  aucun 
des  signes  propres  à  déterminer  la  valeur  des  lettres 
du  mot  fiasy^.  Mar ,  jU  ,  est  un  mot  Syriaque  qui  si- 
gnifie proprement  seigneur;  c'est  un  titre  qui  se  donne 
à  toutes  les  personnes  respectables.  En  syriaque,  il  s'écrit 


tom 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      477 


'  ;  il   a  passé  dans    le  langage  Arabe   des   chrétiens, 


quH'écrivent  et  le  prononcent  J^,viar.  Qiiant  à  ^--^ , 
cest  le  mot  Syriaque  jLûxI  ,  dont  le  sens  propre  est 
plus .  sanctns,  mais  qui  d'adjectif  est  devenu  nom  dans 
le  langage  ecclésiastique  ,  et  veut  dire  évêque,  comme  Mi- 
chaëlis  l'a  fort  bien  observé  dans  son  édition  du  Diction- 
naire Syriaque  de  Castell.  La  langue  Syriaque  ayant 
toujours  été  la  langue  ecclésiastique  des  chrétiens  Orien- 
taux de  la  Perse  ,  de  l'Inde  et  de  la  Chine,  on  ne  doit 
point  s'étonner  de  trouver  ici  une  dénomination  originai- 
rement Syriaque.  Le  siège  catholique  de  Sultaniyèh  étoit 
archiépiscopal ,  comme  on  le  verra  par  la  suite  ;  mais  la 
dénomination  Syriaque  employée  ici ,  ne  désignant  pas 
par  elle-même  un  grade  déterminé  de  la  hiérarchie,  n'en 
convient  pas  moins  au  prélat  dont  il  s'agit. 

5  .*'  La  lettre  est  datée  du  i  .^'"  de  moharram  de  l'an 
de  l'hégire  805  ,  ce  qui  revient  au  i."  août  i4o3' 

6°  II  y  a  dans  le  style  de  cette  lettre  quelques  négli- 
gences, et  l'on  y  remarque  plusieurs  fautes  d'orthographe, 


;^£=  pour   (j^ ^,^^='  » 


\--C — .    nniir     ,  .\ S.-C- — .  cJ^ 'kA\S 


>our 


comme   i^\)^=>  pour   jj^ ■'jy='  >    v^-^ '^Jj    P 

^j^j>j^^  (  I  ) ,  ^>jl5v«  pour  cJw^lSU  ,  4jlSX«  pour 
aÀ^^Lo  ,  &c.  D'ailleurs  ,  il  est  peut-être  sans  exemple  que 
le  plus  petit  prince  de  l'Orient  écrive  une  lettre  d'un  style 
aussi  simple  ,  pour  ne  rien  dire  de  plus  ,  et  dénué  de  tout 
ornement.  Nous  connoissons  quelques  lettres  de  Tamerlan 
et  de  son  fils  Schahrokh ,  et  leur  style   n'a  assurément 

(i)  Peut-être  est-ce   ^ti — i-?jf  qu'on  a  voulu  écrire;  ce  qui  signifieroit 
gloriHj  exisîbnatio ,  decus. 


478  MÉMOIRES  DE  LACADÉ.MIE 

aucun  rapport  avec  celui  de  la  lettre  dont  il  s'agit.  Mais  j'aih 
ticipe  ici  sur  des  reflexions  qui  trouveront  leur  place  dans 
la  suite  de  ce  Mémoire.  Je  passe  maintenant  aux  lettres 
Latines,  que  je  vais  transcrire  ici  fidclcmcnt,  et  sans  mcme 
en  corriger  la  ponctuation.  La  première,  qui  est  écrite  au 
nom  de  Timour,  porte  l'intitule  suivant: 

Hœc  est  copia  sive  stntentia  littera  magnifie!  domini  Thcmurbey , 
quant  misic  sercrùssimo  régi  Franciœ ,  translata  de  persico  in  la- 
tinum. 

Apres  cet  intitulé  vient  la  traduction,  ainsi  conçue: 

J  i,:niur  Kurankan  Sosumus.  Screnissimo  ac  vietoriosissimo ,  et  amico 
Allissimi ,  utilissimo  mundo  ,  vietoriosissimo  bellorum  magncrum , 
MELICH  et  SOLTHAN ,  Francorum  régi  ac  multarum  aliarum  na- 
t'ionum ,  salutem  et  pacem  dico,  Optamus  statum  vestrum  audire 
semper  in  honum ,  sicut  de  verts  amicis  ;  sicut  nomen  vestrum  diffusum 
est  usque  ad  longintjuas  parles ,  et  famam  intcr  omnes  reges ,  audi- 
vimus  perfratrem  Jchanneni ,  archiepiscopum  totius  Orientis ,  qui  aliàs 
etiam  mis  sus  ab  aliquibus  Francis  ad  me,  et  consimiliter  perfratrem 
Franciscum  Ssathru ,  de  extensione  dominii  vestri  in  muftis  parti  bus, 
et  specia/iter  in  hiis  (sic)  ,  ut  nuper  audivimus  dum  esscmus  in  Fur- 
cfiia,  et  plus,  et  de  utilitate  mercatorum  et  omnium  aliorum ,  de  magti- 
Jicentia,  potcntia  et  ordine  in  curia  vestra  non  modieîim  lectati  sumus , 
et  quœ  audivimus  de  inimicitin  vestrorum  cum  Thurco  Baa^ato,  lieu 
in  lege  et  in  fide  sit  mecum ,  tamen  quia  non  servavit  pactum  meum 
et  cum  meis  amicis ,  ideo  disposuimus  destruere  ipsum  ,  et  inducti  per 
dictos  fratres  et  per  promissiones  vestrorum  subdilorum ,  contra  ipsum 
inimicum  vestrum  et  nostrum  ad  partes  Thurckia  accessimus  ,  et, 
Deo  juvante,  ipsum  Baa^itum  et  tofam  patriam  sujm  in  brevi  anni- 
chilavimus  ;  et,  ut  consuetudo  est  magnorum  principum  et  amicorum 
iniimare  fact.i  magna/ia  ita ,  quare  ad  vestram  mafrnificenflam  dictum 
Johanncm  archiepiscopum  destinavimus ,  ut  statum  et  ernditiontJ  nostras 
et  cetera  qua  gesta  suni  in  partibus  istis ,  et  circa  inimicum  vestrum , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.     479 

et  de  amore  et  unitate  tjuœ  cïrca  vcstros  egimus  ac  causa  multarum  ut'ilï- 
tatum  hiis  (  sic  )  diebusfuhnûs ,  et  totum  ad  honorem  et  aniorcm  vestruni 
et  Vi'strorum  hic  latiùs  informabit ,  et  dicet,  qucm  tanquam  vestrum 
et  nostrum  recommandamus ,  ac  ipsum  cudite  tanquam  Jide  d'ignum  , 
excepta  in  causisjidei.  Cvpientes  de  bono  statu  vestro  audire ,  et  vestros 
ad  nostras  partes ,  et  nostros  ad  vestras ,  sicut  tempore  bonorum  prœ- 
decessorum  amodo  ire  et  redire ,  ut  vestrœ  et  nostrœ  magnijicentiœ  cedat 
ubique  ad  nominis  laudcm  et  patriœ  mercatorum  utilitatem.  Sicut 
nunc  prasentialiter  cernitur  securitas  mercatorum  vestrorum  in  partibus 
nostris.  Cetera  gesta  et facta  et  dicenda  dictus  archiepiscopus  dicet, 
quia  magno  tempore  fuit  in  istis  partibus ,  et  novit  mulia.  Datum 
circa  Sebastum  ,  die  prima  mensis  moharram,  anno  Machumeli  octin- 
gentesimo  quinto, 

La  seconde  lettre  Latine ,  qui  se  trouve  à  la  suite  Je  la 
précédente  ,  est  intitulée  ainsi  : 

Hœc  est  copia  sive  sententia  litterœ  demini  Amir^a  Miranxa, 
'translata  de  persico  in  latinum. 

Voici  la  teneur  de  cette  seconde  lettre  : 

Miranxa  Curancan  Sosumus.  Electis  in  fide  Xpanorum ,  dilectis  à 
Deo  omnipotente  ,  magnificis  regibus ,  principibus ,  communitatibus  et 
dominis  Francorum  ,  sive  Xpanorum,  salutem  dico  cum  omni  amore, 
et  notum  jacimus  vobis  quia  sicut  velletis  ira  et  invenietis ,  et  nmnia 
secundum  vestra  beneplacita  erunt,  quia  ista  scriptura  in  mense  ^u- 
caman  scripfa  fuit  in  salutem  et  pacem  et  amorem  amicorum ,  et 
omnia  quœ  à  Deo  procedunt  in  bonum.  Et  causa  hujus  fuit  informatio 
Johannis  archicpiscopi  totius  Orientis ,  quia  ipsum  priiis  rnisi  cum 
nostris  litteris  ad  duas  vestras  civitates  famosissimas  Januam  et 
Venetias ,  et  inde  portavit  in  multas  et  gratas  informationes  de  vestris 
magnifcentiis.  Intérim  vero  venit  frater  Franciscus  Ssathru,  et  gra- 
tanter  susceptus  à  vobis,  et  propter  informationes  ipsorum ,  magnificus 
ginitor  noster  et  nos  quasi  inclinati  ad  amorem  vestrum  et  vestrorum 


48o  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

multa  faceremus  sicut  tt ftclmus  ,  quia  p(r  inJucttonem  ipsorum  poien- 
tissima  pottnt'ui  nostra  fuit  cxcitata  contra  inimicum  nostrum  tt  ves- 
trum ,  et  ipsum  debellavimus  et  dcstruximui ,  et  adhuc  f.icicwus  ut 
audictis,  et  de  hoc  gratins  Dco  agimus ,  et  petimus  ut  amer  in  fer  vos 
et  nos  augmcntetur.  Et  genitor  noster ,  videns  Jîde/itatcm  dicti  archie- 
piscopi  ad  nos  et  ad  vos ,  ipsum  ad  vos  destinavit,  ut ,  tjU'isi  pninia 
noscens ,  vos  informa ùit  tarn  de  potentia  invictissima  tjuàm  de  gestis  et 
factis ,  et  etiam  de  uti/itate  istarum  partium.  De  mcrcatoribus  autcm 
volumus  quàd  secure  transeant  ad  nos,  sicut  et  nunc  sunt  securi ,  et 
quhd  noitri  apud  vos  et  vestri  apud  nos  sint  securi  ;  et  si  inter  nos  est 
diffcrentia fdei ,  tamen  in  hoc  mundo  amorem  salvarc  debemus  propter 
utilitatem  multorum  et  specialiter  mcrcatorum.  Cetera  gesta  facta 
dicenda  dicet  dictus  archiepiscopus,  et  ideo  ipsum  tanquamjide  dignum 
txaudite ,  et  propter  labores  suos  multipliées  ipsum  honorate  sicut  et 
nos  facimus.  Datum  prope  Sebastum ,  mense  ut  suprà ,  anno  Alacliu- 
rncti  octingcntesimo  quinto. 

Les  deux  lettres  que  I  on  vient  de  lire  exigent  diverses 
observations,  que  nous  abrégerons  autant  qu'il  sera  possible. 

I.'  Le  mot  ciirancûii  qu'on  lit  dans  l'une  et  dans  l'autre 
après  les  noms  de  Timour  et  du  mirza  Miranschah , 
n'est  autre  que  le  mot  courcan ,  dont  nous  avons  dcjà 
donne  l'interprctation.  Nous  ne  croyons  point  qu'aucun 
écrivain  Oriental  donne  ce  titre  ou  surnom  au  mirza 
Miranschah  ,  ou  à  aucun  autre  prince  de  la  race  de 
Timour.  Comme  nous  n'avons  pas  l'original  de  la  lettre 
de  Miranschah,  nous  ne  pouvons  point  vérifier  la  fidé- 
lité de  la  traduction. 

2."  Le  mot  sosumus ,  qui  suit  lumnain  dans  l'une  et 
l'autre  lettre,  seroit  une  énigme  inexplicable,  si  nous  n'en 
trouvions  la  solution  dans  le  Voyage  de  Chardin.  Nous 
aurions  d'autant  moins  deviné  ce  que  c'est  que  ce  mot, 
qu'il  ne  se  lit  point  dans  l'original  Persan  de  la  lettre  de 

Timour. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES,  i^i 
Timour.  Chardin  a  publié  la  traduction  figurée  du  passe- 
port ou  patente  qu'il  avoit  reçu  du  roi  de  Perse  Abbas  II. 
Dans  cette  pièce,  au-dessous  du  sceau  ou  iiiscluin ,  ^^JJ^  , 

et  à  la  suite  du  togra,  j**»  >  ou  paraphe  du  roi ,  se  trouvent 

des  mots  que  Chardin  a  rendus  par  ceux-ci  :  commande 

absolumciiî.  Ce  voyageur  fait  à  cette  occasion  l'observation 

suivante  :  «  Tout  ce  paraphe  est  en  lettres  de  couleur, 

>'  excepté  les  mots   qui  signifient  seigneur  du  monde ,   et 

"  ceux  que   j'ai   traduits   commande  absolument ,  qui  sont 

»  en  lettres  d'or.  Le  terme  que  j'ai  traduit  seigneur  du  monde, 

»  est  Sakeb  -  Keranat  [lisez  Salieb ,   CyS^^  <_>sfc.Lo],  qui 

"  signifie  littéralement  seigneur  des  conjonctions  favorables , 

"  dans  le  même  sens  que  nous  dirions  le  maître  de  la  for- 

"  tune{\)  :  car  Keranat  signifie  la  conjonction  de  plusieurs  pla- 

"  netes  en  un  des  signes  du  lodiaque. .  .  Ces  mots  f  commande 

»  absolument) ,   qui   sont   lelsiiouioumis ,   sont  de  l'ancien 

»•  turc  ,  encore  en  usage  en  la  petite  Tartarie  :  ils  signifient 

»  proprement  mes  paroles  ou  je  parle.  C'est  Tamerlan  qui 

»  commença  de   mettre  ces  mots  en  ses  patentes,  que 

»  les  rois  de  Perse  ont  retenus.  "  Les  mots  lelsijouipmnis, 

ou  .comme  on  lit  dans  l'édition  de  171 1  ,  en  deux  mots,      ?^-^  '"  ^''"''' 

...  ^  idit.    lie     l'dn's , 

lels  iiouioumis ,  sont  extrêmement  corrompus,  comme  la  iSn .  wm.  11, 
plupart  des  mots  Arabes ,  Persans  et  Turcs  insérés  par  ^'^'  ^^ 
Chardin  dans  sa  relation  ;  mais  la  traduction  qu'il  en  donne 
peut  aider  à  les  rétablir.  M.  Langlès  a  substitué  à  ceux-ci 
seuiemi:  ce  qui  n'est  pas  exact;  car,  pour  dire  mes  paroles,  on 


(j)  Ebn-Arabschah  semble  don- 
ner une  autre  acception  à  l'expres- 
sion o[^  tj^L»  .  (  Vit.  et  Res  gest. 

Tome  VI.  P3 


Tiin.  arab.  et  lat,  id.  Mander,  t.  II  , 
pag.  786.  ) 


Eiiit.  inS.'  I. 


482  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

diroit  en  turc  seiiileru/n ,  ^Jij^  ,  et  poiiryV  parle ,  fij^'y^  , 
U,paj.i7s-  seujicrum :  mais,  si  à  mes  paroles  on  substitue  noire  parole, 
on  aura  seuiuniiii.  j^^ij^;  ce  (jui  est  précisément  le  so- 
sumus  de  nos  lettres  Latines.  Criui  qui  les  a  traduites  ou 
rcdigces  savoit  qu'il  ctoit  d'usage  de  mettre  ce  mot  à  la 
tcte  des  commandemens  royaux  (i).  Soit  qu'il  en  ait  ignoré 
le  sens  (  ce  qui  peut  ctre  ,  ce  mot  n'étant  point  Persan, 
mais  Turc),  soit  qu'il  n'ait  pas  jugé  à  propos  de  le  tra- 
duire ,  il  l'a  conservé  en  original  (2). 

3.*^  Chacun  a  dû  remarquer  qu'il  y  a  bien  peu  de  rap- 
port entre  l'original  Persan  de  la  lettre  de  Timour  et  la 
prétendue  traduction  Latine;  que  dans  cette  dernière,  par 
exemple  ,  le  roi  de  France  est  traité  avec  beaucoup  plus 
d'honneur,  l'archevcque  Jean  recommandé  d'une  manière 
spéciale,  la  victoire  sur  Bajazet  annoncée  très-expressé- 
ment ,  toutes  choses  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  l'original 
Persan  :  mais  entre  ces  différences  générales  il  y  en  a 
une  qu'on  pourroit  ne  pas  remarquer,  et  qui  est  cepen- 
dant bien  essentielle  ;  c'est  que  le  roi  de  France  est  qualifié 
dans  la  traduction  des  titres  de  mclik ,  LiiX» ,  et  solthan , 
^jJiLv,  c'est  à  dire  roi  et  sultan.    Le  premier  de  ces  titres 


(1)  Cette  courume  vient  doDjcn- 
ghiz-klian;  car  Ehn- Arabscliah,  d.ins 
son  «  .  j^Ul».  »LiL>-  t-^ssAs  <_)l*i 
.IjjJj!  (  Man.  Arab.  de  la  Biblioth. 
duKoi,  n.*"  1511,  fo!f2r8  recto),  Ah 
que  Djçnghiz-khan  avoit  coutume, 
au  commencement  de  ses  lettres  et 
de  se»  diplômes,  d'écrire  simplement 
son  nom  en   cette  manicre  : ^^-^^Ij^ 

^f^U^ ^,  c'est-à-dire,  Djengliiz- 

Uun,  ma  parole,  ou  paroles  de  Dj'tn- ' 


ghii-khan.  Puis  il  écrivoit  à  la  ligne 
d'au-dessous,  en  commentant  au 
milieu  de  la  ligne:  à  un  ul j  (ju'il 
fasse  telle  ou  telle  chose. 

(2)  Ce  traducteur  semble  avoir 
cru  que  Couraitcan  et  Sosu mus  étoient 
des  noms  conimuns  à  Tamcrian  et 
aux  princes  de  sa  maison.  Le  mot 
x^//-i/w;/^  étant  Turc, et  non  Persan, 
il  est  peu  surprenant  que  le  traduc- 
teur en  ignorât  la  signification. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  453 
ne  fait  aucune  difficulté;  il  est  donné  au  roi  dans  l'ori- 
ginal, au  commencement  de  la  lettre,  quoique  par-tout 
ailleurs  ce  monarque  ne  soit  désigné  que  par  la  déno- 
mination de  grand  émir,  jv^  jys^  :  mais  quant  au  second 
titre,  celui  de  sultan,  les  musulmans  ne  l'accordent  pas 
volontiers  aux  princes  chrétiens,  et  j'ai  beaucoup  de  peine 
à  croire  que  Tamerlan  s'en  fût  servi  à  l'égard  d'un  prince     yoy.iiC/ues- 

-^  ^  ,  )M  tom.itn.  Ar.  tom. 

Européen  ;  ce  qu'il  y  a  de  certain ,  cest  qu  il  ne  se  trouve  ni.pag.p^.  a 

•  I  i>  •       •  r  .        SU  il', 

pomt  dans  lorigmal. 

4.°  La  qualité  d'archevêque  de  tout  l'Orient,  ûn/ii- 
episcopum  toîius  Orientis ,  donnée  à  l'archevêque  de  Sulta- 
niyèh  ,  n'a  aucun  fondement  dans  l'original  de  la  lettre ,  où 
ce  prélat  n'a  ni  la  dénomination  de  cathoUciis ,  (J^JjW  ,  ou 
U'^À*  >  ni  même  celle  de  viatran ,  {Jya>»  ,  que  portent 
beaucoup  d'évêques  des  principaux  sièges.  Elle  n'en  a 
pas  plus  dans  les  bulles  d'érection  du  siège  archiépiscopal 
de  Sultaniyèh  ,  ni  dans  celles  d'institution  des  prélats 
nommés  à  cet  archevêché  ,  comme  on  le  verra  par  la 
suite  (i). 

5.°  Suivant  la  traduction ,  Tamerlan,  en  priant  le  roi 
de  France  d'ajouter  foi  à  ce  qui  lui  sera  dit  par  l'arche- 
vêque Jean  ,  ajoute  cette  exception  ,  excepta  in  causisfc/ei. 
Cette  restriction  ridicule  a  bien  pu  venir  dans  l'esprit  d'un 


(i)  On  peut  conjecturer  que  les 
archevêques  de  Sultaniyèh  se  trou- 
voient  autorisés  à  prendre  ce  titre 
pompeux,  par  l'importance  de  la  ville 
où  ils  avoient  leur  résidence,  et  qui 
étoit  alors  le  rendez-vous  de  tout  le 
commerce  de  l'Asie,  et  une  capitale 
très-florissante  ,  comme  on  peut  s'en 


convaincre  par  la  description  brillante 
qu'en  fait  Clavijo,  témoin  oculaire. 

Il  est  bien  peu  vraisemblable, 
pour  le  dire  en  passant ,  que  Tamer- 
lan ait  saccagé  cette  ville,  comme 
l'ont  avancé  quelques  écrivains. 
Voyez  le  Voyage  de  Chardin,  édit. 
de  Paris ,  1 8  u ,  tom.  II ,  pag.  3  80. 
Ps  ij 


^i  MK.MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

moine;  maisTamerlun  ou  son  ministre  ne  rauroit  jamais 


1  mai: m  ce. 


6."  La  lettre  de  Miranschah  n  est  point  adressée  particu- 
lièrement au  roi  de  France;  elle  lest  en  général  aux  états 
chrétiens  des  Francs,  tiiiigiiijuisrcgiln/s,  principibiis,  commutii- 
tiitilnts  et  dominis  Frûiicoriim  sive  Xpaiiorum.  C'est  peut-être 
la  raison  pour  laquelle  nous  n'en  avons  point  l'original. 
L'archevècjue  Jean ,  cjui  devoit  sans  doute  le  présenter  à 
divers  princes  ou  républiques ,  a  pu  le  garder  par-devers 
lui.  On  voit  par  cette  lettre  que  Jean  avoitdéjà  été  envoyé 
à  Venise  et  à  Gènes  par  l'empereur  Mogol.  Charles  VI 
ne  répondit  qu'à  la  seule  lettre  de  Tamerlan. 

•j."  Dans  la  traduction,  la  lettre  de  Tamerlan  est  datée 
des  environs  de  Sébaste  :  l'original  ne  fait  aucune  mention 
du  lieu  oii  elle  a  été  écrite;  et  si  elle  est  effectivement  du 
premier  jour  de  l'année  805  ,  il  est  bien  difficile  de  croire 
qu'elle  ait  été  écrite  de  Sébaste;  car,  à  cette  époque, 
Tamerlan  devoit  être  près  d'Ancyre ,  comme  nous  le  ver- 
rons tout-à-l'heure. 

8.°  La  lettre  de  Tamerlan  est  datée  dans  la  traduction  , 
comme  dans  l'original,  du  i  .'^  moharrani  805  ,  c'est-à- 
dire,  neuf  jours  seulement  après  la  victoire  remportée 
sur  Bajazet  à  Ancyre,  ainsi  que  je  l'établirai  dans  un  ins- 
tant; mais,  quant  à  celle  de  Miranschah  ,  la  ilate  n'en  est 
pas  aussi  certaine.  On  lit  dans  le  cours  de  la  lettre,  <////'<; 
istii  scriptuhj  in  m  en  se  ^ii  caïman  scrifita/itit  ;ct  à  la  fin  ,  d.nuni 
prope  Scbiistuvi,  vicnsc  ut  suprà ,  (iniin  ALu/iuincfi  octingcnte- 
simo  tjtiinto.  Le  mot  lUiOrnan  est  le  nom  défiguré  d'un  mois 
Arabe;  ce  ne  peut  cire  que  oJj»J5  j> ,  ipu-kandoh ,  ou,  comme 
disent  les  Arabes ,  ïJJiij'  ji,  dhoii  Ihuidiih ;  car  il  n'y  a  aucun 


e 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  4«J 
autre  mois  dont  le  nom  ait  le  moindre  rapport  avec  le  mot 
lucarnan.  Le  mois  de  dhou'lkaadah  étant  l'avant- dernier 
de  l'année  Arabe  ,  il  seroit  naturel  d'en  conclure  que  la 
lettre  de  Miranschah  a  été  écrite  vers  la  fin  de  l'an  805, 
entre  le  22  mai  et  le  2  i  juin  1403.  Mais  c'est  ce  qu'on 
ne  peut  admettre,  la  réponse  de  Charles  VI  étant  du  i  5 
juin  1403.  Il  faut  donc  en  conclure  que  le  mois  de  dhou'l- 
kaadah dont  il  est  question  dans  la  lettre  de  Miranschah, 
appartient  à  l'an  de  l'hégire  8o4  ,  et  répond  au  mois  de 
juin  1402,  et  que  si  le  traducteur  a  mis  à  la  fin  de  la 
lettre  mense  ut  supni ,  il  a  eu  en  vue  la  date  de  la  lettre 
de  Tamerlan,  en  sorte  qu'on  doit  entendre  par-là  le  mois 
de  moharram  805  ,  août   i4o2. 

Tant  d'inexactitudes  et  de  difficultés  réunies  pourroient 
inspirer  des  doutes  sur  l'authenticité  de  ces  lettres.  Pour 
nous  mettre  en  état  d'en  porter  un  jugement ,  examinons 
dans  quelles  circonstances  elles  ont  dû  être  écrites,  et, 
pour  cela  ,  voyons  quelle  étoit  la  position  de  Tamerlan 
le  premier  jour  de  l'an  805  de  l'hégire;  ce  qui  pouvoit  le 
porter  à  établir  une  correspondance  amicale  avec  le  roi 
de  France  ou  d'autres  princes  Européens  ;  ce  que  c'est 
que  Jean  archevêque  de  Sultaniyèh  ;  enfin  si  les  lettres 
de  Tamerlan  et  de  Miranschah  ne  présentent  point  quel- 
que anachifonisme  qui  puisse  dévoiler  une  surprise  fiiite  à 
Charles  VI  et  à  sa  cour  :  car  il  n'est  pas  possible  de  douter 
que  les  lettres  dont  il  s'agit  n'aient  été  présentées  à  ce 
prince ,  et ,  suivant  toute  apparence ,  au  mois  de  mai  1403- 
Sa  réponse ,  que  je  donnerai  à  la  fin  de  ce  Mémoire ,  est 
du  I  5  juin   1403- 

Observons    d'abord    que   plusieurs  écrivains    qui   ont 


Aî6  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

parle  (Je  cette  correspondance,   l'ont  fait  tlunc   manière 
tort  peu  exacte  (i). 
Hisi.de Fr,tnct.        ]\î,  jg  Villaret  s'expriine  ainsi ,  après  avoir  parle  Je  la 

/■m.  Ml,  i:iji.  .    .    ,         ,      ,  in-  -r 

s,-)  dctaite,  de  la  captivité  et  de  la  mort  de  uajazet  :  «  1  amer- 

»•  laii  put  alors  se  regarder  comme  vainqueur  des  trois 
"  parties  connues  de  l'univers,  et  justifier,  en  quelque 
»•  sorte,  i'emblème  des  trois  globes  qu'il  avoit  pris  pour 
»  devise.  Avant  que  de  marcher  contre  Bajazet ,  il  avoit 
••  écrit  au  roi  de  France.  On  conserve  encore  dans  le 
»  Trésor  des  chartres  les  lettres  originales  du  conquérant 
»  Tariare  et  du  prince  Miranxa,  son  fils.  Il  proposoit  une 
»  alliance  offensive  et  défensive  avec  la  France  contre  le 
»  Turc,  leur  ennemi  commun.  Ces  lettres  contenoient 
»  de  plus  un  projet  de  commerce  entre  les  sujets  des 
»»  deux  empires  ;  ce  qui  prouve  que  ce  prince  étoit  en 
»  même  temps  politique  et  guerrier.  Le  roi  ne  répondit 
»  que  vers  la  fin  de  l'année  i4o3»  et  les  envoyés  char- 
«•  gés  de  porter  cette  réponse  n'arrivèrent  que  peu  de 
••  temps  avant  la  mort  de  Tamerlan  ,  arrivée  en  14^5  "> 
••  ce  qui  empêcha  la  suite  de  ces  négociations  éloignées.» 
II  y  a  ici  presque  autant  d'erreurs  que  de  mots.  La  date 
des  lettres  de  Tamerlan  est  postérieure  à  la  bataille  d'An- 
cyre.  Charles  VI  répondit  le  i  5  juin  i4oy,  il  remit  celte 
réponse  à  l'archevêque  qui  avoit  apporté  les  lettres  de 
l'empereur  Mogol ,  comme  on  le  voit  par  sa  réponse, 
calquée  ,  pour  ainsi  dire,  sur  la  lettre  de  Tamerlan  ;  et  il 
n'y  eut  ni  ambassadeurs  envoyés  pour  la  présenter  ,  ni 


(1)  Je  réserve  pour  la  fin  de  ce 
Miimoirc  un  passage  Je  V/Iistoirc 
de  Charles  VI,   traduite  et  publiée 


par  Le  Laboureur,  pass.Tge  dans  le- 
quel il  est  question  de  cette  corres- 
pondance. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      487 

aucune  négociation  de  politique  et  de  commerce  entamée 
à  cette  occasion. 

M.  de  Flassan,  qui  a  vu  et  extrait  les  pièces  Latines  de 
cette  correspondance ,  a  cependant  commis  une  erreur  assez 
grave:  il  appelle  l'archevêque  de  Sultaniyèh,  qu'il  qua- 
lifie d'ûrc/ievécjue  de  tout  l'Orient,  comme  il  l'a  lu  dans 
ces  lettres,  Joseph,  tandis  qu'il  est  constamment  appelé 
Johamies. 

On  n'aura  pas  de  peine  à  croire  -que  Tamerlan  avoit 
entendu  parler  de  la  bravoure  des  dix  mille  Français  qui, 
sous  la  conduite  du  comte  de  Nevers ,  étoient  allés  grossir 
l'armée  avec  laquelle  Sigismond,  roi  de  Hongrie,  s'oppo- 
soit  aux  progrès  de  Bajazet,  et  qui  avoient  vendu  si  chère- 
ment leur  vie  à  la  trop  fameuse  journée  de  Nicopolis ,  à 
la  suite  de  laquelle  le  monarque  Ottoman  souilla ,  par  le 
massacre  des  prisonniers,  la  gloire  dont  il  venoit  de  se 
couvrir  (i).  Les  missionnaires  Européens  qui  habitoient 
ou  fréquentoient  diverses  parties  de  ses  états,  n'auront  pas 
manqué  de  lui  vanter  la  puissance  du  roi  de  France,  et  ils 
peuvent  s'ctre  prévalus  de  l'inimitié  commune  des  princes 
de  l'Europe  et  des  Mogols  contre  les  Turcs,  pour  s'assu- 
rer quelque  considération.  C'est  à  cela  que  l'on  peut  rap- 
porter ces  expressions  de  la  lettre  originale  de  Tamerlan  : 
«  Le  même  frère  prêcheur  nous  a  raconté  comment  ce 
'»  grand  émir  s'est  mis  en  marche  avec  une  nombreuse 
»  armée,  assisté  du  secours  du  Créateur,  et  a  vaincu  et 
»  défait  nos  ennemis  et  les  vôtres  »;  quoique,  dans,  la 
vérité,  ces  prétendus  avantages  fussent  une  défaite  san- 

(i)  La    Chronique    de   Froissart  |  intéressant  de  cette  malheureuse  ex- 
contient  un  récit  trés-détaillé  et  très-  |  pédition  et  de  ses  suites. 


488  .     MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

plante,  qui  coûta  à  la  France  des  sommes  consiJcrables 
et  dix  mille  hommes,  au  nombre  desquels  il  y  avoit, 
suivant  les  historiens,  plus  de  mille  chevaliers  ou  ccuyers. 
Qiie,  dans  ces  circonstances  et  à  l'instigation  des  mission- 
naires, Tamerlan,  à  qui  les  mêmes  missionnaires  avoient 
déjà  présente  des  lettres  du  roi  de  France,  se  soit  porte 
à  charger  l'un  d'eux  d'une  lettre  pour  ce  prince,  soit  avant, 
soit  après  la  bataille  d'Ancyre,  cela  n'a  rien  en  soi  que 
de  très-vraisemblable.  Voyons  maintenant  ^i  les  lettres 
dont  il  est  question  sont  antérieures  ou  postérieures  à  la 
défaite  de  Bajazet,  et  commençons  par  fixer,  s'il  est 
possible,  la  date  de  ce  fameux  événement, 

M.  Langics  ,  qui  a  placé  cà  la  tète  de  sa  traduction  Fran- 
çaise des  Instituts  politiques  et  militaires  «le  Tamerlan  , 
une  vie  de  ce  prince,  dit  dans  une  note,  page  88  : 
«•Timour  étoit  âgé  de  soixante-six  ans  lorsqu'il  livra,  près 
»  d'Ancyre,  cette  fameuse  bataille  contre  Bayazed  ,  le 
"Vendredi  i6  juin  i/joide  Jésus-Christ  [  hégire,  19 
»  de  zoulcadé  804],  selon  Chérilfeddin  ,  et  le  samedi 
•'  2p  juillet  i4o2  [27  zoulhajah  So.j],  selon  Arabchah, 
•>  qui  se  trompe  certainement  en  mettant  (jUtHricme  jour 
»  [  le  mercredi],  au  lieu  duyo//r</w  sabhût  [le  samedi].  L'é- 
»  diteur  peut  avoir  \v\  youm  erraha,  au  lieu  de  youm  essaim. 
»>  Les  calculs  certains  d'après  lesquels  nous  avons  opéré, 
»>  nous  ont  découvert  cette  erreur  (i).  » 

Suivant  les  tables  de  Greaves,  l'an  805  de  l'hégire  a  dû 


• 

(1)  Tout  ceci  n'est  conforme  ni 
au  texte  de  Sclicrcf-cddin,  ni  aux 
calcul)  chronologiques. 

Le  mercredi  se  nomme  en  arabe 


ydtitn  cLirhiia  ,  IjMjVI  ^yi ,  et  non  pas 
ycum  erraha;  et  le  samedi  s'appelle 
yaum  clstibi ,  t>^— "   f^  ,  et  non  pas 

)cum  tssaba. 


commencer 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  4S9 
commencer  le  hindi  31  juillet  1402  ,  et,  l'annc'e  804  étant 
bissextile ,  le  mois  de  lou'lhiddjeh  ou  dliou'lhiddjali  de  cette 
année  a  dû  être  de  trente  jours.  Ainsi  le  i  .^''  de  dhou'l- 
hiddjah  8o4  a  concouru  avec  le  samedi  i.'^''  juillet  1402, 
et  par  conséquent  le  27  du  même  mois  Arabe  a  dû  tomber 
au  jeudi  27  de  juillet.  Dans  la  même  hypothèse,  le  \^  de 
lou'lcadèh  ou  dhoulkaadah ,  mois  de  trente  jours  ,  coïncide 
avec  le  lundi  ip  juin  1402.  Si  l'on  aime  mieux  suivre  le 
calcul  des  auteurs  de  l'Art  de  vérifier  les  dates,  l'année  805 
de  l'hégire  commençant  le  i/""  août  \/[0^,  le  i.^""  de 
dhou'lhiddjah  concourra  avec  le  dimanche  2  juillet,  et 
ie  zj  du  même  mois  Arabe  avec  le  vendredi  28  juillet. 
Suivant  le  même  système ,  le  i  9  de  dhou'lkaadah  coïncidera 
avec  le  mardi  20  juin.  Je  suppose  ici  qu'on  doive  suivre 
à  la  rigueur  les  calculs  chronologiques  ,  question  que 
j'examinerai  plus  loin. 

Voyons  maintenant  ce  que  peuvent  nous  apprendre  les 
historiens.  Dans  ['Histoire  de  Charles  VI  traduite  et  pu- 
bliée par  Le  Laboureur,  on  voit  que,  vers  la  fête  delà  ^""  a-a//, 
Toussaint  i4o2  ,  l'empereur  Manuel  Paléologue,  qui  étoit 
pour  lors  à  Paris,  y  apprit  par  quelques  chrétiens  délivrés 
de  l'esclavage  des  Turcs  la  défaite  et  la  prise  de  Bajazet 
par  Tamerlan  ,  que  l'auteur  original  nomme  Cambellan. 
Ces  chrétiens  revenus  de  Turquie  furent  ouïs  au  conseil  du 
roi ,  après  qu'on  eut  pris  d'eux  le  serment  qu'ils  raconte- 
roient  ces  faits  sans  exagération.  Ils  dirent,  entre  autres  Ch.ip.xvi. 
choses  ,  qu'à  la  prise  de  la  ville  de  Verouse  ,  c'est-à-dire  , 
de  Brousse,  Tamerlan  avoit  délivré  tous  les  esclaves  chré- 
tiens. Ce  récit  est  précieux;  mais  il  ne  sauroit  servir  à  fixer 
la  date  de  la  bataille  d'Ancyre. 

Tome  VI.  Qs 


490  ;MK.M0IRES  de  L'ACADÉMIE 

Enguerrand  de  Monstrelet ,  dans  sa  chronique  ,  raconle 
J'expc'diiion  de  Tamerlan  contre  Bajazct,  qu'il  nomme 
Basacq ,  ainsi  que  la  défaite  et  la  captivité  de  ce  prince, 
l!nidtCh.frlei  mais  sans  aucu ne  date.  Juvcnal  des  Ursins,  qui  d'ailleurs 
est  beaucoup  plus  court ,  ne  ilonne  non  plus  aucune 
date. 

Ducas  n'en  donne  pas  davantage.  Il  dit  seulement  que, 
l\c.Hiu  B_\-  Baiazet  étant  prisonnier  à  Ancyre,  le  soleil  étoit  dans  le 

Z.ltt. 

signe  du  lion  ,  et  demeuroit  neuf  heures  sous  la  terre. 

Le  protovestiaire  Phrantzcs  est  bien  plus  précis  :  il  dé- 
termine au  28  juillet  de  l'an  du  monde  6910  [1^02  de 
Jésus-Christ]  la  date  de  la  bataille  entre  Bajazct  et  Ta- 
;.'/V. ;'..vr  j.v.  merlan,  ainsi  que  l'a  hien  observé  Bcnilliaud  dans  ses 
notes  sur  Ducas.  Ce  savant,  qui  croyoit  que  cet  événement 
devoit  être  de  l'année  i^oi.  "^  p^is  oublié  cependant 
de  faire  reinarquer  que  Léunclavius,  en  assignant  un 
vendredi  pour  époque  à  cette  bataille  ,  scmbloit  confirmer 
le  récit  de  Phrantzcs. 

Démétrius  Cantimir  ,  dans  son  Histoire  <ie  rctiipire  Otlo- 
man ,  hien  loin  de  donner  la  date  précise  de  la  bataille 
d'Ancyre,  se  trompe  même  sur  le  lieu  où  elle  se  donna, 
qu'il  place  dans  les  environs  de  Brousse. 

M.  Deguignes  garde  pareillement  un  silence  absolu  sur 

In-.xx.t.n:   cette  date  dans  son   Histoire  des  Huns.    On   peut  croire 

qui!  n  a  agi  ainsi  que  parce   qu  il   a  trouve  trop  dulicile 

de  concilier  les  dates  que  lui  fournissoient  les  écrivains 

Orientaux  qu'il  avoit  consultés. 

/Vm.  Mil,        Les  auteurs  de  \' Histoire  universelle  assignent  pour  date 

'\^\n'.p"44o.  à  cette  bataille  le    19  de  dliou'Ikaadah  8o4  [  i /''  juillet 

i/fo2  ].  Ils  ont  suivi,  comme  on  le  verra  lout-à  l'heure , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  49. 
Petis  de  fa  Croix  ,  qui ,  dans  sa  traduction  de  {'Histoire 
de  Z/w/wr-Zi^f  par  Schéref-eddin,  a  indique  cette  date ,  date 
erronée  sous  tous  les  rapports. 

Fraser,  dans  (a  Vie  de  Nadir- schah ,  a  adopté  pour 
date  le  18  juillet,  vraisemblablement  d'après  l'historien 
Arabe  de  Tamerlan ,  mal  entendu  ,  comme  je  le  ferai 
voir. 

Benting,  auteur  des  notes  jointes  à  \ Histoire  généalo- 
gique des  Tartares  d'Abou'lgazi ,  s'est  déterminé,  j'ignore 
d'après  quelles  autorités,  pour  le  28  juillet  i4o2. 

Passons  aux  historiens  Orientaux  ,  Arabes  ,  Persans 
et  Turcs. 

Mirkhond  ,  Khondémir  son  fils,  en  deux  endroits,  et 
Saad-eddin  ,  historien  Turc,  dans  le  Tadj-ettawarikh , 
fixent  la  bataille  d'Ancyre  au  vendredi  ip  de  dhou'lhid- 
djah  804  (i).  Dans  les  Tables  chronologiques  de  Hadji- 
Khalf'a,  on  lit  le  ^  dlwii'lliiddjah  ;  mais  il  est  vraisemblable 
que  c'est  une  faute  de  copiste  ou   d'impression,  et  que 

Hadji-Khalfa  avoit  écrit  ^-^  ^-^w,  le  ip.  Schéref-eddin 

Ail  Yezdi  auroit  assigné  pour  date  à  cet  événement,  si 
l'on  s'en  rapportoit  à  son  traducteur  Petis  de  la  Croix, 
le  vendredi  /p  de  dhou'lkaûdah  ;  et  ce  jour  répondroit,  tou- 
jours suivant  Petis  de  la  Croix ,  au  1.'^'^  juillet  1412. 
Mais,  d'abord,  ce  rapport  est  faux  et  renferme  un  ana- 
chronisme de  dix  ans;  en  second  lieu,  le  texte  de  Schéref- 
eddin  porte  le  vendredi  /p  de  dhoii'lhiddjah,  ainsi  que  je  le 
vois  dans  un  manuscrit  de  cet  ouvrage  qui  m'appartient , 

(i)  Bratutti,  dans  sa  traduction  !  même  date  ;  Lcunclavius  se  contente 
abrégée  de   cet  historien,   porte  la  I  dédire,  die  quçjam  veneris. 

Qiij 


Al'/ ,  K.'  yo  : 
«une ,  n.'  -I 
fl.}s6i>eriP. 


492  iMt.MOlRES  DE  L'ACADK.MIE 

et  dans  quelques  autres.  Je  me  persuade  que  c'est  cet  Iiis- 
torien  qui  a  servi  de  guide  à  Mirkhond ,  Khondcmir, 
Saail-eddiii  et  Hadji-KIialfa. 

D'un   autre   côte,    Ahmed-bcn- Aral)schah  ,   historien 

Arabe  de  Tainerlan  ,  dit  que  la  bataille  d'Ancyre  se  donna 

le  mercredi  2y  de  dhou'lhïddjah  80^,  qui  répondoit  au  zS  de 

Uimmoui  ou  juillet.  Le  traducteur,  M.  Manger,  a  traduit,  il 

[it.etR(sgfsr.  est  vrai,  luimnue  enit  decinius  ocUivus  thamim ,  quoique  le 

7it:iiri,lom.  I/,  ..  \^       l<^     Ni  . 

'^'S-'Si-  texte  porte  Jyi  ^r^  (.>*w'^l5  AJi  ;   mais  c'est  qu'il  n'a 

pas  connu  cette  forme  des  numcratifs  de  dixaines  depuis 
20,  ^^ _I*x  ,  jusqu'il  90,  (jvA.»*o  ,  (]ui  ,  c'taiit  mis  en  rap- 
port d'annexion,  perdent,  comme  les  pluriels  masculins 
réguliers,  leur  (j  final  (i).  La  mcmc  faute  a  été  commise 
par  le  traducteur  ou  plutôt  l'abréviateur  Turc  d'Ebn- 
Arabschah.  II  est  bon  de  remarquer  qu'on  ne  peut  pas 
douter  que  le  mois  dont  il  s'agit  ne  soit  celui  de  dhou'l- 

iiiddjah  ,  <i^'  j> ,  parce  que,  dans  l'auteur  Arabe,  ce  nom 
lime  avec  ^ — ^ .  Les  auteurs  de   /  Arl  de  vérifier  les  dates 

se  sont  donc  trompés  en  disant  que  cette  bataille  fut  don- 
née, selon  les  historiens  Arabes,  le  2p  de  dhoulkaadah 
[30  juin  1402],  et  suivant  les  Grecs,  le  28  juillet. 
Trois  autres  historiens  Arabes  d'Egypte,  que  j'ai  encore 
'.v.m.Arde  consuItcs ,  Makrizi  %  Abou'Imahasin    ben-Tagri-birdi  ■*, 

«.•  6/.j. 

(1)  Voyez  ma  Grammaire  Arabe , 
toni.l.n."  7.^4  ,pag.  3  13  .enom.II, 
"•"  447.  P3g-  256.  On  CM  trouve 
beaucoup  d'exemples  dans  les  écri- 
vains modernes.  Ebn-Arabschah  en 
fournit  un  autre  exemple,  toni.  I, 
pig-    3'ii   l'v-  f>  <!*"'  t<^*  mots, 


*"  Afaa.  Ar.ttt, 


j,L» ,  qui  signifu-nt  ncces- 
saircment  If  22  Je  ce  mois ,  quoique 
M.  Manger  ait  tr.iduit ,  ejusdiin  men- 
sis  duodecimo.ic  doute  que  les  écri- 
vains Arabes  des  prcniiers  siéclei 
de  l'hcgirc  aient  jamais  admis  cette 
forme. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      4^3 

et  le  kadhi  Bedr-ecldin  Mahmoud  Aïntabi ,  placent  la  Mon.  Arah, 
bataille  d'Ancyre  au  5  de  mohanam  805.  Mais  ces  mêmes 
historiens  commettent  d'autres  erreurs  graves  dans  la  suite 
et  les  dates  des  divers  cvcnemens  de  cette  expédition  de 
Tamerlan  ;  ce  qui  semble  prouver  que  les  nouvelles  par- 
venues en  Egypte  ctoient  peu  exactes.  Il  peut  paroître 
étonnant  que  Makrizi ,  contemporain  de  ces  événemens, 
ait  été  si  mal  informé.  II  dit  que  cette  bataille  eut  lieu  le 
dimanche  5  de  moharram  ;'n'a,uroit-il  point  confondu  ,  par 
méprise,  le  jour  où  l'on  reçut  la  nouvelle  de  la  bataille 
au  Caire,  avec  la  date  même  de  l'événement!  C'est,  selon 
toute  apparence,  d'après  Makrizi  qu'Abou'lmahasin  assigne 
la  même  date  à  la  bataille  d'Ancyre;  et  cependant  il  avoit 
dit ,  un  peu  plus  haut,  en  racontant  l'histoire  du  règne  du 
sultan  Melic-el-naser  Zém-eddin  Abou'lsaadèh  Faradje , 
fils  de  Barkouk: 

«  Abou-Yézid  [Bajazet]  fut  fait  prisonnier  à  un  mille 
■^  environ  de  la  ville  d'Ancyre,  le  mercredi  27  dhou'lhid- 
"  djah  805  ,  après  que  la  plus  grande  partie  de  son  armée 
"  eut  péri  de  soif;  car  on  étoit  alors  au  vingt -huitième 
»  jour  du  mois  epiplii  des  Coptes,  qui  est  le  tûmmouide 
»  l'année  des  Grecs  (i).  >»  , 

Abou'lmahasin  a  évidemment  copié  ici  Ebn-Arabschah  ; 
mais  il  a  commis  une  erreur  grave  en  faisant  concourir 
exactement  le  mois  epiphi  de  l'année  des  Coptes  avec  le 
mois  tainmoui  ou  juillet  de  l'année  des  Grecs,  ou  plutôt 


(l)    L,i>3  (jLc.c  ijj  i>j;,j  jj  î   o^L 


494  MrWOIRFS  DE  L' ACADEMIE 

des  Syriens,   tandis  qu'fpip/ii   commence    le  25   juin  et 

finit  le   2  i  juillet. 

De  toutes  les  diverses  opinions  que  je  viens  de  rap- 
porter relativement  à  la  date  de  la  bataille  d'Ancyre, 
tieux  seulement  me  paroissent  ùtre  de  qiickjue  poids  et 
mériter  un  examen  scrieuk  :  celle  de  Schtret-eddin  ,  (jui 
est  le  vendredi  /y  de  dliou'lliiddjiih  So^,  et  celle  d  Ahmed 
hen-Arabschah,  le  mercredi  2y  de  dliou'lliiddjii/t  80^,  cor- 
respouddut  nu  28  juillet.  Pour  la  première  de  ces  dates,  il 
n'y  a  qu'un  seul  moyen  de  vérification  ;  c'est  de  voir  si 
le  l'p  de  dhou'Ihiddjah  804  repond  à  un  vendredi.  Pour 
la  seconde,  il  y  a  Açux  moyens  de  la  vérifier  :  la  coïnci- 
dence du  27  dhou'Ihiddjah  avec  le  28  juillet  et  avec  un 
mercredi. 

Les  chronologistes  sont  ,  comme  on  le  sait  ,  divisés 
d'opinion  sur  le  commencement  de  I  ère  de  l'hégire.  Les 
uns  font  partir  cette  ère  du  jeudi  15  juillet  622  ;  les 
autres,  du  vendredi  \6  du  mcme  mois.  Greaves  a  adopté 
la  première  opinion  ;  la  seconde  a  été  préférée  par  les 
auteurs  de  l'Art  de  vèrifer  les  dates.  Suivant  Greaves,  l'an 
8o4  de  l'hégire  a  dû  commencer  \\n  mercredi  ,  d'où  il 
suit  que  le  mois  de  dhou'IhitIdjah  a  commencé  un  samedi, 
et  que  le  ip  de  ce  mois  étoit  un  mercredi,  et  le  27  un 
jeudi.  Selon  l'Art  de  vérifier  les  dates,  l'an  8o4  a  dû  com- 
mencer un  jeudi,  et,  par  conséquent ,  le  mois  de  dhou'I- 
hiddjah a  commencé  un  dimanche;  le  ip  a  donc  été  un 
jeudi,  et  le  27  un  vendredi.  Sur  ce  pied,  les  deux  dates 
sont  également  vicieuses.  Dans  le  système  de  Greaves,  le 
ipet  le  27  de  dhou'Ihiddjah  8o4  correspondent  aux  ip 
et  27  juillet  r4o2  ;  dans  l'autre  système,  les  mt}mes  jours 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  LETTRES.  49î 
de  dhou'lhiddjah  répondent  aux  20  et  28  juillet  1402. 
Ebu-Arabschah  paroît  avoir  suivi  effectivement  ce  der- 
nier calcul  :  car  il  fait  concourir  le  13  de  inoharraut  80^ 
avec  un  mardi;  ce  qui  semble  prouver  qu'il  commence 
i'année  80  s  par  un  mardi,  comme  l'Art  de  vérifier  les  dates ,    _!.'""  ^'"  ^7/- 

/    I  •'  1  im.    wm.    Il, 

et  s'éloigne  de  Greaves ,  qui  commence  l'an  804  par  iin  }>ag.j66. 
mercredi  et  l'an  805  par  un  lundi. 

D'après  cela,  on  pourroit  se  croire  autorisera  penser 
qu'Ebn-Arabschah  ne  s'est  mépris  que  sur  le  jour  de  la 
semaine,  qui  étoit  un  vendredi,  et  non  pas,  comme  il 
le  dit,  un  mercredi;  et  qu'au  contraire  Schéref-eddin, 
qui  se  seroit  trompé  relativement  au  quantième  du  mois , 
nous  auroit  conservé  la  vraie  tradition  ,  quant  au  Jour  de 
la  semaine. 

On  concluroit  de  tout  cela  ,  avec  assez  de  vraisem- 
blance ,  que  la  vraie  date  de  la  bataille  d'Ancyre  est  le 
vendredi  27  de  dhou'lhiddjah  8o4,  ou  28  juillet  1402.. 

Dans  les  calculs  que  je  viens  de  faire  pour  vérifier  cette 
date,  j'ai  supposé  que  ,  dans  l'usage  ,  les  musulmans  fai- 
soient  exactement  leurs  mois  alternativement  de  trente  et 
de  vingt-neuf  jours,  et  qu'ils  rendoient  régulièrement  in- 
tercalaires les  années  du  cycle  de  trente  ans  auxquelles  les 
calendriers  perpétuels  assignent  i'ijjtercalation  :  ce  sont, 
comme  ou  sait,  les  années  ,2  ,\^  ,.7,  ;io,  13,  16,  18,21, 
24  ,  26  et  29.  Mais  je  dois  avouer  que  ces  suppositions  me 
semblent  démenties  par  l'expérience-  Les  rapports  que  les 
historiens  Orientaux  établissent  entre  Les  quantièmes  des 
mois  et  les  jours  de  la  semaine ,  se  trouvent  si  souvent  en 
contradiction  avec  les  tables  ou  calendriers-perpétuels,  que 
je  me  crois  autorisé  à  penser  que  les  musulmans  s'écartent 


ir)6  MEMOIRES  DE  LACADÉMIE 

très-frcquemmcnt  de  la  rcgie  pour  les  intercalationset  pour 
la  fixation  des  mois  de  vingl-neuf  et  de  trente  jours.  Je 
pourrois  confirnler  cela  par  une  multitude  d'excMnpIes  pris 
de  divers  auteurs,  mais  sur-tout  de  Makri/i ,  dans  la  der- 
nière partie  de  son  Histoire  (^es  sultiins  d'E^pte:  car,  dans 
cette  portion  de  son  ouvrage,  où  il  rend  compte,  dans  un 
dctail  minutieux,  de  ce  qui  s'est  passe  de  son  temps,  il  in- 
dique presque  toujours  la  ferrie  par  laquelle  ont  commencé 
chaque  année  et  chaque  mois,  et  il  n'est  point  rare  que  ces 
indications  ne  s'accordent  ni  avec  le  système  de  Greaves, 
ni  avec  celui  des  auteurs  de  l'Art  de  vérifier  les  dotes. 

Ceci  peut  s'appliquer  prcciscment  à  la  date  que  nous 
cherchons.  Le  mois  de  dhou'Ihiddjah  8o4  auroit  dû  com- 
mencer, selon  Greaves,  un  samedi,  ^i  st\ow  ï Art  de  vc'ri- 
fcr  les  dates ,  \\x\  dimanche.  Il  y  a  beaucoup  d'apparence 
cependant  qu'il  n"a  coiumencc  que  le  lundi.  Cela  résulte, 
I.''  d'un  passage  de  Schéref-eddin  ,  qui  dit  expressément 
qu'il  naquit  ini  fils  à  Schahrokh  le  2^  de  ranwdluiii ,  jour 
du  vendredi  ;  2."  du  calcul  de  Makri/i ,  qui ,  à  la  vérité,  a 
omis  de  marquer  la  fi.'rie  par  lacjuelle  a  commencé  le  mois 
de  dhou'Ihiddjah,  mais  qui  y  supplée  en  disant  que  le  mois 
précédent  dhou'Ikaadah  avoit  commencé  un  samedi  :  car, 
en  consultant  les  tables,  on  verra  que,  le  24  ramadhan 
étant  un  vendredi,  et  le  x."  dhou'Ikaadah  un  samedi,  le 
I."  de  dhou'Ihiddjah  a  dû  être  un  samedi,  et  le  i  <;  un 
vendredi.  Alors  il  faudroit  rejeter  tout-à-(ait  la  date  don- 
née par  Ebn-Arabschah;  et  je  dois  faire  valoir  ici  une 
autre  preuve  qui  vient  à  l'appui  de  la  date  donnée  par 
Schéref-eddin.  Oe  même  historien  dit ,  (juelques  pages  plus 
loin  ,  que  le  prince  Miranschah  se  trouvoit  devant  Smyrne 

le 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  497 
h  samedi  (^ de  djoumada  z.""  80^,  Le  mois  de  djoumada  i ."" 
avoit  donc  commencé  par  un  lundi  ;  ce  qui  suppose  que 
le  commencement  de  l'année,  ou  le  i.''"'  moharram  805, 
avoit  été  un  mardi.  Cela  est  conforme  à  l'Art  de  ve'rijier 
les  dates.  Makrizi  dit,  il  est  vrai,  que  le  i  .'^''  jour  de  805 
fut  un  mercredi;  mais  il  se  contredit  en  disant,  peu  de  lignes 
après,  que  le  icj  du  même  mois  fut  un  samedi.  Il  faut 
donc  s'en  rapporter  à  cette  dernière  coïncidence,  et  en 
conclure  que  l'année  805  commença  le  mardi  i.^''août 
i4o2.  Le  ip  de  dhou'lhiddjah  804  ayant  été  un  vendredi, 
il  faut  nécessairement  admettre  que  l'année  804,  qui, 
étant  la  vingt-quatrième  du  cycle  de  trente  ans,  auroit  dû 
être  intercalaire,  ne  le  fut  pas  ,  et  que  dhou'lhiddjah  804 
n'eut  que  vingt-neuf  jours. 

J'ai  déjà  observé  que  beaucoup  d'exemples  pareils 
portent  à  croire  que  l'on  s'écarte  souvent,  dans  l'usage,  de 
la  règle  qui  détermine  les  années  intercalaires  ;  et  il  est 
presque  impossible  qu'il  y  ait,  à  cet  égard,  une  règle  bien 
fixe,  l'observation  du  jeûne  du  ramadhan,  dont  le  com- 
mencement et  la  fin  se  règlent  par  l'observation  de  la  nou- 
velle lune  distinctement  aperçue,  et  non  par  le  calcul , 
exigeant  une  certaine  latitude,  inconciliable  avec  la  préci- 
sion des  calculs.  Il  est  fâcheux  que  cette  matière  n'ait 
point  été  l'objet  des  recherches  de  quelques-uns  des  voya- 
geurs qui  ont  parcouru  les  contrées  musulmanes  (i). 

D'après  les  motifs  que  je  viens  d'exposer,  malgré  l'au- 


(i)  II  y  avoit  long-temps  que  j'avois 
été  frappé  de  cette  discordance  fré- 
quente entre  les  jours  de  la  semaine 
et  les  quantièmes  des  mois,  dans  les 
dates  que  nous  offrent  les  écrivains 


Orientaux.  J'avois  même  communi- 
qué cette  difficulté  à  quelques  per- 
sonnes qui  habitent  le  Levant,  sans 
en  avoir  obtenu  aucune  réponse.  Je 
hasardai,  pour  la  première  fois,  ces 


Tome  VL  Rî 


498  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

toritd  de  Pliranizts,  qui,  au  surplus,  ne  parle  que  par  ouï- 
dire  ,  je  crois  devoir  abandonner  tout-à-fait  Ebn-Arabschah, 
et  fixer  la  date  de  la  bataille  d'Ancyre  au  vendredi  19  de 
dhou'lliiddjah  8o4  [21  juillet  1402],  avec  Scbcref-eddin, 
contemporain  et  témoin  oculaire  des  cvcnemens qu'il  nous 
a  transmis. 

En  admettant  cette  date,  on  a  peine  à  concevoir  que,  dix 
ou  douze  jours  seulement  après  cette  bataille,  Tamerlan 
se  soit  occupe  d'e.xpc'dier  l'archevêque  Jean  avec  une  lettre 
pour  le  roi  de  France.  Mais  ce  qui  est  sur-tout  inconce- 
vable ,  et  qui  ne  peut  être ,  à  la  vcritc ,  oppose  qu'aux 
lettres  Latines,  c'est  qu'il  ait  date  ces  lettres  des  environs  de 
Scibaste,  ville  qu'il  avoit  dc'jà  quittée  plusieurs  jours  avant 
la  bataille  d'Ancyre.  Mirkhond,  d'accord  en  cela  avec 
Schcref-eddin,  nous  apprend  que  Tamerlan  employa  six 
jours  à  se  rendre  de  Scbaste  à  Ccsarce;  qu'il  passa  quel- 
ques jours  dans  cette  ville,  et  qu'il  fit  ensuite  trois  autres 
jours  de  marche,  et  arriva  le  quatrième  jour  à  Kirschchir, 
ville  située  en  avant  d'Ancyre  (i).  Il  avoit  donc  quitté 
Sébaste  long-temps  avant  le  i.*^""  de  moharram  805.  Il  est 
certain  aussi  que  Tamerlan  ,  maître  de   la  personne  de 


doutes  dans  ce  Mémoire.  Je  me 
trouve  aujourd'hui  éclairé  sur  cet 
objet  par  une  savante  dissertation  de 
M.  Navoni,  insérée  dans  le  tome  IV 
des  Alincs  de  l'Orient,  et  par  un  mé- 
moire de  M.  Ideler  $ur  le  même 
sujet.  (Voyez  \c  Journal  des  Savans , 
décembre  1816.)  Toutefois  je  n'ai 
voulu  rien  changer  à  la  manière  dont 
je  m'étois  exprime  ici. 

(1)    jt  Jj--  J^<^^  ^ 


J 


j  o'j  •>->>- 


crlr>- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.     499 
Bajazet,  ne  retourna  pointa  Sébaste  :  il  vint  d'abord  à 
Ancyre,  d'où  il  envoya  des  dctachemens  à  Brousse  et  en 
diverses   parties  de  la  Natolie.   D'Ancyre  ,  où  ,  suivant 
l'historien  Ducas ,  une  tentative  fut  faite  par  un  des  fils 
de  Bajazet  pour  tirer  ce  malheureux  prince  de  sa  capti- 
vité, Tamerlan  se  rendit,  en  six  jours,  à  Sourihissar ,  et 
de  là  ,  en  deux  jours  ,  à  Kioutahièh,  où  il  séjourna  un 
mois  entier.   Smyrne  enfin  fut  le  terme  de  ses  exploits    f-f'^'-^Timur- 
dans  la  Natolie.  Ainsi  la  marche  de  Tamerlan,  après  la  /ï'. ->;. 
journée  d'Ancyre,  l'éloigna  toujours  de  Sébaste;  et,  soit 
qu'on  fixe  la  date  de  la  bataille  d'Ancyre,  avecEbn-Arab- 
schah,   au  28   juillet  ,   soit   qu'avec  nous  on  l'avance  au 
2j  du  même  mois,  on  ne  sauroit  admettre  qu'il  se  soit 
trouvé  à  Sébaste  au  i.^"^  août  suivant,  et  qu'il  ait  écrit  de 
là  à  Charles  VI. 

Il  faut  donc  absolument  reconnoître  que  le  traducteur 
ou  plutôt  le  rédacteur  de  la  lettre  Latine  de  Tamerlan , 
et  de  celle  de  Miranschah ,  a  été  peu  fidèle  à  la  vérité 
en  datant  ces  lettres  des  environs  de  Sébaste;  car  Mi- 
ranschah n'étoit  pas  plus  auprès  de  Sébaste  que  Tamerlan 
au  commencement  de  l'an  805.  Ce  mirza  commandoit  Hht.JeTimur- 
i'aile  droite  des  Mogols  à  la  bataille  d'Ancyre;  et  nous  "' ''  ''^'" 
le  retrouvons  encore,  le  samedi  6  de  djoumada  i.'""  805  , 
ou  2  décembre  i4o2  ,  au  siège  de  Smyrne.  lUJ. yag. 4^. 

Il  est  hors  de  doute  ,  au  surplus,  que  l'auteur  des  lettres 
Latines  ne  les  a  écrites  qu'après  la  bataille  d'Ancyre,  puis- 
qu'il y  parle  expressément  de  la  grande  victoire  rempor- 
tée sur  Bajazet.  Poîetitia  nostrafuit  excitata  contra  ininiicuni 
nostrum  et  vestrum,  et  tpsum  dehellavimiis  et  destruximus ,  est- 
il  dit  dans  la  lettre  écrite  au  nom  du  mirza  Miranschah; 

R  3  ij 


joo  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

et  dans  celle  qui  est  censée  écrite  par  Tamerlan  ,  on  lit: 
El  iiiJucli  pcr  Aictosfriitrcs  et  pcr  promissioncs  vestroium  siiù- 
ditorum ,  conlrvi  ipsiim  iiiimicum  vestriim  et  nos  t  ru  m  ad  partes 
Turchitt  accessimus ,  et ,  Deo  jiminte ,  ipsiim  Bdaiitum  et  totiiin 
patriiim  suam  in  brevi  ûnnicliilavimus.  Dans  la  lettre  Persane, 
au  contraire,  il  n'y  a  rien  de  précis  ;  on  y  trouve  seule- 
ment ces  mots  :  Ipse  vobis  exponct  ^luveunujue  evenerunt.  Or 
il  n'est  pas  vraisemblable  que  Tamt-rlan  ,  aprcs  une  vic- 
toire aussi  complète  que  celle  qu'il  remporta  sur  Bajazet, 
se  soit  exprimé  d'une  manière  aussi  succincte.  Si  l'on  fait 
bien  attention  à  cette  circonstance  ,  et  si  l'on  rédéchit 
d'ailleurs  que  dans  la  lettre  Persane  on  a  omis  de  faire 
mention  du  lieu  d'où  elle  a  été  écrite  ,  on  n'aura  peut- 
être  pas  de  répugnance  à  croire  qu'elle  a  pu  être  anti- 
datée ,  si  toutefois  ,  comme  je  le  pense  ,  elle  est  au- 
thentique. 

J'ai  déjà  dit  que  Tamerlan  pouvoit  avoir  un  motil 
politique  de  rechercher  l'amitié  des  puissances  Euro- 
j^éennes  ,  sur-tout  avant  que  sa  victoire  sur  Bajazet  eût 
assuré  le  succès  de  son  expédition.  Gonçales  de  Clavijodit 
positivement  que,  les  ambassades  réciproques  de  Bajazet 
et  de  Tamerlan  n'ayant  eu  aucun  résultat ,  l'empereur 
Grec  de  Constantinople  et  les  Génois  de  Péra  envoyèrent 
dire  à  Tamerlan  que,  s'il  en  venoit  à  faire  la  guerre  au 
prince  Turc,  ils  pourroient  l'aider  beaucoup  et  d'hommes 
et  de  galères  ;  ce  qui  se  feroit  en  celte  manière  :  qu'ils  ar- 
meroicnten  peu  de  temps  certaines  galères  pour  empêcher 
que  les  Turcs  qui  étoient  dans  la  Grèce,  ne  passassent 
dans  la  Turquie,  afin  que  par-là  il  eût  meilleur  parti  ilu 
Turc.  Ils  promettoient,  çn  outre,  de  l'aider  d'une  somme 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  501 
d'argent  (i).  Le  même  auteur  ajoute,  il  est  vrai ,  que  l'em- 
pereur Grec  ni  les  Ge'nois  ne  tinrent  point  leur  parole, 
et  qu'au  contraire  ils  laissèrent  passer  les  Turcs  de  Grèce 
dans  la  Natolie,  et  ensuite  transportèrent  sur  leurs  fustes, 
de  la  Natolie  à  l'autre  rive ,  les  fuyards  que  poursuivoient 
les  armées  victorieuses  de  Tamerlan  :  ce  qui  fut  cause, 
dit-il,  que  Tamerlan  conçut  pour  les  chrétiens  de  la 
mauvaise  volonté  ;  disposition  dont  les  chrétiens  de  sa 
domination  se  trouvèrent  mal  (2).  Mais  ceci  ne  put  avoir 
lieu  que  par  la  suite,  et  non  avant  la  victoire  d'Ancyre, 
ni  même  dans  les  premiers  jours  qui  la  suivirent. 

Ce  fut  précisément  à  la  suite  de  cette  victoire  que 
Tamerlan  ,  renvoyant  à  Henri  III ,  roi  d'Espagne  ,  les 
ambassadeurs  Payo  de  Soto-Mayor  et  Hernan  Sanchez 
de  Paraçuelos ,  qui  avoient  assisté  à  la  bataille,  ordonna, 
aussitôt,  dit  Gonçales  de  Clavijo ,  que  la  bataille  eut  été 
décidée  à  son  avantage,  d'envoyer  au  roi  de  Castille  un 
ambassadeur  et  des  lettres  avec  des  présens  (3).  L'ambassa- 


(i)  E  en  este  mismo  tiempo  el  ein- 
perador  de  la  gran  c'iudad  de  Constan- 
tinopla  e  los  Cenoveses  de  Pera  am- 
biaron  de^ir  al  Tamurlec ,  que  si  el 
batàlla  avia  de  aver  con  el  Turco ,  que 
ellos  le  podïan  muy  bien  servir  e  ayu- 
dar  con  rnucha  gente  e  galeas ,  e  séria 
en  esta  manerai  que  ellos  armarian  en 
brève  tiempo  ciertas  galeas,  para  de- 
fender  que  los  Turcos  que  estavan  en 
la  Grecia ,  que  non  passassen  en  la 
Torquia;  por  que  el  podiesse  mejor 
Con  el  Turco.  E  etrosi  que  le  darian 
en  servicio  cierta  quantita  de  plata, 
(  Histor.  del  gran  Tamorlan,  fol.  2.6 


(2)  El emperador de  Constantin cpla 
e  los  Cenoveses  de  la  ciudad  de  Pera, 
en  lugar  de  tener  lo  que  con  el  Tamur- 
lec avian  puesto ,  dexaron  passar  los 
Turcos  de  la  Grecia  en  la  Turquia , 
e  desquefuera  vencido  aqueste  Turco, 
passavan  ellos  mismos  a  les  Turcos 
con  sus  fustas ,  de  la  Torquia  en  la 
Grecia,  de  los  que  venidn  fuyendo ^ 
e  por  esta  occasion  ténia  mala  vchin- 
tad  el  Tamurbec  a  los  christianos ,de 
que  se  fallaron  mal  los  de  su  tierra. 
(Ibid.) 

(3)  En  la  quai  batalla  se  acaescie- 
ron  Payo  de  Soto-Mayor  e  Hernan 
Sanche^  de  Paraçuelos de  los 


5  02  Mi.MOIRES  D£  L'ACADEMIE 

deiir  ctoit  un  seigneur  Djagataï  ou  Mogol ,  nomme  Aloluifii' 
med  Hiidji.  Ils  ne  tardèrent  pas  beaucoup  à  se  rendre  en 
Espagne,  puisque  l'ambassade  Espagnole  (jui  accompagna 
à  son  retour  Mohammed  Hadji,  et  qui  ctoit  composce  de 
frcre  Alfon  Paëz  de  Santa-Maria,  Ruy  Gonçales  de  Cla- 
vijo  et  Gomez  de  Salazar  ,  partit  de  Cadix  le  2  i  mai 
1403. 

Q_uoique  Tamerlan  n'eût  point  ctc  prévenu  par  une 
ambassade  du  roi  de  France,  il  paroît  cependant,  par  la 
lettre  Persane  même  que  nous  examinons,  et  où  l'on 
n'auroit  pas  mis  ce  fait  s'il  n'eût  cté  constant,  qu'il  avoit 
reçu  précédemment  des  lettres  du  roi  ;  car  on  y  lit  ceci: 
eo  tempore  quo  fratcr  Frandscus  praJicûtor  ad  luis  partes 
venit,  littcrasque  regias  attulit.  Peut-ctre  les  lettres  dont  il 
s'agit  n'étoient-elles  que  des  lettres  de  recommandation 
données  aux  missionnaires;  mais  c'en  ctoit  assez,  dans  les 
dispositions  où  étoit  Tamerlan  en  entrant  dans  la  Natolie  , 
pour  que  ces  mêmes  missionnaires,  profitant  adroitement 
des  circonstances,  obtinssent  de  lui  une  lettre  pour  le  roi 
de  France. 

Nous  devons  maintenant  examiner  si  l'histoire  ecclé- 
siastique des  églises  de  l'Orient  réunies  à  l'église  de  Rome 
nous  fait  connoître,  pour  l'an  1^03  .  i'"  archevêque  de 


qualcs  dichos  Payât  Hcnwn  Sanc/ir^ 
ovo  not'uia  el  gran  senor    Tâmurtec 

y fffsque  la  baialla  fut  venc'uia, 

ordcno  de  le  einbiar  un  cmbaxador ,  e 
sus  letTas,y  cierto  présente ,  por poncr 
su  amorio.  Con  el  quai  embaxadcr 
ftie  un  cavalUro  Chacatay ,  que  avia 
nombre  Mahomat  Aleagi ,  con  el  quai 
ernbio  sus  dones  y  présente,  y  sus  le- 


irjs  bcn  solemnas.  (Ibid.yô/.  /,  Tecto 
et  verse. ) 

Je  suppose  que  Cl.ivijo  a  écrit  el 
quai  embaxadcr  fue ,  et  non  con  el 
quai ,  &c.  Aleagi,  que  j'ai  changé  en 
Alhadji  [le  pclirin],  est  peut-être  le 
mot  allchi,  ^  ,  qui  veut  dire  am- 
bassadeur. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  503 
Sultaniyèh  nommé  Jean;  si,  antcneurement  à  celui-ci, 
nous  pourrons  découvrir  \\n  missionnaire  de  l'ordre  des 
Dominicains,  ou  frères  prêcheurs,  nommé  François ,  qui 
ait  exercé  son  ministère  dans  ces  mêmes  contrées;  enfin, 
si  nous  trouverons  quelque  trace  de  la  mission  de  frère 
François  Ssathru. 

Les  recherches  du  P.  Le  Quien ,  par  rapport  à  la  suite 
des  prélats  qui  ont  occupé  le  siège  catholique  de  Sulta- 
niyèh,  nous  ont  été  fort  utiles  ,  mais  principalement  en 
ce  qu'elles  nous  ont  indiqué  les  auteurs  et  les  pièces  ori- 
ginales que  nous  devions  consulter  :  car ,  du  reste ,  la  chro- 
nologie des  évêques  de  Sultaniyèh,  pour  l'époque  qui  nous 
occupe,  y  est  tellement  embarrassée  de  difficultés,  qu'on 
nesauroit,  avec  ce  seul  guide,  suivre  une  marche  assurée. 
Je  vais  indiquer  sommairement  les  titres  qui  établissent 
la  véritable  suite  de  ces  prélats;  je  commencerai  à  l'époque 
où  le  siège  de  Sultaniyèh  fut  érigé  en  archevêché. 

Cette  érection  fut  faite  par  une  constitution  du  sou- 
verain pontife  Jean  XXII,  du  i.^""  mai  13  18;  et,  par 
cette  même  constitution,  le  pape  nomma  au  siège  de  cette 
église  Francus  Perusinus  [Franci  de  Penisino]  ,  religieux  de 
l'ordre  des  frères  prêcheurs.  Je  vais  citer  les  mots  essen- 
tiels de  cette  constitution  :  Propter  quod,  y  est-il  dit ,  villam 

Soltaniensetjt  i/i  eisdem  partihus  coiisîitutam ///  civitatem 

metropoUtanam  duximus  erigendani  ;  ac te ,  ordinis  pra- 

dicatorutn  professorem ,  ecclesia  dicta  civitatis  in  archiepiscopum 
pmjicimus  et pastorem  (i).  Une  autre  constitution  du  même 


(i)  Bullar.  crd.fr,  prcedlcat.  aut, 
F.  Th.  Ripoll,  edit,  h  P.  F.  Anto- 
n'mo   Bremoiid,  tom.  II,  pag.    137; 


Or,    christ,    tom.    III  ,    col.    1361. 

Fontana  ,  dans  son  Sacrum  Thea- 

trum  Dominicanorurn,  Rçiiiif ,  1666, 


jo4  MKMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

pape,  Ju   i/'  août  de  la  mcnie  annce  1318,  détermine 

BulLr.  b-c-T-  les  jours  où  le  ircre  Fniiicus ,  arcliev(}qiie  de  Sultaniych, 

et  ses  successeurs,  pourront  faire  usage  du  pdlHum.  Le  frère 

;,        I-nwais  ne  conserva  pas  long-temps  le  gouvernement  de 

cette  église;  car  nous  trouvons  une  nouvelle  constitution, 

donnée  pareillement  par  Jean  XXII,  le  1.*^^  juin    1323  , 

qui  autorise  cet  archevêque  à  porter  les  ornemens  ponti- 

lhJ.fag.is6.  finaux,  à  l'exception  du  pallium ,  quoique,  y  est-il  dit,  il 

ait  donné  sa  démission  de  son  archevêché. 
Or.ckrist.um.       Le  même  jour,  le  pape  promut  à  ce  siège  vacant  un  autre 
.cc-'iH.    religieux  du  même   ordre,  nommé  Guillclmtis  AJ'V. 

Par  une  autre  constitution  du  i  4  février  13  30,  le  même 
souverain  pontife  accorde  le  pdllium  au  frère  Joluinncs  de 
Core ,  qu'il  avoit  précédemment  nommé  archevê(jue  de 
Sultaniyèh  :  Te ,  de  fratrum  nostrorum  consilio ,  Sohiiiiieiisi 
ecc/esia  in  irnperio  Persidis  cotistiiuta,  tu  ne  vûaviti,  providimus, 

Or.  christ,  tom.  pritjicientes  te  i/li  in  archiepiscopum  et  pastorcm prout  in 

tiostris  littcris  iude  coufectis  pleniiis  continetur.  Je  n'ai  trouve 
nulle  part  ni  la  constitution  rappelée  dans  celle-ci,  ni 
sa  date. 

La  première  constitution  que  nous  trouvions,  où  il  soit 
fait  mention  de  l'archevêché  de  Sultaniyèh,  après  celle 
que  nous  venons  de  citer,  est  du  3  i  juillet  134^'  Cette 


Buthr.    fc 


Bfl/ur. 


ire 


pag.  100,  parle  de  i'i'rection  tlu  sic'ge 
de  Sultaniych  en  archevêché,  mais 
d'une  manière  peu  exacte  ;  il  écrit 
Soitdicniis ,  ou  SoUinensis,  au  lieu  de 
Solianifnsis ,  déclare  n'avoir  pu  trou- 
ver le  nom  du  frcrc  prêcheur  qui  fm 
pourvu  de  ce  siège  par  la  constitu- 
tion de  Jean  XXII ,  et  ajoute  que  le 
pape  lui  conféra  \e  pallium.  Cepen- 


dant ,  un  peu  plus  haut,  il  avoit,  sans 
le  saroir,  fait  mention  de  ce  prélat 
sous  le  nom  de  Francisais  Je  Pctusio, 
SolJiirtnsis  trchicpiscopiis.  Enfin , 
plut  loin,  pag,  102,  il  parle  encore 
delà  nomination  faite parJcan XXII, 
d'un  frère  prêcheur ,  dont  il  ignore  le 
nom  ,  à  l'arciicvcché  de  Sultaniych, 
archirpisccpum  Sultiwitnstin ,  is^c, 

constitution, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       505 

constitution  ,  adressée  par  Clément  VI  à  {'archevêque  de 
Suhaniyèh  et  à  ses  suffrûgniis,  les  commet  j>our  informer  des 
erreurs  du  frère  Pontius ,  archevêque  de  Séleucie,  erreurs 
par   lui   consignées  dans    une  postille  sur  i'Évangile  de 
S.  Jean,  qu'il  avoit  composée  et  traduite  en  langue  Ar- 
ménienne. L'archevêque  qui   occupoit  alors   le  siège   de 
Sultaniyèh,   n'est  point  indiqué  par  son  nom  dans  cette       l^"lltr.  à-c 
constitution.  L'auteur  du   Bullaire   des  frères  prêcheurs    'or.Mst.wm. 
observe,  dans  XAppendix  au  pontificat  de  Clément  VI,  que   '" '•^<''-  '>'>^- 
ce  doit  être  le  frère  Antoine,  auteur  d'un  livre  contre  les 
Mahométans,  et  dont  parie  Galanus  dans  l'ouvrage  in- 
titulé ConciUûtio  ecclesice  Amena  cum  Romana.  J^"^-^  \;^  '^'Z'- 

Le  P.  LeQuien  place  ensuite  à  l'an  1393  un  archevêque  T"S- s^^- 
de  Sultaniyèh  qu'il  nomme  5o//i/i7c^,  et  il  s'appuie  de  l'au- 
toritéde  Wadding.  Comme  Wadding  ne  cite  aucune  pièce, 
et  qu'il  se  contente  de  dire  qu'en  cette  année  Antonius  Pétri 
de  Malliûiio ,  frère  mineur,  fut  nommé,  le  3  juin  135)3, 
évêque  de  Verna  [in  sede  Vernensi] ,  à  ia  place  de  Boniface , 
qui  avoit  été  transféré  au  siège  d'une  église  qu'il  nomme 
ecclesia  Soldanensis  (i),  on  peut  douter  s'il  s'agit  effective- 
ment là  de  l'archevêché  de  Sultaniyèh,  et  si  le  Boniface 
dont  il  parle  appartenoit  à  l'ordre  des  frères  prêcheurs , 
auquel  la  métropole  de  Sultaniyèh,  ainsi  que  les  sièges 
épiscopaux  qui  en  dépendoient,  paroissent  avoir  été  spé- 


(  I  )  J'ignore  quelle  est  cette  église. 
J'avois  d'abord  pensé  que  ce  pouvoit 
être  Varna ,  qu'on  croit  être  la  même 
tjue  Divnysiopolis  ou  Tiberiopolis , 
ville  de  ia  Mcesie  inférieure;  mais 
le  P".  Le  Quien  donne  la  suite  des 
évêques  de  cette  ville ,  à  l'époque  dont 

Tome  VI.  S» 


il  s'agit,  et  leurs  noms  n'ont  rien  de 
commun  avec  ceuï  de  Boniface  et 
di  Antonius  Pétri  de  Malliano  (  Or. 
christ,  tom.  III,  col.  ii2i).  Peut- 
être  faut-il  lire  in  sede  Verisiensi. 
Vovez  itid,  col.  I  loi. 


îo6  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

cialement  affectes  par  la  constitution  de  Jean  XXII ,  sui- 
RkiLir.  m.!gn.  vant  OJcfic  Ravnald. 

<m.    M\    "J  ^        .  ,.,  .        , 

.Mtkffj     ipS.        (J_iioi  cjun  en  soit  de  cette  question,  qui  est  peu  im- 
ihitns  ckriu    P*^''^^^"^'^  P""''  notre  objet  ,  passons  à  une  cpo(jue  plus 
i:m.   m,  ce/,  rapprochée  de  celle  qui  nous  occupe,  au  26  a(nit  139^^^ 
A  cette  époque  ,  le  pape  Boniface  IX  transféra ,  du  siège 
cpiscopal  de  Nakhschiwan  à  l'archevêché  de  Sultaniych, 
le  frère  Jean  ,  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs.   C'est  ce 
Bu/t.,r.    ord.  qui  résulte  d'une  constitution  datée  du  i  î  des  calendes 
lom.   Il ,  p.,g.  de  novembre,   de  l'an   xi  du  pontificat  de  Boniface  IX 
.i.lft>Hnjiiai.D9-   [  20  octobre  i4oo],  par  laquelle  ce  pape  wommç  S tep  lui  nu  s 
Pétri  de  Se^lics ,  de  l'ordre  des   frères  mineurs,  à  l'évcchc 
de  Nakhschiwan  ,  vacant  par  la  promotion,  faite  deux  ans 
auparavant ,  de  Jean ,  qui  en  étoit  évcque  ,  au  siège  métro- 
politain deSultaniyèh.  Il  faut  rapporter  les  termes  de  cette 
constitution. 

DuJum  s'iquidcm ,  Johannt  episcopo  Nachuanensc ,  regimini  Na- 
chuantnsis tcclesia prœsidente ,nos  cupitnus  ipsi  tcclts'iœ ,dum  vacartt, 
ptr  apostoliCiT  std'is  provi.lcntiam ,  utilem  et  idoncam  prusidere  per- 
sonam ,  provisionem  ips'ius  ccclfs'ur  ordinationi  et  dispositioni  nostnr 

câ  vice  duximus  specialiter  reservandum Postmodum  vero ,  dicta 

Nachuanensi  ecclesiâ  ex  eo  pastoris  solatio  destitutn,  quôd  nos  tune 
septem  calend.  scptem. ,  pt<ntijîcatùs  nostri  anno  nono  (  i  ) ,  venerabilem 
jrntrein  nostrum  Johanncm  Soltanicnsem ,  tune  cp'tscopum  Nachuancn- 
sem ,  à  vinculo  quo  ipsi  ecclesiœ  Nachuanensi ,  cui  tune  prœerat ,  lene- 

hatur absol  ventes  ,  ipsum  ad  Soltanicnsem  ecclesiâ  m  ,   tune 

pastore  carentem,auctoritate  nostrâ  duximus  transferen  um ,  prtrfcirndo 
euni  dicta:  ecclesiâ  Soltaniensi  in  episcopum  et  pastorem. 

Le  pape  ajoute  qu'il  avoit  d'abord  nommé  à  l'évéché 
(1)  26  août  1398. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      507 

vacant  de  Nakhschiwan  Francisais  de  Taurisio ,  de  l'ordre 
des  frères  prêcheurs ,  qui  s'étoit  fait  consacrer  hors  de  la 
cour  de  Rome;  mais  que,  ledit  François  n'ayant  pas  pris 
dans  l'annce  ses  lettres  de  provision  ,  comme  il  y  ctoit 
tenu  ,  sa  nomination  est  devenue  nulle,  et  qu'en  consé- 
quence il  nomme  à  ce  siège  vacant  ledit  Steplmtnis  Pétri 
de  Seghes. 

II  est  à  remarquer  que,  dans  cette  constitution,  en  par- 
iant de  la  promotion  de  Jean  à  l'archevêché  de  Sulta- 
niyèh  ,  le  pape  dit ,  prajicieudo  eum  dicta  ecclesia  in  episco- 
pum,  et  non  in  archiepiscopum ,  comme  il  devoit  le  faire, 
et  comme  on  le  lit  dans  une  autre  constitution  de  1402, 
que  nous  citerons  tout-à-l'heure.  Je  soupçonne  que  c'est 
une  faute  de  l'éditeur  ;  car  il  n'est  guère  possible  de  douter 
qu'il  ne  s'agisse  effectivement  ici  de  l'église  de  Sultaniych. 
Le  même  souverain  pontife  accorda  à  Jean  archevêque 
de  Sultaniyèh,  dont  il  est  ici  question,  le  i  i  décembre 
1400  ,  un  privilège,  comme  on  le  voit  dans  Fontana,  cité  Orins  christ. 
par  le  P.  Le  Q^uien. 

Ce  même  Jean  étoit  encore  archevêque  de  Sultaniyèh 
au  mois  de  juillet  i4o2,  comme  nous  l'apprenons  d'une 
autre  constitution  du  même  Boniface  IX,  du  26  de  ce 
mois. 

Celle-ci  a  encore  pour  objet  la  nomination  à  l'évêché 
de  Nakhschiwan,  et  il  y  a  lieu  de  penser  que  Stephûuus 
Pétri  de  Seghes  avoit  refusé ,  ou  avoit  été  empêché  par 
quelque  motif  qui  ne  nous  est  pas  connu ,  de  prendre 
possession  de  ce  siège.  On  peut  encore  supposer  qu'il 
étoit  mort  avant  d'avoir  pu  être  sacré.  Peut-être,  le  siège 
de  Nakhschiwan  étant  ordinairement  dévolu  à  des  frères 

S'ij 


tom.    III,     col. 
ij66. 


joiJ  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

rrntil.  eal.  prccliciirs  ,  coiiiine  le  dit  Galaïuis  ,  lu  nomination  Je 
Steplhinus  Pétri  de  Seglies ,  (jiii  ctoit  de  l'ordre  des  frères 
mineurs,  donna-t-eile  lieu  à  quelques  réclamations  qui 
déterminèrent  le  souverain  pontife  à  faire  une  nouvelle 
nomination.  Cette  conjecture  me  paroil  d'autant  plus 
vraisemblable  ,  que  l'on  conçoit  alors  pourquoi  ,  dans 
la  constitution  du  z6  juillet  i^oz,  par  laquelle  Jean 
Lycencs  de  Bruges ,  de  l'ordre  des  frères  prtcbems  ,  est 
promu  à  l'évcché  de  Nakhschiwan ,  le  pape  dit  simple- 
ment que  le  siège  de  cette  église  étoit  vacant  par  la  pro- 
motion de  Jean  à  l'archevcchc  de  Sultaniych  ,  sans  faire 
aucune  mention  des  nominations  faites  depuis  cette  va- 
cance, de  Fniiiciscus  de  Tciurisio  et  de  Stcplhiiius  Pelri  de 
Seg/ies.  Voici  les  termes  de  la  dernière  constitution  dont 
Buii.,T.  ird.  il  est  ici  question  : 

fftur.       fntiiic. 

icm.tl.p  4io.  c      '        ,     ■'  nr     ,  .  .  ,  f ., 

ôiinc  eccUsid  ISachuanensi  tx  eo  vacante ,  quo,l  nos  nupcr  vtnerabiUin 

fratrcm  nostrum  Johannem  archupiscopum  Sohnn'icnSini ,  tune  episco- 

pum  Nachuancnstm ,  à  v'inculo  quo  ipsi  ecclcs'iœ  Nachuanensi ,  cui  tune 

pracrat ,   ttntbatur,  de  fratrum  nostrorum  consilio  et  apostolicœ  potes- 

tatis plcnitudine,  absolventcs ,  ipsum  ad  ecclcsium  Soltan'tenscm ,  tune 

pastore  carentem ,  duximus  auctoritate  apostolieâ  transj'erendum ,  prjji- 

ciendo  ipsum  eidein  ecctcsice  Soltaniensi  in  archiepiscopum  et  pastorctti , 

nos  ad provisionem  ipsius  ecclesiœ  Nachuanensis  celèrent  et  fclicem  .Ù'c. 

Datuni  Romœ ,  apud  Sanctum-Petrjum ,  Y  H  cal.  aug.,pontiJîcatiisnostri 

anno  tertio  decimo. 

On  pourroit  <}tre  étonné  que  le  pape,  en  parlant  de  la 
nomination  de  Jean  à  l'arclievccbé  de  Sultaniyèh  ,  dise, 

iiuper trivisfereiidum  duximus  ,   cette  promotion  étant 

de  l'an    '398,  et  la  constitution  dont  il  s'agit  de  i4o2  ; 
mais,  outre  que  l'on  ne  peut  rien  conclure  de  bien  positif 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  509 
de  ce  mot  tiuper ,  on  peut  supposer  que  le  même  motif 
qui  a  fait  supprimer  la  mention  des  nominations  de  Fran- 
ciscus  de  Tmrisio  et  de__Step/uU!US  Pctri  de  Seghes ,  a  aussi 
suggéré  cette  expression. 

Jean,  frère  prêcheur,  transféré  en  1398  de  l'évéché  de 
Nakhschiwan  au  siège  métropolitain  de  Sultaniyèh,  et 
dont  il  est  fait  mention,  comme  occupant  actuellement 
ce  siège  ,  dans  les  constitutions  que  j'ai  rapportées  des 
20  octobre  1400  et  26  juillet  i4o2  ,  est  certainement 
celui  qui  apporta  en  France  les  lettres  de  Tamerlan.  II 
paroît  qu'il  mourut  archevêque  de  Sultaniyèh  en  l'année 
1423.  C'est  ce  qui  résulte  d'une  constitution  de  Martin  V, 
du  12  décembre  14^3  ,  par  laquelle  Jea.n  ,  de  l'ordre  des 
frères  prêcheurs  unis  ,  déjà  élu  par  lesdits  frères  prêcheui-s 
à  l'archevêché  de  Sultaniyèh  ,  à  la  place  d'un  autre  Jean 
mort  archevêque  de  la  même  ville ,  est  nommé  audit 
archevêché.  Les  frères  prêcheurs  unis  dont  il  est  parlé 
dans  cette  constitution  ,  étoient  des  moines  Arméniens  de 
l'ordre  de  S.  Basile,  qui,  étant  rentrés  en  communion  avec 
l'église  Romaine,  s'étoient  affiliés  à  l'ordre  des  Irères  prê- 
cheurs. On  peut  voir  dans  Galanus  l'histoire  de  cette  réu-  Conciliât,  cc- 
mon.  Ces  religieux  pretendoient  avoir  le  droit  délire  aux  wm.i,  p.  ;i^ 
évêchés  ,  à  la  charge  que  les  sujets  élus  se  rendroient  à  '"^' 
Rome  pour  y  obtenir  la  confirmation  de  leur  élection  et 
s'y  faire  sacrer.  Je  vais  rapporter  les  termes  de  cette  cons-  U'ui.png.j^s. 
titution  :  ,  ^'"''^'■-   '"■ 

Jratr.    prtxdicat 

Quum  itaque ,  s'icut  fide  d'ignis  percepimus  rdat'ihus ,  eccUs'ia  Sol  ta-  Orknl   c/in's! 

n'iensis ,  citî  bonce  memoriœ  Jehanncs  archiepiscopus  Soltaniensis ,  dum  """-.^  ^ >   '"•' 

viveret,  prœsidebat,  perejusdem  obitum ,  &c.  ,  .ad  te ,  ordinis  FF. prct-  '  "' 
dlcatorum  unitorum  professorem ,  in  sacerdotio  constitutum ,  qucm  ,  ut 


jto  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

asscris'^  nonnuili  ex  dictisfratrihus ,  asscnntes,  juxta  quadamprivlUgia 
apoitolicii  dcsupcr  conccssa  ,  eis  licere ,  pose  hujusmodi  obituin  in  archi- 

episcopurn  SoUanienscm  duxerunt  e/igendum , direximus  oculus 

mentis  nostra , teque  illi  prafecimus  in  archiepiscopum. 

Observons,  en  passant,  que  le  sic'ge  de  Nakhschiwan 
étoit  devenu  siiffragant  de  celui  de  Sultaniych  par  une 
constitution  du  14  novembre  i4'S>- 

Jean  ,  nomme  archevêque  de  Suitaniyèli  le  1  2  décembre 
1423.  étant  mort,  eut  pour  successeur,  comme  nous 
1  apprenons  par  une  constitution  de  Martin  V,  du  i4  dé- 
cembre i4-5  .  Tltotruis  de  Abiinuicr  ,  Arménien,  de  l'ordre 
des  frères  prcciieurs  unis. 

Dans  la  suite  que  nous  venons  de  donner  des  arche- 
vêques de  Sultaniyéh  ,   il  ne  se  trouve  que  trois  prélats 
du   nom  de  Jean ,  savoir  :  Johannes  de  Corc ,  ou  Jean  I.", 
nommé  en    1330;  Jean  II,  nommé  en   139B,   venu  en 
France  en  1403;  et  son  successeur  immédiat,  Jean  III, 
Or.e.~.r„,.iom.  nommé  en  1423.  Le  P.  Le  Quien  en  compte  cinq  ,  parce 
'"  '^  ^'     qu'il  tait  deux  personnages  différensde  Jean  II,  quia  suc- 
cédé à  Donitaceen   1398,  et  de  Jean  ,  successeur  au  même 
siège  de  Williiim  Bclccts ,  nommé,  dit-il  ,  le  5  février  1403, 
par  Boniface  IX.  En  second  lieu,  il  place,  sous  le  nom 
IM.  de  Jean  IF,  et  cela  d'après  l'autorité  de  Wadding,  Jean 

Grenlaw,  frère  mineur,  nommé  le  12  des  calendes  d'oc- 
tobre [20  septembre  i4oi  ],  après  la  mort  de  Boniface. 

Je  me   crois  suffisamment  autorisé  à  rejeter  ces  deux- 
noms ,    ir.  Bcleels  ou  BcUts  .  et  Jean  Crenliiw ,  de  la  liste 
des  archevêques  de  Sultani)th,  et  voici  mes  motifs: 
S.ur.  Tktatr.        Fontana  fait  mention  de  Will.  Beleets .  d'après  les  ma- 

LhmmiiAn.  [Hig  ' 

'97. 1"  (fà.      nuscrits  de  Bzovins  ,  en  ces  termes:  Willelmus  Bêles,  ordinis 


ter. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      5  i  i 
pradicûtorum  de  Anglia ,  episcopus  Sohav'iciisis ,   nouis  febr. 
à  Boiiifdcio  IX ,  an.  2^,  qui  fuît ,  ajoute  Fontana,  salutis 
nostra  i^oj.  Cette  constitution  de  Boniface  IX  se  trouve 
dans  le  Bullaire  des  frères  prêcheurs.  Le  pape  y  dit  que      Buiu.   orJ. 
le  siège  de  1  église  de  Sultaniyeh  est   vacant,  parce  que  ■;„„,.  fi^   ^^^_ 
Nicolas,  évêque  de  Ferrare ,    qu'il  avoit  transféré  à  Sul-  ■^-^'^• 
taniyèh,  n'a  pas  pris  ses  bulles  dans  le  temps  requis,  et 
qu'en  conséquence  ,  étant  nécessaire  de  pourvoir  au  siège 
de  cette  ville,  il  y  nomme  pour  évêque   ledit  Wiilelm 
Belets  ,  Anglais  ,   frère  prêcheur  :  Tecjue  i/Ii  prafecimus  in 
episcopum   et  pastorem.    Ughelli ,    dans  son  Italia  sacra,     Tom.  11,  col. 
fait  mention  de  Nicolaus  Roberîus ,  promu  à  l'évêché  de  ''^    '  '  "'  '"" 
Ferrare  en  i  392  ,  et  transféré  en  i4oi .  p^r  Boniface  IX  , 
ad  ecclesiam  BoUamiensem. 

La  constitution  rapportée  par  l'auteur  du  Bullaire  des 
frères  prêcheurs  ,  étant  de  l'an  xiv  du  pontificat  de  Boni- 
face  IX,  des  nones  de  février,  ce  qui  répond  au  5  février 
1403  ,  il  est  de  toute  impossibilité  de  la  concilier  avec 
ce  qui  résuite  des  constitutions  que  nous  avons  citées,  des 
26  août  1398,  20  octobre  i4oo,  26  juillet  i4o2  et 
12  décembre  14^3  »  à  moins  qu'on  ne  suppose  que  Jean  , 
nommé  archevêque  de  Sultaniyèh  en  1398  ,  désigné  avec 
la  même  qualité  dans  les  constitutions  des  io  octobre 
i4oo  et  26  juillet  1402,  et  dans  les  lettres  de  Tamerlan, 
du  I  .^'' moharram  805,  ou  2  août.  i4o2  ,  avoitdonné  sa 
démission  ,  à  son  arrivée  en  Europe,  à  la  fin  jde  1402, 
ou  au  commencement  de  1403  ;  que  le  pape  avoit  alors 
nommé  à  sa  place  Nicolas  Robert,  évêque  de  Ferrare,. 
et  ensuite,  le  5  février  1403  ,  Wilk/mns  Belets  ;  qu'à,  çeiui-ci 
avoit  succédé,  à  une  époque  qui  nous  est  inconnue,  un  frère 


5  12  MEMOIRES  DE  LACADE.MIE 

prêcheur  uommc  Jetiii ,  cjiii  seroit,  en  ce  cas,  Jean  III,  et 
(ju'enlin  ,  celui-ci  étant  mort ,  un  autre  religieux  de  l'ordre 
lies  frères  prêcheurs  unis ,  qu'il  faudroit  désigner  par  le 
nom  de  Je^iii  IV ,  auroit  été  pourvu  de  l'archevcché  de 
Suhuniych  par  la  constitution  du  12  décembre  i-iij. 

Pour  admettre  cette  solution,  Jl  faut  supposer  «juc  la 
démission  de  Jean  II  et  la  nomination  de  Nicolas  Robert 
sont  postérieures  au  i/"^  août  1402;  ce  qui  n'est  pas  ce- 
pendant, si,  comme  l'assure  Ughelli ,  Nicolas  Robert  a 
cté  transféré  de  Ferrare  à  Sultaniych  en  i4oi  :  et  il  faut 
convenir  que  la  vraisembl.mce  est  ici  en  laveur  d'Ughelli; 
car,  sans  doute,  Nicolas  Robert  avoit  un  an  de  délai  pour 
prendre  ses  bulles,  et,  la  nomination  de  WilUImns  Belets 
étant  du  5  février  1403  .  o»  <Jo't  croire  que  celle  de  Ni- 
colas Robert  étoit  du  commencement  de  1.102,  ou  de  la 
fin  de   1^0  I. 

Il  y  a  une  autre  observation  essentielle  à  faire,  quoique 
par  elle  seule  elle  ne  soit  pas  décisive  :  c'est  que  dans  la 
constitution  par  laquelle  est  nommé  Willelmus  Bclcis ,  on 
lit,  teque  illi  privficimus  in  cpiscopum ,  et  non  pas  /'/;  arclii- 
episcopiim.  L'éditeur  du  Bullairedes  frères  prêcheurs  a  bien 
mis  dans  le  titre  de  cette  constitution  /..  Willelmus  Bclels 
^rcliiepiscopus  Sult<7iiieiisis  crcatur,  et  il  répète  la  même  chose 
dans  ['Appcndix  au  pontificat  de  Bonitace  IX:  mais  cela 
n  est  d'aucune  autorité. 

Si  l'on  pèse  bien  ces  diflicultés  ,  et  si  Ion  fait  attention 
qu'il  y  a  peu  d'accord  entre  les  auteurs  que  j'ai  cités,  sur 
le  nom  du  siège  épiscopal  où  (ut  transféré  Nicolas  Robert, 
cvêque  de  Ferrure  ,  et  duquel  fut  pourvu  par  la  suite 
WilUlmus  Bcteti  ,  Ughelli  ccrivaut  Bo/intuie/uem ,  Fontana, 

Soltavifnsis , 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      5  1  5 

Soliaviensis ,  et  i'cditeur  Jii  Buliaire  des  frères  prêcheurs, 
Soltûtiiensi,  on  ne  sera  pas  éloigne  de  croire  qu'il  y  a  ici  une 
méprise,  et  qu'il  s'agit,  dans  cette  constitution,  non  du 
siège  métropolitain  de  Sultaniyèh  ,  mais  du  siège  épiscopal 
de  quelque  autre  église,  peut-être  de  celui  de  Soldaya  , 
dont  on  a  déjà  vu  le  nom  confondu  avec  celui  de  Sulta- 
niyèh (i).  Je  j)ersiste  donc  à  croire  qu'il  faut  rayer  Nicolas 
Robert  et  Willclmus  Belets  de  la  liste  des  archevêques  de 
Sultaniyèh  ,  et  que  Jean  II  ,  promu  à  cet  archevêché  en. 
I3p8,  l'occupa  jusqu'en  i4-3- 

Qiiant  à  Jean  Grenlaw,  nommé,  suivant  Wadding,  à 
l'archevêché  de  Sultaniyèh,  le  12  des  calendes  d'octobre 
[20  septembre  i4oi].  po"r  remplacer  Boniface,  qui  étoit 
mort,  si  on  i'admettoit  ,  il  faudroit  encore  placer  un 
Boniface  et  Jean  de  Grenlaw  parmi  les  archevêques  de 
Sultaniyèh  ,  et  cela  à  une  époque  où  nous  trouvons  ce 
siège  occupé  par  Jean  II.  L'église  dont  Wadding  parle 
en  disant  Soltûiiiensein  in  Media  episcopum ,  ne  peut  donc 
point  être  Sultaniyèh.  Wadding  ne  rapportant  aucun  titre, 
il  est  difficile  de  juger  en  quoi  consiste  son  erreur;  mais 
il  suffit  d'observer  que,  Jean  Grenlaw  étant  un  frère  mi- 
neur, et  Wadding  ne  lui  donnant  que  le  titre  d'évêque. 


( I  )  Fontapa ,  dans  XçSacrum  Thea- 
trum  Dominicanorwn ,  pag.  297  ,  tit. 
555,  commet  une  erreur  pareille ,  en 
parlant  d'un  frère  prêcheur,  nommé 
Augustin j  que  le  pape  Eugène  IV 
promut,  en  1432,  à  révêché  de  Sol- 
daya. 11  l'appelle  SoUarensis  ou  Sol- 
danensis  episcopus;  et  ce  qui  prouve 
qu'il  s'agit  efi'eciivement  de  Soldaya, 

Tome  VI. 


c'est  qu'il  ajoute  in  provincîa  Cein- 
baliensi ,  ce  qui  signifie  certaine- 
ment dans  la  province  de  Ceinbalo. 
Or  Cembalo  étoit  un  établissement 
des  Génois  de  Caffa,  sur  la  nier 
Noire.  Foyé'^  cette  constitution  d'Eu- 
gène IV  dans  VOriens  christ,  t.  III, 
col.  1 107. 

T' 


ji.f  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

il  n'a  point  t'tc  en  possession  du  siège  ile  Siiltaniycli ,  qui 
ctoit  métropolitain  ,  et  occupe  pur  des  frères  prccheius. 

De  toute  cette  discussion,  que  j'ai  abrégée  autant  que 
je  l'ai  pu,  mais  qui  étoit  nécessaire,  je  conclus  que  Jcari 
archevêque  de  Sultani)  tli ,  porteur  de  la  lettre  de  Tamer- 
lan  ,  est  Jean  II ,  promu  à  cet  archevcchc  en  i  398  ,  et  qui 
paroît  l'avoir  occupé  jusqu'en  i4-3'  H  ctoit  de  l'ordre  des 
frères  prccheurs  ,  et  cela  est  conforme  à  ce  que  dit  l'au- 
teur de  ['Histoire  de  Charles  VI  traduite  et  publiée  par  Le 
/".  xxm ,   Laboureur,  sous  la  date  de  1^03  :  •<  Certain  évcque  ties 

ihiiy.  XIII,  I.  f ,  ,  I      i>/-v    •  I      I"        I  I        r  ^  \    I 

f>.H'  4S0.  "  parties  de  1  Orient  ,  de  1  ordre  des  ircres  prccheurs  ,  vint 

"  cette  année  devers  le  Roi,  de  la  part  de  Tamerlan ,  roi 
»  des  Tartares,  Sec.  » 

Dans  la  lettre  Persane,  il  est  fait  mention  d'un  frère 
prêcheur,  nommé  François,  qui  est  venu  dans  l'Orient, 
et  y  a  apporté,  avec  des  lettres  du  roi  de  France,  des 
nouvelles  de  la  grandeur  et  delà  puissance  de  ce  monarque, 
ainsi  que  de  l'expédition  contre  les  Turcs,  et  des  succès 
remportés  par  les  Français.  S  il  s'agit  là  ,  comme  il  est  très- 
vraiscml)lal)le  ,  des  dix  mille  Français  envoyés  au  secours 
de  Siyismoiui  ,  l'arrivée  de  ce  religieux  dans  les  états  de 
Tamerlan  doit  être  au  plus  tôt  de  139^.  La  lettre  ajoute 
qu'après  cela  a  été  envoyé  le  frère  Jean ,  archevêque  de 
Sultaniyèh.  Jean  ayant  été  nommé  à  ce  siège  en  1398, 
l'ordre  des  cvénemens  paroît  bien  observé. 

Il  est  naturel  de  croire  que  le  frère  François  Ssathru , 
nommé  dans  les  deux  lettres  Latines ,  est  le  même  que  le  re- 
ligieux nommé  simplement  /Vwwfoudans  la  lettre  Persane. 
La  chose  néanmoins  n'est  pas  sans  diihculté  ;  car  il  semble, 
par  les  termes  dans  lesquels  sont  conçues  les  deux  lettres 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES,      jij 
Latines,  et  sur -tout  celle  de  Miranschah  ,  que  les  ren- 
seignemens  transmis  en  Perse  par  le  frère  François  Ssa- 
thru  sont   postérieurs  à  ceux  qu'avoit  procurés  l'arrivée 
de  l'archevêque  Jean.  Audiviimis ,  dit  Tainerlan ,  perfratrem 
Johannem,  archiepiscopum  totius  Orientis.qui  aliàs  etiammissus 
ahaliquibus  Francis  ad  me,  et  consimilHer  per  fratrem  Fraii- 
ciscum  Ssathru.   Dans  la  lettre  de  Miranschah  ,    on  lit  : 
Causa  hujusfuit  informaîio  Johatinis  archiepiscopi  totius  Orie/i- 
tis ,  quia  ipsum  prias  iiiisi  cum  nostris  litteris  ad  duas  vestras 
civitates  faiiiosissimas  Jaiiuam  et  Venetias,  et  itide  portavit  in 
multas  et  gratas  iiiformationes  de  vestris  magnificentiis.  Intérim 
vero  venitfraterFranciscusSsathru,  et  gratanter  susceptus  à  vobis. 
On  devroit,  ce  semble,  conclure  de  là  que  Tamerlan 
avoit  reçu  les   informations   dont  il    s'agit ,  d'abord  par 
l'archevêque  Jean,  et  ensuite  par  le  frère  François  Ssathru  ; 
mais  je  pense  que  le   traducteur   ou    plutôt  l'auteur  des 
lettres  Latines  n'est  autre  que  l'archevêque  Jean  lui-même, 
et  qu'ayant  voulu  se  donner  vis-à-vis  du   roi  de  France 
le  jnérite  d'avoir  le  premier  vanté  sa  puissance  auprès  de 
Tamerlan  ,  il  a  rédigé  ces  lettres  de  manière  à  faire  entendre 
qu'avant  même  l'arrivée  du  frère   François  Ssathru  ,  qui 
avoit  apporté  des  lettres  du  roi ,  il  avoit  rendu  compte  à  Ta- 
merlan de  la  puissance  de  ce  prince  ,  et  cela  au  retour  d'un 
voyage  qu'il  avoit  fait  à  Venise  et  à  Gènes.  Il  est  même 
possibleque  la  chose  fût  vraie,  et  que  Jean,  antérieure- 
ment à  l'année   i'^()2  ,  où  il  fut  nommé   archevêque  de 
Sultaniyèh  ,  eût  fait  un  voyage  à  Venise  et  à  Gènes,  et 
qu'au  l'etour  de  ce  voyage  il  eût  appris  à  Tamerlan  les 
secours  donnés  à  Sigismond,  et  la  soumission  de  Gènes, 
ville  très-renommée  dans  l'Orient,  àla  couronne  de  France. 

TMj 


5i«  MÉMOIRES  DE  LACADE.MIE 

La  lettre  Persane,  au  contraire,  ne  fait  mention  de  l'arche- 
vtque  cju'après  la  mission  de  François  Ssatlirii  ,  parce 
qu'elle  ne  parle  que  du  voyage  iait  par  Jean  en  Europe 
pour  (^tre  sacre  à  Rome,  voyage  qui  doit  être,  au  plus  tôt, 
de   135)8. 

il  paroît,  et  par  la  lettre  Persane  et  par  la  lettre  Latine 
de  Miranschah  ,  que  François  Ssathru  avoit  eu  une  mission 
de  Tamerlan  auprès  de  quelques  puissances  Européennes. 
Le  traducteur  fait  dire  à  Miranschah,  venit  frater  Frjiiciscus 
Ssdthrii ,  et griitiWtcr  susceptus  à  vobis ;  et  Tamerlan  dit  posi- 
ti\ement,  eo  temporc  quo  frater  Frauciscus priuluator  ad  hos 
partes  ven'it ,  et  litteras  reg'uis  tittu/it.  Qjiioique  Jean  ait, 
comme  je  le  conjecture,  fait  parler  à  sa  fantaisie  Tamer- 
lan et  Miransciiah,  il  n'a  pas  du  leur  faire  dire  des  choses 
cvidemment  fausses  ,  et  dont  la  fausseté  eût  ctc  facile  à 
reconnoître. 

Au  surplus,  je  n'ai  trouve  nulle  part  aucun  renseigne- 
ment sur  le  frère  François  Ssathru.  La  manière  dont  son 
nom  est  écrit  pourroit  faire  croire  que  c'éloit  un  étranger, 
peut-ctre  quelque  religieux  Arménien.  Le  nom  de  Fni/içois 
n'étoit  pas,  je  crois,  usité  parmi  les  Arméniens;  mais  il 
pouvoit  l'avoir  pris  en  entrant  en  religion. 

Il  nous  reste  un  point  important  à  examiner  :  c'est  le 
cachet  apposé  au  bas  de  la  lettre  Persane,  et  qui  doit  être 
celui  de  Tamerlan.  Ruy  Gonçales  de  Clavijo  ,  dans  sa 
relation  que  nous  avons  déjà  citée,  dit  :  «  Les  armes  de 
»'  Tamerlan  sont  trois  ronds  en  forme  d'oeufs  ,  faits  en 
»  cette  manière,  ^q'^  .  Cela  signifie  qu'il  étoit  le  maître  des 
"  trois  parties  du  monde.  Il  faisoit  mettre  cet  emblème 
"  !>ur  la  monnoie  et  sur  toutes  les  choses  qu'il  faisoit;  il 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      517 

»  avoit  pareillement  ces  trois  œufs  ronds  sur  ses  sceaux, 
"  et  il  obligeoit  aussi  tous  les  princes  ses  tributaires  à  les 
"  mettre  sur  la  monnoie  de  leurs  états  (1).  » 

Ebn-Arabschah  ,  dans  sa  Vie  de  Tûmerlaii ,  confirme  le 
rapport  de  Clavijo,  et  y  ajoute  quelque  chose  de  fort  im- 
portant. «  La  légende  de  son  sceau  ,  dit-il ,  étoit  Rdsti  resti, 
»  c'est-à-dire,  tu  as  e'te'  ve'ridique ,  tu  as  été  sauvé  ;  la  marque 
"  que  portoient  ses  bêtes  de  service ,  et  l'empreinte  de  son 
»  coin  sur  ses  monnoies  d'or  et  d'argent ,  étoient  trois 
»  ronds  en  cette  forme,  o°o  (^)-  "  -^^  seule  différence  entre 
ces  deux  écrivains,  c'est  que  le  triangle  formé  par  les  trois 
ronds  est  présenté  par  Clavijo  la  pointe  en  bas ,  et  par 
Ebn-Arabschah ,  la  pointe  en  haut. 

Le  cachet  apposé  à  la  lettre  Persane  est  conforme  à 
ce  qu'on  vient  de  lire.  Quoique  l'empreinte  en  soit  très- 


(i)  E  las  (armas )  que el  Tamur- 
bec  îiene,  son  très  redondos  assi  como 
ces  hechas  desta  guisa,  q'^q  .  E  esta  si- 
gnifica  que  era  serior  de  lu  très  partes 
del  mundo ,  e  esta  devisa  mandava  el 
fa-^er  en  la  moneda,  e  en  todas  sus 

cosas  que  el  fa-^ia Otrosi  estas 

très  como  ces  redondos  ténia  el  seFior 
en  sus  sellos ,  e  mandava  otrosi  que 
las  que  atrebutava  los  poseyessen  en  la 
monedade  sus  tierras.  (Hist,  del  gran 
Tamori.  yô(.  42  recto.) 

(2)    i^'î-vj  ijj^lj  rt^ià»   (jisij  (jk^ 

(  Vit.  et  Res  gest.    Tim.  toni.  II , 
p.  782.)  M.  Manger  a  eu  tonde  tra- 


duire ainsi  la  légende:  Veritas  salas. 
Ebn-Arabschah,  en  la  traduisant  lui- 
même  du  persan  en  arabe,  ne  permet 
pas  de  douter  qu'il  n'y  donnât  le  sens 
que  nous  avons  exprimé.  Peut-être 
cependant,  dans  l'intention  de  Ta- 
merlan,  le  sens  étoit-il  veritas  saliis. 
En  effet,  Schéref-eddin,  dans  YHis' 
toire  de  Tamerlan ,  dit  :  «  La  fourbc- 
»  rie,  a  dit  lepoète,  peut  avoir  d'abord 
j)  quelque  éclat  j  mais,  à  la  fin,  elle 
33  fait  rougir  son  maître:  c'est  pour- 
j>  quoi  Timour,  qui  étoit  ennemi 
»  de  la  ruse ,  avoit  pris  pour  la  de- 
3)  vise  de  son  cachet ,  ces  mots  :  Le 
»  salut  consiste  dans  la  droiture.  " 
Le  traducteur,  Petis  de  la  Croix, 
ajoute  en  note  :  «  Cachet  de  Timur , 
»  Rasti,  rusti.  "  (  Hist.  de  Timur-bec , 
tom.III,pag.  153). 


5i8  MEMOIRES  DE  LAC-VDÉ.MIE 

imparfaite,  on  y  reconnoît  tout  d'un  coup  les  trois  ronds 
poses  en  triangle,  et  deux  mots  Persans,  qui,  par  eux- 
mêmes  ,  scroient  peu  lisibles,  à  cause  de  l'imperfection  de 
iempreinte ,  mais  qu'on  juge  parfaitement  avoir  du  ctre 
RASTI  RESTI ,  d'après  le  témoignage  d'Ebn-Arabschali.  11 
y  a  seulement  une  figure  en  forme  de  3  ,  qui  paroît  ctre 
le  tesclidid,  ou  signe  de  reduplication  de  l'écriture  Arabe, 
et  dont  on  ne  sait  trop  que  faire.  Seroit-ce  un  simple 
ornemeni  î  La  gravure  de  ce  cachet  paroît  fort  grossière, 
et  ne  donne  pas  une  grande  idce  des  talens  des  graveurs 
que  Tamerlan  avoit  à  son  service  pour  graver  sur  le  verre 
iit.fiResgfit.  et  sur  les  métaux,  et  dont  Ebn-Arabschah  nous  a  con- 

Tim.    lom.    Il,  r    I 

P'S-Sjb.  serve  les  noms. 

L'interprétation  donnée  par  Clavijo  aux  trois  ronds 
disposés  en  triangle  ,  qui  formoient  les  arines  de  Tamer- 
lan ,  et  qui,  selon  cet  écrivain,  signilioient  qu'il  étoit  le 
seigneur  des  trois  parties  du  monde,  me  paroît  entière- 
ment dénuée  de  fomlement.  Les  Orientaux  ne  sont  point 
dans  l'usage  de  diviser  la  terre  ou  l'ancien  monde  en  trois 
parties  ,  comme  nous  le  faisons;  et  si  quelques  géographes 
modernes  de  l'Orient  ont  adopté  cette  division  ,  c'est 
une  imitation  récente  de  l'usage  des  Européens.  Pour 
exprimer  la  totalité  du  monde  habité,  ils  disent  les  sept 
climats,  ou  l'orient  et  le  coucluint ,  ou  enfin  le  rjuart  habite , 
^jjv«JL'  ^J>  (et  non,  comme  l'ont  rendu  quelques  tra- 
Rus^Jiifg  I  M.i-  ducteurs,  les  /juatre  parties  du  moiulcluihitiiblc).  Cette  expres- 
iV»" ffî».  fna  S'O"  ^^^  fondée,  comme  le  dit  Abou'lféda  dans  les  prolé- 
Ct.>gT.tom.iv,  gomènes  de  sa  Géographie,  sur  ce  que,  la  terre  étant  di- 
visée en  quatre  parties  par  l'intersection  de  l'équateur  et 
du  méridien  ,  il  n'y  a  qu'une  de  ces  quatre  parties  qui  soit 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  5.9 
habitée  ,  ies  trois  autres  étant  inconnues ,  et,  pour  la  plus 
grande  partie,  occupées  par  les  eaux  (1). 

J'ai  déjà  observé  qu'on  voit  aussi  l'empreinte  d'un 
cachet  au  dos  de  la  lettre ,  et  que  ce  cachet  doit  être 
celui  du  premier  ministre  de  Tamerlan;  mais  on  n'en  peut 
rien  dire  de  plus ,  cette  empreinte  n'offrant  aucun  trait 
qu'on  puisse  saisir. 

De  tous  les  détails  dans  lesquels  je  suis  entré ,  on  doit 
conclure  ,  ce  me  semble , 

i.°  Que  la  lettre  Persane  adressée  par  Tamerlan  au 
roi  de  France  est  authentique,  mais  que,  vraisemblable- 
ment, elle  a  été  écrite  moins  du  propre  mouvement  de 
ce  prince  Mogoi  et  dans  des  vues  politiques  qu'à  la  solli- 
citation des  missionnaires,  et  pour  se  prêter  à  leur  désir, 
et  particulièrement  à  la  demande  de  Jean  archevêque 
de  Sultaniyèh; 

z.°  Que  cettte  lettre,  quoique  datée  du  i ."  de  moharram 
805  ,  et  par  conséquent  d'une  époque  postérieure  de  quel- 
ques jours  à  la  bataille  d'Ancyre,  paroît  avoir  été  réellement 
écrite  avant  cette  bataille,  ou  du  moins  en  vertu  d'un  ordre 
donné  par  Tamerlan  ,  avant  qu'il  quittât  Sébaste  ; 

3 .°  Que  Tamerlan  mettoit  très-peu  d'importance  à  cette 
mission ,  et  ne  considéroit ,  sans  doute ,  le  roi  de  France 
que  comme  une  puissance  d'un  ordre  très-inférieur; 

4."  Que  la  lettre  Latine ,  qui  n'est  censée  être  que  la  tra- 
duction de  l'original  Persan ,  a  été  rédigée  d'une  manière 


(i)  S'il  falloit  nécessairement  don- 
ner une  interprétation  au  symbole 
dont  il  s'agit,  j'aimerois  mieux  croire 
qu'il  seroit  relatif  au  titre  de  Salieb 


kiran  [Maître  de  la  conjonction], 
et  qu'il  indiqueroit  un  aspect  favo- 
rable de  trois  planètes.  Le  plus  sûr  est 
d'avouer  notre  ignorance  à  ce  sujet. 


5  20  iMÉMOIRES  DE  LACADKMIE 

trcs-infidcle,  et  néanmoins  par  une  personne  bien  au  fait  des 
usages  Je  la  cour  Mogole,  et,  selon  toutes  les  apparences, 
par  l'archevcque  Jean,  qui  y  a  mis  tout  ce  qui  pouvoir 
flatter  le  roi  de  France,  lui  assurer  personnellement  à  lui- 
même  plus  de  considération  ,  et  relever  l'importance  de 
la  mission  dont  il  ctoit  chargé; 

5."  Que  le  lieu  d'où  cette  lettre  est  àaice  ,  propc  Scbas- 
tuiii ,  ce  qui  est  une  addition  du  traducteur,  est  contraire 
à  la  vérité  historique  ,  ihi  moins  relativement  à  la  date 
du   \ ."  de  l'année  805; 

6."  Qiie  les  mêmes  reproches  doivent  vraisemblable- 
ment être  faits  à  la  traduction  Latine  de  la  lettre  de  Mirza 
Miranscliah,  dont  il  esta  croire  cependant  qu'il  existoit 
un  original  entre  les  mains  de  l'archevêque  Jean  ;  origi- 
nal qui  ne  sera  point  demeuré  déposé  avec  celui  de  la 
lettre  de  Tamerlan  ,  parce  que ,  la  lettre  de  Miranschah 
étant  adressée,  en  général,  aux  souveraiils  et  aux  répu- 
bliques de  l'Europe,  Jean  l'aura  gardée  pour  la  présenter 
à  quelques  autres  gouvernemens  ; 

7,°  Qii'en  conséquence  on  ne  doit  point  mettre  une 
grande  importance  à  cette  correspondance,  et  que  les  his- 
toriens qui  en  ont  parlé  comme  d-'une  véritable  ambassade 
et  d'une  négociation  politique  de  la  part  de  Tamerlan , 
ne  l'ont  point  envisagée  sous  son  vrai  point  de  vue. 

Pour  compléter  ce  que  j'avois  à  dire  sur  ce  sujet,  il  ne  me 
reste  qu'à  (iùtl-  connoitre  de  <juclle  manière  un  auteur  con- 
temporain parle  de  cet  événement,  et  à  transcrire  la  réponse 
que  Charles  VI  fit  à  la  lettre  du  conquérant  Mogol. 

Voici  comment  s'expriment  les  auteurs  de  ['Histoire  de 
Chnrlcs  VI  traduite  par  Le  Laboureur  à  l'année  1403: 

«<  Certain 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.       521 

«  Certain  évêque ,  des  parties  Je  l'Orient ,  de  l'ordre 
»  des  frères  prêcheurs,  vint,  cette  année,  devers  le  roi, 
'»  de  la  part  de  Tamerlan  ,  roi  des  Tartares,  et  lui  pré- 
"  senta  ses  lettres,  dont  la  suscription  et  l'adresse étoient: 
»  Au  grand  Roi  de  France ,  et  aux  plus  pu'issans  de  la  chré- 
»  t'ienté.  Elles  contenoient  qu'entre  tous  les  princes  d'Occi- 
»  dent,  il  avoit  particulièrement  ouï  faire  récit  du  roi  de 
«  France  ,  et  que  cela  lui  avoit  donné  la  curiosité  de  se 
»  faire  informer  de  la  magnificence  de  sa  cour  ,  et  de  la 
»  puissance  de  son  roi.  Il  n'oublioit  pas  aussi  de  se  glo- 
"  rifier  de  la  conquête  d'une  grande  partie  de  l'Orient , 
"  et  de  la  défaite  et  de  la  prise  de  Bajazet ,  qu'il  croyoit 
»  avoir  été  d'autant  plus  agréable  à  Sa  Majesté,  qu'en  qua- 
>•  lité  de  persécuteur  du  nom  chrétien,  il  devoit  être  le 
>»  plus  grand  ennemi  du  roi  et  de  la  couronne  de  France. 
"  Pour  conclusion ,  après  l'avoir  assuré  de  son  amitié,  avec 
»  offre  de  ses  services,  il  le  prioit  que,  suivant  l'exemple 
»  de  tout  temps  pratiqué  par  ses  prédécesseurs,  il  traitât 
>•  favorablement  ,  en  leur  négoce,  les  marchands  de  son 
"  pays  qui  viendroient  trafiquer  de  toute  sorte  de  mar- 
»  chandises  étrangères  avec  ses  sujets.  Cet  évêque ,  pro- 
>•  posant  le  même  commerce  devant  le  roi  et  son  conseil , 
»  remontra  fort  prudemment  que  le  royaume  tireroit  de 
"  grands  avantages  de  cette  correspondance,  qui  fut  très- 
»  volontiers  accordée,  et  le  député  renvoyé  avec  de  beaux 
"  présens.  »  Observons  que  Tamerlan  n'avoit  point  envoyé 
de  présens  à  Charles  VI;  ce  qui  prouve  combien  peu  il 
attachoit  d'importance  à  cette  démarche. 

La  réponse  de  Charles  VI  est  conçue  en  ces  termes  : 
Carolus ,  Dci  giat'iâ,  Francorum  irx ,  sercn'issîmo  ac  rictor'iosissimo 
Tome  VI,  V 


j2;  M1..MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

prinàpi  Thcmyrbeo ,  saliitern  et  paccm.  Strcmss'ime  ac  victoriosissimc 
princi'ps ,  nec  Icgi  ncc  fidei  répugnât ,  dut  est  dissonum  rationi ,  quin  po- 
tiùs  utile  censendum  est,  reges  ac  dominos  temporahs ,  etsi  crcdulitatc 
sermoneque  discrepent,  civilitatis  bencvolentiti  et  amicitiiv  nexu  invicem 
fadcrari ,  ubi  per  id  mtiximè  pax  atque  tranquillitas  rcdundct  ad  sub- 
ditos.  Et  hinc  est,  sercnissime  ac  victi>riosissime  princeps ,  qu'od,  cùm 
ittteras  yestrce  celsitudinis  per  fratrem  Johannem  archiepiscopum  totius 
Orientis  recepimus ,  qui  bus  nobis  salutis  eulpgium  irnpertiri  voluistis, 
ac  de  nostri  status  continentia  et  regni  commoditatibus  pariter  infor- 
mari ,  nichilominus  intimare  victoriam  quant ,  Allissiino  concedcnte,  ob- 
tinuistis  de  Baa:Jito,  nobis  ad  compLiccntiam  hoc  ccssisse  novcritis  non 
modicam ,  prcccipuè  coadjuncto  quàd  inagnijîcentice  vestrœ  gratum  erat 
mercatores  nostros  et  ceteros  Xpanos  cum  subditis  vestris  passe  com- 
mcrcia  de  cetero  simul  contrahere ,  et  mercantias  suas  sine  impedi- 
mentj  mutuô  cxcrcere  et  agcre ,  nccnon  ad  terras  et  ditioncs  vestras 
accessum  amodo  habere  plenarium ,  veluti  tempore  bonorum  prœdeces- 
sorum  nostrorum,  ut  verbis  vestris  utarnur  ,fuit  factum  ;  de  quo  magnas 
vobis  gratins  rependimus  atque grat es ,  animo  libenti  consimilitcr  an- 
nutntes ,  ac  vice  vo  lentes  re'ciprocâ,  ut  vestri  ad  terras  et  dominia  nos  ira 
securè  ventre  ac  ntercari,  sicuti  nostri  in  parti  bus  vestris,  possint,  quetn- 
admodum  hœc  et  alia  quant  mu/ta  quœ  prcefatus  archiepiscopus  audivit 
cernereque  potuit  in  hoc  regno ,  si  libeat ,  referct  viva  voce,  cui  in  prit- 
inissis  credere  ac  rccommissum  habere ,  ob  mérita  sua  fidelitatis  precum- 
que  nostrarum  intervcntu  magnijicentia  vestra  velir  ■  qux  nobis  de  suis 
successibus  ad  nostram  consolationem  rescribat ,  per  quotquot  de  vestris 
ad  istas  regiones  continget  declinare.  Dcmuni  vestra  magnijicentia  re- 
graciantes  de  civilitatibus  et  amicitiis  multis,  plurimis  Xpanis  ptr 
ma'jestatem  vcstram  factis  et  tinpcnsif .  nos  afférentes  vestrorum  oppor- 
tunitatibus ,  ubi  castis  pcsceret,  ad aqualia  vel  majora.  Datum  Parisiis . 
die  junii  quindecimo,anno  Domini  nostri  Jhu  Xpi  mi  lie  s  im»  quadrin- 
^entesimo  tertio. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.     523 


MÉMOIRE 


SUR 


LES    MÉDAILLES    DE    MARINUS 

FRAPPÉES    X    PHILIPPOPOLIS. 


Par  m.  TOCHON   D'ANNECL 

JL  ORS  QUE  des  médailles  présentent  i'effigie  d'un  prince    Lui'  '.i^\•^r^ 

r"  loi  "7. 

qui  n'a  laissé  après  lui  que  de  foibles  souvenirs ,  on  ne 
peut  se  défendre  de  quelque  hésitation  sur  le  personnage 
auquel  on  doit  les  attribuer  :  l'analogie  des  noms  induit 
souvent  l'antiquaire  en  erreur;  souvent  le  secours  qu'il 
réclame  de  l'histoire,  ne  sert  qu'à  augmenter  ses  doutes. 
Obligé  alors  de  recourir  aux  conjectures,  il  réunit  les 
monumens,  il  les  compare;  il  consulte  les  temps,  les 
lieux,  les  circonstances,  et  la  critique  supplée  aux  faits  : 
heureux  si  les  conséquences  qu'il  en  tire  ne  l'écartent  pas 
du  but  qu'il  s'est  proposé  d'atteindre! 

Les  médailles  sur  lesquelles  nous  portons  dans  ce  mo- 
ment nos  recherches  ,  appartiennent  à  un  prince  nommé 
Marïnus;  elles  ont  été  frappées  à  Philippopolis.  En  voici 
la  description  : 

I.   eEQ.  MAPiNn.  Tête  nue ,  k  droite ,  au-dessous  de  laquelle   Planche,  n.' 2. 
un  aig[e  éployé  (  i). 

(1)  Séguin  et  d'autres  auteurs  ont  1  pas  exact.  Cette  erreur  venoit  sans 
indiqué  une  tête  chauve  ;  ce  qui  n'est  j  doute  du  peu  de  conservation  de  la 

V  !  ij 


Pliiiclic,  n.°  I. 


r-i  MIMOUILS  DE  L'ACADEMIE 

R.  *lAinnonoAlTnN.  KOAnNiAc.  s,  c.  Rome  assise,  ayant 
dans  /a  main  gauche  une  liasie  ,  et  tenant  dans  la  droite 
un  aigle  sur  lequel  sont  placées  deux  petites  figures. 

2.  .Même  légende  et  même  tête. 

U.  «MAinnonOAlTON.  KOAnNiAC.  s.  c.  Pallas  ou  Rome  de- 
bout, tenant  de  la  main  droite  une  patère ,  de  la  gauche 
la  haste;  h  ses  pieds  un  bouclier. 


Ces  mcdailles  prcsentent  deux  ililllcultcs  :  quel  est  le 
Mariniis  dont  elles  nous  ont  conserve  les  traits!  quelle 
est  la  province  à  laquelle  elles  appartiennent! 

Zonare  et  Zosime  sont  les  seuls  qui  disent  quelques 
mots  de  Marinus  ;  ils  se  bornent  à  indiquer  qu'il  fut  re- 
vêtu de  la  pourpre  par  les  soldats  de  la  Mésie  et  de  la 
Pannonie,  sous  le  règne  de  Philippe,  et  qu'il  périt  bien- 
tôt après  ,  par  les  mains  de  ceux  mêmes  qui  lavoient 
élevé  au  trône.  Les  antiquaires,  ne  trouvant  dans  les 
auteurs  anciens  que  cette  mention  d'un  Marinus ,  lui  ont 
attribué  les  deux  médailles  que  nous  venons  de  décrire  ; 
ils  ont  ensuite  imaginé  que  cet  usurpateur  s'étoit  fuit 
reconnoître  dans  les  provinces  voisines,  et  que  c'étoit  la 
ville  de  Philippopolis  de  Thrace  qui  lui  avoit  décerné 
ces  médailles.  Si  l'on  se  bornoit  aux  simples  inductions 
que  l'on  peut  tirer  de  la  présence  d'un  tyran  nommé 
A'iiiri/ius  dans  le  voisinage  de  la  Thrace ,  et  du  silence 
des  historiens  sur  d'autres  personnages  du  inême  nom  , 


médaille  qu'il  avoit  fait  graver;  mais 
nous  en  avons  soigneusement  exa- 
miné plusieurs  exemplaires,  et  ton(cs 
nous  prcsentent  la  tête  nue  d'un  vieil- 
lard,  qii  nulle  part  n'est  chauve.  La 


même  erreur  se  trouve  reproduite 
dans  un  ouvra.ge  plus  récent;  voilà 
pourquoi  nous  croyons  utile  de  le 
lairc  remarquer. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES  LETTRES.     525 

cette  opinion  acquerroit  un  grand  degré  de  vraisemblance: 
mais  ne  peut-il  pas  avoir  existe  d'autres  Marinus  !  Les 
écrivains,  qui  ne  nous  disent  rien  de  tant  de  tyrans  dont 
les  médailles  très-authentiques  attestent  l'élévation  à  l'em- 
pire, doivent-ils  être  nos  seuls  guides  dans  ce  cas!  N'avons- 
nous  pas  vu  le  P.  Chamillart ,  donnant  la  description  Dis,cn.mon  du 
d'une  médaille  de  l'empereur  Pacatien  ,  personnage  abso-  làn sur yiùsicur. 
lument   inconnu  dans  l'histoire,  conjecturer  judicieuse-  '"'-,"  j'"^"',! 


ment,  d'après   le   style  et  le  travail,  qu'elle  anpartenoit  '"k'nei,  Paru, 
.  .  ,  ,  '7'r  ■  '"-4° 

au  temps  de  Philippe!  et  cette  conjecture  ne  s'est-elle  pas 
pleinement  confirmée  par  une  nouvelle  médaille  du  même 
Pacatien ,  sur  laquelle  nous  lisons  l'année  de  son  règne 
(Ronue  ateriia  nu.  mill.  et  primo) ,  qui  coïncide  parfaitement 
avec  le  règne  de  Philippe  (1)! 

Il  est  assez  remarquable  que  ce  soit  sur  un  tyran  de 
la  même  époque  que  nous  ayons  à  fixer  nos  incertitudes. 
A  défaut  des  historiens ,  nous  nous  servirons  des  moyens 
qui  ont  aidé  le  P.  Chamillart  à  indiquer  le  temps  où 
avoit  régné  Pacatien. 

Nous  ne  reconnoissons  point  le  tyran  de  la  Mésie  sur 
les  médailles  qui  ont  pour  légende,  0EQ.  MAPINO.  ;  et, 
quoique  les  autorités  sur  lesquelles  on  s'appuie  pour  les 
donner  à  Philippopolis  de  Thrace  ,  paroissent  être  de 
quelque  poids ,  nous  nous  proposons  de  combattre  cette 
opinion  ,  et  nous  nous  empresserons  de  restituer  à  uii 
antiquaire  Français  le  mérite  d'avoir  justement  attribué 
ces  médailles  à  la  ville  qui  les  a  fait  frapper. 


^i)  M.  Miilin  nous  a  donné,  sur 
cette  médaille  intéressante,  une  dis- 
sertation qu'il  est  utile  de  consulter. 


Voyez  JVIonumens  antiques  inédits , 
par  A.  L.  Miilin,  Paris,  1802,  t.  1 , 
pag.  49. 


5  2(>  MI.MUIRLS  DE  L'ACADOllE 

Jac.  Strada  est  le  premier  ijui   nous  ait  lait  comioitre 
ffirmf  The-  Jes  iiicJailles  de  Mariniis.  Apres  lui,  Goltzius  en  iiuliiiue 

.turi    ttniiquiia-      ,  i  il  i  '    •  /  .  i 

iKm.Lfvn.i;;;:  deux  SUT  IcsqueUes  cc  tyraii  est  désigne  par  les  noms  de 

r^g','  /j    Curviliits.  Plusieurs  antiquaires,  croyant  à  l'existence 

lie  ces  monnoies ,  ont  continue  à  le  nommer  ainsi,  sans 
réfléchir  que  Goltzius  a  mêle  à  ses  heureuses  découvertes 
en  numismatique  beaucoup  de  monumens  apocryphes 
qui  empèclient  d'ajouter  une  foi  aveugle  à  son  témoignage. 
Quoique  Marinus  soit  nomme'  Puhlius  Ciirvi/ius  dans  tous 
les  ouvrages  numismatiques;  quoique  tous  les  antiquaires, 
mOme  ceux  qui  regardent  ses  mc-dailles  comme  suspectes, 
s'obstinent  à  le  dc'signer  ainsi,  nous  n'avons  aucune  preuve 
qu'il  ait  jamais   porté  ces  noms. 

Un  autre  Strada  (  Octavius)  publia  ensuite  une  médaille 

iM.ii)fi.r  Grecque  de  Marinus,  semblable  à  celle  que  nous  avons 

fait  graver  ici. 

On  révoqua  en  doute  l'authenticité  de  cette  pièce  (i); 

pi-mche,  n.°  :.  et  Séguin ,  qui  en  possédoit  une  autre,  s'empressa  de  la 
faire  graver  pour  donner  plus  de  poids  à  celle  qui  avoit 
été  décrite  par  Oc(.   Strada. 

L'un  et  l'autre  se  bornèrent  à  attribuer  leur  médaille 
à  ce  chef  des  révoltés,  proclamé  Auguste  par  ses  soldats. 
Après  Séguin,  ces  médailles  se  sont  répandues  dans  plu- 
sieurs cabinets,  sans  faire  naître  d'autres  conjectures,  et 
elles  figurent  jiar-tout  comme  nous  offrant  les  traits  de 
cet  empereur  éphémère  (2). 


(  I  )  De  viiis  Iinpp.  et  C.riariim  lio- 
manonim ,  cura  Ociavii  de  Strada, 
Francfort,  1615,  in  fol. ,  pag.  i  JO. 
La  ligende  y  est  erronée,  et  cc  fut 
san«  doute  par  ce  motif  que  la  mé- 


daille parut  luspcctcaux  antiquaires. 
Alarinus    y    est   nomme    Alapinus. 
Str.ida  a  cru  v  voir  des  lettres  La- 
tine» ;  la  légende  est  toute  Grecque. 
(1)  Ce  sera   particulièrement  sur 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      527 

Pour  mieux  cclaircir  la  difficulté,  examinons  d'abord 
quelle  est  l'autorité  qui  a  fait  frapper  la  médaille  :  il  est 
évident  que  ce  n'est  point  Marinus,  puisqu'il  n'y  est 
question  que  de  son  apothéose.  Il  faudroit  qu'un  fils  du 
tyran,  héritier  de  sa  puissance,  eût  pu  lui  décerner  les 
honneurs  divins.  On  sait  bien  que  le  premier  usage  que 
faisoit  de  son  autorité  un  prince  à  son  avènement  au 
trône,  étoit  de  placer  son  effigie  sur  les  monnoies  :  mais, 
du  moment  où  il  faut  faire  concourir  à  cet  acte  une 
ville  éloignée  de  sa  domination,  la  chose  ne  semble  pas 
praticable,  et  l'on  devroit  commencer  par  établir,  dans 
ce  cas,  que  Marinus  avoit  étendu  son  usurpation  dans 
la  province  de  Thrace,  où  étoit  située  Philippopolis,  et 
que  son  successeur,  en  lui  rendant  les  honneurs  divins, 
a  voulu  consacrer  le  souvenir  _de  ce  prince,  en  plaçant 
son  image  sur  la  monnoie  frappée  en  son  nom.  Nous 
avons,  au  contraire,  la  certitude  qu'il  fut  mis  à  mort 
peu  d'instans  après  qu'il  eut  été  décoré  de  la  pourpre, 
et  nous  ne  connoissons  aucun  des  siens  qui  ait  hérité 
de  son  pouvoir.  Cette  hypothèse  ne  peut  donc  offi-ir  nul 
degré  de  vraisemblance. 

Nous  allons  citer  ici  le  texte  des  historiens  qui  nous  ont 
conservé  quelques  mots  sur  Marinus.  Ils  suffiront  pour 
justifier  nos  conjectures. 

Ch,  XX.   Les  provinces  de  l'Orient,   accah'ées  sous  le  poids     Zosimrjh'.  i. 


celle  qui  a  été  publiée  par  Séguin 
que  porteront  toutes  nos  réflexions, 
parce  que  nous  croyons  qu'elle  con- 
tribue beaucoup  à  éclaircir  la  diffi- 
culté, par  l'analogie  parfaite  qu'elle 


a  avec  une  médaille  de  l'empereur 
Philippe,  comme  nous  le  dirons  plus 
bas.  Voyez  Selecta  Numismata  an- 
tiqua  ex  jnuseo  Pétri  Seguini ,  Paris, 
1684,  in-^.° 


\'X. 


528  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

des  impôts,  et  ne  pouvant  souffrir  fe  commandement  de  Priscus, 
qu'on  leur  avoit  envoyé  ,  se  révoltèrent ,  et  élevèrent  à  In  souve- 
raine puissance  Jota]iinnus  :  de  leur  cùté ,  les  légions  de  Mésie  et 
Fannonie  élurent  Marinus. 

Ch.  XXI.  Philippe,  troublé  de  ces  événemens,  pria  le  sénat, 
ou  de  venir  à  son  aide  dans  les  circonstances  présentes  ,  ou  de 
le  déposer  ,  si  son  gouvernement  déjilaisoit.  Comme  jiersonne 
ne  prenoit  la  parole,  Décius,  personnage  distingué  par  sa  nais- 
sance, sa  dignité,  et  par  l'éclat  de  toutes  les  vertus,  lui  dit  qu'il 
se  tourmentoit  en  vain;  que  ces  révoltes,  ne  pouvant  recevoir 
d'appui  de  nulle  part  ,  se  dissiperoient  facilement  d'elles-mêmes. 
Ces  Conjectures,  que  Décius  avoit  puisées  <Ians  son  exjiérience 
des  affaires,  se  trouvèrent  vérifiées  par  l'événement:  car  on 
parvint,  sans  beaucoup  de  peine,  à  réduire  Jotapianus  et  Ma- 
rinus (  I  ). 

Comme  Philippe  revenoit  à  Rome,  après  avoir  terminé  la 
guerre  contre  les  Scythes,  un  certain  Marinus,  chef  de  cohorte, 
fut  proclamé  Auguste  dans  la  Mésie  par  les  soldats.  Philippe , 
troublé  et  inquiet,  fit  part  au  sénat  de  celte  sédition,  et  lui 
communiqua  ses  craintes.  Décius  fut  le  seul  qui  prit  la  parole 
pour  rassurer  l'etupereur,  en  lui  disant  qu'il  ne  devoil  nullement 
s'en  inquiéter,  et  que  Marinus  semit  bientôt  mis  h  mort  par  ses 
proj)rcs  soldats,  comme  \\n  homme  incapable  de  régner;  ce  qui 
arriv.i  ainsi  que  Décius  l'nvoit  jirédit   '2K 


(1)...  .Ta  fJuki  >Mtra  rrii  ioii»  Tnif  tu* 

•à  nuT\çJ.^in  T^-ntia  ,  -rir  Iwiamitcr 
Tfltfr'ytjji»  t<(  7>îr  Tjùr  ixiar  eif/^t  •  m  Ji 
Mi/jâ'i'  Tayuavi  |L  Tlcuttu't,  Mo^ircr. 

TU  airrv  Juattftçciit  itf^x,  TBvTuf  aj«/- 


AiKtcç,yj/j  }i'*i  'OCit;^'  1  ».  a^/6u« 77, •SJC»- 
«T»  Ji  i.  TOJiuf  J/aTct T&iv  7n;f  àpim  (, 
ftaTifr  tAt^tr   euinr  tTn   tvtiiç  aytriit  • 

■n  (ht'auoï  l^ii  vJk^'ht  ShrâfÀkya,  •  àn- 
Ceirnut  /♦'  ti(  icyt,  <i>r  o  ût'iuof  JK  TUf 
tii»  ■s^ayua.TtÊiv   ii\KfA.iîpaTt   7nif>ai ,  7Î 

Yjt'Hjei^rTUt (  Zosinic,    liv.  I  , 

ch.  xx,pag.  29,  édit.  de  Leipzig, 
in-S.',  1784.) 

(2)    OfTur  /*  «  aC-nupà-TUf  i  <tihnr- 

Ces 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      529 

Ces  passages  nous  apprennent  tout  ce  que  nous  savons 
de  Marinus  :  nous  y  voyons  qu'il  fut  clevé  à  l'empire 
par  ses  soldats,  et  bientôt  après  mis  à  mort  par  eux.  II 
est  à  croire  que  les  rebelles,  apprenant  l'arrivée  de  Trajan 
Dèce,  que  l'empereur  Philippe,  sur  l'avis  de  cette  re'- 
volte,  envoyoit  dans  la  Mésie,  se  hâtèrent,  pour  trouver 
grâce  auprès  de  lui,  de  se  débarrasser  de  leur  idole  d'un 
moment.  Les  mêmes  soldats  qui  avoient  revêtu  de  la 
pourpre  l'usurpateur  Marinus,  en  décorèrent  Trajan  Dèce, 
croyant  par-là  le  rendre,  pour  ainsi  dire,  leur  complice, 
et  éviter  la  punition  de  leur  crime. 

On  a  bien  senti,  en  attribuant  ces  médailles  à  Marinus 
de  la  Mésie,  que  ce  n'étoit  pas  lui  qui  les  avoit  fait 
frapper;  mais  on  a  supposé  qu'aussitôt  après  sa  mort  les 
soldats  repentans  lui  avoient  décerné  ces  monumens,  ou  j-.Vk/»,  hc.  ch. 
que  Trajan  Dèce,  pour  se  faire  des  partisans  parmi  les 
rebelles,  l'avoit  mis  au  rang  des  dieux.  On  a  aussi  sup- 
posé, et  c'est  l'opinion  de  Vaillant,  qu'elles  avoient 
pu  être  frappées  par  ordre  de  Philippe  lui-même,  en 
reconnoissance  des  services  rendus  par  Marinus,  qui 
avoit  chassé  les  Scythes  de  la  Thrace. 

Voilà  trois  raisonnemens  qui  ne  reposent  que  sur  des 
hypothèses.  N'ayant  pas  à  combattre  de  preuves  histo- 
riques, nous  nous  permettrons  de  proposer  aussi  nos  con- 


•mç  'SjÇy?  Sioi'^f  cLfa/AJtyoç  -mKifMy ,  i'iç 
'Pa/À.nv  f:m.vyih3iv.  Lv  Si  Mumiç  Mufnvôç 
TiçTa^icip^çùiVj'^a.çs'-  TT^i  çfa-nuTwv  (ia.- 
aiXiviiy  H/Ji?».  Y.c^  Slà.  tÏts  o  <^iXfïï-mç 
■nJofiijCyfn ,  s^u  tÎ  cti/^xmi'tiI)  Silihi^^^ 
■ne/-  "mç  çttotùjf  •  -my  cc^mv  /i  muTmv- 

Tome  VI.  X? 


(Zonare,  liv.  xil,  chap.  xix,pag. 
624,  Paris,  1686,  in-fol.) 


5  30  MÉMOIRES  DE  IJACADÉMIE 

jectiires.et  l'on  jugera  si  elles  nesuflisent  pas  pour clctrulre 

les  allcgations  contraires. 

En   jetant  un  coiip-d'ccil  sur  liiistoire   île  ces  temps, 
il  est  aise   de  se  convaincre  que  jamais  Philippe  n'a  pu 
avoir   la   pensée  de  décerner   les   lioiineurs  divins   à   un 
traître  qui  vouloit   s'emparer  de  sa  puissance.  Nous   sa- 
vons, par  Zonare  et  Zosime,  que  IcMsquc  Phiii|ipe  apprit 
'a  révolte  de  Marinus,  il  en  lut  troublé,  et  qu'il  demanda 
au  sénat  de  l'aider  à  repousser  ce  rebelle.  Trajan  Dèce, 
alors  sénateur  ,  calma  ses  inquiétudes  en  lui  annonçant 
que  bientôt  les  mêmes  soldats  qui  avoient  élevé  Marinus 
au  trône,  l'en  feroient  descendre.  Cet  avis  rassura  l'em- 
pereur ,   qui    donna   à    Trajan    Dèce   le    commandement 
des  troupes   de    la  Mésie  et   de   la  Pannonie.   Comment 
penser  que  Philippe  ait  pu  déifier  l'usurpateur  contre  le- 
quel   il    envoyoit    une    armée  !   Les    historiens  d'ailleurs 
annoncent  (jue  Marinus  fut  massacré  avant  mcme  l'arri- 
vée de  Trajan  Dèce.  Q.uels  services  rendus  par  lui  depuis 
la  nouvelle  de  sa  rébellion  jusqu'au  moment  de  sa  mort, 
auroient   donc    pu    déterminer    Philippe   à   lui   décerner 
des  médailles!  Celles  dont   il   est   ici   question,  présen- 
tant  les   lettres  S.  C.  ,    indicpient   qu'elles  ont  été  frap- 
pées après  un  sénatus-consulte ,  et  il  répugne  de  croire 
que  Philippe,  qui  venoit  de  s'adresser  au   sénat  pour  lui 
demander   des  secours    contre    Marinus,  ait  sollicité  un 
sénatus-consulte  pour  le  déifier.  Assez  occupé  du  soin  de 
défendre  l'empire  contre  les  tentatives  d'un  nouveau  con- 
current,  il  songea  bien  plutôt  à  former  une  armée  pour 
le  faire  rentrer  dans  le   devoir.   Ce  n'ctoit  plus  Marinus 
(|u'il   avoit  à   craindre,    mais  Trajan    Dèce,    (|ui   venoit 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      531 
d'être  proclamé  Auguste  par  ces  mêmes  troupes  révoltces. 

Considérons  encore  que  Philippe  étoit  à  Rome  au 
moment  de  l'usurpation  de  Marinus;  que,  s'il  avoit  voulu 
lui  dédier  une  médaille,  il  n'avoit  pas  besoin  d'civoir  re- 
cours à  une  ville  Grecque.  11  périt  lui-même  ,  peu  de 
temps  après ,  dans  la  lutte  qu'il  eut  à  soutenir  contre 
Trajan  Dèce.  A  quelle  époque  veut-on  qu'il  ait  pu  faire 
fabriquer  ces  monumens  î 

On  ne  peut  pas  supposer  que  ces  médailles  soient 
l'ouvrage  de  Trajan  Dèce.  Qui  croira  qu'ayant  quitté 
Rome  pour  punir  une  rébellion,  il  ne  se  soit  occupé,  en 
arrivant,  qu'à  la  consacrer!  Ce  n'étoit  pas  non  plus  pour 
se  rendre  les  rebelles  favorables,  puisque  ce  ne  fut  qu'à 
regret  qu'il  accepta  l'empire  :  il  fallut,  dit  Zonare  (i), 
tirer  l'épée  contre  lui  pour  le  forcer  à  y  consentir,  et  il 
écrivit  à  Philippe  de  ne  rien  craindre;  qu'il  quitteroit 
les  marques  de  la  dignité  impériale  dès  qu'il  seroit  de 
retour  à  Rome. 

Ce  ne  sont  point  les  soldats  repenlans  qui  ont  pu 
décerner  ces  monumens  à  Marinus  :  c'eût  été  bien  mal 
faire  leur  cour  à  Trajan  Dèce ,  qu'ils  venoient  de  pro- 


(l)  'O  Ji  mv  aOTçuXiiV  im-pw-ni-n ,  M- 

Ififlij  oLu-ny  Ôkh  a,Tn\^iiy.  O  Ji  $/a/t- 
■mç  Kf  in  lYiKine.  Kaiuiyoçx^  cLKai  ttirnii , 
Kj  a.7nh%yTa.  âj'ivç  auTjV  0/  çpcntôinwi  lia- 
mKia  &j(fy\lJ.vit!Wi.  XS  Si  à.Tia.ta.iyouiv'i ,  m 
^;(pii  camuctijucvoi,  /t^cccQa^  olutÔv  wuyxa- 

■7m.^mfÀa.. 

"  Celui-ci  (Décius)  voulut  refuser 


>  la  mission  ,  disant  qu'il  importoit  à 
3  lui-même  et  à  celui  qui  lui  donnoit 

cet  ordre,  qu'il  ne  se  rendit  point  à 
l'armée.  Philippe  insista  ,  et  Décius 

>  partit  malgré  lui.   A  peine  étoit-il 
arrivé.que  les  soldats  le  déclarèrent 

'•>  empereur.  Comme  il  refusoit  ce 
3  titre,  lessoldats,répéeàla  main,  le 
forcèrent  de  l'accepter.  Il  écrivit  du 
o  camp  à  Pliilippede  se  tranquilliser, 
j-et  lui  ditqu'arrivé  à  Rome  il  dépo- 

>  seroit  les  marques  de  la  royauté.  » 

X'  i] 


5  32  MFMOIRFS  DE  L'ACADÉMIE 

clamer  empereur,  que  de  déifier  à  ses  yeux  fe  chef  qu'ils 
avoient  eux-mêmes  massacre.  Au  reste,  le  droit  de  battre 
monnoie  n'appartenoit  pas  à  iarinée ,  et  nous  avons  déjà 
remarque  que  le  S.  C.  qui  se  trouve  sur  le  revers  de  la 
médaille ,  indique  qu'elle  a  été  frappée  par  l'autorité  du 
sénat  (l). 

Q_uant  à  Marinus  ,  tyran  de  la  Mésie,  non-seulement 
elle  ne  lui  aj^partient  pas  ,  mais  il  est  douteux  qu'il  en 
existe  aucune  d'authentique  de  ce  tyran.  A-t-il  nuine 
régné  le  temps  nécessaire  pour  en  faire  frapper  î  Peut-être 
un  jour  sortira-t-il  des  marais  du  Danube  quelques  pièces 
qui  donneront  un  démenti  à  nos  conjectures;  mais  nous 
ne  croyons  ,  quant  à  présent ,  à  l'existence  d'aucun  de  ces 
monumens  (2). 

Nous  ne  sommes  pas  non   plus  portés  à  accueillir  le 


(1)  Le  comte  Mczzabarba  suppose 
qu'il  seroit  possible  que  Marinus, 
charge  de  diTendre  Philippopolis 
contre  l'invasion  des  Scythes, en  cul 
Clé  récompensé  ,  après  sa  mort,  par  les 
hahitans.qui  nuroicnt  voulu  recon- 
noître  ce  bienfait:  supposition  pure- 
ment gratuite,  qui  n'a  pas  plus  de 
fondement  que  les  autres.  Les  l'hi- 
lippopolitains  s'ctoicntdonc  révoltés 
contre  Philippe,  puisqu'ils  déifioient 
un  séditieux  armé  contre  lui.  Com- 
ment d'ailleurs  expliquera- t-il  les 
lettres  S.  C.  qui  se  trouvent  sur  la 
médaille!  ^^c/(^  Mezrabarba  ,  Imp. 
Rom.  Numismata,  édition  de  Milan , 

Nous  ne  disons  rien  de»  conjec- 
tures d'Hardouin  ,  qui  a  imaginé r|«e 
Marinus  avoit  été  chargé  par  Phi- 


lippe de  fonder  dans  la  Thrace  la 
colonie  de  Philippopolis,  <Scc. 

(2)  Nous  nousdispcn'onsde  parler 
des  médailles  apocryphes  de  Mari- 
nus; lous  les  antiquaires  les  excluent 
avec  raison  de  la  série  des  monnoies 
impériales  :  mais  il  faut  dire  deux 
mois  de  celle  qu'on  trouve  dans  le 
.Muséum  HeJervarium  ,  Vienne, 
181.4,  tom.  II ,  tab.  30,  n.»  666,  et 
qui  f;iit  partie  de  la  riche  collection 
de  M.  le  comte  Wic/ay. 

Neumann  l'avoit  déjà  fait  graver 
dans  SCS  JVumi  vctercs  anecdoti , 
pan.  II  ,  tab.  7,  n.°  9;  mais  il  »'en 
est  tenu  là  ,  et  n'en  a  pas  même 
donné  la  description.  C'est  urc  mé- 
daille, comme  on  en  trouve  plusieurs, 
à  ilcnii-barbare ,  dont  la  légende  est 
entièrement  cflaccc,  sur  laquelle  on 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LXTTRES.  535 
rêve  tl'Hnrdouin ,  qui  forge  une  chronologie  de  Paca-  [U-.iouh.Oj'c- 
tien,  dont  il  décrit  quelques  médailles,  et  qu  il  croit  tils 
de  Marinus  :  il  faudroit  accorder  à  ces  tyrans  un  plus 
long  règne  que  ne  permet  de  leur  donner  le  silence  de 
l'histoire.  Qiielques  écrivains  ont  prétendu  que  Pacatien 
étoit  le  même  que  Marinus,  ou  que  ces  deux  personnages 
étoient  au  moins  de  la  même  fomille,  et  que  les  lettres 
de  la  légende  Mar.  Pacatianus ,  qu'on  lit  sur  la  médaille 
publiée  par  le  P.  Chamillart,  dévoient  s'expliquer  ainsi  : 
Mûritius  Pacatianus.  M.  Millin  ,  en  adoptant  cette  inter- 
prétation ,  et  en  réfutant  avec  raison  les  étranges  conjec- 
tures formées  par  Hardouin  sur  la  famille  de  Pacatien  , 
est  néanmoins  enclin  à  penser,  comme  lui,  que  la  tête  du 
vieillard  déifié,  avec  la  légende  ©EO.  MAPINO.,  pourroit 
bien  être   celle  de  Marinus  père  de  Pacatien. 

Nous  n'avons  point  de  document  assez  précis  pour  rece- 
voir ou  rejeter  entièrement  ces  conjectures  :  elles  feroient 
croire  que  Pacatien  a  régné  en  Thrace,  en  Mésie,  en  Pan- 
nonie  et  dans  les  Gaules  :  comment  alors  les  historiens 
auroient-iis  passé  sous  silence  le  règne  glorieux  d'un 
prince  qui  commandoit  de  la  Thrace  aux  Pyrénées  (i)! 

Bien  que  nous   soyons  d'avis   que  Philippe  n'a  point 


ne  lit  rien ,  mais  où  l'on  peut  lire 
tout  ce  qu'pn  veut. 

(  I  )  C'est  l'opinion  de  la  plupart  des 
antiquaires  ,  que  Pacatien  a  été  pro- 
clamé Auguste  dans  les  Gaules,  parce 
que  ses  médailles  se  trouvent  parti- 
culièrement dans  nos  provinces.  La 
médaille  décrite  par  Chamillart  a 
été  trouvée  près  des  Pyrénées.  On 
en  a  découvert,  dans  le  comté  de 


Foix,  deux  autres,  que  l'on  conserve 
au  cabinet  de  Toulouse.  Celle  que 
M.  Millin  a  publiée  avec  la  légende 
Roinx  œternx  au.  inill.  et  primo , 
a  été  trouvée  près  de  Langres  en 
Champagne.  Eckhel  annonce  bien, 
tom.  VII ,pag.jjp ,  qu'on  en  compte 
plusieurs  dans  les  cabinets  d'Alle- 
magne ;  mais  il  n'indique  pas    leur 


J34  ML-MOIRES  DE  LACADEMIE 

ilccenicà  Marinus,  tyran  de  la  Mcsie,  les  mcdailles  dont 
nous  nous  occupons  ,  nous  pensons  néanmoins  iju'elles 
n'ont  pu  être  Irappces  que  par  son  autorité.  Cherchons 
donc  quel  est  le  personnage  auquel  elles  peuvent  appar- 
tenir, et  voyons  si  nous  ne  trouverons  point,  dans  la 
famille  de  l'empereur  Philippe,  queUju  un  à  qui  elles 
conviennent  mieux  qu'à  ce  tyran  obscur  de  la  Mésie  :  ce 
qui  nous  porteroit  à  le  croire,  c'est  que  l'on  connolt  des 
monnoies  de  Philippe  avec  le  même  revers  qui  se  trouve 
sur  celles  de  Marinus,  On  y  voit  Rome  assise  sur  im 
bouclier  ,  tenant  la  haste  d'une  main  ,  et  de  l'autre  v\n 
aigle  sur  lequel  sont  placées  deux  figures.  La  parfaite 
analogie  qui  existe  entre  les  deux  revers,  sous  le  rapport 
de  l'art,  sous  celui  du  type  ,  de  la  légende,  de  la  forme  des 
lettres,  sous  le  rapport  même  du  métal,  sulhroit  seule 
pour  faire  croire  que  les  deux  médailles  ont  été  frappées 
dans  la  même  occasion  ,  à  la  même  époque,  dans  le  même 
pays,  et  par  une  ville  qui  a  voulu  honorer  les  deux  princes 
par  le  même  monument.  Nous  dirons  plus  ;  elles  sont  si 
identiques  et  si  ressemblantes,  que  nous  les  croyons  gra- 
vées par  le  même  artiste  :  c'est  ce  qui  nous  conduit  à  penser 
qu'elles  n'appartiennent  j^oint  à  une  ville  de  Thrace,  mal- 
gré l'opinion  d'Eckhel. 

La  ville  de  Philippopolis  de  Thrace  fut  fondée  par 
Philippe  fds  d'Amyntas,  roi  de  Macédoine:  elle  est  riche 
en  mcdailles;  mais  la  série  des  impériales  cesse  depuis 
Éiagabale,  C'est  donc  à  tort  qu'on  donne  à  cette  ville  la 
médaille  qui  offre  pour  légende  :  iDIAIlIIlOlUUITnN. 
KOAHMAC:.   s.   c.  (i),  sans  remarquer  cpiil  existe   une 

(i)  Des  motifs   que   nous  ignorons  auront  empêché  cette    ville    d'en 


/'.  Scgilhii 
Kiimisiiuiiti ,  nd 
noiiis  ,p,ig.  /fiy  ; 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      535 

grande  dilfcreiice  entre   la  fiibrique  des  médailles  de  la 
Tlirace  et  celles -ci,  que  nous  adjugeons  à  Philippopolis 
d'Arabie,   ou  plutôt  de  la  Trachonite,  sur  les   frontières   » y.iilLint  Nu- 
de  l'Arabie,  ville  fondée  près  de  Bostra    par  l'empereur    mm ,  img.  2j/i. 
Philippe,  lorsqu'il  parvint  à  l'empire  (  i  ). 

•Nous  croyons  que  Philippe,  après  avoir  obtenu  le  con- 
sentement du  sénat,  fit  encore  rendre  un  sénatus-consulte 
pour  former  sa  colonie,  et  l'on  voit  effectivement  que  la 
médaille  en  fait  mention  ,  quoique  la  légende  soit  Grecque. 
Le  S,  C.  y  est  exprimé,  la  ville  y  est   désignée  comme 


frapper  depuis  cette  époque;  et  l'ab- 
sence totale  de  ces  monumens,  depuis 
Elagabalc,  semble  être  une  raison 
pour  les  refuser  à  _la  Thrace.  Sur 
plus  de  quinze  empereurs  qui  ont 
régné  après  lui  ,  Philippe  seroit  donc 
le  seul  qui  en  auroit  vu  frapper  dans 
cette  ville  ,  sous  son  règne.  La  chose 
est  possible,  mais  elle  n'est  pas  vrai- 
semblable ;  et  nous  ne  devons  pas 
négliger  les  plus  légères  inductions 
qui  peuvent  justifier  notre  manière 
de  voir.  Vaillant  cite  bien  une  mé- 
daille de  Salonine  (  JVuiiii  GriVci , 
pag.  187);  mais  on  ne  sait  où  elle 
est  maintenant  ,  et  Eckhel  semble 
douter  de  la  médaille,  qui  pourroit 
bien  avoir  été  mal  lue.  (  Voyez 
Eckhel,  ton}.  1 1 ,  pag.  4  j.  )  Quant  au 
motif  qui  auroit  suspendu  la  fabri- 
cation depuis  Elagabale  ,  est-ce  que 
HarJouin  auroit  raison  lorsqu'il  attri- 
bue cette  lacune  aux  incursions  des 
Scythes,  qui,  depuis  Alexandre  Sé- 
vère, se  sont  répandus  dans  ces  con- 
trées, et  les  ont  ravagées  !  (  Voye~ 
Hardouin  ,  Opéra  selecta ,  p.    l8o.  ) 


(i)  Zonare  le  dit  originaire  de  Bos- 
tra :  Op/xiiTi  d 'o'it  Boçpwt ,  o'7r\s  Y^'mxiv 
(iamh&Jozt;  Î7mvv/uev  iounù  iifo/t/,H(7zt.-n, 
'^iKi-ïïTT'UTnihiv  oio/jutiraf  ai/TwV.  (  Zonare, 
Paris,  1686,  pag.  625.)"  Il  tiroit 
"  son  origine  de  Bostra ,  dans  le  terri- 
»  toire  de  laquelle  il  bâtit  une  ville 
»  de  son  nom,  qu'il  nomma  Pliilip- 
>^ popolis,  ^>  Cédrène  dit  à  peu  près 
la  même  chose,/?.  2^7^  Paris,  i6^y. 

Voici  Ips  termes  dont  se  sert  Au- 
rélius  Victor,  qui  nous  semble  plus 
exact  et  plus  correct,  et  qui,  en  peu 
de  mots,  nous  apprend  beaucoup  de 
choses.  Il  nous  prouve  aussi  que 
nous  devons  entendre,  dans  Zonare 
et  dans  Cédrène,  que  Piiilippe  étoit 
originaire  du  territoire  de  Bostra  plu- 
tôt que  de  la  ville  de  ce  nom.  Igi- 
tiiT  Marcus  Jul'ius  Phiirpptis ,  Arabs 
Trachonites ,  sumpto  in  consortium 
Philippo  filio ,  relus  ad  Orienteni 
compost tis ,  conditoque  apud  Arabiam 
Philippopoli  oppido ,  Romam  vcnere. 
(Pag.  390,  édition  d'Amsterdam, 
'733-:) 


5  3^  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

colonie  :  c'ctnit  sans  cloute  un  hourg  peu  important  où 
Philippe  avoit  pris  naissance,  cju'il  a  voulu  agrandir  en 
y  appelant  des  hahitans  et  tii  lui  donnant  son  nom.  H 
a  consacre  cet  événement  par  la  mcdaille  dont  nous  par- 
lons, qui  semble  elle-même  sufiïre  pour  cclaircir  l'obscu- 
rité dont  on  a  voulu  couvrir  ce  point  historique.  Nous 
prttons  peut-c^tre  trop  de  crédit  à  cette  mcdaille  :  mais 
il  nous  semble  qu'elle  atteste  l'existence  de  la  ville  et 
sa  fondation,  l'existence  delà  colonie,  le  sénatus-consulte 
qui  la  constitue  ;  elle  nous  offre  les  traits  de  l'empereur 
qui  lui  a  donné  son  nom.  Sur  le  revers,  nous  voyons 
Rome,  qui  y  figure  comme  la  fondatrice- mère  de  la  co- 
lonie, soutenant  les  deux  hgures  de  l'empereur  Philippe 
et  de  son  fils,  au  moment  où  ils  viennent  d'entre  élevés 
à  l'empire.  Nous  croyons  enfin  voir,  dans  la  médaille  qui 
porte  la  légende  ©EU.  MAPINH.,  l'effigie  du  père  de 
Philippe. 

C'est  la  seule  manière  de  rendre  raison  d'un  type  com- 
mun à  deux  princes  :  ce  qui  se  rencontre  rarement;  car 
chaque  empereur  étoit  jaloux  de  retracer  sur  ses  mon- 
nuics  les  événemens  les  plus  importans  de  son  règne.  Ici 
nous  remarquons  une  particularité  qui  ne  peut  convenir 
à  deux  persomiages  étrangers  l'un  à  l'autre.  La  déesse 
Rome,  soutenant  un  aigle  chargé  de  deux  figures,  se  voit 
pour  la  première  fois  avec  ces  symboles  (  i  ).  Ne  semble- 
t-elle  pas  présenter  au  monde  les  efligies  des  empereurs? 
et  trouverions-nous  ce  type  également  sur  les  médailles 


(i)    Ordinairement   elle  porte  I.1 
figure  de  la  \'ictoire.  Les  exemples 


en  5ont  trop  commiini  pour  que  nous 
.ivons  besoin  de  les  citer. 

de 


DES  INSCRlPTiONS  ET  BELLES- LETTRES.  537 
de  Philippe  et  de  Mariniis,  si  celui-ci  11e  devoit  pas  avoir 
part  à  la  publication  du  monument  (i)! 

Cette  médaille  semble  avoir  ctc  frappée  pour  la  famille 
de  Philippe,  et  réunir  tous  les  faits  qui  pouvoient  con- 
courir à  son  illustration  :  cela  est  si  vrai ,  qu'il  existe  au 
cabinet  du  Roi  une  médaille  d'Otacilia  Sévéra,  femme 
de  l'empereur  Philippe  ,  avec  le  même  revers  ;  ce  qui  rianchc,  n.- 
prouve  jusqu'à  l'évidence  que  l'histoire  de  Marinus  est 
liée  à  celle  de  Philippe,  qui  a  voulu  faire  participer  son 
épouse  aux  honneurs  qu'il  rendoit  à  sa  famille  (2). 

Cette  médaille  pourroit  aussi  avoir  été  un  monument 
de  flatterie,  de  la  part  des  Philippopolitains  ,  pour  la 
famille  de  Philippe.  La  légende  du  côté  de  la  tête  de 
Philippe  est  au  nominatif,  suivant  l'usage,  à  l'égard  de 
i'èmpereur  au  nom  duquel  se  frappoit  la  monnoie  ;  il  y 
est  avec  ses  titres  :  ATTOKPATOP.  KAICAP.  CEBAC- 
TOC.  Celle  de  Marinus,  GEfi.  MAPINO.  ,  est  au  datif 
Celle  d'Otacilia  Sévéra. ept  à  l'accusatif,  MAP.  OTAKIAL 
CEOTHPAN. ,  en  sous-entendnnt  ^lAivr^n-o'sroXeTTui  Ti/Moa, 
les  PliiUppopolitaiiis  honorent  OtacUia  Sévéra  :  ce  qui  sem- 
bleroit  prouver  que  c'est  une  dédicace,  et  que  ce  type, 
commun  à  tous  les  personnages  de  la  famille  ,  a  été  placé 
au  revers  des  portraits  de  chacun  d'eux ,  suivant  ce  qui 
leur  étoitdû,  d'après  le  rang  qu'ils  occupoient  auprès  du 
prince. 


(i)  Philippe  a  adopté  la  même 
idée  dans  quelques-unes  de  ses  mé- 
dailles Romaines;  il  a  toujours  asso- 
cié son  fils  aux  actes  de  son  pouvoir 
et  de  sa  bienfaisance.  Ces  deux 
princes  y   figurent    ensemble,   dis- 


tribuant   au  peuple   des   libéralités. 
(  Koy*^  planche ,  n.°  8.) 

(2)  Peut-être  même  avons- nous 
aussi  des  médailles  de  Philippe  fils 
avec  le  même  type.  (  Voyez  nos  ob- 
servations à iâ  tiiv  du  Mémoire.) 


Tome  VI.  Y  ' 


jjS  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

Il  n'est  pas  sans  exemple  de  voir  les  empereurs  Ro- 
mains dédier  des  moniimens  de  ce  genre  à  leurs  parens , 
mfme  lorsque  ceux-ci  n'avoiciU  point  régne.  Vitellius 
jious  a  laissé  des  monnoies  d'or  sur  lesquelles  on  trouve 
la  tcte  de  son  père.  Trajan  a  divinisé  le  sien  sur  ses 
médailles.  Nous  en  possédons  une  qui,  jusqu'à  présent, 
est  unique  :  elle  est  dédiée  par  les  habitans  d'Abdère 
en  Thrace  à  l'empereur  Trajan,  dont  on  voit  la  tcte  au 
revers  de  celle  de  son  père  (i).  Nous  pourrions  citer  bien 
d'autres  exemples  de  cette  espèce  (2).  N'est-il  pas  naturel 
de  penser  qu'au  moment  où  Philippe  parvient  à  l'empire, 
au  moment  où  il  élève  son  pays  natal  au  rang  de  ville 
et  de  colonie,  où  il  donne  à  son  fîls  âgé  de  sept  ans 
le  titre  de  César,  où  il  nomme  son  frère  Priscus  général 
des  troupes  de  Syrie,  et  donne  le  commandement  de  la 
Macédoine  à  son  beau-père  Sévérianus  (3),  où  enfin  il 
comble  d'honjieurs  et  de  biens  toute  sa  famille  ,  il  veuille 
en  même  temps  décerner  à  son  père  les  honneurs  divins, 
les  seuls  qu'il   pûc  lui  rendre ,  afin ,  sans  doute,  de  faire 


(1)  ATTO.  TPAIANa.  KAICAPI. 
rp.BACTa'.   Tcte  iaiircc  tic  Trajan. 

rEPMA.  AAKIK.  ABAMPEITAI- 
Tcte  nue  de  Trajan  père. 

(2)  Qu  on  ne  soit  pas  surpris  si  le 
père  de  Philippe  porte  ici  le  nom 
<lc  Alarinus  ;  cfla  vient  de  l'usage 
de  ce»  temps,  où  le  fils  ne  portoit 
que  rarement  le  nom  du  père.  Nous 
a\on>  parmi  les  empereurs  Macri- 
nus  c«  Diadtimenianus  son  fils,  Maxi- 
minus  etMaximus,  Trebonianns  et 
V'olu^ianus,  V.iJerianus  et  Gallie- 
nus.  Sic.  .  .Philippe  fils    lui-même 


a  porté  le  nom  de  Siittirninus ,  ainsi 
que  nous  l'apprend  l'autre  Victor, 
/■//  EpUcme,  pag.  545 ,  édit.  d'Ams- 
terdam, in-^..' ,  1733. 

(3)  Kai  nci^itt  /t*V,  âJi^fot  ocra, 
lày  icstTO  lueJiAt  'OO*'^ ""■''*  ç^aTïWA'f, 
1iCr,ç/MÙ  Jt  tÔp  im/iî*  TOf  tr  Mt/n'a  i^ 
Maïu/ona  Ji/tei^if  fmç&jn.  «  Philippe 

»  donna  alors  le  commandement  des 
»  troupes  de  Syrie. i  son  frère  Priscus, 
»et  il  confia  le  gouvernement  de  la 
»  Métie  et  de  la  Macédoine  à  son 
»  heau-pére  Sévérianus.  «  Faut-il  en- 
tendre que  Sévéricn  étoit  gendre  ou 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      539 

oublier  la  bassesse  de  son  extraction  (i),  et  pour  éblouir 
Rome  par  ces  prestiges  qui  en  ont  imposé  de  tout  temps 
aux  hommes  ,  et  qui  suppléent  souvent  à  la  véritable 
grandeur  ! 

Ce  fut  en  Mésopotamie  que  Gordien  perdit  la  vie  ; 
ce  fut  dans  ces  contrées  que  Philippe  fut  reconnu  empe- 
reur. Il  n'avoit  point  encore  paru  à  Rome  avec  la  pourpre,' 
et  ne  voulut  y  arriver  qu'après  avoir  montré  qu'il  savoit 
fonder  des  villes  et  faire  des  dieux.  Il  avoit  probablement 
fait  approuver  par  le  sénat  ces  deux  actes  de  son  pouvoir  : 
la  déférence  que  les  empereurs  avoient  pour  ce  corps,  ne 
les  empêchoit  pas  d'être  les  maîtres  du  monde  (2). 

Voici  une  autre  considération  qui  nous  porte  à  croire 
que  ces  médailles  ont  été  frappées  dans  le  voisinage  de  la 
Syrie.  Philippe ,  qui  se  trouvoit ,  lors  de  son  élévation 
au  trône,  sur  les  frontières  de  cette  province,  a  diî  néces- 
sairement employer  les  artistes  qui  étoient  le  plus  à  sa 
portée.  Nous  prions  les  antiquaires  d'examiner  les  médailles 
de  ces  temps,  frappées  dans  les  contrées  voisines,  celles 
d'Antioche,  par  exemple,  celles  de  Laodicée  de  Syrie,  et 
sur-tout  celles  de  Cyrrhus  :  en  les  comparant  avec  celles 
de  Philippopolis,  non  pas  du  côté  du  revers,  qui  est  diffé- 


beau-père  de  Philippe!  le  mot  kmÂç^ç 
s'applique  à  ,1'un  et  à  l'autre.  Le  tra- 
ducteur Latin  deZosime  le  rend  par 
gêner.  Il  est  cependant  à  croire  que 
Sévérianus  étoit  père  d'Otacilia  Sé- 
véra  ,  femme  de  Philippe. 

(l)  Is  Phil'ippus  huinilissimo  or/ us 
loco  fuit ,  pâtre  nobilissimo  Idtronum 
diictore.   (Aurel.  Victor,  Epitome 
pag.  546.) 


(2)  Voye^  ce  que  dit  Auréiius 
Victor  :  Surnpto  in  consortium  Phi- 
lippo  filio ,  rébus  ad  Orientem  compo- 
sitis,  condiloque  apud  Arabiam  Plii- 
lippopoli  oppido ,  Romain  venere.  On 
voit  par  ces  mots  que  Philippe,  avant 
de  partir  pour  Rome,  voulut  mettre 
en  ordre  ses  affaires  particulières  et 
celles  de  l'Empire. 

YJij 


jio  .MEVIOIUES  DE  I.'ACADLMIE 

relit  dans  chacune,  nwis  du  côte-  de  la  tc^te  de  l'empereur, 
ils  verront  (jii'eiles  se  ressemblent  tellement  sous  le  rap- 
port du  style,  du  mctal,  et  de  la  lorine  des  lettres,  qu'on 
les  croiroit ,  pour  ainsi  dire,  sorties  du   même  coin. 

Pourquoi  donc  Eckhel  s'clève-t-il  si  fortement  contre 
Vaillant,  qui  ne  veut  point  attribuer  ces  médailles  à  la 
1  hr^ice  (i)!  Il  lui  reproche  de  donner  injustement  le  titre 
de  colonie  à  Philippopolis  d'Arabie,  tanilis  qu'aucun 
géographe,  dit -il,  ne  la  désigne  de  cette  manière;  et  il  en 
conclut  que  ces  médailles  appartiennent  à  la  Thrace. 

On  croira  sans  doute  qu'Eckhel  n  découvert  que  la 
Philippopolis  de  cette  province  étoit  colonie;  mais  il  se 
borne  seulement  à  indiquer  qu'il  n'y  avoit  aucune  raison 
pour  qu'elle  ne  le  fut  pas. 

Philippopolis  de  Thrace  étoit  déjà  métropole  :  elle  est 
décorée  de  ce  titre  sur  la  plupart  de  ses  monnoies. 
Nous  ne  voyons  pas  que  l'usage  d'ctre  en  même  temps 
colonie  et  métropole,  qui  étoit  assez  établi  dans  les  villes 
de  Syrie,  ait  eu  lieu  en  Thrace.  Nous  voyons  en  Syrie 
Antioche,  Laodicée,  Damas,  F.mèse,  Césarée,  &c. , 
prendre  à-la-fois,  et  du  temps  de  Philippe,  les  deux  qua- 
lités. Les  exemples  que  cite  Eckhel  sont  presque  tous 
pris  dans  ces  contrées.  On  sait  parfaitement  qu'une  ville 
peut  avoir  été  à-la-fois  métropole,  ensuite  colonie,  puis 
ttre  redevenue  métropole;  les  empereurs  accordoicnt  ces 
faveur';  à  quehjues  villes,  et   les  en  privoicnt  au   moindre 


(  I  )  Philipj'opolis  vrbs  est  fjcinhia , 
dit  Vaillant, (/»<{  TUrac'uv .  . .  .altéra 
in  Arabia.  ■  .  ■  7 /iracica  ijuitlem  me- 
tropolit  dignitate  in  numm'-s  insigni- 


iiir;  Arabica  ver'o  coloniit  tituluin  tibi 
luhiimit  ,qii,r  Afarini  ccnsccrationein 
vitlgavit,  et  non  T/iracica.  {V aiUant , 
tS'umismata  colonianim,  t.  Il, p.  274.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.     541 

mécontentement:  mais  toutes  ces  variations  ne  s'observent 
guère  sur  les  mcJailles  de  la  Thrace  (i). 

Eckhel  s'étaye  particulièrement  de  lopiniond'Hardouin 
et  de  Spanheim,  et  dit  :  Hardu'mus  et  post  etim  ûlii  Plii- 
lippopolin  Tlinicite  lioruni  mimorum  purentcin  agnoscunt,  in 
(jiiorum  sciitentiam  propcndet  et'uim  Spûnhemius.  Et  il  finit 
par  cette  reflexion  :  Ceterùm  compertuin  non  liahemus  qiiœ 
causa  fuerit  Pliilippopolitis  cudenda  Marïni  noniine  monela , 
ejustjue  etiani  consecrand't.  Si  ciii  exiles  conjecture  placent, 
adeat  Seguin  uni  et  Spanhemium. 

S'il  appelle  le  sentiment  de  Spanheim  des  conjectures 
frivoles,  pourquoi  s'en  sert-il  pour  appuyer  son  système? 
Pourquoi  invoque-t-il  le  mcme  suflrage  d'Hardouin,  après 


(  I  )  La  conséquence  que  tire  Eckhel 
que  ces  médailles  appartiennent  à 
Marinus,  parce  que  celui-ci  a  été 
reconnu  Auguste  enMésie,  n'est  pas 
exacte.  y4f  vero ,  cùin  consiet ,  dit-il, 
Alaririum  i/i  Alœsia  adclainatum 
imperaioreuij  inultô  magis  verisimile , 
ei post  mcrtem  ci  vicinn  ThrjcLv  urhc 
signâtes  niimos ,  qiihin  à  remotissimis 
Arabiœ  Philippcpolilis ,  quos  tantà 
minus  credihile  est  favisse  Alariiw  , 
quoniam  Pliilippinn ,  adversiis  quein 
is  conspiravit  ,  urbis  siiœ  conditoretn 
agnovêre.  (Eckhel,  Doctrina  num. 
v.t.  11,44.) 

•  Sans  doute  il  est  constant  que 
Marinus  a  été  reconnu  empereur  par 
les  troupes  de  Mésie;  et  si  la  mé- 
daille étoit  Latine  ,  le  raisonnement 
d'Eckhel  auroitun  grand  poids: mais 
le  style  de  la  médaille  prouve  in- 
contestablement qu'ellecst  Syrienne. 
Voilà  pourquoi  il  étoit  essentii-l  de 


EcUu-l,      DOL- 

trliia  nuinoruin 
vetcriim,  lom .  II, 
""S-  ■/>■ 


déterminer,  avant  tout,  quelle  étoit 
la  province  où  elle  a  été  frappée: 
cela  ,  une  fois  connu,  doit  écarter 
l'idée  qu'elle  a  pu  appartenir  à  un 
prince  dont  le  nom  n'est  peut-être 
jamais  parvenu  dans  des  contrées 
aussi  éloignées  que  l'Arabie. 

n  est  important  de  remarquer  que 
les  médailles  dont  nous  nous  occu- 
pons sont  les  seules  qui  aient  été 
frappées  à  Philippopolis  d'Arabie. 
Philippe,  en  fondant  cette  ville  sous 
son  nom,  a  bien  pu,  de  son  vivant, 
l'illustrer  par  des  médailles;  mais  il 
n'a  pas  possédé  l'empire  assez  long- 
temps pour  soutenir  son  ouvrage. 
Ne  voyant  plus  paroître  depuis  ce 
prince  aucun  monument  de  ce  genre, 
nous  pourrions  aisément  en  conclure 
que  tous  ceux  qui  nous  sont  connus 
ont  rapport  à  son  régne  et  éclair- 
cissent  son  histoire. 


54: 


MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 


iti,i.  lem.i.   avoir  dit  (Je  cet  auteur,  Eius  ovcm  tadium  le>rentil>its  prop- 

p.:g.  CLVII.     iti  '  .  . 

Pn^kgomems.  tcr  opiiiioiium  Hceiitiiim  adjerunt;  et  avoir  cite  avec  com- 
j(m,ùiinscripi.  puiisance  un  passage  conçu  en  ces  termes  ,  «  Les  opinions 
^1  jtttts-lfims     ,,  j^j    p    Hardouin  en   fait  de    nicdailies   coiunieiueiu  à 

tâm,     A  A  .\  1 1  , 

F-'g  *7-'.  •>  perdre  le  droit  d'être  r(;futces  »? 

Nous  sommes  persuades  que  si  Eckhel  avoit  examine 
ce  point  avec  un  peu  plus  de  scvcrité,  il  auroit  rendu 
justice  à  la  sagacité  de  Vaillant;  car  il  est  plus  naturel  de 
croire  que  Philippe,  en  fondant  une  ville  de  son  nom 
et  en  y  appelant  des  habitaiis,  ait  nomme  colonie  ce 
qui  ctoit  réellement  une  colonie,  que  de  penser  qu'il  ait 
donné  ce  titre  à  Philippopolis  de  Thrace,  qui  étoit  déjà 
décorée  du  litre  de  métropole. 

Nous  nous  déterminons  donc  à  conclure  que  les  mé- 
dailles de  Marinus  et  de  Philippe  appartiennent  à  l'Arabie 
ou  à  la  Trachonite,  et  nous  pensons  qu'elles  ont  peut- 
être  été  frappées  pendant  le  séjour  de  Philippe  dans  ces 
contrées. 

Si  nous  sommpi;  forcés  dans  ce  moment  de  nous  en 
tenir  à  des  conjectures  sur  le  personnage  qui  y  est  repré- 
senté ,  nous  conservons  l'espoir  que  de  nouvelles  recherches 
et  de  nouveaux  monumens  contribueront  un  jouràéclair- 
cir  ce  point  historique  d'une  manière  plus  précise  et  plus 
sûre  (i). 

Ce  n'est  pas  dans  cette  circonstance  seule  qu'ont  été 
confondues     les    villes    homonymes.     L'embarras    qu'on 


(i)  AucuD  historien  ,  aucun  mo- 
nument, ne  nous  fait  connoitre  le 
nom  du  père  de  Philippe  ;  nous  ne 
sommes  donc  point  en  contradiction 


avec  eux,  on  le  nommant  Marinui, 
d'après  les  médailles  que  nous  lui 
attribuons. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      543 

éprouve  dans  la  classification   de  leurs  médailles ,   force 
d'avoir  recours  à  plusieurs  moyens  différens  pour  les  dis- 
tinguer. La  fabrique  de  la  médaille,  la  manière  dont  se 
trouve  écrit  le  nom  de  la  ville,  les  magistratures,  le  nom 
des  fleuves,  des  montagnes,  qui  s'y  trouve  exprimé,  &c., 
sont  les  ressources  qui   nous  guident  et  nous   éclairent. 
Qiiant  à   Philippopolis,   les    historiens   eux-mêmes  sont 
tombés  dans  quelques  erreurs  qui  déjà  ont  été  rectifiées. 
Jornandès   a  confondu  les    deux  villes   de    ce    nom,   en     Jornundis ,  De 
disant  que  celle  de  Thrace  avoit  été  fondée   par   l'em-  j^rum' sumssh- 
pereur  Philippe   :    Urhcmque  nominïs  sut  in    Thracia  qua  "^,l^^"^'^""j'(,4f 
dicebûtur  Fuïpudena  ,  Philippopolln  recoiistruetis  norninûvit.   i"-'^' r-'"^- 

La  Chronique  d'Eusèbe  dit  la  même  chose  dans  la 
traduction  de  S.  Jérôme  :  Philippus  iirhem  sui  noiiiinis  in 
Thracia  constituit.  On  sait  que  cette  ville  existoit  en  Thrace 
sous  un  nom  différemment  rapporté  par  les  auteurs; 
qu'elle  fut  agrandie  par  Philippe  roi  de  Macédoine  ,  qui 
lui  donna  le  sien,  qu'elle  porte  encore  de  nos  jours  (i). 
Si  déjà,  du  temps  de  S.  Jérôme  et- de  Jornandès,  il  y 
avoit  des  incertitudes  sur  l'établissement  de  cette  cité,  on 
ne  doit  pas  s'étonner  de  la  difficulté  d'éclaircir  les  doutes 
qui  s'élèvent  aujourd'hui. 

Nous  ignorons  la  position  précise  de  cette  ville.  Étoit- 
elle  située  dans  la  Trachonite  ou  dans  l'Arabie  (2)  !  Quel- 


(1)  Oppidum  subRhcdope  Ponero- 
^oWi  antea,  inox  à  con^f/rort' Philippo- 
polis, nunc  à  situ  Trimontium  dicta. 
(  Pline,  liv.  IV,  ch.  II,  toni.I  ,p.203  , 
édit.  d'Hardouin.) 

Etienne  de  Byzance  la  place  en 
Macédoine ,  et  dit  qu'elle  fut  <i>i\nr-7fi 


T?  Kfjuùrre  kti^u.    Ammien-Marcel- 
lin  la  nomme  Euinolpias ,  &c. 

(2)  Aurélius  Victor  semble  nous 
indiquer  qu'on  doit  la  placer  dans 
la  Trachonite  ;  il  appelle  Philippe 
Arabs  Trciclionites,  et  les  termes  dont 
il  se  sert  en  parlant  de  la  fondation 


5  44  MÉMOIRES  DE  LACADE.MII 

ijiies  auteurs  modernes  ont  prctendu  que  c  cioit  la  ville 
de  Bostra,  à  laquelle  Philippe  axoit  donne  son  nom  ,  sans 
en  bâtir  une  nouvelle;  mais  la  scrie  des  médailles  im- 
périales de  cette  métropole  de  l'Arabie  continue  presque 
sans  interruption  jusqu'à  Trajan  Dcce.  Nous  en  avons 
nu-me  de  Philippe  pcre  et  de  Philippe  lils  avec  la  lé- 
gende, COL.  METROi'OLis  BOSTRA;  Ce  qui  nous  donne 
occasion  de  faire  remarquer  qu'elle  est  appelée  ici  vié- 
tropolc,  pour  la  première  fois  ,  sur  ses  monnoies  :  cela 
porte  à  croire  qu'en  même  temps  que  Philippe  décora  sa 
ville  natale  du  titre  de  colonie,  il  voulut  accorder  à  Bostra, 
dans  le  territoire  de  laquelle  se  trouvoit  Philippopolis, 
u\K  faveur  particulière  ;  et ,  comme  elle  jouissoit  déjà  des 
droits  de  colonie ,  il  la  fit  métropole  (i).  Il  est  bien  cer- 
tain que  Bostra  et  Philippopolis  étoient  des  villes  diffé- 
rentes. La  Notice  d'Hiéroclès  fait  mention  de  l'une  et  de 
l'autre ,  et  les  actes  du  concile  de  Chalcédoine  citent  les 
évécjues  de  ces  deux  villes  de  la  province  d'Arabie.  Les 
médailles  que  non^  nvnns  décrites  ,  viendroient  à  l'appui 


de  la  ville ,  sont  «-gaiement  tri-s- 
prccis  :  Condiioqiie  apitd  Ariibuiin 
PlùUpyopoli  opp'tJo.  Remarquons 
qu'il  cfit  apud  Arubiam ,  ei  non  ii\ 
Ardhia.  La  Trachonite,  située  an 
pied  du  mont  Liban,  avoit  des  li- 
mites un  peu  \agucs  :  on  appcloit 
souvent  set  habitans,  Us  Aruits  de 
la  Trachonitf- 

(i)  Il  paroit  que  c'est  Philippe 
qui  institua  à  Bostra  les  jeux  Du- 
sariens,  en  l'honneur  de  Dusiirc\, 
qui  avoit  en  Arabie  le  même  culie 
que  Bacchus.   Unku'uiut  ttiam  pro- 


v'incix  et  civitaii  siius  est  deus ,  ut 
Sjr'he  Astarte ,  Arjb'hv  Dusurts. 
(  lerinll.  Apologet.  c.  XXIV.  ) 

Nous  avons  lait  graver  pour  ce 
.Mcnioire  une  médaille  de  Philippe 
fils  ,de  la  colonie  de  Bostra;  elle  fait 
mention  des  jeux  Dusaricns.  Cette 
pièce,  qui  est  incontestablement  de 
Philippe  fils,  qui  n'y  est  nommé  que 
César,  sert  encore  a  démontrer  plus 
clairement  que,  quoique  ce  prince 
tut  lurt  jeune,  on  lui  donnoit  sur  lei 
médailles  les  traits  d'un  hunimc  plus 
âgé. 

de 


DES  LNSCRIPTIONS  ET  BELLES ■  LET  1RES.  j45 
de  ces  preuves ,  si  nous  en  avions  besoin  pour  fortifier  le 
récit  d'Aurciiiis  Victor  et  des  autres  historiens  qui  attestent 
son  origine. 

Ceilarius,  au  surplus,  a  très-bien  cclairci  ce  point;  il     Cellarius.No- 

,,,.  c-i>  """  orbis  atitiq. 

sétaye  lui-même  des  médailles  de  Marinus.  bi  1  ouvrage  tam.  u, y.  o^c. 
d'Eckhel  avoit  paru  avant  ce  philologue,  il  l'auroit  peut- 
être  induit  en  erreur;  tant  est  grande  la  confiance  qu'ins- 
pirent le  mérite  et  le  talent  de  ce  savant  antiquaire  :  car 
il  est  bon  de  savoir  que  les  auteurs  qui  ont  écrit  immé- 
diatement après  Vaillant,  l'ojit  pris  pour  guide  et  ont  suivi 
sa  manière  de  voir,  jusqu'à  la  publication  de  l'ouvrage 
d'Eckhel,  qui,  à  son  tour,  a  entraîné  dans  ses  opinions 
les  écrivains  qui  ont  paru  après  lui.  M.  Mionnet,  à  qui 
nous  devons  la  description  des  médailles  du  cabinet  du 
Roi,  avoit  aussi  placé  dans  la  Thrace  les  médailles  de 
Marinus  ;  mais  il  n'a  pas  tardé  à  reconnoître  qu'elles 
n'appartenoient  point  à  cette  province,  et  qu'elles  étoient 
de  fabrique  Syrienne. 

Nous  n'appauvrissons  pas  Philippopolis  de  Thrace  en 
lui  enlevant  ces  médailles;  il  lui  en  reste  encore  un  assez 
grand  nombre  qui  concourent  à  éclaircir  son  histoire. 
Cette  restitution  tend  ,  au  contraire ,  à  enrichir  une  ville 
à  laquelle,  jusqu'ici,  l'on  ne  donnoit  aucune  monnoie. 
C'est  encore  à  Philippe  qu'elle  doit  ce  bienfait,  et  c'est 
par  lui  qu'elle  figure  dans  la  géographie  numismatique. 
S'il  est  vrai  que  ce  prince  ait  compté  sur  ces  monumens 
pour  transmettre  à  la  postérité  l'acte  qui  consacroit  l'apo- 
théose de  son  père  et  l'espèce  d'illustration  qu'il  vouloit 
donner  à  sa  ville  natale,  il  faut  convenir  qu'il  s'est  étran- 
gement mépris  ;  et  l'on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer 
Tome  VL  Zj 


)  i6  MÉMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

jusqu'à  quel  point  les  calculs  ck-  la  vanitc  luiinnîne  se 
trouvent  ilcjoucs  ,  puisque,  d'un  cote',  l'on  a  donne  les 
mcdailles  de  Marinus  à  un  t)'ran  lic  la  Mcsic  ,  et  que,  de 
l'autre,  on  a  attribue  à  la  Thrace  des  monnoies  frappées 
en  Arabie. 

Nous  proposons  donc  de  restituer  à  cette  province  les 
mcdailles  suivantes  : 

MARINUS. 


''rgu:M.       I  ,111 ' 

Uni,  C^thintl  du 


SirMiii ,      Tie- 
fvlo ,  Scstiiii  /  fx 
.Musfo  ÂinslUJ. 
Ctitineii      de 

M.\J.     GoiStlIiH 

et     TAthoH ,    à 
Purh. 


i.   wUfl.  MAPiNfl.   Tête  nue,   h  droite,  au-dessous  de   laquelle 

un  aigle  éployc. 
R.   (MAiniIOnOAimN.  KOAnNIAC.   s.  c.    Rome    assise   sur    un 

bouclier,  ayant  dans  la  main  droite  un  aigle  sur  lequel  sont 

placées  deux  petites   figures,   et  tenant  de  la  gauche  une 

haste. 

2.   0En.  MAPINn.   Tète  d'un  vieillard,  au-dessous  de  laquelle  un 

aigle  éployé. 
R.  «MAirinonOAlTnN.  KOAnNiAC.  s.  c.  Rome  debout,  tenant 

de  fa  main  droite  une  patère,  et  de  la  gauche  une  haste; 

h  ses  pieds  \\n  bouclier  (i). 


PlllLIPPUS  (2). 


l'ailljnr.  1 
polo ,  CaUnel 
Roi  à  Paris  , 

,i..„    r:  A. 


-,>.    AVTOK.  K.  M.  lOVAI.  'MAinnoC.  CEB,    Tête  de  Philijipe  lauree, 
''"  i  droite. 

rt 


(1)  VailLint  explique  en  peu  de 
mots  le  type  de  ccitc  seconde  mé- 
daille de  .Marinus  :  Roma,  nonautein 
PdlLts ,  uti  Srguiiws  el  MeHiolarliis 
volunl,  pattram  ad  tuent  Alarino  fa- 
cienda  gerii.  (  Nuniismata  colonia- 
mm,  pag.i;r4.) 


(2)  Toutes  les  midailii'i  de  Phi- 
lippe, de  cette  ville  de  Pliilippopolis, 
soit  qu'elles  appartiennent  au  fils  on 
ail  p^rc,  offrent  In  même  légende 
<l\i  côté  de  la  tête  comme  du  cote 
du  revers.  On  ne  peut  les  dislinj^ucr 
que  par  la  diflërcnce  dani  le»  tfâlii. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      ^47 

R.  <i>iAinj;ionOAlTaN.  KOAnNIAC.  s.  C.  Rome  assise  sur  un 
bouclier,  ayant  dans  la  main  droite  un  aigle  sur  lequel 
sont  placées  deux  petites  figures,  et  tenant  de  la  gauche 
une  haste. 

OTACILIA. 

MAP.  aTAKiAI.  CEOYHPAN.  CEB.   Tête  d'Otaciiia  ,  à  droite.  Caimc,  du  Roi 

à  Palis, 

P.  *iAinnonOAiTnN.  KOAnNlAC.  s.  c.   Même   type   que   gj- 
dessus. 

Nous  avions  termine  ici  notre  Mémoire;  mais  le  sujet 
que  nous  avons  traite,  nous  engage  à  faire  quelques  ob- 
servations sur  les  médailles  de  Philippopolis  qui  appar- 
tiennent à  l'empereur  Philippe  père,  et  à  examiner  s'il 
n'en  existe  pas  qu'on  doive  attribuer  à  son  fils.  Il  est 
quelquefois  assez  difficile  de  distinguer  celles  qui  repré- 
sentent l'effigie  de  ces  deux  princes,  et  l'on  pourroit  bien 
Jes   avoir    confondues.   Vaillant   et    l'éditeur   du   cabinet     VmU.mt,Num, 

,  ,  I  '  1    •  1 1  'M  II-'  coloniarum ,  rom. 

Tiepolo    donnent    les  .médailles  qu  ils   ont    publiées    au   //,  p^g,  ..jg. 
père;  mais,  Vaillant  n'ayant  donné  que  le  revers  de  la  p^u"Y^rniI!Z] 
sienne,   et  l'autre  s'étant  borné  à  une  simple  description,    ^"'"f»   '7ss: 

,  tom.  I  ,p.y4j- 

nous  sommes  obligés  de  nous  en  rapporter  à  leur  témoi- 
gnage. M.  Mionnet  a  cru  devoir  adopter  le  même  sys- 
tème pour  les  médailles  du  cabinet  du  Roi  qu'il  décrit. 
Comme,  nous  en  possédons  nous-mêmes  deux  avec  le 
même  type,  et  que  les  unes  •et  les  autres  sont  sous  nos 
yeux ,  elles  peuvent  servir  à  nous  éclairer.  Nous  y  re- 
marquons les  traits  d'un  jeune  homme  plutôt  que  ceux 
d'un  homme  dans  la  force  de  l'âge.  Si  nous  consultons 
les  nîédailles  de  Syrie,  nous  y  trouvons  deux  figures 
bien  dis,tjpct;f^,   SH|;Jqs^,,unes^,,  ^^5.,,^jiits„^pjit,.pli;^  j^ro- 

7.3  ij 


5Î8  MIMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

nonc(;s;  le  nez  plus  aquifin  a  quelque  ressemblance  avec 
celui  clf  Marinus.  On  remarque  sur  les  autres  une  figure 
jeune  et  des  traits  délicats;  les  lèvres  sont  avancées, 
signe  qui  caractérise  essentiellement  l'effigie  du  jeune 
prince,  que  les  historiens  nous  peignent  sérieux  et  ne 
riant  jamais  (i).  Il  semble  enfin  qu'il  existe  plus  de  rap- 
port entre  la  figure  de  Philippe  fils  et  celle  d'Otacilia 
Sévéra  sa  mcre,  qu'avec  celle  de  son  père.  Nous  conve- 
nons néanmoins  que  Philippe  fils,  étant  mort  à  douze 
ans,  paroît  plus  âgé  sur  plusieurs  de  ses  monnoies  :  mais 
cela  ne  tiendroit-il  point  au  système  des  empereurs,  qui, 
en  créant  leurs  fils  Augustes,  ne  vouloient  pas  qu'on  leur 
donnât  les  traits  de  l'enfance!  Au  surplus,  les  médailles 
Romaines,  où  l'on  soignoit  particulièrement  la  ressem- 
blance, sont  en   parfaite  harmonie  avec  celles  de  Syrie. 

Nous  en  avons  fait  graver  ici  des  unes  et  des  autres  : 
on  y  voit  une  différence  remarquable  dans  les  traits  de 
chacun  des  princeâ. 

Voyez  celles  de  Cyrrhus  :  attribuerons-nous  au  mc*me 
Philippe  les  médailles  gravées  aux  n.°'  4  et  ^.  et  celles 
qui  sont  au  n.*^  5  ! 

Nous  avons  fait  voir  dans  notre  Mémoire  la  parfaite 
analogie  qui  existe  entre  les  médailles  de  cette  province 


(1)  AJeo  sever'i  et  trislis  animi , 
ut  jivn  tuin  à  ,juln>juenni  ,rtate  nuUo 
prorsus  cujutijiiam  coinineitto  ad  ri- 
Heniium  solvi  potiitrit ,  pairnnijue  lu- 
<iis  sfcularil  us  pctulantiùs  cjchlnnan- 
tan ,  ijuanijuam  adhuc  tener ,  vuttu 
notavtr'tt  avtrsato,  (Aurei.  Viçcor, 
Epitoine,  pag.  54^-)  ,• 

Poinponiu;   Lxtus,'  écrivain    du 


XV.'  siècle,  l'appelle  ageljstos  :  Ita- 
qut  à  milhtbus  ipsf  Vfrona'  ctsut 
est ,  et  Foinjt  filius  .;  pr^torianis.  h 
tniiUtur  fuisse  agelastos,  et  iudis  st- 
cularihus  riJenIcm  p,itrein  se\'ero  vultu 
inspex  isse,  velul  iUuin  corn'geret.Amto 
Philippi  v'iKerunt  an.  quinque ,  et  iin- 
meririi  inler  divos  relali.  (  Edition  de 
Jehan  Duprc,  Paris,  ijoi.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       5 49 

et  celles  de  Philippopolis  d'Arabie.  Si  donc  la  médaille 
du  n.°  6  est  du  même  prince  que  celle  du  n."  4>  "i^ 
conviendra  que  nous  aurions  raison  de  penser  que  l'une 
et  l'autre  appartiennent  à  Philippe  fils  plutôt  qu'à  son 
père  ;  nous  croyons  devoir  appeler  l'attention  des  anti- 
quaires sur  ce  point,  et  les  engager  à  examiner  soigneu- 
sement les  mcdailies  qu'ils  possèdent,  afin  de  pouvoir, 
par  la  comparaison  de  plusieurs  monumens,  établir  une 
règle  invariable  à  laquelle  on  puisse  se  rapporter. 


ÎJO 


MEMOIRES  DE  LACADLAUE 


EXPLICATION  DE  LA  PLANCHE. 

N."    I.  Médaille  de  Marinus ,  frappée  à  Pliilippopolis.  Le 

sujet  du  revers  est,  suivant  ^  aillant,  Rome  qui  sacri- 
fie aux  mânes  du  personnage  déifié. 

N."   2.  Autre  médaille  de  Marinus,  frappée  également  îi  Phi- 

lippopolis.  C'est  sur  ce  monument  que  nous  appuyons 
nos  conjectures,  h  cause  de  la  conformité  du  type  avec 
les  suivantes  de  Pliili|ipe  et  d'Otacilia  Sévéra  ,  pour 
l'attribuer  h.  l'Arabie  ou  h  la  Trachonite  plutôt  qu'à 
la  Thrace. 

N.*   3.  Médaille   d'Otacilia  Sévéra,   femme  de  l'empereur 

Philippe  père  ,  avec  le  même  revers  que  la  précédente. 

N."  /\.  Médaille   de   Philippe  fils,    qui   présente   encore  le 

même  revers.  En  comparant  cette  médaille  avec  celle 
du  n.°  6  ,  on  y  reconnoîtra  les  mêmes  traits  dans  la 
figure,  le  même  travail,  la  même  forme  de  lettres, 
quoiqu'elles  soient  ch;n.uiie  ile  deux  villes  différentes  ; 
ce  qui  établit  que  l'une  et  l'autre  ont  été  frappées  dans 
la  même  contrée. 

M.*    5.  Médailles  de  Philippe  père,  frappées  à  Cyrrhus  en 

Syrie.  Comme  le  revers  est  le  même  que  celui  du  n."  6 , 
nous  avons  cru  inutile  de  le  répéter;  nous  avons  fait 
graver  ces  pièces  du  cùté  de  la  tête  seulement,  pour 
faire  voir  la  différence  qui  existe  entre  Ivs  traits  du  père 
et  ceux  du  fils  sur  les  médailles  d'une  même  ville. 

N.*   6.  Médaille  de  Philippe  fils,  frappée,  comme  la  pré- 

cédente, en  Syrie.  La  figure  du  prince  est  parfaitement 
semblable  li  celle  du  n."  4  :  e"e  est  incontestablement 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.       551 

de  Philippe  fils;  ce  qui  fait  présumer  que  celle  du  n."4 
lui  aj)partient  également  (  1}. 

N.*  7.  Médaille   Romaine  de  Philippe  père,  parfaitement 

en  harmonie  avec  celles  du  n.°  5.  Ce  qui  distingue  par- 
ticulièrement les  traits  du  père  de  ceux  du  fils,  c'est  la 
forme  du  nez,  qui  est  plus  prononcée;  et  l'on  pourroit 
se  servir  avec  avantage  du  rapport  qui  existe  dans  ce 
trait  entre  Marinus  et  Philippe  père,  pour  établir  entre 
eux  une  ressemblance  de  famille  :  on  remarque  aussi 
que  les  médailles  du  père  ont  constamment  une  figure 
plus  âgée. 

N."   8.  Médaille  Romaine  de  Philippe   fils.   On  y  reconnoît 

une  grande  analogie,  relativement  aux  traits  qui  carac- 
térisent la  figure,  avec  les  médailles  n.""  4  et  6. 

N.°  9.  MédailteRomained'Otacilia  Sévéra.  On  voit  par  cette 

pièce  que  les  traits  de  Philippe  fils  ont  plus  de  rapport 
avec  les  traits  de  sa  mère  qu'avec  ceux  du  père. 

N."    10.  Médaille  d'Antioche  de  Syrie,  où  se  trouvent  les  têtes 

accolées  du  père  et  du  fils ,  et  où  l'on  voit  plus  exacte- 
ment la  différence  qui  existe  dans  les  traits  des  deux 
princes. 


(1)  On  lit  sur  cette  médaille, 
AIOC  KTEBATOr  pour  KATEBA- 
TOT.   Cette  altération   existe   bien 


réellement  sur  la  médaille  qui  est 
dans  notre  cabinet,  et  n'est  point  une 
faute  du  graveur  de  la  planche. 


n-  MIMOIRLS  DE  L'ACADEMIE 


NOTICE 

SUR    UNE    MÉDAILLE 
DE    L'EMPEREUR    JOTAPIANUS. 

Par    m.   TOCHON    D'ANNECI. 

Lulcj!  Oc-  IN  OU  S  avons  cru  faire  une  chose  agrc^ahle  aux  ami- 
quaires,  en  nous  hâtant  de  puhlier  une  mcdaille  impor- 
tante (jui  offre  les  traits  d'un  tyran  presque  inconnu  dans 
l'Iiistoire,  et  tout-à-fait  nouveau  dans  la  numismatique. 
Ce  sujet  a  d'ailleurs  quelque  liaison  avec  celui  que  nous 
avons  traite  dans  le  Mémoire  précédent. 

L'empereur  Philippe  ,  qui,  de  l'extraction  la  plus  basse, 
parvint  au  trône  par  l'assassinat  du  jeune  Gordien,  donna 
plus  qu'aucun  autre  l'exemple  de  l.i  rcht-llion.  Le  succès 
dont  son  entreprise  fut  couronnée,  enhardit  d'autres  chefs 
à  tenter  la  mcme  fortune;  et  c'est  là  que  commence  cette 
loule  de  tyrans  qui  désolèrent  l'empire  Romain  depuis 
ces  temps.  Outre  Marinus,  les  historiens  ou  les  médailles 
nous  font  connoitre  Jotapianus,  Pacatianus,  Priscus , 
Valens,  Licinianus,  et,  après  eux,  plusieurs  qui  parurent 
du  teiTips  de  Gallien,  et  qu'on  désigne  abusivement  sous 
la  dénomination  des  trente  tyrons.  C'est  pour  eux  sur- 
tout que  les  médailles  sont  d'un  grand  secours,  parce 
qu'elles  fixent   leurs  véritables  noms,  rapportés  diflérem- 

nicnt 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRF S.  553 
ment  par  les  auteurs,  et  qu'elles  établissent  quelquefois 
l'époque  précise  de  leur  règne.  Parmi  ceux  que  nous  ve- 
nons de  citer,  Pacatianus  étoit  le  seul  dont  nous  eussions 
des  monnoies  authentiques  :  nous  y  ajoutons  aujourd'hui 
Jotapianus,  dont  Aurélius  Victor  et  Zosime  nous  ont  con- 
servé le  souvenir. 

Le  premier  de  ces  historiens  nous  apprend  que,  pen- 
dant le  séjour  que  fit  à  Rome  l'empereur  Trajan  Dèce 
avant  de  partir  pour  son  expédition  d'Illyrie,  on  lui  ap- 
porta la  tcte  de  Jotapianus  ,  qui  s'étoit  révolté  en  Syrie. 
Et  interea  ad  eum  Jotapiaiii  (qui ,  Alexandrï  tumetis  st'irpe , 
per  Syrîam  tenîans  nova,  miliîuni  arbitrio  occuhuerat)  ora , 
uti  mos  est,  inophiato  feruutitr ,  &c. 

Zosime,  en  faisant  mention  de  la  révolte  de  Marinus 
dans  la  Mésie,  nous  dit  aussi  que,  vers  le  même  temps, 
les  légions  de  la  Syrie  élevèrent  à  l'empire  Papiamis.  II 
a  paru  constant  à  la  plupart  des  critiques  qu'il  falloit 
lire  dans  Zosime  Jotapianus ,  leçon  qui,  d'ailleurs,  se 
trouve   dans  quelques  manuscrits  (i).  Nous  avons  cité, 

(i)  Leunclavius  est  le  premier  qui 
ait  publié  l'Histoire  de  Zosime.  Son 
édition,  qui  ne  contient  que  la  ver- 
sion Latine  de  cet  auteur,  parut  à 
Bâie,  in-fol, ,  sans  date  ;  mais  on  sait 
qu'elle  est  de  l'an  IJ76.  Son  texte 
porte  (pag.  6)  *  Tapianum ,  et,  au 
chap.  XXI ,  *  Tapiano  ;  mais  il  met 
en  marge,  en  forme  de  correction, 
*  Papianum  et* Papiano.  Cette  cor- 
rection, qui  n'est  qu'une  nouvelle 
erreur  bien  plus  grave,  a  été  suivie 
dans  les  éditions  postérieures,  où  l'on 
ne  lit  que  Papianus.  Mais  Reite- 
meyer,  dans  la  belle  édition  qu'il  a 
Tome  VI. 


Aur.  Victor  r 
de  CasarO-us  > 
caf.  XIX. 


donnée  à  Leipzig,  1784,  in -S.', 
grec-lat.,  avec  quelques  notes  de 
Heyne,  a  rétabli  dans  le  texte  le 
mot  Jotapianus ,  sur  la  foi  de  deux 
manuscrits ,  et  appuyé  du  témoignage 
d'Isaac  Casaubon.  Voici  les  termes 
de  Reitcmeyer,  pag.  29  :  ïlamaiièy 
vulg.  Sed  L.  et  P.  Q.'lcc-m-maviv,  et 
§.  3,TaOTai'?.  Aiird.  Victor  Jotapia- 
tiinn  sïtb  Decio  rebellasse  ait.  At  Ca- 
saulono  (ad  Script.  H.  Aug.  min. 
pag.  202)  approbatain  codicuin  lec- 
tior.em  restittii. 

Nous  croyons  aussi  devoir  citer 
les  propres  expressions  de  Casaubon  : 

A4 


N'oy.o 


5  54  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

dans  notre  Mémoire  sur  Alarimis,  le  texte  de  Zosime; 
desiui.   ]j  t-st  inutile  de  le  répéter  ici. 

On  voit,  par  le  peu  de  mots  que  nous  ont  conservés 
les  anciens,  cju'il  n'est  pas  lacile  d'établir  riiistoire  de 
Jotapianus.  Zosime  se  borne  à  parler  de  sa  rébellion  et 
de  sa  délaite.  Aurélius  Victor  nous  dit  quelque  chose 
de    plus  :  mais   les  termes  mômes   dont   il    se    sert    font 

naître  unç  obscurité  nouvelle  sur  l'oritrine  de  cet  usur- 
es 

pateur,  lorsqu'il  dit  (ju'il  se  i^lorifioit  d'être  issu  de  la  nice 
d  Alcxtindre;  ce  qui  peut  s'entendre  de  plusieurs  manières. 
On  a  généralement  pensé  jusqu'ici  que  cola  signifioit 
que  Jotapianus  appartenoit  à  la  famille  d'Alexandre  Sé- 
vère ;  mais  il  ne  paroît  pas  possible  qu'Alexandre  Sévère 
ait  pu  être  considéré  alors  comme  la  souche  d'une  fa- 
mille illustre  dont  il  fût  glorieux  de  descendre.  Les  mots 
dont  se  sert  Aurélius  Victor,  Alexdudri  tumcns  stirpe ,  sem- 
blent annoncer  des  prétentions  plus  élevées.  L'empereur 
Alexandre  est  ordinaireinent  désigné  par  le  prénom  de  Sé- 
vère. Il  étoit  le  premier  ou  tout  au  plus  le  second  de 
sa  race;  il  ne  comptoit  avant  lui  (ju  ^.iagabale  son  cou- 
sin   qui  eût  occupé  le  trône,  à  moins  qu'on  ne  le  com- 


Imp.  CtsAR  Jotapianus  Aug. 
Hic  Philippi  temjjoribus  imperhim  in 
Oritiite  occiipavit  :  ted,  statiin  pppres- 
sus ,  cuin  iinperio  vilain  simiil  ainisit  : 
tuctor  Zosiiitiis ,  apud  qiiein  scriben- 
dtiin  ctim  manu  exaratis  codicihiis , 
■ni  IvTUrTJffrs»  TOfUjajpr  If  ■nu  Tair  ihui 
a^;^r  :  et  inox  t¥  lu<-m-n<tti ,  non  au- 
Uin  Xlamatit  et  na^neui.  Aurtliiis 
eniin  Victor  lectionein  scripiam  fir- 
inat.  (  Isaaci  Casaiiboni  in  /tliuiii 
Spartianuni ,   Jiilium  Capicoiinum, 


&c. ,  Emendationes  ac  Notx,  Paris. 
Drouart ,  i6oj,  111-4.°,  pag.  447)- 
C'est  donc  Casaubon  qui  a  ,  le  pre- 
mier, rétabli  dans  Zosime  le  nom 
(le  Joi.ipien  ,  et  notre  médaille  con- 
firme pleinement  aujourd'hui  celte 
heureuse  conjecture.  Le  seul  manus- 
crit qui  existe  à  la  Bibliothèque  du 
Koi,etque  nous  avons  sous  les  yeux, 
porte  tffeciivemcnt  luTatrutir ,  et, 
plus   bas,  au  chap.  XXI,  Termati. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  555 
prenne  parmi  les  Antonins;  et  alors  Jotapiaiuis  auroit 
bien  plutôt  rattache  son  origine  à  ce  nom  si  cher  à  l'ar- 
mée, comme  l'avoient  fiîit  Caracalla,  Élagabale  et  Dia- 
duménien. 

On   pourroit   donc   conjecturer  qu'Aurélius   Victor  a 
voulu  dire  que  Jotapianus  se  prétendoit  issu  d'Alexandre 
roi  de  Macédoine;  et,  dans  ce  cas,  il  auroit  eu  quelque 
raison  de  s'enorgueillir.  Son  nom  indique  peut-être  qu'il 
descendoit  d'une  de  ces  princesses  appelées  Jotapé ,  dont     Dion  amius. 
Josèphe,  Dion  Cassais  et  les  médailles,   nous   ont  con-  dcRàmar.t.l, 
serve  la  mémoire.  Elles  étoient  de  la  famille  royale  de  ^'"5;5)i; ,  .^„,. 
Commaycne,  qui  prétendoit  appartenir  aux  Séleucides;  JuJ.ih.xvni, 

O  A*  '*  _  c.  VU. 

elles  pouvoient  donc  tenir  par  quelque  ancienne  alliance     H.iym,    7V- 
a  la  race  d  Alexandre-le-Urand.  tom.  i ,  p.  loS 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  cette  conjecture,  qui  '''^"^'i',/,  /V/r. 
se  trouve  autorisée  par  l'ambiguité  qu'on  remarque  dans  "'"«■  "■'•  '•  ni' 
le  texte  d'Aurélius»  Victor.  Ceux  qui  voudroient  plutôt 
reconnoître,  dans  le  passage  de  cet  auteur,  qu'il  est  ques- 
tion de  l'empereur  Alexandre  Sévère,  pourroient  s'ap- 
puyer aussi  sur  ce  que  ,  te  prince  étant  né  dans  la  ville 
d'Arce  en  Phénicie,  il  ne  seroit  pas  impossible  que  Jota- 
pianus, originaire  de  ces  contrées,  comme  l'indique  assez 
son  nom ,  descendît  de  la  même  famille  ,  d'autant  plus 
que  Julia Masa ,  a'ieule  d'Alexandre  Sévère,  Gessius  Mar- 
ciû/ius  son  père ,  Julia  Mammaa  sa  mère ,  sont  d'origine 
Syrienne,  et  que  leur  famille  a  pu  s'étendre  jusqu'à  Jota- 
pianus (i). 

Q,iioi  qu'il  en  soit,  il  paroît    certain  que  cet  usurpa- 


(i)  A  ces  conjectures  on  peut  en 
ajouter  une    troisième,  qui    n'a  de 


fondement  que  dans  le  nom  de  Jota- 
pianus que  portoit    ce  tyran.  Nous 
A*  ij 


5  56  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

teiir  se  revêtit  Je  la  pourpre  en  S\rie  :  mais  se  rcvolta- 
t-il  sous  Philippe  ou  sous  Trajan  Dèce  î  Zosime  dit 
que  cette  rébellion  eut  lieu  sous  le  premier  de  ces  em- 
pereurs, puisqu'il  la  place  à  la  inùne  c'poque  que  celle 
de  Marinus,  et  qu'il  nous  apprend,  comme  Zonare,  que 
ce  tyran  fut  mis  à  mort  du  vivant  de  Philippe,  tandis 
qu'Aurclius  Victor  semble  nous  dire  le  contraire.  Selon 
lui,  ce  lut  à  Trajan  Dcce,  successeur  de  Philippe,  qu'on 
apporta  à  Rome  la  tcte  du  rebelle  ;  ce  qui  feroit  supposer 
que  Jotapianus  se  révolta  vers  la  fin  du  règne  de  Phi- 
lippe, et  qu'il  fut  mis  à  mort  au  commencement  de 
celui  de  Trajan  Dcce.  Si  cet  Auguste  régna  trop  peu  de 
temps  pour  consolider  sa  puissance,  il  vécut  assez  pour 
la  consacrer  par  des  monumens  numismatiques.  C'étoit 
le  premier  soin  dont  s'occupoient  les  ambitieux  qui  par- 
venoient  au  trône,  et  qui  croyoient  sans  doute  donner 
par-là  une  sanction   plus  forte   à  leur^élévation. 

Cette  médaille  de  Jotapianus  est  en  billon,  c'est-à- 
dire,  en  argent  à  bas  litre,  comme  sont  toutes  les  mé- 
dailles de  ce  temps;  le  caractère  de  la  tcte  est  assez  bon; 
\e  style  n'en  est  pas  inférieur  à  celui  des  médailles  de 
Philippe  et  de  Trajan  Dèce  :  on  y  reconnoît  à  peu 
près    le  même  travail.   Elle    a  pour   légende,  d'un  côté: 

IMl'MFRIOTAPIANUSA  [  IMP.  M.  F.    U.  lOTAPIANLS.  A,  ]  :    tcte 

de  l'empereur  radiée  et   barbue. 

Les  trois  lettres  M  r  R  sont  sans  Joute  là  pour  les  inr- 


trouvons  un  autre  Alexandre,  ar- 
rière-petit -fils  d' Hé  rode  ,  roi  de 
Judée,  qui  obtint  de  Vcspa^icn  un 
petit  royaume  dans  un  canton  de  la 
Cilicie,   qu'on    appeloil    Lesis    ou 


Hcs'is.  Cet  Alexandre  avoit  ëpouié 
une  fille  du  roi  de  Commagènc, 
qui  se  nomnioit  Jotapé,  (Joséphc, 
Ant.  Jud.  XVIII,  7.) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.       557 

tiales  des  prcnoms  qu'avoit  Jotapianiis ,  comme  Marcus 
Fuhius  Rufus,  ou  tout  autre;  car  nous  n'avons  rien  qui 
puisse  nous  guider  dans  cette  explication.  Nous  remar- 
quons qu'après  le  mot  jotapianus  il  n'y  a  qu'un  A  pour 
indiquer  Augusîus ,  quoique  ce  mot  soit  ordinairement 
désiijné  sur  les  monnoies  par  les  lettres  aug.  Le  revers  est 
une  Victoire  tenant  de  la  main  droite  une  couronne 
et  dans  la  gauche  une  palme ,  avec  la  légende  Victoria 

AUG. 

Ce  type  indique  une  victoire  remportée  par  l'usurpa- 
teur sur  les  troupes  du  prince  légitime,  plutôt  que  sur 
les  ennemis  de  l'Empire.  L'artiste  qui  a  gravé  la  médaille 
n'étoit  probablement  pas  Romain;  car  il  s'y  trouve  une 
faute  que  n'auroit  sûrement  pas  faite  un  graveur  qui  eût 
connu  la  langue  Latine.  La  dernière  lettre  de  la  légende, 
qui  devoit  être  un  G,  est  un  epsilon  bien  formé  [G],  et  tel 
qu'il  étoit  en  usage  à  cette  époque  (t). 

La  légende  Victoria  aug.  [Victoria  Aiigiisti]  annonce 


(i)  Les  personnes  qui  n'ont  pas 
vu  la  médaille ,  pourroient  croire  que 
l'e  n'est  point  une  faute  de  l'artiste; 
que  la  k'gende  est  VICTORIA  AV., 
et  que  !'€  est  une  lettre  isolée^  ainsi 
qu'il  s'en  trouve  sur  certaines  mé- 
dailles (particulièrement  depuis  Phi- 
lippe), ou  Gomme  lettre  numérale, 
ou  comme  marque  monétaire;  mais 
il  nous  semble  ici  qu'elle  fait  par- 
tie de  la  légende.  La  manière  dont 
elle  est  placée,  ne  nous  permet  pas 
de  former  d'autres  conjectures.  Ces 
fautes  sont  assez  fréquentes  sur  les 
médailles  Latines  frappées  dans  les 
villes  Grecques.  Le  coin  de  la  mé- 


daille aura  ppiit-être  été  gravé  par 
un  artiste  Grec,  qui,  ne  connoissant 
pas  le  G,  se  sera  imaginé  qu'il  y  avoit 
erreur  dans  la  légende  qu'on  lui  don- 
noità  graver;  erreur  qu'il  aura  voulu 
corriger  lui-même  en  remplaçant  le 
G  par  la  lettre  Grecque  qui  a  le  plus 
de  ressemblance  avec  lui  {Vepsilon 
lunaire).  Cela  paroît  au  moins  vrai- 
semblable :  la  précipitation  avec  la- 
quelle ces  empereurs  d'un  moment 
se  hâtoient  de  produire  des  mon- 
noies à  leur  effigie,  ne  leur  laissoit 
pas  le  temps  de  donner  de  grands 
soins  à  leur  fabrication. 


5  5fi  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

qu'il  vouloit  rogner  seul,  et  qu'il  n'adinettoit  pas  nicme 
pour  son  collègue  à  l'empire  le  prince  reconnu  par  le 
sénat,  le  prince  en  possession  du  troue;  autrement  il  se 
seroit  servi  de  la  formule  ordinaire  :  Victoria  augg. 
/  VUiorui  Auguste  ru /Il  ] . 

Cette  médaille  appartient  à  M.  Rousseau,  consul  gciic- 
ral  à  Bagilad,  qui,  ayant  forme  en  Syrie  une  assez  riche 
collection,  nous  a  rapporté  l'image  d'un  tyran  dont  les 
monumens  étoicnt  entièrement  inconnus  (i).  Elle  est  d'au- 
tant plus  précieuse,  qu'elle  a  été  trouvée  sur  les  lieux 
mêmes  où  Jotapianus,  suivant  Zosime  et  Aurélius  Victor, 
s'est  emparé  du  pouvoir.  La  médaille  est  belle  ,  d'une  con- 
servation parfaite,  et  d'une  authenticité  incontestable.  Elle 
peut  figurer  avec  honneur  dans  [' Iconogwphie  Grccjue  et 
Latine  que  l'on  doit  aux  savantes  recherches  de  notre 
confrère  M.  \'isconti  (2). 

On  a  cru  long-temps,  et  c'étoit  l'avis  de  plusieurs  anti- 
quaires, que  Jotapianus  étoit  le  même  que  Pacatianus, 
et  que  Pacatianus  étoit  le  mcme  que  Marinus  qui  s'ctoit 
révolté   dans   la  Mésie.   On   s'appuyolt    sur  ce   qu'aucun 
historien  ne  parlant  de  Pacatianus,  dont  on  avoit  cepen- 
dant des  médailles,  on  devoit  croire  que  le  nom  àç  Jotapia- 
nus étoit  corrompu  dans  Aurélius  Victor  et  dans  Zosime, 
Sf>^nhfm.Dc  et  qu'il  falloit   lire   Pacatianus.  La  ressemblance  de  ces 
TJi!11!umnn.  Homs  paroissolt  donner  quelque  poids  à  ces  conjectures, 
li^yorum.i.  II.    „   j    „'o„t    cependant   pas     été   ai'néralcment   accueillies 

i\ig.  if.i  et  lài.      1  II'-' 

i:ckhel,    D*c-        (1)  Outre   la  médaille  de  Jota 

Irina    numariim     _;.  .       -  . 

rfUmm  ,  t.  l 'II. 


Voy.  Cl  Jtssu 


iriHu    num»r„m    pj^^u,^   [g   collection    qu'a   formée 


M.  Rousseau ,  contient  plusieurs 
pièces  importantes,  parmi  lesquelles 
on  distingue  une  belle  suite  de  mé- 


daillons des  rois  de  Syrie,  des  mé- 
dailles inédiies  des  rois  Parthes,des 
rois  Sassanidcs,  <5(c. 

(2)  Cette  médaille  a  été  acquise 
depuis  pour  la  collection  du  Roi. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      559 

La  médaille  que  nous  publions  détruit  toutes  celles  que 
l'on  a  formées ,  et  achève  de  prouver  que  ces  trois  usur- 
pateurs sont  trois  personnages  différens;  elle  laisse  espé- 
rer aussi  qu'on  pourra  trouver  un  jour  quelque  monu- 
ment qui  attestera  le  règne  de  Marinus  de  la  Mcsie, 
comme  nous  en  avons  déjà  qui  attestent  celui  de  Paca- 
tianus  et  de  Jotapianus. 

On  peut  consulter  ce  qui  a  été  écrit  à  ce  sujet  par 
Baudelot  de  Dairval,  Galland,  le  P.  Chamillart,  Span- 
heim,  Banduri,  Eckhel,  &:c. 


MlAUMmS  HE  L'ACADOIIE 


EXAMEN    CRITIQUE 

DES    HISTORIENS 

QUI    ONT    PARLÉ    DU    DIFFÉRENT   SURVENU,    l'A  N    I  141  , 

entre  le  roi  lo  u  i  s-l  e- j  e  u  n  e  et  le  pape  innocent  ii. 
Par    m.    BRIAI. 


Lu'ciiDé-   \_)eux  choses  donnèrent  lieu  à  ce  Jîffcrent,  qui  dura 

'  embre  1311.  .  i.i.  .  rr»-  11!^ 

pendant  quatre  ans:  1  ordination  de  Pierre  de  la  Châtre, 
archevêque  de  Bourges,  faite  par  Innocent,  sans  le  con- 
sentement ou  contre  le  grc  du  roi  de  France  ;  et  l'excom- 
munication lancée  contre  Raoul  comte  de  Vermandois, 
scnc'chalde  France  ,  pour  avoir  répudie  sa  première  femme 
et  avoir  <5pousc  une  sœur  de  la  reine.  II  ctoii  difficile 
d'écrire  sur  ces  deux  événemens,  pendant  qu'ils  se  pas- 
soient,  sans  blesser  ou  le  roi  ou  le  pape  :  aussi,  ou  les 
auteurs  contemporains  n'en  parlent  pas  du  tout  ,  ou  ce 
qu'ils  en  disent  est   presque   insignifiant. 

L'abbé  Suger,  qui  a  fait  l'Histoire  des  premières  an- 
nées du  rcgnt-  de  Louis  le  Jeune,  cl  qui,  initux  que 
tout  autre,  pouvoit  nous  instruire  des  circonstances  d'une 
affaire  à  laquelle  il  eut  tant  de  part  comme  conseiller 
intime  du  souverain,  connoissant  parfaitement  les  droits 
du  roi  et  les  motifs  qui  le  faisoient  agir  ,   ne  dit  pas  un 

mot 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      ^6\ 

mot  de  ce  différent.  C'est  sa  méthode  de  passer  sous  si- 
Jence  tous  les  évcnemens  dans  lesquels  les  rois  ont  eu 
quelque  tort  ,  ou  qui  ont  tourne  à  leur  désavantage. 
C'est  ainsi  que,  dans  l'Histoire  de  Louis-le-Gros,  il  ne 
parle  pas  du  tout  des  tentatives  infructueuses  que  fît  ce 
prince  pour  empêcher  la  dissolution  du  mariage  de  Guil- 
laume Cliton  ,  fils  de  Robert  duc  de  Normandie,  avec 
une  fille  du  comte  d'Anjou  ,  mariage  qu'il  étoit  de  la 
politique  de  la  France  de  maintenir  contre  les  préten- 
tions du  roi  d'Angleterre,  et  où  il  échoua,  comme  je 
l'ai  expliqué  dans  un  autre  Mémoire.  C'est  par  la  même 
raison  qu'il  ne  dit  rien  non  plus  du  différent  qu'eut  Louis- 
le-Gros  avec  Etienne  évêque  de  Paris  et  Henri  arche- 
vêque de  Sens,  dans  lequel  ce  monarque,  séduit  par  les 
intrigues  de  son  sénéchal  Etienne  de  Garlande,  eut  peut- 
être  quelques  torts,  et  fut  obligé  de  céder. 

Parmi  les  auteurs  contemporains  qui  ont  parlé  du  dif-  Duchcsi.e,Sirip 
férent  de  Louis-le-Jeune  avec  le  pape  Innocent,  il  faut  'iv^nTlsl"" 
compter  l'auteur  anonyme  de  la  chronique  de  Morigni 
près  d'Etampes.  Il  n'en  parle  ,  et  encore  très-succincte- 
ment ,  que  pour  dire  que  Macaire  ,  son  abbé  ,  neveu 
d'AlberJc,  cardinal  cvêque  d'Ostie ,  fut  envoyé  à  Rome 
pendant  les  débats  ,  afin  de  travailler  à  un  accommode- 
ment; qu'avec  la  protection  des  cardinaux  il  obtint  plu- 
sieurs des  demandes  du  roi  ,  mais  qu'il  échoua  dans  la 
principale  ,  qui  étoit  la  destitution  de  l'archevêque  de 
Bourges  :  car  il  ne  parle  pas  du  tout  du  mariage  du 
comte  Raoul  avec  une  sœur  de  la  reine. 

Hérimanne  ,    abbé   de  Saint-Martin   de  Tournai  ,   est      V"'/  ''"/•''■ 

,  tom.    Il,     iiHin. 

encore  un  auteur  contemporain;  mais  celuj-ci  n  est  amené  n^. 
Tome  VI.  B  + 


5^2  MEMOIRES  DE  [.ACADEMIE 

à  parler  de  ce  dilTcrent  que  pour  dire  que  le  cierge  de 
Tournai  ,  voulant  se  sou>^traire  à  la  juridiction  de  l'cvcque 
de  Novon  ,  et  faire  rétablir  dans  sa  ville  le  siège  épis- 
copal  ,  saisit  cette  occasion  de  renouveler  sa  demande  à 
Rome  ,  parce  que  l'evèque  de  Noyon  avoit  encouru  la 
disgrâce  du  pape  et  avoit  été  frappé  d'interdit  pour  avoir 
coopéré  par  son  suflVage  à  la  dissolution  ilu  premier 
mariage  de  son  frère  le  comte  de  Vermandois  ;  circons- 
tance que  le  clergé  de  Tournai  croyoit  favorable  pour  ob- 
tenir la  demande  qu'il  avoit  déjà  formée  plusieurs  fois. 

Nous  avons  ensuite  la  tourbe  des  cbroniqueurs  ,  qui 
ne  disent  guère  autre  chose  si  ce  n'est  qu'en  telle  année 
il  y  eut  un  différent  entre  le  roi  et  le  pape  ,  entre  le 
comte  de  Champagne  et  le  roi.  Nous  ne  saurions  donc 
rien  ou  presque  rien  sur  cette  affaire,  si  l'on  ne  nous 
eût  conservé  les  lettres  de  S.Bernard,  partisan  déclaré  du 
pape  et  du  comte  de  Champagne;  car  on  voit,  par  les 
lettres  mêmes  de  S.  Bernard  ,  que  l'abbé  Suger  ,  et 
Joslin  ,  évèque  de  Soissons,  écrivent  pour  la  défense  ifu 
roi  :  mais,  comme  dans  ce  temps-là  on  craignoit  plus  d'of- 
fenser le  pape  que  le  roi ,  leurs  lettres  n'ont  pas  été  con- 
servées. Nous  sommes  donc  réduits  à  ne  connoître  cette 
affaire  que  par  le  rapport  d'une  des  parties.  Il  faut  par 
conséquent  nous  borner  à  examiner  et  discuter  les  lettres 
de  S.  Bernard,  pour  savoir  cjui  du  pape  ou  du  roi  étoit 
le  mieux  fondé  dans  ses  prétentions.  Mais  auparavant 
il  faut  recueillir  les  faits  et  les  classer  dans  l'ordre  des 
temps. 

lliibaud  comte  de  Champagne,  surnommé  If  Griind 
ou  ï Ancien ,  pour  le  distinguer  de  son  fils,  de  incarne  nom, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  565 
n'étant  encore  que  comte  de  Blois  et  de  Chartres ,  s'ctoit 
toujours  montre  partisan  des  rois  Normands  d'Angleterre, 
desquels  il  descendoit  par  sa  mère  ,  et  avoit  favorisé  de 
tout  son  pouvoir  les  projets  d'envahissement  de  Henri  \." 
sur  la  France;  il  avoit  même  joint  ses  armes  à  celles  de 
son  oncle  contre  son  suzerain.  Parvenu,  l'an  1125  ,  au 
comté  de  Champagne  par  la  cession  que  lui  fit,  en  em- 
brassant la  religion  des  Templiers,  son  oncle  paternel  le 
comte  Hugues,  au  préjudice  de  son  propre  fils  qu'il  dé- 
savouoit  ,   Thibaud   étoit    devenu  en    France  une   puis-     Chrc.  di  F,- 

,       C  •  •  '■      Bouquet,  t.  Ail. 

sance  prépondérante.  Requis  de  rournu"  son  contingent  a  p„g.,,6. 
l'armée  que  le  roi  levoit ,  l'an  ii4i,  pour  revendiquer  .^j^lj'-^T"''''''' 
les  droits  de  la  reine  Éléonore  sur  le  comté  de  Tou- 
louse ,  Thibaud  ne  tint  aucun  compte  de  la  semonce  , 
et  vraisemblablement  fit  manquer  l'expédition ,  qui  n'eut 
aucun  résultat.  C'est  le  premier  grief  du  roi  contre  le 
comte. 

Dans  le  même  temps  arriva  la  brouillerie  avec  le  pape, 
au  sujet  de  l'élection  d'un  archevêque  à  Bourges;  et,  dans 
cette  contestation,  le  comte  de  Champagne  eut  encore  le 
tort  de  prendre  parti  contre  son  roi.  A  cette  époque,  Thibaud 
faisoit  profession  d'une  piété  exemplaire;  on  ne  parloit 
que  de  ses  bonnes  œuvres,  de  ses  aumônes,  et  du  bien 
qu'il  faisoit  aux  églises  et  aux  monastères.  Alanquant  d'ins- 
truction i  de  l'aveu  même  de  ses  panégyristes,  et  se  laissant 
conduire  par  des  gens  plus  dévots  que  publicistes,  jus- 
que-là, dit  le  P.  Daniel,  que  ses  ennemis  àppeloient  les 
moines  et  les  convers  ses  soldats  et  son  artillerie ,  il  fut 
aisé  de  faire  entendre  à  un  prince  aussi  religieux,  que  se 
ranger  du  côté  du  pape ,  c'étoit  servir  la  cause  de  Dieu 


j64  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

ei  de  son  ciilise  :  mais,  comme  nous  le  verrons,  il  lut  la 

victime  de  son  zile  inconsidcrc. 

Continuons  l'examen  des  faits, et  voyons  ce  qui  se  pas- 
soit  à  l'élection  d'un  archevêque  de  Bourges.  Les  suffrages 
furent  partages  entre  le  chancelier  de  Louis  \\\  ,  nomme 
Ciulurquc  ,  et  Pierre  de  la  Châtre  ,  cousin  du  cardinal 
Haimeric  ,  chancelier  de  l'église  Romaine.  Cadurque  , 
selon  la  chronique  de  Morigni  la  plus  ancienne  auto- 
rité que  nous  ayons,  eut  l'agrément  du  roi.  Elle  ne  dit 
pas  que  le  roi  l'eût  désigné  ou  recommandé  ;  elle  liit 
Svicit.  iH-foL  simplement  que  le  roi  avoit  approuvé  ce  choix,  tissciitie/ite 
''■*■  rege.  Guillaume  de  Nangis  ajoute  que  le  roi  avoit  laissé 
une  entière  liberté  aux  électeurs,  ne  donnant  d'exclusion 
qu'à  Pierre  de  la  Châtre.  Cette  circonstance  n'est  appuyée 
que  sur  le  témoignage  d'un  auteur  postérieur  à  l'événe- 
ment de  plus  de  cent  ans.  Si  on  veut  l'admettre  ,  il  faut 
la  rapporter  à  une  autre  époque  ,  c'est-à-dire  ,  à  l'année 
suivante,  lorsqu'il  fut  question  d'un  accommodement, 
le  roi  consentant  alors,  comme  je  le  dirai  ci -après, 
qu'il  fût  fait  une  nouvelle  élection  ,  mais  à  l'exclusion  de 
Pierre  de  la  Châtre,  qui  ,  ayant  méconnu  la  prérogative 
royale,  méritoit  cette  exclusion  :  car,  dans  la  première 
élection,  le  roi  n'avoit  sans  doute  pas  prévu  que  les  suf- 
frages se  porteroicnt  sur  la  Châtre,  et  rien  ne  prouve 
qu'il  eût  contre  lui  aucune  animosité  personnelle. 

La  Châtre,  se  voyant  rejeté  par  le  roi  ,  eut  recours  à 
Rome,  où  il  avoit  des  protecteurs.  Sa  cause,  appuyée  du 
crédit  du  chancelier  Haimeric  ,  fut  trouvée  bonne.  Le 
pape,  de  sa  pleine  autorité,  le  renvoya  à  Bourges  après 
l'avoir  sacré,   et  pronon^T  contre  Cadurque  la  privation 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      565 

de  tout  bcncfite  ecclésiastique.  C'est  ainsi  que  raconte 
la  chose  i'anonyme  de  Morigni.  Guillaume  de  Nangis 
ajoute  que  le  pape  accompagna  sa  décision  d'un  propos 
offensant  pour  le  roi ,  disant  que  c'étoit  un  jeune  prince 
qu'il  falloit  instruire  ,  afin  qu'il  apprît  de  bonne  heure 
à  ne  pas  se  mêler  des  affaires  de  l'église  :  Dicente  régent 
puerum  instrueuduni  et  cohibeniliim  ,  ne  îalïhus  assuescat.  Ce 
propos  indiscret  attribué  au  pape  auroit  besoin  d'un 
meilleur  garant  qu'un  auteur  du  xiii.'^  siècle  ;  ou  du  moins 
il  laudroit  le  rapporter  à  un  temps  où  la  querelle  fut 
plus  envenimée.  Nangis  a  rapporté  sous  une  seule  année 
tout  ce  qu'il  savoit  sur  cette  affaire  ,  qui  a  duré  quatre 
ans. 

Quoi  qu'il  en  soit  ,  ce  n'étoit  pas  la  première  fois  que 
le  droit  du  roi,  de  confirmer  les  élections  des  évêques , 
étoit  contesté  à  Rome.  Conformément  aux  décrets  des 
papes  Grégoire  VII ,  Urbain  II  et  Paschal  II  ,  qui  dé- 
fendoient  de  recevoir  l'investiture  des  mains  des  laïcs  , 
Raoul-le-Vert  avoit  été  sacré  archevêque  de  Reims,  sans 
avoir  rempli  envers  le  roi  les  devoirs  auxquels  les  arche- 
vêques ses  prédécesseurs  avoient  été  astreints.  Louis-le- 
Gros  s'opposa  fortement  à  ce  qu'il  entrât  en  possession 
de  son  siège;  et,  quoique  le  pape  Paschal  eût  mis  l'in- 
terdit sur  la  ville  ,  Raoul  ne  put  être  mis  en  possession 
qu'en  faisant  au  roi  l'hommage  que  les  constitutions  pa- 
pales avoient  défendu.  Il  est  bon  de  rappeler  sur  cela  la 
lettre  d'Ives  de  Chartres  ,  dans  laquelle  il  rend  compte 
au  pape  de  ce  qui  s'étoit  passé  :  «Après  bien  des  instances,  honis  q<.  ,p,, 
>•  dit-il,  le  roi  consentit  à  remettre  à  son  conseil  la  dé- 
"  cision  de  cette  affaire  ;  mais  il  n'a  pas  été  possible  de 


/.••'.  / 


j66  MK.MOIRtS  DL  LACADliMIE 

»  lien  obtenir  de  la  cour,  à  moins  c|iie  l'archevcque  ne 
"  prctâl  entre  les  mains  du  roi  I  hommage  cjiii  iaisoit  le 
"  bujet  de  la  contestation.»  Sed,  recLiiiuinte  curiJ .  plena- 
rmin  piiceni  impetrare  nequivimus ,  tiisi  pradutus  ntctropoH- 
tiiiius  per  iiuiimm  et  sacriimciitum  ctiiii  fuiilitatem  re^i  jaceret 
quant  pradcccssor'ibus  suis  rcgibus  Fraiicorum  lUiteu  jecenint 
omiics  Remeiises  iircliicpiscopi  et  cetcri  rcgni  Francorum  qiuwi- 
libct  re/ii^iosi  et  Siiiieti  episcopi. 

Ce  droit,  Loiiis-le-Jeune  l'avoit  trouve  établi  en  mon- 
tant sur  le  trône.  11  avoit  été  reconnu  même  par  S.  Bernard, 
trois  ans  avant  que  le  pape  Innocent  il  élevât  la  contesta- 
■n  ''mtr.<^  tlon  relative  à  l'arcbevèque  de  Bourges.  L'an  i  i  3S  ,  un 
moine  de  Cliini  avoit  été  élu  canoniquement  pour  remplir 
le  siège  de  Langres  ;  il  avoit  pour  lui  le  vcvu  du  clergé  et  du 
peuple,  l'assentiment  ilu  métropolitain,  et  il  avoit  été  pré- 
senté par  ses  électeurs  mêmes  au  roi ,  qui  ,  approuvant  tout 
ce  qui  avoit  été  lait  à  Langres,  avoit  investi  le  nouvel  évéque 
des  rc'gales ,  au  milieu  d'une  cour  solennelle  qu'il  tenoit 
au  Puy  en  Vêlai  ,  sans  que  personne  formât  la  moindre 
opposition  à  un  choix  si  unanime.  L'abbé  de  Clairvaux 
ctoit  alors  en  Italie  ,  ou  en  chemin  pour  revenir  en 
France.  A  son  arrivée,  il  trouva  que  tout  étoit  prêt  pour 
la  consécration  de  l'évéque  de  Langres  ;  ce  qui  prouve 
qu'elle  navoit  pas  précédé  le  consentement  du  roi  ,  et 
qu'il  n'y  avoit  pas  encore  de  loi  ecclésiastique  qui  pres- 
crivit l'usage  contraire.  S.  Bernard  n'approuvoit  pas  le 
choix  qu'on  avoit  fait  ;  il  réussit  d'abord  a  suspendre  le 
sacre,  à  l'aide  d'une  diri'amation  qu'on  se  permit  contre 
la  personne  de  celui  qui  devoit  ctre  sacré.  Ce  moyen 
n'ayant   point   réussi  au   gré   de   quelques   dissidens  ,  et 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  567 
voyant  qu'cm  alloit  consommer  l'affaire  ,  qui  en  effet  fut 
consommée  ,  il  fit  interjeter  appel  en  cour  de  Rome  ,  pré- 
tendant qu'on  lui  avoit  promis,  sous  la  garantie  du  pape 
et  du  chancelier  Haimeric ,  qu'on  ne  lui  donneroit  pour 
évêque  diocésain  qu'une  personne  qui  lui  fût  agréable  ; 
faisant  valoir  d'ailleurs  les  services  qu'il  avoit  rendus  à 
l'église  de  Rome,  et  les  fatigues  qu'il  venoit  d'essuyer 
pour  ramener  au  pape  Innocent  les  partisans  de  l'anti- 
pape Anaclet  :  sur  quoi  l'on  peut  voir  les  lettres  qu'il  Bcm.  <y-.  164, 
écrivit  au  pape,  aux  cardinaux,  et  a  plusieurs  membres  ,^s 
du  chapitre  de  Lyon. 

Il  obtint  facilement  du  pape  ce  qu'il  desiroit  ;  l'évêque 
de  Langres,  élu,  sacré,  installé,  fut  destitué,  et  le  prieur 
de  Clairvaux ,  parent  de  S.  Bernard,  mis  à  sa  place.  Il 
ne  restoit  plus  qu'à  faire  revenir  le  roi  sur  ses  pas  ,  et 
à  lui  faire  approuver  le  nouveau  choix.  L'abbé  de  Clair- 
vaux  se  fit  fort  de  vaincre  cet  obstacle  ;  il  écrivit  au  mo-  Bem.  y.  ijo. 
narque  une  lettre  très-soumise,  très-respectueuse:  il  se 
garda  bien  de  lui  contester  son  droit  de  confirmation  et 
d'investiture  ;  il  s'y  prit  plus  adroitement.  li  n'avoit  con- 
tribué en  rien,  disoit-il,  à  l'élection  du  prieur  de  son 
monastère  ;  il  ne  pouvoit  que  gémir  de  se  voir  privé  de 
son  bras  droit ,  d'un  homme  qui  lui  étoit  si  nécessaire 
pour  le  gouvernement  de  sa  maison  :  mais ,  résigné  à  la 
volonté  de  Dieu,  qui  s'étoit  manifestée,  il  n'osoit  s'y  op- 
poser; il  faisoit  sans  répugnance  le  sacrifice  de  tous  les 
avantages  qu'il  perdoit.  «  Mais  vous,  ôroi ,  opposerez-vous 
>'  votre  volonté  à  celle  duTout-puissant,  qui  est  redoutable 
»  même  aux  rois  de  la  terre!  Le  commencement  de  votre 
»  règne  a  été  si  heureux  I   il-  nous  a  fait  concevoir  de  si 


568  MÉMOIRES  DE  LACADl.MIE 

hautes  espcrnnces  !  Sera-t-il  dit  que  nous  aurons  été 
frustres  de  tant  de  biens  que  nous  avons  recueillis  de 
votre  bon  naturel  et  de  la  protection  que  jusqu'ici  vous 
avez  accordée  aux  églises!  Si  cela  arrivoit  ,  je  inour- 
rois  de  douleur  de  voir  un  roi  dont  tout  le  monde  dit 
du  bien  et  qui  en  promet  encore  davantage,  s'oppo- 
ser aux  desseins  de  la  Providence,  provoquer  la  colère 
du  souverain  juge,  auprès  duquel  ont  tant  de  pouvoir 
les  larmes  des  peuples  prives  de  pasteurs,  les  cris  des 
malheureux  et  les  prières  des  saints.  Non  ,  il  n'en 
sera  pas  ainsi  :  Dieu  ,  dans  sa  miséricorde,  ne  permettra 
pas  que  celui  qui  juscju  ici  a  causé  tant  de  joie  à  son 
église  ,  en  devienne  le  fléau  :  il  nous  a  donné  un  bon 
prince,  il  nous  le  conservera  tel  ;  et,  s'il  manque  en- 
core quelque  chose  à  sa  perfection  ,  il  comblera  à  son 
égard  la  mesure  de  ses  dons.  Ce  sont  ,  dit  -  il  ,  les 
vœux  et  les  prières  que  forment  pour  vous,  nuit  et 
jour,  les  moines  de  Clairvaux.  Soyez-en  bien  persuadé, 
prince:  leur  conduite  ne  se  démentira  pas,  et  ils  ne 
feront  jamais  rien  qui  porte  atteinte  à  la  dignité  et  au 
bien  de  votre  royaume.  » 
Après  ce  début,  comme  le  roi  avoit  déjà  fait  espérer 
une  réponse  favorable  au  nouvel  élu,  s'il  pouvoit  la  faire 
sans  compromettre  l'honneur  et  la  dignité  du  trône,  l'abbé 
de  Clairvaux  trouvant  que  cette  réponse  tardoit  trop  à 
venir  :  <<  Vous  avez  raison  ,  dit -il  en  terminant  sa  lettre, 
"  de  craindre  d'avilir  la  prérogative  royale;  mais  le  pays 
•»  de  Langres  vous  appartient,  et  c'est  1  avilir  que  de 
»  le  laisser  sans  défenseur.  »  Terra  vcstra  est  ,  et  in  hoc 
plané  cogfiosiimus  et  dolemtis  Jedccus  regiii  vestri  .   ijuod  vos 

jurt 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      569 

jure  abliorrere  mancîaslis ,  si  .non  fuerit  qui  defendaî,  «'  Car 
»  enfin  ,  ajoute-t-il ,  quel  préjudice  a-t-on  porté  à  la  ma- 
»  jesté  royale  en  procédant  à  une  nouvelle  élection?  Elle 
»  a  été  faite  dans  toutes  les  règles;  le  sujet  élu  est  votre 
»  fidèle  et  dévoué  serviteur  ;  et  il  ne  seroit  pas  tel ,  s'il  pré- 
»  tendoit  jouir  d'une  chose  qui  est  à  vous,  autrement  que 
>'  par  vous.  Il  n'a  pas  encore  touché  à  vos  propriétés  ;  il  n'a 
»  pas  mis  le  pied  dans  la  ville  qmi  lui  est  destinée;  il  n'a 
"  encore  exercé  aucune  fonction,  quoiqu'il  ait  été  souvent 
»  invité,  pressé,  sollicité,  parle  clergé  et  parle  peuple,  de 
»  venir  au  secours  des  opprimés,  et  de  satisfaire  aux  désirs 
»  empressés  des  gens  de  bien.  Cela  étant,  il  est  instant, 
»  comme  vous  le  voyez,  de  prendre  sans  retard  une  dé- 
»  termination  conforme  à  votre  honneur  et  à  nos  be- 
»  soins.  Si  vous  tardez  plus  long -temps  à  satisfaire  les 
»  justes  désirs  d'un  peuple  qui  est  à  vous,  vous  courrez 
»  risque  (ce  qu'à  Dieu  ne  plaise!)  d'aliéner  des  coeurs 
»  qui  vous  sont  entièrement  dévoués  par  principe  de 
»  religion  ,  et  de  voir  dépérir  les  régales  de  votre  iéglise , 
»  faute  de  surveillant.  » 

C'étoit  reconnoître  bien  formellement  le  droit  qu'avoit 
le  roi  d'admettre  la  personne  élue,  s'il  l'agréoit ,  ou  de  la 
rejeter,  si  elle  lui  étoit  désagréable.  Nous  verrons  bientôt 
le  saint  abbé  tenir  un  langage  tout  différent  ,  et  traiter 
de  serment  digne  d'Hérode  celui  que  Louis-le-Jeune  avoit 
fait  de  ne  jamais  souffrir  que  Pierre  de  la  Châtre  fût 
reconnu  comme  archevêque  de  Bourges, 

Pendant  que  S.  Bernard  supplioit  le  roi  avec  tant 
de  modestie  de  consentir  à  l'élection  faite  par  l'église 
de  Langres  dans  la  personne  de  Godefroi  son  prieur , 
Tome  VI.  C  * 


5-0  Mi.MOiRLS  DE  i;acai3i:.\ih: 

Innocent  II,  de  son  côté,   écrivoit   au   même  prince  sur 
un  autre  ton,  et  sur  une  autre  atiaire  qui  n'est  pas  étran- 
gère au  sujet  que  je  traite  ,  quoiqu'elle  concerne  l'église 
de  Reims:  car,  dans  la  lettre  précédente,  S.Bernard  s'in- 
téressoit  aussi  à  l'état  déplorable  de  cette  église.  Après  avoir 
rappelé  au  roi  qu'il  étoit,  pour  ainsi  dire,  l'ouvrage  de  ses 
mains,  parce  qu'il  l'avoit  sacre  du  vivant  du  roi  son  père, 
le   pape  lui   représente  qu'en  sa  qualité  de  consécrateur 
il  est  autant  afiligé  de  le  voir  commettre  des  choses  ré- 
préhcnsibles,  qu'il  a  de  joie  d'apprendre  qu'il  se  conduit 
bien  ,  et  que  la  prospérité  couronne  son  administration. 
Balkz.Miscell.  Entrant  aussitôt  en   matière  :   «  C'est  avilir,    dit  -  il  ,    la 
r^.f.f.^ro.     ^^  dignité  royale,   de  se  livrer,  comme  vous  faites,  aux 
»  emportemens  de  la  colère  ,  et  de  proférer  dans  cet  état 
»  des  paroles  malhonnêtes  ou  des  juremens  :  vous  feriez 
»  mieux  de  retenir  votre  langue,  et  d'examiner  sérieu- 
■>  sèment,   avant  de  parler  ou  d'agir,    quel   pourra   être 
»  le  résultat  de    vos   entreprises.    Sachez  qu'attaquer  la 
»  sflùite  mère  Église  Romaine,  ou  «.hercher  à  rabaisser  sa 
»  dignité,  c'est  faire  la  guerre  au    ciel  et  s'attirer   l'imli- 
».  gnationdu  Très-haut.  Cependant,  comme  j'ai  pour  votre 
»  personne  une   charité  sincère   et  une  affection  pater- 
»  nelle,  j'accorde  la  demande  que  vous  me  fuites;  et,  par 
»  compassion  pour  la  célèbre  église  de  Reims,  je  permets 
»  qu'on  procède  à  l'élection   d'un  archevêque  ,   à  condi- 
»  tion  qu'on  choisira  une  personne  honnête  et  qui  ne  soit 
«  pas  déjà  pourvue  d'un  évêché,  après  toutefois  avoir  pris 
»  l'avis  de  plusieurs  évêques  (qu'il  nomme),  et  à  condition 
'.  (lue   le   roi  dissipera   les    associations   appelées  comptt- 
»  gnies ,  qui  s'ctoient  formées  à  Reims  pendant  la  vacance 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  571 
»  Ju  siège  ;  qu'ii  rendra  à  l'église  et  à  la  cité  les  libertés 
»  ou  franchises  dont  elles  jouissoient  auparavant,  et  qu'il 
»  obligera  les  habitans  à  réparer  les  dommages  qu'ils 
»  avoient  causés  aux  églises  et  aux  ecclésiastiques.  » 

Cette  lettre  n'expliquant  pas  en  quoi  le  roi  avoit  porté 
atteinte  à  la  dignité  de  l'église  Romaine,  et  les  historiens 
ne  nous  apprenant  rien  sur  ce  qui  s'étoit  passé  à  Reims 
pendant  la  vacance  du  siège  épiscopal ,  cette  lettre,  dis-je, 
pour  être  entendue ,  a  besoin  d'un  commentaire.  Elle 
est  sans  date;  mais  le  pape,  en  parlant  de  l'archevêque 
Renaud ,  dit  que  ce  prélat  étoit  mort  tout  récemment  , 
nuper  defitiicti.  Or,  Renaud  de  Martigné  étant  mort  le  13 
ou  I  4  janvier  i  i  3  8  ,  selon  tous  les  chroniqueurs  et  selon 
l'épitaphe  du  prélat,  il  s'ensuit  que  la  lettre  du  pape  est 
de  la  fin  de  cette  année,  ou  du  commencement  de  la  sui- 
vante. C'étoit  précisément  l'époque  à  laquelle  S.  Bernard 
travailloit  à  faire  agréer  par  le  roi  l'élection  du  prieur 
de  son  monastère  à  l'évêché  de  Langres.  Ainsi  les  repro- 
ches que  le  pape  adresse  à  Louis-le-Jeune,  se  rapportent 
à  ce  qui  se  passoit  alors  ou  à  Langres  ou  à  Reims,  ou 
peut-être  à  l'une  et  à  l'autre  ville. 

Q^Liant  à  ce  qui  se  passoit  à  Reims,  nous  savons  qu'a- 
près la  mort  de  Renaud  de  Martigné  ,  le  roi  établit  à 
Reims  une  commune  à  l'instar  de  celle  de  Laon ,  et  que 
les  habitans  ,  abusant  du  privilège,  commirent  des  vexa- 
tions contre  le  clergé  de  la  cathédrale,  leur  seigneur  tem- 
porel. Le  roi  essaya  de  faire  cesser  le  désordre  par  la  voie 
de  la  persuasion.  Nous  avons  deux  lettres  qu'il  écrivit  au 
maire  et  à  la  commune  de  Reims.  Dans  la  première,  il  M.,riot.  ihs,. 
leur  dit  :  «  Vous  savez  que ,  lorsqu'à  vos  instantes  prières  P'ë-  P<'- 


572  MFMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

»  nous  vous  avons  accorde  une  commune  semblable  à 
'»  celle  de  la  ville  de  Laon ,  sauf  les  droits  et  coutumes 
'»  de  i'archevcchc  et  des  églises  ,  nous  l'avons  fait  dans 
"  de  bonnes  intentions  et  uniquement  pour  votre  avan- 
»  tage,  mais  non  au  dctriment  des  églises  et  de  nous- 
w  mêmes  ,  ne  prévoyant  pas  qu'elle  tourneroit  à  notre 
»  déshonneur.  Mais  vous,  allant  au-delà  de  la  concession 
»  qui  vous  a  été  faite,  vous  prétendez  que  les  droits  des 
'»  églises  ne  sont  pas  des  droits;  (jiie  les  coutumes  an- 
>•  ciennes  ne  sont  pas  des  coutumes  ;  et  ,  sans  autre 
»  explication,  vous  refusez  de  les  reconnoître.  Sur  cela, 
»  nous  mandons  et  ordonnons  à  votre  fidélité  et  nous 
"  voulons  bien  vous  prier  de  ne  pas  toucher  aux  droits 
'•  de  l'église  île  Sainte -Marie  et  des  autres  églises  ,  et 
"  sur-tout  à  ceux  de  la  vénérable  et  très-sainte  église 
"  de  S.  Rémi  ;  de  les  laisser  jouir  en  paix  des  coutumes 
>•  qui  existent  depuis  cent  ans  ;  de  n'élever  sur  cela 
»  aucune  contestation  ,  et  de  vous  conduire  avec  moins 
»  de  dureté  envers  les  églises  :  sans  quoi  nous  serons 
»  obligés  d'écouter  leurs  plaintes,  et  de  leur  rendre  la 
»  justice  à  laquelle  nous  ne  devons  ni  ne  pouvons  nous 
"  refuser,  » 

MjiIoi.  iii,  L'autre  lettre  porte  :  «  Nous  ne  pouvons  voir  sans  dou- 

Rfm.  I.  II.  p.,g  »  j      r  •  ' 

;.-.  ••  leur  que   vous  vous  permettez  de   taire  ce   qu  aucune 

•>  autre  commune  n'a  encore  fait  ;  que  vous  ne  vous  con- 

»  formez  nullement  à  la  commune  de  Laon  ,  qui  vous  a 

»  été  donnée  pour  modèle  ;  que  vous  laites  précisément 

"  ce  que  nous   vous  avons  défendu  de  laire,  en   incor- 

■•  porant  à  votre  commune  les  paroisses  foraines  [villas 

»  extriiisecas] ,   en    refusant    aux    églises    les    redevances 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      573 
coutumières  dont  elles  sont  en  possession  depuis  plu- 
sieurs siècles  ,  défendant,  au  nom  et  par  l'autorité  de  votre 
commune,  aux  sujets  qui  en  sont  grevés,  de  les  acquit- 
ter. Vous  n'épargnez  pas  mcme  les  églises,  et  sur-tout 
celle  de  Sainte-Marie,  qui  est  actuellement  entre  nos 
mains  et  qui  n'a  pas  d'autre  défenseur  que  nous  »  (  ce 
qui   prouve  que   le  siège  épiscopal   étoit  vacant   alors), 
leur  étant  entièrement  ou  diminuant  considérablement 
leurs  droits,  leurs  libertés  et  leurs  coutumes  ;  rançon- 
nant les  serviteurs  des  chanoines,  qui  jouissent  de   la 
même  franchise  que  leurs  maîtres,  ou  les  appréhendant 
au   corps  ,  ce  qui   fait  que  plusieurs   n'osent  sortir  de 
l'enceinte  du    cloître.  Nous  vous  avons  déjà  écrit   sur 
>  cela;  et  si  vous  mandons  de  nouveau  de  laisser  en  paix 
les  églises,  de   leur  rendre  ce  que  vous  leur  avez   en- 
■'  levé,  et  de  ne  pas  toucher  aux  droits  ,   coutumes    et 
franchises  des  chanoines.  » 
Le  roi  agissant  si  foiblement ,  il  est  probable  qu'à  la 
vue  de  ces  désordres  le  pape  avoit  jeté  l'interdit  sur  cette 
ville  ;  car  sans  cela  l'on  a  de  la  peine  à  expliquer  pour- 
quoi l'on  avoit  besoin  de  la  permission  du  pape  pour  élire 
un   archevêque.   Le  siège  étant    vacant  ,  c'étoit  le  droit 
commun  de  s'assembler, avec  la  permission  du  souverain, 
pour  le  remplir;  et  nous  ne  voyons  pas  qu'il  fût  néces- 
saire de  demander   cette   permission  au  pape  toutes  les 
fois  qu'il  y  avoit   une  élection   à  faire.    11  y  avoit  donc 
quelque  raison  particulière  qui  empêchoit  qu'on  ne  pro- 
cédât à  l'électioji  d'un  archevêque;  et  cette  raison  ,  on  ne 
peut  la  trouver  que  dans  la  supposition  d'un  interdit  jeté    '''''''•'"'.  /'';/• 

^  T  '  '  ;  Foi.    loin.    Il , 

sur  la  ville.  On  lit  en  effet,  dans  le  Nécrologe  de  Saint-  /'-y. >•-. 


J74  MtMOIRlLS  DL  L'ACADÉMIE 

Symphorien  ,  que  cette  église  eut  besoin  d'être  rcconcilice, 
ayant  ctc  profanée  par  un  prêtre  que  des  factieux  de  la 
commune  avoient  contraint  d'y  célébrer  la  messe;  ce  qui 
prouve  qu'il  y  eut  un  interdit  jtté  sur  la  ville,  soit  p;ir 
le  chapitre,  soit  par  le  pape,  et  que  c'est  cela  qui  iin- 
pccboit  l'élection  d'un  archevêque. 

Mais  enfin  le  roi,  voidant  mettre  un  terme  aux  maux 
qui  désoloient  cette  ville,  eut  besoin  du  crédit  de  S.  Ber- 
nard auprès  du  pape  pour  faire  lever  l'interdit.  Le  saint 
homme  écrivit  la  lettre  318,  conçue  en  ces  termes: 
/.Vf»,  ff  pS  Ci  Saint  Père ,  l'église  de  Reims  tombe  en  ruine  :  cette 
■>  illustre  cité  est  couverte  d'opprobres  ;  elle  crie  à  tous 
•>  les  passans  qu'il  n'y  a  point  de  douleur  pareille  à  la 
»  sienne.  Elle  est  assaillie  en  dehors  par  des  combattans, 
>'  et  en  dedans  tout  est  dans  la  terreur  et  la  constcr- 
"  nation.  Q,ue  dis-je!  on  se  bat  même  dans  l'intérieur 
"  de  la  ville  ;  ses  propres  enfans  font  la  guerre  à  leur 
»>  mcre ,  et  il  n'y  a  point  de  chef  de  famille  qui  puisse 
'»  les  contenir.  Elle  ne  voit  au  monde  que  le  pape  Inno- 
'■  cent  capable  d'essuyer  ses  larmes.  Pourquoi  tardez-vous 
"  donc  df  venir  à  son  secours!  Jusquesà  quand  souffrirez- 
»>  vous  qu'elle  soit  foulée  aux  pieds î  Je  vous  annonce  que 
••  le  roi  s'est  radouci ,  et  que  son  indignation  est  passée. 
"  Que  reste-t-il  à  faire,  si  ce  n'est  que  la  main  aposto- 
"  lique  veuille  bien  appliquer  des  caïmans  aux  plaies  de 
»  cette  église  î  L'essentiel  seroil  ,  je  crois  ,  de  hâter  le 
•»  moment  de  l'élection  d'un  archevêque,  ilont  l'autorité 
"  peut  seule  réprimer  la  fureur  du  peuple,  qui,  sans  cela, 
'>  achèvera  de  ruiner  ce  qui  n'est  pas  détruit.  Cela  étant 
"  fait.   J'ai  une  ferme  confiance  que  nous  obtiendrons  ce 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.       57 j 

»  qui    reste    à  faire.  »  Qu'entencloit-il  par  ces   derniers 
mots  !  La  suite  de  cet  examen  nous  le  découvrira. 

Le  pape,  dans  la  lettre  rapportée  plus  haut  et  qui  a 
donné  lieu  à  ces  détails  ,  accorda  ce  qu'on  demandoit  : 
il  permit  de  procéder  à  l'élection  d'un  archevêque,  aux 
conditions  portées  dans  sa  lettre,  dont  l'une  étoitque  le  roi 
retireroit  aux  habitans  la  charte  de  commune,  qui  effec- 
tivement ne  se  trouve  nulle  part  ;  et  S.  Bernard  obtint 
non-seulement  pour  son  prieur  i'évéché  de  Langres,  mais 
il  fut  choisi  lui-même  pour  remplir  le  siège  de  Reims,  Il  re-     Ahinai.Amyl. 

r  ,  ,.        .    ,  I  •    I  •       I'  CoUea.  tom.  I, 

fusa  modestement  une  dignité  que  le  roi  le  pressoit  d  ac-  coL-jp. 
cepter ,  comme  il  en  avoit  refusé  tant  d'autres  :  nous  avons 
la  lettre  qu'il  écrivit  pour  motiver  son  refus. 

II  est  donc  vrai  que  ,  dans  cette  occasion  ,  le  roi,  par  des 
considérations  particulières  ,  se  départit  un  peu  de  ses 
droits,  soit  relativement  à  l'établissement  des  communes, 
soit  en  ce  qui  concerne  la  confirmation  des  élections.  Mais 
ce  qui  prouve  que  ni  lui  ni  son  conseil  n'entendirent  pas 
renoncer  à  la  prérogative  royale,  c'est  que  ,  deux  ans  après, 
il  la  maintint  fortement  dans  l'affaire  de  l'archevêque  de 
Bourges  ,  qui  donna  lieu  à  une  contestation  bien  plus 
sérieuse  que  celle  de  l'église  de  Langres, 

S'il  est  vrai ,  comme  on  n'en  peut  douter,  que  de  tout 
temps  les  princes  chrétiens  ont  eu  le  droit  d'admettre  ou 
de  rejeter  les  sujets  qui  leur  étoient  présentés  pour  rem- 
plir les  prélatures  de  l'église  ,  il  semble  que  l'exercice  de 
ce  droit  devoit  précéder  et  non  suivre  la  consécration.  Ce 
n'est  pas  lorsque  l'afîîiire  étoit  consommée,  que  le  prince 
pouvoit,  sans  inconvénient ,  rejeter  un  sujet.  Innocent  II 
entreprit   de   renverser  cet   ordre    naturel.    Après   avoir 


J76  MK.MOIRES  DE  LACADJiMIE 

triomphe  de  tous  ses  conciirrens  à  la  papauté  ,  et  jouis- 
sant paisil)lement  de  la  chaire  de  S.  Pierre,  il  assembla, 
i'.iii  1  139.  un  concile  gcncral  au  palais  de  Latran.  Dans 
le  discours  d'ouverture,  il  avan(,a  cette  étrange  maxime: 
«  Vous  savez  que  Rome  est  la  capitale  du  monde  ,  et  que 
»  c'est  un  droit  du  pontife  Romain  de  conférer  les  hon- 
"  neurs  ecclésiastiques  comme  des  fiefs  dépendans  de  lui, 
"  et  qu'on  ne  les  tient  pas  légalement  sans  sa  permission.  •> 
':'.'•'<■  •,  '-''""■'/•   Nostis  <juiii  Ronui  aipul  est  rnuiiJi ,  et  iiiiid  ei  Ronuini  poii- 

I.  .\ ,  col.  lOIV.  .  '  ' 

tijiàs  licciit'ui  ecclesicistici  honoris  celsitudo  ^udsi  fcodûlis  jtiris 
coiisuetudine  stiscipitur,  et  sine  ejus  permissioiie  Icgitlitcr  non 
tcnetur.  Cette  maxime  ne  fut  pourtant  pas  convertie  en 
décret  ;  on  se  contenta  de  renouveler  un  ancien  canon 
fait  pendant  la  querelle  des  investitures,  portant  défense 
de  recevoir  des  mains  des  laïcs  des  prévôtés  ,  des  pré- 
i)endes  et  autres  bénéfices  ecclésiastiques;  car,  ajouta-t-on, 
selon  les  décrets  des  saints  Pères ,  les  laïcs  ,  quelque 
religieux  qu'ils  soient  ,  n'ont  aucun  pouvoir  de  disposer 
des  biens  des  églises. 

Il  n'est  point  parlé,  dans  ce  décret,  des  hautes  préla- 
tures,  des  évéchés  ni  des  abbayes;  mais  l'événement 
prouvera  bientôt  qu'elles  y  étoient  comprises,  et  à  for- 
tiori. La  circonstance  de  la  jeunesse  du  roi  parut  un 
moment  favorable  pour  mettre  ce  décret  à  exécution  en 
France;  les  ordres  furent  donnes  implicitement  ou  ex- 
plicitement ,  et  les  métropolitains  les  plus  recomman- 
dables  par  leur  science  furent  les  premiers  à  donner 
l'exemple -de  la  soumission. 
/./.  nihl.  mi.        Des  le   mois  de   janvier   \i^\  ,  Geofroi   de  Loroux  , 

nm.  Il,  r.  -'Jp.  i        ,  1       i^        i  i  1  '        ,  •  -    • 

archevc^que  de   Bordeaux  ,  donna  la  consécration  episco- 

pûlc 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      577 

pale  à  un  évêqiie  de  Poitiers  ,  sans  attendre  le  consen- 
tement du  roi ,  qui  trouva  cela  fort  mauvais  ,  et  défendit 
au  nouvel  cvcque  de  prendre  possession  de  son  église. 

En  Normandie,  l'archevcque  de  Rouen  faisoit  dans  le      .i/-..//.  in-fol. 
même  temps  la   consécration   d  Arnoui  ,  eveque  de    Li-  ' 

sieux ,  sans  avoir  demandé  le  consentement  de  Geofroi 
comte  d'Anjou  ,  alors  souverain  de  la  Normandie.  Ce 
prince  le  tint  éloigné  de  son  église  pendant  deux  ans  et 
trois  mois  ;  et  ce  n'est  qu'en  payant  une  grosse  somme 
d'argentqu'Arnoul  obtint  le  consentement  du  prince.  C'est 
lui-mcme  qui  nous  l'apprend  :  Qii'ia ,  elcctus  canomcè ,  sine 
ipsius  desigiiûtioiie  fueram  consecratus. 

L'abbé  de  Clairvaux  prit  la  défense  de  ces  deux  métro-  Bm.  rp.  ,\^-'. 
politains  :  il  prétendit  que  c'étoit  injustement  et  sans 
raison  que  le  roi  mettoit  en  cause  l'archevêque  de  Bor- 
deaux ;  que  ce  prélat  avoit  fait  son  devoir  ,  et  que  le 
conseil  du  roi  avoit  manqué  au  sien  ;  qu'on  prenoit  pour 
un  attentat  ce  qui  étoit  une  exacte  justice,  et  pour  un 
crime  ce  qui  étoit  une  bonne  œuvre.  Il  ajoutoit  à  cela 
des  menaces  fort  déplacées. 

Dans  l'affaire  de  l'archevêque  de  Rouen,  il  usa  envers  Bem.  q>.  siS. 
le  comte  d'Anjou  ,  duc  de  Normandie  ,  de  beaucoup 
moins  de  ménagemens  qu'avec  le  roi  :  il  ne  lui  épargne 
aucune  des  épithètes  flétrissantes  ;  c'est  le  fléau  et  le  per- 
sécuteur des  gens  de  bien,  le  perturbateur  de  la  paix, 
l'ennemi  de  la  liberté  ecclésiastique,  et  même  de  la  croix 
de  Jésus-Christ.  Après  tant  de  triomphes  qui  ont  signalé 
le  pontiiicat  d'Innocent,  il  ne  lui  reste  plus  que  ce  petit 
tyran  à  terrasser. 

-irtA  .11. II.  ..         Chron.Maiiri- 

Vers  le  même  temps  arriva  la  brouiUerie  au  su/et  de  niac. 
Tome  VL  D* 


5  73  MÉMOIRES  DE  L' ACADÉMIE 

Pierre  de  la  Cluure  ,  que  le  pape  renvoya  à  Bourges  après 
lavoir  sacré,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut.  Le  roi,  de  son 
Km!„!j.  ,u  Di-   côté,  dcl'eiidit  qu'on  le  reçût  à  Bourges  ,  et  jura  publique- 
ment que,    tant    cju'ii   vivroit  ,   il   ne  souffriroit  pas  que 
Pierre  de   la    Châtre    fût    reconnu   pour  archevêque.   Le 
comte  de  Champagne  s'empressa,  dit-on,  de  le  recevoir 
dans  ses   terres,  et,  malgré  la  défense  du    roi,   il  éioii 
reconnu  de  toutes    les   églises.    Ce  lait  n'a  encore  pour 
garant  que  le  seul  Guillaume  de  Nangis;  mais  il  est  con- 
tredit  par    un   auteur   beaucoup   plus  croyable    (jue    lui. 
!.:H<,  Bihi.   Geoffroi   prieur  de  Vigeois,   auteur  contemporain,   nous 
'■    '  '"^    apprend  que  la  Châtre,  ayant  encouru  la  disgrâce  du  roi, 
resta    quelque    temps   caché  dans  le    Rouergue  :   Hk  tui 
tempiis  in  Ruthciiico  ,   tiietu  Liuiovici  rcgis  ,   ddituil  :   eicctus 
fjiùppe  aisijue  illius  mttu  fucrat ,   ideoquc  contra  euni  senlcn- 
tidni  dicLivcrat.  Si  le  comte  de  Champagne  ne  lui  donna 
point  asile  dans  ses  terres ,   il  est  pourtant  vrai  qu'il  prit 
la  défense  de   l'archevêque  ,   et  cela  pour  obéir  à  l'ordre 
Bfni  r,'  du  pape,  comme  le  dit  S.  Bernard  :  Si  arcliicpiscopum  Bilii- 

ricensem  suscepit  ad  imperium  vesîrum ,  hoc  est  maximum  cl 
primuni  pcccatum. 

Il  est  certain  qu'à  cet  égard  la  conduite  du  comte  de 
Champagne  dut  offenser  le  monarque,  déjà  indispose 
contre  lui;  mais  ce  qui  acheva  de  les  brouiller,  ce  fui 
lopposition  quil  mit  à  la  dissolution  du  mariage  dune 
de  ses  parentes  avec  le  comte  de  Vermandois  ,  (jui  de- 
voit  épouser  et  qui  épousa  en  effet  une  sœur  de  la  reine. 
Quoique  cette  dissolution  eût  été  prononcée  par  trois 
évêques  respectables  ,  et  selon  les  formes  canoniques  alors 
usitées,  Thibaud  entreprit  de  faire  casser  à  Rome   leur 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  J79 
sentence,  et  S.  BernarJ  s'en  rendit  le  dcnonclateur.  Voici 
la  lettre  qu'il  adressa  au  pape: 

«  Au  mépris  de  ce  qui  est  écrit,  que  l'homme  ne  doit  ^'™-  7'-  -'^• 
»  point  séparer  ce  que  Dieu  a  conjoint ,  des  hommes 
»  audacieux  n'ont  pas  craint  d'attenter  à  cet  ordre  de 
»  Dieu,  non-seulement  en  séparant  des  époux  qui  étoient 
•>  bien  unis  ,  mais  en  unissant  encore  ,  par  une  prévari- 
»  cation  inouie,  des  personnes  à  l'union  desquelles  s'op- 
»  posent  les  lois  divines  et  humaines.  Ce  ne  sont  pas 
»  des  hommes  étrangers  au  sanctuaire  qui  ont  trans- 
»  gressé  le  commandement  de  Dieu;  ce  sont,  hélas!  les 
»  ministres  mêmes  de  l'église  qui  ont  déchiré  sa  robe  et 
»  profané  ce  qu'elle  a  de  plus  saint.  Dieu  avoit  con- 
»  joint  le  comte  Raoul  et  son  épouse  par  le  ministère  de 
»  l'église,  à  laquelle  il  a  donné  ce  pouvoir:  comment  se 
'>  fait-il  qu'un  tribunal  ecclésiastique  ait  osé  les  séparer  ! 
»  Il  l'a  fait  cependant,  mais  dans  les  ténèbres;  parce  que 
»  celui  qui  fait  le  mal,  hait  la  lumière.  »  Il  fait  entendre 
ensuite  que  tout  cela  avoit  été  fait  en  haine  du  comte 
de  Champagne ,  et  pour  le  punir  d'avoir  pris  le  parti  de 
l'archevêque  de  Bourges.  Il  demande,  en  finissant,  qu'un 
pareil  attentat  ne  reste  pas  impuni. 

II  faut  convenir  qu'il  pouvoit  avoir  raison  ,  non  sur  la 
dissolution  du  premier  mariage  du  comte  de  Vermandois, 
laquelle,  je  crois  ,  avoit  été  faite  selon  les  formes  légales, 
mais  sur  la  validité  du  second  ,  auquel  on  pouvoit  opposer 
le  degré  de  consanguinité  :  car,  si  Louis-le- Jeune  a  été 
fondé  dans  la  suite  à  faire  casser  son  mariage  avec  la 
reine  Eléonore  pour  cause  de  parenté ,  le  comte  de  Ver- 
mandois, étant  parent  au  même  degré,  ne  pouvoit  con- 

D-Jij 


j«o  .MKMOIKLS  DL  LACADI.MIE 

tracter  valal)lemein  avec  la  soeur  de  la  reine.  Mais,  à 
cette  c'po«jiie,  puisqu'on  n'avoit  pas  trouve  d'inconvénient 
à  ce  <iue  le  roi  épousât  l'aînée  des  sœurs  ,  on  ne  devoit 
|vis  trouver  mauvais  que  le  comte  de  Vermandois  épousât 
la  cadette. 

Qjiioi  qu'il  en  soit,  le  pape,  saisi  de  l'affaire , envoya  en 
France  lin  légat ,  le  cardinal   Ives ,  auparavant  chanoine 
de  Saint-Victor,  pour  connoître  tant  de  l'affaire  du  divorce 
que  du  rejet  de   l'arclievcque  de  Bourges.   Le  légat  tint, 
vers  le  commencement  de  l'année   ii^^,  un    concile   à 
Lagni ,  dans  les   états  mêmes  du  comte  de  Cliampagne , 
quoiqu'aux  portes  de  Paris.  Ce  concik'  lut  iioml)reux  .  et 
il   y   fut  traité  de   grandes   choses  ,    selon   lui   auteur  ilu 
temps;  mais  nous  n'en  avons  pas  les  actes.  C'est  une  fata- 
lité qui  règne  sur  tous  les  monumens  du  xii.*^  siècle  dans 
lesquels  l'honneur  du  trône  se  trouvoit  compromis.  Nous 
//,-r,>.;„. Ver-   savous  Seulement,   par  le  récit  des  historiens,  que  le  se- 
/.■V.  ,u'm''ù,   cond  mariage  du  comte  de  Vermandois  y  fut  cassé,  que 
'"■  ^'^'  le  roi  et  le  comte   y  furent  excommuniés ,  et  les  évtques 

(lui  avoient  prononcé  le  divorce,  interdits  de  leurs  fonc- 
tions épiscopales  :  ces  évéques  étoient  celui  de  Noyon  , 
frère  du  comte  de  Vermandois,  liarthélemi  de  Laon  ,  et 
Pierre  de  Senlis ,  prélats  d'ailleurs  très-recommandables. 

Je  pense  que  c'est  à  l'époque  de  ce  concile  qu'il  faut 
rapporter  le  commencement  de  l'excommunication  du  roi 
Louib-le-Jeune,  qui,  selon  Hérimanne  de  Tournai,  dura 
un  an ,  parce  que,  vers  la  fin  de  cette  année,  il  y  eut  une 
initr  Angi.  espècc  d'accommodement  dont  je  parlerai  bientôt.  Raoul 
vr,^/.  K,  (xi-  j^  Diceto  explique  (juels  étoient  les  effets  de  cette  excom- 
munication :   dans  quelque  ville,  bourg  ou  château  que 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  581 
le  roi  se  présentât,  aussitôt  l'office  divin  cessoit;  et  cela 
dura,  dit-il,  pendant  trois  ans,  parce  qu'il  ne  tint  pas 
compte  de  l'accommodement  intermédiaire ,  presque  aus- 
sitôt rompu  que  convenu. 

Après  que  le  légat  eut  lancé  l'excommunication ,  le  roi 
commença  la  guerre  contre  le  comte  de  Champagne  :  elle 
fut  poussée  si  vivement,  que  la  ville  de  Vitri  en  Perthois 
fut  réduite  en  cendres  ;  et  ce  qui  fiit  plus  déplorable,  il 
y  périt  treize  cents  personnes  qui  s'étoient  réfugiées  dans 
l'église.  C'est  le  seul  événement  de  cette  guerre  rap- 
porté par  les  historiens.  La  chronique  de  Sainte-Colombe  Aiaricnf , 

j       ^  .        ,  ,  I      I  /      •!  •  Anecd.  lom.  Il I, 

de  Sens  entroit  dans  un  plus  grand  détail;  mais  une  col.i4j<: 
main  un  peu  trop  officieuse  a  eu  soin  de  raturer  cet  en- 
droit dans  le  manuscrit.  La  chronique  de  Robert  du  Mont, 
édition  de  Pistorius  ,  et  celle  d'un  chanoine  de  Tours , 
disent  que  le  roi  mit  en  possession  du  château  de  Vitri 
le  fils  du  comte  Hugues  ,  déshérité  par  son  père,  en  at- 
tendantqu'il  le  rendît  maître  de  toute  la  Champagne  après 
ia  conquête.  Cela  paroît  assez  vraisemblable  ;  mais  les 
affaires  changèrent  aussitôt  de  face.  Tous  les  historiens 
s'accordèrent  à  dire  que  le  jeune  roi  fut  si  touché  des 
désastres  de  cette  guerre,  qu'il  en  versa  des  larmes  et  fit 
dès-lors  le  vœu  d'aller  à  la  Terre-sainte.  Raoul  de  Diceto 
nous  paroît  plus  croyable  ,  lorsqu'il  dit  que  Louis-le- 
Jeune  se  détermina  à  faire  ce  périlleux  voyage  pour  ex- 
pier le  serment  qu'il  avoit  fait  imprudemment  de  ne  jamais 
permettre  que  Pierre  de  la  Châtre  fût  archevêque  de 
Bourges ,  serment  qu'il  avoit  été  forcé  de  violer.  Mais , 
dans  le  vrai  ,  plus  d'un  motif  décida  du  voyage  de  ia 
Terre -sainte. 


liirn.  ,-r.  :i7. 


SS2  MÉMOIRES  DE   I.ACADF.MIE 

Apres  le  sac  de  la  ville  de  \  itii  ,  le  comte  de  Cham- 
pagne, incapable  de  résister  aux  forces  du  roi,  chercha 
à  Jaire  un  accominodement  par  l'entremise  de  l'abbé  de 
Clairvaux.  On  exigea  de  lui  <|u'il  promît  de  faire  révo- 
quer les  excommunication^  lancées  par  le  légat  ,  et  il 
donna  sa  parole  qu'il  emploieroit  pour  cela  tout  son  crédit 
auprès  du  pape.  S.  Bernaril  lut  chargé  de  demander  ,  au 
nom  du  comte, cette  révocation.  Il  est  bon  de  rapporter 
ses  propres  termes  ,  pour  se  convaincre  que  le  conseil 
du  comte  n'agissoit  pas  de  bonne  foi. 

«  Nous  sommes  dans  le  trouble  et  dans  l'angoisse  , 
"  écrivoit  S.  Bernard.  Notre  pays  est  dans  la  conster- 
»  nation  à  la  vue  des  meurtres  ,  des  dévastations  ,  des 
»  emprisonnemens,  qui  se  commettent.  On  ne  respecte 
"  plus  la  religion  ,  et  l'on  regarde  comme  un  opprobre 
"  d'entendre  parler  de  paix.  La  bonne  foi,   l'innocence, 

•  ne  peuvent  nous  mettre  en  sûreté  nulle  part.  Le  comte 
»  Thibaud  ,  connu  par  la  ilroiture  de  son  cctur  et  par  son 
■'  zcle  pour  la  religion  ,  a  presque  été  terrassé  par  les  ef- 
"  forts  de  ses  ennemis  ;  il  auroit  succombé  ,  si  Dieu  ne 
"  fût  venu  à  son  secours.  Mais  ce  qui  le  console,  c'est 
»  qu  il  n  a  éprouvé  cette  persécution  que  parce  qu'il  dé- 
■>  fendoit  une  cause  juste,  et  par  obéissance  A  vos  ordres. 
"  Malheureux  que  nous  sommes  ,  nous  avons  bien  pu 
'»  pressentir  tous  ces  maux  ,  mais  nous  n'avons  pu  les 
"  éviter.  Que  pouvions-nous  faire!  Pour  garantir  le  pays 
•>  d'une  entière    désolation,  et  même  le   royaume  d'une 

•  ruine  prochaine,  le  comte  ,  votre  fils  très-dévoué,  le  plus 
zélé  défenseur  de  la  liberté  de  l'église,  a  été  contraint 

■'  de   promettre    avec    serment    «ju'il    feroit    révoquer    la 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  583 
'•  sentence  d'excommiinication  portée  par  votre  Icgat  , 
»  maître  Ives  ,  contre  la  terre  et  la  personne  du  comte 
»  de  Vermandois ,  qui,  par  son  mariage  adultère,  avoit 
»  attiré  tous  ces  malheurs;  et  en  cela  il  n'a  fait  que  suivre 
»  l'avis  et  acquiescer  aux  prières  des  personnes  sages  et 
»  religieuses  ,  qui  ont  pensé  qu'en  accordant  cette  grâce 
»  vous  ne  portiez  aucune  atteinte  à  la  discipline,  parce 
"  qu'il  sera  toujours  en  votre  pouvoir  de  remettre  les 
»  coupables  sous  les  liens  de  l'excommunication ,  qui  est 
»  juste  en  elle-même.  Par  cet  artifice,  dit-il,  on  déjouera 
»  l'intrigue,  on  obtiendra  la  paix;  et  celui  qui  mainte- 
»  nant  se  glorifie  dans  sa  malice  et  qui  a  tout  crédit 
"  pour  fiiire  le  mal ,  n'y  gagnera  rien.  »  Quatenus  et  ars 
ûrte  dehidcitur ,  et  pax  proinde  obtiiieatur ,  et  gui  gloriatur  in 
malitia  et potens  est  in  iniquitate ,  nihil  inde  lucretur.  Il  ajc)U- 
toit  qu'il  auroit  eu  beaucoup  d'autres  choses  à  dire;  qu'il 
s'abstenoit  de  les  mettre  par  écrit ,  parce  que  le  porteur 
de  la  lettre,  qui  connoissoit  l'affaire  à  fond,  pourroit  en 
instruire  pleinement  le  pape. 

Cet  envoyé  étoit  l'abbé  de  Morigni ,  qui  ,  comme  je  l'ai  Chmi.  Af, 
dit  plus  haut,  obtint  du  pape  plusieurs  des  demandes  dont 
il  étoit  chargé  ;  mais  non  la  principale  ,  celle  apparem- 
ment qui  concernoit  l'archevcque  de  Bourges  :  car  il 
paroît  constant  que  l'excommunication  lancée  contre  le 
comte  de  Vermandois  fiit  alors  levée.  C'est  à  l'époque 
de  cette  négociation  qu'on  peut  rapporter  les  paroles  que 
Guillaume  de  Nangis  prétend  que  le  pape  avoit  proférées 
contre  le  roi  de  France,  disant  que  c'étoit  un  jeune  prince 
qu'il  falloit  instruire,  afin  qu'il  apprît  de  bonne  heure  à 
ne   pas  se   mêler  des  affaires    de   l'église  ;    ajoutant ,   dit 


m- 
Tîiiitianse, 


5  84  -MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Nangis,  que  les  clections  n'ctoleiit  pas  vraiment  libres," 
lorsqu'un  prince  Jonnoit  l'exchision  à  quelqu'un,  à  moins 
qu'il  ne  prouvât  devant  un  juge  d'cgiise  qu'il  ne  ilevoit 
pas  (}tre  élu;  car  alors  le  prince  devoit  être  écoute  comme 
un  autre.  Ces  propos,  comme  je  l'ai  dit,  auroient  be- 
soin d'un  meilleur  garant  que  l'historien  Nangis  :  ils  prou- 
vent du  moins  que  le  roi  consentoit  alors  à  une  nouvelle 
élection ,  à  l'exclusion  de  Pierre  de  la  Châtre. 

Ce  qui  est  plus  certain,  c'est  que  le  pape  ne  voulut  en- 
tendre à  aucun  accommodement,  et  qu'il  sut  très-mauvais 
gré  à  l'abbé  de  Clairvaux  de  s'être  tant  avancé.  Nous 
n'avons  pas  la  lettre  pleine  de  reproches  qu'il  écrivit  au 

/'  '  7' -■  .'.  saint  abbé:  mais  on  voit,  par  la  réponse  de  celui-ci , 
<[u'on  lui  reprochoit  de  se  mêler  de  choses  qui  ne  le  re- 
gardoient  pas. 

La  lettre  de  S.  Bernard  au  pape  étoit  accompagnée 
il'une  autre  aux  membres  les  plus  influens  du  sacré  col- 
lège ,  dans  laquelle  il  insiste  pour  qu'on  s'occupe  d'un 
accommodement  ,  si  Ion  veut  éviter  un  schisme  près 
d'éclater  dans  le  rovaume  de  France ,  cette  portion  de 
l'église  qui  a  eu,  liit-ii,   la  gloire  de  contribuer  plus  que 

/J.  (/'.  -V9.  toute  autre  à  lextinction  de  tous  les  schismes  :  «  Je  ne 
••  prétends  pas,  ajoute-t-il,  excuser  le  roi  sur  deux  points: 
»  il  a  eu  tf)rt  de  jurer  qu'il  ne  recevroit  pas  l'archevêque 
•'  de  Bourges  ,  et  il  fait  encore  plus  mal  de  tenir  à  son 
••  serment.  Ce  n'est  pas  par  obstination  qu'il  y  tient  , 
"  mais  par  point  d  honneiu-.  Vous  savez  qu'en  France 
»>  on  regarde  comme  un  déshonneur  de  manquer  à  un 
••  serment  ,  quelque  répréliensible  qu'il  soit  ,  (juoique 
"  d'ailleurs  les  personnes  sages  conviennent  <ju  un  pareil 

serment 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      585 
»  serment  n'oblige  pas.  J'avoue  que  cette  considération 
»  ne  suffit  pas  pour  justifier  la  conduite  du  roi  :  aussi  mon 
»  intention  n'est  pas  de  l'excuser,  mais  de  demander  grâce 
»  pour  lui.  Vous  examinerez  dans  votre  sagesse  si  la  co- 
»  1ère,  si  la  jeunesse,  si  le  rang  qu'il  occupe,  ne  peuvent 
«  pas  ,  en  quelque  façon  ,  lui  servir  d'excuse.  Il  me  semble 
»  que  ces   considérations  sont  des  motils  suffisans  pour 
"  lui  pardonner  cette  fois  ,   à  condition  que  cela  n'arri- 
»  vera  plus.  Je  dis  pardonner,   mais    bien  entendu  que 
»  cette  indulgence  ne  portera  aucun  préjudice  à  la  liberté 
»  de  l'église  ,   ni  au  respect  qui  est  dû  à  l'archevêque  de 
'»  Bourges ,  par  cela   même  qu'il  a  été  consacré  par  les 
»  mains  du   pape.  Le  roi  se   soumet  humblement  à   ces 
»  conditions;  et  notre  église  en  deçà  des  monts,  qui  n'a 
»  déjà  que   trop  souffert,   vous  supplie  de  les  accepter: 
»  sans  cela   vous  nous  livrez   au   désespoir  ,    et  nous  ne 
»>  voyons  pas    moyen   d'échapper  aux  maux  affi-eux   qui 
»  nous  menacent.   Il   y   a  près  d'un    an    qu'ayant  fait  la 
»  même  prière  ,    au  lieu  d'être  exaucé,  je  m'attirai  l'indi- 
>»  gnation  du  souverain  pontife,  et  la  suite  de  ce  refus  fut 
"  la  dévastation  de  tout  le   royaume.  « 

II  est  étonnant  que  la  cour  de  Rome ,  après  que  le  roi 
eut  été  amené,  comme  le  témoigne  S.  Bernard,  à  recon- 
noître  l'aj-chevêque  de  Bourges ,  n'ait  pas  consenti  à  la 
paix.  Mais  il  paroît  que  le  roi  faisoit  dépendre  sa  sou- 
mission de  la  légitimation  du  mariage  du  comte  de  Verman- 
dois ,  et  que  la  cour  de  Rome  vouloit  traiter  séparément 
ces  deux  causes.  En  effet ,  le  roi ,  ayant  su  qu'on  se  pré- 
paroit  à  Rome  à  remettre  sous  l'interdit  les  terres  du 
comte  de  Vermandois  ,  manda  à  l'abbé  de  Clairvaux 
Tome  VI.  E* 


5  "6  MF  MOIRES  DE  UACADKMIE 

il'agir  en  vertu  de   la  promesse  faite   un  an   auparavant 
par  le  comte  de  Champagne,  afin  que  cela  n'arrivât  pas. 
Nous  n'avons  pas  la  lettre  du  roi  ;  mais  voici  la  repense 
que  lui  ht  l'abbc-  : 
Bern.  tp.  12c.        "  Vous  avez  raison  de  dire  que,  dans  tout  ce  qui  con- 
•>  cerne  l'honneur  et  le  bien  de  votre  royaume  ,  j'emploie 
»  et  emploierai  toujours  avec  plaisir  le  peu  de  crédit  que 
»  j'ai  :  c'est  aussi  le  témoignage  que  me  rend   ma  cons- 
'»  cience.  Vous  vous  plaignez  à  moi  de  ce  qu'il  est  ques- 
"  tion  de  renouveler  l'anathcme  contre  le  comte  de  ^'er- 
■>  mandois  ,   et  vous  exigez  que  je  fasse  tous  mes   efforts 
"  pour  l'empccher  ,   parce  que  cela  pourroit  occasionner 
»  de  grands  maux.  Je  ne  vois  pas  comment   je  pourrois 
»  empêcher  l'exécution  des  ordres  du  pape;  et,  quand  je 
»  le  pourrois,   je  ne  vois  pas  (ju'il   lut  raisonnable  de  le 
»  tenter.  Je  suis  fâché  qu'il  doive  en  arriver  du  mal;  mais, 
»  dût-il  en  arriver  du  bien  ,  nous  ne  devons  pas  faire  une 
»  chose  mauvaise   par  elle-même.  Le  plus  sûr  pour  nous 
»  est  d'abandonner  tout  à  la  Providence,  qui  peut  procurer 
»  et  consolider  le  bien  qu'elle  veut  qu'on  tasse,  empêcher 
•>  le  mal  que  les  hommes  pervers  veulent   faire,   ou   du 
"  moins  taire  retomber  sur  eux  les  maux  qu'ils  préparent. 
»  Je  n'ai    pu   lire  sans  ilouleur ,    ilans  votre  lettre  ,  «jue 
"  ce  nouvel  anathcme  pourroit  troubler  la  paix  que  vous 
»  avez  conclue  avec  le  comte  de  Champagne.  Est-ce  que 
»  vous  ignorez  que  vous  avez  commis  une  grande  faute, 
»  lorsque,  par  l'atrocité  de  la  guerre  que  vous  lui  faisiez, 
"VOUS   avez   forcé    ce    prince    à    jurer,    non -seulement 
"  qu'il  emploieroit  ses  bons  offices   pour  faire  absoudre 
>»  le  comte  de  Vermandois ,  mais  qu'il  obtiendroit  la  levée 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      587 

»  de  l'interdit  qui  pesoit  sur  ses  terres  ,  quelque  juste 
y  et  légitime  qu'il  fût?  Pourquoi  voulez-vous  ajouter 
»  péché  sur  péché ,  et  accumuler  sur  vous  la  colère  de 
»>  Dieu!  En  quoi  le  comte  Thibaud  a-t-il  mérité  d'en- 
»  courir  de  nouveau  votre  indignation,  lui  qui  a  obtenu, 
y  non  sans  peine,  l'absolution  du  comte  de  Vermandois, 
»  contraire  aux  règles  de  l'église  ,  comme  vous  savez!  Il 
«  n'a  pas  sollicité  l'excommunication  qui  pèse  de  nouveau 
»  sur  lui ,  s'étant  interdit  toute  démarciie  pour  ne  pas 
»  vous  offenser.  O  mon  roi ,  n'allez  pas  encore  faire  la 
»  guerre  à  votre  Roi,  au  Créateur  de  toutes  choses  ;  abste- 
»  nez-vous  d'étendre  si  souvent  et  si  témérairement  la 
''  main  contre  celui  qui  est  nommé  le  Dieu  terrible ,  le  Dieu 
»  gui  ôte  la  vie  aux  princes  et  se  joue  de  leur  puissance.  Je 
"  vous  parle  durement ,  parce  que  je  crains  qu'il  ne  vous 
»  arrive  du  malheur;  je  n'aurois  pas  cette  crainte,  si  je 
"  vous  étois  moins  affectionné.  » 

Après  cette  lettre,  Louis-le-Jeune  ne  douta  plus  qu'on 
n'eût  agi  avec  lui  de  mauvaise  foi.  II  se  crut  joué,  et  il 
recommença  la  guerre  contre  le  comte  de  Champagne. 
S.  Bernard,  voulant  en  arrêter  les  progrès,  adressa  au  roi 
des  remontrances  mêlées  de  reproches,  avec  cette  liberté 
qui  ne  convenoit  qu'à  lui.  «  Dieu  sait  combien  je  vous  Bem.  ep.  22t. 
»  ai  toujours  aimé,  lui  dit-il,  et  combien  votre  hon- 
»  neur  m'a  toujours  été  cher.  Vous  n'ignorez  pas  ce  qu'il 
»  m'en  a  coûté  de  peines  pendant  l'année  dernière  ,  à 
»  moi  et  à  d'autj-es  de  vos  fidèles  serviteurs ,  pour  vous 
"  procurer  une  paix  honorable  ;  et  je  crains  bien  que 
>•  nous  n'ayons  travaillé  en  vain.  Il  est  évident  que  vous 
»  ne  tenez  plus  aux  sages    résolutions  que  vous   aviez 

E*ij 


5  88  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

«  prises,  et  (jue,  n'ccoutant  plus  que  des  suggestions  dia- 
"  boli(jues  ,  vous  voulez,  recommencer  les  scènes  san- 
»  gliinies  que  vous  déploriez  avec  tant  de  raison  et  avec 
»  tant  d'amertume.  Je  dis  suggestions  diaboliques,  parce 
»  qu'il  n'y  a  que  le  démon  qui  puisse  vous  suggérer  d'a- 
»  jouter  à  des  plaies  encore  saignantes  d'autres  incendies 

»  et  des  meurtres  nouveaux Et  ne  dites  pas,  pour 

••  excuse,  que  l'odieux  de  ces  exécutions  militaires  doit 
»  retomber  sur  le  comte  Thibaud  ;  car  il  s'en  rapporte 
»  entièrement  aux  clauses  du  traité  de  paix  convenues 
»  entre  vous  et  lui  ;  et,  s'il  s'en  est  écarté  en  quelque 
»  chose  (ce  qu'il  ne  croit  pas),  il  se  soumet  au  jugement 
»  de  ceux  qui  en  lurent  les  médiateurs.  Mais  vous ,  vous 
"  n'écoutez  pas  les  paroles  de  paix  (ju'on  vous  porte;  vous 
"  ne  tenez  pas  vos  promesses,  et  vous  rejetez  tout  bon 
»  conseil  :  j">ar  un  renversement  d'idées  qui  ne  peut  «ître 
»  qu'une  punition  de  Dieu  ,  vous  regardez  comme  une 
"  honte  ce  qui  vous  seroit  honorable,  et  comme  un 
»  point  d'honneur  ce  (jui  vous  déshonore  aux  yeux  du 
»  monde.  Car  enhn  ceux  ([ui  vous  portent  à  recom- 
»  mencer  la  guerre  ,  ne  cherchent  pas  votre  honneur  ; 
•  ils  n'ont  en  vue  que  leur  intérêt  ,  c'est  le  diable  (jui 
»  les  fait  agir  :  ils  sont  manifestement  les  ennemis  de 
"  votre  couronne  et  les  perturbateurs  du  repos  public.  » 
Après  cet  éloquent  préambule  ,  il  continue  :  «  Au  reste, 
»  à  vous  permis  de  faire  de  votre  royaume  ,  de  votre  ame 
•»  et  de  votre  couronne,  ce  qui  bon  vous  semblera.  Mais 
>•  nous,  (jui  sommes  les  enlans  de  l'église,  nous  ne  pou- 
"  vons ,  à  la  vue  des  maux  qu'elle  a  endurés,  dissimuler 
"  ceux  qu'on  lui   prépare.  Nous   tiendrons  ferme  ,   nous 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      589 

»  combattrons  pour  elle ,  s'il  le  faut  ,  jusqu'à  la  mort  ; 
»  non  avec  le  bouclier  et  le  glaive ,  mais  avec  les  armes 
»  qui  nous  sont  permises  ,  nos  prières  et  nos  larmes. 
»  Quant  à  moi ,  ajoutoit-il  ,  j'ai  à  me  reprocher  d'avoir 
»  agi  pour  vous  auprès  du  pape ,  presque  ju'squ'à  blesser 
»  ma  conscience,  et  jusqu'à  m'attirer  ,  je  n'en  puis  dis- 
»  convenir,  sa  juste  indignation.  J'en  ai  trop  fait;  vos 
»  excès  continuels  font  que  je  commence  à  me  repentir 
»  de  mon  imprudence,  et  d'avoir  eu  pour  votre  jeunesse 
»  des  ménagemens  que  je  ne  devois  pas  avoir.  Si  j'ai 
»  encore  quelque  crédit ,  je  l'emploierai  désormais  tout 
»  entier  à  la  défense  de  la  vérité.  » 

II  lui  reproche  ensuite  de  s'être  ligué  de  nouveau  avec 
le  comte  de  Vermandois,  quoiqu'excommunié,  pour  faire 
la  guerre  au  comte  de  Champagne  ;  de  ne  pas  permettre 
qu'à  Châlons-sur-Marne  on  installât  un  évcque  ,  tenant 
toujours  au  malheureux  principe  qui  avoit  causé  tant  de 
maux  à  l'église  de  Bourges  et  à  la  France  entière;  enfin  , 
d'avoir  livré  à  une  soldatesque  effrénée  ,  sous  la  conduite 
de  Robert  son  frère ,  la  maison  épiscopale  de  Châlons 
et  les  biens  dépendans  de  cette  église.  Nous  reviendrons 
sur  ce  dernier  reproche. 

Malgré  la  véhémence  de  ces  représentations  ,  dont 
tout  autre  auroit  pu  s'offenser  ,  le  roi  ne  dédaigna  pas 
d'entrer  en  explication  avec  S.  Bernard.  Il  lui  exposa  les 
nouveaux  griefs  qu'il  avoit  contre  le  comte  de  Cham- 
pagne. Nous  n'avons  pas  sa  lettre  ;  mais  on  voit  en  quoi 
consistoient  ces  griefs  ,  par  la  réponse  qu'y  fit  l'abbé 
de  Clairvaux.  Pour  la  faire  plus  librement ,  il  l'adressa 
aux   principaux    conseillers    du    roi  ,    Joslin  évéque   de 


J90  MhMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

Soissons  ,  et  Suger  abbé  de  S.  Denis  ,  qui ,  avec  l'cvcque 
d'Aiixerre  et  S.  BernarJ ,  avoieiiL  c'ic  les  nicdiateurs  de 
la  paix  entre  le  roi  et  le  comte.  Nous  n'avons  vu  jus- 
qu'ici que  des  déclamations  vagues  de  la  part  de  S.  Ber- 
nard :  c'est  iflaintenant  qu'il  entre  dans  le  fond  de  l'affaire. 
Ben.tp.  222.  Le  premier  grief  étoit  que,  contre  la  foi  du  traité,  les 
évt-quesquiavoient  prononcé  la  nullité  du  premier  mariage 
du  comte  de  N'ermandois,  n'avoient  pas  été  rétablis  dans 
leurs  fonctions,  et  que  les  domaines  du  roi  étoient  tou- 
jours sous  l'interdit  :  AJ/iuc  suspcnsï  iiuiiiciit  episcopi  nostri  : 
adhuc  terra  riostra  interdictti  est.  Pour  juger  jusqu'à  quel 
point  le  roi  étoit  fondé  à  se  plaindre  qu'on  eût  manqué 
aux  articles  convenus,  il  faudroit  voir  le  traité  ;  mais  c'est 
encore  une  pièce  qu'on  a  soustraite  à  notre  instruction. 
Les  plaintes  du  roi  semblent  prouver  qu'on  étoit  con- 
venu que  les  évcques  seroient  rétablis  dans  leurs  fonc- 
tions en  même  temps  qu'on  leveroii  l'excommunication 
lancée  contre  le  comte  de  Vermandcjis.  Mais,  dans  la  ré- 
solution où  l'on  étoit  de  renouveler  cette  excommunica- 
tion ,  on  ne  voulut  pas  absoudre  les  évccpies,  contre  les- 
quels on  n'auroit  pu  sévir  sans  un  nouveau  délit.  Que 
répond  à  cela  S.  Bernard  ?  H  prétend  que  le  comte  de 
Champagne  n'avoit  rien  promis  touchant  les  ecclésias- 
tiques, et  que  cela  ne  le  regardoit  pas  :  Quasi  rcro  cujus- 
(juam  ccclesiastià  absolutio  intcrJnti  ad  coinitem  TlicobalJuin 
pcrtincal,  aut  hoc  ipse  aii<]UO  modo  pepi^erit  se  fa  i  tu  ru  m. 

Mais  ,  disoit  le  roi ,  il  s'étoit  engagé  à  obtenir  l'abso- 
lution du  comte  Raoul  de  Vermandois  ,  et  cependant  le 
comte  Raoul  a  été  remis  sous  les  liens  de  l'excommunica- 
lioii  :  fllusus  est  cornes  Radulfus ,  et  iterum  religatus  est.  Q^u'est- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      591 
ce  que  cela  fait  au  comte  Thibaud  !   repond  S.  Bernard. 
II  avoit  promis  de  faire  absoudre  le  comte  Raoul  :  il  l'a 
fait,  il  a  rempli  sa  promesse;  le  reste  ne  le  regarde  pas. 
Tant  pis  pour  le  comte  Raoul ,  s'il  a  été  déjoué   et  pris 
dans  son  astuce.  Il   appelle  astuce  le  crédit  qu'avoit  eu 
ce  favori  du  roi,  de  faire  rompre  son   premier  mariage, 
et  de  forcer,  en  quelque  façon,  le  comte  de  Champagne 
à  approuver  le  second.  Il  n'y  avoit  pas  là  d'astuce;  tout 
cela  avoit  été  fait  sans  déguisement  et  à  force  ouverte. 
L'astuce  étoit  dans  le  conseil  du  comte  de  Champagne,  qui 
s'étoit  concerté  de  manière  que  l'absolution  accordée  au 
comte  de  Vermandois  n'étoit  qu'un  jeu,  une  pure  illusion, 
comme  cela  est  prouvé  par  la  lettre  217  de  S.  Bernard , 
dans  laquelle  il  dit  au  pape  Innocent  qu'il  ne  risque  rien 
d'accorder  l'absolution  au  comte,  parce  qu'il  sera  toujours 
en  son  pouvoir  de  le  remettre  sous  les  liens  de  l'excom- 
munication :   Dicehûrit  mimque  id  a  vohis  facile  et  ahsque 
lasione  ecclesia  impetrari ,   dum  in   manu  vestra  sit  eamdem 
denuo  sententiam  qu/2  juste  data  fuit,   incontinenti  statuere  et 
irretractabiliter  confrmare-,  quatenus  et  ars  artc  dehidatur ,  et 
pax proinde  ohtincatur,  et  qui  ghriatur  in  nuilitia  et  potcns  est 
in  iniquitûte ,  nihil  inde  lucretur. 

Prévoyant  bien  qu'on  ne  se  contenteroit  pas  de  ces 
raisons,  l'abbé  de  Clairvaux  ,  dans  la  même  lettre,  se  jette 
aussitôt  sur  d'autres  considérations.  Le  roi ,  selon  lui ,  avoit 
manqué  à  son  honneur  en  attaquant  son  vassal ,  sans  l'avoir 
défié,  sans  l'avoir  admonété  ou  mis  à  la  raison.  Il  a\oit, 
dit-il,  envoyé  son  frère  le  comte  de  Dreux  en  Champagne, 
en  passant  par  Châlons,  contre  la  clause  expresse  du  traité 
qui  concernoit  cette  ville.  Qiielle  étoit  cette  clause!  On 


jpi  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

n'en  sait  rien  ;  et  vraisemblablement  on  ne  le  saura  jamais, 
puisque  le  traite  est  perdu. 

Le  roi  se  piaignoit  encore  Je  ce  que  le  comte  de  Cham- 
pagne cherchoit  à  mettre  dans  son  parti  les  comtes  de 
Flandre  et  de  Soissons ,  parce  que  ce  dernier  devoit  épouser 
une  des  filles  de  Thibaud  ,  et  Henri  ,  fils  de  Thibaud  , 
vite  fille  du  comte  de  Flandre.  Sans  nier  le  fait ,  l'abbc  de 
Clairvaux  prétend  qu'en  cela  on  ne  faisoit  rien  de  contraire 
à  la  fidélité  due  au  roi,  parce  que  ces  Jeux  comtes  étoient 
ses  amis ,  et  non  ses  ennemis,  sur-tout  le  comte  de  Flandre, 
qui  étoit  son  cousin,  et  que  le  roi  appeloit  le  soutien  de 
la  royauté,  bûculus  reg/ii.  Il  n'y  avoit  donc  pas  de  félonie 
à  s'unir  par  des  mariages  à  des  vassaux  connus  par  leur 
fidélité  au  roi  :  à  le  bien  prendre,  il  devoit  en  résulter 
un  grand  bien  pour  la  paix  et  la  sûreté  du  royaume. 

L'abbé  de  Clairvaux  ne  répondoit  pas  moins  pertinem- 
ment à  une  autre  inculpation  qui  lui  étoit  personnelle. 
Le  roi  l'accusoit  d'avoir  travaillé,  à  l'instigation  du  comte 
Je  Champagne,  à  lui  débaucher  le  comte  de  Vermandois, 
promettant  à  celui-ci  de  se  charger  J  une  très-grande  partie 
Je  ses  péchés  ,  s'il  vouloit  se  liguer  avec  le  comte  de  Cham- 
pagne contre  le  roi.  Le  saint  abbé  se  récrie  beaucoup  contre 
cette  accusation;  il  défie  qui  que  ce  soit  d'en  administrer 
la  preuve;  et,  usant  de  récrimination  contre  le  roi,  il 
prétend  que  le  roi  avoit  contrevenu  au  traité,  en  attirant 
auprès  de  lui  le  comte  Raoul,  communicpiant  ainsi  avec 
un  adultère  excommunié  par  le  pape. 

Le  roi  soutenoit  encore  que  ce  n'étoit  pas  lui  qui  avoit 
recommencé  la  guerre  ;  que  c'étoit  le  comte  de  Champagne, 
sans  doute  parce  qu'il    n'avoit    pas  empêché    le  second 

anailicme 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      593 

anathème  prononcé  contre  le  comte  de  Vermandois  :  car 
d'ailleurs ,  dit  S.  Bernard ,  ii  se  conduisoit  envers  le  r©i  en 
sujet  soumis,  prêt  à  lui  rendre  service  et  à  lui  obéir  comme 
à^son  seigneur ,  ne  demandant  autre  chose  que  ia  paix  ; 
et  ne  travaillant  qu'à  se  concilier  les  bonnes  grâces  de  son 
suzerain.  «  Mais,  ajoutoit-il,  supposons  que  le  roi  ait  à 
»  se  plaindre  de  l'infraction  du  traité:  n'est-on  pas  convenu 
»  que,  le  cas  arrivant,  on  s'en  rapporteroità  vous  et  à  moi, 
»  qui  fûmes  les  médiateurs  de  la  paix ,  avant  qu'on  se  per- 
»  mît  aucune  hostilité!  Cette  clause,  le  comte  de  Cham- 
»  pagne  la  réclame ,  et  le  roi  ne  veut  pas  s'y  tenir. 

"  Enfin  supposons,  disoit-il ,  que  tout  le  tort  soit  du 
»  côté  du  comte  :  pourquoi  envelopper  les  églises  dans 
"  sa  punition  ?  Quel  mal  ont  fait  au  roi  les  églises  de 
"Bourges,  de  Châlons ,  de  Reims,  de  Paris,  pour  qu'il 
»  soit  autorisé  à  dévaster  leurs  terres  ou  à  les  priver  de 
"  pasteurs  ,  défendant  aux  unes  de  faire  sacrer  les  évêques 
»  élus,  et  aux  autres,  ce  qui  est  inoui ,  de  procéder  à  au- 
»  cune  élection  ,  afin  d'avoir  le  temps  de  coiisumer  tout 
»  ce  qui  leur  appartient ,  de  piller  la  substance  des  pauvres, 
»  et  de  porter  par-tout  la  désolation!  " 

Apostrophant  ensuite  l'évéque  de  Soissons  et  l'abbé 
Suger  :  «  Est-ce  vous  ,  ajoutoit-il,  qui  conseillez  au  roi 
»  de  pareilles  choses!  Il  seroit  étonnant  qu'on  les  fît  sans 
»  vous  consulter,  et  plus  étonnant  encore  que  ce  fût  par 
»  votre  avis.  Donner  de  tels  conseils,  c'est  manifestement 
»  ourdir  le  schisme,  résister  à  Dieu,  et  mettre  l'église  en 
»  servitude.  S'il  reste  dans  la  maison  du  Seigneur  quel- 
»  qu'un  qui  lui  soit  fidèle,  s'il  y  a  un  véritable  enfant  de 
'>  l'église,  il  tiendra  ferme  tant  qu'il  pourra.  Et  vous,  si 
Tome  VI-  F* 


5  94  ME.MOIRLS  DE  L'AC\\DEMIE 

'>  vous  ilesirez  sinccrement  la  paix  de  l'cgiise,  comme  cela 
>•  convient  à  des  eiifans  de  la  paix  ,  comment  ne  trem- 
»  hiez-yoïis  pas  de  manier  des  affaires  de  cette  nature,  ou 
»  mcme  d'autoriser  par  votre  présence  des  dclibcrations 
"  aussi  funestes!  car  enfin  le  mal  que  fait  un  jeune  roi  , 
'>  ce  n'est  pas  à  lui  qu'il  faut  limputer,  mais  à  ses  vieux 
"  ministres.  <• 

hem.  tp.  .'.7.  Cette  longue  lettre  valut  à  l'abhc'  de  Clairvaux  la  mor- 
lification  d'ctre  appelé  un  blasphémateur  par  l'évoque  de 
Soissons  ,  dans  une  lettre  que  nous  n'avons  pas  :  effec- 
tivement on  pouvoit  bien  ,  en  usant  de  ses  termes,  appeler 
suggestion  diabolique  le  motif  qu'il  altribuoit  au  roi  de  piller 
et  de  dévaster  les  églises,  tandis  qu'il  ne  faisoii  tjue  dé- 
fendre et  maintenir  les  droits  de  la  couronne.  Cela  ne 
l'empccha  pas  d'écrire  à  Rome,  sur  le  même  ton  et  avec 
encore  moins  de  ménagement,  au  cardinal  Etienne,  évtcjue 

u.  -./.  de  Pulestrine ,  Cistercien  comme  lui.  •<  Vous  savez,  dit-il, 

"  avec  quelle  chaleur  j'ai  intercédé  pour  le  roi  auprès  tlu 
"  pape,  et  tout  le  bien  que  j'ai  dit  de  lui,  parce  qu'il 
•  faisoit  alors  de  belles  promesses.  Maintenant  qu'il  nous 
•»  rend  le  mal  pour  le  bien,  je  suis  forcé  d'écrire  tout  le 
"  contraire.  J  ai  honte  de  mon  erreur  et  d'avoir  conçu  de 
•'  lui  de  fausses  espérances;  je  suis  bien  aise  de  n'avoir  pas 
"  été  exaucé,  lorsque  j'avois  la  simplicité  de  m'intéresser 
»  pour  lui.  Je  crovois  bien  faire  d'avoir  quelque  coiules- 
'•  tendance  pour  un  roi  qui  sembloit  désirer  la  paix  ;  et 
»  il  se  trouve  que  j'ai  favorisé  le  plus  grand  ennemi  de 
••  l'église.  On  foule  aux  pieds  ,  chez  nous  ,  les  choses 
•»  saintes;  l'église  est  réduite  à  ime  honteuse  servitude; 
>»  on  empêche  de  pourvoir  par  des  élections  aux  évêchés 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  595 
»  vacans;  et  si  le  clergé  ose  quelquefois  élire  un  évéque, 
»  on  ne  permet  pas  à  celui-ci  d'entrer  en  fonction.  Enfin 
»  l'église  de  Paris  est  dans  le  deuil  et  sans  pasteur,  et 
»  personne  n'ose  parler  d'y  en  mettre  un  autre.  On  ne  se 
»  contente  pas  de  dépouiller  les  maisons  épiscopales  des 
»  biens  que  l'on  y  trouve,  on  porte  des  mains  sacrilèges 
»  sur  les  terres  et  sur  les  colons  qui  en  dépendent  ;  on 
»  s'empare  des  revenus  de  toute  l'année.  L'église  de  Châ- 
»  ions,  dans  laquelle  vous  avez  pris  naissance,  a  fait  élec- 
»  tion  d'un  évéque  ;  mais  la  personne  élue  est  depuis 
»'  long-temps  frustrée  de  sa  dignité  :  c'est  le  comte  Robert, 
»  frère  du  roi ,  qui  tient  sa  place ,  exerçant  sa  puissance 
»  sur  les  biens  de  cette  église,  et,  pour  s'acquitter  digne- 
»  ment  de  sa  commission,  offrant  tous  les  jours,  non  pas 
»  des  victimes  pacifiques ,  mais  les  cris  des  pauvres  ,  les 
"  larmes  des  veuves  et  des  orphelins  ,  les  gémissemens  des 
»  prisonniers  ,  le  sang  des  hommes  qu'on  fait  mourir. 
»  Trouvant  le  théâtre  trop  étroit,  il  exerce  encore  ses 
»  cruautés  sur  les  églises  de  Reims ,  dont  il  ravage  par  le 
»  fer  les  terres  fertiles  et  les  villages  populeux ,  qu'il  a 
»  presque  réduits  en  solitudes.  C'est  ainsi ,  ajoute-t-il ,  que 
"  le  l'oi  répare  le  serment,  digne  d'Hérode,  qu'il  a  fait 
»  contre  l'église  de  Bourges  ".  Sic  rex  cmeiidat  quod  in  eccle- 
siam  Bituriccnsem  Herodiano  jurameiito  commisit. 

On  conviendra  qu'il  y  a  bien  de  l'exagération  dans  ce 
tableau,  ou  plutôt  dans  cette  déclamation,  si  l'on  fait 
attention  que  l'on  contestoit  au  roi  un  droit  qu'il  croyoit 
incontestable,  celui  de  confirmer  ou  de  rejeter  les  élections 
faites  par  le  clergé.  Il  étoit  donc  naturel  qu'il  ne  permît 
ni  d'élire  ni  d'introniser  des  évêques ,  jusqu'à  ce  que  la 

F+  ij 


!itrn.  rp.  jjj. 


jptf  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

contestation  fût  «JcciJce  ;  et  comme,  en  attendant,  \cl  rc- 
gii/e  ctoit  ouverte,  c'ctoit  au  rcii  à  prendre  en  main  l'ad- 
ministration des  biens  et  à  en  percevoir  les  revenus.  C'est 
une  pure  malignité  de  dire,  ccMnme  fait  ailleurs  S.Bernard, 
que  le  roi  ne  laissoit  les  évèchcs  vacans  (jiie  pour  a\oir  le 
temps  de  ruiner  le  temporel  des  églises. 

L'interprctaiion  qu'il  donne  ensuite  aux  démarches  du 
roi  pour  empêcher  les  mariages  que  le  comte  de  Cham- 
pagne vouloit  contracter,  soit  avec  le  comte  de  Soissons , 
soit  avec  celui  de  Flandre ,  pour  l'avancement  de  ses  en- 
fans  ,  renferme  encore  plus  de  malignité.  La  politique  de 
Louis-le-Jeune  étoit  assez  éclairée  pour  voir  qu'il  étoit 
de  l'intérêt  de  l'État  d'empêcher  que  la  maison  de  Cham- 
pagne ,  déjà  trop  puissante  ,  ne  prit  des  agrandisse- 
mens(i):  cependant,  méconnoissant  un  motif  si  légitime, 
et  toujours  en  opposition  avec  les  vues  du  gouvernement, 
S.  Bernard  attribue  au  roi  la  crainte  ridicule  de  voir  l'union 
ft  la  bonne  amitié  régner  entre  ses  vassaux.  Suspecta  est 
un  dilatatio  ciirittitis;  iiec  se  puUit  regeiu ,  si  se  jmaveririi  prin- 
cipes. Conjiciat  prudeiitia  vcstrci  ijuid  tinimt  ergci  subditos  gerat , 
,jui  lie  odio  dttjuediscordiu,  si  fuerit  intcr  suos ,  se  astimat  for- 
liorem.  Vidcdt  et  perpciiddt  si  est  hic  hoiiioxà  Dca.  fjui  in 
suoruni  nuigis  mutua  simultdtc  (juùni  cari  ta  te  confidit.  Ce  (jui 
prouve  (pie  le  roi  agissoit  par  des  motifs  plus  louables,  et 


(i)  Si  Henri  ,  fils  aîné  du  comte  de 
Chanip.igne,  eui  épous<-  .ilors  l'ainiV 
des  filles  du  comte  de  Flandre,  le 
comté  de  Flandre  seroit  tombé,  cin- 
qu.inte  ans  après,  dans  l.i  maison  de 
Cli.impac"c,  comme  il  passa  dans 
iclUde  Hainaut  par  le  mariage  d'une 


autre  fille  du  comte  Thierri  d'Alsace. 
Louis-le-Jeune  fit  plus  sagement 
de  faire  épouser  à  Henri  de  Cham- 
pagne une  de  ses  filles,  qui,  dans 
aucun  cas,  ne  poiivoit  contribuer  à 
l'agrandissement  de  cette  maison. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  597 
qu'il  n'ctoit  pas  mal  fondé  dans  son  opposition ,  c'est  que 
les  mariages  n'eurent  pas  lieu, 

La  lettre  de  S.  Bernard  chargeoit  encore  le  roi  d'autres 
reproches,  sur-tout  d'avoir  manqué  au  traité  en  rappelant 
à  la  cour  le  comte  de  Vermandois,  adultère  excommunié , 
et  de  se 'servir  de  lui ,  ainsi  que  de  beaucoup  d'autres  excom- 
muniés, parjures,  incendiaires,  homicides,  pour  faire, 
disoit-il,  la  guerre  à  l'église,  tandis  que  le  comte  de  Cham- 
pagne en  étoit,  sans  contredit,  le  plus  zélé  défenseur.  Ce 
sont  là  des  récriminations  auxquelles  je  ne  m'arrêterai  pas. 
Mais,  comme  on  étoit  fondé  à  réclamer  de  la  part  du  comte 
de  Champagne  une  clause  du  traité  de  paix  qui  portoit 
que,  s'il  survenoit  entre  le  roi  et  le  comte  quelque  sujet 
de  plainte,  on  s'en  rapporteroit  au  jugement  des  mêmes 
personnes  qui  avoient  négocié  le  traité  ,  le  roi  consentit 
à  avoir  une  conféreiice  à  Corbeil  avec  l'évéque  d'Auxerre 
et  S.  Bernard,  en  présence  de  l'évéque  de  Soissons  et  de 
l'abbé  Suger, 

Dans  cette  conférence,  l'abbé  de  Clairvaux,  dès  les 
premiers  mots ,  choqua  inconsidérément  le  roi ,  qui  se  retira 
brusquement  pour  ne  pas  l'entendre.  C'est  le  saint  homme 
qui  nous  l'apprend  lui-même,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit 
au  roi  ,  afin  de  renouer  la  négociation.  «  Après  tant  de  Beyn.ep.^^ô. 
»  mouvemens  que  nous  nous  sommes  donnés  ,  dit-il ,  afin 
»  de  vous  procurer  une  paix  solide  ,  il  est  triste  pour  nous 
»  de  n'avoir  retiré  de  toutes  nos  démarches  presque  aucun 
«  fruit.  Les  peuples  ruinés  ne  cessent  de  crier  après  nous, 
»  parce  que  le  pays  est  dans  la  désolation.  Voulez-vous 
»  savoir  quel  pays!  c'est  le  vôtre,  sire,  et  non  celui  d'im 
V  autre.    Ceux  que  la   guerre   que   vous  faites ,   écrase , 


J98  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

"  appauvrit,  met  en  captivité,  sont  tous  vos  sujets,  soit 
»  qu'ils  combattent  pour  vous,  ou  qu'ils  portent  les  armes 
»  contre  vous  ;  et  il  est  vrai  de  dire  qu'un  royaume  en 
"  proie  à  des  divisions  intestines  tombera  en  ruine.  Nous 
»  pensions  que,  touche  de  Dieu  et  cclairt  sur  vos  vrais 
"  intérêts,  vous  étiez  revenu  de  votre  erreur,  et  que  vous 
"  desiriez  sortir  du  mauvais  pas  dans  lequel  vous  avoient 
>•  jeté  ceux  qui  trouvent  leur  avantage  dans  le  trouble  et 
»  la  division.  Nous  avons  été  bien  détrompés  par  ce  qui 
"  s'est  passé  dernièrement  au  colloque  de  Corbeil.  Sire, 
»  permettez-moi  de  vous  dire  que  vous  avez  eu  tort  de 
"  nous  quitter  sans  vouloir  iious  entendre.  Si  nous  eussiez 
»  daigné  écouter  jusqu'à  la  fin  le  discours  cpii  vous  a 
»  choqué,  peut-être  seriez-vous  convenu  qu'il  n'y  avoit 
•>  rien  d'indécent  ou  de  trop  onéreux  dans  les  propositions 
»  qu'on  vous  faisoit ,  vu  I  état  où  sont  les  choses.  Mais 
»  non  :  effarouché  sans  raison ,  vous  nous  avez  laissés  dans 
»  le  trouble  et  la  confijsion  ,  ne  sachant  plus  que  faire  pour 
"  vous  procurer  le  bien  auquel  nous  travaillons  plus  sin- 
»  cèrement  (jne  ces  esprits  turbulens  et  superficiels,  (jui , 
..  appelant ww/ ce  qui  est  un  bien , et  ^/>/;  ce  qui  est  un  mal, 
"  vous  trompent  et  vous  égarent.  Quanta  nous,  persuadés 
>>  que  les  maux  qu'on  a  déjà  éprouvés  ont  fait  impression 
>•  sur  votre  coeur  ,  nous  ne  désespérons  pas  ,  quoiqu  un 
••  peu  découragés,  de  vous  voir  revenir  à  des  sentimens 
•'  plus  traitables  ,  et  terminer  une  négociation  que  vous 
'•  avez  eu  le  bon  esprit  d'entamer.  C'est  pour  sonder  là- 
>•  dessus  vosdispositions,  que  je  vous  envoie  le  frère  André 
"  de  Baudement,  qui  m'apportera  votre  réponse.  Au  reste, 
»  si  vous  persistez  à  ne  vouloir  écouter  aucun  bon  conseil, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  599 
»  on  ne  pourra  pas  me  reprocher  le  mai  qui  vous  arrivera 
»  immanquablement,  et  Dieu  ne  permettra  pas  que  son 
»  église  soit  avilie  et  vexée ,  soit  par  vous ,  soit  par  ceux 
>»  qui  combattent  sous  vos  enseignes.  » 

La  négociation  en  étoit  à  ce  point,  lorsque  le  pape 
Innocent  mourut,  le  24  septembre  1 143  î  ^t  sa  mort  fut 
un  obstacle  de  moins  pour  parvenir  à  une  entière  pacifica- 
tion. Des  ambassadeurs  furent  envoyés  par  ie  roi  à  son 
successeur,  Célestin  II  ,  qui,  au  rapport  de  l'anonyme  de  ,^^'"'/f/'^^'^'' 
Morigni,  accorda  sans  difficulté  la  levée  de  l'interdit  sous  ir-mc  p.  ^Sy. 
lequel  la  France  gémissoit  depuis  trois  ans.  S.  Bernard 
lui  écrivit  aussi  de  son  côté,  pour  demander,  au  nom  Bem.  q>.  ^iS. 
du  comte  de  Champagne,  une  paix  solide  après  laquelle 
tout  le  monde  soupiroit.  Elle  fut  faite  :  mais  sur  quelles 
bases  fut-elle  assise!  C'est  ce  qu'aucun  écrivain  ne  nous 
apprend.  A  en  juger  par  ie  cours  que  reprirent  les  choses, 
il  paroît  que  le  roi  permit  que  Pierre  de  la  Châtre  en- 
trât en  possession  de  son  église  ;  et  ce  qui  prouve  que  le 
roi  n'avoit  aucune  animosité  personnelle,  et  qu'en  le  reje- 
tant il  ne  vouloit  que  maintenir  la  prérogative  du  trône, 
c'est  que,  dans  la  suite,  il  fit  de  l'archevêque  de  Bourges 
son  meilleur  ami.  De  son  côté,  le  comte  de  Champagne 
renonça  sans  doute  à  ses  poursuites  contre  le  mariage  du 
comte  de  Vermandois,  qui ,  jusqu'à  sa  mort,  conserva  sa 
nouvelle  épouse.  « 

Qiiant  à  la  question  principale  qu'avoit  élevée  le  pape 
Innocent  II ,  le  roi  resta  en  possession  de  confirmer  les 
élections  aux  évêchés  et  aux  abbayes.  Cela  est  prouvé 
par  un  grand  nombre  de  lettres  adressées  à  l'abbé  Suger, 
pendant  qu'il  étoit  régent  du  royaume. 


6oo  .Ml  .MOIRES  DL  L'ACADi..MIE 

Suftr!!  rp.  4j.  \ ."  Lcglisc  d'Autiin,  ayant  élu,  l'an  w^"  ,  un  c\cque 
en  la  personne  Je  Henri  de  Bourgogne,  ccrivoit  au  rcgent: 
ObsccriWius  itci(]ue  excellcntuim  vcstnmi ,  ■  tjiintcims  huic  clcc- 
tioiii  /lostra  assensum  vestrum  prahcatis ,  et  lilicns  vestns  pcr- 
soiuim  clecti  domino  pnpa  cotumeudctis. 

Sugnii  (p.  },  2.°  Les  religieux  de  Bourgueil  avoient  clu  un  abbé, 
sans  avoir  demandé  la  permission  au  roi.  Ulger,  évéque 
d'Angers,  dans  une  lettre  à  l'abbé  Suger,  expose  les  motifs 
qui  ont  déterminé  les  religieux  à  iiâter  l'élection,  et  prie 
le  régent  d'approuver  ce  qui  avoit  été  fait.  Suger  accorde 
la  demande,  sauf  le  droit  du  roi,  sur  lequel  les  religieux 
seront  tenus  de  répondre  à  la  cour  du  roi,  lorsqu'il  sera 
de  retour ,  ou  à  lui-même,  s'il  juge  à  propos  de  les  mettre 
en  jugement  :  Election}  eoriim  assensuw ,saho  regnijurc,  tdlitcr 
(icciivius  ,  ut  si  qnid  iude  contra  regia  vuyestûtis  dignitatcm 
luiniis  benè  fdctum  fuit,  domino  régi,  t]u<indo ,  Deo  volente , 
redicrit ,  sicut  modo  si  adesset ,  si  ci  pLicucrit ,  judicio  curia 
sua  respondeant ,  vcl  nobis  ,  (jui  loco  ejus  providcmus ,  si  iude 
ûgere  volucrimus. 

lJ.t;,i),j}.  j.o  Lç5  religieux  de  Sainl-Riquier .  dans  le  Ponthieu , 
avoient  choisi  un  abbé  qu'ils  disoient  canoniquement  élu. 
L'évc^que  d'Amiens  avertit  l'abbé  Suger  que  cet  homme 
ne  convenoit  point  au  poste  qu'on  lui  destinoit.  Cette 
élection  fut  rejetée,  et  il  fallut  que  les  suffrages  se  por- 
tassent sur  un  autre  sujet. 

U  //.  4.'   Le  chapitre  de  l'église  de  Noyon ,  ayant  élu    un 

évcque  pour  remplacer  Simon  ,  décédé  pendant  le  voyage 
de  la  Terre-sainte,  supplie  le  régent  d'approuver  le  choix 
qu'il  venoitde  faire.  Nous  n'avons  pas  la  réponse  du  régent; 
mais  la  lettre  du  chapitre  suffit  pour  établir  la  thèse  que 


}4,)S 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  60 1 
nous  vouions  prouver ,  que  le  consentement  du  roi  étoit 
indispensable. 

5."  A  Chartres,  après  l'élection  de  l'évêque  Gosiin  ,  u.i/,,iç,2o. 
le  chapitre  demanda  au  régent  d'y  donner  son  consente- 
ment ,  et  de  rendre  à  1  evêque  élu  les  régales  qu'il  avoit 
mises  sous  la  main  du  roi,  Suger  accorde  la  première  de- 
mande. Quant  aux  régales,  il  explique  quels  sont  les 
usages  du  royaume  sur  cette  matière.  Il  faut,  dit-il,  que 
l'évèque  soit  auparavant  consacré,  et  qu'il  se  présente  en- 
suite au  palais  du  roi  pour  faire  le  serment  de  fidélité.  De 
regalibus  verà,  sicut  in  curia  dominorum  regum  Francoruni  nios 
antiquus  fuisse  dignoscitur ,  cîim  episcopus  consecratus  et  in 
paJatium  ex  more  canonico  fuerit  introductiis ,  tune  et  reddeiitiir 
omnia.  Hic  est  enitn  redditionis  ordo ,  ut ,  sicut  diximus ,  in  pa- 
latio  statu  tus  régi  et  regno  fdelitatem  faciat ,  et  sic  demùm 
regalia  recipiat. 

Enfin,   trois  ans  après  la  mort  du  pape  Innocent,  Eu-     SpkH.  m-fii. 
^  prit  sur  lui  de  consacrer  un  eveque  pour  i  église 

de  Tournai,  qui,  depuis  cinq  cents  ans,  étoit  gouvernée 
par  l'évéque  de  Noyon ,  sans  avoir  consulté  ni  le  roi ,  ni 
le  comte  de  Flandre:  mais,  prévoyant  bien  que  cette  affaire 
éprouveroit  de  leur  part  quelque  contradiction ,  comme 
elle  en  avoit  éprouvé,  sous  le  pape  Paschal  II,  de  la  part 
de  Louis-le-Gros,  et,  plus  récemment,  pendant  le  ponti- 
ficat d'Innocent  II,  il  eut  la  précaution  d'écrire  aux  parties 
intéressées,  pour  les  instruire  des  motifs  qui  l'àvoient  fait 
agir,  des  avantages  qui  dévoient  en  résulter  pour  les  peuples 
de  ces  contrées,  trop  éloignés  de  leur  pasteur,  et  les  prier 
en  même  temps  de  trouver  bon  ce  qui  avoit  été  fait.  C'étoit 
reconnoître  en  principe  que  le  consentement  du  roi  et 
Tome  VI,  G^ 


6oz  .MKMOIIIF^  DE  L'ACADKMIE 

du  souverain  du  pays  auroit  dû  être  requis  prcalablement. 
Aussi  le  nouvel  cNcque  u't'prouva-t-il  aucune  opposition 
Je  la  part  de  ces  princes  ,  ni  de  la  part  de  IVvèque  de 
Noyon. 

Ainsi  luiit  celte  contestation  ,  dans  laquelle  S.  Bernard, 
imhii  ,  comme  tant  d'autres  de  ses  contemporains  ,  des 
nouvelles  maximes  ultramontaines,  iit  preuve  d'éloquence, 
mais  non  il'une  grande  connoissance  des  droits  politiques 
des  souverains  ,  qui  tous  ,  à  cette  époque  ,  étoient  aux 
prises  avec  la  cour  de  Rome  pour  le  maintien  de  leurs 
prérogatives. 


.»■  ■    iTTc 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      603 

MÉMOIRE 

SUR 

LE    PROCÈS    DE    GUICHARD, 

ÉVÉQ.UE     DE     TROYES, 

EN     1304    ET    ANNÉES    SUIVANTES. 

Par   m.   le   comte  BOISSY  D'ANGLAS. 


J'aime  à  me  livrer  à  l'examen  des  anciennes  causes  ce-    Lu  k  9  Mai 

181  '^. 
lèbres ,   moins  encore  pour  l'intérêt  qu'excitent  souvent 

les  personnes  qui  y  sont  impliquées,  ou  pour  les  grandes 
questions  de  jurisprudence  et  de  morale  qui  y  sont  trai- 
tées quelquefois  avec  étendue ,  que  parce  qu'elles  font 
connoître  les  mœurs  ,  les  usages  et  les  préjugés  des 
contemporains,  et  qu'elles  indiquent  ainsi,  d'une  manière 
assez  exacte,  la  situation  de  l'esprit  humain  à  l'époque 
de  leur  discussion. 

L'un  des  procès  les  plus  remarquables ,  parini  ceux 
dont  oh  peut  puiser  la  cojinoissance  dans  les  anciens 
documens  de  notre  histoire,  est  celui  de  Guichard,  évéque 
de  Troyes,  qui  vivoit  sous  le  règne  de  Phiiippe-le-Bel , 
pendant  les  fameuses  querelles  de  ce  prince  et  du  pape 
Boniface  VIII;  querelles  où  ,  comme  l'on  sait,  il  ne  s'a- 
gissoit  de  rien  moins,  dans  les  prétentions  du  pape,  que 

G4ij 


6o4  MEMOIRES  DE  L'AC.^DE.MIE 

dctablir,  en  fait  et  en  principe,  la  suprématie  du  saint- 
bicge  sur  lautoritc  souveraine  des  rois  (  i  )  ,  et  où  les 
foudres  du  N'atican,  les  interdits,  les  excommunications, 
t-n  un  mot  tout  ce  que  le  fanatisme  ambitieux  pouvoit 
imaginer  de  moyens  iiostiles,  lurent  employés  pour  asser- 
vir les  trônes,  à  la  chaire  apostolique,  et  combattre  un 
prince  qui,  quoique  répréliensible  sous  beaucoup  de  rap- 
ports, mérite  pourtant  quelque  estime  pour  avoir  senti 
ce  cju'il  devoit  à  la  dignité  de  sa  couronne  et  à  l'indépen- 
dance de  ses  successeurs. 

Le  procès  de  Guichard  est  contemporain  de  celui  bien 

plus  curieux  sans  doute  des  Templiers,  qui  a  été  l'objet 

de  tant  de  recherches  et   le  sujet  de  tant  d'incertitudes, 

sur  lequel  la  flatterie  et  l'esprit  de  parti  ont  jeté  si  long- 

'■  temps  d'épaisses  ténèbres,  et  où  la  postérité,  long-temps 

indécise   entre  la    foiblesse   des  premiers  aveux  arrachés 

par  la  crainte  des  tortures  et  le  contraste  des  dénégations 

postérieures,  supérieures  à  la  certitude  de  la  mort,  atten- 

doit,  peut-être  pour  se  décider,  que  les  émotions  les  plus 

Tragidu  dii   douces,  excitées  au  théâtre  par  le  génie,  vinssent  jeter  un 

M^éjiSrl   nouvel  intérêt  sur  une  cause  presque  oubliée. 

Le  procès  de  Guichard  semble  avoir  eu  beaucoup  de 
ressemblance  avec  celui  des  Templiers  ,  tant  dans  sa 
marche  et   dans   ses   formes ,  (jue  dans   son  objet  ,  si  ce 


(i)  Ces  qucrillcs  na(juircnt  à  l'oc- 
caiion  de  IVvéque  de  Paniiers,  qui 
avoit  excité  ses  diocésains  à  se  révol- 
ter contre  le  roi.  Philippe  le  fit. irrètcr 
et  voulut  le  Tiire  punir;  mais  le  pape 
prit  sa  défense,  et  adressa  au  roi  une 
bulle  où  l'on  trouve  ces  paroles  : 
«  Ne  voui  laissez  pas  persuader  que 


»  vous  n'.nyc/  point  de  supérieur,  ni 
M  que  vous  ne  soyez  pas  soumis  au 
»  chef  de  la  hiérarchie  ccclésias- 
>•  tique, &c.  »  Ce  fut  là  le  commen- 
cement. D'autres  allégations  plus 
fortes  suivirent.  On  peut  lire  le  dé- 
tail de  cette  atfaire  dans  Dupuy, 
Baillet,  Fleurv,  &c. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      60  j 

n'est  qu'il  ne  tut  dirige  que  contre  un  seul  homme,  tandis 
que  celui  des  Templiers  le  fut  contre  une  collection  d'in- 
dividus ,  et  attaqua  des  institutions ,  au  lieu  de  ne  pour- 
suivre que  des  faits  particuliers.  L'évèque  de  Troyes  pa- 
roît  avoir  eu  les  mêmes  ennemis  que  les  chevaliers  du 
Temple.  Son  dénonciateur  fut  aussi  le  leur.  Ce  fut  cet 
infâme  Noffé-dey ,   Florentin,  qui,  après   avoir   dénoncé      FUurjy,  Hht. 

,.„  .  .        eCi'liS, 

les  Templiers  pour  des  crimes  auxquels  il  avouoit  avoir  Trmr    .ûs 

pris   part   pendant  qu'il  étoit  parmi  eux,   et  avant  qu'il  '  """■ 
fût   chassé  de   leur   ordre,    dénonça  aussi  Guichard,  fut 

chargé  de  diriger   l'information    ordonnée  contre   lui    et  Tnsor  da 

,^  ,,  I  .      I      ■  I       •  •       •  chartes. 

sur  laquelle  on  devoit  le  juger,  devint  ainsi  accusateur  et 
juge ,  et ,  ayant  été  par  la  suite  condamné  à  la  mort  pour 
d'autres  crimes,  déclara,  sur  le  point  d'expirer,  non  pas      /r/f„y,_  /y/„ 
l'innocence  des  Templiers  ,  ce  qu'on  ne  lui  eût  peut-être  '^"  '''       '^''»" 
pas  permis  de  faire,  mais^ celle   de  l'évèque   Guichard,   J^j'''^^,^"''^' 
victime  inoins    importante  de  son  odieuse  scélératesse.   losamrum.p.^ù. 
Comme   dans  le   procès  des  Templiers ,    où  des  inquisi- 
teurs nommés  par  le  roi  furent   chargés  de  recueillir  les        Tràar^   des 
témoignages  et  les  preuves  qui  pouvoient  se  trouver  contre   """■"■'■ 
Guichard,  des  commissaires  nommés  par  le  pape  conti- 
nuèrent  les   informations,  et   la  discussion   en    fut  faite 
publiquement ,  devant  une  assemblée  nombreuse  tenue 
à  Paris,  dans  l'enceinte  du  palais,  où  tout  le  peuple  fut  ^ 

appelé. 

On  articula  contre  lui ,  ainsi  que  contre  les  Templiers,     y^,^; 
des  accusations  de  magie  et  d'impiété  ,  et  d'autres  qui  ten- 
doient  à  établir  l'excessive  dépravation  de  ses  mœurs. 

Enfin  ,  si  l'on  a  paru  croire  que  la  part  que  prirent  les     ul. 
Templiers  aux  révoltes  qu'excita  contre  Philippe  l'altéra- 


6o6  MÉMOIRES  DE  L'AC.AJ^EMIE 

tion  qu'il  fit  des  monnoies,  put  occasionner  leur  proscrip- 
tion ,  on  pourroit  présumer  aussi  que  Guichartl  encourut 
la  haine  Ju  roi,  en  se  prononçant  ouvertement,  comme 
il  le  fit,  pour  le  pape,  et  en  se  rendant  à  Rome,  ainsi 
que  plusieurs  cvcques  de  France,  pour  assistera  un  con- 
cile convoque  par  Boniface  ,  et  dans  lequel  on  dcvoit  con- 
damner Pliiiippo. 

Les  accusations  dirigées  contre  lui  pendant  les  dix 
années  que  dura  son  procès,  furent  nombreuses,  mais 
incertaines  et  d'abord  vagues.  Elles  portoient  sur  une 
foule  de  crimes  dont  les  cnonciations  se  succcdoient  à 
mesure  que  les  informations  avoient  lieu.  On  voit  évi- 
demment ,  par  la  marche  de  la  procédure  ,  qu'il  s'agissoit 
moins,  dans  cette  occasion,  de  vaincre  ou  de  réprimer  des 
attentats  ,  que  de  faire  condamner  un  homme. 

Sa  première  accusatrice  fut^Blanche ,  mère  de  la  reine 
épouse  du  roi,  et  comtesse  de  Champagne  en  même  temps 
que  reine  de  Navarre.  Elle  l'accusa  d'avoir  e.xcité  contre 
elle  une  sédition  à  Provins,  pour  se  venger  de  ce  qu'elle 
l'avoit  fait  chasser  du  conseil  du  roi  ;  elle  lui  reprocha 
ensuite  d'avoir,  pour  une  somme  d'argent,  fait  mettre  en 
liberté  Jean  de  Calés  ,  trésorier  du  comté  de  Champagne, 
emprisonné  pour  ses  déprédations;  et  ce  qu'il  y  a  d'étrange, 
c'est  que  celui-ci  affirma  la  vérité  de  ce  fait.  Il  est  vrai, 
ce  qui  ne  l'est  pas  moins,  que  cet  individu  ,  près  ile  mou- 
rir de    maladie  à  Viterbe,  où   il   s'étoit  retiré,  écrivit, 
lamdc,;.:,   pouf  la  décharge  de  sa  conscience  ,  au  roi  et  à  la  reine 
;. vXlwf  JeaniK^ ,  son  épouse ,   que  cette  déposition  étoit  fausse  , 
qu'il  ne  l'avoit  faite  qu'à  l'instigation  de  Nolfé-dey,  Flo- 
rejitin,  et  de  l'archidiacre  de  N'cndome,  clerc  de  la  reine 


DES  INSCRIPTIO?>IS  ET  BELLES-LETTRES.  607 
épouse  du  roi ,  lesquels  lui  avoient  tlit ,  entre  autres  choses^ 
qu'il  feroit  plaisir  à  la  reine  Blanche  en  déposant  de  cette 
manière,  et  qu'il  en  obiiendroit  son  pardon  pour  les  torts 
qu'il  avoit  à  se  reprocher  envers  elle. 

Une  première  enquête  fut  faite  sur  ces  deux  accusa- 
tions de  la  reine.  Elle  le  fut  par  Nofic-dey ,  le  grand 
promoteur  de  ce  procès;  mais  on  ne  voit  pas  en  vertu  de 
quels  pouvoirs  il  procéda  dans  cette  première  informa- 
tion conservée  au  dépôt  des  chartes ,  ainsi  que  les  lettres 
de  Jean  de  Calés,  dont  j'ai  parlé  tout-à-l'heure,  et  les 
autres  pièces  manuscrites  dont  je  ferai  mention  par  la 
suite.  Plusieurs  témoins  déposèrent  contre  Guichard;  mais 
aucun  ne  parle  ,  ni  de  l'élargissement  de  Calès  ,  ni  de  la 
sédition  de  Provins.  Tous  énoncent  des  reproches  vagues 
et  nouveaux.  Le  premier  témoin  dit  que  Guichard  est  un 
usurier ,  et  qu'il  a  fait  assassiner  un  prêtre.  Le  quatrième 
dit  la  même  chose ,  et  rien  de  plus.  Le  septième  dit  qu'il 
est  un  faussaire  et  un  faux-monnoyeur ,  et  ne  donne 
aucune  explication;  le  dix-neuvième,  qu'il  a  fait  mourir 
plusieurs  personnes,  et  il  n'en  désigne  aucune.  Le  ving- 
tième reproduit  le  reproche  d'usure  déjà  fait  par  d'autres 
témoins,  et  ajoute,  sur  le  fait  de  faux  monnoyage ,  qu'il 
est  l'agent  d'une  compagnie  qui  a  eu  jusqu'à  six  mille 
livres  cpurantes  en  monnoie  de  bas  aloi.  Trois  autres  té- 
moins déposent  qu'il  a  fait  mourir  en  prison  deux  per- 
sonnes d'une  inanière  fort  cruelle  ,  et  qu'ils  savent  par 
ouï-dire  qu'il  faisoit  de  l'argent  par  alchimie. 

Il  ne  paroît  pas  que  ces  allégations  non  spécifiées,  et 
que  des  tribunaux  tant  soit  peu  raisonnables  se  seroient 
bien  gardés  d'accueillir ,  aient  provoqué  contre  Guichard 


ihariet 


60?,  .MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

aucune  disposition  juridique.  Il  se  pourroit  nitme  que 
cette  première  information  faite  par  le  seul  Noilc-dey, 
et  qui  ne  paroît  pas  avoir  eu  aucun  caractère  ofliciel,  ne 
fut  qu'une  suite  de  renseignemens  recueillis  par  l'accu- 
sateur pour  servir  tie  motif  aux  poursuites  que  ion  pro- 
posoit  contre  l'accuse.  Il  est  seulement  à  remarquer  qu'il 
résulte  d'une  note  écrite  sur  cette  pièce  manuscrite,  qu'elle 
dut  être  communiquée  à  Jean  ou  Guillaume  de  Nogaret: 
or  on  sait  avec  quelle  violence  le  même  Nogaret  se  con- 
duisit envers  Boniface  Vlll ,  et  quelle  fut  la  part  qu'il  prit 
à  la  proscription  des  Templiers  ;  et  l'on  peut  supposer 
de  plus  en  plus,  d'après  cela,  que  ces  diverses  affaires 
n'étoient  pas  sans  liaison  entre  elles. 

Mais  il  s'en  faut  bien  qu'on  se  soit  contenté  de  cette  in- 
signifiante information  :  de  nouvelles  accusations  mieux- 
articulées  et  plus  dangereuses  vinrent  bientôt  lui  succéder. 

La  reine  Blanche  de  Navarre,  et  sa  fille  Jeanne,  reine 
de  France,  moururent  vers  le  même  temps,  la  dernière 
dans  sa  trente-troisième  année.  On  accusa  l'évêque  Gui- 
chard  ,  dont  elles  s'étoient  montrées  les  ennemies,  d'être 
la  cause  de  leur  mort.  On  y  Joignit  renonciation  de  plu- 
sieurs autres  crimes,  et  l'on  obtint  du  pape  Clément  V, 
qui  se  trouvoit  alors  à  Poitiers,  la  nomination  d'ime  com- 
mission ecclésiastique  pour  en  vérifier  la  réalité. 
Trtitr  .iî-f  La  bulle  qui  l'établit  porte  textuellement  que,  «  d'après 
>'  les  plaintes  qui  lui  ont  été  portées  contre  lui"  (  la  bulle 
ne  dit  pas  par  qui) ,  «<  l'archevêque  de  Sens  et  les  évêques 
•  d'Orléans  et  d'Auxerre  feront  le  procès  à  l'évêque  de 
"  Troves,  le  feront  prendre,  informeront  contre  lui  pour 
»  sortilèges  et  empoisonnement  de   la  reine  Jeanne,  et 

3>  pour 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      (Î09 

»  pour  avoir  tâche  d'empoisonner  Charles  comte  d'An- 
»>  jou  et  le  roi  de  Navarre  ,  et  qu'ils  enverront  au  pape 
»  les  procédures  qu'ils  auront  faites.  » 

Cette  huile,  donnée  à  Poitiers,  ûnno  tertio  poiitlfcûli , 
est  par  conséquent  de  l'an  de  grâce  1207  ou  1208,  c'est- 
à-dire,  du  temps  où  l'on  procédoit  contre  les  Templiers, 
tant  à  Paris  qu'à  Poitiers ,  et  d'environ  quatre  ans  moins 
ancienne  que  les  premières  accusations  portées  contre 
Guichard  par  la  reine  Blanche. 

En  exécution  de  cet  acte  de  l'autorité  pontificale ,  les 
trois  commissaires  appelèrent  de  nomhreux  témoins;  mais 
ils  firent  précéder  leur  information  d'une  sorte  d'acte  énon- 
ciatif  des  prétendus  crimes  de  Guichard  ,  sur  lesquels  les 
instructions  dévoient  porter. 

Dans  cet  acte,  qui  est  transcrit  au  commencement  de  Tràor  da 
l'enquête  à  laquelle  il  sert  de  préambule,  et  sur  lequel 
sans  doute  on  interrogea  les  témoins,  il  est  exposé  «  que 
»  Guichard  étoit  sorcier;  qu'il  portoit  une  haine  mortelle  à 
»»  ia  reine  Jeanne  de  France  et  à  sa  mère  ,  parce  que  c'étoit 
»  à  leur  poursuite  qu'il  avoit  été  chassé  du  conseil  du 
"  roi;  qu'il  s'étoit  vanté  qu'il  les  feroit  mourir;  qu'il  s'étoit 
»  accosté  d'une  femme  inspiritee  (  i  )  qui  se  disoit  sor- 
»  cière  (2)  ;  qu'il  l'avoit  consultée  sur  la  façon  de  fiiire 
»  mourir  la  reine  Jeanne;  qu'il  avoit  recherché  un  moine 
»  jacobin  nommé  Je^m  de  Fayac ,  pour  s'en  aider  dans  le 
»  même  objet  ;  qu'il  avoit  fait  venir  le  diable  ;  que  le 
»  diable,  interrogé  par  lui  dans  les  formes  de  la  sorcellerie. 


cluirtci. 


n'avoit  pas  besoin  de  consulter  une 
sorcière. 


(1)  Je   ne  sais   ce  que  signifie  le 
mot  Ôl  inspiritee. 

(2)  Si  Guichard  étoit  sorcier ,  il 

Tome  VI.  H* 


6io  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

>'  lui  avoit  icpondii  <]u'ilfdlloit faire  \xx\ç  image  de  cireres- 
»  semblant  à  la  reine,  la  baptiser,  lui  donner  le  nom  de 
'»  cette  princesse,  l'approcher  du  leu,  la  piquer  avec  une 
<•  aiguille  aux  parties  nobles  et  à  la  tcte,  et  qu'alors  la 
'»  reine  commenceroit  à  se  mal  porter,  mais  qu'elle  niour- 
>•  roit  aussitôt  que  la  cire  seroit  fondue;  que,  d'après  ce 
••  conseil  du  diable,  il  fit  l'image  et  la  baptisa,  conjoin- 
>»  tcmcnt  avec  ce  jacobin,  dans  l'ermitage  de  Saint-Flavi, 
"  où  il  s'ctoit  retire  pour  cela  ;  qu'il  v  lit  fondre  l'image, 
"  et  qu'aussitôt  la  reine  mourut; 

»  Qu'il  résolut  d'empoisonner  le  roi  de  Navarre,  et 
»  Charles  ,  frcre  du  roi;  et  que,  le  poison  étant  préparé, 
»  il  en  fit  l'épreuve  sur  Jean  Romisant,  chevalier,  qui  en 
»  mourut  ; 

•  Qii'il  avoit  mandé  à  l'ermite  dudit  ermitage  de  ve- 
"  nir  le  trouver,  et  de  lui  apporter  sa  boite  de  poison  ; 
»  mais  que  celui-ci  ne  le  lit  point,  et  alla  se  rélugier  à 
"  Sens;  enfin,  que,  lorsqu'il  fut  arrêté,  il  dit  que  c'étoit  à 
»  cause  de  la  mort  de  la  reine.  " 

Sur  cet  exposé,  plusieurs  témoins  furent   entendus. 

Le  premier  témoin  lut  l'ermite.  Il  dit  <ju'il  connoissoit 
la  sorcière  dont  il  est  parlé  dans  l'accusation  ;  qu'il  avoit 
prêché  contre  elle,  en  drsant  que  c'étoit  un  crime  de  la 
croire;  (]ue  Guichard  l'avoit  prié  de  ne  plus  prêcher 
ainsi  ;  (jue  la  sorcière  lui  avoit  dit  que  l'évcque  lui  avoit 
demandé  les  moyens  de  se  faire  aimer  de  la  reine,  et  qu'elle 
avoit  répondu  qu'elle  n'y  pouvoit  rien.  Il  raconte  avec 
beaucoup  de  détails  ce  que  l'évcque  et  les  jacobins  firent 
dans  son  ermitage  ;  comment  fut  faite  l'image  de  cire  , 
et  comment   elle   fut  baptisée.   L'évcque,  dit-il,    vouloit 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  61 1 
qu'il  en  fût  le  parrain,  et  qu'il  y  eût  une  femme  pour 
marraine.  Il  ajoute  que ,  quelque  temps  après  le  baptême 
de  l'image  ,  l'cvêque  revint  la  chercher  dans  l'ermitage , 
où  il  l'avoit  laissée  ;  qu'alors  il  la  mit  près  d'un  grand  feu, 
comme  pour  la  fondre  ;  qu'il  la  perça  dans  plusieurs  en- 
droits ,  en  disant  à  voix  basse  quelques  paroles ,  que  lui 
témoin  n'a  pu  retenir  ;  qu'il  la  ploya  dans  un  linge ,  et 
la  remit  à  la  sorcière  et  au  jacobin,  en  disant  qu'il  sen- 
toit  qu'il  ne  pouvoit  rien  faire  ;  qu'il  y  avoit  un  médecin 
qui  guérissoit  tout;  qu'il  reprit  ensuite  l'image  avec  co- 
lère, la  mit  en  pièces,  et  la  jeta  au  feu,  et  que  ce  fut 
alors  que  la  reine  mourut; 

Qii'une  nuit,  quelque  temps  après,  l'évêque  et  le  ja- 
cobin revinrent  encore  ,  apportant  une  grande  quantité 
d'animaux  venimeux,  des  aspics,  des  basilics ,  des  serpens, 
des  crapauds,  des  lézards  et  autres,  dont  ils  firent  du  poison 
qu'ils  emportèrent  avec  eux  ;  qu'au  bout  de  quelques  jours 
l'évêque  l'envoya  chercher,  lui  ermite,  et  lui  dit  que 
M.  Charles  devoit  venir,  et  qu'il  le  falloit  empoisonner, 
ce  que  lui  témoin  refusa  de  faire  ;  qu'il  sait  que  Romisant, 
chevalier ,  a  été  tué  par  ce  poison ,  en  ayant  pris  par 
mégarde.  Il  dit  encore  que  l'évêque  venoit  souvent  le  voir 
la  nuit,  et  i'empêchoit  de  sortir;  qu'une  fois  il  l'enferma 
dans  sa  chambre,  et  lui  dit  que  le  jeune  roi  venoit  de 
Navarre ,  et  que  jamais  ni  lui  ni  sa  mère  n'avoient  rien 
fait  de  bien,  qu'il  le  falloit  empoisonner,  lui  demandant 
de  l'y  aider,  ,ce  que  lui  témoin  refusa ,  et  se  hâta  de  sortir 
de  l'ermitage  dès  qu'il  le  put ,  pour  se  rendre  à  Sens ,  où 
il  révéla  tout  aux  officiers  du  roi. 

Le  deuxième  témoin  est  la  sorcière.  Elle  dépose  que 

H4ij 


^la  MIl.MOIRES  de  LACADF.MIE 

l'cvccjue  lenvoya  chercher,  et  lui  demanda  si  elle  pourroit 
le  taire  aimer  de  la  reine  et  avoir  contentement  avec 
elle,  et  qu'elle  déposante  repondit  que  non  ;  qu'il  lit  alors 
wn'iv  le  jacobin,  et  lui  dit  (ju'ellc  ne  savoit  rien  ;  que 
le  jacobin  lui  repondit  qu'il  falloit  lire  le  grimoire;  que 
révoque  le  prit  et  le  lut,  et  qu'aussitôt  il  apparut  un  diable 
auquel  le  jacobin  parla  d'une  manière  assez  familière,  et 
lui  demanda  comment  l'évcque  pourroit  avoir  contente- 
ment avec  la  reine,  mais  qu'elle  n'entendit  pas  la  ré- 
ponse ;  qu'elle  sait  bien  qu'il  y  a  des  moyens  de  se  faire 
aimer  il'une  femme,  et  d'en  user  à  sa  volonté  malgré 
elle  ;  qu'elle  connoît  plusieurs  de  ces  moyens  qui  sont 
immanquables  ,  mais  quelle  n'a  pas  voulu  les  dire  à 
i'év<}que. 

Elle  dépose  comme  l'ermite  sur  le  fait  de  l'image  de  cire 
qui  fut  baptisée  du  nom  de  Jetwnc ,  piquée  par  l'évcque 
et   par  elle,   et  ensuite  rompue  et  jetée  au  ieu. 

Elle  dit  en  finissant,  sur  la  demande  qui  lui  en  fut 
faite,  qu'elle  étoii  de  main  morte  et  femme  de  corps,- 
abonûta  ad  très  dciuiiros. 

Le  troisième  témoin,  qui  est  une  femme,  ne  parle  que 

de  l'image  de  cire,  et  encore  n'est-ce  que  par  ouï-dire,   i 

.  Le  quatrième,  appelé  Pierre  de  Grosac .  demeuroit  avec' 

l'ermite.  Il  dépose  exactement  comme  lui,  et  déclare  qu'il 

a  tout  vu. 

Trois  autres  témoins  confirment  quelques  circonstances 
du  récit  de  l'ermite,  et  se  taisent  sur  quelques  autres. 

Le  huitième  sait  et  dit  seulement  que  Icvcque  faisoit 
de  fréquens  voyages  à  l'ermitage,  pendant  la  nuit,  avec  le 
jacobin  ;  mais  il  ajoute  qu'ayant  annoncé  qu'il  n'en  diroit 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  613 
pas  davantage,  il  fut  mis  en  prison ,  et  livré  à  de  cruelles 
tortures  par  le  bailli  de  Sens,  pour  le  forcera  donner  plus 
d'étendue  à  la  déposition  qu'on  vient  de  rapporter. 

Telle  fut  la  première  enquête  faite  par  les  commissaires 
du  pape.  L'archevêque  de  Sens,  étant  malade,  s'excusa  de 
prendre  part  à  la  suite  de  la  procédure ,  et  se  retira.  Les 
deux  évcques  ses  adjoints  continuèrent  seuls  d'y  vaquer, 
et  poursuivirent  l'information  ,  en  la  faisant  porter  sur 
tous  les  faits  que  les  témoins  voulurent  dire  à  l'encontre 
de  l'évêque  Guichard. 

Le  premier  témoin  entendu  dans  cette  suite  d'infor- 
mations dit  que,  pendant  la  durée  du  mariage  de  Guichard 
père  de  févtque,  et  d'Agnès  sa  mère,  celle-ci  fut  travaillée 
d'un  incube  nommé  Petiim;  que  ledit  Guichard  père  n'appe- 
ioit  l'évêque  que  Petuin ,  à  cause  de  cela  ,  disant  qu'il 
n'étoit  pas  son  fils,  mais  celui  du  diable,  ce  qui  étoit  vrai  ; 
qu'il  n'étoit  appelé  par  les  moines  chez  lesquels  il  avoit 
demeuré ,  que  flius  inciibi. 

Le  deuxième  témoin  l'accuse  d'avoir  tué  le  prieur  de 
Saint-Adolphe,  pour  avoir  sa  place. 

Un  autre  dit  qu'il  est  sorcier,  reconnu  pour  tel  par  tout' 
le  monde; 

Un  autre,  qu'il  a  commis  plusieurs  adultères; 

Un  autre,  qu'il  vivoit  publiquement  en  état  d'inceste 
avec  une  nonnain,  pour  cacher  la  véritable  dépravation 
de  ses  moeurs  ;  qu'il  a  fait  mourir  plusieurs  personnes 
dénommées  en  les  empoisonnant,  ou  en  les  faisant  assassi- 
ner par  ses  affidés. 

Tren  te  témoins  confirment  cette  déposition  ;  trente  autres 
affirment  l'empoisonnement  du  prieur  de  Saint-Adolphe. 


6i4  MEMOIRES    DE    L'ACADEMIE 

Huit  témoins,  dont  quatre «^f  visu,  déposent  qu'il  faisoit 
souvent  paroitrele  diable  en  disant  des  paroles  magiques, 
et  (|u'il  lui  commandoil  alors  ce  (jii  il  vouioit. 

Vingt-cinq  témoins  sont  persuadés,  comme  ils  l'ont 
ouï  dire  généralement,  qu'il  avoit  été  engendré  par  le 
diable. 

Beaucoup  disent  qu'il  est  sorcier,  faux-monnoyeur , 
simoniaquc,  et  articulent  des  faits  qui  le   prouvent. 

Fhibieurs  déposent  qu'il  a  machiné  la  mort  de  la  reine 
Blanche;  d'autres,  celle  de  la  reine  Jeanne  sa  fille;  d'autres, 
qu'il  s  est  réjoui  publiquement  de  la  mort  de  cette  dernière; 
d'autres  enfin  ,  qu'il  a  dit  souvent  :  Que  les  héritiers  de  France 
m'attaijuent  s'ils  veulent;  je  ne  les  cruins  pas  :  ils  mourront 
comme  lu  mère  et  Ui  fille. 

D'autres,  en  grand  nombre,  disent  que  1  empoisonne- 
ment de  Blanche,  ordonné  par  Guichard  ,  lut  e.xccuté  par 
un  Anglais. 

Un  aumônier  de  ladite  reine  dit  qu'il  l'a  vue  mourir, 
et  qu'elle  est  morte  du  poison  que  lui  a  fiiit  ilonner  l'é- 
vcque  de  Troyes;  qu'elle  en  avoit  déliance;  cju'elle  l'avoit 
fait  chasser  du  conseil  du  roi,  et  qu'elle  avoit  dit  qu'il 
quittât  son  évcché ,  ou  qu'elle  quitteroit  son  comté  de 
Champagne. 

Un  témoin  déclare  que  Guichard  a  fait  empoisonner 
un  messager  que  la  reine  Blanche  envoyoit  à  Rome  contre 
lui. 

Sur  le  fait  de  la  mort  de  la  reine  de  France,  plusieurs 
témoins  disent  qu'il  en  est  l'auteur.  Un  d'entre  eux  ajoute 
qu'ayant  appris  qu'elle  étoit  à  l'extrémité,  il  en  loua  Dieu, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      615 

disant  qu'//  ûuroit  mieux  aimé  se  faire  juif  que  de  renoncer 
à  se  venger  d'elle. 

Un  témoin  dépose  qu'il  disoit  que  la  reine  de  France 
lui  avoit  fait  tort  de  plus  de  quatre-vingt  mille  livres; 
mais  qu'il  s'en  étoit  vengé,  et  se  vengeroit  sur  bien  d'autres. 

Plusieurs  témoins  attestent  qu'il  afàh  iiivultare  regiiuim, 
qiwd  ex  illa  invultatioiie  decesserat. 

D'autres,  en  assez  grand  nombre,  affirment  que,  de 
concert  avec  Jean  de  Calés,  il  a  fait  des  actes  faux  pour 
tromper  la  reine  Blanche;  d'autres,  qu'il  a  fait,  conjoin- 
tement avec  lui ,  une  grande  quantité  de  fausse  monnoie. 
L'ouvrier  qui  a  fait  les  instrumens  de  ce  faux  monnoyage 
se  trouve  parmi  ces  témoins. 

Plusieurs  autres  disent  qu'il  a  ordonné  prêtre  un  clerc 
reconnu  pour  un  bigame. 

Suivant  d'autres  ,  simomacè  beiiedixit  alhatem  de  Nigellû. 
Ils  disent  la  somme  qu'il  a  reçue  ;  c'étoit  six  cents  livres. 
Tel  est  le  résumé  des  informations  faites  contre  Guichard. 
J'aurois  pu  l'abréger  sans  doute  ;  mais  je  n'aurois  pu  le 
faire  qu'en  atténuant  le  véritable  caractère  de  ce  procès. 
J'ai  été  forcé  de  me  condamner  à  des  répétitions ,  pour 
mieux  faire  connoître  l'esprit  des  témoins  et  celui  des 
accusateurs  et  des  juges. 

Le  bailli  de  Sens,  Guillaume  d'Hangers  ,  dont  la  dé- 
position d'un  témoin  vous  a  déjà  fait  apprécier  l'impar- 
tialité, fit  aussi  des  informations  sur  les  faits  imputés  à 
Guichard,  au  nom  de  l'autorité  civile,  et  leur  résultat  fut 
le  même. 

Guichard  fut  interrogé  ensuite.  D'abord  il  nia  tout  ce 
dont  on  l'accusoit.  On  lui  confronta  les  témoins  qui  le 


6i6  MÉMOIRES  DE  LACADEMIE 

charf'eoient  le  plus ,  et  il  fut  ébranlé  sur  quel(|ues  points. 
Il  clemaiiJa  un  conseil  ;  on  le  lui  accorda  :  car  il  est  à  re- 
maniiier  que,  clans  ces  temps  d'ignorance  et  d'erreur,  on 
n'avoit  pas  encore  imagine  de  priver  l'accusé  de  conseil, 
et  de  faire  les  procédures  en  secret.  Le  conseil  de  Gui- 
chard  proposa  pour  sa  défense  divers  moyens  de  forme, 
invoqua  quelques  privilèges,  et  allégua  quelques  nullités; 
mais  il   ne  s'occupa  point  du  fond  ,  soit  qu'il  ne  trouvât 
rien  de  solide  à  opposer  à  tant  de  témoignages  confirmés 
les  uns  par  les  autres,  soit  qu'il  craignît  pour  son  propre 
compte  l'effet  des  moyens  employés  par  le  bailli  de  Sens 
contre  les  téinoins  trop  laconiques;  et  Guicbard  fut  réduit 
presque  entièrement  à  sa  défense  personnelle.  Il  n'y  établit 
aucun  moyen   justificatif  :  il   se   retrancha  dans  un  sys- 
tème exclusif  de  dénégation.  Seulement  ,  dans  un  second 
interrogatoire,  il   fut   forcé  de  convenir,    i."  qu'il   avoit 
donné  l'absolution  à  un  hérétique,  moyennant  une  cer- 
taine somme  d'argent;  i."  qu'il  étoit  vrai  qu'il  avoit  fait 
faire  de  la  mauvaise  monnoie,  qu'il  croyoit  bonne,  il  ré- 
pondit,  sur  le  fait  des  incubes,  qu'à  la  vérité  la  maison 
de  son  père  en  étoit  remplie  pendant  son  enfance ,  mais 
que  cela  ne  prouvoit  rien  contre  sa  légitimité. 

Il  existe  encore  au  dépôt  des  chartes  quelques  pièces 
peu  importantes  qui  prouvent  que  la  procédure  se  pour- 
suivit encore  pendant  quelijue  temps,  sous  l'autorité  du 
pape.  Une  de  ces  pièces  est  le  procès-verbal  des  interro- 
gatoires et  des  réponses  de  Guichard,  envoyé  au  pape, 
comme  il  l'avoil  ordonné  par  sa  bulle.  Une  autre  est  une 
copie  des  informations,  destinée  au  même  pontife.  Enfin 
la  dernière  est  une  lettre  au  pape,  écrite  par  l'un  des  deux 

notaires-grctfier» 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  617 
notaires-greffiers  chargés  de  rédiger  les  témoignages ,  lequel 
s'excuse  de  n'avoir  pas  signé  les  copies  envoyées  au  pape, 
et  déclare  qu'il  l'a  omis  par  absence ,  et  non  par  mauvaise 
intention. 

Maintenant  on  peut  demander  quel  fut  le  résultat  de 
cet  étrange  procès,  dont  nous  ne  trouvons  plus  d'autres 
traces  dans  le  dépôt  des  chartes,  ni  dans  les  historiens 
contemporains.  Le  seul  abbé  Fleury  va  nous  l'apprendre.     Hist.  eccUsUst. 

■\r    '    '  ^    •!     '  •  tom.  XIX,  vag, 

VOICI  comment  il  sexprnne  :  i,, 

«La  reine  Blanche  de  France  étant  morte  en  1304. 
»  dit-il ,  Guichard  fut  accusé  d'avoir  occasionné  sa  mort 
»  par  poison  ou  par  sortilège.  »  Et,  après  avoir  indiqué 
très-sommairement ,  d'après  Baluze  qu'il  cite ,  les  procé- 
dures faites  contre  lui ,  il  ajoute  : 

«  Il  parut  coupable  sur  les  dépositions  de  quelques  faux 
n  témoins,  et,  le  dimanche  avant  la  Saint-Denis  {6  oc- 
»  tobre  1308  )  ,  il  se  tint  à  ce  sujet  une  assemblée  du 
»  clergé  et  du  peuple  de  Paris  dans  le  jardin  du  roi. .  . 
>»  L'évêque  étoit  dé]k  pris  et  gardé  au  Louvre  dans  une 
»  étroite  prison ,  sans  qu'on  eût  égard  à  son  privilège 
»>  clérical.  Il  demeura  ainsi  prisonnier  jusqu'en  13  13, 
»  que  son  innocence  fut  reconnue  par  la  confession  d'un 
»  Lombard  (c'étoit  un  Florentin)  nommé  Noffé ,  lequel 
»  fut  pendu  à  Paris  pour  d'autres  crimes.  » 

Ce  que  dit  l'abbé  Fleury  est  beaucoup  trop  succinct 
pour  faire  connoître  les  faits  tels  qu'ils  se  passèrent;  mais 
cela  peut  suffire  sans  doute  quand  on  les  lie  à  tout  ce 
que  j'ai  dit,  avant  de  le  citer,  d'après  les  pièces  les  plus 
authentiques. 

On  peut  conclure  que  Guichard,  persécuté  comme  les 
Tome  VI.  I4 


oi8  MÉMOIRES  DE  LACADKMIE 

Templiers,  et  pour  des  motifs  presque  semblables ,  ne  dut 
qu'à  des  circonstances  heureuses  le  bonheur  d'ccliapper 
enfin  au  supplice  qu'ils  avoient  subi.  Son  procès,  longue- 
ment instruit,  ne  put  être  juge  définitivement  que  lors- 
que ie  roi ,  n'ayant  plus  à  craindre  Boniface,  qui  nexistoit 
plus  depuis  long-temps,  ni  l'effet  de  ses  prétentions  désa- 
vouées par  la  cour  de  Rome,  put  renoncer  à  faire  pro- 
noncer une  condamnation  politique  cpii  avoit  cessé  de 
lui  paroître  utile . 

Alors  la  perte  de  Guichard  ne  ie  flatta  plus.  Il  se  crut 
assez  vengé  de  lui  par  sa  longue  et  dure  captivité;  et  s'il 
ne  permit  pas  que  son  absolution  fut  solennellement 
prononcée,  il  souffrit  du  moins  que  la  poursuite  de  son 
procès  fût  abandonnée,  et  que  la  liberté  lui  fût  rendue. 
On  troiroit  dilficilemeni  que  le  désaveu  de  Noffe-dey  et 
celui  de  Jean  de  Cales  eussent  pu  suffire,  sans  la  volonté 
du  roi,  pour  effacer  les  impressions  que  dévoient  laisser 
dans  ce  temps ,  sur  tous  les  esprits  ,  les  nombreux  témoi- 
gnages que  je  vous  ai  fait  connoitre. 

Il  est  à  remarquer,  à  l'occasio]!  de  quelques-uns  de  ces 
témoignages  ,  que  l'un  des  grands  crimes  dont  on  accusoit 
Guichard,  étoit  d'avoir  rz/ro/îr/ la  reine  Jeanne,  c'est-à- 
dire,  de  l'avoir  fait  périr  en  perçant  ou  en  faisant  fondre 
au  feu  son  image  en  cire.  La  superstition  de  nos  aieux 
leur  a  fait  regarder,  pétulant  plusieurs  siècles,  comme  cer- 
tain le  résultat  de  cette  opération  magique  (  i  ).  Nous  voyons 
dans  l'histoire   <lu    temps    de  Guichard,   que    le   même 


(  I  )  Il  pareil  que  les  aïKicns  a\  oient 
une  idte  de  cctie  pratique  ;  on  ren- 
contre dans  piusieiiTi  de  le\ir»  poèiet 


des   passages   (]ui    peuvent    k    tJirc 
croire. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.  619 
Clément  V  dont  nous  avons  parle  ,  craignoit  beaucoup 
d'avoir  été  envoûté  par  ses  ennemis.  Les  historiens  Italiens 
postérieurs  et  antérieurs  à  cette  époque  nous  apprennent 
que  ce  moyen  de  donner  la  mort  à  qui  l'on  vouloit ,  étoit 
fort  en  usage  en  Italie. 

On  sait  que  la  duchesse  de  Montpensier  l'employa 
souvent  contre  Henri  III,  et  ne  recourut  au  poignard 
bien  plus  certain  de  Jacques  Clément  que  lorsqu'elle  eut 
éprouvé  l'inutilité  de  ce  premier  moyen. 

Catherine  de  Médicis ,  si  crédule  sur  tout  ce  qui  tenoit 
à  la  magie,  ne  vivoitpas  sans  inquiétude  sur  les  efFets  de 
cette  pratique  meurtrière.  Nous  voyons  dans  l'histoire  de 
son  temps  que  lorsque  La  Mole  et  Coconas  furent  livrés 
au  dernier  supplice,  elle  demanda  que  l'on  sût  d'eux  s'ils 
n'avoient  pas  envoûté [q  roi. 

Dans  les  siècles  dont  nous  parlons ,  dans  ces  temps 
d'ignorance  et  de  crime,  il  ne  mouroit  pas  un  pape,  un 
monarque  ou  quelque  autre  grand  personnage,  qu'on  ne 
crûtqu'il  avoit  péri  par  l'effet  de  ces  sortilèges.  Les  hommes 
ne  peuvent  pas  s'accoutumer  à  voir  soumis  à  une  loi 
commune  ceux  dont  la  puissance  fait  leur  destinée,  et  à 
trouver  égaux  avec  eux  par  leur  mort  ceux  qui  l'ont  été 
si  peu  par  leur  vie. 


14  i) 


6io  MLMOIRIS  DE  I  ACADFMIE 

ESSAI 

HISTORIQUE    ET    STATISTIQUE 

Sur  les  Accroissemens  et  les  Pertes  qu'a  succes- 
sivement éprouvés  la  Alaison  d'Autriche,  depuis 
l'avènement  de  RODOLPHE  DE  HABSBOURG  à 
l'Empire ,  jusques  et  y  compris  les  Traités  de 
Presbourg  et  ^''Austerlitz. 

Par  m.  MENTELLE. 


PREMIÈRE   PARTIE. 

Depuis  Rodolphe,   en    i^/J ,  /tisqu'à  la  mon  de 
Charles   VI,  en   Jy-^o. 

Luie  J7juiilet   1  ERsoNNF.  n'ignore  qne  la  maison  d'AiitricIie  est  une  des 

1806(1).  pij^jj  anciennes  de  l'Allemagne,  et  que  le  premier  prince 

de   cette    maison  qui   parvint   à   l'empire,  lut   Rodolphe 

comte  de  Habsbourg,   c'iu  en   1273.  Le  plus  ancien  de 

ses  ancctres  connus  est  Ettichon ,  duc  d'Alsace ,  mort  à 

F.uTfp,Hi  mo-   la  fin  du  vu.' siècle.  Un  savant  Allemand,  M.  Ockhart, 

n'imaJîlt    remarque,  comme  une  chose  intéressante,  et  qui  en  effet 

JV.M/rt,    ire.   peut  Je  paroître ,    que  les  deux  familles  aujourd'hui  les 

fou    I.    t.    Oc-     '  '  ' 


khan ,  lah.  27. 


(1)  Ce  Mémoire  n'ayant  ctc  remis 
qu'après  l'impression  des  volumes 
prccédens,  et  ne  devant  pas  être  ex- 


clu du  recueil ,  on  a  été  obligé  de  le 
placer  dans  ce  volume. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      621 

plus  puissantes  (il  eût  pu  ajouter,  et  les  moins  unies)  en 
Allemagne  descendent  de  ce  même  Ettichon.  C'est  ce 
que  je  développe  dans  la  note  ci-dessous  (1). 
-  Rodolphe  comptoit  aussi  entre  ses  ancêtres  Gontrand- 
lé-Riche,  duc  d'Alsace,  mis  au  han  de  l'Empire  et  dé- 
pouille de  ses  états,  pour  s'être  révolté,  en  938  et  935), 
contre  l'empereur  Otton  dit  le  Grand.  Cependant  une 
partie  des  biens  étoit  revenue  à  sa  famille. 

Les  historiens  ne  sont  pas  d'accord  sur  l'usage  que 
Rodolphe  fit  de  ses  premières  années,  c'est-à-dire,  de  la 
première  moitié  de  sa  vie.  Qiielques-uns ,  entre  lesquels 
on  doit  compter  pour  beaucoup  le  savant  M.  PfefFel ,  rap- 
portent que  Rodolphe  alla  servir  en  Bohème,  sous  Otto- 
care,  et  qu'il  y  eut  le  grade  de  maréchal  dans  les  armées 
de  ce  roi.  D'autres,  et  M.  Ockhart  est  de  ce  nombre, 
pensent  que  cette  opinion  n'est  pas  assez  prouvée  pour 
être  admise.  Je  me  contente  de  tes  rapporter  ;  leur  dis- 
cussion n'appartient  pas  même  à  mon  sujet.  Je  ne  consi- 
dère ici  Rodolphe  que  sous  le  rapport  de  sa  fortune. 

Il  étoit  né  de  parens  déjà  placés  sur  la  route  de  la 
puissance.  Ils  lui  avoient  laissé  ,   comme  patrimoine  ,  le 


(i)  Lorsde  l'élection  de  Rodolplie, 
il  fut  principalement  servi  par  l'arche- 
vêque de  Mayence,et  par  son  propre 
parent,  bhrgrave  de  Nuremberg  :  ce 
parti  l'emporta.  Devenu  empereur  , 
Rodolphe  donna  à  Frédéric  le  bur- 
graviat  de  Nuremberg,  à  titre  de  fief 
héréditaire.  C'étoit  offrir  à  ce  prince 
et  à  sa  famille  la  route  à  une  plus 
grande  fortune.  Il  descendoit  de  la 
branche  cadette  de  Holien-^oUern , 
issue,  comme  la  branche  aînée, dont 


étoit  Rodolphe,  du  duc  Ettichon. 
Les  descendans  de  Frédéric,  distin- 
gués dans  l'Empire  par  leur  rang,  y 
figurèrent  aussi  par  leurs  richesses. 
L'un  d'eux  ,  appelé  aiissi  Frédéric , 
acheta,  en  i4'5  >  de  l'empereur  Si- 
gismond  ,  le  margraviat  de  Brande- 
bourg. Ce  margrave,  connu  sous  le 
nom  de  Frédéric  l." ,  est  la  tige  de  la 
maison  régnante  de  Brandebourg, 
qui ,  comme  on  le  voit,  a  une  origine 
commune  avec  celle  d'Autriche. 


62i  MEMOIRES  DE  LACADEMIE 

comte  de  Hiibsbourg.  situe  dans  l'Argovie(i)  ,  et  plusieurs 
seigneuries  en  Souabe  et  en  Alsace.  Par  la  suite  il  y 
réunit  les  comtes  de  Kibourg  et  Je  Lentibourg.  Dans  sa 
jeunesse,  il  avoit  servi  sous  l'empereur  Frédéric  II,  et, 
pendant  les  divisions  qui  agitoient  alors  l'Allemagne,  il 
s'étoit  constamment  tenu  dans  le  parti  des  empereurs 
de  la  maison  de  Souabe.  C'est  pour  cette  raison  cpi'il  ne 
voulut  jamais  reconnoître  ni  Guillaume,  ni  Richard  de 
Cornouaillcs ,  comme  empereurs  du  corps  Germanique. 

Il  est  généralement  reconnu  que  Rodolphe,  depuis  sa 
vingtième  année,  s'étoit  acquis  une  grande  réputation  mi- 
litaire. Les  historiens  de  sa  maison  disent  qu'il  se  faisoit 
sur -tout  gloire  de  défendre  les  bourgeois  des  villes  contre 
la  tyrannie  des  princes,  et  les  cultivateurs  contre  les  op- 
pressions de  la  noblesse.  On  ajoute  même  que  c'éloit  pour 
s'opposer  aux  entreprises  de  l'évèque  de  Bàle ,  qu'il  étoit 
en  guerre  contre  ce  prçlat ,  lorsque  l'on  vint  lui  annojicer 
son  élection.  Mais  il  convient  de  dire  un  mot  de  l'état  où 
se  trouvoit  alors  l'Empire. 

Après  les  règnes  tumultueux  de  Guillaume ,  tué  en  i  2  5  6, 
et  de  Richard  ,  mort  en  i  2-  i  ,  il  y  eut  un  schisme  poli- 
tique, qui  causa  dans  l'Empire  un  interrègne  de  deux  ans. 
Entre  les  princes  qui  s'étoient  mis  sur  les  rangs,  on  re- 
marquoit  Ottocare,  roi  de  Bohème,  dit  le  Victorieux  (2), 
et  Alphonse,  roi  d'Arragon  ;  mais  ils  se  faisoient  égale- 
ment redouter  par  leur  puissance. 

(I)  Canton   Ae.  la   partie  septen-  (a)   La  ^nicwi  <Sc  l'ÀrlHe  virifitr 

trionale  du  pays  appelc  par  les  Ho-  la  ddUs  disent  que  la  couronne  im- 

niains     Hdvctit  ,     et    actucllenu'nt  périalc  fut  ofîertca  Ouocarc,  et  qu'il 

SuUtt  et  répubiiiut  Hdvctiqut.  la  réfuta.  Ce   fait  n'est  ni   prouve, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      6^? 

Les  premiers  personnages  de  l'Empire  sentoient  bien  la 
nécessité  de  se  choisir  un  chef;  mais  ils  craignoient  de 
se  donner  un  maître.  Cette  crainte  même  étoit  devenue 
générale.  A  la  faveur  des  troubles  qui  avoient  eu  lieu  sous 
les  règnes  précédens  et  pendant  l'interrègne  ,  plusieurs 
princes  avoient  prodigieusement  accru  leur  puissance,  en 
fixant  dans  leurs  maisons ,  à  titre  d'hérédité ,  des  charges 
qui  ne  leuf  avoient  été  confiées  que  pour  le  temps  de  leur 
vie.  La  noblesse  étoit  devenue  par-tout  plus  entreprenante. 
Des  villes  même  étoient  parvenues  à  l'indépendance.  Tous 
les  partis  avoient  donc  un  intérêt  à  peu  près  égal  à  ne  pas 
voirie  trône  impérial  occupé  par  un  prince  assez  puissant 
pour  entreprendre  la  réforme  de  tant  d'abus  et  comprimer 
trop  fortement  tant  d'ambitions  naissantes. 

Rodolphe,  généralement  estimé  pour  ses  vertus  et  pour 
ses  talens  militaires  ,  n'apportant  avec  lui  que  le  degré  de 
fortune  et  de  puissance  convenable  à  son  rang ,  réunit 
enfin  les  suffrages  des  électeurs  :  il  fut  élu  à  Francfort ,  le 
lo  septembre  1273  ;  le  5  janvier  1274  ,  il  fut  couronné  à 
Aix-la-Chapelle. 

Mon  but  n'est  pas  d'écrire  l'histoire  de  cet  empereur; 
je  remarquerai  seulement  ici  que  ,  selon  les  tables  de 
M.  Hassel,  les  biens  de  Rodolphe,  lors  de  son  avènement 
à  l'empire,  occupoient  en  surface  seulement  lyc)  niilles 
d'Allemagne  carrés  ,ou  45)5,85  lieues  communes  carrées (i). 

J'aurois  désiré ,  pour  donner  une  idée  plus  exacte  de  sa 
fortune,  pouvoir  ajouter  à  l'étendue  de  ses  états,  quels  en 


ni  même  vraisemblable  :  il  est  trop 
éloigné  du  caractère  ambitieux  d'Ot- 
tocare. 


(1)  Le  mille  carré  d'Allemagne 
répond  à  2,77  lieues  carrées  ou  55,0,4 
kilomètres  carrés. 


Lt\-9 


6ii  MFMOIRFS  DE  LACADÉMIE 

ctoient  les  revenus;  mais  je  n'ai  rien  trouvé  qui  pût  m'en 
instruire.  Je  vois  seulement,  dans  l'ouvrage  de  M.  Ockhart, 
que  les  revenus  de  l'empereur  [o/>er-/icrsc/icrJ,  qui  ne  sont 
presque  rien  actuellement,  montoient  alors  à  2  millions 
de  rixdaies  (1);  ce  qui,  saul  la  dilFcrence  dans  la  valeur  re- 
lative ,  répond  à  7,280,000  francs  de  notre  monnoie. 

Rodolphe,  par  une  conduite  adroite  et  sage,  réussit  à 
se  concilier  la  bienveillance  du  pape  (2),  en  Ratifiant  les 
donations  faites  par  ses  prédécesseurs  ;  l'estime  du  corps 
Germanique,  dont  il  respecta  les  privilégies  et  protégea  la 
tranquillité;  et  la  reconnoissaiice  de  toute  la  nation,  en 
détruisant  les  grands  maux  produits  par  l'anarchie  (3).  H 
eut  sur-tout  l'attention  de  n'attaquer  aucun  des  abus  qui, 
tolérables  en  eux-mêmes,  avoient  acquis,  par  l'usage,  une 
existence  politique  :  aussi  le  corps  Germanique  le  favo- 
risa-t-il  dans  ses  vues  pour  l'agrandissement  de  sa  maison. 

On  sait  que  le  pays  situé  à  la  droite  du  Danube  ,  depuis 
l'Ens  justju'aux  frontières  de  l'ancienne  Pannonie,  avoit 
reçu  des  Bojariens  le  nom  d'Os(reic/t  (  4  )  ou  l' Oriental. 
Charlemagiie  ,  après  en  avoir  fait  la  conquête  ,  y  avoit 
établi  des  commandans  ,  sous  le  titre  de  mark^nifs ,  pour 
veiller  à  la  défense  des  frontières  attaquées  par  les  Huns 
ou  Hongrois. 

Léopold  l'Illustre,   comte  de  Bamberg,  est  le  premier 


(1)  11  y  a  ,  en  Allemagne,  des 
rixdaies  de  plusieurs  valeurs; je  m'en 
tiens  à  celle  qui  repond  à  3  francs 
64  centimes  de  notre  monnoie. 

(2)  Grégoire  X. 

(j)  Il  fit  dt'tr\iire  dans  la  Thu- 
ringc  soixante-six  châteaux  qui  icr- 


voicnt  de  retraite  aux  brigands,  et 
soixante-dix  autres,  tant  en  Souabe 
qu'en  Franconie. 

(4)  Ce  nom  se  trouve  employé 
pour  1.1  première  fois  dans  un  di- 
plôme d'Otton  II  ,  de  l'an  996 
(voy.  Hundri/î/r/rr/T.  Salisburg.t.  \, 

dont 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  61^ 
dont  la  place  ait  été  rendue  héréditaire ,  par  une  donation 
de  Henri  l'Oiseleur ,  en  pii'  li  avoit  mérité  cette  récom- 
pense par  ses  services  militaires. 

Le  pays  à  l'ouest  de  l'Efis  avoit  été  réuni  à  la  Bavière 
par  Charlemagne  ;  il  fut  donné,  en  11  56,  à  Henri  II 
Joclisamiiiergot,  avec  le  titre  de  duc  d'Autriche ,  qui  paroît 
ici  pour  la  première  fois. 

La  Styrie  ,  faisant  partie  de  la  Carinthie ,  après  avoir 
eu  des  comtes  et  des  margraves  particuliers,  ainsi  que  la 
Carniole,  fut  réunie  à  l'Autriche  en  i  i  86.  La  Carniole  ne 
le  fut  qu'en  i  273. 

Ainsi  ces  pays,  la  Carniole  exceptée,  obéissoient  au 
même  souverain  ,  lorsque  la  famille  de  Léopold  et  la  dy- 
nastie de  Bamberg  s'éteignirent  en  la  personne  de  Fré- 
déric/^^^■///(///^«Ar ,  en  121 4-  Cette  succession  fut  vivement 
disputée.  Herman  de  Bade  ,  petit-neveu  de  Frédéric,  l'em- 
porta, et  conserva  le  duché  d'Autriche  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  en  1250.  11  étoit  dans  l'ordre  que  cet  héritage 
passât  à  Frédéric,  fils  d'Herman  ;  mais  Ottocare  s'en  empara 
à  main  armée  (i).  H  ne  le  conserva  cependant  pas  long- 
temps ,  et  ce  fut  Rodolphe  qui  le  lui  enleva. 

Je  n'assurerai  pas  que  ce  prince  n'eut  alors  d'autre  mo- 
tif que  sa  seule  ambition  ;  ce  qui  est  pourtant  assez  pro- 
bable. Les  historiens  qui  ont  voulu  préserver  sa  mémoire 


pag.  139)  ;  d'où  l'on  est  en  droit  de 
conclure  qu'il  étoit  alors  en  usage, 
puisqu'on  l'employoit  dans  un  acte 
public. 

(1)  Ottocare,  pour couvrirses  vues 
ambitieuses  d'une  apparence  de  jus- 
tice, alléguoit  les   prétendus  droits 
Tome  VI. 


de  sa  femme  Marguerite,  fillecadette 
de  Frédéric  le  Belliqueux.  11  avoit 
tort,  puisque  les  droits  de  la  nièce 
avoient  été  préférés,  et  que,  de  plus, 
il  y  avoit  une  sœur  aînée,  Constance, 
femme  de  Henri  t'Illustre,  margrave 
de   Misnie. 


/ 


62^  Mi..\lUll{L.S  U£  L'ACADEMIE 

Je  ce  reproche ,  ont  donne  deux  motifs  ditîcrens  de  sa 
conduite.  Selon  les  ups,  il  fut  appelé  en  Autriciie  par  le 
vœu  du  peuple,  irrite  de  la  tyrannie  d'Ottocare  ;  selon 
d'autres,  les  ambassadeurs  que  Rodolphe  avoit  envoyés 
ver^  ce  prince  pour  lui  taire  des  représentations  sur  l'usur- 
pation de  l'Autriche,  ayant  été  insultés,  la  dicte  chargea 
Rodolphe  de  venger  la  majesté  de  l'empire.  Soit  que  la 
conduite  que  tint  l'empereur  dans  cette  circonstance,  n'ait 
été  que  le  résultat  naturel  de  la  contluite  dOttocare,  soit 
qu'elle  ait  eu  pour  cause  cachée  les  menées  secrètes  de 
son  ambition  ,  il  est  sûr  que  Rodolphe  fut  autorisé  par  la 
diète  à  citer  le  roi  de  Bohème  d"y  venir  comparoître  pour 
rendre  compte  de  sa  conduite.  Ottocare  protesta  tout-à-la- 
fois  cojitre  le  décret  et  contre  l'élection  de  l'empereur  (i). 
Un  second  décret  de  la  dicte  dépouilla  le  roi  de  Bohème 
des  fruits  de  son  usurpation,  et  l'empereur  lut  chargé  de 
l'exécution  du  décret.  Ottocare  succomba,  et  perdit  l'Au- 
triche. Il  obtint  cependant  quelques  dédommagemcns,  La 
paix  qui  les  lui  avoit  accordés,  ne  fut  pas  de  longue  durée; 
ce  fut  lui  (jui  la  rompit.  Q.uelques  auteurs  disent  qu'il  ne 
se  trouvoit  posasses  indemnisé;  d'autres  assurent  que  ce 
fut  sa  femme  qui  le  porta  à  cette  infraction.  Ce  qu'il  y 
eut  de.  très-malheureux  pour  lui,  c'est  qu'ayant  marché  en 
armes  contre  Rodolphe,  il  perdit  la  vie  à  la  bataille  de 
Aliiichfchi  ou  Aldrclic^i; ,   le    26  août  1278. 


(  I  )  En  protcjt.mt  contre  If  décret, 
Ottocare  .nlli-guoit  qu'il  avoit  re(;\iclc 
l'cnipcreur  Richard  dt  Cernaujiltrs 
l'investiture  des  duchés  d'Autriche, 
de  Snrie,  de  C.irinthic  ci  de  Car- 


niolc.  Rodolphe  en  convcnoit;  mais 
il  soutenoit  en  nK'iiic  temps  cette  in- 
\csiiiurc  illë^dlt ,  parce  qu'elle  avoit 
eu  lieu  sans  t'dvcu  et  le  consentement 
des  électeurs. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.     6z'j 

Envoyant  Rodolphe  s'emparer  ainsi  des  duchés  enlevés 
à  Ottocare,  on  ne  peut  douter  qu'il  ne  sentît  dès-lors  toute 
l'importance  du  principe  auquel  ses  descendans  ont  donné 
de  si  grands  développemens  :  c'est  que  le  moyen  le  plus 
efficace  pour  conserver  l'empire  dans  sa  famille  étoit  de 
se  donner  nne  grande  masse  d'états  héréditaires. 

Lors  de  la  paix  avec  Ottocare ,  qui  reçut  en  même  temps 
de  Rodolphe  l'investiture  du  royaume  de  Bohème (i),  il 
avoit  été  stipulé  que  le  fils  de  ce  roi  épouseroit  une  fille 
de  l'empereur.  Le  traité  d'Iglau  (2),  qui  suivit  la  mort 
d'Ottocare,  en  même  temps  qu'il  confirmoitle  jeune  Wen- 
ceslas  dans  la  possession  des  états  de  son  père,  accordoit 
à  ce  prince  en  mariage  la  princesse  Judith ,  fille  de  Ro- 
dolphe, avec  la  condition  qu'^  T extinction  de  la  maison 
royale  de  Bohème ,  la  couronne  passeroit  aux  descendans  de 
l'empereur.  Ainsi  la  famille  de  Rodolphe  obtenoit  dès-lors 
une  expectative  qui  se  réalisa  dans  la  suite. 

Qiiant  à  l'Autriche  ,  Rodolphe  en  donna  l'investiture 
à  son  fils  Albert,  qui  étoit  l'aîné,  dans  une  diète  tenue 
à  Augsbourg,  le  27  octobre   1282. 

Outre  ces  acquisitions,  Rodolphe,  pour  agrandir  ses 
biens ,  avoit  su  profiter  des  partages  faits  après  la  mort 
de  Henri  l'Illustre  (3),  pour  enlever  aux  trois  fils  de  ce 


(i)  Auitemps  de  Charlemagne,  la 
Bohème,  qu'il  avoit  soumise  par  les 
armes,  devint  un  pays  tributaire  des 
rois  de  Germanie.  Vers  930  le  duc 
AVeiictslas  se'reconnut  vassal  de  Hen- 
ri/'C/.îe/f;/r.Wradislas  II  reçut  le  pre- 
mier le  titre  de  roi,  en  ic6o,  de 
l'empereur  Henri  IV  ,  qui  l'investit 
en  mtme  temps  de  la  Lusace,  de  la 


Silésie  et  de  la  Moravie.  Les  rois 
ses  successeurs  furent  soumis  à  cette 
formalité,  sauf  quelques  exceptions. 

(2)  Petite  ville  et  chef-lieu  d'un 
cercle  de  la  Moravie,  sur  VJglati'a. 

(3)  Marquis  de  Misnie  et  land- 
grave de  Thuringe  :  il  en  a  déjà  été 
parlé. 


K4 


'J 


6zi  MEMOIRES  DE  L'AC-ADÉ.MIE 

prince  le  palaiinat  de  Saxe-Altstxdt,  et  au  piince  Albert, 
électeur  de  Saxe,  le  comte  de  Brcne,  (juoique  cet  électeur 
fût  son  gendre  (  i  ). 

Rodolphe,  malgré  son  crédit  et  l'activité  de  son  ambi- 
tion ,  ne  réussit  pas  à  faire  élire  son  hls  roi  des  Romains: 
mais  il  avoit  fait  ce  qu'il  y  a  de  plus  dilficile,  les  premiers 
pas  dans  la  route  de  la  puissance.  11  mourut  en   i  2ç?  i . 

Le  relus  des  électeurs  avoit  une  cause  bien  légitime. 
Albert,  lils  de  Rodolphe,  s'étoit  annoncé  par  des  vices 
qui  le  laisoient  craindre;  aussi  ses  sollicitations  n'eurent- 
elles  pas  plus  d'elfetque  celles  de  son  père,  auquel  ilauroit 
voulu  succéder  à  la  couronne  impériale  :  on  lui  prcféra 
Adolphe  de  Nassau,  élu  en  i2(j2. 

Une  singularité  politique  qui  me  paroît  digne  dctre 
remarquée,  c'est  que,  dans  ce  même  temps  à  peu  près 
(en  1295),  Albert,  comme  duc  d'Autriche,  se  réunissoit 
à  Philippe-le-Bel ,  roi  de  France,  tandis  que  l'empereur 
Adolpheseliguoit  contre  ce  même  prhice  avec  Edouard  I.'^'', 
xoi  d'Angleterre.  Aijisi  la  France  avoit  alors  pour  alliée 
l'Autriche  ;  mais  l'Angleterre  étoit  son  ennemie  depuis 
environ  un  siècle. 

La  conduite  d'Adolphe  de  Nassau  ayant  universelle- 
ment mécontenté  les  membres  de  l'Empire,  ils  le  dépo- 
sèrent. Ayant  prétejidu  se  maintenir  par  la  force  des  armes, 
H  fut  tué,  à  la  tète  de  ses  troupes  ,  par  Albert,  son  compé- 
titeur. Cette  victoire  fit  perdre  de  vue  les  motifs  qui ,  à  la 
mort  de  Rodolphe,  avoient  empêché  l'élection  d'Albert. 
Il  fut  élu  en  i  2(?8. 

(1)   Albert  II,  duc  de    Saxe,  avoit   l'pousc,  en   127},   Agnes  fille  de 
Kodolphc. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  629 
Je  ne  remarquerois  pas  que  ce  prince  ctoit  borgne  et 
laid  de  visage  ,  si  je  ne  voulois  rapporter  que  ces  dcfouts 
personnels  ctoient  comptés  par  Boniface  VllI  entre  les 
raisons  qu'il  allcguoit  pour  ne  pas  reconnoître  Albert 
comme  empereur  :  il  objectoit  aussi  qu'il  avoit  tué  son 
prédécesseur.  Mais  le  plus  puissant  de  ses  motifs  ,  celui 
qu'il  énonçoit  le  moins  ,  c'est  qu'Albert  étoit  très-lié  avec 
Philippe-le-Bel,  que  l'on  sait  bien  n'avoir  pas  été  l'ami 
de  Boniface. 

La  mort  de  Wenceslas  V,  roi  de  Bohème,  assassiné 
la  première  année  de  son  règne ,  parut  aux  yeux  de  bien 
des  gens  être  un  crime  d'Albert,  Ce  soupçon,  que  jus- 
tifioit  pleinement  la  férocité  de  son  caractère ,  recevoit 
une  force  nouvelle  de  l'avide  empressement  qu'il  mit  à 
recueillir  les  fruits  de  ce  crime.  On  vient  de  voir  que,  par 
le  traité  d'Iglau ,  la  Bohème,  au  défaut  d'héritier  mâle, 
devoit  appartenir  à  la  famille  de  Rodolphe.  Wenceslas, 
en  mourant,  ne  laissoit  pas  de  fils  ;  Albert  s'empara  aussi- 
tôt de  la  Bohème,  qu'il  donna  à  son  fils  aîné  Rodolphe, 
en  1306.  Malheureusement  pour  l'ambition  dAlbert,  ce 
prince  mourut  la  même  année.  Alors  Henri  de  Carinthie, 
époux  de  la  fille  aînée  de  Wenceslas ,  fut  appelé  au  trône 
par  le  vœu  des  états ,  et  même  y  monta  sans  obstacle. 

Alb^rtl.*'',  ayant  commencé  sans  succès  quelques  autres 
entreprises  pour  étendre  ses  domaines  ,  crut  qu'il  réussiroit 
mieux  du  côté  de  l'Helvétie ,  partagée  alors  en  plusieurs 
gaus  ou  cantons  [en  ïditm p a gi'\  :  quelques-uns  de  ces  gaus 
relevoient  de  princes  particuliers  ,  tandis  que  d'autres 
étoient  fiefs  de  l'Empire.  Albert,  voulant  y  augmenter  les 
domaines  de  sa  maison  ,  fit  proposer  aux  cantons  d'Uri, 


630  MFMOIRLS  DE  L'ACADÉMIE 

de  Schweitz  et  il'Unterwald,  de  s'y  laisser  incorporer.  Sur 
leur  refus,  il  en  incdiia  la  conqiicte.  Un  soulèvement  dans 
ces  cantons  pouvoit  lui  fournir  l'occasion  d'y  envoyer  des 
troupes.  Le  soulèvement,  en  effet,  eut  lieu,  parce  qu'il  y 
envoya  trois  gouverneurs  qui  furent  autant  de  tyrans:  mais 
l'cvcnement  trompa  son  attente;  et  lui-même,  marchant 
contre  les  cantons  soulevas,  avec  une  armce  considérable , 
iut  assassiné  au  passage  du  Rhin  ,  entre  Rhinfcid  et  Baie, 
par  Jean,  son    neveu  ,  dont  il  retenoii  la  succession  (1). 

A  la  mort  d'Albert  l/"",  dont  on  a  dit  (ju'il  ne  voyoit  le 
bonheur  que  dans  la  puissance,  et  la  puissance  que  dans 
le  despotisme ,  voici  ,  selon  les  tables  de  M.  Hassel  (2) , 
quelle  ctoit  l'étendue  de  ses  domaines. 

En  1282,  il  avoit  été  investi  de  l'Autriche, 
de  la  Styrie,  &c 1,037  "'•''• 

En    I2pr  ,    il   hérita  de  ses  bitMis  patrimo- 
niaux         1 79. 

En   1301  ,   il   acquit   le   marquisat  de  Bur- 
eau, comme  fîef  de  I  Empire 18. 

En  totalité ' .  -  vl  '"'  ^' 

ou  34i8,a'-^-  

La  conduite  d'Albert  l'avoit  rendu  si  odieux,  que  Ion 

(1)   Ce  prince  Jc.in  ,  làclic  .is?afsin     jours  d.ins  l'ol>scurité  d'iin\Ioitrc  de 
'"■'"'■'        la  Calabrc. 

(a)  M.  Ockhart,  dans  des  notes 
pariiculièrcs  qu'il  m'a  fait  l'honneur 
de  m'adresser,  ne  s'éloigne  pasheau- 


<jc  son  oncle,  étoit  fils  de  Kodolphe 
duc  d'Autritlic  et  prince  de  Souabe, 
troisième  fils  de  Rodolphe  de  Habs- 
bourg   et  d'Agnes  fille  d'Ottocare 


o     -•    ---o -"  .        ^,.1  o-i 

roi  de  Bohème,  Jean,  après  s'ctre  coup  du  calcul  de  Al.  Hassel,  en 
venge  d'\ine  injustice  par  un  crime,  j  portant  l'étendue  dis  états  d'Albert 
n'en   retira  que  le   déchirement  du  ,  à  1245  milles  d'Allemagne  carrés. 


remords  et  la  honte  d'aller  tinir  set 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  631 
parut  craindre  de  conserver  dans  sa  famille  la  couronne 
impériale.  On  la  défera  successivement  : 

En  1308  ,  à  Henri  VII,  comte  de  Luxembourg; 

En  I  3  1 4  .  à.  Louis  V,  de  Bavière  ; 

En  134*^.  à  Charles  IV,  de  Luxembourg; 

En  137B  ,  à  Wenceslas,  fils  de  Charles  IV; 

En   i4oo,  à  Robert,  électeur  Palatin; 

En  i4io,  à  Sigismond ,  deuxième  fils  de  l'empereur 
Charles  IV  ; 

En  1438  ,  le  ip  décembre  ,  au  duc  d'Autriche  Albert, 
arrière-petit-fils  d'Albert  IV  dit  le  Sau^e ,  duc  d'Autriche, 
et  l'un  des  fils  de  l'empereur  Albert  I.*^"" 

Albert  II,  lors  de  son  élection,  avoit  quarante-quatre 
ans  :  il  mourut  l'année  suivante,  en  i435?- 

Mais ,  pendant  les  règnes  qui  avoient  précédé  celui 
d'Albert  II ,  les  biens  de  sa  maison  s'étoient  accrus  par 
des  achats  et  par  des  héritages. 

En  1326,  conjointement  avec  ses  frères,  Frédéric-Ie- 
Beau ,  Léopold  II,  Henri  et  Otton,  Albert  avoit  acheté  , 
tant  du  comté  de  Pfurt  que  des  biens  appartenant  à  Ki- 
bourg,  une  portion  évaluée  par  M.  Hassel  à       203 

En  1335,  la  Carinthie  leurétoit  revenue 
par  la  succession  de  Henri  de  Carinthie, 
évaluée  à 200  \ 

En  rapprochant  cette  étendue  de  celle  que 
l'on  a  vue  précédemment,  de 1.234. 


m. 


on  aura  pour  la  somme  totale  des  biens  de  la 

maison  d'Autriche,  à  cette  époque  de  i439-     ''^37  r- 

ou   4535  '^7i' 


1.  c. 


S--2  MKMOIRFS  OE  L'ACADÉMIE 

Albert  II,  en  mourant,  laissoit  sa  femme  enceiiite  (i) , 
mais  pas  Jaiitre  fils  qui  pût  ctre  empereur.  Apres  quelques 
fTuctuations  dans  les  choix,  les  électeurs  conservèrent  la 
couronne  impériale  dans  la  même  famille,  en  élisant,  le 
2  février  i44o,  Frédéric,  duc  d'Autriche,  qui  prit  le  nom 
de  Frcdt'ric  III.  Il  étoit  de  la  branche  de  Styrie,  issue 
d'Albert  \.'' 

Avant  de  parler  du  règne  de  Frédéric  III,  je  vais  rap- 
procher ici  les  différens  accroissemens  qui  avoient  enrichi 
sa  maison. 

Le  duc  d'Autriche,  Albert  Ill.avoit  acquis,  conjointe- 
ment avec  ses  frères  Rodolphe  IV,  Frédéric  III  et  Léo- 
pold  III, 

En  13^3,  le  Tyrol,  qui  leur  vint  de  la  succession  de 
Marguerite,    surnommée    Aldullache    (2)    (ou   la  lippe); 

Deux  années  plus  tard,  en  I3<^5,  le  comté  de  Fcld- 
kirch,  par  achat  fait  de  Rodolphe,  dernier  prince  de  la 
fimille  de  Werdenherg,  pour  la  somme  de  36,000  flo- 
rins ; 

En  1367,  le  Brisgaw  et  ses  dépendances,  que  ces 
princes  achetèrent  des  princes  de  Furstemberg  pour  la 


(  I  )  L'impératrice  Elisabeth  mit  au 
mond'.- ,  en  144°.  ""  prince  qui  fui 
nommé  Ladislas.  II  fut  aussitôt  re- 
connu roi  do  Bohème  et  de  Hongrie. 
Mais  Wladislas,  roi  de  Pologne, 
ayant  lormé  des  prétention»  sur  ces 
royaumes, Elisabeth, emportant  avec 
elle  la  couronne  de  fer  de  S.  Etienne, 
premier  roi  chrétien  de  Hongrie,  se 
retira  .i  la  cour  de  Frédéric.  Quelque 
lemps  après ,  en  1 444  >  Wladislas  périt 


d>ins  une  bataille  contre  les  Turcs. 
(2)  Ce  mot  de  inaiiltaclic  exprime 
une  lèvre  dilTorme,  comme  la  lippe 
chez  les  gens  du  peuple.  Je  serois 
assez,  disposé  à  croire  que  ce  mot 
Allemand  a  donné  naissance  au  mot 
Franc^ais  moustache ,  espèce  de  diffor- 
mité dont  on  défigure  la  bouche  en 
laissant  croître  la  barbe  qui  couvre 
la  levrc  supérieure. 

somme 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      (J53 

somme  de  55,000  florins:  étoient  comprises  dans  cet 
achat  les  villes  de  Neiibourg,  Brisach,  Kentzingen  et  Vil- 
lingen  ; 

En  1374.  le  comte  de  Goertz  (i)  ,  par  un  pacte  de 
famille  ; 

En  1378,  ie  comté  de  Bludens  ou  Pludenz  dans  le 
Wallgau  ,  vendu  par  le  comte  Albert  de  Werdenberg  ; 

En  1379  ,  par  achat,  un  bailliage  en  Souabe; 

En  1380,  le  comté  de  Hohenberg,  acheté  du  comte 
Rodolphe  pour  la  somme  de  66,000  florins. 

Or ,  en  réunissant  ces  possessions  nouvelles  aux  an- 
ciennes ,  on  aura  un  total  de  2123  milles  carrés,  ou 
61^0,01  lieues  carrées. 

Je  renvoie  à  la  lîn  de  ce  Mémoire,  pour  quelques  détails 
concernant  les  trois  branches  Autrichiennes  de  {'Autriche 
propre,  deStyrie-Tyrolet  de  Styrie-Sîyrie  (  n.°  i)  ;  c'est  la  ma- 
tière d'une  note.  Je  reviens  au  règne  de  l'empereur.  Voyczpng.6- 

Frédéric  III,  élu  à  Francfort,  comme  on  l'a  vu,  le 
2.  février  i44o.  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  étoit  ami  des 
lettres,  et  plus  épris  des  plaisirs  de  l'étude  que  de  ceux 
de  l'autorité.  11  porta  la  couronne  pendant  quarante-trois 
ans,  sans  gloire,  sans  éclat,  et  sans  utilité  pour  l'Alle- 
magne; mais  il  ne  perdit  pas  de  vue  l'agrandissement  de 
sa  maison  :  les  circonstances  d'ailleurs  le  favorisèrent. 

En  1453  ,  l'Autriche  fut  érigée  en  archiduché,  et  les 
souverains  y  acquirent  le  droit  d'y  faire  des  comtes  et 
des    nobles.    A   la    mort  d'Albert    IV,   dit  h   Politique, 


(i)  Pour  !a  date  de  cet  achat,  je 
me  conforme  à  l'opinion  de  M.  Has- 
sel.  Biisching  dit  que  ce  ne  fut  qu'en 


1500  que  ce  comté  revint  à  Maximi- 
lien ,  après  le  décès  du  comte   Léo- 
nard ,  mort  sans  héritier  mâle. 
Tome  VI.  L* 


6>/i  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

archiduc   d'Autriche,    l'empereur  Frcdcric  hérita  de  cet 
archiduchc. 

La  Bohème  ctoit  alors  sortie  de  la  maison  d'AiitricJie, 
puiscju'eii  1458,  après  la  mort  de  Ladislas  IV,  dit  /r 
Postliitmc ,  la  couronne  avoit  ctc  donnée  à  George  Podié- 
brad.  Après  ce  prince,  cette  même  couronne  avoit  passé 
à  Ladislas,  fils  de  Casimir  roi  de  Pologne,  en  i47'- 

Dans  la  même  année  1458,  la  couronne  de  Hongrie 
fut  détérée  à  Mathias ,  dit  Corvin ,  fds  de  Jean  Huniade, 
puis  à  Ladislas,  roi  de  Bohème. 

Il  fut  convenu,  par  un  traité  avec  ladislas,  qu'à  défaut 
d'enllins,  les  deux  couronnes  retourneroienl  à  Maximiiien, 
fils  de  Frédéric  III ,  et  déjà  roi  des  Romains.  Cet  événe- 
ment, qui  eut  lieu  dans  la  suite,  plaça  ces  deux  couronnes 
dans  la  maison  d'Autriche  relie  ne  lésa  pas  perdues  depuis. 

L'événement  tlu  règne  de  Frédéric,  et  même  de  toute 
la  durée  de  la  maison  d'Autriche,  qui  contribua  le  plus  à 
son  agraiulissement ,  fut,  en  i477.  I<?  mnriage  de  l'archi- 
duc Maximiiien  avec  la  princesse  Marie,  fdie  et  unique 
héritière  du  dernier  duc  de  Bourgogne,  CIiarles-le-Témé- 
raire,  tué  devant  Nancy  ,  le  5  janvier  de  la  même  année. 

Quelque  temps  avant  sa  mort,  Charles  avoit  eu  le  projet 
de  marier  sa  fille  au  dauphin  de  France,  qui  fut  depuis 
Charles  VIII;  et  les  historiens  blâment  Louis  XI  de  n'avoir 
pas  assez  donné  de  suite  à  cette  négociation.  Philippe  de 
Lh.  y  (.  XII.  Commines  dit  expressément  que  Louis  XI  en  avoit  eu  aussi 
le  projet;  mais  (juil  parut  changer  de  dessein,  dès  qu'il 
eut  appris  la  mort  de  Charles.  Quelques  auteurs  Allemands 
disent,  au  contraire,  que  «  le  roi  de  France,  fondé  sur  les 
:•>  promesses  que  le  duc  Charles  lui  avoit  laites  peu  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  63 j 
»  temps  après  la  paix  de  Neuss ,  demanda  la  princesse  en 
»  mariage  pour  le  dauphin.  Ce  projet,  s'il  eût  réussi  .ajoute- 
»  t-on,eût  épargne  à  l'Europe  les  malheurs  d'une  guerrede 
»  deux  cents  ans  ;  mais  il  échoua  par  les  intrigues  du  duc 
»  de  Clcves ,  qui  aspiroit  lui-même  au  mariage  de  l'héritière 
»  de  Boureosne.  »  Je  conviens  bien  ,  avec  Pfeffel,  de  la      Pfipi,  Hist. 

^    &,.,.,      ,  ,  .  .     .       d-All.an.i.jyS. 

conscquence  quil  tire  de  ia  rupture  de  ce  projet;  mais  je 
difîère  d'opinion  sur  l'événement  qui  en  fut  la  cause.  Il 
me  paroît  que  la  plus  forte  fut  la  lâche  trahison  de 
Louis  XI ,  qui  ,  ayant  reçu  de  Marie  une  lettre  confiden- 
tielle dans  laquelle  cette  princesse  se  plaignoit  des  Gan- 
tois, au  milieu  desquels  elle  se  trouvoit  ,  montra  cette 
même  lettre  aux  députés  de  la  ville,  et  la  leur  abandonna. 
Le  conseil  de  la  ville,  irrité  contre  Marie  ,  fit  périr  sur 
l'échafaud,  malgré  ses  prières,  les  ministres  Hugonet  et 
Imbercourt,  qui  avoient  signé  la  lettre.  Il  n'en  fiilloit  pas 
davantage  pour  inspirer  à  Marie  une  haine  implacable 
contre  Louis  XI. 

C'est  une  opinion  assez  généralement  reçue,  que  Marie 
de  Bourgogne  apporta  pour  dot  à  Maximilien  les  dix- 
sept  provinces  des  Pays-Bas.  L'expression  sera  plus  juste, 
si  l'on  dit  seulement  que  ce  fut  à  l'occasion  de  ce  mariage 
que  ces  dix-sept  provinces  passèrent  à  l'Autriche  :  car  Marie, 
maîtresse  ,  il  est  vrai ,  du  duché  et  de  la  comté  de  Bour- 
gogne, ainsi  que  de  quelques  autres  conquêtes  de  son  père, 
ne  possédoit,  non  plus  que  son  père  ,  que  onie  de  ces  pro- 
vinces. Les  autres  furent  réunies,  à  différentes  époques, 
par  la  politique  de  Charles-Qj.iint. 

Les  onze  provinces  qui  faisoient  partie  de  la  dot  de 
Marie,  étoient,  i.°la  Flandre,  2." le  Hainaut,  3. "l'Artois, 

L*  ij 


Ttif/(,iu  des 
rtroluiions  lùi 
tysième  /vliriaue 
Je  VEurcpe.  Ber- 
lin, 4  »'«.  m-i>'.' 


6^6  MK.MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

4.°  le  Brabaiu,  5."  la  Hollaïule,  6."  laZclande,  7."  le 
comte  Je  Nanuir,  8."  le  diichc  de  Luxembourg,  9.'  le 
diich(i  de  Limbourg ,  i  o."  la  seigneurie  de  Malines ,  i  i .°  le 
marquisat  du  Saint-Empire. 

Les  six  provinces  qui  y  furent  réunies  dans  la  suite, 
c'toient,  i."  la  Frise,  2."  Groningue  ,  3.°  Utrecht , 
4.°  rOvcr-Yssel ,  5."  la  Gueidres  ,  6."  le  pays  de  Zut- 
plien  (i). 

Louis  XI ,  mécontent  de  ce  mariage,  s'empara  du  duché 
de  Bourgogne,  de  la  Picardie  au-delà  de  la  Somme,  et 
des  comtés  de  Flandre  et  d'Artois,  comme  étant  des  fiefs 
réversibles  à  la  couronne. 

Déjà  riche  de  la  dot  de  sa  femme  et  de  la  succession 
de  son  père,  Maximilien  parvint  à  l'empire  en  i493-  ^' 
s'étoit  marié  en  i477-  ^*^  portrait  (|u'en  fait  Al.  Ancillon 
dans  son  excellent  ouvrage,  mérite  de  trouver  ici  sa 
place. 

«  Doué  d'une  certaine  facilité  d'esprit  qui  lui  faisoit  tout 
»  saisir  avec  chaleur ,  et  dépourvu  de  cette  force  de  carac- 
»  tère  qui  empêche  d'abandonner  ce  que  Ion  a  lUie  fois 
»  voulu  ,  avide  de  projets  et  dénué  de  moyens  pour  les 
"  exécuter,  toujours  magnifique  et  toujours  pauvre  ,  égale- 
»  ment  susceptible  d'enthousiasme  et  de  découragement, 
»  Maximilien  étoit  plutôt  un  homme  aimable  et  brillant 


(1)  Le  dnc  George  vendit  ses 
droits  sur  l.n  Frise  à  Cliarics-Quint, 
L'Over-Y$5cl  se  sonmit  en  i^ai).  La 
nicnic  année ,  l'cvcquc  d'Ulrecht 
renonça,  eo  faveur  de  l'empereur, 
h  ioA  jioUv'oir  séculier.  Le  duc  de 
Oueldres  fut  obligé  de  cotisentir  à 


la  réunion  de  Groningue  en  1536; 
et,  à  la  fin,  le  duc  de  Cléves  se 
vit  forcé  de  céder  la  Gueidres  et  le 
pays  de  Zuiplu-n  ,  qui  lui  étoien^ 
tombes  en  part.igc  depuis  la  mort 
de  Charles  d'Egmont. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      637 

»  qu'un  grand  homme.  Cependant  i'Ailemagne  lui  doit 
»  beaucoup,  et  il  peut  ttre  regardé  comme  le  créateur 
»  de  l'ordre  légal  dans  l'empire  Germanique.  Les  change- 
»  mens  qui  se  firent  à  cette  époque,  étoient  dictés  par  des 
»  circonstances  impérieuses,  et  sollicités  par  la  voix  gé- 
»  nérale  ;  mais  il  en  sentit  l'importance  ,  et  ne  s'opposa 
»  pas  au  bien.  » 

J'ajoute  que  ce  fut  à  la  diète  de  Worms  que  l'on  créa 
la  chambre  impériale,  que  l'on  partagea  l'Allemagne  en 
cercles;  enfin,  que  l'on  publia  la  paix  du  pays ,  qui  mit  fin 
au  règne  de  la  force,  et  fit  cesser  cet  état  de  guerre  per- 
pétuel entre  les  seigneurs  et  les  villes  ,  les  souverains  et 
les  sujets. 

Mais  je  ne  dois  considérer  ici  Maximilien  que  relative- 
ment à  l'accroissement  des  biens  de  sa  maison.  En  voici 
l'exposé  progressif  d'après  M.  Hassel  : 

I ."  Les  biens  compris  dans  la  dot ,  ou  qui  revinrent  à 
l'occasion  de  ce  mariage  (i) i>43^ 

2.°  En  i4p3>  Maximilien,  à  la  mort 
de  son  père,  hérita  de  ses  biens r,3p4i'- 

3.°  En  i^cfé ,  le  Tyrol   lui  revint  par 


m.  c. 


la  mort  de  Sigismond 


o 


73}' 


4.°  En  I  500  ,  le  comté  de  Goertz  et  le 
Frioul  dit  Auîric/iien 47t- 

5,"  En  I  503  .quelques  états  conquis  en 
Bavière  (étendue  ignorée) // 


A  reporter 3,(^1 


(i)  J'en  donne  le  détail  dans  une  note  placée  à  la  fin  de  ce  Mémoire 
(n.'  II). 


m.  c. 


638  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

D'autre  pari 3/ 1 1 

6.'*  En  I  5  18,  le  littoral  ccdc  par  la  ré- 
publique de  Venise 2,  7. 

Total 3,6  1 3  4. 

(Hl      I  O,  I  OC),  395  '■  ^' 

Si  l'on  estime  la  population  de  ce  pays  par  ce  qu'elle 
est  actuellement,  on  aura: 

Étendue.  Habitaiis. 

10,10c?,    j,i"  9,334,190. 

Il  est  donc  prouve  qu'en  moins  de  trois  cents  ans  les 
biens  de  la  maison  d'Autriche  comprenoient  plus  de  vingt 
fois  l'étendue  qu'ils  avoient  d'abord.  Ce  que  nous  allons 
voir  est  bien  plus  prodigieux  encore. 

En  1478  ,  Marie,  épouse  de  Maximilien  ,  accoucha  de 
Philippe. 

En  i49<^,  Philippe,  fils  de  Maximilien  et  de  Marie, 
épousa  Jeanne,  infante  d'Espagne,  fille  et  héritière  de 
Ferdinand-le-Catholique  ,  roi  d'Arragon ,  et  d'Isabelle, 
reine  de  Castille.  On  siiit  que  ces  deux  époux,  trcs-diffé- 
rens  de  caractères  ,  rapprochés  cependant  par  l'intérêt  et 
l'ambition  ,  étoient  parvenus  à  détruire  l'empire  des  Maures 
en  Espagne,  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner  les  vices 
du  gouvernement  de  ces  deux  souverains,  ni  le  tort  irré- 
parable qu'ils  firent  à  leur  état  en  repoussant  une  popula- 
tion immense,  active  et  laborieuse,  alimentant  un  grand 
commerce  par  des  manufactures  en  tout  genre.  Isabelle 
expia  presque  ses  erreurs,   en  protégeant  l'entreprise  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  639 
Christophe  Colomb,  dont  le  génie  découvrit  un  autre 
hémisphère, et,  par  cette  découverte,  en  augmentant  pro- 
digieusement les  possessions  de  son  illustre  protectrice, 
enrichit  l'ancien  continent  de  toutes  les  productions  d'un 
continent  nouveau. 

Je  ne  parlerai  pas  non  plus  des  mécontentemens  de 
Ferdinand  contre  son  gendre,  ni  de  la  conduite  de  ce 
gendre  avfc  sa  femme,  qui  porta  jusqu'au  délire  sa  ten- 
dresse pour  cet  infidèle  époux.  Elle  étoit  hors  d'état  de 
gouverner,  lorsque  Philippe  mourut  en  1506;  mais  elle 
étoit  mère  de  deux  fils,  Charles  et  Ferdinand. 

Charles,  déjà  maître  des  Pays-Bas  par  la  mort  de  son 
père,  n'avoit  que  seize  ans,  lorsqu'il  hérita  de  la  monar- 
chie Espagnole  par  la  mort  de  son  aïeul  Ferdinand.  Elevé 
par  Guillaume  de  Croy-Chièvres,  homme  du  plus  grand 
mérite,  il  joignoit  aux  agrémens  du  jeune  âge  la  sagesse 
et  la  gravité  de  l'âge  mûr.  La  vigueur  de  son  génie ,  fi)rmé 
par  ia  plus  excellente  éducation  ,  lui  rendit  fiicile  le  gou- 
vernement de  ses  vastes  états;  et  son  ambition,  secondée 
par  les  circonstances,  le  porta  à  l'empire  en  1519  :  il 
n'avoit  alors  que  dix-neuf  ans. 

Le  règne  glorieux  de  ce  prince  n'est  pas  de  mon  objet. 
Je  dirai  seulement  que  jamais  la  maison  d'Autriche  n'étoit 
arrivée  ni  ne  se  maintint  au  degré  de  puissance  où  elle 
parvint  sous  ce  règne.  * 

Charles-Q,uint  posséda, 

i.°  Les  Pays-Bas  et  la  Bourgogne.  ...       1,820 '"■'^" 

2°  Du  chef  de  sa  mère,  la  couronne  de 
Castille  et  une  partie  considérable  du 
nouveau  monde ,   estimées  ensemble  par 


6^o  All.MOIPxES  DE  L'ACADEMIE 

D\:utrc  jhirt i.Sao'"'*^' 

M.   Ha.scl 6,892. 

3.'  De  son  aïeul  Ferclinaïul ,  mort  en 
I  5 16,  la  couronne  d'Arragon ,  Naples,  la 
Sicile,  la  Sardaigne  ,  &c 4.587. 

4.°  Les  états  Autrichiens  en  Allemagne, 
par  la  mort  de  Maximilien,  à  <jiii  il  succéda 

à  l'empire 2,^7  4-. 

t'n.  la  note  JII.        5.°   Le  Milanez,  la  Navarre,  par  droit 

de  conquête 612, 

ToTAi i6,o8b'4-"'-^- 

ou   4^.217,   145 '"^  ' 

Qiinique  cette  étendue  de  16,088  -f'"*  *^'  paroisse  très- 
considérable,  il  V  a  cependant  des  tables  de  statistique 
qui  la  portent  jusqu'à  i -^  ou  18,000,  et  à  plus  de 
trente-un  millions  de  sujets.  Cette  différence  vient  de  ce 
que,  pour  cette  époque ,  on  n'a  pas  de  résultats  exacts  sur 
l'étendue  des  parties  de  l'Amérique,  non  plus  que  sur  la 
population  de  ces  parties,  ni  même  de  l'Espagne. 
Vty.  à  la  fin  Quaiit  à  la  successioii  de  Ferdinand,  je  mets  en  note 
JMAl/mtire ,  j'.  (ji,(.|(ji,es  détails  dont  la  connoissance  ne  peut  qu'ajouter 
à  l'exactitude  de  ce  Mémoire;  mais  je  crois  qu'en  général 
on  auroit  tort  de  conclure  la  population  de  l'Espagne  à 
cette  époque,  par  ce  qu'elle  est  actuellement,  puisque  les 
Maures  n'y  avoient  pas  encore  éprouvé  la  dernière  persécu- 
tion qui  eut  lieu  sous  Philippe  II.  et  que  l'Espagne  n'avoit 
pas  encore  été  dépeuplée  par  les  émigrations  nombreuses 
qui  ont  transporté  tant  d'Espagnols  dans  le  nouveau  monde. 
Quelle  qu'ait  été    la  fortune  de  Charles- Quint ,  elle 

paroi  tra 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      64 1 

paroîtra  cependant  moins  colossale  aujourd'hui  que  nous 
voyons  la  France,  dont  toutes  les  parties,  se  communiquant 
entre  elles  ,  ne  forment  qu'un  tout ,  de  la  mer  du  Nord  à 
la  Méditerranée  et  de  l'Océan  au  Tésin,  dans  un  espace  de 
plus  de  3  3,574  lieues  carrées  de  surface,  et  avec  une  popu- 
lation de  plus  de  trente -cinq  millions  d'habitans  (sans  y 
comprendre  le  territoire  de  Gènes).  On  voit  bien  que  je 
ne  parle  pas  ici  des  royaumes  de  Hollande,  d'Italie  et  de 
Naples ,  soumis  à  des  princes  Français.  Au  temps  de 
François  I.^"",  qui  l'emportoit  sur  Charles  par  les  qualités 
aimables ,  mais  qui  ne  pouvoit  pas  rivaliser  de  puissance 
avec  lui,  la  France  avoit  tout  au  plus  en  étendue  9  à  10,000 
lieues  carrées ,  et  le  roi  n'y  comptoit  pas  dix  millions  de 
sujets.  Ses  revenus  domaniaux  ne  montoient  qu'à  2  mil- 
lions de  livres;  les  tailles,  les  aides  et  les  gabelles  ne 
produisoient  guère  que  i4  millions;  en  sorte  que  le 
tout  formoit,  pour  le  revenu  total  de  l'État,  un  produit 
de  I  6  millions  (1), 

Après  avoir  étonné  l'Europe  pendant  un  règne  de  vingt- 
huit  ans,  Charles-QjLiint ,  se  sentant  affoibli  par  le  travail, 
par  l'âge,  et ,  dit-on  même  ,  par  les  plaisirs  ,  résolut  d'aban- 
donner le  théâtre  du  monde ,  pour  ne  pas  compromettre 
sa  gloire.  11  avoit  vu,  dans  sa  jeunesse,  le  couvent  des 
Hiéronymites  de  Saint-Just,  occupant  un  beau  vallon  de 
l'Estramadure  ;  l'impression  agréable  qu'il  en  avoit  con- 
servée, lui  fit  préférer  ce  lieu  pour  y  terminer  paisiblement 


(i)  Le  marc  d'argent  valoir  13  liv., 

et  le  prix  du  setier  de  blé,  du  poids 

de  deux  cent  quarante  livres  ,  \'aIoit 

10  fr.  ou  près  d'un  marc;  ce  qui  étoit 

Tome  VI. 


très-cher.  L'intérêt  de  l'argent  étoit 
très-haut.  Il  étoit  bien  baissé  lors- 
qu'il ne  fut  plus  qu'à  9  ou  10  pour 
cent. 


642  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

ses  jours.  En  quittant  le  trône,  il  eût  bien  voulu  laisser 
son  immense  succession  à  Philippe  son  fils;  mais  son 
frcre  Ferdinand,  dcjà  roi  des  Romains,  ne  voulut  passe 
dcsister  de  son  droit  à  la  couronne  impériale.  Charles, 
ayant  donc  fait  convoquer  une  diète  à  Francfort,  y  fit 
notifier  par  ses  ambassadeurs  son  abdication  et  son  voeu 
pour  l'c'lection  de  Ferdinand.  En  mcme  temps  ses  vastes 
états  furent  partages  entre  ce  prince  et  Philippe. 

Ferdinand,  empereur  le  24  février  1551^1  eut  les  états 
situés  en  Allemagne;  et  Philippe,  à  qui  Charles  avoit 
déjà  cédé  Naples  et  le  Milane/. ,  reçut  la  souveraineté  des 
Pays-Bas  avec  tout  ce  qui  composoit  la  monarchie  Es- 
pagnole. Ainsi  se  formèrent  deux  branches  de  la  maison 
d'Autriche:  l'une,  Esp^igiiole  ;  ['autre ,  AJ/enuitiJc. 

L.i  part  de  Philippe  ctoit,  sans  contredit ,  la  plus  im- 
portante. Son  père  lui  laissoit ,  avec  une  grande  torce 
d'opinion  dans  les  cabinets  de  l'Europe,  des  troupes  nom- 
breuses et  aguerries,  une  partie  des  trésors  du  nouveau 
monde,  et  les  avantages  que  produisoient  l'industrie  et 
le  commerce  des  Pays-Bas.  Ce  prince  abusa  cruellement, 
pour  le  malheur  de  l'Europe ,  d'une  puissance  si  consi- 
dérable. Il  joignit  encore  à  ses  vastes  états  le  Portugal, 
dont  les  découvertes  et  les  succès  dans  les  Indes  avoient 
fait  une  des  plus  illustres  puissances  de  l'Europe.  Mais 
ia  tyrannie  de  Philippe  lui  fit  perdre  sept  des  plus  riches 
provinces  des  Pays-Bas,  et  prépara  la  perte  du  Portugal, 
(jui  s'affrancliit  du  joug  de  l'Espagne,  sous  le  règne  de 
Philippe  IV,  Comme  cette  branche  de  la  maison  d'Au- 
triche iinit  en  la  personne  de  Charles  II ,  le  i."^""  novembre 
I  700  (ce  prince  n'avoit  qvie  trente-neuf  ans),  et  que  le  trône 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  <î4î 
et  les  possessions  de  l'Espagne  passèrent  alors  à  un  prince 
de  la  maison  de  Bourbon ,  je  ne  parlerai  plus  de  cette 
monarchie. 

La  branche  Allemande,  infiniment  dcchue  par  un  par- 
tage très-inégal  des  états  de  sa  maison ,  et  réduite  à  ne 
posséder  presque  que  le  quart  de  ce  qu'elle  avoit  au  temps 
de  Charles-Quint,  trouva,  dans  sa  politique  et  dans  les 
circonstances,  des  ressources  qui  lui  donnèrent  bientôt 
de  nouveaux  moyens  d'accroissement. 

Ferdinand  n'étoit  parvenu  à  l'empire  qu'en  1558,  à 
l'âge  de  cinquante-cinq  ans;  mais,  pendant  qu'il  n'étoit 
encore  qu'archiduc,  ses  possessions  s'étoient  augmentées, 
ainsi  qu'on  va  le  voir. 

En  15  151,  le  prince  Ulric,  duc  de  Wurtemberg ,  ayant 
exercé  un  acte  de  violence  contre  la  ville  impériale  de 
Reutlingen  ,  les  états  de  Souabe ,  ligués  en  1491  (i)  contre 
les  ducs  de  Bavière  ,  ce  que  l'on  désigne  ordinairement 
par  le  nom  de  ligue  de  Souabe ,  lui  firent  la  guerre  et  le 
dépouillèrent  de  ses  biens,  qui  fiu-ent  vendus  à  l'archiduc 
Ferdinand.  Étendue i  34  '"•  '^• 

En  1 522,  il  reçut,  par  cession  de  l'em- 
pereur Charles-Q.uint ,  l'Autriche  tant  supé- 
rieure f^w' inférieure  et  antérieure,  avec  l'Alsace .    2, 1 1 7  -r- 

A  reporter 

(1)  Le  traité  de  cette  association, 
qui  eut  lieu  à  Eslingen  ,  partage  la 
Souabe  en  quatre  parties  :  le  He- 
giiiVj  le  quartier  du  Danuie ,  le  quar- 
tier du  Kocher ,  le  quartier  du  JVecker. 
Chaque  quartier  avoir  son  capitaine 
et  ses  troupes,   sous  les  ordres  d'un 


2,25    I    T. 

général  en  chef,  élu  par  les  quatre 
cantons.  L'armée  étoit  de  dix  mille 
hommes  de  pied  et  de  mille  che- 
vaux. Cette  ligue,  qui  fut  très-utile 
dans    son   temps,    subsista  jusqu'en 

'553- 


M+ij 


6U  MEMOIRES  DE  L'ACADK.MIK 

D'iiutrc  fiirl Ji.ijij 

En  I  523  .  il  acheta  du  connc  de  Aloiu- 
fort,  seigneur  de  Breifent/.,  la  seconde  moitié 
de  ce  comté  pour  la  somme  de  30,000  flo- 
rins; mais  l'étendue  n'en  est  pas  connue. 

L'autre  moitié  avoit  été  vendue  à  l'archi- 
duc Sigismond  par  la  comtesse  Elisabeth. 

En  1  526,  Louis  II  roi  de  Hongrie  ayant 
péri  à  la  bataille  de  Mohatz,  et  ne  laissant 
pas  d'enfant  de  la  reine  Marie,  soeur  des  deux 
empereurs  Charles-Qiiint  et  Ferdinand ,  ce 
dernier  prince  se  porta  héritier  de  Louis, 
en  vertu  du  traité  fait  entre  l'empereur  Alaxi- 
milien  et  le  roi  Ladislas.  Il  eut  un  concur- 
rent en  la  personne  de  Jean,  fils  du  vaivode 
de  Transilvanie;  mais,  l'ayant  emporté,  il 
acquit  la  Hongrie,  dont  il  fut  reconnu  roi. 
Il  le  fut  de  la  Croatie  en   i  527.  Etendue. .  .    3,580. 

Dans  le  même  temps,  Ferdinand  fut  élu 
roi  de  Bohème,  où  il  succéda  également  au 
roi  Louis.  Il  avoit  demandé  cette  couronne, 
comme  une  succession  provenant  de  sa  sœur; 
les  états  la  lui  offrirent,  comme  un  hom- 
mage de  leur  vénération  pour  sa  personne. 
En  y  comprenant  la  Lusace  ,  qui  y  étoil 
jointe,  et  la  Moravie,  on   a 2, 2  3  h. 

En  1  5  4  2,  Ferdinand  acquit  la  seigneurie 


m.  c. 


A  reporter 8,065^7. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      ^4î 

Ci-contre 8,069  \  '"'  '' 

de  Thengen  en  Souabe ,  mais  de  peu  d'cten- 


du 


e 


En  1548,  la  ville  de  Constance,  sur 
le  lac  Bodensée,  ville  libre  et  impériale, 
ayant  quitte  la  religion  catholique  ,  les 
principes  religieux  de  Charles- Quint  ne 
lui  permirent  pas  de  voir  ainsi  toute  une 
ville  s'écarter  de  la  seule  voie  qu'il  connût 
au  salut,  sans  céder  à  l'impulsion  du  zèle 
qui  le  portoit  à  la  forcer  d'y  rentrer;  en 
conséquence,  il  la  mit  au  ban  de  l'Empire, 
et  se  l'appropria.  Ferdinand  la  soumit  en 
I  549'  Le  cercle  de  Souabe  ,  dont  les  prin- 
cipes étoient  plus  tolérans  que  ceux  de 
Charles-Quint,  traita  son  zèle  d'ambition  , 
et  protesta  contre  cet  acte  liberticide;  mais 
la  diète  d'Augsbourg  le  confirma. 

En  rapprochant  donc  ces  quantités ,  on   

a,  au  moins 8,070. 

Mais  ensuite  Ferdinand  perdit  quelques- 
unes  de  ses  propriétés. 

J'ai  dit  précédemment  que  Ferdinand 
avoit  acheté  les  biens  du  duc  Ulric  ;  ce 
prince  les  reconquit  depuis,  les  armes  à 
la  main  ,  en  1534-  L'Autriche  ne  conserva 
que  le  droit  d'en   investir  le  duc ,   à  titre 


A  reporter 8,070. 


6^6  .MK.MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

D\iutri-  part 8,070  '"'  ^• 

d'arricre-fief;  par  conscquent ,  Ferdinand 

perdit i34"^-'-"- 

En  1561,11  ccda  une  partie 
de  la  Hongrie  et  la  Transilva- 
nie  d'abord  à  Jean  de  Zapoiski, 
son  concurrent  au  trône,  puis 
aux  Turcs ,  (jui  l'avoieni  con- 
quise. Perte ■.594- 

Ainsi  donc  il   perdit 1,728 '"•'^* 

Ce  qui  réduisit  ses  états  à 6,342 '"•''• 


Le  rcgne  de  Ferdinand  fut  favorable  à  l'Allemagne, 
puisque,  par  \a.  paix  de  religion  [\) ,  il  calma  les  esprits 
échauffes,  contint  tous  les  partis,  et  montra  la  plus  sage 
impartialité;  tempérant  sa  tolérance  par  une  juste  sévérité 
contre  les  perturbateurs  de  l'ordre  public,  il  avoit  eu  le 
bonheur  d'entretenir  la  tranquillité  générale.  Maximilien 


(1)  Ferdinand,  ayant  convoqué 
une  dicte  à  Augsbourg  en  1555, 
parvint ,  à  la  suite  d'une  négociation 
trcs-difficile,  à  conclure  une  paix 
dont  les  principaux  articles  étoicnt  , 
i."  que  les  états  de  la  confession 
d'Augsbourg  n'emploieroient  au- 
cune violence  pour  faire  abandonner 
à  leurs  sujets  la  foi  tm'ilj  professoient  ; 
a."  que  les  sujets  qui  professoitnt 
une  autre  religion  que  celle  de  leur 
seigneur  et  maiire,  jouiroient  de  la 
liberté  de  sortir  du  pays.  Qui  croiroit 
que   cette  paix  ,   dont  je   supprime 


plusieurs  articles  ,  mais  dont  tous 
tendoient  à  maintenir  la  liberté  des 
cultes,  servant  d'aliment  aux  pas- 
sions des  deux  partis,  donna  lieu  à 
mille  interprétations  différentes  ,  et 
amena  des  voies  de  fait  qui  cau- 
sèrent la  guerre  de  trente  ans!  On 
peut  en  voir  les  détails  dans  les 
historiens  de  France  et  d'Allemagne, 
et  le  précis  dans  l'utile  ouvrage  de 
M.  Koch  (Alm-gé  de  l'histoire  des 
Traités  Je  paix ,  tom.  I.",  pag.  28  et 
suivantes.  ) 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      64/ 
son  fîls  hérita  de  ses  principes ,  et  le  surpassa  en  vertus. 

En  1564,   Maximilien  II,   déjà  roi  des  Romains  (en 
1562),  succéda  à  son  père  Ferdinand.  Voici  le  portrait 
qu'en  fait  le  professeur  Ancillon  :  «  Maximilien  II  n'avoit      TM.Âsn-- 
»  aucune  de  ces  qualités  brillantes  qui ,  dans  les  souve-  polit,  de  l'Eu- 
»  rains,  font  souvent  la  gloire  et  le  malheur  des  peuples;  ^''^Y;/"fj„,v.  ' 
»  mais  il  vouloit  sincèrement  le  bien.  Son  ame  douce  et 
»  humaine  ne.connoissoit  d'autre  passion  que  celle  de  ses 
»  devoirs.  Éclairé  et  sensible ,  il  auroit  désiré  faire  servir 
»  ses  lumières  au  rapprochement  des  catholiques  et  des 
"  protestans ,   et   à    l'extinction  de  tout  esprit  de  secte. 
"  Son  siècle  n'étoit  pas  assez  sage  pour  le  comprendre  et 
"  pour  le  suivre  :  il  falloit  encore  aux  esprits  les  cruelles 
»  leçons  de  l'expérience  ,  pour  sentir  le  prix  de  la  modéra- 
»  tion.  Maximilien  fut  du  moins  assez  habile  pour  recu- 
»  1er  l'époque  où  les  animosités  religieuses  dévoient  en- 
»  fanter  les  guerres  civiles.  Par-tout  il  recommandoit  la 
»  fermeté  et  la  justice ,   comme  les  seuls  appuis  solides 
»  de  l'autorité;  et  Philippe  II  n'auroit  pas  perdu  la  plus 
"  intéressante   partie   des   Pays-Bas,   s'il  avoit  suivi   ses 
»  conseils.  » 

En  I  575  .  Rodolphe II,  fils  de  Maximilien,  lui  succéda. 
Son  esprit  vif  et  pénétrant ,  ses  connoissances  variées  et 
solides,  ,avoient  donné  des  espérances  aux  peuples;  mais 
à  peine  étoit-il  monté  sur  le  trône,  qu'il  se  plongea  dans 
l'inaction  et  dans  la  mollesse.  Livré  aux  femmes  qui  le 
gouvernoient,  aux  ministres  qui  abusoient  de  son  auto- 
rité, il  prépara  les  malheurs  de  l'Allemagne.  Crédule  et 
pusillanime,  il  cherchoit  dans  les  rêves  de  l'alchimie  les 
moyens  de  faire  de  l'or,  et  dans  ceux  de  l'astrologie  la 


ciùua. 


r.iS  MFMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

tonnoissance  aniicipcc  des  cvcnemens  futurs.  Après  un! 
règne  Je  trente-six  ans  ,  il  mouriii  méprise  et  se  niépri- 
ÀmillcH,  lac»   sant  liii-mcme.  Ce  prince  n 'avoit  jamais  ctc  marie. 

En  1^12,  Alathias  succéda  à  Rodolphe  son  frère. 
Pendant  ces  deux  règnes  ,  les  biens  de  la  maison  d'Au- 
triche n'éprouvèrent  aucun  changement.  Je  remarquerai 
seulement  que  la  prépondérance  de  l'Autriche  étoit  telle  , 
que,  lorsqu'il  fallut  donner,  tn  1^19,  un  successeur  à 
Mnthias,  ce  prince,  non  plus  que  ses  trères,  n'ayant  pas 
eu  d'enfans,  le  choix  des  électeurs  ne  sortit  pas  de  leur 
maison  :  il  tomba  sur  l'archiduc  d'Autriche  Ferdinand, 
petit- fils  de  l'empereur  Ferdinand  I.^*"  par  Charles  duc 
de  Stvrie.  Il  avoit  été  roi  de  Bohème  en  i  6  i  7  .  et  roi  de 
Hongrie  en   i  6 1  8, 

Ferdinand  II,  élu,  comme  je  l'ai  dit,  en  16  19,  avoit 
alors  quarante-un  ans.  Il  étoit  parvenu  à  l'empire,  contre 
le  vœu  de  la  France  ,  par  les  intrigues  et  sur-tout  par  l'or 
de  la  cour  de  Madrid.  Les  détails  de  ce  règne  sont  étran- 
gers à  mon  sujet.  Cependant  je  ne  puis,  ce  me  semble , 
me  dispenser  de  dire  cjuelqucs  mots  de  la  guerre  qui  dé- 
sola l'Allemagne  pendant  trente  ans,  et  fit  perdre  à  la 
maison  d'Autriche  (juelques-unes  de  ses  possessions,  que 
de  nouvelles  guerres  lui  rendirent. 

Cette  longue  suite  <le  fléaux  qui  tourmentèrent  lAlle- 
ma^ne  ,  de  fiits  imprévus  cjui  l'étonnèrent  ,  d'actions 
héroïques  et  d'actions  atroces  qui  excitèrent  son  admira- 
tion ou  son  effroi,  cominenva  dans  un  pays  qui,  moins 
que  d'autres,  paroissoit  en  contenir  le  germe  fatal.  La 
Bohème  fut  son  berceau. 

Cette  fertile  et  riche  contrée  étoit  habitée  par  un  peuple 

nombreux, 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  649 
nombreux,  brave,  ami  des  mouvemens  et  des  dangers.  A 
cette  époque  ,  ce  peuple,  jaloux  de  ses  droits,  étoit  facile 
à  enflammer,  et  toujours  disposé  à  bien  accueillir  les 
choses  nouvelles.  Au  commencement  du  xv/  siècle,  les 
opinions  de  Jean  Huss  y  avoient  fait  une  fortune  rapide. 
Lorsque  la  perfidie  de  l'empereur  Sigismond  et  la  cruauté 
du  concile  de  Constance  eurent  fait  périr  ce  réformateur 
dans  les  flammes  ,  les  Bohémiens,  justement  irrités,  prirent 
les  armes.  Le  zèle  des  Hussites,  dirigé  par  le  génie  de 
Ziska ,  avoit  triomphé  des  forces  de  l'empereur  et  de 
l'Empire,  réunies  sous  des  chefs  habiles  (i).  Ces  souve- 
nirs vivoient  encore  dans  tous  les  cœurs  ;  et  ces  grands 
exemples,  que  la  tradition  avoit  religieusement  perpétués 
dans  les  familles  ,  avoient  donné  au  caractère  national 
une  fierté  irritable  et  un  esprit  de  résistance  qui  ren- 
doient  ce  peuple  difficile  à  gouverner. 

La  constitution  du  pays  partageoit  l'autorité  entre  le* 
prince  et  les  états  :  la  couronne  y  étoit  élective.  Depuis 
Ferdinand  ]." ,  elle  avoit  toujours  été  portée  par  uii  prince 
Autrichien.  Les  rois  avoient  tâché  de  substituer  insen- 
siblement l'hérédité  aux  formes  électives;  un  ordre  fixe, 
qui  arrête  les  passions  ambitieuses,  à  une  liberté  mobile, 
qui  les  encourage  :  mais  ils  n'avoient  pas  pu  réussir  à 
faire  abolir  totalement  les  anciennes  formes,  bien  moins 
encore  à  en  effacer  l'amour;  cet  élément  actif  de  troubles 
et  de  discordes  subsistoit  toujours. 

A  l'époque  de  la  rcformntion ,  les  idées  nouvelles  trou- 
vèrent en  Bohème  un  sol  préparé  à  les  recevoir  :  Huss  et 
ses  disciples  leur  avoient  frayé  la  route.  Les  Bohémiens 

(1)  Sigismond,  roi  de  Bohème;  puis  l'électeur  de  Brandebourg. 
Tome  VJ.  N* 


650  MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

les  adoptèrent  avec  enthousiasme,  et,  dans  toutes  les  occa- 
sions, dclendirent  avec  courage  leur  iihertc  religieuse. 

Sous  les  règnes  doux  et  pacifiques  de  Ferdinand  I.*'' et 
de  Maximilien  II,  ils  avoient  partage  le  bonheur  de  toute 
l'Allemagne,  et  avoient  Joui  d'une  tranquillité  parfaite. 
Sous  le  sceptre  de  i^odolphe,  ils  avoient  cpousc  avec 
leur  chaleur  ordinaire  les  craintes  et  les  inquiétudes  des 
protestans  ,  habilement  entretenues  par  la  politique  de 
Henri  IV,  roi  de  France.  Maihias  ,  qui  avoit  besoin  de  leur 
secours  pour  détrôner  son  frère  (i),  avoit  eu  l'art  d'exci- 
ter leurs  espérances  et  de  leur  faire  croire  que  sa  cause 
étoit  la  leur.  Pour  récompenser  les  servicesdes  protestans, 
Maihias,  parvenu  à  son  but,  n'avoit  pas  épargné  les  actes 
confirmatifs  de  leur  liberté  religieuse;  il  avoit  même  dé- 
terminé Rodolphe,  dès  1609,  à  céder  aux  voeux  des 
Bohémiens,  en  leur  accordant  les  fameuses  lettres  de  ma- 
/fj^f  (2) ,  qui,  dans  la  suite,  devinrent  la  cause  ou  du  moins 
le  prétexte  de  nouveaux  troubles. 

Après  la  mort  de  l'empereur  Rodolphe,  Mathias  avoit 
jeté  le  masque.  Dès  qu'il  fut  sûr  <\w  pouvoir,  il  ne  parla 
plus  de  protéger  la  liberté  des  sujets.  Quand  il  n'eut  plus 
besoin  des  protestans,  il  ne  dissimula  pas  sa  partialité  en 
faveur  des  catholiques.  Ce  changement  avoit  blessé  l'or- 
gueil ,  excité  les  alarmes  et  allumé  la  haine  des   protes- 


(1)  En  1611,  Rodolphe  II  .ivoit 
pris  des  mesures  .tvcc  les  Espagnols 
pour  exclure  Mathias  des  troncs  de 
rEnipirc  et  de  Bohciiie;  de  son  côté, 
Alaihias  gagna  les  états  de  Bohème, 
et,  i  main  armée,  obligea  Rodolphe 
de  lui  abandonner  ce  ro\jitnie.  En 
effet,  il  fut  couronne  ■  Prague.  L'em- 


pereur Rodolphe  se  trouvoit  alors 
dans  un  tel  état  de  mal-aise  par  les 
usurpations  de  son  frère,  qu'il  s'en 
plaignit  .\  la  diète  électorale  de  Nu- 
remberg ;  puis  il  tomba  dans  un  état 
de  mélancolie  qui  entraîna  au  toni- 
be.iii. 

{2)  Ce»  Itttrti  dt  mjjtsié  de  l'em- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.  (Jji 
tans.  La  fausseté  de  Mathias  ies  irritoit;  sa  foiblesse  les 
excitoit  à  la  vengeance  ;  le  mauvais  état  de  sa  santé  les 
encourageoit  à  tout  oser.  En  Bohème,  plus  qu'ailleurs, 
on  lui  prétoit  les  vues  les  plus  odieuses  ;  on  envenimoit 
ses  moindres  démarches  ;  on  dénonçoit  à  l'opinion,  tous 
les  jours,  de  nouvelles  violations  réelles  ou  supposées  des 
lettres  patentes  :  la  fermentation  étoit  encore  sourde ,  mais 
générale. 

Les  protestans  avoient  fait  bâtir  un  temple  sur  les  terres 
de  l'abbé  de  Braunau  ,  et  un  autre  dans  le  village  de 
Clostergrab,  qui  dépendoit  de  l'archevêque  de  Prague. 
Ces  deux  prélats  s'y  étoient  inutilement  opposés.  On 
avoit,  malgré  leurs  représentations,  continué  les  édifices: 
ils  les  firent  démolir.  Les  protestans  invoquèrent  les  lettres 
patentes  ;  mais  le  texte  des  lettres  étoit  contre  eux ,  et  ils 
lui  donnoient  une  extension  abusive.  Elles  accordoient 
aux  seigneurs  la  permission  de  fonder  des  églises  sur  leurs 
terres  ;  mais  elles  ne  donnoient  pas  à  leurs  sujets  le  droit 
d'en  élever  sans  leur  permission.  Mathias,  sollicité  parles 
deux  partis,  prononça  contre  les  protestans.  Cet  acte  étoit 
juste  ;  mais,  vu  les  circonstances,  il  étoitimprudent  :  différer 
eût  été  le  mieux. 

Cet  arrêt  jeta  la  terreur  dans  le  parti  protestant ,  et  fit  tm.  dts  rè- 
triompher  celui  des  catholiques  (i).  Bientôt  les  premiers  Y-;'  jerEÙnipe, 
eurent  à  leur  tête  le  comte  de   la  Tour,  né  avec  plus  "»"■  P^'  P- '^' 

^  fit  rr/tff 

d'audace  que  d'habileté,  et  qui,   mécontent  de  la  cour, 
amena  un  soulèvement  général  pour  venger  une  injure 

pereur   Rodolphe   accordoient   aux  permettoit  aussi  de  faire  construire 

protestans  de  Bohème  le  libre  exer-  des  temples  où  ils  le  jugeroient  con- 

cice  de  leur  religion ,  par-tout  et  sans  venable. 

aucune  distinction  de  lieux,  11  leur  (i)  C'est  ici  le  commencement  de 


et  suw. 


éji  .Ml. MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

particulicre(i).  Cet  homme  ardent  parvint  à  soulever  les 
prolestans  de  la  Bohème,  à  convoquer  les  états,  malgré 
les  défenses  de  ^empereur,  et,  après  avoir  porté  la  violence 
aux  plus  grands  excès  (2),  à  se  déclarer  ouvertement  contre 
l'empereur. 

On  étoit  en  armes;  et  le  comte  de  Mansfeld,  partisan 
habile,  avoit  déjà  obtenu  des  succès,  lorsque  l'empereur 
Mat'iias  vint  à  mourir.  Ferdinand,  petit-lils  de  Ferdi- 
nand !.'''■  par  Charles  archiduc  d'Autriche  ,  dcvoit  lui 
succéder.  Le  parti  des  prolestans  n'en  fut  (]ue  plus  em- 
pressé A  multiplier  les  obstacles  pour  lui  fermer  l'accès 
du  trône.  On  vouloit  plus  encore ,  puisqu'une  partie  con- 
sidérable des  princes  d'Allemagne  aspiroit  à  le  priver 
de  la  couronne  impériale.  Mais  les  efforts  des  mécontens, 
ainsi  que  ceux  de  l'Union  ev^nge'/itjue ,  furent  inutiles: 
Ferdinand  II  fut  élu  empereur  le  zS  août  i6ip.  Les 
états  de  Bohème  ne  voulant  pas  le  reconnoitre  pour  roi, 
on  balança  quelque  temps  sur  le  choix  de  celui  que  l'on 
devoit  lui   préférer.  Enfui  on  otiVit  la  couronne  à  Fré- 


la  guerre  de  trente  ans,  qui,  de  la 
Bohême,  passa  dans  le  Palatinat,  et 
sViendit  ensuite  dans  tout  l'Empire. 
M.  Koch  ydistingne  quatre jiéùodvs: 

La  première  est  celle  de  Bohême 
ou  la  Palatine,  Acçuii  1618  jusqu'en 
1625  ; 

La  seconde  est  la  Datioise,  depuis 
1625  jusqu'en  1630; 

La  troisième  est  la  Suédoise,  de- 
puis 1630  jusqu'en  1635  ; 

La  quairicme  et  dernière  est  la 
Française,     depuis     1635     jusqu'en 


(i)  L'empereur  venoit  de  lui  oter 
le  poste  important  de  burgrave  de 
Caristcin.  Ce  comte  étoit  originaire 
de  Goert/:  son  père  avoit ,  par  un 
mariage avant.igeux,acquisdes  terres 
en  Bohème. 

(z)  S'étant  rendu  dans  la  salie  du 
conseil  qui  siégeoit  au  nom  del'cni- 
pcreur,  suivi  d'une  populace  nom- 
jireuse  ,  lui  et  ses  partisans  jeicrcnt 
par  la  fenêtre  les  deux  conseillers  Sla- 
bata  et  Martinii/.,  aussi-bien  que  le 
sccrètaireFabricius.qui  leur  avoicnt 
parlé  avec  un  peu  de  fermeté. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  653 
tléric  V,  électeur  Palatin,  qui,  ccdant  aux  sollicitations 
de  sa  femme  ,  l'accepta.  Cette  princesse  étoit  fille  de 
Jacques  l." ,  roi  d'Angleterre.  Si  cet  électeur  eût  été 
mieux  secondé ,  ou  plutôt  s'il  eût  eu  dans  un  degré  plus 
éminent  les  qualités  qu'on  lui  supposoit,  il  enlevoit  la 
Bohème  à  la  maison  d'Autriche  :  mais,  arrivé  à  Prague, 
couronné  avec  toutes  les  cérémonies  d'usage,  il  oublie 
que  s'il  ne  se  soutient  sur  son  trône  par  la  force  des  armes, 
il  sera  traité  comme  un  usurpateur. 

Au  contraire,  le  parti  de  Ferdinand  avoit  pour  lui  les 
troupes  de  la  ligue  des  catholiques,  commandées  par 
Maximilien  de  Bavière  :  on  marcha  vers  la  Bohème. 
Frédéric  ,  sorti  trop  tard  de  sa  léthargie  ,  est  totalement 
défait.  Les  Bohémiens  vouioient  encore  combattre  pour 
lui,  que  déjà  il  étoit  à  Breslau.  Il  passa  bientôt  à  Berlin , 
puis  enfin  alla  cacher  sa  honte  en  Hollande. 

Ferdinand  déshonora  son  succès  par  sa  conduite  barbare 
contre  les  Bohémiens ,  et  injuste  contre  Frédéric ,  qui  , 
dans  cette  guerre,  n'avoit  pas  violé  les  lois  de  l'Empire. 
II  le  mit  au  ban  de  l'Empire ,  et  donna  le  Palatinat  à 
Maximilien,  chargée  de  l'exécution  de  la  sentence.  Dès  ce 
moment  la  maison  d'Autriche  parut  reprendre  la  puissance 
qui  l'avoit  déjà  rendue  si  formidable;  mais,  comme  elle 
n'avoit  que  trop  souvent  montré  qu'elle  ne  connoissoit 
pas  de  bornes  à  son  ambition  ,  le  parti  protestant  trouva 
des  partisans  parmi  les  princes  catholiques  qui  desiroient 
son  abaissement. 

Ferdinand  n'étoit  pas  brave,  et  se  rendoit  cette  justice 
à  lui-même  :  mais  il  eut  le  bonheur  de  rencontrer  des 
hommes  qui  méritoient  sa  confiance,  et  qui  l'obtinrent; 


6j4  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

on  doit  citer ,  entre  autres ,  Tilly ,  célèbre  par  ses  victoires. 

Je  ne  puis  suivre  cette  guerre  dans  ses  quatre  périodes. 

On  vit,  dans  la  première,  les  armées  de  ia  Bohème 
défaites,  l'électeur  Frédéric  et  le  margrave  de  Bade-Dour- 
lach  mis  au  ban  de  l'Empire ,  sans  égard  pour  les  prin- 
cipes de  la  constitution  Germanique  (i). 

Dans  la  seconde,  Christiern  IV,  roi  de  Danemarck  , 
sollicite  par  les  états  de  basse  Saxe,  et  soutenu  par  l'argent 
de  l'Angleterre,  entra  dans  la  lice,  fît  de  grands  efforts, 
éprouva  de  grandes  pertes,  et  fut  entièrement  défait,  en 
1626,  à  la  bataille  de  Kœnigslutter.  11  fit  depuis  une  paix 
qui  le  déshonora  aux  yeux  de  son  parti.  Ferdinand  étoit 
alors  secondé  par  les  taiens  de  Wallensicin. 

Ne  doutant  pas  qu'avec  les  deux  plus  habiles  généraux 
connus  à  cette  époque  il  ne  pût  tout  entreprendre,  et,  par 
l'excès  de  ses  succès,  tout  légitimer,  Ferdinand  s'aban- 
donne au  développement  de  ses  plans ,  et  traite  l'Allemagne 
comme  s'il  en  étoit  le  souverain  absolu. 

Les  ducs  de  Mecklenbourg  sont  dégradés  de  k-ur  rang 
et  dépouillés  de  leurs  états,  parce  qu'ils  ont  osé  prendre 
parti  pour  le  roi  de  Danemarck;  il  investit  de  tant  de 
riches  dépouilles  "Wallenstein  ,  déjà  duc  de  Friedland  , 
pour  s'acquitter  des  sommes  considérables  et  reconnoître 
les  services  signalés  qu'il  avoit  reçus  de  ce  générai. 
Maurice,  landgrave  de  Hesse  ,  et  Frédéric-Ulric ,  duc 
de  Brunswick  ,  qui  ont  eu  le  malheur  de  déplaire  à 
Ferdinand,  sont  obligés  d'abdiquer,  et  de  remettre  leurs 
états  à  leurs  fils.   L'électeur  de   Bnuidebourg,    George- 

(1)  FrWéric  ne  faiion  la  guerre  1  Ici  ciats  de  ce  pays  ;  il  ne  »'agis$oJt 
qu'au  roi  de  Bohême,  repoussé  par  |  pas  dci  grands  inicrct»  de  l'empire. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      655 
Guillaume ,    reçoit   l'ordre   de     reconnoître   Maxlmilien 
comme  électeur  de  Bavière.  De  plus ,  ii  donne  à  ce  nouvel 
électeur  le  haut  Palatinat,  en  échange  de  la  haute  Au- 
triche, et  s'acquitte  ainsi  de  la  somme  de  treize  millions  de 
florins,  pour  laquelle  il  lui  avoit  engagé  cette  partie  de  ses 
états;  et,  comme  si  tant  d'actes  de  despotisme  n'étoient 
pas  assez  révoltans ,  au  mépris  des  traités  les  plus  formels , 
des  sermens  les  plus  sacrés,  il  publia,  le  6  mars  162^, 
le  fameux  acte  de  restitution.  Cet  édit  ordonne,  sous  peine 
du  ban  de  l'Empire,  à  tous  les  princes  et  à  tous  les  états 
protestans,  de  se  dessaisir,  en  faveur  des  catholiques,  de 
tous  les  bénéfices  médiats,  de  tous  les  cloîtres,  de  tous 
les  biens  d'église  ,  qu'ils  ont  sécularisés  depuis  la  paix  de 
Passau,  et  de  laisser  les  souverains  catholiques  travailler 
dans  leurs  états  à  l'extirpation  de  la  religion  protestante, 
sans  leur  opposer  de  résistance.  On  voit ,  par  cet  exposé 
rapide ,  que  Ferdinand ,  se  livrant  au  despotisme  le  plus 
absolu  ,   renversoit  toutes  les  lois  ,  déplaçoit  toutes  les 
propriétés,  et  provoquoit  contre  la  maison  d'Autriche  la 
haine  de   tous  les   souverains. 

Dans  la  troisième  période ,  on  vit  agir  la  France,  d'abord 
d'une  manière  indirecte ,  puis  ouvertement.  Richelieu , 
ayant  fait  sentir  dans  le  conseil  de  Louis  XIII  combien 
l'ambitipn  de  Ferdinand  étoit  à  craindre  pour  le  reste  de 
l'Europe,  parvint,  par  des  négociations  habiles,  à  faire 
déclarer  contre  cet  empereur  Gustave-Adolphe ,  roi  de 
Suède. 

Ce  héros  parcourt  en  vainqueur  la  partie  septentrio- 
nale de  TAllemagne,  et,  le  7  septembre  163  i  ,  bat  Tilly/ 
près  le  village  de  Breitenfeld.   11  pénètre  ensuite  dans  la 


6)6  Mf.MOIRES  DE  LACADLMIL 

Franconie,.le  Palatinat  et  la  Bavière.  Tilly,  blesse  dans 
un  combat,  étoit  mort  au  bout  île  trois  jours,  lorsque 
Gustave  se  présenta  devant  Munich.  Tout  paroissoit  an- 
noncer la  défaite  du  parti  de  Ferdinand  :  mais  il  ctoit  par- 
venu à  vaincre  les  relus  de  Wallenstein  ,  qui ,  mécontent, 
avoit  depuis  quelque  temps  abandonne  son  service  ;  les 
talens  de  ce  général,  autant  que  l'impétuosité  téméraire 
de  Gustave  ,  le  débarrassèrent  de  ce  terrible  ennemi.  Gus- 
tave, chargeant  lui-incme  les  cuirassiers  impériaux  ,  à  la 
tête  de  quelques  escadrons  Suédois  ,  fut  frajipé  de  plu- 
sieurs coups  et  périt  à  la  bataille  de  Lutzen  ,  que  pourtant 
ses  troupes  gagnèrent,  le  6  novembre  1632. 

Cette  mort  îivoit  donné  de  nouvelles  craintes  aux 
protestans ,  et  ranimé  le  courage  des  catholiques;  mais 
les  Suédois,  toujours  enflammés  du  même  zèle  et  dirigés 
par  les  conseils  du  sage  Oxenstiern  ,  continuèrent  d'exé- 
cuter les  plans  de  Gustave.  Cependant  ils  se  trouvèrent 
hors  d'état  de  nuire  à  Ferdinand,  lorsqu'ils  eurent  perdu 
la  bataille  de  Nordiingue.  La  Saxe  profita  de  cette  cir- 
constance pour  faire  sa  paix  avec  l'empereur.  Le  traité 
fut  conclu  a  Prague,  le  23  novembre  \6^4.  Par  un  des 
articles  de  ce  traité,  la  dignité  électorale  et  le  haut  Pala- 
tinat sont  confiés  à  l'électeur  de  Bavière,  ainsi  que  la  par- 
tie du  bas  Palatinat  que  l'empereur  lui  avoit  conférée. 

En  1637,  Ferdinand  III  succéda  à  son  père;  mais  la 
guerre  n'en  continua  pas  moins. 

Ce  fut  dans  cette  quatrième  période  que  Riclielieu  , 
voyant  la  Suède  hors  d'état  de  unir  l('tc  à  l'Autriche  , 
fil  déclarer  ouvertement  la  France.  La  guerre  se  iit  en 
même  temps  dans  les  Pays-Bas,  en  Italie,  en  Allemagne, 


en 


DE5  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      657 

en  Espagne.  Les  Provinces-Unies,  ennemies  déclarées  Je 
la  branche  Espagnole,  devinrent  alliées  de  la  France. 

Les  détails  de  ces  guerres ,  dont  les  succès  furent  très- 
variés,  appartiennent  à  l'histoire  générale  de  l'Europe,  et 
sont  fort  connus.  Elles  se  terminèrent  par  la  paix  de 
Westphalie,  en  1^48, 

L'Autriche  eut  à  se  repentir  d'avoir ,  par  trop  d'ambi- 
tion ,  mis  ses  vues  au  grand  jour ,  causé  la  perte  d'à  peu 
près  un  million  d'hommes  ,etde  se  voir,  à  la  fin  de  trente 
ans  de  guerre,  obligée  de  céder  à  la  France,  outre  la 
souveraineté  de  Metz ,  Toul  et  Verdun ,  la  propriété  des 
deux  Alsaces,  y  compris  le  Suntgau  et  Brisach. 

Cette  perte  est  estimée  par  M.  Hassel  à .  20  5  ■"•  "^^ 
Ce  ne  fut  pas  encore  tout.  L'empereur 
Charles  IV  avoit ,  en  i  5  4  4  >  acheté  le  comté 
princier  de  Thengen,  au  nom  de  son  frère 
Ferdinand,  pour  la  somme  de  83  10  florins, 
et  l'avoit  incorporé  au  landgraviat  de  Nel- 
lenbourg.  Par  une  disposition  plus  à  sa  con- 
venance, l'empereur  Ferdinand  III  échangea 
cette  seigneurie  contre  le  comté  de  Mitter- 
bourg  en  Carniole,  avec  la  branche  cadette 
de  la  ligne  Pancrcitierme  des  comtes  d'Auers- 
berg,  qui  fut  élevée  à  la  dignité  de  prince  de 
l'Empire.  Ferdinand  III  perdit  à  cet  échange  7- 


Perte  totale 2,05  |, 


Ainsi  l'étendue  de  ses  possessions  fut  ré- 
duite à é.ijéf"'-*^' 

Tome  VL  O* 


6^^  MKMOIRES  DE  L'ACADKMIE 

En  1658,  Lcopold,  déjà  roi  de  Bohème  ei  île  Hongrie, 
succctia  à  Ferdinand  111  son  père  :  il  étoit  âgé  de  dix- 
huit  ans,  et  en  régna  quarante-sept.  Voici  ce  qu'en  dit 
le  professeur  Ancillon  :  "  Léopold  avoit  des  qualités  esti- 
"  niables  dans  un  particulier  ,  mais  il  étoit  dépourvu  de 
"  celles  qui  font  les  souverains.  Instruit,  honnête,  bon  et 
"  sincèrement  religieux  ,  il  n'avoit  pas  l'esprit  assez  étendu 
»  pour  voir  par  lui-même,  ni  assez  de  volonté  pour  agir 
••  seul:  foible,  pusillanime,  asservi  aux  préjugés  de  l'éti- 
»  quette  et  du  rang,  il  étoit  fait  pour  être  gouverné,  et 
••  il  le  fut  toute  sa  vie.  •• 

Je  passe  aux  acquisitions  que  fit  ce  prince. 

En    \66^  ,  Sigismond-Fran(,ois,  le  dernier  des  princes 

particuliers  duTyrol ,  étant  mort,  cette  succession  revint  à 

l'empereur  Léopold  ,  qui  se   transporta  à   Inspruck  pour 

s'y  faire  prêter   foi  et  hommage.  L'étendue  de  ce   comté 

est,  suivant  M.  Hassel,  de 541  '"■'^' 

En  I  675,  à  la  mort  de  George-Guillaume, 
le  dernier  de  la  famille  des  Piost  en  Silésie, 
lequel  avoit  réuni  les  trois  principautés  de 
Lignit/. ,    Brieg  et   Wohiau  ,   Léopold    s'en 

empara.  Etendue \o6. 

l.n  i6f?5,  ce  prince  reprit  le  cercle  de 
Schwiebus,  qu'il  avoit  d'abord  cédé  à  l'élec- 
teur de  Brandebourg,  Frédéric-Guillaume, 
lequel  depuis  étoit  mort  :  il  lui  en  coûta 
250,00  florins.  Ce  cercle,  (jui  ne  fut  plus 
séparé  de  la  principauté  de  Glogau,   ayant 

A   reporter ^ij- 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      659 

Ci-contre 647 '^•=- 

été  compris  précédemment  dans  les  posses- 
sions de  i'Aiitriche,  je  ne  ie  porterai  pas 
en  compte  dans  les  acquisitions  nouvelles. 

En  1 6^^ ,  la  paix  de  Cariowitz  ayant  con- 
firmé le  roi  de  Hongrie  dans  la  possession 
de  la  Transilvanie ,  le  prince  de  Rakotzy 
vit  anéantir  ses  prétentions  ;  et  ses  préten- 
tions comprenoient  en  étendue 2,328:^. 

Ce  qui  formoit,  avec  les  anciennes  pos- 
sessions de . 6,1367. 


une  étendue  de 9,111 


}_  m.  c. 

4 


z  Mais  ie  roi  d'Espagne,  Charles  II,  approchoit  de  sa 
fin  ;  et  il  s'en  fallut  de  bien  peu  que  la  branche  Allemande 
d'Autriche,  en  recueillant  la  succession  de  ce  roi,  ne 
devînt  aussi  puissante  qu'elle  l'avoit  été  au  temps  de 
Charles-Q,uint.  11  demandoit  qu'on  lui  envoyât  l'archiduc 
Charles  accompagné  de  dix  mille  hommes.  Les  finances 
de  l'empereur  ne  lui  permirent  pas  cette  dépense  ;  et,  par 
vanité,  il  ne  voulut  pas  que  son  fils  voyageât  dans  un  équi- 
page trop  modeste.  La  France  obtint  un  testament  qui 
assuroit  la  couronne  d'Espagne  à  Philippe ,  petit-fils  de 
Louis  'XIV.  Ce  monarque  arma  pour  assurer  les  droits 
du  jeune  prince,  tandis  que  l'Autriche  et  l'Angleterre 
armoient  pour  les  combattre.  Les  armes  Françaises  l'em- 
portèrent ,  et  l'Espagne  eut  un  roi  du  sang  des  Bourbons, 
sous  le  nom  de  Philippe  V. 

En  1705  ,  Joseph,  fils  aîné  de  l'empereur  Léopold,  lui 

O  +  ij 


<J6o  MKMOIRES  DE  L" ACADEMIE 

succcda.  Les  Jilfcrens  pour  la  succession  n'ctoieiit  pas 
termines  :  aussi  la  guerre  occupa-t-elle  tout  ce  règne,  qui 
ne  tut  que  de  cinq  ans. 

On  peut  se  rappeler  que  Cliarles-Q.uint ,  voulant  em- 
pêcher que  le  Milanez  passât  à  la  France,  l'avoit  pris  sous 
sj  protection ,  connue  fiennipérial  :  il  en  avoit  donne  l'in- 
vestiture à  Philippe  II.  Depuis  ce  moment,  le  Milanez 
étoit  censé  appartenir  à  l'Espagne.  L'empereur  Joseph  le 
reprit,  aussi-bien  que  Mantoue;  ce  qui  augmenta  ses  pos- 
sessions de r;  ri-i*        7  ^  ° 

Donc,  à  sa  mort,  en  171  o,  ses  états  com- 
prenoieni 9, Si 


m.  c. 


1 


En  1  7  I  1  ,  le  I  2  octobre,  les  électeurs,  après  un  in- 
terrègne de  six  mois,  accordèrent  la  couronne  impériale 
à  l'archiduc  Charles,  frère  du  défunt  empereur. 

Les  possessions  de  la  maison  d'Autriche  s'accrurent 
encore  sous  le  règne  de  Charles  VI ,  et  ce  nouvel  ordre 
de  choses  prit  de  la  solidité  par  le  traité  d'Utrecht. 

1."  Par  l'article  7  du  traité  entre  la  France  et  la  Hol- 
lande ,  signé  le  11  avril  1713  ,  la  France  s'engage  à 
remettre  aux  États -généraux  ,  en  laveur  de  la  maison 
d'Autriche,  tout  ce  qu'elle  possède  encore  des  Pays-Bas 
appelés  communément  Espupwls. .  .  .  On  excepte  de  cette 
cession  la  partie  du  haut  (juartier  de  Gueldres ,  cédée  au 
roi  de  Prusse  par  son  traité  avec  la  France. 

L'article  9  révoque  l'acte  par  lequel  Philippe  V  avoit 
cédé  et  transporte  la  propriété  des  Pays-Bas,  en  toute 
souveraineté,  à  l'électeur  de  Bavière  et  à  ses  héritiers  et 
successeurs  mnles.  Louis  XIV  s'engage  à  faire  délivrer  un 


DES  INSCPxIPTIONS  ET  BELLES- LETTRES.      66i 

acte  par  l'électeur  de  Bavière,  dans  lequel  il  cédera  et 
transportera  aux  Etats-généraux ,  en  faveur  de  la  maison 
d'Autriche,  tout  le  droit  qu'il  peut  avoir  sur  les  Pays-Bas. 

Par  le  ti'aité  de  Rastadt ,  mis  depuis  en  latin  à  Bude, 
le  roi  de  France  promet  de  laisser, l'empereur  en  possession 
tranquille  de  tous  les  états  et  places  qu'il  occupe  en  Italie, 
comme  du  royaume  de  Naples ,  du  duché  de  Milan  ,  de 
l'île  de  Sardaigne  et  des  ports  de  Toscane.     -j'y/Q 

Ces  articles  accordoientà  l'empereur,  selon  l'estimation 
de  M.  Hassel,  une  étendue  de 2,459-î  '"■^" 

Il  reprit  aussi  le  comté  de  Gradisca , 
dans  le  Frioui  Autrichien.  Il  en  avoit  été 
détaché,  en  1640,  par  l'empereur  Ferdi- 
nand III,  en  faveur  des.  princes  d'Eggen- 
berg.  Cette  maison  s'étoit  éteinte.  Etendue  20, 

En  17  I  8,  dans  le  traité  de  Passarowitz, 
entre  l'empereur  et  la  Porte  Ottomane,  il 
est  dit,  art.  4>  que  l^-  partie  de  la  Vala- 
chie  située  au-delà  de  la  rivière  à'AIuta, 
avec  la  forteresse  de  Temeswar ,  restera 
entre  les  mains  de  l'empereur.  L'article  6 
renferme  les  mêmes  dispositions  relative- 
ment à  plusieurs  lieux  de  la  Servie  et  de 
la  Croatie  :  ensemble i,6^y 

En  1720,  lorsque  les  Anglais  eurent 
battu  la  flotte  Espagnole  sur  les  côtes  de 
ia  Sicile  en  171 8,  et  qu'en  17 19  les 
Français,  sous  les  ordres  du  duc  de  Berwick, 


A  reporter 4»i  ^4  x- 


66i  MÉMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

D'iWlrc  part A>'^^i\  '"'  ^' 

eurent  repris  FontarabieetSaint-Si'hastien  ; 
qu'enfin  Philippe  V  eut  signé  l'acte  de  la 
quadruple  alHancc,  et  disgracie  le  cardinal 
Alberoni ,  les  Espagnols  cvacucrent  la  Sicile 
et  la  Sardaigne.  L'empereur  prit  possession 
de  la  Sicile;  et  le  duc  de  Savoie,  de  la  Sar- 
daigne, avec  titre  de  royaume.  Charles  VI 
y  gagna  une  étendue  de 576. 

Parles  préliminaires  du  traité  de  Vienne, 
signés  le  3  octobre  173$ ,  on  rend  à  l'em- 
pereur les  duchés  de  Milan  et  de  Mantoue 
dont  il  avoit  été  dépouillé ,  mais  que  j'ai 

déjà  fait  entrer  en  compte " 

On  y  ajouta  Parme  et  Plaisance 90. 

Si  l'on  ajoute  ces  possessions  aux  posses- 
sions antérieures  de 5).ïi2i  +• 


on  aura  un  total  de i4>^'  ^• 

Mais  de  cette  étendue  il  faut  défalquer 

les    pertes   que   l'empereur  avoit   faites    à 

différentes   époques. 

En  1720,  la  Sardaigne,  en  vertudu  traité 

de  la  quadruple   alliance..      ^t^o"'-'^' 
En  1735.  par  le  traité  de 

Vienne,  il  rendit  à  D.  Carlos 

Naples   et   la  Sicile;  il  céda 

la  Sardaigne  ,   ainsi   que  les 

districts  de  Novare  et  de  Tor- 

lone,  détachés  du  duché  de 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      66^, 

Ci -contre i4,<J  i  2  ""■  *^' 

Ci-contre 430'"'*^" 

Milan 2,2-}^-, 

En  1735?,  par  l'article  3 
du  traite  de  Belgrade,  il  per- 
dit la  Servie  ,  la  Valachie 
Autrichienne,  la  Bosnie.  .  .   1,1  6p. 

Total 3,838  :^. 

Si  donc  on  déduit  cette  somme  des  pertes 
de  celle  des  acquisitions 3»^3^  J- 


on  aura,  pour  ce  qui  restoit  à  l'Autriche,    10,773! 


m.  c. 

4 


A  la  mort  de  Charles  VI ,  en  i  7^0  ,  s'éteignit  la  posté- 
rité masculine  de  la  maison  d'Autriche:  mais  il  restoit  une 
princesse  mariée  à  François  duc  de  Lorraine ,  puis  grand- 
duc  de  Toscane, 

M.  Pfeffel ,  en  récapitulant ,  en  quelques  mots ,  les 
différens  degrés  d'agrandissement  qu'a  éprouvés  la  maison 
d'Autriche,  observe,  avec  beaucoup  de  justesse  ,  que  le 
sort  qu'éprouvèrent  les  deux  branches  Espagnole  et  A/Ie- 
mande ,  fut  une  suite  nécessaire  de  la  conduite  qu'elles 
tinrent  l'une  et  l'autre.  «  La  branche  Espagnole  lutta  cent 
»  cinquante  ans  contre  la  maison  de  France,  s'épuisa,  et 
»  l'Espagne  ne  put  se  rétablir  que  lorsqu'ini  prince  de 
»  France  y  fut  monté  sur  le  trône  de  Charles-Q,uint.  La 
»  branche  d'Allemagne  ,  plus  foible  d'abord  ,  ïut  plus 
»  heureuse  en    suivant  des    maximes  toutes  différentes. 


66i^  MKMOIRES  DE  L'ACADÉMIE 

>•  Les  rois  d'Espagne  avoiept  annonce  leurs  projets  avec 
"  éclat  ;  les  empereurs  Autrichiens  dcguisoicnt  les  leurs. 
»>  S'ils  dcclaroient   la  guerre  ,    ils  faisoient  entendre  que 

-  les  intérêts  ile  l'Empire  en  étoient  le  seul  motif;  c'i'toit, 
«  selon  ces  princes,  pour  défendre  la  liberté  de  i'Alle- 
••  magne,  qui ,  sous  ce  prétexte,  fut  obligée  d'entrer  dans 
'•  toutes  les  querelles  de  la  maison  d'Autriche.  Si  la  guerre 
«  finissoit  heureusement ,  l'avantage  en  restoit  tout  entier 
»  à  l'empereur;  et  la  perte  étoit  pour  l'Empire,  quand  la 
>•  fortune  avoit  été  contraire.  "  Ce  savant  ajoute  :  •<  Ce 

-  système  réussit  pendant  plus  de  cent  cinquante  ans  ;  et  ce 
»  ne  fut  qu'en  1733  ^"^'^  quel(|ues  princes  apprirent  à 
»  séparer  les  intérêts  de  l'Allemagne  de  ceux  de  la  maison 
»  d'Autriche.  » 


SECONDE 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      665 

SECONDE  PARTIE. 

Depuis  la  mon  de   Charles   VI,  en  //./^^  y;/.f^«'<7  la 
Confédération  du   Rhin,  en  jSo(f. 

Les  cvéïiemens  qui  suivirent  la  mort  de  Charles  VI, 
justifièrent  les  craintes  qu'avoit  eues  l'Europe  depuis  vingt- 
huit  ans.  Cet  empereur  avoit  cru  assurer  la  succession 
dans  tous  ses  états  à  sa  fille  aînée  par  la  garantie  solen- 
nelle de  ia  pragiiiati^jue  sanction  (i);  mais  plusieurs  sou- 
verains n'en  aspirèrent  pas  moins  à  s'en  emparer. 

Le  roi  de  Pologne,  électeur  de  Saxe,  fit  valoir  les 
droits  de  la  reine  sa  femme,  fille  de  l'empereur  Joseph, 
à  laquelle,  selon  la  loi  de  la  primogcniture,  la  succession 
devoit  échoir. 

L'électeur  de  Bavière  demanda ,  i ."  le  royaume  de 
Bohème,  en  vertu  du  testament  de  l'empereur  Ferdinandl.*^''; 
2."  la  haute  Autriche,  comme  étant  une  province  déta- 
chée de  la  Bavière  ;  3 ."  le  Tyrol ,  comme  un  héritage  in- 
justement enlevé  à  sa  maison. 

Le  roi   de  Prusse  ressuscita   une  ancienne  prétention 


(  I  )  Cette  pragmatique  est  de 
l'an  1713.  C'est  un  réglenient  émané 
de  l'empereur  Charles  VI ,  qui  porte 
qu'au  défaut  de  mâle  de  sa  lignée ,  les 
filles  lui  succéderont  préférablement 
à  celles  de  l'empereur  Joseph  I.", 
son  frère,  et  que  la  succession  se  ré- 
gleroit  selon  l'ordre  de  primogéni- 
Ture,  de  manière  que  la  fille  aînée 
seroit  préférée  aux  cadettes,  et  seule 
Tome  VI. 


hériteroii  de  tous  les  états  qu'il  laisse- 
roit  à  sa  mort.  Ce  règlement,  ap- 
prouvé d'abord  dans  tous  les  pavs 
héréditaires,  puis  dans,  toutes  les 
tours  de  l'Europe,  n'obtint  son  effet 
que  parce  qu'il  fut  soutenu  par  la 
force  des  armes.  Le  prince  Eugène 
le  prévoyoit  bien,  lorsqu'il  dit:  Cent 
mille  hommes  garantiraient  mieux  cette 
pragmatique  que  dix  mille  traités. 

P4 


CG(>  .MKMC^IRES  DF  L'ACADÉMIE 

sur  les  (Juches  île   1  roppau  et  de  JœgerndorH  en  Silésie. 

Enfin  le  roi  d'Espagne  réclama  le  Milanez  et  les  autres 
dtats  Autrichiens  en   Italie. 

Ces  prctentions  différentes  donnèrent  lieu  à  une  guerre 
qui  dura  sept  ans  et  fut  terminée  par  plusieurs  traités 
successifs. 

Cependant  la  France  put  croire,  pendant  quelque  temps, 
qu'elle  avoit  enlin  réussi  à  abaisser  sa  rivale.  Les  armes 
dentelle  appuyoit  les  prétentions  de  l'électeur  de  Bavière, 
avoient  décidé  le  choix  des  électeurs.  Il  avoit  été  élu 
empereur  le  24  janvier  17-I2,  et  avdil  pris  le  nom  de 
Charles  VU. 

Mais  la  fille  aînée  de  Charles  VI,  l'illustre  Marie- 
Thérèse,  épouse,  dès  1738,  de  François-Etienne  de 
Lorraine,  devenu  grand-duc  de  Toscane,  à  la  mort  de 
Jean-Gaston,  le  5?  juilkt  1737,  se  conduisit  avec  tant 
d'habileté  et  de  courage,  qu'elle  parvint  à  faire  reconnoître 
son  époux,  en  1 74  '  .  co-régent  des  états  héréditaires 
d'Autriche;  puis,  à  la  mort  de  Charles  Vil,  à  le  faire 
élire  empereur,  le  15  septembre  \']\'\-  Cette  princesse, 
ayant  été  reconnue  unique  héritière  de  Charles  Vil  ,  fut, 
en  conséquence,  archiduchesse  d'Autriche,  et  reine  de 
Bohème  et  de  Hongrie. 

Quoique  l'empereur  François  ne  soit  mort  qu'en  17<j5  , 
cependant ,  excepté  les  actes  de  l'empire,  presque  tous  les 
faits  de  son  règne  sont  annoncés  comme  étant  l'ouvrage 
de  son  épouse  Marie-Thérèse. 

Je  me  renfermerai  dans  ce  (jui  friii  l'objet  de  ce 
Mémoire. 

Nous   avons    vu    prctcdenimeni    qu'en    éxecution    du 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  66y 
traité  de  Vienne,  les  états  de  la  maison  d'Autriche  étoient 
réduits  a 10,773  ^ 

Je  vais  placer  ici  ce  qu'il  faut  encore 
ajouter  à  cette  étendue ,  puis  j'en  sous- 
trairai ies  pertes. 

En  I  7  59,  le  dernier  comte  de  ia  maison 
de  Hohen-Embs  étant  mort  sans  enfant 
mâle,  l'empereur,  malgré  les  sollicitations 
de  la  fille  de  ce  prince  (  Frédéric-Guillaume- 
Rodolphe),  confisqua  ce  comté  au  profit 
de  la  maison  d'Autriche;  ce  qui  lui  pro- 
cura en  étendue 37. 

Le  comté  de  Falkenstein ,  dans  le  cercle 
du  Haut-Rhin,  vendu  en  l'année  1667  à 
Charles  III  duc  de  Lorraine  ,  et  depuis 
cédé  tout  entier  au  duc  François-Etienne, 
époux  de  Marie-Thérèse,  lui  demeura, 
lorsqu'en  1735  son  duché  passa  à  la 
France.    Etendue 27. 

On  ne  doit  pas  oublier  non  plus  que 
Marie-Thérèse  mit  en  séquestre  les  biens 
de  la  maison  de  Gonzague. 

Les  acquisitions  suivantes  sont  bien 
plus  importantes  et  plus  nouvelles.  Comme 
les  événemens  qui  les  ont  procurées  sont 
très-connus,  je  ne  ferai  que  les  indiquera 
leurs  dates. 


A  reporter 10,779  ^. 

PHj 


668  M  KM  OI  lus  DE  L'AC.VDÉMIE 

D'iiutre  port io,7-'p  \  " 

En  1770,  la  Gallicie  orientale 1,380, 

En   1-78,  la  BuckoAvine ^7^  \- 

Un   1779,    le   quartier  de    17/;//,    ccJc 

par  la  Bavière 4 1  • 

En  1780,  le  comte  de  Tettnan^,  qui, 
avec  les  comtes  de  Feldkirch  et  de  Bre- 
genz,  avoit  fait  partie  de  l'ancien  comté 
de   Montfort <j. 


Mais,  par  ditfcren s  traites,  l'Autriche 
avoit  perdu  , 

En   174^  »  '"le  grande  partie  de  la  Si- 
Icsie  et  le  comté  de  Glatz.  ...    685  '"•'^• 

En  I  743  •  i"i<^  portion  du  Mi- 
lanez  et  la  Sardaigne 97. 

En  I  748,  les  duchés  de  Parme 
et  de  Plaisance 5)0. 

ToTAi 872.  872. 


Si  donc  nous  otons  ce  nombre  de  l'éten- 
due qu'avoit  d'abord  possédée  l'Autriche, 
nous  aurons,  pour  le  règne  de  Marie- 
Thérèse '  '.5  "P  î 

L'empereur  Joseph  II,  Ids  de  Marie- 
Thérèse,  fut  couronné  le  3  avril  i^64- 

Ce  prince  accrut  les  biens  de  sa  maison 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      669 

Ci-contre i  i,  5  1 5?  7 '"■  ^• 

de  fort  peu  de  chose ,  il  est  vrai  ;  mais 
enfin  il  y  joignit  le  comté  d'Asch ,  situé 
près  de  la  Bohème ,  du  côté  d'Egrà 5 . 

Léopoid  II,  lui  ayant  succédé  en  1790, 
réunit  aux  biens  de  l'Autriche  le  grand 
duché  de    Toscane 34^- 

En  1792.  ce  prince  acquit  le  district 
d'AItorschowa  par  le  traité  de  Szistova. 
Etendue 4* 

En  sorte  qu'à  la  mort  de  Léopoid  II 
les  possessions  de  l'Autriche  comprenoient 

une  étendue  de i  1.874  r* 

François  II,  élu  empereur  le  i4  juillet 
I7p2  ,  a  vu,  par  le  sort  des  armes,  suc- 
cessivement s'augmenter  et  s'afFoiblir  ses 
états,  soumis  aux  événemens  militaires 
et  politiques. 

Il  acquit  , 

En  1 7p  5  ,  la  partie  occidentale  de  la 
Gallicie 86<j. 

En  175)7.  par  le  traité  de  Campo- 
Forniio,  il  eut  l'état  de  Venise,  l'Istrie, 
la  Dalmatie ,  le  golfe  de  Cattaro 7 1 1  4  • 

En  1802,  par  le  recez  des  indemnités, 
il  eut  les  évêchés  de  Trent  et  de  Brixen  .  .  cj2. 

L'archevêché  de  Saltzbourg ,  la  prévôté 


A  reporter 13. 544- 


670  MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 

D'autre  /hirt i  j  .  5  44  '"'  *^' 

de  BcrchtoIsgaJeii ,  iii  partie  supérieure  de 
l'abbaye  de  Passaii  ;  en  tout 193. 

En  1803,  la  plus  grande  partie  de 
l'£ichsta;dn 16. 

Lindaii  et  Rothenlels,  par  échange.  .  .  ^. 

En  I  804  ,  la  seigneurie  de  Blauicneck, 
ainsi  que  quelques  autres  parcelles  des 
biens  de  l'abbaye  de  Weingarten ,  par 
échanireavec  la  maisonde  Nassau-Diet/ .  .  2^. 


Total,  sauf  les  pertes i  3,764  î- 

Mais  l'Autriciie  avoit  perdu  , 

En  1797,  les  Pays-Bas  et  le  comté 
de  Falkenstein  par  le  iiaité  de  Campo- 
Formio 4?!  "î  '"■'^' 

Milan,  Mantoue,  Casii- 
glione 264. 

En  1 80 1  ,  par  le  traité 
deLunéville  ,  la  Toscane  ,  le 
Frickthal 3  59  f- 

Total I1O95.  1.095. 

Si  donc  j'extrais  cette  somme  de  la 
précédente,  j'aurai 11,66^  f 


m.  c. 


Depuis  même  le  traité  deLunéville,  l'Autriche  a  lait 
des  perles,  que  je  vais  exposer  avec  quehjues  détails  dans 
un  tableau  ci-aprcs.  Je  les  dois  à  M.  Ockhart ,  aussi-bien 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.  671 
que  quelques  corrections  qu'il  a  bien  voulu  me  commu- 
niquer (i). 

Le  résultat  des  recherches  que  j'ai  faites  et  des  secours 
que  j'ai  obtenus,  donne  ce  t|ui  suit,  pour  l'état  actuel, 
en  I  806  : 


ETENDUE. 


Milles  carres. 
1  2,6697 


Lieues  com.  carr. 
35,700  (  approx  •) . 


POPULATION. 


î2,86o,(10O  ''»''• 

ou 
22,452,000. 


REVENUS. 


1  04,000,000  flor. 

ou 
1  oj, 000, 000. 


(1)  Je  dois  aussi  à  S.A.  E.M.s' le 
prince  primat  de  Dalberg  la  commu- 


nication de  plusieurs  ouvrages  Alle- 
mands qui  m'ont  été  irès-utiles. 


^7^ 


MEMOIRES  DE  L'ACADEMIE 


Table AV  statistique  des  Possessions  et  des  Revenus  de  la  Maison  d Autriche , 
traduit  de  la  table  2S  de  l'ouvrage  de  Al.  Ockhart,  en  iSor. 


U 


Z.  !  *^"->'"c  au-flcl.i  (le  rA/i>  i',  .■ 
Quartier  de  \'Ens,  ccdc  par  la 

bavicrc  en  1779 

Quartier  ctitlcvi  de  \'Eii>.  .  .  . 

Stvrie 

Cahinthil 

Carmole 

Frioul 

TVROL 

Èiéché  de  BkIXEN 

F.vcchc  de  TrENT 

VoRAKLBERC 

Margraviat  de  BURGAU 

l.and>;raviat  de  Nn.LENBOiRC 

Comte  de  I  IoHENBERG 

Tettn ANC ,  Argen  

Plusieurs  villes  et  ferres  dispersées. 


BOHLML 

Moravie 

I  SILÉ51E  Autrichienne  , 


Hongrie  et  Dalmatie.  . 

1  T  HANMbVANIE..  .. 

Bli  rowi.ne 

GALLicrE  orientale. 
:  GAiLiriE  occidentale. . .  . 
:  État  Vénities.  . .   


.MU.Lf.S» 
carres. 


40. 

4 10. 
1 96. 

378. 


4-- 
Î-- 
1 1. 
16. 
o. 
1 1. 


';9- 


9  ro. 

410. 

8t, 


,J'jo. 


.},  lie. 

950. 

.78. 

1,180. 

885. 

740. 


I  1,00). 


HAD1TANS. 


500,000. 

I  30,000, 
1,010,000., 
791,000. 
IJ  6,000. 
387,000. 
I  10,000, 

J90,ooo. 

25,000. 
I  J5,ooo. 

71,000. 

4^,000. 

16,000. 

34,000. 
■  J,ooo. 
18,000. 


4,166,000. 


1,960,000, 

1,160,000, 

i6u,ooo. 


S', 646, 000, 


7,570,000, 

1,485,000, 

I  34,000, 
1,970,000, 
1,1 19,000, 
1,1 30,000, 


l.).u6.|,bOO, 


\ILLES. 


V 


,,8 


150 
71 
14 


•Ivl 


M 
S 

5 
199 

130 

40 

941 


98 
=  5 

-; 

6 


5^' 


■44 


Î7« 

7° 
6 

I  1 1 

4 
10 


i.î$i 


1 0,460. 

3,460. 

1,800. 
3,000. 

)7Î. 
^90. 

î'- 

48,. 
1  10. 


::,5:-. 


ri, 455. 
3,1  10. 

55« 


;-.6i8 


10,776. 
1,486, 

ij6. 
î,6io. 
4,606. 
5.Î00. 


^.,.^4^ 


en  rtorins. 


6,000,000 

■  3,500,000, 

5,890,000 

1,600,000, 

1,100,000, 

960,000. 

3,660,000 

150,000 

550,000 

550,000 

3  30,000 

170,000 

160,000 

90,000 

1 80,000 


37,090,000 


i6,yoo,ooo. 

5,800,000 

800,000 


60, 1  90,000 


I  8,760,000 

3,950,000 

540,000 

I  1,750,000. 
4,uoo,ooo. 

10,000,000 


110,190,000 


(1)  On  Mil  i^uc  (•  ditition  et  I  Aultichc  ^  <:      liiic 


.1(1  Alpri 


D'autres 


raM 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      673 

D'autres  ctats,  dit  M.  Ockhart,   dans   une  note  par- 
ticulière ,  donnent  : 

Etendue.  Population,  Revenus. 


ii,975""''"  2,4,700,000^- 

ii,cj68.       24,6o^,4c)'j.  ^  120,000,000 "• 

12,000,  25,000,000. 


Mais  les  pertes 

vont  à 1,2^7.  2,535^,000.      17,727,000. 

Tableau  des  Pertes  de  l'Autriche  d'après  les  Traités  dePresbourg  etd'Austerliti. 


I ."  Margraviat  de  Burgau  et  dcpencl."^ 
2°  Tyrol.Trent,  Brixen,  Vorariberg 
3.0  Comté  de  Hohen-Embs 


En  Allemagne. . . . 


4."  ComtésdeKonigsecketdeRothen- 
feLs 


) ."  Comte  de  Lindau 

6.0  Comté  de  Tettnang  et  Argcn.  .  . 

7.°  Comtés   de  Hohenberg ,    Nellen- 
bourg,  &.C.  en  Souabe 

y."  Constance  et  Meinau 


En  Italie. 


1 .°  Duché  de  Venise 

1.°  Istrie,  Dalmatie  Vénitienne. 


Mais ,  sur  les    réprésentations   de    l'Autriche ,  on  lui   a 

rendu  deux  pays  qui  avoient  été  cédés  à  la  Bavière ,  savoir  : 

Saltzbourg  et  Berchtolsgaden 


MILLES 
carrés. 


î4- 
52  r. 

5    'A 

8. 

>    'h 
8. 

40. 

310. 
339- 


En  sorte  que  l'état  actuel  de  la  maison  d'Autriche,  dont)     10,730 
le  chef  a  le  titre  à' empereur ,  n'est  pas  éloigné  des  nombresl        ou 
suivans ,  donnés  par  les  auteurs  les  plus  exacts )     1 0,790, 


Tome   VI. 


HABITANS. 


44. OOP. 

600,000. 

4,000. 

I  1,700. 
R.ooo. 

I  3,000. 

1  Oi,000. 

J,4oo. 

,390,000.) 
361,000.1 


2  1  6,000, 


22,060,000 

ou 

22,425,000. 


REVENUS 

en  florins. 


330,000. 

4,500,000. 

15,000. 


50,000 
90,000, 

650,000. 
22,000. 

2,000,000. 


1,100,000. 


104,000,000 

ou 
103,000,001 


67i 


.Ml  .MdIRES  DE  L'ACADEMIE 
C  ON' C  LU  S  ION. 


Je  lie  nie  clissinuile  pas  combien  ce  simple  expose  a  Jiî 
paroltre  troici  et  sec;  mais  tel  est  le  sort  des  sujets  relatitt. 
à  la  statistique.  Cette  science  scvère  laisse  les  détails  et  les 
rcrtexions  à  l'histoire,  les  descriptions  à  la  géographie , 
et,  se  renfermant  dans  son  seul  objet,  elle  e.xpose  les 
faits  qui  servent  de  matériaux  à  l'une  et  à  l'autre  de  ces 
sciences.  Je  me  permettrai  seulement  le  rapprochement 
suivant ,  qui  n'est  pas  sans  quelque  intérêt. 

Tableau   de   l'étendue  des   Possessions  de   la  Maison  d'Autriche 
;  à  chaque  règne. 


Rodolphe 

ALBEnr  I." 

Al.HrRT  II 

iREOÉRIC  III 

Maximilien 

Charles-Quint  ...... 

Ferdinasp  I." 

Ferdinand  III 

LÉop<jLn  I." 

JncFPH  1.*' 

CHARLf;  A'I  ,  .i  sa   iiH'il. 

MARIE-TftERÉ'E 

LÉOPOLP   II 

FrAN(, OIS  II,  en    ii)«4.  . 
Tr.iiié  d'Aïuierlir?. . 


MILLES 

r.irrt<. 


LIEUES 


l-ry. 

16.085  ; 

6,1  j6 
9,1  1  1 

•0.77J 
1J.591. 
Il, «74. 
1 1,869. 
1 1,869. 


j,4i8.  1. 

4.nî-  871- 

6,190.  01. 

10,109.  J»J- 

.J6,ii7.  14}. 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES.      675 


NOTES. 


(N."  I ,  pag.  6^^.)  DÉTAILS  conceriiûnt  les  ttois  Brûnclies 
Autricliienties  t/Autriche  propre,  de  Styrie-Tyrol ,  et 
de  Styrie-Styrie. 

AUTRICHE     PROPRE. 

En  1395,  le  duc   Albert  IV    hérita  de  la  succession  du  duc 
d'Autriche j4î  t-  "*  '' 

En  i4o4,  son  fils  Albert  (II)  fut  honoré,  après 
la  mort  de  Sigismond  ,  de  la  pourpre  impériale 
(en   1437).  et  devint,  à  cette  époque,  maître 

De  la  Hongrie 6,145. 

De  la  Bohème 2,385. 

En  mourant,  il  laissa  donc  à  son  fils  posthume.  .    9,076  ^. 

ou 2316  ,  9  '■  '■ 

En  1439  >  Ladislas.  Cette  branche  s'éteignit  à  sa 
mort,  en  i4î7>  Alors  la  Hongrie  et  la  Bohème 
élurent  un  autre  roi  ;  ce  qui  fit  une  perte  de  8  5  3  i  "'•  "• 

Il  ne  resta  donc  plus  à  l'Autriche  que 545  i- 

STYRIE-TYROL. 

En  I  395  ,  le  duc  Frédéric  IV.  Il  reçut  de  la  suc- 
cession d'Albert  III, 

LeTyrol,  l'Autriche  antérieure  en  Souabe,  des 
biens  en  Alsace ,  en  Helvétie.  Etendue 883. 

A  reporter 883. 

Q*ij 


CyG  MK.MOIRES  DE  L'ACADEMIE 

D  autre  part 883 

En  i4^3  >  l'archiduc  Sigismond  perdit  le  reste  de 

ses  domaines  en  Suisse '"'P  "'"  ' 

Mais  il  avoit  acquis  la  moitié  de  Bregentz.  ...  9. 

En  i46j  .ilaclieta  le  laiulgraviatde  Neilenbourg.  26 

En  i474i  i'  obtint  le  comté  de  Sonnenberg.  ...  4 

En  i48i  ,  il  eut  le  château  de  Meydborg o. 


m,  c. 


922. 

Perte «79- 


Reste 743- 

ou    2060,  4'  ''  ' 


STYRIE-STYRIE. 

En  I  39J  ,  H.  Ernest  reçut  en  héritage  fa  Styrie, 
la  Carinihie,   ia  Carniole 784  t- 

En  i44o,  l'empereur  Frédéric  III.  Ce  prince  et 
l'archiduc  Albert  eurent  en  commun  le  comté  de 
Ciiley • <Î4  ï- 

En  ii57,  arriva  la  succession  de  Ladislas-le- 
Fosthume 54j- 


Total '<394   'r 

ou   3863,4''''-    ■"""""" 


DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES.      677 

(N.°  II,  pag.  6^-j.)   Etendue  et  Population  des  Provinces  du 
royaume  de  Hollande. 


FKOVINCES. 

ÉTENDUE 

POPUL 

ATION. 
Ocl^h-irt. 

Etienne. 

Ockh.ut. 

Etienne. 

Hollande 

Lieues   car. 
2S6. 

;8. 
151. 
102 . 

6j. 

270. 
265. 
228. 

Millcb  carres 
102    ff. 

-0  H- 

54  r;- 
36^. 
^3  H- 
97  -h- 
95  rr- 
8ï  ^,. 

Milles  carres 

125. 

30. 

55- 

40. 

32- 

112. 
11;. 

7^- 

799.979  ''■ 
81,916. 

96.843  • 
93,000. 

108,820. 

170,330. 

3^3.^82. 

207,708. 

830,000''" 
85,000. 

1  1  J.OOO. 
100,000. 

95,000. 

13?  ,000. 
350,000. 

2  10,000  . 

Zclande 

Frise 

Groningue 

Uti:echt 

Over-Vsscl 

Gueidres ... 

Brabant 

Totaux  .... 

>.4-)- 

573  • 

;8.. 

.,881,878. 

1 ,9^0,000 . 

Je  ne  puis  doniici  sui  Ica  ^iuvintcs  tSelgie^ues  que  des  aperçus 
pour  le  temps  où  vivoit  Marie  de  Bourgogne ,  puisque  l'on  n'en 
a  la  population  exacte  que  depuis  l'époque  où  ces  provinces  ont 
été  divisées  par  départemens.  Sous  ce  rapport,  le  tableau  suivant 
est  ce  qu'il  y  a  de  plus  exact. 


DÉPARTEMENS. 

ÉTENDUE. 

POPULATION 

Des  Forêts 

359''=    

19^ 

225,^00  habitans. 

41  2,000. 

470,700. 

595,000. 

249,300. 

363,956. 

774.450- 
283,000. 

Die  la  Lys 

De  l'Escaut 

,86 

.84 

"34 

Des  Deux-Nèthes 

Delà   Dyle 

Du  Nord 

3"5 

'76 

Du  Pas-de-Calais  (moitié).  . 

I7OO 

3.3";.9<'6. 

6/8  MKMOIRLS  DE  L'ACADEMIE. 

En  rapprochant  les  totaux,  on  aura,  tant  pour  les  Pays-Bas 
que  pour  la  Bourgogne ,  les  nombres  suivans  : 

Etendue. 


Pay.s-Bas  et  royaume  de  Hollande.  .    3,io4- 
Bourgogne 7  '  ^• 


TOTAl 3,^-2- 


Populiition. 


8o4,4o'- 

^>,o4o,  185. 


(N."  III,  pag.  640.)  Étendue  des  Étdts  dont  Cluirlcs- 
Quint  entra  en  possession  par  les  successions  d'Isabelle  et 
de  Ferdinand. 


E-spagnc 

R.-^dcNapIcs.. 
Si<-lk 

Selon  AI 

.  Hassci. 

Selon  M. 

Ockharl. 
l'Ol'LiUATION. 

r*P  r  s  i»  *-  t. 

n.  MM     1     \TI,HV 

',447- -7- 

10,7  JO, 000  "' 

4,91^,000. 

l4}0,000. 

i.aoo. 

SiS- 
4x0. 

.7rt. 

10,69^,000''" 
4,870,000. 
..jjo.ooo. 
5,34j,ooo. 
1,1  18,000. 

i',4--- 

I  r  ,5  J  6,000  . 

FIN    DU   TOME   VI. 


ERRATA. 

Page  348  ,  ligne    16,  au  lieu  de  TïéÂui,  lisez  ïleJunwi  AaUvoi, 
?age  482,  ligne   17,  au  liée  de  entre,    lise^  outre. 


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ciKcui.A'n-  ^^  M^^i^nr-HAî^tfîi 


162  î  ??  "\^  ^^'  inscriptions  et      , 

P??«  b^l^fs-lettres,  Paris  P^ 

^^18  Mémoires  de  l'Institut  k      V^ 

^•^  national  de  France  •,.    ^ 


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