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MEMOIRES
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L'INSTITUT ROYAL
DE FRANCE,
ACADÉMIE
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
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MÉMOIRES
DE
L'INSTITUT ROYAL
DE FRANCE,
ACADÉMIE
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
TOME SIXIEME.
DE L'IMPRIMERIE ROYALE.
A PARIS,
Chez "FiRMiN DiDOT, Libraire, Imprimeur de l'Institut,
rue Jacob, n.° 24.
1822.
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TABLE DES MÉMOIRES
Contenus dans le Tome VI.
yVlÉMOIRE sur l'Optique de Ptoléméc, et sur le projet
de faire imprimer cet ouvrasse d après les deux ma-
nuscrits qui existent à la Bibliothèque du Roi. Par
M. Caussin Paiie i.
Recherches sur le principe, les hases et l'évaluation des
diffi'rens systèmes métriques linéaires de l'antiquité.
Par M. GossEi.i.iN 44.
Appendice au Mémoire précédent \6o.
Mémoire sur la population de l'Attiqae pendant l'in-
tervalle de temps compris entre le commencement de
la guerre du Péloponnèse et la bataille de Chéronée.
Par M. Letronne k^j.
Eclaircissemens sur les fonctions des magistrats appelés
Mnémons, Hiéromnémons, Promnémons, et sur
la composition de l'assemblée amphictyoniquc. Par
le même 221.
Mémoire sur cette question : Les anciens ont-ifs exé-
cuté une mesure Je la terre postérieurement à
l'établissement de l'école d'Alexandrie? Par le
même 2(ji.
^, lABLL.
Aîemoire sur les origines des plus iincieniies villes de
l'Espiigne. Par M. L, Petit-Radel. . . .". .Pag. 324-
Aîemoire sur la situation des Raiidii Gain pi , on Alarius
défit les Cinibres , et sur la route suivie par ces peuples
pour se rendre en Italie. Par M. Walckenaer. . 361.
iVfe'moire sur les c/ian^emens (jui se sont opérés dans le
cours de la Loire entre Tours et Angers , et sur la
position du lieu nommé Murus dans les actes de la
vie de S. Florent. Par ie mcme 373.
Mémoires sur les relations politirjues des princes chré-
tiens . et particulièrement des rois de France , avec
les empereurs Mongols. Par M. Abel-Rémusat. . 396.
Premier Mémoire. Raj^ports dts princes c In i tiens
avec le grand cnyire des Afun^uls, depuis sa fonda-
tion sous Tchinggis-khan, jusqu'à sa division sous
Khoubildt 19^-
Mémoire sur une correspondance inédite de Tamerlau
avec Charles VI. Par Al. le baron Silvestre
DE Sacy 470-
Mémoire sur les médailles de Afarinus frappées e\
Philippopoln. Par M. TÔCHON d'.Annec? 523.
Notice sur une nicd,iillc de l'empereur Jotapianus. Par
le mcme 552.
Exiimen crititjue des historiens tjui ont parlé du différent
survenu . l'an 11 ^1 , entre le roi Louis-le- Jeune et
le pape Innocent II. Par M. Brial 560.
Mémoire sur le procci de Guichard , évcijue de Troycs,
TABLE. vi}
en ijo^ et années suivantes. Par M. le comte
BoissY d'Anglas 603.
Essai historique et statistique sur les accroissemens et
les pertes qu'a successivement éprouves la maison
d Autriche, depuis l'avènement de Rodolphe de
Habsbourg^ l'empire, jusques et y compris les traités
<yePresbourgf//Aiisterlitz. Par M. Mentelle. 620.
FIN DE LA TACI.E.
MEMOIRES
MEMOIRES
DE
L'INSTITUT ROYAL DE FRANCE,
ACADÉMIE
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES.
M É M O I RE
SUR
L'OPTIQUE DE PTOLÉMÉE,
Et sur le Projet de faire imprimer cet Ouvrage d'après
les deux Manuscrits qui existent à la Bibliothèque
du Roi.
Par m. CAUSSIN.
U N ouvrage ancien et intéressant , portant un nom ce- Lu le 18 Sep.
lèbre, cité à différentes époques et pendant plus de douze "^"^'"^ '*''"•
siècles par les auteurs qui se sont occupés de l'objet dont
il traite , oublié tout-à-coup, et regardé long-temps comme
perdu, retrouvé enfin depuis quelques années, est im phé-
TOME VI. , A
2 MF.MOIRLS DE LACADF..MIE
noniciie iittcraire dont les circonstances m'ont paru nic-
riter d "être recherchées avec exactitude et dtveloppces avec
une certaine ctendue. Je veux parler de {Optiijiie <\ii Ptoic-
mce. Les auteurs les plus anciens dans lesquels cet ouvrage
'r.'re.Bi^i.^:i. cst cîtc, scHt Hcliodore de Larisse et Simplicius*. Hclio-
'T' ' ' dore, dont on ignore l'âge '', mais qui doit avoir vccu dans
*'jj.ifu.t.i[, les premiers siècles de l'ère vulgaire, et long-temps après
i^ ■'9^- ribère*^, dit, dans l'ouvrage intitule KÊipaLAxix t^^'OttIi-
trn. »7. /..-yy. x,n4, que Ptoicmce, dans son 1 riiite doptn/iie [c/v m o-vrcv
ôvrwxfî '^sfA.ffJLBLTiicL] , Il dcmontrc, au moyen d'un instru-
ment [efj' ôpyciyv ] . que la vue se porte en ligne droite.
Siniplicius, qui vivoit dans le M.' siècle (vers 5 50 de l'ère
vulgaire), cite, dans le premier livre de son Commentaire
fMc. nu. sur l'ouvrage d'Aristote intitule J^ Qilo , l'Opticjue de
liim. f'JU.ntg. n , , , , , ,
6.V. rtoicmce, et uu autre ouvrage du mcme auteur sur les
l'fohe, tfi'.. Voilà tout ce que les auteurs anciens nous fournissent
ll-f.ll.'. Jol.j _ *
ffr.e. iiftt r.-. sur l'Optique de Ptoicmce.
Parmi les modernes (|ui ont écrit sur celie science, le
premier qui paroisse avoir connu l'ouvrage de Ptolémée,
invia. ,.> est Vitellon. Q.uoique cet auteur, (jui vivoit en 1252, ne
""" *"*• '■ cite pas Ptolémée, il est évident qu'il en a fait usage, ainsi
que d'Euclide et d'Alhazen, qu'il ne cite pas davantage.
On a quelquefois fait un reproche de ce silence à Vitellon;
mais il faut remarquer que, s'il ne nomme pas les auteurs
que je viens de citer , il indique d'une manière générale
les anciens et en particulier les Grecs et les Arabes qui ont
(îcrit sur ropti<jue , et il fait la rriti(jue des uns et des autres.
C'est dans la préface adressée à Guillaume de Morbeca,
pénitencier du pape, (|ue se trouve ce passage, au(juel on
jif.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 3
n'a pas fait assez d'attention : Lihros iuujue veteritm tihi super
hoc negotio per^uirenti occurrit Uedium verhositûîis Arabica,
iwplicûtioiiis Graca , paucitas (]iiO(jiie exarationis Latiiia . . .
La critique que Vitellon fait ici des auteurs Arabes et Grecs
dcisigne assez clairement Alhazen et Ptolcmce ; car on
peut, à juste titre, reprocher au premier sa prolixité, et
au second son obscurité (i).
( I ) Dansun Mémoire %\.\x l'Optique
de Ptolémée comparée à celle qui porte
le nom d'Euclitle, et .; celles cT Alha-
zen et de Vitellon, mémoire dont je
parlerai bientôt,. on dit que Vitetlon,
a après avoir assuré qu'il n'avoit eu
» aucune coniioissancedu livre d'Al-
»hazen, avoit enfin cédé au cri de
» sa conscience , et s'étoit reconnu
vfîisciple de l'auteur Arabe. ■>■> Le
passage de Vitellon que j'ai rapporté,
sur les auteurs Grecs et Arabes qui
avoient traité avant lui de l'optique,
prouve peut-être qu'il n'a pas rendu
à ces auteurs, et à Alhazen en par-
tîculrer, toute la justice qu'il leur
Sevoit : mais autre chose est de dis-
simuler les obligations qu'on peut
avoir à un auteur , ou d'a\ancer
(fu'on n'a aucune connoissance du
livre^ de cet auteur.
J'ai recherciié sur quel fondement
pouvoit être appu\ée cette dénéga-
tion formelle prêtée à Vitellon par
l'auteur du Mémoire dont je parle.
Voici l'origine de cette accusation.
Risner, éditeur de l'Optique d'Alha-
zen et de celle de Vitellon , après
avoir mis , comme il étoit naturel, à
la têtede3on recueil intitulé Thésau-
rus vpiicœ , l'ouvrage d'Alhazen, et
l'avoir offert à la reine Catherine de
Médicis, fait suivre cet ouvrage de ce-
lui de Vitelhm, dont il fait également
hommage à la même reine. Cette
circonstance a donné à Risner l'idée
d'une espèce de tiction dramatique,
d'après laquelle il représente dans sa
dédicace Vitellon venant modeste-
ment à la suite d'Alhazen , et offrant
son ouvrage à Catherine. Vitellon,
cette fois, ne fait pas diiîicuhé de
suivre Alhazen et de marcher sur ses
traces. Cette idée, développée d'une
d'un style ampoulé, selon l'usage des
dédicaces , a suggéré à Risner lei
phrases suivantes, adressées à Cathe-
rine :
Allia zenus opticas suas ope;, Regina
illustrissima, ni s tri s lal.'oribus vigiliis-
que expUcatas, tihi nuncupavit, Vitello
Alhazenum dacem , quamvis aiitea
sibi pro ignoio tacitoque prœteritum ,
attamen veluti conscientiâ prœeuntis
in eo virtritis pcrrnotus , consfquitur ,
seque Alluf^eni discipulum esse confi-
tetiir. Etenini , ciim Opticorum longé
maximum nobilissiniamque partem ,
quam ex Alha'^eno desuinpsisset , tibi
devotam dicataiiique cerneret , quâ
tandem coloris specie purpuram eam-
Aij
i€ini. mmh
"e.
Fehif. Di.-liùih
mrj tt itf. Litiii
Il/Il. Il', p. îjy.
4 MÉMOICES Dn L- ACADEMIE
Un auteur contemporain de Vitcllon, et c|ui a ccrif,
comme lui, surl'optitjue, nous lournitia preuve qu'AIIiazen
et Ptoicmc'e ctoient alors bien connus. Roger Bacon, moine
Anglais, de i'orJre de Saint-François, qui mourut en i 2S.J,
cite en plusieurs endroits ces àtxxx auteurs, et nous a con-
•i' serve deux traits remarquables de l'Optique de Ptoicmce,
doni j'aurai occasion de parler bientôt.
Regiomontanus , vers le milieu du xv.*' siècle, avoit
revu l'Optique de Ptoicmce, et se proposoitde la publier
WtiJUr, Hitt. avec le traite sur la musique du même auteur.
eitrvrt. p. }il. _ _ _ '
Frcdûic Risner , éditeur de l'ouvrage intitule Opticx
hfri. Da,ic, Thesiiurus , cov\noisso\i aussi l'Optiiiue de Ptolémce: car,
en parlant de l'ouvrage d'Alhaz^en, il dit que cet auteur
paroît devoir peu de chose aux écrivains Grecs qui ont
traité de l'optique , et il cite aussitôt Euclide et Ptolémée.
Je vais rapporter ici le passage en entier de Risner , pour
faire voir que l'Optique de Ptolémée étoit encore connue
des savans en 1572, époque à laquelle parut l'ouvrage
intitulé Opt'u/t Tlu'Siiurus : Diligcntiiun sdiic et doctiiiuini
hi Arabe linmiiie mirûbilem dcprchciidi , nec âdiuodum , quoâ
aiùmadvertcre poiuerim , à veter'ihus Gr<tà(t opticis ndjutam.
Praffal.iy.' EucUdcum /ilc vei Ptolcnitûcum iiihil ferè est. Le même
Risner, dans sa préface à la tête de l'ouvrage de Vitellon,
cite encore Ptolémée, Euclide et Alhazen, comme étant.
titm aiit ijiio aëris situ perw.utatam
al'iis pro sua vindharet! ■
C'c5( ici, je crois, que l'-liifcur du
Mémoire a piiin- le reproche qu'il
fiit i Vitellon , en disant qtic cet
auteur a cidi tiu cri de sa conscience,
^u il s'est reconnu disciple de l'auteur
Arahe ; ce snvant a pris trop à la
lettre les expressions qu'on vient
fl'cntendre, qui ne sont qu'une suite
de la fiction de Risner : Attiimcn
vcluti conscientià pr.reuntis in ro vir-
tuiis permotus , consfquiiur, setjiif .41-
lia^cni discipulum esse confiietur
DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES. 5
<Ie tous les auteurs qui ont ccrit sur l'optique, ceux dont
Vitellon a le plus profité. "^
Risner paroît être le dernier des auteurs modernes qui
aient connu l'Optique de Ptolcmée. Le célèbre Kepler, au-
teur de plusieurs ouvrages sur la même matière , qui pa- iWaliyemfmi
' ^ . ad VitelLnem ;
rurent sur la 'fin du xvj.^ siècle et au commencement fj„sAtmOftkuet
du xvii.S ne parle pas de l'Optique de Ptolémée.Cet ou- ^'''^"■'"'•
vrage n'étoit cependant pas encore entièrement tombé
dans l'oubli. Un professeur au Collège de France , nommé
Saint -Clair, citoit encore, en 1608, Ptolcmée dans les
leçons sur l'optique qu'il dictoit à ses élèves ; j'en trouve
'a preuve dans un manuscrit Latin de la Bibliothèque
royale, n." 7377. qui renferme les leçons de ce profes-
seur, recueillies par un de ses auditeurs. Bientôt après,
l'ouvrage de Ptolémée, n'étant pas imprimé, fut regardé
comme perdu, et proclamé tel par les bibliographes.
Cette erreur dut sur-tout se répandre et se fortifier lors-
qu'elle eut été adoptée par Fabricius, auteur en général
assez exact , et qui sert de guide à ceux qui n'ont pas le
temps de faire eux-mêmes des recherches sur la bibliogra-
phie. De l'ouvrage de Fabricius, cette erreur a passé dans
['Histoire des nuithémati^jues de Montucla ( i .''''édit. ), et <îe •
là dans les ouvrages de MM. Bailiy et de Lalahde. Telle
ctoit enfin l'opinion générale, lorsque j'eus le bonheur
de retrouver une traduction Latine de l'Optique de Pto-
lémée parmi les manuscrits de la Bibliothèque royale. La
chose, il est vrai, n'étoit pas difficile, puisqu'il ne s'agis-
soitque de parcourir le Catalogue imprimé des manuscrits
Latins de celte bibliothèque, dans lequel l'Optique de Pto-
lcmée est annoncée sous le n." 73 10 ; mais enfin l'ouvrage
Nul. .'t T W.
».' idit. ttix.l ,
6 MÉMOIRES UL LACADl.MiF.
avoit t'chappc long-temps à tous les yeux. Son titre frappa
heureusement les miens, et je dus m'npplaudir tle pouvoir
annoncer aux savans l'existence d'un traite dont ils regret-
toient la perte. J'en parlai dans le temps à plusieurs per-
sonnes, particulièrement à notre illustre confrère Al. de
Lalande, que cette nouvelle ne ponvoit mantjuer il'intc-
resser(i): il l'apprit avec plaisir, et ne tarda pas à me
demander la copie de deux passages qui intcressoient
l'astronomie ; passages que Roger Bacon avoit dcjà tait
connoître , et qui sont rclatils à la rctraciion asironc-
mique , et à la grandeur apparente des astres prcs de
l'horizon.
Vers ce temps-la parut la secomle édition de {'Histoire'
des miithénuitifjues. L'auteur, ayant fait de nouvelles re-
cherches surrOptit|ue de Ptolémce, indique un manuscrit
de cet ouvrage (jui se trouve parmi ceux de la bibliothccjue
Bodievenne à Oxford. Mais, n'ayant point vu ce manuscrit.
et craignant apparemment de se laisser tromper par un faux
titre, comme cela est souvent arrive, l'auteur ne parle
encore de l'Optique de Ptoicmce que d'une manicre dou-
teuse, et comme d'un ouvrage dont l'existcnte n'e-^t pas
bien certaine. Apres avoir rapporte, d'aprè^Rcgcr bacon,
les deux traits de l'Optitiue de Ptoicmce dont j'ai dcjà
parle, il ajoute : •■ Remarquons, enfin, que ce livre n'est
de l'Optique de Ptolénu-c qtie l'on
croyoit perdue. C'est une traduction
Latine d'aprcs l'.Trahe. Il se propose
de (aire connoitrc ce précieux ma-
nuscrit. Nous avons vu avec plaisir,
que Ptoleniëc connoissoit dcj.i la rc-
fraciinn a^ironomiquc, et q»u l'.Ar.ibe
Alhazen l'avoit prise dan» Ptolémée.
(i) M. de Lalande crut même
devnir consigner cette espèce do dé-
couverte dans son Histoire aliréfri e
(]e|*',.tr.^r.,..Mie pour 1799 (à la suite
àc • ' rphif astronom'tijvf , Pa-
ris , an XI 1 1803 ), in-4..' , pag. 8ia):
AI. (;auj»in, dit-il, trouva .i la Bi-
blioihcque du Roi un manuscrit
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 7
«• probablement pas enlièrement perdu ; car on lit dans
» le Catalogue de la bibliothèque Bodleyenne, parmi les r^g. ;oo.
» titres des livres Latins, celui-ci : Ptoleniai Opttcorum ser-
>■> moues j ex arahico latine versi. » M. de Montucla avoit
dit plus haut, en parlant du mcme ouvrage : «Quoiqu'il 2.' jdk. an. j.
Il '79^' '799' VS-
» ne nous soit pas parvenu, quelques auteurs, dans le ^,2.
" temps desquels il subsistoit, nous en ont transmis divers
» traits fort remarquables.» On voit, par ces deux pas-
sages, que M. de Montucla n'étoit pas encore bien certain
de l'existence de l'Optique de Ptolémée,etconséquemment
qu'il ne connoissoit pas le manuscrit de la Bibliothèque
royale, qui étoit cependant plus près de lui que celui d'Ox-
ford : s'il l'eût connu, il n'auroit pas manqué de le citer;
il l'auroit même vraisemblablement consulté. Le plus léger
examen eût alors dissipé ses doutes ; il eût puisé dans
l'ouvrage et donné d'une manière plus étendue les deux
passages qu'il cite d'après Bacon , et auroit évité des erreurs
dans lesquelles on ne manque jamais de tomber quand
on parle du contenu d'un ouvrage seulement par con-
jecture.
Non -seulement l'existence de l'Optique de Ptolémée
n'est plus aujourd'hui un problème; mais on connoît main-
tenant ce que cet ouvrage renferme de plus intéressant,
du moins pour la science. M. Delambre a lu, sur la fin de
l'année dernière, à la Classe des sciences physiques et ma-
thématiques, un Mémoire sur l'Optique de Ptolémée , com-
parée a celle qui porte le nom d'Euclide , et a celles d'Alliaien
et de Vitellon. Le savant astronome , informé que je m'oc-
cupois depuis long-temps d'un travail sur le même ouvrage,
a bien voulu l'annoncer au public, et témoigner le dtsir
8 MLMOIRIIS DE LACADÉMir.
de le voir par()ître(i). La inanicre dont il parle de ce tra-
vail et des didiciiites qu'il présente, montre un sa\ant plus
en ctat que.personne de donner une bonne édition de lOp-
tique de Ptoléiiice, et fait regretter que des occupations
d'un autre genre ne lui permettent pas de se livrer à celle-
ci : mais, s'il n'a pas manitestc l'intention de pul)lier en
entier l'Optique de Ptoicmce, il a toujours le mérite de
Kavoir tait connoître le premier. Je dois ajouter que son
exemple, la lumière qu'il a répandue sur plusieurs endroits,
ies éloges qu'il a donnés à quelques parties de l'ouvraoe,
m'ont engage à reprendre un travail interrom|Hi depuis
long-temps. J'avois lieu de craindre (]u'une simple notice
ne devînt inutile après celle de M. Delambre : mais, si
nous avons travaillé sur le même sujet, nous l'avons en-
visagé d'une manière différente; et je crois que l'idée que
je vais donner de j'Optique de Ptolémée, les recherches de
divers genres que j'ai recueillies dans ce Mémoire, forment
un tout qui pourra paroître neuf à ceux même qui auroieiu
lu le mémoire dont je viens de parler. En effet, l'objet de
ce mémoire n'est point de faire connoître l'ouvrage entier,
mais seulement ce qu'il renferme de plus intéressant pour
la science : l'extrait qu'il contient devoit être, par consé-
quent, fort court, et il l'est en effet (î). La plupart des
propositions, présentées toutes nues et sans développe-
(i) l.'ol>ict de mon travail n'est
pas prcciicmcnt, comme on l'a dit à
Al. Dclanihrc , de donner tinc tra-
duction de rOpiitjdc de Ptoiciuée,
mais de publier le texte Latin qui
nous reste, avec les notes nécessaires
pour Tt-il.! fiir.
^i) 1 r livre, qui renferme
dans le manuscrit plus de soixante
pages /(( -Jhlio (Jol. j -jj) , est ici
rijscrrc en quatre ou cinq pages in-if.,'
Les deux livres sulvans, qui occupent
plut de cent pages in-folio (fol. j;-
po } , n'en occupent guère que quatre
»/i-^.' il.mt 1.1 NotiiC.
ment,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 9
ment, sont presque inintelligibles. Notre confrère l'a senti
liii-mtme. Il termine ainsi son extrait du premier des
livres qui nous restent : " Nous en avons tiré ce qui nous a
» paru le plus curieux et le plus clair, sans nous flatter pour-
» tant d'entendre tout ce que nous avons extrait. » Cette
notice ne peut donc tenir entièrement lieu de l'ouvrage,
et les amateurs de l'antiquité doivent désirer de le voir
paroître en entier. Regiomontanus , dans le xiii.'^ siècle,
avoit conçu le projet de le publier. Il est malheureux
qu'il ne l'ait pas exécuté : l'Optique de Ptolémée eût été
alors accueillie avec transport. Les grands progrès que les
sciences, et particulièrement l'optique, ont faits depuis
cette époque, ont sans doute beaucoup diminué du mé-
rite de cet ouvrage; cependant il est toujours également
intéressant pour l'histoire de la science. Mais peut-être,
en désirant de le voir paroître en entier, on croira qu'il
ne peut être publié que par un géomètre. Q.uelques obser-
vations sur la nature de l'ouvrage et sur l'état dans le-
quel il se trouve , serviront à faire connoître ce qu'on doit
penser de cette idée.
I .° L'Optique de Ptolémée n'est point un ouvrage dont
l'intelligence exige de grandes connoissancesen géométrie :
les plus simples notions de cette science suffisent pour
l'entendre. Je citerai, pour le prouver, le témoignage de
M. Delambre lui-même. « Les démonstrations, dit-il, en
" sont toutes élémentaires, et fondées uniquement sur la
" trigonométrie rectiligne, et sur ce principe bien connu
» de Ptolémée, que l'angle de réflexion est toujours égal
» à l'angle d'incidence. »
2." Les difficultés que la lecture de cet ouvrage pré-
TOME VI. 3
fo MÉMOIRES DL L'ACADtMlE
seule, viennent le plus souvent des fautes des copistes:
par conscijuent , c'est un texte à corriger, à rétablir; et
dcs-Iors ce travail est enticrementdu ressort de la critique,
et rentre dans les attributions de la Classe des langues et
de la littérature anciennes. Une circonstance particulière
vient encore ici à l'appui de cette raison. La traduction
Latine de l'Optique de Ptolémée, faite sur une trailuctinn
Arabe, renferme encore des tours particuliers à cette der-
nière langue, qui ne peuvent être bien compris que par
ceux qui en ont quelque connoissance. En voici quelques
FA. j9 vtTM, exemples : Opus visil>i/is njJii , pour visUnlis ratlius ; le tra-
ducteur, par le mot opus, a voulu rendre le mot Arabe
f.v. ivmo. timr j»' , qui est souvent redondant. ly^HJ/Z'/Vù motus visas
pour seiisiùilis actio visas ; motus . employé parle traducteur,
est la traduction littérale du mot liarakii àS=»j:^ , qui si-
gnifie communément mouvement , mais doit quelquefois
'*'/?' se rendre par action. Quod est super caput visiis , pour ce
ûui est lidns Ici direction de l'œil ; le traducteur a été ici, je
crois , un peu induit en erreur par le mot mosamit ilhvoL.»-*,
qui étoit vraisemblablement dans l'original, et (jiii a du
rapport au mot scnit , dont on se sert pour exprimer le
point qui est au-dessus de la tète, ou le zénith. Quod est
in fine diiiphiinitiitis , pour ce <jui est extrcnicnient diaphane ,
rappelle l'expression Arabe ji nchayet '^^ vj *' "<ituralis
creatio visi'u pour naturalis forma visas.
3.° Pour entendre et pouvoir corriger plusieurs pas-
sages de rOptitjue de Ptolémée, il faut les rapprocher,
soit des citations de ces mêmes passages qui se trouvent
dans des auteurs qui ont connu cette Ojitique, soit des
passages d'autres auteurs, relatifs à cette science, qui se
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ii
trouvent épars dans diffcrens écrivains : or la recherche
de tous ces passages, et leur rapprochement, sont essen-
tiellement du ressort de la critique et de la philologie.
4.° Enfin l'ouvrage de Ptolcmce est de nature à inte'-
resser un amateur de l'antiquité plus qu'un savant géomètre.
L'homme profondément versé dans la science de l'optique,
qui connoît toutes les découvertes faites parles modernes,
ne trouvera rien à apprendre dans l'ouvrage de Ptolémée,
rien qui l'excite à surmonter les difficultés qu'offi-e la lec-
ture de l'ouvrage, et à percer l'obscurité qui enveloppe
le plus souvent les pensées de l'auteur. Pour l'amateur de
l'antiquité, au contraire, la restitution d'un ancien texte
a toujours quelque chose de piquant , sur-tout quand
l'ouvrage présente dans son ensemble un grand intérêt:
or on ne peut nier que l'ouvrage de Ptolémée, malgré
les imperfections et les défauts de la doctrine qu'il ren-
ferme, ne soit très-précieux pour l'histoire de la science.
Aux deux morceaux cités, d'après Bacon, par M. de Mon-
tucla, morceaux que ce dernier appelle assez agréable- Tcm.i.pag.ij.
ment deux traits de lumière écluippés de l'Optique de Ptolémée ,
vient se joindre aujourd'hui le témoignage avantageux
de M. Delambre , qu'on ne soupçonnera pas d'une trop
grande prévention en faveur des anciens. Voici ce qu'il
dit en parlant du cinquième livre : « Ce dernier livre
" est sans comparaison, le plus curieux de tous. On y
» voit des expériences de physique bien faites; ce qui est
» sans exemple chez les anciens. "
J'en ai dit assez, je crois , pour faire connoître les rai-
sons qui m'engagent à ne pas renoncer au projet que j'ai
conçu depuis long-temps de publier l'Optique de Ptolémée.
Bij
7i
«s Ali.MOlULS DL L'ACADEMIE
Je vais maiiucnant donner une idcedu contenu de l'ouvraife,
de mon travail pour corriger le texte, et des recherches
que j'ai faites pour parvenir à entendre les endroits les
plus difficiles et les plus corrompus. Pour ne pas répeter
ce qu'a dit M. Delambre, je me bornerai à l'extrait ren-
fermé dans la préface du traducteur; ce (]ui me conduira
à rechercher quel étoit ce traducteur, et dans quel temps
il a vécu : j'examinerai ensuite si l'ouvrage est de Piolé-
mée l'astronome ; je parlerai de son authenticité, et, pour
Cela, je le comparerai avec les citations qui se trouvent
dans Bacon; je hnirai par un tableau des idées des anciens
sur l'optique, et je m'attacherai sur-tout à développer celles
qui ont été suivies par Ptolémée.
L'Optique de Ptolémée est divisée en cinq livres ,
appelés dans la traduction sermones. Le mot Arabe, ainsi
rendu par le traducteur Latin, étoit vraisemblablement le
mot ttidCiihi 4)lft>» , qui répondoit au mot (iiZxiav de
l'original Grec. C'est ainsi que l'Almageste, divisé dans
le texte Grec en treize livres, /3iC\Icl, est divisé dans la
traduction Arabe en treize mociihi , iermoiics , ou discours.
Dans l'ancienne traduction Latine de l'Almageste, faite
sur l'arabe , le mot nuicdlii est rendu par dictio. Le Quiidri-
pdrtite attribué à Ptolémée, en grec Tti^tiCAo^, est pa-
reillement appelé en arabe les cjuatre WtUtilii , ou' dis-
Mxljrh ^!g, cours ( C>\Â> '*«*Jj^^ ).
Des cin(j livres (|ue renferme rOpti(|ue de Ptolémée,
on n'en trouve ici que quatre; le premier livre numcjuoit
dans les deirx manuscrits Arabes que le traducteur Latin
avoit sous les yeux. Le premier livre, d(Mit le contenu est
rappelé sommairement au commencement du second.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. ij
traîtoit de la vue , de la lumière , et de leurs rapports
mutuels : le second traite des objets et de la manière dont
on les voit; le troisième, des choses qu'on voit par ré-
flexion sur des surfaces planes et convexes; le quatrième,
des miroirs concaves ; le cinquième, qui est imparfait,
traite de la réfraction. On voit par ce court exposé que les
deux premiers livres se rapportent à la lumière directe, ou
à l'optique proprement dite ; les deux suivans, à la lumière
réfléchie, ou à la cûtopîrique ; et le dernier, à la lumière
réfractée , ou à la dioptrhjue.
Mais écoutons le traducteur lui-même ; sa préface ren-
ferme une analyse plus étendue de l'ouvrage, et servira à
donner une idée de son style :
Incipit liber Ptolemei de opticis sive aspectihus , trûnsJatus ab
Avimiraco Eiigenio SicuJo de ambico in îatinum.
Cùm consîderarem Optka Ptolemei necessaria utique fore scien-
tiain diligcntibus et rerum perscrutantibus naturas illa in
prœsenti libro latine intirpretari non recusavi, Verumtamen, quia
untversa (ingunrum gênera pioprium habent idioma, et alterius in
alterum translatio jideli maxime interpreti non est facilis , et prœ-
sertim arabicam in latinam transferre volenti tanto diffcilius est
quanti) major diversitas inter illas tam in verbis et nominibus quàni
in litterali composltione reperitur , unde , quia in hoc opère quœ-
dam forte non manifeste apparent , dignum duxi intentionem autoris
ab arabica libro intellectam breviter exponerc , ut lectoribus via brcvior
efficiatur.
In primo quidem sermone , quamvis non sît inventus , tamcn , sicut
in principio exprimitur , continetur quomodo visus et lumen communicant
et ad invicem assimilantur , et quomodo differunt in virtutibus et mo-
tibus , necnon differentiœ eorum et accidentia.
%4 Ml.MOIRES DE LACADOUE
In secundo autcm strmont contintntur qux sunt rts vulcndo tt qunVis
àahitus sit in uniujuiique larum , et qu'od nih'il tx tis per visurn dignos-
titur sine quolibet lucido et quolibet prohibente penetrationem , et qu'od
tx ipsis rébus vidaidis , a lia videntur ver'e , et a/ia primo, et tilia
sequenter. Et juin [\'i%{:z etiam i contindur qttod tactus tantùm com-
munie a t visui in dignosceniis prccdictis rébus vidcndis , excepte colore,
qui solo visu dignoscitur. Conlinentur et'iam cet qu/v vi lentur mugis et
minus , et quàd res quce ver'e et quœ primo videntur , et apparent per
a.tionem accidentium in visu, cujtis passionis alin est Colorado, alia
fractio , et alia revolutio : quœ vero sequenttr videntur , quœ iuisum et
q'iœ deorsum , quœ à dextris et quœ à sinistris , quœ propinqua et quœ
remota. Cominetur etiam quomodo uno oculo viditur similitir, quo-
modo in uno loco viJctur quod curn utrisque oculis aspicitur, dnm-
modo simul aspiciant per radios ordinate consimiles , vide lice t hahentcs
in unaquaque visibilium pyramidum similem positionem respectu pro-
prii axis , quod Jic citm axes pyramidum suptr unam et eamdem rem
ftàdtrint, sicut consuetum est aspicicnti : sed , si visus cogatur exce-
dere consuctudinem suam quolibet modo et transfcratur peius aliam
rem, et radii oculi insimul ceciderint super illam ordine dissimili,
apparebit nrique res ipsa unain divcrsis locis , apparehunt etiam duœ
in tribus locis et in quatuor, sicut os tenditur per régulant et cylindros
quos docet fieri. Item continetur divcrsitas magnitudinum ex angulis
tt distantia et positione , et qualitcr sumuntur lineœ rectœ et cir-
tu laies, superficies etiam aspcra , plana, curva et concava. Etiam
continent, ir species motùs et deceptionum quarum aliœ sint in visu,
et aliœ in mente , et aliœ in ipsis rébus vidcndis , necnon fallacia
tt errores qui accidunt visui in rébus vidcndis.
In tertio scrmone conlinentur ea quœ apparent per reverberatio-
nem eorum in jpeculis plants et curvis , prœtaxato prias per plantam
ttream quâ prob.itur quàd omnes reverberatitnes in tribus specicbus
speculorum, piano videlicet, curvo et concivo . ftunt ad œquales angit-
los , et plsl expérimenta tabulœ tinctœ, per qu.im prubalur wam rem
vidcri in divcrsis Iccis et du.u !" «•">. "<' 'juam etiam ipsa loca
pafefiunt.
In quarto sermont conlinentur ta quœ apparent in speculis cencavis.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 15
tt (a quœ apparent in speculis composais , et quœ viJcntur per duo aut
plura spécula.
In quinto sermone , quanquam sit impetfectus , loquitur Ptokmeus
dt fiexione visilnlium radiorum, quœ s imper fit ad angulos aquales ,
tt de iis quœ inde apparent cîim duo corpora dissimilia cxistunt inter
aspicientem et res videndas , quia alterum sit groisius altero ; et quod
viJetur de subtiliori corpore in illo quod est grossius , semper apparet
majus quàm ipsa res , videlicet id quod videtur ah aëre in aqua ; et
quanta magis spissius cotpus fuerit profundius , res apparet major;
et quod de grossiori videtur in subtiliori apparet minus , et quanta sub-
ti/ius magis fuerit profundius, apparebit minus. Et bœc per diversa
expérimenta, quorum alterum est vas quod vocatur foscyr, alterum
verb, semicylindrus vitreus in ipsa planta fixus , et per cubum et
tylindrum, et per cubo-concavum , ex vitro composita. In prœdictis
autem rébus quœ per reflexionem videntur., quamvis Ptokmeus non
exprimât, iis quà inventa sunt, de quinto sermone intclligendum est,
quod debeat recte aspici, et non ex obliqua. Res quœ tota infra aquam
stans ex obliqua ab aère aspicitur , non utique major, verum necessarib
minor apparet,
TRADUCTION.
Considérant que FOptique de Ptolémée est un ouvrage
nécessaire à ceux qui aiment ia science et désirent connoître
à fond la nature des choses , j'ai entrepris , dans ce livre , de
la traduire en latin. Mais , comme toutes les langues ont un
idiome qui leur est propre, qu'il n'est pas facile, sur-tout à un
traducteur fidèle, de rendre un idiome par un autre, et qu'il
est d'autant plus difficile de traduire de l'arabe en latin qu'il
y a plus de différence entre ces deux langues tant dans les
mots que dans la syntaxe, ce qui fera peut-être que certaines
choses , dans cet ouvrage , ne paroîtront pas bien claires , j'ai
jugé convenable d'exposer ici brièvement l'intention de l'auteur
d'après la traduction Arabe, pour rendre le chemin plus court
au lecteur.
,^ MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Le premier livre ne s'est pas trouvé; mais il contenoit, comme
en le voit par le commencement du second , de quelle manière
la vue et la lumière communiquent et sont assimilées l'une b.
l'iiutre; comment elles diffèrent dans leurs propriétés et leurs
inouvemens , leurs différences et leurs accidens.
Le second livre traite des choses qu'on ]>eut voir, et de (a
manière d'être de chacune. Rieri ne s'aperçoit sans un lucide
et sans quelque chose qui empêche la pénétration. Parmi les
choses qu'on peut voir, les unes sont vues vcritablement;
d'autres sont vues d'abord , d'autres par suite. Le tact seul juge
des mêmes choses que la vue, excepté des couleurs , qui ne sont
perçues que par la vue. Le livre traite aussi des choses qu'on
voit plus ou moins distinctement. Les choses qu'on voit véritable-
ment ou d'abord , sont vues par l'effet d'une passion ou affection
de la vue : cette passion est la coloration , ou la fraction , nu
la révolution.
On distingue par suite 1er, choses qui sont en haut, en bas,
^ droite, h gauche ; celles qui sont près ou loin. Ce livre traite
encore de la manière dont on voit avec un ail, et comment
l'objet paroît dans un seul endroit quand on regarde avec les
deux yeux , pourvu qu'ils regardent par des rayons disposés de
même, c'est-à-dire, ayant dans chaque pyramide visuelle la même
position par rapport à l'axe ; ce qui arrive quand les axes des
pyramides toinbent sur un seul et même objet, selon la coutume
de celui qui regarde : mais , si la vue est forcée de s'écarter de sa
coutume, de quelque manière que ce soit, et de se porter sur
un autre objet, et si les rayons ne sont pas dirigés d'une manifTc
unif>rnie . un même objet sera vu en deux endroits diflerens,
deux objets dans trois et dans quatre endroits , comme on le
prouvera par le moyen d'une règle et de cylindres que l'auteur
enseigne i» faire. Ce livre traite encore de la différence de gran-
deur qui dépend des angles, de la distance et de la position,
de la manière dont on perçoit les lignes droites et les lignes
circulaires, les surfaces planes, convexes ou concaves. Il traite
encore des diverses espèces de moavcmens et des erreurs de la
vue
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 17
vue, dont. les unes dcpendent de l'^-il , les autres de l'esprit, et
les autres des objets eux-mêmes.
Le troisième livre traite des objets qu'on voit par réflexion dans
les miroirs planes et convexes. L'auteur prouve , par le moyen
d'une lame de cuivre, que la réflexion dans les miroirs planes ,
convexes et concaves , se fait k angles égaux ; ensuite par l'ex-
périence d'une table de diverses couleurs , par laquelle on prouve
que l'objet est vu en differens endroits, et deux objets en un seul.
Cette table sert encore à déterminer le lieu des images.
Le quatrième livre traite des choses qu'on voit dans des miroirs
concaves et composés , et de celles qu'on voit au moyen de deux
ou plusieurs miroirs.
Dans le cinquième livre, qui est imparfait, Ptolémée parie de
la réfraction des rayons visuels , qui se fait toujours à angles
égaux , et des choses qu'on voit lorsque deux corps differens
existent entre l'œil et l'objet , et que l'un est plus dense que
l'autre. Si l'œil est placé dans le milieu plus rare, et l'objet dans
■le milieu plus dense, l'objet paroit plus grand qu'il n'est réelle-
ment, comme il arrive quand on regarde de l'air dans l'eau.
Plus le corps dense est profond , plus l'objet paroît grand ; au
contraire, lorsque l'œil regarde d'un milieu plus dense dans un
milieu plus rare, l'objet paroît plus petit, et d'autant plus petit
que le milieu plus rare est plus profond. Tout cela est prouvé
par diverses expériences. Dans l'une, on- se sert d'un vase appelé
foicyr; et dans l'autre, on se sert d'un demi-cylindre de verre fixé
sur la table; dans l'autre, d'un cube, d'un cylindre et d'un corps
cubp-concave, aussi de verre.
Avant d'aller plus loin, je dois avertir que j'ai été
obligé de faire dans le texte de ce morceau plusieurs cor-
rections. On sentira facilement que je ne pourrois les
faire toutes connoître ici : un travail de cette nature ne
peut être lu en public , et il faut avoir l'ouvrage sous
les yeux pour le juger. Je parlerai seulement ici de celle
Tome VI. C
iR MKMOIHtS DE L'ACADKMIE
que j'iii faite Jaiis la prcniicre phrase, qu'on lit ainsi dans
le manuscrit :
Cùm cons\d(rarem Opùca Ptolcmt'' ncccssnr'ia utique fort sc'tcnt'uim
dlliin^tnùbus et rcrum perscrutantibtis naturas hum/mus subire , et illa
in pnrsent'i llbro latine inlcrpretari non recusavi.
On voit sans peine, et à la simple lecture, que les
mots Immcinas sub'ire sont ici déplacés et qu'ils troublent
le sens. Je proposerai donc , ou de les retrancher, comme
j'ai fait dans la traduction , ou de lire à la place hoc otius
subire.
Le mot planta dont l'auteur se sert en faisant l'analyse
du troisième livre , et qu'on lit aussi dans ce troisième
VoytileSnp- livre, se trouve employé, dans les auteurs de la basse
«•'"lî/w^ Ai latinité, dans le sens d<i phinclic : ainsi planta itrea ne peut
mcyennt ti h^i>< sitMiifief Qii'une planche ou lame de cuivre , comme je l'ai'
(.ilmilt de dit f^ i ' '
Catgt.parCir- traduit (l).
Le mot prataxarc , dont l'auteur se sert dans le même
endroit, et qui est employé plusieurs fois dans le cours
de sa traduction , se trouve aussi , dans les auteurs du
même temps, dans le sens à'assii(ner , déterminer.
En faisant l'analyse du cinquième et dernier livre ,
l'autfMir parle d'un vase appelé ici Joscyr ; ce mot est cor-
ftmitr.
V't>yei It Dur
dt du Cangi.
(i) Le moi planta qni se trouve
dan5 le livre it, paroît avoir cm-
i>arra5sc l'auteur du Mémoire »ur
l'Optique de Ptolcmcc , dont j'ai
drjà parle. Ce savant, j'attachant ,
comme il lui convenoit , plus aux
chose» qvi'aux mois, a rendu par un
c'jiiivalent et d'une manière assez
heureuse le mot qu'il n'cniendoii
p.is hicn. Plolcmée suppose que l'on
décrit sur la planchette ou tabieite
de cuivre, dont il se sert dans ses
expériences , un cercle divise en
360 degré». M. Delaïuhre a rendu
le mox planta par cercle, en ajoutant :
L'duteur désigne, je ne sais pour(juoi ,
ce cercle par le met dt planta.
y
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 19
rompu : le même vase est appelé, dans le corps de l'ouvrage,
baplisis , mot Grec que le traducteur Latin paroît employer tel. ^o vcno.
pour désigner un grand vase à mettre de l'eau, lavacrum;
peut-être aussi faut-il lire dans les deux endroits haptis-
îerium, qui a le même sens , et qu'on trouve dans Pline le Voyez/. Tn-
1 ^ ior de tu uinu^iir
jeune et dans Vitruve. Greiq.de Henn
A la fin de l'analyse du même livre , j'ai suppléé plu-
sieurs mots qui sont en blanc dans les manuscrits ; je
les ai rétablis à l'aide du texte même, et en recourant à
l'endroit dont le traducteur a donné ici l'extrait.
Après cette préface , commence le second livre , dont
le titre, que je vais lire, renferme quelques particularités
remarquables :
Incip'U sermo secundus Ptolomci de opticis. " Sermo secunduj
« Optïcorum Ptolomei, olim de Grœca lingua in Arabicam , nunc autem
» de Arabica in Latinam translatus ab ammiralo Eugcnio Siculo , ex
'^ duobus exemplaribus , quorum novissimum , unde prœsens transUiîia
>' facta fuit , veracius est. Primus vero sermo non est invcntus. »
On voit par-là que le traducteur Latin possédoit deux
manuscrits de l'Optique de Ptolémée, traduite en arabe,
et que l'un de ces manuscrits, auquel il s est principale-
ment attaché , cloit plus exact que l'autre. Cette circons-
tance donne une idée avantageuse de la critique et du
travail de ce traducteur ; mais on regrette qu'il ne nous
ait pas fait connoître l'auteur de la traduction Arabe.
Qiiant à l'époque de cette traduction, il est vraisemblable
qu'elle a été faite sous le règne d'Almamon , c'est-à-dire, '"/y-.'yy, /• '.
vers le commencement du neuvième siècle de l'ère vul-
gaire. Ce fut alors, et par une suite du goût d'Almamon
pour les sciences , que parurent en arabe les ouvrages
Cij
30 MKMOIRES DE L'ACADKMIE
J'EiicIi Je , de Piolcmce et d'autres auteurs Grecs. Ce qu'on
peut assurer, c'est que la traduction Arabe de l'Optique
de PtolcnK-c est antérieure à Alhazen , auteur Arabe , dont
nous avons en latin un ouvrage célèbre sur I optique.
Alhazen connoissoit l'Optique de Ptoicmce, comme je le
ferai voir par la suite; ce n'est donc pas m'cloigner de
mon sujet que de rechercher le temps où parut chez les
Arabes l'Optitjue J'Alhazen. Risner, qui a public le pre-
mier la traduction Latine de cet ouvrage , conjecture que
l'auteur vivoit vers l'an i loo de notre cre, et qu'il ctoit
contemporain d'Avicenne, d'Averroès et autres savans
Vpu.Jtsàtni. Arabes. Selon X'ossius, l'cpoque où vivoit Alha/en est
mjlh.fKlg. loç . , , ...
incertaine ; quelques auteurs placent Alhazen avant i loo.
S- j^j- M. de Lalande dit, dans un endroit, qu'il vivoit en Es-
S. 3r64 pagne, vers l'an i loo; ailleurs il le fait vivre dans le
/. jjt. dixième siècle; Snellius, cité par M. de Lalande, le croit
plus ancien qu'Almamon. Les auteurs Arabes peuvent
seuls dissiper ces incertitudes : en les consultant , on re-
connoît facilement que l'auteur connu parmi nous sous le
nom à'Al/iiiien est le même que Abou Afy Alhassan ebn
Albassan ebn Alhaïthcm, surnommé Almohciuless Alhasry ,
Ci.m.nm , j; _Aâ^' ^^j.~)J>>^i' , le géomètre de Basra , sur letjuel on
^^ '■* trouve des détails curieux dans l'Histoire des Dynasties
r^r . d'AbuIpharage et dans le Catalogue des manuscrits .Arabes
de la bibliothèque de l'Escurial. Parmi les ouvrages de cet
auteur, dont la liste se trouve dans leCatalogueque je viens
de citer, on en remarque un intitidé Je Pcrspcctivii. Si ce
^,v„ titre étoit fidèlement traduit, l'identitéque je veux; établir ici
seroii suffisamment prouvée; car on a souvent donné, dans
ni '
■> .y.'..».. le moyen âge, le titre de /'fr.f/'ff//i'i' aux ouvrages d'optique.
2 »
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES.
Mais le titre Arabe peut faire naître quelques doutes; ce
titre Ikhîïlaf ahnauatlnr . jAaui^ i^^'Xi^ , signifie litté-
ralement différence des aspects : or IklitiLif almautJmr , ou
diversité d'aspect , est le nom que les Arabes donnent à la
parallaxe , comme on le voit par les titres des cha-
pitres LX et LXlil de l'Astronomie d'Ibn lounis. Dans la ,'^'°y- '"^"/'f/
' , _ rff.t man. t. VU,
liste des ouvrages d'Alhazen, rapportée par Casiri , on en y^s-9^-
trouve un (c'est le dixième) intitulé Ikhtilaf manthar al-
camar, qu'il faut traduire par de la parallaxe de la lune ,
et non de vario liina aspectu , avec Casiri. il seroit donc
possible qu'il fût ici question , non d'un ouvrage d'optique ,
mais d'un traité sur la parallaxe de la lune et du soleil. Au
reste, le traité d'optique que nous cherchons se trouve, je
crois, clairement indiqué au commencement de la liste des
ouvrages d'Alhassan, rapportée par Casiri : mais, comme
ce bibliographe a mal rendu cet endroit, et que l'explica-
tion que j'en donne pourroit ne pas paroître certaine à
tout le monde, je renvoie cette preuve dans une note (i),
(i) Casiri a rendu tout ce morceau
d'une manière -=i peu exacte, que je
suis obligé de reprendre le titre du
premier ouvrage pour arriver à celui
qui nous intéresse davantage.
Le premier de ces ouvrages , intitulé
Telii^îb alinagesti , i^\ ....-rfil i_>JiNgJ',
est, selon la traduction de Casici , un
commentaire sur l'AImageste. Le mot
Arabe rf/i^/^ signifie plutôt a/Wg^i? que
cominentuire. C'est proprement une
édition revue, corrigée avec soin , et
dans laquelle on a retranché quelque
choie d'inutile. Nassir-eddin , dans
la préface de son édition d'Euclide,
se sert de ce mot, auquel il joint celui
i de tertib , <_>-y^', airaiigernent , dis-
position, en parlant de l'édiiion des
Elémens de géométrie, donnée par
Euclide, édition dans laquelle, selon
Nassir-eddin , Euclitle réduisit les
quinze livres des Elémens à treize ,
en retranchant les deux derniers, qui
furent ensuite ajoutés de nouveau par
Hypsiclès.
Le second ouvrage d'Alhazen men-
tionné dans le Catalogue des ma-
nuscrits Arabes de la bibliothèque de
l'Escurial, est inliinn: Almanathir ,
jijLm ; c'est, selon moi, l'ouvrageque
nous cherchons , l'Optique d'Alha-
zen. Le titre Almanathir [asptclusj
3!
MÉMOIRES DE L'ACADF.MTE
et je nrc'seiuerai ici un tL-moignage plus incontestable.
Parmi les manuscrits de la bihiiotlicque de Leyde , on en
A'.- '«•'/. /v.;. trouve un dont voici le titre : Comnienttiria in libros opticos
HtiSiJiii beti Hiiiicm Hiisrcilsis, qui vu/t^ô Elhassan dicitur , cum
Jtffg.eospnlanti/ms. La mcme bibliothccjue posscde plusieurs
autres ouvrages du mOme auteur, dont le nom paroît tout
entier à la tète d'un de ses ouvrages, et tel que je l'ai
donné plus haut. Au reste, l'auteur Arabe, jusqu'ici mal
connu, et que je cherche à faire mieux connoître , est
appelé, à la ttte de la trinlucti<wi Latine de son Traité d'op-
tique , Allhiien filius Alhiiiien : or. d'après ce que je viens
4si-
N.' 106^.
est celui que les Ar.ihcs donnent or-
dinairement aux traiiis d'optique.
Celui d'Euclide e.<t appelé h'itab <;/-
manaihir li Odides, j— i?^' <_jL.^^
j-ji-Jb,V (vp^t^Ahn\\i\\.p.^, Liit.).
D'Herbelot , qui rapporte, .lu moi
Kitab(r)-^) , le titre Arabe de \'0]>
tiqucd'i'.uc!idc,n'a pas ("ait connoitre
juffisamnient cet ouvrage eu disant
en général que c'est un livre de
géométrie. Casiri a cru vraisembla-
blement que ce litre app^rtcnoit ex-
cluMvcm. nt à l'Optique d'Euclide ,
00 bien il l'a joint au titre qui suit,
dans lequel il s'agit d'Euclide , et
il a cru qu'il étoit ici question d'un
commentaire sur l'Optique de cet
auteur.
Les ouvrages suivans d'Albazrn
sont étrangers à la discussion pré-
sente; j'en donne ici les titres tra-
duits plus exactement qu'd* ne l'ont
été parCasiri ,cn taveurdes amateurs
de la littérature Orientale.
Le troisième ouvrage est intitulé:
Uu)t oit jy^'j (j-'-vï^j' tjtj.>Lt..
Demandes ou suppositions d'Euclide,
cC figures ( di-monstr^tions ) du mcme
auuur. Les demandes ou suppositions
dont il est ici question se trouvent
à la tête des Élémens d'Euclide, et
sont a])pelésen grec <ti'ii]iMt.T» , en latin
p, iiuLita ou petiticnes. Casiri traduit
Ccmnu-nttiriui in rjusdcm Euclidis
EUmenta geomcrrica cum sclwliis-
Le titre de l'ouvrage suivant,
jUdtl fL&i\ ia,L-», doit se rendre
par De diinensirnc sclidi piJr.il'plici ,
mesure du solide ou du conoïde
parabolique; tr.iduction qui est bien
éloignée de celle de Casiri : Di sol -
dorum tr.piulium et similium ditninu-
li ne.
L'ouvr.ige d'Alhazen mentionné
cnMiite e>t un traité drs lunules ou
ligiiris'iuiont la ("ormed'un croissant,
JX^' JLCii ; Casiri traduit De va-
riit lun,r novtr figutis.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTTES. 25
de dire , il est impossible de ne pas reconnoître dans ces
noms propres altères les noms iïAlhassdii ehn AJIiûssûii ,
ou ebn Alluuthem. Ce qui précède , me servira à corriger '
une autre erreur relative au même auteur, dont on a fait
jusqu'à présent deux personnages. M. de Montucla, dans
{'Histoire des mathématiciues , en parlant des auteurs Arabes ^ '''/"• ««• /,
qui ont écrit sur i optique , nomme Ibii Haitem Syrien,
qui écrivit sur la vision directe, réfléchie et rompue, et
sur les miroirs ardens ; il ajoute ensuite : « Mais , de tous
» ces opticiens, le plus célèbre est Alhazen. » Bailly dis- H,^i.dci\inr.
r ' ■» •' iun\ t. Il , I. it,
tingfue aussi Alhazen et Ibn Haïtem. Mais on voit par ce que i'"b'- <'''4-
je viens de dire, que Ibn Haïtem et Alhazen ne sont qu'un
seul et même auteur, dont le nom entier , un peu long,
a donné lieu à l'erreur; car, pour abréger, on l'appelle
souvent Abou Aly ehn Hdithem , comme Abulpharage et P^s-^-J-
d'Herbelot. M. de Montucla, en disant qu'Ibn Haïtem a a^, pag.42/.'
écrit sur la vision directe, réfléchie et rompue , a fait, sans
s'en apercevoir, l'analyse de l'ouvrage d' Alhazen. Quant 1
au second ouvrage d'Ebn Haïtem dont parle ici M. de '
Montucla, sur les miroirs ardens, il est cité dans le cata-
logue des ouvrages d'Alhazen , ou Alhassan, qui se trouve j
dans Casiri. Le titre Arabe est , Âi|^<^' bj i> , De speculis P^g- 4'j-
comburentibus. Le même ouvrage se trouve dans la biblio-
thèque de Leyde (n." 1074). L'identité d'Alhazen avec
Alhassan ebn Alhassan ebn Haïtem étant bien prouvée,
il ne peut plus y avoir de doute sur le temps où cet auteur
vivoit. Abulpharage et l'auteur de la notice qui se trouve
dans Casiri, nous apprennent qu'Alhasàan , né à Dasra ,
fut appelé en Egypte par Hakem , un des califes fathi-
mites , qui régna depuis ^^6 jusqu'en 1021 , et qu'il y
a4 Mi.MOIRES Cf. L'ACADEMIE
mourut l'an 4^^ ^^ l'Iicgire, 1038 de l'ère vulgaire. Cet
auteur ayant eu connoissance , comme je le ferai voir
par la suite, de l'Optique de Plolcmée , il s'ensuit que la
traduction Arabe de l'Optique doit ttre antérieure à
l'an 1000. Qiiant àl'cpoque de la traduction Latine, je
crois pouvoir la fixer avec plus d'exactitude.
Les deux manuscrits de la Bibliothèque du Roi où elle
se trouve, sont très- modernes : ils paroissent ctre du
XVII.' siècle, et avoir ctc copies tous les deux en Italie,
ou du moins par une main Italienne; mais il paroît évi-
dent qu'ils ont été copiés sur un manuscrit beaucoup plus
ancien, (jui vraisemblablement étoit très - dilïicile à lire
et rentermoit beaucoup d'abréviations. C'est pour cela
qu'il y a dans les deux manuscrits tant de fautes et de
mots omis ou laissés en blanc.
Le nom du traducteur Eugcnius Ammiriilus , inconnu à
tous les bibliographes , donne lieu à quelques incertitudes.
Il est écrit a la tcte de l'ouvrage, dans les deux manus-
crits, Ammiracus EugeniusSicuIns. Au commencement du
second livre, qui est le premier de ceux qui nous restent,
ce nom est écrit dans un des manuscrits, Amiiiiratus Euge-
niiis Siculus. Cette dernière leçon est, je crois, la meilleure.
On connoît sous le nom de Sci/ùone A/iiiiiirtiio un savant
Italien, auteur d'une Histoire de Florence qui parut sur
la fin ilu XVI. "^ siècle , de plusieurs discours sur Tacite, et
y .'.'t V,-. d'autres ouvrages. Ce savant étoit, à ce qu'il paroît, àum:
I imille ancienne , à laquelle notre traducteur Eugcniiij
Animinitus peut avoir appartenu. Une autre raison me
''•" fait préférer la leçon Ammir,itus. Le Catalogue de la Biblio-
thèque cfu Roi fait mention d'un ouvrage traduit du grec
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 25
en latin, qui paroît être du mtme auteur, nomme ici
Eugetiius regfii Sicil'ui: aminirûtus (i). Beaucoup de circons- AJnnusc. Lu.
tances et de rapprochemens me portent a croire que ce fol. 04, i.' :
dernier auteur n'est pas différent du traducteur de l'Optique "°7^^9'fi}- 9^'
de Ptolémce. Les noms admiratus et ammiratus sont les r"g- }?■
mêmes , et désignent une dignité établie en Sicile par le tkmnahe 'de 'du
roi Roger , fils de celui qui s'empara de cette île vers la ^"^è"'-
fin du XI. ^ siècle , dignité empruntée, des Arabes, et qui , '^°^" "• ""
'01 i le loi Roger.
a vraisemblablement donné naissance à celle d'amiral en
France.
Si le rapprochement que je présente ici , et l'identité
que je crois apercevoir entre Eugetiius aminirûtus ou
ammiracus, traducteur de l'Optique de Ptolémée, et Euge-
iiius admiratus regiii Sici/ia , auteur d'une autre traduc-
tion du grec en latin, paroissent certains ou du moins
fort probables, nous pouvons en déduire d'une manière
assez précise l'époque à laquelle vivoit notre traducteur :
car, i.° le titre à'admiratiis nous indique, comme on
vient de le voir, le règne du roi Roger, ou de ses suc- ir;o-ii;2.
cesseurs , c'est-à-dire, le commencement ou le milieu
du XII.* siècle ; 2.° le 'titre de l'ouvrage traduit du grec 1,
en latin par Eugcnius admiratus ou ammiratus fait men-
{1)1 Cet ouvrage est une espèce de
prophétie attribuée à la sibylle Éry-
thréen ne ou Babylonienne, dont voici
le titre : Extractuin de libro qui di-
citur Vasilographia , id est imperialis
scriprura , qiicd sibylla Eritliea ( iege
Erythriea) Babiloiiica (alit. Enthea
Batybnica), adpetitioiietn Gnrccriiin,
teinpore'Priami régis edidit, quodque
de Chaldeo sennone in Grœcum Daxo-
^tïrr/(alit. Doxapater , Iege Doxapa-
TOM E VI. D
trius ) peritissiinus transtuUt ; tan-
dem de œrario Eminamielis impera-
toris ediictum Eugenius regni Siciliae
admiratus de grœco tram tu lit in
latimim. Liber Eritheœ sihilLv in-
cipit (cod. 6^62)}
JViliis arcliiinandrita Doxapatrius
scribebat sub Rogerio in Sicilia ao di
ii^j. ( Fabricius, Bibl. Gr. toin. V ,
de Nilis Diatriba, ^^(Vg'. jr/. )
;<; MEMOIRES DE L'ACADEMIE
tion de l'empereur Manuel. D'après ce que j'ai dit jus-
qu'ici, ce doit ctre Manuel Comnène , qui rcgna depuis
''43 jiisquà iiSo , et fit la guerre à Rt)gfr roi de
Sicile. On peut donc croire avec assez de vraisemblance
au Eugciiitts (immiratus vivoit vers le milieu ou la lin
114) 1180. du XII. "^ siccle. Les traductions Arabes étoient fort en
vogue à celte époque. Jean de Sc'ville avoit achevé sa
Vo) Ci /?/<«.. traduction d'Allragaji en 114^; et, moins d'un siccle
Lknaman. apfcs , vers 1230, l empereur rrcdcric 11 ht traduire
WtUler.Asîm- i'Almageste. Les ouvrages Grecs ou Arabes pouvoieiit
ntm.fug.j^. j^Q^iy^.^ jç5 traducteurs parmi les habitans de la Sicile,
d'autant plus facilement c|ue cette île étoil alors peuplée
d'Arabes, de Grecs, d'Italiens, comme le remarque le
r^.46. Novairi dans son Histoire de Sicile, que j'ai donnée au
public.
Revenons à l'Optique de Ptolcmée , et examinons
d'abord deux questions qui se présentent ici naturelle-
ment : la première est de savoir si cet ouvrage est de
Ptolémée l'astronome; la seconde, si c'est celui que Roger
Bacon cite en plusieurs endroits.
Les raisons qui peuvent faire croire que l'Opticjue est
de Ptolémée l'astronome, sont celles-ci: Les divers auteurs
qui ont porté le nom de Ptolémée, sont ordinairement
distingués par différcns prénoms ou surnoms. Le nom
entier de l'auteur de l'Almageste est Chwdius Ptolenuius ;
mais on omet souvent le prénom ChiuMus. Or les auteurs
anciens dont nous avons parlé au commencement de ce
Mémoire, en citant l'Optique de Ptolémée, ne donnent
à l'auteur aucun surnom , et par-là semblent le confondre
avec le célèbre astronome. Simplicius nicme, en ilonnant
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 27
à l'auteur de l'Optique l'épithète d\idimrûhle [Sctt^/^oio^j,
semble indiquer clairement l'auteur de l'ouvrage intitulé,
Grande Collection mathématique ; ouvrage qui a excité l'ad-
miration de tous les siècles,
Ptolémée l'astronome réunlssoit d'ailleurs à l'astro-
nomie beaucoup d'autres connoissances, comme le prouve
son ouvrage sur la géographie. Suidas cite encore du
- même Ptolémée un Traité de mécanique en trois livres,
qui est mentionné par Pappus, Ptolémée avoit encore
composé, selon les anciens, des Traités sur les dimen-
sions [vnd^ f^eT^Y^ma:;] , sur les élémens [çvi-^eïci,], sur
l'équilibre ["Tnei /'ottoi']. Le Traité du planisphère que lui
attribue Suidas, et qui est généralement reconnu pour lui
appartenir, tient à une branche de l'optique. Ce traité
et l'ouvrage qui nous occupe, ont mcme une conformité
singulière ; tous les deux ne sont connus que par une
traduction faite sur l'arabe. L'original Grec est vraisem-
blablement perdu pour toujours.
La traduction Latine du Planisphère a été fiiite en Fah.itjd.t.iii,
pjg. 449-
II 44; c'est à peu près vers ce temps, d'après les re-
cherches que j'ai exposées, que l'Optique auroit été tra-
duite en latin.
Voici les raisons qui pourrolent faire douter que l'Op-
tique qui nous occupe fût de Ptolémée l'astronome.
L'Almageste ne fait aucune mention de l'Optique ;
aucun passage de ce dernier ouvrage ne renvoie à l'Al-
mageste, ni aux autres ouvrages du même auteur. M. De-
lambre, en réfutant cette objection , dit qu'aucun des ou-
vrages de Ptolémée n'en rappelle un autre; cette assertion
n'est pas exacte. L'Almageste fait mention de la G<;ogra-
D.j
28 ML.MOIULS DE I.ACADLAUE
plue. Voici le passage, qui se trouve à la lui du second
livre de l'Alniageste :
" Après avoir terminé ce (]ui concerne les angles , il
" me reste à considérer, pour ie calcul des pliénomènes,
» la position, en longitude et en latitude, des villes les
" plus remarquables dans chaque province. Nous traite-
" rcns à part de cet objet , qui est séparé et appartient à la
« géographie; nous suivrons les témoignages de ceux qui
» ont traité particulièrement cette partie; nous marque-
» rons de combien de degrés du méridien chaque ville
» est éloignée de l'équateur, et de combien de degrés de
» l'équateur le méridien de chaque ville est éloigné , à
» l'orient ou à l'occident, de celui d'Alexandrie, pour
» lequel nous avons calculé les temps. »
Il est évident que Ptolémée, dans ce passage, veut
parler de sa Géographie; et le CQ\chve Niisir EJJiii , dans
son Commentaire sur l'Almageste, dit positivement que
l'ouvrage que Ptolémée promet ici , est la Géographie.
On ne peut donc pas dire, avec M. Delambre, qu'aucun
des ouvrages de Ptolémée n'en rappelje \.in autre. Au
reste , quoiqu'il soit question de la Géographie de Pto-
lémée dans l'Almageste, ce n'est point une raison de ne
pas reconnoître comme étant du même auteur les ou-
vrages dont l'Almageste ne parle pas; car il faudroit ,
par la même raison , rayer de la liste des ouvrages de
Ptolémée ses Traités sur la mécanique et sur le planis-
phère , que Suidas reconnoit lui appartenir. Mais une
considération plus importante vient ici fortiher les doutes.
L'auteur de l'Optique a bien connu le phénomène de
la réfraction astronomique. L'auteur de l'Almageste, au
DES INSCRIPTIONS ET BELi-ES- LETTRES. 29
contraire , ignoroit absolument l'effet de ce phénomène.
M. Delambre, qui s'est fait cette objection , ne l'a pas ,
je crois , réfutée complètement.
«•L'Optique, dit ce savant, est postérieure à l'Alma-
» geste. En composant son Traité d'astronomie, Ptolémée
» n'àvoit pas encore réfléchi sur la réfraction , il n'en avoit
» encore aucune connoissance. » Cette raison explique
fort bien pourquoi Ptolémée ne parle pas de la réfraction
astronomique dans l'Almageste ; mais on demandera toit-
jours pourquoi , dans son Optique, il n'a pas corrigé ce
qu'il avoit dit dans l'Almageste , par l'effet de l'ignorance
où il étoit alors du phénomène de la réfraction. Peut-on
croire que l'auteur de l'Optique, s'il eût été aussi grand
astronome qu'il étoit bon physicien , n'eût pas senti que
l'effet nécessaire de ia réfraction étoit d'accélérer le lever
et de retarder le coucher des astres! Peut-on croire qu'il
n'ait pas cherché à déterminer la quantité de la réhac-
tion astronomique, et qu'un astronome aussi habile que
Ptolémée, connoissant l'effet de la réfraction, qui est,
comme il le dit positivement , de rapprocher les astres
du zénith, n'ait pas eu l'idée d'en conclure que toutes les Extmir dt M.
hauteurs, prises du moins dans le voisinage de l'horizon, u\^"°' ' ' '"'
demandoient une correction l Mais je laisse aux astro- \oyez AUnt.
nomes l'examen de cette question. Les doutes qu'elle fait ,„m i mJ-l'i'i
naître pourroient encore être fortifiés par le silence des
auteurs qui donnent la liste des ouvrages de Ftolémée
l'astronome ; mais ces listes paroissent faites avec peu
d'exactitude, et cet argument négatif n'auroit pas une très-
grande force.
Qiioi qu'il en soit de l'auteur de l'Optique renfermée
fOTi. ,u !•! rtrsp.
50 iMJ.MOiRES DE L' ACADEMIE
Jans les dfii\ iiiamiscrits de la Bibliothèque du Roi, on
ne peiil douter de i'authenticitc de cet ouvrage : t'est ce
que je vais faire voir, en montrant que tous les passages
cites par Bacon , dans sa Perspective, sous le nom de Pto-
k^mce, se trouvent dans l'ouvrage dont je donne ici la
notice.
Clip. tu. I" Sacon , avant d'expliquer ce qui concerne particulicre-
Mri. ,tt sa Persp. , . . . , / - 1 1 • •
ment la vision , traite des sens en gcncral , et distingue
les choses sensibles [ sensibilia ] en choses sensibles com-
munes et en choses sensibles propres à chaque sens [scn-
sibiliii propriii sui.f sensi/iuij. Ces dernières choses sont au
nombre de neuf. La saveur est propre et appartient au
goût, les odeurs à l'odorat, le son à l'ouïe; le tact juge
du chaud et du Iroid , du sec et de l'humide; enfin la
vue juge de la lumière et des couleurs. Bacon fait ensuite
l'cnumération de vingt choses principales visibles; comme,
l'cloignement / remotio] , la situation [ situs ] . Peu après il
dit que toutes ces choses sont e,\pli(juces par Piolcmce
dans le premier livre de son Optique : Et hac omnia pa-
tent l'A primo Ptolouuti de Optiez s . . . Bacon , par le premier
livre de Ptoicmce, entend ici le premier de ceux qui nous
restent, qui est réellement le second de l'ouvrage. On
trouve efTectivement dans ce second livre plusieurs pas-
sages qui ont rapport à cette doctrine : O'ti/euiffue sciistitim
prnpriiim sensiliile eoiiveniens , ut speeies repellere niiinûs in
Uietu , et hiimor (je crois qu'il faut lire humoris) i/i gi/.uu ,
et vocis in iiuditu , et odorum in odoratti. Bacon ajoute, quel-
ques lignes plus bas : Scnsihili.i eommuniti non sic dieuntur
quia sentiuntur à sensu comniuni , sed quia communltcr au
omnibus sensibus partieularibus vel à pluribus detenninantur ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. ji
et maxime à visu et tdctu , quïa Plolommis dicit in secundo Png. 6 a 7.
Perspective qubd tactus et visus communicant in omnibus his
viginti. Bacon , revenant ailleurs sur les mêmes principes, i\,g. 77.
dit que , selon Ptolcmce dans le second livre de son
ouvrage , le tact discerne tout ce qui est perçu par la
vue, excepté la lumière et les couleurs. Nam Ptolomaus
dicit in secundo libro : Omnia qua visus percipit, tactus discernit,
pmter lucem et colorent. Le passage de Ptolcmce indiqué P''e 77-
ici par Bacon se trouve immédiatement après celui que
je viens de citer; mais il est évidemment altéré. Le voici
tel qu'on le lit dans les deux manuscrits : //; omnibus vero M,inuicrits.f.'
quœ, secunditm principium nervorum, communia sunt sensibus ,
et visus participât sibi , excepta in colore; color enim nuUo sen-
suum dignoscitur , nisi secunditm visum : débet ergo color esse
sensibile pro'prium visui. Il est évident , par le passage de
Bacon que j'ai cité, qu'il faut lire dans Ptolémée : Tactus P'^g- f-
et visus participant sibi , au lieu de et visus participât sibi.
Cette correction est encore confirmée par ce passage de
la préface du traducteur, qui dit, en faisant l'analyse du
second livre : Eiiant continetur quod tactus tantitin coinmu-
nicat visui in dignoscendis pradictis rébus videndis , cxcepto co-
lore, qui solo visu dignoscitur.
Bc^con , dans le second passage que j'ai cité, appelle
le second livre de Ptolémée celui qu'il avoit plus haut
appelé le premier : ainsi nulle difficulté à cet égard. Et
de ce que Bacon a cité dans un endroit le premier livre
de Ptolémée , on ne peut en conclure qu'il connoissoit
ce premier livre, et que l'ouvrage qu'il cite est différent
de celui que renferment les deux manuscrits de la Biblio-
thèque du Roi , dans lesquels le premier livre manque..
31 .MI MOIRES DE L'ACADI.Mir
L'extrait Je M. Dclambre ne fait aucune mention de
la doctrine à laquelle se rapportent les deux passages que
je viens de citer. On ne doit point en cHre étonne, puisque
ces deux passages, tels qu'on les lit dans les manuscrits ,
ne prcseiUcnt aucun sens. Il en est de nitme liu passage
suivant, que je rapporte ici à cause de sa liaison avec
ce qui précède. Ptoléniée classe ainsi les choses que nous
apercevons : Rcs ali<€ vidciitur vcrè , dlia primo , alitv se-
quciHcr. Vcrc viiientur liicida spissa. Dans les deux manus-
crits, vcrè est toujours écrit par un a; mais je crois qu'il
faut l'écrire par un c simple. Les deux adverbes /t/'w/c et
serjueitter qui suivent, prouvent qu'il faut ici un adverbe.
Al. Delambre , faute d'avoir fait attention à cela , dit
dans son extrait : «<Ptolémée distingue les choses qu'on
» voit vraies ou non vraies. Les premières sont les corps
• lumineux. » Cette traduction ne présente pas l'idée de
Piolémée; elle est même, je crois, inintelligible. L'épi-
thète spissa , jointe à lucida , omise par M. Delambre,
étoit essentielle à rendre; etliiciJa ne peut signifier ici /es
corps lumineux , comme on le voit par le passage <jui suit
immédiateineiu : Rcs enim visiii subjecta ticbciil esse tjuo-
cumtjiie modo lucida, aut ex se mit aîiunde , cùm hoc sit pro-
prium visibili sensui , et spissa ( les manuscrits portent spissi/m )
/// sulisttintia , ad rctinendum visu m ....
Le passage suivant renferme une application de la doc-
trine de Ptolémée , et pourra servir à l'éclaircir : /4<t «c/'ù
prnpin(]uus non videtur , scd a'cr conùmtus illi vidctur , tjuo-
niam color , in mulla profunditate , factus adinvicem continu us ,
lit magis corporatus et cvidentior. la maniîye dont Bacon
exprime la même doctrine, est curieuse, et fait voir «jue
DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES. 35
cet auteur, en citant Ptolémée, s'attache quelquefois moins
aux mots qu'aux choses : Sed tameii scieiidiini est quoi Pto- ^''S- ^■/■
loma:us dicit in secundo libro Perspectiva , quod nos vïdemus nërem
vel pcrspicuutn cœleste à longé , et in superfiia distontia , quamvis
non in propinqua. Multhm enim de perspicuo cimndatur in magna
distantia , et se hahet ad visum sicut illiid quod est pcrfectè
densum, in parva distantia.
Le même auteur, voulant expliquer pourquoi l'on ne ^''g- f^'
voit rien sans la présence de la lumière, rapporte les rai-
sons proposées par ditFérens auteurs. Selon la première, les
couleurs n'existeroient pas véa'itablement dans les ténèbres.
Cette raison , selon Bacon, est détruite par Ptolémée, dans
son second livre de la Perspective : Principiuni destruit
Ptolomaus in secundo Perspective , dicens : Si cniin sic esset ,
etiani qualibet res duœ , hahentes situm eunidem rcspectu lucis
et visûs , viderentur similis coloris : ci/Jus contrarium videmus in
diversis rébus , quasi universaliter et in eadem re in diversis
temporibus ; ut in chanmleone , qui mutât colorem secundum di-
versitatem rerum qua appropinquant ei , et in eo qui rubescit ex
verecundia et pallescit in timoré, quamvis eunidem situm habeat
res semper respectu lucis.
Le passage de Ptolémée dont parle ici Bacon , paroît Folio / i
être celui-ci : Unde apparet quod res non ita se liabct sicut ^^
plures astimarunt , dicentes quod color sit res accidens visui et
lumini , nec habeat propriam substantiam. Ptolémée parle dans
le même endroit du caméléon , et du changement de cou-
leur produit par les diverses affections de l'ame : Utpote in
animali quod vocatur chamœleon , et veluti rubedo quœ quibus-
dam accidit ex verecundia , et pallor qui aliis accidit ex pavore.
Hoc autem accidit in iis sensibili mutatione , ex ipsis vel rchus
T O JI E V I . E
^i .MK.MOIRFS DE L'ACADÉMIE
exteriorihiis apparente iiis'i (je lis visui) ex imitatione (oloris.
Alan'ifestum est ergo , per ea qu(î d'ix'tmus , qubd color verè inest
eis . . . .
P(T,f.p.,g. Sf. Bacon dit que ceux qui onf les yeux enfonces voient
mieux les objets éloignons que ceux qui les ont sailluns.
Il cite à ce sujet l'autorité de Ptoicmce , dans le second
livre de son Optique :<2"/ vcro liabent oculos profunJos , ne-
cesse est ex hac causa , tjuoJ possitit vidcre ma^is remota , /jitani
f'ig i'4- habentes oculos prominciites ; et quelques lignes plus bas:
Et hoc dicit Ptolonuvus expresse in secundo Opticorum siih /lis
verbis : lUi qui liabcnt concnvos oculos vident à rcnwtiori.
Le passage de Ptoicmce cite ici par Bacon doit se lire
ainsi : //// autem qui liabent oculos concavos , vident à majori
distantia quant illi qui talcs oculos non liabcnt.
Dans l'extrait de l'Optique de Ptoicmce lu à la pre-
mière Classe, ce passage est ainsi rendu : « Ceux qui ont
" les yeux concaves, voient d'une moindre distance que
F»t.f. '> ceux qui n'ont pas de tels yeux. " L'auteur de cet extrait
a lu ici , vident û minori distantia ; c'est effectivement la leçon
du manuscrit 73 lo : mais l'autre manuscrit porte , à majori
distantia ; et le passage de Bacon que j'ai cite, plusieurs
autres que je pourrois y ajouter, prouvent que cette der-
nière leçon est la véritable. M. Delambre ajoute, après
avoir donné la traduction de ce passage : « J'ai souligné
" concaves , pour qu'on ne m'attribue pas cette faute de
" copie. " Concavos n'est point uwl' faute : le sens de ce mot
su présente naturellement; et celui de profundos , que lui
substitue Bacon , peut servir à l'expliquer. La raison que
les deux auteurs donnent de cette particularité, ne laisse
aucun doute sur le sens de ce mot. Voici cette raison.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 35
selon Bacon : Cujus causa est virtus visibilis qua fit proptcr
cohabitatioiiem , id est , cotigregationem et aJu/iatio/iein , et
pr opter loci aiigiistiam. Cnm enim processio Juerit ex atigustis
lacis , protenditur visiis et elongatur. Ptolémée s'exprime prc- iMm.n.'yjw,
^ . fol. 22, lin. ^.
cisément dans les mêmes termes: Lujus causa est vu lus vi-
sibilis qua ftpropter cohabitatioiiem. Cnm ciiiin processio fuerit
ex a/igustis locis , protenditur visus et elongatur.
Bacon, peu après, examine pourquoi les vieillards ^'^S-^i-
éloignent d'eux les objets qu'ils veulent voir, et il en
donne la raison d'après Ptolcmée : Et liujus causam duccl
Ptolomaus fin secundo Persp.) ; nam niulta humiditas in oculis
eorum est in causa : seues enim muhas humiditates accidentalcs
superfluas liabent . . . .
Le passage de Ptolémée cité ici par Bacon paroît être
celui qui finit par ces inots : (2_iii volncrit indubitanter videre, ^''^- -'-'■ %'"
necesse est ei aspicere a longe. Le commencement de ce pas-
sage , dans Ptolémée, doit être fort altéré; car il ne paroît
pas qu'il y soit question des vieillards. M. Delambre a
donné à cet endroit un sens tout différent , et en tire
cette proposition : « L'humidité rapproche en apparence
» les objets. "
L'autorité de Bacon, qui avoit sous les yeux des ma-
nuscrits plus anciens et par conséquent plus exacts que
les copies qui sont parvenues juscju'à nous, doit être d'un
grand poids pour déterminer le sens de ce passag'e. Mais
cette discussion est étrangère à l'objet que je me propose
ici , qui est de rassembler quelques passages dont le rap-
prochement ne peut donner lieu à aucun doute.
Ceux que je viens de présenter prouvent l'authenticité
de l'ouvrage dont ;e donne la notice. Je pourrois tlonc
E.j
3^ Mli.MOIRLS DE L'ACADEMIE
ne pas pousser plus avant cette comparaison ; je crois ce-
pendant devoir joindre ici les deux morceaux, si intcressans
pour l'astronomie, dont j'ai déjà parlé au commencement
de cette Notice, qui concernent la réfraction ei la gran-
deur apparente des astres à l'horizon. Le passage de Bacon
relatif à la réfraction astronomique se trouve dans l'ou-
Ptg.jjJ. '■:-. vra^e de cet auteur intitulé, Spécula mothenitUicii : Nam si
tjuis per iiistrumenhi <juihus expert mur ai^ua suiit in cœlestilnts .
cujusmotii vocantur nrmilhe vel tiliti , iiccipint loaim olicujus
stelliE circa aquinoctiitlem in ortu suo , cl JeinJc ciccipiat hcum
ejusdem quando venitad lineam meridiei , invenictin loco meridiei
distiire CiWi sensibililer plus a polo mundi septentrionali , quàm
quando fuit in ortu; et quelques lignes plus bas: Sic autem
/« Ith. V, de Ptolomaus docet, et Alliaiçn , et ego consideravi instrumenta
Lit. vil. ^^^ ''^^'" ' '' certuni est. Le passage de Ptolémée cité ici est
Làf.v.fol.çf ainsi conçu : Invenimus rcs qua oriuntur et occidunt nuigis
dumaa.jjio. ... . ..... , .
déclinantes ad septentnoncm cum Jucrint prope noriipntem
et metita fuerint per iiistrumentuin quo mcnsurantiir sidcra ,
et cum fuerint orientes vel accidentés ; circuit utiquc aqui-
distantes aquinoctiali qui describuntur super illas , propiii-
quiores surit ad scptentrionem quàm circuli qui describuntur
super illas cian fuerint in medio cœli. Bacon s'étend peu
ici sur la réfraction. Son objet principal, en parlant de
ce phénomène , est de faire voir que le monde n est pas
un seul et même corps; il dit que la preuve qui résulte
de la réfraction n'est pas connue des naturalistes , et
n'est pas rapportée par Aristote et ses commentateurs.
Ptolémée s'étend au contraire beaucoup sur ce phéno-
mène; mais je ne rapporterai point tout ce qui est relatif
à cet objet, pour ne pas répéter te que M. Delambre a
DES INSCRIPTIONS ET BELLES - LETTRES. j/
dit sur cela. li faut voir tout ce morceau dans son extrait ;
c'est un des plus curieux. J'ajouterai seulement ici une
remarque sur la réfraction astronomique. M. de Monlucla
croyoit que Ptolt'mée étoit le seul auteur ancien qui en
eût parlé. M. de Montucla ignoroit qu'il en est question
dans Sextus Empiricus. M. Delambre cite cet auteur d'une
manière générale. Je vais rapporter le passage même, que
l'on ne sera pas fâché, je crois, de trouver ici ; il est
tiré du Traité de Sextus Empiricus contre les mathéma-
ticiens. «Un signe qui est encore sous l'horizon, dit-il, Pr.g. m de
» paroît déjà au-dessus, par Tetîet de la réfraction. «Ktxlct """ ''^"'"'■■
d^dytXcLaw rri^ o-]^eci>c, lè vid yiiv en >t3cG£ç&)4 ^cûSXov ahxeî)/
vS\i vTrèf yijç Tvy^aL\eiv.
Ce passage est clair , et l'on ne peut exprimer d'une
manière plus juste l'effet de la réfraction astronomique.
Voici le passage de Bacon relatif à la grandeur des astres
à l'horizon : Quoci aiitem Stella ex causa perpétua videantur ma-
jores in oriente et occidei.te quàm in medio cœli , dicit Ptoiowmis
in tertio et quarto , et Alhaien in septimo. On trouve dans le
troisième livre de l'Optique de Ptolémée le passage suivant :
Videretur autem hac de causa , qiiod de rébus qua. sunt in cœlo , Fol. 46 mz»,
et subtendunt aquales angulos inter radios visibiles , i/Ia quapro- '^' *'
pinqua sunt puncto quod supra caput nostrum est , apparent mi'
nores; qua verà sunt prope horiipntem , videntur diverso modo
et secundùm consuetudinem. Res autem sublimes videntur- parva
extra consuetudinem , et cum difficultate actionis , secundùm id
quod prataxavimus . . . .La raison de la grandeur des astres
vus à l'horizon , donnée par Ptolémée dans le passage du
troisième livre que j'ai rapporté , est bien différente de celle
que lui attribue M. de Montucla d'après Bacon. tom"i,plg"p/.
3 s MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Il faut remarcjiier que Bacon , en traitant cette ques-
tion , et donnant pour raison la multitude des objets
interposes, cite tout-à-la-fois Ptolt'mce et Alhazen. M. de
Montucla a mieux aimé attribuer une explication ingé-
nieuse à Ptolémée qu'à Alhazen. C'est une suite de sa
prévention contre cet auteur , et de la persuasion dans
laquelle il étoit qu'Alhazen avoit pris dans Ptolcmée ce
qu'il y a de meilleur dans son Oj>tique. M. Delambre
a déjà vengé l'auteur Arabe, cl lui a rendu la solution
ilun prublème assez dilHcile. Il faut encore lui rendre la
raison intrénieuse de la grandeur des astres vus à l'horizon ,
puisque celte explication ne se trouve pas dans l'Optique
de Ptoliimée.
Je ne vois rien dans le quatrième livre de Ptolémée,
cité ici par Bacon, qui soit relatif à la grandeur des astres
vus à l'horizon. On peut supposer, ou qu'il y u erreur
dans la citation de Bacon, ou que les manuscrits de
Ptolémée dont il i>e servoit, étoient plus complets que
les copies (jui nous sont parvenues. Ce]iendant la con-
formité exacte que nous avons trouvée jusqu'à présent
entre les citations de Bacon et nos manuscrits de l'Op-
tique de Ptolémée, me porte à croire qu'il y a ici une
légère erreur dans la citation de Bacon , et qu'il faut lire
les livres // et /// , au lieu de lire ;// et iv. On trouve en
Fol. ,4,- effet dans ie second livre le passage suivant, que Bacon
peut avoir eu en vue: Sol cutcm et liiiin putj/itur esse pro-
piftijuii proptcr cluritiitem. Qjiioique ce passage ne soit pas
précisément relatif à lu grandeur des astres à l'horizon ,
p„^ . il est cependant cité peu après par Bacon dans la dis-
i-ussion relative au m<?me objet.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 39
Il meresteroit, pour rempiir le plan que j'ai tracé plus
haut , à exposer les opinions des anciens sur diverses
questions d'optique, et à faire voir combien la connois-
sance de ces opinions , quelque fausses et même ridicules
qu'elles puissent paroître aujourd'hui , peut jeter de jour
sur les passages les plus obscurs de l'Optique de Pto-
lémée ; mais ce tableau fera i'objet d'un Mémoire parti-
culier , qui pourra faire suite à celui-ci.
4o MEMOIRES DE L'ACVDKMIE
NOTE
DU
MÉMOIRE SUR LOPTIQUE DE PTOLÉMEE.
LjA trdiluction Latine Ht t' Alm<igcste, faite sur l'arabe, a donné lieu
h une erreur sur la patrie de Ptolcmée, que je crois devoir réfuter
ici. Cette traduction est ainsi intitulée ; Almagestum Cl. Plolemœi
Phdwiientis AlexanJrini, astronomorum principii , &c.
Le mol Pluluditnsis 3. ÎM croire que Ptolémée étoit originaire de
Peiuse ; mais les divers noms ethniques dérivés de cette ville sont ,
PelusioUs, Pdusius et Pelus'iacus , comme on le voit par Etienne de
Byzance.
Indépendamment de la terminaison rnsis du mot Plicluilurtsis,
terminaison qu'on ne voit pas dans les dérivés de Pelusiurn, le d
de la troisième syllabe prouve que cet ethnique ne peut venir
de Pelusiurn, d'où l'on dérive bien Pelusius, mais non Peludius
ou Pheludiensis. On pourroit dire que les Arabes ont altéré le
mot Grec, et l'ont rendu j)ar Plidudi, que le traducteur Latin
pourroit avoir exprimé par Pheludiensis ; mais les Arabes ne
changent pas ordinairement les consonnes dans les noms propres
étrangers, et l'on ne voit pas pourquoi ils n'auroient pas écrit
Pelusios par Phe!<msi.
Thomas de Pinedo, dans ses notes sur Etienne de Byzance,
Ttm.lll.fuf;. au mot n»i>.«(ni)c , et Eabricius , dans sa Bibliothèque Grecfjue,
disent que Ptolémée est surnommé par les Arabes , Aljciusi,
Ces sa vans ont corrigé, peut-être sans y penser, le surnom
donné h Ptolémée par l'ancien traducteur Latin de l'Almageste,
et ont présenté ce surnom tel qu'il devoit être pour désigner
un homme natif ou originaire de Peiuse : mais la leçon admise
par
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4i
par ces savans est sans autorité; et ce n'est pas ainsi, comme
on le verra tout-à-I'heure, qu'il faut corriger le mot Phdudien-
sis. Mais comme, avant de proposer une correction, il faut,
selon les règles de la saine critique , en montrer la nécessité ,
je crois devoir m'attacher k faire voir de plus en plus que le
mot Pheludiensïs ne peut signifier originaire de la ville de Péluse.
Le mot Grec OhXbojoç , dérivé de otiAoî, qui signifie boue, a été,
selon les Grecs , donné ;\ la ville de Péluse, à cause de sa situa-
tion à l'une des embouchures du Nil, et parce qu'elle est en-
tourée de marais ; le témoignage de Strabon sur cela est précis. Stmi.l.xvii,
La vérité est que le mot nM^amof n'est que la traduction du mot P"S- ^^S-
Oriental sin, po , qui signifie l>oue en syriaque et en chaldéen.
C'est sous le nom de Sin que Péluse est désignée dans Ezéchiel, c\ijj. xxx.
Et effundam iram meam super Sin , robur j£gypti , que la Vulgate a ''• '/•
rendu par EJfunda/n indignationem meam super Pelusium , robur
yEgypti ; et dans d'autres passages. Les Arabes ont donné à cette
ville, par la même raison, le nom de Tineh, dérivé de tin, tj^ ,
boue; et c'est sous ce nom qu'elle est mentionnée dans la Géo-
graphie d'Abulféda. Il suit de là que le traducteur Arabe de l'Ai- Dacriyt. /Eg.
mageste, pour désigner un homme originaire de Péluse, se seroit ^%' f' (~
servi du mot Tini ou Tinioun , dérivé de Tineh, nom Arabe de gmphia sacra,
la ville de Péluse. '"': '/// '^'''"'-
ad Aljcyg. }\ig.
Une dernière raison de rejeter le surnom de Pheludiensïs et /./<'., d'Anviiie,
l'explication qu'on en adonnée, c'est qu'aucun auteur Grec ne ^)V"'f"S-9'>-
dit que Ptolémée fût originaire de Péluse. Suidas , qui parle de
cet auteur et de plusieurs autres qui ont porté le mêiue nom
et sont distingués par le nom de leur patrie, dit seulement que
notre' astronome étoit d'Alexandrie.
Mais il est temps de découvrir la cause de l'erreur. Le mot
Arabe qu'il a plu au traducteur de i'Almageste de lire Pheludi ,
et qu'il a rendu par Pheludiensis , devoit se lire Keludi ; et le mot
ainsi lu n'est que le surnom de Claudius donné à Ptolémée par
tous les auteurs Grecs et Latins , surnom que les Arabes ont dû
lui conserver.
On trouve effectivement ce surnom clairement énoncé dans
Tome VI. F
4î MÉMOIRES DE I.ACADLMIE
ffii.JaPj-n. Abulpharage, RtttAfamious al-Kdudi, et dans la Notice sur Ptolé-
Ar.p^ig. ui. ip^e , extraite de la Bibliothèque Arabe des philosophes et rnppor-
Tom. I. f'.ig. tée par Casiri. Les lettres phe ei k aj sonx figurées, dans l'ccriiure
i^ Arabe , de la même manière , et ne se distinguent (|ue parce que
la première est surmontée d'un point, et que la seconde en porte
deux. Le traducteur Latin peut avoir pris facilement l'une de ces
lettres pour l'autre. Peut-être aussi ce surnom étciit-ii mal écrit
dans le manuscrit dont il se servoit, ainsi qu'il l'est dans le ma-
nuscrit Arabe de l'.Mmagcste delà Bibliothèque du Roi (n." i 107),
^H- '9J- et dans la Bibliothèque Orientale de d'Ucrbeloi, où on lit Bnthal-
mius {il-Feloudh'i. Au reste, les manuscrits Arabes méritent ici
peu d'égard , puisqu'il s'agit d'un mot étranger à la langue
Arabe , et qu'il n'est pas étonnant de voir dans un pareil mot
une lettre substituée à une autre. Je n'en citerai qu'un exemple.
La constellation à laquelle les Grecs ont donné le nom de Cq>li((,
Kii?»ùï, est appelée en arabe K'uaous , ,j-j^ ; et l'o" ne peut
douter que ce mot ne soit le mot Grec même Kh^iÙç , qui devroit
être écrit en arabe Kiphnous et non Kicaous.
L'identité du mot corrompu Alfdoud't avec le vrai surnom de
Ptolémée , Ktloudï ou CLiudius , est si évidente , qu'il semble inu •
tile de m'étendre ici davantage. Je dois cependant repousser
encore une objection qu'on pourroit faire. L'auteur de la traduc-
tion de l'Almageste Arabe a mis \ la tête de son ouvrage une
notice sur Piolémée , dans laquelle on lit ce passage : Hic niiiem
ortus et eduûitus fuit in A/fxandria, majori terra .■E^pti, cu'jus tamen
propage de terra Sem et de provincia quœ dicilur Plieludia. L'auteur
a voulu , dans ce passage , donner l'explication du surnom Phe-
loudi ; mais celte province Plieludia est absolument inconnue,
et ne ressemble guère à Pelusium. Ce passage s'explique f:icile-
ment , si on lit Keloudia au lieu de Pheludia. Les mots de terra.
Sem répondent évidemment aux mots Arabes min belad Elsham,
*LJI >X yj» , que l'auteur eût dû traduire jiar de tirra Syria. Il
s'agit donc de chercher en Syrie quelle est la ville que l'auteur
Arabe a pu désigner par le mol de KelouJta : or cela ne iera
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 43
pas difficife. L'ancienne géographie uous fait connoître une ville
de Claudias ou Claudiopolis , située au couchant et sur la rive
droite de i'Euphrate , au-dessus de Samosate ; c'est vraisemblable-
ment de cette ville , appelée Cloudieh ])ar d'Anville , qu'il s'agit Gâgraph. axe.
ici. Ibn Haukal, cité par Golius , étend la Syrie [hclad Elsham; """■Il,r-'S7-
terra Sen? , selon le traducteur de l'Alningeste Arabe) jusqu'à
Malathia [Mélitène] , et Abulféda comprend dans la Syrie la Tai. S_yria.
petite Arménie ou le pays de ôts. •' "
Ainsi , selon l'auteur Arabe suivi par le premier traducteur
Latin de l'AImageste dans sa Notice sur Ptolémée, notre astro-
nome étoit surnommé Keloudi, parce que ses ancêtres étoient
originaires de la ville de KIoudieh ou Claudiopolis. D'autres
auteurs Arabes, en confirmant la leçon Keloudi, donnent une
autre raison de ce surnom , qu'ils rapportent à l'empereur Claude,
en arabe Cloudious , et ils ont cru que Ptolémée descendoit de
cet empereur. On trouve cette opinion dans l'ouvrage de Ma- Kotkesdesmt-
soudi , dont M. de Sacy a donné une notice étendue et très- nuscrits.t.VJlI,
I"'S- '('9-
intéressante.
Fij
,, , MK.MOIRFS DF L'ACADEMIE
RECHERCHES
SUR I C PRINCIPE, LES BASES ET L'ÉVALUATION
DES
DIFFÉRENS SYSTÈMES MÉTRIQUES
LINÉAIRES
DE L'ANTIQ.U!TÉ,
Par m. GOSSELLIN,
LufejiOc- 0,L'AND j'ai public ma Mctiiode pour i'cvaliiation des
tokrei8i7. mesures itîncraires employées par les Grecs et les Ro-
mains (i), je me suis borne à ce qui concernoit la géo-
graphie de ces peuples. J'aurois craint de trop compliquer
une question déjà assez épineuse par elle-même, si je
i'avois entremêlée de discussions qui auroient eu un rapport
moins direct avec l'objet que je m'étois proposé : il nie
sufiisoit de montrer que la diversité des mesures géodé-
siques recueillies par les Grecs dérivoit de celle des
modules dans lesquels , depuis un temps immémorial,
étoit exprimée léiendue de la circonférence de la terre.
(') K<'_>'f^ le Mémoire intitule £>€"
l'évaluation €t Je l'emploi detAlesurcs
itinéraires grecques et romaines , dan^
le tome IV de mes Recherches sur la
Cérc^raphie systéwatiijue et positive
des anciens, ou l'Extrait de ce Mé-
moire dans l'Histoire de l'Acadé-
mie, tcm. XLVIl , p'ig. 2/2- 22 f.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 4j
Aujourd'hui j'examinerai d'où provenoit la différence
de ces modules , et je ferai voir comment il est possible
de déduire d'un clément unique la valeur de toutes les
mesures qui composent les divers systèmes métriques de
l'antiquité.
Je diviserai ces Recherches en trois parties : dans la
première, je parlerai des systèmes métriques réguliers, c'est-
à-dire de ceux dont toutes les subdivisions découlent d'un
même élément; dans la seconde, je m'occuperai des sys-
tèmes irréguliers, ou de ceux qui renferment des mesures
étrangères les unes aux autres; dans la troisième, j'exami-
nerai les systèmes métriques employés par les Arabes du
moyen âge et par quelques autres peuples.
Ces différens systèmes présentent la nomenclature cfes
principales mesures usuelles , telles que le doigt, le palme,
le pied, la coudée , le pas, l'orgyie, le stade, le mille, &c.,
avec leurs proportions relatives. Mais , parmi ces mesures,
celles qui précèdent le stade, n'ayant pas de type constant
dans la nature , ne peuvent être évaluées isolément : le
stade , au contraire , étant donné, par les astronomes
et les géographes de l'antiquité, pour une partie aliquote-
de la circonférence de la terre , offre un moyen sûr de re-
trouver la longueur qu'on lui attribuoit, en la déduisant
de celle du degré terrestre. Alors le stade devient néces-
sairement le module d'après lequel toutes les autres me-
sures doivent se conclure; mais, ce module différant dans
chaque système, il faut commencer par rechercher quelle
peut être la cause de ces variations, et sur quelle base
«lies se trouvent établies.
4<
MLMOIRrS DE L'ACADFMir
PREMIERE PARTIE.
SYSTÈMES MÉTRIQ.UES RÉGULIERS.
Si l'on rassemble les diffl'rentes évaluations du pcri-
mctie de la terre que les anciens nous ont transmises ou
indiquées , on en trouvera neuf; et je les range dans
l'ordre suivant :
400000 stades (1). 240000 stades (4). 270000 stades .... (7).
ÎCOOOO ,
(2)-
180000 (5). 225000.
(8).
j6scoo (3). 216000 (6). 250000 ou 252000 (9).
En voyant des évaluations si dissemblables , on peut
demander si elles sont les résultais de plusieurs opéra-
tions distinctes, ou si l'on doit croire qu'une première
(1) Aristot. Dt Coilo , Ut. il,
cap. 14, pjg.472.
(2) Archimed. /rt>4r«ijr;o, j». 277
et stijuent.
{}) L'Edrisi, Geogr. Nubiens, in
prolog. pjg. 2. — Le texte porte
56000 milles. On verra bientôt que
les milles itinéraires étoient compo-
tes de 10 stades: ainsi la mesure attri-
buée par l'Ldrisi à Hernies, c'cst-.i-
dire aux Egyptiens , donnoit au péri-
mètre de la terre 360000 stades.
(4) Pojidon.a^uJ Cleomed./;/'. /,
e,tp. 10 , pag. f2.
{5) Posidon. api/d Strab. lil'. li ,
pjg.g^. — Ptolcm. Geogr.iph. lih.J,
cjp.y, II.
(6) C'est le stade olympique com-
pris huit fois dans le mille romain , et
dont parlent Polybe.Strabon.Colu-
mcllc , Pline, Krontin , Ceniorin,
Isidore de Séville, &c.
(-) C'en le siadc italique de 10
au mille romain.
(8) C'est le stade du doliqnc sy-
rien , dont la valeur sera établie dans
le cours de ce .Mémoire.
(9) Eratoith. <j^r/(/ CIcomed. //A. /,
Clip. 10, pag. fj, — et apiid Hipparch.
Gemin. Vitruv. Strab. Plin. Ccnso-
rin. Macrob. Martian. Capcll. <5cc.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LE I TRES. 47
mesure de la terre, modifiée dans la suite, aura suffi pour
produire les variations que je viens d'exposer.
M. Bailly est le seul, je crois, qui ait cherché à ré-
soudre une partie de ces questions. Trouvant , dans les
systèmes métriques des anciens, deux coudées dont les lon-
gueurs étoient entre elles comme 3 est à 4 , il en a conclu
que ces coudées avoient servi jadis de modules pour
former les stades de 4oocoo et de 300000 à la circonfé-
rence de la terre. Il suppose ensuite que d'autres cou-
dées, plus grandes de deux tiers que les précédentes, et
différant aussi entre elles dans la proportion de } ^ 4 ,
avoient servi également à fixer la longueur des stades de
z4oooo et de 180000 (i).
Ainsi, dans l'hypothèse de cet astronome , il faudroit
croire que quatre petites mesures, arbitrairement établies,
se sont trouvées, par un hasard fort étrange, être des
parties aliquotes les unes des autres, et, ce qui seroit
plus étonnant encore, que les muhiples de chacune de
ces mesures isolées auroient donné, en nombres ronds,
la circonférence de la terre.
Le concours de ces circonstances est sans doute bien
difficile à admettre. De plus, dans l'hypothèse des 400000
stades , il faudroit supposer que le degré terrestre auroit
été reconnu pour être précisément de 444444> 444- • • .
coudées; et, dans l'hypothèse des 300000 stades, dé
3^33 33' 3!3' • • • coudées. Des séries semblables, toujours
composées des mêmes chiffres, seroient encore un motif
(1) Bailly, Histoire de l'Astrono-
mie modi'rne, tom. I , liv.IV,pag, i^j
ti iuivantes. Eclaircissenienf, liv. IIJ,
pag. joj- et suiv. — Cet auteur n'a
point parlé des stades de 360000, de
216000, de 270000 et de 225000.
4S MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
puissant pour ne pas permettre de croire que le hasard
eut produit de pareils résultats.
L'application de ces stades à la mesure du degré ac-
tuel otfriroit des dilluultés d'un autre genre : 400000
ou 300000 stades, divisés par ^60, feroient croire que
le degré auroit été trouvé de 1 i i i , 1 1 1 . . ou de 8 3 3 , ; -. ; • •
stades; or, pour qu'on se crut obligé de tenir compte de
la première fraction , il auroit fallu cju'on lut certain
d'avoir la mesure du degré à un dix-millième près, c'est-
à-dire à moins de six toises, et l'on sait qu une pareille
certitude est presque impossible à obtenir.
Tant d'invraisemblances me portent à penser que ces
nombres bi/arres de i i 1 i, 1 1 1 et de 83 3, r. ; t que nous
employons aujourd hui , ne sont plus ceux qui expri-
moient, dans les stades dont il est question, l'étendue
<jue les anciens donnoient originairement au degré ter-
restre ; et que si, dans la suite, ces nombres ont repré-
senté la valeur du degré, c'est parce qu'ils sont devenus
les résultats de combinaisons nouvelles et différentes de
celles pour lesquelles les stades de 400000 et de 300000
avoient été créés.
Mais comment ces nouvelles combinaisons ont -elles
été amenées? et comment, en dernière analyse , les dil-
férens stades (ju'cllcs ont produits se trouveni-ils com-
posés de parties aliquotes les uns des autres!
Celle circonstance très-remarquable, et à laquelle on
n'a pas fait assez d'attention , laisse entrevoir «jue les
neuf stades précédens sorioient d'une même source , et
proveneient d'un même tvpe présenté sous divers aspects;
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 49
et, quoique les anciens ne nous aient rien appris à ce
sujet, il m'a paru que leur silence pouvoit être supple'c
par les faits qui naissent de l'examen et de la compa-
raison des mesures qu'ils nous ont transmises. En effet,
si la théorie qui en résulte conserve les rapports que les
différens stades doivent garder entre eux; si elle conduit
à découvrir à-la-fois l'unité de mesure d'où ils découlent,
et l'origine de leurs diverses longueurs; si elle sert à ex-
pliquer comment toutes les mesures partielles se rat-
tachent aux mesures générales, et celles-ci à une base
unique; si enfin elle produit, par des moyens simples,
les mêmes résultats que les anciens avoient obtenus, la
question ne sera-t-elle pas à-peu-près décidée!
Les moyens dont je parle consistent à reconnoître une
première mesure de la terre , et à admettre des différences
dans la méthode de graduer sa circonférence et d'en sub-
diviser les degrés.
Dès l'instant où les Grecs se sont occupés de géogra-
phie astronomique, on les voit rapporter et comparer la
valeur de toutes les distances itinéraires qu'ils recueil-
loient, à l'étendue de la circonférence du globe; et cet
usage atteste que , d'après une tradition constante , les
modules des stades et ceux des milles étoient regardés
comme des parties aliquotes de cette circonférence , et
par conséquent comme des résultats positifs d'une me-
sure de la terre.
Ornant à la division du cercle en plusieurs parties,
cette division étant arbitraire, on conçoit que l'on a pu
varier sur le nombre des degrés dans lesquels sa circon-
férence devoit être partagée. Si, dès l'origine, les cercles
Tome VI. G
5 0 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
de la sphcre avoient cté divisés en 360 degrés, serolt-
il présiimable que les astronomes ei les géographes se
iiissent réunis pour diviser l'étjiiateiir et les méridiens ter-
restres en 400000 ou 300000 parties, et qu'ils eussent
compliqué, par cet étrange moyen, toutes les opérations
et les calculs qui dévoient soumettre la description de la
(eire aux observations astronomiques?
Je ne puis ie penser. Les nombres de 400000 , de
300000 et de 360000 stades, donnés au périm-c'tre de
la terre , me paroissent rappeler trois méthodes, ou plutôt
trois essais, successivement appliqués à la division du
cercle en 4oo , en 300 et en 360 degrés. C'est de là, en
effet, et des différentes subdivisions de ces degré-s , qu'on
verra sortir les divers stades, les milles itinéraires et les
autres mesures dont j'ai à parler.
DfS STADES ET DES MILLES ITINERilRES
PR l M ITI FS.
La im,us simple des divisions du globe de la terre ,
celle qui le partageoit en quatre par l'écjuateur et par un
méridien, a dû être la première employée, de même que
la division décimale de chacune de ces quatre parties
en cent degrés, 'puis du degré en cent minutes, et de la
minute en d\\ parties. Alors les centièmes de degré ter-
restre furent pris, comme on le verra, pour former les
milles itinéraires , et les millièmes de degré pour former
les stades : de sorte que la circonférence de la terre se
trouva partagée en 4oo degrés et en 400000 stades.
Ce mode de division , (pii ne permettoit d'avoir en
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 51
nombres ejitiers que la moitié , le quart du cercle , le
cinquième, et leurs sous-multiples , fit imaginer ensuite
de partager le cercle en 300 degrés, pour qu'il fût en
outre divisible par tiers, sixièpies , douzièmes, &c. Ces
degrés, d'un tiers plus grands que les premiers, furent
divisés , comme eux , en cent et en mille parties ; et
l'on ne compta plus , au périmètre du globe, que 300000
staues.
Enfin, le nombre 360 offrant vingt- quatre diviseurs,
et par conséquent encore plus de facilité dans les opé-
rations, on fut porté définitivement à partager le cercle
en ^60 degrés; on les divisa comme on avoit fait jus-
qu'alors , et la circonférence de l'équateur eut 360000
stades.
Telles durent être les origines successives des trois plus
anciens systèmes métriques dont les élémens nous sont
parvenus. Pour s'en assurer , il suffit de soumettre aux
trois divisions précédentes les 4ooo myriamètres attri-
bués par nos astronomes à la circonférence de la terre ,
et d'en extraire les différens résultats, sauf à justifier en-
suite les valeurs qu'ils présenteront.
Squs ces divers aspects,
4000 myriamètres , divisés par 4^0, auroient donné,"
Mèlr.
Pour chaque degré looooo, 000.
Pour chaque centième de degré, on pour le mille itinéraire. 1000, 000.
Pour chaque millième de degré, ou pour le stade lOO, 000.
4000c milles.
Gij -
Pour la circonférence de la terre, 1 , ,
' 40C000 stades.
5 2 Mt.MOIRES DE L'ACADÉMIE
4000 myriamètres , divises par 300, auioiciu proiluit,
M cet.
Pour chaque degrt- '33353/ 3«-
Pour chaque ccnticnic de dogrc, ou pour le mille itinér;iirc. '333i jH-
Pour chaque millième de degré, ou pour le stade 133, jjj.
Tj , . f. j , i 30000 niiilt-s.
Four la circonférence de la terre, { ■' ,
( 300000 stades.
4000 myriamètres, divises par 360, auroient fait
compter,
M.it.
Pour chaque degré 1 1 1 1 1 1, 1 1 1.
Pour chaque centième de degré ,ou pour le mille itinéraire. 1 1 11, 1 1 1.
Pour chaque millième de di-gré, ou pour le stade 1 1 1, nr.
P, ■ c' j I I 36000 milles.
our la circonférence de la terre, l , ,
I 360000 stades.
Les résultats de ces réductions en mètres vont conti-
nuer de servir de bases pour l'évaluation des mesures,
dans tous les systèmes métriques suivans.
DES STADES ET DES MILLES SECONDAIRES.
Lls longueurs des mesures précédentes restèrent fixes
et indépendantes des trois ditfcrL'ntes divisions du cercle;
et quand, par la suite, le partage du degré centésimal
en soixante minutes eut prévalu sur .l'ancien partage en
cent minutes, il ne dérangea rien à ces mesu/es dé')k
consacrées par l'usage ; mais il en fit naître d'autres , de
deux tiers plus grandes , que les écrivains de l'antiquité
Suprà , jK:g. 46. nous ont aussi transmises.
On vient de voir que le degré de 400 à la tirconfé-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. jj
rence de la terre dut être de looooo mètres; si l'on di-
vise cette somme par 60, on aura,
Pour chaque soixantième, ou pour le mille itinéraire. . . 1666"", 66y.
Pour la dixième partie du mille, ou pour le stade i66 , 667.
D I • r' j I ( 24000 milles.
Pour la circonférence de la terre, { ,
( 240000 stades.
De même le degré de 300 ou de i 33333'", jj; , divisé
par 60 , donnera,
Pour le mille itinéraire 2222"", m.
Pour le stade 2.22 izi.
n I ■ r' j I (1 8000 milles.
Pour la circonférence de la terre, l „
( 1 00000 stades.
Et le degré de 3 60 ou de 1 1 1 1 1 1 '", , , , , divisé par 60 ,
produira ,
Pour le mille itinéraire 185 i", 852.
Pour le stade i8j , .S;
DIT' J I J 21600 milles,
rour la circonférence de la terre, i ^ ", ^
( 216000 stades. •
Enfin , lorsque la division du cercle en 3 60 degrés de
60 minutes chacun eut été généralement adoptée , il fallut
proportionner le nombre des milles et des stades précé-
dens à la division sexagésimale , sans rien changer à leur
valeur; et c'est alors que l'on eut, pour chaque degré,
1 1 1 milles r'
iiii stades i
83 milles f
833 stades |.
100 milles. . ,
Jooo stades. . .
66 milles J.
666 stades 4.
du stade de 4000CO à la circonférence de la terre,
du stade de 300000.
du stade de 360000.
du stade de 240000,
j4 A'.É MOIRES DE L'ACADÉMIE
50 milles ) j . 1 1 w I r- j 1
. du Jt.iiie de iboooo a la circonfcrcnceaclaicrif.
joo stades. ... j
60 milles.
600 5(adcs .
du Jtadc tfc 2i^)000.
On voit donc , comme je l'avois soupçonne, (jue les
nombres rompus et les fractîojis qui expriment mainte-
nant en milles et en stades la valeur du degré terrestre,
proviennent des seules moJiiîcations d'une mesure pri-
mitive donnée en nombres ronds, et transportée ensuite
dans les différens modes employés pour la division du
cercle et la subdivision de ses dei^rcs.
DE LA CO.MPOSITION DIS SYSTEMES MLT1UQ,UES
ANCIENS,
Le plus ancien des systèmes métriques dont je viens
de parler , avoit sans doute été précédé par des mesures
de convention prises dans les proportions du corps hu-
main , comme l'indiquent les noms de doigt , de palme,
de pieil, de coudée, d'orgyic, qui se sont conservés jusqu'à
nous. Mais le Tableau général qui termine ces Recherches,
fait voir que les auteurs de la mesure de la terre, ceux
qui en ont modilié les résultats, et ceux qui en ont com-
posé des systèmes métriques , n'ont eu aucun égard à ces
modules incertains et variables. Ils s'en inijuiétèrenl si peu,
qu'ils les remplacèrent successivement par d'autres mo-
dules auxquels ils donnèrent les mêmes noms, mais qui,
devenus ou plus grands ou plus petits, n'oHrirent bieiiiôt
que des rapports éloignés avec les objets (jii'ils avoicnt
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 55
désignes auparavant. C'est ainsi que la coudée varia chez
les anciens , depuis 250 millimètres jusqu'au-delà de 5 5 5 ,
et l'orgyie depuis i mètre jusqu'à 2"\ îî2,<|uoique l'orgyie
semble avoir été calquée originairement sur la taille com-
mune de l'homme.
Les différens milles et les diflcrens stades dont il vient
d'être question , paroissent avoir été long-temps les
moindres mesures astronomiques employées par les an-
ciens , pour exprimer l'étendue des pays , des continens , et
celle du globe entier. Mais, ces mêmes mesures étant trop
grandes pour les usages ordinaires de la vie, il fallut les
subdiviser en différentes parties, pour les rendre appli-
cables à l'aoriculture , aux arts et au commerce. Le inode
suivi pour ces premières divisions a dû être analogue à
celui qu'on avoit employé dans l'ancien partage du cercle,
c'est-à-dire que le stade a dû commencer par être divisé
en parties décimales ; et, autant qu'il est possible d'en
juger d'après l'ensemble et la forme des systèmes mé-
triques qui nous sont parvenus , on fit ,
De la dixième partie du stade, la mesure nommée amma;
Et de la centième partie du stade, la mesure nommée or|yie.
Ensuite ,
La moitié de l'orgyie donna la double coudée, que j'appellerai verge ;
Le quart donna la coudée commune ou ordinaire ;
Le huitième, la spithame ;
Et, dans cette hypothèse, le dixièn^e de la spithame forma le doigt
décimal.
Alors ,
La spithame étant de 10 doigts décimaun,.
La coudée ordinaire fut de 20 ;
La verge , de 40 ;
j6 MÉMOIRES DF. LACADÉ.MIE
L'orgyic, de fc'o doigts décimaux ;
L'amnu.de 800;
Le stade, de 8000;
Le mille, de 80000.
Q,UAND, par l.'i suite, on \()iilut substituer à i;i<.ii\ isioii
dcàmalc du stade une division diiodecinuilc , telle cju'elle
nous est parvenue, sans toucher aux mesures dont l'u-
sage s'ctoit établi , on ne fit que réduire d'un sixicme la
longueur du doigt dccinidl , pour le transformer en doigt
duodécinitil ; et les mesures précédentes, sans changer de
valeur, se trouvèrent composées, savoir:
La spithame , de 12 doigts duodécimaux ;
L.?i coudée ordinaire, de z\;
La verge, de ^'i;
L'orgyie, de 96;
L'anima, de 960;
Le stade, de 9600;
Le mille, de 96000.
Cependant, en faisant disparoître les doigts décimaux,
on ne renonça pas à suivre la progression décimale dans
l'emploi du doigt duodécimal; mais, ses produits ne pou-
vant s'appli(juer aux mesures précédentes, on en créa de
nouvelles , et lOn lorma
Le demi-pygon (1), de 10 doigts duodéciuutux ;
Le pygon , de 20 ;
Le pas simple, de )c;
Le pat double, de...' bo,
La calanie.de 160;
Le pléthre , de 1 600,
Ces dernières mesures , intercalées parmi les prccé-
(1) Cette mesure manque aujour- 1 C'en peut-cire le dichas, quoiqu'on le
d'hiil dan» la plupart de» auteur». 1 trouve plu» souvent ivalu( à 8 doigts.
DES LVSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 57
Jentes , donnent la plus grande partie de celles que les
anciens nous ont transmises. Les autres mesures n'entrent
point dans ces séries : le condyle, le palme, le dichas ,
représentent le sixième , le tiers et les deux tiers de la
spithame; la pygme vaut une spithame et demie; et le
xylon , six spithames.
Néanmoins, pour compléter les mesures, il faut réta-
blir, dans chaque système, le doïgi décimal , qu'on en a
fait disparoître depuis que la division duodécimale a été
généralement préférée. La proportion du doigt de'cimal
au doigt duodécimal est de six à cinq; et l'on verra que le
premier a servi aussi à composer des mesures dont je
parlerai dans la suite.
Je rétablis également une autre mesure nommée Grand DmcorUl De
doigt par les Grecs, Once et Pouce par les Romains. Elle llf.'""!]/ ''''ct'p.
devoit son origine au passage du doigt décimal , de la di- ^%-f%L~^^'y
vision du cercle en 4oo parties, dans la division du cercle c-^C-.l.xxvn,
en 3 60 degrés ; de sorte que le grand doigt excédoit le doigt
décimal d'un neuvième, et le doigt ^///o<^m/;/<:7/ d'un tiers.
La propriété du grand doigt, qui le faisoit admettre
dans les systèmes métriques, étoit d'y offrir un point de
comparaison , un élément commun , qui servoit à con-
vertir réciproquement les mesures de l'un de ces sys-
tèmes en mesures des deux autres ; parce que le grand
doigt du stade de 400000, par exemple , se trouvoit être
en même temps le doigt décimal du stade de 360000
et le doigt duodécimal du stade de 300000. Le grand
doigt offroit un pareil avantage pour comparer entre
Mais Edouard Bernard ( De mensur.
et ponderib. , pag. ipjj cite des ma-
nuscrits où le dichas est fixé à 10
doigts.
Tome VJ, H
jS MEMOIRES DE L'ACADEMIE
eux les stades de i.joooo, de 216000 et de 180000.
D'ailleurs, les multiples duodécimaux du grand doigt
produisirent deux mesures très-usuelles, dont l'origine ne
s'explicjueroit pas , si on ne la puisoit dans ce inodule :
L'une est le pied , compose de douze grands doigts ou de
douze pouces, qui répondent à seize doigts duodécimaux.
L'autre est la grande coudée, de vingt-quatre grands
doigts, valant trente-deux doigts duodécimaux.
Toutes les mesures précédentes, et celles que fourni-
ront les trois stades dont je vais parler , se trouvent réu-
nies dans le Tableau général , ainsi que leurs valeurs dans
chacun des systèmes qu'il renferme.
DES STADES ET DES MILLES TF KTI ^I RES.
Recherchons maintenant d'où provenoient les stades
de 270000, de 225000, de 250000 ou 252000, à la
circonférence de la terre, que je désignerai sous les noms
de stade itnli^ue , de stade du doihjuc syrien , de stade dit
CdtMTiH.DfAïc d'Erûtosthàic; et voyons si les élémens dont ils se com-
"•"■'''^^•'r-x'"- posent, permettent de r^jttacher leur origine à celle des
r/in. tif. Il, stades primitifs.
OI/I. 21.
f"' STADE ITALIQUE.
)o. .'(" •ym. p.
jj_'-^ m.Cv Parmi les anciens dont nous possédons les ouvrages ,
Coiymtii. Dt rc Ccpsorin est le seul qui ait nommé le stade italique , en
msik.t, lit. V. ,. , • • • I I II
iipi. p. ),'<•■ disant que ce stade contenoit 025 pieds, et le stadeoiym-
f'><^ /A i>ique 600 pieds. Ce passage, r.ipprochéde ceux de Pline,
xy.Mf.i;. de Frontin, de Columclle , d'Isidore de Séville, qui tous
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 59
donnent 625 pieds ou 125 pas au stade de huit au mille
romain, a fait croire à plusieurs critiques que Censorin
ne s'est pas aperçu qu'il parloit d'un même stade dont
la valeur lui ctoit donnée sous deux aspects, en pieds
romains par les auteurs romains , en pieds grecs par les
écrivains grecs ; et qu'il assignoit précisément la même
longueur aux deux stades dont il fait mention. En effet,
la différence du pied romain au pied grec étant de 24
à 25, les 625 pieds romains valoient 600 pieds grecs
ou un stade olympique.
Cette opinion , toute plausible qu'elle ait paru , n'ex-
plique point la difficulté que présente ce passage, et y
laisse une autre erreur qui sert encore à prouver que
Censorin ne s'étoit pas fait une idée nette de la valeur
des stades dont il vouloit parler : c'est lorsque , donnant
mille pieds de longueur au stade pythique , il semble le
présenter comme le plus grand de tous ceux que les
Grecs ont connus ; ce qui seroit notoirement faux.
Les méprises de Censorin me paroissent venir de ce qu'il
a appliqué aux stades les différences qui appartenoient aux
pieds dont il les compose. Ainsi , au lieu de donner
600 pieds au stade olympique,
62') pieds au stade italique,
, 1000 pieds au stade pythique,
il me semble qu'il auroit dû s'exprimer de la manière
suivante : Le stade. . . . employé par Pytliagore , pour indi-
quer la distance de la terre à chacune des planètes . ... est
celui qui confient
600 pieds du stade olympique ,
62J pieds du stade italique ,
1000 pieds du stade pythique. ^
Hij
6o MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
On voit en effet , J'aprcs mon Tableau gcncral, que
600 picdsdti stadede 216000 donnent le stadeolynipique de iSj", lïr
625 pifds du stade de 225000, mêmes pieds que ceux du
lufra,pitr.ti, mille romain, qui est, comme on le verra, le mille
Si,Sj,Sj. du stade ;7<j/;<^H^, ou de 270000, donnent également 185 ,185.
1000 pieds du stade de 360000 produisent aussi 'i^J 1 '8;.
Et il en rcbiilte, sans incertitude , que le stade employé
par Pyiluigore t'toit le stade olympique. Aussi trouve-
vin//- Cf//..\Wr t-on dans Aulu-Gelle que, selon Plutarque, le plus
w •*,'}?''" ' grand des stades connus dans la Grèce, au temps de
Pythagore , ctoit le stade olympicjue, et <jiie ce philo-
sophe s'ctoit servi du pied de ce même stade pour éva-
luer la taille d'Hercule.
On reconnoitra, en mîme temps , que le stade py-
thique , loin d'avoir été l'un des plus grands stades, comme
Censorin paroît l'avoir cru, étoit au contraire l'un des plus
petits, c'est-à-dire celui de 360000 a la circonférence de
Païuat.Phwrii. la terre; et ce fait s'accorde avec le passage de Pausanias
csp.vn.p.Si^. ^^^ jj ^.jj jj( ^^,^.^ d'après un décret des amphictyons, les
enfans seuls pouvoient disputer à Delphes le prix de la
course , soit du dolique, soit du diaule ou stade doublé.
Au RESTE, ces méprises n'empcchent pas que Censorin
n'ait eu au moins une idée confuse de l'existence d'un stade
litfra.p^.it;. appelé itûliijue: et comme on trouve dans Héron un pied
italiijue , il n'est guère possible de douter qu'il n'y ait eu,
sous la dénomination de ce stade, un s)sttme métrique
quelconque.
Mais la difficulté est de savoir quel pouvoit être ce
stade. Il me semble que le surnom qu'on lui donnoit , in-
dique clairement qu'il étoit employé en Italie; et en effet,
/«y
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 6i
quoique les Romains eussent divisé leurs grands chemins
en milles itinéraires , on trouve des exemples qui annon-
cent que l'usage du stade s'est conserve' en Italie jusque
sous le Bas-Empire.
Strabon , qui avoit séjourné à Rome , donne , pour la Stmt. iik. v,
distance de cette ville à celle âiAricia, \6q stades, tandis '"f"'^'.
' Anlonmt Aii-
que les Itinéraires la fixent à i 6 milles. g"^'- ii'ncrar. p.
i-ii / \t A 1 \ T T I I "'^' hincrar.
iLX. la traversée d/îtf/o// a Hydniiitiim est marquée, dans Hierosoijmiuw.
l'Itinéraire de Jérusalem, à looo stades, nui font, dit l'au- ''"'?• "'' u-
teur, 100 milles. îolymimn.p.éo^.
Ainsi le stade dont parlent ces écrivains , étoit de dix
au niijie romain. J'ai évalué ce mille, dans mon premier
Mémoire, à 760 toises 7 pouces 8, i^o lignes, qui re-
présentent 148 i'", 481 : le stade italique étoit donc de
148'", ,48, ou de 750 au degré, ou de 270000 à la cir-
conférence de la terre; et c'est sous cette dernière indi-
cation qu'on le trouvera dans le Tableau général.
Néanmoins, pour que l'exactitude de ce stade ne soit
pas contestée, il faut qu'il puisse se rattacher par ses élé-
mens à l'un des stades primitifs ; et il s'y rattache en effet,
puisque, d'après le Tableau général, on voit que c'est en
prenant le grand doigt du stade de 3(5oooo, pour en
former le doigt duodécimal du stade de 270000, ou, ce /
qui revient au même , en prenant la grande coudée de
32 doigts du premier, pour en faire la coudée commune
de 24 doigts du second, que l'on a composé ce dernier
système.
D'un autre côté , tous les anciens ayant comparé le
mille romain à huit stades olympiques de 216000, il
falloit que ces stades fussent plus longs d'un quart que le
Vovf/ /. r I
t i:i
61 MIMOIRES DL L'ACADÉMIE
statle italique: or, si aux 148'", ,4s prcccdens on ajout?
un quart, ou aura juste 185'", ,?;, qui, dans le Tableau
gcnc^ral, représentent la valeur du stade olympique. Ainsi
tout concourt à prouver que le stade italique et le mille
romain avoient aussi pour base ime partie ali({uoie de l.i
circonférence de la terre.
STADE DU DOL/QUE SYRIEy.
Jlsql'À présent les modernes qui ont parie des doli-
ques, les ont considères simplement comme désignant des
carrières de difiérentes longueurs, qu'on avoit à parcourir
dans les jeux publics de la Grèce; mais on verra dans la
suite que les doliques étoient de véritables milles itiné-
raires.
Je ne parlerai ici que du dolique syrien donné par
Saint Épiphane pour être de douze stades; et quand il
sera question des systèmes métri([ues rapportés par cet
auteur, je montrerai que le stade dont il compose le
dolique, étoit le stade italique. Or je viens de dire que ce
stade étoit de 148'", 148 : si on le multiplie par douze,
on a 1777""! 778 pour le dolique syrien; et si on le divise
par dix, comme tous les autres milles, pour en extraire
la valeur du stade qui lui est propre, on aura 1 77'", 778 : ce
stade sera contenu 625 fois dans le degré, ou 225000 lois
dans la circonférence du globe.
De plus, le doigt duodécimal, ou, si l'on \c'ui, la
petite coudée de ce stade, ayant respectiveineni la même
vîileur que le grand doigt ou la grande coudée de celui
lie j 00000 , on voit que le stade du dolique syrien étoit
une simple modification de cet -ancien système , et que
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 6t,
tous ses élémens offroient des parties aliqiiotes du degré
terrestre.
Mais on demandera des preuves de i'existence de ce
stade , qu'aucun auteur moderne ne paroît avoir aperçu ;
elles se présenteront dans la suite : je me borne ici à un
seul exemple tiré d'un passage de Strabon , qui n'a pas
encore été bien expliqué.
Ce géographe, en parlant de la \o\e Egtuitia, qui se
prolongeoit dans la Macédoine et dans la Thrace , dit:
«Cette route est mesurée par des pierres milliaires , et Strak/iki^//..
» comprend un espace de 5 3 5 milles. Si, comme on le ^ "' ^~^'
» fait ordinairement, on évalue le mille à huit stades,
» on aura 4^80 stades; mais, si l'on suit le calcul de
" Polybe, qui ajoute deux plèthres ou un tiers de stade
» pour chaque mille, il faudra compter 178 stades de
" plus. "
Le stade de huit au mille , dont parle Strabon , est le
stade olympique ; et l'évaluation du mille à huit stades
et un tiers, donnée par Polybe, est d'autant plus remar-
quable, qu'en décrivant la route suivie par Annibal ,
depuis la Nouvelle-Carthage jusqu'au Rhône, l'historien
grec observe que cette route est bordée de pierres mil-
liaires p/acees de huit stades eu huit stades. Ainsi Polybe Polyi/ Histêr..
connoissoit la proportion du mille romain au stade olym- '"^'".i yy
pique; il n'est donc pas possible de prendre son autre
évaluation pour une méprise , et il faut reconnoître que
le stade de huit au mille romain et celui de huit et un
tiers étoient des stades difFérens.
En effet, le mille romain étant de 148 i"", 481 , si on Suprà.pag.6,,.
le divise par huit et un tiers, on aura, pour le stade "-"f"^-f^>-
^4 MF.MOIRE5 DE L'ACADEMIE
indiqué par Polybe, 177'", 778, et tcsi prcciscment celui
du doliijue syrien.
Je reviendrai d'ailleurs sur cet objet ; et je montrerai
des traces multipliées de l'emploi de ce stade à des épo-
ques ircs-difTcrentes , avant et après le siècle de cet his-
torien.
STADE DIT D ÉRATOS THÈSE.
Il me reste à parler du stade qu'on attribue ordinai-
rement à Ératosthène; et, sans m'arrcter à faire voir que
CUomtJ. AU- l'opération décrite par Cléomède , et tiu'il semble prêter
TJ-Mg. 2'ss' ^ ^^^ ancien, pour obtenir une mesure de la terre, n'of-
friroit, dans ses bases, que des suppositions fausses, je
me borne à chercher si ce stade de 250000 ou de
152000 à la circonférence du globe peut se rattacher par
quehju'une de ses parties à l'un des stades primitifs.
Le stade de 252000 ne présente rien dans ses sub-
divisions dont on puisse se servir pour le comparer à ces
anciens stades. Mais, d'après le Tableau général, le doigt
duodécimal de celui de 250000 se trouvant égal au doigt
décimal du stade de 300000, on voit que c'est avec les
multiples de ce dernier élément qu'on a lormé le nouveau
stade de 160 mètres, ou de 694 "7 'i" d^g'é. II est pro-
bable, d'ailleurs, que c'est pour éviter ce nombre fraction-
naire qu'on a ensuite supposé ce stade de 700 au degré,
ou de 252000 à la circonférence de l'équateur.
En prenant le doigt décimal du stade de 300000 pour
en faire un doigt duodécimal , et en le multipliant 5)600
Sffri.fttg.jh. fois au lieu de 8000 fois, il en e^t résulté un stade plus
grand d'un cinquième que celui de ^00000, et qui ne
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 65
se trouvoit pins compris que 250000 fois dans le péri-
mètre de la terre. Ce nouveau stade, employé isolément,
pouvoit offrir des résultats exacts dans la réduction des
mesures en degrés, ou des mesures prises avec d'autres
stades, pourvu que l'on tînt compte de la différence des
modules. Mais Ératosthène ne s'est point douté de l'iné-
galité de ces stades; il les a confondus, et cette méprise
est la cause des erreurs qu'il a commises dans la déter-
mination de ses longitudes, en publiant son système géo-
graphique. Il est facile de s'en assurer.
Lorsque j'ai réuni les mesures employées par cet ancien, sous le
trente-sixième parallèle, pour établir la longueur du continent, de- Voyez mes Rt-
puis le cap Sacré de l'Ibérie jusqu'à Thivœ , j'ai fait voir qu'il évaluoit J "' '' '
cet intervalle à 7 1 600 stades de 700 au degré d'un grand cercle de
la terre; qu'il en concluoit i 26° 25' 57" de différence en longitude,
et qu'il se trompoit en plus d'environ vingt degrés.
J'ai montré aussi que ces 71(^00 stades étoient de 300000 à la
circonférence du globe , ou de 8 3 3 j au degré , et que , réduits au
parallèle précédent, ils bornoient la distance de ces lieux, comme
le font nos observations modernes , à 1 06° i 2' 6"
En substituant au stade de 8 3 3 j celui de (î<;4 f >
Eratosthène auroit augmenté cet intervalle d'un cin-
quième ou, de 21. 1 4. 3 2.
_ /
et il auroit fixé Thince à 1 27. 26. 3 8.
Mais , pour éviter la fraction et pour arrondir le
nombre de ce dernier stade , il l'a porté à 700 , en
raccourcissant de -~ : il faut donc soustraire de cette
graduation i . o. 4 1 .
II restera 126. 25. 57.
Et c'est, comme je viens de le dire, la distance que cet ancien
Tome Vi. I
66 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
supposolt entre le méridien du c;iji Sjcn' et celui de T/iintp. D'où il
suit que le stade employé parEratosihène n'étoit pas le résultat d'une
nouvelle mesure de la terre, mais seulement une comliinaison par-
ticulière aux Egyi)tiens, d'une portion du stade de 300CCO, dont il
n'a j)as su distinguer la valeur ; ce qui montre encore que, chez ces
peuj)lcs , l'usage du stade de 2 j 2000 avoit précédé ré})oque de la
conquête des Macédoniens.
Je place néanmoins le stade de 252000 avec celui
de 250000 dans le Tableau général , parce qu'il est quel-
quefois utile de les consulter I un et l'autre , pour se
rendre cojnpte des mesures employées par les géographes
de l'Lcule d Alexandrie.
PREUVES DES ÉVALUATIONS PRÉCÉDENTES.
Voilà donc neuf stades et neuf milles itinéraires qui
ont incontestablement pour base un seul et nuine type
primitif, combiné, modifié de différentes manières. Dcs-
lors on conv'oit que, si l'on parvient à connoître exac-
tement la valeur de l'un de ces stades ou de l'un de
ces milles , ou seidcment de l'une des portions dans les-
quelles ils se subdivisoient , on aura la valeur de tous
les autres avec une égale précision ; et la recherche des
mesures de longueur employées par les anciens se trou-
vera considérablement simplifiée.
Pour justifier les évaluations que j'ai données jusqu'à
présent , et pour montrer que les inesures contenues dans
mon Tableau sont conformes à celles que les anciens ont
employées, je croîs jiouvoir rappeler avec confiance les
résultats des travaux qu'ils ont exécutés bien avant lé-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 67
pDque de la fondation de l'Ecole d'Alexandrie, pour fixer,
dans le sens des longitudes , la distance des principaux
lieux de la terre : opération si difficile , que c'est depuis
un siècle seulement que les nations les plus instruites de
l'Eurc^e ont pu commencer à s'en assurer; encore est-il
douteux que, pour certaines positions, elles aient mieux
réussi que les anciens. Q.uoi qu'il en soit , pour épargner
au lecteur la peine de recourir à mon premier Mémoire,
je répéterai ici le tableau de ces distances.
Principaux Points dont Us distances en Longitude
ont été observées par les Anciens,
DENOMINATION
DES LIEUX.
Du cap Sacré au détroit dcb Colonnes d'Hercule.
Du cap Siicri au détroit de Sicile. . . . *
Du détroit des Cohnnet à Hliodcs
Du caj> ^afré à Ijjui
Du cap Sacré aux Portes Caspienncs
Du détroit des Colonnes aux sources de V Indus. . .
Du cap Saeri à Thina
DISTANCES
STADES
de
Degré.
2000
16300
22300
30300
41600
52600
71600
DEGRES
SOUS le 36.'
parallèle.
(/. m.
ï- 57- 5!)
24. 10. 37
^■)■ t- )>
61. 42. 13
78. 1. 10
106. 12. 6
en
DEGRÉS
selon
les
Modernes.
3. 10.
33- '■>■ i-,
44- 40.
6.. î.
77. 42.
io6. 27. o
DIFFERENCES
O. 12
— O. 26.
O. 1 I
•4-0. 16.
+ °- 37
+ o. 19
— o. 14.
5*
Et l'on voit à quelle précision les anciens étoient par-
venus , puisque la distance qu'ils avoient fixée entre le
méridien du cap Sacré ou de Saint-Vincent du Portugal , et
6^ MÉMOIRES DF, L'ACADEMIE
le mL-ricIIen de Tliiiut ou Tana-scrim , dans le royaume de
Sian , diffcre seiileiiiem de 14 minutes 54 secondes de
nos observations modernes , c'est-à-dire de quatre lieues
sur I J2 2 lieues marines prises en ligne droite; tandis qu'à
des époques trcs-postcrieures Eratosthcne s'est trompe en
plus de 327 lieues; Ptoicmce , de iipo lieues; et que
toute l'Europe se trompoit encore, au commencement du
siècle dernier, de plus de 400 lieues sur le même in-
tervalle.
Il me paroît donc impossible de nier l'exactitude du
stade de S33 y au degré, ou de 300000 à la circonfé-
rence du globe; et, par une conséquence nécessaire,
l'exactitude des autres stades ne peut être contestée, puis-
qu'ils reposent tous , comme celui-ci , sur une mcme base
astronomique.
Maintenant je dois montrer que les mesures usuelles
des anciens dérivoientde la longueur des stades, et qu'elles
en offroient des subdivisions plus ou moins grandes. Pour
s'en assurer, il suffira d'examiner le petit nombre de mo-
niimens authentiques qui présentent iminédiafement le
module d'une mesure ancienne.
XojnmfiKe J'ai dit (juc If milieu entre dix mesures 6u pied ro-
main donnoit 131 lignes \^ de notre pied de roi,
ou O*", ly'iSiijo.
Si l'on multiplie ce nombre par 5000, on aura, pour
le mille romain composé de 5000 pieds, i 48 1 ■", 4017,0 ,
et pour sa dixième partie ou le stade italique i4'^'". 'i^r; ;
ce qui nt- ditrère de l'évaluation présentée dans mon
Tableau général , pour le stade de 270000, que de
(h/nka , t. I\
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 69
o"", 007573 , ou 3 lignes ~ , sur une longueur d'environ
y 6 toises.
J'ai dit aussi que le frontispice du Parthcnon d'Athènes,
surnomme Hecatowpedon , parce que sa longueur étoit de
cent pieds grecs, avoit été mesuré, et trouvé de c)^ pieds
de roi juste, ou de ^o"^, 8^^743.
Ce nombre multiplié par six pour compléter la va-
leur du stade, toujours composé de 600 pieds, donne AuU-Gdl.Noa.
8 , , , . , ^ attic.lih. l,c,:v.!,
5™, 153458 pour le stade olympique, ou de 216000, et /«^'. ,/.
diffère d'avec mon Tableau , seulement de o'", 016717 , ou
de moins d'un pouce siy pj toises de longueur.
Dans le même Tableau , le pied de ce stade est
de o"", 308(142 : selon la mesure prise sur les lieux, il seroit
de o™, 3o<îsr,7 , c'est-à-dire, plus court de o"", 000045 ou d'un
cinquantième de ligne.
Ces différences sont trop légères pour qu'elles puissent
faire naître des difficultés , sur-tout si l'on se rappelle ce
que j'ai dit sur les incertitudes que laissera toujours la Voye?. «vç /?.•-
méthode de conclure de grandes mesures d'après l'agré- l'^V/<:s%/. '
gation d'une multitude de petits élémens problématiques.
Mais une découverte qu'on doit à M. Girard , celle y
de la coudée du nilomètre d'Eléphantine, dont il se sert
pour composer des mesures qui ne s'accordent pas avec
les miennes , demande que je m'y arrête un instant.
Cet habile ingénieur a vu , sur les murs de ce monu- Gimrd. au
j-li Jl' I ' • I •! "loire sur /e nilo-
ment, les traces de plusieurs coudées anciennes, dont il mitredtVned'È-
a déduit une coudée moyenne de 527 millimètres: il la ^'T^Minc , dans
■^ ' I ' l.i Uescriytion de
multiplie 4oo fois pour en former un stade de 210"", 7^3 , l'i gypte.nm.l,
et il évalue d'après cette base toutes les mesures indiquées i^/';>4.'*
70 .MrMOIRES DE L'ACADEMIII
par Héron. Ce stade auroit ctc comcnu environ jiy fois
dans le degré, et ib'c>';'5 5 fois dans la circonférence de
la terre.
Je ne trouve dans l'antiquité rien tjui rappelle un stade
semblable; et comi.ieses élémens ne le rattachent àaucun
des stades dont j'ai parlé, je soupçonne quelque méprise
dans l'emploi qu'a fait M. Girard de la coudée d'tlé-
plianiine.
Lerreur consisieroit à avoir pris cette mesure pour lu
coudée de vingt-quatre doigts d'un stade incoiuiu , tandis
que la coudée d'tlépliantine oHroit celle de trente-deux
doigts dn stade égyptien de 700 au degré ou de 252000
au périmètre du globe ; et dès-lors les 527 millimètres
dévoient être multipliés par 300 et non par 400» pour
produire la valeur du stade.
\'oseiJi*'lt Dans mon Tableau, la coudée de 32 doigts, ou de
J0t!,7('' ^l'x',".-'. 3°° ^" stade dont je parle, est de o"", ii,.oi : elle diffère
la gT,i«Jt nnJfç seulement de deu.\ millimètres de celle de M. Girard;
di3i2Q0P. et cette différence, en la supposant réelle, ne produiroii
(jue o"", t,o , ou un pied onze pouces trois lignes, de plus
ou de moins, sur la longueur du stade.
Une autre mesure fort importante confirme inon opi-
nion sur la coudée d'Elépliantine.
Pim.'xxxyi, Pline, d'après les renscignemens qu'il a\(>ii recueillis,
donne à la base de la grande pyramide S8j pieds.
Mrm. ,f( a; mm. Le Pcre et Coutelle ont retrouvé les mortaises
Cirtrtif, , ,111 • I ■ I •
creusées dans le rocher pour retenir les pierres angulaires
du revêtement de celte pyramide : ils ont mesuré l'inter-
valle des angles, et l'ont reconnu de 232'", ' -;.
"P
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 71
Dans mon Tableau général , le pied du stade de
252000 est de o"", i«4;io ; si on le multiplie par 88j, on
a 2^^*", 597«so , et c'est, à moins d'un mètre près, la me-
sure précédente. Ainsi le pied indiqué par Pline est bien
le pied de seize doigts ou la six-centième partie du stade
de 2 5 2000 , et non une spithame de douze doigts, comme
le veut M. Girard; et ce pied se trouvant être en mcme
temps la demi-coudée d'Éléphantine , il s'ensuit que cette
coudée est celle de 3 2 doigts.
La mesure de Pline et Tévahiation que j'en déduis se
trouvent encore fortifiées par le témoignage de Philon de riuio Bjz.mi.
Byzauce, qui donne six stades de circonférence à cette rao?"'lJ,d""j
pyramide. Cronov.UThe-
oa base , comme on vient de le voir» étant de 2 î 2"", ccts , inùquitat. wm.
si on la quadruple , on a ^30™, 67,2, pour la circonférence;
et cette somme , divisée par six , porte le stade indiqué
par Philon à i 5 5"", 1,19 : c'est, à trois mètres et demi près,
le stade égyptien de 252000, tel qu'on le trouve dans le
Tableau général.
Je mets donc au nombre des preuves qui justifient mes
évaluations la mesure prise par M. Girard, quoique nous
en tirions chacun des résultats fort différens. Je dirai dans
la suite pourquoi la coudée de 3 2 doigts a été employée
dans le nilomètre d'Eléphantine; j'expliquerai l'usage des
divisions que M. -Girard y a trouvées, et qui lui ont fait
croire que les anciens avoient eu des coudées de sept
palmes.
VIII, l'ag. 2669^
72 MF.WOIRES DE L'ACADEMIE
Je ne conn'ois pas d'auires mesures positives dont la
comparaison puisse servir dans cet examen. Mais, comme
on a vu tous les stades dont j'ai parle sortir d'un module
commun , il sufîlsoit d'un seul exemple pour constater,
I ." Q.u'il y eut une époque dans l'antiquité où l'étendue
de la circonférence de la terre et la valeur de ses degrés
ont été connues avec une trcs-grande précision ;
2.° Que les différens systèmes métriques que les an-
ciens nous ont transmis , ont eu pour base une des
parties aliquotes de cette circonférence ;
3." Q.ue le système de division du cercle en 4 o" de-
grés , renouvelé par nos astronomes , et les opérations
qu'ils ont faites pour déterminer la valeur du degré moyen
de la terre, confirment l'exactitude des mesures anciennes,
et achèvent de prouver qu'il est possible de les ramener
à un tvpe primitif
SECONDE
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 73
SECONDE PARTIE.
SYSTEMES MÉTRIQ.UES IRRÉGULIERS.
Je viens de considérer les principaux systèmes mé-
triques anciens dans leur ensemble et dans leur première ,]
régularité ; je parlerai maintenant de ceux qui, d'après le 1
mélange des mesures dont ils sont composés, annoncent
une origine postérieure. C'est dans la. comparaison des
milles itinéraires, des parasanges ou des schœnes , avec
les stades , que l'irrégularité de ces nouveaux systèmes se
fait sur-tout remarquer ; mais on reconnoît bientôt que
ces mesures hétérogènes se rattachent toutes aux bases
que j'ai indiquées. I
On a vu les milles avoir une origine commune avec S„i<rà . p,:g, ■
celle des stades, et dériver, comme eux, des différentes '^' '^' '
modifications d'une seule mesure de la terre. Les milles
contenoient toujours dix stades des systèmes auxquels ils y
appartenoient; chaque stade étoit composé de cent or-
gyies: ainsi mille orgyies formoient le mille itinéraire,
et lui ont fait donner le nom qu'il a porté dans la suite.
L'usage de cette mesure paroît aussi ancien que celui du
J I I ' I 1 iT /i *K limer, cap.
Stade : on la trouve employée chez les Hcbreux^ des le xxxv.,m./i.
temps de Moyse ; on l'aperçoit chez les Grecs dès le '^'
l'i I ' I N I M ' I I !• ^Hcrodo'.l. IV,
temps d Hérodote" , quand il évalue les distances en f.4t,pag.:ipS;
milliers d'orgyies , et principalement lorsqu'il compare ^;oo!'J''.' '"'"'
Tome VI. K
7/i .MEMOIRES DE I. ACADEMIE
iccoro orgyics à icoo sindes ,
I I I r :'rr o'i;\ it's à i i loo siadcs ,
3 ", yici ù 3300 stades ;
car il est facile de reconnoître que le mille ilincraiic de
dix stades, ou de mille oigyies, se trou\e implicitement
c^noncc dans ces mesures, puisque c'est comme si l'auteur
avoit dit que
La première étoit de ico milles ;
La seconde, de 1 110 milles ;
La troisicm».' , de 330 milles.
Il a donc pu exister autant d'espèces de milles (jue de
stades diffcrens ; et si les Grecs nous ont transmis moins
de distances dans l'une de ces mesures que dans l'autre,
c'est sans doute parce que le peu d'étendue de leur terri-
toire leur avoit fait préférer , dès les premiers temps,
l'usage des petites mesures à celui des plus grandes.
Le blsoin d'exprimer les distances par le temps qu'on
employoit à les parcourir, paroît avoir fait imaginer le
schœne ou la parasange , qui me semblent être la même
mesure énoncée quelquefois en stailes ou en milles de
modules difFérens (1), comme on le verra bientôt. Cette
mesure , selon toute apparence, indiquoit l'espace qu'un
homme, dans une marche ordinaire, pouvoit franchir
Vojrei Htn^i.
lit. II. J". 6.
Sirai. m. XI ,
pjg. !iS. /yo^
lit. Xt'll , p/ig.
PIn.l.V.c il.
lit. XII, (itp. fo.
Pifiltm. Cffgr
lit. I , tap. II.
(1) On trouve le schœne évalue
à }0 stades par Artémidore ,
Pline, l'tolém«fc et Héron;
à 40 stade» par Eratosthcne ,
Théopliane et Strahon ;
à 60 stades par Hérodote, Ar-
témidore et Strabon.
La parasange est également évaluée
à 30 stades par Hérodote, Artémi-
dore, Strabon et Héron;
à 40 stades par Strabon ;
à 60 stades par Strabon.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 75
pendant la durée d'une heure. La parasange fut coinposce
originairement de 30 stades ou île trois milles itinéraires;
et il est possible qu'il y ait eu autant de paa'asanges di-
verses que d'espèces de stades et de milles.
Tant que les systèmes métriques ne furent pas mé-
langés, la réduction des stades en milles et des milles en
stades, ou de ces mesures en parasanges, n'offrit aucune
difficulté. Mais lorsque, par des émigrations successives,
par des conquêtes , ou par d'autres événemens , les mesures
d'une contrée furent transportées dans une autre; quand
un peuple qui se servoit d'un stade quelconque , vint
habiter un pays où les distances étoient comptées en
milles composés d'un autre stade, l'emploi simultané de
ces mesures hétérogènes obligea d'en déterminer les rap-
ports , et de là sont venuesles distinctions, si embarras-
santes aujourd'hui , de ces milles comparés., tantôt à sept
stades , tantôt à sept stades et demi , à huit stades , à huit
stades et un tiers, à dix stades , à douze stades , &c. (i)
Pour reconnoître ces mesures et apprécier leurs valeurs,
(i) On trouve le mille évalué
à 7 stades dans Procope, Saint
Epiphane, Moyse de Cho-
rène,Hésychius,Suidas,&c.
Le Scholiastede Lucien (ad
lairomen. J. i , toin. Il ,
P'^ë' 75' ) > ''près avoir dit
que le mille est de y stades ,
ajoute : quelqms auteurs plus
anciens veulent qu'il soit de
dix stades ;
à 7 stades j dans Pluiarque,
Dion-Cassius , Saint Epi-
phane , Jtilien d'Ascalon , Hé-
ron d'Alexandrie, Photius, Sui-
das, le Périple du Pont-Euxin ,
le Scholiastede Lucien, &c.;
à 8 stades dans Polybe , Strabon ,
Vitruve, Columelle, Frontin,
Pline, Suidas, (Sec. ;
à 8 stades j dans Polybe et Julien
d'Ascalon ;
à 10 stades dans Strabon, l'Itiné-
raire de Jérusalem , le Scho-
liaste de Lucien ( l. l.J ;
à I 2 stades dans Saint Epiphane.
Kij
76 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
il faut observer que les difFcrens milles dont il est question
étoient composés de dix stades, comme tous les autres,
et <|ue, s'ils paroisseiit en contenir iilus cm iiK.ins, cest
qu'ils se trouvent compares à des stades ou plus petits
ou plus grands que ceux des systèmes auxquels ils ap-
partcnoient.
Ainsi, par exemple, dan,^ le mille Je sept stades, la
différence numérique des stades du mille aux stades indi-
qués étant de lo à 7 , la différence des longueurs devient
comme 7 à 10; et cette proportion étant celle du stade
de 360000 au stade de 252000, il s'ensuit, d'après le
Tableau général, que le mille composé de sept stades du
second système doit être de i i i i'", .., , qui présentent
exclusivement la valeur de dix stades du premier.
Les dix stades contenus dans ce Tableau pourroient
fournir quarante combinaisons de ce genre, sans les addi-
tionner autrement que de demi-stade en demi-stade, et
sans augmenter le nombre des Tnilles que présente le
même Tableau. Mais, comme il est très-vraisemblable
qu'on n'a pas fait usage de toutes ces variétés , je me
bornerai à offrir celles qui se rapportent aux passages des
auteurs que nous possédons. Ainsi ,
7 stades de.... 252000 valent un mille ou 10 stades de 360000.
7 stades ; de. .
300000 400000.
270000 360000.
225000 300000.
I 80000 240000.
! 240000 300000.
216000 270000.
1 80CCO 225000.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. -77
300000 360000.
. , 250000 300000.
8 stades i de. . .( ^^^^^^ _ ,^0000.
180000 216000.
360000 300000
12 stades de
-,00000 2500C0.
270000 225000.
216000 180000.
Ou , si l'on veut,
Un mille du stade de... 360000 vaut 7 stades de.... 252000.
! 400000 vaut 7 stades \ de. . . 300000.
360C00 270000.
300000 22)000.
240000 1 80000.
! 300000 vaut 8 stades de.... 240000.
270000 2160C0.
225000 I 80000.
360000 vaut 8 stades -J- de ,. . 300000.
,-, -Il j j j ] 300000 2^0000.
Un mdle des stades de.. < -" •' .
270000 225000.
21 6000 1 80000.
300000 vaut 12 stades de... 360000.
,, Il J J J ) 250C00 ÎOOOOO.
Un mille des stades de..< ' 3^^^^^^.
225000 2700C0.
I 80000 21 6000.
D'après ces rapprochemens , les milles composés de
7 stades 4-, de 8 stades, de 8 stades -f et de 12 stades,
pouvant appartenir à difFcrens systèmes, laissent de l'in-
certitude dans le choix de celui où l'on devra les placer;
mais des circonstances accessoires , dont je produirai des
exemples, aideront à lever ces incertitudes.
J'ai annoncé que les dolicjues e'toient aussi des milles SuprA.f.'iz..
rS MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
itiiic'raires. Pour sVn convaincre, il sufTit de consiJcrer
que les dilfcrens cloliques dont hi longueur nous est don-
née par les anciens , sont tous composes d Un nombre
fixe de stades, et que ce nombre est quelquefois pareil
à celui des stades qui forment ies milles du tableau pré-
cèdent; de sorte que le nom de dolique et celui ilc mille
semblent avoir une signification identi(|ue. On trouve en
effet le dolique évalue, par quelques auteurs, à 7 stades;
par d'autres, à 12 stades, à 20» stades et même à 24
stades (1). Les deux premiers doliques offrent visil)lement
les mêmes valeurs que les milles de 7 et de i 2 stades
dont il vient d'être question; et, en suivant l.i même
méthode d'évaluation , je trouve que le dolique de 20
stades devoitêtre composé de 20 stades de 360000, qu'il
valoit 2222'", î;î, et qu'il représentoit le mille de dix
\' oyez If T.,- stades de 180000. Quant au dolique de 24 stades,
t.w gi»^,, . ^-Q,|,rne il surpasseroit en longueur tous les milles connus,
il est vraisemblable qu'il contenoit 24 stades olympiques
de 2 1 6000 ou 4444'"» 4'« » <^' ^^' " «Jésignoit la parasange
Voyei UT.: de îo stades de 270000 ou trois milles romains. Cette
mesure paroîtra dans plusieurs des systèmes suivans.
Il faut attribuer encore au mélange îles mesures, causé
par celui des peuples , l'évaluation de la parasange à
(1) Le dolique est évalué
à 7 stades dans le Scholiajtu
d'Aristophane , dans un
Scholiatie de Xénophon
et dans Suidns;
à 12 stadt-j dam Saint Epi-
p'r.ine ;
à xo srarics dans le Scholiaste
d'Liiripide , dans celui de
Lucien et dans le Lexique
di* Zonaras;
•^ 2.j siaJcs dans Suidas.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 79
quarante stades ou quatre milles , celle qui la porte à
soixante stades ou six milles , et celle qui la compose de
stades et de milles étrangers les uns aux autres. Chaque
système métrique n'ayant eu d'abord qu'une seule pani-
sange de 30 stades, la plupart des autres combinaisons
ont eu pour objet d'indiquer une mesure au moyen de
laquelle des systèmes difFérens pouvoient se comparer et
s'assimiler, en permettant d'introduire dans l'un la para-
sange de l'autre. Ces intercalations n'offrent souvent que
la répétition d'une même mesure qui passe dans deux ou
dans trois systèmes, sans changer de valeur, quoiqu'elle
y paroisse composée d'un nombre de stades ou de milles
plus considérable qu'auparavant. C'est ainsi
Que les parasanges de 30 stades ou de 3 milles des Voy-t?. ir Ta^
systèmes de 300000, de 270000 et de 225000, furent ^^'''"' S""'"^-
également celles de 4° stades ou de 4 milles des sys-
tèmes de 4ooooo.de 360000 et de 300000;
Que la parasange de 4o stades de i 80000 devint celle
de 60 stades de 270000;
Et que la parasange de 30 stades de j 80000 fut à-la-
fois celle de 4o stades de 240000 et celle de 60 stades
de 360000,
En multipliant ainsi les parasanges ou les schœnes dans
plusieurs systèmes, on paroît avoir été conduit à les mul-
tiplier dans les autres , et à donner à chacun trois para-
sanges régulièrement composées de 30, de 4o et de
60 stades , ou de 3 , de 4 et de 6 milles itinéraires.
Enfin c'est en voulant amalgamer ensemble des stades
et des milles pris dans des systèmes difFérens , que la
parasange s'est trouvée répondre quelquefois à 30 stades
M/. jC.
Po MEMOIRES on L'ACADÉMIE
d'un système et à 4 niilles d'un autre; et aussi à 45 stades
et à 6 milles , comme on en verra des exemples dans
fa suite.
Plin. lit. XII. On trouve dans Pline une combinaison dw nicme genre,
qu'il importe d'cclaircir; c'est lorsqu'il tlit : " Le schocne,
" selon Eratosthcne , est de quarante stades , c'est-à-dire
>' de cinq milles : quelques-uns donnent à chaque schœne
■ trente-deux stades, »
J'observerai d'aboril que l'cvaluation du schœne à cinq
milles itinéraires ne se rencontre nulle part ailleurs que
dans ce passage de Pline, et que l'habitude où t^toit cet
historien de prendre indistinctement tous les stades pour la
huitième partie du mille romain, est la cause i]ui lui a fait
croire que les quarante stades dont il est question dévoient
représenter cinq milles. Aussi paroît-il penser que les deux
évaluations de \o et de 32 stades se contrarioient , ou
qu'elles se rapportoient à deux schanes dirfcrens.
Mais il s'agit d'un même schocne , et il n'y a point de
contradiction dans la valeur (jui lui est donnée. Seulement
Pline ne s'est pas aperçu que cette valeur se trouvoit ex-
primée en deux modules diffcrcns : d'abord en stades de
270000, qui, dès le temps d'Ératosthène, paroissent avoir
été en usage dans quelques cantons de la Basse- tgypte ,
et ensuite en stades f>lvmpi(jucs de 2 1 <5ooo , que les
Grecs y avoient récemment apportés. (Quarante de ces
premiers stades et trente-deux des seconds représentoient
également 5925"", i»* , et répondoient juste àtiualre milles
romains. Or on trouve, d.ins l'Itinéraire d'Antonin (i),
(1) Anionini Aug. Itinrmr'iuin , pug. iji. — La disiance de clir
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 8i
que quatre milles romains égaloient le schœne employé
dans la Basse-Egypte. Ce schœne reparoîtra par la suite hfrâ.pag.i^;.
sous le nom de parasange.
Je dois encore ajouter que , selon Artémidore , le Ammidor.iipud
schœne, entre Memp/iis et la 1 nebaide , ctoit de 120 png.So4.
stades. Mais cette cvaluation , qui sembleroit porter le
schœne au double de sa plus grande longueur, s'éloigne
trop de l'opinion et de l'usage des anciens , pour ne pas
autoriser à croire qu'il est ici question d'un stade de
moitié moins long qu'Artémidore ne le pensoit. Il me
paroît très-vraisemblable que les 120 stades dont on lui
a parlé étoient de 360000 à la circonférence de la terre,
et qu'ils représentoient 60 stades de 180000. Sous cet
aspect , le grand schœne égyptien rentroit dans la série
de tous les autres schœnes , et n'excédoit pas les propor-
tions dont on étoit convenu.
On voit donc que toutes ces mesures, si dissemblables
en apparence, se rattachent les unes aux autres, et qu'elles
n'ont point d'autres élémens que ceux que j'ai indiqués.
C'est ce que va confirmer l'examen de quelques systèmes
métriques anciens qui diffèrent de ceux du Tableau gé-
néral par le mélange des stades, des milles et des para-
sanges de diverses espèces , que l'on y a intercalés.
schœnes entre le mont Casius et
Péluse, indiquée, dans ce passage,
par ia position intermédiaire de Pcn-
tcschœnon , y est évaluée à 4° milles
romains. Svir la grande carte d'E-
gypte , levée par les Français , la
distance des ruines de Péluse au Ras
el-Kasarcun, l'ancien Casius, en sui-
vant le tracé de la route, est d'un
peu plus de 59OCO mètres, qui re-
présentent 4° milles romains , ou
10 schœnes de 40 stades de 270000,
ou 10 schœnes de 52 stades de
216000.
Tome VI. L
8î MEMOIRES DE L'AC.VDEMIE
SYSTEME MÉTRIdU E DES ROMAINS.
Je commence par le pins connu des systèmes anciens,
celui des Romains ; et je le mets au nombre des systèmes
mixtes ou mélanges, parce que le mille s'y trouve comparé
Suprj.p.ig.ji à huit stades , au lieu Je dix (ui'il devroit avoir. J'ai
rapporte des témoignages qui prouvent que 1 usage d un
S»j>rà.p.6/. stade de dix au mille romain étoit connu en Italie; et
ces autorités suffisent pour faire voir que le stade olym-
pique, ou de 216000, contenu huit fois dans le mille
dont je parle, étoit un stade d'emprunt, étranger au sys-
tème auquel les Romains l'associèrent.
Mais ce système présente une autre irrégularité. Le
mille romain, reconnu aujourd'hui pour Cire de 75 au
degré, est visiblement le mille du stade de 270000 ou de
750 au degré : ses subdivisions devroient donc avoir les
marnes valeurs que celles de ce stade. Cependant, d'après
\ofei f'.Sj. le tableau joint à cet article, les valeurs de toutes les
Comparw le subdivisions du mille romain se trouvent être les m<}mes
mit In Vin.' que celles du stade de 225000.
€»!. du Talltju
gttérjl.
Cette singularité annonce que les premières mesures
employées parles Romains dérivoient de ce dernier stade ,
et que le mille de 14^ '"".•;''. qui nous est connu, étoit
encore une mesure d'emprunt qu'ils ont substituée au
mille ou dolique syrien de 1777'". 77». dont ils s'étoient
servis jusqu'alors.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. fij
Ce changement t'toit d'autant plus facile à introduire,
qu'il ne dcrangeoit rien aux mesures établies , ni par con-
séquent aux habitudes du peuple ; parce que , le pas double
du stade de 225000 se trouvant égal à l'orgyie du stade
de 270000 , il suffisoit de convenir (jue dorénavant le
mille seroit censé composé de Jooo pas doubles du premier
de ces systèmes, au lieu de 1000 orgyies du second; et
c'est pourquoi l'orgyie , si essentielle dans tous les sys-
tèmes , ne paroît point parmi les mesures romaines. De
])lus, comme le pas double étoit de cinq pieds, tandis
que l'orgyie en avoit six,. la permutation de ces mesures
fit qu'on ne compta plus, dans le nouveau mille, que
5000 pieds au lieu de 6000, et 80000 doigts au lieu
de 96000 que contenoient tous les milles réguliers. Suprà.pag.^e.
I^fràipag. 1/j.o.
Les raisons qui peuvent avoir engagé les Romains à
changer leur premier mille, paroissent tenir à leurs rela-
tions avec les Grecs. On sait que les Romains emprun-
tèrent de ces peuples presque toutes leurs connoissances
géographiques , et qu'ils se persuadèrent que toutes les
distances indiquées par les écrivains grecs se trouvoient
exprimées en stades olympiques ou de 216000. Il im-
portoit donc de chercher un moyen simple pour convertir
ces distances en mesures romaines : l'ancien mille de
'y??'"» 773 contenoit p stades y olympiques; et c'est pro-
bablement pour éviter les embarras qu'entraînoit cette
fraction , que les Romains ont remplacé ce mille par celui
du stade italique de 270000; c'est-à-dire, par le mille
de l48 i*", 481 , qui se divisoit juste en huit stades olym-
piques, et en 1000 pas doubles du stade de 225000.
Li/
84 MEMOIRES DE EACADEMIE
Mais le stade itali(]iie, n'offrant tjue les quatre cin-
quicmesdu stade olympique, prcsentoit d'autres dillicuhcs
dans la rcduclion des distances; c'est ce qui paroît avoir
décide les Romains à rejeter aussi le stade de 270000,
et à introduire le stade olympique dans la scrie de leurs
mesures , quoiqu'il n'eût aucun rapport avec le reste de
leur système nu'tricjue.
L'époque de ces changemens me paroît répondre à-
peu-prcs à la seconde guerre de Macédoine , puisqu'au
Siipr,i,iMg.6j. temps de Polybe , qui écrivoit quelques années après,
on comparoit encore le nouveau mille romain , tantôt
à 8 stades j (de 22jOOO ou de l'iiiuien système) , comme
il le fait lorsqu'il parle de la voie Egnatienne , et tantôt
à 8 stades (olympi/jues ou de 216000) , quand il décrit la
route qui traversoit la Gaule et une partie de l'Espagne.
Qiioi qu'il en soit de ces rapprochemens, le mille ro-
main, le même que celui du stade italique ou de 270000,
est fixé, dans la \'II.* colonne du Tableau générai,
à 148 1'", 48.; et, d'après les proportions données par
F'CHim.E*p^- Frontin, je trouve pour les autres mesures romaines les
sù.firmiir.p.jo, ,
CciUft. CkiH. valeurs suivantes :
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES.
8J
EVALUATION DES MESURES ROMAINES.
Mcir.
Doigt o. oi8;,8.
Ctit le tloigt dvodécimaî du itadt de 22fOCO.
Once ou Pouce , = i doigt j o, 01465, ,.
c'est le grand doigt du stade de 22^00Q.
Palme, ^=- 4 doigts, ou 3 onces o, o-Ao-7.1.
C eit le ftlme du stade de 22^000.
SexTANS ou DoDRANS, = 12 doigts, ou 9 onces o, ^iim.
C'est la jptthame du stade de 22^000.
Pied, = i6 doigts, ou i 2 onces O^ io6zy6.
C'est le pied du sude de 22^000.
Coudée, = 18 onces, ou 6 palmes, ou 2 sextans, ou i pied f o^ 444441.
c'est la coudée de 2jf. do'igts du stade de 22JPP0.
Gradus [ ou Pas simple ] , = 2 pieds '- , q 7A0-1 .
C'est le pas simple du stade de 22$Q00.
PaSSUS [ ou Pas double ] , = j pieds , xg ^ s ,
C'est le pas dêuHe du suide de 22)01)0; t'arg/ie du stade de 2JOOO(1.
Decempeda ou Perche, = lo pieds 2, piîzpiîj
C'est la calatnl ou atane du stade de 22)000.
Stade, = 62^ pieds, ou nj pas doubles ^ Ju stade de 22jooo ) 185, '8i>8j.
C est le stade de 216000, ou de 600 p'ieds cl/mpi^uts , el de S au mille roma'in.
Mille, = 5000 pieds ou looo pas doubles (^^/a iW^ ^/ir .22/cco y l48l,4Si48i.
C'est le mille de 6000 pieds , eu de JOOQ orgyiis , ou de 10 stades di j-pooet.
(Stade du dolique syrien, ou de 22J000 , ou de S -, au initie romain i-y", 77777s- J
(Stade italique, ou de 2/0000, ou de 10 au mille romain 14$ , ,aSi^3. )
U Ml-MOlRES DE LACAD1..M1E
La VAi.tUR des mesures romaines, une fois clctennince,
sert à faire reconnoître icb quatre suivantes.
ff^gm.Dtllmi- On trouve Jaus Hygin cjuc (es Tongres, peuples de
iit. ivnjtitufJtJ. 1/- . . ,. ., ■ r^
fiag,2io,CJ/fif. 1^ Cjermanie, se servoient d un pied nomme Urusieii , qui
avoir une once et demie de plus que le pied romain.
Le pied romain étant de o"', 1^^6196.
L'once, de o , 01^1.
La demi-once , de o , oni^d.
Le pied drus'tcn dcvoit être de o , nnii-
Cette mesure r<?pond juste à la coudée de 24 doigts
yoyet/tTa- J^, ^tade de îooooo, et décèle une origine asiatique.
Ht.y» gtntral.iii- •' o i
kaacii. Les Romains, en l'appelant Pes drusianus , n'ont sûrement
pas voulu dirp que Drusus en avoii introduit 1 usage chez
les Tongres, mais seulement, qu'ayant trouve cette coudée
ou ce pied établi parmi ces peuples, il en avoit ordonné
l'emploi pour régler le partage des terres. Si Drusus avoit
porté chez les Tongres une mesure nouvelle, c'eût été le
pied romain : il ne devoit pas en connoître d'autre.
Selon Hygin (i) , le pied ptoléma'i'que ilont on se
servoit dans la Cyrénaïque, étoit d'un pied romain, plus
une demi-once.
Le pied romain étant de C", »96a96.
La demi-once, de o , oiJi+«.
Le pied ptolémaïquc des Cyréncens étoit de. . . o , jofc^.».
(1) Hy%\n. Dtlimitib.comt'itufnd. \Ac% Cyrcnéeni cioit au pied ro-
jag. ne, — Le pied ptolémaM|ue | main:: aj : ^4- ^" verra, dans la
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 87
Dans mon Tableau , ce pied est celui du stade olym-
pique de 2 I 6000, dont les Grecs avoient introduit l'usage
à Cyrène, l'une de leurs plus anciennes colonies.
Le mille romain sert aussi à faire connoître l'étendue
de la lieue gauloise, fixée à quinze cents pas dans les
Itinéraires , et dans les auteurs du moyen âge. Anmini Àug.
hinertirium.pug.
Le mille romain étant de 1481'", 4.81431. })6 , //^
Les 500 pas ou le demi-mille, de 740 , 7+07^1. Ammiau. Mar-
tell. Rcriim ges-
La lieue gauloise valoit 2222 , 222221. ''""• ■ ^^' ■
__________ "V- '->p- '-io.
Joniandes, De
Et le Tableau générai fait voir que cette lieue est pré- ^^''"^Ceiids, y.
cisément le mille de dix stades de 500 au degré, ou
de 180000 à la circonférence de la terre (i).
On retrouve de même la valeur d'une mesure itinéraire
que toute la Germanie, selon Saint Jérôme, employoit S. HùrDujm.
autrefois. Cette mesure portoit le nom de Rûste: on sait, 2^"'!'Z'm.' in,
par divers témoignages , qu'elle répondoit à trois milles ^"^^ '^"7-
romains, ou a deux lieues gauloises. Ainsi, d après ce Ckisanum \,d
qui précède, la raste valoit iWr, 444; c'est la parasange -jr-Ji,;
de trente stades de 270000, et notre lieue commune ^"'^'>^'""''
de 2 5 au degré.
suite, un autre pied ptoléniaïque em-
ployé par les Alexandrins , et qui
étoit au pied romain :: 24 : 20,
ou : : 6:5.
( I ) D'Anville,yi/«ur« itinéraires j
pag./o2, cite la Vie de Saint Ré-
macle, dans laquelle la lieue gauloise
est aussi fixée, dit-il, « /jco pas, c'est-
à-dire à 12 stades. J'observerai qu'il
est ici question du itade olympique,
et non du dolique, comme d'Anviile
l'a cru. En effet, 12 stades de 600 au
degré, = lo stadei de 500.
88
MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Motit CkoK
mrniL Crfogr.i-
pfiit , nj oili em
Hiittria Arme-
n:,iCiX . pag, jfS.
.D'A-f.lU
Traite dri mt-
tarti ii/H/rjiiej,
pag 6f, 66.
SYSTEME METRIQUE DES ARMÉNIENS,
o'ai'RÈs moyse de chorène.
MoYSE DE Chorène nous a transmis un système mc-
tri(]ue lire, en grande partie, des ouvrages de Pappus
d'Alexandrie, et que l'on avoir adapte à (juelques usages
arméniens. Le mclange des mesures, dans ce système ,
est assez remarquable; l'auteur dit :
Le degré est de 500 asparez ;
L'asparez, de 100 pas;
Le pas , de 6 pieds ;
Le pied , de 6 mates ou doigts ;
L'asparez des asparez, de 143 pas;
Le mille, de 7 asparez ou de 1000 pas;
La parasangc, de 3 milles;
Le degré , mesuré en ligne droite , est de joo asparez .... de soric
que le degré contient 71 milles.
Les erreurs qu'on a cru voir dans le rapprochement de
ces mesures, viennent de ce qu'on n"a pas fait attention
que l'auteur, pour présenter ses résultats en nombres ronds,
s'est permis de négliger quelques petites fractions qu'il est
facile de rétablir ; et , comme il dit que l'asparez est
contenu 500 fois dans le degré, que d'ailleurs il fixe la
latitude de Thule à 63 degrés de ceux qui sont contenus
^6q fois dans la circonférence de la terre , et qu'il évalue ces
6j degrés à jijoo asparei, il n'est pas possible de douter
que l'asparez dont parle Moyse de Chorène, ne soit une
mesure égale au stade de 500 au degré, ou de 180000
au périmètre du globe, et qu'une grande partie du sys-
tème (]ii il expose, ne doive se rapporter a la valeur de
ce stade. Jinsisie sur ces évaluations, parce qu'on verra
bientôt ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 89
bientôt, chez les Arméniens, l'emploi tl'iin degré et d'un
asparez fort difFcrens de ceux-ci.
11 n'y a donc que l'asparez des asparez, et le mille,
donné par l'auteur pour ctre à-la-fois de y asparez, de
1000 pas, et de 7 I au degré, qui présentent quelques
difficultés. !'' ■
L'asparez des asparez , composé de i43 pas arméniens,
chacun de 6 pieds du stade de 1 80000 , seroit de 3 1 7"\ 77s ;
et , si l'on observe que cette somme excède seulement
d'un millième celle de 317", i<^° , qui , dans le Tableau
général, forme le diaule du stade de 252000, on re-
connoîtra que ce diaule étoit le grand asparei des Armé-
niens , et qu'il contenoit \/^z |- pas arméniens, au lieu,
de I 43- '
Sept asparez des asparez valoient donc 2222'", ixz ; et
c'est le mille que Moyse de Choi-ène dit être composé
de 1000 pas arméniens, c'est-à-dire de 1000 orgyies
du stade de i 80000.
Mais ce mille seroit de 50 au degré, et non de 7 i ,
comine le dit cet auteur; il faut donc qu'il soit ici question
d'un autre mille aussi en usage dans l'Arménie, et qu'il
n'a point distingué , ou qu'il aura confondu avec ie
premier. ';
Le mille qui répondroit à sept asparez , vaudroit
I 555'". !S5 , et seroit compris environ 71 fois -f dans le
degré; mais il n'appartiendroit à aucun système connu.
Je pense que, pour rendre au mille dont il est question
sa valeur réelle, il faut le composer de 7 asparez -: alors
il sera de 1587'", 30^; il représentera juste le mille de
dix stades de 252000, et le degré en contiendra 70,-
Tome VI. M
90 MEMOIRLS DE L'ACADEMIE
au lieu lie 7 i que la fraction ncgligce a fait trouver à
l'auteur.
Au moyen de ces icgcres corrections, le système armé-
nien devient très-juste; il se trouve combine d'après les
stades de 180000 et de 252000, et la valeur primitive
des mesures cju'il renferme, se rétablit ainsi :
EVALUATION DES MESL'FES ARMENIENNES.
Mtir
Mate, ou Doigt _ o,aC\yx-;.
C'tit U daulle gratta da'tn ou U Jjkttt f^ytt Jm ilâJi dt iSoooc.
Pied , =i 6 mates o, )7o j?».
Crst U pitd du itdàt Jt tSoooo.
PAS,= (> ptcdi ......'. 2, liiiii.
Ctn [cr0ii du iiéJt di iSoeoe.
AsPAREZ de joo au degr#, = loo pas, ou 6iio pitds 22i. miii.
Ciit II itddt di tSoeoc
AiPAREZ DES ASPAREZ, = 141 pas J 3I7.4*"'J'7-
Cm tt dismie dm ttadr de i^iooc.
Mille de 7 asparcz '-, ou de 70 au degré 15871 )»' 587.
Cm U mûllt dt lû iitJti di ifioea.
Mille de 7 asparez de* osparcz, ou de 1000 pu 2222, mm.
Cm le mtlU dt 10 tudti di tSocoo.
PahASANCE de )ooo pas 6666, 6f>(-C67.
Cm h p^rjtjmft dt } millet, tu de ja ludei dt iSoooa.
AUTRE SYSTÈME MÉTRIdlE DES ARMÉNIENS.
Depitis qlf ces Recherches ont été communiquées à
l'Académie, M. Saint-Martin a publié, à la suite de ses
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 91
Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie , une
traduction française de la Géographie attribuée à Moyse
de Chorène. Parmi les notes qui accompagnent cet ou-
vrage, M. Saint-Martin a inséré un système métrique Tom.ii,iuig.
arménien qu'il a découvert dans un auteur anonyme qui ''79'}^"-
lui paroît avoir vécu dans le xv.*^ siècle. Ce système me
semble offrir des traces d'une haute antiquité : d'ailleurs
il présente dans ses bases et dans ses subdivisions trop de
différences d'avec celui de Moyse de Chorène , pour ne
pas chercher à connoître les résultats qu'il peut offrir ;
et quoique l'exposition que l'anonyme en a faite, soit un
peu longue , comme elle n'est pas toujours très-claire,
je crois devoir la transcrire en entier :
L'année est de 12 mois et 5 jours ; de 52 semaines et un jour;
Le mois est de 30 jours; la semaine , de 7 jours;
Le jour, de 24 heures, pour le jour et la nuit;
L'hieure est de 30 minutes;
Dans le mois il y a 720 heures , et dans les 24 heures du jour,
720 minutes;
L'année comprend 8760 heures, ou 262800 minutes ;
Une minute équi\aut à 500 asparez, et l'asparez à la longueur du
védavan ;
Une révolution du soleil est aussi de 500 asparez;
Un asparez vaut joo nédadsik;
Le nédadsik vaut 150 pas;-
Le pas vaut 6 pieds;
Le "pied, 16 doigts;
Le mille vaut 5 asparez;
En multipliant par 30 les heures du jour, on a un nombre qui égale
une révolution du soleil; et en multipliant cette révolution par 500,
on a le nombre d'asparez qu'il parcourt.
Ainsi, quand le jour est de 12 heures, ce qui fait 360 révo-
lutions, le soleil parcourt iSoooo asparez.
Une heure vaut 30 minutes;
Une minute est un degré;
Un degré est de 500 asparez;
Mi)
92 MLMOIRES DL LACADli.MlE
L'aiparcr csi de 500 coudccs;
Un pas est de 14 poings;
Une coudce est de ç poings;
Un pas vaut j pieds;
L . i icd vaut 16 grains d'orge;
Uff iiille vaut 5 asparcz , ou 48 khcraskh ;
Un khtfraskh éqaivaut à 22 pas, ou 44 coudées;
Un mille est de 1050 pas, ou de 600 coudées;
10 asparez valent 1500 pas; 20 asparcz, 3000 pas; 40 asparcz,
6000 pas ;
100 asparez valent 30000 coudées;
joo asparez valent yj milles ;
Un degré est de 82 milles;
Le diamètre du soleil est de 500 aspnre/ , ou de 1 50 mille coudées.
On voit que, dans ce système , on a cherché à com-
biner la cnvision du temps et la division de l'espace, de
manière à trouver dans l'une et dans l'autre un nombre
égal de fractions; et que ces fractions , de diverses valeurs,
y portent le nom de minutes.
Pour le temps, l'heure est divisée en 30 minutes, et les
2.j heures du jour et de la nuit en 720 minutes. Ainsi
la minute arméiiienne ^f temps répond ici à deux de nos
minutes Je temps.
Pour l'espace , il est dit qu'une minute est un degré,
que le degré vaut 500 asparez, et qu'en multipliant
par 30 les heures du jour, on obtient un nombre égal à
une révolution du soleil. On conçoit qu'il est ici question
de la course journalière de cet astre : or le produit de
24 multiplié par 30 , étant 720, fait connoître f|ue, dans
ce système, le cercle se divise en 720 degrés (r), et la
(1) .^l. Leironne pense que la divi-
lion du cercle en 720 parties a éic
employée par les Chaldéens, qu'elle
fut adopti-e par les premiers astro-
nomes de l'tcole d'Alexandrie, et
que les Grecs ne paroissent pu avoir
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 93
circonlérence de l'cquateur terrestre en 360000 asparez.
Mais, quand l'auteur ajoute que le diamètre (apparent)
du soleil est de 500 asparez, que cet astre fait 360
r/vo/tf//o/.'^ dans la durce de 12 heures, il est visible qu'il
ne peut plus ctre question de la révolution précédente ; et
il iaut entendre que , dans sa marche progressive autour
de la terre , ie diamètre entier du soleil se déplace 3 60
fois en 12 heures, et 720 fois en 24 heures. Alors,
chaque révolution, ou chaque déplacement, répondant
sur l'équateur à 500 asparez, leur ensemble donne
encore pour la circonférence de ce cercle 720 degrés, ou
3(30000 asparez.
lien résulte donc que la minute d'espace, ou le degré
arménien, égal au diamètre du soleil, vaut ici 30 de nos
minutes de degré'; que l'asparez y représente le stade de
3(30000 , et que cette mesure itinéraire s'y trouve réduite
à la moitié de l'asparez employé par Moyse de Chorène. Supr,',,}mg.FS,
Les bases de ce système étant établies , je vais faire
remarquer quelques méprises introduites par les copistes
dans renonciation des mesures qui le composent.
Ils disent que le degré est de 500 asparez; l'asparez,
de 500 nédadsik; et ie nédadsik, de 150 pas: ce qui
donneroit au degré arménien 37500000 pas, tandis que
ce degré est fixé plus bas, et à plusieurs reprises, à 500
asparez de i 50 pas chacun, et en tout à 75000 pas. Il y
a donc évidemment erreur : le nédadsik paroît ici con-
fondu avec l'asparez; s'il en étoit la 500.^^ partie, il seroit
la spithamedu stade de 225000 ; et s'il étoit la 70.' partie
fait usage de la division en 360 de- Savam , décembre i8iy, pag. 738 et!
grés, avant Hipparque. Journal des suivantes.
,J0.
.l/if.Wf/n-j sur
l'ArwuKÙ. t. Il,
94 .MÉMOIRES DK L'ACADÉMIF.
de l'asparez, comme le veut Ananias de Schirae; (i), il
rcprcscnteroit l'orgyie du stade de 252000. Dans plusieurs
itiiicraires armcnieiis, recueillis et publics par M. Saint-
Martin , le nédadsik. est une grande mesure qui s'y trouve
constamment évaluée à 4 rnilles , ou 20 asparez.
Lt' pas est fixé , tantôt à 5 , tantôt à 6 pieds. J'ai
prJléré la première de ces déterminations , parce qu'elle
fait àv\ pied une partie aliquote du stade de 225000, dont
les petites subdivisions dominent dans ,ce système.
La lontjueurdu pied est donnée pour être de i 6 doigts,
ou de \(i urains d'orge ; il ne paroit pas douteux qu il ne
faille s'en tenir aux \6 doigts, puisqu'ils forment, dans
tous les systèmes, la division commune des pieds.
La coudée est estimée à 5 poings , et le pas à 1 4 poings.
Cette proportion ne se trouve rigoureusement juste dans
aucune combinaison : celle qui en approcheroit le plus,
seroit le poing ou palme du stade de 252000, qui, mul-
tiplié par 5 , donneroit , à très-peu près, la grande coudée
du stade de 4^0000; et qui, multiplié par i 4 . pr"Juiroit
juste le pas double tlu stade de 360000.
F(nir le khéraskh, si l'on comptoit 22 pas simples du
stade de 225000, <ni 44 grandes coudées du stade de
( I ) Mamiic. armén. de la JBiHiot/i.
du Roi , n.' ii4 .fol.^^C. — M.Sainl-
Martin m'a anssi commun! [mc un
autre pnsMge de cet Ananiai. auteur
du VII.' siècle, qui explique d'une
manière fort bi/arreTorif^îne du stade
de 225000. Voici ce qn'il dit :
« Quand le jour est de 12 heures,
n\c «oieil parcourt 360 degrés, ou
M iScooo asparez ; quand le i,our
» est de ij heures, il parcourt 450
"degrés ou 225000 asparez. C'est
>i pour cela que plusieurs de ceux qui
•> ont mesuré la terre , diient qu'elle a
» en latitude et en longitude 1 8cooo
» asparez , tandis que d'autres lui en
>• donnent 225000. »>
C'est une nouvelle autorité en
favetir de l'existence du »tade de
22\ooO. Vcyei ci-dessus, pag. 62.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 9^
îéoooo, cette mesure seroit de 16'", lyc. Si l'on prennit
22 pas simples du stade de 250000, ou 44 gr;nides cou-
dées du stade de 400000, le khcraskh auroit i4'". '■^'-^
Par la première combinaison, le klicraskh se trouveroit
compris un peu plus de 34 fois dans le mille de 5 asparcz;
par la seconde , un peu moins de 3 8 fois , au lieu de
4S fois que porte le texte. Peut-être y a-t-il erreur dans
ce dernier nombre. Si on lisoit 38, le khcraskh de
i4'", (^^j représenteroit , à très-peu près, l'amma du stade
de 270000,
Le mille de 5 asparez est évalué à 1050 pas, ou à ^00
coudées. Je crois que les dénominations de ces dernières
mesures se trouvent interverties, et qu'il faut lire 10^0 cou-
dées (du stade de 2 5 2000 ) , ou 600 pas ( doubles du stade de
3^0000); alors les proportions deviennent exactes.
Après avoir dit que le mille est de 5 asparez , l'asparez ,
de 1 50 pas, le degré, de 500 asparez, et que 500 asparez
valent 75 milles (pas), ce qui est juste, le texte ajoute:
h degré est de 82 milles. Pour expliquer cette contra-
diction , il faudroit admettre qu'il est ici question <Xv\\\
nouveau mille contenu 83 y fois, au lieu de 82 fois, dans
le degré arménien; alors on auroit un mille de 66(5'", «-,
qui seroit le demi-mille, ou 5 stades de 300000, comme
le mille de 5 asparez est le demi-mille, ou 5 stades de
3 60000. Je me borne à indiquer ce moyen de conciliation ,
sans en faire usage.
On peut observer que ces différentes erreurs n'influent
ni sur les bases ni sur l'ensemble du système dont je
parie; que ce système est principalement établi sur le
stade de 360000, et que les nombres inusités de i 50 pas
ç6 .M1..M01RLS DL LACADÉMIL
pour le stade, de 1050 coudées pour le mille itinéraire , de
5 pieds pour le pas simple, de 5 palmes pour la coudée,
sont les résultats des combinaisons que l'on a faites pour
introduire (juelques mesures étrangères parmi celles qui
dérivoient du stade de 3<!)OOO0.
Au surplus, pour éviter toute incertitude dans les éva-
luations suivantes, j'ai abandonné, comme inexactement
transmises par les copistes, les mesures peu importantes,
dont les élémens ne m'ont point paru rigoureusement
cgauv à ceux (jue renferme mon Tableau général.
AUTRE EVALUATION DES MESURES ARMENIENNES.
M tu.
DoK.T, de ICI au pied ^ a O.
Cm II Jtml-iUift ^usJéthn»t Ju ttêit et 23^090.
Poing ou Palme, de y à I» coudée Je l'asparci. o,
C'ttt tt pélmt dm stéJi Jl ii^ooc
Pied , de ; au pas de l'.isparcz O,
Ctn U lU<ni-p>ié rrinjii, «• h iltktl im lUit et lifeot.
CoL'OÉE, de }oo à l'asparci O,
Ciii là granit tnéét */w r.adt et jiftooo.
CouoiE , de I o;o au mille . : i'.. . , . . .r. ; o,
C tu /d grjnJr t^kJtt du tude dt i$iooe.
Pas, de I fo ik l'asparei O,
c tu te p^i itmfU dm Êl^dt dt ajfcca.
Pas, de £00 au mille . O.
c ttt II féi JûmHi dm iu.ti dt j6eooù.
AiiPAREZide (00 au degré /le 7^0 à U circonférence de la terre. 111,
Ctit It ludt dt ^6cù9ç.
Mille, de y asparci, de Cno pu, de lojo coudte 5^5,
Ctit f itsJij . »» tt dtmi-milU dm mdi di y69coc.
N£dad<IK des itincrairet, ou de 4 milles Z222.
Cm II nillt dt I» atdti dt ittM» . «• It dtmth mlllt dm ludt db jfec»t.
ooyl ; p.
14814H.
JX^lol.
74»-4'-
I I I I I I .
n 11 , i.
.sn I t.ME
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. Ç)^
SYSTEME MÉTRICLUE DES SYRIENS,
d'après saint épiphane.
Parmi les frogmens tires des œuvres attribuées à Saint
Epiphane, on trouve l'exposition des mesures e'tablies de
son temps dans la Syrie. Cette exposition se divise en
deux parties : dans l'une, le mille est évalué à sept stades;
dans l'autre , à sept stades et demi. Occupons-nous d'abord
de la première.
Le mille de dix stades de 3(^0000 à la circonférence
de la terre étant le seul ,- comme je l'ai dit, qui réponde
}uste à sept stades d'un autre système, celui de 252000,
il en résulfe que le mille dont parle ici Saint Epiphane,
ne peut être que celui du stade de 360000 , et que les
autres mesures comprises dans la première partie des ex-
traits de cet auteur doivent être toutes évaluées comme
celles du stade de 2 5 2000 , et de la manière suivante :
Frdgm. ex Epi-
phanio Cjprio c
De quantiidt-
mensur. huer Vu
n'a sucra Sicph.
Le Aloine , t. I ,
pag. 4'J9-S°}-
Suprcï.pag. j^u
77-
EVALUATION DES AIESURES SYRIENNES.
Mitr.
Oo\CT ( du staJe de 2^2000, oude y 00 au degré ) 0,oi'î;;4.
Palme, = 4 doigts ( du même stade ) O, a(>Ci]%.
SpiTHAME,= 12 doigts, ou 3 palmes (du même stade j o, '9S413.
Pied, =116 doigts, ou 4 Y^\mes ( du même stade ) o, î^4}jo.
Coudée, = 24 doigts, ou 6 palmes, &c. (du même stade J . . . o, 39!!82;.
Pas, = 40 doigts, ou 10 palmes, &c. ( di/ même stade J o,<i'!i37^.
Oui,YlE,=96 doigts, 24 palmes. Sic. ( du même stade J ... . i, JS7302.
AC/ENE, = 160 doigts , 10 pieds, &c. (du même stade J 2, 1545 j 03 ■
PlÈtHBE, = 10 acaenes, &c. (du même stade ) -. 26, 45jo2().
Stade, = 600 pieds, 400 coudées, 100 orgyies, &c I58.73oi;9-
C'fSt le siûdf Jf 2^2000 , ou de yoo au degré.
Mille, 4-00 pieds, léSo pas, 700 orgyies , 7 stades, &c.. . . 1111,111111.
C'en le mille de lOoo i'r^yit! . eu Je lo iddei de ^60000.
Tome VI. N
\'oyez les co.
III et IX , 2 , du
Tahleau général.
98
MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Fragm. txEpi-
fLia. ire. [Kig.
AUTRE SYSTEME METRIQUE DES SYRIENS,
d'après saint tl'IPHANE.
ApiiÈs avoir donne les dctails du systcnie prcccdent ,
Saint tpipliane ajoute :
Quelques personnes assurent que le mille contient sept stades et demi.
Le diaule est de deux stades.
Le doliqiie est de 12 stades.
La parasange, qui est une mesure persique, est de 30 stades ou de
4 milles.
Les relais pour le service public sont estimés parmi nous à 6 milles,
ou 45 stades.
Ainsi, dans ces mesures, le mille se trouve évalue à
Suprà.ptg y6. sept stades et demi. On a vu tjue cette sorte de mille
''^' pouvoit cHre composée de quatre stades difFcrèns; inais ,
comme on vient de reconnoître le mille employé par Saint
Épipliane dans celui du stade de 360000, il doit paroître
certain que cet auteur veut maintenant parler du stade
de 270000 , le seul qui soit contenu 7 fois ^ dans le mille
précédent. Dès-lors , les mesures dont il est question
doivent s'évaluer comme il suit :
AUTRE FVAIVATION DES MESURES SYRIENNES.
Mclr.
Stade (Jt pjo au Aegri, ou de rjoooo à Ai circenfir. Je la tern), 148, 148148.
DiAL'LE (ou JouHe itoAt ) 296. «yCiyÉ.
.Mille , de 7 stjilc\ \ [ de 270000 ] 1 1 1 1 ■ < • ■ 1 ■ ■ .
Ctll II m, Ut <U It nmJtl Jt jioet»
DoLIQLE , de 1 1 stades [de lyoooo ] '777> 77777^-
Cm U miUt d* 10 itédti il iii*0fi
Parasange, de )o stjdcs, ou de 4 millet 44'ii' 441444-
CtJt Urjr^té^gr et jo tuiti it iyoco0 , ta J4 ^ miUti du iltdt
et }fc»O0.
Relais, de 6 milles , ou de 4; sudes 6600, '•'<(>(-67.
C'ttI u f^rtidnit et é mttirt, tm 60 ludti il f 60000 , f fti talinl ^f Itâitt
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 99
DOUBLE SYSTÈME MÉTRJdUE DES SYRIENS,
d'après julien d'ascalon.
Quelques-unes des mesures données par Saint Épi-
phane reparoissent , mais sous un autre aspect, dans les
extraits de Julien d'Ascalon , qu'Harménopule nous a con-
servés. En voici les détails tels qu'ils nous sont parycnus: Julian. Asafo-
vit.apudHarme-
Le pied est de 4 palmes i-6 doigts. ""/""'• f ''.''"'"P'
Le palme, de 4 doigts 4. lit. 11 , tind. 4,
La coudée , de 8 palmes 32. jkig. 144, /4,-.
Le doigt est la première des mesures, comme l'unité
est le premier des nombres; de sorte que
Le palme est de 4 doigts 4-
La coudée, d'un pied et demi, ou de 6 palmes..,. 24.
Le pas, de 2 coudées , ou 3 pieds, ou 12 palmes 4^.
L'orgyie, de 2 pas, ou 4 coudées, ou 6 pieds ( 96.
ou de 9 spithames et 4 doigts ( 1 12.
L'acJene, d'une orgyie et demie, ou 6 coudées, ou
9 pieds , ou 36 palmes 1^4.
Le pléthre, de 10 acanes, ou 15 orgyies, ou 30 pas,
ou 60 coudées, ou 90 pieds i44o.
Le stade , de 6 plèthres, ou 60 acaenes, ou 100 orgyies, j 8640.
ou 240 pas, ou 400 coudées, ou 600 pieds I 9600.
Le mille, selon Eratosthène et Strabon, contient 8 stades i, ou
836 orgyies.
Ma-is, selon l'usage actuel, le mille est de 7 stades^, ou de 750 orgyies,
ou de 1500 pas, ou de 3000 coudées (1).
II importe de bien savoir que le mille dont on se sert aujourd'hui,
et qui est de 7 stades}, contient, comme nous l'avons dit,
750 orgyies géométriques ou 840 orgyies simples.
De sorte que 100 orgyies géométriques valent 112 orgyies simples.
Ce système présente des particularités qu'on ne ren-
(i) Nos éditions portent ^'^iç ç'
[6 coudées J : c'est visiblement une
faute. Dans le manuscrit du Roi,
"•' W >fi^- 447 ^^^^0 ^ il y a ■^^'< ,r
fjoQo coudées] , et c'est ainsi que
l'on doit lire.
Nij
ICO MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
contre dans aucun autre. Pour les faire mieux aperce-
voir, jai cru devoir ajouter le nombre des doigts qui,
d'après les indications du texte , entroient dans la com-
position de chaque mesure. On y renKu\]ue deux orgyies,
l'une de c)6 doigts, l'autre de 112; une aca?ne de i44
doigts, au lieu de 160 qu'elle devroit avoir ; un picthre
de 144° doigts, au lieu de 1600; un stade de 8640
doigte, un autre de c)6oo doigts; deux milles itinéraires ,
l'un de 8 stades y, l'autre de 7 stades ^ '. ^t quelques irrcgu-
laritcs apparentes ou rcelles, dont je parlerai dans la suite.
Le TRADUCTEUR d'Harménopule , Jean Mercier, ne
s'ctant pas aperçu que la plupart de ces évaluations inusitées
pouvoient venir des divers élémens dont ce systcine se
trouvoit composé , a cru le texte de Julien fort altéré : les
corrections qu'il propose sont insullîsantes pour éclaircir
les dinicultés qu'il entrevoyoit ; et d'ailleurs elles boule-
verseroient le système dont il est question.
L'auteur, pour mieux distinguer les deux milles dont
il parle, donne au premier le nom de mille d'Ératosthène
et de Strabon , en le faisant de 8 stades -f. Cette indica-
tion rappelle le passage du seconti de ces géographes,
Smfrù.ntg.t; quc j'ai cité plus haut. Seulement , il paroît que, dans
le texte de Julien, le nom d'Ératosthène doit ctre rem-
placé par celui de Polybe, puisque c'est cet historien
qui avoit annoncé l'existence d'un stade contenu 8 fois y
dans le mille romain (1); et son assertion, confirmée
long - temps après l'époque où il vivoit , ne permet
(1) Ccpemlam on vcrrn, pitg. 107, I stade de 2 2JOOO, ou de 8 -y au nulle
qu'Hérodote et Lratoithcne •cnil>Ient J romain,
avoir trouvé en ligyptc l'usage du j
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. jo.
plus de supposer une méprise dans le passage de Strabon.
On a vu , dans le second extrait de Saint Epiphane , Suprà,p,ig.,^s.
qu'en Palestine, sa patrie et celle de Julien , le dolique
étoit compte au nombre des mesures itinéraires, et qu'il
égaloit douze stades italiques, ou de 270000. C'étoit ,
comme je l'ai dit, un mille dont la longueur répondoit Suprà,pag.62,
à l'j'j'j"^, 77S, et qui, divisé par dix, comme tous les autres ^' ^ '
milles, produisoit un stade de 177"", 77^. Or ce stade,
multiplié par huit et un tiers, donjie i4Bi"\4Si: c'est
précisément la longueur du mille romain ; et l'on ne peut
douter que ce stade et ce mille ne soient ceux dont
Polybe et Julien d'Ascalon connoissoient l'usage.
De plus , ce même stade, multiplié sept fois et demie,
donnera i 333"\ 333, ou le mille de dix stades de 300000,
pour celui que Julien indique comme étant le plus usuel
à l'époque et dans la contrée où il écrivoit.
Voilà donc les deux milles itinéraires désignés par
cet auteur, avec les proportions exactes qu'il leur donne.
Il parle aussi de deux orgyies, l'une qu'il appelle orgyie
simple, l'autre, orgyie geoiiietritjiie , et qui difFéroient entre
elles comme les nombres 750 et 840, ou comme 100
et I I 2 : l'emploi d'une seconde orgyie supposant celui d'un
second stade , il faut chercher ce stade pour compléter
les bases du système qui nous est transmis par Julien.
En partant du stade de 177"' 778, dont l'auteur vient
de composer les deux milles précédens , la proportion
de 100 à 112 donne, pour le second stade, celui de
15^""' 7}°, ou de 252000, que l'on a vu paroitre dans l'un
des deux systèmes syriens rapportés par Saint Epiphane, et SrJ.png.^^.
dont l'emploi ne pouvoit pas être oublié au temps de Julien.
*
!Oî Mf.MOinCS DF. L'ACADF.MIE
La comparaison des mesures dcdiiites de ces deux
systèmes ne pouvant se faire sans employer de ircs-petites
fractions , l'auteur les a ncgiigces dans l'exposition de
quelques-unes de ces mesures, afin d'exprimer en nombres
ronds, et en parties aliquotes du stade do 225000, les
valeurs approximatives de l'aca^ne, du picthre et du stade
de 252000. C'est ainsi qu'au lieu de comparer l'acane de
ce dernier stade à une orgyie -rr^ . ou à 35 palmes y du
premier, il a porte cette acîcne à une orgyie et demie,
ou à 3<) palmes ; et le picthrc, ainsi que le stade, ont été
augmentés proportionnellement : de sorte cjue ces mesures,
ainsi présentées, sembleroient appartenir plutôt au stade
de 250000 qu'à celui de 252000. Mais, pour admettre
cette hypothèse, il faudroit changer les proportions géné-
rales données de 100 à 112, en celles de 100 à i i i -f ,
et compliquer toutes les opérations pour une diflércnce
Supfi.p.ig.ç-. presque insensible dans les usages de la vie. On a vu
d'ailleurs que c'est du stade de 252000 qu'on se servoit
en S) rie ; et ce stade n'étant qu'une altération légère de
J"*r;; ', celui de 250000, on croyoit sans doute qu'il imporloit
peu d'employer les subdivisions de l'un ou de l'autre.
Une des particularités de ce système, en le supposant
complet , est de n'offiir (ju'une seule acxne et un seul
plèthre, quoique les autres mesures fussent doubles. L'au-
teur me semble mcme inili(|uer une troisième orgyie, qu'il
dit être de neuf spith imes et quatre doigts , ou de 112
doigts; et ce n'est pas une erreur, comme on l'a ima-
giné. Cette orgyie reparoîtra dans les extraits d'Hérou
d'Alexandrie. Je la distingue de l'orgyie simple cl de
i'orgyie géométrique dont parle Julien , parce que ces
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 103
deux dernières dirtcroient entre elles comme les nombres
100 et 112, tandis que i'orgyie dont il est maintenant
question , diffcroit de celle du stade de 252000 , dans
la proportion de i i 2 à p6. La preuve en est, que, si on
la compose de 112 doigts du stade précédent, on a
juste I'orgyie du stade olympique de 216000, et un
moyen très-simple de convertir les mesures syriennes et
égyptiennes en mesures grecques.
Les erreurs qu'on a cru apercevoir dans ces extraits
de l'ouvrage de Julien , sont donc en petit nombre.
Il faut rétablir dans son système la spithame, que les
copistes paroissent avoir oubliée ; il en est question à
l'article de I'orgyie.
Je rétablis également le pas simple, que l'auteur dit
être contenu i^o fois dans le stade; ce qui est exact.
Qiiant au pas de deux coudées, c'est sans doute une
transposition de nom occasionnée par l'omission du pas
simple. Deux coudées ou 48 doigts forment la vertje ;
et c'est ce mot qu'il faut substituer à celui du pas, dans
les articles de I'orgyie , du plèthre, et du mille de sept
stades et demi , où cette mesure est rappelée.
D'après le texte , le mille de 8 stades j- paroîtroit com-
posé de 836 orgyies ; c'est visiblement une faute de
copiste. Le stade étant toujours de cent orgyies , les
8 stades f font nécessairement 833 orgyies -f; et c'est
ainsi qu'il faut lire.
Je conserve dans le texte la coudée de huit palmes que
l'auteur cite séparément de la coudée de six palmes. Je
ne vois pas de raison pour changer la première indica-
tion , comme le vouloit le traducteur.
io4 MÉMOIRES DE L'ACADKMIE
Au MOYEN de ces diverses observations, les mesures
dont je viens de parier se rétablissent et s'évaluent de la
manière suivante , dans le double système qu'elles em-
brassent :
EVATl .iTUW nu DOUBLE SYSTEME METRIQUE DES SYRIENS.
DoiCT ,
I'almf-, = 4 doigts
Spitha.me , = 1 1 doigts
Pied, ^4 palmes
Coudée , ^ 6 palmes ,0024 doigts
Coudée , = S palmes ou j 2 doigts
Pas simple, :^ 40 doigts
Vl.Kc::, = I 2 palmes, ou 3 pieds, ou 1 coudées de 24 doigts. . .
Orgvie SIMPLE, = 6 pieds, ou 96 doigts du stade de ijiooo..
OBGriECÉOMÉTRlQUE, = 6picds,ou96doigtsdu stade de 225000
. . ( de 142 doigts f du stade de. .. . 225000
'{ de i<>o doigts du stade de 252000
P i HnvI ^^ '"1*^ doigts \ du 5tadc de 22JOD0
( de I i^oo doigts du stade de 252000
ç r I "^^ 8571 doigts ; du stade de.. . . 225000
1 de 9600 doigts du stade de 252000
Stade de 1 00 orgyics géom<tr.,ou de 9600 doigt<du sudc de 2 15000.
Cm U ludt Jt If u ii/ifMM mllItQrin, n Jt I 'î <• nillt rfméh.
STADE
de
225000.
Mcit.
O, o I K ( I S .
O, ''r4'>74-
o, 222122.
o, 196196.
o. 444444-
O, 5?2i9J.
O, 74''74'-
O, 88S8«9.
1.77-778.
^n, 77777*-
STADE
de
252COO.
,N',clr.
O, oi«j}4.
O, ofiCt )8.
O, '?S4ij.
G, 2C4!|o.
O, Js'-Si}.
G, j 2 9 I o I .
0, Éiîl J76.
C,7'J^6■,^.
1, i87J0i.
2, '^lîl'M.
26, 4, i«l«.
"58,7)»'J?-
MiLtE de Polybe, de 83 ) '- orgyies gioméiriqiies, ou de 8 stades '- de 125000. . .
<■«< Il tiuil tit /» lléJri A i7C»et , If II -r.ilU remiih.
Mille en usage au temp. de Julien , :^ -50 orj^yic* gcomctri<|ues, ou 7 stades 7
de 225000. ou 840 orjjyic» «impie; du stade 'ic 251000
C en u mtllt d* to luitt <ii joacte
100 orgyic< géométriques de I", 77777* I _ ,-^0,^777-78.
1 1 1 orgyics simples de I ,s*7>"*'
[■ ;' r ' • , ij de 1 1 2 doigts, du stade de 251000, re-
•jlympiqucde ii'joncctvaut i"",*;!»)!.
M.i-
I48i,4'i'4><'-
Si srtMt.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 105
SYSTÈME MÉTRIQUE DES GRECS D' ALEXANDRIE,
ANTÉRIEUR À l'ÉpOQUE D'hÉRON.
Le SYSTEME métrique le plus complet de ceux que les
Grecs nous ont transmis , est celui qui se trouve dans les
fragmens d'Héron d'Alexandrie. Cet auteur y présente deux Excerptacx He-
séries de mesures; l'une qu'il dit être en usage de son "'""^^"f "•'j' '^f
temps , l'autre qu'il annonce avoir été employée auparavant, ^""lecta Gnu.i.
Dans la première, il donne la valeur relative des mesures, jij.
depuis le doigt jusqu'au pas double seulement ; dans la
seconde, il prolonge ces détails jusqu'à la parasange.
C'est dans cette dernière partie qu'Héron compare le
mille à sept stades et demi , en ajoutant que ce mille
contient 4500 pieds phileiéréens , ou 5400 pieds iùi/h/ucs :
ainsi ces pieds étoient entre eux dans la proportion de
6 à y
Cette proportion se trouve quatre fois parmi les diffé-
rens stades dont j'ai parlé; et pour reconnoître celui
qu'Héron a voulu désigner, il faut déterminer ce qu'il a
pu entendre par les dénominations de pied philétéréen et
de pied italique , qu'on ne rencontre dans aucun autre
écrivain.
M. Girard, ayant trouvé la coudée du nilomètre d'Elé-
phantine de 527 millimètres, en fait la coudée de 24 Suprà.pagj^,
doigts de l'ancien système rapporté par Héron : il pense ^°'
que ce système étoit celui des Égyptiens sous les Ptolé-
mées ; que les deux tiers de cette coudée donnoient pour
le pied philétéréen o"", 35,53, et pour le pied italique,
d'après la proportion précédente , o"", 2927. De plus, comme
ce dernier nombre approche de la valeur du pied du mille
Tome VI. O
ic6 MÉMOIRES DE LWCADEMIE
romain,, Al Girard veut cjue, sous le nom de pied italique,
Hcron ait indiqué le pied roniiiin ; il évalue d'après ces
bases toutes les mesures dont paile cet ancien, et fixe le
stade alexandrin, composé de 600 pieds philétéréens, ou
de 400 coudées, à a 10'", r^*-
Suprà.pag.jo. J'ai dit que les anciens n'avoient fait aucune mention
d'un stade semWaMe , malgré les relations continuelles
(jue les Grecs et les Romains entretenoicnt avec rf!,gypte;
et d'ailleurs ce stade ne se rattacheroit à aucun des stades
primitifs. J'ai montré aussi que la coudée d'Eléphantine
étoit la grande coudée de 3 2 doigts du stade égyptien
Syp.p. 70. -, de 2 5 2000 ; et l'on ne trouve nulle part que cette coudée,
multipliée 4oo fois au lieu de 300 fois, ait été employée
pour former une mesure itinéraire. Ces considérations
peuvent donc faire douter que les évaluations données
par M. Girard soient celles cju'il convient d'applicjuer au
système dont je m'occupe; et si , parmi les mesures prises
stir les monumens de l'F.gypte, on en trouve (jui peuvent
^tre rapportées à un pied analogue à celui du mille ro-
main , je pense qu'il faut chercher l'origine de ce pied
ailleurs que dans les divisions du nilomètre d'Eléphantine.
-^"r r-'S- »?• ^" ^ ^^' ' ^"^"^ '^^ systèmes transmis par Saint F.pi-
V.', iti. 104. pfijpjç pt p^^r Julien d'Ascalon , <]ue le stade de 270000
et celui de 225000 étoient employés dans la Syrie : la
proximité de l'I^gypte , limitrophe de cette contrée , ne
permet guère de croire que les mesures syriennes fussent
étrangères aux Egyptiens , sur-tout après la concpicte des
, Romains; d'autant mieux que, les subdivisions du stade
/•'*' de 225000 ayant les mt'mes valeurs que celles du mille
br\gf,"p. romain, le doigt, le palme, la spithame , le pied, la
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 107
covjdce, le pas et la calame de ce stade, répondoient exac-
tement au doigt, au palme, au dodrans , au pied, à la
coudée , au gradus et au dcccmpeda de ce mille : de sorte
que, sans rien dérangera leurs systèmes métriques, les
Romains, les Syriens et les Égyptiens y trouvoient des
points de comparaison auxquels toutes leurs autres me-
sures pouvoient se rattacher; objet fort important pour
la répartition des impôts chez les nations vaincues.
Mais il y a plus ; un passage d'Hérodote semble an- Hcrodot.i.n.
noncer que le stade de 225000 étoit connu en Egypte i^g'jf^^Jf'''
bien avant l'arrivée des Romains. .Cet auteur dit avoir
mesuré la base de la grande pyramide , et l'avoir trouvée
de huit plèthres. Cette base étant de 2yz^,6(>jS, si on la Suprà.pag.yo.
divise par huit , on a 29"", 08;; ; et c'est, à un demi-mètre Voyez k Tn-
prç5, le plèthre du stade dont je parle. tkau^s-'ér. col.
H- est. même fort vraisemblable qu'Eratosthène avait em-
ployé, dans quelques circonstances, le stade de 225000,
et que c'est à ce sujet qu'Hipparque aura dit qu'il falloit
ajouter au nombre précédent environ 25000 stades pour
compléter le périmètre de la terre en stades égyptiens
de 250000 ou 252000. Pline paroît avoir mal compris /'//«. aa //,
H, ,., ,. ... cap. 112.
ipparque, lorsqu il dit que cet ancien ajoutoit un peu
lîioins de 25000 stades aux 252000 qu'Eratosthène. don-
noit à la circonférence du globe, puisqu'il en seroit résulté
UHiStade d'environ iyyooo, dont il ne reste aucun sou-
venir. Il est certain d'ailleurs <ju'Hipparque a toujours Voyez i\,yiicU
employé, dans ses discussions géographiques, et sur-tout ,/„,„ /^ j^emiJy
pour former sa Table des climats, le stade de 252000, [-'l^J/,1^
ou de 700 au degré,
Q,uoi qu'il en soit, je me bornerai à observer que les
Oij
io8 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
deux staJcs prc'ccJens de 2yoooo et de 225000 difTcrent
entre eux comme les nombres 5 ci Cs , et se trouvent dans
les mOnies proportions que le pied italicjue et le pied philc-
tcrcen dHcrtm. J'ai fait voir que le premier de ces stades
Suprà.fkig. [S, ctoit appelé italique par Censorin ; et il n'y a aucune raison
^' pour douter que le pied italique d'Hcron ne soit le pied
du même stade. Sa longueur est fixée, dans la VII.* co-
lonne du Tableau général, à o'",' liôgn ; le pied piiilé-
tcréen, plus grand d'un cinquième, étoitdoncde o'", i./î,* ,
et c'est précisément le pied romain, celui du stade de
.Skpra.p.i^.^;. 22 5000, coHtenu 6000 lois dans l'ancien mille romain,
col. VII ti vm OU 5000 fois dans le nouveau, c'est-à-dire dans le mille
la&J"^'''" '^' ^" stade italique de 270000, comme je l'ai expliqué
ailleurs.
On ne doit pas s'étonner de rencontrer en Syrie et en
Égvpte les élémens des mêmes mesures dont on se servoit
en Italie : seulement, il ne faut pas en conclure que les
Romains eussent substitué leur système métricjue à ceux
que les Syriens et les Kgvptiens employoient auparavant;
il faut reconnoitre au contraire que ces mesures asiatiques
furent portées en Italie par les anciennes colonies qui
peuplèrent l'Étrurie, et que c'est de là que les Romains
empruntèrent leurs mesures, comme ils en avoient em-
prunté leurs arts.
Ainsi je prends pour le pied philctcrecn celui du stade
de 225000 ; pour le pied itiilitjue, celui du stade de
270000 ; et ces bases me servent à rétablir la seconde
série des mesures, ou l'ancien système présenté par Héron.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES.
ÉVALUATION DES MESURES EMPLOYEES PAR LES GRECS
D'ALEXANDRIE, AVANT L'ÊpOQUE Z)'hÉRON.
Aut,.
Doigt o, » > " j > s.
Ceit le tlot£t du lude de 32;ooo , et le doigt du mille romain.
Palme, = 4 doigts o, '>74°74-
C'eJt le pjlme du ttade de 22^000 , et le ffllme du mille romain.
DlCHAs, = 8 doigts, OU 2 palmes O, 14S148.
C'ejt le Jicliiij du stade de 2.2^000.
SpithAME, = 12 doigts, ou 5 palmes O, 21^111.
Cest la ipilliame du stade de 22J000 , et le sextans ou doJranj du mille romain.
Pied italique, = i j doigts -, o, ^V'S'i-
c'est le fied de 16 doigts du stade îtalique , ou de 2-/0000.
Pied royal ou philêtékéen ,■=: \6 doigts, ou 4 palmes o, z<j(,iy6.
C'est le pied du stade de 22^000, et le pied du mille romain.
PvGON , = 20 doigts, OU y palmes O, 57057''.
C'est le pygon du stade de 22jûûO.
Coudée xylopristique, == 24 doigts, ou 6 palmes , o, 4.t4t44.
Cest la petite coudée du stade de 22^000 , et lu coudée du mille romain.
Pas, = 40 doigts, ou lo palmes O, 740-41.
C'est le pas simple du st.ide de 22^000 , et le gradus du mille romain.
XyloN, = 72 doigts, ou 18 palmes, ou 4 pieds '- philétéréens , ou 3 coudées j, îj;;;;.
Cest le xylon du srade de 22f0(?û, et l'or^jie du stade de ^ooooo.
OrCYIE, = 6 ^\eàs jihilétéréens , ou 7 pieds 7 italiques, ou 4 coudées I, 77777S.
C'est l'orgyie du stade de 22JOOO.
CalAME OU Ac.'ENE,= 160 doigts, ou 10 pieds ^)/;;7f'/t'm'w, ou i 2 Tp'jedi iia/iijiics. 2, s'îiji^J.
C'est la calame du stade de zzjooo , et le decempeda ou la perche de lo pieds romains.
AmmA, = 60 Y^eàs philétéréens , ou 72 pieds italiques, ou 40 coudées 17, 77777S.
Cest t'atnma du stade de 22fOOO.
PlÈTHRE,= 100 pieds ^'^//lYi'Hvni, ou 1 2 o pieds /wAV^wm , ou localamcs 2g,6ij(jjo.
C'est le plètltre du stade de 22JOOO.
Stade, = 600 pieds ^)^//t>ir., ou 720 pieds italiq,, ou 400 coudées, ou 100 orgyies; 177, 77777S.
c'est le stade de 22^000 à la circonférence , ou de 62^ au degré ; c'est le stade du dohque syrien.
DlAULE,= 1 200 pieds /jAZ/rt/r., ou 144° pieds ;W/i^., ou 800 coud. , ou 2 st,ides. 355,55;;j;.
Mille, = 4JOO pieds /Ji^/Z/fcVirBi, ou f4"° P'^"^* italiques, ou 5000 coudées, ou
1800 pas, ou 750 orgyies, ou 4J plèthres, ou 450 acœnes, ou 7 stades 7. . . Ij35i 535355.
Cest le mille de 10 stades de ^OûOOû , ou de y stades - de 22^000.
ScH(i;neouParASANGEPEBS]QUE,= 30 stades, ou 4 milles 5333» >J33i3•
C>J; la parasange de jo stades de 22$ooo , ou de ^ milles du stade de jooooo.
110 M1..MOIRLS DL L'ACAUtMIE
SY^rÈME MÉri</(2L'E DES GRECS d'aLEXANDRIE,
AU TEAtrs d'héron.
Les mesures en usage à Alexandrie, nu temps d'Héron,
Fxcerj^., ,M f f,- t'toient, selon cet auteur,
■'mm. ./<■
yo.. , " Lt doigt;
Le condyle, de 2 doigts;
Le palme, de 4 doigts;
Le diclias, de 8 doigts;
La spiiliamc, do 12 doigts;
Le pied , de 16 doigts ;
La coudée lithiqce, de 24 doigts, semblable a la coudée xylopristique;
La coudée, de 32 doigts;
Le pas simple, de 4° doigts;
Le pas double, de 80 doigts.
L'orgyie, employée à la mesure de» terres labourables , ctoii de
9 spithamcs royales ^.
Cette nomenclature, comparée à celle du système pré-
cédent, fait voir qu'on avoit intercalé, parmi ses autres
subdivisions, le condyle, la coudée de 3 2 doigts, et le
pas double ; en y supprimant le pied itiil'hjue, le pygon
et le xylon. Mais, l'auteur ne donnant ni le mille, ni le
stade, ni mc^me l'orgyie de ce nouveau système, il seroit
impossible de fixer la valeur de ces mesures, s'il n'avoit
ajouté que la coudée lilh'ique de 2^ doigts étoit seinhUible
n la coude'e xylopristit/ue. Il parle de cette coudée dans l'ex-
position de l'ancien système, en lui donnant aussi 24 doigts;
et, de ce rapprochement, il résulte que la série des me-
sures dont il est maintenant question, avoit les mêmes
élémens et devoit avoir les mùnes valeurs que les me»
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. . i i
sures correspondantes de l'ancien système, l.e pas simple,
par exemple, y étant de o'", 74"74' , le pas double de celui-
ci devoit être de i"\ 48,481.
Cependant, comme l'auteur distingue formellement ces
deux systèmes, il n'est pas possible de douter qu'ils n'ol-
frissent quelque différence essentielle ; et si on ne la dé-
couvre pas au premier aspect, c'est qu'il faut la chercher
dans les multiples de l'une des nouvelles mesures qu'il
indique. Or, trouvant ici le pas double substituée l'orgyie,
comme dans le système romain, tout annonce que son Suf.jhig.Si.^^j.
usage devoit y être le même, et que, multiplié mille fois,
il produisoit un mille itinéraire de 1481'", 4S1. Dès-lors
on voit en quoi consistoit la différence des deux systèmes :
dans l'ancien, le mille étoit composé de 45°° pieds /^//i-
letereens ; dans le nouveau, le mille contenoit 5000 pieds
semblables, c'est-à-dire que les Alexandrins avoient aban-
donné le mille du stade de 300000, pour adopter celui
du stade de 270000 dont se servoient les Romains, en
conservant de même à ce dernier mille les subdivisions
du stade de 225000, qu'ils employoient auparavant.
Quan,t à i'orgyie citée par Héron, il est facile de re-
connoître qu'elle n'appartient point au système des me-
sures qui la précèdent, puisque l'auteur la compose de
neuf spithames royales et un quart, tandis qu'elle n'au-
roit pu être que de huit spithames, si elle avoit appar-
tenu à la série de ces mesures : aussi prévient-il qu'elle
servoit spécialement à mesurer les terres labourables. Cette
orgyie isolée, que l'habitude des Égyptiens leur avoit fait
iM MEMOIRES DF. L"ACAD£.\UE
conserver, tualiirc le chançîeinciit de domination, a déjà
paru isolément aussi parmi les mesures syriennes rappor-
tées par Julien d'Ascal<Mi, cjui donne sa valeur plus exac-
tement, en la lixant à neiil spiihames et un tiers ; et j'ai
Sup. p.ig. lo.' dit tjue cette orgyie éloit celle du stade grec ou olym-
pique de 216000, exprimée en spithames égyptiennes
du stade de 2 5 2000,
Le nom de royjl , donné par Héron au pied philété-
» réen et à la spithame dont il est question, ainsi que la
conversion de 9 y de ces spithames en une orgyie olym-
pique, pourroient faire penser que le système métrique
des Alexandrins se trouvoit établi sur la combinaison du
stade de 216000 avec celui de 252000, dont l'usage
Imfrà.pag.n-;. simultané a existé en Egypte, comme on le verra bientôt.
Mais, pour le système décrit par Héron, et au temps de
ce géomètre, cet arrangement ne pouvoit avoir lieu,
puisque, indépendamment de ce qu'il faudroit prendre
le pied ph'ilétcrccn pour celui du stade olympique de
216000, et le pied ïlolique pour celui du stade égyp-
tien de 252600, ces pieds se trouveroient entre eux
dans la proportion de 7 à 6, tandis que la différence
doit ctre de 6 à 5 , comme l'auteur le répèle jusqu'à huit
fois.
Je crois donc que les mesures employées à Alexan-
drie, au temps d'Héron, doivent être évaluées comme
on le voit dans le Tableau suivant :
hVALV ATION
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES.
1 1
EVALUATION DES MESURES EMPLOYEES PAR LES GRECS
d' ALEXANDRIE , AU TEMPS D'hÉRON.
Mclr.
Doigt o, oi8;iS.
Ceit te doigt du stade dt Z2J0Û0 , et le doigt du mille romain.
CONDYLE, = î doigts. O, o37o37-
C'est le eondfle du stade de 22;ooo.
Palme , = 4 doigts o, 074074.
C'est le palme du stade de 22^000 , et celui du mille romain.
DlCHAS,^ 8 doigts, ou 4 condyles, ou 2 palmes O, 14S14S.
C'est le dichas du stade de 22fffûff.
SpithAME,= 12 doigts, OU 6 condyfes, ou 3 palmes O, 122122.
C'est la sjfilhame du stade de 22^000 , et le sextans ou àodrans du mille romain.
Pied, = i6 doigts, ou 8 condyles, ou 4 palmes, ou i spithame |^ O, 2j(;25(;.
C'est le pied du stade de 22^000 , ou le pied phUétérien , et le pied du mille romain.
Coudée UTHIQUE, = 24 doigts &c. : la même que la coudée xylopristique. . o, 444444.
C'est la petite <oudée du stade de 22^000 , et la coudée du mille romain.
Coudée, = 32 doigts, ou \6 condyles, ou 8 palmes, ou 2 pieds O, jpijjj.
Cest la grande coudée du stade de 22J000.
Pas SI.MPLE, = 4o doigts, ou 10 palmes, ou 5 spithames j,ou 2 pieds ; o, 74074r.
C'est le pas simple du stade de 22^000 , le graàus du mille romain.
Pas double, = 80 doigts, ou 20 palmes, ou 6 spithamesy, ou 5 pieds i, 4814S1.
C'est le pas double du stade de 22 j 000 , l'orgy'ie du stade de 2^0000 , et le pastutdu mille rom.
( Mille, = looo pas doubles, ou 5000 pieds ) 1481.4S14S1.
Cest le mille de lO stades , ou de 1000 orgyies du stade de 2yoooo: c'est le mille romain.
L'ORGYlE, employée à la mesure des terres labourables, contient 9} spithames
royales, ou 112 doigts du stade de 2J2000, et vaut 1'", 8;i8;2.
C'est forg/ie du stade ol}mpique de 216000.
Tome VL
ii4 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
AUTRES MESURES EMPLOYÉES PAR LES GRECS
D' ALEXANDRIE, SELOX DJDV.ME.
ManKx.rrcc. Dans un maiiuscrit de ia Bibliothèque du Roi, on
jj. trouve, parmi plusieurs traites d Héron, un petit ouvrage
sur la mesure des pierres et des bois, attribue à Didyme
d'Alexandrie, et qui offre les rapprochemens suivans:
La couHée esc de 6 palmes , ou de 24 doigt» , ou de 1 \ pied
pioltniaïque , ou de 1 * pied romain;
Le pied ptoK'maïque est de 16 doigts, ou 4 palmes;
Le pied romain est de 13 -j- doigts, ou de 3 palmes i \\
Le pied pcoléniaj'que est à la coudée royale dans la proportion
de 2 à 3 ;
Le pied romain est à la coudée royale dans la proportion de 5 à 9;
Cent coudées valent 180 pieds romains.
La différence du pied ptolémaique au pied romain étant
Supr pag. loj. ici de 6 à 5 , et pareille à ia différence indiquée par Héron
Cirad. Mtm. entre le pied p/iiU'teWen et le pied ildlit/ue , on a cru pou-
ur 1rs mesures . , 1 • j i •! -. ' ' '. '^ 1 »
tgrairef Jts an- voir cn conclurc que le pied phiiclcrccn etoit le mcine
tu<u. E^ùtm, jjuç ^ pjpj ptoicmaïque, et le pied itali(jue le même que
le pied romain.
Mais je ne pense pas que cette espèce d'analogie , qui
d'ailleurs se présente et se répète quatre fois parmi les
stades dont j'ai parlé, puisse autoriser à croire que des
auteurs qui écrivoient dans la même ville, et, selon toutes
les apparences, à des époques peu éloignées, aient aflecté
de donner à des mesures semblables des dénominations
différentes. Ces sortes de suppositions n'ont de proba-
bilité que quand la méprise des auteurs est évidente. Dans
le manuscrit du Roi, le système des mesures d'Héron est
donné immédiatement après celui de Didyme, sans qu'il
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 1 1 j
soit dit que le pied philétcréen fût le même que le pied
ptolémaïque, ni que le pied italique fût cgal au pied ro-
main. N'est-ce pas une preuve que la différence des noms
suffisoit pour indiquer la différence des longueurs ! et
peut-on changer les dénominations techniques employées
par les anciens, sans risquer de leur faire dire autre chose
que ce qu'ils ont voulu exprimer ! On a vu Saint Épi-
phane décrire deux systèmes métriques reçus de son temps
dans la Syrie, et Julien d'Ascalon en présenter un troi-
sième. Héron parle également de deux systèmes alexan-
drins ; et celui de Didyme pouvoit différer de ceux d'Hé-
ron, ou appartenir à quelque canton de la Basse-Egypte,
sans que cette variété, dans un pays où l'abord fréquent
des nations étrangères entremêloit tous les usages, doive
paroître extraordinaire.
Je crois donc qu'on ne peut se dispenser d avoir égard
aux distinctions clairement énoncées par ces auteurs, dans
les mesures qu'ils nous ont transmises.
Or , selon Didyme, la proportion du pied romain au
pied ptolémaïque est de 13 y à 16, ou de 5 à 6 ; et le
pied romain étant, comme je l'ai dit, de o-", a/.,6 , le Sui^.yag.Ss.
pied ptolémaïque de cet auteur devoit être de o'", jijjss (i).
De plus, la différence du pied romain à la coudée
royale étant de 5 à p, et la différence du pied ptolé-
maïque à la même coudée, de 2 à 3 , il s'ensuit que
cette coudée étoit de o'", ^jjj^. On peut voir, dans le
( I ) Le pied ptolémaïque des
Alexandrins ne doit pas être con-
fondu avec le pied du même nom
que les Cyréncens employoient de-
puis long-temps. Ce dernier, selon
Hygin , suprà, pag. 86, 87 , étoit au
pied romain :: 25 : 24. Celui dont
parle Didyme étoit : : 24 : 20.
Pij
11^ MÉiMOIRES DE L'ACADÉMIE
Tableau gcncral, cjue cette grande coudée ctoit celle de
32 doigts du stade égyptien de 250000 à la ciiconfé-
reiice de la terre (1).
Ici, la grande coudée se trouvant divisée en 24 doigts,
ces doigts deviennent de grands doigts du stade précédent.
Seize de ces doigts formoient le pied ptolémaïque ; et il
ne paroît pas que cette combinaison particulière ait jamais
été portée plus loin que la coudée.
Voici donc la valeur de chacune de ces mesures:
EVALUATION DES MESURES INDIQUEES
PAR DIDYME d'aLEXANDRIE.
Doigt o, onm
Cm h gr^nd J.'igl du ttadt Jt Jfff^ûO.
Palme, = 4 doigu o, ossissy
Pied romain, = 1 j doigts 7, ou j palmes 7 o, îjÉiy*
cm U pitJ du iiéJt dt iiscec, « // fiiJ dm m'ilU nmuhi.
Pied ptolémaique, = i(5 doigts, ou 4 pjlmcj o, assiS
Coudée roïale, = 14 doigB,ou 1 ^ pied romain, ou i ; pied
ptuicmaïquc O, )))))}
C«f fd grmmdt tçhdit df J3 dtifti du ttjdr de jfPOffff.
Le pied piolémaique de o^, j ( ! I J 1 : ^ '* coudée royale de o",- j j H U : : » : J •
Le pied romain.. . . de o , lyCiyC : à la coudée roy.ilc de o . j j ) ) ) J : •' 5 ^ 9-
loo roudécj royales de o", JJ)))}
iSo pieds romains., de o , iy6iy6
= îî"". jnuj-
(i) Scion M. Girard, pag. f^,
la coudée moyenne conclue de la
mesure des 8 coudées inférieures du
niloniétredc Roudah.cstdco", i+ii;;
et la coudée moyenne de» 8 coudées
iupérieurc5,deo'",ij9)7. Il me semble
qu'on doit rcconnoitrc, dans ces cou-
dées inégales, des copies altérées de
la coudée royale de.» Alexandrins ,
dont parle Uidymc, et que les Arabe»
ont inconsidérément prolongée de 6
à lO millimétrés.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 117
DE LA COUDÉE d'ÉLÉPHANTINE.
J'ai annoncé que le système du stade de 252000 et SupYà.iui^. m.
celui du stade de 216000 avoient été siinuitanément en
usage dans i'Égypte ; les divisions de la coudée du nilo-
mètre d'ÉIéphantine, construit sous les Ptoiémées , m'en
offrent la preuve.
M. Girard a mesuré six de ces coudées : il a évalué la
longueur woy£'///;^ de chacune à 527 millimètres, etles trou- Girard, AUm.
vantaivjsees en quatorze parties, qu il suppose des demi- de l'de d'Eli'-
palmes égyptiens, il en a conclu que ces coudées se par- ^j'|,"j',%'^"'° ■^'
tageoient en sept palmes.
Mais l'antiquité n'a point connu de coudée de sept
palmes. Les auteurs donnent six palmes ou 24 doigts à la
petite coudée, et huit palmes ou 32 doigts à la grande.
Ainsi les divisions inusitées des coudées d'EIéphantine
doivent avoir eu un objet particulier : c'est, je crois, celui
de faire connoître en même temps , lors des crues du Nil,
la hauteur du fleuve en mesures égyptiennes prises du stade
de 252000, et sa hauteur en mesures grecques prises du
stade olympique de 216000.
Dans mon Tableau général , la coudée de 3 2 doigts dn
stade de 252000 est de 520^ millimètres, ou seulement
de deux millimètres plus grande que celle d'ÉIéphantine,
et cette différence est nulle pour l'objet dont il est question.
Ainsi les coudées mesurées par M. Girard sont bien des
coudées égyptiennes de huit palrnes (i); et il est visible
(i) Siiprà,p.yo ,yi. — Cettecou-
dée de 32 doigts du stade de 252000
dilïeroit seulement de o"^, 00^.232 de
la coudée de 32 doigts du stade de
450000 dont il a été question dans
l'aiticle de Didyme; et il paroît,,
iiR MrMoiRLS DE i;ac.\dé.mie
cjiic les c|iiatorzL- parues Juiis lesquelles elles se trouvent
divisées, ne peuvent pas ttre des demi-palmes cVvptieiis :
elles doivent, comme on va le voir, appartenir au stade
de 2 16000,
En effet, pour que ce nilomètre pût remplir le double
objet que je viens d'indiquer, il a fallu , après avoir tracé
dans toute sa longueur la grande coudée égyptienne de
huit palmes, la diviser en palmes grecs. Mais, comme les
six palmes de la coudée grecque ordinaire ne répondoient
qu'aux sept huitièmes , c'est-à-dire à sept palmes de la
coudée égyptienne, le surplus delà longueur de cette
dernière coudée, à quatre ou cinq lignes près, égal à
chacun des six palmes grecs précédens, est ce qu'on a pris
par mégarde pour un septième palme de la coudée égyp-
tienne, tandis qu'il en étoit juste le huitième ; et l'on voit
comment la longueur de cette coudée a pu se prêter à ^tre
divisée en quatorze condyles ou demi-palmes c)lympii|ues
presque égaux.
Ceci deviendra plus sensible et plus exact par l'exemple
suivant, qui donnera d'ailleurs une méthode très-simple
pour convertir les mesures égyptiennes en mesures grecques,
et réciproquement celles-ci en mesures égyptiennes.
D'après le Tableau géiu'ral , la coudée égyptienne de
32 doigts ou de 8 palmes du stade de 252OCO, étant de.O", (>-iai.
Si l'on ôtc un palme de la même coudée , ou O , o'^'SiiS.
Il reste la coudée grecque de 24 doigt», on de 6 palmes
du stade de 216000 o , ^x>6i.
d'après ce que j'ai dit png. ro2 , que
l'on cniployoit inditTcrcmmcnt , et
que l'on coofoodoit mcmc, pour les
petite» mesures usuelles, les subdi-
visions de cet deux svstcme».
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 119
Oa , si l'on veut ,
La coudée grecque de 24 doigts, ou de 6 palmes du
stade de 216000, étant de C", ^ôipSj.
Si l'on ajoute un palrfie égyptien du stade de 252000. . . o , 066118.
On a la coudée égyptienne de 32 doigts, ou de 8 palmes
du stade de 252000 o , 529101.
Mais H faut observer qu'en ôtant un palme de la
coudée égyptienne de huit palmes, ou en ajoutant un
palme égyptien à la coudée grecque de six palmes , il n'en
résulte pas une coudée de sept palmes proprement dite,
mais toujours une coudée de six palmes , ou une coudée
de huit palmes, d'un système différent de celui sur lequel
on a opéré ; d'oij il résulte évidemment que les anciens
n'ont pas eu de coudée de sept palmes pris dans le
système métrique qu'ils adoptoient.
DE LA COMPARAISON DES MESURES ÉGYPTIENNES
AVEC LES MESURES BABYLONIENNES.
Les observations précédentes me conduisent à
l'examen d'un passage d'Ézéchiel , sur lequel on s'appuie Ginud.Aicm.
pour dire que les Hébreux avoient aussi une coudée de 'd^ inI"'d'Eil
Sept palmes. phamke, p.,z-
C'est lorsque le prophète, en rapportant les mesures
du Temple , ajoute qu'elles avoient été prises avec une
cciiine longue de six coudées , dont chacune étoït d'une coudée EzeMd. cap.
et un palme. V',;T'''"^'
J'observerai, sur ce passage, que, la coudée ordinaire
étant de six palmes, si la coudée augmentée d'un palme ,,
I20 ME^\0!RES DE L'ACADÉMIE
dont parle Ézc'chiel , avoit ctc composée de sept palmes
(.•gaiix, le proplictc , pour éviter toute éc|uivo(jue, auroit
dit simplement que la canne dont on s'étoit servi étoit
longue iie sept couJt'cs, c'est-à-dire de 4 i palmes, au lieu
de 3(î. S'il a cru devoir s'expliquer autrement, c'est quil
a voulu faire entendre que les six palmes ajoutés aux ^6
autres dévoient en être distingués, parce qu'iU n'avoient
pas la même longueur, et qu'ils provenoient d'un système
métrique difiérent de celui auquel apparteiioient les 3^
premiers palmes.
Les interprètes conviennent que les expressions d'Ezé-
chiel indiquent la différence qui existoit entre les mesures
égyptiennes et les mesures babyloniennes; et comme ils
pensent que les Juifs, dans la construction du Temple,
s'étoient servis des mesures égyptiennes prises du stade de
180000, ils ont conclu que les mesures babyloniennes,
étant plus courtes d'un sixième, provenoient du stade de
216000. Ce raisonnement est juste dans l'hypothèse qu'ils
ont embrassée; en effet,
La coudJe i-gypiit-nnc- Ae z\ doigts ou de 6 palmes du
tiadc de 180000, étant de O", u •-•
Si l'on Ole un palnu- de la même coudée, ou O , o.^aj^j.
Il restera la coudée babylonienne de 24 doigts ou de
6 palmes du stade dt 216000 o , ,': ,- .
Ou .
Si l'on prend la coudée !)aliylonienne du si.idc de 216000. O", ♦<i»«i.
Et qu'on y ajoute un palme du stade de 180000 O , 09119a.
On aura la coudée égyptienne du stade de iScooo... «^ , :.
Ainsi rien ne s'oppose au mode de réduction que je
viens
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 121
viens de présenter, puisqu'il s'accorde dans des combi-
naisons différentes ; et l'on voit qu'il n'est pas plus question
ici d'une coudée de sept palmes égaux que dans l'exemple
rapporté pag. 118, Jip.
NÉANMOINS toutes les difficultés ne me paroissent pas
résolues; et je me permettrai de demander s'il est bien
sûr, comme le veulent les interprètes, qu'aux époques
dont je parle , les Égyptiens et les Babyloniens se ser-
vissent des mesures dont il vient d'ctre question, et s'il
est certain aussi que les Hébreux, après leur sortie de
l'Egypte , aient conservé l'usage des mesures de cette
contrée.
Ces doutes s'élèvent avec d'autant plus de force , que
plusieurs des interprètes conviennent que les dimensions
des édifices et des autres objets dont il est parlé dans la
Bible, deviennent colossales, si on les évalue d'après les
mesures données par les stades précédens.
Il est donc très-probable que, dans ces temps reculés,
les stades secondaires n'avoient encore été introduits, ni
dans l'Egypte, ni dans laBabylonie, et qu'il faut employer
ici des mesures prises parmi les stades primitifs que la
tradition annonce avoir été en usage dans ces contrées.
Chez les Egyptiens , Hermès passoit pour avoir divisé Suprà.pag.46,
le périmètre de la terre en 360000 stades.
Et l'on a vu que les opérations faites par les anciens, Sup. jug. oy.
pour déterminer l'emplacement des principaux lieux de la
terre, dans le sens des longitudes, sous le 36/ parallèle,
opérations qu'on ne peut guère attribuer qu'aux Baby-
Tome VI. Q
lii MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
Ioniens ou plutôt aux Chaldcens leurs prddccesseurs,
avoieiit cic combinées en stades de 300000.
C'est donc dans les subdivisions de ces stades qu'il con-
vient de chercher et qu'on peut espérer de trouver les
mesures qui doivent ctre ap]iliquces aux objets dont je
vais parler.
Il faut observer d'abord que rien ne constate qu'après
leur sortie de l'Egypte, les Juiib aient conserve l'usage
exclusif des mesures employées dans ce pays. Au con-
traire, des qu'ils eurent secoué le joug des Egyptiens, on
voit Moyse rappeler, parmi les institutions qu'il donne
aux Hébreux, les élémens d'un système métrique difTé-
reiit de celui auquel la plus grande partie de ce peuple
avoit pu s'accoutumer pendant la durée de son esclavage,
mais que, selon toute apparence, les anciens, les chefs
de la nation, n'avoient jamais adopté. C'est du moins le
sens que me paroît présenter l'expression de PoiJs du
Exoj.c.xxx, Saiictuiiirc , si souvent répétée dan^ l'Exode, le Lévitique,
i.v. vcn. 1;: les INombres , puisque la distinction des pouls eut ctc
i. XXVII, vers. • .1 -iiii -!•• !.• I > •.
;, -V Nêimer. '"Utile, SI Ics Htbroux, a 1 cpoque dont je parle, n avoient
up.111.vm.47. connu qu'un seul système métrique. On sait d'ailleurs
;». cap. VII. 1 J 1
"fn.i}, ip,2s , que, dans les métroloyies anciennes ou modernes, le
Sf ,61,67,^}. système des poids, comme celui des mesures de capacité,
fap.xvi'ii.vm. dérivent des mesures de longueur.
'*■ Ces mesures du Siinclii{iire ne pouvoient ctre que des
mesures consacrées par l'ancienneté de leur usage, et les
premières dont les Juifs s'étoient servis. On voit, dans
leurs livres, qu'avant de se fixer en Egypte, ils avoient
erré pendant plus de quatre siècles dans la Mésopotamie,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 123
la Syrie, la Palestine , où les mesures babyloniennes
ctoient nécessairement établies : ainsi ils les avoient em-
ployées durant ce long intervalle de temps. Lorsqu'en-
suite ils trouvèrent d'autres mesures en Egypte, elles
durent leur paroître nouvelles ; celles de la Babylonie
devinrent pour eux <!^ anciennes mesures : et c'est sous cette
acception , je crois , qu'il faut entendre le passage des
Paralipomènes où il est dit que les dimensions du Temple Paraiipom. u.
avoient été données selon l'ancienne mesure. mp. ^ , vers . s-
Il est donc aussi questioi de mesures babyloniennes
dans le passage d'Ézéchiel, puisque ce prophète n'a fait
que répéter celles de l'ancien Temple ; et comme ces
mesures se trouvoient plus grandes d'un sixième que
celles de l'Egypte, il s'ensuit qu'elles appartenoient au
premier système babylonien, c'est-à-dire au stade de
300000, et que c'est avec le petit stade égyptien de
360000 qu'elles doivent être comparées.
Alors, en employant la méthode que j'ai donnée, et en pre-
nant, dans le Tableau général, la coudée de 24 doigts
du stade de 3 60000 o", 2-7777S.
Si l'on y ajoute un palme du stade de 300000 o , 05^5;-.
On aura l'ancienne coudée babylonienne du stade de
300000 n ,,
qui sera en même temps la coudée du Sanctuaire, la coudée légale
des Juifs.
Cette évaluation me semble justffiée par les rappro-
chemens suivans.
Le mille hébraïque, ou le chemin Sabbatique, c'est-
à-dire l'espace que l'usage permettoit aux Juifs de par- .^"''""^; ''"^'"-
1 . , , , ' ti/t.tom.l Jii.iJ,
courir les jours de sabbat, étoit, selon les -rabbins, de '''!•■ ''P^s-jp?.
'il4 Mi,AlOIRES DE L'ACADEMIE
deux mille coudces légales, et seroit, d'après l'cvaiiiation
préccdente, de GG6 nictres -f.
S. EphLin. Selon Saint Epipliane, né en Palestine, le chemin
Ailvtn, ijro. c i i • / • i • i
Lxyt. f. Sj, îïaubatKjiie ctoit de six stades.
nn. l.p.yo;. £j^ parlant des mesures transmises par cet auteur, j'ai
9S. faii voir que, de son temps, on ciiiployoit deux stades
dillJrens en Syrie, celui de 252000 et celui de 270000;
mais que le mille itinéraire de dix stades de 360000,
ou de 111 i"\ .n, s'y étoit maintenu malgré les chan-
gemens qu'avoient éprouvés les autres mesures. Il est
donc très-vraiscinblahie que ce mille, ou le stade dont
il se composoit, avoit continué d'ctre la mesure la plus
habituelle du peuple, et que c'est avec le stade de
I I 1'", ... que Saint Epiphane comp;ue.le chemin Sabba-
tique. Or six de ces stades valent précisément 666 mètres 7,
que donnent les deux mille coudées de 3 3 3 millimètres -f
du stade de 300000 ; et cet espace, à très-peu près égal
à la longueur du jardin des Tuileries, doit paroiire suf-
fisant pour une promenade qui n'étoit que tolérée, puisque
Exod.cap.xvi, la loi délendoit aux Juifs de sortir du lieu oiî ils se trou-
voient le jour du Sabbat.
Vfn.
29,
Prenons un autre exemple.
Parmi les objets destinés au culte des iu\[->, il en est
Ejod. cap. tiojjt la mesure est donnc-e. On trouve, dans l'Exode et dans
xxxviii,v. i r i. I I r
Eztch. 01p. EzéchicI , que l'autel des holocaustes et I autel des parfums
xu.t-en.ii. avoient trois coudées de hauteur. Ces autels sont distin
guc^ de ceux où l'on montoit par des degrés ; ainsi ils
étoient placés immédiatement sur le pave du Temple.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 125
Or, s'il étoit question, comme on le croit communc-
ment , de la coudée égyptienne du stade de 180000,
ces autels auroient eu un mctre et deux tiers, ou cinq pieds
un pouce et demi, de haut ; ils auroient égaie la taille
ordinaire des hommes, et n'auroient pu servir.
Si on les suppose de trois coudées babyloniennes du
stade de 216000, ces autels auroient eu plus d'un mètre
et un tiers, ou quatre pieds trois pouces et un quart, et
se seroient encore trouvés trop élevés.
Mais, si l'on y emploie l'ancienne coudée babylonienne
du stade de 300000, celle de 333 millimètres ~, dont
je viens de parler, on aura un mètre, ou trois pieds onze
lignes ; et cette hauteur, qui est celle de nos autels mo-
dernes, est la seule convenable.
Je retrouve les proportions des deux anciennes coudées
babylonienne et égyptienne dans Hérodote, lorsque, par- HtroJoi. m.i,
iant de Baby lone , il dit : La coudée de roi est de trois doisrts plus ^ '^f- P- H'
J O C l raductwn de
grande que la coudée moyenne. J'observerai seulement qu'il est ^^- Lnrchcr,t. 1,
ici question du grand doigt, dont j'ai fait connoître i'ori- s'uprà.pag.jy.
gine, et que trois de ces doigts formoient le palme.
Maintenant, si l'on prend pour la coudée royale celle
du stiide babylonien de 300000, le plus grand des trois
stades primitifs, et les doigts pour de grands doigts du
même stade, on aura,
Pour la coudée royale o™, îîjj-s-
Otèz trois grands doigts ou un palme de cette coudée. . . o , 055555.
II restera pour la coudée moyenne o ^77773.
Et cette dernière coudée est encore celle du petit sUide
12^ MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Sufrà.p-if. /. 7 éi^vPtien indique par Ezcchiel ; de sorte que les deux
exemples, quoique pris en sens inverse, se confirment
réciproquement.
Si au contraire on vouloit chercher, parmi les stades
secondaires, les proportions données par Hérodote, on
seroil force de prendre.
Pour la coudi'e moyennt , celle du stade de 2160CO O"', ^1961.
D'y ajouter trois grands doigts du stade de 180000.... o , «x^itçi.
Et l'on auroit pour la coudéi: royal< o , ,;ts>s-
Mais, dans cette hypothèse, la coudt.'e royale de Baby-
ione deviendroit la coudée du grand stade égyptien de
180000; et ce résultat seroit hors de toute vraisem-
blance, puisqu'il faudroit supposer gratuitement que les
Babyloniens avoient abandonné leur système métrique
pour prendre celui des Egyptiens.
Il p.-vroît donc qu'au temps de Moyse , d'Ézéchiel , d'Hé-
rodote, peut-être même à des époques moins reculées, le
système métrique des Babyloniens étoit établi sur leur petit
stade de 3 oooop , et non sur leur grand stade de 2 1 ^000.
Voici d'autres rapprochemcns qui fortifient cette opi-
nion.
C/«*«i. cifui Selon Ctéslas et selon Hérodote, les murs de Babylone
fô!^//'. s'^7, avoient cinquante orgyies, ou deux cents coudées royales,
p.,g. /.«.. jç huuteur. En évaluant ces mesures d'après le grand stade
S.i7i>,p.S4 babylonien, elles vaudroient plus de 92 mètres t. o"
285 T ^'^- "OS pieds de roi. Mais, quoique la seule- idée
d'admettre de^ murs de ville plus hauts de 80 pieds que
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 117
les tours de la cathédrale de Paris n'ait pas effrayé le savant
Fréret, il me semble que de pareilles murailles, du haut Fréra, Bsai
,, , . , > • /^j! ^ sur les mcsiins
desquelles les assiégeans eussent a peine cté apeiçus, et /o„gues des
an-
d'où il auroit été si difficile de les atteindre, sont de pures g^,^f;™-^^;
illusions. Aussi Diodore de Sicile rapporte-t-il que des hscrif>th,:s,tom.
écrivains postérieurs à Ctésias bornoient la hauteur de ^.^^^^_ ^,..^^_
ces murs à cinquante coudées, et c'est l'opinion suivie '• /, /. //, /■ 7.
par Strabon. Or cinquante coudées du grand stade baby- StraLm.xvi.
Ionien vaudroient environ 23 mètres, ou 7 1 de nos pieds; }'-'S-7}S.
et cinquante coudées du petit stade égaleroient i 6 mètres f
ou 5 I pieds 3 pouces.
Mais, puisqu'il est impossible de ne pas reconnoître,
dans la grande dissemblance des mesures précédentes et
de celles qui ont été rapprochées ailleurs, au moins une Tmduc.fran-
.^ I ^ • ^ J i çaise de Stmhn ,
méprise de nomenclature, on peut, sans crainte de se trom- tom. v.-pag.ibz,
per, prendre pour des palmes les 200 coudées d'Hérodote, '""'■
ou les 200 pieds que Pline leur substitue ; et pour des ^l^'"':J'^' ^''
coudées, comme le disent Diodore et Strabon, les 50 or-
gyies de Ctésias. Alors on trouvera que 200 palmes du
grand stade babylonien représenteroient i 5 mètres ^; que
50 coudées du petit stade vaudroient i 6 mètres y, comme
je l'ai dit ; et toutes ces mesures, si disproportionnées au
premier aspect, ne différeroient plus que d'environ un
mètre, ou de trois pieds et demi.
Quant à la hauteur à laquelle je réduis les murs de Ba-
bylone, comme elle surpasse encore celle des remparts Le Blond, ku-
, . . I . , , I "îf'" dcfonifica-
de nos principales villes de guerre, en y comprenant tim.fdg. ^,,2.
même la profondeur des fossés, elle paroîtra sans doute
suffisante pour justifier la célébrité que ces murs ont eue
chez les anciens.
,2!! MKMOTRES DF L'ACADEMIE
TROISIEME PARTIE.
DES MESURES ARABES, PERSANES,
INDIENNES, CHINOISES, &c.
El s MESURES employces jxir les géographes aràbe$
dans la <Iescription Jun grand nombre de contrées qui
nous sont encore peu connues, présentent trop d'intérêt
pour qu'il ne soit pas utile de chercher à découvrir la
valeur de ces mesures par des movens j>lus exacts que
ceux dont on s'est servi jusqu'à présent.
En trouvantchez ces peuples l'usage du doigj, du palme,
de la coudée, du mille, de la parasojige, on ne |ieut douter
que leurs systèmes métriques n'aient été puisés dans les
mêmes sources que ceux des Grecs; et, sous cet aspect,
les mesures des Arabes du moyen âge, c'est-à-dire des
Écoles de Bagdad et de Samarkand, appartiennent encore
à l'antiquité, et doivent se rattacher aux systèmes précé-
dens. Mais quelques changemens introduits dans les sub-
divisions de ces mesures ont fait méconnoître leur origine
immédiate ; et une nouvelle évaluation du degré terrestre,
proposée par des astroiiomes arabes, a contribué encore
à jeter de l'obscurité sur la valeur des mesures dont ils
parlent.
On vojt, dans les auteurs arabes, que le khalife Al-
Mamaun, qui rcgncjit à Bagdad au commencement du
lU'Uv icnie
ment, astronom.
png.S'.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 129
neuvième siècle de l'ère chrétienne, ordonna de mesurer
plusieurs degre's de la terre sous différens méridiens, et
que ses astronomes se divisèrent en plusieurs bandes pour
exécuter ses ordres.
Les uns, selon Ebn lounis, se rendirent entre Wamia Bnlounis.No-
et ladmor, ou, suivant Mcsoudi, entre Racca et Tadmor; duRoi.tom.vii.
ils y mesurèrent séparément deux degrés, et trouvèrent 'J/f^,^/ \t
à chacun 57 milles. Les autres se portèrent dans les plaines "'"" '^" '"a»"^'--
JC••^I r /r ' j /■ ..r du Roi, lom. 1,
de binjar, ou le degré lut trouve de 56 milles :^ ; mais, yg-s', r^.
selon Abulféda, on mesura, dans les plaines de Siniar, Atuifeda,Pr»-
d' j , . i , ... kgomen. ad Cco-
eux degrés contigus du nord au midi : on trouva l'un #w/.A. /« Bus-
de 56 milles, l'autre de 56 f ; on adopta la plus forte Zm^iv.'ltijl'
estimation, et la circonférence de la terre fut évaluée à Aifcrgmd.Ek-
20400 milles.
Voilà donc, d'après ces différens auteurs, quatre me-
sures qui donnoient aij degré du méridien 56, 56-^,
56 y, ou 57 milles, composés chacun de 4ooo coudées Ehnhunh,No-
• j , k \ -KK i> '"-^^ des mattusc.
nôtres adoptées par Al-Mamoun ; et 1 on ne peut juger du Roi, t. vu,
quelle est ia mesure la plus exacte, qu'après avoir reconnu ^''tf' . r-,
la valeur de la coudée dont ces milles se composoient. '"""■■ '""■"""'"•
En cherchant cette valeur d'après la méthode que j'ai ^^^' '"'
suivie dans mes deux Mémoires, je trouve que
Le m'iUa de j6 au degré ) „ ,^ ( et sa iooo.' partie, )
■ Le mile de 56 ^ , de, . 1975 , 30S64» ., fU. .,,.,,....; o , ,538.7.
Le mille de 56 4, de., i960 V.s^.* . .V.'.^!)V^. o , «o.,6.
Le mille de 57 , de.. . . 1949 , 3.7739 .^iy^•p. .Q 0.0 i. ..... o , ^873.9.
Quoique ces mesures, prises isolément, semblent ré-
clamer la même confiance, si cependant l'une des quatre
coudées qu'elles produisent se trou voi^- légale à une autre
Tome Vi. K
ijo .MFMOIRFS DE L'ACADÉMIE
coiidce dc)à conmie pour être exacte, ne seroit-on pas
autorise à considérer la coudée noire des Arabes comme
une simple copie d'une coudée plus ancienne?
Or, la coudée du mille de 56 ^ au degré étant de
o"", 4vj3i7. et rigoureusement égale à la coudée de 32 doigts
Voyei It T.i- du stade de 270000 , on doit en inférer que cette ancienne
ho'ii Vil. coudce est celle qu Al-Mamoun avoit choisie pour établir
le système métrique de ses états , et qu'il (ît employer en-
sin'te dans la mesure de la terre.
Il seroit sans doute difiicile de se persuader que les
moyens employés par les astronomes arabes aient pu les
amener à une semblable précision : mais on peut croire
qu'ils auront arrangé les résultats de leurs opérations de
manière à s'approcher le plus près possible du rapport
qui étoit supposé exister entre la grande coudée du stade
de 270000 et les degrés qu'ils avoient à mesurer ; et
l'on ne doit attribuer le choix qu'ils ont fait du mille
de 56 y au lieu de celui de 56 -^, qu'à l'incertitutie où
ils étoicnt eux-mêmes sur la longueur positive de la cou-
dée dont il est question.
Les changemens qu'entraînoit cette méprise, produi-
sirent le nouveau système adopté par Al-Mamoun. Les
mesures correspondantes aux subdivisions du stade de
270000, telles que le doigt, le palme, la grande cou-
dée, y furent réduites d'un cent trente-sixième; et le mille
ordinaire de 4ooo coudées de 24 doigts y fui remplacé
par un mille composé île 4000 coudées de 3 2 des nou-
veaux doigts.
Un passage d'un auteur arabe cité par Gofius semble-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 131
roit donner aussi un moyen pour évaluer la coudée noire;
et il fait connoître en même temps le système des mesures
employées par les Perses, dans le septième siècle de l'ère
chrétienne. Mais ce passage renferme une méprise qu'on
ne paroit pas avoir aperçue, et cju'il importe de signaler,
pour éviter à l'avenir les erreurs qu'elle a fait commettre.
Après avoir dit que la coudée hachémique portoit aussi
le nom de coudée royale, parce qu'elle avoit été établie
d'abord par les rois de Perse, et adoptée ensuite par les
khalifes hachémides, l'auteur ajoute: Amnym. npud
Goliiim , Nota.
La coudée hachémique vaut i ^i coudée commune. inAlprgan.pag.
74 > 7S-
La coudée commune contient 6 pahnies, et le palme 4 doigts: ainsi
cette coudée est composée de 24 doigts. Le doigt vaut 6 grains
d'orge, et le grain d'orge, 6 crins de cheval.
E>e sorte que la coudée hachémique est de 8 palmes, ou de 32 doigts.
Quant à la coudée noire dont on se sert à Bagdad pour mesurer
les étoffes de lin et les autres marchandises précieuses, elle fut
établie par Al-Manioun, d'après la coudée de l'un de ses esclaves
nègres qui se trouvoit avoir l'avant-bras plus long que tous les
autres ; elle contient 6 palmes et 3 doigts , c'est-à-dire 27 doigts.
La canne ou perche, appelée Bah , est de 6 coudées hachémiques (i),
qui valent 8 coudées communes , ou 7 coudées noires et f.
La chaîne ou le cordeau , mesure dont on se servoit au temps des
Perses, étoit de 60 coudées hachémiques.
Sans s'arrêter à l'origine fabuleuse donnée à la coudée
noire, on voit qu'au temps d'Al-Mamoun, et après lui,
on a employé, dans ses états, trois coudées dont les lon-
gueurs étoient entre elles comme les nombres 32, 27
et 24.
(1) Dans la traduction latine il
y a vil coudées: c'est une faute
d'impression ; le texte arabe porte
SIX coudées. Fréret , ne s'ctant pas
aperçu de cette faute, a créé une
seconde coudée hachémique, qui n'a
point existé. Mémoires de l'Académie
des Inscriptiojis, tom. XXIV, p. }j^.
i3i MF.MOIRES DE L'ACADEMIE
Dans mon Tableau gcncral, la proportion de 32 à 27
n'existe qu'entre la grande coiuice du stade de 270000
et la petite coudée du stade de 2J0000 ; d'où il semble-
roit que
La coiidcc haclicniique devroii être celle de 32 doigts du
stade de 270000, et valoir o"", «jSj?.
La coudée commune, celle de 24 doigts du même stade,
ou de O , )7037».
Et la coudée noire, celle de 24 doigts du stade de 240000,
qui valent 27 doigts du stade de 270000, ou o , 416647.
Mais, dans cette hypothèse, la coudée noire, multi-
pliée 4ooo fois, donneroit un mille itinérairetle 1666"^, 667,
qui se trouveroit compris 66 fois y dans le degré, au lieu
de 56 fois y, comme le vouloient les astronomes d'AI-
Mamoun ; et une erreur d'environ \\n tiiKjuicme ne peut
pas leur ctre imputée.
Il est donc visible que l'auteur cité par Golius a con-
fondu la coudée noire avec la petite coudée du stade de
240000 (i).
(i) Plusieurs écrivains arabes ont
commis la même erreur. II y a plus:
Ahulfcda, Mésoudi , E!)iial-Ounrdi ,
et autres, disent que Ptoléiuée, dans
son Almagcste, a donné à la cir-
conférence de la terre 24000 milles,
ou 66 milles i au degré, quoiqu'on
ne trouve rien de semblable dans
les ouvrages de cet ancien , qui a
constamment employé le stade de
180000 au périniétredu globe, ou de
500 au degré, et dont le mille itiné-
raire ne pouvoit être que de jo au
degré.
Vcri le temps où les Arabes ont
commencé à cultiver les sciences et
à consulter les ouvrages des Grecs,
les Syriens se servoicnt d'un mille
composé de 7 stades 7 (siiprà , pag,
^S, 104.) : cest probablement ce qui
aura fait croire aux Arabes que,
pour convertir en milles itinéraires
les 1 80000 stades de Ptolémée , il
sufTisoit de les diviser par 7 ~; et ils
en ont concluque, dans son opinion,
la circonférence de la terre dcvoit
tire de 24000 milles, et chaque degré
de 66 i.
C'est la troisième fois qu'il est
question , dans ce Mémoire, du mille
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 135
Peut-être, de son temps, l'exacte proportion de la cou-
dée hachcinique à la coudée noire n'étoit-elie plus connue
à Bagdad.; peut-être encore, pour simplifier les opéra-
tions , étoit-on convenu de négliger la fraction de -jj-
dans le rapport de ces coudées (1), Je pense donc que,
pour retrouver leur vraie longueur, il faut en fixer la pro-
portion de 32 à 26 f, c'est-à-dire de 6 à 5 , qui est la
différence du stade de 225000 au stade de 270000.
Alors, la coudée hachémique sera celle de 32 doigts du
stade de 225000, et vaudra O", jj^jg;.
La coudée commune, celle de 24 doigts du même stade,
ou de. o , +«M4.
La coudée noire, celle de 32 doigts du stade de 270000,
ou de 26 doigts j du stade de 225000, qui valent. . . . o , io^Siy.
Et cette dernière coudée, multipliée 4000 fois, don-
nera, comme on l'a vu pag. i2p , le mille de 1^75"^, 303^4^,
contenu '^6 fois \ dans le degré d'un grand cercle de fa
terre.
On peut donc, d'après ces bases, rétablir de la manière
suivante le système métrique dont les Perses se servoient
immédiatement avant la domination des Arabes, et celui
qu'Al-Mamoun y avoit substitué:
de 7 stades ^. J'ai exposé à chaque
article les raisons qui ont déterminé
les différentes valeurs que j'attribue
à ces milles et à ces stades.
(i) Cette fraction négligée fait
que la canne ou perche hachémique,
appelée Bab , est fixée, par l'auteur
anonyme , À7 f coudées noires , tan-
dis qu'elle devoit en contenir 7 -5.
ni
MK.\lOirU.S DF. LACADK.Mir
srsre^uE metiuque des perses et des arabes,
d'aprks [.a coudée royale ou hachémique.
ï
M. Cl.
Crin de la queue d'un cheval O. oooj 14.
Grain d'orge, := 6crins o. 003086.
Doigt , ^ 6 gntins d'orge O, o 1 8 s r s.
Cm II itlp i» tudi il jj/otf».
Palme, = 4 doigts o, «74°74-
Cttl h fitme A jiiJe dt ijjo&e.
Coupée COMMUNE, = 14 doij;t5, ou 6 plmei o. 444444-
Cttl U pttiu (iudtl du Itidl dt 22foec.
COL'DÉE ROYALE ou HACHÉMIQUE , ^ 31 doigts, OU 1 '- coudée
cotnmuac o> ;9- S9)-
Cttl II gnmdt tsmJét d» tiade <ft 2i;aaa.
Canne ou Perche, =6 coudées hachémicpcs , ou 8 coudées
communes, ou 7 J coudées noires 3< JlJil}-
Cm U iriMiimt dt u (cnftUDT dt l'dtlU Jtl Kimiinl.
Chaîne OU Cordeau, = 60 coudées hachémiqucs 35. ss'JSj-
Cm II Inf*" dt rutu dfl Fimilni.
f MiLLF, = jooo coudées hachémiqucs) \~T]>77777^-
irti It mllli dt 10 tiidii di iifcce. 1- Il dclifui />'"••
i Pahasange , = 3 mille* ) 5333' J J " H-
t,ti !.t rar.iimtf Je }c ttéiftt •'.t 22;oaa.
VoK I inaiiitenant Icvaliiaiion des mesures attribuées
à Al-Mamoun, et celle des mêmes mesures ramenées à
leurs valeurs réelles:
DES LNSCRIPTIONS ET BELLES- LETTr. ES.
Î5
SYSTÈME MÉTRIQUE ARABE»
SYSTÈME MÉTRIQUE
ARABE
ÉTABLI SUR LE MILLE DE 56 7 AU DEGKÉ.
KECTiFlà ,
ÉTABLI SUR LE MILLE DE 56 ,
AU DEGRÉ
Mai.
Crin de la queue d'un cheval 0, 000^25.
Crin de la queue d'un cheval
Mè.i.
0, 000^29
Ghain d'ohce, rz 6 crins 0,002553.
Grain d'okce,=: 6 crins
0, 002572.
Doigt, := 6 grains d'orge 0,015318.
Doigt, =: 6 grains d'orge,
Cest ledoigt du smdede zyoooo.
, 0,015452
0, 06172s.
Cest le palme duitadede lyoooo.
Coudée noire, ~ 32 d«ist$ 0, 4.90196.
Coudée jaôi doigts de 225000
NOIRE, ""(32 doigts de 270000
0, 493S27
MiLLB de ^000 coudées noires, ou
de lo^oo » la circonf de la lerrc. i960, 784.3 14..
Mille de 4000 coudies noires, ou
de 20250 à la circonf. de la terre.
1975. 308642.
( PABASANCEdc^ mlIlcS ) ^882, 352912.
(ParaSange de 3 milles )
C'est lii par^sange de ^0 siudes de
zyoooo.ou de ^mit/es T0'ni:int.
Voyez pû^es So , Si.
S925,92592f.
Xes réglemens d'AI-Mamoun ne paraissent pas avoir
été long-temps exécutés. Les Arabes des divers cantons
reprirent leurs anciennes mesures ou en adoptèrent de
nouvelles : du moins les écrivains postérieurs qui parlent
de la coudée noire, semblent-ils la citer isolément , comme
une mesure qui ne se rattachoit plus à celles dont on se
servoit de leur temps; et les milles itinéraires, ainsi que
les parasanges dont ils établissent la valeur, n'ont plus
aucun rapport avec le mille que les astronomes d'AI-
Mamoun disoient avoir employé.
Les auteurs arabes qui nous ont transmis des systèmes
métriques, commencent ordinairement par une évalua-
tion générale de la circonférence du globe ; et c'est
ijtf .Ml.MOlRnS DL LACADtMIE
Stfi.r-ig 4'}. encore une preuve de la tradition non interrompue qui
rappeloii le inoJuie de toutes les mesures à la valeur du
deL;rc terrestre. Ils donnent ensuite la série de celles qui,
de leur temps, ctoient employées dans la contrée qu'ils
habitoient ; et souvent ils s'inquiètent peu si ces dernières
ineoures se trouvent composées des mêmes éiémens que
les premières, ou si elles peuvent s'accorder entre elles:
de sorte qu'il est quelquefois difficile de distinguer les
mesures qui appartiennent au système qu'ils embrassent,
de celles qui lui sont étrangères. En voici wn exemple;
Mèuadi, A.'- Environ un siècle après Al-Mamoun, Mésoudi, dans
<{u Roi , icm. I , un ouvrage historique et géographique trcs- estime des
p^8-49Si- Orientaux, parle de la mesure de la terre entreprise sous
ce kiialife : il dit que le mille est composé de 4ooo cou-
Suprà, /•. ip, dées noires, et attribue à Ptoléinée l'évaluation de la cir-
conférence du globe à 24000 milles; néanmoins il ajoute:
La circontcrence de l'équatcur est de j6 degrés , ou de 9000 para-
, santés ;
Le fii'^ré, de ij parasanges;
La para<ange, de raooo dliéraa ou coudées;
La coudée, de ^3. doigis;
Le doigt, de 7 grains i rangés à côté l'un de l'autre.
Le texte de Mésoudi, consulté par M. de Guignes, est
ioi;t altéré. Les jé degrés donnés au périmètre de la terre
sont une erreur évidente de copiste. Les (?ooo parasanges
divisées par ^5 font voir que Mésoudi avoit compté
360 degrés à la circonférence de l'équateur.
La coudée de 4^ doigts est inconnue. Il me paroît que
l'ordre des chirires qui composent ce nombre aura été int«f-
verii, et qu'au lipu dç 42 l'auteur avoit écrit 24» puisque
2^
n»:. I.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i 37
i4 doigts sont la valeur constante de la petite coudée.
Il parle aussi d'une coudée de i 20 doigts, dont la lon-
gueur seroit excessive, puisqu'elle approcheroit de six de
nos pieds de roi. Peut-être faut-il lire 120 grains. On verra,
dans l'article d'Ebn al-Ouardi, le grain d'orge valoir
o'", 00308e ; si on le multiplie par 120, on aura o'", 37037".
<jui est la coudée du système actuel de Mésoudi. II se
pourroit encore qu'il y eût erreur dans le mot coudée , et
que les 120 doigts fussent une mesure dont le copiste
auroit dénaturé le nom : 120 doigts du système dont il
est question, vaudroient 1'", 8;i3j2, et représenteroient
juste l'orgyie du stade de 216000 (i).
Dans le détail des mesures, le mille de la parasange
paroît oublié; car il n'est pas possible de le confondre ni
avec le mille de la coudée noire, dont la parasange seroit
contenue 6800 fois dans la circonférence de la terre, ni
avec le mille compris 24000 fois dans la même circonfé-
rence, et dont la parasange ne s'y trouveroit encore que
8000 fois, au lieu de pooo, comme le veut Mésoudi.
De là il résulte que les deux premières mesures qu'il
indique n'ont aucun rapport avec celles dont il parle dans
la suite, et qu'il les rappelle simplement comme des me-
sures particulières, étrangères au système qu'il adoptoit.
Celui-ci avoit pour base la parasange de 25 au degré,
c'est-à-dire le mille contenu 75 fois dans le même esjîace,
etdontlaquatre-millième partie étoit la coudéede 24 doigts
du stade de 270000. C'est donc précisément l'ancien
mille régulier de ce stade, qu'Al-Mamoun avoit cherché
(i) Voyez, aux pages 10^ et iij, cette mcme orgyie conservée djiis
d'autres systèmes.
Tome VI. S
158 Mt.MOlHES DE L'ACADEMIE
à remplacer par celui de 4ooo coudées de 32 doigts du
nième stade ; et consâjuemmeiU les mesures présentées
par l'auteur dont je m'occupe, doivent être évaluées de
la manière suivante :
SYSTL^UE METRIQUE DES ARAIIES
d'après MÉSOUDI.
Mtii.
Grain d'orge o.oonji.
Doigt, = 7 grains d'orge '- o, o i i4 ! j.
C'rJt U dffilt du tudi dt ayOOOO.
Coudée ou Dh£RAA,= 24 doigu o. j"»)?».
Cm U fii'iit ciudtt du stade dt 3'^oooc.
( Mille, =: 4000 coudées ) 1481, 4*" !*>'•
Cttt u mille de to tiiidei de ijocco , eu te milte nirtalu.
ParasANGE de ïj au degré, = 1 2000 coudées 4444' 444444-
Cut h i^araunfe dejû Jtjdet de 3-^9»O0 ,eu dt J millet rcm^imt; t'tu U
rjite dei Germains, le djul'le de U lieut laulaise , et notre lieue dt Jf
*w drfre.
LUr,i,,Cfo- On trouve dans l'Édrisi un système A très-peu près
gr.ipA. NisHens. i ■ i i r ' i i -M I
i» l'roUgo . p. ;. semblable au prcccdcnt, lorsqii il donne,
A la circonférence de la terre, 360 degrés;
Au degré, 25 lieues;
A la licuc, 12000 coudées ;
A la coudée , 24 doifiti ;
Au doigt, 6 grain» d'orge;
De sorte que la circonférence de la terre, ajoute ce géographe,
est de 132 millions de coudées, on de iioco lieues, selon la
supputation des Indiens.
Hernies a aussi mesuré la circonférence de la terre ; il a donné k
chaque degré 100 milles, et au périmètre du globe 36000 milles,
ou 120CO iicuei.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 139
Ainsi les quatre premières mesures doivent s'évaluer,
savoir :
SYSTEME METRiqUE DES ARABES,
d'après l'édrisi.
Méir.
Grain d'orge o, ooij7..
Doigt, :^ 6 grains d'orge o, o'MJ--
Cest le doi§t du itade de lyoooo.
Coudée, = 24 doigu o, 570370.
Ctit h pttitt ccudtt du Itadt di zyocoo.
LlEUE de ij au degré, = 1 3000 coudées 4444> 444444-
(Ten la parasangi de JO stades de zyoûoo , ou de J milles romains, ite.
La^iiie différence de ce système , comparé à celui de
Mésoudi, est dans la valeur du grain d'orge. On remar-
quera d'ailleurs qu'au temps de l'Edrisi , qui écrivoit en
Sicile vers l'an 1150, la parasange syrienne avoit pris ,
chez les peuples de l'Europe, le nom de lieue.
Ce qu'il rapporte de l'opinion des Indiens n'étant pas
très-clair, je me contenterai de dire que la coudée pré-
cédente de G*", 370570, multipliée 132 millions de fois, et
ensuite divisée par i 1000, donne également la lieue ou
la parasange de 25 au degré. Mais 1 1000 lieues, divisées
par 360, donneroient, pour chaque degré, 30 lieues y.
Quant à la mesure attribuée à Hermès , c'est-à-dire
Sij
»kV.
J- F-'S- '-•■
i4o MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Suprj.fKig. it: aux Ktryptiens, on voit une, Jaiis cette cvaluation , les
milles ctoient de i i i i '",..., ou de dix stades de 3<^oooo;
Jes lieues , de m}"^t^n\ et cjue ces lieues , comprises
1 2000 fois dans le pcrlmttre de la terre, ttoient des pa-
rasaiiges de trente de ces mêmes stades , ou de trois de
ces mêmes milles.
Dei'X siècles après l'Édrisi , le système métrique des
Arabes de la Syrie se trouvoitctahlisurle stade de 240000;
mais ils ne s'accordoient pas tous sur la coudée de ce stade
qu'ils dévoient prclcrer. Les uns employoiciit la petite
coudée de 24 doigts , les autres la grande coudée de j 2
doigts ; et il paroît que l'emploi simultané de ces deux
mesures jetoit (jueUjue embarras dans les opérations du
commerce. Des auteurs s'attachèrent à faire voir que la
différence existoit seulement dans l'expression de la va-
leur des coudées, et que leurs élémens et leurs multiples
ne cessoient pas d'être les mêmes. •
Mut/Ui. m •' Chez les anciens, dit Abidféda, la coudée ctoit de
Pro/rgumtn. .,,/ ^ doiiits , et le mille de îooo coudées; chez les mo-
BuukingMaga- „ demcs , la coudée est de 24 doicts , et le mille de 4000
zin. tom. iV, • i •- i
/w/ i)(>, ij?. " coudées. Mais , quelle que soit la manière dont vous in-
- terprétiez ces mesures , vous aurez toujours p(jooo
« doigts dans le mille , puisque , si vous divisez cette
»» somme par 32, vous aurez 3000 coudées, et si vous
» la divisez par 24 . vous aurez 4000 coudées. La pa-
" rasange, chez les anciens et chez les modernes, est de
• trois milles: si vous la réduisez en coudées, elle sera,
■• chez les premiers, de pooo coudées; chez les seconds,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i/n
» (le 12000 coudées ; et c'est absolument la nicme
» chose. "
En effet, si l'on donne, comme Abulféda, 24000
milles à la circonférence du globe, et qu'on établisse les
mesures dont il parle, sur les deux coudées du stade de
2,40000, on aura les évaluations suivantes :
POUR LES ANCIENS.
Le doigt e
La coudée de 32 doigts. o
Le mille de 3 000 coudées,
ou de 9^000 doigts. . .. 1^66
La PARASANGEde ; milles,
ou de 9000 coudées.. . . jooo , 000000
, 0:7361-
. JÎ555!-
, C66667.
POUR LES MODERNES.
Le doigt o™, 017)61.
La coudée de 24 doigts. o , ^16667.
Le MILLEde4ooo coudées,
ou de 96000 doigts. .. . \666 , Cù066y.
La PARASANGE de j milles,
ou de 12000 coudées. , 5000 , 000000.
Et l'on voit que les coudées seules changeoient de va-
leur , tandis que les autres mesures n'en changeoient point.
On reconnoît de plus que, sous le nom de modernes ,
Abulféda entend ceu.v qui se servoient de la petite coudée
du stade de 240000 ; et comme il suivoit l'opinion des
anciens, il a employé la coudée de 32 doigts. Cet usage
paroît s'être conservé jusque dans le quinzième siècle,
où l'on voit Ali-Koshgi présenter un système métrique au k'ushg;.
conforme à celui d'Abulféda. fudln^^c^td
Selon ces auteurs, la circonférence delà terre se par- '^"/^""'pms,.^!-
tage en '300 degrés, et s'évalue à 24000 milles, ou à dameKtraditUme
8000 parasanges.
Shah Cholpi
Pirsa , p.ig. ^^.
Le degré vaut 66 milles | ;
La parasange, 3 milles;
Le mille, 5000 coudées;
La coudée, 32 doigts;
Le doigt, 6 grains d'orge;
Le grain d'orge, 6 crins de la queue d'un chevaL
i4i AU. MOIRES DL LACADh.MIE
Et j'en ckMiiis les valeurs qui suivent":
SYSTEME METRIQUE DES ARABES,
d'après ABULFÉDA et Al.l-KOSMGl.
Mci..
Crin de la tiucuc n un - ncvii O, ooo^Si.
Grain d'okce, = 6 crins o, «»iSj>3.
Doigt, ^ 6 grains d'orge o.aiy^Ci.
Ctjt II itti^t Jm iladi àt i^ooit
Coudée , selon les modernes,^ 24 doigts O, 416.07.
Ctn U ftllte efutl/f Ju îtJdi Ji 2^ooùo.
Coudée, selon les anciens, =^31 doigts O, j ji js ;.
Ctit U grandi e^'Milt du iiêdi Ji i^eocc
Mille, ^ 3000 coudées de ji doigts, ou 4000 cuudccs de
14 doigts , lOiiO, '.',o6«-.
Cm h mille dt 10 iitdti àt jfoot».
PARASANCE, = 3 mille* JCXX). 000008.
C/ït u pûtAUmgl df jO stidtt df Z^OOM.
Ehmti-fluitrJi, Ie l'LUS IRRLGULIER (Jcs SYstcmes métriques arabes cjul
Noiicti dfi ma- . , , ^. \ r\ I •
nuicriti Ju Rti, me sont connus, est celui que présente Ll)n al-Uuardi.
• r-'ess- Il j^jjg l'Almagesie de Ptoicmte pour ilire que , selon
cet ancien, la circonfcrence tie la terre est de 180000
Vo)ci/jH,w/, stades; l'auteur arabe les évalue à 240°° milles, ou à
8000 parasanges , et il ajoute :
La parasange vaut 3 milles;
Le nulle, 3000 coudée» royales;
La coudée, 3 asclihar [«^ithanics],
F'S <)'■
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. i i3
La spiihame (en arabe schibr, pluriel aschbnr), 12 doigts (i);
Le doigt, 5 grains d'orge;
Le grain d'orge, .6 poils de chameau.
Le stade vaut I^oo coudées.
Ce système offre des combinaisons qu'on ne trouve
dans aucun autre : elles annoncent un mélange de me-
sures hctérogènes , auxquelles il faut chercher un élément
commun dont elles puissent toutes se composer.
Cet. élément me paroît être la coudée que l'auteur
nomme royale , qu'il forme de trois spithames , contre
l'usage ordinaire , et sur laquelle on ne trouve d'ailleurs
aucun renseignement. Mais si l'on observe,
1.° Qu'après avoir parlé du stade de iSccoo, il lui donne
400 coudées, ce qui fait reconnoitre la petite coudée
de ce stade, de o"", îjjjjj,
2.° Qu'après avoir cité le mille de 24000, il fait le mille
itinéraire de jcoo coudées, ce qui montre qu'il
désigne la grande coudée du stade de 24°°°° > égale-
ment de. . i o ,;■,:■-.■},
3.° Que l'auteur compose sa coudée royale de trois ûJcA^tzr^
ou de 36 doigts, et que 36 doigts du stade de 270CCO
valent aussi o , jjjsîj,
on jugera sans doute que la coudée qui se prêtoit à ces
trois combinaisons , et qui offroit un moyen simple de
comparer entre eux trois systèmes différens , est celle que
l'auteur aura distinguée par une épithète particulière. Je
crois donc devoir employer cette coudée pour en tirer
les valeurs suivantes , et les appliquer aux mesures in-
diquées par Ebn al-Ouardi.
(i) M. de Guignes traduit le mot
aschbar par celui de palint^Sj mais le
schibr, étant de 12 doigts, est la
spithame des Grecs.
144
.MJ.MOlRrS DC L'ACADi;.\llF.
SYSTEME METRIQUE DES AfiASES ,
d'après EBN AI-OUARDI.
Mclr.
Poil de chameau O, oooj 14.
GkAIN d'orge, ^ <j poils de chameau O, 00 joSt.
Doigt, ^ j grains d'orge O, <>';43»-
SCHIBR OU SpITHAME , ^ i î doijJU 0,18(181.
C'tn td ifitKdmt Jm ifûd* ù 370000.
Coudée royale^ = 3 spithamcs o, jjjjj;.
!3^ daigit du lude de tSoooO-
J2 dtigil du jtddt de 340000.
jâ d^lgtJ du jude de 3^0000.
Stade, :=4oo coudies ;ii, :»j: ji
CetX le lude 4t tSoooo « tt t'menftrtnte de U ttrrt.
Mn.LE, = 5000 coudées royales 1666, ''.ocr.
Ceit le mille de 10 jljdti de j^^^oo . eu de 7 tudeJ et demi de tStooo.
PAPASANGt, = J milles. . 5000. 000000.
Ceti td i^rsiêu^e de ^P /tadti de 340000
SYSTÈMES MÉTRIQUES DES INDIENS.
Dans une contrée aussi vaste que l'InJe, on conçoit
que les mesures itinéraires ont dû varier selon les temps
et selon les peuples qui dominoient ses diffcreiites par-
ties. Je me bornerai à parler des mesures les plus gtnc-
ralenuiit adoptées.
Celles que les Grecs y trouvèrent établies lors des
conqvKies d'Alexandre , étoient exprimées en stades de
400c 00
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i45
4ooooo à. la circonférence Je la terre. C'est clans ce yoyez mes Re-
^ _ clicrchcs, t. lu ,
module que les marches du conquérant macédonien , p.ig. 173- '7^-
celles de sa flotte conduite par Néarque , et celles de
Scleucus Nicator, nous ont été transmises par les histo-
riens ; et c'est aussi d'après ce module que les premières
descriptions de l'Inde et ses dimensions générales ont été
apportées aux Grecs par Mégasthène et par Déimaque.
C'est d'après le même stade que , dans le sixième siècle de Cosmas hS-
1ère chrétienne, lesBrachmanes determmoient, a un degré Christian, pag.
près , la vraie distance en longitude du méridien de Tana- '^f''^ ' „
■I D Voyez mes Rc-
sérim à celui de Cadiz ; et le souvenir de ce stade se retrouve cherches, t. ///,
l'i • I I !• ^ M J" I P- -74' ^7^-
encore aujourd hui dans leurs livres, ou il est dit que la Code des lois des
longueur ainsi que la largeur de la terre est de iooooo coss. Cemoux.rag.y.
~ 10 \ oyez aussi mes
L'emploi de cette antique mesure paroît avoir continué Recherches , pjg.
dans l'Inde jusqu'à l'époque où les conquêtes des Mahomé- ^ ^ '
tans soumirent les Indiens à de nouvelles lois et à de nou-
veaux usages. Alors les mesures employées dans laPerse, la
Babylonie, la Syrie, l'Egypte, furent portées dans l'Inde,
et substituées successivement aux mesures propres à cette
contrée.
Je crois apercevoir, dans les/«j//7«/.yd'Akbar, les vestiges
des premiers essais que l'on fit pour amalgamer les mesures
indiennes avec celles des Arabes, quand il est dit que les
astronomes hindous donnent à la circonférence de la terre,
5059 jowjuns , 2 coss et 11 54 dunds (i)j
et au degré terrestre ,
14 jowjuns, 436 dunds, 2 dusts et 4 pouces. ^y"" AUeiy,
tom. Il, p. j49-
(i) AytenAkhery,roiii.I/,p.j^(<.
■ J ccris les noms de ces mesvires,
tels que les donne 'a traduction an-
glaise de l'Ayeen Akbery. AJais, ces
Tome VI. T
.4y.vn Akhty ,
itm. Il, p. 1S7.
i46 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Les valeurs relatives de ces mesures sont présentées
comme il suit :
8 grains d'orge. .. . zi: i pouce;
24 pouces =: I dust ou coudée;
.j duits 1= I dund ;
2000 dunds =: I crouh ou coss;
4 coss = I jowjun.
Pour trouver les valeurs réelles de ces mesures, il faut
chercher quel peut tire le rapport de l'une d'elles avec
une mesure analogue, prise dans l'un des anciens systèmes
métriques dont j'ai parlé ; et le dust, ou la coudée, me
paroît propre à servir de module commun.
Or, d'après les proportions précédentes,
50J9 jowjuns.
2 coss
1154 dunds.,
= 161888000 coudées;
=: 1 6000 ;
=r 4616;
Circonfirence de la terre.... = 161908616 coudées; et cette
somme, divisée par 360, donne pour chaque degré 44974^ coudées ^.
Dans l'évaluation particulière du degré ,
14 jowjuns.
436 dunds.
2, dusis. . . .
4 pouces. . .
= I07Î20CX) pouces;
= 41856;
= 48;
= 4-
Total = 10793908 pouces, lesquels, divisés par 24,
donnent aussi 44974^ coudées | pour le degré.
Maintenant, si l'on divise les i i myriamètres j de la
noms s'y trouvent tellement altérés,
que je crois devoir rappeler ici leur
véritable orthographe sanskrite :
Dust , Uia. Huu.
Dund , //ht Danda.
Crouh (Cost) Krocha.
Juwjun Vodjana.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, i47
valeur connue du degré terrestre , par 44974^» on aura,
pour la longueur du dust, ou de la coudée, o"", 247"53. et
pour celle des autres mesures indiquées , les valeurs qui
suivent :
SYSTÈME METRIQUE DES INDIENS,
APRÈS l'invasion DES MAHOMÉTANS.
Mclr.
Grain d'orge o, 001287
Pouce, = 8 grains d'orge O, oioi;»^
Dl'st ou Coudée, = 24 pouces o, 247°! i
DUND , =4dustS,. G, ->S8ii2
COSS ou Crouh , = 2000 dunds I976, 4^34v'
Cest, à un mètre prij , U mille iirabe de j6 un quart au degré.
JowjuN , = 4 COSS 790î> (•^^'/'■>
c'est , à 4 mètres et demi prit, ta parasan^e de ^ milles de ^6 un quart
au degré.
Ce tableau offrant un coss de 15)70 mètres, pareil, à
un mètre près, au mille arabe de 56 -^ au degré, annonce
que cette mesure itinéraire avoit été introduite dans l'Inde
par les Mahométans, et que les astronomes de cette con-
trée, chargés d'adapter ce mille au système métrique des
Hindous sans trop contrarier leurs habitudes , avoient
combiné les subdivisions de ce mille de manière à les
faire correspondre le plus près possible à quelques-unes
des subdivisions du stade de 400000 , dont les Indiens
se servoient depuis si long-temps. Ils y parvinrent en
Tij
Suprà , p. izi),
'3S-
i48 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
siibstiliiaiit à la coudce noire d'AI-Mamoiin la coudce du
stade de 400000, diniiiua'e d'un qiiatre-vingt-quatricme,
c'est-à-dire, d'une quantité presque imperceptible dans
les usages ordinaires de la vie.
Il est donc trcs-vraisemblable que le coss le plus gc-
ncralement employé dans l'Inde , à l'époque de l'arrivée
des Mahométans , au treizième et au quatorzième sicde,
étoit d'un quatre-vingt-quatrième plus grand que le mille
de ^6 -^ au degré, c'est-à-dire cjuil étoit de 5 5 -^^ au
degré ou de 2000 mètres , et que les mesures précé-
dentes, réglées d'après ce module, offroient les valeurs
suivantes :
SrST£ME METRIQUE DES INDIENS AU X 1 1 1 .' SIECLE,
AVANT l'invasion DES MAHOMÉTANS.
Mcir.
Grain d'orge aoorjoi.
Pouce, ^ 8 grains d'orge O. •' o4>7-
C'fit le ^fti.1 au luJe tff ^ffccoû.
DUST ou CoL'DÉE, = 14 pouces O, ijoooo.
Ctlt té fflitr nutîu JiÊ $t*iU de ^ffctoo.
DUND,=4 tlu5U I. oooooo.
Cm rtrfjfit i/ii iiJJt -'t ^cûetf.
Coss OU CnoUH.= loooclunds .2000, 000000.
Cm h démhlt milU Ja mit ilt ^otctir
JOWJUN, = 4 COU 80:0, 000000.
t ,/; U Jii.Hi pjrjln'ff Ji 4 millti . .-« Ji 4» luJii <<' 4<>ffOO'
Le règne d'Akbar. vers le milieu du seizième siècle ,
devint célèbre dans l'Inde par les changemens que ce
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i49
souverain fît dans la division des provinces de son empire
et dans toutes les parties de l'administration. H changea
jusqu'aux mesures itinéraires; et le coss qu'il établit, est
encore employé dans quelques parties du Penj-ab. Le
capitaine Kirkpatrick a reconnu que ce coss est d'environ
3 I -j^ au degré (i), et le major Renneli, dans ses cartes,
le fixe à 3 I ^. Cette dernière détermination porte le même
coss à 3 5 5 5"", 5jj. Akbar voulut qu'il fût divisé en
jooo alaiy guz ;
400 bambous, chacun de 12 guz ~;
100 téiiabs, chacun de 50 guz.
Dès-lors ces mesures s'évaluent ainsi :
À}ce« ÀÂiery,
tom. II, p. 1S6.
SYSTEME METRIQUE DES INDIENS,
ÉTABLI PAR AKBAR.
I\lclr.
Alaiy guz, = 7;^ du coss 0,71 ni t.
Bambou, = 12 guz {, ou -^ du coss 8, 8S8S89.
Cest 10 doubtts coudées de ^^^ doi^ti du stade de 22^000.
TÉNAB, ^ jo guz, OU 4 bambous, ou ~ du coss 3î,;;>i;5-
Cest ie doutle nmma du stade de Z2JO0O.
COSS, = î, jaU degré . . 35^5, y,y,y,.
C esc te dcubie mille au itcde de zi^ooo.
Ces deux derniers systèmes montrent que les Indiens ,
après avoir abandonné l'usage du stade , ont remplacé
cette mesure parcelle du double mille itinéraire, de même
que d'autres peuples se sei-voient du diaule ou du double
(1) Renneli, Descript. histeriq.
et géograph. de l'Indostan, tom. Il,
pag. 6 S. — Carte des pays situés
entre la source du Gange et la mer
Caspienne.
15© MEMOIIÎLS DE L'ACADÉMIE
Supri,p.ig. ^S. stiule. Et quoique les successeurs d'Akbar n'aient pas con-
'"^' serve ilans toutes leurs fK)ssessions le coss dont il avoit
ordonne l'emploi, les exemples suivans font voir qu'on
n'a pas cesse jusqu'aujourd'hui de composer cette mesure
de deux milles itinéraires, ou du double mille de l'un des
systèmes compris dans mon Tableau général.
R^HHtii, Des- Le major Rennell dit avoir reconnu sur les lieux , et
cripiicit kisiar. a t, - i i i i i
rÂgr.iph.iijui de *^ aprcs dc nombreux exemples , que les coss en usage dans
J'^Ti"' ''' '^ ^î^lwa , le Carnate et l'Hindoustan, ctoient, les uns de
3 5 au degré, les autres de 37-7» et d'autres de 40 à 4 2.
Le co?s de 35 au degré est de 3 '74"! «o)'?*-
C'eit pr/ch/ntnt le Jt>uHt mille du teaJe Je a^jocc.
Le C05S du Carnate , de 3 7 -, a\i degré , vaut 2962 , v<>'9«).
C'en nusii le JouHe mille du stade de tjoeoo.
L'incertitude où l'on est encore sur la vraie valeur du
coss de l'Hindoustan , estimé de 4o à 4^ au degré , permet
de lui chercher une évaluation qui le place dans la m^me
catégorie que les précédens.
En fixant ce coss à 4' j a" degré, il sera de ^666", 6*7.
C'eti le Joutli mille du stjde di jomoo.
RtHHeU.fm.il. Un coss établi par Shah Jehan , et dont l'usage existe
encore dans le haut Penj-ab, est évalué, par le capitaine
Kirkpatrick, à 29 ,Vo , et, dans les cartes de Rennell, à
2p ~ au dtgré : il seroii d'environ 3734 nictres.
Si on le suppose légèrement altéré, et qu'on le porte à 30
par degré, il vaudra 3703"'> 7»»-
Cett le diuHi mdU du mêle de titat*.
Ainsi les mesures itinéraires des Indiejis, du moins
celles qui nous sont le mieux connues , se trouvent encore
aujourd'hui établies sur les bases qui avoient réglé les
mesures de toute l'antiquité.
pelg. f>7. oS.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 151
Il en est de mcine chez les Chinois et les Japonois, quoi-
que leurs mesures aient aussi varie à différentes époques.
Selon le P. Martini et le P. Noël , la mesure itinéraire, Mmun. M.n-
I r > ■ I / / I I ' I /^I • • tinii Novus Atlas
OU le Li le plus gcnéraiement employé par les l^hmois, Sincn^h, Prafat.
est contenu cjoooo fois dans la circonférence de la terre, ^"^^J^'qJ^^^^
ou 250 fois dans le degré. "'"wî m.uhimat.
t , , ,> , j///m ^J'^ et }ih)sicœ in In-
La longueur de ce ii est donc de 444 > 444; et , d après ,//„ „ c/ura
mon Tableau générai, il représenteroit , ou le diaule du >'""" '"^^■""^■
stade de 180000 , ou trois stades de lyoooo. C'est
dans les élémens qui composent ce li , qu'il faut chercher
auquel de ces stades il doit être rapporté ; et l'on va voir
que c'est à celui de 2yoooo.
Les divisions et les multiples de ce II, donnés par ie
P. Martini , sont les mesures suivantes ; j'y ajoute leurs
valeurs :
SYSTEME METRIQUE DES CHINOIS,
ÉTABLI SUR LE LI DE ÇCOOO À LA CIRCONFÉRENCE DE LA TERRE
Mctr.
Lî , ou GuAlN de mil O, oooio6.
FeN , = 10 lî O, ooiojS.
Thsun ou Doigt, = 10 fèn o, 020; 76.
C'til le gr^nd tl^igt du st^ide ilt 2yoooo.
TcHHÏoiï Coudée, = 10 thsûn o, ^ojyCi.
PÔU ou Pas, = 6 tchhï I, i345«8.
C'tst le pat double du itade de 2yoooo.
TcHANGou Perche, = 10 tchhï 2, 0)71513.
Li,= 360 pou 444, 444444.
C'ett J iledes de 3yoooo.
PÔU , = 10 ii 4444, 444444-
Cttt la parasange de ^0 itada de zyoooo.
THSAN,=i 8 pou , ou 80 Ii 3S55505îi î5-
C'est 2^0 itadei , uu S parasa-ngej de ^o stade: de zyoooo.
,5î MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Ce système mltrique paroît avoir c'ic introJuit dans
1.1 CIiiiK' par IcmpcTcur Wou-wang, de la dynastie des
Tcheou. Ce souverain a commencé à régner l'an i 122
avant l'ère chrétienne, et il est mort en i 1 1 5. Antérieu-
rement à cette époque, les mesures chinoises étoicnt d'un
(juart plus grandes; et il lailut ensuite 12^ li nouveaux
pour représenter 100 li anciens (i).
La différence des longueurs, étant de 4 à 5 , fait con-
noitre que le 11 employé avant l'époque de Wou-wang
répondoit à 555'". js;. et qu'il éloit contenu 72000 fois
dans le périmètre de la le-rre, ou 200 fois dans le degré.
Cette ancienne mesure itinéraire n'a pas cessé d'être
connue dans la Chine et dans quelques contrées envi-
ronnantes, quoique le li de 250 au degré y soit d'un
usage plus habituel.
Dans les détails d'un voyage fait en 17 12, p>n- un
prince mongol, depuis Pékin jusqu'à Tobolsk, les tlis-
CéuhLOhtr tances données en lî sont évaluées par le P, Gaubil
mai.àrc.tom.l. à lo II pouT uiie liciie de 20 au dogrc, cest-a-dirt- en lj
p.is ,{o-iif. jç _^QQ ^^ deuré ; tandis qu'en publiant le journal des
tOfn II, r4ig. J7. t? 1 ' '
mandarins chinois qui ont été à Lassa , le même auteur
Id. lom I . ,v.s. prévient que les lî y sont comptés à 250 au degré de
"'*■ ré(]iiateur.
Mais il y a plus, lorsque l'empereur Khang-hi fit lever par
( I ) Le P. Noël (pag. 10^) Ah, au
contraire, que 100 li modernes valent
lif ri anciens, et il cite en preuve
le grand Dictionnaire Tching tteu
tlioiing. C'est \inc méprise: M. Abcl-
Rémuiat, profc?$eur de cliinoi< au
Colli-ge royal de France , a bien
toulii , à nu prier*, coniulter le»
deux éditions de ce dictionnaire qui
existent à la Bii>lioilK'(|UL- du Roi,
et il y a trouve que 100 li anciens
Ti-fondoieni à i2j li modernes. Le
texte porte : Kcii-tche ,pe l) t.ing kiit
vc eul chi on li. La traduction litté-
rale c«t : Veieres ctntum li conveniunf
nunc <tntum viginti'tjiiinque H.
Ici
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ijj
les Jésuites , au commencement du siècle dernier, la carte
de la Chine, il ordonna que toutes les distances seroient
comptées en li de 200 au degré, chaque li composé de i 80
toises ou cannes, et chaque canne de dix des pieds que l'on
employoit pour les bâtimens et les ouvrages du palais.
Au moyen de ces renseignemens donnés par le P. Régis (i),
on trouve, pour ces mesures, les valeurs suivantes:
SYSTEME METRIQUE DES CHINOIS,
ÉTABLI SUR LE LI DE 72OOO X LA CIRCONFÉRENCE DE LA TERRE,
Mctr.
Pied du palais o, 308642.
C'est h pied tfu judt dt iiSooo.
Pas, = 6 pieds I, 8;i8ji.
Ceit t'or^'it dit stade de 216000.
Canne , = i o pieds 3, 086420.
Ctit la e^hme du stade de ziôooo.
Lr , = 180 cannes, ou 300 pas, ou i8oo pieds ÇS5».î;iï55*
Ceit j siaJet eljmfiques , ou de 216000
Le p. Gaubil nous apprend que , vers l'an 72 i de l'ère yii^i-delA^tra-
hf- , ir , J ^ . , vomie chinuiit ,
retienne, un astronome nomme Y-hang ht faire des yg.77.
observations dans plusieurs villes de la Chine , de la
(1) Note du p. Régis, insérée par I l'Astronomie chinoise du P. Gaub.l,
le P. du Halde dans la préface de sa pag. yy , et set Observations &c..
Description de la Chine, jjag. xliij , j pag. i^z.
xliv. — Voyez aussi l'Histoire de |
Tome VI. y
154 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Cochinchine , du Tonkin , &c. , et qu'iiprès avoir fait
nu'surcr les disiiiiices de ces vilks , il coiuiiiL que 3 5 1 li
et Ho pas rcpondoient sur la terre à un degré de la-
titude.
Pour apprécier cette évaluation, il faut se rappeler que
les Chinois divisoient et divisent encore le cercle en 365
degrés ■^: ainsi ce degré est à celui de 360 dans la pro-
portion de 144^ à. 1461 ; et sa valeur, comparée à celle
de notre degré moyen de i r i 1 1 1'", n.u., se trouve ré-
duite à io(j5 1 4"\ ojiiSi.
De plus, à l'époque d'Y-hang , le li étant de 3«jo pas,
les 3 5 I li et 80 pas de cet astronome représentent 1 2644®
pas; alors, divisant par cette somme la valeur du <legrc
chinois, on a pour celle du pas o'", s^.^i j,, qui, multi-
pliée par 360, donne, pour le li déterminé par Y-hang,
311 , 8oSi(o.
Maintenant, si l'on veut savoir quels peuvent être le
mérite et l'authenticité de l'opération de cet astronome ,
il faut diviser la valeur du degré moyen par les i 26440
pas qu'il assigne au degré chinois : on aura , pour la valeur
du pas dans le degré moyen, o'", «787(15-^; et ce nombre ,
multiplié par 360 , formera un 11 de 316'", jujso, qui,
Voyci /<• r«.V. à un mètre près , i>e trouve cire le Jiaule du stade de
Ces rappn)i.lK-mens n'indiqueroient-ils pas qu'Y-liang,
avant eu connoissance de cette ancienne mesure égyp-
tienne, aura cherché à se l'approprier en l'adaptant au
degré chinois par une opération inverse de celle que je
viens de présenter '
DES INSCRIPTIONS ET BI'-LLFS- LETTRES. in
Les Japonois ont adopte le li moderne des Chinois
depooooà la circontcrencedelaterre(i), ou de 444"'. 444-
Kœmpfer et d'autres voyageurs avoient déjà remarqué Kamyfcr.Hhi.
, 'f , . j J ' /^ du Japon, wm.ll,
que le mille itinéraire au Japon etoit de 2 5 au degré. *^e /,v y^ ,f,.ip. -,
mille vaut donc 4444'", 444 : c'est la parasange de 30 stades fs- '^^■
de 270000 , et le pou dés Chinois, compose de dix des
i\ ' 'j Suprà.pag. 111.
Il precedens. /'•/«. ^
Les peuples de l'Asie ne sont pas les seuls qui , à travers
les siècles et les révolutions , ont su conserver dans leur
intégrité quelques-uns des types originaux qui avoient été
puisés jadis dans la source commune à toutes les autres
mesures.
Si l'on passe chez les nations modernes de l'Europe,
on trouve :
En Norwège, la lieue de 10 au degré, ou de i 1 1 1 1'", m. X'pytzltTraiii
-, , j 1: . j j n dci mesurts iiini-
C est la partîsangi de 60 stcdes de 210000. . , ,> *
raires de d An-
viUe.
En Suède, la lieue d'un peu plus de lo^au degré (lisez
10-^),=. 10666 ,667.
C'est Ja pnrasaîige de 60 stades de 22^000.
En Pologne, en Lithuanie, la lieue commune de 20 au
degré, =r 5555 , )(S-
C'est la parasange de ^0 stai/es de 216000.
En Prusse, en Ba\iére,en Saxe , en Silésie , en Souabe,
en Scanie , la lieue de i j au degré . = 7407 , ^o-.
C'est la partsange de 40 stades de 316010.
(i) Wa Kan tsan tsai tsou ye .
7cm. II , pag. I ; 011 De.-:cr'}pticn figurée
de l'univers [du ciel , de la terre ei de
l'homme J , en japonois et tn chinois.
C'est une Encyclopédie en cent cinq
volumes, outre les Tables, et ui>
volume d introduction.
Vij
ij(? MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
En Alieniagne.la lieue germanique de 12 j au degré, = . SSS8", 8J9.
C'ftt la par.ijjnjt •// 6j sl.iJis At 3^ccfv.
Dans le Pitfniont, le millede 50 au degri-, = 2^22 , m
Cut It millt il 10 stu.lts Jt iSoooa.
Dans le Milanais ci les États de Venise, le mille de (6
à 6y au degré ( lisez 66 4 ) , = 1 666 , ««7.
C'ist II milli Ji to itjJit di 240000.
En Espagne, la lieue commune de 177 au degré, ou
de 4 milles, = 6349 , «6.
Cm la parasangt dt 4 mil ht ou di 40 stajtt di ijioo».
Autre lieue de 3 milles, = 4761 , ««).
C'tsi la paratangt di / millit eu di jo iiadis di 3jjt>re.
Le mille ordinaire, le quart de la lieue de 17 ', au
degré, = 1587 , )"•
c'est If mille de lo stades de 2^2000,
En France, la lieue commune de 25 au degré, =r. . . 4444 > ♦+»•
C'est la parasangt de jo stades de 3JO000.
La lieue marine de 20 au degré, = 55J5 »iJ>-
C'est la paratangt de jo stadts de 316000.
Le mille marin , ou le mille géographique, de 60
au degré, = 1851 , <|i.
Cest le mille de iq stades chmpi^uts , ou de 316000.
Il seroit facile de multiplier ces exemples ; mais je
crois avoir réuni, dans mes deux Alcmoires , plus de témoi-
gnages (ju'il n'en faut pour montrer que les hases de tous
les systèmes métriques linéaires que j'ai pu découvrir,
soit chez les Grecs et les Romains, soit chez les Ger-
mains , les Gaulois , les Arméniens , les Syriens , les
Hébreux, les Égyptiens, les Arabes, les Perses, les In-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 157
<iiens, les Chinois , ies Japonois, se rattachent à la mesure
de la terre, à i\n seul type primitif diversement modifié,
et toujours conserve avec exactitude dans les variations
qu'il a éprouvées. Cette unité de module peut seule expli-
quer la liaison , les rapports constans que présentent les
différentes mesures anciennes , quand on cherche à les
comparer , à les combiner entre elles ; et c'est en les rap-
prochant toutes, que les développemens d'une théorie très-
simple m'ont conduit à des résultats confirmés à- la-fois
par les observations astronomiques , par des monumens
qui existent encore, par de nombreuses applications des
anciennes mesures itinéraires , enfin par l'emploi de ces
mêmes mesures , continué jusqu'aujourd'hui chez différens
peuples et dans de vastes contrées , depuis les confins
occidentaux de l'Europe jusqu'aux extrémités orientales
de l'Asie.
Tableau général.
( «5« )
TABLEAi' GÉNÉRAL DfS ANC
D L N O MINAI ION
IJL> »t!:9URti
JuaJrc
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^OQO
7200
I ' c
16OCC
i4ioo
/->:cj
lOOOO
-20X>
Doigt duodccirnal
Duigt décimal
Cr.in<l do!j;l, (^ncc , P<i
Coiidylc
Palme
Dichu
f Demi-pygon )
Spiihamr, Svona stade.
i'icd , bvi) an .'I Je
Pygmc
Pygon
Coudée commune, 4oo au si.i.k
Grande roudce, )oo ou n.vle. . . .
Vu simple, i.f ''" "'''^
EX>uhtc coudcc commuoe ou \ crgc , ioo.
Xylon
Pas double , uo tju sMiit
Org)'ie , 100 nu slaJt
Calame ou Ara-ne , dottu tiade
Amma, 10 au <Milt
Plithre , t au u.ule
Stade
Diaule
Mille , dt 10 tiadci
■t-
]o st'.det, ou ] milles .
^(.hocnes ou Paritangc^ de, ... ^ 40 stadet, ou 4 mille; .
I 6u sudcs, nu 6 niilles .
STADES PRIMITrF
< IRl ONFtRENCK
nnCONFEUtNCK
de !;.
Terre,
de la
T cri 0 .
400000
300000
si:
des.
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flRCONFtRENCE
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CIKCONFÉRENCE
de la Terre,
CIRCONFÉRENCE
de la Terre ,
CIRCONFÉRENCt
de la Terre,
1.
ClUCONFÉBENCE
de la Terre,
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de lii Terre, |
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0, 308642
0, 246914
0, 296296
0, 266667
0,
164530
0
0, l^\(>(>(>-
0, 34:^^-
0, 277778
0, 533333
0, 500000
c.
2976 1 9
I
C, 462963
C, 3S3802
0, 308642
0, 370370
0. 335H3
0,
35068S
-
0, SSÎÎ5;
0, 462963
0, 37037»
0, 444444
0, 4°°°°®
0,
396823
;
0, 74"-4'
0, 6172S4
0, 4938^7
0, !9i;?3
0, ;J3333
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519.0.
h4
0, 92^926
0, 77160;
0, «17284
0, 74074'
0, C6666J
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I, Il 1 1 ■ 1
0, 92)926
0, 740741
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0, 800000
0,
793651
o
I, £66667
I, 5SSS89
I, 1 1 I 1 1 r
I. 33iîî5
1 , 200000
1,
.90476
'9
I. 8i.Sj2
1, 345-'°
I, 2)4)68
I, 48r.|S.
1. 353333
I,
321751
-
2, 2 2222Z
I, 83.832
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2, 4691 }6
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645 3°3
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22, 212222
, 48, 3183.8
14, 8. 4s. 3
17' 777778
I (), 000000
1).
8730,6
-S
5?. 0370Î-
30, 864197
24, 69.538
29, 629630
26, 66666-;
a6,
453026
5"
222, 222222
l8î, .Sj.8;
148, .4S148
177. 777778
160, 000000
15S,
73013?
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444- 4444+4
370. 37037°
296, 296:96
355. ;j;555
'?T.O, 000000
3'7-
460317 i
1^-
2222, 222222
185I, 85.832
1481, 4S'45"
1777' 777778
1 0OO# 000000
1587.
30.587
00
6666, «66667
ÎSSS. Hi5!3
4444. 444444
5333' 333333
4800, 000000
.r6!.
90476s
«l?
8888. 8S8889
7407. 407407
5925, 925926
711 I, i 1.1 II
6400, 000000
6349.
206349
00
13353. înHi
IIIII, . 1111 >
8888, 888SS9
10666, «66667
9600, 000000
9)^3-
809514
160 MEMOIRES DE LACADI MIE
APPENDICE AU MÉMOIRE PRÉCÉDENT.
JL'iiri'iii I impression Je mon Mcmoire , qiielcjues per-
sonnes m'ont témoigne tks demies sur l'un tks moyens
que j'ai employés pour faire voir que les mesures itiné-
raires et les mesures usuelles des peuples de l'antiquité
offroient constamment des parties aliquotes de la circon-
férence de la terre , et qu'elles se rattachoient toutes à
une seule et même détermination de l'étendue de cette
circonférence.
Le moyen que l'on me conteste est celui de- la division
du cercle en 300 degrés, parce que, dit-on, cette division
n'est clairement énoncée nulle part. J'avois pensé que dans
un sujet d'érudition , lorsqu'on ne trouve chez les anciens
aucun guide, aucun renseignement qui puisse conduire
à une découverte que l'on entrevoit, on pouvoit cliercher
à suppléer au silence des auteurs par un moyen plausible;
et quand ce moyen est semblable à ceux que l'on admet
sans objection , je ne vois pas par quel motii on le re-
jetteroit.
Nos astronomes et nos géographes divisent aujourd'hui
le cercle en ^do et en \oo degrés; et l'on ne doute plus
que les anciens n'aient employé ces deux divisions : pour
quoi n'en auroienl-ils pas imaginé d'autres , s'ils y avoient
été conduits par cjuchjues usages, ou seulement par(jucl-
ques idées pariii uiières?
Ptolkmie. dans son Al inagestc, divise le cercle en 360
et
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. i<îi
et en 720 parties; et par le soin qu'il prend très-souvent
d'exprimer les résultats de ses combinaisons dans ces
deux modes de graduation, n'annonce-t-il pas que, de son
temps, tous deux étoient en usage, et qu'aucun des deux
n'étoit généralement adopté! En effet, jusque vers cette
époque , les astronomes d'Alexandrie avoient conservé
l'ancienne habitude de diviser arbitrairement le cercle en
parties plus ou moins grandes , selon le besoin qu'ils en
avoient.
Eratosthène disoit avoir observé que la distance des ÀpuJ Pukm.
deux tropiques, ou la double obliquité de l'écliptique, ,1^"^T'' ''''''
étoit de onie qUiitre-vin§t-troisièincs de la circonférence d'un
méridien.
Il disoit aussi que la différence en latitude , entre Syéné Âp. cuomed.
et Alexandrie, étoit de la cinquantième partie du cerclç. i'^',.. '//"■'' ^'
Posidonius vouloit que le parallèle de Rhodes fût éloigné "^P- Ctiomed.
de celui d'Alexandrie de la quarante -huitième partie du ^''''^''
cercle.
Strabon parle d'une division de l'équateur en soixante ULi.pag.,,,.
parties.
Et l'on rencontre, dans les ouvrages des anciens, des
expressions qui annoncent clairement que, chez eux, la
division du cercle varioit au gré des astronomes et des
géomètres.
Je crois donc ne m'être pas écarté des règles de la
très-grande probabilité , en admettant chez les anciens
les trois divisions du cercle en /|oo, en 360 et en 300
degrés. Si cependant cette opinion paroissoit encore ha-
sardée , je pourrois abandonner la dernière de ces gradua-
T O M E V I. Jf
i6i MEMOIRES DE L ACADEMIE
lipiis , et, par un moyen simple et iinitjime , extraire
tpys les stades , des deux seules divisions du cercle en
400 et en 360 degrés. Voici comment:
ê
Sa^a.jsig.st. ■,)Lf\ évaluant à 4000 myriamètres la circonférence de
la terre, j'ai dit que le degré de 4oo à cette circonlérence
étoit de I 00000 mètres, et que la dixième partie de la
minute centésimale, ou la millième partie de ce degré,
donnoit 100 mètres pour la valeur ilu stade de 4oc)000.
Si à cette valeur vous ajoutez un tiers , vous aurez
^l'i"^^ ni I qui donnent le stade de 300000.
Et si vous augmentez d'un tiers ce dernier stade , vous
trouverez 177"", 773, ou le stade de 225000.
Sfrj.pag.^2. Il en sera de même pour le degré de 360, dont la
valeur est de i i i i 1 i'", n. ; sa millième partie est de
I I 1*", -Il , et c'est le stade de 360000.
Ajoutez-y un tiers, et vous aurez i4H'". '+3. ou le stade
de 270000.
Smprj,fAg. ..■ J'ai montré aussi que le changement de la minute
centésimale des deux degrés précédens en minute sexa-
gésimale avoit produit de nouveaux stades qui , au lieu
d'être la'millicme partie du degré terrestre . en ont été
la six-centième partie.
Alors, la six -centième partie du degrc de 400, ou
des 1 00000 mètres qu'il renferme, a produit un stade
de i<$6'", 667, qui est celui de 240000.
F.t si l'on y ajoute un tiers, on aura 222'", w. , ou le
titude de 1 80000.
DES INSCRIPTIONS ET BELL ES- LETTRES, tô^
Enfin , la six-centième partie du Jegré de 3 (jo , ou de
I I I 1 I i*", iM , a compose le stade de 185'", .s; , ou de
1 1 6000 ; et je ne trouve point que les anciens aient
cherché à augmenter celui-ci.
On demandera, sans doute, ce qui peut avoir conduit
des peuples difFcrens à suivre, avec tant de régularité,
une même méthode pour augmenter, toujours d'un tiers,
les mesures qui leur avoient été transmises. Je crois qu'il
faut en chercher la raison dans le choix qu'ils ont fait ,
parmi les types élémentaires qui leur étoient déjà connus ,
de celui dont les multiples dévoient composer dorénavant
toutes leurs nouvelles mesures.
Le doigt-, dit Julien d'Ascalon , est la premi'èrc des me- >*/""/ Harme-
,, . , , , , SA • ■' I nopul. lii>. Il,
sures , connue I uinîe est le premier des nombres. Mais j observe titul. 4.
que les anciens ont connu et employé deux sortes de
doigts, le doigt silapJe ou ordinaire, et ie' gfâtid dûîgt ou Dmcorid. i,t.
\e pouce, auquel ils d'onnoient un tiers dé plus qu'au' pré- pih^^ut.^xy
mier. Ils cnt aussi connb deux' coudées, ih coudée comtjtuiie-'^"/'' ^^^'>J'^-
XX y II , c. 4^.
de 24 doigts , et là grande coude'e de 24'pouc'és ou de '
ri doigtii, qtii avoit par' conséquent un tiers de plus que"'
la précédente. '
Cette .proportion étant la mcme que celle qui vietff^
défaire sortir, des stades de 400000, de 240000 , de-
360000, ceux de jooooo, de 180000, de .2/0000 , et du
stade de 300000 celui de .2^:^000 montre que ces quatre
nouveaux stades ont été formés en substituant un nombre
cgal de pouces , ou de grands doigts, au nombre des doigts
simples ^ui régloient la valeur de toutes les mesures dont
les quatre autres stades plus anciens se composoient.
Xi;
i6i MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Deux exemples vont justifier cette assertion.
S,pràp.,g. i[S. Dans mon Tableau gênerai, le doigt duotleciina!, ou
le i/oi^t simple du stade de 400000, vaut o'", 0,0.1,7, et
p6oo de ces doigts donnent au stade dont je parle,
100 mètres.
Prenez le grand doipt ou \q pouce du mt^me stade, qui
est de o"", o,,3S9 . multipliez-le neuf mille six cents fois,
et vous aurez 'jj"", ju. ou le stade de 300000, d'un
tiers plus grand que celui de 400000.
Si l'on veut employer les coud(:es, on verra que 24 doigts
simples forment la coudée commune de o"", ijo, et 4oo de
ces coudées, le stade de 100 mètres; comme 24 grands
doigts donnent la grande coudée de o'", j,j, qui , niultiplids
par 4oo, produisent également les 133*", m Ju stade de
300000 ; et ainsi des autres.
D'après ces aperçus, on pourroit peut-être classer les
divers stades autrement cjue je ne l'ai -fait dans la première
partie de mon Mémoire. Mais ces changemens n'en appor-
tcroient aucun dans la valeur des mesures que j'ai déter-
minées; ils ne feroient même que montrer, sous un aspect
un peu différent, leur commune extraction d'un seul mo-
dule primitif; et ces nouvelles combinaisons des élémens
dont je m'étois servi , me semblent confirmer encore les
résultats que j'avois obtenus.
Pdg. Il iJt a ivlumt , ligne 10. irn Utu Ai . Le |>icd ruin-iin est ou de | pïliiie» i |,
Ijut. \jc pied romain cM. . . .ou de \ palmci '-,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i(îj
■ ■■ I . . . Il - ■■■ — ^■^— ^— — ^— ^
MÉMOIRE
SUR
LA POPULATION DE L'ATTIQUE,
Pendant l'intervalle de temps compris entre le commen
cément de la guerre du Péloponnèse et la bataille Ji
Chéronée.
Par m. LETRONNE.
EXPOSÉ.
iSiâ.
1 L est indispensable Je connoître la population d'un pays , i.u fe 7 Jum
quand on veut saisir complètement tous les détails de son '*'
histoire, suivre le développement de son industrie et de
son commerce , et découvrir , dans l'équilibre ou dans la
disproportion de ses ressources et de ses efforts, quelques-
unes des causes de sa prospérité ou de sa décadence.
Privés de ces renseignemens précieux , nous ne pourrions
avoir que des idées vagues sur une foule de faits im-
portans; et quelques-uns de ceux qui intéressent le plus
l'histoire de la société , resteroient sans explication satis-
faisante.
Malheureusement les historiens et les philosophes de
fantiquité ne nous offrent, à cet égard, que des notions
insuffisantes ou tout-à-fait suspectes. Les premiers, plus
i6^ MEMOIPJ.S DE L'ACXDf.MIE
occupes d intéresser que d'instruire, ont trop souvent minix
aime peindredes tabicauxd'un efkt harmonieux ou brillant,
que remonter péniblement, par des observations sur les
ressources respectives des peuples, jus(ju'aux secrètes et
véritables causes des cvcnemens. D'un autre côté, les phi-
losophes et les moralistes anciens se sont moins attachés à
nous transmettre fidèlement les observations qu'ils avoient
laites et les renscignemens qu'ils avoient recueillis, qu'à
choisir parmi ces renseignemcns ceux qui s'accordoient le
mieux avec leurs idées sur l'existence et l'organisatioiî d'un
état social purement imaginaire.
11 se peut cependant que le petit nombre et l'insuf-
fisance des notions de ce genre tiennent encore à une
autre Ciiuse. La statistique, qui expose l'état des produc-
tions, des consommations, des ressources d'un Etat, à
une époque donnée, est une science toute nouvelle. Sans
doute les gouvernemens anciens ont dû s'occuper de tous
ces ( bjets, puisqu'il est impossible d'imaginer que les con-
tributions et les levées d'hommes ne fussent pas réglées sur
un cadastre et des recensemens faits avec quelque exacti-
tude : mais les résultats de ces opérations imlispensables
ont été assez constamment renfermés dans le secret de
l'aiiministration et pour son usage particulier , excepté
peut-être dans les états républicains de la Grèce, où
le peuple assistoit et prenoit part aux délibérations pu-
bliijues. C'est ainsi <]u'à Athènes, par exemple, on voit ,
.v./f. Mfm d'après l'entretien de Socrate et de Glaucon , (jue tous
■' '■ !(.•!» citoyens pouvoient se procurer des renseignemens si r
la popul.ition , les finances, le commerce, enfin sur
lc»uc ce qui comlituoit la statistique du piys ; ce qui sup-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 167
pose, outre i;i laciiité de s'en instruire dans les discus-
sions de Wii^oni , ia liberté de conjpuiser les registres
publics. Mais il paroît que cette liberté, de même, que
le droit d'assister à l'assemblée , n'étoit accordée qu'aux
citoyens. On peut donc regarder comme un fait extrê-
mement probable, qu'aucun peuple de l'antiquité n'a
laissé pénétrer au-dehors le secret de ses forces et de ses
ressources, avec cette noble confiance dont les gouver-
nemens modernes font profession, et qui peut seule donner
lieu à la multitude de comparaisons et de rapprochemens
nécessaires pour préparer les élémens d'une science.
Aussi, quand même les écrivains de l'antiquité auroiejit
été moins spéculatifs et plus généralement doués de cet es-
prit de recherche qui leur a souvent manqué, il est dou-
teux qu'ils eussent pu parvenir à rassembler des données
exactes sur la population des pays dont ils faisoient l'his-
toire. On ne doit donc pas être surpris de ce que les no-
tions qu'ils nous ont conservées sont rares, parfois peu
vraisemblables, et presque toujours très-incertaines; car
elles se bornent le plus souvent à quelques renseignemens
vagues sur le nombre des combattans qui se sont trouvés
à telle ou telle bataille. Encore ces renseignemens sont-
ils d'autant plus suspects, que chaque peuple, vainqueur
ou vaincu , exagéroit toujours le nombre de ses ennemis :
vainqueur, pour relever l'éclat de sa victoire; vaincu,
pour diminuer la honte de sa défaite.
Dans une si grande incertitude , on ne sauroit donc
s'étonner de voir les critiques modernes résoudre de deux
manières opposées , mais également probables, la question
de savoir si la terre étoit autrefois plus peuplée que de nos
• 68 MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
• i>jw (I, ) jours. Isaac Vossius", dont tout le moiule connoît les ex-
Oitfnat. Viir. p. i i « « I
tr-ti\ UttJ. travagans calculs ; Jnoiitesquieu '' , duns l'Esprit Jes /ois ,
\ '.. r et sur- tout dans les Lettres Persanes : Wallace' , de la so-
frit ,tt, Ion. li». cictc d'Edimbourt; , ont soutenu cette opinion. L'illustre
XXIII, c. xvii I . . r\ • 1 u II
fixxinUiirn iiistonen Uavid Hume , dans un de ses ini^cnicux Lsstùs
lIu'i" ' " p<^lifi<]iies , a pris , avec un grand avantage , la défense des
• Diyer,. /i,<i. temps modernes. Peut-être, à raison de l'incertitude d'une
fi polit. ""''■/-,,,,
pep jfi umps roule de données dont on est oblige de se servir, est-il
tntirm , in-8.*, . -i I i i i ^ i i
i-">ç.irjj.Fr luipossible de la traiter dans son ensemble.
rr,athc^^'cii'"'tt ^^"^ prétendre soumettre la question en général à un
wrT.,i su^jtas; nouvel examen, j'ai cru utile d'en examiner une partie;
IX ••■ ti^ijf et cette partie, quoique circonscrite en apparence, n'en
est pas une des moins importantes , parce qu'elle a
pour objet un pays célèbre que la réunion des circons-
tances les plus heureuses a placé presque seul hors de
cette sphère d'incertitude dans laquelle tous les autres
sont renfermés. Ce pays est l'Attique : son étendue, dé-
terminée de tous cotés par la mer et par une chaîne de
montagnes élevées, n'a varié dans aucun temps ; habité
par le peuple le plus policé du monde ancien , il a
produit les historiens les plus exacts et les orateurs les
plus éloquens, dont les écrits fournissent uiu' multitude
de détails précieux sur son gouvernement, sa population,
son commerce et ses richesses.
Une contrée placée si favorablement ne pouvoit tîtrc
oubliée dans les recherches , soit générales, soit partielles,
qu'on a faites sur la population des anciens temps ; mais
une lecture attentive des auteurs Attiques m'a persuadé
qu'on navoit pas tiré \\i\ assez grand parti des docu-
mcns qu'ils contiennent , et que la population de cette
contirc.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 1(^9
contrée, à l'époque de sa plus grande splendeur, n'avoit
j>as été suffisamment établie. Je vais rappeler sommaire-
ment les faits sur lesquels on s'est appuyé jusqu'ici.
Les habitans de l'Attique se divisoient, comme on c. B.irihéicmy.
. l 'ojdgc du jeune
sait, en trois classes: Amich.c.vt.
i.° Les Athéniens proprement dits, les seuls qui eussent
le droit de prendre part au gouvernement;
2.° Les méièques [/uéi^iiKci'^, ou étrangers domiciliés à Saimc-Créx,
A 1 > I /• • 1 1 / • I / • / ^ I sur les me'tîques ,
Athènes avec leurs ramilles (us etoient protèges par le gou- Aaid. des imcr.
vernement, sans y participer); tem.xniii.
3.° Les esclaves, distingués en deux sortes, les uns
Grecs d'origine, les autres étrangers. Les premiers étoient
ceux que le sort des armes avoit privés de la liberté; les
seconds étoient achetés dans la Thrace et dans les autres
pays habités par les barbares.
Le témoignage le plus circonstancié sur le nombre des-
individus compris dans chacune de ces classes , est celui
de Ctésiclès , auteur inconnu, cité par Athénée : il nous c.ie>icles, ap.
apprend que, dans un dénombrement fait par ordre de yng"2-;2,'D.''
Démétrius de Phalère, on trouva vingt-un mille citoyens ,
dix mille métèques, et quatre cent mille esclaves.
D'après ce témoignage, dont il ne suspecte en rien
l'exactitude, Wallace , multipliant par 4 le nombre de U'allace.pag.
3 1,000 hommes libres , établit que l'Attique contenoit^
I.* D'hommes libres 124,000.
2." D'esclaves 4oo,ooo.
Total 524,000.
Mais , comme si cette population n'étoit pas déjà assez
Tome VL Y
6
i7« MEMOIRES DE LACADÉMIE
considcrable , il pense qu'on peut multiplier par 6 le
nombre des citoyens et des nutccjues , et il en résulte,
I ." Pour les hommes libres i 86,000.
1." Pour les esclaves, toujours 400,000,
Total 586,000.
'V 44i Hume, dans son xi.' Essai , discute en deux pages ce qui
a rapport à l'Atticjue, et se déclare contre le témoignage
d'Athénée. Il retranche un zéro au nombre 400.000, et
le réduit à 40,000 (1). Cette correction est tout-à-fait ar-
bitraire; ce profond écrivain apporte quelques raisons qui
font entrevoir que le nombre est exagéré , t-aus prouver
que l'erreur soit telle qu'il le prétend. '•
Ensuite il multiplie le nombre des citoyens métèques
par 4. de mcme que Wallace, et il trouve que le nombre-
des hommes libres s'élevoit à i 24,000.
Supposant ensuite (contre les principes qu'il
a lui-même posés) que ces esclaves formoient
des familles, de mtmeque les hommes libres,
il admet qu'il y avoit parmi eux autant de
femmes et d'enfans; il muliii>lie le nombre
de 40,000, que donne Athénée, également
par 4. et fait monter les esclaves en tout à. . 1 60,000.
Total de la population de l'Atlique. . . . 284,000.
Mais il est (évident que ses calculs n'ont absolument
( I ) Koliin, avanl Himio, avoil fait le mcnic rctranclicmciit. {/Jisr.anc.
Irv. X, chap. I , art. 2 , S- X. )
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 171
rien de fondé, i." Hume s'est trompé, comme Wallace,
en croyant qu'il faut multiplier par 4 '^ nombre des
citoyens, pour avoir la population totale, ainsi que je
le ferai voir bientôt. 2.° Tout s'oppose à l'idée que les
esclaves étoient autant de chefs de famille: Hume a lui-
même avancé, ce que je prouverai par la suite , que les
femmes et les enfans dévoient être en très -petit nombre.
Ainsi , d'une part , la correction qu'il fait au passage
d'Athénée est arbitraire; et, de l'autre, la manière dont
il conclut la totalité des esclaves, de ce nombre ainsi
corrigé , n'est pas moins arbitraire que la correction elle-
même.
Cet ingénieux et profond écrivain est , je pense , le
seul qui ait mis en doute le témoignage d'Athénée. Bo-
namy, dans son Mémoire sur Démétrius de Phalère^; '^Academkdti
Barthélémy'', dont l'ouvrage ne comportoit pas une dis- 'p!,T ,yo
cussion à cet égard; de Pauw, dans ses Recherches sur ^Voygdujcmt
A» I / f=- I Attnclt. ch. VI.
les Grecs; M. Lcvesque*^, qui, dans ses Etudes sur la ' Tim. IV
Grèce, s'est contenté de rappeler légèrement ce fait, &c. ^"''''"^'
tous ont adopté ce témoignage.
Avant ces trois derniers auteurs, M. de Sainte-Croix
l'avoit également adopté , dans une dissertation spéciale
sur ce sujet . Cette dissertation , beaucoup plus étendue ^Mem.Jei'Aïa-
.1 . . , , , . . , dimw tics inscrip.
que tout ce qui avoit ete écrit sur cette matière, repose ttm.XLViu
entièrement, quant au nombre des esclaves, sur le passage
d'Athénée. L'auteur, en s'attachant à cette autorité unique,
a développé les idées de Wallace, contre celles de Hume, ^«'X-L^''^
que Wallace avoit déjà essayé de réfuter. ■ 1!' sUtTde u
M. de Sainte-Croix, admettant que chacun des vingt-un 'ji^f'-'i' "''/-
«iille citoyens étoit chef de famille, en multiplie le nombre suiv.
Yij
• 7^ Mt.MOrRES DE L' ACADÉMIE
par 4 plus-^, selon uue règle qu'il se fait à lui inùne, et
conclut que les AthcJiiens de tout âge et des deux sexes
scit'voient à 5^4,500'"'"'
Il f.iit la nicme supposition pour les mc-
tiques, et il en trouve en 'conséquence | 5,000.
Total des hommes libres i 3(^,500.
ou cent quarante mille.
Il admet cgaleinent<|ue le nombredesquatre
cent mille esclaves ne comprend que les indi-
vidus des deux sexes en état de travailler, et,
ajoutant un cin(juième pour les enfans et les
vieillards caducs, il en trouve en tout 500,000.
Total de la population de l'Attique. . 639,500.
ou six cent quarante mille âmes.
SciHit-Crta, On doit remarquer que iusquici le nombre des indi-
Acéid.det mur, . , . . -/r
tom. XLV/if, vidus libres, admis par les dinérens critiques, ne diffère
pas sensiblement : cest cent vingt -quatre mille, selon
Wallace et Hume, et cent quarante mille, selon Al. de
Sainte-Croix. Le nombre que je substituerai plus bas, n en
sera pas non plus trts-«loigné. La dilTérencc importante,
radicale , consiste dans celui des esclaves.
D'après le passage d'Athénée , ce nombre devoit être
beaucoirp plus fort que ne l'ont supposé Wallace et M. de
Sainte-Croix, qui suivent sans restriction le témoignage
de cet auteur. Or, du moment qu'on s'appuie de ce té-
moignage , il faut en admettre toutes les conséquences
immédiates. Athénée ne comprenil pas dans ce nombre
tous les esclaves de l'.Aitique; il dit formellement, et c'est
DIS INSCRIPTIOiNS ET BELLES -LETTRES. 173
à quoi personne n'a fait attention , que ces quatre cent
mille esclaves ctoient ceux qu'on occupoit au Innuiil des
mines [i] ; et comme on sait que les travaux de l'agriculture
et de l'industrie étoient exécutés par les esclaves, c'est
accorder beaucoup si l'on admet que les mines aient em-
ployé plus des deux tiers de tous les esclaves de l'Attique.
Cette considération porteroit à six cent mille au moins le
nombre de ceux qui étoient en état de travailler , dans
le cas même où l'on supposeroit, ce qui est cependant
bien peu probable , que les femmes fussent aussi occu-
pées à l'exploitation des mines ; ajoutant donc un cin-
quième pour les enfans et les vieillards , on auroit au
moins sept cent vingt mille esclaves ; la population totale
s éleveroit donc à huit cent cinquante - neuf mille cinq
cents ou huit cent soixante mille âmes : voilà ce qu'il faut
conclure du passage d'Athénée.
L'Attique forme une presqu'île entourée par la mer ,
et séparée de la Béotie par la chaîne du Ciihéron. Sa
superficie, selon les calculs de M. Barbie du Bocage, a^uJ s.i.u
est de soixante-seize lieues carrées; et avec Salamine, de '^''''"•* - /*• '-^z -
quatre-vingts lieues carrées à peu près. C'est seulement
environ trois fois plus que le département de la Seine,
qui n'a que vingt -quatre lieues carrées. Les huit cent
soixante Inille âmes réparties sur cette surface donnent dix
mille sept cent cinquante ou près de onze mille habitan;S
par lieue carrée.
Mais remarquons que l'Attique n'est pas une de ces
contrées dont le sol , fertile dans toutes ses parties , se
Mi-niN^a (p. 2.yz, E).
i7i MÉMOIRF5 DE L'ACADÉMIE
prf-te a\'antageiisemcnt à tous les genres de culture. C'est
un pays sec comme la Provence , sablonneux et slcrile en
beaucoup d'endroits , selon le témoignasse des anciens
eux-îTicmes, et nulle part très - fertile. Il est traversé
Xnopk. -nti en tout sens par plusieurs chaînes de montagnes : au
^^' '/' nord, le Cilhcron le sépare de la Bcotie , et ses collines
iU DÛÀtr. dfscendcnt bien avant dans la plaine : le Parnès et le
Hrilessus sont au nord-est; leCorydalus, au nord-ouest:
le Pentrlicjue , le mont Hymette, en occupent le centre;
et le mont Laurium le termine au sud. Dans unç pareille
contrée, il faut retrancher de la surface habitable et culti-
vable environ un (juart : n'en retranchons cju'un sixième;
les quatre-vingts lieues carrc-es seront réduites à soixante-
six; et, comme la population est de huit cent soixante mille
âmes, on a treize mille individus par lieue carrée, et c'est
HfT^m. Siitr. treize fois la population moyenne de la France.
franct.iom.i.", Au reste, ce rapprochement prouve seulement coml)ien
f^''" est élevée la proportion de 1^,000 individus par lieue
carrée : mais je ne prétends point t\u tout en conclurequ'elle
soit d'une impossibilité physique. A considérer le fait en
théorie, on ne peut lixerde limite à la popidation relative,
parce qu'elle doit être toujours en raison des ressources: ainsi
la({uestion revient, en dernière analyse, à savoir quels soct
les moyens que possède un pays pour entretenir ses liabi-
tans. Je n'ai donc voulu montrer autre chose, sinon que la
population de l'Altique, telle qu'il faut la conclure du
passage d'Athénée, s'éloigne de tous les exemples les plus
favorables qui «roient à noire disposition, et faire voir par-
là combien il importe de s'assurer de l'existence d'un phé-
nomène dont rien n'approche dans l'Europe modenie.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 17,
avant de se livrer à des recherches, peut-être inutiles, sur
les causes cjui en expliqueroicnt la possibilité.
Voyons d'abord sur quelle garantie repose un tel fait:
cette garantie est le témoignage d'un compilateur du troi-
sième siècle , d'Athénée, qui cite un auteur inconnu.
A la vérité, ce qui milite en faveur de son témoignage,
c'est que le nombre des citoyens et des métèques cadre
assez bien avec ce que nous apprennent d'autres écrivains;
et l'on a pu voir, dans cet accord, un motif suffisant pour
ajouter également foi à ce que le même auteur dit des
esclaves.
Cependant, lorsqu'on lit avec quelque attention la dé-
clamation tout entière qu'Athénée met en cette occasion
dans la bouche de ses interlocuteurs, on aperçoit des exa-
gérations si extravagantes, qu'on ne peut se dispenser d'y
reconnoître un parti pris d'augmenter à l'excès le nombre
des esclaves.
Il prétend, d'après Timée, qu'il y avoit, dans la seule
ville de Corinthe, quatre cent soixante mille esclaves,
ou un septième de plus que dans l'Attique.
L'exagération est bien plus sensible dans ce qu'il rap-
porte de la seconde révolte des esclaves en Sicile , qui
eut lieu vers i 3 5 avant J. C. : il y périt, selon lui, plus
d'un miliioti d'esclaves; ce qui est déjà fort difficile à croire.
Mais on doit retrancher au moins les neuf dixièmes de
ce nombre exorbitant ; car, selon Diodore de Sicile, les
esclaves révoltés en cette circonstance ne s'élevèrent pas
à plus de deux cent mille, et l'on ne sauroit supposer
qu'il ait péri plus de la moitié des rebelles. Dioi.Sic.Echg.
Al" I / I r> ''^- ^xxvi, »,
1 époque de cette révolte en Sicile, il y en eut une dans /-•>". '>'<^4-
iVto" MFMOIRIS DE L'ACADI.MIF.
PAttiquc. Allic'nce, en s'appuvant du tcmnignagc de Posr-
donius, prétend que vingt mille esclaves, dans les mines,'
c'gorgcrcnt leurs gardiens, s'emparcrcnt de la forteresse de
Sunium, et ravagèrent pendant long-temps le pays. Le
fait est vrai ; mais on ne risque rien de retrancher les dix-
neuf vingtièmes des esclaves révoltés. Diodore de Sicile
rapporte que le nombre ne fut pas de plus de /;;///(•; et
cela est très-conforme à la vraisemblance , parce qu'à cette
époque les mines ctoient presque entièrement épuisées,
comme Je le dirai plus bas. Ainsi Athénée est à peu près
convaincu davoir exagéré le nombre qu'il a trouvé dans
Posidonius.
Mais ce qvii passe toute croyance, c'est le fait relatif
à l'Ile d'Fgine,.et pour lequel il ose s'appuyer de l'impo-
sante autorité d'Aristotc. On } comptoit, dit-il, quatre
cent soixante-dix mille esclaves , ou soixante-dix niilli-
de plus que dans l'Attique ; ce qui suppose une popu-
lation d'au moins sept cent mille âmes réparties sur le ter-
rain montagneux, rocailleux et infertile (i) d'un état qui
n"a pas plus de quatre lieues carrées de surface : c'est cent
(juaire-vingt mille habitans par lieue carrée; c'est-à-dire
(juc la population y auroit été aussi pressée que dans
Paris. Voilà , pour cette fois, une absurdité palpable , qui
ne peut être attribuée ni à Aristote ni à aucun homme
de sens; mais, comme si ce nombre n'étoit pas déjà
assez merveilleux , un des interlocuteurs reprend qu'à
Rome il y avoit bien plus d'esclaves encore. " Clui/jue
( I ) Voyez conimf- Démotthcne
parle de cette ile : ÎXÙt j5? lix «jj^g^'r ,
fç^r«?r litùç n'r , «. 7. ^. (Dcniosth. f«/l-
rra Aristoctjt. p. 6po , I. 2-r.)
» Foma'm ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 177
» Romûiu , dit Lan reii tins, en possède autant: beaucoup
» en ont dix mille, vingt mille et davantage; non pas,
" comme le riche Nicias , pour s'en faire un revenu ,
•' mais , la plupart, pour avoir un nombreux cortège (i ). »
Ailleurs, si l'on en croit un autre convive, Alcibiade,
ayant remporté le prix du char aux jeux Olympiques,
donna un repas à toute la Grèce assemblée pour la cé-
lébration des jeux (2). On s'étonne peu de ces exagé-
rations quand on connoît la manière d'Athénée : on sait
qu'assez ordinairement un de ses interlocuteurs avance
une proposition paradoxale qu'il soutient à tort ou à rai-
son ; un autre l'attaque et renchérit encore , au moyen
d'assertions les moins croyables ; et, dans ce cas, les cita-
tions d'auteurs graves ne lui manquent jamais.
Les rapprochemens que je viens de faire, en montrant
combien Athénée a par-tout exagéré le nombre des esclaves ,
doivent nous tenir en défiance sur le témoignage quil
allègue relativement à ceux de l'Attique : car, s'il n'a pas
craint de citer évidemment à faux des auteurs tels qu'Aris-
tote et Posidonius, on ne voit pas pourquoi il se seroit
fait scrupule d'en user de même avec un auteur aussi peu
connu que Ctésiclès.
Il est étonnant qu'aucun de ceux qui ont parlé de la
population de l'Attique n'ait fait ces rapprochemens ,
et ne se soit convaincu du peu de confiance que mérite
( I ) Athen. VI , pas,, lyz , E.
VufJUUU}/ iKCLÇdÇ TT^H'^^Ç IXI'éÇ X.txIl'/itl'Of
'Ot>'"'<ft"f Si, atrTTip 0 '^'' EMKKai' fa-
/Mtiaiv avu'zt^i'iviai iy^nn Tiff îj^t/ruf.
(2) Athen. 7, j , p. j , £. Af^iuCa-
Suç Si OK<Jfj.7na. iimoTt; o-puA-n 'orpaitç 1^
Tome VI. Z
1-3 MEMOIIÎES DE L'ACADEMIE
Athcncfe sur cette matière. Ces rapprochemens nous in-
diquent assez qu'il ne sufHt pas de cliaiiL,fer, de modifier
ou mt^me de corriger le passage; il laut abandonner tout-
à-fait un témoignage aussi suspect sur le nombre des es-
claves, et recourir particulièrement aux auteurs Atticjues,
dont l'autoritc' en cette occasion doit l'emporter bur celle
de tous les autres. J'espère prouver que tous ces écrivains
tournissent les argimiens les plus forts contre l'existence
d'un nombre si prodigieux d'esclaves dans l'Attique ; en
sorte (jue l'assertion du compilateur reste seule et sans
appui, avec toute son invraisemblance.
Dans une question du genre de celle-ci , où il s'agit
d'un objet variable par sa nature et soumis à des (jscil-
iations continuelles, je dois embrasser un intervalle assez
grand. Je choisirai la période pendant laquelle la nation
Athénienne s'est élevée au plus haut point de splendeur,
et où, conséquemment , sa population a été le plus nom-
breuse : je la renlermerai donc entre les premières années
de la guerre du Péloponnèse et la bataille de Chéronée.
Ce Mémoire comprendra deux parties : dans la première,
j'établirai la population des hommes libres ; dans la se-
conde, j'établirai celle th.s esclaves, et je ferai voir par
les circonstances de l'histoire intérieure d'Athènes , que
la population totale n'a jamais pu y ^tre beaucoup au-
delà du terme (jue j'aurai fixé.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 179
PREMIÈRE PARTIE.
NOMBRE DES INDIVIDUS LIBRES.
S. I.'^ Athéniens.
J'ai déjà eu occasion de remarquer que les résultats
auxquels les diffcrens critiques soi^f arrivés , relative-
ment à la population de la classe libre, ne diffèrent pas
sensiblement entre eux, parce que les données sur les-
quelles ils les ont établis sont peu nombreuses et assez
claires. Celui que je présenterai ici , appuyé de quel-
ques rapprochemens nouveaux , offrira cjuelques diffé-
rences.
Les Athéniens étoient enrôlés dans la milice à dix-
huit ans ; ils servoient deux ans dans l'intérieur du pays:
à vingt ans révolus, ils prêtoient serment dans la chapelle
d'Aglaure, et ils commençoient dès-lors à jouir de tous
les droits de citoyen.
D'après cela, on conçoit que quand les auteurs Attiques
évaluent le nombre des citoyens, il ne s'agit pas seule-
ment des hommes en état de porter les armes, ou des
chefs de famille , ainsi que l'ont supposé Wallace, Hume et
AA.de Sainte-Croix: ce nombre comprend nécessairement
tous les individus qui ont vingt ans ou plus. Pour avoir
lu totalité des individus mâles, il faut recourir aux tables
Zij
iSo jMKMOlRES DE L'ACADI-MIE
de population qui in(.Ii<|ucnt la proportion de la quantiiii
d'individus entre un âge donné, pur rapport à la popu-
lation totale. Si 1 on ohjectoit que la loi de population
a |ni cire vn peu ditfc'rente dans l'Attique, on rcpondroit
que cette différence , quand elle iroit à u\t dixième, ce qui
est considcrahie, n'aftecteroit pas très-sensiblement le
résultat, parce qu'on n'opère que sur un pciii nombre
d'individus, et cjue d'ailleurs, dans des calculs de ce genre,
on ne peut prétendre qu'à des approximations. On com-
pensera facilement le dclicit présumé, en laissant toujours
une certaine latitude en plus. ♦
La population mâle une fois connue, on en conclura
aisément celle des personnes du sexe. Des observations
r^pUir. Esi.>i faites en diverses parties de l'Europe ont prouve que le
i«r lejprohUii- i i i i • i - i i
ifs: iniruj. p.,g. nombre des hommes est par-tout plus considérable que
^*'' celui des femmes, dans le rapport de 22 à 21. Pour ne
pas risquer de se trouver au-delà, on n'a qu'à supposer
égal le nombre des -personnes des deux sexes , et iloubler
celui des mâles.
Cela posé , cherchons le nombre des citoyens dans
l'intervalle de temps que j'embrasse.
Sieitio.ii rki Sous l'archontat de Léotvchide, en 44- avant J. C. ,
/ugit It? roi d t.gypte nt présent aux Athéniens de (juarante mille
médimnesde blé. Lorsqu'il fut question d'en faire la répar-
tition, léi Athéniens, qui ne man<juoient jamais de bonnes
raisons pour se tourmenter les uns les autres, firent des
recherches sur l'origine et la naissance d'un grand nombre
d'entre eux, et trouvèrent le moyen de les exclure (i) du
(1) Piiit. in Pericl. J. j;r. Au lieu
de iT;^?n(Ttf,jc lis, avec deux manus-
crits, i9a.rr.mj, ou , avec M. Coray,
DFS INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. iSi
partage, sous prctexte qu'ils n'avoient pas été inscrits lé-
galement sur le rôle des citoyens. Selon- Plutarque, les
Athéniens exclus furent moins de cinq mille ; les autres
se trouvèrent au nombre de quatorze mille deux cent qua-
rante (i) : la totalité montoit donc à environ dix-neuf mille.
C'est ce qui résulte du témoignage précis de Philochorus. Piùlodi. np,
dj, , , . . , I •■ '•! ScM. Ariiwph,
ont 1 autorité est ici très-grande : il compte qu il y eut en Vcsp.v.yié.
cette occasion quatre mille sept cent soixante Athéniens
exclus, et quatorze mille deux cent quarante qui partici-
pèrent à la distribution ; total, dix-neuf mille.
Le mcme nombre se retrouve encore à une époque qui
ne peut être fort éloignée de celle de la bataille de Ché-
ronée. Au témoignage de l'auteur des Vies des Orateurs,
attribuées à Plutarque, le démagogue Lycurgue fit confis-
quer les biens de Diphilus, qui montoientàcent soixante ta-
lens : répartition faite entre les citoyens, il revint cin-
quante drachmes à chacun d'eux. Or, comme cinquante i\tu<i<-i'ii,t. lu
drachmes sont comprises dix-neuf mille deux cents fois ^om'.Jx^. ^^"
dans cent soixante talens, valant neuf cent soixante mille (V- Tuylor .•,{
j t -1 > • J A I ' • / ■ I Din;ostli.i!! Ap-
drachmes , il s ensuit que les Athéniens etoient alors au parât, cm. 1. 1 .
nombre d'environ dix- neuf mille. ^Kfùke.^^'
Ce calcul est confirmé par Démosthène, contre Aris-
togiton. Cet orateur dit que tous les Athéniens sont près de P^g-yS^
vingt mille : E/o-li/ OyU.S' S\crfx\içj.rii ol ■nrâ.v.e^ 'A^rwaÂoi (2). On
sent que ces expressions, près de vingt mille, employées
(i) Le texte porte, /xt/'/s/o/iau Tiifa-
wjyXfo/ /yj Ttaiagjtiaii'la. Il faut lire,
avec Meursius f Fort. An. p. 26 , A.
0pp. t. I ) , /Mjtioi y^ "nifaKi^Kioi icj
iftaxâojo; 4 Tiajtt^stxoi'la, comme dans
Philochorus.
(2) '0|U.oi/ signifie îyytjç, selon toiu
les anciens grammairiens. Conf. Va-
Ifs. ad HarpocT. voce 'O/uov,- Lamb.
Bas. Ainrnadv. c. IV et Vlli ; Henu-
tcrh. ad Ltician, t. I , p. 443 '■> ■iurrz ,
Lexic. Xenoph. 1, p. 286, &c-
->•
• ï^'2 MF.MÔIRIS DE l.'ACADf.Vill::
d;i!is un mouvement oratoire, reviennent aux liix-neuf
mille que j'ai trouves plus haut. La même approxima-
tion se retrouve encore au vers 7 1 G des Gucpcs d'Aristo-
phane.
Ainsi, dans rintcrvalle de temps écoule depuis Pcriclès
juicju'a Dcmosthène, le nombre des citoyens avoit très-
piii varié.
Prenons donc la moyenne entre dix-neuf mille et vingt
mille, c'est-à-dire dix-neut mille cinq cents, et appli-
quons à cette moyenne les tables dressées par Al. Du-
\ illard. Elles établissent ([ue les indi\idus au-dessous de
\ ingt ans sont à ceux (jui oiu passé cet âge : : 2 : j , ou
plus exactement : : 4° i 8 : 5^8 1 . Il s'ensuit qu'à Athènes
les premiers étoient au nombre de douze mille luiii
cents; ce qui, joint aux dix-ncii( mille deux cents , porte
la population mâle de tout âge à trente- tieux mille si\
cents.
Un rajiprochement tiré de I luicydide m'a paru conln-
mer d'une manière satisfaisante ce calcul , dont les bases
ne peuvent offrir (|u une incertitude assez légère. Dans la
seconde année de la guerre du Péloponnèse, les Lacéilé-
moniens et leurs alliés , sous la conduite d'Archidamus,
firent leur première invasion dans l'Attique. Pcriclès, pour
rassurer les Athéniens, leur expoce en détail toutes leurs
ressources : il dit, entre autres choses, que les forces de la
république montent à irei/x mille hoplites, douze cenis
cavaliers, seize cenu archers ; en tout, quinze mille huit
cents hommes, sans compter les vieillanls, les jeunes gens
/ u.^rf. //, qui n'avoient p -int l'âge, et tous les métèques hoplites.
.Mai»;, parmi ces quiiize mille huit centb hommes, il
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 1S3
faut en retrancher un certain ncîmhre f|ul n'ctoient point
Athéniens.
i." Il faut retrancher six cents archers Scythes, que /Lidin.defa's.
les Athéniens avolent dès-lors à leur solde. H^"'- f'S- //•
2." Quelques chapitres pius.bas, Thucydide parle d'un rhu.jd. u .
engagement de la cavalerie Thessalienne contre les Lacé- ''•
démoniens ; et il observe, à cette occasion, qu'en consé-
quence d'une alliance entre la Thessalie et Athènes , sept
villes de la Thessalie avoient envoyé des troupes comman-
dées en chef par Polymcde, Aristonoiis et Ménon, outre
les commandans particuliers pour les troupes de chaque
ville. En évaluant le total des troupes des sept villes à
mille hommes, on est certain d'être en-deçà plutôt qu'au-
delà de la vérité; c'est donc un total de seize cents hommes
à retrancher de quinze mille huit cents : il reste quatorze
mille deux cents hommes de troupes Athéniennes.
On doit se rappeler maintenant que ces quatorze mille
deux cents soldats ne comprenoient que les individus entre
vingt et cinquante ans , puisque les plus âgés et les plus
jeunes furent exclus. Or la loi de population établit que
les hommes entre vingt et cinquante ans sont à la totalité
des individus mâles, dans le rapport de 4^ à 100, ou \\\\
peu plus que les deux cinquièmes. Il en résulte que cette
toialité Revoit être à Athènes de '4^°°" ■°°— ^ , goo ; et
ce nombre est bien peu éloigné de cefui de 32,600 que
j'ai trouvé ci -dessus par des moyens tout différens : on
peut même dire que, comme la quantité variable des
Thessaliens est sans doute trop foible à mille , les pro-
babilités sont pour un résultat encore plus approché du
nombre 3 2,600.
.84 MÉ.MOIRLS DE LACADJ.MIE
Cet accord, auquel j'ai ctc conduit par l'application des
tables dressces en France, tend à montrer que la loi de
population n'ctoit pas trcs-diffcrente dans l'Attique ; m.tis
il clahlit sur-tout, a\ec une sorte de certitude, ijne les
Athc'niens mâles de tout âge, pendant l'intorvalk' df temps
que j'ai choisi, ont ctc au nombre de trente-deux a trente-
trois mille.
Ce résultat explique le passage des Conciciuitrucs
y.i 2^ d'Arisiopliane, où la servante dit à son maître « qu'il
•• est le plus heureux des hommes, puisque seul entre
>' les TDAn-o», qui sont plus de trente mille, il n'a pus en-
" core dinc. •>
T/f )^ yiton' <u juûLMot ÔAf/ûrrtgjf,
Ont, •nxiitÊ» ■nt.iîcr i\ Tififf/ut/CA'''»
OtTUiy * ^.iï9of, » iflJliwrnKa.( /bùtof.
1. -,- Dans /es Guêpes , le poète fait entendre que les citoyens,
en se servant de la même expression ( -tdAitcu ) , sont
au nombre d'environ vingt mille. 11 est donc évident que,
dans le premier passage, les trente mille citoyens, et plus,
sont les Athéniens de tout âge, que le poète a réunis pour
rendre l'opposition plus frappante.
iirrj. r,^7. la même explication convient à un passage d'Hérodote
qu'on a cru altéré : c'est celui où l'historien rapporte «ju'Aris-
tagoras de Milet parvint à persuader aux Athéniens de
se déclarer contre les Perses. Il ajoute qu'Aristagoras, qui
n'avoit pu entraîner qu'un seul honuue, savoir, Cléomcde
roi de Sparte, vint a bout de trois myriades d'Athéniens.
\ alckenaer trouvoit ce nombre exagéré. Al. Larcher dit:
7\>'n.n',{<if. ,. Est-ce une faute de copiste, ou bien Athènes étoit-clle
•• plus peuplée avant la guerre des Perses : Je le croiroii
»> voioiuieri. >•
I i-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 185
« volontiers.» M, de Sainte-Croix s'est approché davan- Scinu-Cr,!» .
tage de la solution, selon moi, en disant: «Peut-être Hé-
» rodote n'a-t-il ainsi multiplie les citoyens d'Athènes que
" pour mieux mettre en opposition leur condescendance
» avec la résistance du seul Cléomède , ressource oratoire
» qui n'est pas sans exemple chez les anciens historiens. »
Je me rangerai de ce sentiment, sauf une modification
essentielle; c'est que le nombre 30,000 n'est point une
exagération sans motif. Il y a ici, comme dans le vers
d'Aristophane, une figure qui transporte à tous les indi-
vidus mâles ce qui ne convient qu'aux seuls Athéniens
investis du droit de voter. C'est par une figure semblable
que nous disons tous les jours, en parlant de la France,
le vœu de trente millions d'hommes.
La place où se trouvent ces deux indications, et les
circonstances qui les accompagnent, prouvent que l'his-
torien et le poète n'ont voulu donner qu'une approxima-
tion : ainsi ces textes n'empêchent pas de croire que la
population ne soit restée la même entre l'époque d'Héro-
dote et celle d'Aristophane, c'est-à-dire, pendant un siècle;
et cela n'est pas plus étonnant que de la voir se soutenir
pendant le siècle suivant, malgré la peste, le#guerres con-
tinuelles et les nombreuses colonies fondées par les Athé-
niens après la guerre des Perses.
On ne peut expliquer que la population ait été station-
naire au milieu de tant de causes de diminution , qu'en
admettant qu'il y ait eu plusieurs fusions des métèques
avec les citoyens , semblables à celle qui eut lieu sous
(>aliias, la troisième année de la xciii.'' olympiade, vers
, . . . L)iod. Su. liD.
la fin de la guerre du Péloponnèse. C'est ce qui arrivoit xui.f.^y.
Tome VI. A»
i86 Mf.MOlRFS DF. LAC AOLNUF,
principalement en temps Je guerre, où l'on avoit plus
besoin tle ces étrangers; et l'on sait que le droit de cite
cloii la plus grande récompense des services qu'en dételles
circonstances ils rendoient à la républicjue. Mais ce qui
est fort remarquable, c'est que, malgré ces fréquentes in-
corporations, le nombre des citoyens suit resté constam-
ment d'environ dix -neuf mille. Ceci n'a pu avoir lieu,
ce me semble , que dans le cas où ce nombre auroii ùc
fixé par une loi de l'Etat ; loi qui paroît , du reste, avoir
tait la base des gouvernemens de la Grtce , et particu-
lièrement des gouvernemens ripublicains. Il s'ensuivroit
rirtt. Ftp !\' . que l'opinion émise par Platon et Aristote , sur la néces-
Ariu.PtUt.vii. site de limiter le nombre des citoyens dans les répu-
^' ' bliques , n'appartient pas à ces philosophes , mais qu'ils
l'avoient puisée dans quelque règlement particulier, qui
Dtrjiin: t. /, nous est inconnu. H est vraisemblable (lue ce règlement
r 'S* , . , . . .
lut établi par quelqu'un des anciens législateurs qui avoient
bien réfléchi sur la nature et les inconvéniens des gou\er
nemens démocraticjues , où il est d'autant plus dillicile de
gouverner que le peuple est plus nombreux. Miis, conime
la restriction qui paroissoit nécessaire au maintien de lu
tranquillité ^d)lic]ue, auroit opposé des obstacles au dé-
veloppement de l'industrie et du commerce, on y remé-
dia en permettant ruix étrangers de venir s'établir dans
l'Attique, avec la condition de participer aux avantages
du pays, mais de rester étranger sau gouvernement. !<
Dfmoiih..!'Htr est, selon moi , l'esprit de la mélêcie i\u\i\\ trouve établi
ihoJSn.iik presque par- tout dans la Grèce, a Alhcnes , a Kgine, a
'•:''• i " 1 htM>e5. en Crète . &c.
//«./. Lorsqu'une guerre prolongée, une colonie, ou tout
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 187
autre événement, avoit diminué le nombre des citoyens,
c'ctoit dans les rangs des métèques qu'on choisissoit les
individus qui dévoient remplir le vide ; et c'est ainsi que
la population Athénienne dut se conserver long-temps
au même i>iveau , jusqu'à ce que le règlement qu'on avoit
exactement suivi, fût tombé en désuétude.
C'est ce qui paroîtêtre arrivé pendant le règne d'Alexan-
dre. Dans la seconde année de la cxiv.^ olympiade, un an
après la mort d'Alexandre, quinze ans après la bataille de
Chéronée, Antipater, pour mettre fin aux troubles con-
tinuels causés par une populace inquiète et turbulente,
exclut du droit de citoyen tous ceux qui ne possédoient pas
au-dessus de deux mille drachmes. Selon Plutarque, /« photion.
douze mille deux cents personnes en furent privées , et, t'"^-''^^-
selon Diodore, neuf mille le conservèrent. Total des ci- DioJ. Sk. //.<
toyens, vingt-un mille deux cents: c'est environ deux mille ^^"'' ■'• '''
de plus qu'avant la bataille de Chéronée. Ces douze mille
deux cents personnes bannies d'Athènes se retirèrent en
Macédoine; et cinq ans après elles revinrent à Athènes,
sous la protection d'Alexandre fils de Polysp^rchon. Il Dhd. Sn.iik.
n'y a donc rien que de très-vraisemblable dans le résultat du ^^'"•■^'
dénombrement fait par Démétrius de Phalère, la première
année de la cxviii.^ olympiade, où l'on trouva vingt-un
mille citoyens, selon Ctésiclès. En partant de ce nombre,
on obtient par le calcul trente-cinq mille individus mâles,
ou deux à trois mille de plus qu'auparavant.
Mais , pendant l'intervalle de temps que j'embrasse et
qui finit à la bataille de Chéronée, le nombre des ci-
toyens fut d'environ dix- neuf mille ; celui de tous les
mâles, de trente-deux mille six cents à trente-trois mille;
A-ij
i^i! MKMOIRES DF. L'ACADEMIE
ei l;i |iopiilation ioiAa Atlicnicnne , de soixante-sept nulle
ou de soixante-dix mille âmes.
S. il. Des Aie te,] lies.
Il y a peu d'espoir d'arriver à connoître le nombre
des métèques avec autant de certitude ijuc celui des ci-
toyens ; car, à. l'exception du passage d'Athcnce, il n'existe
aucun témoignage positif à cet égard. Voici toutefois un
rapprochement qui doit nous conduire assez près de la
vérité.
On a vu que Thucydide évalue les forces de la république
à quatorze mille deux cents hommes tire's d'entre les citoyens :
il ajoute que les forts de l'Attique et les murailles d'Athènes
ctoient gardés par un corps de seize mille personnes,
composé des très-jeunes gens [tov vta)TO7Ci)V j , des hommes
ThuçféJ. II. ^g^^ [tuv 'ZDféo^uTaT&v ] , et des hoplites métèques.
J'ai dit (jue ces Athéniens dévoient être au-dessous de
vingt ans et au-dessus de cinquante ; et comme le service
qu'on ex-rgeoit d'eux étoii en grande partie île pure sur-
veillance , il est très-probable que, dans une circonstance
aussi critique, on avoit pris les hommes de quinze à vingt
ans et de cin(juante-cinq à soixante-dix. Les jeunes gens de
dix-huit a vingt, et ceux des métèques sur lesquels on pou-
voit le plus compter, formoient la garnison des forteresses.
Les jeunes gens de quinze à dix-huit, les vieillards les
plus avancés en âge, et le reste des métèques, veilloient à
la garde des murailles de la ville. Les individus compris
dans les intervalles fixés sont les o.iôySdu tout , ou un peu
plus du quart: les 0.2678 de 33, 000 équivalent à 884°: *'
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 189
reste donc pour le nombre des hoplites métèques environ
y 200. M. de Sainte-Croix a remarque , dans son Mémoire, p„g, ,^y_
que les métèques étoient enrôlés de préférence parmi les
Iioplites. On peut donc admettre que la proportion entre
le nombre des hoplites et la population mâle étoit lu
même que pour les citoyens. Or, sur dix-neuf mille cinq
cents Athéniens, on comptoit, selon Thucydide, treize
mille hoplites ; et comme 13000: 15)5 00:: 7200: 10800,
il s'ensuit que le nombre des métèques mâles entre vingt
et soixante ans étoit de onze mille ; celui des individus
mâles de tout âge, de vingt mille ; et la population to-
tale des métèques, de quarante mille environ, au commen-
cement de la guerre du Péloponnèse.
Ce nombre paroît avoir diminué par la suite. J'ai déjà
montré que, lors des changemens arrivés sous Anti-
pater, on avoit compté vingt-un mille citoyens, nombre
qui se retrouva sous Démétrius de Phalère , peu de temps
après. Dans le recensement fait par ce dernier, on trouva
dix mille métèques ; ce nombre existoit également dès le
temps d'Antipater : c'est du moiiis ce que je conclus d'un
passage de Diodore.
Cet historien dit, en effet , que, lors de l'exclusion
des personnes qui ne possédoient pas plus de deux mille
drachmes', il s'en trouva vingt-deux mille dans ce cas, et
seulement neuf mille riches au-delà de la somme fixée.
Au lieu de vingt deux tiii/Ic , Plutarque dit douie mille ; ce
qui est très-exact.
Bonamy et Wesseling ont voulu lire également douie A,<r,i.Jes ms,r
mille dans le texte de Uiodore. Je croîs que la leçon ;-„.
vingt-deux mille doit rester, parce que, selon toute appa-
190 MÉMOIRES DF. i; \c:Ani',\\ir.
rcnce, c'est une erreur de l'historion lui iiicrne. Reniarqucz
que lunit mille cl %ingt-deu\ niilk' Kuit prccisc'ment les
trente-un mille, tant citoyens que métèques, qui se sont
trouves dans le dc'noml)rement de Dcmétriusdc Phalcrc.
Sous Antipater.on avoii c(Mnpté vingt-un mille citoyens :
ainsi il reste également dix mille pour les métèques. Je pense
donc que Diodore , sachant , d'une part, que le nombre
lies Athéniens qui ne turent point exclus, étoit de neul
mille, et, de l'autre, que le nombre total des hommes libres
alioit a ti.-nie-iin mille, n'aura pas lait attention que dans
ce dernier éfoient également compris les métèques : il
n'aura tait (jue soustraire neut mille de trente un mille , et
il aura trouvé vingt-deux mille pour celui des personnes
exclues i\n gouvernement.
Il résulte de là que du temps d'Antipater et de Dcmé-
trius il y avoit également vingt- un mille citoyens et dix
mille métèques. Mais, avant la bataille de Chéronée, nous
avons trouvé dix-neut mille cinq cents Athéniens, et onze
mille métèques ;conséquemment./'/wj de iliétèques et nioitis
d'.Atbéniens. On ne doit donc pas négliger d'observer que
les variations ou la stabilité de la population de ces deux
classes paroissent se suivre et se correspondre assez cons-
tamment. Si l'une est stationnaire, l'autre l'est également;
quand l'une augmente, l'autre diminue: de manière qu'au
milieu des oscillations dont chacune d'elles a dû être afîec
ter, le nombre total des hommes libres semble être reste
à peu près le même depuis la guerre des Perses juscju'à
l'époijue do Démétrius de Phalèrc, au-delà de laquelle il
n est plus possible d'en suivre l.i marche et les mouvemens.
On voit d )nc que la population libre de rAtticfue entre
DES INSCUIPTIONS ET BELLES- LE'Jl HES. 191
les années 430 et 34° avant J. C. se composoit ainsi (i) :
I .° Athéniens de tout âge et des deux sexes . 70,000.
2." Métèques de tout âge et des deux sexes. 40'00Ci-
Total 11 0,000.
(1) Un critique anonyme qui a
rendu compte, dans le A'iiiseiim cri-
licum ( loni. I , p. 54-) i ^^ l'ouvrage
de M. Douglas sur la Grèce nio-
dernf , en relevant des erreurs pal-
pables de cet atiteur relativement
à la population de l'Aitique, tombe
lui-même dans une erreur que je
dois faire remarquer. 11 ajoute au
nombre d'hommes qui résulte du
texte précis de Thucycide, le nom-
bre présumé nécessaire pour former
l'équipage des 300 trirèmes en état
de tenir la mer [3?iû)j^»f ] dont parle
cet historien dans la même occa-
sion. Toutefois, comme ce nombre
de 300 trirèmes lui paroit trop con-
sidérable, il le réduit à 130; et, cal-
culant l'équipage sur le pied de i 50
hommes, il en conclut 19,500 hom-
mes pour les 130 galères, ce qui ,
joint au reste des troupes , forme m
total de 5 1,300 hommes. Ce nombre,
multiplié par 3 (pour avoir celui des
femmes ei des vieillards), donne une
population totale de 153,900 indivi-
dus Athéniens de tout âge et des deux
sexes.
Ces calculs n'ont aucune base.
Puisqu'on vouloit faire uVi tel usage du
passage de Thucydide, pourquoi ré-
duire arbitrairement à 130 le nombre
de 300 galères! Dans l'hypothèse
adoptée, l'équipage des 300 vaisseaux
auroit été de 45>ooo hommes ; ce qui
auroit porté la force militaire des
Athéniens à 77,400 hommes.
Mais 1 hucydide n'a voulu parler
que des hÀnmens tout équipés , tout
prêts à rece\oir les hoplites qu'on
voudroit y faire monter. Combien
il est peu probable qu'en énume-
rant avec soin , comme il le fait,
toutes les forces delà république,
les hoplites , les jeunes gens, les
vieillards, les archers , les cavaliers ,
cet historien n'eût pas parlé des
troupes de mer, s'il les avoit comp-
tées à parti Ces troupe;, en erilt,
n'étoient autre chose que les troupes
de terre elles-mêmes, réparties m
très-petite quantité sur les vaisseaux
Athéniens. La majeure partie de
l'équipage ttoit formée par les alliés.
En veut-on une preuve entre mille !
on la trouve un peu plus bas , au
chap. XXIII, où Thucydide témoigne
que les Athéniens, assiégés par les
Lacédémoniens , envoyèrent cepen-
dant une expédition navale sur les
côies du Péloponnèse : elle se com-
posoit de 100 trirèmes montées de
1000 hoplites Athéniens et de 400
a; chers; c'est 10 hoplites et 4 ar-
chers par trirème, pris parmi les
troupes dont l'historien a donné plui
haut rénumération.
Kjî MF.MOIRF.S DE LACAOrMIF
SECONDE PAF^TIE.
DES ESCLAVES.
SECTION PREMITRE.
Détcrrninaiion de leur nombrt.
Me voici arrivé au point le plus difficile de I.i (jiicstion.
On se rappelle que, d'après le passage d'Athcnce, les
esclaves de tout âge et des deux sexes dévoient ()tre au
nombre de plus de sept cent mille. Je laisserai de côté,
d'après les motifs établis ci -dessus, le témoignage si sus-
pect de ce compilateur, et je m'en rapporterai unic]nemfnt
à celui des auteurs Attiques.
Il existe, dans le Traité des revenus par Xcnophon ,
un passage qui me paroît d'un très-grand poids, (juoiqu'on
n'en ait point encore fait usage dans la question qui m'oc-
cupe.
" Si l'on exécute le plan que je me propose, dit cet
■• écrivain judicieux, le seul changement qui en résultera,
» c'est qu'à l'exemple des particuliers qui, en achetant des
•• esclaves, se procurent un revenu perpétuel. 1 1 tat en
« achètera aussi pour son compte, juscpi'à ce qu il y en ait
•• trois contre un Athénien. » Outbj xof rî -ttoA/^ x.to7b i\-
""' Ce passage offre deux dillicullés, (ju'il faut lever avant
de pouvoir en tirer un sens clair et positif.
D'abord ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 193
D'abord, qu'est-ce que Xénophou entend ici par y4r//<f-
«/r/;j/ comprend-il sous ce mot toute la population libre,
ou bien n'entend-il parler que des Athéniens proprement
dits, à l'exclusion des mctècjues! et, dans ce dernier cas,
a-t-il eu en vue seulement les citoyens, ou comprend-il
aussi les femmes et les enfans!
M. de Sainte-Croix, dans son Mémoire sur les mé- Acad.des ixscr.
teques, a remarque, d après un passage de Ineopnraste, j^g. iS^.
que les auteurs Attiques ne les ont jamais appelés Atlié- De sign. pluf.
^_ . . V vcntor. &c.fag.
mens. Cette remarque trouve son application à chaque page 4i<j-
de ces auteurs : cela est prouvé sur-tout par les expres-
sions , tous les Athéniens [ i'vnxWgç 'A^\cl\oi\ , qui reviennent
souvent dans leurs écrits, et qui ne signihent jamais que
les Athéniens à l'exclusion des métèques. Tel est ce texte déjà
cité de Démosthène : L/a-lv o/jxv Jicrfxvçjioi ol Ti^'vieç'A^-
vauoi. On le voit encore dans ce passage d'Andocide, Avdodit. meÀ
'Hpé^(r\/j S'li(jc m'é^èc, g^ dim.v'mv 'A^vctiav ^éaCeiç Tinp] "P^^- P--"^' "■
eipyi\iinç, oLVTDKfoLTtpeç,, et dans cette loi d'Aristide, citée par
Plutarque, Koivvv €Îvctf Ttiv -rniAmiaiV kclj -touç cIWovtzkç g| Ap.S.tm.Pent,
'A^voLim aL7râ,Ç]uv. Au Traité des revenus, Xénophon dit, 'f°' "f'^^\
TreMoi J\' Aâ^vaLioi tï !6, çê'vo/ , et par îjvoi il entend les ■^pùx, iv, u.
métèques. La même observation peut s'appliquer à ce
passage des Helléniques : Qç^ov^oç Si k^^ctjxtyàv 'kSpi- W- Hdten.i.
VcLlk^i, KOLf TtVÇ à.}^OVii T«i; Q/J 1^ imXil HaCTDiKCVV77X.(; l tOUT- ' '' "
mire qu'on retrouve dans ce décret de Lycurgue , f^riSin Apud r^mJ.
tt,iivaui A^vcc/wv, i/.y\ài T o/yj)wm)v Ky\\y\(n. Au lieu du a,rg. wm. ix,
mot ^êvo(, ou de la périphrase qu'offrent les deux textes P"ê'J^^-
précédens, Thucydide, dans les mêmes circonstances, ne
manque jamais d'indiquer nominativement les métèques
comme n'étant point compris parmi les Athéniens. Ainsi,
Tome VL B'
Id. /y. çj
194 MÉMOIRES DE L'\CADF.MIE
Ti»çr,{/i,{, 'A^i%7ot TT^p^uti, clOtdJ yuLj{ 01 /ui-niMi èffiCai?sv kc, t>»
M. III. ,„ Nîe^rtOi^cc : ailleurs, ' k^'îOLAoi — èaCai^TH, auv-ni t( »ca} oi
/UiTTixoi : ou bien, 'O h 'iTTsm^fairn^, oi\aiçri<m.t; 'AS>iiaitVi
t\u k. r. A. Philochorus, autre ccrivain Attique, donne
le intime sens au mot 'X^vctToi, lorsqu'il dit , dans le texte
rapporte plus haut, qu'il revint cinq nicdimnes à chatpie
Athénien, é^ç-a 'A-^vct/cii, passage tout-à-fait semblable
à celui de Xcnophon où nous lisons ins^q''^ 'A^va./«»;
or, dans le passat^e de Philochorus, il n'est question que
des citoyens . dont nous avons vu que le nombre ctoit de
dix-neuf à vingt mille.
Ces exemples, que je pourrois multiplier, suffisent
pour démontrer non -seulement (jue par 'A-b^vctToi les
auteurs Atliques n'entendoient point les métèques, mais
encorequ'ils ne désignoient que les dix-neuf à vingt tniiio
citoyens, c'est-à-dire, les individus au-dessus de vingt ans
et inscrits sur les rôles, les seuls qui comptassent réelle-
ment dans la réj)ublique (t).
Il est donc certain que par le mot 'A'^va.îoi (dans
le membre de phrase ivJ.c^Of 'A^nct/o») Xénophon n'a
voulu parler, comme tous les autres auteurs, que des
dix-neuf à vingt mille citoyens ; et (|u.uul il conseille a
la république d'acheter des esclaves, jusquà ce qu'il y en
prix di-Ia cagôdie, fit prcseniin-Aijy//*
Athén'itn [titaVûi tû)» A9>ira«*r] d'une
crache de vin de Chio ( pag. 3 , F),
il ne vcul cvidi'ninicnt p.irlcrcuie de»
citoyens. Il en est de iiunie d'Har-
pocration, qui donne aux mots Wmr
Apurait/ le mcnic sens que les aiiteuri
Attiquei (.crr Wwtaumufjukti^iti).
( I ) C'est par suite de cet usage des
Attiqties , que les autres écrivains
donnent au mot ' h%falti la même
■ ccrptinn. Ainsi Lihani'is , dans ce
texte, «■» 7»;n/r, nf «x ciJt», e#f A^t-
><uc<r i)ifM)tiuf crTUt[£)filatnal. XVI ,
p. 444 1 ^ )• Lorsqu'Athi-nec dit que
If pyete Ion , «pr(}$ avoir remporte le
DES INSCRIPTIONS ET liELLLS- LETTRES. 195
ait trois contre un Athénien, c'est comme s'il disoit, •< jusqu'à
>< ce qu'il y en ait environ soixante mille. »
La seconde difficulté consiste à savoir si Xénophon
conseille d'acheter soixante mille esclaves en sus de ceux
qui se trouvoient dejà'dans l'État, ce qui ne nous appren-
droit rien sur le nombre de ces derniers, ou s'il veut dire
que la quantité à acheter, jointe à celle qui existoit dans le
pays, doit compléter le rapport de trois à un dont if
parle. Dans ce dernier cas, il faudroit conclure que les
esclaves de i'Attique étoient au nombre d'environ soixante
mille, moins la quantité que Xénophon vouloit y ajouter.
II me semble que l'auteur prend lui-même le soin de
lever l'incertitude par ces paroles qu'on lit une page plus
loin : " Que si l'État se procure d'abord douze cents es-
>• claves , avec le produit qu'il en retirera il pourra, en
» cinq ou six ans, en avoir plus de six mille Et
» lorsque le nombre de dix mille sera complété, on se
• sera procuré un revenu de cent talens. » 'OtA/j J^e y^
ijiVPJieL cu/oL'TrKvpcù')^, g»(5c;oy 7âP\gLvldU rî (Zij^avàùc, êçrt/. Ici Xen.-m^inf.
Xénophon s'arrête, et il est évident que le nombre de '^■^^•-'^■
dix mille esclaves complète l'achat qu'il conseille à la
république de faire. Or il vouloit qu'on en achetât jusqu'à
ce qu'il y en eût soixante mille, ou trois contre un Athé-
nien ; nous voyons que le nombre à acheter est de dix mille :
donc , à l'époque où Xénophon a écrit le Traité des re-
venus , les esclaves de I'Attique ne s'élevoient pas au-delà
de cinquante mille.
Mais il est clair que, dans ce nombre, Xénophon n'a
voulu parler que des individus d'un âge fait, capables de
supporter les travaux dont ils étoient chargés. Il est clair
196 MÉMOIRES DF. L'ACADlMIt
également qu'il ne parloit que des esclaves du sexe mas-
culin, les seuls qui soient désignes toutes les fois qu'il est
question d'en tirer profit. D'après ces données, cherchons
quel peut avoir été le total de la population esclave; et
pour y parvenir, il est nécessaire de H.ver les idées sur des
faits peu connus.
Les femmes et les enfans esclaves n'étoicnt point en
grand nombre dans l'Attique , comme on le voit par les
plaidoyers des orateurs et par les testamens <|ue nous a
conservés Diogène de Laërte.
En effet, il ne paroît pas qu'il y eût des femmes parmi
les cinquante-deux esclaves employés dans lesMabriques
' Pfm. rontr. de Déuiosthcne ". Timarque, au rapport d'Eschine , ne
y'EuhiK contr possédoit qu'une femme sur douze esclaves''. Dans le
rinuirch. pag. testament de Tliéonliraste , sur quatorze esclaves , on
•4.1- J H- } r. . I • . I
• Diog. Latri. ne trouve pas une femme '^. Parmi les seize esclaves dont
.tittuq. j^ testament de Lycon fait mention, on ne voit que
'Id. V. 731, deux femmes et un enfant'', et il semble certain que le
service des femmes se bornoit à l'intérieur des maisons et
particulièrement des gynécées ; elles étoient étrangères
aux travaux de l'agriculture, des fabriques et sur -tout
des mines : aussi Démosthtne considère- t-il comme une
marque de richesse et de grande magnificence la pos-
session de beaucouji d'esclaves femelles ( i ) ; et, vu le
peu d'utilité dont elles étoient aux propriétaires , on a
tout lieu de présumer que l'Etat en achetoit rarement ,
et que celles que possédoit l'Attique , étoient nées dans
"V
(1) Ou />( /<?&' 'Ziaùta iutçtn rtf^t
n OErAnAINAÏ xnc7»(704 ■^MaV. . . .
ctM V( X. T. X. Ucmosth. contra Mid.
pag. 566,8-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 197
l'esclavage, ou avoient été privées de la liberté à la suite Thucyd. in,
de quelques guerres, selon l'usage dont l'histoire offre \'', p, ,,b,pn.
plusieurs exemples.
Le petit nombre des femmes et des enfans esclaves
une fois constaté par des rapprochemens qui ne laissent j
ce me semble, aucun doute , nous trouverons l'expiica-
tion d'un fait important qu'il convient de signaler ici. 11
est certain que la population des esclaves étoit toujours
rétrograde dans l'Attique, et probablement aussi dans plu-
sieurs autres parties de la Grèce. Ce qui le prouve, c'est
que, malgré l'accroissement de leur nombre, résultat né-
cessaire des ventes d'hommes à la suite des batailles ou
des prises de villes , on fut toujours obligé d'en faire
venir des contrées barbares. Si les femmes avoient été à
peu près aussi nombreuses que les hommes, la popula-
tion esclave se seroit non-seulement soutenue, mais aug-
mentée rapidement, à cause de l'exemption de service à la
guerre; et les Athéniens, au lieu d'ctre dans la nécessité
continuelle de recruter des esclaves par divers moyens ,
auroient été forcés souvent d'en former des espèces de
colonies.
Deux passages de Démosthène, dont l'un a été cité Comm Everg.
et commenté par Samuel Petit , montrent que le mariage ^'p.'Ubi, ].%'."
n'étoit permis aux esclaves qu'après leur affranchissement; ^'^ss- ^«"■
C I I n t. J).4/i^,ed.i6bj.
et, quoique iolon leur eut permis d avoir commerce avec phtanh. Mo-
des femmes, il est certain, d'après Xénophon , que les '''";/"■ /^'-f;
A • I I V I ^ enoph. Œta-
maîtres mettoient obstacle a la reunion des deux sexes, ou ««m. jx, {.
du moins ne la toléroient qu'en faveur de ceux dont ils
étoient contens ou dont l'affection leur étoit connue.
Cet éloignement que les Athéniens montrèrent pour
r9^ MEMOIRES DE LACADLMIL
encourager la multiplication Jes esclaves, s'expli(jiie très-
HymesEsuY^ facilement. Il n'est pas même besoin de recourir à cette
Uilierftne's maxime, générale parmi les planteurs des colonies, ciu'un
lit. of the sLit esclave coûte beaucoup plus quand il a ctc cle\é a la
n^ù pag.nS. maison que si on l'achète tout élevé.
En effet, dans les républiques Grecques, tout reposoit
sur les citoyens et les métèques; seuls ils supportoient les
charges de la guerre. Si parfois on enrôloit avec eux les es-
claves , ce n'étoit que dans des occasions fort périlleuses;
et la liberté devenolt aussitôt la récompense de leurs ser-
vices : mais ces cas étoient d'autant plus rares, qu'ils poii-
voient compromettre davantage la dignité de citoyen.
Dès- lors on voit que la population libre étoit soumise à
une foule de causes de dépérissement dont celle des es-
claves se trouvoit exempte. Pour maintenir l'équilibre, il
importoit d'empcVher leur trop grande multiplication. Sans
cela, comme le nombre des hommes libres auroit diminué
par l'effet des guerres, des expéditions marilimes, &c. ,
tandis que celui des esclaves auroit éprouvé un accrois-
sement continuel , il est clair que ceux-ci, liés de plus en
plus les uns aux autres, et portés par l'intért^t de famille
a se protéger mutuellement, auroient formé des associa-
tions d'abord partielles, bientôt plus étendues , et auroient
fini immanquablement par renverser la constitution de
l'F.tat. Ce résultat étoit tellement inévitable, qu'il n'est
pas étonnant que les législateurs l'aient prévu. Pour s'en
garantir, ils durent limiter le nombre des femmes es-
claves, et en m<}me temps mettre des obstacles à l'union
des deux sexes. Alors le ville <|ue la mortalité faisoit
dans les rangs des esclaves, se remplissoit soit au moyen
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i^^j
des prisonniers de guerre, dont on étoit toujours maître
d'arrêter ou de borner l'introduction , soit par les achats
d'esclaves étrangers ; et l'on n'avoit pas à craindre que le
nombre de ceux-ci s'élevât jamais de manière à compro-
mettre la sûreté publique, puisqu'ils se trouvoient ainsi
réduits à la condition d'une marchandise dont la demande
est toujours proportionnée au besoin qui rend cette mar-
chandise nécessaire.
D'après celte observation , je pense qu'il faut bien
se garder de considérer, comme l'a fait Hume , chaque
esclave en âge de travailler comme un chef de famille , ayant
une femme et deux enfans. Il est évident que, si l'on double
le nombre 50,000 qui résulte du texte de Xénophon, pour
avoir les femmes , enfans et vieillards , on atteindra le
maximum de la population esclave. En admettant que le
total des esclaves de tout âge et des deux sexes montoit
à environ cent dix ou cent vingt mille, je me crois plutôt
au-delà qu'en- deçà de la vérité.
Ainsi , d'une part , les esclaves mâles en âge de tra-
vailler étoient au nombre de cinquante à soixante mille ,
c'est-à-dire, trois contre un citoyen Athe'iiien , ou deux contre
un individu libre, Athénien ou métèque; de l'autre, la
population esclave de tout âge et des deux sexes étoit à
peu près égale à la population totale des individus libres.
11 y avoit donc dans l'Attique, proportionnellement, dix
fois plus d'esclaves qu'il n'y a de domestiques dans nos
grandes villes, où le rapport est à peu près de i à 10.
Cette proportion répond , sans l'excéder , à l'idée que
l'on pourroit se faire , d'après les seules probabilités ,
du nombre des esclaves. Avant d'administrer les preuves
îo« MEMOIRES DF. i;AC.VDL\nE
que ce nombre n'a jamais pu ctre plus considcrable , je
dois examiner un passage de Xcnophon dont on pour-
roit ctre tenté de tirer un résultat contraire. Cet auteur
s'exprime ainsi dans le Traite des revenus : « Ce qui
- niVtonne le plus dans l'ttat , c'est (juil voie un grand
» nombre de particuliers s'enricliir , et (ju'il ne cherche
- pas à les imiter. Parmi ceux qui jadis s'occupèrent
» de cet objet , nous avons entendu parler de Nicias
- fds de Niccratc, qui possédoit dans les mines d'argent
■• mille esclaves qu'il louoit à Sosias le 1 hrace , avec la
- condition qu'on lui paieroitune obole net pour chaque
- homme par jour, et qu'on lui rendroit toujours le
•• même nombre d'hommes. Hipponicus en posscdoii six
» cents qu'il louoit aux mcmes conditions, et dont il tiroit
" une mine par jour Mais pourquoi rappeler d'an-
" ciens exemples, puisqu'à présent nous avons dans les
-J>»«/.A<.«.»,ei >. mines beaucoup d'esclaves loues de la même manière?»
fy. ,4 Un pourroit conclure de ce passage que, si des parti-
culiers ont possédé mille, six cents, trois cents esclaves ,
il n'est pas étonnant qu'il y en ait eu cinq ou six cent mille
dans tout le pays.
Mais , quand on lit avec attention les auteurs Attiques ,
on s'aperçoit facilement que , dans le système écono-
mique d'Athènes , et probablement de toute la Grèce, les
esclaves n'étoient considérés que comme une marchan-
dise sur laquelle on spéculoit de même que sur toute autre.
On rmployoit des capitaux en esclaves, aussi bien qu'en
terres, denrées, bestiaux ; et l'on tâchoit de tirer de cette
marchandise le meilleur parti possible. Des particuliers
n'avoient ni terres, ni fabriques , ni mines; mais ils pos-
ï iidoicni
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 201
séJoient beaucoup d'esclaves qu'ils louoient à tant par
jour : d'autres avoient des fabriques , des terres , et peu
d'esclaves ; ils trouvolent plus de profit à se faire louer
pendant un temps ceux qui leur ctoient nécessaires. C'est
ainsi que nous voyons des citoyens assez riches engager des
esclaves à loyer, //.icOainl " ou owt/loctTra Jet ^a/oSc^ofôvTa ^, ^Theoph.Cha-
seulement pour la moisson , ou pour des travaux agricoles'^. T'/' ' ^^"'
' ' r o "Jsauj, p. 72,
Il en étoit de même d'un grand nombre de propriétaires de ''■ '^"- -^'"Vf'-
mines, soit mctèques , soit Athéniens : beaucoup d'entre 'hcmostLcintr:
eux ne possédoient pas d'esclaves , comme le prouvent ^'"^"^""f- jP"ë-
' ' ' ^'SS' '■ '4-
le passage de Xénophon rapporté ci -dessus, et d'autres
encore (i). II résulte de plusieurs plaidoyers d'Isée que des
particuliers dans l'aisance n'en possédoient pas un seul.
Cela est très-évident sur- tout par le plaidoyer pour la
succession d'Agnias , riche de plus de huit talens. Dans ham.p. :i,j2,
i'énumération de ses biens, on trouve une terre, soixante '^''
moutons, cent chèvres, un cheval, &c, ; mais il n'y est
point question d'esclaves : ainsi Agnias n'avoit que des
esclaves à loyer; tandis que, dans la succession beaucoup
moins riche de Ciron , on trouve comptés des esclaves
dont le maître tiroit profit, cw^xTrsJ^A /wjodrxpopivTZi, jj.^
On voit donc que, chez les Athéniens , les esclaves se '• '^''■
trouvoient répartis, non pas en raison de la fortune des
particuliers , mais d'après la direction qu'il plaisoit à chacun
de donner à ses capitaux.
Ainsi l'on n'a pas lieu d'être surpris de ce que Nicias
et Hipponicus possédoient., l'un mille, l'autre six cents
esclaves. On sait que les richesses de Nicias étoient cé-
lèbres dans toute la Grèce, et qu'Hipponicus est appelé
(i) Aenoph. {-nzi -ofon^. iv, ^) : oi «uxIti^tK); «• -mç fAJc-mfAoïç cu/iS^â-mSti.
TOAIE VI. Qi.
îtaCTM.dt Big.
S- /;.
/"", lin. 16.
P^mjviA. nntm
Sfuâijm . fug.
></foJ. IJ.
U. i*atTii Ni-
cottnii. p. it-ft,
zot MEMOIRES DE LA.CADEA11E
par Isocrate et par Aiidocide le plus riche des Grecs. J)e ces
deux exemples on ne peut donc rien conclure , sinon cjue
Niciaset Hipponicus s'cloienL {aws loueurs d' esclaves, commç
on est ailleurs loueur de clicvnux (i). Ce métier, sans avoir
à Athènes rien de déshonorant , étoil tort hicratit. il
parort en effet que le prix des esclaves raanouvriers ctoit
de deux cents ou deux cent cinquante drachmes : prenons
ce dernier comme taux moyen, pour qu'on ne nous soup-
çonne point d'abaisser le prix des esclaves; ajoutons-y l'in-
térêt à dix pour cent, parce que le capital est viager: une
tête d'esclave représentoit donc deux cent soixante-quinze
drachmes , ou seize cent cinquante oboles. Les divers
calculs de Xénophon prouvent que le locataire de 1 es-
clave payoit également l'obole au propriétaire tt)us les
jours de l'année indistinctement (2) : le produit net par
an des seize cent cinquante oboles est donc de trois cent
soixante oboles; c'est vingt-deux pour cent du capital. Ce
profit est considérable : car l'intérêt moyen de l'argent
n'étoit que d'environ douze pour c«nt ; celui de l'usure
(1) D'après Arijiopliane {Nub.
V. 24 et 1227), un chc\nl coutoit
/2 mines. Je retrouve la même éva-
luation co rappinchant deux textes
de Déiii(jsihi.ni: ti de Lysias. Selon
le premier (f<//Kr. Aphoh. pag. 816,
9; 822, 4 I 'fj. ) , Me-riade .ivoit cm-
'imintc ^ mines au père de Pcinos-
vhinc, et lui avoit donné en n.inii»-
«enu-nt vingt esclaves : c'est 2 mines
par lèie. On voit dans Lpias ( pag.
J06, tom. V, Orar. Gr.) qu'un che-
val CM donné en g.igc pour 12 mines:
c'est six îw plus, lien résulte qu'à
Athènes un cheval vaioit générale-
ment cinq on six homnies, 12 mines
ou'jde talent, c'est-à-dire, 916 ft.,
qui représentent, dan» Je numéraire
.ictiiil , 3600 francs. (~e prix considé-
ralile prouve combien les cheva\ix
éioient rares dans rAtti(|ue; ce qui
explique pourquoi la cavalerie Athé-
nienne étoif si peu noml'rcuse [conf.
Larchcr sur Mrror/orr ,X. IV, p. 328).
(2) il dit, en eSct, que six mille
esclaves, loues a une obole p.ir jour,
produisent par an 60 t.ilens (i v, 24) ,
et du mille CKlavcs , 100 talent:
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 20?
montoit àseize, et, au plus haut, à vingt-deux pour cent.
A raison de deux cent soixante-quinze drachmes par tête
d'esclave, Nicias posscdoit donc un capital de deux cent
soixante-quinze mille drachmes , ou de quarante-six talens ,
qui lui rapportoientplus de dix talens. Ce profit étoit d'au-
tant mieux assuré, que le locataire, au témoignage de
Xénophon , étoit tenu de rendre au propriétaire le même
nombre d'esclaves qu'il en avoit reçu , en sorte que les
morts et les maladies se trouvoient à sa charge. Cet ar-
rangement étoit du moins un bien, dans cet horrible trafic
de l'espèce humaine , parce que le locataire se trouvoit
forcé de ne point accabler de travail ces malheureux es-
claves , de les soigner autant que l'auroit fait ie proprié-
taire , c'est-à-dire , de les bien nourrir , et d'appeler les Xenoph. Me-
méJecins dans leurs maladies. ,0,',.
Le passage de Xénophon s'explique donc parfaitement,
ce me semble; et l'on n'en peut nullement conclure que
le nombre des esclaves s'élevât au-dessus du terme que
j'ai fixé.
or 60 talens valent 2,160,000 oboles;
ce nombre , divisé par les 360 jouis
de l'année , donne 6000 , et de
même lOO talens eu
l^6oo.oe£ _ 10 000. Ainsi l'obole
étoit payée pour tous les jours de
l'année, sans distinction des jours
de fête et de repos.
C'ij
2c4 AU.MOIRLS DE L'ACADEMIE
SECTION SECONDE.
Prcincs que le nombre des Esclaves n 'a pas excédé ioo,coo
ou 120,000.
Dans la section prcccdente , j'ai fixe le nombre des
esclaves dans l'Attique, d'après un passage deXcnophon :
je vais maintenant rapprocher ce résultat des divers points
relatifs à l'Iiistoire intérieure de l'Attique , et montrer
qu'ils sont inexplicables si l'on admet le texte d'Athénée,
et qu'au contraire ils s'expliquent avec la plus grande fa-
cilité d'après celui de Xénophon , dont l'autorité est d'ail-
leurs d'un si grand poids dans cette question.
S. I."" Invasions de l'Atti^juc par les Lace'Jémouiens ,
et Re'vohcs des Esclaves.
D'après le système de l'esclavage admis en Grèce, il
est assez difficile d'expliquer comment on empcthoit les
désertions des esclaves. Ces désertions dévoient être d'au-
tant plus fréquentes, qu'une grande partie des esclaves se
composoit de Grecs pris à la guerre, et vendus selon un
droit reconnu comme légitime , et même parmi les phi-
losophes les plus éclairés (i): ces esclaves avoicnt diuic
peu de chemin à faire et de dilhcultés à franchir, jniLir
regagner leur patrie et recouvrer leur liberté. Il me paroît
que, pour remédier à cet inconvénient commun à toute
(i)X'<noph.,1/<'W.//, J, /. Soc rate
/ rcconnoit qu'il e»t juste de réduire
les ennan'u en esclavage, CUinf •»' o»-
iiu7,TV( Ji «tM/MVt AIKAIUN, ¥71*
«. T. A.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 20 j
la Grèce, les difFérens Etats s'engageoient mutuellemein,
en temps de paix, à arrêter les esclaves déserteurs. C'est
ce que je conclus, i .° d'un passage de Thucydide où
les Athéniens représentent comme un des plus grands
griefs qu'ils eussent contre les Mégariens, celui de donner
asile à leurs esclaves fugitifs (i); z." d'un article du traité
conclu entre les Lacédémoniens et les Athéniens, la neu-
vième année de la guerre du Péloponnèse, par lequel les
parties contractantes s'engagent à ne point recevoir les
esclaves déserteurs, pendant toute la durée de la trêve (2). Il
résulte de cette clause, que, hors le temps de trêve, cet
article important cessoit d'être mis à exécution. Les es-
claves , en tout considérés comme des bestiaux, étoient,
pendant la guerre , recherchés par l'ennemi , pris et vendus ,
ainsi que le reste du butin : on encourageoit leur défec-
tion par l'espérance de leur liberté , ou tout au moins Thuc)d,i,;s:
d'une condition meilleure ; et il paroît en effet que les '^x!^!/,' ''hm.
esclaves Grecs appartoiant à la nation qui faisoit la guerre , '/ ^: '^"' '"'
étoient alors mis en liberté. t'.b.irc
D'après cet état de choses, on conçoit que , lors d'une ^J'""-^''' ^''
invasion étrangère, les esclaves dévoient être renfermés
avec soin dans l'intérieur des villes et des forteresses;
sinon, une grande partie se seroit échappée à l'ennemi.
Mais, en ce cas, comment contenir ces esclaves dans
les forteresses , s'ils avoient été quinze ou seize contre
un homme libre ! Appliquons à l'Attique les réflexions
précédentes.
(i) Thucyd. I, /jp : -tg} 'cuiSfaTm-
{2) Thucyd. JV, 118: -rii Si oJti-
20(5 MÉMomns OF i;acade.mie
Pendant l'intervalle de temps que j'embrasse, et qui est
le plus haut période de la grandeur Athénienne, il n'est
fait mention d'aucune révolte parmi les esclaves. Or on
sent que , si l'Attique avoir possédé cinq à six cent mille
esclaves d'un âge fait, c'est-à-dire, vingt contre un homme
libre (en ne comptant que les hommes libres en état de
porter les armes), il y auroit eu parmi eux îles révoltes
fréquentes et terribles , dont on ne peut concevoir com-
ment les Athéniens auroient pu triompher, principalement
lors de chacune îles six invasions que les Lacédcinoniens
firent dans l'Attique.
TkucyJ. III. ï-a seconde de ces invasions fut désastreuse, à cause de
la longue durée du séjour de l'ennemi. Les Athéniens,
décimés par un peste affreuse, laissoient les Lacédémoniens
parcourir librement l'Attique, la ravager dans toutes ses
parties, et pénétrer jusqu'au mont Ldurium , oli étoient
U II. ,,. les mines. Qjie devinrent en celte circonstance les quatre
cent mille esclaves (jui , selon Athénée, travailloienr aux
mines! ils restèrent apparemment fort tranquilles, sup-
portèrent tous feurs mauv avec patience , et restèrent de
leur plein gré dans l'esclavage, malgré les sollicitations
d'Archidamiis , empressé , dit Thucyditle , à favoriser la
défection des eic/tJves [\), qui faisoient le fondement de la
26.
(1) Thiicyd. Vl, pi : Oi( -n jS
w' ^îJt >LX-n«tv<xr<if , tÛ «wa •aç^f
u^r, la fi, AD^Sinac, m /l' ai/-nna.vi
iTçw. Dans cette phrase, tu /ai» ax^-
9i''»a («Tit^Tii) désigne Ifs r//<W; m ^'
autifjtaTa, les ftciives. Le verbe lutTa-
euMO^m s'applique ici à-l.i-fcis .H'x
effets ti aux «ci«\r». C'est ainsi <nic
le niot Ka-mtK&jtt paroit comprendre
ailleurs les frintnrs , les fnfiins cl Ici
etclitvrs : tn^uifùltm éW '^fTeiyfr.'r wa7-
J m xft yuuiK'K i) w AAAHN kclto-
ffxA/H» ( 'riuic)il. JJ,i^). Et ailleurs:
AmufM^et-n iajifk( tsfj yjieutuu
X9J fil Tttt^inu lutiSfui/rV {/</. I , 89).
Le mot iHfiiam. paroif synoiijme de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 207
richesse d'Athènes. J'en dois dire autant de ia quatrième in- ThucjJ. m,
vasion , qui fut presque aussi désastreuse que la seconde. " '
On pourroit dire, à la vérité, que les esclaves furent
renfermes dans la ville même d'Athènes, à J'époque de
ces invasions. Cette objection pourroit être fondée sur
les deux faits suivans : i ." lorsqu'Archidamus entra dans
l'Attique , Thucydide nous peint les habitans delà cam- i.t. 11,14.
pagne se retirant dans l'enceinte des murs, avec leurs
femmes , leurs enfans et leurs effets ; 2." après la ba-
taille de Chcronée , les habitans de la campagne se réfu-
gièrent dans Athènes, emportant tout avec eux, en sorte,
dit l'orateur Démade , que le pays fut enfermé dans la ville,
et qu'elle ressemblait à une éiable (i). De ces deux faits on
pourroit donc être tenté de conclure qu'une grande partie
des esclaves fut renfermée dans la ville, lors de l'invasion.
Mais, indépendamment de la difficulté de rassembler pen-
dant si long-temps une population de cinq à six cent mille
âmes dans une ville dont la surface totale , y compris
toutes les dépendances, n'étoit que la septième partie de
Paiis, il existe un texte formel qui prouve qu'en cas d'inva-
sion les esclaves n'étoient point renfermés dans la ville.
«Je prétends, dit Xénophon , que, pendant la guerre, Xawph. -^ti
» il sera possible de ne point abandonner les mines. Nous J^'^'^'^"'>^'^r
» avons près des mines la forteresse d'Anaphlyste , sur
» la mer au midi, et celle de Thorique, sur la mer du
* côté du nord ; elles ne sont éloignées l'une de l'autre
» que d'environ soixante stades. Si , à égaie distance de
(l) H ;^'ej£. Ka.TitQ.iifa «f 7>)V ■mMy.
Ici le mot j^'ejc désigne, non toute
l'Attique,niaislacam/'ûg/7f d'Athènes,
ainsi qu'on l'a déjà remarqué pour une
foule de passages analogues ( Demad,
Frûgin. inter Otui. Cr.t. IV, p. 17 j.
2g8 mkmoihls de lacadkmie
» chacune d'elles , nous en construisons une troisième sur
» la montagne la plus élevée , tous les travailleurs pour-
•» font se réunir de toutes les forteresses dans une seule,
>• tt , à la moindre attaque, chacun se retirera en lieu de
» sûreté. » Ce passage prouve que , lors des invasions étran-
gères, les esclaves des mines ne se retiroient point dans
Athènes, mais dans les forteresses d'Anaphlyste et de Tho-
rique. Xénophon propose d'en construire une troisième,
où tous ces escla\ es pourroient être renfermés à-la-lois. Ce
passage concourt donc, avec l'autre texte du mcnie auteur
discuté plus haut , à prouver que les esclaves des mines
ctoient peu nombreux. S'il y en eut eu quatre cent mille,
comme le veut Athénée, concevra-t-on qu'ils aient pu être
renfermés dans deux misérables fortins, tels que Thorique
et Anaphlyste, et sur-tout dans [e fort unitjue où Xénophon
propose de les réunir! Quelle puissance pouvoit les con-
traindre à se renfermerdans ces forts? Quelles forces eussent
été nécessaires pour les y maintenir, en présence d'armées
ennemies qui les encourageoient a la révolte!
On est conduit à un résultat semblable par Iç décret de
Caltisthcne de Phalère, rendu après la bataille de Chéronée.
nfn.i!k.4ifCo II y est dit que «< tous les Athéniens doivent promptement
fflii. p.if. .-yy, . ,., , ,
/. /,. »» quitter la campagne, avec tout ce quifs possèdent:
•» ceux qui demeurent près d'Athènes, à la distance de
•• cent vingt stades , se retireront dans la ville ou au
•» Pirée; les autres iront dans Eleusis, Phyïc , Apliidiui ,
" Rhiwitius et Suriiuiu.^' De ces cinq lieux , les quatre pre-
miers sont tous au nord d'Athènes; il n'y a pour le midi
que la seule forteresse île Suniuiii. Il falloil donc que tous les
luihitttns de la partie méridionale pussent tenir, avec les
rsilavfi
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 209
esclaves et les bestiaux , dans cette forteresse unique : car
il paroît bien que les forts de Thorique et d'Anaphlyste
étoient alors ou en mauvais état ou démantelés ; autre-
ment le décret en auroit fait mention.
Il me semble que, sous peine de tomber dans des invrai-
semblances tout-à-fait inexplicables, on ne peut admettre
que les esclaves occupés aux mines du Laurium fussent
plus de dix à douze mille , ou excédassent le cinquième
de tous ceux de l'Attique , nombre qui suffit et au-delà pour
expliquer la production des mines de l'Attique, comme je
le dirai tout-à-l'heure.
Aux cinq et six cent mille esclaves substituons le nombre
conclu du texte de Xénophon , et tous ces faits vont s'ex-
pliquer sans peine.
I ." Sur les soixante mille esclaves , douze mille environ
étoient employés aux mines.
2.° Sur les quarante-huit mille restans , les trois quarts ,
ou trente-six mille environ, habitoient la ville , le Pirée,
le pedion dans un rayon de cent vingt stades : à l'approche
du danger, comme nous l'apprennent Thucydide, Démos- Thucyd. £>.-
thène, Lysias , Démade , les habitans de la plaine, avec lociscimis.
leurs esclaves , leurs bestiaux , et ce qu'ils avoient de plus , ■^'"'" ^""/ff
... Leocrat.tom.n ,
précieux, se renfermoient dans la ville, qui sembloit alors , y^g. i.jt.
selon l'expression de Démade, transformée en une étable.
3 .° Il ne reste donc plus qu'environ douze mille esclaves,
dispersés dans la partie septentrionale de l'Attique, et qui
se renfermoient, avec leurs maîtres, dans Eleusis, Phylé ,
Aphidna et Rhamnus.
Voilà comment on peut concevoir que l'Attique, dans
les circonstances critiques d'une invasion , pouvoit con-
TOME VI. D»
X
2 10 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
server ses esclaves, sur lesquels se fonJoit une partie de
ThHçyd.ii.j~. SCS richesses; saut les dcsertioiis partielles, qu'il ctoit im-
possible d'arrcter entièrement.
Une dc^scrtion consiilcrable eut lieu lors delà sixième
et dernière invasion des Lacédcmoniens, dans la dix-
neuvième année de la guerre du Péloponnèse. A peine
/,/. ►'//. /y. le printemps ctoit-il commencé, dit Thucydide, que les
Lacédcmoniens entrèrent dans TAttique avec leurs alliés.
Les expressions de l'historien font suflisamment entendre
que l'invasion fut subite et imprévue. Aussi les Athéniens
/•/. yii.i-. n'eurent pas le temps de faire rentrer leurs bestiaux, cjni
tombèrent tons au pouvoir de l'ennemi ; en outre, vingt
mille esclaves, ouvriers pour la plupart, désertèrent et
furent perdus pour les Athéniens. Cette dernière perte
fut immense : on en juge par ces paroles de Xénophon ,
écrites cin(juante-cinq ans après cet événement : «• Invo-
» quons le témoignage de ceux qui se souviennent, si toii-
>• tefois il en existe encore, du profit que la républic)ue
(xoi'k ,nti » tiroitde ses esclaves avant la guerre de Decélie. >• El ici
Xénophon fait évidemment allusion à la perte des vingt
mille esclaves.
Dans la supposition des cinq à six cent mille esclaves
en état de travailler , ces vingt mille déserteurs en auroient
été seulement la vingt-cinquième ou trentième partie.
Etoit-ce donc là une perte si considérable, pour que
Xénophon, cin(]uantc-cin(j ans après', regrettât encore la
prospérité dont jouissoit la républi(jue avant cette foible
désertion ! Mais souvenons-nous , au contraire, que , d'après
les textes du même Xénophon , les esclaves en état de tra-
vailler n'étoient qu'au nombre de cinquante à soixante
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 2.1
mille; et nous concevrons alors comment la perte du tiers
de ces esclaves, la plupart ouvriers, a pu faire à la répu-
blique une blessure aussi profonde et aussi durable.
L'examen des faits relatifs à l'histoire intà'ieure dei'At-
tique prouve donc invinciblement que les esclaves n'ctoient
pas plus nombreux que ne le donne à entendre Xcînophon.
Si l'on s'attache à ce témoignage, tout s'explique, tout de-
vient probable; des le moment qu'on s'en écarte, on tombe
dans des invraisemblances souvent voisines de l'absurdité.
J'en vais donner d'autres preuves en examinant le pro-
duit des mines et la consommation du blé.
S. II. Du Produit des Mines d argent.
Pour se faire une idée des frais d'exploitation de ces
mines et arriver à une évaluation probable de leur produit,
on peut prendre comme terme de comparaison la spécula-
tion du Thrace Sosias , auquel Nicias louoit mille esclaves.
Nous supposerons que les charges ont dû. être les mêmes
pour tous les autres entrepreneurs.
i.° II pàyoit une obole par jour au pro-
priétaire pendant toute l'année, sans distinc-
tion des jours de fête et de repos; ci, pour aboies
l'année , 360,000.
X.- II s'engageok , ainsi que tous les lo-
cataires d'esclaves , à représenter toujours
le rnême nombre : les morts et les frais ^ç
maladies étoient à son conipte. En évaluant
A reporter 360,000.
D» ij
MÉMOIRES DE LACADKMIE
Obolei.
De l'autre part 360,000
à 3 pour 0/0 du capital la perte causce par
les maladies et les morts dans des lieux si
^eiteph. Me- malsains, au dire de Xciiophon , on ne peut
mot. m , 6, 12. , ' I
être qu en-deçà de la perte réelle, qui est
Humt'i Ess,iy, de 5 pour o/o daiis nos colonies : c'est pour
/^- 4"/"- I •
les mille esclaves environ 50,000.
3." On ne peut compter moins d'une
obole par jour , pour la nourriture d'un
homme occupé à de si rudes travaux; il est
même trcs-vraisemblable que Sosias n'en étoit
pas quitte à si bon marche ; ci 3 60,000.
4.° Enfin l'on ne peut compter moins
de 25 pour 0/0 de toutes les dépenses, pour
faire face à la redevance annuelle du 24.'
du produit net , à l'achat des combustibles
et des substances nécessaires pour l'affinage ,
à l'entretien des outils et ateliers ; ci environ 200,000.
(^70,000,
ou environ 162,000 drachmes.
Voilà les dépenses de Sosias évaluées au plus bas.
Maintenant quel peut avoir été son bénéfice?
Dans les fabricjues de Dcmosthcne , trente-trois es-
claves rapportoient de produit net 3000 drachmes par
an ; c'est 90 drachmes par esclave : vingt autres esclaves
du plus bas prix en rapportoient chacun 60 : terme
moyen, 75 drachmes. Dans la fabriijue de Timar(jue ,
les uns rapportoient 3 oboles par jour, ou 150 drachmes
par an (seulement de 300 jours de travail) ; d'autres.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 213
siin{51es corroyeurs , rapportoient 2 oboles par jour ou
100 drachmes par an : terme moyen , 125 drachmes ;
terme moyen entre les quatre produits, 100 drachmes.
n n'est pas possibie de supposer que l'exploitation des
mines rapportât à l'entrepreneur moins que ce terme
moyen : en sorte qu'en mettant le produit net du travail
de l'esclave mineur à 100 drachmes par an , on trouve
qu'il faut ajouter 100,000 drachmes à la somme précé-
dente pour avoir le produit brut d'une mine exploitée par
mille esclaves; il montoit donc à 262,000 drachmes , ou
1 147 kilogrammes, ce qui équivaut k/^666 marcs. Le tra-
vail annuel d'un esclave devoit donc extraire de la mine,
et amener à l'état de pureté nécessaire à la circulation ,
4 marcs y, et c'est le minimum de la production. Nos mines
rapportent trois fois et demie davantage, puisque celle de
Himmelsturst en Saxe, exploitée par sept cents ouvriers , D'Antitmon,
uit 10,000 marcs, ou i 4 7 marcs par homme. Amsi (,.,^r
je puis encore être certain d'être plutôt en-deçà qu'au-delà HumMdt, Es-
. sai f'olit. sur la
de la \enie. Nouv. Esp,ig>ic,
Rappelons -nous que, selon Athénée, les mines oc- ''""' • P' "^'
cupoient quatre cent mille esclaves : à 4 y marcs d'argent
par esclave , ils dévoient tirer , par an , de la mine
1,866,000 marcs. (Quelques rapprochemens prouveront
l'extravagance d'un tel résultat. Selon M. de Humboldt ,
les fameuses mines d'argent du Potosi n'ont produit,
année commune, entre 1779 et i 789, que 406,7 50 de nos
marcs: ce seroit seulement le (juart du produit des mines HumtoUt.wn-.
de l'Attique. Le produit total des mines du Mexique , '^'"^' ^"
depuis le commencement du dix-huitième siècle, n'a été
que de 600,000 marcs , tant d'or que d'argent. Toutes les u. p,g.4,^c,.
2i4 ML.MC)IRES DE L'ACADEMIE
mines du nouveau monde ne produisent annuellement,
depuis le commencement du dix-neuvième siècle, que
5,250,000 marcs; c'est moins que le double des mines de
l'Atiique. Enhn , selon M. Héron de Villefosse, on ne tire
annuellement de toutes les mines d'argent de l'Europe que
Htrc» J{ \'iiL- 215,000 marcs, ou le huitième du produit des mines de
hise, .ijK Hum- I I . • 11 r II
Mdi.f.i la seule Attique. Il taut remarquer que ces calculs sont
ciablis sur le minimum du travail de l'esclave : si les
mines de l'Attique avoient rapporte si peu , il est fo^
douteux que les Athéniens eussent attaché tant de prix
à cette exploitation, dont tous les auteurs Attiques s'ac-
cordent à vanter les immenses profits. On peut admettre,
sauh aucune exagération, que ces mines si riches rappor-
toient au moins autant que rapportent de nos jours les
mines d'Himmelsfurst en Saxe , lesquelles fournissent à
raison de \\ marcs -^ par tête d'ouvrier : ainsi il faudroit
multiplier tous les nombres précédens par 3 tt-
Hâtons- nous de quitter cette région de merveilles, et
laissons-nous guider encore une fois par l'analogie et par
l'autorité de Xénophon. J'ai déjà dit que, sur les cinquante
ou soixante mille esclaves de l'Attique, on ne pouvoii
loutre en supposer plus de dix à douze mille occupés du
travail des mines : à raison de 147 marcs par tète , on
trouve que ces mines dévoient fournir 171,400 marcs
tous les ans , ou environ les trois quarts de tout ce qu'on
exploite maintenant dans les mines de l'Europe entière.
S. III. De 1,1 Cousommaliou des Grains (Lins l' Attique.
V.K dernière cpieuve a laquelle je dois soumettre le
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 215
résultat que j'ai obtenu , sera celle de la consommation
des grains.
Le médimne ou boisseau Attique contenoit, à peu de
chose près , 3 boisseaux -f de Paris : on le divisoit en
48 chénices.
Le blc du Pont, qui faisoit la majeure partie de la
consommation d'Athènes, étoit fort Icger , selon Théo-
phraste , puisque les athlètes , qui ne consommoient par
jour que i chcnice ^ en Béotie , en consommoient 2 ~ Thcophrast.
quand ils demeuroient à Athènes : on pourroit conclure vni,c.'4,'t.ff',
de ce passage que le blé de l'Attique pesoit y de moins '(^f'^/^^j;. '^'^''
que celui de Béotie. Le maximum du poids du blé est de
22 livres par boisseau : il s'ensuivroit qu'en prenant le
blé de Béotie pour le plus lourd possible, le boisseau de
blé dans l'Attique ne devoit peser que 1 3 livres ; et le
médimne, 46 livres : mais portons-le à 50 livres, pour nous
maintenir au taux le plus vraisemblable; le poids de la
chénice sera de 16 onces y, que nous élèverons à 17 onces
en nombre rond.
Lors du siège de Sphactérie, les Lacédémoniens obtinrent
de faire passer à leurs soldats deux chénices de farine par
jour. On peut d'autant moins douter que ce fût la ration
journalière du soldat , que les Athéniens veilloient à ce tanq^l iv,
qu'on ne leur fît point passer d'autres 'vivres , pour empê- '''■
cher qu'ils ne pussent amasser des provisions. Um, iv ,26.
Les prisonniers Athéniens , dans les carrières de Syra-
cuse, mouroient de faim avec une demi-chénice par jour. /</. vm, Sj.
D'après ces deux exemples , il paroît que la chénice Hcndot. vu.
étoit regardée en Grèce comme la mesure journalière de '^'''
la consommation par tête. Hérodote l'indique positive-
ijtn.
116 MEMOIRES DE LACADEMIE
meut en parlant de l'armée de Xerxès : c'est pourquoi
Con('."s»,J.'^,'. «He est appelée par Diogcne de Lacrte*, rwtp'jio; r^^r,
nuT^yçn td j-e qui revient au mot tluoo.pqoIc, par lequel Alexar-
.A,«j.mYX.- chus, dans Athénée*, désigne la chénice, et c'est ainsi
'^'*"" qu'on explique l'adage de Pythagore"^ , 'Eth p^o/v<W4 jlcii
AlntH. lit. /// , ^ I y , f ' • • . I •
pjg.yS.E. vji-yiÇ,e'v, ne pas s en reposer sur une chenice , cest-a-dire,
'Piturch.Sym- jQurrer ûu lendenidin. Dans une inscription très-fruste trou-
poi. Iii. >/ Il , (^ •
p.ig.-o4.Jclii. vée à Ilium, il est question d'une chénïce et de deux oboles
fdtiL . p. i 2.
Athcn. li^. X. données par jour, soit à des soldats, soit à des ouvriers.
/•«/• ^<j.f- C'est pourquoi des soldats mangeant à la même table
OJ^ss. p.iSj4. sont appelés éfxc^ohtxiç.
PUtarch Sun ^" Comptant pour la nourriture une chenice par jour,
fcs.p.bi}. on a par an 7 médimnes -f, lesquels pèsent 380 livres.
En France , suivant M. Dupré de Saint-Maur, il faut
compter 3 setiers environ ou yoo livres de grains par tête :
il s'ensuivroit que la consommation du blé n'étoit chez
les Grecs que les quatre septièmes de celle qui se fait
chez nous.
Quoi qu'il en soit, comme nous avons à comprendre
dans le calcul qui nous occupe ici, les femmes et les en-
fans, la chénice seroit une mesure trop forte : n'en prenons
que les trois quarts, ou 12 onces environ.
Ces préliminaires posés, voyons quelle est la quantité
de grains consommée dans l'Altique.
Aucune nation, dit Démosihène, ne consomme autant
de blés étrangers que les Athéniens (1). Cet orateur nous
apprend ensuite qu'ils en tiroient annuellement 4oo,oco
médimnes du Bosphore : il ajoute que cette quantité est
(i) Demoith. cent. Lfpiin. p. 46a,
12 ■ 'ici J% yb Jtinu T»9' , in ■wfiiirùt 'fi,'
égale
DE5 INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 217
égale à celle que l'on tiroit de tous les autres marchés
ensemble (i). Il s'ensuit que le blé importé montoit à
800,000 médimnes, valant 38,400,000 chénices ; cette
quantité, à 4- de chénice par jour, a dû fournir la nour-
riture annuelle à cent quarante mille individus.
Maintenant il faudroit y joindre la quantité de grains
produite par le sol de l'Attique; mais comment parve-
nir à la connoître ! Tout ce que nous en savons , c'est
que l'Attique est un pays sablonneux et sec , peu propre
à la culture des grains. Vers l'an 170 avant J. C, des
députés Athéniens déclarèrent à Rome que l'Attique n'en
produisoit pas assez pour nourrir les gens de la cam-
pagne ; et cependant , à cette époque , la population devoit Tit.-Liv. lie.
,,.,,. ,.., . •!' I . X LUI. cap. b.
ctre déjà bien dimmuee. Avec son indépendance , cet
état avoit perdu une grande partie de ses ressources. Ses
mines , dont le produit diminuoit déjà au temps de Xéno- Xeupph.Mm.
phon, dévoient, à l'époque dont parle Tite-Live, com-
mencer à rapporter peu, et occupoient nécessairement un
petit nombre d'esclaves, puisque, cent quarante ans après,
elles étoient totalement épuisées. Ainsi, dans la révolte
des esclaves des mines , qui eut lieu vers ce même temps,
en I 3 5 avant J. C. , nous ne voyons figurer que mille
esclaves environ. Suprà.p.176
Plus tard, et quand Athènes, presque saiw ressource,
sans mines d'argent , n'attiroit plus les regards que par
les souvenirs de sa gloire passée et par les facilités qu'elle
(l) Vl^t Tt.vxjT aTmt'oir i*. ^f' a.?>.ccr
eir)i>.iat 6çjr(466, 24 ). Vialiacc ima-
.^oe qu'il ne s'agit que. du blé ven,u
par r,i.-r; mais le grec ne xlit point ^
Tome VL
cela. IfiL-râcthr s'entend aussi bien d'un
marche de terre;que d'un port;ainfi:
Jéiliam.inUuJ,
2.8 MFMOIRFS DE L-ACADF.MIE
offroit à la culture des lettres , l'Atticjue ne cessa point
d'avoir recours aux hit's étrangers pour entretenir sa popu-
rMotr. lu. latio,, affoiblie. Selon Philostrate, elle en f'aisoit venir,
entre autres contrées, de la Thessalie ; et telle ctoit, à
cet égard, l'urgence de ses besoins , que Constantin , au
témoignage de l'empereur Julien, ne crut pouvoir mieux
rt •'. i^ reconnoitre le titre de stratège que les Athéniens venoient
de lui conférer, qu'en leur envoyant par an un nombre
considérable de médimnes de blé. Enfin , lorsque l'em-
pereur Constance , se trouvant à Athènes , offrit à F^roé-
résius de lui donner ce qu'il demanderoit , celui-ci de-
manda des îles nombreuses et considérables , afin d'en tirer
un tribut en blé pour Athènes (i) : nouvelle et forte preuve
que l'Attique ne pouvoit produire assez de grains pour
nourrir ses habitans , bien que le nombre en fiJt si diminué.
A 'l'époque dont parle Tite-Live , et dans l'état de dé-
gradation où étoit l'Attique, c'est ne rien hasarder que
d'avancer que l'Attique avoit dû perdreau moins un tiers
de sa population , et qu'il nedevoit lui rester que cent qua-
rante mille habitans environ , dont au moins cinquante
mille dans la ville : restent pour la campagne quatre-vingt-
dix mille habitans, auxcjuels le sol ne pouvoit fournir une
nourriture suffisante.
Il est digne de remarque qu'on arrive à peu près à
ce résultat par un rapprochement qui mérite (|uelque
attention.
Pag. 1040, l.t : Dans le plaidoyer de Démosthène contre l'hcnippe,
il est fait mention il'ime terre qui avoit .\o stades de tour,
^ i) l-.iin.i[i. ;n l'roirrrs . p. tîj,'Sive
p. y« tJ. licissonilii. : »nn mn\i( a.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 219
c'est-à-Jire , presque autant que la ville propre d'Athènes.
En considérant cette terre comme un carré de 10 stades
de côté , on auroit 100 stades de surface; mais la super-
ficie peut avoir été moindre. Représentons cette terre par
un parallélogramme de 15 stades dans un sens, et de 5
dans l'autre ; la surface sera de 7 5 stades carrés : c'est,
je crois , l'estimation la plus foible qu'on en puisse faire.
La surface cultivable et habitable de l'Attique n'est que
de 66 lieues carrées ou de 4iy°o° stades : ainsi la pro-
priété de Phénippe en étoit la cinq cent quatre-vingt-
sixième partie. Cette terre, cultivée avec soin, ne produi-
soit que du blé et du vin; il n'y avoit point d'oliviers, les-
quels formoient, comme on sait, la production principale
dv l'Attique. La terre de Phénippe me semble donc dans
la condition la plus favorable pour servir de point de com-
paraison ; en sorte que, si, raisonnant par analogie, on
juge de la production en grains de tout le pays par celle
de cette propriété , on pourra être certain de ne point
obtenir un résultat trop fort.
Or cette propriété, nous dit Démosthène , produit P^'g- io4;,l.).
1000 médimnes de grains : ce seroit donc sur le pied de
58(5,000 médimnes ou environ 600,000 pour toute l'At-
tique; et cette quantité, d'après l'évaluation ci-dessus pro-
posée, suffisoit à nourrir cent mille âmes à peu près : ce
qui s'cloigne bien peu des quatre-vingt-dix mille qui résul-
teroient du passage de Tite-Live. Tel est donc le iiujxi-
tnumde population que l'Attique pouvoit nourrir en grains.
Joignant donc ces cent mille avec les cent quarante mille
que pouvoit nourrir la quantité des blés importés, nous trou-
vons , pour la population totale de l'Attique , deux cent
E'.j
iio .\\i MOIRLS DE L'ACADIMIE
quarante mille habitans. C'est environ vingt mille «Je plus
(jue nous n'avons imliquc plus haut ; mais il faut faire
attention que nous n'avons pu comprendre les étrangers ,
attires par la curiosité, ou par des affaires, soit commer-
ciales, soit litigieuses, dans une ville où se jugeoienl tous
les procès des peuples alliés. Ces étrangers ont bien pu être
au nombre de (juinze à vingt mille : ainsi le rapproche-
ment tiré de la consommation des grains nous amène bien
près du noml)re fixé par des moyens si différens.
CONCLUSION.
Les habitans du l'Aiticiue , de tout âge et de toute con-
dition, depuis le commencement de la guerre du Pélopon-
nèse jusqu'à la bataille de Chéronée, ont été au nombre
de deux cent dix mille à deux cent vingt mille individus;
ce qui fait trois mille habitans par lieue carrée. Ils étoient
divisés ainsi qu'il suit :
Athéniens proprement dits 70,000.
Métèques 4°. 000.
Esclaves i i 0,000.
ToTAi 220,00c.
Sans compter les étrangers non inscrits sur les rôles, et
dont le nombre a pu s'élever à vingt mille et plus.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 221
ÉCLAIRCISSEMENS
SUR
LES FONCTIONS DES MAGISTRATS
APPELÉS
MNÉMONS, HIÉROMNÉMONS, PROMNÉMONS,
ET SUR LA COMPOSITION DE L'ASSEMBLÉE AMPHICTYONIQUE.
Par m. LETRONNE.
1 L existe dans la langue Grecque un grand nombre de Lu le 8 No-
mots dont il est maintenant très -difficile de de'terminer le
sens : ce sont principalement ceux qui se rapportent, soit
à des usages dont il ne reste plus de traces , soit à des
fonctions civiles, religieuses ou militaires, dont la nature
n'est pas clairement indiquée par les témoignages des au-
teurs anciens.
Cette difficulté est d'autant plus grande, qu'outre le
défaut de renseignemens positifs, i'étymologie elle-même
est d'un foible secours , parce que ces mots ont été pris
souvent par excellence ou par extension, dans une accep-
tion détournée de celle qu'indique leur formation gramma-
ticale ; en sorte que, si l'on se contentoit du sens indiqué
vembrc 1816.
jor
111 Ml.MDIIlLS Dl IACAD1..M1E
par leur ciyinologie seule, on poiirroit avoir une idc'e irès-
iiiexacte de leur signification vcTitahle.
D'un aune côte, dans les diffcrens Etats de la Grèce,
on ne se scrvoit pas toujours des mêmes noms pour tlcsi-
gner des dignités civiles et religieuses de même nature:
ainsi , par exemple . les magistratures supr()mes , dans la
plupart des villes Greccpics autonomes, étoienr désignées
sous des noms très-difFc-rens les uns des autres. Athènes,
'('«riini. h.ui. Dèlos , Delphes"* , &c. avoient des dnliontcs ou gou veriians ;
^T III p'^s Hcraclée d'Italie ^' , Laccdcmone, Messène*^ , des epliores ou
./''-• surveillans ; les villes de Crète'', desfojwfjou ordonnateurs,
^^uShitiJ '^"'" ''^ fonction, nous disent Aristoie *^ et Strabon*^ , ré-
T.tt. Herjcl. i>. pondoit àcelle des cphores; Ephèse», Pergame'', et d'autres
' PêM.iih.iv, villes de l'Asie mineure, avoient dus prytiines ; il y avoit à
i- !■}'•- l\'os , à Amycles et en Cephallcnie, des asymnitcs^ : en
urtat. IX, .'. ^lclle, ues/Tfl^/^i/orrf; en Acarname, dcs/iroitirwrnons ,i:i)iun\c
' Ari..0r. Poli, ■ 1^ Jj^.,j 1^,5 j^^^
»Str»K 1. X. Il paroit ()u'une diversité a peu près semblable existoit
«Vf. AS2 , ASA- i I II I • ■
J> L pour les noms des ministres de la rebyion ; on trouve (jue
Anu.li. p,ig des dignitaires exerçant des fonctions du même genre,
*'ld. II. l'.i^. dans le collège des prêtres de divinités différentes, por-
^i^- toient des noms qui n'avoieiit entre eux qu'une trcs-
>Ch„hyil.An,. , , n , i i , J
Aiiit !■ ■/S. foible ressemblance, il en resuite un grand embarras dans
l'explication des termes de ce genre ; car on est exposé,
si l'on ne consulte que la grammaire, à chercher des diffé-
rences entre des mots que l'usage avoit rendus s) nonymcs,
ou à regarder comme synonymes d'autres mots entre les-
quels l'usage avoit établi des nuances très-marquées. Ainsi,
par exemple, qui ne scroit tenté de mettre une différence
entre les mots /eço/lcTitJ-jyLAoi, J€ggyoV«/, (f^^t>Act>a<, ieç^-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 22?
(I>cunaj\ , kçy^rifxcvec, l et cependant il faut bien que ces
mots fussent devenus à peu près synonymes , puisque
Denys d'Halicarnasse les regarde comme presque égale-
ment propres à rendre le pontifces des Latins (i).
Ces considérations montrent combien il est difficile de
connoître le vrai sens de ces mots : autant il est facile
d'en donner une explication conjecturale qui ne s'applique
à aucun cas particulier, autant il l'est peu d'en suivre les
diverses significations à travers toutes les circonstances
qui les accompagnent dans les textes anciens.
Quand même l'explication de ces mots n'auroit pour
résultat que d'en fixer précisément le sens , et d'éclaircir
les passages où ils se trouvent, elle ne paroîtroit point
sans utilité aux yeux du critique qui ne dédaigne pas de
glaner, après la moisson , dans les champs de l'antiquité ;
mais elle acquerra une certaine importance, si elle peut
servir en outre à éclaircir des usages ou quelque point
d'histoire.
Il m'a paru que les noms de magistratures dont je vais
m'occuper, sont en général dans ce cas ; et c'est même
l'intérêt historique qui s'attache à l'un d'eux, qui m'a en-
gagé à me livrer aux recherches que je soumets à l'Aca-
démie.
Les deux premiers de ces mots , savoir , mnémon et
hie'romtiémon , se rencontrent dans plusieurs auteurs an-
ciens : mais ils s'y trouvent environnés de circonstances si
diiFérentes, et les explications qu'en ont données les scho-
(1) Tliti^y 'riflipfU'V -mvSl, t'î-n fi\i-
TiLi n aAnSïf. (Dion. Halic. A/i:.
Rom. p. tj^ , l, y, éd. Sylb.)
ni MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
liasies et les lexicographes , soiu en apparence si contra-
dictoires , <jue l'abttndance même des reiiseignemt us est
un obstacle à ce nu on puisse s'en laire une iilc'e nette et
arrêtée.
Le contraire a lieu pour le dernier nom, celui âe pro~
CnnMtnutu.1.1 tfi II àito II ; car . excepte' l'inscription d'Actiiiiii, rapportce par
imuripi. A^ ii.it ,.T-» .Il 1' !•' \n 11 •
ad cLtm co!!c.<. M. Poucqueville , et complctemcnt expliquée par iVl. iiois-
'"'"■ sonade, aucun monument connu n'en o tire de trace.
Avant de me livrer aux recherches qui doivent faire
connoître le genre de magistratures désigne par ces mots,
il convient d'en fixer l'étymologie, afin de déterminer exac-
tement jusqu'à quel point l'usage en avoit conserve ou dt^
tourné le sens primitif et grammatical.
Je diviserai donc cette dissertation en trois sections:
I.a première aura pour objet l'étymologie de ces mots;
La seconde traitera de la nature des lonciions qu'ils
servoient à désigner;
Dans la troisième, je réunirai tout ce que j'ai pu recueillir
sur les hiéromnémons que les Ktats de la Grèce en-
voyoient à l'assemblée des amphictyons , et en général
8ur la composition de cette assemblée célèbre. Je n'ai
pas besoin de pré^'enir qu'à cet égard je ne m'attacherai
qu'aux points qui restent encore ou inconnus ou incer-
tains.
PRtMirRE
DES INSCRIPTIONS ET HELLES- LETTRES. 225
PREMIÈRE SECTION.
De l'Etymo/ogie des mots Mncmons, Hicromnémons ,
Promnémons.
Ces recherches étymologiques auront principalement
pour objet de montrer que le radical /x^n'/^wv n'est en
aucune manière dérivé de /W-^îj/x-ct , womauent , ofratide , et,
conséquemment , qu'il n'a rien de commun en lui-même
avec l'idée de gardien des mouumens dans les temples , ainsi
que l'avoit pensé un membre de l'Académie : c'est ce qu'il
importe de bien établir; sinon tous les textes n'offriroient
qu'une discordance continuelle, et il seroit impossible d'y
rien comprendre.
On trouve dans ces trois termes les trois espèces de
formation que présentent les .substantifs , ou adjectifs pris
substantivement , qui indiquent en grec qu'une personne
est chargée d'un emploi quelconque. En pareil cas, ou le
mot est simple, comme mnémon , ou il est composé, soit
avec une préposition , comme promnémons , soit sans pré-
position, comme Iiic'romne'nions.
Les mots simples sont toujours des adjectifs immédiate-
ment dérivés du verbe qui exprime la nature de la fonc-
tion : ainsi <^f>X'^^ ^^t formé de ^f%« ; ctp/M:<p)t;, de oip/M^œ ;
dvTnc,de ')vco; 's^aLK.'mf , de 'Zif dosai; ?^ytqri'i, de Aoyt^u),8cc.
II résulte de cette loi constante que /Lwn;M4)v est, de toute
nécessité, un adjectif verbal dérivé immédiatement de
fJ-vcLCà, dont le sens propre est celui de Jaire souvenir,
en sorte que ce mot doit signifier, par son étymologie ,
celui <jui fait souvenir, cjui mentionne, (jui prend note, et,
Tome VI. F'
22<î MEMOIRES DE LACADIMIE
par extension, <]iti fiiit ottention , (jui veille sur; et l'on va
voir qu'en effet il présente le double sens de iiodirius .
tdlmliiritu , scri/'J , et celui de curutor , i/ispcctor.
ihm. Ojjsi. Homère emploie l'adjectif /^vn'/xwv tout seul , prcccdc
• P' ' i- jç 5Q,^ ijgiiTie ou attribut, dans le vers de l'Odyssëe où il
donne au commandant d'un navire l'cpitlicte de ÇopTzv
Le pseudo-Didyme explique ces deux mots par ê-TOug-
AK;U,gk04 T (popiici»! , « /M,v)i/xûVÉoa)V €)ijLçov , 7n>avv *iv et^iov ,
c'est-à-dire, "qui a soin de la cargaison, ou (|ui tient note
» de la valeur de chacjue objet. >•
Êuitath. ad Eubtalhe les interprète à peu près en ce sens : <I>op7Bu
r KoLf à-'Mci)^ Aoytqr(;, é7n/ueAnTv<; , c'est-à-dire, " celui qui
•» enregistre, qui indique par écrit ; autrement, l'énumé-
" rateur, le curateur [de la. cargaison ]. ■>
£/)W. magx. Le Grand Etvmolosiste et le Lexique de Zonaras les
Zonjr. LtxU. expliquent par 'jn/'oeço/^ , >taf ÊTn/UÉAe/o» 7n)/V«i»oç ÇopTou,
' '^ c'est-à-dire , « le préposé , celui qui a soin de la cargaison. >•
On voit clairement par le texte mthne d'Homère, et
par les explications de ses scholiastes, que le mot fivriawv
est l'adjectit verbal de fcvoLo), et emporte, comme son éty-
moiogie seule me l'avoit fait supposer, le double sens de
Ao>«îii« ou y^a.fxfj.a.TiV'; et de gTn/OtArrti^ , cunitor : mais,
sur-tout, qu'il n'a aucun rapport avec l'idée de monttiuciit
ou ii'offr.in^c. Or cette observation est importante, parce
qu'il s'ensuit qu'a moins que l'antécédent if£?v, ou quelque
autre mot semblable, ne vienne y ajouter l'idée de sr/cre ,
ce mot pourra s'entendre aussi bien d'une dignité civile
que d'une dignité religieuse ; et c'est précisément le «as
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 227
du mnémon dont parie Aristote , dans un passage que je
citerai tout- à-i'iieure , et du promnemon de l'inscription ,
d'Actium.
Le sens du radical itme/non une fois déterminé, nous
conduit directement à celui des deux autres.
En effet, dans promnemon, on trouve ce radical précédé
de la préposition 'zsfô, qui ne fait autre chose qu'y ajouter
une idée de prééminence ou de supériorité : or , comme
le radical présente le double sens de scriba et de curator ,
le composé sera naturellement susceptible de ceux de pra-
scriba , de pracurator (qu'on me passe ces termes), et dé-
signera une dignité assez considérable , qui pourra appar-
tenir à l'ordre civil , puisque le composé promnemon n'a
par lui-même aucun rapport avec la religion. On remar-
quera que, de cette manière, il se trouve formé selon
l'usage propre aux termes indiquant une dignité, et com-
posé de deux mots, dont l'un est une préposition : or,
dans ce cas, le radical est toujours un adjectif verbal. Tels
sont, pour nous borner aux mots où se trouve la même pré-
position, 'ZtTgcCi^Aoç, 'nr^SvKûc,, 'sr^e^oç, 'Z!!fooL'p^(;,^û-
(xdLV.ic,, 6cc. dans lesquels le Ts-çj ajoute aux adjectifs ver-
baux précisément la même nuance que dans 'SjfofA.vrifxuv.
Le sens étymologique de hiéromne'nion ne paroîtra pas
moins évident, puisque c'est tout simplement lidéede sacré
jointe à l'adjectif verbal fx\7\ixcù\ : or c'est ainsi que, par
une règle également constante, se forment tous les mots
de ce genre : ils présentent toujours, dans l'un des deux
termes, l'objet ; dans l'autre, l'exercice de la fonction.
Tels sont, en nous bornant encore aux mots analogues à
celui qui nous occupe, lio^ixS'cLa-nsL^o^ , c'est-à-dire 'aç^
F Mi
22 3 MÉMOIRES DE LACADEXUE
ixS'dia-xoi') ; le^y^a./ufA.aLTivç (i), c'est-à-dire /e,f^ ;)^et<^uv;
iiç^xrpvç, ie^JvTtii, leçy^c-niti, l'eg^v/x-wç, /eg^7ro/o^, l'e^^j-xo-
tnç, i€Q^<rvAù<; , le^^cpoov.ri^, itç^^oç^i, (e^vo/xo^, leçoxo/M)^:
en sorte que (f£9«.v>iuov , pris uniquement dans la lorma-
lion grammaticale, et indépendamment des autorités his-
toriques qui seront rassemblées plus bas, doit cire décom-
pose, comme le (popinv /hvyiixciiv d'Homère, en Upuy 'Wfa,-
yfxâ.Tuv ix\ir\u.(fùv, et est susceptible de deux sens, savoir:
I. de TOv lepwv -ar^yj-d-Ttùv Aoytçn^ ou •^-ça./ufj.ct'nv';, et,
conséquemment , de kç^yça.fxfxA.'nxje, ; 2." de t l'epav êto-
/uiXidrtç, c'est-à-dire sdcrorum curotor , ou , plus clairement,
rel/gionis ciinmi gereris : or ces deux acceptions vont s'ap-
pliquer à tous les exemples.
Je dois, avant d'entrer dans les détails, montrer, par
quelques rapprochemens , que le sens général du mot
hiéromne'mon est tel que je viens de le dire.
Denys d'Halicarnasse, qui écrivoit à une époque où les
pratiques et la hiérarchie du paganisme n'avoient subi aucun
changement essentiel, devoit bien connoître la significa-
tion des mots Grecs relatifs à la relicion par lesquels il
traduisoit les mots Latins corrcspondans ; or, en deux en-
droits de ses Antiquius Romaines, il emploie le mot ifç^-
jM.»»i,u/jve4, pour rendre le poiiiijiccs des Romains (2).
(1) Ou simplement itçj( ^a^ufxa-
tA< , ce qni revient au même ^ on
le trouve ainsi décomposé dans Llicn
( Histnr. an'nn. XI, lo } , Lucien
( Atacrob. 4) , &c.
(i) H juiriti â»Aii rJ^i i <fiue( a'-n
■n ani9iF ta^lttôiiÔBJ yi 5»u /^ o» airrû
-jUtTOif in/fnMaStirai , avatar ti 'S)C<jaj4-
(004 /tiue-nMÎ. (Dionys. H.ilic. ,4nn./.
Horn. VIII , p. ^2) , 12, sq. td. Syth.)
— ETw'ct T J^Lut ixxLMmi jTi 7)rr Kt-
çut , IL 'Tfi aM&'r itciuit ^a^iTur tju iB
Jtar T»(C \c^-yiç TOf -Itl^Vf. ( Id. X ,
p. 6S1 , l. IJ.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 229
II en est de nicme d'un passage de Strabon , que les
textes de Denys d'Halicarnasse servent à expliquer. Au
cinquième livre, cet auteur raconte que, chaque année ,
par l'ordre des hiéromuénioiis , on cclcbroit les sacrifices
amburhium sur tous les points qui marquoient la limite
du territoire romain (i). 11 est évident que ces hiéromne-
mons par l'ordre desquels on 'célébroit des sacrifices , ne
peuvent être que les pontifes : or on sait que la fonction
des pontifes à Rome étoit , non de garder les temples
et les offrandes qu'ils renfermoient , mais de veiller à tout
ce qui concernoit le culte , à l'observance des rites , au
maintien des usages religieux ; c'étoient les inspecteurs ,
les curateurs , les conservateurs de la religion, sacroruni
cunitores {2) ; ce qui est précisément l'un des deux sens que
présente le mot leç^fAvrifA-ccv. Le choix que Denys d'Hali-
carnasse et Strabon ont fait de ce mot en cette occasion ,
confirme à-la-fois l'étymologie et l'explication gramma-
ticale que j'en avois données.
(l) Oj 9 ii^/j.yn'iucyiç Svaicu irrm-
AÎnr ' Af^SofvaMa*. (Strab. Ceogr. V ,
p. 2J0.) Je donne à iTn'liMlr un sens
transitif.
(2) Sacrorum curator est dans Mu-
ratori, CLXXVi , ^.
230 MLMOIRLS DE L'ACADKMIE
SECONDE SECTION.
Dci Fonctions attribuées aux Aincmons , aux Promné
nions et tins Hïéromnénions.
S. I." Des Ai né mon s.
L'antiquité ne m'a paru offrir que Jeux espèces Je
mnémons , les uns civils, les autres religieux.
Les premiers sont mentionnes par Aristote Jans ce
passage Je la Politique 011, après avoir parle Je Jiffcrentes
magistratures civiles, il continue en ces termes :
" Il existe une autre espèce Je fonctionnaires près
" Jesquels il faut aller faire enregistrer les contrats Jes
•' particuliers et les sentences Jes tribunaux; ce sont eii-
'» core eux qui se chargent Jes accusations, Jes citations
'« par-Jevant les juges : quoique ces Jiverses attributions
" n'en composent réellement (ju'une seule, cepciulant on
" les jurjage quelquefois entre plusieurs oliicier;. , que
» l'on Jésigne sous les noms Je liic'romnc'mons , cpist,ites ,
" wnémons ,*o\x sous J'autres semblables (ij. »
Ce passage important nous montre les mots ntncnions et
liiéromiiemoiis employcs pour Jcsigner Jes officiers Jont
la fonction réponJ à celle Jes notaires , (ivoués , greffiers.
Il sembleroit au premier abord que ces Jeux expressions
f f «Sby Jki 73 71 léia cv/jiCi\aua (S i( Kfi-
ttiç iK 'K' JlKOiçnciut • va^ j -mf au-
7ii( TWToïc 1^ ràf y^afàc tH" Jtutt jm-
■mr tîiMa inuaia cittyfvt. ( Ariji,
Polir- y I , j, ^ , tJ. Si finiider. )
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES, nj.
ont ctc employées par Aristote comme synonymes ; et
c'est probablement à une fausse interprétation de ce
passage que nous devons un article d'Hésychius et une
schoiie (i) où le sens des deux mots est confondu; mais
la différence qui existe entre i'un et l'autre, est suiîîsam-
ment indiquée par i'ensembie du texte d'Aristote.
Comme ce philosophe dit que l'office public dont il
parle se divisoit entre plusieurs fonctionnaires, on peut
en conclure que chacun de ces fonctionnaires étoit chargé
en particulier d'une des attributions de cet office. Il est
donc très-probable , d'après l'étymologie et l'ensemble du
texte, que les muémons étoient chargés des affaires entre
les personnes de l'ordre civil; tandis que tout ce qui con-
cernoit les procès relatifs à la religion ou à ses ministres,
étoit du ressort des hiéromnémons. Je reviendrai sur ces
derniers par la suite : quant à présent, pour m'en tenir
aux mnémons d'Aristote, on voit clairement que c'étoient
des espèces de greffiers , y^juLfj.a.TiK, ; et c'est, comme je
l'ai dit, l'un des deux sens que présente l'étymologie de
leur nom.
Un article d'Hésychius nous apprend qu'on entendoit
aussi par m/ic'mo/is, des femmes, probablement des prê-
tresses, chargées de veillera l'entretien des victimes : c'est
du moins ce qui résulte du texte rétabli ; car il est évidem-
Siiprà p, -Jû.
(i) Hesych. voce 'hUà/ucov. 'ijg^//!'»-
/iii/, M ij.m/Mviç, « Stf Svnof â.7ivf/.vK-
fMvêliovTiç. — SchoI.Aristoph.iii/7V(,7'.
V. 62J : Iipoiu.ti]ucyiç — y^a/j-uaiitç —
fniifiovat 3S TKTBf ÎKa.h>iy. Au reste, on
peut encore expliquer ces deux scho-
Ues, en disant que, selon l'usage des
Grecs, qui eniployoient souvent le
simple pour le composé, les hiéro-
mnémons étoient quelquefois appelés
mnémons. Cette explication est con-
firmée par l'autre passage où Hcsy-
chius désigne des prétresses sous le
même nom.
23; MÉMOIRES DE LACADf.MIE
ment corrompu. Le voici : Mvr^ve^, dp-^n yj\cLi)ca'\ i-n-n-
Aovu.é^uv -mTy iepeiu\i. Il me paroît impossible de donner
à cette phrase un sens raisonnable, et mcme d'en trouver
la syntaxe grammaticale. Saumaise l'avoit senti, puisque,
dans les prolcgoinènes de son Commentaire sur Solin,
Sa/Hi.u.Fjfnit il ajoute un mot , et lit : ct-^vri yjVettKcôv 'yvjiuv g7n.€-
FliM.Prolfg.p.:. I r^ , , ... !• I !• • i r\ —
Ax,vcevw» T lepeicûw Mais, outre (jue 1 addition de yvaxu)! est
gratuite, il n'est pas fiicile de deviner le sens que Sau-
maise donnoit à la phrase ainsi rétablie. M. Schneider,
SihnfiJ. ni dans SCS notes sur la Po/iti/jue d'Ar'i^tole , se contente de
./l'"" ""'' dire, ^ua Siiiiii non su/it. Il est singulier qu'on n'ait pas vu
que, pour rendre à ce passage toute son intégrité, il Miftit
de changer une seule lettre , et de lire i7aut\ovfÀ.ivu)\ ,
au lieu de è7nTtAoi»ju.gvov : le sens devient alors, femmes
chiirs^ées de prendre soin des vieiimes ; et l'on doit se rappeler
en effet que fxwjj.où't a précisément le sens deeTn^cÉAtfUÉi'cç,
f-nu.fXy Yc, curdtor.
S. II. Des Promncmons.
J'ai dit (juc le nom de ces magistrats ne nous est
connu que par ta seule inscription d'Actium. Ce n'est
donc point par des rapprochemens tirés d'auteurs anciens,
qu'on peut s'en former une iili'e juste; il faut recourir a
une méthode différente.
.v*/"j /- -jj. On a vu que les noms des magistrats e,\er(,-ant des fonc-
tions analogues ou semblables dans les villes Grecques
autonomes n'éloient point par-tout les mêmes, et j'en ai
cite des exemples dont j'aurois pu facilement augmenter
le nombre : il s'ensuit que, quoique le mot promnemon ne
paroisse qu'une fois à nos yeux dans l'antiquité, il se peut
que
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 133
que la dignité qu'il représente soit tout-à-fait semblable
à d'autres dont les noms et la nature nous sont connus ;
et dcs-Iors on entrevoit la possibilité de parvenir à fixer
le sens de ce mot, au moyen d'un parallèle entre le décret
d'Actium et les autres monumens du même genre.
J'ai donc recherché toutes les inscriptions analogues à
celle d'Actium; j'ai examiné les formules qui sont en
tcée , et je me suis assuré que toutes ces formules sont
conçues de la même manière et offrent la même grada-
tion dans les dignités des personnages qui y figurent:
comme les noms de ces dignités nous sont connus par
des textes d'auteurs anciens, on s'assure que, quoiqu'ils
soient différens , leur sens est le même.
Ce fait une fois constaté, j'ai comparé la formule du
décret d'Actium avec celle des autres décrets , et ce pa-
rallèle m'a mis en état de déterminer par analogie de quelle
nature étoit la dignité du promnémon en Acarnanie.
11 faut commencer par rappeler la formule de l'ins-
cription d'Actium :
'Evr ' /£,^7ra Ax rS 'K-m»^cù\i tS 'Aycrici $/Ar^vo4,
1éVix'Z!fofJLVA.iMi\u\ S^è Nocooi/o'^K TV 'Ae/çDx-AgVç 'Açax-V,
Tç^/j.fxa.'zioç, <^è Ta. GowAcc Ilgpiroo roî; Aiovai^eot;
Msc/g^TroA/Ta ....
"EJ^^e. ra. (iovXoL KeLJ TW xjna t 'A\^p\civcûv , k. t. A.
C'est-à-dire :
Philéinon étant hiérapole d'Apollon Actiique,
Tome VL G»
1J4 AIKMOIRLS DL L- ACADEMIE
Agotarochus d'AKzie, fils de Nicias, étant proinncinon ,
Nausiinacjue d'Astacus , fils d Arisiocics , et Philoxèin.', fils
d'Heraclite de Phœtia, étant sympromnémons,
Pratus, fils de Diopiihe, étant grefiîer du sénat,
Il a plu au sénat &c.
Ce prc'ambule offre Jonc successivement, i." l'IiiciM-
pole, 2,° le proinncinon , 3.° les sympromnémons , 4»" le
grefiîer du sénat.
J'ai peu de chose à dire de l'Iiiérapole , après les éclair-
'BoUion.Cm- cissemens qu'a donnes à ce sujet M. lioissonade". Ce savant
mfHt.p.ig. i2o. 1- < I • • • • C- l- I.
^CtufW.Jjss. '1 reconnu, d après plusieurs inscnptiojis bicilienng> , ijue
*DViiill Si- ^^ "°'" "^^'^'y"^ "" pontife dont la fonction éloit annuelfe.
cia.p.jji. Je me contenterai donc de remarquer que la formule
Cautlli , i/jjj. " I ....
Ht, 2, commence, comme toutes les autres inscriptions de ce genre,
DOnnli.Stcul. pj^ jg i^om du souveraiii pontife, du Siicwriim cuiiiivr ; t-t
p-ig. j/>~. • »
qucle titre de cette dignité varie de ville à ville, autant que
'AhrmtrOio- celui du magistrat suprême : ainsi les décrets de Smvrne'
'^7r„ et de Délos '^ commencent par êth iepéu^ i ceux de Maiiné-
A.aJ. iiti im- sie', par Èth çi<pctv>'{po/)i^; ceux d'Ephcse , par èrn Àpyie-
crtpi.Mtm.tcm. , ' , , , ' / I ri a
.\/ 17/. p.j^r P^^^ o" ct-p^iepeu^ le^TiVovizn ; ceux de Isyzance», par
' ALirmor. Ox^ £70 iepçuva.uùVOi ; ceux de Malte et d'A<>riL'cnte , par èyà
* Cotsini .Fan. if^j^UTa ; cnfiu celui de Gela, par î^7^ 'ie^'Tr9\'t< , comme
/,_ '* le décret dActium.
iinfrà.p.jio. On nesauroit douter que ces divers titres, lepet/ç, "ii-f»-
ne désignassent dans les différentes villes la mt?me dignité:
c'ctoit incontestablement celle du souverain pontife, dont
le nom paroissoit en tcte des décrets et des traités. Tous les
(KLi.p.jij. critiques, et , entreautres, Prideaux, Van-Dalc, d'Orville,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 235
ont reconnu dans ces pontifes des magistrats épouymes (i).
Je soupçonne quils ctoient choisis parmi les prêtres de la
divinité principale adore'e dans chaque ville ; cette con-
jecture, d'ailleurs naturelle, me semble confirme'e par l'ins-
cription d'Actium, qui nous montre dans l'hiérapole le
grand prêtre d'Apollon Actiaque, dont le culte acquit une
nouvelle importance en Acarnanie après la bataille d'Ac-
tium.
Pour faire mieux sentir la justesse du parallèle qui va
suivre, il ctoit utile d'établir l'identité de l'hiérapolat avec
les autres dignités religieuses dont on trouve les noms eji
tête des inscriptions du même genre.
Immédiatement après l'hiérapole, cette inscription offre
le titre du promnémon et des sympromnémous , puis celui du
greffier du sénat.
Or il faut remarquer que, dans toutes les inscriptions
Grecques qui contiennent fies décrets, quand le nom du
pontife est suivi de celui d'un autre magistrat, ce dernier
est toujours le magistrat suprême, l'archonte de la ville;
c'est une règle à laquelle je ne connois point d'exception.
Or, dans celle d'Actium , le promnémon vient après l'hié-
rapole : ainsi ce promnémon ne peut être également que le
premier magistrat, l'archonte des Acarnanes.
Je me. contenterai de rapporter trois décrets de trois
villes différentes, Athènes, Malte et Agrigente ; les deux
derniers m'ont paru d'autant plus propres à servir de
(1) Il y a, sur ces prêtres éponymes,
un passage curieux de' Platon : Xo-
^ipicL 3, ira, KsLr' à/ntuiiv, T rsrçymy
àiauTir, OTraçcu/ ji'^imt) f^iTfov a iS-f^v
Tov ^ôrov, iû>ç ew «'/TOX/f oixÂiTa^. [ Plat.
Legg. XII, p. 947, ^- )
G'ij
i>,6 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
points de comparaison, qu'ils contiennent, comme celui
d'Actium, la concession des titres de proxcnes et de bien-
faiteurs.
La première inscription est de Malte , et ainsi conçue :
Crtier.cccc, 'Eth Iiç^'^vtV 'ixéro. 'Ix«ri<,
•*-'. ire "E^^e -vi avyjQjnzj ij tS S^ixu t MeA/7a/ù)v , k. t. A.
C'est-à-dire :
Icétas, fils d'Icctas, étant hiéroihyte,
Héréus et Cétès étant archontes,
H a plu au sénat et au peuple des Mélitéens , &c.
Ainsi la principale dignité civile, celle d'archonte, se
prcsente , comme le promtic'mou dans le décret d'Actium ,
immédiatement après la première dignité religieuse.
Le décret d'Athènes, rapporté par Josèphe, est dans
le même cas :
iifS.fiM Erra AytJnx^eV^ a^px^v-nr.,
EtJxA>ï« Mevâ*</)o5< 'AAf/*i<Jio4 i^a-f^^i^Tivin, k. t. A.
Denys étant pryiane et grand prêtre,
Agathocle étant archonte,
Eudes d'Alimûs, fils de Ménandre , étant greffier, Ac.
Ici, l'archonte, de mcme que le promnémon d'Actium,
est placé entre le grand prêtre et le grcfïïer.
Voici la troisième inscription, qui est d'Agrigente ;
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 237
"Ej^^t Toi oùAiaL KOf Ta. {myyQs.i'm , x.. r. A,
C'est-à-dire :
Nyinphodore , fils de Philon , étant hiérothyte ,
Diodes, fils de Diodes, étant proagore,
Adranion, fils d'Alexandre, étant greffier,
II a plu &c.
Cette formule, tout-à-fait analogue à celfe du décret
d'Actium , nous ofîre après l'hiérothyte , ou pontife épo-
nyme , le proagore, qui tient la même place que l'archonte
dans l'inscription de Gela et d'Athènes, que le proninémon
dans celle d'Actium ; et il est également placé entre le
pontife et le greffier.
Dès-lors il me paroit impossible de douter que le
promnémon , en Acarnanie, ne fût ie magistrat dont la
dignité correspondoit à celle de proagore à Agrigente, et
que CQ proagore ne fût lui-même une espèce d'archonte. Ce
que la simple analogie fait soupçonner, est confirmé par
des textes précis de Ciccron , qui nous apprennent que le
premier magistrat civil de plusieurs villes de Sicile, comme
Catane et Tyndaris, portoit le nom de proagore (i).
Or, cojnme il est constant que ïhie'rapole d'Actium es:
ie souverain pontife éponyme , aussi bien que Vhiereus,
ïarc/iiereus , ï hiérothyte , &c. des autres villes, le promné-
mon, dont ie nom se montre ensuite, ne sauroit être que le
Crtiler, CCCCI,
I.
Ccrsini, F. A.
Jl,p.4£i.
CmuH. ikiiS.
VIII, t.
(i) Catanam cùm venîsset( Verres),
0ppiduTn Iccuplei j homstuin , ccpio-
sumj-Dionj/siarcfwm ad seproagoram,
hoc ast, summum magistratvm, vccari
juket. (Cic. Verr. ly , f. zj. Conf,
SS- SP f' ■#"• )
z^Z MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
premier magistrat civil des Acarnanes, ainsi que l'archonte
et le proagore de ces mêmes villes ; et l'on a vu , par l'cty-
niologie du mot proiunémon , cpie sa si^nilîcation propre
ctoit celle de ainiteiir, inspecteur , lu/ministnjuur supicme,
Quant aux syitipromticnions qui paroissent en troisième
ligne dans le décret , on voit clairement que ce sont les
collègues du promne'mon , qui ctoit en quelque sorte le
premier archonte. Cette manière dedcsignerjes magistrats
ilont les fonctions sont semblables , mais dont l'autorité
est un peu inférieure à celle tl'un autre, n'est point sans
exemple en grec ; on la retrouve dans cette inscription
de Rhégium :
' K. r. A.
•Les symprytanes9,ow\.Q\Vi<.\.^w\tni , comme kssyniprflume'mons ,
les collègues du premier magistrat ; ce sont les "afvreiveut;
7nt/!6</Joo/,, comme les autres sont les "Sfo/xvtL/juûvoç 7ivif)6c/]pci.
On trouve de même dans-Eschine, et dans un décret des
Ajchit. Fuit. Athéniens, rapporté par Josèphe , le moi cmixtifôe^oi ,
JoM I'à/iZ po^"" tli-'''g"c'' 'es collègues de celui qui étoit le premier
Juj. xiy. t. jj(,s pro(Jris à Athènes, tov 'Zirfoécfpm i-xiçairni,.
§. III. Des Hieromiihions.
Jusqu'ici nous ne savons rien de ces magistrats, si ce
n'est (jue leur fonction doit avoir un rapport quelconque
avec la religion. On a seulement pu entrevoir qu'il y avoit
en Grèce plusieurs espèces d'/iieromnenions : je vais main-
tenant en donner la classification. Comme les lexicographes
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 239
et les scholiastes ont tout confondu , selon leur habitude ,
je m'efforcerai de distinguer, dans les détails qu'ils nous
ont transmis , les traits qui conviennent à chaque espèce
en particulier.
Je commencerai par les hiéromncmons d'Aristote.
D'après le passage que jai rapporté plus haut, on a i'uvr.i.pug.^^o.
vu que ce sont de simples grçfliers ou notaires, chargés
d'enregistrer tous les actes qui avoient un rapport quel-
conque avec la religion ou ses ministres. Si ces officiers
€xistoient à Athènes , ce qu'Aristote ne dit point, ils dé-
voient dépendre de l'archotite-roi, qui avoit sous sa direc-
tion tout ce qui concernoit la i-eligion.
Il y avoit à Mégare une autre espèce d'hiéi'omnémons,
au témoignage de Plutarqae dans '-ses Questions sJynipo-
siaques ; il fait ainsi parler un Mégarien ./.ài'.pcapos/ de
l'usage dt: ne point mangende poisson : «Vous ne parlez
« pas de mes concitoyens, et cependant vous m'avez
« souvent entendu dire .que ceux d'entre les prêtres"' de
"'Neptune que nous appelojis ./ii/ro/w/i/mo/zj, ne mangent ■
■• jamais de poisson (i). >> Voilà tout ce que Plutarqae en
dit: mais l'observance particulière à laquelierfjes hiéro-
ranéinons paroîtroient avoir été, seuls, astreints .entre les
autres prêtres de Neptune, la divinité' princjj^lejià Mé-
gare, anrtonce qu'ils étoient liés au sacerdoce par des
obligations plus étroites; je- soupçonne en conséquence
qu'ils étoient chargés de veillera tout ce qui concernoit la
religion. Il est probable qu'ilsi.remplissQient à Mégareie
iTiôrneoffice que les pontifesi à Rome, Selon toute, --ippar
(') '^J" «'■ tS ncfff/J^Kjf kpCi; I tarch. Sympos. l>^ïii , S, t. VIIT,
■iç iiptfXit(/Mtaf KCLhi/Mt, K.T. A. (Plu- 1;-. ^/^, éd. ReiskA.)
ï4o MF.MOÎRF5 DE LACADKMIE
reiice, ils ctoient les dépositaires des archives du temple ,
et des livres sacres : cette charge se retrouve encore sous
la mcme dcsignatioii dans l'cgiise Grecque, dont la hié-
rarchie a conservé pkisieurs titres empruntés au paga-
nisme. L hicromnéiHon des Grecs modernes tient sous sa
garde le contacium (c'est-à-dire , la légende abrégée de la vie
du saint dans chaque église , et le registre des ordinations :
CoJim.d'of- 0 Jt^Tf/ -n KovTay.iov kolj liv kcJSxyjl t yHP^izMciv , selon
lU^.fMf./. b. 1'^ ucrinition de Codmus Luropalatas.
On a également lieu de présumer qu'ils étoient les /«-
tcndiiHs ou administrateurs des Wens sacrés , izt/jLictf r kpuf
yjr fjja.TU^ , fonction clairement indiquée dans une inscrip-
Af. Chmril, tjon de Tliasos , où il est dit que les tlieores feront /sraver le
P*f. 10; décret dans le temple de Minerve , et que l hie'romncmon Journira
aux frais nécessaires.
La dignité d'Iiiéromnémon étoit à Byzance une des pre-
mières de l'État.
DfmMth it Démosthtne nous a conservé un décret des Byzantins
1. 10 , Rtiikt. 41J' c()mmence par la formule i7n iiç^ix\aL.iMi^t^ Bo<r7i»-
f^X^- Cette même formule se retrouve dans un autre
P»i/ivi.;2. décret rapporte par Polybe, tm K&3Ti/vo4 iv KctMiyemvo^
ie^u-^-Ajujoviiilot; <iA/ Bw^ix*7ia ; et lorsque l'on compare cette
formule à celle des autres décrets qui commencent par
£7rî iepéaç, eip-^iepéuç, Itfi^-rnMxj, leQ^Bviu. , &c. noms qui
désignent tous le souverain pontife, on ne peut douter
que ['hiéromnétnon ne fût à peu près chez les Byzantins
ce qu'étoit l'archonte-roi à Athènes: c'est en leur qualité
de pontifes (pie ces magistrats plaçoient leur nom en tcte
de tous kà traités d'alliance et de paix, de tous les décrets
du gouvernement.
Une
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 241
Une médaille de Byzance, moyen bronze , dont le
savant P. Corsini a le premier fort bien lu la légende, S.iggi. diCo,-
porte lEPOMNA AILI. CEOTIIPOC. BTZANTIOIC : elle '^"^.4"!' ^"'
atteste que la dignité d'hiéromnémon subsistoit encore
sous le règne de Lucius Veriis , puisque les Byzantins en
avoient donné le titre à cet empereur. On peut voir à ce
sujet Eckhel et Sestini.
Enfin le marbre de Chalcédoine, expliqué par Belley Cnybs, Rccuâ
et publié par Caylus, montre que dans cette ville il y avoit jt"'pul''"yT''
un liiéromnémon dont le nom, dans les décrets publics,
suivoit immédiatement celui du roi ; et l'on ne sauroit
douter que la fonction de ce magistrat ne fût la même
qu'à Byzance.
II résulte de ce paragraphe, que chez les Grecs le mot
hiéromnémon a désigné ,
I .° Une sorte d'officiers ou notaires chargés d'enre-
gistrer les actes relatifs à la religion ;
2." Des prêtres gardiens des archives sacrées;
3." L'intendant du temple;
4." Le grand prêtre, dans certaines villes.
II nous reste à rechercher quelles fiu-ent les attributions
de ï/iieromnenio/i amphictyonique.
Tome VI. Hi
2ii MEMOIRES DE L'ACADEMIE
TROISIÈME SECTION.
De- i'Hicroninémon amph'ictyomque , et , en gctiéfûl , des
Députes composant le Conseil des Ampliictyons.
HuMPHRYD Prioeaux dans ses notes sur les Marbres
de Paros , Van-Dale dans sa dissertation de Coiisilio <wipliie-
tyovico , Charles de Valois dans les Mémoires de i'Aca-
dcmie , M. de Sainte-Croix dans son excellent ouvrage
sur les Gouvernemens icdcratifs, semblent avoir rcimi
tout ce qu'il est possible de savoir sur [ hieroniticmoiiic tim-
phietyonitjue : cependant leurs recherches sont loin d'avoir
levé toutes les dillicullrc's relatives à la composition de
l'assemblée des amphictyons, aux fonctions et aux préro-
gatives de chacune des trois classes de députés qui y sic-
geoieiit. Cela vit-nt de ce que les textes sont en très-petit
nombre, et n'offrent que des renseignemens épars , dont
il est difficile de retrouver la liaison ; quand on veut les
rapprocher les uns des autres , ils paroissent contradic-
toires, parce que lesdonnées intermcdiairesqui pourroient
faire disparoitre la contradiction , semblent man<jiier.
Aussi M. de Sainte-Croix avoue-t-il plusieurs fois l'em-
barras que lui causent toutes ces difficultés ; il se contente,
pour tout ce qui regarde les députés, de proposer des
conjectures qui lui paroissent à lui-nume avoir peu de
fondement.
Je vais essayer de lever (juehjues-unes de ces contradic-
tions , en me servant de plusieurs textes dont on n'.ivnit
point saisi le sens,
Quoicjue l'hiéromnémonie soit la seule magistrature
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRE"^. 243
dont j'aie à m'occupcr, elle est tellement liée aux autres
classes des députes amphictyoniques , qu'il m'a fallu , pour
établir les fonctions de la première, déterminer aussi celles
des autres. •
La manière dont étoit composée l'assemblée des ani-
phictyons, n'est nulle part mieux exprimée que dans ce
passage d'Eschine :
'< Le lendemain, nous nous rendîmes, dès le lever de
» l'aurore, au lieu prescrit; de là nous descendîmes dans
» la plaine Cirrhéenne , et, après avoir détruit le port et
» mis le feu aux maisons , nous nous retirâmes. Nous
" n'avions point encore fini, que les Locriensd'Amphissa,
" qui habitent à soixante stades de Delphes , s'avancèrent
" contre nous en masse , les armes à la main ; et si nous
« n'eussions en toute hâte regagné la ville de Delphes ,
» nous courions risque de périr.
»Le jour suivant, Cottyphus, celui qui compte les suf-
» frages , convoqua l'assemblée des amphictyons. Or on
•• appelle assemblée la réunion non -seulement des py-
» iagores et des hiéromnémons , mais encore de ceux
» qui prennent part aux sacrifices et qui consultent l'o-
'» racle (1). »
■ L'assemblée, ètcy.^Yiaia, , se compose donc de la réunion
des pylagores , des hiéromnémons, et d'une troisième classe
de députés qu'Eschine ne désigne que par une périphrase,
mais qui ne peuvent être que les théores , comme on le
verra par la suite.
raf v^y^ULhimunt , «Mot yjfj\ 7VÇ niv^vey-
■jw; x.tti ^upjivuç Tû> 9it^>. ( yîlschin.
contr. Ctesiph. p. yi , l. y sq. )
H'ij
i44 .Ml MOIRES DE L'ACADEMIE
Je m'attacherai principalement aux deux premières
classes , parce qu'il y a peu de chose à dire de la troisicme.
Le nombre des hicromncmonset des pylagorcs est assez
facile à dcterminer.
* .■Euhin.Ftili On sait par plusieurs passages d'Eschine" , par un Irag-
4f:Ç!foJ.'~] ment des T/tcsnio/Ziories d'Aristophane^, et par le serment
p. 71. /■ -'/■ Jes hc'liastes dans Dcmosthcne'^ , ciu'Athcncs nonnnoit
^■ApuJBrunck. ^ ' ^
in ArUwph.t7,. au sort un seul hicromncmon.
eJit. wm. m , r\ 1 i ■ 1 1 1 i / •
p.2i0. (^uant aux pylagores, chaque ville, selon le tcmoi-
•Demosth.coK- gnage de Strahon , n'en envovoit qu'un à l'assemblée :
7,^7,/.;. cependant il résulte clairement d un passage d Lschine ,
Smit. m. IX. que le nombre des pylagores Athéniens montoit quel-
png.if^o, txao< r • ' ^ • »•! III '-Il •. 1. J
fT-_ ^ (lueiois a trois, et il est probable qu il devoit en être de
AajpVjtr. même des autres peuples qui avoieiu le droit d'envoyer
C^Jph'!'p^"c9. ^^s députes à l'assemblée des amphictyons. Cette contra-
'• 4"- diction me semble s'expliquer d'une manière naturelle.
On sait, à n en pouvoir douter, que chaque peuple am-
phictyonique n'avoit que deux sufhagcs , dont un pour
l'hiéromnémon , l'autre pour les pyl.igores : on C()n(,oit
donc que, (juand Athènes ainsi que les autres villes en-
voyoient A l'assemblée trois pylagores (sans doute dans
les occasions où les affaires ctoient nombreuses ou impor-
tantes) , il étoit impossible que chacun des pylagores eût
un suffrage particulier ; il est certain au contraire qu'a-
près avoir délibéré à égalité de droit , ils s'arrctoient à
l'opinion qui avoit l'assentiment de deux il'entre eux, et
la manifestoient j^ar un sulîrage collectif, (jui , avec celui
de l'Iiiéromnémon , lormoit les deux suffrages accordés à
chaque nation. Ainsi, quel que fût le nombre des pyla-
gores , ils ne comptoient que pour un seul , et c'est pro-
Aiiifl. insirifit.
Aient, lom. III ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 245
jbablement là ce que Strabon a voulu dire ; mais il auroit
dû s'exprimer plus clairement.
Avant de rechercher quelles ctoient les fonctions par-
ticulières à chacune de ces deux classes , J'essaierai d'é-
ciaircir les textes relatifs au rang et aux prérogatives de
chacune d'elles dans l'assemblée.
Charles de Valois a fait voir, et tous les savans ont
reconnu après lui , que l'assemblée ctoit présidée par un
hiéromnénwii , qui comptoit les suffrages et qui convoquoit
l'assemblée.
Un texte d'Hésychiuset du Grand Étymologiste semble
ici faire difficulté : 'sniAct-ppctf , oî 'wfoiqSnn'; tyic, tw^c/lUç , Heychms,vocc
disent ces lexicographes. Ce sont deux témoignages qu'il ni>Aa5^/!a<.£y>
01 c> o X. m, 'li'i^.magn. ca-
ne faut pas mettre de côté, comme l'a fait Charles de 'à»i ,vce.
Valois ; car ils sont d'accord avec celui d'Eschine, qui,
ïiommant les députés ampiiictyoniques, place les pylagores
en tête et les hiéromnémons à la suite.
Une difficulté du même genre, mais plus grande en-
core, est celle que présente le texte de deux décrets am-
phictyoniques rapportés par Démosthène. Le premier est
ainsi conçu : 'Eth lipéuiç, KAsiVit'pp'i^ , iac/pmc, Tn^Xcaion , '^"["g'^^'li^''
c'est-à-dire: " Sous la prêtrise de Clinagoras, l'assemblée
>' étant celle du printemps, il a plu aux pylagores et aux
» synèdres des amphictyons . ...» La teneur du second
est à peu près la même , excepté qu'après les synèdres des '-i-^'". p- -7-'^.
tutiphictyotis , on lit, Kctj to jouvw t ût/^'Cpix.Tt/ovwv (i).
.^iiprii, y. 24 j.
Dcnwsih. de
. uli.Ct ZJ'j^l. I.
(1) Reiske et Harles ont placé
également ces mots dans le texte du
premier décret; je pense qu'ils ont eu
tort. J'explique plus bas (ydg. 2^8)
d'où vient cette différence dans te
protocole des deux décrets.
2.i(i Mr.MOIRES DE L'ACADÉMIE
Dans ces deux Jccreis , il n'est luillement question des
///Vn)/«/;mo//^; or n'est-il pas tout-à fait extraordinaire tjiic
l'une des deux principales classes ne paroisse point , tandis
(ju'on y trouve nommée la troisième classe des dcpiitcs cjui
n'avoient pas droit desurfrage, comme je le dirai liientôtî
SaiHir- Croix. Les conjectures que tait ici M. de Sainte-Croix , ne me
Cour./tJtr.tlih. . . • r • /-» i i • ' '
f>ag./f. paroissent point satisfaisantes : « Ou les nicromncmons,
" dit-il , n'avoient point de voix, ou ils se retiroient après
» avoir fait leur dénonciation , ou enfin ils n'ctoient plus
" comptes que parmi les pylagores , lorsqu'on se trouvoit
» aujuomenlde délibérer. >» Il seroit trop long de montrer
toutes les raisons qui empêchent d'admettre aucune de ces
conjectures: j'aime mieux exposer l'opinion qui m'a paru
ressortir naturellement de la comparaison de tous les laits.
Les deux difficultés à lever sont celles-ci :
I ."• L'hiéromnémon présidoit l'assemblée, et cepen-
dant les pylagores sont qualifiés de c/re/s de cette tissemblée,
'Ofoiq^Tii T7)4 7rV/\ef.laLi.
1 ** Les liiéromnémons ne paroissent pour rien dans les
délibérations , et cependant c'étoit l'une des deux classes
principales.
La solution repose sur un seul fait (ju'il s'agit de bien
établir : c'est que le corps des hiéromnémons, ainsi que
l'hiéromnémon président, sont nommés dans le texte de
ces décrets, mais sous un autre nom; ce (]ui a empcclié
de les rec^nnnître.
Je commence par la formule èvri tepéui<i KAgivct^/)».
Humpliryd Frideaux croit que \*ar lepivç. il faut entendre
le pontife de Delphes ; Van-Dale et Charles de Valois
pensent que ce titre désigne l'hiéromnémon : ce dernier
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 247
voudroit même corriger le texte, et lire leç^fA-VYi/uovot^aii lieu
de kficoç, , correction bien difficile à admettre , parce
qu'il faiidroit la faire subir à deux passages à-la-fois. Ces Acad. immpi.
I . . . ^ j- , ■ '""■ /^/. V'S-
deux opinions, quoique contradictoires en apparence, cofi- j,,
duisent cependant par leur réunion à la solution de la
difficulté.
Celle de Van-Dale et de Charles de Valois est fondée
sur d'autres passages, où le décret amphictyonique porte
le nom de i'hiéromnéinon en charge; et, dans ce cas, on
voit que gvn 'lepéa/; est synonyme <le éva h^fA-vri/ucvoi.
L'opinion d'Humphryd Prideaux est appuyée sur ce que
le mot lepeut; ne peut, dit- il, s'appliquer qu'au prêtre de
Delphes.
11 est singulier que Prideaux n'ait pas fait le dernier
pas, qui l'auroit conduit à une explication complète : il
suffisoit d'imaginer que le pontife de Delphes étoit alors
hiéromnémon, et présldoit l'assemblée.
En effet, selon les lexicographes Suidas , Photius et
Zonaras, tout peuple amphictyonique envoyoit un hiéro-
mnémon à rassemblée(i), et nous savons que cette assem-
blée étoit présidée par v\n de ces hiéromnémons : il est
donc naturel d'admettre que chaque peuple avoit à son tour
l'honneur de la présidence ; aucun texte ne s'y oppose , et
cela est entièrement de l'essence de l'assemblée amphic-
tyonique, où, selon le témoignage d'Eschine , les droits de
la plus foible nation étoient égaux à ceux de la plus puis-
sante (2). C'est d'ailleurs ce qui résulte d'une inscription
rapportée par Cyriaqued'Ancône et reproduite par Gruter ,
JlÀ.i-n^)STCilV.
.UtyiÇlV Tû) i\aTovi.
xà-Po
24S MKMOIRES DE L'ACADÉMIE
Reinesius, Van-Dale, Marsham, Muratori, Taylor, Corsini,
n.'J»ill.Tour F.ckhel, Sestini, &c. , gravée sur un excJre à Delphes, et
!«/./.;.. /y.v dont le commencement des deux premières lignes sub-
siste encore. Au temps de Cyriaijue d'Ancône, elle ctoit
entière ; voici comment il l'a donnée:
J»scri}M. f. .V.-. ^ , , . -^ ' j J' ' / \
Actu.f*'vo$.
C'est-à-dire:
[Cet édifice a été construit] Aristngoras étant archonte à
Delphes, l'assemblée étant celle du printemps , les Etoliens exer-
çant l'hiéromnémonie; Alexamène, fils de Damon , étant polé-
marque.
M, de Sainte -Croix rapporte cette inscription à fa
première année de la CLX,*^ olympiade, i4o ans avant
SMutt-Crvix, J. C. ; et il en conclut que les Etoliens s'étoient arrogé
riiiéromnémonie à Delphes : cette opinion me paroît
fort vraisemblable. J ajoute que, par les mots A/twASv
ieç^u.vrfjU)vvÇ]ci>v , les Etoliens ont probablement fait allu-
sion à la formule consacrée parmi les nations amphic-
tyoniques, et qui consistoit sans doute à indicjiier, dans les
décrets de chaque'année , le nom du peuple dont l'hiéro-
mnémon présidoit l'assemblée; de même (jue l'o» mettoit
dans ces décrets, par exemple, Boio-rai , ou Aut^eav, vu
'lûvciii l'e^M.vr^vw'y'îwy. Ainsi les Ktoliens , pendant le
temps de leur usurpation , auront voulu, à l'exemple des
autres Grecs, employer inie formule qui attestoit l'honneur
dont ils jouissoient à leur tour.
(i) Au lieude Am^c^'iv, M. Dodwcll a lu AM^iu/f^.
Ainsi
f>^.6f.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 249
Ainsi , dans l'annce à laquelle se rapportent les décrets
cités par Démosthène, il a pu se faire que ce fût au tour
des Deiphiens à jouir de l'hiéromnéinonie, et que le choix
fût tombé sur le pontife du temple. ^
De cette manière s'expliqueroil naturellement la formule
g7n /epéa>^ KAsii/ct^g^iii ; et l'on conçoit en effet que l'emploi ,
par excellence, d'une semblable formule, qui ne pouvoit
s'appliquer qu'au pontife de Delphes, rendoit tout-à-fait
inutiles les mots AeAcpwv jg^yM.vn^cis'V/wv, dont on seseroit
probablement servi dans tout autre cas, comme on est en
droit de le conclure de l'inscription rapportée plus haut.
Cette explication de la formule èvr\ lepéac, fait déjàdis-
paroîtreune des principales difficultés; car on voit qu'il est
réellement question de \' hiéromnémon en tête du décret.
II ne reste plus qu'à savoir pourquoi le corps des hié-
romnémons n'y paroît point.
Charles de Valois soupçonnoit que les hiéromnémons Aù-j. inuript.
y étoient désignés par le mot de synèdres. La raison qu'il "l"^' ' '"'"'
donne-de cette idée est si peu naturelle , qu'elle a empêché
M. de Sainte-Croix de l'adopter : en mettant de côté l'ex-
plication ,et en ne considérant que l'opinion en elle-même,
je trouve qu'elle est très-fondée, et, à vrai dire, la seule
capable de rendre compte de plusieurs difficultés à-la-fois.
Pour s'en convaincre, il faut rapprocher le texte du
décret d'un passage d'Eschine déjà cité. Selon cet auteur,
l'assemblée [ o«.KA«cnct, ] des amphictyons se composoit, et
remarquons bien l'ordre, i ."^ des pylagores ; z." des hié-
romnémons ; 3.° des théores , qu'Eschine désigne ainsi :
01 cn/v^vovTîi; tcct^ ■^ujULîvoi tS déco.
Maintenant voici le décret : « Il a plu aux pylagores,
Tome VI. I'
25 o Ml, MOIRES Dr i:\CADi..\UE
•» aiix"synctlres , et au commun Jes ainphictyons, Je &c. >>
11 'faut observer,
I.'' Q.iie le^ liiéroinncinnns iic soin point nK-iiti-'unc-s
dans ce ^décret ;
2." Que les syncdres du décret correspondent précisé-
ment, dans l'ordre, aux hicromnémons du passage d'Es-
cliine;
j." Qiie les espressinns t£ jwivoï t eLixÇiit,xjovcù\ ré-
pondent à la troisième classe de députés , savoir, aux
tliéores, qu'Esciiine appelle «ruvSuov/eç , c'est-à-dire, co-
sdcrifitins (et M. de Sainte-Croix lui-mcme reconnoît
ailleurs les théores dans cette troisième classe);
4." Qu'en conséquence, si l'on N'eut faire des synèdres
une classe à part, il en résultera quatre classes de députés, ce
qui met les deux textes en contradiction l'un avec l'autre;
5." Que si, au contraire, on admet l'identité des hiéro-
mnémons et des synèdres , tout s'explique: or il est à remar-
quer que le mot syncdres. qui signifie ceux ijiii sic'i^cnt en-
semble (avec égalité de droit], est entièrement propre à
désigner les hiéromnémons , n. l'exclusion de la troisième
classe, puisque seuls ils Jouissoient, avec les pylagores ,
ilii droit-de suffrage, et qu'en conséquence le mot £rvve</)oO(
ne pouvoit convenir tju'à eux seuls, La seconde classe de
députés étnit ilonc désignée par un double nom, hiéromné-
mons et svnèdres . comme la troisième l'étoit par trois noms
ditfércns,, jw/vov atatpix t^onoiv , dsu'çQi et coivCoovg^ ; et ce
«ni .icliève de dissiper à cet é^artl tous les doutes, c'est
T/ uti passage de I.ibanius, aucjuel on n'a point fait attention,
f , ., et qui est ainsi con(,u : 'O le^uvruui i\i-)<'Tt ô •ntu.'7n[/.(\oc,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LET 1RES. 251
On fait ainsi disparoître la seconde difficulté, qui con-
sistoit en ce que les hiéromnémons sembloient n'avoir été
pour rien dans les délibérations.
Il s ensuit que , dans le décret, dansEschine, Hcsychius
et le Grand Etymoiogiste , que par- tout enfin les hiéro-
mnémons, comme je l'ai dit, ne passent qu'après les py-
lagores , quoique ce fût un hiéromnémon qui présidât
l'assemblée. Ce fait nous révèle une disposition remar-
quable.
D'une part, les pylagores avoient la prééminence sur
les hiéromnémons.
De l'autre, c'étoit parmi les hiéromnémons , placés au
second rang, que l'on choisissoit le président de l'as-
semblée. Ainsi les avantages ét'oient compensés : par ce
moyen , on ne laissoit aux pylagores qu'une partie de leur
prééminence, on empcchéS't l'influence trop grande qu'ils
auroient pu prendre , et l'on rendoit en mcme temps
hommage au ministère sacré dont les hiéromnémons
étoient investis.
Dès -lors il convient de changer la classification des
députés donnée par M. de Sainte-Croix : au lieu des
pylagores, des hiéromnémons et des synèclres, il faudra
dire \es pylagores , les hiéromnémons ou synèdres , les théores
ou cosûcrifiiVis , le commun des timphictyons.
Je vais maintenant déterminer les attributions parti-
culières à chacune de ces trois classes. Pour prouver que
ce travail n'est point inutile, et qive la matière est encore
for^t obscure, il me suffira de dire que M. Larcher, même /'"•'/' "-ad.
après la publica-tion de I ouvrage de M. de Sainte-Croix, pag. 272.
regardoit encore les fonctions. des;pylagores comme les
2,2 MK.MOIRnS DE I.'ACADEMIE
nitmes que celles des hitroinncinons, et cependant elles
ctolent bien différentes.
M. Je Sainte-Croix a distingue les deux attributions
de l'assemblée am|iliiityonique : l'une étoit l'ailministration
du temple et des trésors de Delphes; et l'autre, le maintien
de tout ce (jm' concernoit le droit public de la Grèce. Elles
sont en effet clairement indiquées toutes deux dans le
serment (|ue faisoient les membres de l'assemblée.
Or des autorités positives me paroissent établir que cette
distinction peut s'appliquer aux fonctions des deux pre-
mières classes de députés; c'est-à-dire, que l'une étoit char-
gée des affaires politiques, l'autre des affaires religieuses.
Ainsi les pylagores s'occiipoient exclusivement de toutes
les questions de droit public ; ils récompensoient les ser-
vices rendus, à la Grèce, condamnoient à des amendes
les peuples qui violoient le droit des gens. Les auteurs
distinguent assez rarement les opérations de chaque classe
en particulier, et les reprébcntent en général comme celles
de l'assemblée tout entière ; cependant la distinction cjuc
j'établis ici ne dérive pas simplement, par voie d'exclusion,
de ce que je dirai des hiéromnémons : il existe un passage
d'Hérbdotc, qui me semble à cet égard décisil ; on le trouve
à l'endroit où l'historien raconte les poursuites que les am-
phictyons firent contre P.phialtès , qui avoii indiqué aux
Perses le sentier de montagne par lequel ils tournèrent les
Grecs î»iix Thermopyles. Hérodote dit que la tête du perfide
Hrr»./ Il/, fut mise à prix par [gs pyLignres :KeLf oi (^u^vTj.ÛTre t 7rt/;\gt-
CAov èTTiKupvydr^ : c'est-à-dire , " Les amphictyons s'étant for-
» mes en assemblée générale, les pylagores mirent h prix
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 255
>> la tète d'Éphialtès, qui s'étoit enfui. » Remarquons cette
distinction entre les amphictyons et les pyla^ores : l'intention
de l'historien est d'autant plus évidente, qu'il pouvoit se
e mettre y-cuf 01 (pvp^Tl, utto t (XM.^/>ciwov«v £iç
TJ)!/ TrvP^icvi av^e-p/uivciv, "^yvpiov è7nKnpv^9v. Dans un
autre passage, au chapitre suivant, il s'exprime de la
même manière : otî 0/ t 'EMvivwv 7W?\g.')3ç^[ i7nxripv^J\»j — f.,^^^j ^.,,_
"^yjpiov — Ê7n 'EthocAt); TO Tpp^/v/o). Ces passages prou- -'^■
vent que , quoiqu'en générai les opérations du conseil ,
quelle qu'en fût la nature , fussent censées émanées de
l'assemblée entière, sans distinction de classes, cependant
il arrivoit que, dans des circonstances fort importantes,
on voyoit paroître isolément la classe , soit des pyla-
gores , soit des hiéromnémons, qui avoit dû particulière-
ment dénoncer , poursuivre l'affaire , et en presser la
décision.
C'est ce qui deviendra évident par les textes que je
vais rassembler pour prouver que les hiéromnémons
ctoient chargés spécialement des affaires religieuses.
Lorsque les amphictyons décidèrent que l'on devoit
s'emparer du territoire de Cirrha , regardé comme consacré
à Apollon , et que les Locriens d'Amphissa avoient mis
en culture, ce furent les hiéromnémons qui proposèrent le
décret: Tot;^ leç^f^)iyi/j.o)ioiç Tnidei 'J^vcpiaztodtxj 7n.ç^U/\.^è7i AvnosM. rfir
\ / Coioiia, V. -'77,
En parlant d'un fait analogue, Diodore s'exprime
comme Déniosthène. Les Phocéens , condamnés à une
amende au profit du trésor de Delphes, ne consentoient
pas à la payer. Les hiéromnémons , dit cet historien , accu-
sèrent les Phocéens, dans l'assemblée des amphictyons,
2;4 MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
el se dccidcrent à confisquer leur territoire au profit
d'Apollon , si ce peuple persistoit à ne point payer
l'amende qu'il devoit au temple (i). On peut citer encore,
//ij.T/.f -I/.W à ce sujet , une inscription du temps des empereurs , où il
/W...//././/. ' . ' ,., ■,,,.. ...
pag.s'i. est question (autant qu il est possible d en jugtr dapics
l'état de la pierre) d'un différend entre les Anticyréens et
les Delpliiens, relatif à une fixation de limites. On v voit
que la décision qui tend à fixer les droits respi-ctits des
i\K:\.\\ peuples, 1 un avec l'autre, par rapport au terrain
sacré, consecrata regio , est rendue par les liicromnémoiis.
il résulte de ces passages que les hiéromnémons fai-
soient, en ce qui concernoit la religion, ce que les pyla-
gores Idisoient pour les affaires de droit public, c'est-à-
dire, qu'ils dénonçoient les délits, et proposoient les dé-
crets qui en ordonnoient la punition.
il existe un passage d'Eschine fort curieux , et qui nous
amène au même point , en ce qu'il fait \oir que , quand
l'assemblée jugeoit un décret nécessaire sur une matière
religieuse, elle arrctoit (juc les hiéromnémons seroient
requis de le lui présenter. «> Les amphictyons, ilit cet
» orateur, arrêtent que les hiéromnémons doivent se
» rendre à la pvlée suivante, et au temps prescrit, en
" apportant un décret qui déclare que les Amphissiens
'■ doivent payer la peine des délits dont ils se sont rendus
" coupables envers le dieu et les amphictyons {2)."
• C'est enfin de cette manière qu'il faut interpréter un
(l) 'Ou« ônmiit']û>t </l' ai/T&'r in
i/^ior nÇiVr, i<u fjui m ^rfÀola V/f diâ<
(ytM à-mçtfv/.ut T ^loc. ( Diod. Sic.
■VI /, Jj^)
Tn/fiaiajÇ c» ^»iT4» ^^*(f, t;>|«»'nw /«j^a,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 255 -^
autre passage du même orateur, dont Charles de Valois
me paroît avoir fait une fausse application. «Sous l'ar- â^sMu. de
» chontat de Thcophraste, dit Eschine, Diognète d'Ana- /'^^' '^ '' '■''
» phiyste étant hicromnémon , vous choisîtes pour pyla-
» gores Midias. . . . , Thrasiciès et moi. A peine
» étions-nous arrivés à Delphes, que l'hiéromnémon tomba
» malade de la fièvre .... ce qui n'empêcha pas les autres
» amphictyons de s'assembler. Quelques-uns d'entre eux,
» voulant témoigner leur affection pour Athènes , nous
» apprirent que les Amphissiens , livrés alors et tout-à-
» fait dévoués aux Thébains, avoient proposé un décret
'» tendant à faire condamner notre ville à payer cinquante
" talens , parce que nous avions appendu les boucliers
» d'or dans le nouveau temple , avant qu'il eût été con-
» sacré par les cérémonies d'usage L'hiéro-
» mnémon me fit venir, et me dit qu'il jugeoit à propos
» que j'entrasse dans le conseil pour prendre la défense
» d'Athènes (i). '» Le sujet sur Jequel il convenoit de parler
avoit trait à la religion ; conséquemment c'étoit Thiéro-
mnémon qui devoit prendre la parole : mais la fièvre l'em-
pêchoit de participer aux délibérations ; il fit venir l'un
des pylagores, et lui donna l'autorisation de parler pour
lui : sans cela, le pylagore n'iiuroit probablement pas osé
empiéter , sur les prérogatives de l'hiéromnémonie en se
mêlant d'une affaire religieuse qui n'étoit point dans ses
attributions.
«' iiç T Sitv, É Tvy ym rny kççiiv i. T6ç
aupDiivovou; î^vi/juLp-nv . (/Eschin. </,•
Fais. Leg. Tp. yi , l. 12.)
(1) MnaTnfA.-l.a,ukyoç Si /uui o !i^-
■TvKio'ç. (.-tschin. Fais. Leg. pag.yo ,
L 6, ,q. )
2^6 MEMOIRES DE L'ACADKMIE
Cle passage, joint aux prcccJens, met hors de cloute la
nature des fonctions des hicromnt'inons et des pylai^ores.
On voit que les Iiicroninc'monsctoient proprement, dans
le conseil, les Siicwruni cunitores ; et ce titre convient à
toutes les attributions données à l'hicromncmon par les
sclioliastes : chacun d'eux rappelle une de celles dont ce
magistrat suprême rcunissoit la totalité.
Ainsi c'est avec raison que le scholiaste d'Aristophane
,Si!.oi ArUiopi,. dit qu'il examinoit les dépenses du temple de Delphes ;
que le même scholiaste assure qu'il régloit le temps et
l'ordre des sacrifices ( i ) "> ^t je ne doute point, quant à
moi, qu'il ne fi.u chargé d'examiner, à chaque session, la
gestion des intendans, de garder le temple de Delphes et
les objets sacrés qu'il renfermoit : nous savons en effet, par
Strabon, que c'étoit là un des devoirs de l'assemblée des
amphictyons (2),
Une qualification donnée à ces magistrats suprêmes par
Hésvchius, le Lexique de Timée, Suidas, Zonaras, Photius,
a beaucoup embarrassé les critiques: c'est celle de ')^a.fxua.-
TÎ14 ou iiç^y^(Ltjiima.TCic,. M. de Sainte-Croix, qui eniciul
par ces mots les greniers de l\isscmblée . trouve cette fonc-
tion incompatible avec le caractère des hiéromnémons.
Corid. Stpos , Mais il falloit remarquer que, chez les Grecs, le mot
in Ekmm. i.j , , ' i- •.' c ■
yfa.fA.^Tivç sentendoit souvent dune dignité tort im-
portante : on le trouve- sur des médailles; et une inscrip-
nu ^tu' r uif.ùt ri .S». (Scliol. ArlJIoph.
(2) Kdf Jn tjii 71 ajttit'vttitùr «v
mua >» T»T* »vnTn;ç>i, inti n r ui-
tùr livK&jnutnt , Ktu n itfi Wr 1 7f/u* -
M/a* i^cr iir;ie»ca> ' a tx i. ^ruAtat
Aamr Koi a><n«U JUfJUkfut f**yt>^r(.
( Strab. IX ,. pa^. 420. )
tion
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 257
tl.m rapportée par Miiratori nous offre un personnage
qualifié de y^ct/ujucL'nvt; x.<xf daia-pyri. On conçoit, d'après Alur.vor.inscr.
cette seule observation, que les lexicographes ont pu ne
pas regarder ce titre comme au-dessous de ia dignité de
l'hiéromnémonie ; mais on peut trouver à cette qualification
une origine plus appropriée à l'opinion que noiis devons
nous fiiire de l'hiéromnémonie amphictyonique. Je crois
que ces lexicographes, ou du moins les auteurs où ils ont
puisé, ont prétendu désigner par le mot leçyyi^/ufxciTiTç
une haute dignité sacerdotale. Voici de quelle manière.
Dès le troisième siècle avant J. C. , plusieurs expres-
sions détournées à Alexandrie de leur sens naturel avoient
passé dans la langue Grecque ; quelques-unes dévoient
provenir sur-tout du mélange des usages et des religioiis;
elles dévoient se rencontrer souvent sous la plume des
grammairiens et des scholiastes, dont un si grand nombre
écrivirent à Alexandrie. Or nous savons que les auteurs
Alexandrins ont employé le mot /êg^^ct/x^ctTîuç ou
■^oL/ujudLTivç pour désigner l'hiérophante, le grand-prêtre,
parce qu'en effet ce titre appartenoit au premier rang
dans la hiérarchie Égyptienne. Ainsi Manéthon s'inti- /i.'<vu-rh. uA
tule ^}^iepevi Kctj y^a.fxjxa.^m)^ r y^r Kiyj'rr'u») lepav ap. Syncdi. pag.
à,S\jitù^. Josèphe donne également le nom de leQ^-^ct/A,- '''''•^'
fxaL.erjç à u'n grand-prctre; il en est de même d'Eusèbe de -''«'7'/'- '"«"''
C/ / \ 1 • ^ I I I ' Avion, l, cnp.
esaree (i). La raison en est probablement que par a^- xxxii.
yç.cLfj.jxa.'Wjc, les Egyptiens entendoient, jion-seulement le
dcpositaire des écritures sacrées , comme on le voit dans CUmnit. Sm-
Ciément d'Alexandrie , mais encore celui qui avoit fait 4;y\'up!,'tin%'
(l) O oVouauSt/f /srap' eunc7ç (scil.
-^c^x/juiLTcvc. ( Euseb. Prœpar. n-ang.
p. ^i, C.)
Tome VI. K'
2}S MF.VIOIIŒS DE LACADKMIE
une étude approfondie de tout ce (jue contenoicnt ces écri-
tures ; et celte coiinoissance devojt être sur-tout le j>artage
du grand -prêtre : c'est peut-être pour cette raison (jue
Diodore de Sicile donne le titre de kçy^a.fÀ./A.x'nv^ à
Hermès Trismégiste ( i ).
Après avoir explicjuc la nature de l'hicromnémonie
ainpiiictyonicjue , je passe à la troisième et tlernière classe
des députes : la solution des diflîcultés que j'ai rencontrées
jusqu'ici, me servira pour celles que je dois rencontrer
encore.
M. de Sainte-Croix pense qu'ils n'avoient point voix
délibérative , et cpiils ne jouissoient point des mêmes
droits que les autres. Cette opinion est vraie dans un sens ;
mais elle a besoin d'être modifiée, comme on va le voir.
li faut se rappeler la formule des deux décrets rapportés
plus haut.
Le premier porte :
•• Il a plu aux pylagores et aux synèdres (c'est-à-dire,
" aux hiéromnémons) de . . . »
On lit dans le second :
Supr., . ,, j.j ^ ■■ il a plu aux pylagores, aux synèdres, et au com-
" mun des ampliictyons (c'est-ià-dire, aux //;/orrj), de. . . -
Ces deux formules annoncent l'existence de tletix es-
pèces d'assemblées : l'une composée des pylagores et des
hiéromnémons seulement; l'autre composée en outre des
théores , (jui prenoient part à la délibération, puisque la
formule des arrêts rendus portoit, // </ plu <nix thcorcs. Ils
avoient donc voix délibérative dans certains cas.
(l) K«9ba« 3 T»f «le» WF 'On(A* I 'ounuaviiri'aaj , lu» fuiSK^a. p^^ th
tÎtcf I>«r70< npvjft^jifxa\atiinu"amû \ T\n}i nfiÇtyia. {Uiod. OlC. /, J. i6.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 259
Cette observation, qvii résulte de la comparaison des
deux formules , se trouve appuyée par le passage d'Eschine .V^h />. 2j;-
cité plus haut: " On dit qu'il y a nssemblée [fx-z^rtna] ,
» lorsque non -seulement les pylagores et les hiéromné-
» mons, mais en outre les théores , sont réunis. » De ce
passage on infère qu'il y avoit une réunion composée seu-
lement des pylagores et des hiéromnémons. Icf s'applique
une distinction ingénieuse, proposée par Adrien de Valois,
et qui ressort tout naturellement des rapprochemens qui
précèdent : ce savant distingue i'eccle'sie, formée de la réu-
nion des trois classes, et le synedriuni , composé seulement
des deux premières. Cette opinion s'appuie encore de la
dénomination caractéristique de synèdres , donnée aux hié-
romnémons , à l'exclusion des théores.
Dès-lors on conçoit que le premier des décrets que je
viens de citer, étoit émané d'un synedriuni, et que le se-
cond avoit été rendu par une ecde'sie; il ne s'agit plus que
de reconnoître en quoi consiste la différence des attribu-
tions de ces deux espèces d'assemblées.
Il est d'abord naturel de penser que tous les objets dont
les amp/iictyons avoient à s'occuper, n'avoient pas la même
importance ; il en étoit sans doute sur lesquels la délibéra-
tion devoit être tenue plus secrète. Dans ce cas, on conçoit
que les théores , dont le nombre non limité devoit être
fort considérable , fussent exclus de l'assemblée ; les deux
premières classes seules prenoient part à la délibération :
il y avoit alors synedriuni. Dans les autres cas, les théores
étoient appelés à délibérer comme les autres , c'est-à-dire
que r///VVo/«/;//7/o/; président convoquoit ïccc/esie. Mais quels
etoient ces cas!
K' ij
z6o MEMOIRES DL L ACADEMIE
Piiitarqiie nous apprenJ (jut- les thcores qu'Athènes
et probablement les autres villes envoyoient à Delphes et
à Olympie, étoient charges de faire aux dieux des sacri-
lîces pour leurs villes respectives : leur ministère c'toit
donc purement religieux. Ce témoignage est conlirmc
par les expressions qu'Eschine emploie pour les designer,
crvvjûoyle^ ^ ■^ûfjLevoi TO Ôeî. Il s'ensuit (|ue les assem-
blées où ils ctoient admis, dévoient avoir uniquement
p. )ur objet des questions de police religieuse, pour les-
quelles ils ctoient compctens, comme les hicromncmons;
et nous voyons, en effet, que, dans la circonstance, où il
y eut ecclcsic , selon Eschine , l'objet de la délibération
étoit de prendre une détermination sur le compte des
Amphissiens, qui n'avoient pas respecté le terrain consacré
à Apollon. Cet exemple nous montre dans quels cas 17//V-
romiicmon convoquoit i'eccle'sic ; car on a tout lieu de pré-
sumer que c'étoit à lui qu'appartenoit le droit de décider
laquelle des deux assemblées il étoit convenable de con-
voquer, dans telle ou telle circonstance.
Cet exanien des textes relatifs à la mission des thcores
nous fait reconnoître une disposition remarquable dans
l'assemblée des amphictyons, en même temps qu'il achève
de déterminer les attributions de chacune des trois classes
de députés, avec autant de précision que permet de le faire
le petit nombre des renseignemens qui nous restent.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. -6x
MÉMOIRE
SUR CETTE QUESTION:
Les Anciens ont -Us exécuté une Mesure de la
Terre postérieurement à rétablissement de l'Ecole
d'A lexandrie /
Par m. LETRONNE.
« J_y u moment où l'homme eut reconnu la sphéricité du i.u ic 50 Mai
-^ globe, sa curiosité dut le porter à en mesurer les dimen- '^''^"
» sions. Les rapports que plusieurs mesures de la plus
» haute antiquité ont entre elles et avec la circonférence de
» la terre, semblent indiquer non-seulement que, dans
» des temps fort anciens , cette mesure a été exactement
» connue, mais qu'elle a servi de base à un système
» complet de mesures dont on retrouve des vestiges en
" Egypte ^t dans l'Asie. »
Ainsi s'exprime l'auteur de la Mécanique céleste, dans Tom. v, pag.
ses Leçons à l'école normale. L'Académie a entendu ré- -"^''«'''^"'■''•^
cemmentja lecture du Mémoire où M. Gossellin s'est hn^n-mé ./,„»
attaché à rassembler les preuves qui lui paroissent établir "'"'""" '^'•'^^•
qu'en effet les systèmes métriques des principaux peuples
de l'antiquité étoient fondés sur ces grandes mesures de
la terre, lesquelles même, selon lui, doivent se rattacher
a une mesure unique , dont elles ne sont que des modifi-
cations diverses.
202 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Je ne viens point reprendre une question dont ce profond
géographe a rattaclic les ramifications nombreuses à une
tige commune : je ne me propose que de soumettre à un
examen nouveau quelques-uns des faits positifs qui doivent
en constituer les tlcmens ; et, par exemple , de reciiercher
et de discuter toutes les circonstances du récit que les au-
teurs anciens ont fait de certaines opérations, d'où il a paru
résulter que les astronomes de l'école d'Alexandrie avoient,
à plusieurs reprises, tenté une mesure d'un arc du méri-
ilien pour en conclure la grandeur du globe.
L'objet qui fixera principalement mon attention , est
la mesure de la terre attribuée à Eratosthcne, parce que
c'est celle qui nous est connue avec le plus de détails, et
qui forme la base des systèmes géographiques d'Eratos-
thène et dHipparque. Cette mesure a été bien souvent
discutée par les modernes , depuis Riccioli jusqu à M. De-
jamhre : ils se sont attachés presque tous à prouver qu'elle
avoit dû être prodigieusement inexacte; et, à cet égard,
ils ont eu pleinement raison. De la Nau/.c , le digne
émule de Fréret , et d'Anville, entre autres, ont consi-
déré celte mesure principalement dans son rapport avec
la géographie de i'L.gyptc; mais , comme on ignoroit alors
la position exacte de Syéné et d'Alexandrie , les deux
points extrêmes de cette contrée, il étoit diliiciie (]ue les
recherches de ces savans eussent, dès cette épn(|ue , une
base bien solide.
Mes observations sut cette matière seront entièrement
dirtlrentes de celles qu'on a faites juscju'ici : car ce ne sont
pas iti» résultats prol)ables de l'opération d'Ératosthène
dont je prétends m'occuper; à cet égard, il reste trop peu
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 265
de choses à dire : c'est l'opération en elle-même, ce sont
les élémens dont elle se compose, que j'ai cru devoir sou-
mettre à l'analyse d'une critique rigoureuse, pour tâcher
de décider si elle a été réellement exécutée , ou si ce
n'est qu'une ancienne mesure , dont Eratosthène et ses
successeurs ont fait un usage plus ou moins judicieux.
Je me permettrai de le dire ici : en cette question , comme
en beaucoup d'autres, on a peut-être admis les faits trop
sur parole ; le témoignage de Cléomède , le seul auteur
qui nous fournisse les renseignemens dont nous puissions
nous servir , a été adopté sans avoir été soumis à un
examen suffisant; et l'on n'a point senti , autant qu'on
l'auroit dû, combien il importoit de constater la pureté
de la source unique où l'on devoit puiser. Dans l'état actuel
de cette question délicate , c'est une discussion sévère de
ce témoignage qui peut seule conduire à quelque résultat
positif: car, s'il est démontré que Cléomède s'est trompé
presque sur tous les points , si l'analyse même de son
texte fait voir quelle a été l'origine de son erreur, enfin
si la connoissance exacte que nous avons de la position
des principaux points de l'Egypte, nous met en état de
reconnoître que les philosophes de l'école d'Alexandrie ,
et, en particulier, Eratosthène, n'ont pu conclure des opé-
rations qu'on leur prête, les mesures qu'on leur attribue,
il faudra bien convenir, ou que ces opérations n'ont point
été faites, ou que les résultats en ont été supposés; et, dans
ies deux cas, que les mesures données comme en étant
déduites, ou comme devant s'y rattacher, sont d'une époque
antérieure à l'établissement de cette école fameuse.
2<54 MKMOIRES DE L'ACADKMIE
SECTION FREMII RE.
De Cléomcde et de son Ouvrage.
J Al Jit que Clcomcclc est le seul auteur tjui nous four-
nisse des reiiseignemens précis et Jctaillts sur la mesure
de la terre par Lratnsihcne : on lui doit encore tout ce
qu'on sait d'une autre mesure attribuée à Posidonius , et
d'une troisième, dont je parlerai plus bas. C'est donc sur
son témoignage unique que reposent les principaux élé-
mens de la (juestion que je vais discuter : il importe,
en conséquence, de se faire une idée juste de lépoque à
laquelle il a vécu, et du pays où il écrivoit. Il seroit
difficile , autrement, de savoir quelles chances d'erreur
peut offrir son tciiioignage. C'est ce dont je vais m'occu-
per d'abord.
Les biographes ont déjà beaucoup parlé de cet écrivain.
M. Delambre est toutefois celui (jui a rassemblé a cet
égard le plus de renseignemens , dans un très-bon article
de la Biographie universelle et dans son Histoire de l'iistro-
iioniie ancienne. Je ne répéterai point ce qu'il a dit : je
dirai seidement ce que je n'ai trouvé nulle part, ailleurs
i;, „„,""'" '.;^, que dans l'ouvrage même de Cléomètle ; et encore nie
m. 11.
/: ■ ■
III. .,. bornerai-je à ce qui va directement à mon but. Cléomède,
auteur île l'ouvrage intitule KintAixw 0é«/)/oc ^mûpu\ , est
un compilateur dont du a ignoré jusqu'ici le pjiyset l'é-
fj.Hiri- poque. Les uns, comme Gaspar Peucer et.Vossius" , le
'• Om.im.j;! lift, i- . ■ , I !•■ I ' • • •!
lom.t.p -04. '""t descendre jusqu en 4^7 de I cre chrciienne ; majs ils
./"^ ..',":',' ne disent point par quelle raison , et il n'est pas facile de
r'f- le deviner: d'autre^ , tels (|ue Saxius'' et Sainte-Croix' ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 265
le placent au second siècle de J. C. ; j'ignore également sur
quelle autorité.
Selon l'opinion la plus généralement adoptée, l'époque naiily.Asnou.
, , . . , . . , .^ / I) A mod.Lil. II , r.
de cet écrivain doit remonter jusqu au siccle a Auguste. j,,-[M,:mhY,
La raison sur laquelle on se fonde pour le placer avant [j'^^' ^,l._ ' f\
Ptolémée, c'est qu'il n'a point parlé de cet astronome. r"g- -'^, •/''"'''■
, ' * ^ _ CItomede, Bh-
Cette raison est plus spécieuse que solide : en effet, dans gnifLunir.wm.
le cas où Cléomcde n'auroit jamais été à Alexandrie, il ,^/ ,. »• •^''
se pourroit fort bien qu'il n'eût point eu connoissance de
Ptolémée, quoiqu'il eût vécu long-temps après lui. C'est
ainsi que l'auteur du Poëtico/i ûstrono/nicou, attribué kHy^in ,
parle beaucoup d'Eratosthène , et ne dit pas un motd'Hip-
parque : en conclura- 1- on qu'il a vécu avant cet astro-
nome? La conclusion seroit fausse. De mêmeProclus, qui
a composé un commentaire sur le iv.^ livre d'Euclide,
donne une liste des principaux mathématiciens ; il n'y a
point compris Tliéon de Smyrne , le plus célèbre des
commentateurs d'Euclide : dira-t-on aussi que Théon de %'/w/ s„r
Sr» I , i-n / / I V l'LucUik de Pey-
myrne vivoit avant Proclus • En gênerai, cette espèce rard, m thecU
d'argument négatif a bien peu de force, sur-tout quand ';' "l'^f "^"'
on l'applique à des époques antérieures à l'invention de
l'imprimerie; car alors les noms et les écrits des hommes
les plus distingués se transmettoient quelquefois avec beau-
coup de Jenteur. II en est de Cléomède comme de tous
ceux qui ont écrit des traités de cosmographie : on peut
juger de leur antiquité par celle des faits astronomiques
qu'ils rapportent ; on est alors sûr qu'ils sont d'une époque
postérieure au plus récent de ces faits : voilà tout ce qu'on
peut savoir.
Un passage de Cléomède, auquel personne ne me paroît
Tome VI. L =
zC6 MI,MOIR.ES OL l.AC:\PÉMIi:
avoir fait attention , prouve que cet auteur n'est pi>int aussi
ancien qu'on 1';! cru. Dans un endroit où il veut prouver
que la terre n'est qu'un point niathcmatique par r;ipport
à la sphère des étoiles, Cicomcde dit;
CLvmt.LI. j. Il y a deux astres seinhiables Aiio f/in\ à.<^pê^, fccLi twv
W '?■ par la grandeur et la couleur, et ^^i^ Kiof ra ^ejt'Ôn -m^^-
. diamctralement opposés Tun à ^^„,^ ^ Slct/ueT^Qvleç ctM>i-
l'autrt : ils occupent le quinzicine ^ c - v ~ —
, „ L . ,. A9{^' ù juiv yap, •nvZi-x.opTnov
degré , I un du hcorpion , I autre , . ^ , •' '
du taureau, ou il tnit partie des • , , , ' _ ,
Uyades. «rE>(^'n)ve7rï;^ei^i^v,^e£54
De ces deux astres, l'un tst Antcirès , place, selon le
Pioi. Aim.,f. catalogue île Ptolciiice , à i 2" y du Scorpion ; le second
ff.H.tlm.t. ^st cvideinment celui que les astronomes anciens appe-
loient ?^tx^ùç tov 'TctiTav , /</ hrilliinte Jcs Hyiidcs , c'est-
U. I. II. p. jo. à-dire, AUchtinm , situe , selon le même catalogue , à i 2° 5 o'
du Taureau. CIcomcde en fixe la position au i 5.' degrc
de ces constellations. Prenons le milieu entre 14 et i 5 de-
grés, c'est-à-dire, i4° 30 ; nous aurons , pour la différence
entre les positions, données par Cléomttle et Ptolémée,
d'Antarès et tl'Aldébaran, 2° 10' ou seulement i°.|o'. Ce
seul fait montre que cet écrivain est nécessairement posté-
rieur à Ptolémée: mais de combien de temps, c'est ce
qu'il faut chercher.
Un fait de ce genre peut avoir été connu de i\e\\\ ma-
nières, ou par une observation directe, ou par un calcul
déduit i\\\ catalogue d'Hipparque.
Dan'> le premier cas, il sulHroit de remonter jusqu'à
l'cpoque où Aldébaran étoit à i 4" jo' du Taureau, en
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETIRLS. --6j
partant de ia rctrogradation moyenne. En 1786, Aldc-
baran e'toit à 6*^ 4 7' <ies Gémeaux, c'est-à-dire, à 22" 17' , Ahnvgnot.
y-> I , ,1 T^. XI / • Etat des fixc^ ,
du point ou le place Cieomcde. D après la precession pag.,jo-ij^.
annuelle, qui est de 50"! , l'étoile a dû employer environ
1600 ans à rétrograder de celte quantité. Ce résultat n'est
qu'approximatif, parce que je n'y fais point entrer le mou-
vement propre d'Aldébaran ; mais un calcul plus rigou-
reux seroit ici tout-à-fait inutile. Si l'on retranche donc
1600 de 1786, on trouve qu'Aldébaran étoit à i4" 30' du
Taureau en l'année 186 de l'ère chrétienne.
Dans le second cas, l'époque seroit plus récente encore.
Afin qu'on me comprenne bien , je rappellerai qu'Hip-
parque , en comparant les observations de Timocharis Hijfnrch. np.
^ ^ . . ' . , ■ , . , . l'ioiem. m Al-
avec les siennes, avoit soupçonne que ia precession etoit mag. n , -, rom.
d'un degré en 100 ans. Les astronomes anciens, mar- > l'^'ë- 'S-
chant avec une entière confiance sur les pas de ce grand
observateur, ne paroissent avoir fait pendant long-temps,
pour déterminer la position des fixes en longitude, que
diviser par 100 le nombre quelconque d'années qu'ils
savoient s'être écoulées entre le temps d'Hipparque et
le leur , et ajouter la quantité de degrés ou de portions
de degré résultant de cette opération, à celle qui étoit
marquée dans son catalogue. Ptolémée lui-même, quoi-
qu'il prétende .avoir dressé ce catalogue d'après ses propres
observations, n'a pas fait autre chose, d'après l'opinion
très - formellement exprimée par M. Delambre , juge DeLmhe,As-
compétent en toutes ces matières. Selon ce savant astro- 'ZlXùe'.'tom'.î.
nome, Ptolémée n'a fait au catalogue d'Hipn'arque d'autre r'jg-^sS-'H'it.
" 111 ([( l astron. anc.
changement que d'ajouter uniformément, pour la longi- '-m. n.
tude de toutes les étoiles , 2° ^o . Un illustre géomètre
L- I,
2(^8 AUMOIRES DE L'ACADÉMIE
prend, à la vcriic, la dcfcnsc de Ptoicmée, et clierche à
Pr,\h..'.rit,i- le jiistilier d'avoir altère les observations d'Hipnarque.
tjirt lie l'.iura- /^ . ,., ■ f i • i
nomif.p.ya.fj. V2.1IOI qii li en soit, on a tout lien de croire cjue les cosmo-
graphes qni sont venus après l'astronome de Ptolcinaïs,
ont tait à son égard ce qu'on lui reproclie d'avoir lait à
l'égard d'Hipparque. Dans cette hypothèse, il faudroit nuil-
liplier par loo la différence de i° 4o' entre les deux posi-
tions d'Aldéharan : il en rcsulteroit 250 ans pour la diffé-
rence des époques; c'est-à-dire que le lait d'où nous tirons
cette différence, ne sauroit être antérieur à l'an 2cp6 de
J. C. Cette dernière méthode est conforme aux habitudes
du temps; et le résultat en est pciit-ctre plus voisin de la
vérité.
Si l'on songe que Cléomède, comme je vais le dire, est
un compilateur ignorant , incapable d'avoir fait par lui-
mcme aucune observation , et qui d'ailleurs , selon son
propre aveu, a pris chez les autres tout ce que contient
son livre, on sera convaincu que ce fait astronomique ne
sauroit lui appartenir, ([u'il l'a tiré île quelque astronome,
et conséquemment qu'il a vécu postérieurement à l'époque
à laquelle ce fait appartient, c'est-à-dire, à l'an i 86, dans
le premier cas , et à l'an 2p6 , dans le second. On ne sau-
roit donc le porter plus haut que le commencement ou
le milieu du troisième siècle ; et il nu' paroît difficile
de le faire descendre plus bas que le commencement du
quatrième.
Il resteroit à découvrir dans quel pays il florissoit: mais
comment y parvenir! J'ai dit combien il est diflicilede con-
noitre l'époque de tous ces compilateurs. En effet, comme
ils puisent dans des auteurs de siècles et de pays difîérens,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. i6ç,
il s'ensuit que les fiiirs qu'ils rassemblent n'appartiennent Ccmmus.f./,,
ni au même temps, ni au mcme pays. C'est ainsi que ^î'u 'peraJ''"""^'
Géminus semble avoir écrit, tantôt sous le parallèle de w. j.^, /...v.
Rhodes, tantôt sous celui d'Athènes, tantôt enfin sous ,\,^V',, iJ-^'
celui de l'Hellespont, quand il copie Aratus, qui écrivoit, •'"''/"•
• < , I. A • II T Hilfauh. ad
comme on sait, a la cour d Antigone. 11 en est de même Amc.y.j.fuig.
de Clcomèdc. Une seule chose est certaine , c'est qu'il
n'écrivoit point à Alexandrie, et qu'il n'avoit jamais visite-
cette ville : autrement, comment concevoir qu'il n'auroJt
eu nulle connoissance de Ptolémée, qui vivoit au moins
deux siècles auparavant ? D'autres raisons viennent en-
core à l'appui. Cléomède cite Ératosthène à l'occasion
de la mesure de la terre, mais très- certainement d'après
oui-dire : il n'a jamais eu sous les yeux les ouvrages de ce
géographe. Ce qui le prouve, c'est qu'il prétend qu'Éra-
tosthène a fait ses observations à Syéné et à Alexandrie h/m, 1^276.
avec [e scaphé , instrument qui se composoit d'un gnomoii
élevé au fond d'un hémisphère concave ; mais il est im- ^'"^'"/'•■'''"'"g-
possible, comme l'a fait voir en plusieurs circonstances '•'>•
M. Delambre, qu'Eratosthène, qui avoit à Alexandrie ses Ddamhe, As-
grandes armilles, et qui d'ailleurs pouvoit se servir d'un y^^gJoT^!'/'
gnomon d'une assez considérable dimension, se soit servi
d'un instrument aussi petitque l'étoit le Jcv//?/'/, dont l'usage ld.it. eu. m.
a toujours dû ctre borné à la gnomonique. Cette seule cir- ^iT^'àot'r!!^éie
constance , répétée d'ailleurs par un autre compilateur du '"""• ""«•/'^''
cinquième siècle, Marcien Capella, prouve à-la-fois que AUn. c^hU.
Cléomède étoit fort ignorant en astronomie ; qu'il a altéré, fj; ^'j/' '^'' '
par suite de cette ignorance , les faits qui lui ont été trans-
mis, ou qu'il n'a pas su voir qu'ils étoient altérés; enfin,
qu'il n'a point vu l'ouvrage oià Eratosthène avoit décrit son
270 MIAIOIRILS DE L'ACADf.MIE
opciation, puisque, l)ieii certainement, il n'y cloit pf)int
question du sûjp/ie.J'en dirai autant à l'cgard d'Hipparque.
Cicoincdene le cite qu'une seule fois; encore est-ce d'après
C/amrJ. fi. ." ; le rapport de quelque auteur. « On prétend , dit-il , cju'Hip-
" parque a montre que le soleil est 1050 lois plus gros
» que la terre. »> Tô> <ît ''l'srTrccp-^ôv Çclci , kcu ^tÀioy^i-
"TTiv 'YMVTzt'TrXxffioVA. T^ç ^îj'ç ôVct olÙtbv ÊTniEiK^iivcM. 11 est
certain que, si Clcomèdeuvoit vécu ou nicme avoit voyagé
à Alexandrie , il auroit pu consulter les ouvrages d'tra-
losthèneet d'Hipp.irque, et sur-tout il n'auroit point ignore-
le nom de Ptolcniée. Ow doit conclure de te silence, (ju il
florissoit soit à Constantinople, soit plutôt dans quelque
lieu obscur de la Grèce ou de l'Asie mineure , et qu'il
n'avoir à sa disposition qu'ini très-petit nombre de livres.
11 me reste à dire quelques mots des connoissances
astronomiques de Cléomède, et des sources où il a puisé.
^«. Cliomcd. M. Delambre prononce que son ouvrage n'est qu'un
L\. pag. f4. traite élémentaire, compose par un ignorant pour le com-
111.2. tr.. i^^^ij^ jp^ lecteurs. En effet, Cléomède copie d'autres écri-
vains; mais le plus souvent il ne comprend pas un mot
de ce qu'il leur emprunte. Il est d'ailleurs rempli de con-
tradictions manjfestes, dont il ne s'aperçoit pas, selon l'u-
sage ordinaire des compilateurs. Du reste , il ne donne
que des à -peu- près, quelquefois très-grossiers : c'est ainsi
<]u il lait par-tout le diamètre égal au tiers de la circon-
férence , parce qu'il confond le diamètre dont la lon-
gueur est rapportée à la circonférence , avec le diamètre
considéré comme égal à deux fois le côté de l'hexagone
régulier, dont chacini sous-tend le sixième du cercle. C'est
encore ainsi qu'il suppose la révolution périodiijue de la
Clcomcdt.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 271
lune (Je 27 jours y ; et la révolution synodique , de 30 jours
en nombre rond. Les méprises qu'il fait ou qu'il copie sans cieomed.p.17,
les apercevoir, sont des plus singulières, comme lorsqu'il - "'
prend la mesure de l'arc du méridien compris entre Syéné
et Lvsimachia, pour prouver la rondeur de la terre (j'en
parlerai plus bas) , et lorsqu'il imagine que le zodiaque
coupe l'équateur à angles droits. On ne peut donc que ix-i.imh,-. .m.
souscrire au jugement que porte de Cléomède, Jean Pe-
diasimus, son commentateur: « On reconnoît, dit-il, que
" Cléomède débite, en beaucoup d'endroits de cet ouvrage,
« des choses absurdes, fausses et inintelligibles.» ^Ev àl^on;
fxev ttoMoiç necTti. T>)v OT^st<£/x^v '^/MTHv (ieupiciv , 0 KAeo^Ti'<^n$
evp((nceTcti a.Tdrrou Xéycvv, -^^evS^i tî kolj (lS\è\vw,dL, (i) .
Cet auteur, comme je l'ai déjà dit, paroît avoir eu fort
peu de livres sous les yeux : les seuls écrivains dont il cite
les noms, sont Aristote, Eratosthène, Hipparque, Épicure
et Posidonius. 11 ne parie d'Aristote qu'une seule fois,
pour réfuter son opinion et celle de la secte péripaté-
ticienne sur le vide ; et tout permet de penser qu'une
pareille citation n'est pas de la première main. J'en dirai
autant d'Epicure, dont il critique amèrement et à plu-
sieurs reprises quelques idées sur la physique, qui réelle-
ment sont absurdes. Il est on ne peut plus vraisemblable
queCléoipède, quiétoitun stoïcien outré, a pris toutes ces
critiques dans des ouvrages de stoïciens : on sait que ces
philosophes ne tarissoient pas quand il s'agissoitde tourner
en ridicule l'épicurisme. Quant à Eratosthène et à Hip-
( I ) Comment, ht Cleomed. cujus est
tltulus , Tv (TrxpcovtTu ^aL^-n(fvhayuiç thc
i:'ç -nva. t» KMo(A.K'S^iS( aucfmilax SiifjiAïa.
(In Cod. n.' 2jS;, fol. 3^ r.\ t. y)
z-2 MiMOiRES ni" i;AC\nr..Mir:
pai\|iie, j'ai fait voir qu'il n'a point consulte leurs ouvrages.
Reste donc PosiJonius. Pour ce Jernier, Clconicde a bien
évidemment connu la plus grande partie de ses écrits; et
même, selon toute apparence, les ouvrages de ce philo-
sophe et de quelques- uns de ses disciples etoient à peu
près les seuls livres qu il eut à sa disposition : ce qui me
confirme dans l'opinion qu'il habitoit quelque lieu obscur
et relire. Là , tout entier aux objets de son admiration
exclusive, il laisoit encore, au troisième ou au quatrième
siècle , sa lecture unique des ouvrages des stoïciens ; il
dèdaignoit de s'instruire des vérités qui n'avoient point été
découvertes par les philosophes de cette secte , ou tout
au moins consignées dans leurs écrits, et proclamées dans
leur enseignement. Long-temps après que l'épicurisnie eut
perdu son crédit et son autorité, Cléomède copioit encore
avec respect et soumission les longues diatribes, désormais
sans intérêt et sans but, dans les(juelles la gravité sto'icienne
s'efforçoit de descendre jusqu'à lu plaisanterie; et c'est ce
que les sectes religieuses ou philosophiques ont rarement
dédaigné de faire quand elles ont trouvé l'occasion de se
moquer les unes des autres, il ne dissimule pas, il dit
même formellement , qu'il a pris la plus grande partie de
son livre dans les ouvrages de Posidonius : Tct TraMa. itiiy
èlfT.fxiiuy, dit -il en finissant, êx. t XloatiS^viov eiM'Trla^.
D'après le titre de KvxKiy.» Otapiet fj.e'ncôpuv i\ue porte sa
compilation, je présume t|u*il en a puisé la majeure partie
dans le traité de Posidonius. intitule Uip] ^fnupuv, dont
Dhg.UtTi.iH parle Diogène de Lacrte, probablement le même traité
^('Ti,'. tu'.'' que Diogène appelle ailleurs MeTta'e^Ao><x,« Z-nt^eiucn^; et
Util. 1.1,^. remarquons bien ici le mot çï/p;^e/w<n^, f7fW//j. qui convient
parfaitcmeiu
'iS . '49 < ')} <
'S4-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 273
paifaitement bien au plan de Cléomède. II a dû consulter s,mpi. in Arh-
I . , . . • .r. ^ k ' .lot. Ph^'ska,pag.
encore le traite qui avoit pour titre ^vcimç, A.o'pr, : ce qui o/jeticq.ed.Ald.
ajoute encore beaucoup de force à cette présomption , iL pJstdon vl^r
c'est un passage de Géminus , conservé par Simplicius S9"^'-'i-
I • in/- i> A • y-' i^'"S- Liicrt.
dans son commentaire sur les Physiques d Aristote. Ce vji , .f. ///;
passage n'est lui-mcme qu'un fragment des Météorologiques
de Posidonius, où ce philosophe donne la distinction qui
existe entre la physique et l'astronomie : il dit quels sont
les objets dont s'occupe cette dernière science ; et ces objets
sont précisément tous ceux qu'on trouve traités, selon le
même ordre , dans l'ouvrage de Cléomède.
Il résulte principalement de cette première section les
faits suivans, sur lesquels j'insiste de préférence, comme
pouvant me servir dans la suite :
1 .° Cléomède écrivoit au plus tôt dans le troisième
siècle.
2." Il n'a point été à Alexandrie ; il n'a cité Ératos-
thène et Hipparque que sur parole, et ne paroît avoir
connu aucun ouvrage sorti de l'école d'Alexandrie,
3.° II ignoroit l'astronomie ; et la plupart des faits qu'il
rapporte ont été altérés par lui , ou l'avoient été àé]k par
les auteurs qu'il a copiés.
Tome VI. ^,
2-4 M. Lb DL LACADi„M.L
SECTION SLCONDE.
't^
'.■pci'jiii.n a £jri2X:'iLiunc f Un. de
CUomede.
I. f . .
V-îîc? f» - ^n iîtt-frde du ya6fA^<t oà Cléomcde
.e a Éraio^thcnc :
Tus TI« XVT5* «i«3tt' ^"^
c^ Ipjifl^^P
U£tdt pias.et cela e*t Tfai, ♦rci 7b/>'j», ic^ ip<e< wiw^,
qne Syene e»t sîtoée %m% le tro- 7», 2.^jr,i-n vtr to ^ée>t»î 1Ç»-
pîqoe «fêté- Aussi , lorsque le ^^^ xûe3aj tut^^jf 'Ont-rép
ceaerjaieeu , -- if? «^t^? ^r*-'^ puai» ai tÎ<
yMiM^-K-..
Ztn Tw (j ajout»- xvT^)
-
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\
ém tahâce.
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i v
" .
tau «emcak
DES INSCRIPTIONS ET ULLL! S-LF:i TKLS. 275
cr<j) xvKAca TTroAfoJV xfi/ui\!Coy, cercle, si nous dcciivons un nrc,
a* 7npl(tyaLycùiu.ev 7npt<pép€laLV àpaninle IVxtrciiiilcck' l'onihie,
À-jn tÔv a.Kf'ii TyiçVivyfUjuoH^ jusqu'h la hase méiiu' tin giio-
crKiai';, ÊTn Tvv /SatVjv oLV-TViv rov ""^" du cadiaii Ji Alexandrie, cet
'/V(J/M)\ioii -mi G^ 'AAe|^<V</)oÊ/ût ■'"■^' ■"•"-'''" ""^' P'^ni'^'i «lu plus
ù^\oyiix, cLÙ-ryi n' vnpKpépeia. grand cercle du sc<ii>ln\ puiscjuc
•).i\fr<ma.i rixias- tbC /utyiçov '^ -rtv/yy/;*' (ou la partie concave
T ci/ T? o-><3t(pvi xJjtAa'V • ÎTn] ^^^ l'insiruineiu) correspond au
/Uiyîq^Of kÔkÀco VTnxedoLi »î I*'"'' ë^-''^^ *-'*^''«^'<^ c»:'leste.
]Li o'uv é^ri^ \iOY\(T7X.ifxev , eu- Dont , si nous imaginons des
Oeiatç «fjoC T>)^ V»!^ CxCccMo- droites menées à pariirdecliacpie
fJ^lcLc, cl<p' én^Tipav T ytu- gnomon h travers la terre, elles
^tovct)V, rarÇ^c, TU x^vtÇci» ttjç se rencontreront au centre ; et ,
7?!^ avfxts'iamVTTX.i. EtteI oSf puisque le cadran , h Syénd', est
Tti C/fT» SK«vnci5g^Ao5-«jûH(«,7a précisénieni au-dissous du so-
VJ/iAèTTiV VTzixfUOJI TU «A/cd , O* '*^'' > ''' droite (|Uc nous sup])o-
îynvrAmufxiv iv^uàjj rtTTO To'tj ''""'* menée du soli-il sur la
»ÎA/ot> rtxûKiT^U èvr' ol'x^ov TDO i'"''ilt' du gnomon, ne fera
Ù^Myilov -j'fcofxovoL, fA.ioiy<.- 'I"'"'ie même ligne avec celle
V)n<n.eLf eOGeFct ri oL-rn t9 «A/v ^I"' '*'•''■•' ""-"«^^e du gnomon au
vx^ovim..
'Ei^ oux) é'Tf.^v evdéîow vor- ^^^ P'"'* > ■su[)|)osons une autre
atdf^ev oLTriTou Ôlxj>ov rUt; cDCioLii droite menée au soleil, h partir
IV 7>'<i)'/x<JV04 , Èvri TOV îiAiov, derextrémitedel'omhredu gno-
cu>xy>/xinv ocvrc tt?^ (M' 'AAé- mon, du .r<v//;//(' placé h Alexan-
Ça.Vc/)o£l£t ayj,(py\e,^ oLini KolI rî drie : cette dr.iilc cl la |)récé-
'BTCJgtpn^ÉVn ÊÛÔÊicc vra^ojt'A- dente seront ji:iiallèles, étant
A)iAo» ;^4v»î<7Z)v';Ét^, À-m S\aL<pl- abaissées de diflérens joints du
pmyi-n^r^Xiov^ipoiVi-mSXai- soleil sur divers points de f;.
M • ,i
a-6 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
surface terrestre. La droite qui, ipoP^ ^«pn -nJ^ y^'> cTlrjtoyaa/.
partant du centre de la terre, £,'ç ■'(gjjTa.^ ocu) 7m(f^a-AA»i-
vient aijoutir au gnomon à p^ç ytilc, èfULTn'Trlei êv^eût «
Alexandrie , tombe sur ces pa- d-nô-nv «viÇou -njç yri'i èywnv
ralicies ; il en résulte des angles (^^ '\AilAvcPf>etoL 7 yu/MVa, «tw-
afternes internes égaux, formés, j^ , c«i<ft f^-; hai^A-t, yi/Vw
l'un , au centre de la terre, par ][^a.ç -mièiv «v >î /U€V êçï 'TTçJi
les deux lignes menées des deux ^ xfVlÇ'îi' T^4 VÎ!? >L«-7k o^,"--
gnomonsb ce centre, l'autre par r^iccctv revdnu)/, ai) ct-ru) TU'V
l'interseciion de la pointe du ^ o <:,?s')û(jiV v\-^^v(T^ i^à "ni
gnomon à Alexandrie avec la x-éviÇov T^^ y»i^ , ^ivo/Uevn • r
Jigne menée au soleil , à pardr ^^ y^TÙ cnJiX'Triaxnv Xxfti Tiv
de l'extrémité de l'ombre pro- |y '^;^g^a>»c/)o€/6t VM/x«vo4,>tA(
jetée par ce même gnomon. .^^^^7^' ctX/:*5 aÛttiu TÎ)Ço-t«3t4
L'arc de cercle compris entre >^ ^^ '^^^^^^ ^^ ^^ ^çj^
l'extrémité de l'ombre et la base ^^^^ \<i.(>(ncù^ à.sa,-xpi\<rr^<.
du gnomon sera égal h l'arc in- ,^g^gy„y,g'y„. Kof' Ith /x.èv '^li-
tercepté entre Syéné et Alexan- ^^ ^^-j-^^^ -^np^^épeict lî octt'
drie. En effet, ces arcs doivent ^ ^^ ^^^^^ ^^ ;^*«>vû$
être semblables, puisqu'.ls de- ,^ ^^ ^^^^ ^^^5 mf/ot^-
lermineni Fouverture d'angles ^^-^ • !,„ ^ ^, ^gi"^ "^
égaux. Donc l'arc de la partie ^ -^.y^c,, lî'^Tnl Si;r,Vç
concave du .r«/.A^ sera au cercle ^^^^^ ^.^ 'AAef<i.^Éi<V^.
de ce scavhî comme lare entre , , «• , '
Syéné et Alexandne est au me- , '^ 7 , . • >> •' ,
ridien qu. passe par ces deux ~ nf ' Ou ^'.«.
villes. Or il est In cinquantième y*""* ^^ . V ~ -Z
partie du cercle du jm/jA.- •• donc '^'^>'' *'<■ . ^
la distance de Sycne i Alexan- i* {:;/•» , , , . ,
drie est nécessairement la cm- ^X*^ r^ , .,
quantième partie d'un grand vr, ,h 'AAÉ^a*</>Ê,<\. .xot..a.
cerclede la terre. Mais celle dis- 'H At V^ C^.' -H» *rH<,c?»i mvPr-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 277
X.OÇVV fteg^4 èvcia-Kelcu tcC ol- tance est de cinq mille stades;
xé;V icvkAqv ■ S^7 oux) ctvcty- donc le cercle entier est de vingt-
XSiicdç Koùj -n ccTra ^vmrn; de, cinq myriades de stades. Telle
'AAe^ctVc/]oe/4o iXdiqw/u^. TTtv- est la méthode d'Eratosthène.
TTi yrtc, yjjttXw. Kof kç\ tS'td
avf/.7W.e, vjJytXoc, yivelcLf fxv-
pta.S^]/ eiKocn vrivTi. Kctf »î />i£v
'E.ç^o<^)in^ eCpoi^^ Tî/cttJTT).
Ainsi, d'après ces paroles de Cléomède, Ératosthène
partoit de ces Jeux suppositions :
î ."QiieSyénc et Alexandrie sont sous lemêineme'ridien ;
2." Qiie Syéné est sous le tropique du Cancer.
C'est à ces deuxfausses suppositions qu'il rapporte deux
observations de latitude faites au moyen du scaplié. 11 en
résulte, dit-il, que l'arc intercepté entre les deux villes
s'est trouvé égal à la 50.'' partie du méridien, ou de 7° i 2':
la distance itinéraire lui étoit donnée de 5000 stades;
comme Eratosthène crut devoir multiplier 50 par 5000 ,
il eut 250,000 stades pour la circonférence du méridien.
Cette opération se compose donc,
I .° De deux observations astronomiques plus ou moins
exactes, te qui ne nous importe pas ici;
2." D'une supposition décidément fausse, car Alexan-
drie et Syéné ne sont point sous le même méridien ;
3.° D'une donnée incertaine, savoir, la distance itiné-
raire de 5000 stades entre Alexandrie et Syéné : car nous
ne voyons pasqu'Eratosthène ait pris aucune peine pour la
vérifier, à nous en tenir mcme aux paroles de Cléomcde.
278 MÉ MOIRES DE L'ACADKMIE
Sans rapporter ici le résultat de toutes les discussions
auxquelles a donne lieu ie récit de Clcomcde, et sans
résumer les objections de Riccioli, de Biiilly, de d'An-
ville, &c. ni les explications diverses qu'on a proposées,
je me contenterai de dire que le plus léger examen des
faits démontre sans réplique qu'il n'a pu résulter de l'opé-
ration, telle que la ra|iporte Cléomcde, qu'une mesure
extrêmement inexacte.
En effet, Eratosihène s'est considérablement trompe
en stippoSiUit Alexandrie et Syéné sous le même méridien,
puisque la dilFéience en longitude est d'environ t, degrés.
Cette erreur en a entraîné une autre ; on a \ u qu'il sup-
pose 5000» stades de distance itinéraire entre les deux
points : dès -lors cette distance répondoit réellement sur
le terrain à un plus long intervalle qu'il ne le pensoit;
car il Ta prise dans le sens du méridien, comme rcprc-
sentajit un arc de 7" 12', tandis qu'en réalité c'est l'hy-
poténuse d'un triangle rectangle spliériquc, dont l'un des
côtésavoity" i 2' (en siqiposant juste l'observation gnomo-
nique), et l'autre, 3°environ. Cet intervalle étoit donc de
7''4i^'; savoir, de 3 6' ou de 4 de degré plus grand que l'arc
intercepté entre les parallèles de Syéné et d'Alexandrie.
Voilà l'erreur principale qui seroit résultée de l'opéra-
tion : cette erreur e^t énorme, et telle, qu'Eralosthcne
n'auroit pu se faire qu'une idée extrêmement inexacte de
la grandeur de la terre. En voici la preuve. A nous en
tenir au texte de Cléomède, il est clair (jue cette opération
n'auroit produit d'autre résultat que de faire connoître le
rapport qui existoit entre la circonférence du globe et le
stade quelconque dans lequel étoit exprimée la distance ili-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 2-9
ncraire de 5 000 stades, qu'Eratosthène a prise pour hase de
son calcul sans la vérifier il s'ensuit nécessairement que
ce stade étoit une mesure tinéraire employée en Egypte ;
c'est assez dire qu'on en connoissoit la longueur absolue :
dans ce cas, il est évident que la justesse du rapport cher-
ché de ce stade avec le degré dépendoit de l'exactitude des
procédés de l'astronome. Or quels procédés ! D'une part,
les 5000 stades répondoient, sur le terrain, à un arc de
y° 48', et non de 7° i 2' : première erreur. De plus, comme
les 5000 stades étoient la mesure d'une distance itiné-
raire, il faut ajouter au moins-^ pour tous les détours de la
vallée du Nil ; ainsi ils représentent 8° 3 5', et non 7° i 2',
c'est-à-dire, une distance plus longue d'environ ~ : se-
conde erreur. En admettant donc que cette distance de
5 000 stades ait été mesurée exactement, on voit que le stade
employé pour cette mesure auroit été de 582 -f au degré
("F^ = 582 -Î-) , ou d'environ ipo """'", ,88, le degré
moyen, en Egypte, étant de 110785 mètres, d'après les
tables de M. Delambre. Mais Ératosthène, par suite de
toutes ces erreurs , croyoit que ce stade étoit compris
700 fois environ dans un degré; il se trompoit donc, sur
la grandeur absolue du degré, de 22340 mètres, c'est-à-
dire , d'un cinquième environ. En outre , on est forcé
d'admettr'e qu'il n'auroit jamais existé de mesure contenue
réellement 700 fois dans un degré, puisque ce rapport
seroit entièrement fictif, et uniquement le produit des
énormes méprises qu'auroit faites Ératosthène.
Mais combien de telles conséquences sont opposées à
plusieurs faits avérés! Non-seulement un stade assez exac-
tement contenu 700 fois dans un degré terrestre existe avec
2Ro MEMOIRES DE L'ACADEMIE
tousses cicmens dans le système métrique de l'Egypte, fait
sur lequel je ne peux pas insister ici (i); mais encore l'éva-
luation d'un grand nombre de distances géographiques,
données par les anciens , principalement dans la basse
Ésïypie, se retrouve exactement exprimée dans ce stade:
ce qui prouve qu'un stade de 700 au degré a été reconnu et
employé comme mesure usuelle en Egypte , long-temps
avant qu'Ératosthcne exécutât l'opération qui lui est attri-
buée. Comment donc ne pas soupçonner dans le récit de
cette opération quelque imposture ou quelque méprise, et
ne se pas sentir disposé à croire, ou qu'Eratosthcne a cher-
ché, mais bien maladroitement, à déguiser un plagiat, en
se donnant pour avoir exécuté une mesure faite long-temps
avant lui; ou plutôt, que Cléomcde , mêlant ensemble des
ilonnées différentes, les aura confondues par ignorance et
par défaut de jugement, et en aura tiré des conséquences
entièrement fausses!
Ce qui fait pencher pour cette dernière opinion, in-
dépendamment des preuves qui tout- à- l'heure vont la
mettre hors de doute, c'est, en premier lieu, que Cléo-
mcde, (jui ajoute la circonstance de l'emploi Au sciiphé .
laquelle est d'une fausseté évidente , a bien pu ajouter
d'autres circonstances beaucoup moins importantes, dont
la réunion suffit néanmoins pour dénaturer entièrement
l'opération attribuée à Ératosthène ; en second lieu , et
cet argument, quoique négatif, est cependant assez fort,
c'est qu'aucun auteur ancien , entre ceux du moins qui ,
à n'en pouvoir douter, ont eu sous les yeux les ouvrages
(1) 11 est développe dans un ou- I systruc métrique Et^'pticn , depuis les
vrage inédit , intitulé : Histoire du \ Pharaons jusqu'aux Arabes.
d'Eratosthènc,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 28.
d'Eratosthène , ne parle de cette opération. Strahon, qui
avoit lu ces écrits, qui les avoit discutés, critiqués, ex-
traits , qui parie en plusieurs occasions de ce stade de
700 au degré, ne dit nulle part qu'il eût été conclu d'une
opération faite par Ératosthène ; seulement, dans un en-
droit, il dit : " Nous supposons, comme Hipparque, que Stmi: Hk n ,
" la grandeur de la terre est de 252,000 stades, mesure ''"' ''"
» cju'Eratosthène donne aussi. » 'TTreGe^t-gi'o/ç, ' a-vrif éxi7\oc,
("iTTTrct^yoç) , ehoui td fxiyi^c, -vrtc, yyji çxSiav eÏKOin tte^te
fxvpia,S)i)v KûLf S\j-^iaIu>\i , de, KoLjj 'E^/oo3ïV)i$ 'Ano^'iAnsiN.
Une telle manière de s'exprimer se concevroit-elle dans
l'hypothèse où cette mesure auroit été trouvée par Erato-
sthène lui-même, si Eratosthène eût réellement fait cette
opération, dont le résultat, savoir, le stade de 700, a joué
un si grand rôle dans toute la géographie ancienne! c'étoit
bien là le cas d'en dire quelques mots. Ptolémée n'en fait
mention ni dans ÏA/inageste , ni dans la Géographie ; et
néanmoins, au chapitre Jli de ses prolégomènes, il traite ruLm. Gco^r.
de la mesure de la terre. On n'en trouve non plus nul ves- '" ^'
tige dans les écrits de Théon , son commentateur, de Pro-
clus ni des autres mathématiciens qui ont vécu à Alexan-
drie, ni dans le passage où Macrobe parle du stade de
700 au degré; et cependant il cite l'ouvrage d'Ératosthène,
Ilgp/ ojictfxi'xîrsinoùi,, où cet astronome avoit sans doute ex-
pliquéce qui concernoit l'origine de ce stade. A tout prendre,
ce ne sont là que des argumens négatifs, et je ne les donne
pas pour autre chose : toutefois ce silence absolu est étrange;
et les difficultés singulières que présente d'ailleurs le récit
de Cléomède, laissent bien des doutes dans l'esprit. J'ar-
rive maintenant à la discussion des faits positifs.
Tome VL N«
2;î2 AUIMOIRES DE LACADÉMIE
SECTION TROISIEME.
Eti ijiioi consiste i Opération dite d'Eratostluni'.
S. l/"" Que /il distiuue tic cin<j mille stiides n'est point une
mesure ge'odésique.
Du milieu de ces difficultés de tous les genres, il sort
nJaninoins un fait qu'on pourroit difficilement contester,
f i qui doit par la suite acquérir plus de force : c'est qu'Èra-
tosthciie, bien qu'il n'ait pu exécuter l'opération rapportée
par Cléomcde , est certainement le premier d'entre les
Grecs qui ait fait du stade de 700 au degré une appli-
cation quelconque dans .la détermination d'un arc du
méridien.
J'ai dit plus haut qu'en dégageant le texte de Cléomcde
des circonstances étrangères à l'objet principal, on en tire
du moins ces deux données : i." une observation de lati-
tude à Syéné et à Alexandrie auroit fait connoitre à Era-
tosthcne la grandeur de l'arc du méridien entre ces Aqwx
lieux; 2.° une distance itinéraire de 5000 stades auroit
été censée exister entre les deux villes. De ces deux don-
nées, la première semble appartenir à Eratosthcne ; la
seconde, au contraire, ne seroit qu'un fait connu indépen-
damment de son opération , et admis par lui comme exact:
car, je le répète, on ne voit luilie part qu'Eratosthènc ait
fait la moindre tentative pour le constater.
Cette distance de 5000 stades, prise dans le sens du
méridien, entra dans la distribution des latitudes laite par
cet auteur : elle lut adoptée par Hipparque et par Sirabon ,
DES LNSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 283
cu.i employoient le mcme stade qu'L.ratosthène , savoir,
celui de 700 nu degré; elle fut considérée par eux comme
érant l'expression de la différence en latitude de Syéné et
Alexandrie. Dès-lors , pour savoir la mesure de l'arc du
méridien qu'elle représentoit, dans leur opinion, il ne faut
<jue diviser le nombre 5000 par 700, et l'on a 7° 8' 34 " :
c'est évidemment l'intervalle qu'ils supposoient exister
entre les deux points.
Les observations des modernes mettent e]i état d'ap-
précier l'exactitude de cette estimation, et de connoître
la nature de cette prétendue mesure itinéraire.
Selon M. Nouet, la latitude d'Alexandrie au Phare est
de 3 1 ° 13' 5"; mais, comme les Alexandrins observoient
sur la rive méridionale du grand port, où étoit la ville,
et non pas au Phare (i), il faut retrancher i 500 mètres ou
48", ce qui réduit la latitude à 31° 12' 17".
Latitude de Syéné 24" 5' 23".
Différence en latitude 7° 6' 54 •
Selon les Alexandrins , cette différence
étoit de 7° 8' 34".
Ils ne se trompoient donc que de i 4° •
Encore cptte erreur doit-elle être diminuée, parce que le
nombre rond 5000 est un peu trop fort, comme on va
le voir bientôt.
Chose remarquable ! voilà donc cette mesure de 5000
stades entre deux lieux situés sous des méridiens différens ;
(1) Voyei mon article sur la traduction de l'Almageste, Journal des
Savans , avril t8i8 , pag. 201.
N' ij
284 MF.MOIRLS DL LACADi-MIE
cette mesure, qui , d'aprcs Clconicde, auroit ctc nppliqiice
avec tant «Je maladresse et diiiexactiliide , et auroit «lu
conduire si loin de la v«;ritc , la voilà, dis-je , «jui se
trouve «}tre assez précisément l'expression de l'arc de lati-
tude compris entre ces deux numes lieux. Une telle coïn-
cidence , qui ne peut avoir été l'elfet du hasard , nous
découvre tout-à-coup ce qu'est cette prétendue distance
itifu'r.iire, prise gc'odésiejuement le long du Nil , comme on l'a
cru d'après Cléomtde , et nous démontre que c'est tout
simplement l'estimation de la dirtcrcnce en latitude des
parallèles de Syéné et d'Alexandrie, faite par Éralosthèiie,
dans un stade dont le rapport au degré étoit déjà connu
auparavant.
Ce fait positif vient confirmer toutes les présomptions
qui s'étoient élevées jusqu'ici; il change l'état de la ques-
tion , et jette un trait de lumière a travers tous les nuages
dont noiib étions environnés.
Avant de suivre ce fait dansses conséquences ultérieures,
il convient de rechercher comment les philosophes dy
l'école d'Alexandrie étoient parvenus à connoître une dif-
férence de latitude à la précision de i' 7 ; car ceci est lié
à la discussion de deux des points les plus délicats et cer-
tainement les moins approfondis de l'astronomie pratique
des anciens : je veux parler de la détermination des la-
titudes de S\â\6 et d'Alexandrie, et de l'ohlitjuité de
l'éclipiique.
S- n. A- /./ LilituJc d'. Alexandrie.
Un fait dont il est impossible de «louter, c'est «jue les
Alexandrins n'ont jamais su prendre une latitude absolue
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 285
avec exactitude, et cela , par la raison que les procèdes
qu'ils employoient, indépendamment de plusieurs autres
causes d'incertitude , ne leur permettoient point de tenir
compte de la pénombre : ils ne se sont donc jamais aperçus
que leurs instrumens leur donnoient, non pas la distance
du centre du soleil au zénith, mais seulement celle du
limbe boréal ; en sorte que toutes les latitudes observées
par eux doivent être trop foibles de i4' à i 5'. Ce fait ré-
sulte de l'examen des latitudes des trois points de l'Egypte
dont ils se sont le plus fréquemment servis, et dont ils
avoient dû déterminer la position par des observations
qui leur étoient propres : ces points sont, Canope, Heroo-
po/is et Alexandrie.
Les tables de Ptolémée, selon le texte Grec, portent
Canope à la latitude de 31° 5'. Selon M. Nouet, le
rocher d'Aboukir est par 31° rcj' 44 • mais, pour at-
teindre le milieu des ruines de Canope, il faut, d'après la
carte à grand point, retrancher 900 mètres ou 7 minute;
il reste donc pour la latitude de Canope , 31° 19' i^"-
selon les anciens 31° c'.
Différence £"« moins, 14' i4 • c'est, à environ l'près,
le demi-diamètre du soleil.
Jieroopqlis , située au fond du bras occidental de la mer
Rouge, est une des positions les plus importantes dans la
géographie des Alexandrins: les tables de Ptolémée, se-
lon la version Latine et le manuscrit Coislin , la placent
à 29° 50', position qui se retrouve en deux autres en-
droits de ces tables où il est question du fond [f^^X''-'^]
de la mer Rouge ; or ce fond et Heroopclis sont deux
2B6 AU MOIRES DE L'ACADÉMIE
points maiiueiiant reconnus pour iilcMitiques. II existe à
2600 mètres au N. E. de Sue/, dans l'alignement de
i'exircmitc Ju poHe , des ruines d'une ville, (|ui , il'aprcs
sa position géographique , ne sauroient apjiartenir à au-
cune autre qu'à Hcroopolis. La htitude de ces ruines est
de 30° 4 30 •
Celle d'/ytT()()/Jo//j. selon Ptoicmée, ctoit de 29" 50'
DifFcrence tii nioi/is i4 50".
Mùne {juantitc que ci-dessus.
Alniag. I. y. Enini Alexandrie est mise par Ptoicmce à 3 1 " juste
fa. dans sa uengnip/nc; mais ce n est qu une approximation:
dans ['Aliiiiigeste , où il met plus de rigueur, il donne
prcciscment 30" 58'. Or de 31" 12' 1-7".
retranchez 50 ^S.
il reste de diiïcrence en moins 14 17",
c'est-à-dire, presque la même quantité que pour les deux
autres positions, ou à peu près le ilemi - diamètre tlu
soleil.
Ces trois faits, rapproches ici pour la première fois, ce
me semble, et auxquels j'en pourrois joindre d'autres,
mettent hors de doute Terreur commise par les Alexan-
drins dans leurs observations de latitude.
Au reste, Ptoicmce, en portant la latitude d'Alexandrie
331° en nombre rond dans sa Gcognipliie , n'a fait que
suivre l'exemple d'fcralosthène et d'Hipparcjue, en ceci
comme en bien d'autres choses. L.n etic(, selon ces deux
astronomes, le tropique et Sycnc ètoient à 23" 51' 20,
lis metioient de plus, en nombre rond,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 2S7
D'outre pan 23° 5 i' 20".
5000 stades entre Syéné et Alexandrie",
ou 7° 8' ^i".
Latitude d'Alexandrie 30° 55?' 54 ,
ou 31°.
Mais il est probable que ces deux astronomes avoient re-
connu , ainsi que Ptolémée , que la latitude d'Alexandrie
étoit exactement de ^0° s 8'; et M. Delambre en donne la Astronom.,wc.
, . t. I , pag. bS.
raison : « Comme Ptolémée , dit ce savant astronome, adopte
" l'obliquité d'Eratosthène, il est naturel de supposer qu'il
» a pris aussi la latitude qui se déduisoit de ses observa-
» tions , et qui sans doute avoit servi à placer l'armille
» équatoriale à la hauteur qu'on croyoit exacte. »
Eratosthène et'Hipparque dévoient donc mettre égale-
ment entre ces deux points 30° 58' — 23° 51' 20",
c'est-à-dire, 7° 6' /{o" , valant ^c)'j'j,'j stades de 700 au
degré. Ce nombre étoit si embarrassant dans la pratique,
qu'ils ont dû le porter à 5000 , en négligeant -rrj dont
ils n'avoient que faire. En omettant cette insignifiante
fraction, ils avoient juste 21,700 stades pour l'intervalle
de Téquateur à Alexandrie.
On voit donc que toute l'école d'Alexandrie s'est accor-
dée, depuis Eratosthène jusqu'à Ptolémée inclusivement,
à compter entre Syéné et Alexandrie au moins 7° 6' ^o" ,
ou 4978 stades, puisque les 5000 stades ne sont qu'un
jiombre rond; ou tout au plus 7" 8' 34", valeur de ces
5000 stades.
J'ai dit que les modernes comptent entre ces ï^lieiix mêmes
lieux -j" 6' 54 ".
2RS MF..MOIRES DE L'ACADKMIE
D'autre pan 7" C 54".
Les anciens coirifftoieni - ' 6' \o .
Lerreiir n'est donc que de o' o' \\' .
ou de-^de minute, au lieu Je l'z 5 qui icbulic des 7° 8' 34 '•
Cette exactitude est sans doute fort grande : toutefois
elle n'a rien d'étonnant, parce que la quantité dont il s'agit
est !a moyenne entre deux erreurs qui se coinpensent; on
le concevra facilement. Comme les astronomes se trom-
' poient également dans toutes leurs latituties prises avec le
gnomon , on sent qu'en observant aux deux extrémités d'un
arc du méridien avec des instrumens semblalîles , et en
répétant les observations un grand nombre de fois , la
moyenne des observations en chacun dc^s deux lieux se
trouvoit affectée, à peu de chose près, d| la mùiie erreur;
tellement que, quoique chaque moyenne fût trop foible,
et conséquemment inexacte, prise à part , cependant l'arc
compris entre les deux points pou voit être connu avec
iMie assez grande exactitude.
S. m. De ÏObliquhé de l'Écliptique selon les Alexandrins.
On sait qu'Ératosthcne supposoit cette obliquité égale
rtoirm. .4imag. aux tV? ^" mériilien, (]ui \alent zj"" 51' 20'. Il se
' V lUtlire fompoil de 6' environ ; car, au temps de cet astronome,
T.ihUtJmoltil. vers le milieu du troisième siècle avant J. C, l'oldiquité,
d'après la variation séculaire de 50 , ne devoit ttre (|ue
de 2?" 45' 20 : mais, comme il croyoit Syéné sous le tro-
pi(juf, il s'ensuit (|u'il plaçoit cette ville 20' 6 trop bas.
Hipparque„ selon Ptolémée, s'est servi de cette mesure
•^ans y rien changer ('# ^ P "l'TfmLfi-^oc, avnyjrartio), soit
qu'il
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 289
qu'il l'ait vérifiée et qu'il ait trouvé le même résultat, ce
qui seroit bien singulier, soit plutôt qu'il l'ait adoptée sans
examen ; et cela est d'autant plus probable, que, selon
toute apparence, Hipparque n'a jamais mesuré la latitude
d'Alexandrie , ainsi que je le ferai voir plus bas. Dans
sa géographie , il admet que le tropique est juste à 24" ;
mais c'est parce qu'il a voulu avoir un nombre rond ,
comme M. Gossellin l'a dit, et comme je l'ai moi-même Rcdenks,
explique ailleurs plus en détail, en prouvant que la ditie- journal ds
rence entre le nombre rond 24° et le nombre précis ''''■;"'''"■ - '""'/
23° 51 20 a produit celle qu'on remai-que dans les iati- ^y.-?.
tudes d'Alexandrie selon Ératosthcne et selon Hipparque.
Enfin Ptolémée prétend aussi avoir trouvé la même
quantité par des observations de hauteurs solsticiales.
De son temps, l'obliquité n'étoit plus que de 23° 4^' 7""
l'intervalle des deux tropiques étoit donc de ^'j° 22' 14".
Selon lui, cet intervalle eût été de 47° 4-' 4°" • erreur,
environ 20' ou y de degré. Mais en tout ceci que de choses
suspectes I Et d'abord, n'est-il pas bien étrange, selon la
remarque de M. Delambre , qu'environ quatre siècles après
Eratosthène, Ptolémée trouve y wj-re ce qu'avoit trouvé cet
astronome ! De telles coïncidence^ (et Ptolémée en offre
bien d'autres exemples) ne sont-elles pas presque impos-
sibles, et'conséquemment très-invraisemblables î II faut
donc convenir, comme l'a déjà pensé M. Delambre, que Asmnomie
l'obliquité de 23° 5,' 20" remonte, en dernière analyse, j^V/Ç.''/;;;
à Eratosthène. lyS.a hote.sur
Ptolém. tom. l ,
Voyons par quels moyens on y étoit arrivé. Ptolémée i'-'^' "■ '■•
prétend l'avoir trouvée par des hauteurs solsticiales, plu-
sieurs fois répétées : cela est bien difficile à croire.
Tome VI. q.
290 MKMOIRES DE L' ACADEMIE
£11 effl't, au temps de Piolemce, le tropicjiie ctoit,
toniine je l'ai dit, à 23° 4'' 7 ; la double obliquité foi-
inoit un arc de .j-'^ 22' 14 : l'errein- de 20' seioii lout-
à-lait inconcevable. On a vu que cet astronome et
ceux qui l'ont prcccdé, ne se irompoient sur la hauteur
solsticiale du soleil en été, à Alexandrie, que de i à 2',
outre l'erreur du demi-diamètre, que nous ne devons point
compter ici, puisqu'elle se compensoit par l'observation
correspondante; il devoit se tromper de même sur la hau-
teur solsticiale en hiver : ainsi la double oblicjuité ne pou-
voit être en erreur que de i ou 2', et non pas de 20. il
Y a plirs même, c'est qu'en admettant comme vrai tout
ce que dit Ptolémée , il auroit dû se tromper en moins;
et la raison est simple : au solstice d'été, le soleil, n'étant
alors qu'à y" ji' 10" du zénith d'Alexandrie, n'éprou-
voii par la réfraction aucun dérangement sensible ; au
contraire, lors du solstice d'hiver, le soleil tioit à 7°
3 l' 10 -H 47" 22' i4 = 54° 5 3 ^4 <J" zénith ; la
réfraction le dérangeoit de 1' 22" à peu prés, et l'inter-
valle des tropi([ues ne devoit plus paroître que de 47°
20 52 , et non de 4?' 4^' 4° •
Il est donc certain que Ptolémée n'a point trouvé l'obli-
quité de réclipti(jue par des observations <]ui lui fussent
projires, ainsi qu'il le prétend : il n'a pu la prendre que
dans les écrits d'Hipparque , lecjuel la tenoit d'Lrato-
sihcne.
Ce que je viens de dire pour prouver (jue l'obliquité
n'avoit pu être découverte par l'observation de hauteurs
solsticiales au temps de Ptolémée, peut s*appli(juer en
grande partie au temps d'traiosthcne ; car, bien (]u'alc)rs
XXV , y.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 29.
la double obliquité fût de if 30' 3/1' . l'erreur de 12'
est encore trop forte, eu égard à la précision avec laquelle
on a vu qu'Éralosthène et les autres savoient prendre des
différences en latitude. Cette donnée a dû être fournie par
\\\\ autre moyen; et ce moyen, le voici :
On sait qu'une opinion généralement répandue dans Plntarch.dcAcf.
^ i ° I . oracul. lom. Il,
l'antiquité plaçoit Syéné précisément sous le tropique, j^g, 4,,, A;
c'est-à-dire, à 23° 5 1' 20" de l'équateur: et en ceci, toute ';>;";/ ^^''""^'
l'antiquité se trompoit. ^ Pausa^. l. i,c.
Au temps d'Ératosthcne, l'obliquité étant de 23° 45' .W;f'/". s^,
19", et Syéné étant, selon Nouet , à 24° 5' 23" de '''^-.^.^ !,„iu.
l'équateur, il s'ensuit que le tropique se trouvoit à 20'
4" du zénith de cette ville ; si l'on retranche le demi-
diamèlre 1 5' 45' (la réfraction et la parallaxe étant nulles
au zénith) , il reste 4' ly pou^ la distance du limbe bo-
réal au zénith.
Sans parler du temps d'Hipparque, parce qu'il est trop
rapproché de celui d'Ératosthène, nous passerons à Pto-
iémée. En 130 de l'ère vulgaire, le limbe boréal étoit à
24° 5 23 — 23° 41 7-4-15 45 =831 du zé-
nith de Syéné ; alors l'ombre des gnomons devoit être
déjà sensible, puisque, sur un gnomon de dix pieds en-
viron, elle auroit été d'à peu près 3', 581, Si Ptolémée
a contini^é de suivre- l'opinion vulgaire, et de dire expres-
sément que les gnomons ne projetoient point d'ombre
à Syéné , c'est qu'il n'a point fait d'observation à cet
égard.
Tous ces rapprochemens nous amènent à l'idée que, si
l'obliquité de 23" 5 i' 20" remonte à Ératosthène , l'opi-
nion qui plaçoit le tropique au zénith de Syéné, remonte
0= \]
292 MtMOlRLS DE L"ACAUI..\11£
encore plus haut; car il suffit de réfléchir à roiigiiie pro-
bable d'une telle opinion, pour être sûr qu'elle est anté-
rieure à Eratostiùne. J'ai dit que , de son temps, le limbe
boréal du soleil étoit à 4' environ du /cniih de Syéné ;
et, d'après la diminution séculaire de l'obliquité, on voit
(ju'il atteignoit ce zénith vers 790 ans avant J. C. A cette
épocjue, le pied des gnomons à Syéné se trouvoit encore
' Arr!.!^. hâk. entièrement dans la lumière, et Syéné pouvoit être regar-
XXV. 7. j^;^ comme placée verticalement sous le tropique. Mais,
à plus forte raison, cette opinion étoit-elle fondée dans les
siècles antérieurs, puisqu'en remontant au-delà de ypo on
trouve que le centre du soleil n'a atteint le zénith de Syéné
que vers 2600 ans avant J. C. , et qu'on devroit se repor-
ter à 6000 ans, et peut-être plus loin encore, avant d'arriver
à \\\\ç époque où les gnomons auroient fait sensiblement
ombre de l'autre côté. H est donc évident que, depuis l'ori-
gine probable de la société en Egypte jusqu'en 790 avant
notre ère, Syéné n'a point cessé d'être sous le tropique, ou
tout au moins au -dessous d'une portion quelconque du
disque solaire. C'est pendant ce long intervalle que les gno-
mons n'ont point fait ombre à Syéné le jour du solstice. A
partir de cette époque, le soleil s'est éloigné insensible-
ment du zénith; d'abord de i', en 630; puis de 2', en 520;
puis de 3', en 4oo ; puis enfin de 4'. vers le temps d'Lrato-
sihène. Mais, dans les quatre siècles qui précédèrent cet
astronome, et même de son temps, d'aussi foibles dévia-
ticnis pouvoient-elles suffire pour faire douterd'une opinion
qui avoit pour elle la sanction du temps? Qiiand même les
gnomons auroient été dans un plan bien vertical , on con-
çoit que, pour peu que leur face eut eu d'inclinaison, elle
.,•:
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 295
auroit absorbé l'ombre ; car on trouve qu'un gnomon de
cinquante pieds n'auroit fait qu'une ombre de 8' : ceux dont
on pouvoit se servir à Syénc pour les usages ordinaires de
la vie, en les supposant d'un pied de baut, n'auroient fait
alors qu'une ombre de o', 1 67 ou de o'", 000 24- Si, au lieu
de gnomons, on se servoit réellement de ce puits vertical
dont Strabon , Pline et Arrien ont parle, il ne pouvoii SmiLl.xvn,
non plus fournir une i-aison propre à ébranler l'opinion ^"^punJ ut. n,
ancienne : supposons que ce puits eût cinquante pieds de "4„!;^,f' /';^,v
profondeur, et que ses parois fussent bien verticales ; la vjrK. /. 7.
paroi australe auroit projeté sur le fond une ombre de
8 lignes seulement ; le reste eût été en pleine lumière, et
Ja réverbération de la paroi boréale eût fait paroître éclai-
rée toute la circonférence du puits.
Il est donc évident qu'au temps même d'Eratosthène
on n'avoit point de raison sufîîsante pour renoncer à l'an-
tique opinion sur la position de Syéné. Comment uuroit-
onpudouter d'un fait reconnu pendant un si grand nombre
de siècles , consacré sans doute par la religion , et qu'on
devoit croire immuable!
Ainsi, bien loin que ce soit Ératosthène qui ait le pre-
mier répandu cette opinion en Egypte , il n'a fait que
s'y conformer en l'introduisant comme élément principal
dans toutes les opérations qu'il a exécutées. Qiioi qu'en
ait dit Bailly en s'appuyant sur des passages vagues ou
mal interprétés, la variation de l'obliquité de l'écliptique
a été inconnue aux anciens; ils ont toujours cru que Syéné
étoit précisément sous le tropique. L'antiquité est formelle
à cet égard. Il est vrai qu'un passage de Plutarque a paru
à Casaubon indiquer, chez les anciens, l'opinion que le
2i)i Mi,.UOJRLS DE L'ACADFMIE
tropique avoii éprouve un dcplaceineiit d'où il icsultoit que
les gnomons commençoicnt à faire ombre à Syc'nc lors du
solstice: et ce passage, s'il prcsentoit un pareil sens, sernit
d'une impjrtance extrcme : mais j'ai tait voir que ce grand
Tr.,j.JtSt'it- critique, en s'arrctant à une phrase isoice, n'a pas vu que
iMg4lb.M.;. 1 ensemble du te\tc de Plularque présente l'idée prccisc-
inenl contraire.
Je remarque (jue la latitude de Syénc selon les anciens
est, comme celle d'Alexandrie et d'autres villes, la vraie
latitude, moins le demi- diamètre du soleil, ou plutôt
moins 14' environ, conformément à l'erreur que j'ai si-
gnalée plus haut.
Car Syéné est, selon Nouet, à 24° 5' 23'.
Elle est, selon Eratosthène et les autres,
à 23" 51' 20.
Suyra.p. iSj La différence en moins est de o" i^ 3 .
-• C'est la incme que j'ai remarquée pour les latitudes de
Canope , d'Alexandrie et d'Hcroopolis ; et, comme l'obli-
<juité de l'écliptique éloit supposée égale à la latitude de
Syéné, selon l'antique préjugé, il s'ensuit que cette obli-
quité doit se trouver de même c(juivalente à la vraie lati-
tude de Syénc, moins le demi-diamètre. Comment tout
cela est-il arrivé! ce qui vient d'être dit lexplique.
Ératosthcne trouvoit qu'à Alexandrie, au moment du
solstice d'été, le soleil étoit éloigné du zénith, d'un arc
du méridien, qui répond à 7° 6' 4o , ou à 7° 8' 34 de
notre graduation : mais cette observation n'étoit pas suffi-
.sante pour déterminer la latitude tl'Alexandrie, ou la dis-
lance de cette ville a l'équateur; il falloit connoître encore
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 29^
l'arc de la plus grande déclinaison du soleil, c'est-à-dire,
l'obliquité de i'écliptique. Or il y avoit deux moyens à
prendre pour y parvenir : le premier ctoit d'observer à
Alexandrie les distances méridiennes du soleil au zénith
dans les deux solstices , en prenant la moitié de la diffé-
rence ; et ce moyen si simple a dû être employé : toutefois
ce n'est pas celui dont on a jugé à propos de suivre le ré-
sultat ; la preuve en est, qu'au lieu d'une erreur de 2 ou 3'
en moins, dont il étoit susceptible, il en a été commis une
de I 2' en plus. Le second étoit de prendre la latitude de
Syéné; mais, pour avoir une ombre appréciable, il falloit
choisir, soit l'un des deux équinoxes,soit le solstice d'hiver.
Vitruve,quiditun mot de l'observation gnomoniqued'Era-
tosthène, ne parle î]ue de l'équinoxe: Si autem animodverte-
rint orbis term circuitionem per solis cursum et pwmoiiis aqui-
noctialis umhras est inclinatione cœli &c. D'après ce passage ,
on a lieu de croirequedes deux momens de l'année ce fut
l'équinoxe qu'on choisit pour l'opération. Comme Syéné
passoit pour être sous le tropique, la distance méridienne
du soleil au zénith de cette ville donnoit celle du tro-
pique à l'équateur. Mais, en prenant la latitude de Syéné,
on devoit se tromper comme pour toutes les autres lati-
tudes ; c'est-à-dire qu'au lieu de trouver la hauteur mé-
ridienne>de 24° 5', ou à peu près, on devoit la troLiver
de 23° 50 à 5 i' : et en effet, telles étoient précisément, et
l'obliquité de I'écliptique, et la latitude de Syéné, selon
Ératosthène. Ajoutant donc 23° 5 1' 20" avec 7° 8' 34.
distance méridienne du soleil à* Alexandrie, on eut 31"
pour la latitude de cette ville. Ce résultat, obtenu par des
observations gnomoniques , fut employé lorsqu'il s'agit de
296 MF.MOIRtS DE I/ACADl NUF
D<Limh^,Hoi,i placer les grandes armilies: elles se irouvnieiit, dit M. De-
".' "'■'.• ^ lambre, alfectces, dès l'origine, de la mcme erreur, et ne
purent plus servir à la rectifier; \o\\k pounjuoi, dans la
suite, les astronomes, quoiqu'ils n'eniplo\assent plus le
gnomon , ne s'aperçurent jamais qu'ils faisoient la hauteur
^.\u pôle, à Alexandrie, de ^ de degré trop foible.
Hipparque ne fit qu'adopter ces diverses quantités;
car, outre qu'il seroit étrange cjuil eut trouvé précisé-
ment les mêmes résultats en recommen(;ant l'opération,
'in a tout lieu de ilouter qu'il ait été en position de le l.iire.
M. Delambre a trcs-hien prouvé qu'Hipparque, observant
à Rhodes, n'a jamais fait un long séjour à Alexandrie, et
ji'a point eu le loisir de se livrer à des observations solsti-
ciales répétées , comme cela eût été nt*tessaire pour obte-
nir un résultat d une certaine précision ; et je ferai voir,
plus bas, qu'il connoissoit la latitude d'Alexandrie de 3 i"
avant d'avoir été en Egypte. Q^iiant à Piolémée, ce résultat,
qu'il prétend avoir tiré de ses propres observations, étant
identicjue avec la mesure de l'obliquité donnée par Kra-
losthène, malgré toutes les causes qui dévoient nécessaire-
ment en fournir une différente, il est hors de doute qu'il
a simplement copié cet astronome. Tout ui plus pourroit-
CnnoiMitccMi on tlire, avec M. Delambre , que Ptolémée aura essayé de
'xv'i.^Ziil vérifier grossièrement la mesure, afin d'avoir quelque drf)it
Aitr.n.mittkk de prétendre à la découverte d'une obliquité connue long-
riJue . <Ti . t. III, I .
yug. u^i temps avant lui.
C'est ainsi que l'examen rigoureux des laits conduit à ex-
pliquer pourquoi l'école H'Alexandrie a cru (jue l'obliquité
étoit de 23" 51' 20' ; pourquoi elle l'a supposée égale a la
latitude de Syéné ; d'où vient (|ue cette obliquité et cette
latitude
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 297
latitude ne sont autre chose cjuela vraie latitude de Syéiic,
diminuée du demi-diamètre du soleil; enfin comment l'arc
du méridien compris entre Syéné et Alexandrie a été me-
suré si exactement, bien que la position absolue de chacun
des deux points fût imparfaitement déterminée.
Le tableau suivant présentera le fait dans toute son
évidence :
LATITUDE
, ANCIENS,
S SELON LES
MODERNES.
DIFFÉRENCE.
Alexandrie
Syéné
30° jS'.
25° 5 1' 20".
31° 12' 17".
z4° J' 25".
— c" 14' 17".
— 0" .4' 5".
Arc intercepté . . .
En stades de -00.
-]" 6' 40".
7° 6' 54".
4<^So '-.
— 0° 0' 14".
§. Vf. Le Stade dont ÉratostJiène a fait usage, e'toit-il censé
contenu 2^0,000 ou 2^2,000 fois dans la circonférence du
me'ridien !
J'ai maintenant tous les élémens qui peuvent me mettre
en état de décider cette question. Qiioique d'un intérêt
secondaire en apparence, elle importe au fond du sujet
plus qu'on ne le penseroit d'abord, en ce qu'elle se rattache
à la mesure de l'arc du méridien compris , selon Érato-
sthène, entre les parallèles de Syéné et d'Alexandrie.
Il est certain que Cléomède est le seul auteur qui porte
ie nombre des stades à 250,000. Toute l'antiquité s'accorde
au contraire sur le nombre plus précis 252,000 : c'est
l'opinion d'Hipparque dans le commentaire sur Aratus; de
$trabon , qui avoit tant étudié les écrits d'Ératosthène : c'est
Tome VI. P»
i^S MKMOIRES DE L'ACADi-.MlE
celle de Gcmimis, de VitriixT, de Pline, de Ceiisoriii, de
Marcien Capella (i), d'Acliilles Tatiiis (2) : enfin, et cela
est décisif , on a la certitude qii'Ératosthcne et Hippanjne
n'ont emplovc que ce rapport dans l'usage qu'ils ont fait
de ce stade pour l'estimation de toutes leurs latitudes.
Voilà donc Cléomède tout seul en opposition avec le
témoignage unanime des autres écrivains de l'antiquité,
parmi lesquels on compte Ératosthéne et Hipparque eux-
mêmes.
Il paroissoit bien difficile de mettre en balance le té-
moignage isolé de Cléomède avec de si graves autorités;
cependant l'opinion où l'on étoit que Cléomède nous
a conservé intacts les détails de l'opération d'Eratosthcne,
faisoit penser que lui tout seul donnoit le vrai rapport du
stade censé conclu de cette opération. Je ne vois même
que M. Gosseflin qui, dans sa Géographie des Grecs aiui-
lysée , se soit écarté de l'opinion commune, et n'ait point
tenu compte du passage de Cléomède.
Pour tout concilier, on supposoit, avec beaucoup de
vraisemblance, que le résultat réellement trouvé par Éra-
tosthène étoit le rapport de i à 250,000 entre le stade
et le méridien , mais que cet astronome avoit légèrement
altéré ce rapport primitif, et^porté le nombre à 252,000,
(i) Voye:. les citations dans M.
Gosscllii) , Cfo^aphit des Grecsana-
lysée.yag.^.
(2) Achill. Taiini, Jsagng. J.2pj
pûg. Sp. La trace de cette mesure
de 152,000 stades le trouve encore
dans la prctcnduc lettre de Diony-
siodorc, lequel donnoit 42,000 stades
au rayon de la terre, et 84,000 au
diamètre. Le texte de Pline ^/ib. Il ,
pag. rcg) est précis. Il est singulier
que ni Riccioli ( Abnag. nnv. Ji , ^ ,
ichol.fij, ni Bailly (Astron. mod. l ,
2j-^, n'aient vu que CCS nombres prove-
noientdu rapport de 6. i 1 (Geniinus,
/. ij, pag. jo) entre le rayon et la
circonférence, et qu'en multipliant
42,000 par6 onavoit 2;2,ooo stades.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 299
afin de se procurer juste 700 stades pour un degré, au
lieu que la 360.* partie de 250,000 est 6()4, nombre
fort embarrassant dans la pratique.
Quoique cette explication ait été adoptée générale-
ment, je me permettrai de la combattre. D'abord, je crois
avoir complètement prouvé que Cléomcde ne mérite point
en tout ceci la confiance qu'on lui avoit accordée : on
n'a donc plus les mêmes raisons pour opposer son témoi-
gnage à celui d'Ératosthène lui-même. En second lieu,
dire que cet astronome a voulu se procurer un nombre
rond de stades pour chaque degré, c'est faire une hypo-
thèse gratuite ; car j'ai prouvé, dans un Mémoire lu à
l'Académie, que la division du cercle en 360 parties étoit,
sinon inconnue des Grecs au temps d'Eratosthène, du
moins très-rarement employée par eux , et que cet astro-
nome , en particulier, ne s'en est jamais servi. Ce fait,
établi sur des données positives, détruit l'explication pro-
posée ; car ne seroit-il pas étrange de supposer qu'Era-
tosthène eût altéré le rapport du stade à la circonférence,
uniquement pour l'accommoder à ime division du cercle
que peut-être il n'a pas connue, mais dont, bien certaine-
ment, il n'a jamais fait usage!
Ces considérations nous replacent dans le vrai point
de vue pour juger le fait qui nous occupe :en le dégageant
donc de toute hypothèse et de toute prévention , il se réduit
en dernière analyse à ceci : Cleomede est , a cet égard, en
opposition formelle avec tous les auteurs.
Dès-lors, au lieu de persister à prendre le texte de Cléo-
mède pour base unique, il est naturel de rechercher si ce
texte n offriroit pas la preuve que Cléomède lui-même a
PMI
300 .MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
altcrc le rapport rcel , au moyen d'un de ces à-peu-prcs
dont il se contente si souvent.
Rappelons les paroles de Clc'omcde, déjà citées plus
haut : <■ L'arc de la partie concave du saip/ie sera uu cercle
» lie ce si(i/)/ie comme l'arc compris entre Syéné et Alexan-
» drie sera au méridien qui passe par ces deux villes. Or
» cet arc est la 50.'^ partie du cercle dix sciip/ie: donc la
•> distance de Syéné à Alexandrie est nécessairement la
» 50.*^ partie d'un grand cercle de la terre. Mais la dis-
» tance itinéraire est de 5000 stades : donc le cercle
» entier sera de 250,000 stades. "
Dans ce raisonnement, la première proposition est in-
contestablement vraie en théorie : la consécjuence repose
sur cette proposition et sur deux autres données intermé-
diaires, dont l'une est que l'arc intercepté égale la 50.*^ par-
tie du méridien ; l'autre, que le nombre de 5000 stades
exprime l'intervalle des deux villes : de ces deux données
la dernière est sûre, puisqu'elle est fournie également par
l'ensemble des systèmes géographi(]ues d'Ératosthène et
d'Hipparque ; l'autre seule est douteuse, attendu qu'elle
est appuyée sur le témoignage unique de Cléomède. Or
on conçoit que si cet auteur n'avoit donné qu'une approxi-
mation, au litii li'iin nombre exact, la conséquence qu'il
en a tirée se sentiroit de cette approximation. C'est prcci-
sément ce qui a lieu.
Cléomède prétend qu'Eratosthène croyoit (|ue I arc in-
tercepté étoit égal à la 50."^ partie du méridien; ce qui re-
présente 7" 12'. Mais j'ai montré qu'Eratosthène, qui
inettoit Alexandrie à 30" 58', ou a 3 r au plus, et Syénc
à 23° 5 1' 20" de l'équateur , n'a jamais compté entre les
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 301
deux villes plus de 7° 8' 34", valeur de 5000 stades,
c'est-à-dire, au plus -jVî . et non j^, du méridien. 11 est
donc évident que Cléomède , selon son usage , a légère-
ment altéré une fraction très -compliquée, en donnant
seulement -j^„-, et que les 250,000 stades qu'il a conclus
en multipliant 5000 par 50, au lieu de multiplier 5000
par 50*, ne sont également qu'une approximation, et non
pas, comme on i'avoit cru , le rapport exact de la circon-
férence du globe avec le stade dit d'Eratosthène.
Ce résultat est d'une certitude telle, qu'il peut paroîire
assez inutile de montrer qu'une circonstance tirée du texte
même de Cléomède semble ie confirmer encore : je la
rapporterai toutefois, parce qu'elle est curieuse.
J'ai dit, et M. Delambre I'avoit observé avant moi, que
Cléomède, comme la plupart des compilateurs, se con-
tredit fréquemment. En voici un nouvel exemple, en
attendant ceux que je rapporterai bientôt.
Dans le cours de son livre, Cléomède a plusieurs fois cuomed. 1,
occasion de rappeler cette mesure de 250,000 stades, ii,cap.i.piig.
sans faire de nouveau mention d'Eratosthène. En un seul ^''' '-"'■
endroit, il rappelle le nom de cet astronome; et voici Id. 11 , p. f,j.
comment il s'exprime , d'après toutes les éditions anté-
rieures à celle de Balfour : 'ETrïl §v 11 yii tte'vtî ■h.ojj eÏMoi Paris, i/j^,
f^veAdiSïûV y-aùf çaSicùv tessapa'konta k^to ryjv'E^iocdiv'iii 'bZ"l^}6'i!^^ '
gCpoi^v , K. T. A. « Donc , puisque la terre a vingt- cinq my-
» riades de stades, et quarante , selon la méthode d'Éra-
» tosthène , &c, » Balfour, ne sachant que faire du mot Cod.i/foj.fil.
'^r ^11' i^i /!•■ , s 10 recto. Un. y,'.
Tïcua^jwvict [quarante] , la retranche de son édition (i).
(i) M. Bake, dans son excellente
édition de Cléomède, publiée depuis
peu , n'a fait aucune observation
sur ce passage; il s'est contenté de
302 Mt.MOIRLS DE L'ACADEMIE
Il ne ma pas ctc difficile Je ileviner d'où pouvoir venir
cette leçon, et j'ai consulte les manuscrits pour m'assiuer
de ma conjecture. Ces deux mots manquent dans tous
les manuscrits de la Bibliothèque du Roi , excepte dans
un seul, qui est du xiii/ siècle, et le plus ancien de tous;
at.mtJ.p.S'e, on y lit : 'EtteI îiv « yîî mvn ttctf eUaai fA.vpiaiS^v KoJj
^''"' çaJi'av fx. Cette leçon fx [4o] ne signifie rien ; mais,
quand on réfléchit que, dans les manuscrits antérieurs au
XIV. ^ siècle , le ^^ et le /3 sont tellement semblables
entre eux, que le sens seul peut décider le lecteur, on
conçoit que, toutes les fois que cette lettre s'est présentée
aux copistes isolément et dégagée de toute circonstance
qui pouvoit déterminer leur choix, il n'y a pas eu de raison
pour qu'ils lussent plutôt ft que 3, et réciproquement ; d'oii
il rcsulte que ie ^t , dans notre manuscrit du xiii.* siècle,
peut provenir tout aussi bien iSww /3 qui étoit dans le ma-
nuscrit original , puisque le choix du copiste a dû être
tout-afait arbitraire : il est facile de voir, d'après cela, que
ie passage revient à tteW xa» titutox /xvptit^v ko» çztéiav /3 ,
c'esi-a-dire Si<ryjAiuv, ce (jui signifie vingt-cinq myriades
et deux mille , ou 25 2,000 stades. Les copistes postérieurs
ne comprenant pas le l3 , dont on avoit fait arbitraire-
ment'naja.(Çj«;)«>v1a, ont supprimé cette lettre; mais la leçon
du plus ancien manuscrit et de toutes les anciennes édi-
tions est d'autant moins à dédaigner, qu'elle n'est point de
la nature de celles que ks copistes ajoutent au texte. Elle
prouveroit que Cléomède n'ignoroit pas qu'Éraiosthène
comptoit 252.000 stades à la circonférence du globe;
reproduire la note et d'adopter la le- 1 crits qui portent ^ iicjrtisLufla (p. 99
<jon de Balfour. Il cite deux manus- I dt son édition).
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 303
et que, si , en décrivant sa prétendue opération , il s'est
arrêté au nombre 250,000, c'est parce qu'ii l'a conclu
de la fraction approchée -y^ et du nombre de 5000
stades.
Mais, quoi qu'il en soit de cette leçon et de l'induction
qu'on est en droit d'en tirer, il n'est pas moins certain,
par l'analyse même du texte de Cléomède, comparée à
l'opinion bien connue d'Eratosthène ,
I." Que Cléomède est le seul auteur qui parle d'un
stade contenu 250,000 fois dans le contour du méridien;
2,° Que ce nombre est uniquement le produit de la
multiplication que Cléomède a faite du nombre 5000
par 50=1:7° 12' ;
3.° Que le nombre 252,000, le seul cfont Ératosthène,
Hipparque et Strabon ont fait exclusivement usage, n'a
souffert aucune altération, et est bien le nombre primitif.
Une conséquence naturelle des faits présentés dans cette
dernière section, c'est que l'école d'Alexandrie n'a jamais
possédé, à proprement parler, une mesure de l'obliquité
de l'écliptique , puisque le nombre de 23° 51' 20', qui
a toujours passé pour en être l'expression depuis Érato-
sthène jusqu'à Ptolémée et plus tard encore , n'étoit que
la latitude de Syéné , d'après la fausse supposition que
cette ville étoit précisément sous le tropique.
Pour trouver l'obliquité qui résulte de l'observation
gnomonique d'Eratosthène , il ne faut donc partir ni de
cette mesure de l'obliquité, ni de celle de l'arc de 7" i 2'
donnée par Cléomède , entre Syéné et Alexandrie , parce
qu'elle est fausse : on doit prendre les résultats de l'obser-
vation , en les corrigeant des erreurs probables.
3o4 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
Ératosthcne avoit trouve à Alexandrie la distance mcri-
dienne du soleil lors du solstice d'ctd, de. 7° 6' 4° •
En la corrigeant du demi-diamctre et
de la réfraction moins la parallaxe. ... 15 58 ,
il reste pour l'arc compris -" 22' 38".
Cet arc, retranche de la vraie latitude
d'Alexandrie . 31" 12' 17",
donne pour i'ohliquitt- 23° 4p 39 J
ce qui est , à ip" près, la quantité fournie par l'observa-
tion de Pythéas cent ans auparavant , selon le calcul de
C'n»A-s,ini< M. de la Place. Cette différence tient, sans doute, en
iSii,/'. i,'^. partie a quelque erreur d observation sur la distance mé-
ridienne du soleil; du moins est-il assez remarquable,
d'après les recherches de l'illustre géomètre, que les obser-
vations avant l'ère chrétienne donnent toujours' un excès
quelconque sur les quantités déduites de la théorie.
il n'est pas difficile maintenant de déterminer en quoi
a consisté l'opération d'Eratosthène, et de s'assurer cjuelle
ne constitue point une mesure de la terre, piiiscp.i'il au-
roit fallu pour cela que cet astronome eût pris une mesure
astronomique d'un arc du méridien et une mesure géo-
désique de ce même arc, tandis que de ces deux choses
il n en a fait qu'une : car,
I ." Ilamesuréladistance méridienne du soleil à Alexan-
drie lors du solstice, et l'a trouvée de 7" ^ 4° •
2.° Il a mesuré lui-même . nu fait mesurer par d'autres,
la distance méridienne du soleil à Syéné, le jourde l'équi-
noxe : il en a conclu l'obliquité de l'écliptique d'après les
idées reçues sur la position de Syéné ; il la trouvée égale
aux ~/- du méridien =: 23° 5 r' -f.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 305
3.° li a donc obtenu, pour la latitude d'Alexandrie,
environ 30° 58'.
4.° Ensuite , traduisant cet arc de 7° 6' 4°' <Jans un
nombre de stades censés contenus 700 fois dans un degré,
il a obtenu pour la distance des deux zéniths, en nombre
rond, 5000 stades; et voilà comment cette mesure se trouve
être maintenant, à une demi -minute près, l'expression de
l'arc du méridien compris entre les deux points : ce qui
seroit de toute impossibilité , si l'opération eût été faite
comme Cléomède l'a rapportée. Il s'ejisuit donc qu'Erato-
sthène n'a point conclu le module du stade de 252,000
à la circonférence , de la prétendue mesure itinéraire de
5000 stades, mais qu'au contraire cette mesure est la con-
séquence des données qu'il a mises en oeuvre : savoir, une
différence en latitude observée, et un rapport connu entre
un stade réel et la grandeur de la terre.
Il a donc opéré, pour connoître l'intervalle de Syéné
et d'Alexandrie, comme il l'a fait pour celui d'Alexandrie
et de Rhodes. Strabon rapporte que cet astronome avoit
trouvé, par des observations gnomoniques {Sid r axioBr-
pijojiv yi/ccfMivuv ) , que l'arc compris entre Alexandrie et
Rhodes étoit égal à 3750 stades (i), lesquels valent, à 700
par degré, 5° 21' 24"; ce qui est à très-peu près l'arc de
latitude compris réellement entre les lieux. Il est de toute
évidence que l'observation gnomonique n'a pu lui donner
autre chose, sinon le rapport de l'ombre à son gnomon :
Eratosthène a dû ensuite, au moyen du calcul, ou, si l'on
veut , d'une opération graphique faite avec soin , chercher
(l) Au-nç éi iia w cyuo^eiK^r yvcii/uôvuv w^êjfiùv Tf /«•;^^^/i(f i-TnaKomvi -mt-
■n-'(i>fivi.(Sir2.h.lib, Il ,pag. iz6,)
Tome VI. Qt
3o6 MIMOIRLS DL LACADKMIE
quelle ttoit la grandeur d'un angle dont le sinus cioit au
rayon dans le rapport (ju'il trouvoit entre l'ombre et le gno-
mon ; et c'est après avoir connu la grandeur de cet angle
qu'il l'a convertie en 3750 stades, eJi taisant cette propor-
tion :La circonfcrenceest à l'angle trouvé comme 252,000
est à X ; c'est-à-dire qu'il a fait nécessairement la nicme
opération qui l'avoit conduit à évaluera 5000 stades les
TïT ^" méridien , mesure de l'arc compris entre Syéné et
Alexandrie. Dans les deux cas, il a procédé comme (juel-
(ju'un (jui , trouvant la différence de latitude entre Paris et
Alarseille de 5° i 2' 30' , la tratluiroit en i 30 lieues de 2 5
au degré , selon l'usage ordinaire des géographes Français :
opération qui suppose nécessairement l'existence anté-
rieure de cette espèce de lieue.
Sans pousser plus loin cette conséquence, f]ui peut, dts
à présent, être regardée comme rigoureuse, je terminerai
ici ce que j'avois à dire de la mesure d'Eratosthène. Je me
contente d'avoir, par l'analyse des données qui s'y rat-
tachent, déplacé le point de la question, en prouvant que
ce qu'on avoit pris pour un principe n'est réellement qu une
conséquence, et d'avoir montré qu'Eratosthène a fait seule-
ment l'une des deux opérations nécessaires pour constituer
une mesure d'un arc du méridien.
Je vais poursuivre l'analyse de deux autres textes de
Cléomède relatifs à la mesure de la terre, et qui méritent
également un examen très-attentit.
. DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 3C7
SECTION QUATRIEME.
De la Mesure de la Terre estimée à ^00,000 stades ,
et qu 'oTi a cru retrouver dans Cléomède.
Il est assez remarquable que l'erreur faite par Cicomède ,
ou par celui qu'il a copie, en expliquant l'opération d'Éra-
tosthène, se retrouve dans une autre opération , à laquelle,
très-certainement , il n'a rien compris.
Je dois commencer par rappeler que la mesure de
300,000 stades, dont il va être question, est donnée par
Archimède dans l'Arénaire : ainsi elle n'appartient ni à
Eratosthène, ni à ceux qui l'ont suivi. J'ai fait voir aussi,
dans un Mémoire lu à l'Académie, que cette mesure vient
des Chaldéens, comme il résulte d'un passage d'Achiiles
Tatius, et qu'Archimède en a dû prendre la connoissance
dans un écrit d'Aristarque de Samos, qu'il a cité. Après
ces renseignemens préliminaires, qui établissent déjà que
cette mesure ne sauroit être attribuée à l'école d'Alexan-
drie, je passe au texte de Cléomède, où il n'est nullement
question d'une mesure delà terre, comme on s'est accordé
à le croire.
KcqVrv e/ 'TfKctrvii ^ci\ èvn- Si la terre étoit plate, dit-il, CkcmeJ. p,g.
7riS^a>6x.é^v]oTSa-^v^i^Tl-r a s'ensuivroit que le diamètre ■^^"■î^>
yr, SiK9^ fxvpiÂS^av V 'oAr av de tout l'univers nauroit que
-mi y.ô(7fj.ov «ficcVeiÇoç yiv. 100,000 stades. En voici la rai-
Toîtifxev yipzv Avin^xa.^iaç, son : la tête du Dragon est au
yjLTO. jwpuîpyiv gçj r iw A^- zénith de Lysimachia ; le Cancer
ja)i7î4 xe^ctAn • t i'e c^ ^vrw atteint celui de Syéné. On s'est
Q ' i;
3o8 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
assuré par des observations gno- tbtt&jv , VTrépxthaj o Kctpjcîvoç •
inoniques, que Tare intercepte "nv ai S)a Avai/uayiaç ^"Lvr)-
entre Syéné et Lysimachia est v*"^ riwv.oi; /A.ecrrfA,Ç,pt\« , ttev-
égal à la I 5.* partie du méridien. TEX-Ofi^K^CTCV /xeg^ç éa-Tlv , rî
ûvov Tnpt^épetau, a^ ye «floc t
Or la I j.' partie du cercle <rKioâvçjiKCù)i hiKvvraji. To Si
est ia 5.' du diamètre. Si donc, ""W oA« Xf'xAot; Tniienst-'Sî-
en supposant la terre plate, KS^T^v, -Tré/x-Tr-niv rHi Sxct^t-
nous abaissons deux verticales '^^^ ylvera^. 'Av TtnuvjTnTn-
h partir de chacune des extré- ^^ VTndéfxevot ttv^ 7ÎÏV, yjc-
mités de l'arc céleste, qui se ^^-^^^ évr' <lCt^i d;^y^fA.ev,
terminent au Dragon et au Can- c^"^ ^i/ ciy«v t^ç Tnp.^Ê-
,, . , . V c - ' . Pe/ct$,Tr$ CtTH) TLD A/OaxûVTB^
cer, elles tomberont a byene et ', , ' ^ ^ , <-^ ,
^ . . ,. T.- II j Ê"^ Kctp)t<VûV JÎxoi/trr;, e^et-
à Lysimachia. L intervalle de , ^ ~ r - •> r.
. , , -J/ovjûL) m; diAUÊifûti, n dicc-
ces deux verticales sera de ' ~ ' rv v _ ■
/XÉTPet TDV dlot il/JIVr^ KOf At>-
20,000 stades , parce que telle , ^ , ,.
en L(jf.ytaci fA.etTinfA.'o^yo\i. Eçrt/
est la distance qui sépare Syené /?- , ►. ^ ^^ ,
de Lysimachia. Puisque cet in- ' (\ cv ' a ^ '
tervalie équivaut Ji la j.' partie ^^ ^^v j;,.»,'»).^ e,^ AtJJi/.(5C-
du diamètre, le diamètre du mé- ^j^ ç^'/lo/. 'Em) .^lït; mé-
ridien aura donc ( 20,000 x 5 ) ^^^ ^^ '^^^^ SloLutliV TiZ-n)
100,000 stades; le monde ayant ^ SiÂçnuau, Sins^. fUje^tocJ^wv
100,000 stades de diamètre, ^oArt viv fJierti/JiCpivôrJ J\a.ut-
le plus grand cercle en aura ^^^ yev^TeTOf. Aéxji ii /xt/-
300,000. p«x!/a>i' rriv Jidixe'T^ov 'i^uv
ô ■/Mcrjj.'ic, , T))' fA.éyiçr)v e^ei
)ci/'x.Aov /xvptciS^ctv 'rÇi<t>w>7a.
Or la terre, qui n'est qu'un FI^; 0» " 7^ /"if Ç7>ft«(.(et,
point relativement au monde, a ^ja, -yêVTE koh etKoa f/.vpia.-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 309
S'uv ça.Sici]/ Içf. 'O J^è 5iA(o$ 2 5 0,000 stades de circonférence;
^vr^ 'jnÀ.V'Trkcunuv Içiv , et le soleil , beaucoup plus gros
è?^yiçr)V fJié^i tou ov^vov qu'elle, n'occupe qu'une très-pe-
C7m.f>YUV. nSç oux) »^J »tct< titepartiedu ciel; n'est-il pas évi-
ctTTO 7t)t;7tyv tpstvgg^'v, oTi ft» dent, d'après cela: que la terre ne
ofo';/ t' èTUTTiShv ùvcLj TTjv ^V; pgut être une surface plane '.
On voit que, dans ce passage, les 500,000 stades;
loin d'exprimer une mesure de la terre , ne sont que ia
conséquence d'un raisonnement que fait Ciéomède (ou
qu'il a trouvé quelque part), afin de pousser à l'absurde
les gens qui soutenoient que la terre est plate ; et pour
cela il pose des prémisses qu'il regarde comme prouvées:
car voici son raisonnement, présenté sous une forme plus
claire : « Syéné est placée sous le tropique , et Lysima-
» chia sous le Dragon : si la terre étoit plate , les deux
» verticales abaissées des deux zéniths seroient des paral-
» lèles ; or , les deux villes étant éloignées l'une de l'autre
» de 20,000 stades, et leurs zéniths étant séparés par un
» arc de 24**» o** '^^ ^^ quinzième partie de la circonfé-
» rence , il est clair que l'éloignement du Dragon et du
» Cancer, dans le ciel, seroit également de 20,000 stades:
» il en résulte que la circonférence du ciel seroit de 20,000
» stades x 15 = 300,000 stades ; mais cela ne sauroit
'» être, puisque la terre, qui n'est qu'un point dans le ciel,
» a 250,000 stades de tour à elle seule.»
D'après cela , il est certain que la seule mesure de la
terre dont il soit ici question , est celle de 2 5 0,000 stades ;
l'autre, celle de 300,000, n'exprime que la grandeur qu'il
faudroit supposer au ciel , dans le cas où la terre seroit
3IO MÉMOIRLS DE LACADÉMIE
plate, les donntes indiijuces par Cicoinèdeciant d'ailleurs
supposées exactes. C'est un nombre amène par le hasard :
car de toutes ces données il n'en est qu'une seule de juste;
encore en a-t-on fait un usage étrange. Ces données, les
voici :
I ." Lysimachiaet Syénésont situées soi» le mîme méri-
dien; 2." la tîte du Dragon est au zénith de la première de
ces deux villes; 3." le Cancer est au zénith de la deuxième;
4.'' le Cancer et la tète du Dragon sont éloignes l'un de
l'autre de la quinzième partie de la circonférence, ou de
z4° ', y" Lysimachia et Syénésont à 20,000 stades l'une
de l'autre. Examinons toutes ces données l'une après l'autre:
nous verrons ,
I . Que Lysimachia et Syéné ne sont pas sous le même
méridien ; l'écart de longitude est de plus de 6 degrés :
mais cette erreur appartient encore à Eratosthène et à
Hipparque, qui pla(,oient sous le même méridien Syéné,
Ci^»///«, o.' Alexandrie et l'Hellespont.
'!I°alj]<f! tM -'''' Qi'e 1^ i<^te du Dragon n'est pas au zénith de Ly-
^''' simachia. Cléomède ne s'aperçoit pas qu'il ebt en contra-
diction avec lui-même, puisqu'il a dit ailleurs, d'après
Àrjii Phana Aratus , que , pour le climat de la Grèce, la tète du
"""Î'M. ' "^ Dragon limite le cercle arcticjue (i) en touchant à l'ho-
rizon, ce qui est très-juste; car, au temps d'Aratus, y
du Dragon avoit 51° 48' ^o" de déclinaison boréale:
cette étoile ne se couchoit donc point pour les lieux situés
à 38° II' 20", ni même pour ceux dont la latitude n'ctoit
(.';
(1) Ka< au TÎrer itr Tfn'ni a-ti fjJk-
nuCi^aU T^( OfKTtt lctt,ù( li Evrn«r
(Cleomcd. pag. 22.)
Jiokg.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 31.
que de 3 7° 28', à cause de la réfraction ; et c'est sans doute
pour cela qu'Hipparque ne l'a placc'e, dans son commen-
taire sur Aratus , qu'à ^7° du pôle. Quand Cléomède Hippsnh. ad
dit ensuite que y du Dragon passe au zénith de Lysima- p^?. 102 Vr
chia, il tombe dans une e'vidente contradiction, et tait
une lourde bcxiie; il faudroit pour cela que la latitude
de Lysimachia fut de 51° environ.
3.° L'inter\'alle entre y du Dragon et le Cancer, cest-
à-dire, le tropique, n'est point de 24°, ou de la quinzième
partie de la circonférence, comme il le prétend : cet in-
tervalle est de 27° 57' 20', ou de 28", en partant de
l'obliquité supposée de 23° 51' 20".
4.° Enfin la distance de Syéné à Lysimachia est, non
pas de 24°, mais de \6° 4°' environ. Elle n'est pas non
plus de 20,000 stades ; Cléomède se contredit encore:
dans un autre endroit, il met 10,000 stades entre IHel-
lespont et Alexandrie (i) ; en ajoutant 5000 stades pour
la distance de Syéné à Alexandrie, on a i 5,000 stades, et
non pas 20,000, entre Syéné et l'Hellespont.
Y a-t-il rien de plus étrange que l'assemblage de tant
de données fausses et contradictoires! J'ai dit qu'une seule
de ces données est exacte ; c'est la prétendue mesure iti-
néraire de 20,000 stades entre Lvsimachia et Svéné,
villes supposées placées, l'une sous le Cancer, l'autre sous
la tête du Dragon. On voit encore ici une trace des idées
d'Eratosthène.
L'étoile y du Dragon avoit, comme je l'ai dit, 51° 48'
40 de déclinaison boréale. Cette étoile s'élevoit donc au
(l) i.-xfi Tn ■miaïu^taoi iinr ârnAti- ' lav^xici tîç 'E»,«Vaiî"a/. ( Cieomed.
312 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
•Zenith d'un lieu situe vers 5 1''4^ 4o ^e latitude, consc-
quemment situe à 28*^ environ de Syéné. Cet arc étoit
évalué à 20,000 stades : or 20,000 stades de 700 au
degré représentent 28° 34'; ou bien 28° valent ip,6oo
de ces stades; en nombre rond, 20,000 stades.
Jl resuite de ce rapprochement, que les 20,000 stades
de Cléomède (ou plus exactement 19,600) ne sont autre
chose que la traduction en stades de 700, de l'arc de
latitude compris entre le tropique et le zénith de 5 i" 4^
de latitude.
C'est cette traduction que Cléomède, ou plutôt le cos-
mologue qu'il a copié, prend pour une distance itinéraire:
erreur analogue à celle qu'il a faite en parlant de la me-
sure d'Eratosthèiie.
Au reste, les conclusions que je tire de l'examen du
second passage de Cléomède, se réduisent à ceci : i." il
n'y est nullement question d'une mesure de la terre, comme
on l'avoit cru ; 2." le nombre de 300,000 stades, dont
parle ici Cléomède, n'a rien de commun avec la mesure
dont parle Archimède avant Ératosthène , que les Chal-
déens connoissoient , qui a été employée par les anciens
dans des évalutions de distances auxquelles Eratosthène
lui-mcîme n'arien compris. Conséquemment, cette mesure,
comme la précédente, n'est point le résultat d'opérations
quelconques qui auroient été faites dans l'école d'Alexan-
drie.
SECTION
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 313
SECTION CINQ,UIÈME.
Des deux A'îeswes de la Terre attribuées à Pos'idimïus.
Ces deux mesures nous sont connues , l'une par
CIcomède , l'autre par Strabon. Voici comment s'exprime
le premier :
^y\a\^ (nooT/J^a'noç^ i^Tra Posiclonius dit que Rhodes et Ckomcd.p.si
TU ctwTO fxi(nnfA.Ç,fii\Où xeTcÔa^ Alexandrie sont placées sous fe " '^'
'PÔShv JCûtf 'AAe^co/jyeicu! .... même méridien. L'intervalle des
KaJj Tt S)aiçy\/uoi to /^evaçù t deux villes passe pour être de
TTOÀgav , 7nV7a.K-«ryiXiUV çw.- 5000 stades ; supposons que
Sicùv elvctf J^oxfr KOf virvx.ei- cela soit ainsi. Les méridiens
c3a »7W$ è'^Ê/V. E/jJ J^e :0) TTOV- sont de grands cercles , puisque,
T^ç 01 fJiia-riiJiÇ,fii\o\ tS'v ixîyi- décrits par les pôles du monde,
ç&iy cà' JcooyUû) jcu'x-Aav, ël<; Svo iis le coupent en deux parties
iW Tî/;W0VTEç cLViiv, Koùf Sloi T égales,
T»7Zi)V Tî/vDV ifTWç ê';)(^£Ji' Cela posé , Posidonius divise
tjTTBJa/^VùJV, éçri^ ô XIofTElcf «'- ensuite le zodiaque en 4^ par-
vioç JUOV 'oVTZt Tî'v ^ùJcTlctJWV TOi^ ties , dont 4 dans chaque signe :
IJi,e(rTnfxQpivo7i, gTTEi x-o^ cttJTî^i; or le zodiaque est égal au mé-
etç ^0 ïaa. Ti^fi Ti]/ Mojxov , ridien , puisqu'il partage aussi
6/4 OX.TO' icoLf TiojiLcc/iyjiWcx. le monde en deux parts égales.
"Av -ntvvv xa] 0 SU 'Po J^y Si donc on divise le méridien
)tûL( 'AM^cLvJ^sico; fXta-t\u.Ç,ÇJ-- qui passe par Syéné et Alexan-
*04, tic, TO a.d'm. to («<fictx2; drie en 48 parties, comme le
Tome VI. R»
3'4
MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
zodiaque , chacune sera égale h noJztç^MVTO. Kctf ox.Tto ^«pn
celles qui divisent ce dernier cflst//)gc5f, îW y/vÊ.fiti «tûr» va
cercle. T/jLr.pi^rcx. TDK fnrC^eipy^évoH
TBU ^cùSioLy.'S TfÂ.ri/jjxciv.
Posidonius continue. Il dit 'E^rç CpJioîv o HomS^uiioç
que Canope est une étoile très- OTt Kct'vwCoç JtacAtf^uevo^ ctçitp
f f y ^
brillante, située au midi , vers le .;\3tu.(i3TC97a'n)4 êçi 'ûTÇ^'i /aê-
tiinon du vaisseau Argo ; que ce (pt /jlQçJloui , càc, èva to tttjJccA/Cij
n'est qu'à Rhodes que l'on com- tw4 'i^p'îJç '^PX^^ "^^
mence à l'apercevoir: elle s'y of^crjzu iy'PoS'ùf ;\aii/xQa.v£l,
montre h. l'horizon , et se couche ko^ o(p3eU êttï Ttv o'^i^oi'TOç,
tout aussitôt, emportée par la evdéo)^ xjltk T)Jv ç-^(pnv Too
révolution du monde. xSffjxov ){si7a.S\}el ctf (i)-
Lorsqu'après avoir navigué , 'O-rroTa.}/ Si tbu^ ctTra 'PôSbv
à partir de Rhodes, l'espace de dç' AAè^di\$fiiaui -Tavnx.y.ia-^i-
5000 stades, on est arrivé à a/ok$ ça cTj ou<; /jcc 'TrXewo^'nç,
Alexandrie,on trouve que l'étoile cvc 'AAe^c(.Vc/)oe/ût, ^vùJ//«^,
de Canope, parvenue juste au mi- evcia-xPict^ 0 olçti/' WT7)4 o^j/o^
lieu du ciel, s'élève au-dessus de eL7rÊ;^c«)V T? ôp/^cvTBç, ÊTrtiJ^àv
l'horizon, du quart d'un signe ou ^x/^jf^^f^ /x,e<rf£5tv>;cnf, -nrct^-
de la quarante-huitième partie du
zodiaque. Nécessairement l'arc
du méridien céleste, correspon-
dant h la distance des deux villes,
est aussi la quarante-huitième
partie de ce même méridien ; car
cet arc est la mesure de i'inter
çcv oyShoy T'Ai ZfiùSXmiC^. 'Avct-
•yx» TcAtiv KOf 7B v7npxf(/Jie)/ov
Too cLiJTT/U /xecrrfxQpivov T/x-îï-
TK^O 'PoJ^ot; >^ 'AAE^(^o<y)oe/*ç,
valle qui existe entre l'horizon de -nora^xoçôv »ta^ iy^ov ixé-
Rhodes et celui d'Alexandrie. d^^ «-«^"^«^ elvcq • /ict 7^, iw-n
( I ) KiK Tir KcaoCer fxmwn ^eunSeii ,
â^yLT^ioM /* u-irip TU (Je/^cfTB •rzDtfm.
/l' o» 'Véiu iraçfL^ùfm -nr o'et'^orw,
Ka'ht-np >>«y( ncffinfaVicf. ( l'roclus, /«
Tiiiuvum j p. 2/y' , cd liiisil.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 315
KA( 7BV ÔPlloVm T 'PoJ^WV, TOI»
'EtteI cSv T^roi Tixr.y.cL-n -ni Or, puisque l'arc correspou-
tyTnJXÉ/Vevov t?^ >^$ y^ee^^, dant du méridien terrestre ;;<2jje
mV7ay.<<r;:^iA/'a)v çrt«fi«v gTvct^ pour être de 5000 stades, le plus
ibx^r K^^ «TO$ 0 ^aeVç'^ ê"'^^ "'"'^^^ '^'^ '''' '^^''''^ '^'■''' "^^
KtiicAoç T^^ yîÏ4 gt5/)/<r3CÉr«^ }xm- ^40,000 stades , si toutefois la
çj.lS^m rnaJvipo>v ko] ihcaiv, distance est bien de 5000 stades;
lA^ Zaïv 0/ ctT^ 'Po>K TTiVTa- s'^o" J'-' circonférence sera pro-
„,'i,., . ^,' A^ .,J ,^«oV portionnée à cette distance,
^ ' _ '^ t\. ' auelle qu'elle soit.
D'après ces détails, il seroit évident que le stade de
240,000 à la circonférence a été conclu par Posidonius
d'une combinaison dont il étoit l'auteur : dès -lors ce
stade ne sauroit être plus ancien que cet auteur. Cepen-
dant M. Gossellin a fait voir que trois des principales Recherches,
mesures de l'Inde, selon Patrocie, sont exprimées dans ce ,^\_
module.
Et, comme il est impossible qu'un stade employé deux GossflUn, Me-
cent trente ans avant Posidonius soit de iinventionde ce j,_2i; -ctcùim
philosophe, il est naturel de douter du récit de Cléomède. " ''"-f'^S- '•
II est assez remarquable que parmi les faits rapportés
par ce .compilateur on ne trouve qu'une notion juste,
combinée avec plusieurs données que Posidonius savoit
être fausses.
Il suppose, d'après Cléomède, que la différence entre
les parallèles de Rhodes et d'Alexandrie est de la quarante-
huitième partie du méridien , ou de 7° 30'; tandis que la
différence réelle n'est que de 5° 16', ou de la soixante-
51(5 MK.MOlKLi) L)L L' ACADEMIE
luiiticine p;irtie du cercle entier. Les latitudes de Rhodes
et d'Alexandrie ttoient alors parfaitement connues parles
travaux d'tratosthcne et d'Hipparque : il est donc im-
possible (jue Posidonius , qui vivoit à Rhodes , ait cru
l'intervalle en latitude des i.\uu\ lieux plus grand de 2" -j-
qu'il ne l'est réellement. Sur quoi Posidonius établissoit-
il cette opinion ! sur ce (juc l'ctoile de Canope parois-
soit à Rhodes précisément dans l'horizon , et s'élevoit à
Alexandrie de la quarante-huitième partie du méridien:
or cette donnée est tort exacte. L'étoile de Canope avoit,
du temps de Posidonius, 51° i 8' de déclinaison australe;
elle ctoit donc visible jusqu'à 38° 4^' <Je latitude nord :
ainsi sa hauteur vraie, au méridien d'Alexandrie, ctoit de
( 3 8° 4- — 3 '° 12) 7"^ 30'; en y ajoutant la réfraction, on
a, pour la hauteur apparente de Canope, 7° j6' 40 . Posi-
donius la supposoitde 7" 30'; détermination assez juste, et
d'autant plus remarquable, qu'elle donnoit la position de
l'ctoile, corrii^ée de la rétraction : mais c'est sans doute un
pur effet du hasard, puisque les anciens, avant Ptolcmée,
ne paroissent jamais avoir soupçonné l'effet de la refrac-
tion sur la hauteur des astres. Cette détermination est plus
ancienne que Posidonius : non-seulement elle existe dans
c<mix. y. z , Géminus,qui vivoit quelque temps auparavant, maison la
trouve dans le commentaire d'Hipparque sur Aratus. Cet
l'(i.u>. Uraiio- astronome dit«iue l'étoile de Canope est à 38" 30 ilu pôle
teg. .mctar. Il, i i • « i ^
t.>p. II. p. yy, austral, et (|uelle ctoit trcs-visibie a Atncncs et sur-tout
'"i/. . , à Rhodes. Or, si de î8° îo' vous retranchez la latitude
Hifp. tu Ar/it. J ■>
/, 1. -•'■• />. /;6 d'Alexandrie selon les anciens, savoir, 31", vous aurez,
pour la hauteur de Canope au méridien de cette ville, juste
•j" 30' : d'où l'on voit clairement que cette observation,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 317
dans le commentaire d'Hipparqiie , n'est autre chose que
le résultat de l'addition de 3 i ° , latitude d'Alexandrie , avec
7° 30', hauteur vraie de Canope au parallèle de cette
ville. Mais, comme on s'accorde à dire que le commen-
taire sur Aratus est de la jeunesse d'Hipparque, et qu'il fut
rédige avant que cet astronome vînt s'établir à Rhodes
et se rendît à Alexandrie , il s'ensuit que ces deux don-
nées, savoir, la hauteur de Canope, de 7° 30', et la lati-
tude d'Alexandrie, sont des déterminations plus anciennes
qu'Hipparque, et remontent, soit à Ératosthène, soit à
quelque autre astronome. Cette conséquence, à laquelle
il paroît difficile de se soustraire, nous amène encore une
fois, par une route différente, mais sûre, à l'idée qui a
déjà résulté des faits rapportés précédemment, c'est-à-dire
qu'Hipparque, qui a fait extrêmement peu d'observations
à Alexandrie, n'a point observé la latitude de cette ville,
et s'est conformé, siu- ce point comme sur la mesure de
l'obliquité, à l'opinion reçue long-temps avant lui.
Quoi qu'il en soit , on voit que des deux données sur les-
quelles repose le calcul qu'on attribue à Posidonius, l'une
est assez juste, savoir, la hauteur de Canope à Alexandrie;
l'autre est fausse , savoir, la hauteur de la même étoile à
Rliodes. En effet, la ville de Rhodes est à 36° 26' de lati-
tude ; Canope s'élevoit donc à l'horizon de cette ville de
2" 50 , ou d'environ 3", et elle devoit rester sur l'horizon
plus de quatre heures. Mais à qui persuîidera-t-on que Po-
sidonius , qui séjournoit et observoit à Rhodes , ait cru,
comme le prétend Cléomède, que la hauteur de Canope y
étoit nulle , et que cette étoile ne restoit sur l'horizon qu'un
instant! c'est néanmoins cette donnée, dont le philosophe
^i8 MKMOIRES DE L'ACADEMIE
stoïcien devoit coniioître toute la fausseté, qui constitiie
la base principale du calcul cjue lui attribue Clcomède.
Faites-y le moindre chani:fement , et le rc'sultat ne sera
plus le mcme : on ne trouvera plus, pour la circonfcrence
du globe, 240'000 stades, c'est-à-dire le produit de 5000
par 48.
Dès- lors il n'y a plus qite trois suppositions à former
sur l'origine de cette donnée, fondement unique du calcul:
ou c'est une erreur, ou c'est un mensonge, ou c'est une
hypothèse que Posidonius a faite sans prétendre tromper
personne.
i.° Ce n'est point une erreur, puisqu'il est de toute im-
possibilité que Posidonius ait vu l'étoile de Canope juste
à l'horizon de Rhodes, et qu'il ait cru que son apparition
n'étoit qu'instantanée , comme le dit Cléomède , tandis
que cette étoile s'élevoit réellement à une hauteur égale
à cinq fois le diamètre du soleil, et restoit visible pendant
quatre heures vingt minutes ou quatre heures et demie,
à cause de la réfraction.
2.° Ce seroit donc un mensonge, à l'aide ducjiul il au-
roit arrangé les faits de manière à retrouver une ancienne
mesure de la terre , dont il se seroit attribué faussement
Oier. Tutcui. l'honneur : mais cette idée répugne au caractère de Posi-
Quttitifn. III, ,
f.ùi. donius, stoïcien outre.
3." Reste donc la troisième supposition : plusieurs faits
vont établir que c'est la seule vraie.
Il faut rappeler ici, i ." que, selon Ératosthène, cité
par Strabon, on connoissoit trois estimations de la distance
d'Alexandrie à Rhodes : deux nautiques, c'est-à-dire, re-
posant sur l'estime des marins , et conséquemment fort
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 319
incertaines ; l'une de 4000 , l'autre dei5a>:ob stades. Cette
dernière est précisément celle dont s'est servi Posidonius;
et, d'après les paroles de CJéoraède, ce philosophe savoit
bien que c'étoit une évaluation donnée par les marins. La
troisième, celle de 3750 stades, résultoit d'observations
gnomoniques faites à Rhodes, et dont Ératosthène avoit
conclu un arc de 5° 21' 17", traduit par lui dans un
nombre de 3750 stades , de même qu'il avoit traduit en
stades l'arc de latitude entre Alexandrie et Syéné.
2.°' Que Posidonius, selon Strabon , supposoit à la
circonférence du globe 180,000 stades ; ce qui est bien
différent des 240,000 stades qui résultent de l'opération
décrite par Ciéomède. M. Gossellin a fait voir que l'une et
l'autre proviennent de la combinaison de la même donnée
astronomique avec les deux mesures itinéraires de 5000
et de 3750 stades : cette donnée est, comme on l'a vu,
que l'arc intercepté entre Alexandi'ie et Rhodes est de ^p^-
du méridien iir: 7" 30'. Si l'on prend les 5000 stades de
distance itinéraire, la circonférence devient 5000 x 48,
:=: 240,000 stades : si l'on pfend, au contraire, celle de
3750 stades, on a, pour la circonférence, 3750 x 48::=:
180,000 stades.
En combinant donc Strabon avec Ciéomède, on voit
que Posidonius, par le seul changement de la mesure de
l'intervall» terrestre, étoit arrivé à deux déterminations
de la grandeur de la terre, très-différentes l'une de l'autre.
Mais ce seroit supposer Posidonius bien ignorant et bien
mauvais raisonneur , que de croire qu'il ait pu faire le
moindre fond sur deux résultats contradictoires, variables
avec les mesures hypothétiques d'où ils étoient conclus , et
3ïq MÉMOIRES DE LACADÉMIE
fondes sur un fait nitronomicjue qu'il savoit ctre inexact.
Ce qui contribue encore à le prouver, ce sont les ex-
pressions mcines de Cltomède, qui annoncent par-tout le
doute et l'incertitude. «L'intervalle des deux villes passe ,
n dit-il ► pour être de 5000'stades: supposons que cela soit
•» ainsi. Alors &c. » Dans un autre endroit : « Puisque la
" distance passe pour être de 5000 stades, » Enfin , en
terminant, il dit: «Le grand cercle sera donc de 240.00°
" stades, si toute/ois il y ii bien réellcmcut 5000 stades jusr
" qu'à Rhodes; autrement la circonicrence du grand cercle
» sera proportionnée à la distance quelconque qui sépare
" Rhodes d'Alexandrie. »
Si Cléomcde, qui n'avoit point d'idées à lui, et qui,
dans toutes ces matières, ne voyoit que par les yeux des
autres, a employé de semblables tournures, c'est que les
résultats qu'il rapporte étoient présentés sous forme d'hy-
pothèse par Posidonius. D'après les expressions dont il
se sert, on voit clairement que Posidonius donnoit tout
cela comme des suppositions, d'où résultoit une consé-
quence hypothétique, variole selon la mesure itinéraire
qu'on vouloit employer : choisissoit-on celle de 5000 stades,
on avoit 240,000 stades pcnir la circonférence ; prenoit-
on celle de 3750. on avoit 180,000 stades.
En pesant donc bien ces trois faits, 1 ." Posidonius s*èst
servi d'une donnée astronomique qu'il savoit fausse ; 2.' il
a employé deux mesures itinéraires, qu'il donne pour in-
certaines et hypothéti(jues ; 3.° il a trouvé par ce moyen
deux mesures de la terre, dont l'une se retrouve dans des
évaluations de distances données par des auteurs plus an-
ciens que ce philosophe, et l'autre a été employée exclu-
sivement
DFS INSCRIPTIONS ET BELLIS-LETTRES. 311
sivement par le géographe Marin de Tyr, comme une
mesure gcncralement placée parmi les plus exactes ; et
Marin en auroit jugé autrement, si elle ne lui avoit été
connue que par la prétendue opération de Posidonius :
en pesant, dis-je, ces trois faits, on est conduit à penser
que Posidonius n'a point du tout prétendu donner deux
mesures de la terre ; qu'il a voulu simplement expliquer
le moyen de connoître la grandeur de la terre ; et qu'il
a pris des exemples hypothétiques , afin de rendre son
explication plus claire : de sorte qu'en conservant toutes
les données que nous a transmises Cléomède , sans en
saisir ni l'esprit ni l'ensemble , en y intercalant les idées
intermédiaires qui servoient à les lier , d'après la nature
même de ces données, on voit que Posidonius a dû pré-
senter ainsi son explication : » Pour se faire une idée de
» la grandeur de la terre, il faudroit mesurer un arc du
» méridien, et multiplier cet arc autant de fois qu'il seroit
» contenu dans le cercle entier; et c'est ainsi qu'on a trouvé
»> deux mesures de la terre, dont il est souvent question:
» l'une donne au globe 240,000 stades de tour ; l'autre
>' lui en donne 180,000. Montrons comment on pourroit
» arriver au même résultat par diverses hypothèses. L'étoile
» de Canope s'élève de :^ de la circonférence à l'horizon
» d'Alexandrie : supposons, ce qui n'est pas vrai, mais
» PEU IMPORTE, qu'elle soit juste dans l'horizon à Rhodes;
•■■> nous en conclurons qu'il y a ^ du méridien compris
» entre les deux villes. Maintenant, la distance itinéraire
» de ces villes est, selon les uns, de 5000 stades ; selon
» d'autres, de 4ooo ; selon Eratosthène, de 3750 : pre-
" NONS PAU HYPOTHÈSE la première et la dernière ; mul-
TOME VI. S^
312 MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
»• tiplions l'une et l'autre par le incnie nombre 48 . et nous
•» aurons 240,000 et i 80,000 stades : mais il est clair que
■> ces nombres seroieiit dilfcrens, si nous changions les
•> données hypothltiques que nous avons choisies. >»
Telle est la manicre dont Posidonius a dû, selon nous,
présenter ses idées. Si l'on se refusoit à admettre notre ex-
plication, (jui présente l'avantage de rendre raison de tous
les faits , sans compromettre le caractère de Posidonius,
cela ne feroit rien au fond de la question : car on seroit
alors contraint de revenir à la deuxième supposition , et
de dire que ce philosoplie a exprès arrangé le fait astio-
noniique pour s'attribuer l'honneur de la mesure ; et ,
dans l'un comme dans l'autre cas, il faudra bien admettre
que les deux mesures de 240,000 et de 180,000 stades
sont d'une époque antérieure à cet arrangement , quel
qu'ait été le motif de Posidonius.
Dans le cours du Mémoire , j ai présenté le résultat île
chaque section en particidier : il ne me reste donc pluscju'à
présenter les conclusions générales qui se tirent de l'en-
semble. Les anciens nous ont conservé le souvenir de
cinq estimations de la grandeur de la terre, explicitement
intliquées : i." celle de 4oO|000 stades, transmise par
Aristote; 2.° celle de 300,000 stades , dont parle Archi-
>ncde , et que les Chaldéens connoissoient (ces deux pre-
mières n'ont évidemment rien de commun avec l'école
d'Alevandrie) ; 3.'' la mesure de 252,000 stades, attri-
buée à Eratoslhène, mais (jui existoit avant lui ; 4-" celles
de 240,000 et de i So.ooo stades attribuées à Posidonius,
et dont il fiait porter le même jugement.
"5 *> ■»
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
D'une autre part, il est prouvé que, depuis l'établisse-
ment de l'école d'Alexandrie, on n'a rien fait qui ressemble
à une mesure d'un arc du méridien , laquelle se compose
nécessairement de deux opérations, l'une astronomique,
l'autre géodésique ; car Ératosthène n'a fait que l'une des
deux , et Posidonius n'a fait ni l'une ni l'autre.
Les diverses déterminations de la grandeur de la terre,
justes ou non , ce qui n'importe en rien à la question
que je traite, sont donc plus anciennes que cette école
fameuse : elle en a adopté quelques-unes dans le dévelop-
pement de divers systèmes géographiques , mais sans
prendre aucun soin pour en vérifier l'exactitude. Or,
comme une opinion quelconque sur la grandeur de la terre
suppose nécessairement aussi une opération quelconque qui
lui sert de fondement , il est clair qu'antérieurement à
l'école d'Alexandrie il avoit été fait une ou plusieurs ten-
tatives , plus ou moins heureuses , soit en Asie, soit en
Egypte, pour connoître la grandeur du globe.
SMj
5 24 MÎ.MOIRrS DE L'ACADi.MIE
MÉMOIRE
SUR LLS ORIGINES
PLUS ANCIENNES VILLES DE L'ESPAGNE:
Par m.' L. PETIT-RADEL.
Lu le »i Juin L, A domination des Carthaginois et des Romains a-t-elle
'^'^' anéanti tout moyen de leconnoître distinctement les ori-
gines des villes fondées par les Ibères ou par les Celtes ,
prédécesseurs des Carthaginois dans la possession de l'Es-
pagne ! et cette contrée n'auroit-elle conservé d'autres
traces de ces origines que les dénominations générales de
Cclli<]iie , (Mhc'ric et de Ccltiln'rlc , dont la première ne se
lit plus qu'à l'extrémité occidentale de cette contrée, dans
/Î''t't5^!; "OS cartes de géographie ancienne !
'•;"r-' ^'- i' On nourroit croire, en effet, que toute autre marque
;.; : / :p.ign,is. En ' ' l 1 1 <
/. / •. //y/, distinctive des établissemens des Celtes et des ibcres seroit
.'i^Tu/w- abolie sur ces cartes, quand on voit que, dans les recherches
\„J'JZJ',ja, qui ont précédé ou suivi celles-ci, les savans n'ont tire de
0-c. MiAfid. t,-i„t tl'anciens noms comparés que des inductions vagues
/:,■''■.■,•, Dni- ou purcinent étymologiques, et qu'ils ont négligé tous de
.,' relever les rapports historiques que ces noms, considérés
f -, dhalut. séparément, doivent avoir eus avec les deux peuples (jui
aiiiq. mtntiortt. ont été les auteurs d'une civilisation antérieure aux con-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 325
quêtes des Carthaginois et des Romains. On s'est égaré sur-
tout en cherchant ce que pouvoient signifier les noms de
lieux, quand il ne s'agissoit que de constater littéralement
les homonymies , et de remonter par d'autres moyens à
leur origine distincte.
Je ne me suis pas dissimulé qu'une tentative en ce genre
est difficile : car à quel caractère croira-t-on pouvc ir dis-
tinguer les établissemens des Celtes en Espagne d'avec
ceux des Ibères î et comment ces caractères peuvent -ils
indiquer les contrées originaires de ces deux peuples ! On
n'efi a point encore assigné qui ressortent de l'histoire, et
j'ai cru en rencontrer quelques-uns de ce genre dans l'exa-
men des dénominations locales, et particulièrement dans
le rapport de leurs homonymies avec le petit nombre de
témoignages historiques qui me paroissent devoir en diri-
ger les conséquences.
Strabon donne l'exemple de ce moyen de prouver les Strahjii.ix.
origines , et justifie l'usage que les modernes peuvent en ^2y,'i/z,4s4:
faire, parce que, de son temps comme du nôtre, il étoit '' ■^''''I'j?"-
reconnu que les colonies avoient la coutume de transpor-
ter sur les terres les plus éloignées les noms des régions ,
des fleuves , des peuples et des villes d'où elles étoient
parties. N'avons-nous pas de même aussi couvert les côtes
du nouveau monde de dénominations locales des diverses
régions de la France, de l'Espagne et de l'Angleterre !
Appu}é de l'autorité de Strabon et des exemples les
plus modernes , je vais commencer par l'examen des noms
des villes Celtiques, et par discuter le caractère particulier
qui dévoile leur origine Thrace ou lllyrienne. J'indiquerai
ensuite les autres moyens de distingr.er l'origine Italique
3 2^ MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
ilim granJ nombre d'anciennes villes de l'Ibcrie propre-
ment dite. Mais, avant de me livrera ces deux branchesde
recherches, je dois les commencer chacune en rassemblant
les vestiges interrompus des plus anciennes histoires, dont
Aj</. Jisins- j*ai, je crois, assez justifie ailleurs l'authenticité, et tâcher
^^'. I iTri '•">'■ ^'y découvrir les deux époques du passage des deux piiii-
Ju •fouy,:m Rc- q\^^\ç^ colonics qui out apporté ces noms de lieux dans
nos contrées. Tels sont l'objet et les deux divisions de ce
Mémoire.
PREMIÈRE SECTION.
Origines Cciriijtics.
La carte de l'ancienne Espagne, dégagée de tout ce qui
ne paroît point appartenir aux premiers temps historiques
de cette contrée, présente un grand nombre de dénomi-
nations dans lesquelles tout lecteur attentif peut recon-
noître, à des caractères plus ou moins apparens, quelles
ont été les cités ou les villes fondées par les Celtes, et
comment elles se distinguent de celles qui paroissent avoir
eu pour auteurs d'autres peuples d'origine plus immédiate-
ment Grecque.
N'ayant jamais été cités parmi les navigateurs , les
Celtes ne doivent être arrivés en Espagne que par terre.
Strat. hi.iv. Strabon indique dans la Gaule Narbonnaise celui de leurs
r^i". >7F. j^p^-jç^j chefs-lieux qu'il fait considérer comme l'origine
du nom de Celt'ujue . que les Grecs étendirent sur toute
A/./;.', yii, la Gaule. Il fait aussi remarquer d'autres Celtes dont le
mélange avec les Thraces et les Illyriens nous explique
comment la langue Celtique a dû garder un caractère de
p^. foi
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 327
conformité avec celle des Thraces, dans les dénomina-
tions génériques de leurs villes. C'étoient là sans doute les
Celtes de l'Adriatique , qui députèrent des ambassadeurs
à Alexandre-Ie-Grand , et qui , probablement , n'étoient 'Smik m. iv,
qu'une division des autres Celtes qui habitoient la Thés- P''^-^"--
protie sous le nom de Y^i?^iJoi , suivant Rhianus de Bénée, Ap. Stq>iuvi.
I I TA ^ ^ ■ ■ j /^/ Bj'Z. hoc ueri.
et auxquels auront aj^partenu les KgATOf voisnisues Lluioues,
suivant Antoninus Liberalis. Pahl. iv.
L'accord d'un des deux passages de Strabon que je
viens de citer, et du fragment de généalogie que je rap-
porterai bientôt, montre que la Thrace est la région
originaire de toutes les divisions des Celtes, dont l'une
parvint très-anciennement jusqu'au cap Domes-ness de
la Courlande. Ce cap est d'autant plus judicieusement m. CosicUm,
. T , , I r ' ( Ccosr. syst. a vu-
considère, par un de nos savans confrères, comme le shivedaandais.
promontoire Celtique dont parle Pline, qu'au commen- ':,!^' f',"f "/•
I 1 r 1 i^i^, tabttl. XI.
cernent du xvi/ siècle encore , un historien de ce pays AlmihiaàAU-
y faisoit remarquer les usages païens d'une tribu barbare ^^^^' /.^/^^r»-!
qui prenoit le nom de Celthini. J'ai cru devoir consigner rcr.^<ript. 1. 1,
ici cette remarque importante , et cependant échappée
dans les recherches nombreuses qui ont été faites sur les
antiquités Celtiques.
Quand on voit Hérodote assigner pour situation aux ut-. 11, cup.
Celtes de son temps les environs du lac de Constance,
alors nommé lacus Brii^aiitinus , et en même temps l'extré- w. w iv ,
mité des côtes occidentales de l'Europe , ce qui indique
l'Espagne, on conçoit aussi comment une division de ces
peuples partant de l'IUyrie aura pu fixer sa première de-
meure en Italie, passer de là dans la Gaule Narbonnaise ,
et fonder ensuite, à l'entrée de l'Espagne supérieure, les
528 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
colonies Celtiques (jiii se seront propai^tîes sur ses côtes
septentrionales et occidentales.
Fcstiis , en nous conservant l'origine Ilivricnne des Pe-
SiTiit. lik I. liiTiii , Strabon , en parlant des mim-citions lointaines des
jMg.fi: XIII. ™ . ,. , . ," ,. . , ,,
p.!^'. /.»>. J rcri, nous disposent a concevoir la direction de celles qui
auront fait arriver, sousdiffcrcns noms spéciaux, plusieurs
peuples Thraces dans nos contrées, et peut-^tre en Italie
idtm , h!: y. ces Treii moines, si l'on en jugeoit d'après le nom ilu fleuve
Trcriis , qui se réunit au Liris après avoir reçu la rivière
de la CflSii. Parmi les migrations ultérieures de ces peuples,
on doit en remarquer une dont la date est assez positive-
ment déterminée dans l'histoire.
Les Ombriens , nation des plus anciennes et des plus
Pim.Hi>i.n.ii. considérables, étoient un peuple Gaulois, c'est-à-dire,
ta. III . p. iji , ^ , , . , , • ' \ I r^
rtiii. ihrjuw. Celtique, suivant la nomenclature nsitce chez les Orecs.
Ayant passé en Italie à wnç époque inconnue, ce peuple
étoit en guerre contre les Aborigènes ses voisins, dès l'ar-
Dui)i..hUk. rivée de la seconde colonie Pélasgique, qui eut lieu vers la
Aniui. Kom.m. ,,., ,,. 1 l'-r-lllil
liki . p.fg.,i. huitième génération avant la guerre de 1 roie. il dut donc
exister une liaison nécessaire de causes et d'effets entre la
migration des Ombriens chassés de leur territoire par les Pé-
lasges , et les progrès par lesquels ces mîmes Pélasges , après
A/. /'<;/. /'.//. avoir pris toutes leurs bourgades et Cortoiui leur capitale,
parvinrent aux rivages occidentaux de l'Ombrie d'alors,
pour y fonder, entre autres , Sdturn'iii , dont les remparts
primitifs subsistent encore, ainsi (pic ceux de Co.ui , sous
les mêmes noms. Que sera donc devenu le peuple expulsé!
Aucune autre migration d'un peuple Celte ne se trou-
r/M. /.*. ;//, vant datée dans l'histoire, il doit paroitre que ceux qu'on
^ '^'' n'avoit surnommés Onihricns que par épithète , furent aussi
le
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 329
le même peuple qui s'ctoit établi sur le territoire de Nar-
bonne sous la dcnomination spéciale d'Uiiibranici , et le
même, par conséquent, que les Grecs dont parle Strabon ,
désignèrent dans la suite sous le simple nom générique
de Celtes, puisque deux traditions différentes ont fait coïn-
cider au même territoire deux noms qui s'identifient par
leur rapport. II est donc très -vraisemblable que les colo-
nies de ces Celtes, parties de ce premier chef-lieu connu,
et pénétrant dans les terres , auront laissé par toutes les
Gaules, l'Espagne, l'Angleterre, ces témoignages plus ou
moins uniformes de nomenclature locale, qui rappellent
encore leur origine et leur langue Thrace, et qui nous
sont restés , pour ainsi dire, comme les monumens de
notre plus ancienne topographie.
Dans rénumération des peuples qui entrèrent les pre-
miers en Espagne, Varron nomme successivement les ApudPUn.dK
Ibères, les Persa , les Phéniciens, les Celtes, les Cartha- "''P"S'J7-
ginois. On ne sait si Varron a voulu observer l'ordre exact
des temps dans cette énumération. L'origine des Ibères et
des Pers^ est l'objet d'une opinion qu'il n'est pas en-
core à propos de produire : les Phéniciens ont dû com-
mercer de tout temps avec Gades; et leur origine est
d'ailleurs si bien connue, que je dois ici me borner à dé-
velopper, celle des Celtes, qu'Appien firt remonter à la myric.f.i.
Thrace par le témoignage d'un fragment des généalogies
royales de cette contrée , que cqX. auteur nous a conservé.
L'Illyrie, dit-il, reçut son nom d'Illyrius , fils de Poly-
phème , Cyclope , et de Galatée , qui avoient eu deux
autres fils, Celta et Gala. Appien ajoute que ces trois
conducteurs de colonies étoient partis d'une région qu'on
Tome VI. X»
3}o MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
appelolt Sict'lie , et qu'ils clonncrent leurs noms aux Ilfy-
Ut.x[^.p il. riens, aux Galates et aux Celtes. Ammien Marcellin con-
lirme indirectement cette gcnculogie, en citant une tradition
analogue à la prcccdeiite, et qu'on lisoit dans les Extraits
de Timagcne, auteur estime pour avoir rassemble avec
discernement beaucoup de traditions cparses dans les an-
ciennes histoires. Ces laits sont d'accord avec d'autres
exemples de la plus haute antiquité.
La région appelée Sicéiic par Appien ne peut avoir été
la Sicile île nos temps : car il faudroit alors comprendre
les Celtes parmi les anciens peuples navigateurs; ce que
ne permet pas le silence absolu de l'antiquité, qui ne leur
attribue aucun trajet de mer. 11 laut donc que la région d'où
partirent les trois conducteurs de colonies dont Appien
Cl. PtoUm. parle , ait été cette partie de l'Illyrie où Ptolémée plaçoit
fj AÏÀ^M. ''^' i"i peuple nommé Siculiota. C'est de là, suivant la judi-
cieuse conjecture de Fréret , qu'étoient partis les Sicules
Acéid.^t ins- qui se fixèrent d'abord en Italie , et (lui , s'étanl ensuite
tnrl.t.XrjlI, ' 1 -T ■ 1 ■ • .1
Hia.pag.p^. traifsportcs dans 1 île de jrt/huriû, lui imposèrent le nom
de Sici/t' qu'elle a toujours gardé.
Les Ombriens ayant été obligés de passer aussi d'Italie
sur d'autres terres à l'époque de la huitième génération avant
la guerre de Troie, s'il est probable qu'ils se soient fixés
d'abord dans la Gaule Narbonnaise , et qu'ils aient étendu
de là, comme je l'ai dit, leurs colonies sur toute la côte
septentrionale de l'Espagne , leur origine Thrace étant
prouvée par celle du conducteur des premiers Celtes cités,
c'est donc dans leurs rapports avec la langue Thrace que
l'on doit chercher à discerner quelles sont les dénomina-
tions Celti(juesdes villes de l'Espagne.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 331
Il est d'abord très-vraisemblahle que l'uniformité qui
rè^ne dans l'affixe terminal des noms de la plupart des
villes des régions Celtiques de cette contrée, appartient à
la période ancienne des colonies successives qu'elle a re-
çues; car, à l'exception de Segobrigû , ville de la Celtibérie , PioUm.i'ag./i^.
dont le nom paroît indiquer la réunion effectuée des Celtes
et des Ibères , toutes les villes dont le nom est terminé par
l'affixe hrigû , sont rangées suivant la direction naturelle
du progrès des colonies Celtiques , et aucune autre que
Segohriga ne se trouve dans la région maritime qui cons-
titue ribérie proprement dite , d'après le témoignage des
auteurs qui l'étendent depuis la pointe orientale des Py-
rénées jusqu'à Gades.
L'uniformité qui rè^ne dans ces affixes nominaux, est %'/./«. Hh
nécessairement tres-ancienne en hspagne , puisque Nerto- j-. 4s.
briga étoh citée par Appien comme une ville bien fortifiée,
avant que les Romains en eussent fait le siège. Qiie pouvoit
donc signifier l'affixe ùrigû, sinon ce que les Thraces, dont
on a vu que les Celtes n'étoient qu'une division , avoient
coutume d'exprimer par brici , affixe semblable qu'ils ajou- ^;W f/f;-,^.
II .11 . . i> -NT- Bj^'z. vcrb. VLi-
toient aux noms de leurs villes, ainsi que [attestent INi- ^fj^Q^a..
colas de Damas et Strabon ! Les Daces , suivant un même Sfat. i.vni,
usage , terminoient leurs noms de ville en dava ; les p'Jem'lit.in,
exemple^ en sont très-nombreux dans les Tables de Pto- '^'V- ^"'- -*"■
lémée , et il paroît que l'invasion de ce peuple a fait dis-
paroître les dénominations terminées en brin, qui ne sont
plus restées marquées, dans nos cartes , que sur les rivages
du Pont-Euxin et de la Propontide.
Il étoit bien reconnu des savans que brigti signifioit Am. Om.
■ Il i r^i • / ■• £C • li!'- I, c.vil.
ville , lorsque Cluvier prétendit que cet amxe ne pouvoit
332 .Mj-.MOlKLS DE L'ACADEMIE
signifier tju un poiu , parce cjue , disoit-il, les mots bridge
et bnuk n'ont point d'autre sens dans les langues Anglaise
et Germanique. C'est d'après cette opinion , adoptée par
AntcH.m Au- Wesseling, que se fixent communément , mais à tort , les
>iam, tJ. M'es, interprétations du mot briga dans les cas particuliers ou il
'''^'"j/vi'"'' P^"f ^^^^ "^''^ d'avoir égard au sens de cet affixe en ma-
tière d'antiquités topograpiiiques. On ne peut disconvenir
que les mots comparés par Cluvier, lorsqu'il veut établir
sa règle prétendue, n'aient entre eux une très-grande ana-
logie; mais on auroit bien plutôt remarqué l'erreur de ce
savant , si l'on avoit observé sur la carte de l'Espagne que
la situation de plusieurs villes dont le nom est terminé par
l'afî'ixe briga ,y\ç peut s'accorder avec la circonstance locale
de l'existence d'une sorte d'édifice, d'ailleurs très-peu con-
nue des plus anciens peuples.
La fausseté du principe avancé par Cluvier se décèle
hi<i.pj^. 4:i. d'abord dans l'examen du nom de la ville d'Hicniùrig^i.
Il est évident qu'il s'agit ici d'une ville sacrée, et non pas
d'un pont sacré ; car la situation d'Hicmbriga est marquée,
dans la carte de d'Anville, à cinq lieues du Tage et de
rtclem i>.ig.j(; toute autre rivière. La ville de Nertobriga fournit un autre
exemple de l'incohérence du même système, puiscjue,
dans ses rapports apparens avec la langue Grecque, ce
nom n'auroit pu signifier autre chose que vïUc basse , et
par conséquent n'exprimer qu'une circonstance relative
de position : or, si l'affixe terminal n'avoit eu d'autre
signification que celle de pont , quel sens raisonnable
pourroit-on attribuer au composé d'un nom qui ne de-
vroit £-tre traduit que par cette expression , le pont d en bas !
Pour opposer ces exemples à la règle tirée des étymo-
■>-'•
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 333
logies Germaniques , j'ai comparé les meilleurs rensei-
gnemens ; mais , craignant d'ctre trompé par des cartes où
toutes les rivières n'auroient pas été marquées, j'ai con-
sulté des savans du pays , et il résulte de leur témoignage
que plusieurs villes dont le nom appartient à la discus-
sion actuelle, sont éloignées de toute rivière. Telles sont r10km.ihig.41.
Lûcobrigû , aujourd'hui Lagos , en Algarve ; Co/iiinùrigd , Antvnhi.lnner.
aujourd'hui Condeixa ; Cetobrigû, aujourd'hui Cesimbra'^; r"g--i-'-
Abobriga^ , Villa de Conde ; Arcobriga^ , Val de l'Aula. dms! Auntjuir.
es Villes sont situées, pour la plupart, dans les sables ^^ pj-^^ ^j^ ^^^
maritimes; et Nerlobnga, qu'on croit avoir été la Mertola r"S- --'■
actuelle, dominoit une hauteur tellement éloignée des eaux ner.'j''^"."4jy."'
courantes , que les habitans n'ont que des puits pour toute
ressource. Enfin Laiigobriga , dont Plutarque nommoit les pim.nch. in
habitans Actypj'êeirotç , étoit tellement éloignée des ri- fj"'jlcùkf' '^'
vières, que cet auteur ne parle que des ruisseaux des en-
virons de cette ville.
Ces exemples font voir combien Cluvier se hasardoit
en avançant qu'il n'avoit embrassé cette opinion comme
un principe, que parce que tous les lieux dont le nom se
terminoit en br'iga , étoient situés sur les bords des fleuves. Clmur. a
Cette opinion est encore d'autant plus mal fondée, qu'il
n'existe en Espagne aucun pont antique dont la construc-
tion puisse être réputée plus ancienne que les conquêtes des
Romains; et cependant les noms terminés en briga datent,
comme on l'a vu par l'exemple de Ncrtobriga , des temps
antérieurs à ces conquêtes. Ajoutez sur-tout qu'aucune des
villes Espagnoles où l'on remarque des ponts Romains ,
ne se trouve comprise dans la liste nombreuse des noms
terminés par l'affixe brigd , et que la situation d'aucun.e
rm.
iint.l. l ,c. y II ,
r"ë- S'-
5î4 M1.MOIRF.S DL LACADÉMIE
des villes nctucllement dénommées }wnte ou puciitc n'oc-
cupe l'emplacement non contesté des anciennes que l'af-
fixe briga faisoit autrefois distinguer.
Comment donc se pourroil-il faire que de tant de
lieuv dont le nom se seroit complété par le mot potit , il
ne s'en retrouve pas un seul qui ait retenu cette signifi-
cation traduite en espagnol ou en portugais , et que l'élé-
ment principal de l'aifixe hriga ait néanmoins subsisté,
comme dans Cesimhra , &c. ? Le témoignage des faits doit
donc ici l'emporter sur l'analogie apparente que l'afFixe
comparé peut avoir avec les étymologies Germaniques,
Ctnn.ant.i.i, et siir-tout lorsque Cluvier avoue, comme bien reconnu
■ vii.p.tg.4.;. jg gQi^ temps, que briga et bria ne signifient (ni'uiie seule
Ani. Lmit. lik et même chose. En parlant de Cctobrign , Resendius , an-
iy.r->g.3op tiquaire Portugais, cité avec estime par Ortelius, s'e.xpri-
moit ainsi : Cnusa nominis à cetis et briga ortn est; briga si-
rjuiJ.cm vctcri Hispûnorum /ingit,i urbem sigiiifcat, ut Arabriga ,
hp ■ ' / Conimbriga, Cetobriga, Lacobriga , f/ w/h/^^t rt//^. C'étoit
''• ■ aussi le sentiment de Jérôme Surita dans ses notes sur l'Iti-
'bc-- néraire d'Antonin*, de Balthasar de Echave '', et de Fernao
'Atn.BiH.Rrg. j Olivevra'', auteur d'une Histoire inédite du Portugal.
n* loou.fel.ii. • ^
Les lexiques Portugais décident tous dans le même sens;
Df .ignif.ftrt. et^ d^s la fin du iv.^ siècle de notre ère, Festus s'en ex-
/. X . reri. U- . . . , , , .
cobrigi. pliquoit ainsi : Lacobrigd , iionicn composituw o lacu et briga,
HmpiVÙit opp'tdo. On sait qu'il faut lire liispniiicè oppidum,
Antcnin.ltm^r. Conformément à la remarcjue judicieuse de W'esscling.
'"^ty/r *, Strabon a donc fixe la seule règle à suivre pour toutes
j'9- ' les interprétations de ce genre, en disant que les Thraces
avoient coutume de terminer leurs noms de ville par l'af-
fixe bri,i;et il en cite pour exemples , Sclymbrid , Mesendniû,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 335
Poltyohria, c'est-à-dire, ainsi que l'explique ce géographe,
villes de Selym, de Mesem, de Poltys.
On pourroit observer ici que le gamma n'entre pas dans
l'orthographe des noms des villes Thraces que Strabon
a citées; mais je remarquerois, à mon tour, que Nicolas Suph. Bjz. ,■.
de Damas, auteur non moins ancien , suppnmoit aussi
le gamma en parlant d'une ville de la Bétique , et qu'il
nommoit Brutohria celle que les gens du pays auront
appelée Brutobr'tga. Les exemples de suppressions sem-
blables étoient communs dans le dialecte Ionien, où l'on
éçrivoit ccTo, au lieu de ytïdu, pour dire terre; et même,
pour l'euphonie seulement, on supprimoit le lambda, sui-
vant la remarque d'Etienne de Byzance et l'exemple qu'il ''^- ">'^- ''"^^■
en rapporte. 11 est donc à croire que Ptolémée , à qui nous
devons la connoissance du plus grand nombre des villes
distinctement Celtiques de l'Espagne, n'aura conservé la
lettre gutturale dans leur affixe terminal qu'à raison de
ce qu'il aura copié ce mot tel qu'il se lisoit dans les cartes;
et il résulte d'ailleurs de ses tables, comparées avec d'autres
documens géographiques, que les deux terminaisons, di-
verses en apparence, furent indifféremment employées par
les anciens.
Ptolémée cite en effet Flavia Lambris, ville de la Cal- P"£- 4o.
laïcie, que Mêla nomme Lambriaca ; il cite encore LacO' Pompon. McL,
^n^^7, ville des K^rc^/", que l'Itinéraire d'Antonin comprend
sous le nom de Lacobria , suivant le manuscrit portant Ptoicm.pagj,i.
cette leçon, qu'aura consulté Mercator, La ville d'Amiens u. p„g. /,;.
est nommée Samarobriga dans l'Itinéraire cité par Orte- id.p.,g.4<).
lius, Samarobriva dans les Tables de Ptolémée, et Samaro- Clm-cr. c-erm.
^ ^ ant. 1. 1 , c. VII ,
bria dans un manuscrit de l'Itinéraire cité par Cluvier. r"g-J°-
}}6 MJ.MOIkLS DE LACADL.MIL
Lnfin ne supprimons-nous pas nous-mêmes \e i(<!mni,i.en
P'<S- (h appelant Bri.i/iço/i la même ville que Plolcmce nomme
Brii^iiiit'iii ! Il est donc évident que ces différences ne dé-
pendent que de celles des dialectesf et que hri^.i . htiwi ,
briti. et même l>ric<i , signifioient constamment ville , cite,
chjtcdu fort. La synonymie de ces quatre affixes avertit
de plus qu'on peut soupçonner l'existence caciiée de beau-
coup d'origines Tliraces dans les noms modernes de plu-
sieurs lieux des Gaules et de la Grande-Bretasine.
On a dû remarquer déjà que l'affixe hriga se trouve
précédé assez souvent d'un mot Grec; et cela n'a rien de
surprenant, vu le rapport de ces noms avec les idiomes
de la Thrace , et d'après le fait même de l'origine éloignée
des C"^///V/ d'Espagne. Je n'en citerai d'autres exemples que
^hoU,n.r.,s.s'. les noms des Alïobrygcs\ d'A»u,lloirip<i ^ d'Anobrig.i^.de
K4n,o„m.!,i„cr. Mo/ioùr/gii'^ , iï Hienibriga^ , Tiihibrig<i\ Tiirobriga^ , Nerto-
' l\>!(m: p. 4^ , brigii^. L'élément même de brigj , fifi , est grec, et équi-
^l„icrip,.,mu.f. valoir à /Betotg^; dans Hésiode cité par Strabon".
:^^^Wotic^ Les origines Thraces de la plupart des villes de la
Mwn. /tiacr. Celtique Espagnole se déduisent encore d'une tradition
nnj p. 421. qu'Elien '' avoit trouvée dans un ouvrage d'Aristote, et
*rim lit.iii. suivant laquelle les colonnes d'Hercule s'anpeloient co-
p.fg. 140. • 'I
"Pwlm.p.fô. loiincs tic Briarcc , avant qu'on eût substitué à ce nom celui
*/.;>. vtti, p. d'Hercule après les exploits de ce héros. Eustathe ' ajoute ,
^jf-lui». liiii. suivant \\y\^ autre tradition , que ces mêmes colonnes
^T.'.^'L'.'"' avoient porté plus anciennement encore le nom de Sa-
' Ad L'i'^Hj/i. ^ ' ' _
PtTifg vert. b4. turnc. Celte tradition est appuyée d'ailleurs ; et d'abord, un
fragment de Sanchoniaton nous apprend (ju'Uranus, père
Ap.Euui.Prj I C • I • I !••
ptrM.tf.tng.i.i, tle >aturne, passoit pour le premier auteur dal invention
'"''■' ' mécanique de ces énormes pierres posées en équilibre, et
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 337
qui étoient coninies dans l'antiquité sons le nom debaty/es.
Strabon confirme bien l'opinion de cette origine reculée, Uh.in.p.,jS.
en disant qu'Artcmidore avoit observé au-delà du Bâtis
des monumens de pierres tournantes, et du genre, sans
doute, de ceux dont l'invention étoit attribuée au père de
Saturne. On en connoît un semblable et qui existe encore j. Nor.k,,.
en Angleterre, sous le nom de Pender-stone. 11 serojt donc
difficile de taxer, avec justice, de mythologie purement
imaginaire, des traditions auxquelles des monumens aussi cf. Strab.
bien caractérisés , et éclaires peut-être ici pour la première lom.j.y^g.jS;.
fois, rendent encore aujourd'hui témoignage. "'"■^■
L'origine Thrace des colonies qui durent donner le nom Pcmctrius d-
de Briarée aux colonnes de Gades , est dévoilée dans les Sch"iThZ"m.
traditions qui désignoient ce héros comme Cyclope de na- '"i'é'!-'-
tien; et l'auteur De Mirahilibus ciio'ii , comme existant en j. ,j,, ej.
Thrace , un peuple de Cyclopes que , dans un dialecte
diflerent , d'autres auront nommé KvxfoTnc,. Us étoient cf. cjusd. ad-
i> II . • i> -ni A net. pag. 26p.
d excellens artistes, suivant 1 auteur , Lphore peut-être,
que le scholiaste d'Euripide aura consulté touchant la inOnst.v.çùj.
migration de ce peuple dans la Curétide. Le scholiaste
rapporte que ce fut à la suite d'une guerre civile qui par-
tagea cette nation en deux partis, dont l'un continua de
demeurer dans la Thrace sous le nom qu'il tenoit de
Cyclops, ancien roi de la contrée. On sait que lesPélasges
tenoient aussi le leur de Pélasgus. Il n'y a donc rien d'in-
croyable dans l'opinion qui feroit parvenir jusqu'au fond
de l'Espagne un ancien conducteur de colonies Thraces,
quand , sur-tout, nous lisons dans Strabon que cette con- Lib. vu, fmg.
trée comprenoit un peuple à qui le nom de jondaîeur , ^^''
KTia-TMi, étoit donné par excellence.
Tome VI. V'
3j8 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
On peut donc croire qu'à une époque bien plus ancienne
que les exploits d'Hercule, des colonies de peuples Thraces
seront parties des contrées voisines de la Macédoine, dont
l'auteur De Mirah'tlïhus parle à l'endroit cité plus haut et
dont un canton étoit nommé Z?rw«/w/7;; que de l'Ulyrie, dans
Ai Arpn.m. laquelle le scholiaste d'Apollonius de Rhodes place des
bnges, ces peuples seront parvenus sur les hords du lac
Brigtiiitinus , où ils auront établi les cités de Brigiiiiliiini et
de Brii^olmiiiie; qu'un de leurs détachemeiis se sera établi
Polyh. e.L entre le Rhône et l'Isère sous le nom iX Allobroges , que
Sehvfigh.l.tll, r> 1 I a }i î i • • i
y. 4p. rolybe nomme Aiwbr)-gcs, et que ce peuple, ainsi que les
UK ni . fMg. Umbrûiiici de la Gaule Narbonnaise , cités par Pline , aura
pénétré en Espagne par les passages des Pyrénées.
Les établissemens successifs de ces Briges nous seront
alors marqués, le longde la côte septentrionalede l'Espagne,
par toutes les villes dont la terminaison nominale est ana-
logue à leur nom générique : en conséquence, ils auront
fondé toutes celles dont la dénomination se termine par
l'afiixe briga , et qui sont rangées sur toute la ligne qui
contourne l'Espagne, à partir des sources de l'Ebre jus-
qu'au cap Sacré. C'est ainsi, je crois, que, parvenus aux
colonnes de Saturne , ils leur auront donné le Jiom de
Briarc'c. Si l'on peut en juger d'après la dénomination du
AvUni Ora mont SHiiri/s en Béticjue, c'est de là que seroient partis
""ÀpUo/'iap cc^Silitri de l'Angleterre que Tacite tait considérer comme
^' une colonie d'Ibères. Ce fait paroît du moins appuyé par
ApuJ Strah. la conformité des monijmens de pierres mobiles qu'Artémi-
, .iiL/ugif . jp^gj^yQJj observés dans la Bétique, et si près des colonnes
de Saturne, fils de l'inventeur de ce genre étonnant de
mécanique , et dont j'ai cité plus haut un exemple encore
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 339
existant au comté de Cornouailles. Ajoutez à l'appui de ces
rapprochemens , que le nom des Brigcwtes de l'Ajigleterre,
est semblable à celui de Bngtuitiiim , promontoire qui re- Piol. pog.si.
garde les îles Britanniques; que le nom de la capitale des
Brii^diites , Eboramim , est le premier clément du nom d'Eùu- Amiq. inuripr.
, , , ,^ ■ , r i> rr • . . X à l'ar.erio duir.
rohritiitni de la betique; et qu enfin lathxequi se joint a ce
dernier est le hriga des Celtes, ou le hria des Thraces.
11 est vrai que toutes ces analogies seroient décréditées
d'avance aux yeux de ceux qui demanderoient , comme Ckarr. Ccrm.
^-,, . T-i 1 1. 1 i-Ti ^ IT' cint.lik. I, cil.
Cluvier et Berkelius , ce que la Thrace et i hspagne pou- ^.^^^^ ^^^ ^^^
voient avoir eu de commun. Mais je crois que la proba- r'"^"- ^^J","'-
bilitéde ces rapports se confirme encore assez clairement adnoi. jo.
par l'identité du plus ancien nom de la Thrace et du plus
ancien nom du fleuve Bâtis.
Un passage d'Arrien apprend que cette contrée avoit Apud Eusuuh.
_ , , ,., In. Dionys. Pe-
eu pour premier nom Fcrke ; et dans un auteur qu 11 ne rU-g.vm.pj.
nomme pas, Etienne de Byzance avoit lu que le plus an- rw. -Rai-Tiç.
cien nom du Battis avoit été Perkes. L'Itinéraire d'Antonin Pcjg. 4p.
confirme bien cette ancienne tradition, en indiquant entre
le Bâtis et \'Ana une ville dont le nom étoit Percej-Aim;
Velasquez en cite une médaille. Ces faits comparés nous Emayosohchi
expliquent ce qu'étoient probablement les Persie que Var- Vàg'^ "Z' tahl.
ron nomme parmi les plus anciens peuples Espagnols, et ^^''' "■' '■
que Salluste, sur la foi des ancieniTes traditions conservées Be//. .hgunh.
dans les archives Carthaginoises', fait .passer en Afrique
après ia mort d'Hercule, dont ils avoient partagé les ex-
ploits en Espagne. ,t
Il ne me reste plus qu'à exposer la partie de mes re-
cherches qui concerne les Ibères , et qui prouvera , j'ose
l'espérer, que les côtes méridionales de leur région ont été
V'ij
34o MÉMOIRES DE L' ACADEMIE
très-anciennement occiipces par des peuples partis des plus
ccicbrcs villes Pclasgiques et Tyrrhcnieniies de l'Italie.
SECONDE SECTION.
Origines Ib cric une s.
L'examen le plus attentif des cartesdei'ancienneGaule
ne fait remarquer dans son intérieur aucune ville homo-
nyme de celles de la partie de l'Ibcrie que je vais compa-
rer, li s'en trouve seulement quelques-unes aux frontières de
l'Aquitaine et de l'Espagne; ce qu'expliquent aisément le
mélange probablement très-ancien dequelques peuples limi-
trophes , et la raison pour laquelle lesAf/itiicJiii du temps de
Commeni.ir.t.i S. Jérôme sc vantoient d'avoir une origine Grecque. Si l'on
(of. m . Pnlfg. conclut , avec moi , d aprcs ces observations , que les cotes
de l'Ibcrie furent anciennement envahies par des peuples
navigateurs, il doit s'ensuivre que, de tous les rivages de
la Méditerranée, celui qui reprotluit des noms semblables à
ceux de la côte de l'Ibérie, aura été peuplé par des colonies
probablement de même origine que celles de cette partie de
l'EspaL'ne. Il reste seulement à savoir de quel côté doivent
se trouver les métropoles immédiates et le point de départ.
La décision de ce doute appartient aux mêmes traditions
anciennes cjui nous ont conservé l'époque de la fuite des
Ombriens à l'arrivée des Pélasges sur leurs terres, et l'époque
de la fuite de ces mêmes Pélasges lorsqu'ils lurent con-
traints de se réfugier à leur tour sur d'autres terres. 11 faut
donc examiner d'abord quelles furent, entre les peuples des
deux rivages opposés , les relations plus anciennes (jue
l'époque de cette dernière fuite. Cet examen est ici d'au-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 341
tant plus important, qu'il peut changer en conséquences
historiques des résultats qui pourroient être d'avance taxés
de rapports purement systématiques.
La plupart des anciennes migrations ne sont considé-
rées comme des courses vagabondes que par ceux qui
n'ont pas étudié leurs causes, leur direction, et leurs rap-
ports avec les autres parties de l'histoire ancienne. Or la
fertilité des régions occidentales de l'jispagne , la richesse
de ses anciennes mines , la facilité du trajet des mers qui
la séparent de l'Italie, de la Grèce et de l'Asie, durent
exciter de tout temps l'ambition et la rivalité des peuples
navigateurs de toutes les côtes de la Méditerranée.
Comment, en effet, pourroit-on supposer que des na-
tions aussi célèbres , à raison de leurs expéditions loin-
taines , que le furent les Pélasges et les Tyrrhéniens , n'au-
roient pris aucune part à cette rivalité! Dans quel dessein des
Pélasges Thessaliens auroient-ils traversé l'Epire, l'Adria-
tique, et pris possession de l'Ombrie , pour venir fonder
des villes fortifiées , et aujourd'hui bien reconnues pour
telles, sur les bords de la Méditerranée, et à proximité du
port encore appelé aujourd'hui du nom d'Hercule, Porto- Smé. iil y,
Ercole! Pourquoi, deux siècles plus tard, les Tyrrhéniens , ^"^' '"^'
qui avoient passé directement de l'Asie mineure en Italie,
seroient-ils venus fonder Populonïum , la seule ville qu'ils /,/. ,v,v/. p^g.
eussent bâtie sur le rivage , si de telles entreprises n'avoient ^^'"
eu pour objet ultérieur les productions de l'Espagne?
Ces questions ne peuvent être éclaircies que par la
comparaison des faits que les débris de l'histoire ont con-
servés, relativement aux alliances qu'un intérêt commun
a dû former entre ces peuples.
342 Mi.MOIRES DE L'ACADÉMIE
AKtiiRm.l.i, Denys d'H.ilicarnasse rapporte, tlaprcs les anciennes
^'^' '"■ histoires , qu'après avoir tliassc les Ombriens de leurs
villes et de tout leur territoire maritime, les Pclasges y
fondèrent , entre autres , Sdturiiin, et Aiiyllii nommée depuis
Ciirc , et qu'après y avoir joui de beaucoup de prospérité
pendant cinq générations , ces colonies éprouvèrent de
grandes calamités territoriales , qui causèrent entre elles
lJ.ii;.i.p. /y. des dissensions politiques. Alors, pour se délivrer d'une
jeunesse inquiète et turbulente, ces colonies recoururent
U.mJ.p.ao. à des migrations qui, sous le titre de jeunesse consacrée,
transportoient sur d'autVes terres un excès de population
que la stérilité accidentelle de ces côtes ne permetloit plus
de nourrir. Cette stérilité hit telle, suivant les anciennes
histoires analysées par Denys d'Halicarnasse , que les villes
Pélasgiques, réduites à un très-petit nombre d'habitans,
iJ.iHJ.p.ji. furent occupées par les Tyrrhéniens nouvellement arrivés
des côtes de l'Asie mineure , et , ce qui est très-remar-
quable, en ce qu'on voit coïncider à la même époque des
faits de mime nature , les Tyrrhéniens étoient partis de
Simt. m. y. ces côtes d'Asie à cause d'une stérilité semblable.
r-'S-^'f- Il ^.^i Jit aussi Jans l'histoire qu'une partie des Pélasgcs
émigrés de la côte d'Italie se dirigea vers la Grèce, où ils
Axi.Rim.r- 22. bâtirent le mur Pélasgique d'Athènes, et que l'autre se di-
rigea vers des contrées barbares. Les historiens ont fixé
l'époque de la décadence de ces Pélasges en Italie à la
ld.iiiJ.p.ic deuxième génération qui précéda la guerre de Troie.
En indiquant ainsi généralement, et par opposition
avec la Grèce, les régions barbares vers lesquelles les Pc-
lasges de la côte de C'tre et de Cosa s'éloient réfugiés,
de quelle autre contrée étrangère aux Hellènes les histo-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 345
riens ont-ils voulu parler, si ce n'est des côtes de i'Ibcrie
et dans toute l'extension quEschyle" et Strabon'' leur don- \4puj.Pim.m.
I . / I' I L XXXVI, p.lg.
noient, c'est-à-dire, les terres situces entre 1 embouchure yoy.
du Rhône et Gades! Philistus de Syracuse'' assignoit à la ^' Ut. m ,}'.,£.
quatre-vingtieme année avant la guerre de 1 roie une emi- , ^^,,^^^ p.^,^
gration de Ligures, qui avoit été causée par l'invasion des /M"'"' --^«'V-
o b ' i 1 _ Rom. lit. I, pdg.
Ombriens et des Pélasges; et cette date coïncide parfaite- 'S, Un. „j.
ment avec la deuxième génération avant la guerre de Troie, W. iti,/. p. 2,, ,
que Denys d'Halicarnasse assigne a la décadence et aux
migrations de ces Pélasges vers les terres barbares. Or, en
indiquant des Ligures chassés par des Pélasges et des Om-
briens réunis, ce trait d'histoire ne marque-t-il pas le point
de cette côte opposée d'où les Ligures avoient chassé an-
térieurement les Sicaniens, et les régions barbares vers les- Tiu,rj:jid. l^i.
quelles les Pélasges dirigèrent leur naigration! Leur alliance ^''■^■■'•
avec les Ombriens, suivant le même Philistus de Syracuse,
désigne assez clairement les Umbranici du territoire de Nar-
bonne : car, il faut bien le remarquer, il n'existoit plus
d'Ombriens voisins des Pélasges de Care en Italie; Pline Lr.ui,p.i;o.
dit formellement qu'ils en avoient été chassés. Ainsi la
direction de cette migration Pélasgique , que Denys d']-fali-
carnasse n'avoit indiquée d'abord que vaguement, seroit
positivement déterminée par la seule indication des Li-
gures çt probablement du territoire mcme qu'ils avoient
usurpé en Espagne sur les Sicaniens.
li est d'ailleurs essentiel de remarquer aussi qu'à l'époque
assignée à ces migrations les Tyrrhéniens s'étoient déjà
incorporé les Pélasges déchus de leur.ancienne prospérité,
qui étoient demeurés en Italie , et qu'ainsi réunis ces deux
peuples étoient devenus maîtres de toute la côte qui va
344 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
.r/r...<. m. V, fournir l'un des deux points de comparaison. Elle s'clendoit
^V-''' depuis Pi s<i jusqu'à Afiirciiui, ville Tyrrhcnienne et voi-
sine de Pttstiim , ville Pclasgique ; et comme il est formelle-
U.,Hdp.24j. ment dit que iesTyrrhcniens occupèrent, avec les Pclasges,
Pompcid, originairement fondée par les Osqucs, il devient
par-là même très-vraisemblable que ces trois peuples con-
tribuèrent aux colonies parties de la côte de l'Iialie pour
aller se réunir aux Ombriens vers les côtes de la Ligurie,
où les appeloient, sans doute, d'anciens rapports avec la
colonie Pélasgiqued'Arcadiens qui avoit fondé, un siècle
auparavant, une ville célèbre sur les côtes de l'Espagne.
Pour saisir plus complètement ces rapports , il faut
comparer ce qu'ont clii les auteurs relativement aux fon-
dations des villes de Soturiud , de Cord , à'Anieii, de Sa-
gonte, et l'on verra sous quel nouveau point de vue les
migrations Pélasgiques et Tyrrhéniennes peuvent servir
à recomposer quelques pages de l'Iiistoirc.
L'auteur ancien de la Vie d'Homère, attribuée à Héro-
C«p VII. dote, n'aura pas fait naviguer Mélésigène vers la Tyrrhé-
nie et l'ibérie , sans qu'il ait été avoué de son temps qu'au
siècle mcmc d'Homère les Grecs aient pratiqué les côtes
' Ui.xiv.pag. d'Espagiie. Aussi étoit-il reconnu, suivant Strabon, que
''^- l;i ville de R/ioiLi , aujourd'Iiiii Ro/es , avoit été fondée au
^ ,. ,., pied des Pyrénées orientales bien auparavant l'institu-
xxi.utp.yn. tion des olympiades ; mais la fondation Greccjue de oa-
p.,g'7!p.'' '" ' gonte étoit encore plus ancienne, et d'une époque bien
• riit. I. xri, mieux déterminée.
'^'^s!L /miic Cette fondation est attestée par les historiens les plus
/,.«. /. ym.^SS. célèbres; Tite-Live\ Strabon\ Bocchus et PlineS Silius
^M.j 7. Italicus'*, Appien'. Les circonstances mêmes en ctoient
marqucci;
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 3.15
marquées ; car on savoit que les habitans d'Ardce ctoient rit.-Lh.hct
partis de la côte d'Italie pour se joindre à la colonie nais- ''!",m.^'^'/"'''
santé , et seconder les Zacynthiens qui l'avoient inaugurée.
On connoissoit jusqu'à la généalogie du héros dont elle por-
toit le nom. Corn. Bocchus , historien Latin cité par Pline , Uco hwdaio.
avoit vu à Sagonte, dans un temple de Diane qu'Annibal
avoit épargné par respect, une chapelle construite en bois
de genièvre, qui subsistoit encore au temps de cet auteur,
et qui avoit été apportée et construite par les Zacynthiens
fondateurs, deux cents ans avant la guerre de Troie. Si-
lius Italiens ajoute à toutes ces circonstances , que l'on con-
servoit aussi dans ce temple les dieux pénates d'Ardée.
Pausanias rapporte que Zacynthus , fils de Dardanus , An^d. lik
partit de Psop/iis pour aller fonder , dans l'île appelée ^^'^'•P- '^■>-
depuis Zacynthus, une ville homonyme de la métropole d'où
il étoit arrivé. Appuyé sur le témoignage des monumens
que les Arcadiens avoient conservés de la suite de leurs
rois , Pausanias ajoute que le héros Psophis descendoit n/d.jmg. 644.
de Nyctime, fils de Lycaon , à la septième génération : or
ii résulte des tableaux de généalogies que j'ai discutés
ailleurs pour coordonner les synchronismes de cette haute Mémoire /« à
période de l'histoire, que , comme fils de Dardanus, fon- '^^^aarTU-J'
dateur de la ville de Cora, celui de Zacynthe et peut être
aussi de 'Sagonte, car c'est le même nom , devoit être an-
térieur de six générations à la guerre de Troie; ce qui
équivaut juste aux deux cents ans que Bocchus comptoit
entre cette guerre et la fondation de Sagonte. Il résulte
encore des généalogies comparées, que ce dut, être dans la
génération qui précéda l'époque de la fondation de cette
ville, que les Pélasges de la seconde expédition en Italie
Tome VI. X*
34<î MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
fondèrent , sur la côte dont ils avoient chasse les Ombriens,
les villes de Siituriiia , de Cttre et de Cos<i , sans doute,
Att.Romj.i. suivant les textes confronttfs de Dcnys d'Huiicarnasse et
In'luK y. Je Strabon.
p. iijttizb II règne donc le plus grand accord dans le concours de
tous ces faits ; et, quand le tcmoignage de Bocchus, et les
calculs comparés des généalogies extraites des monumens
que Pausanias dit avoir connus , présentent séparément
des résultats parfaitement semblables, il devient bien cer-
tain que la date assignée en années par Pline n'a pu être
tirée que des documens les plus authentiques, et probable-
ment des archives de Sagonte.
En considérant des témoignages aussi complets d'au-
thenticité, pourra-t-on encore hésiter sur la certitude des
rapports continuels qui durent exister entre la colonie Ar-
cadienne de cette ville Espagnole, les Arcadiens de Cora,
et les Argiens fondateurs d'Ardée, ville maritime du terri-
toire de Cora, qui avoient contribué aux premiers progrès
de la colonie de Sagonte! La consanguinité de ces peuples
avec les Thcssaliens, fondateurs de Citre , de Saiurma et
de Cosa, sur la mtîme côte , et Arcadiens d'origine ulté-
Afui Sn-.u': rieure, suivant les témoignages combinés d'I-phore et de
m y. p. )2o f) d'Halicarnasse, auroit-elle pu exister sans des rap-
Am.Rim.l.ii, / î a ii ' • i
p.>g.,4.li^.,.- ports habituels avec Sagonte et les cotes Ibcricnnes de
l'Espagne! et, indépendamment du fait et de l'époque à
laquelle nous avons vu que les Pélasges chassèrent de là
des Liguriens, ces Pélasges ne durent-ils pas préférer à
toute autre, dans leur migration , cette côte d'Esp.igne où
une colonie de mc^me origine et de m^me langue flnrissoit
déjà depuis si long-temps à l'époque de leur départ !
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 347
L'importance que Sagonte avoit acquise dès sa nais-
sance, se vérifie encore , de nos jours, au seul aspect de
ses remparts primitifs. On y reconnoît un caractère de
haute antiquité, en voyant leur construction massive et
rude , surmontée des ouvrages réguliers des Romains. Ces
remparts sont aujourd'hui bien caractérisés par les re-
cherches nouvelles qui ont démontré leur parflUte con-
formité avec la description que, par hasard, Tite-Live a Ui.xxt.t.n.
donnée de leur construction inusitée de son temps. Il
faisoit reconnoître dès-lors leur haute antiquité à cela seul
que les blocs n'en étoient ni taillés , cameiitû, ni consolidés
avec du ciment, tiec calce ditrata , et que les interstices des
blocs étoient garnis d'argile , sed interlita luto structura an-
riQUyE génère. Or la fidélité de cette description a été vé-
rifiée tout récemment par nos soins.
Les remparts de Tarragone ont présenté les mêmes dé-
tails, avec des différences qu'il seroit superflu d'expliquer
ici en termes techniques. Il résulte, d'après l'examen des
portes terminées par des architraves rectilignes , comme
celles de toutes les plus anciennes villes Grecques, et de la
construction primitive, qui est surmontée par des ouvrages
Romains, que les Scipions n'ont pas fondé primitivement /'/,„. m,, //;,
Tarragone ,' comme l'ont avancé Pline et Solin ; mais qu'ils P"^' 'f'-
ont seulement réduit à moitié et restauré cette partie de son Poly/iisr. ap.
enceinte origmaire dont les ruines se prolongent beaucoup
plus loin vers la mer. Ces monumens témoignent donc
décidément en faveur de l'origine Tyrrhénienne qui leur
est clairement attribuée par ce vers d'Ausone :
Cœsareœ Auoustœque domûs Tyrrhenïca propter
Tarraco,
Atisou. L'ri,
XII, vers. 6.
X'
348 MKMOIRES DE LACADI-MIE
La incine origine n'ebielle pas encore confirmée dans ce
vers d'une inscription Latine,
Cnifr littcrimt Stagna sub Oicnni Tagus et Tyrrlicnicn Iberiis!
fdg.VCXC.j.
Enfin, lorsqu'une autre inscription réunit et soumet Tar-
u.iiij. ragone aux Cosetiini , Tarraco vrbs Cositanorum, n'en
CCCI.XCIX, 10. résulte-t-il pas une conséquence éloignée , mais favorable
Ant.Rom.t.r, au témoignage rendu par Denys d'Halicarnasse à l'alliance
^^ -'' originaire des Pclasges et des Tyrrhéniens, dans les mi-
grations de ces peuples vers les contrées barbares?
La région d'Italie que je dois comparer maintenant avec
ribérie, comprend les côtes de l'Étrurie et de l'aïuien
Latium, c'est-à-dire , les cantons habités autrefois par les
Tyrrhéniens , les Pélasges, les Volsques, les Ausones, les
Plin.l.xxxii'. Osques, ou, plus généralement, tout ce que Pline a com-
r<g<'4! pfjg jQ^j la dénomination de Ldtiiii vctercs , Denys d'Hali-
*Ant.Rom.i.i. carnasse^ sous celle de Fle/xai, Ennius et Varron'' sous celle
''kf,'^^ , ,. de Cnsci , qui a la même siiinifîcation, et dont Suidas aura
• Varro, de ling. 1 °
J^atin.lii. VI, parlé, d'après quelque ancien auteur^, sous la dénomina-
' Suijjs viri ^'°" '^''-' ^^'^'''' > ^Ji'i paroît exprimer le nom des Latins
Aavrei. habitaus de la ville de Sct'ui , forteresse Pélasgicjue et
voisine de Norha, d'une égale antiquité.
Après le peuple Ombri , on trouve, à plus oti moins de
'Piw.u. tir. distance de cette cote, les Vcttoiieiiscs'' , [es Spo/elini^\ les
'"bu'^i'j villes de Cortona'^ , ô'HispcI/tim'^ et de Tiider, ou Turdc, par
'^Am.Rom.l.i, métallicse , selon les variantes des manuscrits de Ptolémée.
^''^,' , Suivent les sources du fleuve /l/^/Jwrwj'^, et , au voisinage
'PlmfMg.ijS. il'Antone, la ville d'/4w.v///////H '. Cette nomenclature, rnp-
jPluMuh. in procbée du rccit de Denys d'Halicarnasse, indique bien
les villes des Ombriens dont les Pclasges s emparèrent a\ ant
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 349
d'avoir pris leur capitale Cortotni , et fonde les villes ma-
ritimes dont l'origine leur est attribuée.
Sur le rivage d'Étrurie , plus ou moins avant dans les
terres, on trouve un fleuve qui porte encore actuellement
le nom à'Osa, et que Ptolcmée nomme Ossa , comme il Pig. <».
écrivoit Cossa pour Cosa , qui succède sur le mcme rivage,
avec son annexe v^wZitojw ''. On trouve ensuite Visenûum , ^Fuiy.irsin.^x
Tarquiiiiiim , Voh'mhm. Tite-Live'' attribuoit à ce territoire 'îl^ll'y"^^,^^
une ville nommée Coiitenebra. Immédiatement après, on 'Ptol.pag.6i.
trouve Gravisca^, le fleuve Miuiui^ , dont le nom s'est /'^^^-^S!'
conservé jusqu'à nous dans celui de Afignone; les C^rites ^rim.Ut. ///,
et leur ville Care^ ; le fleuve Tiher'is. !'■'§■ 'J-'-
Tout ce littoral étoit célèbre chez les anciens, parce
qu'il réunissoit des monumens d'une origine Pélasgique
bien reconnue. Strabon y nomme la villa deMalaeotus, Ltkv, p. 22;,
roi Pélasge , et Virgile a chanté l'origine Pélasgique du .4:;;.,,/. » /,
Castrum I/iui , consacré au dieu Pan sur ce rivage. Son ""■ ^7 •
enceinte, ruinée au temps de Rutilius, conservoit encore hincr. m. i,
intacte une porte sur laquelle on voyoit sculptée en relief '' ''
l'image du dieu Pan , et dont ia description, donnée par le Mânoire^ lu à
, . >r-i l'-LlA l'Acailiniie des
poète navigateur, m a iourni les moyens d attribuer la mtme i„scr;j>i. u i^fi-
antiquité au bas-relief représentant un Pan Ks^mxncoTnç, "nen.^ji.
T) 'I • "Aiiiiij. Rom.
qui subsiste encore sur un des blocs du mur relasgique m./ .j>,ig.;j.
de ia porte d'Alatri , ville des Herniques. c^"''xxxix'.'
Au-delà du Tibre , on citoit une forêt nommée îuciis ^pim. m. m,
Jovis IiiJigetis'^.hes Fo/c^, plus éloignés de la mer, avoient ^"'U.'i\ui.
les villes de Corbio, Norba, Setia ^ ; Antïum étoit leur port '^. ^ Tn.-Uv. l.ix,
^ , cap. XXV.
Succédoit le. territoire des /^«jowf'j, des y^Krawa, des Ojr/ , '■id.m. vm.
qui comprenoit les villes ^ Ausona , Suessa, Vescia^ ; enfin "-''■,. '-
le fleuve Clanius^ , nommé ensuite Liris. ii.v.zz;.
3 5» MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Pour compléter ces moyens de comparaison , on rc-
liK III , p.tg. marquera la ville des Tutienses , dont Pline disoit cju il
'' ' ne restoit plus de vestiges, et d'autres anciennes et dé-
AfuJ Dhnjs. truites, que Varron citoit sous les noms île Pcihttium ou
f^l II . 11. ' Piilhintium , Biit/ii.i , Tribohi. Voilà les principales villes
dont l'origine remonte incontestablement aux temps les
plus recules de l'histoire d'Italie, et dont j'ai recf)nnu
par moi-même la plupart des monumens. Aucun indice
historique ne peut en faire attribuer la fondation aux
Romains, puisque V'arron i'attribuoit aux Pclasges.
On va retrouver tous ces noms légèrement modifiés
quelquefois , suiNcinl la différence des idiomes. Dans les
cartes de l'ancienne Espagne, ils sont groupés, pour ainsi
dire , le long du cours de l'Ebre et de la chaîne des Pyré-
nées; ce qui favorise l'idée du rapport immédiat de cette
région avec la côte Tyrrhénienne de fltalie. Plusieurs de
ces noms se retrouvent dans la Bétique ; mais, dans celle
situation , ils ne sont point accompagnés du nom de peuple
qu'on voit souvent réuni à celui de la ville, sur les bords
de l'Ebre et au pied des Pyrénées. La raison de cette diffé-
rence seroit-elle que les villes de la Bétique n'auroient
été que les colonies des autres villes des bords de l'Ebre,
et que celles-ci , comme chefs-lieux , auroient réuni à celui
de la ville le nom générique du peuple î
En gardant, pour les confronter avec ceux d'Italie, l'ordre
que j'ai suivi dans la première énumération de ces noms , je
• riw. m. III . trouve d'abord en Celtibérie les Corloncnscs^ . Les Vcttoncs^.
'"ffLutt. n;. que partageoit le cours du Tage , reproduisent le nom du
^'i":'' ^ peuple ItalifUic Vcttoncnses , commç Spolctimim" celui de
*!</. au. Spolitium, et comme les TurAiluni'^ reproduisent le nom de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 551
Tor^/^, ville (J'Oinbrie. Les Ausetatii'^ d'Espagne , dont la ^pun.m, m ,.
principale ville étoit Aus<i^ , rcnctent, à la différence près ''''"'; 'f' .^
ri I _ ' '' rioi.pti^.144.
de la diphthongue, le nom du fleuve Osa, qui débouche
sur le point de la côte anciennement nommé Télamou. Les
Cusetani, limitrophes en Espagne des Aiisetani , portoient le Pwl. v'S-^^.
même nom que les Pélasges fondateurs de Cosa<à\.\x la côte
Pélasgique d'Italie. On retrouve dans le Visenùo des Pehn- lJ.p.4^
doues le Visentium des bords du lac de Bolsena ; et Vehica
des mêmes Pelendones , dont le nom s'est conservé, sous
celui de Vole a , dans les archives de la ville Espagnole
qui correspond à la même situation , représente les Vuhi,
voisinsdes Cosctûtiï de l'Italie. L'ancien nom de Tarragone,
Taraco , retrace la Tûrcunia de la côte Tvrrhénienne. Nous Strai^. lih. m,
avons vu qu il existoit sur son territoire une ville nommée
Conteiiebrû par Tite-Live ; et Ptolémée nomme au voisinage Piokm. ;k ^^.
de Tarragone le promontoire et la ville de Tenebrhmi , avec
le portus Tcnebra.
Les GraviscéE de la côte Tyrrhénienne de l'Italie se re-
trouvent, sous le nom de Gravii , sur la côte occidentale FHh. lih.iv,
d'Espagne, où Justin faisoit aborder Teucer, fils de Téla- i°i,xLjv,oip.
mon, dont le port des Graviscœ d'Italie portoit le nom. '"•
Ceux d'Espagne étoicnl voisins d'une Antiiim qui fut l'an- Hen'^z, Cata-
cien nom de Falvatiera. Chez les Cûllaici co\\\o\i le fleuve "^f^_ v,'pj/."f;.
MeUirm, qui rappelle le Metaiirus des Celtes Ombriens Ptol.jmg. ;^'.
d'Italie. A la différence près de quelques lettres, les Carites ^^^'f^'^ /'/p*'
d'Italie et leur ville Gare se retrouvent, sur le revers méri-
dional des Pyrénées , dans le nom des Cerretani et de leur Strak m. m ,
ville Sierra , que d'Anville marque sur sa carte , et qui est , °'
je crois, la Ceressus ou KAscerris de Ptolémée. Suivent les P«g. 41
Occhani , dont la capitale Vicus étoit plus anciennement
3 5^ MIMOIKES DF. L'ACADJ.MIE
Jm». Af.irg,t- noniince Ausoiiiii ; ces noms retracent clairement les /4wjo-
rw/ intrr flisp. . ■ t i /-^ • i mi a
illuiir. Siripta- n" Ut la Campanic et leur ville Ausoiui.
rf>,i.l.pag.ij. Y^^^ /fiJi<^e(es iic la côte du Latium , c'est-à-dire, les
liabitans des environs du /liais Jovis Indigetis , semblent
Ptolp. jp. reparoître, sous le nom simple iï Indi^ctcs , entre les Cerre-
ttiiii et les Coscttini; euf\n les Castelltini paroissent avoir ctc
les liabitans du Cdstrum dont Virgile et Rutiliusattribuoient
la fondation aux Pclasges, les plus voisins sans doute, et
par conséquent ceux de Cosn et de Care. Je confirmerai
plus loin ce rapprochement par des raisons que je crois
assez prc'pondcrantes pour obvier au doute que pourroit
causer ici la trop grande gcncralitc de la synonymie de
Cdsirum et de Castelhitii.
Lit.'xxxix, Tite-Live indiquoit au revers méridional des Pyrénées
"'''■ l'homonyme de cette Corbio des Volsques du Latium, qui
fut le sujet d'un ancien triomphe inscrit aux fastes Ro-
riolem.p.4,. mains. La Set'ui àçs mcmes Volsques se retrouvoit, avec
U. p.ig.jF. i,ne Ciiscantum, chez les y<isioncs , comme leur Norba chez
Ptol.p<ig.)6.^ les Liisitiiiii. Les /4//r////t-/de la Campanie se reconnoissent
Srr.d. m. m, en Bétique snus le nom d'Arriuci , comme les Osci duus
'"rim 'lit III. '^ "^'" ^'Osoj; comme la l^esiia Campanienne, dans le
r-ig '4-- nom des Vescitani , voisins de Timbre; dans ceux de la
Fiol pig.}6 Vescis des Turdiili . de la Vcsi'ui îles Turdet'vii ; \>e\it-ciïe
encore, si cette leçon doit être préférée , dans la Vesci-
riin.tJii.Rtm veai que la précieuse édition /irinceps de Vli\^e , qu'Har-
"'''^' douin n'a pas connue, attribue aux ^j/z/r^J d'Espagne ,
nom qui retrace i'Astiirdes rivages du Latium. Tiitid , ville
Fhr. tpiiom. disparue des marais Pontins, reparoît en Cellibérie, sui-
lih.lll.i.KXII. j,, ^ ■ 1 • I- / N I I
vaut riorus, avec Orcia, dont un petit lieu (ij de la
(i) Santi, yiaggio di iMcntainiat.t , tom. 1", pag. 339,
Toscane
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 353
Toscane porte le nom. Ce dernier est d'ailleurs fortifie
de murs antiques et d'une construction qui paroît avoir le
caractère de celle des Etrusques.
Au voisinacre de la Tutia Espagnole étoient Atixiiiia et r/cms. h^o
Oscû , dont la première est homonyme de 1 Auximum a Ita-
lie, et la seconde porte le nom des Osci. La ville actuelle
de Sûiigiicssa, Siiessa dans les archives citées par Ortclius, LcxU-. ven»
cest-a-dire, \ -^nciQWWQ Suestasium , se trouve jointe aux
Suessitani , dont Tite-Live a fixé le territoire sur le revers lu. xxxix ,
. . ^-~, . . ain. XLl.
méridional des Pyrénées. La 1 rebula L>ampanienne , ou plu-
tôt la Tribola plus ancienne des aborigènes de la Sabine,
est retracée par le nom de la ville de Tribola qu'Appien Hùpan.l.y/,
assigne à la Turdétanie, et près de laquelle étoient les
deux autres nommées Arnicci vêtus et Arrucci novum, mar-
quées dans la carte de d'Anville, et qui rappellent les
Aurunci. Suivant Vaière-Maxime, une ville située sur le Li^.iit,c.vii.
fleuve Alla portoit le nom de Bathia : c'est le même que
celui d'une des plus anciennes villes Pélasgiqucs de la
Sabine. Enfin le nom de Païlantia, de la même origine Appian. His-
et de la même antiquité, existoit chez les yaccai en y.jj.
Espagne.
En examinant les noms de tous ces peuples, on pourra
observer, que dans cette contrée, la situation de plusieurs
ctoit proche de ceux qu'ils avoient eus aussi pour voisins
en Italie. C'est ce qu'on peut vérifier sur les noms des Aiise-
taiii , des Cerretaiii , des Cosetani , placés au revers des Py-
rénées, et plus haut, des Vescitani , (XOsca, dont les colo-
nies détachées ne pouvoient être éloignées l'une de l'autre
dans la Bctique. Les Gravii ', qui s'étoient établis chez les
CaUdici , bien loin des peuples passés en Espagne et qu'ils
Tome VI, V
5î4 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
avoient eus pour voisins en Italie, ctoient au moins liml-
'Ihn.ii. Cl- trophes d'une Antium* et d'un peuple Teihur'i^, qui sont
t. ag. LKo j» . j 1^ noms du Latium. Ils avoient donne au fleuve d'Es-
*f^- pagne sur les bords duquel ils s'ctoient lixés , le même
Pui r<g- p- nom de Aiiiiius que portoit un fleuve de leur côte en
Italie. Enfin un même aflîxe indiquoit, en Espagne comme
L',yg.44. en Italie, une situation relative dans les noms de Cosa et
de Succosa.
J'ai annonce plus haut que j'expliquerois les raisons qui
me font considérer les Castelhini de la pointe orientale des
Pyrcnées comme le mcfme peuple qui, voisin des CerrcUini
en Italie, habitoit le Costrum Jiiui consacre au dieu Pan. A
défaut de l'autorité positive des anciens auteurs, j'ai con-
sulté des cartes manuscrites et très-détaillées de cette fron-
Ét^i du Rou^ tière, que Louis XVI fit lever dès la première année de son
'RÔl'fnjtil règne; et voici les résultats que j'en ai recueillis. Sur le ter-
%tin"' ^" '■'^oire qui correspond précisément à la situation des anciens
peuples Cerretiini et Castelhini , le lieu appelé de nos jours
Ciistiglionc n'est séparé cfe Kozcs , l'anrifMine RhoAa , que
M^iTc.x il,,- par \\w étang situé au pied d'une colline qui porte le nom
mîlumt"ciZ àe Pan. Il en est fait mention, sons le nom de A//;/^wr,
<ien,mm . cap j^^g l'histoire modeme . où il est rapporté que Pierre
S)8 tt uq. d'Aragon s'y retrancha en 1287.
On ne peut guère supposer d'autre origine au nom de
cette colline , que la pratique très-ancienne du culte de Pan
sur le lieu même ; et comme on a déterré tout près , sur le
terrain de Castiglione, une inscription Romaine portant le
nom de OiUttlo, il est par-là bien prouvé que ce territoire
étoit celui des CaUclliini , cites par Ptolémée, et il devient
bien prob.nble que ce peuple, voisin des CerrcLini, que
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 355
les autorités classiques attribuent à ce territoire , étoit le
même que celui d'Italie qui tiroit son nom du Castriim Itiui,
où le culte de Pan étoit exercé de toute antiquité.
C'est probablement à dater des premiers temps de ce
culte transporté en Espagne, que ce pays aura été connu
des anciens sous le nom de Pa/iia , sulvinn la leçon reçue Àd_ Stq>ha».
dans le texte d'Etienne de Byzance d après la remarque de
BerJvelius. Sosthène de Cnide , dans son xiii." livre des/^/- '«'^'['"^f-
Oj'cr.ltb.de rlu-
riaues, en assiijnoit pour cause les exploits de Dionysus et mm. tom.X. y.
de Pan , qu il étendoit jusqu en Iberie ; mais , a 1 appui des ^^
observations que j'ai précédemment confrontées, je crois
devoir préférer l'indication comprise dans les deux leçons
de ce vers de Silius Italiens: ^''•'' "■''h-
Ultra Pyrenen Laurentia num'ina vexit. E^"' ''^''"'■
Ultra Pyrenen Laurentia nomina duxi. ESi. Romnn.
1471 . et cd:t.
rr > r I Eincsli.
Ejii effet , quelque leçon qu on adopte , il ne peut rester
que l'alternative de supposer, ou que le poète historien
et scrutateur de l'antiquité a voulu faire allusion à la mi-
gration en Espagne des dieux du Latium , ou qu'il avoit
comparé les rapports des homonymies locales des deux
contrées, ainsi que je les ai présentés dans ce Mémoire.
Je ne dissimulerai point l'objection , en apparence bien
fondée,, qu'on peut faire en prétendant que tous ces noms
ne seroient passés en Espagne qu'à la suite des colonies
Romaines ; mais les dates des faits et des auteurs qui ont
cité ces villes, vont résoudre cette difficulté.
Eratosthène , qui florissoit quarante-un ans avant la
première entrée des Romains en Espagne , citoit la ville . ^^ .
de Tarragone ; ce qui prouve de nouveau que les Scipions pag. i;f.
Y-ij
3 56 MÔIOIRES DE L'ACADKMIE
ne l'ont pas fondcc. Qiiamf Polyhe écrivit l'histoire, les
Romains ne faisoient encore la guerre que clans la partie
mcridion;iJe de l'Espagne, et ils ctoient encore bien loin
d'avoir acquis assez de consistance dans le pavs pour
U.iii. .(.,•/. s'occuper à bâtir des villes : or Polybe citoit, au revers des
Upiia.tjSç. lyrcnces, des ^//ir/j///, que Tite-Live cite aussi pour le
\x'i''(^\x'ni "^'^■'"^ '''''^' ^^ Casaubon aura cic guide par cela dans la
correction du texte où ce nom est altcrc. Le mcme savant
auroit pu trouver dans l'autre nom , également corrompu ,
les Cerrettiiii , dont il n'a pas propose la leçon , non plus
^ que le savant et dernier éditeur de Polybe. Je conjecture
qu'il y faut lire Kct/peiavK^, au lieu d'A//>n'o€iK4 que porte le
texte corrompu , et de Acc-pyrcnoi»; proposé par Gronovius.
/.i/. /// . p.,v En parlant des Ccrrctdiii , Strabon les lait considérer
comme un peuple Espagnol, et non comme une de ces
colonies Romaines qu'il fait ailleurs soigneusement distin-
guer. Qiiand il dit que les Romains ont employé deux cents
ansàlaire la guerre , tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, il ne
prétend pas donner à eiiieiidre qu'ik aient employé leurs
troupes à fonder, <^7/>Wfl, suivant la langue des inscriptions,
des murs de villes sur des lieux où il n'en existoit pas. Leur
Ttstui.ittom première colonie établie en Espagne, Gracchur'is , avoit
iTrfc iiiurcis. substitue ce noui a celui ailliircis que portoit une plus
Lii.ii. f.tf. ancienne ville. On sait d'ailleurs, et Velleïus Paterculus
l'atteste, que la première de toutes les colonies que les Ro-
mains aient envoyées hors d'Italie , étoit celle de Carthage
en A(ii(]ue , et qu'en Espagne les colonies Romaines ne se
multiplicrent (jue vers le temps d'Auguste.
Silius Ilalicus est reconnu trop exact pour qu'on piiisse
supposer qu'il ail exagéré l'anticjuiié des peuples et des
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 357
villes qu'il nomme , relativement à des faits antérieurs
à rétablissement des Romains en Espagne. Il citoit les
Gravit comme un des peuples qui existoient dans cette Sil.h.il.lit. i,
contrée avant qu'Annibal eût passé i'Ebre. A l'époque '"-'■
à laquelle le poète suppose que les Pyrénées furent fran-
chies par Hercule, il fait trouver les Cenetani sur son pas- 1,1. ui: m , ,
sage, et fait intervenir les Vectones k celui d'Annibal , qui ^^i^[^.^, ,,,,.
ravagea le territoire des Volca , dont l'homonyme existoit l!-id.v.44;.
en Italie. La guerre de Viriathe appartient à l'an 1 4^ avant
notre ère, et la ville de Tribola est nommée dans la reh^
tion qu'Appien a faite de cette guerre. Pûllantia figure //«/mb. loa->
dans celle de Numance, qui eut lieu vers l'an 136 avant
notre ère, et bien avant que la première colonie Romaine
ait été envoyée hors d'Italie. Enfin ÏOsca Espagnole exis-
toit vers la même époque, puisque Sertorius y avoit fondé l'iut.mh. ix
r , , ^^ 1 . Sertor. wm. III ,
des études Grecques et Latines. yg-jjs-
Ces exemples prouvent donc que la concordance des
homonymies locales de l'ancien Latium et de l'Espagne
ne doit pas son origine aux colonies Romaines, mais qu'il
faut, pour l'expliquer, se reporter aux plus anciens temps
de l'Italie, et particulièrement en ce qui concerne la côte
Étrusque et Pélasgique. Autrement, comment seroit-il
arrivé que l'ancien état de l'ibérie , dressé par M. Agrippa,
copié par Pline, et les tables de Ptolémée, n'auroient
répété sur la côte méridionale de l'Espagne que des
villes nommées sur celle du plus ancien Latium ? Pour-
quoi Pline auroit-il désigné dix-huit peuples sous la dé- LU. xxxiv,
nommation de Laîiin veteres ! et a quelle cause ce titre
remonteroit-il , si ce n'est à celle de la commune origine
Arcadienue de Sagonte et de Rome \ C'est ce que Silius
35^ MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
entenJoit sans Joute , lorsqu'il disoit , en parlant des cl(5-
putes de Sagonte :
l.il. I , V. 6<>S. Hinc consangu'inea subeunt jam mctnia Borna.
Les Ardcates , d'ailleurs , qui avoient concouru à la fon-
dation de Sagonte , étoient compris de droit au noinbre
de ces Liilini vcteres , à l'occasion desquels Tite-Live fait
Tn.-Ui-.lih.i, parler Tarquin en ces termes : Passe <]ii'ulem se vetusto jure
agere, quod, cîim omncs Latini ah Alhn oriutiiii sitit, in eo fœdere
teneantur quo oh Tullo tes omiiis Albtiua cum colouis suis in
Romatnim cessent impcrium. Ainsi, lorsque Sagonte avoit
recours à Rome pour pacifier des troubles qui s'ctoient
élevés dans son sein bien avant l'envoi des colonies Ro-
maines , ce ne pouvoit ctre qu'en vertu du droit d'an-
ciens Latins dont elle jouissoit dès-lors, et des principes
Lit. III, f..'-. du traité rapporté par Polybe, où il est question , relati-
vement à la date de cinq cent neuf ans avant notre ère ,
de Latins établis hors de la domination Romaine; ce qui
ne pouvoit s'entendre, je crois, à cette époque, que de
peuples anciennement passés en Espagne et dont l'ori-
gine Latine étoit dès-lors reconnue.
Je n ignore pas combien il peut paroître hasardeux
de tenter, ainsi que je l'ai fait dans ce Mémoire, de
restituer à l'histoire des rapports qu'elle n'a positivement
établis nulle part; mais il faut cependant que quelque
auteur ancien ait parlé de l'origine Italifjue des Ibères,
(^M.r.i.onnlh puisque S. Jérôme , après avoir rapporté les noms de quel-
hrtica in Crue- • i il- , . . . .
sim fJit. V'm- ques anciens conducteurs de colonies, scxprimoit ainsi:
//"j"^/ ' T' Thuhol Ihcri , qui et Hispani , licèt quidam Italos iiuspicentur.
)i' H est très -probable qu'il aura voulu indiquer ici Servius,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 359
commentateur de Virgile , et dont on prétend qu'il avoit été
disciple : Servius lisoit les Origines, aujourd'hui perdues,
que Caton avoit écrites.
(Quelques observations encore sur les homonymies to-
pographiques indiqueront peut-être les traces de l'ancienne
origine Grecque à laquelle les Aquitains prctendoient. Les
noms Pélasgiques des Pyrénées Espagnoles se retrouvent
en Aquitaine, soit littéralement, soit modifiés par une syl-
labe initiale, dans les dénominations locales de Cosa ^, Cos- * T,é. Thtoda.
sio° , Cocosa^, Losa, Scs,osa , Ausci^ , Oscinéium^. J'en in- ^^"•'''"■r-i''-
duiroisque les Cosetaiii et les Ausetaiii d'Espagne auroient 24.
envoyé des colonies en Aquitaine, et (]uOscd, Vescia , Es- „(r.pag.'4;6."
cua, en Turdétanie , ne seroient , de même , que des noms '^PH"- m- '^,
transportés par des colonies parties des sources de l'Ebre, ou ,";„„ Hierosol.
se retrouvent ces mêmes noms , entre lesquels on distingue /"»■/'"'•
celui à'Osca , synonyme des appellatifs Aiisci et Oscineium
d'Aquitaine, que le nom local à' Es(juies représente.
Les savans qui admettent difficilement les inductions
tirées des indices couverts du voile de la plus haute anti-
quité, réfléchiront , sans doute, sur les faits suivans que
rapporte l'antiquaire Basque, Andres de Poça. On lit dans
son ouvrage sur les Antiquités de la hvigue et des peuples de
r Espagne, imprimé à Bilbao en 1587, que les seigneurs
de Biscaye juroient encore alors de garder les coutumes et
les privilèges du pays, un pied chaussé et l'autre nu; que
le roi Ferdinand -le- Catholique, ainsi que ses prédéces-
seurs, fit ce serment dans ce même costume, et que le nom
de la ville où cet acte public avoit lieu , se nommoit Guer-
nica, Andres de Poça n'hésite point de considérer l'origine
de cette coutume comme Pélasgique , et de citer à l'appui
3éJo MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
de son opinion ces deux vers où Virgile s'exprime ainsi,
en pariant des Herniqiies :
AjieiJ. VI! , J'esrigia nuda sin'istri
""■ ■ "■ Institue) ( pedis ; crudus tegit <i liera peio.
On lit encore dans l'ouvrage de M. Herva/ , que le Giii-
puscoa comprend une montagne appelée //r////^/, dont les
habitans s'appellent Hcniicoa ; ei l'on sait que le mot licrna
ffiit.1. rer/^' siguifioit moiitiigiie en langue Sabine. Je ne ferai aucune
Hcmici. .'n • .....
Stnius ad ''^nexion sur ces rapports ; mais j ajouterai , pour terminer
A'nrid.Uh.vii, ce Mémoire, quelques faits qui prouvent combien cer-
taines coutumes anciennes sont ilurables chez les peuples
modernes.
Bcirnnj^rcy- ^^^ Hougrois , nation bien reconnue pour Scytbique
rm, . Tnwe Jr> J'ori^ine, sont cites comme avant coutume d'attacher à leur
marquti natio- o .'
/tj/r. ,/> //. bonnet de guerre autant de lames d'or qu'ils tuent d'enne-
mis dans les combats. Nous lisons dans les fragmens de
Htnr. y:,k)ù Nicolasde Damas, que les J///<//, peuple Scythe et voisin des
M.^'j>"j26. Palus Ma?otides, avoient l'usage d'inhumer avec leurs guer-
riers autant de pois<;nn'i qu'ils avoient tué d'ennemis dans
les guerres. Lors(ju'en 1436 Joseph Barbaro lut envoyé
RmcoIio Ji R,:- en Perse, le fragment cité de Nicolas de Damas n'étoit pas
i'«g fj. découvert: anisi l ambassadeur Vénitien a verilic, sans le
savoir , le fait avancé jiar l'auteur Grec , lorsque , faisant
fouiller un tomljeau de la région des J^fW/, il y trouva ren-
fermés dans une urne de pierre beaucoup de squelettes
de poissons dont il ne pouvoit s'expliijuer le rit funéraire.
Henri de Valois n'a lait aucune remarque sur ces rapports.
A'oM. Coimiltti l'mivragc érrit en allemand p,ir M. Guillaume HcHiimboldl, »oui
le titre 6'[jtimcn Jts re^hinha faiui mr In firemirrs haHum dt l'Ejpiignt , &c. Bcrim ,
1811.
MÉMOIRE
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 3^1
MÉMOIRE
SUR
LA SITUATION DES RAUDII CAMPI,
où MARIUS DÉFIT LES CIMBRES,
ET SUR LA ROUTE
suivie par ces peuples pour se rendre en italie.
Par m. WALCKENAER.
J_iA victoire que Marins remporta sur les Ciinbres en Luieijjan-
Italie , est un des événeinens les plus importans de l'his- ^'*''''''7-
toire ancienne. C'en ctoit fait de l'empire Romain, si ces
barbares eussent été vainqueurs : la civilisation eût été
retardée pendant neuf ou dix siècles, comme elle le fut
quatre cents ans après par la même cause; et, ainsi que
le dit Quintilien, le monde entier eût parlé cimbre au
lieu de parler latin.
On s'est divisé sur le lieu de cette célèbre bataille, et
sur la route qu'ont tenue les Cimbres pour pénétrer en
Italie. Personne, que je sache, n'a fait de cela l'objet
d'une dissertation spéciale : celle-ci, qui sera courte, est
destinée à éclaircir ce point d'histoire.
Tome VL Z»
3^2 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
Panvini, Pighius , Sigonius, Maffei, veulent que cette
bataille ait ctc livrée près Je Vérone ; d'Anville, près
de Milan; Cluvier, et, d'après lui, Cellarius, entre \'er-
ceil, Novare et Lomello; enfin un poète ancien, Chiu-
dien,la place plus à l'ouest, sur les bords du Tanaro,dans
les environs de PoIIeiit'ui : de sorte que l'incertitude, rela-
tivement à la position de ce champ de carnage , s'étend
presque sur toute la largeur de l'Italie septentrionale et
dans la partie de l'Italie qui a le plus de largeur.
Cependant je ne connois aucun auteur moderne qui
se soit laissé induire en erreur par l'assertion de Clau-
dien : elle étoit trop directement contraire à celle de tous
les historiens, et l'on s'aperçoit facilement que le poète a
choisi l'opinion la plus favorable au désir qu'il avoit de
flatter Stilicon. Je dirai néanmoins ce qui pouvoit accré-
diter cette erreur au temps de Claudien , et pourquoi quel-
ques modernes se sont égarés dans l'examen d'un problème
historique dont la solution paroissoit peu difhcile.
Il ne reste rien de la partie des ouvrages de Tite-Live
où il étoit question de cette bataille, et l'on n'en trouve
le récit détaillé que dans Plutarque. Cet écrivain , dont
la lecture a'*\ant d'attrait , a cependant mérité de grands
reproches. Rarement il cherche à concilier entre eux
les nombreux écrivains (ju'il met à contribution; il les
copie alternativement , et souvent avec si peu d'atlcn-
tion pour le fond des faits et l'exactitude des détails,
qu'il contredit quelquefois d'après un auteur ce qu'il a
avancé d'après un autre. Mais , pour le sujet qui nous
occupe, Plutarque mérite toute confiance, parce qu'il
ccrivoit , ainsi qu'il nous l'apprend lui-mOme, d'après
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 363
les mémoires de Sylla, alors lieutenant clans l'armée de
Marins , et présent à cette bataille. Pkitarqiie nous dit
qu'elle fut livrée dans la plaine de Verceil , -are/JJ Bep-
D'un autre côté, Velleïus Paterculus, Florus , Aure-
lius Victor, disent que ce fut dans les dimpi Raudii:
ces Campi Rmidii étoient donc près de Verceil, et il ne
falloit pas les chercher ailleurs.
Effectivement, à l'orient de Verceil, précisément du
côté d'oii venoient les barbares , dans le district de Bian-
drate, sont les champs et les prés qui portent encore au-
jourd'hui les noms de Campi ou Prati di Ro ou di Rau;
et, ce que personne, je crois, n'a encore remarqué, ces
champs sont traversés par trois petites rivières qui se
nomment toutes Rauggia ; savoir, Raugia Birago , Roggia
Rillû , Rûugia Busca. C'est donc dans ces vastes plaines,
en tirant vers le Pô, que s'est livrée cette célèbre bataille.
Ces plaines sont très-unies : elles ont vingt milles de lon-
gueur; ce qui répond bien à la description de Plutarque
et au patenûssïmus campus de Florus.
M. Durandi étoit trop instruit dans la topographie an-
tique de son pays pour ne pas faire quelques-uns de ces
rapprochemens qui avoient été déjà indiqués en partie
par Clqvier ; mais ce sont ces indications mêmes qui
ont fait tomber M. Durandi dans une erreur bien grave,
et bien surprenante de la part d'un homme ordinairement
si rempli de sagacité. Il veut que, hors le seul Plutarque, Dur.mdi. Alpi
tous les anciens qui ont parlé de cet événement se soient ^'''''''
trompés lorsqu'ils ont avancé que les Cimbres étoient
descendus par les Alpes Tridentines , ou le col de Trente,
Z'ij
364 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
et avoiciil traverse i'AJige , parce que les Ctinipi Riiudii ,
dans le lieu où nous les pla<,()ns et où les plate aussi
AI. DuranJi, sont loin Je ce fleuve et Je cette partie Jes
Alpes.
Florus dit que les Cimbres se laissèrent amollir par
le climat et les délices de la Véiu'tie ; et comme, dans le
système de M. Durand!, les Cimbres n'ont pas dû passer
par la Vénetic , il trouve cette idée de Florus romanesque,
et son récit contraire à l'bistoire. 11 veut que ÏAtiso de
Plutarque ne soit pas le mcme que i'Al/icsis de Florus et
des autres bistoriens ; et, au lieu de rapporter le nom de
ce fleuve à [' Adige , il en fait l'application à une petite
rivière obscure qui coule sur les bauts sommets des Alpes,
et qui se rend, après un cours très-borné, dans le lac Ma-
jeur : mais cette rivière se nomme, sur nos cartes, Toce ,
nom que M.Durandi cbajige, avec le secours d'un article,
en celui de l'Atos , ou lAtoxo, ou l'Atoce, sans pouvoir,
malgré toutes ces transmutations, le rendre encore bien
semblable au nom anticjue Atiso. C'est d'après ces idées
que M. Durandi conclut que les Ciml)res sont descendus
par le Simplon et la vallée d'Ossola , voisins des Cnmpi
Rnudii , et non par les Alpes Tr'uientincs , qui en sont, ù
la vérité, fort éloignées. Il faut donc prouver que le récit
de Plutarque s'accorde parfaitement avec celui ile Florus
ei des autres bistoriens, et que M. Durandi a eu tort de
les contredire. Pour cela, nous n'aurons qu'à citer les
passages où se trouvent consignées les principales cir-
constances de cette bataille, à en bien tléterminer le sens,
et à montrer clairement la liaison qu'ils ont entre eux.
<• Les barbares, dit Plutarque, se divisèrent en deux
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 365
» armées pour passer en Italie : l'une, qui ctoit celle des
» Cimbres, alla par le pays des Noriqucs, afin de forcer le
» passage que dcfendoit Catulus ; et l'autre, qui ctoit
» celle des Teutons et des Ambrons , passa par la Li-
» gur'ie , le long de la mer, contre Marins.
« Catulus, qui avoit ordre de faire tête aux Cimbres,
» jugea qu'il ne falloit pas perdre de temps à garder les
» passages des montagnes pour empêcher les barbares
» de pénétrer. Il se retira donc en arrière des Alpes, dans
» l'intérieur de l'Italie, et il se couvrit de la rivière Aîiso ,
» sur laquelle il bâtit un pont. »
On voit déjà l'opinion de M. Durandi renversée dès
les premiers mots : les Cimbres étant dans la Norique,
leur plus court chemin étoit de descendre par les vallées
de i'AJige ou les Alpes Tr'uîetitities. Dans l'impuissance de
défendre les défilés des Alpes, Catulus voulut empêcher
les barbares de passer ÏAdige : il se fortifia donc sur les
bords de ce fleuve. Alors les Cimbres se répandirent dans
la Vénétie, qu'il avoit abandonnée, et la dévastèrent.
L'/4/iiode Plutarqueest donc la même rivière que XAîhesis
des auteurs Latins . c'est-à-dire, ÏAdige. Si ïAiiso de Piu-
tarque étoit la Toce et non pas ÏAdige, Catulus et son
armée se seroient trouvés, non pas au-dedans de l'Italie;
mais dans les Alpes ; non pas en arrière des Alpes , mais
près de leurs sommets les plus élevés, près des cimes du
Saint-Gothard. Enfin l'auteur n'auroit pas dit que Catulus
ne voulut pas perdre le temps à garder les passages des
Alpes ; car il est évident qu'il n'auroit fait gravir les som-
mets des montagnes à son armée que pour en garder
les passages.
j^6 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Catiiliis, après sVtre fortifie derrière ['AJi^e, reste Jans
SCS positions. Les barbares e*itrepreiinent de le contraindre
à les abandonner : pour y parvenir, ils obstruent le cours
du lleuve, en abattant presque toute une foret. Cette des-
cription, qui est la nicine dans Plutnrque et dans Florus,
ne convient nullement à une rivière comme lu Toce , mais
s'applique parfaitement à un grand fleuve comme ÏAJige.
Les Romains s'effraient ; le fort sur ['Atiso est pris.
«< Alors, dit Plutarque, les barbares, trouvant le pays
»» ouvert et sans défense, se répandirent çà et là, et le
» saccadèrent : c'est pourquoi l'on ordonna à Marins de
»» se rendre à Rome pour leur faire tète.»
Je ne sais par quelles raisons M. Durandi s'est imaginé
que les Cimbres se rendirent en trois jours sur le champ
de bataille, après avoir passé \' Atiso. Nous ne lisons rien
de semblable dans Plutarque, ni dans aucun autre auteur;
nous voyons au contraire l'armée Romaine battre en re-
traite, et les barbares se répandre dans un pays où ils
desiroient s'établir, sans qu'il y ait aucun temps spécifié:
et même Plutarque nous dit ensuite qu'à cette occasion
on rappela Marius à Rome ; que ce consul assembla le
sénat et le peuple, et les harangua sur ce qu'il avoit à
faire ; qu'enfin il donna des ordres pour le retour de son
armée.
.< Celte armée , dit Plutarque, étoit encore dans la Gaule,
- au-delà des monts: aussitôt qu'elle fut arrivée, Marius
» passa avec elle le Pô, pour empêcher les barbares d'en-
» dommager l'Italie qui est en-de<,à du Pô. •»
Mais, dira-t-on , si les barbares venoicnt de la V'éné-
tie et avoient passé i'AJigc , pourquoi donc se dirigeoient-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 36^
ils du côté de Verceil , au lieu de traverser le Pô, et d'aller,
avant l'arrivce de Marins, droit à Rome en marchant sur
Modène [Mutina] !
Plutarque a pris soin de nous en donner la raison.
" Qjiiant aux barbares, dit-il, ils différoient toujours à
» livrer bataille, parce qu'ils attendoient les Teutons; et
» ils s'ctonnoient beaucoup de leur retard. »
L'historien parle ici de l'autre armée , composée de
Cimbres , d'Ambrons et de Teutons , qui avoit fait son
irruption dans la Gaule Transalpine, et que Marius avoit
défaite près d'Aix, Tous ces peuples barbares, tant ceux
qui avoient fait leur irruption dans les Gaules, que ceux
qui étoient descendus en Italie, se croyant certains de la
victoire, étoient convenus entre eux qu'aussitôt après avoir
triomphé des armées qu'on avoit envoyées pour s'opposer
à leur passage, ils feroient leur jonction et s'avanceroient
ensuite sur Rome avec leurs forces réunies. On ne peut
disconvenir que ce plan ne ïui parfaitement bien conçu,
puisque, par ce moyen , les barbares contraignoient les Ro-
mains à diviser leurs forces ; qu'après avoir triomphé de
chaque armée Romaine séparément, ils ne pouvoient plus
être inquiétés sur leur arrière-garde , et qu'ils se trouvoient,
malgré les combats sanglans qu'ils avoient livrés dans le
cœur de d'Italie , avoir une armée plus forte qu'au mo-
ment de leur irruption. Mais la première condition dans
toutes les combinaisons de la guerre , c'est de vaincre.
L'armée des Cimbres qui avoit fait son irruption dans la
Gaule Transalpine, avoit été vaincue; et celle qui étoit
descendue par les Alpes Tridentines et qui avoit passé
ÏAdi^e, ignoroit cette défaite : c'est par cette raison qu'elle
3^8 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
s'avançoit du côte Je Verceil, dans i'espdrance d'op<^rer
sa jonction avec l'armée de ses compatriotes, qu'elle pré-
sumoit devoir descendre par les Alpes Grecques ou les
Alpes CottJe/i/ies..
Lorsque les Cimbres d'Italie surent que la puissante
armée des Gaules avoit été détruite, ils suspendirent leur
marche et devinrent moins menaçans : car les plus braves
nn'me ne sont arrogans .que tant qu'ils croient ctre les
plus forts.
Les Cimbres envovèrent donc alors des ambassadeurs
à Marius pour lui demander des terres à cultiver. Marius
leur fit uneréponse insultante, et, pour qu'ils ne doutassent
point du carnage de leurs compatriotes des Gaules, il
montra à leurs ambassadeurs les rois des Teutons liés et
enchaînés.
«< Alors, dit Plutarque, Béorix, roi des Cimbres, en-
•> voya défier Marius, et convenir du jour et du lieu de
" la bataille , afin de décider (}ui resteroit le maître du
- pays ([).
» A quoi, continue Plutarcjue, Marius répondit que ce
" n'étoit p;Ls l'usage des Romains de prendre conseil de
•• leurs ennemis pour savoir (juand et dans cjuci lieu ils
" dévoient livrer bataille, mais que néanmoins il vouloit
» bieji donner aux Cimbres cette satisfaction.
'» On convint donc mutuellement que ce seroit le
- troisième jour suivant, dans la phiine de Verceil : cette
(i) Remarquons, en passant, qne,
plu» de cinq sircics après, Clovis,
originaire de la même contrée que
ces Cimbres, fit exactement le même
dcfi et la même demande à Sya-
grius, qui, dans les (vailles, con>-
ninndoit , pour les Romains, aux
tristes restes de la seconde Belgique.
» plaine
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 3(^9
» plaine convenoit aux Romains pour ieur cavalerie , et
" aux barbares pouf déployer facilement leurs nombreux
» bataillons. Les deux partis se montrèrent fidèles à la
» convention, et parurent en bataille rangée. »
On voit clairement que les trois jours dont il est ici
question doivent être comptés depuis le jour de la con-
vention entre les deux généraux, et non pas depuis le
passage de ïAdige, comme le veut M. Durandi ; et,
quoique j'aie été obligé d'abréger ce récit et de le donner
par extrait, on s'aperçoit qu'il est clair, raisonné, et tel
enfin qu'on devoit l'attendre d'un militaire aussi instruit
que Sylla , dans les mémoires duquel Plutarque a puisé,
et qu'il cite.
M. Durandi prétend qu'il ne s'étoit pas écoulé assez
de temps entre l'époque du passage des Alpes par les bar-
bares et le jour de la bataille, pour qu'ils pussent s'amollir
dans la Vénétie , ainsi que l'avance Florus. Je remar-
querai d'abord qu'il n'en est pas d'une armée bien disci-
plinée chez les peuples civilisés , comme de troupes de
barbares tels qu'étoientles Cimbres: il ne faut que quelques
jours de résidence dans un pays riche et abondant, pour
que de tels hommes se livrent à la débauche et à une folle
confiance ; alors on voit aussitôt la discipline se relâcher,
et leur fureur guerrière s'amortir. D'ailleurs, ainsi que je
l'ai déjà dit, Plutarque ne nous donne pas l'époque pré-
cise du passage des Cimbres en Italie; et nous voyons,
dans son récit, qu'il a dû s'écouler un temps assez long
depuis le moment où Catulus se fortifia sur ÏAJige, jus-
qu'à celui où Marins, pour le joindre, fit revenir son
armée des Gaules.
Tome VI. A'
Til.- Uv S.^m-
mjirc du lirrt
LXVIII, t. 17,
> 'tlleiui r.uer-
I klki , lii. Il , c.
XII , ».«/, (. /,
^<f. ICÇ (t. II.
P^S 7i-: <""(i)-
Fhrut, lii. III,
(ap. III, tom. II,
r^g-449"4;i-
Aureliui Victor,
Pt viril illuslri-
hi.cip.LXVIl,
F''i- -/ i
Orotiut, lit. y,
c.ip.XVI.
Euirop. lii. V.
370 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
Je crois avoir siifTisammeiit justilic Floriis du reproche
d'écrivain romaiiesijue que lui tait M. Duraiuli ; je crois
avoir prouve que Plutarque s'accorde avec tous les autres
historiens : par conséquent , on peut regarder, suivant moi,
comme un fait démontré, que les Cimbres descendirent
en Italie par les Alpes Tridentines , ou le col de Trente;
qu'ils s'avancèrent ensuite à l'ouest vers la Giiulc Trdiisdk
pinc , pour tâcher de rejoindre l'armée de leurs compa-
triotes, qui avoient fait une irruption dans cette dernière
contrée, et qu'ils furent délaits dans la plaine dite dimpi
di Ro ou de Riiudjii , entre Novare et Verceil , entre Bian-
drate , au nord, et Kandia, près de Cozzo, au sud; enfin au
nord du Pô, et à peu de distance des rives de ce fleuve.
D'après ce que nous avons dit, il n'est pas difficile de
découvrir la cause de l'erreur de ceux qui, avec Sigonius
et Maffei , veulent que cette bataille se soit livrée dans
les environs de Vérone et dans la Vctictie ; ils ne s'atta-
choient qu'au seul récit de Florus, qui dit que les Cimbres
descendirent en Italie par les Alpes TriJcntincs , et qu'ils
se laissèrent amollir par les douceurs du cliinai de la
Véiie'tie (i). D'après ce passage seul, et sans faire atten-
tion au besoin (]u'avoient ces barbares de marcher à la
rencontre de leurs compatriotes , ils vouloient trouver
dans la Vénétie un lieu que le récit de Plutarque, la suite
des événement et la marche des armées, démontroient
devoir ctrc beaucoup plus ;\ l'ouest.
( I ) Ciml'ri per hytmnn, quar altiùs
Alpes levât, Tridentinis jiigis in ItJ-
liiiinprovoliili ruina Jtscenderant. . . .
tfii in YenetUi , quo fcri tract u Itaiia
mollissima est , ipsâ soli caTujiie cle-
im-ntiJ rol'Ur eltinguit. ( Florin, I. III,
cap. III.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 571
C'est par la même raison aussi , et parce qu'il n'a pas
bien compris tous les mouvemens des armées pendant
cette célèbre campagne, que M. Durandi, ne s'attachant
qu'à une circonstance du récit de Plutarque, et ayant
bien déterminé le lieu de la bataille, veut fliire descendre
les Cimbres des sommets des Alpes qui sont au nord de
la Vénétie : ce qui est contraire aux récits de tous les his-
toriens, et particulièrement à celui de Plutarque.
D'Anville trouva , sur ce point de géographie, les opi-
nions des savans divisées : d'une part, considérant que la
Vénétie étoit trop loin de la ville de Verceil , aux en-
virons de laquelle Plutarque plaçoit cette bataille ; que,
d'un autre côté , Verceil paroissoit bien loin des Alpes
Tridentines , d'où Florus faisoit descendre les Cimbres,
il crut devoir adopter une opinion mixte, et il plaça D'AmUk.C/v-
les Cûiupi Raudii près de Milan. 11 a étayé son opinion ^'^f "'"■■
du nom d'un petit hameau nommé Rho , qui est près de
cette ville.
Une rencontre de nom semblable pouvoit avoir donné
naissance à l'erreur ou à la supposition du poète Claudien.
Un peu à l'est des ruines de l'ancienne PoUentia , ou du
castel moderne de Polletiip , entre ce lieu et Alba , est
le lieu nomme Rodi , qui est fort ancien : il est fait men-
tion de ce lieu, sous le nom de Raudium , dans un di-
plôme de l'an 10 i 4- Nous lisons dans la Chronique de
Novalese , que cette terre fut donnée, dans le x.^ siècle, Ub. r, ay.
XX X lll.
à l'abbaye de Brème, avec celles de Serralu/igû , Verdunum , ciucv.ir Du-
Grejam et Griinan. L'empereur Conrad, dans le diplôme ^'^'i' • J'""")»"
^ *' ' ' Cisfhxdana an-
dont nous venons de parler, confirme cette donation, et '"-".r^'g-ipy-
s'exprime en ces termes : Celhim unamin honoremS. Stephani
A ' ij
57i Mr.MOIRES DE L'ACADKMir
sacmum ciiin cjstro quod vocdtur RauJum, et /iliiul iiomine
Verdiiiuim, &c. , tisijiie iui pmtuiti t/iioJ dicitiir Striixca.
Ne peut-on pas conjecturer que ce lieu nomme Rdii-
dum ou Riiudiitm, où fut livrée la bataille Je Stilicon contre
les Gètes, aura, par l'identité Ju nom, causé l'erreur de
Claudien ; ou que ce poète aura supposé, à dessein, que
les Ruudii Ccimpi de Marins étoient les mêmes que les
Riuuiii Campi de Stilicon, ailn de rattacher aux actions
de celui qu'il vouloit célébrer, et un grand nom, et Je
grands souvenirs!
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 575
MÉMOIRE
SUR LES CHANGE MENS
QUI SE SONT OPÉRÉS
DANS LE COURS DE LA LOIRE,
ENTRE TOURS ET ANGERS,
Et sur la Position du lieu nommé Murus dans
les Actes de la vie de S. Florent.
Par m. WALCKENAER.
iVIénage, se promenant en Anjou, sur les bords de Lu le 17 No-
la Loire, avec Hadrien de Valois, fit observer à ce savant '^" '^^ ' '-"
(qui travaiiioit alors à sa Notice des Gaules) que la Vienne
couloit autrefois jusqu'à Saumur, où elle se réunissoit à
la Loire ; et il chercha à prouver historiquement ce point
de géographie, en citant ces trois vers du poème de Guil-
laume le Breton :
Qu'iqui suos posuit muros prope Jlum'ma Salinur,
Al'ixtus ubi L'iacrï fluvio résinante Vi^enna
Amittit nomen ferrugineumque colorem,
Valois, dans sa Notice, au mot CondateTuronum , n'oublie
pas de rapporter les trois vers de Guillaume le Breton :
il combat l'opinion q^u'ils semblent autoriser, et il soutient,
374 MLMOIRES DE L'AC.ADÎMIE
au contraire, que le confluent de la Loire et de la Vienne
a toujours ctc où il est aujourd'hui, c'est-à-dire, à Candes,
(jui est le Condate Turonum, ou le ConJuta viens de Sulpice-
Scvcre, de Grégoire de Tours, et des autres auteurs du
moyen âge. Valois rapporte, coinmo ilcci.^il à cet égard,
un passage de Grégoire de Tours, que nous aurons occa-
sion de citer et d'expliquer dans ce Mémoire, et il en tire
une conséquence qu'il exprime en ces termes : Qitiire fal-
luntuT hciuddubic <]ui , veterihus Uibulis iiescio ^uilmsfrcti, Vin-
geinuz et Ligeris confiucntes ohm ad Scilmurum fuisse, et Sal-
miirum ipsiim <id Vingeniia ripom exstitisse eontendunt.
Ménage, qui, dans son Histoire de Sablé , nous a rap-
porté la conversation qu'il avoit eue avec Valois sur ce
sujet, fortifie dans cet ouvrage son opinion par de nou-
velles preuves. Cette opinion a depuis été celle de La
Sauvagcre, de Robin , de M. Bodin , cjui a publié en i 8 i 2
des recherches intéressantes sur Saumur, et enfin de tous
ceux qui ont écrit dans le pays et qui ont été à portée d'exa-
miner l'aspect des lieux, quoique plusieurs aient ignoré
les recherches de Ménage, ou ne les aient point citc^s:
tandis qu'au contraire Delisle, d'Anville, et les autres géo-
graphes qui les ont suivis, n'en ont tenu aucun compte;
et, adoptant le sentiment de Valois, ils ont tracé sur
leurs cartes de la Gaule les cours de la Loire et de la
Vienne tels qu'ils existent aujourd'hui. Soumettons ceci
à \\w nouvel examen : essayons de prouver que, si les
géographes n'avoient pas entièrement tort de ne point
céder aux raisons des anticjuairesdu pays, ceux-ci étoient
encore mieux fondes à ne point se rendre aux tlécisions
des géographes.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 37$
En effet, les antiquaires du pays soutenoient que la
Loire avoit changé son cours, sans expliquer comment
ce changement avoit eu lieu , et il étolt bien difficile aux
géographes d'admettre le changement de lit d'un grand
fleuve sur une longueur de quarante mille toises. D'un
autre côté, des débris d'amphithéâtres Romains trouves à
Doué , le camp Romain découvert près de Chènehutte,
ont égaré les antiquaires dans leurs recherches, et ils ont
voulu placer au midi de la Loire, et bien loin de sa vé-
ritable position, une station Romaine nommée /?o^r/V(7,
qui se trouvoit au nord de la Loire, sur la route de
Casarodunum [Tours] à Juliomûgus [Angers], route dont
il reste encore des vestiges. Cette faute étoit d'autant plus
grave, que les mesures des itinéraires Romains donnés
par la Table, relativement à la station de Robricci, sont
très-exactes , et que M. d'Anville avoit très-bien déter-
miné cette position, quoiqu'il se fût égaré avec Valois,
relativement au véritable cours de la Loire dans les temps
antiques.
Enfin les auteurs du pays, en adoptant la coïijecture
de Valois, relativement à la position du lieu nommé Munis
dans les Actes de la vie de S. Florent, se mettoient dans
l'impossibilité d'expliquer d'une manière satisfaisante un
passage de la Vie de ce saint; et ils fournissoient ainsi
aux géographes une objection qu'il étoit impossible de
résoudre.
Je commencerai par tracer l'histoire des changemens
qui se sont opérés relativement au cours de la Loire, et
j'expliquerai aussi les causes qui les ont produits. Je pas-
serai ensuite aux preuves détaillées des faits que j'aurai
37^ MÉMOIRES DE L'ACADf.MIE
avances; ce qui me donnera occasion d'cclaircir les points
de gcograpliie ancienne et du moyen âge qui se rattachent
le mieux à mon sujet, et dont quelques-uns jettent un
nouveau jour sur certains cvénemens de notre histoire,
et nous montrent l'origine de plusieurs lieux encore
existans.
Si l'on considère le cours des •rivières de l'Indre et du
Cher, qui se jettent dans la Loire à l'ouest de Tours,
on verra qu'elles ne s'y versent pas par une seule em-
bouchure, mais qu'elles communiquent leurs eaux au
fleuve principal par plusieurs bras, qu'elles s'enlacent en
quelque sorte avec lui en lormant diverses îles : celles
qu'entoure le Cher sont sur-tout très -considérables , et
les deux plus grandes prennent les noms dlle de Bretlie-
riioiit et dî/e Je Bcrlhcnay. Avant les travaux qui ont, à
l'ouest de ces îles, restreint dans un seul lit les cours de
la Loire et des rivières qui se joignent à ce fleuve , ce
cours, depuis Saint-Patrice jusqu'à Candes , ctoit celui
de l'Indre; la Loire passoit au pied du coteau où se
trouvent Restignc et Bourgueil ; et la rivière qui depuis a
pris le nom de Unie , marque aujourd'hui l'ancien thalweg
ou le profond du fleuve. La \'ienne , après avoir reçu
à Candes les eaux de l'Indre, de la Loire et du Cher
réunis, en continuant son cours, avoit à Candes une
première communication directe avec la Loire , et elle
formoit une première grande île, où se trouvent actuelle-
ment Varenne, Chouzé et Chapelle-Blanche. Cependant
la Vienne, en continuant à couler vers l'ouest, recevoit le
Thouet près de Saumyr; et la Vienne se joignoit aussi à la
Loire par plusieurs bras dont des marais nous montrent
encore
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 377
encore aujourd'hui la trace. La Loire couloit alors dans le i
lit actuel de l'Autliion, mot qui, dans le langage du pays, 1
signifie nuirais; elle recevoit , près de Longue, la petite
rivière de Latan. Ces îles ainsi formées par l'Indre et la
Loire, et sur-tout par la Vienne et la Loire, étoient trop
considérables pour n'être point cultivées ; elles faisoient
partie d'un canton 'particulier fort célèbre, et dont il est
souvent fait mention dans l'histoire du moyen âge , sous
le nom de Vcillica ou Valhigia, qui, dans nos temps
modernes , a conservé le nom de vallée d'Anjou.
Mais, dans tous les temps, la Loire a été assujettie à
des débordemens considérables. « La Loire, dit Coquille, j-ihtoircdc Ni-
» fait grand dommage par son inconstance; car, étant ^'""'"'■
» sablonneuse , et ses rives étant de terre légère , elle
» change souvent son. cours et son profond , jetant grande
» quantité de sable es lieux où souloit être le profond,
» et faisant profond les lieux où souloit être le sable. » ^
Nos annales ont souvent occasion de rappeler les désastres Ménage, Hh-
^ euve a laits a dinerentes époques, et un capitu- ^ag.zp.
laire de Louis-ie-Débonnaire nous apprend que dès-lors
on s'occupoit de grands travaux pour les prévenir: il Cd^kuLu-m re-
onnoit que 1 on lit choix , pour cet objet , d un homme eJ. Stepkw. Ba-
habile et expérimenté, ut bonus tnissus de aggerihus juxta ''^^■^"""■'•i"'g-
Ligerim facicndis eidem operi praponatur.
Les habitans de la vallée furent donc obligés de cons-
truire des digues et des levées pour se défendre contre
les invasions des fleuves qui arrosoient leurs possessions;
mais , à l'ouest de Bourgueil ou BurguUum , divers motifs
portoient ces habitans à diriger principalement leurs efforts
contre les cours d'eau qui entouroient au midi les grandes
Tome VI. B »
578 MIMOIRES DE L'ACADÉMIE
îles qui formoiciit pour eux d'importantes possessions,
depuis Candes jusqu'à Angers. En efff t , c'titoient l'Indre,
la Vienne et le Thouet, réunis dans le cours mcridional,
qui augmentoient le plus la masse des eaux et coniri-
buoient le plus aux inondations; il ctoit donc nécessaire
de les contenir. Du côte du nord, la Loire ne recevoit
en quelque sorte que des ruisseaux* et pas une seule
rivière considcrable. A cette raison physique s'en joignoit
une toute politique : les comtes d'Anjou , possesseurs de
/</ vdlléc , et souvent en guerre avec les comtes deSaumur
et de Poitou, avoient un grand inicrct à fortifier le bras
mcridional des rivières qui entouroient les îles de cette
vallée, et qui formoieiit la limite de leurs possessions de
ce côté. Ils construisirent des forts et des châteaux le long
des rivages de la Vienne et de l'Indre ; ils donnoient de
grands encouragemens à ceux qui s'établissoient sur les
levées. Un d'eux, Henri II, roi d'Angleterre, en \ i6o ,
alla m<}me jusqu*à exempter d'impôts et du service mili-
taire ceux qui résidoient sur les jetées , et il ordonna
des travaux considérables pour contenir le fleuve. C'est
de cette époque que datent les grands changemens qui se
firent alors dans le cours de la Loire.
Néanmoins, dans le Mv.*" siècle, depuis l'an 1328 jus-
qu'à l'an 1350, il s'en lit encore de plus considérables,
et ce sont ceux-là qui ont déterminé l'état actuel. A cette
épo(}ue, Philippe de Valois réunit l'Anjou à la couronne.
Ce roi fit abattre la foret de Bcaufort , et ordonna l'ouver-
ture des tranchées nécessaires pour l'écoulement des eaux;
les marais entre la levée nouvellement faite et l'Authion
furent desséchés. Une maladie contagieuse ayant régné en
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 379
même temps à Baiigé, à Mouiiherne, un peu au nord de
Beaufort, et dans d'autres lieux voisins, beaucoup d'ha-
bitans cmigrèrent dans la vallée, et s'en trouvèrent bien.
Elle se couvrit d'habitations , et l'on n'épargna plus rien
pour protéger des richesses agricoles qui s'augmentoient
chaque jour. On bâlit deux rangs de pilotis réunis par
de fortes pièces de charpente. Cette construction a duré
près de quatre cents ans,, puisque ce n'est qu'à la fin du
xvil.^ siècle que l'on a commencé à substituer à ces murs
des empatemens en forme de glacis , auxquels on tra-
vailloit encore en 1740 et en lyii-
On voit, d'après cet exposé, ce qu'une longue suite de v<,ycz Endin,
tmvaux, toujours diriges dans le mcme but, a du produire. „-^„„ sur Snu-
Peu à peu l'Indre et la Vienne, contenus par de fortes '1'^^:^'; ""-' '
digues, n'ont plus versé leurs eaux dans la vallée; les
bras par où ces rivières communiquoient avec la Loire,
au nord, ont disparu; et le cours qui s'appeloit la Loire,
ne recevant plus les eaux de l'Indre et de la Vienne réunis,
s'est affoibli, jusqu'à ce qu'enfin la communication même
de ce cours septentrional avec le cours méridional a été
coupée près de Saint-Patrice : alors les rivières de Loire
et de Latan ont continué de couler dans l'ancien lit de
la Loire, et ont formé l'Authion; les eaux de la Loire
se sont écpulées dans le lit formé par l'Indre et la Vienne ,
qui, se trouvant alors non-seulement le cours le plus con-
sidérable , mais même le seul, a dû prendre le nom de
Loire. La Vienne alors a perdu son nom à Candes, et s'est
réunie dans cet endroit à la Loire, Ensuite, la levée ,
fortifiée d'un mur, étant devenue un chemin public,
l'ancienne voie Romaine s'est détériorée entre Tours et
B'ij
3So .Ml.MOlRtS DE L'ACADÉMIE
Angers; la mute qui tormoit la communication entre ces
deux villes, fut transportée plus au midi, décrivit un plus
grand circuit , et suivit l'ancien cours de hi Vienne, désor-
mais nommée Loire.
Ce résumé historique, lorsqu'on a devant les yeux un
levé topographique de ce pays , suffit pour démontrer
ce que nous avançons ici sur les changemens de cours et
de dénominations qu'ont éprouvés la Loire et la Vienne :
mais nous allons l'appuyer par des preuves encore plus
positives.
Candes [Conddte] , au confluent de la Vienne et de la
Loire, s'étend davantage sur les rives de ce dernier fleuve,
et cette ville est réputée située sur la Loire. A l;i lui cki
iv.'= siècle, ce lieu passoit pour être situé sur la Vienne. En
effet, nous lisons dans Grégoire de Tours que, S. Martin
de Tours étant mort à Conddte [Candes], les Touran-
geaux et les Poitevins [Turonici et PicUivi] se disputèrent
son corps. Les Turonici, s'étant emparés de ConJûte , pla-
cèrent le corps du saint dans un bateau , et descendirent
la Vienne, dit l'historien; ils entrèrent ensuite dans
la Loire , et remontèrent jusqu'à Tours. I^itur Turonici
ddprchcnscvn corporis glcb<wi , posiUiniquc in udvi , ciini omni
populo, per Vingemiiim jîuviuni descenJunt ; ingressicjue Lii^cris
iiheum , ad urbeni Turonicam cum nugiiis Liudibus psallen-
tioijuc dirigunt copioso (i). Il est évident que les Touran-
1 Grrpon, geaux descendirent dans la Loire par le bras de la Vienne
KZJ^Z- qui, vis-à-vis Candes, conduisoit dans ce fleuve, et qui,
rxm.m.i. cap. aujourd'hui Considérablement affoibli , n'est plus qu'un
Hm. df Fr. petit ruisseau nomme le Bict , qui communique avec un
ttm. Il , p. I i--
*i ijj- (i) Li date de cet événement est de l'an 395.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 581
autre ruisseau nomme le Lane , foible reste du magnifiqu^
fleuve qu'il représente. Ce passage de Grégoire de Tours
est celui-là même dont Hadrien de Valois s'autorise pour
prononcer le jugement que nous avons rapporté plus haut.
Il est bien difficile de comprendre quelque chose à son
raisonnement; car ce passage démontre bien certainement
que, dans le iv.^ siècle, la Vienne conservoit son nom à
Candes.
La Vienne conservoit encore son nom à Saumur vers
le milieu de ce même siècle , puisqu'une histoire manuscrite
de S. Florent, citée par La Sauvasère (i), d'accord en cela J-^ S.mvgire ,
avec la chronique du monastère et d'autres monumens nqms.irc. yg.
de temps postérieurs, que nous citerons, fait mention du
château de Saumur situé sur la Vienne.
La Vienne , dans le x.* siècle , conservoit son nom à
Saint- Martin de Saint -Maur, à cinq lieues ou dix mille
toises à l'ouest de Saumur, puisqu'un titre de l'an 1090,
rapporté par Ménage, nous apprend que Foulques comte
d'Anjou restitua, en 950, aux moines du monastère de
Saint-Maur, une île entre la Loire et la Vienne. Reddidit
ipsis insulam iiiter Ligermi jiuvium et Vigeimam. Qudtenus
monasterio ipsorum insulam non longé ab eodem loco inter
Ligerini fuviuni et Vigennam existe/item redderem , ac proprio
viutiere red^iitam corrohorarem. Ainsi donc Saint-Martin de
Saint-Maur étoit situé sur la Vienne , et non sur la Loire,
comme aujourd'hui.
D'un autre côté, nous avons des preuves que, même
encore dans le xi.^ siècle, la Loire couloit dans la direction
de l'Authion. En effet, il existe un titre concernant la
(1) licite \e folio j8 de la Vie manuscrite.
'^
^Sî MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
M(mie(.lii< tomlafioM d'un prieuré, du temps de Geoffroi Martel,
ru. ^;4. comte d'Anjou , de l'an 1040, où il est parle du bourg de
1.1 j;/(.r,ij..-r, , yp/t^ie comme étant situé sur la Loire : Ilem ex nlterd ripa
Re^hen-hti Aisti'- n n
ri^ucs ei criii^. ejus jiuminis Ligeris ecclesiam Mtisidci in Iwiwrcm S. Pétri.
fig. /<v. j^^ bourg de Mazc, situé sur les bords de l'Authion et à
près de trois mille toises de la Loire actuelle, étoit donc
sur les bords mêmes de la Loire, et à près de trois mille
toises de la Vienne d'alors.
Les détails de la guerre entre Foulques comte d'Anjou,
et Geldiiin, commandant de Saumur, en 1025 , prouvent
aussi invinciblement que la Loire coulnit alors dans le
lit actuel de l'Authion ; et il est d'autant plus nécessaire
de donner quelque développement à cette preuve, qu'elle
n'a été aperçue par aucun de ceux qui, d'après l'aspect
des lieux, ont su discerner quel étoit l'ancien cours de
la Loire.
Je tire le récit que je vais faire, de l'Histoire du mo-
nastère de Saint-Florent près de Saumur, écrite dans
le xii.' siècle par un moine anonyme, et insérée dans
le tome V de la collection de D, Martène, col. i i i 3 , et
dans le tome X, pag. 265, de |a collection des Historiens
de France.
Gelduin , jeune Danois, auquel Eudes II avoit confié
le commandement du château de Saumur, s'étoit rendu re-
doutable à Foulques comte d'Anjou par ses incursions répe-
lées. Fouhjut'S lève une armée considérable, et marche sur
Saumur. Gelduin envoie demander une trêve à. Foulques:
celui-ci l'accorde ; mais, craignant que cette demande ne
cachât quelque ruse, il fit construire, près de l'endroit
nommé Clcmcntinum ,wn lieu nommé Trevas : i^Wt est l'ori-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 383
gine du lieu nommé Trêves , qui existe encore aujourd'hui
sur Ja rive méridionale de la Loire actuelle , et vis-à-vis
Saint- Clément , qui est le Clemetitiiiitm ou Cleineiitiniaaim
hcumde l'historien du monastère de Saint-Florent (i). Cet
historien a soin de nous instruire en même temps que,
sous les anciens rois de France, la région Angevine et
Neustrienne étoit limitrophe de la viguerie de Saumur.
Nd/n, â priscis Fraiicia regum temporibus , Andegavam atqiie
Neustriam rcgionem libéré tencntiurn à castro Salmuro , poli-
tissimûm domitiationeTU vidgariter Vicariam dictam terminabat
Gegitiû vicus. Par-là nous apprenons que le ruisseau ou
le torrent assez large qui est près de Saint-Vétérin de
Genne, le GeaÀim vicus de l'historien de Saint-Florent,
formoit la limite du Saumurois et de l'Anjou. Ce torrent
est tracé sur la carte de Cassini ; mais on a oublié d'écrire
son nom : il ne se trouve ni dans le volumineux voca-
bulaire de d'Expilly , ni dans celui de Prudhomme ; mais
Guillaume Delisle ne l'a point oublié sur sa carte spé-
ciale : il nous apprend que ce ruisseau se nomme Avor.
Ceci justifie l'observation que nous avons faite ci-dessus ,
que, sous les rapports politiques et guerriers, la partie du
fleuve qui entouroit la vallée au midi , avoit plus d'im-
(i) Il est remarquable que Trêves
et Saint-Clément ne sont qu'à mille
toises au nord de Chènehutte, où les
Romains avoient construit une sta-
tion et un camp. ( Koytrj La Sauva-
gère, Recherches sur un camp Ro-
main, dans le Recueil de dissertations
ou recherches historiques et critiques ,
de 87 à 126. Bodin, Recherches sur
lu ville de Saumur, chap. VI , pag. 6 i ,
et pi. 2, et pag. 4--) On a trouvé
aus#des vestiges de construction Ro-
maine prés de l'église de Saint-Vété-
rin (tom. I , pag. 4 ' )• ïï £5t question
de Clioy.acum , de Sancti-A'Iartini et
de Sancd- Lamberti-de- Platea dans
les titres du XI.' siècle (La Sauva-
gère, pag. 103). licite le cartulaire
violet de l'église cathédrale d'An-
gers, fol. 81)8.
c
3 84 MÉMOIRES DE LACADKMIE
portancc que celle qui arrosoit sa parlie septentrionale.
Mais continuons le rccit des expcdilions Je Foulques.
Ce comte, cinq ans après la trêve dont il vient d'ctre
question , avoit construit, du côté de Tours, un fort sur
le sommet du Mont-Budel (i). Odo, comte de Tours , en
fil If sicge. Foulques marcha contre lui. Odo appela à son
secours les habitans de Saumur et de Chinon. Foulques,
parvenu avec son armée </^ v'tlLwi Brcnoldem , qui eslBnii/i-
sur-Alloiine , apprend que Saumur est dégarni de troupes;
alors il se décide sur-le-champ à retourner sur ses pas,
et, dit l'historien , traversant à gué la Loire et la Vienne,
il assiège inopinément le château de Saumur, le livre aux
tlainines, et enlève le corps de S. Florent.
ColUcihn dt> Ciiinqtie Fitlco jam villam BrcnoUcm lUtigissct , obvium
iv'm..\ .p^îb's'. qucmdam Inibitit <]ui Fniticos irtult'ipliciores et tuulto mimcro-
siores iiumeravit, Tnm Fulco, Siilrriiiruin vûcuum esse solum
cogitans , retrogressitm dirigit, Ligcriqiie oc Vigcimâ trans-
vadaùs , cum gravi exenilu iiisperatè cdstcllum obsidens vi
iiccepit , et à Ciislro ruiihim incendii fuiiditus perpcssuro reve-
rendiim pntris Florentis glcbiim cxtnixit.
Pour que Foulques, qui se trouvoit à Brain-sur-Allonne,
et (]ui, ncisaiU aucun obstacle à redouter, marchoit droit
sur Saumur, eût la Loire et la Vienne à traverser, il falloit.
(i) Valois, dans sa Notic^Sdes
Gaules , au mot Sierra , traduit
Mont-Biidd par Mrmbtclco» Mont-
brole ; mais Ménage, dans son Hit-
tflire de Sul'lé , pag. i28 , réfute très-
bien celte opinion. Mcn.ige dit que ,
dans une ancienne version Fran(;aisc
des Gestes des comtes d'Anjou,
AIoiis-BudtUi est traduit par Alont-
Filtrai/. On ne sait pas où ëtoit ce
lieu. Maan, dans la Vie de Hugues de
Châteaudun, archevêque de Tours,
l'a appelé liiirdluin. M. Carreau , dit
Ménage, prétend que c'est Mont-
Boyau , terre qui appartenoit aux cha-
noines de Tours, et qui étoit située
dans le lieu appelé Poni-dc-la-Moiif.
ainii
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 385
ainsi que nous l'avons démontré, que l'Aiithion fût la
Loire, et que le bras de rivière qui se trouvoit devant
Saumur, se nommât A; Vienne, et non lu Loire, comme
aujourd'hui.
Nous avons donné des preuves multipliées que hi Loire
couloit autrefois dans le lit de l'Authion, et que Ja Loire
actuelle, à l'ouest de Candes, portoit jusque près d'An-
gers le nom de Vienne; il s'agit actuellement de suivre
ces changemens de dénomination à travers les siècles.
J'ai dit précédemment qu'après l'ordonnance rendue
en 1160 {i) par Henri II, roi d'Angleterre et comte
d'Anjou , les travaux pour contenir cette partie du cours
du fleuve alors nommé Vienne et qui depuis a pris le nom
de Loire, se multiplièrent : cependant les levées qui furent
faites alors, n'étoient point par-tout.praticables vers la fin
du XIII. *" siècle, puisque Guillaume Le Maire, nommé
alors à l'évéché d'Angers , en allant faire confirmer son
élection à Tours, passa parBrion etBourgueil, c'est-à-dire,
par l'ancienne route, ou la voie Romaine, dont il reste
encore des vestiges. Cependant , dès le xil.^ siècle , les
vers de Guillaume le Breton que nous avons déjà cités, Ci-desm.iwg.
démontrent que la Vienne perdoit son nom à Saumur: ^^''
par conséquent, toute la partie du cours de la Vienne qui
se trouvoit à l'ouest de Saumur, étoit assez considérable CoUamn des
c , , r j- • T • r R /( Hiit. dt France,
pour prendre le nom aç^ Loire. Jean, moine de Marmou- wm.x.v. 24s.
tier, qui a écrit une chronique des comtes d'Anjou [ex ^Afdcmraurl'm.
gestis consulumA ndegavensium] xevs le milieu du xii.^ siècle, "/""'" ^^'' ^'
dit, en parlant du Thouet, que cette rivière coule entre
(i) Le texte de cette charte importante se trouve dans l'Histoire de
Sablé, pag. 376.
Tome VI. C?
î86 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
le clià(t;ui de Saiimur et l'abbaye de Saint-Florent, et se
dcchurge dans la Loire. Secundo jurtivit quod coiiiitiitus du-
rabat ôh oc ci dente à jhivio Toëdo nomi/ie, qui in ter Siilmurum
ctjstrum et idéatiani Snncti Florentii tiff/uil. et sic in Li^crim
ûffluit. Nous voyons, par ce passage, que l'embouchiire du
Bo.i,n. Reih. Thouet n'a c'prouvc aut. u II chanL'ement, et que M. Bodin
l'tg. si,. th,ii>. a tort de supposer des sinuosités A ce neuve pour reprc-
' senter son ctat ancien; il ne faut , pour expliquer cet ctat,
que rendre le nom de Vienne à cette partie ^\y\ cours de la
Loire où il se jette.
Mais, si toute la partie du cours de ce fleuve qui est à
l'ouest de Saumur, a, de bonne heure et dès lexii.' siècle,
pris le nom de Z.o/>f qu'il porte aujourd'hui, l'autre partie
qui, à l'est de Saumur, se nomme aujourd'hui Loin ,
a , pendant bien plus long-temps , conservé jusqu'à cette
ville le nom de Vienne. Ainsi, au xili.'^ siècle, du temps
de S. Louis, la Vienne conservoit encore son nom jus-
qu'à Saumur, puisqu'un titre de l'abbaye de Saint-Florent
Je Saumur fait mention d'un pré situé en Offiirt sur la
\oyciUXiu- Vienne: or l'île qui porte le nom d'Cj^lirt, aboutit au bout
'7'/"^) des ponts des faubourgs de Saumur. Enfin l'usage de
l'V f/' ■ conserver à la Vienne son nom jusqu'à Saumur subsista
uf .l.J.Vf /: 2J2. ' 1
long-temps après que le bras nord de la Loire, où elle
se réunissoit avec ce fleuve, eut disparu, et eut été dé-
tourné et desséché. Un nommé Hourneiiu , dans un livre
imprimé à Saumur en i 6 i S , intitulé le Deluxe de Sduniur,
• Piig. fS. dit': » La Vienne entre en Loire à Candes, et ne perd
'•flo,/»,, Rt,i,. ^ ^j,^ qu'au-dessous de Saumur''. » Ménage, dans son
•<- Histoire de Stf/de, imprimée en 1683, nous dit que, de son
temps, les mariniers de la Loire, en parlant du cours de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 387
ce fleuve entre Candes et Saunuir , l'appellent encore la
rivière de Vienne. - a^-: .-■ ->■
Il semble que nous devrions terminer ici cette discus-
sion , et qu'il n'y a plus aucun doute sur l'objet que nous
nous sommes proposé d'cclaircir : cependant il reste en-
core une grande difficulté à résoudre, et qui jusqu'ici est
restée sans réponse. L'auteur de la Vie de S. Florent
rapporte que ce pieux ermite reçut, vers l'an 370, d'un
ange, l'ordre de se fixer dans la grotte de Mont-Glonne., où.
l'on a depuis bâti Saint- F/ore/a- le- Vieil , au sud-ouest
d'Angers. S. Florent avoit counime d'aller visiter tous les
ans l'évcque de Tours, depuis si célèbre sous le nom de
S. Alartin. Dans un de ces voyages, l'ermite Florent fit un
miracle fameux en détruisant un serpent, la terreur de la
ville de Murus , située sur la Loire, Florentins venit ad Vm s.Fioren^
locum (jui viilgo voaUiir murus, super pivium Ligens sitiim; viu , Hadriani
tter auteni agens , vemt ad fiunien Vtgennani , ad locum rjui „,„_^,. ^^7.
^/V//ttr Condata. Valois est, je crois, le premier qui ait
avancé que ce lieu nommé Murus dans les Actes de la
vie de S. Florent étoit Saunîur ou Salniurus ; et cette con-
jecture a été adoptée universellement par les historiens
d'Anjou, et de Saumur en particulier. Mais si, dans le
IV. ^siècle, Murus étoit le ïï^èmçiïsu c[ue Sahnurus , puis-
qu'il est dit, dans l'historien cité plus haut, que ce der-
nier lieu etoit situé'sur la Loire (super fuvium Ligeris siru/nj-,
il n'est donc pas vrai que, tout le cours actuel de la Loire,
à l'ouest de Candes,. se nommât la Vienne, ainsi que j'ai
prétendu le prouver par les monumens de siècle en siècle
que j'ai rapportés' Ménage ne sait comment répondre à Ajénage . Hist.
ce passage, et il s'embarrasse dans se&jaisonnemens pour "* ''y-^^"-
C'ij
/
388 Mh.MOIl^CS DE L'ACADLMIE
licmoiitrer que Saiiimir pouvoit ctre à-ia-fois situe sur la
\ ieiine et sur la Loire. 1! y avoit cepenJant une réponse
facile et pcremptoire à faire à cette objection. La voici :
L'identité du lieu nommé Murus et de la ville de Siilmurus
est non-seulement une assertion dénuée de preuve, mais
on peut démontrer qu elle est fausse.
Les Actes mêmes de la vie de S. Florent nous font voir
que Aiurus n'est point Salmuriis : et ils nous apprennent
aussi que ce lieu , dès son origine, fut réputé situé sur la
Vienne et non sur la Loire ; ce qui confirme tout ce que
nous avons dit jusqu'ici. •*'
Enfin le lieu nommé Murus se retrouve encore aujour-
dluii , avec le nom qu'il portoii du temps du saint, dans
celui qui est nommé Murs au midi d'Angers, et qui,
dans tous les temps, a été situé sur la Loire, ainsi que
i'indi(]ue la Vie du saint. Ce lieu est nommé A/rz/rj dans le
grand Dictionnaire de la France ded'Expiily, et dans plu-
sieurs ouvrages. En erfet, le lieu nommé Murus, étant
mentionné dans les Actes de la vie de S. Florent, existoit
au temps de ce saint, c'est-à-dire, au iv.*^ siècle, et il
n'est question de Saumur dans aucun monument antc-
rieur à la fin du vi.* siècle , ou même au commencement
du vu.' siècle. Dans aucun monument Snlmurum aistruni
ou Sdlmurus ne se trouve nommé Alurus , et l'on ne cite
pas même une seule variante qui puisse autoriser cette
dénomination (i). On sait, au contraire, que Saumur a
dû sa première origine à l'abbaye de Saint-Florent, qui
étoit à mille toises de cette ville à l'ouest, ainsi qu'au
(i) Dan» un des titres de l'alibaye I Ménage : D.i .;,/ sacrosanctàm te
de Saint- Florent j il est dit, suivant I c/fj/wm \i\ hononin beati Flonnrii
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 389
château nommé Truncum , situé près de l'emplacement où
se trouve Saumur. Ceux qui se sont occupés de l'histoire
de Saumur, n'ont point ignoré ces faits; mais le désir de
reculer autant que possible l'antiquité d'un lieu devenu le
plus illustre et le plus remarquable de ce canton, et la
manie des étymologies, leur ont fait adopter sans examen
la conjecture de Valois, qui veut faire dériver le nom de
Sahnurus de sahnts munis, et rattacher l'origine de cette
ville à celle du lieu nommé Murus des Actes de la vie
de S. Florent. II est assez étrange cependant qu'on ne
se soit point aperçu que cette conjecture se trouvoit en
contradiction non -seulement avec tous les monumens
antérieurs au Xii.* siècle, mais même avec les Actes de
la vie de S. Florent , le seul où l'on trouve qu'il soit
fait mention du lieu nommé Murus. Il est dit dans ces
actes qu'Absalon , moine de Saint-Florent-le-Vieil, chassé
de son couvent, ainsi que ses compagnons, par les in-
cursions des Normands, se mit en devoir de transporter
ailleurs les reliques de S. Florent. Il s'arrêta dans un lieu
qui appartenoit au monastère de Mont-Glonne ou de
Saint- Florent. Ce lieu, qui est celui-là même où l'on
a construit la nouvelle abbaye de Saint-Florent, avoit
à l'est la Vienne, et à l'ouest le château nommé Trun-
cum. Habebûl autem locus isîe ab occidente (i) castrum nomine Mrnngt , Hisi.
Truncum';^/» oriente vero memoraWn Vigenn^jiuvium. Nous ' '' '■f'-^'-
voyons dans ce passage que Saumur n'est pas encore désigné
constructam prope imiruin, in loco qui
nuriciipiitur Vadum , super Toarium
fiumeii. Ceci prouve seulement que,
dans l'endroit nommé Vadum, il y
avoit un mur ou une digue construite
pour retenir les eaux du Thouet dans
les inondations. Voye^l^énage, His-
toire de Sablé , liv. Vlll , pag. 286.
(i) Plusieurs corrigent ici le texte,
et lisent ab oriente Truncum : ils se
399 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
sous son nom actuel, et que la partie du cours Ju fleuve
qui est à l'est de l'abbaye de Saint -Florent , qu'occupe
ia ville de Sauimir, ctoit nommce Vienne et non Loire:
par conséquent, Sauniur ne peut ciïQ Murus , puisque le
mcme auteur dit positivement que ce dernier lieu ctoit
situe sur la Loire. Florentius venit ud locum <]ui viilgà voctitur
Murus, super Jiuviiiiri Ligeris sitttm. Si, au contraire, nous pla-
çons Alurus à Murs au midi d'Angers , dans tous les temps
sur la Loire et sur le chemin du saint ermite Florent , cjui
se rendoit , en suivant ia rive mcridionaîc du fleuve , à
Conddtd [Candes], et que nous nous rappelions en même
temps qu'à l't'poque où voyageoit ce saint, et mcme long-
temps après , toute cette partie du fleuve dont il suivoit
les rives, entre Angers et Candes, se nommoit Vienne et
non Loire , comme aujourd'hui , alors nous comprendrons
pourquoi l'auteur de la Vie du saint nous dit qu'après
avoir passe Murus, le saint arriva sur les bords de la
Vienne [iter autem eigens, venit ad Jhanen Vigenmwi]. J'ai
dit que le lieu Murs, sur nos cartes actuelles, ctt)it aussi
appelc Meurs àims plusieurs ouvrages et sur d'anciennes
cartes; et ceci me donne lieu de penser que si l'identité
du lieu Murus et Murs, au midi d'Angers, a ctc ignorée
de Valois et des savans des xvii/ et xvui.'' siècles, elle
étoit connue des moines de l'abbaye de Saint-Florent
dans le xvi.' siècle. L'antic|ue église de cette abbaye,
dont la construction fut terminée en io4ii et qui (ut
Ibnilcnt sur ce que Truncum est l'.irc
cicn nom de Saumur : cependant c't-
loii d'aprcs ce passage que D. Hiiyncs,
sans y rien changer, prciendoit que
la tour nomniéc Truncum n'cioit
pas dans le même cniplaccnunt que
Saumur; il lapla^oit presdeGrosley,
qui est à l'ouest de Saint- Florent.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 591
démolie en 1806, rentermoit une grande tenture en ta-
pisserie où l'on avoit représenté S. Florent racontant à
l'évêqne de Tours le miracle qu'il avoit opéré dans le
lieu nommé Miiriis. Au bas de ce tableau on avoit brodé
ces quatre vers :
A Saint Martin , en la ville de Tours,
Du vil serpent repairant près de Meur
Fait le récit par parler doux et meur,
Puis au retour Fe chasse en long détour-
Cette tapisserie, qu'on a depuis transportée dans l'église
paroissiale de Saint-Pierre à Saumur , où on la voit encore , vWez DoMn.
a été achevée en 1524» comme ie prouvent les registres
de l'abbaye : ainsi donc, à cette époque, les moines de
Saint-Florent n'ignoroient pas que le lieu nommé Munis
n'étoit point J'^wwwr, mais étoit Meurs ou Murs, au midi
d'Angers, et à environ dix lieues à l'est de Mont-Glonne
ou de Saint-Florent-le- Vieil.
J'ai cru devoir ne rien négliger de tout ce qui pouvoit
mettre dans son jour un sujet qui concerne un chaniie-
ment important que les travaux des hommes ont produit
dans la géographie naturelle de la France ; qui éclaircit
plusieurs pages de nos annales, jusqu'ici restées inintelli-
gibles; qui intéresse l'histoire de deux grandes provinces,
et sur lequel repose celle d'une ville populeuse, d'un
grand nombre de villages et de paroisses, ainsi que l'in-
telligence des titres mêmes des propriétés de ceux qui les
habitent aujourd'hui. Je serai beaucoup plus court sur 'ce
qui concerne la voie Romaine ou l'ancienne route de
Tours à Angers.
3<>i .MEMOIRES DE L'ACADEMIE
J';ii dit qu'elle s'cioit dctruite, et que ia levée construite
le loni; des bords de la \'ienne l'avoit remplacée , mais
que cependant elle existoit encore au xiii.*^ siècle : aussi
il en reste des vestiges suflisans pour pouvoir en suivre ia
trace. Elle filoit le long de la Loire d'alors, comme la
route moderne file le lone de la Loire actuelle. On la con-
noissoit du temps de Ménage, qui en fait mention, sous
le nom <y ancienne levée ruinée : mais M, Bodin est celui
qui s'en est occupé avec le plus de zèle et de succès;
et c'est en partie d'après ses recherches et celles de La
Sauvagère, que nous allons la décrire.
Entre Tours et Saint -Patrice, elle étoit à peu près
la même que la route actuelle, parce qu'en effet il ne
s'est opéré aucun changement dans cette partie du cours
de la Loire; seulement elle passoit par Luines, tandis que
la route actuelle laisse Luines un peu au nord. La route
ancienne passoit par Langeais , qui est ['Alingiiviensis vicus
'Tfm.ilAx. de Grégoire de Tours". La route passoit ensuite par
'wiL.v«» Rcstii^uiiicus [Restigné], dont il est fait mention dans une
v.jgêrr. RuueU charte de Charles-le-Chauve , en 862. Cette route an-
i-n rerhenha cH- cieune étoit après dirigée par un petit lieu nommé Lm
plg. ic!fS- Spi Clinussee sur Allonne , dont il est fait mention, en lan
yAchnj.u'n. 1000, dans un cartulaire de l'abbaye de Saint-Florent.
f>i.2)2. On suit encore la trace de cette route par Pont de la
p,ig. 1^"^'^' ' Tronne, au midi de Longue. Au-delà il en reste des
n Bctiqur,. vestiges considérables, et l'on voit qu'elle se dirige du
HwcinfHi lii Fr. o ,,,..,
lom. tw.pog. Gué-d'Arcis sur Beaufort , qu'elle passe a la métairie de
la Chesnaie , canton de Fourcelles , à la métairie de la
Butte; elle traverse les marais de la Chappe, les ma-
rais du bois du Long, la prairie des bois; elle se dirige
dan»
i7?i-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 393
dans la cour et dans les champs de la métairie de la
Touche -Bruneaa , et de là elle conduit dans les com-
munaux de Beaufort ; au-delà, on la perd vers l'endroit
iiominé la Grande- Boire ,• à douze cents toises au midi
de Beaufort. « C'est ainsi, dit M. Eodin, que je l'ai sui-
>' vie, en faisant fouiller la terre en trente ou quarante
» endroits. » Eu effet , cet auteur donne un détail très-
exact des matériaux dont cette route se compose , et qui
prouve indubitablement qu'elle étoit de construction Ro-
maine. Cette voie, ajoute M. Bodin , ne se montre à
la surface que vers les métairies de la Butte et de la
Touche-Bruneau ; ailleurs elle est couverte de terre et de
sable déposés par les inondations successives de la Loire
et de l'Authion. Il faut creuser à vingt, à trente, à qua-
rante centimètres [environ un pied], pour la trouver
dans les marais et dans les prairies. On peut cepejidant en
suivre la trace en été, en remarquant que l'herbe mûrit Boulin, Rakr-
I ^ A ^ > . 1 1 II- ,11 i lus , sur SiiU~
plutôt qu ailleurs sur la hgne qu elle parcourt. mur, p. fi:
Si l'on mesure l'ancienne voie Romaine en passant par
tous les lieux dont nous venons de . faire mention , on
trouve qu'entre Tours et Angers elle avoit cinquante-
trois mille toises de long. La route Romaine tracée par la
Table de Peutinger, entre Casaroilnmim [Tours] et Jitlio-
wwif«j [Angers], compte quarante-six lieues Gauloises ,
qui valent soixante-neuf milles Romains, ou cinquante-
deux mille quatre cent quarante-sept toises. La Table n'in-
dique dans cet intervalle qu'une station nommée Robrkû ,
à vingt-neuf lieues Gauloises ou quarante-trois milles et
demi Romains de Ctvsarodummi [Tours], et à dix-sept
lieues Gauloises ou vingt-cinq milles et demi Romains
Tome VI. j).
3y4 .MÉMOIRES DE I/ACADÉMIE
(Je Juliomiipis [Angers]. Ces distances placent Robricci
au lieu nomme Poiil de Li Trotinc , au midi de Beaufoit;
et il est connu cjut- la terminaison bricd , hriva , dans les
noms de lieu des Gaules, indicjue soit une ville antique,
soit un lieu habite , très-ancien , au passage d'une rivière.
Un accord si parfait entre nos cartes modernes et les
itinéraires anciens me dispense de toute discussion, et
est une réfutation suffisante des erreurs que M. de la Sau-
vagère, et d'autres auteurs peu familiarisés avec les monu-
mens géograpliiques , ont commises relativement à cette
station de Ro/irio;. J'ai déjà dit que d'Anville ne s'y
étoit pas trompé : il place aussi Robrioi aux Ponts près de
Longue; seulement il trouve dans la répartition des deux
distances une erreur d'un mille, (jui n'existe pas. Par-là
nous voyons que ia carte topographique qu'il avoit sous
les yeux, étoit moins parfaite que celle que nous possédons
aujourd'hui, et ne lui donnoit pas exactement la position
des Ponts-Longué ; et , à ce sujet , nous rappellerons
les réflexions que fait ce grand géographe dans son A/iti-
lyse Je l'Iidlic . relativement à l'exactitude des itinéraires
anciens :
r-ii;. 9. « C'est ordinairement sans examen (qu'il me soit per-
» mis de le dire), et uniquement sur la manière vague
" et indéterminée dont nous estimons aujourd'hui les dis-
» tances, que l'on juge des mesures itinéraires que l'anti-
Pag.i^. >' quité nous fournit; mais il est constant que les anciens
^'g- ■?)■ " y mettoient de l'exactitude. On ne peut se dispenser
» d'observer en général qu'à proportion de ce que la géo-
» graphie acquiert de perfection , sur-tout par rapport
» à l'étendue des espaces, on remarque plus de justesse
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 395
» dans les itinéraires anciens; et ce n'est point le désir
" du géographe, ajoute-t-il , qui fait que les mesures qui
» ont leur évaluation propre et spéciale, indépendante de
» tout rapport avec la géographie actuelle, se trouvent
» néanmoins en correspondance d'autant plus intime avec
» les cartes, que celles-ci marquent plus de justesse et
» de précision. «
Dans les Mémoires que j'ai déjà lus , j'ai eu occasion
de fournir de fréquens exemples de cette vérité; et, dans
ceux qu'il me reste à vous lire , vous vous convaincrez ,
je l'espère , qu'elle est aussi féconde en résultats certains
sur les bords de l'Indus et du Gange que sur ceux du Nil,
du Tibre ou de la Loire.
D' ij
3!;^ MEMOIKLS DE L'ACADEMIE
MEMOIRES
SUR
LES RELATIONS POLITIQUES
DES PRINCES CHRÉTIENS,
ET l'ARTlCULlÈREMENT
DES ROIS DE FRANCE,
AVEC LES EMPEREURS MONGOLS.
Pak m. auel-rémusat.
l.u le 1 j Sep Les relations politiques ciue les princes chrétiens, et
tembrc i^iC. ,., , . i r- i i
particulièrement les rois de rrance , ont eues dans le
XIII,' siècle avec les successeurs de Tchinggis-khan, ne
bont indiquées qu'en passant par nos historiens. Aucun
d'eux ne s'est occupe d'en reciiercher les motifs , d'en mar-
(juer les circonstances, ou d'en rassembler les monumens.
Ceux-ci sont demeurés épars dans des collections peu ré-
pandues ; plusieurs même, encore inédits, ont été oubliés
dans les archives où on les avoit déposés d'abord. Je me
propose de déterminer la série des faits qui mirent la
plupart des princes de l'Asie occitleiitale , et mcme ceux
de l'Europe, en rapport avec fes Mongols, et d'examiner.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 397
dans ce but, les pièces diplomatiques, en insistant davan-
tage sur celles qui sont inédites et dont j'ai pu me procurer
les originaux. C'est en étudiant ces matériaux authentiques
qu'on peut espérer de jeter quelque jour sur des négocia-
tions maintenant perdues de vue, et dont les effets bien
rcels , quoique généralement peu appréciés , ont inHué
d'une manière indirecte, mais très-puissante, sur les pro-
grès de la civilisation Européenne.
Je diviserai en deux mémoires le travail que j'ai en-
trepris sur ce point d'histoire. Dans le premier , j'exami-
nerai les rapports que les chrétiens ont eus avec le
grand empire des Mongols , depuis sa fondation par
Tchinggis-khan , jusqu'à sa division sous Khoubiiaï
[ 1206- 1262]. Dans le second, je traiterai des ambas-
sades que les rois Mongols de Perse et les rois de France
se sont réciproquement envoyées, depuis le règne d'Hou-
lagou , jusqu'au temps où ces négociations furent tout-
à-fait interrompues paj* les troubles qui précédèrent et
amenèrent le renversement de la puissance Mongole en
Occident.
598 Ml'.MOIRES DE L'ACADK.MIE
PREMIER MÉMOIRE.
Rapports des Princes chrcùcus avec le gnnul Empire
(les Alojigols , depuis sa fondation sous Tchin^ts-
kliun , jusqu 'à sa division sous Khoubilài.
jLes cvciiemens qui rapprochèrent, au xiii.' siècle, des
peuples jusque-là sépares par i'ctendue entière de notre
continent, n'ont point d'exemple dans les annales du genre
humain. La grandeur Mongole , qui faillit emhrasser le
monde entier, tut créée en moins de temps qu'il n'en faut
d'ordinaire pour fonder et peupler une seule cité. Jamais
plus foihies commencemens ne furent munjs aussi rapide-
inent d'une puissance aussi gigantesque. Le chef d'une
tribu que les Jou-tchi (i) distinguoient à peine parmi leurs
tributaires, résiste avec courage aux attaques de quelques
voisins aussi foibles que lui. II s'essaie, en combattant
contre eux , aux coups qu'il va bientôt porter à ses maîtres.
Son ardeur infatigable fait de son orâe le rendez-vous de
tout ce que la Tartarie contient d'esprits remuans et belli-
queux. Il abaisse ses rivaux, et détruit ses ennemis. Les
(i) Ou A/iu-tc/ii. La première syl-
labe de ce nom s'écrit en chinois
avec un ciracicre qui peut se pro-
noncer indifféremment niu ou jou ,■
mais la prononciation en est fixée
par la transcription qu'on en a laite
en lettres Arabi-sel Mongoles : *^jj>
fijcurdjé , et - '■ '-■r,.-.r tchârlchog.
Je remarque que M. Langlès, en
chercliant, dans son Alphabet Man-
tchou , à rapprocher ce nom de tchâr-
tchog de celui des Mandchous, que le$
Knsses nomment Alandjours, l'a lu
tclwuucliour , prenant le ^^, g final,
pour un ^, r-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 399
sources de l'Onon , du Keroulen et de la Toula, sont le
premier thcâtre de rcvolutions qui vont bientôt s'ctendre
sur toute l'Asie et sur une partie de l'Europe. Enfin ,
l'an 1206, le prince des Mongols prend, en présence des
chefs de cent tribus, le titre de Tchinggis-khakan, et il établit
le centre de sa domination à Karîi-koroum, ancienne ville
des Turks Hoéi-hou , située entre la Toula, l'Orgon et la
Silinga, à peu près sous la même latitude que Paris.
De cette époque date la série non interrompue des
conquêtes des Mongols. Chaque année vit ajouter un
royaume à leur empire. D'immenses armées, parties de la
Mongolie, s'avancèrent en même temps à l'occident et
au midi. Les Turks orientaux furent subjugués en 1208.
Le Tangout se sçumit vers la même époque. Tout le
nord de la Chine, qui formoit les états des Altoim-kluin ,
fut envahi, et Pe-king, ville des Joii-îchi dans le Liao-
toiing, pris d'assaut en 1215. Des ambassadeurs Mongols
ayant été massacrés dans le Kharisme, Tchinggis s'avança
contre ce puissant royaume avec sept cent mille hommes.
Tout l'Occident fut menacé. Après avoir ravagé les prin-
cipales villes du Kharisme, Touli, fils de Tchinggis,
pénétra dans le Khorasan. En i 22 i , deux généraux Tau-
tares , Sabiidd-hdhadoiir tt Tchoupe-nouyan , reçurent ordre
d'aller faire la conquête de la Médie. Prenant ensuite
leur route par le Caucase , ib attaquèrent en passant les
Géorgiens, sur lesquels ils ne remportèrent que des avan-
tages peu décisifs. C'est dans cette circonstance que les
chrétiens virent les Mongols pour la première fois , et
combattirent contre eux.
De toutes les contrées d'Orient qui étoient restées
4oo MEMOIRES DE L'ACADEMIE
soumises à des princes clirtlieiis, la Géorgie cloit alors la
plus puissante. Détendue par sa situation au milieu des
niontai^nes , elle n'avoit jamais vu interrompre la strie de
ses rois. Les généraux des khalifes n'y avoient fait que des
incursions momentanées, ou des établissemens précaires.
Les Seidjoucides exercèrent sur la Géorgie un pouvoir plus
direct et plus durable. Mais, à la lin tlu Xl.*^ siècle et au
commencement du xii.' , David II, surnommé A' Réptira-
tetir. sut proliter de la division qui régnoit entre les princes
Turks, reprit Téflis, sa capitale, qu'ils avoient occupée,
et les poursuivit jusqu'à l'Araxe. Ses successeurs accrurent
encore sa puissance, et comptèrent aii nombre de leurs
vassaux tous les princes Arméniens au nord de l'Araxe,
qu'ils avoient délivrés du joug des musulmans. La famille
d'Iwané ou Jean , connétable de Géorgie, qui possédoit la
plus grande partie du pays situé entre le Kour et l'Araxe,
les princes de Schamkor , de Khatchen , et beaucoup
d'autres, reconnoissoient la suzeraineté des rois de Géor-
gie , qui se trouvoient ainsi , au xiii."^ siècle , dominer
depuis les bords de la mer Noire, entre Trébizonde et la
Crimée, jusqu'aux passages de Derbend, et au confluent
de l'Araxe et du Kour, c'est-à-dire, sur la Colchide, la
Mingrélie, le pays des Abklias, la Géorgie proprement
dite, et l'Arménie septentrionale, sans compter plusieurs
autres petits cantons limitrT)|ihes.
Une telle nation , aguerrie et enorgueillie par les avan-
tages qu'elle avoit remportés sur les musulmans , n'avoit
pu rester indifférente aux expéditions des Francs en Syrie;
et si la distance des lieux l'avoit emptchée d'y prendre
wnc part active . il ne s'en étoit pas moins établi , entre
l.s
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 4oi
les Gc'ortriens et les Francs, des relations d'amitié, fruit
ordinaire de la communauté de croyance et d'intérêts. Au
rapport de Saïuit, quand la nouvelle de la prise de Da- uv. m, vau.
miette fut connue des Géorgiens, ils écrivirent aux vain- ^''P"ë-^<>9-
queurs pour les féliciter , leur reprochant en même temps
de n'avoir pas encore réduit Damas ou quelque autre place
d'importance. Leurs dispositions étoient bien connues des
papes, qui avoient appelé George Lascha, roi de Géorgie,
à concourir avec les autres princes chrétiens à la déli-
vrance de fâ Terre-sainte ; et ce prince se préparoit à se
rendre à l'invitation du pontife, quand les Tartares , fon-
dant sur ses états , l'obligèrent de songer à sa propre
défense. Dans cette circonstance , la Géorgie se trouva
former, si j'ose ainsi parler, les avant-postes de la chré-
tienté. L'attaque dirigée contre elle, ses efforts pour y
résister, les précautions qu'elle dut prendre pour s'en préser-
ver à l'avenir , tout cela dut intéresser les Francs d'Orient
et même les Occidentaux. Nous verrons par la suite que
ce fut là, en effet, la première cause des négociations que
les Tartares entamèrent avec les princes chrétiens.
Roussoudan , devenue reine de Géorgie par la mort de
son frère George, avoit vu, depuis quelques années, appro-
cher et grossir l'orage : elle fut la première à en donner
avis au pape Honorius III par une lettre qui iious a été
conservée. D'après le récit d'un historien Arménien (i), Oder.Rayn.xhi
les Mongols , par une ruse dont les Géorgiens avoient '"' """■ '''^'
été dupes, s'étoient présentés comme chrétiens, menant
(i) Les extraits des historiens
Arméniens dont j'ai fait usage pour
toute la première partie de ce Mé-
moire, ont été tirés, à ma prière, de
l'ouvrage de Michel Tchamtchcan ,
moine de Saint-Lazare, par M. Saint-
TOME VI. E»
4o2 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
avec eux des prcUres qu'ils avoient pris dans les pays où
ils avoient passe, et portant devant leurs bataillons la
croix pour étendard. Les historiens de Pologne rapportent
aussi qu'à la bataille de Waldstadt les Mongols portoient
un grand étendard sur lequel étoit la figure de la lettre X:
nuiximum vexillum in quo dcpicta crat Gmca lïticra X. 11 est
assez probable que les Tartares n'avoient sur leurs éten-
dards ni la croix, ni la lettre X, mais peut-être quelque
signe analogue , qui lut la soiuce de l'erreur des Géor-
giens. Quoi qu'il en soit, trompés par ces a])parences, les
Géorgiens s'étoient laissé surprendre, et avoient perdu
six mille hommes. " Mais, dit la reine dans sa lettre
» au pape , dès que nous nous sommes aper(,us qu'ils
" n'étoient pas véritablement chrétiens, nous nous sommes
>' levés contre eux, nous en avons tué vingt mille, nous
» avons fait beaucoup de prisonniers et mis le reste en
•> déroute. •> Roussoudan ajoute qu'elle vient d'apprendre
que l'empereur doit, par ordre du pape , passer en Syrie.
Elle s'en réjouit, et annonce qu'elle enverra à son se-
cours le connétable Jean avec toutes ses troupes, et un
grand nombre de personnages distingués de son royaume
qui ont pris la croix et n'attendent que des ordres pour
voler à la défense du saint- sépulcre. Cette lettre fut
Martin. Plusieurs des faits qui y sont
rapportés, ont trouve place, depuis la
conipusitionde ce Mémoire, dans les
notes sur Y Histoire d(s Orpélians ,
toni. II des Alémoires sur l'Annénif ,
pag. 260 et suiv.
Les auteurs que le compilateur
Arménien a suivis pour le M il.' et li'
XIV.' siècle, sont, Vartan de Gan-
dsak , mort vers 1280; Giragos et
Malachia , écrivains de la même
époque; et Valuam , historien du
XIV.' siècle. Tout ce qui concerne
les Orbélicns est pris de Stephaniis
S)iiensis, c'est- à-dire , plus exac-
tement, d'Ltienne archevêque de
Siounie.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LET 1 RES. 4o}
apportée au pape par David , cvéque d'Ani. La mort du roi
George, qui y est rappelée comme un événement récent,
en fixe la date vers l'an 1224, au moment où les Mon-
gols , traversant les défilés du Caucase , passoient dans
le Kaptchak pour y attendre Touchi , fils de Tchinggis,
qui étoit chargé d'en fiiire la conquête.
Comme l'apparition des Tartares n'avoit été que pas-
sagère en Géorgie, et que la reine annonçoit qu'on avoit
repoussé leur attaque , on fit alors peu d'attention à une
nou\elie qui ne sembloit pas être d'une grande impor-
tance. D'ailleurs Tchinggis avoit tourné ses regards vers
un autre point de ses immenses, conquêtes. Sa mort vint
ensuite changer, pour un moment, la direction des événe-
mens, et les chrétiens eurent encore quelque temps pour
respirer. Cependant il semble que les Géorgiens se tinrent
en garde contre une nouvelle invasion, dont ils se savoient
menacés , puisque Roussoudan n'envoya pas en Syrie le
secours qu'elle avoit promis au souverain pontife.
Mais, quand Ogodaï , successeur de Tchinggis , eut
achevé de soumettre les Jou-tc/ii , et réuni à l'empire Mon-
gol toute la partie de la Chine qui s'étend jusqu'au grand
fleuve Kiaiig , il leva une armée de quinze cent mille
hommes, destinée à agir en même temps aux deux ex-
trémités de l'Asie , en Corée , et au-delà de la mer Cas-
pienne. Ainsi, comme l'observe Deguignes , la paix qui i Ha. Aa Hum,
régnoit en apparence dans le fiDnd de l'Orient, devint
funeste à l'Europe. Batou , fils de Touchi, fut nommé le
principal chef de cette formidable expédition , pour la-
quelle on lui associa plusieurs autres généraux et princes
du sang de Tchinggis, L'armée des Mongols, après avoir
E3ij
hmi. JII , p. pj.
4o4 MÉMOIRES DE LACADE.MIE
soumis les Coiiniaiis et les Bulgares , entra dans le pays
des Baschkirs, et pcnctra en Russie, où elle prit Aloscoii
et les principales villes des gouvernemens actuels de
Vladiinir et de Jeroslaw. Les grands ducs de Russie de-
vinrent alors tributaires du grand khan.
En même temps, une autre armée de Mongols, accom-
pagnes de leurs lemmes et de leurs enfans, s'avança vers
la Géorgie et l'Arménie , sous la conduite deTcliarmagan
et de dix-sept autres généraux (i) , parmi lesquels on re-
marque Batchou , depuis célèbre en Europe sous le nom
de Bayotliiio'i , à cause de ses rapports avec le pape. D'après
les lois établies par Fchwiggis , ils avoient ordre de bien
traiter les princes et les peuples qui se soumettroient ,
qui livreroient leurs villes et consentiroient à payer le
tribut. Les autres étoient abandonnés à la fureur du
soldat; les habitans des villes étoient massacrés sans dis-
tinction d'âge ni de sexe, et souvent les animaux mêmes
ii'étoient pas épargnés. Dans ces premiers momens , au-
cune négociation n'étoit possible avec les Tartares ; il
falloir reconnoître leur empire ou mourir. Le danger de
la résistance étoit attesté par les innombrables pyramides
d'ossemens Iiumains qu'ils élevoient à la place des villes
ruinées, et que, bien long-temps après, nos voyageurs con-
temploient avec effroi, en parcourant les régions, devenues
désertes, qui leur avoient servi de passage.
(i) Les Arméniens nomment lei
deux principaux , Paul-noi/yan et
AlouUr-tiouydn. Les quinze autres
»ont , Gadap^an , Tchiikhala , Toii-
Ui.ita , Sotiit/ui , Dchola , Asouthou,
Batchou, Tlionthou , KIwuttlwu,
As,lr ou Arslan , Ohliota , Khoya ,
Khourj^oumdj'i , Khounan et Kara-
botiga.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4c5
C'est ainsi qu'en 1235 et i^S^^ ^es Mongols brûlèrent
et ravagèrent beaucoup de villes de l'Albanie , de la
Ge'orgie et de la grande Arménie. Les princes épouvantes
et la plus grande partie des habitans se réfugièrent dans
les montagnes. La reine Roussoudan se retira dans une
forteresse inexpugnable ( i). Deux ans après, Dchola, frère
de Tcharmagan, entra dans le pays d'Artsakh , et prit le
fort de Khatchen. Dchalai , neveu de Jean, connétable
de Géorgie , qui en étoit prince , se réfugia dans le fort
de Khalakh , devant Kandsasar. Les Mongols lui en-
voyèrent des messagers pour l'engager à se soumettre,
Dchalai, voyant que la résistance étoit inutile, se rendit
aux Mongols , leur prêta serment de fidélité, et s'engagea
à leur payer un tribut et à les servir à la guerre. Pour
cimenter cette alliance , le prince Géorgien donna sa fille
Rhouian à Poughan , fils du générai Tartare. C'est là, si
je ne me trompe , le premier traité qui ait été conclu
entre les Tartares et les chrétiens.
L'exemple de Dchalai ne tarda pas à être suivi par
d'autres princes de ces contrées. Les Mongols ayant pé-
nétré en Géorgie, pris Téfîis et beaucoup d'autres villes,
Avag, fils du connétable Jean, s'enferma d'abord dans
le fort de Gayen ; mais , quand il s'y vit assiégé par le
général Mongol Toukhata, il se hâta de faire ses soumis-
sions, et vint, avec Grégoire son neveu, trouver Tchar-
magan. Vahram , prince de Schamkor, et Eligoum , de la
famille des Orbéliens, se soumirent pareillement en 1239.
La même année, Tcharmagan vint, accompagné de ses
nouveaux auxiliaires , Avag et Vahram , mettre le siège
(1) Cette forteresse se nommoit Ousaneth^
4o5 MEMOIRES DE LACADKMIE
devant la ville d'Ani, qui fut prise, ei dont tous les habltans
fureiil passes au iil de l'cpce : premicre et terrible con-
dition de lalliance avec les Tartares, par laquelle leurs
vassaux étoient contraints de contiiinier avec eux à la
ruine de leurs concitoyens ; car le prince d'Ani , Schahan-
scliah , cousin d'Avag , ctoit dans l'armée des Tartares.
Ceux-ci revinrent ensuite passer l'hiver dans la |ilaine de
Mouglian , lieu où ils avoient coutume de prendre leurs
Hist. Armcn. Quaitiers. ils y mencrejit avec eux le prince Avag , et
\«uu,.i. III. ?r . ,- , ■ . '\ ,
f.irt. X. c. IX. Kara-Douga lut nomme gouverneur des pays conquis. L an-
F-v- ^"- njig suivante, Avag se rendit, avec sa sœur Thamtlia , à la
^^courd'Ogoda'ï, qui les reçut fort bien , et leur donna m^me
une lettre pour que Tcliarmagan leur rendît leurs états, et
traitât de même les autres princes Arméniens. Cet exemple
encouragea depuis beaucoup de princes de I Occident à
faire le voyage de Kara-rkoroum , et à demander au khakan
lui-mcme la réparation des injustices de ses généraux. Plu-
sieurs obtinrent, en effet, par ce moyen, la restitution
de leurs états; et l'orde impériale devint, comme Rome
autrefois, le tribunal suprême où se jugeoient les récla-
mations des rois.
Le génie altier de Roussoudan ne lui avoit pas permis
de suivre l'exemple de ses vassaux : au lieu de se rendre
aux Tartares, elle ne cessoit d'écrire en Occident pour
demander des secours. Une de ses lettres nous a été con-
servée ; elle est adressée à Grégoire IX. La reine demande
au pontife une armée clxrétienne pour repousser les attaques
des Mongols , et, afin d'intéresser davantage le pape , elle
fait profession d'une soumission entière à l'église Romaine.
Mais cette démarche, dictée parla crainte, ne lui valut, de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 407
la part du pape , que de vains complimens sur son retour
à la foi catholique. La lettre de Grégoire n'apporta que Latnjtc Cré-
de foibles consolations à Roussoudan. La suite nt voir ,^„j^,„ , j„„,
que cette princesse attachoit peu de prix aux secours spi- ^f^;Jf"^'^f;
rituels de l'Église , et que l'espoir d'en obtenir de plus effi-
caces avoit été le seul motif de sa soumission (i).
Dans le Nord , les Mongols s'annonçoient d'une ma-
nière encore plus alarmante pour les chrétiens. En 1240,
Batou s'empara de Kiew, puis de Kaminieck, et envoya
un de ses généraux faire une invasion en Pologne. L'armée
de ce dernier, divisée elle-même en plusieurs corps, passa
ia Vistule, s'avança jusqu'à Cracovie , prit et brûla cette
ville célèbre, fit un butin immense, et jeta l'alarme dans
tous les pays voisins. Par-tout les habitans fuyoient, aban-
donnant les villes et brûlant les villages. Les troupes
de la Pologne, de la Moravie et de la Silésie, placées à
Waldstadt, à un mille en avant de Lignitz , perdirent J.«>/. n-n<m
une grande bataille , a l issue de laquelle les 1 artares rejoi- /_^„^. ^^y.
gnirent Batou en Hongrie. Ce prince , avec cinq cent
mille hommes, avoit battu le comte palatin de Saxe , et ,
parcourant librement tout le pays, y avoit mis tout à feu
et à sang (2).
Le roi de Bohème , Venceslas , écrivit alors à tous les
princes se^ voisins pour leur demander du secours , et le
palatin de Saxe adressa à son beau-père, le duc de Bra-
bant, une lettre dans laquelle il peint avec les plus vives
couleurs les ravages exercés par les Tartares dans les pays
(i) Elle renonçaau christianisme,
et se fit musulmane. ( Aboulfaradje,
Chron.-pag. 515.)
(2) La bataille eut lieu le 9 avril
1241.
4o8 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
voisins de ses t'tats ; il prie avec instance son beau-pcre
de lui envoyer promptement des troupes , parce qu'il a c^tc
informe cju'aux prochaines fêtes de Pàcjues ( i 2.j ' ) '^s
Tartares doivent entrer en Bohème : sa lettre lut fiivoyce
par le duc de lîrabant à l'cvcque de Paris.
Pour juger de l'importance cju'on dut attacher aux pre-
mières négociations avec les Mongols , il est bon de recher-
cher dans k'S histoires du temps les traces de l'effroi qu'ils
inspiroient. Mathieu Paris rapporte qu'aux effrayantes nou-
velles annoncées par le palatin de Saxe, la reine Blanche
ne put cacher ses craintes à S. Louis. « Q,ue faut-il faire,
'» dit-elle, dans de si tristes conjonctures! Quels bruits
•• sinistres se sont répandus sur nos frontières ! Limpé-
» tueuse irruption de ces Tartares semble nous menacer
«» d'une ruine totale, nous et notre sainte église. » Le roi
lui répondit d'une voix altérée par la douleur , et pourtant
fortifiée par quelque chose de divin ; <• Ma mère, soyons
» soutenus par cette consolation qui nous vient du ciel :
>» s'ils arrivent, ces Tartares, ou nous les ferons rentrer
» dans le Tartarc^olx ils sont sortis, ou bien ils nous en-
•■ verront nous-mêmes jouir dans le ciel du bonheur
» promis aux élus (i). »
Le jeu de mots qu'on prête ici à S. Louis, se retrouve
dans presque tous les écrits de cette époq'ue ; et c'est peut-
être là, pour le dire en passant, la véritable cause de l'al-
tération que les Occidentaux ont apportée au nom des
( I ) Qiio auii'ito, rnt vnceflebili, std
non sine divino spirainine , respondit :
" Erii^at nos, maier,cielestt solatiuvi ,
•> iiuia, si yervrnianl ipsi, vil nos ipsos
" quosvocamus Tartaros , ad suas tar-
» tiireas scdfs uirde exierunt retrude-
» mus , Vit ipsi nos nnines ad cœlum
" subveheni. » ( Matth. Paris. Lon-
dini, 1571 , pag. 747.)
Tata
rs.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4^9
Tdtars. On trouve ces peuples nommés Tatari dans ies
chroniques Russes, Tattari dans Christophorus Manlius , Chon.dtNi-
et Tatari ou Tattari dans une lettre d Ives de JNarbonne ^^^j , seq. s.'-
à Giraud , archevêque de Bordeaux : mais, en gencial, on ^/^^j,„\,,J„,
les voit désignes sous le nom de Tartares des les premiers fj^^jX^^""^;
momens de leur apparition; et Tartari , iiiio Tartarei , p. ^-S.
comme les appeloit i empereur Frédéric, est une expies- ^,„g <;,„,
sion qui prit faveur. En effet, l'opinion s'étoit assez gêné- /fisiM fn-
1 ' I • J I ' airu. imper, ad
ralement répandue, que les Mongols étoient des démons ngcm Edwar-
envoyés pour châtier les hommes, ou, du moins, quils ^^^.,
avoient commerce avec les démons ; et ce dernier senti-
ment s'étoit accrédité par les feux et les tourbillons de
fumée qu'ils avoient, disoit-on , l'art d'exciter dans les ba-
tailles (i). En conséquence, on chercha par-tout à éloigner
<:e fléau par des prières solennelles , par des jeûnes gé-
néraux. On déploya l'étendard de la croix, et tous les
peuples furent appelés àse réunir pour la défense du nom
chrétien.
Cependant les envoyés des Tartares étoient venus par
deux fois sommer le roi de Hongrie de se soumettre à leur
merci. Du nombre de ces envoyés étoit un Anglais qui,
banni à perfJétuité d'Angleterre , avoit voyagé en Asie, et
y avoit été pris par les Tartares pour leur servir d'inter-
prète. Cet homme annonça vainement à Bêla les malheurs /v;«'- ^""»"
Il ' i\tnkinens!s, ap.
Mntlh. pnrif.p.
facile aux chrétiens de reconnoître •''-''•
ia cause de ces incendies. II est plus
probable qu'il s'agit là de pièces d'ar-
tillerie et de poudres inflammables ,
dont il est certain, par l'histoire
Chinoise , que les Mongols se ser-
voient à cette époque.
(i) On a coutume d'expliquer ce
fait, généralement rapporté par les
historiens, en supposant que les Tar-
tares allumoient les herbes sèches et
les broussailles des forêts, comme le
font les habitans de la Nouvelle-Hol-
lande. Mais, dans ce cas, il eut été
Tome VI. F'
4io MÉMOIRES DE LACADKMIE
auxquels il s'exposoit par sa résistance. Ce prince s'obstina
à vouloir arrêter le torrent sur ses frontières, et , pour
comble de malheur, il ne prit i->fls, en refusant hommage
aux Mongols, les précautions que cette contluiie rendoit
Efiit. FrU(r nécessaires. Au milieu du mois de mars 1241 , les Tar-
tares mirent en tuile le peu de troupes qu on avoit pu leur
opposer. Sur le récit de leurs ravat^es, le pape s'empressa
d'écrire à Bêla pour le consoler et l'encourager d combattre
OJfr.RjymtJ. Vaillamment. En m(}me temps il ordonna une croisade,
et accorda a ceux qui sarmeroient , les mêmes indulgences
qu'obtenoient ceux qui entreprenoient le voyage de la
Terre-sainte; genre de secours très-puissant alors à cause
de l'esprit du temps, mais qui produisit peu d'effet en cette
circonstance, tant étoit grande la terreur qu'imprimoit le
^ nom des Tartares. Gréiroire IX écrivit encore aux autres
rois chrétiens, aux princes, comtes, magistrats, aux ar-
chevtVjues et aux évèques , ordonnant à ces derniers de
prêcher la croisade, de donner des indulgences, de rele-
ver des censures ecclésiastiques; en un mot, d'employer
tous les moyens possibles pour animer les peuples à
prendre les armes et à repousser les Tartares.
Bcla, fuyant toujours devant les Mongols , s'étoit retire
en Dalmatie, puis dans une île de la mer Adriatique, le
seul lieu où il pût trouver un asile. C'est là que Grégoire
lui adressa encore une lettre pour lui exprimer le désir
qu'il avoit de le secourir : « desic tel , dit le pontife , que,
" si l'empereur Frédéric consentoit à prendre un véritable
»esprit de pénitence, ii le recevroitdans le sein de l'Eglise,
*• «pour pouvoir donner à la Hongrie des secours plus efîi-
"caces. " Malheureusement i^nur ce royaume, la mésintel-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES, i^i
ligence du pape et de l'empereur, loin de s'iipaiser, devint
plus forte que jamais. Les partisans du premier repro-
choient à Frédéric les calamités qui affligeoient les chré-
tiens. Qj.ielques-uns alloient morne jusqu'à l'accuser d'avoif
appelé les Tartares en Europe. D'autres , moins aveuglés
par la haine, le blâmoient seulement de ce qu'au lieu de
marcher en personne contre les Mongols, il se contentoit
d'exhorter dans ses lettres les princes chrétiens à prendre
les armes. II est vrai qu'il s'exprimoit, à ce sujet, en des
termes si recherchés et avec une telle affectation d'élo-
quence , qu'il justitîoit jusqu'à un certain point le re-
proche que lui adressoit Grégoire : Juctath inaiiibus verborum
lenocitiiis oratorem qucim rapto contra Tartaros exercitu chris-
tianum imperatorem agere malebat. Cependant d'autres au-
teurs veulent qu'il ait, en effet, levé une armée contre
les Tartares, et que la Hongrie lui ait dû sa délivrance ;
mais il est certain que la crainte seule de la lamine chassa ^^"'i'- ^'"'"•
les 1 artares de ce royaume, qu ils avoient change en un
vaste désert.
Au reste , il ne paroît pas qu'à cette époque on ait enr
tamé aucune négociation avec les Tartaies en Occident.
Par-tout où ils portoient leurs armes, ils se faisoient pré-
céder d'envoyés qui sommoient les princes et les peuples
de se soumettre au grand khgn. Un refus attiroit infailli-
blement une invasion et les désastres qui en étoient la suite.
Si l'on prenoit le parti de la soumission, il falloit tjue le
prince devenu tributaire se rendît à Kara-koroum , pour
y faire hommage au khakan. Une proposition de cette
espèce fut faite à l'empereur Frédéric, au nom du roi des
Tartares. On lui demanda qu'il rendît hommage pour ses
F3ij
4i2 MKMOll^LS DE L'ACADEMIE
ctats , lui offrant, en récompense, telle charge qu'il vou-
droit choisir à la cour du khakan. C'cloit, dans les idées
Chinoises, qui dominoient chez les Tartares, une offre ho-
norable et proportionnée à ladignitédu premier des princes
chrétiens. Frédéric la reçut en plaisantant, tt dit au\ en-
voyés qu'en effet il se connoissoit assez bien en oiseaux
de proie pour avoir l'office de fauconnier ( i ). La retraite
spontanée des Mongols empêcha cette affaire d'avoir au-
cune suite.
En Orient, la trancjuillité qu'une prompte soumission
avoit procurée aux chrétiens, fut troublée par la mort du
grand général Tcharmagan ( 2 ). L'espcce d'anarchie dans
lacjuelle tombèrent les armées Mongoles en l'absence d\\n
chef suprême, causa des maux infinis aux contrées où elles
se trouvoient. Les moindres commandans se croyoient
tout permis. Un petit officier, nomme Dchodilihougd , étant
allé visiter le prince Avag, trouva que celui-ci ne se hâ-
toit pas assez en venant au-devant de lui , et s'oublia jusqu'à
le frapper de son étrier. Les domestiques d'Avag, indignés,
se jetèrent sur Dclwdihbougci , et le maltraitèrent, malgré
les efforts que fit leur maître pour les en empêcher. Cette
petite affaire pouvoit avoir de grandes conséquences. L'offi-
cier Mongol rassembla un nombre considérable de ses com-
patriotes, et revint sur ses pas pour se venger; mais Avag
prit la fuite, et se retira près de Roussoudan, dans la place
forte où cette reine se tenoit renfermée. Vainement les
(1) litx Tiiriaroruin imperatorl
Friderico tnanJavit vt sibi in ■ hoc
comiiUrti, quiittnùs ojfuiiim all^ucd
in sua ciiria rligerfl , et Je st ttrrivn
tenrrrt. Adqtiod nspondint imperator
Jî-rtur, qiiaJ sat'is scit de av'iius , et
l/tne er'it faUonarius. {Chron. Albcric.
in Scriptcr. hislor. Ccnn. tom. 11,
pag. 56-. )
(i) tllc arriva en I2<10'
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 4' 3
généraux Mongols , affliges de ce qui s'étoit passé, firent
^unir Dchodchboiiga, et écrivirent au prince Géorgien pour
l'inviter à revenir chez lui : celui-ci , se fiant peu à leurs
promesses, aima mieux envoyer de nouveaux messagers
au grand khan, pour lui faire connoître toute l'affaire. II
vint alors un yarlik, ou ordre suprême, adressé aux gé-
néraux Mongols , pour leur enjoindre de bien traiter Avag
et les autres princes Arméniens et Géorgiens, de ne rien
exiger d'eux par force , mais de recevoir seulement les tri-
buts qui leur étoient imposés.
Cet ordre procura un peu de repos, non-seulement à
Avag , mais encore à la reine de Géorgie , qui , par l'en-
tremise de ce dernier, avoit aussi fait la paix avec les Tar-
tares , sans néanmoins sortir de son asile. Les chrétiens
avoient pourtant beaucoup à souffrir des instigations des
Persans musulmans , qui poussoient les Tartares à les per-
sécuter ; les choses en vinrent mcme au point , que les
Syriens , les Arméniens et les Albaniens avoient à peine
la liberté de faire ouvertement leurs pratiques de religion.
Ainsi les musulmans furent les premiers à donner l'idée de
ces luttes sanglantes où les Tartares, instrumens aveugles
et indifférens , tourmentoient un parti sans prendre intérêt
à l'autre. Nous verrons par la suite que l'exemple des mu-
sulmans fut plus d'une fois suivi par les chrétiens.
Il y avoit alors à la cour du grand khan un docteur
Syrien, x\omxx\é Siméon , homme instruit et zélé, qui étoit
allé prêcher l'évangile aux extrémités de l'Asie. Son mé-
rite lui avoit ouvert un accès près d'Ogodaï, qui le nom-
moïi Aîa [père, en turc]; les autres le nommoient Rabban
[nwître, en syrien]. Informé de tout ce que souffroient
4i4 MEMOIRES DE LACAOEMIE
les chrctiens d'Arnicnie,^'All)aiiie el Je Géorgie, il saisit
ujie occasion favorable pour en parler au khakan , et lui
reprcseiita que les persécutions exercées contre des sujets
fiticles, (jui ne lui avoient jamais opposé de résistance, cjui
le servoient avec ztle et payoient exactement les tributs,
tournoient à la honte plutôt qu'à la gloire de son empire.
Ces remontrances furent bien reçues du khakan , qui en-
voya, en 1241, Siméon lui-même en Armciiie , comme
administrateur chargé de tout ce qui concernoit les chré-
tiens , avec des patentes pour le faire reconnoître des géné-
raux qui occupoient ces contrées. Son arrivée mit hn aux
souffrances des chrétiens : le libre exercice de la religion
fut rétabli dans tous les pays soumis aux Mongols; beau-
coup de ceux-ci se convertirent, et reçurent le bajncme.
De là vint lopinion qui se répandit assez généralement
dans le Levant , que les Tartares avoient embrassé le
christianisme, et que leurs chefs étnient baptisés.
D'après un ordre venu de Kara-koroum , les généraux
Mongols s'assemblèrent, et choisirent, pour remplacer
Tcharmagan , l'un d'entre eux, nommé Biitcliou-ttouyiW.
Celui-ci réunit des troupes , y joignit , comme auxiliaires,
des Arméniens, des Géorgic-ns et des Syriens, et marcha
contre le sultan d'Iconium. Il le battit , prit Arzroum .
Sébaste, Césarée , et plusieurs autres villes. La mère, la
temme et la fille du sultan se réfugièrent près d'Hayton ,
roi de la petite Arménie. Celui-ci , qui voyoit les Mongols
s'approcher de ses états, commença à craindre pour lui-
même. H avoitsous les yeux l'exemple des princesses com-
patriotes à qui leur soumission valoii tous les jours de
nouvelles grâces. Thamtha, soeur d'Avag, vcnoit d'obte-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4>î
nir, par la protection de l'impératrice des Mongols, t|u'ûa
iui rendît la ville de Khelath , qui lui appartenoit , comme
faisant partie de l'hcritage de Malek-Aschraf, son mari.
D'autres veulent que le roi d'Arménie ait saisi cette occa-
sion de se délivrer du joug du sultan d'Iconium ( i ). Quoi
qu'il en soit, il résolut de se soumettre aux Mongols, et,
au commencement du printemps de l'an 1244 » " ^^"'"
envoya des ambassadeurs avec des présens, se reconnois-
sant tributaire du grand khan. Ses envoyés allèrent d'a-
bord trouver le prince Arménien Dchalal , et ce fut par
son entremise qu'ils furent présentés à Batchou , à Eltina,
veuve de Tcharmagan , et aux autres généraux Mongols.
Mais la première chose qu'on exigea d'Hayton , fut qu'il
livrât la mère et la femme de Ghayath-eddin , sultan d'Ico-
nium. Les ambassadeurs revinrent donc près de leur maître,
accompagnés d'envoyés Tartares pour recevoir les prin-
cesses. Hayton, malgré sa répugnance, se vit forcé à les
abandonner (2 ). Il fit de grands présens aux Tartares,
leur en remit encore pour ceux qui les avoient envoyés,
et députa de nouveaux ambassadeurs à Batchou. Ce prince
les reçut avec joie, et conclut avec eux un ti'aité d al-
liance. Il les garda près de lui pendant l'hiver, et les ren-
voya au printemps à Hayton,
(i) Le'roi d'Ermenie, pour li dé-
livrer du servage au soudane du
Coine , en ala au roi des Tartarins ,
et se mist en leur servage pour avoir
leur aide, et amena si gram foison
de gens d'armes, que il or pooir de
combattre au soudane du Coyne. Et
dura grant pièce la bataille, et li
tuèrent les Tartarins tant de sa gent
que l'en n'oy puis nouvelles de li.
(Joinville, éd. du Louvre, pag. 31.)
(2) Simili ac legaii venerunt , tra-
dita est in maïuis Tatarorum, Quod
quidem factum injustum odio et vitu-
perio dignum visum est omnibus
nobilibus et ignobilibus. (Bar-Hebr.
Cliroiu pag. 521.)
fliatih. Farit.
P'S- 9>7-
4 1(5 .MKMOIKLS DF. L'ACADl.MIE
Let> Mongols, maîtres de la Géorgie, Je l'Albanie et
de l'Armcnie, vouliifent y joindre la Syrie, où ils ctoient
appelcs par les vœux des chrétiens, empresses de voir bri-
ser le joug des nuisiilinans. Vers la lui lie I'cIl- ( 1244)»
Batchoii envoya par deux fois diflcrens députes au prince
d'Antioche , et le fit menacer de la plus terrible vengeance,
s'il ne s'empressoit de remplir trois ordres qu'il lui sii^ni-
fiolt : le premier ctoit d'abattre les murailles de ses villes
et" de ses châteaux; le second, de lui faire ^passer la tota-
lité des revenus de sa principauté en or et en argent; et
le troisième, de faire choix de trois mille jeunes filles,
et de les envoyer au camp des Tartares ( i ). A de si
cruelles propositions , Boémond protesta d'abord cjii'il
aimoit mieux mourir que de remplir une seule des condi-
tions qu'on vouloit lui imposer (2). Les envoyés Tartares
se retirèrent en fiiisant beaucoup de menaces. Mais, l'année
suivante ( 1245). quand il eut appris la soumission du roi
d'Arménie et la marche triomphante des Mongols dans
la Mésopotamie, sa résolution fut ébranlée, et il se soumit
au tribut, ainsi c]ue plusieurs autres princes chrétiens et
musulmans.
(i) EoAcmaimo, ctstatt dcclinan-
U .praeàpuusrex Tartaronim signift-
cavit bis per diverses nuncios principi
Antlochiar , ut tria sibi compifret
mandata; tin autem , solus gladiiis
criitntalus iiltioncin exerceret : pri-
mum , ut humiliartt muros civiiatum
siiarum ac castrorum ; secundum , ut
mitttrtt ri reddiluin totum auri tl ar-
"inti ex principutu siio provenientmt ;
irrtiuin , ut tria inillia vir^inum ii
dfstinarft. ( Matth. Paris, pag. 876.)
(-) Quod cùm princcps intellexissel,
ab iino traitais suspiria , ait ; a Vixii
« Dominus et vivunt sancti ejus ,quia
» nunnuam alicui mandatorum suo-
» rum conscntiam. Opto pnliùs ut res
» iigafur pro capitihis, ttde vullu Do-
» mini Jitdicium Iwrum prcdeat. » Et
sic nuncii comminantts ad dominum
suorum sunt reveni. ( Id. ibid. )
L'un
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 417
L'un des premiers résultats de cette expédition de Ba-
tchoii fut la prise de Khelath , que, d'après l'ordre du
grand khan, on remit à la princesse Thamtha. Les Mon-
gols se rendirent ensuite maîtres d'Amid , de Nisibe , d'E-
desse , et de beaucoup d'autres places de la Mésopotamie.
Un auteur du temps va jusqu'à dire qu'ils s'emparèrent
de Jérusalem, et qu'ils remirent cette ville entre les mains
des chrétiens , cjui s'étoient unis à eux par.i'entremise du
roi d'Arménie (i). Je n'ai pas besoin de réfuter cette asser-
tion évidemment erronée. L'expédition s'étant faite en
été , les Tartares, peu accoutumés aux grandes chaleurs,
perdirent beaucoup d'hommes et de chevaux, et se trou-
vèrent tellement affoiblis , qu'ils furent forcés de se reti-
rer. Mais ils avoient semé une grande terreur sur leur
route ; les habitans s'enfuyoient à leur approche , et iais-
soient leurs villes désertes. Au seul nom des Tartares ,
comme autrefois à la vue des Euménides d'Eschyle, les
femmes enceintes avortoient de frayeur (2). Par-tout, sur
leur passage , ils massacroient les habitans de tout âge
et des deux sexes, n'épargnant que les chrétiens, à cause
de leur alliance avec les princes d'Arménie (^).
Ainsi cette expédition , qui , d'abord , avoit paru devoir
ajouter aux maux des chrétiens , devint au contraire la
(i) Tartres... occupèrent toute la
Turquie à !a cité de Gazam , et pris-
trent Iherusalem , et la rendirent aux
chrétiens qui aus Tartars s'estoient
alliez par procuracion du roi d'Erme-
nie. ( Pereor'macion du frère Bieult j
manusc.fr. n.° 8932, fol. 281 verso.)
(2) Toutes les gens de Orient en
eurent si grant paour et sigrant hide,
que le seul nom des Tartres , et la
hideur de les oyr nommer par les
villes et les chasteaulx, faisoit les
dames enchaintes abortir de peur et
de hide. ( Peregrinacion , ubi siiprà.J
(3) Tout meinent à l'espée , fors
seulement les chrestiens qui avec eux
s'estoient alliez, comme dessus est dit.
f/d. ibid.)
Tome VI. G»
4i8 Mà.MOlRLS DE L'ACADl.MIE
source des négociations qu'ils entamcrent avec les Tar-
tares. A\ant d'arriver aux Francs , les Tartares avoient à
combattre les restes des Seidjoucides d'iconiuui , les rois
de la race de Saladin, et les autres princes musulmans,
avec lesquels les Francs étoient aussi en guerre. Les Francs
et les Mongols ctoient donc alliés naturels, et dévoient
unir leurs efforts contre les musulmans. A cet intérêt
commun dont. on se hâta de se prévaloir, les papes ten-
tèrent d'en ajouter un autre , celui de la religion : ils dépu-
tèrent vers les généraux Mongols, des missionnaires char-
gés de leur faire connoitre la foi. L'entreprise étoit grande,
et présentoit pourtant quelques chances de succès. Le bruit
s'étoit répandu que les Tartares avoient parmi eux un
grand nombre de chrétiens. La fable du Prêtre Jean ,
fondée sur les récits mal interprétés des Syriens qui voya-
geoient dans la Tartarie , étoit alors en faveur en Europe.
D'ailleurs, les Mongols ne reconnoissoient pas Mahomet,
et poursuivoient avec acharnement les musulmans : c'en
etoit assez, dans ces siècles peu éclairés , pour être regarde
comme ayant lait un grand pas vers le christianisme. En-
, fin les Tartares avoient d'abord été pris pour des magi-
ciens ou des démons incarnés, quand ils avoient altaijué
les chrétiens- de Pologne et de Hongrie ; peu s'en fallut
tju'oii ne les crût toul-à-fait convertis, quand on vit qu'ils
faisoient la guerre aux Turk.s et aux Sarrasins.
Les iilées religieuses des Mongols ctoient telles, à cette
époque, qu'on pouvoit les souhaiter pour favoriser leur
conversion. On savoit qu'admettant un dieu uni(jue et
tout-puissant, cju'ils nommoient Tcigri [ le ciel ] , ils n'ajou-
toient à cette idée fondamentale aucune notion accessoire
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4^9
bien précise , et presque point de pratiques supersti-
tieuses (i). Tchinggis, en leur donnant des lois, s'étoit ,
à dessein , contente d'établir dans leur esprit la base de
toute législation , laissant an temps et aux localités à y
ajouter ce que les circonstances rendroient nécessaire. Il
semble qu'il craignît qu'une croyance exclusive n'apportât
obstacle à ses conquêtes, qu'une croyance simple, et, pour
ainsi dire , abstraite , pouvoit au contraire rendre plus
faciles. En effet , les Mongols , indifférèns à toutes les reli-
gions , étoient préparés à les adopter toutes également,
et pou^'oient se faire de leur conversion un titre aux yeux
des peuples qu'ils avoient soumis. Par-tout où les succes-
seurs de Tchinggis ont établi des souverainetés, ils ont
pris le culte dominant : ils sont devenus bouddhistes à la
Chine , musulmans en Perse. En AHemagiie ou en Italie ,
ils eussent sans doute embrassé le christianisme, et, une
seconde fois , l'Europe eût désarmé et policé par la reli-
gion les barbares qu'elle n'eût pas su repousser par les
armes.
Innocent IV résolut donc d'envoyer à-la-fois vers Ba-
tou , général de l'armée du nord, qui campoit alors sur les
bords du Wolga , et vers Batchou , qui commandoit en
(i) C'est ce que témoigne Pierre
archevêquede Russie, chez Mathieu
Paris, p. 875. — Tartarî uniiin Deuui
colunt jfactorem omnium bonoruin, et
pœnaruvi in hoc inundo\datoreni, (iVlar.
Sanut. I.iii,part.Xlll,c.9,p. 240.) —
En manière de vivre et de créance,
different-il de toutes autres nations
du monde ; car il ne se vantent point
d'avoir loy baillie de Dieu, comme
plusieursautres nations mentent, mais
croient un Dieu, et ce bien tenu-
ment et bien simplement, parne sçay
quel mouvement de nature, que na-
ture leur monstre, que, sur toutes
choses du monde , est une chose sou-
veraine qui est Dieu. [Peregrinacion
de frère Bieult , fol. 2,76 verso. Voy.
aussi Rubruquis, Plan-carpin,Marc-
Pol, et autres.)
G ' ij
420 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Perse et en Armciiie. Il choisit pour la premi«^re ambas-
sade Laurent Je Portugal , Jean du Flan-carpin et Benoît,
tous trois frères de l'ordre de Saint-François, et il leur re-
commanda fortement tie prendre sur les coutumes des Tar-
tares toutes les informations qu'il leur seroit possible (t).
II envoya en Perse quatre religieux de l'ordre des frères
prêcheurs, Ascelin , Simon de Saiiit-Q^iienlin , Alexandre
et Albert, auxquels se joignirent en route Guichard de
Cr<5mone et André de Lonjumel. Il chargea ces deux
ambassadeurs de deux lettres écrites de Lyon , le 5
mars 1245.
Comme les circonstances de leur voyage nous sont
bien connues par les relations que nous en ont laissées
Jean ihi Pian-carpin et Simon de Saint-Q.uen(in , nous
ji'en placerons ici qu'un résumé rapide , seulement pour
ne pas laisser de lacune dans l'histoire de ces négociations,
et pour qu'on puisse prendre une juste idée de l'esprit
général dans lequel elles furent entreprises. Les deux-
lettres i.\u pape n'ont rien de remarquable. La première
Oder. n,iy„. ne contient guère que des exhortations aux Tartares
"*■ "*'' ^' ' pour les engager à embrasser le christianisme , un expose
de la foi , et ])articulièrement de la puissance du souve-
rain pontife sur terre , et la recommandation des hommes
prudens et éclairés (ju'il leur envoie (2). Dans l'autre, le
(1) Lour enjonist, en remission de
loiir pechics, que il enqucsissent cli-
ligaument de l'estrc et dou cous-
in mes des Tartaircs, selon leur pooir.
[Cliron. de France , nian. de la BiM.
roy. n.''939, fol. 384 reclo.)
(2) Verùiit , >]iiia, humano! condi-
fionis reni rente nûtiirâ, uiio eodemqut
tanpore diversis loch pr.vsentialiier
adcise i\e~]uiinus,ne ullatenùs negUgert
videamur absentes , ad ecs viros pro-
vidos et discrètes transm'ittimus vice
nostrà, ifc.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 4^«
pape emploie tour-à-tour la prière , ie reproche, et nicme
les menaces; il cherche à apaiser, à attendrir et en même
temps à intimider les Tartares , et leur demande de lui
faire savoir la cause qui les anime à détruire toutes les
autres nations.
Les dominicains arrivèrent, au mois d'août 1247, nu l'inantpcih,,.
.Sf'CiUl. Iintor. l.
campement de Biitilwa-nouyau, que, dans leur orthographe xxxii. c. xx.
h-régulière, les écrivains du temps appellent, tantôt Ba-
c/ion, et tantôt Bayothnoi. Par le récit naïf qu'ils nous ont
laissé de la réception qui leur fut faite , on voit que
cette première négociation offrit de grands dangers, et
pensa mcme toûter la vie à ceux qui s'en étoient chargés.
Les Tartares furent très-surpris quand Ascelîn leur dit
qu'il étoit ambassadeur du pape, le plus grand de tous
les hommes en dignité. Ils lui demandèrent s'il ne savoit
pas que le khakan étoltfls du ciel , titre Chinois qui veut
dire empereur , et que nos historiens ont rendu par fils
de Dieu. Ils parurent très -choqués quand Ascelin répon-
dit que le pape ne savoit ce que c' étoit que le khakan.
Leur étonnement redoubla quand ils virent que, contre
l'usage constant des ambassadeurs en Asie , ceux-ci n'ap-
portoient aucun présent (i),, et, sur-tout, quand les reli-
(i) Au sujet des présens que les
JVlongols «jxigeoient des ambassa-
deurs qui venoient à eux , on rapporte
i'anecdote suivante : « Ung Franco) s
» vint au grand caan des Tartres ,
i> et li empereur lui demanda quel
« chose cilx lui avoit apportée. Ly
«Françoys respondy, et dist: Sire, je
» ne vous ai riens apporté , car je ne
n Savoie mie vostre grant piiiiSiince.
" Comment , dist l'empereur, lez oy-
» seaulx qui veulent par les pai-^ ne te
i> dirent-il riens de iiostre puissance ,
u quand tu entras en ce pays ! Ly
» Françoys respondy: Sire, dit-il,
ti peust bien estre que il tm dirent;
jj mais je n'entendy point leur parole.
» Et par ainsi fut l'empereur apaissé.»
{ Peregrin. de Fr. Bieult , fol. 276
recto. J
i"
ME.MOIRllS DL LACAU1..MIE
gieux réinsèrent de se prosterner tlexant Batchoii , sorte
d'homn.age cjiie ce général avoit droit d'exiger, comme
lieutenant du fils du ciel. Mais ils entrèrent en turcnir ,
quand, après en avoir délibéré entre eux, les frères se
furent offerts à rendre à Batchou les honneurs qu'on de-
niandoit, sous la condition qu'il se leroit chrétien. On les
accabla d'injures à cette proposition ; Batchou voulut les
faire mettre à mort. Qiielques-uns de ses olliciers ouvrirent
l'alfreux avis d'écorcher le chet de l'ambassade, de remplir
sa peau de paille, et de la renvoyer au pape par ses compa-
Wy. J'.-txi- gnons (i); mais la plus ancienne des lemmes de Batchou,
.L-.ns ViHctnt Je ct 1 ollicier chargc des anaires des ambassades, soppo-
" ' scrent à cet acte de barbarie, en représentant au prince
qu'on pourroit exercer des représailles sur ses propres en-
voyés, et que le khakan avoit déjà manifesté son mécon-
tentement de ce que, dans une occasion semblable, on
avoit arraché le coeur à un ambassadeur (2). Batchou con-
Bedia'iiis
( I ) Auchun i oc qui disent que il ne
iooient pas que on les ochcsist fous ,
mais ly principaux messagers l'apos-
tolle liist Cjchorchii-'s , et la piau lust
cnipiic de paille ct envo)cc à l'apos-
tolle par tes compaignons. ( Chron.
man. frani,-. n.° 939, toi- 393 recto.)
(z) Une des six fenies Bayonoy, ki
«toit li plus anchyene dis autres ,
et uns ki avoit la cure des messages
qui venoicnt à court, se tenoient
contre ces scntenscs. L.i dame dist à
Bayonoya|Cir tu fais ochirre cesinesui-
giers , III amriis la haine dt tous cfiiaus
qui orront Jirt ijtie tu avtr.is fait tel
cruauté. Et par cbe ptrdras-tn les
grans dons et les grans presens qut
on te seul envoyer de diverses terres, et
des tiens tnessiiç,ers le ftra au contre-
tel. Et cil qui avoit la cure des mes-
sagers , dist à Bayonoy : Te scuvieni-il
comment Cliam fut iadis courechie^
i7 moi pour un message que tu mefesit
ochirre que je li esrachai le cuer don
ventre, et puis le pendi i mon poitral
et portai par l'ost. Saiches , se lu me
commandes ces messages à ochire , )e
ne le ferai pas , ains m'en irai plus-
tost que je porai à Cham et l'ancu-
serai coume faus et desloial des œures
lie tu veuls faire. Par ces parolles for
Bayonoy ratrencs, &c.(/tid. verso.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 423
sentit donc à'^es laisser vivre : mais il vouloit qu'ils se ren-
dissent à la cour du grand khan; ce qu'Ascelin refusa ab-
solument.
Dans les pourparlers qui eurent lieu à cette occasion ,
les Tartares s'informèrent adroitement si les Francs avoient
de nouveau passé en Syrie ; car ils les connoissoient déjà
de réputation. Leur bravoure , la supériorité de leurs
arm^s et de leur discipline , la continuité des guerres
qu'ils faisoient aux Turks et aux Arabes, les avoient de-
puis long-temps rendus redoutables en Turquie, en Egypte
et en Syrie. Il se faisoit peu d'expéditions dans ces con-
trées où les Francs ne se trouvassent comme auxiliaires.
Ala-eddin , sultan d'Iconium , en avoit à sa solde, ainsi
que son fils Ghayath-eddin.
Il se trouva dans la ville d'Arzendjan , quand elle fut j,'^
prise par les Mongols, deux Francs qui augmentèrent,
par une bravoure portée jusqu'à l'extravagance, la haute
idée que les Tartares s'étoient formée des gens de leur
pays(i), et Guillaume de Nangis fait remonter à ce siège
(1) Contioii autem ut in ilLi civi-
tate capti essent duo Franci christiani,
Cuinque tenerentur captivi , quidam
Tartararum, qui audierant quhd Fran-
ci fortes tillatins essent, suggesserunt
cœteris majoribus , ul illi duo pugna-
rent inter se , quia modum pugnandi
eoTum libenter aspicerent , congau-
dentes urique eorum interficticni , sicut
vutabanti manibus ipsvrumfaciendœ.
Itaqiie, de coinmuni inajorum assensUj
armaturis et eqiiis , proutjieri ineliùs
potuit, cojnpetenttr prœparatîs , non
tnseipsos, ut Tartari putabant , sed
in Tarlaros illico irrudrunt. Prima
Bar - H(^r.
Chron. i>. jtj.
quidem lanceis , posteà gladiis ecsper-
cutientes , ex ipsis XV occiderunt, et
alios XX X graviter vulneratos , ante-
quam à Tartaris interfecti fuissent,
reliquerunt. Propter quod extunc ti-
muerunt Francos Tartari. ( Guill. de
Nangiaco , Cfsta S. Ludovici , in
collect. Andr. Duchesne, toni. V.
pag. 340. )
Vincent de Beauvais nomme ces
deux Francs, Guillerin de Brindes
et Raymond de Gascogne. (Vincent.
Bellovac. Specul. liistor. lib. XXXI,
cap. CXLI.)
424 MÉMOIRES DE L'ACAOrMTF
la cause de la crainte cjue les Francs, suivunt lui, inspi-
roicnt aux Mongols. Il est au moins certain cjuc ces der-
niers défendirent à tous leurs tributaires de prendre à l'a-
T/vm/ kùior. venir des Francs dans leurs armées. Il n'est donc pas sur-
lii.XXX, (,w. ... . . /■ , ..,,,.,.
Lxxxiu. prenant c[u ils se soient iniormcs avec curiosité, d jAscelin
et de ses compagnons, de ce qui concernoit leurs com-
patriotes.
Après de longs délais, dont la principale cause tftoit,
rt<yjgt,rÀsce- suivant l'aveu mt^me des reliiiieux, le mépris que les
gen,n. J artares avoient pour eux, les lettres du pape ayant ctc
traduites en persan par les interprètes Turks et Grecs ,
puis du persan en tartare par ceux de Batchou , on se
prépara à les renvoyer. Ogoda, général Mongol, qui ve-
noit prendre le commantlement de la Géorgie, arriva sur
ces entrefaites , et remit à Batchou de nouveaux ordres
du grand khan pour tous les lieux de sa domination. Les
Tartares envoyèrent au pape une expcditio/ide ces ordres,
quils nommoient, suivant les relations du temps, lettres
de Dieu ; c'est l'expression Chinoise de lettres du ciel, par
laquelle on désigne, en effet, tous les ordres émanés de
l'empereur, La traduction de cette pièce, et celle delà
lettre qu'y joignit Batchou , nous ont été conservées par
Sitcul. hbioT. Vincent de Beauvais , et je ne désespère pas qu'on n'en
I. XXXII . C.LI. . ... T ^ I'
puisse un jour retrouver les originaux. Le ton d arrogance
et de mépris qu'on y remarcpie, est le véritable cachet
de leur authenticité. Le kliakan y parle en maître du
monde, et traite de rebelles dignes de mort les princes
qui méconnoitront ses ordres. Ces idées sont encore la base
du droit public des Chinois , qui , ne reconnoissant d'autre
souverain daps l'univers que le jds du ciel , qualifient de
rcvolic
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. Az^
révolte toute tentative d'indépendance , et de brigands
tous les peuples qui osent faire la guerre à l'empire. Les
pièces dont il s'agit offrent encore d'autres particularités
évidemment empruntées du style de la chancellerie Chi-
noise , et qu'il est aisé de reconnoître à travers les alté-
rations que les traducteurs leur ont fait subir. C'est là le
moyen de critique dont j'ai fait usage , à défaut des ori-
ginaux , pour rectifier les traductions que je donnerai, à la
suite de ces Mémoires, dans le recueil des lettres adressées
aux princes chrétiens par les Mongols.
Il est un fait qui ne résulte pas bien clairement du récit
de Simon de Saint - Q.uentin , tel que nous l'a transmis
Vincent de Beauvais : c'est l'envoi d'ambassadeurs Tar-
tares , qui accompagnèrent , à leur retour en Europe ,
Ascelinetses compagnons. Batchou avoit d'abord désigné
des ambassadeurs pour aller avec les religieux : mais il
changea d'avis en apprenant la prochaine arrivée d'Ogo-
da, envoyé par le khakan. On fit pourtant ensuite prépa-
rer les ambassadeurs pour être les porteurs des lettres de
Batchou (i) , et, quelque temps après, les Tartares accor-
dèrent enfin aux religieux la permission de s'en aller avec
les leurs; Batchou lui-même, en terminant sa lettre, dit
qu'il la remet à deux messagers nommés Ay-bek et Sargis.
Mais, comme le récit du frère Simon est tronqué, et
qu'il n'y a aucun détail sur le retour de ses compagnons,
il faut recourir à d'autres sources pour y suppléer. Un his- Aiatth. l\im.
torien nous apprend que, dans l'été de 1248 , époque du '"'»■■"""•
retour d'Ascelin , deux envoyés des Tartares vinrent trou-
(1) Adaerrains furent lettres faites
pour porter à l'apostoile et message
ordi^ne pour aler avec les frères , et leur
dona ou congie de râler.
Tome VI. Hs
ii6 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
ver le pape, de la part de leur prince: il n'y a guère de
doute que ces envoyés ne fussent ceux que Balchou avoit
choisis pour porter sa réponse aux lettres du pape. La
lettre qu'ils présentèrent avoit été traduite trois fois , de
langages inconnus en d'autres plus connus, à mesure que
les ambassadeurs approchoient de nos contrées occiden-
tales. Le pape les reçut avec les marques de la plus haute
distinction ; il leur donna des robes d'écarlate ornées de
fourrures précieuses, et souvent il s'entretenoit avec eux
par interprètes : mais le sujet de leur venue demeura un
mystère , même pour les clercs , les notaires et les familiers
les plus intimes. On remarqua seulement que, dans les
fréquentes entrevues que le pontife avoit avec eux, il leur
faisoit en secret des présens considérables en or et en ar-
gent, et l'on imagina que la lettre dont ils étoient chargés
avoit pour objet une expédition contre Vatace, empereur
de Nicée, que le pape avoit en aversion, comme schisma-
lique et allié de l'empereur Frédéric (i). Mais on ne sera
guère satisfait d'une pareille conjecture, si l'on remarque
( I ) Eàdem xstate ( 124^) vriierunt
duo nuncii Tartarcrum , à principe
eoriiin ad domintim papam destinati.
Causa autem nuncii eorum adeo ciinc-
tos latuii in curia , ut nec cUricis ,
notariis, nec aliis licit familiaribus ,
claruit patffictum. Chdrta autem eo-
rum ijuitm pjpcc detuUrunt , ter (uii
de idiomate ignoioad notius translata,
prcut nuncii partitus occidentalihus
ttpprcpinquaverunt. Suspicabatur au-
tem à inullis, per quivdam argumtn-
lorum indicia, quôd in c/iarta con-
tineb.ttur proprsiium et ccnsilium
Tartarorum fuisse movere bellum in
proximo contra Uattacium generum
Frederici, Grcecum schismaticum , et
RomaniS curiœ inobedientem ; quod
domino pap.v non crcdciatur displi-
cuisse. Dédit eniin eis vestes pretio-
sissimas quas robas vulgariter appel-
lamus, de scaritto pra-electo , cum
penulis ri furiiriis de peUihus variis
citimcrum , it libenter confahulahatur
ac favorabiliter et crebri) per interpretn
cum eisdcm , et munera cnniulit in
aura et argento clanculo pretiosa.
(iMatth. Paris, pag. 1001.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 4^7
qu'à cette c'poque les Tartares n'avoicnt rien à ddmcier
avec le prince de Nicce , i'iin des plus éloignés et des moins
redoutables de tous ceux qu'ils pouvoient avoir à com-
battre en Asie , et que, s'ils avoient voulu l'attaquer, ils
n'auroient pas eu besoin de venir si loin chercher des
allies. Ce ne fut que plus tard que le secours des Planes
leur parut nécessaire ; et la manière dont ils venoient
tout récemment encore de traiter les envoyés d'Innocent,
prouvoit qu'ils n'avoient pas besoin de ce secours , ou
qu'ils ne croyoient pas le pape en état de le leur procu-
rer. Il me paroît bien plus naturel d'imaginer que ces
envoyés arrivés avec Ascelin, ou peu de temps après lui,
venoient, conformément aux ordres du khakan , sommer
le pape de se soumettre , et lui imposer un tribut. Le si-
lence absolu qu'on garda sur leur mission , leurs fré-
quentes entrevues avec Innocent , les présens qu'il leur
fit en secret, me semblent autant de circonstances qui
favorisent cette supposition ; et les lettres qu'ils appor-
tèrent , si on les retrouvoit , la changeroient peut-être
en démonstration.
Nous devons maintenant revenir sur nos pas, et rappe-
ler les principales circonstances de l'ambassade de Laurent
de Portugal, en abrégeant, comme nous l'avons fait pour
celle d'Ascelin , le récit qu'en a laissé l'un des ambassa-
deurs. Ceux-ci trouvèrent Batou sur les bords du Wolga,
et lui remirent les lettres du souverain pontife. Quand
elles eurent été traduites en esclavon , en tartare et en
arabe, et que le prince Mongol en eut pris connoissance ,
les envoyés eurent ordre de se rendre à la cour. Us par-
tirent du campement de Batou le jour de Pâques 1246,
HJij
428 MÉMOIRES DE L'ACADKMIE
et mirent quatre mois pour arriver à l'orde impériale,
nommt-e par les Mongols Sir.i OrJou , ou la lente jaune.
Ils assistèrent à l'inauguration de Gayouk , où se trou-
voient aussi quatre mille ambassadeurs, deux rois de
Géorgie, Jeroslaw , duc de Sousdal , et une foule dcmirs
de la Perse, de la Transoxane, de l'Irak , &c. Après les
cérémonies auxquelles cet événement donna lieu , les en-
voyés du pape lurent admis avec les autres à l'audience
de Gayouk. On les ût venir deux autres fois en présence
du grand khan, et, au mois de novembre i 247 , on leur
remit, pour le pape, des lettres dont on eut soin de leur
dicter le contenu par la bouche des interprètes. Ils les
rapportèrent en trois langues, en tartare, en latin, et en
langue Sarrasine, c'est-à-dire en arabe ou en persan.
Plan-carpin n'a point inséré les lettres de Gayouk dans
la relation de son voyage ; mais, par la manière dont il
parle de ce prince , on a lieu de croire que sa réponse ne
lut pas conlorme aux vues d'Innocent. Suivant Aboul-
Chron. B.ir taradje , Gayouk , à son avènement, s'étoit répandu en
Heh. par. esc. . , i t^ • • » i r
' " Violentes menaces contre les Géorgiens , contre les rrancs
Epiit.const.ih. et contre le khalife. Selon d'autres, les envoyés du pape
AnntH. ajrrsrm . , ,
Cypri. in à A- demandèrent au klian pourquoi ses armées ravageoient
\-!urum^'',llLluot 'e monde , et il kur répondit que Dieu avoit ordonné A
'cripi.iom.lll. j^j j ^ g g aïeux de punir les nations criminelles; et,
p.ig. 6^4- '
Vinc. BMw. comme ils ajoutèrent que le pontife desiroit savoir si le
lii.XXXll.oip. , , , , . , , . ., , i. TA- I
xcii. khakan etoit chrétien, il leur dit que Uieu le savoit, et
Dri?J!'r?^rJf qi'e, si le pape vouloit le savoir, il n'avoit qu'à venir
S.Lfui,. iiuip. l'apprendre (1). On avoit, en effet, annoncé aux reli-
(1) Super hoc qucd itiandavit utTÙm j scicl'tir,rtsi,(i.utiinus papavellel scire,
et set christiatius, respondit quod Deus \ veniret, et vidtret et sciret.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 4^9
gieux que Gayouk avoit embrassé le christianisme ; le
bruit de cette conversion s'étoit répandu , et Aboulfaradje Chion.y. /j;,
la donne comme un lait positif. Tous nos auteurs s'ac-
cordent à dire que la célèbre Tourakina, mère de Gayouk,
qui étoit née chez les Kéraïtes , professoit la religion chré-
tienne. Les ambassadeurs du pape étoient arrivés avec CuHi.de.Wtng.
l'idée que le khakan protégeoit les chrétiens : mais ils ne 2j/. "' '
tardèrent pas , dit Plan-carpin , à s'apercevoir que cet em- ... Camipratais.
pereur, avec tous ses vassaux, avoit levé son- étendard n.° i4-
contre 1 église Romaine et contre tous les rois et princes Hh.xxxu.cap.
chrétiens. Son dessein étoit , en effet , de porter ses armes ^'i^, odonis
dans l'Occident, et la mort seule l'empêcha de le mettre à '^d '"""fntium,
' m a Acliery jpi-
exécution. On eût vu alors que l'attachement prétendu de cilfg.uHsNi-yù.
Gayouk au christianisme n'auroit exercé aucune influence
sur sa politique. Au reste, les successeurs de Tchinggis
n'avoient point encore de système religieux bien arrêté.
Ils n'en eurent point jusqu'au temps de Khoubilaï , qui
adopta le bouddhisme , et le fit embrasser à ses sujets.
Il n'y avoit donc pas lieu d'être surpris si les chrétiens
étoient bien venus près de Gayouk. Ce prince, comme
depuis Mangou son successeur faisoit sans doute le
même accueil aux musulmans et aux lamas. C'est là un
elTet ordinaire de l'indifférence absolue qu'on a, dans ces
contrées, pour les dogmes de toute espèce. On voit encore
tous les jours les empereurs Mandchous faire, comme pa-
triarches de la secte des lettrés, les cérémonies civiles au
ciel , à la terre et à Confucius, adresser des prières aux
esprits qu'honorent les Tao-sse, et adorer Bouddha in-
carné dans la personne des lamas supérieurs, sans trouver
aucune opposition dans ces trois cultes contradictoires.
■ijo MEMOIRES DE I.ACADKMIK
I.e mauvais succès de ces premîcres ncgociations
n'empi'cha point les musulmans d'en concevoir beau-
coup d'ombrage. Il étoit d'un iiaut intérêt pour eux de
prévenir une alliance qui eût pu leur devenir fatale , si
les ennemis qu'ils avoient à l'Orient avoient combiné
leurs efforts avec ceux qui les attaquoient en Occident :
aussi commencèrent- ils de bonne heure à entraver la
marche des ambassadeurs , sans trop chercher à cacher
leurs motifs à ceux qui les envovoient (i). Le pape avoit
adressé à dilfcrens princes mahométans des frères pr<^-
o.<.R.:'n .tan. cheurs pour les engager à embrasser le christianisme.
Ceux de ces missionnaires qui avoient ete a la cour de
Malek.-el-Mansour-Ibrahiin , prince d'Emesse, deman-
dèrent à passer de là chez les Tartares. Le prince s'y
opposa pour plusieurs raisons, dont la jirincipale, dit-il ,
étoit la certitude que ces religieux ne vouloient aller
trouver les Mongols que pour les animer contre les mu-
/./. Lx\'. In sulmans. Il ajoute un fait dont il est permis de douter ;
"^'c^r/r'''^' ^'^^^ ^V^^ ' ^^^ envoyés Tartares étant venus, cette année
même {12^6), à la cour du grand sultan, c'est-à-dire,
de Saieh l'Ayoubite, sultan d'Lgypte, pv)ur se soumettre
à lui, et lui demander la paix, ce grand prince ne les
avoit pas laissé approcher de sa porte, et ne leur avoit
pas même accordé la grâce qu'ils demandoient, de pou-
voir baiser la poussière de ses pieds. A travers cette jac-
tance, on aperçoit trop à découvert l'intention d'Ibrahim,
;/ trt-//.
(1) Le gouverneur d'Arsanga , qui
étoit musulman , disoit , selon Ru-
b-uquis, avoir exprès coiiiiiutndement
df ne donner aucuns vivres ni provi-
sions à ceux qui venaient des parties
de France, ny aux ambassadeurs du
rpy S Arménie et de Vastac. (Ru-
bruq. ch. XLIX.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 431
qui ne représente les Tartares comme un ennemi mépri-
sable que pour dégoûter les Francs de leur alliance : mais
ceux-ci étoient trop bien instruits de l'état des choses
pour se laisser tromper par un artifice aussi grossier.
Vers cette époque, il s'étoit passé en Géorgie des évé*
neinens qui nous font connoître toute l'étendue de l'in-
fluence politique des Mongols en Occident, et que nous
devons d'autant moins passer sous silence, que nous y
trouverons les moyens d'expliquer et même de lectifier
certaines parties du récit de Plan-carpin. Nous avons vu
que la reine Roussoudan , réfugiée dans une des forte-
resses de son royaume , s'obstinoit à n'en point sortir, et
refusoit absolument de se livrer aux mains des Mongols.
Vainement Batchou renouvela ses instances pour l'en-
gager à venir le trouver , et lui envoya même des présens
pour la disposer à l'obéissance. Dans le même temps ,
Batou , dont les conquêtes touchoient au nord de la
Géorgie , comme celles de Batchou la bornoient au midi ,
lui fit, de son côté, faire des offres avantageuses. Rous-
soudan , s'imaginant que le bruit de sa beauté étoit le
véritable motif de l'empressement que lui témoignoient
les généraux Tartares , persista dans ses refus , et ne
voulut aller trouver ni Batchou ni Batou ; mais elle leur
envoya des ambassadeurs, et consentit même, par l'en-
tremise d'Avag, à remettre à Batou son fils David comme
otarie.
Batchou et les autres généraux de l'armée du midi,
irrités de cette conduite, voulurent se venger de Roussou-
dan en élisant un autre roi de Géorgie. Ils jetèrent les
yeux sur un prince aussi nommé David , jicveu de la
f XI'
432 MKMOIRES DE LACADlr.MIE
reine, fils naturel Je George Lascha, et Icgilime Iicritier
de la couronne. Roussoudan avoit éloigne ce David , et
lavoit nume livre au sultan d'Icoiiium , cjui le retenoit
prisonnier à Césarce. Batchou chargea Vahrani , prince
de Scliamkor, d'aller en Asie mineure chcrciur le jeune
prince; et, quand celui-ci lut arrivé, le général Mongol
l'envoya au khakan , en ayant soin Je laire valoir ses
droits. Batou, l'ayant appris, fit partir pour Kara-koroum
l'autre David , fils de Roussoudan , et écrivit à l'em-
pereur pour que son protégé hit préfiJré à David his de
George. Ces deux princes étoient en Tartarie au moment
du couronnement de Gayouk, et Plan-carpin dit les y
avoir vus. Mais ce voyageur se trompe en les faisant
rLm-u,rpiH. tous deux fils du roi de Géorgie , l'un légitime et l'autre
U f vit l'àtard. Aboulfaradje paroît avoir commis la même erreur,
quoiqu'il s'énonce moins positivement (1). Il est certain que
les deux princes David étoient cousins, et non pas (réres :
mais cette méprise n'a rien d'étonnant , à de si grandes
distances, et de la part de gens qui n'entendoient pas la
langue des peuples au milieu desquels ils se trouvoient.
David fils de George |L-tant arrive le premier avec les
recommandations de Batchou , le khakan le nomma roi
de Géorgie. Quand ensuite le fils de Roussoudan fit
valoir près de l'emiiereur l'appui de Batou, Gayouk lui
accorda aussi le titre de roi , mais en réglant qu'il demeu-
reroit subordonné au premier, et qu'il régneroit dans la
fi)rteresse d'Ousaneth. David fils de George fiu conduit
à Medzkhila, sacré dans cette ville sacerdotale par les
(1) Ex Iteria David major cum Davidt minori (Bar.-Hebr. Chron.
pag. 045.)
loint
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 43 3
soins Je Valirain , et prit, par reconnoissance , le titre
de Vd/im/noit/. La plupart des princes Arméniens et Géor-
giens s'attachèrent à lui. Dans le même temps , Roiissou-
dan , toujours en butte aux persécutions des Tartares , mit
fin à leurs importunités en s'empoisonnant. Avant de
mourir , elle laissa au prince Avag la tutèle de son fils
David. Telles sont les circonstances qui placèrent , pour
un demi-siècle , la Géorwie sous la domination de deux
rois, au grand détriment des peuples, qui furent accablés
de vexations et de tributs. Deguignes , qui a dit un mot Hist. des Huns,
I > • I I' '■"'"■ ''/'• 4}7-
de ce partage, n en a point connu les causes, et Ion ne
trouve non plus rien de bien satisfiiisant à ce sujet dans
les chroniques Géorgiennes extraites par Giildenstaedt et Ràsen.' dunh
»* i-i I • I II I !• I • j • T- ' Riissland.iom.I,
M. Klaproth , ni dans celles de l archimandrite Luge- jmg.^j^.
nius(i). On vient de voir qu'on doit en rapporter l'origine rf^^'J J" f"^i
aux intrigues et à la mésintelligence des généraux des ""ch Ccorgim,
deux principaux corps d armée 1 artares qui pesoient en
ce moment sur l'Occident.
Deguignes nomme encore, parmi les princes chré- Hia.dLiHum,
tiens qui assistèrent au couronnement de Gayouk, le
connétable d'Arménie, et, en cela, ii a suivi Aboulfa- Chm./' j-24.
radje, mais en le réfi^rmant : car cet auteur nomme ,
parmi ceux qui fiwent présens à cette cérémonie , Hay-
ton , roi de Cilicie ; et il est certain que ce prince ne
se rendit en Tartarie que sous le règne de Mangou ,
et après le retour de son fi-ère le connétable, qui lut
(i) An Jer Theilung a ter war die
Zarin ielbst scintld ; denn gan^ Gru-
s'ien theiltesie in ^H-ey Fiirstentlniiner.
Das fine er/iiell David Soslan i/ir
Neffe , und das andere ihr Sohn Da»
vid Narin. (Géorgien, oder histo-
risches Gem.ïlde von Grusien, von
Fr. Schmidt; Riga, iSo^; pag. 2^. )
Tome VI. 1>
4j4 MKMOIULS DE L'ACADÉMIE
11.1)1. HtMT. quatre ans entiers clans son voyage. L'auteur de \His-
Or. c. XXIII. III • \ I ' ^ -111
toire lies Huns aurojt plus complctcment encore rL-tahli la
veritc historique , s'il eût fait attention à la lettre écrite
au roi «Je Chypre par le connétable lui-même, de Saure-
quant [Samarkand ], ville située, dit-il , à une égale dis-
tance du lieu d'où il est parti , et de celui oii il doit
aller trouver le grand khan (i). Si donc cette lettre,
comme il n'est pas possible d'en douter, a été écrite
par le connétable quand il se rendoit près de Gayouk ,
comme il y parle de la réception laite par le khan aux
ambassadeurs du pape, il est certain qu'il ne s'étoit pas
rencontré avec ces derniers. Le silence de Plan-carpin
confirmeroit, s'il en étoit besoin , cette observation, qui
s'accorde d'ailleurs très-bien avec les motifs connus du
voyage de Sempad.
A la mort d'Ogodaï , on avoit envoyé de Tartarie ,
pour percevoir les tributs de l'Armcnie et de la Géorgie,
un homme fort dur, nommé Ar^oiai , qui avoit pour ad-
joint Kara-bouga. Celui-ci persécuta cruellement les
princes chrétiens, fît mettre en prison Dchalal , prince
de Khatchen , ci dévasta la plus grande partie de ses
possessions , parce que Dchalal ne pouvoit payer les
sommes énormes qu'on exigeoit de lui. Kara-bouga vou-
loit traiter de même Avag : mais celui-ci, d'après le
conseil mcme des autres généraux Tartares , eut toujours
soin de s'environner d'un corps considérable de troupes ;
ce qui fit qu'on n'osa pas l'attaquer. Néanmoins ces
(i) ...Cenjuxit me Jrsut-C/iristiis
ad qua<i\datn villam qii.r voctiiur
Siureirai et tnodà diciiur nebii
qiiod sumus ad tnejhim arrryli itinerit
umr Chiin , hoc tst innjorii domini
Taitaroruin.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4;5
vexations exercées sur les princes Arméniens, et la sou-
mission presque entière des états des Scidjoiicides , déter-
minèrent Hayton à envoyer son frère Sempad , connétable
d'Arménie, à la cour du khakan. Sempad partit peu de
temps après qu'on eut appris la nouvelle de l'inauguration
de Gayouk. II étoit charge de demander à ce prince la
restitution de quelques villes qui avoient été enlevées aux
Arnj^'niens par le sultan d'Iconium. Après avoir obtenu
un ordre de Gayouk, Sempad revint près de Batchou
pour le faire mettre à exécution. Le général Mongol le
reçut avec honneur, et s'empressa de le satisfaire.
Nous arrivons au temps où les relations des Francs
avec les Mongols devinrent plus fréquentes, et où ceux-
ci commencèrent à entrer dans les vues des premiers.
L'expédition de S. Louis en Egypte est l'époque et la
cause de cette révolution dans les idées des Tartares.
Dès le commencement de l'an i 247 . au moment où le
roi de France tenoit une assemblée des grands du royaume
et se préparoit à son départ , il étoit arrivé un ordre du
roi des Tartares, qui lui enjoignoit de se feconnoître son
sujet. Dans sa lettre, leTartare disoit insolemment que lui
et les siens étoient ceux dont il est écrit, que le Seigneur
a livre' hi terre à leur domination. S. Louis ne fit pas grande
attention à cette affaire , et en abandonna les suites à la
disposition divine (i). Je n'ai qu'un seul historien pour
(1) Eodunanno fi247)j chxaqiia-
dragesunam, doimnus rex Francontm,
pariiamento magiw . . . acceperat quo-
qiie , ut dicebiitiir , mandannn régis
Tartarorum, ut ei foret subjictus ,
qui ore ternerario atque profana se in
epistola sua asserit immortalem , et se
suosque affirmât esse eos de quibus
scriptvm est , quôd terram dédit Do-
niinus filiis hominum; quod taineii
13 ij
BiH. Or. ,w
mat E<ljni.
436 MF. MOIRES DE L" ACADÉMIE
garaiil Je te faii, qui , d'après les idées des Tartares , n'a
rien d'iiivraisemhlable. Si on le troiivoit conlinné par quel-
que auire écrivain contemporain , on pourroit attribuer ce
message plein d'arrogance au général Batchou-nouyan , et
il ne faudroit pas s'embarrasser di\ um si dificrent que nous
remarquerons bientôt dans les lettres qui vinrent l'année
suivante à S. Louis, de la part d'ilchi-khata'i, quand même
on les attribueroit effectivement à ce général , qui , cette
aiyiée même , rempla(,a Batchou dans le commandement
des armées du midi.
Suivant dHerbelot , les musulmans regardent l'année
613 de l'hégire comme leur ayant été fatale, à cause de
la prise de Damiette par les Francs, et de l'invasion de
la Perse par les armées de Tchinggis-khan. C'en étoit
lait de l'islamisme , disent-ils , si ces deux puissances
ennemies eussent combiné leurs efforts. L'état de l'Asie,
en 124H. <?iit été peut-être encore plus favorable aux
chrétiens. La guerre cruelle que les Tartares faisoient
depuis plusieurs années aux sultans d'Iconium, avoit telle-
ment atfoibli ceux-ci, qu'on croyoitque, si le roi de
France les eût attaqués directement , au lieu de s'exposer
aux dangers que lui présentoit l'Egypte, le pays des
Turks lui auroit offert une conquête facile (i). C'est l'opi-
nion d'un contemporain. Mais, s'il est permis, après six
dom'inus rtx Francorum dispositirni
divin j' ulinijuens , ifc. ( Matih Paris,
pag. 963.)
( I ) Turci vero , poslquam h Tar-
tans fiirrunt -jiutati eis./ue sulyecti ,
adfo tllorum jupo deprtssi suni ac dt-
bilituli, ui, liai adhuc citent m nu-
méro multi , tainen quasi nuHi fuerunt
in vigore ; iiiiJe ,i iniiltis cnditiir qu'od,
si rex Franàat Ludovicus, mare trans-
iens , recto tramitt venisset in Tur-
quiam , lihcri et absque ulla conira-
diclione rfddidissent ri terrain : natn
et y£f^pii terra, quam primo aggressus
DES INSCRIPTIONS ET BELLES - LETTRES. 437
siècles, de hasarder une conjecture en pareille matière,
je doute que les affaires des chrétiens en eussent tiré
de solides avantages. Sans doute on peut croire que
les Tartares auroient d'abord aidé S. Louis dans cette
conquête : mais son succès même eût rapproché deux
peuples belliqueux, que, suivant la remarque d'Hay-
ton (1), une nation intermédiaire à combattre pouvoit
seule rendre amis. Au lieu des relations amicales que
leur éloignement fit naître entre les Francs et les Mon-
gols , une prompte guerre eût infailliblement éclaté,
dans un moment où ceux-ci , disposant des forces du
monde entier , ne pouvoient encore éprouver nulle part
une véritable résistance; et elle eût probablement attiré
lei*rs armes en Europe. Les états des musulmans sem-
blèrent donc comme une barrière opposée aux Tartares
pour briser leurs premiers efforts; et peut-être est-il heu-
reux qu'on n'ait pas réussi à lever, comme on le desi-
roit , un obstacle dont on ne pouvoit alors apprécier
l'utilité.
Il n'y avoit pas long-temps que S. Louis étoit arrivé
dans l'île de Chypre , quand il y vint des ambassadeurs
qui se disoient envoyés par Ilchi-khataï , commandant
Mongol de la Perse et de l'Arménie. Nous savons, par Ha^t. iihtor
Aboulfar£^dje , que ce général fut chargé par Gayouk
du gouvernement de la Turquie , de la Géorgie, de
l'Irak, de la Syrie et de la Cilicie (2) : mais presque
Or. c. II.
est , est muliîim per'iculosa, ( Guill. de
Nang. in collect. Andr. Duchesne,
toni. V, pag. 340.)
(1) Ititer Christlanos et Tartares
concors amic'tt'ut per utrortnnqiic d':s-
tantiam servarctur. (Hist. Or. c. LX.)
(2) Rmnœam, Iberiam, Assy-
riam , Syriam et Ciliciam coiiunisit
duci ciiidarn riomine Ilcliichatai.
( Chron. pag. 535.)
n-. Jt rnura/iiui.
Hit ri . ffistcr.
Or. f II
Ht II. ./<•/ Huns,
um. III, p. 126.
4j8 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
tous nos histnriciis se sont nicpris sur son titre, et liir
joniilU: Emies. ont donne celui de roi des Tartares. La chronique de
Sainl-Dcnis le nomme roi des Tarses, par wn^ corrup-
tion c|ui peut venir tiu nom de Tarsa , qui désigne le
pays des Ouïgours , mais à laquelle il ne laut peut être
pas chercher d'autre cause que l'h.ibitude qu'on avoit ,
dans ce temps , d'altérer et de défigurer tous les noms
étrangers.
Quant aux ambassadeurs , Deguignes s'est fortement
prononcé contre eux. Il les traite d'imposteurs qui ap-
portèrent à S. Louis des lettres supposées. Moslicini
en juge plus favorablement : il pense que ces ambassa-
deurs racontèrent beaucoup de choses fabuleuses par
rapport au grand khan ; mais il croit cjuils étoient en-
voyés par Ilchi-khataï (i). Il est évident, sans qu'il en
convienne, que Deguignes se fonde uniquement sur la
lettre de Mangou-khan à S. Louis, où ce prince désa-
voue la mission dont il s'agit ; témoignage imposant ,
mais susceptible, comme nous le verrons bientôt, d'une
interprétation moins désavantageuse à lambassade. Pour
Alobheim , il suii, en celte occasion, le système cjui l'a
diri>ré dans tout son ouvrage , et qui consiste à accueillir
avec empressement , et quelquefois même avec légèreté ,
tout ce qui semble indiquer chez les Tartares la moindre
inclination au christianisme. Ce qu'il ajoute ici, que
les personnes envoyées par S. Louis en Tarlarie confir-
mèrent la vérité de la mission des Tartares, est avancé
(1) AJulta eum Je mutine cliano
fuisse eineiilitiiiit faciU cri'ilimiis ; sed
legatum duc'is Lrchaliay rêvera fuisse,
ivsi ijiios Luilcviciis in Tartariam
misit , legati rettilêre. { Hist. 1 arlar.
cccicsiatt. pag. 52.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 439
sans preuve , et peu conforme à ce que nous appre-
nons par leur récit mcnie. Nous ne pouvons donc nous
en rapporter ici, ni à Deguignes , ni à Mosheim ; mais
nous devons examiner les témoignages des contemporains,
pour savoir à quoi nous en tenir sur l'ambassade dont
il s'agit.
Joinviile n'entre pas danj^ de grands détails sur les en-
voyés Tartares ; mais il n'élève aucun doute sur leur
mission. Il dit que ces ambassadeurs vinrent de la part
du grand roi des Tartares, pour annoncer au roi de
France que leur maître étoit prêt à l'aider dans la con-
quête de la Terre- sainte et de Jérusalem, S. Louis,
dit-il, reçut les ambassadeurs avec beaucoup de bonté,
et fit partir les siens avec eux (1).
Un autre témoin oculaire, Odon ou Eudes, évéque Epia, o.ion.
ii-n I 1/ i. /-ii/i » '^'l- l'inocctii.
de 1 usculum et légat apostolique , fixe le débarquement
des ambassadeurs au icj décembre 1248. Suivant lui,
ils arrivèrent à Nicosie le samedi avant Noël , et le len-
demain ils présentèrent au roi des lettres écrites en
langue Persane et en caractères Arabes. Le roi se les
fit interpréter, et le légat en rapporte le contenu d'après
la traduction qui en fijt fixité en cette occasion.
Vincent de Beauvais et Guillaume de Nangis racontent Spec hhwr.
, ^ I A I • • . lih. XXXII, ùip.
a peu près ra même chose , mais en ajoutant une parti- xc.
cularité digne de remarque: c'est que le principal ambassa- ^ **/ "'/"'''
deur, qui se nommoit David, fiit reconnu par le fi-ère
(i) En ce point que le roi se-
fournoit en Cypre,envoia le grand
roi des Tartarins ses messagers a li,
et li manda que il estoit prest de
IL aidiera conq^uerre la Terre sainte,
et de délivrer Iherusalem de la main
aus Sarrazins. Le roy reçut moult
debonnairement ses messagers, et li
rinvoia les siens. . . .&c. [Hist. de
S. Louis, éd. du Louvre, pag. zg.).
4io AU.MOIRF.S DL LACAOi.MIE
Aiulrc Je Loiijiiniel , qui l'nvoit vu die/ les Tartarcs,
ChrcM.ms.H: quand il accompagna Ascelin, Une iroisicme chronique
iT.'r.,'." r ;'.■ <-i'i ^'<-' P'^'S tjue ce David etoit graiit sires entre les l\ir-
"' tiiires ; et une quatricme , confornir , dans la plus grande
partie de ce récit, à ^'incent de Beauvais , que ce fut
le frère André lui-mcme qui traduisit d'arabe en latin
les lettres que S. Louis fit oasser en France à la reine
Blanche sa mère (i).
Outre la lettre du roi des Tartares , qui se retrouve avec
de légères ditlcrences dans la chronique de Saint -Denis
et dans d'autres chroniques imprimées ou manuscrites ,
i'évcque Odon nous a conservé , sur i'entielien que
S. Louis eut avec les envoyés, des détails curieux, et
qui peuvent contribuer à fixer notre opinion. Le roi de-
manda d'abord comment leur maître avoit eu connois-
sance de son arrivée. Us répondirent que le sultan de
Moussoul avoit fait passera llchi-khataï des lettres qu'il
avoit reçues du sultan de Babylone, c'est-à-dire, du roi
d'Egypte, par lesquelles ce prince annonçoit l'arrivée du
roi des Francs, en ajoutant faussement que lui, sultan
d'Egypte, avoit pris nu lui de France soixante vaisseaux,
qu'il avoit emmenés dans son royaume. Mais Ilchi-khata'i,
apprenant le prochain débarquement des Francs , avoit
envoyé des ambassadeurs à leur prince, pour lui annon-
cer que l'intention des Tartares étoit d'attaquer, l'été sui-
vant , le khalife de Bagdad , et pour le prier d'agir dans
(i) Le roy Loys quant il ot receu
Ici lettres qui cstoicnt en arabic es-
criptes, si Ici fit nuiirc en latin par
frerc Andrieu , et les envoya en
France, scelêes de son contrescri, k
la roy ne Blanche sa merc. (Chroii.
imn. n.» 9648 , fol. 20 verso. J
l«
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 44 1
le même temps contre les Égyptiens, afin de les empc-
cher de fournir des secours au khalife. La lettre dont
S. Louis avoit vu la traduction, présentoit le grand khan
comme zélé converti , disposé à tout faire en faveur des
chrétiens. Le roi s'informa des circonstances qui l'avoient
déterminé à embrasser la foi : les envoyés répondirent
que Gayouk étoit fils d'une mère chrétienne, et que c'é-
toit d'après ses exhortations , et celles d'un saint évêque
nommé Malassiûs , qu'il avoit reçu le baptême le jour
de l'Epiphanie, avec dix-huit fils de rois et beaucoup
d'autres seigneurs de sa cour. Ils convinrent pourtant
que, parmi les Tartares , il y en avoit encore beaucoup
qui n'étoient point baptisés : mais ils assurèrent qu'Ilchi-
khataï l'étoit depuis plusieurs années, ajoutant qu'il avoit
beaucoup de pouvoir, quoiqu'il ne ïixt pas du sang royal.
S. Louis leur ayant demandé les motifs des mauvais trai-
temens que Batchou avoit fait souffrir aux ambassadeurs
du saint-siége , ils lui dirent que Batchou n'étoit point
chrétien, mais païen, et entouré de conseillers musul-
mans ; mais que sa puissance étoit beaucoup réduite ,
parce qu'il venoit d'être mis sous la dépendance d'ilchi-
khata'i. Telle est la substance des réponses que firent
les ambassadeurs : elles présentent un tissu singulier de
faussetés insignes et de particularités dignes de confiance
et dont il est bien difficile que des imposteurs aient eu
connoissance.
Maintenant il se présente plusieurs questions. L'am-
bassade d'IIchi-khataï n'étoit-elle , comme l'avance De-
guignes , qu'une entreprise hardie de quelques aventu-
riers î ou venoit-elle réellement trouver le roi de France
Tome VI. K»
442 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
(Je la part di\ commandant Mongol de l'Armcnie î Dans
cette dernière supposition, la lettre dont elle ctoit char-
gce , peut-elle ctre regardée comme une pièce authen-
tique? Doit-on enfin ajouter quelque foi à cette conver-
sion du grand khan , des rois ses tributaires , d'ilchi-
khataï lui-niL^me ! ou tout cela ne fut-il, de la part des
ambassadeurs , qu'un amas de fables et d'exagérations,
dans id vue d'obtenir d'un prince chrétien un accueil
plus favorable! Voilà les principaux points sur lesquels
nous avons à prononcer.
Ceux qui veulent ne voir dans cette ambassade que la
fraude de quelques imposteurs , peuvent alléguer la lettre
même qu'elle avoit apportée. Le style , en effet, en est
bien différent de l'orgueilleux laconisme qu'affectoient les
Tartares. On y trouve des formules remplies de respect
et d'humilité, et telles que le plus puissant roi de la terre
ne les eût pas obtenues à cette époque du plus petit
commandant Tartare. On peut encore objecter qu'elle ne
contient presque rien de ce qui pouvoit intéresser les
Mongols, tandis qu'elle insiste sur des objets dont à peine
ils pouvoient avoir connoissance , tels que la distinction
des sectes chrétiennes , des Latins, des Grecs, des Armé-
niens, des Nestoriens et des Jacobites. L'invitation qu'on
y fait au roi des Francs, de ne mettre aucune difîérence
entre les catholicjues Romains et les hérétiques ou schis-
maticjues Orientaux, a bien plutôt l'air de venir de ces
schisftiatlques' eux-mêmes, que d'un général qui , en le
supposant même converti , ne pouvoit ctre au fait des dis-
sensions qui déchiroient l'Kglise.ou n'ydevoitpas prendre
un grand intérêt.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 44?
Tout en défendant l'ambassade elle-même , et en
soutenant qu'elle ctoit effectivement envoyée par un
général Mongol , il est difficile de ne pas abandonner
la lettre, qui porte, au moins dans la traduction que
nous en avons , un caractère bien prononcé de fausseté
et de supposition : a peine y trouve-t-on quelques ex-
pressions Tartares et une imitation éloignée du style
usité dans ces circonstances. Il faut néanmoins conve-
nir de l'exactitude de quelques-uns des faits qui y sont
rappelés, comme de ceux qui sont relatifs aux exemp-
tions accordées aux chrétiens par les Mongols. D'un
autre côté, le motif de l'ambassade, exprimé de vive
voix à S. Louis , n'offre aucune invraisemblance , et.
il s'accorde parfaitement bien avec le système politique
que dévoient naturellement suivre les Mongols par
rapport aux Francs et aux musulmans ; système que
nous verrons bien manifestement embrassé par eux un
peu plus tard. La diversion qu'ils desiroient de la, part
du roi des Francs, entroit dans leurs vues et dans leurs
intérêts. Q.uant au christianisme prétendu des princes
Tartares , ce pouvoit être une fable imaginée par les
envoyés pour se faire valoir ; et il ne paroît pas que
S. Louis et son conseil en aient été pleinement dupes,
puisque de roi mit, parmi les présens qu'il adressa au
khan , une chapelle où étoient représentés les princi-
paux mystères du christianisme, /?OHr veoir, dit Joinville ,
se il les pourroit attraire à nostre créance , et puisque les
frères prêcheurs qui furent envoyés à la cour des princes
Mongols, avoient mission pour eid.x vionstrer et enseigner
comment ils dévoient croire. Enfin le chef de cette ambassade
Kj ij
444 MEMomr.s de l'académie
ctoit lin iioiiime connu , qii'Aiulrc Je Lonjiimel avoit vu
chez, le gcncral Tartare. Il n'est guère probable que cet
hoiiiiiie, qui occupoit un certain rang, eût eu i'ellronterie
de venir , sans aucune mission , en imposer aux princes
des Francs, et risquer, si sa fraude ctoit Jccouverte, de
ne plus trouver d'asile, ni chez les Francs, après les avoir
insultes, ni chez les Mongols, après avoir abusé de leur
nom.
Ces contradictions apparentes peuvent se concilier
par une supposition très -simple : on peut croire que
David et ses compagnons ctoient en efîet envoyés par
Ilchi-khataï , pour concerter avec les Francs des mesures
contre les musulmans; mais on ne leur avoit remis au-
cune pièce écrite , ou bien on s'étoit contenté de leur
donner un de ces ordres fastueux que les lieutenans du
grand khan dévoient faire passer à tous les princes avec
qui ils étoient en relation. Une pareille pièce ne pro-
mettoit pas un grand succès à leur négociation : les
envoyés en forgèrent une autre , où ils glissèrent toutes
les assurances qui convoient séduire les chrétiens et les
prévenir en laveur des Tartares. Nous verrons bien-
tôt le khakan lui-même autoriser formellement une
infidélité de ce genre. Les envoyés n'osèrent pourtant
pas mettre en écrit la conversion du grand khan , qu'ils
se contentèrent de raconter de vive voix. Si les choses
s'étoient passées de celte manière, nous ne verrions là
qu'un premier exemple de la marche suivie depuis dans
toutes les négociations avec les princes Mongols. Les
lettres dont les ambassadeurs ctoient chargés ne leur pa-
roissant i>ab propres à leur assurer la bienveillance de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES - LETTRES. 44^
ceux à qui iis étoient adresses, ils les falsifioient, les éten-
(Joient, les interprctoient à leur guise. De ià vient que
les traductions de ces lettres ne sont jamais en rapport
avec les originaux , et qu'elles ne contiennent souvent
que la substance de ceux-ci, amplifiée, embellie, ornée
de tout ce qui paroissoit capable de plaire aux princes
Européens. M. de Sacy a déjà fait remarquer cette espèce
d'inexactitude volontaire dans la traduction des lettres de
Tamerlan à Charles VI. Nous trouverons sa remarque
applicable à celles des pièces émanées de la cour Mon-
gole dont on nous a conservé les originaux. Tmiaé des
Quoi qu'il en soit, S. Louis voulut répondre à la cour- '^"'"'"^•'"-^°-
^ P"?- 77-
toisie réelle ou prétendue du prince Tartare. Ce fut l'objet Hht. Tarmr.
de l'ambassade de frère André. Bergeron et Mosheim n'en ^'^'r?.'""' ^iJ''
ont dit qu'un mot en passant, et Deguignes a tout-à-fait tom. lll,p.,zo.
négligé d'en parler, plaçant le voyage de Pxubruquis im- i. xx'xn ! aqi.
inédiatement à la suite de l'affaire des envoyés d'ilchi- '^"^■
T I •• TVT r . . ^ ^Bern. GuiJ.
kUatai. INous reparerons cette omission en réunissant les vu. înmcmiii.
détails relatifs à la mission de frère André , tels qu'on '"^flu,
les trouve épars dans différens ouvrages. Ce religieux fut ■"""""^- r""- }•■
établi chef de l'ambassade'", et on lui adjoignit Jean Am<iir. Auger.
de Carcassonne, français de nation"; Odon en nomme r^g. 400.
un troisième, Guillaume'^. Joinville ne fait mention '^/'"'■"^^«-
r V I A nocent'wm , in
que de deux frères prêcheurs"^: Thomas de Cantimpré d'Ackrj Spidi.
parle de deux frères prêcheurs et de deux mineurs ^ et s^iJuhtr.^.
Vincent de Beauvais*^, de trois frères prêcheurs, de deux 'Bomm um-
clercs séculiers et de deux officiers du roi. J. Columna "nui, Tuv.
s'accorde avec ce dernier, et ajoute qu'il a connu, dans "i'^f^.;^^-^
une extrême vieillesse, l'un de ces clercs, nommé Robert, ^-W- hhtor.
■ r ■ 1 , rr^ . ... ai: XXXII.Cdv.
qui avoit tait le voyage de Tartane, et qui etoit sous- xcn^.
ni: suprj.
^C MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
chantre cli^ l'Jglise de Chartres (i). Les prcsens que
S. Louis envoyoit aux Tartares, se composoient , outre
la chapelle J'ccarlate qu'on lui avoit dit devoir être très-
agrcable au khakan , de tous les ornemens nécessaires
au culte divin, d'un morceau de bois de la vraie croix
pour le grand khan, et d'un autre pour lichi-kliataï.
Le roi y joignit des lettres qui avoient pour objet, sui-
\ant les uns (2), d'inviter le khan, jusque-là païen, à
suivre l'exemple de sa mère et de son'aïeid , et à em-
brasser la foi. Suivant d'autres , elles supposoient sa
conversion ilcjà opérée , et l'exhortoient , ainsi qu'Ilchi-
khata'ï , à persévérer dans leur amour pour celui qui,
par sa grâce, les avoit appelés à la connoissance de son
nom (3). Aux lettres du roi , le légat joignit les siennes :
il ccrivii au kliakan , à sa belle-mère , à Ikhi-khataï, et
aux évcques qui se trouvoient près d'eux, leur annon-
çant que la sainte église Romaine les recevroit volontiers
comme des fils bien-aimés, et apprendroit avec joie leur
( I ) AJjiinct'i fueriitit duo cUrici
SiVcuLires , quorum unvm adituc viveii-
lem (go vHi , il'tùte valdc jam decre-
j'ituin, qui erat suhcanicr in eccUiia
Canwtensi, Hoberius noinine. (Mare
historiarum , man. lat. n." 49' 5 > 'o'-
max. /. 412.)
( 2 ) A udi fit ( Lud^^vicus ) qu'vd rex
TartJrorum matrem christidnam hii-
trrei, et, lic'd filius gaiiilis esset, cliris-
rian.f tamen fuUi diligtret scctiitores. . .
Sptrans tri^o puis rex f'r,inci-r quôd
regem TartJrorum , causa matris ,aut
avi gr.itiJ, inovere posset itd clirislidrur
Jîdei pietatcm , misii ad rum duos
frdirts, Ù'c. (Thoni. Cantiprat. iilii
suprà. ) — Afisir. . .ut invitiiret mm
ad fidan Christi , quoniaut crcdtluuur
quod diclus rex adjîdem iioslnim suuiii
ànimum Imlinaluit. (Aiiialr. Augi-r.
et Birn. Ciuid. apud Mnraior. uWi
suprà. )
(3) Alisit tiim eidern rei^i qui'iin
Ercluilthay ptr nuncios suas cum lit-
tiris iid utrumquc directis , Iwrtantilnis
ul fuiii qui , pcr ^rdliiiin suatn, ad cu-
gnitionnn sui ncininis ros vocaverat ,
dibitù venerationt calèrent , et in tjus
amore jugiter permanerent . ( Spcc.
hist. ubi suprà.)
Bcllov.
Epis:.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 44/
conversion à la foi catholique, pourvu qu'ils gardassent
avec fermeté des sentimens orthodoxes , qu'ils reconnussent
Rome pour la mère de toutes les églises, et le vicaire de
Jésus -Christ pour son chef, à qui doivent obéir tous
ceux qui font profession du christianisme. Munis de ces
lettres , dont on ne peut se dissimuler que le contenu
ne dût étonner beaucoup la cour de Kara-koroum , les
frères partirent de Nicosie avec les envoyés Tartares , le
27 janvier i 248.
L'ambassade traversa fa Perse, apparemment pour s'en- fï»^.
tendre avec Ilchi-khatai ; et ce lut sans doute après avoir (4«.
vu ce général , que frère André écrivit à S. Louis une '"''""'"""•
lettre dont le roi envoya la copie en France , avec la xxxv.
traduction de celle d'iichi-khataï (i). Il est fâcheux que
cette lettre ne se soit pas retrouvée; car son contenu
leveroit tous les doutes qui peuvent nous rester sur la
négociation de David. Du campement d'Ilchi-khataï ,
les frères se rendirent à la cour Mongole, où ils arrivèrent
vers la fin de 1248 , ou au commencement de 124p.
Gayouk, qui venoit de mourir , n'étoit pas encore rem-
placé , et ce fut la régente, Ogoul-gannisch, qui reçut
les envoyés. Cette princesse et son fils , ayant vu les
présens du roi , reçurent les frères avec distinction , et
leur reiT^irent d'autres présens , parmi lesquels se trou-
voit , conformément aux usages Chinois, une pièce de
drap de soie. La reine y joignit des lettres ; mais, peu Rx^ruquis , c.
Ban.
/oc. lit.
LitiiJ.
(i) Non muho -post ad eumdem
regem Ihterjs misit (fr. Andréas),
quanim transcripCi/rn d'tctus rex matri
sux re^,htce Blanchx m FnmcL'.m.
vnà cum transcripto litterarum Er-
chalthay, transnûs'n. ( Vinc.Bellovac.
lib. XXXI I, cap. xciv.)
448 MI MOIRES DL LAC \DI.M1E
nu fait cfe ce qui se passoit dans la partie occidentale
/././.'/./. de l'empire qu'elle rcgissoit , elle ne put rien décider
relativement à la paix ou à la guerre. Les envoyés turent
ensuite congédiés avec honneur, mais sans avoir rien ob-
tenu il'effectif par rapport au Init principal de leur voyage,
c'est-à-dire , à la conversion des princes Mongols (i).
Hhimi d< Suivant .li)in\ille, << quant le grant roy des Tariarins
IV2 7 " ' •> ot receu les messages et les presens , il envola querrc par
" asseuremcnt plusieurs roys qui n'estoient pas encore
" venus à sa merci , et leur fist tendre la chapelle , et
» leur dit en tel manière : Seigneurs, le roy de Fniiice est
» vc/tu en notre sujestion , et veiçi le trcu que il nous envoie.
» Et se vous ne venei en nostre merci , nous l'envoyerons querre
» pour vous confondre. » L'historien de S. Louis ajoute que
la peur du roi de France engagea effectivement plusieurs
princes à se soumettre au roi des Tartares (2). il rapporte
ensuite une lettre écrite à S. Louis, par laquelle le khan
demande à ce monarque de lui envoyer un tribut annuel
en or et en argent, le menaçant, en cas de relus, de
le mettre n l'c'pcc , comme il a fait pour plusieurs autres
rois, et de détruire luy et sa gent. « Et sachiez », dit en
finissant Joinville, « que il (S. Louis) se repenti fort
» quant il y envoya. »
Joinville est le seul écrivain (jui raconte de cette ma-
(1) Bern. Guid. ioc. cit. CùmytT-
venissfnt d'uti fralrfs ctim multis la-
ioriius ad capiit extrcltùs Tartaro-
riim , invenerunt esse defunctum. Ve-
rumtamen rfgina et filins fjusj visis
et accq^lis exenniis eccles'usiicis , Iw-
noravenint nuncios , et munera et
exennia tribuerunt,- sicque reinissi re-
i^TiSsi sunt Cl/m honore, nulle tawen
ejffctu iilio siibsccuto, qui pr'incipalitrr
iju.vrebaiur.
(2) Assez en y ot de cculz qui
pour la poour du roy de France te
mistrent en la merci de celi roy.
niere
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 449
nière l'ambassade de frère André, et qui nous fasse
connoître la réponse dont ce religieux fut chargé. II y
a dans son récit une inexactitude et un anachronisme
faciles à relever. Le roi des Tartares, Gayouk, mourut
à la troisième lune de l'an 1248, c'est-à-dire, au mois
d'avril. André ne partit de Chypre qu'à la fin de janvier
de la même année , et demeura certainement plus de
trois mois en route , sur-tout s'il s'arrêta , comme on a
tout lieu de le penser, au campement d'Ilchi-khataï.
Tous les auteurs s'arcorJent d'ailleurs à dire que les re-
ligieux , à leur arrivée à l'orde , trouvèrent l'empereur
mort. Mais on peut supposer qu Ogou/-g(û mise /i , ou le
prince Clii-lici-meti [Schiramoun] , auquel , sous la régence,
il ne manqua que le titre d'empereur , tinrent le langage
que Joinville prête ici au roi des Tartares. A cela près, le
récit de l'historien n'offre aucune invraisemblance , et
s'accorde au contraire fort bien avec ce que nous voyons
encore aujourd'hui chez les Chinois. S. Louis envoie
un ambassadeur, donc il se reconnoît tributaire; ses pré-
sens sont un treu , par lequel il témoigne sa soumission
aux Tartares. Telle a toujours été , telle sera toujours
ia manière de raisonner à la cour d'un fils du ciel , et les
Mongols n'en avoient certainement pas d'autre. La lettre
pleine de menaces que l'historien de S. Louis nous donne
pour celle du khan, est en effet conçue dans le style ac-
coutumé de l'orde de Kara-koroum , et elle contribue à
donner au récit de Joinville un grand air de vérité.
Les ambassadeurs revinrent, deux ans après leur dé- Jcint-nie, lu-u
part , trouver le roi dans la ville d'Acre , où il étoit alors.
Ce prince , malgré le déplaisir que lui avoit causé la
Tome VI. L'
450 MKMOJRIS DE L'ACADEMIE
mauvaise imerprctaiion doiince par les Tartares à sa
première Jciiiarciie, résolut de (aire une seconde tenta-
tive. Il choisit un moine franciscain appelé Cuilhiunie
Ruysbrotk, et plus connu sous le nom de Rubru/]uis.C,(:\\i[-
ci partit de Constantinople le y mai 1253 , accompagne
d'un autre moine nommé Bartheleuii de Crcmoite, et tie
quelques autres personnes , avec de nouveaux présens
Xuhu^ui's.c.t. pour les princes Tartares. Nous trouvons dans le récit
de Joinville rapporté ci-dessus, l'explication de certaines
particularités du voyage de Hubruquis , dont , sans ce
secours, il seroit difliciie de' se rendre raison. Cet ambas-
sadeur raconte (jue , prêchant à Constantinople dans l'é-
glise de Sainte-Sophie, il avoit eu grand soin d'assurer
qu'il n'étoit envoyé, ni par le roi de France , ni par au-
cun autre souverain , mais qu'il alloit , selon les statuts de
son ordre, prêcher l'évangile aux infidèles, et c'est-là l'idée
que , dans tout son voyage, il s'efforça de donner de sa
mission. Arrivé à Soldaya , il trouva que des marchands
de Constantinople, qui s'y étoient rendus avant lui, avoient,
malgré ses précautions, annoncé son arrivée avec sa qua-
U. iHJ. lité d'ambassadeur. Il tâcha, par un langage ambigu, de
faire prendre le change aux principaux de la ville sur
l'objet de sa venue. En entrant sur les terres des Mon-
gols , la première question qu'on lui adressa fut pour
savoir s'il alloit trouver les princes Tartares de son propre
mouvement, ou s'il y étoit envoyé par quelqu'un : sur
quoi Rubruquis évita de s'expliquer catégorit|uement.
"Je répondis », écrit-il à S. Louis, <• (jue personne ne
» m'avoit contraint d'y aller , et que je n'y fusse pas venu
•» si je n'eusse voulu ; tellement que c'étoit de moi-mêine,
DFS INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 451
» et de ia volonté et permission Je nion supe'rieur : car
» je me giirddi bien de dire que je fusse envoyé' par votre ma-
» jesté. » Par ce passage et par quelques autres de la rela- id- <• ■*'/
tion de Rubruquis, il est clair que S. Louis ne vouloit pas
avouer la nouvelle négociation qu'il faisoit entreprendre ,
de peur que les Tartares ne la prissent , comme celle de
frère André, pour un témoignage de sa soumission au
grand khan. On voit que la narration de Joinville et
celle de Rubruquis «'expliquent ici l'une par l'autre , et
que nous n'avons pas été mal fondés à admettre l'authen-
ticité de la lettre rapportée par le premier.
La relation du voyage de Rubruquis, que lui-même
composa pour le roi de France, et qui a été publiée dans
difFérens recueils , nous dispense d'entrer dans aucun dé-
tail : seulement, pour ne pas interrompre la série des
événemens, nous rappellerons en j)eu de mots la route que
suivirent les envoyés , et le résultat de leurs négociations.
De Soidaya ils passèrent dans les steppes qui séparent le
Dnieper du Tariaïs : là ils trouvèrent un khan nommé
Scacatay , peut-être Tchakhata'i , pour qui l'empereur de
Constantinople leur avoit donné des lettres de recom-
mandation, lis traversèrent ensuite le Tanaïs pour aller
au campement de Sartak, fils de Batou , à trois journées
en deçà ,du Wolga. Ils remirent à ce prince des lettres
du roi de France , traduites en arabe et en syriac. Le
bruit s'étoit répandu dans l'Occident que Sartak étoit chré-
tien : les missionnaires s'assurèrent par eux-mêmes qu'il
n'en étoit rien. Prenant le nom de chrétien pour celui A'*.'™?. ch,tp.
d'un peuple , les Tartares répondirent avec chaleur à leurs
questions que leur maître n'étoit pas Chrétien , mais
L3 ij
XV II.
4j2 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Mongol, et Jcfendirent aux envoyés de donner à Sartuk.
cette qualification. Ce fait, dont Mosheim convient, ne
l'einpcclie pas de croire à la conversion du fils de Batou :
nous verrons bientôt que les raisons sur lesquelles il se
fiiiide , ne sauroient satisfiiire une personne moins pré-
venue que cet auteur, et moins disposée à trouver des
chrétiens dans toute la Tartarie.
Rubruquis et ses compagnons vinrent ensuite trouver
Batou , dont Moulons ou le campem«it étoit alors sur les
bords du Wolga. A l'audience où ils lui fi.irent présentés,
Batou s'informa du nom du roi de France, et de la raison
qui l'avoit fait sortir de ses états avec une armée. Du
reste, il ne voulut pas prendre sur lui d'accorder la per-
mission que demandoit S. Louis pour Rubruquis et ses
compagnons , de demeurer en Tartarie pour y prêcher la
foi. Rubruquis se vit donc obligé de faire le voyage de
Kara-koroum , où il parvint, après mille fatigues, le 27
décembre 1252. Il faut lire dans sa relation le détail des
audiences qu'il eut de Mangou-khan (i). La lettre que
ce prince écrivit à S. Louis , par le ton orgueilleux et
menaçant dans lequel elle est écrite , ne dément point
le caractère Mongol, C'est un ordre que Mangou envoie
Ui.xLvni. à Louis, roi de France, à tous les seigneurs et peuples
du pays des Francs. Le khakan y désavoue la mission
de David, faite avant son règne, et à une distance qui
U c. XXI.
(1) Dans un endroit de sa rela-
tion , Rubruquis racontequ'un inter-
prète de Mangou s'informa avec
soin de ce qui regardoii la France,
et s'il y .ivoit beaucoup de bœufs,
de moutons et de chevaux. Il sem-
hloit , dit-il , qu'ils fussent tout prcti
d'y venir, et d'emmener tout. Plu-
sieurs fois je fus contraint de dissi-
muler ma colère et mon indignation
(Hubruq. chap. XXXI.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 453
ne lui permettoit pas d'en apprécier les motifs. Il seml:)le
même qu'il regrette la bonne réception faite par la régente
Ogoul-gaïmisch à frère André. Il s'emporte en injures en
parlant de cette princesse, contre laquelle il nourrissoit
beaucoup de ressentiment , parce qu'elle s'étoit opposée
à son avènement, et il annuUe tout ce qu'elle a pu faire
et dire relativement aux affaires de l'Etat.
Ainsi congédié, Rubruquis partit de la cour de Man-
gou, et mit plus de deux mors à revenir au campement
de Batou. Ce prince le fit venir en sa présence, et or-
donna qu'on lui interprétât les ordres du khakan : car
celui-ci lui avoit mandé d'y ajouter , d'y ôter ou d'y
changer tout ce que bon lui sembleroit ; sorte de liberté
que l'immensité des états Mongols rendoit nécessaire ,
et qu'on ne doit pas perdre de vue en examinant les
pièces relatives à ces négociations. Rubruquis revint par
le Caucase, l'Arménie, et la Syrie, où il croyoit trouver
encore S. Louis , et ce fut de la ville d'Acre qu'il lui
adressa la relation de son voyage, à laquelle il joignit
sans doute la lettre de Mangou , écrite, suivant Rubruquis, id.
en langue Mongole et en caractères Ouïtrours. Cette lettre
importante ne s'est pas retrouvée dans les archives, où il
étoit naturel de la croire déposée.
Penda^nt son séjour à Kara-koroum , Rubruquis y vit
les ambassadeurs de Valace , empereur de Nicée : il ne
fait point connoître l'objet de leur voyage, et nous ne
trouvons aucun éclaircissement à ce sujet chez les histo-
riens de Constantinople. On. est surpris du silence que
gardent ces écrivains au sujet des Tartares, qui ne lais-
soient pourtant pas d'avoir de fréquens rapports avec les
C. XKVIl.
4;4 MK.MOIRLS Df, L'ACVDi.MlE
princes J>)iit ils nous ont transmis la vie : à peine en
trouve- t-on chez eux de loin à loin quelque mention,
et le plus souvent pour ties faits moins importans que
l'envoi d'ambassadeurs au fond de la Tartarie.
Pendant que Rubruquis parcouroit ainsi toute l'Asie
pour s'assurer par ses yeux de ce qu'on devoit penser de
la conversion des princes Tartares , un prêtre nomme
Juin , prenant le titre de chapelain du prince Sartak ,
vint trouver le pape, et lui annoncer que son maître ve-
noit de se faire baptiser. Jean avoit clc pris en route
par Conrad , et retenu prisonnier en Sicile jusqu'à la
mort de ce prince, c'est à-dire, jus(ju'en 1254- " s'échappa
alors de sa prison , et se rendit à Rome, où il fut accueilli
avec joie par Innocent. Q.uoique l'on eût pu élever quel-
ques doutes sur la qualité que prenoit cet envoyé, tout ce
qu'il possédoit , et les lettres mêmes du général Tartare,
lui ayant été enlevés pendant sa captivité, le pape n'ap-
profondit pas cette affaire, et crut facilement ce qu'il
desiroit avec ardeur. Il s'empressa de répondre à Sartak.
par une lettre où il s'épuise en complimens et en exhor-
tations. C'est par cette lettre seulement que nous avons
connoissance de l'ambassade de Jean. Cela suffit à Mos-
heim pour en reconnoître l'authenticité. Pour nous, qui
ne trouvons pas ici les mêmes motifs de politique qui
nous ont paru rendre raison de la négociation d'Ikhi-
khataï, nous ne fermons pas les yeux sur les diflicultés
<jue nous paroît présenter celle-ci.
La lettre d'Innocent IV ipii répond a l'ambassade
de Jean, est datée du 29 septembre 125.4. Quelque
courte qu'ait pu être sa captivité, et quelque diligence
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 455
qu'il ait faite dans son voyage , on ne peut guère supposer
qu'il se soit écoulé moins de dix mois entre son départ du
campement de Sartak, à trois journées du Wolga, et son
arrivée à Rome. Il seroit donc parti au plus tard vers. la
fin de I 2 5 j . Il n'y avoit pas alors cinq mois que Rubruquis
avoit quitté Sartak, ce prince nouvellement converti, qui
ne savoit pas même ce que signifioit le nom de chrétien ,
et qui le prenoit pour une insulte. Au mois d'août 1254 >
à l'époque précise où Jean venoit à Rome , ou étoit sur
lepoint d'y arriver, Rubruquis, revenant de Kara-koroum ,
rencontra Sartak qui s'y rendoit. II eut occasion de véri-
fier de nouveau si ce prince avoit embrassé la foi ; il avoit
commission expresse de faire cet examen. C'est pourtant
ce voyageur véridique qui déclare, dans sa relation à
S. Louis , qu'il ne sait si Sartak est chrétien ou non , mais
qu'il lui semble bien plutôt que ce prince se moque des Ruhuq.i.xx.
chrétiens et les méprise. Qii'on juge donc s'il est vraisem-
blable que ce général ait eu un chapelain , qu'il l'ait en-
voyé au pape , et qu'il ait reconnu la suprématie du vicaire
de Jésus -Christ sur terre. Concluons que le chapelain
Jean , arrivant à Rome sans aucune lettre de celui qui
l'avoit député, n'ayant que lui-même pour garantir le fait
extraordinaire qu'il annonçoit, auroit pu , à plus juste titre
que le Syrien David, êti'e pris pour un imposteur, si l'on
eût été mieux informé des affaires des Tartares , ou si,
dès cette époque, on eût connu le résultat du long voyage
de Rubruquis.
On auroit peine à déterminer sur quel fondement re-
posoit cette fable de la conversion de Sartak; mais il est
certain qu'elle avoit cours chez les chrétiens Orientaux,
^ 456 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
qui pourroient bien, au reste, en avoir été les auteurs.
Les Arincniens racontent que Sartak avoil été nourri par
des Russes, qu'il étoit baplisé, et vivoit chrétiennement.
Si^ivant ces auteurs, Batou ne s'opposa point à la con-
duite de son fils, qui favorisa beaucoup le christianisme,
et délendit même d'imposer des tributs sur les églises. Ce
qui paroît certain, c'est qu'il accorda sa protection à
Dchalal et aux autres princes Arméniens et Géorgiens,
et qu'elle épargna beaucoup de vexations à ceux qui étoient
~ restés soumis à Batchou.
Le voyage de Sempad l'Orbélien à la cour de Mangoii
n'est pas un événement d'une grande importance; mais,
comme il se trouve indiqué dans l'extrait que nous a
donné LaCrozede l'Histoire des Orùelic/is d'hlùenne arche-
Tkfiaur. enist. vcque de Siounie (i) , il ne sera pas inutile d'en marquer
pâg'T^. '' ' ici l'objet en peu de mots. Il y avoit un petit prince Ar-
ménien , du pays même de Siounie, qui se nommoitZ)w»'/V/,
c.i.S.'iniAJar- et qui habitoit dans un canton (2) non encore soumis
sur fArménù. 3"^ Mongois. Batcliou lit pnsoniuer ce Uavid, qui vint a
't"'ui' 'nftrs'7ii'r ^o"^> quelques jours après, de s'échapper avec plusieurs
le ch.tp. vu des siens. Il se réfugia chez un seigneur, vassal tlu prince
d'Etienne, pag. , ^ , ,,. / \ . /
3yf>etsHiy. des Orbcliens (3), n ayant pour tout trésor qu une pierre
précieuse d'une valeur inestimable et un morceau de bois
de la vraie croix. Il vint à mourir peu de temps après,
et Sempad réclama la pierre précieuse pour en faire un
présent à Batchou : mais celui-ci chargea Sempad de la
porter au khakan. Mangou combla de faveurs le prince
(i) M. Klaproth n rcimprinié ce
morceau dan» son Arcliiv. fur Asia-
riscfie Litteratur , Gesc/iic/ite und
Sprach/<uii,/e , pag. 114 et suiv.
(2) Le canton d'Apnni.
(}) Il se nonimoit Tungrfgoul.
Orbiflicn,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 457
Orbélicn , lui accorda le titre d'entclioii, qu'on croit une
corruption ilu mot edcluui , seigneur en mongol, et lui Thcsmir. qùst.
donna à son retour \m yarlik , ou ordre par écrit, adressé '"j\iém.surl'Ar-
au général Batchou , pour conférer à Sempad la souverai- '"'"""/,!!"'■ "'
neté de quelques cantons du pays de Siounie.
Q.uand Rubruquis avoit quitté la cour de Alangou , Ruhuq. cimp.
on y annonçoit l'arrivée prochaine du roi d'Arménie. En
effet, dès que ce prince avoit appris la mort de Gayouk
et l'avènement de Mangou , il avoit formé le projet de
se rendre à Kara-koroum. II s'étoit d'abord adressé à
Batou pour lui demander sa médiation, et il avoit chargé
un prêtre nommé Basile d'aller traiter cette affaire. Batou nj;.
étoit d'avis qu'Hayton partît sans différer; mais celui-ci,
également effrayé de la longueur du voyage et de l'état
où il lui falloit laisser son royaume , avoit peine à se dé-
cider. Sur ces entrefaites, Mangou ordonna qu'on fit la 1254.
description générale de l'empire et le dénombrement des
individus sujets au tribut : les femmes , les vieillards , les
enfans au-dessous de dix ans, et les prêtres de toute reli-
gion, en étoient exempts. Celui qui fut chargé de la partie
de cette grande opération relative à l'Arménie, étoit ce
même Argoun déjà célèbre par les vexations sans nombre
qu'il avoit exercées sur les chrétiens d'Orient. Son approche
décida Hayton à partir sans délai , pour essayer de faire
affranchir ses états du tribut. Il laissa le pouvoir entre les
mains de Constantin , son frère, et de ses fils Léon et
Théodore , et traversa déguisé le pays du sultan d'Iconiuin. Ahuif.ir.jHjc ,
Les personnes de sa suite étoient parties séparément : elles
le rejoignirent près de Batchou. Du campement de ce
général, il se rendit à celui de Batou, qui le reçut fort
Tome VI. M?
r^g- )>->'■
45 8 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
bien, et lui iloiina une escorte pour l'accompagner à la
cour (Ju grand roi.
Si l'on s'en rapportoit au récit du moine Hayton ,
l'arrivce du roi son parent à la cour Mongole auroit cause
la plus grande joie au khak.aii , et ce prince se seroit
empressé d'acquiescer à sept demandes, dont la première
étoit que l'empereur et toute sa nation se convertissent
et se fissent baptiser (i). Les six autres, toutes faites dans
l'intérct unique d'Hay ton, ne durent pas sembler moins in-
discrètes aux Mongols, et une seide eût suffi pour attirer le
plus terrible châtiment sur la tcte du tcmcraire qui auroit
ose en faire la proposition au khakan. Toutes furent, au
contraire , accueillies avec bonté et accordées sans diffi-
culté, si l'on en croit le moine Arménien. C'est pourtant
sur cette partie de sa narration , la moins digne de con-
fiance , parce qu'elle porte l'empreinte la plus marquée de
l'esprit d'exagération qui a guidé l'auteur , c'est sur cet
(i) Rtx i laque septein pelitiones
ctiin deliberalicne fonnavit. Primo
énim rofijvic ut imperatcr cuin gtnle
sua converterftur ad fiJun Christi ,
sect'is alïis omnibus dcrilictis , et se
faccTtnt baptr^ari. Secundo petiir ijuod
pax et amicitia perpétua inter chris-
lianos et Tariaros firmaretur. Tertio
re.julsivitquàd, in omnibus terris quas
Tartari acquisiverant et quas acqui-
rtrent, omnrs ecclesiœ christiancrum
et clerici illarum, sive lai ci , sive reli-
giosi, ab omni servitute d datia essent
liheri et txempii. Quarto requisivit
ut Terram • Sanctam et sanclum se-
pulcrum Dhi de manibiis Siirracenv-
r\nn auftrref et restituerei christiuiiis ;
quintô , ut intenderet ad destructio-
nem caliphi de Baldacli , quï'erat caput
et doctor seciJr perfiJi Alalwmeti.
Sexto requisivit ut sibi concederetur
priviU'^ium spéciale , qiiôd , à quibus-
cumque Ttirtaris , pr^cipuè regni
Armeni<x propinquioribus , auxilium
imploraret , sibi dare omni mcrà post-
positâ tenerentur. Seprimô requisivit
i/uod ntnnes tirr.r Jurisdlctionis regni
Armcni jf quasSarraceni occupiivcrant,
et in manus Tartarorum postmodum
redierant, regiArmeni.r restiruerentur :
illas omnes quijt rex acquirere possel
contra Sarratenos illos, h.ibvret et
teneret pacific'c et qiiictè. ( Hist. Orient,
op. XXIII. )
Tar.ar. ji. j4'-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRI S. 459
unique témoignage si suspect c^ue se fonde Mosheim
pour illire de Mantiou-khan un chrciien ze'ic. Il est vrai ff'st- «<■/«•
qu'il augmente l'autorité du religieux , quand il en fait un
témoin oculaire, auquel, dit-il, on ne peut sans injus-
tice refuser d'ajouter foi (i). Mais c'est ici une nouvelle
méprise de sa part, puisqu'Haylon déclare lui-même
qu'il n'a vu les événemens qu'il raconte qu'à partir du
règne d'Abaga , et qu'il doit la connoissance des faits
antérieurs à son oncle, chargé de les écrire par le roi
Hayton (2).
Au reste , je ne prétends ici que réduire à une juste
valeur l'idée exagérée qu'Hayton a voulu nous donner de
l'influence de ses compatriotes à la cour des Mongols, et
nullement révoquer en doute les avantages réels que le
roi d'Arménie tira de son voyage. Il est certain que Man-
gou lui accorda le titre de prince, sous la condition que
lui et ses successeurs seroient fidèles sujets des Tartares.
Il lui donna aussi une patente pour l'affranchissement des
églises et la réduction des tributs qui pesoient sur les
Arméniens orientaux. Les lettres du khakan dont il étoit
porteur, lui valurent à son retour une réception très-hono
rable de la part de Batchou, qui lui donna une escorte
(1) Sed , qiium oçulato testi , nisi
apertè malus aiit stultus sic, neino
tonus fidem liabere reciiset , neqtie nos
Haythoni teslbnonium in duhhirn vo-
care audemus , qui Alan^u-cbani ad
Christuin conversionein tanquam rem
cerlissimam narrât, cui ipse interfiierit,
(Mosh. pag. 55.)
(2) A Mango-can verà usque ad
mortem Haoloni, ea qux narrât et
scribit , scivit et audivit per domina m
avunculum suum , quod (leg. quein)
dominum Haythonum regem { leg. d.""'
Haythonus rex) Armenice rescribere
fecit , qui prœsens fuit illis tempori-
bus. . . .Ab initia quidem Abaga-can
usque ad fincm tertiœ partis liujus
librij vbi Jinem capiunt liistoriœ Tar-
tarorum , scivit ipse tanquam ille qui
prœsens fuit. (Hist. Orient. c.XLVI.J
Mîij
4^o MÉAiOIKES DE L'ACADLMIE
pour l'accompagner dans ses états (i). Beaucoup Je princes
et J'(.-vci|ues Arniciiiens vinrent lui faire leur cour, et le
reconnurent pour leur souverain. Depuis ce temps, les
Mongols n'eurent pas de vassaux plus fidèles, les Francs
d'alliés plus zélés, et les musulmans d'ennemis plus achar-
nés, ijue les rois d'Arménie. Ces princes ne cessèrent,
pendant un demi-siècle, d'employer tous leurs efforts à
ménager des alliances entre les Tartares et les Occiden-
taux , à solliciter des secours près des papes et des autres
souverains de l'Europe , à leur offrir la coopération des
Mongols, à provocjuer enfin des croisades, qu'ils souhai-
toicnt plus ardemment que les pontifes eux-mêmes : aussi
les voit-on, à cette époque, prendre part à toutes les
affaires du temps, et servir Jl' principal intermédiaire
entre les Tartares et les chrétiens.
Comme cet intermédiaire manquoit en Europe, il ne
faut pas s'étonner si les relations qu'on y avoit avec les
Mongols , conservoient le caractère d'hostilité cju'elles
avoient eu d'abord : ceux mêmes d'entre les princes chré-
tiens qui s'étoient vus forcés de se soumettre à eux, étoient
enveloppés dans l'horreur qu'on avoit pour les Tartares ;
et, pendant qu'on cherchoit à profiter des alliances que
les princes du Midi avoient su se ménager avec les géné-
raux Mongols, on considéroit comme déserteurs du nom
chrétien ceux du Nord, qui n'avoient cerlainenunt pas
eu , en contractant celles qui les lioient à 13aiou , d'autres
vues que de sauver à leurs peuples les malheurs d'une
(i) Hayton fut al)scnt pendant <in
an et t|iiatrc mois, scion Giragos et
Vartan ; pendant deux ans et demi ,
suivant l'Iiistoricn Haytnn ; pendant
trois anset demi, selon Aboulfaradjc;
et pendant quatre ans, selon Vahrani.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 46 i
lutte inégale et sans espoir. C'est que, dans le Nord, les
corps de troupes auxiliaires que les Mongols exigeoient
de leurs tributaires, ne trouvant point de musulmans à
combattre , dévoient infailliblement tourner leurs armes
contre leurs compatriotes. Ainsi, en 12^4 > ^^ Livonie,
la Prusse et l'Esthonie ayant paru menacées , le pape
voulut garantir d'une invasion ces contrées, où l'établisse-
ment du christianisme avoit été si difficile et avoit coûté
tant de sang. Pour cet objet, il écrivit aux évéques du
pays , et leur enjoignit de prêcher une croisade contre les
Tartares et leurs complices, et par ces mots il entendoit
les Russes, dont les troupes faisoient partie de l'armée de
Batou.
L'éloignement des Occidentaux pour les alliances avec Odcr. R.iynM.
les Tartares du Kaptchak se montre bien plus fortement 'xxv'w.' ' "'
encore dans une lettre d'Alexandre IV à Bêla , roi de
Hongrie , à l'occasion d'une proposition qui avoit été faite
à ce dernier par Bereke, successeur de Batou. Des am-
bassadeurs étoient venus de la part de ce khan , pour
offrir à Bêla une alliance qui seroit scellée par le mariage
de leurs enfans. Le fils du roi devoit, en conséquence de
cette union , marcher avec le quart des Hongrois , comme
auxiliaire des Mongols, et recevoir le cinquième de tout
le butin qui seroit fait dans la guerre. A ces conditions,
la Hongrie devoit être exempte de tout tribut, et les
Tartares promettoient^de respecter ses frontières. Mais
ces offres étoient accompagnées des menaces, en cas de
refus, d'une guerre cruelle, et de la destruction entière
de la Hongrie, Bêla, qui, à la première irruption des
Mongols, n'avoit su faire que de trop foibles efforts pour
4<îi MÔIOIRES DE L'ACADr.MIE
leur résister, et qui depuis n'avoit tlii (jii'à leur retraite
spontanée la possibilité de remonter sur son trône, eut re-
cours, da!is ce nouvel ein[)arras, à son refuge ordinaire. Il
écrivit à Rome pour demander des secours et des conseils,
et n'oublia pas de rappeler que, dans une circonstance
pareille, Grégoire IX l'avoit abandonné à. la fureur des
Mongols. Alexandre I\' répondit par unv longue lettre
à cette demande et à ces plaintes. Il cherche à justifier
son prédécesseur, en attribuant à la guerre qu'il avoit eue
à soutenir contre Frédéric , l'abandon forcé où il avoit
laissé la Hongrie. Quant aux comlitions offertes par
Bereke, un roi de Hongrie, un roi chrétien, devoit, sui-
vant le pontife, avoir horreur de tenir, à des conditions
aussi cruelles et aussi humiliantes, non-seulement tous les
royaumes du monde, mais la vie même et celle de tous
les siens. « A quelle infamie, s'écrie le pape, ne s'expose-
» roit pas un prince qui romproit avec le corps des fidèles,
» pour se lier à des nations païennes, et marcher avec
" elles contre les souverains chrétiens et contre leurs
» peuples! Quelle confiance, d'ailleurs, pourroit-il avoir
» dans une alliance qui n'assureroit pas son salut, mais
» pounoit tout au plus reculer sa perte! Ne sait-on pas
•> que les Tartares ont séduit plusieurs nations sous l'ap-
•• parence de traités insidieux, et que, n'ayant pas la
» véritable foi, on ne peut tenir aucun compte de leurs
>' sermens! L'union d'une princesse Hongroise avec le fils
•• de Bereke, ou de la fille de ce dernier avec le prince
•• de Hongrie , ne scroit point un mariage, mais un adul-
'• tère infâme, puisque des personnes chrétiennes ne
■• peuvent s'unir, dans le Seigneur, avec les païens. " Tel
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 463
est le sommaire des raisons que le pape fait valoir avec
beaucoup de force et d'étendue contre l'alliance proposée
par les Mongols au roi Bêla.
Mais , quand il en vient aux moyens de repousser les
attaques qu'un refus ne sauroit manquer d'attirer sur la
Hongrie, son éloquence foiblit , et ne lui fournit plus
que de vaines exhortations, des promesses vagues, et les
assurances multipliées d'un intérêt sincère, mais peu effi-
cace. Il s'excuse même de lui envoyer mille archers [ba-
listûrii] que le roi demandoit , sur les dépenses extraor-
dinaires et tes soins de toute espèce dont le saint-siége est
déjà surchargé. Heureusement pour la Hongrie , Bêla
trouva des secours plus puissans dans l'alliance de la
Bohème, qu'un même intérêt obligeoit de songer à sa
défense; et, plus heureusement encore, Bereke, après avoir
ravagé la Pologne, tourna ses armes du côté de la Perse.
Le musulmanisme , que ce prince et une partie de ses
peuples embrassèrent vers cette époque , en le rendant
pour toujours l'ennemi des chrétiens , l'anima contre les
princes de son sang qui commandoient dans le midi et
qui suivoient l'ancienne croyance des Tartares, et le dis-
posa, malgré l'éloignement des lieux, à faire avec le sultan
d'Egypte uns alliance dont nous aurons occasion de parler
dans la suite de ce Mémoire.
Dans les sept demandes qu'Hayton avoit faites à Man-
gou , ce prince n'avoit pas oublié d'engager le khakan à
venir faire la conquête de la Terre -sainte et tirer Jéru-
salem du pouvoir des musulmans pour les donner aux
chrétiens. Mangou, n'ayant pu faire lui-même le voyage
qu'on lur demandoit , chargea Houlagou de satisfaire en
46i .MEMOIRES DE LACADKMIE
cela le roi d'Armcnie. C'est de cette maiiicre que l'histo-
rien Ha) ton prcscntc l'expL-dition de i 2 5 5 , txpcdition
dont le résultat lut de (ondcr un empire pour l'un des
petits-fils de Tchinggis, et d'ctablir en Perse un centre
de goiiverjiement à peu près indépendant de celui du
khakan. Houlagou il-khan arriva dans l'Occidenc avec
soixante-dix mille cavaliers: dès son entrée en Médie, il
e'ivoya à Batchou et aux autres généraux qui comman-
doienten Arménie et en Géorgie, l'ordre de se porter plus
loin avec leurs familles. Ce déplacement obligea Batchou
à entrer sur les terres du sultan d'Iconium , qui fut forcé
ALwh.Piiris. de se retirer dans une île avec ses enfans. Ce fut lors de cette
/■<«r. /j/w expédition, pour ainsi dire, involontaire , qj.ie lesTartares
proposèrent aux Templiers et aux Hospitaliers de se sou-
mettre à ctix. Ceux-ci rejetèrent cette demande avec indi-
gnation. Pour Hayton , effrayé de l'approche des Tartares,
il se hâta d'envoyer des présens à Batchou pour l'empêcher
d'entrer sur ses terres. Le général Mongol, pour lui en té-
moigner sa rcconnoissance , écrivit au grand khan et à
Houlagou en faveur du roi d'Arménie : démarche super-
flue, si ce prince eût été dès-lors si bien dans les bonnes
grâces de Mangou.
Pour Houlagou , les premières années d« son séjour
en Perse furent signalées par la destruction des Ismaéliens
et de (juelques autres états musulmans de l'Irak et de la
Perse méridionale. Les princes Géorgiens et Arméniens
surent se ménager près de lui la même faveur dont ils
avoient joui sous les généraux (jui l'avoient précédé. H
combla tic distinctions Daviil Vahramoul et les autres
chrétiens, en considération de sa femme Doghou/.-Kha-
toun ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4^5
toun, qui étoit, disoit-on , chrétienne Jiestorienne. II avoit
même fait dresser dans son oulous de la plaine de Mou-
ghan un oratoire, où les Arméniens , les Géorgiens et les
Syriens faisoient leurs pratiques de religion. Les princes
qui résidoient le plus habituellement près de lui, étoient
Zacharie , fils de Schahan-schah ; Sempad l'Orbélien ,,
fils d'Eligoum ; Sevad et Taliatin , de la famille des Pa-
cratides.
Enfin ce que tous les chrétiens d'Orient souhaitoient
si ardemment, arriva en 1258. Houlagou prit Bagdad, et
mit fin à la puissance des khalifes. Il entra ensuite dans
la Mésopotamie , s'empara de Merdin, de Harran, passa
l'Euphrate , et se rendit maître d'Alep et de Damas.
Toutes les fois que les Tartares approchoient des états
d'Hayton , ce roi , qui eût dû avoir tant de confiance
dans les bonnes dispositions des princes Mongols à son
égard , n'en prenoit pas moins de précautions pour les
empêcher d'entrer en Cilicie. II s'empressa donc, ainsi
que le patriarche Constantin , d'envoyer à Houlagou des
députés chargés de lui offrir des présens considérables.
Le prince les reçut avec bonté , et manda au rôi d'Armé-
nie de venir avec une armée pour l'aider à conquérir la
Terre-sainte. Effectivement, les Arméniens unis aux Mon-
gols occupèrent momentanément le royaume de Syrie. La
mort de Mangou-khan ayant obligé Houlagou de s'éloi-
gner, il chargea de la conquête de Jérusalem un général
nommé Koui-bouga , qui passoit pour avoir une grande
affection pour les chrétiens : mais, le neveu de ce général
ayant été tué dans une rixe par les habitans de Sidon,
Koui-bouga se hâta de le venger, et il s'empara de la ville,
Tome VI. N?
466 MEMOIRES DE L'ACADÉMIE
qu'il dcinaiitela. La bonne intelligence qui avoit subsiste
jusque-là entre les chrctiens et les Mongols, fit place à
une animositc et à une dchance réciproques (i).
Les bonnes dispositions d'Houlagou en fa\eur de la
religion, dispositions exagérées sans doute par les Armé-
niens, comme tous les autres faits du même genre; lu
résolution qu'on lui attribuoit de recevoir le baptême ,
furent annoncées à la cour de Rome par un Hongrois
nur. Surit.!, nommé Jeati , qui se donna pour envoyé d'Houlagou. 11
, /-./., . JeiimpjQij^ Je j^ p^rt de ce prince, un prêtre recomman-
dable par sa science et la pureté de sa vie, cjui put venir
en Perse mettre le sceau à la conversion du gouverneur
d'Occident. Malgré la confiance que ces sortes de nou-
velles hispiroient d'ordinaire > l'expérience avoit appris à
ne pas trop compter sur la véracité de ceux qui les appor-
toient; et, comme l'envoyé n'avoit point de lettres d'Hou-
lagou , ni d'autre signe qui constatât sa mission , tout
en écrivant au prince Tartare pour le complimenter ,
OMr. /?,y..f. Alexandre IV chargea le patriarche de Jérusalem de vé-
l.x\:x ,i.'io. , Cl 1
riher le fait sur lequel portoient ses félicitations. Dans sa
lettre à HOulagou , le pape- recommande ce patriarche,
comme étant l'un des personnages les plus recomman-
dables de l'Église , et celui qu'il a choisi pour s'assurei'
des véritables intentions du prince; et il prie ce dernier
de les lui faire promptement connoître, afin de pouvoir
agir en conséquence.
11 étoit effectivement bien urgent de savoir à quoi s'en
tenir sur les intentions des Tartares : la barrière qui les
( I ) Niiiitjiiam tamen postea de
christianis Syriar Tartari Jiduciam. sunt conjtsi. (Hajt. cap. X,\X.)
liabtifTvnt , nfi/ue clirist'iani Turuir'u
DES INSCRIPIIONS ET BELLES- LE'I TRES. i^Gj
séparoit des croisés, venoit d'ctre rompue. Alep, Damas,
la Syrie presque entière , leur étoient soumises. La prise
de Sidoii , amenée par la querelle qu'on avoit eue avec
Koul-bouga, étoit jusqu'alors le seul mal réel que les Mon-
gols eussent fait aux Francs : mais elle sembloit annon-
cer à ceux-ci qu'ils alloient avoir à repousser eux-mêmes
les armes qu'ils avoient voulu diriger contre les Sarrasins;
et le rapprochement que la destruction tant souhaitée des
musulmans alloit opérer , ne paroissoit plus si désirable.
Les habitans d'Acre se hâtèrent de couper tous les jar-
dins autour de leur ville. De tous côtés on écrivit en Eu-
rope , et on envoya des députés pour demander du secours
aux rois d'Occident. Le bruit s'étoit répandu qu'Antioche
et Tripoli étoient tombées entre les mains des Tartares.
Un envoyé vint jusqu'en Angleterre, et y provoqua un
concile où l'on engagea les peuples à faire des prières,
à garder des jeûnes , et à mériter par leurs larmes l'éloi-
gnement du fléau qui sembloit menacer de nouveau la
chrétienté. D'après les nouvelles que le pape lui transmit,
S. Louis tint à Paris une assemblée d'évêques et de sei-
gneurs , pour aviser aux moyens de prévenir les malheurs
qui paroissoient imminens. Il y fut décidé qu'on aug-
menteroit le nombre des prières, qu'on fèroit des pro-
cessions ,' que les blasphémateurs seroient punis , qu'on
retrancheroit toute superfluité dans les repas, que pendant
deux ans on ne donneroit point de tournois , et qu'il
seroit défendu de s'exercer à aucun jeu , si ce n'est à tirer
de l'arc et de l'arbalète. L'année suivante (1261), le
pape renouvela ses exhortations, et tâcha de soidever
tous les princes chrétiens , non-seulement contre les Tar-
NJJj
468 MK.MOIRES DE L'ACADÉMIE
tares Je Perse et de Syrie, mais encore contre ceux cjiii
menaçoient la Hongrie, en conséquence du refus de trai-
ter que le saint -siège avoit suggère au roi Delà. Les pays
les plus recules de l'Europe eurent à fournir un contingent
en hommes et en argent. Des envoyés de l'archevêque
de Drontheim vinrent, en 1162, annoncer au pape que
celui de la Norvège étoit prêt. En les renvoyant, Urbain IV
leur remit, pour l'archevêque et pour les évcques de Ber-
gen , des Orcades et de Stavanger , une lettre où il les
engage à ne rien relâcher des soins qu'ils ont pris jusque-
là , les secours qu'on attend d'eux devenant de jour en
jour plus nécessaires.
Mais , pendant ces préparatifs , il se passoit des événe-
mens qui alloient les rendre inutiles, ou, du moins, en
changer l'objet. Les Tartares fuyoient à leur tour devant
les Égyptiens. C'étoit, dans ces contrées, une chose inouie
qu'une victoire remportée sur les Mongols : aussi celle
que le sultan d'Egypte obtint contre Koui-bouga suliit-
elle pour ranimer les espérances des musulmans. Elle eut
des sm'tes fâcheuses pour les chrétiens de Syrie et (.l'Ar-
ménie. Au reste, il n'étoit pas étonnant que les Tartares
commençassent à s'alToiblir : leurs armées ne se recni-
toient plus sur la face presque entière de l'ancien conti-
nent. Le démembrement de l'empire étoit consommé: ses
divisions formoient encore des états puissans, mais dé-
sormais soumis aux chances ordinaires de la guerre et de
la politique. Aussi verrons-nous bientôt ces mêmes Tar-
tares (]ui daignoient à peine recevoir les ambassadeurs
des autres peuples, et(]ui nelcur lais^^ient que l'alternative
de la soumission ou de la destruction , descendre à faire
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 469
eux-mêmes les premières avances aux princes clirctiens ,
et sur-tout à nos rois , qu'on ctoit accoutume, dans l'Orient,
à regarder comme les plus puissans de tous.
Des deux royaumes Mongols qui se formèrent vers cette
époque dans des régions rapprochées de l'Eiu-ope , il n'y
a que celui de Perse qui, à cause des croisades, ait con-
servé quelque communauté d'intérêts avec la France. Le
Kaptchak continua bien d'avoir avec les Russes , les Hon-
grois et les Polonais, des rapports fréquens qui mérite-
roient d'être étudiés séparément ; mais nous devons laisser
le soin de tracer les détails de ces négociations particu-
lières à des personnes plus à portée que nous d'en recher-
cher les monumens originaux , et nous nous bornerons ,
dans un second Mémoire , à examiner les relations diplo-
matiques des successeurs d'Houlagou sur le trône de Perse
avec les papes , les rois de France , et les princes des
autres états dont l'histoire a une connexion phis étroite
avec celle de notre patrie.
y
470 .MKMOIRES DE L'ACADÉMIE
■ 8i
MEMOIRE
SUR
UNE CORRESPONDANCE INÉDITE
DE TAAIERLAN AVEC CHARLES VI.
Pah m. le baron SILVESTRE DE SACY.
Lu le j Avril iVl. DE Fi.ASSAN , dans son Histoirc générale et raisonncc
de Li diplonuitie Française, a donne une courte notice
d'une correspondance qui eut lieu, en i 403 1 entre Timour,
que nous nommons communément Ttimcrhin , et le roi de
France Charles VI, M. de Flassan a fait connoître, autant
qu'il ctoit nécessaire pour son objet, la lettre de l'empe-
reur Mogol , écrite peu de temps après la victoire rempor-
tée par ce conquérant sur Bajazet , ainsi que la réponse de
Charles VI ; et il a eu soin d'avertir cjuc les originaux de
cette correspondance existoient au Trésor des chartres.
Ce^Ê indication ayant piqué ina curiosité, j'ai pris com-
miti^ration de ces originaux, et ils m'fint paru mériter
d'ctrel'objetd'un travail particulier. Qiioique les recherches
auxquelles ces monumens historiques ont donné lieu, ne
soient pas d'une grande importance , j'espère cependant
qu'elles ne paroitront pas entièrement superflues.
Je commencerai par décrire les j^ièces originales de
cette correspondance.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 471
La première, écrite sur une feuille de papier longue et
étroite, est en langue Persane ; elle ne contient que qua-
torze lignes d'écriture. Du côté où commencent les lignes,
on a laissé une marge d'un peu plus du quart de la largeur
du papier. Le papier est assez épais et sans aucune marque
de fabrique ; il n'est décoré d'aucun ornement. Les noms
de Tamerlan qui forment la première ligne, et les mots
qui désignent le roi de France et qui sont écrits sur la
marge de la seconde ligne, paroissent avoir été tracés en
encre rouge, et ensuite en encre d'or. A la fin de la se-
conde ligne est un renvoi de la forme d'un v, aussi tracé
en encre rouge et en or, qui indique que c'est là qu'il faut
rapporter les noms de Tamerlan , qui occupent par hon-
neur la première ligne. Ces détails peuvent sembler minu-
tieux; mais ils sont essentiels, parce qu'ils montrent que
l'empereur Mogol se formoit une très- petite idée du roi
de France : autrement il auroit employé un papier plus
grand et parsemé d'ornemens d'or ; il auroit laissé une
marge plus large, et un grand espace vide au haut de la
lettre; enfin il n'auroit pas mis son nom au haut de la
lettre, au-dessus de celui du roi. Mirkhond , racontant
la vie du khalife Mamoun , rapporte que, l'empereur Grec
lui ayant demandé la paix , il n'acquiesça point à cette
demande , et il ajoute : « On dit que son refus vint de ce
» que l'empereur Grec, dans sa lettre, avoit écrit son
" propre nom plus haut que celui du khalife. » A l'extré-
mité de la dernière ligne de la lettre est le cachet de
Tamerlan : il est de la grandeur d'une pièce d'un franc.
Au dos , tout au bas du papier , est l'empreinte d'un autre
cachet un peu plus petit. On lit sur le bord du papier,
472 MEMOIRES DE L'ACADl MIE
et au dds , ces mots en caractères gothiques, la Ire du
Tiimhurhm , avec le chiffre romain vj , et cl une écriture
moderne, ix , Turàco char.
La seconde pièce, qui contient deux lettres, l'une de
Tamerlan , l'autre de Mirzu Miranschah , l'un des fils de
Tamerlan , toutes deux écrites en latin , est un parchemin
carré, de onze pouces huit lignes de long sur une égale lar-
geur. On lit en haut, sur la marge, et d'une écriture très-mo-
derne , mai 1^0^ : mais cette pièce est ainsi cotée au dos , en
caractères gothiques : v//. copia Ire Tlicmur hcy Kurancan
Sosumus misse domino tiostro rcgi me/ise maji ariiio Domiiii ni."
quadringcntcsimo tertio.
La troisième pièce, écrite sur un parchemin haut seu-
lement de sept pouces six lignes et large de dix pouces
dix lignes , est intitulée sur la marge : ij juin /^oj. Co-
pie de la lettre envoyée par le roi Charles VI à Themur hey ,
dit CamhuUant. Cet intitulé est très-moderne, et il y a
une faute dans le dernier mot. Au dos, on lit en carac-
tères gothiques : Copia Ire misse p dum nrum rcgc Thcmirbeo
dco Tambullant , anno dni m." cccc." iij." VIII [i).
Après cette description matérielle des pièces dont il
s'agit, je vais les transcrire ici en entier , afin qu'on en-
tende mieux' ce que je devrai en dire par la suite. Je
joindrai à la lettre Persane de Tamerlan une traduction
littérale.
Je traduirai cette lettre en latin, afin de pouvoir être
plus littéral , et pour que les lecteurs soient plus à portée
(i) Ces trois lettres sorfl les seules
pièces relatives à cette négociation,
qu'indique l'invCntaire du Trésor des
ciiartrcs , conserve à la Bi!)liothcqiie
du Roi, et dont j'ai pris la commu-
nication.
de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 47Î
de comparer la lettre Persane avec la prctendue traduc-
tion Latine présentée au roi Charles VI,
J>\c ^^ ^ ''^'h'^' ?*■•^'^■' J •^-*'. j^:-*^ ^"^'Dj U^4^ r
^u c^^_ >j 5^*^ J jjlSsLo o— >lSv«j ->^-^*^ ^r^ ^■■'^■
-j-ftj tl^voj;^ ^_£^ J^ «jIaavJ t2-^^,Xji2 ^JUaix»/ Ia,u«.^j\/«
^j>i -v^ jM' (j' j' 7^^ 0_y^^^ ""^"^ ?^l? "^.^"-^ jJ«.£=sa
A^=s» Job e^^^jSsJS Jjj (JvA^W jis\». ,J-M/ U JoU jl» J1AÊ=»
^^mé5 (j^-i>»->J j^» Jâyjui fJjS*^ Sr*^ -^ /r*^*^- J^>_)^.«* ç^^
Tome VI. O»
474 .Wf. MOIRES DF. LACADIMIF.
Em'irus niagtitis Ternir Coaran-,- au^tatur vit/i rjus .'
Centies mille salutationum et votoium au hoc suo amico acciperc
vclit rex Hei>IFRaNSa , cum multis hujus mundi desideriis ( i. e.
votis nd hujuscc mundi felicitntcm pertincntibus ) , Votis oblatis , notum
fat menti excelsœ hujus magni emi'ri , qucd quo ttmpore fratcr Frjn-
ciscus piadicator ( i.e. c fratrum prccdicatorum familia) ad has partes
venlt, lîtterasque regias attulit , et exposuit iottam famàm , magnilu-
diuem tt potentiam hujus magni emiri , vehtmenter gàvis'i sumus. Nolùs
quoquc narravil quod ( hic cmirus ) cum magno exercitu profectns fuetit ,
adjuvante Creatort excelso , et hostes nostros vcJtrosque vicerit et pro-
flig<iverit. Posiea frater Joanncs , MAR HASIA (i. e. cpiscopus) Sul-
taniensis,-àd vos missus fuit : ifise vobis exponet qujicumque evenerunt.
Nunc autcm ah illo magno emiro speramus , ipsum nobis indesinentcr
litteras augustas inissurum , et de sua salute nos certiorcs facturuni ,
ut inde solatium nostrœ menti obveniat. Oportet prœterea mcrcatores
vestfos^d'has' partes miiti ,Mt qutmadmodum il lis honorent haberi et
rtverentiam curabimus , iia quoque mercatores nostri ad illas partes
ccmifleenf, et illis honOr ac reverentia habeatur , ntc quisquam \im aui
Augfnentufli j(^i, e. gravdmen ultra id quod solvcre tenentur ) eis facial ,
quia mundvS pef niercatores prospcratur. At quid juvat titteris me
longioribuj u(i ,'' Cclsifuda ( vestra) pcr multos annos felUitate utatur'.
VaU:
Scripta elt ( hxc tplstoU) initia mtnsis moharram venerandi , anno
octingentesimo qu/nlo hegirœ.
-I — ;! r^
Il est nécessaire de faire qucKjiies observations sur divers
endroits de cette k'ttrc.
■- 1 ." Si le nom de Timour on Tainerlau v est écrit Ternir ,
cela ne doit point surprendre. £n effet, Ebn-Arabschali ,
dans son Histoire-de Tiinur/iin , après avoir dît que le nom
/
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 47 5
de ce prince s'écrit et se prononce ordinairement Tïmour,
observe que quelques-uns écrivent et prononcent Témour ,
et d'autres , Témir Icnk, sans qu'on puisse leur reprocher en
cela aucune faute ; il ajoute qu'en langue Turque ternir
veut dire du fer. On écrit, il est vrai , communément en
turc j^/^'> , démir; mais on voit dans le Dictionnaire de
Meninski , que quelques Tartares écrivent ce mot par un
<— > , et prononcent_^,///7/«r. Ruy Gonçales de Clavijo,
chambellan du roi Henri III, qui avoit été envoyé en am-
bassade vers Tamerlan , et qui a écrit la relation de cette
ambassade, publiée en 1582 par Gonçalo Argote de iMo-
lina à Séville, dit positivement que Tûmur-bec est un nom
composé de tamur, fer, et bec, seigneur; mais il en conclut
mal-à-propos que Tamur-bec \ewt dire seigneur du fer (i).
2 ." Au nom de Ternir est ajouté le mot courait , ^^V|^^= :
c'est une faute de celui qui a mis cette lettre par écrit ;
il devoit écrire <j\Sj^^=» , courcan. Dans les lettres La-
tines, on lit effectivement curancan. Ebn-Arabschah, que
j'ai déjà cité, dit : « Lorsque Timour se fut rendu maître
•» du Mawaralnahr et eut pris le dessus sur ses égaux,
« il épousa les filles des rois , et l'on ajouta à ses titres
(i) E oircs'i el Tamiirbec es su
rombre proprio este, e non Tamorlan,
corne lo nos Uamamos , ca Tamurbec
quiere df^ir en su propria lengua senor
de fierro, ca por senor di-^en ellos
bec, e por fierro tamur, e Tamerlan es
bien contralto del su senor, ca es
nombre que le llaman Endennesto ;
porque Tamorlan quiere de^ir tollido ,
corne lo quai elloera tollldo de la ma-
no dereclia , e de los dedos pequehos
de la maho derecha , deheridas que le
fueron dadas, robando caméras una
noche.
Voy. Historia del gran Tamorlan,
e Itinerario y Enarracion del viage
y Relacion de la embaxada que
Ruy Gonçales de Clavijo le liizo,
por mandado del muy poderoso se-
nor rey Don Henriqueel tercero de
Castilla. En Sevilla, i^Sz; fol. 27
recto,
O'ij
47<5 MIMOIRES DE L'ACADÉMIE
- celui de courain , mot qui, dans la langue des Mo-
•' gols, signifie getiJre , parce qu'il avoit contracte des affi-
» nitcs avec les rois, et avoit acquis le droit d'agir et de se
»> reposer dans leurs maisons. >»
3.° Charles VI n'est point nomme dans cette lettre;
il est appelé RcJifniiisa , et ce mot est prcccdc du mot
caJ^, ;•()/■; ce qui prouve que l'auteur de la lettre a pris
les mots Rc'Jifrdiisa pour un nom propre. C'est ainsi que
les liistoriens Orientaux qui ont écrit l'histoire des croi-
sades, appellent S. Louis Reidafraiis , j*Jji'j-)» . Abou'l-
féda , parlant de S. Louis, dit cpie le Reidafrans est \\w
des plus grands rois des Francs ou Européens ; qu'en leur
langue re'id signifie roi, et c^Afrans est le nom d'une
grande nation des Francs , en sorte que Re'id Afrans est la
Ainai.Moiiem. mcme chose que ,y^J^ <-^^ ^'i arabe. Abou'lfaradje ,
moins instruit sans doute , prend si bien Rcidafrtvis pour
\\\\ nom propre, qu'il écrit : Rcidafraus , roi de Firûndja ,
liiit. <fyt,,tii. Ai. ,5 (JàLû , ^^^y . Dans sa Chroninuc Syrianue , il le
^9-- nomme de m<}me.
Bar-Hàr.
Chnn.Sj/r.iixi. À /> Les mots tiiûr lidsya , que j'ai traduits par enrscopus ,
Sir.p.jg.sn. ^ c • • V j
ne sont pas rersans; ils sont byriaques : aussi 1 auteur de
la lettre, du moins celui qui l'a mise par écrit, et qui ,
en général , a omis tous les points diacritiques , ce qui
* en rend la lecture assez difficile, n'a-t-il négligé aucun
des signes propres à déterminer la valeur des lettres
du mot fiasy^. Mar , jU , est un mot Syriaque qui si-
gnifie proprement seigneur; c'est un titre qui se donne
à toutes les personnes respectables. En syriaque, il s'écrit
tom
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 477
' ; il a passé dans le langage Arabe des chrétiens,
quH'écrivent et le prononcent J^,viar. Qiiant à ^--^ ,
cest le mot Syriaque jLûxI , dont le sens propre est
plus . sanctns, mais qui d'adjectif est devenu nom dans
le langage ecclésiastique , et veut dire évêque, comme Mi-
chaëlis l'a fort bien observé dans son édition du Diction-
naire Syriaque de Castell. La langue Syriaque ayant
toujours été la langue ecclésiastique des chrétiens Orien-
taux de la Perse , de l'Inde et de la Chine, on ne doit
point s'étonner de trouver ici une dénomination originai-
rement Syriaque. Le siège catholique de Sultaniyèh étoit
archiépiscopal , comme on le verra par la suite ; mais la
dénomination Syriaque employée ici , ne désignant pas
par elle-même un grade déterminé de la hiérarchie, n'en
convient pas moins au prélat dont il s'agit.
5 .*' La lettre est datée du i .^'" de moharram de l'an
de l'hégire 805 , ce qui revient au i." août i4o3'
6° II y a dans le style de cette lettre quelques négli-
gences, et l'on y remarque plusieurs fautes d'orthographe,
;^£= pour (j^ ^,^^=' »
\--C — . nniir , .\ S.-C- — . cJ^ 'kA\S
>our
comme i^\)^=> pour jj^ ■'jy=' > v^-^ '^Jj P
^j^j>j^^ ( I ) , ^>jl5v« pour cJw^lSU , 4jlSX« pour
aÀ^^Lo , &c. D'ailleurs , il est peut-être sans exemple que
le plus petit prince de l'Orient écrive une lettre d'un style
aussi simple , pour ne rien dire de plus , et dénué de tout
ornement. Nous connoissons quelques lettres de Tamerlan
et de son fils Schahrokh , et leur style n'a assurément
(i) Peut-être est-ce ^ti — i-?jf qu'on a voulu écrire; ce qui signifieroit
gloriHj exisîbnatio , decus.
478 MÉMOIRES DE LACADÉ.MIE
aucun rapport avec celui de la lettre dont il s'agit. Mais j'aih
ticipe ici sur des reflexions qui trouveront leur place dans
la suite de ce Mémoire. Je passe maintenant aux lettres
Latines, que je vais transcrire ici fidclcmcnt, et sans mcme
en corriger la ponctuation. La première, qui est écrite au
nom de Timour, porte l'intitule suivant:
Hœc est copia sive stntentia littera magnifie! domini Thcmurbey ,
quant misic sercrùssimo régi Franciœ , translata de persico in la-
tinum.
Apres cet intitulé vient la traduction, ainsi conçue:
J i,:niur Kurankan Sosumus. Screnissimo ac vietoriosissimo , et amico
Allissimi , utilissimo mundo , vietoriosissimo bellorum magncrum ,
MELICH et SOLTHAN , Francorum régi ac multarum aliarum na-
t'ionum , salutem et pacem dico, Optamus statum vestrum audire
semper in honum , sicut de verts amicis ; sicut nomen vestrum diffusum
est usque ad longintjuas parles , et famam intcr omnes reges , audi-
vimus perfratrem Jchanneni , archiepiscopum totius Orientis , qui aliàs
etiam mis sus ab aliquibus Francis ad me, et consimiliter perfratrem
Franciscum Ssathru , de extensione dominii vestri in muftis parti bus,
et specia/iter in hiis (sic) , ut nuper audivimus dum esscmus in Fur-
cfiia, et plus, et de utilitate mercatorum et omnium aliorum , de magti-
Jicentia, potcntia et ordine in curia vestra non modieîim lectati sumus ,
et quœ audivimus de inimicitin vestrorum cum Thurco Baa^ato, lieu
in lege et in fide sit mecum , tamen quia non servavit pactum meum
et cum meis amicis , ideo disposuimus destruere ipsum , et inducti per
dictos fratres et per promissiones vestrorum subdilorum , contra ipsum
inimicum vestrum et nostrum ad partes Thurckia accessimus , et,
Deo juvante, ipsum Baa^itum et tofam patriam sujm in brevi anni-
chilavimus ; et, ut consuetudo est magnorum principum et amicorum
iniimare fact.i magna/ia ita , quare ad vestram mafrnificenflam dictum
Johanncm archiepiscopum destinavimus , ut statum et ernditiontJ nostras
et cetera qua gesta suni in partibus istis , et circa inimicum vestrum ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 479
et de amore et unitate tjuœ cïrca vcstros egimus ac causa multarum ut'ilï-
tatum hiis ( sic ) diebusfuhnûs , et totum ad honorem et aniorcm vestruni
et Vi'strorum hic latiùs informabit , et dicet, qucm tanquam vestrum
et nostrum recommandamus , ac ipsum cudite tanquam Jide d'ignum ,
excepta in causisjidei. Cvpientes de bono statu vestro audire , et vestros
ad nostras partes , et nostros ad vestras , sicut tempore bonorum prœ-
decessorum amodo ire et redire , ut vestrœ et nostrœ magnijicentiœ cedat
ubique ad nominis laudcm et patriœ mercatorum utilitatem. Sicut
nunc prasentialiter cernitur securitas mercatorum vestrorum in partibus
nostris. Cetera gesta et facta et dicenda dictus archiepiscopus dicet,
quia magno tempore fuit in istis partibus , et novit mulia. Datum
circa Sebastum , die prima mensis moharram, anno Machumeli octin-
gentesimo quinto,
La seconde lettre Latine , qui se trouve à la suite Je la
précédente , est intitulée ainsi :
Hœc est copia sive sententia litterœ demini Amir^a Miranxa,
'translata de persico in latinum.
Voici la teneur de cette seconde lettre :
Miranxa Curancan Sosumus. Electis in fide Xpanorum , dilectis à
Deo omnipotente , magnificis regibus , principibus , communitatibus et
dominis Francorum , sive Xpanorum, salutem dico cum omni amore,
et notum jacimus vobis quia sicut velletis ira et invenietis , et nmnia
secundum vestra beneplacita erunt, quia ista scriptura in mense ^u-
caman scripfa fuit in salutem et pacem et amorem amicorum , et
omnia quœ à Deo procedunt in bonum. Et causa hujus fuit informatio
Johannis archicpiscopi totius Orientis , quia ipsum priiis rnisi cum
nostris litteris ad duas vestras civitates famosissimas Januam et
Venetias , et inde portavit in multas et gratas informationes de vestris
magnifcentiis. Intérim vero venit frater Franciscus Ssathru, et gra-
tanter susceptus à vobis, et propter informationes ipsorum , magnificus
ginitor noster et nos quasi inclinati ad amorem vestrum et vestrorum
48o MEMOIRES DE L'ACADEMIE
multa faceremus sicut tt ftclmus , quia p(r inJucttonem ipsorum poien-
tissima pottnt'ui nostra fuit cxcitata contra inimicum nostrum tt ves-
trum , et ipsum debellavimus et dcstruximui , et adhuc f.icicwus ut
audictis, et de hoc gratins Dco agimus , et petimus ut amer in fer vos
et nos augmcntetur. Et genitor noster , videns Jîde/itatcm dicti archie-
piscopi ad nos et ad vos , ipsum ad vos destinavit, ut , tjU'isi pninia
noscens , vos informa ùit tarn de potentia invictissima tjuàm de gestis et
factis , et etiam de uti/itate istarum partium. De mcrcatoribus autcm
volumus quàd secure transeant ad nos, sicut et nunc sunt securi , et
quhd noitri apud vos et vestri apud nos sint securi ; et si inter nos est
diffcrentia fdei , tamen in hoc mundo amorem salvarc debemus propter
utilitatem multorum et specialiter mcrcatorum. Cetera gesta facta
dicenda dicet dictus archiepiscopus, et ideo ipsum tanquamjide dignum
txaudite , et propter labores suos multipliées ipsum honorate sicut et
nos facimus. Datum prope Sebastum , mense ut suprà , anno Alacliu-
rncti octingcntesimo quinto.
Les deux lettres que I on vient de lire exigent diverses
observations, que nous abrégerons autant qu'il sera possible.
I.' Le mot ciirancûii qu'on lit dans l'une et dans l'autre
après les noms de Timour et du mirza Miranschah ,
n'est autre que le mot courcan , dont nous avons dcjà
donne l'interprctation. Nous ne croyons point qu'aucun
écrivain Oriental donne ce titre ou surnom au mirza
Miranschah , ou à aucun autre prince de la race de
Timour. Comme nous n'avons pas l'original de la lettre
de Miranschah, nous ne pouvons point vérifier la fidé-
lité de la traduction.
2." Le mot sosumus , qui suit lumnain dans l'une et
l'autre lettre, seroit une énigme inexplicable, si nous n'en
trouvions la solution dans le Voyage de Chardin. Nous
aurions d'autant moins deviné ce que c'est que ce mot,
qu'il ne se lit point dans l'original Persan de la lettre de
Timour.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, i^i
Timour. Chardin a publié la traduction figurée du passe-
port ou patente qu'il avoit reçu du roi de Perse Abbas II.
Dans cette pièce, au-dessous du sceau ou iiiscluin , ^^JJ^ ,
et à la suite du togra, j**» > ou paraphe du roi , se trouvent
des mots que Chardin a rendus par ceux-ci : commande
absolumciiî. Ce voyageur fait à cette occasion l'observation
suivante : « Tout ce paraphe est en lettres de couleur,
>' excepté les mots qui signifient seigneur du monde , et
" ceux que j'ai traduits commande absolument , qui sont
» en lettres d'or. Le terme que j'ai traduit seigneur du monde,
» est Sakeb - Keranat [lisez Salieb , CyS^^ <_>sfc.Lo], qui
" signifie littéralement seigneur des conjonctions favorables ,
" dans le même sens que nous dirions le maître de la for-
" tune{\) : car Keranat signifie la conjonction de plusieurs pla-
" netes en un des signes du lodiaque. . . Ces mots f commande
» absolument) , qui sont lelsiiouioumis , sont de l'ancien
»• turc , encore en usage en la petite Tartarie : ils signifient
» proprement mes paroles ou je parle. C'est Tamerlan qui
» commença de mettre ces mots en ses patentes, que
» les rois de Perse ont retenus. " Les mots lelsijouipmnis,
ou .comme on lit dans l'édition de 171 1 , en deux mots, ?^-^ '" ^''"'''
... ^ idit. lie l'dn's ,
lels iiouioumis , sont extrêmement corrompus, comme la iSn . wm. 11,
plupart des mots Arabes , Persans et Turcs insérés par ^'^' ^^
Chardin dans sa relation ; mais la traduction qu'il en donne
peut aider à les rétablir. M. Langlès a substitué à ceux-ci
seuiemi: ce qui n'est pas exact; car, pour dire mes paroles, on
(j) Ebn-Arabschah semble don-
ner une autre acception à l'expres-
sion o[^ tj^L» . ( Vit. et Res gest.
Tome VI. P3
Tiin. arab. et lat, id. Mander, t. II ,
pag. 786. )
Eiiit. inS.' I.
482 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
diroit en turc seiiileru/n , ^Jij^ , et poiiryV parle , fij^'y^ ,
U,paj.i7s- seujicrum : mais, si à mes paroles on substitue noire parole,
on aura seuiuniiii. j^^ij^; ce (jui est précisément le so-
sumus de nos lettres Latines. Criui qui les a traduites ou
rcdigces savoit qu'il ctoit d'usage de mettre ce mot à la
tcte des commandemens royaux (i). Soit qu'il en ait ignoré
le sens ( ce qui peut ctre , ce mot n'étant point Persan,
mais Turc), soit qu'il n'ait pas jugé à propos de le tra-
duire , il l'a conservé en original (2).
3.*^ Chacun a dû remarquer qu'il y a bien peu de rap-
port entre l'original Persan de la lettre de Timour et la
prétendue traduction Latine; que dans cette dernière, par
exemple , le roi de France est traité avec beaucoup plus
d'honneur, l'archevcque Jean recommandé d'une manière
spéciale, la victoire sur Bajazet annoncée très-expressé-
ment , toutes choses qui ne se trouvent pas dans l'original
Persan : mais entre ces différences générales il y en a
une qu'on pourroit ne pas remarquer, et qui est cepen-
dant bien essentielle ; c'est que le roi de France est qualifié
dans la traduction des titres de mclik , LiiX» , et solthan ,
^jJiLv, c'est à dire roi et sultan. Le premier de ces titres
(1) Cette courume vient doDjcn-
ghiz-klian; car Ehn- Arabscliah, d.ins
son « . j^Ul». »LiL>- t-^ssAs <_)l*i
.IjjJj! ( Man. Arab. de la Biblioth.
duKoi, n.*" 1511, fo!f2r8 recto), Ah
que Djçnghiz-khan avoit coutume,
au commencement de ses lettres et
de se» diplômes, d'écrire simplement
son nom en cette manicre : ^^-^^Ij^
^f^U^ ^, c'est-à-dire, Djengliiz-
Uun, ma parole, ou paroles de Dj'tn- '
ghii-khan. Puis il écrivoit à la ligne
d'au-dessous, en commentant au
milieu de la ligne: à un ul j (ju'il
fasse telle ou telle chose.
(2) Ce traducteur semble avoir
cru que Couraitcan et Sosu mus étoient
des noms conimuns à Tamcrian et
aux princes de sa maison. Le mot
x^//-i/w;/^ étant Turc, et non Persan,
il est peu surprenant que le traduc-
teur en ignorât la signification.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 453
ne fait aucune difficulté; il est donné au roi dans l'ori-
ginal, au commencement de la lettre, quoique par-tout
ailleurs ce monarque ne soit désigné que par la déno-
mination de grand émir, jv^ jys^ : mais quant au second
titre, celui de sultan, les musulmans ne l'accordent pas
volontiers aux princes chrétiens, et j'ai beaucoup de peine
à croire que Tamerlan s'en fût servi à l'égard d'un prince yoy.iiC/ues-
-^ ^ , )M tom.itn. Ar. tom.
Européen ; ce qu'il y a de certain , cest qu il ne se trouve ni.pag.p^. a
• I i> • • r . SU il',
pomt dans lorigmal.
4.° La qualité d'archevêque de tout l'Orient, ûn/ii-
episcopum toîius Orientis , donnée à l'archevêque de Sulta-
niyèh , n'a aucun fondement dans l'original de la lettre , où
ce prélat n'a ni la dénomination de cathoUciis , (J^JjW , ou
U'^À* > ni même celle de viatran , {Jya>» , que portent
beaucoup d'évêques des principaux sièges. Elle n'en a
pas plus dans les bulles d'érection du siège archiépiscopal
de Sultaniyèh , ni dans celles d'institution des prélats
nommés à cet archevêché , comme on le verra par la
suite (i).
5.° Suivant la traduction , Tamerlan, en priant le roi
de France d'ajouter foi à ce qui lui sera dit par l'arche-
vêque Jean , ajoute cette exception , excepta in causisfc/ei.
Cette restriction ridicule a bien pu venir dans l'esprit d'un
(i) On peut conjecturer que les
archevêques de Sultaniyèh se trou-
voient autorisés à prendre ce titre
pompeux, par l'importance de la ville
où ils avoient leur résidence, et qui
étoit alors le rendez-vous de tout le
commerce de l'Asie, et une capitale
très-florissante , comme on peut s'en
convaincre par la description brillante
qu'en fait Clavijo, témoin oculaire.
Il est bien peu vraisemblable,
pour le dire en passant , que Tamer-
lan ait saccagé cette ville, comme
l'ont avancé quelques écrivains.
Voyez le Voyage de Chardin, édit.
de Paris , 1 8 u , tom. II , pag. 3 80.
Ps ij
^i MK.MOIRES DE L'ACADEMIE
moine; maisTamerlun ou son ministre ne rauroit jamais
1 mai: m ce.
6." La lettre de Miranschah n est point adressée particu-
lièrement au roi de France; elle lest en général aux états
chrétiens des Francs, tiiiigiiijuisrcgiln/s, principibiis, commutii-
tiitilnts et dominis Frûiicoriim sive Xpaiiorum. C'est peut-être
la raison pour laquelle nous n'en avons point l'original.
L'archevècjue Jean , cjui devoit sans doute le présenter à
divers princes ou républiques , a pu le garder par-devers
lui. On voit par cette lettre que Jean avoitdéjà été envoyé
à Venise et à Gènes par l'empereur Mogol. Charles VI
ne répondit qu'à la seule lettre de Tamerlan.
•j." Dans la traduction, la lettre de Tamerlan est datée
des environs de Sébaste : l'original ne fait aucune mention
du lieu oii elle a été écrite; et si elle est effectivement du
premier jour de l'année 805 , il est bien difficile de croire
qu'elle ait été écrite de Sébaste; car, à cette époque,
Tamerlan devoit être près d'Ancyre , comme nous le ver-
rons tout-à-l'heure.
8.° La lettre de Tamerlan est datée dans la traduction ,
comme dans l'original, du i .'^ moharrani 805 , c'est-à-
dire, neuf jours seulement après la victoire remportée
sur Bajazet à Ancyre, ainsi que je l'établirai dans un ins-
tant; mais, quant à celle de Miranschah , la ilate n'en est
pas aussi certaine. On lit dans le cours de la lettre, <////'<;
istii scriptuhj in m en se ^ii caïman scrifita/itit ;ct à la fin , d.nuni
prope Scbiistuvi, vicnsc ut suprà , (iniin ALu/iuincfi octingcnte-
simo tjtiinto. Le mot lUiOrnan est le nom défiguré d'un mois
Arabe; ce ne peut cire que oJj»J5 j> , ipu-kandoh , ou, comme
disent les Arabes , ïJJiij' ji, dhoii Ihuidiih ; car il n'y a aucun
e
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 4«J
autre mois dont le nom ait le moindre rapport avec le mot
lucarnan. Le mois de dhou'lkaadah étant l'avant- dernier
de l'année Arabe , il seroit naturel d'en conclure que la
lettre de Miranschah a été écrite vers la fin de l'an 805,
entre le 22 mai et le 2 i juin 1403. Mais c'est ce qu'on
ne peut admettre, la réponse de Charles VI étant du i 5
juin 1403. Il faut donc en conclure que le mois de dhou'l-
kaadah dont il est question dans la lettre de Miranschah,
appartient à l'an de l'hégire 8o4 , et répond au mois de
juin 1402, et que si le traducteur a mis à la fin de la
lettre mense ut supni , il a eu en vue la date de la lettre
de Tamerlan, en sorte qu'on doit entendre par-là le mois
de moharram 805 , août i4o2.
Tant d'inexactitudes et de difficultés réunies pourroient
inspirer des doutes sur l'authenticité de ces lettres. Pour
nous mettre en état d'en porter un jugement , examinons
dans quelles circonstances elles ont dû être écrites, et,
pour cela , voyons quelle étoit la position de Tamerlan
le premier jour de l'an 805 de l'hégire; ce qui pouvoit le
porter à établir une correspondance amicale avec le roi
de France ou d'autres princes Européens ; ce que c'est
que Jean archevêque de Sultaniyèh ; enfin si les lettres
de Tamerlan et de Miranschah ne présentent point quel-
que anachifonisme qui puisse dévoiler une surprise fiiite à
Charles VI et à sa cour : car il n'est pas possible de douter
que les lettres dont il s'agit n'aient été présentées à ce
prince , et , suivant toute apparence , au mois de mai 1403-
Sa réponse , que je donnerai à la fin de ce Mémoire , est
du I 5 juin 1403-
Observons d'abord que plusieurs écrivains qui ont
Aî6 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
parle (Je cette correspondance, l'ont fait tlunc manière
tort peu exacte (i).
Hisi.de Fr,tnct. ]\î, jg Villaret s'expriine ainsi , après avoir parle Je la
/■m. Ml, i:iji. . . , , , in- -r
s,-) dctaite, de la captivité et de la mort de uajazet : « 1 amer-
»• laii put alors se regarder comme vainqueur des trois
" parties connues de l'univers, et justifier, en quelque
»• sorte, i'emblème des trois globes qu'il avoit pris pour
» devise. Avant que de marcher contre Bajazet , il avoit
•• écrit au roi de France. On conserve encore dans le
» Trésor des chartres les lettres originales du conquérant
» Tariare et du prince Miranxa, son fils. Il proposoit une
» alliance offensive et défensive avec la France contre le
» Turc, leur ennemi commun. Ces lettres contenoient
» de plus un projet de commerce entre les sujets des
»» deux empires ; ce qui prouve que ce prince étoit en
» même temps politique et guerrier. Le roi ne répondit
» que vers la fin de l'année i4o3» et les envoyés char-
«• gés de porter cette réponse n'arrivèrent que peu de
•• temps avant la mort de Tamerlan , arrivée en 14^5 ">
•• ce qui empêcha la suite de ces négociations éloignées.»
II y a ici presque autant d'erreurs que de mots. La date
des lettres de Tamerlan est postérieure à la bataille d'An-
cyre. Charles VI répondit le i 5 juin i4oy, il remit celte
réponse à l'archevêque qui avoit apporté les lettres de
l'empereur Mogol , comme on le voit par sa réponse,
calquée , pour ainsi dire, sur la lettre de Tamerlan ; et il
n'y eut ni ambassadeurs envoyés pour la présenter , ni
(1) Je réserve pour la fin de ce
Miimoirc un passage Je V/Iistoirc
de Charles VI, traduite et publiée
par Le Laboureur, pass.Tge dans le-
quel il est question de cette corres-
pondance.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 487
aucune négociation de politique et de commerce entamée
à cette occasion.
M. de Flassan, qui a vu et extrait les pièces Latines de
cette correspondance , a cependant commis une erreur assez
grave: il appelle l'archevêque de Sultaniyèh, qu'il qua-
lifie d'ûrc/ievécjue de tout l'Orient, comme il l'a lu dans
ces lettres, Joseph, tandis qu'il est constamment appelé
Johamies.
On n'aura pas de peine à croire -que Tamerlan avoit
entendu parler de la bravoure des dix mille Français qui,
sous la conduite du comte de Nevers , étoient allés grossir
l'armée avec laquelle Sigismond, roi de Hongrie, s'oppo-
soit aux progrès de Bajazet, et qui avoient vendu si chère-
ment leur vie à la trop fameuse journée de Nicopolis , à
la suite de laquelle le monarque Ottoman souilla , par le
massacre des prisonniers, la gloire dont il venoit de se
couvrir (i). Les missionnaires Européens qui habitoient
ou fréquentoient diverses parties de ses états, n'auront pas
manqué de lui vanter la puissance du roi de France, et ils
peuvent s'ctre prévalus de l'inimitié commune des princes
de l'Europe et des Mogols contre les Turcs, pour s'assu-
rer quelque considération. C'est à cela que l'on peut rap-
porter ces expressions de la lettre originale de Tamerlan :
« Le même frère prêcheur nous a raconté comment ce
'» grand émir s'est mis en marche avec une nombreuse
» armée, assisté du secours du Créateur, et a vaincu et
» défait nos ennemis et les vôtres »; quoique, dans, la
vérité, ces prétendus avantages fussent une défaite san-
(i) La Chronique de Froissart | intéressant de cette malheureuse ex-
contient un récit trés-détaillé et très- | pédition et de ses suites.
488 . MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
plante, qui coûta à la France des sommes consiJcrables
et dix mille hommes, au nombre desquels il y avoit,
suivant les historiens, plus de mille chevaliers ou ccuyers.
Qiie, dans ces circonstances et à l'instigation des mission-
naires, Tamerlan, à qui les mêmes missionnaires avoient
déjà présente des lettres du roi de France, se soit porte
à charger l'un d'eux d'une lettre pour ce prince, soit avant,
soit après la bataille d'Ancyre, cela n'a rien en soi que
de très-vraisemblable. Voyons maintenant ^i les lettres
dont il est question sont antérieures ou postérieures à la
défaite de Bajazet, et commençons par fixer, s'il est
possible, la date de ce fameux événement,
M. Langics , qui a placé cà la tète de sa traduction Fran-
çaise des Instituts politiques et militaires «le Tamerlan ,
une vie de ce prince, dit dans une note, page 88 :
«•Timour étoit âgé de soixante-six ans lorsqu'il livra, près
» d'Ancyre, cette fameuse bataille contre Bayazed , le
"Vendredi i6 juin i/joide Jésus-Christ [ hégire, 19
» de zoulcadé 804], selon Chérilfeddin , et le samedi
•' 2p juillet i4o2 [27 zoulhajah So.j], selon Arabchah,
•> qui se trompe certainement en mettant (jUtHricme jour
» [ le mercredi], au lieu duyo//r</w sabhût [le samedi]. L'é-
» diteur peut avoir \v\ youm erraha, au lieu de youm essaim.
»> Les calculs certains d'après lesquels nous avons opéré,
»> nous ont découvert cette erreur (i). »
Suivant les tables de Greaves, l'an 805 de l'hégire a dû
•
(1) Tout ceci n'est conforme ni
au texte de Sclicrcf-cddin, ni aux
calcul) chronologiques.
Le mercredi se nomme en arabe
ydtitn cLirhiia , IjMjVI ^yi , et non pas
ycum erraha; et le samedi s'appelle
yaum clstibi , t>^— " f^ , et non pas
)cum tssaba.
commencer
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 4S9
commencer le hindi 31 juillet 1402 , et, l'annc'e 804 étant
bissextile , le mois de lou'lhiddjeh ou dliou'lhiddjali de cette
année a dû être de trente jours. Ainsi le i .^'' de dhou'l-
hiddjah 8o4 a concouru avec le samedi i.'^'' juillet 1402,
et par conséquent le 27 du même mois Arabe a dû tomber
au jeudi 27 de juillet. Dans la même hypothèse, le \^ de
lou'lcadèh ou dhoulkaadah , mois de trente jours , coïncide
avec le lundi ip juin 1402. Si l'on aime mieux suivre le
calcul des auteurs de l'Art de vérifier les dates, l'année 805
de l'hégire commençant le i/"" août \/[0^, le i.^"" de
dhou'lhiddjah concourra avec le dimanche 2 juillet, et
ie zj du même mois Arabe avec le vendredi 28 juillet.
Suivant le même système , le i 9 de dhou'lkaadah coïncidera
avec le mardi 20 juin. Je suppose ici qu'on doive suivre
à la rigueur les calculs chronologiques , question que
j'examinerai plus loin.
Voyons maintenant ce que peuvent nous apprendre les
historiens. Dans ['Histoire de Charles VI traduite et pu-
bliée par Le Laboureur, on voit que, vers la fête delà ^"" a-a//,
Toussaint i4o2 , l'empereur Manuel Paléologue, qui étoit
pour lors à Paris, y apprit par quelques chrétiens délivrés
de l'esclavage des Turcs la défaite et la prise de Bajazet
par Tamerlan , que l'auteur original nomme Cambellan.
Ces chrétiens revenus de Turquie furent ouïs au conseil du
roi , après qu'on eut pris d'eux le serment qu'ils raconte-
roient ces faits sans exagération. Ils dirent, entre autres Ch.ip.xvi.
choses , qu'à la prise de la ville de Verouse , c'est-à-dire ,
de Brousse, Tamerlan avoit délivré tous les esclaves chré-
tiens. Ce récit est précieux; mais il ne sauroit servir à fixer
la date de la bataille d'Ancyre.
Tome VI. Qs
490 ;MK.M0IRES de L'ACADÉMIE
Enguerrand de Monstrelet , dans sa chronique , raconle
J'expc'diiion de Tamerlan contre Bajazct, qu'il nomme
Basacq , ainsi que la défaite et la captivité de ce prince,
l!nidtCh.frlei mais sans aucu ne date. Juvcnal des Ursins, qui d'ailleurs
est beaucoup plus court , ne ilonne non plus aucune
date.
Ducas n'en donne pas davantage. Il dit seulement que,
l\c.Hiu B_\- Baiazet étant prisonnier à Ancyre, le soleil étoit dans le
Z.ltt.
signe du lion , et demeuroit neuf heures sous la terre.
Le protovestiaire Phrantzcs est bien plus précis : il dé-
termine au 28 juillet de l'an du monde 6910 [1^02 de
Jésus-Christ] la date de la bataille entre Bajazct et Ta-
;.'/V. ;'..vr j.v. merlan, ainsi que l'a hien observé Bcnilliaud dans ses
notes sur Ducas. Ce savant, qui croyoit que cet événement
devoit être de l'année i^oi. "^ p^is oublié cependant
de faire reinarquer que Léunclavius, en assignant un
vendredi pour époque à cette bataille , scmbloit confirmer
le récit de Phrantzcs.
Démétrius Cantimir , dans son Histoire <ie rctiipire Otlo-
man , hien loin de donner la date précise de la bataille
d'Ancyre, se trompe même sur le lieu où elle se donna,
qu'il place dans les environs de Brousse.
M. Deguignes garde pareillement un silence absolu sur
In-.xx.t.n: cette date dans son Histoire des Huns. On peut croire
qui! n a agi ainsi que parce qu il a trouve trop dulicile
de concilier les dates que lui fournissoient les écrivains
Orientaux qu'il avoit consultés.
/Vm. Mil, Les auteurs de \' Histoire universelle assignent pour date
'\^\n'.p"44o. à cette bataille le 19 de dliou'Ikaadah 8o4 [ i /'' juillet
i/fo2 ]. Ils ont suivi, comme on le verra lout-à l'heure ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 49.
Petis de fa Croix , qui , dans sa traduction de {'Histoire
de Z/w/wr-Zi^f par Schéref-eddin, a indique cette date , date
erronée sous tous les rapports.
Fraser, dans (a Vie de Nadir- schah , a adopté pour
date le 18 juillet, vraisemblablement d'après l'historien
Arabe de Tamerlan , mal entendu , comme je le ferai
voir.
Benting, auteur des notes jointes à \ Histoire généalo-
gique des Tartares d'Abou'lgazi , s'est déterminé, j'ignore
d'après quelles autorités, pour le 28 juillet i4o2.
Passons aux historiens Orientaux , Arabes , Persans
et Turcs.
Mirkhond , Khondémir son fils, en deux endroits, et
Saad-eddin , historien Turc, dans le Tadj-ettawarikh ,
fixent la bataille d'Ancyre au vendredi ip de dhou'lhid-
djah 804 (i). Dans les Tables chronologiques de Hadji-
Khalf'a, on lit le ^ dlwii'lliiddjah ; mais il est vraisemblable
que c'est une faute de copiste ou d'impression, et que
Hadji-Khalfa avoit écrit ^-^ ^-^w, le ip. Schéref-eddin
Ail Yezdi auroit assigné pour date à cet événement, si
l'on s'en rapportoit à son traducteur Petis de la Croix,
le vendredi /p de dhou'lkaûdah ; et ce jour répondroit, tou-
jours suivant Petis de la Croix , au 1.'^'^ juillet 1412.
Mais, d'abord, ce rapport est faux et renferme un ana-
chronisme de dix ans; en second lieu, le texte de Schéref-
eddin porte le vendredi /p de dhoii'lhiddjah, ainsi que je le
vois dans un manuscrit de cet ouvrage qui m'appartient ,
(i) Bratutti, dans sa traduction ! même date ; Lcunclavius se contente
abrégée de cet historien, porte la I dédire, die quçjam veneris.
Qiij
Al'/ , K.' yo :
«une , n.' -I
fl.}s6i>eriP.
492 iMt.MOlRES DE L'ACADK.MIE
et dans quelques autres. Je me persuade que c'est cet Iiis-
torien qui a servi de guide à Mirkhond , Khondcmir,
Saail-eddiii et Hadji-KIialfa.
D'un autre côte, Ahmed-bcn- Aral)schah , historien
Arabe de Tainerlan , dit que la bataille d'Ancyre se donna
le mercredi 2y de dhou'lhïddjah 80^, qui répondoit au zS de
Uimmoui ou juillet. Le traducteur, M. Manger, a traduit, il
[it.etR(sgfsr. est vrai, luimnue enit decinius ocUivus thamim , quoique le
7it:iiri,lom. I/, .. \^ l<^ Ni .
'^'S-'Si- texte porte Jyi ^r^ (.>*w'^l5 AJi ; mais c'est qu'il n'a
pas connu cette forme des numcratifs de dixaines depuis
20, ^^ _I*x , jusqu'il 90, (jvA.»*o , (]ui , c'taiit mis en rap-
port d'annexion, perdent, comme les pluriels masculins
réguliers, leur (j final (i). La mcmc faute a été commise
par le traducteur ou plutôt l'abréviateur Turc d'Ebn-
Arabschah. II est bon de remarquer qu'on ne peut pas
douter que le mois dont il s'agit ne soit celui de dhou'l-
iiiddjah , <i^' j> , parce que, dans l'auteur Arabe, ce nom
lime avec ^ — ^ . Les auteurs de / Arl de vérifier les dates
se sont donc trompés en disant que cette bataille fut don-
née, selon les historiens Arabes, le 2p de dhoulkaadah
[30 juin 1402], et suivant les Grecs, le 28 juillet.
Trois autres historiens Arabes d'Egypte, que j'ai encore
'.v.m.Arde consuItcs , Makrizi % Abou'Imahasin ben-Tagri-birdi ■*,
«.• 6/.j.
(1) Voyez ma Grammaire Arabe ,
toni.l.n." 7.^4 ,pag. 3 13 .enom.II,
"•" 447. P3g- 256. On CM trouve
beaucoup d'exemples dans les écri-
vains modernes. Ebn-Arabschah en
fournit un autre exemple, toni. I,
pig- 3'ii l'v- f> <!*"' t<^* mots,
*" Afaa. Ar.ttt,
j,L» , qui signifu-nt ncces-
saircment If 22 Je ce mois , quoique
M. Manger ait tr.iduit , ejusdiin men-
sis duodecimo.ic doute que les écri-
vains Arabes des prcniiers siéclei
de l'hcgirc aient jamais admis cette
forme.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 4^3
et le kadhi Bedr-ecldin Mahmoud Aïntabi , placent la Mon. Arah,
bataille d'Ancyre au 5 de mohanam 805. Mais ces mêmes
historiens commettent d'autres erreurs graves dans la suite
et les dates des divers cvcnemens de cette expédition de
Tamerlan ; ce qui semble prouver que les nouvelles par-
venues en Egypte ctoient peu exactes. Il peut paroître
étonnant que Makrizi , contemporain de ces événemens,
ait été si mal informé. II dit que cette bataille eut lieu le
dimanche 5 de moharram ;'n'a,uroit-il point confondu , par
méprise, le jour où l'on reçut la nouvelle de la bataille
au Caire, avec la date même de l'événement! C'est, selon
toute apparence, d'après Makrizi qu'Abou'lmahasin assigne
la même date à la bataille d'Ancyre; et cependant il avoit
dit , un peu plus haut, en racontant l'histoire du règne du
sultan Melic-el-naser Zém-eddin Abou'lsaadèh Faradje ,
fils de Barkouk:
« Abou-Yézid [Bajazet] fut fait prisonnier à un mille
■^ environ de la ville d'Ancyre, le mercredi 27 dhou'lhid-
" djah 805 , après que la plus grande partie de son armée
" eut péri de soif; car on étoit alors au vingt -huitième
» jour du mois epiplii des Coptes, qui est le tûmmouide
» l'année des Grecs (i). >» ,
Abou'lmahasin a évidemment copié ici Ebn-Arabschah ;
mais il a commis une erreur grave en faisant concourir
exactement le mois epiphi de l'année des Coptes avec le
mois tainmoui ou juillet de l'année des Grecs, ou plutôt
(l) L,i>3 (jLc.c ijj i>j;,j jj î o^L
494 MrWOIRFS DE L' ACADEMIE
des Syriens, tandis qu'fpip/ii commence le 25 juin et
finit le 2 i juillet.
De toutes les diverses opinions que je viens de rap-
porter relativement à la date de la bataille d'Ancyre,
tieux seulement me paroissent ùtre de qiickjue poids et
mériter un examen scrieuk : celle de Schtret-eddin , (jui
est le vendredi /y de dliou'lliiddjiih So^, et celle d Ahmed
hen-Arabschah, le mercredi 2y de dliou'lliiddjii/t 80^, cor-
respouddut nu 28 juillet. Pour la première de ces dates, il
n'y a qu'un seul moyen de vérification ; c'est de voir si
le l'p de dhou'Ihiddjah 804 repond à un vendredi. Pour
la seconde, il y a Açux moyens de la vérifier : la coïnci-
dence du 27 dhou'Ihiddjah avec le 28 juillet et avec un
mercredi.
Les chronologistes sont , comme on le sait , divisés
d'opinion sur le commencement de I ère de l'hégire. Les
uns font partir cette ère du jeudi 15 juillet 622 ; les
autres, du vendredi \6 du mcme mois. Greaves a adopté
la première opinion ; la seconde a été préférée par les
auteurs de l'Art de vèrifer les dates. Suivant Greaves, l'an
8o4 de l'hégire a dû commencer \\n mercredi , d'où il
suit que le mois de dhou'IhitIdjah a commencé un samedi,
et que le ip de ce mois étoit un mercredi, et le 27 un
jeudi. Selon l'Art de vérifier les dates, l'an 8o4 a dû com-
mencer un jeudi, et, par conséquent , le mois de dhou'I-
hiddjah a commencé un dimanche; le ip a donc été un
jeudi, et le 27 un vendredi. Sur ce pied, les deux dates
sont également vicieuses. Dans le système de Greaves, le
ipet le 27 de dhou'Ihiddjah 8o4 correspondent aux ip
et 27 juillet r4o2 ; dans l'autre système, les mt}mes jours
DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES. 49î
de dhou'lhiddjah répondent aux 20 et 28 juillet 1402.
Ebu-Arabschah paroît avoir suivi effectivement ce der-
nier calcul : car il fait concourir le 13 de inoharraut 80^
avec un mardi; ce qui semble prouver qu'il commence
i'année 80 s par un mardi, comme l'Art de vérifier les dates , _!.'"" ^'" ^7/-
/ I •' 1 im. wm. Il,
et s'éloigne de Greaves , qui commence l'an 804 par iin }>ag.j66.
mercredi et l'an 805 par un lundi.
D'après cela, on pourroit se croire autorisera penser
qu'Ebn-Arabschah ne s'est mépris que sur le jour de la
semaine, qui étoit un vendredi, et non pas, comme il
le dit, un mercredi; et qu'au contraire Schéref-eddin,
qui se seroit trompé relativement au quantième du mois ,
nous auroit conservé la vraie tradition , quant au Jour de
la semaine.
On concluroit de tout cela , avec assez de vraisem-
blance , que la vraie date de la bataille d'Ancyre est le
vendredi 27 de dhou'lhiddjah 8o4, ou 28 juillet 1402..
Dans les calculs que je viens de faire pour vérifier cette
date, j'ai supposé que , dans l'usage , les musulmans fai-
soient exactement leurs mois alternativement de trente et
de vingt-neuf jours, et qu'ils rendoient régulièrement in-
tercalaires les années du cycle de trente ans auxquelles les
calendriers perpétuels assignent i'ijjtercalation : ce sont,
comme ou sait, les années ,2 ,\^ ,.7, ;io, 13, 16, 18,21,
24 , 26 et 29. Mais je dois avouer que ces suppositions me
semblent démenties par l'expérience- Les rapports que les
historiens Orientaux établissent entre Les quantièmes des
mois et les jours de la semaine , se trouvent si souvent en
contradiction avec les tables ou calendriers-perpétuels, que
je me crois autorisé à penser que les musulmans s'écartent
ir)6 MEMOIRES DE LACADÉMIE
très-frcquemmcnt de la rcgie pour les intercalationset pour
la fixation des mois de vingl-neuf et de trente jours. Je
pourrois confirnler cela par une multitude d'excMnpIes pris
de divers auteurs, mais sur-tout de Makri/i , dans la der-
nière partie de son Histoire (^es sultiins d'E^pte: car, dans
cette portion de son ouvrage, où il rend compte, dans un
dctail minutieux, de ce qui s'est passe de son temps, il in-
dique presque toujours la ferrie par laquelle ont commencé
chaque année et chaque mois, et il n'est point rare que ces
indications ne s'accordent ni avec le système de Greaves,
ni avec celui des auteurs de l'Art de vérifier les dotes.
Ceci peut s'appliquer prcciscment à la date que nous
cherchons. Le mois de dhou'Ihiddjah 8o4 auroit dû com-
mencer, selon Greaves, un samedi, ^i st\ow ï Art de vc'ri-
fcr les dates , \\x\ dimanche. Il y a beaucoup d'apparence
cependant qu'il n"a coiumencc que le lundi. Cela résulte,
I.'' d'un passage de Schéref-eddin , qui dit expressément
qu'il naquit ini fils à Schahrokh le 2^ de ranwdluiii , jour
du vendredi ; 2." du calcul de Makri/i , qui , à la vérité, a
omis de marquer la fi.'rie par lacjuelle a commencé le mois
de dhou'Ihiddjah, mais qui y supplée en disant que le mois
précédent dhou'Ikaadah avoit commencé un samedi : car,
en consultant les tables, on verra que, le 24 ramadhan
étant un vendredi, et le x." dhou'Ikaadah un samedi, le
I." de dhou'Ihiddjah a dû être un samedi, et le i <; un
vendredi. Alors il faudroit rejeter tout-à-(ait la date don-
née par Ebn-Arabschah; et je dois faire valoir ici une
autre preuve qui vient à l'appui de la date donnée par
Schéref-eddin. Oe même historien dit , (juelques pages plus
loin , que le prince Miranschah se trouvoit devant Smyrne
le
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 497
h samedi (^ de djoumada z."" 80^, Le mois de djoumada i .""
avoit donc commencé par un lundi ; ce qui suppose que
le commencement de l'année, ou le i.''"' moharram 805,
avoit été un mardi. Cela est conforme à l'Art de ve'rijier
les dates. Makrizi dit, il est vrai, que le i .'^'' jour de 805
fut un mercredi; mais il se contredit en disant, peu de lignes
après, que le icj du même mois fut un samedi. Il faut
donc s'en rapporter à cette dernière coïncidence, et en
conclure que l'année 805 commença le mardi i.^''août
i4o2. Le ip de dhou'lhiddjah 804 ayant été un vendredi,
il faut nécessairement admettre que l'année 804, qui,
étant la vingt-quatrième du cycle de trente ans, auroit dû
être intercalaire, ne le fut pas , et que dhou'lhiddjah 804
n'eut que vingt-neuf jours.
J'ai déjà observé que beaucoup d'exemples pareils
portent à croire que l'on s'écarte souvent, dans l'usage, de
la règle qui détermine les années intercalaires ; et il est
presque impossible qu'il y ait, à cet égard, une règle bien
fixe, l'observation du jeûne du ramadhan, dont le com-
mencement et la fin se règlent par l'observation de la nou-
velle lune distinctement aperçue, et non par le calcul ,
exigeant une certaine latitude, inconciliable avec la préci-
sion des calculs. Il est fâcheux que cette matière n'ait
point été l'objet des recherches de quelques-uns des voya-
geurs qui ont parcouru les contrées musulmanes (i).
D'après les motifs que je viens d'exposer, malgré l'au-
(i) II y avoit long-temps que j'avois
été frappé de cette discordance fré-
quente entre les jours de la semaine
et les quantièmes des mois, dans les
dates que nous offrent les écrivains
Orientaux. J'avois même communi-
qué cette difficulté à quelques per-
sonnes qui habitent le Levant, sans
en avoir obtenu aucune réponse. Je
hasardai, pour la première fois, ces
Tome VL Rî
498 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
toritd de Pliranizts, qui, au surplus, ne parle que par ouï-
dire , je crois devoir abandonner tout-à-fait Ebn-Arabschah,
et fixer la date de la bataille d'Ancyre au vendredi 19 de
dhou'lliiddjah 8o4 [21 juillet 1402], avec Scbcref-eddin,
contemporain et témoin oculaire des cvcnemens qu'il nous
a transmis.
En admettant cette date, on a peine à concevoir que, dix
ou douze jours seulement après cette bataille, Tamerlan
se soit occupe d'e.xpc'dier l'archevêque Jean avec une lettre
pour le roi de France. Mais ce qui est sur-tout inconce-
vable , et qui ne peut être , à la vcritc , oppose qu'aux
lettres Latines, c'est qu'il ait date ces lettres des environs de
Scibaste, ville qu'il avoit dc'jà quittée plusieurs jours avant
la bataille d'Ancyre. Mirkhond, d'accord en cela avec
Schcref-eddin, nous apprend que Tamerlan employa six
jours à se rendre de Scbaste à Ccsarce; qu'il passa quel-
ques jours dans cette ville, et qu'il fit ensuite trois autres
jours de marche, et arriva le quatrième jour à Kirschchir,
ville située en avant d'Ancyre (i). Il avoit donc quitté
Sébaste long-temps avant le i.*^"" de moharram 805. Il est
certain aussi que Tamerlan , maître de la personne de
doutes dans ce Mémoire. Je me
trouve aujourd'hui éclairé sur cet
objet par une savante dissertation de
M. Navoni, insérée dans le tome IV
des Alincs de l'Orient, et par un mé-
moire de M. Ideler $ur le même
sujet. (Voyez \c Journal des Savans ,
décembre 1816.) Toutefois je n'ai
voulu rien changer à la manière dont
je m'étois exprime ici.
(1) jt Jj-- J^<^^ ^
J
j o'j •>->>-
crlr>-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 499
Bajazet, ne retourna pointa Sébaste : il vint d'abord à
Ancyre, d'où il envoya des dctachemens à Brousse et en
diverses parties de la Natolie. D'Ancyre , où , suivant
l'historien Ducas , une tentative fut faite par un des fils
de Bajazet pour tirer ce malheureux prince de sa capti-
vité, Tamerlan se rendit, en six jours, à Sourihissar , et
de là , en deux jours , à Kioutahièh, où il séjourna un
mois entier. Smyrne enfin fut le terme de ses exploits f-f'^'-^Timur-
dans la Natolie. Ainsi la marche de Tamerlan, après la /ï'. ->;.
journée d'Ancyre, l'éloigna toujours de Sébaste; et, soit
qu'on fixe la date de la bataille d'Ancyre, avecEbn-Arab-
schah, au 28 juillet , soit qu'avec nous on l'avance au
2j du même mois, on ne sauroit admettre qu'il se soit
trouvé à Sébaste au i.^"^ août suivant, et qu'il ait écrit de
là à Charles VI.
Il faut donc absolument reconnoître que le traducteur
ou plutôt le rédacteur de la lettre Latine de Tamerlan ,
et de celle de Miranschah , a été peu fidèle à la vérité
en datant ces lettres des environs de Sébaste; car Mi-
ranschah n'étoit pas plus auprès de Sébaste que Tamerlan
au commencement de l'an 805. Ce mirza commandoit Hht.JeTimur-
i'aile droite des Mogols à la bataille d'Ancyre; et nous "' '' ''^'"
le retrouvons encore, le samedi 6 de djoumada i.'"" 805 ,
ou 2 décembre i4o2 , au siège de Smyrne. lUJ. yag. 4^.
Il est hors de doute , au surplus, que l'auteur des lettres
Latines ne les a écrites qu'après la bataille d'Ancyre, puis-
qu'il y parle expressément de la grande victoire rempor-
tée sur Bajazet. Poîetitia nostrafuit excitata contra ininiicuni
nostrum et vestrum, et tpsum dehellavimiis et destruximus , est-
il dit dans la lettre écrite au nom du mirza Miranschah;
R 3 ij
joo MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
et dans celle qui est censée écrite par Tamerlan , on lit:
El iiiJucli pcr Aictosfriitrcs et pcr promissioncs vestroium siiù-
ditorum , conlrvi ipsiim iiiimicum vestriim et nos t ru m ad partes
Turchitt accessimus , et , Deo jiminte , ipsiim Bdaiitum et totiiin
patriiim suam in brevi ûnnicliilavimus. Dans la lettre Persane,
au contraire, il n'y a rien de précis ; on y trouve seule-
ment ces mots : Ipse vobis exponct ^luveunujue evenerunt. Or
il n'est pas vraisemblable que Tamt-rlan , aprcs une vic-
toire aussi complète que celle qu'il remporta sur Bajazet,
se soit exprimé d'une manière aussi succincte. Si l'on fait
bien attention à cette circonstance , et si l'on rédéchit
d'ailleurs que dans la lettre Persane on a omis de faire
mention du lieu d'où elle a été écrite , on n'aura peut-
être pas de répugnance à croire qu'elle a pu être anti-
datée , si toutefois , comme je le pense , elle est au-
thentique.
J'ai déjà dit que Tamerlan pouvoit avoir un motil
politique de rechercher l'amitié des puissances Euro-
j^éennes , sur-tout avant que sa victoire sur Bajazet eût
assuré le succès de son expédition. Gonçales de Clavijodit
positivement que, les ambassades réciproques de Bajazet
et de Tamerlan n'ayant eu aucun résultat , l'empereur
Grec de Constantinople et les Génois de Péra envoyèrent
dire à Tamerlan que, s'il en venoit à faire la guerre au
prince Turc, ils pourroient l'aider beaucoup et d'hommes
et de galères ; ce qui se feroit en celte manière : qu'ils ar-
meroicnten peu de temps certaines galères pour empêcher
que les Turcs qui étoient dans la Grèce, ne passassent
dans la Turquie, afin que par-là il eût meilleur parti ilu
Turc. Ils promettoient, çn outre, de l'aider d'une somme
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 501
d'argent (i). Le même auteur ajoute, il est vrai , que l'em-
pereur Grec ni les Ge'nois ne tinrent point leur parole,
et qu'au contraire ils laissèrent passer les Turcs de Grèce
dans la Natolie, et ensuite transportèrent sur leurs fustes,
de la Natolie à l'autre rive , les fuyards que poursuivoient
les armées victorieuses de Tamerlan : ce qui fut cause,
dit-il, que Tamerlan conçut pour les chrétiens de la
mauvaise volonté ; disposition dont les chrétiens de sa
domination se trouvèrent mal (2). Mais ceci ne put avoir
lieu que par la suite, et non avant la victoire d'Ancyre,
ni même dans les premiers jours qui la suivirent.
Ce fut précisément à la suite de cette victoire que
Tamerlan , renvoyant à Henri III , roi d'Espagne , les
ambassadeurs Payo de Soto-Mayor et Hernan Sanchez
de Paraçuelos , qui avoient assisté à la bataille, ordonna,
aussitôt, dit Gonçales de Clavijo , que la bataille eut été
décidée à son avantage, d'envoyer au roi de Castille un
ambassadeur et des lettres avec des présens (3). L'ambassa-
(i) E en este mismo tiempo el ein-
perador de la gran c'iudad de Constan-
tinopla e los Cenoveses de Pera am-
biaron de^ir al Tamurlec , que si el
batàlla avia de aver con el Turco , que
ellos le podïan muy bien servir e ayu-
dar con rnucha gente e galeas , e séria
en esta manerai que ellos armarian en
brève tiempo ciertas galeas, para de-
fender que los Turcos que estavan en
la Grecia , que non passassen en la
Torquia; por que el podiesse mejor
Con el Turco. E etrosi que le darian
en servicio cierta quantita de plata,
( Histor. del gran Tamorlan, fol. 2.6
(2) El emperador de Constantin cpla
e los Cenoveses de la ciudad de Pera,
en lugar de tener lo que con el Tamur-
lec avian puesto , dexaron passar los
Turcos de la Grecia en la Turquia ,
e desquefuera vencido aqueste Turco,
passavan ellos mismos a les Turcos
con sus fustas , de la Torquia en la
Grecia, de los que venidn fuyendo ^
e por esta occasion ténia mala vchin-
tad el Tamurbec a los christianos ,de
que se fallaron mal los de su tierra.
(Ibid.)
(3) En la quai batalla se acaescie-
ron Payo de Soto-Mayor e Hernan
Sanche^ de Paraçuelos de los
5 02 Mi.MOIRES D£ L'ACADEMIE
deiir ctoit un seigneur Djagataï ou Mogol , nomme Aloluifii'
med Hiidji. Ils ne tardèrent pas beaucoup à se rendre en
Espagne, puisque l'ambassade Espagnole (jui accompagna
à son retour Mohammed Hadji, et qui ctoit composce de
frcre Alfon Paëz de Santa-Maria, Ruy Gonçales de Cla-
vijo et Gomez de Salazar , partit de Cadix le 2 i mai
1403.
Q_uoique Tamerlan n'eût point ctc prévenu par une
ambassade du roi de France, il paroît cependant, par la
lettre Persane même que nous examinons, et où l'on
n'auroit pas mis ce fait s'il n'eût cté constant, qu'il avoit
reçu précédemment des lettres du roi ; car on y lit ceci:
eo tempore quo fratcr Frandscus praJicûtor ad luis partes
venit, littcrasque regias attulit. Peut-ctre les lettres dont il
s'agit n'étoient-elles que des lettres de recommandation
données aux missionnaires; mais c'en ctoit assez, dans les
dispositions où étoit Tamerlan en entrant dans la Natolie ,
pour que ces mêmes missionnaires, profitant adroitement
des circonstances, obtinssent de lui une lettre pour le roi
de France.
Nous devons maintenant examiner si l'histoire ecclé-
siastique des églises de l'Orient réunies à l'église de Rome
nous fait connoître, pour l'an 1^03 . i'" archevêque de
qualcs dichos Payât Hcnwn Sanc/ir^
ovo not'uia el gran senor Tâmurtec
y fffsque la baialla fut venc'uia,
ordcno de le einbiar un cmbaxador , e
sus letTas,y cierto présente , por poncr
su amorio. Con el quai embaxadcr
ftie un cavalUro Chacatay , que avia
nombre Mahomat Aleagi , con el quai
ernbio sus dones y présente, y sus le-
irjs bcn solemnas. (Ibid.yô/. /, Tecto
et verse. )
Je suppose que Cl.ivijo a écrit el
quai embaxadcr fue , et non con el
quai , &c. Aleagi, que j'ai changé en
Alhadji [le pclirin], est peut-être le
mot allchi, ^ , qui veut dire am-
bassadeur.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 503
Sultaniyèh nommé Jean; si, antcneurement à celui-ci,
nous pourrons découvrir \\n missionnaire de l'ordre des
Dominicains, ou frères prêcheurs, nommé François , qui
ait exercé son ministère dans ces mêmes contrées; enfin,
si nous trouverons quelque trace de la mission de frère
François Ssathru.
Les recherches du P. Le Quien , par rapport à la suite
des prélats qui ont occupé le siège catholique de Sulta-
niyèh, nous ont été fort utiles , mais principalement en
ce qu'elles nous ont indiqué les auteurs et les pièces ori-
ginales que nous devions consulter : car , du reste , la chro-
nologie des évêques de Sultaniyèh, pour l'époque qui nous
occupe, y est tellement embarrassée de difficultés, qu'on
nesauroit, avec ce seul guide, suivre une marche assurée.
Je vais indiquer sommairement les titres qui établissent
la véritable suite de ces prélats; je commencerai à l'époque
où le siège de Sultaniyèh fut érigé en archevêché.
Cette érection fut faite par une constitution du sou-
verain pontife Jean XXII, du i.^"" mai 13 18; et, par
cette même constitution, le pape nomma au siège de cette
église Francus Perusinus [Franci de Penisino] , religieux de
l'ordre des frères prêcheurs. Je vais citer les mots essen-
tiels de cette constitution : Propter quod, y est-il dit , villam
Soltaniensetjt i/i eisdem partihus coiisîitutam /// civitatem
metropoUtanam duximus erigendani ; ac te , ordinis pra-
dicatorutn professorem , ecclesia dicta civitatis in archiepiscopum
pmjicimus et pastorem (i). Une autre constitution du même
(i) Bullar. crd.fr, prcedlcat. aut,
F. Th. Ripoll, edit, h P. F. Anto-
n'mo Bremoiid, tom. II, pag. 137;
Or, christ, tom. III , col. 1361.
Fontana , dans son Sacrum Thea-
trum Dominicanorurn, Rçiiiif , 1666,
jo4 MKMOIRES DE L'ACADÉMIE
pape, Ju i/' août de la mcnie annce 1318, détermine
BulLr. b-c-T- les jours où le ircre Fniiicus , arcliev(}qiie de Sultaniych,
et ses successeurs, pourront faire usage du pdlHum. Le frère
;, I-nwais ne conserva pas long-temps le gouvernement de
cette église; car nous trouvons une nouvelle constitution,
donnée pareillement par Jean XXII, le 1.*^^ juin 1323 ,
qui autorise cet archevêque à porter les ornemens ponti-
lhJ.fag.is6. finaux, à l'exception du pallium , quoique, y est-il dit, il
ait donné sa démission de son archevêché.
Or.ckrist.um. Le même jour, le pape promut à ce siège vacant un autre
.cc-'iH. religieux du même ordre, nommé Guillclmtis AJ'V.
Par une autre constitution du i 4 février 13 30, le même
souverain pontife accorde le pdllium au frère Joluinncs de
Core , qu'il avoit précédemment nommé archevê(jue de
Sultaniyèh : Te , de fratrum nostrorum consilio , Sohiiiiieiisi
ecc/esia in irnperio Persidis cotistiiuta, tu ne vûaviti, providimus,
Or. christ, tom. pritjicientes te i/li in archiepiscopum et pastorcm prout in
tiostris littcris iude coufectis pleniiis continetur. Je n'ai trouve
nulle part ni la constitution rappelée dans celle-ci, ni
sa date.
La première constitution que nous trouvions, où il soit
fait mention de l'archevêché de Sultaniyèh, après celle
que nous venons de citer, est du 3 i juillet 134^' Cette
Buthr. fc
Bfl/ur.
ire
pag. 100, parle de i'i'rection tlu sic'ge
de Sultaniych en archevêché, mais
d'une manière peu exacte ; il écrit
Soitdicniis , ou SoUinensis, au lieu de
Solianifnsis , déclare n'avoir pu trou-
ver le nom du frcrc prêcheur qui fm
pourvu de ce siège par la constitu-
tion de Jean XXII , et ajoute que le
pape lui conféra \e pallium. Cepen-
dant , un peu plus haut, il avoit, sans
le saroir, fait mention de ce prélat
sous le nom de Francisais Je Pctusio,
SolJiirtnsis trchicpiscopiis. Enfin ,
plut loin, pag, 102, il parle encore
delà nomination faite parJcan XXII,
d'un frère prêcheur , dont il ignore le
nom , à l'arciicvcché de Sultaniych,
archirpisccpum Sultiwitnstin , is^c,
constitution,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 505
constitution , adressée par Clément VI à {'archevêque de
Suhaniyèh et à ses suffrûgniis, les commet j>our informer des
erreurs du frère Pontius , archevêque de Séleucie, erreurs
par lui consignées dans une postille sur i'Évangile de
S. Jean, qu'il avoit composée et traduite en langue Ar-
ménienne. L'archevêque qui occupoit alors le siège de
Sultaniyèh, n'est point indiqué par son nom dans cette l^"lltr. à-c
constitution. L'auteur du Bullaire des frères prêcheurs 'or.Mst.wm.
observe, dans XAppendix au pontificat de Clément VI, que '" '•^<''- '>'>^-
ce doit être le frère Antoine, auteur d'un livre contre les
Mahométans, et dont parie Galanus dans l'ouvrage in-
titulé ConciUûtio ecclesice Amena cum Romana. J^"^-^ \;^ '^'Z'-
Le P. LeQuien place ensuite à l'an 1393 un archevêque T"S- s^^-
de Sultaniyèh qu'il nomme 5o//i/i7c^, et il s'appuie de l'au-
toritéde Wadding. Comme Wadding ne cite aucune pièce,
et qu'il se contente de dire qu'en cette année Antonius Pétri
de Malliûiio , frère mineur, fut nommé, le 3 juin 135)3,
évêque de Verna [in sede Vernensi] , à ia place de Boniface ,
qui avoit été transféré au siège d'une église qu'il nomme
ecclesia Soldanensis (i), on peut douter s'il s'agit effective-
ment là de l'archevêché de Sultaniyèh, et si le Boniface
dont il parle appartenoit à l'ordre des frères prêcheurs ,
auquel la métropole de Sultaniyèh, ainsi que les sièges
épiscopaux qui en dépendoient, paroissent avoir été spé-
( I ) J'ignore quelle est cette église.
J'avois d'abord pensé que ce pouvoit
être Varna , qu'on croit être la même
tjue Divnysiopolis ou Tiberiopolis ,
ville de ia Mcesie inférieure; mais
le P". Le Quien donne la suite des
évêques de cette ville , à l'époque dont
Tome VI. S»
il s'agit, et leurs noms n'ont rien de
commun avec ceuï de Boniface et
di Antonius Pétri de Malliano ( Or.
christ, tom. III, col. ii2i). Peut-
être faut-il lire in sede Verisiensi.
Vovez itid, col. I loi.
îo6 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
cialement affectes par la constitution de Jean XXII , sui-
RkiLir. m.!gn. vant OJcfic Ravnald.
<m. M\ "J ^ . ,., . ,
.Mtkffj ipS. (J_iioi cjun en soit de cette question, qui est peu im-
ihitns ckriu P*^''^^^"^'^ P""'' notre objet , passons à une cpo(jue plus
i:m. m, ce/, rapprochée de celle qui nous occupe, au 26 a(nit 139^^^
A cette époque , le pape Boniface IX transféra , du siège
cpiscopal de Nakhschiwan à l'archevêché de Sultaniych,
le frère Jean , de l'ordre des frères prêcheurs. C'est ce
Bu/t.,r. ord. qui résulte d'une constitution datée du i î des calendes
lom. Il , p.,g. de novembre, de l'an xi du pontificat de Boniface IX
.i.lft>Hnjiiai.D9- [ 20 octobre i4oo], par laquelle ce pape wommç S tep lui nu s
Pétri de Se^lics , de l'ordre des frères mineurs, à l'évcchc
de Nakhschiwan , vacant par la promotion, faite deux ans
auparavant , de Jean , qui en étoit évcque , au siège métro-
politain deSultaniyèh. Il faut rapporter les termes de cette
constitution.
DuJum s'iquidcm , Johannt episcopo Nachuanensc , regimini Na-
chuantnsis tcclesia prœsidente ,nos cupitnus ipsi tcclts'iœ ,dum vacartt,
ptr apostoliCiT std'is provi.lcntiam , utilem et idoncam prusidere per-
sonam , provisionem ips'ius ccclfs'ur ordinationi et dispositioni nostnr
câ vice duximus specialiter reservandum Postmodum vero , dicta
Nachuanensi ecclesiâ ex eo pastoris solatio destitutn, quôd nos tune
septem calend. scptem. , pt<ntijîcatùs nostri anno nono ( i ) , venerabilem
jrntrein nostrum Johanncm Soltanicnsem , tune cp'tscopum Nachuancn-
sem , à vinculo quo ipsi ecclesiœ Nachuanensi , cui tune prœerat , lene-
hatur absol ventes , ipsum ad Soltanicnsem ecclesiâ m , tune
pastore carentem,auctoritate nostrâ duximus transferen um , prtrfcirndo
euni dicta: ecclesiâ Soltaniensi in episcopum et pastorem.
Le pape ajoute qu'il avoit d'abord nommé à l'évéché
(1) 26 août 1398.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 507
vacant de Nakhschiwan Francisais de Taurisio , de l'ordre
des frères prêcheurs , qui s'étoit fait consacrer hors de la
cour de Rome; mais que, ledit François n'ayant pas pris
dans l'annce ses lettres de provision , comme il y ctoit
tenu , sa nomination est devenue nulle, et qu'en consé-
quence il nomme à ce siège vacant ledit Steplmtnis Pétri
de Seghes.
II est à remarquer que, dans cette constitution, en par-
iant de la promotion de Jean à l'archevêché de Sulta-
niyèh , le pape dit , prajicieudo eum dicta ecclesia in episco-
pum, et non in archiepiscopum , comme il devoit le faire,
et comme on le lit dans une autre constitution de 1402,
que nous citerons tout-à-l'heure. Je soupçonne que c'est
une faute de l'éditeur ; car il n'est guère possible de douter
qu'il ne s'agisse effectivement ici de l'église de Sultaniych.
Le même souverain pontife accorda à Jean archevêque
de Sultaniyèh, dont il est ici question, le i i décembre
1400 , un privilège, comme on le voit dans Fontana, cité Orins christ.
par le P. Le Q^uien.
Ce même Jean étoit encore archevêque de Sultaniyèh
au mois de juillet i4o2, comme nous l'apprenons d'une
autre constitution du même Boniface IX, du 26 de ce
mois.
Celle-ci a encore pour objet la nomination à l'évêché
de Nakhschiwan, et il y a lieu de penser que Stephûuus
Pétri de Seghes avoit refusé , ou avoit été empêché par
quelque motif qui ne nous est pas connu , de prendre
possession de ce siège. On peut encore supposer qu'il
étoit mort avant d'avoir pu être sacré. Peut-être, le siège
de Nakhschiwan étant ordinairement dévolu à des frères
S'ij
tom. III, col.
ij66.
joiJ MEMOIRES DE L'ACADEMIE
rrntil. eal. prccliciirs , coiiiine le dit Galaïuis , lu nomination Je
Steplhinus Pétri de Seglies , (jiii ctoit de l'ordre des frères
mineurs, donna-t-eile lieu à quelques réclamations qui
déterminèrent le souverain pontife à faire une nouvelle
nomination. Cette conjecture me paroil d'autant plus
vraisemblable , que l'on conçoit alors pourquoi , dans
la constitution du z6 juillet i^oz, par laquelle Jean
Lycencs de Bruges , de l'ordre des frères prtcbems , est
promu à l'évcché de Nakhschiwan , le pape dit simple-
ment que le siège de cette église étoit vacant par la pro-
motion de Jean à l'archevcchc de Sultaniych , sans faire
aucune mention des nominations faites depuis cette va-
cance, de Fniiiciscus de Tciurisio et de Stcplhiiius Pelri de
Seg/ies. Voici les termes de la dernière constitution dont
Buii.,T. ird. il est ici question :
fftur. fntiiic.
icm.tl.p 4io. c ' , ■' nr , . . , f .,
ôiinc eccUsid ISachuanensi tx eo vacante , quo,l nos nupcr vtnerabiUin
fratrcm nostrum Johannem archupiscopum Sohnn'icnSini , tune episco-
pum Nachuancnstm , à v'inculo quo ipsi ecclcs'iœ Nachuanensi , cui tune
pracrat , ttntbatur, de fratrum nostrorum consilio et apostolicœ potes-
tatis plcnitudine, absolventcs , ipsum ad ecclcsium Soltan'tenscm , tune
pastore carentem , duximus auctoritate apostolieâ transj'erendum , prjji-
ciendo ipsum eidein ecctcsice Soltaniensi in archiepiscopum et pastorctti ,
nos ad provisionem ipsius ecclesiœ Nachuanensis celèrent et fclicem .Ù'c.
Datuni Romœ , apud Sanctum-Petrjum , Y H cal. aug.,pontiJîcatiisnostri
anno tertio decimo.
On pourroit <}tre étonné que le pape, en parlant de la
nomination de Jean à l'arclievccbé de Sultaniyèh , dise,
iiuper trivisfereiidum duximus , cette promotion étant
de l'an '398, et la constitution dont il s'agit de i4o2 ;
mais, outre que l'on ne peut rien conclure de bien positif
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 509
de ce mot tiuper , on peut supposer que le même motif
qui a fait supprimer la mention des nominations de Fran-
ciscus de Tmrisio et de__Step/uU!US Pctri de Seghes , a aussi
suggéré cette expression.
Jean, frère prêcheur, transféré en 1398 de l'évéché de
Nakhschiwan au siège métropolitain de Sultaniyèh, et
dont il est fait mention, comme occupant actuellement
ce siège , dans les constitutions que j'ai rapportées des
20 octobre 1400 et 26 juillet i4o2 , est certainement
celui qui apporta en France les lettres de Tamerlan. II
paroît qu'il mourut archevêque de Sultaniyèh en l'année
1423. C'est ce qui résulte d'une constitution de Martin V,
du 12 décembre 14^3 , par laquelle Jea.n , de l'ordre des
frères prêcheurs unis , déjà élu par lesdits frères prêcheui-s
à l'archevêché de Sultaniyèh , à la place d'un autre Jean
mort archevêque de la même ville , est nommé audit
archevêché. Les frères prêcheurs unis dont il est parlé
dans cette constitution , étoient des moines Arméniens de
l'ordre de S. Basile, qui, étant rentrés en communion avec
l'église Romaine, s'étoient affiliés à l'ordre des Irères prê-
cheurs. On peut voir dans Galanus l'histoire de cette réu- Conciliât, cc-
mon. Ces religieux pretendoient avoir le droit délire aux wm.i, p. ;i^
évêchés , à la charge que les sujets élus se rendroient à '"^'
Rome pour y obtenir la confirmation de leur élection et
s'y faire sacrer. Je vais rapporter les termes de cette cons- U'ui.png.j^s.
titution : , ^'"''^'■- '"■
Jratr. prtxdicat
Quum itaque , s'icut fide d'ignis percepimus rdat'ihus , eccUs'ia Sol ta- Orknl c/in's!
n'iensis , citî bonce memoriœ Jehanncs archiepiscopus Soltaniensis , dum """-.^ ^ > '"•'
viveret, prœsidebat, perejusdem obitum , &c. , .ad te , ordinis FF. prct- ' "'
dlcatorum unitorum professorem , in sacerdotio constitutum , qucm , ut
jto MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
asscris'^ nonnuili ex dictisfratrihus , asscnntes, juxta quadamprivlUgia
apoitolicii dcsupcr conccssa , eis licere , pose hujusmodi obituin in archi-
episcopurn SoUanienscm duxerunt e/igendum , direximus oculus
mentis nostra , teque illi prafecimus in archiepiscopum.
Observons, en passant, que le sic'ge de Nakhschiwan
étoit devenu siiffragant de celui de Sultaniych par une
constitution du 14 novembre i4'S>-
Jean , nomme archevêque de Suitaniyèli le 1 2 décembre
1423. étant mort, eut pour successeur, comme nous
1 apprenons par une constitution de Martin V, du i4 dé-
cembre i4-5 . Tltotruis de Abiinuicr , Arménien, de l'ordre
des frères prcciieurs unis.
Dans la suite que nous venons de donner des arche-
vêques de Sultaniyéh , il ne se trouve que trois prélats
du nom de Jean , savoir : Johannes de Corc , ou Jean I.",
nommé en 1330; Jean II, nommé en 139B, venu en
France en 1403; et son successeur immédiat, Jean III,
Or.e.~.r„,.iom. nommé en 1423. Le P. Le Quien en compte cinq , parce
'" '^ ^' qu'il tait deux personnages différensde Jean II, quia suc-
cédé à Donitaceen 1398, et de Jean , successeur au même
siège de Williiim Bclccts , nommé, dit-il , le 5 février 1403,
par Boniface IX. En second lieu, il place, sous le nom
IM. de Jean IF, et cela d'après l'autorité de Wadding, Jean
Grenlaw, frère mineur, nommé le 12 des calendes d'oc-
tobre [20 septembre i4oi ], après la mort de Boniface.
Je me crois suffisamment autorisé à rejeter ces deux-
noms , ir. Bcleels ou BcUts . et Jean Crenliiw , de la liste
des archevêques de Sultani)th, et voici mes motifs:
S.ur. Tktatr. Fontana fait mention de Will. Beleets . d'après les ma-
LhmmiiAn. [Hig '
'97. 1" (fà. nuscrits de Bzovins , en ces termes: Willelmus Bêles, ordinis
ter.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 5 i i
pradicûtorum de Anglia , episcopus Sohav'iciisis , nouis febr.
à Boiiifdcio IX , an. 2^, qui fuît , ajoute Fontana, salutis
nostra i^oj. Cette constitution de Boniface IX se trouve
dans le Bullaire des frères prêcheurs. Le pape y dit que Buiu. orJ.
le siège de 1 église de Sultaniyeh est vacant, parce que ■;„„,. fi^ ^^^_
Nicolas, évêque de Ferrare , qu'il avoit transféré à Sul- ■^-^'^•
taniyèh, n'a pas pris ses bulles dans le temps requis, et
qu'en conséquence , étant nécessaire de pourvoir au siège
de cette ville, il y nomme pour évêque ledit Wiilelm
Belets , Anglais , frère prêcheur : Tecjue i/Ii prafecimus in
episcopum et pastorem. Ughelli , dans son Italia sacra, Tom. 11, col.
fait mention de Nicolaus Roberîus , promu à l'évêché de ''^ ' ' "' '""
Ferrare en i 392 , et transféré en i4oi . p^r Boniface IX ,
ad ecclesiam BoUamiensem.
La constitution rapportée par l'auteur du Bullaire des
frères prêcheurs , étant de l'an xiv du pontificat de Boni-
face IX, des nones de février, ce qui répond au 5 février
1403 , il est de toute impossibilité de la concilier avec
ce qui résuite des constitutions que nous avons citées, des
26 août 1398, 20 octobre i4oo, 26 juillet i4o2 et
12 décembre 14^3 » à moins qu'on ne suppose que Jean ,
nommé archevêque de Sultaniyèh en 1398 , désigné avec
la même qualité dans les constitutions des io octobre
i4oo et 26 juillet 1402, et dans les lettres de Tamerlan,
du I .^'' moharram 805, ou 2 août. i4o2 , avoitdonné sa
démission , à son arrivée en Europe, à la fin jde 1402,
ou au commencement de 1403 ; que le pape avoit alors
nommé à sa place Nicolas Robert, évêque de Ferrare,.
et ensuite, le 5 février 1403 , Wilk/mns Belets ; qu'à, çeiui-ci
avoit succédé, à une époque qui nous est inconnue, un frère
5 12 MEMOIRES DE LACADE.MIE
prêcheur uommc Jetiii , cjiii seroit, en ce cas, Jean III, et
(ju'enlin , celui-ci étant mort , un autre religieux de l'ordre
lies frères prêcheurs unis , qu'il faudroit désigner par le
nom de Je^iii IV , auroit été pourvu de l'archevcché de
Suhuniych par la constitution du 12 décembre i-iij.
Pour admettre cette solution, Jl faut supposer «juc la
démission de Jean II et la nomination de Nicolas Robert
sont postérieures au i/"^ août 1402; ce qui n'est pas ce-
pendant, si, comme l'assure Ughelli , Nicolas Robert a
cté transféré de Ferrare à Sultaniych en i4oi : et il faut
convenir que la vraisembl.mce est ici en laveur d'Ughelli;
car, sans doute, Nicolas Robert avoit un an de délai pour
prendre ses bulles, et, la nomination de WilUImns Belets
étant du 5 février 1403 . o» <Jo't croire que celle de Ni-
colas Robert étoit du commencement de 1.102, ou de la
fin de 1^0 I.
Il y a une autre observation essentielle à faire, quoique
par elle seule elle ne soit pas décisive : c'est que dans la
constitution par laquelle est nommé Willelmus Bclcis , on
lit, teque illi privficimus in cpiscopum , et non pas /'/; arclii-
episcopiim. L'éditeur du Bullairedes frères prêcheurs a bien
mis dans le titre de cette constitution /.. Willelmus Bclels
^rcliiepiscopus Sult<7iiieiisis crcatur, et il répète la même chose
dans ['Appcndix au pontificat de Bonitace IX: mais cela
n est d'aucune autorité.
Si l'on pèse bien ces diflicultés , et si Ion fait attention
qu'il y a peu d'accord entre les auteurs que j'ai cités, sur
le nom du siège épiscopal où (ut transféré Nicolas Robert,
cvêque de Ferrure , et duquel fut pourvu par la suite
WilUlmus Bcteti , Ughelli ccrivaut Bo/intuie/uem , Fontana,
Soltavifnsis ,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 5 1 5
Soliaviensis , et i'cditeur Jii Buliaire des frères prêcheurs,
Soltûtiiensi, on ne sera pas éloigne de croire qu'il y a ici une
méprise, et qu'il s'agit, dans cette constitution, non du
siège métropolitain de Sultaniyèh , mais du siège épiscopal
de quelque autre église, peut-être de celui de Soldaya ,
dont on a déjà vu le nom confondu avec celui de Sulta-
niyèh (i). Je j)ersiste donc à croire qu'il faut rayer Nicolas
Robert et Willclmus Belets de la liste des archevêques de
Sultaniyèh , et que Jean II , promu à cet archevêché en.
I3p8, l'occupa jusqu'en i4-3-
Qiiant à Jean Grenlaw, nommé, suivant Wadding, à
l'archevêché de Sultaniyèh, le 12 des calendes d'octobre
[20 septembre i4oi]. po"r remplacer Boniface, qui étoit
mort, si on i'admettoit , il faudroit encore placer un
Boniface et Jean de Grenlaw parmi les archevêques de
Sultaniyèh , et cela à une époque où nous trouvons ce
siège occupé par Jean II. L'église dont Wadding parle
en disant Soltûiiiensein in Media episcopum , ne peut donc
point être Sultaniyèh. Wadding ne rapportant aucun titre,
il est difficile de juger en quoi consiste son erreur; mais
il suffit d'observer que, Jean Grenlaw étant un frère mi-
neur, et Wadding ne lui donnant que le titre d'évêque.
( I ) Fontapa , dans XçSacrum Thea-
trum Dominicanorwn , pag. 297 , tit.
555, commet une erreur pareille , en
parlant d'un frère prêcheur, nommé
Augustin j que le pape Eugène IV
promut, en 1432, à révêché de Sol-
daya. 11 l'appelle SoUarensis ou Sol-
danensis episcopus; et ce qui prouve
qu'il s'agit efi'eciivement de Soldaya,
Tome VI.
c'est qu'il ajoute in provincîa Cein-
baliensi , ce qui signifie certaine-
ment dans la province de Ceinbalo.
Or Cembalo étoit un établissement
des Génois de Caffa, sur la nier
Noire. Foyé'^ cette constitution d'Eu-
gène IV dans VOriens christ, t. III,
col. 1 107.
T'
ji.f MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
il n'a point t'tc en possession du siège ile Siiltaniycli , qui
ctoit métropolitain , et occupe pur des frères prccheius.
De toute cette discussion, que j'ai abrégée autant que
je l'ai pu, mais qui étoit nécessaire, je conclus que Jcari
archevêque de Sultani) tli , porteur de la lettre de Tamer-
lan , est Jean II , promu à cet archevcchc en i 398 , et qui
paroît l'avoir occupé jusqu'en i4-3' H ctoit de l'ordre des
frères prccheurs , et cela est conforme à ce que dit l'au-
teur de ['Histoire de Charles VI traduite et publiée par Le
/". xxm , Laboureur, sous la date de 1^03 : •< Certain évcque ties
ihiiy. XIII, I. f , , I i>/-v • I I" I I r ^ \ I
f>.H' 4S0. " parties de 1 Orient , de 1 ordre des ircres prccheurs , vint
" cette année devers le Roi, de la part de Tamerlan , roi
» des Tartares, Sec. »
Dans la lettre Persane, il est fait mention d'un frère
prêcheur, nommé François, qui est venu dans l'Orient,
et y a apporté, avec des lettres du roi de France, des
nouvelles de la grandeur et delà puissance de ce monarque,
ainsi que de l'expédition contre les Turcs, et des succès
remportés par les Français. S il s'agit là , comme il est très-
vraiscml)lal)le , des dix mille Français envoyés au secours
de Siyismoiui , l'arrivée de ce religieux dans les états de
Tamerlan doit être au plus tôt de 139^. La lettre ajoute
qu'après cela a été envoyé le frère Jean , archevêque de
Sultaniyèh. Jean ayant été nommé à ce siège en 1398,
l'ordre des cvénemens paroît bien observé.
Il est naturel de croire que le frère François Ssathru ,
nommé dans les deux lettres Latines , est le même que le re-
ligieux nommé simplement /Vwwfoudans la lettre Persane.
La chose néanmoins n'est pas sans diihculté ; car il semble,
par les termes dans lesquels sont conçues les deux lettres
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES, jij
Latines, et sur -tout celle de Miranschah , que les ren-
seignemens transmis en Perse par le frère François Ssa-
thru sont postérieurs à ceux qu'avoit procurés l'arrivée
de l'archevêque Jean. Audiviimis , dit Tainerlan , perfratrem
Johannem, archiepiscopum totius Orientis.qui aliàs etiammissus
ahaliquibus Francis ad me, et consimilHer per fratrem Fraii-
ciscum Ssathru. Dans la lettre de Miranschah , on lit :
Causa hujusfuit informaîio Johatinis archiepiscopi totius Orie/i-
tis , quia ipsum prias iiiisi cum nostris litteris ad duas vestras
civitates faiiiosissimas Jaiiuam et Venetias, et itide portavit in
multas et gratas iiiformationes de vestris magnificentiis. Intérim
vero venitfraterFranciscusSsathru, et gratanter susceptus à vobis.
On devroit, ce semble, conclure de là que Tamerlan
avoit reçu les informations dont il s'agit , d'abord par
l'archevêque Jean, et ensuite par le frère François Ssathru ;
mais je pense que le traducteur ou plutôt l'auteur des
lettres Latines n'est autre que l'archevêque Jean lui-même,
et qu'ayant voulu se donner vis-à-vis du roi de France
le jnérite d'avoir le premier vanté sa puissance auprès de
Tamerlan , il a rédigé ces lettres de manière à faire entendre
qu'avant même l'arrivée du frère François Ssathru , qui
avoit apporté des lettres du roi , il avoit rendu compte à Ta-
merlan de la puissance de ce prince , et cela au retour d'un
voyage qu'il avoit fait à Venise et à Gènes. Il est même
possibleque la chose fût vraie, et que Jean, antérieure-
ment à l'année i'^()2 , où il fut nommé archevêque de
Sultaniyèh , eût fait un voyage à Venise et à Gènes, et
qu'au l'etour de ce voyage il eût appris à Tamerlan les
secours donnés à Sigismond, et la soumission de Gènes,
ville très-renommée dans l'Orient, àla couronne de France.
TMj
5i« MÉMOIRES DE LACADE.MIE
La lettre Persane, au contraire, ne fait mention de l'arche-
vtque cju'après la mission de François Ssatlirii , parce
qu'elle ne parle que du voyage iait par Jean en Europe
pour (^tre sacre à Rome, voyage qui doit être, au plus tôt,
de 135)8.
il paroît, et par la lettre Persane et par la lettre Latine
de Miranschah , que François Ssathru avoit eu une mission
de Tamerlan auprès de quelques puissances Européennes.
Le traducteur fait dire à Miranschah, venit frater Frjiiciscus
Ssdthrii , et griitiWtcr susceptus à vobis ; et Tamerlan dit posi-
ti\ement, eo temporc quo frater Frauciscus priuluator ad hos
partes ven'it , et litteras reg'uis tittu/it. Qjiioique Jean ait,
comme je le conjecture, fait parler à sa fantaisie Tamer-
lan et Miransciiah, il n'a pas du leur faire dire des choses
cvidemment fausses , et dont la fausseté eût ctc facile à
reconnoître.
Au surplus, je n'ai trouve nulle part aucun renseigne-
ment sur le frère François Ssathru. La manière dont son
nom est écrit pourroit faire croire que c'éloit un étranger,
peut-ctre quelque religieux Arménien. Le nom de Fni/içois
n'étoit pas, je crois, usité parmi les Arméniens; mais il
pouvoit l'avoir pris en entrant en religion.
Il nous reste un point important à examiner : c'est le
cachet apposé au bas de la lettre Persane, et qui doit être
celui de Tamerlan. Ruy Gonçales de Clavijo , dans sa
relation que nous avons déjà citée, dit : « Les armes de
»' Tamerlan sont trois ronds en forme d'oeufs , faits en
» cette manière, ^q'^ . Cela signifie qu'il étoit le maître des
" trois parties du monde. Il faisoit mettre cet emblème
" !>ur la monnoie et sur toutes les choses qu'il faisoit; il
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 517
» avoit pareillement ces trois œufs ronds sur ses sceaux,
" et il obligeoit aussi tous les princes ses tributaires à les
" mettre sur la monnoie de leurs états (1). »
Ebn-Arabschah , dans sa Vie de Tûmerlaii , confirme le
rapport de Clavijo, et y ajoute quelque chose de fort im-
portant. « La légende de son sceau , dit-il , étoit Rdsti resti,
» c'est-à-dire, tu as e'te' ve'ridique , tu as été sauvé ; la marque
" que portoient ses bêtes de service , et l'empreinte de son
» coin sur ses monnoies d'or et d'argent , étoient trois
» ronds en cette forme, o°o (^)- " -^^ seule différence entre
ces deux écrivains, c'est que le triangle formé par les trois
ronds est présenté par Clavijo la pointe en bas , et par
Ebn-Arabschah , la pointe en haut.
Le cachet apposé à la lettre Persane est conforme à
ce qu'on vient de lire. Quoique l'empreinte en soit très-
(i) E las (armas ) que el Tamur-
bec îiene, son très redondos assi como
ces hechas desta guisa, q'^q . E esta si-
gnifica que era serior de lu très partes
del mundo , e esta devisa mandava el
fa-^er en la moneda, e en todas sus
cosas que el fa-^ia Otrosi estas
très como ces redondos ténia el seFior
en sus sellos , e mandava otrosi que
las que atrebutava los poseyessen en la
monedade sus tierras. (Hist, del gran
Tamori. yô(. 42 recto.)
(2) i^'î-vj ijj^lj rt^ià» (jisij (jk^
( Vit. et Res gest. Tim. toni. II ,
p. 782.) M. Manger a eu tonde tra-
duire ainsi la légende: Veritas salas.
Ebn-Arabschah, en la traduisant lui-
même du persan en arabe, ne permet
pas de douter qu'il n'y donnât le sens
que nous avons exprimé. Peut-être
cependant, dans l'intention de Ta-
merlan, le sens étoit-il veritas saliis.
En effet, Schéref-eddin, dans YHis'
toire de Tamerlan , dit : « La fourbc-
» rie, a dit lepoète, peut avoir d'abord
j) quelque éclat j mais, à la fin, elle
33 fait rougir son maître: c'est pour-
j> quoi Timour, qui étoit ennemi
» de la ruse , avoit pris pour la de-
3) vise de son cachet , ces mots : Le
» salut consiste dans la droiture. "
Le traducteur, Petis de la Croix,
ajoute en note : « Cachet de Timur ,
» Rasti, rusti. " ( Hist. de Timur-bec ,
tom.III,pag. 153).
5i8 MEMOIRES DE LAC-VDÉ.MIE
imparfaite, on y reconnoît tout d'un coup les trois ronds
poses en triangle, et deux mots Persans, qui, par eux-
mêmes , scroient peu lisibles, à cause de l'imperfection de
iempreinte , mais qu'on juge parfaitement avoir du ctre
RASTI RESTI , d'après le témoignage d'Ebn-Arabschali. 11
y a seulement une figure en forme de 3 , qui paroît ctre
le tesclidid, ou signe de reduplication de l'écriture Arabe,
et dont on ne sait trop que faire. Seroit-ce un simple
ornemeni î La gravure de ce cachet paroît fort grossière,
et ne donne pas une grande idce des talens des graveurs
que Tamerlan avoit à son service pour graver sur le verre
iit.fiResgfit. et sur les métaux, et dont Ebn-Arabschah nous a con-
Tim. lom. Il, r I
P'S-Sjb. serve les noms.
L'interprétation donnée par Clavijo aux trois ronds
disposés en triangle , qui formoient les arines de Tamer-
lan , et qui, selon cet écrivain, signilioient qu'il étoit le
seigneur des trois parties du monde, me paroît entière-
ment dénuée de fomlement. Les Orientaux ne sont point
dans l'usage de diviser la terre ou l'ancien monde en trois
parties , comme nous le faisons; et si quelques géographes
modernes de l'Orient ont adopté cette division , c'est
une imitation récente de l'usage des Européens. Pour
exprimer la totalité du monde habité, ils disent les sept
climats, ou l'orient et le coucluint , ou enfin le rjuart habite ,
^jjv«JL' ^J> (et non, comme l'ont rendu quelques tra-
Rus^Jiifg I M.i- ducteurs, les /juatre parties du moiulcluihitiiblc). Cette expres-
iV»" ffî». fna S'O" ^^^ fondée, comme le dit Abou'lféda dans les prolé-
Ct.>gT.tom.iv, gomènes de sa Géographie, sur ce que, la terre étant di-
visée en quatre parties par l'intersection de l'équateur et
du méridien , il n'y a qu'une de ces quatre parties qui soit
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 5.9
habitée , ies trois autres étant inconnues , et, pour la plus
grande partie, occupées par les eaux (1).
J'ai déjà observé qu'on voit aussi l'empreinte d'un
cachet au dos de la lettre , et que ce cachet doit être
celui du premier ministre de Tamerlan; mais on n'en peut
rien dire de plus , cette empreinte n'offrant aucun trait
qu'on puisse saisir.
De tous les détails dans lesquels je suis entré , on doit
conclure , ce me semble ,
i.° Que la lettre Persane adressée par Tamerlan au
roi de France est authentique, mais que, vraisemblable-
ment, elle a été écrite moins du propre mouvement de
ce prince Mogoi et dans des vues politiques qu'à la solli-
citation des missionnaires, et pour se prêter à leur désir,
et particulièrement à la demande de Jean archevêque
de Sultaniyèh;
z.° Que cettte lettre, quoique datée du i ." de moharram
805 , et par conséquent d'une époque postérieure de quel-
ques jours à la bataille d'Ancyre, paroît avoir été réellement
écrite avant cette bataille, ou du moins en vertu d'un ordre
donné par Tamerlan , avant qu'il quittât Sébaste ;
3 .° Que Tamerlan mettoit très-peu d'importance à cette
mission , et ne considéroit , sans doute , le roi de France
que comme une puissance d'un ordre très-inférieur;
4." Que la lettre Latine , qui n'est censée être que la tra-
duction de l'original Persan , a été rédigée d'une manière
(i) S'il falloit nécessairement don-
ner une interprétation au symbole
dont il s'agit, j'aimerois mieux croire
qu'il seroit relatif au titre de Salieb
kiran [Maître de la conjonction],
et qu'il indiqueroit un aspect favo-
rable de trois planètes. Le plus sûr est
d'avouer notre ignorance à ce sujet.
5 20 iMÉMOIRES DE LACADKMIE
trcs-infidcle, et néanmoins par une personne bien au fait des
usages Je la cour Mogole, et, selon toutes les apparences,
par l'archevcque Jean, qui y a mis tout ce qui pouvoir
flatter le roi de France, lui assurer personnellement à lui-
même plus de considération , et relever l'importance de
la mission dont il ctoit chargé;
5." Que le lieu d'où cette lettre est àaice , propc Scbas-
tuiii , ce qui est une addition du traducteur, est contraire
à la vérité historique , ihi moins relativement à la date
du \ ." de l'année 805;
6." Qiie les mêmes reproches doivent vraisemblable-
ment être faits à la traduction Latine de la lettre de Mirza
Miranscliah, dont il esta croire cependant qu'il existoit
un original entre les mains de l'archevêque Jean ; origi-
nal qui ne sera point demeuré déposé avec celui de la
lettre de Tamerlan , parce que , la lettre de Miranschah
étant adressée, en général, aux souveraiils et aux répu-
bliques de l'Europe, Jean l'aura gardée pour la présenter
à quelques autres gouvernemens ;
7,° Qii'en conséquence on ne doit point mettre une
grande importance à cette correspondance, et que les his-
toriens qui en ont parlé comme d-'une véritable ambassade
et d'une négociation politique de la part de Tamerlan ,
ne l'ont point envisagée sous son vrai point de vue.
Pour compléter ce que j'avois à dire sur ce sujet, il ne me
reste qu'à (iùtl- connoitre de <juclle manière un auteur con-
temporain parle de cet événement, et à transcrire la réponse
que Charles VI fit à la lettre du conquérant Mogol.
Voici comment s'expriment les auteurs de ['Histoire de
Chnrlcs VI traduite par Le Laboureur à l'année 1403:
«< Certain
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 521
« Certain évêque , des parties Je l'Orient , de l'ordre
» des frères prêcheurs, vint, cette année, devers le roi,
'» de la part de Tamerlan , roi des Tartares, et lui pré-
" senta ses lettres, dont la suscription et l'adresse étoient:
» Au grand Roi de France , et aux plus pu'issans de la chré-
» t'ienté. Elles contenoient qu'entre tous les princes d'Occi-
» dent, il avoit particulièrement ouï faire récit du roi de
« France , et que cela lui avoit donné la curiosité de se
» faire informer de la magnificence de sa cour , et de la
» puissance de son roi. Il n'oublioit pas aussi de se glo-
" rifier de la conquête d'une grande partie de l'Orient ,
" et de la défaite et de la prise de Bajazet , qu'il croyoit
» avoir été d'autant plus agréable à Sa Majesté, qu'en qua-
>• lité de persécuteur du nom chrétien, il devoit être le
>» plus grand ennemi du roi et de la couronne de France.
" Pour conclusion , après l'avoir assuré de son amitié, avec
» offre de ses services, il le prioit que, suivant l'exemple
» de tout temps pratiqué par ses prédécesseurs, il traitât
>• favorablement , en leur négoce, les marchands de son
" pays qui viendroient trafiquer de toute sorte de mar-
» chandises étrangères avec ses sujets. Cet évêque , pro-
>• posant le même commerce devant le roi et son conseil ,
» remontra fort prudemment que le royaume tireroit de
" grands avantages de cette correspondance, qui fut très-
» volontiers accordée, et le député renvoyé avec de beaux
" présens. » Observons que Tamerlan n'avoit point envoyé
de présens à Charles VI; ce qui prouve combien peu il
attachoit d'importance à cette démarche.
La réponse de Charles VI est conçue en ces termes :
Carolus , Dci giat'iâ, Francorum irx , sercn'issîmo ac rictor'iosissimo
Tome VI, V
j2; M1..MOIRES DE L'ACADEMIE
prinàpi Thcmyrbeo , saliitern et paccm. Strcmss'ime ac victoriosissimc
princi'ps , nec Icgi ncc fidei répugnât , dut est dissonum rationi , quin po-
tiùs utile censendum est, reges ac dominos temporahs , etsi crcdulitatc
sermoneque discrepent, civilitatis bencvolentiti et amicitiiv nexu invicem
fadcrari , ubi per id mtiximè pax atque tranquillitas rcdundct ad sub-
ditos. Et hinc est, sercnissime ac victi>riosissime princeps , qu'od, cùm
ittteras yestrce celsitudinis per fratrem Johannem archiepiscopum totius
Orientis recepimus , qui bus nobis salutis eulpgium irnpertiri voluistis,
ac de nostri status continentia et regni commoditatibus pariter infor-
mari , nichilominus intimare victoriam quant , Allissiino concedcnte, ob-
tinuistis de Baa:Jito, nobis ad compLiccntiam hoc ccssisse novcritis non
modicam , prcccipuè coadjuncto quàd inagnijîcentice vestrœ gratum erat
mercatores nostros et ceteros Xpanos cum subditis vestris passe com-
mcrcia de cetero simul contrahere , et mercantias suas sine impedi-
mentj mutuô cxcrcere et agcre , nccnon ad terras et ditioncs vestras
accessum amodo habere plenarium , veluti tempore bonorum prœdeces-
sorum nostrorum, ut verbis vestris utarnur ,fuit factum ; de quo magnas
vobis gratins rependimus atque grat es , animo libenti consimilitcr an-
nutntes , ac vice vo lentes re'ciprocâ, ut vestri ad terras et dominia nos ira
securè ventre ac ntercari, sicuti nostri in parti bus vestris, possint, quetn-
admodum hœc et alia quant mu/ta quœ prcefatus archiepiscopus audivit
cernereque potuit in hoc regno , si libeat , referct viva voce, cui in prit-
inissis credere ac rccommissum habere , ob mérita sua fidelitatis precum-
que nostrarum intervcntu magnijicentia vestra velir ■ qux nobis de suis
successibus ad nostram consolationem rescribat , per quotquot de vestris
ad istas regiones continget declinare. Dcmuni vestra magnijicentia re-
graciantes de civilitatibus et amicitiis multis, plurimis Xpanis ptr
ma'jestatem vcstram factis et tinpcnsif . nos afférentes vestrorum oppor-
tunitatibus , ubi castis pcsceret, ad aqualia vel majora. Datum Parisiis .
die junii quindecimo,anno Domini nostri Jhu Xpi mi lie s im» quadrin-
^entesimo tertio.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 523
MÉMOIRE
SUR
LES MÉDAILLES DE MARINUS
FRAPPÉES X PHILIPPOPOLIS.
Par m. TOCHON D'ANNECL
JL ORS QUE des médailles présentent i'effigie d'un prince Lui' '.i^\•^r^
r" loi "7.
qui n'a laissé après lui que de foibles souvenirs , on ne
peut se défendre de quelque hésitation sur le personnage
auquel on doit les attribuer : l'analogie des noms induit
souvent l'antiquaire en erreur; souvent le secours qu'il
réclame de l'histoire, ne sert qu'à augmenter ses doutes.
Obligé alors de recourir aux conjectures, il réunit les
monumens, il les compare; il consulte les temps, les
lieux, les circonstances, et la critique supplée aux faits :
heureux si les conséquences qu'il en tire ne l'écartent pas
du but qu'il s'est proposé d'atteindre!
Les médailles sur lesquelles nous portons dans ce mo-
ment nos recherches , appartiennent à un prince nommé
Marïnus; elles ont été frappées à Philippopolis. En voici
la description :
I. eEQ. MAPiNn. Tête nue , k droite , au-dessous de laquelle Planche, n.' 2.
un aig[e éployé ( i).
(1) Séguin et d'autres auteurs ont 1 pas exact. Cette erreur venoit sans
indiqué une tête chauve ; ce qui n'est j doute du peu de conservation de la
V ! ij
Pliiiclic, n.° I.
r-i MIMOUILS DE L'ACADEMIE
R. *lAinnonoAlTnN. KOAnNiAc. s, c. Rome assise, ayant
dans /a main gauche une liasie , et tenant dans la droite
un aigle sur lequel sont placées deux petites figures.
2. .Même légende et même tête.
U. «MAinnonOAlTON. KOAnNiAC. s. c. Pallas ou Rome de-
bout, tenant de la main droite une patère , de la gauche
la haste; h ses pieds un bouclier.
Ces mcdailles prcsentent deux ililllcultcs : quel est le
Mariniis dont elles nous ont conserve les traits! quelle
est la province à laquelle elles appartiennent!
Zonare et Zosime sont les seuls qui disent quelques
mots de Marinus ; ils se bornent à indiquer qu'il fut re-
vêtu de la pourpre par les soldats de la Mésie et de la
Pannonie, sous le règne de Philippe, et qu'il périt bien-
tôt après , par les mains de ceux mêmes qui lavoient
élevé au trône. Les antiquaires, ne trouvant dans les
auteurs anciens que cette mention d'un Marinus , lui ont
attribué les deux médailles que nous venons de décrire ;
ils ont ensuite imaginé que cet usurpateur s'étoit fuit
reconnoître dans les provinces voisines, et que c'étoit la
ville de Philippopolis de Thrace qui lui avoit décerné
ces médailles. Si l'on se bornoit aux simples inductions
que l'on peut tirer de la présence d'un tyran nommé
A'iiiri/ius dans le voisinage de la Thrace , et du silence
des historiens sur d'autres personnages du inême nom ,
médaille qu'il avoit fait graver; mais
nous en avons soigneusement exa-
miné plusieurs exemplaires, et ton(cs
nous prcsentent la tête nue d'un vieil-
lard, qii nulle part n'est chauve. La
même erreur se trouve reproduite
dans un ouvra.ge plus récent; voilà
pourquoi nous croyons utile de le
lairc remarquer.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES. 525
cette opinion acquerroit un grand degré de vraisemblance:
mais ne peut-il pas avoir existe d'autres Marinus ! Les
écrivains, qui ne nous disent rien de tant de tyrans dont
les médailles très-authentiques attestent l'élévation à l'em-
pire, doivent-ils être nos seuls guides dans ce cas! N'avons-
nous pas vu le P. Chamillart , donnant la description Dis,cn.mon du
d'une médaille de l'empereur Pacatien , personnage abso- làn sur yiùsicur.
lument inconnu dans l'histoire, conjecturer judicieuse- '"'-," j'"^"',!
ment, d'après le style et le travail, qu'elle anpartenoit '"k'nei, Paru,
. . , , '7'r ■ '"-4°
au temps de Philippe! et cette conjecture ne s'est-elle pas
pleinement confirmée par une nouvelle médaille du même
Pacatien , sur laquelle nous lisons l'année de son règne
(Ronue ateriia nu. mill. et primo) , qui coïncide parfaitement
avec le règne de Philippe (1)!
Il est assez remarquable que ce soit sur un tyran de
la même époque que nous ayons à fixer nos incertitudes.
A défaut des historiens , nous nous servirons des moyens
qui ont aidé le P. Chamillart à indiquer le temps où
avoit régné Pacatien.
Nous ne reconnoissons point le tyran de la Mésie sur
les médailles qui ont pour légende, 0EQ. MAPINO. ; et,
quoique les autorités sur lesquelles on s'appuie pour les
donner à Philippopolis de Thrace , paroissent être de
quelque poids , nous nous proposons de combattre cette
opinion , et nous nous empresserons de restituer à uii
antiquaire Français le mérite d'avoir justement attribué
ces médailles à la ville qui les a fait frapper.
^i) M. Miilin nous a donné, sur
cette médaille intéressante, une dis-
sertation qu'il est utile de consulter.
Voyez JVIonumens antiques inédits ,
par A. L. Miilin, Paris, 1802, t. 1 ,
pag. 49.
5 2(> MI.MUIRLS DE L'ACADOllE
Jac. Strada est le premier ijui nous ait lait comioitre
ffirmf The- Jes iiicJailles de Mariniis. Apres lui, Goltzius en iiuliiiue
.turi ttniiquiia- , i il i ' • / . i
iKm.Lfvn.i;;;: deux SUT IcsqueUes cc tyraii est désigne par les noms de
r^g',' /j Curviliits. Plusieurs antiquaires, croyant à l'existence
lie ces monnoies , ont continue à le nommer ainsi, sans
réfléchir que Goltzius a mêle à ses heureuses découvertes
en numismatique beaucoup de monumens apocryphes
qui empèclient d'ajouter une foi aveugle à son témoignage.
Quoique Marinus soit nomme' Puhlius Ciirvi/ius dans tous
les ouvrages numismatiques; quoique tous les antiquaires,
mOme ceux qui regardent ses mc-dailles comme suspectes,
s'obstinent à le dc'signer ainsi, nous n'avons aucune preuve
qu'il ait jamais porté ces noms.
Un autre Strada ( Octavius) publia ensuite une médaille
iM.ii)fi.r Grecque de Marinus, semblable à celle que nous avons
fait graver ici.
On révoqua en doute l'authenticité de cette pièce (i);
pi-mche, n.° :. et Séguin , qui en possédoit une autre, s'empressa de la
faire graver pour donner plus de poids à celle qui avoit
été décrite par Oc(. Strada.
L'un et l'autre se bornèrent à attribuer leur médaille
à ce chef des révoltés, proclamé Auguste par ses soldats.
Après Séguin, ces médailles se sont répandues dans plu-
sieurs cabinets, sans faire naître d'autres conjectures, et
elles figurent jiar-tout comme nous offrant les traits de
cet empereur éphémère (2).
( I ) De viiis Iinpp. et C.riariim lio-
manonim , cura Ociavii de Strada,
Francfort, 1615, in fol. , pag. i JO.
La ligende y est erronée, et cc fut
san« doute par ce motif que la mé-
daille parut luspcctcaux antiquaires.
Alarinus y est nomme Alapinus.
Str.ida a cru v voir des lettres La-
tine» ; la légende est toute Grecque.
(1) Ce sera particulièrement sur
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 527
Pour mieux cclaircir la difficulté, examinons d'abord
quelle est l'autorité qui a fait frapper la médaille : il est
évident que ce n'est point Marinus, puisqu'il n'y est
question que de son apothéose. Il faudroit qu'un fils du
tyran, héritier de sa puissance, eût pu lui décerner les
honneurs divins. On sait bien que le premier usage que
faisoit de son autorité un prince à son avènement au
trône, étoit de placer son effigie sur les monnoies : mais,
du moment où il faut faire concourir à cet acte une
ville éloignée de sa domination, la chose ne semble pas
praticable, et l'on devroit commencer par établir, dans
ce cas, que Marinus avoit étendu son usurpation dans
la province de Thrace, où étoit située Philippopolis, et
que son successeur, en lui rendant les honneurs divins,
a voulu consacrer le souvenir _de ce prince, en plaçant
son image sur la monnoie frappée en son nom. Nous
avons, au contraire, la certitude qu'il fut mis à mort
peu d'instans après qu'il eut été décoré de la pourpre,
et nous ne connoissons aucun des siens qui ait hérité
de son pouvoir. Cette hypothèse ne peut donc offi-ir nul
degré de vraisemblance.
Nous allons citer ici le texte des historiens qui nous ont
conservé quelques mots sur Marinus. Ils suffiront pour
justifier nos conjectures.
Ch, XX. Les provinces de l'Orient, accah'ées sous le poids Zosimrjh'. i.
celle qui a été publiée par Séguin
que porteront toutes nos réflexions,
parce que nous croyons qu'elle con-
tribue beaucoup à éclaircir la diffi-
culté, par l'analogie parfaite qu'elle
a avec une médaille de l'empereur
Philippe, comme nous le dirons plus
bas. Voyez Selecta Numismata an-
tiqua ex jnuseo Pétri Seguini , Paris,
1684, in-^.°
\'X.
528 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
des impôts, et ne pouvant souffrir fe commandement de Priscus,
qu'on leur avoit envoyé , se révoltèrent , et élevèrent à In souve-
raine puissance Jota]iinnus : de leur cùté , les légions de Mésie et
Fannonie élurent Marinus.
Ch. XXI. Philippe, troublé de ces événemens, pria le sénat,
ou de venir à son aide dans les circonstances présentes , ou de
le déposer , si son gouvernement déjilaisoit. Comme jiersonne
ne prenoit la parole, Décius, personnage distingué par sa nais-
sance, sa dignité, et par l'éclat de toutes les vertus, lui dit qu'il
se tourmentoit en vain; que ces révoltes, ne pouvant recevoir
d'appui de nulle part , se dissiperoient facilement d'elles-mêmes.
Ces Conjectures, que Décius avoit puisées <Ians son exjiérience
des affaires, se trouvèrent vérifiées par l'événement: car on
parvint, sans beaucoup de peine, à réduire Jotapianus et Ma-
rinus ( I ).
Comme Philippe revenoit à Rome, après avoir terminé la
guerre contre les Scythes, un certain Marinus, chef de cohorte,
fut proclamé Auguste dans la Mésie par les soldats. Philippe ,
troublé et inquiet, fit part au sénat de celte sédition, et lui
communiqua ses craintes. Décius fut le seul qui prit la parole
pour rassurer l'etupereur, en lui disant qu'il ne devoil nullement
s'en inquiéter, et que Marinus semit bientôt mis h mort par ses
proj)rcs soldats, comme \\n homme incapable de régner; ce qui
arriv.i ainsi que Décius l'nvoit jirédit '2K
(1)... .Ta fJuki >Mtra rrii ioii» Tnif tu*
•à nuT\çJ.^in T^-ntia , -rir Iwiamitcr
Tfltfr'ytjji» t<( 7>îr Tjùr ixiar eif/^t • m Ji
Mi/jâ'i' Tayuavi |L Tlcuttu't, Mo^ircr.
TU airrv Juattftçciit itf^x, TBvTuf aj«/-
AiKtcç,yj/j }i'*i 'OCit;^' 1 ». a^/6u« 77, •SJC»-
«T» Ji i. TOJiuf J/aTct T&iv 7n;f àpim (,
ftaTifr tAt^tr euinr tTn tvtiiç aytriit •
■n (ht'auoï l^ii vJk^'ht ShrâfÀkya, • àn-
Ceirnut /♦' ti( icyt, <i>r o ût'iuof JK TUf
tii» ■s^ayua.TtÊiv ii\KfA.iîpaTt 7nif>ai , 7Î
Yjt'Hjei^rTUt ( Zosinic, liv. I ,
ch. xx,pag. 29, édit. de Leipzig,
in-S.', 1784.)
(2) OfTur /* « aC-nupà-TUf i <tihnr-
Ces
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 529
Ces passages nous apprennent tout ce que nous savons
de Marinus : nous y voyons qu'il fut clevé à l'empire
par ses soldats, et bientôt après mis à mort par eux. II
est à croire que les rebelles, apprenant l'arrivée de Trajan
Dèce, que l'empereur Philippe, sur l'avis de cette re'-
volte, envoyoit dans la Mésie, se hâtèrent, pour trouver
grâce auprès de lui, de se débarrasser de leur idole d'un
moment. Les mêmes soldats qui avoient revêtu de la
pourpre l'usurpateur Marinus, en décorèrent Trajan Dèce,
croyant par-là le rendre, pour ainsi dire, leur complice,
et éviter la punition de leur crime.
On a bien senti, en attribuant ces médailles à Marinus
de la Mésie, que ce n'étoit pas lui qui les avoit fait
frapper; mais on a supposé qu'aussitôt après sa mort les
soldats repentans lui avoient décerné ces monumens, ou j-.Vk/», hc. ch.
que Trajan Dèce, pour se faire des partisans parmi les
rebelles, l'avoit mis au rang des dieux. On a aussi sup-
posé, et c'est l'opinion de Vaillant, qu'elles avoient
pu être frappées par ordre de Philippe lui-même, en
reconnoissance des services rendus par Marinus, qui
avoit chassé les Scythes de la Thrace.
Voilà trois raisonnemens qui ne reposent que sur des
hypothèses. N'ayant pas à combattre de preuves histo-
riques, nous nous permettrons de proposer aussi nos con-
•mç 'SjÇy? Sioi'^f cLfa/AJtyoç -mKifMy , i'iç
'Pa/À.nv f:m.vyih3iv. Lv Si Mumiç Mufnvôç
TiçTa^icip^çùiVj'^a.çs'- TT^i çfa-nuTwv (ia.-
aiXiviiy H/Ji?». Y.c^ Slà. tÏts o <^iXfïï-mç
■nJofiijCyfn , s^u tÎ cti/^xmi'tiI) Silihi^^^
■ne/- "mç çttotùjf • -my cc^mv /i muTmv-
Tome VI. X?
(Zonare, liv. xil, chap. xix,pag.
624, Paris, 1686, in-fol.)
5 30 MÉMOIRES DE IJACADÉMIE
jectiires.et l'on jugera si elles nesuflisent pas pour clctrulre
les allcgations contraires.
En jetant un coiip-d'ccil sur liiistoire île ces temps,
il est aise de se convaincre que jamais Philippe n'a pu
avoir la pensée de décerner les lioiineurs divins à un
traître qui vouloit s'emparer de sa puissance. Nous sa-
vons, par Zonare et Zosime, que IcMsquc Phiii|ipe apprit
'a révolte de Marinus, il en lut troublé, et qu'il demanda
au sénat de l'aider à repousser ce rebelle. Trajan Dèce,
alors sénateur , calma ses inquiétudes en lui annonçant
que bientôt les mêmes soldats qui avoient élevé Marinus
au trône, l'en feroient descendre. Cet avis rassura l'em-
pereur , qui donna à Trajan Dèce le commandement
des troupes de la Mésie et de la Pannonie. Comment
penser que Philippe ait pu déifier l'usurpateur contre le-
quel il envoyoit une armée ! Les historiens d'ailleurs
annoncent (jue Marinus fut massacré avant mcme l'arri-
vée de Trajan Dèce. Q.uels services rendus par lui depuis
la nouvelle de sa rébellion jusqu'au moment de sa mort,
auroient donc pu déterminer Philippe à lui décerner
des médailles! Celles dont il est ici question, présen-
tant les lettres S. C. , indicpient qu'elles ont été frap-
pées après un sénatus-consulte , et il répugne de croire
que Philippe, qui venoit de s'adresser au sénat pour lui
demander des secours contre Marinus, ait sollicité un
sénatus-consulte pour le déifier. Assez occupé du soin de
défendre l'empire contre les tentatives d'un nouveau con-
current, il songea bien plutôt à former une armée pour
le faire rentrer dans le devoir. Ce n'ctoit plus Marinus
(|u'il avoit à craindre, mais Trajan Dèce, (|ui venoit
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 531
d'être proclamé Auguste par ces mêmes troupes révoltces.
Considérons encore que Philippe étoit à Rome au
moment de l'usurpation de Marinus; que, s'il avoit voulu
lui dédier une médaille, il n'avoit pas besoin d'civoir re-
cours à une ville Grecque. 11 périt lui-même , peu de
temps après , dans la lutte qu'il eut à soutenir contre
Trajan Dèce. A quelle époque veut-on qu'il ait pu faire
fabriquer ces monumens î
On ne peut pas supposer que ces médailles soient
l'ouvrage de Trajan Dèce. Qui croira qu'ayant quitté
Rome pour punir une rébellion, il ne se soit occupé, en
arrivant, qu'à la consacrer! Ce n'étoit pas non plus pour
se rendre les rebelles favorables, puisque ce ne fut qu'à
regret qu'il accepta l'empire : il fallut, dit Zonare (i),
tirer l'épée contre lui pour le forcer à y consentir, et il
écrivit à Philippe de ne rien craindre; qu'il quitteroit
les marques de la dignité impériale dès qu'il seroit de
retour à Rome.
Ce ne sont point les soldats repenlans qui ont pu
décerner ces monumens à Marinus : c'eût été bien mal
faire leur cour à Trajan Dèce , qu'ils venoient de pro-
(l) 'O Ji mv aOTçuXiiV im-pw-ni-n , M-
Ififlij oLu-ny Ôkh a,Tn\^iiy. O Ji $/a/t-
■mç Kf in lYiKine. Kaiuiyoçx^ cLKai ttirnii ,
Kj a.7nh%yTa. âj'ivç auTjV 0/ çpcntôinwi lia-
mKia &j(fy\lJ.vit!Wi. XS Si à.Tia.ta.iyouiv'i , m
^;(pii camuctijucvoi, /t^cccQa^ olutÔv wuyxa-
■7m.^mfÀa..
" Celui-ci (Décius) voulut refuser
> la mission , disant qu'il importoit à
3 lui-même et à celui qui lui donnoit
cet ordre, qu'il ne se rendit point à
l'armée. Philippe insista , et Décius
> partit malgré lui. A peine étoit-il
arrivé.que les soldats le déclarèrent
'•> empereur. Comme il refusoit ce
3 titre, lessoldats,répéeàla main, le
forcèrent de l'accepter. Il écrivit du
o camp à Pliilippede se tranquilliser,
j-et lui ditqu'arrivé à Rome il dépo-
> seroit les marques de la royauté. »
X' i]
5 32 MFMOIRFS DE L'ACADÉMIE
clamer empereur, que de déifier à ses yeux fe chef qu'ils
avoient eux-mêmes massacre. Au reste, le droit de battre
monnoie n'appartenoit pas à iarinée , et nous avons déjà
remarque que le S. C. qui se trouve sur le revers de la
médaille , indique qu'elle a été frappée par l'autorité du
sénat (l).
Q_uant à Marinus , tyran de la Mésie, non-seulement
elle ne lui aj^partient pas , mais il est douteux qu'il en
existe aucune d'authentique de ce tyran. A-t-il nuine
régné le temps nécessaire pour en faire frapper î Peut-être
un jour sortira-t-il des marais du Danube quelques pièces
qui donneront un démenti à nos conjectures; mais nous
ne croyons , quant à présent , à l'existence d'aucun de ces
monumens (2).
Nous ne sommes pas non plus portés à accueillir le
(1) Le comte Mczzabarba suppose
qu'il seroit possible que Marinus,
charge de diTendre Philippopolis
contre l'invasion des Scythes, en cul
Clé récompensé , après sa mort, par les
hahitans.qui nuroicnt voulu recon-
noître ce bienfait: supposition pure-
ment gratuite, qui n'a pas plus de
fondement que les autres. Les l'hi-
lippopolitains s'ctoicntdonc révoltés
contre Philippe, puisqu'ils déifioient
un séditieux armé contre lui. Com-
ment d'ailleurs expliquera- t-il les
lettres S. C. qui se trouvent sur la
médaille! ^^c/(^ Mezrabarba , Imp.
Rom. Numismata, édition de Milan ,
Nous ne disons rien de» conjec-
tures d'Hardouin , qui a imaginé r|«e
Marinus avoit été chargé par Phi-
lippe de fonder dans la Thrace la
colonie de Philippopolis, <Scc.
(2) Nous nousdispcn'onsde parler
des médailles apocryphes de Mari-
nus; lous les antiquaires les excluent
avec raison de la série des monnoies
impériales : mais il faut dire deux
mois de celle qu'on trouve dans le
.Muséum HeJervarium , Vienne,
181.4, tom. II , tab. 30, n.» 666, et
qui f;iit partie de la riche collection
de M. le comte Wic/ay.
Neumann l'avoit déjà fait graver
dans SCS JVumi vctercs anecdoti ,
pan. II , tab. 7, n.° 9; mais il »'en
est tenu là , et n'en a pas même
donné la description. C'est urc mé-
daille, comme on en trouve plusieurs,
à ilcnii-barbare , dont la légende est
entièrement cflaccc, sur laquelle on
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LXTTRES. 535
rêve tl'Hnrdouin , qui forge une chronologie de Paca- [U-.iouh.Oj'c-
tien, dont il décrit quelques médailles, et qu il croit tils
de Marinus : il faudroit accorder à ces tyrans un plus
long règne que ne permet de leur donner le silence de
l'histoire. Qiielques écrivains ont prétendu que Pacatien
étoit le même que Marinus, ou que ces deux personnages
étoient au moins de la même fomille, et que les lettres
de la légende Mar. Pacatianus , qu'on lit sur la médaille
publiée par le P. Chamillart, dévoient s'expliquer ainsi :
Mûritius Pacatianus. M. Millin , en adoptant cette inter-
prétation , et en réfutant avec raison les étranges conjec-
tures formées par Hardouin sur la famille de Pacatien ,
est néanmoins enclin à penser, comme lui, que la tête du
vieillard déifié, avec la légende ©EO. MAPINO., pourroit
bien être celle de Marinus père de Pacatien.
Nous n'avons point de document assez précis pour rece-
voir ou rejeter entièrement ces conjectures : elles feroient
croire que Pacatien a régné en Thrace, en Mésie, en Pan-
nonie et dans les Gaules : comment alors les historiens
auroient-iis passé sous silence le règne glorieux d'un
prince qui commandoit de la Thrace aux Pyrénées (i)!
Bien que nous soyons d'avis que Philippe n'a point
ne lit rien , mais où l'on peut lire
tout ce qu'pn veut.
( I ) C'est l'opinion de la plupart des
antiquaires , que Pacatien a été pro-
clamé Auguste dans les Gaules, parce
que ses médailles se trouvent parti-
culièrement dans nos provinces. La
médaille décrite par Chamillart a
été trouvée près des Pyrénées. On
en a découvert, dans le comté de
Foix, deux autres, que l'on conserve
au cabinet de Toulouse. Celle que
M. Millin a publiée avec la légende
Roinx œternx au. inill. et primo ,
a été trouvée près de Langres en
Champagne. Eckhel annonce bien,
tom. VII ,pag.jjp , qu'on en compte
plusieurs dans les cabinets d'Alle-
magne ; mais il n'indique pas leur
J34 ML-MOIRES DE LACADEMIE
ilccenicà Marinus, tyran de la Mcsie, les mcdailles dont
nous nous occupons , nous pensons néanmoins iju'elles
n'ont pu être Irappces que par son autorité. Cherchons
donc quel est le personnage auquel elles peuvent appar-
tenir, et voyons si nous ne trouverons point, dans la
famille de l'empereur Philippe, queUju un à qui elles
conviennent mieux qu'à ce tyran obscur de la Mésie : ce
qui nous porteroit à le croire, c'est que l'on connolt des
monnoies de Philippe avec le même revers qui se trouve
sur celles de Marinus, On y voit Rome assise sur im
bouclier , tenant la haste d'une main , et de l'autre v\n
aigle sur lequel sont placées deux figures. La parfaite
analogie qui existe entre les deux revers, sous le rapport
de l'art, sous celui du type , de la légende, de la forme des
lettres, sous le rapport même du métal, sulhroit seule
pour faire croire que les deux médailles ont été frappées
dans la même occasion , à la même époque, dans le même
pays, et par une ville qui a voulu honorer les deux princes
par le même monument. Nous dirons plus ; elles sont si
identiques et si ressemblantes, que nous les croyons gra-
vées par le même artiste : c'est ce qui nous conduit à penser
qu'elles n'appartiennent j^oint à une ville de Thrace, mal-
gré l'opinion d'Eckhel.
La ville de Philippopolis de Thrace fut fondée par
Philippe fds d'Amyntas, roi de Macédoine: elle est riche
en mcdailles; mais la série des impériales cesse depuis
Éiagabale, C'est donc à tort qu'on donne à cette ville la
médaille qui offre pour légende : iDIAIlIIlOlUUITnN.
KOAHMAC:. s. c. (i), sans remarquer cpiil existe une
(i) Des motifs que nous ignorons auront empêché cette ville d'en
/'. Scgilhii
Kiimisiiuiiti , nd
noiiis ,p,ig. /fiy ;
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 535
grande dilfcreiice entre la fiibrique des médailles de la
Tlirace et celles -ci, que nous adjugeons à Philippopolis
d'Arabie, ou plutôt de la Trachonite, sur les frontières » y.iilLint Nu-
de l'Arabie, ville fondée près de Bostra par l'empereur mm , img. 2j/i.
Philippe, lorsqu'il parvint à l'empire ( i ).
•Nous croyons que Philippe, après avoir obtenu le con-
sentement du sénat, fit encore rendre un sénatus-consulte
pour former sa colonie, et l'on voit effectivement que la
médaille en fait mention , quoique la légende soit Grecque.
Le S, C. y est exprimé, la ville y est désignée comme
frapper depuis cette époque; et l'ab-
sence totale de ces monumens, depuis
Elagabalc, semble être une raison
pour les refuser à _la Thrace. Sur
plus de quinze empereurs qui ont
régné après lui , Philippe seroit donc
le seul qui en auroit vu frapper dans
cette ville , sous son règne. La chose
est possible, mais elle n'est pas vrai-
semblable ; et nous ne devons pas
négliger les plus légères inductions
qui peuvent justifier notre manière
de voir. Vaillant cite bien une mé-
daille de Salonine ( JVuiiii GriVci ,
pag. 187); mais on ne sait où elle
est maintenant , et Eckhel semble
douter de la médaille, qui pourroit
bien avoir été mal lue. ( Voyez
Eckhel, ton}. 1 1 , pag. 4 j. ) Quant au
motif qui auroit suspendu la fabri-
cation depuis Elagabale , est-ce que
HarJouin auroit raison lorsqu'il attri-
bue cette lacune aux incursions des
Scythes, qui, depuis Alexandre Sé-
vère, se sont répandus dans ces con-
trées, et les ont ravagées ! ( Voye~
Hardouin , Opéra selecta , p. l8o. )
(i) Zonare le dit originaire de Bos-
tra : Op/xiiTi d 'o'it Boçpwt , o'7r\s Y^'mxiv
(iamh&Jozt; Î7mvv/uev iounù iifo/t/,H(7zt.-n,
'^iKi-ïïTT'UTnihiv oio/jutiraf ai/TwV. ( Zonare,
Paris, 1686, pag. 625.)" Il tiroit
" son origine de Bostra , dans le terri-
» toire de laquelle il bâtit une ville
» de son nom, qu'il nomma Pliilip-
>^ popolis, ^> Cédrène dit à peu près
la même chose,/?. 2^7^ Paris, i6^y.
Voici Ips termes dont se sert Au-
rélius Victor, qui nous semble plus
exact et plus correct, et qui, en peu
de mots, nous apprend beaucoup de
choses. Il nous prouve aussi que
nous devons entendre, dans Zonare
et dans Cédrène, que Piiilippe étoit
originaire du territoire de Bostra plu-
tôt que de la ville de ce nom. Igi-
tiiT Marcus Jul'ius Phiirpptis , Arabs
Trachonites , sumpto in consortium
Philippo filio , relus ad Orienteni
compost tis , conditoque apud Arabiam
Philippopoli oppido , Romam vcnere.
(Pag. 390, édition d'Amsterdam,
'733-:)
5 3^ MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
colonie : c'ctnit sans cloute un hourg peu important où
Philippe avoit pris naissance, cju'il a voulu agrandir en
y appelant des hahitans et tii lui donnant son nom. H
a consacre cet événement par la mcdaille dont nous par-
lons, qui semble elle-même sufiïre pour cclaircir l'obscu-
rité dont on a voulu couvrir ce point historique. Nous
prttons peut-c^tre trop de crédit à cette mcdaille : mais
il nous semble qu'elle atteste l'existence de la ville et
sa fondation, l'existence delà colonie, le sénatus-consulte
qui la constitue ; elle nous offre les traits de l'empereur
qui lui a donné son nom. Sur le revers, nous voyons
Rome, qui y figure comme la fondatrice- mère de la co-
lonie, soutenant les deux hgures de l'empereur Philippe
et de son fils, au moment où ils viennent d'entre élevés
à l'empire. Nous croyons enfin voir, dans la médaille qui
porte la légende ©EU. MAPINH., l'effigie du père de
Philippe.
C'est la seule manière de rendre raison d'un type com-
mun à deux princes : ce qui se rencontre rarement; car
chaque empereur étoit jaloux de retracer sur ses mon-
nuics les événemens les plus importans de son règne. Ici
nous remarquons une particularité qui ne peut convenir
à deux persomiages étrangers l'un à l'autre. La déesse
Rome, soutenant un aigle chargé de deux figures, se voit
pour la première fois avec ces symboles ( i ). Ne semble-
t-elle pas présenter au monde les efligies des empereurs?
et trouverions-nous ce type également sur les médailles
(i) Ordinairement elle porte I.1
figure de la \'ictoire. Les exemples
en 5ont trop commiini pour que nous
.ivons besoin de les citer.
de
DES INSCRlPTiONS ET BELLES- LETTRES. 537
de Philippe et de Mariniis, si celui-ci 11e devoit pas avoir
part à la publication du monument (i)!
Cette médaille semble avoir ctc frappée pour la famille
de Philippe, et réunir tous les faits qui pouvoient con-
courir à son illustration : cela est si vrai , qu'il existe au
cabinet du Roi une médaille d'Otacilia Sévéra, femme
de l'empereur Philippe , avec le même revers ; ce qui rianchc, n.-
prouve jusqu'à l'évidence que l'histoire de Marinus est
liée à celle de Philippe, qui a voulu faire participer son
épouse aux honneurs qu'il rendoit à sa famille (2).
Cette médaille pourroit aussi avoir été un monument
de flatterie, de la part des Philippopolitains , pour la
famille de Philippe. La légende du côté de la tête de
Philippe est au nominatif, suivant l'usage, à l'égard de
i'èmpereur au nom duquel se frappoit la monnoie ; il y
est avec ses titres : ATTOKPATOP. KAICAP. CEBAC-
TOC. Celle de Marinus, GEfi. MAPINO. , est au datif
Celle d'Otacilia Sévéra. ept à l'accusatif, MAP. OTAKIAL
CEOTHPAN. , en sous-entendnnt ^lAivr^n-o'sroXeTTui Ti/Moa,
les PliiUppopolitaiiis honorent OtacUia Sévéra : ce qui sem-
bleroit prouver que c'est une dédicace, et que ce type,
commun à tous les personnages de la famille , a été placé
au revers des portraits de chacun d'eux , suivant ce qui
leur étoitdû, d'après le rang qu'ils occupoient auprès du
prince.
(i) Philippe a adopté la même
idée dans quelques-unes de ses mé-
dailles Romaines; il a toujours asso-
cié son fils aux actes de son pouvoir
et de sa bienfaisance. Ces deux
princes y figurent ensemble, dis-
tribuant au peuple des libéralités.
( Koy*^ planche , n.° 8.)
(2) Peut-être même avons- nous
aussi des médailles de Philippe fils
avec le même type. ( Voyez nos ob-
servations à iâ tiiv du Mémoire.)
Tome VI. Y '
jjS MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
Il n'est pas sans exemple de voir les empereurs Ro-
mains dédier des moniimens de ce genre à leurs parens ,
mfme lorsque ceux-ci n'avoiciU point régne. Vitellius
jious a laissé des monnoies d'or sur lesquelles on trouve
la tcte de son père. Trajan a divinisé le sien sur ses
médailles. Nous en possédons une qui, jusqu'à présent,
est unique : elle est dédiée par les habitans d'Abdère
en Thrace à l'empereur Trajan, dont on voit la tcte au
revers de celle de son père (i). Nous pourrions citer bien
d'autres exemples de cette espèce (2). N'est-il pas naturel
de penser qu'au moment où Philippe parvient à l'empire,
au moment où il élève son pays natal au rang de ville
et de colonie, où il donne à son fîls âgé de sept ans
le titre de César, où il nomme son frère Priscus général
des troupes de Syrie, et donne le commandement de la
Macédoine à son beau-père Sévérianus (3), où enfin il
comble d'honjieurs et de biens toute sa famille , il veuille
en même temps décerner à son père les honneurs divins,
les seuls qu'il pûc lui rendre , afin , sans doute, de faire
(1) ATTO. TPAIANa. KAICAPI.
rp.BACTa'. Tcte iaiircc tic Trajan.
rEPMA. AAKIK. ABAMPEITAI-
Tcte nue de Trajan père.
(2) Qu on ne soit pas surpris si le
père de Philippe porte ici le nom
<lc Alarinus ; cfla vient de l'usage
de ce» temps, où le fils ne portoit
que rarement le nom du père. Nous
a\on> parmi les empereurs Macri-
nus c« Diadtimenianus son fils, Maxi-
minus etMaximus, Trebonianns et
V'olu^ianus, V.iJerianus et Gallie-
nus. Sic. . .Philippe fils lui-même
a porté le nom de Siittirninus , ainsi
que nous l'apprend l'autre Victor,
/■// EpUcme, pag. 545 , édit. d'Ams-
terdam, in-^..' , 1733.
(3) Kai nci^itt /t*V, âJi^fot ocra,
lày icstTO lueJiAt 'OO*'^ ""■''* ç^aTïWA'f,
1iCr,ç/MÙ Jt tÔp im/iî* TOf tr Mt/n'a i^
Maïu/ona Ji/tei^if fmç&jn. « Philippe
» donna alors le commandement des
» troupes de Syrie. i son frère Priscus,
»et il confia le gouvernement de la
» Métie et de la Macédoine à son
» heau-pére Sévérianus. « Faut-il en-
tendre que Sévéricn étoit gendre ou
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 539
oublier la bassesse de son extraction (i), et pour éblouir
Rome par ces prestiges qui en ont imposé de tout temps
aux hommes , et qui suppléent souvent à la véritable
grandeur !
Ce fut en Mésopotamie que Gordien perdit la vie ;
ce fut dans ces contrées que Philippe fut reconnu empe-
reur. Il n'avoit point encore paru à Rome avec la pourpre,'
et ne voulut y arriver qu'après avoir montré qu'il savoit
fonder des villes et faire des dieux. Il avoit probablement
fait approuver par le sénat ces deux actes de son pouvoir :
la déférence que les empereurs avoient pour ce corps, ne
les empêchoit pas d'être les maîtres du monde (2).
Voici une autre considération qui nous porte à croire
que ces médailles ont été frappées dans le voisinage de la
Syrie. Philippe , qui se trouvoit , lors de son élévation
au trône, sur les frontières de cette province, a diî néces-
sairement employer les artistes qui étoient le plus à sa
portée. Nous prions les antiquaires d'examiner les médailles
de ces temps, frappées dans les contrées voisines, celles
d'Antioche, par exemple, celles de Laodicée de Syrie, et
sur-tout celles de Cyrrhus : en les comparant avec celles
de Philippopolis, non pas du côté du revers, qui est diffé-
beau-père de Philippe! le mot kmÂç^ç
s'applique à ,1'un et à l'autre. Le tra-
ducteur Latin deZosime le rend par
gêner. Il est cependant à croire que
Sévérianus étoit père d'Otacilia Sé-
véra , femme de Philippe.
(l) Is Phil'ippus huinilissimo or/ us
loco fuit , pâtre nobilissimo Idtronum
diictore. (Aurel. Victor, Epitome
pag. 546.)
(2) Voye^ ce que dit Auréiius
Victor : Surnpto in consortium Phi-
lippo filio , rébus ad Orientem compo-
sitis, condiloque apud Arabiam Plii-
lippopoli oppido , Romain venere. On
voit par ces mots que Philippe, avant
de partir pour Rome, voulut mettre
en ordre ses affaires particulières et
celles de l'Empire.
YJij
jio .MEVIOIUES DE I.'ACADLMIE
relit dans chacune, nwis du côte- de la tc^te de l'empereur,
ils verront (jii'eiles se ressemblent tellement sous le rap-
port du style, du mctal, et de la lorine des lettres, qu'on
les croiroit , pour ainsi dire, sorties du même coin.
Pourquoi donc Eckhel s'clève-t-il si fortement contre
Vaillant, qui ne veut point attribuer ces médailles à la
1 hr^ice (i)! Il lui reproche de donner injustement le titre
de colonie à Philippopolis d'Arabie, tanilis qu'aucun
géographe, dit -il, ne la désigne de cette manière; et il en
conclut que ces médailles appartiennent à la Thrace.
On croira sans doute qu'Eckhel n découvert que la
Philippopolis de cette province étoit colonie; mais il se
borne seulement à indiquer qu'il n'y avoit aucune raison
pour qu'elle ne le fut pas.
Philippopolis de Thrace étoit déjà métropole : elle est
décorée de ce titre sur la plupart de ses monnoies.
Nous ne voyons pas que l'usage d'ctre en même temps
colonie et métropole, qui étoit assez établi dans les villes
de Syrie, ait eu lieu en Thrace. Nous voyons en Syrie
Antioche, Laodicée, Damas, F.mèse, Césarée, &c. ,
prendre à-la-fois, et du temps de Philippe, les deux qua-
lités. Les exemples que cite Eckhel sont presque tous
pris dans ces contrées. On sait parfaitement qu'une ville
peut avoir été à-la-fois métropole, ensuite colonie, puis
ttre redevenue métropole; les empereurs accordoicnt ces
faveur'; à quehjues villes, et les en privoicnt au moindre
( I ) Philipj'opolis vrbs est fjcinhia ,
dit Vaillant, (/»<{ TUrac'uv . . . .altéra
in Arabia. ■ . ■ 7 /iracica ijuitlem me-
tropolit dignitate in numm'-s insigni-
iiir; Arabica ver'o coloniit tituluin tibi
luhiimit ,qii,r Afarini ccnsccrationein
vitlgavit, et non T/iracica. {V aiUant ,
tS'umismata colonianim, t. Il, p. 274.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 541
mécontentement: mais toutes ces variations ne s'observent
guère sur les mcJailles de la Thrace (i).
Eckhel s'étaye particulièrement de lopiniond'Hardouin
et de Spanheim, et dit : Hardu'mus et post etim ûlii Plii-
lippopolin Tlinicite lioruni mimorum purentcin agnoscunt, in
(jiiorum sciitentiam propcndet et'uim Spûnhemius. Et il finit
par cette reflexion : Ceterùm compertuin non liahemus qiiœ
causa fuerit Pliilippopolitis cudenda Marïni noniine monela ,
ejustjue etiani consecrand't. Si ciii exiles conjecture placent,
adeat Seguin uni et Spanhemium.
S'il appelle le sentiment de Spanheim des conjectures
frivoles, pourquoi s'en sert-il pour appuyer son système?
Pourquoi invoque-t-il le mcme suflrage d'Hardouin, après
( I ) La conséquence que tire Eckhel
que ces médailles appartiennent à
Marinus, parce que celui-ci a été
reconnu Auguste enMésie, n'est pas
exacte. y4f vero , cùin consiet , dit-il,
Alaririum i/i Alœsia adclainatum
imperaioreuij inultô magis verisimile ,
ei post mcrtem ci vicinn ThrjcLv urhc
signâtes niimos , qiihin à remotissimis
Arabiœ Philippcpolilis , quos tantà
minus credihile est favisse Alariiw ,
quoniam Pliilippinn , adversiis quein
is conspiravit , urbis siiœ conditoretn
agnovêre. (Eckhel, Doctrina num.
v.t. 11,44.)
• Sans doute il est constant que
Marinus a été reconnu empereur par
les troupes de Mésie; et si la mé-
daille étoit Latine , le raisonnement
d'Eckhel auroitun grand poids: mais
le style de la médaille prouve in-
contestablement qu'ellecst Syrienne.
Voilà pourquoi il étoit essentii-l de
EcUu-l, DOL-
trliia nuinoruin
vetcriim, lom . II,
""S- ■/>■
déterminer, avant tout, quelle étoit
la province où elle a été frappée:
cela , une fois connu, doit écarter
l'idée qu'elle a pu appartenir à un
prince dont le nom n'est peut-être
jamais parvenu dans des contrées
aussi éloignées que l'Arabie.
n est important de remarquer que
les médailles dont nous nous occu-
pons sont les seules qui aient été
frappées à Philippopolis d'Arabie.
Philippe, en fondant cette ville sous
son nom, a bien pu, de son vivant,
l'illustrer par des médailles; mais il
n'a pas possédé l'empire assez long-
temps pour soutenir son ouvrage.
Ne voyant plus paroître depuis ce
prince aucun monument de ce genre,
nous pourrions aisément en conclure
que tous ceux qui nous sont connus
ont rapport à son régne et éclair-
cissent son histoire.
54:
MEMOIRES DE L'ACADEMIE
iti,i. lem.i. avoir dit (Je cet auteur, Eius ovcm tadium le>rentil>its prop-
p.:g. CLVII. iti ' . .
Pn^kgomems. tcr opiiiioiium Hceiitiiim adjerunt; et avoir cite avec com-
j(m,ùiinscripi. puiisance un passage conçu en ces termes , « Les opinions
^1 jtttts-lfims ,, j^j p Hardouin en fait de nicdailies coiunieiueiu à
tâm, A A .\ 1 1 ,
F-'g *7-'. •> perdre le droit d'être r(;futces »?
Nous sommes persuades que si Eckhel avoit examine
ce point avec un peu plus de scvcrité, il auroit rendu
justice à la sagacité de Vaillant; car il est plus naturel de
croire que Philippe, en fondant une ville de son nom
et en y appelant des habitaiis, ait nomme colonie ce
qui ctoit réellement une colonie, que de penser qu'il ait
donné ce titre à Philippopolis de Thrace, qui étoit déjà
décorée du litre de métropole.
Nous nous déterminons donc à conclure que les mé-
dailles de Marinus et de Philippe appartiennent à l'Arabie
ou à la Trachonite, et nous pensons qu'elles ont peut-
être été frappées pendant le séjour de Philippe dans ces
contrées.
Si nous sommpi; forcés dans ce moment de nous en
tenir à des conjectures sur le personnage qui y est repré-
senté , nous conservons l'espoir que de nouvelles recherches
et de nouveaux monumens contribueront un jouràéclair-
cir ce point historique d'une manière plus précise et plus
sûre (i).
Ce n'est pas dans cette circonstance seule qu'ont été
confondues les villes homonymes. L'embarras qu'on
(i) AucuD historien , aucun mo-
nument, ne nous fait connoitre le
nom du père de Philippe ; nous ne
sommes donc point en contradiction
avec eux, on le nommant Marinui,
d'après les médailles que nous lui
attribuons.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 543
éprouve dans la classification de leurs médailles , force
d'avoir recours à plusieurs moyens différens pour les dis-
tinguer. La fabrique de la médaille, la manière dont se
trouve écrit le nom de la ville, les magistratures, le nom
des fleuves, des montagnes, qui s'y trouve exprimé, &c.,
sont les ressources qui nous guident et nous éclairent.
Qiiant à Philippopolis, les historiens eux-mêmes sont
tombés dans quelques erreurs qui déjà ont été rectifiées.
Jornandès a confondu les deux villes de ce nom, en Jornundis , De
disant que celle de Thrace avoit été fondée par l'em- j^rum' sumssh-
pereur Philippe : Urhcmque nominïs sut in Thracia qua "^,l^^"^'^""j'(,4f
dicebûtur Fuïpudena , Philippopolln recoiistruetis norninûvit. i"-'^' r-'"^-
La Chronique d'Eusèbe dit la même chose dans la
traduction de S. Jérôme : Philippus iirhem sui noiiiinis in
Thracia constituit. On sait que cette ville existoit en Thrace
sous un nom différemment rapporté par les auteurs;
qu'elle fut agrandie par Philippe roi de Macédoine , qui
lui donna le sien, qu'elle porte encore de nos jours (i).
Si déjà, du temps de S. Jérôme et- de Jornandès, il y
avoit des incertitudes sur l'établissement de cette cité, on
ne doit pas s'étonner de la difficulté d'éclaircir les doutes
qui s'élèvent aujourd'hui.
Nous ignorons la position précise de cette ville. Étoit-
elle située dans la Trachonite ou dans l'Arabie (2) ! Quel-
(1) Oppidum subRhcdope Ponero-
^oWi antea, inox à con^f/rort' Philippo-
polis, nunc à situ Trimontium dicta.
( Pline, liv. IV, ch. II, toni.I ,p.203 ,
édit. d'Hardouin.)
Etienne de Byzance la place en
Macédoine , et dit qu'elle fut <i>i\nr-7fi
T? Kfjuùrre kti^u. Ammien-Marcel-
lin la nomme Euinolpias , &c.
(2) Aurélius Victor semble nous
indiquer qu'on doit la placer dans
la Trachonite ; il appelle Philippe
Arabs Trciclionites, et les termes dont
il se sert en parlant de la fondation
5 44 MÉMOIRES DE LACADE.MII
ijiies auteurs modernes ont prctendu que c cioit la ville
de Bostra, à laquelle Philippe axoit donne son nom , sans
en bâtir une nouvelle; mais la scrie des médailles im-
périales de cette métropole de l'Arabie continue presque
sans interruption jusqu'à Trajan Dcce. Nous en avons
nu-me de Philippe pcre et de Philippe lils avec la lé-
gende, COL. METROi'OLis BOSTRA; Ce qui nous donne
occasion de faire remarquer qu'elle est appelée ici vié-
tropolc, pour la première fois , sur ses monnoies : cela
porte à croire qu'en même temps que Philippe décora sa
ville natale du titre de colonie, il voulut accorder à Bostra,
dans le territoire de laquelle se trouvoit Philippopolis,
u\K faveur particulière ; et , comme elle jouissoit déjà des
droits de colonie , il la fit métropole (i). Il est bien cer-
tain que Bostra et Philippopolis étoient des villes diffé-
rentes. La Notice d'Hiéroclès fait mention de l'une et de
l'autre , et les actes du concile de Chalcédoine citent les
évécjues de ces deux villes de la province d'Arabie. Les
médailles que non^ nvnns décrites , viendroient à l'appui
de la ville , sont «-gaiement tri-s-
prccis : Condiioqiie apitd Ariibuiin
PlùUpyopoli opp'tJo. Remarquons
qu'il cfit apud Arubiam , ei non ii\
Ardhia. La Trachonite, située an
pied du mont Liban, avoit des li-
mites un peu \agucs : on appcloit
souvent set habitans, Us Aruits de
la Trachonitf-
(i) Il paroit que c'est Philippe
qui institua à Bostra les jeux Du-
sariens, en l'honneur de Dusiirc\,
qui avoit en Arabie le même culie
que Bacchus. Unku'uiut ttiam pro-
v'incix et civitaii siius est deus , ut
Sjr'he Astarte , Arjb'hv Dusurts.
( lerinll. Apologet. c. XXIV. )
Nous avons lait graver pour ce
.Mcnioire une médaille de Philippe
fils ,de la colonie de Bostra; elle fait
mention des jeux Dusaricns. Cette
pièce, qui est incontestablement de
Philippe fils, qui n'y est nommé que
César, sert encore a démontrer plus
clairement que, quoique ce prince
tut lurt jeune, on lui donnoit sur lei
médailles les traits d'un hunimc plus
âgé.
de
DES LNSCRIPTIONS ET BELLES ■ LET 1RES. j45
de ces preuves , si nous en avions besoin pour fortifier le
récit d'Aurciiiis Victor et des autres historiens qui attestent
son origine.
Ceilarius, au surplus, a très-bien cclairci ce point; il Cellarius.No-
,,,. c-i> """ orbis atitiq.
sétaye lui-même des médailles de Marinus. bi 1 ouvrage tam. u, y. o^c.
d'Eckhel avoit paru avant ce philologue, il l'auroit peut-
être induit en erreur; tant est grande la confiance qu'ins-
pirent le mérite et le talent de ce savant antiquaire : car
il est bon de savoir que les auteurs qui ont écrit immé-
diatement après Vaillant, l'ojit pris pour guide et ont suivi
sa manière de voir, jusqu'à la publication de l'ouvrage
d'Eckhel, qui, à son tour, a entraîné dans ses opinions
les écrivains qui ont paru après lui. M. Mionnet, à qui
nous devons la description des médailles du cabinet du
Roi, avoit aussi placé dans la Thrace les médailles de
Marinus ; mais il n'a pas tardé à reconnoître qu'elles
n'appartenoient point à cette province, et qu'elles étoient
de fabrique Syrienne.
Nous n'appauvrissons pas Philippopolis de Thrace en
lui enlevant ces médailles; il lui en reste encore un assez
grand nombre qui concourent à éclaircir son histoire.
Cette restitution tend , au contraire , à enrichir une ville
à laquelle, jusqu'ici, l'on ne donnoit aucune monnoie.
C'est encore à Philippe qu'elle doit ce bienfait, et c'est
par lui qu'elle figure dans la géographie numismatique.
S'il est vrai que ce prince ait compté sur ces monumens
pour transmettre à la postérité l'acte qui consacroit l'apo-
théose de son père et l'espèce d'illustration qu'il vouloit
donner à sa ville natale, il faut convenir qu'il s'est étran-
gement mépris ; et l'on ne peut s'empêcher d'admirer
Tome VL Zj
) i6 MÉMOIRES DE L'ACADKMIE
jusqu'à quel point les calculs ck- la vanitc luiinnîne se
trouvent ilcjoucs , puisque, d'un cote', l'on a donne les
mcdailles de Marinus à un t)'ran lic la Mcsic , et que, de
l'autre, on a attribue à la Thrace des monnoies frappées
en Arabie.
Nous proposons donc de restituer à cette province les
mcdailles suivantes :
MARINUS.
''rgu:M. I ,111 '
Uni, C^thintl du
SirMiii , Tie-
fvlo , Scstiiii / fx
.Musfo ÂinslUJ.
Ctitineii de
M.\J. GoiStlIiH
et TAthoH , à
Purh.
i. wUfl. MAPiNfl. Tête nue, h droite, au-dessous de laquelle
un aigle éployc.
R. (MAiniIOnOAimN. KOAnNIAC. s. c. Rome assise sur un
bouclier, ayant dans la main droite un aigle sur lequel sont
placées deux petites figures, et tenant de la gauche une
haste.
2. 0En. MAPINn. Tète d'un vieillard, au-dessous de laquelle un
aigle éployé.
R. «MAirinonOAlTnN. KOAnNiAC. s. c. Rome debout, tenant
de fa main droite une patère, et de la gauche une haste;
h ses pieds \\n bouclier (i).
PlllLIPPUS (2).
l'ailljnr. 1
polo , CaUnel
Roi à Paris ,
,i..„ r: A.
-,>. AVTOK. K. M. lOVAI. 'MAinnoC. CEB, Tête de Philijipe lauree,
''" i droite.
rt
(1) VailLint explique en peu de
mots le type de ccitc seconde mé-
daille de .Marinus : Roma, nonautein
PdlLts , uti Srguiiws el MeHiolarliis
volunl, pattram ad tuent Alarino fa-
cienda gerii. ( Nuniismata colonia-
mm, pag.i;r4.)
(2) Toutes les midailii'i de Phi-
lippe, de cette ville de Pliilippopolis,
soit qu'elles appartiennent au fils on
ail p^rc, offrent In même légende
<l\i côté de la tête comme du cote
du revers. On ne peut les dislinj^ucr
que par la diflërcnce dani le» tfâlii.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. ^47
R. <i>iAinj;ionOAlTaN. KOAnNIAC. s. C. Rome assise sur un
bouclier, ayant dans la main droite un aigle sur lequel
sont placées deux petites figures, et tenant de la gauche
une haste.
OTACILIA.
MAP. aTAKiAI. CEOYHPAN. CEB. Tête d'Otaciiia , à droite. Caimc, du Roi
à Palis,
P. *iAinnonOAiTnN. KOAnNlAC. s. c. Même type que gj-
dessus.
Nous avions termine ici notre Mémoire; mais le sujet
que nous avons traite, nous engage à faire quelques ob-
servations sur les médailles de Philippopolis qui appar-
tiennent à l'empereur Philippe père, et à examiner s'il
n'en existe pas qu'on doive attribuer à son fils. Il est
quelquefois assez difficile de distinguer celles qui repré-
sentent l'effigie de ces deux princes, et l'on pourroit bien
Jes avoir confondues. Vaillant et l'éditeur du cabinet VmU.mt,Num,
, , I ' 1 • 1 1 'M II-' coloniarum , rom.
Tiepolo donnent les .médailles qu ils ont publiées au //, p^g, ..jg.
père; mais, Vaillant n'ayant donné que le revers de la p^u"Y^rniI!Z]
sienne, et l'autre s'étant borné à une simple description, ^"'"f» '7ss:
, tom. I ,p.y4j-
nous sommes obligés de nous en rapporter à leur témoi-
gnage. M. Mionnet a cru devoir adopter le même sys-
tème pour les médailles du cabinet du Roi qu'il décrit.
Comme, nous en possédons nous-mêmes deux avec le
même type, et que les unes •et les autres sont sous nos
yeux , elles peuvent servir à nous éclairer. Nous y re-
marquons les traits d'un jeune homme plutôt que ceux
d'un homme dans la force de l'âge. Si nous consultons
les nîédailles de Syrie, nous y trouvons deux figures
bien dis,tjpct;f^, SH|;Jqs^,,unes^,, ^^5.,,^jiits„^pjit,.pli;^ j^ro-
7.3 ij
5Î8 MIMOIRES DE L'ACADÉMIE
nonc(;s; le nez plus aquifin a quelque ressemblance avec
celui clf Marinus. On remarque sur les autres une figure
jeune et des traits délicats; les lèvres sont avancées,
signe qui caractérise essentiellement l'effigie du jeune
prince, que les historiens nous peignent sérieux et ne
riant jamais (i). Il semble enfin qu'il existe plus de rap-
port entre la figure de Philippe fils et celle d'Otacilia
Sévéra sa mcre, qu'avec celle de son père. Nous conve-
nons néanmoins que Philippe fils, étant mort à douze
ans, paroît plus âgé sur plusieurs de ses monnoies : mais
cela ne tiendroit-il point au système des empereurs, qui,
en créant leurs fils Augustes, ne vouloient pas qu'on leur
donnât les traits de l'enfance! Au surplus, les médailles
Romaines, où l'on soignoit particulièrement la ressem-
blance, sont en parfaite harmonie avec celles de Syrie.
Nous en avons fait graver ici des unes et des autres :
on y voit une différence remarquable dans les traits de
chacun des princeâ.
Voyez celles de Cyrrhus : attribuerons-nous au mc*me
Philippe les médailles gravées aux n.°' 4 et ^. et celles
qui sont au n.*^ 5 !
Nous avons fait voir dans notre Mémoire la parfaite
analogie qui existe entre les médailles de cette province
(1) AJeo sever'i et trislis animi ,
ut jivn tuin à ,juln>juenni ,rtate nuUo
prorsus cujutijiiam coinineitto ad ri-
Heniium solvi potiitrit , pairnnijue lu-
<iis sfcularil us pctulantiùs cjchlnnan-
tan , ijuanijuam adhuc tener , vuttu
notavtr'tt avtrsato, (Aurei. Viçcor,
Epitoine, pag. 54^-) ,•
Poinponiu; Lxtus,' écrivain du
XV.' siècle, l'appelle ageljstos : Ita-
qut à milhtbus ipsf Vfrona' ctsut
est , et Foinjt filius .; pr^torianis. h
tniiUtur fuisse agelastos, et iudis st-
cularihus riJenIcm p,itrein se\'ero vultu
inspex isse, velul iUuin corn'geret.Amto
Philippi v'iKerunt an. quinque , et iin-
meririi inler divos relali. ( Edition de
Jehan Duprc, Paris, ijoi.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 5 49
et celles de Philippopolis d'Arabie. Si donc la médaille
du n.° 6 est du même prince que celle du n." 4> "i^
conviendra que nous aurions raison de penser que l'une
et l'autre appartiennent à Philippe fils plutôt qu'à son
père ; nous croyons devoir appeler l'attention des anti-
quaires sur ce point, et les engager à examiner soigneu-
sement les mcdailies qu'ils possèdent, afin de pouvoir,
par la comparaison de plusieurs monumens, établir une
règle invariable à laquelle on puisse se rapporter.
ÎJO
MEMOIRES DE LACADLAUE
EXPLICATION DE LA PLANCHE.
N." I. Médaille de Marinus , frappée à Pliilippopolis. Le
sujet du revers est, suivant ^ aillant, Rome qui sacri-
fie aux mânes du personnage déifié.
N." 2. Autre médaille de Marinus, frappée également îi Phi-
lippopolis. C'est sur ce monument que nous appuyons
nos conjectures, h cause de la conformité du type avec
les suivantes de Pliili|ipe et d'Otacilia Sévéra , pour
l'attribuer h. l'Arabie ou h la Trachonite plutôt qu'à
la Thrace.
N.* 3. Médaille d'Otacilia Sévéra, femme de l'empereur
Philippe père , avec le même revers que la précédente.
N." /\. Médaille de Philippe fils, qui présente encore le
même revers. En comparant cette médaille avec celle
du n.° 6 , on y reconnoîtra les mêmes traits dans la
figure, le même travail, la même forme de lettres,
quoiqu'elles soient ch;n.uiie ile deux villes différentes ;
ce qui établit que l'une et l'autre ont été frappées dans
la même contrée.
M.* 5. Médailles de Philippe père, frappées à Cyrrhus en
Syrie. Comme le revers est le même que celui du n." 6 ,
nous avons cru inutile de le répéter; nous avons fait
graver ces pièces du cùté de la tête seulement, pour
faire voir la différence qui existe entre Ivs traits du père
et ceux du fils sur les médailles d'une même ville.
N.* 6. Médaille de Philippe fils, frappée, comme la pré-
cédente, en Syrie. La figure du prince est parfaitement
semblable li celle du n." 4 : e"e est incontestablement
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 551
de Philippe fils; ce qui fait présumer que celle du n."4
lui aj)partient également ( 1}.
N.* 7. Médaille Romaine de Philippe père, parfaitement
en harmonie avec celles du n.° 5. Ce qui distingue par-
ticulièrement les traits du père de ceux du fils, c'est la
forme du nez, qui est plus prononcée; et l'on pourroit
se servir avec avantage du rapport qui existe dans ce
trait entre Marinus et Philippe père, pour établir entre
eux une ressemblance de famille : on remarque aussi
que les médailles du père ont constamment une figure
plus âgée.
N." 8. Médaille Romaine de Philippe fils. On y reconnoît
une grande analogie, relativement aux traits qui carac-
térisent la figure, avec les médailles n."" 4 et 6.
N.° 9. MédailteRomained'Otacilia Sévéra. On voit par cette
pièce que les traits de Philippe fils ont plus de rapport
avec les traits de sa mère qu'avec ceux du père.
N." 10. Médaille d'Antioche de Syrie, où se trouvent les têtes
accolées du père et du fils , et où l'on voit plus exacte-
ment la différence qui existe dans les traits des deux
princes.
(1) On lit sur cette médaille,
AIOC KTEBATOr pour KATEBA-
TOT. Cette altération existe bien
réellement sur la médaille qui est
dans notre cabinet, et n'est point une
faute du graveur de la planche.
n- MIMOIRLS DE L'ACADEMIE
NOTICE
SUR UNE MÉDAILLE
DE L'EMPEREUR JOTAPIANUS.
Par m. TOCHON D'ANNECI.
Lulcj! Oc- IN OU S avons cru faire une chose agrc^ahle aux ami-
quaires, en nous hâtant de puhlier une mcdaille impor-
tante (jui offre les traits d'un tyran presque inconnu dans
l'Iiistoire, et tout-à-fait nouveau dans la numismatique.
Ce sujet a d'ailleurs quelque liaison avec celui que nous
avons traite dans le Mémoire précédent.
L'empereur Philippe , qui, de l'extraction la plus basse,
parvint au trône par l'assassinat du jeune Gordien, donna
plus qu'aucun autre l'exemple de l.i rcht-llion. Le succès
dont son entreprise fut couronnée, enhardit d'autres chefs
à tenter la mcme fortune; et c'est là que commence cette
loule de tyrans qui désolèrent l'empire Romain depuis
ces temps. Outre Marinus, les historiens ou les médailles
nous font connoitre Jotapianus, Pacatianus, Priscus ,
Valens, Licinianus, et, après eux, plusieurs qui parurent
du teiTips de Gallien, et qu'on désigne abusivement sous
la dénomination des trente tyrons. C'est pour eux sur-
tout que les médailles sont d'un grand secours, parce
qu'elles fixent leurs véritables noms, rapportés diflérem-
nicnt
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRF S. 553
ment par les auteurs, et qu'elles établissent quelquefois
l'époque précise de leur règne. Parmi ceux que nous ve-
nons de citer, Pacatianus étoit le seul dont nous eussions
des monnoies authentiques : nous y ajoutons aujourd'hui
Jotapianus, dont Aurélius Victor et Zosime nous ont con-
servé le souvenir.
Le premier de ces historiens nous apprend que, pen-
dant le séjour que fit à Rome l'empereur Trajan Dèce
avant de partir pour son expédition d'Illyrie, on lui ap-
porta la tcte de Jotapianus , qui s'étoit révolté en Syrie.
Et interea ad eum Jotapiaiii (qui , Alexandrï tumetis st'irpe ,
per Syrîam tenîans nova, miliîuni arbitrio occuhuerat) ora ,
uti mos est, inophiato feruutitr , &c.
Zosime, en faisant mention de la révolte de Marinus
dans la Mésie, nous dit aussi que, vers le même temps,
les légions de la Syrie élevèrent à l'empire Papiamis. II
a paru constant à la plupart des critiques qu'il falloit
lire dans Zosime Jotapianus , leçon qui, d'ailleurs, se
trouve dans quelques manuscrits (i). Nous avons cité,
(i) Leunclavius est le premier qui
ait publié l'Histoire de Zosime. Son
édition, qui ne contient que la ver-
sion Latine de cet auteur, parut à
Bâie, in-fol, , sans date ; mais on sait
qu'elle est de l'an IJ76. Son texte
porte (pag. 6) * Tapianum , et, au
chap. XXI , * Tapiano ; mais il met
en marge, en forme de correction,
* Papianum et* Papiano. Cette cor-
rection, qui n'est qu'une nouvelle
erreur bien plus grave, a été suivie
dans les éditions postérieures, où l'on
ne lit que Papianus. Mais Reite-
meyer, dans la belle édition qu'il a
Tome VI.
Aur. Victor r
de CasarO-us >
caf. XIX.
donnée à Leipzig, 1784, in -S.',
grec-lat., avec quelques notes de
Heyne, a rétabli dans le texte le
mot Jotapianus , sur la foi de deux
manuscrits , et appuyé du témoignage
d'Isaac Casaubon. Voici les termes
de Reitcmeyer, pag. 29 : ïlamaiièy
vulg. Sed L. et P. Q.'lcc-m-maviv, et
§. 3,TaOTai'?. Aiird. Victor Jotapia-
tiinn sïtb Decio rebellasse ait. At Ca-
saulono (ad Script. H. Aug. min.
pag. 202) approbatain codicuin lec-
tior.em restittii.
Nous croyons aussi devoir citer
les propres expressions de Casaubon :
A4
N'oy.o
5 54 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
dans notre Mémoire sur Alarimis, le texte de Zosime;
desiui. ]j t-st inutile de le répéter ici.
On voit, par le peu de mots que nous ont conservés
les anciens, cju'il n'est pas lacile d'établir riiistoire de
Jotapianus. Zosime se borne à parler de sa rébellion et
de sa délaite. Aurélius Victor nous dit quelque chose
de plus : mais les termes mômes dont il se sert font
naître unç obscurité nouvelle sur l'oritrine de cet usur-
es
pateur, lorsqu'il dit (ju'il se i^lorifioit d'être issu de la nice
d Alcxtindre; ce qui peut s'entendre de plusieurs manières.
On a généralement pensé jusqu'ici que cola signifioit
que Jotapianus appartenoit à la famille d'Alexandre Sé-
vère ; mais il ne paroît pas possible qu'Alexandre Sévère
ait pu être considéré alors comme la souche d'une fa-
mille illustre dont il fût glorieux de descendre. Les mots
dont se sert Aurélius Victor, Alexdudri tumcns stirpe , sem-
blent annoncer des prétentions plus élevées. L'empereur
Alexandre est ordinaireinent désigné par le prénom de Sé-
vère. Il étoit le premier ou tout au plus le second de
sa race; il ne comptoit avant lui (ju ^.iagabale son cou-
sin qui eût occupé le trône, à moins qu'on ne le com-
Imp. CtsAR Jotapianus Aug.
Hic Philippi temjjoribus imperhim in
Oritiite occiipavit : ted, statiin pppres-
sus , cuin iinperio vilain simiil ainisit :
tuctor Zosiiitiis , apud qiiein scriben-
dtiin ctim manu exaratis codicihiis ,
■ni IvTUrTJffrs» TOfUjajpr If ■nu Tair ihui
a^;^r : et inox t¥ lu<-m-n<tti , non au-
Uin Xlamatit et na^neui. Aurtliiis
eniin Victor lectionein scripiam fir-
inat. ( Isaaci Casaiiboni in /tliuiii
Spartianuni , Jiilium Capicoiinum,
&c. , Emendationes ac Notx, Paris.
Drouart , i6oj, 111-4.°, pag. 447)-
C'est donc Casaubon qui a , le pre-
mier, rétabli dans Zosime le nom
(le Joi.ipien , et notre médaille con-
firme pleinement aujourd'hui celte
heureuse conjecture. Le seul manus-
crit qui existe à la Bibliothèque du
Koi,etque nous avons sous les yeux,
porte tffeciivemcnt luTatrutir , et,
plus bas, au chap. XXI, Termati.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 555
prenne parmi les Antonins; et alors Jotapiaiuis auroit
bien plutôt rattache son origine à ce nom si cher à l'ar-
mée, comme l'avoient fiîit Caracalla, Élagabale et Dia-
duménien.
On pourroit donc conjecturer qu'Aurélius Victor a
voulu dire que Jotapianus se prétendoit issu d'Alexandre
roi de Macédoine; et, dans ce cas, il auroit eu quelque
raison de s'enorgueillir. Son nom indique peut-être qu'il
descendoit d'une de ces princesses appelées Jotapé , dont Dion amius.
Josèphe, Dion Cassais et les médailles, nous ont con- dcRàmar.t.l,
serve la mémoire. Elles étoient de la famille royale de ^'"5;5)i; , .^„,.
Commaycne, qui prétendoit appartenir aux Séleucides; JuJ.ih.xvni,
O A* '* _ c. VU.
elles pouvoient donc tenir par quelque ancienne alliance H.iym, 7V-
a la race d Alexandre-le-Urand. tom. i , p. loS
Nous ne pousserons pas plus loin cette conjecture, qui '''^"^'i',/, /V/r.
se trouve autorisée par l'ambiguité qu'on remarque dans "'"«■ "■'• '• ni'
le texte d'Aurélius» Victor. Ceux qui voudroient plutôt
reconnoître, dans le passage de cet auteur, qu'il est ques-
tion de l'empereur Alexandre Sévère, pourroient s'ap-
puyer aussi sur ce que , te prince étant né dans la ville
d'Arce en Phénicie, il ne seroit pas impossible que Jota-
pianus, originaire de ces contrées, comme l'indique assez
son nom , descendît de la même famille , d'autant plus
que Julia Masa , a'ieule d'Alexandre Sévère, Gessius Mar-
ciû/ius son père , Julia Mammaa sa mère , sont d'origine
Syrienne, et que leur famille a pu s'étendre jusqu'à Jota-
pianus (i).
Q,iioi qu'il en soit, il paroît certain que cet usurpa-
(i) A ces conjectures on peut en
ajouter une troisième, qui n'a de
fondement que dans le nom de Jota-
pianus que portoit ce tyran. Nous
A* ij
5 56 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
teiir se revêtit Je la pourpre en S\rie : mais se rcvolta-
t-il sous Philippe ou sous Trajan Dèce î Zosime dit
que cette rébellion eut lieu sous le premier de ces em-
pereurs, puisqu'il la place à la inùne c'poque que celle
de Marinus, et qu'il nous apprend, comme Zonare, que
ce tyran fut mis à mort du vivant de Philippe, tandis
qu'Aurclius Victor semble nous dire le contraire. Selon
lui, ce lut à Trajan Dcce, successeur de Philippe, qu'on
apporta à Rome la tcte du rebelle ; ce qui feroit supposer
que Jotapianus se révolta vers la fin du règne de Phi-
lippe, et qu'il fut mis à mort au commencement de
celui de Trajan Dcce. Si cet Auguste régna trop peu de
temps pour consolider sa puissance, il vécut assez pour
la consacrer par des monumens numismatiques. C'étoit
le premier soin dont s'occupoient les ambitieux qui par-
venoient au trône, et qui croyoient sans doute donner
par-là une sanction plus forte à leur^élévation.
Cette médaille de Jotapianus est en billon, c'est-à-
dire, en argent à bas litre, comme sont toutes les mé-
dailles de ce temps; le caractère de la tcte est assez bon;
\e style n'en est pas inférieur à celui des médailles de
Philippe et de Trajan Dèce : on y reconnoît à peu
près le même travail. Elle a pour légende, d'un côté:
IMl'MFRIOTAPIANUSA [ IMP. M. F. U. lOTAPIANLS. A, ] : tcte
de l'empereur radiée et barbue.
Les trois lettres M r R sont sans Joute là pour les inr-
trouvons un autre Alexandre, ar-
rière-petit -fils d' Hé rode , roi de
Judée, qui obtint de Vcspa^icn un
petit royaume dans un canton de la
Cilicie, qu'on appeloil Lesis ou
Hcs'is. Cet Alexandre avoit ëpouié
une fille du roi de Commagènc,
qui se nomnioit Jotapé, (Joséphc,
Ant. Jud. XVIII, 7.)
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 557
tiales des prcnoms qu'avoit Jotapianiis , comme Marcus
Fuhius Rufus, ou tout autre; car nous n'avons rien qui
puisse nous guider dans cette explication. Nous remar-
quons qu'après le mot jotapianus il n'y a qu'un A pour
indiquer Augusîus , quoique ce mot soit ordinairement
désiijné sur les monnoies par les lettres aug. Le revers est
une Victoire tenant de la main droite une couronne
et dans la gauche une palme , avec la légende Victoria
AUG.
Ce type indique une victoire remportée par l'usurpa-
teur sur les troupes du prince légitime, plutôt que sur
les ennemis de l'Empire. L'artiste qui a gravé la médaille
n'étoit probablement pas Romain; car il s'y trouve une
faute que n'auroit sûrement pas faite un graveur qui eût
connu la langue Latine. La dernière lettre de la légende,
qui devoit être un G, est un epsilon bien formé [G], et tel
qu'il étoit en usage à cette époque (t).
La légende Victoria aug. [Victoria Aiigiisti] annonce
(i) Les personnes qui n'ont pas
vu la médaille , pourroient croire que
l'e n'est point une faute de l'artiste;
que la k'gende est VICTORIA AV.,
et que !'€ est une lettre isolée^ ainsi
qu'il s'en trouve sur certaines mé-
dailles (particulièrement depuis Phi-
lippe), ou Gomme lettre numérale,
ou comme marque monétaire; mais
il nous semble ici qu'elle fait par-
tie de la légende. La manière dont
elle est placée, ne nous permet pas
de former d'autres conjectures. Ces
fautes sont assez fréquentes sur les
médailles Latines frappées dans les
villes Grecques. Le coin de la mé-
daille aura ppiit-être été gravé par
un artiste Grec, qui, ne connoissant
pas le G, se sera imaginé qu'il y avoit
erreur dans la légende qu'on lui don-
noità graver; erreur qu'il aura voulu
corriger lui-même en remplaçant le
G par la lettre Grecque qui a le plus
de ressemblance avec lui {Vepsilon
lunaire). Cela paroît au moins vrai-
semblable : la précipitation avec la-
quelle ces empereurs d'un moment
se hâtoient de produire des mon-
noies à leur effigie, ne leur laissoit
pas le temps de donner de grands
soins à leur fabrication.
5 5fi MEMOIRES DE L'ACADEMIE
qu'il vouloit rogner seul, et qu'il n'adinettoit pas nicme
pour son collègue à l'empire le prince reconnu par le
sénat, le prince en possession du troue; autrement il se
seroit servi de la formule ordinaire : Victoria augg.
/ VUiorui Auguste ru /Il ] .
Cette médaille appartient à M. Rousseau, consul gciic-
ral à Bagilad, qui, ayant forme en Syrie une assez riche
collection, nous a rapporté l'image d'un tyran dont les
monumens étoicnt entièrement inconnus (i). Elle est d'au-
tant plus précieuse, qu'elle a été trouvée sur les lieux
mêmes où Jotapianus, suivant Zosime et Aurélius Victor,
s'est emparé du pouvoir. La médaille est belle , d'une con-
servation parfaite, et d'une authenticité incontestable. Elle
peut figurer avec honneur dans [' Iconogwphie Grccjue et
Latine que l'on doit aux savantes recherches de notre
confrère M. \'isconti (2).
On a cru long-temps, et c'étoit l'avis de plusieurs anti-
quaires, que Jotapianus étoit le même que Pacatianus,
et que Pacatianus étoit le mcme que Marinus qui s'ctoit
révolté dans la Mésie. On s'appuyolt sur ce qu'aucun
historien ne parlant de Pacatianus, dont on avoit cepen-
dant des médailles, on devoit croire que le nom àç Jotapia-
nus étoit corrompu dans Aurélius Victor et dans Zosime,
Sf>^nhfm.Dc et qu'il falloit lire Pacatianus. La ressemblance de ces
TJi!11!umnn. Homs paroissolt donner quelque poids à ces conjectures,
li^yorum.i. II. „ j „'o„t cependant pas été ai'néralcment accueillies
i\ig. if.i et lài. 1 II'-'
i:ckhel, D*c- (1) Outre la médaille de Jota
Irina numariim _;. . - .
rfUmm , t. l 'II.
Voy. Cl Jtssu
iriHu num»r„m pj^^u,^ [g collection qu'a formée
M. Rousseau , contient plusieurs
pièces importantes, parmi lesquelles
on distingue une belle suite de mé-
daillons des rois de Syrie, des mé-
dailles inédiies des rois Parthes,des
rois Sassanidcs, <5(c.
(2) Cette médaille a été acquise
depuis pour la collection du Roi.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 559
La médaille que nous publions détruit toutes celles que
l'on a formées , et achève de prouver que ces trois usur-
pateurs sont trois personnages différens; elle laisse espé-
rer aussi qu'on pourra trouver un jour quelque monu-
ment qui attestera le règne de Marinus de la Mcsie,
comme nous en avons déjà qui attestent celui de Paca-
tianus et de Jotapianus.
On peut consulter ce qui a été écrit à ce sujet par
Baudelot de Dairval, Galland, le P. Chamillart, Span-
heim, Banduri, Eckhel, &:c.
MlAUMmS HE L'ACADOIIE
EXAMEN CRITIQUE
DES HISTORIENS
QUI ONT PARLÉ DU DIFFÉRENT SURVENU, l'A N I 141 ,
entre le roi lo u i s-l e- j e u n e et le pape innocent ii.
Par m. BRIAI.
Lu'ciiDé- \_)eux choses donnèrent lieu à ce Jîffcrent, qui dura
' embre 1311. . i.i. . rr»- 11!^
pendant quatre ans: 1 ordination de Pierre de la Châtre,
archevêque de Bourges, faite par Innocent, sans le con-
sentement ou contre le grc du roi de France ; et l'excom-
munication lancée contre Raoul comte de Vermandois,
scnc'chalde France , pour avoir répudie sa première femme
et avoir <5pousc une sœur de la reine. II ctoii difficile
d'écrire sur ces deux événemens, pendant qu'ils se pas-
soient, sans blesser ou le roi ou le pape : aussi, ou les
auteurs contemporains n'en parlent pas du tout , ou ce
qu'ils en disent est presque insignifiant.
L'abbé Suger, qui a fait l'Histoire des premières an-
nées du rcgnt- de Louis le Jeune, cl qui, initux que
tout autre, pouvoit nous instruire des circonstances d'une
affaire à laquelle il eut tant de part comme conseiller
intime du souverain, connoissant parfaitement les droits
du roi et les motifs qui le faisoient agir , ne dit pas un
mot
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ^6\
mot de ce différent. C'est sa méthode de passer sous si-
Jence tous les évcnemens dans lesquels les rois ont eu
quelque tort , ou qui ont tourne à leur désavantage.
C'est ainsi que, dans l'Histoire de Louis-le-Gros, il ne
parle pas du tout des tentatives infructueuses que fît ce
prince pour empêcher la dissolution du mariage de Guil-
laume Cliton , fils de Robert duc de Normandie, avec
une fille du comte d'Anjou , mariage qu'il étoit de la
politique de la France de maintenir contre les préten-
tions du roi d'Angleterre, et où il échoua, comme je
l'ai expliqué dans un autre Mémoire. C'est par la même
raison qu'il ne dit rien non plus du différent qu'eut Louis-
le-Gros avec Etienne évêque de Paris et Henri arche-
vêque de Sens, dans lequel ce monarque, séduit par les
intrigues de son sénéchal Etienne de Garlande, eut peut-
être quelques torts, et fut obligé de céder.
Parmi les auteurs contemporains qui ont parlé du dif- Duchcsi.e,Sirip
férent de Louis-le-Jeune avec le pape Innocent, il faut 'iv^nTlsl""
compter l'auteur anonyme de la chronique de Morigni
près d'Etampes. Il n'en parle , et encore très-succincte-
ment , que pour dire que Macaire , son abbé , neveu
d'AlberJc, cardinal cvêque d'Ostie , fut envoyé à Rome
pendant les débats , afin de travailler à un accommode-
ment; qu'avec la protection des cardinaux il obtint plu-
sieurs des demandes du roi , mais qu'il échoua dans la
principale , qui étoit la destitution de l'archevêque de
Bourges : car il ne parle pas du tout du mariage du
comte Raoul avec une sœur de la reine.
Hérimanne , abbé de Saint-Martin de Tournai , est V"'/ ''"/•''■
, tom. Il, iiHin.
encore un auteur contemporain; mais celuj-ci n est amené n^.
Tome VI. B +
5^2 MEMOIRES DE [.ACADEMIE
à parler de ce dilTcrent que pour dire que le cierge de
Tournai , voulant se sou>^traire à la juridiction de l'cvcque
de Novon , et faire rétablir dans sa ville le siège épis-
copal , saisit cette occasion de renouveler sa demande à
Rome , parce que l'evèque de Noyon avoit encouru la
disgrâce du pape et avoit été frappé d'interdit pour avoir
coopéré par son suflVage à la dissolution ilu premier
mariage de son frère le comte de Vermandois ; circons-
tance que le clergé de Tournai croyoit favorable pour ob-
tenir la demande qu'il avoit déjà formée plusieurs fois.
Nous avons ensuite la tourbe des cbroniqueurs , qui
ne disent guère autre chose si ce n'est qu'en telle année
il y eut un différent entre le roi et le pape , entre le
comte de Champagne et le roi. Nous ne saurions donc
rien ou presque rien sur cette affaire, si l'on ne nous
eût conservé les lettres de S.Bernard, partisan déclaré du
pape et du comte de Champagne; car on voit, par les
lettres mêmes de S. Bernard , que l'abbé Suger , et
Joslin , évèque de Soissons, écrivent pour la défense ifu
roi : mais, comme dans ce temps-là on craignoit plus d'of-
fenser le pape que le roi , leurs lettres n'ont pas été con-
servées. Nous sommes donc réduits à ne connoître cette
affaire que par le rapport d'une des parties. Il faut par
conséquent nous borner à examiner et discuter les lettres
de S. Bernard, pour savoir cjui du pape ou du roi étoit
le mieux fondé dans ses prétentions. Mais auparavant
il faut recueillir les faits et les classer dans l'ordre des
temps.
lliibaud comte de Champagne, surnommé If Griind
ou ï Ancien , pour le distinguer de son fils, de incarne nom,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 565
n'étant encore que comte de Blois et de Chartres , s'ctoit
toujours montre partisan des rois Normands d'Angleterre,
desquels il descendoit par sa mère , et avoit favorisé de
tout son pouvoir les projets d'envahissement de Henri \."
sur la France; il avoit même joint ses armes à celles de
son oncle contre son suzerain. Parvenu, l'an 1125 , au
comté de Champagne par la cession que lui fit, en em-
brassant la religion des Templiers, son oncle paternel le
comte Hugues, au préjudice de son propre fils qu'il dé-
savouoit , Thibaud étoit devenu en France une puis- Chrc. di F,-
, C • • '■ Bouquet, t. Ail.
sance prépondérante. Requis de rournu" son contingent a p„g.,,6.
l'armée que le roi levoit , l'an ii4i, pour revendiquer .^j^lj'-^T"'''''''
les droits de la reine Éléonore sur le comté de Tou-
louse , Thibaud ne tint aucun compte de la semonce ,
et vraisemblablement fit manquer l'expédition , qui n'eut
aucun résultat. C'est le premier grief du roi contre le
comte.
Dans le même temps arriva la brouillerie avec le pape,
au sujet de l'élection d'un archevêque à Bourges; et, dans
cette contestation, le comte de Champagne eut encore le
tort de prendre parti contre son roi. A cette époque, Thibaud
faisoit profession d'une piété exemplaire; on ne parloit
que de ses bonnes œuvres, de ses aumônes, et du bien
qu'il faisoit aux églises et aux monastères. Alanquant d'ins-
truction i de l'aveu même de ses panégyristes, et se laissant
conduire par des gens plus dévots que publicistes, jus-
que-là, dit le P. Daniel, que ses ennemis àppeloient les
moines et les convers ses soldats et son artillerie , il fut
aisé de faire entendre à un prince aussi religieux, que se
ranger du côté du pape , c'étoit servir la cause de Dieu
j64 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
ei de son ciilise : mais, comme nous le verrons, il lut la
victime de son zile inconsidcrc.
Continuons l'examen des faits, et voyons ce qui se pas-
soit à l'élection d'un archevêque de Bourges. Les suffrages
furent partages entre le chancelier de Louis \\\ , nomme
Ciulurquc , et Pierre de la Châtre , cousin du cardinal
Haimeric , chancelier de l'église Romaine. Cadurque ,
selon la chronique de Morigni la plus ancienne auto-
rité que nous ayons, eut l'agrément du roi. Elle ne dit
pas que le roi l'eût désigné ou recommandé ; elle liit
Svicit. iH-foL simplement que le roi avoit approuvé ce choix, tissciitie/ite
''■*■ rege. Guillaume de Nangis ajoute que le roi avoit laissé
une entière liberté aux électeurs, ne donnant d'exclusion
qu'à Pierre de la Châtre. Cette circonstance n'est appuyée
que sur le témoignage d'un auteur postérieur à l'événe-
ment de plus de cent ans. Si on veut l'admettre , il faut
la rapporter à une autre époque , c'est-à-dire , à l'année
suivante, lorsqu'il fut question d'un accommodement,
le roi consentant alors, comme je le dirai ci -après,
qu'il fût fait une nouvelle élection , mais à l'exclusion de
Pierre de la Châtre, qui , ayant méconnu la prérogative
royale, méritoit cette exclusion : car, dans la première
élection, le roi n'avoit sans doute pas prévu que les suf-
frages se porteroicnt sur la Châtre, et rien ne prouve
qu'il eût contre lui aucune animosité personnelle.
La Châtre, se voyant rejeté par le roi , eut recours à
Rome, où il avoit des protecteurs. Sa cause, appuyée du
crédit du chancelier Haimeric , fut trouvée bonne. Le
pape, de sa pleine autorité, le renvoya à Bourges après
l'avoir sacré, et pronon^T contre Cadurque la privation
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 565
de tout bcncfite ecclésiastique. C'est ainsi que raconte
la chose i'anonyme de Morigni. Guillaume de Nangis
ajoute que le pape accompagna sa décision d'un propos
offensant pour le roi , disant que c'étoit un jeune prince
qu'il falloit instruire , afin qu'il apprît de bonne heure
à ne pas se mêler des affaires de l'église : Dicente régent
puerum instrueuduni et cohibeniliim , ne îalïhus assuescat. Ce
propos indiscret attribué au pape auroit besoin d'un
meilleur garant qu'un auteur du xiii.'^ siècle ; ou du moins
il laudroit le rapporter à un temps où la querelle fut
plus envenimée. Nangis a rapporté sous une seule année
tout ce qu'il savoit sur cette affaire , qui a duré quatre
ans.
Quoi qu'il en soit , ce n'étoit pas la première fois que
le droit du roi, de confirmer les élections des évêques ,
étoit contesté à Rome. Conformément aux décrets des
papes Grégoire VII , Urbain II et Paschal II , qui dé-
fendoient de recevoir l'investiture des mains des laïcs ,
Raoul-le-Vert avoit été sacré archevêque de Reims, sans
avoir rempli envers le roi les devoirs auxquels les arche-
vêques ses prédécesseurs avoient été astreints. Louis-le-
Gros s'opposa fortement à ce qu'il entrât en possession
de son siège; et, quoique le pape Paschal eût mis l'in-
terdit sur la ville , Raoul ne put être mis en possession
qu'en faisant au roi l'hommage que les constitutions pa-
pales avoient défendu. Il est bon de rappeler sur cela la
lettre d'Ives de Chartres , dans laquelle il rend compte
au pape de ce qui s'étoit passé : «Après bien des instances, honis q<. ,p,,
>• dit-il, le roi consentit à remettre à son conseil la dé-
" cision de cette affaire ; mais il n'a pas été possible de
/.••'. /
j66 MK.MOIRtS DL LACADliMIE
» lien obtenir de la cour, à moins c|iie l'archevcque ne
" prctâl entre les mains du roi I hommage cjiii iaisoit le
" bujet de la contestation.» Sed, recLiiiuinte curiJ . plena-
rmin piiceni impetrare nequivimus , tiisi pradutus ntctropoH-
tiiiius per iiuiimm et sacriimciitum ctiiii fuiilitatem re^i jaceret
quant pradcccssor'ibus suis rcgibus Fraiicorum lUiteu jecenint
omiics Remeiises iircliicpiscopi et cetcri rcgni Francorum qiuwi-
libct re/ii^iosi et Siiiieti episcopi.
Ce droit, Loiiis-le-Jeune l'avoit trouve établi en mon-
tant sur le trône. 11 avoit été reconnu même par S. Bernard,
trois ans avant que le pape Innocent il élevât la contesta-
■n ''mtr.<^ tlon relative à l'arcbevèque de Bourges. L'an i i 3S , un
moine de Cliini avoit été élu canoniquement pour remplir
le siège de Langres ; il avoit pour lui le vcvu du clergé et du
peuple, l'assentiment ilu métropolitain, et il avoit été pré-
senté par ses électeurs mêmes au roi , qui , approuvant tout
ce qui avoit été lait à Langres, avoit investi le nouvel évéque
des rc'gales , au milieu d'une cour solennelle qu'il tenoit
au Puy en Vêlai , sans que personne formât la moindre
opposition à un choix si unanime. L'abbé de Clairvaux
ctoit alors en Italie , ou en chemin pour revenir en
France. A son arrivée, il trouva que tout étoit prêt pour
la consécration de l'évéque de Langres ; ce qui prouve
qu'elle navoit pas précédé le consentement du roi , et
qu'il n'y avoit pas encore de loi ecclésiastique qui pres-
crivit l'usage contraire. S. Bernard n'approuvoit pas le
choix qu'on avoit fait ; il réussit d'abord a suspendre le
sacre, à l'aide d'une diri'amation qu'on se permit contre
la personne de celui qui devoit ctre sacré. Ce moyen
n'ayant point réussi au gré de quelques dissidens , et
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 567
voyant qu'cm alloit consommer l'affaire , qui en effet fut
consommée , il fit interjeter appel en cour de Rome , pré-
tendant qu'on lui avoit promis, sous la garantie du pape
et du chancelier Haimeric , qu'on ne lui donneroit pour
évêque diocésain qu'une personne qui lui fût agréable ;
faisant valoir d'ailleurs les services qu'il avoit rendus à
l'église de Rome, et les fatigues qu'il venoit d'essuyer
pour ramener au pape Innocent les partisans de l'anti-
pape Anaclet : sur quoi l'on peut voir les lettres qu'il Bcm. <y-. 164,
écrivit au pape, aux cardinaux, et a plusieurs membres ,^s
du chapitre de Lyon.
Il obtint facilement du pape ce qu'il desiroit ; l'évêque
de Langres, élu, sacré, installé, fut destitué, et le prieur
de Clairvaux , parent de S. Bernard, mis à sa place. Il
ne restoit plus qu'à faire revenir le roi sur ses pas , et
à lui faire approuver le nouveau choix. L'abbé de Clair-
vaux se fit fort de vaincre cet obstacle ; il écrivit au mo- Bem. y. ijo.
narque une lettre très-soumise, très-respectueuse: il se
garda bien de lui contester son droit de confirmation et
d'investiture ; il s'y prit plus adroitement. li n'avoit con-
tribué en rien, disoit-il, à l'élection du prieur de son
monastère ; il ne pouvoit que gémir de se voir privé de
son bras droit , d'un homme qui lui étoit si nécessaire
pour le gouvernement de sa maison : mais , résigné à la
volonté de Dieu, qui s'étoit manifestée, il n'osoit s'y op-
poser; il faisoit sans répugnance le sacrifice de tous les
avantages qu'il perdoit. « Mais vous, ôroi , opposerez-vous
>' votre volonté à celle duTout-puissant, qui est redoutable
» même aux rois de la terre! Le commencement de votre
» règne a été si heureux I il- nous a fait concevoir de si
568 MÉMOIRES DE LACADl.MIE
hautes espcrnnces ! Sera-t-il dit que nous aurons été
frustres de tant de biens que nous avons recueillis de
votre bon naturel et de la protection que jusqu'ici vous
avez accordée aux églises! Si cela arrivoit , je inour-
rois de douleur de voir un roi dont tout le monde dit
du bien et qui en promet encore davantage, s'oppo-
ser aux desseins de la Providence, provoquer la colère
du souverain juge, auprès duquel ont tant de pouvoir
les larmes des peuples prives de pasteurs, les cris des
malheureux et les prières des saints. Non , il n'en
sera pas ainsi : Dieu , dans sa miséricorde, ne permettra
pas que celui qui juscju ici a causé tant de joie à son
église , en devienne le fléau : il nous a donné un bon
prince, il nous le conservera tel ; et, s'il manque en-
core quelque chose à sa perfection , il comblera à son
égard la mesure de ses dons. Ce sont , dit - il , les
vœux et les prières que forment pour vous, nuit et
jour, les moines de Clairvaux. Soyez-en bien persuadé,
prince: leur conduite ne se démentira pas, et ils ne
feront jamais rien qui porte atteinte à la dignité et au
bien de votre royaume. »
Après ce début, comme le roi avoit déjà fait espérer
une réponse favorable au nouvel élu, s'il pouvoit la faire
sans compromettre l'honneur et la dignité du trône, l'abbé
de Clairvaux trouvant que cette réponse tardoit trop à
venir : << Vous avez raison , dit -il en terminant sa lettre,
" de craindre d'avilir la prérogative royale; mais le pays
•» de Langres vous appartient, et c'est 1 avilir que de
» le laisser sans défenseur. » Terra vcstra est , et in hoc
plané cogfiosiimus et dolemtis Jedccus regiii vestri . ijuod vos
jurt
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 569
jure abliorrere mancîaslis , si .non fuerit qui defendaî, «' Car
» enfin , ajoute-t-il , quel préjudice a-t-on porté à la ma-
» jesté royale en procédant à une nouvelle élection? Elle
» a été faite dans toutes les règles; le sujet élu est votre
» fidèle et dévoué serviteur ; et il ne seroit pas tel , s'il pré-
» tendoit jouir d'une chose qui est à vous, autrement que
>' par vous. Il n'a pas encore touché à vos propriétés ; il n'a
» pas mis le pied dans la ville qmi lui est destinée; il n'a
" encore exercé aucune fonction, quoiqu'il ait été souvent
» invité, pressé, sollicité, parle clergé et parle peuple, de
» venir au secours des opprimés, et de satisfaire aux désirs
» empressés des gens de bien. Cela étant, il est instant,
» comme vous le voyez, de prendre sans retard une dé-
» termination conforme à votre honneur et à nos be-
» soins. Si vous tardez plus long -temps à satisfaire les
» justes désirs d'un peuple qui est à vous, vous courrez
» risque (ce qu'à Dieu ne plaise!) d'aliéner des coeurs
» qui vous sont entièrement dévoués par principe de
» religion , et de voir dépérir les régales de votre iéglise ,
» faute de surveillant. »
C'étoit reconnoître bien formellement le droit qu'avoit
le roi d'admettre la personne élue, s'il l'agréoit , ou de la
rejeter, si elle lui étoit désagréable. Nous verrons bientôt
le saint abbé tenir un langage tout différent , et traiter
de serment digne d'Hérode celui que Louis-le-Jeune avoit
fait de ne jamais souffrir que Pierre de la Châtre fût
reconnu comme archevêque de Bourges,
Pendant que S. Bernard supplioit le roi avec tant
de modestie de consentir à l'élection faite par l'église
de Langres dans la personne de Godefroi son prieur ,
Tome VI. C *
5-0 Mi.MOiRLS DE i;acai3i:.\ih:
Innocent II, de son côté, écrivoit au même prince sur
un autre ton, et sur une autre atiaire qui n'est pas étran-
gère au sujet que je traite , quoiqu'elle concerne l'église
de Reims: car, dans la lettre précédente, S.Bernard s'in-
téressoit aussi à l'état déplorable de cette église. Après avoir
rappelé au roi qu'il étoit, pour ainsi dire, l'ouvrage de ses
mains, parce qu'il l'avoit sacre du vivant du roi son père,
le pape lui représente qu'en sa qualité de consécrateur
il est autant afiligé de le voir commettre des choses ré-
préhcnsibles, qu'il a de joie d'apprendre qu'il se conduit
bien , et que la prospérité couronne son administration.
Balkz.Miscell. Entrant aussitôt en matière : « C'est avilir, dit - il , la
r^.f.f.^ro. ^^ dignité royale, de se livrer, comme vous faites, aux
» emportemens de la colère , et de proférer dans cet état
» des paroles malhonnêtes ou des juremens : vous feriez
» mieux de retenir votre langue, et d'examiner sérieu-
■> sèment, avant de parler ou d'agir, quel pourra être
» le résultat de vos entreprises. Sachez qu'attaquer la
» sflùite mère Église Romaine, ou «.hercher à rabaisser sa
» dignité, c'est faire la guerre au ciel et s'attirer l'imli-
». gnationdu Très-haut. Cependant, comme j'ai pour votre
» personne une charité sincère et une affection pater-
» nelle, j'accorde la demande que vous me fuites; et, par
» compassion pour la célèbre église de Reims, je permets
» qu'on procède à l'élection d'un archevêque , à condi-
» tion qu'on choisira une personne honnête et qui ne soit
« pas déjà pourvue d'un évêché, après toutefois avoir pris
» l'avis de plusieurs évêques (qu'il nomme), et à condition
'. (lue le roi dissipera les associations appelées comptt-
» gnies , qui s'ctoient formées à Reims pendant la vacance
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 571
» Ju siège ; qu'ii rendra à l'église et à la cité les libertés
» ou franchises dont elles jouissoient auparavant, et qu'il
» obligera les habitans à réparer les dommages qu'ils
» avoient causés aux églises et aux ecclésiastiques. »
Cette lettre n'expliquant pas en quoi le roi avoit porté
atteinte à la dignité de l'église Romaine, et les historiens
ne nous apprenant rien sur ce qui s'étoit passé à Reims
pendant la vacance du siège épiscopal , cette lettre, dis-je,
pour être entendue , a besoin d'un commentaire. Elle
est sans date; mais le pape, en parlant de l'archevêque
Renaud , dit que ce prélat étoit mort tout récemment ,
nuper defitiicti. Or, Renaud de Martigné étant mort le 13
ou I 4 janvier i i 3 8 , selon tous les chroniqueurs et selon
l'épitaphe du prélat, il s'ensuit que la lettre du pape est
de la fin de cette année, ou du commencement de la sui-
vante. C'étoit précisément l'époque à laquelle S. Bernard
travailloit à faire agréer par le roi l'élection du prieur
de son monastère à l'évêché de Langres. Ainsi les repro-
ches que le pape adresse à Louis-le-Jeune, se rapportent
à ce qui se passoit alors ou à Langres ou à Reims, ou
peut-être à l'une et à l'autre ville.
Q^Liant à ce qui se passoit à Reims, nous savons qu'a-
près la mort de Renaud de Martigné , le roi établit à
Reims une commune à l'instar de celle de Laon , et que
les habitans , abusant du privilège, commirent des vexa-
tions contre le clergé de la cathédrale, leur seigneur tem-
porel. Le roi essaya de faire cesser le désordre par la voie
de la persuasion. Nous avons deux lettres qu'il écrivit au
maire et à la commune de Reims. Dans la première, il M.,riot. ihs,.
leur dit : « Vous savez que , lorsqu'à vos instantes prières P'ë- P<'-
572 MFMOIRES DE L'ACADÉMIE
» nous vous avons accorde une commune semblable à
'» celle de la ville de Laon , sauf les droits et coutumes
'» de i'archevcchc et des églises , nous l'avons fait dans
" de bonnes intentions et uniquement pour votre avan-
» tage, mais non au dctriment des églises et de nous-
w mêmes , ne prévoyant pas qu'elle tourneroit à notre
» déshonneur. Mais vous, allant au-delà de la concession
» qui vous a été faite, vous prétendez que les droits des
'» églises ne sont pas des droits; (jiie les coutumes an-
>• ciennes ne sont pas des coutumes ; et , sans autre
» explication, vous refusez de les reconnoître. Sur cela,
» nous mandons et ordonnons à votre fidélité et nous
" voulons bien vous prier de ne pas toucher aux droits
'• de l'église île Sainte -Marie et des autres églises , et
" sur-tout à ceux de la vénérable et très-sainte église
" de S. Rémi ; de les laisser jouir en paix des coutumes
>• qui existent depuis cent ans ; de n'élever sur cela
» aucune contestation , et de vous conduire avec moins
» de dureté envers les églises : sans quoi nous serons
» obligés d'écouter leurs plaintes, et de leur rendre la
» justice à laquelle nous ne devons ni ne pouvons nous
" refuser, »
MjiIoi. iii, L'autre lettre porte : « Nous ne pouvons voir sans dou-
Rfm. I. II. p.,g » j r • '
;.-. •• leur que vous vous permettez de taire ce qu aucune
•> autre commune n'a encore fait ; que vous ne vous con-
» formez nullement à la commune de Laon , qui vous a
» été donnée pour modèle ; que vous laites précisément
" ce que nous vous avons défendu de laire, en incor-
■• porant à votre commune les paroisses foraines [villas
» extriiisecas] , en refusant aux églises les redevances
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 573
coutumières dont elles sont en possession depuis plu-
sieurs siècles , défendant, au nom et par l'autorité de votre
commune, aux sujets qui en sont grevés, de les acquit-
ter. Vous n'épargnez pas mcme les églises, et sur-tout
celle de Sainte-Marie, qui est actuellement entre nos
mains et qui n'a pas d'autre défenseur que nous » ( ce
qui prouve que le siège épiscopal étoit vacant alors),
leur étant entièrement ou diminuant considérablement
leurs droits, leurs libertés et leurs coutumes ; rançon-
nant les serviteurs des chanoines, qui jouissent de la
même franchise que leurs maîtres, ou les appréhendant
au corps , ce qui fait que plusieurs n'osent sortir de
l'enceinte du cloître. Nous vous avons déjà écrit sur
> cela; et si vous mandons de nouveau de laisser en paix
les églises, de leur rendre ce que vous leur avez en-
■' levé, et de ne pas toucher aux droits , coutumes et
franchises des chanoines. »
Le roi agissant si foiblement , il est probable qu'à la
vue de ces désordres le pape avoit jeté l'interdit sur cette
ville ; car sans cela l'on a de la peine à expliquer pour-
quoi l'on avoit besoin de la permission du pape pour élire
un archevêque. Le siège étant vacant , c'étoit le droit
commun de s'assembler, avec la permission du souverain,
pour le remplir; et nous ne voyons pas qu'il fût néces-
saire de demander cette permission au pape toutes les
fois qu'il y avoit une élection à faire. 11 y avoit donc
quelque raison particulière qui empêchoit qu'on ne pro-
cédât à l'électioji d'un archevêque; et cette raison , on ne
peut la trouver que dans la supposition d'un interdit jeté '''''''•'"'. /'';/•
^ T ' ' ; Foi. loin. Il ,
sur la ville. On lit en effet, dans le Nécrologe de Saint- /'-y. >•-.
J74 MtMOIRlLS DL L'ACADÉMIE
Symphorien , que cette église eut besoin d'être rcconcilice,
ayant ctc profanée par un prêtre que des factieux de la
commune avoient contraint d'y célébrer la messe; ce qui
prouve qu'il y eut un interdit jtté sur la ville, soit p;ir
le chapitre, soit par le pape, et que c'est cela qui iin-
pccboit l'élection d'un archevêque.
Mais enfin le roi, voidant mettre un terme aux maux
qui désoloient cette ville, eut besoin du crédit de S. Ber-
nard auprès du pape pour faire lever l'interdit. Le saint
homme écrivit la lettre 318, conçue en ces termes:
/.Vf», ff pS Ci Saint Père , l'église de Reims tombe en ruine : cette
■> illustre cité est couverte d'opprobres ; elle crie à tous
•> les passans qu'il n'y a point de douleur pareille à la
» sienne. Elle est assaillie en dehors par des combattans,
>' et en dedans tout est dans la terreur et la constcr-
" nation. Q,ue dis-je! on se bat même dans l'intérieur
" de la ville ; ses propres enfans font la guerre à leur
»> mcre , et il n'y a point de chef de famille qui puisse
'» les contenir. Elle ne voit au monde que le pape Inno-
'■ cent capable d'essuyer ses larmes. Pourquoi tardez-vous
" donc df venir à son secours! Jusquesà quand souffrirez-
»> vous qu'elle soit foulée aux pieds î Je vous annonce que
•• le roi s'est radouci , et que son indignation est passée.
" Que reste-t-il à faire, si ce n'est que la main aposto-
" lique veuille bien appliquer des caïmans aux plaies de
» cette église î L'essentiel seroil , je crois , de hâter le
•» moment de l'élection d'un archevêque, ilont l'autorité
" peut seule réprimer la fureur du peuple, qui, sans cela,
'> achèvera de ruiner ce qui n'est pas détruit. Cela étant
" fait. J'ai une ferme confiance que nous obtiendrons ce
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 57 j
» qui reste à faire. » Qu'entencloit-il par ces derniers
mots ! La suite de cet examen nous le découvrira.
Le pape, dans la lettre rapportée plus haut et qui a
donné lieu à ces détails , accorda ce qu'on demandoit :
il permit de procéder à l'élection d'un archevêque, aux
conditions portées dans sa lettre, dont l'une étoitque le roi
retireroit aux habitans la charte de commune, qui effec-
tivement ne se trouve nulle part ; et S. Bernard obtint
non-seulement pour son prieur i'évéché de Langres, mais
il fut choisi lui-même pour remplir le siège de Reims, Il re- Ahinai.Amyl.
r , ,. . , I • I • I' CoUea. tom. I,
fusa modestement une dignité que le roi le pressoit d ac- coL-jp.
cepter , comme il en avoit refusé tant d'autres : nous avons
la lettre qu'il écrivit pour motiver son refus.
II est donc vrai que , dans cette occasion , le roi, par des
considérations particulières , se départit un peu de ses
droits, soit relativement à l'établissement des communes,
soit en ce qui concerne la confirmation des élections. Mais
ce qui prouve que ni lui ni son conseil n'entendirent pas
renoncer à la prérogative royale, c'est que , deux ans après,
il la maintint fortement dans l'affaire de l'archevêque de
Bourges , qui donna lieu à une contestation bien plus
sérieuse que celle de l'église de Langres,
S'il est vrai , comme on n'en peut douter, que de tout
temps les princes chrétiens ont eu le droit d'admettre ou
de rejeter les sujets qui leur étoient présentés pour rem-
plir les prélatures de l'église , il semble que l'exercice de
ce droit devoit précéder et non suivre la consécration. Ce
n'est pas lorsque l'afîîiire étoit consommée, que le prince
pouvoit, sans inconvénient , rejeter un sujet. Innocent II
entreprit de renverser cet ordre naturel. Après avoir
J76 MK.MOIRES DE LACADJiMIE
triomphe de tous ses conciirrens à la papauté , et jouis-
sant paisil)lement de la chaire de S. Pierre, il assembla,
i'.iii 1 139. un concile gcncral au palais de Latran. Dans
le discours d'ouverture, il avan(,a cette étrange maxime:
« Vous savez que Rome est la capitale du monde , et que
» c'est un droit du pontife Romain de conférer les hon-
" neurs ecclésiastiques comme des fiefs dépendans de lui,
" et qu'on ne les tient pas légalement sans sa permission. •>
':'.'•'<■ •, '-''""■'/• Nostis <juiii Ronui aipul est rnuiiJi , et iiiiid ei Ronuini poii-
I. .\ , col. lOIV. . ' '
tijiàs licciit'ui ecclesicistici honoris celsitudo ^udsi fcodûlis jtiris
coiisuetudine stiscipitur, et sine ejus permissioiie Icgitlitcr non
tcnetur. Cette maxime ne fut pourtant pas convertie en
décret ; on se contenta de renouveler un ancien canon
fait pendant la querelle des investitures, portant défense
de recevoir des mains des laïcs des prévôtés , des pré-
i)endes et autres bénéfices ecclésiastiques; car, ajouta-t-on,
selon les décrets des saints Pères , les laïcs , quelque
religieux qu'ils soient , n'ont aucun pouvoir de disposer
des biens des églises.
Il n'est point parlé, dans ce décret, des hautes préla-
tures, des évéchés ni des abbayes; mais l'événement
prouvera bientôt qu'elles y étoient comprises, et à for-
tiori. La circonstance de la jeunesse du roi parut un
moment favorable pour mettre ce décret à exécution en
France; les ordres furent donnes implicitement ou ex-
plicitement , et les métropolitains les plus recomman-
dables par leur science furent les premiers à donner
l'exemple -de la soumission.
/./. nihl. mi. Des le mois de janvier \i^\ , Geofroi de Loroux ,
nm. Il, r. -'Jp. i , 1 i^ i i 1 ' , • - •
archevc^que de Bordeaux , donna la consécration episco-
pûlc
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 577
pale à un évêqiie de Poitiers , sans attendre le consen-
tement du roi , qui trouva cela fort mauvais , et défendit
au nouvel cvcque de prendre possession de son église.
En Normandie, l'archevcque de Rouen faisoit dans le .i/-..//. in-fol.
même temps la consécration d Arnoui , eveque de Li- '
sieux , sans avoir demandé le consentement de Geofroi
comte d'Anjou , alors souverain de la Normandie. Ce
prince le tint éloigné de son église pendant deux ans et
trois mois ; et ce n'est qu'en payant une grosse somme
d'argentqu'Arnoul obtint le consentement du prince. C'est
lui-mcme qui nous l'apprend : Qii'ia , elcctus canomcè , sine
ipsius desigiiûtioiie fueram consecratus.
L'abbé de Clairvaux prit la défense de ces deux métro- Bm. rp. ,\^-'.
politains : il prétendit que c'étoit injustement et sans
raison que le roi mettoit en cause l'archevêque de Bor-
deaux ; que ce prélat avoit fait son devoir , et que le
conseil du roi avoit manqué au sien ; qu'on prenoit pour
un attentat ce qui étoit une exacte justice, et pour un
crime ce qui étoit une bonne œuvre. Il ajoutoit à cela
des menaces fort déplacées.
Dans l'affaire de l'archevêque de Rouen, il usa envers Bem. q>. siS.
le comte d'Anjou , duc de Normandie , de beaucoup
moins de ménagemens qu'avec le roi : il ne lui épargne
aucune des épithètes flétrissantes ; c'est le fléau et le per-
sécuteur des gens de bien, le perturbateur de la paix,
l'ennemi de la liberté ecclésiastique, et même de la croix
de Jésus-Christ. Après tant de triomphes qui ont signalé
le pontiiicat d'Innocent, il ne lui reste plus que ce petit
tyran à terrasser.
-irtA .11. II. .. Chron.Maiiri-
Vers le même temps arriva la brouiUerie au su/et de niac.
Tome VL D*
5 73 MÉMOIRES DE L' ACADÉMIE
Pierre de la Cluure , que le pape renvoya à Bourges après
lavoir sacré, comme je l'ai dit plus haut. Le roi, de son
Km!„!j. ,u Di- côté, dcl'eiidit qu'on le reçût à Bourges , et jura publique-
ment que, tant cju'ii vivroit , il ne souffriroit pas que
Pierre de la Châtre fût reconnu pour archevêque. Le
comte de Champagne s'empressa, dit-on, de le recevoir
dans ses terres, et, malgré la défense du roi, il éioii
reconnu de toutes les églises. Ce lait n'a encore pour
garant que le seul Guillaume de Nangis; mais il est con-
tredit par un auteur beaucoup plus croyable (jue lui.
!.:H<, Bihi. Geoffroi prieur de Vigeois, auteur contemporain, nous
'■ ' '"^ apprend que la Châtre, ayant encouru la disgrâce du roi,
resta quelque temps caché dans le Rouergue : Hk tui
tempiis in Ruthciiico , tiietu Liuiovici rcgis , ddituil : eicctus
fjiùppe aisijue illius mttu fucrat , ideoquc contra euni senlcn-
tidni dicLivcrat. Si le comte de Champagne ne lui donna
point asile dans ses terres , il est pourtant vrai qu'il prit
la défense de l'archevêque , et cela pour obéir à l'ordre
Bfni r,' du pape, comme le dit S. Bernard : Si arcliicpiscopum Bilii-
ricensem suscepit ad imperium vesîrum , hoc est maximum cl
primuni pcccatum.
Il est certain qu'à cet égard la conduite du comte de
Champagne dut offenser le monarque, déjà indispose
contre lui; mais ce qui acheva de les brouiller, ce fui
lopposition quil mit à la dissolution du mariage dune
de ses parentes avec le comte de Vermandois , (jui de-
voit épouser et qui épousa en effet une sœur de la reine.
Quoique cette dissolution eût été prononcée par trois
évêques respectables , et selon les formes canoniques alors
usitées, Thibaud entreprit de faire casser à Rome leur
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. J79
sentence, et S. BernarJ s'en rendit le dcnonclateur. Voici
la lettre qu'il adressa au pape:
« Au mépris de ce qui est écrit, que l'homme ne doit ^'™- 7'- -'^•
» point séparer ce que Dieu a conjoint , des hommes
» audacieux n'ont pas craint d'attenter à cet ordre de
» Dieu, non-seulement en séparant des époux qui étoient
•> bien unis , mais en unissant encore , par une prévari-
» cation inouie, des personnes à l'union desquelles s'op-
» posent les lois divines et humaines. Ce ne sont pas
» des hommes étrangers au sanctuaire qui ont trans-
» gressé le commandement de Dieu; ce sont, hélas! les
» ministres mêmes de l'église qui ont déchiré sa robe et
» profané ce qu'elle a de plus saint. Dieu avoit con-
» joint le comte Raoul et son épouse par le ministère de
» l'église, à laquelle il a donné ce pouvoir: comment se
'> fait-il qu'un tribunal ecclésiastique ait osé les séparer !
» Il l'a fait cependant, mais dans les ténèbres; parce que
» celui qui fait le mal, hait la lumière. » Il fait entendre
ensuite que tout cela avoit été fait en haine du comte
de Champagne , et pour le punir d'avoir pris le parti de
l'archevêque de Bourges. Il demande, en finissant, qu'un
pareil attentat ne reste pas impuni.
II faut convenir qu'il pouvoit avoir raison , non sur la
dissolution du premier mariage du comte de Vermandois,
laquelle, je crois , avoit été faite selon les formes légales,
mais sur la validité du second , auquel on pouvoit opposer
le degré de consanguinité : car, si Louis-le- Jeune a été
fondé dans la suite à faire casser son mariage avec la
reine Eléonore pour cause de parenté , le comte de Ver-
mandois, étant parent au même degré, ne pouvoit con-
D-Jij
j«o .MKMOIKLS DL LACADI.MIE
tracter valal)lemein avec la soeur de la reine. Mais, à
cette c'po«jiie, puisqu'on n'avoit pas trouve d'inconvénient
à ce <iue le roi épousât l'aînée des sœurs , on ne devoit
|vis trouver mauvais que le comte de Vermandois épousât
la cadette.
Qjiioi qu'il en soit, le pape, saisi de l'affaire , envoya en
France lin légat , le cardinal Ives , auparavant chanoine
de Saint-Victor, pour connoître tant de l'affaire du divorce
que du rejet de l'arclievcque de Bourges. Le légat tint,
vers le commencement de l'année ii^^, un concile à
Lagni , dans les états mêmes du comte de Cliampagne ,
quoiqu'aux portes de Paris. Ce concik' lut iioml)reux . et
il y fut traité de grandes choses , selon lui auteur ilu
temps; mais nous n'en avons pas les actes. C'est une fata-
lité qui règne sur tous les monumens du xii.*^ siècle dans
lesquels l'honneur du trône se trouvoit compromis. Nous
//,-r,>.;„. Ver- savous Seulement, par le récit des historiens, que le se-
/.■V. ,u'm''ù, cond mariage du comte de Vermandois y fut cassé, que
'"■ ^'^' le roi et le comte y furent excommuniés , et les évtques
(lui avoient prononcé le divorce, interdits de leurs fonc-
tions épiscopales : ces évéques étoient celui de Noyon ,
frère du comte de Vermandois, liarthélemi de Laon , et
Pierre de Senlis , prélats d'ailleurs très-recommandables.
Je pense que c'est à l'époque de ce concile qu'il faut
rapporter le commencement de l'excommunication du roi
Louib-le-Jeune, qui, selon Hérimanne de Tournai, dura
un an , parce que, vers la fin de cette année, il y eut une
initr Angi. espècc d'accommodement dont je parlerai bientôt. Raoul
vr,^/. K, (xi- j^ Diceto explique (juels étoient les effets de cette excom-
munication : dans quelque ville, bourg ou château que
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 581
le roi se présentât, aussitôt l'office divin cessoit; et cela
dura, dit-il, pendant trois ans, parce qu'il ne tint pas
compte de l'accommodement intermédiaire , presque aus-
sitôt rompu que convenu.
Après que le légat eut lancé l'excommunication , le roi
commença la guerre contre le comte de Champagne : elle
fut poussée si vivement, que la ville de Vitri en Perthois
fut réduite en cendres ; et ce qui fiit plus déplorable, il
y périt treize cents personnes qui s'étoient réfugiées dans
l'église. C'est le seul événement de cette guerre rap-
porté par les historiens. La chronique de Sainte-Colombe Aiaricnf ,
j ^ . , , I I / •! • Anecd. lom. Il I,
de Sens entroit dans un plus grand détail; mais une col.i4j<:
main un peu trop officieuse a eu soin de raturer cet en-
droit dans le manuscrit. La chronique de Robert du Mont,
édition de Pistorius , et celle d'un chanoine de Tours ,
disent que le roi mit en possession du château de Vitri
le fils du comte Hugues , déshérité par son père, en at-
tendantqu'il le rendît maître de toute la Champagne après
ia conquête. Cela paroît assez vraisemblable ; mais les
affaires changèrent aussitôt de face. Tous les historiens
s'accordèrent à dire que le jeune roi fut si touché des
désastres de cette guerre, qu'il en versa des larmes et fit
dès-lors le vœu d'aller à la Terre-sainte. Raoul de Diceto
nous paroît plus croyable , lorsqu'il dit que Louis-le-
Jeune se détermina à faire ce périlleux voyage pour ex-
pier le serment qu'il avoit fait imprudemment de ne jamais
permettre que Pierre de la Châtre fût archevêque de
Bourges , serment qu'il avoit été forcé de violer. Mais ,
dans le vrai , plus d'un motif décida du voyage de ia
Terre -sainte.
liirn. ,-r. :i7.
SS2 MÉMOIRES DE I.ACADF.MIE
Apres le sac de la ville de \ itii , le comte de Cham-
pagne, incapable de résister aux forces du roi, chercha
à Jaire un accominodement par l'entremise de l'abbé de
Clairvaux. On exigea de lui <|u'il promît de faire révo-
quer les excommunication^ lancées par le légat , et il
donna sa parole qu'il emploieroit pour cela tout son crédit
auprès du pape. S. Bernaril lut chargé de demander , au
nom du comte, cette révocation. Il est bon de rapporter
ses propres termes , pour se convaincre que le conseil
du comte n'agissoit pas de bonne foi.
« Nous sommes dans le trouble et dans l'angoisse ,
" écrivoit S. Bernard. Notre pays est dans la conster-
» nation à la vue des meurtres , des dévastations , des
» emprisonnemens, qui se commettent. On ne respecte
" plus la religion , et l'on regarde comme un opprobre
" d'entendre parler de paix. La bonne foi, l'innocence,
• ne peuvent nous mettre en sûreté nulle part. Le comte
» Thibaud , connu par la ilroiture de son cctur et par son
■' zcle pour la religion , a presque été terrassé par les ef-
" forts de ses ennemis ; il auroit succombé , si Dieu ne
" fût venu à son secours. Mais ce qui le console, c'est
» qu il n a éprouvé cette persécution que parce qu'il dé-
■> fendoit une cause juste, et par obéissance A vos ordres.
" Malheureux que nous sommes , nous avons bien pu
'» pressentir tous ces maux , mais nous n'avons pu les
" éviter. Que pouvions-nous faire! Pour garantir le pays
•> d'une entière désolation, et même le royaume d'une
• ruine prochaine, le comte , votre fils très-dévoué, le plus
zélé défenseur de la liberté de l'église, a été contraint
■' de promettre avec serment «ju'il feroit révoquer la
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 583
'• sentence d'excommiinication portée par votre Icgat ,
» maître Ives , contre la terre et la personne du comte
» de Vermandois , qui, par son mariage adultère, avoit
» attiré tous ces malheurs; et en cela il n'a fait que suivre
» l'avis et acquiescer aux prières des personnes sages et
» religieuses , qui ont pensé qu'en accordant cette grâce
» vous ne portiez aucune atteinte à la discipline, parce
" qu'il sera toujours en votre pouvoir de remettre les
» coupables sous les liens de l'excommunication , qui est
» juste en elle-même. Par cet artifice, dit-il, on déjouera
» l'intrigue, on obtiendra la paix; et celui qui mainte-
» nant se glorifie dans sa malice et qui a tout crédit
" pour fiiire le mal , n'y gagnera rien. » Quatenus et ars
ûrte dehidcitur , et pax proinde obtiiieatur , et gui gloriatur in
malitia et potens est in iniquitate , nihil inde lucretur. Il ajc)U-
toit qu'il auroit eu beaucoup d'autres choses à dire; qu'il
s'abstenoit de les mettre par écrit , parce que le porteur
de la lettre, qui connoissoit l'affaire à fond, pourroit en
instruire pleinement le pape.
Cet envoyé étoit l'abbé de Morigni , qui , comme je l'ai Chmi. Af,
dit plus haut, obtint du pape plusieurs des demandes dont
il étoit chargé ; mais non la principale , celle apparem-
ment qui concernoit l'archevcque de Bourges : car il
paroît constant que l'excommunication lancée contre le
comte de Vermandois fiit alors levée. C'est à l'époque
de cette négociation qu'on peut rapporter les paroles que
Guillaume de Nangis prétend que le pape avoit proférées
contre le roi de France, disant que c'étoit un jeune prince
qu'il falloit instruire, afin qu'il apprît de bonne heure à
ne pas se mêler des affaires de l'église ; ajoutant , dit
m-
Tîiiitianse,
5 84 -MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Nangis, que les clections n'ctoleiit pas vraiment libres,"
lorsqu'un prince Jonnoit l'exchision à quelqu'un, à moins
qu'il ne prouvât devant un juge d'cgiise qu'il ne ilevoit
pas (}tre élu; car alors le prince devoit être écoute comme
un autre. Ces propos, comme je l'ai dit, auroient be-
soin d'un meilleur garant que l'historien Nangis : ils prou-
vent du moins que le roi consentoit alors à une nouvelle
élection , à l'exclusion de Pierre de la Châtre.
Ce qui est plus certain, c'est que le pape ne voulut en-
tendre à aucun accommodement, et qu'il sut très-mauvais
gré à l'abbé de Clairvaux de s'être tant avancé. Nous
n'avons pas la lettre pleine de reproches qu'il écrivit au
/' ' 7' -■ .'. saint abbé: mais on voit, par la réponse de celui-ci ,
<[u'on lui reprochoit de se mêler de choses qui ne le re-
gardoient pas.
La lettre de S. Bernard au pape étoit accompagnée
il'une autre aux membres les plus influens du sacré col-
lège , dans laquelle il insiste pour qu'on s'occupe d'un
accommodement , si Ion veut éviter un schisme près
d'éclater dans le rovaume de France , cette portion de
l'église qui a eu, liit-ii, la gloire de contribuer plus que
/J. (/'. -V9. toute autre à lextinction de tous les schismes : « Je ne
•• prétends pas, ajoute-t-il, excuser le roi sur deux points:
» il a eu tf)rt de jurer qu'il ne recevroit pas l'archevêque
•' de Bourges , et il fait encore plus mal de tenir à son
•• serment. Ce n'est pas par obstination qu'il y tient ,
" mais par point d honneiu-. Vous savez qu'en France
»> on regarde comme un déshonneur de manquer à un
•• serment , quelque répréliensible qu'il soit , (juoique
" d'ailleurs les personnes sages conviennent <ju un pareil
serment
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 585
» serment n'oblige pas. J'avoue que cette considération
» ne suffit pas pour justifier la conduite du roi : aussi mon
» intention n'est pas de l'excuser, mais de demander grâce
» pour lui. Vous examinerez dans votre sagesse si la co-
» 1ère, si la jeunesse, si le rang qu'il occupe, ne peuvent
« pas , en quelque façon , lui servir d'excuse. Il me semble
» que ces considérations sont des motils suffisans pour
" lui pardonner cette fois , à condition que cela n'arri-
» vera plus. Je dis pardonner, mais bien entendu que
» cette indulgence ne portera aucun préjudice à la liberté
» de l'église , ni au respect qui est dû à l'archevêque de
'» Bourges , par cela même qu'il a été consacré par les
» mains du pape. Le roi se soumet humblement à ces
» conditions; et notre église en deçà des monts, qui n'a
» déjà que trop souffert, vous supplie de les accepter:
» sans cela vous nous livrez au désespoir , et nous ne
»> voyons pas moyen d'échapper aux maux affi-eux qui
» nous menacent. Il y a près d'un an qu'ayant fait la
» même prière , au lieu d'être exaucé, je m'attirai l'indi-
>» gnation du souverain pontife, et la suite de ce refus fut
" la dévastation de tout le royaume. «
II est étonnant que la cour de Rome , après que le roi
eut été amené, comme le témoigne S. Bernard, à recon-
noître l'aj-chevêque de Bourges , n'ait pas consenti à la
paix. Mais il paroît que le roi faisoit dépendre sa sou-
mission de la légitimation du mariage du comte de Verman-
dois , et que la cour de Rome vouloit traiter séparément
ces deux causes. En effet , le roi , ayant su qu'on se pré-
paroit à Rome à remettre sous l'interdit les terres du
comte de Vermandois , manda à l'abbé de Clairvaux
Tome VI. E*
5 "6 MF MOIRES DE UACADKMIE
il'agir en vertu de la promesse faite un an auparavant
par le comte de Champagne, afin que cela n'arrivât pas.
Nous n'avons pas la lettre du roi ; mais voici la repense
que lui ht l'abbc- :
Bern. tp. 12c. " Vous avez raison de dire que, dans tout ce qui con-
•> cerne l'honneur et le bien de votre royaume , j'emploie
» et emploierai toujours avec plaisir le peu de crédit que
» j'ai : c'est aussi le témoignage que me rend ma cons-
'» cience. Vous vous plaignez à moi de ce qu'il est ques-
" tion de renouveler l'anathcme contre le comte de ^'er-
■> mandois , et vous exigez que je fasse tous mes efforts
" pour l'empccher , parce que cela pourroit occasionner
» de grands maux. Je ne vois pas comment je pourrois
» empêcher l'exécution des ordres du pape; et, quand je
» le pourrois, je ne vois pas (ju'il lut raisonnable de le
» tenter. Je suis fâché qu'il doive en arriver du mal; mais,
» dût-il en arriver du bien , nous ne devons pas faire une
» chose mauvaise par elle-même. Le plus sûr pour nous
» est d'abandonner tout à la Providence, qui peut procurer
» et consolider le bien qu'elle veut qu'on tasse, empêcher
•> le mal que les hommes pervers veulent faire, ou du
" moins taire retomber sur eux les maux qu'ils préparent.
» Je n'ai pu lire sans ilouleur , ilans votre lettre , «jue
" ce nouvel anathcme pourroit troubler la paix que vous
» avez conclue avec le comte de Champagne. Est-ce que
» vous ignorez que vous avez commis une grande faute,
» lorsque, par l'atrocité de la guerre que vous lui faisiez,
"VOUS avez forcé ce prince à jurer, non -seulement
" qu'il emploieroit ses bons offices pour faire absoudre
>» le comte de Vermandois , mais qu'il obtiendroit la levée
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 587
» de l'interdit qui pesoit sur ses terres , quelque juste
y et légitime qu'il fût? Pourquoi voulez-vous ajouter
» péché sur péché , et accumuler sur vous la colère de
»> Dieu! En quoi le comte Thibaud a-t-il mérité d'en-
» courir de nouveau votre indignation, lui qui a obtenu,
y non sans peine, l'absolution du comte de Vermandois,
» contraire aux règles de l'église , comme vous savez! Il
« n'a pas sollicité l'excommunication qui pèse de nouveau
» sur lui , s'étant interdit toute démarciie pour ne pas
» vous offenser. O mon roi , n'allez pas encore faire la
» guerre à votre Roi, au Créateur de toutes choses ; abste-
» nez-vous d'étendre si souvent et si témérairement la
'' main contre celui qui est nommé le Dieu terrible , le Dieu
» gui ôte la vie aux princes et se joue de leur puissance. Je
" vous parle durement , parce que je crains qu'il ne vous
» arrive du malheur; je n'aurois pas cette crainte, si je
" vous étois moins affectionné. »
Après cette lettre, Louis-le-Jeune ne douta plus qu'on
n'eût agi avec lui de mauvaise foi. II se crut joué, et il
recommença la guerre contre le comte de Champagne.
S. Bernard, voulant en arrêter les progrès, adressa au roi
des remontrances mêlées de reproches, avec cette liberté
qui ne convenoit qu'à lui. « Dieu sait combien je vous Bem. ep. 22t.
» ai toujours aimé, lui dit-il, et combien votre hon-
» neur m'a toujours été cher. Vous n'ignorez pas ce qu'il
» m'en a coûté de peines pendant l'année dernière , à
» moi et à d'autj-es de vos fidèles serviteurs , pour vous
" procurer une paix honorable ; et je crains bien que
>• nous n'ayons travaillé en vain. Il est évident que vous
» ne tenez plus aux sages résolutions que vous aviez
E*ij
5 88 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
« prises, et (jue, n'ccoutant plus que des suggestions dia-
" boli(jues , vous voulez, recommencer les scènes san-
» gliinies que vous déploriez avec tant de raison et avec
» tant d'amertume. Je dis suggestions diaboliques, parce
» qu'il n'y a que le démon qui puisse vous suggérer d'a-
» jouter à des plaies encore saignantes d'autres incendies
» et des meurtres nouveaux Et ne dites pas, pour
•• excuse, que l'odieux de ces exécutions militaires doit
» retomber sur le comte Thibaud ; car il s'en rapporte
» entièrement aux clauses du traité de paix convenues
» entre vous et lui ; et, s'il s'en est écarté en quelque
» chose (ce qu'il ne croit pas), il se soumet au jugement
» de ceux qui en lurent les médiateurs. Mais vous , vous
" n'écoutez pas les paroles de paix (ju'on vous porte; vous
" ne tenez pas vos promesses, et vous rejetez tout bon
» conseil : j">ar un renversement d'idées qui ne peut «ître
» qu'une punition de Dieu , vous regardez comme une
" honte ce qui vous seroit honorable, et comme un
» point d'honneur ce (jui vous déshonore aux yeux du
» monde. Car enhn ceux ([ui vous portent à recom-
» mencer la guerre , ne cherchent pas votre honneur ;
• ils n'ont en vue que leur intérêt , c'est le diable (jui
» les fait agir : ils sont manifestement les ennemis de
" votre couronne et les perturbateurs du repos public. »
Après cet éloquent préambule , il continue : « Au reste,
» à vous permis de faire de votre royaume , de votre ame
•» et de votre couronne, ce qui bon vous semblera. Mais
>• nous, (jui sommes les enlans de l'église, nous ne pou-
" vons , à la vue des maux qu'elle a endurés, dissimuler
" ceux qu'on lui prépare. Nous tiendrons ferme , nous
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 589
» combattrons pour elle , s'il le faut , jusqu'à la mort ;
» non avec le bouclier et le glaive , mais avec les armes
» qui nous sont permises , nos prières et nos larmes.
» Quant à moi , ajoutoit-il , j'ai à me reprocher d'avoir
» agi pour vous auprès du pape , presque ju'squ'à blesser
» ma conscience, et jusqu'à m'attirer , je n'en puis dis-
» convenir, sa juste indignation. J'en ai trop fait; vos
» excès continuels font que je commence à me repentir
» de mon imprudence, et d'avoir eu pour votre jeunesse
» des ménagemens que je ne devois pas avoir. Si j'ai
» encore quelque crédit , je l'emploierai désormais tout
» entier à la défense de la vérité. »
II lui reproche ensuite de s'être ligué de nouveau avec
le comte de Vermandois, quoiqu'excommunié, pour faire
la guerre au comte de Champagne ; de ne pas permettre
qu'à Châlons-sur-Marne on installât un évcque , tenant
toujours au malheureux principe qui avoit causé tant de
maux à l'église de Bourges et à la France entière; enfin ,
d'avoir livré à une soldatesque effrénée , sous la conduite
de Robert son frère , la maison épiscopale de Châlons
et les biens dépendans de cette église. Nous reviendrons
sur ce dernier reproche.
Malgré la véhémence de ces représentations , dont
tout autre auroit pu s'offenser , le roi ne dédaigna pas
d'entrer en explication avec S. Bernard. Il lui exposa les
nouveaux griefs qu'il avoit contre le comte de Cham-
pagne. Nous n'avons pas sa lettre ; mais on voit en quoi
consistoient ces griefs , par la réponse qu'y fit l'abbé
de Clairvaux. Pour la faire plus librement , il l'adressa
aux principaux conseillers du roi , Joslin évéque de
J90 MhMOIRES DE L'ACADEMIE
Soissons , et Suger abbé de S. Denis , qui , avec l'cvcque
d'Aiixerre et S. BernarJ , avoieiiL c'ic les nicdiateurs de
la paix entre le roi et le comte. Nous n'avons vu jus-
qu'ici que des déclamations vagues de la part de S. Ber-
nard : c'est iflaintenant qu'il entre dans le fond de l'affaire.
Ben.tp. 222. Le premier grief étoit que, contre la foi du traité, les
évt-quesquiavoient prononcé la nullité du premier mariage
du comte de N'ermandois, n'avoient pas été rétablis dans
leurs fonctions, et que les domaines du roi étoient tou-
jours sous l'interdit : AJ/iuc suspcnsï iiuiiiciit episcopi nostri :
adhuc terra riostra interdictti est. Pour juger jusqu'à quel
point le roi étoit fondé à se plaindre qu'on eût manqué
aux articles convenus, il faudroit voir le traité ; mais c'est
encore une pièce qu'on a soustraite à notre instruction.
Les plaintes du roi semblent prouver qu'on étoit con-
venu que les évcques seroient rétablis dans leurs fonc-
tions en même temps qu'on leveroii l'excommunication
lancée contre le comte de Vermandcjis. Mais, dans la ré-
solution où l'on étoit de renouveler cette excommunica-
tion , on ne voulut pas absoudre les évccpies, contre les-
quels on n'auroit pu sévir sans un nouveau délit. Que
répond à cela S. Bernard ? H prétend que le comte de
Champagne n'avoit rien promis touchant les ecclésias-
tiques, et que cela ne le regardoit pas : Quasi rcro cujus-
(juam ccclesiastià absolutio intcrJnti ad coinitem TlicobalJuin
pcrtincal, aut hoc ipse aii<]UO modo pepi^erit se fa i tu ru m.
Mais , disoit le roi , il s'étoit engagé à obtenir l'abso-
lution du comte Raoul de Vermandois , et cependant le
comte Raoul a été remis sous les liens de l'excommunica-
lioii : fllusus est cornes Radulfus , et iterum religatus est. Q^u'est-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 591
ce que cela fait au comte Thibaud ! repond S. Bernard.
II avoit promis de faire absoudre le comte Raoul : il l'a
fait, il a rempli sa promesse; le reste ne le regarde pas.
Tant pis pour le comte Raoul , s'il a été déjoué et pris
dans son astuce. Il appelle astuce le crédit qu'avoit eu
ce favori du roi, de faire rompre son premier mariage,
et de forcer, en quelque façon, le comte de Champagne
à approuver le second. Il n'y avoit pas là d'astuce; tout
cela avoit été fait sans déguisement et à force ouverte.
L'astuce étoit dans le conseil du comte de Champagne, qui
s'étoit concerté de manière que l'absolution accordée au
comte de Vermandois n'étoit qu'un jeu, une pure illusion,
comme cela est prouvé par la lettre 217 de S. Bernard ,
dans laquelle il dit au pape Innocent qu'il ne risque rien
d'accorder l'absolution au comte, parce qu'il sera toujours
en son pouvoir de le remettre sous les liens de l'excom-
munication : Dicehûrit mimque id a vohis facile et ahsque
lasione ecclesia impetrari , dum in manu vestra sit eamdem
denuo sententiam qu/2 juste data fuit, incontinenti statuere et
irretractabiliter confrmare-, quatenus et ars artc dehidatur , et
pax proinde ohtincatur, et qui ghriatur in nuilitia et potcns est
in iniquitûte , nihil inde lucretur.
Prévoyant bien qu'on ne se contenteroit pas de ces
raisons, l'abbé de Clairvaux , dans la même lettre, se jette
aussitôt sur d'autres considérations. Le roi , selon lui , avoit
manqué à son honneur en attaquant son vassal , sans l'avoir
défié, sans l'avoir admonété ou mis à la raison. Il a\oit,
dit-il, envoyé son frère le comte de Dreux en Champagne,
en passant par Châlons, contre la clause expresse du traité
qui concernoit cette ville. Qiielle étoit cette clause! On
jpi MEMOIRES DE L'ACADEMIE
n'en sait rien ; et vraisemblablement on ne le saura jamais,
puisque le traite est perdu.
Le roi se piaignoit encore Je ce que le comte de Cham-
pagne cherchoit à mettre dans son parti les comtes de
Flandre et de Soissons , parce que ce dernier devoit épouser
une des filles de Thibaud , et Henri , fils de Thibaud ,
vite fille du comte de Flandre. Sans nier le fait , l'abbc de
Clairvaux prétend qu'en cela on ne faisoit rien de contraire
à la fidélité due au roi, parce que ces Jeux comtes étoient
ses amis , et non ses ennemis, sur-tout le comte de Flandre,
qui étoit son cousin, et que le roi appeloit le soutien de
la royauté, bûculus reg/ii. Il n'y avoit donc pas de félonie
à s'unir par des mariages à des vassaux connus par leur
fidélité au roi : à le bien prendre, il devoit en résulter
un grand bien pour la paix et la sûreté du royaume.
L'abbé de Clairvaux ne répondoit pas moins pertinem-
ment à une autre inculpation qui lui étoit personnelle.
Le roi l'accusoit d'avoir travaillé, à l'instigation du comte
Je Champagne, à lui débaucher le comte de Vermandois,
promettant à celui-ci de se charger J une très-grande partie
Je ses péchés , s'il vouloit se liguer avec le comte de Cham-
pagne contre le roi. Le saint abbé se récrie beaucoup contre
cette accusation; il défie qui que ce soit d'en administrer
la preuve; et, usant de récrimination contre le roi, il
prétend que le roi avoit contrevenu au traité, en attirant
auprès de lui le comte Raoul, communicpiant ainsi avec
un adultère excommunié par le pape.
Le roi soutenoit encore que ce n'étoit pas lui qui avoit
recommencé la guerre ; que c'étoit le comte de Champagne,
sans doute parce qu'il n'avoit pas empêché le second
anailicme
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 593
anathème prononcé contre le comte de Vermandois : car
d'ailleurs , dit S. Bernard , ii se conduisoit envers le r©i en
sujet soumis, prêt à lui rendre service et à lui obéir comme
à^son seigneur , ne demandant autre chose que ia paix ;
et ne travaillant qu'à se concilier les bonnes grâces de son
suzerain. « Mais, ajoutoit-il, supposons que le roi ait à
» se plaindre de l'infraction du traité: n'est-on pas convenu
» que, le cas arrivant, on s'en rapporteroità vous et à moi,
» qui fûmes les médiateurs de la paix , avant qu'on se per-
» mît aucune hostilité! Cette clause, le comte de Cham-
» pagne la réclame , et le roi ne veut pas s'y tenir.
" Enfin supposons, disoit-il , que tout le tort soit du
» côté du comte : pourquoi envelopper les églises dans
" sa punition ? Quel mal ont fait au roi les églises de
"Bourges, de Châlons , de Reims, de Paris, pour qu'il
» soit autorisé à dévaster leurs terres ou à les priver de
" pasteurs , défendant aux unes de faire sacrer les évêques
» élus, et aux autres, ce qui est inoui , de procéder à au-
» cune élection , afin d'avoir le temps de coiisumer tout
» ce qui leur appartient , de piller la substance des pauvres,
» et de porter par-tout la désolation! "
Apostrophant ensuite l'évéque de Soissons et l'abbé
Suger : « Est-ce vous , ajoutoit-il, qui conseillez au roi
» de pareilles choses! Il seroit étonnant qu'on les fît sans
» vous consulter, et plus étonnant encore que ce fût par
» votre avis. Donner de tels conseils, c'est manifestement
» ourdir le schisme, résister à Dieu, et mettre l'église en
» servitude. S'il reste dans la maison du Seigneur quel-
» qu'un qui lui soit fidèle, s'il y a un véritable enfant de
'> l'église, il tiendra ferme tant qu'il pourra. Et vous, si
Tome VI- F*
5 94 ME.MOIRLS DE L'AC\\DEMIE
'> vous ilesirez sinccrement la paix de l'cgiise, comme cela
>• convient à des eiifans de la paix , comment ne trem-
» hiez-yoïis pas de manier des affaires de cette nature, ou
» mcme d'autoriser par votre présence des dclibcrations
" aussi funestes! car enfin le mal que fait un jeune roi ,
'> ce n'est pas à lui qu'il faut limputer, mais à ses vieux
" ministres. <•
hem. tp. .'.7. Cette longue lettre valut à l'abhc' de Clairvaux la mor-
lification d'ctre appelé un blasphémateur par l'évoque de
Soissons , dans une lettre que nous n'avons pas : effec-
tivement on pouvoit bien , en usant de ses termes, appeler
suggestion diabolique le motif qu'il altribuoit au roi de piller
et de dévaster les églises, tandis qu'il ne faisoii tjue dé-
fendre et maintenir les droits de la couronne. Cela ne
l'empccha pas d'écrire à Rome, sur le même ton et avec
encore moins de ménagement, au cardinal Etienne, évtcjue
u. -./. de Pulestrine , Cistercien comme lui. •< Vous savez, dit-il,
" avec quelle chaleur j'ai intercédé pour le roi auprès tlu
" pape, et tout le bien que j'ai dit de lui, parce qu'il
• faisoit alors de belles promesses. Maintenant qu'il nous
•» rend le mal pour le bien, je suis forcé d'écrire tout le
" contraire. J ai honte de mon erreur et d'avoir conçu de
•' lui de fausses espérances; je suis bien aise de n'avoir pas
" été exaucé, lorsque j'avois la simplicité de m'intéresser
» pour lui. Je crovois bien faire d'avoir quelque coiules-
'• tendance pour un roi qui sembloit désirer la paix ; et
» il se trouve que j'ai favorisé le plus grand ennemi de
•• l'église. On foule aux pieds , chez nous , les choses
•» saintes; l'église est réduite à ime honteuse servitude;
>» on empêche de pourvoir par des élections aux évêchés
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 595
» vacans; et si le clergé ose quelquefois élire un évéque,
» on ne permet pas à celui-ci d'entrer en fonction. Enfin
» l'église de Paris est dans le deuil et sans pasteur, et
» personne n'ose parler d'y en mettre un autre. On ne se
» contente pas de dépouiller les maisons épiscopales des
» biens que l'on y trouve, on porte des mains sacrilèges
» sur les terres et sur les colons qui en dépendent ; on
» s'empare des revenus de toute l'année. L'église de Châ-
» ions, dans laquelle vous avez pris naissance, a fait élec-
» tion d'un évéque ; mais la personne élue est depuis
»' long-temps frustrée de sa dignité : c'est le comte Robert,
» frère du roi , qui tient sa place , exerçant sa puissance
» sur les biens de cette église, et, pour s'acquitter digne-
» ment de sa commission, offrant tous les jours, non pas
» des victimes pacifiques , mais les cris des pauvres , les
" larmes des veuves et des orphelins , les gémissemens des
» prisonniers , le sang des hommes qu'on fait mourir.
» Trouvant le théâtre trop étroit, il exerce encore ses
» cruautés sur les églises de Reims , dont il ravage par le
» fer les terres fertiles et les villages populeux , qu'il a
» presque réduits en solitudes. C'est ainsi , ajoute-t-il , que
" le l'oi répare le serment, digne d'Hérode, qu'il a fait
» contre l'église de Bourges ". Sic rex cmeiidat quod in eccle-
siam Bituriccnsem Herodiano jurameiito commisit.
On conviendra qu'il y a bien de l'exagération dans ce
tableau, ou plutôt dans cette déclamation, si l'on fait
attention que l'on contestoit au roi un droit qu'il croyoit
incontestable, celui de confirmer ou de rejeter les élections
faites par le clergé. Il étoit donc naturel qu'il ne permît
ni d'élire ni d'introniser des évêques , jusqu'à ce que la
F+ ij
!itrn. rp. jjj.
jptf MEMOIRES DE L'ACADEMIE
contestation fût «JcciJce ; et comme, en attendant, \cl rc-
gii/e ctoit ouverte, c'ctoit au rcii à prendre en main l'ad-
ministration des biens et à en percevoir les revenus. C'est
une pure malignité de dire, ccMnme fait ailleurs S.Bernard,
que le roi ne laissoit les évèchcs vacans (jiie pour a\oir le
temps de ruiner le temporel des églises.
L'interprctaiion qu'il donne ensuite aux démarches du
roi pour empêcher les mariages que le comte de Cham-
pagne vouloit contracter, soit avec le comte de Soissons ,
soit avec celui de Flandre , pour l'avancement de ses en-
fans , renferme encore plus de malignité. La politique de
Louis-le-Jeune étoit assez éclairée pour voir qu'il étoit
de l'intérêt de l'État d'empêcher que la maison de Cham-
pagne , déjà trop puissante , ne prit des agrandisse-
mens(i): cependant, méconnoissant un motif si légitime,
et toujours en opposition avec les vues du gouvernement,
S. Bernard attribue au roi la crainte ridicule de voir l'union
ft la bonne amitié régner entre ses vassaux. Suspecta est
un dilatatio ciirittitis; iiec se puUit regeiu , si se jmaveririi prin-
cipes. Conjiciat prudeiitia vcstrci ijuid tinimt ergci subditos gerat ,
,jui lie odio dttjuediscordiu, si fuerit intcr suos , se astimat for-
liorem. Vidcdt et perpciiddt si est hic hoiiioxà Dca. fjui in
suoruni nuigis mutua simultdtc (juùni cari ta te confidit. Ce (jui
prouve (pie le roi agissoit par des motifs plus louables, et
(i) Si Henri , fils aîné du comte de
Chanip.igne, eui épous<- .ilors l'ainiV
des filles du comte de Flandre, le
comté de Flandre seroit tombé, cin-
qu.inte ans après, dans l.i maison de
Cli.impac"c, comme il passa dans
iclUde Hainaut par le mariage d'une
autre fille du comte Thierri d'Alsace.
Louis-le-Jeune fit plus sagement
de faire épouser à Henri de Cham-
pagne une de ses filles, qui, dans
aucun cas, ne poiivoit contribuer à
l'agrandissement de cette maison.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 597
qu'il n'ctoit pas mal fondé dans son opposition , c'est que
les mariages n'eurent pas lieu,
La lettre de S. Bernard chargeoit encore le roi d'autres
reproches, sur-tout d'avoir manqué au traité en rappelant
à la cour le comte de Vermandois, adultère excommunié ,
et de se 'servir de lui , ainsi que de beaucoup d'autres excom-
muniés, parjures, incendiaires, homicides, pour faire,
disoit-il, la guerre à l'église, tandis que le comte de Cham-
pagne en étoit, sans contredit, le plus zélé défenseur. Ce
sont là des récriminations auxquelles je ne m'arrêterai pas.
Mais, comme on étoit fondé à réclamer de la part du comte
de Champagne une clause du traité de paix qui portoit
que, s'il survenoit entre le roi et le comte quelque sujet
de plainte, on s'en rapporteroit au jugement des mêmes
personnes qui avoient négocié le traité , le roi consentit
à avoir une conféreiice à Corbeil avec l'évéque d'Auxerre
et S. Bernard, en présence de l'évéque de Soissons et de
l'abbé Suger,
Dans cette conférence, l'abbé de Clairvaux, dès les
premiers mots , choqua inconsidérément le roi , qui se retira
brusquement pour ne pas l'entendre. C'est le saint homme
qui nous l'apprend lui-même, dans une lettre qu'il écrivit
au roi , afin de renouer la négociation. « Après tant de Beyn.ep.^^ô.
» mouvemens que nous nous sommes donnés , dit-il , afin
» de vous procurer une paix solide , il est triste pour nous
» de n'avoir retiré de toutes nos démarches presque aucun
« fruit. Les peuples ruinés ne cessent de crier après nous,
» parce que le pays est dans la désolation. Voulez-vous
» savoir quel pays! c'est le vôtre, sire, et non celui d'im
V autre. Ceux que la guerre que vous faites , écrase ,
J98 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
" appauvrit, met en captivité, sont tous vos sujets, soit
» qu'ils combattent pour vous, ou qu'ils portent les armes
» contre vous ; et il est vrai de dire qu'un royaume en
" proie à des divisions intestines tombera en ruine. Nous
» pensions que, touche de Dieu et cclairt sur vos vrais
" intérêts, vous étiez revenu de votre erreur, et que vous
" desiriez sortir du mauvais pas dans lequel vous avoient
>• jeté ceux qui trouvent leur avantage dans le trouble et
» la division. Nous avons été bien détrompés par ce qui
" s'est passé dernièrement au colloque de Corbeil. Sire,
» permettez-moi de vous dire que vous avez eu tort de
" nous quitter sans vouloir iious entendre. Si nous eussiez
» daigné écouter jusqu'à la fin le discours cpii vous a
» choqué, peut-être seriez-vous convenu qu'il n'y avoit
•> rien d'indécent ou de trop onéreux dans les propositions
» qu'on vous faisoit , vu I état où sont les choses. Mais
» non : effarouché sans raison , vous nous avez laissés dans
» le trouble et la confijsion , ne sachant plus que faire pour
" vous procurer le bien auquel nous travaillons plus sin-
» cèrement (jne ces esprits turbulens et superficiels, (jui ,
.. appelant ww/ ce qui est un bien , et ^/>/; ce qui est un mal,
" vous trompent et vous égarent. Quanta nous, persuadés
>> que les maux qu'on a déjà éprouvés ont fait impression
>• sur votre coeur , nous ne désespérons pas , quoiqu un
•• peu découragés, de vous voir revenir à des sentimens
•' plus traitables , et terminer une négociation que vous
'• avez eu le bon esprit d'entamer. C'est pour sonder là-
>• dessus vosdispositions, que je vous envoie le frère André
" de Baudement, qui m'apportera votre réponse. Au reste,
» si vous persistez à ne vouloir écouter aucun bon conseil,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 599
» on ne pourra pas me reprocher le mai qui vous arrivera
» immanquablement, et Dieu ne permettra pas que son
» église soit avilie et vexée , soit par vous , soit par ceux
>» qui combattent sous vos enseignes. »
La négociation en étoit à ce point, lorsque le pape
Innocent mourut, le 24 septembre 1 143 î ^t sa mort fut
un obstacle de moins pour parvenir à une entière pacifica-
tion. Des ambassadeurs furent envoyés par ie roi à son
successeur, Célestin II , qui, au rapport de l'anonyme de ,^^'"'/f/'^^'^''
Morigni, accorda sans difficulté la levée de l'interdit sous ir-mc p. ^Sy.
lequel la France gémissoit depuis trois ans. S. Bernard
lui écrivit aussi de son côté, pour demander, au nom Bem. q>. ^iS.
du comte de Champagne, une paix solide après laquelle
tout le monde soupiroit. Elle fut faite : mais sur quelles
bases fut-elle assise! C'est ce qu'aucun écrivain ne nous
apprend. A en juger par ie cours que reprirent les choses,
il paroît que le roi permit que Pierre de la Châtre en-
trât en possession de son église ; et ce qui prouve que le
roi n'avoit aucune animosité personnelle, et qu'en le reje-
tant il ne vouloit que maintenir la prérogative du trône,
c'est que, dans la suite, il fit de l'archevêque de Bourges
son meilleur ami. De son côté, le comte de Champagne
renonça sans doute à ses poursuites contre le mariage du
comte de Vermandois, qui , jusqu'à sa mort, conserva sa
nouvelle épouse. «
Qiiant à la question principale qu'avoit élevée le pape
Innocent II , le roi resta en possession de confirmer les
élections aux évêchés et aux abbayes. Cela est prouvé
par un grand nombre de lettres adressées à l'abbé Suger,
pendant qu'il étoit régent du royaume.
6oo .Ml .MOIRES DL L'ACADi..MIE
Suftr!! rp. 4j. \ ." Lcglisc d'Autiin, ayant élu, l'an w^" , un c\cque
en la personne Je Henri de Bourgogne, ccrivoit au rcgent:
ObsccriWius itci(]ue excellcntuim vcstnmi , ■ tjiintcims huic clcc-
tioiii /lostra assensum vestrum prahcatis , et lilicns vestns pcr-
soiuim clecti domino pnpa cotumeudctis.
Sugnii (p. }, 2.° Les religieux de Bourgueil avoient clu un abbé,
sans avoir demandé la permission au roi. Ulger, évéque
d'Angers, dans une lettre à l'abbé Suger, expose les motifs
qui ont déterminé les religieux à iiâter l'élection, et prie
le régent d'approuver ce qui avoit été fait. Suger accorde
la demande, sauf le droit du roi, sur lequel les religieux
seront tenus de répondre à la cour du roi, lorsqu'il sera
de retour , ou à lui-même, s'il juge à propos de les mettre
en jugement : Election} eoriim assensuw ,saho regnijurc, tdlitcr
(icciivius , ut si qnid iude contra regia vuyestûtis dignitatcm
luiniis benè fdctum fuit, domino régi, t]u<indo , Deo volente ,
redicrit , sicut modo si adesset , si ci pLicucrit , judicio curia
sua respondeant , vcl nobis , (jui loco ejus providcmus , si iude
ûgere volucrimus.
lJ.t;,i),j}. j.o Lç5 religieux de Sainl-Riquier . dans le Ponthieu ,
avoient choisi un abbé qu'ils disoient canoniquement élu.
L'évc^que d'Amiens avertit l'abbé Suger que cet homme
ne convenoit point au poste qu'on lui destinoit. Cette
élection fut rejetée, et il fallut que les suffrages se por-
tassent sur un autre sujet.
U //. 4.' Le chapitre de l'église de Noyon , ayant élu un
évcque pour remplacer Simon , décédé pendant le voyage
de la Terre-sainte, supplie le régent d'approuver le choix
qu'il venoitde faire. Nous n'avons pas la réponse du régent;
mais la lettre du chapitre suffit pour établir la thèse que
}4,)S
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 60 1
nous vouions prouver , que le consentement du roi étoit
indispensable.
5." A Chartres, après l'élection de l'évêque Gosiin , u.i/,,iç,2o.
le chapitre demanda au régent d'y donner son consente-
ment , et de rendre à 1 evêque élu les régales qu'il avoit
mises sous la main du roi, Suger accorde la première de-
mande. Quant aux régales, il explique quels sont les
usages du royaume sur cette matière. Il faut, dit-il, que
l'évèque soit auparavant consacré, et qu'il se présente en-
suite au palais du roi pour faire le serment de fidélité. De
regalibus verà, sicut in curia dominorum regum Francoruni nios
antiquus fuisse dignoscitur , cîim episcopus consecratus et in
paJatium ex more canonico fuerit introductiis , tune et reddeiitiir
omnia. Hic est enitn redditionis ordo , ut , sicut diximus , in pa-
latio statu tus régi et regno fdelitatem faciat , et sic demùm
regalia recipiat.
Enfin, trois ans après la mort du pape Innocent, Eu- SpkH. m-fii.
^ prit sur lui de consacrer un eveque pour i église
de Tournai, qui, depuis cinq cents ans, étoit gouvernée
par l'évéque de Noyon , sans avoir consulté ni le roi , ni
le comte de Flandre: mais, prévoyant bien que cette affaire
éprouveroit de leur part quelque contradiction , comme
elle en avoit éprouvé, sous le pape Paschal II, de la part
de Louis-le-Gros, et, plus récemment, pendant le ponti-
ficat d'Innocent II, il eut la précaution d'écrire aux parties
intéressées, pour les instruire des motifs qui l'àvoient fait
agir, des avantages qui dévoient en résulter pour les peuples
de ces contrées, trop éloignés de leur pasteur, et les prier
en même temps de trouver bon ce qui avoit été fait. C'étoit
reconnoître en principe que le consentement du roi et
Tome VI, G^
6oz .MKMOIIIF^ DE L'ACADKMIE
du souverain du pays auroit dû être requis prcalablement.
Aussi le nouvel cNcque u't'prouva-t-il aucune opposition
Je la part de ces princes , ni de la part de IVvèque de
Noyon.
Ainsi luiit celte contestation , dans laquelle S. Bernard,
imhii , comme tant d'autres de ses contemporains , des
nouvelles maximes ultramontaines, iit preuve d'éloquence,
mais non il'une grande connoissance des droits politiques
des souverains , qui tous , à cette époque , étoient aux
prises avec la cour de Rome pour le maintien de leurs
prérogatives.
.»■ ■ iTTc
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 603
MÉMOIRE
SUR
LE PROCÈS DE GUICHARD,
ÉVÉQ.UE DE TROYES,
EN 1304 ET ANNÉES SUIVANTES.
Par m. le comte BOISSY D'ANGLAS.
J'aime à me livrer à l'examen des anciennes causes ce- Lu k 9 Mai
181 '^.
lèbres , moins encore pour l'intérêt qu'excitent souvent
les personnes qui y sont impliquées, ou pour les grandes
questions de jurisprudence et de morale qui y sont trai-
tées quelquefois avec étendue , que parce qu'elles font
connoître les mœurs , les usages et les préjugés des
contemporains, et qu'elles indiquent ainsi, d'une manière
assez exacte, la situation de l'esprit humain à l'époque
de leur discussion.
L'un des procès les plus remarquables , parini ceux
dont oh peut puiser la cojinoissance dans les anciens
documens de notre histoire, est celui de Guichard, évéque
de Troyes, qui vivoit sous le règne de Phiiippe-le-Bel ,
pendant les fameuses querelles de ce prince et du pape
Boniface VIII; querelles où , comme l'on sait, il ne s'a-
gissoit de rien moins, dans les prétentions du pape, que
G4ij
6o4 MEMOIRES DE L'AC.^DE.MIE
dctablir, en fait et en principe, la suprématie du saint-
bicge sur lautoritc souveraine des rois ( i ) , et où les
foudres du N'atican, les interdits, les excommunications,
t-n un mot tout ce que le fanatisme ambitieux pouvoit
imaginer de moyens iiostiles, lurent employés pour asser-
vir les trônes, à la chaire apostolique, et combattre un
prince qui, quoique répréliensible sous beaucoup de rap-
ports, mérite pourtant quelque estime pour avoir senti
ce cju'il devoit à la dignité de sa couronne et à l'indépen-
dance de ses successeurs.
Le procès de Guichard est contemporain de celui bien
plus curieux sans doute des Templiers, qui a été l'objet
de tant de recherches et le sujet de tant d'incertitudes,
sur lequel la flatterie et l'esprit de parti ont jeté si long-
'■ temps d'épaisses ténèbres, et où la postérité, long-temps
indécise entre la foiblesse des premiers aveux arrachés
par la crainte des tortures et le contraste des dénégations
postérieures, supérieures à la certitude de la mort, atten-
doit, peut-être pour se décider, que les émotions les plus
Tragidu dii douces, excitées au théâtre par le génie, vinssent jeter un
M^éjiSrl nouvel intérêt sur une cause presque oubliée.
Le procès de Guichard semble avoir eu beaucoup de
ressemblance avec celui des Templiers , tant dans sa
marche et dans ses formes , (jue dans son objet , si ce
(i) Ces qucrillcs na(juircnt à l'oc-
caiion de IVvéque de Paniiers, qui
avoit excité ses diocésains à se révol-
ter contre le roi. Philippe le fit. irrètcr
et voulut le Tiire punir; mais le pape
prit sa défense, et adressa au roi une
bulle où l'on trouve ces paroles :
« Ne voui laissez pas persuader que
» vous n'.nyc/ point de supérieur, ni
M que vous ne soyez pas soumis au
» chef de la hiérarchie ccclésias-
>• tique, &c. » Ce fut là le commen-
cement. D'autres allégations plus
fortes suivirent. On peut lire le dé-
tail de cette atfaire dans Dupuy,
Baillet, Fleurv, &c.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 60 j
n'est qu'il ne tut dirige que contre un seul homme, tandis
que celui des Templiers le fut contre une collection d'in-
dividus , et attaqua des institutions , au lieu de ne pour-
suivre que des faits particuliers. L'évèque de Troyes pa-
roît avoir eu les mêmes ennemis que les chevaliers du
Temple. Son dénonciateur fut aussi le leur. Ce fut cet
infâme Noffé-dey , Florentin, qui, après avoir dénoncé FUurjy, Hht.
,.„ . . eCi'liS,
les Templiers pour des crimes auxquels il avouoit avoir Trmr .ûs
pris part pendant qu'il étoit parmi eux, et avant qu'il ' """■
fût chassé de leur ordre, dénonça aussi Guichard, fut
chargé de diriger l'information ordonnée contre lui et Tnsor da
,^ ,, I . I ■ I • • • chartes.
sur laquelle on devoit le juger, devint ainsi accusateur et
juge , et , ayant été par la suite condamné à la mort pour
d'autres crimes, déclara, sur le point d'expirer, non pas /r/f„y,_ /y/„
l'innocence des Templiers , ce qu'on ne lui eût peut-être '^" ''' '^''»"
pas permis de faire, mais^ celle de l'évèque Guichard, J^j'''^^,^"''^'
victime inoins importante de son odieuse scélératesse. losamrum.p.^ù.
Comme dans le procès des Templiers , où des inquisi-
teurs nommés par le roi furent chargés de recueillir les Tràar^ des
témoignages et les preuves qui pouvoient se trouver contre """■"■'■
Guichard, des commissaires nommés par le pape conti-
nuèrent les informations, et la discussion en fut faite
publiquement , devant une assemblée nombreuse tenue
à Paris, dans l'enceinte du palais, où tout le peuple fut ^
appelé.
On articula contre lui , ainsi que contre les Templiers, y^,^;
des accusations de magie et d'impiété , et d'autres qui ten-
doient à établir l'excessive dépravation de ses mœurs.
Enfin , si l'on a paru croire que la part que prirent les ul.
Templiers aux révoltes qu'excita contre Philippe l'altéra-
6o6 MÉMOIRES DE L'AC.AJ^EMIE
tion qu'il fit des monnoies, put occasionner leur proscrip-
tion , on pourroit présumer aussi que Guichartl encourut
la haine Ju roi, en se prononçant ouvertement, comme
il le fit, pour le pape, et en se rendant à Rome, ainsi
que plusieurs cvcques de France, pour assistera un con-
cile convoque par Boniface , et dans lequel on dcvoit con-
damner Pliiiippo.
Les accusations dirigées contre lui pendant les dix
années que dura son procès, furent nombreuses, mais
incertaines et d'abord vagues. Elles portoient sur une
foule de crimes dont les cnonciations se succcdoient à
mesure que les informations avoient lieu. On voit évi-
demment , par la marche de la procédure , qu'il s'agissoit
moins, dans cette occasion, de vaincre ou de réprimer des
attentats , que de faire condamner un homme.
Sa première accusatrice fut^Blanche , mère de la reine
épouse du roi, et comtesse de Champagne en même temps
que reine de Navarre. Elle l'accusa d'avoir e.xcité contre
elle une sédition à Provins, pour se venger de ce qu'elle
l'avoit fait chasser du conseil du roi ; elle lui reprocha
ensuite d'avoir, pour une somme d'argent, fait mettre en
liberté Jean de Calés , trésorier du comté de Champagne,
emprisonné pour ses déprédations; et ce qu'il y a d'étrange,
c'est que celui-ci affirma la vérité de ce fait. Il est vrai,
ce qui ne l'est pas moins, que cet individu , près ile mou-
rir de maladie à Viterbe, où il s'étoit retiré, écrivit,
lamdc,;.:, pouf la décharge de sa conscience , au roi et à la reine
;. vXlwf JeaniK^ , son épouse , que cette déposition étoit fausse ,
qu'il ne l'avoit faite qu'à l'instigation de Nolfé-dey, Flo-
rejitin, et de l'archidiacre de N'cndome, clerc de la reine
DES INSCRIPTIO?>IS ET BELLES-LETTRES. 607
épouse du roi , lesquels lui avoient tlit , entre autres choses^
qu'il feroit plaisir à la reine Blanche en déposant de cette
manière, et qu'il en obiiendroit son pardon pour les torts
qu'il avoit à se reprocher envers elle.
Une première enquête fut faite sur ces deux accusa-
tions de la reine. Elle le fut par Nofic-dey , le grand
promoteur de ce procès; mais on ne voit pas en vertu de
quels pouvoirs il procéda dans cette première informa-
tion conservée au dépôt des chartes , ainsi que les lettres
de Jean de Calés, dont j'ai parlé tout-à-l'heure, et les
autres pièces manuscrites dont je ferai mention par la
suite. Plusieurs témoins déposèrent contre Guichard; mais
aucun ne parle , ni de l'élargissement de Calès , ni de la
sédition de Provins. Tous énoncent des reproches vagues
et nouveaux. Le premier témoin dit que Guichard est un
usurier , et qu'il a fait assassiner un prêtre. Le quatrième
dit la même chose , et rien de plus. Le septième dit qu'il
est un faussaire et un faux-monnoyeur , et ne donne
aucune explication; le dix-neuvième, qu'il a fait mourir
plusieurs personnes, et il n'en désigne aucune. Le ving-
tième reproduit le reproche d'usure déjà fait par d'autres
témoins, et ajoute, sur le fait de faux monnoyage , qu'il
est l'agent d'une compagnie qui a eu jusqu'à six mille
livres cpurantes en monnoie de bas aloi. Trois autres té-
moins déposent qu'il a fait mourir en prison deux per-
sonnes d'une inanière fort cruelle , et qu'ils savent par
ouï-dire qu'il faisoit de l'argent par alchimie.
Il ne paroît pas que ces allégations non spécifiées, et
que des tribunaux tant soit peu raisonnables se seroient
bien gardés d'accueillir , aient provoqué contre Guichard
ihariet
60?, .MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
aucune disposition juridique. Il se pourroit nitme que
cette première information faite par le seul Noilc-dey,
et qui ne paroît pas avoir eu aucun caractère ofliciel, ne
fut qu'une suite de renseignemens recueillis par l'accu-
sateur pour servir tie motif aux poursuites que ion pro-
posoit contre l'accuse. Il est seulement à remarquer qu'il
résulte d'une note écrite sur cette pièce manuscrite, qu'elle
dut être communiquée à Jean ou Guillaume de Nogaret:
or on sait avec quelle violence le même Nogaret se con-
duisit envers Boniface Vlll , et quelle fut la part qu'il prit
à la proscription des Templiers ; et l'on peut supposer
de plus en plus, d'après cela, que ces diverses affaires
n'étoient pas sans liaison entre elles.
Mais il s'en faut bien qu'on se soit contenté de cette in-
signifiante information : de nouvelles accusations mieux-
articulées et plus dangereuses vinrent bientôt lui succéder.
La reine Blanche de Navarre, et sa fille Jeanne, reine
de France, moururent vers le même temps, la dernière
dans sa trente-troisième année. On accusa l'évêque Gui-
chard , dont elles s'étoient montrées les ennemies, d'être
la cause de leur mort. On y Joignit renonciation de plu-
sieurs autres crimes, et l'on obtint du pape Clément V,
qui se trouvoit alors à Poitiers, la nomination d'ime com-
mission ecclésiastique pour en vérifier la réalité.
Trtitr .iî-f La bulle qui l'établit porte textuellement que, « d'après
>' les plaintes qui lui ont été portées contre lui" ( la bulle
ne dit pas par qui) , «< l'archevêque de Sens et les évêques
• d'Orléans et d'Auxerre feront le procès à l'évêque de
" Troves, le feront prendre, informeront contre lui pour
» sortilèges et empoisonnement de la reine Jeanne, et
3> pour
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. (Î09
» pour avoir tâche d'empoisonner Charles comte d'An-
»> jou et le roi de Navarre , et qu'ils enverront au pape
» les procédures qu'ils auront faites. »
Cette huile, donnée à Poitiers, ûnno tertio poiitlfcûli ,
est par conséquent de l'an de grâce 1207 ou 1208, c'est-
à-dire, du temps où l'on procédoit contre les Templiers,
tant à Paris qu'à Poitiers , et d'environ quatre ans moins
ancienne que les premières accusations portées contre
Guichard par la reine Blanche.
En exécution de cet acte de l'autorité pontificale , les
trois commissaires appelèrent de nomhreux témoins; mais
ils firent précéder leur information d'une sorte d'acte énon-
ciatif des prétendus crimes de Guichard , sur lesquels les
instructions dévoient porter.
Dans cet acte, qui est transcrit au commencement de Tràor da
l'enquête à laquelle il sert de préambule, et sur lequel
sans doute on interrogea les témoins, il est exposé « que
» Guichard étoit sorcier; qu'il portoit une haine mortelle à
»» ia reine Jeanne de France et à sa mère , parce que c'étoit
» à leur poursuite qu'il avoit été chassé du conseil du
" roi; qu'il s'étoit vanté qu'il les feroit mourir; qu'il s'étoit
» accosté d'une femme inspiritee ( i ) qui se disoit sor-
» cière (2) ; qu'il l'avoit consultée sur la façon de fiiire
» mourir la reine Jeanne; qu'il avoit recherché un moine
» jacobin nommé Je^m de Fayac , pour s'en aider dans le
» même objet ; qu'il avoit fait venir le diable ; que le
» diable, interrogé par lui dans les formes de la sorcellerie.
cluirtci.
n'avoit pas besoin de consulter une
sorcière.
(1) Je ne sais ce que signifie le
mot Ôl inspiritee.
(2) Si Guichard étoit sorcier , il
Tome VI. H*
6io MEMOIRES DE L'ACADEMIE
>' lui avoit icpondii <]u'ilfdlloit faire \xx\ç image de cireres-
» semblant à la reine, la baptiser, lui donner le nom de
'» cette princesse, l'approcher du leu, la piquer avec une
<• aiguille aux parties nobles et à la tcte, et qu'alors la
'» reine commenceroit à se mal porter, mais qu'elle niour-
>• roit aussitôt que la cire seroit fondue; que, d'après ce
•• conseil du diable, il fit l'image et la baptisa, conjoin-
>» tcmcnt avec ce jacobin, dans l'ermitage de Saint-Flavi,
" où il s'ctoit retire pour cela ; qu'il v lit fondre l'image,
" et qu'aussitôt la reine mourut;
» Qu'il résolut d'empoisonner le roi de Navarre, et
» Charles , frcre du roi; et que, le poison étant préparé,
» il en fit l'épreuve sur Jean Romisant, chevalier, qui en
» mourut ;
• Qii'il avoit mandé à l'ermite dudit ermitage de ve-
" nir le trouver, et de lui apporter sa boite de poison ;
» mais que celui-ci ne le lit point, et alla se rélugier à
" Sens; enfin, que, lorsqu'il fut arrêté, il dit que c'étoit à
» cause de la mort de la reine. "
Sur cet exposé, plusieurs témoins furent entendus.
Le premier témoin lut l'ermite. Il dit <ju'il connoissoit
la sorcière dont il est parlé dans l'accusation ; qu'il avoit
prêché contre elle, en drsant que c'étoit un crime de la
croire; (]ue Guichard l'avoit prié de ne plus prêcher
ainsi ; (jue la sorcière lui avoit dit que l'évcque lui avoit
demandé les moyens de se faire aimer de la reine, et qu'elle
avoit répondu qu'elle n'y pouvoit rien. Il raconte avec
beaucoup de détails ce que l'évcque et les jacobins firent
dans son ermitage ; comment fut faite l'image de cire ,
et comment elle fut baptisée. L'évcque, dit-il, vouloit
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 61 1
qu'il en fût le parrain, et qu'il y eût une femme pour
marraine. Il ajoute que , quelque temps après le baptême
de l'image , l'cvêque revint la chercher dans l'ermitage ,
où il l'avoit laissée ; qu'alors il la mit près d'un grand feu,
comme pour la fondre ; qu'il la perça dans plusieurs en-
droits , en disant à voix basse quelques paroles , que lui
témoin n'a pu retenir ; qu'il la ploya dans un linge , et
la remit à la sorcière et au jacobin, en disant qu'il sen-
toit qu'il ne pouvoit rien faire ; qu'il y avoit un médecin
qui guérissoit tout; qu'il reprit ensuite l'image avec co-
lère, la mit en pièces, et la jeta au feu, et que ce fut
alors que la reine mourut;
Qii'une nuit, quelque temps après, l'évêque et le ja-
cobin revinrent encore , apportant une grande quantité
d'animaux venimeux, des aspics, des basilics , des serpens,
des crapauds, des lézards et autres, dont ils firent du poison
qu'ils emportèrent avec eux ; qu'au bout de quelques jours
l'évêque l'envoya chercher, lui ermite, et lui dit que
M. Charles devoit venir, et qu'il le falloit empoisonner,
ce que lui témoin refusa de faire ; qu'il sait que Romisant,
chevalier , a été tué par ce poison , en ayant pris par
mégarde. Il dit encore que l'évêque venoit souvent le voir
la nuit, et i'empêchoit de sortir; qu'une fois il l'enferma
dans sa chambre, et lui dit que le jeune roi venoit de
Navarre , et que jamais ni lui ni sa mère n'avoient rien
fait de bien, qu'il le falloit empoisonner, lui demandant
de l'y aider, ,ce que lui témoin refusa , et se hâta de sortir
de l'ermitage dès qu'il le put , pour se rendre à Sens , où
il révéla tout aux officiers du roi.
Le deuxième témoin est la sorcière. Elle dépose que
H4ij
^la MIl.MOIRES de LACADF.MIE
l'cvccjue lenvoya chercher, et lui demanda si elle pourroit
le taire aimer de la reine et avoir contentement avec
elle, et qu'elle déposante repondit que non ; qu'il lit alors
wn'iv le jacobin, et lui dit (ju'ellc ne savoit rien ; que
le jacobin lui repondit qu'il falloit lire le grimoire; que
révoque le prit et le lut, et qu'aussitôt il apparut un diable
auquel le jacobin parla d'une manière assez familière, et
lui demanda comment l'évcque pourroit avoir contente-
ment avec la reine, mais qu'elle n'entendit pas la ré-
ponse ; qu'elle sait bien qu'il y a des moyens de se faire
aimer il'une femme, et d'en user à sa volonté malgré
elle ; qu'elle connoît plusieurs de ces moyens qui sont
immanquables , mais quelle n'a pas voulu les dire à
i'év<}que.
Elle dépose comme l'ermite sur le fait de l'image de cire
qui fut baptisée du nom de Jetwnc , piquée par l'évcque
et par elle, et ensuite rompue et jetée au ieu.
Elle dit en finissant, sur la demande qui lui en fut
faite, qu'elle étoii de main morte et femme de corps,-
abonûta ad très dciuiiros.
Le troisième témoin, qui est une femme, ne parle que
de l'image de cire, et encore n'est-ce que par ouï-dire, i
. Le quatrième, appelé Pierre de Grosac . demeuroit avec'
l'ermite. Il dépose exactement comme lui, et déclare qu'il
a tout vu.
Trois autres témoins confirment quelques circonstances
du récit de l'ermite, et se taisent sur quelques autres.
Le huitième sait et dit seulement que Icvcque faisoit
de fréquens voyages à l'ermitage, pendant la nuit, avec le
jacobin ; mais il ajoute qu'ayant annoncé qu'il n'en diroit
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 613
pas davantage, il fut mis en prison , et livré à de cruelles
tortures par le bailli de Sens, pour le forcera donner plus
d'étendue à la déposition qu'on vient de rapporter.
Telle fut la première enquête faite par les commissaires
du pape. L'archevêque de Sens, étant malade, s'excusa de
prendre part à la suite de la procédure , et se retira. Les
deux évcques ses adjoints continuèrent seuls d'y vaquer,
et poursuivirent l'information , en la faisant porter sur
tous les faits que les témoins voulurent dire à l'encontre
de l'évêque Guichard.
Le premier témoin entendu dans cette suite d'infor-
mations dit que, pendant la durée du mariage de Guichard
père de févtque, et d'Agnès sa mère, celle-ci fut travaillée
d'un incube nommé Petiim; que ledit Guichard père n'appe-
ioit l'évêque que Petuin , à cause de cela , disant qu'il
n'étoit pas son fils, mais celui du diable, ce qui étoit vrai ;
qu'il n'étoit appelé par les moines chez lesquels il avoit
demeuré , que flius inciibi.
Le deuxième témoin l'accuse d'avoir tué le prieur de
Saint-Adolphe, pour avoir sa place.
Un autre dit qu'il est sorcier, reconnu pour tel par tout'
le monde;
Un autre, qu'il a commis plusieurs adultères;
Un autre, qu'il vivoit publiquement en état d'inceste
avec une nonnain, pour cacher la véritable dépravation
de ses moeurs ; qu'il a fait mourir plusieurs personnes
dénommées en les empoisonnant, ou en les faisant assassi-
ner par ses affidés.
Tren te témoins confirment cette déposition ; trente autres
affirment l'empoisonnement du prieur de Saint-Adolphe.
6i4 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Huit témoins, dont quatre «^f visu, déposent qu'il faisoit
souvent paroitrele diable en disant des paroles magiques,
et (|u'il lui commandoil alors ce (jii il vouioit.
Vingt-cinq témoins sont persuadés, comme ils l'ont
ouï dire généralement, qu'il avoit été engendré par le
diable.
Beaucoup disent qu'il est sorcier, faux-monnoyeur ,
simoniaquc, et articulent des faits qui le prouvent.
Fhibieurs déposent qu'il a machiné la mort de la reine
Blanche; d'autres, celle de la reine Jeanne sa fille; d'autres,
qu'il s est réjoui publiquement de la mort de cette dernière;
d'autres enfin , qu'il a dit souvent : Que les héritiers de France
m'attaijuent s'ils veulent; je ne les cruins pas : ils mourront
comme lu mère et Ui fille.
D'autres, en grand nombre, disent que 1 empoisonne-
ment de Blanche, ordonné par Guichard , lut e.xccuté par
un Anglais.
Un aumônier de ladite reine dit qu'il l'a vue mourir,
et qu'elle est morte du poison que lui a fiiit ilonner l'é-
vcque de Troyes; qu'elle en avoit déliance; cju'elle l'avoit
fait chasser du conseil du roi, et qu'elle avoit dit qu'il
quittât son évcché , ou qu'elle quitteroit son comté de
Champagne.
Un témoin déclare que Guichard a fait empoisonner
un messager que la reine Blanche envoyoit à Rome contre
lui.
Sur le fait de la mort de la reine de France, plusieurs
témoins disent qu'il en est l'auteur. Un d'entre eux ajoute
qu'ayant appris qu'elle étoit à l'extrémité, il en loua Dieu,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 615
disant qu'// ûuroit mieux aimé se faire juif que de renoncer
à se venger d'elle.
Un témoin dépose qu'il disoit que la reine de France
lui avoit fait tort de plus de quatre-vingt mille livres;
mais qu'il s'en étoit vengé, et se vengeroit sur bien d'autres.
Plusieurs témoins attestent qu'il afàh iiivultare regiiuim,
qiwd ex illa invultatioiie decesserat.
D'autres, en assez grand nombre, affirment que, de
concert avec Jean de Calés, il a fait des actes faux pour
tromper la reine Blanche; d'autres, qu'il a fait, conjoin-
tement avec lui , une grande quantité de fausse monnoie.
L'ouvrier qui a fait les instrumens de ce faux monnoyage
se trouve parmi ces témoins.
Plusieurs autres disent qu'il a ordonné prêtre un clerc
reconnu pour un bigame.
Suivant d'autres , simomacè beiiedixit alhatem de Nigellû.
Ils disent la somme qu'il a reçue ; c'étoit six cents livres.
Tel est le résumé des informations faites contre Guichard.
J'aurois pu l'abréger sans doute ; mais je n'aurois pu le
faire qu'en atténuant le véritable caractère de ce procès.
J'ai été forcé de me condamner à des répétitions , pour
mieux faire connoître l'esprit des témoins et celui des
accusateurs et des juges.
Le bailli de Sens, Guillaume d'Hangers , dont la dé-
position d'un témoin vous a déjà fait apprécier l'impar-
tialité, fit aussi des informations sur les faits imputés à
Guichard, au nom de l'autorité civile, et leur résultat fut
le même.
Guichard fut interrogé ensuite. D'abord il nia tout ce
dont on l'accusoit. On lui confronta les témoins qui le
6i6 MÉMOIRES DE LACADEMIE
charf'eoient le plus , et il fut ébranlé sur quel(|ues points.
Il clemaiiJa un conseil ; on le lui accorda : car il est à re-
maniiier que, clans ces temps d'ignorance et d'erreur, on
n'avoit pas encore imagine de priver l'accusé de conseil,
et de faire les procédures en secret. Le conseil de Gui-
chard proposa pour sa défense divers moyens de forme,
invoqua quelques privilèges, et allégua quelques nullités;
mais il ne s'occupa point du fond , soit qu'il ne trouvât
rien de solide à opposer à tant de témoignages confirmés
les uns par les autres, soit qu'il craignît pour son propre
compte l'effet des moyens employés par le bailli de Sens
contre les téinoins trop laconiques; et Guicbard fut réduit
presque entièrement à sa défense personnelle. Il n'y établit
aucun moyen justificatif : il se retrancha dans un sys-
tème exclusif de dénégation. Seulement , dans un second
interrogatoire, il fut forcé de convenir, i." qu'il avoit
donné l'absolution à un hérétique, moyennant une cer-
taine somme d'argent; i." qu'il étoit vrai qu'il avoit fait
faire de la mauvaise monnoie, qu'il croyoit bonne, il ré-
pondit, sur le fait des incubes, qu'à la vérité la maison
de son père en étoit remplie pendant son enfance , mais
que cela ne prouvoit rien contre sa légitimité.
Il existe encore au dépôt des chartes quelques pièces
peu importantes qui prouvent que la procédure se pour-
suivit encore pendant quelijue temps, sous l'autorité du
pape. Une de ces pièces est le procès-verbal des interro-
gatoires et des réponses de Guichard, envoyé au pape,
comme il l'avoil ordonné par sa bulle. Une autre est une
copie des informations, destinée au même pontife. Enfin
la dernière est une lettre au pape, écrite par l'un des deux
notaires-grctfier»
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 617
notaires-greffiers chargés de rédiger les témoignages , lequel
s'excuse de n'avoir pas signé les copies envoyées au pape,
et déclare qu'il l'a omis par absence , et non par mauvaise
intention.
Maintenant on peut demander quel fut le résultat de
cet étrange procès, dont nous ne trouvons plus d'autres
traces dans le dépôt des chartes, ni dans les historiens
contemporains. Le seul abbé Fleury va nous l'apprendre. Hist. eccUsUst.
■\r ' ' ^ •! ' • tom. XIX, vag,
VOICI comment il sexprnne : i,,
«La reine Blanche de France étant morte en 1304.
» dit-il , Guichard fut accusé d'avoir occasionné sa mort
» par poison ou par sortilège. » Et, après avoir indiqué
très-sommairement , d'après Baluze qu'il cite , les procé-
dures faites contre lui , il ajoute :
« Il parut coupable sur les dépositions de quelques faux
n témoins, et, le dimanche avant la Saint-Denis {6 oc-
» tobre 1308 ) , il se tint à ce sujet une assemblée du
» clergé et du peuple de Paris dans le jardin du roi. . .
>» L'évêque étoit dé]k pris et gardé au Louvre dans une
» étroite prison , sans qu'on eût égard à son privilège
»> clérical. Il demeura ainsi prisonnier jusqu'en 13 13,
» que son innocence fut reconnue par la confession d'un
» Lombard (c'étoit un Florentin) nommé Noffé , lequel
» fut pendu à Paris pour d'autres crimes. »
Ce que dit l'abbé Fleury est beaucoup trop succinct
pour faire connoître les faits tels qu'ils se passèrent; mais
cela peut suffire sans doute quand on les lie à tout ce
que j'ai dit, avant de le citer, d'après les pièces les plus
authentiques.
On peut conclure que Guichard, persécuté comme les
Tome VI. I4
oi8 MÉMOIRES DE LACADKMIE
Templiers, et pour des motifs presque semblables , ne dut
qu'à des circonstances heureuses le bonheur d'ccliapper
enfin au supplice qu'ils avoient subi. Son procès, longue-
ment instruit, ne put être juge définitivement que lors-
que ie roi , n'ayant plus à craindre Boniface, qui nexistoit
plus depuis long-temps, ni l'effet de ses prétentions désa-
vouées par la cour de Rome, put renoncer à faire pro-
noncer une condamnation politique cpii avoit cessé de
lui paroître utile .
Alors la perte de Guichard ne ie flatta plus. Il se crut
assez vengé de lui par sa longue et dure captivité; et s'il
ne permit pas que son absolution fut solennellement
prononcée, il souffrit du moins que la poursuite de son
procès fût abandonnée, et que la liberté lui fût rendue.
On troiroit dilficilemeni que le désaveu de Noffe-dey et
celui de Jean de Cales eussent pu suffire, sans la volonté
du roi, pour effacer les impressions que dévoient laisser
dans ce temps , sur tous les esprits , les nombreux témoi-
gnages que je vous ai fait connoitre.
Il est à remarquer, à l'occasio]! de quelques-uns de ces
témoignages , que l'un des grands crimes dont on accusoit
Guichard, étoit d'avoir rz/ro/îr/ la reine Jeanne, c'est-à-
dire, de l'avoir fait périr en perçant ou en faisant fondre
au feu son image en cire. La superstition de nos aieux
leur a fait regarder, pétulant plusieurs siècles, comme cer-
tain le résultat de cette opération magique ( i ). Nous voyons
dans l'histoire <lu temps de Guichard, que le même
( I ) Il pareil que les aïKicns a\ oient
une idte de cctie pratique ; on ren-
contre dans piusieiiTi de le\ir» poèiet
des passages (]ui peuvent k tJirc
croire.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 619
Clément V dont nous avons parle , craignoit beaucoup
d'avoir été envoûté par ses ennemis. Les historiens Italiens
postérieurs et antérieurs à cette époque nous apprennent
que ce moyen de donner la mort à qui l'on vouloit , étoit
fort en usage en Italie.
On sait que la duchesse de Montpensier l'employa
souvent contre Henri III, et ne recourut au poignard
bien plus certain de Jacques Clément que lorsqu'elle eut
éprouvé l'inutilité de ce premier moyen.
Catherine de Médicis , si crédule sur tout ce qui tenoit
à la magie, ne vivoitpas sans inquiétude sur les efFets de
cette pratique meurtrière. Nous voyons dans l'histoire de
son temps que lorsque La Mole et Coconas furent livrés
au dernier supplice, elle demanda que l'on sût d'eux s'ils
n'avoient pas envoûté [q roi.
Dans les siècles dont nous parlons , dans ces temps
d'ignorance et de crime, il ne mouroit pas un pape, un
monarque ou quelque autre grand personnage, qu'on ne
crûtqu'il avoit péri par l'effet de ces sortilèges. Les hommes
ne peuvent pas s'accoutumer à voir soumis à une loi
commune ceux dont la puissance fait leur destinée, et à
trouver égaux avec eux par leur mort ceux qui l'ont été
si peu par leur vie.
14 i)
6io MLMOIRIS DE I ACADFMIE
ESSAI
HISTORIQUE ET STATISTIQUE
Sur les Accroissemens et les Pertes qu'a succes-
sivement éprouvés la Alaison d'Autriche, depuis
l'avènement de RODOLPHE DE HABSBOURG à
l'Empire , jusques et y compris les Traités de
Presbourg et ^''Austerlitz.
Par m. MENTELLE.
PREMIÈRE PARTIE.
Depuis Rodolphe, en i^/J , /tisqu'à la mon de
Charles VI, en Jy-^o.
Luie J7juiilet 1 ERsoNNF. n'ignore qne la maison d'AiitricIie est une des
1806(1). pij^jj anciennes de l'Allemagne, et que le premier prince
de cette maison qui parvint à l'empire, lut Rodolphe
comte de Habsbourg, c'iu en 1273. Le plus ancien de
ses ancctres connus est Ettichon , duc d'Alsace , mort à
F.uTfp,Hi mo- la fin du vu.' siècle. Un savant Allemand, M. Ockhart,
n'imaJîlt remarque, comme une chose intéressante, et qui en effet
JV.M/rt, ire. peut Je paroître , que les deux familles aujourd'hui les
fou I. t. Oc- ' ' '
khan , lah. 27.
(1) Ce Mémoire n'ayant ctc remis
qu'après l'impression des volumes
prccédens, et ne devant pas être ex-
clu du recueil , on a été obligé de le
placer dans ce volume.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 621
plus puissantes (il eût pu ajouter, et les moins unies) en
Allemagne descendent de ce même Ettichon. C'est ce
que je développe dans la note ci-dessous (1).
- Rodolphe comptoit aussi entre ses ancêtres Gontrand-
lé-Riche, duc d'Alsace, mis au han de l'Empire et dé-
pouille de ses états, pour s'être révolté, en 938 et 935),
contre l'empereur Otton dit le Grand. Cependant une
partie des biens étoit revenue à sa famille.
Les historiens ne sont pas d'accord sur l'usage que
Rodolphe fit de ses premières années, c'est-à-dire, de la
première moitié de sa vie. Qiielques-uns , entre lesquels
on doit compter pour beaucoup le savant M. PfefFel , rap-
portent que Rodolphe alla servir en Bohème, sous Otto-
care, et qu'il y eut le grade de maréchal dans les armées
de ce roi. D'autres, et M. Ockhart est de ce nombre,
pensent que cette opinion n'est pas assez prouvée pour
être admise. Je me contente de tes rapporter ; leur dis-
cussion n'appartient pas même à mon sujet. Je ne consi-
dère ici Rodolphe que sous le rapport de sa fortune.
Il étoit né de parens déjà placés sur la route de la
puissance. Ils lui avoient laissé , comme patrimoine , le
(i) Lorsde l'élection de Rodolplie,
il fut principalement servi par l'arche-
vêque de Mayence,et par son propre
parent, bhrgrave de Nuremberg : ce
parti l'emporta. Devenu empereur ,
Rodolphe donna à Frédéric le bur-
graviat de Nuremberg, à titre de fief
héréditaire. C'étoit offrir à ce prince
et à sa famille la route à une plus
grande fortune. Il descendoit de la
branche cadette de Holien-^oUern ,
issue, comme la branche aînée, dont
étoit Rodolphe, du duc Ettichon.
Les descendans de Frédéric, distin-
gués dans l'Empire par leur rang, y
figurèrent aussi par leurs richesses.
L'un d'eux , appelé aiissi Frédéric ,
acheta, en i4'5 > de l'empereur Si-
gismond , le margraviat de Brande-
bourg. Ce margrave, connu sous le
nom de Frédéric l." , est la tige de la
maison régnante de Brandebourg,
qui , comme on le voit, a une origine
commune avec celle d'Autriche.
62i MEMOIRES DE LACADEMIE
comte de Hiibsbourg. situe dans l'Argovie(i) , et plusieurs
seigneuries en Souabe et en Alsace. Par la suite il y
réunit les comtes de Kibourg et Je Lentibourg. Dans sa
jeunesse, il avoit servi sous l'empereur Frédéric II, et,
pendant les divisions qui agitoient alors l'Allemagne, il
s'étoit constamment tenu dans le parti des empereurs
de la maison de Souabe. C'est pour cette raison cpi'il ne
voulut jamais reconnoître ni Guillaume, ni Richard de
Cornouaillcs , comme empereurs du corps Germanique.
Il est généralement reconnu que Rodolphe, depuis sa
vingtième année, s'étoit acquis une grande réputation mi-
litaire. Les historiens de sa maison disent qu'il se faisoit
sur -tout gloire de défendre les bourgeois des villes contre
la tyrannie des princes, et les cultivateurs contre les op-
pressions de la noblesse. On ajoute même que c'éloit pour
s'opposer aux entreprises de l'évèque de Bàle , qu'il étoit
en guerre contre ce prçlat , lorsque l'on vint lui annojicer
son élection. Mais il convient de dire un mot de l'état où
se trouvoit alors l'Empire.
Après les règnes tumultueux de Guillaume , tué en i 2 5 6,
et de Richard , mort en i 2- i , il y eut un schisme poli-
tique, qui causa dans l'Empire un interrègne de deux ans.
Entre les princes qui s'étoient mis sur les rangs, on re-
marquoit Ottocare, roi de Bohème, dit le Victorieux (2),
et Alphonse, roi d'Arragon ; mais ils se faisoient égale-
ment redouter par leur puissance.
(I) Canton Ae. la partie septen- (a) La ^nicwi <Sc l'ÀrlHe virifitr
trionale du pays appelc par les Ho- la ddUs disent que la couronne im-
niains Hdvctit , et actucllenu'nt périalc fut ofîertca Ouocarc, et qu'il
SuUtt et répubiiiut Hdvctiqut. la réfuta. Ce fait n'est ni prouve,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 6^?
Les premiers personnages de l'Empire sentoient bien la
nécessité de se choisir un chef; mais ils craignoient de
se donner un maître. Cette crainte même étoit devenue
générale. A la faveur des troubles qui avoient eu lieu sous
les règnes précédens et pendant l'interrègne , plusieurs
princes avoient prodigieusement accru leur puissance, en
fixant dans leurs maisons , à titre d'hérédité , des charges
qui ne leuf avoient été confiées que pour le temps de leur
vie. La noblesse étoit devenue par-tout plus entreprenante.
Des villes même étoient parvenues à l'indépendance. Tous
les partis avoient donc un intérêt à peu près égal à ne pas
voirie trône impérial occupé par un prince assez puissant
pour entreprendre la réforme de tant d'abus et comprimer
trop fortement tant d'ambitions naissantes.
Rodolphe, généralement estimé pour ses vertus et pour
ses talens militaires , n'apportant avec lui que le degré de
fortune et de puissance convenable à son rang , réunit
enfin les suffrages des électeurs : il fut élu à Francfort , le
lo septembre 1273 ; le 5 janvier 1274 , il fut couronné à
Aix-la-Chapelle.
Mon but n'est pas d'écrire l'histoire de cet empereur;
je remarquerai seulement ici que , selon les tables de
M. Hassel, les biens de Rodolphe, lors de son avènement
à l'empire, occupoient en surface seulement lyc) niilles
d'Allemagne carrés ,ou 45)5,85 lieues communes carrées (i).
J'aurois désiré , pour donner une idée plus exacte de sa
fortune, pouvoir ajouter à l'étendue de ses états, quels en
ni même vraisemblable : il est trop
éloigné du caractère ambitieux d'Ot-
tocare.
(1) Le mille carré d'Allemagne
répond à 2,77 lieues carrées ou 55,0,4
kilomètres carrés.
Lt\-9
6ii MFMOIRFS DE LACADÉMIE
ctoient les revenus; mais je n'ai rien trouvé qui pût m'en
instruire. Je vois seulement, dans l'ouvrage de M. Ockhart,
que les revenus de l'empereur [o/>er-/icrsc/icrJ, qui ne sont
presque rien actuellement, montoient alors à 2 millions
de rixdaies (1); ce qui, saul la dilFcrence dans la valeur re-
lative , répond à 7,280,000 francs de notre monnoie.
Rodolphe, par une conduite adroite et sage, réussit à
se concilier la bienveillance du pape (2), en Ratifiant les
donations faites par ses prédécesseurs ; l'estime du corps
Germanique, dont il respecta les privilégies et protégea la
tranquillité; et la reconnoissaiice de toute la nation, en
détruisant les grands maux produits par l'anarchie (3). H
eut sur-tout l'attention de n'attaquer aucun des abus qui,
tolérables en eux-mêmes, avoient acquis, par l'usage, une
existence politique : aussi le corps Germanique le favo-
risa-t-il dans ses vues pour l'agrandissement de sa maison.
On sait que le pays situé à la droite du Danube , depuis
l'Ens justju'aux frontières de l'ancienne Pannonie, avoit
reçu des Bojariens le nom d'Os(reic/t ( 4 ) ou l' Oriental.
Charlemagiie , après en avoir fait la conquête , y avoit
établi des commandans , sous le titre de mark^nifs , pour
veiller à la défense des frontières attaquées par les Huns
ou Hongrois.
Léopold l'Illustre, comte de Bamberg, est le premier
(1) 11 y a , en Allemagne, des
rixdaies de plusieurs valeurs; je m'en
tiens à celle qui repond à 3 francs
64 centimes de notre monnoie.
(2) Grégoire X.
(j) Il fit dt'tr\iire dans la Thu-
ringc soixante-six châteaux qui icr-
voicnt de retraite aux brigands, et
soixante-dix autres, tant en Souabe
qu'en Franconie.
(4) Ce nom se trouve employé
pour 1.1 première fois dans un di-
plôme d'Otton II , de l'an 996
(voy. Hundri/î/r/rr/T. Salisburg.t. \,
dont
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 61^
dont la place ait été rendue héréditaire , par une donation
de Henri l'Oiseleur , en pii' li avoit mérité cette récom-
pense par ses services militaires.
Le pays à l'ouest de l'Efis avoit été réuni à la Bavière
par Charlemagne ; il fut donné, en 11 56, à Henri II
Joclisamiiiergot, avec le titre de duc d'Autriche , qui paroît
ici pour la première fois.
La Styrie , faisant partie de la Carinthie , après avoir
eu des comtes et des margraves particuliers, ainsi que la
Carniole, fut réunie à l'Autriche en i i 86. La Carniole ne
le fut qu'en i 273.
Ainsi ces pays, la Carniole exceptée, obéissoient au
même souverain , lorsque la famille de Léopold et la dy-
nastie de Bamberg s'éteignirent en la personne de Fré-
déric/^^^■///(///^«Ar , en 121 4- Cette succession fut vivement
disputée. Herman de Bade , petit-neveu de Frédéric, l'em-
porta, et conserva le duché d'Autriche jusqu'à sa mort,
arrivée en 1250. 11 étoit dans l'ordre que cet héritage
passât à Frédéric, fils d'Herman ; mais Ottocare s'en empara
à main armée (i). H ne le conserva cependant pas long-
temps , et ce fut Rodolphe qui le lui enleva.
Je n'assurerai pas que ce prince n'eut alors d'autre mo-
tif que sa seule ambition ; ce qui est pourtant assez pro-
bable. Les historiens qui ont voulu préserver sa mémoire
pag. 139) ; d'où l'on est en droit de
conclure qu'il étoit alors en usage,
puisqu'on l'employoit dans un acte
public.
(1) Ottocare, pour couvrirses vues
ambitieuses d'une apparence de jus-
tice, alléguoit les prétendus droits
Tome VI.
de sa femme Marguerite, fillecadette
de Frédéric le Belliqueux. 11 avoit
tort, puisque les droits de la nièce
avoient été préférés, et que, de plus,
il y avoit une sœur aînée, Constance,
femme de Henri t'Illustre, margrave
de Misnie.
/
62^ Mi..\lUll{L.S U£ L'ACADEMIE
Je ce reproche , ont donne deux motifs ditîcrens de sa
conduite. Selon les ups, il fut appelé en Autriciie par le
vœu du peuple, irrite de la tyrannie d'Ottocare ; selon
d'autres, les ambassadeurs que Rodolphe avoit envoyés
ver^ ce prince pour lui taire des représentations sur l'usur-
pation de l'Autriche, ayant été insultés, la dicte chargea
Rodolphe de venger la majesté de l'empire. Soit que la
conduite que tint l'empereur dans cette circonstance, n'ait
été que le résultat naturel de la contluite dOttocare, soit
qu'elle ait eu pour cause cachée les menées secrètes de
son ambition , il est sûr que Rodolphe fut autorisé par la
diète à citer le roi de Bohème d"y venir comparoître pour
rendre compte de sa conduite. Ottocare protesta tout-à-la-
fois cojitre le décret et contre l'élection de l'empereur (i).
Un second décret de la dicte dépouilla le roi de Bohème
des fruits de son usurpation, et l'empereur lut chargé de
l'exécution du décret. Ottocare succomba, et perdit l'Au-
triche. Il obtint cependant quelques dédommagemcns, La
paix qui les lui avoit accordés, ne fut pas de longue durée;
ce fut lui (jui la rompit. Q.uelques auteurs disent qu'il ne
se trouvoit posasses indemnisé; d'autres assurent que ce
fut sa femme qui le porta à cette infraction. Ce qu'il y
eut de. très-malheureux pour lui, c'est qu'ayant marché en
armes contre Rodolphe, il perdit la vie à la bataille de
Aliiichfchi ou Aldrclic^i; , le 26 août 1278.
( I ) En protcjt.mt contre If décret,
Ottocare .nlli-guoit qu'il avoit re(;\iclc
l'cnipcreur Richard dt Cernaujiltrs
l'investiture des duchés d'Autriche,
de Snrie, de C.irinthic ci de Car-
niolc. Rodolphe en convcnoit; mais
il soutenoit en nK'iiic temps cette in-
\csiiiurc illë^dlt , parce qu'elle avoit
eu lieu sans t'dvcu et le consentement
des électeurs.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 6z'j
Envoyant Rodolphe s'emparer ainsi des duchés enlevés
à Ottocare, on ne peut douter qu'il ne sentît dès-lors toute
l'importance du principe auquel ses descendans ont donné
de si grands développemens : c'est que le moyen le plus
efficace pour conserver l'empire dans sa famille étoit de
se donner nne grande masse d'états héréditaires.
Lors de la paix avec Ottocare , qui reçut en même temps
de Rodolphe l'investiture du royaume de Bohème (i), il
avoit été stipulé que le fils de ce roi épouseroit une fille
de l'empereur. Le traité d'Iglau (2), qui suivit la mort
d'Ottocare, en même temps qu'il confirmoitle jeune Wen-
ceslas dans la possession des états de son père, accordoit
à ce prince en mariage la princesse Judith , fille de Ro-
dolphe, avec la condition qu'^ T extinction de la maison
royale de Bohème , la couronne passeroit aux descendans de
l'empereur. Ainsi la famille de Rodolphe obtenoit dès-lors
une expectative qui se réalisa dans la suite.
Qiiant à l'Autriche , Rodolphe en donna l'investiture
à son fils Albert, qui étoit l'aîné, dans une diète tenue
à Augsbourg, le 27 octobre 1282.
Outre ces acquisitions, Rodolphe, pour agrandir ses
biens , avoit su profiter des partages faits après la mort
de Henri l'Illustre (3), pour enlever aux trois fils de ce
(i) Auitemps de Charlemagne, la
Bohème, qu'il avoit soumise par les
armes, devint un pays tributaire des
rois de Germanie. Vers 930 le duc
AVeiictslas se'reconnut vassal de Hen-
ri/'C/.îe/f;/r.Wradislas II reçut le pre-
mier le titre de roi, en ic6o, de
l'empereur Henri IV , qui l'investit
en mtme temps de la Lusace, de la
Silésie et de la Moravie. Les rois
ses successeurs furent soumis à cette
formalité, sauf quelques exceptions.
(2) Petite ville et chef-lieu d'un
cercle de la Moravie, sur VJglati'a.
(3) Marquis de Misnie et land-
grave de Thuringe : il en a déjà été
parlé.
K4
'J
6zi MEMOIRES DE L'AC-ADÉ.MIE
prince le palaiinat de Saxe-Altstxdt, et au piince Albert,
électeur de Saxe, le comte de Brcne, (juoique cet électeur
fût son gendre ( i ).
Rodolphe, malgré son crédit et l'activité de son ambi-
tion , ne réussit pas à faire élire son hls roi des Romains:
mais il avoit fait ce qu'il y a de plus dilficile, les premiers
pas dans la route de la puissance. 11 mourut en i 2ç? i .
Le relus des électeurs avoit une cause bien légitime.
Albert, lils de Rodolphe, s'étoit annoncé par des vices
qui le laisoient craindre; aussi ses sollicitations n'eurent-
elles pas plus d'elfetque celles de son père, auquel ilauroit
voulu succéder à la couronne impériale : on lui prcféra
Adolphe de Nassau, élu en i2(j2.
Une singularité politique qui me paroît digne dctre
remarquée, c'est que, dans ce même temps à peu près
(en 1295), Albert, comme duc d'Autriche, se réunissoit
à Philippe-le-Bel , roi de France, tandis que l'empereur
Adolpheseliguoit contre ce même prhice avec Edouard I.'^'',
xoi d'Angleterre. Aijisi la France avoit alors pour alliée
l'Autriche ; mais l'Angleterre étoit son ennemie depuis
environ un siècle.
La conduite d'Adolphe de Nassau ayant universelle-
ment mécontenté les membres de l'Empire, ils le dépo-
sèrent. Ayant prétejidu se maintenir par la force des armes,
H fut tué, à la tète de ses troupes , par Albert, son compé-
titeur. Cette victoire fit perdre de vue les motifs qui , à la
mort de Rodolphe, avoient empêché l'élection d'Albert.
Il fut élu en i 2(?8.
(1) Albert II, duc de Saxe, avoit l'pousc, en 127}, Agnes fille de
Kodolphc.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 629
Je ne remarquerois pas que ce prince ctoit borgne et
laid de visage , si je ne voulois rapporter que ces dcfouts
personnels ctoient comptés par Boniface VllI entre les
raisons qu'il allcguoit pour ne pas reconnoître Albert
comme empereur : il objectoit aussi qu'il avoit tué son
prédécesseur. Mais le plus puissant de ses motifs , celui
qu'il énonçoit le moins , c'est qu'Albert étoit très-lié avec
Philippe-le-Bel, que l'on sait bien n'avoir pas été l'ami
de Boniface.
La mort de Wenceslas V, roi de Bohème, assassiné
la première année de son règne , parut aux yeux de bien
des gens être un crime d'Albert, Ce soupçon, que jus-
tifioit pleinement la férocité de son caractère , recevoit
une force nouvelle de l'avide empressement qu'il mit à
recueillir les fruits de ce crime. On vient de voir que, par
le traité d'Iglau , la Bohème, au défaut d'héritier mâle,
devoit appartenir à la famille de Rodolphe. Wenceslas,
en mourant, ne laissoit pas de fils ; Albert s'empara aussi-
tôt de la Bohème, qu'il donna à son fils aîné Rodolphe,
en 1306. Malheureusement pour l'ambition dAlbert, ce
prince mourut la même année. Alors Henri de Carinthie,
époux de la fille aînée de Wenceslas , fut appelé au trône
par le vœu des états , et même y monta sans obstacle.
Alb^rtl.*'', ayant commencé sans succès quelques autres
entreprises pour étendre ses domaines , crut qu'il réussiroit
mieux du côté de l'Helvétie , partagée alors en plusieurs
gaus ou cantons [en ïditm p a gi'\ : quelques-uns de ces gaus
relevoient de princes particuliers , tandis que d'autres
étoient fiefs de l'Empire. Albert, voulant y augmenter les
domaines de sa maison , fit proposer aux cantons d'Uri,
630 MFMOIRLS DE L'ACADÉMIE
de Schweitz et il'Unterwald, de s'y laisser incorporer. Sur
leur refus, il en incdiia la conqiicte. Un soulèvement dans
ces cantons pouvoit lui fournir l'occasion d'y envoyer des
troupes. Le soulèvement, en effet, eut lieu, parce qu'il y
envoya trois gouverneurs qui furent autant de tyrans: mais
l'cvcnement trompa son attente; et lui-même, marchant
contre les cantons soulevas, avec une armce considérable ,
iut assassiné au passage du Rhin , entre Rhinfcid et Baie,
par Jean, son neveu , dont il retenoii la succession (1).
A la mort d'Albert l/"", dont on a dit (ju'il ne voyoit le
bonheur que dans la puissance, et la puissance que dans
le despotisme , voici , selon les tables de M. Hassel (2) ,
quelle ctoit l'étendue de ses domaines.
En 1282, il avoit été investi de l'Autriche,
de la Styrie, &c 1,037 "'•''•
En I2pr , il hérita de ses bitMis patrimo-
niaux 1 79.
En 1301 , il acquit le marquisat de Bur-
eau, comme fîef de I Empire 18.
En totalité ' . - vl '"' ^'
ou 34i8,a'-^-
La conduite d'Albert l'avoit rendu si odieux, que Ion
(1) Ce prince Jc.in , làclic .is?afsin jours d.ins l'ol>scurité d'iin\Ioitrc de
'"■'"'■' la Calabrc.
(a) M. Ockhart, dans des notes
pariiculièrcs qu'il m'a fait l'honneur
de m'adresser, ne s'éloigne pasheau-
<jc son oncle, étoit fils de Kodolphe
duc d'Autritlic et prince de Souabe,
troisième fils de Rodolphe de Habs-
bourg et d'Agnes fille d'Ottocare
o -• ---o -" . ^,.1 o-i
roi de Bohème, Jean, après s'ctre coup du calcul de Al. Hassel, en
venge d'\ine injustice par un crime, j portant l'étendue dis états d'Albert
n'en retira que le déchirement du , à 1245 milles d'Allemagne carrés.
remords et la honte d'aller tinir set
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 631
parut craindre de conserver dans sa famille la couronne
impériale. On la défera successivement :
En 1308 , à Henri VII, comte de Luxembourg;
En I 3 1 4 . à. Louis V, de Bavière ;
En 134*^. à Charles IV, de Luxembourg;
En 137B , à Wenceslas, fils de Charles IV;
En i4oo, à Robert, électeur Palatin;
En i4io, à Sigismond , deuxième fils de l'empereur
Charles IV ;
En 1438 , le ip décembre , au duc d'Autriche Albert,
arrière-petit-fils d'Albert IV dit le Sau^e , duc d'Autriche,
et l'un des fils de l'empereur Albert I.*^""
Albert II, lors de son élection, avoit quarante-quatre
ans : il mourut l'année suivante, en i435?-
Mais , pendant les règnes qui avoient précédé celui
d'Albert II , les biens de sa maison s'étoient accrus par
des achats et par des héritages.
En 1326, conjointement avec ses frères, Frédéric-Ie-
Beau , Léopold II, Henri et Otton, Albert avoit acheté ,
tant du comté de Pfurt que des biens appartenant à Ki-
bourg, une portion évaluée par M. Hassel à 203
En 1335, la Carinthie leurétoit revenue
par la succession de Henri de Carinthie,
évaluée à 200 \
En rapprochant cette étendue de celle que
l'on a vue précédemment, de 1.234.
m.
on aura pour la somme totale des biens de la
maison d'Autriche, à cette époque de i439- ''^37 r-
ou 4535 '^7i'
1. c.
S--2 MKMOIRFS OE L'ACADÉMIE
Albert II, en mourant, laissoit sa femme enceiiite (i) ,
mais pas Jaiitre fils qui pût ctre empereur. Apres quelques
fTuctuations dans les choix, les électeurs conservèrent la
couronne impériale dans la même famille, en élisant, le
2 février i44o, Frédéric, duc d'Autriche, qui prit le nom
de Frcdt'ric III. Il étoit de la branche de Styrie, issue
d'Albert \.''
Avant de parler du règne de Frédéric III, je vais rap-
procher ici les différens accroissemens qui avoient enrichi
sa maison.
Le duc d'Autriche, Albert Ill.avoit acquis, conjointe-
ment avec ses frères Rodolphe IV, Frédéric III et Léo-
pold III,
En 13^3, le Tyrol, qui leur vint de la succession de
Marguerite, surnommée Aldullache (2) (ou la lippe);
Deux années plus tard, en I3<^5, le comté de Fcld-
kirch, par achat fait de Rodolphe, dernier prince de la
fimille de Werdenherg, pour la somme de 36,000 flo-
rins ;
En 1367, le Brisgaw et ses dépendances, que ces
princes achetèrent des princes de Furstemberg pour la
( I ) L'impératrice Elisabeth mit au
mond'.- , en 144°. "" prince qui fui
nommé Ladislas. II fut aussitôt re-
connu roi do Bohème et de Hongrie.
Mais Wladislas, roi de Pologne,
ayant lormé des prétention» sur ces
royaumes, Elisabeth, emportant avec
elle la couronne de fer de S. Etienne,
premier roi chrétien de Hongrie, se
retira .i la cour de Frédéric. Quelque
lemps après , en 1 444 > Wladislas périt
d>ins une bataille contre les Turcs.
(2) Ce mot de inaiiltaclic exprime
une lèvre dilTorme, comme la lippe
chez les gens du peuple. Je serois
assez, disposé à croire que ce mot
Allemand a donné naissance au mot
Franc^ais moustache , espèce de diffor-
mité dont on défigure la bouche en
laissant croître la barbe qui couvre
la levrc supérieure.
somme
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. (J53
somme de 55,000 florins: étoient comprises dans cet
achat les villes de Neiibourg, Brisach, Kentzingen et Vil-
lingen ;
En 1374. le comte de Goertz (i) , par un pacte de
famille ;
En 1378, ie comté de Bludens ou Pludenz dans le
Wallgau , vendu par le comte Albert de Werdenberg ;
En 1379 , par achat, un bailliage en Souabe;
En 1380, le comté de Hohenberg, acheté du comte
Rodolphe pour la somme de 66,000 florins.
Or , en réunissant ces possessions nouvelles aux an-
ciennes , on aura un total de 2123 milles carrés, ou
61^0,01 lieues carrées.
Je renvoie à la lîn de ce Mémoire, pour quelques détails
concernant les trois branches Autrichiennes de {'Autriche
propre, deStyrie-Tyrolet de Styrie-Sîyrie ( n.° i) ; c'est la ma-
tière d'une note. Je reviens au règne de l'empereur. Voyczpng.6-
Frédéric III, élu à Francfort, comme on l'a vu, le
2. février i44o. à l'âge de vingt-cinq ans, étoit ami des
lettres, et plus épris des plaisirs de l'étude que de ceux
de l'autorité. 11 porta la couronne pendant quarante-trois
ans, sans gloire, sans éclat, et sans utilité pour l'Alle-
magne; mais il ne perdit pas de vue l'agrandissement de
sa maison : les circonstances d'ailleurs le favorisèrent.
En 1453 , l'Autriche fut érigée en archiduché, et les
souverains y acquirent le droit d'y faire des comtes et
des nobles. A la mort d'Albert IV, dit h Politique,
(i) Pour !a date de cet achat, je
me conforme à l'opinion de M. Has-
sel. Biisching dit que ce ne fut qu'en
1500 que ce comté revint à Maximi-
lien , après le décès du comte Léo-
nard , mort sans héritier mâle.
Tome VI. L*
6>/i MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
archiduc d'Autriche, l'empereur Frcdcric hérita de cet
archiduchc.
La Bohème ctoit alors sortie de la maison d'AiitricJie,
puiscju'eii 1458, après la mort de Ladislas IV, dit /r
Postliitmc , la couronne avoit ctc donnée à George Podié-
brad. Après ce prince, cette même couronne avoit passé
à Ladislas, fils de Casimir roi de Pologne, en i47'-
Dans la même année 1458, la couronne de Hongrie
fut détérée à Mathias , dit Corvin , fds de Jean Huniade,
puis à Ladislas, roi de Bohème.
Il fut convenu, par un traité avec ladislas, qu'à défaut
d'enllins, les deux couronnes retourneroienl à Maximiiien,
fils de Frédéric III , et déjà roi des Romains. Cet événe-
ment, qui eut lieu dans la suite, plaça ces deux couronnes
dans la maison d'Autriche relie ne lésa pas perdues depuis.
L'événement tlu règne de Frédéric, et même de toute
la durée de la maison d'Autriche, qui contribua le plus à
son agraiulissement , fut, en i477. I<? mnriage de l'archi-
duc Maximiiien avec la princesse Marie, fdie et unique
héritière du dernier duc de Bourgogne, CIiarles-le-Témé-
raire, tué devant Nancy , le 5 janvier de la même année.
Quelque temps avant sa mort, Charles avoit eu le projet
de marier sa fille au dauphin de France, qui fut depuis
Charles VIII; et les historiens blâment Louis XI de n'avoir
pas assez donné de suite à cette négociation. Philippe de
Lh. y (. XII. Commines dit expressément que Louis XI en avoit eu aussi
le projet; mais (juil parut changer de dessein, dès qu'il
eut appris la mort de Charles. Quelques auteurs Allemands
disent, au contraire, que « le roi de France, fondé sur les
:•> promesses que le duc Charles lui avoit laites peu de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 63 j
» temps après la paix de Neuss , demanda la princesse en
» mariage pour le dauphin. Ce projet, s'il eût réussi .ajoute-
» t-on,eût épargne à l'Europe les malheurs d'une guerrede
» deux cents ans ; mais il échoua par les intrigues du duc
» de Clcves , qui aspiroit lui-même au mariage de l'héritière
» de Boureosne. » Je conviens bien , avec Pfeffel, de la Pfipi, Hist.
^ &,.,., , , . . . d-All.an.i.jyS.
conscquence quil tire de ia rupture de ce projet; mais je
difîère d'opinion sur l'événement qui en fut la cause. Il
me paroît que la plus forte fut la lâche trahison de
Louis XI , qui , ayant reçu de Marie une lettre confiden-
tielle dans laquelle cette princesse se plaignoit des Gan-
tois, au milieu desquels elle se trouvoit , montra cette
même lettre aux députés de la ville, et la leur abandonna.
Le conseil de la ville, irrité contre Marie , fit périr sur
l'échafaud, malgré ses prières, les ministres Hugonet et
Imbercourt, qui avoient signé la lettre. Il n'en fiilloit pas
davantage pour inspirer à Marie une haine implacable
contre Louis XI.
C'est une opinion assez généralement reçue, que Marie
de Bourgogne apporta pour dot à Maximilien les dix-
sept provinces des Pays-Bas. L'expression sera plus juste,
si l'on dit seulement que ce fut à l'occasion de ce mariage
que ces dix-sept provinces passèrent à l'Autriche : car Marie,
maîtresse , il est vrai , du duché et de la comté de Bour-
gogne, ainsi que de quelques autres conquêtes de son père,
ne possédoit, non plus que son père , que onie de ces pro-
vinces. Les autres furent réunies, à différentes époques,
par la politique de Charles-Qj.iint.
Les onze provinces qui faisoient partie de la dot de
Marie, étoient, i.°la Flandre, 2." le Hainaut, 3. "l'Artois,
L* ij
Ttif/(,iu des
rtroluiions lùi
tysième /vliriaue
Je VEurcpe. Ber-
lin, 4 »'«. m-i>'.'
6^6 MK.MOIRES DE L'ACADEMIE
4.° le Brabaiu, 5." la Hollaïule, 6." laZclande, 7." le
comte Je Nanuir, 8." le diichc de Luxembourg, 9.' le
diich(i de Limbourg , i o." la seigneurie de Malines , i i .° le
marquisat du Saint-Empire.
Les six provinces qui y furent réunies dans la suite,
c'toient, i." la Frise, 2." Groningue , 3.° Utrecht ,
4.° rOvcr-Yssel , 5." la Gueidres , 6." le pays de Zut-
plien (i).
Louis XI , mécontent de ce mariage, s'empara du duché
de Bourgogne, de la Picardie au-delà de la Somme, et
des comtés de Flandre et d'Artois, comme étant des fiefs
réversibles à la couronne.
Déjà riche de la dot de sa femme et de la succession
de son père, Maximilien parvint à l'empire en i493- ^'
s'étoit marié en i477- ^*^ portrait (|u'en fait Al. Ancillon
dans son excellent ouvrage, mérite de trouver ici sa
place.
« Doué d'une certaine facilité d'esprit qui lui faisoit tout
» saisir avec chaleur , et dépourvu de cette force de carac-
» tère qui empêche d'abandonner ce que Ion a lUie fois
» voulu , avide de projets et dénué de moyens pour les
" exécuter, toujours magnifique et toujours pauvre , égale-
» ment susceptible d'enthousiasme et de découragement,
» Maximilien étoit plutôt un homme aimable et brillant
(1) Le dnc George vendit ses
droits sur l.n Frise à Cliarics-Quint,
L'Over-Y$5cl se sonmit en i^ai). La
nicnic année , l'cvcquc d'Ulrecht
renonça, eo faveur de l'empereur,
h ioA jioUv'oir séculier. Le duc de
Oueldres fut obligé de cotisentir à
la réunion de Groningue en 1536;
et, à la fin, le duc de Cléves se
vit forcé de céder la Gueidres et le
pays de Zuiplu-n , qui lui étoien^
tombes en part.igc depuis la mort
de Charles d'Egmont.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 637
» qu'un grand homme. Cependant i'Ailemagne lui doit
» beaucoup, et il peut ttre regardé comme le créateur
» de l'ordre légal dans l'empire Germanique. Les change-
» mens qui se firent à cette époque, étoient dictés par des
» circonstances impérieuses, et sollicités par la voix gé-
» nérale ; mais il en sentit l'importance , et ne s'opposa
» pas au bien. »
J'ajoute que ce fut à la diète de Worms que l'on créa
la chambre impériale, que l'on partagea l'Allemagne en
cercles; enfin, que l'on publia la paix du pays , qui mit fin
au règne de la force, et fit cesser cet état de guerre per-
pétuel entre les seigneurs et les villes , les souverains et
les sujets.
Mais je ne dois considérer ici Maximilien que relative-
ment à l'accroissement des biens de sa maison. En voici
l'exposé progressif d'après M. Hassel :
I ." Les biens compris dans la dot , ou qui revinrent à
l'occasion de ce mariage (i) i>43^
2.° En i4p3> Maximilien, à la mort
de son père, hérita de ses biens r,3p4i'-
3.° En i^cfé , le Tyrol lui revint par
m. c.
la mort de Sigismond
o
73}'
4.° En I 500 , le comté de Goertz et le
Frioul dit Auîric/iien 47t-
5," En I 503 .quelques états conquis en
Bavière (étendue ignorée) //
A reporter 3,(^1
(i) J'en donne le détail dans une note placée à la fin de ce Mémoire
(n.' II).
m. c.
638 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
D'autre pari 3/ 1 1
6.'* En I 5 18, le littoral ccdc par la ré-
publique de Venise 2, 7.
Total 3,6 1 3 4.
(Hl I O, I OC), 395 '■ ^'
Si l'on estime la population de ce pays par ce qu'elle
est actuellement, on aura:
Étendue. Habitaiis.
10,10c?, j,i" 9,334,190.
Il est donc prouve qu'en moins de trois cents ans les
biens de la maison d'Autriche comprenoient plus de vingt
fois l'étendue qu'ils avoient d'abord. Ce que nous allons
voir est bien plus prodigieux encore.
En 1478 , Marie, épouse de Maximilien , accoucha de
Philippe.
En i49<^, Philippe, fils de Maximilien et de Marie,
épousa Jeanne, infante d'Espagne, fille et héritière de
Ferdinand-le-Catholique , roi d'Arragon , et d'Isabelle,
reine de Castille. On siiit que ces deux époux, trcs-diffé-
rens de caractères , rapprochés cependant par l'intérêt et
l'ambition , étoient parvenus à détruire l'empire des Maures
en Espagne, Ce n'est pas ici le lieu d'examiner les vices
du gouvernement de ces deux souverains, ni le tort irré-
parable qu'ils firent à leur état en repoussant une popula-
tion immense, active et laborieuse, alimentant un grand
commerce par des manufactures en tout genre. Isabelle
expia presque ses erreurs, en protégeant l'entreprise de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 639
Christophe Colomb, dont le génie découvrit un autre
hémisphère, et, par cette découverte, en augmentant pro-
digieusement les possessions de son illustre protectrice,
enrichit l'ancien continent de toutes les productions d'un
continent nouveau.
Je ne parlerai pas non plus des mécontentemens de
Ferdinand contre son gendre, ni de la conduite de ce
gendre avfc sa femme, qui porta jusqu'au délire sa ten-
dresse pour cet infidèle époux. Elle étoit hors d'état de
gouverner, lorsque Philippe mourut en 1506; mais elle
étoit mère de deux fils, Charles et Ferdinand.
Charles, déjà maître des Pays-Bas par la mort de son
père, n'avoit que seize ans, lorsqu'il hérita de la monar-
chie Espagnole par la mort de son aïeul Ferdinand. Elevé
par Guillaume de Croy-Chièvres, homme du plus grand
mérite, il joignoit aux agrémens du jeune âge la sagesse
et la gravité de l'âge mûr. La vigueur de son génie , fi)rmé
par ia plus excellente éducation , lui rendit fiicile le gou-
vernement de ses vastes états; et son ambition, secondée
par les circonstances, le porta à l'empire en 1519 : il
n'avoit alors que dix-neuf ans.
Le règne glorieux de ce prince n'est pas de mon objet.
Je dirai seulement que jamais la maison d'Autriche n'étoit
arrivée ni ne se maintint au degré de puissance où elle
parvint sous ce règne. *
Charles-Q,uint posséda,
i.° Les Pays-Bas et la Bourgogne. ... 1,820 '"■'^"
2° Du chef de sa mère, la couronne de
Castille et une partie considérable du
nouveau monde , estimées ensemble par
6^o All.MOIPxES DE L'ACADEMIE
D\:utrc jhirt i.Sao'"'*^'
M. Ha.scl 6,892.
3.' De son aïeul Ferclinaïul , mort en
I 5 16, la couronne d'Arragon , Naples, la
Sicile, la Sardaigne , &c 4.587.
4.° Les états Autrichiens en Allemagne,
par la mort de Maximilien, à <jiii il succéda
à l'empire 2,^7 4-.
t'n. la note JII. 5.° Le Milanez, la Navarre, par droit
de conquête 612,
ToTAi i6,o8b'4-"'-^-
ou 4^.217, 145 '"^ '
Qiinique cette étendue de 16,088 -f'"* *^' paroisse très-
considérable, il V a cependant des tables de statistique
qui la portent jusqu'à i -^ ou 18,000, et à plus de
trente-un millions de sujets. Cette différence vient de ce
que, pour cette époque , on n'a pas de résultats exacts sur
l'étendue des parties de l'Amérique, non plus que sur la
population de ces parties, ni même de l'Espagne.
Vty. à la fin Quaiit à la successioii de Ferdinand, je mets en note
JMAl/mtire , j'. (ji,(.|(ji,es détails dont la connoissance ne peut qu'ajouter
à l'exactitude de ce Mémoire; mais je crois qu'en général
on auroit tort de conclure la population de l'Espagne à
cette époque, par ce qu'elle est actuellement, puisque les
Maures n'y avoient pas encore éprouvé la dernière persécu-
tion qui eut lieu sous Philippe II. et que l'Espagne n'avoit
pas encore été dépeuplée par les émigrations nombreuses
qui ont transporté tant d'Espagnols dans le nouveau monde.
Quelle qu'ait été la fortune de Charles- Quint , elle
paroi tra
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 64 1
paroîtra cependant moins colossale aujourd'hui que nous
voyons la France, dont toutes les parties, se communiquant
entre elles , ne forment qu'un tout , de la mer du Nord à
la Méditerranée et de l'Océan au Tésin, dans un espace de
plus de 3 3,574 lieues carrées de surface, et avec une popu-
lation de plus de trente -cinq millions d'habitans (sans y
comprendre le territoire de Gènes). On voit bien que je
ne parle pas ici des royaumes de Hollande, d'Italie et de
Naples , soumis à des princes Français. Au temps de
François I.^"", qui l'emportoit sur Charles par les qualités
aimables , mais qui ne pouvoit pas rivaliser de puissance
avec lui, la France avoit tout au plus en étendue 9 à 10,000
lieues carrées , et le roi n'y comptoit pas dix millions de
sujets. Ses revenus domaniaux ne montoient qu'à 2 mil-
lions de livres; les tailles, les aides et les gabelles ne
produisoient guère que i4 millions; en sorte que le
tout formoit, pour le revenu total de l'État, un produit
de I 6 millions (1),
Après avoir étonné l'Europe pendant un règne de vingt-
huit ans, Charles-QjLiint , se sentant affoibli par le travail,
par l'âge, et , dit-on même , par les plaisirs , résolut d'aban-
donner le théâtre du monde , pour ne pas compromettre
sa gloire. 11 avoit vu, dans sa jeunesse, le couvent des
Hiéronymites de Saint-Just, occupant un beau vallon de
l'Estramadure ; l'impression agréable qu'il en avoit con-
servée, lui fit préférer ce lieu pour y terminer paisiblement
(i) Le marc d'argent valoir 13 liv.,
et le prix du setier de blé, du poids
de deux cent quarante livres , \'aIoit
10 fr. ou près d'un marc; ce qui étoit
Tome VI.
très-cher. L'intérêt de l'argent étoit
très-haut. Il étoit bien baissé lors-
qu'il ne fut plus qu'à 9 ou 10 pour
cent.
642 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
ses jours. En quittant le trône, il eût bien voulu laisser
son immense succession à Philippe son fils; mais son
frcre Ferdinand, dcjà roi des Romains, ne voulut passe
dcsister de son droit à la couronne impériale. Charles,
ayant donc fait convoquer une diète à Francfort, y fit
notifier par ses ambassadeurs son abdication et son voeu
pour l'c'lection de Ferdinand. En mcme temps ses vastes
états furent partages entre ce prince et Philippe.
Ferdinand, empereur le 24 février 1551^1 eut les états
situés en Allemagne; et Philippe, à qui Charles avoit
déjà cédé Naples et le Milane/. , reçut la souveraineté des
Pays-Bas avec tout ce qui composoit la monarchie Es-
pagnole. Ainsi se formèrent deux branches de la maison
d'Autriche: l'une, Esp^igiiole ; ['autre , AJ/enuitiJc.
L.i part de Philippe ctoit, sans contredit , la plus im-
portante. Son père lui laissoit , avec une grande torce
d'opinion dans les cabinets de l'Europe, des troupes nom-
breuses et aguerries, une partie des trésors du nouveau
monde, et les avantages que produisoient l'industrie et
le commerce des Pays-Bas. Ce prince abusa cruellement,
pour le malheur de l'Europe , d'une puissance si consi-
dérable. Il joignit encore à ses vastes états le Portugal,
dont les découvertes et les succès dans les Indes avoient
fait une des plus illustres puissances de l'Europe. Mais
ia tyrannie de Philippe lui fit perdre sept des plus riches
provinces des Pays-Bas, et prépara la perte du Portugal,
(jui s'affrancliit du joug de l'Espagne, sous le règne de
Philippe IV, Comme cette branche de la maison d'Au-
triche iinit en la personne de Charles II , le i."^"" novembre
I 700 (ce prince n'avoit qvie trente-neuf ans), et que le trône
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. <î4î
et les possessions de l'Espagne passèrent alors à un prince
de la maison de Bourbon , je ne parlerai plus de cette
monarchie.
La branche Allemande, infiniment dcchue par un par-
tage très-inégal des états de sa maison , et réduite à ne
posséder presque que le quart de ce qu'elle avoit au temps
de Charles-Quint, trouva, dans sa politique et dans les
circonstances, des ressources qui lui donnèrent bientôt
de nouveaux moyens d'accroissement.
Ferdinand n'étoit parvenu à l'empire qu'en 1558, à
l'âge de cinquante-cinq ans; mais, pendant qu'il n'étoit
encore qu'archiduc, ses possessions s'étoient augmentées,
ainsi qu'on va le voir.
En 15 151, le prince Ulric, duc de Wurtemberg , ayant
exercé un acte de violence contre la ville impériale de
Reutlingen , les états de Souabe , ligués en 1491 (i) contre
les ducs de Bavière , ce que l'on désigne ordinairement
par le nom de ligue de Souabe , lui firent la guerre et le
dépouillèrent de ses biens, qui fiu-ent vendus à l'archiduc
Ferdinand. Étendue i 34 '"• '^•
En 1 522, il reçut, par cession de l'em-
pereur Charles-Q.uint , l'Autriche tant supé-
rieure f^w' inférieure et antérieure, avec l'Alsace . 2, 1 1 7 -r-
A reporter
(1) Le traité de cette association,
qui eut lieu à Eslingen , partage la
Souabe en quatre parties : le He-
giiiVj le quartier du Danuie , le quar-
tier du Kocher , le quartier du JVecker.
Chaque quartier avoir son capitaine
et ses troupes, sous les ordres d'un
2,25 I T.
général en chef, élu par les quatre
cantons. L'armée étoit de dix mille
hommes de pied et de mille che-
vaux. Cette ligue, qui fut très-utile
dans son temps, subsista jusqu'en
'553-
M+ij
6U MEMOIRES DE L'ACADK.MIK
D'iiutrc fiirl Ji.ijij
En I 523 . il acheta du connc de Aloiu-
fort, seigneur de Breifent/., la seconde moitié
de ce comté pour la somme de 30,000 flo-
rins; mais l'étendue n'en est pas connue.
L'autre moitié avoit été vendue à l'archi-
duc Sigismond par la comtesse Elisabeth.
En 1 526, Louis II roi de Hongrie ayant
péri à la bataille de Mohatz, et ne laissant
pas d'enfant de la reine Marie, soeur des deux
empereurs Charles-Qiiint et Ferdinand , ce
dernier prince se porta héritier de Louis,
en vertu du traité fait entre l'empereur Alaxi-
milien et le roi Ladislas. Il eut un concur-
rent en la personne de Jean, fils du vaivode
de Transilvanie; mais, l'ayant emporté, il
acquit la Hongrie, dont il fut reconnu roi.
Il le fut de la Croatie en i 527. Etendue. . . 3,580.
Dans le même temps, Ferdinand fut élu
roi de Bohème, où il succéda également au
roi Louis. Il avoit demandé cette couronne,
comme une succession provenant de sa sœur;
les états la lui offrirent, comme un hom-
mage de leur vénération pour sa personne.
En y comprenant la Lusace , qui y étoil
jointe, et la Moravie, on a 2, 2 3 h.
En 1 5 4 2, Ferdinand acquit la seigneurie
m. c.
A reporter 8,065^7.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. ^4î
Ci-contre 8,069 \ '"' ''
de Thengen en Souabe , mais de peu d'cten-
du
e
En 1548, la ville de Constance, sur
le lac Bodensée, ville libre et impériale,
ayant quitte la religion catholique , les
principes religieux de Charles- Quint ne
lui permirent pas de voir ainsi toute une
ville s'écarter de la seule voie qu'il connût
au salut, sans céder à l'impulsion du zèle
qui le portoit à la forcer d'y rentrer; en
conséquence, il la mit au ban de l'Empire,
et se l'appropria. Ferdinand la soumit en
I 549' Le cercle de Souabe , dont les prin-
cipes étoient plus tolérans que ceux de
Charles-Quint, traita son zèle d'ambition ,
et protesta contre cet acte liberticide; mais
la diète d'Augsbourg le confirma.
En rapprochant donc ces quantités , on
a, au moins 8,070.
Mais ensuite Ferdinand perdit quelques-
unes de ses propriétés.
J'ai dit précédemment que Ferdinand
avoit acheté les biens du duc Ulric ; ce
prince les reconquit depuis, les armes à
la main , en 1534- L'Autriche ne conserva
que le droit d'en investir le duc , à titre
A reporter 8,070.
6^6 .MK.MOIRES DE L'ACADEMIE
D\iutri- part 8,070 '"' ^•
d'arricre-fief; par conscquent , Ferdinand
perdit i34"^-'-"-
En 1561,11 ccda une partie
de la Hongrie et la Transilva-
nie d'abord à Jean de Zapoiski,
son concurrent au trône, puis
aux Turcs , (jui l'avoieni con-
quise. Perte ■.594-
Ainsi donc il perdit 1,728 '"•'^*
Ce qui réduisit ses états à 6,342 '"•''•
Le rcgne de Ferdinand fut favorable à l'Allemagne,
puisque, par \a. paix de religion [\) , il calma les esprits
échauffes, contint tous les partis, et montra la plus sage
impartialité; tempérant sa tolérance par une juste sévérité
contre les perturbateurs de l'ordre public, il avoit eu le
bonheur d'entretenir la tranquillité générale. Maximilien
(1) Ferdinand, ayant convoqué
une dicte à Augsbourg en 1555,
parvint , à la suite d'une négociation
trcs-difficile, à conclure une paix
dont les principaux articles étoicnt ,
i." que les états de la confession
d'Augsbourg n'emploieroient au-
cune violence pour faire abandonner
à leurs sujets la foi tm'ilj professoient ;
a." que les sujets qui professoitnt
une autre religion que celle de leur
seigneur et maiire, jouiroient de la
liberté de sortir du pays. Qui croiroit
que cette paix , dont je supprime
plusieurs articles , mais dont tous
tendoient à maintenir la liberté des
cultes, servant d'aliment aux pas-
sions des deux partis, donna lieu à
mille interprétations différentes , et
amena des voies de fait qui cau-
sèrent la guerre de trente ans! On
peut en voir les détails dans les
historiens de France et d'Allemagne,
et le précis dans l'utile ouvrage de
M. Koch (Alm-gé de l'histoire des
Traités Je paix , tom. I.", pag. 28 et
suivantes. )
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 64/
son fîls hérita de ses principes , et le surpassa en vertus.
En 1564, Maximilien II, déjà roi des Romains (en
1562), succéda à son père Ferdinand. Voici le portrait
qu'en fait le professeur Ancillon : « Maximilien II n'avoit TM.Âsn--
» aucune de ces qualités brillantes qui , dans les souve- polit, de l'Eu-
» rains, font souvent la gloire et le malheur des peuples; ^''^Y;/"fj„,v. '
» mais il vouloit sincèrement le bien. Son ame douce et
» humaine ne.connoissoit d'autre passion que celle de ses
» devoirs. Éclairé et sensible , il auroit désiré faire servir
» ses lumières au rapprochement des catholiques et des
" protestans , et à l'extinction de tout esprit de secte.
" Son siècle n'étoit pas assez sage pour le comprendre et
" pour le suivre : il falloit encore aux esprits les cruelles
» leçons de l'expérience , pour sentir le prix de la modéra-
» tion. Maximilien fut du moins assez habile pour recu-
» 1er l'époque où les animosités religieuses dévoient en-
» fanter les guerres civiles. Par-tout il recommandoit la
» fermeté et la justice , comme les seuls appuis solides
» de l'autorité; et Philippe II n'auroit pas perdu la plus
" intéressante partie des Pays-Bas, s'il avoit suivi ses
» conseils. »
En I 575 . Rodolphe II, fils de Maximilien, lui succéda.
Son esprit vif et pénétrant , ses connoissances variées et
solides, ,avoient donné des espérances aux peuples; mais
à peine étoit-il monté sur le trône, qu'il se plongea dans
l'inaction et dans la mollesse. Livré aux femmes qui le
gouvernoient, aux ministres qui abusoient de son auto-
rité, il prépara les malheurs de l'Allemagne. Crédule et
pusillanime, il cherchoit dans les rêves de l'alchimie les
moyens de faire de l'or, et dans ceux de l'astrologie la
ciùua.
r.iS MFMOIRES DE L'ACADEMIE
tonnoissance aniicipcc des cvcnemens futurs. Après un!
règne Je trente-six ans , il mouriii méprise et se niépri-
ÀmillcH, lac» sant liii-mcme. Ce prince n 'avoit jamais ctc marie.
En 1^12, Alathias succéda à Rodolphe son frère.
Pendant ces deux règnes , les biens de la maison d'Au-
triche n'éprouvèrent aucun changement. Je remarquerai
seulement que la prépondérance de l'Autriche étoit telle ,
que, lorsqu'il fallut donner, tn 1^19, un successeur à
Mnthias, ce prince, non plus que ses trères, n'ayant pas
eu d'enfans, le choix des électeurs ne sortit pas de leur
maison : il tomba sur l'archiduc d'Autriche Ferdinand,
petit- fils de l'empereur Ferdinand I.^*" par Charles duc
de Stvrie. Il avoit été roi de Bohème en i 6 i 7 . et roi de
Hongrie en i 6 1 8,
Ferdinand II, élu, comme je l'ai dit, en 16 19, avoit
alors quarante-un ans. Il étoit parvenu à l'empire, contre
le vœu de la France , par les intrigues et sur-tout par l'or
de la cour de Madrid. Les détails de ce règne sont étran-
gers à mon sujet. Cependant je ne puis, ce me semble ,
me dispenser de dire cjuelqucs mots de la guerre qui dé-
sola l'Allemagne pendant trente ans, et fit perdre à la
maison d'Autriche (juelques-unes de ses possessions, que
de nouvelles guerres lui rendirent.
Cette longue suite <le fléaux qui tourmentèrent lAlle-
ma^ne , de fiits imprévus cjui l'étonnèrent , d'actions
héroïques et d'actions atroces qui excitèrent son admira-
tion ou son effroi, cominenva dans un pays qui, moins
que d'autres, paroissoit en contenir le germe fatal. La
Bohème fut son berceau.
Cette fertile et riche contrée étoit habitée par un peuple
nombreux,
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 649
nombreux, brave, ami des mouvemens et des dangers. A
cette époque , ce peuple, jaloux de ses droits, étoit facile
à enflammer, et toujours disposé à bien accueillir les
choses nouvelles. Au commencement du xv/ siècle, les
opinions de Jean Huss y avoient fait une fortune rapide.
Lorsque la perfidie de l'empereur Sigismond et la cruauté
du concile de Constance eurent fait périr ce réformateur
dans les flammes , les Bohémiens, justement irrités, prirent
les armes. Le zèle des Hussites, dirigé par le génie de
Ziska , avoit triomphé des forces de l'empereur et de
l'Empire, réunies sous des chefs habiles (i). Ces souve-
nirs vivoient encore dans tous les cœurs ; et ces grands
exemples, que la tradition avoit religieusement perpétués
dans les familles , avoient donné au caractère national
une fierté irritable et un esprit de résistance qui ren-
doient ce peuple difficile à gouverner.
La constitution du pays partageoit l'autorité entre le*
prince et les états : la couronne y étoit élective. Depuis
Ferdinand ]." , elle avoit toujours été portée par uii prince
Autrichien. Les rois avoient tâché de substituer insen-
siblement l'hérédité aux formes électives; un ordre fixe,
qui arrête les passions ambitieuses, à une liberté mobile,
qui les encourage : mais ils n'avoient pas pu réussir à
faire abolir totalement les anciennes formes, bien moins
encore à en effacer l'amour; cet élément actif de troubles
et de discordes subsistoit toujours.
A l'époque de la rcformntion , les idées nouvelles trou-
vèrent en Bohème un sol préparé à les recevoir : Huss et
ses disciples leur avoient frayé la route. Les Bohémiens
(1) Sigismond, roi de Bohème; puis l'électeur de Brandebourg.
Tome VJ. N*
650 MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE
les adoptèrent avec enthousiasme, et, dans toutes les occa-
sions, dclendirent avec courage leur iihertc religieuse.
Sous les règnes doux et pacifiques de Ferdinand I.*'' et
de Maximilien II, ils avoient partage le bonheur de toute
l'Allemagne, et avoient Joui d'une tranquillité parfaite.
Sous le sceptre de i^odolphe, ils avoient cpousc avec
leur chaleur ordinaire les craintes et les inquiétudes des
protestans , habilement entretenues par la politique de
Henri IV, roi de France. Maihias , qui avoit besoin de leur
secours pour détrôner son frère (i), avoit eu l'art d'exci-
ter leurs espérances et de leur faire croire que sa cause
étoit la leur. Pour récompenser les servicesdes protestans,
Maihias, parvenu à son but, n'avoit pas épargné les actes
confirmatifs de leur liberté religieuse; il avoit même dé-
terminé Rodolphe, dès 1609, à céder aux voeux des
Bohémiens, en leur accordant les fameuses lettres de ma-
/fj^f (2) , qui, dans la suite, devinrent la cause ou du moins
le prétexte de nouveaux troubles.
Après la mort de l'empereur Rodolphe, Mathias avoit
jeté le masque. Dès qu'il fut sûr <\w pouvoir, il ne parla
plus de protéger la liberté des sujets. Quand il n'eut plus
besoin des protestans, il ne dissimula pas sa partialité en
faveur des catholiques. Ce changement avoit blessé l'or-
gueil , excité les alarmes et allumé la haine des protes-
(1) En 1611, Rodolphe II .ivoit
pris des mesures .tvcc les Espagnols
pour exclure Mathias des troncs de
rEnipirc et de Bohciiie; de son côté,
Alaihias gagna les états de Bohème,
et, i main armée, obligea Rodolphe
de lui abandonner ce ro\jitnie. En
effet, il fut couronne ■ Prague. L'em-
pereur Rodolphe se trouvoit alors
dans un tel état de mal-aise par les
usurpations de son frère, qu'il s'en
plaignit .\ la diète électorale de Nu-
remberg ; puis il tomba dans un état
de mélancolie qui entraîna au toni-
be.iii.
{2) Ce» Itttrti dt mjjtsié de l'em-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. (Jji
tans. La fausseté de Mathias ies irritoit; sa foiblesse les
excitoit à la vengeance ; le mauvais état de sa santé les
encourageoit à tout oser. En Bohème, plus qu'ailleurs,
on lui prétoit les vues les plus odieuses ; on envenimoit
ses moindres démarches ; on dénonçoit à l'opinion, tous
les jours, de nouvelles violations réelles ou supposées des
lettres patentes : la fermentation étoit encore sourde , mais
générale.
Les protestans avoient fait bâtir un temple sur les terres
de l'abbé de Braunau , et un autre dans le village de
Clostergrab, qui dépendoit de l'archevêque de Prague.
Ces deux prélats s'y étoient inutilement opposés. On
avoit, malgré leurs représentations, continué les édifices:
ils les firent démolir. Les protestans invoquèrent les lettres
patentes ; mais le texte des lettres étoit contre eux , et ils
lui donnoient une extension abusive. Elles accordoient
aux seigneurs la permission de fonder des églises sur leurs
terres ; mais elles ne donnoient pas à leurs sujets le droit
d'en élever sans leur permission. Mathias, sollicité parles
deux partis, prononça contre les protestans. Cet acte étoit
juste ; mais, vu les circonstances, il étoitimprudent : différer
eût été le mieux.
Cet arrêt jeta la terreur dans le parti protestant , et fit tm. dts rè-
triompher celui des catholiques (i). Bientôt les premiers Y-;' jerEÙnipe,
eurent à leur tête le comte de la Tour, né avec plus "»"■ P^' P- '^'
^ fit rr/tff
d'audace que d'habileté, et qui, mécontent de la cour,
amena un soulèvement général pour venger une injure
pereur Rodolphe accordoient aux permettoit aussi de faire construire
protestans de Bohème le libre exer- des temples où ils le jugeroient con-
cice de leur religion , par-tout et sans venable.
aucune distinction de lieux, 11 leur (i) C'est ici le commencement de
et suw.
éji .Ml. MOIRES DE L'ACADEMIE
particulicre(i). Cet homme ardent parvint à soulever les
prolestans de la Bohème, à convoquer les états, malgré
les défenses de ^empereur, et, après avoir porté la violence
aux plus grands excès (2), à se déclarer ouvertement contre
l'empereur.
On étoit en armes; et le comte de Mansfeld, partisan
habile, avoit déjà obtenu des succès, lorsque l'empereur
Mat'iias vint à mourir. Ferdinand, petit-lils de Ferdi-
nand !.'''■ par Charles archiduc d'Autriche , dcvoit lui
succéder. Le parti des prolestans n'en fut (]ue plus em-
pressé A multiplier les obstacles pour lui fermer l'accès
du trône. On vouloit plus encore , puisqu'une partie con-
sidérable des princes d'Allemagne aspiroit à le priver
de la couronne impériale. Mais les efforts des mécontens,
ainsi que ceux de l'Union ev^nge'/itjue , furent inutiles:
Ferdinand II fut élu empereur le zS août i6ip. Les
états de Bohème ne voulant pas le reconnoitre pour roi,
on balança quelque temps sur le choix de celui que l'on
devoit lui préférer. Enfui on otiVit la couronne à Fré-
la guerre de trente ans, qui, de la
Bohême, passa dans le Palatinat, et
sViendit ensuite dans tout l'Empire.
M. Koch ydistingne quatre jiéùodvs:
La première est celle de Bohême
ou la Palatine, Acçuii 1618 jusqu'en
1625 ;
La seconde est la Datioise, depuis
1625 jusqu'en 1630;
La troisième est la Suédoise, de-
puis 1630 jusqu'en 1635 ;
La quairicme et dernière est la
Française, depuis 1635 jusqu'en
(i) L'empereur venoit de lui oter
le poste important de burgrave de
Caristcin. Ce comte étoit originaire
de Goert/: son père avoit , par un
mariage avant.igeux,acquisdes terres
en Bohème.
(z) S'étant rendu dans la salie du
conseil qui siégeoit au nom del'cni-
pcreur, suivi d'une populace nom-
jireuse , lui et ses partisans jeicrcnt
par la fenêtre les deux conseillers Sla-
bata et Martinii/., aussi-bien que le
sccrètaireFabricius.qui leur avoicnt
parlé avec un peu de fermeté.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 653
tléric V, électeur Palatin, qui, ccdant aux sollicitations
de sa femme , l'accepta. Cette princesse étoit fille de
Jacques l." , roi d'Angleterre. Si cet électeur eût été
mieux secondé , ou plutôt s'il eût eu dans un degré plus
éminent les qualités qu'on lui supposoit, il enlevoit la
Bohème à la maison d'Autriche : mais, arrivé à Prague,
couronné avec toutes les cérémonies d'usage, il oublie
que s'il ne se soutient sur son trône par la force des armes,
il sera traité comme un usurpateur.
Au contraire, le parti de Ferdinand avoit pour lui les
troupes de la ligue des catholiques, commandées par
Maximilien de Bavière : on marcha vers la Bohème.
Frédéric , sorti trop tard de sa léthargie , est totalement
défait. Les Bohémiens vouioient encore combattre pour
lui, que déjà il étoit à Breslau. Il passa bientôt à Berlin ,
puis enfin alla cacher sa honte en Hollande.
Ferdinand déshonora son succès par sa conduite barbare
contre les Bohémiens , et injuste contre Frédéric , qui ,
dans cette guerre, n'avoit pas violé les lois de l'Empire.
II le mit au ban de l'Empire , et donna le Palatinat à
Maximilien, chargée de l'exécution de la sentence. Dès ce
moment la maison d'Autriche parut reprendre la puissance
qui l'avoit déjà rendue si formidable; mais, comme elle
n'avoit que trop souvent montré qu'elle ne connoissoit
pas de bornes à son ambition , le parti protestant trouva
des partisans parmi les princes catholiques qui desiroient
son abaissement.
Ferdinand n'étoit pas brave, et se rendoit cette justice
à lui-même : mais il eut le bonheur de rencontrer des
hommes qui méritoient sa confiance, et qui l'obtinrent;
6j4 MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
on doit citer , entre autres , Tilly , célèbre par ses victoires.
Je ne puis suivre cette guerre dans ses quatre périodes.
On vit, dans la première, les armées de ia Bohème
défaites, l'électeur Frédéric et le margrave de Bade-Dour-
lach mis au ban de l'Empire , sans égard pour les prin-
cipes de la constitution Germanique (i).
Dans la seconde, Christiern IV, roi de Danemarck ,
sollicite par les états de basse Saxe, et soutenu par l'argent
de l'Angleterre, entra dans la lice, fît de grands efforts,
éprouva de grandes pertes, et fut entièrement défait, en
1626, à la bataille de Kœnigslutter. 11 fit depuis une paix
qui le déshonora aux yeux de son parti. Ferdinand étoit
alors secondé par les taiens de Wallensicin.
Ne doutant pas qu'avec les deux plus habiles généraux
connus à cette époque il ne pût tout entreprendre, et, par
l'excès de ses succès, tout légitimer, Ferdinand s'aban-
donne au développement de ses plans , et traite l'Allemagne
comme s'il en étoit le souverain absolu.
Les ducs de Mecklenbourg sont dégradés de k-ur rang
et dépouillés de leurs états, parce qu'ils ont osé prendre
parti pour le roi de Danemarck; il investit de tant de
riches dépouilles "Wallenstein , déjà duc de Friedland ,
pour s'acquitter des sommes considérables et reconnoître
les services signalés qu'il avoit reçus de ce générai.
Maurice, landgrave de Hesse , et Frédéric-Ulric , duc
de Brunswick , qui ont eu le malheur de déplaire à
Ferdinand, sont obligés d'abdiquer, et de remettre leurs
états à leurs fils. L'électeur de Bnuidebourg, George-
(1) FrWéric ne faiion la guerre 1 Ici ciats de ce pays ; il ne »'agis$oJt
qu'au roi de Bohême, repoussé par | pas dci grands inicrct» de l'empire.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 655
Guillaume , reçoit l'ordre de reconnoître Maxlmilien
comme électeur de Bavière. De plus , ii donne à ce nouvel
électeur le haut Palatinat, en échange de la haute Au-
triche, et s'acquitte ainsi de la somme de treize millions de
florins, pour laquelle il lui avoit engagé cette partie de ses
états; et, comme si tant d'actes de despotisme n'étoient
pas assez révoltans , au mépris des traités les plus formels ,
des sermens les plus sacrés, il publia, le 6 mars 162^,
le fameux acte de restitution. Cet édit ordonne, sous peine
du ban de l'Empire, à tous les princes et à tous les états
protestans, de se dessaisir, en faveur des catholiques, de
tous les bénéfices médiats, de tous les cloîtres, de tous
les biens d'église , qu'ils ont sécularisés depuis la paix de
Passau, et de laisser les souverains catholiques travailler
dans leurs états à l'extirpation de la religion protestante,
sans leur opposer de résistance. On voit , par cet exposé
rapide , que Ferdinand , se livrant au despotisme le plus
absolu , renversoit toutes les lois , déplaçoit toutes les
propriétés, et provoquoit contre la maison d'Autriche la
haine de tous les souverains.
Dans la troisième période , on vit agir la France, d'abord
d'une manière indirecte , puis ouvertement. Richelieu ,
ayant fait sentir dans le conseil de Louis XIII combien
l'ambitipn de Ferdinand étoit à craindre pour le reste de
l'Europe, parvint, par des négociations habiles, à faire
déclarer contre cet empereur Gustave-Adolphe , roi de
Suède.
Ce héros parcourt en vainqueur la partie septentrio-
nale de TAllemagne, et, le 7 septembre 163 i , bat Tilly/
près le village de Breitenfeld. 11 pénètre ensuite dans la
6)6 Mf.MOIRES DE LACADLMIL
Franconie,.le Palatinat et la Bavière. Tilly, blesse dans
un combat, étoit mort au bout île trois jours, lorsque
Gustave se présenta devant Munich. Tout paroissoit an-
noncer la défaite du parti de Ferdinand : mais il ctoit par-
venu à vaincre les relus de Wallenstein , qui , mécontent,
avoit depuis quelque temps abandonne son service ; les
talens de ce général, autant que l'impétuosité téméraire
de Gustave , le débarrassèrent de ce terrible ennemi. Gus-
tave, chargeant lui-incme les cuirassiers impériaux , à la
tête de quelques escadrons Suédois , fut frajipé de plu-
sieurs coups et périt à la bataille de Lutzen , que pourtant
ses troupes gagnèrent, le 6 novembre 1632.
Cette mort îivoit donné de nouvelles craintes aux
protestans , et ranimé le courage des catholiques; mais
les Suédois, toujours enflammés du même zèle et dirigés
par les conseils du sage Oxenstiern , continuèrent d'exé-
cuter les plans de Gustave. Cependant ils se trouvèrent
hors d'état de nuire à Ferdinand, lorsqu'ils eurent perdu
la bataille de Nordiingue. La Saxe profita de cette cir-
constance pour faire sa paix avec l'empereur. Le traité
fut conclu a Prague, le 23 novembre \6^4. Par un des
articles de ce traité, la dignité électorale et le haut Pala-
tinat sont confiés à l'électeur de Bavière, ainsi que la par-
tie du bas Palatinat que l'empereur lui avoit conférée.
En 1637, Ferdinand III succéda à son père; mais la
guerre n'en continua pas moins.
Ce fut dans cette quatrième période que Riclielieu ,
voyant la Suède hors d'état de unir l('tc à l'Autriche ,
fil déclarer ouvertement la France. La guerre se iit en
même temps dans les Pays-Bas, en Italie, en Allemagne,
en
DE5 INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 657
en Espagne. Les Provinces-Unies, ennemies déclarées Je
la branche Espagnole, devinrent alliées de la France.
Les détails de ces guerres , dont les succès furent très-
variés, appartiennent à l'histoire générale de l'Europe, et
sont fort connus. Elles se terminèrent par la paix de
Westphalie, en 1^48,
L'Autriche eut à se repentir d'avoir , par trop d'ambi-
tion , mis ses vues au grand jour , causé la perte d'à peu
près un million d'hommes ,etde se voir, à la fin de trente
ans de guerre, obligée de céder à la France, outre la
souveraineté de Metz , Toul et Verdun , la propriété des
deux Alsaces, y compris le Suntgau et Brisach.
Cette perte est estimée par M. Hassel à . 20 5 ■"• "^^
Ce ne fut pas encore tout. L'empereur
Charles IV avoit , en i 5 4 4 > acheté le comté
princier de Thengen, au nom de son frère
Ferdinand, pour la somme de 83 10 florins,
et l'avoit incorporé au landgraviat de Nel-
lenbourg. Par une disposition plus à sa con-
venance, l'empereur Ferdinand III échangea
cette seigneurie contre le comté de Mitter-
bourg en Carniole, avec la branche cadette
de la ligne Pancrcitierme des comtes d'Auers-
berg, qui fut élevée à la dignité de prince de
l'Empire. Ferdinand III perdit à cet échange 7-
Perte totale 2,05 |,
Ainsi l'étendue de ses possessions fut ré-
duite à é.ijéf"'-*^'
Tome VL O*
6^^ MKMOIRES DE L'ACADKMIE
En 1658, Lcopold, déjà roi de Bohème ei île Hongrie,
succctia à Ferdinand 111 son père : il étoit âgé de dix-
huit ans, et en régna quarante-sept. Voici ce qu'en dit
le professeur Ancillon : " Léopold avoit des qualités esti-
" niables dans un particulier , mais il étoit dépourvu de
" celles qui font les souverains. Instruit, honnête, bon et
" sincèrement religieux , il n'avoit pas l'esprit assez étendu
» pour voir par lui-même, ni assez de volonté pour agir
•• seul: foible, pusillanime, asservi aux préjugés de l'éti-
» quette et du rang, il étoit fait pour être gouverné, et
•• il le fut toute sa vie. ••
Je passe aux acquisitions que fit ce prince.
En \66^ , Sigismond-Fran(,ois, le dernier des princes
particuliers duTyrol , étant mort, cette succession revint à
l'empereur Léopold , qui se transporta à Inspruck pour
s'y faire prêter foi et hommage. L'étendue de ce comté
est, suivant M. Hassel, de 541 '"■'^'
En I 675, à la mort de George-Guillaume,
le dernier de la famille des Piost en Silésie,
lequel avoit réuni les trois principautés de
Lignit/. , Brieg et Wohiau , Léopold s'en
empara. Etendue \o6.
l.n i6f?5, ce prince reprit le cercle de
Schwiebus, qu'il avoit d'abord cédé à l'élec-
teur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume,
lequel depuis étoit mort : il lui en coûta
250,00 florins. Ce cercle, (jui ne fut plus
séparé de la principauté de Glogau, ayant
A reporter ^ij-
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 659
Ci-contre 647 '^•=-
été compris précédemment dans les posses-
sions de i'Aiitriche, je ne ie porterai pas
en compte dans les acquisitions nouvelles.
En 1 6^^ , la paix de Cariowitz ayant con-
firmé le roi de Hongrie dans la possession
de la Transilvanie , le prince de Rakotzy
vit anéantir ses prétentions ; et ses préten-
tions comprenoient en étendue 2,328:^.
Ce qui formoit, avec les anciennes pos-
sessions de . 6,1367.
une étendue de 9,111
}_ m. c.
4
z Mais ie roi d'Espagne, Charles II, approchoit de sa
fin ; et il s'en fallut de bien peu que la branche Allemande
d'Autriche, en recueillant la succession de ce roi, ne
devînt aussi puissante qu'elle l'avoit été au temps de
Charles-Q,uint. 11 demandoit qu'on lui envoyât l'archiduc
Charles accompagné de dix mille hommes. Les finances
de l'empereur ne lui permirent pas cette dépense ; et, par
vanité, il ne voulut pas que son fils voyageât dans un équi-
page trop modeste. La France obtint un testament qui
assuroit la couronne d'Espagne à Philippe , petit-fils de
Louis 'XIV. Ce monarque arma pour assurer les droits
du jeune prince, tandis que l'Autriche et l'Angleterre
armoient pour les combattre. Les armes Françaises l'em-
portèrent , et l'Espagne eut un roi du sang des Bourbons,
sous le nom de Philippe V.
En 1705 , Joseph, fils aîné de l'empereur Léopold, lui
O + ij
<J6o MKMOIRES DE L" ACADEMIE
succcda. Les Jilfcrens pour la succession n'ctoieiit pas
termines : aussi la guerre occupa-t-elle tout ce règne, qui
ne tut que de cinq ans.
On peut se rappeler que Cliarles-Q.uint , voulant em-
pêcher que le Milanez passât à la France, l'avoit pris sous
sj protection , connue fiennipérial : il en avoit donne l'in-
vestiture à Philippe II. Depuis ce moment, le Milanez
étoit censé appartenir à l'Espagne. L'empereur Joseph le
reprit, aussi-bien que Mantoue; ce qui augmenta ses pos-
sessions de r; ri-i* 7 ^ °
Donc, à sa mort, en 171 o, ses états com-
prenoieni 9, Si
m. c.
1
En 1 7 I 1 , le I 2 octobre, les électeurs, après un in-
terrègne de six mois, accordèrent la couronne impériale
à l'archiduc Charles, frère du défunt empereur.
Les possessions de la maison d'Autriche s'accrurent
encore sous le règne de Charles VI , et ce nouvel ordre
de choses prit de la solidité par le traité d'Utrecht.
1." Par l'article 7 du traité entre la France et la Hol-
lande , signé le 11 avril 1713 , la France s'engage à
remettre aux États -généraux , en laveur de la maison
d'Autriche, tout ce qu'elle possède encore des Pays-Bas
appelés communément Espupwls. . . . On excepte de cette
cession la partie du haut (juartier de Gueldres , cédée au
roi de Prusse par son traité avec la France.
L'article 9 révoque l'acte par lequel Philippe V avoit
cédé et transporte la propriété des Pays-Bas, en toute
souveraineté, à l'électeur de Bavière et à ses héritiers et
successeurs mnles. Louis XIV s'engage à faire délivrer un
DES INSCPxIPTIONS ET BELLES- LETTRES. 66i
acte par l'électeur de Bavière, dans lequel il cédera et
transportera aux Etats-généraux , en faveur de la maison
d'Autriche, tout le droit qu'il peut avoir sur les Pays-Bas.
Par le ti'aité de Rastadt , mis depuis en latin à Bude,
le roi de France promet de laisser, l'empereur en possession
tranquille de tous les états et places qu'il occupe en Italie,
comme du royaume de Naples , du duché de Milan , de
l'île de Sardaigne et des ports de Toscane. -j'y/Q
Ces articles accordoientà l'empereur, selon l'estimation
de M. Hassel, une étendue de 2,459-î '"■^"
Il reprit aussi le comté de Gradisca ,
dans le Frioui Autrichien. Il en avoit été
détaché, en 1640, par l'empereur Ferdi-
nand III, en faveur des. princes d'Eggen-
berg. Cette maison s'étoit éteinte. Etendue 20,
En 17 I 8, dans le traité de Passarowitz,
entre l'empereur et la Porte Ottomane, il
est dit, art. 4> que l^- partie de la Vala-
chie située au-delà de la rivière à'AIuta,
avec la forteresse de Temeswar , restera
entre les mains de l'empereur. L'article 6
renferme les mêmes dispositions relative-
ment à plusieurs lieux de la Servie et de
la Croatie : ensemble i,6^y
En 1720, lorsque les Anglais eurent
battu la flotte Espagnole sur les côtes de
ia Sicile en 171 8, et qu'en 17 19 les
Français, sous les ordres du duc de Berwick,
A reporter 4»i ^4 x-
66i MÉMOIRES DE L'ACADEMIE
D'iWlrc part A>'^^i\ '"' ^'
eurent repris FontarabieetSaint-Si'hastien ;
qu'enfin Philippe V eut signé l'acte de la
quadruple alHancc, et disgracie le cardinal
Alberoni , les Espagnols cvacucrent la Sicile
et la Sardaigne. L'empereur prit possession
de la Sicile; et le duc de Savoie, de la Sar-
daigne, avec titre de royaume. Charles VI
y gagna une étendue de 576.
Parles préliminaires du traité de Vienne,
signés le 3 octobre 173$ , on rend à l'em-
pereur les duchés de Milan et de Mantoue
dont il avoit été dépouillé , mais que j'ai
déjà fait entrer en compte "
On y ajouta Parme et Plaisance 90.
Si l'on ajoute ces possessions aux posses-
sions antérieures de 5).ïi2i +•
on aura un total de i4>^' ^•
Mais de cette étendue il faut défalquer
les pertes que l'empereur avoit faites à
différentes époques.
En 1720, la Sardaigne, en vertudu traité
de la quadruple alliance.. ^t^o"'-'^'
En 1735. par le traité de
Vienne, il rendit à D. Carlos
Naples et la Sicile; il céda
la Sardaigne , ainsi que les
districts de Novare et de Tor-
lone, détachés du duché de
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 66^,
Ci -contre i4,<J i 2 ""■ *^'
Ci-contre 430'"'*^"
Milan 2,2-}^-,
En 1735?, par l'article 3
du traite de Belgrade, il per-
dit la Servie , la Valachie
Autrichienne, la Bosnie. . . 1,1 6p.
Total 3,838 :^.
Si donc on déduit cette somme des pertes
de celle des acquisitions 3»^3^ J-
on aura, pour ce qui restoit à l'Autriche, 10,773!
m. c.
4
A la mort de Charles VI , en i 7^0 , s'éteignit la posté-
rité masculine de la maison d'Autriche: mais il restoit une
princesse mariée à François duc de Lorraine , puis grand-
duc de Toscane,
M. Pfeffel , en récapitulant , en quelques mots , les
différens degrés d'agrandissement qu'a éprouvés la maison
d'Autriche, observe, avec beaucoup de justesse , que le
sort qu'éprouvèrent les deux branches Espagnole et A/Ie-
mande , fut une suite nécessaire de la conduite qu'elles
tinrent l'une et l'autre. « La branche Espagnole lutta cent
» cinquante ans contre la maison de France, s'épuisa, et
» l'Espagne ne put se rétablir que lorsqu'ini prince de
» France y fut monté sur le trône de Charles-Q,uint. La
» branche d'Allemagne , plus foible d'abord , ïut plus
» heureuse en suivant des maximes toutes différentes.
66i^ MKMOIRES DE L'ACADÉMIE
>• Les rois d'Espagne avoiept annonce leurs projets avec
" éclat ; les empereurs Autrichiens dcguisoicnt les leurs.
»> S'ils dcclaroient la guerre , ils faisoient entendre que
- les intérêts ile l'Empire en étoient le seul motif; c'i'toit,
« selon ces princes, pour défendre la liberté de i'Alle-
•• magne, qui , sous ce prétexte, fut obligée d'entrer dans
'• toutes les querelles de la maison d'Autriche. Si la guerre
« finissoit heureusement , l'avantage en restoit tout entier
» à l'empereur; et la perte étoit pour l'Empire, quand la
>• fortune avoit été contraire. " Ce savant ajoute : •< Ce
- système réussit pendant plus de cent cinquante ans ; et ce
» ne fut qu'en 1733 ^"^'^ quel(|ues princes apprirent à
» séparer les intérêts de l'Allemagne de ceux de la maison
» d'Autriche. »
SECONDE
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 665
SECONDE PARTIE.
Depuis la mon de Charles VI, en //./^^ y;/.f^«'<7 la
Confédération du Rhin, en jSo(f.
Les cvéïiemens qui suivirent la mort de Charles VI,
justifièrent les craintes qu'avoit eues l'Europe depuis vingt-
huit ans. Cet empereur avoit cru assurer la succession
dans tous ses états à sa fille aînée par la garantie solen-
nelle de ia pragiiiati^jue sanction (i); mais plusieurs sou-
verains n'en aspirèrent pas moins à s'en emparer.
Le roi de Pologne, électeur de Saxe, fit valoir les
droits de la reine sa femme, fille de l'empereur Joseph,
à laquelle, selon la loi de la primogcniture, la succession
devoit échoir.
L'électeur de Bavière demanda , i ." le royaume de
Bohème, en vertu du testament de l'empereur Ferdinandl.*^'';
2." la haute Autriche, comme étant une province déta-
chée de la Bavière ; 3 ." le Tyrol , comme un héritage in-
justement enlevé à sa maison.
Le roi de Prusse ressuscita une ancienne prétention
( I ) Cette pragmatique est de
l'an 1713. C'est un réglenient émané
de l'empereur Charles VI , qui porte
qu'au défaut de mâle de sa lignée , les
filles lui succéderont préférablement
à celles de l'empereur Joseph I.",
son frère, et que la succession se ré-
gleroit selon l'ordre de primogéni-
Ture, de manière que la fille aînée
seroit préférée aux cadettes, et seule
Tome VI.
hériteroii de tous les états qu'il laisse-
roit à sa mort. Ce règlement, ap-
prouvé d'abord dans tous les pavs
héréditaires, puis dans, toutes les
tours de l'Europe, n'obtint son effet
que parce qu'il fut soutenu par la
force des armes. Le prince Eugène
le prévoyoit bien, lorsqu'il dit: Cent
mille hommes garantiraient mieux cette
pragmatique que dix mille traités.
P4
CG(> .MKMC^IRES DF L'ACADÉMIE
sur les (Juches île 1 roppau et de JœgerndorH en Silésie.
Enfin le roi d'Espagne réclama le Milanez et les autres
dtats Autrichiens en Italie.
Ces prctentions différentes donnèrent lieu à une guerre
qui dura sept ans et fut terminée par plusieurs traités
successifs.
Cependant la France put croire, pendant quelque temps,
qu'elle avoit enlin réussi à abaisser sa rivale. Les armes
dentelle appuyoit les prétentions de l'électeur de Bavière,
avoient décidé le choix des électeurs. Il avoit été élu
empereur le 24 janvier 17-I2, et avdil pris le nom de
Charles VU.
Mais la fille aînée de Charles VI, l'illustre Marie-
Thérèse, épouse, dès 1738, de François-Etienne de
Lorraine, devenu grand-duc de Toscane, à la mort de
Jean-Gaston, le 5? juilkt 1737, se conduisit avec tant
d'habileté et de courage, qu'elle parvint à faire reconnoître
son époux, en 1 74 ' . co-régent des états héréditaires
d'Autriche; puis, à la mort de Charles Vil, à le faire
élire empereur, le 15 septembre \']\'\- Cette princesse,
ayant été reconnue unique héritière de Charles Vil , fut,
en conséquence, archiduchesse d'Autriche, et reine de
Bohème et de Hongrie.
Quoique l'empereur François ne soit mort qu'en 17<j5 ,
cependant , excepté les actes de l'empire, presque tous les
faits de son règne sont annoncés comme étant l'ouvrage
de son épouse Marie-Thérèse.
Je me renfermerai dans ce (jui friii l'objet de ce
Mémoire.
Nous avons vu prctcdenimeni qu'en éxecution du
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 66y
traité de Vienne, les états de la maison d'Autriche étoient
réduits a 10,773 ^
Je vais placer ici ce qu'il faut encore
ajouter à cette étendue , puis j'en sous-
trairai ies pertes.
En I 7 59, le dernier comte de ia maison
de Hohen-Embs étant mort sans enfant
mâle, l'empereur, malgré les sollicitations
de la fille de ce prince ( Frédéric-Guillaume-
Rodolphe), confisqua ce comté au profit
de la maison d'Autriche; ce qui lui pro-
cura en étendue 37.
Le comté de Falkenstein , dans le cercle
du Haut-Rhin, vendu en l'année 1667 à
Charles III duc de Lorraine , et depuis
cédé tout entier au duc François-Etienne,
époux de Marie-Thérèse, lui demeura,
lorsqu'en 1735 son duché passa à la
France. Etendue 27.
On ne doit pas oublier non plus que
Marie-Thérèse mit en séquestre les biens
de la maison de Gonzague.
Les acquisitions suivantes sont bien
plus importantes et plus nouvelles. Comme
les événemens qui les ont procurées sont
très-connus, je ne ferai que les indiquera
leurs dates.
A reporter 10,779 ^.
PHj
668 M KM OI lus DE L'AC.VDÉMIE
D'iiutre port io,7-'p \ "
En 1770, la Gallicie orientale 1,380,
En 1-78, la BuckoAvine ^7^ \-
Un 1779, le quartier de 17/;//, ccJc
par la Bavière 4 1 •
En 1780, le comte de Tettnan^, qui,
avec les comtes de Feldkirch et de Bre-
genz, avoit fait partie de l'ancien comté
de Montfort <j.
Mais, par ditfcren s traites, l'Autriche
avoit perdu ,
En 174^ » '"le grande partie de la Si-
Icsie et le comté de Glatz. ... 685 '"•'^•
En I 743 • i"i<^ portion du Mi-
lanez et la Sardaigne 97.
En I 748, les duchés de Parme
et de Plaisance 5)0.
ToTAi 872. 872.
Si donc nous otons ce nombre de l'éten-
due qu'avoit d'abord possédée l'Autriche,
nous aurons, pour le règne de Marie-
Thérèse ' '.5 "P î
L'empereur Joseph II, Ids de Marie-
Thérèse, fut couronné le 3 avril i^64-
Ce prince accrut les biens de sa maison
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 669
Ci-contre i i, 5 1 5? 7 '"■ ^•
de fort peu de chose , il est vrai ; mais
enfin il y joignit le comté d'Asch , situé
près de la Bohème , du côté d'Egrà 5 .
Léopoid II, lui ayant succédé en 1790,
réunit aux biens de l'Autriche le grand
duché de Toscane 34^-
En 1792. ce prince acquit le district
d'AItorschowa par le traité de Szistova.
Etendue 4*
En sorte qu'à la mort de Léopoid II
les possessions de l'Autriche comprenoient
une étendue de i 1.874 r*
François II, élu empereur le i4 juillet
I7p2 , a vu, par le sort des armes, suc-
cessivement s'augmenter et s'afFoiblir ses
états, soumis aux événemens militaires
et politiques.
Il acquit ,
En 1 7p 5 , la partie occidentale de la
Gallicie 86<j.
En 175)7. par le traité de Campo-
Forniio, il eut l'état de Venise, l'Istrie,
la Dalmatie , le golfe de Cattaro 7 1 1 4 •
En 1802, par le recez des indemnités,
il eut les évêchés de Trent et de Brixen . . cj2.
L'archevêché de Saltzbourg , la prévôté
A reporter 13. 544-
670 MEMOIRES DE L'ACADEMIE
D'autre /hirt i j . 5 44 '"' *^'
de BcrchtoIsgaJeii , iii partie supérieure de
l'abbaye de Passaii ; en tout 193.
En 1803, la plus grande partie de
l'£ichsta;dn 16.
Lindaii et Rothenlels, par échange. . . ^.
En I 804 , la seigneurie de Blauicneck,
ainsi que quelques autres parcelles des
biens de l'abbaye de Weingarten , par
échanireavec la maisonde Nassau-Diet/ . . 2^.
Total, sauf les pertes i 3,764 î-
Mais l'Autriciie avoit perdu ,
En 1797, les Pays-Bas et le comté
de Falkenstein par le iiaité de Campo-
Formio 4?! "î '"■'^'
Milan, Mantoue, Casii-
glione 264.
En 1 80 1 , par le traité
deLunéville , la Toscane , le
Frickthal 3 59 f-
Total I1O95. 1.095.
Si donc j'extrais cette somme de la
précédente, j'aurai 11,66^ f
m. c.
Depuis même le traité deLunéville, l'Autriche a lait
des perles, que je vais exposer avec quehjues détails dans
un tableau ci-aprcs. Je les dois à M. Ockhart , aussi-bien
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 671
que quelques corrections qu'il a bien voulu me commu-
niquer (i).
Le résultat des recherches que j'ai faites et des secours
que j'ai obtenus, donne ce t|ui suit, pour l'état actuel,
en I 806 :
ETENDUE.
Milles carres.
1 2,6697
Lieues com. carr.
35,700 ( approx •) .
POPULATION.
î2,86o,(10O ''»''•
ou
22,452,000.
REVENUS.
1 04,000,000 flor.
ou
1 oj, 000, 000.
(1) Je dois aussi à S.A. E.M.s' le
prince primat de Dalberg la commu-
nication de plusieurs ouvrages Alle-
mands qui m'ont été irès-utiles.
^7^
MEMOIRES DE L'ACADEMIE
Table AV statistique des Possessions et des Revenus de la Maison d Autriche ,
traduit de la table 2S de l'ouvrage de Al. Ockhart, en iSor.
U
Z. ! *^"->'"c au-flcl.i (le rA/i> i', .■
Quartier de \'Ens, ccdc par la
bavicrc en 1779
Quartier ctitlcvi de \'Eii>. . . .
Stvrie
Cahinthil
Carmole
Frioul
TVROL
Èiéché de BkIXEN
F.vcchc de TrENT
VoRAKLBERC
Margraviat de BURGAU
l.and>;raviat de Nn.LENBOiRC
Comte de I IoHENBERG
Tettn ANC , Argen
Plusieurs villes et ferres dispersées.
BOHLML
Moravie
I SILÉ51E Autrichienne ,
Hongrie et Dalmatie. .
1 T HANMbVANIE.. ..
Bli rowi.ne
GALLicrE orientale.
: GAiLiriE occidentale. . . .
: État Vénities. . .
.MU.Lf.S»
carres.
40.
4 10.
1 96.
378.
4--
Î--
1 1.
16.
o.
1 1.
';9-
9 ro.
410.
8t,
,J'jo.
.}, lie.
950.
.78.
1,180.
885.
740.
I 1,00).
HAD1TANS.
500,000.
I 30,000,
1,010,000.,
791,000.
IJ 6,000.
387,000.
I 10,000,
J90,ooo.
25,000.
I J5,ooo.
71,000.
4^,000.
16,000.
34,000.
■ J,ooo.
18,000.
4,166,000.
1,960,000,
1,160,000,
i6u,ooo.
S', 646, 000,
7,570,000,
1,485,000,
I 34,000,
1,970,000,
1,1 19,000,
1,1 30,000,
l.).u6.|,bOO,
\ILLES.
V
,,8
150
71
14
•Ivl
M
S
5
199
130
40
941
98
= 5
-;
6
5^'
■44
Î7«
7°
6
I 1 1
4
10
i.î$i
1 0,460.
3,460.
1,800.
3,000.
)7Î.
^90.
î'-
48,.
1 10.
::,5:-.
ri, 455.
3,1 10.
55«
;-.6i8
10,776.
1,486,
ij6.
î,6io.
4,606.
5.Î00.
^.,.^4^
en rtorins.
6,000,000
■ 3,500,000,
5,890,000
1,600,000,
1,100,000,
960,000.
3,660,000
150,000
550,000
550,000
3 30,000
170,000
160,000
90,000
1 80,000
37,090,000
i6,yoo,ooo.
5,800,000
800,000
60, 1 90,000
I 8,760,000
3,950,000
540,000
I 1,750,000.
4,uoo,ooo.
10,000,000
110,190,000
(1) On Mil i^uc (• ditition et I Aultichc ^ <: liiic
.1(1 Alpri
D'autres
raM
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 673
D'autres ctats, dit M. Ockhart, dans une note par-
ticulière , donnent :
Etendue. Population, Revenus.
ii,975""''" 2,4,700,000^-
ii,cj68. 24,6o^,4c)'j. ^ 120,000,000 "•
12,000, 25,000,000.
Mais les pertes
vont à 1,2^7. 2,535^,000. 17,727,000.
Tableau des Pertes de l'Autriche d'après les Traités dePresbourg etd'Austerliti.
I ." Margraviat de Burgau et dcpencl."^
2° Tyrol.Trent, Brixen, Vorariberg
3.0 Comté de Hohen-Embs
En Allemagne. . . .
4." ComtésdeKonigsecketdeRothen-
feLs
) ." Comte de Lindau
6.0 Comté de Tettnang et Argcn. . .
7.° Comtés de Hohenberg , Nellen-
bourg, &.C. en Souabe
y." Constance et Meinau
En Italie.
1 .° Duché de Venise
1.° Istrie, Dalmatie Vénitienne.
Mais , sur les réprésentations de l'Autriche , on lui a
rendu deux pays qui avoient été cédés à la Bavière , savoir :
Saltzbourg et Berchtolsgaden
MILLES
carrés.
î4-
52 r.
5 'A
8.
> 'h
8.
40.
310.
339-
En sorte que l'état actuel de la maison d'Autriche, dont) 10,730
le chef a le titre à' empereur , n'est pas éloigné des nombresl ou
suivans , donnés par les auteurs les plus exacts ) 1 0,790,
Tome VI.
HABITANS.
44. OOP.
600,000.
4,000.
I 1,700.
R.ooo.
I 3,000.
1 Oi,000.
J,4oo.
,390,000.)
361,000.1
2 1 6,000,
22,060,000
ou
22,425,000.
REVENUS
en florins.
330,000.
4,500,000.
15,000.
50,000
90,000,
650,000.
22,000.
2,000,000.
1,100,000.
104,000,000
ou
103,000,001
67i
.Ml .MdIRES DE L'ACADEMIE
C ON' C LU S ION.
Je lie nie clissinuile pas combien ce simple expose a Jiî
paroltre troici et sec; mais tel est le sort des sujets relatitt.
à la statistique. Cette science scvère laisse les détails et les
rcrtexions à l'histoire, les descriptions à la géographie ,
et, se renfermant dans son seul objet, elle e.xpose les
faits qui servent de matériaux à l'une et à l'autre de ces
sciences. Je me permettrai seulement le rapprochement
suivant , qui n'est pas sans quelque intérêt.
Tableau de l'étendue des Possessions de la Maison d'Autriche
; à chaque règne.
Rodolphe
ALBEnr I."
Al.HrRT II
iREOÉRIC III
Maximilien
Charles-Quint ......
Ferdinasp I."
Ferdinand III
LÉop<jLn I."
JncFPH 1.*'
CHARLf; A'I , .i sa iiH'il.
MARIE-TftERÉ'E
LÉOPOLP II
FrAN(, OIS II, en ii)«4. .
Tr.iiié d'Aïuierlir?. .
MILLES
r.irrt<.
LIEUES
l-ry.
16.085 ;
6,1 j6
9,1 1 1
•0.77J
1J.591.
Il, «74.
1 1,869.
1 1,869.
j,4i8. 1.
4.nî- 871-
6,190. 01.
10,109. J»J-
.J6,ii7. 14}.
DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. 675
NOTES.
(N." I , pag. 6^^.) DÉTAILS conceriiûnt les ttois Brûnclies
Autricliienties t/Autriche propre, de Styrie-Tyrol , et
de Styrie-Styrie.
AUTRICHE PROPRE.
En 1395, le duc Albert IV hérita de la succession du duc
d'Autriche j4î t- "* ''
En i4o4, son fils Albert (II) fut honoré, après
la mort de Sigismond , de la pourpre impériale
(en 1437). et devint, à cette époque, maître
De la Hongrie 6,145.
De la Bohème 2,385.
En mourant, il laissa donc à son fils posthume. . 9,076 ^.
ou 2316 , 9 '■ '■
En 1439 > Ladislas. Cette branche s'éteignit à sa
mort, en i4î7> Alors la Hongrie et la Bohème
élurent un autre roi ; ce qui fit une perte de 8 5 3 i "'• "•
Il ne resta donc plus à l'Autriche que 545 i-
STYRIE-TYROL.
En I 395 , le duc Frédéric IV. Il reçut de la suc-
cession d'Albert III,
LeTyrol, l'Autriche antérieure en Souabe, des
biens en Alsace , en Helvétie. Etendue 883.
A reporter 883.
Q*ij
CyG MK.MOIRES DE L'ACADEMIE
D autre part 883
En i4^3 > l'archiduc Sigismond perdit le reste de
ses domaines en Suisse '"'P "'" '
Mais il avoit acquis la moitié de Bregentz. ... 9.
En i46j .ilaclieta le laiulgraviatde Neilenbourg. 26
En i474i i' obtint le comté de Sonnenberg. ... 4
En i48i , il eut le château de Meydborg o.
m, c.
922.
Perte «79-
Reste 743-
ou 2060, 4' '' '
STYRIE-STYRIE.
En I 39J , H. Ernest reçut en héritage fa Styrie,
la Carinihie, ia Carniole 784 t-
En i44o, l'empereur Frédéric III. Ce prince et
l'archiduc Albert eurent en commun le comté de
Ciiley • <Î4 ï-
En ii57, arriva la succession de Ladislas-le-
Fosthume 54j-
Total '<394 'r
ou 3863,4''''- ■""""""
DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES. 677
(N.° II, pag. 6^-j.) Etendue et Population des Provinces du
royaume de Hollande.
FKOVINCES.
ÉTENDUE
POPUL
ATION.
Ocl^h-irt.
Etienne.
Ockh.ut.
Etienne.
Hollande
Lieues car.
2S6.
;8.
151.
102 .
6j.
270.
265.
228.
Millcb carres
102 ff.
-0 H-
54 r;-
36^.
^3 H-
97 -h-
95 rr-
8ï ^,.
Milles carres
125.
30.
55-
40.
32-
112.
11;.
7^-
799.979 ''■
81,916.
96.843 •
93,000.
108,820.
170,330.
3^3.^82.
207,708.
830,000''"
85,000.
1 1 J.OOO.
100,000.
95,000.
13? ,000.
350,000.
2 10,000 .
Zclande
Frise
Groningue
Uti:echt
Over-Vsscl
Gueidres ...
Brabant
Totaux ....
>.4-)-
573 •
;8..
.,881,878.
1 ,9^0,000 .
Je ne puis doniici sui Ica ^iuvintcs tSelgie^ues que des aperçus
pour le temps où vivoit Marie de Bourgogne , puisque l'on n'en
a la population exacte que depuis l'époque où ces provinces ont
été divisées par départemens. Sous ce rapport, le tableau suivant
est ce qu'il y a de plus exact.
DÉPARTEMENS.
ÉTENDUE.
POPULATION
Des Forêts
359''=
19^
225,^00 habitans.
41 2,000.
470,700.
595,000.
249,300.
363,956.
774.450-
283,000.
Die la Lys
De l'Escaut
,86
.84
"34
Des Deux-Nèthes
Delà Dyle
Du Nord
3"5
'76
Du Pas-de-Calais (moitié). .
I7OO
3.3";.9<'6.
6/8 MKMOIRLS DE L'ACADEMIE.
En rapprochant les totaux, on aura, tant pour les Pays-Bas
que pour la Bourgogne , les nombres suivans :
Etendue.
Pay.s-Bas et royaume de Hollande. . 3,io4-
Bourgogne 7 ' ^•
TOTAl 3,^-2-
Populiition.
8o4,4o'-
^>,o4o, 185.
(N." III, pag. 640.) Étendue des Étdts dont Cluirlcs-
Quint entra en possession par les successions d'Isabelle et
de Ferdinand.
E-spagnc
R.-^dcNapIcs..
Si<-lk
Selon AI
. Hassci.
Selon M.
Ockharl.
l'Ol'LiUATION.
r*P r s i» *- t.
n. MM 1 \TI,HV
',447- -7-
10,7 JO, 000 "'
4,91^,000.
l4}0,000.
i.aoo.
SiS-
4x0.
.7rt.
10,69^,000''"
4,870,000.
..jjo.ooo.
5,34j,ooo.
1,1 18,000.
i',4---
I r ,5 J 6,000 .
FIN DU TOME VI.
ERRATA.
Page 348 , ligne 16, au lieu de TïéÂui, lisez ïleJunwi AaUvoi,
?age 482, ligne 17, au liée de entre, lise^ outre.
■t^Ê^^^^Ê^
^L^tÊà^Êm
^^^_^^^
1
•'^*-<«s^
\ .*^''
<
ciKcui.A'n- ^^ M^^i^nr-HAî^tfîi
162 î ?? "\^ ^^' inscriptions et ,
P??« b^l^fs-lettres, Paris P^
^^18 Mémoires de l'Institut k V^
^•^ national de France •,. ^
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